^1>^1 MI»R ŒUVRES COMPLET i: S DE BUFFON. TOME XV. ««««««»««« MAMMIFERES. 11. a>. Mui.ssAiiii . i.i r. i'ii iM t;s: i-Muin»; . ?t OEUVRES COMPLETES DE BUFFON AUGMENTEE! PAR M. F. CUVIËR, MEMBRE DE l'iNSTITUT, ( Acadéiîiif lies Sciences) DE DEUX VOLUMES OFFRANT LA DESCRIPTION DES MAxMMIFÈRES ET DES OISEAUX LES PLUS REMARQUABLES DÉCOUVERTS JUSQu'a CE JOUR, 1) UA BEAU l'O'lTRAIT DE BUFFON. ET DE 2 f) O U 15 AV U K E S E" TAILLE-UOUCE. EXÉCUTÉES POUR CETTE EDITION PAR LES MEILLEURS ARTISTES. A PARIS, CHEZ F. D. PILLOT, ÉDITEUR, RUE DE SEINE-SAINT-GERMAIN, i\" 49 '. SALMON, LIBRAIRE, RUE CHRISTINE, N" 5, VllÈS CELLE DAUPUINE, i83o. 3a^7 MAMMIFERES II. UCPPON. XV. VVV\'VVVVVVVV>'VVV».\VVVVV.VV\'VV\'VVVV\VVVVVV\\VV V\VV\-\\VVVVVV\'VVV'V\V\'V\'VV'VVV/VVVVVVX'VV\\V»XVV ANIMAUX CARNASSIERS. Jusqu'ici nous n'avons pnrlc que des animaux nliles : ies animaux nuisibles sont en bien plusgranrl noni])re; et, quoique en lout ce qui nuit paroisse plus aiîon- dant que ce qui sert, cependant tout est bien , parce que dans Tunivers physique le mal concourt au bieii, et que rien en effet ne nuit à la naluie. Si nuire est détruire des êtres animés, l'honiine. considéré comme faisant partie du système général de ces êtres, o'est- il pas l'espèce la j)îus nuisible de toi!tes?Lui seul immole, anéantit plus d'individus vivants que tous les animaux carnassiers n'en dévorent. Ils ne sonl donc nuisibles que parce qu'ils sont rivaux de l'homme, parce qu'ils ont les mêmes appétits, le même goût pour la chair, et que, pour subvenir à un besoin de première nécessité, ils lui disputent quelquefois une proie qu'il réservoit à ses excès; car nous sacrifions plus encore à notre intempérance que nous ne don- nons à nos besoins. Destructeurs nés des êtres qui nous sont subordonnés, nous épuiseiions la nature si elle n'étoit inépuisable, si, par une fécondité aussi grande que notre déprédation, elle ne savoit se réparer elle- même et se renouveler. Mais il est dans l'ordre que la mort serve à la vie, que la reproduction naisse de la destruction : quelque grande, quelque prématurée que soit donc la dépense de l'homme et des animaux 8 AiNIMAUX CARNASSIERS. carnassiers, le fonds, la quantité totale de substance vivante, n'est point diminué; et s'ils précipitent la destruction , ils hâtent en même temps des naissances nouvelles. Les animaux qui, par leur grandeur, figurent dans l'univers, ne font que la plus petite partie des sub- stances vivantes; la terre fourmille de petits animaux. Chaque plante, chaque graine , chaque particule de matière organique, contient des milliers d'atomes inanimés. Les végétaux paroissent être le premier fonds de la nature; mais ce fonds de subsistance, tout abondant, tout inépuisable qu'il est, suffiroit à peine au nombre encore plus abondant d'insectes de toute espèce. Leur pullulation , tout aussi nombreuse et souvent plus prompte que la reproduction des plan- tes, indique assez combien ils sont surabondants : car les plantes ne se reproduisent que tous les ans, il faut ime saison entière pour en former la graine; an lieu que dans les insectes, et surtout dans les plus petites espèces, comme celle des pucerons, une seule saison suffit à plusieurs générations. Ils multiplieroient donc plus que les plantes, s'ils n'étoient détruits par d'au- tres animaux dont ils paroissent être la pâture na- turelle, comme les herbes et les graines semblent être la nourriture préparée pour eux-mêmes. Aussi parmi les insectes y en a-t-il beaucoup qui ne vivent que d'autres insectes; il y en a même quelques es- pèces qui, comme les araignées, dévorent indiffé- remment les autres espèces et la leur : tous servent de pâture aux oiseaux, et les oiseaux domestiques et sauvages nourrissent l'homme ou deviennent la proie des animaux carnassiers. ANIMAUX CARNASSIERS. 9 Ainsi la mort violente est nn usage presque aussi nécessaire que la loi de la mort naturelle; ce sont deux moyens de destruction et de renouvellement, dont l'un sert à entretenir la jeunesse perpétuelle de la nature , et dont l'autre maintient l'ordre de ses pro- ductions, et peut seul limiter le nombre dans les es- pèces. Tous eleux sont des effets dépendants des cau- ses générales : chaque individu qui naît tombe de îui-raeme au bout d'un temps; ou lorsqu'il est pré- maturément détruit par les autres, c'est qu'il étoit surabondant. Eh! combien n'y en a-t-il pas de sup- primés d'avance! que de fleurs moissonnées au prin- temps! que de races éteintes au moment de leur naissance! que de germes anéantis avant leur déve- loppement ! L'homme et les animaux carnassiers ne vivent que d'individus tout formés, ou d'individus prêts à l'être : la chair, les œufs, les graines, les germes de toute espèce, font leur nourriture ordinaire; cela peut borner l'exubérance de la nature. Que l'on con- sidère un instant quelqu'une de ces espèces inférieu- res qui servent de pâture aux autres; celle des ha- rengs, par exemple; ils viennent par milliers s'offrir à nos pêcheurs; et après avoir nourri tous les mons- tres des mers du Nord, ils fournissent encore à la subsistance de tous les peuples de l'Europe pendant une partie de l'année. Quelle pullulation prodigieuse parmi ces animaux ! et s'ils n'étoient en grande partie détruits par les autres, quels seroient les effets de cette immense multiplication ! eux seuls couvriroient la surface entière de la mer : mais bientôt, se nuisant par le nombre, ils se corromproient, ils se détrui- roient eux-mêmes; faute de nourriture suffisante. lO ANIMAUX CARNASSIERS. leur fécondité diminueroit , la contagion et la di- sette feroient ce que fait la consommation; le nom- bre de ces animaux ne seroit guère augmenté, et le nombre de ceux qui s'en nourrissent seroit di- minué. Et comme l'on peut dire la même chose de toutes les autres espèces, il est donc nécessaire que les unes vivent sur les autres ; et dès lors la mort vio- lente des animaux est un usage légitime, innocent, puisqu'il est fondé sur la nature, et qu'ils ne naissent quà celte condition. Avouons cependant que le motif par lequel on voudroit en douter fait honneur à l'humanité : les animaux, du njoins ceux qui ont des sens, de la chair et du sang, sont des êtres sensibles; comme nous, ils sont capables de plaisir et sujets à la dou- leur. Il y a donc une espèce d'insensibilité cruelle à sacrifier, sans nécessité, ceux surtout qui nous ap- prochent , qui vivent avec nous, et dont le sentiment se réfléchit vers nous en se marquant par les signes de la douleur; car ceux dont la nature est diilerente de la nôtre ne peuvent guère nous affecter. La pitié naturelle est fondée sur les rapports que nous avons avec l'objet qui souffre; eile est d'autant plus vive que la ressemblance , la conformité de nature est plus grande : on soulFre en voyant soulfrir son sem- blable. Compassion^ ce mot exprime assez (jue c'est une souffrance, une passion qu'on partage : cepen- dant c'est moins l'homme qui souffre f{ue sa propre nature qui patil, qui se révolte njachinalement, et se met d'elle-même à l'unisson de douleur. L'âme a moins de part que le corps à ce sentinient de pitié naturelle, et les animaux en sont susceptibles comme ANIMAUX CARNASSIERS. Il J'honime ; le cri de la douleur les émeut, ils accourent pour se secourir, ils reculent à la vue d'un cadavre de leur espèce. Ainsi l'horreur et la pitié sont moins des passions de l'âme que des affections naturelles , qui dépendent de la sensibilité du corps et de la si- militude de la conformation; ce sentiment doit donc diminuer à mesure que les natures s'éloignent. Un chien qu'on frappe , un agneau qu'on égorge , nous font quelque pitié; un arbre que l'on coupe, une huître qu'on mord, ne nous en font aucune. Dans le réel, peut-on douter que les animaux dont l'organisation est semblable à la nôtre n'éprouvent des sensations semblables? Ils sont sensibles, puis- qu'ils ont des sens ; et ils le sont d'autant plus que ces sens sont plus actifs et plus parfaits. Ceux au contraire dont les sens sont obtus ont-ils un sentiment exquis.^ et ceux auxquels il manque quelque organe, quelque sens, ne manquent-ils pas de toutes les sensations qui y sont relatives? Le mouvement est l'effet nécessaire de l'exercice du sentiment. Nous avons prouvé que de quelque manière qu'un être fût organisé, s'il a du sentiment, il ne peut manquer de le marquer au dehors par des mouvements extérieurs. Ainsi les plantes, quoique bien organisées, sont des êtres in- sensibles, aussi bien que les animaux qui, comme elles, n'ont nul mouvement appurent. Ainsi, parmi les animaux, ceux qui n'ont, coniîne la plante appelée senslt'ive , qu'un mouvement sur eux-mêmes , et qui sont privés du mouvement progressif, n'ont encore que très peu de sentiment; et enfin ceux meîues qui ont un mouvement progressif, mais qui, comme des automates, ne font qu'un petit nombre de choses, 12 ANIMAUX CARNASSIliUS. et les font toujours de ia même façon, n'ont qu'une foible portion de sentiment, limitée à un petit nom- bre d'objets. Dans l'espèce humaine, que d'automa- tes! combien l'éducation, la communication respec- tive des idées, n'augmentent-elies pas la quantité , la vivacité du sentiment ! quelle différence à cet égard entre l'homme sauvage et l'homme policé, la paysanne et la femme du monde! Et de même parmi les ani- maux, ceux qui vivent avec nous deviennent plus sensibles par cette communication, tandis que ceux qui demeurent sauvages n'ont que la sensibilité natu- relle , souvent plus sûre , mais toujours moindre que l'acquise. Au reste , en ne considérant le sentiment que comme une faculté naturelle, et même indépendam- ment de son résultat apparent, c'est-à-dire des mou- vements qu'il produit nécessairement dans tous les êtres qui en sont doués, on peut encore le juger, l'estimer, et en déterminer à peu près les différents degrés par des rapports physiques auxquels il me pa- roît qu'on n'a pas fait assez d'attention. Pour que le sentiment soit au plus haut degré dans un corps animé, il faut que ce corps fasse un tout, lequel soit non seulement sensible dans toutes ses parties , mais en- core composé de manière que toutes ses parties sen- sibles aient entre elles une correspondance intime; en sorte que l'une ne puisse être ébranlée sans com- muniquer une partie de cet ébranlement à chacune des autres. Il faut de plus qu'il y ait un centre prin- cipal et unique auquel puissent aboutir ces différents ébranlements, et sur lequel, comme sur un point d'appui général et commun, se fasse la réaction de ANIMAUX CARNASSIERS. ÏJ tous ces mouvements. Ainsi l'homme et les animaux qui par leur organisation ressemblent le plus à l'homme seront les êtres les plus sensibles; ceux au contraire qui ne font pas un tout aussi complet, ceux dont les parties ont une correspondance moins intime, ceux qui ont plusieurs centres de sentiment, et qui , sous une même enveloppe, semblent moins renfermer un tout unique, un anima! pariait, que contenir plusieurs centres d'existence séparés ou différents les uns des autres, seront des êtres beaucoup moins sensibles. Un polype que l'on coupe, et dont les parties divisées vivent séparément; une guêpe, dont la tête, quoi- que séparée du corps, se meut, vit, agit, et même mange comme auparavant; un lézard auquel, en re- tranchant une partie de son corps, on n'ôte ni le mouvement ni le sentiment; une écrevisse, dont les membre amputés se renouvellent; une tortue, dont le cœur bat long-temps après avoir été arraché; tous les insectes, dans lesquels les principaux viscères, comme le cœur et les poumons , ne forment pas un tout au centre de l'animal, mais sont divisés en plu- sieurs parties, s'étendent le long du corps, et font, pour ainsi dire, une suite de viscères, de cœurs et de trachées; tous les poissons, dont les organes de la circulation et de la respiration n'ont que peu d'action et diffèrent beaucoup de ceux des quadrupèdes, et même de ceux des cétacés; enfin tous les animaux dont l'organisation s'éloigne de la nôtre, ont peu de sentiment, et d'autant moins qu'elle en diffère plus. Dans l'homme et dans les animaux qui lui ressem- blent, le diaphragme paroît être le centre du senti- ment: c'est sur cette partie. nerveuse que portent les l4 ANIMAUX CARNASSIERS. impressions de la douleur et du plaisir; c'est sur ce point d'appui que s'exercent tous les mouvements du système sensible. Le diaphragme sépare transver- salement le corps entier de l'animal, et le divise assez exactement en deux parties égales, dont la supérieure renferme le cœur et les poumons, et l'inférieure contient l'estomac et les intestins. Cette membrane est douée d'une extrême sensibilité; elle est d'une si grande nécessité pour la propagation et la communi- cation clu mouvement et du sentiment, que la plus légère blessure, soit au centre nerveux, soit à la cir- conlérence , ou même aux attaches du diaphragme, est toujours accompagné de convulsions, et souvent suivie d'une mort violente. Le cerveau, qu'on a dit être le siège des sensations, n'est donc pas le centre du sentiment , puisqu'on peut au contraire le blesser, l'entamer, sans que la mort suive, et qu'on a l'expé- rience qu'après avoir enlevé une portion considérable de la cervelle, l'animal n'a pas cessé de vivre, de se mouvoir, et de sentir dans toutes ses parties. Distinguons donc la sensation du sentiment; la sensation n'est qu'un ébranlement dans le sens, et le sentiment est cette môme sensation devenue agréa- ble ou désagréable par la propagation de cet ébran- lement dans tout le système sensible : je dis la sensa- tion devenue agréable ou désagréable, car c'est là ce qui constitue l'essence du sentiment; son caractère unique est le plaisir ou la douleur, et tous les mou- vements qui ne tiennent ni de l'un ni de l'autre, quoiqu'ils se passent au dedans de nous-mêmes, nous sont indiliérents et ne nous aHectent point. C'est du sentiment que dépend tout le mouvement exté- ^ ANIMAUX CARNASSIERS. IJ rieur et l'exercice de tontes les forces de l'aniinal ; il n'agit qu'autant qu'il est affecté, c'est-à-dire autant qu'il sent; et celte même parlie, que nous regardons connue le centre du sentiment, sera aussi le centre des forces, ou, si l'on veut, le point d'aj.pui couî- niun sur le(]uel elles s'exercent. Le diaphragme est dans l'animal ce que le collet est dans la plante: tous deux les divisent transversalement ; tous deux servent de point d'appui aux foîces opposées; caries forces qui dans un arbre poussent en haut les parties qui doivent former le Ironc et les branches, portent et appuient sur le collet , aussi bien que les forces op- posées qui poussent en bas les parties qui forment les racines. Pour peu qu'on s'examine , on s'apercevra aisément que toutes les affections intimes, les émotions vives, les épanouissements de plaisir, les sais'issements, les douleurs, les nausées, les défaillances, toutes les impressions forles des sensations devenues agréables ou désagréables, se font sentir au dedans du corps, à la région même du diaphragme. Il n'y a au con- traire nul indice de sentiment dans le cerveau , et l'on n'a dans la tête que les sensations pures, ou plutôt les représentations de ces mêmes sensations simples dénuées des caractères du sentiment : seulement on se souvient, on se rappelle que telle ou telle sensation nous a été agréable ou désagréable; et si cette opé- ration, qui se fait dans la tête, est suivie d'un senti- ment vif et réel, alors on en sent l'impression au de- dans du corps, et toujours à la région du diaphragme. Ainsi, dans le fœtus, où cette membrane est sans exercice, le sentiment est nul, ou si foibie qu'il ne l6 ANIMAUX CARNASSIERS. peut rien produire : aussi les petits mouvements que !e fœtus se donne sont plutôt machinaux que dépen- dants des sensations de la volonté. Quelle que soit la matière qui sert de véhicule au sentiment, et qui produit le mouvement musculaire, il est sur qu elle se propage par les nerfs, et se com- munique dans un instant indivisible d'une extrémité à l'autre du système sensible. De quelque manière que ce mouvement s'opère, que ce soit par des vibrations, comme dans les cordes élastiques; que ce soit par un feu subtil, par une matière semblable à celle de l'é- lectricité, laquelle non seulement réside dans les corps animés, comme dans tous les autres corps, mais y est même continuellement régénérée par le mouvement du cœur et des poumons 9 par le frotte- ment du sang dans les artères, et aussi par l'action des causes extérieures sur les organes des sens, il est encore sûr que les nerfs et les membranes sont les seules parties sensibles dans le corps animal. Le sang, la lymphe, toutes les autres liqueurs, les graisses, les os, les chairs, tous les autres solides, sont par eux-mêmes insensibles : la cervelle l'est aussi; c'est une substance molle et sans élasticité, incapable dès lors de produire, de propager ou de rendre le mou- vement , les vibrations ou les ébranlements du senti- ment. Les méninges, au contraire , sont très sensibles; ce sont les enveloppes de tous les nerfs : elles pren- nent, comme eux, leur origine dans la lête; elles se divisent comme les branches des nerfs, et s'étendent jusqu'à leurs petites ramifications : ce sont, pour ainsi dire, des nerfs aplatis; elles sont de la même substance; elles ont à peu près le même degré d'é- ANIMAUX CARNASSIERS. I7 laslicité; elles font partie, et partie nécessaire du système sensible. Si l'on veut donc que le siège des sensations soit dans la tête , il sera dans les méninges, et non dans la partie médullaire du cerveau, dont la substance est toute différente. Ce qui a pu donner lieu à cette opinion, que le siège de toutes les sensations et le centre de toute sensibilité étoient dans le cerveau, c'est que les nerfs, qui soiit les organes du sentiment, aboutissent tous à la cervelle, qu'on a regardée dès lors comme la seule partie commune qui pût en recevoir tous les ébran- lements, toutes les impressions. Cela seul asuffij^our faire du cerveau le principe du sentiment, l'organe essentiel des sensations, en un mot, le sensoritmi com- mun. Cette supposition a paru si simple et si natu- relle qu'on n'a fait aucune attention à l'impossibilité physique qu'elle renferme , et qui cependant est as- sez évidente; car comment se peut-il qu'une partie insensible, une substance molle et inactive, telle qu'est la cervelle, soit l'organe même du sentiment et du mouvement? comment se peut-il que cette par- tie molle et insensible, non seulement. reçoive ces impressions, mais les conserve long-temps, et en propage les ébranlements dans toutes les parties so- lides et sensibles? L'on dira peut-être d'après Des- cartes ou d'après M. de La Peyronie, que ce n'est point dans la cervelle, mais dans la glande pinéale ou dans le corps calleux, que réside ce principe: mais il suffit de jeter les yeux sur la conformation du cer- veau pour reconnoître que ces parties de la glande pinéale , le corps calleux, dans lesquelles on a voulu mettre le siège des sensations, ne tiennent point aux iS ANIMAUX CARNASSIERS. nerfs; qu'elles sont toutes environnées de la sub- stance insensible de la cervelle , et séparées des nerfs de manière qu'elles ne peuvent en recevoir les mou- vements; et dès lors ces suppositions tombent aussi bien que la première. Mais quel sera donc l'usage, quelles seront les fonctions de cette partie si noble, si capitule? Le cerveau ne se Irouve-t-il pas dans tous les animaux? n'est-il pas dans l'homme, dans les quadrupèdes, dans les oiseaux , qui tous ont beaucoup de sen liment, plus étendu, plus grand, plus considérable, que dans les poissons, les insectes et les autres animaux, qui en ont peu? Dès qu'il est comprimé , tout mouvement n'est-il pas suspendu? toute action ne cesse-t-elie pas? Si cette partie n'est pas le principe du mouvement, pourquoi y est-elle si nécessaire, si essentielle ? pour- quoi môme est-elle proportionnelle, dans cliaque espèce d'animal, à la quantité de sentiment dont il est doué ? Je crois pouvoir répondre d'une manière satisfai- sante à ces questions, quelque difficiles qu'elles pa- roissent; m^iis pour cela il faut se prêter un instant à ne voiravec moi le cerveau que comme de la cervelle, et n'y rien supposer que ce que l'on peut y aperce- voir par une inspection attentive et par un examen réfléchi. La cervelle , aussi bien que la moelle allongée et la moelle épinière, qui n'en sont que la prolonga- tion, est une espèce de mucilage à peine organisé; on y distingue seulement les extrémités des petites artères qui y aboutissent en très grand nondjre, et qui n'y portent pas du sang, mais une lymphe blanche et nour- jricière. Ces mêmes petites artères, ou vaisseaux^ lym- ANIMAUX CARNASSIERS. ig phatiques, paroissent dans toute leur longueur en forme de fiiets très déliés, lorsqu'on désunit ies par- ties de la cervelle par la macération. Les nerfs, au con- traire, ne pénètrent point la substance de la cer- velle, ils n'aboutissent qu'à la surface; il perdent auparavant leur solidité , leur élasticité; et les der- nières extrémités des nerfs, c'est-à-dire les extrémités les plus voisines du cerveau, sont molles et presque mucilagineuses. Par cette exposition, dans laquelle il n'entre rien d'hypothétique, il paroît que le cerveau , qui est nourri par les artères lymphatiques, fournit à son tour la nourriture aux nerfs, et que l'on doit les considérer comme une espèce de végétation qui part du cerveau par troncs et par branches, lesquelles se divisent ensuite en une inûnité de rameaux. Le cer- veau est aux nerfs ce que la terre est aux plantes; les dernières extrémités des nerfs sont les racines qui, dans tout végétal, sont plus tendres et plus molles que le tronc ou les branches; elles contiennent une matière ductile, propre à faire croître et à nourrir l'arbre des nerfs ; elles tirent cette matière ductile de la substance même du cerveau , auquel les artères rapportent continuellement la lymphe nécessaire pour y suppléer. Le cerveau, au lieu d'être le siège des sensations, le principe du sentiment, ne sera donc qu'un organe de sécrétion et de nutrition, mais un organe très essentiel, sans lequel ies nerfs ne pour- roient ni croître ni s'entretenir. Cet organe est plus grand dans l'homme , dans les quadrupèdes, dans les oiseaux, parce que le nom- bre ou le volume des nerfs dans ces animaux est plus grand que dans les poissons et les insectes, dont 20 ANIMAUX CARNASSIEnS. le sentiment est foible par cette même raison ; ils n'ont qu'un petit cerveau proportionné à la petite quantit<5 de nerfs qu'il nourrit. Et je ne puis me dis- penser de remarquer , à cette occasion , que l'homme n'a pas, comme on l'a prétendu, le cerveau plus grand qu'aucun des animaux; car il y a des espèces de singes et de cétacés qui , proportionnellement au volume de leur corps, ont plus de cerveau que l'homme; autre fait qui prouve que le cerveau n'est ni le siège des sensations ni le principe du sentiment, puisqu'alors ces animaux auroient phis de sensations et plus de sentiment que l'homme. Si l'on considère la manière dont se fait la nutri- tion des plantes, on observera qu'elles ne tirent pas les parties grossières de la terre ou de l'eau ; il faut que ces parties soient réduites par la chaleur en va- peurs ténues, pour que les racines puissent les pom- per. De même, dans les nerfs, la nutrition ne se fait qu'au moyen des parties les plus subtiles de l'humi- dité du cerveau , qui sont pompées par les extrémités ou racines des nerfs, et de là sont portées dans toutes les branches du système sensible. Ce système fait, comme nous l'avons dit, un tout dont les parties ont imc connexion si serrée, une correspondance si in- time, qu'on ne peut en blesser une sans ébranler violemment toutes les autres : la blessure, le simple tiraillement du plus petit nerf, suffit pour causer une vive irritation dans tous les autres, et mettre le corps en convulsion; et l'on ne peut faire cesser la douleur et les convulsions qu'en coupant le nerf au dessus de l'endroit lésé; mais dès lors toutes les parties aux- quelles le nerf aboutissoit deviennent à jamais immo- AMxMAlJX CAUNASSIT-?. S. 'il biles, insensibles. Le cerveau ne doit pas être consi- déré comme partie du même genre, ni comme portion organique du système des nerfs, puisqu'il n'a pas les mômes propriétés ni la même substance, n'étant ni solide , ni élastique , ni sensible. J'avoue que lors- qu'on le comprime on fait cesser l'action du sentiment; mais cela même prouve que c'est un corps étranger à ce système, qui, agissant alors par son poids sur les extrémités des nerfs, les presse et les engourdit, de la même manière qu'un poids appliqué sur le bras, la jambe, ou sur quelque autre partie du corps, en engourdit les nerfs, et en amortit le sentiment. 11 est si vrai que cette cessation du sentiment par la com- pression n'est qu'une suspension , un engourdisse- ment , qu'à l'instant où le cerveau cesse d'être com- primé, le sentiment renaîtet le mouvement se rétablit. J'avoue encore qu'en déchirant la substance médul- laire, et en blessant le cerveau jusqu'au corps cal- leux, la convulsion, la privation du sentiment, et la mort même suit : mais c'est qu'alors les nerfs sont entièrement dérangés, qu'ils sont, pour ainsi dire, dé- racinés et blessés tous ensemble et dans leur origine. Je pourrois ajouter à toutes ces raisons des faits particuliers, qui prouvent également que le cerveau n'est ni le centre du sentiment, ni le siège des sensa- tions. On a vu des animaux, et même des enfants, naître sans tête et sans cerveau, qui cependant avoient sentiment, mouvement, et vie. Il y a des classes en- tières d'animaux, comme les insectes et les vers, dans lesquels le cerveau ne fait point une masse dis- tincte ni un volume sensible ; ils ont seulement une partie correspondante à la moelle allongée et à la BUFIOW. XV. 2 '2 'A AMMALX (:AR?\ASSIEP,S. moelle épinière. Il y auroit donc plus de raison de metlre le siège des sensations et du sentiment dans la moelle épinière , qui ne manque à aucun animal , que dans le cerveau, qui n'est pas une partie géné- rale et commune à tous les êtres sensibles. Le plus grand obstacle à l'avancement desconnois- sances de l'homme est moins dans les choses mêmes que dans la manière dont il les considère; quelque compliquée que soit la machine de son corps, elle est encore plus simple que ses idées. Il est moins dif- ficile de voir la nature telle qu'elle est, que de la re- connoître telle qu'on nous la présente : elle ne porte qu^un voile; nous lui donnons un masque; nous la couvrons de préjugés; nous supposons qu'elle agit, qu'elle opère comme nous agissons et pensons. Ce- pendant ses actes sont évidents, et nos pensées sont obscures; nous porlons dans ses ouvrages les abstrac- tions de notre esprit, nous lui prêtons nos moyens, nous ne jugeons de ses fins que par nos vues , et nous mêlons perpéliielleme-nt à ses opérations, qui sont constantes, à ces faits, qui sont toujours certains, le produit illusoire et variable de notre imagination. Je ne parle point de ces systèmes purement arbi- traires, de ces hypothèses frivoles, imaginaires, dans lesquels on reconnoît, à la première vue, qu'on nous donne la chimère au lieu de la réalité : j'entends les méthodes par lesquelles ou recherche la nature. La route expérimentale elle-même a produit moins de vérités que d'erreurs. Celte voie, quoique la plus sûre, ne l'est néanmoins qu'autant qu'elle est bien dirigée ; pour peu qu'elle soit oblique, on arrive à des plages stériles, où l'on ne voit obscurément que quelques ANIMAUX CAlîNASSIEP.S. 2.) objets épars : cependant on s'efforce de les rassem- bler, en leur supposant des rapports entre eux et des propriétés communes; et comme Ion passe et repasse avec complaisance sur les pas tortueux qu'on a faits , le chemin paroît frayé ; et quoiqu'il n'aboutisse à rien, tout le monde le suit, on adopte la méthode, et l'on reçoit les conséquences comme principes. Je pour- rois en donner la preuve en exposant à nu l'origine de ce que l'on appelle principes dans toutes les scien- ces, abstraites ou réelles : dans les premières la base générale des principes est l'abstraction, c'est-à-dire une ou plusieurs suppositions; dans les autres, les principes ne sont que les conséquences, bonnes ou mauvaises, des méthodes que l'on a suivies. Et pour ne parler ici que de l'anatomie , le premier qui, sur- montant la répugnance naturelle, s'avisa d'ouvrir un corps humain ne crut-il pas qu'en le parcourant, en le disséquant, en le divisant dans toutes ses parties, il enconnoîtroit bientôt la structure, le mécanisme, et les fonctions? mais ayant trouvé la chose infiniment plus compliquée qu'on ne pensoit, il fallut bien re- noncer à ces prétentions, et l'on fut obligé de faire une méthode, non pas pour connoître et juger, mais seulement pour voir, et voir avec ordre. Cette mé- thode ne fut pas l'ouvrage d'un seul homme, puisqu'il a fallu tous les siècles pour la perfectionner, et qu'en- core aujourd'hui elle occupe seule nos plus habiles anatomistes : cependant cette méthode n'est pas la science ; ce n'est que le chemin qui devroit y con- duire, et qui peut-être y auroit conduit en effet, si , au lieu de marcher toujours sur la même ligne dans un sentier éhoit, on eût étendu la voie et mené de 2L{ AMMAliX CARNASSIERS. front l'analomie de l'homme et celle des animaux. Car quelle connoissance réelle peut-on tirer d'un ob- jet isolé? le fondement de toute science n'est-il pas dans la comparaison que l'esprit humain sait faire des objets semblables et différents, de leurs propriétés analogues ou contraires, et de toutes leurs qualités relatives? L'absolu , s'il existe, n'est pas du ressort de nos connoissances; nous ne jugeons et ne pouvons juger des choses que par les rapports qu'elles ont entre elles. Ainsi, toutes les fois que dans une mé- thode on ne s'occupe que du sujet, qu'on le consi- dère seul et indépendamment de ce qui lui ressemble et de ce qui en diffère, on ne peut arriver à aucune connoissance réelle, encore moins s'élever à aucun principe général ; on ne pourra donner que des noms et faire des descriptions de la chose et de toutes ses parties : aussi , depuis trois mille ans que l'on dissè- que des cadavres humains, l'anatomie n'est encore qu'une nomenclature , et à peine a-t-on fait quelques pas vers son objet réel , qui est la science de l'écono- mie animale. De plus, que de défauts dans la mé- thode elle-même , qui cependant devroit être claire et simple, puisqu'elle dépend de l'inspection et n'a- boutit qu'à des dénominations! Comme l'on a pris cette connoissance nominale pour la vraie science, on ne s'est occupé qu'à augmenter, à multiplier le nom- bre des noms, au lieu délimiter celui des choses; on s'est appesanti sur les détails; on a voulu trouver des différences où tout étoit semblable : en créant de nouveaux noms, on a cru donner des choses nouvelles; on a décrit avec une exactitude minutieuse les plus petites parties, et la description de quelque partie ANIMAUX CARNASSIERS. sS encore plus petite, oubliée on négligée par les ana- tomistes précédents, s'est appelée découverte. Les dénominations elles-mêmes , ayant souvent été prises d'objets qui n'avoient aucun rapport avec ceux qu'on vouloit désigner, n'ont servi qu'à augmenter la con- fusion. Ce que l'on appelle testes et nates dans le cer- veau , qu'est-ce autre chose, sinon des parties de cer- velle semblables au tout, et qui ne méritoient pas un nom? Ces noms, empruntés à l'aventure, ou donnés par préjugés , ont ensuite produit eux-mêmes de nou- veaux préjugés et des opinions de hasard; d'autres noms donnés à des parties mal vues, ou qui même n'existoient pas, ont été de nouvelles sources d'er- reurs. Que de fonctions et d'usages n'a-t-onpas voulu donner à la glande pinéale, à l'espace prétendu vide qu'on appelle la voûte àdiws le cerveau, tandis que l'une n'est qu'une glande; et qu'il est fort douteux que l'autre existe, puisque cet espace vide n'est peut- être produit que par la main de l'anatomiste et la méthode de dissection ! Ce qu'il y a de plus difficile dans les sciences n'est donc pas de connoître les choses qui en font l'objet direct; mais c'est qu'il faut auparavant les dépouiller d*une infinité d'enveloppes dont on les a couvertes, leur ôter toutes les fausses couleurs dont on les a masquées, examiner le fondement et le produit de la méthode par laquelle on les recherche, en séparer ce que l'on y met d'arbitraire, et enfin tâcher de re- connoître les préjugés et les erreurs adoptées que ce mélange de l'arbitraire au réel a fait naître : il faut tout cela pour retrouver la nature; mais ensuite, pour la connoître , il ne faut plus que la comparer avec 26 ANIMAUX CARNASSIERS. elle-même. Dans l'économie animale , elle nous pa- roît très mystérieuse est très cachée, non seulement parce que le sujet en est fort compliqué, et que le corps de l'homme est de toutes ses productions la moins simple, mais surtout parce qu'on ne l'a pas comparée avec elle-même, et qu'ayant négligé ces moyens de comparaison qui seuls pouvoient nous donner des lumières, on est resté dans l'obscurité du doute, ou dans le vague des hypothèses. JNous avons des milliers de volumes sur la description du corps humain, et à peine a-t-on quelques inémoires commencés sur celle des animaux. Dans l'homme on a reconnu, nommé, décrit les plus petites parties, tandis que l'on ignore si dans les animaux l'on re- trouve non seulement ces petites parties, mais même les plus grandes : on attribue certaines fonctions à certains organes, sans être informé si dans d'autres êtres, quoique privés de ces organes, les mêmes fonctions ne s'exercent pas; en sorte que, dans toutes ces explications qu'on a voulu donner des différentes parties de l'économie animale, on a eu le double dés- avantage d'avoir d'abord attaqué le sujet le plus com- pliqué , et ensuite d'avoir raisonné sur ce même sujet sans fondement de relation et sans le secours de l'a- nalogie. Nous avons suivi partout, dans le cours de cet ou- vrage, une méthode très différente : comparant tou- jours la nature avec elle-même, nousl'avonsconsidérée dans ses rapports, dans ses opposés, dans ses extrê- mes; et pour ne citer ici que les parties relatives à l'économie animale , que nous avons eu occasion de traiter, comme la génération, les sens, le mouvement, ANIMAUX CAlîNASSIETiS. 2^ le sentiment, la nature des animaux, il sera aisé de reconnoître qu'après le travail , quelquefois long , mais toujours nécessaire, pour écarter les fausses idées, détruire les préjugés, séparer l'arbitraire du réel de la chose, le seul art que nous ayons employé est la comparaison. Si nous avons réussi à répandre quelque lumière sur ces sujets, ii faut moins l'attri- buer au génie qu'à cette méthode que nous avons suivie constamment, et que nous avons rendue aussi générale, aussi étendue, que nos connoissauces nous l'ont permis; et comme tous les jours nous en acqué- rons de nouvelles par l'examen et !a dissection des parties intérieures des animaux, et que, pour bien raisonner sur l'économie animale, il faut avoir vu de cette façon au moins tous les genres d'animaux diffé- rents , nous ne nous presserons pas de donner des idées générales avant d'avoir présenté les résultats particuliers. Nous nous contenterons de rappeler certains faits qui , quoique dépendants de la théorie du sentiment de l'appétit sur laquelle nous ne voulons pas, quant à présent , nous étendre davantage, suffiront cependant seuls pour prouver que l'homme, dans l'état de na- ture, ne s'est jamais borné à vivre d'herbes, de grai- nes, ou de fruits, et qu'il a dans tous les temps, aussi bien que la plupart des animaux, cherché à se nour- rir de chair. La diète pylhagorique, préconisée par les philoso- phes anciens et nouveaux, recommandée même par quelques médecins, n'a jamais été indiquée par la na- ture. Dans le premier âge, au siècle d'or, l'homme, in- nocent comme la colombe, mangeoitdu gland, buvoit uS ANIMAUX CARNASSIERS. de l'eau ; trouvant partout sa subsistance, il étoit sans inquiétude, vivoit indépendant, toujours en paix avec lui-même, avec les animaux : mais dès qu'ou- Miantsa noblesse il sacrifia sa liberté pour se réunir aux autres, la guerre, l'âge de fer, prirent la place de Toi et de la paix ; la cruauté, le goût de la chair et du .^auii^, furent les premiers fruits d'une nature dé- pravée, que les mœurs et les arts achevèrent de cor- rompre. Voilà ce que dans tous les temps certains philoso- phes austères , sauvages par tempérament, ont repro- ché à l'homme en société. Rehaussant leur orgueil individuel par l'humiliation de l'espèce entière, ils ont exposé ce tableau, qui ne vaut que par le con- traste, et peut-être parce qu'il est bon de présenter quelquefois aux hommes des chimères de bonheur. Cet état idéal d'innocence, de haute tempérance, d'abstinence entière de la chair, de tranquillité par- faite , de paix profonde , a-t-il jamais existé ? n'est-ce pas un apologue, une fable, où l'on emploie l'homme comme un animal, pour nous donner des leçons ou des exemples? peul-on même supposer qu'il y eût des vertus avant la société? peut-on dire de bonne foi que cet état sauvage mérite nos regrets , que l'fiomme aninial farouche fût plus digne que l'homme citoyen civilisé? Oui, car tous les malheurs viennent de la .société ; et qu'importe qu'il y eût des vertus dans l'é- tat de nalure, s'il y avoit du bonheur, si l'homme dans cet état étoit seulement moins malheureux qu'il ne l'est? La liberté , la santé, la force, ne sont-elles pas préférables à la mollesse, à la sensualité, a la vo- j,;)ph' même, accompagnée de l'esclavage? La priva- ANIMAUX CARNASSIERS. '2^ tion des peines vaut bien l'usage des plaisirs; et pour être heureux que faut-il, sinon de ne rien désirer? Si cela est, disons en même temps qu'il est plus doux de végéter que de vivre, de ne rien appéter que de satisfaire son appétit, de dormir d'un som- meil apathique que d'ouvrir les yeux pour voir et pour sentir; consentons à laisser notre âme dans l'en- gourdissement, notre esprit dans les ténèbres, à ne nous jamais servir ni de l'une ni de l'autre, à nous mettre au dessous des animaux, à n'être enfin que des masses de matière brute attachées à la terre. Mais au lieu de disputer, discutons; après avoir dit des raisons, donnons des faits. Nous avons sous les yeux, non l'état idéal, mais l'état réel de nature. Le sauvage habitant des déserts est-il un animal tran- quille? est-il un homme heureux? car nous ne suppo- serons pas avec un philosophe, l'un des plus fiers cen- seurs de notre humanité^ , qu'il y a une plus grande distance de l'homme en pure nalure au sauvage, que du sauvage à nous; que les âges qui se sont écoulés avant l'invention de l'art de la parole ont été bien plus longs que les siècles qu'il a fallu pour perfec- tionner les signes et ]es langues, parce qu'il me pa- roît que, lorsqu'on veut raisonner sur des faits, il faut éloigner les suppositions et se faire une loi de n'y lemonter qu'après avoir épuisé tout ce que la nature nous ollVe. Or nous voyons qu'on descend par de- grés assez insensibles des nations les plus éclairés, les plus polies , à des peuples moins industrieux ; de ceux- ci à d'autres plus grossiers, mais encore soumis à des i. J. J. Rousseiiu. 5o ANIMAUX CARNASSIERS. rois, à des lois; de ces hommes grossiers aux sauva-' ges. qui ne se rassemblent pas tous, mais chez les- quels on trouve autant de nuances différentes que parmi les peuples policés; que les uns forment des nations assez nombreuses, soumises à des chefs; que d'autres, en plus petites sociétés, ne sont soumis qu'à des usages; qu'enfin les plus solitaires, les plus indépendants, ne laissent pas de former des familles et d'être soumis à leurs pères. Un empire, un mo- narque , une famille , un père , voilà les deux extrêmes de la société : ces extrêmes sont aussi les limites de la nature; si elles s'étendoient au delà, n'auroit-on pas trouvé, en parcourant toutes les solitudes du globe, des animaux humains privés de la parole, sourds à la voix comme aux signes, les mâles et les femelles dispersés, les petits abandonnés, etc. ? Je dis même qu'à moins que de prétendre que la consti- tution du corps humain fût toute différente de ce qu'elle est aujourd'hui, et que son accroissement fût bien plus prompt, il n'est pas possible de soutenir que l'homme ait jamais existé sans former des familles, puisque le's enfants périroient s'ils n'étoient secourus et soignés pendant plusieurs années; au lieu que les animaux nouveau-nés n'ont besoin de leur mère que pendant quelques mois. Cette nécessité physique suffit donc seule pour démontrer que l'espèce humaine n'a pu durer et se multiplier qu'à la faveur de la société; que l'union des pères et mères aux enfants est natu- relle, puisqu'elle est nécessaire. Or cette union ne peut manquer de produire un attachement respectif et du- rable entre les parents et l'enfant, et cela seul suffit en- core pour qu'ils s'accoutument entre eux à des gestes, ANIMAUX CARNASSIERS. Ôl à des signes, à des sons, en un mot, à toutes les expres- sions du sentiment et du besoin : ce qui est aussi prouvé par le fait, puisque les sauvages les plus so- litaires ont, comme les autres hommes, l'usage des signes et de la parole. Ainsi l'état de pure nature est un éj;at connu : c'est le sauvage vivant dans le désert, mais vivant en fa- mille, connoissant ses enfants, connu d'eux, usant de la parole et se faisant entendre. La fille sauvage ramassée dans les bois de Champagne , l'homme trouvé dans les forêts d'Hanovre , ne prouvent pas le contraire : ils avoient vécu dans une solitude absolue; ils ne pouvoient donc avoir aucune idée de société, aucun usage des signes ou de la parole : mais s'ils se fussent seulement rencontrés, la pente de nature les auroit entraînés, le plaisir les auroit réunis ; attachés l'un à l'autre, ils se seroient bientôt entendus; ils au- roient d'abord parié la langue de l'amour entre eux, et ensuite celle de la tendresse entre eux et leurs en- fants : et d'ailleurs ces deux sauvages étoient issus d'hommes en société , et avoient sans doute été aban- donnés dans les bois, non pas dans le premier âge, car ils auroient péri, mais à quatre, cinq, ou six ans, à l'âge, en un mot, auquel ils étoient déjà assez forts de corps pour se procurer leur subsistance , et encore trop foibles de tête pour conserver les idées qu'on leur avoit comnjuniquées. Examinons donc cet homme en pure nature , c'est- à-dire sauvage en famille. Pour peu qu'elle prospère, il sera bientôt le chef d'une société plus nombreuse, dont tous les membres auront les mêmes manières, suivront les mêmes usages et parleront la même lan- 32 ANIMAUX CAllNASSIERS. gue; à la troisième, ou tout au plus à la quatrième génération, il y aura de nouvelles familles qui pour- ront demeurer séparées, mais qui , toujours réunies par les liens communs des usages et du langage, for- meront une pelite nation, laquelle, s'augmentant avec le temps, pourra, suivant les circonstances , ou devenir un peuple, ou demeurer dans un état sem- blable à celui des nations sauvages que nous connois- sons. Cela dépendra surtout de la proximité ou de l'éloignement où ces hommes nouveaux se trouveront des hommes policés. Si, sous un climat doux, dans un terrain abondant, ils peuvent en liberté occuper un espace considérable au delà duquel ils ne rencon- trent que des solitudes ou des hommes tout aussi neuf^ qu'eux, ils demeureront sauvages, et devien- poissoQ aux autres aliments; que Tenu pure leur dé- plaît, et qu'ils cherchent les moyens de faire eux-mê- mes ou de se procurer d'ailleurs une boisson moins insipide. Les sauvages du Midi boivent l'eau du. pal- mier; ceux du INord avalent à longs traits l'huile dé- goûtante de la baleine ; d'autres font des boissons fer- mentées;et tous en général ont le goût le plus décidé, la passion la plus vive, pour les liqueurs fortes. Leur industrie, dictée par les besoins de première néces- sité, excité par leurs appétits naturels, se réduit à faire des instruments pour la chasse et pour la pêche. Un arc, des flèches, une massue, des filets, un canot, voilà le sublime de leurs arts, qui tous n'ont pour objet que les moyens de se procurer une subsistance convenable à leur goût. Et ce qui convient à leur goût convient à la nature; car, comme nous l'avons déjà dit, l'homme ne pourroit pas se nourrir d'herbe seule; il périroit d'inanition s'il ne prenoit des ali- ments plus substantiels : n'ayant qu'un estomac et des intestins courts, il ne peut pas, comme le bœuf, qui a quatre estomacs et des boyaux très longs, pren- dre à la fois un grand volume de cette maigre nour- riture; ce qui seroit cependant absolument nécessaire pour compenser la qualité par la quanlité. Il en est à peu près de môme des fruits et des graines , elles ne lui suffiroient pas; il en faudroit encore un Irop grand volume pour fournir la quantité de nioiécules orga- niques nécessaires à la nutrition; et qiioiijue le pain soit fait de ce qu'il y a de plus pur dans !e blé, et que le blé même et nos autres grains et légumes,. ayant été perfectionnés pai- l'art, soient plus sub- stantiels et plus nourrissants que les graines qui n'ont 34 AMMAUX CAllN ASSIIiUS. que leurs qualités naturelles, l'homme, réduit au pain et aux légumes pour toute nourriture, traîne- roit à peine une vie foible et languissante. Voyez ces pieux solitaires qui s'abstiennent de tout ce qui a eu vie, qui, par de saints motifs, renoncent aux dons du Créateur, se privent de la parole, fuient la société, s'enferment dans des murs sacrés contre lesquels se brise la nature; confinés dans ces asiles, ou plutôt dans ces tombeaux vivants, où l'on ne res- pire que la mort, le visage mortifié, les yeux éteints, ils ne jettent autour d'eux que des regards languis- sants ; leur vie semble ne se soutenir que par des ef- forts; ils prennent leur nourriture sans que le besoin cesse : quoique soutenus par leur ferveur (car l'état de la trte fait à celui du corps) , ils ne résistent que pendant peu d'années à cette abstinence cruelle , ils vivent moins qu'ils ne meurent chaque jour par une mort anticipée, et ne s'éteignent pas en finissant de vivre, mais en achevant de mourir. Ainsi l'abstinence de toute chair, loin de convenir à la nature, ne peut que la détruire : si Thomme y étoit réduit, il ne pourroit, du moins dans ces cli- mats, ni subsister ni se multiplier. Peut-être cette diète seroit possible dans les pays méridionaux, où les fruits sont plus cuits, les plantes plus substan- tielles, les racines plus succulentes, les graines plus nourries : cependant les Brachmanes font plutôt une secte qu'un peuple; et leur religion, quoique très ancienne, ne s'est guère étendue au del;\ de leurs écoles, et jamais au delà de leur climat. Cette religion, fondée sur la métaphysique, est un exemple frappant du sort des opinions humaines. On ANIMAL'X CAUNASSIEIIS. j5 ne peut pas douter, en ramassant les débris qui nous restent, que les sciences n'aient èié très ancienne- ment cultivées, et perfectionnées peut-être au delà de ce qu'elles le sont aujourd'hui. On a vu avant nous que tous les êtres animés contenoient des molécules indestructibles, toujours vivantes, et qui passoient de corps en corps. Cette vérité , adoptée par les phi- losophes, et ensuite par un grand nombre d'hommes, ne conserva sa pureté que pendant les siècles de lu- mière : une révolution de ténèbres ayant succédé, on ne se souvint des molécules or«i;aniques vivantes que pour imaginer que ce qu'il y avoit de vivant dans l'animal étoit apparemment un tout indestructible qui se séparoit du corps après sa mort. On appela ce tout idéal une âme^ qu'on regarda bientôt comme un être réellement existant dans tous les animaux; et joignant à cet être fantastique l'idée réelle, mais dé- figurée, du passage des molécules vivantes, on dit qu'après la mort cette âme passoit successivement et perpétuellement de corps en corps. On n'excepta pas l'homme; on joignit bientôt le moral au métaphysi- que; on ne douta pas que cet être survivant ne con- servât, dans sa transmigration, ses sentiments, ses af- fections, ses désirs; les têtes foibles frémirent : quelle horreur, en effet, pour cette âme, lorsqu'au sortir d'un domicile agréable, il falloit aller habiter le corps infect d'un animal immonde î On eut d'autres frayeurs (chaque crainte produit sa superstition); on eut peur, en tuant un animil, d'égorger sa maîtresse ou son père : on respecta toutes les bêtes, on les regarda comme son prochain; on dit enfui qu'il falloit, par amour, par devoir, s'abstenir de tout ce qui avoit eu 5(i A Ml MAUX CAKN ASSIEKS. vie. Voilà l'origine et le progrès de celte religion j la plus ancienne du continent des Indes : origine qui indique assez que la vérité, livrée à la multitude, est bientôt défigurée; qu'une opinion philosophique ne devient opinion populaire qu'après avoir changé de forme, mais qu'au moyen de cette préparation elle peut devenir une religion d'autant mieux fondée que le préjugé sera plus général, et d'autant plus respectée qu'ayant pour base des vérités mal enten- dues elle sera nécessairement environnée d'obscu- rités, et par conséquent paroîlra mystérieuse, au- guste, incompréhensible; qu'ensuite, la crainte se mêlant au respect, cette religion dégénérera en su- perstitions, en pratiques ridicules, lesquelles cepen- dant prendront racine, produiront des usages qui se- ront d'abord scrupuleusement suivis, mais qui, s'altérant peu à peu, changeront tellement avec le temps, que l'opinion même dont ils ont pris naissance ne se conservera plus que par de fausses traditions, par des proverbes, et finira par des contes puérils et des absurdités : d'où l'on doit conclure que toute re- ligion fondée sur des opinions humaines est fausse et variable, et qu'il n'a jamais appartenu qu'à Dieu de nous donner la vraie religion , qui, ne dépendant pas (le nos opinions, est inaltérable, constaiite, et sera toujours la même. Mais revenons à notre sujet. L'abstinence entière de la chair ne peut qu'afloiblir la nature. L homme, j)Our se bien porter, a non seulement besoin d'user de cette nourriture solide, ma'*^ m'^me de la varier. S'il veut acquérir une vigueur complète, il faut qu'il choisisse ce qui lui coavieut le mieux; et coinine A.\JMAIJX CAK IV ASSIEDS. .)^ il ne peut se maintenir dans un état actif qu'en se procurant des sensations nouvelles ; il faut qu'il donne à ses sens toute leur étendue ; qu'il se permette la variété des mets comme celle des autres objets, et qu'il prévienne le dégoût qu'occasione l'uniformité de nourriture ; mais qu'il évite les excès, qui sont encore plus nuisibles que l'abstinence. Les animaux qui n'ont qu'un estomac et les intes- tins courts sont forcés, comme l'homme, à se nour- rir de chair. On s'assurera de ce rapport et de cette vérité en comparant, au moyen des descriptions, le volume relatif du canal intestinal dans les animaux carnassiers et dans ceux qui ne vivent que d'herbes : on trouvera toujours que cette diflerence dans leur manière de vivre dépend de leur conformation, et qu'ils prennent une nourriture plus ou moins solide, relativement à la capacité plus ou moins grande du magasin qui doit la recevoir. Cependant il n'en faut pas conclure que les ani- maux qui ne vivent que d'herbes soient, par néces- sité physique, réduits à cette seule nourriture, comme les animaux carnassiers sont, par cette même néces- sité, forcés à se nourrir de chair : nous disons seu- lement que ceux qui ont plusimirs estomacs , ou des boyaux très amples, peuvent se passer de cet aliment substantiel et nécessaire aux autres; mais nous ne di- sons pas qu'ils ne pussent en user, et que si la nature leur eût donné des armes, non seulement pour se défendre, mais pour attaquer et pour saisir, ils n'en eussent fait usage et ne se fussent bientôt accoutumés à la chair et au sang, puisque nous voyons que les moutons, les veaux, les chèvres, les chevaux, man- liUFFON. XV. 58 ANIMAUX CARNASSIERS. gent avidement le lait, les œufs, qui sont des nour- ritures animales, et que, sans être aidés de l'habilude, ils ne refusent pas la viande hachée et assaisonnée de sel. On pourroit donc dire que le goût pour la chair et pour les autres nourritures solides est l'appétit général de tous les animaux, qui s'exerce avec plus ou moins de véhémence ou de modération, selon la confor- mation particulière de chaque animal, puisque, à prendre la nature entière, ce môme appétit se trouve non seulement dans l'homme et dans les animaux quadrupèdes, niais aussi dans les oiseaux, dans les poissons, dans les insectes, et dans les vers, auxquels en particulier il sembje que toule chair ait été oité- rieurement destinée. La nutrition, dans tous les animaux, se fait par les molécules organiques, qui, séparées du marc de la nourriture au moyen de la digestion, se mêlent avec le sang et s'assimilent à toutes les parties du corps. Mais indépendamment de ce grand effet, qui paroît être le principal but de la nature, et qui est propor- tionnel à la quantité des aliments, ils en produisent un autre qui ne dépend que de leur quantité, c'est- à-dire de leur masse et de leur volume. L'estomac et les boyaux sont des membranes souples, qui forment au dedans du corps une capacité très considérable; ces membranes, poin- se soutenir dans leur élat de tension, et pour contre-balancor les forces des autres parties qui les avoisinent, ont besoin d'être toujours remplies en partie. Si, faute de prendre de la nour- riture, cette grande capacité se trouve entièrement vide, les membranes n'élant pkis soutenues au de- dans, s'aft'aissent, se rapprochent, se collent l'une PauûraeC,sciilp 1 LE LOUP— 2 LE LOTJPTSrCrCP. . ANIMA IJX CAUNASSlEKîj. 59 contre l'autre; et c'est ce qui produit l'affaissement et la foibîesse, qui sont les premiers symptômes de l'extrême besoin. Les aliments, avant de servir à la nutrition du corps, lui servent donc de lest; leur présence, leur volume est nécessaire pour maintenir l'équilibre entre les parties intérieures, qui agissent et réagissent toutes les unes contre les autres. Lors- qu'on meurt par la faim, c'est donc moins parce que le corps n'est pas nourri, que parce qu'il n'est plus lesté ; aussi les animaux, surtout les plus gourmands, les plus voraces, lorsqu'ils sont pressés par le besoin, ou seulement avertis par la défaillance qu'occasione le vide intérieur, ne cherchent qu'à le remplir, et avalent de la terre et des pierres. Nous avons trouvé de la glaise dans l'estomac d'un loup; j'ai vu des co- chons en manger; la plupart des oiseaux avalent des cailloux, etc. Et ce n'est point par goût, mais par né- cessité , et parce que le plus pressant n'est pas de ra- fraîchir le sang par un chyle nouveau, mais de main- tenir l'équilibre des forces dans les grandes parties de la machine animale. LE LOUP\ Canis Lupus. L. Le loup est l'un de ces animaux dont l'appétit pour la chair est le plus véhément; et quoique avec ce 1 . En latin, tapas; en italien , lupo; en espagnol , hbo; en allemand, moiff; en anglois, wolf. .|0 ANIMAUX CA RN ASSiEllS. goût il ail reçu de la nature les moyens de le satisfaire, qu'elle lui ait donné des armes, de la ruse, de l'agi- lité, de la force, tout ce qui est nécessaire, en un mot, pour trouver, attaquer, vaincre, saisir et dévo- rer sa proie, cependant il meurt souvent de faim, j)arce que l'homme lui ayant déclaré la guerre, l'ayant môme proscrit en mettant sa tête à prix, le force à fuir, à demeurer dans les bois, où il ne trouve que quelques animaux sauvages qui lui échappent par la vitesse de leur course, el qu'il ne peut surprendre que par hasard ou par patience, en les attendant long- temps, et souvent en vain, dans les endroits où ils- doivent passer. Il est naturellement grossier et pol- tron ; mais il devient ingénieux par besoin, et haidi par nécessité : pressé par la famine, il brave le dan- ger, vient attaquer les animaux ^oit tète , et vouîoit mordre , alors le combat devenoit à outrance ; et j'ai vu des chiens assez gros , déchirés et bien mordus, prendre le parti de la fuite. Celte loutre habitoit la chambre des tourrîères , et la nuit elle couchoit sur leur lit : le jour elle se tenoit ordinairement sur une chaise de paille , où elle dor- uioit couchée en rond; et quand la fantaisie lui en prenoit, elle alloit se mettre îa tète et les pattes de devant dans un seau d'eau qui étoit à son usage, en- suite elle se secouoit, et venoit se remettre bur sa chaise , ou alloit se promener dans la cour ou dans la maison extérieure. Je l'ai vue plusieurs fois couchée au soleil ; alors elle fermoit les yeux: je l'ai portée, maniée, prise par les pattes, et flattée; elle jouoit avec mes mains, les mordoit insensiblement , et fai- soil petites dents, si cela peut se dire, comme on dit ([ue les chats font palte de velours. Je la menai un jour auprès d'une petite flaque d'eau , où la rivière d'Arroux en laisse lorsqu'elle est débordée : ce qui vous paroitra surprenant, et c^î qui m'étonnoit aussi , c'est qu'elle parut craindre de voir l'eau en si grand voîuine; elle n'v ontra pas, passé le bord où elle se mouilla la tète coinjue dans le seau : je la fis jeter à LA LOUTRE. 79 4.]ueîqiies pas cJaris l'eau; elle regagna le bord hieu vite avec une sorte d'cflroi , et nous suivit, très con- tente de retrouver ses tourrières. Si on peut raison- ner d'après un seul fait et un seul individu, la nature paroît n'avoir pas donné à cet animal le même in- stinct qu'aux canards , qui barbotlent aussitôt qu'ils sont éclos, en sortant de dessous une poule. Cette loutre étoit très malpropre : le besoin de se vider paroissoit lui prendre subitement, et elle se satisfaisoit de même, quelque part qu'elle fut, excepté sur les meubles, mais à terre et dans la chambre comme ailleurs; les tourrières n'avoient jamais pu, môme par des corrections, l'accoutumer à aller, pour ses besoins, à la cour, qui éloit peu éloignée : dès qu'elle s'était vidée , elle venoit flairer ses excré- ments, ainsi que les chats, et faisoit un petit saut d'allégresse ensuite , comme satisfaite de s'être débar- rassée de ce poids. J'ai souvent eu occasion de voir cette loutre , parce que je ne passois point à Autun , sans aller à l'abbaye de Saint-Jean-le-Grand , où madame de Courtivron avoit une tante ; et j'ai dîné dix fois avec la loutre , qui étoit de très bonne compagnie. On me l'offrit : je l'aurois acceptée pour la mettre, enchaînée, sur le fossé de ma maison à Courtivron , où elle auroit eu occasion de se marier , si je n'avois reconnu la diill- cullé de l'enchaîner, à cause que le cou de cet ani- mai est presque du même diamètre de sa tête et son corps; je pensai qu'elle pourroit s'échapper, et mul- tiplier chez moi les loutres, qui n'y sont que trop communes. Je me reproche de m'êt,re si fort étendu sur cet 8o ANIMAUX CARNASSIERS. article des loutres, comme susceptibles d'être bien apprivoisées; mais j'ai cru devoir vous donner un exemple de ce que j'ai vu dans notre Bourgogne : ainsi, sans recourir aux exemples de Danemarck et de Suède, s'ils existent tels que le P. Yanière , dans son poëme du Prœdlum rmticum^ les a célébrés , voilà des choses sur lesquelles vous pouvez compter, et il n'y a rien de poétique dans ce que je vous dis. » LA LOUTRE DU CANADA. Lutra canadensis. Geoffb. Cette loutre, beaucoup plus grande que notre loutre, et qui doit se trouver dans le nord de l'Europe, comme elle se trouve au Canada, m'a fourni l'occa- sion de chercher si ce n'éloit pas le même animal qu'Aristote a indiqué sous le nom de latax ^ qu'il dit être plus grand et plus fort que la loutre; mais les notions qu'il en donne ne convenant pas en entier à cette grande loutre, et la trouvant d'ailleurs absolu- ment semblable à la loutre commune , à la grandeur près, j'ai jugé que ce n'étoit point une espèce parti- culière, mais une simple variété dans celle de la lou- tre ; et comme les Grecs, et surtout Aristote, ont eu grand soin de ne donner des noms difîerents qu'à des animaux réellement différents par l'espèce, nous nous sommes convaincus que le latax est un autre animal. D'ailleurs les loutres, comme les castors, sont communément plus grandes, et ont le poil plus noir et plus beau en Amérique qu'en Europe. Cette loutre de Canada doit être en effet plus grande et LA LOLTRE. 8l plus noire que la loutre de France. Mais en cher- chant ce que pouvoit être le /«^^f^ d'Aristote (chose ignorée de tous les naturalistes) , j'ai conjecturé que c'étoit l'animal indiqué par Belon, sous le nom de loup marin j et j'ai cru devoir rapporter ici la notice d'Aristote, sur le latax^ et celle de Belon , sur le loup marin, afin qu'on puisse les comparer^. Aristote fait mention , dans ce passage , de six ani- maux amphibies ; et de ces six, nous n'en connois- sons que trois : le plioca , le castor et la loutre; les trois autres, qui sont le lataXj, le satlierlon et le sa- tyrlon^ sont demeurés inconnus , parce qu'ils ne sont indiqués que par leurs noms, et sans aucune descrip- i. « Sutit jnler quadrupèdes ferasque, quae victum ex lacu et fluviis » peluul, at vero a mari nullusu , pryelerquam vU.ulus niarinus. Sunt » etiam in lioc génère fiber, riallierium , saljrium, lulris, latax , quae B latior lutro est, dcntesque habet robuslos, quippe quye noetu ple- » rutjique egrediens, virgulta proxima suis dentibus ut ferro praecidat; « lutris etiam hominem mordet , uec desislit , ut ierunt , nisi ossis » fracti crepitum senseril. Lataci pilus durus, specie inler pilum \ituli » marini et cervî. » ( Arisl. , Uist. anim., lib. VIII, cap. v. ) Le loup marin, « D'autanl que les Anglois n'ont point de loups sur u leur lerre , nature les a pourveus d'une bête , au rivage de leur mer, M si fort approchante de noire loup, que, si ce nétoit qr.'il se jette « [dulôt sur les poissons que sur les ouailles, on le dlroit du tout sem- ') blable à notre bête tant ravissante : considér«'j la corpulence, le poil, » la tôle (qui toutefois est fort grande), et la queue moult approchante » au loup terrestre; mais parce que celui-cy (comme dit est) ne vit » que de poisson, et n"a été aucunement connu des anciens, il ne m'a » semblé moins notable que les animaux de double vice cy-dessus al- » légués; parquoi j'en ai bien voulu mettre le pourtrait. » (Belon, De la nature des poissons, page 18. ) La figure est à la page 19, et ressemble plus à Thyène qu'à aucun aulre animal ; mais ce ne peut être l'hyèue , car elle n'est point am- phibie, elle ne vit pas de poisson, et d'ailleurs elle est d'un climat tout différent. 82 ' ANl.MAUX CARNASSIERS. tion. Dans ce cas, comme dans tous ceux où Ton ne peut tirer aucune induction indirecte pour la con- noissance de la chose, il faut avoir recours à la voie d'exclusion; mais on ne peut l'employer avec succès que quand on connoît à peu près tout : on peut alors conclure du positif au négatiC, et ce nè^^atif devient , par ce moyen , une connoissance positive. Par exem- ple , je crois que, par la longue étude que j'en ai faite, je connois, à très peu près, tous les animaux quadrupèdes ; je sais qu'Aristote ne pou voit avoir aucune connoissance de ceux qui sont particuliers au continent de l'Amérique : je connois aussi . parmi les quadrupèdes, tous ceux qui sont amphibies , et j'en sépare d'abord les amphibies d'Amérique, tels que le tapir, le cabiai, l'ondatra, etc. : il me reste les amphibies de notre continent, qui sont l'hippo- potame, le morse ou la vache marine , les phoques ou veaux marins, le loup marin de Eeion , le castor, la loutre, la zibeline, le rat d'eau, le desman , la musaraigne d'eau, et , si l'on veut, l'ichneumon ou mangouste, que quelques uns ont regardée comme amphibie, et ont appelée loutre d'Egypte. Je retranche de ce nombre ie morse ou la vache marine , qui , ne se trouvant que dans les mers du Nord, n'étoit pas connue d'Aristofe; j'en retranche encore l'hippopo- tame, le rat d'eau , et l'ichneumon. parce qu'il en parle ailleurs , et les désigne par leurs noms ; j'en re- tranche enfin les phoques , le castor et la loutre , qui sont bien connus, et la musaraigne d'eau . qui est trop ressemblante à celle de terre, pour en avoir ja- niais été séparée par le nom ; il nous reste le loup marin de Belon , la zibeline et le desman, pour le LA LOUTRE. 85 lataXji le satlierlon et le satyrion : de ces trois ani- maux , il n'y avoit que le loup marin de Belon qui soit plus gros que la loutre : ainsi c'est le seul qui puisse représenter le latax ; par conséquent la zibe- line et le desman représentent le satlierlon et le sa- tyrion. L'on sent bien que ces conjectures, q'je je crois fondées , ne sont cependant pas du nombre de celles que le temps puisse écîaircir davantage, àmolns qu'on ne découvrît quelques manuscrits grecs , jus- qu'à présent inconnus, où ces noms se trouveroicnt employés, c'est-à-dire expliqués par de nouvelles indications. LA PETITE LOUTRE DE LA GUIANE K Didelphia palmatu. Geoffr. Pontoppidan assure qu'en Norwége la loutre se Irouve également autour des eaux salées comme au- tour des eaux douces; qu'elle établit sa demeure dans des monceaux de pierres, d'où les chasseurs la font sortir en imitant sa voix au moyen d'un petit siOlet ; il ajoute qu'elle ne mange que les parties grasses du poisson , et qu'une loutre apprivoisée à laquelle on donnoit tous les jour, un peu de lail , rapportoit con- tinuellement du poisson à la maison. Je trouve dans les notes communiquées par M. de La Borde , qu'il y a à Cayenne trois espèces de lou- tres: la noire , qui peut peser quarante ou cinquante livres; la seconde, qui est jaunâtre, et qui peut pe- 1. Cet animal fait partie du genre cfiirovecies d'illiger. 84 A ^ I M A U X C A r. N A s s î E W S. ser vingt ou \ingt- cinq livres; et une troisième espèce, beaucoup plus petite, dont le poil est grisâtre, et qui ne pèse que trois ou quatre livres. Il ajoute que ces animaux sont très communs à la Guiane, le loni: de toutes les rivières et des marécages, parce que le poisson y est fort abondant ; elles vont même par troupes quelquefois fort nombreuses ; elles sont fa- rouches, et ne se laissent point approcher : pour les avoir, il faut les surprendre ; elles ont la dent cruelle, et se défendent bien contre les chiens. Elles font leurs petits dans des trous qu'elles creusent au bord des eaux : on en élève souvent dans les maisons. J'ai remarqué, dit M. de La Borde, que tous les animaux de la Guiane s'accoutument facilement à la domesti- cité , et deviennent incommodes par leur grande familiarité. M. Aublet, savant botaniste, que nous avons déjà cité, et M. Olivier, chirurgien du roi, qui ont de- meuré tous deux long-temps à Gayenne et dans le paysd'Oyapok , m'ont assuré qu'il y avoil des loutres si grosses, qu'elles pesoient jusqu'à quatre-vingt-dix et cent livres ; elles se tiennent dans les grandes ri- vières qui ne sont pas fort fréquentées, et on voit leur tète au dessus de l'eau ; elles font des cris que l'on entend de très loin : leur poil est très doux , mais plus court que celai du castor; leur couleur ordinaire est d'un brun minime : ces loutres vivent de poisson, et mangent aussi les graines qui tombent dans l'eau , sur le bord des fleuves. Nous donnerons ici la description d'un petit ani- mai qui nous a été envoyé de la Guiane , sous le nom de pellle loutre d'eau de Cayenne ^ et qui nous paroi t LA LOUTRE. 85 être la troisième espèce dont parle M. de La Borde. Elle n'a que sept pouces de longueur, depuis le bout du nez jusqu'à l'extrémité du corps : cette petite loutre a la queue sans poil, comme le rat d'eau, longue de six pouces sept lignes, et cinq lignes de grosseur à l'origine , allant toujours en diminuant jusqu'à l'extrémité , qui est blanche , tandis que tout le reste de la queue est brun ; et au lieu de poil , elle est couverte d'une peau grenue, rude comme du chagrin; elle est plate par dessous et convexe par dessus. Les moustaches ont un pouce de long, aussi bien que les grands poils qui sont au dessus des yeux; tout le dessous de la tète et du corps est blanc, ainsi que le dedans des jambes de devant. Le dessus et les côtés de la tête et du corps sont marqués de grandes taches d'un brun noirâtre , dont les inter- valles sont remplis par un gris jaunâtre. Les taches noires sont symétriques de chaque côté du corps ; il y a une tache blanche au dessus de l'œil : les oreilles sont grandes, et paroissent un peu plus allon- gées que celles de nos loutres. Les jambes sont fort courtes. Les pieds de devant ont cinq doigts sans membranes; les pieds de derrière ont aussi cinq doigts, mais avec des membranes. BUFFOIV. ÏV. 86 ANIMAUX CAIINASSÎERS. »ft«tr<'«»ii LA SARICOVIENNE*. Lutra brasiliensls. Briss. « La saricovienne, dit Thevet, se trouve le long^ » de la rivière de la Plata; elle est d'une nature ani- )) phibie, demeurant plus dans l'eau que sur la terre. » Cet animal est grand comme un chat, et sa peau, » qui est mêlée de gris et de noir, est fine comme ve- » lours ; ses pieds sont faits à la semblance de ceux » d'un oiseau de rivière : au reste , sa chair est très j) délicate et très bonne à manger. » Je commence par citer ce passage , parce que les naturalistes ne connoissoient pas cet animal sous ce nom, et qu'ils ignoroient que le carlguelbeju du Brésil, qui est le même , eût des membranes entre les doigts des pieds. En effet , Marcgrave, qui en donne la description, ne parle pas de ce caractère, qui cependant est essen- tiel, puisqu'il rapproche, autant qu'il est possible, cette espèce de celle de la loutre. Je crois encore que l'animal dontGumîlla fait men- tion sous le nom de ^w<7cA/pourroit bien être le Tueme que lasaricovienne , et que c'est une '\spèce de loutre commune dans toute l'Amérique méridionale. Parla i. Nom de cet animal au pays de La Plala, et que nous avons adopté. Ce mot saricovienne paroît être dérivé de carigiieibcju, qui est ie nom de cet animal au Brésil , et qui doit se prononcer sarigovicu. Ce nom signifie héte friande, selon Thevet. P1.3: TomeiB. PaxLQXLe t, scxùo . 1 LAFOUDSTE— 2 L^ SARICOVIEISnNrE _ S.LAI" OUTisTE BE LA GUYANE . LA SARI CO VIENNE. 87 description qu'en ont donnée JVlarcgrave et Desmar- chais, il paroît que cet animal amphibie est de la grandeur d'un chien de taille médiocre; qu'il a le haut de la tête rond comme le chat; le museau un peu long comme celui du chien; les dents et les moustaches comme le chat; les yeux ronds, petits et noirs; les oreilles arrondies et placées bas; cinq doio ts à tous les pieds; les pouces plus courts que les autres doigts, qui tous sont armés d'ongles bruns et aigus; la queue aussi longue que les jambes de derrière; le poil assez court et fort doux, noir sur tout le corps; brun sur la tête, avec une tache blanche au gosier. Son cri est à peu près celui d'un jeune chien, et il l'entrecoupe quelquefois d'un autre cri semblable à la voix du sagouin. Il vit de crabes et de poissons; mais on peut aussi le nourrir avec de la farine de ma- nioc délayée dans de l'eau. Sa peau fait une bonne fourrure; et, quoiqu'il mange beaucoup de poisson, sa cliair n'a pas le goût de marais; elle est au contraire très saine et très bonne à manefcr. * Nous avons dit à l'article de la loutre saricovienne, ou cariguciheju de Marcgrave , que cet animal parois- soit se trouver sur la plupart des côtes poissonneuses et des embouchures des grands fleuves, dans les pla- ges désertes de l'Amérique méridionale; mais nous ignorions alors que ce même animal se retrouve au Kamtschatka et sur les côtes et les îles de toute cette partie du nord-est de l'ancien continent, et sans que la diirérence de climat paroisse avoir influé sur l'es- pèce, qui semble être partout la même. Ces sarico- viennes du Kamtschatka ont été soigneusement dé- crites par M. Steller, et l'on ne peut douter, en 88 ANIMAUX CARNASSIERS. comparant sa description avec ceîle de Maregrave, que l'espèce de ces saricoviennes du Ramtschatka ne soit la même que celle du carigueibeju ou saricovienne de l'Amérique : on verra de même que les lions ma- rins, les ours marins, et la plupart des phoques, se reirouvent les mômes dans les mers les plus éloi- gnées les unes des autres, et sons les climats les plus opposés. Les Russes qui demeurent au KamtschalKa don- nent à la saricovienne le nom de bobr ou castor^ quoi- qu'elle ne ressemble au castor que par la longueur de son poil, et qu'elle n'ait que peu de rapport avec lui par sa forme extérieure ; car c'est une véritable loutre, à laquelle non seulement nous rapporterons ces grandes loutres de la Guiane et du Brésil dont nous avons parlé, mais aussi cette loutre du Canada dont nous avons donné la notice ( page 80), et qui paroît être de la taille et de l'espèce des saricoviennes. On voit ces saricoviennes ou loutres marines sur les côtes orientales du Kamtscbatka et dans les îles voisines, depuis le cinquantième degré jusqu'au cin- quante-sixième, et il ne s'en trouve que peu ou point dans la mer intérieure à l'occident du Kamtschatka, ni au delà de la troisième île des Kuriles. Elles ne sont ni féroces ni farouches, étant môme assez sé- dentaires dans les lieux qu'elles ont choisis pour de- meure; elles semblent craindre les phoques, ou du moins elles évitent les endroits qu'ils habitent, et n'aiment que la société de leur espèce. On les voit en très grand nombre dans toutes les îles inhabitées des mers orientales du Kamtschatka : il y en avoit, en 1742. une si grande quantité à l'île de Behring, LA SARIOO VIENNE. Sg que les Russes en tuèrent plus de iiuit cents. «Comme » ces animaux n'avoient jamais vu d'hommes aupara- » vant, ditM. Steller, ils n'étoient ni timides ni sau- » vages; ils s'approclioient même des feux que nous » allumions, jusqu'à ce qu'instruits par leur malheur, » ils commencèrent à nous fuir. » Pendant l'hiver ces saricoviennes se tiennent tan- tôt dans la mer sur î»es glaces, et tantôt sur Je rivage; en été elles entrent dans les fleuves, et vont même jusque dans les lacs d'eau douce; où elles paroissent se plaire beaucoup; dans les jours les plus chauds elles cherchent, pour se reposer, les lieux frais et ombra- gés. En sortant de l'eau elles se secouent, et se cou- chent en rond sur la terre comme les chiens; mais avant que de s'endormir, elles cherchent à reconnoî- tre par l'odorat, plutôt que par la vue qu'elles ont foible et courte, s'il n'y a pas quelques ennemis à craindre dans les environs. Elles ne s'éloignent du ri- vage qu'à de petites distances, afin de pouvoir rega- gner prompteraent l'eau dans le péril; car, quoi- qu'elles courent assez vite, un homme leste peut néanmoins les atteindre; mais en revanche elles na- gent avec une très grande célérité, et comme il leur plaît, c'est-à-dire sur le ventre, sur le dos, sur les côtés, et môme dans une situation presque perpen- diculaire. Le mâle ne s'attache qu'à une seule femelle, avec, laquelle il va de compagnie, et qu'il paroît aimer beaucoup, ne la quittant ni sur mer ni sur terre, 11 y a apparence qu'ils s'aiment en effet dans tous les temps de l'année; car on voit de petits nouveau-nés dans toutes les saisons, et quelquefois les pères et go ANIMAUX CARNASSIERS. mères sont encore suivis j)ar des jeunes de différents âges des portées précédentes, parce que Jeurs petits ne les quittent que quand ils sont adultes et qu'ils peuvent former une nouvelle famille. Les femelles ne produisent qu'un petit à la fois, et très rarement deux. Le temps de la gestation est d'environ huit à neuf mois : eMes mettent bas sur les côtes ou sur les îles les moins fréquentées, et le petit, dès sa nais- sance, a déjà toutes ses dents, les canines sont seu- lement moins avancées que les autres ; la mère Tal- laile pendant près d'un an, d'où l'on peut présumer qu'elle n'entre en chaleur qu'environ un an après qu'elle a produit. Elle aime passionnément son pe- tit, et ne cesse de lui prodiguer des soins et des ca- resses, jouant continuellement avec lui, soit sur la terre, soit dans l'eau : elle lui apprend à nager; et, lorsqu'il est fatigué, elle le prend dans sa gueule pour lui donner quelques moments de repos. Si l'on vient à le lai enlever, elle jette des cris et des gémissements lamentables : il faut même user de précautions lors- qu'on veut le lui dérober; car, quoique douce et ti- mide , elle le défend avec un courage qui tient du désespoir, et se fait souvent tuer sur la place, plutôt que de l'abandonner. Ces animaux se nourrissent de crustacés, de co- quillages, de grands polypes et autres poissons mous qu'ils viennent ramasser sur les grèves et sur les ri- vages fangeux, lorsque la marée est basse; car ils ne peuvent demeurer assez long-temps sous l'eau pour les prendre au fond de la ujer, n'ayant pas, comme les phoques, le trou ovale du cœur ouvert. Ils man- gent aussi des poissons à écailles, comme des an- LA SA RICO VI liN NE. QI guilles de mer, etc., des fruits rejetés sur le rivage en été, et même des fucus, faute de tout autre ali- ment; mais ils peuvent se passer de nourriture pen- dant trois ou quatre jours de suite. Leur chair est meilleure à manger que celle des phoques; surtout celle des femelles, qui est grasse et tendre lorsqu'elles sont pleines et prêtes à mettre bas : celle des petits, qui est très délicate, est assez semblable à la chair de l'agneau ; mais la chair des vieux est ordinaire- ment très dure ^. « Ce fut, dit M. Steller, notre nourriture principale à l'île de Behring; elle ne nous fit aucun mal, quoique mangée seule et sans pain, et souvent à demi crue : le foie, les rognons et le cœur, sont absolument semblables à ceux du veau. » On voit souvent au Kamtschatka et dans les îles Kuriles arriver les saricoviennes sur des glaçons pous- séspar un vent d'orient, qui règne de temps en temps sur ces côtes en hiver. Les glaçons qui viennent du 1. Les liusses jetés dans cetlo île (de Beliriiig), après s être réservé une provision de huit cents livres de farine pour faire le trajet du Kamlsclialka, dès que la saison et leur santé le pernieltroient, eurent recours aux loutres marines : un de ces animaux leur fouriissoit qua- rante ou cinquante livres de chair, mais si dure, du moins celle des mâles, qu'il falloit la hacher et l'avaler presque sans mâcher. On en préparoit les viscères pour les malades. Du reste, quoique M. Steller prétende que la loutre est bonne contre le scorbut, M. Muller en doute , puisque les Russes qui moururent de cette maladie e-u avoient mangé comme les autres ; cependant on en tua beaucoup , même quand on eut cessé de s'en nourrir, parce que les peaux en sont très belles, et valent aux Russes, qui les vont porter à la Chine, jusqu'à quatre-vingts ou cent roubles la pièce : aussi ramassa-t-on neuf cents de ces peaux à la chasse des loutres , qui dura jusqu'au mois de mars; alors elles disparurent , et l'équipage eut recours à la pêche des chiens, des ours, et des lions, que la mer leur offrit. (Voyage de Behring, Histoire générale (Us Voyages , tome XIX , page 579. ) ga ANIMAUX CARNASSIERS. côté de rAmérique sont en si grande quantité, qu'ils s amoncèlent et forment une étendue de plusieurs milles de longueur sur la mer. Les chasseurs s'expo- sent, pour avoir les peaux des saricoviennes, à aller fort au loin sur ces glaçons avec des patins qui ont cinq ou six pieds de long sur environ huit pouces de large, et qui par conséquent leur donnent la har- diesse d'aller dans les endroits où les glaces ont peu d'épaisseur; mais, lorsque ces glaces sont poussées au large par un vent contraire, ils se trouvent sou- vent en danger de périr, ou de rester quelquefois plusieurs jours de suite errants sur la mer, avant que d'être ramenés à terre avec ces mêmes glaces par un vent favorable. C'est dans les mois de fé- vrier, de mars et d'avril, qu'ils font cette chasse pé- rilleuse, mais très profitable; car ils prennent alors une plus grande quantité de ces aniinatix qu'en toute autre saison : cependant ils ne laissent pas de les chasser en été, en les cherchant sur la terre, où souvent on les trouve endormis : on les prend aussi, dans cette même saison , avec des filets que l'on tend dans la mer, ou bien on les poursuit en canot jus- qu'à ce qu'on les ait forcés de lassitude. Leur peau fait une très belle fourrure; les Chi- nois les achètent presque toutes, et ils les paient jusqu'à soixante-dix, quatre-vingts et cent roubles chacune; et c'est par cette raison qu'il en vient très peu en Russie. La beauté de ces fourrures varie sui- vant la saison : les meilleures et les plus belles sont celles des saricoviennes tuées aux mois de mars, d'avril et de mai. Néanmoins ces fourrures ont l'in- convénient d'être épaisses et pesantes; sans cela^ LA. SARICOVIENNE. C)Ù elles seroient supérieures aux zibelines, dont les plus belles ne sont pas d'un aussi beau noir. Il ne faut cependant pas croire que le poil de ces saricovien- nes soit également noir dans tous les individus : car il y en a dont la couleur est brunâtre, comme celle de la loutre de rivière; d'autres qui sont de couleur ar- gentée sur la tête; plusieurs qui ont la tôle , le men- ton, et la gorge, variés de longs poils très blancs et très doux; enfin, d'autres qui ont la gorge jaunâtre, et qui portent plutôt un feutre crépu, brun et court sur le corps, qu'un véritable poil propre à la four- rure. Au reste, les poils bruns ou noirs ne le sont que jusqu'à la moitié de leur longueur : tous sont blancs à la racine, et leur longueur est en tout d'en- viron un pouce ou un pouce et demi sur le dos, la queue et les côtés du corps; ils sont plus courts sur la tête et sur les membres; mais, au dessous de ce premier long poil, il y a, comme dans les ours ma- rins, une espèce de duvet ou de feutre, qui est de couleur brune ou noire, comme l'extrémité des grands poils du corps. On distingue aisément les peaux des femelles de celles des mâles, parce qu'elles sont plus petites, plus noires, et qu'elles ont le poil plus long sous le ventre : les petits ont aussi, dans le premier âge, le poil noir, ou très brun et très long; mais, à cinq ou six mois, ils perdent ce beau poil, et à un an ils ne sont couverts que de leur feutre, et les longs poils ne le recouvrent que dans l'année sui- vante. La mue se fait, dans les adultes, d'une ma- nière différente de celle des autres animaux : quel- ques poils tojiibent aux mois de juillet et d'août, et q4 animaux CARIX AS-SlilKS. les antres prennent alors une couleur un peu plus brune. Comnuinément les saricoviennes ont environ deux pieds dix pouces de longueur, depuis le bout du mu- seau jusqu'à l'origine de la queue, qui a douze ou treize pouces de long; leur poids est de soixante-dix à quatre-vingts livres. La saricovienne ressemble à la loutre terrestre par la forme du corps, qui seule- ment est beaucoup plus épais en tous sens; toutes deux ont les pieds de derrière plus près de l'anus que les autres quadrupèdes. Les oreilles sont droites, coniques, et couvertes de poils comme dans l'ours marin ; elles sont longues de près d'un pouce sur au- tant de largeur, et distantes l'une de l'autre d'envi- ron cinq pouces. Les yeux et les paupières sont as- sez semblables à ceux du lièvre, et sont à peu près de la même grandeur : la couleur de l'iris varie dans différents individus; car cette couleur est brune dans les uns, et noirâtre dan: les autres : il y a une mem- brane au grand angle de chaque œil, comme dans les ours marins, mais qui ne peut guère couvrir l'œil qu'à moitié. Les narines sont très noires, ridées et sans poil, et les lèvres sont d'une épaisseur à peu près égale à celle du phoque commun. L'ouverture de la gueule est médiocre, n'ayant qu'environ deux pouces trois lignes de longueur, depuis le bout du museau jusqu'à l'angle; la mâchoire supérieure s'a- vance d'un demi-pouce sun' la mâchoire inlérieure; toutes deux sont garnies de moustaches blanches di- rigées en bas, et dont les poils roides ont trois pouces de longueur à côté des coins de la gueule, mais qui LA SARICOVIENNE. qT) ne sont longs que d'un pouce auprès des narines. La mâchoire supérieure est armée de quatorze dents : il y a d'abord quatre incisives très aiguës et longues de deux lignes, ensuite une canine de chaque côté, de figure conique , un peu recourbée en arrière, et d'en- viron un pouce de longueur; après les canines, il y a quatre molaires de chaque côté, qui sont larges et épaisses, surtout celle du fond, et ces dernières dents sont très propres à casser les coquilles et broyer les crustacés. Dans la mâchoire inférieure, le nombre des dents est ordinairement de seize : il ^ a d'abord, comme dans la mâchoire supérieure, quatre incisives et deux canines; ces dernières n'ont qu'environ huit lignes de longueur; mais il y a cinq dents molaires de cha- que côté, dont les deux dernières sont situées dans la gorge : ainsi le nombre total des dents de la sari- covienne est de trente ordinairement; néanmoins, comme il y a des individus qui ont aussi cinq dents molaires de chaque côté à la mâchoire supérieure, il se trouve que ce nombre des dents est quelquefois de trente- deux. La langue, depuis son insertion jusqu'à son extrémité, est longue de trois pouces trois lignes, sur une largeur d'un demi-pouce seu- lement; elle est garnie de papilles et un peu fourchue à l'extrémité. Les pieds, tant ceux de devant que ceux de der- rière, sont couverts de poil jusqu'auprès des on- gles, et ne sont point engagés dans la peau; ils sont apparents et extérieurs comme ceux des quadrupè- des terrestres ; en sorte que hi saricovienne peut mar- cher et courir, quoique assez lentement. Ceux de g6 ANIMAUX CARN ASSIKIIS. devant n'ont que onze ou douze pouces de longueur, et sont plus courts que ceux de derrière, qui ont quatorze ou quinze pouces; ce qui fait que cet ani- mal est plus élevé par le train de derrière, et que son dos paroît un peu voûté. Les pieds de devant sont assez semblables, par les ongles, à ceux des chats, et ils diffèrent de ceux de la loutre terrestre , eu ce qu'ils sont réunis par une membrane qui est couverte de poil. La plante du pied, qui est brune, avec des tubercules par dessous, est arrondie et di- visée en cinq doigts : les deux du milieu sont un peu plus longs que les autres, et l'interne est un peu plus court que l'externe. Ces ongles crochus des pie is de devant servent à détacher les coquillages des rochers. Les pieds de derrière ont aussi cinq doigts, qui sont Je même joints par une membrane velue, et qui ont J a forme de ceux des oiseaux palmipèdes; le tarse, le métatarse et les doigts de ces pieds de derrière sont beaucoup plus longs et plus larges que ceux des pieds de devant, les ongles en sont aigus, mais as- sez courts; le doigt externe est un peu plus long que les autres, qui vont successivement en diminuant, et la peau de la plante de ces pieds de derrière est aussi de couleur brune ou noire, comme dans les pieds de devant. La queue est tout-à-fait semblable à celle de la loutre de terre, c'est-à-dire plate en dessus et en A.lessous : seulement elle est un peu plus courte à proportion du corps; elle est recouverte d'une peau épaisse, garnie de poils très doux et très serrés. La verge du maie est contenue dans un fourreau sous la peaU; et l'oriUce de ce fourreau est situé à un LÀ SARÏCOVIENNE. 97 riers de la longueur du corps; cette verge, longue d'environ huit pouces, contient un os qui en a six; les testicules ne sont point renfermés dans une bourse , mais seulement recouverts par la peau commune; la vulve de la femelle est assez grande, et située à un pouce au dessous de l'anus. Nous devons observer que l'animal indiqué par M. Kracheninnikow, sous le nom de castor marln^ pourroit bien être le même que la saricovienne, quoiqu'il le dise aussi grand que celui qu'il nomme chat marin, et qui est l'ours marin; car il y a des saricoviennes beaucoup plus grandes que celles dont nous venons de donner les dimensions d'après M. Stel- îer , et on en a vu à la Guiane et au Brésil de beaucoup plus grosses que celles du Kaintschatka : d'ailleurs il paroît, par l'indication même de M. Kracheninnikow, que son castor marin a les mêmes habitudes que la saricovienne, qui porte le nom de bobr ou castor chez les Russes de Sibérie. M. Steller, qui a demeuré si long-temps dans les parages du Kamtschatka, et qui en a décrit tous les animaux, ne fait nulle men- tion de ce castor marin gros comme l'ours marin, et il y a toute apparence que M. Kracheninnikow n'en a parlé que sur des relations peut-être exagérées. On peut ajouter à ces preuves les inductions que Ton peut tirer du résultat des observations de différents voyageurs au Kamtschatka, dont la récapitulation se trouve tome XIX, page 365 des Voyages, où il est dit « que les peaux de castors marins sont d'un pro- fit considérable pour la Russie ; que les Kamtschat- dales peuvent, avec ces peaux, acheter des Cosaques tout ce qui leur est nécessaire, et que les Cosaques g8 ANIMAUX CARNASSIERS. troquent ces fourrures pour d'autres efFels avec les iiiarchands russes, qui gagnent beaucoup dans le commerce qu'ils en font à la Chine , et que le temps de la chasse des castors niariiis est le plus favorable pour lever les tributs; car les Ramtschatdales don- nent un castor pour un renard ou une zibeline, quoi- qu'il vaille au moins cinq fois davantage, et qu'il se vende quatre-vingt-dix roubles, etc. » On voit que tout cela se rapporte à la saricovienne, et qu'il y a toute apparence q'ie Kracheninnikow s'est trompé lorsqu'il a dit que son castor marin étoit aussi grand que son cliat marin^ c'est-à-dire l'ours marin. Au reste, la saricovienne, qui s'appelle bobr ou castor en langue russe, est nommée haikon en lan- gue kamtschatdale, kalaga chez les Koriaques, et rakkon chez les Kouriles. Je dois ajouter qu'ayant reçu de la Guiane de nou- velles informations au sujet des saricoviennes d'Amé- rique , il paroît qu'elles varient beaucoup par la gran- deur et pour la couleur; l'espèce en est commune sur les côtes basses et à l'embouchure des grandes rivières de l'Amérique méridionale. Leur peau est très épaisse, et leur poil est ordinai- rement d'un gris plus ou moins foncé, et quelquefois argenté; leur cri est un son rauque et enroué. Ces animaux vont en troupes, et fréquentent les savanes noyées; ils nagent la têle hors de l'eau, et souvent la gueule ouverte; quelquefois même, au lieu de fuir, ils entourent en grand nombre un canot en jetant des cris, et il est aisé d'en tuer un grand nombre. Au reste, l'on dit qu'il est assez difficile de prendre une .saricovienne dans l'eau lors môme qu'on l'a tuée. LA SARICOVIENNE. 99 qu'elle se laisse aller au fond de i eau dès qu elle est blessée, et qu'on perdroit son temps à attendre le moment où elle pourroit reparoître, surtout si c'est dans une eau courante qui puisse l'entraîner. Les jaguars ou couguars leur font la guerre, et ne laissent pas d'en ravir et d'en manger beaucoup; ils se tiennent à l'affût, et lorsqu'une saricovienne passe, ils s'élancent dessus, la suivent au fond de l'eau, l'y tuent , et l'emportent ensuite à terre pour la dévorer. Nous avons dit, d'après le témoignage de M. de La Borde, qu'il y a à Cnyenne trois espèces de loutres très différentes par la grandeur : les deux plus grandes de ces loutres paroissent être des saricoviennes, qui se ressemblent si fort par la forme, que l'on peut, sans difficulté, les rapporter à une seule et même espèce, d'autant qu'on doit remarquer, comme un fait géné- ral, que, dans l'espèce de la saricovienne, ainsi que dans celle du jaguar et de plusieurs autres animaux des contrées presque désertes, ils sont plus petits dans les lieux voisins des habitations que dans la pro- fondeur des terres, parce qu'on les tue plus jeunes, et qu'on ne leur donne pas le temps de prendre leur entier accroissement. lOO ANIMAUX CARNASSIEB.<ï. 5»9.»o»a<»c»t»c<8« LA FOUINE\ Mustela foina. L. La plupart des naturalistes ont écrit que Ja fouine et la marie ctoient des animaux de la même espèce. »Gesner et Ray ont dit, d'après Albert, qu'ils se mê- loient ensemble. Cependant ce fait , qui n'est appuyé par aucun témoignage, nous paroîtau moins douteux ; et nous croyons, au contraire, que ces animaux, ne se mêlant point ensemble , font deux espèces distinc- tes et séparées. Je puis ajouter aux raisons qu'en donne M. Daubenton des exemples qui rendront la chose plus sensible. Si la marte étoit la fouine sauvage ou la fouine la marte domestique , il en seroit de ces deux animaux comme du chat sauvage et du chat domestique; le premier conserveroit constamment les mêmes caractères, et le second varieroit , comme on le voit dans le chat sauvage , qui demeure toujours le même , et dans le chat domestique , qui prend toutes sortes de couleurs. Au contraire, la fouine , ou , si l'on veut, la marte domestique, ne varie point : elle a ses caractères propres, particuliers, et tous ;mssi constants que ceux de la marte sauvage; ce qui suffiroit seul pour prouver que ce n'est pas une pure variété, une simple différence produite par l'état de i. En latin, martes domestica , foyna, gainus , schismus: en italien^ foina, fuina; on allemand, huhss-marder. LA FOUINE. lOï domesticité. D'ailleurs, c'est sans aucun fondement qu'on appelle la îouïne marte domestique^ puisqu'elle n est pas plus domestique que le renard, le putois, qui, comme elle , s'approchent des maisons pour y trou- ver leur proie , et qu'elle n'a pas plus d'habitude, pas plus de communication avec l'homme, que les autres animaux que nous appelons sauvages. Elle diffère donc de la marte par le naturel et par le tempéra- ment, puisque celle-ci fuit les lieux découverts, ha- bite au fond des bois, demeure sur les arbres, ne se trouve en grand nombre que dans les climats froids, au lieu que la fouine s'approche des habitations , s'é- tablit même dans les vieux bâtiments, dans les gre- niers à foin, dans des trous de murailles; qu'enfin l'espèce en est généralement répandue en grand nom- bre dans tous les pays tempérés, et même dans îes climats chauds, comme à Madagascar, aux Maldives, et qu'elle ne se trouve pas dans les pays du Nord. La fouine a la physionomie très fine, i'œiJ vif, le saut léger, les membres souples, le corps flexible, tous les mouvements trèspresles; elle saule et bondit plutôt qu'elle ne marche ; elle grimpe aisément con- tre les murailles qui ne sont pas bien enduites , entre dans les colombiers, les poulaillers, etc. , mange les œufs, les pigeons, les poules, etc. , en tue quelque- fois un grand nombre et les porte à ses petits ; eWe prend aussi \es souris, les rats, les taupes, les oiseaux dans leurs nids. Nous en avons élevé une que nous avons gardée long-temps : elle s'apprivoise à un cer- tain point; mais elle ne s'attache pas, et demeure toujours assez sauvage pour qu'on soit obligé de la tenir enchaînée. Elle faisoit la guerre aux chats ; elle BUFFON. XV. 7 102 ANIMAUX CARNASSIERS. se jetoit aussi sur les poules dès qu elle se trouvoit a portée. Elle s'échappoit souvent, quoique attachée par le milieu du corps : les premières fois elle ne s'é- loignoit guère? et revenoit au bout de quelques heu- res, mais sans marquer de la joie, sans attachement pour personne ; elle demandoit cependant à manger comme le chat et le chien : peu après elle fit des ab- sences plus longues, et enfin ne revint plus. Elle avoit alors un an et demi, âge apparemment auquel la nature avoit pris le dessus. Elle mangeoit de tout ce qu'on lui donnoit , à l'exception de la salade et des herbes; elle aimoit beaucoup le miel, et prèféroit le chènevis à toutes les autres graines. On a remarqué qu'elle buvoit fréquemment, qu'elle dormoit quel- quefois deux jours de suite, et qu'elle étoit aussi quelquefois deux ou trois jours sans dormir; qu'avant le sommeil elle se mettoit en rond, cachoit sa tète, et Tenveloppoit de sa queue; que tant qu'elle ne dormoit pas, elle étoit dans un mouvement conti- nuel si violent et si incommode, que quand même elle ne se seroit pas jetée sur les volailles, on auroit été obligé de l'attacher pour l'empêcher de tout bri- ser. Nous avons eu quelques autres fouines plus âgées, que l'on avoit prises dans des pièges; mais celles-là demeurèrent tout-à-fait sauvages; elles mordoient ceux qui vouloient les toucher, et ne vouloient man- ger que de la chair crue. Les fouines, dit-on, portent autant de temps que les châties. On trouve des petits depuis le printemps jusqu'en automne, ce qui doit faire présumer qu'elles produisent plus d'une fois par an : les plus jeunes ne font que trois ou quatre petits, les plus âgées en font LA FOUINE. 10.> jusqu a sept. Elles s'ëtablissenl pour mettre bas dans un magasin à foin, dans un trou de muraille, où elles poussent de la paille et des herbes; quelquefois dans une fente de rocher ou dans un tronc d'arbre, où elles portent de la mousse; et lorsqu'on les inquiète, elles déménagent et transportent ailleurs leurs petits, qui grandissent assez vite : car celle que nous avons élevée avoit, au bout d'un an, presque atteint sa grandeur naturelle; et de là on peut inférer que ces animaux ne vivent que huit ou dix ans. Ils ont une odeur de faux musc , qui n'est pas absolument dés- agréable : les martes et les fouines, comme beaucoup d'autres animaux, ont des vésicules intérieures qui contiennent une matière odorante, semblable à celle que fournit la civette ; leur chair a un peu de cette odeur : cependant celle de la marte n'est pas mauvaise à manger; celle de la fouine est plus désagréable, et sa peau est aussi moins estimée. LA FOUIINE DE LA GUIAINE. Nous donnons ici la description et la figure d'un animal américain qui a été envoyé de la Guiane à M. Aubry, curé de Saint-Louis, et qui est en très bon état, comme tout ce qu'on voit dans son cabinet. Quoique les dents manquent à cet animal , il m'a paru, dans toutes ses autres parties, si semblable à nos fouines par la forme du corps, que j'ai pensé qu'on pouvoit le regarder comme une variété dans l'espèce de la fouine , dont celle-ci ne diffère que par la cou- leur du poil jaspé de noir et de blanc, par les taches jo/f ANIMAUX CAUNASSIIIRS. de la tête, et par la queue plus courte. Cette fouine de la Guiane a vingt pouces de longueur du bout du museau jusqu'à la naissance de la queue ; elle est plus grande par conséquent que notre fouine , qui n'a que seize pouces et demi ou dix-sept pouces; mais la queue est bien plus courte à proportion du corps. Le museau semble un peu plus allongé que celui de faos fouines; il est tout noir^ et ce noir s'étend au dessus des yeux , passe sous les oreilles le long du cou , et se perd dans le poil brun des épaules. Il y a une grande tache blanche au dessus des yeux qui s'étend sur tout le front, enveloppe les oreilles, et forme le long du cou une bande blanche et étroite qui se perd au delà du cou vers les épaules. Les oreilles sont tout-à-fait semblables à celles de nos fouines; le des- sus de la tête paroît gris et mêlé de poils blancs; le cou est brun, mêlé de gris cendré, et le corps est couvert de poils mêlés comme celui du lapin que l'on appelle riche^ c'est-à-dire de poil blanc et de poil noi- râtre. Ces poils sont gris et cendrés à leur origine , ensuite bruns, noirs, et blancs à leur extrémité. Le dessous de la mâchoire est d'un noir brun qui s'étend sous le cou, et diminue de couleur sous le ventre, où il est d'un brun clair ou châtain. Les jambes et les pieds sont couverts d'un poil luisant d'un noir rous- sâtre , et les doigts des pieds ressemblent peut-être plus à ceux des écureuils et des rats qu'à ceux de la foiiine : le plus grand ongle des pieds de devant a quatre lignes de long, et le plus grand ongle des pieds de derrière n'en a que deux. La queue est beaucoup plus fournie de poil à sa naissance qu'à son extrémité : ce poil est châtain ou brun clair, mêlé de poils blancs. LA FOLIKE. lO^ LA PETITE FOUINE DE LA GUIANE. Mustela guianensis. Lacep. Un autre animal de Cayenae , qui a rapport avec le précédent, est celui dont nous donnons ici (plan- che i4) Ï3 figure. Il a été dessiné vivant à la foire Saint-Germain en 1768; il avoit quinze pouces de longueur du bout du nez à l'origine de la queue , la- quelle étoit longue de huit pouces, plus large et plus fournie de poil à sa naissance qu'à son extrémité. Cet animal étoit bas de jambes comme nos fouines ou nos martes. La forme de la tête est fort approchante de celle de la fouine, à l'exception des oreilles qui ne sont pas semblables. Le corps est couvert d'un poil laineux. Il y a cinq doigts à chaque pied , armés de petits ongles comme ceux de nos fouines. LA PETITE FOUINE DE MADAGASCAR. Il y a plusieurs variétés dans l'espèce de la fouine. Nous donnons ici la description et la figure (plan- che i4) d'une petite fouine qu'on trouve à Mada- gascar, pied. pouc. lign. La longueur du corps , du bout du nez à l'origine de la queue , est de i a 4 Elle a , comme toutes les fouines, les jambes cour- tes et le corps allongé ; sa tête est longue et menue; les oreilles sont larges et courtes; la queue est cou- verte de longs poils. 106 ANIMAUX CARNASSIERS. pieds. pouc. lign. Le tronçon de cette partie est de. , ^ ^ 9 La longueur totale de la queue , y compris celle du poil, est de » 8 » Les poils de l'extrémité de la queue ont » 2 3 Les poils du dessus du corps ont -> » n Leur couleur est d'un brun roussâtre, ou musc foncé teint de fauve rouge; ce qui est produit par le mélange des poils, qui sont d'un brun foncé dans la longueur et d'un fauve rouge à la pointe : ce fauve foncé ou rougeâtre est le dominant aux faces latérales de la tête, sous le ventre et le cou. Cette petite fouine diffère de nos fouines par la couleur qui est plus rougeâtre, et par la queue qui est touffue, longue, couverte de grands poils, large à son origine, et qui se termine en une pointe très déliée. )«<&»@«<9«9«'^4 LA MARTF/, MusLela martes. L. La marte, originaire du Nord, est naturelle à ce climat , et s'y trouve en si grand nombre qu'on est étonné de la quantité de fourrures de cette espèce qu'on y consomme et qu'on en tire : elle est au con- traire en petit nombre dans les climats tempérés, et X. Eu laliu, maries, marta, viarterus; en italien, matta, matura, inartaro, martoreUo , martire; eu espagnol , marta; en allemand, feld- marder, Kild-marder ; on anglois, martin , martlet. 1 aLTLQTLe t , sr-âLp i^lvtARTE _ ^XATÏTITE Y OI7]3«*»*8*ee9>*««<9>S* M LA BELETTE'. Mustela vulgaris. L. La belette ordinaire est aussi commune dans les pays tempérés et chauds qu'elle est rare dans les cli- mats froids; l'hermine, au contraire, très abondante dans le Nord , n'est qu'en petit nombre dans les régions tempérées, et ne se trouve point vers le Midi. Ces animaux forment donc deux espèces distinctes et séparées. Ce qui a pu donner lieu de les confondre et de les prendre pour le même animal, c'est que parmi les belettes ordinaires, il y en a quelques unes qui, comme l'hermine , deviennent blanches pendant l'hi- ver, même dans notre climat. Mais si ce caractère leur est commun, elles en ont d'autres qui sont très ditférents : l'hermine , rousse en été , blanche en hiver, a en tout temps le bout de la queue noir : la belette , même celle qui blanchit en hiver, a le bout de la queue jaune ; elle est d'ailleurs sensiblement plus petite, et a la queue beaucoup plus courte que l'hermine : elle ne demeure pas , comme elle , dans les déserts et dans les bois ; elle ne s'écarte guère des habitations. Nous avons eu les deux espèces, et il n'y a nulle apparence que ces animaux, qui diffèrent 1. En latin, mustela: en italien, donnoia , balottula, benula ; en es- pagnol, comadreia; en allemand, wisele; en angloJs, iveasel , xvesel , et «1 ans quelques endroits d'Angleterre , foumart. 120 ANIMAUX CARNASSIERS. parle climat, par le tempérainenl , par le naturel el par la taille, se mêlent ensemble : il est vrai que parmi les belettes 5 il y en a de plus grandes et de plus petites; mais cette différence ne va guère qn'« un pouce sur la longueur entière du corps, au lieu que l'hermine est de deux pouces plus longue que la belette la plus grande. INi Tune ni l'autre ne s'ap- privoisent ; elles demeurent toujours très sauvages dans les cages de fer où l'on est obligé de les garder • ni l'une ni l'autre ne veulent manger du miel; elles n'entrent pas dans les ruches, comme le putois et la fouine. Ainsi l'hermine n'est pas la belette sauvage ^ Victis d'Aristote , puisqu'il dît qu'elle devient fort pri- vée , et qu'elle est fort avide de miel : la belette et l'hermine, loin de s'apprivoiser, sont si sauvages, qu'elles ne veulent pas manger lorsqu'on les regarde ; elles sont dans une agitation continuelle, cherchent toujours à se cacher; et si l'on veut les conserver, il faut leur donner un paquet d'étoupes, dans lequel elles puissent se fourrer : elles y traînent tout ce qu'on leur donne, ne mangent guère que la nuit , et laissent pendant deux ou trois jours la viande fraîche se corrompre avant que d'y toucher. Elles passent les trois quarts du jour à dormir : celles qui sont en liberté attendent aussi la nuit pour chercher leur proie. Lorqa'une belette peut entrer dans un pou- lailler, elle n'attaque pas les coqs ou les vieilles poules ; elle choisit les poulettes, les petits poussins, les tue par une seule blessure qu'elle leur fait à la tête, et ensuite les emporte tous les uns après les autres; elle casse aussi les œufs, et les suce avec une in- croyable avidité. En hiver, elle demeure ordinaire^ LA BELETTE. 12 1 îiienl dans les greniers, dans ies granges : souvent môme elle y reste au printemps pour y faire ses pe- tits dans le i'oin ou la paille : pendant tout ce temps elle fait la guerre , avec plus de succès que le chat, aux rats et aux souris , parce qu'ils ne peuvent lui échapper , et qu'elle entre après eux dans leurs trout? ; elle grimpe aux colombiers, prend les pigeons, les moineaux, etc. En été, elle va à quelque distance des maisons, surtout dans les lieux bas, autour des moidins, le long des ruisseaux, des rivières, se cache dans les buissons pour attraper des oiseaux, et sou- vent s'établit dans le creux d'un vieux saule pour y faire ses petits ; elle leur prépare un lit avec de l'herbe, de la paille, des feuilles, des étoupes : elle met bas au printemps ; les portées sont quelquefois de trois, et ordinairement de quatre ou de cinq. Les petits naissent les yeux fermés, aussi bien que ceux du putois, de la marte, de la fouine, etc. ; mais en peu de temps ils prennent assez d'accroissement et de force pour suivre leur mère à la chasse ; elle atta- que les couleuvres, les rats d'eau , les taupes, les mulots, etc. , parcourt les prairies, dévore les cailles et leurs œufs. Elle ne marche jamais d'un pas égal; elle ne va qu'en bondissant par petits sauts inégaux et précipités; et lorsqu'elle veut monter sur un arbre, elle fait un bond par lequel elle s'élève tout d'un coup à plusieurs pieds de hauteur ; elle bondit de même lorsqu'elle veut attraper un oiseau. Ces animaux ont, aussi bien que le putois et le furet , l'odeur si forte , qu'on ne peut les garder dans une chambre habitée; ils sentent plus mauvais en J22 ANIMAUX CARNASSIERS. été qu'en hiver; et lorsqu'on les poursuit ou qu'on les irrite, ils infectent de loin. Ils marchent toujours en silence , ne donnent jamais de voix qu'on ne les frappe ; ils ont un cri aigre et enroué qui exprime bien le ton de la colère. Comme ils sentent eux- mêmes fort mauvais, ils ne craignent pas l'infection. Un paysan de ma campagne prit un jour trois belettes nouvellement nées dans la carcasse d'un loup qu'on avait suspendu à un arbre par les pieds de derrière : le loup étoit presque entièrement pourri , et la mère belette avoit apporté des herbes , des pailles et des feuilles , pour faire un lit à ses petits dans la cavité du thorax. * La belette , appelée moustelle dans le Vivarais , est naturellement sauvage et carnassière : la chair toute crue est l'aliment qu'elle préfère : elle exhale une odeur forte , surtout lorsqu'elle est irritée. Les belettes qu'on prend très jeunes perdent leur caractère sauvage et revêche : ce caractère se change même en soumission et fidélité envers le maître qui pourvoit à leur subsistance. Une belette que j'ai conservée dix mois, et qu'on avcrit prise fort jeune, perdit une partie de son agilité naturelle lorsqu'elle fut réduite en captivité, et (jue je l'eus attachée à la chaîne. Elle mordoit furieuse- ment lorsqu'elle avoit faim : on lui coupa les quatre dents canines très aiguës, qui déchiroient les mains jusqu'à l'os. Dépourvue de ces armes naturelles, et n'ayant plus que des dents molaires ou incisives peu propres à déchirer, elle devint moins féroce; et comme elle avoit sans cesse besoin de mes services LA BELETTE. 125 pour manger ou dormir, elle commença à prendre de l'affection pour moi : car manger et dormir sont les deux fréquents besoins de cet animal, J'avois un petit fouet de fd qui pendoit près de son lit : c'étoit l'instrument de punition lorsqu'elle es- ^ayoit de mordre, ou qu'elle se meltoit en colère. Le fouet dompta tellement son caractère colérique, qu'elle trembloit, se couchoit ventre à terre , et bais- soit la tèle lorsqu'elle voyoit prendre cet instrument. Je n'ai jamais vu la soumission extérieure mieux dé- peinte dans aucun animal : ce qui prouve bien que les châtiments raisonnables employés à propos , ac- compagnés de soins , de caresses et de bienfaits , peuvent assujétir et attacher à l'homme les animaux sauvages que nous croyons peu susceptibles d'édu- cation et de reconnoissance. Les belettes ont l'odorat exquis; elles sentent de douze pas un petit morceau de viande gros comme un noyau de cerise et plié dans du papier. La belette est très vorace ; elle mange de la viande jusqu'à ce qu'elle en soit remplie Elle rend peu d'ex- créments; mais elle perd presque tout par la transpira- lion et par les urines, qui sont épaisses et puantes. J'ai été singulièrement surpris de voir un jour ma belette , qui avoit faim, rompre sa chaîne de (il d'ar- chal , sauter sur moi, entrer dans ma poche, déchi- rer le petit paquet, et dévorer en un instant la viande que j'y avois cachée. Ce petit animal, qui m'étoit si soumis, avoit con- servé d'ailleurs son caractère pétulant, cruel et colé- rique pour tout autre que moi; il mordoit sans dis- crétion tous ceux qui vouloient badiner avec lui. Les 12A. Aiyi3IAi;X CARNASSIERS. chats, ennemis de sa race, furent toujours l'objet de sa haine; il mordoil au nez les gros mâtins qui ve- noient le sentir lorsqu'il étoit dans mes mains : alors il poussoit un cri de colère , et exhaloit une odeur fétide qui faisoit fuir tous les animaux, criant chl j, clii, chlj cki. Jai vu des brebis, des chèvres, des chevaux, reculer à cette odeur; et il est certain que quelques maisons voisines où il ne manquoit pas de souris ne furent plus incommodées de ces animaux tant que ma belette vécut. Les poussins, les rats et les oiseaux étoient surtout l'objet de sa cruauté. La belette observe leur allure, et s'élance ensuite prestement sur eux : elle se plaît à répandre le sang dont elle se soûle; et, sans être fatiguée du carnage, elle tue dix à douze poussins de suite , éloignant la mère par son odeur forte et dés- agréable qu'on sent à la distance de deux pas. Ma belette dormoit la moitié du jour et toute la nuit; elle cherchoit dans mon cabinet un petit recoin à côté de moi : mon mouchoir ou une poche étoient son lit. Elle se plaisoit à dormir dans le sein; elle se replioit autour d'elle-même, dormoit d'un sommeil profond, et n'étoit pas plus grande , dans cette atti- tude, qu'une grosse noix du pays, de Tespèce des bombardes. Lorsqu'elle étoit une fois endormie, je pouvois la déplier : tous ses muscles étoient alors relâchés et sans aucune tension : en la suspendant par la tête, tout son corps étoit flasque, se plioit et pouvoit faire le jeu du pendule cinq à six fois de suite avant que la bête s'éveillât; ce qui prouve la grande flexibilité de l'épine du dos de cet animal. LA Bl'LETTE. 12.5 Ma belette avoit un goût décide pour le badinage , îes agaceries, les caresses et le chatouillement; elle s'étendoit alors sur le dos ou sur le ventre, se ruoit et luordoit tout doucement comme les jeunes chiens qui badinent. Elle avoit même appris une sorte de danse ; et lorsque je frappois avec les doigts sur une table, eiletournoit autour de la main, se levoit droite, alloit par sauts et par bonds , faisant entendre quelques murmures de joie; mais, bientôt fatiguée, elle se lais- soit aller au sommeil et dormoit presque dans l'instant. La belette dort repliée autour d'elle-même comme un peloton , la tête entre les deux jambes de derrière : le museau sort alors un peu au dehors, ce qui facilite la respiration ; cependant , lorsqu'elle n'est pas cou- chée à son aise , elle dort dans une autre posture, la Jête couchée sur son lit de repos; mais elle se plaît et dort bien plus long-temps lorsqu'elle peut se plier en peloton : il faut pour cela qu'elle ait une place commode. Elle avoit pris l'habitude de se glisser sous mes draps, de chercher un des points du matelas qui forme un enfoncement , et d'y dormir des six heures entières. La belette est très rusée : l'ayant fouettée pour avoir fait ses ordures sur mes papiers, contre son usage , elle vint dormir auprès de moi sur ma table : la crainte l'éveilla souvent au moindre bruit; elle ne changea pas de place ; mais elle observa , les yeux ou- verts , ma démarche 5 faisant semblant de dormir. Elle connoissoit parfaitement le ton de caresse ou de menace, et j'ai été souvent surpris de trouver tant d'intelligence dans une bête si petite dans l'ordre des quadrupèdes. 126 ANIMAUX CARNASSIERS. Les phénomènes que nous présente la belette sont parfaitement expliqués. La belette a l'épine du dos très flexible ; elle se fourre dans des trous de sept lignes de largeur : elle se plie et se replie en tous sens; son poil ou plutôt sa belle soie est très fine et très souple : une langue très large pour le corps sai^ sit toutes les surfaces plates , saillantes et rentrantes ; elle aime à lécher : ses pattes sont larges et point rac- cornies , courtes : le sens du toucher étant ainsi ré- pandu dans tout le corps de la bête, elle a appris à s'en servir : ce qui motive le jugement que nous portons de son intelligence. Ce sens est d'ailleurs très bien servi par ceux de l'odorat et de la vue. Lorsque j'oubliois de lui donner à manger, elle se îevoit de nuit, et se rendoit d'une maison à une autre à Antragues, où elle mangeoit chaque jour. Elle al- loit par les chemins les plus courts, descendant d'a- bord dans un balcon et dans la rue, descendant en- core et montant plusieurs marches, entrant dans une basse-cour, passant à travers des amas de feuilles sèches de châtaigniers , de trois pieds de hauteur, pour prendre le plus court chemin : ce qui fait voir que l'odorat guide cet animal. Elle passoit ensuite dans la cuisine, où elle maageoit à l'aise , après avoir fait un chemin de deux cents pas. Le mâle est très libertin : je l'ai vu se satisfaire sur un autre mâle mort et empaillé ; mille caresses et murmures de joie et de désir l'animoient : en sen- tant mes mains qui avoient touché ce cadavre , il re- connut une odeur qui lui plaisoit si fort , qu'il restoit immobile pour la savourer à son aise. Ma belette bâilloit souvent ; elle se Ievoit après LA BELETTE. 1 27 Eivoir dormi en tiraillant ses membres et soulevant le dos en arc. Elle léchoit l'eau eo buvant; sa langue t'toit âpre et hérissée de pointes. Elle ronfloit quel- quefois en dormant, et avoit communiqué son odeur forte et désagréable à une petite cage où elle avoit son lit : son petit matelas étoit aussi puant qu'elle- même dans l'état de colère. Ma belette souffroit impatiemment d'être renfer- mée dans sa cage, et elle aimoit la compagnie et les caresses ; elle avoit rongé à différentes reprises quatre petits bâtons, pour se faire une issue pour sortir de sa prison. Cet animal aime extrêmement la propreté ; sa robe est toujours luisante. En faisant observer un certain régime à ces bêtes on peut tempérer l'odeur forte qu'elles exhalent, et leur affreuse puanteur lorsqu'elles sont en colère. I^e laitage adoucit beaucoup leurs humeurs, de même que le régime végétal. Les belettes ont les yeux élincelants et lumineux : mais cette lumière n'est point propre à cet animal, elle n'est point électrique et ne réside pas dans l'or- gane de la vue; ce n'est qu'une simple réflexion de lumière qui a lieu toutes les fois que l'œil observa- teur est placé entre la lumière et les yeux de la be- lette, ou qu*une bougie se trouve entre les yeux de l'observateur et de l'animal. Ce phénomène est com- mun à un grand nombre de quadrupèdes et à quel- ques serpents, et cette cause est prouvée par les ex- périences que j'ai lues, en 1780, à l'Académie des sciences, sur les yeux des chats, etc. « Les observations de M. de Buffon, la description i28 ANIMAUX CARNASSIERS. uaatomiqne de M. Daubenlon , la lettre de M. Giély (voyez à l'article de Thermine) , et le présent détail, forment l'histoire complète de la belette. M. de Biif- fon avoit d'abord dit que ces animaux ne s'apprivoi- sent pas, et demeurent sauvages dans des cages de fer : je sais par expérience que cela est vrai lorsque les belettes sont prises vieilles, ou même à i'âge de trois ou quatre mois. Pour donner aux belettes l'é- ducation dont elles sont susceptibles, et leur faire goûter la domesticité, il faut les prendre jeunes et lorsqu'elles ne peuvent s'enfuir : on fut obligé de couper les quatre dents canines de celle qu'on m'ap- porta à Antragues, et de la châtier souvent pour flé- chir son caractère. » On voit, d'après tout ce que j'ai dit sur cet ani- mal, que, quelque petit qu'il soit, c'est un de ceux que la nature a le moins négligés. Dans l'état sauvage, c'est le tigre des petits individus. Il se garantit par soa agilité des quadrupèdes plus grands que lui; il est bien servi par l'oreille et par la vue. Il est pourvu d'armes offensives dont il fait usage en peu de temps avec une sorte de discernement : il aime le sang et le carnage, et se plaît à la destruction sans qu'il ait même besoin de satisfaire son appétit. » En état de domesticité, ses sens se perfectionnent et ses mœurs s'adoucissent par le châtiment. La be- lette devient susceptible d'amitié, de reconnoissance et de crainte; elle s'attache à celui qui la nourrit, qu'elle reconnoît à l'odorat et à la simple vue. Elle est rusée et libertine à l'excès; elle aime les caresses, le repos et le sommeil; elle est gourmande et si vorace qu'elle pèse jusqu'à un cinquième de plus après ses LA BELETTE. 1 2() repas. Sa vue est perçante, son oreille bonne, l'odo- rat est exquis, le sens du toucber est répandu dans tout son corps, et la flexibilité de ce petit corps menu et Ions: favorise infiniment la bonté de ce sens en lui- même. Tous ces pbénomènes tiennent à l'état de ces sens, qui sont acbevés et parfaits*. « Ces observations sur les habitudes de la belette en domesticité s'accordent parfaitement avec celles que mademoiselle de Laistre a faites sur cet animal , et qu'elle a bien voulu me communiquer par une lettre datée de Brienne , le 6 décembre 1782. « Le hasard, dit mademoiselle de Laistre , m'a pro- curé une jeune belette de la petite espèce. Sollicitée par quelqu'un à qui elle faisoit pitié , et sa foiblesse m'en inspirant, je lui donnai mes soins. Les deux premiers jours je la nourris de lait chaud; mais, ju- geant qu'il lui falloit des aliments qui eussent plus de consistance, je lui présentai de la viande crue, qu'elle mangea avec plaisir : depuis elle a vécu de bœuf, de veau ou de mouton indifféremment , et s'est privée au point qu'il n'y a point de chien plus lamilier. » J'ose vous assurer que ce petit animal ne préfère pas la victuaille corrompue ; il ne se soucie pas même de celle qui est hâlée; c'est toujours la plus fraîche qu'il choisit : à la vérité, il mange avec avidité , et s'é- loigne; mais souvent aussi il mange dans ma main et sur mes genoux; il préfère même de prendre les mor- ceaux de ma main. Il aime beaucoup le lait : je lui en présente dans un vase, il se met auprès et me re- garde; je lui verse peu à peu dans ma main, il en boit beaucoup • mais si je n'ai pas celte complaisance, 1. Extrait dune lettre adressée à M. le comte de Buffoii. IJO ANIMAUX CARNASSIli il s. à peine en goûte-t-il. Lorsqu'il est rassasié , il va or- dinairement dormir; mais il fait des repas plus légers qui ne troublent point ses plaisirs. Ma chambre esi l'endroit qu'il habite. Par des parfums j'ai trouvé moyen de chasser son odeur : c'est dans un de mes matelas, où il a trouvé moyen de s'introduire par un défaut de la couverture, qu'il dort pendant le jour; la nuit je le mets dans une boîte grillée ; toujours il y entre avec peine, et en sort avec joie. Si on lui donne la liberté avant que je sois levée, après mille gentillesses qu'il fait sur mon Ht, il y entre et vient dormir dans ma main ou sur mon sein. Suis-je levée la première, pendant une grande demi-heure il me fait des caresses, se joue avec mes doigts comme un jeune chien, saule sur ma tête, sur mon cou , tourne autour de mes bras, de mon corps, avec une légèreté et des agréments que je n'ai vus à aucun quadrupède. Je lui présente les mains à plus de trois pieds , il saute dedans sans jamais manquer. Il a beaucoup de finesse et singulièrement de ruses pour venir à ses fins, et semble ne vouloir faire ce qu'on lui défend que pour agacer : dès que vous ne le regardez plus, sa volonté cesse. Comme il ne semble jouer que pour plaire, seul il ne joue jamais; et, à chaque saut qu'il fait, à chaque fois qu'il tourne, il regarde si vous l'exami- nez : si vous cessez, il va dormir. Dans le temps qu'il est le plus endormi, le réveillez-vous, il entre en gaieté, agace et joue avec autant de grâce que si on ne l'eût pas éveillé : il ne montre d'humeur que lors- qu'on l'enferme ou qu'on le contrarie trop long- temps; et, par de petits grognements très différents l'un de l'autre, il montre sa joie et son humeur. LA BELETTE. lOÎ » Au milieu de vingt personnes ce petit animal dis- tingue ma voix, cherche à me voir, et saute par des- sus tout le monde pour venir à moi; son jeu avec moi est plus gai, ses caresses sont plus pressantes; avec ses deux petites pattes il me flatle le menton avec des grâces et une joie qui peignent le plaisir. Je suis la seiïle qu'il caresse de cette manière ; mille autres pe- tites préférences me prouvent qu'il m'est réellement attaché. Lorsqu'il me voit habiller pour sortir, il ne me quitte pas : quand avec peine je m'en suis débar- rassée , j'ai un petit meuble près ma porte, il va s'y cacher; et lorsque je passe, il saute si adroitement sur moi, que souvent je ne m'en aperçois pas. » Il semble beaucoup tenir de l'écureuil par la vi- vacité, la souplcvsse, la voix, le petit grognement. Pendant les nuits d'été il crioit en courant, et étoit en mouvement presque toute la nuit : depuis qu'il fait froid, je ne l'ai point entendu. Quelquefois le jour^ sur mon lit, lorsqu'il fait soleil, il tourne, se re- tourne, se culbute, et grogne pendant quelques in- stants. Son penchant à boire dans ma main, où je mets très peu de lait à la fois, et qu'il boit toujours en pre- nant les petites gouttes et les bords où il y en a le moins, sembleroit annoncer qu'il boit de la rosée. Rarement il boit de l'eau, et ce n'est qu'au grand besoin et à défaut de lait : alors il ne fait que rafraîchir sa langue une fois ou deux; il paroît même craindre l'eau. Pendant les chaleurs il s'épluchoit beaucoup : je lui fis présenter de l'eau dans une assiette, je l'agaçai pour l'y faire entrer; jamais je n'y pus réussir. Je fis mouiller un linge, et le mis près de lui; il se roula dedans avec une joie extrême. Une singularité de ce l32 ANIMAUX CAllNASSIEllS. cbarmanl animal est sa curiosité; je ne puis ouvrir une armoire , une boîte, regarder un papier, qu'il ne vienne regarder avec moi. Si, pour me contrarier, il s écarte ou entre dans quelques endroits où je crains de le voir, je prends un papier ou un livre que je re- *®<ï A U X r, A R N A SS lE H s. qu'elle le suît dans son trou :1e combat dure quel- quefois long-temps; la force est au moins égale , mais remploi des armes est différent : le rat ne peut bles- ser qu'à plusieurs reprises, et par les dents de devant, lesquelles sont plutôt faites pour ronger que pour mordre, et qui, étant posées à l'extrémité du levier de la mâchoire, ont peu de force; tandis que la be- lette mord de toute la mâchoire avec acharnement, et qu'au lieu de démordre elle suce le sang de l'en- droit entamé : aussi le rat succombe-t-il toujours. On trouve des variétés dans cette espèce, comme dans toutes celles qui sont très nombreuses en indi- vidus ; outre les rats ordinaires, qui sont noirâtres , il y en a de bruns, de presque? noirs, d'autres d'un gris plus blanc ou plus roux, et d'autres tout-à-fait blancs; ces rats blancs ont les yeux rouges comme le lapin blanc, la souris blanche, et comme tous les autres animaux qui sont tout-à-fait blancs. L'espèce entière, avec ses variétés, paroît être naturelle aux climats tempérés de notre continent, et s'est beaucoup plus répandue dans les pays chauds que dans les pays froids, ïl n'y en avoit point en Amérique, et ceux qui y sont aujourd'hui, et en très grand nombre, y ont débar- qué avec les Européens : ils multiplièrent d'abord si prodigieusement, qu'ils ont été pendant long-temps Je fléau des colonies, où ils n'avoient guère d'autres ennemis que les grosses couleuvres, qui les avalent tout vivants. Les navires les ont aussi portés aux Indes orientales, et dans toutes les îles de l'Archipel in- dien : il s'en trouve aussi beaucoup en Afrique. Dans îe Nord, au contraire , ils ne se sont guère multipliés au delà de la Suède; et ce qu'on appelle des rats en LE RAT. 1/47 INorwége, en Laponie, etc., soqI des animaux diffé- rents de nos rats. LA SOURIS\ Mus muscuim, L. La souris, beaucoup plus petite que le rat, est aussi plus nombreuse, plus commune et plus géné- ralement répandue : elle a le même instinct, le même tempérament, le même naturel, et n'en diffère guère que par la foiblesse et par les habitudes qui raccom- pagnent : timide par nature, familière par nécessité, la peur ou le besoin font tous ses mouvements; elle ne sort de son trou que pour cbercher à vivre; elle ne s'en écarte guère, y rentre à la première alerte, ne va pas, comme le rat, de maisons en maisons, à moins qu'elle n'y soit forcée; fait aussi beaucoup moins de dégâts, a les mœurs plus douces, et s'ap- privoise jusqu'à un certain point, mais sans s'atta- cher : comment aimer en effet ceux qui nous dres- sent des embûches? Plusfoible, elle a plus d'ennemis auxquels elle ne peut échnpper, ou plutôt se sous- traire, que par son agilité, sa petitesse même. Les chouettes, tous les oiseaux de nuit, les chats, les foui- nes, les belettes, les rats même, lui font la guerre; 1. Eu latin, mus, musculus , mus in'uwr, sorex; en italien, fo/)0, sorice, sorgio di casa; en espagnol, rat,- en alkniand , must; en an- glois, mousjs. li\S ANI3IAL1X CAllN ASSIERS. OU l'attire, on la leurre aisément par des appâts, on la détruit à milliers; elle ne subsiste enfin que par son immense fécondité. J'en ai vu qui ayoient mis bas dans des souricières; elles produisent dans toutes les saisons, et plusieurs fois par an : les portées ordinaires sont de cinq ou six petits; en moins de quinze jours ils prennent assez de force et de croissance pour se disperser et aller chercher à vivre. Ainsi la durée de la vie de ces petits animaux est fort courte, puisque leur ac- croissement est si prompt; et cela augmente encore l'idée qu'on doit avoir de leur prodigieuse multi- plication. Aristote dit qu'ayant mis une souris pleine dans uii vase à serrer du grain, il s'y trouva peu de temps après cent vingt souris, toutes issues de la même mère. Ces petits animaux ne sont point laids; ils ont l'air vif et même assez fin : l'espèce d'horreur qu'on a pour eux n'est fondée que sur les petites surprises et sur l'incommodité qu'ils causent. Toutes les souris sont blanchâtres sous le ventre, et il y en a de blanches sur tout le corps; il y en a aussi de plus ou moins brunes, de plus ou moins noires. L'espèce est géné- ralement répandue en Europe, en Asie, en Afrique; mais on prétend qu'il n'y en avoit point en Améri- que, et que celles qui y sont actuellement en grand nombre viennent originairement de notre continent: ce quil y a de vrai, c'est qu'il paroît que ce petit animal suit l'homme, et fuit les pays inhabités, par l'appétit naturel qu'il a pour le pain, le fromage, le lard, l'huile, le beurre et les auties aliments que l'homme prépare pour lui-même. LA SOLllIS. l/|9 * Nous avons dit que les souris blanches aux yeux rouges n'étoil qu'une varlelé, une sorle de dégëné- ration dans lespèce de la souris. Cette variété se trouve non seulement dans nos climats tempérés, mais dans les contrées méridionales et septentrionales des deux continents. « Les souris blanches aux yeux rouges, dit Pon- toppidan, ont été trouvées dans la petite ville de Molle ou Roms-dalleni : mais on ne sait si elles y sont indigènes, ou si elles y ont été apportées des Indes orientales. » Cette dernière présomption ne paroîL fondée sur rien, et il y a plus de raison de croire que les souris blanches se trouvent quelquefois en JNorwége , comme elles se trouvent quelquefois partout ailleurs dans notre continent; et les souris, en général, se sont même actuellement si fort multipliées dans l'autre, qu'elles sont aussi communes en Amérique qu'en Europe, surtout dans les colonies les plus habitées. Le même auteur ajoute : « Que les rats de bois et les rats d'eau ne peuvent vivre dans les terres les plus septentrionales de la Norwége, et qu'il y a plusieurs districts, comme ce- lui de Hardenver, dans le diocèse de Berghen, et d'autres dans le diocèse d'Aggerhum, où l'on ne voit point de rats, quoiqu'il y en ait sur le bord méridio- nal de la rivière de Yormen, et que, lorsqu'ils sont transportés de l'autre côté, c'est-à-dire à la partie boréale de cette rivière, ils y périssent en peu de temps; différence qu'on ne peut attribuer qu'à des exhalaisons du sol contraires à ces animaux. » Ces faits peuveiit être vrais; mais nous avons sou- 15UFF0N. XY. 10 l5o ANIMAUX CARNASSIERS. vent reconnu qne Pontoppidan n'est pas un antenr qui mérite foi entière. Dans les observations que M. le vicomte de Quer- hoent a eu la bonté de me communiquer, il dit que les rats transportés d'Europe à l'Ile-de-France par les vaisseaux s'y étoient multipliés au point qu'on pré- tend qu'ils firent quitter l'île aux Hollandois, Les François en ont diminué le nombre, quoiqu'il y en ait encore une très grande quantité. Depuis quelque temps, ajoute M. de Querhoent, un rat de l'Inde commence à s'y établir : il a une odeur de musc des plus fortes , qui se répand aux environs des lieux qu'ii habite; et l'on croit que lorsqu'il passe dans un en- droit où il y a du vin, il le fait aigrir. Il me paroît que ce rat d'Inde, qui répand une odeur de musc, pourroit être le même rat que les Portugais ont ap- pelé ckerosOj, ou rat odoriférant. La Boullaye-le-Gouz en a parlé. «Il est, dit-il, extrêmement petit; il est à peu près de la figure d'un furet; sa morsure est venimeuse; quand il entre dans une chambre, on lèsent inconti- nent, et on l'entend crier kric^ krlc^ kric. » Ce même rat se trouve aussi à Maduré , et on le nomme rat de senteur. Les voyageurs hollandois en ont fait mention; ils disent qu'il a le poil aussi fin que la taupe, mais seulement un peu moins noir. * L'espèce du rat paroît exister dans toutes les con- trées habitées ou fréquentées par les hommes; car, suivant le récit des voyageurs, elle a été trouvée et reconnue partout, et même dans les pays nouvelle- ment découverts. M. Forster dit que le rat « se trouve dans les îles de la mer du Sud, et dans les terres de LA SOURIS. Ibl la Nouvelle-Zélande; qu'il y en a une prodigieuse quantité aux îles de la Société, et surtout à Taïti , où ils vivent des restes d'aliments que les naturels laissent dans leurs hr.ttes, des fleurs et des gousses de Verytlirlna coraliodendrum ^ de bananes et d'autres fruits, et, à ce défaut, d'excréments de toute sorte : leur hardiesse va jusqu'à mordre quelquefois les pieds des naturels endormis. Ils sont beaucoup plus rares aux Marquises et aux îles des Amis, et on les voit rarement aux Nouvelles-Hébrides. » Il est assez singulier qu'on ait trouvé les espèces de nos rats dans ces îles et terres de la mer du Sud, tandis que, dans toute l'étendue du continent de l'Amérique, ces mêmes espèces ne se sont pas trou- vées, et que tous les rats qui existent actuellement dans ce nouveau continent y sont arrivés avec nos vaisseaux. Suivant M. de Pages, il y a dans les déserts d'A- rabie une espèce de rat très différente de toutes celles que nous connoissons. «Leurs yeux, dit-il, sont vifs et grands; leurs moustaches, leur museau et le haut du front sont blancs, ainsi que le ventre, les pattes et le bout de la queue; le reste du corps est jaune et d'un poil as- sez long et très propre : la queue est médiocrement longue; mais elle est grosse, de couleur jaune comme le corps, et terminée de blanc. Mes compagnons ara- bes mangeoient ces rats après les avoir tués à coups de bâton, qu'ils lancent avec beaucoup d'adresse sur le chemin du quadrupède ou de l'oiseau qu'ils veu- lent attraper. » l^'2 ANIMAUX CAHNASSIETIS. LE MULOT. Mus sylvatlcus, L. Le mulot est plus petit que le rat, et plus gros que la souris; il n'habite jamais les maisons, et ne se trouve que dans les champs et dans les bois : il est remarquable par les yeux, qu'il a gros et proéminents, et il diffère encore du rat et de la souris par la cou- leur du poil, qui est blanchâtre sous le ventre, et d'un roux brun sur le dos : il est très généralement et très abondamment répandu, surtout dans les terres é)evées/ Il paroît qu'il est long-temps à croître , parce qu'il varie considérablement pour la grandeur : les grands ont quatre pouces deux ou trois lignes de longueur depuis le bout du nez jusqu'à l'origine de la queue; les petits, qui paroissent adultes comme les autres, ont un pouce de moins : et comme il s'en trouve de toutes les grandeurs intermédiaires, on ne peut pas douler que les grands et les petits ne soient tous de la même espèce. II y a grande apparence qnn c'est faute d'avoir connu ce fait, que quelques natu- ralistes en ont fait deux espèces; l'une, qu'ils ont ap- pelée le grand rat des champs ^ et l'aîitre le mulot. Ray, qui le premier est tombé dans cette erreur en les in- diquant sous deux dénominations, semble avouer qu'il n'en connoît qu'une espèce : et quoique les courtes descriptions qu'il donne de l'une et de l'autre espèce PI. 5 T 03206 a5. Paucmet,scutp 1,LEMD1.0T_2.LE RAT PERCHM._-3 LE SCHKRMMT. LE MULOT. l55 paroissenl difl'érer, ou ne doit pas en conclure qu'elles existent tontes deux, i"* parce qu'il n'en connoissoit lui-même qu'une ; 2° parce que nous n'en connois- sons qu'une, et que quelques recherches que nous ayons faites, nous n'en avons trouvé qu'une ; 7)° parce que Gesner et les autres anciens naturalistes ne par- lent que d'une, sous le nom de mus aprestls major j, qu'ils disent être très commune , et que Ray dit aussi que l'autre qu'il donne sous le nom demus domestlcus médius est très commune : ainsi il seroit impossible que les uns ou les autres de ces auteurs ne les eus- sent pas vues toutes deux, puisque, de leur aveu, toutes deux sont si communes; /f^p^rce que dans cette seule et même espèce, comme il s'en trouve de plus grands et de plus petits, il est probable qu'on a été induit en erreur, et qu'on a fait une espèce des plus grands, et une autre espèce des plus petits; 5" enfin, parce que les descriptions de ces deux prétendues espèces n'étant nulle part ni exactes ni complètes, on ne doit pas tabler sur les caractères vagues et sur les dillérences qu'elles indiquent. Les anciens, à la vérité, font mention de deux es- pèces, l'une sous la dénomination de mus agrestis major, et l'autre sous celle de mas agrestis minor. Ces deux espèces sont fort communes, et nous les con- noissons comme les anciens : la première est notre mulot; mais la seconde n'est pas le mus domesticus médius de Ray; c'es( un autre animal qui est connu sous le nom de mulot à courte queue, ou de petit rat des champs : et comme il est fort diflerent du rat ou du mulot, nous n'adoptons pas le nom générique de petit rat des champs, ni celui de mulot à courte queue. l54 ANIMAUX CARNASSIERS. parce qu'il n'est ni rat ni mulot, et nous lui donne- rons un nom particulier^. Il en est de même d'une espèce nouvelle qui s'est répandue depuis quelques années, et qui s'est beaucoup multipliée autour de Versailles et dans queîc[ues provinces voisines de Pa- ris, qu'on appelle rats des bols^ rats sauvages j, gros rats des champs^ qui sont très voraces, très méchants, très nuisibles, et beaucoup plus grands que nos rats; nous lui donnerons aussi un nom particulier, parce qu'elle diffère de toutes les autres, et que, pour évi- ter toute confusion, il faut donner à chaque espèce un nom^ Comme le mulot et le mulot à courte queue, que nous appellerons campagnol j, sont tous deux très communs dans les champs et dans les bois, les gens de !a campagne les ont désignés par la différence qui les a !e plus frappés: nos paysans en Bourgogne ap- pellent le mulot la rate à la grande c/aeue_, et le cam- pagnol la rate couette; dans d'autres provinces on ap- pelle le mulot le rat sauterelle ^ parce qu'il va toujours par sauts; ailleurs on l'appelle souris de terre lors- qu'il est petit, et mulot lorsqu'il est grand. Ainsi on se souviendra que la souris déterre, le rat sauterelle, la rate à la grande queue, le grand rat des champs, le rat domestique moyen, ne sont que desdénomina- lions différentes de l'animal que nous appelons mulot. Il habite, comme je l'ai dit, les terres sèches et élevées ; on le trouve en grande quantité dans les bois et dans les champs qui en sont voisins; il se retire dans des trous qu'il trouve tout faits, ou qu'il se pra- tique sous des buissons et des troncs d'arbres : il y 1. Je 1 iîppelle campagnol , de sou nom en italien campagnoli. LE MlJLOT. l55 amasse une quantité prodigieuse de glands, de noi- settes ou de faînes; on en trouve quelquefois jusqu'à un boisseau dans un seul trou ; et cette provision , au lieu d'être proportionnée à ses besoins, ne l'est qu'à la capacité du lieu. Ces trous sont ordinairement de plus d'un pied sous terre, et souvent partagés en deux loges, l'une où il habite avec ses petits, et l'autre où il fait son magasin. J'ai souvent éprouvé le dommage très considérable que ces animaux causent aux plan- tations; ils emportent les glands nouvellement semés; ils suivent le sillon tracé par la charrue, déterrent chaque gland l'un après l'autre, et n'en laissent pas un : cela arrive surtout dans les années où le gland n'est pas fort abondant; comme ils n'en trouvent pas assez dans les bois, ils viennent le chercher dans les terres semées, ne le mangent pas sur le lieu, mais l'emportent dans leur trou, où ils l'entassent et le laissent souvent sécher et pourrir. Eux seuls font plus de tort à un semis de bois que tous les oiseaux et tous les autres animaux ensemble. Je n'ai trouvé d'autre moyen pour éviter ce grand dommage que de tendre des pièges de dix pas en dix pas dans toute l'étendue de la terre semée : il ne faut qu'une noix grillée pour appât, sous une pierre plate soutenue par une bû- chette ; ils viennent pour manger la noix, qu'ils pré- fèrent au gland ;comme elle est attachée à la bûchette, dès qu'ils y touchent , la pierre leur tombe sur le corps, et les étouffe ouïes écrase. Je me^suis servi du même ex- pédient contre les campagnols, qui détruisent aussi les glands; et comme l'on avoit soin de m'iipporter tout ce qui se trouvoitsous les pièges, j'ai vu les premières fois, avec étonnement, que chaque jour on p enoît l[SG ANIMAUX CARNASSIERS. une centaine tant de mulots que de campagnols , et cela dans une pièce de terre d'environ quarante ar- pents : j'en ai eu plus de deux milliers en trois semai- nes , depuis le i5 novembre jusqu'au 8 décembre , et ensuite en moindre nombre jusqu'aux grandes gelées, pendant lesquelles ils se recèlent et se nourrissent dans leur trou. Depuis que j'ai fait cette épreuve, il y a plus de vingt ans, je n'ai jamais manqué , toutes les fois que j'ai semé du bois , de me servir du même ex- pédient, et jamais on n'a manqué de prendre des mulots en très grand nombre. C'est surtout en au- tomne qu'ils sont en si grande quantité : il y en a beaucoup moins au printemps; car ils se détruisent eux-mêmes, pour peu que les vivres viennent à leu»r manquer pendant l'hiver : les gros mangent les petits. Ils mangent aussi les campagnols, et même les grives, les merles et les autres oiseaux qu'ils trouvent pris aux lacets; ils commencent par la cervelle , et finissent par le reste du cadavre. Nous avons mis dans un même vase douze de ces mulots vivants; on leur donnoit à manger à huit heures du matin : un jour qu'on les oublia d'un quart d'iieure, il y en eut un qui servit de pâture aux autres; le lendemain ils en mangèrent un autre, et enfin au bout de quelques jours il n'en resta qu'un seul ; tous les autres avoient été tués et dévorés en partie, et celui qui resta le dernier avoit lui-même les pattes et la queue mutilées. Le rat pullule beaucoup, le mulot pullule encore davantage; il produit plus d'une fois par an, et les portées sont souvent de neuf et dix, au lieu que celles du rat ne sont que de cinq ou six. Un homme de ma campagne en prit un jour vingt-deux dans un seul LE MULOT. 1^7 trou; il y avoit deux mères et vingt petits. Il est très généralement répandu dans toute l'Europe ; on le trouve en Suède, et c'est celui que M. Linnaeus ap- pelle mus cauda longa^ corpore nigro flavescentCj ab- domlne albo. II est très commun en. France, en Italie, en Suisse : Gesner l'a appelé mus agrestis major. Il est aussi en Allemagne et en Angleterre, où on le nomme feld-musz^ field-mousse ^ c'est-à-dire rat des champs. Il a pour ennemis les loups, les renards, les martes , les oiseaux de proie, et lui-même. LE RAT PERGHAL. Mus perchai. Gmel. Ce rat, dont M. Sonnerat nous a apporté la peau sous la dénomination de rat perchai ^ est plus gros que nos rats ordinaires. pied, poiic. lign. Sa longueur est de i 5 'j Longueur de la tête, du bout du nez à l'occiput. » 3 5 Elle est plus allongée que celle de nos rats; les oreilles nues, sans poil, sont de la forme et de la cou- leur de celles de tous les rats. Les jambes sont cour- tes , et le pied de derrière est très grand en comparai- son de celui de devant, puisqu'il a, du talon au bout des ongles, deux pouces, et que celui de devant n'a que dix lignes du poignet à l'extrémité des ongles. La queue, qui est semblable en tout à celle de nos rats, l58 AN131AUX CARNASSIERS. est moins longue à proportion , quoiqu'elle n'ait que huit pouces trois lignes de longueur. Le poil est de couleur d'un brun musc foncé sur la partie supérieure de la tête, du cou, des épaules, du dos, jusqu'à la croupe et sur la partie supérieure des flancs; le reste du corps a une couleur grise plus claire sous le ventre et le cou. Les tnoustaches sont noires et longues de deux pouces six lignes; la queue est écailleuse, comme par anneaux; sa couleur est d'un brun grisâtre. Les poils sur le corps ont de longueur onze lignes, et sur la croupe, deux pouces; ils sont gris à leur racine , et bruns dans leur longueur jusqu'à l'extré- mité ; ils sont mélangés d'autres poils gris en plus grande quantité sous le ventre et les flancs. Ce rat est très commun dans l'Inde, et l'espèce en est nombreuse. Il habite dans les maisons de Pon- dichéry, comme le rat ordinaire dans les nôtres, et les habitans de cette ville le trouvent bon à manger. LE SCHERMAN, ou RAT D'EAU DE STRASBOURG. Arvicota ar senior atensis, Desm. O' Je donne ici la figure (planche i4) d'une espèce de rat d'eau qui m'a été envoyé de Strasbourg par M. Hermann, le 8 octobre 1776. « Ce petit animal, m'écrivit-il, a échappé à vos re- LE SCHEllMAN. 1 Sq cherches, et je l'avois pris moi-même pour le rat d'eau commun ; cependant il en diffère par quelques caractères. Il est plus petit; il a la queue, le poil et les oreilles différents de ceux du rat d'eau. On le con- noît autour de Strasbourg sous le nom de sclierman. L'espèce en est assez commune dans les jardins et les près qui sont proche de l'eau. Cet animal nage et plonge fort bien; on en trouve assez souvent dans les nasses des pécheurs, et ils font autant de dègats dans les terrains cultives. Ils creusent la terre, et il y a quelques années que, dans une de nos promenades publiques, appelée ie Contade^ hors de la ville, un homme qui fait métier de prendre les hamsters en a pris un bon nombre dans les mêmes pièges^. » Par CCS indications et par la description que nous allons donner de ce petit animal, il me paroît cer- tain qu'il est d'une espèce différente, quoique voi- sine de celle de notre rat d'eau, mais que ses habi- tudes naturelles sont à peu près les mômes. Au reste, l'individu que M. Hermann a eu la bonté de nous en- voyer pour le Cabinet y a été placé, et il est très bien conservé. Il ne ressemble en effet à aucun des rats dont nous avons donné les figures, qui tous ont les oreilles assez grandes ; celui-ci les a presque aussi courtes que la taupe, et elles sont cachées sous le poli, qui est fort long. Plusieurs rats ont aussi la queue couverte de petites écailles, tandis que celui- ci l'a couverte de poil comme le rat d'eau. La longueur du corps entier, depuis l'extrémité du nez jusqu'à l'origine de la queue, est de six pouces : 1. Exilait d'une lettre de M. llerinaun , datée de Strasbourg le 8 octobre 1776- l6o ANIMAUX GA UN Assît US. la queue est longue de deux pouces trois lignes ; mais il nous a paru que les dernières vertèbres y man- quent, en sorte que, dans 1 état de nature, elle peut avoir deux pouces neuf lignes. La couleur du poil est en général d'un brun noirâtre, mêlé de gris et de fauve, parce que le poil, qui a quinze lignes de lon- gueur, est d'un noir gris à la racine, et fauve à son extrémité. La tête est plus courte et le museau, plus épais que dans le rat domestique, et elle approche par la forme de la tête du rat d'eau; les yeux sont pe- tits; l'ouverture de la bouche est bordée d'un poil blanc et court; les moustaches, dont les pi us grands poils ont treize lignes de longueur, sont noires; le dessous du ventre est d'un gris de souris. Les jambes sont courtes et couvertes d'un petit poil noirâtre, ainsi que les pieds, qui sont fort petits : il y a, comme [dans plusieurs rats, quatre doigts aux pieds de devant, et cinq à ceux de derrière; les ongles sont blancs et un'peu courbés en gouttière. La queue est couverte de petits poils bruns et cendrés, mais moins fournis que sur la queue d'un rat d'eau. •««»>«»*««<•«« 8«««*e*8*©.e«*««>c coup de tort aux maïs, mais encore aux chênes, » dont ils coupent la fleur dès qu'elle vient à paroître, » en sorte que ces arbres rapportent très peu de « gland On prétend qu'ils sont actuellement plus » nombreux qu'autrefois dans les canipagnes de la » Pensylvanie, et qu'ils se sont multipliés à mesure « qu'on a augmenté les plantations de maïs, dont ils >' font leur principale nourriture. » ISUÎ'FON. XV. H l6Ô ANIMAUX CAllNASSIERS. LE RAT D'EAU^ Arvicola amphibtus. Desm. Le rat d'eau est un petit anîînal de la grosseur d'un rat, mais qui, par le naturel et par les habitudes, ressemble beaucoup plus à laloutre qu'au rat: comme elle, il ne fréquente que les eaux douces, et on le trouve communément sur les bords des rivières, des ruisseaux, des étangs; comme elle, il ne vit guère que de poissons : les goujons , les mouteilles, les vai- rons, les ablettes, le frai de la carpe, du brochet, du barbeau, sont sa nourriture ordinaire; il mange aussi des grenouilles , des insectes d'eau , et quel- quefois des racines et des herbes. Il n'a pas, comme la loutre, des membranes entre les doigts des pieds; c'est une erreur de Willughby , que Ray et plusieurs autres naturalistes ont copiée : il a tous les doigts des pieds séparés, et cependant il nage facilement, se tient sous l'eau long-temps , et rapporte sa proie pour la manger à terre, sur l'herbe ou dans son trou; les pécheurs l'y surprennent quelquefois en cherch nt des écrevisses; il leur mord les doigts, et cherche à se sauver en se jetant dans l'eau. Il a la tête plus courte, le museau plus gros, le poil plus hérissé et la queue beaucoup moins longue que le rat. Il fuit . 1. En latin, mus acfuaticus , mus aquatiiis ; en italien, sorgo mar- gange; en allemand, wasser-viusz ; en anglois , water-rat> LE RAT DEAU. 1 G7 comme la loutre , les grands fleuves, ou plutôt les ri- vières trop fréquentées. Les chiens le chassent avec une espèce de fureur. On ne le trouve jamais dans les maisons, dans les granges; il ne quitte pas le bord des eaux, ne s'en éloigne même pas autant que la loutre, qui quelquefois s'écarte et voyage en pays sec à plus d'une lieue. Le rat d'eau ne va point dans les terres élevées; il est fort rare dans les hautes monta- gnes, dans les plaines arides, mais très nombreux dans tous les vallons humides et marécageux. Les mâles et les femelles se cherchent sur la fin de l'hiver; elles mettent bas au mois d'avril : les portées ordinaires sont de six ou sept. Peut-être ces animaux produisent- ils plusieurs fois par an , mais nous n'en sommes pas informés. Leur chair n'est pas absolument mauvaise; les paysans la mangent les jours maigres comme celle de la loutre. On les trouve partout en Europe, ex- cepté dans le climat trop rigoureux du pôle : on les retrouve en Egypte, sur les bords du Nil, si l'on en croit Belon; cependant la figure qu'il en donne res- semble si peu à notre rat d'eau, que l'on peut soup- çonner, avec quelque fondement, que ces rats du Nil sont des animaux différents. l68 ANIMAUX CARNASSIERS. LE CAMPAGNOLS Mus arvalls. L. Le campagnol est encore plus commun, plus géné- ralement répandu que le mulot : celui-ci ne se trouve guère que dans les terres élevées; le campagnol se Irouvepartoutjdans les bois, dans les champs, dans les prés, et même dans les jardins. Il est remarquable par la grosseur de sa tête, et aussi par sa queue courte et tronquée, qui n'a guère qu'un pouce de long; il se pratique des trous en terre, où il amasse du grain , des noisettes, et du gland; cependant il paroît qu'il préfère le blé à toutes les autres nourritures. Dans le mois de juillet, lorsque les blés sont mûrs, les campagnols arrivent de tous côtés, et font souvent Aq grands dommages en coupant les tiges du blé pour 'U manger l'épi : ils semblent suivre les moisson- eurs, ils profitent de tous les grains tombés et des (pis oubliés; lorsqu'ils ont tout glané, ils vont dans les terres nouvellement semées, et détruisent d'a- vance la récolte de l'année suivante. En automne et on hiver, la plupart se retirent dans les bois, où ils trouvent de la faîne, des noisettes, et du gland. Dans i. Campagnol, mulot à comte queue, petit rat des champs; eu italien , campagnoli. Rat de terre. Mémoires de L'Académie des Sciences . année 1766 -, M4- maire sur les Musaraignes , par M. Daubenlon. LE CAMPAGNOL. 1 69 eertaiiies années, ils paroissent en si grand nombre, qu'ils détruiroient tout s'ils subsistoient long-temps ; mais ils se détruisent eux-mêmes, et se mangent dans les temps de disette : ils servent d'ailleurs de pâ- ture aux mulots, et de gibier ordinaire au renard > au chat sauvage, à la marte et aux belettes. Le campagnol ressemble plus au rat d'eau qu'à au- cun animal par les parties intérieures, comme on peut le voir par ce qu'en dit M. Daubenton; mais à l'extérieur il en diffère par plusieurs caractères essen- tiels : 1° par la grandeur ; il n'a guère que trois pou- ces de longueur depuis le bout du nez jusqu'à l'ori- gine de la queue , et le rat d'eau en a sept ; 2° par les dimensions de k tête et du corps; le campagnol est, proportionnellement à la longueur de son corps, plus gros que le rat d'eau, et il a aussi la tète pro- portionnellement plus grosse; 5* par la longueur de la queue , qui dans le campagnol ne fait tout au plus que le tiers de la longueur de l'animal entier, et qui dans le rat d'eau fait près des deux tiers de cette même longueur ; 4" enfin par le naturel et les mœurs; les campagnols ne se nourrissent que de poisson et ne se jettent point à l'eau ; ils vivent de glands dans les bois, de blé dans les champs, et, dans les prés, de ra- cines tuberculeuses, commecellesduchiendent. Leurs trous ressemblent à ceux des mulots , et souvent sont divisés en deux loges; mais ils sont moins spacieux et beaucoup moins enfoncés sous terre : ces petits ani- maux y habitent quelquefois plusieurs ensemble. Lorsque les femelles sont prêtes à mettre bas, elles y portent des herbes pour faire un lit à leurs petits : elles produisent au printemps et en été; les portées l-O ANIMAUX CARNASSIERS. ordinaires sont de cinq ou six, et quelquefois de sept ou huit. LE HAMSTER*. Mus cricetus. L. Le hamster est un rat des plus fameux et des plus nuisibles; et si nous n'avons pas donné son histoire avec celle des autres rats, c''est qu'alors nous ne Ta- rions pas vu 5 et que nous n'avons pu nous le procu- rer que dans ces derniers temps : encore est-ce aux attentions constantes de M. le marquis de Montmirail pour tout ce qui peut contribuer à l'avancement de riiistoire naturelle, et aux bontés de M. de Waitz, ministre d'Etat du prince landgrave de Hesse -Casse) , que nous sommes redevables de la connoissance pré- cise et exacte de cet animal ; ils nous en ont envoyé deux vivants, avec un mémoire instructif ^ sur leurs mœurs et leurs habitudes naturelles. INous avons 1. Cricetus , eu latin moderne, « Ce nom , dit Gesner, paroît dérivé u de la langue illyrieuue, dans laquelle cet animal s'appelle syrzeczieck. » Hamster ou hamester, en allemand ; nom que nous avons adopté , comme étant celui de l'animal dans son pays natal : clwmih-skrzeczek , en polonois, selon Rzaczynski. 2. a Voici un mémoire assez étendu sur l'espèce du mulot que l'on » appelle hamster dans ce pays; il m'a été fourni par M. de Waitz, » ministre d'f^tat du landgrave de Ilessc-Cassel, qui joint aux qualités » les plus propres à former un homme d'Etat le goût le plus vif pour a riiistoire naturelle Il m'a envoyé en même temps deux de ces 1 LE HAMSTER— 2. LE COCHOND'niDE — SLAMUSARAEGlŒ LE HAMSTER. 1^1 nourri Tua Je ces animaux pendant quelques mois pour l'observer, et ensuite on l'a soumis à la dissec- tion pour faire la description et la comparaison des parties intérieures avec celles des autres rats. On verra que par ces parties intérieures le hamster ressemble plus au rat d'eau qu'à aucun autre animal ; il lui res- semble encore par la petitesse des yeux et la finesse du poil; mais il n'a pas la queue longue comme le rat d'eau; il l'a au contraire très courte , plus courte que le campagnol, qui , comme nous l'avons dit, ressem- ble aussi beaucoup au rat d'eau par la conformation intérieure. Le hamster nous paroît être à l'égard du campagnol ce que le surmulot est à l'égard du mu- lot : tous ces animaux vivent sous terre, et paroissent animés du môme instinct; ils ont à peu près les mê- mes habitudes, et surtout celles de ramasser des grains et d'en faire de gros magasins dans leurs trous. Nous nous étendrons donc beaucoup moins sur les ressem- blances de forme et les conformités de nature que sur les différences relatives et les disconvenances réelles qui séparent le hamster de tous les rats, souris et mu- lots dont nous avons parlé. Agricola est le premier auteur qui ait donné des in- dications précises et détaillées au sujet de cet animal; Fabricius y a ajouté quelques faits : mais Schwenckfeld a plus l\iit que tous les autres; il a disséqué le hams- ter, et il en donne une description qui s'accorde presque en tout avec la nôtre. Cependant à peine a- t-il été cité par les naturalistes plus récents, qui » animaux vivants, que je vous enverrai par la première occasion. » ( Extrait d'une lettre de M. le marquis de Montmirail d M. de Buffon^ datée de Krumbach, 5i juillet 1762.) 1-^ AMMAUX CARNASSIEPxS. tous se sont contentés de copier ce que Gesner en a dit. ti Les établissements des hamsters (ditM.de Waitz) » sont d'une construction différente selon le sexe et )) Tâge, et aussi suivant la qualité du terrain. Le domi- )) cile du mâle a un conduit oblique, à l'ouverture » duquelil y a un monceau de terre exhaussée. Aune » distance de cette issue obHque, il y a un seul trou » qui descend perpendiculairement jusqu'aux cbam- » bres ou caveaux du domicile : il ne se trouve point » de terre exhaussée auprès du trou ; ce qui fait pré- » suaier que l'issue oblique est creusée en coramen- » çant par le dehors, et que l'issue perpendiculaire » est faite de dedans en dehors et de bas en haut. » Le domicile de la femelle a aussi un conduit » oblique, et en même temps deux, trois, et jusqu'à » huit trous perpendiculaires, pour donner vme en- » trée et sortie libres à ses petits : le mâle et la fe- )) melle ont chacun leur demeure séparée ; la femelle » fait la sienne plus profonde que le mâle. » A côté des trous perpendiculaires, à un ou deux » pieds de distance, les hamsters des deux sexes creu- » sent selon leur âge, et à proportion de leur multi- » plication, un, deux, trois, et quatre caveaux parti- » culiers , qui sont en forme de voûte, tant par » dessous que par dessus, ou plus ou moins spacieux, » suivant la quantité de leurs provisions. » Le trou perpendiculaire est le passage ordinaire » du hamster pour entrer et sortir. C'est par le trou » oblique que se fait l'exportation de la terre : il pa- » roît aussi que ce conduit, qui a une pente plus » douce dans un des caveaux, et plus rapide dans un LE ÏIASISTEPi. I7.J » antre de ces caveaux, sert pour la circulation de » l'air dans ce domicile souterrain. Le caveau où la » femelle fait ses petits ne contient point de provi- )) sions de grains, mais un nid de paille ou d'herbe. » La profondeur du caveau est très différente ; un » jeune hamster, dans la première tmnée, ne donne » qu'un pied de profondeur à son caveau ; un vieux » hamster le creuse souvent jusqu'à quatre ou cinq )» pieds : le domicile entier, y compris toutes les » communications et tous les caveaux, a quelquefois » huit ou dix pieds de diamètre. w Ces animaux approvisionnent leurs magasins de » grains secs et nettoyés, de blé en épis, de pois et » fèves en cosses, qu'ils nettoient ensuite dans leur » demeure, et ils transportent au dehors les cosses et » les déchets des épis par le conduit oblique. Pour »> apporter leurs provisions ils se servent de leurs aba- » joues, dans lesquelles chacun peut porter à la fois » plus d'un quart de chopine de grains nettoyés. » Le hamster fait ordinairement ses provisions de » grains à la fin d'août : lorsqu'il a rempli ses maga- » sins, il les couvre et en bouche soigneusement les » avenues avec de la terre , ce qui fait qu'on ne dé- » couvre pas aisément sa demeure ; on ne la recon- x noît que par le monceau de terre qui se trouve » auprès du conduit oblique dont nous avons parlé : » il faut ensuite chercher les trous perpendiculaires, » et découvrir par là son domicile. Le moyen le plus » usité pour prendre ces animaux est de les déterrer, » quoique ce travail soit assez pénible à cause de la s profondeur et de l'étendue de leurs terriers. Cepen- » daat un homme exercé à cette espèce de chasse ne I ~4 ANIMAUX CAllNASSIEUS. » laisse pas d'en tirer de rutilité ; il trouve ordinal re- » ineiit, dans la bonne saison, c'est-à-dire en automne, » deux boisseaux de bons grains dans chaque doini- » cile, et il profite de la peau de ces animaux, dont on » fait des fourrures. Les hamsters produisent deux ou » trois fois par an , et cinq ou six petits à chaque fois, » et souvent davantage : il y a des années où ils pa- » roissent en quantité innombrable, et d'autres où » l'on n'en voit presque plus; les années humides » sont celles où ils multiplient beaucoup, et cette » nombreuse multiplication cause la disette par la dé- » vastation générale des blés, » Un jeune hamster, âgé de six semaines ou deux » mois, creuse déjà son terrier; cependant il ne s'ac- » couple ni ne produit dans la première année de sa » vie. » Les fouines poursuivent vivement les hamsters^ » et en détruisent en grand nombre : elles entrent » aussi dans leurs terriers et en prennent possession. .) Les hamsters ont ordinairement le dos brun et » le ventre noir. Cependant il y en a qui sont gris, et » cette différence peut provenir de leur âge plus ou » moins avancé. li s'en trouve aussi quelques uns qui » sont tout noirs. » Ces animaux s'entre - détruisent mutuellement comme les mulots : de deux qui étoient dans la même cage, la femelle dans une nuit étrangla le niâle, et, après avoir coupé les muscles qui attachent les mâchoires, elle se fit jour dans son corps, où elle dévora une partie de ses viscères. Ils font plu- sieurs portées par an, et sont si nuisibles que, dans quelques états de l'Allemagne, leur tête est à prix; LK HAMSTER. 1 ;;> ils y sont si communs que leur fourrure esta très bon marché. Tous ces faits, que nous avons extraits du mémoire de M. de Waitz et des observations de M. de Mont- mirail , nous paroissent certains , et s'accordent avec ce que nous savions d'ailleurs au sujet de ces ani- maux; mais il n'est pas également certain, comme on le dit dans ce même mémoire , qu'ils soient engour- dis et même desséchés pendant l'hiver, et qu'ils ne reprennent du mouvement et de la vie qu'au prin- temps. Le hamster que nous avons eu vivant a passé l'hiver dernier (i -^62-67)) dans une chambre sans feu , et où il geloit assez fort pour glacer l'eau; cependant il ne s'est point engourdi , et n'a pas cessé de se mou- voir et de manger à son ordinaire, au lieu que nous avons nourri des loirs et des léroLs qui se sont en- gourdis à un degré de froid beaucoup moindre. Nous ne croyons donc pas que le hamster se rapproche des loirs ou de la marmotte par ce rapport, et c'est mal à propos que quelques uns de nos naturalistes l'ont appelé marmotte de Strasbourg _, puisqu'il ne dort pas comme la marmotte, et qu'il ne se trouve pas à Strasbourg. * On trouve dans la Gazette de Littérature, du i5 septembre 1774» ^" extrait des observations faites sur le hamster, et tirées d'un ouvrage allemand de M. Sulzer, que j'ai cru devoir donner ici. « Le rat de blé, en allemand hamster, ne pouvoit être mieux décrit ni plus commodément qu'à Gotha, où, dans une seule année, on en a livré onze mille cinq cent soixante-quatorze peaux à l'hôtel-de-ville ; 1-6 ANIMAUX CARNASSIERS. duns une autre, cinquante-quatre mille quatre cent vingl-neuf; et une troisième fois, quatre-vingt mille cent trente-neuf. Cet animal habite en général les pays tempérés; quand il est irrité le cœur lui bat jus- qu'à cent quatre-vingts fois par minute; le poids du cerveau est à celui de tout le corps comme i est à 193, » Ces rats se font des magasins , où ils placent jus* (|u a douze livres de grain. En hiver la femelle s'en- fonce fort avant dans la terre. Cet animal est coura- geux; il se défend contre les chiens, contre les chats, contre les hommes : il est naturellement que- relleur, ne s'accorde pas avec son espèce, et tue quelquefois, dans sa furie, sa propre famille. Il dé- vore ses semblables lorsqu'ils sont plus foibîes , aussi bien que les souris et les oiseaux, et il vit avec cela de toutes sortes d'herbes, de fruits et de grains : il boit peu. La femelle sort plus tard que le mâle de sa retraite d'hiver; elle porte quatre semaines, et fait jus€[u'à six petits. 11 ne faut que quelques mois pour que les petites femelles deviennent fécondes. L'es- pèce de rat qu'on nomme iltis'^ tue le hamster. )) Quand l'animal est dans son engourdissement, on n'y observe ni respiration ni aucune sorte de senti- ment. Le cœur bat néanmoins environ quinze fois par minute , comme on s'en aperçoit en ouvrant la poitrine ; le sang demeure fluide ; les intestins immo- biles ne sont pas irritables ; le coup électrique même ne réveille pas l'animal, tout est froid en lui. Au grand air il ne s'engourdit jamais. » i. h'Ulls dcsigiio le putois, el non pas un lal , comme le dit ici l'auteur. LE HAMSTER. I77 M. Sulzer rapporte par quels degrés il passe pour sortir de son engourdissement^. « Cet animal n'a guère d'autre utilité que celle de détruire les souris; mais il fait bien plus de mai qu elles. » Nous eussions désiré que M. Sulzer €Ût indiqué précisément le degré de froid ou de manque d'air au- quel ces animaux s'engourdissent ; car nous répétons ici affirmativement ce que nous avons dit, que dans une chambre sans feu , où il geloit assez fort pour y glacer l'eau, un hamster, qui y étoit dans une cage, ne s'engourdit pas pendant l'hiver de 1763. On va voir la pleine confirmation de ce fait dans les addi- tions que M. AUamand a fait imprimer à la suite de mon ouvrage, et que je viens de recevoir. ADDITIONS de l'éditeur hoUandois sur le Hamster. Le hamster est un quadrupède du genre des sou- ris, qui passe l'hiver à dormir, comme les marmottes. Il a les jambes basses, le cou court, la tête un peu grosse , la bouche garnie de moustaches des deux côtés, les oreilles grandes et presque sans poil, la queue courte et à demi nue, les yeux ronds et sor- tant de la tête, le poil mêlé de roux, de Jaune, de blanc et de noir : tout cela ne lui donne pas la figure fort revenante. Ses mœurs ne le rendent pas plus re- commandable. Il n'aime que son propre individu , et 1. Observations sur te rat de blé , par M. Sulzer. ( Gazette de Littéra- ture, i3 septembre 1774.) 1-8 ANliMAUX CARNASSIERS, n a pas une seule qualité sociale. Il attaque et dévore tous les autres animaux dont il peut se rendre maître, sans excepter ceux de sa propre race. L'instinct même qui le porte vers l'autre sexe ne dure que quelques jours, au bout desquels sa femelle n eprouveroit pas un meilleur sort si elle ne prenoit pas la précaution d'éviter la rencontre de son ingrat, ou de le prévenir et de le tuer la première. A ces qualités odieuses la nature a néanmoins su en allier d'autres , qui , sans rendre cet animal plus aimable, lui font mériter une place distinguée dans l'histoire naturelle des animaux. Il est du petit nombre de ceux qui passent l'hiver dans im état d'engourdissement, et le seul en Europe qui soit pourvu de bajoues. Son adresse à se pratiquer une demeure sous terre, et l'industrie avec laquelle il fait ses provisions d'hiver, ne méritent pas moins l'atten- tion des curieux. Le hamster n'habite pas indifférement dans toutes sortes de climats ou de terrains : on ne le trouve ni dans les pays Irop chauds , ni dans les pays trop froids. Comme il vit de grains, et qu il demeure sous terre, une terre pierreuse, sablonneuse, argileuse, lui con- vient aussi peu que les prés, les forêts , et les endroits bourbeux. Il lui faut un terroir aisé à creuser, qui néanmoins soit assez ferme pour ne point s'écrouler» Il choisit encore des contrées fertiles en toutes sor- to\s de graines, pour n'être pas obligé de chercher sa nourriture au loin , étant peu propre à faire de lon- guescourses. Les terresde Thuringe réunissant toutes ces qualités, les hamsters s'y trouvent en plus grand nombre que partout ailleurs. Le terrier que le hamster se creuse, à trois ou qua- LE HAMSTEK. 1 79 Ire pieds SOUS terre, consiste, pour l'ordinaire, en plus ou moins de chambres, selon l'âge de l'animal qui l'habite. La principale est tapissée de paille, et sert de logement; les autres sont destinées pour y conserver les provisions, qu'il ramasse en grande quantité dans le temps des moissons. Chaque terrier a deux trous ou ouvertures, dont celle par laquelle l'animal est arrivé sous terre descend obliquement ; l'autre, qui a été pratiquée du dedans en dehors, est perpendiculaire, et sert pour entrer et sortir. Les terriers des femelles , qui ne demeurent jamais avec les mâles , diffèrent des autres en plusieurs points. Dans ceux où elles mettent bas , on voit rare- ment plus qu'une chambre de provision, parce que le peu de temps que les petits demeurent avec la mère n'exige pas qu'elle amasse beaucoup de nourri- ture ; mais, au lieu d'un seul trou perpendiculaire , il y en a jusqu'à sept ou huit qui servent à donner une entrée et une sortie libres aux petits. Quelquefois la mère, ayant cliassé ses petits, reste dans ce terrier; mais, pour l'ordinaire, elle s'en pratique un autre, qu elle remplît d'autant de provisions que la saison lui permet d'en ramasser. Les hamsters s'accouplent la première fois vers la fin du mois d'avril, où les mâles se rendent dans les terriers des femelles, avec lesquelles ils ne restent cependant que peu de jours. S'il arrive que deux mâles, cherchant femelle, se rencontrent dans le même trou, il s'élève un combat furieux entre eux, qui , pour l'ordinaire , finit par la mort du plus foiblc. Le vainqueur s'empare de sa femelle ; et l'un et l'autre, qui dans tout autre temps se persécutent et s'entre ■ s8o ANIxMAUX CARNASSIERS. tuent, déposent îeiir férocité naturelle pendant le pcn de jours que durent leurs amours. Ils se défendent jiîême réciproquement contre les agresseurs. Quand on ouvre un terrier dans ce temps là , et que ia femelle .s'aperçoit qu'on veut lui enlever son mari , elle s e- lance sur le ravisseur, et lui fait souvent sentir la fu- reur de sa vengeance par des morsures profondes et douloureuses. Les femelles mettent bas deux ou trois fois par an; leur portée n'est jamais au dessous de six, et le plus souvent de seize à dix-huit petîls. La crue de ces ani- maux est fort prompte. A lage de quinze jours ils essaient déjà à creuser la terre : peu après la mère les oblige de sortir du terrier, de sorte qu'à l'âge d'en- viron trois semaines ils sont abandonnés à leur propre conduite. Cette mère montre en général fort peu de tendresse maternelle pour ses petits : elle qui, dans le temps de ses amours, défend si courageusement son mari , ne connoît que la fuite quand sa famille est menacée d'un danger ; son unique soin est de pour- voir à sa propre conservation. Dans cette vue, dès qu'elle se sent poursuivie , elle s'enfonce en creusant plus avant dans la terre; ce qu'elle exécute avec une célérité surprenante. Les petits ont beau la suivre, elle est sourde à leurs cris, et elle bouche même la re- traite qu elle s'est pratiquée. Le hamster se nourrit de toutes sortes d'herbes, de racines, et de grains, que les différentes saisons lui fournissent. Il s'accommode même très volontiers de la chair des autres animaux dont il devient le maî- tre. Comme il n'est pas fait pour les longues courses, il fait le premier fonds de son magasin par ce que luâ LE riAMSTEK. l8l preseiUont les champs voisins de son établissement ; ce cjui est la raison pourquoi l'on voit souvent quel- ques unes de ses chambres remplies d'une seule sorte de grains. Quand les champs sont moissonnés, il va chercher plus loin ses provisions, et prend ce qu'il trouve en chemin pour le porter dans son habitation et l'y déposer sans distinction. Pour lui faciliter le ti^ans- port de sa nourriture , la nature l'a pourvu de bajoues de cliaque côté de Tintérieur de la bouche. Ce sont deux poches membraneuses, lisses et luisantes on de- hors, et parsemées d'un grand nombre de glandes en dedans, qui distillent sans cesse une certaine humidité, pour les tenir souples et les rendre capables de résister aux accidents que des grains souvent roides et pointus pourroient causer. Chacune de ces bajoues peut con> tenir une once et demie do grains, que cet animal , de retour dans sa demeure , vide moyennant ses deux pieds de devant, qu'il presse extérieurement contre ses joues pour en faire sortir les grains. Quand on rencontre un hamster, ses poches remplies de provi- sions, on peut le prendre avec la main, sans risquer d'être mordu , parce que, dans cet état, il n'a pas le mouvement des mâchoireslibre; mais, pour peu qu'on Iwi laisse du temps, il vide promptemcnt ses poches et se met en défense. La quantité de provisions qu'on trouve dans les terriers varie suivant l'âge et îe sexe de l'animal qui les habite: les vieux hamsters amas- sent jusqu'à cent livres de grains; mais les jeunes et les femelles se contentent de beaucoup moins. Les uns et les autres s'en servent, non pour s'en nourrir pendant l'hiver, temps qu'ils passent à dormir et sans manger, mais pour avoir de quoi vivre après leuî' ré- r>l'FFO.\. XV. l82 ANIMAUX CAHNASSIERS. veil au printemps, et penJatil l'espace de temps qui précède leur engourdissement. A l'approche de l'hiver, les hamsters se retirent dans leurs habitations souterraines, dont ils bou- chent l'entrée avec soin ; ils y restent tranquilles et vivent de leurs provisions, jusqu'à ce que, le froid étant devenu plus sensible, ils tombent dans un état d'engourdissement semblable au sommeil le plus pro- fond. Quand , après ce temps là, on ouvre un terrier, qu'on reconnoît par un monceau de terre qui se tro?ive auprès du conduit oblique dont nous avons parlé, on y voit le hamster mollement couché sur un lit de paille menue et très douce. Il a la tète retirée sous le ventre, entre les deux jambes de devant; celles de derrière sont appuyées contre le museau. Les yeux sont fermés; et quand on veut écarter les paupières, elles se referment dans l'instant. Les membres sont roides comme ceux d'un animal mort ; et tout le corps est froid au toucher comme la glace. On ne remarque pas la moindre respiration ni autre signe de vie : ce n'est qu'en le disséquant dans cet état d'engourdissement qu'on voit le cœur se contrac- ter et se dilater; mais ce mouvement est si lent, qu'on peut compter à peine quinze pulsations dans une minute, au lieu qu'il y en a au moins cent cin- quante dans le même espace de temps lorsque l'ani- mal est éveillé. La graisse est comme figée; les intes- tins n'ont pas plus de chaleur que l'extérieur du corps, et sont insensibles à l'action de l'esprit-de-vin et même à l'huile de vitriol qu'on y verse , et ne mar- quent pas la moindre irritabilité. Quelque doulou- reuse que soit cette opération, l'animal ne paroît pas LE HAMSTER. uS5 la sentir beaucoup : il ouvre quelquefois la bouche, comme pour respirer, mais son engourdissement est trop fort pour s'éveiller entièrement. On a cru que la cause de cet engourdissement dé- pendoit uniquement d'un certain degré de froid en hiver. Cela peut être vrai à l'égard des loirs, des lé- rots, des chauve-souris; mais pour mettre le hamster dans cet état, l'expérience prouve qu'il faut encore que l'air extérieur n'ait aucun accès à l'endroit où il s'est retiré. On peut s'en convaincre en enfermant un hamster dans une caisse remplie de terre et de paille ; on aura beau l'exposer au froid le plus sensible de l'hiver et assez fort pour glacer l'eau, on ne parvien- dra jamais à le faire dormir; mais, dès qu'on met cette caisse à quatre ou cinq pieds sous terre, qu'il faut avoir soin de bien battre pour empêcher l'air ex- térieur d'y pénétrer, on le trouvera, au bout de huit ou dix jours, engourdi comme dans son terrier. Si l'on retire cette caisse de la terre , le hamster se ré- veillera au bout de quelques heures, et se rendor- mira de nouveau quand on le remet sous terre. On peut répéter cette expérience avec le même succès, aussi long-temps que le froid durera, pourvu qu'on y observe d'y mettre l'intervalle de temps nécessaire. Ce qui prouve encore que l'absence de l'air extérieur est une des causes de l'engourdissement du hamster, c'est que, retiré de son terrier au plus gros de l'hiver, il se réveille immanquablement au bout de quelqiies heures, quand on l'expose à l'air. Qu'on fasse cette expérience de jour ou de nuit, cela est indifférent, de sorte que la lumière n'y a aucune part. C'est un spectacle curieux de voir passer un ham- ] 84 A s I M A U X C A R N A S S I E ?. % . sler do roagottrclisscmenl au réveil. D'abord i! perd la roideur des membres ; ensuite il respire profondé- ment, mais par de longs intervalles; on remarque du mouvement dans les jambes ; il ouvre la bouche comme pour bâiller, et fait entendre des sons dés- agréables et semblables au râlement. Quand ce jeu a duré pendant; quelque temps , il ouvre enfin les yeux et tâche de se mettre sur les pieds; mais tous ses mouvements sont encore peu assurés et chancelants comme ceux d'un homme ivre. Il réitère cependant ses essais, jusqu'à ce qu'il parvienne à se tenir sur ses jambes. Dans cette attitude , il reste tranquille , comme pour se reconnoître et se reposer de ses fati- gues; mais peu à peu il commence à marcher, à man- ger et à agir comme iî faisoit avant le temps de son sommeil. Ce passage de l'engourdissement au réveil rlemande plus ou moins de temps, selon la tempéra- tiu^e de l'endroit où se trouve l'animal. Si on l'expose à un air sensiblement froid, il faut quelquefois plus de deux heures pour le faire éveiller; et dans un lieu plus tempéré, cela se fait en moins d'une heure. Il est vraisemblable que dans les terriers cette catastro- phe arrive imperceptiblenjent , et que l'animal ne sent aucune des incommodités qui accompagnent un «réveil forcé et subit. La vie du hamster est partagée entre les soins de satisfaire aux besoins naturels et la fureur de se bat- tre. Il paroit n'avoir d'autre passion que celle de la colère, qui le porte à attaquer tout ce qui se trouve en son chemin, sans faire attention à la supériorité des forces de l'ennemi. Ignorant absolument l'art de sauver sa vie en se retirant du combat, il se laisse LE HAMSTER. l85 plutôt assommer de coups de bâton que de céder. S'il trouve le moyen de saisir la main d'un homme , il faut le tuer pour se débarrasser de iui. La grandeur du cheval l'effraie aussi peu que l'adresse du chien. Ce dernier aime à lui donner la chasse : quand le hamster l'aperçoit de loin , il commence par vider ses poches, si par hasard il les a remplies de grains; en- suite il les enfle si prodigieusement, que la tête et le cou surpassent beaucoup en grosseur le reste du corps , enfin il se redresse sur ses jambes de derrière , et s'élance dans cette attitude sur l'ennemi; s'il l'at- trape , il ne le quitte qu'après l'avoir tué, ou perdu la vie : mais le chien le prévient pour l'ordinaire, en cherchant à le prendre par derrière et à l'étrangler. Cette fureur de se battre fait que le hamster n'est en paix avec aucun des autres animaux; il fait môme la guerre à ceux de sa race, sans en excepter la femelle. Quand deux hamsters se rencontrent, ils ne man- quent jamais de s'attaquer réciproquement, jusqu'à ce que le plus foible succombe sous les coups du plus fort, qui le dévore. Le combat entre un mâle et une femelle dure pour l'ordinaire plus long-temps que ce- lui de mâle à mâle. Ils commencent par se donner la chasse et se mordre ; ensuite chacun se retire d'un autre côté , comme pour prendre haleine : peu après, ils renouvellent le combat, et continuent à se fuir et à se battre , jusqu'à ce que l'un ou l'autre succoiube. Lq vaincu sert toujours de repas au vainqueur. l8t) ANIMAUX «ARNASSIEllS, LE COGHON-D'INDE\ Cavia Cobaia. Gmel. Ce petit animal, originaire des climats chauds du Brésil et de la Guinée, ne laisse pas de vivre et de produire dans le climat tempéré, et même dans les pays froids, en le soignant et le mettant à l'abri de l'intempérie des saisons. On élève des cochons-d'Inde en France; et quoiqu'ils multiplient prodigieusement, ils n'y sont pas en grand nombre, parce que les soins qu'ils demandent ne sont pas compensés par le profit qu'on en tire. Leur peau n'a presque aucune valeur, et leur chair, quoique mangeable, n'est pas assez bonne pour être recherchée : elle seroit meilleure si on les élevoit dans des espèces de garennes où ils au- roient de l'air, de l'espace, et des herbes à choisir. Ceux qu'on garde dans les maisons ont à peu près le même mauvais goût que les lapins clapiers, et ceux qui ont passé l'été dans un jardin ont toujours un goût fade, mais moins désagréable. Ces animaux sont d'un tempérament si précoce et si chaud, qu'ils se recherchent et s'accouplent cinq ou six semaines après leur naissance : ils ne prennent cependant leur accroissement entier qu'en huit ou neuf mois ; mais il est vrai que c'est en grosseur appa- 1. En allemand, Indianisch kùnele, îndisch seule, meer-ferckel, Ttieersehwein ; en anglois, Guinj-pig. LE GOGH ON-d' INDE. 187 rente et en graisse qu'ils augmentent le plus, et que le développement des parties solides est fait avant l'âge de cinq ou six mois. Les femelles ne portent que trois semaines, et nous en avons vu mettre bas à deux mois d'âge. Ces premières portées ne sont pas si nom- breuses que les suivantes; elles sont de quatre ou cinq, la seconde portée est de cinq ou six, et les au- tres de sept ou huit, et même de dix ou onze. La mère n'allaite ses petits que pendant douze ou quinze jours, elle les chasse dès qu'elle reprend le mâle; c'est au plus tard trois semaines après qu'elle a mis bas; et s'ils s'obstinent à demeurer auprès d'elle, leur père les maltraite et les tue. Ainsi ces animaux pro- duisent au moins tous les deux mois, et ceux qui viennent de naître produisant de même, l'on est étonné de leur prompte et prodigieuse multiplica- tion. Avec un seul couple, on pourroit en avoir un millier dans un an; mais ils se détruisent aussi vite qu'ils pullulent : le froid et l'humidité les font mou- rir; ils se laissent manger par les chats sans se dé- fendre : les mères mêmes ne s'irritent pas contre eux; n'ayant pas le temps de s'attacher à leurs petits , elles ne font aucun effort pour les sauver. Les mâles se soucient encore moins des petits, et se laissent man- ger eux-mêmes sans résistance : ils n'ont de senti- ment bien distinct que celui de l'amour ; ils sont alors susceptibles de colère, ils se battent cruellement, ils se tuent même quelquefois entre eux, lorsqu'il s'agit de se satisfaire et d'avoir la femelle. Ils passent leur vie à dormir, jouir et manger : leur sommeil est court, mais fréquent ; ils mangent à toute heure du jour et de la nuit, et cherchent à jouir aussi souvent qu'ils l88 ANIMAUX CARNASSIERS. i¥iani;ent. Ils ne boivent janiais, et cependant ils uri- nent à tout moment. Ils se nourrissent de toutes sor- tes d'herbes, et surtout de persil, ils le préfèrent même au son, à la farine, au pain; ils aiment aussi beaucoup les pommes et les autres fruits. Ils man- gent précipitamment, à peu prés comme les lapins, peu à la fois, mais très souvent. Ils ont un grogne- ment semblable à celui d'un petit cochon de lait : ils ont aussi une espèce de gazouillement qui marque leurs plaisirs lorsqu'ils sont auprès de leur femelle , et un cri fort aigu lorsqu'ils ressentent de la douleur. Ils sont délicats, frileux, et l'on a de la peine à leur faire passer l'hiver; il faut les tenir dans un endroit sain, sec et chaud. Lorsqu'ils sentent le froid, ils se rassemblent et se serrent les uns contre les autres, et il arrive souvent que, saisis par le froid, ils meurent tous ensemble. Ils sont naturellement doux et privés, ils ne font aucun mal; mais ils sont également inca- pables de bien , ils ne s'attachent point : doux par tempérament, dociles par foiblesse , presque insen- sibles à tout, ils ont l'air d'automates montés pour la propagation , faits seulement pour figurer une espèce. LA MUSABAIGNE\ MurS araneus. L. La musaraigne semble faire une nuance dans Tor- dre des petits animaux, et remplit l'intervalle qui se 1. En latin, mus araneus, mus cœcus; en italien, toporagno ; en es pagaol, murganho; en allemand, muger, spignus, zismus , spitzmans-. LA MUSARAIGNE. 1 89 houve entre le rat et la taupe, qui, se ressemblant par leur petitesse, diffèrent beaucoup par la forme, et sont en tout d'espèces très éloignées. La musarai- gne, plus petite encore que la souris, ressemble à la taupe par le museau , ayant le nez beaucoup plus allongé que les mâchoires; par les yeux, qui, quoi- que un peu plus gros que ceux de la taupe, sont ca- chés de même, et sont beaucoup plus petits que ceux de la souris; par le nombre des doigts, dont elle a cinq à tous les pieds; par la queue, par les jambes, surtout celles de derrière, qu'elle a plus courtes que la souris; par les oreilles, et enfin par les dents. Ce très petit animal a une odeur forte qui lui est particu- lière , et qui répugne aux chats; ils chassent, ils tuent la musaraigne , mais ils ne la mangent pas comme la souris. C'est apparemment cette mauvaise odeur et cette répugnance des chats qui a fondé le préjugé du venin de cet animal , et sa morsure dange- reuse pour le bétail, surtout pour les chevaux : ce- pendant il n'est ni venimeux, ni môme capable de mordre ; car il n'a pas l'ouverture de la gueule assez grande pour pouvoir saisir la double épaisseur de la peau d'un autre animal, ce qui cependant est absolu- ment nécessaire pour mordre ; et la maladie des che- vaux que le vulgaire attribue à la dent de la musarai- gne est une enflure , une espèce d'anthrax , qui vient d'une cause interne, et qui n'a nul rapport avec la morsure , ou , si l'on veut , la piqûre de ce petit ani- mal. Il habite assez communément, surtout pendant l'hiver, dans les greniers à foin, dans les écuries, dans haseimaus; ou anglois, shrciv, shrew-mouse, hardy-shrew; en ancien frauçois, mascrain, miizeraignc , musct , musetre ^ sery, sri. igo AKÏMALX GAlliXASSlERS. les granges, dans les cours à fumier; il mange du grain, des insectes, et des chairs pourries : on le trouve aussi fréquemment à la campagne, dans les bois, où il vit de graines; et il se cache sous la mousse, sous les feuilles. sou*s les troncs d'arbres, et quelquefois dans les trous abandonnés par les taupes, ou dans d'autres trous phis petits qu'il se pratique lui- même en fouillant avec les ongles et le museau. La musaraigne produit en grand nombre, autant, dit- on, que la souris, quoique moins fréquemment. Elle a le cri beaucoup plus aigu que la souris, mais elle n'est pas aussi agile à beaucoup près. On la prend ai- sément, parce qu'elle volt et court mal. La couleur ordinaire de la musaraigne est d'un brun mêlé de roux; mais il y en a aussi de cendrées, de presque noires, et toutes sont plus ou moins blanchâtres sous le ventre. Elles sont très communes dans toute l'Eu- rope; mais il ne paroît pas qu'on les retrouve en Amé- rique. L'animal du Brésil dont Marcgrave parle sous le nom de musaraigne ^ qui a, dit-il, le museau très pointu, et trois bandes noires sur le dos, est plus gros, et paroît être d'une autre espèce que notre mu- saraigne. LA MUSARAIGNE D'EAU. Mus fodiens. L. Comme cet animal, quoique naturel à ce climat, n'étoit connu d'aucun naturaliste, et que c'est M. Dau- benton qui le premier en a fait la découverte, nous renvoyons entièrement ce que l'on en peut dire à la Tome i5^ PaxL^xiet.scolp , lLAl..rDS ARi^JGl^TE D'E AU_ S.J.AMDSAPJ^&iœ îvHJ Sg"D£EDE I.'H^DE _3 LE LOIR LA MUSARAIGNE. IQl description très exacte qu'il en donne. J'aurai souvent occasion d'en user de même dans la suite de cet ou- vrage, attendu la diligence infinie avec laquelle il recherche les animaux, et les découvertes qu'il a faites de plusieurs espèces auparavant inconnues, ou con- fondues avec celles que l'on connoissoit. Tout ce que je puis assurer au sujet de la musaraigne d'eau, c'est qu'on la prend à la source des fontaines, au lever et au coucher du soleil, que dans le jour elle reste ca- chée dans des fentes de rochers ou dans des trous sous terre, le long des petits ruisseaux; qu'elle mel bas au printemps, et qu'ordinairement elle produit neuf petits. LA MUSARAIGNE MUSQUÉE DE L'INDE. Sorex indiens. Geoff. Cette musaraigne, apportée de Pondichéry par M. Sonnerat, est beaucoup plus grande que la musa- raigne de notre pays, qui n'a que deux pouces onze lignes, au lieu que celle-ci a cinq pouces deux lignes, le corps étendu. Elle a la tête longue et pointue ; le nez est effilé , el la mâchoire supérieure avance sur l'inférieure; les narines sont petites, et le bout du nez est séparé comme par deux petits tubercules; les yeux sont si petits, qu'on a peine à les apercevoir. Lesoreilles sont courtes, rondes, nues, etsanspoil. Les poils des moustaches et ceux du dessus des yeux sont grisâtres; et les plus grands ont sept lignes de longueur. 1()2 7V^'IMAUX CAKJNASSIEUS. Les jambes sont petites et courtes; il y a cinq doigts à tous les pieds. La qnene a un pouce huit lignes de longueur ; elle est couverte de petits poils courts, et parsemée de grands poils fuis et grisâtres. La couleur du poil de cet animal est d'un gris de souris ou d'ardoise clair, teint de roussâtre qui do- mine sur le nez, le dos, et la queue. Cette musaraigne, qui, à beaucoup d'égards, res- semble à la musaraigne d'Europe, a une odeur de musc si forte, qu'elle se fait sentir dans tous les en- droits où elle passe. Elle habile dans les champs; mais elle vient aussi dans les maisons. LE L01R\ Myoœus Glis. G31EL. INous connoissons trois espèces de loirs, qui, comme la marmotte, dorment pendant l'hiver : le loir, le lérot, et le muscardin. Le loir est le plus gros des trois, le muscardin est le plus petit. Plusieurs au- teurs ont confondu l'une de ces espèces avec les deux autres, quoiqu'elles soient toutes trois très distinctes, et par conséquent très aisées à reconnoître et à dis- 1. En latin, glis; en italien , galero, gliero , ghiro; en espagnol, Uron; en allemand, scebensdilafer, selon Klein, et greul en quelques endroits d'Allemagne, selon Gesuer; envieux françois, Uron, ratU- 9un , ral-vcule. LE LOin. 190 lin^iier. Le loir est à pou près de la grandeur de i'é- cureuil ; il a, comme lui, !a queue couverte de longs poils : le lérot n'est pas si gros que le rat ; il a la queue couverte de poils très courts, avec un bouquet de poils longs à l'extrémité : le muscardin n'est pas plus gros que la souris; il a la queue couverte de poils plus longs que le lérot, mais plus courts que le loir, avec un gros bouquet de longs poils à l'extrémité. Le lérot diffère des deux autres par les marques noires qu'il a près des yeux, et le muscardin par la couleur blanche de son poil sur le dos. Tous trois sont blancs ou blan- châtres sous la gorge et le ventre; mais le lérot est d'un assez beau blanc, le loir n'est que blanchâtre, et le muscardin est plutôt jaunâtre que blanc dans toutes les parties inférieures. C'est improprement que l'on dit que ces animaux dorment pendant l'hiver : leur état n'est point celui d'un sommeil naturel; c'est une torpeur, un engour- dissement des membres et des sens, et cet engour- dissement est produit par le refroidissement du sang. Ces animaux ont si peu de chaleur intérieure, qu'elle n'excède guère celle de la température de l'air. Lors- que !a chaleur de l'air est, au thermomètre, de dix degrés au dessus de la congéJation, celle de ces ani- maux n'est aussi que de dix degrés. Nous avons plongé la boule d'un petit thermomètre dans le corps de plusieurs lérots vivants; la chaleur de l'intérieur de leur corps étoit à peu près égale à la température de l'air; quelquefois môme le thermomètre plongé, et, pour ainsi dire, appliqué sur le cœur, a baissé d'un demi-degré ou d'un degré, la température de l'air étant à onze. Or l'on sait que la chaleur de l'homme, ,qA ANIMAUX CAÎÎNASSIERS. et de la plupart des animaux qui ont de la chair et du sang, excède en tout temps trente degrés : il n'est donc pas étonnant que ces animaux, qui ont si peu de chaleur en comparaison des autres, tombent dans l'engourdissement dès que cette petite quantité de chaleur intérieure cesse d'être aidée par la chaleur extérieure de l'air; et cela arrive lorsque le thermo- mètre n'est plus qu'à dix ou onze degrés au dessus de la congélation. C'est là la vraie cause de l'engour- dissement de ces animaux; cause que l'on ignoroit, et qui cependant s'étend généralement sur tous les animaux qui dorment pendant l'hiver : car nous l'a- vons reconnue dans les loirs, dans les hérissons, dans les chauve-souris; et quoique nous n'ayons pas eu occasion de l'éprouver sur la marmotte, je suis per- suadé qu'elle a le sang froid comme les autres, puis- qu'elle est, comme eux, sujette à l'engourdissement pendant l'hiver. Cet engourdissement dure autant que la cause qui le produit, et cesse avec le froid : quelques degrés de chaleur au dessus de dix ou onze suffisent pour ra- nimer ces animaux ; et si on les tient pendant l'hiver dans un lieu bien chaud, ils ne s'engourdissent point du tout; ils vont et viennent, ils mangent et dorment seulement de temps en temps comme tous les autres animaux. Lorsqu'ils sentent le froid, ils se serrent et se mettent en boule pour offrir moins de surface à l'air, et se conserver un peu de chaleur : c'est ainsi qu'on les trouve en hiver dans les arbres creux, dans les trous des murs exposés au midi; ils y gisent en boule, et sans aucun mouvement, sur de la mousse et des feuilles. On les prend, on les tient, on les roule sans LK foir.. 195 qu'ils remnont, sans qu'ils s'étendenl ; rien no peut les faire sortir de leur engourdissement qu'une cha- leur douce et graduée : ils meurent lorsqu'on les met tout à coup près du feu ; il faut, pour les dégourdir, les en approcher par degrés. Quoique dans cet état ils soient sans aucun mouvement, qu'ils aient les yeux fermés et qu'ils paroissent privés de tout usage des sens, ils sentent cependant la douleur lorsqu'elle est très vive; une blessure , une brûlure leur fait faire un mouvement de contraction et un petit cri sourd qu'ils répètent même plusieurs fois ; la sensibilité iutérieure subsiste donc aussi bien que l'action du cœur et des poumons. Cependant il est à présumer que ces mouvements vitaux ne s'exercent pas dans cet état de torpeur avec la même force, et n'agissent pas avec la même puissance que dans l'état ordinaire; la circulation ne se fait probablement que dans les plus gros vaisseaux, la respiration est foible et lente, les sécrétions sont très peu abondantes, les déjec- tions nulles : la transpiration est presque nulle aussi, puisqu'ils passent plusieurs mois sans manger; ce qui ne pourroitêtre, si dans ce temps de diète ils perdoient de leur substance autant, à proportion, que dans les autres temps où ils la réparent en prenant de la nour- riture. Ils en perdent cependant, puisque dans les hivers trop longs ils meurent dans leurs trous. Peut- être aussi n'est-ce pas la durée, mais la rigueur du froid, qui les fait périr; car lorsqu'on les expose à une forte gelée, ils meurent en peu de temps. Ce qui me feroit croire que ce n'est pas la trop grande dé- perdition de substance qui les fait mourir dans les grands hivers, c'est qu'en automne ils sont excessive- igG A.M^ÎALX Cy\RN ASSIElî.S. ment i^ra^. cl qu'ils le sont encore lorsqu'ils se rani- ment au printemps : celte abondance de graisse est une nourriture intérieure qui suffit pour les entrete- nir et pour suppléer à ce qu'ils perdent par la trans- piration. Au reste, comme le froid est la seule cause de leur engourdissement, et qu'ils ne tombent dans cet état que quand la lempéralure de l'air est au dessus de dix ou onze degrés, il arrive souvent qu'ils se rani- ment même pendant l'hiver; car il y a des heures, des jours, et même des suites de jours, dans cette saison, où la liqueur du thermomètre se soutient à douze, treize, quatorze, etc. , degrés, et pendant ce temps doux les loirs sortent de leurs trous pour cher- cher à vivre, ou plutôt ils mangent les provisions qu'ils ont ramassées pendant l'automne, et qu'ils y ont transportées. Aristote a dit, et tous les natura- listes ont dit après Aristote , que les loirs passent tout l'hiver sans manger, et que dans ce temps même de dièle ils deviennent extrêmement gras, que le som- meil seul les nourrit plus que les aliments ne nour- rissent les autres animaux. Le fait non seulement n'est pas vrai, mais la supposition même du fait n'est pas possible. ]^e loir, engourdi pendant quatre ou cinq mois, ne pourroit s'engraisser que de l'air qu'il res- pire. Accordons si l'on veut, et c'est beaucoup trop accorder, qu'une partie de cet air se tourne en nour- riture : en résultera-t-il une augmentation si consi- dérable? cette nourriture si légère pourra-t-elle même suffire à la déperdition continuelle qui se fait par la transpiration ? Ce qui a pu faire tomber Aristote dans cvWc erreur, c'est qu'en Grèce, où les hivers sont LE LOIR. 197 tempérés, les loirs ne dorment pas contînuelîement, et que, prenant de la nourriture, peut-être abon- damment, toutes les fois que la chaleur les ranime, il les aura trouvés très gras, quoique engourdis. Ce qu'il y a de vrai, c'est qu'ils sont gras en tout temps, et plus gras en automne qu'en été : leur chair est as- sez semblable à celle du cochon-d'înde. Les loirs fai- soient partie de la bonne chère chez les Romains ; ils en élevoient en quantité. Varron donne la manière défaire des garennes de loirs, et Apicius celle d'en faire des ragoûts. Cet usage n'a point été suivi, soit qu'on ait eu du dégoût pour ces animaux parce qu'ils ressemblent aux rats, soit qu'en efl'et leur chair ne soit pas de bien bon goût. J'ai oui dire à des paysans qui en avoient mangé qu'elle n'étoit guère meilleure que celle du rat d'eau. Au reste, il n'y a que le loir qui soit mangeable; le lérot a la chair mauvaise et d'une odeur désagréable. Le loir ressemble assez à l'écureuil par les habitu- des naturelles; il habite, comme lui, les forêts, il grimpe sur les arbres, saute de branche en branche, moins légèrement, à la vérité, que l'écureuil, qui a les jambes plus longues, le ventre bien moins gros, et qui est aussi maigre que le loir est gras : cependant ils vivent tous deux des mêmes aliments; de la faîne, des noisettes, de la châtaigne, d'autres fruits sauva- ges, font leur nourriture ordinaire. Le loir mange aussi de petits oiseaux qu'il prend dans les nids. 11 ne fait point de bauge au dessus des arbres comme l'écureuil; mais il se fait un lit de mousse dans le tronc de ceux qui sont creux : il se gîte aussi dans les fentes des rochers élevés, et toujours dans des lieux secs; BUFFOIV. XV. l3 iq8 animaux carnassiers. il caintrhumidité, boit peu, et descend rarement k terre; il diffère encore de l'écureuil, en ce que celui- ci s'apprivoise, et que l'autre demeure toujours sau- vage. Les loirs s'accouplent sur la fm du printemps; ils font leurs petits en été; les portées sont ordi- nairement de quatre ou de cinq : ils croissent vite , et l'on assure qu'ils ne vivent que six ans. En Italie , où l'on est encore dans l'usage de les manger, on fait des fosses dans les bois, que l'on tapisse de mousse, qu'on recouvre de paille, et où l'on jette de la faîne : on choisit un lieu sec à l'abri d'un rocher exposé au midi ; les loirs s'y rendent en nombre , et on les y trouve engourdis vers la fin de l'automne, c'est le temps où ils sont les meilleurs à manger. Ces petits animaux sont courageux, et défendent leur vie jusqu'à la dernière extrémité : ils ont les dents de devant très longues et très fortes; aussi mordent-ils violemment : ils ne craignent ni la be- lette, ni les petits oiseaux de proie; ils échappent au renard, qui ne peut les suivre au dessus des arbres : leurs plus grands ennemis sont les chats sauvages et les martes. Cette espèce n'est pas extrêmement répandue : on ne la trouve point dans les climats très froids, comme la Laponie, la Suède; du moins les natura- listes du nord n'en parlent point; l'espèce de loir qu'ils indiquent est le muscardin, la plus petite des trois. Je présume aussi qu'on ne les trouve pas dans les climats très chauds, puisque les voyageurs nen font aucune mention. 11 n'y a que peu ou point de loirs dans les pays découverts, comme l'Angleterre; il leur faut un climat tempéré et un pays couvert de ■m P14i Tome; Panquet.scTilp 1 LELER0T_2 LELEROT^QUEUE DOkÉE— 3. LE HERISSOIT LE LOIR. K)C) bois : on en trouve en Espagne , en France, en Grèce , en Italie, en Allemagne, en Suisse, où ils habitent dans les forêts, sur les collines, et non pas au dessus des hautes montagnes, comme les marmottes, qui, quoique sujettes à s'engourdir parle froid, semblent chercher la neige et les frimas. h^g»»»8'»&9»9.ao0»»<>»0»»»0>8'9»»»ei8!>-9 »&»<^9ta»»»9»M»»frO«9«'=.«>«i'»«««<8>e-&«.9«pa> !k8•^ LA TAUPE\ Taipa europœa. L* La taupe, sans être aveugle, aies yeux si petits, si couverts, qu'elle ne peut faire grand usage du sens de la vue : en dédommagement la nature lui a donné avec magnificence l'usage du sixième sens, un appa- reil remarquable* de réservoirs et de vaisseaux, une quantité prodigieuse de liqueur séminale, des testi- cules énormes, le membre génital excessivement long; tout cela secrètement caché à l'intérieur, et par con- séquent plus actif et plus chaud. La taupe, à cet égard, est de tous les animaux le plus avantageusement doué, le mieux pourvu d'organes, et par conséquent de sensations qui y sont relatives : elle a de plus le toucher délicat; son poil est doux comme la soie : elle a l'ouïe très fine , et de petites mains à cinq doigts, bien différentes de l'extrémité des pieds des autres ani- maux^ et presque semblables aux mains de l'homme; beaucoup de force pour le volume de son corps, le cuir ferme, un embonpoint constant, un attache- ment vif et réciproque du mâle et de la femelle, de la crainte ou du dégoût pour tout autre société, les douces habitudes du repos et de la solitude; l'art de se 1. En latin , talpa ; en italien , talpa; en espagnol, topo; en alte> niand, midxverf , mautwurf; en anglois, rnote, molewarp , wani. BUFFON. XV. *4 2i4 ANIMAUX CARNASSIERS. inettfe en sûreté, de se faire en nn instant un asile, un domicile; la facilité de l'étendre, et d'y trouver, sans en sortir, une abondante subsistance. Voilà sa nature, ses mœurs, et ses talents, sans doute préférables à des qualités plus brillantes et plus incompatibles avec le bonheur que l'obscurité la plus profonde. Elle ferme l'entrée de sa retraite, n'en sort presque jamais qu'elle n'y soit forcée par l'abondance des pluies d'été, lorsque l'eau la remplit, ou lorsque le pied du jardinier en affaisse le dôrae. Elle se prati- que une voûte en rond dans les prairies, et assez or- ' dinairement un boyau long dans les jardins, parce qu'il y a plus de facilité à diviser et à soulever une terre meuble et cultivée qu'un gazon ferme et tissu de racines : elle ne demeure ni dans la fange ni dans les terrains durs, trop compactes ou trop pierreux; il lui faut une terre douce, fournie de racines succu- lentes, et surtout bien peuplée d'insectes et de vers, dont elle fait sa principale nourriture. Comme les taupes ne sortent que rarement de leur domicile souterrain, elles ontpeu d'ennemis, et échap- pent aisément aux animaux carnassiers : leur plus grand fléau est le débordement des rivières; on les voit dans les inondations fuir en nombre à la nage, et faire tous leurs efforts pour gagner les terres plus élevées : mais la plupart périssent aussi bien que leurs petits, qui restent dans les trous; sans cela les grands talents qu'elles ont pour la multiplication nous de- viendroient trop incommodes. Elles s'accouplent vers la fin de l'hiver; elles ne portent pas long-temps, car on trouve déjà beaucoup de petits au mois de mai : il y en a ordinairement quatre ou cinq dans LA TAUPE. <>l5 chaque portée, et il est assez aisé de distinguer, parjDi les mottes qu'elles élèvent, celles sous les-^ quelles elles mettent bas : ces mottes sont faites avec beaucoup d'art, et sont ordinairement plus grosses et plus élevées que les autres. Je crois que ces ani- maux produisent plus d'une fois par an, mais je ne puis l'assurer; ce qu'il y a de certain, c'est qu'on trouve des petits depuis le mois d'avril jusqu'au mois d'août : peut-être aussi que les unes s'accouplent plus tard que les autres. Le domicile où elles font leurs petits mériteroit une description particulière : il est fait avec une in- telligence singulière. Elles commencent par pousser, par élever la terre et former une voûte assez élevée; elles laissent des cloisons, des espèces de piliers de distance en distance; elles pressent et battent la terre, la mêlent avec des racines et des herbes, et la ren- dent si dure et si solide par desssous, que l'eau ne peut pénétrer la voûte à cause de sa convexité et de sa solidité; elles élèvent ensuite un tertre par des- sous, au sommet duquel elles apportent de l'herbe et des feuilles pour faire un lit à leurs petits : dans cette situation, ils se trouvent au dessus du niveau du terrain, et par conséquent à l'abri des inondations ordinaires, et en même temps à couvert de la pluie par la voûte qui recouvre le tertre sur lequel ils re- posent. Ce tertre est percé tout autour de plusieurs trous en pente, qui descendent plus bas et s'éten- dent de tous côtés, comme autant de routes souter- raines par où la mère taupe peut sortir et aller cher- cher la subsistance nécessaire à ses petits; ces sentiers souterrains sont fermés et battus, s'étendent à douze «2 1 6 ANIMAUX CAKXÀSSIERS. OU quinze pas, et partent tous du domicile comm.? des rayons d'un centre. On y trouve , aussi bien que sous la voûte, des débris d'ognons de colchique, qui sont apparemment la première nourriture qu'elle donne à ses petits. On voit bien, par celte disposition, qu'elle ne sort jamais qu'à une distance peu consi- dérable de son domicile, et que la manière la plus simple et la plus sure de la prendre avec ses petits est de faire autour une tranchée qui l'environne en en- tier et qui coupe toutes les commuaications ; mais comme la taupe fuit au moindre bruit, et qu'elle tâ- che d'emmener ses petits, il faut trois ou quatre hommes qui, travaillant ensemble avec la bêche, en- lèvent la motte tout entière ou fassent une tranchée presque dans un moment, et qui ensuite les saisis- sent ou les attendent aux issues. Quelques auteurs ont dit mal à propos que la taupe et le blaireau dormoient sans manger pendant l'hiver entier. Le blaireau, comme nous l'avons dit, sort de son trou en hiver comme en été, pour chercher sa subsistance, et il est aisé de s'en assurer par les traces qu'il laisse sur la neige. La taupe dort si peu pendant tout l'hiver, qu'elle pousse la terre comme en été, et que les gens de la campagne disent, comme par pro- verbe : Les taupes poussent^ le dégel n'est pas loin. Elles cherchent, à la vérité, les endroits les plus chauds; les jardiniers en prennent souvent autour de leurs couches aux mois de décembre, de janvier, et de février. La taupe ne se trouve guère que dans les pays cul- tivés; il n'y en a point dans les déserts arides ni dans les climats froids, où la terre est gelée pendant la LA TAUPE. 217 plus grande partie de l'année. L'animal qu'on a ap- pelé taupe de Sibérie^ qui a le poil vert et or, est d'une espèce différente de nos taupes, qui ne sont en abondance que depuis la Suède jusqu'en Barbarie; car le silence des voyageurs nous fait présumer qu'elles ne se trouvent point dans les climats plus chauds. Celles d'Amérique sont aussi différentes : la taupe de Virginie est cependant assez semblable à la nôtre, à 3'exception de la couleur du poil, qui est mêlé de pourpre foncé ; mais la taupe rouge d'Amérique est lUi autre animal. 11 y a seulement deux ou trois va- riétés dans l'espèce commune de nos taupes; on en trouve de plus ou moins brunes et de plus ou moins noires : nous en avons vu de ton tes blanches, et Seba fait mention et donne la figure d'une taupe tachée » lant de la taupe du Cap , voici comment il s'ex- » prime : » Il y a des taupes au Cap^ et même en fort grande » quantité j qui ressemblent j, à tous égards^ à celles que >» nous avons en Europe; ainsi je n'ai rien à dire sur » ce sujet, » Il au roi t donc pu se passer d'en faire un article » où il n'est question que du piège qu'on leur tend, » en lui faisant tirer une corde qui fait partir un coup » de fusil qui les tue ; et môme encore je doute qu'on » se donne la peine de faire tant d'appareil pour un » aussi petit animal que cette taupe : le piège paroît » plutôt être tendu pour une autre taupe dont il sera » question dans l'article suivant, mais dont Kolbe » n'aura connu que le nom. Cependant il seroit dan- » gereux de prendre ces animaux avec la main; ils » sont méchants et mordent bien fort. LA TAUPE. i)a5 » M. de BuiFoii , dans l'article intéressant qu'il a y donné de la taupe ordinaire , a remarqué que , pour » la dédommager du sens de la vue, dont elle est » presque privée, la nature lui a accordé avec ma- » gnificence les organes qui servent à la génération. » La taupe du Cap auroit besoin du même dédom- » magement; mais j'ignore si la nature a été si libé- » raie à son égard. » Dans le journal d'un voyage entrepris par l'ordre » du gouvernement du Gap, il est dit, dans une note *> de l'éditeur, que cette taupe ressemble plus au » hamster qu*à tout autre animal de l'Europe. Je ne » comprends pas où l'auteur de cette note trouve la 3 ressemblance. Si l'on compare la figure de cette » taupe avec celle du hamster, je doute qu'on trouve » aucun rapport entre elles. » TAUPE DE PENSYLVANIE. « Il y a, dit M. Kalm , en Pensylvanie, une espèce y> de taupe qui se nourrit principalement de racines. » Cet animal se creuse dans les champs de petites » allées souterraines, qui se prolongent en formant » des détours et des sinuosités.... 11 a dans les pattes » plus de force et de roideur que beaucoup d'autres » animaux, à proportion de leur grandeur..... Pour » creuser la terre, il se sert de ses pieds comme des !î avirons. » M. Kalm en mit un dans son mouchoir; il s'aperçut qu'en moins d'une minute il y avoit fait quantité de petits trous, qui avoient l'air d'avoir été percés avec un poinçon Il étoit très méchant; et dès que l'on mettoit ou qu'il trouvoit quelque chose 2 24 ANIMAUX CARNASSIERS. sur son passage, il y faisoit tout de suite, en nior- danl, de grands trous. «Je lui présentai, dit M. Ralm, » mon é-critoire, qui étoit d'acier : il commença d'a- » bord à la mordre ; mais il fut bientôt rebuté par la » dureté du métal, et ne voulut mordre après au- » cune des choses qu'on lui présentoit. Cet animal » n'élève pas la terre en dôme , comme les taupes » d'Europe ; il se fait seulement de petites allées » sous terre. » Ces indications ne sont pas suffisantes pour donner connoissance de cet animal , ni même pour décider s'il est vraiment du genre des taupes. LA TAUPE ROUGE D'AMÉRIQUE. Taipa rubra. L. La première espèce est la taupe d'Amérique , qui a le poil roux mêlé de cendré clair, et qui n'a pas les pieds conformés comme ceux de la taupe d'Europe, n'ayant que trois doigts aux pieds de devant, et quatre à ceux de derrière, qui sont à peu près égaux, tandis que ceux des pieds de devant sont très iné- gaux, le doigt extérieur étant beaucoup plus long que les deux autres, et armé d'un ongle plus fort et plus crochu ; le second doigt est plus petit , et le troisième l'est encore beaucoup. J'ai dit à ce sujet que cette prétendue taupe étoit un autre animal que notre taupe d'Europe , et je crois devoir persister dans cette opinion, jusqu'à ce qu'elle ait été mieux ol>scrvée et décrite plus en détail. PI 43 Terne i5 P âLaoTLe t.scxlp 1 LAÏAUPE DU CA1IADA_2 LE lvrUSCAHDnT_3 LAMAPlvIOTTE LA TAIÎPK. 225 LA GRAINDE TAUPE D'AFRIQUE. Mus maritinius. Gmel. Une seconde espèce est la taupe du cap de Bonne- Espérance, dont nous avons fait mention pa^^e 210. Ces taupes d'Afrique, suivant M. Tabbé de La Gailie, sont plus grosses que celles d'Europe, et sont si nombreuses dans les terres du Cap , qu'elles y for- ment des trous et des élévations en si graud nombre, qu'on ne peut les parcourir à cheval sans courir risque de broncher à chaque pas. LA TAUPE DE CANADA. Sorcx cristatus. L. Une troisième espèce est celle que M. de La Faille a fait graver à la suite de son mémoire, et de laquelle nous donnons ici la figure (planche 18). M. de La Faille dit qu'elle se trouve au Canada, et qu'elle n'a été indiquée par aucun auteur; et voici la courte description qu'il en donne. « Ce quadrupède n'a de la taupe vulgaire que quel- » ques parties; dans d'autres, il porte un caractère » qui les rapproche beaucoup plus de la classe des » rats; il en a la forme et la légèreté ; sa queue, » longue de trois pouces, est noueuse et presque » nue, ainsi que ses pieds, qui ont chacun cinq » doigts; ils sont défendus par de petites écailles v>) brunes et blanches , qui n'en couvrent que la partie 2^6 ANIMAUX CARNASSIERS. y> supérieure. Cet animal est plus élevé de terre et 3) moins rampant que la taupe d'Europe ; il a le corps » effilé et couvert d'un poil noir, grossier, moins » soyeux et plus long ; il a aussi les mains moins » fortes et plus délicates Les yeux sont cachés » sous le poil. Le museau est relevé d'une moustache » qui lui est particulière, et ce museau n'est pas » pointu , ni terminé par un cartilage propre à fouil- » 1er la terre; mais il est bordé de muscles charnus » et très déhés , qui ont l'air d'autant d'épines : toutes » ces pointes sont nuancées d'une belle couleur de » rose , et jouent à la volonté de l'animal , de façon » qu'elles se rapprochent et se réunissent au point » de ne former qu'un corps aigu et très délicat ; » quelquefois aussi ces muscles épineux s'ouvrent et y> s'épanouissent à la manière du calice des fieurs; ils » enveloppent et renferment le conduit nasal, auquel » ils servent d'abri, 11 seroit difficile de décider à » quels autres usages qu'à fouiller la terre cet animal » fait servir une partie aussi extraordinaire » Cette taupe se trouve au Canada, où cependant elle » n'est pas fort commune. Comme elle est forcée de » passer la plus grande J^artie de sa vie sous la neige , » elle s'accoutume probablement à vivre en retraite, » et sort fort peu de sa tanière , môme dans le bon » temps. Elle manœuvre comme nos taupes, mais » avec plus de lenteur : aussi ses taupinières sont- » elles peu nombreuses et assez petites. » M. de La Faille conserve dans son cabinet l'indi- vidu dont il a fait graver la figure , et on lui doit en effet la connoissance de cet animal singulier. LA TAUPK. 227 LA GRANDE TAUPE DU CAP^ Nous ajouterons à toutes ces nouvelles espèces de taupes , celle dont MM. Gordon et Allamand nous ont donné la description et la figure, sous la dénomina- tion de grande taupe du Cap ^ ou taupe des dunes ^ et qui est en effet si grande et si grosse, en comparai- son de toutes les autres , qu'on n'a pas besoin de lui donner un autre nom que celui de grande taupe,, pour en distinguer et reconnoître aisément l'espèce. « L'animal, dit M. Allamand, qui est représenté )) dans la planche 3, a été jusqu'à présent inconnu à » tous les naturalistes; et vraisemblablement il l'au- » roit été encore long-temps, sans les soins toujours » actifs de M. le capitaine Gordon , qui ne néglige au- » cune occasion d'enrichir l'histoire naturelle par de » nouvelles découvertes. C'est lui qui m'en a envoyé » le dessin. Je nomme cet animal, avec les habitants » du Cap, la taupe des dunes; et c'est un peu malgré » moi, je n'aime pas ces noms composés; et d'ail- » leurs ce nom de taupe lui convient encore moins » qu'à la taupe du Cap, que j'ai décrite ci-devant. » J'aurois souhaité de pouvoir lui donner le nom par )) lequel les Hottentots le désignent ; mais il est lui- » même composé et fort dur à l'oreille : c'est celui » de kamv fiowba^ qui signifie taupe hippopotame. Les » Hottentots l'appellent ainsi à cause de je ne sais » quelle ressemblance qu'ils lui trouvent avec ce gros '« animal ; peut-être faut-il la chercher dans ses dents 1. Celte espèce paroU cire la même que la grande taupe d'Afrique. 2'2S ANIMAUX CARNASSIERS. » incisives, qui sont très remarquables par leur loo- » gueur. Quoi qu'il en soit, s'il dift'ère de la taupe à » quelques égards, il a aussi diverses affinités avec » elle , et il n y a point d'autre animal dont le nom » lui convienne mieux. » Ces taupes habitent dans les dunes qui sont aux » environs du cap de Bonne-Espérance et près de la » mer : on n'en trouve point dans l'intérieur du pays. » Celle dont on voit ici la figure étoit un mâle, dont » la longueur, depuis le museau jusqu'à la queue, » en suivant la courbure du corps, étoit d'un pied ; » sa circonférence, prise derrière les jambes de de- » vant, étoit de dix pouces, et de neuf devant les » jambes de derrière. La partie supérieure de son » corps étoit blanchâtre, avec une légère teinte de » jaune qui se changeoit en couleur grise sur les co- » tés et sous le ventre. » Sa tête n'étoit pas ronde comme celle de îa taupe » du Cap ; elle étoit allongée , et elle se terminoit par » un museau plat, de couleur de chair, assez sem- » blable au boutoir d'un cochon ; ses yeux étoient » fort petits, et ses oreilles netoient marquées que » par l'ouverture du canal auditif, placée au milieu » d'une tache ronde pkis blanche que le reste du » corps. Elle avoit à chaque mâchoire deux dents in- » cisives qui se montroient quoique la gueule fûfe » fermée : celles d'en bas étoient fort longues; celles » d'en haut étoient beaucoup plus courtes. Au pre- » mier coup d'œil , il sembloit qu'il y en eût quatre : )) elles étoient fort larges, et chacune avoit par-devant » un profond sillon qui la partageoiten deux, et lafai- » soit paroître double ; mais par-derrière elles étoient LA TAUrE. «29 « toiit-à-fait unies. Ses dents molaires étoient au n nombre de huit dans chaque mâchoire : ainsi , avec » les incisives, elle avoit vingt-deux dents en tout. » Les inférieures avançoient un peu au delà des su- » périeures; mais ce qu'elles offroient de plus singu- » lier, c'est qu'elles étoient mobiles, et que l'anima! » pouvoit les écarter ou les réunir à volonté : faculté » qui ne se trouve dans aucun quadrupède qui me » soit connu. » Sa queue étoit plate et de la longueur de deux » pouces six lignes; elle étoit couverte de longs poils, • qui , de même que ceux qui formoient ses mous- » taches , et ceux de dessous ses pattes , étoient T» roides comme des soies de cochon. » Il y avoit à chaque pied cinq doigts munis d'on- » gles fort longs et blanchâtres. » On voit, par cette description, que si ces anî- » maux surpassent de beaucoup les autres taupes en » grandeur et en grosseur, ils leur ressemblent par w les yeux et par les oreilles : mais il y a plus encore, » ils vivent comme elles sous terre; ils y font des » trous profonds et de longs boyaux; ils Jettent la » terre comme nos taupes, en l'accumulant en de » très gros monceaux : cela fait qu'il est dangereux » d'aller à cheval dans les lieux où ils sont ; souvent » il arrive que les jambes des chevaux s'enfoncent » dans ces trous jusqu'aux genoux. » 11 faut que ces taupes multiplient beaucoup, car » elles sont très nombreuses. Elles vivent de plantes » et d'ognons, et par conséquent elles causent beau- » coup de dommages aux jardins qui sont près des s> dunes. On mange leur chair, et on la dit fort bonne. WUfOiV. XV. ^"^ y5o ANIMAUX CAKNASSÏERS. » Elles ne courent pas vite, et en marchant elles » tournent leurs pieds en dedans, comme les perro- .) qucts; mais elles sont très expéditives à creuser la )) terre. Leur corps touche toujours le sol sur lequel » elles sont. Elles sont méchantes; elles mordent » très fort, et il est dangereux de les irriter. » ««*«<»« <»ec9«<»«««S4 B.ê«<$«^«««'S«mment beaucoup de grain, et infectent le tout de leur ordure. Les vieux mâles res- tent à la campagne ; chacun d'eux habite seul dans son trou : ils y font, comme les mulots, provision, pendant l'automne, de gland, de faîne, etc. ; ils le remplissent jusqu'au bord, et demeurent eux-mêmes au fond du trou. Ils ne s'y engourdissent pas comme les loirs; :1s en sortent en hiver, surtout dans les beaux jours. Ceux qui vivent dans les granges en chassent les souris et les rats; l'on a même remarqué, depuis que les surmulots se sont si fort multipliés aux environs de Paris, que les rats y sont beaucoup moins communs qu'ils ne l'éloient autrefois. LA MARMOTTE. uô^ ïio<8'»i;e<é>3<. 8e«»>fr»-o o^ «**» LA MARM0ÏÏE\ Arctomys marmota. Gmel. De tous les auteurs modernes qiii ont écrit sur l'his- toire naturelle, Gesner est celui qui, pour le d(kail , a le plus avancé la science; il joignoit à une grande érudition un sens droit et des vues saines : Aldro- vande n'est guère que son commentateur, et les na- turalistes de moindre nom ne sont que ses copistes. JNous n'hésiterons pas à emprunter de lui des faits au sujet des marmottes, animaux de son pays 2, qu'il connoissoit mieux que nous, quoique nous en ayons nourri, comme lui, quelques unes à la maison. Ce que nous avons observé se trouvant d'accord avec ce qu'il en dit , nous ne doutons pas que ce qu'il a ob- servé de plus ne soit également vrai. La marmotte, prise jeune , s'apprivoise plus qu'au- cun animal sauvage, et presque autant que nos ani- maux domestiques; elle apprend aisément à saisir un bâton, à gesticuler, à danser, à obéir en tout à la voix de son maître. Elle est, comme le chat, antipa- 1. En latin, m«s a/pmws, Piinii ; en italien , murmont , marmota, marmontana ; et en quelques endroits dltalie , varosa , selon Gesner ; en Allemagne et en Suisse , murmeltlùer, murmenile, rnisbeUcrle , selon Gesner; chez les Grisons, montanella , selon Gesnev; en vieux frau- çois, marmoniain , marmotalne, marmotan. 2. Gesner étoit suisse; et cest un des hommes qui font le plus d'honneur à la nation. ij3€ ANIMAUX CARRAfiSIERS. ihique avec le chien ; lorsqu'elle commence à être familière dans la maison, et qu'elle se croit appuyée par son maître, elle attaque et mord en sa présence les chiens les plus redoutables. Quoiqu'elle ne soit pas tout-à-fait aussi grande qu'un lièvre , elle est bien plus trapue, et joint beaucoup de force à beaucoup de souplesse. Elle a les quatre dents du devant des mâchoires assez longues et assez fortes pour blesser cruellement; cependant elle n'attaque que les chiens, et ne fait mai à personne , à moins qu'on ne l'irrite. Si l'on n'y prend pas garde, elle ronge les meubles, les étoffes, et perce même les bois lorsqu'elle est ren- fermée. Comme elle a les cuisses très courtes, et les doigts des pieds faits à peu près comme ceux de l'ours, elle se tient souvent assise, et marche comme lui aisément sur ses pieds de derrière; elle porte à sa gueule ce qu'elle saisit avec ceux de devant, et mange debout comme l'écureuil : elle court assez vite en montant, mais assez lentement eu plaine; elle grimpe sur les arbres; elle monte entre deux parois de ro- chers, entre deux murailles voisines; et c'est des marmottes, dit-on, que les Savoyards ont appris à grimper pour ramoner les cheminées. Elles mangent de tout ce qu'on leur donne , de la viande , du pain , des fruits, des racines, des herbes potagères, des choux, des hannetons, des sauterelles , etc. ; mais elles sont plus avides de lait et de beurre que de tout autre aliment. Quoique moins enclines que le chat à dérober, elles cherchent à entrer dans les endroits où l'on renferme le lait, et elles le boivent en grande quantité en marmottant, c'est-à-dire en faisant con^mc le chat, uuc osprce u'e murjuiire de ccnlenteïuenL LA MARMOTTE. 2?)'] Au reste, le lait est la seule liqueur qui leur plaise ; elles ne boivent que très rarement de l'eau , et refu- sent le vin. La marmotte tient un peu de l'ours et un peu du rat pour la forme du corps : ce n'est cependant pas Varctomys ou le rat-ours des anciens, comme l'ont cru quelques auteurs, et entre autres Perrault. Elle a le nez , les lèvres et la forme de la lete comme le lièvre , le poil et les ongles du blaireau , les dents du castor, la moustache du chat, les yeux du loir, les pieds de Tours, la queue courte , et les oreilles tron- quées. La couleur de son poil sur le dos est d'un roux brun, plus ou moins foncé : ce poil est assez rude; mais celui du ventre est roussâlre, doux et touffu. Elle a la voix et le murmure d'un petit chien lors- qu'elle joue ou quand on la caresse ; mais lorsqu'on l'irrite ou qu'on l'effraie , elle fait entendre un sifflet si perçant et si aigu , qu'il blesse le tympan. Elle aime la propreté , et se met à l'écart, comme le chat, pour faire ses besoins; mais elle a, comme le rat, surtout en été, une odeur forte qui la rend très désagréable : en automne , elle est très grasse. Outre un très grand épiploon, elle a, comme le loir, deux feuillets grais- seux fort épais : cependant elle n'est pas également grasse sur toutes les parties du corps; le dos et les reins sont plus chargés que le reste d'une graisse ferme et solide , assez semblable à la chair des tétines du bœuf. Aussi la marmotte seroit assez bonne à manger, si elle n'avoit pas toujours un peu d'odeur, qu'on ne peut masquer que par des assaisonnements très forts. Cet animal, qui se plaît dans la région de la neige Hôb ANIMAUX CARx\ ASSii:r.S. et des glaces, qu'on ne trouve que sur les plus hautes montagnes, est cependant sujet plus qu'un autre à s'engourdir par le froid. C'est ordinairement à la fin de septembre ou au commencement d'octobre qu'elle se recèle dans sa retraite, pour n'en sortir qu'au commencement d'avril. Cette retraite est faite avec précaution , et meublée avec art : elle est d'abord d'une grande capacité, moins large que longue, et très profonde ; au moyen de quoi elle peut contenir une ou plusieurs marmottes, sans que l'air s'y cor- rompe. Leurs pieds et leurs ongles paroissent être faits pour fouiller la terre , et elles la creusent en effet avec une merveilleuse célérité; elles jettent au dehors, derrière elles, les déblais de leur excavation : ce n'est pas un trou , un boyau droit ou tortueux, c'est une espèce de galerie faite en forme d'Y grec , dont les deux branches ofit chacune une ouverture, et aboutissent toutes deux à un cul-de-sac, qui est le lieu du séjour. Comme le tout est pratiqué sur le penchant de la montagne, il n'y a que le cul-de-sac qui soit de niveau, la branche inférieure de l'Y grec est en pente au dessous du cul-de-sac ; et c'est dans cette partie, la plus basse du domicile, qu'elles font leurs excréments, dont l'humidité s'écoule aisément au dehors : la branche supérieure de l'Y grec est aussi un peu en pente, et plus élevée que tout le reste; c'est par là qu'elles entrent et qu'elles sortent. Le lieu du séjour est non seulement jonché, mais tapissé fort épais de mousse et de foin ; elles en font ample provision pendant l'été : on assure môme que cela se fait à frais ou travaux communs; que les unes coupent les herbes les plus fines , que d'autres les LA MARMOTTlï. 2?)g ramassent, et que tour à tour elles servent de voi- ture pour les transporter au gîte : Tune, dit-on, se couche sur le dos, se laisse charger de foin, étend ses pattes en haut pour servir de ridelles, et ensuite se laisse traîner par les autres, qui la tirent pari» queue, et prennent garde en même temps que ïi voiture ne verse. C'est, à ce qu'on prétend, par ce frottement trop souvent réitéré, qu'elles ont presque toutes le poil rongé sur le dos. On pourroit cepen- dant en donner une autre raison ; c'est qu'habitant sous la terre, et s'occupant sans cesse à la creuser, cela suffit pour leur peler le dos. Quoi qu'il en soit, il est sûr qu'elles demeurent ensemble, et qu'elles travaillent en commun à leur habitation : ellesy pas- sent les trois quarts de leur vie ; elles s'y retirent pendant l'orage, pendant la pluie, ou dès qu'il y a quelque danger; elles n'en sortent même que dans les plus beaux jours, et ne s'en éloignent guère : l'une fait le guet, assise sur une roche élevée, tandis que les autres s'amusent à jouer sur le gazon, ou s'occupent à le couper pour en faire du foin ; et lors- que celle qui fait sentinelle aperçoit un homme, un aigle, un chien, etc. , elle avertit les autres par un coup de sifflet, et ne rentre elle-même que la der- nière. Elles ne font pas de provisions pour l'hiver ; il sem- ble qu'elles devinent qu'elles seroient inutiles; mais lorsqu'elles sentent les premières approches de la saison qui doit les engourdir, elles travaillent à fer- mer les deux portes de leur domicile, et elles le font avec tant de soin et de solidité, qu'il est plus aisé d'ou- vrir la terre partout ailleurs que dans l'endroit qu'elles ^40 AxMMAUX e A ÎIIH ASSIEDS. ont muré. Elles sont alors très grasses; il y en a qui pèsent Jusqu'à vingt livres : elles le sont encore trois mois après; mais peu à peu leur embonpoint diminue, et elles sont maigres sur la fin de l'hiver. Lorsqu'on découvre leur retraite , on les trouve resserrées en boule, et fourrées dans le foin; on les emporte tout engourdies; on peut même les tuer sans qu'elles pa- roissent le sentir : on choisît les plus grasses pour les manger, et les plus jeunes pour les apprivoiser. Une chaleur graduée les ranime comme les loirs; et celles qu'on nourrit à la maison, en les tenant dans des lieux chauds, ne s'engourdissent pas, et sont même aussi vives que dans les autres temps. Nous ne répé- terons pas, au sujet de l'engourdissement de la mar- motte , ce que nous avons dit à l'article du loir : le refroidissement du sang en est la seule cause; et Ton avoitobservé , avant nous, que dans cet état de tor- peur la circulation étoit très lente, aussi bien que toutes les sécrétions, et que leur sang n'étant pas renouvelé par un chyle nouveau, étoit sans aucune sérosité. Au reste, il n'est pas sûr qu'elles soient tou~ jours et constamment engourdies pendant sept ou huit mois, comme presque tous les auteurs le pré- tendent. Leurs terriers sont profonds; elles y de- meurent en nombre; il doit donc s'y conserver de la chaleur dans les premiers temps, et elles y peuvent manger de l'herbe qu'elles y ont amassée. M. Alt- mann dit même, dans son Traité sur les animaux de Suisse j que les chasseurs laissent les marmottes trois semaines ou un mois dans leur caveau , avant que d'aller troubler leur repos ; qu'ils ont soin de ne point creuser lorsqu'il fait un temps doux, ou qu'il souille. tk MÂHMOTTE. â^i lin vertt chaud; que sans ces précautions, les mar- mottes se réveillent, et creusent plus avant; mais qu'en ouvrant leurs retraites dans le temps des grands froids, on les trouve tellement assoupies, qu'on les emporte facilement. On peut donc dire qu'à tous égards elles sont comme les loirs, et que si elles sont engourdies plus long-temps, c'est qu'elles habitent un climat où l'hiver est plus long. Ces animaux ne produisent qu'une fois l'an : les portées ordinaires ne sont que de trois ou quatre pe- tits; leur accroissement est prompt, et la durée de leur vie n'est que de neuf ou dix ans : aussi l'espèce netï est ni nombreuse, ni bien répandue. Les Grecs ne la connoîssoient pas, ou du moins ils n'en ont fait aucune mention. Chez les Latins, Pline est le pre- mier qui l'ail indiquée sous le nom de mus alpinm , rat des Alpes; et en effet, quoiqu'il y ait dans les Alpes plusieurs autres espèces de rats, aucune n'est plus remarquable que la marmotte, aucune n'habite comme elle les sommets des plus hautes montagnes: \e?> autres se tiennent dans les vallons, ou bien surla croupe des collines et des premières montagnes ; mais il n'y en a point qui monte aussi haut que la mar- motte. D'ailleurs elle ne descend jamais des hauteurs, et paroît être particulièrement attachée à la chaîne des Alpes , où elle semble choisir l'exposition du midi et du levant, de préférence à celle du nord ou du couchant. Cependant il s'en trouve dans les Apen- nins, dans les Pyrénées, et dans les plus hautes mon- tagnes de l'Allemagne. Le bobak de Pologne, auquel M. Brisson, et d'après lui, MM. Arnaidt de Nobleville et Salerne, ont donné le nom de marmotte j, diffère 2/|2 yVNIMAlJX CARNASSIERS. (le cet animal , non seulement par les couleurs du poil, mais aussi par le nombre des doigts; car il a cinq doigts aux pieds de devant : l'ongle du pouce paroît au dehors de la peau , et l'on trouve au dedans les deux phalanges de ce cinquième doigt , qui man- que en entier dans la marmotte. Ainsi le bobak ou marmotte de Pologne, le monax ou marmotte de Canada, le c«i^/fl5 ou marmotte de Bahama, et le cri- cet ou marmotte de Strasbourg, sont tous les quatre des espèces diûerentes de la marmotte des Alpes. s««>9>d«8«'»8'»p<'»a»a»< LA MARMOTTE DU GAP DE BONi^E-ESPÉRANGEi. C'est encore à M. Allamancl, savant naturaliste et professeur à Leyde , que nous devons la première con- noissance de cet animal. M. Pallas l'a indiqué sous Je nom de cavia capensis^ et ensuite M. Vosmaër sous la dénomination de marmotte bâtarde d' Afrique. Tous deux en donnent la même figure tirée sur la mêiîie planche, dont M. Allamand nous avoit envoyé une gravure. Il marquoit à ce sujet à M. Daubenton : « Je vous envoie la figure d'une espèce de cabiai {je ne sais par quel autre nom le désigner ) que j'ai reçue du cap de Bonne-Espérance. 11 n'est pas tout- à-fait aussi bien représenté que je le désirois; mais comme j'ai cet animal empaillé dans mon cabinet, je vous l'enverrai par la première occasion , si vous sou- haitez de le voir. » Nous n'avons pas profité de cette offre très obli- geante de M. Allamand, parce que nous avons été in- formés peu de temps après qu'il étoit arrivé en Hol- lande un ou deux de ces animaux vivants, et que nous espérions que quelque naturaliste en feroit une bonne description. En effet, MM. Pallas et Vosmaër ont tous deux décrit cet animal, et je vais donner ici l'extrait de leurs observations. i. Cet animal est le même que le daman. LA MARMOTTE. i>/|5 « Cet animal, dit M. de Vosniaër, est connu au cap de Bonne-Espérance sous le nom de blaireau des ro- chers^ vraisemblablement parce qu'il fait son séjour entre les rochers et dans la terre, comme le blaireau , auquel néanmoins il ne ressemble point ; il ressemble plus à la marmotte, et cependant il en diffère... C'est Kolbe qui le premier a parlé de cet animal, et a dit qu'il ressemble mieux à une marmotte qu'à un blai- reau. » Nous adopterons donc la dénomination de mar- motte du Cap y et nous la préférerons à celle de cavla du Cap ^ parce que l'animal dont il est ici question est très différent du cavia ou cabiai : i** par le climat, le cavia étant de l'Amérique méridionale, tandis que celui-ci ne se trouve qu'en Afrique ; 2° parce que le nom de cavia est un mot brasilien, qui ne doit point être transporté au cavia , qui est le vrai cabiai , et au cablai-cobaïa, qui est le cochon-d'Inde; 5** enfin, parce que le cabiai est un animal qui n'habite que le bord des eaux, qui a des membranes entre les doigts des pieds, tandis que la marmotte du Cap n'habite que les rochers et les terres les plus sèches qu'elle peut creuser avec ses ongles^. «Le premier animal de cette espèce, dit M. Vos- maër, qui ait paru en Europe, a été envoyé à M. le prince d'Orange par M. Tulbagh, et on en con- serve la dépouille dans le cabinet de ce prince, La couleur de ce premier animal diffère beaucoup de celle d'un autre qui est arrivé depuis; il étoit aussi fort jeune et très petit. Celui que je vais décrire étoit un mâle, et il m'a été envoyé par M. Bergmeyer 1. Voyez la figure 5, planche 18. BUFFON. XV. 16 2.]6 ANIMAUX CARNASSIERS. d'Amsteidaui Le genre de vie de ces animaux, suivant les informations qui m'en ont été données ., est fort triste, dormant souvent pendant la journée. Leur mouvement est lent, et s'exécute par bonds; mais, dans leur état de nature, peut-être est-il aussi vif que celui des lapins. Ils poussent fréquemment des cris de courte durée, mais aigus et perçants. » Je remarquerai, en passant, que ce caractère rap- proche encore cet animal de la marmotte; car oiî sait que nos marmottes des Alpes font souvent enten- dre un sifflet fort aigu. « On nourrissoit en Hollande celte espèce de mar- motte du Cap, continue M. Vosmaër, avec du pain et diverses sortes d'herbes potagères. 11 est fort vrai- semblable que ces animaux ne portent pas long-temps leurs petits, qu'ils mettent bas souvent et en grand nombre. La forme de leurs pieds paroît aussi dénoter qu'ils sont propres à fouir la terre. Cet animal étant mort à Amsterdam, je le donnai à M. Pallas pour le disséquer. » Il ressemble beaucoup pour la taille au lapin commun; mais il est plus gros et plus ramassé : le ventre est surtout fort gros. Les yeux sont beaux et médiocrement grands; les paupières ont en dessous et en dessus quelques petits poilscourts et noirs ^ au- dessus desquels on en voit cinq ou six noirs, mais longs, qui sortent à peu près du coin de la paupière antérieure, et retournent en arrière vers la tête; il y a de pareilles moustaches sur la lèvre supérieure, vers le milieu du museau. » Le nez est sans poil, noir, et comme divisé par une fme couture qui descend jusque sur la lèvre; les LA MARMOTTE. 2l\'1 ïîarinespaioisserit comme un cordon rompu au milieu; sous le museau, vers le gosier, et sur les joues, on voit quelques longs poils noirs plus ou moins longs, et tous plus roides que l'autre poil; des poils de même espèce sont semés de distance en distance sur tout le corps Le palais de la bouche a huit can- nelures ou sillons profonds ; la langue est fort épaisse, passablement longue, garnie de petits mamelons, et ovale à son extrémité. La mâchoire supérieure a deux dents fort longues, saillantes au devant du museau, et écartées l'une de l'autre; elles ont la forme d'un triangle allongé et aplati : les dents de la mâchoire inférieure sont posées au devant du museau; elles sont coupantes , fort serrées, et au nombre de quatre; elles sont assez longues, plates, et laiges. .. Les dents molaires sont assez grosses, quatre en haut et quatre en bas de chaque côté ; on en pourroit compter une cinquième , plus petite que les autres Cet animal a les jambes de devant fort courtes, et cachées à moitié sous la peau du corps : les pieds sont nus et ne présentent qu'une peau noire : ceux de devant ont quatre doigts, dont trois très apparents, et celui du milieu le plus long; le quatrième, qui est au côté extérieur, est beaucoup plus court que les autres, et comme adhérent au troisième : le bout de ces doigts est armé d'onglets courts et ronds, attachés à la peau de la même façon que nos ongles. Les pieds de der- rière ont trois doigts, dont il n'y a que celui du mi- lieu qui ait un ongle courbe; le doigt extérieur est un peu plus court que les autres. L'animal saute sur ses pieds de derrière comme le lapin Il n'y a pas le moindre indice de queue; l'anus se montre fort 2i\6 ANUIAUX CARNASSIERS. long, et le prépuce, en bourrelet rond, découvre un peu la verge. La couleur du poil est le gris ou le brun fauve, comme le poil des lièvres ou des lapins de ga- renne ; il est plus foncé sur la tête et sur le dos, et \ï est blanchâtre sur la poitrine et le ventre. Il y a aussi une bande blanchâtre sur le cou, tout près les épau- les : cette bande ne fait point un collier, mais se ter- mine à la hauteur des jambes de devant, et en géné- ral le poil est doux et laineux. » Nous ne donnerons pas ici la description des par- ties intérieures de cet animal, on la trouvera dans l'ouvrage de M. Pallas, qui a pour titre Splcilegla zoologlca. Cet habile naturaliste l'a faite avec beau- coup de soin, et il faudroit la copier en entier pour ne rien perdre de ses observations. * INous avions donné à cet animal le nom de mar- motte du Cap^ d'après Kolbe et Vosmaër, parce que, eu effet, il a quelque ressemblance avec la marmotte-. Cependant il ji'est point du genre des marmottes, et n'en a pas les habitudes; niais M. Allamand nous a informé qu'on appeloit klipdas ce même animal, au- quel on donnoit aussi te nom de blaireau des rockers. Nous l'avons fait dessiner de nouveau, d'après la ligure qui nous a été envoyée par ce célèbre natura- liste , et nous avons adopté le nom de klipdas ^ parce qu'en effet il n'est ni du genre des marmottes ni de celui des blaireaux. M. le comte de Meilin, que nous avons déjà eu oc- casion de citer avec éloge, m'a envoyé la gravure faîte d'après le dessin qu'il a fait lui-môme de cet animal vivant, et il a eu la bonté d'y ajouter plusieurs ob- servations intéressantes sur ses habitudes naturelles. LA MARMOTTE. 2/\g Yôici l'extrait de la lettre qu'il m'a écrite à ce sujet. «M. le comte de BuÛbn a donné l'histoire d'un petit animal auquel il donne le nom de marmotte du cap de Bonne-Espérance. Permeltez-moi, M. le comte, de vous dire que cet animal n'a dans ses mœurs au- cune ressemblance avec la marmotte. J'en ai reçu «ne femelle du cap de Bonne-Espérance, qui vit en- core, et que j'ai donnée à ma sœur, la comtesse Borke , qui l'a présentement depuis quatre ans. Je l'ai peinte d'après nature, et j'ai l'honneur de vous en- voyer une gravure faite d'après cette peinture, et qui représente ce petit animal très au naturel. Celle qui est dans votre ouvrage, copiée de celle qui se trouve dans le Spicileg'ia zoolog'ica de M. Pallas, est absolument manquée. Le genre de ces petits animaux n'est pas aussi triste que le prétend M. Vosmaër; tout au contraire, il est d'un naturel gai et dispos: cela dépend de la manière dont on le tient. Pendant les premières semaines que je l'avois, je le tins tou- jours attaché avec une ficelle à sa petite loge, et il passa la plus grande partie des jours et des nuits à dormir dans sa loge : et que pouvoit-il faire de mieux pour supporter l'ennui de l'esclavage.^ Mais depuis qu'on lui permet de courir en liberté par les cham- bres, i! se montre tout autre; il est non seulement très apprivoisé, mais même susceptible d'attache- ment. 11 se plaît à être sur les genoux de sa maîtresse; il la distingue des autres au point que, quand il est en- fermé dans une chambre et qu'il l'entend venir, il reconnoît sa marche, il s'approche de la porte, se met aux écoutes; et si elle s'en retourne sans entrer chez lui, il s'en retourne tristement, et à pas lents. 'AOO ANIMAUX CARNASSIERS. Quand on l'appelle, ii repond par un petit cri point désagréable, et vient promptement vers la personne qui le demande. H saute très légèrement et avec beau- coup de précision. Il est frileux, et cherche de préfé- rence à se coucher tout en haut du poêle, sur lequel il saute en deux sauts. Il ne grimpe pas, mais il saute aussi légèrement que des chats, sans jamais rien renverser. Il aime à être tout à côté du feu ; et comme le poêle de la chambre est ce que nous nommons un windofeti qu'on chauffe par une espèce de cheminée prati- quée dans le poêle, et qu'on ferme dune porte de fer, il est déjà arrivé qu'il s'est glissé dans le poêle pendant que le bois y brûloit; et comme on avoit fermé la porte sur lui, ne sachant pas qu'il y étoit, il souffrit une chaleur bien vioîenle pendant quelques minutes, jusqu'à ce qu'il oiit le nez à la petite porte de fer qui est pratiquée dans la grande porte , et qu'on avoit laissée ouverte pour y faire entrer l'air , sur quoi on le ht sortir promptement. Quoiqu'il se fût brûlé le poil des deux côtés, cet accident ne l'a pas rendu prévoyant, et il recherche encore toujours à être bien près du feu. Ce petit animal est extrêmement pro- pre, au point qu'on l'a accoutumé à se servir d'un pot pour y faire ses ordures et y lâcher son eau. On re- marqua que, pour se vider, il lui falloit un lieu com- mode et une attitude particulière; car alors il se dresse sur les pattes de derrière, en les appuyant contre un mur ou quelque chose de stable qui ne recule pas sous lui, et il pose les pieds de devant sur nn bâton ou quelque chose d'élevé, en léchant sa bouche avec sa langue pendant tout le temps que l'o- pération dure. On diroit qu'il se décharge avec peine ; LA MARMOTTE. o^5i et j30ur profiter de l'inclination qu'il a pour la pio^ prêté, on lui a préparé un lieu commode, une es- pèce de chaise percée dont il t^e sert toujours. 11 se nourrit d'herbes, de fruits, de patates, qu'il aime beaucoup crues et cuites , et même il mange du bœuf iumé; mais il ne mange que de cetle viande, e! jamais de la crue ni d'autres viandes. Apparem- ment que, pendant son transport par mer, on lui a fait connoître cette nourriture, qui doit cependant être souvent variée; car il se lasse bientôt et perd l'appétit lorsqu'on lui donne la même pendant plu- sieurs jours : alors il passe une journée entière sans manger, mais le lendemain il répare le temps perdu. Il mange la mousse et î'écorce du chêne, et sait se glisser adroitement jusqu'au fond de la caisse à bois pour l'enlever des bûches qui en sont encore cou- vertes. Il ne boit pas ordinairement, et ce n'est que lorsqu'il a mangé du bœuf saié qu'on l'a vu boire fré- quemment. Il se frotte dans le sable comme les oi- seaux pulvérateurs, pour se défaire de la vermine qui l'incommode, et ce n'est pas en se vautrant comme les chiens, les renards, mais d'une manière tout étrangère à tout autre quadrupède, et exactement comme le faisan ou la perdrix. Il est toujours très dispos pendant tout le cours de l'année, et il me pa- roît être trop éveillé pour imaginer qu'il puisse passer une partie de l'hiver dans un état de torpeur comme la marmotte ou ie loir. Je ne vois pas non plus qu'il puisse se creuser un terrier comme les marmottes ou les blaireaux, n'ayant ni des ongles crochus aux doigts ni ceux-ci assez forts pour un travail aussi rude; ii ne peut que se glisser dans les crevasses de^ roehers ^252 ANIMAUX CARNASSIERS. pour y établir^sa demeure et pour échapper aux oi- seaux de proie, qu'il craint beaucoup : du moins cha- que corneille que le nôtre voit voler lorsqu'il est assis sur la fenêtre, place favorite pour lui, l'alarme; il se précipite d'abord et court se cacher dans sa loge, d'où il ne sort que long-temps après lorsqu'il ima- «rinele danger passé. Il ne mord pas violemment; et quoiqu'il en fasse des tentatives lorsqu'on l'irrite, il ne peut guère se défendre à coups de dents, pas même contre le petit épagneul de sa maîtresse, qui, jaloux des faveurs qu'on lui prodigue, prend quelquefois querelle avec lui. Il ne trouve probablement, en état de liberté, son salut que dans la fuite et dans la célé- rité de ses sauts, talents très utiles pour ce petit ani- mal, qui, selon le rapport des voyageurs, habite les rochers du sud de l'Afrique. Quoiqu'il engraisse beau- coup lorsqu'on le tient enfermé ou à l'attache, il ne prend guère plus d'embonpoint qu'un autre animal bien nourri, dès qu'on lui donne une pleine liberté de courir et de se donner de l'exercice. » W5»9»8<»»fr9^«'(W.&»»»»»»»»'' LE BOBAKS Arctomys boback. Gmel. ET LES AUTRES MARMOTTES. L'on a donné le nom de marmotte de Strasbourg au hamster, et celui de marmotte de Pologne au bobak; i. Nom de cet animal eu Pologne , et que nous avons adopté. r PU5 TomeiS - :S?^i4^î^^ Paucmet,scrnlp, 1 , LE B O B AK _ 2 LE S0ITSLIK._3-LA CHAUVE- SOURIS MURIN" LE BOBAK. ^53 mais autant il est certain que le hamster n'est point une marmotte , autant il est probable que le bobak en est une ; car il ne diffère de la marmotte des Al- pes que par les couleurs du poil; il est d'un gris moins brun ou d'un jaune plus pâle ; il a aussi une espèce de pouce , ou plutôt un ongle, aux pieds de devant , au lieu que la marmotte n'a que quatre doigts à ses pieds, et que le pouce lui manque. Du reste, elle lui ressemble en tout ; ce qui peut faire présumer que ces deux animaux ne forment pas deux espèces distinctes et séparées. Il en est de même du monax ^ ou marmotte de Canada, que quelques voyageurs ont «appelé siffleur; il ne paroît différer de la marmotte que par la queue, qu'il a plus longue et plus garnie de poils. Le monax du Canada , le bobak de Pologne et la marmotte des Alpes pourroient donc n'être tous trois que le même animal, qui, par la différence des climats, auroit subi les variétés que noas venons d'in- diquer. Comme cette espèce habite de préféreoce la région la plus haute et la plus froide des montagnes; comuie on la trouve en Pologne, en Russie, et dans les autres parties du nord de l'Europe , il n'est pas étonnant qu'elle se retrouve au Canada, où seuletuent elle est plus petite qu'en Europe ^ : et cela ne lui est pas particulier : car tous les animaux qui sont com- muns aux deux continents sont plus petits dans le nouveau que dans l'ancien. L'animal de Sibérie que les Russes appellent je- 1. Voyez la figure et la description ciu monax clans V Histoire des oiseaux d'Edwards, page io4. 2. La marmotte des Alpes et celle de Pologne ( bobak) ont un pied cl demi depuis rcxircmilé du museau jusqu'à l'origiiic de la queue, Lo ^54 ANIMAUX CARNASSIERS. -vraschkaesl une espèce de marDiotte encore pluspe- iile que le monax du Canada. Cette petite marmotte a la tête ronde et ie museau ëcrasé : on ne lui voit point d'oreilles; et Ton ne peut même découvrir l'ou- verture du conduit auditif qu'en détournant le poil qui le couvre. La longueur du corps, y compris la têle, est tout au plus d'un pied : la queue n'a guère que trois pouces; elle est presque ronde auprès du corps 5 et ensuite elle s'aplatit, et son extrémité pa- roît tronquée. Le corps de cet animal est assez épais; le poil est fauve, mêlé de gris, et celui de l'extré- mité de la queue est presque noir. Les jambes sont courtes; celles de derrière sont seulement plus lon- gues que celles de devant. Les pieds de derrière ont cinq doigts et cinq ongles noirs et un peu courbés; ceux de devant n'en ont que quatre. Lorsqu'on irrite ces animaux, ou seulement qu'on veut les prendre, ils mordent violemment, et font un cri aigu comme \\x uîarmotte : quand on leur donne à manger, ils se tiennent assis, et portent à leur gueule avec les pieds de devant. Ils se recherchent au printemps, eî; pro- duisent en été : les portées ordinaires sont de cinq ou six; ils se font des terriers où ils passent l'hiver, et où la femelle met bas et allaite ses petits. Quoiqu'ils aient beaucoup de ressemblance et d'habitudes com- munes avec la marmotte, il paroît néanmoins qu'ils sont d'une espèce réellement différente ; car dans les mêmes lieux, en Sibérie, il se trouve de vraies mar- mottes de l'espèce de celles de Pologne ou des Alpes, et que les Sibériens appellent siirok ; et l'on n'a pas niouax, ou marmotte de Canada, n'a que quaiorre ou quinze pouces de îongiictir. I m -4-6 T orne ib PaoûTj-e t scTL^ LA CHAUVE - S OURIS IvOTION AILE S ETENDUE S LE BOBAK. 2^)5 remarqué que ces deux espèces se mêlent ni qu'il y ait entre elles aucune race intermédiaire. LA CHAUVE-SOURISS Vespertilio murimis. L. Quoique tout soit également parfait en soi, puis- €fue tout est sorti des mains du Créateur, il est ce- pendant, relativement à nous, des êtres accomplis, et d'autres qui semblent être imparfaits ou difformes. Les premiers sont ceux dont la figure nous paroît agréable et complète, parce que toutes les parties sont bien ensemble, que le corps et les membres sont proportionnés, les mouvements assortis, toutes les fonctions faciles et naturelles. Les autres, qui nous paroissent hideux, sont ceux dont les qualités nous sont nuisibles , ceux dont la nature commune, et dont la forme est trop différente des formes ordinaires des- quelles nous avons reçu les premières sensations, et tiré les idées qui nous servent de modèle pour juger. Une tête humaine sur un cou de cheval , le corps cou- vert de plumes et terminée par une queue de poisson , ii'offrent un tableau d'une énorme difformité que parce qu'on y réunit ce que la nature a de plus éloi- 1. En latin, vespertUto ; en italien, nottolo, noiula, baibasieUo, via- plslrcilo, pipisireilo, sporiegliono ; en allemand, {laedermitsa; en ^n gloir. , bat, flittcrmouse. 2d6 animaux carnassiers. gué. Un animal qui, comme îa chauve-souris, est à demi quadrupède, à demi volatile, et qui n'est en tout ni l'un ni l'autre, est, pour ainsi dire, un être monstre, en ce que , réunissant les attributs de deux genres si différents, il ne ressemble à aucun des mo- dèles que nous offrent les grandes classes de la nature : il n'est qu'imparfaitement quadrupède, et il est encore plus Imparfaitement oiseau. Un quadrupède doit avoir quatre pieds, un oiseau a des plumes et des ailes; dans la chauve-souris les pieds de devant ne sont ni des pieds ni des ailes, quoiqu'elle s'en serve pour voler, et qu'elle puisse aussi s'en servir pour se traîner. Ce sont en effet des extrémités difformes, dont les os sont monstrueusement allongés, et réunis par une membrane qui n'est couverte ni de plumes ni même de poil, comme le reste du corps : ce sont des es- pèces d'ailerons, ou, si l'on veut, des pattes ailées, où l'on ne voit que l'ongle d'un pouce court, et dont les quatre autres doigts très longs ne peuvent agir qu'ensemble, et n'ont point de mouvements propres ni de fonctions séparées ; ce sont des espèces de mains dix fois plus grandes que les pieds , et en tout quatre fois plus longues que le corps entier de l'animal; ce sont , en un mot, des parties qui ont plutôt l'air d'un caprice que d'une production régulière. Cette mem- brane couvre les bras, forme les ailes ou les mains de l'animal, se réunit à la peau de son corps, et enve- loppe en même temps ses jambes, et même sa queue, qui, par cette jonction bizarre, devient, pour ainsi dire, l'un de ses doigts. Ajoutez à ces disparates et à CCS disproportions du corps et des membres les dif- formités de la tête, qui souvent sont encore plus LA CHAUVE-SOURIS. 2^J grandes : car, dans quelques espèces, le nez est à peine visible, les yeux sont enfoncés tout près de la conque de l'oreille, et se confondent avec les joues; dans d'autres, les oreilles sont aussi longues que le corps, ou bien la face est tortillée en forme de fer à cheval , et le nez recouvert par une espèce de crête; la plupart ont la tête surmontée par quatre oreillons: toutes ont les yeux petits, obscurs et couverts, le nez ou phi tôt les naseaux informes, la gueule fendue de l'une à l'autre oreille ; toutes aussi cherchent à se ca- cher, fuient la lumière, n'habitent que les lieux té- nébreux, n'en sortent que la nuit, y rentrent au point du jour pour y demeurer collées contre les murs. Leur mouvement dans l'air est moins un vol qu'une espèce de voltigement incertain, qu'elles semblent n'exécuter que par effort et d'une manière gauche : elles s'élèvent de terre avec peine; elles ne volent ja- mais à une grande hauteur ; elles ne peuvent qu'impar- faitement précipiter, ralenth^ ou même diriger leur vol : il n'est ni très rapide ni bien direct; il se fait par des vibrations brusques dans une direction oblique et tortueuse : elles ne laissent pas de saisir en passant les moucherons, les cousins, et surtout les papillons phalènes qui ne volent que la nuit; elles les avalent, pour ainsi dire, tout entiers; et Ion voit dans leurs excréments les débris des ailes et des autres parties sèches qui ne peuvent se digérer. Etant un jour des- cendu dans les grottes d'Arcy pour en examiner les stalactites, je fus surpris de trouver sur un terrain tout couvert d'albâtre, et dans un lieu si ténébreux et si profond, une espèce de terre qui étoit d'une tout autre nature; c'était un tas épais et large de plusieurs 258 AMMAUX GAKNASSiEUS. pieds d'une matièn-e noirâtre, presque entièreuient composée de portions d'ailes et de pattes de mouches et de papillons, comme si ces insectes se fussent ras- semblés en nombre immense et réunis dans ce lieu pour y périr et pourrir ensemble. Ce n'étoit cepen- dant autre chose que de la iiente de chauve-souris , amoncelée probablement pendant plusieurs années dans l'endroit de ces voûtes souterraines qu'elles ha- bitoient de préférence ; car dans toute l'étendue de ces grottes , qui est de plus d'un demi-quart de lieue , je ne vis aucun autre amas d'une pareille matière , et je jugeai que les chauves-souris avoient fixé dans cet endroit leur deuieure commune , parce qu'il y parve- noit encore une très foible lumière par l'ouverture de la grotte , et qu'elles n'aîloient pas plus avant pour ne pas s'enfoncer dans une obscurité trop profonde. Les chauve-souris sont de vrais quadrupèdes; elles n'ont rien de commun que le vol avec les oiseaux ; ïnais comme l'action de voler suppose une très grande force dans la partie supérieure du corps et dans les membres antérieurs, elles ont les muscles pectoraux beaucoup plus forts et plus charnus qu'aucun des quadrupèdes, et l'on peut dire que par là elles res- semblent encore aux oiseaux; elles en diffèrent par tout le reste de la conformation tant extérieure qu'in- térieure : les poumons, le cœur, les organes delà gé- nération, tous les autres viscères, sont semblables à ceux des quadrupèdes , à l'exception de la \er^e , qui est pendante et détachée, ce qui est particulier à l'homme, aux singes, et aux chauve-souris : elles produisent, coujmc les quadrupèdes, leurs petits vi- vants; enfin elles ont, comme eux, des dents et des r.A CHAUVE-SOURIS. ^Sg mamelles : Ton assure qu'elles ne portent que deux; petits, qu'elles les allaitent et les transportent nicme en volant. C'est en été qu'elles s'accouplent et qu'elles mettent bas; car elles sont engourdies pendant l'hi- ver : les unes se recouvrent de leurs ailes comme d'un manteau, s'accrochent à la voûte de leur souterrain par les pieds de derrière , et demeurent ainsi suspen- dues ; les autres se collent contre les murs ou se re- cèlent dans des trous ; elles sont toujours en nombre pour se défendre du froid : toutes passent l'hiver sans bouger, sans manger, ne se réveillent qu'au prin- temps, et se recèlent de nouveau vers la fin de l'au- tomne. Elles supportent plus aisément la diète que le froid : elles peuvent passer plusieurs jours sans man- ger, et cependant elles sontdunombre des animaux carnassiers ; car lorsqu'elles peuvent entrer dans une office , elles s'attachent aux quartiers de lard qui y sont suspendus, et elles mangent aussi de la viande crue ou cuite, fraîche ou corrompue. Les naturalistes qui nous ont précédés ne connois- soient que deux espèces de chauve-souris. M. Dau- benton en a trouvé cinq autres, qui sont, aussi bien que les deux premières espèces, naturelles à notre climat; elles y sont même aussi communes, aussi abondantes, et il est assez étonnant qu'aucun obser- vateur ne les eût remarquées. Ces sept espèces sont très distinctes, très différentes les unes des autres, et n'habitent même jamais ensemble dans le même lieu. La première, qui étoit connue, est la chauve- souris commune , ou la chauve-souris proprement dite . dont j'ai donné ci-devant les dénominations. 26o ANIMAUX CARNASSIERS. La seconde est la chauve-souris à grandes oreil- les, que nous nommerons V oreillard {}^vespertilw auri- tus,L,), quia aussi été reconnue par les naturalistes et indiquée par les nomenclateurs. L'oreillard est peut- être plus commun que la chauve-souris; il est bien plus petit de corps ; il a aussi les ailes beaucoup plus courtes, le museau moins gros et plus pointu, les oreilles d'une grandeur démesurée. La troisième espèce , que nous appellerons la iioc- tale [vespertlUo noctula. L. ), du mot italien notula ^ n'étoit pas connue : cependant elle est très commune en France, et on la rencontre même plus fréquem- ment que les deux espèces précédentes. On la trouve sous les toits, sous les gouttières de plomb des châ- teaux, des églises, et aussi dans les vieux arbres creux; elle est presque aussi grosse que la chauve-souris ; elle a les oreilles courtes et larges, le poil roussâtre; la voix aigre , perçante , et assez semblable au son d'un timbre de fer. Nous nommerons Sfr6>^m^ (vespertillo serotinus. L.) la quatrième espèce, qui n'étoit nullement connue : elle est plus petite que la chauve-souris et que la noc- tule ; elle est à peu près de la grandeur de l'oreillard; mais elle en diffère par les oreilles, qu'elle a courtes et pointues, et par la couleur du poil; elle a les ailes plus noires et le poil d'un brun plus foncé. Nous appellerons la cinquième espèce, qui n'étoit i3as connue, ]di pipistrelle ( vespertilio pipistrellus. G.m.) , du mot italien pipistrello ^ qui signiûe aussi chauve- souris. La pipistrelle n'est pas, à beaucoup près, aussi grosse que la chauve-souris ou la noctule, ni même que la sérotine ou î'oreillard. De toutes les chauve- PI 48. Tome i5 PanQuet, scxiip 1 LAPIPISTEELLE _ 2 L A-BAKB ASTEUliE _ 5.XiA CHAUVE- SOURIS FEB.-DE -LANCE LA GIIAUVE-SOURIS. 261 souris c'est la plus petite et la moins laide , quoi- qu'elle ait la lèvre supérieure fort renflée , les yeux très petits, très enfoncés, et le front très couvert de poil. La sixième espèce , qui n'étoit pas connue , sera nommée barbastelle [vespertUlo barbastellus. Gm. ) , du mot italien barbasteUo^ qui signifie encore chauve- souris. Cet animal est à peu près de la grosseur de l'oreillard : il a les oreilles aussi larges , mais bien moins longues. Le nom de barbastelle lui convient d'autant mieux , qu'il paroît avoir une grosse mous- tache ; ce qui cependant n'est qu'une apparence oc- casionée par le renflement des joues, qui forment un bourrelet au dessus des lèvres : il a le museau très court , le nez fort aplati , et les yeux presque dans les oreilles. Enfin nous nommerons fcr-à-cheval [vespertilio fc- rum equinum. L. ) une septième espèce qui n'étoit nullement connue; elle est très frappante par la sin- gulière difformité de sa face, dont le trait le plus ap- parent et le plus marqué est un bourrelet en forme de fer à cheval autour du nez et sur la lèvre supé- rieure. On la trouve très communément en France dans les murs et dans les caveaux des vieux châteaux abandonnés. Il y en a de petites et de grosses, mais qui sont, au reste, si semblables par la forme, que nous les avons jugées de la même espèce; seulement, comme nous en avons beaucoup vu sans en trouver de grandeur moyenne entre les grosses et les petites, nous ne décidons pas si l'âge seul produit cette dif- férence, ou si c'est une variété constante dans la mêtne espèce. mirioiM. w. '7 26'2 ANIMAUX C A R N A S8 11' li S. LA ROUSSETTE' ET LA ROUGETTEl Pteropus vulgaris. Gm. Pteropus rubrkollis. Gm. La roussette et la roiigelte nous paroisseut faire deux espèces distinctes, mîCfs qui sont si voisines l'une de l'autre, et qui se ressemblent à tant d'égards, que nous croyons devoir les présenter ensemble : la seconde ne diffère de la première que par la grandeur du corps et les couleurs du poil. La roussette, dont le poil est d'un roux brun , a neuf pouces de longueur depuis le bout du museau jusqu'à l'extrémité du corps, et trois pieds d'envergure lorsque les mem- branes qui lui servent d'ailes sont étendues : la rou- gette, dont le poil est cendré brun, n'a guère que cinq pouces et demi de longueur et deux pieds d'en- vergure ; elle porte sur le cou un demi-collier d'un rouge vif, mêlé d'orangé, dont on n'aperçoit aucun vestige sur le cou de la roussette. Elles sont toutes deux à peu près des mêmes climats chauds de l'ancien continent; on les trouve à Madagascar, à l'île de Bourbon , à Ternate , aux Philippines, et dans les autres îles de l'archipel indien , où il paroît qu'elles sont plus communes que dans la terre ferme des con- tinents voisins. * J'ai trouvé dans une note de M. Gommerson qu'il 1. hsL roussette , vulgairement le chien-volant. •j. L-Arougctte , le chicn-volnnt à cou rouge. LA 110LS8ETTE ET LA ROUCETTli. 267) a VU à l'île de Bourbon des milliers de grandes chauve- souris (roussettes et rougeltes) qui voltigeoient sur le soir en bandes, comme les corbeaux, et se po- soient particulièrement sur L^s arbres de vaccoun, dont elles mangent les fruits. Tl ajvoute que, prises dans la bonne saison, elles sont bonnes à mano^er, que leur goût approche absolument de celui du liè- vre, et que leur chair est également noire. Feu M. de La Nux, qui ëtoit mon correspondant dans cette même île, m'a envoyé, depuis l'impres- sion de mon ouvrage, quelques observations, et de très bonnes réflexions critiques sur ce que j'ai dit de ces animaux.. Voici l'extrait d'une très longue lettre, fort instructive, qu'il m'a écrite à ce sujet de l'île de Bourbon , le 24 octobre 1 772 : « J'aime également, me dites-vous, monsieur, dans >) votre lettre du 8 mars 1770, j'aime également queî- » qu'un qui m'apprend une vérité ou qui me relève » d'une erreur : ainsi écrivez-moi, je vous supplie, » en toute liberté et toute franchise Oh! pour le n coup, je réponds, monsieur, on ne peut pas mieux » à votre noble invitation. Je n'ai point hésité de mo » livrer aux détails, et je ne veux point excuser ma » prolixité, bien fâché même de n'en savoir pas plus » sur les roussettes, pour avoir à vous en dire davan- » tage. Les preuves ne peuvent être trop multipliées, » me semble, quand il s'agit de combattre des er- » reurs accréditées depuis long -temps. L'on diroit » que l'on n'a vu ces animaux qu'avec les yeux de » l'eftroi; on les a trouvés laids, monstrueux; et, » sans autre examen que la première inspection de « leur fiffure . on leur a fait des mœurs, un caractère, s64 ANIMAUX ÇARiXASSIEUS. « et des habitudes, qu'ils n'ont point du tout, comme » si la méchanceté, la férocité, la malpropreté, » étoient inséparables de la laideur. » M. de La Nux obseï /e que, dans ma description, le volume de la roussette est exagéré , ainsi que le nombre de ces animaux; que leur cri n'a rien d'épou- vantable. 11 ajoule qu'un homme ouvrant la bouche et rétrécissant le passage de la voix en aspirant et respirant successivement avec force donne à peu près le son rauque du cri d'une roussette, et <[ue cela n'est pas fort effrayant. Il dit encore que quand ces animaux sont tranquilles sur un grand arbre, ils ont un gazouillement de société léger, et qui n'est point déplaisant. Page 62. « Pline a eu raison, dit-il, de traiter de » fabuleux le récit d'Hérodote : les roussettes, les •) rougettes, au mokis dans ces îles, ne se jettent T) point sur les hommes; elles les fuient, bien loin » de les attaquer. Elles mordent, et mordent très » dur; mais c'est à leur corps défendant, quand elles » sont abattues, soit par le court-bâton^ soit par le » coup de fusil, ou prises dans des fdets; et quicon- » que en est mordu ou égratigné n'a qu'à s'en pren- » dre à sa maladresse, et non à une férocité que l'a- » nimal n'a point. w Le volume des roussettes est ici plus approchant » du vrai.... Les chauve-souris volent en plein jour dans » le Malabar, Cela est vrai des roussettes, et non des » rougettes. Les autres volent en plein jour : cela » veut seulement dire qu'on en voit voler de temps à » autre dans le cours du jour, mais une à une, et » point en troupes. Alors elles volent très haut et assez LA KOUSSETTE ET LA ROUGETXE. ^65 » pour que leur ampleur paroisse nioiadre de plus » de moitié. Elles vont fort loin et à tire-d'aile, et je .) crois très possible qu'elles traversent de cette île de )) Bourbon à l'Ile-de-France en assez peu de temps » (la distance est au moins de trente lieues). Elles ne » planent pas comme l'oiseau de proie, comme la ') frégate, etc. : mais dans cette grande élévation au » dessus de la surface de la terre, de cent, peut-être » deux cents toises et plus, le mouvement de leurs » bras est lent; il est prompt quand elles volent bas, » et d'autant plus prompt qu'elles sont plus proches » de terre. ») A parler exactement , la roussette ne vit pas en » société; le besoin d'aliujents, la pâture, les réunis- ') sent en troupes, en compagnies plus ou moins nom- » breuses. Ces compagnies se forment fortuitement « sur les arbres de haute futaie , ou chargés ou à » proximité des fleurs ou des fruits qui leur convien- » nent. On voit les roussettes y arriver successive- » ment, se pendre par les grilles de leurs pattes de » derrière , et rester là tranquilles fort long-temps, si » rien ne les eflarouche ; il y en a cependant toujours » quelques unes, de temps en temps, qui se déta- » client et font compagnie. Mais qu'un oiseau de proie )) passe au dessus de l'arbre , que le tonnerre vienne » à éclater, qu'il se tire un coup de fusil ou sur elles » ou dans le canton, ou que, déjà pourchassées et » effarouchées, elles entrevoient au dessous d'elles » quelqu'un, soit chasseur ou autre , elles s'envolent » toutes à la fois, et c'est pour lors qu'on voit en pleia » jour de ces compaguies qui, quoique bien fournies, )) n'obscurcissent point l'air; elles ne peuvent voler 2(36 AMMAUX CARNASSIERS. >) assez serrées pour cela ; l'expression est au moins » hyperbolique. Mais dire, on voit sur tes arbres une » infinité de grandes chauve-souris qui pendent atta- >) allées les unes aux autres sur les arbres^ c'est dire » assez mal une fausseté , ou du moins une absurdité. » Les roussettes sont trop hargneuses pour se tenir * ainsi par la main; et, en considérant leur forme, » on reconnoît aisément l'impossibilité d'une pareille » chaîne. Elles branchent ou au dessus, ou au des- » sous, ou à côté les unes des autres, mais toujours » une à une. » Je dois placer ici le peu que j'ai à dire des rouget- » tes. On n'en voit point voler de jour. Elles vivent » en société dans de grands creux d'arbres pourris, » en nombre quelquefois de plus de quatre cents. » Elles ne sortent que sur le soir à la grande brune, » et rentrent avant l'aube. L'on assure, et il passe en » cette île pour constant, que, quelle que soit la » quantité d'individus qui composent une de ces so- » ciétés , il ne s'y trouve qu'un seul mâle. Je n'ai pu » vérifier le fait. Je dois seulement dire que ces ani- » maux sédentaires parviennent à une haute graisse; » que, dans le commencement de la colonie, nom- » bre de gens peu aisés et point délicats, instruits » sans doute par les Madé«casses, s'approvisionnoienl » largement de cette graisse pour en apprêter leur » manger. J'ai vu le temps où un bois de chauve-sou- » ris (c'est ainsi qu'on appeloit les retraites de nos » rougettes) éloitune vraie trouvaille. 11 étoit facile, » comme on en peut juger, de défendre la sortie de » ces animaux , puis de les tirer en vie un à un , ou de » les étouffer par la fumée, et, de façon ou d'autre. LA ROUSSETTE HT LA ROLGLTTli. 'jih )> de connoître le nombre de femelles et de malos » qui composoieiit la société. Je n'en sais pas pins siu' » cette espèce.... Antre hyperbole. Le bruit que ce» ») animaux font pendant La nuit en dévorant en grande » troupe les fruits mûrs, qu'ils savent discerner dans » l'épaisseur des bois En lisant cela, qui n'attri- » buera ce prétendu bruit à l'acte de la mastication? » Le bruit que Ton entend de fort loin, et de jour » comme de nuit, est celui naturel à ces animaux )) quand ils sont en colère, et quand ils se disputent » la pâture; et il ne faut pas croire que les roussettes ?» ne mangent que la nuit. Elles ont l'œil bon ainsi » que l'odorat; elles voient très bien le jour : il n'est » point merveilleux qu'elles discernent dans l'épais- » seur des bois les fruits, les graines mûres, ainsi que » les fleurs. D'ailleurs les bananes de toute espèce, » dont elles sont très friandes, les pêches et les autres » fruits que les Indiens cultivent, ne sont point dans » l'épaisseur des bois.... La roussette est un bon gi- i> bier Oui, pour qui peut vaincre la répugnance » qu'inspire sa figure. La jeune surtout de quatre à » cinq mois , déjà grasse , est en son genre aussi bonne » que le pintadeau, que le marcassin dans le leur. » Les vieilles sont dures , bien que très grasses dans la » saison des fruits qui leur conviennent, c'est-à-dire » pendant tout l'été et une bonne partie de î'au- » tomiie. Les mâles surtout acquièrent en vieillissant >) un fumet déplaisant et fort.... Il n'est pas aulre- » ment exact de dire en général : Les Indiens en mon- » gent. On sait que l'Indien ne mange d'aucun ani- .) maï, qu'il n'en tue aucun. Peut-être bien les Maures, >) les Malayes, en mangent-ils; certainement bien des 568 AIXIJIAUX CARNASSIERS. » Européens en mangent : ainsi, dans le vrai, on » mange des roussettes dans l'Indu ^ quoique l'In- » dien, proprement dit, n'en mange pas. Dans celte » île, on mange des roussettes et des rougettes. » Après l'examen ci-dessus, je viens au corps de » riîistoire; il a besoin de rectification; et pour preuve, » je n'ai qu'à opposer ce que je connois des rous- w settes, ce que j'en ai vu, et ce qu'en ont imaginé » les autres, d'après lesquels l'historien de la nature » a parlé. » Les roussettes et les rougettes sant naturelles » dans les îles de France, de Bourbon , et de Mada- » gascar. Il y a cinquante ans et plus (en 1772) que » j'habite celle de Bourbon. Quand j'y arrivai, en » septembre 1722, ces animaux étoient aussi com- » muns, même dans les quartiers déjà établis, qu'ils » y sont rares actuellement. La raison en est toute » naturelle. 1** La forêt n'étoit pas encore éloignée des » établissements, et il leur faut la forêt; aujourd'hui » elle est très reculée. 2° La roussette est vivipare , et » ne met au jour qu'un seul petit par an. o"* Elle est » chassée pour sa viande, pour sa graisse, pour les » jeunes individus, pendant tout l'été, tout l'automne » et une partie de l'hiver, par les blancs au fusil , par » les nègres au filet. Il faut que l'espèce diminue » beaucoup et en peu de temps; outre qu'abandon- » nant les quartiers établis pour se retirer dans les » lieux qui ne le sont pas encore , et dans l'intérieur » de l'île , les nègres marrons ne les épargnent pas » quand ils le peuvent. » Le temps des amours de ces animaux est ici vers » le mois de mai, c'est-à-dire, en général, dans le LA ROLSSETTE ET LA ROLGETTE. 269 » milieu de rautomiie; celui de la sortie des fœtus » est environ un mois après l'ëquinoxe du printemps : » ainsi la durée de la gestation est de quatre et demi » à cinq mois. J'ignore celle de l'accroissement des » petits; mais je sais qu'il paroît fait au solstice d'hi- » ver, c'est-à-dire à peu près au bout de huit mois » depuis la naissance. Je sais de plus qu'on ne voit )> plus de petites roussettes passé avril et mai, temps » auquel on distingue aisément les vieilles des jeunes » par les couleurs plus vives des robes de celles-ci. » Les vieilles grisonnent, je ne sais pas au bout de » quel temps, et c'est pour lors qu'elles sont très » dures, les mâles surtout : c'est pour lors que ceux- » ci sentent très fort, comme je l'ai déjà dit, qu'il » n'y a que des nègres qui puissent en manger, et » qu'il n'y a de bon que leur graisse, dont en géné- » rai l'espèce est assez bien pourvue depuis la fin du j) printemps jusqu'au commencement de l'hiver. >) Ce n'est certainement pas la chair, de quelque » espèce que ce soit, qui fournit l'embonpoint des » roussettes et des rougettes, ni même qui fait le » moindrement partie de leur nourriture 3 ce n'est » pas de la viande qu'il leur faut. Bref, ces animaux » ne sont point du tout carnassiers; ils sont et ne » sont que frugivores. Les bananes, les pêches, les » goyaves, bien des sortes de fruits dont nos forêts )) sont successivement pourvues, les baies de gui et » autres, voilà de quoi ils se nourrissent, et ils ne se /) nourrissent que de cela. Ils sont encore très friands » de sucs de certaines fleurs à ombelle, telles, entre » autres, celles de nos bois puants, dont le nectareum » est très succinct. Ce sont ces fleurs très abondantes lire A MM AUX CAUiN AifclEIlS. » en janvier et février, plus géîaéraiement au cœur de » l'été, qui attirent vers le bas de notre île les rous- n «ettes en grand nombre; elles font pleuvoir à terre » les étamines nombreuses de ces fleurs, et il est très ') probable que c'est pour la succion du nectareum » des fleurs à ombelle, peut-être encore de nombre » d'autres fleurs de genres différents , que leur langue » est telle que l'apprend l'exacte et savante description » qu'en a donnée M. Daubenton. J'observerai que la » mangue est un fruit dont la peau est résineuse, et que » nos animaux n'y touchent point. Je sais qu'en cage » on leur afait manger du pain, des cannes à sucre, etc. » Je n'ai pas su si on leur avoit fait manger de la >) viande crue, surtout : mais en eussent-elles mangé ') en cage, ce n est point dans l'état d'esclavage que » je les considère, il change trop les mœurs, les ca- » ractères, les habitudes à tous les animaux. Dans le » très vrai, l'homme n'a rien à craindre de ceux-ci » pour lui personnellement, ni pour sa volaille. Il » leur est de toute impossibilité de prendre , je ne » dis pas une poule, mais le moindre petit oiseau. «Une roussette ne peut pas, comme un faucon, » comme un épervier, etc. , fondre sur une proie. Si » elle approche trop la terre, elle y tombe et ne » peut reprendre le vol qu'en grimpant contre quel- » que appui que ce puisse être , fût-ce un homme » qu'elle rencontrât *^. Une fois à terre, elle ne peut p que s'y traîner mausSadement et assez lentement : 1 . J'ai vu une roussette , toute jeune encore , entrer au vol clans ma maison à la grande brune, s'abattre exactement aux pietls d'une jeune négresse de sept à Imit ans, et incontinent grimper le long de cei en/ant, qui, par bonheur, étoit proche de moi. Je la débarrassai LA IlOUSSETTE ET LA IlOUGETTE. 27 1 •) aussi ne s'y tient-elle que le moins de temps qu'elle » peut; elle n'est point faite pour la course. Voudroil- » eJle attraper un oiseau sur une branche? la dégaine •) avec laquelle elle est souvent obligée d'en parcourir » une pour aller vers le bout mettre le vent dans ses » voiles, pour aller prendre son vol, montre évîdem- » ment que telles tentatives ne lui réussiroient jamais. » Et, afin de me mieux faire entendre, je dois dire » que, pour s'envoler, ces animaux ne peuvent, » comme les oiseaux, s'élancer dans l'air; ils faut qu'ils » le battent des ailes à plusieurs reprises, avant de » dépendre les griffes de leurs pattes de l'endroit où » ils se sont accrochés; et quelque pleines que soient » les voiles en quittant la place, leur poids les abaisse; » et, pour s'élever, ils parcourent la concavité d'une » courbe. Mais la place où ils se trouvent quand il » faut partir n'est pas toujours commode pour le jeu » libre de leurs ailes; il peut se trouver des branches )i trop proches qui l'empécheroient , et dans cetle » conjoncture la roussette parcourt la branche jus- » qu'à ce qu'elle puisse prendre son essor sans risque. » 11 arrive assez souvent, dans une nombreuse troupe » de ces quadrupèdes volants, surprise, ou [)ar un » coup de tonnerre ou un coup de fusil, ou par tel A autre épouvantail subit, et surprise sur un arbre de » médiocre hauteur, comme de vingt à trente pieds, » sous les branches; il arrive, dis-je , assez ordinai- » rement que plusieurs tombent jusqu'à terre avant » d'avoir pu prendre l'air nécessaire pour les soutenir, » et on les voit incontinent remonter le long des ar- asscz prornptemeut pour que les crochets des ailes n'eussent point en- core alieiut ou ses épaules ou son Tisage. U^.'l AKIMAUX CAllNASSIfilVS. » bres qui se trouvent à leur portée, pour prendre » leur vol sitôt qu'elles le peuvent. Que Ton se re- » présente des voyageurs chassant ces animaux qu'ils » ne connoissent point, dont la forme et la figure leur » causent un certain eiTroi, entourés tout à coup d'un » nombre de roussettes tombées de leur faîte; que » quelqu'un de la bande se trouve empêtré d'une ou » deux roussettes grimpantes, et que , cherchant à se » débarrasser et s'y prenant mal, il soit égratigné,, » même mordu, ne voilà-t-il pas le thème d'une re- » lation qui fera les roussettes féroces, se ruant sur » les hommes, cherchant à les blesser au visage, à » les dévorer, etc. ? Et, au bout du compte, cela se » réduira à la rencontre fortuite d'animaux d'espèces » bien différentes, qui avoient grand'peur les uns des » autres. J'ai dit plus haut qu'il falioit la foret aux » roussettes; on voit bien ici que c'est par instinct de » conservation qu'elles la cherchent, et non par ca- » ractère sauvage et farouche. A ce que j'ai déjà fait » connoître des roussettes et des rougettes, si j'ajoute » qu'elles ne donnent point sur la charogne, que na- » turellement elles ne mangent point à terre, qu'il » faut qu'elles soient appendues pour prendre leur » nourriture, j'aurai, je pense, détruit le préjugé qui » les fait carnivores, voraces, méchantes, cruelles, etc. » Si je dis de plus que leur vol est aussi lourd, aussi -' bruyant, surtout proche de terre, que celui des ». vampires doit l'être peu, doit être léger, j'aurai, » par ce dernier caractère, éloigné considérablement w encore une espèce de l'autre. » De ce que Ton voit parfois des roussettes raser » la surface de l'eau ^ à peu près comme fait l'hiron- L\ ROUSSETTE ET LA HOUGETTE. ^^J w délie, on les fait se nourrir de poisson, on en a fait >» des pécheurs ; et il ie falloit bien , dès qu'on vouloit » qu'elles mangeassent de tout. Cette chair ne leur » convient pas plus que toute autre. Encore une fois, » elles ne se nourrissent que de végétaux. C'est pour » se baigner qu'elles rasent l'eau; et si elles se sou- >» tiennent au vol plus près de l'eau qu'elles ne le » peuvent de la terre , c'est que la résistance de celle- » ci intéresse le battement des ailes, qui est libre sur » l'eau. De ceci résulte évidemment la propreté na- » turelle des roussettes. J'en ai bien vu, j'en ai bien » tué, je n'ai jamais trouvé sur aucune d'elles la raoin- » dre saleté; elles sont aussi propres que le sont en ï) 2:énéral les oiseaux. )) La roussette n'est pas de ces animaux que nous n sommes portés à trouver beaux; elle est même dé- » plaisante à voir en mouvement et de près. II n'y a » qu'un seul point de vue, et il n'y a qu'une seule î) attitude qui lui soit avantageuse relativement à » nous , dans laquelle on la voie avec une sorte de a plaisir, dans laquelle tout ce qu'elle a de hideux, » de monstrueux, disparoît. Branchée à un arbre, » elle s'y tient la tète en bas, les ailes pliées et exac- » tement plaquées contre le corps : ainsi sa voilure, » qui fait sa difforinité, de même que ses pattes de » derrière qui la soutiennent à l'aide des griffes dont » elles sont armées, ne paroissent point. L'on ne voit 0 en pendant qu'un corps rond, potelé, vêtu d'une « robe d'un brun foncé, très propre et bien colorié, « auquel tient une tête dont la physionomie a quel- * que chose de vif et de fin. Voilà l'attitude de repos «» des roussettes, elles n'ont que celle-là, et c'est 2^4 ANIMAUX CAl'.N ASSIEUS. » celJe dans laquelle elles se tiennent le plus long- » temps pendant le jour. Quant au point de vue, c'est » à nous à le choisir. 11 faut se placer de manière à » les voir dans un demi-raccourci, c'est-à-dire à l'é- » 'ovation au dessus de terre de quarante à soixante » pieds, et dans une distance de cent cinquante pieds, » plus ou moins. Maintenant qu'on se représente la » tête d'un grand arbre garnie, dans sort pourtour et » dans son milieu, de cent, cent cinquante, peut- » être deux ccnSs de pareilles girandoles, n'ayant de » mouvement que celui que le vent donne aux bran- » ches, et l'on se fera l'idée d'un ta'bleau qui m'a » toujours paru curieux, et qui se fait regarder avec ') plaisir. Dans les cabinets les plus riches en sujets » d'histoire naturelle, on ne manque pas de placer » une roussette déployée et dans toute l'étendue de » son envergure, de sorte qu'on la montre dans son » action et dans tout son laid. Il faudroit, ce me sem- » ble, s'il étoit possible, en montrer à côté ou au » dessus, quelqu'une dans l'attitude naturelle du re- » pos; car celle que montre l'estampe n'est point » encore la véritable : on ne voit jamais les roussettes » à terre tranquilles sur leurs quatre jambes. )) Je terminerai ces notes en disant que la rous- » sette et la rougette fournissent une nourriture saine. » On n'a jamais entendu dire que qui que ce soit en » ait été incommodé, quoique nombre de fois on en » ait mangé avec excès. Cela ne doit point surprendre, ') dès que l'on sait bien que ces animaux ne vivent » que de fruits mûrs, de sucs et de fleurs, et peut- » être des exsudations de nombre d'arbres. Je le ») soupçonnois fortcmenl ; le passage d'Hérodote me r.A UOLSSETTi: ET LA ROUGETTE. 27.) le fais croire : mais je ne l'ai jj.^as assez vu pour don- ner la chose comme une vérité conslante. ) *6«e«>ee^9-&eK8'0««*9*B(>* «. LE V4MPIRE\ VespertlUo spectrwn. L. On trouve aussi dans les pays chauds du ]N ou veau- Monde un autre quadrupède volant dont on ne nous a pas transmis le nom américain, et que nous appel- lerons vamplre_g parce qu'il suce le sang des hommes et des animaux qui dorment, sans leur causer assez de douleur pour les éveiller. Cet animal d'Amérique est d'une espèce différente de celles de la roussette et de la rougette, qui toutes deux ne se trouvent qu'en Afrique et dans l'Asie méridionale. Le vampire est plus petit que la rougette, qui est plus petite elle- même que la roussette. Le premier, lorsqu'il vole, paroît être de la grosseur d'un pigeon; la seconde, de la grandeur d'un corbeau ; et la troisième, de celle d'une grosse poule. La rougette et la roussette ont toutes deux la tête assez bien faite, les oreilles cour- tes, le museau bien arrondi, et h peu près de la forme de celui d'un chien : le vampire, au contraire, a le museau plus allongé; il a l'aspect hideux comme les plus laides chauve-souris, la tête informe et surmon- 1. Le vampire , animal de l'Amérique, qui u'a été indiqué que par les noms vagues de gronde chauve-souris d'Amérique, ou de chien vo- lant de la Nouvelle -Espagne. 2^6 ANIMAUX CARNASSIERS. tée de grandes oreilles fort ouvertes et fort droites ; il a le nez contrefait, les narines en entonnoir, avec une membrane au dessus qui s élève en forme de corne ou de crête pointue, et qui augmente de beaucoup la dif- formité de sa face. Ainsi l'on ne peut douter que cette espèce ne soit tout autre que celles de la roussette et de la rougette. Le vampire est aussi malfaisant que difforme; il inquiète l'homme, tourmente et détruit les animaux. Nous ne pouvons citer un témoignage plus authentique et plus récent que celui de M. de La Condamine. « Les chauve-souris, dit-il, qui sucent le « sang des chevaux , des mulets , et même des hommes » quand ils ne s'en garantissent pas en dormant à l'a- » bri d'un pavillon, sont un fléau commun à la plupart » des pays chauds de l'Amérique. Il y en a de inons- » trueuses pour la grosseur ; elles ont entièrement dé- T> truit à Borja^ et en divers autres endroits, le gros » bétail que les missionnaires y avoient introduit, et » qui commençoit à s'y multiplier. » Ces faits sont con- firmés par plusieurs autres historiens et voyageurs. Pierre Martyr, qui a écrit assez peu de temps après la conquête de l'Amérique méridionale, dit qu'il y a dans les terres de l'isthme de Darien des chauve-sou- ris qui sucent le sang des hommes et des animaux pendant qu'ils dorment, jusqu'à les épuiser, et même au point de les faire mourir. Jumiila assure la même chose, aussi bien que don George Juan et don An- toine de Ulloa. Il paroît, en conférant ces témoigna- ges, que l'espèce de ces chauve-souris qui sucent le sang est nombreuse et très commune dans toute l'A- mérique méridionale : néanmoins nous n'avons pu jusqu'ici nous en procurer un seul individu ; mais ou LE VAMriKE. 277 peut voir dans Seba la ligure et la description de cet animai, dont le nez est si extraordinaire, que je suis très étonné que les voyageurs ne l'aient pas remarqué, et ne se soient point écriés sur cette difformité qui saute aux yeux, et de laquelle cependant ils n'ont fait aucune mention. Il se pourroit donc que l'animal étrange dont Seba nous a donné la figure, ne fût pas celui que nous indiquons ici sous ie nom de vampire^ c'est-à-dire celui qui suce le sang; il se pourroit aussi que cette figure de Seba fût infidèle ou chargée; en- fin il se pourroit que ce nez difforme fût une mons- truosité ou une variété accidentelle, quoiqu'il y ait des exemples de ces difformités constantes dans quel- ques autres espèces de chauve-souris. Le temps éclair- cira ces obscurités, et fixera nos incertitudes. A l'égard de la roussette et de la rougelte , elles sont toutes deux au Cabinet du Roi , et el les sont venues de l'île de Bourbon. Ces deux espèces ne se trouvent que dans l'ancien continent, et ne sont nulle part aussi nombreuses en Afrique et en Asie que celle du vam- pire l'est en Amérique. Ces animaux sont plus grands, plus forts , et peut-être plus méchants que le vampire ; mais c'est à force ouverte, en plein jour aussi bien que la nuit, qu'ils font leur dégât : ils tuent les vo- lailles et les petits animaux; ils se jettent même sur les hommes, les insultent et les blessent au visage par des morsures cruelles; et aucun voyageur ne dit qu'ils sucent ie sang des hommes et des animaux endormis. Les anciens connoissoient imparfaitement ces qua- drupèdes ailés, qui sont des espèces de monstres; et il est vraisemblable que c'est d'après ces modèles bi- zarres de la nature que leur imagination a dessiné les lîUFFOlV. XV. 18 278 ANIMAUX CARNASSIERS. harpies. Les ailes, les dents, les griffes, la cruauté, la voracité, la saleté, tous les attributs difformes, tou- tes les facultés nuisibles des harpies, conviennent assez à nos roussettes. Hérodote ^ paroît les avoir indiquées lorsqu'il a dit qu'il y avoit de grandes chauve-souris qui incommodoient beaucoup les hommes qui al- loient recueillir la casse autour des marais de l'Asie; qu'ils étoient obligés de se couvrir de cuir le corps et le visage pour se garantir de leurs morsures dan- gereuses. Strabon parle de très grandes chauve-souris dans la Mésopotamie, dont la chair est bonne à man- ger. Parmi les modernes, Albert, Isidore, Scaliger, ont fait mention, mais vaguement, de ces grandes chauve-souris; Linscot, Nicolas Mathias, François Pyrard, en ont parlé plus précisément, et Obliger Jacobeus en a donné une courte description avec la figure; enfin l'on en trouve des descriptions et des figures bien faites dans Seba et dans Edwards, les- quelles s'accordent avec les nôtres. Les roussettes sont des animaux carnassiers , vora- ces, et qui mangent de tout; car lorsque la chair ou le poisson leur manquent, elles se nourrissent de vé- gétaux et de fruits de toute espèce : elles boivent le suc des palmiers, et il est aisé de les enivrer et de les prendre, en mettant à portée de leur retraite des vases remplis d'eau de palmier ou de quelque autre liqueur fermentée. Elles s'attachent et se suspendent aux arbres avec leurs ongles : elles vont ordinaire- 1. Livre III. Il est singulier que Pline, qui nous a transmis comme \rais tant de faits apocryphes et même morvoillcux, accuse ici iJéro- floto de mensonge, et dise que ce fait des chauve-souris qui se jettent sur les hommes n'est qu'un conte de la vieille et fabuleuse antiquilé. LE VAMriRE. 270 menl en Iroupes, et plus la nuit que le jour; elles fuient les lieux trop fréquentés, et demeurent dans des déserts, surtout dans les îles inhabitées. Elles se portent au coït avec ardeur. Le sexe dans le mâle est très apparent : la verge n'est point engagée dans un fourreau comme celle des quadrupèdes ; elle est hors du corps à peu près comme dans l'homme et le singe. Le sexe des femelles est aussi fort apparent ; elles n'ont que deux mamelles placées sur la poitrine, et ne produisent qu'en petit nombre, mais plus d'une fois par an. La chair de ces animaux, surtout lors- qu'ils sont jeunes, n'est pas mauvaise à manger; les Indiens la trouvent bonne, et ils en comparent le goût à celui de la perdrix ou du lapin. Les voyageurs de l'Aniérique s'accordent à dire que les grandes chauve-souris de ce nouveau conti- nent sucent, sans les éveiller, le sang des hommes et des animaux endormis. Les voyageurs de l'Asie et de l'Afrique qui font mention de la roussette ou de la rougette ne parlent pas de ce fait singulier; néan- moins leur silence ne fait pas une preuve complète, surtout y ayant tant de conformité et tant d'autres ressemblances entre les roussettes et ces grandes chauve-souris que nous avons appelées vampires : nous avons donc cru devoir examiner comment il est possible que ces animaux puissent sucer le sang sans causer en môme temps une douleur au moins assez sensible pour éveiller une personne endormie. S'ils entamoient la chair avec leurs dents., qui sont très fortes et grosses comme celles des autres quadrupè- des de leur taille, l'homme le plus profondément endormi, et les animaux surtout, dont le sommeil est 280 ANIMAUX CAUNASSIEns. plus léger que celui de l'homme, seroient brusque- meut réveillés par la douleur de cette morsure ; il en est de même des blessures qu'ils pourroient faire avec leurs ongles : ce n'est donc qu'avec la langue qu'ils peuvent faire des ouvertures assez subtiles dans la peau pour en tirer du sang et ouvrir les veines sans causer une vive douleur. Nous n'avons pas été à por- tée de voir la langue du vampire ; mais celle des rous- settes, que M. Daubenton a examinée avec soin, semble indiquer la possibilité du fait : cette langue est pointue et hérissée de papilles dures très fines, très aiguës et dirigées en arrière; ces pointes, qui sont très fines, peuvent s'insinuer dans les pores de la peau, les élargir, et pénétrer assez avant pour que le sang obéisse à la succion continuelle de la langue. Mais c'est assez raisonner sur ce fait dont toutes les circonstances ne nous sont pas bien connues , et dont quelques unes sont peut-être exagérées ou mal ren- dues par les écrivains qui nous les ont transmises. * M. Roume de Saint-Laurent nous a écrit de la Grenade, en date du 18 avril 1778, au sujet de la grande chauve-souris ou vampire de l'île de la Tri- nité. Les remarques de ce judicieux observateur confirment tout ce que nous avions dit et pensé d'a- bord sur les blessures que fait le vampire, et sur la manière particulière dont il suce le sang, et dont se fait l'excoriation de la peau dans ces blessures. J'en avôis, pour ainsi dire, deviné la mécanique : cepen- dant l'amour de la vérité et l'attention scrupuleuse à rapporter tout ce qui peut servir à l'éclaircir m'a- voient porté à donner sur ce sujet des témoignages qui sembloient contredire mon opinion; mais j'ai vu LE VAMPIRE. 2S1 qu'elle étoit bien l'ondée, et que MM. de Saiut-Laii- reut et Gaulthier ont observé tout ce que j'avois pré- i>umé sur la manière dont ces animaux font des plaies sans douleur, et peuvent sucer le sang jusqu'à épui- ser le corps d'un homme ou d'un animal , et les faire mourir. 9'&tt««Si»«.e>o9«ie««<3>â;e La femelle ne pro- duit qu'un petit; on peut le conjecturer, parce que M. Pallas, dans la dissection qu'il a faite d'une de ces femelles, n'a trouvé qu'un fœtus. Il appelle cette chauve-souris céphalote^ parce qu'elle a la tête plus grosse à proportion du corps que les autres chauve-souris; le cou y est aussi plus distinct, parce qu'il est moins couvert de poil. « Cette chauve-souris, continue M. Pallas, diffère » de toutes les autres par les dents, qui ont quelque » ressemblance avec les dents des souris ou même » des hérissons, paroissant plutôt faites pour entamer >j les fruits que pour déchirer une proie : les dents ca- » nines, dans la mâchoire supérieure, sont séparées par » deux petites dents; et dans la mâchoire inférieure, » ces petites dents manquent, et les deux canines » de cette mâchoire sont comme les incisives dans les » souris. » Je crois devoir rapporter ici une table du nombre et de Tordre des dents dans les espèces de chauve- souris, et qui m'a été communiquée par M. Dauben- ton. On verra d'autant mieux, par cette table, que la chauve-souris cépbalote, et une autre dont je par- lerai tout à l'heure, sous le nom de chauve-souris mu- saraigne^ sont de nouvelles espèces qui n'ont été in- (liquées que par M. Pallas. H. 47 Toinei5 '. PâXLûuet, scuLp • 1 L' OREILL ART) _ 2.LA sÉrOTTNE- 3 LAHOCTULE LA CÊPHALOTE 283 NOMS des CHAUVE-80U1\IS. Le fer-à-cheval. La feuille r^e rat volant Le mulot volant La marmotte volante Le lérot volant Le campagnol volant La noctule La SMotine Le chien volant J^a roussette La pipistrelle L'oroillard La chauve-souris Le muscardin volant Le fer-d('-lai\ce La céphalote La chauve-souris musaraigne. S Cl. 3 - rément dans une pareille occasion, et dans un be- » soin aussi pressant, qu'ils auroient dû manifester » leur fureur carnassière, si peu qu'ils eussent été de » cette nature. Ils n'ont jamais tué d'animaux pour » les dévorer; et pour peu qu'ils fussent carnassiers, » ilsn'abandonneroientpasles pays couverts de neige, » où ils trouveroient des hommes et des animaux à » discrétion, pour aller au loin chercher des fruits et » des racines, nourriture que les bêtes carna*ssières « refusent de manger. » M. du Pratz ajoute dans une note, que depuis qu'il a écrit cet article, il a appris avec certitude que dans les montagnes de Savoie il y a deux sortes d'ours : les ujis noirs, comme ceux de la Louisiane, qui ne sont point carnassiers; les autres rouges, qui sont aussi carnassiers que les loups. i7ouîis. 395 Le baron de La Hontan dit que les ours du Canada sont extrêmement noirs et peu dangereux; qu'ils n'attaquent jamais les hommes, à moins qu'on ne tire dessus ou qu'on ne les blesse ;'et il dit aussi que les ours rougeâtres sont méchants, qu'ils viennent effrontément attaquer les chasseurs, au lieu que les noirs s'enluient. Wormius a écrit qu'on connoît trois ours en Nor- wège : le premier [bressdiur), très grand, qui n'est pas tout-à-fait noir, mais brun, et qui n'est pas si nuisible que les autres, ne vivant que d'herbes et de teuilles d'arbres; le second [ildgicrsdlur ), plus petit, plus noir, carnassier, et attaquant souvent les che- vaux et les autres animaux, surtout en autojune; le troisième [myrehioni) , ([ui est le plus petit de tous, et qui ne laisse pas d'être nuisible. Il se nourrit, dit-il , de fourmis , et se plaît à renverser les fourmi- lières. On a remarqué (ajoute-t-il sans preuve) que ces trois espèces se mêlent, et produisent ensemble des espèces intermédiaires; que ceux qui sont car- nassiers attaquent les troupeaux, foulent toutes les bêtes comme le loup, et n'en dévorent qu'une ou deux; que, quoique carnassiers, ils mangent des fruits sauvages; et que quand il y a une grande quan- tité de sorbes, ils sont plus à craindre que jamais, parce que ce fruit acerbe leur agace si fort les dents, qu'il n'y a que le sang et la graisse qui puissent leur ôter cet agacement qui les empêche de manger. Mais la plupart de ces faits rapportés par Wormius me pa- roissent fort équivoques; car il n'y a point d'exemple que des animaux dont les appétits sont constamment différents, comme dans les deux premières espèces, 2C)6 kNlM^VX GAllNASSIEllS. dont les uns ne mangent que Je i'iiei be et des feuilles, et les autres de la chair et du sang, se mêlent en- semble et produisent une espèce intermédiaire. D'ail- leurs ce sont ici hes ours noirs qui sont carnassiers , et les bruns qui sont frugivores : ce qui est absolu- ment contraire à la vérité Déplus, le P. R.zaczynski, Polonois, et M. Klein, de Dantzick, qui ont parlé des ours de leur pays, n'en admettent que deux es- pèces, les noirs et les bruns ou roux; et parmi ces derniers, des grands et des petits. Ils disent que les ours noirs sont plus rares, que les brunssont au con- traire fort communs; que ce sont les ours noirs qui sont les plus grands et qui mangent les fourmis, et enfin que les grands ours bruusou roux sont les plus nuisibles et les plus carnassiers. Ces témoignages, aussi bien que ceux de M. du Pratz et du baron de LaHontan, sont, comme l'on voit, tout-à-fait oppo- sés à celui de Wormius que je viens de citer. En eflet, il paroît certain que les ours rouges, roux ou bruns, qui se trouvent non seulement en Savoie, mais dans les hautes montagnes , dans les vastes forets, et dans presque tous les déserts de la terre, dévorent les ani- maux vivants, et mangent même les voiries les plus infectes. Les ours noirs n'habitent guère que les pays froids; mais on trouve des ours bruns ou roux dans Jes climats froids et tempérés, et même les régions du midi. Ils éloient communs chez les Grecs; les Romains en faisoient venir de Libye pour servir à leurs spectacles : il s'en trouve à la Chine , au Japon, en Arabie , en Egypte , et jusque dans l'ile de Java. Aristote parle aussi des ours blancs terrestres, et re- garde cette difl'érence de couleur comme acciden- LOURS. 2g^ telle, et provenant, dit-il, d'un tlefaut dans îa géné- ration. Il y a donc des 04.irs dans tous les pays déserts^ escarpés ou couverts ; mais on n'en trouve point dans les royaumes bien peuplés, ni dans les terres décou- vertes et cultivées : il ny en a point en France, non plus qu'en Angleterre , si ce n'est peut-être quelques uns dans les montagnes les moins fréquenlées. L'ours est non seulement sauvage, mais solitaire ; il fuit par instinct toute société; il s'éloigne des lieux où les hommes ont accès; il ne se trouve à son aise que dans les endroits qui appartiennent encore à la vieille nature : une caverne antique dans des rochers inaccessibles, une grotte formée par le temps dans le tronc d'un vieux arbre, au milieu d'une épaisse forêt, lui servent de domicile; il s'y retire seul, y passe une partie de l'hiver sans provisions, sans en sortir pendant plusieurs semaines. Cependant il n'est point engourdi ni privé de sentiment, comme le loir ou la marmotte; mais comme il est naturellement gras, et qu'il l'est excessivement sur la fin de l'au- tomne, temps auquel il se recèle, celte abondance de graisse lui fait supporter l'abstinence, et il ne sort de sa bauge que lorsqu'il se sent affamé. On prétend que c'est au bout d'environ quarante jours que les mâles sortent de leurs retraites, mais que les fe- melles y restent quatre mois, parce qu'elles y font leurs petits. J'ai peine à croire qu'elles puissent non seulement subsister, mais encore nourrir leurs petits sans prendre elles-mêmes aucune nourriture pendant un aussi long espace de temps. On convient qu'elles sont excessivement grasses lorsqu'elles sont pleines; que d'ailleurs étant vêtues d'un poil très épais , doc* 29^ ANIMAL X CARNASSIERS. maot la plus grande partie du teuips, et ne se don- nant aucun mouvement, elles doivent perdre très peu par la transpiration; mais s'il est vrai que les mâles sortent au bout de quarante jours , pressés par îe besoin de prendre de la nourriture , il n'est pas naturel d'imaginer que les femelles ne soient pas en- core plus pressées du même besoin après qu elles ont mis bas , et lorsque allaitant leurs petits , elles se trouvent doublement épuisées, à moins que l'on ne veuille supposer qu'elles en dévorent quelques uns avec les «enveloppes et tout le reste du produit super- flu de leur accouchement : ce qui ne me paroît pas vraisemblable, malgré l'exemple des chattes, qui mangent quelquefois leurs petits. Au reste, nous ne parlons ici que de l'espèce des ours bruns, dont les mâles dévorent en eflet les oursons nouveau-nés, lorsqu'ils les trouvent dans leurs nids; mais les fe- melles, au contraire, semblent les aimer jusqu'à la fureur; elles sont, lorsqu'elles ont mis bas, plus fé- roces, plus dangereuses que les mâles; elles combat- tent et s'exposent à tout pour sauver leurs petits , qui ne sont point informes en naissant, comme l'ont dit les anciens, et qui, lorsqu'ils sont nés, croissent à peu près aussi vite que les autres animaux : ils sont parfaitement formés dans le sein de leur mère; et si le fœtus ou les jeunes oursons ont paru informes au premier coup-d'œil , c'est que l'ours adulte l'est lui-même par la masse, la grosseur, et la dispropor- tion du corps et des membres : le fœtus ou le petit nouveau-né est plus disproportionné que l'animal adulte. Les ours se recherchent en automne: la femelle est, LOUKS. ^99 (lit-on , plus ardente que le mâle ; on prétend qu'elle se couche sur le dos pour le recevoir, qu'elle l'em- brasse étroitement, qu'elle le retient long-temps, etc. ; mais il est plus certain qu'ils s'accouplent à la ma- nière des quadrupèdes. L'on a vu des ours captifs s'accoupler et produire : seulement on n'a pas ob- servé combien dure le temps de la gestation. Aristote dit qu'il n'est que de trente jours. Comme personne n'a contredit ce lait, et que nous n'avons pu le véri- fier, nous ne pouvons aussi ni le nier, ni l'assurer; nous remarquerons seulement qu'il nous paroît dou- teux : 1° parce que l'ours est un gros animal, et que plus les animaux sont gros, plus il faut de temps pour les former dans le sein de la mère ; 2" parce que les jeunes ours croissent assez lentement; ils suivent leur mère, et ont besoin de ses secours pendant un an ou deux ; 5" parce que l'ours ne produit qu'en petit nombre, un, deux, trois, quatre, et jamais plus de cinq : propriété commune avec tous les gros animaux, qui ne produisent pas beaucoup de petits, et qui les portent long-temps; 4° parce que l'ours vit vingt ou vingt-cinq ans, et que le temps de la îieslation et celui de l'accroisseuient sont ordinaire- ment proportionnés à la durée de la vie. A ne raison- ner que sur ces analogies , qui me paroissent assez fondées, je croirois donc que le temps de la gesta- tion dans l'ours est au moins de quelques mois. Quoi qu'il en soit, il paroît que la mère a le plus grand soin de ses petits; elle leur prépare un lit de mousse et d'herbes dans le fond de sa caverne , et les allaite jusqu'à ce qu'ils puissent sortir avec elle. Elle met bas en hiver, et ses petits commencent à la suivre au 3oO AN13IAUX CARNASSIERS. printemps. Le mâle et la femelle n'habitent point ensemble; ils ont chacun leor retraite séparée, et même fort éloignée. Lorsqu'ils ne peuvent trouver une grotte pour se gîter, ils cassent et ramassent du bois pour se faire une loge , qu'ils recouvrent d'herbes et de feuilles, au point de la rendre impénétrable à l'eau. La voix de l'ours est un grondement , un gros mur- mure , souvent mêlé d'un frémissement de dents qu'il fait surtout entendre lorsqu'on l'irrite; il est très sus- ceptible de colère, et sa colère tient toujours de la fureur , et souvent du caprice : quoiqu'il paraisse doux pour son maître, et même obéissant lorsqu'il est apprivoisé, il faut toujours s'en défier, et le traiter avec circonspection, surtout ne le pas frapper au bout du nez, ni le toucher aux parties de la génération. On lui apprend à se tenir debout, à gesticuler, à danser; il semble même écouter le son des instru- ments, et suivre grossièrement la mesure; mais pour lui donner cette espèce d'éducation, il faut le prendre jeune et le contraindre pendant toute sa vie; l'ours qui a de l'âge ne s'apprivoise ni ne se contraint plus : il est naturellement intrépide, ou tout au moins in- différent au danger. L'ours sauvage ne se détourne pas de son chemin, ne fuit pas à l'aspect de l'homme: cependant on prétend que par un coup de sifilet on le surprend, on l'étonné au point qu'il s'arrête et se lève svir les pieds de derrière : c'est le temps qu'il faut prendre pour le tirer et tâcher de le tuer; car s'il n'est que blessé , il vient de furie se jeter sur le tireur; et, l'embrassant des pattes de devant, il Té- toufferoit s'il n'éloit secouni. LOURS. 5oî On chasse et on prend les ours de plusieurs façons en Suède, enINorwëge, en Pologne, etc. La manière, dit-on, la moins dangereuse de les prendre est de les enivrer en jetant de Teau-de-vie sur le miel qu'ils aiment beaucoup , et qu'ils cherchent dans les troncs d'arbres. A la Louisiane et en Canada, où les ours noirs sont très communs, et où ils ne nichent pas dans les cavernes , mais dans de vieux arbres morts sur pied, et dont le cœur est pourri, on les prend en mettant le feu dans leurs maisons. Gomme ils mon- tent très aisément sur les arbres, ils s'établissent ra- rement à rez de terre; et quelquefois ils sont nichés à trente et quarante pieds de hauteur. Si c'est une mère avec ses petits, elle descend la première , on la tue avant qu'elle soit à terre; les petits descendent ensuite, on les prend en leur passant une corde au cou, et on les emmène pour les élever ou pour les manger, car la chair de l'ourson est délicate et bonne: celle de l'ours est mangeable; mais comme elle est mêlée d'une graisse huileuse, il n'y a guère que les pieds, dont la substance est plus ferme , qu'on puisse regarder comme une viande délicate. La chasse de Tours, sans être fort dangereuse, est très utile lorsqu'on la fait avec quelque succès ; la peau est de toutes les fourrures grossières celle qui a le plus de prix, et la quantité d'huile que Ion tire d'un seul ours est fort considérable. On met d'abord la chair et la graisse cuire ensemble dans une chau- dière; la graisse se sépare. « Ensuite , dit M. du Pratz, » on la puritie en y jetant, lorsqu'elle est fondue et » très chaude, du sel en bonne quantité et de l'eau » par aspersion; il se fait une détonation, et il s'en .>02 ANIMAUX CAIirs ASSIEUS. « élève une fumée épaisse qui emporte avec elle la » mauvaise odeur de la graisse. La fumée étant passée, )) et la graisse étant encore plus que tiède , on la verse ') dans un pot, où on la laisse reposer huit ou dix » jours : au bout de ce temps on voit nager dessus » une huile claire, qu'on enlève avec une cuiller; » cette huile est aussi bonne que la meilleure huile » d'olive, et sert aux mômes usages. Au dessous on » trouve un saindoux aussi blanc, mais un peu plus » mou que le saindoux de porc; il sert aux besoins de » la cuisine, et il ne lui reste aucun goût désagréable » ni aucune mauvaise odeur. » M. Dîunont, dans ses Mémoires sur la LoidslanCj, s'accorde avec M. du Pratz, et il dit de plus que d'un seul ours on tire quelquefois plus de cent vingt pots de cetle huile ou graisse; que les sauvages en traitent beaucoup avec les François; qu'elle est très belle, très saine et très bonne; qu'elle ne se fige guère que par un grand froid; que quand cela arrive, elle est toute en gru- meaux, et d'une blancheur à éblouir , qu'on la mange alors sur le pain en guise de beurre. Nos épiciers- droguistes ne tiennent point d'huile d'ours; mais ils font venir de Savoie, de Suisse onde Canada, de la graisse ou axonge qui n'est pas purifiée. L'auteur du Dictionnaire du commerce dit même que pour que la graisse d'ours soit bonne , il faut qu'elle soit grisâtre, gluante et de mauvaise odeur, et que celle qui est trop blanche est sophistiquée et rnelée de suit. On se sert de cette graisse comme de topique pour les her- nies, les rhumatismes, etc., et beaucoup de gens as- surent en avoir ressenti de lions effets. La quantité do graisse dont l'ours est chargé le l'ours. 3o5 rend très l(^ger à la nage; aussi Iraverse-l-il sans fa- tigue des fleuves et des lacs. « Les ours de la Loui- » siane, dit M. Duuiont, qui sont d'un très beau noir, » traversent le fleuve, malgré sa grande largeur : ils » .sont très friands du fruit des plaqueminiers; ils » montent sur ces arbres, se mettent à califourchon » sur une branche, s'y tiennent avec une de leurs » pattes, et se servent de l'autre pour plier les autres » branches, et approcher d'eux les plaquemines. Us » sortent aussi très souvent des bois pour venir dans » les habitations manger les patates et le mais. » En automne, lorsqu'ils se sont bien engraissés, ils n'ont presque pas la force de marcher, ou du moins ils ne peuvejit courir aussi vite qu'un homme. Ils ont quel- quefois plus de dix doigts d'épaisseur de graisse aux côtés et aux caisses : le dessous de leurs pieds est gros et enflé; lorsqu'on le coupe, il en sort un suc blanc et laiteux. Cette partie paroît composée de petiles glandes qui sont comme des mamelons; et c'est ce qui fait que pendant l'hiver, dans leurs retraites, ils sucent continuellement leurs pattes. L'ours a les sens de la vue, de l'ouïe et du toucher très bons, quoiqu'il ait l'œil très petit relativement au volume de son corps , les oreilles courtes, la peau épaisse et le poil fort toufl'u. Il a l'odorat excellent, et peut-être plus exquis qu'aucun autre animal ; car la surface intérieure de cet organe se trouve extrê- mement étendue : on y compte quatre rangs de plans de Tames osseuses, séparés les uns des autres par trois plans perpendiculaires : ce qui multiplie prodi- gieusement les surfaces propres à recevoir les impres- sions dcï^ odeurs. Il a les jambes et les bras charnus 5o4 ANIMAUX CARNASSIERS. comme l'homme, los du lalon court, et formant une partie de la plante du pied, cinq orteils opposés au talon dans les pieds de derrière , les os du carpe égaux dans les pieds de devant ; mais le pouce n'est pas sé- paré, et le plus gros doigt est en dehors de cette es- pèce de main , au lieu que dans celle de l'homme il est en dedans : ses doigts sont gros , courts et serrés les uns contre les autres , aux mains comme aux pieds ; les ongles sont noirs et d'une substance homogène fort dure. Il frappe avec ses poings, comme l'homme avec les siens ; mais ces ressemblances grossières avec l'homine ne le tendent que plus difforme, et ne lui donnent aucune supériorité sur les autres animaux. * M. de Musly , major d'artillerie au service des Etats-généraux, a bien voulu me donner quelques notices sur des ours élevés en domesticité, dont voici l'extrait. «A Berne, où l'on nourrit de ces animaux, dit xM. de Musly, on les loge dans de grandes fosses car- rées, où ils peuvent se promener : ces fosses sont couvertes par dessus, et maçonnées de pierres de taille, tant au fond qu'aux quatre côtés. Leurs loges sont maçonnées sous terre, au rez de chaussée de la fosse , et sont partagées en deux par des murailles, et ofi peut fermer les ouvertures tant extérieures qu'in- térieures, par des grilles de fer qu'on y laisse tom- ber comme à une porte de ville. Au milieu de ces fosses, il y a des trous dans de grosses pierres, où l'on peut dresser debout de grands arbres : il y a de plus une auge dans chaque fosse , qui est toujours pleine d'eau de fontaine. Il y a trente-un ans qu'on a transporté de Savoie LOUns. Ô03 ΀i deux ours bruns fort jeunes, don!: la femelle vit encore. Le mâle eut les reins cassés , il y a deux mois , en tombant du haut d'un arbre qui est dans la fosse. Ils oat commencé d'engendrer à lage de cinq ans , et depuis ce temps ils sont entrés en chaleur tous les ans au mois de juin, et la femelle a toujours mis bas au commencement de janvier : Ja première fois elle n'a produit qu'un petit, et dans la suite , tantôt un, tantôt deux, tantôt trois, mais jamais plus, et, les trois dernières années , elle n'a fait qu'un petit chaque fois. L'homme qui en a soin croit qu'elle porte en- core actuellement (17 octobre 1771). Les petits , en venant au monde, sont d'une assez JH^lie figure, couleur fauve, avec du blanc autour du cou, et n'ont point l'air d'un ours : la mère en a un soin ex- trême. Ils ont les yeux fermés pendant quatre semai- nes; ils n'ont d'abord guère plus de huit pouces de longueur, et trois mois après ils ont déjà quatorze à quinze pouces, depuis le bout du museau jusqu'à h racine de la queue , et du poil de près d'un pouce. Ils sont alors d'une figure presque ronde, et le mu- seau paroît être fort pointu à proportion du reste, de façon qu'on ne les n^connoît plus. Ensuite ils de- viennent (lucts pendant qu'ils sont adultes : le blanc s'efface peu à peu , et de fauves ils deviennent bruns. Lorsque le mâle et la femelle sont accouplés, le mâle commence par des mouvements courts, mais fort prompts, pendant environ un quart de minute; ensuite il se repose deux fois aussi long-temps sur la femelle, et sans s'en dégager; puis il recommence de la même manière jusqu'à trois ou quatre reprises; et 3'accouplement étant consommé, le mâle va se bai- 7to6 A N I M A L X C A H N A S S I E R S. gner dans l'auge jusqu'au cou. Les ours se battent quelquefois assez rudement avec un murmure hor- rible ; mais dans le temps des amours, la femelle a ordinairement le dessus, parce qu'alors le mâle la ménage. Les fosses qui étoient autrefois dans la ville ont été comblées, et on en a fait d'autres entre les remparts et la vieille enceinte. Ces deux ours ayant été séparés pendant quelques heures, pour les trans- porter l'un après l'autre dans les nouvelles fosses, lorsqu'ils se sont retrouvés ensemble , ils se sont dressés debout pour s'embrasser avec transport. Après la mort du mâle , la femelle a paru fort affligée, et n'a pas voulu prendre de nourriture qu'au bout de plusieurs jours. Mais à moins que ces animaux ne soient élevés et nourris ensemble dès leur tendre jeunesse, ils ne peuvent se supporter; et lorsqu'ils y ont été habitués, celui qui survit ne veut plus en soullVir d'autres. Les arbres que l'on met dans les fosses tous les ans au mois de mai sont des mélèzes verts, sur les- quels les ours se plaisent à grimper : néanmoins ils en cassent quelquefois les branches , surtout lorsque ces arbres sont nouvellement plantés. On les nourrit avec du pain de seigle que l'on coupe en gros mor- ceaux, et que l'on trempe dans de l'eau chaude. Ils mans^ent aussi de toutes sortes de fruits; et quand les paysans en apportent au marché qui ne sont pas mûrs, les archers les jettent aux ours par ordre de police. Cependant on a remarqué qu'il y a des ours qui préfèrent les légumes aux fruits des arbres. Quand la femelle est sur le point de mettre bas , on lui donne force paille dans sa loge , dont elle se fait un rem- î, o i: n s. J07 part, api'i's qu'on i'a séparée Ju mâle, de peur qu'if ne mange les petits; et quand elle a mis bas, on lui donne une meilleure nourriture qu'à l'ordinaire. On ne trouve jamais rien de l'enveloppe , ce qui fait ju- ger qu'elle l'avale. On lui laisse les petits pendant dix semaines; et, après les avoir séparés, on les nourrit pendant quelque temps avec du lait et des biscuits. L'ourse en question, que l'on croyoit pleine, fut jnunie de paille, comme à l'ordinaire, dans !e temps que l'on croyoit qu'elle alloit mettre bas; elle s'en fit un lit où elle resta pendant trois semaines sans avoir rien produit. Elle a mis bas à trente-un ans, au mois (le janvier 1771? pour la dernière fois. Au mois de juin suivant, elle s'est encore accouplée; mais au mois de janvier 1772, à trente-deux ans, elle n'a plus rien t'ait. Il seroit à souhaiter qu'on la laissât vivre jusqu'au terme que la nature lui a ï\xé, alin de le connoître. Il y a des ours bruns au mont Jura, sur les fron- tières de notre canton, de la Franche-Comté et du pays de Gex : quand ils descendent dans la plaine, si c'est en automne, ils vont dans les bois de châtai- gniers, où ils font un grand, dégât. Dans ce pays-ci les ours passent pour avoir le sens de la vue foible, mais ceux de l'ouïe, du toucher et de l'odorat très bons ^. )) En Norwége, les ours sont plus communs dans les provinces de Berghen et de Drontheim que dans le reste de cette contrée. On en distingue deux races, 1. Extrait de deux lettres écrites par M. de Musly, major d'artillerie au service de Hollande, à M. de BufTon, l'une à Berne le 17 octobre i 771, et l'autre datée à La Haye le 7> juin 1773. 5o8 ANIMALX GARN ASSIERS. dont la seconde est considérablement plus petite que 3a première. Les couleurs de tous deux varient beau- coup : les uns sont d'un brun foncé, les autres d'un brun clair, et même il y en a de gris et de tout blancs. Ils se retirent, au commencement d'octobre, dans des tannières ou des huttes qu'ils se préparent eux- mêmes , et où ils disposent uue espèce de lit de feuilles et de mousse. Comme ces animaux sont fort à craindre , surtout quand ils sont blessés, les chas- seurs vont ordinairement en nombre au moins de trois ou quatre; et comme l'ours tue aisément les grands chiens , on n'en mène que des petits qui lui passent aisément sous le ventre, et le saisissent par Jes parties de la génération. Lorsqu'il se trouve ex- cédé, il s'appuie le dos contre un rocher ou contre tin arbre, ramasse du gazon et des pierres qu'il jette à ses ennemis; et c'est ordinairement dans cette si- tuation qu'il reçoit le coup de la mort. Nous avons vu à la ménagerie de Chantilly un ours de l'Amérique; il étoit d'un très beau noir, et le poil étoit doux, droit et long comme celui du grand sapa- jou , que nous avons appelé le coaita. Nous n'avons remarqué d'autres différences dans la forme de cet ours d'Amérique, comparé à celui d'Europe, que celle de la tête , qui est un peu allongée , parce que le bout du museau est moins plat que celui de nos ours. On trouve dans le journal de l'expédition de M. Bartram une notice d'un ours d'Amérique, tué près de la rivière Saint-John , à l'est de la Floride. Cet ours, dit la relation , ne pesoit que quatre cents livres , quoique le corps eût sept pieds de longueur LOURS. 009 depuis l'extrémité du nez jusqu'à la queue. Les pieds de devant n'avoient que cinq pouces de large. La graisse étoit épaisse de quatre pouces : on l'a fait fon- dre, et on en a tiré soixante pintes de graisse, me- sure de Paris ^. L'OURS BLANC DE MER. Ursus maritimus. L. Un animal fameux de nos terres les plus septen- irionales, c'est l'ours blanc. Martens et auelques autres voyageurs en ont fait mention; mais aucun n'en a donné une assez bonne description pour qu'on puisse prononcer affirmativement qu'il soit d'une es- pèce différente de celle de l'ours; il paroît seulement qu'on doit le présumer en supposant exact tout ce qu'ils nous en disent : mais comme nous savons d'ail- leurs que l'espèce de Tours varie beaucoup suivant les différents climats, qu'il y en a de bruns, de noirs, de blancs , et de mêlés , la couleur devient un carac- tère nul, et par conséquent la dénomination d'ours blanc est insuffisante, si l'espèce est différente. J'ai vu deux petits ours rapportés de Russie qui étoient en- tièrement blancs^; néanmoins ils étoient très certai- 1. Lettre de M. Gollinson à M. de Bu£Fon. Londres, 6 février 1767. 2. On trouve des ours blancs terrestres non seulement en Russie, mais en Pologne , en Sibérie , et même en Tartarie. Les montagnes de la grande Tartarie fournissent quantité d'otirs blancs, dit l'auteur dd la relation de la grande Tartarie, page 8. Ces ours de montagne ne fréquentent pas la mer, et cependant sont blancs : ainsi cette couleur paroît plutôt venir de la différence du climat que de celle de l'élé- ment qu'habitent ces animaux. liUFFON. XV. 20 5lO ANIMAUX CARNASSIERS. neinent de la même espèce que notre ours des Alpes. Ces animaux varient beaucoup aussi pour la grandeur: comme ils vivent assez long-temps , et qu'ils devien- nent très gros et très gras dans les endroits où ils ne sont pas tourmentés, et où ils trouvent de quoi se nourrir largement, le caractère tiré de la grandeur est encore équivoque : ainsi l'on ne seroit pas fondé à assurer que l'ours des mers du Nord est d'une es- pèce particulière, uniquement parce qu'il est blanc et qu'il est plus grand que Fours commun. La diffé- rence dans les habitudes ne me paroît pas plus déci- sive que celle de la couleur et de la grandeur. L'ours des mers du Nord se nourrit de poisson ; il ne quitte pas les rivages de la mer, et souvent même il habite en pleine eau sur des glaçons flottants : mais si l'on fait attention que l'ours en général est un animal qui se nourrit de tout, et qui, lorsqu'il est affamé, ne fait aucun choix , si l'on pense aussi qu'il ne craint pas l'eau, ces habitudes ne paroîtront pas assez différen- tes pour en conclure que l'espèce n'est pas la même; car le poisson que mange l'ours des mers du Nord est plutôt de la chair; c'est principalement les cadavres des baleines, des morses, et des phoques, qui lui servent de pâture, et cela dans un pays où il n'y a ni autres animaux, ni gpains, ni fruits sur la terre, et où par conséquent il ne peut subsister que des pro- ductions de la mer. N'est-il pas probable que si l'on transportoit nos ours de Savoie sur les montagnes du Spitzberg, n'y trouvant nulle nourriture sur la terre, ils se jetteroient à la mer pour y chercher leur sub- sistance ? La couleur, la grandeur et la façon de vivre ne LOURS BLANC DE MEK. 5ll suffisant pas, il ne reste pour caractère différentiels que ceux qu'on peut tirer de la forme; or tout ce que les voyageurs ont dit se réduit à ce que Tours des mers du Nord a la tête plus longue que notre ours, le corps plus allongé, le poil plus long et le crâne beaucoup plus dur. Si ces caractères ont été bien saisis, et si ces différences sont réelles et consi-* dérables, elles suffiroient pour constituer une autre espèce ; mais je ne sais si Martens a bien vu , et si les autres qui l'ont copié n'ont pas exagéré. « Ces ours ») blancs, dit-il, sont faits tout autrement que les nô- » très; ils ont la tête longue, semblable à celle d'un y> chien, et le cou long aussi; ils aboient presque « comme des chiens qui sont enroués; ils sont avec » cela plus déliés et plus agiles que les autres ours; » ils sont à peu près de la môme grandeur; leur poil ;> est long et aussi doux que de la laine; ils ont le » museau, le nez, et les griffes noirs On dit que » les autres ours ont la tête fort tendre; mais c'est » tout le contraire pour les ours blancs : quelques » coups de massue que nous leur donnassions sur la î> tête, ils n'en étoient point du tout étourdis , quoi- » que ces coups eussent pu assommer un bœuf. » On doit remarquer, dans cette description, i** que l'au- teur ne fait pas ces ours plus grands que les autres ours, et que par conséquent on doit regarder comme suspect le témoignage de ceux qui ont dit que ces ours de mer avoient jusqu'à treize pieds de longueur; 2"* que le poil aussi doux que de la laine ne fait pas un carac- tère qui distingue spécifiquement ces ours, puisqu'il suffit qu'un animal habite souvent dansleau pour que son poil devienne plus doux et même plus touffu : on 5l'2 ANIMAUX CAllNxVSSIERS. voit cette même diftérence dans les castors d'eau et dans les castors terriers; ceux-ci, qui habitent plus Ja terre que l'eau , ont le poil plus rude et moins fourni : et ce qui me fait présumer que les autres différences ne sont ni réelles ni même aussi appa- rentes que le ditMartens, c'est que Dithmar Blefken, dans sa Description de l'Islande^ parle de ces ours blancs, et assure en avoir vu tuer un, en Groenland, qui se dressa sur ses deux pieds comme les autres ours; et, dans ce- récit, il ne dit pas un mot qui puisse indiquer que cet ours blanc du Groenland ae fût pas entièrement semblable aux autres ours. D'ail- leurs, lorsque ces animaux trouvent quelque proie sur terre , ils ne se donnent pas la peine d'aller chasser en mer; ils dévorent les rennes et les autres bêtes qu'ils peuvent saisir, ils attaquent même les hommes, et ne manquent jamais de déterrer les cadavres : mais la disette où ils se trouvent souvent dans ces terres stériles et désertes les force de s'habituer à l'eau; ils s'y jettent pour attraper des phoques, de jeunes morses, de petits baleineaux; ils se gîtent sur des glaçons où ils les attendent, et d'où ils peuvent les voir venir, les observer de loin; et tant qu'ils trouvent que ce poste leur produit une subsistance abondante, ils ne l'abandonnent pas, en sorte que quand les glaces commencent à se détacher au prin- temps, ils se laissent emmener et voyagent avec elles ; et comme ils ne peuvent plus regagner la terre , ni même abandonner pour long-temps le glaçon sur le- quel ils se trouvent embarqués, ils périssent en pleine mer; et ceux qui arrivent avec ces glaces sur les côtes d'Islande ou de Norwé^e sont affamés au point de se LOUKS BLANC DE MER. 5l5 jeter sur tout ce qu'ils rencontrent pour le dévo- rer, et c'est ce qui a pu augmenter encore le préjugé que ces ours de mer sont d'une espèce plus féroce et plus vorace que l'espèce ordinaire. Quelques au- teurs vse sont même persuadés qu'ils étoient amphi- bies comme les phoques, et qu'ils pouvoient demeu- rer sous l'eau aussi long-temps qu'ils vouloient ; mais le contraire est évident, et résulte de la manière dont on les chasse : ils ne peuvent nager que pen- dant un petit temps, ni parcourir de suite un espace de plus d'une lieue; on les suit avec une chaloupe, et on les force de lassitude : s'ils pouvoient se passer de respirer, ils se plongeroient pour se reposer au fond de l'eau ; mais s'ils plongent, ce n'est que pour quelques instants , et , dans la crainte de se nover , ils se laissent tuer à fleur d'eau. La proie la plus ordinaire des ours blancs sont les phoques, qui ne sont pas assez forts pour leur résister; mais les morses, auxquels ils enlèvent quelquefois leurs petits, les percent de leurs défenses et les met- tent en fuite. 11 en est de même des baleines; elles les assomment par leur masse et les chassent des lieux qu'elles habitent, où néanmoins ils ravissent et dé- vorent souvent leurs petits baleineaux. Tous les ours ont naturellement beaucoup de graisse, et ceux-ci, qui ne vivent que d'animaux chargés d'huile, en ont plus que les autres : elle est aussi à peu près sembla- ble à celle de la baleine. La chair de ces ours n'est , dit-on , pas mauvaise à manger, et leur peau fait une fourrure très chaude et très durable. * Je donne ici la figure de l'ours blanc de mer, d'a- près un dessin qui m'a été envoyé d'Angleterre par 3l4 ANIMAUX CAIINASSIEIIS. foii M. Collinson. Si ce dessin est exact, il paroît cer- tain que l'ours de mer est fort différent de celui de terre, et qu'on peut le regarder comme formant une espèce particulière. La tête surtout est si longue en (omparaison de celle de Tours ordinaire, que ce ca- ractère seul sufBroit pour en faire deux espèces dis- tinctes ; et les voyageurs ont eu raison de dire que ces ours sont faits tout autrement que les nôtres, qu'ils ont la tête beaucoup plus longue et le cou aussi plus long que les ours de terre. D'ailleurs dans ce dessin de l'ours de mer, il paroît que les extrémités des ]>ieds sont fort différenles de celles des pieds de l'ours de terre; celles-ci tiennent quelque chose de la forme de la main humaine, landis que l'ex- trémité des pieds de l'ours de mer est faite à peu près conifue celle des grands chiens ou des au- tres animaux carnassiers de ce genre. D'ailleurs il pa- roît, par quelques relations, qu'il y a de ces ours de mer beaucoup plus grands de corps que nos plus grands ours de terre. Gérard de Yera dit positivement qu'ayant tué uu de ces ours , et ayant mesuré la lon- gueur de la peau après l'avoir écorché, elle avoit vingt-trois pieds de longueur; ce qui seroit plus du triple de celle de nos plus grands ours de terre. On trouve aussi, dans le recueil des voyages du Nord, que ces ours de mer sont bien plus grands et bien plus fé- roces que les autres. Mais il est vrai que, dans ce même recueil, ou trouve que, quoique ces ours soieut faits tout autrement que les nôtres, et qu'ils aient la tête et le cou beaucoup plus longs, le corps pltis délié, plus effdé , et plus agile, ils sont néan- moins à peu près de la même grandeur que nos ours. l'ours I5LANC DE ME1\. 5l5 Tous les voyageurs s'accordent à dire qu'ils diffè- rent encore de l'ours commun, en ce qu'ils ont les os de la tête beaucoup plus durs , et si durs en effet , que quelque coup de massue qu'on puisse leur don- ner, ils ne paroissent point en être étourdis, quoique le coup soit assez fort pour assommer un bœuf, et à plus forte raison un ours ordinaire. Les relateurs con- viennent aussi que la voix de ces ours marins ressem- ble plutôt à l'aboiement d'un chien enroué qu'au cri ou au gros murmure de l'ours ordinaire. Robert Lade assure qu'aux environs de la rivière de Rupper on tua deux ours de mer d'une prodigieuse grosseur, et que ces animaux aflamés et féroces avoient attaqué si furieusement les chasseurs, qu'ils avoient tué plu- sieurs sauvages et blessé deux Anglois. On trouve, pyges 34 et 55 du troisième Voyage des Hollandois au Nord y qu'ils tuèrent sur les côtes de la Nouvelle- Zemble un ours de mer dont la peau avoit treize pieds de longueur, en sorte que, tout considéré, je serois porté à croire que cet animal si célèbre par sa férocité est en efl'et d'une espèce plus grande que celle de nos ours. >»»»«««»»»<: »e»e«««>o««»e«« »»»« LE GASTOR\ Castor fiber, L. Autant l'homme s'est élevé au dessus de l'état de nature, autant les animaux se sont abaissés au dessous; i. Le castor ou le bièvre ; en italien , bevaro, bivero ; en espagnol , hcvaro ; en allemand, bibcr ; eu anglois, beaver. jil6 ANIMAUX CARNASSIERS, soumis et réduits en servitude, ou traités comme re-- l)elJes et dispersés par la force , leurs sociétés se sont, évanouies, leur industrie est devenue stérile, leurs foibles arts ont disparu; chaque espèce a perdu ses qualités générales, et tous n'ont conservé que leurs propriétés individuelles, perfectionnées dans les uns par l'exemple, Timitation, l'éducation, et dans les autres par la crainte et par la nécessité où ils sont de veiller continuellement à leur sûreté. Quelles vues, quels desseins, quels projets peuvent avoir des escla- ves sans âme , ou des relégués sans puissance? ramper ou fuir, et toujours exister d'une manière solitaire, ne rien édifier, ne rien produire ,ne rien transmettre, et toujours languir dans la calamité, déchoir, se per- pétuer sans se multiplier, perdre, en un mot, par la durée autant et pi us qu'ils n'avoient acquis par le temps. Aussi ne reste-t-il quelques vestiges de leur mer- veilleuse industrie que dans des contrées éloignées et désertes, ignorées de l'homme pendant une longue suite de siècles, où chaque espèce pouvoit manifes- ter en liberté ses talents naturels, et les perfection- ner dans le repos en se réunissant en société durable. Les castors sont peut-être le seul exemple qui subsiste comme un ancien monument de cette espèce d'in- telligence des brutes, qui, quoique infiniment infé- rieure par son principe à celle de l'homme, suppose cependant des projets communs et des vues relatives; projets qui , ayant pour base la société , et pour objet une digue à construire , une bourgade à élever , une espèce de république à fonder, supposent aussi une manière quelconque de s'entendre et d'agir de con- cert. LE CASTOR. 017 Les castors, dira-t-011 , sont parmi les quadrupèdes ce que les abeilles sont parmi les insectes. Quelle dif- férence ! il y a dans la nature , telle qu'elle nous est parvenue 5 trois espèces de sociéî:é qu'on doit consi- dérer avant de les comparer : la société libre de l'homme, de laquelle, après Dieu, il lient toute sa puissance; la société gênée des animaux, toujours fugitive devant celle de l'homme; et enfin la société forcée de quelques petites bêtes qui, naissant toutes en même temps dans le même lieu, sont contraintes d'y demeurer ensemble. Un individu pris solitaire- ment , et au sortir des mains de la nature , n'est qu'un être stérile, dont l'industrie se borne au simple usage des sens; l'homme lui-même dans l'état de pure na- ture, dénué de lumières et de tous les secours de la société , ne produit rien, n'édifie rien. Toute société, au contraire, devient nécessairement féconde, quel- que fortuite, quelque aveugle qu'elle puisse être, pourvu qu'elle soit composée d'êtres de même na- ture : par la seulç nécessité de se chercher ou de s'é- viter , il s'y formera des mouvements communs, dont le résultat sera souvent un ouvrage qui aura l'air d'a- voir été conçu, conduit et exécuté avec intelligence. Ainsi l'ouvrage des abeilles , qui, dans un lieu donné, tel qu'une ruche ou le creux d'un vieux arbre, bâtis- sent chacune leur cellule; l'ouvrage des mouches de Cayenne, qui non seulement font aussi leurs cellules, mais construisent même la ruche qui doit les conte- lîir, sont des travaux purement mécaniques qui ne supposent aucune intelligence, aucun projet con- certé, aucune vue générale; des travaux qui, n'étant que le produit d'une nécessité physique, un résultat 5l8 ANIMAUX CARNASSIERS. de inouvements communs, s'exercent toujours de la môme façon , dans tous les lieux , par une multitude qui ne s'est point assemblée par choix, mais qui se trouve réunie par force de nature. Ce n'est donc pas la société, c'est le nombre seul qui opère ici; c'est une puissance aveugle, qu'on ne peut comparera la lumière qui dirige toute société. Je ne parle point de cette lumière pure , de ce rayon divin qui n'a été dé- parti qu'à l'homme seul ; les castors en sont assuré- ment privés comme tous les autres aniaiaux : mais leur société n'étant point une réunion forcée, se faisant au contraire par une espèce de choix, et sup- posant au moins un concours générai et des vues couimunes dans ceux qui la composent, suppose au moins aussi une lueur d'intelligence qui, quoique très différente de celle de l'homme par le principe, pro- duit cependant des eflets assez semblables pour qu'on puisse les comparer , non pas dans la société plénière et puissante, telle qu'elle existe parmi les peuples anciennement policés, mais dans la société naissante chez des hommes sauvages , laquelle seule peut, avec équité, être comparée à celle des animaux. Voyons donc le produit de l'une et l'autre de ces sociétés; voyons jusqu'où s'étend l'art du castor, et où se borne celui du sauvage. Rompre une branche pour s'en faire un bâton, se bâtir une hutte, la cou- vrir de feuillages pour se mettre à l'abri, amasser de la mousse ou du foin pour se faire un lit, sont des actes communs à l'animal et au sauvage. Les ours font des huttes, les singes ont des bâtons; plusieurs autres animaux se pratiquent un domicile propre , com- mudc, impénétrable à l'eau. Frotter une pierre pour I-E CASTOR. 019 îa rendre tranchante et s'en faire une hache, s'en servir pour couper, pour écorcer du bois, pour aigui- ser des flèches, pour creuser un vase; écorcher un animal pour se revêtir de sa peau, en prendre les nerfs pour faire une corde d'arc, attacher ces mêmes nerfs à une épine dure , et se servir de tous deux comme de lil et d'aiguille , sont des actes purement indivi- duels que l'homme en solitude peut tous exécuter sans être aidé des autres; des actes qui dépendent de sa seule conformation, puisqu'ils ne supposent que l'usage de la main : mais couper et transporter un gros arbre, élever un carbet , construire une pirogue, sont au contraire des opérations qui supposent néces- sairement un travail commun et des vues concertées. Ces ouvrages sont aussi les seuls résultats de la so- ciété naissante chez des nations sauvages, comme les ouvrages des castors sont les fruits de la société per- fectionnée parmi ces animaux : car il faut observer qu'ils ne songent point à bâtir, à moins qu'ils n'ha- bitent un pays libre, et qu'ils n'y soient parfaitement tranquilles. Il y a des castors en Languedoc, dans les îles du Rhône ; il y en a en plus grand nombre dan."5 les provinces du nord de l'Europe : mais comme toutes ces contrées sont habitées ou du moins fort fréquentées par les hommes, les castors y sont, comme tous les autres animaux , dispersés , solitaires, fugitifs, ou cachés dans un terrier; on ne les a ja- mais vus se réunir, se rassembler, ni rien entrepren- dre , ni rien construire ; au lieu que dans ces terres désertes où l'homme en société n'a pénétré que bien tard, et où l'on ne voyoit auparavant que quelques vertiges de l'homme sauvage, on a partout trouvé les .}'AO ANIMAUX CARNASSIEllS. castors réunis, formant des sociétés, et l'on n'a pu ^'empêcher d'admirer leurs ouvrages. Nous tâcherons de ne citer que des témoins judicieux, irréprocha- bles, et nous ne donnerons pour certains que les faits sur lesquels ils s'accordent : moins portés peut- être que quelques uns d'entre eux à l'admiration, nous nous permettrons le doute et même la critique sur tout ce qui nous paroîtra trop difficile à croire. Tous conviennent que le castor, loin d'avoir une supériorité marquée sur les autres animaux, paroît au contraire être au dessous de quelques uns d'entre eux pour les qualités purement individuelles; et nous sommes en état de confirmer ce fait, ayant encore actuellement un jeune castor vivant , qui nous a été envoyé du Canada^, et que nous gardons depuis près d'un an. C'est un animal assez doux, assez tranquille, assez familier, un peu triste, même un peu plaintif, sans passions violentes, sans appétits véhéments, ne se donnant que peu de mouvement, ne faisant d'ef- fort pour quoi que ce soit, cependant occupé sérieu- sement du désir de sa liberté , rongeant de temps en temps les portes de sa prison, mais sans fureur, sans précipitation, et dans la seule vue d'y faire une ou- verture pour en sortir ; au reste assez indifférent, ne s'attachant pas volontiers^, ne cherchant point à nuire et assez peu à plaire. Il paroît inférieur au 1. Ce castor, qui a été pris jeune, m'a été envoyé au commence- ment de Tannée 17-58, par M. de Montbelliard , capitaine dans Rojal- Artillcrie. 9. M. Klein a cependant écrit qu'il en avoit nourri un pendant plu- sieurs années, qui le suivoit et l'alloit chercher comme le-* chiens vont chercher leur» maîtres. LE CASTOR. 321 cliien par les qualités relatives qui poiirroienl l'ap- procher de riiomme ; il ne semble fait ni pour servir , ni pour commander, ni même pour commercer avec une autre espèce que la sienne : son sens, renfermé dans lui-même, ne se manifeste en entier qu'avec ses semblables ; seul , il a peu d'industrie personnelle, encore moins de ruses, pas même assez de défiance pour éviter les pièges grossiers : loin d'attaquer les autres animaux, il ne sait pas même bien se défendre; il préfère la fuite au combat , quoiqu'il morde cruel- lement et avec acharnement lorsqu'il se trouve saisi par la main du chasseur. Si l'on considère donc cet animal dans l'état de nature , ou plutôt dans son état de solitude et de dispersion, il ne paroîtra pas, pour les qualités intérieures, au dessus des autres animaux : il n'a pas plus d'esprit que le chien, de sens que l'é- léphant, de finesse que le renard, etc. Il est plutôt remarquable par des singularités de conformation extérieure, que par la supériorité apparente de ses qualités intérieures. Il est le seul parmi les quadru- pèdes qui ait la queue plate, ovale, et couverte d'é- cailles, de laquelle il se sert comme d'un gouvernail pour se diriger dans l'eau ; le seul qui ait des nageoires aux pieds de derrière , et en môme temps des doigts séparés dans ceux de devant, qu'il emploie comme des mains pour porter à sa bouche; le seul qui, res- semblant aux animaux terrestres par les parties anté- rieures de son corps, paroisse en même temps tenir des animaux aquatiques par les parties postérieures : il fait la nuance des quadrupèdes aux poissons, comme la chauve-souris fait celle des quadrupèdes aux oiseaux. Mais ces singularités seroient plutôt des 0'22 ANIMAUX CARNASSIERS. défauts que des perfections, si Tanîmal ne savoit lirrr de cette conformation, qui nous paroît ijizarre , des avantages uniques, et qui le rendent supérieur à tous les autres. Les castors commencent par s'assembler au mois de juin ou de juillet pour se réunir en société ; ils ar- rivent en nombre et de plusieurs côtés, et forment bientôt une troupe de deux ou trois cents : le lieu du rendez-vous est ordinairement le lieu de l'établis- sement , et c'est toujours au bord des eaux. Si ce sont des eaux plates, et qui se soutiennent à la même hauteur comme dans un lac, ils se dispensent d'y construire une digue : mais dans les eaux courantes, et qui sont sujettes à hausser ou baisser, comme sur les ruisseaux, les rivières, ils établissent une chaussée; et par cette retenue ils forment une espèce d'étang ou de pièce d'eau, qui se soutient toujours à la même hauteur. La chaussée traverse la rivière comme une écluse , et va d'un bord à l'autre ; elle a souvent quatre- vingts ou cent pieds de longueur sur dix ou douze pieds d'épaisseur à sa base. Celte construction paroît énorme pour des animaux de cette taille, et suppose en effet un travail immense^ : mais la solidité avec laquelle l'ouvrage est construit étonne encore plus que sa grandeur. L'endroit de la rivière où ils éta- blissent cette digue est ordinairement peu profond ; s'il se trouve sur le bord un gros arbre qui puisse tomber dans l'eau , ils commencent par l'abattre pour en faire la pièce principale de leur construction. Cet 1. Les plus gfauds castors pèsent cinquanle ou çoixaulc livres, et n'ont guère que trois pieds de longueur depuis le bout du museau ju?qu"à l'origine Je la queue. I LE CASTOK. Ô2.^ arbre est souvent plus gros que le corps d'un homme ; ils le scient, ils le rongent au pied; et, sans autre instrument que leurs quatre dents incisives, ils Je coupent en assez peu de temps, et le font tomber du côté qu'il leur plaît, c'est-à-dire en travers sur la ri- vière ; ensuite ils coupent les branches de la cime de cet arbre tombé , pour le mettre de niveau et le faire porter partout également. Ces opérations se font en commun : plusieurs castors rongent ensemble le pied de l'arbre pour l'abattre ; plusieurs aussi vont ensem- ble pour en couper les branches lorsqu'il est abattu ; d'autres parcourent en même temps les bords de la rivière, et coupent de moindres arbres, les uns gros comme la jambe, les autres couime la cuisse; ils les dé- pècent et lesscientàune certaine hauleurpour en faire des pieux : ils amènent ces pièces de bois, d'abord par terre jusqu'au bord de la rivière, et ensuite par eau jusqu'au lieu de leur construction; ils en font une es- pèce de pilotis serré , qu'ils enfoncent encore en en- trelaçant des branches entre les pieux. Cette opéra- tion suppose bien des dilTicultés vaincues; car, pour dresser ces pieux et les mettre dans une situation à peu près perpendiculaire, il faut qu'avec les dents ils élèvent le gros bout contre le bord de la rivière, ou contre l'arbre qui la traverse ; que d'autres plongent en même temps jusqu'au fond de l'eau pour y creu- ser avec les pieds de devant un trou , dans lequel ils font entrer la pointe du pieu, afm qu'il puisse se tenir debout. A mesure que les uns plantent ainsi leurs pieux, les autres vont chercher de la terre qu'ils gâ- chent avec leurs pieds et battent avec leur queue ; ils la portent dans leur gueule et avec les pieds de devant^ 024 ANIilAUX CARNASSIERS. et ils en [ransportent une si grande quantilé, qu'ils en remplissent tous les intervalles de leur pilotis. Ce pilotis est composé de plusieurs rangs de pieux, tous égaux en hauteur, et tous plantés les uns contre les autres; il s'étend d'un bord à l'autre de la rivière , il est rempli et maçonné partout. Les pieux sont plan- tés verticalement du côté de la cliute de l'eau : tout l'ouvrage est au contraire en talus du côté qui en sou- tient la charge, en sorte que la chaussée qui a dix ou douze pieds de largeur à la base, se réduit à deux ou trois pieds d'épaisseur au sommet; elle a donc non seulement toute l'étendue, toute la solidité nécessaire, mais encore la forme la plus convenable pour retenir l'eau, l'empêcher de passer, en soutenir le poids, et en rompre les efforts. Au haut de la chaussée , c'est-à- dire dans la partie où elle a le moins d'épaisseur, ils pratiquent deux ou trois ouvertures en pente qui sont autant de décharges de superficie qu'ils élargis- sent ou rétrécissent selon que la rivière vient à hausser ou baisser, et lorsque par des inondations trop gran- des ou trop subites il se fait quelques brèches à leur digue, ils savent les réparer et travailler de nouveau dès que les eaux sont baissées. Il seroit superflu, après cette exposition de leurs travaux pour un ouvrage public , de donner encore le détail de leurs constructions particulières, si dans une histoire l'on ne devoit pas compte de tous les faits, et si ce premier grand ouvrage n'étoit pas fait dans la vue de rendre plus commode leurs petites ha- bitations : ce sont des cabanes ou plutôt des espèces de maisonnettes bâties dans l'eau sur un pilotis plein, tout près du bord de leur étang, avec deux issues, LE CASTOR. .)23 Tune pour aller à terre, Tantre pour se jeter à l'caîi. La forme de cet édifice est presque toujours ovale ou ronde. Il y en a de plus grands et de plus petits, depuis quatre ou cinq jusqu'à liuit ou dix pieds de diamètre : il s'en trouve aussi quelquefois qui sont à deux ou trois étages; les murailles ont jusqu'à deux pieds d'épaisseur; elles sont élevées à plomb sur le pilotis plein , qui sert en môme temps de fondement et de plancher à la maison. Lorsqu'elle n'a qu'un étage j les murailles ne s'élèvent droites qu'à quelques pieds de hauteur, au dessus de laquelle elles pren- nent la courbure d'une voûte en anse de panier; cette voûte termine l'édifice et lui sert de couvert : il est ma- çonné avec solidité et enduit avec propreté en dehors et en dedans; il est impénétrable à l'eau des pluies, et résiste aux vents les plus impétueux; les parois en sont revêtues d'une espèce de stuc si bien gâché et si proprement appliqué, qu'il semble que la main de l'homme y ait passé : aussi la queue leur sert-elle de truelle pour appliquer ce mortier qu'ils gâchent avec leurs pieds. Ils mettent en œuvre différentes espèces de matériaux, des bois, des pierres, et des terres sa- blonneuses qui ne sont point sujettes à se délayer par l'eau : les bois qu'ils emploient sont presque tous lé- gers et tendres; ce sont des aunes, des peupliers, des saules, qui naturellement croissent au bord des eaux et qui sont plus faciles à écorcer, à couper, à voiturer, que des arbres dont le bois seroit plus pe- sant et plus dur. Lorsqu'ils attaquent un arbre , ils ne l'abandonnent pas qu'il ne soit abattu, dépecé, trans- porté ; ils le coupent toujours à un pied ou un pied et demi de hauteur de terre. Ils travaillent assis; et Ul:FFO.\. XV. 3^>6 AiMMALX CARNASSIERS. outre l'avaatage de cette situation comtoode, iis ont le plaisir de ronger continuellement de l'écorce et do bois dont le goût leur est fort agréable, car ils préfè- rent l'écorce fraîche et le bois tendre à la plupart des aliments ordinaires; ils en font ample provision pour se nourrir pendant l'hiver; ils n'aiment pas le bois sec. C'est dans l'eau et près de leurs habitations qu'ils éta- blissent leur magasin; chaque cabane a le sien pro- portionné au nombre de ses habitants, qui tous y ont un droit commun, et ne vont jamais piller leurs voisins. On a vu des bourgades composées de vingt ou de vingt-cinq cabanes : ces grands établissements sont rares, et cette espèce de république est ordinairement moins nombreuse ; elle n'est le plus souvent compo- sée que de dix ou douze tribus, dont chacune a son quartier, son magasin, son habitation séparée ; ils ne souffrent pas que des étrangers viennent s'établir dans leurs enceintes. Les plus petites cabanes contiennent deux, quatre, six, et les plus grandes dix-l>uit, vingt, et même, dit-on, jusqu'à trente castors, presque toujours en nombre pair, autant de femelles que de mâles : ainsi, en comptant même au rabais, on peut dire que leur société est souvent composée de cent cinquante ou deux cents ouvriers associés, qui tous ont travaillé d'abord en corps pou rélever le grand ouvrage public, et ensuite par compagnie pour édifier des ha- bitations particulières. Quelque nombreuse que soit cette société, la paix s'y maintient sans altération; le travail commun a resserré leur union ; les commodi- tés qu'ils se sont procurées, l'abondance des vivres qu'ils amassent et consomment ensemble, servent à l'entretenir; des appétits modérés, des goûts simples. LE CASTOR. ^27 de l'aversion pour la chair et le saag, leur oient jus- qu'à l'idée de rapine et de guerre : ils jouissent de tous les biens que l'homme ne sait que désirer. Amis entre eux , s'ils ont quelques ennemis au dehors, ils savent les éviter; ils s'avertissent en frappant avec leur queue sur l'eau un coup qui retentit au loin dans toutes les voûtes des habitations; chacun prend son parti , ou de plonger dans Je lac , ou de se rece- ler dans leurs inurs qui ne craignent que le feu du ciel ou le fer de l'homme, et qu'aucun animal n'ose entreprendre d'ouvrir [ou renverser. Ces asiles sont non seulement très sûrs, mais encore très propres et très commodes : le plancher est jonché de verdure; des rameaux de buis et de sapin leur servent de tapis sur lequel ils ne font ni ne souÛVent jamais aucune ordure. La fenêtre qui regai-de sur l'eau leur sert de balcon pour se tenir au frais et prendre le bain pen- dant la plus grande partie du jour : ils s'y tiennent debout, la tête et les parties antérieures du corps élevées , et toutes les parties postérieures plongées dans l'eau. Cette fenêtre est percée avec précaution; l'ouverture en est assez élevée pour ne pouvoir jamais être fermée par les glaces, qui, dans le climat de nos castors, ont quelquefois deux ou trois pieds d'épais- seur; ils en abaissent alors la tablette, coupent en pente les pieux sur lesquels elle étoit appuyée , et se font une issue jusqu'à l'eau sous la glace. Cet élé- ment liquide leur est si nécessaire, ou plutôt leur fait tant de plaisir, qu'ils semblent ne pouvoir s'en passer; ils vont quelquefois assez loin sous la glace : c'est alors qu'on les prend aisément en attaquant d'un côté la cabane , et les attendant en même temps à un trou 328 ANIMAUX CARNASSIERS. qu'on pratique dans la glace à q?jelque distance , et où ils sont obligés d'arriver pour respirer. L'habi- tude qu'ils ont de tenir continuellement la queue et toutes les parties postérieures du corps dans l'eau, paroît avoir changé la nature de leur chair : celle des parties antérieures jusqu'aux reins a la qualité, le «oût, la consistance de la chair des animaux de la terre et de l'air; celle des cuisses et de la queue a l'odeur, la saveur, et toutes les qualités de celle du poisson. Cette queue, longue d'un pied, épaisse d'un pouce, et large de cinq ou six, est même une extré- mité, une vraie portion de poisson attachée au corps d'un quadrupède; elle est entièrement recouverte d'écaillés et d'une peau toute semblable à celle des gros poissons : on peut enlever ces écailles en les raclant au couteau; et lorsqu'elles sont tombées, l'on voit encore leur empreinte sur la peau, comme dans tous nos poissons. C'est au commencement de l'été que les castors se rasseu)blent; ils emploient les mois de juillet et d'août à construire leur digue et leur cabane ; ils font leur provision d'écorce et de bois dans le mois de septembre; ensuite ils jouissent de leurs travaux, ils goûtent les douceurs domestiques : c'est le temps du repos; c'est mieux, c'est la saison des amours. Se con- noissant, prévenus l'un pour l'autre par l'habitude, par les plaisirs et les peines d'un travail commun , chaque couple ne se forme point au hasard, ne se joint pas par pure nécessité de nature, mais s'unit par choix et s'assortit par goût; ils passent ensemble l'au- tomne et l'hiver; contents l'un de l'autre, ils ne se quiltent guère; à l'aise dans leur domicile, ils n'en LE CASTOR. .^29 sortent que pour faire des promenades agréables et utiles; ils en rapportent des écorces fraîches, qu'ils préfèrent à celles qui sont sèches ou trop imbibées d'eau. Les femelles portent, dit-on, quatre mois; elles mettent bas sur la fin de l'hiver, et produisent ordinairement deux ou trois petits. Les maies les quittent à peu près dans ce temps; ils vont à la cam- pagne jouir des douceurs et des fruits du printemps; ils reviennent de temps en temps à la cabane, mais ils n'y séjournent plus : les mères y demeurent occupées à allaiter, à soigner, à élever leurs petits, qui sont en état de les suivre au bout de quelques semaines ; elles vont à leur tour se promener, se rétablir à l'air, manger du poisson , des écrevisses , des écorces nou- velles , et passent ainsi l'été sur les eaux, dans les bois. Ils ne se rassemblent qu'en automne, à moins que les inondations n'aient renversé leur digue ou détruit leurs cabanes; car alors ils se réunissent de bonne heure pour en réparer les brèches. 11 y a des lieux qu'ils habitent de préférence, où l'on a vu qu'après avoir détruit plusieurs fois leurs travaux ils venoient tous les étés pour les réédifier, jusqu'à ce qu'enfin fatigués de cette persécution, et affoiblis par la perte de plusieurs d'entre eux, ils ont pris le parti de changer de demeure et de se retirer au loin dans les solitudes les plus profondes. C'est principalement en hiver que les chasseurs les cher- chent, parce que leur fourrure n'est parfaitement bonne que dans cette saison ; et lorsqu'après avoir ruiné leurs établissements, il arrive qu'ils en pren- nent un grand nombre , la société trop réduite ne se rétablit point ; le petit nombre de ceux qui ont 55o ANIMAUX CARNASSIERS. échappé à la mort ou à la captivité se disperse; ils de- viennent fuyards ; leur génie , flétri par la crainte , ne s'épanouit plus; ils s'enfouissent, eux et tous leurs talents, dans un terrier, où, rabaissés à la condition des autres animaux, ils mènent une vie timide, ne s'occupent plus que des besoins pressants, n'exercent que leurs facultés individuelles, et perdent sans re- tour les qualités sociales que nous venons d'admirer. Quelque admirables en effet, quelque merveilleu- ses que puissent paroître les choses que nous venons d'exposer au sujet de la société et des travaux de nos castors, nous osons dire qu'on ne peut douter de leur réalité : toutes les relations faites en différents temps par un grand nombre de témoins oculaires s'accor- dent sur tous les faits que nous avons rapportés; et si notre récit diffère de celui de quelques uns d'entre eux, ce n'est que dans les points où ils nous ont paru enfler le merveilleux, aller au delà du vrai, et quel- quefois même de toute vraisemblance : car on ne s'est pas borné à dire que les castors avoient des mœurs sociales et des talents évidents pour l'architecture, mais on a assuré qu'on ne pouvoit leur refuser des idées générales de police et de gouvernement ; que leur société étant une fois formée, ils savoient ré- duire en esclavage les voyageurs, les étrangers ; qu'ils s'en servoient pour porter leur terre , traîner leur bois; qu'ils traitoient de même les paresseux d'entre eux qui ne vouloient et les vieux qui ne pouvoient pas travailler; qu'ils les renversoient sur le dos, les faisoient servir de charrette pour voiturer leurs maté- riaux; que ces républicains ne s'assembloient jamais quVn nombre impair, pour que dans leurs conseils il Li: CASTOR. 53 1 y eût toujours utie voix prépondérante; que la so- ciété entière avoit un président; que chaque tribu avoit son intendant; qu'ils avoient des sentinelles éta- blies pour la garde publique ; que quand ils étoient poursuivis, ils ne manquoient pas de s'arracher les testicules pour satisfaire à la cupidité des chasseurs; qu'ils se montroient ain-si mutilés pour trouver grâce à leurs yeux, etc. , etc. ^. Autant nous sommes éloi- gnés de croire à ces fables, ou de recevoir ces exagé- rations, autant il nous paroît difficile de se refuser à admettre des faits constatés, confirmés, et morale- ment très certains. On a mille fois vu, revu, détruit, renversé leurs ouvrages, on les a mesurés, dessinés, gravés ; enfin , ce qui ne laisse aucun doute , ce qui est plus fort que tous les témoignages passés , c'est que nous en avons de récents et d'actuels; c'est qu'il en subsiste encore, de ces ouvrages singuliers, qui, quoique moins communs que dans les premiers temps de la découverte de l'Amérique septentrionale, se trouvent cependant en assez grand nombre pour que tous les missionnaires, tous les voyageurs, môme les plus nouveaux , qui se sont avancés dans les terres du nord, assurent en avoir rencontré. Tous s'accordent à dire, qu'outre les castors qui sont en société, on rencontre partout dans le même climat des castors solitaires, lesquels rejetés, disent- ils, de la société pour leurs défauts, ne participent à aucun de ses avantages, n'ont ni maison ni magasin, et demeurent , comme le blaireau, dans un boyau sous terre ; on a même appelé ces castors solitaires i. Voyez Elieu et tous les anciens , à l'exceplion de Pline, qui nie ce fait avec raison. 5vl2 AJMMxVlJX CARNASSIERS. castors terriers : ils sont aisés à reconnoître;lei]r robe est sale , le poil est rongé sur le dos par le frottement de la terre; ils habitent comme les autres assez vo- lontiers au bord des eaux, où quelques uns môme creusent une fosse de quelques pieds de profondeur, pour former un petit étang qui arrive jusqu'à l'ou- verture de leur terrier, qui s'étend quelquefois à plus de cent pieds en longueur, et va toujours en s'éle- vant, afin qu'ils aient la facilité de se retirer en haut à mesure que l'eau s'élève dans les inondations; mais il s'en trouve aussi, de ces castors solitaires, qui ha- bitent assez loin des eaux dans les terres. Tous nos lièvres d'Europe sont des castors terriers et solitaires, dont la fourrure n'est pas, à beaucoup près, aussi belle que celle des castors qui vivent en société. Tous diffèrent par la couleur, suivant le climat qu'ils habitent. Dans les contrées du nord les plus reculées ils sont tous noirs, et ce sont les plus beaux : parmi ces castors noirs il s'en trouve quelquefois de tout blancs, ou de blancs tachés de gris, et mêlés de roux sur le chignon et sur la croupe. A mesure qu'on s'é- loigne du nord, la couleur s'éclaircit et se mêle; ils sont couleur de marron dans la partie septentrionale du Canada, châtains vers la partie méridionale, et jaunes ou couleur de paille chez les Illinois. On trouve des castors en Amérique depuis le ôo"" degré de lati- tude nord jusqu'au 66^ et au delà; ils sont très com- muns vers le nord, et toujours en moindre nombre à mesure qu'on avance vers le midi : c'est la même chose dans l'ancien continent; on n'en trouve en quantité que dans les contrées les plus septentrio- nales, et ils sont très rares en France, en Espagne, LE CASTOR. ÔJJ en Italie, en Grèce, et. en Egypte. Les anciens les connoissoient : il éloit défendu de les tuer dans la re- lijrion des mages. Ils étoient communs sur les rives du Pont-Euxin ; on a mcme appelé le castor, canls ponticus : mais apparemment que ces animaux n'é- toient pas assez tranquilles sur les bords de cette mer, qui en elFet sont fréquentés par les hommes de temps immémorial, puisqu'aucun des anciens ne parle de leur société ni de leurs travaux. Élien surtout, qui marque un si grand foible pour le merveilleux, et qui, je crois, a écrit le premier que le castor se coupe les testicules pour les laisser ramasser au chasseur, n'auroitpas manqué de parler des merveilles de leur république, en exagérant leur génie et leurs talents pour l'architecture. Pline, dont l'esprit fier, triste et sublime, déprise toujours l'homme pour exalter la nature, se seroit-il abstenu de comparer les travaux de Romulus à ceux de nos castors."^ Il paroît donc certain qu'aucun des anciens n'a connu leur indus- trie pour bâtir; et quoiqu'on ait trouvé dans les der- niers siècles des castors cabanes en Norwége et dans les autres provinces les plus septentrionales de l'Eu- rope, et qu'il y ait apparence que les anciens castors bâtissoient aussi bien que les castors modernes, comme les Romains n'avoient pas pénétré jusque là, il n'est pas surprenant que leurs écrivains n'en fassent aucune mention. Plusieurs auteurs ont écrit que le castor étant un animal aquatique, il ne pouvoit vivre sur terre et sans eau. Cette opinion n'est pas vraie; car le castor que jious avons vivant, ayan^ été pris tout jeune au Ca- nada, et ayant été toujours élevé dans la maison, ne 5 54 A N I M A U X C A R i\ A S S 1 1- R S . connoissoit pas l'eau lorsqu'on nous l'a remis; i! crai- gnoit e.t refusoit d'y entrer : mais l'ayant une fois plongé et retenu d'abord par force dans un bassin, il s'y trouva si bien au bout de quelques minutes, qu'il ne cherchoit point à en sortir; et lorsqu'on le iaissoit libre, il y retournoit très souvent de lui-même; il se vautroit aussi dans la boue et sur le pavé mouillé. Un jour il s'échappa, et descendit par un escalier de cave dans les voûtes des carrières qui sont sous le terrain du Jardin Royal; il s'enfuit assez loin, en na- geant sur les mares d'eau qui sont au fond des car- rières; cependant, dès qu'il vît la lumière des flam- beaux que nous y fîmes porter pour le chercher, il revint à ceux qui l'appeloient, et se laissa prendre aisément. Il est familier sans être caressant; il de- mande à manger à ceux qui sont à table; ses instances sont un petit cri plaintif et quelques gestes de la jiîain : dès qu'on lui donne un morceau , il l'emporte, et se cache pour le manger à son aise. Il dort assez souvent, et se repose sur le ventre; il mange de tout, à l'exception de la viande, qu'il refuse constamment, cuite ou crue : il ronge tout ce qu'il trouve , les étoffes, les meubles, les bois; et l'on a été obligé de doubler de fer-blanc le tonneau dans lequel il a été transporté. Les castors habitent de préférence sur les bords des lacs, des rivières et les autres eaux douces : ce- pendant il s'en trouve au bord de la mer : mais c'est principalement sur les mers septentrionales, et sur- tout dans les golfes méditerranés qui reçoivent de grands fleuves, et dont les eaux sont peu salées. Ils sont ennemis de la loutre; ils la chassent, et ne lui I LE CASTOR. Oj;i permettent pas de paroître sur les eaux qu'ils tVé- quentenl. La fourrure du castor est encore plus belle et plus fournie que celle de la loutre : elle est com- posée de deux sortes de poils; l'un plus court, mais très touffu, fin comme le duvet , impénétrable à l'eau, revêt immédiatement la peau; l'autre plus long, plus ferme, plus lustré, mais plus rare, recouvre ce pre- mier vêtement, lui sert, pour ainsi dire, de surtout, le défend des ordures, de la poussière, de la fange : ce second poii n'a que peu de valeur, ce n'est que le premier que l'on emploie dans nos manufactures. Les fourrures les plus noires sont ordinairement les plus fournies^ et par conséquent les plus estimées; celles des castors terriers sont fort inférieures à celles des castors cabanes. Les castors sont sujets à la mue pendant l'été, comme tous les autres quadrupèdes; aussi la fourrure de ceux qui sont pris dans cette sai- son n'a que peu de valeur. La fourrure des castors blancs est estimée à cause de sa rareté , et les parfai- tement noirs sont presque aussi rares que les blancs. Mais indépendamment de la fourrure qui est ce que le castor fournit de plus précieux , il donne en- core une matière dont on a fait un grand usage en médecine. Cette matière, que l'on a appelée casto- rewn , est contenue dans deux grosses vésicules, que les anciens avoient prises pour les testicules de l'ani- mal. INous n'en donnerons pas la description ni les usages , parce qu'on les trouve dans toutes les phar- macopées ^. Les sauvages tirent, dit-on , de la queue du castor une huile dont ils se servent comme de to- 1. On prétend que les castors font sortir la liqueur de leurs vési- nilts en les pressant avec le pied , quelle leur donne de l'appétit lors- 556 ANIMAUX CARNASSIERS. pique pour tlifîerents maux. La chair du castor, quoi- que grasse et délicate, a toujours un goût amer assez désagréable : on assure qu'il a les os excessivement durs; mais nous n'avons pas été à portée de vérifier ce fait, n'en ayant disséqué qu'un jeune. Ses dents sont très dures, et si tranchantes, qu'elles servent de couteau aux sauvages pour couper, creuser et polir le bois. Ils s'habillent de peaux de castor, et les por- tent en hiver le poil contre la chair. Ce sont ces four- rures imbibées de la sueur des sauvages que l'on appelle castor gras^ dont on ne se sert que pour les ouvrages les plus grossiers. Le castor se sert de ses pieds de devant comme des mains; avec une adresse au moins égale à celle de l'écureuil : les doigts en sont bien séparés, bien divisés, au lieu que ceux des pieds de derrière sont réunis entre eux par une forte membrane : ils lui servent de nageoires et s'élargissent comme ceux de Toie, dont le castor a aussi en partie la démarche sur la terre. Il nage beaucoup mieux qu'il ne court : comme il a les jambes de devant bien plus courtes que celles de derrière, il marche toujours la tête baissée et le dos arqué. Il a les sens très bons, l'odo- rat très fin, et même susceptible : il paroît qu'il ne peut supporter ni la malpropreté ni les mauvaises odeurs; lorsqu'on le retient trop long-temps en pri- son, et qu'il se trouve forcé d'y faire ses ordures, il les met près du seuil de la porte, et, dès qu'elle est ouverte, il les pousse dehors. Cette habitude de pro- qu'ils sont dégoûtés, et que les sauvages en frottent les pièges qu'ils leur tendent pour les y attirer. Ce qui paroît plus certain, c'est qu'il se sert de cette liqueur pour se graisser le poil. LE CASTOU. 007 prêté leur est naturelle, et notre jeune castor ne manquoit jamais de nettoyer ainsi sa chambre. A l'âge d'un an, il a donné des signes .de clialeur, ce qui paroît indiquer qu'il avoit pris dans cet espace de temps la plus grande partie de son accroissement : ainsi la durée de sa vie ne peut être bien longue, et c'est peut-être trop que de l'étendre à quinze ou vingt ans. Ce castor étoit très petit pour son âge, et l'on ne doit pas s'en étonner : ayant presque dès sa naissance toujours été contraint, élevé, pour ainsi dire , à sec, ne connoissant pas l'eau jusqu'à l'âge de neuf mois, il n'a pu ni croître ni se développer comme les autres qui jouissent de leur liberté et de cet élé- ment qui paroît leur être presque aussi nécessaire que l'usage de la terre. * INous avons dit que le castor étoit un animal commun aux deux continents; il se trouve en effet tout aussi fréquemment en Sibérie qu'au Canada. On peut les apprivoiser aisément, et même leur appren- dre à pêcher du poisson et le rapporter à la maison. M. Kalm assure ce fait. « J'ai vu , dit-il , en Amérique des castors tellement apprivoisés, qu'on les envoyoit à la pêche, et qu'ils rapportoient leurs prises à leur maître. J'y ai vu aussi quelques loutres qui étoient si fort accoutumées avec les chiens et avec leurs maîtres, qu'elles les suivoient, les accompagnoient dans le bateau, sau- toient dans l'eau, et, le moment d'après, revenoient avec un poisson. » INous vîmes, dit M. Gmelin, dans une petite ville de Sibérie, un castor qu'on élevoit dans la cham- bre, et qu'on maaioit comme on vouloit. On m'as- 538 ANIMAUX GARi\ ASSIiîKS. sura que cet animal faisoit quelquefois des voyages à une distance très considérable , et qu'il enlevoit aux autres castors leurs femelles qu'il ramenoit à la mai- son , et qu'après le temps de la chaleur elles s'en re- tournoient seules, et sans qu'il les conduisît. )-B«« LE RATON*, Ursus lot or. L. Quoique plusieurs auteurs aient indiqué sous le nom de coati l'animal dont il est ici question , nous avons cru devoir adopter le nom qu'on lui a donné en Angleterre, afin d'ôter toute équivoque, et de ne pas le confondre avec le vrai coati, dont nous don- nerons la description dans l'article suivant, non plus qu'avec le coati-mondi ^^ qui cependant ne nous paroît être qu'une variété de l'espèce du coati. Le raton que nous avons eu vivant , et que nous avons gardé pendant plus d'un an, étoit de la gros- seur et de la forme d'un petit blaireau : il a le corps court et épais; le poil doux, long, touffu, noirâtre par la pointe, et gris par dessous; la tête comme le renard, mais les oreilles rondes et beaucoup plus courtes; les yeux grands, d un vert jaunâtre ; un ban- 1. Le ralon , du mot angluis railoon , ou racgoon , nom que l'on a donné dans celte langue à cet animal ; mapacli , dans quelques endroits de l'Aniérique. LE RATON. OJ9 deaii noir et transversal au dessus des yeux; le mu- seau effilé, le nez un peu retroussé, la lèvre infé- rieure moins avancée que la supérieure; les dents comme le chien, six incisives et deux canines en haut et en bas; la queue touffue, longue au moins comme le corps, marquée par des anneaux alternati- vement noirs et blancs dans toute son étendue i les jambes de devant beaucoup plus courtes que celles de derrière, et cinq doigts à tous les pieds, armés d'ongles fermes et aigus , les pieds de derrière por- tant assez sur le talon pour que l'animal puisse s'éle- ver et soutenir son corps dans une situation inclinée en avant. 11 se sert de ses pieds de devant pour porter à sa gueule : mais comme ses doigts sont peu flexi- bles, il ne peut, pour ainsi dire, rien saisir d'une seule main; il se sert des deux à la fois, et les joint en- semble pour prendre ce qu'on lui donne. Quoiqu'il soit gros et trapu, il est cependant fort agile : ses on- gles pointus comme des épingles lui donnent la faci- lité de grimper aisément sur les arbres; il monle lé- gèrement jusqu'au haut de la tige, et court jusqu'à l'extrémité des branches : il va toujours par sauts; il gambade plutôt qu'il ne marche, et ses mouvementSy quoique obliques, sont toujours prompts et légers. Cet animal est originaire des contrées m;éridionales de l'Ainérique : on ne le trouve pas dans l'ancien continent; au moins les voyageurs qui ont parlé des animaux de l'Afrique et des Indes orientales, n'en font aucune mention : il est au contraire très com- mun dans le climat chaud de l'Amérique, et surtout à la Jamaïque, où il habite dans les montagnes, et en descend pour manger des cannes de sucre. On ne O^O ANIMAUX CARNASSIERS. le trouve pas en Canada ni dans les antres parties septentrionales de ce continent ; cependant il ne craint pas excessivement le froid. M. Rlein en a nonrri un à Dantzick; et celui que nous avions a passé une nuit entière les pieds pris dans la glace, sans qu'il en ait été incommodé. Il trernpoit dans l'eau, ou plutôt il détrempoit tout ce qu'il vouloit manger : il jetoit son pain dans sa terrine d'eau, et ne l'en retiroit que quand il le voyoit bien imbibé , à moins qu'il ne fiit pressé par la faim; car alors il prenoit la nourriture sèche, et telle qu'on la luiprésentoit. Il furetoit partout , man- geoit aussi de tout, de la chair crue ou cuite, du poisson, des œufs, des volailles vivantes, des grains, des racines, etc. ; il mangeoit aussi de toutes sortes d'insectes : il se plaisoit à chiCrcher les araignées; et lorsqu'il étoit en liberté dans un jardin, il prenoit les limaçons, les hannetons, les vers. Il aimoit le sucre, le lait, et les autres nourritures douces par dessus toute chose, à l'exception des fruits, aux- quels il préféroit la chair et surtout le poisson. Il se retiroit au loin pour faire ses besoins. Au reste, il étoit familier et même caressant, sautant sur les gens qu'il aimoit, jouant volontiers et d'assez bonne grâce, leste, agile, toujours en mouvement : il m'a paru te- nir beaucoup de la nature du maki, et un peu des qualités du chien. * M. Blanquart des Salines m'a écrit de Calais, le 29 octobre 1776, au sujet de cet animal, dans les termes suivants : « Mon raton a vécu toujours enchaîné avant qu'il m'appartînt : dans cette captivité, il se montroit assez LE RATON. 341 doux, quoique peu caressant. Les personnes de la maison lui faisoient toutes le même accueil , mais il les recevoit différemment; ce qui lui plaisoit de la part de l'une, le révoltoit de la part d'une autre, sans que jamais il prît le change. » (Nous avons observé la même chose au sujet du surikate. ) a Sa chaîne s'est rompue quelquefois, et la liberté le rendoit insolent; il s'emparoit d'un appartement, et ne souffroit pas qu'on y abordât. Ce n'étoit qu'avec peine qu'on raccommodoit ses liens. Depuis son sé- jour chez moi , sa servitude a été fréquemment sus- pendue. Sans le perdre de vue, je le laisse promener avec sa chaîne , et chaque fois mille gentillesses m'ex- priment sa reconnoissance. Il n'en est pas ainsi quand il s'échappe de lui-même; alors il rôde quelquefois trois ou quatre jours de suite sur les toits du voisi- nage, et descend la nuit dans les cours, entre dans les poulaillers, étrangle la volaille, lui mange la tête, et n'épargne pas surtout les pintades. Sa chaîne ne le rendoit pas plus humain, mais seulement plus cir- conspect ; il employoit alors la ruse, et familiarisoit les poules avec lui, leur permeltoit de venir partager ses repas; et ce n'étoit qu'après leur avoir inspiré la plus grande sécurité qu'il en saisissoit une et la met- toit en pièces. Quelques jeunes chats ont de sa part éprouvé le même sort Cet animal, quoique très léger, n'a que des mouvements obliques, et je doute qu'il puisse attraper d'autres animaux à la course. Il ouvre merveilleusement les huîtres; il suffit d'en bri- ser la charnière, ses pattes font le reste. Il doit avoir le tact excellent. Dans toute sa petite besogne, rare- BUFFON, XV 54^ ANIMAUX CARNASSIERS. ment se sert-ii de la vue ni de l'odorat : pour une huître, par exemple, il la fait passer sous ses pattes de derrière; puis, sans regarder, il cherche de ses mains l'endroit le plus foible ; il y enfonce ses ongles, entr'ouvre les écailles; arrache le poisson par lam- beaux, n'en laisse aucun vestige , sans que, dans cette opération , ses yeux ni son nez, qu'il tient éloignés^ lui soient d'aucun usage. Si le raton n'est pas fort reconnoissant des caresses qu'il reçoit, il est singulièrement sensible aux mau- vais traitements. Un domestique de la maison l'avoife un jour frappé de quelques coups de fouet : vaine- ment cet homme a-t-il cherché depuis à se récooci- lier; ni les œufs, ni les sauterelles marines, mets délicieux pour cet animal, n'ont jamais pu le calmer. A son approche, il entre dans une sorte de rage; les yeuxétincelants, il s'élance contre lui, pousse des cris de douleur; tout ce qu'on lui présente alors, il le refuse, jusqu'à ce que son ennemi disparoisse. Les ac- cents de la colère sont chez lui singuliers; on se figu- reroit entendre tantôt le sifflement du courlis^ tantôt l'aboiement enroué d'un vieux chien. Si quelqu'un le frappe, s'il est attaqué par un ani- mal qu'il croie plus fort que lui, il n'oppose aucune résistance; semblable à un hérisson, il cache sa tète et ses pattes, forme de son corps une boule : aucune plainte ne lui échappe ; dans cette position il souifri- roit la mort. J'ai remarqué qu'il ne laissoit jamais ni foin ni paille dans sa niche; il préfère de coucher sur le bois. Quand on lui donne de la litière, il l'écarté dans l'instant même. Je ne me suis point aperçu qu'il fût LE RATON. 54 v3 Sensible au froid; de trois hivers il en n passé deux exposé à toutes ies rigueurs de l'air. Je l'ai vu cou- vert de neige, n'ayant aucun abri et se portant très bien Je ne pense pas qu'il recherche beaucoup la chaleur : pendant les gelées dernières, je lui fai- sois donner séparément et de l'eau tiède et de l'eau presque glacée pour détremper ses aliments ; celle-ci a constamment eu la préférence. Il lui étoit libre de passer la nuit dans l'écurie, et souvent il dormoit dans un coin de ma cour. Le défaut de salive, ou son peu d'abondance, est, à ce que j'imagine, ce qui engage cet animal à laisser pénétrer d'eau sa nourriture. Il n'humecte point une viande fraîche et sanglante; jamais il n'a mouillé une pèche ni une grappe de raisin; il plonge au contraire tout ce qui est sec au fond de sa terrine. Les enfants sont un des objets de sa haine; leurs pleurs l'irritent ; il fait tous ses efforts pour s'élancer sur eux. Une petite chienne qu'il aime beaucoup est i.;évèrement punie par lui quand elle s'avise d'aboyer avec aigreur. Je ne sais pourquoi plusieurs animaux détestent également les cris. En 1770, j'avois cinq souris blanches : je m'avisai par hasard d'en faire crier une , les autres se jetèrent sur elle; je continuai, elles l'étranglèrent. Ce raton est une femelle qui entre en chaleur au commencement de l'été. Le besoin de trouver un mâle dure plus de six semaines : pendant ce temps, on ne sauroit la fixer; tout lui déplaît; à peine se nourrit-elle; cent fois le jour elle passe entre ses cuisses, puis entre ses pattes de devant, sa queue touffue, qu'elle saisit par le bout avec ses dents, et 544 ANIMAUX CARNASSIERS. qu'elle agite sans cesse pour frotler ses parties na- turelles. Durant cette crise, elle est à tout moment sur le dos, grognant et appelant son mâle; ce qui me feroit penser qu'elle s'accouple en cette attitude. L'entier accroissement de cet animal ne s'est guère fait en moins de deux ans et demi. » LE CRABIER. Didelphis cancrivora. L. Lii nom de crabier, ou chien-crabier, que l'on a donné à cet animal , vient de ce qu'il se nourrit principalement de crabes. Il a très peu de rapport avec le chien ou le renard, auxquels les voyageurs ont voulu le comparer. Il auroit plus de rapport avec les sarigues; mais il est beaucoup plus gros; et d'ail- leurs la femelle du crabier ne porte pas, comme la femelle du sarigue, ses petits dans une poche sous le ventre : ainsi le crabier nous paroît être d'une es- pèce isolée et différente de toutes celles que nous avons décrites. Nous en donnons ici ( planche 22 ) la figure, dans laquelle on remarquera la longue queue écailleuse et nue, les gros pouces sans ongles des pieds de der- rière, et les ongles plats des pieds de devant. Cet animal, que nous conservons au Cabinet du Roi, étoit encore jeune lorsqu'on nous a envoyé sa dé- pouille : il est mâle, et voici la description que nous en avons pu faire. LE CRABIER. 345 La longueur du corps entier, depuis le bout du nez jusqu'à l'origine de la queue, est d'environ dix- sept pouces. La hauteur du train de devant, de six pouces trois lignes; et celle du train de derrière , de six pouces six lignes. La queue, qui est grisâtre, écailleuse et sans poil, a quinze pouces et demi de longueur sur dix lignes de grosseur à son commencement; elle est très menue à son extrémité. Comme cet animal est fort bas de jambes , il a de loin quelque ressemblance avec le chien basset : la tête même n'est pas fort différente de celle d'un chien; elle n'a que quatre pouces une ligne de lon- gueur, depuis le bout du nez jusqu'à l'occiput. L'œil n'est pas grand; le bord des paupières est noir, et au dessus de l'œil se trouvent de longs poils qui ont jusqu'à quinze lignes de longueur : il y en a aussi de semblables à côté de la joue vers l'oreille. Les mous- taches autour de la gueule sont noires, et ont jusqu'à dix-sept lignes de long. L'ouverture de la gueule est de près de deux pouces; la mâchoire supérieure est armée, de chaque côté, d'une dent canine cro- chue , et qui excède la mâchoire inférieure. L'oreille, qui est de couleur brune, paroît tomber un peu sur elle-même; elle est nue, large, et ronde à son extrémité. Le poil du corps est laineux et parsemé d'autres grands poils roides, noirâtres, qui vont en augmen- tant sur les cuisses et vers l'épine du dos, qui est toute couverte de ces longs poils ; ce qui forme à cet animal une espèce de crinière , depuis le milieu 546 ANIMAUX CARNASSIERS. du dos jusqu'au commencement de ia queue. Ces poils ont trois pouces de longueur; ils sont d'un blanc sale à leur origine jusqu'au milieu, et ensuite d'une brun minime jusqu'à l'extrémité. Le poil des côtés est d'uQ blanc jaune, ainsi que sous le ventre; mais il tire plus sur le fauve vers les épaules, les cuisses, le cou, la poitrine et la tête, où cette teinte de fauve est mélangée de brun dans quelques en- droits. Les côtés du cou sont fauves. Les jambes et les pieds sont d'un brun noirâtre. Il y a cinq doigts à chaque pied; le pied de devant a un pouce neuf lignes, le plus grand doigt neuf lignes, et l'ongle en gouttière deux lignes. Les doigts sont un peu plies comme ceux des rats i il n'y a que le pouce qui soit droit. Les pieds de derrière ont un pouce huit lignes, les plus grands doigts neuf lignes, le pouce six lignes; il est gros, large et carré, comme dans les singes; Tongle en est plat, tandis que les ongles des quatre autres doigts sont crochus et excèdent le bout des doigt. Le pouce du pied de devant est droit, et n'est point écarté de l'autre doigt. M. de La Borde m'a écrit que cet animal étoit fort commun à Cayenne, et qu'il habite toujours les pa- létuviers et autres endroits marécageux. « Il est, dit-il, fort leste pour grimper sur les ar- bres, sur lesquels il se tient plus souvent qu'à terre, surtout pendant le jour. Il a de bonnes dents, et se défend contre les chiens. Les crabes font sa princi- pale nourriture, et lui profitent; car il est toujours gras. Quand il ne peut pas tirer les crabes de leur trou avec sa patte, il y introduit sa queue, dont il se sert comme d'un crochet. Le crabe, qui lui serre LE CUABIEr.. 547 quelquefois la queue, le fait crier; ce cri ressemble assez à celui d'un homme, et s'entend de fort loin; mais sa voix ordinaire est une espèce de grognement semblable à celui des petits cochons. Il produit qua- tre ou cinq petits, et les dépose dans de vieux arbres creux. Les naturels du paj^s en mangent la chair, qui a quelque rapport avec celle du lièvre. x\u reste , ces animaux se familiarisent aisément , et on les nour- rit à la maison comme les chiens et les chats, c'est- à-dire avec toutes sortes d'aliments : ainsi leur goût pour la chair du crabe n'est point du tout un goût exclusif^. » On prétend qu'il se trouve dans les terres de Cayenne deux espèces d'animaux auxquels on donne le même nom de crabier_, parce que tous deux man- gent des crabes. Le premier est celui dont nous venons de parler; l'autre est non seulement d'une espèce dif- férente, mais paroît même d'un autre genre. 11 a la queue toute garnie de poil, et ne prend les crabes qu'avec ses pattes. Ces deux animaux ne se ressem- blent que par la tête, et diffèrent par la forme et les proportions du corps, aussi bien que par la conforma- tion des pieds et des ongles 2. 1. LeUre de M. de La Borde à M. de Buffon ; Gayenue, 12 juin 1774. a. Note communiquée par MM. Aublet et Olivier. 348 ANIMAUX CARNASSIERS. LE RATON-CRABIER. Ursus cancrivorus. L. Voici un animal qui nous a été envoyé de Cayenne par M. de La Borde, sous la dénomination impropre de ckien-crabier^ et qui n'a d autre rapport avec le cra- bier que l'habitude de manger également des crabes; mais il tient beaucoup du raton par la grandeur, la forme et les proportions de la tête, du corps, et de la queue ; et comme nous ignorons le nom qu'il porte dans son pays natal, nous lui donnerons, en atten- dant que nous en soyons informé , la dénomination de raton-Cî'abierj pour le distinguer et du raton et du crabier dont nous avons donné les figures. Cet animal a été envoyé de Cayenne avec le nom et l'indication suivante : chien-crabier adulte ^ femelle prise nourrissant trois petits AidÂs, comme nous venons de le dire, il n'a nul rapport apparent avec le crabier; il n'en a ni la forme du corps ni la queue écailleuse. Sa longueur, depuis le bout du museau jusqu'à l'ori- gine de la queue, est de vingt-trois pouces six lignes , et par conséquent elle est à peu près égale à celle du raton, qui est de vingt-deux pouces six lignes; les autres dimensions sont proportionnellement les mê- mes entre ces deux animaux, à l'exception de la queue, qui est plus courte et beaucoup plus mince dans cet animal que celle du raton. Hbo. Toiueib. îatiQiiet, scalp . l.LF.RATOI\T rp. ,\B1KR _'2.Lï; COATI..? .LE raNKAJOU LE RATON-CRABIER. 349 La couleur de ce raton-crabier est d'un fauve mêlé de noir et de gris : le noir domine sur la tête , le cou , et le dos; mais le fauve est sans mélange sur les côtés du cou et du corps : le bout du nez et les naseaux sont noirs. Les plus grands poils des moustaches ont quatre pouces de longueur, et ceux du dessus de l'an- gle des yeux ont deux pouces deux lignes. Une bande d'un brun noirâtre environne les yeux, et s'étend presque jusqu'aux oreilles ; elle passe sur le museau, se prolonge, et s'unit au noir du sommet de la tête. Le dedans des oreilles est garni d'un poil blanchâtre, et une bande de celte même couleur règne au dessus des yeux ; il y a une tache blanche au milieu du front ; les joues, les mâchoires, le dessus du cou, de la poi- trine, et du ventre, sont d'un blanc jaunâtre; les jam- bes et les pieds sont d'un brun noirâtre, celles de devant sont couvertes d'un poil court; les doigts sont longs et bien séparés les uns des autres. La queue est environnée de six anneaux noirs, dont les intervalles sont d'un fauve grisâtre; ce qui établit encore une diflerence entre cet animal et Je vrai raton, dont la queue longue, grosse et touffue, est seulement anne- lée sur la face supérieure. Ces deux espèces de ratons diffèrent encore entre elles par la couleur du poil , qui dans le raton est, sur le corps, d'un noir mêlé de gris et de fauve pâle, et sur les jambes, de couleur blanchâtre, au lieu que dans celui-ci il est d'un fauve mêlé de noir et de gris sur le corps, et d'un brun noirâtre sur les jambes. Ainsi, quoique ces deux ani- maux aient plusieurs rapports entre eux, leurs diffé- rences nous paroissent suffisantes pour en faire deux espèces distinctes. OJO AMilAUX CAllNASSIERSl LE COATI. Viverra nasua et Viverra narica. L. Plusieurs auteurs ont appelé coati-mondi l'animal dont il est ici question : nous l'avons eu vivant; et après l'avoir comparé au coati indiqué par Tlievet et décrit par Marcgrave, nous avons reconnu que c'étoit le même animal qu'ils ont appelé coati tout court ; et il y a toute apparence que le coati-mondi n'est pas un animal d'une autre espèce, mais une simple variété de celle-ci; car Marcgrave, après avoir donné la de- scription du coati, dit précisément qu'il y a d'autres coatis qui sont d'un brun noirâtre, que l'on appelle an Erésii coati-mondi pour les distinguer des autres : il n'admet donc d'autres différences, entre le coati et le coati-mondi , que celle de la couleur du poil ; et dès lors on ne doit pas les considérer comme deux espèces distinctes, mais les regarder comme des va- riétés dans la même espèce. Le coati est très différent du raton que nous avons décrit dans l'article précédent : il est de plus petite taille ; il a le corps et le cou beaucoup plus allongés, la tête aussi plus longue , ainsi que le museau , dont la mâchoire supérieure est terminée par une espèce de groin mobile qui déborde d'un pouce ou d'un pouce et demi au delà de l'extrémité de la mâchoire inférieure ; ce groin retroussé en haut , joint au grand LE COATI. ,35 I allongement des mâchoires, fait paroître le museau courbé et relevé en haut. Le coati a aussi les yeux beaucoup plus petits que le raton , les oreilles encore plus courtes , le poil moins long , plus rude et moins peigné , les jambes plus courtes , les pieds plus longs et plus appuyés sur le talon : il avoit, comme le ra- ton , la queue annelée^, et cinq doigts à tous los pieds. Quelques personnes pensent que le blaireau-co- chon pourroit bien être le coati, et Ton a rapporté à cet animal le taxas sidllus dont AIdrovande donne la figure : mais si l'on fait attention que le blaireau- cochon dont parlent les chasseurs est supposé se trouver en France, et môme dans les climats plus froids de notre Europe , qu'au contraire le coati ne se trouve que dans les climats méridionaux de l'autre continent, on rejettera aisément cette idée, qui d'ail- leurs n'est nullement fondée ; car la figure donnée par AIdrovande n'est autre chose qu'un blaireau , au- quel on a fait un groin de cochon. L'auteur ne dit pas qu'on ait dessiné cet animal d'après nature , et il n*en donne aucune description. Le museau très al- longé et le groin mobile en tous sens suffisent pour faire distinguer le coati de tous les autres animaux; il a, comme l'ours, une grande facilité à se tenir de- bout sur les pieds de derrière, qui portent en grande partie sur le talon, lequel même est terminé par de grosses callosités qui semblent le prolonger aU dehors et augmenter l'étendue de l'assiette du pied. 1 . Il y a aussi des coatis dont la queue est d'une seule couleur ; mais comme ils ne diffèrent des autres que par ce seul caractère , cette dif- léiénce ne nous pàroît pas suffire pour en faire deux espèces , et nous estimons que ce n'est qu'une variété dans la même espèce. 552 ANIMAUX CARNASSIERg. Le coati est sujet h manger sa queue, qtii, lors- qu'elle n'a pas été tronquée, est plus longue que son corps; il la tient ordinairement élevée, la fléchit en tous sens, et la promène avec facilité. Ce goût sin- gulier, et qui paroît contre nature, n'est cependant pas particulier au coati : les singes, les makis, et quelques autres animaux à queue longue, rongent le bout de leur queue, en mangent la chair et les ver- tèbres, et la raccourcissent peu à peu d'un quart ou d'un tiers. On peut tirer de là une induction géné- rale, c'est que, dans des parties très allongées, et dont les extrémités sont par conséquent très éloi- gnées des sens et du centre du sentiment, ce même sentiment est foible , et d'autant plus foible que la distance est plus grande et la partie plus menue : si l'extrémité de la queue de ces animaux étoit une par- tie fort sensible, la sensation de la douleur seroit plus forte que celle de cet appétit, et ils conserteroient leur queue avec autant de soin que les autres parties de leur corps. Au reste, le coati est un animal de proie qui se nourrit de chair et de sang, qui, comme le renard ou la fouine, égorge les petits animaux, les volailles, mange les œufs, cherche les nids des oi- seaux; et c'est probablement par cette conformité de naturel, plutôt que par la ressemblance de la fouine, qu'on a regardé le coati comme une espèce de petit renard. * Quelques personnes qui ont séjourné dans l'Amé- rique méridionale m'ont informé que les coatis pro- duisent ordinairement trois petits, qu'ils se font des tanières en terre comme les renards, que leur chair a un mauvais goût de venaison, mais qu'on peut faire LE COATI. 353 de leurs peaux d'assez belles fourrures. Ils m*ont as- suré que ces animaux s'apprivoisent fort aisément, qu'ils deviennent même très caressants, et qu'ils sont sujets à manger leur queue, ainsi que les sapajous, guenons, et la plupart des autres animaux à longue queue des climats chauds. Lorsqu'ils ont pris cette habitude sanguinaire , on ne peut pas les en corriger; ils continuent de ronger leur queue, et finissent par mourir, quelques soins et quelque nourriture qu'on puisse leur donner. Il semble que cette inquiétude est produite par une vive démangeaison ; mais peut- être les préserveroit-on du mal qu'ils se font, en cou- vrant l'extrémité de la queue avec une plaque mince de métal , eomme l'on couvre quelquefois les perro- quets sur le ventre pour les empêcher de se déplu- mer. L'AGOUTr. Cavia-Acuti, L. Cet animal est de la grosseur d'un lièvre, et a été regardé comme une espèce de lapin ou de gros rat par la plupart des auteurs de nomenclature en his- toire naturelle; cependant il ne leur ressemble que par de très petits caractères, et il en diffère essen- tiellement par les habitudes naturelles. Il a la rudesse '.le poil et le grognement du cochon; il a aussi sa 1. L'rtgoMfj, nom indien ; auBiési! , vulgaireineut co^m, selon Pison et Marcgrave- 554 ANIMAUX CARNASSIERS. gourmandise, il mange de tout avec voracité; et lors- qu'il est rassasié, rempli , il cache , comme le renard, en difl'érents endroits ce qui lui reste d'aliments pour le trouver au besoin. Il se plaît à faire du dégât, à couper, à ronger tout ce qu'il trouve. Lorsqu'on l'ir- rite, son poil se hérisse sur la croupe, et il frappe fortement la terre de ses pieds de derrière : il mord cruellement. Il ne se creuse pas un trou comme le lapin, ni ne se tient pas sur terre à découvert comme le lièvre : il habite ordinairement dans le creux des arbres et dans les souches pourries. Les fruits , les patates, le manioc, sont la nourriture ordinaire de ceux qui fréquentent autour des habitations ; les feuilles et les racines des plantes et des arbrisseaux sont les aliments des autres qui demeurent dans les bois et les savanes L'agouti se sert, comme l'écureuil , de ses pieds de devant pour saisir et porter à sa gueule. Il court d'une très grande vitesse en plaine et en montant; mais comme il a les jambes de devant plus courtes que celles de derrière , il feroitla culbute s'il ne ralentissoit sa course en descendant. Il a la vue bonne et l'ouïe très fine; lorsqu'on le pipe, il s'ar- rête pour écouter. La chair de ceux qui sont gras et bien nourris n'est pas mauvaise à manger, quoiqu'elle ait un petit goût sauvage et qu'elle soit un peu dure. On échaude l'agouti comme le cochon de lait, et on l'apprête de môme. On le chasse avec des chiens : lorsqu'on peut le faire entrer dans des cannes de suci'e coupées, il est bientôt rendu, parce qu'il y a ordi- nairement dans ces terrains de la paille et des feuilles de canne d'un pied d'épaisseur, et qu'à chaque saut qu'il fait il enfonce dans cette litière, en sorte qu'uu l'agolti. 355 homme peut souvent l'atteindre et le tuer avec un bâton. Ordinairement il s'enfuit d'abord très vite de- vant les chiens, et gagne ensuite sa retraite, où il se tapit et demeure obstinément caché : le chasseur, pour l'obliger à en sortir, la remplit de fumée; l'ani- mal, à demi suiToqué, jette des cris douloureux et plaintifs, et ne paroît qu'à toute extrémité. Son cri, qu'il répète souvent lorsqu'on l'inquiète ou qu'on l'irrile, est semblable à celui d'un petit cochon. Pris jeune, il s'apprivoise aisément; il reste à la maison, en sort seul , et revient de lui-même. Ces animaux de- meurent ordinairement dans les bois, dans les haies : les femelles y cherchent un endroit fourré pour pré- parer un lit à leurs petits; elles font ce lit avec des feuilles et du foin. Elles produisent deux ou trois fois par an; chaque portée n'est, dit-on, que de deux : elles transportent leurs petits, comme les chattes, deux ou trois jours après leur naissance; elles les por- tent dans des troncs d'arbres, où elles ne les allaitent que pendant peu de temps : les jeunes agoutis sont bientôt en état de suivre leur nière et de chercher à vivre. Ainsi le temps de l'accroissement de ces ani- maux est assez court, et par conséquent leur vie n'est pas bien longue. H paroît que l'agouti est un animal particulier à l'Amérique; il ne se trouve pas dans l'ancien conti- nent : il semble être originaire des parties méridio- nales de ce nouveau monde ; on le trouve très com- munément au Brésil, à la Guiane, à Saint-Domingue et dans toutes les îles : il a besoin d'un climat chaud pour subsister et se multiplier; il peut cependant vi- vre en France, pourvu qu'on le tienne à l'abri du 556 ANIMAUX CARNASSIERS. froid dans un lieu sec et ebaud , surtout pendant Thi- ver : aussi n'Iiabite-t-il en Amérique que les contrées méridionales, et il ne s'est pas répandu dans les pays froids et tempérés. Aux îles il n'y a qu une espèee d'agouti, qui est celui que nous décrivons; mais à Cayenne, dans la terre ferme de laGuiane et au Bré- sil, on assure qu'il y en a de deux espèces, et que cette seconde espèce , qu'on appelle agoucld^ est constamment plus petite que la première. Celle dont nous parlons est certainement l'agouti : nous en sommes assuré par le témoignage de gens qui ont demeuré long-temps à Cayenne , et qui connoissent également l'agouti et l'agouchi que nous n'avons pas encore pu nous procurer. L'agouti que nous avons eu vivant, et dont nous donnons ici la figure, étoitgros comme un lapin; son poil étoit rude, et de couleur brune et un peu mêlée de roux : il avoit la lèvre su- périeure fendue comme le lièvre , la queue encore plus courte que le lapin, les oreilles aussi courtes que larges, la mâcboire supérieure avancée au delà de l'inférieure, le museau comme le loir, les dents comme la marmotte , le cou long, les jambes grêles , quatre doigts aux pieds de devant et trois à ceux de derrière. Marcgrave, et presque tous les naturalistes après lui, ont dit que l'agouti avoit six doigts aux pieds de derrière : M. Brisson est le seul qui n'ait pas copié cette erreur de Marcgrave : ayant fait sa des- cription sur l'animal môme, il n'a vu, comme nous, que trois doigts aux pieds de derrière. * Nous avons peu de cbose à ajouter à ce que nous avons dit de l'agouli. M. de La Borde nous écrit seu- lement que c'est le quadrupède le phis commun de L AGOUTI. 55^ îa Guiane : tous les bois en sont pleins, soit sur les hauteurs, soit dans les plaines, et même dans les marécages. « Il est, dit-il, de la grosseur d'un lièvre : sa peau est dure et propre à faire des empeignes de souliers qui durent très long-temps. Il n'a point de graisse ; sa chair est aussi blanche et presque aussi bonne que celle du lapin, ayant le môme goût et le même fu- met. Vieux ou jeune, la chair en est toujours tendre ; mais ceux du bord de la mer sont les meilleurs. On les prend avec des trappes, on les tue à l'affût, on les chasse avec des chiens : les Indiens et les INègres , qui savent les siffler, en tuent tant qu'ils veulent. Quand ils sont poursuivis, ils se sauvent à l'eau, ou bien ils se cachent, comme les lapins, dans des trous qu'ils ont creusés, ou dans les arbres creux. Ils man- gent avec leurs pattes, comme les écureuils : leur nourriture ordinaire, qu'ils cachent souvent en terre pour la retrouver au besoin, consiste en noyaux de maripa, de tourlouri , de corana, etc. ; et lorsqu'ils ont caché ces noyaux, ils les laissent quelquefois six mois dans la terre sans y toucher. Ils peuplent au- tant que les lapins; ils font trois ou quatre petits, et quelquefois cinq, dans toutes les saisons de l'année. Ils n'habitent pas en nombre dans le même trou ; on les y trouve seuls, ou bien la mère avec ses petits. Ils s'apprivoisent aisément et mangent à peu près de tout : devenus domestiques, ils ne vont pas courir loin, et reviennent à la maison volontiers; cepen- dant ils conservent un peu de leur humeur sauvage. En général, ils restent dans leurs trous pendant la nuit , à moins qu'il ne fasse clair de lune ; mais ils 558 ANIMAUX CARNASSIERS. courent pendant la plus grande partie du jour, et il y a de certaines contrées, comme vers l'emboucbure du fleuve des Amazones , où ces animaux sont si nom- breux, qu'on les rencontre fréquemment par ving- taines. » l\VVV\AA'\'VA'\VV\'V >'V'\%'\\V\\\\\V'VVVVV\'VVVVV-'VVV\'V».V\'V\V\'\VV\i>'VV\V»'VV\'\/\V\V\V\\\X.V\\\\\\v ANIMAUX DE L'ANCIEN CONTINENT. ■ — ro^ J_jEs plus grands animaux sont ceux qui sont les luioux connus, et sur lesquels, en général, il y a le Qioins d'équivoque ou d'incertitude : nous les suivrons donc dans celle éiiumération, en les indiquant à peu près par ordre de grandeur. Les éléphants appartiennent à l'ancien continent, et ne se trouvent pas dans le nouveau. Les plus grands sont en Asie, les plus pelîts en Afrique: tous sont originaires des climats les plus chauds; et quoiqu'ils puissent vivre dans les contrées tempérées, ils ne peuvent y multiplier; ils ne mulliplient pas même dans leur pays nalal lorsqu'ils ont perdu leur liberlé : cependant l'espèce en est assez nombreuse , quoique enlièrenicnt conlinée aux seuls climats méridionaux de l'ancien continent; et non seulement elle n'est point en Amérique, mais il ne s'y trouve même au- cun animal qu'on puisse lui comparer, ni pour la grandeur, ni pour la figure. On peut dire la même chose du rhinocéros, dont l'espèce est beaucoup moins nombreuse que celle de l'éléphant; il ne se trouve que dans les déserts de l'Afrique et dans les forêts de l'Asie méridionale, et il n'y a en Amérique aucun animal qui lui ressemble. 560 ANIMAUX L'hippopotame habite les rivages des grands fleuves de rinde et de l'Afrique : l'espèce en est peut-être encore moins nombreuse que celle du rhinocéros , et ne se trouve point en Amérique, ni même dans les climats tempérés de l'ancien continent. Le chameau et le dromadaire, dont les espèces, quoique très voisines, sont différentes, et qui se trouvent si communément en Asie, en Arabie, et dans toutes les parties orientales de l'ancien conti- nent, étoient aussi inconnus aux Indes occidentales que l'éléphant , l'hippopotame et le rhinocéros. L'on a très mal à propos donné le nom de chameau au lama et au pacos du Pérou, qui sont d'une espèce si différente de celle du chameau, qu'on a cru pouvoir leur donner aussi le nom de moutons; en sorte que les uns les ont appelés chameaux^ et les autres mou- tons du Pérou j quoique le pacos n'ai rien de commun que la laine avec notre mouton, et que le lama ne ressemble au chameau que par l'allongement du cou. Les Espagnols transportèrent autrefois de vrais cha- meaux au Pérou; ils les avoient d'abord déposés aux îles Canaries, d'où ils les tirèrent ensuite pour les passer en Amérique ; mais il faut que le climat de ce nouveau monde ne leur soit pas favorable ; car, quoi- qu'ils aient produit dans cette terre étrangère, ils ne s'y sont pas multipliés, et ils n'y ont jamais été qu'en très petit nombre. La girafe ou le c ame lop arda lis ^ animal très grand, très gros, et très remarquable tant par sa forme sin- gulière que par la hauteur de sa taille, la longueur de son cou et celle de ses jambes de devant, ne s'est point trouvé en Amérique; il habite en Afrique, et DE l'ancien continent. 36i surtout en Ethiopie, et ne s'est jamais répandu au delà des tropiques, dans les climats tempérés de l'ancien continent. JNous verrons dans l'article du lion, que cet animal n'existoit point en Amérique, et que le puma du Pérou est un animal d'une espèce différente : nous verrons de même que le tigre et la panthère ne se trouvent que dans l'ancien continent, et que les ani- maux de l'Amérique méridionale auxquels on a donné ces noms, sont d'espèces différentes. Le vrai tigre , le seul qui doive conserver ce nom, est un animal terrible, et peut-être plus à craindre que le lion : sa férocité n'est comparable à rien; mais on peut juger de sa force par sa taille; elle est ordinairement de quatre à cinq pieds de hauteur sur neuf, dix, et jus- qu'à treize et quatorze pieds de longueur, sans y comprendre la queue. Sa peau n'est pas tigrée^ c'est- à-dire parsemée de taches arrondies; il a seulement, sur un fond de poil fauve, des bandes noires qui s'étendent transversalement sur tout le corps, et qui forment des anneaux sur la queue dans toute sa lon- gueur : ces seuls caractères suffisent pour le distin- guer de tous les animaux de proie du Nouveau-Monde, dont les plus grands sont à peine de la taille de nos mâtins ou de nos lévriers. Le léopard et la panthère de l'Afrique ou de l'Asie n'approchent pas de la gran- deur du tigre, et cependant sont encore plus grands que les animaux de proie des parties méridionales de l'Amérique. Pline , dont on ne peut ici révoquer le témoignage en doute, puisque les panthères étoient si communes, qu'on les exposoit tous les jours eu grand nombre dans les spectacles de Rome : Pline, ô6'2 ANIMAUX dis-je, en indique les caractères essentiels, en disant que leur poil est blanchâtre, et que leur robe est variée partout de taches noires, semblables à des yeux; il ajoute que la seule différence qu'il y ait entre le mâle et la t'emelle, c'est que la femelle a la robe blanche. Les animaux d'Amérique auxquels on a donné le nom de tigres j ressemblent beaucoup plus à la panthère qu'au tigre ; mais ils en diffèrent encore assez pour qu'on puisse reconnoître clairement qu'aucun d'eux n'est précisément de l'espèce de la panthère. Le premier est le jaguar ou jaguara ou ja- mnvara^ qui se trouve à la Guiane, au Brésil, et dans les autres parties méridionales de l'Amérique. Ray avoit, avec quelque raison, nommé cet animal pard ou lynx du Brésil; les Portugais l'ont appelé once ou oncdj parce qu'ils avoient précédemment donné ce nom au lynx, par corruption, et ensuite à la petite panthère des Indes; et les François, sans fondement de relation, l'ont appelé tigre^, car il n'a rien de com- mun avec cet animal. Il diffère aussi de la panthère par la grandeur du corps, par la position et la figure des lâches, par la couleur et la longueur du poil, qui est crêpé dans la jeunesse , et qui est toujours moins lisse que celui de la {fenthère ; il en diffère en- core par le naturel et les mœurs ; il est plus sauvage, et ne peut s'apprivoiser, etc. Ces différences cepen- dant n'empêchent pas que le jaguar du Brésil ne res- semble plus à la panthère qu'à aucun autre animal de l'ancien continent. Le second est celui que nous appelons cotfgaarj par contraction de son nom bra- silien ciiguacu-ara , que l'on prononce cougouacoa- arUj et que nos François ont encore mal à propos DE l'ancien continent. v365 appelé tigre rouge; il difïere ea tout du vrai tigre , et beaucoup de la panthère, ayant le poil d'une couleur rousse, uniforme et sans taches; ayant aussi la tête d'une forme différente, et le museau plus allongé que le tigre ou la panthère. Une troisième espèce, à la- quelle on a encore donné le nom de tigre ^ei qui en est tout aussi éloignée que les précédentes, c'est le jaguarète^ qui est à peu près de la taille du jaguar, et qui lui ressemble aussi par les habitudes naturelles, mais qui en diffère par quelques caractères exté- rieurs : on l'a appelé tigre noir^ parce qu'il a le poil noir sur tout le corps, avec des taches encore plus noires, qui sont séparées et parsemées comme celles du jaguar. Outre ces trois espèces, et peut-être une quatrième qui est plus petite que les autres, aux- quelles on a donné le nom de tigres ^ il se trouve en- core en Amérique un animal qu'on peut leur com- parer, et qui me paroît avoir été mieux dénommé: c'est le chat-pard, qui tient du chat et de la pan- thère, et qu'il est en effet plus aisé d'indiquer par cette dénomination composée que par son nom mexi- cain tlacoosclotl ; il est plus petit que le jaguar, le ja- guarète et le couguar; mais en même temps il est plus grand qu'un chat sauvage, auquel il ressemble par la figure ; il a seulement la queue beaucoup plus courte et la robe semée de taches noires, longues sur le dos, et arrondies sur le ventre. Le jaguar, le jaguarète, le couguar et le chat-pard sont donc des animaux d'Amérique , auxquels on a mal à propos donné le nom de tigre. Nous avons vu vivants le cou- guar et le chat-pard; nous nous sommes donc assu- rés qu'ils sont chacun d'une espèce différente entre 564 ANIMAUX eux , et encore plus difTérente de celles du tigre et de la panthère; et à l'égard du puma et du jaguar, il est évident, par les descriptions de ceux qui les ont vus, que le puma n'est point un lion , ni le jaguar un tigre : ainsi nous pouvons prononcer sans scrupule que le lion, le tigre, et même la panthère, ne se sont pas plus trouvés en Amérique que l'éléphant, le rhinocéros, l'hippopotame, la girafe et le cha- meau. Toutes ces espèces ayant besoin d'un climat chaud pour se propager , et n'ayant jamais habité dans les terres du nord, n'ont pu communiquer ni parvenir en Amérique. Ce fiiit général , dont il ne pa- roît pas qu'on se fût seulement douté, est trop im- portant pour ne le pas appuyer de toutes les preuves qui peuvent achever de le constater. Continuons donc notre énumération comparée des animaux de l'ancien continent avec ceux du nouveau. Personne n'ignore que les chevaux, non seulement causèrent de la surprise, mais même donnèrent de la frayeur aux Américains lorsqu'ils les virent pour la première fois. Ils ont bien réussi dans presque tous les climats de ce nouveau continent, et ils y sont ac- tuellement presque aussi communs que dans l'ancien. Il en est de môme des ânes , qui étoient également inconnus, et qui ont également réussi dans les cli- mats chauds de ce nouveau continent; ils ont même produit des mulets, qui sont plus utiles que les lamas pour porter des fardeaux dans toutes les parties mon- tagneuses du Chili, du Pérou, de la Nouvelle-Es- pagne, etc. Le zèbre est encore un animal de l'ancien conti- nent, et qui n'a peut-être jamais été transporté ni vu DE L ANCIEN CONTINENT. 00,) dans le nouveau : il paroît affecter un climat particu- lier, et ne se trouve guère que dans cette partie de l'Afrique qui s'étend depuis l'équateur jusqu'au cap de Bonne-Espérance. Le bœuf ne s'est trouvé ni dans les îles ni dans la terre ferme de l'Amérique méridionale. Peu de temps après la découverte de ces nouvelles terres, les Es- pagnols y transportèrent d'Europe des taureaux et des vaches. En i55o on laboura" pour la première fois la terre avec des bœufs dans la vallée de Cusco. Ces animaux multiplièrent prodigieusement dans ce continent, aussi bien que dans les îles de Saint-Do- mingue, de Cuba, de Barlovento, etc. ; ils devinrent môme sauvages en plusieurs endroits. L'espèce de bœuf qui s'est trouvée au Mexique, à la Louisiane, etc., et que nous avons appelée bœuf sauvage ou bison ^ n'est point issue de nos bœufs ; le bison existoit en Amérique avant qu'on y eiit transporté le bœuf d'Europe, et il diffère assez de celui-ci pour qu'on puisse le considérer comme faisant une espèce à part. 11 porte une bosse entre les épaules; son poil est plus doux que la laine, plus long sur le devant du corps que sur le derrière, et crêpé sur le cou et le long de l'épine du dos ; la couleur en est brune , obscurément marquée de quelques taches blanchâtres. Le bison a de plus les jambes courtes; elles sont , comme la tête et la gorge, couvertes d'un long poi! : le mâle a la queue longue avec une houppe de poil au bout , comme on le voit à la queue du lion. Quoique ces différences m'aient paru suffisantes, ainsi qu'à tous les autres naturalistes , pour faire du bœuf et du bi- sou deux espèces différentes, cependant je ne pré* 366 ANIMAUX tends pas l'assurer affirmativement : comme le seul caractère qui différencie ou identifie les espèces est la faculté de produire des individus qui ont eux-mêmes celle de produire leurs semblables, et que personne ne nous a appris si le bison peut produire avec le bœuf, que probablement même on n'a Jamais essayé de Jes mêler ensemble, nous ne sommes pas en état de prononcer sur ce fait. J'ai obligation à M. de La Nux, ancien conseiller au conseil royal de l'île de Bourbon, et correspondant de l'Académie des Scien- ces^ de m'avoir appris, par sa lettre datée de l'île Bourbon, du 9 octobre 1759, que le bison ou bœuf à bosse de l'île de Bourbon produit avec nos bœufs d'Europe, et j'avoue que je regardois ce bœuf à bosse des Indes plutôt comme un bison que comme un bœuf. Je ne puis trop remercier M. de La Nux de m'avoir fait part de cette observation, et il seroit bien à désirer qu'à son exemple les personnes habituées dans les pays lointains fissent de semblables expé- riences sur les animaux : il me semble qu'il seroit fa- cile à nos habitants de la Louisiane d'essayer démê- ler le bison d'Amérique avec la vache d'Europe, et le taureau d'Europe avec la bisonne : peut-être produi- roient-ils ensemble, et alors on seroit assuré que le bœuf d'Europe , le bœuf bossu de l'île de Bourbon, le taureau des Indes orientales et le bison d'Améri- que ne feroient tous qu'une seule et môme espèce. On voit, par les expériences de M. de La Nux , que la bosse ne fait point un caractère essentiel, puis- qu'elle disparoît après quelques générations ; et d'ail- leurs, j'ai reconnu moi-môme, par une autre obser- vation , que cette bosse ou loupe que Ton voit au DE l'ancien continent. jQ'J chameau comme au bison, est un caractère qui, quoi- que ordinaire, n'est pas constant, et doit être re- gardé comme une différence accidentelle, dépendante peut-être de l'embonpoint du corps : car j'ai vu. un chameau maigre et malade quin'avoit pas même l'ap- parence de la bosse. L'autre caractère du bison d'A- mérique , qui est d'avoir le poil plus long et bien plus doux que celui de notre bœuf, paroît encore n'être qu'une différence qui pourroit venir de l'influence du climat, comme on le voit dans nos chèvres, nos chats et nos lapins, lorsqu'on les compare aux chè- vres, aux chats et aux lapins d'Angora, qui, quoique très différents par le poil , sont cependant de la même espèce. On pourroit donc imaginer, avec quelque sorte de vraisemblance (surtout si le bison d'Amé- rique produisoit avec nos vaches d'Europe), que notre bœuf auroit autrefois passé par les terres du nordcontiguës à celles de l'Amérique septentrionale, et qu'ensuite ayant descendu dans les régions tempé- rées de ce nouveau monde, il auroit pris avec le temps les impressions du climat, et de bœuf seroit devenu bison. Mais jusqu'à ce que le fait essentiel , c'est-à-dire la faculté de produire ensemble , en soit connu, nous nous croyons en droit de dire que notre bœuf est un animal appartenant à l'ancien continent, et qui n'existoit pas dans le nouveau avant d'y avoir été transporté. Il y avoit encore moins de brebis que de bœufs en Amérique ; elles y ont été transportées d'Europe , et elles ont réussi dans tous les climats chauds et tem- pérés de ce, nouveau continent; mais quoiqu'elles y soient assez proli(!(|ues„ elles y sont communément 7)6^^ ANIMAUX plus maigres, et les moutons ont en général la chair moins succulente et moins tendre qu'en Europe : le climat du Brésil est apparemment celui qui leur con- vient le mieux, car c'est le seul du Nouveau-Monde où ils deviennent excessivement gras. L'on a trans- porté à la Jamaïque, non seulement des brebis d'Eu- rope, mais aussi des moutons de Guinée, qui y ont également réussi : ces deux espèces, qui nous parois- sent être différentes l'une de l'autre, appartiennent également et uniquement à l'ancien continent. Il en est des chèvres comme des brebis; elles n'existoient point en Amérique, et celles qu'on y trouve aujourd'hui, et qui y sont en grand nombre, vien- nent toutes des chèvres qui y ont été transportées d'Europe. Elles ne se sont pas autant multipliées au Brésil que les brebis : dans les premiers temps, lors- que les Espagnols les transportèrent au Pérou , elles y furent d'abord si rares, qu'elles se vendoient jus- qu'à cent dix ducats pièce ; mais elles s'y multipliè- rent ensuite si prodigieusement, qu'elles se don- noient presque pour rien , et que l'on n'estirnoit que la peau: elles y produisent trois, quatre et jusqu'à cinq chevreaux d'une seule portée, tandis qu'en Eu- rope elles n'en portent qu'un ou deux. Les grandes et les petites îles de l'Amérique sont aussi peuplées de chèvres que les terres du continent ; les Espa- gnols en ont porté jusque dans les îles de la mer du Sud; ils en avoient peuplé l'île de Juan-Fernandès , où elles avoient extrêmement multiplié : mais comme c'étoit un secours pour les flibustiers , qui dans la suite coururent ces mers, les Espagnols résolurent de détruire les chèvres dans cette île, et pour cela ils DE l'ancien continent. 5^9 y lâchèrent des chiens qui, s'y étant multipliés à leur tour, détruisirent les chèvres dans toutes les parties accessibles de l'île ; et ces chiens y sont devenus si féroces, qu'act^iellement ils attaquent les hommes. Le sanglier, le cochon domestique, le cochon de Siam ou cochon de la Chine, qui tous trois ne font qu'une seule et même espèce, et qui se multiplient si facilement et si nombreusement en Europe et en Asie , ne se sont point trouvés en Amérique. Le ta- jacou, qui a une couverture sur le dos, est l'animal de ce continent qui en approche le plus ; nous l'avons eu vivant, et nous avons inutilement essayé de le faire produire avec le cochon d'Europe; d'ailleurs il en diffère par un si grand nombre d'autres caractères, que nous sommes bien fondé à prononcer qu'il est d'une espèce différente. Les cochons transportés d'Europe en Amérique y ont encore mieux réussi et plus multiplié que les brebis et les chèvres. Les pre- mières truies, dit Garcilasso, se vendirent au Pérou encore plus cher que les chèvres. La chair du bœuf et du mouton, dit Pison, n'est pas si bonne au Bré- sil qu'en Europe : les cochons seuls y sont meilleurs, et y multiplient beaucoup. Il sont aussi, selon Jean de Laët, devenus meilleurs à Saint-Domingue qu'ils ne le sont en Europe. En général, on peut dire que, de tous les animaux domestiques qui ont été trans- portés d'Europe en Amérique , le cochon est celui qui a le mieux et le plus universellement réussi. En Canada comme au Brésil , c'est-à-dire dans les climats très froids et très chauds de ce nouveau monde, il produit, il multiplie , et sa chair est également bonne à manger. L'espèce de la chèvre, au contraire, ne .^-^O ANIMAUX s'est multipliée que dans les pays chauds et tempé- rés, et n'a pu se maintenir en Canada : il faut faire venir de temps en temps d'Europe des boucs et des chèvres pour renouveler Tespèce, qiM par cette rai- son y est très peu nombreuse. L'âne, qui multiplie au Brésil, au Pérou, etc. , n'a pu multiplier en Ca- nada : l'on n'y voit ni mulets, ni ânes, quoiqu'en dif- férents temps l'on y ait transporté plusieurs couples de ces derniers animaux, auxquels le froid semble ôter cette force de tempérament , cette ardeur natu- relle, qui, dans ces climats, les distingue si fort des autres animaux. Les chevaux ont à peu près égale- ment multiplié dans les pays chauds et dans les pays froids du continent de l'Amérique; il paroît seule- ment qu'ils sont devenus plus petits; mais cela leur est commun avec tous les autres animaux qui ont été transportés d'Europe en Amérique : car les bœufs, les chèvres, les moutons, les cochons, les chiens, sont plus petits en Canada qu'en France; et ce qui paroîtra peut-être beaucoup plus singulier, c'est que tous les autres animaux d'Amérique , même ceux qui sont naturels au climat, sont beaucoup plus petits en général que ceux de l'ancien continent. La nature semble s'être servie dans ce nouveau monde d'une autre échelle de grandeur; l'homme est le seul qu'elle ait mesuré avec le même module. Mais avant de don- ner les faits sur lesquels je fonde cette observation générale, il faut achever notre énumération. Le cochon ne s'est donc point trouvé dans le Nou- veau-Monde, il y a été transporté; et non seulement il y a multiplié dans l'état de domesticité, mais il est môme devenu sauvage en plusieurs endroits, et il DE l'ancien continent. J^Î vît et multiplie dans les bois comme nos sangliers, sans le secours de Thomme. On a aussi transporté de la Guinée au Brésil une autre espèce de cochon dif- férente de celle d'Europe, qui s'y est multipliée. Ce cochon de Guinée, plus petit que celui d'Europe, a les oreilles fort longues et très pointues, la queue aussi fort longue et traînant presque à terre ; il n'est pas couvert de soies longues, mais d'un poil court, et il paroît faire une espèce distincte et séparée de celle du cochon d'Europe : car nous n'avons pas ap- pris qu'au Brésil, où l'ardeur du climat favorise la propagation en tout genre , ces deux espèces se soient mêlées, ni qu'elles aient même produit des mulets ou des individus féconds. Les chiens, dont les races sont si variées et si nom- breusement répandues, ne se sont, pour ainsi dire, trouvés en Amérique que par échantillons diiriciles à comparer et à rapporter au total de l'espèce. Il y avoit à Saint-Domingue de petits animaux appelés gosqueSj semblables à de petits chiens; mais il n'y avoit point de chiens semblables à ceux d'Europe, dit Garcilasso; et il ajoute que les chiens d'Europe qu'on avoit transportés à Cuba et à Saint-Domingue , étant devenus sauvages, diminuèrent dans ces îles la quantité du bétail aussi devenu sauvage; que ces chiens marchent par troupes de dix ou douze, et sont aussi méchants que les loups. Il n'y avoit pas de vrais chiens aux Indes occidentales, dit Joseph Acosta, mais seulement des animaux semblables à de petits chiens, qu'au Pérou ils appeloient alcos; et ces alcos s'attachent à leurs maîtres, et ont à peu près aussi le naturel du chien. Si l'on en croit le P. Charlevoix, or '2 ANIMAUX qui sur cet article ne cite pas ses garants, «les go.s- » chis de Saint-Domingue étoient de petits chiens » muets, qui servoit d'amusement aux dames^ : on » s'en servoit aussi à la chasse pour éventer d'autres «animaux; ils étoient bons à manger^ et furent » d'une grande ressource dans les premières famines « que les Espagnols essuyèrent : l'espèce auroit » manqué dans l'île, si on n'y en avoit par rapporté » de plusieurs endroits du continent. 11 y en avoit de » plusieurs sortes : les uns avoient la peau tout-à-fait » lisse, d'autres avoient tout le corps couvert d'une » laine fort douce ; le plus grand nombre n'avoit » qu'une espèce de duvet fort tendre et fort rare. La )) même variété de couleur qui se voit parmi nos » chiens se rencontroit aussi dans ceux-là, et plus » grande encore, parce que toutes les couleurs s'y » trouvoient, et môme les plus vives. » Si l'espèce des goschis a jamais existé avec ces singularités que lui attribue le P. Charlevoix, pourquoi les autres auteurs n'en font-ils pas mention.»^ et pourquoi ces animaux, qui, selon lui, étoient répandus non seulement dans Fîle de Saint-Domingue, mais en plusieurs endroits du continent, ne subsistent-ils plus aujourd'hui, ou plutôt, s'ils subsistent, comment ont-ils perdu toutes ces belles singularités ? Il est vraisemblable que le goschis du P. Charlevoix , dont il dit n'avoir trouvé le nom que dans le P. Pers, est le gosqués de Gar- cilasso ; il se peut aussi que le gosqués de Saint-Do- mingue et l'alco du Pérou ne soient que le même ani- 1. Y avoit-il des clames à Saint-Domingue lorsqu'on en fît la décou- Tcrte ? 2. La chair du chien n'est pas bonne à manger. DE L ANCIEN CONTINENT. O^O mal. Il paroît certain que cet aniaial est celui de l'Aiiiériqne qui a le plus de rapport avec le chien. d'Europe. Quelques auteurs l'ont regardé comme un vrai chien. Jean de Laët dit expressément que dans le temps de la découverte des Indes, il y avoit à Sainl-Domino;ue une petite espèce de chiens dont on se servoit pour la chasse, mais qui étoient absolu- ment muets. Nous avons vu dans l'histoire du chien , que ces animaux perdent la faculté d'aboyer dans les pays chauds; mais l'aboiement est remplacé par une espèce de hurlement, et ils ne sont jamais, comme ces animaux trouvés en Amérique, absolument muets. Les chiens transportés d'Europe ont à peu près éga- lement réussi dans les contrées les plus chaudes et les plus froides d'Amérique, au Brésil et au Canada; et ce sont de tous les animaux ceux que les sauvages estiment le plus : cependant ils paroissent avoir changé de nature; ils ont perdu leur voix dans les pays chauds, la grandeur de la taille dans les pays froids, et ils ont pris presque partout des oreilles droites: ils ont donc dégénéré, ou plutôt remonté à leur espèce primitive , qui est celle du chien de ber- ger, du chien à oreilles droites, qui de tous est celui qui aboie le moins. On peut donc regarder les chiens comme appartenant uniquement à l'ancien continent, où leur nature ne s'est développée tout entière que dans les régions tempérées, et où elle paroît s'être variée et perfectionnée par les soins de l'homme , puisque dans tous les pays non policés et dans tous les climats excessivement chauds ou froids ils sont également petits, laids, et presque muets. L'hyène, qui est à peu près de la grandeur du loup, BUFFON. XV. 24 074 ANIMAUX est un animai connu des anciens, et que nous avons vu vivant; il est singulier par l'ouverture et les glan- des qu'il a situées comme celles du blaireau , des- quelles il sort une humeur d'une odeur très forte ; il est aussi très remarquable par sa longue crinière, qui s'étend Je long du cou et du garrot; par sa voracilé, qui lui fait déterrer les cadavres et dévorer les chairs les plus infectes, etc. Cette vilaine bête ne se Irouve qu'en Arabie ou dans les autres provinces méridio- nales de l'Asie; elle n'existe point en Europe, et ne s'est pas trouvée dans le Nouveau-Monde. Le chacal, qui, de tous les animaux, sans même en excepter le loup, est celui dont l'espèce nous pa- roi t approcher le plus de l'espèce du chien, mais qui cependant en diffère par des caractères essenliels, est un animal très commun en Arménie , en Turquie, et qui se trouve aussi dans plusieurs autres provinces de l'Asie et de l'Afrique ; mais il est absolument étran- ger au nouveau continent. Il est remarquable par la couleur de son poil , qui est d'un jaune brillant : il est à peu près de la grandeur d'un renard. Quoique l'es- pèce en soit très nombreuse, elle ne s'est pas étendue jusqu'en Europe, ni même jusqu'au nord de l'Asie, La genette, qui est un animal bien connu des Es- pagnols, puisqu'elle habite en Espagne, auroit sans doute été remarquée si elle se fût trouvée en Amé- rique; mais comme aucun de leurs historiens ou de leurs voyageurs n'en fait mention , il est clair que c'est encore un animal particulier à l'ancien conti- nent, dans lequel il habite les parties méridionales de l'Europe, et celles de l'Asie qui sont à peu près sous cette même latitude. DE l'akgiiîx continent. 5^5 Onoiqn'on ait prétendu qne !a civette se trouvoit a la INoLivelle-Espagne, nous pensons que ce n'est point la civette de l'Afrique et des Indes, dont on tire le musc que l'on mêle et prépare avec celui que l'on tire aussi de l'animal appelé liiam à la Chine ; et nous regardons la vraie civette comme un animal des parties méridionales de l'ancien continent, qui ne s'est pas répandu vers le nord, et qui n'a pu passer dans le nouveau. Les chais étoient, comme les chiens, tout-à-fait étrangers au Nouveau-Monde; et je suis maintenant p(M'suadé que l'espèce n'y existoit point, quoique j'aie cité un passage^ par lequel il paroît qu'un honune de l'équipage de (ihristophe Colomh avoit trouvé et tué sur la côte de ces nouvelles terres un chat sauvage : je n'étois pas alors aussi instruit que je le suis aujourd'hui de tous lesahus cjue l'on a faits des noms ; et j'avoue que je ne connoissois pas encore assez les animaux pour distinguer nettement, dans les témoignages des voyageurs, les noms usurpés, les dénominations mal appliquées, emprunt<'es ou fac- tices; et l'on n'en sera peut-être pas étonné, puisque les nomenclaleurs, dont les recherches se hornent à ce seul point de vue , loin d'avoir éclairci la matière, l'ont encore brouillée par d'autres dénominations et des phrases relatives à des méthodes arbitraires, tou- jours plus fautives que le coup d'œil et l'inspection. La pente naturelle que nous avons à comparer les choses que nous voyons pour la première fois à celles qui nous sont déjà connues, jointe à la dilBculté presque invincible qu'il v avoit à prononcer les noms 1. Voyez , tlans le volume précédent , 1 article tlu CluU. 3']6 ANIMAUX donnés aux choses parles Américains, sont les deux causes de cette mauvaise application des dénomina- tions, qui depuis a produit tant d'erreurs. 11 est , par exemple, bien plus commode de donner à un animal nouveau le nom de sanglier ou de cochon noir ^ que de prononcer son nom mexicain quaulicoyameU : de même il étoit plus ai^sé d'en appeler un autre renard américain y que de lui conserver son nom brésilien tamandua-giiaca ; de nommer de même mouton ou chameau du Pérou des animaux qui, dans cette lan- gue, se nommoient pelon-ichiatlcquitU : on a de même appelé cochon d'eau le cabiai ou cahionaraj on capl- bara^ quoique ce soit un animal très difl'érent d'un cochon ; le carigueibeju s'est appelé loutre. Il en est de même de presque tous les autres animaux du ]Nouveau-Monde , dont les noms étoient si barbares et si étrangers pour les Européens, qu'ils cherchè- rent à leur en donner d'autres par des ressemblances quelquefois heureuses avec les animaux de l'ancien continent, mais souvent aussi par de simples rap- ports trop éloignés pour fonder l'application de ces dénominations. On a regardé comme des lièvres et des lapins, cinq ou six espèces de petits animaux qui n'ont guère d'autre rapport avec les lièvres et les lapins, que d'avoir, comme eux, la chair bonne à manger. On a appelé vache ou élan^ un animal sans cornes ni bois, que les Américains nommoient ta- piierete au Brésil, et mahipouris à la Guiane, que les Portugais ont ensuite appelé anta^ et qui n'a d'autre rapport avec la vache ou l'élan, que celui de leur ressembler un peu par la forme du corps. Les uns ont comparé le pak ou le paka au lapin , et les autres ont DE L ANCIEN CONTINENT. ,^77 dil qu'il otoit st?mblable à un pourceau de deux mois. Quelques uns ont regardé lephilandre couiuieun rat, et l'ont appelé rat de bois ; d'autres l'ont pris pour un petit renard. Mais il n'est pas nécessaire d'insister ici plus long-temps sur ce sujet , ni d'exposer dans un plus grand détail les fausses dénominations que les voyageurs, les historiens et les nomenclateurs ont appliquées aux animaux de l'Amérique, parce que nous lâcherons de les indiquer et de les corriger, au- tant que nous le pourrons, dans la suite de ce dis- cours, et lorsque nous traiterons de chacun de ces animaux en particulier. On voit que toutes les espèces de nos animaux do- mestiques d'Europe, et les plus grands animaux sauva- ges de l'Afrique et de l'Asie , manquoient au Nouveau- Monde. 11 en est de môme de plusieurs autres espèces moins considérables, dont nous allons faire mention le plus succinctement qu'il nous sera possible. Les gazelles dont il y a plusieurs espèces différen- tes, et dont les unes sont en Arabie, les autres dans l'Inde orientale, et les autres en Afrique, ont toutes à peu près également besoin d'un climat chaud pour subsister et se multiplier : elles ne se sont donc ja- mais étendues dans les pays du nord de Tancieri con- tinent pour passer dans le nouveau ; aussi ces espèces d'Afrique et d'Asie ne s'y sont pas trouvées : il paroît seulement qu'on y a transporté l'espèce qu'on a appe- lée gazelle d'Afrique^ et que Hernandès nomme alpa- zelex Afrlca, L'animal de la Nouvelle-Espagne que le même auteur appelle temamaçame ^ que Seba désigne par le nom de cervuSj, Klein par celui de tragulus_, et M. Brisson par celui de gazelle de la Nouvelle-Espagne^ SyS ANIMAUX paroît aussi différer, par l'espèce, de toutes les gazelles de rancien continent. On seroit porté à imaginer que le chamois, qui se plaît dans les neiges des Alpes, n'auroit pas craint les glaces du nord, et que de là il auroit pu passer en Amérique : cependant il ne s'y est pas trouvé. Cet animal semble affecter non seulement un climat, mais une situation particulière ; il est attaché aux sommets des hautes montagnes des Alpes, des Pyrénées, etc.; et, loin de s'être répandu dans les pays éloignés, il n'est jamais descendu dans les plaines qui sont au pied de ces montagnes. Ce n'est pas le seul animal qui affecte constamment un pays ou plutôt une situa- tion particulière : la marmotte, le bouquetin, l'ours, le lynx ou le loup-cervier, sont aussi es danimaux montagnards que l'on trouve très rarement dans les plaines. Le buffle, qui est un animal des pays chauds, et qu'on a rendu domestique en Italie, ressemble en- core moins que le bœuf au bison d'Amérique, et ne s'est pas trouvé dans ce nouveau continent. Le bouquetin se trouve au dessus des plus hautes montagnes de l'Europe et de l'Asie; mais on ne l'a jamais vu sur les Cordilières. L'animal dont on tire le musc, et qui est à peu près de la grandeur d'un daim , n'habite que quelques con- trées particulières de la Chine et de la ïartarie orien- tale : le chevrotain, que l'on connoît sous le nom de fetit cerf de Guinée^ paroît confiné dans certaines pro- vinces de l'Afrique et des Indes orientales, etc. Le lapin, qui vient originairement d'Espagne, et qui s'est répandu dans tous les pays tempérés de l'Eu- DE L ANCIEN CONTINENT. J-^C) rope, n'étoit point en Amérique : les animaux de ce continent auxquels on a donné son nom sont d'es- pèces difïerentes, et tous les vrais lapins qui s'y voient actuellement y ont été transportés d'Europe. Les furets, qui ont été apportés d'Afrique en Eu- rope, où ils ne peuvent subsister sans les soins de l'homme, ne se sont point trouvés en Amérique; il n'y a pas jusqu'à nos rats et nos souris qui n'y fussent inconnus : iis y ont passé avec nos vaisseaux, et ils ont prodigieusement mulliplié dans tous les lieux habités de ce nouveau continent. Voilà donc à peu près les animaux de l'ancien con- tinent, l'éléphant, le rhinocéros, l'hippopotame, la girafe, le chameau, le dromadaire, le lion, le tigre, la panthère, le cheval, l'âne, le zèbre, le bœuf, le buffle, la brebis, la chèvre, le cochon, le chien, l'hyène, le chacal, la genette , la civette, le chat, la gazelle, le chamois, le bouquetin, le chevrotain , le lapin, le furet, les rats et les souris; aucun n'exisloit en Amérique lorsqu'on en fit la découverte. Il en est de même des loirs, des lérots, des marmottes, des mangoustes, des blaireaux, des zibelines, des her- mines, de la gerboise, des makis, et de plusieurs es^ pèces de singes, etc. , dont aucune n'existoit en Amé- rique à l'arrivée des Européens , et qui par conséquent sont toutes propres et particulières à l'ancien conti- nent, comme nous tâcherons de le prouver en détail lorsqu'il sera question de chacun de ces animaux en particulier. /VVVVA'\\^a'VV»^VVV\'VVA.>AA^i\/VVA\AV\\AVVVVVAA/»KVV'V-A'VV^C)'l traire à ragrandîssement de la nature vivante dans ce nouveau monde : il y a des obstacles au développe- mant et peut-être à la formation des grands germes; ceux mêmes qui, par les douces influences d'un autre climat, ont reçu leur forme plénière et leur exten- sion tout entière, se resserrent, se rapetissent sous ce ciel avare et dans cette terre vide, où l'homme, en petit nombre, étoit épars, errant; où, loin d'user en maître de ce territoire comme de son domaine, il n'avoit nul empire; où, ne s'étant jamais soumis ni les animaux, ni les éléments, n'ayant ni dompté les mers, ni dirigé les fleuves, ni travaillé la terre, il n'étoit en lui-même qu'un animal du premier rang, et n'existoit pour la nature que counne un être sans conséquence, une espèce d'automate impuissant, in- capable de la réformer ou de la seconder : elle l'avoit traité moins en mère qu'en marâtre, en lui refusant le sentiment d'amour et le désir vif de se multiplier; car quoique le sauvage du Nouveau-Monde soit à peu près de même stature que l'homme de notre monde , cela ne suffit pas pour qu'il puisse faire une exception au fait général du rapetissement de la na- ture vivante dans tout ce continent. Le sauvasse est foible et petit par les organes de la génération; il n'a ni poil ni barbe , et nulle ardeur pour sa femelle : quoique plus léger que l'Européen, parce qu'il a plus d'habitJide à courir, il est cependant beaucoup moins fort de corps ; il est aussi bien moins sensible , et cepen- dant plus craintif et plus lâche; il n'a nulle vivacité, nulle activité dans l'âme : celle du corps est moins un exercice, un mouvement volontaire, qu'une né- cessité d'action causée par le besoin : ôtez-lui la faim 098 ANIMAUX et la soif, vous délruirez en même temps le principe actif de tous ses mouvements; il demeurera stupide- ment en repos sur ses jambes ou couché pendant des jours entiers. Il ne faut pas aller chercher plus loin la cause de la vie dispersée des sauvages, et de leur ëîoignement pour la société : la plus précieuse étin- celle du feu de la nature leur a été refusée ; ils man- quent d'ardeur pour leur femelle, et par conséquent d'amour pour leurs semblables ; ne connoissant pas rattachement le plus vif, le plus tendre de tous, leurs autres sentiments de ce genre sont froids et languissants ; ils aiment foiblement leurs pères et leurs enfants : la société la plus intime de toutes, celle de la même famille, n'a donc chez eux que de foibles liens; la société d'une famille à l'autre n'en a point du tout: dès lors nulle réunion, nulle répu- blique, nul état ociaî. Le physique de l'amour fait chez eux le moral des mœurs; leur cœur est glacé, leur société froide, et leur empire dur. Ils ne regar- dent leurs femmes que comme des servantes de peine, ou des bêles de somme qu'ils chargent, sans ménagement, du fardeau de leur chasse, et qu'ils forcent sans pitié, sans reconnoissance, à des ou- vrages qui souvent sont au dessus de leurs forces ; ils n'ont que peu d'enfants ; ils en ont peu de soin : tout se ressent de leur premier défaut; ils sont indiffé- rents, parce qu'ils sont peu puissants; et cette indif- férence pour le sexe est la tache originelle qui flétrit la nature, qui l'empêche de s'épanouir, et qui, dé- truisant les germes de la vie, coupe en même temps la racine de la société. L'homme ne fait donc point d'exception ici. La COMMUNS AUX DEUX CONTINENTS. 5t)9 nature, en lui refusant les puissances de rameur, l'a plus maltraité et plus rapetissé quaucun des animaux. Mais , avant d'exposer les causes de cet effet général, nous ne devons pas dissimuler que si la nature a rapetissé dans le Nouveau-Monde tous les animaux quadrupèdes, elle paroît avoir main- tenu les reptiles et agrandi les insectes; car quoi- qu'au Sénégal il y ait encore de plus gros lézards et de plus longs serpents que dans l'Amérique mé- ridionale, il n'y a pas, à beaucoup près, la môme différence entre ces animaux qu'entre les quadru- pèdes : le plus gros serpent du Sénégal n'est pas double de la grande couleuvre de Cayenne, au lieu qu'un éléj)hant est peul-èlre dix fois plus gros que le tapir, qui , comme nous l'avons dit, est le plus grand quadrupède de l'Amérique méridionale. Mais, à l'é- gard des insectes, on peut dire qu'ils ne sont nulle part aussi grands que dans le Nouveau-Monde. Les plus grosses araignées, les plus grands scarabées, les chenilles les plus longues, les papillons les plus éten- dus, se trouvent souvent au Brésil, à Cayenne, et dans les autres provinces de l'Amérique méridionale; ils l'emportent sur presque lous les insectes de l'an- cien monde, non seulement par la grandeur du corps et des ailes, mais aussi par la vivacité des couleurs , le mélange des nuances, la variété des formes, le nombre des espèces, et la multiplication prodigieuse des individus dans chacune. Les crapauds, les gre- nouilles, et les autres bêtes de ce genre, sont aussi très grosses en Américjue. Nous ne dirons rien des oiseaux ni des poissons, parce que, pouvant passer d'un monde à l'aulre. il ser(^it presque impossible /|00 ANIMAL X de distinguer ceux qui apparliennent en propre à i'un ou à l'autre, au lieu que les inseeles et les rep- tiles sont à peu près comme les quadrupèdes confinés cljacun dans son continent. Voyons donc pourquoi il se trouve de si grands reptiles, de si gros insectes , de si petits quadrupèdes, et des hommes si froids dans ce nouveau monde. Cela tient à la qualité de la terre, à la condition du ciel, ail degré de chaleur, à celui de l'humidité , à la situation, à l'élévation des montagnes, à la quantité des eaux courantes ou stagnantes, à l'étendue des fo- rêts, et surtout à l'état brut dans lequel on y voit la nature. La chaleur est en général beaucoup moindre dans cette partie du monde, l'humidité beaucoup plus grande. Si l'on compare le froid et le chaud dans tous les degrés de latitude, on trouvera qu'à Québec, c'est-à-dire sous celle de Paris, l'eau des fleuves gèle tous les ans de quelques pieds d'épaisseur; qu'une masse encore plus épaisse de neige y couvre la terre pendant plusieurs mois; que l'air y est si froid, que tous les oiseaux fuient et disparoissent pour tout l'hiver, etc. Cette différence de température sous la même latitude dans la zone tempérée , quoique très grande, l'est peut-être encore moins que celle de la chaleur sous la zone torride. On brûle au Sénégal, et sous la même ligne on jouit d'une douce tempé- rature au Pérou : il en est de même sous toutes les autres latitudes qu'on voudra comparer. Le conti- nent de l'Amérique est situé et formé de façon que tout concourt à diminuer l'action de la chaleur: on y trouve les plus hautes montagnes, et par la même raison les plus grands fleuves du monde. Ces hautes COMMUNS ALX fJEUX CO^TI^ENTS. /^Ol montagnes forment une chaîne qui semble borner, vers l'ouest, le continent dans toute sa longueur : les plaines et les basses terres sont toutes situées en deçà des montagnes, et s'étendent depuis leur pied jus- qu'à la mer, qui, de notre côté, sépare les conti- nents. Ainsi le vent d'est, qui, comme Ton sait, est le vent constant et général entre les tropiques, n'ar- rive en Amérique qu'après avoir traversé une très vaste étendue d'eau sur laquelle il se rafraîchit , et c'est par cette raison qu'il fait beaucoup moins chaud au Brésil, à Cayenne , etc. , qu'au Sénégal, en Gui- née, etc. , où ce uieme vent d'est arrive chargé de la chaleur de toutes les terres et des sables brûlants qu'il parcourt en traversant et l'Afrique et l'Asie. Qu'on se rappelle ce que nous avons dit au sujet de la dilférente couleur des hommes, et en particulier de celle des Nègres ; il paroît démontré que la teinte plus ou moins forte du tanné, du brun et du noir, dépend entièrement de la situation dn climat; que Jes L\ègres de INigritie et ceux de la côte occidentale de l'Afrique sont les plus noirs de tous, parce que ces contrées sont situées de manière que la clialeur y est constamujent plus grande que dans aucun autre endroit du globe, le vent d'est, avant d'y arriver, ayant à traverser des trajets de terre immenses; qu'au contraire les Indiens méridionaux ne sont que tan- nés, et les Brasiliens bruns, quoique sous la même latitude que les jNègres, parce que la chaleur de leur climat est moindre et moins constante, le vent d'est n'y arrivant qu'après s'être rafraîchi sur les eaux, et chargé de vapeurs humides. Les nuages qui inter- ceptent la 'umière et la chaleur du soleil, les pluies 4o2 ANIMAUX qui rafraîchissent l'air et la surface de la terre, sont périodiques, et durent plusieurs mois à Cayenne et dans les antres contrées de l'Amérique méridionale. Celle première cause rend donc toutes les côtes orientales de l'Amérique beaucoup plus tempérées que l'Afriqne et l'Asie; et lorsqu'après être arrivé frais sur ces côtes, le vent d'est commence à repren- dre un degré plus vif de chaleur en traversant les plaines de l'Amérique, il est tout à coup arrêté, re- froidi par cette chaîne de montagnes énormes dont est composée toute la partie occidentale du nouveau continent, en sorte qn'il fait encore moins chaud sous la ligne au Pérou qu'au Brésil et à Cayenne, etc., à cause de l'élévation prodigieuse des terres : aussi les naturels du Pérou, du Chili, etc., ne sont que d'un brun rouge et tanné moins foncé que celui des Brasiliens. Supprimons pour un instant la chaîne des Cordiliéres, ou plutôt rabaissons ces montagnes au niveau des plaines adjacentes : la chaleur eût été ex- cessive vers ces terres occidentales , et l'on eut trouvé les hommes noirs au Pérou et au Chili, tels qu'on les trouve sur les côtes occidentales de l'Afrique. Ainsi , par la seule disposition des terres de ce nouveau continent, la chaleur y seroit déjà beaucoup moindre que dans l'ancien , et en même temps nous allons voir que l'humidité y est beaucoup plus grande. Les montagnes étant les plus hautes de la terre, et se trouvant opposées de face à la direction du vent d'est, arrêtent, condensent toutes les vapeurs de l'air, et produisent par conséquent une quantité in- finie de sources vives , qui , par leur réunion, forment bientôt les fleuves les plus grands de la terre. Il y a COMMUNS ALX D K U X CONTINENTS. 4^0 donc beaucoup plus d'eaux courantes dans le nou- veau continent que dans l'ancien, proportionnelle- ment à l'espace; et cette quantité d'eau se trouve encore prodigieusement augmentée par le défaut d'écoulement : les hommes n'ayant oi borné les tor- rents, ni dirigé les fleuves, ni séché les marais, les eaux stagnantes couvrent des terres immenses, ang- mentent encore l'humidité de l'air et en diminuent la chaleur. D'ailleurs la terre étant partout en friche et couverte dans toute son étendue d'herbes gros- sières, épaisses et touffues, elle ne s'échauffe, ne se sèche jamais : la transpiration de tant de végétaux, pressés les uns contre les autres, ne produit que des exhalaisons humides et malsaines : la nature, cachée sous ses vieux vêtements, ne montra janiais de pa- rure nouvelle dans ces tristes contrées ; n'étant ni caressée ni cultivée par l'iiomme , jamais elle n'avoit ouvert son sein bienfaisant; jamais la terre n'avoit vu sa surface dorée de ces riches épis qui font notre opulence et sa fécondité. Dans cet état d'abandon , tout languit, tout se corrompt, tout s'étouffe : l'air et la terre, surchargés de vapeurs humides et nuisi- bles, ne peuvent s'épurer ni profiter des influences de l'astre de la vie : le soleil darde inutilement ses rayons les plus vifs sur cette masse froide; elle est hors d'état de répondre à son ardeur; elle ne pro- duira que des êtres humides, des plantes, des rep- tiles, des insectes, et ne pourra nourrir que des hommes froids et des animaux foibles. C'est donc principalement parce qu'il y avoit peu d'hommes en Amérique, et parce que la plupart de ces hommes, menant la vie des animaux, laissoient /jo4 AxM31ALX la nature brute et négligeoient la terre, quelle est demeurée froide, impuissante à produire les prin- cipes actifs, à développer les germes des plus grands quadrupèdes, auxquels il faut, pour croître et se mul- tiplier, toute la chaleur, toute l'activité que le soleil peut donner à la terre amoureuse; et c'est par la rai- son contraire que les insectes, les reptiles, et toutes les espèces d'animaux qui se traînent dans la fange, dont le sang est de l'eau , et qui pullulent par la pour- riture, sont plus nombreuses et plus grandes dans toutes les terres basses, humides et marécageuses de ce nouveau continent. Lorsqu'on réfléchit sur ces différences si marquées qui se trouvent entre l'ancien et le nouveau blonde , on seroit tenté de croire que celui-ci est en effet bien plus nouveau, et qu'il a deineuré pins long-temps que le reste du globe sous les eaux de la mer; car, à l'exception des énormes montagnes qui le bornent vers l'ouest, et qui paroissent être des monuments de la plus haute antiquité du globe, toutes les par- ties basses de ce continent semblent être des terrains nouvellement élevés et formés par le dépôt des fleu- ves et le limon des eaux. On y trouve, en effet, en plusieurs endroits , sous la première couche de la terre végétale, les coquilles et les madrépores de la mer, formant déjà des bancs , des masses de pierres à chaux, mais d'ordinaire moins dures et moins com- pactes que nos pierres de taille, qui sont de même nature. Si ce continent est réellement aussi ancien que l'autre, pourquoi y a-t-on trouvé si peu d'hom- mes? pourquoi y étoient-ils presque tous sauvages et dispersés? pourquoi ceux qui s'étoient réunis en COMMUNS AUX DEUX CONTINENTS. 4^^^> société , les Mexicains et Jes Péruviens , ne corap- toient-ils que deux ou trois cents ans depuis le pre- mier homme qui les avoil rasssemblés ? pourquoi ignoroient-ils encore l'art de transmettre à la posté- rité les faits par des signes durables , puisqu'ils avoient déjà trouvé celui de s^ communiquer de loin leurs idées, et de s'écrire en nouant des cordons? pour- quoi ne s'étoient-ils pas soumis les animaux, et ne se servoient-ils que du lama et du pacos, qui n*é- toient pas, comme^ nos animaux domestiques, rési- dants, fidèles et dociles? Leurs arts étoient naissants comme leur société, leurs talents imparfaits, leurs idées non développées , leurs organes rudes , et leur langue barbare : qu'on jette les yeux sur la liste des animaux^, leurs noms sont presque tous si difficiles à prononcer, qu'il est étonnant que les Européens aient pris la peine de les écrire. Tout semble donc indiquer que les Américains étoient des hommes nouveaux, ou , pour mieux dire, des hommes si anciennement dépaysés qu'ils avoient perdu toute notion , toute idée de ce monde dont ils étoient issus. Tout semble s'accorder aussi pour prouver que la plus grande partie des continents de 1 . Peton-ichiatU-oquitU. — Le lama. Tapiierete au Brésil, maypoury ou manipouris à la Guîane. — Le tapir. Tamandua-guacu au Brésil, ouariri à la Guiane. — Le tamanoir. Ouatiriouaou à la Guiane. — Le fourmilier. Ouaigaré à la Guiane , ai ou hai au Brésil. — Le paresseux. AiotoclitU au Mexique, tatu ou tatupeba au Brésil, chirquinchum à la Nouvelle-Espagne. — Le latou. Tata-ete au Brésil, tatou-kabassou à la Guiane. — Le lalouet. Macaticliickiltic ou temama^ama j animal qui ressemble , à quelques lUiri'ON. XV. 'J.0 4o6 ANIMAUX TAmërique étoit une terre nouvelle , encore hors de la main de l'homme, et dans laquelle la nature n'a- voit pas eu le temps d'établir tous ses plans, ni celui de se développer dans toute son étendue ; que les égards, à la gazelle, et qui n'a pas encore d'autre nom que celui de gazelle de la Nouvelle-Espagne. Jiya ou carigueibeju, animal qui ressemble assez à la loutre , et que par cette raison l'on a nommé loutre du Brésil. Qaauhila-eoymatl ou qaapizotl au Mexique, ou caaîgoara au Brésil. — Le tajacu ou tajacou. Tlacoozclotl ou tlalocelotl. — Le chat-pard. Cabionara ou capybara. — Le cabîai. Tlatlauhqui-occlotl au Mexique, yanowara on jaguara au Brésil.— Le jaguar. Cuguacu-arana, ou cuguacu-ara, ou cougouacou-ara. — Le cou- goard. Tlaquatzin au Mexique, aouaré a la Guiane , carigueya au Brésil. — Le philandre. Hoitzlaquaizm, animal qui ressemble au porc-épic, et qui n'a pas encore d'autre nom que celui de porc-épic de la Nouvelle-Espagne» Cuandu ou gouandou, animal qui ressemble encore au porc-épic, que l'on a nommé porc-épic du Brésil, et qui est peut-être le même que le précédent. Tepe-maxtlaton au Mexique, maraguao ou maracaia au Brésil. — Le marac. Cet animal a la peau marquée comme celle d'une panthère ; il est de la forme et de la grosseur d'un chat : on l'a appelé mal à propos chat-tigre ou cliat sauvage tigré , puisque sa robe est marquée comme celle de la panthère et non pas comme celle du tigre. QuauhtechaUetl-tldiltic ou tlilocotequillin, animal qui ressemble à l'écureuil, et qui n'a pas encore d'autre nom que celui d'écureuil noir, Quimichpatlan ou assapanick , animal qui ressemble à l'écureuil vo- lant, et qui peut-être est le même. Yzquiepatl. — La mouffette. C'est un animal qu'on a appelé petit renard, renard d'Inde, blaireau de Surinam, mais qui n'est ni renard ni blaireau; comme il répand une odeur empestée et qui suffoque même à une assez grande distance , nous l'appellerons mouffette. Xoloitzcuintli ou cuctlachtU , animal qui a quelque ressemblance avec le loup, et qui n'a pas encore d'autre nom que celui de loup de Mexique, etc. COMMUNS AUX DEUX CONTINENTS. /jO^ hommes y sont froids et les animaux petits, parce que l'ardeur des uns et la grandeur des autres dépen- dent de la salubrité et de la chaleur de l'air; et que, dans quelques siècles, lorsqu'on aura défriché les terres, abattu les forets, dirigé les fleuves et contenu les eaux , cette merae terre deviendra la plus féconde , la plus saine, la plus riche de toutes, comme elle paroît déjà l'être dans toutes les parties que l'homme a travaillées. Cependant nous ne voulons pas en con- clure qu'il y naîtra pour lors des animaux plus grands; Jamais le tapir et le cabiai n'atteindront à la taille de l'éléphant ou de l'hippopotame; mais au moins les animaux qu'on y transportera ne diminueront pas de grandeur, comme ils l'ont fait dans les premiers temps : peu à peu l'homme remplira le vide de ces terres immenses, qui ii'étoient qu'un désert lors- qu'on les découvrit. Les premiers historiens qui ont écrit les conquêtes des Espagnols ont, pour augmenter la gloire de leurs armes, prodigieusement exagéré le nombre de leurs ennemis. Ces historiens pourroient-ils persuader à un homme sensé qu'il y avoit des millions d'hommes à Saint-Domingue et à Cuba, lorsqu'ils disent en même temps qu'il n'y avoit parmi tous ces hommes, ni monarchie, ni république, ni presque aucune so- ciété, et quand on sait d'ailleurs que dans ces deux grandes îles voisines l'une de l'autre , et en môme temps peu éloignées de la terre ferme du continent , il n'y avoit en tout que cinq espèces d'animaux qua- drupèdes ;, dont la plus grande étoit à peu près de la grosseur d'un écureuil ou d'un lapin .^ Rien ne prouve mieux que ce fait combien la nature étoit vide et 4o8 ANIMAUX déserte dans celle terre nouvelle. « On ne trouva «dans Tîle de Saint-Domingue, dit de Laët, que » fort peu d'espèces d'animaux à quatre pieds, comme « le hutlaSy qui est un petit animal peu différent de » nos lapins, mais un peu plus petit, avec les oreilles » plus courtes et la queue comme une taupe le » chemin qui est presque de la même forme, mais un » peu plus grand que le Initias ]e7noIiin_:> un peu » plus petit que le hutias le corl , pareil en «ran- )> deur au lapin, ayant la gueule comme une taupe , » sans queue, les jambes courtes ; il y en a de blancs » et de noirs , et plus souvent mêlés des deux : c'est rt un animal domestique et grandement privé de » plus, une petite espèce de chiens^ qui étoient abso- » lument muets. » Aujourd'hui il y a fort peu de tous ces animaux, parce que les chiens d'Europe les ont détruits. «Il n'y avoit, dit Acosta , aux îles de Saint- » Domingue et de Cuba, non plus qu'aux Antilles , » presque aucuns animaux du nouveau continent de » l'Amérique, et pas un seul des animaux semblables » à ceux d'Europe » «Tout ce qu'il y a aux An- » tilles, dit le P. Du Tertre, de moutons, de chèvres, » de chevaux, de bœufs, d'ânes, tant dans la Guade- » loupe que dans les autres îles habitées par les )) François , a été apporté par eux ; les Espagnols n'y » en mirent aucun, comme ils ont fait dans les au- » très îles; d'autant que les Antilles étant dans ce » temps toutes couvertes de bois, le bétail n'y auroit » pu subsister sans herbages. « M. Fabry, que j'ai déjà eu occasion de citer dans cet ouvrage, qui avoil erré pendant quinze mois dans les terres de l'ouest de l'Amérique, au delà du fleuve Mississipi, m'a as- COMMUNS AUX DliUX CONTINENT*. 4^9 sure qu'il avoit fait souvent trois et quatre cents Jieuessans rencontrer un seul homme. Nos officiers, qui ont été de Québec à la belle rivière d'Ohio , et de celte rivière à la Louisiane, conviennent tous qu'on pourroit souvent faire cent et deux cents lieues dans la profondeur des terres, sans rencontrer une seule famille de sauvages. Tous ces témoignages in- diquent assez jusqu'à quel point la nature est déserte dans les contrées mêmes de ce nouveau continent où la température est la plus agréable ; mais ce qu'ils nous apprennent de plus particulier et de plus utile pour notre objet, c'est à nous défier du témoignage postérieur des descri[)leurs de cabinets ou des no- menclateurs, qui peuplent ce nouveau monde d'ani- maux, lesquels ne se trouvent que dans l'ancien, et qui en désignent d'autres comme originaires de cer- taines contrées où cependant jamais ils n'ont existé. Parexemple, il est clair et certain qu'il n'y avoit ori- ginairement dans l'île Saint-Domingue aucun ani- mal quadrupède plus fort qu'un lapin; il est encore certain que quand il y en auroit eu, les chiens euro- péens, devenus sauvages et méchants comme des loups, les auroient détruits : cependant on a appelé cliat-tlgre ou cliat tigré de Saint-Domingue le marac ou maracaia du Brésil, qui ne se trouve que dans la terre ferme du continent; on a dit que le lézard écall- leiix ou diable de Java se Irouvoit en Amérique, et que les Brasiliens l'appeloient tatoé ^ tandis qu'il ne se trouve qu'aux Indes orientales. On aprétenduque la civette, qui est un animal àes parties méridionales de l'ancien continent, se trouvoit aussi dans le nou- veau, et surtout à la Nouvelle-Espagne, sans faire 4 10 * ANIMAUX attention que les civettes étant des animaux ntiles, et qu'on élève en plusieurs endroits de l'Afrique, du Levant et des Indes , comme des animaux domesti- ques, pour en recueillir le parfum dont il se fait un grand commerce, les Espagnols n'auroient pas man- qué d'en tirer le même avantage et de faire le même commerce , si la civette se fût en efl'et trouvée dans la INouvelle-Espagne. De la même manière que les nomenclateurs ont quelquefois peuplé mal à propos le Nouveau-Monde d'animaux qui ne se trouvent que dans l'ancien con- tinent, ils ont aussi transporté dans celui-ci ceux de l'autre : ils ont mis des philandres aux Indes orien- tales, d'autres à Amboine, des paresseux à Ceyian ; et cependant les philandres et les paresseux sont des animaux d'Amérique si remarquables, l'un par l'es- pèce de sac qu'il a sous le ventre et dans lequel il porte ses petits, l'autre par l'excessive lenteur de sa démarche et de tous ses mouvements, qu'il ne seroit pas possible, s'ils eussent existé aux Indes orientales, que les voyageurs n'en eussent fait mention. Seba s'ap^ puie du témoignage de François Valenthiy au sujet du philandre des Indes orientales; mais cette autorité de- vient pour ainsi dire nulle, puisque ce François Valen- lin connoissoit si peu les animaux et les poissons d'Am- boine, ou que ses descriptions sont si mauvaises, qu'Ar- tedi lui en fait le reproche et déclare qu'il n'est pas possible de les reconnoître aux notices qu'il en donne. Au reste, nous ne prétendons pas assurer affirma- tivement et généralement que de tous les animaux qui habitent les climats les plus chauds de l'un ou de l'autre continent , aucini ne se trouve dans tous les COMMUNS AUX DEUX CONTINENTS. 4l* deux à la fois; il faiidroit, pour en ôtre physique- iLient certain, les avoir tous vus: nous prétendons seulement en être moralement sûr, puisque cela est évident pour tous les grands animaux, lesquels seuls ont été remarqués et bien désignés par les voyageurs; que cela est encore assez clair pour la plupart des petits, et qu'il en reste peu sur lesquels nous ne puis- sions prononcer. D'ailleurs, quand il se trouveroit à cet égard quelques exceptions évidentes (ce que j'ai bien de la peine à imaginer), elles ne porteroient ja- mais que sur un très petit nouibre d'animaux, et ne détruiroient pas la loi générale que je viens d'établir, et qui me paroît être la seule boussole qui puisse nous guider dans la connoissance des animaux. Cette loi, qui se réduit à les juger autant par le climat et par le naturel que par la figure et la conformation , se trouvera très rarement en défaut, et nous fera pré- venir ou reconnoître beaucoup d'erreurs. Supposons, par exemple, qu'il soit question d'un animal d'Ara- bie, tel que l'hyène : nous pourrons assurer, sans crainte de nous tromper, qu'il ne se trouve point en Laponie ; et nous ne dirons pas, comme quelques uns de nos naturalistes, que l'hyène et le glouton sont le même animal. Nous ne dirons pas, avec Rolbe , que 3e renard croisé, qui habite les parties les plus bo- réales de l'ancien et du nouveau continent, se trouve en môme temps au cap de Bonne-Espérance, et nous trouverons que l'animal dont il parle n'est point un renard, mais un chacal. Nous reconnoîtrons que ranimai du cap de Bonne-Espérance, que le même auteur désigne parle nom de cochon de terre ^ et qui vit de fourmis, ne doit pas être confondu avec les 4 l 2 A M ai A L X fourmiliers d'Amérique , et qu'en effet cf t animal du cap est vraisemblablement le lézard écailleux, qui n'a de commun avec les fourmiliers que de manger des fourmis. De même, s'il eût fait attention que l'élan est un animal du nord , il n'eût pas appelé de ce nom un animal d'Afrique qui n'est qu'une gazelle. Le phoca, qui n'habite que le rivage des mers septen- trionales, ne doit passe trouver au cap de Bonne-Es- pérance. La genelte, qui est un animal de l'Espagne, de l'Asie mineure, etc., et qui ne se trouve que dans l'ancien continent, ne doit pas être indiquée par le nom de coati^ qui est américain , comme on le trouve dans M. Klein. 1/yzquiepatl du Mexique, animal qui répand une odeur empestée, et que par cette raison nous appellerons mouffette^ ne doit pas être pris pour un petit renard ou pour un blaireau. Le coati-mondi d'Amérique ne doit pas être confondu , comme l'a fait AIdrovande, a\ec le blaireau-cochon, dont on n'a ja- mais parlé que comme d'un animal d'Europe. Mais je n'ai pas entrepris d'indiquer ici toutes les erreurs de la nomenclature des quadrupèdes ; je veux seulement prouver qu'il y en auroit moins, si l'on eût fait quel- que attention à la différence des climats; si l'on eût assez étudié l'histoire des animaux pour reconnoître, comme nous l'avons fait le premier, que ceux des parties méridionales de chaque continent ne se trou- vent pas dans les deux à la fois; et enfin si l'on se fût en même temps abstenu de faire des noms généri- ques qui confondent ensemble une grande quantité d'espèces non seulement différentes, mais souvent très éloignées les unes des autres. Le vrai travail d'un nomenclateur ne consiste point COMMUNS AUX DEUX CONTINENTS. ^ 1 v^ îci à faire des reclierches pour allonger sa liste, mais des comparaisons raisonnées pour la raccourcir. Rien n'est plus aisé que de prendre, dans tous les auteurs qui ont écrit des animaux, les noms et les phrases pour en faire une table qui deviendra d'autant plus longue qu'on examinera moins ; rien n'est plus diffi- cile que de les comparer avec assez de discernement pour réduire cette table à sa juste dimension. Je le répète , il n'y a pas , dans toute la terre habitable et connue, deux cents espèces d'animaux quadrupèdes, en y comprenant même les singes pour quarante : il ne s'agit donc que de leur assigner à chacun leur nom; et il ne faudra , pour posséder parfaitement cette no- menclature, qu'un très médiocre usage de sa mé- moire, puisqu'il ne s'agira que de retenir ces deux cents noms. A quoi sert-ii donc d'avoir fait, pour les qua- drupèdes, des classes, des genres, des méthodes, en un ujot, qui ne sont que des échafaudages qu'on a imaginés pour aider la mémoire dans la connoissance des plantes , dont le nombre est en efl'et trop grand, les différences trop petites, les espèces trop peu ton- stanles, et le détail trop minutieux et trop indifférent pour ne pas les considérer par blocs , et en faire des tas ou des genres, en mettant ensemble celles qui paroissoient se ressembler le plus? car , comme dans tontes les productions de l'esprit ce qui est absolu- ment inutile est toujours mal imaginé et devient sou- vent nuisible, il est arrivé qu'au lieu d'une liste de deux cents noms, à quoi se réduit toute la nomen- clature des quadrupèdes , on a fait des dictionnaires d'un si grand nombre de termes et de phrases, qu'il fauî plus de travail pour les débrouiller qu'il n'en a 4l4 ANIMAUX fallu pour les composer. Pourquoi faire du jargon et des phrases lorsqu'on peut parler clair en ne pronon- çant qu'un nom simple? pourquoi changer toutes les acceptions des termes, sous le prétexte de faire des classes et des genres? pourquoi, lorsqu'on fait un genre d'une douzaine d'animaux, par exemple, sous le nom de genre du lapin ^ le lapin même ne s'y trouve-t-il pas, et qu'il faut l'aller chercher dans le genre du lièvre ? N'est-il pas absurde, disons mieux, il n'est que ridicule de faire des classes où Ton ras- semble les genres les plus éloignés; par exemple, de mettre ensemble dans la première l'homme et la chauve-souris, dans la seconde l'éléphant et le lézard écailleux, dans la troisième le lion et le furet, dans la quatrième le cochon et la taupe, dans la cinquième le rhinocéros et le rat , etc. Ces idées mal conçues ne peuvent se soutenir: aussi les ouvrages qui les con- tiennent sont-ils successivement détruits parleurs pro- pres auteurs; une édition contredit l'autre, et le tout n'a de mérite que pour des écoliers ou des enfants, toujours dupes du mystère, à qui l'air méthodique paroît scientifique , et qui ont enfin d'autant plus de respect pour leur maître qu'il a plus d'art à leur pré- senter les choses les plus claires et les plus aisées sous un point de vue le plus obscur et le plus difficile. En comparant la quatrième édition de l'ouvrage de M. Linnaeus avec la dixième que nous venons de citer, l'homme n'est pas dans la première classe ou dans le premier ordre avec la chauve-souris , mais avec le lé- zard écailleux; l'éléphant, le cochon, le rhinocéros, au lieu de se trouver le premier avec le lézard écail- leux» le second avec la taupe, et le troisième avec le COMMUNS AUX DEUX CONTINENTS. /| 1 5 rat, se trouvent tous trois ensemble avec la musarai- gne; au lieu de cinq ordres ou classes principales, antfiropomorplia y ferœ ^ g I ires j, jument a ^ pecora^ aux- quelles ii avoit réduit tous les quadrupèdes, l'auteur, dans cette dernière édition , en a fait sept, primates^ bratœ^ ferœ^ bestiœ^ glires^ pecora^ belltiœ. On peut jtiger, par ces changements essentiels et très géné- raux, de tous ceux qui se trouvent dans les genres, et combien les espèces, qui sont cependant les choses réelles, y sont ballottées, transportées et mal mises ensemble. Il y a maintenant deux espèces d'hommes, l'homme de jour et l'homme de nuit; Iwmo diunius sapiens^ Iwmo noclurnus troglodytes : ce sont, dit l'au- teur, deux espèces très distinctes, et il faut bien se garder de croire que ce n'est qu'une variété. T^'est-ce pas ajouter des fables à des absurdités? et peut-on présenter le résultat des contes de bonnes fem- mes , ou les visions mensongères de quelques voya- geurs suspects, comme faisant partie principale du système de la nature? De plus, ne vaudroit-il pas mieux se taire sur les choses qu'on ignore, que d'é- tablir des caractères essentiels et des différences gé- nérales sur des erreurs grossières , en assurant , par exemple , que dans tous les animaux à mamelles la femme seule a un clitoris, tandis que nous savons, par la dissection que nous avons vu faire de plus de cent espèces d'animaux , que le clitoris ne manque à aucune femelle? Mais j'abandonne cette critique, qui cependant pourroit être beaucoup plus longue, parce qu'elle ne fait point ici mon principal objet; j'en ai dit assez pour que l'on soit en garde contre les er- reurs, tant générales que particulières, qui ne se /f 1 Ô x\ N I iM A L X trouvent nulle part en aussi grand nombre que dans ces ouvrages de nomenclature, parce que, voulant y tout comprendre , on est force d'y réunir tout ce que ]'on ne sait pas au peu qu'on sait. En tirant des conséquences générales de tout ce que nous avons dit, nous trouverons que l'homme est le seul des êtres vivants dont la nature soit assez forte, assez étendue, assez flexible, pour pouvoir subsister, se multiplier partout, et se prêter aux in- fluences de tous les climats de la terre : nous verrons évidemment qu'aucun des animaux n'a obtenu ce grand privilège; que, loin de pouvoir se multiplier partout, la plupart sont bornés et confinés dans de certains climats, et même dans des contrées particu- lières. L'homme est en tout l'ouvrage du ciel ; les ani- maux ne sont à beaucoup d'égards que des produc- tions de la terre : ceux d'un continent ne se trouvent pas dans l'autre; ceux qui s'y trouvent sont altérés, rapetisses, changés souvent au point d'être mécon- noissables. En faut-il plus pour être convaincu que l'empreinte de leur forme n'est pas inaltérable; que leur nature, beaucoup moins constante que celle de l'homme, peut se varier et même se changer absolu- ment avec le temps; que par la même raison les es- pèces les moins parfaites, les plus délicates, les plus pesantes, les moins agissantes, les moins armées, etc., ont déjà disparu ou disparoîtront? Leur état, leur vie, leur être dépendent de la forme que l'homme donne ou laisse à la surface de la terre. Le prodigieux mahmoutj, animal quadrupède , dont Dous avons souvent considéré les ossements énormes avec étonnement, et que nous avons jugé six fois au COMMUNS AUX DEUX CONTINENTS. 4^7 moins plus grand que le plus fort éléphant, n'existe plus nulle part; et cependant on a trouvé de ses dé- pouilles en plusieurs endroits éloignés les uns des autres, comme en Irlande, en Sibérie, à la Loui- siane, etc. Cette espèce étoit certainement la pre- mière, la plus grande, la plus forte de tous les qua- drupèdes : puisqu'elle a disparu , combien d'autres plus petites, plus foibles et moins remarquables, ont dû périr aussi sans nous avoir laissé ni témoignages ni renseignements sur leur existence passée î combien d'autres espèces s'étant dénaturées, c'est-à-dire per- fectionnées ou dégradées par les grandes vicissitudes de la terre et des eaux, par l'abandon ou la culture de la nature , par la longue influence d'un climat de- venu contraire ou favorable, ne sont plus les mêmes qu'elles étoient autrefois! et cependant les animaux quadrupèdes sont, après l'homme, les êtres dont la nature est la plus fixe et la forme la plus constante : celle des animaux et des poissons varie davantage; celle des insectes , encore plus ; et si l'on descend jus- qu'aux plantes, que l'on ne doit point exclure de la nature vivante , on sera surpris de lapromptitude avec laquelle les espèces varient, et de la facilité qu'elles ont à se dénaturer en prenant de nouvelles formes. Il ne seroit donc pas impossible que, même sans intervertir l'ordre de la nature, tous ces animaux du Nouveau-Monde ne fussent dans le fond les mêmes que ceux de l'ancien , desquels ils auroient autrefois tiré leur origine : on pouroit dire qu'en ayant été sé- parés dans la suite par des mers immenses, ou par des terres impraticables, ils auront avec le temps reçu toutes les impressions, subi tous les effets d'un cli» /|l8 ANIMAUX COMMUNS AUX DEUX CONTINENTS. mat devenu nouveau lui-même, et qui aiiroit aussi changé de qualité par les causes mômes qui ont pro- duit la séparation ; que par conséquent ils se seront avec le temps rapetisses , dénaturés , etc. Mais cela ne doit pas nous empêcher de les regarder aujourd'hui comme des animaux d'espèces différentes : de quel- que cause que vienne cette différence, qu'elle ait été produite par le temps , le climat et la terre , ou qu'elle soit de même date que la création, elle n'en est pas moins réelle. La nature , je l'avoue , est dans un mou- vement de flux continuel; mais c'est assez pour l'homme de la saisir dans l'instant de son siècle, et de jeter quelques regards en arrière et en avant pour tâcher d'entrevoir ce que jadis elle pouvoit être , et ce que dans la suite elle pourroit devenir. Et à l'égard de l'utilité particulière que nous pou- vons tirer de ces recherchessur la comparaison des ani- maux, on sent bien qu'indépendamment des correc- tions de la nomenclature, dont nous avons donné quelques exemples, nos connoissances sur les animaux €n seront plus étendues, moins imparfaites et plus sû- res; que nous risquerons moins d'attribuer à un ani- mal d'Amérique ce qui n'appartientqu'à celui desIndes orientales qui porte le même nom ; qu'en parlant des animaux étrangers sur les notices des voyageurs nous saurons mieux distinguer les noms et les faits, et les rapporter aux vraies espèces; qu'enfin l'histoire des ani- maux que nous sommes chargé d'écrire en sera moins fautive, et peut-être plus lumineuse et plus complète, FIN DU QUINZIÈME VOLUME. TABLE DES ARTICLES CONTENUS DANS LE QUINZIÈME VOLUME. MAMMIFERES. Animaux carnassiers Page 7 Le Loup 59 Le Loup noir 5 1 Le Loup du Mexique 54 Le Renard 55 Le Blaireau 67 La Loutre 72 La Loutre du Canada 80 La petite Loutre de la Guiane 85 La Saricovienne 86 La Fouine 100 La Fouine de la Guiane io5 La petite Fouine de la Guiane io5 La petite Fouine de Madagascar ibid. La Marie 106 La grande Marte de la Guiane 109 Le Putois 1 iQ Le Putois rayé de l'Inde 112 Le Furet n^ La Belette no Le Touan i32 L'Hermine, ouïe Roselet 155 Le Grisou j/q Le Rat j^2 La Souris. . . . i^^ AI.IM -PJ^J^^.^^ m -#/^. 'ùmMÈz,