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ŒUVRES COMPLETES DE VICTOR HUGO
POÉSIE - XIII
TOUTE LA LYRE
IL A ETE TIRE A PART
5 exemplaires sur papier du Japon, numérotés de i à 5 5 exemplaires sur papier de Chine, numérotés de 6 à 10 40 exemplaires sur papier de Hollande, numérotés de 11 à 50 300 exemplaires sur papier vélin du Marais, numérotés de 51 à 350
VICTOR HUGO
TOUTE LA LYRE
TOME SECOND
i 1
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ALBIN MICHEL - PARIS
IMPRIME
L'IMPRIMERIE NATIONALE
EDITE
PAR
LA LIBRAIRIE OLLENDORFF
MDCCCCXXXV
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Fac-similé du titre écrit par Victor Hugo
ET RELIÉ EN TETE DU MANUSCRIT : ToUTE LA LYKEj KeU^AT ET COPIE ANNOTEE.
LES SEPT CORDES
V
A LOUIS B.
Non, je n'ai point changé. Tu te plains à tort, frère. Hélas! quoique le ciel parfois nous soit contraire. Quoique nous n'ayons rien ici qui soit à nous. Quoique dans nos travaux, rudes et pourtant doux. Le sort jaloux souvent vienne et nous interrompe. Non, je nai point changé, Louis; ton cœur se trompe. Je suis l'homme pensif que j'ai toujours été. Contemplant la nature, adorant la beauté. Fait d'admiration, d'étude et de prière. Prosterné devant l'ombre et devant la lumière. J'ai, créé pour soufïrir et vivre par l'amour. Deux musiques en moi qui chantent tour à tour : Dans la tête un orchestre et dans l'âme une lyre. Cette création que je tâche de lire. Avec ses univers, ses lueurs, ses splendeurs. Remuant mon cerveau jusqu'en ses profondeurs. En fait en même temps vibrer toutes les fibres. Je veux les peuples grands, je veux les hommes libres 5 Je rêve pour la femme un avenir meilleur ; Incliné sur le pauvre et sur le travailleur. Je leur suis fraternel du fond de ma pensée ; Comment guider la foule orageuse et pressée. Comment donner au droit plus de base et d'ampleur. Comment faire ici-bas décroître la douleur, La faim, le dur labeur, le mal et la misère. Toutes ces questions me tiennent dans leur serre ; Et puis, quoique songeur, aisément réjoui. Je me sens tout à coup le cœur épanoui
U TOUTE LA LYRE.
Si, dans mon cercle étroit, j'ai, par une parole, Par quelque fantaisie inattendue et folle. Fait naître autour de moi, le soir au coin du feu, Ce rire des enfants qui fait sourire Dieu.
Ainsi tu m'as connu. Je suis toujours le même. Aujourd'hui seulement, attristant ceux que j'aime. Le deuil monte parfois à mon front douloureux. Je reste moins longtemps au milieu des heureux. Et dans mes yeux, souvent fixés hors de ce monde. Le sourire est plus pâle et l'ombre est plus profonde.
II octobre 1846.
II
— Admire, enfant! souvent aux marins de Messine Un pauvre feu de pâtre au loin montre et dessine
Charybde ou bien Scylla. Il conduit le nocher dans sa route prospère ! . . .
— Mais, répondit l'enfant, l'étoile aussi, mon père,
Peut servir à cela. —
A
O mon fils, ô mon fîls! tu l'as dit! Parle encore!
O front pur c[ui vers moi montes comme une aurore,
Mon enfant bien-aimé ! Tout est grand! Tout est bon! tu l'as dit de ta bouche Qui versa tant de fois sur mon esprit farouche
Son souffle parfumé!
Tu las dit ! un seul mot de ta pure innocence Vaut mieux que ma sagesse et plus que ma science,
Enfant religieux! Pour un regard d'enfant le ciel n'a pas de voiles. Où pourrait-on trouver le secret des étoiles
Si ce n'est dans tes yeux?
14 TOUTE LA LYRE.
III
A UNE RELIGIEUSE.
Dans vos dévotions que comprend ma pensée.
Ne vous détournez pas comme une âme blessée.
Sainte fille du ciel, oh non! je n'ai pas ri.
Mon cœur d'un Dieu rêveur de tout temps fut l'abri.
Et ce que je vénère avant tout dans ce monde
C'est l'homme, raison calme et passion profonde.
Qui fait la part de tout, à toute heure, en tout lieu.
Debout devant le sort, à genoux devant Dieu.
Voyez-vous, je suis né sous des regards austères 5
Et ma joie ingénue en de graves mystères
A souvent regardé sans risée et sans peur.
La belle enfance, ainsi qu'une blanche vapeur.
Toujours dans notre esprit reparaît et surnage;
Et moi, je m'en souviens, jouant dans mon jeune âge
Avec mon frère Eugène, avec mon frère Abel,
Mêlant ma voix aux leurs, innocente Babel,
Tout petit, j'ai rempli de chansons enfantines
Le saint cloître où jadis priaient les Feuillantines.
25 juin 1837.
IV 0)
A cette heure indécise où le jour va mourir. Où tout s'endort, le cœur oubliant de souffrir. Les oiseaux de chanter et les troupeaux de paître. Que de fois sous mes yeux un chariot champêtre. Groupe vivant de bruit, de chevaux et de voix, A gravi sur le flanc du coteau dans les bois Quelque route creusée entre les ocres jaunes. Tandis que près d'une eau qui fuyait sous les aulnes. Seul, j'écoutais gémir dans les brumes du soir Une cloche enrouée au fond d'un vallon noir! Que de fois épiant la rumeur des chaumières. Le brin d'herbe moqueur qui siffle entre deux pierres. Le cri plaintif du soc, gémissant et traîné. Le nid qui jase au fond du cloître ruiné D'où l'ombre se répand sur les tombes des moines. Le champ doré par l'aube où causent les avoines Qui pour vous voir passer, comme un peuple ravi. Au bord du chemin creux se penchent à l'envi. L'abeille qui tout bas chante et parle à la rose. Parmi tous ces objets dont l'être se compose. Que de fois j'ai rêvé, triste et parfois heureux. Tâchant de m'expliquer ce qu'ils disaient entre eux !
C Inédit.
l6 TOUTE LA LYRE.
V
La France, ô mes enfants, reine aux tours fleuronnées. Posait, sous l'empereur que votre aïeul servait. Le bras droit sur le Rhin, le gauche aux Pyrénées, Et ses pieds et sa tête avaient, ô destinées! L'Océan pour lion, les Alpes pour chevet.
Austerlitz, léna, Friedland, météores. Rayonnaient. Un seul homme enflammait tous les yeuxj Sa gloire, grandissant à toutes les aurores. Se composait du bruit des trompettes sonores Et des tambours joyeux.
Et l'Europe voyait briller, vaincue et fière. Dans ce camp, d'où sortaient la guerre et ses terreurs. Autour de cette France en tous lieux la première. Comme des moucherons autour d'une lumière. Un groupe humilié de rois et d'empereurs.
Ces choses se passaient quand mon âme innocente S'ouvrait, comme la vôtre, au soleil réchauffant j Le léopard anglais rôdait, gueule béante. César était debout, la France était géante. Lorsque j'étais enfant;
Lorsque j'étais enfant, envié par les mères. Libre dans le jardin et libre dans les bois. Et que je m'amusais, errant près des chaumières, A prendre des bourdons dans les roses trémières En fermant brusquement la fleur avec mes doigts.
Bois d'Andernach-sur-le-Rhin. 12 septembre 1840.
VI
L'autre jour, ami cher, ami de vingt années, Tandis qu'en vos pensers, rêvant des jours meilleurs. Vous sondiez de l'état les hautes destinées. Je regardais jouer vos enfants dans les fleurs.
Inégales par l'âge, également aimées. L'aînée à la dernière avec amour sourit. Trois filles ! êtres purs ! âmes au bien formées Que pénètre un rayon de votre grand esprit !
La rosée inondait les fleurs à peine écloses; Elles jouaient, riant de leur rire sans fiel. Deux choses ici-bas vont bien avec les roses. Le rire des enfants et les larmes du ciel.
Beaux fronts où tout est joie et qui n'ont rien de sombre ! Oh! je les contemplais, le cœur de pleurs gonflé. Moi qui vis désormais l'œil fixé sur une ombre. Moi qui cherche partout mon doux ange envolé!
Devant votre bonheur j'oubliais ma souflrance. Je priais, d'un esprit paisible et raffermi ; Mon deuil recommandait à Dieu votre espérance. Et du fond de mon cœur je vous disais : — Ami !
Soyez toujours heureux dans ces têtes si chères ! Que chaque jour qui passe ajoute à leur beauté! Voyez sur votre seuil, en proie aux soins austères. S'épanouir leur grâce et leur sérénité !
POÉSIE. — XIII, 2
IHrSIMllME HITIOSILE.
l8 TOUTE LA LYRE.
Dieu vous doit ce bonheur! car dans notre nuit noire. Ces êtres si charmants nous consolent parfois ! Car vous vous détournez du bruit de votre gloire Pour écouter, pensif, l'heureux bruit de leur voix I
Aimé dans vos foyers, admiré de la foule. Esprit profond, lutteur aux discours triomphants. Passant du juste au vrai, votre destin s'écoule Entre les grands travaux et les petits enfants !
Oh! quand de noirs soucis vos heures sont ternies. Regardez! regardez cet avenir si doux. Ces trois fronts rayonnants, ces trois aubes bénies Qui se lèvent dans l'ombre, ô père, autour de vous!
24 septembre 1844.
VII
Vous êtes bien des fois venus dans ma demeure
En m'appelant ami ! Vous ave2 dans vos bras bercé l'enfant qui pleure
Et l'enfant endormi.
Et tandis qu'ils dormaient, beaux fronts où semble luire
Tout un monde meilleur. Vous paraissiez, penchés avec un pur sourire.
Vague reflet du leur.
Tenir vos cœurs ouverts aux sereines pensées.
Aux songes réchauffants. Qui sortent doucement, pour nos âmes blessées,
Du sommeil des enfants.
20 TOUTE LA LYRE.
VIII
A OL.
Tu vivais autrefois penché sur la nature,
O rêveur! ton esprit, sans changer de posture,
Se penche maintenant sur les événements.
Déjà des temps futurs les noirs linéaments
Pour ta prunelle fixe et claire sont visibles.
Souriant vaguement aux rencontres possibles.
Tu marches devant toi dans la nuit. Crainte, espoir.
Que t'importe? tu vas où tu vois le devoir.
Si l'on creuse à tes pas des pièges, tu l'ignores.
Parmi ces hommes fous et vainement sonores.
Grave, triste, et rempli de l'avenir lointain.
Tu caches ou tu dis les choses du destin;
Car le ciel rayonnant te fit naître, ô poëte.
De l'Apollon chanteur et de l'Isis muette.
i-j novembre.
IX
Vénus rit toute nue au-dessus de mon lit
Qu'un damas écarlate à glands dorés plafonne.
Des singes sur mon mur, bande agreste et bouffonne,
Font cent choses avec ces rires furieux
Qui ravissent Molière et choquent Andrieux.
Près d'eux songent, l'œil plein d'une douce chimère.
Ma bisaïeule belle et jeune et ma grand'mère
Toute petite, avec une fleur dans sa main.
Partout, autour de moi, sur maint vieux parchemin.
Sur le satin fleuri, sur les pots, sur les laques.
Vivent confusément les djinns, les brucolaques.
Les mandarins à l'air vénérable et sournois.
Les dragons, les magots, et ces démons chinois
Fort laids, mais pétillants de malice et de flamme.
Qui doivent ressembler aux rêves d'une femme
Amoureuse de vous, ô mon ami Crémieux !
Mon esprit dans ce monde étrange songe mieux 5
Comme un oiseau tenté par de lointaines grèves.
Il ouvre lentement les ailes dans ces rêves.
Il part du chimérique et monte à l'idéal.
21 TOUTE LA LYRE.
X(i)
A cette heure de nuit où l'homme vague et trouble.
Chair, âme, entre la terre et le ciel se sent double.
Quelquefois, à l'instant où je vais m'endormir.
Où tous les flots de l'ombre en moi viennent frémir,
Une idée apparaît à mon esprit, et passe 5
Ou quelque vers profond serpente dans l'espace.
Espèce de poisson ondoyant du sommeil î
Un moment je l'admire, étrange, obscur, vermeil.
Et, si je veux le prendre, il fuit, se mêle aux ombres.
Et s'enfonce à jamais dans les profondeurs sombres.
9 mars 1856. Après avoir perdu cette nuit un vers que je regrette.
^'' Inédit. (Carnet 1856.) [Collection de M. Louis Barthou.]
XI
Le couchant flamboyait à travers les bruines Comme le fronton d'or d'un vieux temple en ruines.
L'arbre avait un frisson. La mer au loin semblait, en ondes recourbée, Une colonne torse en marbre vert, tombée
Sur l'énorme horizon.
La vague, roue errante, et l'écume, cavale. S'enfuyaient -, je voyais luire par intervalle
Les cieux pleins de regards -, Les flots allaient, venaient, couraient, sans fin, sans nombre. Et j'écoutais, penché sur ce cirque de l'ombre.
Le bruit de tous ces chars.
Lugubre immensité ! profondeurs redoutées ! Tous sont là, les Satans comme les Prométhées.
Ténébreux océans ! Cieux, vous êtes l'abîme où tombent les génies. Oh ! combien l'œil, au fond des brumes infinies,
Aperçoit de géants !
O vie, énigme, sphinx, nuit, sois la bienvenue! Car je me sens d'accord avec l'Ame inconnue.
Je souf&e, mais je crois. J'habite l'absolu, patrie obscure et sombre. Pas plus intimidé dans tous ces goufees d'ombre
Que l'oiseau dans les bois.
24 TOUTE LA LYRE.
Je songe, l'œil fixé sur l'incompréhensible. Le zénith est fermé. Les justes sont la cible
Du mensonge effronté; Le bien, qui semble aveugle, a le mal pour ministre. Mais, rassuré, je vois sous la porte sinistre
La fente de clarté.
II avril 1870.
XII (»)
Virgile, en ce beau mois, je sens moins les douleurs; Par la nature et toi mon âme dort bercée ; J'ai devant ma fenêtre un jardin plein de fleurs. Et ton doux livre ouvert sous l'œil de ma pensée.
22 mai 1847.
C' Inédit.
l6 TOUTE LA LYRE.
XIII
Le bien germe parfois dans les ronces du mal. Souvent, dans l'éden bleu de l'étrange idéal. Que, frissonnant, sentant à peine que j'existe. J'aperçois à travers mon humanité triste. Comme par les barreaux d'un blême cabanon, Je vois éclore, au fond d'une lueur sans nom. De monstrueuses fleurs et d'effrayantes roses.
Je sens que par devoir j'écris toutes ces choses
Qui semblent, sur le fauve et tremblant parchemin.
Naître sinistrement de l'ombre de ma main.
Est-ce que par hasard, grande haleine insensée
Des prophètes, c'est toi qui troubles ma pensée?
Où donc m'entraîne-t-on dans ce nocturne azur?
Est-ce un ciel que je vois ? Est-ce le rêve obscur
Dont j'aperçois la porte ouverte toute grande?
Est-ce que j'obéis? est-ce que je commande?
Ténèbres, suis-je en fuite? est-ce moi qui poursuis?
Tout croule ; je ne sais par moments si je suis
Le cavalier terrible ou le cheval farouche j
J'ai le sceptre à la main et le mors dans la bouche 5
Ouvrez-vous que je passe, abîmes, gouflre bleu.
Gouffre noir! Tais-toi, foudre! Où me mènes-tu. Dieu?
Je suis la volonté, mais je suis le délire.
O vol dans l'infini ! J'ai beau par instants dire
Comme Jésus criant Lamma Sabacthani :
Le chemin est-il long encore? est-ce fini.
LE BIEN GEKME PAKFOIS DANS LES RONCES.. 2/
Seigneur? permettrez-vous bientôt que je m'endorme? L'Esprit fait ce qu'il veut. Je sens le souffle énorme Que sentit Elisée et qui le souleva 5 Et j'entends dans la nuit quelqu'un qui me dit : Va !
28 TOUTE LA LYRE.
XIV (^)
Mon âme était en deuil ; c'était l'heure de l'ombre. L'air mêlait les aspects sans forme aux voix sans nombre ; Un chant de mort semblait sortir de tous ces bruits 5 L'ombre était comme un temple immense aux triples voiles ; Et je voyais au fond scintiller les étoiles. Cierges mystérieux sur le drap noir des nuits.
II janvier 1846.
(') Inédit.
XV
JE TRAVAILLE.
Amis, je me remets à travailler} j'ai pris
Du papier sur ma table, une plume, et j'écris;
J'écris des vers, j'écris de la prose; je songe.
Je fais ce que je puis pour m'ôter du mensonge.
Du mal, de l'égoïsme et de l'erreur; j'entends
Bruire en moi le gouffre obscur des mots flottants ;
Je travaille. Ce mot, plus profond qu'aucun autre.
Est dit par l'ouvrier et redit par l'apôtre ;
Le travail est devoir et droit, et sa beauté
C'est d'être l'esclavage étant la liberté.
Le forçat du devoir et du travail, est libre.
Mais quoi ! penseur, tu vas remettre en équilibre
Au fond de ton esprit, qu'occupaient d'autres soins.
L'idée avec le mot, le plus avec le moins !
De la prose ! pourquoi ? des vers ! pourquoi ? des rimes !
Des phrases ! A quoi bon? A quoi bon les abîmes.
Les mystères, la vie et la mort, les secrets
De la croissance étrange et sombre des forêts
Et des peuples, et l'ombre où croulent les empires.
Et toute cette énigme humaine où les Shakspeares
Plongeaient, et que fouillaient, les yeux tout grands ouverts.
Tacite avec sa prose et Dante avec son vers !
A quoi bon la beauté, l'art, la forme, le style?
Lucrèce et le spondée, Horace et le dactyle.
Et tous ces arrangeurs de rhythmes et de mots.
30 TOUTE LA LYRE.
Pindare, Eschyle, Job, Plaute, Isaïe, Amos!
A quoi bon ce qui fait l'homme grand sur la terre?
Ceux qui parlent ainsi feraient mieux de se taire ; Je connais dès longtemps leur vaine objection.
L'art est la roue immense et j'en suis l'Ixion.
Je travaille. A quoi? Mais..., à toutj car la pensée
Est une vaste porte à chaque instant poussée
Par ces passants qu'on nomme Honneur, Devoir, Raison,
Deuil, et qui tous ont droit d'entrer dans la maison.
Je regarde là-haut le jour éternel poindre.
À qui voit plus de ciel la terre semble moindre ;
J'offre aux morts, dans mon âme en proie au choc des vents.
Leur souvenir accru de l'oubli des vivants.
Oui, je travaille, amis ! oui, j'écris ! oui, je pense !
L'apaisement superbe étant la récompense
De l'homme qui, saignant et calme néanmoins,
Tâche de songer plus afin de souffrir moins.
Le souffle universel m'enveloppe et me gagne.
Le lointain avenir, lueur de la montagne,
M'apparaît, par-dessus tous les noirs horizons.
C'est par ces rêves-là que nous nous redressons.
O frisson du songeur qui redevient prophète !
Le travail, cette chose inexprimable, faite
De vertige, d'effort, de joug, de volonté.
Vient quand nous l'appelons, nous jette une clarté
Subite, et verse en nous tous les généreux zèles.
Et, docile, ardent, fier, ouvrant de brusques ailes.
Écartant les douleurs ainsi que des rameaux.
Nous emporte à travers l'infini, loin des maux.
Loin de la terre, loin du malheur, loin du vice.
Comme un aigle qu'on a dans l'ombre à son service.
12 janvier 1874.
XVI
Tu me dis : Finis donc ton livre des Misères '^^K
Ami, pour achever ce vaste manuscrit.
Il me faut avant tout ma liberté d'esprit.
Quand un monde se meut dans le cerveau d'un homme.
Il ne peut pas songer aux affaires de Rome,
A monsieur Bonaparte, à Faucher, à Mole.
Rends-moi l'espace immense et le ciel étoile !
Rends-moi la solitude et la forêt muette !
Hélas ! on ne peut être en même temps poëte
Qui s'envole, et tribun coudoyant Changarnier,
Aigle dans l'idéal et vautour au charnier.
Octobre i8;i.
^'^ Premier titre des Misérables. (Note de l'Éditeur.)
32 TOUTE LA LYRE.
XVII
Quand je marche à mon but auguste Ce qui menace me sourit. O Dieu ! ce que je veux est juste Et je le veux d'un ferme esprit.
Ni juin formidable et farouche. Ni les cris, ni le rire amer. Ni Changarnier au regard louche. Ni le vent soufflant sur la mer.
Ni la haine où je suis en butte. Rien ne me fera chanceler. Si le monde croulait, sa chute M'écraserait sans m'ébranler.
XVIII (^)
A
O toi qui m'as maudit dans tes souffrances sombres.
Un jour, ceux qui vivront quand nous serons des ombres.
Les passants qu'après nous agitera le vent.
Surpris, viendront au champ des morts, et, soulevant
La pierre du tombeau sur ma bière muette.
Ils me demanderont : pourquoi donc, ô poëte.
Quelqu'un t'a-t-il maudit, toi qui saignas pour tous?
Et moi je répondrai, spectre farouche et doux.
Faisant signe à la pierre afin qu'elle retombe :
— Silence ! laissez-moi songer seul dans ma tombe.
Laissez-moi savourer la sombre volupté
De me dire : il eut tort, ce grand cœur irrité.
Bruxelles, i"" janvier 1852.
(') Inédit.
POÉSIE.
IMPUJUIIIE SITIOXALE.
34 TOUTE LA LYRE.
XIX
A UN ENFANT.
Quoique je sois de ceux qui se sont autrefois
Penchés sur ton berceau plein de ta jeune voix,
Tu commences, enfant, à ne plus me connaître.
Je ne suis rien pour toi qu'un étranger, un être
Évanoui, perdu dans de noirs lendemains.
Un voyageur dont l'ombre est sur d'autres chemins.
Quelqu'un qu'on vit jadis, avant les jours funèbres,
Lorsqu'on était petit, passer dans les ténèbres;
Tu ne songes pas plus à moi qu'au moucheron
Qui volait tout à l'heure en sonnant du clairon,
À ta balle perdue, à ta lampe soufflée ;
Pas plus qu'à ce parfum d'herbe et de giroflée
Qu'avril mêle à l'aurore et qui dure un moment j
Tu m'as laissé tomber de ton esprit gaunent
Comme un cahier fini tout noirci de grimoire.
Tu fais bien. Nous avons, hélas, plus de mémoire.
Enfants, nous qui, vivant pendant que vous naissez.
Lisons vos avenirs écrits dans nos passés -,
Votre sort nous émeut, et bien souvent nous sommes
Rêveurs, nous grands enfants, devant vous, petits hommes.
Aussi, vois-tu, du fond des mornes horizons.
Je viens à toi, jeune âme, et je te dis : causons.
Pose un moment ta plume et ferme ta grammaire. Écoute. Te voilà grandissant, et ta mère Est debout près de toi comme un gardien des cieux. Seule et veuve, et livrée aux vents capricieux.
A UN ENFANT. 35
En proie aux souffles noirs qui n'épargnent personne. Elle étend sur ton front son aile qui frissonne. Et veille ; la colombe a peur pour le roseau. Car le sort menaçant nous tient dès le berceau ; Qu'on soit un petit prince ou bien un petit pâtre. Nul n'échappe au destin -, son ongle opiniâtre Se mêle à nos cheveux et nous trame effarés.
Oh ! fixe ton regard sur ses yeux adorés ! Ici-bas c'est ta mère, et là-haut c'est ton ange. Cette femme a subi plus d'une épreuve étrange. Enfant, c'est toi qui dois l'en consoler. Retiens Que, touchante à nos yeux, elle est sacrée aux tiens. La nature la fit reine, et le sort martvre. Qui la voit pleurer sent un charme qui l'attire. Hélas ! l'ombre d'hier assombrit aujourd'hui. Elle accepte, stoïque et simple, l'âpre ennui. L'isolement , l'affront dont un sot nous lapide , La haine des méchants, cette meule stupide Qui broie un diamant ainsi qu'un grain de mil. Et toutes les douleurs, contre-coups de l'exil.
Oh! l'exil! il est triste, il s'en va, grave et morne. Traînant un deuil sans fin dans l'espace sans borne. Et, sur le dur chemin qui vers l'ombre descend. Hélas ! on voit tomber goutte à goutte le sang Des racines du cœur qui pendent arrachées !
Le malheur, c'est le feu dans les branches séchées. Il dévore, joyeux, nos jours évanouis.
Naguère elle brillait aux regards éblouis. Pareille au mois de mai qu'un zéphyr tiède effleure ; Naguère elle brillait 5 maintenant elle pleure. Ce rayon n'a duré que le temps d'un éclair.
36 TOUTE LA LYRE.
Mais la pensée auguste habite son œil fier ?
Mais le malheur, qui, même en nous frappant, nous venge,
A mis des ailes d'aigle à ses épaules d'ange.
Dieu, caché dans la nuit de cet être souffrant,
Brille et fait resplendir son sourcil transparent,
L'albâtre laisse voir la lumière immortelle.
Son front luit !
Toi, son fils, tressaille devant elle Comme Gracchus enfant quand sa mère venait j Car elle est la clarté de ton aube qui naît.
Qu'importe que la foule ignore ou méconnaisse ! J'ai vu, moi, quand l'angoisse étreignait sa jeunesse. Comment elle a souffert, comment elle a lutté. Et j'ai dit dans mon cœur : Cette femme eût été Archidamie à Sparte ou Cornélie à Rome.
Enfant, ressemble-lui si tu veux être un homme j
Car elle est brave; car à l'abîme, au péril.
Son doux œil féminin jette un regard viril ;
Car c'est un ferme esprit ! car c'est un vrai courage !
Jamais, sous le ciel bleu, jamais, devant l'orage.
Jamais, retiens cela, quoique tu sois petit.
Dans un plus noble sein plus grand cœur ne battit !
Elle est femme pourtant, et ses maux sont sans nombre.
Mais un profond azur emplit son âme sombre.
Elle marche à travers la vie, âpre forêt.
Et regarde au delà des rameaux j on dirait
Qu'elle cherche le mot d'une énigme dans l'ombre ;
Et puis elle s'incline ainsi qu'un mât qui sombre ;
Elle dit à l'espoir : va-t'en ! au souvenir :
Silence! au jour qui meurt : hâte-toi de finir!
Car, conscience pure, elle est un esprit triste.
Même en rêvant longtemps sa tristesse persiste.
À UN ENFANT. 37
Hélas ! le doute injuste est au fond de son cœur Comme au fond d'un beau vase une amère liqueur. C'est qu'elle a tant gémi dans ces lugubres voies Où Dieu nous pousse avec nos douleurs et nos joies! Une larme éternelle erre au bord de ses yeux. . . Oh ! courbons-nous devant ces fronts mystérieux Qui, faibles et ployés, dans l'ombre où Dieu nous jette. Semblent faits pour porter la souffrance muette. Que le destin poursuit, ce bourreau jamais las, Que tous les maux sur terre et tous les deuils, hélas! Couvrent de leur cilice, accablent de leurs voiles. Et qu'attendent aux cieux des couronnes d'étoiles !
Aime-la! porte-lui ton cœur chaque matin. Ris ! Réjouis cette âme à ton rire enfantin. Sois le flot pur qui porte et caresse le cygne. Quand elle parle, adore ^ obéis sur un signe. Sois son consolateur et sois son défenseur. Que le mensonge vil, trompé dans sa noirceur. Vienne apportant l'affront, te voie, et le remporte. Qu'on te sente déjà veillant devant sa porte. Si le sort m'eût donné, sainte et charmante loi. Ce grand devoir de fils qu'il te confie à toi. Oh! comme elle eût dormi sous ma garde fidèle. Et, lion pour autrui, j'eusse été chien pour elle!
Sois bon, sois doux, sois tendre. Ecarte de ta main. Sous ses pieds délicats, les pierres du chemin.
Pour elle, ô pauvre enfant, tu donnerais, écoute. Ton âme souffle à souffle et ton sang goutte à goutte. De sa robe à genoux tu baiserais les plis. Tu la contemplerais comme on contemple un lys. Comme on contemple un ciel où se lève l'aurore. Mains jointes, l'œil en pleurs, ce ne serait encore. Pour cet être au front pur à qui tu dois le jour. Pas assez de respect et pas assez d'amour !
38 TOUTE LA LYRE.
Grave en ton jeune esprit, fils d'une noble femme,
Ces paroles qui sont comme l'adieu d'une âme 5
Enfant, écoute-moi, pendant que je suis là.
Car l'œil qui luit s'éteint, la bouche qui parla
Se ferme ; nous vivons le temps de disparaître.
Enfant, je te le dis, je suis de ceux peut-être
Qu'on ne reverra plus, tant ils sont dans la nuit.
Ils vont enveloppés d'un tourbillon de bruit.
Meurtris, blessés, les yeux pleins de clartés sereines.
L'ouragan monstrueux des fureurs et des haines.
Souffle qui vient d'en bas, courbe leur front pensif.
Leur âme vole, oiseau, de récif en récif.
Ils traversent le choc des diverses fortunes.
Et leur main se cramponne au marbre des tribunes.
Aux lois, à la patrie, aux colonnes du droit.
Plus le péril grandit, plus leur devoir s'accroît j
Du flot toujours plus noir leur foi sort plus robuste.
Ils luttent pour le bien, pour l'honneur, pour le juste.
Pour le beau, pour le vrai, laissant saigner leurs cœurs.
On dit : — Où s'en vont-ils? reviendront-ils vainqueurs?
Est-ce l'adversité qui sera la plus forte? —
Et cependant le vent sinistre les emporte 5
Puis on les perd de vue 5 et, bien longtemps après,
On lit au bord des mers leur nom sous un cyprès.
22 décembre 1853.
XX (0
Je marchais; j'entendais, comme tombait la nuit. Des amants se parler dans l'ombre à petit bruit ; Des lèvres se cherchaient dans l'obscure feuillée ; Maint couple était assis dans l'herbe un peu mouillée ; Et moi, j'adorais Dieu qui, dans les bois charmants. Pour le poëte errant au milieu des amants. Mêle à ce doux mystère entrevu sous des voiles Le spectacle splendide et profond des étoiles.
30 octobre 1846.
0) Inédit.
40 TOUTE LA LYRE.
XXI
J'ai mené parfois dure vie, Proscrit, errant de lieux en lieux, Triste et jetant un œil d'envie Au sépulcre mystérieux.
J'ai fait à pied de longues routes. Marchant la nuit, craignant les voix, Plus rempli d'ombres et de doutes Que la bête fauve des bois.
A
O vaincus des luttes civiles. Malheur à vous ! rien ne vous sert. J'ai le soir traversé des villes Comme on traverse le désert.
Seul, comptant mon chétif pécule. Loin de tous mes amis absents. Je regardais, au crépuscule. Aller et venir les passants.
L'eau des chemins mouillait mes guêtres. Las, je tombais sur de vieux bancs. Je regardais par les fenêtres La gaîté des âtres flambants.
J'entendais rire sous le chaume Les paysans à leur repas ; Un étranger est un fantôme ; Les murs ne le connaissent pas.
J'AI MENE PARFOIS DURE ZJIE... 41
Comme TuUius fuyant Rome, J'allais, ignorant où j'étais. Accueilli par ceux que je nomme. Repoussé par ceux que je tais.
La bise sifflait sur ma tête. Je fuyais sans savoir comment. Enveloppé de la tempête Comme d'un sombre vêtement ;
En guerre avec l'ombre où nous sommes. Avec l'onde et le vent marin. Avec le ciel, avec les hommes. En paix avec mon cœur serein !
Mon âme ouvrait ses yeux funèbres -, Tout était noir, plus de ciel bleu 5 Mais je voyais dans ces ténèbres La lointaine blancheur de Dieu.
Je me disais dans ma souffrance : — Pleurer est bon, mourir est beau. Car la porte de l'espérance S'ouvre avec la clef du tombeau.
Autour de moi, troupes ailées. Les strophes dont l'essaim me suit Tourbillonnaient échevelées Dans les souffles noirs de la nuit.
J'étais sûr, à travers mes peines. Que j'étais un juste aux abois. Et que les rochers et les chênes Ne pouvaient point haïr ma voix.
42 TOUTE LA LYRE.
Je parlais aux astres de flamme ; Se taire ne sied qu*au maudit -, Et je faisais chanter mon âme Pour que la nature entendît.
Je ne sais pas quelles réponses Les vents faisaient à mes chansons. J'ai mangé les mûres des ronces Et j'ai dormi sous les buissons.
14 octobre 1853. Jersey.
XXII
A DEUX ENNEMIS AMIS.
Du bord des mers sans fond qui jamais ne pardonnent.
Du milieu des éclairs et des vents qui me donnent
Le spectacle effrayant de l'éternel courroux.
Je vous le crie : Amis ! réconciliez-vous.
Vous n'avez pas le droit de ne pas être frères.
Moi, qui sais les fureurs du sort, les vents contraires.
Les chocs inattendus, les luttes sans pitié.
Je vous dis : Aimez-vous ! la solide amitié
Ceint d'un cercle d'acier l'homme, vase fragile.
Virgile aimait Horace, Horace aimait Virgile
Au point qu'en cette Rome, où l'œil va les chercher.
On ne distinguait plus, en voyant se toucher
Leurs têtes dans la gloire intime et familière.
D'où venait le laurier et d'où venait le lierre.
Toi, n'es-tu pas celui qui, songeant, écrivant.
Cerveau monde où se meut tout un peuple vivant,
T'éclairant à ton gré du jour que tu préfères.
Du drame et du roman fais tes deux hémisphères?
Toi, n'es-tu pas celui qui va, monte, descend.
Ne tiens-tu pas ta plume au vol éblouissant.
Qui touche à tous les temps, qui perce tous les voiles.
Et jette sur Paris un tourbillon d'étoiles.?
Vous êtes deux noms chers qu'au monde nous offrons.
Les acclamations abondent sur vos fronts
Comme sur les palais s'abattent les colombes.
Dieu qui, pour vous créer ouvrit deux grandes tombes.
44 TOUTE LA LYRE.
Pour allumer vos cœurs fit jaillir un éclair
Sur l'un, de Diderot, sur l'autre, de Schiller;
Et maintenant chacun de vous, dans son domaine.
Eclaire un des cotés de la grande âme humaine.
Puisque vous êtes forts, amis, vous êtes doux.
Vous êtes à vous deux la lumière ; aimez-vous !
Vos bouches sur les cœurs, sur les foules conquises.
Dévident l'écheveau des paroles exquises ;
Liez-vous l'un à l'autre avec ces chaînes d'or.
L'éloquence est richesse et l'amitié trésor.
Le flot s'apaise, ému, dès qu'il voit l'aube luire.
Voyez-vous seulement le temps de vous sourire.
Et vous vous comprendrez; vous le devez, étant
Ceux qui domptent le siècle, en régnant sur l'instant.
Revenons, tout le reste étant deuil ou chimère.
Aux cordialités titaniques d'Homère ;
Apprenez à la foule, à qui manquent les dieux.
Et qui, dans son brouillard morne et fastidieux.
S'attriste et ne voit plus d'Olympe qu'où vous êtes.
Ce que c'est que le rire éclatant des poètes.
Sur le char lumineux soyez le couple ardent.
Oui, vous vous comprendrez, rien qu'en vous regardant.
Si tout se comprenait, tout serait harmonie;
Tout serait gloire, azur, splendeur, joie infinie.
Amour; et le chaos n'est qu'un malentendu.
Dans ma nuit orageuse où je me sens mordu
Tantôt par la vipère et tantôt par l'hyène.
Laissez-moi me débattre avec la sombre haine.
C'est mon destin. Avant que mon front se courbât.
J'ai commencé tout jeune, hélas! ce noir combat.
Jacob lutte avec l'Ange, et je lutte avec l'Ombre.
Ah ! je prends pour moi seul les maux, les deuils sans nombre !
Que je sois seul saignant, tous étant radieux!
Votre accord charmera mon cœur gonflé d'adieux.
Mon âme que le sort brise et qui reste entière.
Et peut-être fera couler la larme altière
A DEUX ENNEMIS AMIS. 45
Qui pend depuis trois ans suspendue à mon cil. Donnez-moi ce bonheur au fond de mon exil. Donnez-moi cette joie au fond de ma tempête De voir que rien ne manque à votre double fête. De me dire : ils sont là dans le rayonnement. Lui, l'athlète invaincu, lui, le vainqueur charmant ! De m'éblouir de loin, moi l'homme des ténèbres. De vos enchantements chaque jour plus célèbres. D'entendre les échos sans cesse vous grandir. Et, par tous applaudis, vos deux noms s'applaudir! Aimez-vous pour celui qui tous les deux vous aime. Aimez-vous ! que l'envie en devienne plus blême. Jumeaux, redevenez frères à tous les yeux. Et montrez que le jour, superbe, heureux, joyeux. N'est pas sourd à la voix qui sort de la nuit sombre, Montrez que les rayons veulent consoler l'ombre. Vous que tout couronna, vous à qui tout sourit. En mettant vos deux mains dans la main du proscrit.
21 décembre 1854.
46 TOUTE LA LYRE.
XXIII
D. G. D. G.C)
Elle s'est donc en allée. Et se tait.
A
O noire voûte étoilée. Rends-nous la grande âme ailée Qui chantait !
Elle était de ceux qu'attire
Ma maison. L'autre année elle y vint luire. Et m'éclaira d'un sourire
L'horizon.
Paix à vous, bon cœur utile. Beaux yeux clos.
Esprit splendide et fertile !
Elle aimait ma petite île. Mes grands flots.
Ces champs de trèfle et de seigle.
Ce doux sol. L'océan que l'astre règle. Et mon noir rocher où l'aigle
Prend son vol.
^'* Delphine Gay de Girardin. (Note de l'Editeur.)
D. G. D. G. 47
II
La vie à ces âmes fières
Ne plaît pas ; Car les vivants sont des pierres Sur leurs fronts et des poussières
Sous leurs pas.
Dieu, c'est la nuit que tu sèmes
En créant Les hommes, ces noirs problèmes; Nous sommes les masques blêmes
Du néant.
Nous sommes l'algue et la houle,
O semeur! Nous flottons , le vent nous roule j Toute notre œuvre s'écroule
En rumeur.
Le mal tient les foules viles
Dans ses nœuds ; Multitudes puériles , Nous faisons des bruits stériles
Ou haineux.
Nains errant sur des décombres.
Embryons, Ebauches, fantômes, ombres. Dans tes immensités sombres.
Nous crions.
48 TOUTE LA LYRE.
Dieu! les hommes, têtes basses,
Yeux charnels. Raillent l'abîme où tu passes. Tes profondeurs, tes espaces
Éternels !
Ils crachent sur le grand voile
Du ciel bleu; Blâment tout, mer, barque et voile j Insultent l'ombre et l'étoile.
L'âme et Dieu !
Ils insultent l'aube pure.
L'air vital. Le beau, le vrai, la nature. Et cette sombre ouverture :
L'idéal!
Ils insultent l'invisible,
Le cyprès. Le sort dont ils sont la cible. L'onde, et le frisson terrible
Des forêts.
Ils insultent le pontife,
La lueur, L'être, saint hiéroglyphe. Et l'énigme sous ta griffe.
Sphinx rêveur !
Leurs voix sont prostituées,
Jéhovah ! Quand l'aigle entend leurs huées. Il regarde les nuées
Et s'en va !
D. G. D. G, 49
III
O grande ame prisonnière,
Cœur martyr, C'est l'aigle de ma tanière Qui t'a montré la manière
De partir.
Pendant qu'assis sous les branches,
Nous pleurons. Ame, tu souris, tu penches Tes deux grandes ailes blanches
Sur nos fronts.
Et, du fond de nos abîmes.
Soucieux, Nous te voyons sur les cimes, Levant tes deux bras sublimes
\^rs les cieux.
IV
Destin! goufïre aux vents contraires,
Aux flots sourds ! Oh ! que d'urnes funéraires ! Ma fille, amis, parents, frères.
Joie, amours!
On luit, on brille, un beau rêve
Vous dit : viens ! Et voilà qu'un vent s'élève } Le temps d'un flux sur la grève }
Et plus rien !
POÉSIE. — XIII.
IM'I'MHKIIIE KATIORILI.
50 TOUTE LA LYRE.
La bise éteint, brise, emporte
Le flambeau. Et souffle, toujours plus forte. Par-dessous la noire porte
Du tombeau.
Notre bonheur est livide.
Et vit peu. Hélas ! je me tourne avide Vers le sépulcre, ce vide
Plein de Dieu.
Dieu, là, dans ce sombre monde
Met l'amour. Et tous les ports dans cette onde. Et dans cette ombre profonde
Tout le jour.
O vivants qui dans la brume.
Dans le deuil. Passez comme un flot qui fume. Et n'êtes que de l'écume
Sur recueil,
Vivez dans les clartés fausses.
Expiez ! Moi, Dieu bon qui nous exauces ! Je sens remuer les fosses
Sous mes pieds.
Il est temps que je m'en aille
Loin du bruit. Sous la ronce et la broussaille. Retrouver ce qui tressaille
Dans la nuit.
D. G. D. G. 51
Tous mes nœuds dans le mystère
Sont dissous. L'ombre est ma patrie austère. J'ai moins d'amis sur la terre
Que dessous.
16 juillet 1853.
52 TOUTE LA LYRE.
XXIV
UN SOIR.
Parmi les étoiles sans nombre. Mon esprit s'évanouissait j Je vis une blancheur dans l'ombre. C'était un ange qui passait.
Elle posa ses mains divines Sur mon front sombre et soucieux. O champs ! ô vallons ! ô collines ! O sereine beauté des cieux !
Et ma bouche ardente et pâmée Murmura : Viens ! adorons-nous ! Vivons! et cette bien-aimée. Pâle, tomba sur mes genoux.
Que de fois j'ai dit sur les grèves : O flots ! vous êtes une voix ! Que de fois j'ai rempli de rêves L'étrange profondeur des bois !
Avril 1851.
(') Inédit.
XXV
LETTRE DE L'EXILE ARRIVANT DANS LE DÉSERT.
Tu me dis : Que fais-tu ? Rien. Je suis seul. Je rêve.
Je vais voir si quelqu'un me connaît sur la grève.
Je cherche à rencontrer dans ces rudes forêts.
Dans ces monts, quelque ami tragique que j'aurais.
Quelque bon vieil écueil bien battu de l'abîme.
Quelque sapin cassé d'une façon sublime 5
Un roc ayant le deuil et n'ayant pas l'effroi.
Je parle à l'océan, et je lui dis : C'est moi.
Alors nous nous mettons à causer, lui plein d'ombre.
Mêlant un conseil grave à ses rumeurs sans nombre.
Et redisant toujours dans l'écume et les vents
La même phrase : Aimez, car vous souffrez, vivants I
Moi, songeur et distrait par la barque qui vogue.
Le tonnerre souvent prend part au dialogue ;
Cette interjection, l'éclair, tombe du ciel.
La mer me plaît ; on sent sa vertu dans son fiel.
Elle assainit la terre à force d'amertume.
Je l'aime. Aussi l'aller trouver est ma coutume
Quand je sens dans mon cœur monter sous le ciel bleu
L'âpre indignation qui questionne Dieu.
Elle me calme avec son souffle de nuée.
Ma douleur dans ses flots s'endort diminuée.
On médite en voyant des prodiges entiers.
Je fraternise avec le gouffre volontiers.
54 TOUTE LA LYRE.
Les proscrits sont des gens qui content leurs affaires Aux vagues dans l'orage et dans la nuit aux sphères j Nous ouvrons nos cœurs fiers et forts, quoique mouvants, A ces premiers venus farouches, tous les vents 5 Et Ton finit par prendre une altière habitude De tutoiement avec la sombre solitude.
A
De là l'apaisement. O vastes cieux vainqueurs !
L'autan passe, arrachant l'écume de nos cœurs 5
Et quand sur notre haine et sur notre colère
S'est d'en haut répandu l'immense bruit polaire.
Quand la foudre nous a regardés dans les yeux.
Que reste-t-il d'un homme honnête et furieux ?
Un sage. On sonde mieux le mystère où nous sommes
Devant ces grands flots noirs, moins troubles que les hommes ;
On sent qu'en ce chaos un monde est à l'essai ;
On confronte, attentif, le faux gouffre et le vrai,
La trahison de l'homme et l'embûche de l'onde ;
On contemple les plis de l'eau rauque et profonde.
On s'ouvre à la candeur comme eux à l'alcyon.
Et l'on devient pensif dans la proportion
Du prodige, et l'on sent que le courroux s'efface
Sous ce flot calme au fond et fauve à la surface.
On croit voir dans son âme obscure le lever
D'un astre j et c*est cela qui vient de m'arriver.
J'ai vu tant de néants, tant d'hommes et de choses. Tant d'immobilités, tant de métamorphoses. Que je suis las. Après tous ces chiens, tous ces loups, Dupin, Montalembert, Veuillot, Proudhon, Falloux, Après l'oison qui glousse, après le chat qui grince. Après ce reître, après ce juge, après ce prince. Après ces nains, ces fous, ces gueux, ces intrigants. J'ai le goût des éclairs, j'aime les ouragans. J'entre dans cette énorme et formidable fête. L'onde, et je me repose, ami, dans la tempête.
26 août 1852.
XXVI (»)
Ô doux êtres ! ma joie et mon amour sacré! Que ce jour sera triste où je vous quitterai !
Ce sera comme un soir qui tombe. Pendant que je dirai, la sueur sur le front : Que vont-ils devenir sur la terre ? ils diront :
Que deviendra-t-il dans la tombe ?
('^ Inédit.
56 TOUTE LA LYRE.
XXVII
A l'heure où le soleil se couche. Quand j'erre au fond des bois, les soirs. Seul, songeant, souriant, farouche, Efferé sous les arbres noirs 5
Ou quand, près du foyer qui flambe. Laissant mes livres cent fois lus. Croisant ma jambe sur ma jambe. Je regarde et n'écoute plus ;
Vous dites : Qu'a-t-il donc? Il rêve ! — Oui. Je rêve! — C'est que je voi L'ombre où l'astre idéal se lève Croître et monter autour de moi !
C'est qu'en cette nuit où s'efface La clarté faite pour nos yeux. Je sens approcher de ma face Des visages mystérieux !
C'est qu'il me vient des apparences. Des formes, des voix, des soupirs. Du monde où sont ces espérances Que nous appelons souvenirs !
C'est que des espaces funèbres S'ouvrent à mes sens convulsifs ; C'est que je sens dans ces ténèbres Mon père et ma mère pensifs !
A L'HEURE OU LE SOLEIL SE COUCHE... 57
C'est que je sens passer un ange. Toi, ma fille, âme au front charmant, A je ne sais quel souffle étrange Dont je frissonne doucement I
C'est que, sous nos plafonds paisibles Comme dans nos bois pleins d'effroi. Les morts présents, mais invisibles. Fixent leurs yeux profonds sur moi !
6 janvier 1850.
58 TOUTE LA LYRE.
XXVIII (')
J'aspire à m'enfouir sous les arbres. Je suis Comme ces animaux sauvages que des hommes Ont pris, saisis, tramés dans la ville où nous sommes, Et qui, dans une cage enfermés tristement. Voyant la face humaine avec étonnement. Font tous les mouvements d'un serpent qui se sauve, À travers les barreaux passent leur museau fauve. Et sombres, effarés, pensifs, cherchent à voir Quelque taillis épais, quelque buisson bien noir. Un trou profond caché dans un fouillis champêtre. Où tout à coup dans l'ombre ils puissent disparaître !
") Inédit.
XXIX
A JEANNE.
Je suis triste; le sort est dur; tout meurt, tout passe ; Les êtres innocents marchent dans de la nuit ; Tu n'en sais rien ; tu ris d'écouter dans l'espace Ce qui chante, et de voir ce qui s'épanouit;
Toi, tu ne connais pas le destin; tu chuchotes On ne sait quoi devant l'Ignoré; tu souris Devant l'effarement des sombres don Quichottes Et devant la sueur des pâles Jésus-Christs.
Tu ne sais pas pourquoi je songe, pourquoi tombe Kesler à Guernesey, Ribeyrolle au Brésil; Jeanne, tu ne sais pas ce que c'est que la tombe, Jeanne, tu ne sais pas ce que c'est que l'exil.
Certes, si je pensais que j'assombris ton âme. Je ne te dirais point toutes ces choses-là ; Mais, vois-tu, bien qu'avril dore à sa pure flamme Ton front, que Dieu pour moi tout exprès étoila.
Quoique le ciel ait l'aube et mon cœur ton sourire, Jeanne, la vie est morne, et l'on gémit parfois; Puisque tu n'as qu'un an, je puis bien tout te dire. Tu comprends seulement la douceur de ma voix.
i6 août 1870.
6o TOUTE LA LYRE.
XXX
Si dans ce grand Paris, ô charmante infirmière Qui jetez dans notre ombre un regard de lumière. Quelque mitraille ou quelque obus, présent de roi. Me fait l'insigne honneur de s'abattre sur moi, Ou si quelque hulan m'octroie un coup de lance. Je ne me ferai pas porter à l'ambulance Où votre pitié douce accueille le blessé. Où sur tant de douleurs votre œil tendre est baissé} Je n'irai point, de peur, infirmière adorable. En m'en allant guéri, de sortir incurable.
XXXI
CALOMNIE.
Un trop lourd projectile a peine à s'élever; Trop d'intervalle empêche un caillou d'arriver ; Une sphère lapide en vain une autre sphère. Sachez que le premier grimaud venu peut faire Des mensonges abjects qui jusqu'au soir vivront, -Mais qu'il est malaisé de jeter un affront Assez haut pour qu'il aille atteindre un honnête homme. Un gueux se fait payer, il empoche la somme. Puis calomnie. Eh bien, nul effet. Voyez-vous, Celui qui se sent juste, et qui, sévère, est doux. Qui n'a jamais fait mal qu'au mal, qui fut fidèle A l'honneur comme l'est à son nid l'hirondelle. Qui pour combattre et puis faire grâce, a vécu. Qui n'a jamais dit Non à l'ennemi vaincu. Qui veut tous les devoirs et ne veut aucun rôle, Peut défier la haine $ et c'est pourquoi tel drôle. Vil, fait pour les bas-fonds et non pour les sommets, Qui m'insulte toujours, ne m'offense jamais.
62 TOUTE LA LYRE.
XXXII
SOUFFREZ, O PRECURSEURS!
Malheur dans les bas-fonds, malheur sur les hauteurs, A vous, penseurs, esprits, marcheurs, libérateurs ! L'ignorance ne sait que jeter de la haine 5 L'esclave mord la main qui vient briser sa chame ; L'enfer punit quiconque a rêvé paradis. Nous étions les proscrits, nous étions les maudits j Et cinq ans, et dix ans, et vingt ans nous vécûmes D'outrages, de fureurs, de cris, d'ajGFronts, d'écumes 5 TouS} ceux-ci dans l'exil, ceux-là sous les barreaux. Le progrès est un char que fouettent les bourreaux, Qui pour ornière a l'ombre et le sang, et pour roue Le martyre. Qu'un homme aux hommes se dévoue, Hélas, c'est la première énigme qu'ici-bas L'homme ne comprend pas et ne devine pas 5 C'est ce qui fait grandir les épines aiguës. C'est ce qui fait pousser dans l'ombre les ciguës.
(') Inédit.
XXXIII
L'aquilon change, et met la poupe où fut la proue ;
Il ne faut pas beaucoup de temps pour qu'une roue
Tourne, et pour que le bas soit en haut, et souvent
Ce qui semble tombé riposte en se levant.
Nous reprendrons nos droits, nos terres, nos provinces j
Et le vent qu'il fera ce jour-là, rois et princes.
Allez le demander au moulin de Valmy !
Oh! je le vois, ce jour splendide! on a dormi.
On s'éveille j la France est là, redevenue
Déesse, et son front rit, et son épée est nue;
Cette fumée en fuite au loin, c'est l'ennemi.
Le firmament, car Dieu ne fait rien à demi.
Pose son arc-en-ciel profond sur nos deux villes.
Non, je ne pense pas que les rois soient tranquilles.
Je n'ai plus qu'une joie au monde, leur souci.
Je dis presque aux bourreaux de mon pays : merci !
Et puisque d'un enler peut naître une genèse,
Je ne suis pas fâché d'être dans la fournaise ;
Purification du feu, je te bénis !
Les phénix lumineux ont les brasiers pour nids ;
L'âme s'augmente et luit dans la flamme ; est esclave
Tout ce qui ne sort pas vivant du bain de lave.
Et je trouve l'épreuve utile.
Croîs, lion.
J'attends.
Rois, consommez votre rébellion.
64 TOUTE LA LYRE.
XXXIV
AVE, DEAj MORITUKUS TE SALUTAT.
La mort et la beauté sont deux choses profondes Qui contiennent tant d'ombre et d'azur qu'on dirait Deux sœurs également terribles et fécondes Ayant la même énigme et le même secret ;
A
O femmes, voix, regards, cheveux noirs, tresses blondes. Brillez, je meurs ! ayez l'éclat, l'amour, l'attrait, O perles que la mer mêle à ses grandes ondes, O lumineux oiseaux de la sombre forêt !
Judith, nos deux destins sont plus près l'un de l'autre Qu'on ne croirait, à voir mon visage et le vôtre ; Tout le divin abîme apparaît dans vos yeux.
Et moi, je sens le gouffre étoile dans mon âme ; Nous sommes tous les deux voisins du ciel, madame. Puisque vous êtes belle et puisque je suis vieux.
lillet.
XXXV
ENVOI.
Tu sais, ami rêveur qui vois ma destinée,
Quelle meute envieuse, âpre, immonde, acharnée.
Jappe après mes talons, et m'insulte, et me mord.
Comme si j'étais grand, comme si j'étais fort!
Mets sous clef ce poëme, et n'en parle à personne.
Cette meute surgit dès que mon clairon sonne.
Et rentre dans sa nuit sitôt qu'il a cessé.
Je veux la condamner au silence forcé. —
Pour quelque temps du moins. — Cet oubli qui lui pèse
Me plaît, et je me tais afin qu'elle se taise.
25 août 1843. Cauterets.
POESIE. — XIII. 5
IM-PMMLItli: !ÏATtONALE.
66 TOUTE LA LYRE.
XXXVI
Pygmée et Myrmidon, c'est haine et calomnie. Avoir l'envie au cœur, aux lèvres l'ironie , Poëte, c'est un peu l'habitude d'en bas. Après tant de travaux, après tant de combats. L'affront t'assiège ; ils sont toute une multitude T'insultant dans ton deuil et dans ta solitude y Mais toi que le destin absorbe, tu n'as point Le temps de voir ces gens qui te montrent le poing. Les tumultes ont beau t'entourer, tu médites. Toutes tes œuvres sont par Zoïle maudites j Le fauve acharnement de la haine est sur toi. Toi qui jadis planais archange, et qu'une loi Met sur la terre, au fond des visions funèbres, Prisonnier dans la cage énorme des ténèbres. Toi, l'aigle échevelé de l'ombre, le banni Tombé d'un infini dans un autre infini. Du zénith dans l'abîme et du ciel dans ton âme. Eclairé, mais brûlé par ta profonde flamme. Rongé du noir regret du firmament vermeil. Toi dont l'œil fixe fait un reproche au soleil Et semble demander de quel droit l'on t'exile. Toi qui n'as plus que toi pour cime et pour asile. Tu ne te distrais point de ton rêve éternel 5 Et, pendant qu'émus comme autour d'un criminel. Les passants te voudraient tuer, et qu'on te hue, Et qu'à tes pieds, grondant et grinçant, la cohue Bourdonne avec le bruit d'orage d'un essaim. Et t'appelle idiot, traître, avare, assassin.
PYGMEE ET MYKMIDON, C'EST HAINE... 6j
Incendiaire, esprit méchant, âme mauvaise. Voleur et meurtrier, clameur que rien n'apaise Comme si la fureur sans cesse grossissait. Pensif, tu ne sais pas au juste ce que c'est.
24 mai 1874.
68 TOUTE LA LYRE.
XXXVII
Je la revois, après vingt ans, l'île où Décembre
Me jeta, pâle naufragé. La voilà! c'est bien elle. Elle est comme une chambre
Où rien encor n'est dérangé.
Oui, c'était bien ainsi qu'elle était 5 il me semble
Qu'elle rit, et que j'aperçois Le même oiseau qui fuit, la même fleur qui tremble,
La même aurore dans les bois ;
Il me semble revoir, comme au fond d'un mirage. Les champs, les vergers, les fruits mûrs.
Et dans le firmament profond, le même orage. Et la même herbe au pied des murs.
Et le même toit blanc qui m'attend et qui m'aime.
Et, par delà le flot grondeur, La même vision d'un éden, dans la même
Eblouissante profondeur.
Oui, je la reconnais cette grève enchantée.
Comme alors elle m'apparut. Rive heureuse où l'on cherche Acis et Galatcc,
Où l'on trouve B002 et Ruth 5
Car il n'est pas de plage, ou de montagne, ou d'île,
Parmi les abîmes amers. Mieux faite pour cacher les roses de l'idylle
Sous la tragique horreur des mers.
JE LA REVOIS, APRÈS UÎNGT ANS, L'ILE... 69
Ciel ! océan ! c'était cette même nature.
Gouffre de silence et de bruit. Ayant on ne sait quelle insondable ouverture Sur la lumière et sur la nuit.
Oui, c'étaient ces hameaux, oui, c'étaient ces rivages;
C'était ce même aspect mouvant, La même acre senteur des bruyères sauvages.
Les mêmes tumultes du vent ;
C'était la même vague arrachant aux décombres
Les mêmes dentelles d'argent ; C'étaient les mêmes blocs jetant les mêmes ombres
Au même éternel flot changeant ;
C'étaient les mêmes caps que l'onde ignore et ronge.
Car l'âpre mer, pleine de deuils. Ne s'inquiète pas, dans son effrayant songe.
De la figure des écueils ;
C'était la même fuite immense des nuées ;
Sur ces monts, où Dieu vient tonner. Les mêmes cimes d'arbre, en foule remuées,
N'ont pas fini de frissonner 5
C'était le même souffle ondoyant dans les seigles ;
Je crois revoir sur l'humble pré Les mêmes papillons avec les mêmes aigles
Sur l'océan démesuré;
C'était le même flux couvrant l'île d'écume.
Comme un cheval blanchit le mors ; C'était le même azur, c'était la même brume.
Et combien vivaient, qui sont morts!
8 août 1872. En arrivant à Jersey.
70 TOUTE LA LYRE.
XXXVIII
Je ne m'arrête pas, jamais je ne séjourne ?
Quand le flot, mon témoin, Tremble, je crie au vent : Marchons ! quand le vent tourne.
Je dis au flot : Plus loin !
Et j'avance, et toujours plus d'ouragan m'emporte.
Homme ! aime tes amours. Assieds-toi sur le banc de pierre de ta porte,
Et laisse fuir les jours !
Heureux celui qui vit stupide en sa demeure.
Et qui, chaque soir, voit Le même oiseau de nuit sortir à la même heure
Du même angle du toit !
13 août 1872.
XXXIX
Je vais dans la fureur du gouf&e, dans récume,
Pâle, écoutant les mots Que disent, pleins d'horreur, la sibylle dans Cume
Et l'apôtre à Pathmos.
Quand je passe en cette ombre, où, fuyant la tempête.
Nul encor n'a passé. L'abîme est sous mes pieds, la foudre est sur ma tête.
On dit : C'est l'insensé!
Tandis que l'ouragan qui parfois semble rire.
Puis éclate en sanglots. Joue avec les agrès comme avec une lyre.
Un chant noir sort des flots.
Et moi sur qui le deuil, la haine, la vieillesse.
L'onde et le vent trompeur. S'acharnent, je poursuis mon chemin, et je laisse
Les autres avoir peur.
Pourtant vous ne pouvez empêcher que je songe.
Las du sort par moments. Et de l'ombre que laisse aux âmes le mensonge
De tant d'événements.
Le destin m'a jeté de tempête en tempête.
De récif en récif 5 Jamais mon cœur saignant n'a fait courber ma tête;
Mon courroux est pensif.
■Jl TOUTE LA LYRE.
J*ai traversé les pleurs, les haines, les veuvages. Ce qui mord, ce qui nuit.
Noir nocher, j'ai connu tous les âpres rivages Du deuil et de la nuit.
J'ai lutté} j'ai subi la sinistre merveille
Des abîmes mouvants; Et jamais on ne vit dispersion pareille
D'une âme à tous les vents.
Je suis presque prophète et je suis presque apôtre;
Je dis : C'est bien ! Allons ! Mais je ne voudrais pas de ce sort pour un autre,
O fauves aquilons !
H. H. 13 août 1872.
XL
Omnia vidit
Evcrsa.
(JuvÉNAL.)
Un vieillard est souvent puni de sa vieillesse Par le peu de clarté que le destin lui laisse. Survivre est un regret poignant, presque un remords. Voii sa ville brûlée et tous ses enfants morts Est un malheur possible, et l'aïeul solitaire Tremble et pleure de s'être attardé sur la terre. Que te sert, ô Priam, d'avoir vécu si vieux? Hélas ! tu vois tomber la foudre sur tes dieux.
74 TOUTE LA LYRE.
XLI
A MADAME D'A.-SH.(i)
Vous demandez à quoi je rêve? Je me souviens qu'un jour, jadis, A l'heure où l'aube qui se lève Ouvre ses yeux de paradis,
Je passais, parmi des colombes, Dans un cimetière, jardin Qui, couvrant de roses les tombes. Cache le néant sous l'éden.
J'errais dans cette ombre insalubre Où les croix noires sont debout. . . — Une grande pierre lugubre Se mit à vivre tout à coup.
C'était, dans l'herbe et les pervenches. Un sépulcre sombre et hautain Qu'eiîleura soudain sous les branches Un furtif éclair du matin.
Il était là sous une yeuse. Triste, et comme pour l'apaiser, La jeune aube mystérieuse Donnait à ce spectre un baiser.
t'' À Madame d'Alton-Shée. [Note de l'Editeur.)
A MADAME D'A.-SH. 75
Et cela rendit, ô merveille, La vie au sépulcre hagard. Ce sourd-muet ouvrit l'oreille Et cet aveugle eut un regard.
En voyant venir la lumière. Comme au désert le noir Sina, Ce sinistre linceul de pierre Où pleure une âme, rayonna.
Et je le vis, dans le bois sombre. Dans le champ pestilentiel. Comme transfiguré dans l'ombre Par cette dorure du ciel.
Ce n'était plus la dalle afïreuse. Qui se dresse hors de tout bruit. Sous laquelle un gouffre se creuse. Plein d'étoiles, mais plein de nuit 5
Ce n'était plus la tombe où rêve Un vague fantôme banni, Abîme où le fini s'achève. Borne où commence l'infini.
Grâce à l'aube, au pied du vieil arbre. Dans la ronce et dans le genêt. Le fi:oid granit, l'orgueilleux marbre Que le ver de terre connaît.
Illuminait ces bois funèbres. Craints de l'homme, aimés du corbeau. Et, calme, avait dans les ténèbres On ne sait quel air de flambeau.
■je TOUTE LA LYRE.
Il cessa d'être le fantôme.
Le liseron fut ébloui.
Et l'œillet lui jeta son baume;
Les fleurs n'eurent plus peur de lui.
Les roses que nos yeux admirent Baisèrent son socle détruit. Et les petits oiseaux se mirent A chanter autour de sa nuit.
Noble femme aux vaincus fidèle, \^tre sourire frais et beau. Quand il luit sur moi, me rappelle Cette aurore sur ce tombeau.
H. H., 5 septembre.
XLII
Vous qui, vainqueurs, avez mis, depuis vingt-cinq ans. Maîtres sanglants qui rendrez compte,
\^tre nuit sur la France en deuil, et sur les camps Votre gloire qui leur fait honte.
Toi, prêtre, toi, soldat, chef des sombres exploits, Que suit des jeux l'histoire triste.
Toi, juge escamoteur, qui du fourreau des lois Tiras le poignard du sophiste.
Quand vous couvrez d'affronts haineux, de cris amers.
Et d'un tumulte de huées. Cet homme qui longtemps, pensif au bord des mers.
Vécut le front dans les nuées.
Et qui, dans la candeur de ses calmes desseins,
Veut la justice égale et grande. Avant de l'appeler défenseur d'assassins.
Attendez donc qu'il vous défende !
78 TOUTE LA LYRE.
XLIII
Tu nous regardes. Nuit, grande passante noire;
Tu ne dois pas beaucoup comprendre notre histoire,
Car elle est bien souvent plus sombre encor que toi.
Soyez homme d'honneur, de probité, de foi,
Vous serez l'ennemi public; dans la tempête
Risquez pour une idée auguste votre tête.
Et vous serez traité de la même façon
Que la poltronnerie et que la trahison;
Cet homme ose invoquer la pitié vénérable.
Il offre asile au faible, à bas le misérable!
— Quoi donc ! il s'interpose entre le meurtre et nous !
Il s'émeut en voyant des femmes à genoux.
Il s'indigne des morts que nous jetons aux fleuves,
Il plaint les orphelins, il ne fait pas de veuves.
Il ose prononcer l'horrible mot Pardon !
A cette heure où chacun fait à tous l'abandon
De ces vieux préjugés : droit, liberté, clémence.
Où l'on sent que le monde antique recommence.
Lorsqu'on voit qu'un grand pas en arrière est sensé.
Et quand pour avenir on reprend le passé.
Il s'obstine, il soutient les vaincus sans relâche.
Il les défend, dût-on l'assassiner, le lâche! —
C'est ainsi qu'on raisonne à de certains moments. Un jour, voyant passer d'affreux événements. Voyant qu'au grand Paris on creusait une fosse. Ne croyant pas Dieu mort et la vérité fausse.
TU NOUS REGARDES, NUIT... 79
Ne me figurant pas que tuer fut un droit.
Je me dressai, je dis : Le jour meurt, l'ombre croît.
Prenez garde! Au-dessus de vos fauves mêlées,
O noirs lutteurs, il est des choses étoilées,
La raison, le progrès, la patrie et l'honneur.
Le vainqueur est souvent son propre empoisonneur.
Arrêtez. L'amnistie est une fin sereine.
Soyez cléments. —
Alors j'eus sur moi tant de haine. Tant d'exécration, d'épouvante et d'horreur Que je fijs presque, ô Nuit, l'égal d'un empereur!
18 décembre 1874.
8o TOUTE LA LYRE.
XLIV
Ah ! vous faites du froid devoir votre bonheur ! Ah ! vous ne buvez pas l'oubli de votre honneur. Et l'impudeur, l'orgie, et la honte, à plein verre! Ah! vous êtes prudent, économe, sévère. Pour marcher le front haut, et c'est votre souci! Vous ne voulez pas être un jour à la merci Des gens qui font métier de tarifer une âme. Et d'acheter tantôt l'homme, et tantôt la femme! Ah ! vous avez présent à l'esprit l'affreux sort De ceux que la faim sombre a, sous peine de mort. Forcés d'être valets et de se vendre au maître. Et vous ne jetez pas l'argent par la fenêtre. Eh bien! vous êtes pingre, avare, grigou, rat. Pire qu'un misérable et presque un scélérat ! Ladre ! dit la catin. Pleutre ! ajoute le prêtre. La vertu vous est vice, et ne voulant pas être En ce temps de cœurs plats parlant un vil jargon, Arétin ou Dangeau, vous êtes Harpagon!
12 avril 1874.
XLV
La haute honnêteté, c'est là toute ma gloire. O peuple, après ma mort tu mettras ma mémoire Sur cet âpre sommet, le devoir accompli. Et quand je serai là, quelqu'un contre l'oubli Me défendra, quelqu'un de farouche, la haine. Elle accourra, poussant des cris, sinistre et vaine. Avec le rauque essaim des affronts ténébreux ; Et tous ces monstres noirs se querellant entre eux. Jour et nuit, calomnie, impudence, bassesse. Tâcheront de me mordre et grinceront sans cesse. Dans l'Inde, quand d'affreux vautours sont aperçus Le soir, planant en cercle et dans l'ombre au-dessus De quelque cime sombre, on dit dans la campagne C'est parce qu'on a mis un mort sur la montagne.
15 décembre 1874.
POESIE. — xui. 6
82 TOUTE LA LYRE.
XLVI
L'enfant est très petit et l'aïeul est très vieux.
L'insulteur ne craint rien. Comme un ciel pluvieux
Verse l'ondée aux bois que l'orage secoue.
Cette main de vieillard a sur plus d'une joue
Autrefois élargi les sonores soufflets.
Mais à présent les longs exils, le ciel anglais.
Et soixante-treize ans ont refroidi cet homme;
Calme, il dédaigne. A peine il sait comment se nomme
L'insulteur, pour avoir, lorsque juillet brilla
Jadis aidé quelqu'un qui portait ce nom-là.
Rien de plus. Et qu'importe un jeune drôle immonde?
Qu'est-ce que cela fait qu'un laquais soit au monde?
Qu'est-ce qu'un jappement de plus dans le chenil?
Qu'importe au sphinx rêveur dans les roseaux du Nil
Le glissement sinistre et vague d'un reptile?
Les gueux peuvent sans peur faire aboyer leur style.
Voir passer un vieillard que le deuil accabla,
La bravoure du lâche est faite de cela.
Nul danger. Le gredin est à son aise infâme;
Il se répète, afin d'encourager son âme
Où beaucoup de prudence à l'audace aboutit.
Que l'aïeul est bien vieux et l'enfant bien petit.
31 mars 1875.
XLVII
Je suis enragé. J'aime et je suis un vieux fou.
— Grand-père? — Quoi? — Je veux m'en aller. — Aller où?
— Où je voudrai. — C'est bien. — Je veux sortir, grand-père.
— Sortons. — Grand-père?— Quoi? — Pleuvra-t-il?— Non, j'espère.
— Je veux qu'il pleuve, moi. — Pourquoi? — Pour faire un peu Pousser mon haricot dans mon jardin. — C'est Dieu
Qui fait la pluie. — Eh bien, je veux que Dieu la fasse.
— Tu veux! tu veux! — Grand-père? — Eh bien quoi? — Si je casse Mon joujou, le bon Dieu ne peut pas m'empêcher.
C'est donc moi le plus fort. — Parlons sans nous fâcher.
— Je ne me fâche pas. Je veux qu'il pleuve. — Ecoute, Je te donne raison. — Il va pleuvoir? — Sans doute. Viens, prenons l'arrosoir du jardinier Jacquot,
Et nous ferons pleuvoir. — Où? — Sur ton haricot.
84 TOUTE LA LYRE.
XLVIII
ECHAPPE A L'ERREUR.
Gouf&es, m'entendez- vous ? Me voyez-vous, écumes? Je surnage. Longtemps, doux enfants, nous vécûmes. Mes deux frères et moi, dans cet A B C D D'imposture et d'erreur dont l'homme a fait sa bible; Mais c'est fini, j'en sors et je lutte, terrible Et joyeux comme un évadé.
Nous sommes quelques-uns nageant dans l'ombre immense. Eperdus; tout est piège, ignorance, inclémence; La mer n'a pas un pli qui ne soit triste et noir; L'écueil gémit, le vent pleure, la vague tremble; La brume, c'est le doute; et par moments, il semble Que l'abîme est au désespoir.
L'océan, ce despote, a l'autan pour ministre. Je regarde au delà de l'horizon sinistre, Je résiste à l'horreur du gouffre illimité; Je vois plus loin que l'ombre et la haine et la guerre. Comme Colomb criait à ses compagnons : Terre ! Je crie aux hommes : Vérité !
Et je vois Pythagore, Eschyle, esprits sublimes. Job, Dante, âmes ayant l'habitude des cimes. Thaïes, Milton, planer dans l'obscur firmament. Ainsi, malgré les chocs de l'onde et ses huées. Une dispersion d'aigles dans les nuées Tourbillonne superbement.
ÉCHAPPÉ A L'ERREUR. 85
Prêtres, vous n'avez pu m'engloutir dans vos songes; Dieu ne m'a pas laissé noyer par vos mensonges. J'avance, et je fais signe aux pâles matelots; Je rapporte des mers la perle qu'on y trouve. Je vis ! L'évasion du naufrage se prouve Par la tête au-dessus des flots.
4 mai 1878
86 TOUTE LA LYRE.
XLIX
APRES L'HIVER.
N'attendez pas de moi que je vais vous donner
Des raisons contre Dieu que je vois rayonner;
La nuit meurt, l'hiver fuit; maintenant la lumière.
Dans les champs, dans les bois, est partout la première.
Je suis par le printemps vaguement attendri.
Avril est un enfant, frêle, charmant, fleuri;
Je sens devant l'enfance et devant le zéphyre
Je ne sais quel besoin de pleurer et de rire;
Mai complète ma joie et s'ajoute à mes pleurs.
Jeanne, George, accourez, puisque voilà des fleurs.
Accourez, la forêt chante, l'azur se dore.
Vous n'avez pas le droit d'être absents de l'aurore.
Je suis un vieux songeur et j'ai besoin de vous,
Venez! je veux aimer, être juste, être doux.
Croire, remercier confusément les choses.
Vivre sans reprocher les épines aux roses.
Etre enfin un bonhomme acceptant le bon Dieu.
O printemps ! bois sacrés ! ciel profondément bleu !
On sent un souflle d'air vivant qui vous pénètre.
Et l'ouverture au loin d'une blanche fenêtre ;
On mêle sa pensée au clair-obscur des eaux;
On a le doux bonheur d'être avec les oiseaux,
Et de voir, sous l'abri des branches printanières.
Ces messieurs faire avec ces dames des manières.
26 juin 1878.
— Qu'es-tu, pèlerin? — Je me nomme Celui qui pleure. — En vérité.
Viens avec nous. — Je suis un homme Par une main d'ombre arrêté.
— Viens ! — Non. — Les ans t'ont fait débile. Pourquoi, l'œil ouvert à demi.
Restes-tu dans l'ombre, immobile?
— Une pierre me tient, ami.
— Ton âme de nuit est vêtue. Seul, debout, n'as-tu pas l'eflfroi D'un lent changement en statue ?
— La terre sombre monte en moi.
— Que fais-tu là? Viens. Le soir tombe. Le vent souffle en tes cheveux gris.
— J'attends que se rouvre une tombe Où le bas de ma robe est pris.
26 août. Route d'Aix-la-Chapelle à Dûren.
88 TOUTE LA LYRE.
LI
Le vieillard chaque jour dans plus d'ombre s'éveille. A chaque aube il est mort un peu plus que la veille.
La vie humaine, ce nœud vil. Se défait lentement rongé par l'âme ailée ; Ce sombre oiseau lié veut prendre sa volée
Et casse chaque jour un fil.
A
O front blanc qu'envahit la grande nuit tombante. Meurs! — Tour à tour sa" voix, sa force succombante.
Son œil où décroît l'horizon S'éteignent, — ce sera mon destin et le vôtre ! — Comme on voit se fermer le soir l'une après l'autre
Les fenêtres d'une maison.
LU
Tu rentreras comme \^ltaire Chargé d'ans, en ton grand Paris 5 Des Jeux, des Grâces et des Ris Tu seras l'hôte involontaire;
Tu seras le mourant aimé ; On murmurera dès l'aurore, A ton seuil à demi ferme. Déjà ! mêlé de : Pas encore !
Tu seras marmot et barbon; Tu goûteras la joie honnête D'être si bon qu'on te croit bête Et si bête qu'on te croit bon.
VI
Lorsque ma main frémit si la tienne l'effleure, Quand tu me vois pâlir, femme aux cheveux dorés. Comme le premier jour, comme la première heure. Rien qu'en touchant ta robe et ses plis adorés 5
Quand tu vois que les mots me manquent pour te dire Tout ce dont tu remplis mon sein tumultueux ; Lorsqu'en me regardant tu sens que ton sourire M'enivre par degrés et fait briller mes yeux ;
Quand ma voix, sous le feu de ta douce prunelle. Tremble en ma bouche émue, impuissante à parler. Comme un craintif oiseau, tout à coup pris par l'aile. Qui frissonne éperdu, sans pouvoir s'envoler;
A
O bel ange créé pour des sphères meilleures. Dis, après tant de deuils, de désespoirs, d'ennuis, Et tant d'amers chagrins et tant de tristes heures Qui souvent font tes jours plus mornes que des nuits ;
Oh, dis! ne sens-tu pas se lever dans ton âme L'amour vrai, l'amour pur, adorable lueur. L'amour, flambeau de l'homme, étoile de la femme. Mystérieux soleil du monde intérieur !
Ne sens-tu point, dis-moi, passer sur ta paupière Le souffle du matin, des ténèbres vainqueur? Ne vient-il pas des voix tout bas te dire : espère ! N'entends-tu pas un chant dans l'ombre de ton cœur?
94 TOUTE LA LYRE.
Oh ! recueille ce chant, âme blessée et fière ! Cette aube qui se lève en toi, c'est le vrai jour. Ne crains plus rien! Dieu fit tes yeux pour la lumière. Ton âme pour le ciel et ton cœur pour l'amour !
Regarde rayonner sur ton destin moins sombre Ce soleil de l'amour qui pour jamais te luit. Qui, même après la mort brille, sorti de l'ombre. Qui n'a pas de couchant et n'aura pas de nuit !
9 novembre 1845.
II
Oh ! si vous exister, mon ange, mon génie.
Qui m'emplisse2 le cœur d'amour et d'harmonie.
Esprit qui m'inspirez, sylphe pur qu'en rêvant
J'écoute me parler à l'oreille souvent !
Avec vos ailes d'or volez à la nuit close
Dans l'alcôve qu'embaume une senteur de rose
Vers cet être charmant que je sers à genoux
Et qui, puisqu'il est femme, est plus ange que vous !
Dites-lui, bon génie, avec votre voix douce,
A cet être si cher qui parfois me repousse.
Que, tandis que la foule a le regard sur lui.
Que son sourire émeut le théâtre ébloui.
Que tous les cœurs charmés ne sont, tant on l'admire.
Qu'un orchestre confus qui sous ses pieds soupire.
Tandis que par moments le peuple transporté
Se lève tout debout et rit à sa beauté.
Il est ailleurs une âme, éperdue, enivrée,
Qui, pour mieux recueillir son image adorée.
Se cache dans la nuit comme dans un linceul.
Et qu'admiré de tous, il est aimé d'un seul !
Février 1833,
96 TOUTE LA LYRE.
III
Vois-tu, mon ange, il faut accepter nos douleurs.
L'amour est comme la rosée Qui luit de mille feux et de mille couleurs
Dans l'ombre où l'aube l'a posée. Rien n'est plus radieux sous le haut firmament ; De cette goutte d'eau qui rayonne un moment N'approchez pas vos yeux que tant de splendeur charme ;
De loin, c'était un diamant.
De près, ce n'est plus qu'une larme.
Souffrons, puisqu'il le faut. Aimons et louons Dieu !
L'amour, c'est presque toute l'âme. Le Seigneur aime à voir brûler sous le ciel bleu
Deux cœurs, mêlant leur double flamme. Il fixe sur nous tous son œil calme et clément. Mais parmi ces vivants qu'il voit incessamment Marcher, lutter, courir, récolter ce qu'ils sèment.
Dieu regarde plus doucement
Ceux qui pleurent parce qu'ils aiment !
i"*" janvier 1835.
IV (»
Ce qu'en vous voyant si belle Je sens d'extase et d'orgueil. Respectueux et fidèle, Je le dis à votre seuil .
Ce qu'en ma pensée éveille Votre œil si fier et si doux, Votre bouche si vermeille. Je le dis à vos genoux.
Ce que tu mets dans mon âme. Où toujours tu régneras. D'amour, d'ivresse et de flamme. Je veux le dire en tes bras.
Décembre 1844.
(•) Inédit.
POÉSIE. XIII.
7
IHl-IIIXf,HIt; MTIONiLt.
98 TOUTE LA LYRE.
V
"Vous m'avez éprouvé par toutes les épreuves.
Seigneur. J'ai bien souffert. Je suis pareil aux veuves
Qui travaillent la nuit et songent tristement ;
Je n'ai point fait le mal, et j'ai le châtiment 5
Mon œuvre est difficile et ma vie est amère.
Les choses que je fais sont comme une chimère.
Après le dur travail et la dure saison.
J'ai vu mes ennemis marcher sur ma moisson.
Le mensonge et la haine et l'injure avec joie
Ont mâché dans leurs dents mon nom comme une proie.
J'ai tout rêvé. Le doute a lassé ma raison.
L'ardente jalousie, acre et fatal poison,
A dans mon cœur profond, qui brûle et se déchire.
Tué la confiance et le joyeux sourire.
J'ai vu, pâle et des yeux cherchant votre horizon.
Des cercueils adorés sortir de ma maison.
J'ai pleuré comme fils, j'ai pleuré comme père.
Et je tremble souvent par où tout autre espère.
Mais je ne me plains pas, et je tombe à genoux.
Et je vous remercie, ô maître amer et doux.
Car vous avez. Dieu bon. Dieu des âmes sincères.
Mis toutes les douleurs et toutes les misères
Sur moi, sur mon cœur sombre en vos mains comprimé.
Excepté celle-là, d'aimer sans être aimé!
23 juin 1843.
VI
Sais-tu ce que Dieu dit à l'entant qui va naître ? Quand cet humble regard s'entr'ouvre à notre jour. Il lui dit : V3. souffrir, va penser, va connaître ; Ame, perds l'innocence et rapporte l'amour ! —
Oui, c'est là le secret. Oui, c'est là le mystère. Quoi qu'on fasse, il n'est rien qu'on ne puisse blâmer. On tombe à chaque pas qu'on fait sur cette terre. Tout est rempli d'erreur, mais il suffit d'aimer.
Colombe, c'est l'amour qu'il faut que tu rapportes! Après ce dur voyage, obscur, long, hasardeux. Le ciel d'où nous venons peut nous rouvrir ses portes. On en est sorti seul, il faut y rentrer deux.
19 juillet 1850.
loo TOUTE LA LYRE.
VII
Certe, elle n'était pas femme et charmante en vain 5
Mais le terrestre en elle avait un air divin -,
Des flammes frissonnaient sur mes lèvres hardies ;
Elle acceptait l'amour et tous ses incendies.
Rêvait au tutoiement, se risquait pas à pas.
Ne se refusait point et ne se livrait pas ;
Sa tendre obéissance était haute et sereine 5
Elle savait se faire esclave et rester reine.
Suprême grâce ! et quoi de plus inattendu
Que d'avoir tout donné sans avoir rien perdu !
Elle était nue avec un abandon sublime
Et, couchée en un lit, semblait sur une cime. '
A mesure qu'en elle entrait l'amour vainqueur.
On eût dit que le ciel lui jaillissait du cœur 5
Elle vous caressait avec de la lumière ;
La nudité des pieds fait la marche plus fière
Chez ces êtres pétris d'idéale beauté -,
Il lui venait dans l'ombre au front une clarté
Pareille à la nocturne auréole des pôles j
A travers les baisers, de ses blanches épaules
On croyait voir sortir deux ailes lentement 5
Son regard était bleu d'un bleu de firmament ;
Et c'était la grandeur de cette femme étrange
Qu'en cessant d'être vierge, elle devenait ange.
VIII
ROMAN EN TROIS SONNETS.
Fille de mon portier! l'Érymanthe sonore. Devant vous, sentirait tressaillir ses pins verts ; L'Horeb, dont le sommet étonne l'univers. Inclinerait son cèdre altier qu'un peuple adore ;
Les docteurs juifs, quittant les talmuds entr'ouverts. Songeraient j et les grecs, dans le temple d'Aglaure Le long duquel Platon marche en lisant des vers. Diraient en vous vovant : Salut, déesse Aurore!
Ainsi palpiteraient les grecs et les hébreux.
Quand vous passez, les yeux baissés sous votre mante 5
Ainsi frissonneraient sur l'Horeb ténébreux
Les cèdres, et les pins sur l'auguste Erymanthe; Je ne vous cache pas que vous êtes charmante. Je ne vous cache pas que je suis amoureux.
9 décembre.
II
Je ne vous cache pas que je suis amoureux. Je ne vous cache pas que vous êtes charmante ; Soitj mais vous comprenez que ce qui me tourmente. C'est, ayant le cœur plein, d'avoir le gousset creux.
I02 TOUTE LA LYRE.
On fuit le pauvre ainsi qu'on fuyait le lépreux ; Pour Tircis sans le sou Philis est peu cle'mente. Et l'amant dédoré n'éblouit point l'amante ; Il sied d'être Rothschild avant d'être Saint-Preux.
N'importe, je m'obstine; et j'ai l'audace étrange D'être pauvre et d'aimer, et je vous veux, bel ange 5 Car l'ange n'est complet que lorsqu'il est déchu -,
Et je vous offre, Églé, giletière étonnée.
Tout ce qu'une âme, hélas, vers l'infini tournée,
Mêle de rêverie aux rondeurs d'un fichu.
9 décembre.
III
Une étoile du ciel me parlait; cette vierge Disait : — ^ « O descendant crotté des CoUetets, J'ai ri de tes sonnets d'hier où tu montais Jusqu'à la blonde Églé, fille de ton concierge.
« Églé fait — j'en pourrais jaser, mais je me tais — ■
Des rêves de velours sous ses rideaux de serge.
Tu perds ton temps. Maigris, fais des vers, brûle un cierge.
Chante-la ; ce sera comme si tu chantais.
Un galant sans argent est un oiseau sans aile. Elle est trop haut pour toi. Les poètes sont fous. Jamais tu n'atteindras jusqu'à cette donzelle. » ■ — ■
Et je dis à l'étoile, à l'étoile aux yeux doux : — Mais vous ave2 cent fois raison, mademoiselle ! Et je ferais bien mieux d'être amoureux de vous.
3 décembre.
IXC)
CHANSON.
Il suffit de bien peu de chose Pour troubler l'ordre des saisons Et cet a2ur dont se compose La splendeur de nos horizons ;
Ma bien-aimée, il peut suffire. Selon des lois que Dieu connaît. Pour perdre ou sauver un empire. D'un enfant qui meurt ou qui naît -,
Il ne faut, au milieu de Rome Et d'un peuple qui suit un char. Qu'un peu de fer aux mains d'un homme Pour ôter le monde à César.
Les petites causes sans peine Produisent des effets bien grands ; Mais le plus hardi capitaine. Mais le plus hautain des tyrans.
Mit-il en flamme Europe, Asie, Troublât-il la terre et la mer, N'ôtera pas sa fantaisie Au doux rêveur qui veut aimer !
17 mal 1846. (') Inédit.
I04 TOUTE LA LYRE.
X
HERMINA.
J'atteignais l'âge austère où Ton est fort en thème. Où Ton cherche, enivré d'on ne sait quel parfum. Afin de pouvoir dire éperdument : Je t'aime ! Quelqu'i
un.
J'entrais dans ma treizième année. Ô feuilles vertes ! Jardins ! croissance obscure et douce du printemps ! Et j'aimais Hermina, dans l'ombre. Elle avait, certes. Huit ans.
Parfois, bien qu'elle fût à jouer occupée. J'allais, muet, m'asseoit près d'elle, avec ferveur; Et je la regardais regarder sa poupée. Rêveur.
Il est une heure étrange où l'on sent l'âme naître. Un jour, j'eus comme un chant d'aurore au fond du cœur. Soit, pensai-je ! Avançons, parlons, c'est l'instant d'être Vainqueur.
Je pris un air profond, et je lui dis : — Minette, Unissons nos destins. Je demande ta main. — Elle me répondit par cette pichenette : — Gamin !
22 juin 1878.
XIC)
Oh ! la femme et l'amour ! inventions maudites !
Il n'est de gens heureux que les hermaphrodites !
Que nous dit-on que Dieu doit nous punir un jour?
Le diable, c'est la femme, et l'enfer, c'est l'amour!
O rage ! être jaloux ! surveiller une belle.
L'épier, et toujours laisser pendre sur elle
L'heure où l'on ne vient pas, mais où l'on peut venir !
Se rider par le front, par le cœur rajeunir!
Compter ses cheveux gris ! faire mille sots rôles !
Voir reluire autour d'elle un tas de jeunes drôles !
N'oser rien accorder, n'oser rien refuser !
Etre heureux pour un signe et fou pour un baiser !
Porter les éventails durant les promenades !
La suivre en se cachant entre les colonnades !
Oh ! que l'homme amoureux est un triste animal !
Puis la rupture, hélas ! qui se ressoude mal.
Le raccommodement, la querelle, la brouille.
Sur l'amour qui vieillit épaississent leur rouille !
Ou, si l'on aime encor, le soir, pour son péché.
Mordu de jalousie, errant, effarouché.
On va grincer des dents parmi les sérénades ;
Ou bien on la conduit, parée, aux pasquinades
Pour la faire manger par les regards d'autrui !
Puis les petites voix : — Vous êtes aujourd'hui
Bien maussade ! — (On enrage !) — Oh non ! ma souveraine !
— Conduisez-moi ce soir au jardin de la reine !
(') Inédit.
Io6 TOUTE LA LYRE.
Et puis un doux sourire, et puis la trahison ! Je n'en veux plus ! adieu l'amour ! j'ai ma raison ! C'est vil ! c'est dégradant ! c'est affreux ! c'est infâme ! Je ne veux de ma vie approcher d'une femme !
Que dirie2-vous si Pierre en ces mots vous parlait :
— C'est un malheur de voir, car le monde est fort laid.
Les lunettes parfois grossissent fort les choses.
Les yeux craignent le froid, le chaud, les amauroses.
Les fraîcheurs, les amours trop vifs ou trop rassis,
Sans compter l'ophtalmie et la trichiasis.
Si quelqu'un, dans un duel pour des filles qu'on lorgne.
Vous crève un œil, cela suffit pour qu'on soit borgne.
L'oignon vous fait pleurer, et quand il fait du vent,
La poussière dans l'œil vous entre fort souvent ;
Pour peu qu'on boive un coup, on s'expose à voir double.
Un trop grand jour vous blesse, un trop faible vous trouble -,
Voir clair est un péril étrange et sérieux.
Fort bien : je vais me faire arracher les deux yeux !
XII
J'étais le songeur qui pense, Elle était l'oiseau qui fuit $ Je l'adorais en silence. Elle m'aimait à grand bruit.
Quand dans quelque haute sphère Je crovais planer vainqueur, Je l'entendais en bas faire Du vacarme dans mon cœur.
Mais je reprenais mon songe Et je l'adorais toujours. Crédule au divin mensonge Des roses et des amours.
Les profondeurs constellées. L'aube, la lune qui naît. Amour, me semblaient mêlées Aux rubans de son bonnet.
Dieu pour moi, sont-ce des fables ? Avait mis dans sa beauté Tous les frissons ineffebles De l'abîme volupté.
Je rêvais un ciel étrange
Pour notre éternel hymen.
— Qu'êtes- vous ? criais-jcî un ange?
Moi ! disait-elle, un gamin.
Io8 TOUTE LA LYRE.
Je sentais, âme saisie Dans les deux par un pinson, S'effeuiller ma poésie Que becquetait sa chanson.
Elle me disait : — Écoute, C'est mal, tu me dis vous ! fi ! — Et la main se donnait toute Quand le gant m'aurait suffi.
Me casser pour elle un membre, C'était mon désir parfois. Un jour je vins dans sa chambre, Nous devions aller au bois.
Je comptais la voir bien mise. Chaste comme l'orient -, Elle m'ouvrit en chemise. Moi tout rouge, elle riant.
Je ne savais que lui dire. Et je fus contraint d'oser 5 Je ne voulais qu'un sourire. Il fallut prendre un baiser.
Et ma passion discrète S'évanouit sans retour 5 C'est ainsi que l'amourette Mit à la porte l'amour.
12 avril 1855.
. XIII (')
L'AMOUR VIENT EN LISANT. CHANSON.
Madeleine Et moi, lisions près du feu Cette histoire : «En Aquitaine, « Un page aimait une reine. . . « Le père était duc d'Athène,
« Cordon bleu. — »
— Sois ma femme ! — Lui disais-je. Oh ! charmant jeu ! Amour! dans mon cœur, madame. Votre œil voyait une flamme 5 Moi, je voyais dans votre âme
Le ciel bleu.
Doux mystère ! Mots furtifs ! timide aveu ! Le livre aidant, j'osai plaire. Mais le bonhomme de père S'écria plein de colère :
Ventrebleu !
Ce tapage Effraya la belle un peu. Mais nous tournâmes la page 5 Malgré son mince équipage, La reine. . . épousa le page 5 Conte bleu. <') Inédit.
IIO TOUTE LA LYRE.
L'hirondelle Nous dit bonjour, puis adieu. Hélas! l'amour vient comme elle. Et comme elle, à tire d'aile. Il s'enfuit, l'amour fidèle.
Oiseau bleu.
22 novembre 1853.
XIV
Elle vint que j'étais en train de lire Homère. Mes yeux étaient remplis de l'immense chimère D'Achille, et des combats que j'entendais hennir. — Qu'est-ce que tu fais là ? Veux-tu bien t'en venir ! Dit-elle j mais tu n'es qu'une bête! et la preuve. C'est que tu ne vois pas que j'ai ma robe neuve. Nous allons à Verrière, et nous y mangerons De ces fraises qu'on trouve avec les liserons. Vous sere2 sage. Ah çà ! pas de vilaines choses. Figure-toi qu'on dit que c'est tout plein de roses ! Tu choisis bien ton temps pour lire un vieux bouquin !
Je me levai, je mis ma veste de nankin.
Et Suzon m'emmena, foulant sous sa bottine
Lemnos, Égialée et la roche Erythine.
13 août 1859.
112 TOUTE LA LYRE.
XVC)
Vous ne la fuyez pas, oiseaux, petits farouches. Car elle est votre sœur dans ce monde âpre et vain. Elle a pour ce qui sort des âmes et des bouches Votre dégoût divin.
Elle semble un rayon qui ploierait sous de l'ombre. On se dit en voyant ce nimbe, ce parfum. Cette grâce au milieu de nos laideurs sans nombre : Peut-elle aimer quelqu'un?
Oh! comme parmi vous elle marche, l'altière! Elle dédaigne, esprit ailé, le ver qui fuit. Et, lyre, la rumeur, et, souffle, la matière. Et, lumière, la nuit.
Quand, seuls, au fond des bois nous nous perdons ensemble. Je lui dis : j'aime! avec mon regard le plus doux. Elle répond : je hais. Et, voyant que je tremble. Elle ajoute : Pas vous.
iuillet.
('> Inédit.
XVI
COMMENCEMENT D'UNE ILLUSION.
Il pleut î la brume est épaissie ; Voici novembre et ses rougeurs. Et l'hiver, ef&oyable scie Que Dieu nous fait, à nous songeurs.
L'abeille errait, l'aube était large. L'oiseau jetait de petits cris. Les moucherons sonnaient la charge A l'assaut des rosiers fleuris.
C'était charmant. Adieu ces fêtes. Adieu la joie, adieu l'été! Adieu le tumulte des têtes Dans le rire et dans la clarté !
Adieu les bois où le vent lutte. Où Jean, dénicheur de moineaux. Jouait aussi bien de la flûte Qu'un grec de l'île de Tinos !
Il faut rentrer dans la grand'ville Qu'Alceste laissait à Henri 5 Où la foule encor serait vile Si Voltaire n'avait pas ri.
Noir Paris ! tas de pierres morne Qui, sans Molière et Rabelais, Ne serait encor qu'une borne Portant la chaîne des palais !
POESIE.
IHI-BIHEDIC HATlOilÀll.
114 TOUTE LA LYRE.
Il faut rentrer au labyrinthe Des pas, des carrefours, des mœurs. Où l'on sent une sombre crainte Dans l'immensité des rumeurs.
Je regarderai ma voisine Puisque je n'ai plus d'autre fleur! Sa vitre vague où se dessine Son profil, divin de pâleur,
Son réchaud où s'enfle la crème. Sa voix qui dit encor maman. Gare! c'est le seuil d'un poëme. C'est presque le bord d'un roman.
Ma voisine est une ouvrière. Au front de neige, aux dents d'émail. Qu'on voit tous les soirs en prière Et tous les matins au travail.
Cet ange ignore que j'existe. Et, laissant errer son œil noir. Sans le savoir me rend très triste Et très joyeux sans le vouloir.
Elle est propre, douce, fidèle. Et tient de Dieu, qui la bénit. Des simplicités d'hirondelle Qui ne sait que bâtir son nid.
4 novembre.
XVII (*)
TRUMEAU.
Ô bonheur d'être aimé ! Félicité suprême !
Berger, rends grâce aux Dieux ! on te désire ! on t'aime I
O berger! Vesper luit, ce bel astre éclatant.
Ta maîtresse est là-bas qui brûle et qui t'attend.
Traverse la forêt, traverse la clairière,
Cours et chante à grand bruit ta chanson la plus fière,
Chante et passe gaîment, et laisse au fond des bois
La triste nymphe Écho se plaindre à demi- voix.
16 juillet 1840.
<>) Inédit.
Il6 TOUTE LA LYRE.
XVIII
TOUTE LA VIE D'UN CŒUR.
1817. ADOLESCENCE.
J'allais au Luxembourg rêver, ô temps lointain,
Dès l'aurore, et j'étais moi-même le matin.
Les nids dialoguaient tout bas, et les allées,
Désertes, étaient d'ombre et de soleil mêlées j
J'étais pensif, j'étais profond, j'étais niais.
Comme je regardais et comme j'épiais !
Qui? La Vénus, l'Hébé, la nymphe chasseresse.
Je sentais du printemps l'invisible caresse.
Je guettais l'inconnu. J'errais. Quel curieux
Que Chérubin en qui s'éveille Des Grieux !
O femme ! mystère ! être ignoré qu'on encense !
Parfois j'étais obscène à force d'innocence.
Mon regard violait la vague nudité
Des déesses, debout sous les feuilles l'été;
Je contemplais de loin ces rondeurs peu vêtues.
Et j'étais amoureux de toutes les statues ;
Et j'en ai mis plus d'une en colère, je crois.
Les audaces dans l'ombre égalent les effrois.
Et, hardi comme un page et tremblant comme un lièvre.
Oubliant latin, grec, algèbre, ayant la fièvre
Qui résiste aux Bezouts et brave les Restauds,
Je restais là stupide au bas des piédestaux.
Comme si j'attendais que le vent sous quelque arbre
Soulevât les jupons d'une Diane en marbre.
10 septembre 1873. Sur l'impériale d'un omnibus.
TOUTE LA VIE D'UN CŒUR. 11/
1820.
Printemps. Mai le décrète, et c'est officiel.
L'amour, cet enfer bleu très ressemblant au ciel.
Emplit l'azur, les champs, les prés, les fleurs, les herbes 5
Dans les hautes forêts lascives et superbes
L'innocente nature épanouit son cœur
Simple, immense, insulté par le merle moqueur.
La volonté d'aimer règne, surnaturelle.
Partout. — Comme on s'adore et comme on se querelle !
Les papillons, lâchés dans le bois ingénu.
Font avec le premier bouton de fleur venu
Des infidélités aux roses, leurs amantes;
On entend murmurer les colères charmantes.
Et tous les grands courroux des belles s'apaiser
Dans le chuchotement auguste du baiser.
O but profond des cieux, la vie universelle!
Comme, afin que tout soit solide, tout chancelle!
Comme tout cède afin que tout dure ! ô rayons !
L'idylle en souriant dit au gouf&e : Essayons !
Et le gouffre obéit, et la mer sombre adore.
Le germe éclot, le nid chante, l'azur se dore;
L'éternelle indulgence au fond du firmament
Rêve ; et les doux fichus s'envolent vaguement.
10 avril 1875.
1833.
ÀJ...
Puisque le gai printemps revient danser et rire. Puisque le doux Horace et que le doux Zéphyre M'attendent au milieu des prés et des buissons. L'un avec des parfums, l'autre avec des chansons. Puisque la terre en fleurs semble un tapis de Perse, Puisque le vent murmure et dans l'azur disperse
Ii8 TOUTE LA LYRE.
La brume et la nuée en flottants archipels,
Il me plaît de répondre à ces profonds appels.
Il me plaît de rôder dans les molles prairies.
Entraînant avec moi l'essaim des rêveries
Et la strophe qui vole au-dessus de mon front 5
Tant que sous le ciel bleu les âmes aimeront.
Tant qu'avril, ce brodeur, avec l'herbe et les roses
Et les feuilles, créera toutes sortes de choses
Charmantes, et que Dieu, des monts, des airs, des eaux.
Fera de grands palais pour les petits oiseaux.
Tant que l'aube éclora dans cette ombre où nous sommes.
Les songes tourneront sur la tête des hommes.
Et les penseurs seront attendris dans les bois.
Les frais halliers sont pleins de pudeurs aux abois.
Femmes, oiseaux, tout cède et les baisers se mêlent.
Les adorations vaguement se querellent.
L'eau soupire, le lys s'ouvre, le firmament
Rayonne, et, si tu veux, je serai ton amant.
4 mai.
1835. PROMENADE.
Je t'adore. Soyons deux heureux. Viens t'asseoit Dans une ombre qui soit un peu semblable au soir. Marchons bien doucement. Sois pensive. Sois lasse. Profitons du moment où personne ne passe ; Entrons dans le hallier, cachés par les blés mûrs.
Que ne puis-je élever brusquement quatre murs Ici, dans ce coin chaste, et d'un coup de baguette! La nature est un œil invisible qui guette 5 Glissons-nous } le silence entend; défions-nous Du bruit que fait une âme embrassant deux genoux. Car, moi, je ne suis pas autre chose qu'une âme 5 Mais une âme peut prendre en sa serre une femme,
TOUTE LA VIE D'UN CŒUR. II9
Et l'emporter, et faire un bruit mystérieux De lionne sur terre ou d'aigle dans les cieux.
Tu grondes. — Un baiser ! — Jamais ! — Je le dérobe.
Tu dis : c'est mal ! — Et j'ôte une épingle à ta robe -,
L'amour aime les yeux fâchés de la pudeur,
Et rien n'est plus charmant qu'un paradis boudeur.
C'est vrai, belle, depuis que les blanches épaules
De Galatée ont pris la fuite sous les saules.
Et que Marot a vu, sans être trop puni.
Un doux sourire faire éclore un doux nenni.
Une gloire ineffeble est à l'amour mêlée.
La femme est de son trop de puissance accablée ;
Vaincue, elle se sait maîtresse} elle nous plaît;
Comme c'est ravissant d'avoir ce qu'on voulait.
Et de sentir beaucoup de reproches se taire !
Comme une rougeur vague après l'heureux mystère
Enivre, et comme on sent le prix d'une faveur
Que veut presque reprendre un silence rêveur !
Reprendre? Nonj pourquoi? Donner encor? Peut-être.
Cachons-nous. Une branche a remué. C'est traître.
On devinait qu'Eschyle avait un rendez-vous
Avec Mégaryllis, la farouche aux yeux doux.
Et qu'elle se laissait dire de tendres choses,
Quand les feuilles tremblaient au bois des lauriers-roses.
12 juillet 1874.
1840.
MAI.
Je ne laisserai pas se faner les pervenches
Sans aller écouter ce qu'on dit sous les branches,
Et sans guetter, parmi les rameaux infinis,
La conversation des feuilles et des nids ;
Il n'est qu'un dieu, l'amour; avril est son prophète;
Je me supposerai convive de la fête
I20 TOUTE LA LYRE.
Que le pinson chanteur donne au pluvier doré ;
Je fuirai de la ville et je m'envolerai.
Car l'âme du poëte est une vagabonde,
Dans les ravins où mai plein de roses abonde,
Là les papillons blancs et les papillons bleus.
Ainsi que le divin se mêle au fabuleux.
Vont et viennent, croisant leurs essors, joyeux, lestes.
Si bien qu'on les prendrait pour des lueurs célestes ;
Là jasent les oiseaux, se cherchant, s'évitant ;
Là Margot vient quand c'est Glycère qu'on attend 5
L'idéal démasqué montre ses pieds d'argile 5
On trouve Rabelais où l'on cherchait Virgile.
O jeunesse ! ô seins nus des femmes dans les bois !
Oh ! quelle vaste idylle et que de sombres voix !
Comme tout le hallier, plein d'invisibles mondes.
Rit dans le clair-obscur des églogues profondes !
J'aime la vision de ces réalités 5
La vie aux yeux sereins luit de tous les côtés ;
La chanson des forêts est d'une douceur telle
Que, si Phébus l'entend, quand, rêveur, il dételle
Ses chevaux las souvent au point de haleter.
Il s'arrête, et fait signe aux Muses d'écouter.
6 mai.
1847.
Tu vois un homme ayant un projet sous les cieux.
Mes vœux n'ont plus de frein, je suis ambitieux.
J'ai résolu d'avoir un dimanche superbe.
Et mon plan, c'est d'aller nous étendre sur l'herbe.
Je couve ce dessein, je fais cet opéra.
Et nous serons autant de couples qu'on voudra.
Nous chercherons un lieu désert, une chapelle.
Un burg ne sachant plus le nom dont il s'appelle,
N'ayant plus pour baron que le merle siffleur.
Qui soit tout en ruine et qui soit tout en fleur.
TOUTE LA VIE D'UN CŒUR. 121
D'afïreux murs, noirs dans l'ombre, absolument farouches;
Là les bouches auront des bontés pour les bouches ;
C'est mon programme. Il est un arbuste gourmand
Dont la feuille est d'un tour si frais et si charmant
Qu'on en faisait jadis une couronne aux verres ;
Il orne les vieux murs d'alcôves peu sévères ;
C'est par lui qu'un logis qui s'écroule est complet ;
Belle, ce tapissier des masures me plaît.
Viens, nous serons heureux, et pour auxiliaires,
O belle, nous aurons les dieux, les chants, les lierres.
Le mois de mai fera son devoir; Dieu clément
Le veut ; on entendra chuchoter vaguement
Des profondeurs d'oiseaux sous des épaisseurs d'arbres ;
On se parlera bas; les seins seront des marbres.
Non les cœurs ; on aura quelque ami pour témoin.
Sans empêcher pourtant qu'il aille un peu plus loin.
26 mai.
122 TOUTE LA LYRE.
XIX i')
L'amour n'est plus l'antique et menteur Cupido,
L'enfant débile et nu qu'aveuglait un bandeau ;
C'est un fier cavalier, la visière baissée.
Qui brise et foule aux pieds la Haine terrassée ;
C'est le vainqueur — armé — du sort sombre et jaloux.
Madame, il est puissant quand il combat pour vous.
Au-dessus de son front quand il vous voit sans voiles
Planer, belle âme ailée, au milieu des étoiles,
O rayonnant esprit ! rayonnante beauté !
Il est fort j il abat, d'un bras plus irrité.
L'envie, impur démon qui jusqu'à vous se traîne;
Il triomphe; et, rempli d'une fierté sereine.
Tour à tour il regarde, avec un œil joyeux.
Le monstre sous ses pieds, et l'ange dans les cieux.
29 décembre 1843.
(') Inédit.
XX
Or nous cueillions ensemble la pervenche.
Je soupirais, je crois qu'elle rêvait. Ma joue à peine avait un blond duvet. Elle avait mis son jupon du dimanche j Je le baissais chaque fois qu'une branche Le relevait.
Et nous cueillions ensemble la pervenche.
Le diable est fin, mais nous sommes bien sots. Elle s'assit sous de charmants berceaux Près d'un ruisseau qui dans l'herbe s'épanche; Et vous chantier dans votre gaîté fi-anche. Petits oiseaux.
Et nous cueillions ensemble la pervenche.
Le paradis pourtant m'était échu. En ce moment, un bouc au pied fourchu Passe et me dit : Penche-toi. Je me penche. Anges du ciel ! je vis sa gorge blanche Sous son fichu !
Et nous cueiUions ensemble la pervenche.
124 TOUTE LA LYRE.
J'étais bien jeune et j'avais peur d'oser. Elle me dit : Viens donc te reposer Sous mon ombrelle, et me donna du manche Un petit coup, et je pris ma revanche Par un baiser.
Et nous cueillions ensemble la pervenche. 20 septembre 1854.
XXI (•)
Il était une fois un caporal cipaye,
Pauvre diable, et n'ayant ni pitance, ni paye.
C'était à Jagrenat. Un soir il pénétra
Dans la grande pagode où la déesse Intra
Reluit, monstre incrusté d'escarboucles sans nombre.
Il grimpa sur l'idole, et lui vola dans l'ombre
Un beau caillou brillant qui faisait l'œil du front.
La nuit l'avait fait brave et la peur le fit prompt j
Il s'enfuit, emportant l'objet. Le triste hère
Attacha le caillou, ne sachant trop qu'en faire.
Au pommeau de son sabre avec un fil d'archal ;
Puis il se pavanait, fier comme un maréchal.
Un jour enfin, étant ivre entre les plus ivres,
A je ne sais quel juif il le vendit six livres.
Voilà ce que c'était que ton premier amant.
Le caillou du soldat était un diamant ;
L'hébreu qui l'achetait était un lapidaire.
O Vénus de Milo, Phébus du Belvédère,
Vous n'étiez rien qu'un marbre informe, jusqu'au temps
Où le sculpteur vous prit sous ses doigts palpitants.
Et vous tira du bloc, nus, rayonnants, sans voiles.
Et vous mit dans l'Olympe au milieu des étoiles !
Ainsi, des noires mains du lapidaire obscur.
Avec mille éclairs d'or et de pourpre et d'azur,
(') Inédit.
126 TOUTE LA LYRE.
Sortit le diamant, taillé, poli, splendide. Magnifique, et si beau que son maître sordide Le vendit à son tour quatre ou cinq millions. C'était un de ces juifs, hideux tabellions. Qui vendraient le printemps, la rosée et les astres. Pour un mulet ployant sous sa charge de piastres.
Voilà ce que c'était que ton deuxième amant.
Aujourd'hui, contemplé par tous avidement. Pur, superbe, admiré par la foule qui passe. Et posé sur un fi-ont devant qui tout s'efface. Le merveilleux caillou, rare et divin trésor. Brille au plus haut fleuron d'une couronne d'or. Son doux rayonnement dissipe l'ombre noire ; Et, le voyant reluire à ce sommet de gloire. L'œil croit voir resplendir l'éternel diamant. L'éclatant Sirius dans le bleu firmament ! Léa ! brille à jamais à ce sublime faîte !
Le troisième est un roi, c'est-à-dire un poëte.
Le premier te vola, le second te vendit. L'un fut un goujat vil, et l'autre un juif maudit. Madame, le troisième, esprit noble, âme éprise. Seul vous a méritée et seul vous a comprise.
jer février 1845.
XXII
Un coup de vent passa, souffle leste et charmant
Qui fit tourbillonner les jupes follement.
Je la savais ailée, étoile'e, azurée,
Je l'adorais 5 mon âme allait dans l'empyrée
A sa suite. Oh! l'amour, c'est toutj le reste est vain.
Je ne supposais pas que cet être divin
Qui m'emportait rêveur si loin de la matière
Eût des jambes 5 soudain je vis sa jarretière 5
Et cela me choqua. — Quoi! me dis-je, elle aussi!
Je la contemple, ému, tremblant, brûlant, transi.
Et je vois de la chair où j'adorais une âme!
Soit. Le songe est fini. Ce n'est donc qu'une femme
Qui marche sur la terre, et se retrousse au vent!
Et je fus amoureux bien plus qu'auparavant.
128 TOUTE LA LYRE.
XXIII
QUINZE-VINGT.
Nous étions seuls dans l'ombre et l'extase suprême. Elle disait : je t'aime ! et je disais : je t'aime ! Elle disait : toujours! et je disais : toujours! Elle ajoutait : nos cœurs sont époux 5 nos amours Vaincront la destinée, et rien ne me tourmente, Étant, toi le plus fort et moi la plus aimante. Et moi, je reprenais : la ville est sombre, vois. La sagesse serait de vivre dans les bois. Elle me répondait : vivons-y, soyons sages.
Si vous voulez savoir le chiffre de nos âges.
Elle quinze, et moi vingt : à nous deux nous faisions
Un aveugle, et nos yeux étaient pleins de rayons.
13 juin 18^5.
XXIV
J'ai toujours redouté d'aborder une femme. Risquer le cœur est grave autant que risquer l'âme. La femme est le dessus de ce gouffre, l'amour. Quel piège! et comment dire aux déesses : bonjour? On salue, et la belle observe 5 on est nu-tête; Rêve-t-elle? on a peur. Rit-elle? on a l'air bête. On est Platon de peur de sembler Rabelais. Donc je vous adorais, madame, et je tremblais. C'est convenable, mais c'est inepte. Et, timide. Soucieux de Circé, préoccupé d'Armide, J'étais ambitieux, immobile et prudent. Et j'avais l'air d'un arbre imbécile attendant Qu'une étoile s'envole et vienne sur ses branches. D'autres que moi pourtant, fats aux allures franches. Hardis, vous saluaient, et, pleins d'enivrements. Entraient en pourparlers avec vos yeux charmants. Et leurs fronts s'inclinaient devant votre sourire 5 J'étais comme un niais qui se laisse proscrire; Si bien qu'un jour, tant pis, mon cœur se résolut. Je me dis : il est temps de faire mon salut. Et je vous abordai, chapeau bas.
fOESIK. — XIII. 9
IHPBIMLRIK NAT10!fALE.
130 TOUTE LA LYRE.
XXV
Qu'est-ce que cette année emporte sur son aile^? Je ne suis pas moins tendre et tu n'es pas moins belle. Nos deux cœurs en dix ans n'ont pas vieilli d'un jour. Va, ne fais pas au temps de plainte et de reproche. À mesure qu'il fuit, du ciel il nous rapproche. Sans nous éloigner de l'amour.
31 décembre 1842.
XXVI
DANS UN VIEUX CLOITRE.
Alors elle me dit : Pourquoi n'avez-vous pas
Parlé plus tôt? Et moi je répondis tout bas :
— Mais que voulais- tu donc que je te demandasse !
Tutoyer une étoile est une douce audace.
Même avec l'imparfait du subjonctif. Déjà
Elle avait fort rougi; ce qui fait qu'on songea.
Le désir dans mon âme et la peur dans la sienne,
A se réfugier dans cette église ancienne
Où nous voilà, priant tous deux, dans le saint lieu.
Elle Marie, un ange, et moi l'Amour, un dieu.
132 TOUTE LA LYRE.
XXVII (»)
J'avais dans ma mansarde un buste de Platon,
— Ou d'Euclide — un vieux marbre ayant barbe au menton,
Et dans l'œil un regard tout blanc, fixe et morose j
Or ce buste devint amoureux d'une rose
Qu'au temps où des amours je gazouillais l'argot.
J'avais gaîment cueillie au corset de Margot 5
La rose auprès du buste ornait ma cheminée j
Et le buste disait : ô douce fleur fanée.
Si j'étais homme et toi femme, quels bons moments!
Et comme nous ferions une paire d'amants !
La rose répondait : ô le plus beau des marbres.
Si nous étions oiseaux, nous irions sous les arbres.
Et dans les verts rameaux tout pénétrés de jour.
Nous bâtirions un nid où chanterait l'amour !
Je tire de ceci deux maximes fort justes : Ne point s'exagérer la sagesse des bustes. Eussent-ils l'œil d'Euclide et le nez de Platon, Et cueillir, quand on peut, des fleurs sur Margoton.
Nuit du 13 au 14 janvier 1859,
(') Inédit.
XXVIII
VIRGILE DANS L'OMBRE.
Je chante Lycoris si Gallus le désire -,
Je ferai faire un peigne en corail à Corcyre
Pour peigner les cheveux divins d'Amaryllis ;
Cymodoce, ayant plus de roses et de lys
Sur son sein que n'en a le printemps dans la plaine,
Chloé sachant comment s'y prendre avec Silène
Pour lui faire chanter l'Olympe et le ciel bleu.
Et pour faire sortir de l'ivrogne le dieu,
Nééra toute nue ayant dompté le faune.
Flore étant belle à mettre en fuite Tisiphone,
Je mettrai dans des vers que l'avenir lira
Cymodoce, Chloé, Flore, et vous, Nééra.
134 TOUTE LA LYRE.
XXIX (1)
Oui, je suis le regard et vous êtes l'étoile.
Je contemple et vous rayonnez ! Je suis la barque errante et vous êtes la voile.
Je dérive et vous m'entraînez ! Près de vous qui brillez je marche triste et sombre. Car le jour radieux touche aux nuits sans clarté.
Et comme après le corps vient l'ombre
L'amour pensif suit la beauté.
(^) Inédit.
XXX
N'est-ce pas, mon amour, que la nuit est bien lente Quand on est au lit seule et qu'on ne peut dormir? On entend palpiter la pendule tremblante. Et dehors les clochers d'heure en heure gémir.
L'esprit flotte éveillé dans les rêves sans nombre. On n'a pas, dans cette ombre où manque tout soleil. Le sommeil pour vous faire oublier la nuit sombre. Ni l'amour pour vous faire oublier le sommeil.
8 septembre 1844.
136 TOUTE LA LYRE.
XXXI (ï)
Je ne viens pas vous voir le jour ; voici pourquoi C'est que toutes les nuits, madame, je vous voi. Au réveil je me dis : elle est sévère et bonne.
Douce et rebelle tour à tour ; Prends garde ; elle pourrait te refuser le jour
Ce que la nuit elle te donne.
(') Inédit.
XXXII
L'heure sonne. Un jour va naître. Le nuage erre au zénith ; La barque est sous ta fenêtre -, L'hirondelle est dans son nid ; Dans ton âme qu'il féconde L'amour veille nuit et jour. . . — Laisse fuir la barque et l'onde ! Ne laisse pas fuir l'amour.
A nos cœurs qui se désolent
Les heures parlent parfois,
Quand dans l'ombre elles s'envolent
De quelque église des bois.
Les pires et les meilleures
Sur nous passent tour à tour. . . —
Ange ! laisse fuir les heures !
Ne laisse pas fuir l'amour.
Est-il une chose au monde
Qui ne tremble à quelque vent ?
Le nuage est comme l'onde.
Clair parfois, sombre souvent.
Il s'en va! triste voyage.
Sans but, sans port, sans retour... —
Oh ! laisse fuir le nuage !
Ne laisse pas fuir l'amour.
138 TOUTE LA LYRE.
L'onde, la nuée et l'heure.
Tout passe, et nous pleurons tous !
Qu'une chose en nous demeure
Quand tout change autour de nous !
L'oiseau quitte à tire-d'aile
Son doux nid, sa vieille tour... —
Oh I laisse fuir l'hirondelle !
Ne laisse pas fuir l'amour.
28 juin 1844.
XXXIII a)
A DEUX SŒURS.
Belles, vous passez, pures toutes deux; Que vous fait ce monde ingrat et hideux? Vous êtes deux sœurs, vous êtes deux vierges; Comme sur l'autel s'allument les cierges. Vos âmes ont mis leur flamme à vos fronts ; Belles, je voudrais voir sur vos bras ronds. Sur votre poitrine et sur votre hanche, S'entr'ouvrir les plis de la gaze blanche; Belles, je voudrais voir votre sein nu. Votre pied charmant, pudique, ingénu, Et je voudrais voir vos épaules, belles. Pour chercher la place où furent les ailes.
H. H., 17 mars 1873.
(') Inédit.
140 TOUTE LA LYRE.
XXXIV
UN JOUR QU'ELLE M'AVAIT DIT : DONNEZ-MOI VOS YEUX.
Oh! mes yeux sont à vous. Ils sont, je le proclame,
Audacieux, Car leur regard parfois monte jusqu'à votre âme
Ou jusqu'aux cieux!
Gardez-les. Je vous donne, ô grand cœur que j'admire
Dans vos douleurs. Leur langage secret, leur flamme, et leur sourire
Avec leurs pleurs.
A vous tout droit sur eux ! le droit doux et suprême
De les charmer. Le droit de les ouvrir, et, quand vous voudrez même.
De les fermer!
20 mars 1845.
XXXV (0
NIVEA NON FKIGIDA.
Elle prouve que la blancheur
N'ôte à la femme Aucune ivresse, aucun bonheur.
Aucune flamme j
Qu'en avril les cœurs sont enclins
Aux tendres choses. Et que les bois profonds sont pleins
D'apothéoses ;
Qu'une belle fait en tout lieu
Son doux manège. Et que l'on peut être de feu.
Étant de neige.
5 avril.
(') Inédit.
142 TOUTE LA LYRE.
XXXVI
A MADAME LA PRINCESSE SOPHIE GALIT2INE.
Mon vers se hâte et vole à celle qui l'appelle. Elle fait de bien loin rêver mon cœur charmé. Quand l'esprit est si grand, l'âme doit être belle. Si c'est un tel bonheur d'être compris par elle. Que serait-ce donc d'être aimé?
XXXVII (^)
À MADAME J***.
Ame, statue, esprit, Vénus,
Belle des belles. Celui qui verrait vos pieds nus
Verrait des ailes.
A travers vos traits radieux
Luit l'espérance; Déesse, vous avez des dieux
La transparence.
Comme eux, vous avez le front pur,
La blancheur fière. Et dans le fond de votre azur
Une lumière.
Pas un de nous, fils de la nuit.
Qui ne vous sente Dans l'ombre où tout s'évanouit.
Eblouissante !
Vous rayonnez sous la beauté;
C'est votre voile. Vous êtes un marbre, habité
Par une étoile.
4 avril. Paris. '■) Inédit.
144 TOUTE LA LYRE.
XXXVIII
Je ne sais pas pourquoi les femmes Font tant de façons pour montrer Ce côté charmant de leurs âmes Qui permet de les adorer.
Elles ont la honte divine D'être belles, et d'entramer L'homme au but que leur cœur devine Et refuse de deviner.
La beauté, céleste et sereine. Sait tomber en restant debout. Sait être esclave en restant reine. Et sait tout prendre en donnant tout.
Au fond, elles sont peu méchantes. L'amour est la chanson des nids -, Femme, en la commençant tu chantes. Quitte à pleurer quand tu finis.
Car toute joie arrive aux larmes. O toi que j'aime à deux genoux. Qu'importe! Espérons! tu me charmes. Et le printemps est avec nous.
Viens, ne crains rien^ l'aube est vermeille. Le ciel est bleu, les bois sont sourds. Tout bas, au bon Dieu, dans l'oreille. Je raconterai nos amours.
28 mai.
XXXIX w
PENDANT QU'ELLE DORT.
Je dirais à l'abeille : accours, mouche vermeille. Viens, elle dort, bourdonne autour de son chevet!
Si l'abeille
Me suivait.
Je dirais à la rose : embaume quelque chose Pour elle, pour ta sœur qui rêve et qui se tait!
Si la rose
M'écoutait.
Je dirais à l'étoile : Astre, à travers son voile Jette un rayon au cœur que mon cœur attendait !
Si l'étoile
M'entendait.
Je dirais au ciel bleu : sur la terre tout change. Cieux, laissez-nous entrer aux éternels palais !
Si, mon ange.
Tu voulais !
31 mai 1874.
'^) Inédit.
POESIE. — XIII. 10
llli>liniZIUI RÂTIOSUJS.
146 TOUTE LA LYRE.
XL
LA FORET.
De quoi parlait le vent? De quoi tremblaient les branches?
Etait-ce, en ce doux mois des nids et des pervenches,
Parce que les oiseaux couraient dans les glaïeuls.
Ou parce qu'elle et moi nous étions là tout seuls ?
Elle hésitait. Pourquoi? Soleil, azur, rosées.
Aurore! Nous tâchions d'aller, pleins de pensées.
Elle vers la campagne et moi vers la forêt.
Chacun de son côté tirait l'autre, et, discret.
Je la suivais d'abord, puis, à son tour docile.
Elle venait, ainsi qu'autrefois en Sicile
Faisaient Flore et Moschus, Théocrite et Lydé.
Comme elle ne m'avait jamais rien accordé.
Je riais, car le mieux c'est de tâcher de rire
Lorsqu'on veut prendre une âme et qu'on ne sait que dire ;
J'étais le plus heureux des hommes, je soujffrais.
Que la mousse est épaisse au fond des antres frais !
Par instants un éclair jaillissait de notre âme ;
Elle balbutiait : Monsieur. . . et moi : Madame.
Et nous restions pensifs, muets, vaincus, vainqueurs.
Après cette clarté faite dans nos deux cœurs.
Une source disait des choses sous un saule j
Je n'avais encor vu qu'un peu de son épaule.
Je ne sais plus comment et je ne sais plus oùj
Oh! le profond printemps, comme cela rend fou!
L'audace des moineaux sous les feuilles obscures.
Les papillons, l'abeille en quête, les piqûres.
LA FORÊT. 147
Les soupirs, ressemblaient à de vagues essais.
Et j'avais peur, sentant que je m'enhardissais.
Il est certain que c'est une action étrange
D'errer dans l'ombre au point de cesser d'être un ange.
Et que l'herbe était douce, et qu'il est fabuleux
D'oser presser le bras d'une femme aux yeux bleus.
Nous nous sentions glisser vaguement sur la pente
De l'idylle où l'amour traître et divin serpente.
Et qui mène, à travers on ne sait quel jardin.
Souvent à l'enfer, mais en passant par l'éden.
Le printemps laisse faire, il permet, rien ne bouge.
Nous marchions, elle était rose, et devenait rouge.
Et je ne savais rien, tremblant de mon succès.
Sinon qu'elle pensait à ce que je pensais.
Pâle, je prononçais des noms, Béatrix, Dante;
Sa guimpe s'entr'ouvrait, et ma prunelle ardente
Brillait, car l'amoureux contient un curieux.
Viens! dis-je... — Et pourquoi pas, ô bois mystérieux?
3 avril 1874.
148 TOUTE LA LYRE.
XLI
CHANSON.
Le prince de Joinville En mer s'en est allé. Sa femme sur la ville Jette un œil désolé. Le prince de Joinville En mer s'en est allé.
Oh! dit-elle,
Hirondelle, Qui t'en vas au pays, à mon pays chéri ! Tu diras à ma sœur, tu diras à ma tante. Que dans ce pays-ci je ne suis pas contente. Je n'ai plus mon soleil, je n'ai pas mon mari.
Le prince de Joinville En mer s'en est allé. Sa femme sur la ville Jette un œil désolé. Le prince de Joinville En mer s'en est allé.
Oh! dit-elle.
Hirondelle, Tu diras que les bois sont morts et dépouillés , Que Joinville aime trop la Méditerranée. Je l'attends, je suis seule, il pleut toute l'année. Et les murs des maisons sont toujours tout mouillés.
CHANSON. 149
Le prince de Joinville En mer s'en est allé. Sa femme sur la ville Jette un œil désolé. Le prince de Joinville En mer s'en est allé.
Oh! dit-elle.
Hirondelle, Tu diras que j'ai froid, que les étés sont courts. Que Paris est tout noir, et puis mille autres choses. Le premier mai, ma sœur, au lieu de voir des roses. Je vois des gens très laids qui font de longs discours.
Le prince de Joinville En mer s'en est allé. Sa femme sur la ville Jette un œil désolé. Le prince de Joinville En mer s'en est allé.
L
I50 TOUTE LA LYRE.
XLII
J'étais un lycéen honnête ; Denise avait l'œil hasardeux j Elle était belle et j'étais bête -, Nous faisions un conte à nous deux.
Ainsi que la belle Fosseuse, Elle riait des imprudents ; L'huître en perles est connaisseuse, C'est pourquoi j'admirais ses dents.
Un jour elle me dit : farouche ! Et m'offrit un baiser moqueur. Je pris le baiser sur ma bouche Et sentis la morsure au cœur.
9 avril 1855.
XLIIIC)
FUKENS FŒMINA.
— Oui, dit-elle, je suis jalouse de Flora ! Alors elle frappa du pied, gronda, pleura. Eut des regards pareils au ciel quand il éclaiie, Fut terrible, et je vis une femme en colère;
Je n'avais pas eu d'elle encore un seul baiser. J'espérai. Faut-il pas à la fin s'apaiser? Il n'est point de courroux qui ne prenne la fuite. Plus le nuage est noir, plus l'azur revient vite. Je l'admirais, couvant on ne sait quel dessein. Elle ne voyait pas que je voyais son sein Presque nu, la colère étant inattentive; Les hommes sont friands de volupté furtive. Nous sommes les voleurs des appas mal cachés; L'hiatus d'un fichu sourit, plein de péchés; Une belle irritée est encor notre proie ; Rêveurs, nous caressons celle qui nous foudroie; Tout à coup elle vit mon regard. — Insolent! Dit-elle. Et je repris : — Que votre bras est blanc !
— Non. — Vos yeux sont le ciel ! ton sein est un prodige !
— Il me tutoie! — Hélas, je t'aime! répondis-je.
— Jamais ! — Viens ! — Oh ! le monstre ! —
Et ce que je conquis Dans ce charmant accès de fureur, fut exquis.
21 juin 1878. ('^ Inédit.
1^2 TOUTE LA LYRE.
XLIV
Cela la désennuie; elle vit toute seule;
Elle est pauvre et travaille ; elle n'est pas bégueule ;
Elle échange de loin, et pour se reposer.
Un regard, et parfois, de la main, un baiser.
Avec un voisin, seul aussi dans sa mansarde;
Et c'est étrange comme un baiser qu'on hasarde
Sait son chemin, et comme il a ce don vainqueur
De partir de la bouche et d'arriver au cœur.
Pourtant est-ce qu'elle aime? Elle n'en est pas sûre.
Un baiser qui gaîment visite une masure.
Cela dore toujours un peu l'humble plafond.
Les songes, quand ce sont les pauvres qui les font.
Sont riches, et remplis de choses inefl^bles.
Ovide et ses romans, La Fontaine et ses fables.
Ne sont rien à côté d'un cerveau de vingt ans
Qui fermente, et le cœur d'une fille, au printemps.
Crée un ciel, trouve un monde, et dépasse en chimère
Le bon Pilpay, le bon Perrault, le bon Homère.
La chimère suffit, on s'attarde à rêver
Un dieu dans ce jeune homme, on ne sait quel lever
D'étoile, en un grenier vaguement apparue.
Et l'on ne pense pas à traverser la rue;
Elle n'est pas Agnès, et lui n'est pas Platon;
Et peut-être jamais ne se parlera- t-on.
Car l'amour ébauché quelquefois se prolonge
Dans la nuée au point de finir par un songe.
Et souvent, au moment où l'on croyait tenir
Une espérance, on voit que c'est un souvenir.
H. H. Novembre 1872.
XLV
CHANSON DE CELLE QUI N'A PAS PARLE.
L'énigme ne dit pas son mot. Les flèches d'or ont des piqûres Dont on ne parle pas tout haut. Souvent, sous les branches obscures.
Plus d'un tendre oiseau se perdit. \bus m'avez souvent dit : je t'aime ! Et je ne vous l'ai jamais dit. Vous prodiguiez le cri suprême.
Je refusais l'aveu profond. Le lac bleu sous la lune rêve Et, muet, dans la nuit se fond; L'eau se tait quand l'astre se lève.
L'avez-vous donc trouvé mauvais? En se taisant le cœur se creuse. Et, quand vous étiez là, j'avais Le doux tremblement d'être heureuse.
Vous parliez trop, moi pas assez. L'amour commence par de l'ombre -, Les nids du grand jour sont blessés. Les choses ont leur pudeur sombre.
154 TOUTE LA LYRE.
Aujourd'hui — comme, au vent du soir. L'arbre tristement se balance ! — Vous me quittez, n'ayant pu voir Mon âme à travers mon silence.
Soit. Nous allons nous séparer.
— Oh ! comme la forêt soupire ! — Demain qui me verra pleurer Peut-être vous verra sourire.
Ce doux mot, qu'il faut eftacer,
— Je t'aime — aujourd'hui me déchire ; Vous le disiez sans le penser.
Moi, je le pensais sans le dire.
26 septembre 1875,
XLVI
O toi d'où me vient ma pensée. Sois fière devant le Seigneur ! Relève ta tête abaissée, O toi d'oii me vient mon bonheur !
Quand je traverse cette lieue Qui nous sépare au sein des nuits. Ta patrie étoilée et bleue Rayonne à mes yeux éblouis !
C'est l'heure où cent lampes en flammes Brillent aux célestes plafonds ! L'heure où les astres et les âmes Échangent des regards profonds !
Je sonde alors ta destinée. Je songe à toi, qui viens des cieux, A toi, grande âme emprisonnée, À toi, grand cœur mystérieux!
Noble femme, reine asservie, Je rêve à ce sort envieux Qui met tant d'ombre dans ta vie. Tant de lumière dans tes yeux!
Moi, je te connais tout entière Et je te contemple à genoux; Mais autour de tant de lumière. Pourquoi tant d'ombre, ô sort jaloux?
156 TOUTE LA LYRE.
Dieu lui donna tout, hors l'aumône Qu'il fait à tous dans sa bonté ; Le ciel qui lui devait un trône Lui refusa la liberté !
Oui , ton aile que le bocage Et l'air libre appellent en vain, Se brise aux barreaux d'une cage. Pauvre grande âme, oiseau divin !
Bel ange, un joug te tient captive. Cent préjugés sont ta prison. Et ton attitude pensive. Hélas, attriste ta maison.
Tu te sens prise par le monde Qui t'épie, injuste et mauvais. Dans ton amertume profonde Souvent tu dis : si je pouvais !
Mais l'amour en secret te donne Ce qu'il a de pur et de beau. Et son invisible couronne. Et son invisible flambeau !
Flambeau qui se cache à l'envie. Qui luit, splendide et clandestin. Et qui n'éclaire de la vie Que l'intérieur du destin !
L'amour te donne, ô douce femme. Ces plaisirs où rien n'est amer. Et ces regards où toute l'âme Apparaît dans un seul éclair!
O TOI D'OU ME VIENT MA PENSEE... 157
Et le sourire ! et la caresse ! L'entretien furtif et charmant. Et la mélancolique ivresse D'un ineffable épanchement !
Et les traits chéris d'un visage, Ombre qu'on aime et qui vous suit. Qu'on voit le jour dans le nuage. Qu'on voit dans les rêves la nuit !
L'amour, dont nos cœurs sont les urnes. Te donne tous ses doux tourments. Les longs adieux aux seuils nocturnes. Les longs regrets des courts moments !
Et les extases solitaires Quand tous deux nous nous asseyons Sous les rameaux pleins de mystères Au fond des bois pleins de rayons !
Purs transports que la foule ignore. Et qui font qu'on a d'heureux jours Tant qu'on peut espérer encore Ce dont on se souvient toujours !
Va, sèche ton bel œil qui pleure. Ton sort n'est pas déshérité. Ta part est encor la meilleure. Ne te plains pas, ô ma beauté!
Ce qui manque est bien peu de chose Quand on est au printemps vermeil. Et quand on vit comme la rose De parfums, d'ombre et de soleil!
158 TOUTE LA LYRE.
Laisse donc, ô ma douce muse. Sans le regretter un seul jour. Ce que le destin te refuse Pour ce que te donne l'amour !
2j octobre 1844.
XLVII (»)
DANSE EN ROND.
Fanny vint danser en rond Le dimanche au buis béni.
— Les garçons en chasse vont ; Les filles disent nenni.
Elle a l'aube sur le front ; Le haie m'a tout bruni.
— Les garçons en pêche vont ; Les filles disent nenni.
Je l'adore nuit et jour. Et je n'ai jamais fini.
— Les garçons vont au labour; Les filles disent nenni.
Un rossignol chante au fond De mon vieux cœur rajeuni.
— Les garçons aux vignes vont ; Les filles disent nenni.
Grands arbres du bois profond, Serai-je aimé de Fanny?
— Les garçons en guerre vont; Les filles disent nenni.
^'> Inédit, (Collection de M. Louis Barthou.)
l6o TOUTE LA LYRE.
J'ai deux ormeaux dans ma cour; L'un dit : non, l'autre dit : si! — Les garçons vont à l'amour; Les filles j vont aussi.
Gucrnesey, 17 juin 1857.
XLVIII
Oh! dis, te souviens-tu de cet heureux dimanche?
— Neuf juin ! — Sur les rideaux de mousseline blanche
Le soleil dessinait l'ombre des vitres d'or.
Il te nommait son bien, sa beauté, son trésor.
Tu songeais dans ses bras. Heures trop tôt passées !
Oh! comme vous mêliez vos âmes, vos pensées!
Dehors tout rayonnait, tout rayonnait en vous,
Et vos ravissements faisaient le ciel jaloux.
Tes yeux rêveurs brillaient, pleins d'un vague sourire.
Aux instants où les cœurs se parlent sans rien dire.
Il voyait s'éclairer de pudeur et d'amour.
Comme une eau qui reflète un ciel d'ombre et de jour.
Ton visage pensif, tour à tour pâle et rose ;
Et souvent il sentait, ô la divine chose !
Dans ce doux abandon, des anges seul connu.
Se poser sur son pied ton pied charmant et nu.
25 juin 1844.
POESIE. — Xm. II
l62 TOUTE LA LYRE.
XLIX
Garde à jamais dans ta mémoire,
Garde toujours Le beau roman, la belle histoire
De nos amours !
Moi, je veux que rien ne s*émousse.
Pourquoi finir ? J'aime la joie amère et douce
Du souvenir.
Oui, je vois tout dans ma pensée.
Tout à la fois ! La trace par ton pied laissée
Au fond des bois.
Les champs, les pelouses qui cachent
Nos verts sentiers. Et ta robe blanche où s'attachent
Les églantiers.
Comme si ces fleurs amoureuses
Disaient tout bas : — Te voilà ! nous sommes heureuses.
Ne t'en va pas !
Je vois la profonde ramée
Du bois charmant Où nous rêvions, toi, bien-aimée.
Moi, bien-aimant!
GAKDE À JAMAIS DANS TA MEMOIRE... 163
Donc puisqu'en moi j'ai cette flamme,
Il faut aussi Que ton âme ait comme mon âme
Ce doux souci !
Rappelle-toi nos bois tranquilles.
Nos bois du roi ! Rappelle-toi nos frais asiles !
Rappelle-toi
L'herbe épaisse, la roche austère.
L'antre ignoré. Temple de joie et de mystère.
Sombre et sacré.
Où du refus tendre et farouche
J'étais vainqueur ! Où ma bouche cherchait ta bouche.
Ton cœur mon cœur !
Rappelle-toi, ma bien-aimée.
Nos doux combats, Et les mots que la voix pâmée
N'achevait pas !
Là, cachés au milieu des roses.
Dans un beau lieu. Contemplés par toutes les choses
Qu'a faites Dieu,
Purs témoins qui sans haine et comme
S'y conformant. Regardent le bonheur de l'homme
Paisiblement,
i64 TOUTE LA LYRE.
Nous aimions! tandis qu'onde pure.
Bois embaumés. Grotte en fleurs, tout dans la nature
Disait : aime^!
Car c'est la loi ! tout vit ! tout aime !
Aime I il le faut ! Voilà ce qu'à tout moment sème
La main d'en haut !
Dieu dans la nature afl^issée
A mis le jour, Et plus qu'une grande pensée, —
Un grand amour !
Viens ! la saison n'est pas finie.
L'été renaît. Cherchons la grotte rajeunie
Qui nous connaît !
Là, le soir, à l'heure où tout penche.
Où Dieu bénit. Où la feuille baise la branche.
L'aile le nid.
Tous ces objets saints qui nous virent Dans nos beaux jours
Et qui, tout palpitants, soupirent De nos amours.
Tous les hôtes de l'antre sombre
Pensifs et doux. Avant de s'endormir, dans l'ombre.
Parlent de nous!
GARDE A JAMAIS DANS TA MEMOIRE.. . 165
Là, le rouge-gorge et la grive.
D'herbe couverts. Le liseron et dans l'eau vive
Les cressons verts,
La mouche aux ailes d'or qui passe,
L'onde et le vent. Chuchotent sans cesse à voix basse
Ton nom charmant !
Jour et nuit, au soir, à l'aurore,
À tous moments. Entre eux ils redisent encore
Nos doux serments !
Viens dans l'antre où nous les jurâmes
Nous reposer ! Viens ! nous échangerons nos âmes
Dans un baiser I
j juillet 1844.
k
l66 TOUTE LA LYRE.
— Ah çà mais! quelle idée as-tu, capricieuse.
De vouloir qu'à cette heure où, sous la verte yeuse.
L'herbe s'offre à nos pas dans le bois attiédi,
Je te parle d'Eylau, d'Essling et de Lodi!
Parlons de notre amour et non de la bataille.
Oui, nos aïeux régnaient par la guerre, et leur taille
Etait haute, et mon père était un des géants j
Et nous, s'il faut demain braver les flots béants.
Et subir les cieux noirs après les jours prospères.
Nous, les fils, nous ferons comme faisaient nos pères 5
Nous combattrons comme eux, dût-on être engloutis,
Avec un cœur égal et des bras plus petits ;
Et le monde entendra notre clairon sonore ;
Mais aujourd'hui je t'aime et tu m'aimes $ l'aurore
Emplit les champs, emplit les cieux, emplit nos cœurs 5
Les moineaux aisément sont d'Horace moqueurs
Lorsqu'il a près de lui Barine émue et rose
Et qu'il passe son temps à parler d'autre chose.
Vais-je donc étonner ces prés, ces bois, ces eaux.
Par un homme ayant moins d'esprit que les oiseaux ?
C'est pour le jeune amour que les forêts sont faites.
Belle, ne me rends pas ridicule aux fauvettes.
Sois clémente, et comprends qu'en de si charmants lieux
C'est plutôt aux enfants qu'on pense qu'aux aïeux.
Veux-tu fâcher les fleurs par nos façons moroses?
Veux-tu nous mettre mal avec toutes ces roses?
Si j'ai dit que je suis discret, je te trompais.
Belle, ici, tout est joie, accord, silence, paix;
AH ÇA MAIS! ^ELLE IDEE AS-TU... 167
Les champs et les vallons sont des choses calmées.
Vois ces grottes où rit l'ondine aux mains palmées.
Vois ces halliers qu'un dieu mystérieux bénit -,
La branche n'a qu'un but, c'est de cacher un nid;
C'est l'amour qui ravit les rossignols, doux chantres;
Les poursuites d'amants aboutissent aux antres ;
La nature n'est qu'une alcôve ; et c'est Vénus
Dont on distingue au fond de l'ombre les seins nus ;
Janvier part, floréal accourt ; le dialogue
De l'hiver qui bougonne avec la vive églogue
Tourne en querelle, et l'air est plein d'un vague chant
Qui fait que la beauté n'a point le cœur méchant.
Les arbres ont besoin, belles, de votre rire;
Une joie espiègle est mêlée au zéphyre;
La pomme d'Eve aux mains de Galatée atteint
Virgile; et tout serait manqué, maussade, éteint.
Si Chloé, que les nids couvrent de gais murmures,
Ne barbouillait le vieux Silène avec des mûres ;
Et, si Phyllis entre eux n'était comme un démon,
Ménalque ne saurait que dire à Palémon.
Aime, et baigne en chantant tes pieds nus dans la source;
Les rires étouffés, belle, sont la ressource
Des taillis ténébreux et des cœurs palpitants.
O profondeur sauvage et fraîche du printemps !
On entend alterner des flûtes sous les chênes.
Quel est le maître ? Eros. Et quelles sont les chaînes ?
Les rayons, les parfums, les soupirs, les chansons.
Et l'entrelacement des fleurs dans les buissons.
Cette nature au flanc sacré n'est pas contente
Si vous êtes chez elle et que rien ne vous tente.
Belle, vois cette idylle immense, l'horizon;
Vois la fougère et l'herbe et ses bancs de gazon ;
Crois-tu que de cette ombre et de ce paysage
Il sorte le conseil insensé d'être sage.
D'être froid, de ne point s'approcher de trop près,
D'être sourd aux instincts, d'être aveugle aux attraits,
De refuser d'entrer dans l'amour, douce école.
l68 TOUTE LA LYRE.
Et de substituer "Wagram, Jemmape, Arcole,
Les révolutions, la patrie en péril.
Et la rauque bataille, au tendre hymen d'avril ?
Belle, ayons pour affaire unique l'arrivée
Du premier souffle tiède échauffant la couvée,
L'éclosion du lys des étangs, les rameaux
Où le nid et le vent jasent à demi-mots,
La pénétration du soleil dans les feuilles.
Le clair-obscur des eaux, le bouquet que tu cueilles.
Le parfum qui te plaît, la clarté que tu vois.
L'herbe et l'ombre, et l'amour, mélodie à deux voix.
Ici, Pan cherche Astrée et Faune guette Flore.
Ne mêlons pas la guerre à toute cette aurore,
A moins que ce ne soit la guerre des baisers.
Soyons des cœurs ardents l'un par l'autre apaisés.
Aimons. Le mois de mai, c'est la saison lucide.
Kléber pas plus qu'Ajax, Marceau pas plus qu'Alcide,
N'ont que faire en ces champs pleins de molles faveurs
Où le printemps chuchote au fond des bois rêveurs 5
Car Homère ne peut qu'effarer Théocrite ;
Moschus craint l'épopée avec le glaive écrite.
Et le groupe dansant et chantant des bergers
Fuit devant le divin Achille aux pieds légers. —
Alors elle me dit dans la saison des roses :
— Ami, ne croyez pas que j'écoute ces choses ; Je ne vous en veux pas; je sais que c'est ainsi Qu'on parle à sa maîtresse, à son esclave aussi. Oui, l'aube au fond des bois ébauche un frais sourire. Le doux avril accourt avec un bruit de lyre ; Les oiseaux sur qui rien ne pèse sont contents ; Oui, ce qui doit emplir nos cœurs, c'est le printemps. C'est l'idylle, c'est Flore et Maïa, c'est Astrée, C'est l'éden ; c'est aussi la tristesse sacrée. Toutes les fleurs ont beau me fêter à l'envi. Je songe au noir clocher de Strasbourg asservi.
AH ÇÀ MAIS ! ^ELLE IDEE AS-TU... 169
Et je vois à travers l'églogue pleine d'ombre Au fond de rhori2on la grande flèche sombre. Ahl parle2-moi de guerre! Où sont les fiers défis? Penser à ses aïeux, c'est penser à ses fils. C'est pour faire un héros qu'il est beau d'être femme 5 Tâchons de repuiser aux cieux quelque vieille âme ; Scellons un grand hymen ! Je vous aime pourtant -, Mais, dans cet obscur bois farouche et palpitant. C'est l'indignation, non l'amour, qui me dompte; On n'a pas de pudeur quand on a de la honte j Je le dis, mon pays est ma seule rougeur. Je ne veux d'un baiser que s'il crée un vengeur !
I/o TOUTE LA LYRE.
LI
A UNE IMMORTELLE.
Quoi! vous, gloire, auréole, éblouissement, grâce.
Vous qui ne passer pas, vous craignez ce qui passe?
Comment! vous la beauté céleste, vous craignez.
Déesse, la beauté d'en bas! Vous qui régnez.
Vous redoutez l'éclat éphémère de celles
Qu'avril jette et qui sont comme ses étincelles.
Qui, comme la verveine et la sauge et le thym.
Naissent dans la lueur fuyante du matin.
Embaument un moment les prés et les charmilles.
Et qui durent autant que l'aube, étant ses filles?
Vous, jalouse! de qui? vous, troublée! et pourquoi?
Le jour sans nuit, c'est vous y l'amour sans fin, c'est toi.
Qui peut-elle envier, celle que tout envie ?
Qui donc détrônerait du trône de la vie
La beauté? Qui pourrait saisir ce diamant,
Vénus, et l'arracher du firont du firmament?
Sois calme en ton azur. Que t'importe, à toi, flamme.
Clarté, splendeur, toujours présente comme une âme,
A toi l'enchantement de l'abîme vermeil.
Faite pour le baiser éternel du soleil.
Qu'un rayon en passant sur une fleur se pose?
L'étoile au fond des cieux n'a pas peur de la rose.
Champs-Elysées, 7 juillet 1874.
LU
Horace, et toi, vieux La Fontaine, Vous avez dit : Il est un jour Où le cœur qui palpite à peine Sent comme une chanson lointaine Mourir la joie et fuir l'amour.
A
O poètes, l'amour réclame Quand vous dites : — Nous n'aimons plus. Nous pleurons, nous n'avons plus d'âme. Nous cachons dans nos cœurs sans flamme Cupidon goutteux et perclus. —
Le temps d'aimer jamais ne passe, Non, jamais le cœur n'est fermé. Hélas! vieux Jean, ce qui s'eflace. Ce qui s'en va, mon doux Horace, C'est le temps où l'on est aimé.
8 mars 1849.
1/2 TOUTE LA LYRE.
LUI W
CHANSON.
LE PÈRE.
Bon empereur, vous êtes maître Du grenadier et du sapeur. Et quand vous regardez leur guêtre Les soldats d'Austerlitz ont peur.
Bon empereur, vous êtes l'homme Qu'on appelle Napoléon. Vous êtes un César pour Rome, Un héros pour le Panthéon.
Tout vous cède ; la renommée Est partout votre avant-coureur. Vous êtes général d'armée ! Je viens à vous, bon empereur.
Ma fille au vieux Thibaut préfère Le plus jeune de mes neveux. Vous qui pouvez tout, daignez faire Qu'elle aime celui que je veux.
('' Inédit. (Collection de M. Louis Barthou.)
CHANSON. 173
L'EMPEREUR.
Ami, j'ai gagné cent batailles, J'ai pris cent villes. Tout me sert ! J'ai constellé de mes mitrailles Les pyramides du désert.
J'ai brisé des rois centenaires Et j'ai fait rois mes compagnons. Le Dieu d'en haut a ses tonnerres. Moi, Dieu d'en bas, j'ai mes canons.
Je puis rajeunir et refondre L'Europe, vieux monde épuisé. Un de ces jours je prendrai Londre. Tout cela n'est pas malaisé.
Mais la difficulté suprême. Plus haute que remparts et tours. C'est de faire qu'une fille aime Autre chose que ses amours.
22 mai 1846.
174 TOUTE LA LYRE.
LIV
A force de rêver et de voir dans la plaine Une fille aux yeux bleus aller à la fontaine, Gad s'aperçut un jour qu'il était amoureux. Plus de sommeil. Où fuir ce souci douloureux ? 11 voulut s'en guérir, mais tout fut inutile. Triste, il alla s'asseoir aux portes de la ville, Et, voyant un vieillard qui passait, il lui dit :
— À mon aide, seigneur! — Le vieillard l'entendit. Et vint. C'était un homme à longue barbe grise. Les palmiers frissonnaient au souffle de la brise 5
Le soleil se couchait dans le désert poudreux.
— Qu as-tu? dit le vieillard. — Je suis très malheureux. Dit Gad, puis il reprit : — Hélas! j'aime une femme.
— J'avais, dit le vieillard, ce mal cuisant dans l'âme Quand j'étais un jeune homme aux yeux clairs et brillants Comme toi. Maintenant mes cheveux sont tout blancs. Mon front tremble, mon œil s'éteint, l'âge me glace;
Et pour moi tout est sombre, et chaque jour qui passe Est de la nuit qui tombe, et, sans air, sans soutien. Je souf&e, et c'est mon mal de n'avoir plus le tien.
14 août 1846.
LVa)
LES PERIPETIES DE L'IDYLLE.
Vous voulez bien venir avec moi dans les bois
Cueillir des fleurs, chercher l'ombre, écouter des voix.
Méditer, des lueurs épier le passage,
À la condition que je serai très sage.
Et je vous obéis. Pourtant dans ce hallier
Le vent me semble avec les branches familier.
Le papillon souhaite un calice et le trouve,
La rose est nue, et l'herbe est tendre, et le lys prouve
Qu'on montre sa blancheur sans perdre sa vertu.
Et les petits oiseaux tout bas se disent tu.
Faisons comme eux. Veux-tu? Non. Voulez-vous, Madame?
Tu souris.
Le printemps est un épithalame -, La feuille est un rideau, la source est un soupir 5 Cupidon vient dans l'herbe agreste se tapir Et rit de voir les fous le chercher dans les villes. Les alcôves de pourpre et d'or sont laides, viles Et pauvres à côté du lit profond des fleurs. Comme ils riraient de moi, les gais merles siflleurs. Si je n'abusais pas un peu des solitudes ! Essayons. Ah ! tu prends de graves attitudes. J'ai tort ; pardonne-moi. Ces bois sont pleins d'ébats Mystérieux. Veux-tu nous adorer tout bas?
f'^ Inédit.
1/6 TOUTE LA LYRE.
Veux-tu que ma caresse inquiète ne fasse
Pas plus de bruit qu'un pli d'une onde qui s'efface,
Et que je sois heureux prudemment, de façon
Que ces bois, en sentant passer ce doux frisson.
Pensent, sans devenir pour cela plus farouches.
Que ce sont deux baisers envolés de deux bouches.
Perdus par des amants au hasard dans les prés.
Qui se sont en flottant dans l'azur rencontrés.
Et que ces deux baisers, sans maître, espèces d'ames.
Courent, libres, joyeux, dansants, comme deux flammes.
L'un après l'autre, et font l'amour au fond des bois?
Veux- tu l'idylle ainsi? Non. Eh bien, fais ton choix.
Que veux- tu? Tu réponds : Manger, j'ai faim.
Tu règnes. Je te sers. Le repas est frugal. Des châtaignes. Du miel, et quelques fruits sur des feuilles posés, Suflisent à l'amour, vorace de baisers. Cette voracité te déplaît. On regarde. Me dis-tu, des passants écoutent! Prenez garde. Monsieur, aux paysans rusés et curieux. Soyez un amoureux du genre sérieux. Est-ce que vous croyez que les dieux de l'Olympe Chiffonnaient un jupon, taquinaient une guimpe?
— Oui, d'abord. — Qu'ils manquaient aux déesses? — Un peu. Ensuite, je suis homme et je ne suis pas dieu.
— Taisez-vous. — Je me tais. Mais voilà que tu chantes ! Ah ! que les femmes sont charmantes et méchantes ! Pour me faire tenir tranquille, tu te mets
A rire comme rit l'aube sur les sommets.
Et tu jettes au vent ta belle voix sonore.
Tu dis : soyons muets, il faut qu'on nous ignore.
Qu'on ne soupçonne pas quelqu'un dans ce ravin. . .
Et te voilà faisant un vacarme divin !
LES PERIPETIES DE L'IDYLLE. 177
Tu fais sortir là-bas des gens de leur chaumière 5 Je veux de l'ombre, toi, tu veux de la lumière -, Je voulais des soupirs, toi, tu veux des chansons. Belle, un baiser! — Jamais. Paix, Monsieur. Finissons.
J'obéis.
Mais pourquoi m'entraînes-tu toi-même Dans plus d'ombre, et pourquoi murmures-tu : Je t'aime ! O femmes !
-k
Résister et céder, c'est la loi. Peut-on du mois de mai faire un meilleur emploi Que de s'aimer, et l'ombre a-t-elle une autre aflfaire Que l'hymen de celui que la beauté préfère Avec celle que l'âme a choisie? O forêts! Tu chuchotes encor : Sois sage ! Tu voudrais. Mais tu n'oses. Vivons ! Sois Bacchante ! Sois Grâce ! Tu t'appelles Barine et je m'appelle Horace. Quand Catulle avait bu son petit vin sabin Il ne se gênait pas pour voir Glycère au bain. Je suis classique. Il faut suivre les doux exemples. Faire de tous les lieux où tu passes des temples. C'est ta puissance, amour! je suis transfiguré. Ajouter un baiser, c'est monter un degré; Le ciel, en même temps que la bouche, s'approche. L'attendrissement gagne et pénètre la roche. Le granit, l'azur noir des chastes lacs dormants. Les nuages, les champs, les monts, quand deux amants Sont là, mêlés, perdus, comme en avril les roses. Dans le céleste oubli des hommes et des choses.
Moment de calme. Arrêt.
12
IM*M1M«IC KATIOIIAU.
178 TOUTE LA LYRE.
Nous voici retombés En pleine rêverie, et là-bas, deux abbés Qui passent, livre en main, marmottant des prières. Ont cru que nous lisions aussi nos bréviaires. Tant tu semblés un ange et tant j'ai l'air d'un sot.
On prend de deux façons le paradis d'assaut ;
Un des côtés, c'est Dieu; l'autre côté, c'est Eve ;
C'est pourquoi le serpent se glisse dans mon rêve ;
Or jamais les baisers ne sont bien assoupis ;
S'éveiller est leur droit. Tu te fâches. Tant pis !
Tant mieux ! ne crains donc pas ces branches qui tressaillent.
Quoi! pour que Lycoris et Virgile s'en aillent.
Quoi! pour chasser d'auprès Horace Lalagé,
Il suffit qu'un vieil arbre imbécile ait bougé !
Non, non. Je brave tout. Je me livre au pillage.
Sans me troubler d'un souffle errant dans le feuillage.
Et sans m'inquiéter si l'écart du fichu
Fait dans l'ombre loucher le faune au pied fourchu.
28 juillet.
LVI
Je pressais ton bras qui tremble ; Nous marchions tous deux ensemble. Tous deux heureux et vainqueurs. La nuit était calme et pure. Dieu remplissait la nature. L'amour emplissait nos cœurs.
Tendre extase ! saint mystère ! Entre le ciel et la terre Nos deux esprits se parlaient. A travers l'ombre et ses voiles. Tu regardais les étoiles. Les astres te contemplaient.
Et sentant jusqu'à ton âme Pénétrer la douce flamme De tous ces mondes vermeils. Tu disais : Dieu de l'abîme ! Seigneur! vous êtes sublime. \bus ave2 fait les soleils.
Et les astres à voix basse Disaient au Dieu de l'espace, Au Dieu de l'éternité : Seigneur, c'est par vous qu'on aime. Vous êtes grand. Dieu suprême. Vous avez fait la beauté !
30 mars 1844.
l8o TOUTE LA LYRE.
LVII
AU BAL.
Elle se rapprochait, car il parlait tout bas.
Il lui disait : — On a, dans ces bruyants ébats.
Une liberté plus entière. C'est la foule, on est seul en ces salons dorés. Le bal joyeux nous cache aux regards eferés
Dans un tourbillon de lumière.
Les quadrilles ardents, follement entraînés. Bondissent. Nous rêvons, l'un sur l'autre inclinés.
Un rêve peut-être impossible. Sans voir ces fleurs, sans voir ces fronts épanouis. Nous passons dans ce bal rayonnant, éblouis
Par une autre fête invisible.
Ils sont aux voluptés, nous sommes à l'amour. Nos cœurs émus sont pleins d'un mystérieux jourj
Un feu passager les embrase. Ce que nous contemplons, ils ne peuvent le voir. Notre âme est un obscur et céleste miroir.
Ils ont l'ivresse, et nous l'extase.
Tandis que dans leurs yeux le plaisir brûle et luit. Nous voudrions, troublés par la joie et le bruit.
Nous enfuir sous de chastes voiles. La foule rit, notre âme est plus ravie encor. Pour eux, à ces plafonds, brillent les lustres d'or.
Et pour nous, plus haut, les étoiles !
2 mars.
LVIII
Nous étions, elle et moi, dans cet avril charmant De l'amour qui commence en éblouissement. O souvenirs ! ô temps ! heures évanouies ! Nous allions, le cœur plein d'extases inouïes. Ensemble dans les bois, et la main dans la main. Pour prendre le sentier nous quittions le chemin. Nous quittions le sentier pour marcher dans les herbes. Le ciel resplendissait dans ses regards superbes ; Elle disait : Je t'aime ! et je me sentais dieu. Parfois, près d'une source, on s'asseyait un peu. Que de fois j'ai montré sa gorge aux branches d'arbre ! Rougissante et pareille aux naïades de marbre. Tu baignais tes pieds nus et blancs comme le lait. Puis nous nous en allions rêveurs. Il me semblait. En regardant autour de nous les pâquerettes. Les boutons d'or joyeux, les pervenches secrètes. Et les frais liserons d'une eau pure arrosés. Que ces petites fleurs étaient tous les baisers Tombés dans le trajet de ma bouche à ta bouche Pendant que nous marchions; et la grotte farouche. Et la ronce sauvage et le roc chauve et noir. Envieux, murmuraient : Que va dire ce soir Diane aux chastes yeux, la déesse étoilée. En voyant toute l'herbe au fond du bois foulée ?
3 avril. Jersey.
iSz TOUTE LA LYRE.
LIX
Aujourd'hui Galatée aux lascives épaules Qui voulait être vue et fuyait sous les saules. Et jetait en courant des pommes aux garçons, Cymodoce aux doux yeux qui chantait des chansons Et lavait aux ruisseaux ses belles jambes nues, Seraient des Pamélas jouant les ingénues Chez Bobino, prenant un banquier pour sultan. Sous l'ombrage sacré d'une mère en tartan.
LX(i)
DANGER D'ALLER DANS LES BOIS.
Ne te figure pas, ma belle. Que les bois soient pleins d'innocents. La feuille s'émeut comme l'aile Dans les noirs taillis frémissants ;
L'innocence que tu supposes Aux chers petits oiseaux bénis N'empêche pas les douces choses Que Dieu veut et que font les nids.
Les imiter serait mon rêve ; Je baise en songe ton bras blanc ; Commence ! dit l'Aurore. — Achève ! Dit l'étoile. Et je suis tremblant.
Toutes les mauvaises pensées. Les oiseaux les ont, je les ai. Et par les forêts insensées Notre cœur n'est point apaisé.
Quand je dis mauvaises pensées
Tu souris... — L'ombre est pleine d'yeux.
Vois, les fleurs semblent caressées
Par quelqu'un dans les bois joyeux. —
c') Inédit.
184 TOUTE LA LYRE.
Viens ! l'heure passe. Aimons-nous vite ! Ton cœur, à qui l'amour fait peur, Ne sait s'il cherche ou s'il évite Ce démon dupe, ange trompeur.
En attendant, viens au bois sombre. Soit. N'accorde aucune faveur. Derrière toi, marchant dans l'ombre. Le poëte sera rêveur j
Et le faune, qui se dérobe. Regardera du fond des eaux Quand tu relèveras ta robe Pour enjamber les clairs ruisseaux.
juin.
LXI
Tous deux — est-ce à Tibur? est-ce à Ville-d'Avray ? - Nous errions, et sa voix me disait :
— L'amour vrai Craint le rapprochement vertigineux des bouches. Respecte mes peurs. L'âme a des bonheurs farouches ; Elle veut voir s'ouvrir l'éden, et refuser. C'est assez d'un soupir et c'est trop d'un baiser. La pudeur, c'est de l'ombre, et l'amour s'en augmente. Ce que perd la maîtresse est gagné par l'amante ; Oublions cette chair que tu nommes beauté. L'amour devient le ciel sitôt le corps ôté. Tu m'aimes, je t'adore. Eh bien! soyons fidèles. Purs, et contentons-nous d'un frémissement d'ailes. Mon cœur en plein mystère et ma vie en plein jour. Je fais ce chaste rêve. Oh ! laisse mon amour Se dresser dans mon âme avec un front d'étoile ! Il faut au cœur un songe, il faut au temple un voile. Respecte-moi. Soyons des parfums, des rayons! Dans ce frais mois de mai qu'est-ce que nous voyons ? La promiscuité des âmes et des roses. Anges, nous nous mêlons à ces apothéoses. Une honte sacrée est un divin flambeau. Je t'aime. Un cœur sauvage et tendre est aussi beau Qu'un ciel sombre éclairé de lueurs boréales. —
Pendant qu'elle disait ces choses idéales.
Dans le plus ténébreux du bois je regardais.
Sous un chêne étendant son ombre comme un dais.
l86 TOUTE LA LYRE.
Non pas quelque déesse, une Vénus de marbre.
Mais un bonhomme en bois taillé dans un tronc d'arbre.
Un antique magot riant à nos ébats.
Satyre aux yeux de bouc qui me parlait tout bas
Avec sa large bouche effroyable et vorace.
Comme si j'eusse été ce doux flâneur d'Horace :
« Jadis, j'étais un tronc de figuier, bon à rien.
« — ■ Oui-dà, dit un sculpteur persan ou dorien,
« De ceux dont le génie au cabaret trébuche,
« Ferai-je un banc, ferai- je un dieu, de cette bûche? —
« Il lui plut que je fusse un dieu. C'est bien. Je fus
(( Priape, et je rêvai sous les arbres touffus. »
8 mai (Pendant le plébiscite.)
LXII
L'OUTRAGE PEUT ETRE AUSSI DANS LA CARESSE.
Hélas, les rayons sont des crimes. Les vils chardons aux lys sublimes Disent dans l'ombre : c'est assez.
A
O Dieu, qui seul savez les sources et les causes. Qu'est-ce donc que les belles choses Ont fait, que vous les punissez !
Expiation jamais lasse ! Les flots sont une populace Qui jette aux caps l'affront amer; Les rocs sentent sur eux cracher ces mille bouches 5 Ils ont sur leurs faces farouches L'acre salive de la mer.
La fleur radieuse est dans l'herbe } C'est un malheur qu'être superbe ; Sa splendeur déplaît à quelqu'un -, La limace tyran monte à la rose esclave, La baise et la souille, et la bave Est le châtiment du parfum.
Pourquoi, tempête, sans relâche. Frappes-tu de ton éclair lâche Le mont dressé dans le brouillard ? De quel droit, dans l'Éden imitant les chenilles. Viens-tu toucher aux jeunes filles. Lèvre difforme du vieillard ?
l88 TOUTE LA LYRE.
Le grand bourreau se nomme Envie, La longue injure de la vie S'accomplit à tous les moments. Dieu, qui n'épargne rien, fait tomber de son aire Sur les fronts puissants le tonnerre. Le baiser sur les fronts charmants.
26 juillet 1854.
LXIII
GABONUS, seul. Son chien est couche à ses pieds.
La belle s'appelait mademoiselle Amable. Elle était combustible et j'étais inflammable. Un treize, je la vis passer sur le Pont-Neuf; Les Grâces étaient trois, les Muses étaient neuf; Et c'est là ce qui fait sacré le nombre douze. Et treize fatal. Donc, un treize, une andalouse De Pantin, telles sont les rencontres qu'on a, Amable, d'un regard charmant, m'assassina. Duel, duo. Sous l'œil paternel des édiles. Il naît sur le Pont-Neuf beaucoup de ces idylles. Je la qualifiai d'ange, un mois à peu près. Bref, je me demandais un jour si je romprais. Quand, par un doux soleil d'avril, entre deux pluies. Je reçus ce billet de l'ange : « Tu m'ennuies. Bonsoir. » — Ce qui me fit furieux. D'autant plus Que c'est elle, parbleu, qui m'ennuyait.
Je plus Ensuite, éperdument, à je ne sais plus quelle Déesse qu'entourait une étrange séquelle. Des poètes, des gueux, des grecs, des chambellans De l'atout, noir démon qui hante les brelans. Gens qui s'enrichissaient dans l'aventure épique Du roi de cœur floué par la dame de pique. Disant de l'amour : fi ! disant de l'honneur : peuh ! Mais trichant. — J'adorai cette drôlesse un peu.
190 TOUTE LA LYRE.
Puis je fus planté là pour un prince valaque. Je fis la connaissance après d*un chef de claque Qui me fit pénétrer dans les arts, et j'obtins Par lui d'être admis presque au rang des cabotins. Et l'honneur d'approcher parfois les cabotines En qualité d'esclave adorant leurs bottines ; Une, Lise, accepta mon cœur sous ses talons; Le temps qu'un perroquet grimpe trois échelons. Je fus vainqueur, je fus heureux, et je fus bête; Trois progrès. Mais, hélas! la femme est la tempête. Lise en colère un jour chassa tous ses laquais ; Dont moi.
Comme un roman déchiré sur les quais. J'avais déjà perdu plus d'un de mes chapitres ; J'étais sorti des grecs, j'étais sorti des pitres. Mes amantes n'étaient qu'un vague souvenir ; Tout à coup je sentis en moi tout rajeunir Comme si le soleil empourprait ma fenêtre. Et mes illusions les plus roses renaître En voyant une fille au confessionnal ; Le gamin Cupidon dans mon vieux cœur banal Fit sa rentrée avec trompettes et fanfares. Ah ! quand donc mettra-t-on sur la femme des phares ! Dans l'église où du mal meurt la contagion. Chez les prêtres, au coin de la religion. Entre deux saints de pierre, un apôtre, un prophète. Apercevant dans l'ombre une fille parfaite. Je fis cette sottise énorme de l'aimer ; Elle m'incendia sans pourtant s'allumer ; J'eus l'âpre enivrement des flammes méprisées ; Elle me permettait d'errer sous ses croisées; Rien de plus. Je perdis gaîté, raison, humour; Je fus toute une année imbécile d'amour. Ah! lorsqu'elle émiettait sa prière, autour d'elle. Certes, comme un essaim d'oiseaux, à tire-d'aile. Les chérubins venaient, et lui disaient : ma sœur!
LA BELLE S'APPELAIT MADEMOISELLE AMABLE. 191
Quand elle s'enfermait avec son confesseur.
Je me la figurais penchant sur le calvaire
Ses mains jointes, ses yeux vierges, son front sévère.
Son profil chaste, fait pour Greuze ou pour Lancret.
Un beau jour, par un trou de serrure indiscret.
Au lieu du Golgotha je contemplai l'Olympe;
Moi qui n'eusse du doigt osé toucher sa guimpe.
Je la vis toute nue aux bras de son abbé.
Marie était Vénus, Agnès était Hébé.
Ceci me mit en fuite, et j'en fus longtemps blême.
Pourtant j'avais toujours dans l'esprit ce problème : Trouver un cœur qui fût le compagnon du mien. Je me fis voyageur, chercheur, bohémien. Nomade, et j'explorai les mers, les flots, les îles.
Un jour je débarquai dans un pays sans villes,
Sans hommes presque, un lieu charmant; et j'eus l'émoi,
Comme j'étais rêveur, que soudain vînt à moi.
Dans l'état de nature, une femme inconnue.
Je m'écriai, voyant qu'elle était toute nue :
Ah ! celle-ci du moins avoue ! — Et, très flatté :
De quel puits sortez-vous, lui dis-je, ô Vérité?
Elle vint, puis s'enfuit, puis revint, et Végèce
Eut moins bien manœuvré que cette sauvagesse.
Si bien qu'à la façon dont elle m'aborda.
Je vis qu'Otaïti ressemblait à Bréda.
Je la civilisai. Mais, ciel bleu ! que de choses
Il fallut lui donner! jupons blancs, chapeaux roses.
Robes, manteaux, satins, velours, bijoux de prix!
La sauvage, au rebours des femmes de Paris,
Commence toute nue et finit fort vêtue.
L'homme fait la poupée et Dieu fit la statue 5
Toute la femme tient dans ces quelques mots-là.
La chair sert de prétexte à notre falbala.
L'île était un éden tiède et toujours en fête ;
J'étais Adam, mon Eve était belle et bien faite;
192 TOUTE LA LYRE.
Or ce chef-d'œuvre avait un singe pour amant j
J'étais de temps en temps regardé fixement,
A travers les rameaux en fleurs, par un gorille.
Sept pieds de haut, des dents de tigre, un œil qui brille.
Peste ! je m'évadai du paradis. —
Depuis, Cherchant les amours, comme un lierre les appuis. J'ai fait tous les essais possibles -, je rature Une aventure en moi par une autre aventure ; J'aimai, me figurant qu'aimer n'a jamais nui, Celle-ci par plaisir, celle-là par ennui. L'une pour sa chanson, l'autre pour sa richesse. L'autre parce qu'étant vieille, elle était duchesse. L'autre pour ses amants, l'autre pour son marij J'adorai Berthe, Anna, Mousqueton, Colibri, Jeannette, Olympia. — Donc j'ai connu les femmes. J'en ai connu les cœurs, j'en ai connu les âmes. Le haut, le bas, le vrai, le faux, le mal, le bien } Et la conclusion, la voici : Viens, mon chien !
20 décembre.
LXIV
Quand deux cœurs en s'aimant ont doucement vieilli, Oh ! quel bonheur profond, intime, recueilli ! Amour ! hymen d'en haut ! ô pur lien des âmes ! Il garde ses rayons même en perdant ses flammes. Ces deux cœurs qu'il a pris jadis n'en font plus qu'un. Il fait, des souvenirs de leur passé commun. L'impossibilité de vivre l'un sans l'autre. — (Juliette, n'est-ce pas? cette vie est la nôtre!) Il a la paix du soir avec l'éclat du jour. Et devient l'amitié tout en restant l'amour !
22 septembre 18^4.
POESIE.
13
vu
LA BLANCHE AMINTE.
— Çà , dit-il , que t'en semble Écoute, Écho, faisons une chanson ensemble.
Sitôt (j^u'Aminte fut venue
Nue, Devant le dey qui lui semblait
Laid,
Plus blanche qu'un bloc de Carrare
Rare, Elle défit ses cheveux blonds.
Longs.
Alors, ô tête de l'eunuque.
Nuque Du Bostangi, tu te courbas
Bas.
Le bassa, dont l'amour enflamme
ame, A ses pieds laissa son mouchoir Choir,
En disant : — Ne sois pas rebelle.
Belle, Tes pieds blancs et tes blonds cheveux
Veux.
198 TOUTE LA LYRE.
Or c'était le bassa d'Epire
Pire Qu'un vrai moine et plus qu'un manchot
Chaud,
Faisant turques et circassiennes
Siennes, Et pour soi seul en nourrissant
Cent.
Donc, à sa parole exigeante
Gente Aminte ne dit au vaurien
Rien.
Elle inclina son cou de cygne.
Signe Qu'elle trouvait le vieux corbeau
Beau.
Quand ses femmes virent Aminte,
Mainte Jalouse idée à plus de vingt
Vint.
Longtemps le sérail infidèle
D'elle Parla, puis de ses cheveux blonds
Longs,
Les blanches qu'à Chypre on rencontre
Contre, Et les noires de Visapour ' "
Pour.
3 janvier 1829. *."
II
LE PRINCE FAINEANT.
Il n'est trésor que de vivre à son aise. Villon.
Guy, mon père.
N'use point A rien faire Son pourpoint. Pas de fête Qu'il n'apprête. Casque en tête. Dague au poing.
Mon grand-père, Navarrois, Fit la guerre Pour la croix. Sous Alon^e Cœur-de-bronze , En l'an onze Cent vingt-trois.
Jean de Mesme Son aïeul Qui dort blême Au linceul. Dans Toulouse La jalouse. Contre douze Luttait seul.
200 TOUTE LA LYRE.
Mes ancêtres Fort vantés. Portaient, maîtres Des comtés. Sur la marge D'un dos large Une charge De cités.
L'un d'eux, Eudes De Montfort, Fut des leudes Le plus fort, Son épaule Jusqu'au pôle Portait Dole, Sans effort.
Le grand-père De ceux-là. Noir sicaire D'Attila, Vieille lame. Eut dans l'âme Plus de flamme Que l'Hékla.
Moi, leur mince Suppléant, Suis le prince Fainéant. Mon bras casse. S'il déplace Leur cuirasse De géant.
LE PRINCE FAINÉANT. 201
Car d'entailles Moins friand. Des batailles Souriant, Tout me lasse. Fêtes, chasse. Dire : grâce. En priant !
Même aux belles J'ai mépris. Et loin d'elles Mon cœur pris Laisse, en somme. Faire un somme Aux cerfs, comme Aux maris.
30 juin-i*' juillet 1828.
202 TOUTE LA LYRE.
III
CE QUE GEMMA PENSE D'EMMA.
Que fait l'orfèvre ? Il achève Quelque anneau mystérieux. Sa boutique semble un rêve Qu'emplissent de vagues yeux 5
L'opale est une prunelle, La turquoise est un regard ; La flamme tremble éternelle Dans l'œil du rubis hagard.
L'émeraude en sa facette Cache une ondine au front clair ; La vicomtesse de Cette Avait les yeux verts de mer.
Le diamant sous son voile Rêve, des cieux ébloui ^ Il regarde tant l'étoile Que l'étoile entre dans lui.
L'ambre est une larme austère ; Le saphir au chaste feu Est devenu bleu sous terre Tant il a contemplé Dieu !
CE QUE GEMMA PENSE D'EMMA. 203
Une femme chez l'orfèvre Entre, sourire éclatant; Les paroles sur sa lèvre Battent de l'aile en chantant.
Elle porte un châle à palmes. Un chapeau rose charmant ; Autour de ses grands yeux calmes Tout frissonne doucement.
Elle brille et jase, et semble Lueur, parfum, colibri; Si belle que le cœur tremble , S'étonne, et cherche un abri.
Où va-t-elle ? d'où sort-elle ? D'où sort l'aube? où va le jour? Elle est la joie, étincelle De cette flamme, l'amour.
Le peuple à la vitre admire. D'un œil tendre et transporté. Les femmes le cachemire Et les hommes la beauté.
Tous l'appellent fée ou reine. Astre, ange des cieux venu. Et se sentent pleins de haine Pour son amant inconnu.
Elle est blanche, aimable, exquise. Folle et gaie ; et, sans combats. Toute la loule est conquise ; Chacun soupire tout bas :
204 TOUTE LA LYRE.
Je voudrais être ! . . . — et se nomme
Quelque idéal triomphant.
— - Son ami ! dit un jeune homme.
— Son mari ! dit un enfant.
Qu'est-ce donc que cette femme? C'est une femme. Cela, Quand Dieu fit la première âme, Naquit et l'ensorcela.
Elle choisit chez l'orfèvre Tous les beaux joyaux tremblants; Et l'or semble avoir la fièvre Entre ses petits doigts blancs.
Elle prend tout, la pirate. L'aiguë, sœur des gouttes d'eau. Les agates de Surate Et les émaux du Lido,
Et la parure complète De sardoine et de béryl; Elle éclate à chaque emplette D'un doux rire puéril.
La perle voit cette belle. Pourquoi fuir, perle au doux front ?
— J'aime mieux la mer, dit-elle ; C'est moins sombre et moins profond.
5 avril 1855.
IV
VASE DE CHINE.
A LA PETITE CHINOISE Y-HANG-TSEI.
Vierge du pays du thé. Dans ton beau rêve enchanté. Le ciel est une cité Dont la Chine est la banlieue.
Dans notre Paris obscur. Tu cherches, fille au fi-ont pur. Tes jardins d'or et d'azur Où le paon ouvre sa queue j
Et tu souris à nos cieux; A ton âge un nain joyeux Sur la faïence des yeux Peint l'innocence, fleur bleue.
i" décembre i8^i.
2o6 TOUTE LA LYRE.
V
MAUVAISES LANGUES.
Un pigeon aime une pigeonne. Grand scandale dans le hallier Que tous les ans mai badigeonne. Une ramière aime un ramier.
Leur histoire emplit les charmilles. Par les leurs ils sont compromis. Cela se voit dans les familles Qu'on est entouré d'ennemis.
Espionnage et commérage. Rien ne donne plus d'âcreté, De haine, de vertu, de rage Et de fiel, qu'un bonheur guetté.
Que de fureur sur cette églogue ! L'essaim volant aux mille voix Parle, et mêle à son dialogue Toutes les épines des bois.
L'ara blanc, la mésange bleue. Jettent des car, des si, des mais. Où les gestes des hoche-queue Semblent semer des guillemets.
« — J'en sais long sur la paresseuse. Dit un corbeau, juge à mortier.
— Moi, je connais sa blanchisseuse.
— Et moi, je connais son portier.
MAUVAISES LANGUES. 207
— Certe, elle n'est point sauvagesse.
— Est-on sûr qu'ils sont mariés ?
— Voilà, pour le prix de sagesse. Deux pigeons bien avariés. »
Le geai dit : Leurs baisers blasphèment. Le pinson chante : Ça ira. La linotte fredonne : Ils s'aiment. La pie ajoute : Et estera.
On lit que vers elle il se glisse Le soir, avec de petits cris. Dans le rapport à la police Fait par une chauve-souris.
Le peuple ailé s'indigne, tance. Fulmine un verdict, lance un bill. Tel est le monde. Une sentence. Redoutable, sort du babil.
Cachez-vous, Rosa. Fuyez vite Loin du bavardage acharné. L'amourette qu'on ébruite Est un rosier déraciné.
Tout ce conte, ô belle inefïable. Doit par vous être médité. Prenez garde, c'est une fable. C'est-à-dire une vérité.
9 août 186).
2o8 TOUTE LA LYRE.
VI
Danseuse, écoute-moi. Le Dieu du firmament Qui créa l'aube pure et fit ton fi:ont charmant, A tout ce qui contient le bonheur, jeune fille. Attache de sa main quelque chose qui brille D'un éclat à la fois chimérique et réel, La paillette à ta jupe et l'étoile à son ciel.
8 août 1839.
VII
LE PORCHE DE SAINT-LUC.
Le porche de Saint-Luc, sur un vieux fût de pierre
S appuie, et porche et fût ne sont plus qu'herbe et lierre.
Au noir pilier s'adosse un homme singulier.
Plus grave et mieux assis au rebord du pilier
Qu'un archevêque en chaire ou qu'un juge en grand'chambre ;
Vieillard morne et hideux comme le mois Décembre
Et dont vous auriez peur, madame, je le crois.
Plus que d'un beau bandit rencontré dans un bois.
On frémit d'un serpent moins que d'une chenille.
C'est un mendiant roux, vêtu d'une guenille.
Qui se confond, ridé, sordide et chevelu.
Avec la borne grise et le mur vermoulu.
Sur ce vieillard narquois vont pleuvant les monnaies.
Le pilier n'est que lèpre et l'homme n'est que plaies.
Par Hercule ! on est prêt à jurer que ce vieux
Un beau matin germa dans ce bloc chassieux.
Et, pareil au gui noir qui sur le chêne pousse.
Couvert de barbe ainsi que la pierre de mousse.
Sortit, comme une fleur qui s'ouvre aux papillons.
Des fentes du granit avec tous ses haillons ;
Si bien que, maintenant, grimaçant sur la rue.
Il est du vieux pilier la vivante verrue.
Homme étrange entre tous, qui vous ferait affront. Qui, sans trop s'émouvoir, verrait votre beau front. Vos longs cheveux, dorés comme les cheveux d'Eve, Votre bouche qui rit, votre regard qui rêve. Et leur préférerait — est-il sage? est-il fou? — Le profil d'un vieux roi gravé sur un gros sou !
3 octobre 1842.
POESIE. — XIII. 14
210 TOUTE LA LYRE.
VIII (1)
CHANSON.
L'hiver gronde et fait cent querelles, O vieilles gens, ô vieilles gens. Aux girouettes des tourelles ; Pendant c[u*elles grincent entre elles. Courez aux tripots indulgents, O jeunes gens, ô jeunes gens.
L'araignée au mur fait sa trame, O vieilles gens, ô vieilles gens. L'archet frémit, le gaz s'enflamme. L'aile du beau papillon femme Étale ses reflets changeants, O jeunes gens, ô jeunes gens.
Cachez de l'or dans vos paillasses, O vieilles gens, ô vieilles gens. Buvez du punch, prenez des glaces. Les rires narguent les grimaces. Les masques raillent les sergents, O jeunes gens, ô jeunes gens.
La mort tient tout dans ses doigts grêles, O vieilles gens, ô vieilles gens. Vous serez dupés par les belles. Et vous fuirez hors de chez elles. Nus comme de petits Saint- Jeans, O jeunes gens, ô jeunes gens.
(') Inédit.
CHANSON. 211
La mort vide vos escarcelles,
A
O vieilles gens, o vieilles gens. Les tourtereaux aux molles ailes Sont plumés par les tourterelles ; Bouches roses et becs rongeants 5 O jeunes gens, ô jeunes gens.
27 novembre 1853.
212 TOUTE LA LYRE.
IX
Oui, fût-on Homère, il faut rire ; Il faut rire, fût-on Caton. Le bois nous offre Déjanire, Le pré nous donne Margoton.
Le rire vient des dieux. A Rome Comme à Pantin, il règne, il est. Le rire est l'attribut de l'homme. César riait, Brutus riait.
Jésus souriait. Mais en somme. Sourire, c'est bien rire un peu. Et c'est pour cela qu'il est homme. Et c'est pour cela qu'il est Dieu.
Le bois nous offre Déjanire, Le pré nous donne Margoton. Oui, fût-on Homère, il faut rire. Il faut rire, mon cher Caton.
X
EN AFRIQUE.
J'allai faire visite au roi. Les avenues
De son palais étaient pleines de femmes nues.
Espèce de sérail épars comme un troupeau.
Quand j'entrai, le roi vint, coiffé d'un grand chapeau.
En habit noir, pieds nus, et complètement ivre 5
Il s'assit sur un trône en cuir à clous de cuivre.
Et dit : Homme, sais-tu que je suis petit-fils >
Du mage Zoroastre, ancien roi de Memphis?
Parle. — Et je répondis au fils de Zoroastre :
— Oui, sire. — Et je lui mis dans la main une piastre.
Il fut content, m'offrit à boire, et s'en alla.
214 TOUTE LA LYRE.
XI
Quiconque est amoureux est esclave et s'abdique.
L'amour n'est pas l'amour} il s'appelle Ananké.
Si l'on ne veut pas être à la porte flanqué.
Dès qu'on aime une belle, on s'observe, on se scrute;
On met le naturel de côté 5 bête brute.
On se fait ange ; on est le nain Micromégas ;
Surtout on ne fait point chez elle de dégâts ;
On se tait, on attend, jamais on ne s'ennuie.
On trouve bon le givre, et la bise et la pluie.
On n'a ni faim, ni soif, on est de droit transi;
Un coup de dent de trop vous perd. Oyez ceci :
Un brave ogre des bois, natif de Moscovie,
Était fort amoureux d'une fée, et l'envie
Qu'il avait d'épouser cette dame s'accrut
Au point de rendre fou ce pauvre cœur tout brut ;
L'ogre un beau jour d'hiver peigne sa peau velue.
Se présente au palais de la fée, et salue.
Et s'annonce à l'huissier comme prince Ogrousky.
La fée avait un fils, on ne sait pas de qui.
Elle était ce jour-là sortie, et quant au mioche.
Bel enfant blond nourri de crème et de brioche.
Don fait par quelque Ulysse à cette Calypso,
Il était sous la porte et jouait au cerceau.
On laissa l'ogre et lui tout seuls dans l'antichambre.
Comment passer le temps quand il neige en décembre.
Et quand on n'a personne avec qui dire un mot?
L'ogre se mit alors à croquer le marmot.
^ICON^E EST AMOUREUX EST ESCLAVE... 21)
C'est très simple. Pourtant c'est aller un peu vite. Même lorsqu'on est ogre et qu'on est moscovite. Que de gober ainsi les mioches du prochain. Le bâillement d'un ogre est frère de la faim. Quand la dame rentra, plus d'enfant. On s'informe. La fée avise l'ogre avec sa bouche énorme. As-tu vu, cria-t-elle, un bel enfant que j'ai? Le bon ogre naïf lui dit : Je l'ai mangé.
Or, c'était maladroit. Vous qui cherchez à plaire. Jugez ce que devint l'ogre devant la mère Furieuse qu'il eût soupe de son dauphin. Que l'exemple vous serve; aimez, mais soyez finj Adorez votre belle, et soyez plein d'astuce 5 N'allez pas lui manger, comme cet ogre russe. Son enfant, ou marcher sur la patte à son chien.
2l6 TOUTE LA LYRE.
XII
A l'âge des bergeries. Quand les lèvres sont fleuries. Nous errions loin des prairies. Lise et moi, dans le hallier} Lise, au vent livrant sa tresse. Moi, tremblant d'une caresse;
La maîtresse.
L'écolier.
Voyant la nuit prête à naître. J'osai ne plus me connaître. Je pris un baiser peut-être 5 Un vieux frêne soupira ; La république des bêtes Chantait, moineaux et fauvettes.
Sur nos têtes.
Ça ira !
Le soir répandait ses brumes. Doux amour, tu nous consumes ! Tout à coup nous aperçûmes (Etait-ce un bouc? je le crois) Dans la sauge et la joubarbe, O conteur du roi de Garbe !
Une barbe
Dans le bois !
A L'AGE DES BEKGEKIES... lYJ
Moi qui connais mon Tityre Et qu'Horace aux champs attire. Je criai : C'est un satyre ! Lise dit : C'est un sapeur! Sans plus nous en rendre compte, Nous fuîmes, elle moins prompte;
Elle eut honte.
Et j'eus peur.
L'âpre forêt taciturne A dans son ombre nocturne Tous les fantômes, Saturne, Faune, Irmensul, Urian; D'une vague horreur couverte, La grande Dryade verte
Déconcerte
Florian.
8 février i8jj.
2i8 TOUTE LA LYRE.
XIII (>)
BRUIT DE GUITARE.
La même belle nous dompte. Hélas ! depuis Tan passé ; Le choisi, c'est toi, vicomte 5 Moi, je suis le méprisé.
A nous deux de cette fée Nous composons l'entretien ; Et, de ton amour coifFée, Elle se chausse du mien.
D'où nous vient ce double rôle? Elle ne sait pas pourquoi. Je lui fais l'effet d'un drôle. Tu lui fais l'effet d'un roi.
Mais son cœur pour rien ne compte Dans ta joie et dans mon deuil ; Je suis son dédain, vicomte. Et tu n'es que son orgueil.
Viendra quelque gueux, moins bête. Qu'elle aimera, c'est la loi. Lui faisant comme à toi fête. Le méprisant comme moi.
16 janvier 1855. {') Inédit.
XIV
LA LUNE.
L'Olympe a dans l'azur des degrés inconnus ; Un jour, en descendant cet escalier, Vénus Tomba, se fit des bleus ailleurs que sur la face. Et les hommes en bas rirent ; l'efïroi s'efface Quand on peut voir les dieux par leur autre côté. — Soit, dit alors Vénus, pour leur rire effronté. Les hommes, ayant eu cette bonne fortune. Ne verront plus de moi que cela. —
C'est la lune.
3 juin.
220 TOUTE LA LYRE.
XV
Le marquis de Bade a deux cornes ; Il en décore son blason. Je désire peu que tu m'ornes De cette parure, ô Suzon.
Belle, tu n'as point d'armoiries. Mais ton doux rire est enchanteur ; Bois aux sources, jamais taries. Et crois au ciel, jamais menteur.
Ces princes, que l'ombre enveloppe. Avaient toujours l'épée en main -, Ils conquéraient souvent l'Europe, Et quelquefois le grand chemin.
Guerre au dehors, guerre civile. Tout plaisait à ces hasardeux ; Calmes, ils laissaient dans leur ville Leur femme, avec un page ou deux.
Ces fiers badois au pied allègre Firent la guerre aux fils d'Orcan, Au négus, magot chrétien nègre. Au grand Kne2, cousin du grand Khan,
Aux pays de neige et de sable, A Vienne, où régnait le dauphin, A Chypre, à Zante, à Rome, au diable j Ils voyagèrent tant qu'enfin
LE MARDIS DE BADE A DEUX COKNES... 221
Ces marquis, sujets aux absences. Jaloux des cornes du bison. Ajoutèrent ces excroissances A la grandeur de leur maison.
Bade, lo septembre 1865.
112 TOUTE LA LYRE.
XVI
Veux-tu vivre, être admiré. Et de graisse rembourré. Et centenaire enterré? Crains le pourpoint trop serré. Les gens en bonnet carré. L'encre et le papier timbré ; Fais usage modéré, Cibo, Baccho, Venere? Laisse aux manants le poiré. Le champignon dans le pré. Et ta servante au curé.
XVII
CHAQUE SIECLE A LE SIEN.
Le sei2ième eut Turlupin. Le dix-septième eut Scapin. Le dix-huitième eut Crispin. Le dix-neuvième a Dupin.
1838.
224
TOUTE LA LYRE.
XVIII
Il avait le front bas, le rire d'un pirate, Le poil noir, l'œil chinois, la mine scélérate j Un turban le coiffeit comme un Nostradamus -, Et, se rejoignant presque à son gros nez camus. Moustaches et sourcils d'une énorme envergure Lui dessinaient un X à travers la figure.
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XIX
TRIANON, sur son tréteau, annonçant le spectacle.
Messeigneurs, nous aurons pour lustre la grande Ourse.
Vous entendrez, chacun payant selon sa bourse,
Irus pour un liard, Crésus pour un sequin,
A demi-voix, au bord du manteau d'arlequin.
Jaser la folle avoine avec le brin de vigne.
Un lac, où vous verrez vaguement fuir un cygne.
Servira de miroir, parmi l'herbe et le thym.
Aux fleurs se recoiffant dans l'ombre le matin.
Les bois seront ornés d'une biche effrayée.
La scène au premier plan sera tout égayée
D'aveugles, de pieds-bots défaisant leurs chaussons,
De lépreux se raclant avec de vieux tessons.
Et de voleurs auxquels on lira leur sentence.
Au fond monsieur Haillon et madame Potence
Se feront des saluts respectueux. Enfin,
Gueux, les dents de la Mort et les dents de la Faim
Riront au dénoûment de la pièce, et la Gale
Epousera l'auteur dans un feu de Bengale ;
Ils s'en iront chantant et bras dessus dessous.
Et le diable au bon Dieu jettera des gros sous.
POESIE. — xm. ij
lapUaiUI KATIOVALE.
Iï6 TOUTE LA LYRE.
XX
Fils, je veux dans ce conte, où vont venir les fées. Bâtir un temple avec des fleurs et des trophées, Heurter les Arlequins contre les Amyntas, Et vous montrer les jeux et les amours d'un tas De rayons d'or prenant leurs ébats dans la brune. Et mêler le grand jour avec le clair de lune; Vous verrez à minuit apparaître midi $ Je prétends marier Piastre à Maravédi, Le pied de Cendrillon aux bottes de sept lieues. Et faire en plein soleil danser les âmes bleues.
XXI
QUAI DE LA FERRAILLE. CHŒUR DES RACOLEURS.
Nous sommes les sergents recruteurs. Pour la gloire.
Pour l'empire, pour être illustre dans l'histoire.
Il faut des meurtriers au roi ; nous en cherchons.
Pour faire nos drapeaux nous prenons des torchons ;
Pour faire des héros nous prenons des canailles.
Nous rions en ouvrant dans l'ombre nos tenailles ;
Qui se fie au sourire est pincé par l'étau.
Le froid, la faim, la soif, sont des coups de marteau
Qui donnent une forme obscure aux misérables ;
Mais pourvu qu'il leur reste un œil fier, de bons râbles.
Des vices, de la rage et des instincts fougueux.
Ils sont notre gibier y nous épluchons les gueux 5
Nous trions les gredins 5 nous passons à nos cribles
Toutes sortes de gens sauvages et terribles ;
Les méchants sont les bons ; les sanglants sont les beaux.
Ils deviendront vautours, ayant été corbeaux.
À nous tout ce qui traîne ! à nous tout ce qui passe !
Sa Majesté nous dit : Sergents, faites main basse.
Elle nous livre en bloc le tas des mendiants ;
Nous lui rendons des Cids et des Esplandians.
Nous avons carte blanche et pleins pouvoirs pour faire
L'armée horrible ainsi que le roi la préfère $
Nous enrôlons des loups, des ours, des juifs de choix
Et de bons allemands qui pattent les pourchois ;
228 TOUTE LA LYRE.
Nous prenons un coquin, faux boiteux, faux aveugle.
Nous l'of&ons gentiment à Bellone qui beugle.
Et plus tard il aura, rampant sur les pavés,
La jambe de bois vraie et de vrais yeux crevés.
Nous montrons à qui veut les voir nos tours fort drôles.
Nos trucs, nos fleurs de lys, parfois sur nos épaules.
Nos façons de tricher aux cartes, nos galons.
Nos plumets, notre sabre et jamais nos talons.
Nous régnons; nous dressons nos fières silhouettes.
Étant tous très voleurs et même un peu poètes.
On nous suit. Si ce n'est de force, c'est de gré.
Que c'est beau, l'épaulette et le colback tigré!
Qui veut de l'or? Vene2, manants. Notre escarcelle
S'offre, brille, éblouit le pauvre, et le harcèle.
Quand nous voyons passer des moines, nous louchons
Du côté de ces gars masqués de capuchons ;
En fait de va-nu-pieds, nous préférons les carmes 5
Pour les guerres, les camps, les clairons, les vacarmes.
Les sacs et les viols, on prend des assassins
Et des larrons, à moins qu'on n'ait des capucins;
Les abbés défroqués sont d'admirables reîtres
Et nos meilleurs bandits sont faits avec des prêtres.
Un casque sied au prêtre aussi bien qu'un turban.
Une pause.
Beau sexe, attention! Tambours, battez un ban. En péchant ces messieurs les héros en eau trouble. On sert Mars et Vénus, et nous faisons coup double. Les dames, grâce à nous, ne manquent point d'amants Vu que nous fournissons l'état de garnements. L'enfant Amour, crieur public, annonce et braille Le départ pour Cythère au quai de la Ferraille ; Cypris, étant déesse et toute nue, aurait Grand tort de ne point suivre Ajax au cabaret ; Achille a pour Catau des façons très civiles. Les grenadiers — battez tambours ! — ça prend les villes Et les mentons ; c'est gai, féroce et tapageur.
QUAI DE LA FERRAILLE. 229
Babet devant Fanfan sent une humble rougeur ;
Les belles ont le goût des héros, et le mufle
Hagard d'un scélérat superbe sous le buflle
Fait bâiller tendrement l'hiatus des fichus ;
Quand passe un tourbillon de drôles moustachus,
Fïurlant, criant, aflreux, éclatants, orgiaques.
Un doux soupir émeut les seins élégiaques.
Quels beaux hommes ! housard ou pandour, le sabreur
Efïroyable, traînant après lui tant d'horreur
Qu'il ferait reculer presque la sombre Hécate,
Charme la plus timide et la plus déUcate.
Rose, qui ne voudrait toucher qu'avec son gant
Un honnête homme, prend la griffe d'un brigand.
Et la baise 5 telle est la femme. Elle décerne
Avec emportement son âme à la caserne 5
Elle garde aux bourgeois son petit air bougon.
Toujours la sensitive adora le dragon.
Sur ce, battez, tambours ! Ce qui plaît à la bouche
De la blonde aux doux yeux, c'est le baiser farouche;
La femme se fait faire avec joie un enfant
Par l'homme qui tua, sinistre et triomphant;
Et c'est la volupté de toutes ces colombes
D'ouvrir leurs lits à ceux qui font ouvrir des tombes.
31 mars 1870.
230 TOUTE LA LYRE.
XXII
COMÉDIES NON JOUABLES QUI SE JOUENT SANS CESSE.
I LA MARQUISE ANTOINETTE.
Un salon,
ANTOINETTE, marquise ayant épousé un vieux. Autrefois grisette. Trente ans. ADOLPHE, bon état. Dix-huit ans.
ADOLPHE, à part.
Elle est seule.
LA MARQUISE ANTOINETTE, à part.
C'est lui.
ADOLPHE, à part.
Profitons du moment.
Il s'arrête et l'admire.
Qu'elle est belle î
ANTOINETTE, sans se déranger de son attitude.
Bonjour, Adolphe.
A part.
Il est charmant.
ADOLPHE, à part.
C'est l'étoile Vénus !
Il salue.
Madame la marquise. . .
À part.
Comme elle est adorable et comme elle est exquise Avec son bras ainsi ployé sous le menton!
COMEDIES NON JOUABLES QUI SE JOUENT... 231
ANTOINETTE.
Que dit-on de nouveau?
ADOLPHE.
L*amiral Codrington Vient de battre les turcs à Navarin.
ANTOINETTE.
Adolphe, Qu'est-ce que c'est que ça. Navarin?
ADOLPHE.
C'est un golfe.
ANTOINETTE.
En France?
ADOLPHE.
Non. En Grèce.
ANTOINETTE.
Ahl bien.
ADOLPHE.
Au fond, Pylos, Au premier plan, la baie avec quelques îlots. Voilà Navarin. Or. . .
A part.
Quel regard, quelle taille!
Balbutiant.
Madame. . .
ANTOINETTE.
Nous parlions, je crois, de la bataille...
■232 TOUTE LA LYRE.
ADOLPHE.
De Codrington. Non pas. Navarin!
A part.
Je suis fou. Je patauge.
Haut.
On était dans les eaux de Corfou ; On savait que les turcs, non sans quelque mystère. Avaient quitté Cythère. . .
ANTOINETTE.
Ah ! qu'est-ce que Cythère ?
ADOLPHE.
C'est une île. Cythère, autrement Cérigo. On y peut cultiver le poivre et l'indigo. Cette île sert aux turcs de poste et de caverne. Sinan Cigale dit : Cythère est la lanterne De l'Archipel.
ANTOINETTE, distraite.
Ainsi — l'amiral. . .
ADOLPHE.
Codrington.
Après?
ANTOINETTE.
ADOLPHE.
Le vingt octobre, au point du jour, dit-on. Les flottes ont quitté le mouillage de Zante. La marine ottomane était molle et pesante. Le système des turcs était de refuser. . .
COMÉDIES NON JOUABLES QUI SE JOUENT... 233
ANTOINETTE.
Un baiser! je crois bien.
ADOLPHE.
Ce n'est pas un baiser. C'est le combat.
ANTOINETTE.
C'est vrai. \^us disiez? le système
Des turcs. . .
ADOLPHE.
Je ne sais plus où j'en étais. . .
LE DIABLE, dans le trou du souffleur.
Je t'aime !
ADOLPHE.
Je t'aime!
ANTOINETTE, h. part.
Allons donc!
Haut.
Ciel! monsieur, que faites-vous? Si vous ne lâchez pas sur-le-champ mes genoux. Ce que vous faites là, monsieur, n'est pas honnête! Je vais sonner, monsieur!
LE DIABLE, à part.
J'ai cassé la sonnette.
ADOLPHE.
Je t'aime !
ANTOINETTE.
Taisez-vous !
ADOLPHE.
Je meurs d'amour!
ANTOINETTE.
Tais-toi !
234 TOUTE LA LYRE.
ADOLPHE.
Madame, aye2 pitié! J'ai le cœur plein d'effroi! Laissez-vous adorer ainsi qu'une madone ! Si tu savais! je sens ma tête en feu. Pardonne! Oh ! laisse-moi mourir à tes pieds !
ANTOINETTE.
Dans mes bras !
LE DIABLE.
J'ai cru que le crétin ne s'en tirerait pas. Il ne savait d'abord pas un mot de son rôle.
On entend un bruit de baiser. Rêvant et riant.
Sans nous le monde est bête, avec nous il est drôle.
II
IDYLLE.
Un bois.
LISE.
Puisque votre regard m'apparaît dans l'aurore,
ALBERT,
Puisqu'en vos jeux je crois voir une étoile éclore,
LISE.
Puisque je veux rester et fuir quand je vous vois,
ALBERT.
Puisqu'une lyre est moins douce que votre voix,
LISE.
Puisqu'à vos pieds les cœurs font des battements d'ailes.
COMÉDIES NON JOUABLES QUI SE JOUENT... 235
ALBERT.
Puisque vous êtes belle entre toutes les belles,
LISE.
Puisque l'oiseau ne peut chanter sans vous nommer,
ALBERT.
Puisque je ne puis faire autrement que t'aimer,
LISE.
Je dis que l'air est frais,
ALBERT.
Je dis que l'onde est pure,
LISE.
Je vois un grand sourire au fond de la nature,
ALBERT.
Je te prends et t'épouse.
LISE.
Et de toi je fais choix,
ALBERT.
Et je dis que je veux m'en aller dans les bois.
Moment de rêverie.
Viens.
LISE.
Est-ce pour jamais ?
ALBERT.
Oui. Donne ta main blanche.
Ils s'enfoncent dans la forêt.
236 TOUTE LA LYRE.
ÉROS.
Cœur, aie un seul amour!
PAN.
Arbre, une seule branche? C'est malaisé.
LE DIABLE, dans l'ombre.
Léandre aime à cette heure Héro. Lise aime Albert. La suite au prochain numéro.
25 mars 1874.
III ,
COCARDE ET LOUCHON. LOUCHON.
Paul est roux.
COCARDE.
Jean est laid.
LOUCHON.
Paul me bat.
COCARDE.
Jean me rosse.
LOUCHON.
Paul, s'il n'était bandit, serait bête féroce.
COCARDE.
Tout l'hiver Jean se grise.
LOUCHON.
Et Paul boit tout l'été.
COMÉDIES NON JOUABLES QUI SE JOUENT... 237
COCARDE.
Jean a mis mes effets au mont-de-piété.
LOUCHON.
Lorsqu'il tonne et qu'il pleut chez moi, c'est Paul qui souffle.
COCARDE.
Jean est un chenapan.
LOUCHON.
Et Paul est un maroufle.
COCARDE.
Je le déclare ici, ce drôle est mon vainqueur.
LOUCHON.
J'aime cette canaille au fin fond de mon cœur.
IV
AU LUXEMBOURG. Un banc. Deux astronomes.
PREMIER ASTRONOME.
L'équinoxe ravage affreusement nos côtes.
DEUXIÈME ASTRONOME.
Le vent est vicieux. Il fait beaucoup de fautes.
PREMIER ASTRONOME.
L'homme se met en route et se trompe souvent.
DEUXIÈME ASTRONOME.
Notre vie est de l'eau conduite par du vent.
238 TOUTE LA LYRE.
Sur un autre banc. Des invalides caiisent. UN INVALIDE.
Tout est en feu.
UN AUTRE.
Depuis Berlin jusqu'en Sicile !
UN AUTRE.
Faire rentrer Bellone en cage est difficile.
UN AUTRE.
Il faut faire la paix avec cet animal De roi de Prusse.
UN AUTRE.
A bas la guerre !
UN AUTRE.
Tout va mal.
UN AUTRE.
L'empereur ne sait plus où donner de la tête.
UN RÊVEUR, passant.
Les rois lâchent la guerre et c'est Dieu qui l'arrête.
Sur un autre banc. Deux étudiants.
LE PREMIER ÉTUDIANT.
Que lis-tu? Cujas?
LE DEUXIÈME.
Non. Je lis Dante et Lucain. Mon père est royaliste et moi républicain. C'est sa faute. Il m'envoie à Paris. Je m'y forme. J'y grandis. Je m'emplis de la lumière énorme, Et j'étais paysan et je suis citoyen.
COMEDIES NON JOUABLES QUI SE JOUENT... 239
Sur un autre banc. Deux prêtres.
L'ABBÉ CARON.
Fils, le but, c'est l'église, et Dieu c'est le moyen; Cela n'empêche pas Dieu d'être Dieu; mais, prêtres. Nous sommes serviteurs avant d'être les maîtres; Le prêtre est roi, depuis Moïse et Salomon; Ce qu'on nomme l'esprit humain, c'est le démon; La raison est un mot que le dogme rature; Et c'est pourquoi souvent, corrigeant la nature. Ce que le ciel permet, le prêtre le défend; Quand on entend parler le diable dans l'enfant. Il faut sévir, il faut lui dire de se taire.
L'ABBÉ DE LAMENNAIS.
Et c'est ainsi qu'étant Porée, on fait \bltaire.
Sur un autre banc.
UN VIEILLARD.
Vous donnez une charte au peuple, qui se perd.
Pour qu'il soit sage. Eh bien, c'est terrible, il s'en sert...
UN AUTRE VIEILLARD.
Pour être libre.
Sous les arbres.
UNE JEUNE FILLE.
Non!
UN JEUNE H02MME.
Que le sein soit de marbre. C'est bien, mais pas le cœur.
LA JEUNE FILLE.
Laisse2-moi !
LE JEUNE HOMME.
Sous un arbre On s'embrasse.
240 TOUTE LA LYRE.
LA JEUNE FILLE.
Embrassez. — Mais pas comme cela.
LE JEUNE HOMME.
LA JEUNE FILLE.
Si!
Non!
Dans une allée.
UN ENFANT, à une boule qu'il fait rouler.
Je ne veux pas que vous alliez par là !
2j juin 1876.
V
LE MENDIANT.
Devant la vitre éclairée de la chambre oîi un jeune homme s'habille pour le bal masqué.
Fort bien. Habillez-vous. — Tiens, c'est le mardi gras!
Rions. Ne soyons point à la jeunesse ingrats.
Il faut se divertir et que le temps se passe.
Vous avez su tirer d'un vieil oncle rapace
Vingt écusj vous allez les boire en une nuit.
Habillez-vous, jeune homme! à grands cris, à grand bruit!
Sonnez tous vos laquais et vos valets de chambre !
— Bourguignon, mon pourpoint! Picard, ma boîte d'ambre!
Chaussez-moi I rasez-moi ! peignez-moi ! — C'est cela.
Que vous êtes galant sous l'habit que voilà !
Cambrez la taille un peu. Mettez-vous une mouche.
Comme fait Jeanneton, sur le coin de la bouche.
Le flot de rubans. — Bien. — Et l'air impertinent.
Cela sied. — Le manteau, les gants, et maintenant
L'épée avec sa pomme à mettre des pistaches. —
Que de cœurs suspendus au croc de vos moustaches !
COMEDIES NON JOUABLES QUI SE JOUENT... 241
Que de femmes vont dire : Adorable seigneur !
Vous avez tout, jeunesse, et richesse, et bonheur;
Tout est pour vous, bosquets fleuris, tendres trophées.
C'est bien. On vous dirait habillé par les fées.
Et vous êtes toujours au bal un des premiers.
Riez. — Un jour les ans viendront, lourds costumiers;
Maladie et vieillesse, habilleuses sinistres.
Éteindront vos regards sous d'af&eux cercles bistres,
\^us ôteront la grâce, et vous mettront, ô deuil!
Un dôme sur le dos, une loupe sur l'œil.
Une bouche sans dents qui dira : soyons sage !
Un gros nez, un gros ventre, et sur ce frais visage.
Doux, superbe, adoré de toutes nos houris.
Un vieux masque obstrué d'un buisson de poils gris.
Alors, désespéré, tordant vos mains fiévreuses.
Fuyant les miroirs pleins de visions affreuses.
Aussi lugubre à voir que vous étiez charmant.
Sans pouvoir arracher votre déguisement.
Domino ridicule et chassé des quadrilles,
\^yant les beaux garçons sourire aux belles filles.
Vous irez, trouble-fête, errer au milieu d'eux.
Jusqu'à ce que ce spectre, autre masque hideux.
Sans nez, sans yeux, montrant toutes ses dents sans rire.
Qui vient nous chercher tous et par le bras nous tire.
Vous jette un soir, d'un coup de sa fourche de fer.
Dans ce noir carnaval qu'on appelle l'enfer !
VI
Elle, c'est le printemps; pluie et soleil; je l'aime; Je m'y suis fait.
Un jour, elle me dit :
— Quand même On est tout seul, les bois sont doux. Les belles eaux !
POÉSIE. — XUI. 16
nrmiiuui hitioiâu.
242 TOUTE LA LYRE.
La campagne me plaît à cause des oiseaux. Écoutons-les chanter. —
Moi, l'âme épanouie, '
J'écoutais.
— Les oiseaux, dit-elle, ça m'ennuie. Jouons.
— Aux cartes?
■ — Non.
— A quoi?
— Je hais le jeu. Causons. Le jaune est laid, je préfère le bleu.
— Je suis de ton avis.
— Toujours dans les extrêmes !
— Le bleu, dis-je, c'est beau.
— Pourquoi?
— D'abord, tu l'aimes. Ensuite, c'est le ciel.
Mais le jaune, c'est l'or.
— Va pour le jaune.
— Il est de mon avis encor ! C'est assommant !
— Faisons la paix.
— Je te pardonne. Un autre jour :
— Ami, viens, je me sens très bonne. Le temps est beau, sortons à pied. —
Comme j'ofirais Mon landau :
— Non, dit-elle, il faut, par ce vent frais. Marcher, rôder, courir au bois à l'aventure. —
COMÉDIES NON JOUABLES QUI SE JOUENT... 243 On s'habille, on descend.
— Où donc est la voiture?
— Mais tu voulais sortir à pied.
— A pied, jamais! Marcher par ce vent froid ! fi donc ! —
Je me soumets.
On attelle.
— Voici le landau.
— Pourquoi faire?
— Mais, pour sortir.
— Tords-moi le cou, je le préfère. Ah çà ! tu veux sortir par cet horrible temps ! — •
Un autre jour :
— Nos cœurs, dit-elle, sont contents. Ami, j'ignore tout, mais je suis ta servante. Puisque je sais aimer, je suis assez savante. Je t adore. Mon dieu, c'est toi. —
Le lendemain. Un grand soufflet sortit de sa petite main. Et tomba sur ma joue.
— Hé! dis-je.
— Bagatelle ! Viens m'embrasser. Comment me trouves-tu ? dit-elle.
— Charmante! —
Et c'est ainsi que je m'accoutumai Aux inégalités d'humeur du mois de mai.
24 juillet 186...
16.
244 TOUTE LA LYRE.
VII IDYLLE DE LA RUE N.-D. DE LORETTE.
— Six amants! — Cela fait crier?
— A la fois? — Pourquoi pas? — Coquette, Pourquoi Psaphon? — C'est un poëte.
— Pourquoi Dimas? — C'est un banquier.
— Et Grib, l'affreux casse-noisette Plus noirci que son encrier?
— Diable ! il écrit dans la gazette.
— Pourquoi Senex, le maltôtier?
— Avoir un vieux, c'est mon système.
— Et Mars ? — C'est un beau grenadier.
— Et moi, madame? — Ah! toi! je t'aime.
Avril 1849.
VIII
(Une rue, la nuit.) MILLION.
"V^is-je point là dans l'ombre un homme titubant?
CROQUEFER.
Quel est ce gredin triste accroupi sur un banc?
MILLION.
Qui vive?
CROQUEFER.
Qui va là, sans lanterne, à la brune?
COMÉDIES NON JOUABLES QUI SE JOUENT... 245
MILLION.
Empereur de la Chine.
CROQUEFER.
Empereur de la lune !
Ils se reconnaissent. MILLION.
C'est toi, drôle?
CROQUEFER.
C'est toi, canaille! — touche là.
Ils se serrent la main. MILLION.
Que viens-tu faire ici?
CROQUEFER.
J'allais comme cela Devant moi, trébuchant dans l'obscurité grande. Dieu ! quelle sombre nuit ! Cartouche avec sa bande A passé par ici. N'ayant pas, le coquin. Trouvé de pauvre diable à qui prendre un sequin. Ayant aux carrefours en vain tendu ses toiles. Il a pillé le ciel et volé les étoiles. — Toi, que faisais-tu là?
MILLION.
Je rêvais.
CROQUEFER.
O vertus ! Sais- tu, mortel rêveur, que nous sommes vêtus Comme d'af&eux laquais payés à coups de gaules. Et qu'on voit des haillons flotter sur nos épaules?
246 TOUTE LA LYRE.
MILLION.
Vicomte, je le sais.
CROQUEFER.
Tu le sais, et c'est tout ! Et rien dans ton cen^eau ne s'indigne et ne bout ! O vrai sage ! ô poëte ! ô le plus grand des hommes ! Gueux, et — tout bonnement — rêveur!
MILLION.
Mon cher, nous sommes Riches. Oui, nous avons le ciel bleu, le grand air, La forêt où l'oiseau chante, et, par Jupiter! La fierté qu'on éprouve à marcher dans les plaines Librement! — Nous avons l'été, les nuits sereines, La lune se mirant dans le fleuve argenté. . .
CROQUEFER.
J'aimerais mieux dix sous.
MILLION.
Tu n'es pas dégoûté !
IX
SUSURRANT VOCES. LA CHEMINÉE.
Du bois ! j'ai fi-oid.
LA VITRE.
Je gèle, et la bise est bourrue.
UN COMMANDEMENT D'HUISSIER.
Songe à la providence !
COMÉDIES NON JOUABLES QUI SE JOUENT... 247
LA MONTRE.
Elle demeure rue Paradis, au Marais, et se nomme...
UN VIEUX CLOU ROUILLÉ DANS LA CLOISON.
Le clou.
UN VOLUME D'ANDRÉ CHÉNIER OUVERT SUR LA TABLE.
Voix du ciel, bruits divins, chantez!
LISETTE, frappant à la porte.
Pan! pan!
Chut!
Je bâille.
UNE BOUTEILLE.
LE BONHEUR.
LA PORTE.
LE COFFRE.
Glou glou.
Je ris.
LE TROU DE LA SERRURE.
Je regarde.
LE MUR.
J'écoute.
LE LIT.
Je m'appelle l'amour.
L'OREILLER.
Je m'appelle le doute.
LA CHANDELLE.
Le soleil a beaucoup de taches.
248 TOUTE LA LYRE.
LA TRANCHE DE JAMBON.
Le laurier Fut créé pour le porc.
LA TABLE.
Je porte l'encrier. Ce nid tout noir d'où sort l'idée aux ailes blanches.
LE PUPITRE.
Le trône et le cercueil sont faits de quatre planches.
UN TOME DÉPAREILLÉ DE BOSSUET.
Disparaissez, Vishnou, Bel, Jupiter, Mithra! Saint-Pierre seul gouverne et règne. . .
LA PANTOUFLE.
Et caetera. Gloire au pied nu d'Anna!
LA SAVATE.
Le pied se change en patte.
UN BUSTE SUR LA CHEMINÉE.
Tout commence à pantoufle et finit à savate.
9 décembre 1853.
SYLVIA
On prétend, Sylvio, que toujours je vous aime.
SYLVIO.
On conte, Sjlvia, que partout je vous suis.
(') Inédit.
COMÉDIES NON JOUABLES QUI SE JOUENT... 249
SYLVIA.
Je vous donne mes jours !
SYLVIO.
A
G ma beauté suprême ! Gardez les jours, donnez les nuits!
XI
ANDRÉ.
Je te jure un amour éternel !
LISE, souriant.
Calme-toi ! Parlons net. Et soyons fripons de bonne foi.
ANDRÉ.
Lise !
LISE, caressante.
Dispense-toi, cher amant, de poursuivre. André, pour de l'or faux je donne du vrai cuivre ; Des serments d'un menteur mon cœur est peu friand; Je suis franchement fourbe, et je paye en riant Tes écoute-s'il-pleut, d'un va-t'en-voir-s'ils-viennent. Fous qui font des serments et niais qui les tiennent ! Tu me feras des traits et je te les rendrai. André brûle pour Lise et Lise adore André, Mais Lise berne André comme André trompe Lise. Amour est notre autel. Caprice est notre église; Gn se suit aujourd'hui pour se quitter demain ; D'ailleurs, être autrement, c'est n'avoir rien d'humain; La passion finit par une pirouette ; Homme veut dire vent et femme girouette.
250 TOUTE LA LYRE.
Aimons-nous, puisque c'est la meilleure façon D'unir ta perfidie avec ma trahison, Mais ne nous gênons point et ne soyons point dupes. Pas de glu sur ta plume et de plomb à mes jupes. André, soyons heureux ; de plus soyons joyeux. Quel bête de bandeau l'Amour a sur les yeux! Otons-le-lui, veux-tu? Voyons clair dans nos âmes. Il faut pour faire un feu toutes sortes de flammes. Et pour faire un destin toutes sortes d'amours. Les cœurs toujours constants sont aveugles et sourds. L'œil qui n'a plus d'éclair, l'esprit qui n'a plus d'aile. Meurt, et c'est être infirme enfin qu'être fidèle. Gaîment on se retrouve après qu'on se perdit. Hein? Soyons bonne femme et bon homme. Est-ce dit? La douce main d'amour n'est point une tenaille. Aimons-nous. Trompons-nous.
ANDRÉ.
J'y consens.
LISE, furieuse.
Ah! canaille!
XII
ENTRE LE ZIST ET LE ZEST
LE MARQUIS GRUCCIA. — BARACCA, jolie femme (2ist). Strubble (Zest).
BARACCA.
Qu'est Strubble?
GRUCCIA.
Mon ami.
BARACCA.
Moi, je suis ton amante.
COMEDIES NON JOUABLES QUI SE JOUENT... 251
GRUCCIA. Parbleu |
|
BARACCA. |
|
Strubble est laid. |
|
GRUCCIA. |
|
Cette! |
|
BARACCA. |
|
Et moi je suis. . |
■' |
GRUCCIA , avec un baiser. |
|
Charmante ! |
BARACCA.
Strubble est chauve, et moi j'ai des cheveux.
Elle laisse tomber sa chevelure blonde sur ses épaules nues. GRUCCIA.
Apollo N'est pas plus coiffé d'or alors qu'il sort de l'eau. Tes cheveux sur ton front sont comme un flot d'aurore.
BARACCA.
Il ressemble à Midas.
GRUCCIA.
Tu ressembles à Flore.
BARACCA.
A
Il est bete.
GRUCCIA.
A peu près.
BARACCA.
J'ai de l'esprit.
GRUCCIA.
Tout plein.
252 TOUTE LA LYRE.
BARACCA. |
|
Il a le ton sec. |
|
GRUCCIA. |
|
Dur. |
|
BARACCA. |
|
J'ai le parler. . |
• |
GRUCCIA. |
|
Câlin. |
|
BARACCA. |
|
Son odeur! |
GRUCCIA.
On le flaire, et, toi, l'on te devine.
Galamment.
Ainsi, quand Vénus marche, elle apparaît divine.
BARACCA.
Il est mal fait.
GRUCCIA.
Bossu.
BARACCA.
Triste ! . . .
Elle rit.
Et vois ma gaite !
GRUCCIA.
Il se nomme laideur, tu t'appelles beauté.
BARACCA.
C'est un homme épineux, piquant, pointu, morose. Désagréable. Il est le chardon !
GRUCCIA.
Toi la rose.
COMEDIES NON JOUABLES QUI SE JOUENT... 253
BARACCA.
M'aimes-tu?
GRUCCIA.
Je t'adore.
BARACCA.
Eh bien, rien à demi. Choisis de ta maîtresse ou bien de ton ami. Strubble ou moi. L'un des deux est de trop. Et c'est l'heure Qu'il faut que l'un s'en aille et que l'autre demeure. Entre la belle fille et l'affreux vieux garçon. Décide. Strubble ou moi quitterons la maison. Choisis. Moi d'un côté, de l'autre cette brute.
GRUCCIA.
Mais je n'hésite pas, mon ange, une minute. Je te flanque à la porte.
Baracca se lève indignée et sort sans le regarder. Il reste seul.
254 TOUTE LA LYRE.
XXIII CHANSONS.
I
J'adore Sujette, Mais j'aime Suzon. Sujette en toilette, Su2on sans façon. Ah I Su2on, Sujette ! Suzette, Suzon !
Rimons pour Sujette, Rimons pour Suzon, L'une est ma musette, L'autre est ma chanson. Ah ! Suzon, Suzette ! Suzette, Suzon!
La main de Suzette, La jambe à Suzon, Quelle main bien faite ! Quel petit chausson ! Ah! Suzon, Suzette! Suzette, Suzon !
Je rêve à Suzette, J'embrasse Suzon, L'une est bien coquette. L'autre est bon garçon. Ah ! Suzon, Suzette ! Suzette, Suzon!
CHANSONS. 255
Tapis pour Sujette, Jardin pour Su2on, Foin de la moquette. Vive le ga2on ! Ah ! Su2on, Sujette ! Sujette, Su2on !
Au bal va Sujette, Au bois va Su2on, J'épie et je guette L'ombre et le buisson. Ah ! Suzon, Sujette ! Sujette, Su2on !
Jaloux de Suzette ! Jaloux de Suzon ! La bergeronnette Fait damner l'oison. Ah! Suzon, Suzette! Suzette, Suzon !
Si jamais Suzette Rit comme Suzon, Au diable je jette Toute ma raison. Ah ! Suzon, Suzette ! Suzette, Suzon !
Si comme Suzette Souriait Suzon, Cette humble amourette Serait mon poison. Ah ! Suzon, Suzette ! Suzette, Suzon !
256 TOUTE LA LYRE.
S'il faut fuir Sujette Ou quitter Su2on, Et que je n'en mette Qu'une en ma maison. Ah! Su2on, Sujette! Sujette, Su2on !
Je quitte Suzette, Je garde Suzon, L'une me rend bête. L'autre me rend bon. Ah ! Su2on, Sujette ! Sujette, Suzon !
II
Il était une fois Un jardin, et j'y vis madame Rosemonde; L'air était plein d'oiseaux les plus charmants du monde 5
Quelle ombre dans les bois !
Il était une fois Une source, et j'y vins boire avec Rosemonde 5 Des naïades passaient, et je voyais sous l'onde
Des perles à leurs doigts.
Il était une fois Un baiser, qu'en tremblant je pris à Rosemonde. — Tiens, regarde, ils sont deux, dit une nymphe blonde.
— Non, dit l'autre, ils sont trois.
CHANSONS. ^-f
Il était une fois Une fleur, qui sortit du cœur de Rosemonde j C'est mon âme. Et je brûle, et dans la nuit profonde
J'entends chanter des voix.
Schicdam, 3 août 18 61.
('> Inédit.
POESIE.
III(')
Je suis Jean qui guette. Chanteur et siffleur. Qui serait poëte S'il n'était voleur.
Et qui serait morne S'il ne trouvait pas Au coin de la borne Ses quatre repas.
J'ai la mine haute Et le ne^ en fleur De la Pentecôte A la Chandeleur.
Je rôde, je marche; J'ai pour toit le ciel. Pour alcôve une arche Du pont Saint-Michel.
IMPMHEUE IIITIOHALE.
2)8 TOUTE LA LYRE.
Ah ! c'est toi, vieux singe ! Disent les cathos Qui battent leur linge Au bord des bateaux,
Drôlesses ingambes. Et que j'aime à voir Se laver les jambes En chantant le soir.
J'ai près d'une belle Respect et bon ton j Je lui dis mamselle j Ça flatte Goton .
Quand j'ai d'aventure Fait quelque bon coup. J'en mène en voiture Quelqu'une à Saint-Cloud.
J'invite à ma table. Pour un fin soupe, La plus respectable. Une firanche p.
Les sergents de ville. Valets du plus fort. Ont l'âme si vile Qu'ils me font du tort.
Sous la raison basse Que j'ai pris parfois Leur bourse qui passe A d'affreux bourgeois.
CHANSONS. 259
On vient, on saccage Mon lit de roseau. On me met en cage Comme un pauvre oiseau.
J'échappe, et m'en tire ; Mais c'est ennuyeux. Pour moi qui respire Tout le vent des cieux !
Cela me dérange. Des fois j'ai logé Sous le pont-au-change -, J'ai déménagé.
J'ai plus d'une issue. Ma vie est ainsi Toute décousue. Ma culotte aussi.
Ah ! les temps sont rudes ! Souvent on a faim. Les filles sont prudes, La jeunesse enfin
N'a plus, que c'est bête ! Le moindre oripeau. Ni joie en la tête. Ni plume au chapeau.
Je suis, pour tout dire. Un garçon railleur. Moins mauvais qu'un pire. Moins bon qu'un meilleur.
26o TOUTE LA LYRE.
Je ris comme un coflFre, Je bois comme un trou. O Satan ! je m of&e A toi pour un sou !
11 avril 1847.
IV
L'oiseau passe Dans l'espace Où l'amour vient l'enflammer ; Si les roses Sont des choses Faites exprès pour charmer. Le ciel est fait pour aimer.
L'oiseau vole.
Et console Le désert et la maison.
Et les plaines
Et les chênes Ecoutent, quand sa chanson \^ de buisson en buisson.
Hymne et flamme.
Il est l'âme Du bois, du pré, de l'étang.
Des charmilles.
Et des filles Que dès l'aurore on entend Ouvrir leur porte en chantant.
5 septembre 18 61, Guernesey.
CHANSONS. 261
CANCION.
J'avais une bague, une bague d'or Et je l'ai perdue hier dans la ville 5 Je suis pandériste et toréador. Guitare à Grenade, épée à Séville.
Mon anneau luit plus que l'astre vermeil ; Le diable, caché dans l'œil de ma brune. Pourrait seul produire un bijou pareil S'il faisait un jour un trou dans la lune.
Si vous retrouvez l'anneau n'importe où, Rapporte2-le-moi. C'est Gil qu'on me nomme. Certes, je vaux peu 5 je ne suis qu'un sou. Mais près d'un liard je suis gentilhomme.
Je n'ai que mon chant comme le moineau. Rende2-moi ma bague, et que Dieu vous paie! \bus connaissez Jeanne? Eh bien, cet anneau. C'est, avec son cœur, le seul or que j'aie.
20 décembre 1854.
VI CHANSON DE MAGLIA.
Vous êtes bien belle et je suis bien laid. A vous la splendeur de rayons baignée 5 A moi la poussière, à moi l'araignée. Vous êtes bien belle et je suis bien laid -, Soyez la fenêtre et moi le volet.
262 TOUTE LA LYRE.
Nous réglerons tout dans notre réduit.
Je protégerai ta vitre qui tremble 5
Nous serons heureux, nous serons ensemble;
Nous réglerons tout dans notre réduit j
Tu feras le jour, je ferai la nuit.
VII
CHANSON EN CANOT.
Les gueules de loup sont des bêtes. Les gueules de loup sont des fleurs. Et vivent les femmes bien faites, La Seine et les grandes chaleurs !
Je m'amuse et je me promène. Amis, ayons congé! Versons Le dimanche sur la semaine. Et sur tous les jours des chansons. Les bois sont pleins de pâquerettes. De geais et de merles siffleurs. — Les gueules de loup sont des bêtes. Les gueules de loup sont des fleurs.
Vacances sans trêve ! Est-il sage De s'ennuyer six jours sur sept? Victoire m'attend au passage Avec une fleur au corset. Donc, amis. Victoire et conquêtes ! Les hommes joyeux sont meilleurs. Les gueules de loup sont des bêtes, Les gueules de loup sont des fleurs.
Le bon Dieu n'ôte pas leurs ailes Aux papillons passé midi ;
CHANSONS. 263
Les roses sont tout aussi belles Le mercredi que le jeudi. Et les dimanches et les fêtes N'ajoutent rien à leurs couleurs. — Les gueules de loup sont des bêtes. Les gueules de loup sont des fleurs.
A
O prêtre, en quelle erreur tu tombes ! Est-ce qu'on voit, à certains jours, Cypris dételer ses colombes Du char stupéfait de l'amour ? Les nids sont-ils dans leurs retraites Moins tendres et moins querelleurs ? — Les gueules de loup sont des bêtes. Les gueules de loup sont des fleurs.
Papas et maris, vieux bonshommes. Je ne m'occupe pas de vous ; Donc ne venez point où nous sommes Troubler la fête des yeux doux. Je ne veux savoir où vous êtes Qu afin de tâcher d'être ailleurs. — Les gueules de loup sont des bêtes. Les gueules de loup sont des fleurs.
Marthe, il faut qu'on s'enrégimente Dans le régiment de Vénus, Et que chacun ait une amante. Et je veux baiser tes pieds nus. Ça, mesdames, êtes-vous prêtes? Les amours sont les racoleurs. — Les gueules de loup sont des bêtes. Les gueules de loup sont des fleurs.
Marthe apparaît à sa lucarne. Lise m'appelle et me répond. Choisissez : la Seine, ou la Marne? Asnière, ou Joinville-le-Pont ?
264 TOUTE LA LYRE.
Partons, l'aurore est sur nos têtes, Gais bateliers, gais bateleurs ! — Les gueules de loup sont des bêtes. Les gueules de loup sont des fleurs.
Parfois, en rêve, je me sauve \fers l'océan bouleversé. Trop étroit pour ma chanson fauve. Chantant son refrain insensé ! Mais Lise, à travers les tempêtes. Me fait des pieds de nez railleurs. — Les gueules de loup sont des bêtes. Les gueules de loup sont des fleurs.
Marthe et Lise, amis, sont gentilles. Embrassons-les à tout moment. Prendre un baiser aux belles filles. C'est les traiter honnêtement. Il sied d'être toujours honnêtes. Donc il faut être un peu voleurs. — Les gueules de loup sont des bêtes. Les gueules de loup sont des fleurs.
27 septembre 1862.
VIII LA CHANSON DU SPECTRE.
Qui donc êtes-vous, la belle? Comment vous appelez-vous ? Une vierge était chez nous ; Ses yeux étaient ses bijoux. Je suis la vierge, dit-elle. Cueillez la branche de houx.
CHANSONS. 265
Vous êtes en blanc, la belle; Comment vous appelez-vous ? En gardant les grands bœufs roux, Claude lui fit les yeux doux. Je suis la fille, dit-elle. Cueillez la branche de houx.
Vous portez des fleurs, la belle ; Comment vous appelez- vous ? Les vents et les cœurs sont fous. Un baiser les fit époux. Je suis Tamante, dit-elle. Cueillez la branche de houx.
Vdus avez pleuré, la belle ; Comment vous appelez-vous ? Elle eut un fils, prions tous. Dieu le prit sur ses genoux. Je suis la mère, dit-elle. Cueillez la branche de houx.
Vous êtes pâle, la belle; Comment vous appelez-vous? Elle s'enfuit dans les trous. Sinistre, avec les hiboux. Je suis la folle, dit-elle. Cueillez la branche de houx.
Vous avez bien froid, la belle ; Comment vous appelez-vous ? Les amours et les yeux doux De nos cercueils sont les clous. Je suis la morte, dit-elle. Cueillez la branche de houx.
13 avril 1855.
266 TOUTE LA LYRE.
IX
MARGOT.
Je signais d*un grand paraphe Un billet doux bien écrit ; J'avais toute l'orthographe, Margot avait tout l'esprit.
Sa bouche, où quelque ironie Avait l'air de dire : osez. Était la Californie Des rires et des baisers.
Que je fusse un imbécile. C'était probable 5 et pourtant La belle trouvait facile De m'adorer en chantant,
Jusqu'au jour où, pour la mode Changeant d'amours et de ton, Margot trouverait commode De devenir Margoton.
Nous étions quelques artistes. Des poètes, des savants. Qui jetions nos songes tristes Et nos jeunesses aux vents.
Nous étions les capitaines De la fanfare et des chants. Des parisiens d'Athènes, Athéniens de Longchamps.
. CHANSONS. 267
Moi, j'étais, parmi ces sages. Le rêveur qui parle argot. Met son cœur dans les nuages Et son âme dans Margot.
Gais canotiers de Nanterre, Nous voguions sur le flot pur ; Margot lorgnait un notaire Quand je contemplais Ta^ur.
Elle trouvait l'eau trop fraîche. Et préférait l'Ambigu, Et s'écriait : Quand je pêche. C'est avec l'accent aigu.
Le sort déchira ses voiles ; Elle s'enfuit, j'échappai 5 Je montai dans les étoiles Et Margot dans un coupé.
X
A.
Rien n'est comme il devrait être.
Le maître ^ Plus que le valet.
Est laid.
Je hais ton jargon, Zémire. J'admire, Malgré son argot, Margot.
268 TOUTE LA LYRE.
Souvent d'une pauvre fille Qui brille. Les pieds en sabots Sont beaux.
Ici, la guerre âpre et noire; Bruit, gloire. Lauriers triomphaux. Or faux.
Ici la bête de somme ;
C'est l'homme ; Et là les héros Zéros.
Ici le nécessaire, aigre Et maigre 5 Là le superflu Joufflu.
Dans l'église et la guinguette Qu'il guette. Le diable survient ; Il tient
Par sa guimpe et son air prude Gertrude, Et par son chignon Ninon.
Le destin, ce dieu sans tête Et bête, A fait l'animal Fort mal.
CHANSONS. 269
Il fit d'une fange immonde Le monde. Et d'un fiel amer La mer.
Tout se tient par une chaîne De haine ; On voit dans les fleurs Des pleurs.
Tout ici-bas, homme, femme. Vie, âme. Est par Ananké Manqué.
Aussi, lorsque l'homme achève Son rêve. Quel triste avorton Voit-on !
Homme, mon frère, nous sommes Deux hommes. Et, pleins de venins. Deux nains.
Ton désir secret concerte Ma perte. Et mon noir souhait Te hait ;
Car ce globe où la mer tremble Nous semble Pour notre appétit Petit.
2/0 TOUTE LA LYRE.
Nous manquons, sur sa surface. De place Pour notre néant Géant.
XI (^>
MAGLIA, accordant sa guitare. Il chante.
Tourne-toi vers celle qui t'aime. Ne regarde point au delà. L*amour récolte ce qu'il sème. Toutes les filles de Bohême, Toutes les belles d'Alcala, Atala, Léila, Lola, Olympe avec son diadème, Su2on avec son falbala, Tralalala, tralalala. Ne valent pas celle qui t*aime.
Trala
La la.
Tourne-toi vers celle qui rêve Et qui voudrait que tu sois là. Toutes les autres filles d'Eve, Celles qui dansent sur la grève. Celles qui font cercle au gala, Carmen qui toujours s'envola, Luz dont la jupe se soulève.
(') Inédit.
CHANSONS. 271
Fanchon dont l'œil dit : me voilà !
Tralalala, tralalala.
Ne valent pas celle qui rêve.
Trala
La la.
XII
CHANSON DE BORD.
Marin, l'onde est une femme. Crains le sable, crains la lame,
Crains le rocher. C'est vers Pluton que tu vogues. Les flots sont les bouledogues
Du noir boucher.
La Bourrasque, pâle et nue, Traîne un linceul dans la nue.
Disent les vieux. La place des yeux est vide Sous son grand crâne livide
Et pluvieux.
Dès qu'on est dans cette écume. On a comme un bruit d'enclume
Dans le tympan ; La vague saute sur l'homme ; Le vent se comporte comme
Un chenapan.
Qui s'en tire gagne un quine. La mer est une coquine. Disent les vieux.
1-jl TOUTE LA LYRE.
La mer est une sauvage. Le flot toujours du rivage Est envieux.
Toute la terre fleurie Ne serait qu'une prairie
Et qu'un ga2on Sans cette mer de ténèbres Qui gonfle ses plis funèbres
A l'horizon.
Malheur à qui lève l'ancre ! Elle est la bouteille d'encre
Qu'un jour trouva Satan que l'envie enivre. Et qu'il vida sur le livre
De Jéhova.
XIII DANS LA FORÊT.
UN PASSANT, chantant.
La duchesse et la paysanne Se valent sur le vert gazon 5 Jérusalem offre Suzanne, Mais la Courtille offre Suzon ; Cupidon nous donne Inézille Et les perles de sa résille. Ou Javotte au bonnet cauchois.
L'ÉCHO.
Au choix.
CHANSONS. 273
AUTRE PASSANT.
Quel doux tyran qu'un regard tendre ! O vierge, donne-moi ton cœur; Je l'ai dit, se donner, c'est prendre; Ton prisonnier c'est ton vainqueur ; On devient reine en étant femme ; Si ton baiser prenait mon âme. Quand crois-tu que j'échapperais ?
L'ÉCHO.
Après.
AUTRE PASSANT.
Je te le jure par l'aurore.
Je te le jure par la nuit.
Je t'épouserai ! Je t'adore.
Viens ! ton pur regard me séduit.
L'amour à tes pieds n'a plus d'aile,
Je serai ton mari fidèle.
Et toute la forêt m'entend. . .
L'ÉCHO.
Mentant.
25 mai 1876.
XIV RONDE POUR LES ENFANTS
Fillettes, les fleurs sont écloses.
Danser, courons. Je suis ébloui par les roses
Et par vos fronts.
POESIE. — XIII. 18
ivrmnum» sATioaiut.
274 TOUTE LA LYRE.
Chez les fleurs vous êtes les reines j
Nous le dirons Aux bois, aux prés, aux marjolaines.
Aux liserons.
Avec l'oiselle l'oiseau cause.
Et s'interrompt Pour la quereller d'un bec rose.
Aux baisers prompt.
Donnez-nous, gaîtés éphémères.
Futurs tendrons. Beaucoup de baisers. . . — A vos mères
Nous les rendrons.
XVC) JEAN, JEANNE, JEANNOT.
La forêt grelotte ; La nuit tombe j il pleut 5 J'entends la roulotte De Braine-l'Alleud.
Un beau jour un ange. Nommé le Baiser, Vint dans une grange Pour se reposer.
La forêt grelotte -, La nuit tombe ; il pleut -, J'entends la roulotte De Braine-l'Alleud.
(') Inédit.
6 7^'' 1865.
CHANSONS. 275
Il y trouva Jeanne, Il j trouva Jean -, Jean n'était qu'un âne ; L'ange dit : hi-han !
La forêt grelotte ; La nuit tombe 5 il pleut j J'entends la roulotte De Braine-l'AUeud.
L'âne comprit l'ange. Regardez plutôt La miche que mange Le petit Jeannot.
La forêt grelotte -, La nuit tombe ; il pleut j J'entends la roulotte De Braine-l'AUeud.
XVI
LE CHANT DU VIEUX BERGER.
Je suis vieux, mais, ô lauriers-roses, O lys, cela n'empêche pas Toutes sortes de tendres choses. Toutes sortes de frais appas.
De s'épouser, rayons, haleines. Dans les champs pleins de douces voix. Et l'aube de dorer les plaines. Et l'oiseau de chanter au bois.
1-J6 TOUTE LA LYRE.
Les fleurs écoutent la promesse Du papillon j la tiendra-t-il ? Est-ce une orgie, est-ce une messe Que ce radieux mois d'avril ?
Un vieux de plus dans la nature. Ce n'est que quelqu'un qui s'en va j Toujours, à la sombre ouverture. Chérubin lui-même arriva.
Je suis vieux 5 mais pourvu que j'aime. Je n'ai rien à me reprocher ; Et l'abeille ira tout de même Cajoler la fleur du pêcher.
Le vent fredonne, l'eau miroite. Le gai lapin sort du terrier j La rose se tient toute droite Comme une fille à marier.
Des couples dans l'ombre s'effacent. Les grands chênes chassent le jour 5 Que voulez-vous que les bois fassent Si ce n'est de cacher l'amour ?
Les nids ont l'arbre pour complice 5 L'amour prend les cœurs à sa*glu j Il faut bien que tout s'accomplisse Comme le bon Dieu l'a voulu.
Les feuilles sont les sœurs des ailes j Un bosquet c'est une cloison 5 Les bois sont complaisants aux belles. Et je trouve qu'ils ont raison.
CHANSONS. 277
Aimons ! c'est ce qu'avril préfère. Avec tous ses chiens sans colliers Diane indignée a beau faire Un bruit fauve au fond des halliers.
Cette grande vierge farouche Perd son temps contre les amants ; L'amour c'est la bouche, et la bouche. C'est l'éclair qui fait des serments ;
Qu'importe Diane et ses dogues ! Chloé trouve Atjs éloquent. Les bois aiment ces dialogues Que ponctue un baiser fréquent.
La nature est l'immense alcôve 5 Et c'est ainsi que tout se perd. Et c'est ainsi que tout se sauve ; Cupidon, c'est l'enfant expert;
Il est subtil, il est superbe ; \^ste hymen providentiel ! Les daims font l'idylle dans l'herbe. L'aigle fait l'épopée au ciel.
On entend des murmures d'âmes ; Toute l'ombre est un grand frisson ; Et je sais encor l'air, mesdames. Si je ne sais plus la chanson.
9 octobre.
2/8 TOUTE LA LYRE.
XVII
CHANT DES SONGES.
Hurrah ! hurrah ! Toutes les portes sont ouvertes,
Hurrah! Smarra! Pour nous qui sortons des eaux vertes Et qui venons du hallier noir !
Les hommes agitent les glaives, Le fouet, la chaîne, l'encensoir; Nous, nous courons le long des grèves Et nous sommes les oiseaux rêves.
Hurrah ! hurrah ! Toutes les portes sont ouvertes,
Hurrah, Smarra ! Pour nous qui sortons des eaux vertes Et qui venons du hallier noir !
Qu'on s'enferme ! qu'on se séquestre ! Fermez la ville, et venez voir. Nous sommes dans la salle équestre Assis au fauteuil du bourgmestre !
Hurrah ! hurrah ! Toutes les portes sont ouvertes,
Hurrah ! Smarra ! Pour nous qui sortons des eaux vertes Et qui venons du hallier noir !
CHANSONS. 279
Le sergent fait le pied de grue.
— Qui va là ? — Vieux, fais ton devoir.
Autour de sa tête bourrue
Nous tourbillonnons dans la rue.
Hurrah ! hurrah ! Toutes les portes sont ouvertes,
Hurrah! Smarra! Pour nous qui sortons des eaux vertes Et qui venons du hallier noir !
La nuit sème ses perles d'ambre. Fermez le bouge et le manoir, A double tour ! c'est en décembre. Bon ! nous voilà dans votre chambre !
Hurrah, hurrah ! Toutes les portes sont ouvertes,
Hurrah! Smarra! Pour nous qui sortons des eaux vertes Et qui venons du hallier noir !
Blondes filles et vieillards chauves. Fermez vos rideaux, c'est le soir. Et maintenant, dans vos alcôves. Regardez luire nos yeux fauves !
Hurrah ! hurrah ! Toutes les portes sont ouvertes,
Hurrah! Smarra! Pour nous qui sortons des eaux vertes Et qui venons du hallier noir !
Fermez vos yeux, dormez, profanes. Soyez votre propre éteignoir. Nos chauves-souris diaphanes Battent de l'aile sous vos crânes !
28o TOUTE LA LYRE.
Hurrah ! hurrah ! Toutes les portes sont ouvertes,
Hurrah! Smarra! Pour nous qui sortons des eaux vertes Et qui venons du hallier noir !
Nous soufflons la cendre et les flammes. L'amour, le deuil, la peur, l'espoir; Fermez vos cœurs, hommes et femmes. Nous parlons dans l'ombre à vos âmes !
Hurrah ! hurrah ! Toutes les portes sont ouvertes,
Hurrah ! Smarra ! Pour nous qui sortons des eaux vertes Et qui venons du hallier noir !
17 mars 1854.
XVIII
HACQUOIL (Le Marin). Chantant.
L'amour f — le camp comme un b — Filant dix nœuds dans un bon lougre
En pleine mer. La beauté passe — sarabande ! Comme passe la contrebande
A Saint-Omer.
Mon grand-père était un grand drôle. Tu n'irais pas à son épaule. Tambour-major.
CHANSONS. 281
Et ma grand'mère — farandole ! — Etait belle comme une idole Dorée en or.
La dame, point avariée. Était duchesse et mariée
A de l'argent. Et mon grand-père — la bourrée ! — Lui dit un soir : Mon adorée.
Je suis sergent.
Et mon grand-père à ma grand'mère Proposa de faire mon père
En s'échauffent; Mais ma grand'mère — la gavotte ! Mais ma grand'mère était dévote.
Et fit l'enfant.
16 février.
XIX
AIR DE LA PRINCESSE D'ORANGE.
Viens, ô toi que j'adore. Ton pas est plus joyeux
Que le vent des cieux ; Viens, les yeux de l'aurore Sont divins, mais tes yeux
Me regardent mieux.
282 TOUTE LA LYRE.
Avril, c'est la jeunesse. Viens, sortons, la maison.
L'enclos, la prison, Le foyer, la sagesse. N'ont jamais eu raison
Contre la saison.
Pour peu que tu le veuilles. Nous serons heureux; vois.
L'aube est sur les toits. Et l'eau court sous les feuilles. Et Ton entend des voix
Du ciel dans les bois.
Toutes les douces choses, L'hirondelle au retour
Dans la vieille tour. Les chansons et les roses Et la clarté du jour.
Sont faites d'amour.
Aimer, c'est la première Des lois du Dieu clément ;
Le bois est charmant 5 Et c'est de la lumière ; Et c'est du firmament
Qu'on fait en aimant.
Belle, à la mort tout change ; Le ciel s'ouvre, embaumé.
Superbe, enflammé. Et nous dit : viens ! sois ange ! Mais qui n'a pas aimé
Le trouve fermé.
28 mai 1857. Guernesey.
CHANSONS. 283
II
Mai dans les bois recèle Les amours innocents ; Les amours innocents. L'homme en est l'étincelle ; Les amours innocents, La femme en est l'encens.
Couchez-vous sur la mousse Dans le beau mois de mai -, Dans le beau mois de mai La chose la plus douce Dans le beau mois de mai. C'est quand on est aimé.
Parcourez les charmilles. Les sources, les buissons ! Les sources, les buissons. Autour des jeunes filles. Les sources, les buissons Chanteront des chansons.
Sitôt qu'une femme aime, Au fond de son esprit. Au fond de son esprit Brille l'aube elle-même ; Au fond de son esprit Une rose fleurit.
On s'embaume, on s'éclaire Quand deux cœurs ne font qu'un ;
284 TOUTE LA LYRE.
Quand deux cœurs ne font qu'un. L'amour est leur lumière ; Quand deux cœurs ne font qu'un. L'amour est leur parfum.
Si vous voulez des flammes. Si vous voulez des fleurs. Si vous voulez des fleurs. Cherchez-en dans les âmes ; Si vous voulez des fleurs, Cherchez-en dans les cœurs.
27 mai 18^7. Guernesej, Route de Fermain-Baj.
XX
CHANT DU BOL DE PUNCH.
Je suis la flamme bleue. J'habite la banlieue. Le vallon, le coteau. Sous l'if et le mélèze. J'erre au Père-Lachaise, J'erre au Campo-Santo.
L'eau brille au crépuscule. Le passant sur sa mule Fait un signe de croix. Son chien baisse la queue ; Je suis la flamme bleue Qui danse au fond des bois.
CHANSONS. 285
La nuit étend son aile ;
De Profundis se mêle
A Traderidera ;
Les morts ouvrent leur bière.
Spectres, au cimetière!
Masques, à l'Opéra !
— Garçon, du punch! — J'arrive. Je suis le bleu convive. L'esprit des lacs blafards. Le nain des joncs moroses ; Je viens baiser les roses Après les nénuphars.
Buvez, fils et donzelles. D'autres ont été belles. D'autres ont été beaux. Riez, joyeuses troupes. Pour danser sur vos coupes Je sors de leurs tombeaux.
Monte à ta chambre, apporte Ton charbon, clos ta porte. Allume î c'est le soir. Regarde dans ton bouge. Comme un masque à l'œil rouge. Flamber ton réchaud noir.
D'autres boivent dans l'ombre. Toi, tu meurs î ton œil sombre S'éteint, ton front pâlit ; Je suis là, je t'éclaire. Et j'ai quitté leur verre Pour danser sur ton lit.
Le bol s'éteint.
286 TOUTE LA LYRE.
xxn^)
SÉRÉNADE. MAGLIA, chantant.
Quand les heures de paix et d'ombre sont venues, Les belles sur leur lit s'endorment toutes nues, Laissant la lune errer dans le ciel argenté, Et la fenêtre ouverte à cause de l'été.
XXII
LE CHÂTEAU DE L'ARBRELLES.
DANSE EN ROND.
Va cueillir, villageoise,
La fraise et la framboise
Dans les champs, aux beaux jours.
A huit milles d'Amboise,
A deux milles de Tours,
Le château de l'Arbrelles,
Roi de ces alentours.
Se dresse avec ses tours.
Ses tours et ses tourelles.
\^ cueillir aux beaux jours
La fraise et la framboise,
A huit milles d'Amboise,
l^) Inédit.
CHANSONS. 287
A deux milles de Tours, C'est là que sont les tours, Les tours et les tourelles Du château de l'Arbrelles Bien connu des vautours.
II
Cueilles, Jeanne et Thérèse, La framboise et la fraise. Rions, dansons, aimons. Le ciel en est bien aise. Moquons-nous des sermons. Le château de l'Arbrelles, Qu'en chantant nous nommons. Dresse sur les vieux monts Ses tours et ses tourelles. Rions, dansons, aimons. Cueilles, Jeanne et Thérèse, La framboise et la fraise. Moquons-nous des sermons. Là-bas, sur les vieux monts Se dressent les tourelles Du château de l'Arbrelles Bien connu des démons.
m
Cueillez, filles d'Amboise, La fraise et la framboise. Les démons, les vautours. Ont changé de figure Depuis les anciens jours. Tours de sinistre augure. L'herbe croît dans vos cours. Croulez, vilaines tours ! Le ciel en est bien aise.
288 TOUTE LA LYRE.
Aimons, les ans sont courts. Cueillez, Jeanne et Thérèse, La framboise et la fraise. O belles, nos amours. Pour piller vos atours. Pour vous emplir de flammes. Les démons sont nos âmes. Nos cœurs sont les vautours.
7 octobre 1876.
XXIIIC)
Le joli page imberbe Soupire, elle s'émeut.
— Sous un arbre, s'il pleut. Et s'il fait beau, dans l'herbe.
De sa jupe superbe Elle défit le nœud.
— Sous un arbre, s'il pleut, Et s'il fait beau, dans l'herbe.
Le bleuet vaut la gerbe ; Plaire ! un page le peut.
— Sous un arbre, s'il pleut. Et s'il fait beau, dans l'herbe.
Conjuguons le doux verbe j Aimons-nous ! Dieu le veut.
— Sous un arbre, s'il pleut. Et s'il fait beau, dans l'herbe.
25 avril 1873.
(') Inédit.
CHANSONS. 289
XXIV CHANSONS DE GAVROCHE.
Ran tan plan ! Tape, tambour, tape encore.
Pan pan pan. Pif paf boum, ran plan tan plan.
Gai l'aurore !
On fait de la peine aux rois. Viens à leur secours, bourgeois. Avec ton enthousiasme. Ton parapluie et ton asthme.
Tape encor, tape, tambour. Gai le jour !
Faut-il des rois sur les têtes Des peuples changés en bêtes ? Tu dis oui, toi le canon. Moi le pavé, je dis non.
Tape, tambour, tape encore.
Ran tan plan.
Pan pan pan. Pif paf boum, ran plan tan plan.
Gai l'aurore !
Et toi, mon vieux chiffonnier. Prends ton croc et ton panier. Car il est temps que tu pinces Tous les rois et tous les princes.
POESIE. — XUI,
19 inruimii lATiomu.
290 TOUTE LA LYRE.
Tape encor, tape tambour. Gai le jour !
Ce tas de trônes cahote. Flanque-les tous dans ta hotte. Depuis le roi Dagobert Jusqu'à l'empereur Gobert.
Tape, tambour, tape encore. Ran tan plan. Pan pan pan.
Pif paf boum, ran plan tan plan. Gai l'aurore !
II
(1)
Quand Dalila, Paméla, Atala, Stella, Lola, Trouveront pour leurs filets Les mylords anglais Trop laids,
Quands les avocats plaidants. Quand les noirs pédants Grondants, Quand les harangueurs des cours. Feront des discours Trop courts.
Quand les peuples lèveront Plus haut que l'aflE-ont Leur front.
(') Inédit.
CHANSONS. 291
Et n'auront plus sur les bras Tout ce tas d'ingrats Trop gras.
On ne verra plus Gamin Tendre, nain romain, La main. Et marcher sur les talons De ses pantalons Trop longs.
La bourgeoisie est un veau Qui s'enrhume du cerveau Au moindre vent frais qui souffle 5 Le bourgeois c'est la pantoufle Qu'un roi met sous ses talons Pour marcher à reculons.
Je fais la chansonnette. Faites le rigodon. Ramponneau Ramponnette, don ! Ramponneau Ramponnette !
Le bourgeois est un grimaud Qui prend sa pendule au mot Chaque fois qu'elle retarde. Il contresigne en bâtarde Coups d'état, décrets, traités. Et toutes les lâchetés.
Je fais la chansonnette. Faites le rigodon. Ramponneau Ramponnette, don ! Ramponneau Ramponnette !
19.
292 TOUTE LA LYRE.
Il enseigne à ses marmots Comment on rit de nos maux ; Pour lui, le peuple et la France, La liberté, l'espérance. L'homme et Dieu, sont au-dessous D'une pièce de cent sous.
Je fais la chansonnette. Faites le rigodon. Ramponneau Ramponnette, don ! Ramponneau Ramponnette !
Le bourgeois a des regrets ; Il pleure sur le progrès. Sur ses loyers qu'on effleure. Sur les rois, fiacres à l'heure. Sur sa caisse, et sur la fin Du monde où l'on avait faim.
Je fais la chansonnette. Faites le rigodon. Ramponneau Ramponnette, don ! Ramponneau Ramponnette !
i8 octobre 1861.
LA CORDE D'AIRAIN
.Et j'ajoute à ma lyre une corde d'airain. Les Feuilles d'Automne.
A LA FRANCE DE 1872^»).
A
O France, un de tes fils devant toi s'agenouille.
L'humble prêtre de l'art divin que rien ne souille
T'apporte sa tristesse et son austère amour.
Quand toutes les grandeurs d'un pays tour à tour.
Sous l'acharnement vil du sort opiniâtre.
S'écroulent, dans les jours ténébreux, le théâtre.
Qui jadis, riant, grave, orageux ou serein.
Parlait aux nations par deux masques d'airain.
Doit, quand saigne la plaie horrible des frontières.
Ne dire au peuple ému que des choses altières.
Quand la Patrie en deuil baisse les yeux devant
Sa vieille histoire en cendre, à terre, éparse au vent.
Quand le fier Capitole a fait place au Calvaire,
Nous avons pour devoir le souvenir sévère ;
Et l'homme est par les chants de la muse avili.
S'il y puise une ivresse allant jusqu'à l'oubli.
Désormais, après tant d'angoisse, après les fuites.
Les camps cernés, les murs vendus, les tours détruites.
Et la captivité des sombres légions.
Quand l'Europe nous hait, nous qui la protégions.
Ces hymnes qu'on appelle Ode, Drame, Épopée,
Devront ressembler tous à des fourreaux d'épée ;
Si le tigre en ses dents emporte la brebis.
Des resplendissements furieux et subits
Sortiront tout à coup de ces puissants poëmes j
Leurs vers seront grondants, menaçants et suprêmes j
^'' Cette poésie fut composée pour servir de prélude aux représentations de Ray Bios sur le théâtre de l'Odéon. (Note de l'Editeur.)
296 TOUTE LA LYRE.
On j sentira sourdre un soufile de combat.
On y verra la gloire en pleurs sur son grabat,
Et ces grandes clameurs auront des voix hautaines
Remuant l'âpre honte au cœur des capitaines
Et leur donnant la rage et la soif de plonger
Leur honneur dans ce flot sublime, le danger ;
Et c'est ainsi qu'on sauve un peuple, et que l'on fonde
Dans toi, Paris, dans toi, Rome, une âme profonde.
Ne vene^ pas ici chercher d'autre plaisir
Que d'entrevoir un glaive et de le ressaisir ;
L'art ne doit aux esprits que des fêtes viriles ;
Ayons d'afl^reux jours, soit, mais pas d'instants stériles.
Plus le bonheur décroît, plus le cœur doit grandir}
L'astre accepte la nuit pour y mieux resplendir.
L'étoile, dédaigneuse au fond des cieux funèbres,
A l'augmentation de l'ombre et des ténèbres
Répond par la croissance auguste des rayons.
C'est pourquoi tous ici, tous, qui que nous soyons.
Fils de ceux qui de près virent Berlin et Vienne,
Ne trouvant pas qu'il soit juste et qu'il nous convienne
D'avoir de tels aïeux et de n'y point songer.
Et de laisser leur gloire en gage à l'étranger.
Ayant le sombre ennui d'hommes sur qui l'on marche.
Nous souvenant que c'est à nous de porter l'arche
Et d'être à l'avant-garde altière du progrès.
Nous pensons qu'il est bon d'aiguiser nos regrets.
Et qu'avec un fer rouge il faut toucher nos plaies -,
Et que, puisque déjà reverdissent les haies.
Puisque voici venir le mois de mai charmant.
Nous devons regarder le sacré firmament,
Les bois, les champs, le lys, la rose, la pervenche.
Avec cette pensée au cœur : notre revanche !
Si nous nous laissions mettre aux fers par le destin. Si, tournés vers le soir et non vers le matin. Nous pouvions, prisonniers, continuer de vivre. Si nous ne rêvions pas, l'âme de colère ivre.
A LA FRANCE DE 1872. 297
Chacun de nous ayant sur le front la rougeur
De n'être pas celui qu'on attend, le vengeur;
Ah ! si nous n'étions pas pensifs devant tout homme
Qui flétrit son bourreau, se redresse et se nomme.
Et lui prend son épée afin de le tuer.
Si nous pouvions nous taire et nous habituer
A l'opprobre, et montrer, transformation vile.
Qu'on peut être Thersite après qu'on fut Achille,
Si nous donnions raison aux rois riant entre eux.
Si nous découvrions en nous des cœurs af&eux
Prêts aux consentements infâmes de la chute.
Si devant le vainqueur criant : Cessons la lutte.
Paix ! et restons-en là ! nous disions : J'y pensais !
Ah! tout serait fini! de sa tête, ô français,
La France arracherait, sous ses mains indignées.
Ses lauriers, et, parmi ses cheveux, des poignées
D'étoiles, qui s'iraient éteindre dans la nuit!
Non, nous ne serons pas ce qui s'évanouit; Non, nous ne serons pas le fils qui dégénère. Et nous saurons hâter le réveil du tonnerre. Non, nous n'acceptons pas notre honneur obscurci. Car ce qui fait un peuple illustre, le voici : C'est le théâtre, c'est la tribune, c'est l'âme De tout homme allumée à toute pure flamme. C'est l'essor pour l'esprit, le travail pour le corps. C'est l'art, c'est la pensée — et l'ennemi dehors.
Tant qu'ils sont en Alsace et qu'ils sont en Lorraine, Ils sont chez nous. Sur toi, France, leur sabre traîne. Ils t'ont pris ton bien, France? Eh bien, on le reprend. Ah! même le plus grand des siècles n'est pas grand Si quelque ombre de honte est mêlée à sa gloire. Avec une aile blanche avoir une aile noire. Non, France, non! jamais ainsi tu n'as vécu. Et la paix n'est la paix qu'après qu'on a vaincu.
298 TOUTE LA LYRE.
O Grèce ! ô Périclès ! jours fiers ! âge splendide ! Pindare d'un côté, de l'autre Thucydide ; L'idéal du réel devenait le vrai nom. Et Phidias sculptait le mur du Parthénon ; Hippocrate tâtait le pouls de Démosthènes ; Les peuples s'abreuvaient de lumière aux fontaines Qu'on nomme Apollodore, Euripide, Platon; Le dur Solon, levant sur Thespis son bâton. Etait mort, et Socrate ôtait les dieux à l'homme ; Athènes vaguement semblait éveiller Rome Qui répondait du fond de l'ombre à son appel, — Et les perses étaient chassés de l'Archipel !
Qui donc a dit : La France tombe! Demain, on verra tout à coup La grande pierre de sa tombe Se lever lentement debout.
Oui, demain, oui, l'heure est prochaine. Voyez. Elle se dresse, ayant Dans ses deux poings où pend sa chaîne, Un tronçon d'épée effrayant.
Oui, l'avenir nous le ramène. Ce puissant glaive où Dieu clément A remplacé la lame humaine Par le céleste flamboiement.
Oh ! souhaitons la bienvenue A ce glaive prodigieux ! Qu'il nous fasse voir dans la nue Le groupe étoile des aïeux !
À LA FRANCE DE 1872. 299
Que son éclair montre à notre âme Toutes ces faces de géants. Martel qui terrasse Abdérame, Jeanne qui délivre Orléans -,
Et ces preux, beaux dans leur croyance, Bayard qui ne plia jamais, Marceau qui mourut sous Mayence, Hoche qui fût mort devant Metz !
Qu'on écoute leurs voix bruire. Et qu'on ne puisse deviner Si c'est Kléber qu'on entend rire. Ou le ciel qu'on entend tonner !
Que ce fier glaive de la France Soit le glaive du genre humain ; Qu'il abolisse la souffrance, Epée aujourd'hui, soc demain;
Qu'il soit pour tous la délivrance. Qu'il perce le nuage obscur. Et qu'il nous rende l'espérance Ici-bas, et là-haut l'azur!
Que ce glaive crée et foudroie, Qu'il sème à coups d'éclairs le jour, Et qu'il en sorte de la joie. Et qu'il en sorte de l'amour.
Sur toute la terre ravie. Qu'il allume avec sa clarté Un sublime orage de vie. De victoire et de liberté !
300 TOUTE LA LYRE.
Qu'il fauche le mal comme l'herbe -, Qu'on dise : il a fondé nos droits j Et qu'il soit à jamais superbe Par l'immense fuite des rois !
Paris, 19 février 1872.
APRES SEDAN.
C'est bien. Essuyez-vous.
France, Prusse, lavez Toi, ton opprobre; toi, ta gloire. Vous avez Chacune une rougeur au front ; la honte épaisse Sur toi, France; et sur toi, la Prusse, ton espèce De victoire. César, quel pourboire veux-tu ? Cinq milliards. C'est fait. Empoche.
Honneur, vertu. Pudeur, fraternité, probité, passez, ombres!
L'avenir curieux viendra voir ces décombres Qu'on appelait jadis justice, droit, raison. Comme la ronce croit! Comme la trahison, La conquête, le vol, le meurtre et les rapines Prospèrent vite, et sont fécondes en épines. En nuit noire, en horreur, sur le temple abattu! Comme un roi, d'or, de pourpre et de haine vêtu. Ploie et courbe à son gré la race la plus fière. Et comme il est facile aux empereurs de faire D'un peuple leur esclave et d'un lion leur chien ! Soyez russe, borusse, anglais, autrichien. Soyez le coq, soyez l'aigle, soyez le cygne. Votre maître vous tient, et n'a qu'à faire un signe Pour qu'il ne reste plus de vous, peuple détruit.
302 TOUTE LA LYRE.
Que des oiseaux de proie et des oiseaux de nuit ! Vous étie2 l'Allemagne et vous êtes la Prusse ! He1as!
S'il existait, pour que j'y comparusse, Un tribunal de rois, fier, auguste, hideux. Présidé par ton spectre, ô noir Philippe-deux, Un sombre aréopage où siégerait Tibère, Je dirais : Est-ce là que Satan délibère? Et j'entrerais. Pourquoi? Pour leur dire ceci :
— Je ne suis qu'un passant, moi qui vous parle ici.
Mais regardez-moi bien, vous tous, césars de Rome,
Maîtres du monde, rois, papes, je suis un homme.
Ce que je veux, je viens vous le crier : Je veux
La paix — pour nous, pour vous, pour nos derniers neveux 5
Je veux le vrai, le beau, la fraternité, l'âme
De Dieu même, l'Amour, ce rayon, cette flamme
Formidable, éclairant le bien, brûlant le mal.
Eblouissant tout, l'homme ainsi que l'animal.
Versant la vérité, la douceur, la clémence.
Et visible au plus haut des cieux dans l'ombre immense !
Je veux rouvrir l'éden à tous les grands souhaits 5
Je veux la vérité, la justice, et je hais
Les fourbes, les tyrans, les traîtres, les transfuges.
Et c'est moi l'accusé, puisque c'est vous les juges.
II
A DES REGIMENTS DECOURAGES.
A
O nos pauvres soldats, oui, vous avez fléchi. Avant que ce Paris sacré soit affranchi. Avant que notre France auguste soit sauvée, Avant que l'aigle ait mis à l'abri sa couvée. Vous avez dit : A bas la guerre, citoyens! Et nous, qui, sous la bombe et sous les biscayens, Luttions comme vous, prêts aux plus terribles tâches. Indignés, nous avons crié : Taisez-vous, lâches!
Eh bien, nous eûmes tort, vous êtes des vaillants.
Hélas! pour généraux avoir des chambellans.
Et pour chefs des valets et pour maîtres des cuistres.
C'est trop, et vous avez subi les jours sinistres.
Au-devant de l'affront vous fûtes envoyés ;
Vous avez combattu pour être foudroyés ;
Vous vîtes comment croule une gloire détruite.
Et vous avez appris le chemin de la fuite,
O douleur ! vous les fils de ceux par qui tonna
Austerlitz, et par qui resplendit léna!
Ah ! sombres cœurs brisés et qu'emplit l'amertume !
Espérez, ô vaincus ! ce n'est pas la coutume
De la France d'avoir longtemps le front courbé.
Après Blenheim, après Rosbach, on est tombé.
Mais on s'est relevé par Ulm et par Arcole.
Subissez le malheur comme on subit l'école ;
Couvez l'âpre courroux des cœurs humiliés.
Soit. Pour un instant, fils de France, vous pliez.
304 TOUTE LA LYRE.
Hélas, et vous avez fait un pas en arrière j
Mais vous n'en rentrerez que d'une âme plus fière
Dans notre antique gloire et dans nos vieux chemins.
Ils défaillaient aussi, les grands soldats romains; Et quand César passait , ces mécontents épiques Lui demandaient la paix en abaissant les piques ; Ce qui n'empêchait pas, pourtant nous l'oublions. Ces hommes de se battre ainsi que des lions. Et les peuples d'avoir pour ces légionnaires Le culte épouvanté qu'on a pour les tonnerres. Oui, parfois, quand l'élan romain s'interrompit. Les barbares avaient un moment de répit, Et l'on riait de voir s'en retourner aux villes Les vieux hastati las et blancs et les pupilles Dont le visage à peine avait un blond duvet ; Mais bientôt cette armée en qui Rome vivait Rebouclait sa cuirasse, et rentrait en campagne; Et partout, en Dacie, en Phrygie, en Espagne, Les rois se remettaient à trembler, quand le vent Leur apportait le bruit de sa marche en avant.
Paris, 8 janvier 1871.
III
l8 MAI 1871.
DESTRUCTION DE LA COLONNE. ACCEPTATION DU TRAITÉ PRUSSIEN.
Quand la géante fut tombée, on approcha.
Si quelque bey d'Egypte, un khédive, un pacha.
Renversait le pilastre impur de Cléopâtre,
Bon à faire un peu d'ombre à midi pour le pâtre.
On dirait : Barbarie ! et l'on aurait raison.
Or ce trophée était sublime à l'horizon }
Il avait l'air d'un phare éclairant une rive j
Les villes du prodige et du rêve, Ninive,
Memphis que fit Menés, Sarde où régna Cyrus,
Sarepta, qu'emplissaient tant d'hommes disparus,
Jéricho, Palenquè, Sofala, Babylone,
N'avaient rien de plus beau que cette âpre colonne j
Ce cippe triomphal qu'un siècle respecta.
Effaçait l'obélisque altier d'Eléphanta,
La borne de Byzance au fond de l'Hippodrome,
Et le pilier de Thèbe et le pilier de Rome.
Cette colonne était toute pleine de voix. Etant forgée avec des canons pris aux rois ; On entendait le peuple en ce bronze bruire -, Et nous n'avions pas, nous, le droit de la détruire. Car nos pères l'avaient construite pour nos fils. Elle représentait, bravant tous les défis,
POESIE. — XIII. 20
I>»><1IEU« HATIOXILC.
3o6 TOUTE LA LYRE.
La révolution de l'Europe, ébauchée
Par leur vertigineuse et vaste chevauchée.
Et l'esprit de Fleurus planant sur Austerlit^,
Et nos drapeaux ayant des rayons dans leurs plis.
En voyant sur la place auguste la spirale
De toute cette gloire énorme et sidérale.
Et ce noir tourbillon de fantômes, tordu.
Fixe et pétrifié sous le vent éperdu.
On songeait. Il semblait que la haute fumée
Sortie en tournoyant de cette fière armée.
N'avait pas, sous le ciel orageux ou serein.
Voulu se dissiper, et s'était faite airain.
^
Semblable au moissonneur foulant des gerbes mûres.
Cette colonne avait pour socle un tas d'armures.
Elle offensait les rois et non les nations.
Afin qu'on pût juger les pas que nous faisions.
Elle fixait le point d'où nos pères partirent 5
Elle indiquait le lieu d'où les flots se retirent.
Et rattachait aux jours nouveaux les jours anciens ;
Après les grands soldats place aux grands citoyens !
Elle était, dans Paris que le soleil inonde.
Comme un style au milieu de ce cadran du monde.
Et son ombre y marquait les heures du progrès.
Les rois n'osaient venir la regarder de près.
Hier elle tomba, la grande solitaire. On a pu mesurer, quand on l'a vue à terre. Tout ce qu'on peut ôter d'orgueil en un instant Au siècle le plus sombre et le plus éclatant.
DESTRUCTION DE LA COLONNE. 307
Ceux qui sur ce débris collèrent leur oreille Entendirent dans l'ombre une rumeur pareille A l'océan qui parle et se plaint sous les cieux.
Voici ce que disait ce bruit mystérieux :
— Vous vous êtes trompés comme se trompait Rome.
Ce que vous ave2 pris pour la gloire d'un homme.
C'est la gloire d'un peuple, et c'est la vôtre, hélas !
Peuple, quels sont mes torts? les trônes en éclats,
L'Europe labourée en tous sens par la France,
La bataille achevée en vaste délivrance.
Le moyen-âge mort, les préjugés proscrits.
Que me reprochez-vous? le sang, les pleurs, les cris.
Les deuils, et les trop grands coups d'aile des victoires;
D'être une cime où luit l'éclair dans les nuits noires.
De vivre, et d'attester que vos pères ont mis
Leur âme dans l'airain des canons ennemis.
Mon crime, c'est la lutte altière des épées.
Le choc des escadrons, les cuirasses frappées.
Les échelles au mur, les clairons, les assauts.
Les lions sont haïs par vous les lionceaux ;
Votre enfance n'a pu supporter ma vieillesse.
Soit. Je pars avec Ulm et "Wagram ; je vous laisse
Avec Sedan. Adieu. Je gêne. Je m'en vais.
J'aime encor mieux ma guerre, hélas, que votre paix.
20.
3o8 TOUTE LA LYRE.
IV
La grande République a des griffes fatales.
Gare à ceux qui voudraient, sans être les vrais mâles.
Sans être les époux réels et sérieux.
Faire accepter au fond des bois mystérieux
Leur virilité fausse à la rude femelle !
Pallas demanderait de quoi Davus se mêle 5
La géante serait peu tendre au myrmidon 5
S'il osait essayer un instant d'abandon.
L'ongle altier pourrait bien maltraiter cette nuque ;
Ce n'est pas sans danger parfois qu'une perruque.
Eût-elle un aspect fauve et d'âpres épaisseurs.
Prend des airs de crinière aux yeux des connaisseurs ;
Je ne conseille pas au sieur Scapiglione
De faire le lion auprès de la lionne.
Paris, 16 octobre 18 71.
APRES L'ECROULEMENT DE L*HOMME.
Pour venger le passé, pour sauver l'avenir, O peuple, j'ai senti que je devais punir Un homme, et qu'il fallait châtier une tête^ Et moi, qui dans ma serre ai porté la tempête, Quand la Justice au front redoutable et sacré M'a dit : Foudroie, ami! j'ai dit : Je le ferai. Soit. Car ce ne sont pas les aigles, d'ordinaire. Qui refusent de prendre en leur griffe un tonnerre.
Et j'ai lutté. Ce maître était là sous son dais ;
Et je le combattais, et je le regardais j
Il avait tout pour lui, du Volga jusqu'au Tibre,
Tout, l'Allemagne esclave et l'Angleterre libre j
Je lui faisais la guerre à travers cette paix 5
Et la foule, à ses pieds, tandis que je frappais.
S'étonnait que quelqu'un osât rester honnête j
L'ignominie était devenue une fête ;
Moi, seul au bord des mers, banni, haï de tous.
D'autant plus indigné qu'il était plus absous,
0 Guernesey, debout sur tes fières collines.
Je lui jetais d'en haut des feuilles sibyllines 5
Les vents les lui portaient, ombre, nuage, affront j
Et lorsqu'elles passaient au-dessus de son front.
Il en sortait un vers ressemblant à la foudre.
Mais maintenant que l'homme infâme est dans la poudre. Qu'il est à terre, affreux, gisant, et que je vois
3IO TOUTE LA LYRE.
Son nom faire partout frémir toutes les voix,
Et les passants marcher sur César misérable ,
Fais place, âpre justice, au pardon vénérable.
Ou du moins, si c'est trop de pardonner, permets
Que ma colère en feu reste sur les sommets.
Et ne descende pas à frapper ce cadavre.
Laisse-moi me tourner vers tout ce qui me navre.
Vers ceux qui maintenant sont puissants, et qui font
Pencher la France au bord de la chute sans fond.
Je lutte, ô Vérité, mais jamais je n'accable.
Le cœur persévérant n'est point l'âme implacable.
L'écrasement de qui n'est plus est puéril.
Le tort ne suffit pas, il me faut le péril.
Pour ceux-là seulement mon courroux est tenace
Qui dans la main ont l'arme et dans l'œil la menace.
Et dans mon dédain calme et pensif j'engloutis
Les monstres, s'ils sont morts, ou bien s'ils sont petits.
La foudre veut un but, et se trouve inutile
Sur l'hydre inanimée ou l'acarus reptile.
Et le noir justicier, sur les cimes frappant.
Laisse vivre le ver et pourrir le serpent.
VI
L'ORGIE DES MEURTRES.
Ah çà, je mets les points sur les i. Soit. J'admets
La guerre, à la rigueur 5 l'assassinat, jamais.
Avouez qu'il serait étrange que j'aimasse
La tuerie en détail, moi qui l'exècre en masse.
Ou que, la réprouvant en détail, j'eusse un goût
Pour le sang, quand ses flots font déborder l'égout.
Oui, les cadavres sont voilés par les décombres;
Mais l'histoire plus tard saura des choses sombres.
Tu veux en vain couvrir, tablier du boucher,
La Saint-Barthélémy malaisée à cacher ;
Les éponges des gens agenouillés sont vaines
Pour laver le ravin sinistre des Cévennes,
Et toujours il en suinte un long ruisseau de sang.
L'assassinat a beau prendre un air innocent. Prouver ce qui n'est pas, nier ce qu'on démontre 5 Expliquer ses raisons, dire son Pour et Contre ; Que, si l'on ne mettait personne hors la loi, Veuillot serait sans tâche et Carrier sans emploi, {Tache, n'oubliez pas cet accent circonflexe. Imprimeurs), qu'on ne peut tenir compte du sexe. De l'âge, et caetera, car on est fort pressé. Et la chaux vive est là qui bout dans le fossé. Que c'est une besogne après tout peu commode. Qu'il faut se défier du pathos à la mode. Qu'on voudrait vous y voir, messieurs les mécontents. Que désormais voilà de l'ordre pour longtemps.
312 TOUTE LA LYRE.
Qu'il faut tout extirper pour que rien ne menace.
Le meurtre a beau jurer ses grands dieux, saint-Ignace,
Fouquier-Tinville, Hébert, de Maistre, Jacques-deux,
C'est en vain qu'il ébauche un sourire hideux.
Il est le crime, issu du peuple et de la Bible,
Et, même pour le bon motif, il est horrible }
Qu'il se nomme Albe, Omar, Cromwell, Bellart, Marat,
Il est toujours stupide et toujours scélérat.
Quel que soit le parti qui dans l'horreur se vautre.
Malheur au meurtre autant d'un côté que de l'autre !
Je trouve Atrée aifreux, même tuant Caïn.
Qui que tu sois qui fus bourreau, cache ta main.
Sache que tu ne peux à ceci te soustraire
Qu'un crime n'est jamais commis que sur un frère.
Et que toute victime est sœur du meurtrier.
On distingue entre erreur et forfait, mais trier
Parmi les massacreurs, voir la neige ou le sable
Teints de sang, et plaider pour le tigre excusable.
Jamais. Nous n'aurons point pour le meurtre hébété
Ce pardon qui ressemble à la complicité.
Ah ! que de Niobés, d'Hécubes et d'Electres !
Hélas î j'entends parler à voix basse les spectres.
Et jusqu'à mon oreille un sourd chuchotement
Des morts, à travers l'ombre, arrive vaguement.
Moi qui ne suis qu'un homme ayant pour loi de plaindre.
De lutter, de ne rien tuer, de ne rien craindre.
Qui vainqueur m'agenouille et vaincu suis debout.
Ma résolution est d'aller jusqu'au bout.
Je sens en moi la force énorme, l'innocence.
N'avoir pour aucun crime aucune complaisance.
C'est ma loi. Je dis donc à tous la vérité.
A toi Rigault, à toi Galliffet. Probité,
Sincérité, devoir, c'est là toute mon âme.
Les tueurs rouges ont au front le signe infâme.
Mais je hais, comme étant aux rouges ressemblants.
Les fratricides noirs et les assassins blancs.
L'ORGIE DES MEURTRES. 313
Je suis le balayeur impartial qui passe
Et jette aux quatre vents farouches de l'espace
Tout ce qui souille l'homme ou le peuple ou la loi,
L'assassin de Duval, l'assassin de Darboy,
L'erreur, point d'appui sombre où le crime s'attache,
Haynau, Cissey, Jourdan-coupe-tête et sa hache.
Le prêtre et son missel, le reître et son cimier.
Quelque tas monstrueux que fasse le fumier.
Ne vous figurez pas, messieurs, que je recule.
Je rencontre Augias et j'ai l'humeur d'Hercule.
16 septembre.
314 TOUTE LA LYRE.
VII
Oui, l'on a sauvé l'ordre et l'état, et je crois
Que c'est pour la cinquième ou la sixième fois ;
Le steamer pourvoyeur du bagne est dans nos havres -,
On a pendant huit jours enjambé des cadavres.
Des fosses, des mourants; on s'est habitué;
On a très vite fait justice ; on a tué
Hommes, femmes, enfants, tout un peu pêle-mêle ;
Maintenant sont forçats, mangeant à la gamelle
Et vêtus des habits de la chiourme, plusieurs
Qui de la tyrannie étaient les fossoyeurs.
Et dont nous avions vu, du Volga jusqu'à l'Ebre
Et du Tage au Niémen, voler le nom célèbre;
Victoire! On n'a point lait les choses à demi.
Pour sauver la patrie et devant l'ennemi
Paris avait cinq mois eu la rumeur immense
Des forêts que le vent semble mettre en démence ;
Il ressemblait au sombre ouragan libyen ;
Il a fallu le faire un peu taire ; c'est bien.
Nous voilà soulagés ; car c'est une souffrance
Qu'une ville acharnée à délivrer la France ;
L'Allemagne nous dit à demi-voix : Merci.
Les cafés sont rouverts, les églises aussi;
La paix sanglante sort de la guerre civile.
Nous avons de plus l'ordre et de moins cette ville.
Des gens auraient aimé peut-être moins de morts ;
Mais qu'un cheval ait trop d'écume sur le mors
Quand il a bien couru, n'est-ce pas ordinaire?
La bombe n'y voit pas plus clair que le tonnerre ;
OUI L'ON A SAUVE UOKDKE ET L'ETAT... 315
Les faux coups sont permis en de si durs combats
Au Jupiter d'en haut comme aux Jupins d'en bas.
Bref, nous sommes sauvés. De tous les cœurs s'élance
Ce cri d'enthousiasme et de bonheur : Silence !
Que personne ne pense et qu'on ne parle plus !
Il est temps que la mer montante ait son reflux,
Et que l'utile vent du tombeau décourage
Toutes ces libertés qui font un bruit d'orage.
Ce siècle a trop d'éclairs, de foudre et de rayons 5
Il est bon, et c'est là ce qu'enfin nous voyons,
Qu'un poing sauveur, sorti des ténèbres, l'étreignc;
La société veut, la religion règne;
C'est dans le droit divin, c'est dans le syllabus
Qu'est le salut, le peuple étant presque un abus.
De là ce grand succès : l'ombre dans la fournaise;
Quatrevingt-neuf puni de son quatrevingt -treize ;
Plus de licence, plus de tumulte, plus rien.
De la butte Montmartre au mont Valérien,
Ce Paris, bouillonnant comme le flot dans l'urne.
Se tait, et nous avons l'apaisement nocturne;
Le peuple est sous le sabre, heureux, content, muet;
On recommencerait si quelqu'un remuait.
Ces choses, j'en conviens, ont de quoi satisfaire;
Chacun, en attendant le maître qu'il préfère.
Voit la police faite, et c'est toujours cela;
Et, certe, on n'a pas trop payé cette paix-là
Au prix d'un peu du sang qui sous nos pieds rougeoie ;
Pourtant je n'en suis pas devenu fou de joie.
6 juin.
3l6 TOUTE LA LYRE.
VIII
En Belgique — (et peut-être, hélas! ailleurs encor!)
La justice, le droit, la loi, c'est un décor 5
Pour le peuple il en sort un bras armé d'un glaive ^
Mais que quelqu'un d'en haut passe, cela s'enlève ;
Le juge est un châssis, Thémis est en carton,
La magistrature âpre et sombre est un mouton
Sur roulette, et le code est une bergerie ;
Pour faire évanouir la fantasmagorie
Il suffit de ce coup de sifflet réussi
Qu'on entend au théâtre, et dans les bois aussi.
Exemple : des gandins avec leurs gourgandines, O Brillât-Savarin, de la cave où tu dmes. Sortent, et, gais soupeurs, veulent avec raison Servir l'ordre en mettant à sac une maison -, S'ils ont bu de bon vin, si cette populace Se compose de gens titrés, d'hommes en place. De barons, de marquis, de princes, de laquais. Gueux bien mis, assassins du genre freluquets, Si ce sont des bandits à la dernière mode. Incapables de prendre un sou dans ma commode. Faisant la bouche en cœur, fredonnant un couplet. Désirant seulement tuer qui leur déplaît. Nul magistrat ne doit troubler ce badinage. Si le principal drôle est presque un personnage, S'ils ont pris le soin d'être en nombre suffisant. Armés, et contre un seul cinquante, au besoin cent. S'ils sont prudents, s'ils n'ont à craindre en ce repaire
EN BELGI^E — {ET PEUT-ETKE, HELAS.'...). 317
Que deux petits enfants gardés par un grand-père.
S'il s'agit d'un français quelconque, d'un quidam.
Monsieur Anspach devient bourgmestre de Saardam ,
Pas un sergent ne vient, pas un exempt ne bouge ;
Ça, croit-on que Kerwin va se fâcher tout rouge
Contre son fils qui fait dans l'ombre un tour charmant?
La police se change en Belle au bois dormant.
Comme au fond la justice est une simagrée.
Etant admis l'Etat à qui la chose agrée
Et qui transforme en cippe, en terme, en borne, en pion.
Ce dogue, le gendarme, et ce lynx, l'espion.
Tout se passe le mieux du monde -, on laisse faire.
Anspach boit ce vacarme ainsi qu'un somnifère.
Dérange-t-on les gens pour ces misères-là?
Un assaut ! tout au plus un meurtre ! qu'est cela ?
Après tout, c'est bien fait. Amuse-toi, jeunesse.
Dormes, monsieur Berden, ronflez, monsieur Cornesse.
Nous sommes par des lois complaisantes régis.
Crocheter une porte, assiéger un logis !
Bravo ! ces FranquiUons ne sont que des bélîtres.
Va-t-on pas ennuyer de gais casseurs de vitres
Pour une pierre ayant pu tuer un enfant?
Garder l'homme attaqué! Non, celui qu'on défend.
C'est l'agresseur.
Alors luit dans l'ombre livide Une métamorphose oh. se plairait Ovide, Et la mythologie aimable reparaît. Toute une capitale est changée en forêt} La patrouille enchantée imite l'écrevisse; Chez Argus souriant Morphée est de service.
Bruxelles, 30 mai 1871.
3l8 TOUTE LA LYRE.
IX
A UN ROI DE TROISIEME ORDRE.
Roi, tu m'as expulsé, me dit-on. Peu m'importe.
De plus, un acarus, dans un journal cloporte.
M'outrage de ta part et de la part du ciel 5
Affront royal qui bave en style officiel.
Je ne te réponds pas. J'ai cette impolitesse.
Vois-tu, roi, ce n'est pas grand'chose qu'une altesse.
Ton journaliste et toi, je vous ignore, étant
Fort occupé des fleurs que Dieu dans cet instant
Nous prodigue, et voulant fêter le mois des roses.
D'ailleurs, je ne crois pas que les grands sphinx moroses,
Ni que le sombre écueil hanté par l'alcyon.
Fassent dans l'infini beaucoup d'attention
Les uns au grain de sable et l'autre au jet d'écume.
Qu'un courtisan insulte et qu'un lampion fume.
C'est tout simple ; un rêveur n'en est point irrité 5
C'est pourquoi je suis calme envers ta majesté.
Tu peux tranquillement décorer ton bourgmestre.
Par la grâce du Dieu que protège de Maistre,
Tu règnes, et ton scribe écrit. Vivez en paix.
J'erre, fauve chasseur, dans les halliers épais j
J'écoute l'aboiement d'une meute idéale }
Je tiens à la grandeur de la bête royale j
Et j'aime à rencontrer de fiers êtres méchants
Afin de rassurer le monde avec mes chants ;
Je ne suis pas fâché quand des lions m'attaquent 5
Des monstres, légions rugissantes, me traquent.
À UN ROI DE TROISIÈME ORDRE. 319
C'est bien, je les attends, songeant sous des cyprès.
Je leur montre les dents quand ils viennent trop près ;
J'en fais, quand il le faut, un exemple efficace 5
Et l'on peut voir dans l'ombre à mes pieds la carcasse
De l'un d'eux qui, je crois, était un empereur.
Mais j'ai fort peu le temps de me mettre en fureur.
Et j'aime mieux rester tranquille. Je médite
Sur la terre, bénie au fond des cieux, maudite
Au fond des temples noirs par le fakir sanglant ;
J'aime dans l'œuf l'oiseau, le chêne dans le gland.
Dans l'enfant l'avenir, et sitôt que l'aurore
Commence à nous verser du jour, je dis : Encore!
Et je demande au ciel pour nous, humanité.
Un élargissement immense de clarté;
Les injures qu'on peut me faire sont couvertes
Par l'azur, par le doux frisson des branches vertes,
Par le divin babil des nids mélodieux ;
Cette nature a tant d'oreilles et tant d'yeux.
Elle regarde avec tant de majesté l'homme.
Elle est si bien prodigue et si bien économe
De sa force que tout reçoit, que rien ne perd.
Elle mêle un tel verbe à son puissant concert.
Que je sens le besoin d'être un songeur utile ;
Dieu surveille le vent, je surveille mon style.
Car l'orage et le vers seraient de vils moqueurs
Si l'un troublait les flots, si l'autre ouvrait les cœurs
Sans règle, et s'ils n'avaient pour but, dans l'ombre infâme.
L'un d'assainir la mer, l'autre d'agrandir l'âme ;
L'ombre, c'est l'ennemi, je la combats; je veux
Aux énigmes du sort arracher des aveux.
Leur oter notre cœur qu'elles ont dans leur serre.
Dissiper l'ignorance, abolir la misère;
Je suis l'esprit sévère, inquiet, froid, hautain.
Et le contradicteur de l'énorme destin ;
Je marche sous l'horreur des branchages superbes.
Dans les profondes fleurs et dans les hautes herbes.
Ignorant les pays interdits à mes pas.
320 TOUTE LA LYRE.
Insulté de si loin que je ne le sais pas ; J'aime tous les soleils et toutes les patries 5 Je suis le combattant des grandes rêveries, Le songe est mon ami, l'utopie est ma sœur^ Je n'ai de haine en moi qu'à force de douceur 5 J'écoute, comme un bruit de vagues débordées, Le murmure confus des futures idées. Et je prépare un lit à ce torrent qui vient -, Je sais que Dieu promet ce que l'avenir tient. Et j'apprête au progrès sa route dans l'espace -, Je défends les berceaux et les tombeaux, je passe, Ayant le vrai, le bien, le beau, pour appétits. Inattentif aux rois quand ils sont trop petits.
12 juin.
X
ALSACE ET LORRAINE.
A
O le rêve insensé que font ces misérables !
De qui parlez-vous là? Des rois. Jours exécrables !
Jours que de noirs essaims d'Euménides suivront !
Terre et cieux! que mon nom, synonyme d'afeont.
Soit maudit, que ma main se sèche et se flétrisse
Si jamais se taisait ma voix accusatrice !
Temps hideux! voilà donc comment ces meurtriers.
Eclaboussés de sang du casque aux étriers,
Ivres d'orgueil, de bruit, de clairons, de bannières.
Traitent les nations, leurs pâles prisonnières!
César brille, une flamme aflireuse l'empourprant.
On coupe par morceaux les peuples. On en prend
Ce qu'on veut, ce qui plaît, le bras, le cœur, la tête.
On est un tas d'oiseaux de proie et de tempête
Se ruant sur l'auguste et sombre genre humain.
On est les chefs de l'ombre et l'on a dans la main
Les rênes des chevaux du sépulcre, on excite
De la voix tous les chiens monstrueux du Cocyte,
Grant, Bismarck et Gladstone et Bancroft l'aboyeur;
Cette prostituée inepte, la frayeur.
Mère des lâchetés, vous aide épouvantée 5
Et pour tuer Paris, ô tentative athée!
Comme jadis Xercès contre Léonidas,
On pousse la marée horrible des soldats.
On gonfle le flot noir des légions sinistres 5
On est les dieux ayant les démons pour ministres j
POESIE. XIII. 21
IWBllIEniB t
322 TOUTE LA LYRE.
Et quand on a commis tous ces crimes, on va
Remercier ce spectre idiot, Jéhovah!
Puis on chante et l'on rit, sans voir que cette fête
Où manque le vrai Dieu, déplaît au vrai prophète,
Et que le justicier, Juvénal, d'Aubigné,
Tacite, est là qui rêve et regarde indigné.
On enterre l'argent pillé, les deux provinces.
Les morts ; on a la joie effroyable des princes j
On se visite, on s'offre un régiment, on est
Plus souriant que n'est épineux le genêt 5
On trame aux bals charmants ses royales paresses.
Et Ton se fait de tigre à tigre des caresses.
Quant au sang, laissez-le couler, c'est un torrent.
Et cependant, on a des sophistes, dorant
Ces gloires, ces traités haineux, cette infamie.
Une belle captive est une belle amie
Pourvu qu'elle comprenne et se calme 5 fermons
L'antre des vents soufflant sur les mers et les monts ;
Que du drame sanglant sorte l'idylle agreste 5
Paix! quand on a tout pris, on peut laisser le reste.
Bonheur ! concorde ! Plus de courroux ! Plus d'effiroi !
Et l'on dit à la France : Allons, apaise-toi.
C'est fini, France. — Eh quoi, de ma mémoire amère.
J'effacerais Strasbourg et Metz ! dit cette mère 5
Ah ! j'oublierais plutôt mes deux seins arrachés !
Non, nous n'oublierons pas! Rois, ce que vous cherchez.
Le butin, puis la paix dans la torêt déserte.
Ce que vous attendez, vous ne l'aurez pas, certe;
Mais ce que vous aurez, vous ne l'attendez pas :
C'est le gouffre. Avancez dans l'ombre pas à pas.
Allez, marchez. Toujours derrière la victoire
L'avenir, livre obscur, réserve pour l'histoire
Un feuillet, noir ou blanc, qu'on nomme le revers.
Les naufrages profonds devant vous sont ouverts.
Allez, hommes de nuit. Ah! vous êtes superbes.
Vous régnez! ô faucheurs, vous pliez sous vos gerbes
ALSACE ET LORRAINE. 3^5
De cadavres, de fleurs, de cyprès, de lauriers.
Conquérants dont seraient jaloux les usuriers !
Mais vous comptez en vain, voleurs de ma Lorraine,
Sur mon peu de mémoire et sur mon peu de haine.
Je suis un, je suis Tous, et ce que je vous dis
Tous les cœurs furieux vous le disent, bandits!
Non, nous n'oublierons pas! Lorraine, Alsace, ô villes,
O chers français, pays sacrés, soye^ tranquilles.
Nous ne tarderons point. Le glaive est prêt déjà
Que Judith pâle au flanc d'Holopherne plongea.
Eternel souvenir! Guerre! guerre! Revanche!
Ah! ton peuple vivra, mais ton empire penche,
Allemagne. O révolte au fond du tombeau sourd !
O tocsin formidable au clocher de Strasbourg !
Ossements remués ! dressement de fantômes !
Czars, princes, empereurs, maîtres du monde, atomes.
Comme ces grands néants s'envolent dans la nuit!
Comme l'éternité des rois s'évanouit !
Des hommes, jeunes, vieux, hurlant, des paysannes.
Des paysans, ayant des faulx pour pertuisanes.
Ah! le jour de la lutte, il en viendra plus d'un!
Metz imitera Lille et Strasbourg Chateaudun ;
Vos canons contre vous retourneront leurs gueules.
Les pierres se mettront en marche toutes seules
Et feront des remparts contre vous, et les tours
Vous chasseront, hiboux, milans, corbeaux, vautours !
On verra fourmiller le gouffre des épées 5
Alors revivra, fière, au vent des épopées,
La Révolution debout, le sabre au poing;
Et, pâles, vous de qui l'avenir ne veut point.
Vous verrez reparaître, è rois, cette gorgone
A travers le branchage effrayant de l'Argonne^
La France embrassera l'Alsace, embrassera
La Lorraine, ô triompfieî et l'Europe sera!
Et les vengeurs, avec des chants et des huée:S,
Plus abondants q^iic l'ombre au puits aoif des nuées.
324 TOUTE LA LYRE.
Plus pressés que l'averse en un ciel pluvieux. Viendront, et je verrai cela, moi qui suis vieux !
Vous riez. N'est-ce pas que l'heure est mal choisie.
Rois, pour tant d'espérance et tant de frénésie.
Quand on vide nos sacs d'écus, quand nous avons
Le même sort qu'ont eu jadis les esclavons.
Quand tout notre sang fuit par notre veine ouverte.
Quand vos fusils joyeux ont tous leur branche verte.
Quand tout est gloire, orgueil, force! — Eh bien, vous verrez.
Soit. Les songes ne sont pas encor dédorés ;
Mais, princes, cette chose étrange, la justice.
Existe; et, quel que soit le château qu'on bâtisse.
Fût-il de marbre, il est d'argile, et son ciment
Périra, s'il n'a pas le droit pour fondement;
Son mur est vain s'il n'est gardé que par le nombre.
Et sa porte de bronze est faite avec de l'ombre.
Vos peuples sont déjà repentants de vous voir
Tant d'ivresse, un tel sceptre aux mains, tant de pouvoir;
Ils vous ont couronnés, ne sachant pas qu'un Louvre
Abrite la rapine et le vol, dès qu'on l'ouvre;
Ils frémissent de voir que vous avez tout pris.
C'est de leur flanc que l'arbre immense du mépris
Sortira comme un chêne horrible sort de terre.
Vous croyez, tout-puissants stupides, qu'on fait taire L'éternelle clameur des hommes opprimés ! Vous pesez sur les gonds de la nuit, vous fermez La porte par où doit venir la grande aurore ! Vous tentez d'étouffer l'aube auguste et sonore î Ah ! vous vous attaquez au sinistre avenir ! Il vient ressusciter, sauver, aimer, punir! Tremblez ! vous violez la rive inabordable. Savez-vous les secrets de la nuit formidable ?
m
ALSACE ET LORRAINE. 325
C'est nous que le matin mystérieux connaît ; Ce qui germe, ce qui s'avance, ce qui naît. Ce qui pense, est à nous. Donc tremblez, ô despotes. Tout ce que tu fais, Krupp, tout ce que tu tripotes, Bismarck, tous les fourneaux, flamboyants entonnoirs. Où l'âpre forge souflle avec ses poumons noirs. Fabriquant des canons, des mortiers, des bombardes. Tout ce qu'un faux triomphe inspire à de faux bardes. Rois, je vous le redis, ce décor d'opéra Pâlira, passera, fuira, s'écroulera!
Oui, nous sommes tombés et vaincus, et le Xanthe
Frémissant ne vit pas Ilion plus gisante ;
Oui, nous sommes à terre, à bas, brisés, battus;
Oui, mais Quatrevingt-douze et ses sombres vertus
Croissent dans nos enfants, et notre ciel se dore
De ce vieil astre, éclos dans cette jeune aurore 5
Leurs fraîches voix sont là chantant les grands défis.
Nous voyons nos aïeux renaître dans nos fils ;
Oui , vous l'emportez ; mais nul ne trompe et n'évite
L'œil invisible; et bien qu'un larron marche vite.
Le châtiment boiteux le suit et le rejoint;
Mais mon pays n'est pas assez mort pour ne point
Entendre votre éclat de rire dans sa tombe.
Et cela te réveille, ô France, ô ma colombe,
O ma douce patrie, ô grand aigle effrayant!
Oui, vous croyez que tout finit en balayant.
Et que lorsqu'on a mis dans un coin les décombres.
On peut sur les tombeaux laisser rôder les ombres.
Eh bien non. Car une ombre est une âme. Oui, tyrans.
Nous sommes accablés, dépouillés, expirants.
Nous n'avons plus d'amis, plus d'argent, plus d'armée.
Plus de frontières, mais nous avons la fumée
De nos hameaux brûlés qui vous dénonce tous.
Et qui noircit le ciel contre vous, et pour nous!
Mais l'étoile survit quand le navire sombre ;
Mais quand l'assassiné saigne dans le bois sombre,
326 TOUTE LA LYRE.
Une blême lueur sort du cadavre nu -,
Mais le destin pensif s'est toujours souvenu
De la nécessité de punir les coupables ;
Mais l'invincible essaim des forces impalpables
Qu'on nomme vérité, devoir, progrès, raison.
Vient vers nous et remplit de rumeur l'horizon ;
Mais nous sommes aidés par toute l'âme humaine 5
Mais le monde a besoin d'un flambeau qui le mène.
Et vous vous appelez Ténèbres 5 mais le jour.
Le saint travail, la paix, la liberté, l'amour.
Tout cela conduit l'homme et tient dans le mot France !
Oui, nous sommes le deuil, la chute, la souffrance.
Nul peuple de si bas encor n'est revenu j
Mais nous avons pour nous ce quelqu'un d'inconnu
Dont on voit par moments passer l'ombre sublime
Par-dessus la muraille énorme de l'abîme !
9 novembre 1872. H. H.
XI
LA LIBERATION DU TERRITOIRE.
Je ne me trouve pas délivré. Non, j'ai beau
Me dresser, je me heurte au plafond du tombeau,
J'étoufFe, j'ai sur moi l'énormité terrible.
Si quelque soupirail blanchit la nuit visible.
J'aperçois là-bas Metz, là-bas Strasbourg, là-bas
Notre honneur, et l'approche obscure des combats.
Et les beaux enfants blonds, bercés dans les chimères.
Souriants, et je songe à vous, ô pauvres mères.
Je consens, si l'on veut, à regarder, je vois
Ceux-ci rire, ceux-là chanter à pleine voix,
La moisson d'or, l'été, les fleurs, et la Patrie
Sinistre, une bataille étant sa rêverie.
Avant peu l'Archer noir embouchera le cor ;
Je calcule combien il faut de temps encor;
Je pense à la mêlée affreuse des épées.
Quand des frontières sont par la force usurpées.
Quand un peuple gisant se voit le flanc ouvert.
Avril peut rayonner, le bois peut être vert.
L'arbre peut être plein de nids et de bruits d'ailes ;
Mais les tas de boulets, noirs dans les citadelles.
Ont l'air de faire un songe et de frémir parfois.
Mais les canons muets écoutent une voix
Leur parler bas dans l'ombre, et l'avenir tragique
SouflEie à tout cet airain farouche sa logique.
328 TOUTE LA LYRE.
Quoi! vous n'entendez pas, tandis que vous chantez. Mes frères, le sanglot profond des deux cités! Quoi! vous ne voyez pas, foule aisément sereine, L'Alsace en frissonnant regarder la Lorraine ! — 0 sœur, on nous oublie ! on est content sans nous ! - Non ! nous n'oublions pas ! nous sommes à genoux Devant votre supplice, ô villes! Quoi! nous croire Affranchis, lorsqu'on met au bagne notre gloire. Quand on coupe à la France un pan de son manteau. Quand l'Alsace au carcan, la Lorraine au poteau. Pleurent, tordent leurs bras sacrés, et nous appellent. Quand nos frais écoliers, ivres de rage, épellent Quatrevingt-douze, afin d'apprendre quel éclair Jaillit du cœur de Hoche et du front de Kléber, Et de quelle façon, dans ce siècle où nous sommes, On fait la guerre aux rois d'où sort la paix des hommes ! Non, remparts, non, clochers superbes, non jamais Je n'oublierai Strasbourg et je n'oublierai Metz. L'horrible aigle des nuits nous étreint dans ses serres. Villes! nous ne pouvons, nous français, nous vos frères. Nous qui vivons par vous, nous par qui vous vivrez. Etre que par Strasbourg et par Metz délivrés ! Toute autre délivrance est un leurre; et la honte. Tache qui croît sans cesse, ombre qui toujours monte. Reste au front rougissant de notre histoire en deuil. Peuple, et nous avons tous un pied dans le cercueil. Et pas une cité n'est entière, et j'estime Que Verdun est aux fers, que Belfort est victime. Et que Paris se traîne, humble, amoindri, plaintif. Tant que Strasbourg est pris et que Metz est captif. Rien ne nous fait le cœur plus rude et plus sauvage Que de voir cette voûte infâme, l'esclavage. S'étendre et remplacer au-dessus de nos yeux Le soleil, les oiseaux chantants, les vastes cieux! Non, je ne suis pas libre. O tremblements de terre! J'entrevois sur ma tête un nuage, un cratère.
LA LIBERATION DU TERRITOIRE. 329
Et l'âpre éruption des peuples, fleuve ardent 5 Je râle sous le poids de l'avenir grondant. J'écoute bouillonner la lave sous-marine. Et je me sens toujours l'Etna sur la poitrine !
Et puisque vous voulez que je vous dise tout.
Je dis qu'on n'est point grand tant qu'on n'est pas debout.
Et qu'on n'est pas debout tant qu'on traîne une chaîne ;
J'envie aux vieux romains leurs couronnes de chêne ;
Je veux qu'on soit modeste et hautain; quant à moi.
Je déclare qu'après tant d'opprobre et d'eflfroi.
Lorsqu'à peine nos murs chancelants se soutiennent.
Sans me préoccuper si des rois vont et viennent.
S'ils arrivent du Caire ou bien de Téhéran,
Si l'un est un bourreau, si l'autre est un tyran.
Si ces curieux sont des monstres, s'ils demeurent
Dans une ombre hideuse où des nations meurent.
Si c'est au diable ou bien à Dieu qu'ils sont dévots,
S'ils ont des diamants aux crins de leurs chevaux.
Je dis que, les laissant se corrompre ou s'instruire.
Tant que je ne pourrais faire au soleil reluire
Que des guidons qu'agite un lugubre frisson.
Et des clairons sortis à peine de prison.
Tant que je n'aurais pas, rugissant de colère.
Lavé dans un immense Austerlitz populaire
Sedan, Forbach, nos deuils, nos drapeaux frémissants.
Je ne montrerais point notre armée aux passants !
A
O peuple, toi qui fus si beau, toi qui naguère Ouvrais si largement tes ailes dans la guerre. Toi de qui l'envergure effrayante couvrit Berlin, Rome, Memphis, Vienne, Moscou, Madrid, Toi qui soufflas le vent des tempêtes sur l'onde Et qui fis du chaos naître l'aurore blonde.
330 TOUTE LA LYRE.
Toi qui seul eus l'honneur de tenir dans ta main Et de pouvoir lâcher ce grand oiseau. Demain, Toi qui balayas tout, l'azur, les étendues. Les espaces, chasseur des fuites éperdues. Toi qui fus le meilleur, toi qui fus le premier, O peuple, maintenant, assis sur ton fumier. Racle avec un tesson le pus de tes ulcères. Et songe.
La défaite a des conseils sincères j La beauté du malheur farouche, c'est d'avoir Une fraternité sombre avec le devoir ; Le devoir aujourd'hui, c'est de se laisser croître. Sans bruit, et d'enfermer, comme une vierge au cloître. Sa haine, et de nourrir les noirs ressentiments. A quoi bon étaler déjà nos régiments ? A quoi bon galoper devant l'Europe hostile? Ne point faire envoler de poussière inutile Est sage -, un jour viendra d'éclore et d'éclater; Et je crois qu'il vaut mieux ne pas tant se hâter.
Car il faut, lorsqu'on voit les soldats de la France, Qu'on dise : — C'est la gloire et c'est la délivrance ! C'est Jemmapes, l'Argonne, Ulm, léna, Fleurus ! C'est un tas de lauriers, au soleil apparus ! Regardez. Ils ont fait les choses impossibles. Ce sont les bienfaisants, ce sont les invincibles. Ils ont pour murs les monts et le Rhin pour fossé. — En les voyant, il faut qu'on dise : -— Ils ont chassé Les rois du nord, les rois du sud, les rois de l'ombre ; Cette armée est le roc vainqueur des flots sans nombre. Et leur nom resplendit du zénith au nadir ! — Il faut que les tyrans tremblent, loin d'applaudir. Il faut qu'on dise : — Ils sont les amis vénérables Des pauvres, des damnés, des serfs, des misérables. Les grands spoliateurs des trônes, arrachant Sceptre, glaive et puissance à quiconque est méchant;
LA LIBÉRATION DU TERRITOIRE. 331
Ils sont les bienvenus partout où quelqu'un souffre.
Ils ont l'aile de flamme habituée au gouffre.
Ils sont l'essaim d'éclairs qui traverse la nuit.
Ils vont, même quand c'est la mort qui les conduit.
Ils sont beaux, souriants, joyeux, pleins de lumière 5
Athène en serait folle et Sparte en serait fière. —
Il faut qu'on dise : — Ils sont d'accord avec les cieux !
Et que l'homme, adorant leur pas audacieux.
Croie entendre, au-dessus de ces légionnaires
Qui roulent leurs canons. Dieu rouler ses tonnerres!
C'est pourquoi j'attendrais.
Qu'attends-tu ? — -Je réponds J'attends l'aube, j'attends que tous disent : — Frappons ! Levons-nous ! et donnons à Sedan pour réplique L'Europe en liberté! — J'attends la république. J'attends l'emportement de tout le genre humain ! Tant qu'à ce siècle auguste on barre le chemin , Tant que la Prusse tient prisonnière la France, Penser est un affront, vivre est une souffrance, Je sens, comme Isaïe insurgé pour Sion, Gronder le profond vers de l'indignation. Et la colère en moi n'est pas plus épuisable Que le flot dans la mer immense, et que le sable Dans l'orageux désert remué par les vents.
Ce que j'attends ? J'attends que les os soient vivants ! Je suis spectre, et je rêve, et la cendre me couvre. Et j'écoute; et j'attends que le sépulcre s'ouvre. J'attends que dans les cœurs il s'élève des voix, Que sous les conquérants s'écroulent les pavois. Et qu'à l'extrémité du malheur, du désastre. De l'ombre et de la honte, on voie un lever d'astre!
332 TOUTE LA LYRE.
Jusqu'à cet instant-là, gardons superbement, O peuple, la fureur de notre abaissement. Et que tout l'alimente et que tout l'exaspère. Étant petit, j'ai vu quelqu'un de grand, mon père. Je m'en souviens ; c'était un soldat, rien de plus ; Mais il avait mêlé son âme aux fiers reflux. Aux revanches, aux cris de guerre, aux nobles fêtes. Et l'éclair de son sabre était dans nos tempêtes. Oh ! je ne vous veux pas dissimuler l'ennui, A vous, fameux hier, d'être obscurs aujourd'hui, O nos soldats, lutteurs infortunés, phalange Qu'illumina jadis la gloire sans mélange. L'étranger à cette heure, hélas ! héros trahis, Marche sur votre histoire et sur votre pays -, Oui, vous avez laissé ces reîtres aux mains viles Voler nos champs, voler nos murs, voler nos villes. Et compléter leur gloire avec nos sacs d'écus ; Oui, vous fûtes captifs, oui, vous êtes vaincus 5 Vous êtes dans le puits des chutes insondables ; Mais c'est votre destin d'en sortir formidables. Mais vous vous dresserez, mais vous vous lèverez, Mais vous serez ainsi que la faulx dans les prés 5 L'hercule celte en vous, la hache sur l'épaule. Revivra, vous rendrez sa frontière à la Gaule, Vous foulerez aux pieds Fritz, Guillaume, Attila, Schinderhanne et Bismarck, et j'attends ce jour-là !
Oui, les hommes d'Eylau vous diront : Camarades !
Et jusque-là, soyez pensifs loin des parades. Loin des vaines rumeurs, loin des faux cliquetis, Et regardez grandir nos fils encor petits.
LA LIBERATION DU TERRITOIRE. 333
Je vis désormais, l'œil fixé sur nos deux villes.
Non, je ne pense pas que les rois soient tranquilles 5 Je n'ai plus qu'une joie au monde, leur souci. Rois, vous avez vaincu, vous avez réussi. Vous bâtissez, avec toutes sortes de crimes. Un édifice infâme au haut des monts sublimes. Vous avez entre l'homme et vous construit un mur. Soit. Un palais énorme, éblouissant, obscur. D'où sort- l'éclair, où pas une lumière n'entre. Et c'est un temple, à moins que ce ne soit un antre.
Pourtant, eût-on pour soi l'armée et le sénat. Ne point laisser de trace après l'assassinat. Rajuster son exploit, bien laver la victoire. Nettoyer le côté malpropre de la gloire. Est prudent. Le sort a des retours tortueux. Songez-y. — J'en conviens, vous êtes monstrueux; V)us et vos chanceliers, vous et vos connétables. Vous êtes satisfaits, vous êtes redoutables ; Vous avez, joyeux, forts, servis par ce qui nuit. Entrepris le recul du monde vers la nuit ; Vous faites chaque jour faire un progrès à l'ombre ; Vous avez, sous le ciel d'heure en heure plus sombre. Princes, de tels succès à nous faire envier Que vous pouvez railler le vingt-et-un janvier. Le quatorze juillet, le dix août, ces journées Tragiques, d'où sortaient les grandes destinées. Que vous pouvez penser que le Rhin, ce ruisseau. Suffit pour arrêter Jourdan, Brune et Marceau, Et que vous pouvez rire en vos banquets sonores De tous nos ouragans, de toutes nos aurores.
334 TOUTE LA LYRE.
Et des vastes efforts des titans endormis.
Tout est bien 5 vous vivez, vous êtes bons amis.
Rois , et vous n'êtes point de notre or économes -,
Vous en êtes venus à vous donner les hommes ;
Vous vous faites cadeau d'un peuple, après souper;
L'aigle est lait pour planer et l'homme pour ramper j
L'Europe est le reptile et vous êtes les aigles ;
Vos caprices, voilà nos lois, nos droits, nos règles j
La terre encor n'a vu sous le bleu firmament
Rien qui puisse égaler votre assouvissement ;
Et le Destin pour vous s'épuise en politesses ;
Devant vos majestés et devant vos altesses.
Les prêtres mettent Dieu stupéfait à genoux ;
Jamais rien n'a semblé plus éternel que vous ;
Votre toute-puissance aujourd'hui seule existe 5
Mais, rois, tout cela tremble, et votre gloire triste
Devine le refus profond de l'avenir;
Car sur tous les bonheurs que vous croyez tenir.
Sur vos arcs triomphaux, sur vos splendeurs hautaines.
Sur tout ce qui compose, ô rois, ô capitaines.
L'amas prodigieux de vos prospérités.
Sur ce que vous rêvez, sur ce que vous tentez.
Sur votre ambition et sur votre espérance.
On voit la grande main sanglante de la France.
29 août 1873. Vill^ M.
XII
Le lionceau songeait j il était tout petit.
Caché, muet, pareil au chat qui se blottit.
Loin du soleil, dans l'ombre où les rayons s'émoussent.
Combien faut-il de temps pour que ses ongles poussent? Il songeait.
Laissez-moi vous dire que les rois. Lugubres, font le mal, foulent aux pieds les droits. Les vérités, l'honneur, la vertu, la justice j Ils font venir le prêtre afin qu'on rebâtisse L'enfer dans l'âme humaine où Dieu mit la raison 5 Et leurs prospérités sont faites de façon Que la gloire d'un peuple est la honte de l'autre ; Leur grandeur dans les tas d'immondices se vautre. Leurs sceptres aux plaisirs obscènes sont mêlés, La bauge aux pourceaux plaît à ces paons étoiles -, Hier, ils souffletaient les nations meurtries ; Gais, ils jouaient aux dés les robes des patries 5 A celui-ci le Nil, à celui-là le Rhinj Quand ils ont sur leur front mis leur cimier d'airain, Rien ne peut modérer leurs fureurs, peu calmées Par des chansons d'église et des danses d'aimées ; Ils ont on ne sait quel appétit monstrueux D'être horribles 5 ils sont les dragons tortueux. Les hydres, les passants sinistres de l'histoire ^ Ils ont pour eux le deuil, l'échafaud, la victoire. Tout ce qui rampe et tremble, et les rires hautains; La famine du peuple assiste à leurs festins ;
336 TOUTE LA LYRE.
L'aurore est leur palais, l'ombre est leur forteresse, Leur faux pouvoir devant l'éternel Dieu se dresse Dans toute l'impudeur de sa rébellion } Ils sont dorés, ils sont fangeux.
Grandis, lion!
9 octobre 1873. Paris.
XIII
A
O royauté! tas d'ombre! amas d'horreur, d'effroi. De crime, formidable au peuple, puis au roi.
Aveuglant les yeux qui le voient. Plein de spectres, semblable aux visions d'Endor! On n'y distingue rien qu'une couronne d'or
Dont les vagues fleurons flamboient.
Tempête d'ignorance, et de haine, et de nuit. Où se heurtent chevaux, hommes, glaive qui luit.
Canon grondant, clairon sonore ! Brume affreuse, pareille aux faces du tombeau. Qui fait, comme une bouche éteignant un flambeau,
Soufller l'ouragan sur l'aurore !
Lourd nuage, épandu sur les siècles tremblants. D'où, quand il a pesé sur l'homme deux mille ans.
Et sur le peuple, flot qui roule. On voit, après le bruit que fait un tombereau. Sortir soudain le poing sinistre du bourreau
Montrant une tête à la foule !
POESIE. — XIII. 22
■ MI-MIIEMe HITIOHIU.
338 TOUTE LA LYRE.
XIV
Quoi donc! avoir pour but cette lâcheté, plaire! Se donner cet emploi noble, auguste, exemplaire, La flatterie ! avoir pour maîtres les passants ! Obéir au vent noir soufflant dans tous les sens !
A A 1 1 \
Etre contre, être pour, suivant le baromètre !
Blâmer, puis approuver, défendre, puis permettre.
Non selon le devoir, mais selon le succès !
Parce qu'il est des fous risquant tous les essais.
Qui violent nos droits au nom de nos principes.
Laisser faire ! Laisser dénaturer les types
De l'honneur, du progrès, du droit, de l'équité!
Vouloir le talion ! souffrir, ô Liberté,
Qij'un trousseau de clés pende et sonne à ta ceinture !
Quand dans une ombre énorme et triste on aventure
Toutes les vérités en deuil, dire : C'est bon!
Nier l'astre, admirer la blancheur du charbon.
Déclarer vrai le faux, et l'injustice juste.
Louer Carrier après avoir flétri Procuste î
Vêtir sa conscience au gré de la saison !
Se mettre à la fenêtre et guetter l'horizon.
Regarder se gonfler telle ou telle bannière.
Pour savoir à quelle heure et de quelle manière
On pourrait être vil le plus utilement !
Quoi! ce principe hier sincère, aujourd'hui ment!
Quoi ! toute vérité qui gêne n'est plus vraie !
Si c'est mon intérêt, le cygne est une orfraie.
Peuple, et de ce lion, le droit, je fais mon chien!
Il suflit, pour changer soudain le mal en bien,
11
^01 DONC! AVOIK POUK BUT CETTE LACHETE... 339
Que ce soit un tyran qui règne, au lieu d'un autre. C'est un roi, l'on combat; c'est la foule, on se vautre.
(1)
Quoi ! le penseur aura tonné superbement
Si c'est un empereur qui se sert du supplice.
Si c'est la multitude, il en sera complice!
Et cet homme indigné sera l'homme ébloui !
O ciel! Après avoir dit non, bégayer oui!
Et, devant l'échafaud, dès que la foule en use.
Mettre un lâche sourire au masque de Méduse !
Voilà donc où la soif de plaire conduirait !
Non! Non! Non ! Déserter, pour un sombre intérêt.
Ces vérités que nous français, nous établîmes.
Au peuple honnête et bon et plein d'instinas sublimes.
Mais préférant parfois les bas-fonds aux sommets.
Dire qu'il a raison quand il a tort, jamais!
Ah ! plutôt qu'accepter de telles servitudes.
L'homme qui parle ici fuirait aux solitudes.
Subirait tout, le froid, la faim, l'exil amer,
L'ennui, la surdité sauvage de la mer.
Tout, loin de la patrie et loin de la lumière.
Et le soir, bûcheron rentrant dans sa chaumière.
Las, pieds nus, à travers les ronces, tramerait
Derrière lui le bois coupé dans la forêt !. . .
27 avril 1871.
^'' Le vers à rime masculine manque au manuscrit. [Note de l'Éditeur.)
340 TOUTE LA LYRE.
XV
Un grand sabre serait d'utilité publique. Est-ce qu'il n'est pas temps d'exterminer la clique Des songeurs, des rêveurs, des penseurs, des savants. Et de tous ces semeurs jetant leur graine aux vents. Et de mettre au pavois celui qui nous fait taire. Et de souffler sur l'aube, et d'éteindre Voltaire! Qu'attendez-vous.'* Oh! comme il serait beau de voir Quelque bon vieux tyran faire enfin son devoir. Couper, tailler, trancher et mettre à vos Molières, A vos Dantes, à vos Miltons, des muselières! Nous en avons assez de tous ces bavards-là. Le mal des hommes vient du premier qui parla. On va criant : Progrès ! Fraternité ! Courage ! Quel besoin avons-nous de tous ces mots d'orage? Jadis tout allait bien pourvu qu'on se tînt coi. On veut être à présent libre et maître. Pourquoi ? Liberté, c'est tempête. Il faut qu'un bon pilote Ramène au port la barque et le peuple à l'ilote. Il faut qu'un belluaire ou qu'un homme d'état Bride ce peuple osant commettre l'attentat De naître, et s'égarant jusqu'à la convoitise Que montre au lys l'abeille et la chèvre au cytise. Les révolutions continueront, le bruit Et le vacarme iront grossissant dans la nuit. Tant que nous n'aurons pas trouvé ce politique. Reprenons l'ancien temple et l'ancienne boutique -, Revivre le passé nous suffit. Que veut-on ? À quoi sert Diderot? à quoi rime Danton?
UN GRAND SABKE SEKAIT D'UTILITE PUBLIQUE... 341
Pourquoi Garibaldi trouble-t-il la Sicile ?
Votre progrès n'est rien que fatigue imbécile !
Quelle rage avez-vous de marcher en avant?
Trop de tumulte sort de l'homme trop vivant.
L'esprit humain, longtemps calme et sombre, s'agite,
Ne serait-il pas bon qu'on fît rentrer au gîte
Et qu'on remît sous clefs et qu'on paralysât
Ce monstre, secouant sa chaîne de forçat?
Quoi! la mouche, autrefois loyale et résignée,
Manque au respect qu'on doit aux toiles d'araignée !
Elle tente d'y faire un trou pour s'échapper !
La plèbe ose exister, gouverner, usurper !
Quoi ! la vérité sort ! la raison l'accompagne !
Vite ! Rejetons l'une au puits, et l'autre au bagne !
Pour quiconque ose aller, venir, briser l'écrou.
L'enfer est un cachot avec Dieu pour verrou.
Qu'on y rentre. O révolte affreuse ! Quel désordre
Que tous ces ouragans lâchés, tâchant de mordre.
Se ruant sur l'autel, sur la loi, sur le roi !
Oh ! quel déplacement tragique de l'effroi !
L'inexorable pleure et les terribles tremblent ;
Les vautours efferés aux passereaux ressemblent.
Deuil ! horreur ! regarder surgir de tous cotés
Un tas de vérités et de réalités.
Voir leur flamme, et songer que peut-être chacune
Apporte on ne sait quelle effrayante rancune.
Et, rayonnante, vient au monde reprocher
Le sceptre, l'échafaud, le glaive et le bûcher!
Oh ! tant qu'on n'aura pas mis hors d'état de nuire
Tout ce qui veut créer, chauffer, féconder, luire.
Tant que le vieux bon ordre encourra le péril
De voir brusquement naître un formidable avril.
Tant qu'il sera permis aux folles plumes ivres
De porter les oiseaux et d'écrire les livres.
Tant qu'un homme qui dit : j'ai faim ! pâle, priant.
Pensif, fera blanchir vaguement l'orient.
Tant que le ciel complice aura la transparence
342 TOUTE LA LYRE.
Qui laisse distinguer aux pauvres l'espérance,
Tant que le va-nu-pieds se croira citoyen,
Je suis de votre avis, bourgeois, aucun moyen
De dormir en repos, et nul coin de navire
Où l'on puisse être seul sauvé quand tout chavire.
Quoi ! pas un prêtre, pas un juge, pas un roi.
Qui, tandis que frémit le livre de la loi.
S'il regarde la nuit le ciel noir, ne se sente
Troublé par la lueur du zénith grandissante !
Ceci, c'est l'utopie, et ceci, le calcul.
Ceci, c'est le progrès sans terme et sans recul.
Voici le beau, le vrai, l'idéal qui prend forme.
Et le juste, et voici la conscience énorme !
Qui donc pourrait, parmi les enfants de Japhet,
Conjurer le mystère inquiétant qui fait
Que nous voyons tomber dans l'ombre pêle-mêle
Tant de gouttes de lait de l'immense mamelle?
O terreur ! tout s'éclaire ! il est temps d'en finir.
Qui sauvera le monde en péril d'avenir ?
Caïn pleure. Judas gémit, Phalaris souffre.
Oh ! qu'il serait urgent d'arrêter net le gouffre
En pleine éruption de lumière, et la paix.
Le progrès, s'évadant des nuages épais,
La science, et, montant là-haut vers le solstice.
L'âme, et cette blancheur céleste, la justice -,
Et comme on ferait bien de mettre à la raison
Les astres se levant en foule à l'horizon !
25 août 1872. H. H.
XVI
AUX HISTORIENS.
Soyez juges. Soyez apôtres. Soyez prêtres.
Dites le vrai. Surtout n'expliquez pas les traîtres !
Car l'explication finit par ressembler
À l'indulgence aflfreuse, et cela fait trembler.
Ne me racontez pas un opprobre notoire
Comme on raconterait n'importe quelle histoire.
Quelle est la quantité d'assassinat permis.
Jusqu'où peut-on s'entendre avec les ennemis.
Jusqu'où peut-on couper la gorge à la patrie.
L'épaule de Raguse est-elle trop flétrie,
Dupont mérite-t-il tout ce qui l'accabla.
Non, non, je ne veux point de ces recherches-là !
Je fi-émis, la rougeur au visage me monte.
Voilà tout. Je veux être un ignorant de honte.
Je veux rester stupide et furieux devant
Les coups du sort, les coups de mer, les coups de vent.
Auxquels vient s'ajouter le guet-apens d'un lâche.
Je prends le crime en bloc. Qui me calme, me fâche.
Non, l'histoire n'est point un lavage d'égout.
Historiens, ayez les traîtres en dégoût.
Ne rôdez point avec vos lampes dans leur cave ;
Ne dites pas : Pourtant ce lâche était un brave ;
Ne cherchez pas comment leur forfait se construit
Et s'éclaircit, laissez ces monstres à la nuit.
344 TOUTE LA LYRE.
Où donc en serions-nous si l'on s'expliquait l'homme Qui tel jour a livré Paris ou trahi Rome ! Discuter, c'est déjà l'absoudre vaguement. Quoi! vous alléguerez ceci, cela, comment Il se fait qu'on devient ce misérable étrange ! Quoi ! vous m'expliquerez le pourquoi de la fange ! Vous me ferez toucher du doigt que ce soldat, Ayant le fier devoir de mourir pour mandat, A pu vendre le peuple et la France et l'armée. Qu'il a pu devenir, souillant sa renommée. Transfuge, sans nausée et sans rébellion. Et qu'un renard était dans la peau du lion ! Vous aurez pour ces faits, dont l'ef&oi me pénètre. Des prétextes, qui sait? et des motifs peut-être! Non! je n'ai pas l'humeur d'écouter vos discours Quand notre vieil honneur m'appelle à son secours. Quand le malheur public sous ma fenêtre passe. Quand l'abject trahisseur vient me demander grâce. Je suis d'airain, je suis sourd, aveugle et muet; J'aurais horreur de moi si mon cœur remuait.
Il ne me convient pas, sachez-le, de comprendre
Qu'un homme, ayant l'épée en main, ait pu la rendre j
Je ne veux pas savoir si ce gueux se méprit ;
Il ne me convient pas de mettre en mon esprit
L'itinéraire af&eux que suit le parricide ;
Je ne veux pas qu'un grave écrivain m'élucide.
Avec faits à l'appui, groupés et variés.
Le cerveau de Clouet, le cœur de Dumouriez.
Ma strophe est l'euménide et je poursuis Oreste.
Meurtrier, c'est assez. Ce mot dit tout. Le reste
Est inutile et peut être nuisible. Il faut
Que Juvénal arrive et dresse l'échafaud.
Et qu'Eschyle, dieu noir, justicier olympique.
Frappe le traître avec le plat du glaive épique !
Lorsqu'un fourbe exécré du peuple qu'il perdit.
Un marchand de patrie et d'honneur, un bandit.
AUX HISTORIENS. 345
Vous prend pour avocats, ô penseurs, lorsqu'il ose Vous porter son dossier, vous charger de sa cause. Je suis content de vous si votre plaidoyer. Justes historiens, consiste à foudroyer.
Toute explication d'un monstre l'atténue ; Je veux la perfidie immonde toute nue. Le scélérat montré sans voile à tous les yeux Donne un frisson meilleur et m'épouvante mieux. Pour de certains forfaits clémence est connivence. Quand dans l'intérieur d'un grand crime j'avance. Quand dans l'ombre un cadavre auguste est découvert. Quand il s'agit du flanc de ma mère entr'ouvert. Quand l'impur ouvrier d'une exécrable trame, Monk livrant un pays, Deut2 livrant une femme, Coriolan, Leclerc, Pichegru, m'apparaît. Quand j'entre dans cette âme et dans cette forêt. Je tremble, et je veux être, à cette approche noire. Averti par le cri terrible de l'histoire.
Devant l'afifront, devant le traître à son pays,
O deuil! devant les champs paternels envahis.
Devant le râle affreux des cités violées.
Devant le sang versé pour rien dans les mêlées.
Si facile qu'on soit au pardon, non! jamais!
Il faut punir! Devant Baylen, devant Metz,
C'est pour la France en pleurs que notre cœur se serre,
La lapidation publique est nécessaire.
Aux pavés, tous! frappons! et que l'écrasement
Du bandit soit sous l'ombre et les pierres fumant !
Pas de grâce ! il faut être ou vengeur ou complice ;
Et quiconque n'est pas du crime est du supplice.
Helas !
346 TOUTE LA LYRE.
Ce que je veux tuer, ce n'est pas lui. C'est son crime. Cet homme a failli, s'est enfui, A tout perdu !
Pour l'âme épouvantable et vile. Pour celui qui livra la porte de la ville. Qui donna ses soldats comme on donne un troupeau. Qui poignarda la gloire et vendit le drapeau. Pour cet homme de deuil, de mensonge et de ruse, Les sombres firmaments n'admettent pas d'excuse. Après que dans un siècle, où tout semble effacé. Un si lâche assassin de l'honneur a passé, On ne tient plus à vivre, on ne sait plus que croire 5 Et la vertu, la foi, la probité, l'histoire, Sont comme des rayons dans la mer engloutis.
Si l'on voulait mêler cet homme à ses petits, La tigresse serait indignée et confuse 5 La fauve honnêteté des antres le refuse Et ne lui donne point dans les bois frémissants Place parmi les loups hideux, mais innocents? Et toute la nature, étant une patrie, Abhorre, en sa sauvage et fière rêverie. Le fourbe autour duquel Satan vient chuchoter ; L'astre des cieux n'est pas d'avis qu'on puisse ôter Sa honte à ce damné dont Caïn est l'ancêtre. Et veut le voir infâme après l'avoir vu traître. Ne faisons point douter les hommes ; laissons-leur L'horreur du meurtrier, du menteur, du voleur. Ne troublons pas en eux la notion du juste ? Faisons luire à leurs yeux la certitude auguste. L'héroïsme est un ciel, l'honneur est un azur?
AUX HISTORIENS. 347
Si vous livrez le peuple au scepticisme obscur. Il ne sait plus quelle est la lueur qui le mène ; Alors tout flotte ; alors la conscience humaine A des blêmissements pires que la noirceur.
L'esquif dans l'eau diffuse a son avertisseur, La boussole j il navigue ; et les hommes ont l'âme. Laissez-leur ce conseil, laissez-leur cette flamme; La droiture est leur pôle et le devoir leur nord ; La flotte en pleine mer et le peuple en plein sort, La vie étant brumeuse et l'ombre étant profonde, Ont besoin, dans la vaste obscurité de l'onde. L'une de voir l'étoile et l'autre de voir Dieu. Dieu, c'est la vérité rayonnant au milieu Des ténèbres, du doute et de l'idolâtrie; Et, quand les ennemis sont là, c'est la patrie.
Pour qui vend son pays, ciel noir, pas de pitié!
Ah ! ne partageons point le crime par moitié
Entre le hasard louche et l'homme misérable.
Pas de grâce. Imitons l'abîme vénérable
Qui ne se laisse pas détourner de son but ;
Tout forfait doit payer au châtiment tribut ;
La justice est la loi de fer que rien ne touche ;
La peine a pour épée une flamme farouche ;
Le glaive de cet ange horrible est sans fourreau.
Pas plus que le hibou ne devient passereau.
Pas plus que le corbeau ne se change en colombe.
Un perfide ne peut être un juste, et la tombe
Pose et ferme à jamais son couvercle sur lui.
Les peuples, dont l'honneur est le seul point d'appui,
Veulent que le destin sur ce monstre exemplaire
Jette une catastrophe égale à leur colère ;
Il convient que Judas ait Judas pour bourreau ;
J'approuve le boulet qui terrassa Moreau
Et qui fut ce jour-là ressemblant au tonnerre.
348 TOUTE LA LYRE.
Tout cet inattendu formidable où l'on erre.
Qu'on nomme histoire, où l'ombre a le ciel pour reflet.
C'est l'océan, tremblant, terrible, et, bien qu'il ait
De vagues mouvements de berceau, c'est le gouffre.
L'homme en ces profondeurs travaille, cherche, souffre.
Et l'espérance vole en avant, doux oiseau.
O pilote démon qui trahit le vaisseau !
Malheur au matelot monstrueux qui se traîne
Et fait avec sa vrille un trou dans la carène
Quand le navire lutte en proie aux aquilons !
Historien, soyez implacable aux félons. Je me sens inclément quand la patrie expire -, Je ne hais point la mort, trouvant la honte pire ; Je ne suis pas sévère et terrible à demi Lorsqu'il s'agit de mettre en fuite l'ennemi ; J'exige la fureur, l'effort, la réussite ! Vous tenez le stylet tragique de Tacite, Eh bien, soyez farouche et dur. Il me déplaît Que le narrateur fasse un détail trop complet De la difficulté de combattre, et calcule, Complaisamment, le lieu, l'heure, le crépuscule, La distance, le temps de marcher au canon. Si les soldats étaient bien disposés ou non. S'il n'était point venu d'ordre contradictoire. Je n'aime pas entendre ainsi parler l'histoire. Et ce tas d'arguments, de motifs, de raisons. C'est l'encouragement sinistre aux trahisons. La plaidoirie est sombre et l'excuse est malsaine. Ah ! vous semez Grouchy ! vous récoltez Bazaine.
15 janvier 1875.
XVII
VICTOIRES ET CONQUETES DE LA RELIGION.
Garaste a triomphé de rencyclopédie. Tartufe est grand. — L'église avait la maladie ; Elle est en traitement chez le docteur Véron. Sbrigani joint les mains -, Crispin rentre au giron $ Pasquin est parfumé de myrrhe et de cinname. Robert Macaire vieux s'est senti dans son âme Pris de l'ambition d'une honorable fin j Au paradis Veuillot il s'est fait séraphin. Il s'y rend fort utile ; il ouvre la boutique -, Il sait l'art d'ajuster le libelle au cantique ; Et tout bas, il murmure à travers son Credo : Quand je serai curé, Bertrand sera bedeau. Ayant, en qualité de regardeur oblique. Un peu l'inspection de la chose publique. Il surveille aujourd'hui l'esprit de nouveauté} Pour lui la presse libre est une obscénité. Et la philosophie un tapage nocturne ; Dans l'église le cloître et dans l'art le cothurne. Dans l'état le sergent de ville ; tout est là. Rien avant Hildebrand, rien après Loyola. Scapin l'aide. Il déclame : Enfer ! crime ! hérésies ! Tremblez, âmes déjà plus qu'à moitié roussies ! Honnêtes gens, c'est moi qui vous passe au tamis. Ayez foi seulement dans le bon Dieu permis. Songez que je suis là ! — Mascarille dit : Gare ! La conscience humaine étant une bagarre.
350 TOUTE LA LYRE.
Il s'en fait conducteur j il sait le droit chemin -,
Il veut qu'après l'émeute et les grands coups de main.
Le peuple se repente, ait l'âme d'ennui pleine.
Pleure, et de la Bastille aille à la Madeleine.
Toute la vérité tient dans le Syllabm.
La pensée en dehors d'Ignace est un abus.
Et tout ce qui survient n'est qu'erreurs et tumultes 5
Debout au marchepied de l'omnibus des cultes.
Barrant la porte, il crie à tout venant : Complet !
FalstafF, dont le menton si gaîment se triplait.
Est dévot. Que sert-il? la messe. Il s'associe
Au dogme, et ses hoquets sentent l'orthodoxie ^
Il coud un psaume au bout de son ancien couplet ;
Une âme libre ouvrant ses ailes lui déplaît ;
Montant la garde autour du missel, ce gros homme
Prêche , et son ventre prend fait et cause pour Rome 5
Il dit qu'il ne faut pas laisser sans examen
L'homme communiquer avec l'esprit humain.
Qu'il est bon de tout craindre, et, de peur d'aventure,
De garder l'Éternel derrière ime clôture ;
Il croit j son estomac s'accouple au sacré-cœur 5
Au seuil noir du mystère il s'installe vainqueur.
Prêt à barricader le gouffre avec sa table 5
Il consacre au seul culte auguste et véritable
Ce qui reste à ses pieds des bons vins qu'il a bus ;
Il emploie à servir les Jéhovahs fourbus
Et les religions mortes ou corrompues.
Tout l'arsenal cassé de ses franches repues 5
Il n'entend pas qu'on aille à travers le ciel bleu.
L'ombre immense, en dehors du pape, chercher Dieuj
Il refuse aux penseurs l'air, l'horizon, l'espace.
Plantant, pour empêcher que l'esprit humain passe
Au delà de la bulle /;/ Cana Domni,
Tous ses culs de bouteille au mur de l'infini.
24 juin 1870.
XVIII
O sombre femme, un jour, n'ayant plus de royaume, Spectre, tu paraîtras devant le grand fantôme 5 Et lui, l'être idéal, le seul être vivant. Il te dira : — Qu'es-tu?
Tremblante, comme au vent La branche morte, hélas, tu diras : — J'étais reine.
— Etais-tu femme?
A
— O Dieu, ma jeunesse sereine Fut belle et douce aux bras d'un mari triomphant -, J'eus la puissance avec le bonheur j tout enfant. Je portais un gra'nd sceptre antique et noir de rouille.
— Le sceptre importe peu. Que faisait ta quenouille Pendant que tout un peuple à tes pieds se courbait ? Réponds. Qu'as-tu filé?
— La corde du gibet.
24 novembre 1867.
Hier ont été pendus à Manchester les trois fenians Larkin, Alton et Gould.
352 TOUTE LA LYRE.
XIX
LA QUESTION SOCIALE.
Non, non, non. Ce n'est point par la ruse, vous dis-je,
Que vous aurez raison du gouffre et du prodige j
Les ouragans ne sont en rien déconcertés
Par nos expédients et nos habiletés ;
Non, je ne pense pas que l'aquilon s'apaise
Par égard pour Blondin flottant dans son trapèze.
Ni qu'un homme d'état fasse peur à l'éclair
A force de danser sur une corde en l'air 5
Le tonnerre n'est pas un chien hargneux qui boite
Et que nos coups de fouet font rentrer dans sa boîte.
Jésus-Christ, tel qu'il est dans saint-Luc et saint-Marc,
Voyait la politique autrement que Bismarck
Et voyait la justice autrement que Delangle 5
À l'homme qu'on assomme, à l'homme qu'on étrangle.
Il prodiguait les soins du bon samaritain ;
Si des vaincus tâchaient d'échapper au destin,
Son temple of&ait l'asile à leur fuite tragique ;
Si bien qu'on l'aurait, certe, expulsé de Belgique.
A
O mer, à ton niveau fatal tu monteras.
Il n'est pas d'empereurs et pas de magistrats.
Il n'est pas de trident, gouffre, il n'est pas de conque.
Qui puissent à ton flot faire un effet quelconque -,
L'abîme est la demeure orageuse de Dieu ;
On ne calmera pas cet effrayant milieu
Quand même on enverrait des nymphes ingénues
LA QUESTION SOCIALE. 353
Rire, et jusqu'au nombril s'y montrer toutes nues; Ce profond océan, le genre humain, connaît L'instant où le jour meurt, l'heure où l'étoile naît; Il a sa loi, le flux et le reflux, l'espace. Il voit le fond de l'ombre où Léviathan passe ; Il croît sur une plage et sur l'autre il décroît j Son équateur bouillonne et ses pôles ont froid ; Mais il n'écoute pas monsieur Rouher ; il reste Le vaste flot, tantôt joyeux, tantôt funeste. Apre, énorme, impossible à dompter, y mît-on Bonaparte en Neptune et Devienne en Triton.
Peuple, en ton chaos, noir parfois d'écume immonde. Le douteur ne voit rien, le penseur trouve un monde. Tu montes, tu descends, tu remontes ; tu n'as Ni portes, ni verrous, ni clefs, ni cadenas ; Tu vas dans l'infini, liberté formidable! Dieu te fait navigable et te laisse insondable ; Le sceptique te jette en vain son fil à plomb ; Mer fermée à Pyrrhon, tu t'ouvres à Colomb !
Vianden, 19 juin 1871.
POESIE. — XIII. 23
3H TOUTE LA LYRE.
XX
Crois-tu donc qu'on sera César sans l'expier ?
Qui donc t'a dit qu'on puisse être, sans récompense,
Épictète qui saigne en même temps qu'il pense?
Rêves-tu que toujours les uns seront en haut.
Rois que le trône fait exempts de l'échafaud.
Prêtres grands par le mal, soldats forts par le crime.
Et les autres en bas, subissant tout l'abîme?
Vois-tu le ciel pencher et crouler quelque part ?
Tout a son contrepoids. Comptes-tu, par hasard.
Sans la grande équité qui se révèle et vibre
Et luit de tous côtés dans l'immense équilibre?
Dis, crois-tu que les uns seront mal, d'autres bien.
Que les uns auront tout, les autres n'ayant rien.
Ceux-ci sans pain, ceux-là couvrant de mets leurs tables.
Et qu'il ne viendra point des reflux redoutables ?
Attends le dénoûment. La fin mettra le sceau.
Compte sur les retours. Crois-tu que le pourceau.
Formidable mangeur de toute pourriture.
De vos vomissements fera sa nourriture.
Hélas ! et souffrira ce tourment sous le ciel
D'ouvrir la bouche au fond de l'égout éternel.
Et d'être l'être infect souillé par l'être horrible ;
Et qu'il ne viendra pas un jour, un jour terrible.
Où le monstre, penché sur tous, resplendissant
De la sombre lueur du monde finissant.
Eclaboussant quiconque a vécu dans l'ordure.
Ceux dont le cœur fut noir, ceux dont l'âme fut dure.
Les prêtres sur l'autel, les rois sous leur cimier.
Dans un hoquet vengeur leur rendra leur fumier !
XXI
Jeunes hommes éclos sous l'empire rapace.
Frais, roses et glacés, vous dites quand je passe :
(( — Ah çà! qu'est-ce que c'est que cet homme? il est fou.
Les vieux ont pour devoir d'être vieux. Un hibou
N'a pas le droit d'aimer le soleil. A son âge.
Il devrait de l'hiver faire le personnage.
Et ne point se répandre en élans insensés.
Quoi donc ! il dit Encor ! quand nous disons Assez !
Un falot nous suffit -, il lui faut l'aube immense.
Il va, criant : Progrès ! Fraternité! Clémence!
Enfantillage. Il est à ce point puéril
D'accepter un devoir qui contient un péril.
Il veut la liberté quand il a la vieillesse ;
Qu'en fera-t-il? Aïeul, quitte ce qui te laisse.
Quand auras-tu fini d'avoir vingt ans, vieillard?
H veut le plein midi, nous aimons le brouillard;
Au sac d'or qui nous charme, il préfère une idée.
Quand l'homme est vieux, il sied que l'âme soit ridée.
Il veut des droits pour nous qui voulons des écus.
Il pense qu'on a tort d'écraser les vaincus ;
Il ne voit pas qu'Octave est couvert par Auguste ;
Il en est à ne pas comprendre qu'il est juste
De faire arquebuser par monsieur Gallifïet
Les gens dont on a peur, quand même ils n'ont rien fait ;
Qu'il faut de bons bourreaux dans la guerre civile -,
Et qu'on ne doit pas plus plaindre un peuple, une ville.
Pour quelques va-nu-pieds qu'on a pris, mis sous clé.
Ou tués, qu'on ne plaint un champ qu'on a sarclé.
Cet homme est la démence et nous sommes les sages.
23'
356 TOUTE LA LYRE.
Ah! comme c'était bon, les antiques usages! Quand verra-t-on les fous, les brouillons, les bavards. Pendre aux arbres gaîment le long des boulevards ? Quoi ! nés d'hier, c'est nous dont la raison éduque Cette caboche dure, ingénue et caduque! Il est plein de chimère et plein de vision. Comme le rossignol et comme l'alcyon. Il chante dans la nuit et court à la tempête. Cette vieille âme semble au combat toujours prête ; Il recommencerait l'exil, s'il le fallait j Il est stupide. Çà, bonhomme, apprends qu'il est Deux enfances, et sache, Argan, qu'on y retombe} L'une est près du berceau, l'autre est près de la tombe. Les pierres, les sifflets, voilà ce qu'on te doit. Ce n'est pas sans raison qu'on te montre du doigt. Qu'un bébé fait ta joie, et que ta tête blanche. Comme vers tes pareils, vers les enfants se penche. Trop de jeunesse est grave à ton âge ; il est bon De n'être point marmot alors qu'on est barbon ; Chérubin dans la peau de Géronte fait rire. Nous te le répétons, il faut savoir proscrire. Frapper, amputer, vaincre, et le bien sort des maux. Rêveur, laissons un peu de côté les grands mots. Ne déclamons pas. Vois le fond réel des choses. Nous acceptons les faits sans en chercher les causes. Disons la vérité crûment ; l'homme est complet Lorsqu'il est le plus fort } on est riche, on s'y plaît ; Est-ce que ce n'est pas tout simple? On a des rentes. Elles ne nous sont pas du tout indifférentes ; Plus de Champagne à boire et de truffe à manger. Nous l'avouons tout net, c'est pour nous un danger } Donc nous nous défendons, c'est juste. Diogène, Rageant de voir dmer Trimalcion, le gêne. La politique est l'art utile d'émonder. Supprimer, c'est créer 5 châtrer, c'est féconder. Quand la sève au printemps déborde et surabonde. Une serpe a raison de cette vagabonde ;
JEUNES HOMMES ECLOS SOUS L'EMPIRE... 357
Couper le rameau fou qui fait tort au voisin.
Est sage -, un jardinier est-il un assassin ?
L'arbre étant surchargé d'un feuillage inutile
Et farouche, on le sauve alors qu'on le mutile ;
Qui donc est de trop? nous, gens d'esprit, qui brillons?
Non! mais les malvenus, les grabats, les haillons.
Les misères, les gueux, ceux que tu recommandes.
Pleutre, et les meurt-de-faim sont les branches gourmandes.
Qu'on les retranche. On a Cayenne pour cela.
Toujours un peu de sang sur l'ordre ruissela ;
Ce n'est pas notre faute, et sot qui s'apitoie.
Un ouragan balaye, un carnage nettoie.
L'homme d'état réel prend son temps 5 celui-là.
Adroit, sait être Monck, et, fort, être Sylla.
Quoi donc ! ton âge ignore et le nôtre t'enseigne !
Le peuple est un fiévreux qu'il faut parfois qu'on saigne ;
L'homme est habile et grand parmi les souverains
Qui lui lace un gilet de force sur les reins.
Le peuple est ton pégase, il est notre bourrique.
Sans doute il faut savoir user de rhétorique.
Jurer qu'on est du siècle, et qu'on respectera
La liberté, les droits de l'homme, et caetera;
Cela sonne bien ; mais toute âme un peu maligne
Finit par s'appuyer sur la troupe de ligne ;
On couronne des plans sûrs, et dans l'ombre prêts.
Par un massacre heureux qu'on fait bénir après.
Le scrupule commence où finit la victoire ;
Tels sont les temps, tels sont les cœurs, telle est l'histoire.
N'es-tu donc pas honteux qu'on t'appelle innocent ?
Nous estimons, retiens ceci, le trois pour cent.
Un grand sabre, et Bismarck ; le reste, on le méprise. » —
Soit, imberbes docteurs, raillez ma barbe grise
Qui pourtant ne devrait pas faire d'envieux ;
Oui, c'est vrai, je suis jeune, — et vous, vous êtes vieux.
19 août.
358 TOUTE LA LYRE.
XXII
RENTREE DANS LA SOLITUDE.
O ses amis d'hier, pas d'aujourd'hui, qu'il trouve
La prudence pour vous bonne, et qu'il vous approuve.
Cela doit vous suffire. Il dit : Reniez-moi,
Et sourit. Il poursuit sa route sans émoi -,
Il faut bien que le cœur des hommes se révèle.
Croyez-vous que ce soit une chose nouvelle
Pour lui qui reste droit lorsqu'on est à genoux.
De tenir tête aux sots, aux furieux, à vous?
Quand Bonaparte était le maître de la terre.
Devant ce tout-puissant il fut le solitaire.
Braver, lutter, souffrir, ne sont-ce pas ses mœurs ?
N'a-t-il pas l'habitude ancienne des clameurs?
N'a-t-il pas, du sommet d'un roc dans les nuées.
Vu vingt ans à ses pieds écumer les huées?
Vingt ans, couronne au front, l'empire n'a-t-il point
À cet homme pensif, d'en bas montré le poing?
Il avait l'œil hagard des antiques prophètes.
Alors comme aujourd'hui c'était un fou. Donc, faites.
Adieu. Ce qu'il promit, il le tient maintenant.
Et c'est trop fort, il est fidèle, il est gênant.
Reniez-le. Tournez du côté de l'injure.
Tout doit finir. La vie est-elle une gageure ?
L'entêtement d'un seul est un reproche à tous.
Le devoir des lions est de vieillir toutous ;
Les vents époumonés ont dégonflé leur outre.
Pourquoi s'obstine-t-il, cet homme? Passons outre.
RENTRÉE DANS LA SOLITUDE. 359
C'est bien. Il reste seul. L'ombre est devant ses pas.
Il connaît le désert et ne s'en émeut pas.
Il s'évanouira de nouveau dans l'abîme.
Soit. Mais, toutes les fois que pour commettre un crime
Les ennemis publics se feront signe entre eux.
Peuple, toutes les fois qu'un homme désastreux
Dressera contre toi quelque embûche à sa guise.
Toutes les fois qu'un bruit de couteau qu'on aiguise
Se mêlera sinistre au tumulte confus
Des noirs événements pareils aux bois touffus.
Chaque fois qu'un vaisseau partira pour Cayenne,
Chaque fois que Paris, la ville citoyenne.
Sera livrée au sabre, et que la liberté
Sentira quelque pointe infâme à son côté.
Chaque fois que des pas tortueux et funèbres
Marcheront vers un but obscur dans les ténèbres.
Alors, dans la nuit lâche où s'éclipsent les lois.
On entendra gronder une lointaine voix.
On verra tout à coup un fantôme apparaître.
Et les hommes distraits reconnaîtront peut-être
Cette ombre à sa tristesse au fond du firmament.
Et cette conscience à son rugissement.
Vianden, juin 1871.
36o TOUTE LA LYRE.
XXIII
O princes insensés ! quoi ! ne tremblent-ils pas D'ouvrir la porte eux-même aux colères d'en bas ! De donner quelque chose à briser à la foule ! D'ébranler, de leurs mains, la maison qui s'écroule ! Et d'appeler en aide à leurs iniquités. D'appeler au secours de leurs lâches traités. De leur pouvoir caduc, de leurs lois menacées. Le morne paysan plein d'obscures pensées ! Ils ont pu, sans pâlir, voir, à leur folle voix. Sortir des lieux profonds, des masures, des bois. Pour se répandre en hâte au loin sur des décombres. Le noir fourmillement des multitudes sombres !
A
O princes insensés ! Dieu juste ! enseigne-leur Ta loi , ton but sacré, ta justice !
Ah ! malheur ! Malheur dans les hameaux et malheur dans les villes. Quand parmi nos débats et nos luttes civiles. Parmi nos passions, nous voyons, ô terreur! Apparaître soudain la faulx du laboureur. Qui, terrible et fatale à tous tant que nous sommes. Quitte les champs de blés et vient faucher les hommes !
Effroyable moisson ! calamités ! forfaits ! Faulx, d'où la gerbe d'or, l'abondance et la paix Devaient sortir, hélas, et d'où sort le ravage ! Outil rustique et saint ! arme horrible et sauvage !
d PRINCES INSENSES! 361
O croissant, d'où jaillit un large et sombre éclair, Faulx! symbole du temps, de la mort, de l'enfer, De tout bras qui moissonne implacable servante. Dieu! comment n'ont-ils pas frissonné d'épouvante. Ces rois ! quand ils ont vu soudain, au milieu d'eux. Ton resplendissement formidable et hideux ! Comment n'ont-ils pas eu, le prince et le ministre. Quelque éblouissement de ta clarté sinistre , Et n'ont-ils pas dans l'ombre entrevu ton chemin : Les seigneurs aujourd'hui, les couronnes demain !
362 TOUTE LA LYRE.
XXIV
LE POÈTE PREND LA PAROLE.
J'ai pour muse, en ce monde où souffle un vent terrible
Sur l'homme et le destin, sur la graine et le crible.
Et sur les insensés livrés aux furieux.
Une sombre déesse au regard sérieux
Qui, lueur traversant l'ombre visionnaire.
Rôde dans la nuée, et, comme le tonnerre.
Sent on ne sait quel noir besoin de châtier.
Car elle est juste. Eh quoi ! voici le bénitier :
La bénédiction monstrueuse j surnage ;
Voici le vrai, le faux, changeant de personnage,
Le mal joyeux; voici les pires qui sont rois.
Les démons sur le trône et les dieux sur la croix.
Voici le Te Deum valet de la bataille ;
Voici le meurtre absous s'il est de haute taille
Et devenant vertu par son énormité ;
Voici l'épouvantable et double nudité
Grelottant sous le chaume ou riant dans l'orgie ;
Voici la plaie au flanc de la terre élargie.
L'exil, le deuil, les pleurs, les héros, les bouchers.
Et sur les paradis des reflets de bûchers ;
Voici la sacristie et voilà la mosquée 5
Voilà dans la forêt la vérité traquée
Que mordent tous ces chiens hurlants, les appétits;
Voici tout le fardeau du mal sur les petits.
Voici partout l'atroce engendré par l'immonde.
Et vous vous étonne2 qu'en haut une voix gronde.
Et que parfois dans l'ombre on voie au fond des cieux
Un pâle éclair sortir d'un vers mystérieux !
26 août 1874
XXV
GRANDES OREILLES.
C'est un bel attribut, la longueur de l'oreille.
L'oreille longue, au fond de l'ombre, oscille, veille.
Songe, se couche à plat, se dresse tout debout.
Entend mal, comprend peu, s'épouvante, a du goût.
Frémit au moindre souffle agitant les ramées.
Se plaît dans les salons aux choses mal rimées.
S'émeut pour les tyrans sitôt qu'il en tombe un.
Fuit le poëte, craint l'esprit, hait le tribun.
Aye2 cette beauté, messieurs. La grande oreille
Avec le crâne altier et petit s'appareille ;
En être orné, c'est presque avoir diplôme ; on est
Le front toufïu sur qui tombe le lourd bonnet ;
On a l'autorité de l'ignorance énorme ;
On dit : — Shakspeare est creux, Dante n'a que la forme ;
La Révolution est un phare trompeur
Qui mène au gouffre ; il est utile d'avoir peur. —
De l'effroi qu'on n'a plus on fait de la colère ;
Pour glorifier l'ordre, on mêle à de l'eau claire
Des phrases qui du sang ont la vague saveur ;
Dès que le progrès marche, on réclame un sauveur;
On vénère Haynau, Boileau, l'état, l'église.
Et la férule ; et c'est ainsi qu'on réalise
Pour les Suins, les Dupins, les Cousins, les Parieux,
Les Nisards, l'idéal d'un homme sérieux.
Et qu'on a l'honneur d'être un bourgeois authentique.
Ane en littérature et lièvre en politique.
24 mai 1872.
364 TOUTE LA LYRE.
XXVI
A de certains moments, Fhomme juste est risible.
Tous les archers moqueurs prennent l'honneur pour cible ;
Les choses et les mots changent de sens -, on est
Barbes, Garibaldi, Baudin, lisez : benêt;
Caton est le Sosie auguste de Jocrisse -,
Prudence et dignité se nomment avarice ;
Tout est défiguré, calomnié, noirci ;
Un fi-ont de vierge n'est qu'un masque réussi.
Quoi! vous vous dites pur, vous me croyez donc bête.
Quel est votre motif secret pour être honnête ?
Le bien suspect confine au mal ; pas de vertu
Qui ne vienne d'un vice immonde qu'on ait eu ;
Oh ! s'il vivait, celui qu'on mena chez Pilate
Sanglant, coiffé d'épine et vêtu d'écarlate.
Comme on reprocherait, en glosant là-dessus,
La Madeleine au Christ et saint-Jean à Jésus !
Comme on l'appellerait sacrilège, profane.
Fourbe ! comme on rirait de ce dieu sur un âne !
Car on a tant d'esprit qu'on est inepte ; on dit :
Monk est un paladin, Bayard est un bandit.
Un contresens hideux fausse les âmes viles.
A
O grandeurs des vieux temps, laissez-nous donc tranquilles !
La déroute, l'orgie, et la peur, sont nos sœurs ;
Ceux qu'on nomme héros, nous les nommons poseurs;
Les invincibles sont suivis des incurables.
On entend un jongleur dire, — ô temps misérables ! —
Que l'honneur est néant, que la gloire est zéro.
Et qu'il hait le martyr autant que le bourreau.
A DE CEKTAINS MOMENTS, L'HOMME JUSTE... 365
Quoi ! Régulus ! d'Assas ! quoi ! des vertus si hautes. De tels dévoûments, c'est à se tenir les côtes !
Ecoute2-les parler : — Je dis, et je m'en tords
De rire, que Socrate au fond a tous les torts ;
Bien vivre, et de laquais emplir son vestibule.
Cela vaut mieux que d'être Horace ou Thrasybule $
Je préfère, en dépit de Dante le rimeur,
Trimalcion qui soupe à Thraséas qui meurt ;
Je contemple Aristide avec insouciance ;
Je sens mon estomac plus que ma conscience ;
Je ne tiens pas le moins du monde à rayonner.
Et plus qu'un grand exploit j'estime un bon dîner.
Ayons donc le bon sens d'être ce que nous sommes,
Des nains ; délivrons-nous du fardeau des grands hommes.
A bas tous ces gens-là ! l'orgueil les étoufifeit ;
Votre Léonidas veut faire de l'effet $
Qu'est-ce que Winkelried ? un crétin inef^ble.
Quant à Guillaume Tell, messieurs, c'est une fable.
Le lion qui mangea Callisthène a bien fait.
Hoche, Marceau, Kléber? J'aime autant Galliffet.
Vivent ceux qui toujours plièrent et fléchirent ! —
Et des sages, sortis de Lilliput, déchirent Toute la vieille histoire où ces grands noms ont lui. On se sent insulté par la gloire d'autrui. On excuse Anitus et l'on comprend Zoïle. Le vrai, le faux, cela se joue à croix ou pile. On ébauche en l'honneur du tigre un vague chant 5 Est-on sûr que Néron, après tout, fût méchant? L'oiseau de basse-cour fête l'oiseau de proie. On est abominable et stupide avec joie 5 Décroître plaît ; c'est doux et bon d'être petit ; La multitude, ayant pour amour l'appétit. Craint la contagion des âmes magnanimes ; Duperie et devoir deviennent synonymes ; L'infamie est utile et la probité nuit $
366 TOUTE LA LYRE.
Et c'est ainsi qu'on entre en raillant dans la nuit, O douleur ! et qu'on voit s'efiacer au solstice Tous ces astres, le droit, l'idéal, la justice. C'est ainsi que notre âme abdique, c'est ainsi Qu'un peuple est lentement par la honte saisi, C'est ainsi qu'on est monstre après qu'on fut archange. Que la Rome d'Emile et de Gracchus se change En la Rome d'Ignace, et que le grand Paris Tombe de plus que Sparte à moins que Sybaris.
i6 août 1873. Auteuil. V. M.'
Villa Montmorency. (Note de l'Éditeur.)
XXVII
A vous TOUS.
Je ne vous cache pas que je pense à nos pères.
Durs au tigre, ils mettaient le pied sur les vipères 5
Ils affirontaient la griffe, ils bravaient les venins.
Et ne craignaient pas plus les géants que les nains.
Ils étaient confiants, ils faisaient de grands songes.
Et par toute l'Europe, au-dessus des mensonges.
Des crimes, des erreurs, ils faisaient sans repos
Flotter ces fiers chiffons qu'on appelle drapeaux 5
Quand les rois accouraient vers nous, gueules ouvertes.
Quand, fauve, horrible, éparse en nos campagnes vertes.
Quelque armée arrivait, ils étaient là 5 souvent
Ils avaient dissipé comme un nuage au vent
Cette armée innombrable et terrible naguère.
Que les fleurs qu'ils mettaient à leur chapeau de guerre
N'avaient pas encore eu le temps de se faner.
Je sais que l'homme fort ne doit pas s'étonner.
Et qu'il est de bon goût d'envoyer des bouffées
De cigare à l'histoire, aux tombeaux, aux trophées 5
Boire son vin vaut mieux que répandre son sang ^
Je sais que le dédain sied aux cœurs d'à présent 5
Et que des gens d'esprit et de bon sens qu'enivre
Ce but sublime, rire et digérer, bien vivre.
Sont grands, certe, et n'ont point le travers puéril
De vénérer ces vieux qui cherchaient le péril ;
Les filles ont des droits, certes, et, je l'avoue.
C'est doux de contempler sur leur gorge et leur joue
Les roses et les lys, et la poudre de ri^.
368 TOUTE LA LYRE.
Quel ténor aura-t-on cette année à Paris ?
Est-ce de damas rose ou bien de satin mauve
Qu'il faut vêtir sa belle et tendre son alcôve ?
Quand passe, éblouissante et faite pour aimer.
Une femme au front pur et charmant, s'informer
Si cet ange est à vendre et combien on l'achète ;
Prier chez Dupanloup et souper chez Vachette ;
Croire et jouir 5 hanter des membres du Sénat 5
Attendre, dos au feu, le sourire incarnat
De l'aurore, attablés à des brelans féroces.
Pendant que nos cochers dorment sur nos carrosses ;
Dormir, bâiller, railler, ignorer, être ainsi.
C'est beau, je le répète j et je comprends aussi
Qu'on évite un aïeul comme on fuit un reproche.
Et qu'on soit élégant, et qu'on n'ait dans sa poche.
Tandis que d'autres vont pieds nus sur le pavé.
Que de l'or dans de l'eau de Cologne lavé.
Je ne suis point ingrat pour l'air que je respire
Jusqu'à n'y pas sentir le parfum de l'empire.
Et le Napoléon troisième a fait nos cœurs
Tels qu'ils sont, gracieux, point fanfarons, moqueurs;
Toujours les Sybaris ont bafoué les Romes ;
C'est bien. Mais il n'en est pas moins vrai que ces hommes
D'autrefois, peu frottés des savons de Guerlain,
Entrèrent dans Moscou, dans Vienne et dans Berlin ;
Qu'ils châtiaient les rois de leurs façons brutales.
Qu'ils étaient familiers avec les capitales ;
Qu'ils se plaisaient parfois à d'étranges assauts.
Que leur cavalerie attaquait des vaisseaux.
Les prenait, et donnait aux flottes l'abordage ;
Que chacun d'eux, vieillard, enfant, se sentait d'âge
Et d'humeur à servir la France, et qu'à Valmy,
A Jemmape, à Fleurus, ils chassaient l'ennemi
À coups de hache, à coups de sabre, à coups de lance ;
Qu'on en voyait plus d'un sortir de l'ambulance.
Et, comme à l'Océan retourne l'alcyon.
Revenir au combat, sans faire attention
A VOUS TOUS. 369
A la blessure encore ouverte qui suppure ;
Qu'ils mangeaient du pain sec et buvaient de l'eau pure.
Qu'ils allaient, qu'ils marchaient, qu'ils ne trouvaient jamais
Les gouffres trop profonds ni trop hauts les sommets ;
Qu'ils étaient fraternels aux races orphelines ;
Et qu'ils disaient : — Que sont les Alpes ? des collines.
Porter l'artillerie à bras sur les hauteurs
Est simple, et le passage est aisé, — ces menteurs !
Il n'en est pas moins vrai que ces hommes-là rirent
De tout ce qui nous fait trembler, et qu'ils défirent
Ce que vingt siècles noirs et tristes avaient fait ;
Qu'ils battirent Brunswick, Cobourg, Mêlas, Clairfaitj
Qu'ils donnaient en spectacle à notre enfance blonde
L'évanouissement superbe du vieux monde.
Que la justice était à l'aise au milieu d'eux.
Qu'ils braquaient le canon sur le passé hideux ;
Qu'ils n'avaient point de sacs d'argent, ni d'or en piles.
Mais qu'ils faisaient l'Argonne égale aux Thermopyles,
Qu'ils enjarnbaient le Rhin dont nous nous éloignons.
Et que ce n'étaient pas de petits compagnons.
Sur l'impériale de Tomnibus. 7 septembre 1873.
POESIE. — xiu. 24
IHPUIUUE RÀTIOIAUI.
NOTES
DE CETTE ÉDITION
LES MANUSCRITS
DE
TOUTE LA LYRE.
Nous avons étudié dans le tome premier l'aspect général des deux manuscrits de Toute la lyre; nous en continuerons ici la description pour les poésies contenues dans ce volume.
I. NOTES EXPLICATIVES.
II. ADMIRE, ENFANT! SOUVENT, AUX MARINS DE MESSINE... Après le dernier vers, celui-ci, resté inédit et sans rime :
Merci ! mon bien-aimé ! tu me tires de l'ombre !
V. LA FRANCE, 6 MES ENFANTS, REINE AUX TOURS PLEURONNÉES. . .
L'original est dans un album de voyage, 1840 ; nous n'avons, dans le manuscrit, qu'une copie reliéej au coin du premier feuillet, Victor Hugo a écrit :
Copié. — Voir un des albums du Rhin.
Avant la première page, de la grosse écriture de 1876-1878, nous voyons la strophe de début, ainsi modifiée :
La France, ô mes enfants, reine aux tours fleuronnées.
Posait, dans les grands jours de sa rébellion.
Son bras droit sur le Rhin, le gauche aux Pyrénées,
Et sa tête et ses pieds avaient, ô destinées.
Les Alpes pour chevet, l'océan pour lion.
VIII. X OL.
De bas en haut, dans l'autre sens de la page, on lit les sept derniers vers dont nous donnons les variantes pages 408-409.
374 LES MANUSCRITS DE TOUTE LA LYRE.
IX. VENUS RIT TOUTE NUE AU-DESSUS DE MON LIT...
Un complément, vers et prose mêlés, est ébauché après le dernier vers :
La cheminée
Oh ! c'est tout un poëme Bas reliefs Grès, émaux, Japon, verres de Bohême
Et les paons couverts d'yeux passent dans les miroirs.
A noter que le nom de Crémieux a été largement rayé.
XIII. LE BIEN GERME PARFOIS DANS LES RONCES DU MAL.
La page commence par dix vers, rayés, que nous avions déjà lus en partie au feuillet 6i et que nous avons publiés page 356 du tome premier. Ce début pourtant diffère un peu :
Tout eB-il dit ? Non pas ('). fermée '^' Tourment de la pensée après V œuvre finie l
agonie. Hommes, portant en nom notre propre ironie,
tremblons.
pensons. Nom songeons. Œie veut-on, hélas l que nom fassions? Seigneur
0 Dieu, vom m' envoyé^ les pâles visions; O Dieu, comment choisir dans toutes ces nuées ? Ea vierge eli implacable et les proBituées Sont féroces; le bien, le mal sont toujours prêts Hélas! à se servir des mêmes couperets.
rudes grandes Les révolutions, ces Jieres affranchies.
Sont farouches, étant JîUes des monarchies ^^\
Puis, en marge, et rayés également, neuf vers qu'on a lus page j7 du tome pre- mier, à partir de ceux-ci :
A.h ! quiconque osera regarder fixement
La révolution, ce cratère fumant,
J^conque plongera ses jeux dans la fournaise .. .
('^ Les variantes et les vers en italiques sont W Ces deux derniers vers commencent la
rayés dans le manuscrit. pièce XXVI, page 51 du tome premier.
(^' Cette variante est restée sans rime.
NOTES EXPLICATIVES. 375
Après avoir tout biffé, Victor Hugo a tracé une ligne de points de suspension et commencé :
Le bien germe parfois dans les ronces du mal.
XIV. MON AME ETAIT EN DEUIL; C'ETAIT L'HEURE DE L'OMBRE l'^^^
Plus bas que la date, trois vers qui semblent n'avoir aucun rapport avec cette poésie :
La sombre cathédrale avec son noir clocher
Où l'on voit le bourdon qui bondit et qui saute.
Au-dessus des vieux toits
Au milieu des maisons s'élève immense et haute.
XV. JE TRAVAILLE.
Le second feuillet de ce manuscrit se reliait ainsi au premier :
Je connais dès longtemps leur vaine objection. L'art est la roue immense, et j'en suis l'Ixion. Je laisse sous mes pieds ce murmure, et je pense.
Victor Hugo a rayé ce dernier vers et en a écrit huit nouveaux en marge.
XVII. QUAND JE MARCHE A MON BUT AUGUSTE...
Ecrit au verso d'une lettre datée : 7 novembre iSji. En marge, cette variante de la traduction d'Horace :
Si le monde croulait, la ruine du monde
serein.
L'écraserait calme et sans peur.
XVIII. 6 TOI gui M'AS MAUDIT DANS TES SOUFFRANCES SOMBRES ^^\..
Le titre et les deux premiers vers sont rayés ainsi que trois vers en marge ; voici ce que nous avons pu en déchiffrer ;
À H. DUCHESSE D'O.
Toi que j'ai dû quitter,
O reine de l'exil qui, lorsque tu tombas,
N'as pas compris de nos libres combats
Femme. . .
Trois autres vers écrits à l'encre rouge en marge sont illisibles. ") Keliquat. — («) Ibid.
3/6 LES MANUSCRITS DE TOUTE LA LYKE.
XIX. A UN ENFANT.
Les deux marges de ces deux feuillets sont remplies en tous sens et si surchargées de signes et de renvois que Victor Hugo , pour s'y reconnaître , a dû numéroter les ajoutés.
Il n'y a cependant qu'un passage rayé en croix et, sur cette croix, on lit : Remplacé par oo. Ce signe indique en effet la répétition du passage, augmenté de quatre vers. "Vbici le premier jet :
Ce rayon n'a duré que le temps d'un éclair. Mais elle a ^andil Dieu brille en son regard clair. L'albâtre laisse voir la lumière immortelle. . .
XXII. X DEUX ENNEMIS AMIS.
Un signe intervertit les deux derniers mots du titre qui était d'abord : A deux amis ennemie.
Voici comment se présente la première version avec ses lacunes : un blanc est ménagé entre le quatrième et le cinquième versj puis le texte continue jusqu'au quatorzième vers; à partir de là, un carré de papier, collé par des pains à cacheter et contenant le texte publié, cache ce passage rayé :
TJous dont la bouche, au gré de nos âmes conquises, Dévide l'écheveau des paroles exquises, Lie^-vous l'un à l'autre avec ces chaînes d'or.
Puis, après un blanc destiné à recevoir les rimes manquant :
Uoje^-vous, parle^-vom seulement un in fiant. Et vous vous comprendre^; vous le deve^, étant Toi (*) toi, la grâce infinie '^' ;
Si tout se comprenait, tout serait harmonie, H/Ias! et le chaos n'eff qu'un malentendu.
dans la nuit Eaisse^-moi seul dans l'ombre ok je me sens mordu
Tantôt par la vipère et tantôt par l'hjène,
et me débattre Eutter, c'eB mon deflin, avec la sombre haine.
Que je sois seul saignant. . .
Quatre ajoutés en marge donnent la version définitive et reproduisent le texte contenu sous les ratures.
Après ce manuscrit, vient un fragment de brouillon de lettre à l'un des «ennemis amis»; on le lira page 480 ; il nous aidera à éclairer ce point d'histoire littéraire.
(1) Le manuscrit laisse un espace en blanc <*) Ces vers et les cinq suivants sont rayés
entre les deux mots. au deuxième feuillet.
à\
NOTES EXPLICATIVES. 377
XXIII. D. G. D. G.
Cette pièce, la seconde que Victor Hugo ait consacrée à M°" de Girardin^'', a été écrite le 14 juillet 1855, puis augmentée de dix-sept strophes deux jours après, et revue vers 1870 ; à cette époque, deux strophes nouvelles viennent occuper la marge du dernier feuillet.
Ce qui nous confirme dans l'hypothèse d'une revision vers 1870, c'est, outre le changement d'écriture, cette variante de la quatrième division :
Fille, femme.
Ma fille, amis, parents, frères...
M"* Victor Hugo est morte en août 1868.
La première version du poème ne comptait que huit strophes; après les quatre pre- mières , dans l'ordre où elles ont été publiées , venaient celles-ci qui offrent d'inté- ressantes variantes :
^^ de voix
Nos voix sont profiituéeSj
Uers tes ^lenàeurs obBruées,
Jéhovah! ,Quand l'aigle entend nos huées, Il regarde les nuées
Et s'en va.
0 m^ande âme prisonnière,
Cœur martyr, C'eB l'aigle de ma tanière - x
^ui t'a montré la manière
De partir.
DeBin ! gouffre aux vents contraires,
A.UX flots sourds l Oh l aue d'urnes funéraires l
amis. Ma fllle , enfants , parents , fleres ,
Joie, amours!
Ces liens
Tous ces nœuds dans le myBere
Sont dissous; mon attente demeure U ombre eB ma patrie auBere;
J'ai moins d'amis sur la terre ^ue dessous.
Après avoir barré ces quatre strophes, modifiées et employées pourtant, Victor Hugo a placé un feuillet intercalaire après la première page et établi quatre divisions.
(1)
La première a été publiée dans Ler Contemplations.
3/8 LES MANUSCRITS DE TOUTE LA LYRE.
Puis, vers 1870, il a ajouté, en marge du dernier feuillet, les dix-septième et dix- huitième strophes.
XXV. LETTRE DE L'EXILÉ ARRIVANT DANS LE DÉSERT.
Deux débuts. Le premier se résumait en ces quatre vers :
Tu me dk : ,Quefak-tu ? Rien. Je suis seul. Je rêve. Je vais voir si quelqu'un me connaît sur la grève.
Et si j'ai
Je cherche quelque ami dans l'omhre et dans l'effroi.
Parfois je parle avec audace, avec effroi.
Je parle à l'océan
A.U tragique océan et je lui dis : c'eB moi.
Ces quatre vers ont été repris et développés sur une page placée en tête. Au coin de cette page nous croyons lire sous une rature :
A. mettre à la mer peut-être ^^\
La date de cette pièce : 26 août 1852, ne correspond pas à l'écriture; mais au verso du second feuillet , nous lisons la fin d'une poésie publiée dans L'Art d'être Grand- Père :
Tout pardonner, c'est trop; tout donner, c'est beaucoup.
Cette fin est datée : 22 Juin i8jj. Nous avons ainsi la véritable date de la Lettre de l'exilé.
XXXI. CALOMNIÉ.
Après le dixième vers, les quatre derniers venaient tout de suite; ils sont rayés et recopiés sous quatre vers ajoutés, onze à quatorze.
XXXIII. L'A^ILON CHANGE, ET MET LA POUPE OU FUT LA PROUE. . .
L'astérisque placé en tête du premier feuillet semble indiquer que cette pièce fai- sait suite à une autre.
Avant les six vers ajoutés en marge, le texte s'enchaînait ainsi :
A.lle<^ le demander au moulin de Ualmj! Cette fumée en fuite au loin, ceB l'ennemi! Avenir! avenir! accours! ô nos deux villes!
Non, je ne pense pas que les rois soient tranquilles; Je n'ai plus qu'une joie au monde, leur souci.
Ces deux vers, rayés ici, sont repris à&ns La Libération du territoire (voir page 333) (') L'une des divisions des Tôt de pierres inédits a pour titre : La Mer. J
NOTES EXPLICATIVES. 379
La page suivante fait partie de la collection de M. Louis Barthou, et donne, entre deux fragments inédits , sept vers publiés page 63 :
Le mal fait du bien ; la souffrance Est un ami qui tient par la main l'espérance ; Les fléaux ne sont point à dédaigner ; la mer Doit ce qu'elle a de sain à ce qu'elle a d'amer j
l'averse à flots, le vent sauvage La tempête, la trombe, éperdue et sauvage. L'ouragan, qu'est-ce au fond ? L'inondation, qu'est-ce? un immense lavage.
Le ciel après l'orage est toujours éclairci.
Je dis presque aux bourreaux de mon pajs, merci. Et puisque d'un enfer peut naître une genèse. Je ne suis pas fâché d'être dans la fournaise ; Purification du feu, je te bénis ! Le grand oiseau Phénix a les brasiers pour nids. L'âme s'augmente et luit dans la flamme 5 est esclave Quiconque ne sort pas vivant de cette lave ; Et je trouve l'épreuve utile (').
Je veux que Pélion Refuse de porter Ossa sur ses épaules ; Je veux que l'avenir renverse ses deux pôles Et mette en haut le Peuple, et que cet histrion. L'ouragan, qui du sud saute au septentrion Et change à chaque instant de masque dans les nues. Soit lojal, et nous pousse aux rives inconnues. Et ne nous jette plus aux écueils, en riant De fourvoyer au nord ceux qu'attend l'orient ; Je veux que le destin, soumis au juste en somme. Fasse enfin son devoir et soit probe avec l'homme. Et traîne notre char sans en rompre l'essieu j Oui, je veux tout cela. Pourquoi.? Parce que Dieu Le veut, et qu'il est bon qu'aucune âme ne dorme À l'heure où la Raison se lève, étoile énorme. Parce que nous devons avoir les yeux ouverts Devant les changements d'âge de l'univers. Parce qu'il sied qu'enfin la conscience humaine Sache où le profond vent des abîmes la mène. Parce que '^^\ . .
(') Ici un blanc destiné à recevoir le vers manquant. — ^'' La page finit sur ce vers inachevé.
380 LES MANUSCRITS DE TOUTE LA LYRE.
XXXVI. PYGMEE ET MYRMIDON, C'EST HAINE ET CALOMNIE. Le début, en marge, a remplacé ces deux vers rayés :
Poëie, fis sont en bas toute une multitude
T' insultant dans ton deuil et dans ta solitude;
Le fauve acharnement de la haine est sur toi.
Note en marge :
Après avoir écrit ces vers, je me souviens tout à coup de vers que j'ai écrits il y a cinquante ans, censés adressés à Lord Byron, et en réalité adressés à moi-même, et se terminant par :
Pensif, tu regardes ailleurs,
tt je m'étonne
et j'admire qu'après un demi-siècle la même situation dure encore. Vieillir ne sert à
rien. Mourir, seul, protège.
V. H. 24 mai 1874.
Une strophe de cette poésie dédiée à Lord Byron et publiée dans les 'Feuilles d'Au- tomne sous le titre : Dédain finit en effet par ce vers.
XXXVII. m LA REVOISj APRES VINGT ANS, L'ÎLE OU DECEMBRE. . .
Le manuscrit ne nous offre qu'une mise au net ; dans le manuscrit de La Légende des Siècles ^'', au verso de la poésie intitulée : Écrit en exil , nous en avons trouvé la version de premier jet, elle ne comprenait que six strophes; comme elle diffère pas- sablement du texte publié pages 68-69 , nous préférons la donner ici in extenso :
JERSEY. — 1872.
Je la revois après vingt ans, l'île où décembre
Me jeta, n'ayant pour trésor Que l'honneur calme et pauvre. Elle est comme une chambre
Où tout est à sa place encor.
Oui, c'étaient ces hameaux, oui, c'étaient ces rivages.
C'étaient les mêmes rocs rêvant, La même acre senteur des bruyères sauvages.
Les mêmes tumultes du vent;
W Nouvelle série; fol. 484. ■ , ^ . .
NOTES EXPLICATIVES. 381
C'était la même vague arrachant aux décombres
Les mêmes dentelles d'argent j C'étaient les mêmes blocs jetant les mêmes ombres
Au même éternel flot changeant -,
C'étaient les mêmes caps indifférents à l'onde.
Car l'âpre mer, pleine de deuils. Ne s'inquiète pas, dans sa fureur profonde.
De la figure des écueils.
C'était la même fuite immense des nuées j
Sur ces monts où Dieu vient tonner. Les mêmes cimes d'arbre en foule remuées
N'ont pas fini de frissonner j
C'était le même flux couvrant Jersey d'écume
Comme un cheval blanchit le mors ; C'était le même azur, c'était la même brume j
Et combien vivaient qui sont morts !
Jersey, 8-10 août 1872.
D'une encre plus noire et d'une écriture postérieure, ces quelques strophes cou- vrent, à droite et à gauche, les marges :
Ciel! océan! c'était cette même nature,
mystère Gouffre de silence et de bruit.
Ayant on ne sait quelle effrayante ouverture
Sur la lumière et sur la nuit.
grève
Oui, je la reconnais cette rive enchantée. Comme alors elle m'apparut.
Rive
Terre heureuse où l'on cherche Acis et Galatéc, Où l'on- rêve Booz et Ruth.
Car il n'est pas de terre, ou de montagne, ou d'île
Parmi les abîmes amers. Mieux faite pour cacher les roses de l'idylle
Sous la tragique horreur des mers.
Puis la page est rayée en croix, et sur le tout Victor Hugo a écrit : 'Voir derrière. Derrière , c'est la poésie : Ecrit en exil, publiée dans La Légende des Siècles.
382 LES MANUSCRITS DE TOUTE LA LYKE.
XXXVIII. JE NE M'ARRÊTE PAS, JAMAIS JE NE SEJOURNE. . .
Comme début une strophe rayée , répétée au verso , et de nouveau biffée :
semblable Je vais sondant, pareil au navire qui rode,
U immense eihoir amer. Battu des flots, en proie aux hydres d'émeraude étrange De cette sombre mer.
Puis une note répondant à ce vers :
Heureux celui qui vit stupide en sa demeure. . . rectifie :
Oui, heureux, mais pas grand.
À côté, une indication :
La pièce qui suit dira :
Non. Ne te plains pas. Va, souffre, et sois content.
XXXIX. JE VAIS DANS LA FUREUR DU GOUFFRE, DANS L'ECUME. . .
Bien que cette pièce soit reliée par erreur après la Lettre de l'exilé, nous l'avons maintenue ici, car elle justifie le commentaire que nous venons de citer à la poésie précédente.
Dès le premier vers , nous remarquons , en déchiffrant sous les ratures , que Victor Hugo avait commencé sous une forme impersonnelle :
Il va dans la fureur du gouffre. . . et qu'il adoptait un autre rythme :
'^\ . . s'envolèrent les mots Que disent, pleins d'horreur, la sibylle de Cume Et le prophète dans Vathmos.
,Quand cet homme, debout et seul dans la tempête, fasse...
Là s'arrêtent les ratures et le manuscrit continue sans hésitation. ('^ Le premier mot est illisible sous la rature.
NOTES EXPLICATIVES. 383
Après le premier feuillet, terminé par :
et je laisse
Les autres avoir peur.
un trait et la date : 13 aoixt. H. H., semblent marquer la fin. Un second feuillet donne la conclusion attendue d'après la note de la pièce précédente et la date se répète, plus complète : H. H., 13 août 1872.
XL. UN VIEILLARD EST SOUi^ENT PUNI DE SA VIEILLESSE. . .
Au coin de la bande de papier bleu sur laquelle sont jetés ces quelques vers, le mot : ÉpÎtres j puis, après des points de suspension, on lit les deux vers, rayés, qui seront rejetés à la fin :
^^ue te sert, 0 Vriam, à' avoir vécu si vieux ? Tout meurt. Tu vois tomber la foudre sur tes dieux.
Avant le premier vers, cette réflexion : A quoi bon souhaiter de longs jours.''
A la fin la référence est indiquée
Omnia vidit (Eversat Juve'nal, Voir Priani. )
Pas de date, mais la tristesse poignante de ces vers indique que Victor Hugo a dû les écrire après avoir perdu son dernier fils, François-Victor, mort en décembre 1873.
XLI. A MADAME D'A. -SU.
Au coin du premier feuillet : ces mots : A relire.
À la seconde page, après la sixième strophe, venaient les septième, huitième et dernière strophes ; après les avoir rayées , Victor Hugo a intercalé sept strophes nou- velles et recopié la dernière.
XLV. LA HAUTE HONNETETE, C'EST LA TOUTE MA GLOIKE.
Derrière la mise au net de cette poésie , on en lit les dix premiers vers, barrés et pourtant presque conformes au texte publié.
XLVI. L'ENFANT EST TRES PETIT ET L AÏEUL EST TRÈS VIEUX.
En marge , ces noms :
Planche. Sainte-Beuve. Harel. Le garde du corps Vasserot, à Versailles [1821 '*'].
^') Ou 1831, le troisième chiffre est douteux.
384 LES MANUSCRITS DE TOUTE LA LYKE.
Ceci éclaire ces vers :
A peine il sait comment se nomme L'insulteur, pour avoir, lorsque juillet brilla. Jadis aidé quelqu'un qui portait ce nom-là.
XLVII. JE SUIS ENKAGÉ. J'AIME ET JE SUIS UN VIEUX FOU.
Moitié de feuillet déchiré. Après le dernier vers, un autre est commencé — Grand-père ? — quoi ?
En marge, un vers : . '
Je suis celui qui croit à la force des choses.
Au verso, les huit premiers vers, barrés.
XLVIII. ÉCHAPPÉ À L'ERREUR.
Sur un large feuillet de papier de Hollande cette poésie commençait ainsi :
Je suis un naujragé qui s évade. Ma vie Commença par l'erreur, d'illusions suivie ; Mes deux frres et moi, longtemps, jouets du vent. Dans l'engloutissem
Le mot n'est même pas fini, tout est biffé, et, en marge, le titre et les trois pre- mières strophes se suivent, puis les deux dernières prennent le milieu delà page.
Dans les brouillons, nous trouvons une copie de la dernière strophe, dont l'ori- ginal est au verso d'un brouillon du chapitre : InfaiUibilttê ^^\
Puis une ébauche :
Grâce à vous, misérables
J'ai reçu l'éducation fausse Qui sous tous les berceaux creuse sa sombre fosse. Qui fait la nuit, qui met l'enfant dans un linceul. Qui cache en tout le peuple et montre le roi seul, Qui —
mensonge, empoisonnement, crime ^^^
Mais cet enseignement m'a-t-il crevé les yeux? M'a-t-il ôté le droit de me renseigner mieux ?
C Le Pape. — t"^) Deux mots illisibles.
NOTES EXPLICATIVES. 385
XLIX. APRÈS L'HIVER. Dans les brouillons, une suite inédite :
Tous ces petits oiseaux font un tas de manières. Je vous demande un peu, les senteurs printanières Les devraient-elles rendre à ce point insensés ! Quoi, toujours dire : Encor! ne jamais dire : Assez! Mesdames, est-ce là de la pudeur.? Femelle Et mâle, tout cela flirte, chante, se mêle, S'unit, c'est une orgie enfin qu'une foret. Et la complicité du printemps m'apparaît.
L. ^U'^-'^Uj PELERIN ? — JE ME NOMME. . .
Feuille détachée de l'album de voyage, 1865. Cette poésie a été écrite d'abord au crayon sur la route d'Aix-la-Chapelle à Diiren, comme l'indique le manuscrit, puis repassée à l'encre ensuite.
VI
I. LORSQUE MA MAIN FREMIT SI LA TIENNE L'EFFLEURE. . .
Ce manuscrit est en double. Le second exemplaire seul porte le millésime.
II. OH ! SI VOUS EXISTEZ j MON ANGE, MON GENIE...
Deux exemplaires de ce manuscrit. Le premier est daté février 18^); le second 10 mars 18}^.
V. VOUS M'AVEZ Éprouve par toutes les Épreuves...
Apres la date et sous des variantes que nous donnons page 425, on lit cette remarque, rayée :
Faut-il commencer ainsi (moins les quatre premiers vers) :
L(? mensonge et la haine et l'injure avec joie
Ont mâché dans leurs dents mon nom comme une proie.
VIII. ROMAN EN TROIS SONNETS.
Les premier et second sonnets sont datés ç décembre, et ont été écrits après le troi- sième , qui à lui seul forme un tout et qui est daté : 5 décembre.
POÉSIE. — XUI. 2J
lllJ'Mll£niE NATiONlLE.
386 LES MANUSCRITS DE TOUTE LA LYKE.
IX. CHANSON. — IL SUFpn DE BIEN PEU DE CHOSE ^^K . .
Après le manuscrit, une page offre un autre début composé en une strophe de dix vers ; les quatre premiers , pareils à ceux publiés en tête de la page 103 , sont biffés et suivis de ceux-ci :
Un vent des deux trouble la facej Le printemps meurt, l'été s'efface. Juin n'a plus qu'un rayon menteur Quand, par un souffle remuées. Des avalanches de nuées Roulent du pôle à l'équateur.
X. HERMINA.
En marge du titre, cette indication : A douze ans.
Nous trouvons dans les brouillons, d'une écriture bien antérieure à celle du manuscrit daté du 22 juin 1878, ce vers qui change le nom de l'héroïne :
Annette avait sept ans, j'en avais presque seize. Suivent les deux derniers vers, rayés.
XII. J'ETAIS LE SONGEUR QUI PENSE. . .
Six strophes ajoutées en marge ; cette poésie a subi tant de remaniements que Victor Hugo a dû en numéroter les strophes.
XVIII. TOUTE LA VIE D'UN CŒUR.
Pas de titre au manuscrit pour cette division publiée dans les éditions précédentes sous le titre : Étapes du cœur. Nous trouvons , reliée dans le Reliquat, la liste suivante intitulée : Toute la vie d'un cœur :
1 1811.
II ." 1817.
m 1820.
IV 1825.
V 1831.
'' Reliquat.
i
NOTES EXPLICATIVES. 387
VI 1833
VII 1835
VIII I 840
IX 1847
X 1830
XI 1877
Les 1" et xi' pièces — 1811-1877 ''' — ont été publiées dans L'Art d'être Grand-Père.
Nous expliquons dans I'Historioije les modifications apportées à cette liste. Dans cette édition, nous publions, nous conformant strictement au manuscrit, les six divisions précédées d'un millésime écrit par Victor Hugo : 1817— 1820— 1833— 1835— 1840— 1847; nous donnons ensuite, sous leur titre respectif, les poésies ne portant pas d'indication d'année.
1833. — PUISSE LE GAI PRINTEMPS REVIENT DANSER. ET RIRE.
Après le dix-huitième vers , cette pièce finissait ainsi , sans rime :
Et le poëte e'mu pensera doucement. Au-dessous de ce vers rayé, on lit la fin telle qu'elle est publiée page 118.
1835. — PROMENADE,
Tout au bas du premier feuillet, après le vers :
Un doux sourire fait cclore un doux nenni, venait celui-ci , rayé :
Cachons-nous. Ce lit d'herhe eSt indiscret peut-être.
En marge, onze vers ajoutés ont modifié cette fin.
Le manuscrit de premier jet^^\ entièrement rayé, donne quelques variantes qu'on lira page 429. Un passage n'a pas été employé :
près de moi qi^ici Uiens. Je veux au en ce lieu voilé tu te reposes, moUement éclairci avril épaissi Et qu'il reBe au haUier par ta langueur choisi
On ne sait quel parfum de ton passage ici. Laissons des souvenirs à cette solitude. Si tu prends quelque moUe et sereine attitude. Si nous nous querellons, si nous faisons la paix. Et si tu me souris sous ces arbres épais,
<') 181 1 : Les Fredaines du Grand- Père enfant. - 1877 : Chanson du Grand-Pere. — ^^' Keliquat.
25-
I
388 LES MANUSCRITS DE TOUTE LA LYKE.
Ce lien sera sacre' pour les fiymphes obscures,
au lever des Ef ce soir, quand luiront les divins Dioscures, hes oiseaux sentiront plus doucement Wnis L'hymen, l'ombre. Leurs hymens, et la fête adorable dej nids.
1840. — MAI.
Apres les quatre premiers vers, venaient les quatre derniers ; voulant les conserver comme fin, Vxctor Hugo les a rayés, puis il les a recopiés à la deuxième page après avoir ajouté vingt vers.
1847. — TU VOIS UN HOMME AYANT UN PKOJET SOUS LES CIEUX.
Cette pièce finissait par six vers que nous allons, malgré les larges ratures qui les couvrent, essayer de reconstituer avec leurs variantes :
Aimons. Tout passe ainsi que l'eau dans les ravines j A.insi coule la vie, ainsi passent les heures j
divines. Après avoir aimé les âmes sont meilleures.
mourons tombons L'heure où nom passons touche à l'heure où nom brillons ;
Et vom ne fere<r pas la chasse aux papillons.
L'amour étant le dieu, la fleur étant le temple.
Belle, et les papillons étant de bon exemple.
En marge une autre version finale, également rayée et dont nous ne pouvons lire tous les mots :
Aimons. On j consent au fond des empyrées.
Après avoir aimé les âmes sont sacrées.
L'heure où nom brillons touche a l'heure où nom tombons.
Brille^, tombe^. Jadis, les sagef étaient bons.
Ils conseillaient la gloire aux héros, et la chute
Aux belles, l'herbe douce après la douce lutte
EU une trêve, Horace y fait asseoir Chloé.
Ainsi qu'un vieux trumeau repeint et déchiré.
L'idylle eB au grand plafond cèle fie ,
Galatée au pied leHe,
Et je serai Uirgile et tu seras Eglé 0 belle au flais flchu vaguement envolé !
du berger, garde-moi ton feuillage
Attention ! je vais commencer le pillage Des appas
La fin de la ligne est illisible.
NOTES EXPLICATIVES. 389
XXI. IL ETAIT UNE FOIS UN CAPORAL CIPAYe'^^I Page détachée d'un album de 1845.
XXVI. DANS UN VIEUX CLOÎTRE.
Au verso de ce manuscrit, un brouillon de quelques vers du Groupe des Idylles (Racan). Cette idylle étant datée dans le manuscrit de ha Ugende des Siècles : 20 dé- cembre 1875 , cela situe vers la même année Dans un vieux cloître.
XXXVII. A MADAME J
(2)
La deuxième strophe, rayée, est une variante de la dernière strophe de Nivea non frigtda.
Tous les songes ^^) sous le ciel bleu Uous font cortège.
Miracle !
Et blanche, vous êtes de feu
Comment peut-on être de feu,
Étant de neige ?
XLIII. FURENS F(EMINA ^*l Après le texte définitif sept vers de brouillon :
Ellejrappa du pied, s'emporta, fut terrible. Je n avais pas eu d'elle encor un seul baiser, J'esp/rai. ^ui n'a vu l'ouragan s'apaiser? Il n'eft pas de courroux qui ne prenne la fuite ; F lus le nuage eSi noir, plus l'amir revient vite ; U orage eut une jin; et ce que je conquis Dans ce charmant accès de fureur fut exquis.
XLIV. CELA LA DESENNUIE; ELLE VIT TOUTE SEULE... Après le treizième vers, venait celui-ci :
On eB des deux côtés libre, et sans père et mère;
Après l'avoir barré, Victor Hugo a écrit en marge ces cinq vers :
Les contes de Perrault
Ovide et ses romans, La Fontaine et ses febles.
Les changements à vue où se plaisaient jadis
(0
Reliquat. — <«> îbid. — (») Mot douteux. - <*' Reliquat.
390 LES MANUSCRITS DE TOUTE LA LYKE.
au temps d'Vrgande et Les poètes aux temps d'Achille ou dAmadis, Le bon Pilpaj, le bon Perrault, le bon Homère,
des hommes d'une fille N'égale pas le cœur des filles en chimère.
Ces cinq vers sont répétés, modifiés, au-dessus de cette première rédaction qui est alors encerclée; sur l'un des côtés on lit : Moins bon.
L. AH ÇA MAIS ! (QUELLE IDEE AS-TU, CAPRICIEUSE. . .
Dans les brouillons , on trouve ce passage qui résume trente-sept vers du texte définitif :
La hranche n'a qu'un hiit, c'eft de cacher un nid.
Uois ces grottes qu'un dieu myBérieux bénit;
On entend alterner des flûtes sous les chênes;
,Quel e§i le maître ? Amour. Et quelles sont les chaînes ?
Des fleurs. IJois cette idylle immense, ïhorisron.
Uois tom ces tentateurs; vois ces bancs de vcpron;
Crois-tu que de cette ombre et de ce paysage
Il sorte le conseil insensé d'être sage,
D'être aveugle aux attraits, d'être sourd aux inBinBs,
De ne tas s'embrasser, d'être des cœurs éteints ^^\
Et de subHituer Wagram, Jemmape, Arcole,
Les révolutions, la patrie en péril.
Et la bataille, au vague et tendre hymen d'avril ?
Dans l'autre sens de la page, ces notes :
Ils ont une morale à surprises j que doit-on au crime? La punition. Et s'il réussit.? Obéissance et respect. Garder sa place, c'est sauver la patrie. Quant aux proscrits, l'austère Gui2ot les qualifie : nBohêmes)).
Guizot : la nullité qui dédaigne.
Demander si le suffrage universel peut détruire la république, cela équivaut à
voix
examiner la question de savoir si la bouche a le droit de faire couper la tête. ('^ Un blanc est ménagé après ce vers pour la rime manquante.
NOTES EXPLICATIVES. 391
LIV, A FORCE DE rÊvIEK ET DE VOIR DANS LA PLAINE. . .
Les trois derniers vers, dont nous donnons les variantes page 437, ont été, d'après l'écriture, modifiés vers 1862.
LV. LES PÉRIPÉTIES DE L'IDYLLE ^''.
Beaucoup de remaniements et d'ajoutés. Trois versions pour la fin ; voici le pre- mier enchaînement :
altière. Et tu jettes aux vents ta bette voix sonore. Je zieHx de l'ombre j toij tu veux de la lumière. Je voulais de la nuit, toi, tu veux de F aurore. Je voulais des baisers, toi, tu veux des chansons. Soit. J'obéis. Tu dis : Paix, monsieur finissons ! Mais Je n'obéis plus. Je me livre au pillage, Sans me troubler d'un souffle errant dans le feuillage, Et sans m' inquiéter si ï écart du jîchu Fait dans l'ombre loucher le faune au pied fourchu. Tant pis. Tant mieux. Uivons, sois déesse l Sois Grâce l
La seconde version , rayée également , se lit au bas du même feuillet :
, Le ciel, en même temps que la bouche, s'approche. L'attendrissement gagne et pénètre la roche,
le ravin Le granit, la forêt, les sombres lacs dormants, La montagne, les prés, les bois, quand deux amants Sont là, perdus, mêlés, comme au printemps les roses, Dans le céleBe oubli des hommes et des choses. Mais jamais les baisers ne sont bien assoupis. S'éveiller, c'eB leur droit. Tu te fâches ? Tant pk! Non ! non ! je brave tout! je me livre au piUage!
Suivent les trois derniers vers tels qu'ils sont publiés.
Sur une dernière page cette version est recopiée, augmentée de douze vers.
LVIII. NOUS ETIONS, ELLE ET MOI, DANS CET AVRIL CHARMANT. . .
En marge du manuscrit est collée l'enveloppe qui renfermait autrefois cette pièce, et sur laquelle Paul Meurice a écrit :
Autographe Prévoff. 2^ vers autographes inédits de TJ. H. (') Reliquat.
392 LES MANUSCRITS DE TOUTE LA LYKE.
Lix. AUJOURD'HUI G alatée AUX LASCIVES Épaules...
Dans un coin du quart de page contenant ces huit vers, le mot Comédie renseigne sur leur destination ainsi que cette indication :
Continuant une conversation commencée.
LXI. TOUS DEUX EST-CE A TIBUR? EST-CE À VILLE-D'AVKAY ?
Deux époques bien distinctes pour ce manuscrit, dont la première page serait, d'après l'écriture et l'indication finale : (8 mai, pendant le plébiscite), de 1870. Pourtant, le premier titre, rayé : £« Italie ^ le premier vers, rayé :
Nous errions, elle et moi, dans les bois de Tibur, et, tout au bas de la page, ce vers :
Pendant qu'elle disait mille adorables choses , ces trois lignes semblent dater de 1840-1844., ainsi que les quatorze vers de la page
suivante.
LXII. L»OUTRAGE PEUT ÊTRE AUSSI DANS LA CARESSE.
Le titre, et, en marge, une strophe ajoutée et une modifiée, sont postérieurs à 1854, date de cette poésie.
En tête d'une copie reliée au Reliquat, Victor Hugo a écrit :
Cette pièce a été retouchée et fort modifiée sur le manuscrit.
LXIII. LA BELLE S'APPELAIT MADEMOISELLE AMABLE.
La première version passait du deuxième au neuvième vers. Les indications et les deux premiers vers, rayés, furent recopiés sur une page qui reçut les sept vers inter- calés.
Au coin des deux pages le même mot : Comédie.
VII
I. LA BLANCHE AMINTE.
Cette poésie et la suivante sont écrites, au recto et au verso, sur une double feuille de papier à lettres.
m. CE QUE GEMMA PENSE D'EMMA.
Neuf strophes ajoutées tant en marge que sur un bout de papier collé par des pains à cacheter au bas et au verso de la première page.
NOTES EXPLICATIVES. 393
IX. OUI, fÛt-on homÈke, il faut rire. . . Les troisième et quatrième strophes sont ajoutées en travers de la marge.
XV. LE MARDIS DE BADE A DEUX CORNES.
Deux pages détachées d'un album à dessin.
XVI. VEUX-TU VIVRE, ÉTRE ADMIRE. . .
Au cours de cette petite page, rindication : Comédie.
XVII. CHAQUE SIÈCLE A LE SIEN.
Deux exemplaires de ce manuscrit ; au bas du premier une couronne de dix étoiles au centre de laquelle sont ces chiffres ainsi disposés : 12-^; devant la couronne, la date iS)8, et au-dessus, ces mots : mars en carme.
XIX. MESSEIGNEURS , NOUS AURONS POUR LUSTRE LA GRANDE OURSE. Quatre vers rayés donnaient cette fin :
Au fond monsieur Haillon et madame Potence
Passeront en chantant et bras dessus dessous;
Et le diable au bon Dieu jettera des gros sous.
Enfin au dénoùment de la pièce, la Gale
Embrassera la Mort
Épousera l'auteur dans un feu de Bengale.
XXI. QUAI DE LA FERRAILLE.
Près du titre, l'indication : Comédie.
Après le quinzième vers, quatre vers rayés, puis repris dans un ajouté de vingt vers en marge.
XXII. COMÉDIES NON JOUABLES QUI SE JOUENT SANS CESSE. Ce titre est de la fin de l'exil.
mYLLE. — (Cocarde et Louchon.)
Tout au bas de cette page, des noms : Rousselette. — Armide. — Balzamine. Puis le nom Eloa venant en rime à : mon manchon, mon boa.
394 LES MANUSCRITS DE TOUTE LA LYKE.
LE MENDIANT.
Ce manuscrit, dont l'écriture date de 1840 à 184+ , a été revu et modifié vers 1870 ; les vers i, 2, 22, 23, 24 ont été refaits. Nous en donnons les variantes page 448. Le mot Comédie a été rayé.
ELLE, c'est le PKINTEMPS ; PLUIE ET SOLEIL; JE LAIME.
La page, déchirée à l'endroit où était inscrit le millésime, n'en laisse voir que les deux premiers chiffres, mais l'écriture est de 1869.
-VOIS-JE POINT LÀ DANS LOMBRE VN HOMME TITVBANT ?
Avant le dialogue , l'indication : Scène I".
SUSURRANT VOCES.
Écrit au verso d'un faire-part de mariage.
Un ajouté de six vers en marge a entraîné la modification de ces deux vers barrés :
Je porte l'encrier, sombre et plein d'étincelles,
Ce berceau noir d'où sort l'idée aux blatîches ailes.
XXIII. CHANSONS.
j'adore suzette.
Dans le Reliquat nous trouvons cette note au crayon :
Mêler ceci à la pièce :
Une chanson passe dans la rue.
La chanson :
(Suzette et Suzon.)
l'oiseau passe. . . Au verso, vingt-six vers du Kegiment du baron Madruce^^\
MARGOT.
Le manuscrit manque, nous n'avons qu'une ébauche du plan dont l'écriture est à peine forméej la copie est en regard.
CHANSON DE BORD.
Nous avons expliqué au tome premier, en décrivant le manuscrit de Gros temps la nuit, comment cette poésie s'apparentait à quatre autres : Les Paysans au bord de la mer, Océan'-^\ Sur la Falaise^'''' et celle-ci : Chanson de bord; on retrouve sous les ratures
^') L-î Légende des Siècles. — '*) Ibid, — (^) Les (Quatre Uents de l'EJprit.
NOTES EXPLICATIVES. 395
de ce dernier manuscrit quatre strophes, dont l'une, la première, figure aussi dans le manuscrit des paysans au bord de la mer :
Comme il pleut dans nos parages !
Les seconde et quatrième strophes étaient proposées au manuscrit à^Océan, mais sans variantes.
Nous donnons, page 451, les variantes de la quatrième strophe ; on y trouvera égale- ment la troisième strophe, barrée, mais non utilisée.
RONDE POUR LES ENFANTS.
Au-dessous de ce titre , celui qu'on retrouve dans UArt d'être Grand-Père : Chanson de Grand-Père. Cette ronde en est d'ailleurs une variante, bien que les premier et troisième vers aient un pied de plus que dans la chanson de L'Art d'être Grand-Père.
Au bas du premier feuillet ce vers, sans suite :
Cet hiver, pour danser encore Nous donnons, page 451, deux strophes inédites.
JEAN, JEANNE, JEANNOT.
Le manuscrit de cette chanson inédite fait partie d'un album de voyage, 1865.
I. VIENS, 6 TOI QUE j'aDOKE. . .
II. MAI DANS LES BOIS KECELE. . .
Les deux parties de cette chanson portent chacune l'indication : Air la Princesse d'Orange. Le manuscrit de la première partie : Uiens , ô toi que j'adore... est en double, en tête da premier exemplaire , dont l'écriture est de 1874 à 1878 , Victor Hugo a écrit les premiers vers de l'air : la Princesse d'Orange :
La princesse d'Orange Trop matin s'est levée
Sur le bord de l'île, La princesse d'Orange Trop matin s'est levée
Sur le bord de l'eau.
Le second exemplaire, daté de 1857, et ayant appartenu à M'"' Drouet, porte cette dédicace, tracée, par inadvertance, de bas en haut :
Pour toi, mon pauvre ange.
V.
Deux exemplaires aussi pour la seconde partie :
Mai dans les bols recèle. . . le premier est une copie au coin de laquelle Victor Hugo a écrit : Chanson dont j'ai égaré le manuscrit.
396 LES MANUSCRITS DE TOUTE LA LYKE.
Le manuscrit, daté de 1857, n'était pas égaré, mais donné à M'"^ Drouet, comme l'atteste cette note en haut de la deuxième page :
Fait sur commande de Madame Juju.
V. H.
LE CHATEAU DE L'ARBRELLES.
On trouvera, pages 524-525, deux fac-similés de cette poésie, ébauchée vers 1828 et rédigée en octobre 1876.
Dans le plus ancien des deux manuscrits, on lit, sous l'unique strophe du Château de l'Arbrelles, des vers des Adieux de l'Hôtesse arahe''^^ dont le plan est continué au verso ; puis quelques vers inédits :
CHANT DES LOMBARDS.
Nous autres, races cisalpines. Nous avons vu maints Rois, aveuglés par l'enfer.
Se piquer les doigts aux épines
De notre couronne de fer. Et qu'importe au soleil que la brume pesante
S'envole à ses rayons.
Quelques réflexions et citations :
Un nuage déchiqueté comme un manteau de poëte.
Dijon, la ville aux beaux clochers.
Les entreparleurs de la tragédie (Garnler, xvi' siècle).
L'aigle de poésie enfermé dans une huitaine ! Vous lui brisez l'aile en si petite cage.
CHANSONS DE GAVROCHE.
I. R^N TA^ PLAN !
Cette chanson a dû un moment faire partie des Misérables, comme en témoignent ces lignes écrites au bas de la page et publiées d'ailleurs dans le roman :
Gavroche, tout en chantant, prodiguait la pantomime. Le geffe efl le point d'appui du
fantasques refrain. Son visage, inépuisable répertoire de masques, faisait des grimaces plus convulsives que
les bouches d'un linge troué dans un grand vent. Malheureusement. . . ('' Les Orientales.
NOTES EXPLICATIVES. 397
m UA BOURGEOISIE EST VN Z'EylU.
Au Reliquat, on lit l'ébauche d'un des couplets , précédée de cette note :
Chansons de la misère à la fois goguenardes et plaintives qui éveillent la colère des gens de goût et la compassion des gens de cœur :
La bourgeoisie est un veau Qui s'enrhume du cerveau, Et beugle, geint, bave et pleure Sur les rois, fiacres à l'heure, Sur sa caisse, et sur la fin Du inonde où l'on avait faim.
LA CORDE D'AIRAIN.
À LA FRANCE DE 1872.
Après le manuscrit complet numéroté par Victor Hugo de i à 12 , mise au net fort peu corrigée, viennent deux débuts ; le premier, sur papier bordé de noir, commence par six vers largement barrés :
À LA FRANCE.
A présent, souviens-toi, souviens-toi, souviens-toi, France! et qu'une colère auguBe soit ta loi! Je serai ton vautour si tu dors, Vrome'thie. Je te rappellerai qu'il faut être irritée. Ne quitte pas des jeux ton honneur obscurci. Ah! ce qui fait un peuple illustre, le voici :
Suivent les vingt-quatre vers qui précèdent les strophes.
Autre début, plus condensé encore; le premier vers seul est barré :
Peuple, l'art ne te doit que des fêtes viriles.
Après les durs revers et les luttes stériles.
Après la chute, hélas l
Quand l'histoire est en deuil, tous, qui que nous soyons.
Quand l'auguste Patrie a perdu ses rayons.
Quand l'altier Capitole a fait place au Calvaire ,
Nous avons pour devoir le souvenir sévère,
\]n peuple
Et l'homme est par les chants de la muse avili
S'il y puise une ivresse allant jusqu'à l'oubli ; C'est pourquoi je dis : France! ô Paris! toi jeunesse. Toi peuple, en attendant que notre aube renaisse. Ne quittons pas des yeux notre honneur obscurci ! Oui, ce qui fait un peuple illustre, le voici :
398
LES MANUSCRITS DE TOUTE LA LYKE.
Puis vient un autre manuscrit de la seconde division qui ne comprenait, avant les douze vers ajoutés en marge, que sept strophes (la huitième et la neuvième n'y figurent pas). En tête de cette seconde division une strophe barrée, refaite en marge, et barrée encore ; voici les deux versions avec leurs variantes :
Chasse ces visions, mon âme, E/ ce rêve qui fétouffait, (^ue^-ce que l'avenir t'a fait? U Inconnu neB point un infâme; Dieu ne commet tas de forfait.
Non, l'Inconnu neff point infâme. J^uj0-ce que l'avenir t'a fait? Comment peux-tu croire, ê mon âme! A.U songe affreux qui t' étouffait ?
La première strophe porte ces variantes :
Soit, Dieu le veut. Soit, attendons.
croit que Qui donc a dit : la France tombe !
Après la seconde strophe , ces deux vers rayés :
IJois ! ce glaive brké flamboie. Il chasse l'ombre. Il fait le jour.
Une dernière page contient la mise au net des cinq dernières strophes.
I. APRES SEDAN.
En marge des derniers vers, trois lignes à peine formées :
Je parlerais ainsi. J'ajouterais ce que je veux dire sur les esclaves. Alors ils me feraient tuer. Par qui.? par un esclave.
Sous le dernier mot, cette rime :
conclave.
V. APRÈS L'ÉCROULEMENT DE L'HOMME.
Une demi-page, contenant les vers de sept à vingt-cinq, a été collée sur le haut du deuxième feuillet; on lit, en transparence, sous le texte définitif, ce premier début :
Un homme était venu poignarder l'avenir.
J'ai frémi; j'ai senti que je devais punir
Cet homme et qu'il fallait châtier une tête ;
Et moi qui dans ma serre ai porté la tempête.
NOTES EXPLICATIVES. 399
Quand la justice au front redoutable et sacré M'a dit : Foudroie, ami ! j'ai dit : Je le ferai. Soit. Car ce ne sont pas les aigles d'ordinaire Qui refusent de prendre en leur griflFe un tonnerre. Mais aujourd'hui qu'il est à terre, et que je vois Son nom
VI. L'ORGIE DES MEURTRES.
Après le douzième vers, quatre vers rayés en bas de page donnaient cet enchaîne- ment :
Et toujours il en suinte un long ruisseau de sang.
Le meurtre elt toujours bête et toujours innocent.
Etj fut-ce pour le bon motif, il eB horrible.
^ujl sorte du Koran, au' il sorte de la Bible,
.Qtt'il se nomme Albe, Omar, Cromn>ell, Ltouvois, Marat,
Il eft toujours flupide et toujours scélérat.
La page suivante ajoute seize vers, mais le même passage se trouve rayé de nou- veau deux pages plus loin j sur une page intercalaire nous relevons cinq vers barrés et non utilisés ici, les voici précédés de celui qui a été conservé :
Ce pardon qui ressemble à la complicité.
C'fH pourquoi l'on nous hait dans notre solitude.
abandon De là notre (^^ et notre solitude.
h,a vieille barbarie humaine a l'habitude
De s'absoudre, et de croire, hélas, que ce qu'on veut.
Prêtre ou juge, on a droit de le faire, et qu'on peut
Oter sa conscience en mettant une robe;
Pas de rime à ce dernier vers, et le texte continue sur les deux dernières pages tel qu'il est publié.
Au verso du second feuillet, nous trouvons quatre vers publiés dans Le passage DES Êtres sombres ^^^
IX. À UN ROI DE TROISIÈME ORDRE.
Après le dix-neuvième vers, un ajouté marginal remplace ce texte largement biffé :
Je ne réplique point. Som les bambous e'pais U éléphant marche avec le dédain des reptiles ; Lia foudre contre un ver n'a pas de proj exiles ;
C' Mot illisible. — '*' Voir tome I, page 38, neuvième à treizième vers.
400 LES MANUSCRITS DE TOUTE LA LYKE.
Personne tî a jamais dit que le talion Fut, quand la fourmi pique, un besoin du lion, Et je ne pense tas qu Hercule fût hien aise D'emtlojer la massue à vaincre une punaise.
Ces vers ont été développés sur un fragment isolé, sous le titre : Aux calomniateurs. Nous les avons publiés dans le Reliquat de E' Année terrible'^^K
XI. LA LIBERATION DU TERRITOIRE.
Neuf feuillets ; au quatrième, après ce vers :
Je ne montrerais point notre armée aux passants !
sept vers rayés qu'on retrouve au bas de la page suivante, après un ajouté de vingt- quatre vers.
Au sixième feuillet, un ajouté de dix vers entraîne la suppression de ces deux-ci :
Il faut qu'on dise ; Us sont les preux par qui nom sommes. Ils font la guerre aux rois d'où sort la paix des hommes.
Sur la même page, un second ajouté de dix-huit vers remplace cette première version :
Qu'attends-tu } — Je réplique :
J'attends l'aube ; j'attends la grande république ; Et je veux, jusque-là, garder superbement, O peuple, la fureur de notre abaissement.
Plusieurs tâtonnements au bas du septième feuillet et au début du huitième : Après la période se terminant par :
Et regardez grandir nos fils encor petits.
vient ce paragraphe rayé :
£/ moi, je le redis,
^Quant à moi, je le dis, je songe à nos deux villes ;
Et je ne pense pas que les rois soient tranquilles ;
Certes, ils ont juche' Vélion sur Ossa (^^
Je n ai plus qu'une joie au monde, leur souci, Certe, ils ont triomphé, certe, ils ont réussi,
Donc, consomme^ votre rébellion.
P^ois, vous mette^ Ossa sur Félionj
Kois, bâtisse^ avec toutes sortes de crimes,
Le texte définitif est en marge.
(•' Edition de l'Imprimerie Nationale. — '■^* Après ce vers proposé et resté sans rime, un point d'interrogation.
NOTES EXPLICATIVES. . 401
Au bas de la page , nouvelles ratures sur six vers , développés et mis au net au der- nier feuillet.
XIII. 0 ROYAUTE ! TAS D'OMBRE ! AMAS D'HORREUR, D'EFFROI. . .
A droite et à gauche de ce petit feuillet deux annotations : Botte aux lettres '■^\ — Place Louis XVI ^'\
En marge de la première strophe , cette liste :
Henri VIII. — Louis XI. — Philippe II. — Alexandre VI. — Pierre le Cruel. — Christian II, etc.
XVI. AUX HISTORIENS. Cinq débuts avant d'arriver au texte définitif placé en tête de ce manuscrit.
AUX HISTORIENS.
1° Soyev témoins. Soye<v apôtres. Soye<^ prêtres. Et soje^ vrais.
Surtout n'explique^ pas les traîtres; Car l' explication finit par ressembler A. l'indulgence affreuse, et cela fait trembler.
Oh donc en serions-nom si ton expliquait thomme
livré Paris ou trahi
.Qui tel jour a vendu la France ou livre' Kome ?
l'absoudre Discuter, ceB déjà gracier vaguement.
A.h ! laissez-moi devant tant ^horreur e'cumant ! Quoi! î indignation, il faut que je la dompte l JMoi ! uous f^ expliquer CT 'Uous me fere^ peser le pourquoi de la honte !
En marge, autre version, rayée également :
2° A.h ! non ! n'expliquons pas les traîtres, mes amis ! Ne cherchons pas jusqu'où le grand crime eff permis ^^\ Ne les racontons pas en bon flyle oratoire Comme on raconterait n'importe quelle histoire. . .
(*^ Rappelons que c'est là le titre d'une des divisions des Nouveaux Châtiments (Édition de l'Imprimerie Nationale). — <*' C'est sans doute par inadvertance que Victor Hugo n'a pas écrit Place LoMts XV. — W Devant ces deux premiers vers, un point d'interrogation.
POESIE. — xin. 26
IHPUIIZBIB HITIOXILE.
402 LES MANUSCRITS DE TOUTE LA LYKE.
3° -^oye^ j'%^-^- '^^'T 'apôtres. Soye^ prêtres.
Surtout ne cherchez pas à m expliquer les traîtres;
Car F explication Jîmt par ressembler
A. ïinàulgence étrange, et cela fait trembler.
4° Soje^ j^%^^' S(^y^ apôtres. Soje^ prêtres.
Garde^ la foi. Surtout n explique^ pas les traîtres.
Car l'explication Jînit par ressembler
A Hnàulgence affreuse, et cela fait trembler.
En marge :
quoi ? Trembler pour qui? Trembler pour toute l'âme humaine.
Au-dessous de ce vers sans rime, le texte continue :
Lorsqu'un traître vous croit avocats, et qu'il ose, Le bandit, vous prier de prendre en main sa cause, Je suis content de vous si votre plaidoyer, Jufles hiBoriens, consiBe à foudroyer.
Ces derniers vers, modifiés, sont utilisés plus loin.
5° HiBoriens, soye^ Juges et soye^ prêtres;
Keste^ calmes; surtout n'explique^ pas les traîtres.
Car ï explication finit par ressembler
A l'excuse, au pardon, et cela fait trembler.
Pas de faux pas. Pour l'âme
Pour la misérable âme épouvantable et vile.
Pour celui qui livra la porte de la ville ,
,Qtti donna ses soldats comme on donne un troupeau,
,Qui tua son pays et vendit son drapeau.
Pour cet homme de deuil, de mensonge et de ruse.
Nos sombres firmaments rî admettent pas d'excuse;
À mesure qu'il rayait ces ébauches en tête de chaque page, Victor Hugo conti- nuait son poème sur l'espace resté libre.
XIX. LA QUESTION SOCIALE.
Cette pièce commençait ainsi :
Non, je ne pense pas que l'ouragan s'apaise...
Après avoir rayé le titre et le premier vers , Victor Hugo a placé devant ce feuillet une page donnant le début qu'on a lu page 352.
NOTES EXPLICATIVES. 403
XXI. JEUNES HOMMES ECLOS SOUS L'EMPIRE RAPACE. . .
Cette poésie comprenait primitivement quarante-huit vers ; les huit derniers venaient après :
Ce n'est pas sans raison qu'on te montre du doigt...
Trois feuillets plus loin, nouvelles ratures qui donnent cette suite au vers cité plus haut :
^lîun hébé fait ta joie, et que ta tête blanche Comme vers tes pareils, vers les enfants se penche. Trop de jeunesse eB grave à ton âge; il eff bon De n'être point marmot alors au on eB barbon; Chérubin dans la peau de Géronte fait rire.
Nous te le répétons, il faut savoir proscrire.
exterminer. Il faut savoir sabrer, couper, trancher, proscrire.
L>a politique vraie en tout temps oscilla De la ruse à la force et de Moa^ à SyUa ; en des jours, vieillard, on Nous vivons dans des temps, s'il faut qu'on te l'enseigne.
Oh le peuple eB un fou qu'il faut parfois qu'on saigne; " Celui-là seul eB grand parmi les souverains
^ui lui lace un gilet de force sur les reins; Supprimer, c'eft créer j
Trancher, c'eB détrôner ; toute âme un peu maligne S'appuie au bon moment sur la troupe de ligne.
Deux pages intercalaires donnent le texte définitif.
XXVI. A DE CERTAINS MOMENTS, L'HOMME JUSTE EST RISIBLE.
Après le trentième vers , le texte continuait ainsi :
Ecoutei;r-les parler : a Je dis, et Varions raison, je dois vous dire, et je m'en tords De rire, qu'après tout Socrate a tous les torts ! U oiseau de basse-cour fête l'oiseau de proie. On eB abominable et Bupide avec joie. Rampons ! décroître plaît; ceB bon d^être petit.
Vingt-huit vers en marge développent ce passage rayé.
XXVII. A vous TOUS.
Au dernier feuillet deux passages rayés répètent les derniers vers, qui sont tran- scrits définitivement après un développement de douze vers.
26.
404 LES MANUSCRITS DE TOUTE LA LYKE.
Donnons ici, comme nous l'avons fait au tome premier, la liste des poésies non datées contenues dans ce volume.
Rappelons que les dates placées entre crochets sont fixées d'après les différentes écritures ; nous avons souligné les dates qui nous sont indiquées par certains faits ou certaines notes que nous citons dans l'historique ou dans la description du manuscrit.
V
[18^8-1840.] Admire, enfant ! souvent aux marins de Messine. . .
[i 830-1 834.] À cette heure indécise où le jour va mourir...
[1840-1844.] Vous êtes bien des fois venus dans ma demeure...
[1849-18J0.] À 01.
[1849-18^1.] Vénus rit toute nue au-dessus de mon lit...
[18^7.] Le bien germe parfois dans les ronces du mal...
Novembre i8ji. Qu,and je marche à mon but auguste. . .
Juin i8yj. Lettre de l'exilé arrivant dans le désert.
[1 848-18^0.] O doux êtres! ma joie et mon amour sacré...
[i8jo-i8j2.] J'aspire à m'enfouir sous les arbres. Je suis...
i8yé, À Jeanne.
i8j2. Si dans ce grand Paris, 6 charmante infirmière...
[1871.] Calomnié.
[i8j8-i86o.] Souffrez, 6 précurseurs!
[1873.] L'aquilon change, et met la poupe où fut la proue...
i8y2. Ave, Deaj moriturm te salutat. [Fin 1873 ou 1874.] Un vieillard est souvent puni de sa vieillesse...
[i8j2. A Madame d'A.-Sh.
[1877.] Vous qui, vainqueurs, avez mis depuis vingt-cinq ans.
[1874- 1876.] Je suis enragé. J'aime, et je suis un vieux fou.
[18^4.] Le vieillard chaque jour dans plus d'ombre s'éveille.
[1878.] Tu rentreras, comme Voltaire. ..
VI
[1873-1874.] Cette, elle n'était pas femme et charmante en vain...
[i8jo-i8j2.] Oh! la femme et l'amour ! inventions maudites!
[18^4.] Vous ne la fuyez pas, oiseaux, petits farouches...
[18^9.] Commencement d'une illusion,
[i 874- 1 87 j.] Puisque le gai printemps revient danser et rire. . .
[1874-187J.] Je ne laisserai pas se faner les pervenches...
[1874-187J.] Tu vois un homme ayant un projet sous les cieux.
[i 877-1 878.] Un coup de vent passa, souffle leste et charmant...
[i 878-1 880.] J'ai toujours redouté d'aborder une femme.
NOTES EXPLICATIVES.
iSjj. Dans un vieux cloître.
[1878-1880.] Virgile dans l'ombre.
iS}j. Oui, je suis le regard et vous êtes l'étoile. . .
[i8j3-i8j4.] Je ne viens pas vous voir le jour...
[1874.] Nivea non frigida.
[1840-1844.] A Madame la princesse Sophie Galitzine.
[1874.] A Madame J.
[1876-1878.] Je ne sais pas pourquoi les femmes...
[1840-1844.] Chanson. (Le prince de Joinville. ..)
[i 876-1 878.] Ah çà mais! quelle idée as-tu, capricieuse...
[1874-187J.] Les péripéties de l'idylle.
i8ji. Au bal.
[i8jj-i8j4.] Nous étions, elle et moi, dans cet avril charmant...
[1840-1844.] Aujourd'hui Galatée aux lascives épaules...
[1878-1880.] Danger d'aller dans les bois.
iSjo, Tous deux — est-ce à Tibur ? est-ce à Ville-d'Avray ?
[1871-1872.] La belle s'appelait mademoiselle Amable.
40 5
VII
[186^-1867.] Oui, fôt-on Homère, il faut rire...
[1874-187J.] En Afrique.
1S61. Quiconque est amoureux est esclave, et s'abdique.
[1874-187J.] La lune.
[i8jo.] Veux-tu vivre, être admiré...
[1844-1846.] Il avait le front bas, le rire d'un pirate...
[1869-1870.] Messeigneurs, nous aurons pour lustre la Grande Ourse.
[i8j9.] Fils, je veux dans ce conte où vont venir les fées...
[i8j2-i8j3.] La marquise Antoinette.
[i8j2-i8)3.] Idylle. (Cocarde et Louchon.)
[1840-1844.] Le mendiant.
[1840-1844.] Vois-je point là dans l'ombre un homme titubant?
[1827-1830.] On prétend, Sylvio, que toujours je vous aime.
[1870.] Je te jure un amour éternel.
[1872-1874.] Entre le zist et le zest.
[i8jj-i8j4.] J'adore Suzette.
[1843.] Chanson de Maglia.
[1871-1872.] Rien n'est comme il devrait être.
[i8j3-i8jj.] Tourne-toi vers celle qui t'aime.
iSj^. Chanson de bord.
2^1. novembre iZ-j6. Ronde pour les enfants.
[1877-1880.] Le chant du vieux berger.
[i8j4.] Hacquoil le marin.
[i8j2-i8j3.] Chant du bol de punch.
[1840-1846.] Sérénade.
i8^f-i8^8. Ran tan plan !
[1864-1868.] Quand Dalila, Paméla...
4o6 LES MANUSCRITS DE TOUTE LA LYKE.
LA CORDE D'AIRAIN.
[1871.] Après Sedan.
[1872.] Après l'écroulement de l'homme.
[1872-1873.] L'orgie des meurtres.
[ 1874.] Oui, l'on a sauvé l'ordre et l'état...
[ 1 871.] À un roi de troisième ordre,
[i8j4.] O royauté! tas d'ombre! amas d'horreur, d'effroi.
[ i8j7-i8j8.] Crois-tu donc qu'on sera César sans l'expier.''
[1872.] Jeunes hommes, éclos sous l'empire rapace. ..
18^6, O princes insensés ! Quoi ! ne tremblent-ils pas. . ,
IL VARIANTES ET VERS INEDITS.
V
I. A LOUIS B.
amers graves
Page 1 1. Quoique dans nos travaux, rudes et pourtant doux...
d'extase
Fait d'admiration, d'étude et de prière...
forme J'ai , créé pour souffrir et vivre par l'amour. . .
La création sombre où
Cette création que je tâche de lire,
infinis,
Avec ses univers, ses lueurs, ses splendeurs...
hommes bons, peuples
Je veux les peuples grands, je veux les nommes libres.
inquiète
Comment guider la foule orageuse et pressée,
bien
Comment donner au droit plus de base et d'ampleur. .
Ces sombres
Toutes ces questions me tiennent dans leur serre ;
en même temps. Et puis, quoique songeur, aisément réjoui...
VARIANTES ET VERS INEDITS. 407
parfois paraît Page 12. Le deuil monte parfois à mon front douloureux. . .
Le sourire est plus pâle et l'ombre est plus profonde.
II. ADMIRE, ENFANT ! SOUVENT, AUX MARINS DE MESSINE.
Dit plus mieux
Page 1 3 . Vaut mieux que ma sagesse et plus que ma science. . .
III. A UNE RELIGIEUSE, volonté
Page 14. C'est l'homme, raison calme et passion profonde.
dédain A souvent regardé sans risée et sans peur.
rumeurs Tout petit, j'ai rempli de chansons enfantines...
IV. A CETTE HEURE INDECISE OU LE JOUR VA MOURIR.
du chariot
Page 15. Le cri plaintif du soc, gémissant et traîné. . .
La mouche
L'abeille qui tout bas chante et parle à la rose.
V. LA FRANCE, 0 MES ENFANTS, REINE AUX TOURS FLEURONNEES.
servait Page i6. Posait, sous l'empereur que votre aïeul suivait...
VI. L'AUTRE JOUR, AMI CHER, AMI DE VINGT ANNEES. . .
noble ami, cher depuis tant d'années, Page 17. L'autre jour, ami cher, ami de vingt années.
Tandis qu'en vos pensers, rêvant des jours meilleurs, rouliez sombres
Vous sondiez de l'état les hautes destinées. . .
4o8 LES MANUSCRITS DE TOUTE LA LYKE.
L'aînce écoute et songe , et la dernière rit ; A la petite sœur, la grande sœur sourit. L'aînée à la dernière avec amour sourit.
têtes Trois filles ! êtres purs ! âmes au bien formées. . .
à demi closes, La rosée inondait les fleurs à peine écloses. . .
serein Je priais, d'un esprit paisible et raffermi.. .
chargé d'ombres austères Voje2 sur votre seuil, en proie aux soins austères. . .
le doux
Page 1 8 . Pour écouter, pensif, l'heureux bruit de leur voix !
Maître de la tribune
Esprit profond, lutteur aux discours triomphants...
lorsque d'un souci d'amers Oh ! quand de noirs soucis vos heures sont ternies , Mon ami. Regardez! regardez cet avenir si doux.
Ces trois fronts rayonnants, ces trois aubes bénies ensemble
Qui se lèvent dans l'ombre, ô père, autour de vous !
VII. UOVS ETES BIEN DES FOIS VENUS DANS MA DEMEURE. .
l'on croit lire Page 19. Et tandis qu'ils dormaient, beaux fronts où semble luire
L'espoir d'un sort
Tout un monde meilleur. Vous paraissiez, penchés avec un pur sourire.
Reflet voilé Tendre
Vague reflet du leur. . .
VIII. A OL.
Ton rok elf d'avertir et de refter pensif ^^K Page 20. Que t'importe.? tu vas où tu vois le devoir.
Trifie et de'jà
Grave, triste et rempli de l'avenir lointain.
''' Cette variante est restée sans rime.
VARIANTES ET VERS INÉDITS. 409
sombre et clair étoile Car le ciel rayonnant te fit naître, ô poëte,
iavard loquace
De l'Apollon chanteur et de l'Isis muette.
IX. VENUS RIT TOUTE NUE AU-DESSUS DE MON LIT..
choquent Page 2 I . Qui ravissent Molière et fâchent Andrieux.
révent Près d'eux songent, l'œil plein d'une douce chimère..
par degrés Il ouvre lentement ses ailes dans ces rêves. . .
XI. LE COUCHANT FLAMBOYAIT A TRAVERS LES BRUINES.
lourde roue. Page 23. La vague, roue errante, et l'écume, cavale...
Livide
Lugubre immensité !
l'homme noirceurs
Oh ! combien l'œil, au fond des brumes infinies. . .
l'infini J'habite l'absolu, patrie obscure et sombre...
sur Page 24. Mais, rassuré, je vois sous la porte sinistre
Vaiser de la clarté.
La fente de clarté.
XIII. LE BIEN GERME PARFOIS DANS LES RONCES DU MAL.
dans réden bleu du brumeux idéal
vague et bleu de l'idéal Page 26. Souvent dans l'éden bleu de l'étrange idéal,
devant les chimères sans nombre. Que, frissonnant, sentant à peine que j'existe,
sombre J'aperçois à travers mon humanité triste. . .
4IO LES MANUSCRITS DE TOUTE LA LYKE.
Je ne saà pat pourquoi
Je sens que par devoir j'écris toutes ces choses. ..
Est-ce que par hasard, grande haleine insensée
tu viens visiter Des prophètes, c'est toi qui troubles ma pensée?
gouverne ? ''•
Est-ce que j'obéis? est-ce que je commande?
suprême Le cavalier terrible ou le cheval farouche. . .
Rangez-vous
Ouvre2-vous que je passe, abîmes, gouffre bleu...
Ai-je Le chemin est-il long encore? est-ce fini, est-ce bientôt l'heure que Page 27. Seigneur? permettrez-vous que bientôt je m'endorme?
XIV. MON AME ETAIT EN DEUIL; C'ETAIT L'HEURE DE L'OMBRE.
et c'était l'heure sombre. Page 2 8 . Mon âme était en deuil ; c'était l'heure de l'ombre.
une église
L'ombre était comme un temple immense aux triples voiles.
XV. JE TRAVAILLE.
Page 29. Je travaille. Ce mot, plus profond qu'aucun autre, /e forçat Est dit par l'ouvrier et redit par l'apôtre.
fierté Le travail est devoir et droit, et sa beauté. . .
mètres Et tous ces arrangeurs de rhjthmes et de mots, Homère, Page 30. Pindare, Eschyle, Job. Plaute, Isaïe, Amos!
penseur Du songeur De l'homme qui, saignant et calme néanmoins,
penser Tâche de songer plus afin de souffrir moins.
(') Variante sans rime.
VARIANTES ET VERS INEDITS. 411
XVI. TU ME DIS : FINIS DONC TON LIVRE DES MISÈRES.
jésuites, à
Page 31. Il ne peut pas songer aux aflfeires de Rome, ^ Louis À monsieur Bonaparte, à Faucher, à Mole.
XVII. gUAND JE MARCHE A MON BUT AUGUSTE. .
l'orage Page 32. Ni la haine où je suis en butte,
dévier. Rien ne me fera chanceler.
Si le monde croulait, sa chute
m'eÉFrayer.
M'écraserait sans m' ébranler.
XIX. À UN ENFANT.
son souffle Page 34. Qu'avril mêle à l'aurore et qui dure un moment. . .
Nous vous suivons de l'œil. Votre sort nous émeut. . .
suit
Page 3 5 . Car le sort menaçant nous tient dès le berceau. . .
devant la deStinée étrange.
Cette femme a subi plus d'une épreuve étrange,
Vut grande; sache, enfant, qt^eUe eli grande, et retiens Enfant, c'est toi qui dois l'en consoler. Retiens. . .
Jadis à nos yeux
Naguère elle brillait aux regards éblouis,
que le vent Pareille au mois de mai qu'un zéphyr tiède effleure.
chaste noble pensée
Page 36. Mais la pensée auguste habite son œil fier. . .
Elle est le firmament
Car elle est la clarté de ton aube qui naît.
fièrc Car elle est brave. . .
412 LES MANUSCRITS DE TOUTE LA LYKE.
mile c'eît un ferme
Car c'est un ferme esprit ! car c'est un vrai courage !
je te dis tout , Jamais, retiens cela, quoique tu sois petit...
esprit Mais un profond azur emplit son âme sombre.
Elle marche à travers la vie, âpre foret, L'œil baissé j le cœur haut, pure et calme.
Et regarde au delà des rameaux. . .
une âme
Car, conscience pure, elle est un esprit triste.
pleuré souffert
Page 37. C'est qu'elle a tant gémi dans ces lugubres voies...
ciel Si le sort m'eût donné , sainte et charmante loi ,
Ce grand devoir de fils qu'il te confie à toi,
je l'eusse servie avec un cœur fidèle, Oh ! comme elle eût dormi sous ma garde fidèle. . .
doux front qui t'a donné Pour cet être au front pur à qui tu dois le jour. . .
l'iniquité
Page 38. Est-ce l'adversité qui sera la plus forte.?
XXI. PAl MENE PARFOIS DUKE VIE.
^ guerres
Page 40. O vaincus des luttes civiles.
Malheur à vous ! rien ne vous sert.
traversé de grandes J'ai le soir traversé des villes. . .
souffrir Page 41. Pleurer est bon, mourir est beau.
XXII. A DEUX ENNEMIS AMIS.
de ces flots noirs Page 43. Du bord des mers sans fond qui jamais ne pardonnent. .
Toi, n'es-tu pas celui qui va, monte, descend,
Vlane, la plume fée
Ne tiens-tu pas ta plume au vol éblouissant.
VARIANTES ET VERS INEDITS. 413
temps Qui touche à tous les fronts, qui perce tous les voiles, D'où tombe Et jette sur Paris un tourbillon d'étoiles ?
De la 'vient que depuis lors Page 44. Et maintenant chacun de vous, dans son domaine...
Montre'jr^ à cette
Faites voir
Apprenez à la foule, à qui manquent les dieux. ..
triomphe Page 45 . Donnez-moi ce bonheur au fond de mon exil. . .
Brillez,
Jumeaux, redevenez frères à tous les yeux.
réjouir Montrez que les rayons veulent consoler l'ombre,
n'a frappé , rien n'a trahi ,
Vous que tout couronna, vous à qui tout sourit. . .
XXIII. D. G. D. G.
sombre Page 46. 0 noire voûte étoilée. . .
tu fis de noirs problèmes Page 47. Dieu, c'est la nuit que tu sèmes
En créant
Nos jougs et nos diadèmes;
Les hommes, ces noirs problèmes;
larves Nous sommes les masques blêmes. .
l'ombre et la houle, la sombre foule Nous sommes l'algue et la houle, O semeur ! passons. Nous flottons, le vent nous roule. ..
Hous insultons, âmes
Page 48. Dieu! les hommes, têtes basses,
Cceurs Yeux charnels.
Insultent l'ombre
V ombre sereine
Raillent l'abîme où tu passes. . .
414 LES MANUSCRITS DE TOUTE LA LYKE.
la nature j Ils insultent l'aube pure. L'air vital ^^\
L'idéalj la créature ^
Le beau, le vrai, la nature. Et la fatale
Et cette sombre ouverture : he tombeau !
L'idéal! Tu nous souris et
A .
Page 49. Ame, tu souris, tu penches...
XXIV. UN SOIR.
^ splendide Page j 2 . O sereine beauté des cieux !
Murmurait :
Murmura : Viens ! adorons-nous !
Fuyons !
Vivons !
ECRITE EN
XXV. LETTRE DE L'EXILE ARRIVANT DANS LE DESERT.
dures
Page 53. Je cherche à rencontrer dans ces rudes forets,
rocs caps Dans ces monts , quelque ami tragique que j'aurais. . .
J'aime la mer. La mer me plaît. . .
Amsi l'aUer trouver bien vite
Je l'aime. Aussi l'aller trouver est ma coutume
croître en moi dans mon impatience^'''' Quand je sens dans mon cœur monter sous le ciel bleu.
m'apaise Elle me calme avec son souffle de nuée.
Ma haine dans
Ma colère en
Ma douleur dans ses flots s'endort diminuée.
(') La variante, écrite au crayon sous le texte (^) Le dernier mot est douteux. Pas de rime
définitif, est illisible. à cette variante.
VARIANTES ET VERS INEDITS. 415
fabime
Je fraternise avec le gouffre volontiers.
L'aquilon
L'ouragan
La trombe passe, ôtant la violence aux
Page 54. L'autan passe, arrachant l'écume de nos cœurs...
obscurs méchants Devant ces grands flots noirs, moins troubles que les hommes...
chocs
On contemple les plis de l'eau rauque et profonde. . .
songeur Et l'on devient pensif dans la proportion De l'abîme Du prodige, et l'on sent que le courroux s'eflFace
cette otide au fond calme
Sous ce flot calme au fond et fauve à la surface.
fai rencontré tant Amij z/ois-tUj /ai vu tant
J'ai VU tant de néants, tant d'hommes et de choses. Tant d'immobilités, tant de métamorphoses,
tant de chiens et de loups j Que je suis las. Après tous ces chiens, tous ces loups. Après Mornjfj UeuiUotj Dupinj Dupin, Montalembert, Veuillot, Proudhon, Falloux. ..
bonze
Après ce reître, après ce juge, après ce prince...
en^n L'onde, et je me repose, ami, dans la tempête.
XXVI. 6 DOUX ÊTRES ! MA JOIE ET MON AMOUR SACRE !
Vous , mes aiglons , toi , ma colombe ! ■P'^g^ 5 5- Ce sera comme un soir qui tombe.
pâleur Pendant que je dirai, la sueur sur le front...
XXVII. A L'HEURE OU LE SOLEIL SE COUCHE.
rameaux
Page 5 6. Eflaré sous les arbres noirs. . .
grandir
Croître et monter autour de moi !
4i6 LES MANUSCRITS DE TOUTE LA LYKE.
mes Du monde où sont ces espérances Du monde où sont mes souvenirs ! Que nous appelons souvenirs !
profondeurs C'est que des espaces funèbres. . .
obscurément
Page 57. Dont je frissonne doucement!
leur doux re£
Fixent leurs yeux profonds sur moi !
XXVIII. J'ASPIRE A M'ENFOUIR SOUS LES ARBRES. JE SUIS.
Où la foule autour d'eux ^ abonde incessamment , Page 58. Et qui, dans une cage enfermés tristement, Ht qui, dans une cage enfermés tristement. Voyant la face humaine avec étonnement. Avec les mouvements
Font tous les mouvements d'un serpent qui se sauve, À travers les barreaux passent leur museau fauve. Inquiets, sombres, cherchant
Et sombres, effarés, pensifs, cherchent à voir...
Un trou profond caché dans un fouillis champêtre.
XXIX. A JEANNE.
Sous ce ciel bleu, noir.
Page 59. Je suis triste j le sort est dur; tout meurt, tout passe...
[vis, écoutant] Tu n'en sais rien ; tu ris d'écouter dans l'espace
[Voyant] Ce qui chante, et de voir ce qui" s'épanouit.
graves Devant l'effarement des sombres don Quichottes. . .
Certes, si je pensais que j'assombris ton âme...
triite Hélas sombre
Jeanne, la vie est morne, et l'on gémit parfois..,
i:-! (-^VARIANTES ET VERS INÉDITS. 'IIJ 417
XXX. SI DANS CE GRAND PARIS, O CHARMANTE INFIRMIEREr.Ay.
Clément j m^eHr optant sans trop de violence. Page 60. Ou si quelque hulan m'octroie un coup de lance^ :'o s^jj^
Je ne me ferai point porter à l'ambulance
doux sourire /mn 3l fHj.u Jci
OÙ votre pitié douce accueille le blessé. . .
Non, je n'irai point la, de peur, femme -îV^îU Si iJ
Je n'irai point, de peur, infirmière adorable. . .
XXXIII. UAgmLON change, et met la poupe ou fut la proue. . .
o .ï^l.
abaissé . j v J lu'- -■
Page 6^. Ce qui semble tombé riposte en se levant.
Oh f les rois trembleront avec leurs capitaines. Nous reprendrons nos droits, nos terres, nos provinces. Le vent qui soufflera ce jour lit dans les plaines. Et le vent qu'il fera ce jour-là, rois et princes. . .
.j. i. y :\\. .Zixxz
Le ciel, car l'infini
Le firmament, car Dieu ne fait rien à demi. . .
XXXIV. AVE, DEAj MORITURUS TE SALUTAT.
. :i Jil .iiiJ'jb oi iUp Mik lorn jjJ Vivez, ^ "^
Page 64. Brille2, je meurs!
- .i i-jûj. /:jj. >-rfjji -jup •jidrno'i j\j î^ XXXV. ENVOI.
•jbsJ cette epitre
Page 65. Mets sous clef ce poëme, et n'en parle à personne.
en son chenil "'r '-' '-^ ^'À^-^
Et rentre dans sa nuit sitôt qu'il a cessé.
XXXVI. PYGMEE ET MYRMIDON, C'EST HAINE ET CALOMNIE.
Mais ces affronts ne sont '> -1- ^'-H i^iuLtJOV sn 3i cIlU
Page 66. Après tant de travaux, après tant de combats. . .
les moqueurs
par
1 outes tes œuvres sont par Zoile maudites. . .
, empoisonneur ..:.;^'.;:.
Page 67. Voleur et meurtrier. . . j jaiji^i nu i?3 -jr/iving c^ '-^^i
POÉSIE. — XIII. 27
lUI'BmLRIE nATlOMLE.
4l8 LES MANUSCRITS DE TOUTE LA LYKE.
XXXVIl. JE LA REVOIS^ APRES VINGT ANS, L'ILE OU DECEMBRE..,
près
Page 68. Les champs, les vergers, les fruits mûrs,
obscur Et dans le firmament profond, le même orage. . .
humble toit Et le même toit blanc qui m'attend et qui m'aime.
Car il n'est pas de plage, ou de montagne, ou d'île...
forêts •
Page 69. Oui, c'étaient ces hameaux, oui, c'étaient ces rivages.
C'était le même aspect mouvant. . .
XXXIX. JE VAIS DANS LA FUREUR DU GOUFFRE, DANS L'ECUME.
la foudre
Page 7 1 . L'abîme est sous mes pieds, l'éclair est sur ma tête. . .
l'orage , Et moi sur qui le deuil, la haine, la vieillesse —
eu mon cœur Et de l'ombre que laisse aux âmes le mensonge. . .
Le sort m'a hallotté
Le destin m'a jeté de tempête en tempête. . .
fuit
Page y 2. Ce qui mord, ce qui nuit...
De tous les flots
Des abîmes mouvants. . .
Mais je ne voudrais pas de ce sort pour un autre. .
XL. UN VIEILLARD EST SOUVENT PUNI DE SA VIEILLESSE. . .
chagrin Page 73. Survivre est un regret poignant, presque un remords...
VARIANTES ET VERS INEDITS. 419
XLI. A MADAME D'A.-SH.
le cœur plein de choses.
Page 74. Je passais, parmi des colombes.
Dans un cimetière, jardin S^, fait de tombes et de roses.
Qui, couvrant de roses les tombes,
un enfer sous un éden.
Cache le néant sous l'éden.
5e marchaii dans l'herbe
ce champ J'errais dans cette ombre insalubre
sépulcres sont OÙ les croix noires sont debout. . .
(^effleurait a travers les branches Qu^cffleura soudain sous les branches
rayon
Un furtif éclair du matin.
sous l'if et l'yeuse Il était là, sous une jeusc...
L«/ donnait dans l'ombre
Donnait à ce spectre un baiser.
Uoyant venir à lui la flamme, •P'^g^ 75- E,n voyant venir la lumière.
Comme au désert le noir Sina, Ce linceul de marbre d'une âme trafique ténébreux Ce sinistre linceul de pierre Vlein de ténèbres, rayonna.
chante Où pleure une âme, rayonna. . .
lame Ce n'était plus la dalle affreuse.
Droite et sinUtre loin du bruit.
Qui se dresse hors de tout bruit. . .
datte
Ce n'était plus la tombe où rcve. .
blanc. Et, calme, avait dans les ténèbres.
27-
420 LES MANUSCRITS DE TOUTE LA LYKE.
doux liseron Page 76, Le liseron fut ébloui,
Les fleurs lui jetèrent leur ■'■'■'■
Et l'œillet lui jeta son baume...
XLII. vous Qm, VAINQUEURS, AVEZ MIS, DEPUIS VINGT-CINQ ANS. . .">
0 vainqueurs de Décembre, ô chefs des noirs exploits j Page jj. Toi, prêtre, toi, soldat, chef des sombres exploits.
Soldats que hait t;,;
Que suit des yeux l'histoire triste, ' ,.,• ji,l) Juges escamoteurs Toi, juge escamoteur, qui du fourreau des lois
Tirev^ '^
Tiras le poignard du sophiste... ,_.i ^1 •Ti''i,
debout Cet homme qui longtemps, pensif au bord des mers. . .
XLIII. ru NOUS KEGAKDES, NUlTj GRANDE PASSANTE NOIRE.
Il défend les vaincus, \ r j
Page 78. Il offre asile au faible, à bas le misérable !
recul formidable
Lorsqu'on voit qu'un grand pas en arrière est sensé. . .
^ vainqueurs
Page 79. O noirs lutteurs. . . . , vvWA ivvuV. \^v,vs^««^v u^.\
XLIV. AH ! VOUS FAITES DU FROID DEVOIR VOTRE BONHEUR !
j Pour être libre, et c'est votre unique souci!
Page 80. Pour marcher le front haut, et c'est votre souci P
hideux
Forcés d'être valets et de se vendre au maître. ..
XLV. LA HAUTE HONNETETE, C'EST LA TOUTE MA GLOIRE.
Le peuple, après ma mort, placera ma mémoire... Page 81. O peuple, après ma mort tu mettras ma mémoire...
XLVI. L'ENFANT EST TRES PETIT ET L'AÏEUL EST TRES VIEUX. Page 82. Cette main de vieillard a sur plus d'une joue
Jadis fatt retentir
Autrefois élargi les sonores soufflets.
Que fait un aboiement ; ' , p, , îfTi'r;"» ' Qu'est-ce qu'un jappement de plus dans le chenil.''
• l \ '^'A^-
:\; VARIANTES ET VERS INÉDITS. 'lU 421
• XLVm. ECHAPPE A L'ERREUR.
traître ,v.,-.\v.vA ■.:!
Page 84. La mer n'a pas un pli qui ne soit triste çt.noir.giôrrt nO
Et l'orage, et, pareil à Colomb criant b ^I £ ni)
Comme Noé, Jason et Colomb . ,
Magellan i • I
Et comme Palinure et Colomb criaient : Terre ! ^'-' *-'
Comme Colomb criait à ses compagnons : Terre! " y''"*
le noir Thaïes, Milton, planer dans l'obscur firmament.
. , M; \' , ■^''Ik • f
l'abîme où grondent les —
Ainsi, malgré les chocs de l'onde, et ses huées. . .
Sachez, prêtres, que j'ai triomphé de vos songes. «; .^ n
Page 85. Prêtres, vous n'avez pu m'engloutir dans vos songes; "'"
Non, je ne me suis pas noyé dans Dieu ne m'a pas laissé noyer par vos mensonges. Je nage
J'avance. . .
T«-rf / l'échappement ^y% oyj;^
Je vis ! l'évasion du naufrage se prouve. . .
XLIX. APRÈS L'HIVER.
Le mal passe, l'hiver s'enfuit et Page 86. La nuit meurt, l'hiver fuit; maintenant la lumière,
deux profonds !
Divine, maintenant
Dans les champs, dans les bois, est partout la première.
On est
Je suis par le printemps vaguement attendri.
On sent
Je sens devant l'enfance et devant le zéphire
On ne sait
Je ne sais quel besoin de pleurer et de rire. . .
le ciel
Accourez, la foret chante, l'azur se dore. ..
bonhomme Je suis un vieux songeur et j'ai besoin de vous. . .
Tout comprendre^ accepter
Croire, remercier confusément les choses...
422 LES MANUSCRITS DE TOUTE LA LYKE.
divin On sent un souffle d'air vivant qui vous pénètre.
ressemblant vaguement à l'efFroi , Et l'amour, doucement ressemblant à l'effroi. On mêle sa pensée au clair obscur des eaux -, Et l'indistinH bonheur d'avoir autour de soi On a le doux bonheur d'être avec les oiseaux.
L'obscur fourmillement [des vagues hyménées]''' Et de voir, sous l'abri des branches printanicres, Où les petits okeaax font un tas de manières. Ces messieurs faire avec ces dames des manières.
L. QU'ES-TU, PELERIN? — JE ME NOMME...
Viens. — Mon âme est de nuit vêtue. a l'air de nuit
Page 87. Ton âme de nuit est vêtue.
LU. TU RENTRERAS COMME VOLTAIRE. Je rentrerai
Page 89. Tu rentreras comme Voltaire
[vieux] mon cher Chargé d'ans, en ton grand Paris...
Je serai
Tu seras l'hôte involontaire. . .
Je serai
Tu seras le mourant aimé. . .
^ mon
À ton seuil à demi fermé.
[Parfois marmot, parfois barbon,] [A la fois marmot et barbon , | Je serai
Tu seras marmot et barbon ;
Et j'aurai cette
Tu goûteras la joie honnête
me D'être si bon qu'on te croit bête
me Et si bête qu'on te croit bon.
''' Variante restée sans rime.
VARIANTES ET VERS INÉDITS. 423
Les brouillons, outre les variantes que nous venons de reproduire entre crochets, nous donnent une version différente :
Je suis un habitant des rêves ; J'ai devant l'ombre qui descend. Devant le flot rongeant les grèves. Le vague regard d'un passant.
Ne me prenez pas pour un sage. Ne me prenez pas pour un fou j J'aime à voir, enfant, ton visage. Et, madame, votre genou.
Quoique admirant peu d'hexamètres. Et n'aimant aucun attentat. Je dis confrère aux gens de lettres Et collègue aux hommes d'état.
Tout me charme et rien ne m^ arrête ^ J'abats le trône et non la tête ;
3e suis marmot j quoique barbon j On eii homme ^ quoique Bourbon j Je vois un homme dans un roi ; Je suis si bon qu'on me croit bête. J'ai devant la nuit, sombre fête, 'Et si bête qi^on me croit bon. Beaucoup d'amour, un peu d'effroi.
Je crois que les femmes sont faites Pour être diables quelquefois j La gentillesse des fauvettes
rêveur
Me retient pensif dans les bois.
l^es forêts ont des ombres saines; Je vous aime, ô bosquets bénis, Les bosquets sont des lieux bénis Lieux où les femmes font des scènes, OÙ les femmes nota font des scènes,
rossignols Oii les passereaux font des nids.
Tout me charme et rien ne m'arrête. Je suis marmot, quoique barbon j Je suis si bon qu'on me croit bête Et si bête qu'on me croit bon.
14 mai.
424 LES MANUSCRITS DE TOUTE LA LYKE.
' ijv on;; inonrinh eiion
VI ,,:/,..._,,,,.
';' i. I. L0Mj2£E MA MAIN FRÉMIT SI LA TIENNE L'EFFLEUKE. . .
sous ta main qui
Page 93. Lorsque ma main frémit si la tienne l'effleure, -;'/]
Quand tu me vois pâlir, femme aux cheveux dorés. . .
rayonner Oh, dis! ne sens-tu pas se lever dans ton âme
, aube sacrée, ■'[.)
L'amour vrai, l'amour pur, adorable lueur. . .
femme . ^
Page 94. Oh ! recueille ce chant, âme blessée et fière ! ^ '
Ange, ce qui
Cette aube qui se lève en toi, c'est le vrai jour.
Ton aile
Ton âme pour^^^'ciel et ton cœur pour l'amour !
II. OH ! SI vous EXISTEZ, MON ANGE, MON GENIE. . .
plus qu'une lyre. Page 95. Que tous les cœurs charmés ne sont, tant on l'admire,
amoureux Qu'un orchestre confus qui sous ses pieds soupire. . .
inconnue.
Il est ailleurs une âme, éperdue, enivrée. . .^î^' "3^ '
III. VOIS-TU, MON ANGE, IL FAUT ACCEPTER NOS DOULEURS.
L'éhlouissant matin n'a rien de plia charmant. Page 96. Rien n'est plus radieux sous le haut firmament.;!'
pure Deux cœurs, mêlant leur double flamme.
Une strophe isolée, publiée par erreur dans Vertiim Gerbe , répète, avec des variantes et dans un autre rythme, le début de cette poésie :
Oh ! l'amour est pareil aux perles de rosée Qui brillent aux feuilles des fleurs.
:\)r{VARIANTES ET VERS INEDITS. 425
Et qui sur la corolle au soleil exposée
Rayonnent de mille couleurs. N'approchez pas vos jeux, que tant de splendeur charme. De cette goutte d'eau qui reluit un moment.
De près ce n'est plus qu'une larme, 'l
De loin c'était un diamant !
V. vous M'AVEZ EPROUVE PAR TOUTES LES EPREUVES...
Il '■: 1
On me hait. Le mensonge et l'injure avec joie
Page 98. Mon œuvre est difficile, et ma vie est amère.
Mâchent entre leurs dents mon nom comme une proie. Les choses que je fais sont comme une chimère.
J'ai vu de ma candeur rire la trahison.
Après le dur travail et la dure saison. . .
ardente La jalousie amère et l'injuste soupçon
incurable ' • '^ '
L'ardente jalousie, acre et fatal poison,
souvent Ont parfois dans mon cœur,
A dans mon cœur profond, qui brûle et se déchire... ,.'î
cherchant le céleste
J'ai vu, pâle et des jeux cherchant votre horizon. . .
Tremblant par l'endroit même en qui
Et je tremble souvent par où tout autre espère.
juste Et je vous remercie, ô maître amer et doux,
qu'avec crainte je nomme, Car vous avez. Dieu bon. Dieu des âmes sincères. Infligé tous les maux que peut souffrir un homme Mis toutes les douleurs et toutes les misères A mon cœur douloureux
Sur moi, sur mon cœur sombre en vos mains comprimé. Hors celui-là , Seigneur, Hors le pire de tous, aimer
Excepté celle-là, d'aimer sans être aimé!
VI. SAIS-TU CE QUE DIEU DIT A L'ENFANT QUI VA NAITRE ?
c . \K\ 'A TA A\lV5.l k.l '. )\<A .iZ
Sachons
Page 99, Sais-tu ce que Dieu dit à l'enfant qui va naître?
sa paupière tremble et s'ouvre
Quand cet humble regard s'entr' ouvre à notre jour. . . • ?o i ajï»:*^!
426 LES MANUSCRITS DE TOUTE LA LYRE.
VII. CERTEj ELLE N'ETAIT PAS FEMME ET CHARMANTE EN VAIN. Et ne se guindait s'abaissait
Page I oo. Ne se refusait point et ne se livrait pas.
VIII. ROMAN EN TROIS SONNETS. Cela ditj
Page I02. N'importe, je m'obstine j et j'ai l'audace étrange
gueux
D'être pauvre et d'aimer. . .
C'eH pourquoi je vous offre, Égléj belle étonnée j
, couturière
Et je vous offre, Églé, giletière étonnée. ..
IX. CHANSON. — IL SUFFIT DE BIEN PEU DE CHOSE.
na'if cœur pensif
Page 103. Au doux rêveur qui veut aimer.
X. HERMINA.
augtute
Page 1 04. J'atteignais l'âge austère où l'on est fort en thème. . .
Ce quelqu'un je l'avais trouvé. Fleurs ! Branches vertes !
quinzième
douzième ^
J'entrais dans ma treizième année. O feuilles vertes ! Les Chloés, les Phyllis enchantaient mon printemps. Jardins ! croissance obscure et douce du printemps !
Et je la contemplai J'adorais
Et j'aimais Hermina dans l'ombre. . .
on ne sait quel trouble Un jour, j'eus comme un cnant d'aurore au fond du cœur.
XI. OHl LA FEMME ET L'AMOUR ! INVENTIONS MAUDITES ! Quelle calamité !
Page 105. Orage ! être jaloux !
VARIANTES ET VERS INEDITS. 427
hlancs ! Compter ses cheveux gris ! Faire mille sots rôles !
jouer tourner
"V^ir reluire autour d'elle un tas de jeunes drôles !
Du diable maintenant si j'approche une femme ! Page 1 06. Je ne veux de ma vie approcher d'une femme !
L'air du soir
Les fraîcheurs...
XII. J'ETAIS LE SONGEUR QUI PENSE. (Autre titre : tkoPj cest moins.)
étoilées Page 107. Les profondeurs constellées...
hymne Je rêvais un ciel étrange
£« écoutant sa chanson.
Pour notre éternel hymen.
— Qu'étes-vous ? criais-jej un ange?
garçon.
— Moi! disait-elle, un gamin.
La suivre au ciel pâle et morte Page 108. Me casser pour elle un membre. ..
à sa porte Un jour je vins dans sa chambre. . .
Ferma la porte à
Mit à la porte l'amour.
XIV. ELLE VINT QUE J'ETAIS EN TKAIN DE LIRE HOMERE. Jeanne
Page III. Et Suzon m'emmena foulant sous sa bottine
Cromnos, , ,
Lcmnos, Egialée et la roche Erythine.
XV. VOUS NE LA FUYEZ PAS, OISEAUX, PETITS FAROUCHES.
J^ passe dans l'horreur de notre terre sombre Page 112. Cette grâce au milieu de nos laideurs sans nombre. . .
428 LES MANUSCRITS DE TOUTE LA LYKE.
XVI. COMMENCEMENT D'UNE ILLUSION.^'^."^"*^''"
mouvement ' )jii!: •jTauyi iioV
Page 113. Adieu le tumulte des têtes. . .
' 'ûague '!! 'jb XFi^y yrt ijl .f)oi o^j-,'!
Page 1 14. Où l'on sent une sombre crainte. . .
Sa vitre vague où se dessine. . .
C'efî une tranquille : < iM/Và'l .îiZ
Ma voisine est une ouvrière. . .
être Cet ange ignore que j'existe, t -. f r,
flâner 1
rî
Et , laissant errer son œil noir. . .
XVIII. TOUTE LA VIE D'UN CŒUR. (Autres titres : toute l'histoike d'un vieux cœuk. — l'histoike de tous les cœuRi'''^)
1817. — ADOLESCENCE.
Les nymphes, "Venus, Diane '■ ■■' ,oOl •.•■'!■"'
Page 1 16. Qui.? La Vénus, l'Hébé, la nymphe chasseresse.
méditais ': in' ft .'
Je restais là stupide au bas des piédestaux. . .
Sur le carnet de 1872 nous trouvons l'ébauche des derniers vers :
Autant vaudrait, pensif au bas d'un piédestal. Attendre, curieux, que le vent sous un arbre Soulevât les jupons d'une Diane en marbre.
1820. — PRINTEMPS. MAI LE PÉCRETE, Et c'eST OFFICIEL.
branchages superbes les boii, les eaux, les nids Page 117. Emplit l'azur, les champs, les prés, les fleurs, les herbes..'.
'') Variantes prises dans le manuscrit de L'Art d'être Grand-père, folio jij.-'^-J • ■
.:i;iX VARIANTES ET VERS INÉDITS. :;HJ 429
1833. — À. J. — PUISSE LE GAI PR.INTEMPS HEi^lENT DANSEK ET R/R.E. . . frais
UilllbCl CL lUC
mon avec mon
Puisque le gai printemps revient danser et rire,"
Puisque le doux Horace et que le doux Zéphyre
dans les fleurs, les les
M'attendent au milieu des prés et des buissons. . .
:.+?i
les deux Puisque le vent murmure et dans l'azur disperse ' •^~ ' ^u^"
L'a'ntr r]
Page 118. La brume et la nuée en flottants archipels,
charmants Il me plaît de répondre à ces profonds appels. . . '^
les Hrophes planant en foule sur '•'
Et la Strophe qui vole au-dessus de mon front. .. •'^' ^^^^■
Écoute j tout efî plein , >
Les halliers noirs '■''' ^"-^
Les frais halliers sont pleins de pudeurs aux abois,
ramiers Femmes, oiseaux, tout cède et les baisers se mêlent... -
la fleur s'offre.
L'eau soupire, le Ijs s'ouvre, le firmament. .. xix
diiï^-à.- PROMENADE. ^ "''"'rf """J ^'''"^ •'- ' ' ^W'^
.jri-jiji», ii'jr.'.l
Cherchons les boa. — ^
Je t'adore. Soyons deux heureux.
oh l que ne puis-je faire éclore quatre murs ^-'M-^^ " 1JJ03 !ù IfJO 1 bâtir
Que ne puis-je élever brusquement quatre murs
sombre Ici, dans ce coin chaste, et d'un coup de baguette!
mystérieux La nature est un œil invisible qui guette j ' . ^^'^^^
Vaixl Glissons-nous J cette ombre entend j '^ '-^'j *^ ■-^"' *' ^•' '^ ' C- ^ ' ^r}' ^
Glissons-nous ; le silence entend j défions-nous. . .
Ame ? ouij
Car, moi, je ne suis pas autre chose qu'une âme...
Car aux concessions de l'amoufj - '■ ' '■'' ' -^^ .iZX
Page 119. L'amour aime les yeux fâchés de la pudeur.
Donne on ne sait quel charme adorable et
Et rien n'est plus charmant qu'un paradis boudeur. ■ ^^J^^
430 LES MANUSCRITS DE TOUTE LA LYKE,
humble gloire obscure
Une gloire ineffable est à l'amour mêlée. . .
Belkj un lit de bruyère e!t indiscret peut-être.
Reprendre? Non. Pourquoi ? Donner encor.? Peut-être.
ha branche qui remue eft parfois un peu traître.
Cachons-nous. Une branche a remué. C'est traître.
1840. — MAI. — iE NE LAISSERAI PAS SE FANER. LES PEKVENCHES.
Page 120. Je fuirai de la ville et je m'envolerai, Ceft pourquoi je vais faire une course profonde Car l'âme du poëte est une vagabonde , haJliers
Dans les ravins où mai plein de roses abonde. . .
revent
Là jasent les oiseaux, se cherchant, s'évitant;
Trop attentifs peut-être aux mensonges du vent j
Toinon Là Margot vient quand c'est Gljcère qu'on attend. . .
que le soir poudreux fait
Ses chevaux las souvent au point de haleter. . .
XIX. L'AMOUK N'EST PLUS L'ANTIQUE ET MENTEUR CUPIDO. qui, la lance
Page 122. C'est un fier cavalier, la visière baissée.
L'oeil ardent,
Qui brise et foule aux pieds la Haine terrassée. . .
Tour à tour il regarde, avec un œil joyeux...
XX. OK NOUS CUEILLIONS ENSEMBLE LA PERVENCHE.
Mon menton blanc n'avait poi de Page 123. Ma joue à peine avait un blond duvet.
jupe sa robe
Elle avait mis son jupon du dimanche.
XXI. IL ETAIT UNE FOIS UN CAPORAL CIPAYE...
que des blocs informes. Page 125. Vous n'étiez rien qu'un marbre informe , jusqu'au temps.
VARIANTES ET VERS INÉDITS. 431
XXII. UN COUP DE VENT PASSA, SOUFFLE LESTE ET CHARMANT. ,
Page 127. Je l'adorais. Mon âme allait dans l'empyrée. . .
suiSj éperdu.
Je la contemple, ému, tremblant, brûlant, transi,
je cherchais Et je vois de la chair où j'adorais une âme !
Adieu. C'est fini. Soit. Le songe est fini. Ce n'est donc qu'une femme obéissante
Qui marche sur la terre, et se retrousse au vent !
XXVII. J'AVAIS DANS MA MANSARDE UN BUSTE DE PLATON..
ayant l'ombre et la Page 132. — Ou d'Euclide — un vieux marbre ajant barbe au menton.
de Bréda
- Qu'au temps où des amours je gazouillais l'argot. . .
XXVIII. VIRGILE DANS L'OMBRE. J'adore
Page 133. Je chante Ljcoris si Gallus le désire. . .
Pour peigner les cheveux divins d'Amaryllis. . .
XXIX. OUI, JE SUIS LE REGARD ET VOUS ÈTES L'ETOILE.
reluisez.
Page 134. Je contemple et vous rayonnez!
flotte et vous me conduisez ! Je dérive et vous m'entraînez !
XXXII. L'HEURE SONNE. UN JOUR VA NAITRE. flotte
Page 137. Qui ne tremble à quelque vent.?
432 LES MANUSCRITS DE TOUTE LA LYKE.
Laisse , hclas ! Va.
Un ! laisse luir le nuage !
passons Page 138. Tout passe, et nous pleurons tous ! . ■b^'i jI .-ir 3;ij:*î
XXXIII. A DEUX SŒURS.
Page 139. Belles, vous passez, pures toutes deux j '
CAïf^ Us hommes j sans 'vota occuper d'eux. . r ;, p
Que vous fait ce monde ingrat et hideux? "' ' '
•■ ....... :,;,-' ■^à'ywAïi wAJ
XXXV. mVEA NON FRIGIDA.
prouvait Page 141. Elle prouve'que la blancheur
N'ôte à la femme
fièvre -LiLu^JL ij() - -
Aucune ivresse, aucun bonheur...
XXXVII. À MADAME J. candeur
Page 143. La blancheur fière. . .
I ::!.!;,.)«!/ .fiiv//
XXXVIII. JE NE SAIS PAS POURQUOI LES FEMMES. . ,
fktale -.ri, yoj/Oib 0I i^u^nq luo^I
Page 144. La beauté, céleste et sereine...
Rions !
Qu'importe ! Espérons ! Tu me charmes.
Uangêlm sonne aux vieilles tours.
Le ciel est bleu, les bois sont sourds. .i.>j -jl. .f ; i 3y£*{
XL. LA FORÊTi'Ov î3 3'/irj|j 'j\, ^
Parce qu'une eau joyeuse Parce qu'un peu d'eau sombre errait sous Page 146. Parce que les oiseaux couraient dans les glaïeuls...^'""
Elle avait peur. De quoi ? '.^;> '■
Elle hésitait. Pourquoi.'' Soleil, azur, rosées. ..ii niC) .\ii a;; '
VARIANTES ET VERS INEDITS. 433
clairière
Elle vers la campagne et moi vers la foret.
i'ébauchaii des projets très obscurs, je souffrais.
J'étais le plus heureux des hommes, je souffrais.
herbe J'étaii heureux j quelle ombre Que la mousse est épaisse au fond des antres frais !
tremblants Et nous restions pensifs, muets, vaincus, vainqueurs...
jamais
Je n'avais encor vu qu'un peu de son épaule.
XLI. CHANSON.
LE PRINCE DE JOINVILLE. si la France la tente
Page 148. Tu diras à ma sœur, tu diras à ma tante.
XLIII. FURENS FŒMINA.
s exaspéra Page 151. Alors elle frappa du pied, gronda, pleura.
qu'elle montrait Elle ne voyait pas que je voyais son sein.
XLIV. CELA LA DESENNUIE; ELLE VIT TOUTE SEULE.
Elle coudj et Page 152. Elle échange de loin, et pour se reposer, ESe échange un regard et parfois Un regard, et parfois, de la main, un baiser...
Ont moins d'ombre et d'azur qu'un
Ne sont rien à côté d'un cerveau de vingt ans...
n'être plus qu'un songe. Dans la nuée au point de finir par un songe. . .
POESIE. — XIII. 28
■ MrMmiUE RtTCOirilB.
434 LES MANUSCRITS DE TOUTE LA LYKE.
XLV. CHANSON DE CELLE QUI N'A PAS PARLÉ. (Autres titres : vous m 'avez souvent dit : je T'Aimb. chanson.
LA CHANSON DE LA JEUNE ÉdITH, — 'VOICI CE QUE CHANTAIT EDITH.)
se plaint pas Page 153. Dont on ne parle pas tout haut.
ce mot Je refusais l'aveu profond.
qui va s'éclipser Page 154. Ce doux mot, qu'il faut elfecer. ..
XLVI. 0 TOI D'OU ME VIENT MA PENSEE.
Éclairent les sacrés Page 155. Brillent aux célestes plafonds !
fille Je songe à toi, qui viens des deux,
belle A toi, grande âme emprisonnée. ..
je sais qu'elle est la première, Moi, je te connais tout entière Je la contemple à deux Et je te contemple à genoux. . .
Page 156. Le ciel qui lui devait un trône
M'a refusé sa Lui refusa la liberté !
Tu te sens prise par le monde
amer
Qui t'épie, injuste et mauvais.
Et dans ta faiblesse ta réflexion
Dans ton amertume profonde. . .
transports Ces plaisirs où rien n'est amer. . .
propos Le doux mot
Page 157. L'entretien furtif et charmant.
Et la mélancolique ivresse enchantement D'un ineffable épanchement !
VARIANTES ET VERS INEDITS. 435
le monde Purs transports que la foule igaore. . .
Abandonne,
Page 158. Laisse donc, ô ma douce muse. . .
XLVIII. OH ! DIS, TE SOUVIENS-TU DE CET HEUREUX DIMANCHE ?
rcvais
Page 161. Tu songeais dans ses bras. Heures trop tôt passées !
cœurs et souffles, Oh ! comme vous mêliez vos âmes, vos pensées !
pensifs Tes yeux rêveurs brillaient, pleins d'un vague sourire.
charmant
Ton visage pensif, tour à tour pâle et rose. . .
entretien Dans ce doux abandon, des anges seul connu,
timide Se poser sur son pied ton pied charmant et nu.
XLIX. GARDE A JAMAIS DANS TA MEMOIRE...
, o mon ange, en
Page 162. Garde à jamais dans ta mémoire. . .
Ta robe flottante
Et ta robe blanche où s'attachent. . .
val
Du bois charmant. . .
purs ébats
Page 163. Nos doux combats. . .
loin des yeux moroses Là, cachés au milieu des roses...
Si doucement Paisiblement. . .
parfumés
Page 164. Bois embaumés...
28.
436 LES MANUSCRITS DE TOUTE LA LYKE.
Car, aimer, c'est la loi suprême,
Car c'est la loi ! tout vit ! tout aime !
L'unique mot !
Aime ! il le faut !
ZJie»s chercher la grotte bénie Cherchons la grotte rajeunie. . .
au corset d'or
Page 163. La mouche aux ailes d'or qui passe,
L'herbe L'onde et le vent. . .
L. AH ÇA MAlSl QJJELLE IDEE AS-TU, CAPRICIEUSE. . . La mousse nous attend
Page 166. L'herbe s'offre à nos pas dans le bois attiédi,
d'Arco/e
Je te parle d'Eylau , d'Essling et de Lodi !
pères Oui, nos aïeux régnaient par la guerre, et leur taille Fut superbe Était haute, et mon père était un des géants.. .
fussions-nous
Nous combattrons comme eux, dût-on être engloutis.
nous ressoufflerons dans le la terre Et le monde entendra notre clairon sonore. . .
Chloé charmante fraîche
Lorsqu'il a près de lui Barine, émue et rose...
N'exige pas de moi que j'étonne ces boà^'^ Vais-je donc étonner ces bois, ces prés, ces eaux...
cacher des nids que ces branches doux
C'est pour le jeune amour que les forêts sont faites.
harmonie j ombre. Belle, ici, tout est joie, accord, silence, paix.
Page 167. Janvier part, floréal accourt; le dialogue
fraîche
De l'hiver qui bougonne avec la vive églogue
Se mêle au vent
Tourne en querelle. . .
'^' Variante restée sans rime.
VARIANTES ET VERS INEDITS. 437
Floréal a
Les arbres ont besoin, belles, de votre rire...
Chante,
Aime, et baigne en chantant tes pieds nus dans la source.
stupide Il sorte le conseil insensé d'être sage, De ne point s' emb rosser, d'être des lœitrs éteints. D'être froid, de ne point s'approcher de trop près,
aveugle attraits sourd in^inlts
D'être sourd aux instincts, d'être aveugle aux attraits. ..
bataille au 'vague et fauve Page 168. Et la rauque bataille au tendre hymen d'avril? Matin. Jeunesse. Ayons pour souci Ayons pour seul souci, mon ange,
Belle, ayons pour affaire unique l'arrivée...
LU. HOKACE, ET TOI, VIEUX LA FONTAINE..
Mourir la joie et fuir Page 171. Fuir la joie et mourir l'amour.
^ La Fontaine
Hélas! vieux Jean, ce qui s'efface...
Lin. CHANSON. — BON EMPEREUR, VOUS ÊTES MAITRE.
chose grande et Page 173. Mais la difficulté suprême ,
La chose impossible toujours Où les roè échoueront toujours Plus haute que remparts et tours. . .
LIV. A FORCE DE REFER ET DE VOIR DANS LA PLAINE..
Et je me sens bien triste Page 1 74. Et pour moi tout est sombre, et chaque jour qui passe Me semble plus voilé, plus noir et plus fatal. Est de la nuit qui tombe, et, sans air, sans soutien,
cette douleur ce mal profond Car j'ai ce grand ennui de n'avoir plus ton mal. Je souffire, et c'est mon mal de n'avoir plus le tien.
438 LES MANUSCRITS DE TOUTE LA LYKE.
LV. LES PÉRIPÉTIES DE L'IDYLLE.
L'heureux
Le frais papillon cherche Page 175. Le papillon souhaite un calice et le trouve. . .
L'a7ur Oui, souris-moi. L'été c'eff Tu souris. Le printemps est un épithalame. . .
au fond des forêts Cupidon vient dans l'herbe agreste se tapir
Midas sots
Et rit de voir les fous le chercher dans les villes.
d'altieres Essayons. Ah ! tu prends de graves attitudes.
corps, comme les âmes
Page 176. Et que ces deux baisers, sans maître, espèces d'âmes...
No». T» z^eux manger. Soit. Tu dis :
Que veux-tu ? Tu réponds : Manger, j'ai faim. Tu règnes.
haisers Page 177. Je voulais des soupirs, toi, tu veux des chansons.
"Virgile Quand Catulle avait bu son petit vin sabin
Délie Il ne se gênait pas pour voir Gljcère au bain. . .
VhjUodoce et Ménalque Page 178. Quoi ! pour que Ljcoris et Virgile s'en aillent,
de Flaccus Quoi ! pour chasser d'auprès d'Horace Lalagé. . .
LVI. JE PRESSAIS TON BRAS ^I TREMBLE. N'oublions jamais cette heure!
Page 179. Je pressais ton bras qui tremble 5
vers ta demeure, Nous marchions tous deux ensemble. . .
LVII. AU BAL.
nuage Page 180. Dans un tourbillon de lumière.
VARIANTES ET VERS INÉDITS. 439
LVIII. NOUS ETIONS j ELLE ET MOI, DANS CET AVRIL CHARMANT.
Nous cherchions une source,- Page 181. Parfois, près d'une source, on s'asseyait un peu.
d'un œil pensif En regardant autour de nous les pâquerettes. . .
purs liserons de perles
Et les frais liserons d'une eau pure arrosés. . .
LIX. AUJOURD'HUI GALATEE AUX LASCIVES EPAULES...
Page 182. Seraient des Pamélas jouant les ingénues
Au Mont Parnasse
Lazari avec
Chez Bobino, prenant un banquier pour sultan. Et vivant à l'abri
discret Sous l'ombrage sacré d'une mère en tartan.
LX. DANGER D'ALLER DANS LES BOIS.
tremiJe
Page 183. La feuille s'émeut comme l'aile
grands Dans les noirs taillis frémissants. . .
LXL TOUS DEUX — EST-CE A TIBUR ? EST-CE A VILLE-D'AVRAY ? (Autres titres : castitas vanitas. — es italie.)
Le mystère eB aux cœurs dans^^'' Page 185. Mon cœur en plein mystère et ma vie en plein jour. . .
miSe adorables choses^*^ Pendant qu'elle disait ces choses idéales. . .
Çhj dit un ciieleur d' ''' dorien,
Page 1 86. ■ — Oui-dà, dit un sculpteur persan ou dorien, ion lAvant qui dès l'aube De ceux dont le génie au cabaret trébuche. . .
(') Variante inachevée. — '*) Variante sans rime. — (^) Mot illisible sous la rature.
440 LES MANUSCRITS DE TOUTE LA LYKE.
LXII. L'OUTRAGE PEUT ETRE AUSSI DANS LA CARESSE.
Fiers géants que la Page 187, Les flots sont une populace
Poursuit de son
rocs Qui jette aux caps l'afFront amer;
à pleines sur qui les flots crachent par mille Les rocs sentent sur eux cracher ces mille bouches ; Etalent sur leurs fronts Ils ont sur leurs faces farouches. . .
Fleurj pourquoi brilles-tu dans
eH la perle de l'herbe; La fleur radieuse est dans l'herbe. . .
LXin. LA BELLE S'APPELAIT MADEMOISELLE AMABLE.
J'en demeurai
J'en suis resté Page 189. Bonsoir. — Ce qui me fit furieux. D'autant plus Que c'est elle, parbleu, qui m'ennuyait. Je plus Trois semaines plus tard, Ensuite, éperdument, à je ne sais plus quelle...
Une, Agnès, accorte. Page 190. Une, Lise, accepta mon cœur sous ses talons...
Vuii je fus chassé par la tempête.
Patatras ! la femme Trois progrès. Mais, hélas, la femme est la tempête. Agnès, fâchée, Lise en colère un jour chassa tous ses laquais...
troii belles souvenir lointain
Mes amantes n'étaient qu'un vague souvenir;
rajeunir un matin
Soudain je me sentis un beau soir Tout à coup je sentis en moi tout rajeunir par un rayon de mai dans un rayon de mai entre par la fenêtre Comme si le soleil empourprait ma fenêtre. . .
enchantement .T'eus l'âpre enivrement des flammes méprisées ;
de lorgner Elle me permettait d'errer sous ses croisées. . .
VARIANTES ET VERS INEDITS. 441
Page 191. Que de choses
Bonnets Il fallut lui donner ! jupons blancs, chapeaux roses. . .
cette dame Page 192. Or ce chef-d'œuvre avait un singe pour amant.
Le miel, le fiel,
Le haut, le bas, le vrai, le faux, le mal, le bien...
VII
I. LA BLANCHE AMINTE. choisissant
Page 198. Et pour soi seul en nourrissant
Cent.
IIL CE QUE GEMMA PENSE D'EMMA.
dans l' ombre? Page 202. Que fait l'orfèvre ? il achève -
Ouvrier mjHérieux,
Quelque anneau mystérieux. Toute sa boutique sombre Sa boutique semble un rêve
Elt pleine
Qu'emplissent de vagues jeux.
L'émeraude en sa facette
fée Cache une ondine au front clair. . .
rit. Page 203. Elle brille et jase, et semble
Kayon, Lueur, parfum, colibri...
Elle est la joie, étincelle
la grande flamme amour. De cette flamme, l'amour.
La foule
Le peuple à la vitre admire ,
D'un œil tendre et transporté.
442 LES MANUSCRITS DE TOUTE LA LYKE.
donne aux hijoux Page 2 04. ' Et l'or semble avoir la fièvre
Avec Entre ses petits doigts blancs.
Deux strophes barrées et restées inédites ; certains mots sont illisibles :
Elle a l'étaule cuivrée. Sur les
]J orfèvrerie effarée flamboie à cet ail rayon.
chaque Elle crie à toute chose :
Je la préfère ! essayons !
Et l'on croit voir une rose
Faire un choix dans des rayons.
Dans le Reliquat, nous relevons cette strophe inédite :
CHEZ LE JOAILLIER :
Elle jase et fait emplette Entre deux rires vainqueurs D'une parure complète Miroir à prendre les cœurs.
V. MAUVAISES LANGUES. On jase d'eux dans
Page 206. Leur histoire emplit les charmilles...
J'en sais long sur la paresseuse.
Elle fait un joli métier ! perroquet
Dit un corbeau, juge à mortier.
quand les pigeons sont grà. Page 207. Le soir, avec de petit cris...
Kien n'eB pour rendre une sentence Tel est le monde. Une sentence. Tire, ou meilleur, que le Redoutable, sort du babil.
Prends la fuite Cachons-nous, belle. Fuyons vite Cachez-vous, Rosa. Fuyez vite Évitons ce monde
Loin du bavardage acharné.
VARIANTES ET VERS INÉDITS. 443
Sot! prudente j
Tout ce conte, ô belle ineffable.
Ce hois doit
Ceci doit
Doit par vous être médité.
Toujours cette amande, la fable.
Prenez garde, c'est une fable,
A pour noyau la vérité.
C'est-à-dire une vérité.
VII. LE PORCHE DE SAINT-LUC. (Autre titre : tkvmeav.)
Jean Page 209. Le porche de Saint-Luc, sur un vieux fût de pierre..,
pensif Vieillard morne et hideux comme le mois Décembre Et dont vous auriez peur, Madame, je le crois,
embusqué Plus que d'un beau bandit rencontré dans un bois.
Etre rare
Homme étrange entre tous , qui vous ferait affront. . .
Uotre sein blanc et pur qi^un doux inStinU soulève
cheveux doux et blonds ^
\bs longs cheveux, dorés comme les cheveux d'Eve..
IX. OUI, FUT-ON HOMERE J IL FAUT RIRE. est olympique. ^
Page 212. Le rire vient des dieux. A Rome. . .
XI. ^ICON^UE EST AMOUREUX EST ESCLAVE ET S'ABDI^E.
et l'envie
Page 214. Qu'il avait d'épouser cette dame s'accrut
bon vieux Au point de rendre fou ce pauvre cœur tout brut. . .
qui que vous soyez, gens tenez
Page 215. Or, c'était maladroit. Vous qui cherchez à plaire. . .
444 LES MANUSCRITS DE TOUTE LA LYRE.
XII. A L'AGE DES BERGERIES.
pâle Page 216. Moi, tremblant d'une caresse.,
Page 217. L'âpre forêt taciturne
Cache en A dans son ombre nocturne. . ,
farouche
La grande Dryade verte. . .
XIV. LA LUNE.
L'Olympe Page 219. Le ciel a dans l'azur des degrés inconnus.
XV. LE MAKQVIS DE BADE A DEUX CORNES. grand-duc
Page 220. Le marquis de Bade a deux cornes;
Je m'explique j sur Il en décore son blason. Ce seraient des parures mornes Je désire peu que tu m'ornes Autre part que sur l'éciisson. De cette parure, ô Suzon.
Veuple, qui n'ai
Belle, tu n'as point d'armoiries,
"Vii libre, gravis la hauteur.
Mais ton doux rire est enchanteur. . .
Charmés Page 221. Jaloux des cornes du bison. . .
XVI. VEUX-TU VIVRE, ÉTRE ADMIRE.
Être en trogne coloré. Page 222. Et de graisse rembourré. . .
Bois de bon^'''^
Laisse aux manants le poiré. . .
('^ Variante inachevée.
VARIANTES ET VERS INEDITS. 445
XXI. QUAI DE LA FERRAILLE.
Toiijj pendant la bataiUe, aigles, après, corbeaux. Page 227. Ils deviendront vautours, ayant été corbeaux.
Héhé Ajax
Page 229. Babet devant Fanfan sent une humble rougeur...
gredins Quand passe un tourbillon de drôles moustachus. . .
maris
Elle garde aux bourgeois son petit air bougon. . .
Ce qui plaît à la bouche
bras blancs De la blonde aux doux jeux, c'est le baiser farouche...
C'eii le bonheur d'Agnès au regard de colombe
Et c'est la volupté de toutes ces colombes
D'ouvrir son lit à qui sait ouvrir une tombe.
D'ouvrir leurs lits à ceux qui font ouvrir des tombes.
XXII. COMÉDIES NON JOUABLES QUI SE JOUENT SANS CESSE. LA MARQUISE ANTOINETTE. On était à peu près trente contre soixante.
Page 232. La marine ottomane était molle et pesante. . .
COCARDE ET LOUCHON. mon manchon
Page 237. Jean a mis mes effets au mont-de-piété.
saltimbanque.
Jean est un chenapan.
AU LUXEMBOURG.
Notre destin, c'est l'eau, que gouverne
Notre vie est de l'eau conduite par du vent.
Au reliquat nous trouvons ces différentes versions :
LE JARDIN DU LUXEMBOURG. (Deux invalides causent.)
PREMIER INVALIDE.
Les rois ne savent
L'empereur ne sait plus où donner de la tête.
446 LES MANUSCRITS DE TOUTE LA LYKE.
DEUXIEME INVALIDE,
On a lâché la guerre, à présent, qu'on l'arrête. Il le faut.
PREMIER INVAXIDE.
Ce n'est pas aisé.
DEUXIEME INVALIDE.
Tout est perdu Alors.
(Des étudiants causent.)
UN Étudiant.
Mon père veut que je sois assidu A l'école.
AUTRE Étudiant.
Et le mien m'a défendu MabiUe.
AUTRE Étudiant.
Le mien veut quand Margot dans son grenier s'habille
Que je baisse les jeux, et si je lui souris
Il gronde, et que veut-il que je fasse à Paris ?
tous. Que ne nous laissait-on croupir dans nos provinces !
Autre version dont nous passerons le début, utilisé (voir page 238) (Sur un autre banc.)
un Étudiant.
Si ceff pour que je sois des bouteilles l'e'lève ^^\ ,Que mon père m'exile en ces lieux, ce beau rêve Efî accompli; sinon, père, tu pataugeas.
Ah çà! mais que veut-on que je fasse à Paris.?
autre Étudiant. Moi je m'amuse.
AUTRE Étudiant.
Moi je bâille.
autre Étudiant.
Moi, je ris.
(') Ces trois vers sont encerclés et barrés largement.
VARIANTES ET VERS INEDITS. 447
AUTRE Étudiant.
Mon père, homme lointain, veut que j'aille à l'école. L'école, c'est Mabille.
AUTRE Étudiant. Et j'y vais.
AUTRE Étudiant.
Et j'y vole.
Et je m'y précipite.
autre Étudiant.
Et le vrai sage y court. J'aime Annette, et je hais ta prose, ô Delvincourt!
AUTRE Étudiant. Quiconque lit Barthole est un lâche imbécile.
AUTRE Étudiant.
Que dans Tribonien à vingt ans je m'exile. Jamais !
AUTRE Étudiant.
Ne point aller danser avec Lisa, Je jure que je suis incapable de ça!
AUTRE Étudiant.
Si nous prenions la fuite aux sons d'une musette. Ou quand le vent des cieux trousse gaîment Suzette, Sapristi !
AUTRE Étudiant. Nous serions de monstrueux goujats !
AUTRE Étudiant.
Jeanneton Si c'est pour préférer Margoton à Cujas, Que mon père m'envoie à Paris, je l'approuve!
Marguerite Car Margoton est fraîche et rosej mais je trouve
Que mon père est naïf, s'il croit dans son canton Que je préférerai Cujas à Margoton.
44^ LES MANUSCRITS DE TOUTE LA LYKE.
AUTRE ETUDIANT.
Si c'est pour que je sois des bouteilles l'élève Que papa m'expédie en ces lieux, ce beau rêve Est accompli. Je suis fort ivre.
AUTRE ETUDIANT.
Mes amis, Nous sommes écoliers chez madame Thémis ; Nous venons épeler les codes dans leur antre Pour être des Dupins quand nous aurons du ventre. Pour qu'il nous pousse aux doigts des griffes d'avoué. Mais nous trompons l'espoir des parents. Evohé ! Toi, tu bois, toi, tu fais l'amour, toi, tu t'occupes, Eperdument, à voir tourbillonner des jupes. Et chez Bataclan, fils de l'antique Vauxhall, Tu risques tous les soirs ton cœur paradoxal ; Moi, je hais le robin, le renard, la chouette. Je ne me sens pas tigre, et je me sens poëte. Et je rêve, espérant faire sortir ainsi Du procureur manqué le rimeur réussi.
AUTRE Étudiant. Tu fais des vers.^*
AUTRE Étudiant. Parbleu !
LE MENDIANT.
difformes
odieux costumiers , Mais les ans un beau jour viendront, noirs costumiers, Page 241. Riez. — Un jour les ans viendront, lourds costumiers 5
horribles habilleuses, Maladie et vieillesse, habilleuses sinistres, Uous prendront, beau jeune homme, entre leurs mains calleuses. Eteindront vos regards sous d'affreux cercles bistres. . .
VOIS-JE POINT LÀ DANS LOMBKE UN HOMME TITUBANT ? dans la forêt
Page 245. Ayant aux carrefours en vain tendu ses toiles...
travaille
Et rien dans ton cerveau ne s'indigne et ne bout !
Etre gueux , et rêver ! c'est beau ! Page 246. Gueux, — et tout bonnement — rêveur.''
VARIANTES ET VERS INÉDITS. 449
SUSV&SuiNT VOCES.
Mahomet
Page 248. Disparaissez Vishnou, Bel, Jupiter, Mithra!
triomphe
Saint-Pierre seul gouverne et règne. . .
JE TE JUKE UN AMOUK ETEKNEL !
traîtres Page 249. Parlons net. Et soyons fripons de bonne foi.
yî7 à ton aile Page 250. Pas de glu sur ta plume et de plomb à mes jupes.
ENTRE LE ZIST ET LE ZEST. Vénus n'a qu'à marcher pour se montrer
Page 252. Ainsi, quand Vénus marche, elle apparaît divine.
XXIII. CHANSONS.
J'ADORE SUZETTE.
h'une a pris ma tête. Page 2)4. Suzette en toilette.
Vautre ma raison.
Suzon sans façon. Page 255. Si comme Suzette
Soupirait
Souriait Suzon. . .
donne Page 256. Je quitte Suzette,
Pour garder Je garde Suzon. . .
IL ETAIT UNE FOIS. . .
Page 256. Un baiser, qu'en tremblant je pris à Rosemondc.
L'OISEAU PASSE...
L'arbre triste à l'horizon Page 260. Le désert et la maison. ..
POESIE. — XIII,
29
IHl'MMtniE NATIO?<AI.G,
450 LES MANUSCRITS DE TOUTE LA LYRE.
KIEN N'EST COMME IL DEVKAIT ETKE. fuis
Page 267. Je hais ton jargon, Zémirc. ..
quand le peuple Page 269. Aussi, lorsque Inomme achève
Son rêve. . .
TOU&NE-TOI VEKS CELLE QUI T AIME. Le cœur
Page 270. L'amouf récolte ce qu'il sème.
Et les duchesses en gala
Toutes les belles d Alcala. . .
CHANSON DE BORD.
l'onde amère elt femme, , c'en la femme. Page 271". Marin, l'onde est une femme.
bas-fond
Crains le sable, crains la lame.
Sous son grand crâne livide. . .
Et le vent qui trahit l'homme obéit a
après La vague saute sur l'homme j Se comporte avec lui
Le vent se comporte comme Un chenapan.
tout ce flot Page 272. Sans cette mer de ténèbres,
roule Qui gonfle ses plis funèbres Sur
A l'horizon. Variante d'une strophe barrée dans le manuscrit Océan ''^ et répétée ici
La mer n'aime toi les hommes; Nous sommes joyeux; nom sommes Les voix, les pas;
(') La LJgende des Siècles. *
Autre strophe barrée
VARIANTES ET VERS INÉDITS. 451
L'amour chante en notre couche. Un chant sort de notre bouche. EJle eff l'omère où tout se couche; EJle eB la grande farouche ^uî ne rit ^ as.
ha mer s' appelle omhre et doute. Celui qui se met en route
Fait un beau coup. Lia mer couvre, trompe, et cache. Lta mer e§i la grande tache
Sur le vrand tout.
RONDE POUR LES ENFANTS. (Autre titre : chanson du gkand-pere.)
Deux strophes inédites reliées dans le Reliquat et datées du 24 novembre 1876 :
Vous êtes tellement gentilles.
Dansez en rond. Que, cet hiver, quand les charmilles _ Se faneront.
Sous votre haleine, ô mes petites.
Dansez en rond. Les jasmins et les clématites
Refleuriront.
LE CHANT DU VIEUX BERGER. (Autre titre : canto del z>iejo.)
se mler Page 275. De s'épouser, rayons, haleines...
On entend rire un ch'^'^ Page 276. Le gai lapin sort du terrier...
Et les branches
Les grands chênes chassent le jour. . .
ha fauve Diane Page 277. Diane indignée a beau faire
sombre Un bruit fauve au fond des halliers, prude
Cette grande vierge farouche. . .
('^ Le mot n'est pas achevé.
29'
452 LES MANUSCRITS DE TOUTE LA LYKE.
Et les Mes font
C'est réclair qui fait des serments. . .
h' alcôve eii dans chaque humon. . . Toute l'ombre est un grand frisson. .
CHANT DES SONGES.
Ahrite'^^vota som l'éteignoir. Page 279. Soyez votre propre éteignoir.
CHANT DU BOL DE PUNCH.
Page 284. (Autre titre : chanson de la flamme bleue.)
LE CHATEAU DE L'ARBRELLES.
Towée^j 'vilaines tours. Page 287. L'herbe croît dans vos cours,
Le ciel elt bleu toujours.
Croulez, vilaines tours !
Et le ciel eli bien aise
Le ciel en est bien aise.
Quand on s'aime aux beaux jours. Page 288. Aimons, les ans sont courts.
QVAUD DALILA, PAMÉLA, . .
harangueurs des rois Page 290. Quand les avocats plaidants.
Trouveront leurs droits Quand les noirs pédants Étroits
Grondants , Et sur les Splendeurs Quand les harangueurs des cours. . ,
LA BOUKGEOISIE EST UN VEAU...
Page 292. Il pleure sur le progrès,
ses loyers Sur ses profits qu'on effleure. . .
Au Reliquat, quelques ébauches de Chansons :
MAGLIA, chantant.
Tu veux engraisser.'' sois gourmande. Bois de la bière et non du vin. Le secret de la chair flamande Est dans la bière de Louvain.
VARIANTES ET VERS INÉDITS. 453
Jean vint à Paris de Riom Pour demander à Monsieur Scribe Si brimborion vient de bribe Ou bribe de brimborion.
L'amoureux montant sa garde Ou faisant des mines croit Que pas un ne le regarde Et tout le monde le voit.
La madone en sa niche Avec le bambino Regarde si l'on triche Au jeu de domino, Et si l'on met l'affiche Du monsieur Bobino !
MAGLIA.
En costume d' « Enchanteur » saluant toute la cour du landgrave et décrivant des cercles avec sa baguette. (Quelquefois le second vers a parte.)
A
O ducs. Caducs ! Grands princes Bien minces. Barons Tout ronds. Margraves Très graves. Marquis Exquis ! Bons prêtres. Saints traîtres, Valets Fort laids. Ministres Sinistres, Bouffons Profonds !
454 LES MANUSCRITS DE TOUTE LA LYKE.
Je vous admire. Je viens vous dire. Je viens vous lire Et faire luire L'avenir !
JEAN. (Dans son atelier. Il chante.)
En haut rencyclic[ue ; Plus bas une clique j Quelques mannequins. Plusieurs arlequins. Pas mal de pasquins. Pillant nos sequins ; C'est la république Sans républicains.
LA CORDE D'AIRAIN.
À LA FRANCE DE 1872.
sacré Page 295. L'humble prêtre de l'art divin que rien ne souille
pensée T'apporte sa tristesse et son austère amour.
Le théâtre. . .
devant la blessure Doit, quand saigne la plaie horrible des frontières,
en deuil Ne dire au peuple ému que des choses altières. L'Hktoire écoute et voit. ToiUj qui que nous soyons ^ Quand la Patrie en deuil baisse les yeux devant S^uand l'auyate Patrie a perdu ses rayons ^ Sa vieille histoire en cendre, à terre, éparse au vent,
l'altier Quand le fier Capitole a fait place au Calvaire, Lf peuple a Nous avons pour devoir le souvenir sévère. . .
Quand l'Europe nous hait, nous qui la protégions,
chansons ,
Ces hymnes qu'on appelle Ode, Drame, Epopée,
Peuple ,
Toutes ressembleront
Devront ressembler tous à des fourreaux d'cpéc. . ,
VARIANTES ET VERS INEDITS. 455
le peuple
Page 296, On y verra la gloire en pleurs sur son grabat. . .
qui lave Leur honneur dans ce flot sublime, le danger. . .
Peuple, l'art ne te doit
L'art ne doit aux esprits que des fêtes viriles. . .
tràte comme un homme ivre tristesse Si nous ne rêvions pas, l'âme de colère ivre. . .
brave Page 297. Qui flétrit son bourreau...
haiiions les pieds des
Si nous donnions raison aux rois riant entre eux. . .
c'est l'âme
bette
'vive
noble
sainte De tout homme allumée à toute pure flamme, La raison
C'est l'essor pour l'esprit, le travail pour le corps. . .
Peuple, Ils sont chez nous. Sur toi, France, leur sabre traîne.
C'est fini? non. C'est pire'''.
Ils ont pris notre terre ? la
Ils t'ont pris ton bien, France.? Eh bien, on le reprend.
N'y consens poi.
Peuple Non, France, non ! jamais ainsi tu n'as vécu. No» .' avoir
Et la paix n'est la paix qu'après qu'on a vaincu.
Le genre humain buvait l'art sublime
Page 298. Les peuples s'abreuvaient de lumière aux fontaines...
I. APRÈS SEDAN.
Droite
Page 301. Cinq milliards. C'est fait. Empoche. Honneur, vertu...
le lierre Comme la ronce croît I
(') Variante inachevée.
456 LES MANUSCRITS DE TOUTE LA LYKE.
formé de tous ces rois Page 302. Un tribunal de rois, fier, auguste, hideux...
regardez-le bien, ce passant, vous qu'on nomme Mais regardez-moi bien, vous tous, césars de Rome, Les maîtres et les rois, car ce passant, c'est l'Homme. Maîtres du monde, rois, papes, je suis un homme.
"Visible à tous, à l'homme ainsi qu'à Eblouissant tout, l'homme ainsi que l'animal. . .
II. A DES RÉGIMENTS DÉCOURAGÉS.
braves ^ vaillants
Page 303. O nos pauvres soldats, oui, vous avez fléchi.
Hélas j nous vous avons
Indignés, nous avons crié : Taisez-vous, lâches !
guides Et pour chefs des valets, et pour maîtres des cuistres.
pauvres Ah ! sombres cœurs brisés et qu'emplit l'amertume !
Vaincus , relevez-vous ;
Espérez, ô vaincus ! ce n'est pas la coutume
haiisê.
De la France d'avoir longtemps le front courbé.
Rentre^ dans entre à
Subissez le malheur comme on subit l'école ;
Ayez l'utile ennui Ayez fureur
Couvez l'âpre courroux des cœurs humiliés.
Soit. Pour un instant, fils de France, vous pliez.
Si las que
Page 304. Hélas, et vous avez fait un pas en arrière.
Mais bientôt cette armée en qui Rome vivait
Frémissait , avait honte ,
Rebouclait sa cuirasse, et rentrait en campagne.
III. DESTRUCTION DE LA COLONNE.
gardienne de nos droits. Page 305. Cette colonne était toute pleine de voix...
un monde
On entendait le peuple en ce bronze bruire. . .
VARIANTES ET VERS INEDITS. 457
sombre Calme, elle avait pour socle un sourd amas d'armures. Page 306. Cette colonne avait pour socle un tas d'armures.
E/ triomphait des rois et non des nations.
insultait
blessait Elle offensait les rois et non les nations.
Afin qu'on pût juger les pas que nous faisions ,
indiquait partirent nos pères,
Elle fixait le point d'où nos pères partirent j hes révolutions commentant par les guerres , Elle indiquait les lieux d'où les flots se retirent, Et fauchant le passé, haUier noir, boii épais. Et rattachait aux jours nouveaux les jours anciens ; Complétait leur bataille immense par la paix. Après les grands soldats place aux grands citoyens !
L'ennemi n'osait pas
Les rois n'osaient venir la regarder de près.
EUe eli tombée, hélas.
Hier elle tomba, la grande solitaire.
elle fut On a pu mesurer, quand on l'a vue à terre,
de gloire Tout ce qu'on peut ôter d'orgueil en un instant. . .
clameur
Page 307. Entendirent dans l'ombre une rumeur pareille...
Je pars avec Arcole
Soit. Je pars avec Ulm et Wagram.
LA CHUTE
V. APRÈS L'ÉCROULEMENT DE L'HOMME.
fermer Page 309. Pour venger le passé, pour sauver l'avenir...
Cet homme frappé. César Et j'ai lutté. Ce maître était là sous son dais. . .
à genoux. Et la foule, à ses pieds, tandis que je frappais, S' étonnant ne point l'absoudre.
S'étonnait que quelqu'un osât rester honnête ; Adorait l'empereur fumant de coups de foudre. L'ignominie était devenue une fête. . .
^ du haut de
O Guernesey, debout sur tes fières collines,
de loin Je lui jetais d'en haut des feuilles sibyllines. . .
4)8 LES MANUSCRITS DE TOUTE LA LYKE.
fouler aux pieds ce Page 310. Et les passants marcher sur César misérable. . .
mal Le tort ne suffit pas, il me faut le péril.
3e laisse un monSîre en paix dans ce qui l'engloutit Paix au monfîre impuissant ! mon dédain l'engloutit. Et dans mon dédain calme et pensif j'engloutis S'il n'e!i plus asse"^ fort ou s'il efi trop petit.
qui sont morts, les gueux qui sont petits. Les monstres, s'ils sont morts, ou bien s'ils sont petits.
La foudre veut un but, et se trouve inutile
mourant le dragon gisant Sur l'hydre inanimée ou l'acarus reptile,
he justicier j qui va combattre au ciel Dagon,
combattant et Et le noir justicier, sur les cimes frappant,
dragon.
Laisse vivre le ver et pourrir le serpent.
VI. L'ORGIE DES MEURTRES.
he meurtre a beau vouloir Page 311. L'assassinat a beau prendre un air innocent,
AUéguer qu'il a fait telle ou telle rencontre.
Jurer
Prouver ce qui n'est pas, nier ce qu'on démontre ;
Expliquer ses raisons, dire son Pour et Contre j
J^il elt l'ami du peuple ou l'ami de la loi.
Que, si l'on ne mettait personne hors la loi. . .
houvois. Page 312. Qu'il se nomme Albe, Omar, Cromwell, Bellart, Marat.
ie haii le crime
Malheur au meurtre autant d'un côté que de l'autre !
honteux, , sanglant , Chacun des deux partis songe et cache sa main. Qui que tu sois qui fus bourreau, cache ta main.
Nul penseur n'a pour la férocité Jamais. Nous n'aurons point pour le meurtre hébété
Ce pardon qui ressemble à la complicité.
VARIANTES ET VERS INEDITS. 459
à consolerj Moij l'âme opiniâtre accoutumée
qu'une âme opiniâtre a plaindre ^ Moi qui ne suis qu'un homme ayant pour loi de plaindre, A lutter, a ne rien maudire, à
De lutter, de ne rien tuer, de ne rien craindre. . .
Mais je hais, comme étant aux rouges ressemblants,
"Vous, les meurtriers
Les fratricides noirs et les assassins blancs.
Tous les bourreaux,
Page 313. Hajnau, Cissej, Jourdan-coupe-téte et sa hache.
VII. OUIj L'ON A SAUVE L'OKDKE El L'ETAT... qui déporte a fumé
Page 314. Le steamer pourvoyeur du bagne est dans nos havres j
Le bourgeois a
On a pendant huit jours enjambé des cadavres,
Pour rentrer dans sa rue, il
Des fosses, des mourants j on s'est habitué j On a très vite fait justice ; on a tué
bons, méchants,
Hommes, femmes, enfants, tout un peu pêle-mêle...
^ue naguère les rois nomm... '"'
Qui de la tyrannie étaient les fossoyeurs. . .
Quelque excès elî
Page 315. Les faux coups sont permis en de si durs combats. . .
Témoignage
Cette preuve d'ivresse et d'orgueil, le silence.
Ce cri d'enthousiasme et de bonheur : Silence !
puissant
Qu'un poing sauveur, sorti des ténèbres, l'étreigne.
dont l'Europe est bien aise
De là ce grand succès : l'ombre dans la fournaise. . .
Ce peuple qui bouillait
Ce Paris, bouillonnant comme le flot dans l'urne...
('^ Le mot n'est pas achevé.
46o LES MANUSCRITS DE TOUTE LA LYKE.
VIII. EN BELGIQUE — {ET PEUT-ETRE, HELAS ! AILLEURS ENCOR ! )
Je l'ai dit quelque part et le constate encor ''' Page 3 i6. En Belgique — (et peut-être, hélas! ailleurs encor!)
belge La magistrature âpre et sombre est un mouton. . .
Venger Sauver
Servir l'ordre en mettant à sac une maison. . .
Hugo Page 317. S'il s'agit d'un français quelconque, d'un quidam. . .
T/'oj'f^/ que c'eft beau! Chut! Amuse'^vous , jeunesse.
Après tout, c'est bien fait. Amuse-toi, jeunesse!
C'est bon. Ces étrangers On fait bien. Ces françaii Bravo ! ces Franquillons ne sont que des bélîtres !
Garder l'homme attaqué ! Non, celui qu'on défend, l'assassin
C'est l'agresseur.
IX. \ UN ROI DE TROISIÈME ORDRE.
Page 318. De plus, un acarus, dans un journal cloporte.
M'insulte
M'outrage de ta part et de la part du ciel ;
Et l'affront eff royal étant officiel. Affront rojal qui bave en style officiel. ie trouve a ton altesse Je ne te réponds pas. J'ai cette impolitesse. Trop de présomption et trop de petitesse. Vois-tu, roi, ce n'est pas grand 'chose qu'une altesse.
Ton journaliste et toi, je vous ignore, étant Fort occupé des fleurs que Dieu dans cet instant
ce mois étant le jouir du
Nous prodigue, et voulant fêter le mois des roses.
chasseur pensif, sous les arbres J'erre, fauve chasseur, dans les halliers épais...
(1)
Cette variante est précédée d'un point d'interrogation.
VARIANTES ET VERS INÉDITS. 461
la foret par Afin de rassurer le monde avec mes chants ;
Je tiens à la grandeur des têtes qui m'attaquent ;
ces brutes tigres Je ne suis pas fâché quand des hons m'attaquent. . .
je n'ai poi
Page 319. Mais j'ai fort peu le temps de me mettre en fureur.
Et je tiens à rester paisible Et j'aime mieux rester tranquille. Je médite Sur la terre, bénie au fond des cieux, maudite
prêtre aveuglant.
Au fond des temples noirs par le fakir sanglant. . .
auguste
Un élargissement immense de clarté. . .
profond Par le divin babil des nids mélodieux. . .
la firophe et l'autan Car l'orage et le vers seraient de vils moqueurs. . .
... Je veux
_ À tous les Ipkinx du gouffre
Aux énigmes du sort arracher des aveux,
lentement Ecarter doucement les doigts noirs de Leur ôter notre cœur qu'elles ont dans leur serre. . .
Et je creuse
Page 320. Et j'apprête au progrès sa route dans l'espace. . .
X. ALSACE ET LORRAINE.
la nuit se fixe horrible Oh ! que l'ombre s'arrête affreuse sur mon front.
Page 321. Jours que de noirs essaims d'Euménides suivront ! Du cheval de la mort chaussant les étriers
Eclaboussés de sang du casque aux étriers...
le pâle et tremblant
Se ruant sur l'auguste et sombre genre humain.
empile
enfouit volé
Page 322. On enterre l'argent pillé, les deux provinces. . .
aux carrousels a l'Opéra
On traîne aux bals charmants ses royales paresses. . .
462 LES MANUSCRITS DE TOUTE LA LYKE.
cette paix sombre. Ces gloires, ces traités haineux, cette infamie.
haine !
Bonheur ! concorde ! Plus de courroux ! Plus d'effroi !
Marche";^, hommes de nuit.
Allez, marchez. Toujours derrière la victoire...
réveillés ! Page 323. Ossements remués !
Et les vengeurs. . . Uaincront Page 324. Viendront, et je verrai cela, moi qui suis vieux!
pèse nos sacs d'écus, compte les sacs d'argent. Quand on vide nos sacs d'écus, quand nous avons. . .
Mais, princes, cette chose étrange, la justice,
palais Existe 5 et, quel que soit le château qu'on bâtisse...
Vos peuples sont déjà repentants de vous voir de force, d'audace.
Tant d'ivresse, un tel sceptre aux mains, tant de pouvoir j
Hélas, ils vous ont faits.
Ils VOUS ont couronnés, ne sachant pas qu'un Louvre...
Nou^ les savons. C'efl nous que l'aurore Page 325. C'est nous que le matin mystérieux connaît j C'eH pour nom qu'elle vient. Ce qui luit. Ce qui germe , ce qui s'avance , ce qui naît. . .
che";^ nous chantent Leurs fraîches voix sont là chantant les grands défis. . .
La paix n'est pas. . . '''
Le châtiment boiteux le suit et le rejoint. . .
d'appui Nous n'avons plus d'amis, plus d'argent, plus d'armée...
gtt dans la forêt] Mais quand l'assassiné saigne dans le bois sombre. . .
La concorde Page 326. Le saint travail, la paix, la liberté, l* amour.. .
t') Variante inachevée.
VARIANTES ET VERS INÉDITS. 463
XI. LA LIBÉRATION DU TERRITOIRE. (Autre titre : monologue.)
Page 327. Et les beaux enfants blonds, bercés dans les chimères.
Doux, charmants.
Souriants, et je songe à vous, ô pauvres mères. Je consens, si l'on veut, à regarder, je vois
Partout fouhli joyeux j les chants
Ceux-ci rire, ceux-là chanter à pleine voix.
Le rire, et dans le fond de l'ombre j
La moisson d'or, l'été, les fleurs, et la Patrie. . .
Bientôt le chasseur noir
Avant peu l'Archer noir embouchera le cor. . .
râk Quand un peuple gisant se voit le flanc ouvert. L'oiseau peut ga'iouillerj
Avril peut rayonner, le bois peut être vert. On peut dans la prairie entendre des L'arbre peut être plein de nids et de bruits d'ailes. . .
pensifs
Mais les canons muets écoutent une voix. . .
Page 328. Quoi! vous n'entendez pas tandis que vous chantez,
O peuple.
Mes frères , le sanglot profond des deux cités !
Quoi ! nous croire
tient captive Affranchis, lorsqu'on met au bagne notre gloire...
doux pleins de colère
Quand nos frais écoliers, ivres de rage, épellent Quatrevingt-douze , afin d'apprendre quel éclair Sort de l'âme coeur
Jaillit du cœur de Hoche et du front de Kléber. . .
Le vautour ténébreux ttotultient tous dans ses sirrts
L'aigle des nuits
L'aide vautour
Le même aigle nous tient prisonniers
L'horrible aigle des nuits nous étrcint dans ses serres. .
\
464 LES MANUSCRITS DE TOUTE LA LYKE.
J'eftime '*' Toute autre délivrance est un leurre ; et la honte ,
Tache qui croît sans cesse, ombre qui toujours monte,
siècle Reste au front rougissant de notre histoire en deuil. . .
fierté
Et pas une cité n'est entière. . .
sombre âpre
Rien ne nous fait le cœur plus rude et plus sauvage. . .
hes entres libres
Le soleil, les oiseaux chantants, les vastes cieux!
Avenir'. Avenir! ^
Non, je ne suis pas libre. O tremblements de terre!
rampe
Page 329. Je râle sous le poids de l'avenir grondant. . .
a nos aïeux J'envie aux vieux romains leurs couronnes de chêne. Et je suis d'une humeur farouche, et , Je veux qu'on soit modeste et hautain ; quant à moi. . .
S'ils sont czars au Kremlin ou shahs à
S'ils arrivent du Caire ou bien de Téhéran. . .
lointaine Dans une ombre hideuse où des nations meurent.
sabres Et des clairons sortis à peine de prison,
point, éperdu Tant que je n'aurais pas, rugissant de colère...
O peuple, toi qui fus si beau, toi qui naguère
fièrement Ouvrais si largement tes ailes dans la guerre. . .
l'ombre , Page 330. Toi qui balayas tout, l'azur, les étendues,
royaumes
Les espaces, chasseur des fuites éperdues...
(') La rime à cette variante, sous le texte définitif écrit en surcharge, est illisible.
VARIANTES ET VERS INÉDITS. 465
Le désastre ... La défaite a des conseils sincères. . .
, piaffer
A quoi bon galoper devant l'Europe hostile }
Je pense
Et je crois qu'il vaut mieux ne pas tant se hâter.
Hohenlittden,
C'est Jemmapes, l'Argonne, Ulm, léna, Fleurus!
eSÎ fameux Et leur nom resplendit du zénith au nadir ! —
vengeurs Il faut qu'on dise : — Ils sont les amis vénérables
des souffrants en pleurs. Des pauvres, des damnés, des serfs, des misérables,
fiers Les grands spoliateurs des trônes , arrachant. . .
l'homme Page 331. Ils sont les bienvenus partout où quelqu'un souffre.
de feu Ils sont l'essaim d'éclairs qui traverse la nuit.
écoutant leur pas
Et que l'homme, adorant leur pas audacieux. . .
J'attends le cri vengeur des peuples indignés.
le cri vainqueur J'attends l'emportement de tout le genre humain !
Oui, tant que vous rie^ et tant que vous régne'r,
Oui, tant qu'à ce grand siècle
Tant qu'à ce siècle auguste on barre le chemin,
Kois, tant que votre patte infâme eSt sur
Tant que la Prusse tient prisonnière la France. . .
tourmenté
Dans l'orageux désert remué par les vents.
L'ombre eft noire,
Et j'écoute ; et j'attends que le sépulcre s'ouvre.
^ guerriers
Page 332. O nos soldats, lutteurs infortunés, phalange...
L'étranger à cette heure, hélas! héros trahis,
honneur Marche sur votre histoire et sur votre pays j
POESIE. — XIII.
30
IMPHHKRIE HATIOSilE.
466 LES MANUSCRITS DE TOUTE LA LYKE.
Ah ! et ces princes
Oui, VOUS avez laisse ces reîtres aux mains viles Prendre, comme un butin dam les hoii, nos provinces, "Voler nos champs, voler nos murs, voler nos villes,
tambours muets, Strasbourg, Met";^, nos clairons souillés,
fleuves, nos forêts. Nos villes, nos autels, nos toits, nos sacs d'écus,
l'exploit Et compléter leur gloire avec nos sacs d'écus. . .
la nuit des hontes Vous êtes dans le puits des chutes insondables. . .
Oui, voui terrasserez
"Vbus foulerez aux pieds Fritz, Guillaume, Attila...
tristes Et jusque-là, soyez pensifs loin des parades,
foBes Loin des vaines rumeurs, loin des faux cliquetis...
XII. LE LIONCEAU SONGEAIT; IL ETAIT TOUT PETIT.
l'antre Page 335. Loin du soleil, dans l'ombre où les rayons s'émoussent.
Un vengeur manque au monde ; les rois,
Laissez-moi vous dire que les rois.
Font le mal, sont hideux.
Lugubres, font le mal, foulent aux pieds les droits, la raison.
Les vérités, Thonneur, la vertu, la justice...
^ Tibre
A celui-ci le Nil, à celui-là le Rhin. . .
trône affreux
Page 336. Leur faux pouvoir devant l'éternel Dieu se dresse...
sanglants Ils sont dorés, ils sont fangeux.
XIII. 0 KOYAUTE ! TAS D'OMBKE ! AMAS D'HOKREUK, D'EFEKOI.
guerre , Page 337. Tempête d'ignorance, et de naine, et de nuit.
VARIANTES ET VERS INÉDITS. 467
Autre version reliée au Reliquat :
Boite aux lettres.
Ô royauté pliant à la fin sous le faix ! Epanouissement lugubre des forfaits ! Expiation formidable !
Tristan répercuté par Marat ! châtiment Qui monte l'escalier des siècles lentement !
Noir paiement des dettes sans nombre ! Ah ! les pleurs, le soupir qui dans la geôle éclôt, La cruche d'eau mêlant son sanglot au sanglot sombre bouche hagarde!^'''
De la bouche cjui boit dans l'ombre !
terreur des longs siècles Oui, toute la clameur de vingt règnes de deuil,
La prison ne cédant son captif qu'au cercueil ,
Dernier geôlier des monarchies, La sombre voûte basse au fond des vieux manoirs. Habituée à voir entrer des cheveux noirs
Et sortir des têtes blanchies.
Le grincement de dents sous le masque de fer,
L'in-pace, le cachot
L'affireux cachot profond d'où l'on entend l'enfer.
Les carcans, les chaînes, les grilles. Les cris que sous l'amas des tours nous distinguons. Le roulement horrible et monstrueux des gonds
Des cent portes des cent bastilles,
cliquetis
Le tumulte, pendant douze cents ans d'écrous De tous les cadenas et de tous les verrous
la vieille De toute la prison française,
Tout cet effrayant râle et tout ce désespoir
Sont dans le bruit que fit la clef du Temple un soir
En se fermant sur Louis seize.
(•) Variante restée sans rime.
468 LES MANUSCRITS DE TOUTE LA LYKE.
XIV. J2U0J DONC ! AVOIK POUK BUT CETTE LACHETE, PLAIRE !
utikj
Page 338. Se donner cet emploi noble, auguste, exemplaire...
Être pour, être contre j au gré des multitudes ! ^^'^
Etre contre, être pour, suivant le baromètre !
la raison. Non selon le devoir, mais selon le succès !
Quand dans une ombre énorme et triste on aventure
j rire et Toutes les vérités en deuil, dire : C*est bon !
ma volonté
Si c'est mon intérêt, le cygne est une orfraie.
Et de ce fier
Peuple, et de ce lion, le droit, je fais mon chien !
Un philosophe Page 339. Quoi ! le penseur aura tonné superbement
honteux
Mettre un lâche sourire au masque de Méduse !
XV. UN GRAND SABRE SERAIT D'UTILITE PUBLIQUE. (Autre titre, rayé : monologues du bourgeois rêveur ?)
Toujours leur dent mordit quand leur bouche parla. Tout notre malheur Le malheur public vient Page 340. Le mal des hommes vient du premier qui parla. Ils vont Lumière ! e^oir !
On va criant : Progrès ! Fraternité ! Courage !
Le peuple était heureux
Jadis tout allait bien pourvu qu'on se tînt coi.
Oh ! que l'intelligence humaine eH Page 341. Votre progrès n'est rien que fatigue imbécile !
décourageât Et qu'on remît sous clefs et qu'on paralysât. . .
(i) Variante restée sans rime.
VARIANTES ET VERS INÉDITS. 469
Le peuple ose compter,
La plèbe ose exister, gouverner, usurper !
le prêtre, et l'autel. Se ruant sur l'autel, sur la loi, sur le roi !
renversement Oh ! quel déplacement tragique de l'effroi !
effrayants
L'inexorable pleure et les terribles tremblent. . .
passé Et, rayonnante, vient au monde reprocher...
Oh ! tant qu'on n'aura pas mis hors d'état de nuire
admirer vient creuser, réchauffer.
Tout ce qui veut créer, chauffer, féconder, luire, bon vieux monde
Tant que le vieux bon ordre encourra le péril. . .
surnage seul alors que
Page 342. Où l'on puisse être seul sauvé quand tout chavire.
la science, — Ceci, c'est l'utopie, et ceci, le calcul...
prodige implacable Conjurer le mystère inquiétant qui fait. . .
a peur, Caïn pleure. Judas gémit, Phalaris soufifre.
XVI. AUX HISTORIENS. (Autre titre : pas de circonstances atténuantes.)
guet-apens Page 343. Ne me racontez pas un opprobre notoire...
<^i ! mettre une sourdine h ma rage trop prompte! Je frémis, la rougeur au visage me monte, ^Uûi! peser devant moi
S^on me fasse peser le pourquoi de la honte !'^^'> Voilà tout. Je veux être un ignorant de honte.
la trahison
Auxquels vient s'ajouter le guet-apens d'un lâche.
(') Ces deux variantes sont dans les brouillons.
470 LES MANUSCRITS DE TOUTE LA LYKE.
fourbes Historiens, ayez les traîtres en dégoût...
„^o« m'explique comment il se fait qu'un Page 344. Vous me ferez toucher du doigt que ce soldat,
grand
Ayant le fier devoir de mourir pour mandat. . .
Et qu'il devint lui, chef de haute^^'^
Qu^il a pu devenir, souillant sa renommée.
Un lâche
Transfuge. . .
vandale heureux Quand le malheur public sous ma fenêtre passe.
Dupont Marmont
Je ne veux pas savoir si ce gueux se méprit. . .
L'âme de Ganelon,
Marmont , Le cerveau de Clou et, le cœur de Dumouriez.
Page 345 lorsqu'il ose
Compter sur
Espérer 'votre appui.
Vous porter son dossier, vous charger de sa cause. . .
d'un flanc de patrie la France Quand il s*agit du flanc de ma mère entr'ouvert,
l'ahjeâ effroyable
Quand l'impur ouvrier d'une exécrable trame,
son
Monk livrant un pays, Deutz livrant une femme, Anitm, Vêrinet, Ganelon, Dumourie'^,
Coriolan, Leclerc, Pichegru m'apparaît.
Quand j'entre dans cette âme et dans cette forêt,
songe Je tremble. . .
Pas de grâce ! Il faut punir !
la gloire
Page 346. Et la vertu, la foi, la probité, l'histoire.
Ressemblent aux
Sont comme des rayons dans la mer engloutis.
^') Ces deux variantes sont dans les brouillons.
VARIANTES ET VERS INÉDITS. 471
lâche Judoi
Le fourbe autour duquel Satan vient chuchoter. . .
peuples
Ne faisons point douter les hommes ; laissons-leur
fourbe.
L'horreur du meurtrier, du menteur, du voleur. . .
l'onde dans l'ombre immense en pleine mer l'étendue
Page 347. L'esquif dans l'eau diffuse a son avertisseur,
avance
La boussole ; il navigue ; et les hommes ont l'âme.
flambeau ,
Laissez-leur ce conseil, laissez-leur cette flamme...
houleuse
La vie étant brumeuse et l'ombre étant profonde. . .
flamboyant Dieu, c'est la vérité rayonnant au milieu Du mal, de l'imposture Des ténèbres, du doute et de l'idolâtrie.
se lamente la nef lutte et flotte Page 348. Quand le navire lutte en proie aux aquilons!
PROGRES
XVII. VICTOIRES ET CONQIJÊTES DE LA RELIGION.
Tout va bien. Le vieux Sanchez
Page 349. Tartufe est grand. — L'église avait la maladie ; // Elle est en traitement chez le docteur Véron.
prie et croit. Poiijuin Sbrigani joint les mains -, Crispin rentre au giron ; Scapin s'en fait vendeur Pasquin est parfumé de myrrhe et de cinname.
d'en face Au paradis Veuillot il s'est fait séraphin.
d'achever en libelle un d'aiguiser
n sait l'art d'ajuster le libelle au cantique. . .
Consciences, c'en moi
Honnêtes gens, c'est moi qui vous passe au tamis.
La raison sans le dogme
La conscience humaine étant une bagarre. . .
472 LES MANUSCRITS DE TOUTE LA LYKE.
du dogme
Page 330. La pensée en dehors d'Ignace est un abus...
Le libre eShrit
Une âme libre ouvrant ses ailes lui déplaît. . .
Jupiters Il emploie à servir les Jehovahs fourbus. . .
notre raison Plantant, pour empêcher que l'esprit humain passe Et que nous enjambions l'obftacle âpre et bénij Au delà de la bulle In Cœna Domini..,
XVIII. 0 SOMBKE FEMME, UN JOUR, N'AYANT PLUS DE ROYAUME.
Page 351. — Le sceptre importe peu. Que faisait ta quenouille
— ■ O Seigneur, tout un peuple à mes pieds se courbait. Pendant que tout un peuple à tes pieds se courbait ?
XIX. LA QUESTION SOCIALE.
(Autre titre, rayé : inutilité des expédients.)
Croje^-moi, Ce n'efi point Page 35 2. Non, non, non. Ce n'est point par la ruse, vous dis-je. ..
raconté par Jésus-Christ, tel qu'il est dans saint-Luc et saint-Marc...
Dufaure ;
Et voyait la justice autrement que Delangle j
qu'un estoc de part en part perfore ^ qu'une bande assomme, égorge, étrangle,
A rhomme qu'on assomme, à l'homme qu'on étrangle..
La mer
L'abîme est la demeure orageuse de Dieu j
domptera
On ne calmera pas cet effrayant milieu. . .
l'horreur
Page 353. Il voit le fond de l'ombre où Léviathan passe. . .
fermente a chaud
Son équateur bouillonne et ses pôles ont froid. . .
rêve cherche
Le douteur ne voit rien, le penseur trouve un monde.
VARIANTES ET VERS INEDITS. 473
XX. CROIS-TU DONC ^U'ON SERA CESAR SANS L'EXPIER ?
le payer, Page 354. Crois-tu donc qu'on sera César sans l'expier? 0 songeur, et Qui donc t'a dit qu'on puisse être, sans récompense.
subira
Hélas ! et souffrira ce tourment sous le ciel. . .
XXI. JEUNES HOMMES ECLOS SOUS L'EMPIRE RAPACE. . .
Imberbes et pédants j Page 355. Frais, roses et glacés, vous dites quand je passe...
. . . Un hibou F Aurore. Ayant N'a pas le droit d'aimer le soleil. A son âge. . .
Tas de mots creux. Enfantillage.
Barionj Qu'en fera-t-il.? Aïeul, quitte ce qui te laisse. ..
chauvej Quand l'homme est vieux, il sied que l'âme soit ridée.
Nés d'hier j nous aimons
Page 356. Ah ! comme c'était bon , les antiques usages !
Faut-il que ce soit Noos naissons, et
Quoi ! nés d'hier, c'est nous dont la raison éduque imprudente foUe, obBinée
Cette caboche dure, ingénue et caduque!
Gérontc , Il est stupide. Çà, bonhomme, apprends qu'il est
hélas, Deux enfances, et sache, Argan, qu'on y retombe.
Prends garde. On oublierait le respect qu'on te doit. Les pierres, les sifflets, voilà ce qu'on te doit.
jgfff tu plaii au bas-âge,
marmot Qu'un bébé fait ta joie. . .
474 LES MANUSCRITS DE TOUTE LA LYKE.
La canaille, Page 357. Les misères, les gueux, ceux que tu recommandes.
meurtre à l'ordre se mêla ; . Toujours un peu de sang sur l'ordre ruissela. . .
L'homme d'état réel prend son temps 5 celui-là.
Faible, rude,
Adroit, sait être Monk, et, fort, être Sjlla.
honnête sincère Jurer qu'on est du siècle, et qu'on respectera...
XXII. RENTRÉE DANS LA SOLITUDE.
(Autre titre : abandonne.)
au lâche, à l'imbécile,
Page 358. De tenir tête aux sots, aux furieux, à vous.?
/a haine ^'\ Reniez-le. Tournez du côté de l'injure. Cette 'vie après tout n'eH pas Tout doit finir. La vie est-elle une gageure ?
une offense L'entêtement d'un seul est un reproche à tous.
XXin. O PRINCES INSENSES ! QUOI! NE TKEMBLENT-ILS PAS ?
^ Ils ne frémissent pas
Page 360. O princes insensés ! quoi! ne tremblent-ils pas
passions
D'ouvrir la porte eux-même aux colères d'en bas !
/es premiers. D'ébranler, de leurs mains, la maison qui s'écroule!
^ apparais-leur !
O princes insensés ! Dieu juste ! enseigne-leur Faii parler quelque bouche infpirée ! Ta loi, ton but sacré, ta justice!
combats Quand parmi nos débats et nos luttes civiles. . .
'"' Variante sans rime.
VARIANTES ET VERS INEDITS. 475
tressailli
' 1' '
Page 361. Dieu ! comment n'ont-ils pas frissonné d'épouvante,
Quand ils ont tout à coup vu luire De voir subitement reluire. Ces rois! quand ils ont vu soudain, au milieu d'eux.
nobles
Les seigneurs aujourd'hui, les couronnes demain !
XXIV. LE POETE PREND LA PAROLE.
meurtre appelé gloire, et le carnage Page 362. Voici le vrai, le faux, changeant de personnage.
Ceint de lauriers
Le mal jojeux ; voici les pires qui sont rois. . .
Et les Christs aux gibets menés par les archers,
L'exil, le deuil, les pleurs, les héros, les bouchers.
Voici tout le fardeau du sort sur les petits. ,
XXV. GRANDES OREILLES.
guette,
doute, a peur.
Page 363. Entend mal, comprend peu, s'épouvante, a du goût.
Vleure sur tous les rois Tremble
S'émeut pour les tyrans sitôt qu'il en tombe un. . .
la grandeur de l'oreille, hourgeoii.
Ayez cette beauté, messieurs. La grande oreille
L'oreille basse avec le cœur bai
crâne étroit
cerveau bas Avec le crâne altier et petit s'appareille. . .
Si le progrès remue, demande
Dès que le progrès marche, on réclame un sauveur,
le roi, On vénère Haynau, Boileau, l'état, l'église.
Et la férule ; et c'est ainsi qu'on réalise
Foulds, Kouhers, Dupins,
Pour les Suins, les Dupins, les Cousins, les Parieux.
4/6 LES MANUSCRITS DE TOUTE LA LYKE.
XXVI. A DE CERTAINS MOMENTS, L'HOMME JUSTE EST KISIBLE.
hommes Page 364. Les choses er les mots changent de sens...
interprété Tout est défiguré, calomnié, noirci; Qi£e^-ce, au fond, qu'Aristide? un Un fi-ont de vierge n'est qu'un masque réussi.
VahjeHion, la fuite ha lâcheté, la honte La déroute, l'orgie et la peur, sont nos sœurs...
Varions ration. Je dois vous dire. Page 365. Ecoute2-les parler : — Je dis, et je m'en tords...
Avoir de beaux laquais dans un
Bien vivre, et de laquais emplir son vestibule.
Dante e!i un mécontent que l'orgueil
À bas tous ces gens-là ! l'orgueil les étouffait.
Dante, Eschyle, Milton ?
Hoche, Marceau, Kléber? J'aime autant Galliffet.
Caiphe Thersite
On excuse Anitus et l'on comprend Zoïle.
on est heureux Décroître plaît ; c'est doux et bon d'être petit ;
L'abjecte foule
La multitude, ajant pour amour l'appétit...
à poi lents riant
Page 366. Et c'est ainsi qu'on entre en raillant dans la nuit, 0 douleur ! et qu'on voit s'ef&cer au solstice
la raison. Tous ces astres, le droit, l'idéal, la justice,
Et que la conscience
C'est ainsi que notre âme abdique. . .
, Brutus
Que la Rome d'Emile et de Gracchus se change. .
VARIANTES ET VERS INEDITS. 477
XXVII. A VOUS TOUS.
marchaient h grands pas , Page 367. Ils étaient confiants, ils faisaient de grands songes. .-
disperse une cendre
Ils avaient dissipé comme un nuage au vent. . .
Et que des gens d'esprit et de bon sens qu'enivre
Nf point penser
Ce but sublime, rire et digérer, bien vivre...
jouir et Page 368. Dormir, bâiller, railler, ignorer, être ainsi...
les Et le Napoléon troisième a fait nos cœurs
chétifSj étroits. Tels qu'ils sont, gracieux, point fanfarons, moqueurs..
Que leur cavalerie attaquait des vaisseaux,
Et prenait une flotte à l'ancre , a l'abordage j
Les prenait, et donnait aux flottes l'abordage...
Page 369. ... et qu'ils défirent
Q^ils braquaient ce canon sur ''' Ce que vingt siècles noirs et tristes avaient fait.
Sur un feuillet relié au Reliquat, le même sujet est ébauché en comédie '''
On était autrefois vigoureux ^ fort, robmte Et point méchant.
^uand ils allaient en guerre,
Ils soufflaient largement dans une énorme conque;
Uoia verre^, en lisant un Vindare quelconque.
Que ces hommes, puissants et bons, avaient jadis
Des cœurs d'enfants avec des torses de bandits ;
Vous êtes aujourd'hui des tas de maigre-échines ;
Le moindre vent qui souffle ébranle vos machines ;
Les hommes des vieux temps avaient des pectoraux j
Comme on se met banquier on se mettait héros.
Ça vous naissait avec des muscles de héros ; (i) Variante non terminée. — '^) Les cinq premières lignes sont rayées.
4/8 LES MANUSCRITS DE TOUTE LA LYKE.
Mordioux ! qu'est-ce que c'est que tous vos petits princes
Sanglés dans leur corset, brodés, frisés et minces.
Auprès des rois d'Homère altiers et radieux.
Et vos forts de la halle auprès des demi-dieux ?
Les AchiUes étaient des gaillards ; les Hercules
N'avaient pas les poumons farcis de tubercules ;
Ils prenaient pour bidet le tigre ou le griffon ;
Ils n'allaient pas toussant, crachant; Bellérophon
Ne craignait point le frais, le serein, la rosée;
Et je n'ai pas ouï raconter que Thésée
Pour entrer dans l'enfer se mit
Entrât dans les enfers avec un cache-nez.
Versée
Orphée à qui Pluton disait : vous m'étonncz,
Emerveillait le Styx de son ut de poitrine. On est du Sacré-Cœur ou bien de la Doctrine Maintenant ; triste , on a pour dogme et pour devoir Une cravate blanche avec un habit noir. Un mauvais estomac pour vertu principale. Et pour perfection suprême d'être pâle.
Dans les brouillons du manuscrit de L'Art d'être Grand-Fère, on trouve cette variante :
Ils savaient triompher, et surtout secourir. Ils ajoutaient l'épée au rire de Voltaire, Toute la France était en eux, toute la terre Saluait des esprits dans ces soldats de fer, Jean-Jacques dans Marceau, Rabelais dans Kléber. Ces hommes étaient grands.
NOTES DE L'EDITEUR.
HISTORIQUE DE TOUTE LA LYRE.
Nous avons donné dans le tome premier de Toute la Lyre quelques précisions sur l'origine des poésies qu'il contient. Nous indiquons ici les détails que nous avons pu recueillir sur quelques-unes des pièces qui composent ce volume et nous expli- quons les raisons qui nous ont fait attribuer des dates à certains manuscrits qui n'en portent pas.
V
A une religieuse. — Marie Hugo, nièce de Victor Hugo. Du Carmel de Tulle où elle était retirée, elle a continué de cor- respondre avec son oncle jusqu'en i88j.
L'autre jour, ami cher, ami de "vingt an- nées. . . — Victor Hugo , étant allé voir Villemain et ne l'ayant pas trouvé, im- provisa ces vers qu'il lui laissa en guise de carte de visite. Rentré chez lui, il les récrivit de mémoire , c'est cette copie qui figure au manuscrit. Les héritiers de Vil- lemain possèdent l'original.
Uénm rit toute nue au-dessus de mon lit. . . — Cette poésie constitue une description de la chambre à coucher de Victor Hugo telle qu'elle était rue de la Tour-d'Au- vergne, de 1849 à 1852. Les objets qui la composaient ont été dispersés à la vente publique des meubles, en juin 1852.
Tu me dis : Finis donc ton livre des Mi- sères... — En octobre 1851, date de cette pièce, Victor Hugo était en pleine bataille politique ; déjà il avait lancé à la tribune, contre le prince-président, ce mot devenu fameux : Napoléon-Ie- Petit. Cette lutte journalière ne lui laissait pas de loisir et Les Misérahles^^\ inter- rompus une première fois par la révolu-
'"' Titre primitif : Les Miûres.
tion de 1848, ne s'étaient enrichis, en 1851, que de quelques chapitres.
0 toi qui m'as maudit dans tes souffrances sombres. . . — Nous avons cherché en vain dans les journaux, dans les mémoires du temps, dans la correspondance de la duchesse d'Orléans, où Victor Hugo avait pu trouver l'écho d'une plainte ou d'une malédiction ; comment la duchesse aurait-elle pu oublier l'attitude coura- geuse de Victor Hugo, en février 1848, proclamant, place de la Bastille, la ré- gence au milieu du peuple hostile ?
La poésie suivante : A un enfant, évoque les conversations que Victor Hugo avait, aux Tuileries, avec la duchesse, à propos du comte de Paris, alors âgé de six ans'"', et prouve son fidèle attache- ment dans le malheur à celle qui eût pu être régente de France.
Victor Hugo apprit d'une singulière façon la mort de la duchesse d'Orléans ; il écrit sur son carnet de 1858 :
20 mai. — La nouvelle de la mort de M"* la duchesse d'Orléans m'est parvenue ce matin de cette façon assez mystérieuse : — on m'apporte un petit journal illustré de Londres, le Tout Talk^ que je ne reçois pas d'ordinaire. Je l'ouvre, au centre il y avait une caricature
'*' Voir Choses imes, tome I, 1844. (Edition de l'Imprimerie Nationale.)
48o
NOTES DE L'EDITEUR.
de Bonaparte, et en marge de cette caricature, j'ai lu ces deux lignes écrites au crayon : « La duchesse d'Orléans (Hélène) est morte ce matin 19. — On fait courir le bruit que le scélérat du 2 décembre l'a fait empoisonner. »
A. L. M.
C'était une noble femme. Je ne crois pas à cet empoisonnement. Qui est cet A. L. M. ?
A deux ennemis amis. — \bici le brouillon de lettre dont nous avons parlé page 376 :
Maintenant lisez les vers que vous trouverez sous ce pli. Je les envoie à Alex. Dumas qui les lira de son côté et je ne les publierai qu'au- tant que tous les deux vous me direz : publiez. Comme je respecte avant tout votre liberté, il suffira qu'un de vous deux me dise non pour que ces vers rentrent dans la nuit.
Nous avons le nom de l'un des deux « ennemis » ; le livre de Clément Janin, neveu de Jules Janin : Uictor Hugo en exil, nous donne le nom de l'autre et le motif de la brouille.
Jules Janin avait critiqué assez verte- ment Flaminio, un drame de George Sand. Alexandre Dumas avait pris parti violemment pour «la dame de Nohant» dans son journal Le Mousquetaire. Victor Hugo voulut réconcilier ses deux amis, il écrivit ces vers et les soumit aux inté- ressés. Lequel dit : non?
Toujours est-il que ces vers ne pa- rurent qu'en 1888, après leur mort à tous les trois.
A Jeanne. — Cette pièce , datée sur le manuscrit 16 août 1870, n'a été, en réalité, écrite qu'en 1876. Nous avons, outre l'écriture , un point de repère pour fixer cette date : nous trouvons trois strophes de cette poésie : A Jeanne, au verso d'une page de Guerre civile ^^\ Le manuscrit de : Guerre civile n'est pas daté, mais il est en tous points conforme à celui de U Aigle du Casque (Légende des Siècles), daté de 1876.
'"' La Légende des Siècles.
Ave, Dea; moriturus te sa lu ta t. — Un carnet de Victor Hugo porte , à la date du 16 juillet i8j2 :
Envoyé le sonnet Ave, Dea, moriturui te salutat.
Et plus loin , le 2^ juillet :
Les journaux publient mon sonnet à M°" Judith Mendès O.
Entre autres journaux, ha Renaissance littéraire et artiBique publiait ces vers le 27 juillet 1872.
Si dans ce grand Paris, ô charmante infir- mière. .. — Le 12 novembre 1870, Victor Hugo note dans son carnet qu'il a rendu visite, sur la demande des blessés qui y étaient soignés, à l'ambulance installée dans le foyer du théâtre de la Porte Saint- Martin '^>. Les actrices de ce théâtre étaient les infirmières de cette ambu- lance. C'est pour l'une d'elles, sans doute, que ces vers ont été composés.
Un vieillard eft souvent puni de sa vieil- lesse... — Pas de date au manuscrit, mais ces vers furent certainement écrits dans le désespoir où un dernier deuil venait de plonger Victor Hugo.
Son second fils, François- Victor, ma- lade depuis plus d'un an, mourait le 26 décembre 1873.
A Madame dA.-Sh. — M"" d'Alton- Shée était allée , en 1872 , avec son mari , passer quelque temps près de Victor Hugo, à Guernesey. Nous trouvons des détails sur leur séjour dans une lettre du poète à Judith Gautier ''l II insiste pour qu'elle aussi vienne le voir :
Deux ans d'absence ont délabré ma ma- sure, et je n'ose vous y offrir un affreux
f Fille de Théophile Gautier., '"' Voir Choses vues, tome IL (Edition de l'Im- primeric Nationale.)
''' Collection de M. Louis Barthou.
HISTORIQUE DE TOUTE LA LYKE.
481
coin C; mais en face de Hauteville House il y a un petit Familj-Hotel où M. et M°" d'Alton- Shée (qui sont venus, eux !) ont deux chambres
''' Victor Hugo avait quitté Hauteville House en 1870 et n'y était revenu qu'en 1872.
pour 20 francs par semaine. Ils sont chez moi toute la journée, déjeunent et dînent chez moi, et n'ont que la rue à enjamber.
Pour remercier M"" d'Alton-Shée, Vic- tor Hugo lui a dédié cette poésie.
VI
Toute la vie d'un cœur. — - Nous avons reproduit, pages 386-387, la liste chrono- logique reliée dans \cKeliquat; cette même liste existe dans un volume d'épreuves ''* de L'Art d'être Grand-Fère, où. le titre : Toute la vie d'un cœur, a précédé celui définitivement adopté : Les Fredaines du Grand-Pere enfant; des épreuves ont été tirées pour deux de ces divisions : 1817 : y allais au Luxembourg rêver. — 1820 : Printemps. Mai le décrite... et pour une pièce intitulée : La Foret \^De q^uoi parlait le vent^...^^^''. Ces trois poésies dispa- raissent sur l'épreuve suivante, nous les retrouvons reliées dans le manuscrit de Toute la Lyre.
Un coup de vent pa^sa , soujjle le fie et char- mant. . . — Ces vers semblent une rémi- niscence de la lettre que Victor Hugo avait adressée le 4 mars 1822 à sa fiancée j dans cette poésie , il dit avoir été choqué , dans la lettre il prévient Adèle qu'elle l'expose, en relevant trop sa robe les jours de mauvais temps, «à donner un soufHet au premier insolent dont le regard osera se tourner vers toi».
'"' Maison de Victor Hugo. '*' Voir page 146.
Les Misérables '^^^ rappellent aussi cet incident.
^u'eB-ce que cette année emporte sur son aile? — Vers écrits pour Juliette Drouet sur le Livre des anniversaires , et que Victor Hugo a transcrits.
Ouij je suis le regard et vous êtes l'étoile. — Ces mêmes vers sont reproduits sur la feuille de garde d'un exemplaire du Conservateur littéraire donné à M'"" Drouet et qui a fait partie de la collection de M. Louis Barthou. Ils sont datés sur cet exemplaire 20 août iS^^; le manuscrit de la Bibliothèque nationale n'a pas de date.
A.U bal. — Cette poésie est écrite au verso d'une invitation imprimée, du II mars 1850. L'écriture correspondant bien à cette époque, nous avons attribué ces vers, datés 2 mars, à l'année 1851.
Tous deux — eft-ce à Tibur ? elt-ce à Uille- d'Avray ? — La note au bas du manu- scrit : Pendant le plébiscite, date ces vers : 1870.
'"' Tome II, Marius. (Édition de l'Imprimerie
Nationale.)
VII
Œticonque eft amoureux eH esclave... — Nous avons situé cette pièce dans l'année 1861, le manuscrit étant absolument pa- reil à celui des vers publiés dans Dernière Gerbe^^'' et ducs JuiHet-aoât 1861.
Le marquis de Bade a deux cornes. '"' La Terre de l'eau.
En
1863, Victor Hugo avait dessiné sur son carnet de voyage le portrait d'un marquis de Bade. Nous avons reproduit ce dessin dans le deuxième volume de : Ln voyage
(1)
''' France et Belgique; Alpes et Vy rénées j Uoyages et Excursions. (Edition de l'Imprimerie Natio- nale .)
IM1>MU£MB HATlOiril.E.
482
NOTES DE L'EDITEUR.
En 1865, passant à Bade , Victor Hugo a revu l'église :
Superbe tombeau du xiv' siècle. Au centre un géant de pierre, qui est un margrave de Bade, couché sur une table avec des lions sous SCS pieds et sous sa tête et tenant à la main son morion bicorne,
La première strophe se lit dans l'album emporté pour le voyage de 1865.
Uoiseau passe. . . — Pour cette chanson , la musique n'a pas été faite sur les vers de Victor Hugo, mais Victor Hugo a fait les vers pour la musique de sa fille. Le carnet donne cette note :
/ septembre 1861, — J'ai fait ce matin la petite chanson de l'oiseau pour la mélodie d'Adèle.
Hacquoil le marin. — Hacquoil était un marin de Jersey, on lit son nom : Vhilip Hacquoil, sur l'un des feuillets des Ta^ de Pierres ^^K
Le Château de l'ArhreUes. — C'est en allant visiter les Alpes, en 1825, avec
''' Océan vers. Moi. (Inédit.)
Charles Nodier, que Victor Hugo vit le château de l'Arbrelles, qu'on était en train de démolir. Nous lisons dans Litté- rature et Philosophie mêlées ''' ;
Nous avons vu démolir encore, près de Lyon, le château renommé de l'Arbrelles. Je me trompe, le propriétaire a conservé une des tours, il la loue à la commune, elle sert de prison.
Chansons de Gavroche. — Le 19 août 1865, avant de partir pour son voyage annuel , Victor Hugo rangeait ses manuscrits et plaçait dans un dossier spécial :
Les choses ajournées (vers) qui feront partie des Poésies de Jean Prouvaire et Chansons de Gavroche.
Poésies et chansons étaient assez nom- breuses puisqu'elles devaient, d'après une autre note , former un volume :
Ce qui est dans ce dossier est réservé et fera partie du volume intitulé :
Poésies de Jean Prouvaire et Chansons de Gavroche.
c Guerre aux démolisseurs.
LA CORDE D'AIRAIN.
Le tome II de l'édition originale de Toute la Lyre (1888) donne, groupées sous le titre : La Corde d'airain, quinze poésies : — Ecrit sur un exemplaire des Châtiments. — 0 sombre femme , un pur, n'ayant plm de royaume. .. — A des régi- ments découragés. — Apres Sedan. — Veltruc- tion de la Colonne. — L'Orgie des meurtres. — Uictoire de l'ordre. — A un roi de troisième ordre. — Alsace et Lorraine. — La libération du territoire. — Le lionceau songeait. — Un grand sabre serait d'utilité publique. — Aux historiens. — La Quejiion sociale. — 0 ses amis d'hier, pas d'aujour- d'hui. . .
La première de ces poésies a été attri- buée, par la suite, aux Années f une/les ; les quatorze autres ont été maintenues
dans les éditions suivantes de Toute la Lyre ; l'édition populaire illustrée leur en a adjoint treize nouvelles j en tout vingt- sept; ce sont celles qui occupent ici les pages 295 à 369.
La deuxième série de Toute la Lyre (1893) comprenait aussi une division intitulée : La Corde d'airain; cette divi- sion a disparu des éditions postérieures et les pièces qui la constituaient ont formé Les Années funeiies.
A la France de i8j2. — Un carnet de 1872'^' nous donne ces détails :
28 jattvier. — Avant le dîner, j'ai lu à Vacquerie, \ Meurice et à Victor les vers A
''' Collection de M. Louis Barthou.
HISTORIQUE DE TOUTE LA LYKE.
485
la France que j'ai faits ce matin pour la reprise de Kity Bios O. Ces vers pourraient être inter- dits par la censure, ils seraient réclamés par le public. De là des troubles à la première représentation. Leur avis, comme le mien, est qu'il vaut mieux n'en pas parler.
II mars, — he Rappel publie mes vers A la France de i8j2 qui seront en tête de l'édition spéciale de Kuj Bios (^'.
A. un roi de troisième ordre. — Victor Hugo a raconté, dans plusieurs poésies de h' Année terrible, dans Choses vues et dans ABes et Paroles, l'agression dont il fut victime en mai 1871 à Bruxelles, l'expulsion qui s'ensuivit et qui motiva ces vers.
Alsace et Lorraine. — Nous extrayons d'une lettre inédite de Victor Hugo à Paul Meurice le passage suivant :
H. H., 12 novembre [1872].
... Vous trouverez sous ce pli la pièce Alsace et Lorraine que je viens de faire pour le livre que la Société des Gens de lettres publie au profit de la souscription nationale (^). Cette pièce sera jointe plus tard à L'Année terrible^^\ Pour l'instant, voici la question, je vous la soumets : Est-elle publiable } — Elle est vive. Seriez-vous assez bon pour communiquer cette pièce de ma part à M. Charles Valois, président du comité des Gens de lettres, et pour lui demander son avis. On pourrait remplacer les vers trop furieux par des lignes de points. Maintenant, comme pour la pièce A Théophile Gautier, vous décideriez quelle est la meilleure façon de publier, et s'il faut donner la primeur au livre ou aux journaux.
Serez-vous assez bon pour dire qu'on m'en- voie une épreuve.
Dites-moi aussi si vous êtes d'avis de main- tenir la note de la page 3. Cette note a pour but d'expliquer Ma Lorraine W.
'■' Qui eut lieu à l'Odc'on le 19 février 1872. '^' Édition publiée le 18 mars 1872. ''' Au profit des Alsaciens et des Lorrains. '** Elle n'en fait pas partie. '^' Le père de Victor Hugo était ne à Nancy ; la note ne fut pas publiée dans l'édition originale.
Le 29 décembre, note du carnet
(1)
Conflit entre le Rappel et la Société des Gens de lettres k qui publiera le premier mes vers Alsace et Lorraine.
Victor Hugo avait laissé Paul Meurice maître de décider de la meilleure façon de publier.
C'était bien tentant ; donner la pri- meur au Rappel était tout indiqué ; d'un autre côté les vers avaient été écrits pour le livre publié par la Société des Gens de lettres. Nouvelle lettre à Paul Meurice :
H. H. 29 x""" [1872] (^). '
Mon admirable ami, je viens à vous. Je suis perplexe. M. Charles Valois m'écrit au nom de la Société. Voici sa lettre ^^K Lisez-la. Il y a du vrai dans ses raisons. Et vous aussi, vous êtes dans le vrai. Que faire ? Décidez-le vous-même. Je vous remets la décision, et je m'incline devant votre souveraineté. Vous pourriez, je crois, causer avec M. Ch. Valois,
(') Il y a plusieurs carnets pour l'année 1872 ; celui de juin à décembre fait partie de la collection de M. Loucheur.
('1 Inédit.
''' Société des Gens de lettres.
Paris, le 26 x*"* 1872. Mon cher Maître,
Paul Meurice a dû vous envoyer l'épreuve à corriger des magnifiques vers dont vous avez bien voulu faire don à la Société, en faveur des Alsaciens et des Lorrains. Je vous serai obligé de lui renvoyer cette épreuve par le prochain cour- rier, pour que l'imprimeur puisse tirer sans perdre de temps.
A ce propos, le comité craint qu'une publica- tion dans le Rappel, faite quinze jours à l'avance , comme le désire M. Meurice, ne soit hâtive et ne déflore le succès du livre. Il se propose de lui donner carte blanche pour cette publication dans son journal, quelques jours seulement avant la mise en vente, et serait heureux que vous lui fissiez connaître vos sentiments à cet égard.
Le comité vous remerciera officiellement du cadeau superbe que vous avez fait aux Alsaciens- Lorrains, nos malheureux compatriotes.
Recevez, mon cher Maître, la nouvelle assu- rance de mes sentiments d'affection et de dcvouc-
"^"^- Charles Valois.
27, rue Lepic.
31 •
484
NOTES DE L'EDITEUR.
et résoudre la difficulté en commun. Ce que vous ferez sera bien fait.
Voulez-vous être assez bon pour transmettre cette lettre k M. Ch. Valois, 27, rue Lepic : l'avantage de publier en dehors des vacarmes de Versailles est certain, d'un autre côté, il y aurait inconvénient pour le livre.
Pesez, et décidez.
Les vers ne furent décidément pas publiés dans le Rappel, mais on en fit des lectures publiques, ainsi qu'en témoigne ce passage d'une lettre de Paul Meurice à Victor Hugo ''^ :
Avril 1873.
M"' Cornélie a lu, dimanche dernier, au théâtre de la Renaissance, Alsace et Lorraine avec un effet immense. On avait grand'peur que cette lecture ne fût interdite, et si les bons généraux de l'état de siège avaient connu la pièce, ils l'auraient certainement défendue. Voilà pourquoi nous n'avons pas osé la pu- blier dans le Rappel, voilà pourquoi j'ai sup- primé huit vers dans le Peuple souverain. Rien n'a été supprimé à la matinée, et le succès a été inouï. C'étaient des trépignements et des bravos sans fin. M""' Cornélie a un peu trop usé pourtant des notes basses et de la voix sourde. Mais le cri est si sublime qu'il a tout emporté. On voudrait redire Alsace et Lorraine une seconde fois, et on nous a priés de ne pas attirer l'attention de Ladmirault^"^) de ce côté.
Un tirage à part fut vendu au profit des Alsaciens et Lorrains.
La Libération du territoire. — On remar- quera que ces vers sont datés de la Villa Montmorency; François -Victor, très malade, y était soigné, et, pour être près de son fils , Vic-tor Hugo loua pour trois mois (aoiit, septembre, octobre) une maisonnette meublée à deux pas de la maison de santé <'^ Il s'y installa le 5 août, y travailla, y reçut ses amis, et ne la quitta que le 4 octobre, quand
i" Correspondance entre ViHor Hugo et Vaut Meu- rice.
("' Gouverneur de Paris. W Carnet de 1873.
François-Victor fut en état d'être trans- porté à Paris. C'est à Auteuil qu'il lut, le 31 août, à Paul Meurice, Vacquerie et Robelin La Libération du territoire, qu'il avait achevée deux jours avant.
Comme Alsace et Lorraine, la publica- tion de ces vers donna lieu à bien des hésitations , nous en suivons les phases dans le carnet de 1873 :
T septembre. — J'ai remis à Meurice et à Vacquerie La Libération du territoire, en les lais- sant libres, vu l'état de siège, d'y couper tout ce qu'ils trouveraient dangereux.
12 septembre. — Le Rappel annonce qu'il publiera dimanche mes vers La Libération du territoire. En les relisant, je crois, vu l'état de siège, impossible de les publier sans faire supprimer le journal. On me demande de les lire à haute voix, Victor et ces dames sont de mon avis. Vacquerie persiste à vouloir les pu- blier. J'invite Meurice à déjeuner pour demain samedi. Il décidera la question.
7^ septembre. — Paul Meurice est venu déjeuner avec moi. Nous avons résolu la difficulté. La Libération du territoire paraîtra en brochure, et je donnerai d'autres vers au Rappel.
i^ septembre. — J'ai corrigé les épreuves de La Libération du territoire qui s'imprime chez Claye. Elle paraîtra en brochure. J'ai mis sur le titre : Au profit des Alsaciens-Lorrains, jo cen- times. Toute la vente ira à la caisse de secours des Alsaciens.
16 septembre. — Aujourd'hui a paru La Libé- ration du territoire.
i'^ octobre. — 2.500 exemplaires sont vendus à l'heure qu'il est.
La Bibliothèque nationale possède la 23" édition de cette plaquette datée 1873.
Une lettre d'Edgar Quinet à Victor Hugo donne un aperçu de l'effet produit par ces vers :
ViUefranche-en-Lauraguais , H"-Garonne. . 26 7"" 73- Cher ami.
Dans ces heures d'étouffement , de délire, vous avez fait parler la France. Oui, La Libé- ration du territoire est une première revanche.
HISTORIQUE DE
Ce sont Ik les accents que j'attendais. J'ai commencé à vous lire dans le Calvados, je vous ai rencontré partout dans notre voyage ; c'est vous qui nous avez accueillis à notre arrivée à Tours, à Poitien, à Périgueux, k Toulouse. Tout résonne de ces vers sublimes. C'est une colonne de lumière qui court k travers la France... et les insensés projettent de l'enterrer vivante !
En vous lisant, et vous relisant, je sens la vie d'un grand peuple immortel qui se rit des ténèbres.
Vivez, cher Hugo, pour l'honneur de tous!
Votre
Edgar QuiNET.
Enfin, le 5 février 1874, nous lisons dans le carnet :
La vente de La Libération du territoire a pro- duit, bénéfice net, 4.506,30.
Il y a trois comités de secours pour les Alsaciens-Lorrains. Je partage en trois parts égales. J'envoie :
1° Au comité présidé par M. d'Haus-
son ville 1.502,10
2° Au comité présidé par M. Lauth,
de Strasbourg 1.502,10
3° Au comité présidé par M. Crémieux,
représentant 1.502,10
4.506,50
Après la publication en plaquette, ha Libération du territoire a paru dans Ailes et Farcies, tome III, édition de 1875-1876, et a été jointe à L'Année terrible, édition illustrée, 1879.
Uiéloires et conquêtes de la religion. — Cette poésie devait faire partie des Quatre TJents de l'Elprit; nous avons publié une note de Victor Hugo sur ce sujet
TOUTE LA LYKE.
485
(')
Ô sombre femme, un jour, n'ayant plus de royaume. . . — Ces vers sont datés 24 no- vembre 1867. Au début de Tannée, les femmes de six condamnés fenians avaient écrit à Victor Hugo pour le prier d'in-
'*' Les Quatre Vents de l'Eiprit. (Historique.) [Édition de l'Imprimerie Nationale.]
tervenir; une lettre «À l'Angleterre» parut ^'' et la reine Victoria fit grâce. Six mois plus tard, le gibet reprit ses droits et trois exécutions eurent lieu à Dublin.
0 princes insensés! ^uoi! ne tremblent-ils pas. . . — Ces vers , dont l'écriture est de 1846, nous semblent l'écho du discours prononcé par Victor Hugo le 19 mars 1846 pour protester contre le massacre des Polonais qui luttaient en Galicie pour reconquérir leur indépendance.
Voici un extrait de ce discours :
. . . Ce qui fait qu'aujourd'hui j'élève la parole. . . c'est que je sens la civilisation offensée par les actes récents du gouvernement autri- chien (*'. De ce qui vient de se faire en Galicie, les paysans n'ont pas été payés, on le nie du moins ; mais ils ont été provoqués et encouragés, cela est certain. J'ajoute que cela est fatal. Quelle imprudence! S'abriter d'une révolution politique dans une révolution sociale ! Redouter des rebelles et créer des bandits !
La conclusion en vers est plus frap- pante encore. En déchaînant les paysans, les faucheurs, comme on les appelait, contre les patriotes de Cracovie, com- ment les rois n'ont-ils pas entrevu la conséquence de ce massacre :
Les seigneurs aujourd'hui, les couronnes demain.
Grandes oreilles. — La pensée qui a dicté ces vers se lit en prose dans une petite plaquette intitulée FeuiBes paginées :
En France, que de gens k longues oreilles : ânes en littérature et lièvres en politique !
L'écriture est de 1828 à 1830.
Quarante-deux ans plus tard cette remarque a trouvé son application. Une
f A^es et Paroles. — Pendant fexil.
''' Qui, voyant sa possession de la Galicie menacée par l'agitation des patriotes polonais, envoya des agents pour déchaîner les paysans contre les seigneurs et les riches propriétaires. Ces agents promettaient aux paysans les biens de ceux qu'ils tueraient.
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NOTES DE L'EDITEUR.
note dans les brouillons, donne même un nom :
Casimir Mondon au Petit Figaro. Ah ! malgré tant de travaux, que d'ignorance et '
de lâcheté et de routines, et que de gens k longues oreilles! ânes en littérature, lièvres en politique !
II
REVUE DE LA CRITIQUE.
Parmi les nombreux éloges qui saluè- rent en 1888 l'apparition de Toute la Lyre ^ à peine quelques notes discordantes se firent entendre dans certains journaux royalistes } le plus violent article fut signé Jules Lemaître, nous en avons donné d'importants extraits tout en laissant une large place à la réponse si serrée et si concluante écrite par Emile Blémont.
Le Figaro. 30 mai 1888.
Philippe GiLLE.
Le grand poète a très justement intitulé Toute la Lyre, ce magnifique recueil dont chaque partie le fait l'égal de ses aînés. Ce sont, en effet, toutes les cordes de la lyre, depuis celle qui a vibré dans ses Odes et ballades jusqu'à celle qui a résonné dans La Légende des Siècles, que nous allons entendre aujour- d'hui. Les amis qui, avec un soin pieux, ont mis en ordre les pièces qui composent ces deux volumes, ont divisé les sept cordes en sept chapitres, contenant chacun les morceaux qui chantent la nature, l'humanité, la pensée philosophique, l'art, la pensée intime, l'amour, la fantaisie. Restait une partie de ces poèmes plus sévère que les autres ; empruntant le titre au vers célèbre du poète, MM. Vacquerie et Meurice les ont appelés : La Corde d'Airain. Il m'est impossible de faire le dénombrement des beautés de premier ordre qui surgissent partout de ce livre contenant, à la fois, tout ce que le poète avait de grandeur et de charme ; je ne puis que former une sorte de bouquet de toutes ces fleurs, fleurs de printemps, d'été ou d'automne, et donner ainsi une faible idée de la puissance et de la délicatesse de leur par- fum et de leur couleur.
Le Gil Bios. 31 mai 1888.
Paul GiNISTY.
Demain paraît encore une autre œuvre d'Hugo, Toute la Ljre, un millier de pages de vers que MM. Meurice et Vacquerie ont réunies, selon l'intention du poète, et que, en familiers de sa pensée, ils ont groupées dans l'ordre qu'il eût vraisemblablement adopté lui-même s'il avait eu le temps, orfèvre prodigieux, de démêler tous les joyaux poéti- ques qu'il forgeait.
Ce n'est pas seulement un émerveillement, c'est aussi une sorte de stupeur que l'on éprouve en pensant à cette incroyable puis- sance de travail du Maître, à cette prodiga- lité de son génie, si bien que, après tout ce que nous connaissons déjà, nous avons à attendre encore de continuelles joies litté- raires, dans la révélation de ce qu'il n'avait point donné lui-même. . .
... Il y a là des pièces de toutes les époques de la vie d'Hugo. Il en est qui datent de la floraison même du romantisme, qui se plaisent en d'audacieux défis de rythmes et de mètres, qui portent de truculentes épigraphes, qui évoquent tous les fiers combats de ce temps belliqueux où tant d'idées furent remuées, et il en est d'autres qui sont des derniers jours du poète, qui forment en quelque sorte son testament, oh. il exprimait encore, au seuil de la tombe, sa foi profonde en des ères apaisées et meilleures, apportant la revanche de la raison sur les iniquités et les folies de notre âge de fer.
Hugo n'avait laissé que le titre de ce recueil. Toute la Lyre. La tâche de MM. Meurice et Vacquerie était donc infiniment délicate, qui consistait dans le groupement de ces mor- ceaux. La division qui s'imposait était celle
REVUE DE LA CRITIQUE.
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des sept cordes de la lyre, répondant à un ensemble d'idées, philosophie, amour, nature, fantaisie, tragédie, chansons, sanglots, éclats de rire. Les héritiers littéraires du poète n'ont point trop précisé, cependant; ils se sont bornés à une classification pour ainsi dire idéale. . .
... Mais comment donner, en un article, l'impression d'un livre comme celui-là, où les idées bouillonnent, grondent, se pressent en flots tumultueux, avec tout k coup des apai- sements, des sourires et comme des saluts à des levers d'aurore ! . . Voix de colère, de pitié, d'amour, de tendresse, elles dominent tout, en résonnant, les cordes féeriques de la grande Lyre qui survit au poète !
Le Temps. 1" juin 1888.
[Non signé.]
Ces deux nouveaux volumes contiennent des témoignages de tous les âges poétiques de Victor Hugo. Cet homme extraordinaire vécut plusieurs âges de poète et son œuvre forme des stratifications comme les couches de l'écorce terrestre. Si vous aimez mieux, son œuvre est une babel pleine de chants et de murmures, de brises aériennes et de coups de tonnerre.
On entend un peu de tout cela dans le recueil posthume qui paraît aujourd'hui. C'est un prodigieux concert. Il y a dans Toute la Lyre de quoi étonner; il y a aussi de quoi charmer. Ce génie terrible a parfois des grâces exquises. Ayant k choisir parmi des merveilles de tout genre, nous voudrions ne citer que ce qui est parfaitement pur et d'une beauté parfaite. À cet égard, nous ne voyons rien de plus admirable que ces seize vers datés du 14 avril 1847 : «Écrit sur un livre du jeune Michel Ney»...
. . . Quelques années plus tard, au temps où le génie du poète était le plus large, le plus ouvert, le plus humain, il laissait tomber de sa plume ces trois stances délicieuses, qui restèrent trente ans cachées :
Sais-tu ce que Dieu dit à l'enfant qui va naître ?
Cette faculté de voir, que Victor Hugo avait au plus haut point, il la garda jusqu'au bout. Cet œil prodigieux, qui saisissait les formes et les couleurs avec une puissance
infaillible, ne s'obscurcit pas dans la vieil- lesse... En 1872, quand il écrivait les belles strophes qu'on va lire, il voyait les choses avec l'adorable limpidité de la jeunesse et de la poésie :
Je la revois, après vingt ans, l'ilc où Décembre
Me jeta, pâle naufragé. La voilà ! c'est bien elle. Elle est comme une chambre
Où rien encor n'est dérangé. . .
Porter dès aujourd'hui un jugement sur ces deux volumes serait une inconvenante légèreté. La poésie se goûte lentement. Mais ce qui nous a frappé en dévorant ces mille pages de vers, c'est la sûreté de main et la puissance de vision de l'incomparable ouvrier en poésie qui, comme un forgeron du matin au soir frappant sur son enclume, fit pendant soixante ans retentir dans le monde son vers sonore.
Le Radical. i" juin 1888.
Georges LefÈvre.
Depuis combien d'années attendons-nous ces deux volumes ! Et avec quelle rapidité nous ont-ils été donnés, si l'on songe aux effrayantes difficultés qu'ont rencontrées ceux qui avaient accepté la tâche écrasante de diri- ger cette publication !
C'est qu'en eflFet Victor Hugo n'avait laissé que le titre de l'ouvrage, et l'énorme amon- cellement de joyaux duquel il devait être tiré. Auguste Vacquerie et Paul Meurice pouvaient seuls se reconnaître assez dans ce trésor des Mille et une Nuits pour désigner les pièces nombreuses qui devaient composer l'œuvre nouvelle. Tous deux l'ont fait en grands poètes qu'ils sont, et dans l'énorme amas des chefs-d'œuvre encore inédits, ils ont trouvé des merveilles assez sublimes pour grandir la gloire du Maître, si cette gloire pouvait encore être grandie.
Victor Hugo avait écrit :
«Et j'ajoute à ma lyre une corde d'airain.»
et sous ce titre se retrouvent groupées toutes les strophes indignées du poète contre les crimes, contre les cruautés, contre les mas- sacres, contre les horreurs de l'invasion alle- mande et les égorgements de citoyens désarmés. ... On sait que les vers de Toute la Lyre
488
NOTES DE L'EDITEUR.
appartiennent à toutes les époques. . . C'est à la dernière période que se rattache cet admi- rable portrait d'une femme que tout le monde reconnaîtra et saluera bien qu'elle n'y soit pas nommée. Cela s'appelle Viro major, plus grande qu'un homme.
Après avoir cité cette poésie, G. Le- fèvre conclut :
... Et pendant que je découpais parmi tant de merveilles les vers qu'on vient de lire, je pensais k cette femme d'une légende orientale contrainte de choisir entre des perles, des saphirs, des rubis et des diamants.
Lf Uoltaire. 3 juin 1888.
Gustave Rivet.
Toute la Lyre! Ce titre si juste, si vrai, dit bien ce qu'est cette œuvre nouvelle, car il y a dans ce merveilleux recueil toutes les notes. Les sept cordes ont vibré tour k tour sous l'archet souverain de ce génie.
Ce qu'il dit d'Horace :
Son doigt souple à la fois touche à toute la lyre.
combien mieux on pourrait le dire de lui- même.
Il est grand comme Eschyle, puissant et satirique comme Juvénal, souriant comme Anacréon, et confondant toutes les grandeurs et tous les charmes, mêlant les passions, les joies, les tristesses, les colères, les sourires : il est lui-même.
Et c'est tout Victor Hugo que nous avons dans ces volumes superbes, depuis sa jeunesse jusqu'k sa mort. Je ne dis pas jusqu'k sa vieillesse, car pour ce grand esprit, la vieillesse n'est jamais venue ; il n'y a eu en lui que des forces transformées et des maturités successives.
Voulez-vous de La Légende des Sihles ? en voici ; des poèmes en qui souffle le panthéisme qui s'épanchait dans les vers merveilleux du Satyre s ou cette histoire de notre temps, sou- venirs des guerres d'Espagne, choses racontées par le père de Victor Hugo.
Voulez-vous un souvenir des ballades de 1827 ?. . . Voici La blanche Aminte avec ses rimes si imprévues, si originales, qui se répondent en échos, comme dans le fameux Voi d'armes du roi Jean,
Voulez-vous du théâtre ? Voici les Comédies injouables j qui se jouent tous les jours, et où le poète a noté avec son observation géniale et son ironie, de traits ineffaçables des carac- tères modernes.
Voulez-vous des chansons? En voici, depuis La Chanson du Ipeetre jusqu'aux Chansons de Gavroche.
Et voulez- vous la grande, la haute philo- sophie politique, humanitaire, dont le poète a été l'apôtre ? Voici les nobles pages histo- riques, sociales, par lesquelles s'ouvre et se ferme cette œuvre.
Une des plus superbes et des plus hautes, des plus douces et des plus mélancoliques, des plus fortifiantes et des plus attendries, c'est assurément la pièce : A un enfant j dont il est impossible de rien détacher, tant l'inspi- ration en est une, égalc^ tant d'un bout k l'autre le développement en est précis et serré. Voici la pièce k Louise Michel : Uiro major. Voici les poésies de combat contre les rois et contre les prêtres, pour la liberté et pour la conscience.
Voici La Libération du territoire , La (^ueiiion sociale. Enfin ce magnifique poème, L'Echa- faudj dans lequel le Maître explique les gran- deurs terribles et sanglantes de la Révolution, glorifiant notre temps d'en avoir fini avec le meurtre, prêchant l'humanité, la douceur, la concorde, et applaudissant la révolution de février, dont le premier acte a été d'abolir réchafaud politique.
Cette œuvre nouvelle ajouterait k la gloire de Victor Hugo, si cette gloire pouvait être accrue. Mais si Dieu ne peut plus maintenant ni diminuer ni grandir le génie qui a empli ce siècle, nous ne pouvons, nous, que nous réjouir de voir qu'aux chefs-d'œuvre déjk connus viennent s'en ajouter d'autres ; et que la prodigieuse fécondité du grand poète a entassé pour cette fin de siècle comme une réserve de hautes jouissances littéraires, et qu'il nous donne, du fond de son tombeau, au milieu des tristesses de ce temps, de quoi élever nos âmes et nous enorgueillir.
La Nation, 14 juin 1888.
[Non signé.]
Quelle vie triomphale que celle de Victor Hugo !
REVUE DE LA CRITIQUE.
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. . . Victor Hugo n'a pas été seulement un grand rhétoricien, un grand révolutionnaire de mots, comme des critiques aveugles l'ont prétendu : il a été aussi un grand remueur d'idées. Donnant au mot de poète sa signi- fication ancienne, il a pris en pitié toutes les misères, toutes les infirmités humaines.
... Il a combattu tous les préjugés, toutes les iniquités sociales. Il a montré, élargie, purulente, hideuse, cette plaie de la Justice : la peine de mort. Il a eu pour ennemis tous les despotes et pour amis tous les vaincus, tous les opprimés, tous les proscrits. Il a été le soldat du droit et le martyr du devoir.
Et c'est pourquoi, si les lettrés l'admirent comme le plus grand poète du siècle, le peuple aime et vénère sa mémoire comme celle d'un apôtre de l'humanité.
Le Monde artiste. Juin 1888.
Edouard Thierry.
- Saluons le poète de Toute la Lyre !
Rien de vide, rien d'inutile là-dedans. Rien qui ne soit plein et précieux, rien qui n'ait le poids et le titre de l'or. Rien qui ne pense et ne fasse penser, qui n'arrête et qui ne retienne. Ce n'est pas ici qu'Hamlet dirait dédaigneu- sement: Des mots! des mots! des mots! Oui, des mots, et des mots qui ont la force créatrice du verbe, des mots par lesquels les choses sont ce qu'il leur a été départi d'être et deviennent ce qu'elles n'avaient jamais été. Avec ces mots-là, le poète fait à son gré le charme et l'horreur infinis, l'Eden et la Géhenne, le nouveau-né, pur comme les anges, qui bal- butie encore leur langue, et le monstre effrayant, odieuse épave d'un monde détruit dont le squelette atteste encore les hercules et les hydres au fond des cavernes antédilu- viennes.
... Qu'est-ce que le grand poète n'a pas fait avec des vers ! Quelle musique , quel éblouissement n'en a-t-il pas tiré ? On pou- vait croire qu'il avait dit en plus d'un demi- siècle tout ce qu'il avait à dire pour sa gloire, et il avait encore à nous donner tant de chants inconnus de la dernière heure ! Uiro major .'Vins grand qu'il n'est donné à l'homme et plus grand que lui-même.
La Nouvelle Revue.
Juin 1888,
Maurice Peyrat.
Cette puissance si rare de dompter la langue à sa guise, d'y puiser sans compter et sans fatigue l'expression toujours heureuse, Victor Hugo la possédait merveilleusement. Il avait le vocabulaire le plus riche et le plus divers qui se puisse imaginer, et les mots, sans effort, accouraient en foule- à l'appel de sa volonté. Il se jouait au milieu d'eux comme un jongleur exercé s'amuse des boules d'ivoire qu'il lance dans l'espace, et sa fantaisie n'eut jamais rien de si excessif ni même de si outré que la phrase, esclave obéissante, ne vînt, pour l'exprimer, immédiatement se plier à son désir.
Ce magique pouvoir, on voulut le lui faire expier. On alla jusqu'à prétendre que les plus beaux vers du poète n'étaient qu'une éblouis- sante fantasmagorie de mots et de syllabes, ordonnés avec un art exquis, mais dissimulant mal la pauvreté de la pensée. On traita d'amplifications de rhétorique ses plus belles improvisations, et encore aujourd'hui, ceux qui peinent à dompter une langue qui leur sera toujours rebelle essaient d'ensevelir le maître sous l'amoncellement de ses antithèses et de ses images, d'un coloris si puissant. Mais ces attaques intéressées ne mordent point sur le granit de sa gloire. Vivant, Hugo les dédai- gnait ; mort, il peut dormir paisiblement, mesurant, au vide immense que sa disparition a causé dans le monde, vide que nul encore n'a comblé, l'inanité des attaques dirigées contre sa mémoire.
Et d'ailleurs les plus grands parmi nous ne se courbent-ils pas docilement devant l'uni- versalité de ce génie sublime, qui, semblable à un soleil qui se couche, nous inonde encore de ses rayons, alors que depuis longtemps déjà, il a quitté notre horizon ?
. . . Nous ne saurions mieux terminer ce court hommage rendu à cette grande mé- moire qu'en citant ces éloquentes paroles que Jules Simon écrivait en février i88j, quelques mois avant la mort du poète :
« D'autres remercieront Victor Hugo de ses œuvres. Je le remercie de l'admiration una- nime qu'elles inspirent. Tous les partis et tous les peuples applaudissent ensemble à sa gloire.
490
NOTES DE L'EDITEUR.
De tous les spectacles que ce siècle nous a donnés, il n'y en a pas de plus consolant et de plus rassurant que celui-là ! »
Le Journal des Débats.
4 et II juin 1888.
Jules LemaÎtre.
. . . J'ai lu sans interruption Toute la Lyre, et je ne sais plus guère où j'en suis. Je me sens ivre de mots et d'images. Ce torrent m'a noyé dans son flot qui roule des ténèbres et des étoiles. Et maintenant.
Comme l'eau qu'il secoue aveugle un chien mouillé,
ou, si vous voulez, pareil au barbet du vieux conte, qui «secouait des pierreries», je me débats sur la rive, tout ruisselant et aveugle de métaphores, le bruit des rythmes bour- donnant dans mes oreilles comme celui des grandes eaux ; et , dompté par un dieu, je recon- nais et j'adore la toute-puissance de son verbe. Ai-je jamais dit autre chose .'' Des gens ont voulu me persuader, l'an dernier, que je lui avais manqué de respect. Pourquoi ? Pour avoir dit que si nul poète ne parlait plus haut à mon imagination, deux ou trois autres disaient peut-être des choses plus rares à ma pensée et à mon cœur. À cause de cela, plu- sieurs m'ont traité de pygmée, ce qui est fort juste, — mais aussi de cuistre, de zoïle et même de batracien, ce qui est bien sévère. J'avoue que là-dessus, je ne les ai pas crus. J'appartiens à la génération qui a le plus aimé Victor Hugo. Je l'ai profondément et religieusement admiré dans mon adoles- cence et ma première jeunesse. Pendant dix ans je l'ai lu tous les jours et je lui garde une reconnaissance infinie des joies qu'il m'a données. J'ajoute que c'est peut-être pendant ces dix années-là que j'ai eu raison. Mais nos âmes vont se modifiant et, par suite, l'idée que nous nous formons des grands écri- vains et des grands artistes et l'émotion qu'ils nous donnent ne sont point les mêmes aux diverses époques de notre vie : faut-il rap- peler une vérité si simple .'* Tout ce que je puis vous dire aujourd'hui, c'est donc l'im- pression que me laisse, aujourd'hui même, la lecture de Toute la Lyre, non celle que j'ai reçue, voilà quinze ans, de La Légende des Siècles.
Encore de la critique personnelle ! me dit une voix que je respecte. — Hé ! vous en parlez à votre aise ! Plût au ciel que j'en puisse faire d'autre et sortir de moi !
Laissez-moi donc vous parler librement et respectueusement du dernier livre lyrique de Victor Hugo. Librement ? Ai-je donc tant besoin de m'excuser ? Et l'espèce d'éblouisse- ment qui m'est resté dans les yeux après cette lecture n'est-elle pas le meilleur hommage, étant le plus involontaire, que je puisse rendre au plus puissant assembleur de mots qui ait sans doute paru depuis que l'univers existe, depuis qu'il y a des yeux pour voir les objets matériels, des intelligences pour concevoir des idées, des imaginations pour découvrir les rapports cachés entre tout ce visible et tout cet invisible, et des signes écrits dont les combinaisons peuvent exprimer ces rapports ?
Ainsi je suis tranquille, et c'est en toute sécurité que je vous confierai mes impressions successives. Après le bienheureux ahurisse- ment dont je vous ai parlé, je me recueille et je cherche à me reprendre. Qu'ai-je donc lu, en somme ? Que me reste-t-il dans l'esprit, vme fois ces grandes vibrations éteintes ?
Après avoir analysé — à sa manière — les cordes de Toute la Lyre, Jules Le- maître constate cette vérité qui éclate chaque fois qu'il dissèque une œuvre de Victor Hugo :
... L'âme de Hugo (et c'est tant pis pour moi) est par trop étrangère à la mienne. II y a dans son œuvre trop d'attitudes, trop de sentiments, trop de façons de voir le monde et l'histoire que j'ai peine à comprendre et qui même répugnent à mes plus chères habi- tudes d'esprit.
... Cet homme-là peut avoir du génie, soyez sûrs qu'il n'a que ça. Son inintelligence des âmes, de la vie humaine et de ses com- plexités est incroyable. Ses énumérations des grands hommes, des porte-flambeaux, sont de merveilleux coq-à-l'âne, des chefs-d'œuvre de bouffonnerie inconsciente. C'est Homais à Pathmos.
Et Jules LemaÎtre, le 11 juin, pour- suit sa critique incompréhensive :
— Oui, tout cela est vrai, disais-je. Mais. . .
REVUE DE LA CRITIQUE.
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«Mais ça n'est pas vrai, m'écrit un de mes amis. Tu as le droit de dire de Hugo encore plus de mal que tu n'en as dit, mais seule- ment à propos de ses œuvres. Ce qu'on vient d'éditer, ce sont des relieft, des rognures, — ou des rinçures, si tu préfères cette métaphore. Les héritiers, — par piété évidemment, — font flèche de tout bois et même de tous co- peaux. Ils publient tous les brouillons, même ceux du panier. Mon impression, à moi, qui ai lu tout Victor Hugo comme toi, et assez récemment, c'est que Toute la Lyre est une col- lection d'épreuves ratées; sauf trois ou quatre exceptions, guère plus, chaque pièce me rap- pelle un équivalent, un «original» supérieur. Chaque théorie a déjà été exprimée avec plus de puissance et de développement. . . Ce qu'on nous donne aujourd'hui, c'est de la parodie de Hugo, non par Sorel, mais par Hugo. C'est comme les charges, qui sont au Louvre, du rapin Michel-Ange... »
Je répondrai alors qu'il est singulièrement malaisé de distinguer Hugo parodiste de Hugo sérieux, celui qui s'amuse de celui qui ne s'amuse pas; et que, souvent, quand il ne s'amuse pas, il nous amuse trop; et quand il s'amuse, il ne nous amuse pas assez...
Le culte de mon ami pour Hugo le rend tout k fait injuste à l'endroit des honnêtes gens à qui le grand poète a légué sa malle. Toutes les «rognures», ils ont mission de les publier. Et quand même ils n'y seraient pas obligés par la volonté du défunt, comment oseraient-ils décider que ce sont en eflFet des rognures ?
Hugo ne le pensait point; il avait annoncé lui-même, sept ou huit ans avant sa mort, la publication de Toute la Lyre. Et il me paraît bien, k moi, que ce dernier recueil n'est pas plus un assemblage «d'épreuves ratées» que la seconde Lé^nde des Siècles, Le Pape, L'Ane, Religions et religion, La Pitié' suprême, le Théâtre en liberté' ou La Fin de Satan,
La vérité, c'est que c'est toujours la même chose; et voilà précisément ce que j'ai voulu dire. Les Chants du crépuscule étaient la même chose que Ljis Uoix intérieures qui étaient la même chose que Les Feuilles d'Automne; la se- conde Légende était la même chose que la pre- mière; Les (Quatre 'Vents de l'Ecrit reprenaient tous les thèmes des Contemplations, etc. Et, à mon avis, dans cette interminable série de farouches redites, la puissance du verbe reste
égale, si même elle ne va croissant. La pièce qui ouvre Toute la Lyre, et qui en rappelle quinze ou vingt autres, est peut-être la plus magistrale et la plus complète que Hugo ait écrite sur la Révolution. Quelques-uns des paysages qui viennent ensuite sont de purs chefs-d'œuvre. Il y a aussi deux ou trois poé- sies d'amour qui égalent les plus belles des Contemplations.
. . . L'autre jour, M. Sarcey écrivait dans sa causerie du Parti national : «Victor Hugo a plusieurs manières».
... Je crois que, à le bien prendre, Hugo n'a jamais eu qu'une manière. La preuve, c'est que Toute la Lyre se compose de pièces écrites par le poète aux diverses époques de sa vie, et que cependant l'unité d'impression y est parfaite, va presque jusqu'à l'ennui.
... Si donc on veut définir le génie de Hugo par ce qui lui est essentiel, je crois qu'il convient d'écarter ses idées et sa philo- sophie. Car elles ne lui appartiennent pas, ou ne lui appartiennent que par l'outrance, l'énormité, la redondance prodigieuse de la traduction qu'il en a donnée. . . Analyser et décrire sa poétique et sa rhétorique, c'est dé- finir Hugo tout entier — ou presque.
... Mais avec tout cela, Victor Hugo est unique, il est dieu. On peut affirmer, je crois, que nul poète, ni dans les temps anciens, ni dans les temps modernes, n'a eu à ce degré, avec cette abondance, cette force, cette pré- cision, cet éclat, cette grandeur, l'imagina- tion de la forme. La qualité de son esprit ne m'éblouit ni ne me charme, hélas! ou même m'incite à me réfugier dans la pensée délicate ou dans le tendre cœur des poètes qui me sont chers : mais son verbe m'écrase. « Une âme violente et grossière», comme l'a appelé Louis Veuillot, soit; mais une bouche divine...
... Je me contenterai de choisir dans Toute laLjre, pour votre plus noble divertissement, quelques exemples de ce don d'amplification étourdissante et vertigineuse. Vous y verrez qu'aucun homme n'a jamais su développer une seule idée par un si grand nombre de comparaisons et de métaphores, ni si justes, ni si brillantes, ni si rares, ni, en général, si claires, et n'a su enchaîner ces images dans des périodes qui eussent tant de mouvement, ni un mouvement si large, si emporté, si con- tinu, — et qui emplissent l'oreille de rythmes plus sensibles et plus sonores. Je sais bien
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NOTES DE L'EDITEUR.
que le pauvre Hugo n'a que cela. Mais ce rien, dans la mesure où je l'ai dit, personne ne l'a jamais eu. Ne le plaignons donc pas trop.
. . . Hugo est le monstre de la parole écrite. Il résume et dépasse tous les grands rhéteurs de culture latine qui ont excellé dans le déve- loppement oratoire ou pittoresque. Imaginez je ne sais quel taureau de Phalaris d'où sortirait, amplifiée, la voix de Lucain, de Juvénal, de Claudien, — et aussi de d'Aubigné, de Malherbe, même de Corneille, de tous ceux enfin qui ont le mieux su le verbe classique. Au delà de sa rhétorique, il n'y a rien... On peut dire en un sens qu'il ferme un cycle. Il est très grand. S'il ne l'est pas par la pensée, il y a cependant en lui plus de substance que je n'ai afiFecte d'en voir; seulement c'est, si je puis dire, son imagination et sa rhétorique qui lui ont créé sa pensée.
. . . Autre chose encore. Il a été le roi des mots. Mais les mots, après tant de siècles de littérature, sont tout imprégnés de sentiments et de pensée : ils devaient donc, par la vertu de leurs assemblages, le forcer k penser et k sentir. A cause de cela, ce songeur si peu philosophe a quelquefois des vers profonds; et ce poëte, de beaucoup plus d'imagination que de tendresse, a des vers délicats et tendres. (Il y en a dans Tonte la Lyre; voyez Ce que dit celle qui n'a pas parlé. )
Puis, comme la moindre idée lui suggère une image, et comme ensuite les images s'ap- pellent et s'enchaînent en lui avec une surna- turelle rapidité , le sujet qu'il traite a beau être maigre et court dans son fond, la forme dont il le revêt est un vaste enchantement. Ces correspondances qu'il saisit entre les choses nous intéressent par elles-mêmes. La figure entière du monde finit par tenir dans le déve- loppement du moindre lieu commun. Cette poésie, que ma pensée et mon cœur ont parfois trouvée indigente, finit donc par apparaître, \ qui sait lire, comme la plus opu- lente qui se puisse rêver.
... Ce qu'il y a de sûr, c'est que Hugo ne pouvait être l'incomparable ouvrier de style qu'il a été, sans être par là même un fort grand poète. Et si son nom est encore livré aux vaines disputes des hommes, s'il est mal- aisé de déterminer l'étendue et les limites de son génie, c'est peut-être que son cas res- semble assez à celui de Ronsard ; c'est que son
œuvre n'est pas toute dans ses livres; c'est qu'il a eu (non pas seul, mais plus qu'aucun autre) la gloire de rajeunir l'imagination d'un siècle et de renouveler une langue, et que, par conséquent, nous ne pouvons pas savoir au juste ce que nous lui devons.
lui Monde poétique.
Juin 1888.
Emile BlÉmont.
Lettre A M. Jules Lemaîtke.
Monsieur et honoré confrère,
A propos de Tottte la Lyre^ vous avez écrit sur l'œuvre de Victor Hugo deux feuilletons spirituels, trop spirituels peut-être. Vous y prêtez l'appui de votre talent et l'autorité de votre nom à des procédés de critique lit- téraire qui me semblent regrettables et dan- gereux.
. . . Eh quoi ! ai-je bien lu .-* « L'âme de Hugo, affirmez-vous brusquement, est par trop étrangère à la mienne ! » Est-ce vous qui avez écrit cela ? Mais alors que signifiaient ces adorations de l'adolescence et de la première jeunesse, et ces dix ans de lectures quoti- diennes.? Hélas! comme elle a vite pris fin, cette reconnaissance infinie. Hugo est resté toujours le même, répétez-vous. C'est donc vous qui avez varié.
... Je m'aperçois du reste que vos deux articles sont remplis de ces voltes, qui en forment le tissu même. . . Vouliez-vous admi- nistrer au spectre de Victor Hugo, pour le faire rentrer sous terre, vingt-quatre colonnes de douches écossaises.? Vous annoncez, au début, que vous allez parler de lui relpedueu- sement. Et tout d'un coup vous vous répandez en appréciations qui ne sont ni des perles ni des pierreries encore que vous vous compariez au petit chien du fabliau !
[Citation de quelques appréciations données.]
... Et, redoublant de respect : « L'huma- nité mise en antithèses, pareille à un immense guignol apocalyptique. . . » Hélas ! qu'auriez- vous dit, si vous n'aviez juré d'être respec- tueux ? Et vous continuez, respectueusement toujours, à souffler le froid et le chaud : « Une
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âme violente et grossière ! — Une bouche divine! — Victor Hugo est unique, il est Dieu. — Hugo est le monstre de la parole écrite. » Chaque fois que le poète entre dans vos idées, vous l'exaltez jusqu'aux étoiles. Froisse-t-il le moindre de vos préjugés, il n'est plus qu'un rhéteur misérable.
. . . Votre procédé d'analyse ne me surprend pas moins, mon cher confrère, que votre pro- cédé de respect. Pour donner à vos lecteurs une idée exacte des poèmes de Toute la Lyre, que faites- vous .'' Vous les résumez tour à tour, aussi sèchement que possible, en une ou deux lignes de prose. Vous les réduisez, comme on fait en arithmétique, à leur plus simple expression. Et vous remplissez une, deux, trois, quatre colonnes, de quarante lignes chacune, avec ces singulières énumérations. Cela fait, vous tirez l'échelle, vous vous retournez vers le public, et dites aux gens en guise de conclusion : « Vous ne tirerez rien de plus de Toute la Lyrej et pas grand'chose de plus des quinze volumes lyriques de l'immense poète. » Je crois que vous faites erreur. Ils en tireront tout ce qui s'y trouve, beauté, amour, enthousiasme, hautes pen- sées, grandes actions. C'est de votre analyse qu'ils auront peine à tirer quelque chose, car vous avez pris soin de n'y rien laisser.
... Dans une œuvre d'art, vous supprimez, oh ! bien peu de chose, la forme, la couleur, le parfum, l'âme, la vie, c'est-à-dire tout ce qui constitue l'art, et, montrant le résidu : « C'est tout ce qu'on en peut tirer ! »
. . . Vous trouvez Hugo encombrant. Vous lui reprochez vertement d'avoir trop rimé. . . Que de vers ! que de vers ! murmurez-vous devant les débordements du poète. J'ai bien peur qu'un de ces jours vous reprochiez à l'Océan d'avoir trop de vagues, au bois d'avoir trop de feuilles, au printemps d'avoir trop de roses. Mais s'ils en avaient moins, seraient -ils encore le printemps, le bois, la mer.? Ce n'est pas la qualité des vers qui vous afflige ; vous constatez qu'ils sont toujours faits de main de maître, c'est leur multiplicité.
. . . Vous qualifiez d'impertinent un de vos amis, dont vous citez pourtant la lettre avec complaisance, parce qu'il vous écrit que Toute la Lyre est une « collection d'épreuves ratées, de reliefs, de rinçures, de rognures, de copeaux, etc. ». La pièce qui ouvre le
recueil ('' vous semble la plus magistrale et la plus complète que Hugo ait écrite sur la Révo- lution. Vous proclamez de purs chefs-d'œuvre quelques-uns des paysages et quelques-uns des poèmes d'amour qui viennent ensuite. Mais c'est toujours du Victor Hugo. Et cela suffit pour vous gâter le tout.
... Et un peu plus loin vous ajoutez : « La vérité, c'est que c'est toujours la même chose. »
Non , ce n'est pas toujours la même chose , puisque, vous le reconnaissez, la première pièce de Toute la Lyre, par exemple, est supé- rieure à toutes les pièces précédentes du même genre. Non, ce n'est pas toujours la même chose, car ces paysages, qui vous plaisent à si juste titre, ces paysages d'une vision si intense et d'une si puissante exécution, donnent une note sensiblement neuve dans l'œuvre de Hugo, la note du fantastique vrai, du fantas- tique naturel, que personne, pas même lui, n'avait encore accentuée ainsi. Rembrandt seul, avec ses mystérieux effets d'ombre et de lumière, avait rêvé et fixé quelque chose d'analogue.
. . . Les vers yl Théophile Gautier vous pa- raissent supérieurs à ce qu'il y a de plus beau dans la prose de Bossuet. Que voulez-vous donc de plus.-* Ce n'est pas Homais à Pathmos; c'est Homère à Paris.
. .. Vous croyez et vous affirmez hardiment, mon cher et honoré confrère, que Hugo n'a jamais eu qu'une manière. . . Est-ce que le rêveur attendri, le penseur mélancolique et passionné des Feuilles d' Automne , des Uoix inté- rieures, des Kajons et des Ombres a la même manière, si manière il y a, que «l'enfant sublime » des Odes et le virtuose des Orien- tales ?. . .
Et, passant en revue l'œuvre de Victor Hugo, le critique reprend :
Des manières ? Mais Hugo en a eu plus que tous les autres poètes, des manières... Il a trouvé des accents inconnus pour chanter sa fille morte, sa patrie déshonorée. Ah ! vous voulez de l'émotion. Eh bien ! en voilà pour quiconque est père et citoyen. Toute sa vie, sans trêve, infatigablement, merveilleuse- ment, il a inventé des formes, formes de vers,
'■' Les révolutions j ces grandes affranchies.
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NOTES DE L'EDITEUR.
formes de stances, formes de rythmes, formes de poèmes, formes de drames, formes de livres, formes de sensations, formes de senti- ments, formes d'idées, formes de rêves, formes d'âmes, formes de mondes. Son inspi- ration inépuisable, toute-puissante, coulait chaque jour le réel et l'idéal en de nouveaux moules littéraires. Ah ! comme il a marqué de ses multiples empreintes l'ode, l'idylle, l'élégie, le théâtre et le roman, cet écrivain que vous voyez ankylosé et comme pétrifié dans une attitude immuable, dans une inva- riable pose !
... Une chose me frappe particulièrement dans votre étude sur Hugo, c'est que, ren- versant tous les termes, mettant sens dessus dessous toutes les conditions de la vie et de la production poétiques, vous lui faites exclusi- vement honneur de ce qui est la partie infé- rieure et inconsciente, pour lui contester la partie consciente et supérieure. Pour vous, Hugo est un géant, un dieu, mais un géant ingénu, un dieu automate, un Jupiter-Gui- gnol. Qu,and il sent, quand il aime, quand il pense, c'est sans le savoir, sans le faire exprès, malgré lui, par la force des choses... J'ai relu par deux fois, n'en croyant pas mes yeux, cette genèse furieusement simpliste du génie mécanique, ou plutôt du génie mécanisé.
. . . Cette critique myope. . . excelle à mettre en relief toutes les petitesses, à substituer par- tout les solutions basses aux solutions hautes; ce qui est grand lui échappe. Elle est l'esprit qui nie, et qui finit par prendre plaisir à nier spirituellement.
Il me semble qu'à l'heure où nous sommes, entre les rimes décadentes et les romans fai- sandés, un homme de votre valeur pourrait mieux employer son temps qu'à traiter un grand poète de guignol, et à le travestir en pharmacien normand pour l'envoyer à Pathmos.
Le Charivari, î juin 1888.
Pierre VÉron.
Quand des mains pieuses furent appelées au périlleux honneur d'inventorier les richesses poétiques laissées par Victor Hugo, elles trou- vèrent sur une feuille de papier ce titre à la fois éblouissant et terrible : Toute la Lyre,
Puis des manuscrits, des manuscrits, des manuscrits.
Il fallait justifier cela avec ceci. QupUe tâche !
Mais MM. Paul Meurice et Vacquerie sont tellement imprégnés de la pensée du maître, leur admiration s'est affirmée tant de fois déjà par des prodiges de mise en œuvre, qu'on n'avait rien à redouter ni d'eux ni pour eux.
Ils ont en effet, avec un tact merveilleux, avec une intelligente piété filiale, composé deux volumes qui réalisent toutes les espé- rances, qui tiennent toutes les promesses du titre.
Ce titre-là obligeait à faire de la variété la première condition du livre.
Condition absolument remplie.
Pour cela, on a demandé à toute la vie de Victor Hugo des fragments tendres, souriants, pathétiques, descriptifs, mystiques, roma- nesques.
... Ici, c'est le printemps de la muse; là, c'est la Némésis vengeresse. Quelles belles pages, digne suite des Châtiments j vous lirez dans le second volume !
Je ne vois rien de plus grandiose que cette protestation puissante qui a pour titre L'Orne des Meurtres,
... Ailleurs, quelle chose touchante que ces quelques vers :
Ecrit sur un livre du jeune Michel Nej.
Et ceux-ci, d'une grâce exquise : Sais-tu ce que Dieu dit à l'enfant qui va naître !
Et...
Mais voilà i'écueil.
Quand on a commencé à citer, on ne s'arrêterait plus.
Faut-il le regretter, en somme ? Lorsqu'on a affaire au génie, citer n'est-il pas la meil- leure façon de louer .-* La seule même !
Que voulez-vous que dise la critique, qui n'ait été répété cent fois ?
Que Victor Hugo est grand ? Que Victor Hugo sait être, selon qu'il le veut, formidable ou doux, paternel ou philosophique.? Que Victor Hugo fait à son gré chanter l'amour, pleurer la pitié, sourire l'enfance, rugir la colère ?
Tout cela, vous le direz pour moi, et mieux que moi, quand vous aurez achevé la lecture de Toute la Lyre et que, sous le coup de tant d'émotions, vous penserez, avec une
REVUE DE LA CRITIQUE.
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patriotique fierté, qu'aucun autre peuple ne peut, au dix-neuvième siècle, s'enorgueillir d'un pareil poète.
LiU Ga<=rette de France. 6 juin 1888.
SiMMIAS.
Toute la Lyre vient de paraître. C'est une œuvre d'autant plus posthume que, dans beaucoup de pièces que contient ce volume, il semble que ce soit le cadavre seul de Victor Hugo qui parle.
Veut-on, par exemple, de l'apocalyptique, dès les premiers vers on en trouve :
Aie une muse belluaire. Sinon tu seras dévoré. Le ciel t'offre un double suaire. L'un étoile, l'autre azuré.
Le même homme qui chanta : Capetj éveille- toi l trouve le meurtre de Louis XVI légi- time :
Eruption des droits de l'homme ! Sombres laves ! Et comment expliquer ces aspects de l'abîme ?
. . . Hé ! grand homme, c'est bien facile, en appelant toutes choses par leurs noms, les inno- cents et les victimes, innocents et victimes; les assassins et les coquins, assassins et coquins.
Il est vrai qu'une telle traduction, c'est pour les naïfs du vulgaire, et j'en suis; quant aux déifiés dont fut toujours cet immense farceur de Victor Hugo, ils ont un autre œil que le reste des hommes.
O «Jocrisse à Pathmos», ou plutôt Prud'- homme \ Guernesey, comme te voilà bien, pontife sous le képi de garde national !
À côté de ces misères, des choses superbes, comme dans tout ce qu'a produit ce colosse, inspiré et charlatan, stupide et sublime :
£<t;V sur un livre du jeune Michel Nej.
De là, nous passons au calembour, — mais au calembour. . . par à peu près :
Et si le pape enfin daigne rougir la jupe Du prêtre dont le nom commence comme dupe Et finit comme loup.
Sincèrement, après cela, est-il nécessaire d'ajouter beaucoup de paroles pour établir que
Toute la Léjre n'apportera rien de plus à la renommée de Victor Hugo ?
Au contraire, l'impression que procure la lecture discursive de ces deux énormes volumes est tout à fait déplaisante. On se sent en pré- sence, — qu'on me passe cette expression, — d'un tas de raclures de tiroirs sur lesquelles le maître lui-même avait voulu faire le silence. Ce n'est donc pas à lui, mais à ses héritiers, qu'il faut s'en prendre de ce procédé irrespec- tueux qui consiste à exhiber le linge, même sale, d'un grand homme. — L'homme est mort, soit! Ce n'est pas une raison pour faire du demi-dieu un polichinelle.
Le Rappel. 8 juin 1888.
Théodore de Banville s'est dit que les vers n'étaient bien glorifiés qu'en vers. Nous trou- vons dans une nouvelle et intéressante revue '"> ceux que lui a inspirés Toute la Lyre :
Un grand souffle court dans les bois Et sur les cimes éternelles ; J'entends parler toutes les voix Et frissonner toutes les ailes.
Sombre et délicieux tourment. Orgueil, amour, espoir, délire, Écoutez , c'est l'enchantement De la prodigieuse Lyre ! . . .
Qui vous agite sur nos fronts. Epopée où le sang ruisselle. Douce idylle, chant des clairons, O symphonie universelle.
Et vous, colères de l'autan. Caresses de l'aube vermeille. Et toi. Nuit ? — C'est le grand Titan, Hugo, qui parle et se réveille.
L'Illustration. 9 juin 1888.
L. P.
Victor Hugo est placé si haut que la publi- cation de deux volumes de mauvais vers — en admettant qu'il fut capable de les com- mettre — ne pourrait l'atteindre ni porter de préjudice à sa renommée. Or, ce n'est point ce qui arrive, et ce n'est pas un petit étonnement, même pour ses admirateurs, de
''' Nous n'avons pu trouver le nom de cette nouvelle revue.
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NOTES DE L'EDITEUR.
voir que ces deux volumes où le poète a fait vibrer, comme il dit, toutes les cordes de la lyre, que l'on pouvait croire à la rigueur composés de pièces rejetées comme imparfaites, lors de la composition des précédents recueils, étaient au contraire remplis des beautés les plus rares et contenaient des vers comme le poète n'en a pas de plus beaux. Qu'en con- clure? sinon, ce qu'on savait déjà : que le poète était doué d'une fécondité merveilleuse et que, lorsqu'il publiait un volume, il se préoccupait avant tout de lui donner l'unité d'impression, d'action lyrique, si je puis dire, et que tout ce qui ne contribuait pas à cette unité était, sans égard pour la valeur de la pièce, impitoyablement éliminé. Entendons-nous ce- pendant, l'élimination n'allait pas jusqu'à l'exé- cution, Victor Hugo n'était pas un barbare. Ces pièces étaient réservées pour de futurs re- cueils. Mais ceux qui ont avancé que Victor Hugo manquait de sens critique afin d'ex- pliquer la publication posthume de certaines pièces comme celle qui débute par ce vers :
Quand la lune apparaît dans la brume des plaines. . .
et que l'on peut considérer comme un pur chef-d'œuvre, se sont lourdement trompés. Hugo l'a écrite en pleine possession et au plus beau moment de son génie, et s'il l'a laissée dormir si longtemps et même, semble-t-il, oubliée, il ne faut y voir qu'une négligence sublime de poète à qui il en coûte moins de faire un nouveau chef-d'œuvre que de se rappeler les anciens.
Le Siècle. Lundi II juin 1888.
Charles BiGOT.
Il nous était promis, il figurait sur les cou- vertures des livres du poète depuis une tren- taine d'années déjà, ce recueil de Toute la Lyrej il vient de paraître pour le troisième anniver- saire de sa mort. Il est comme le testament poétique de Victor Hugo, et il ne ment point au titre qui l'annonce. C'est bien toute la lyre en effet, toute sa lyre du moins, et dans ces deux volumes, le maître a voulu réunir et nous faire admirer toutes les formes de son génie.
La lyre a sept cordes et le livre est divisé en sept parties.
... Quand les sept cordes ont vibré, une
dernière se fait entendre, celle que le poète a appelée «la corde d'airain», celle dont il a tiré les Châtiments et plus d'une pièce de U Année terrible. Dans ce dernier chapitre, «la Corde d'airain», je signale un morceau d'un mépris hautain après l'expulsion de Belgique en 1871, et intitulé A un rci de troisième ordre, y-y si- gnale surtout la pièce intitulée ha Liibération du territoire. Celle-ci nous était déjà connue; elle avait été publiée dans le Kappelj et par- tout, au mois de septembre 1873. Il faut remercier les éditeurs de Toute la Lyre de l'avoir recueillie.
. . . Oui, il a souvent abusé, cet ouvrier sans égal, du merveilleux outil poétique qu'il avait forgé. Pour être extraordinaire, sa rhétorique n'en est pas moins une rhétorique, et qui prend trop souvent la place de l'inspiration. Il a ses procédés de développement, ses alternances, comme marquées d'avance, de vastes périodes et de phrases hachées.
... Oui, je sais cela et d'autres choses en- core, comme tout le monde, et je le sais depuis longtemps. Mais ce que je sais aussi, c'est qu'en dépit de tout cela, Victor Hugo n'est pas seulement le plus grand poète de ce temps, mais l'un des plus grands poètes de tous les temps. C'est que là où il est beau, sincère et vraiment inspiré, il est l'égal d'Ho- mère, de Dante, de Shakespeare et du vieux Corneille.
... Et maintenant, je n'essaierai pas de ré- sumer pour mes lecteurs ces deux volumes de Toute la Lyre. J'en veux citer seulement une pièce que je choisis parmi les plus courtes, où par une belle soirée d'été, le poète invite la bien-aimée à venir avec lui se promener dans les champs : la pièce porte la date de 1849 :
Quand la lune apparaît dans la brume des plaines. . .
Si vous connaissez dans la poésie française des morceaux d'un sentiment plus pénétrant et d'une forme plus exquise que celui-là, dites-le !
Eh bien ! il y a dans les deux volumes de Toute la Ljre quarante pièces au moins qui ne le cèdent pas à celle-ci. Donnez-vous le plaisir de les chercher et de les trouver vous-mêmes.
Je citerai pourtant quelques vers encore, les derniers vers d'une pièce écrite en 1872, après la mort de Théophile Gautier et qui prirent place en tête du volume édite par
REVUE DE LA CRITIQUE.
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Lcmcrre et intitulé Le Tombeau de Théophile Gautier :
Passons, car c'est la loi ; nul ne peut s'j soustraire.
On a souvent célébré le retour mélancolique fait sur lui-même par Bossuet, à la dernière phrase de l'Oraison funèbre du prince de Condé. Je ne crois pas me tromper en disant qu'il n'y a pas ici moins de grandeur, moins de courage à regarder en face l'inévitable mort qui approche, une moins fière résignation. Ces mots si simples : «C'est mon tour», valent bien les cheveux blancs de l'évêque de Meaux et « les restes d'une voix qui tombe et d'une ardeur qui s'éteint ».
Ulndépendance belge.
12 juin i{
Gusuve FrÉdÉrix.
Toute la Lyre, c'est tout l'instrument poé- tique de l'auteur de La Légende des Siècles et des Chansons des rues et des bois, trouvant des sono- rités nouvelles, avec les mêmes thèmes et la même virtuosité.
Le chef du romantisme est maintenant un des poètes classiques de la France.
... Il était déjà classique quand on le dé- nonçait comme révolutionnaire, comme fai- sant des tempêtes dans l'encrier, disloquant le vieil alexandrin et mêlant horriblement les mots nobles et les mots roturiers. Un grand écrivain classique, a-t-on dit, est celui qui exprime les idées de tout le monde dans le langage de quelques-uns.
... Ce titre : Toute la Lyre, vous avertit que de l'ode puissante à la chanson légère, tous les genres seront touchés en ce dernier recueil. Sept chapitres dans le livre, comme il y a sept cordes à la lyre. Et la corde d'airain est ajoutée à celles de l'instrument classique, ainsi que le poète l'avait annoncé dans ses Feuilles d'Au- tomne. Une pièce de ce huitième chapitre est intitulée : Aux hiHoriens.
... Pour le traître à son pays, pour celui qui a livré une ville ou une armée, l'inflexible patriote ne veut pas qu'on note les circonstances atténuantes, pas même qu'on mentionne ce qui ferait comprendre le crime. Nous ne si- gnalons pas cette pièce comme une des plus belles du livre. Nous remarquons seulement
que le chauvinisme de Victor Hugo s'y fait plus dur, plus furieux, qu'il n'avait jamais été. Le poète de la France a eu là une de ses dernières et de ses plus farouches fiertés.
Le Soleil, vj juin 1888.
Charles Canivet.
Des livres posthumes de Victor Hugo celui- ci est, nous semble-t-il, le plus complet. D y a sans doute, dans La Fin de Satan, des pages plus grandioses, où l'imagination du poète atteint des limites plus reculées, des pages telles qu'on pourrait les dire écrasantes. Dans Toute la Lyie, il y a des instants de repos déli- cieux, des eflFusions de tendresse et des richesses d'expression qui n'ont jamais été dépassées, dans aucune langue. Nous y retrouvons l'in- comparable palette de la première Le'gende des Siècles, et de place en place, des oasis d'une douceur et d'une fraîcheur charmantes, quelque chose comme un doux chant d'oiseau, après un effrayant orage, une tendresse infinie des choses et des êtres, des tableaux complets, en quelques vers, en quelques strophes, et qui vous laissent une indéfinissable impression de satisfaction artistique très intense.
Victor Hugo est plutôt le peintre de la ten- dresse que du sentiment vague, tel qu'on l'en- tend aujourd'hui encore et où excella Lamar- tine. Victor Hugo est plus grand parce qu'il a touché à plus de sujets; il est aussi plus ar- tiste. Cette espèce d'ogre de génie qui fit peur à certains esprits timorés ou plutôt circon- venus, n'est pas autre chose qu'un spiritualiste acharné. Il a lutté contre les hommes, sou- vent avec passion, injustice même, jamais contre la doctrine.
... Dans ce livre qui contient, comme on doit l'attendre, des parties épiques nombreuses, je me suis plu à cueillir, parmi tant d'autres, quelques-unes de ces perles exquises dont Victor Hugo eut toujours le secret. Poète poliuque, il froisse, et c'est naturel, tous ceux qui ne pensent pas comme lui et ne croient pas que les plus beaux vers puissent excuser des doctrines qu'ils condamnent. Mais on passe à travers tous ces bruits de bataille sans y prêter l'oreille, jusqu'à ce que se produise une accalmie douce, dans laquelle on entend, comme par une nuit pure et calme, une de
POESIE. — XIII.
lavumui (ATunAi.(.
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NOTES DE L'EDITEUR.
ces délicieuses harmonies, tellement achevées, que la musique la plus inspirée les dimi- nuerait.
Le Livre. 10 juillet 1888.
Jean Richepin.
Ce n'est pas un article qu'il faudrait entre- prendre sur Toute la Lyre^ c'est un volume. Ce livre posthume, en effet, semble la revue de tous les livres de vers publiés par Hugo vivant, et comme une anthologie où se résume son œuvre entière, depuis les Odes et Ballades jusqu'aux (Quatre Uents de l'Esprit. On y voit flamboyer les mille reflets de tous les incendies multicolores qui ont jailli de ce volcan pen- dant soixante années d'incessante et prodi- gieuse éruption.
En doit-on conclure qu'il y a là une redite , et que la publication de Toute la Lyre était inutile } Loin de moi l'idée d'un pareil blas- phème ! À supposer même qu'il y ait redite, entendre répéter de telles choses, et par une telle voix, me paraîtrait encore une fête incomparable. Mais la vérité est qu'il n'y a pas redite. Il ne saurait, avec Hugo, y en avoir. Ce qui caractérise, en effet, son génie, c'est le perpétuel renouveau. Il eût pu, par exemple, passer sa vie à décrire uniquement des couchers de soleil, sans en faire deux qui se ressemblassent. Il vous eût, pour chacun, réservé de merveilleuses surprises, combinai- sons de vocables, inventions d'images, de rythmes, de rimes. Je ne connais pas un poème de lui où il n'y ait quelqu'une de ces magiques trouvailles. Elles abondent particu- lièrement dans Toute la Lyre.
... Il est des poètes, très sincèrement poètes, mais dénués de virtuosité, de rhétorique et d'éloquence, chez qui de loin en loin éclate l'expression lyrique, ce je ne sais quoi qui fait rêver, et qu'on appelle aujourd'hui suggelîif. Chez ceux-là, on s'arrête pour admirer. La rareté même de la rencontre la rend plus pré- cieuse. Au contraire, chez le grand poète complet, on n'a pas le loisir de faire ces haltes. On est entraîné sans relâche. Sa virtuo- sité, sa rhétorique et son éloquence vous pressent, vous forcent, vous enlèvent à vous- même, ne vous laissent pas l'esprit libre. On admire en bloc, pour ainsi dire. Et voilà pourquoi, bien souvent, on est injuste envers
ce terrible dompteur, qui vous a comme terrassé d'admiration, tandis que l'autre, moins tyrannique, vous a procuré le délicat plaisir d'une griserie où l'on n'a point perdu la tête.
Mais ces coins de lyrisme, ces expressions suggeltiveSj le grand poète vous les offre aussi. Ah ! tranchons le mot : il vous les offre trop abondamment, voilà son tort. Au lieu d'un rosaire ou chaque dizaine est marquée par une perle fine, ce qu'il vous jette par la face, c'est une grêle de diamants. Vous êtes ébloui, aveuglé, blessé peut-être. Reprenez vos sens. Ramassez au hasard un de ces dia- mants, et contemplez-le, lui seul. Par exemple, ceux-ci, pris n'importe où, dans Toute la Lyre;
J'entendais rire sous le chaume Les paysans à leur repas. Un étranger est un fantôme; Les murs ne le connaissent pas.
{J'ai mené parfois dure vie...)
Et le poète-critique cite encore quel- ques diamants et quelques perles.
... Et me voilà retombé dans un péché d'habitude : l'apologie de Hugo. Eh bien, soit, je ne m'en dédis pas. D'autant qu'il y a maintenant quelque courage littéraire à se proclamer hugolâtre. Les jeunes générations poétiques ont abjuré cette religion. Elles en veulent au vieux roi qui, même mort, n'a point abdiqué, et continue à régner du fond de la tombe. Elles oublient que tous, tant que nous sommes, nous avons de son sang dans les veines, de sa moelle dans les os, et qu'il est notre père, enfin. Tant pis pour elles! Moi, je ne saurais partager cette ingra- titude. Loin de renier cette filiation glorieuse, je la revendique. Et puisque, bon gré mal gré, il faut bien être le fils de quelqu'un, j'estime que nous devons nous montrer or- gueilleux et ravis d'être les enfants d'un tel père. Tâchons seulement d'en être dignes, c'est la grâce que je nous souhaite.
♦ * *
En 1893, la dernière série de Toute la Lyre parut et la presse lui consacra de nombreux articles. Nous n'en donnerons que les principaux, craignant de grossir démesurément cette partie des notes.
REVUE DE LA CRITIQUE.
499
L'Echo de Paris. 2 juin 1893.
E. Lepelletier.
Comme il est d'usage familial, en mémoire du cher disparu, lorsque le cours des ans ramène l'anniversaire douloureux, de déposer une couronne sur la tombe gardienne des dépouilles, les amis et veilleurs pieux du tombeau toujours récent de Victor Hugo , en cette date funèbre de mai, qui fut celle d'une éclipse de gloire, répandent les fleurs pos- thumes de l'œuvre du Maître. C'est un bou- quet d'immortalité que chaque bout de l'an voit épanouir. Cette présente année, c'est la dernière série de Tou/e la Lyre qui rend au grand poète l'hommage consacré.
La gerbe est éblouissante et la couronne merveilleuse. Victor Hugo seul pouvait hono- rer ainsi la mémoire de Victor Hugo et décorer son monument.
Les petits grotesques qui s'amusent, sans sincérité d'ailleurs et par pose, à faire croire que Victor Hugo n'est plus le bonhomme de marbre dominant le siècle littéraire, comme l'Autre, le bonhomme de bronze, domine l'époque guerrière et légiste, oseront-ils encore lâcher leur encre le long des rimes superbes de Toute la Lyre? Zoïle, hélas! est presque aussi glorieux qu'Homère. Pour beaucoup, c'est une aubaine à rebours que ce nouveau volume ; il sort sans doute d'un tiroir profond comme un sépulcre, mais radieux aussi comme le sépulcre de la résurrection. Ils vont encore, ces aboyeurs au génie, rééditer leurs ordinaires sottises sur ces épaves, sur ces sco- ries, sur ces raclures de l'œuvre du Maître qu'on aurait tort de rééditer. Laissons-les débiter leurs malveillantes et intéressées sor- nettes. L'œuvre est là qui répondra pour nous.
Dans ce dernier volume de Toute la Lyre, seulement entr'ouvert et parcouru par nous, les sept cordes, puissamment, vibrent. On y retrouve des pièces contemporaines des Châtiments, implacables et vengeresses, à côté d'idylles qui évoquent les sereines Contempla- tions des plages de Jersey et de Guernesey. .. C'est un assortiment lyrique admirable, où il y a de tout, et bien d'autres choses encore, une macédoine de chefs-d'œuvre, un cata- logue thématique, pour parler langage plus
noble, de toute la symphonie géante du Maître.
... Toute la Lyre, œuvre d'un mort, est le livre le plus vivant de cette année.
L'Écho de Paris. 9 juillet 1893.
E. Zola.
Lettre à La Chronique de Paris, qui avait consacré spécialement un numéro à la glorification de Victor Hugo et de Toute la Lyre :
Mon cher confrère.
Vous me demandez une page sur Victor Hugo. Une page, grand Dieu ! mais c'est un volume qu'il faudrait écrire ! Que voulez-vous que je dise en une page sur le plus grand de nos poètes lyriques ?
Et puis, après les batailles d'autrefois, je n'ai qu'à m'incliner.
Ces jours-ci, Catulle Mendès, qui est un grand honnête homme littéraire, en me don- nant une belle et bonne poignée de main publique, a signé définitivement la paix.
Il a raison, il faut admirer et aimer, toute la force est là.
Malgré la légende, j'ai beaucoup aimé et beaucoup admiré Victor Hugo, et voici ce que j'écrivais il y a longtemps : « Quelle brusque et prodigieuse fanfare dans la langue que ces vers de Victor Hugo ! Ils ont éclaté comme un chant de clairon, au milieu des mélopées sourdes et balbutiantes de la vieille école classique. C'était un soufllle nouveau, une bouffée de grand air, un resplendissement de soleil. Pour mon compte je ne puis les entendre sans que toute ma jeunesse me passe sur la face, ainsi qu'une caresse.
«Je les ai sus par cœur, je les ai jetés jadis aux échos des coins de Provence où j'ai grandi. Ils ont sonné, pour moi comme pour bien d'autres, le siècle de la liberté dans lequel nous entrons. . . »
Voilà la page que vous demandez, mon cher confrère, et je regrette simplement qu'elle ne soit pas plus complète et plus éloquente. Cordialement à vous.
Emile Zola.
500
NOTES DE L'EDITEUR.
UÉvénement. 7 juin 1893.
Jules Troubat.
C'est bien Toute la Lyre en effet. Escaladez le mont Ventoux, et vous traversez tous les climats, toutes les températures et toutes les végétations du globe. Avec Victor Hugo, de même, ce géant a des coups d'ailes qui vous transportent des terres sereines aux plus hauts sommets; on dépasse l'inhabitable; mais il ne vous laisse pas retomber lourdement sur le roc. Les plus noirs abîmes, créés par lui seul, sont sous vos pieds. Il vous déposera douce- ment dans un jardin oh, si l'on veut faire un bouquet, on est tenté d'emporter toute la gerbe. Comment choisir, en effet, au milieu de ces fleurs gaies et souriantes ?
Hugo taille des blocs à facettes et jongle avec les immensités. C'est le plus grand poète lyrique de tous les siècles.
Le Journal. 8 juin 1893.
François CoppÉe.
Dirigée par d'admirables amis, la publi- cation des œuvres posthumes de Victor Hugo s'accomplit avec une admirable régularité.
... Pour ma part, je me déclare incapable de porter un jugement impartial sur des vers de Victor Hugo. Même lorsque, chez lui, la pensée et l'inspiration se perdent en des obscu- rités d'Apocalypse, son vers me donne tou- jours la jouissance d'art la plus intense, un plaisir presque physique.
Les poètes nouveaux, dans leur préoccupa- tion — très légitime — de rajeunir les formes poétiques, se mettent k la torture pour inventer des rythmes. Mais presque tous ceux qu'ils nous ont proposés jusqu'à ce jour choquent mon oreille, me semblent maladroits et boiteux. Selon moi, Victor Hugo a fait la preuve que tous les mètres connus suffisaient pour obtenir tous les effets d'harmonie possibles, et pou- vaient être variés k l'infini. On ne dira jamais assez tout le parti qu'il a pu tirer, notamment, de l'alexandrin, par des coupes hardies, des rejets, des allitérations, des déplacements de césure. Il en a fait positivement un orgue
aux mille voix, une lyre aux cordes sans nombre, qui, sous ses doigts magistraux, vaut tout un orchestre. Le vers de douze syllabes, libre, souple et fort, tel que nous l'a légué le grand Lyrique, est, je le répète, un mer- veilleux moyen d'expression, un instrument parfait et complet. On trouvera mieux, peut- être ; mais j'ai peine à le croire.
La rime riche, elle aussi, est a présent en défaveur chez la plupart des jeunes poètes, et sur ce point, malgré mes habitudes de vieux Parnassien, je suis assez disposé à entrer dans la voie des concessions.
... Mais le malheur, c'est que la rime est, à elle toute seule, presque toute la prosodie française. Et mal rimer, quand on n'est pas absolument sûr de dire des choses sublimes, me paraît grave. De plus la mode est main- tenant aux vagues assonances, aux lointains échos. Et alors je proteste. La vérité, sur cette question, la voici : Il ne suffit pas que la rime soit riche, il faut encore qu'elle soit rare, ingénieuse, originale, qu'elle détruise la mono- tonie toujours menaçante, qu'elle donne une sensation d'inattendu, et que le mot qui tombe k la fin du vers soit — sinon toujours, du moins autant que possible — le mot essentiel de ce vers.
Pas commode, direz-vous. Cela ressemble assez k un tour de force. Eh bien, c'est celui que Victor Hugo a exécuté quatre-vingt-dix- neuf fois sur cent. Car, en matière de rimes, il fut un virtuose ou, pour mieux dire, un magicien incomparable. Et cela ne l'a pas du tout empêché — oh ! mais pas du tout — d'être en même temps un des trois ou quatre plus grands poètes de l'humanité.
On me pardonnera si je me borne — devant son dernier livre où il y a tant de pages admirables — k parler «métier». S'il était encore parmi nous il ne s'en offenserait pas, au contraire. J'ai eu le bonheur de connaître Victor Hugo, de l'entendre quelquefois dis- serter sur la technique de son art. Le plus humble de ses apprentis a bien le droit de dire que — génie k part — il fut un ouvrier extra- ordinaire.
... Victor Hugo exerça, pendant toute son existence, mais surtout depuis l'exil qui l'a tant grandi , une sorte de royauté intellectuelle et les trop longs règnes fatiguent. Il était le premier, je dirais presque le seul.
... Au lendemain des énormes funérailles ,
REVUE DE LA CRITIQUE.
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la réaction se produisit. Elle nia les plus éclatantes beautés, fut moins odieuse encore qu'inintelligente.
. . . Critiques dédaigneux qui le prenez de si haut avec l'auteur des Contemplations, de L,a L,egende des Siècles et des Mise'rableSj tout ce que je puis faire pour vous, c'est de vous accorder que Victor Hugo subira l'outrage du temps, mais comme ses égaux, Homère, Dante et Shakespeare.
En attendant, son tombeau vient de se rouvrir encore une fois, et il en sort ce nou- veau livre.
... Il y a encore là-dedans certains vers que ni nous autres, les Parnassiens, ni les jeunes révolutionnaires qui nous succèdent, ne serions capables de torcher.
Cela dit, je demande humblement excuse pour ma fidélité au vieux maître.
Qu'on ne se moque pas trop de moi, et comme échange de bons procédés, je promets de ne pas éclater de rire devant l'agitation qui se produira dans la presse, le jour où l'on publiera les notes de blanchisseuse de Stendhal.
ha Nation. 9 juin 1893.
MONTFERMEIL.
Nous y retrouvons Victor Hugo tout entier, avec son ardent amour de la nature et des hommes, avec sa haine implacable du mal et son inépuisable pitié pour les faibles, pour les souffrants. Il est là, oui, tout entier, avec sa gaieté attendrie, son rire éclatant, son auguste colère et ses sanglots, à travers lesquels il semble qu'on entende le gémissement même de l'humanité. Là comme partout, il est grand ; il pardonne, prie et lève ses mains vers Dieu en demandant justice et clémence.
Il y a, dans cette dernière série de Toute la Lyrej des pages sur l'amour, si exquises, si parfumées, qu'à les lire le cœur le plus desséché, le plus durci s'émeut, et, vieux, croit être redevenu jeune. Après avoir lu, le livre sur les genoux, les mains jointes, les yeux humides, on balbutie en remerciant; on doutait; Hugo nous a fait croire de nou- veau; à l'âme chancelante, troublée, il a rendu la force d'espérer.
Merci, père!
Le Matin. 18 juin 1893.
SÉVERINE.
Voici la dernière série de l'oeuvre formi- dable du maître, pieusement recueillie par ses héritiers intellectuels, ses exécuteurs testa- mentaires : Paul Meurice, Auguste Vacquerie.
Elle a pour sous-titre Les Sept cordes — et vraiment, l'une après l'autre, on les entend chanter, vibrer, frémir; de l'aigre stridon des cigales au grondement de la foudre dans les cieux profonds !
La gamme des cris humains s'y déroule, en de chromatiques envolées! soupirs furtifs, sanglots funèbres, souffles furieux !
Puis l'hymne triomphal — qui s'apaise dans la sérénité, dans le néant de la victoire ; comme, sous le soleil revenu, les nuages après la tempête, les flots après l'ouragan.
Je vous assure, je n'ai pas d'idolâtrie; seule- ment il faudrait avoir le cœur bien sec, le cerveau bien muré pour n'être pas accessible à l'action de ce génie. Il entre en vous comme le soleil dans les pauvres mansardes ; il filtre à travers les vitres défectueuses, les rideaux grossiers ; il dore l'humilité des objets ; il fait épanouir aux murailles les fleurs du papier vulgaire, — il apporte la tiédeur des nids et la joie du libre espace !
Physiquement, matériellement, son action est indéniable. Il exerce, sur l'organisme débi- lité par les névroses, les fièvres, toutes les misères de notre dégénérescence, le même effet que la goutte de vin vieux aux veines du convalescent. Il réchauffe, il réconforte, il donne goût à vivre — il «exalte» enfin, comme dit le bon maître Coppée, ce qui est la vertu suprême en ces temps de négation.
Car Hugo a ce don : ne pas vieillir, demeurer immortel, dans toute la plénitude et l'ampleur du mot. Cet actualiste (pour le dernier tiers de sa vie) sut élever à lui l'inci- dent, le transformer en fait — et instituer ce fait l'une des pages éternelles du livre de l'hu- manité !
... Tel est le propre du génie, sa caracté- ristique, le pouvoir dont il dispose. Ce qu'il touche est acquis à la postérité ; l'onde sonore des phrases rythmées est pareille à celle du Styx, d'où les symboliques héros sortaient invulnérables !
502
NOTES DE L'EDITEUR.
C'est pourquoi, dans ce livre donné à l'admiration des foules, à la religion des fer- vents, même ce que j'appellerai les miettes, les bribes, les courtes pièces si brèves qu'elles évoquent l'idée de brins de palme glanés derrière l'apothéose mortuaire, même cela, exhale parfum de grandeur, arôme subtil et puissant, butiné au creux de tous les lis, au cœur de tous les astres, au ciboire de tous les autels !
ha Chronique de Paris.
Alfred Paulet.
Toute la Lyre n'a pas été le prétexte de la tentative attendue de démolir définitivement le poète. On dit même qu'elle fut la cause d'un banquet apothéotique.
Il n'y avait pas moyen, en effet, de s'at- taquer à l'oeuvre nouvelle qu'une fois de plus Hugo nous envoie de sa tombe. Ces poésies posthumes sont assez semblables à cet œil qui au fond de la tombe regardait Caïn. Elles ar- rivent, victorieuses et terribles comme une per- sonnification du remords pour les détracteurs.
. . . Que dire de spécial de ce volume sinon que par la perfection de certaines pièces, sa fécondité, sa générosité, sa diversité, il por- terait immédiatement à la gloire l'inconnu qui par lui se révélerait.
Des madrigaux à toute beauté, des dou- ceurs pour toute faiblesse, de la pitié pour toute faute, de foudroyantes invectives au crime, de la gauloiserie franche, ronde, puis- sante, de la fantaisie, des descriptions ciselées — c'est plaisant, c'est superbe, — cela ne peut être signé que de Hugo !
Le Figaro. i8 juin 1893.
F. M. [Francis Magnard.]
On a fêté une fois de plus, avec la com- ponction qui convenait, l'ombre du grand poète''), du magnifique inventeur de rythmes et de nombres que fut Victor Hugo.
'■' Allusion au banquet donné par les poètes, pour fêter la publication de Toute la Lyre.
...Toutefois, maintenant que la fête est finie et l'hommage rendu, veut-on me per- mettre de dire qu'il est heureux que la publi- cation des œuvres posthumes de Victor Hugo soit près de s'achever? Si elle devait se pro- longer, elle mettrait à une épreuve un peu cruelle le respect des nouvelles générations comme de celles qui ont vieilli en admiration devant les magnificences de ses œuvres an- ciennes.
Les éditeurs accomplissent leur tâche avec un soin pieux et un zèle admirable. Je ne sais s'ils étaient tenus à tout publier comme ils le font, mais en somme c'est très fâcheux; nous n'avons plus que les rognures du génie, que les éclats mal équarris du monument grandiose qui perpétuera la mémoire du poète.
... Il est délicat de vouloir devancer les jugements de la postérité, mais on peut se rendre compte de sa justice ou de ses caprices en voyant ce qu'on lit après cent ans des soixante volumes de Voltaire, des vingt vo- lumes de Rousseau ou de Diderot.
Je ne crois pas manquer au respect du au génie en constatant que le poète des Feuilles d'Automne, des Chants du Crépuscule, de La Le'gende des Siècles, des admirables et terribles Châtiments ne se retrouve que très diminué, très alangui, très somnolent dans Toute la Lyre.
Si j'étais exécuteur testamentaire, j'en res- terais là.
L'Écho de Paris.
21 juin 1893.
Catulle MendÈs.
Lettre A M. Francis Magnard.
Vous paraissez convaincu que les exécuteurs testamentaires de Victor Hugo auraient agi sagement en ne livrant point au public les poèmes qui, groupés, forment la dernière série de Toute la Lyrej et, plus affirmativement, vous leur conseillez d'en «rester là».
. . . Ce que vous reprochez aux exécuteurs testamentaires de Victor Hugo, c'est d'avoir fait leur devoir, et ce que vous leur conseillez, c'est de ne pas le faire.
... En un seul cas, un exécuteur testamen- taire, qui accepta la tâche imposée, pourrait être dispensé d'accomplir la volonté du tes-
NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE.
503
tateur. Celui où l'accomplissement de cette volonté impliquerait quelque ignominie. On fera difficilement croire aux hommes qu'il soit honteux de publier une œuvre de Victor Hugo.
. . . La succession, ici, intéresse l'universalité des vivants. Elle est le génie hérité par les peuples. Et puisqu'il s'agit de Victor Hugo, pensons à Eschyle, à Dante, à Shakespeare, à Corneille, à "Wagner. Ah ! véritablement, de quelle réprobation à travers tous les âges serait chargé — songez-y. Monsieur, — celui qui, au nom de sa jugeote personnelle (du haut de quelle esthétique, je vous prie.-*), aurait sup- primé une tragédie d'Eschyle, celui qui aurait dit, après avoir parcouru le manuscrit d'un sonnet de Dante : «Déchirons cela», celui qui aurait pensé qu'une scène de Corneille, même vieilli, ne valait pas d'être conservée, celui qui, possesseur d'un drame de "Wagner écrit après Parsifalj s'écrierait : «Hein ? quoi.'' que voulez-vous dire ? Rien dans les mains, rien dans les poches ! » Vous auriez voulu , Monsieur, qu'Auguste Vacquerie et Paul Meurice char- geassent d'une telle malédiction la durée de leur mémoire.'' Ils n'en feront rien. Ils sont incapables d'attenter au patrimoine de l'hu- manité.
... Vous n'admirez pas le nouveau livre poétique de Victor Hugo, vous le jugez infé- rieur aux Feuilles d' Automne j aux Chants du Cré- puscule j à La Ugende des Siècles j aux Châtiments; enfin, pour vous citer, ce qui m'est une joie, vous ne le jugez pas digne «du grand poète, du magnifique inventeur de rythmes et de nombres que fut Victor Hugo».
... La vérité, — ce que, du moins, je crois être la vérité, — c'est que la nouvelle œuvre posthume de Victor Hugo, n'est ni
supérieure ni inférieure à ses œuvres de naguère ou de jadis. Elle leur est égale. Une pareille sublimité de pensées, une pareille abondance de cœur tout entier à tout propos débordant, une semblable prodigalité d'images, toujours neuves, une aussi prodigieuse, une aussi par- faite réalisation de l'idéal poétique, la font sœur des Châtiments et de Lm Le'gende des Siècles. En outre, on y pourrait trouver un charme, encore inconnu : celui de surprendre, çà et là, dans plus d'intimité, l'âme tendre et enthou- siaste, et moins politique, du divin poète. Mais n'insistons pas sur ce point. En résumé, Victor Hugo lui-même ne pouvait surpasser Victor Hugo. Et que sa nouvelle œuvre égale ses anciens chefs-d'œuvre, cela nous suffit. A qui nous a donné tout, nous ne pouvons demander autre chose, — nous ne pouvons de- mander que de nous donner la même chose, encore, toujours !
Cette insistance, cette obstination, cette continuité dans le beau, dans le beau et dans le beau, c'est peut-être ce qui importune des esprits tels que le vôtre. Monsieur, si curieuse- ment désireux d'impressions nouvelles, fussent- elles moindres.
... Car tant de chefs-d'œuvre n'ont fait qu'accroître notre boulimie de nouveaux chefs- d'œuvre, fussent-ils pareils ! Le fâcheux. Mon- sieur, c'est que des quatre-vingt-dix pièces qu'Eschyle a écrites, — si l'on s'en rapporte à Suidas, — il ne nous en reste que sept; et il est désastreux que la Grèce ne nous ait légué, de Pindare, que quatre livres d'odes composées en l'honneur des vainqueurs du stade. Encore plusieurs de ces odes semblent- elles apocryphes. Mais la dernière série de Toute la Lyre est de Victor Hugo, véritable- ment, je vous l'affirme.
III
NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE.
A la France de i8j2. — Publié en tête des éditions in-8° et in-i6 de Ejty Bios, mars et avril 1872.
A la France. — Deuxième partie de : A la France de iSji. Tirage spécial publié avec le titre : Souvenir de l'Exposition universelle de iSjS, et le fac-similé de la signature de Victor Hugo
et de la date : 12 mars i8j8. Paris, Moitrier, éditeur, rue Brézin, n° 37 (imprimerie Le- mcrcier et C", rue de Seine, n° 57).
La Libe'ration du territoire. — Au profit des Alsaciens-Lorrains, jo centimes. Paris, Michel Lévy frères, éditeurs, rue Auber, n° 3, et bou- levard des Italiens, n° 15, 1873.
504
NOTES DE L'EDITEUR.
La Liibération du territoire. — Jointe à UAn- née terrible, édition Michel Lévy, in-S", 1873.
Ltf Liihe'ration du territoire. — Jointe k UAn- ne'e terrible , édition Hugues, grand in-8°, 1879.
Toute la Lyre. — Œuvres inédites de Victor Hugo. Paris, J. Hetzel et C", éditeurs, rue Ja- cob, n°i8; maison Quantin, rue Saint-Benoît, n° 7 (imprimerie Quantin). Edition originale, parue le 4 juin 1888. Deux volumes in-S", cou- verture imprimée. Prix : 7 fr. jo le volume.
Toute la Lyre. Dernière série. — Œuvres iné- dites de Victor Hugo. Paris, J. Hetzel et C", édi- teur, rue Jacob, n° 18; maison Quantin, rue Saint-Benoît, n° 7 (imprimerie May et Motte- roz),i893. Edition originale, in-8°, couverture imprimée. A paru le 2 juin 1893. Prix : 7 fr. jo.
Toute la Lyre, — Œuvres inédites de Victor Hugo. Paris, G. Charpentier et C'°, rue de Grenelle, n° 11 (Imprimeries réunies A.). Pre- mière édition in-i8, parue le 14 juin 1889; deux volumes. Prix : 3 fr. jo le volume.
Toute la Lyre. Dernière série. — Œuvres inédites de Victor Hugo. Paris, ancienne maison Quantin, librairies-imprimeries réu- nies (May et Motteroz, directeurs), rue Saint-
Benoît, n° 7 [s. d.], II juillet 1893. In-i8, cou- verture imprimée. Prix : 3 fr. jo.
Toute la Lyre. — Paris, Librairie du Vic- tor Hugo illustré [s. d.], 1879 (imprimerie P. Mouillot). Grand in-8% couverture illustrée. Sept gravures hors texte. A paru en 28 livrai- sons à 10 centimes. L'ouvrage complet : 4 fr.
Toute la Lyre. — Œuvres posthumes de Victor Hugo. Édition définitive, in-i8, tome 1". Paris, librairie Hetzel et C"; May (imprimerie Motteroz). A paru le 18 octobre 1897. Prix : 2 francs.
Toute la Lyre. — Même édition que la pré- cédente, tomes II et III. 28 janvier 1898.
Toute la Lyre. — Édition à 25 centimes le volume. Paris, Jules Rouff et C", Cloître Saint-Honoré. Dix volumes in-32.
Toute la Lyre. — Paris, Nelson, éditeurs, rue Saint-Jacques, n° 189, et à Londres, Edim- bourg et New-York. Deux volumes in-12 j cou- verture illustrée. Prix : i fr. 25.
Toute la Lyre. — Édition de l'Imprimerie Nationale. Paris, Paul OllendorfF. — Albin Michel, éditeur, rue Huyghens, n° 22. Deux volumes grand in-8°, 1935.
IV
NOTICE ICONOGRAPHIQUE.
1897 [s. d.]. Édition du Victor Hugo illustré. — Frontispice (MoUer) et sept compositions hors texte :
La France, ô mes enfants, reine aux tours fleu- ronnées (Lix). — Hermina (A. Willette). —
L'Idylle de Floriane^^) [A. Willette]. — ^i de la Ferraille (Lix). — Cette armée en qui Kome uivait... (Lionel Royer). — La Libération du territoire (Lix). — Lt regarde'i grandir nos fils encor petits ( D. Vierge. )
l'' Cette poe'sie a été, dans cette édition, publiée dans Les Chansons des rues et des Bois,
ILLUSTRATION DES ŒUVRES
REPRODUCTIONS ET DOCUMENTS
POESIE. — XIII. 33
IMPItllIEniE KATIOIfALB.
ŒUVRES INEDITES
VICTOR HUGO
TOUTE LA LYRE
DERNIERE SÉRIE
PARIS
J. HETZEL & C"' MAISON QUANTIN
l8, RUE JACOB RUE SAINT-BENOIT, 7
M DCCC XCIII
Couverture de l'Édition originale. (Dernière série.)
507
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Hermina. — Dessin de Willette. — Édition du Victor Hugo illustre.
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Fac-similé du manuscrit. (Voir page 33.)
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Fac-similé du manuscrit. (Voir, page 97.)
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Fac-similé du manuscrit. (Voir page 145.)
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Fac-similé du manuscrit. (Voir page 183.)
521
POESIE. XIII.
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Fac-similé du manuscrit. (Voir page 199.)
5^5
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Fac-similé de la strophe Écrite vers 1828.
524
Fac-similé du manuscrit date 1876. (Voir page 286.)
5^5
d 1(L Tt^^ }<^ l'i]'!^
9 \i6/^u.,U/,iklV)f^)(^MH*'^^'i](^^^^
TV ^ ;^ k/^irv>^(. ^
^
I
Fac-similé du manuscrit. (Voir page 295.)
5^7
TABLE.
LES SEPT CORDES.
I. À Louis B il
II. AdmikEj enfant! soui^ent aux marins de Messine 13
III. A UNE RELIGIEUSE I ^
* IV A cette heure indécise où le jour va mourir 15
V. La France^ ô mes enfants, reine aux tours fleuronnees 16
VI. L'autre jour, ami cher, ami de 'vingt années 17
VIL "Vous êtes bien des fois z>enus dans ma demeure 19
VIII. À Ol 20
IX. UÉnus rit toute nue au-dessus de mon lit 2 1
* X. A cette heure de nuit où L'HOMME 'VAGUE ET TROUBLE 2 2
XI. Le couchant flamboyait À trai^ers les bruines 23
* XII. UiRGILEj en ce beau mois, JE SENS MOINS LES DOULEURS 25
XIII. Le bien germe parfois dans les ronces du mal 26
* XIV. Mon Ame était en deuil,- c'était l'heure de l'ombre 28
XV. Je travaille 29
XVI. Tu ME DIS : Finis donc ton LitmE des Misères 31
XVII. ^Quand je marche A mon but auguste 32
* XVIII. 0 TOI sut m'as maudit dans tes souffrances sombres 33
XIX. A UN ENFANT 34
* XX. Je MARCHAIS; j'entendais, comme tombait la nuit 39
XXI. J'ai mené parfois dure vie 40
XXII. A DEUX ENNEMIS AMIS 43
XXIII. D. G. D. G 46
* XXIV. Un soir 52
XXV. Lettre de l'exile arrivant dans le désert j 3
* XXVI. Ô DOUX ÊTRES ! ma JOIE ET MON AMOUR SACRÉ! 5 5
XXVII. A l'heure où LE SOLEIL SB COUCHE 56
* XXVIII. J'aspire A m' enfouir sous les arbres. Je suis 58
XXIX. A Jeanne 59
XXX. Si dans CE GRAND PaRJS, ô CHARMANTE INFIRMIERE 6o
POESIE. — XIII. 35
IHflUHEIIIE NATIOXALC
53o TABLE.
XXXI. Calomnié 6i
* XXXII. Souffrez, ô précurseurs ! 6z
XXXIII. L'aquilon change, et met la povpe où fut la proue 63
XXXIV. Ave, Deaj mohiturus te salutat 64
XXXV. Envoi 65
XXXVI. Pygmée et MyrmidoNj c'est haine et calomnie 66
XXXVII. Je la revois j aprÀs 'vingt ans, l'Île où Décembre 68
XXXVIII. Je ne m'arrête pas, jamais je ne séjourne 70
XXXIX. Je vais dans la fureur du gouffre, dans l'Écume 71
XL. Un vieillard est souvent puni de sa vieillesse 73
XLI. A Madame d'A.-Sh 74
XLII. Z^OUS (2UIj VAINQUEURS, AVEZ MIS, DEPUIS VINGT-CINQ_^ANS 77
XLIII. Tu NOUS REGARDES, NUIT, GRANDE PASSANTE NOIRE 78
XLIV. Ah! vous faites du froid devoir votre bonheur! 80
XLV. La HAUTE honnêteté, c'est la toute ma gloire 81
XLVI. L'enfant est très petit et l'aïeul est très vieux 82
XL VII. Je suis enragé. J'aime et je suis un vieux fou 83
XLVIII. Échappé À l'erreur 84
XLIX. Apres l'hiver 86
L. ^Qi/eS-TU, PELERIN ? Je ME NOMME 87
LI. Le VIEILLARD chaque JOUR DANS PLUS d' OMBRE s'ÉVEILLE 88
LII. Tu RENTRERAS COMME UoLTAIRE 89
VI
I. LoRSQU,E MA MAIN FRÉMIT SI LA TIENNE l' EFFLEURE 93
II. Oh ! SI vous existez, mon ange, mon génie 9 j
III. ZJois-TU, mon ange, il faut accepter nos douleurs 96
* IV. Ce qu'en vous voyant si belle 97
V. Uous m'avez Éprouvé par toutes les éprewes 98
VI. Sais-tu ce que Dieu dit À l'enfant qui va naître ? 99
VIL Certe, elle n'Était pas femme et charmante en vain lOO
VIII. Roman en trois sonnets i o I
* IX. Chanson. {Il suffit de bien peu de chose. ..) 103
X. Hermina 1 04
* XL OhI LA femme et l'amour ! inventions maudites ! l O J
XII. J'ÉTAIS LE SONGEUR QUf. PENSE IO7
* XIII. L'amour vient en lisant 109
XIV. Elle vint que j 'étais en train de lire HoMkRE iil
* XV. UoUS NE LA FUYEZ PAS, OISEAUX, PETITS FAROUCHES 112
XVI. Commencement d'une illusion 113
* XVIL Trumeau 115
TABLE.
XVIII. Toute la vie d'un cœur. :
1817. Adolescence
1820. Printemps. Mai le de'crète et c'eJf officiel
1833. Puisque le gai printemps revient danser et rire
1 83 j. Promenade
1 840. Je ne laisserai pas se faner les pervenches
1847. •^* '^"^ ** homme ayant un projet sous les deux. . . .
* XIX. L'amouk n'est plus l'anti^e et menteur Cupido
XX. Or. nous cueillions e!<semble la pervenche
* XXI. Il Était une fois un caporal cipaye
XXII. Un coup de tjent passa^ souffle leste et charmant . . .
XXIII. Quinze-vingt
XXIV. J'ai toujours redouté d'aborder une femme
XXV. J^U^EST-CE £UE CETTE ANNÉe EMPORTE SUR SON AILE?
XXVI. Dans un vieux cloître
* XXVII. J'avais dans ma mansarde un buste de Platon
XXVIII. Virgile dans l'ombre
* XXIX. Ouij JE suis le regard et vous êtes l'Étoile
XXX. N'est-ce pas, mon amour, j^ue la nuit est bien lente
* XXXI. Je ne -viens pas vous voir le jour; voici pourquoi . . . . XXXII. L'heure sonne. Un jour va naître
* XXXIII. A DEUX soeurs
XXXIV. Un jour qu'elle m'avait dit : Donnez-moi vos yeux. .
* XXXV. NiVEA NON FRIGIDA
XXXVI. À Madame la princesse Sophie Galitzine
* XXXVII. À Madame J. .
XXXVIII. Je ne sais pas pourquoi les femmes
* XXXIX. Pendant qu'elle dort
XL. La foret
XLI. Chanson. {Le prince de Joinville, ..)
XLII. J'Étais un lycéen honnête
* XLIII. FURENS FmMINA
XLIV. Cela la désennuie,- elle vit toute seule
XLV. Chanson de celle qui n'a pas parle
XL VI. 0 TOI d'où ME VIENT MA PENSÉe
* XL VII. Danse en rond
XL VIII. Oh ! DiSj te souviens-tu de cet heureux dimanche ?. . .
XLIX. Garde A jamais dans ta mémoire
L. Ah ça mais ! quelle idée as-tu, capricieuse
LI. A UNE immortelle
LU. Horace, et toi, vieux La Fontaine
* LUI. Chanson. (Bon empereur, vous Êtes maître...)
LIV. A FORCE DE RÊVER ET DE VOIR DANS LA PLAINE
* LV. Les péripéties de l'idylle
16
17 17 18
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:48
50 51 52 53 55 59 61 62 66 70 71 72 74 75
532
TABLE.
LVI. Je pressais ton bras qjii tremble i
LVII. Au BAL I
LVIII. Nous etionSj elle et moIj dans cet avril charmant i
LIX. Aujourd'hui Galatée aux lascives Épaules i
* LX. Danger d'aller dans les bois i
LXI. Tous DEUX EST-CE A TiBUR? EST-CE A UiLLE-d'AvRAY ? I
LXII. L'outrage peut être aussi dans la caresse i
LXIII. LiA BELLE s'appelait MADEMOISELLE AmABLE I
79 80 81 82
83 85
87
89
LXIV. (^UAND DEUX C<&URS EN s' AIMANT ONT DOUCEMENT VIEILLI I93
VII
I. La blanche Aminte 197
II. Le prince FAINEANT 1 99
III. Ce QUE Gemma pense d'Emma 202
IV. Vase de Chine 205
V. Mauvaises langues 2 06
VI. Danseuse, écoute-moi. Le Dieu du firmament 208
VII. Le porche de Saint-Luc 209
* VIII. Chanson. {L'hiver gronde et fait cent ^erelles.) 210
IX. Oui, fÔt-on Homère, il faut rire 212
X. En Afrique 213
XI. ^Quiconque est amoureux est esclave et s'abdique 214
XII. A L AGE DES bergeries 2l6
* XIII. Bruit de guitare 218
XIV. La lune 219
XV. Le mardis de Bade a deux cornes 220
XVI. UeUX-TU 'VIVRE, ÊTRE ADMIrÉ 222
XVII. Chaqjje smcLE a le sien 223
XVIII. Il avait le front bas, le rire d'un pirate 224
XIX. Messeigneurs , NOUS aurons pour lustre la Grande Ourse 225
XX. Fils, je 'veux dans ce conte, oh vont 'venir les fÉes 226
XXI. Quai de la ferraille 227
XXII. Comédies non jouables qui se jouent sans cesse :
i. La marquise Antoinette 230
Idylle 234
Idylle (Cocarde et Louchon) 236
Au Luxembourg 237
Le mendiant 2 40
EUe, c'eit le printemps j pluie et soleil; je l'aime 241
Idylle de la rue N.-D. de Lorette 244
viii. Uois-je point la dans l'ombre un homme titubant? 244
IX. Susurrant voces 246
II. III.
IV. V. VI. VII.
TABLE. 533
XXII. Comédies non jouables qui se jouent sans cesse (Suite) :
* X. On prétend, Silvio, que toujours je uoiis aime 248
XI. Je te jure un amour étemel 249
XII. Entre le zist et le zest 250
XXIII. Chansons :
I. J'adore Suiett; 254
II. // était une fois ^5^
* III. Je suis Jean qui guette 257
IV. L'oiseau passe 2 60
V. Cancion 261
* VI. Chanson de Maglia 261
VII. Chanson en canot 262
VIII. La chanson du spectre 2 64
IX. Margot 2 66
X. Kien n 'eff comme il devrait étr; 267
* XI. Tourne-toi vers celle qui t'aime 270
XII. Chanson de bord 271
XIII. Dans la forêt 272
XIV. Ronde pour les enfants 273
* XV. Jean , Jeanne , Jeannot 274
XVI. Le chant du vieux berger 275
XVII. Chant des songes 278
XVIII. Hacquoil le marin 280
UienSj ô toi que j 'adore 281
Mai dans les bois recHe 283
XX. Chant du bol de punch 2 84
* XXI. Sérénade 286
XXII. Le château de l'Arbrelles 2 86
* XXIII. L^ joli page imberbe 288
XXIV. Chansons de Gavroche :
I JLï» tan plan ! 289
* II. ^uand Dalila, Paméla 290
III. I^a bourgeoisie elt un "veau 291
LA CORDE D'AIRAIN.
À LA France de 1872 295
I. Apres Sedan 301
II. A DES REGIMENTS DECOURAGES 3O3
III. Destruction de la colonne 305
IV. L.4 GRANDE RÉpUBL/^UE A DES GKIFFES FATALES 308
V. Apres l'Écroulement de l'homme 309
VI. L'orgie des meurtres 3^^
534 ^ TABLE.
vu. Oui, l'on a sauvé l'okdke et l'état, et je crois 314
■VIII. En Belgi^e — {et peut-ètke, hÉlas ! ailleurs encor!) 316
IX. A UN ROI DE TROISIEME ORDRE 318
X. Alsace et Lorraine 321
XL La LIBERATION DU TERRITOIRE 327
Xn. Le uonceau songeait,' il Était tout petit 335
XIII. 0 ROYAUTÉ! TAS p'oMBRE ! AMAS p'hORREUR, d' EFFROI 337
XIV. „^£P^ DONC ! AVOIR POUR BUT CETTE lÂCHETÉ, PLAIRE ! 338
XV. Un grand sabre serait d'utilité publique 340
XVI. Aux HISTORIENS 343
XVII. Victoires et conquêtes de la religion 349
XVIII. 0 NOMBRE FEMME, UN JOUR 35I
XIX. La question sociale 352
XX. Crois-tu donc qu'on sera César sans l'expier ? 3^4
XXI. Jeunes hommes éclos sous l'empire rapace 355
XXII. Rentrée dans la solitude 358
XXIII. 0 PRINCES insensés ! QUOI ! NE TREMBLENT-ILS PAS 360
XXIV. Le POETE prend la parole 362
XXV. Grandes oreilles 363
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XXVI. A DE CERTAINS MOMENTS, LHOMME JUSTE EST RISIBLE 364
XXVII. A vous tous 367
NOTES DE CETTE EDITION,
Les manuscrits de Toute la Lyre 373
I. Notes explicatives 373
II. Variantes et vers inédits 406
Notes de l'Editeur 479
I. Historique 479
IL Revue de la Critique 486
III. Notice bibliographique 503
IV. Notice iconographique 5 04
Illustration des Œuvres. — Reproductions et documents 505
Couverture de l'édition originale de Toute la Lyre (Dernière série). —
Hermina. Fac-similés des manuscrits : 0 toi qui m'as maudit dans tes soufrâmes
sombres... — Envoi. — Oh! si vous existe^, mon ange, mon génie...
- — ■ Ce qu'en vous voyant si belle. — Pendant qu'elle dort. — Danger
d'aller dans les bois. — Le Prince fainéant. — Le Château de l'A.r-
breUes. — A. la France de iSyz.
ACHEVE D'IMPRIMER
PAR L'IMPRIMERIE NATIONALE
POUR
ALBIN MICHEL, EDITEUR
22, RUE HUYGHENS, 22, PARIS
LE II JUILLET 1935
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