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HISTOIRE
NATURELLE,
GÉNÉRALE ET PARTICULIERE.
Tome 1.
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I
ŒUVRES
COMPLÈTES
D E
M. LE C7E DE BUFFON,
Intendant du Jardin du Roî , de l* Académie Franc oife , de celle des Sciences, è^c.
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Tome Premier. Théorie de la Terre.
A PARIS,
DE L»I M PRIME RIE ROYALE.
M. DCCLXXIV
AD.siyîsî-5'57"^
TABLE
\i j^ yâ^..yfi y^^ -^^i y^ lo^ 3p^ 3»^ i«t *;.>- ■>!.^ ^ i'-^ 5l,^^^ * ^
AU ROI.
IRE,
L'Hïfloïn iif les monumem îmmortaliferont les qualités hé- roïques , if les vertus pacifiques que [Univers admire dans la per- fonne de Votre MAJESTÉ. : Cet ouvrage qui contient l'hif îoire de la Nature , entrepris par vos ordres , coTifacrera à la poflérïté votre goût pour les
Sciences , èf la protection éclch tante dont vous les honore-^. Senfible à toutes les fortes de gloire y grand en tout, excellent en vous-même , S IRE ., vous fere-^^ à jamais l'exemple des Héros if le modèle des Rois.
Nous fommes avec un très- profond refpeél ^
SIRE,
De Votre Majeste\
Les très-Iiumbîes , très-obcifTans (5c très* fidèles lujets &i ferviteurs , B U F F o N , Intendant de votre Jardin ÔlQS
Plantes , Daubenton, Garde & Démonflrateiir de votre Cabinet d'Hidoire Naturelle.
TABLE
De ce qui eft contenu dans ce Volume.
Premier Discours. De la manière d'étudier & de traiter l'Hifloire Naturelle ......... Page 2
Second Discours. Hifloire ér théorie de la Terre o a
Preuves de la Théorie de la Terre.
Article I. De la formation des
Planètes. ... i g c Art. il Du Syflème de M.
Whijlon . . . . ^^r Art. Iir. Du fyftème de M,
Burnet , , . . 262 Art. IV. Du fy/lème de M.
Woodward. . x6j
ArticleV. Expofitiofi de (Quelques
autres Syjlèmes. 2.y <y
Art. V I. Géogrûphîe, ... 2(^7
Art» VII. Sur la produâïon des coucher ou lits de terre 334.
Art. VIII. Sur les coquilles & les mitres produâions de la mer , qu'on trouve dans l intérieur de la terre ..... 388
HISTOIRE
HISTOIRE
NATURELLE.
Premier Dijcoiirs.
Tom L
JRes ardua vetuflis novitateni dare, novis auSîoritatem , obfoletis nitorem, obfcuris Iiicem , faftiditis gratiam , dubiis fidan, omnibus vero naturam,if naturœ'fuœ vmnia. Plin. in Praef, ad Vefpaf.
5
HISTOIRE
NATURELLE- PREMIER DISCOURS.
De la manière d'étudier & de traiter ïHîJloire Naturelle,
L'H I s TO ï R E Naturelle prifè dans toute ion étendue , eîl une Hiiloire immenfe, elle cmbrafie tous les objets que nous préfente l'Univers. Ccttemul- tiîude prodigieufe de Quadrupèdes, d'Oifeaux, de Poiiïons, d'ïnfècies, de Plantes, de Minéraux, &.c. ofîre à la curiofité de l'efprit humain un vafle fpec^acle dont l'enfemble eft fi o-rand, qu'il paroît & qu'il eil: en effet inépui- iabie dans ies détails. Une feule partie de i'Hifloire Naturelle, comme l'Hif- toire des Infedes, ou i'HiUoire des
Ai;
'4 Manière de traiter
Epiantes j fuffit pour occuper plufieurs {lonimes ; &l ies plus habiles Gbierva^ teurs n'ont donne, après un travail de pjufieurs années , que d^s ébauches aflez imparfaites des objets trop muitipliés que préfentent ces branches particulières de î'Hilloire Naturelle, auxquelles ils s'itoient uniquement attachés : cepenr dant ils ont fiiit tout ce qu'ils pouvoient £iire, & bien loin de s'i^n prendre aux Obiervateurs du peu d'avancement de ïa Science, on ne fauroit trop louer ïeur alîjduité au travail & leur patience, on ne peut même leur réfuter des qua- lités plus élevées; car il y a une elpèce de force de génie & de courage d'ef- prit à pouvoir envifager, iims s'étonner, îa Nature dans la multitude imiom- brable de fes procludions , & à fe croire capable de ïçs comprendre &. de ies comparer; il y a une efpèce de goût à les aimer, plus grand que le goût qui n'a pour but que des objets particu- liers, & Ton peut dire que l'amour de i étude de la Nature- fuppofe dans l'ef- prit deux qualités qui paroiffent oppo- 'jg^s, les graiid^es 3aies d'ui; génie .ardenf
ïHijloire Naturelle. J
qui èmbralTe tout d'un coup d'œil, <& les petites attentions d'un inflind 1er- borieux qui ne s'attache qu'à un feul point.
Le premier obftacle qui fe préfème dans l'étude de l'Hiitoire Naturelle , vient de cette grande multitude d'objets; mais la variété de ces mêmes objets, & la difficulté de ralTembier les produc- tions diverfes des difFérens climats, for- ment un autre obflacle à l'avancement de nos connoifTances , qui paroît invin-- cible , & qu'en effet le travail feul ne peut furmonter; ce n'efi: qu'à force de temps, de foins, de dépenfes, & fouvent par des hafards heureux, qu'on peut (è procurer àts individus bien confèrvés de chaque efpèce d'animaux, de plantes ou de minéraux , & former une colleélion bien rangée de tous les ouvrages de fa Nature.
Mais îorfqu'on eil parvenu à rafiem- bler des échantillons de tout ce qui peuple l'Univers, lorfqu'après bien des peines on a mis dans un même lieu des modèles de tout ce qui ie trouve ré* pandu avec profulion fur la terre, ^
A lij
é Manicrt de muter
qu'on jette pour la première fois ïcs -yeux fur ce magaiin rempli de choies diveries, nouvtiies & étrangères, la première leniation qui en réiliite, eft im étonnemenî mêlé d'admiration, & îa première réflexion qui fuit , eft un retour humiliant Ibr nous-mêmes. On ne s'im.agine pas qu'on puifle avec ie temps parvenir au point de reconnoître tous ces différens objets, qu'on puiiïe parvenir non - feulem^ent à ies recon- noître par la forme, mais encore à fa- voir tout ce qui a rapport à la naif- ilmce, la produClicn, i'organiiaiion , îcs u la cres , en un mot à i'hiftoire de chaque choie en paniculier : cepen- dant, en fe familiarilànt avec ces mêmes objets, en les voyam fouvent , & , pour ainfi dire, fans oefiein, ils forment peu à peu des iiuprefllons durables, qui Bicii-tôt fe lient dans notre efprit par des rapports fixes & invariables ; & de- là nous nous élevons à des vues plus générales , par lefquelles nous pouvons embrafTer à la fois piufeurs objets dif- férens ; & c'eft alors qu'on eft en état d'étudier avec ordre, de réfléchir avec
rHifloire NûîHvelIe» '^ j
fi'iîit, &. de fe frayer des routes pour arriver à des découvertes utiies.
On doit donc commencer par voir beaucoup &. revoir fouvent; queique néceiïaire que l'attention foit à tout, ici on peut s'en difpenfer d\ibord : je veux parier de cette attention fcrupu- leufe, toujours utile lorfqu'on fait beau- coup, &. fouvent nuifible à ceux qui commencent à s'infiruire. L'elTentiel eil: de leur meubler la tête d'idées &: de faits, de les empêcher, s'il eil po(^ fible, i!!itï\ tirer trop tôt des raifonne- mens & des rapports ; car il arrive tou- jours que par l'ignorance de certains fiits, & par la trop petite quantité d'i- dées, ils épuifent leur efprit en faufTes combinaifons , & fe chargent la mé- moire de conféquences vagues & de réiùltats contraires à la vérité, lefquels forment dans la fuite des préjugés qui s'effacent difficilement.
C'efl: pour cela que j*ai dit qu'il £iî- loit commencer par voir beaucoup, il faut aufli voir prefque fins dellein , parce que fi vous avez réfolu de ne confi- dérer les choies que dans vuic certaine
A iiij
8 Manière de traiter
vue, dans un certain ordre, dans un cer- tain fyftème , eiifîiez-vous pris le meil- leur chemin, vous n'arriverez jamais à la même étendue de connoiiïîuices à laquelle vous pourrez pre'tendre, fi vous laiiïez dans lès commencemens votre efprit marcher de lui-même , (è reconnoître, s'afTurer fans fecours, & former fèul la première chaîne qui re- preTente l'ordre de les idées.
Ceci efl: vrai ians exception, pour toutes les perfonnes dont i'efprit eft fait & !e raifonnement forme'; les jeunes gens au contraire doivent être guide's plus tét & confeillés à propos, il faut même les encourager par ce qu'il y a de plus piquant dans la fcience , en leur faifant remarquer les chofes les plus fui- gulières, mais fans leur en donner d'ex- plications pre'cifes ; le myfière à cet âge excite la curiofité , au lieu que dans i'âge mûr, il n'infpire que le de'goûî; ies enflms fè lalTent aife'ment des chofes qu'ils ont déjà vues , ils revoient avec indifférence, à moins qu'on ne leur pré- fente les mêmes objets fous d'autres points de vue 3 (3c au li^u de leur répéter
î'Hijïûîre Naîureïïe» ^
fiinplement ce qu'on leur a déjà dit, il vaut mieux y ajouter des circonf^ tances, même étrangères ou inutiles; on perd moins à les tromper qu'à les déoroûter.
Lori qu'après avoir vu & revu pîu- fleurs fois les chofes , ils commenceront à (e les repréfenter en gros , que d'eux* mêmes ils fe feront des divi fions , qu'ils commenceront à apercevoir des diftinc^ tions générales, le goût de la fcienc^ pourra naître, & il fmdra l'aider. Cs goût il ncceifaire à tom, mais en même temps fi rare, ne (è donne point par les préceptes; en vain l'éducation voudroiî y fuppléer, en vain les pères contrai- gnent-ils leurs enfins, ils ne les amè- neront jamais qu'à ce point commun k tous les hommes, à ce degré d'intellii- gence & de mémoire qui fuffit à h Ibciété ou aux affaires ordinaires; mars c'eil à la Nature à qui l'on doit cette première éuncelle de crénie, ce germe de goût dont nous parions , qui ie dé- veloppe enfuiie plus ou moins , fuj^ vant les différentes circondanccs & te différens objets,
A T
:i d Âidiilère de îraner
Auffi doit-on prefenter à i'efprit Jes jeunes gens des cholb de toute elpèce , Aç:% études de tout genre, des objets de toutes ibrtes , afin de reconnoîtrc le genre auquel leur cfprit fe porte avec plus de force , ou le livre avec plus de plaifir: l'Hilloire Naturelle doit leur être préientée à Ton tour, & précilé- nient dans ce temps où la raifon com- nience à fe développer; dans cet âge oii ils pourroient commencer à croiie qu'ils favent déjà beaucoup ; rien n'efl plus capable de rabaifler leur amour propre, & de leur faire fentir combien il y a de chofes qu'ils ignorent ; & indépendamment de ce premier effet qui ne peut qu'être utile, une étude înênie légère de l'Hiftoire Naturelle élèvera leurs idées, & leur donnera des connoiiîiinces d'une infinité de chofes que le commun des hommes ignore, & qui fe retrouvent fouvent dans l'u- fage de la vie.
Mais revenons à l'homme qui veut s'appliquer férieufement à l'étude de la Nature, & reprenons-le au point où nous l'avons laifîe , à ce point où il
l'HïJlolre Ndîurelle, 1 1; commence à généraliier Tes ide'es, & à fe former une met ode d'arranoement ôi des fyftcmes d'explication ; c'ell alors qu'il doit confuitcr ies gens inllruits, iire les bons Auteurs, examJner leurs différentes méthodes, & emprunter des iumières de tous côtés , m.ais coirime il arrive ordinairement c|ii'on fe prend alors d'affedron & de goût pour cer- tains auteurs, pour une certaine mé- thode, & que fouvent, fans un exa- men aiïez miûr, on fe livre à un fyf- tème quelquefois mal fondé, il eft bon que nous donnions ici cjuelques no- tions préliminaires fur les méthodes qu'on a imaginées pour faciliter l'in- telligence de l'Hifîoire Naturelle : ces méthodes font très -utiles, lorsqu'on ne ies emploie qu'avec les reflridions convenables; elles abrègent le travail, elles aident la mémoire, & elles offrent à l'efprit une fuite d'idées, à la vérité compofées d'objets différens entr'eux^ mais qui ne iaiffcnt pas d'avoir des rap- ports communs, & ces rapports for- ment des im.preiïions plus fortes que ne pourroitnt faire des objets détachas-
A vj
î 2 Manière de traiter
qui n'auroient aucune relation. Yoliiî la principale utilité des méthodes, mais i'inconvénient eft de vouloir trop aion- ger ou trop refTerrer la chaîne , de vou- loir foumettre à des loix arbitraires les ioix de la Nature , de vouloir la divi- ier dans des points où elle eft indivi- jfible , & de vouloir mefurer les forces par notre foibîe imagination. Un autre inconvénient quin'eft pas moins grand, & qui eft le contraire du premier, c'eft de s'afTujettir à des méthodes trop par- ticulières , de vouloir juger du tout par une feule partie , de réduire la Nature à de petits fyftèmies qui lui font étrangers, & de les ouvrages immenfes en former arbitrairement autant d'afTemblages dé- tachés ; enfin de rendre , en multipliant les noms & les repréfentaticns , la langue de la fcience plus difficile que la fcience elle-m.êmie.
.Nous fcynmes naturellement portés à imaginer en tout une efpèce d'ordre & d'uniformité, & quand on n'examine que légèrement les ouvrages de la Na- ture , il paroît à cette première vue qu'elle a toujours travailié fur un mêm^^
ïHïfloire Naîmelk. l 3
plan : comiTie nous ne connoiiïons noivs- înêmes qu'une voie pour arriver à un Lut, nous nous perfuadons que la Na- ture fait & opère tout par les mêmes moyens &: par des opérations lem- Llablesi cette manière de penier a fait imaginer une infinité de faux rapports entre les produdions naturelles, les plantes ont été comparées aux ani- maux , on a cru voir végéter les \xî\- néraux, leur organifation ii différente, & leur mécanique fi peu reffembknte ont été fouvent réduites à la même forme. Le moule commun de toutes ces choies fi difîemblabies entr'elles, eil: moins dans la Nature que dans i'efprit étroit de ceux qui l'ont mal connue , & qui favent auffl peu juger de la force d'une vérité, que des juftes limites d'une ana- logie comparée. En effet, doit -on, parce que le fang circule , affurer que la sève circule aufîi î doit-on conclure de la végétation connue des plantes a une pareille végétation dans les minér- raux , du mouvement du ftmg à celui de la sève, de celui de la sève au mou- rement du fuc pétrifiant î a'sfl-ce pas
^î4 'Manière Je traiter
porter dans la réalité des ouvrages du Créateur, les abfl: radions de notre ef- prit borné, & ne lui accorder, pour ainfi dire, c|u'autant d'idées que nous en avons! Cependant on a dit, & on dit tous ies jours des chofes aufîi peu fondées, & on bâtit dts fyftèmes lur des faits incertains, dont l'examen n'a janiais été fiit, & qui ne fervent qu'à montrer ie penchtint qu'ont les hommes à vouloir trouver de la refîemblance dans les objets les plus différens , de la régularité où il ne règne que de ia va-^ riété, (Se de l'ordre dans les chofes cju'iis n'aperçoivent f[ue confufément.
Car lorfque, (ans s'arrêter à des con- noiffmces fuperficielles dont les réful- tats ne peuvent nous donner que des idées incomplètes des produdions &: des opérations de la Nature, nous vou- lons pénétrer plus avant & examiner avec des yeux plus attentifs la forme & la conduite de fes ouvrages, on elt auiîi furpris de la variété du deilein ^ que de la multiplicité des moyens d'exé- cunon. Le nombre des produdions de h Nature, quoique prodigieux, ne fils
TlJîjîoire Naturelle. I 5
riîgrs^ que la jmus J^ji^J'^'^ï'^ic <Je notre etonnement, ia mécanique,- Ton art, {^s reffoûrcés, les déiorcîres même, emportent toute notre admiration ; trop petit pour cette immenfité , accabié par îe nombre des merveilles, Tefprit hu- main fuccombe : il iemble que tout ce qui peut être, eft ; la main du Créateur Ke paroît pas s'être ouverte pour don- ner i'être à un certain nombre déter- miné d'efpèces ; mais il fembîe qu'elle ait jeté tout-à-ia-fois un monde d'êtres relatifs & non relatifs; une infinité de combinaifons harmoniques & contrai- res, & une perpétuité de deflrudions & de renouvelleniens. Quelle idée de pui/Tance ce fpeélacle ne nous offre-t-il •pas ! Quel fentiment de refpeél cette vue de l'Univers ne nous infpire-t-elie pas pour fon Auteur! Que feroit-ce ii îa foible lumière c[ui nous guide, deve- noit aflez vive pour nous fiire aper- cevoir l'ordre général des caufes &i de la dépendance des effets \ mais l'eiprit le plus vafie, & le génie le plus puif- fant, ne s'élèvera jamais à ce haut point 4e ccnnoiflance : les premières caiiiès
i6 Manière de îraiîcr
nous feront à jamais cachées , les réiiiï- tats généraux de ces caufes nous feront aufîi difficiles à connoître que les caufes mêmes; tout ce qui nous eft pofTible, c'efl: d'apercevoir quelques effets parti- culiers, de les comparer, de les com- biner, & enfin d'y reconnoître plutôt un ordre relatif à notre propre nature , que convenable à i'exiilence des chofes que nous confidérons.
Mais puifque c'eil: la fexiîe voie qui nous foit ouverte, puifque nous n'a- vons pas d'autres moyens pour arriver à la connoilîànce des chofes naturelles, ii faut aller iufqu'où cette route peut nous conduire, il faut raffembler tous les objets, les comparer, les étudier, & tirer de leurs rapports combinés toutes les lumières qui peuvent nous aider à les apercevoir nettement & à les mieux connoître.
La première vérité qui ibrt de cet examen férieux de la Nature, efl: une vérité peut-être humiliante pour l'hom- me ; c'eft qu'il doit ie ranger lui-même dans la claiïe des animaux, auxquels il reffemble par tout ce qu'il a de matérid^
THïjloire 'Naturelle. Jj
Se même leur inflinél lui paroîtra peut- être plus fur que in raifon, & ieurindui^ trie plus admirable que l'es arts. Par- courant enfuite fuccefîlvemeiit & par ordre' les difFcrens objets qui compofent l'Univers, & le menant à la tête de tous les êtres crée's, il verra avec étonnement qu'on peut defcendre par des degrés prefqu'infenfibles, de la créature la plus parfaite jufqu'à la matière la plus infor- me, de l'animal le mieux organifé juf- qu'au minéral le plus brut; il recon- noîtra que ces nuances imperceptibles font le grand œuvre de la Nature; il les trouvera ces nuances , non-feulement dans les grandeurs & dans les formes, mais dans les mouvemens, dans les géné- rations, dans les fucceffions de toute elpèce.
En approfondiffant cette idée , oit voit clairement qu'il eft impoflible de donner un fyftème général, une mé- thode parfaite , non - feulement pour l'Hiftoire Naturelle entière, mais même pour une feule de fes branches , car pour faire un fyftème, un arrano-ement, en un mot une méthode générale, il faut que
'î 8 Ma f Itère de traiter
tout y foit comj;ris; il fliut divifer ce tout en différentes ciafies, partager ces claflcs en genres , fous-divifer ces genres en eipèccsj & tout cela fuivant un ordre dans lequel il entre nécciîaircment de l'arbitraire. Mais ia Nature marche par des gradations inconnues, & par conie- quent elle ne peut pas fe prêter totale- ment à ces divifions, puiiqu'eile pafle d'une efpèce à une autre efpèce, &. iou- Yeni d'un genre à un autre genre , par des nuances imperceptibles ; de fone qu'il fe trouve un grand nombre d'efpèces moyennes & d'objets mi- partis qu'on ne iàit où placer, & qui dérangent né- ccfTairement le projet du ryflème géné- ral : cette vérité eft trop importante pour que je ne l'appuie pas de tout ce qui peut la rendre claire & évidente.
Prenons pour exemple la Botanique, cette belle partie del'Hiftoire Naturelle, qui par Ton utilité a mérité de tout temps d'être la plus culdvée, & rappelons à î'examen les principes de toutes les mé- thodes que les Botanides nous ont don- nées ; nous verrons avec quelque furprilè qu'ils ont eu tous en vue de comprendrç
VHipoîre Naturelle» i 9
cîans leurs mcthodes génenleinent toutes Jes efDcces de piantes, &. qu'aucun d'eux n'a parfaitement réulli ; il fe trouve tou- jours dans chacune de ces méthodes un certain nombre de plantes anomales dont ï'eipèce eli moyenne entre deux genres, & fur laquelle il ne leur a pas été pofîible de prononcer jufle , parce qu'il n'y a pas plus de railon de rapporter cette efpèce à l'un plutôt qu'à l'autre de ces deux- genres: en effet, le propofer de faire une méthode parfiite , c'efl: fe propofer un travail impolTible ; il faudroit un ouvrage qui repréfentât exad:ement tous ceux de la Nature, & au contraire tous les jours il arrive qu'avec toutes les mé- thodes connues, & avec tous les lècours qu'on peut tirer de la Botanique la plus éclairée , on trouve des efpèces qui ne peuvent le rapporter à aucun des genres compris dans ces méthodes : ainli l'expé- rience eft d'accord avec ia raifon fur ce point, & l'on doit être convaincu qu'on ne peut pas fiire une méthode générale & parfaite en Botanique. Ce- pendant il lemble que la recherche de cette niéihcde générale foit une efpèce
% o Manière àè traiter
de pierre phiiofophale pour les Botà- iiiftes , qu'ils ont tous cherchée avec des- peines & des travaux infinis ; tel a pafTé quarante ans, tel autre en a pafTë cin- quante à faire Ton Tyllème, & il eft arrivé en Botanicjue ce qui ell arrivé en Chimie, c'efl qu'en cherchant la pierre philofophaie que l'on n'a pas trouvée, on a trouvé une infinité de chofes utiles ; & de même en voulant £ire une méthode générale & parfaite en Botanique, on a plus étudié & mieux connu les plantes & leurs ufages : tant i-I efl vrai qu'il faut un but imaginaire aux hommes pour les foutenir dans leurs travaux , & que s'ils étoient perfuadéîs qu'ils ne feront que ce qu'en effet ils peuvent fiire, ils ne feroient rien dy tout.-
Cette prétentbn qu'ont les Botaniftes-, d'établir dès fyltèmes généraux, parfaits & méthodiques, efl donc peu fondée ;• aufîî leurs travaux n'ont pu abouùr qu'à nous donner des méthodes défecflueufes, kfquelîes ont été fuccefîivement dé- truites les unes par les autres , & ont fubi k fort commun, à tous les fyftèmes
fHïfloire Naturelle. 1 1
fondés fur des principes arbitraires ; &
ce qui a ie plus contribué à renverfèr ^
les unes de ces méthodes par ies autres,
c'eft la liberté que les Botaniltes fe font
donnée de choifir arbitrairement une
leule partie dans les plantes , pour en
faire le caradère fpécifique; les uns
ont établi leur méthode fur la figure des
feuilles, les autres fur leur pofition,
d'autres (\iï ia forme des fleurs , d'autres
fur le nombre de leurs pétales , d'autres (w£^^*\fC
enfin fur ie nombre des étamîncs ; je ne ^^unJ.
finirois pas fi je voulois rapporter -eii
détail toutes ies méthodes qui ont été
i^naginées, mais je ne veux parler ici
que de ceiles qui ont été reçues avec
applaiidiiîement , <5c qui ont été fuivies
chacune à ieur tour, fans que l'on ait
fait affez d'attention à cette erreur de
principe qui leureft commune à toutes,
êc qui confiile à vouioir juger d'un tout,
tk: de ia combinailon de plufieurs touts ,
par une feule partie , & par la comparai-
ion des différences de cette feuie partie :
car vouloir juger de ia différence des
piantes, uniquement par celie de ieurs
feujlies ou de leurs fleurs , c'eft coming
% 2 Manière de traiter
fi Oïl vouloit connoître la différence des animaux par la différence de leurs peaux ou par ceiie des parties de la génération t & qui ne voit que cette façon de con- noître n'efl pas une fcience, & c{ue ce ii'efl tout au plus qu'uue convention, une langue arbitraire , un moyen de s'entendre, mais dont il ne peut réfuker aucune connoifîltnce réelle î
Me feroit - il permis de dire ce que , je penfe fur l'origine de ces différentes méthodes , & fur les caufes qui les ont multipliées au point qu'adueilement Ja Botanique elle-même cit plus aifee àjip- prendre que la nomenclature, qui n'en eft que la langue î Me feroit-il permis de dire qu'mi homme auroit plutôt fait de graver dans la mémoire les figures de toutes les plantes, & d'en avoir des idées nettes, ccquieft la vraie Botanique, que de retenir tous les noms que les diffé- rentes méthodes donnent à ces plantes, & que par confequent la langue efl de- venue plus difficile que la fcienceî voici, ce me fèmble, comment cela eft arrivé. On a d'abord divifé les végétaux fuivant ieurs différentes grandeurs, on a dît, iï
THïfloire Naturelle, 2 3'
y a de grands arbres, de peiits arbres, des arbriiîeaux, des fous-arbiifTeaux, de grandes plantes, de petites plantes & des herbes. Voilà le fondement d'une mé- thode que l'on divife & fous-divilè en- fuite par d'autres relations de grandeurs & de formes , pour donner à chaque efpèce un caradèfe particulier. Après la méthode faite fur ce plan , il eft venu des gens qui ont examiné cette didributioii & qui ont dit : mais cette méthode fon- dée iur la grandeur relative des végétaux ne peut pas fe foutenir , car il y a dans une feule efpèce comme dans celle du chêne, des grandeurs fi différentes, qu'il y a diQ.s efpèces de chêne qui s'élèvent à cent pieds de hauteur , & d'autres efpèces de chêne qui ne s'élèvent jamais à plus de deux pieds ; il en eft de même , propor- tion gardée, des châtaigniers , des pins, <les aloès , & d'une infinité d'autres ef- pèces déplantes. On ne doit donc pas, a-t-on dit, déterminer les genres des plantes par leur grandeur, puifque ce ligne eft équivoque & incertain, & l'on a abandonné avec raifon cette méthode. D'autres font venus enfuite, qui, croyant
':2.4' 'Mdînère de tmlter faire mieux , ont dit : il faut pour con- noître les plantes , s'attacher aux parties les plus apparentes , &: comme les feuiiies font ce qu'il y a de plus apparent , il feut arranger ies plantes par la forme , la gran- deur & la pofition des feuilles. Sur ce projet, on a fait une autre méthode, on l'a luivie pendant quelque temps , mais enfuite on a reconnu que les feuilles de prelque toutes les plantes varient prodi- gieufement félonies diffe'rens âges & les diiFérens terreins, que leur forme n'efl pas plus confiante que leur grandeur, que leur pofition eft encore plus incer- taine ; on a donc été aufîi peu content de cette méthode que de la précédente. Enfin quelqu'un a imagûié>ii&-vj^ crois que c'eft Gefner, q^'è^'le Créateur avoit mis dans la fructification des plantes un. certain nombre de caradères différens <&: invariables , & que c'étbit de ce point dont il falloit partir, pour faire une mé- thode, & comme cette idée s'efl: trouvée vraie jufqu'à un certain point , en forte que les parties dé la génération des plantes fe font trouvées avoir quelques différences plus confiantes que tojutes
les
l'Hifloire Naturelle^ '±f
΀s autres parties de la plante , prifes féparément , on a vu tout d'un coup s'élever plufjeurs méthodes de Botani- que , toutes fondées à peu près fur ce même principe ; parmi ces méthodes , -eelle de M. de Tournefort efl la plus remarquable , la plus ingénieufe & la plus complète. Cet illuftre Botanifte a iènti les défauts d'un fyltème qui feroit purement arbitraire ; en homme d'elprit il a évité les abfurdités qui fe trouvent dans ia plupart des autres méthodes de fes contemporains , & il a fait fes dil- tributions & fes exceptions avec une fciencc «Se une adrefle infinies ; il avoit , en un mot , mis la Botanique au point de fe paJTer de toutes les autres méthodes, '& il l'avoit rendue fufceptible d'un certain degré de perfecflion ; mais il s'eft élevé un autre Méthodifte qui , après avoir loué fon fyftème , a tâché de le détruire pour établir le fien , & qui -ayant adopté avec M. de Tournefort les caractères tirés de la frucflification , a employé toutes les parties de la généra- tion des plantes , & fur -tout les éta- inines, pour en faire la diftribution de Tome IJ B
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'x() Manière Je tvditer
iês genres ; & niépriiànt la ilige nttew- îion de M. de Tournefort à ne pas forcer ia Nature au point de confondre , en 'jvertu de ion fyilènic , les objets les plus .différens , comme |es arbres avec les herbes, a mis enfemble & dans les mêmes claffes le mûrier & l'ortie, la tulipe & l'tpine-vineîie , l'orme & la carotte, la rôle & la iraiie , le chêne & la pimpre^- riclle. N'eiUcc pas le jouer de ia Nature <& de ceux c(ui l'etudiem \ & listout cela n'etoit pas donné avec une certaine aprr parence d'ordre myflerieux , &: enver- loppe de grec & d'érudition Botanique, auroit-on t^nt tardé à faire apercevoir le ridicule d'une pareille méthode , ou plutôt à montrer la .confufion qui rciufte d'un aflcmbiiige fi bizarre l Mais ce n'eft pas tout, & je vais infiiler , parce qu'il eil juilede conlerver à M. dç. Tournefort la gloire c[u'iL a méritée par un travail fcp.té oc fjivi , ov parce qu'il ne fmt pas que les gens qui ont appris la Botanique par h méthodiç de Tournefort, perdent leur temp3 ^i énidier .cette nouvelle ii^é- îhode ou tout ed changé jufqu'uiïx noms ë'^-.m:i furnoms des plantes, Je dis donc
rHijlvire Naturelle. 27
que cette nouvelle me'thode qui rafî'em- ble dans iu même clafîe des genres de plantes entièrement diilemblables , a en- core indépendamment de ces diiparates, des défauts efîentieîs , & des inconvé- iiiens plus grande que toutes les mé- thodes qui ont précédé. Comme les caractères des genres font pris de parties preiqu'infiniment petites , il faut aller le microfcope à ia main, pour reconnoitre un arbre ou une plante ; la grandeur^ ia figure , ie port extérieur , les teuiiles , toutes les jrarties apparentes ne fervent plus à rien, il n'y a que les étamines , & fi Ton ne peut pas voir les étamines , on ne lait rien, on n'a rien vu. Ce grand «Trbre que vous apercevez , n'eft peut- être qu'une pimprenelle , îl fiuu compter ies, étamines pour favoir ce que c'efi:, oc comme Tes étamines font touvcnt li pe- tites qu'elles échappent à l'oeil fnnplc ou à ia loupe , il fmt un microfcope ; mais malheureufement encore pour ie fyilème , il y a des plantes c|ui n'ont point d'étamines, il y a des plantes dont îe nombre des étamines varie, & voilà la méthode en défaut comme les autres ,
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;2,g Aldiiière Je traiter
îîialgré îa loupe & le microfcope ^û),
Après cette exporitioii fincère doi fondemens fur lefquels on a bâti les dif^ férens fyftèiiies de Botanique , il eft aile de voir que le grand défaut de tout ceci efl: Viïy^ erreur de Métaphyfique dans le principe même de ces méthodes. Cette erreur confifte à méconnoître la marche de la Nature , c\m fe fait toujours par nuances , & à vouloir juger d'un tout par une feule de fes parties : erreur bien évi^ /dente , 6c qu'il eft étonnant de retrouver par-tout ; car prefque tous les Nomen- dclateurs n'ont employé qu'une partie , comme les dents , les ongles ou ergots , pour ranger les animaux ; les feuilles ou les fîeurs pour diflribuer les plantes, an iieu de fe lervir de toutes les parties , & de chercher les différences ou les reffem-
(a) Hoc ver à fy/iiwa , Linnai fcîllcet , jam cogmiîs vîantarum methodis lovgè vihus if wferius non folùm, J(d iX 'mfiipiY n'unis coaâum , lulmcimi & fnllax , imà iuforium deprehenderim ; & quidem in lanrùrn , ut von foIum quoad d'fpolitionem ne dcnominationem plantanm gnormes covfifioftes pofi fe trahct , fed & m non ple- naria doârituz Botanica folidoYis o/'fcuratw iy penur- Intio huk fiKYit înetuendch Vanifoq, Botan. fpec.in^eii ^^fuîaîum à SiegfifLe.ck. Feiropoli ^ '74^>
l'Hifloire Naî II relie. 29?
fclances dans i'individu tout entier. C'efl renoncer volontairement au plus grand nombre des avantages que la Nature nous offre pour la connoître, que de refufer de fè fervir de toutes les parties des objets que nous confidérons ; & quand même on feroit afluré de trouver dans quelques parties priies féparément , des caractères conftans & invariables , il ne f^iudroit pas pour cela réduire la connoilîîmce des productions naturelles à celle de ces parties confiantes qui ne donnent que' des idées particulières & très-imparfaites du tout, & il me paroît que le feuî moyerï de faire une méthode inflrudive & natu- relle, c'eft de mettre eniembleles chofes qui fe rcflembient, & de féparer celles ^ui diffèrent les unes des autres. Si les Hidividus ent une reffemblance parfiite, ou des différences fi pentes qu'on ne puiffe les apercevoir qu'avec peine , ces individus feront de la même efpèce ; fi les, différences commencent à être fenfibles j & qu'en même temps il y ait toujours beaucoup plus de reffemblance que de différence, les individus feront une autre efjpèce , mais du même genre que les^
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30 Manière de traher
premiers ; & fi ces difFérenccs font encore plus marquées , lliiis cependant excéder les reflemblances , aiors les individus lè- pont non-feulement d'une autre efpèce , mais mênie d'un autre genre que ies pre- miers & les leconds , & ce|)cndant ils feront encore de la même cia(îe, parce qu'ils fe relTemblent plus qu'ils ne diffè- rent ; mais fi au contraire le nombre des différences excède celui des reflemblan- ces , alors les individus ne font pas même de la même clafle. Voilà l'ordre métho- dique que l'on doit fuivre dans l'arran- gement ô.Q^ produclions naturelles \ bien entendu que les reflemblances & \qs différences feront prifes non-ieuleinent d'une partie, mais du tout enfemble, & que cette méthode d'infpedion fe por- tera fur la forme , fur la grandeur , fur le port extérieur , fur les différentes parties , fur leur noiubre , fur leur pofi • tion , fur la fubilance même de la chofe, & qu'on fe fervira de ces élcmens en petit ou en grand nombre , à mefure qu'on en aura befoin ; de forte que fi un individu , de quelque nature (ju'il foit , eli d'uiic figure allez fingulicre pour
€tre toujours reconnu :iu premier coup d'œil , on ne lui donnera qu'un nom ; mais n cet individu a de comnuui avec Ui\ autre la figure , & qu'il en diffère conlîpj.nment par ia grandeur, ia cou- ieiir, ia lubllance, ou par quelqu'autre qualité très-fenfibfe , alors on lui don- nera le même nom , en y ajoutant un adjcdif pour marquer cette différence ; ÔL ain/i de iuite, en mettant autant d'ad- jeclils qu'il y a de diifcrcnces , on fera lûr d'exprimer tous les attributs difTcrens de chaque efpèce , & on ne craindra pas de tomber dans les inconyéni^ns dQS méthodes trop pardculicres dont nous venons de parler, &l fur kic[uclles je me iliis beaucoup étendu , parce cjue c'eft un défaut commun à toutes les méthodes de Botanique 2i d'H iiloire Naïuieile , ÔL que les fyflèmes qui ont été faits pour les animaux, font encore plus défeclueux que les méthodes de Botanicjue ; car, comme nous l'avons déjà infinué , on a voulu jjrononcer fur la refîemblance & la diiîérence des animaux , en n'employant que le nombre des doigts ou ergots ; des dents & dQs nvamelles;
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32 Mamère de traker
projet qui reflembie beaucoup à ceîuî-
des étamines, & qui ell en effet du même
Auteur.
II réfuite de tout ce que nous venons d'expofer, qu'il y a dans l'étude de l'Hif- îoire Naturelle , deux e'cueils également dangereux , le premier , de n'avoir au- cune méthode , & le fécond , de vouloir, tout rapporter à vm fyftème particulien. Dans le grand nombre de gens qui s'ap- pliquent maintenant à cette fcience , on pourroit trouver des exemples frappans. de ces deux manières fi oppofees , & cependant toutes deux viciei^fes : la plu- part de ceux qui , fans aucune étude précédente de i'Hiiloire Naturelle , veu- lent avoir des cabinets de ce genre , font de ces perfbnnes aifées, peu occupées , qui cherchent à s'amufer , & regardent comme un mérite d'être mifes au rang des curieux ; ces gens-ià commencent par acheter , fans choix, tout ce qui leur frappe les yeux; ils ont l'air de defirer avec paffion les chofes qu'on leur dit être rares & extraordinaires , ils les efli- ment au prix qu'ils les ont acquifes , ifs arrangent le tout avec complaifance , ou
THifohe Naturelle. 33
fentaflent avec confurion, & finifTent bientôt par fe dégoûter : d'autres au contraire , & ce font les plus favans , après s'être rempli la tête de noms , de phrafes, de méthodes particulières, \?ien- nent à en adopter qtieiqu'une , ou s'oc- cupent à en faire une nouvelle , & tra- vaillant ainfi toute leur vie fur une même ligne & dans une faufle direction , & voulant tout ramener à leur point de vue particulier , ils Te rétrécifîent l'efprit , cefTent de voir les objets tels qu'ils font , & finiffem par embarrafler la fcience, (Se la charger du poids étranger de toutes kurs idées.
On ne doit donc pas regarder les mé- thodes que les Auteurs nous ont données ilir l'Hilloire Naturelle en général, ou fur quelques-unes de Tes parties , comme les fondemens de la icience, & on ne doit s'en fervir que comme de fignes dont ou efl: convenu pour s'entendie. En effet, ce ne font que des rapports arbitraires ëL des points de vue différens fous lefqucls on a confidéré les objets de la Nature,. & en ne faifant ura2:e des méthodes que dans C€t efprit , on peut en tirer quelque
5 4- Manière de traiter îulilté ; car quoique cela ne pnroifîe pas ion ne'cefî^iîrc , cependant il pourroit être bon qu'on lut toutes les elpèces de plantes dont les feuilles fe rellemblenr, toutes celles dont les fleurs font fem- bîables , toutes celles qui nourrirent de certaines efpèces d'iniecles , toutes celles e|ui ont un certain nombre d'étamines y toutes celles qui ont de certaines glandes excrétoires ; & de même dans les ani- maux y tous ceux qui ont un certain^ nombre de mamelles , tous ceux qui ont un certain nombre de doigts. Cha- cune de ces méthodes n'eli, à parler vrai,, '<ju'un Didionnaire oit l'on trouve les noms rano;és dans un ordre relatifs cette idée , & par confè^qucnt aufii arbitraire que l'ordre alphabétique ; mais l'avantage qu'on en pourroit tircrj c'efl qu'en com- parant tous ces réfultats , on ie retrouve- foit enfin à la vraie méthode y qui efl: b deicription complète &. l'hiftoire exadc de chaque chofe en particulier.
C'eil ici le principal but qu'on doive fe propofer : on peut fe fervir d'une me- îhode déjà faite comme d'une commo- éxié pour étudier ^ on doit ia regardât
rMijii
iîjîoîrc Naturelké 3 Jl
Comme une faciliié pour s'entendre ; mais le ieul & le vrai moyen d'avancer la fcience , efl: de travailler à la deicrip^ lion & à {'hiltoire des diiiérentes choies qui en font l'objet*
Les cho^s par rapport à nous ne font rien en elles-mêmes, elles ne font encore rien lorlqu 'elles ont un nom , mais éAcs commencent à cxiiler pour nous ioriCjue nous leur connoiflons des rapports , des propriétés ; ce n'eit mcme ciue par ces rapports que nous pouvons leur donner une définition : or la dcimition telle qu'on la peut fltire par une pbrafe , n'elt encore f[ue la reprérentaiion très - imparfaite de la chofe , & nous ne pouvons jamais bien définir une chofe fins ta décrire exacte- ment. C'eli cette difficiilté de faire une lionne définition , que l'on retrouve à tout moment dans toutes les méthode^ , dans tous les abréo-cs ciu'on a tâché de frûre pour ioulager k mémoire ; autii doit-on dire cjue dans les choies natu- relles il n'y a rien de bien défini que ce qui ell exademem décrit : or pour de- crire exa<5lement , il f iut avoir vu , revu r ej;aminé, comparé la chofe c|ifon veu§.
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36 Manière de traiter
décrire , & tout cela iàns préjugé , fans idée de fyflèine , fans quoi la delbription n*a plus le caradtère de la vérité , qui eft le leul qu'elle puifle comporter. Le llyïe même de la defcription doit être fimple ^ net & mefuré , il n'eft pas fufceptible d'élévation, d'agrémens , encore moins, d'écarts , de ptaifanterie ou d'équivo- que , le feul ornement qu'on puifTe lui donner , c'eft de la noblefle dans l'ex- prefTion , du choix & de la propriété dans les termes.
Dans le grand nombre d'Auteurs qui ont écrit furrHilloire Naturelle , il y en a fort peu qui aient bien décrit. Repré- senter naïvement & nettement les chofes^ iàns les changer ni les diminuer , & fans^ y rien ajouter de Ton imagination , eft; un talent d'autant plus louable qu'il eft: moins brillant , & qu'il ne peut être fenti que d'un petit nombre de perfonnes capables d'une certaine attention nécef- fuire pour fuivre les chofes jufque dans ies petits détails : rien n'eft plus commun que des ouvrages embarrafTés d'une nombreufe & sèche nomenclature , de . -iwthodes ennwyeufes & peu iiaturelle&>
rFTifloîre Naturelle 0 37-
dont les Auteurs croient fe faire un mé- rite ; rien, de fi rare que de trouver de i'exacHiitude dans les defcriptions , de la nouveauté dans les faits , de la finefTe dans les obfervations.
Aidrovande, le plus laborieux & îe plus (avant de tous les NaturaliRes , a iaiiïe, après un travail de foixante ans^. des volumes immenfes fur l'Hiiloire Na- turelle , qui ont été imprimés fuccefîive- Jiient, & la plupart après fa mort : on les réduiroit à la dixième partie fi on en ôtoit toutes les inutilités & toutes les chofes étrangères à Ion fiajet ; à cette pro- lixité près, qui, je l'avoue, ^{x acca- blante , fes livres doivent être regardés comme ce qu'il y a de mieux fur la tota- lité de l'Hiftoire Naturelle ; le plan de. ion ouvrage eft bon , fes diftributioris font fenlees, (€:s divifions bien marquées, fes defcriptions affez exades, monotones, à la vérité , mais fidèles : i'hifiorique efl: moins bon , fouvent il efl: mêlé de fcbuleux , & l'Auteur y laifie voir trop de penchant à la crédulité.
J'ai été frappé en parcourant cet Au=^ î§ur^ d'un défaut ou d'un excès qu'ont
'5§ Afdmere de trait ef
retrouva prelque dans tous les livres faits il y a cent ou deux ccnis ans, & que les Savans d' A lieinagiie ont encore aujour- d'hui ; c'ed: de ceue quantité d'érudition inutile dont ils groiliffent à deOein leurs ouvrages , en ibrte que le fujct qu'ils traitent , efl: noyé dans une quantité de matières étrangères llir iefquelles ils rai- fonncnt avec tant de complaiiance & s'é- tendent avec fi peu de nienageinent pour ies iedeurs , qu'ils femblent avoir oublié ce qu'ils avoient à vous dire , pour ne vous raconter que ce qu'ont dit les au- tres. Je me repréfente un homme comme Aîdrovaffde , ayant une fois conçu le defîèin de fiire un corps complet d'Hif- toire Naturelle , je le vois dans fa biblio- thèque lire fucceffivement ies Anciens, les Modernes, ies PhilofopheSjîes Théo- iogiens, les Jurifconfultes, les HiilorienSy les Voyageurs, les Poëtes, & lire fans^ imtre but que de fiifir tous les jnots y touies les ]:)hrafes qui de près ou de loin. ant rapport à fon objet ; je le vois co~ p'cr & faire copier toîues ces remarques" ^' les ranger par lettres i^îphabétiques ^ & iipiès avoir rempli plufieurs porie-fcuiik^
rHijJc
^iJIoJre Naturelle, ^p
de notes de toute efpèce , prifes fouvent h'As examen 6l (îms choix , co-nimencer à rniv ailler un (tijct particulier, ôl ne vou- loir rien perdre de tout ce qu'il a ramafTé ; en forte qu'à l'occafion de l'Hiiloirc Naturelle du coq ou du bœuf, il yot>s- raconte tout ce qui a jamais été dit des coqs ou des bœufs, tout ce c[ucles An- ciens en ont pcnié , tout ce qu'on a ima- gine de leurs vertus , de leur Gara<ftère , de lânr courage , toutes les chofes aux- quelfes on a voulu les ejuployer , tous- ks contes que les bonnes femmes en ont faits , tous les miracles qu'on leur a fait £iire dans certaines rergions , tous les fujeis de luj^erilidon qu'ils ont fournis j îoutes les comparaiibns c[ue les Poètes en ont tirées , tous les attributs qiie cer- tains peuples leur ont accordés, toutes les repréièntations qu'on en fût dans îes^ hiéroglyphes, dans les armoiries , en un mot'toutes les ififloj^-es «8t toutes les fables- dont on s'eft jamais avilé au fujet des coqs-- ou des bœufs. Qu'on juge après cela de la portion d'Hilioire Naturelle qu'on doit s'^attendre à trouver dans ce fatras, d'irx^ritures ; & fi en clîet l'Auteur ne
'/^o Mamere de Uéiiter
l'eût pas mife dans des articles féparés des autres , elle n'aurou pas été trou- vable , ou du moins elle n'auroit pas valu la peine d'y être cherchée.
On s'efi: tout-à-fait corrigé de ce dé- faut dans ce fiècle ; l'ordre & la précifion avec laquelle on écrit maintenant, ont rendu les Sciences plus agréables, plus aifées , & je fuis periuadé que cette dif- férence de ftyle contribue peut-être au- tant à leur avancement que refprijt de recherche qui règne aujourd'hui ; car nos prédéceiïeurs cherchoient comme nous,, mais ils ramaffoient tout ce qui fe préfen- toit , au lieu que nous rejetons ce qui nous paroît avoir peu de valeur , & que nous préférons un petit ouvrage bien raifonné à un gros volume bien lavant ; ieulement il ell à craindre que venant à mépriier l'érudition , nous ne venions aufîi à imaginer que l'efprit peut Jiip- *• pléer à tout , & qu| ^la^cSeience- îi'eft qu'un vain nom.
Les gens fenfés cependant fentiront toujours que la feule & vraie fcience eft. la connoifllmce des fiits , l'efprit ne peut pas y fuppléer , & les faits font dans ks^
ïHtjlohe Naturelle. 41'
Sciences ce qu'efl l'expérience dans fa- vie cWilc. On poiirroit donc divifeir- toutes les Sciences en deux clafles prin- cipales , qui conîiendroient tout ce qu'il convient à l'homme de favoir ; la pre- mière eit l'Hiftoire Civile, & la feconde,- l'Hiftoire Naturelle, toutes deux fonde'es fur des faits qu'il eft fouvent important & toujours agréable de connoître : la- première eft l'étude des hommes d'Etat y k féconde cil celle des Phiiofophes ; & quoique l'utilité de celle-ci ne foit peut- être pas aufÎJ prochaine que celle de l'au- tre , on peut cependant aflurer que l'Hif- toire Naturelle ejft la fource des autres fciencesphyfiques& la mère de tous les arts : combien de remèdes excellens la Médecine n'a-t-elle pas tiré de certaines producftions de la Nature jufqu'alors in- connues ! combien de richefles les arts H'ont-ils pas trouvé dans plufieurs ma- tières autrefois méprifées ! Il y a plus y c'eit que toutes ks idées des arts ont leurs modèles dans les produdions de La Nature: Dieu a créé , & l'homme imite ; toutes les inventions des hom- y^Qs , foit pour la néceffité , foit pour Is
'Jfi Mdmere de traiter
coiiimocliié , ne lont que cîes imitations niiez grofîièies de ce que la Nature exécute avec la dernière perfedion.
Mais lans inlilter plus long- temps fur î'utiiité qu'on doit tirer de i'Hiftoire Naturelle , loit j>ar rapport aux autres fciences , foit par rapport aux arts, re- venons à notre objet principal , à la manière de l'étudier (Se de la traiier. La defcription cxacT:e & i'hiiioire fidèle de chaque choie ell, comme nous l'avons dit, le feui but cpi'on doive le propofer d'abord. Dans la defcription \o\\ doit fiiire entrer la forme , la grandeur , le poids j les cotîleurs , les fituations de repos & de mouvemens , laipofuion des parties, leurs rapports, leur figure, leur adion & toutes les fonctions extérieures : fi l'on peut joindre à tout cela i'expoii- îlon des parties intérieures , la defcription n'en fera cpe plus complète ; leuiement on doit prendre garde de tomber dans de trop petits détails , ou de s'appef uitir fur la defcription de quelque partie peu importante , ce de traiter trop légère- ment les chofes efîentieiles & princi]:)a{es. L'hiRoire doit fuiyrc la defcription , ^
THïfloire Natiiveîk. 43^
èiOW. uniquement rouler fur les rapports que les choies naturciics ont entr'eiles & avec nous; rhifloîre d'un animal doit être non pas l'hifloire de l'individu , mais celle de i'efpèce entière de ces ani- maux ; elle doit comprendre leur géné- ration , le temps de la pregnation , celui de l'accouchement, le nombre des pe- tits , les foins des pères & des mères , leur efpèce d'éducation , leur inftincfl , les lieux de leur habitation , leur nour- riture , la manière dont ils fe la pro- curent , leurs mœiu's , leurs rufes , leur chiifle, eniuite les lervices qu'ils peu- vent nous rendre , & toiles les utilités ou les conuuodités que nous pouvons en tirer ; & iorfque dans l'intérieur du corps de l'animal iî y a des choies re- marquables, foit par !a conformation, foit pour les ufigcs qu'on en peut faire , on doit les ajouter ou à la delcription ou à l'hifloire ; mais ce leroit un objet étranger à rHiftoire Naturelle, que d'en- trer dans un examien anatom'que trop circonftancié, ou du moins ce n'cfl: pas Ton objet principal , & il faut réferver ces détails pour fervir de mémoires fur l'anatomie comparée.
44 Manière de traiter
Ce plan général doit être fuivi & rem- pli avec toute l'exaditude pofTible , & pour ne pas tomber dans une répétitioiir trop fréquente du même ordre, pour éviter la monotonie du ftyle , il faut va- rier la forme des defcriptions & changer k fil de l'hifloire , félon qu^^on le jugera jîéceiTaire; de même pour rendre les def- criptions moins sèches, y mêler quelques faitis , quelques comparaifons , quelques r-éfîexions fur les ufages des différentes parties , en un mot , faire en forte qu'on puifîe vous lire fans ennui auiîi-bien que fans contention.
A l'égarcfflfe l'ordre général & de la- méthode de diflribution des difîérens lu- jets de l'Hiftoire Naturelle, onpoiirroit dire qu'il eft purement arbitraire , & dès- k)rs on eft affez le maître de choifir celui qu'on regarde comme le plus commode ou le plus communément reçu ; mais avant que de donner les raifons qui pour- roient déterminer à adopter un ordre plu- tôt qu'un autre , il efi: nécefîaire de faire encore quelques réflexions, par lefquelles novis tâcherons de faire fentir ce qu'il peut y avoir de réel dans les diviiioos que l'oa
ïHijîoire Naturelle. 45
a faites des procludions naturelles.
Pour le reconnoître il faut nous de'- faire un inftant de tous nos préjuge's , & même nous dépouiller de nos idées. Imaginons un homme qui a en effet tout publié ou qui s'éveille tout neuf pour les objets qui l'environnent ; plaçons cet homme dans une campagne où les ani- maux, Les oilèaux, les poifîons, les plantes , ies pierres fe préfèntent fucceirivement à fes yeux. Dans les premiers inftans cet homme ne diftinguera rien & confondra tout ; mais laiflons fes idées' s'affermir peu à peu par des fenf nions réitérées des mêmes objets ; bientôt il fe formera une idée générale de ia inatière animée, il fa diftinguera aifément de la matière inani- mée , & peu de temps après il diftin- guera très-bien la matière animée de la fîiatière végétative , & naturellement il jarrivera à cette première grande divifion» Animal , Végétal & ATinéral; & comme il aura pris en même temps une idée nette ;de ces grands objets fi différens, la Terre, i'y4/r& KEau , il viendra en peu de temps à fe former une idée particulière des ani- maux qui habitent la terre , de ceux qui
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'4^ Manière Retraiter
demeurent dans l'eau , & de ceux qui s'é- ièvent dans l'air , & par conféquent il le iêra aiféniçnt à lui-même cette ièconde divifîon , Animaux çuadrup}deSj Oifeaux, Poiffons ; il en eft de même dans le règne végétal , des arbres & des plantes , il les diiiingûera très- bien , foit parleur gran- deur , ibit par leur iubftance , i^jit par leur fio-ure. Voilà ce que la fimple ini^ pedion doit nécefîairement lui donner , Sl ce qu'avec un€ très-lcgère attention il ne peut manquer de reconnoître ; c'efl: îà aulîi ce que nous devons regarder comme réel , & ce que nous devons rel- peder comme une divifîon donnée par Ja Nature même. Enfuite mettons -nous h. la place de cet homme, ou iuppofons qu'il ait acquis autant de connoiflanccs , ÔL qu'il ait autant d'expérience que nous en avons , il viendra à juger les objets* de l'Hilloire Naturelle par les rapports qu'ils auront avec lui; ceux qui lui feront les plus nécedaires , les plus utiles , tien- dront le premier rang , par exemple , il donnera la préférence dans l'ordre des animaux au cheval , au chien , au bœuf, ^c, ôi il connoitra toujours mieux ceux
ïHïÇioht Naturelle. 47
q\iî ÎLii feront les plus flimilicrs ; enfuite il s'occupera de ceux qui , lans être fa- miliers , ne laiiï'ent pas que d'habiter l'es mêmes lieux, les mêmes climats, commç les cerfs , les lièvres , & tous les animaux: llmvages , & ce ne lera qu'après toutes ces connoiiïances acquiles que fi curio- fité le portera à rccherCiSer ce que peu^ vent être les animaux des climats étran- gers , comme les éîéphans , les droma- daires , 6-;c. 11 en fera de même pour les poiflons, pour les oiieaux , pour les in- ièdes , pour les coquillages, pour les plantes j pour les minéraux , & pour toutes les autres produdions de la Na- ture; il les étudiçra à proportion de l'u- tilité qti'il en pourra tirer , il les confi- dérera à ii^efure c[u'ils fe -préfenteront plus fmfilièrement , &, il les rangera dans là tête relativeiiient à cet ordre de les çonnoilTîmces , parce que c'eil en eiïet i'ordre félon lequel ij les a acquifes , ôl félon lequel il lui importe de les con- fexver.
Cet ordre Iç plus naturel de tous , eft celui que nous avons cru devoir fuivre. Notre méthode de diilribuiion n'cit pas
48 Mamère de îraiter
plus myflérieufe que ce qu'on vient de voir , nous partons des divifions gév\é- l'aies telles qu'on vknt de les indiquer , & que perfonne ne peut contefter, cn- fuiie nous prenons les objets qui nous înte'reiïènt le plus par fes rapports qu'ils -ont avec nous , de-Ià nous pafTons peu à peu juiqu'à ceux qui font les plus éloi- gnés , & qui nous font étrangers , & nous croyons que cette façon fimple & natu- relle de confidérer les chofes, eft préfé- rable aux méthodes les plus recherchées & les plus conipofees , parce qu'il n'y en a pas une , & de celles qui font faites , èi de toutes celles que l'on peut faire , où il n'y ait plus d'arbitraire que dans celle-ci , & qu'à tout prendre il nous eft plus facile , plus agréable & plus utile de confidérer les choies par rapport à nous, que fous un autre point de vue.
Je prévois qu'on pourra nous faire deux objections , ia première , c'efl que ces grandes divifions que nous regar- dons comme réelles , ne font peut - être pas exades ; que, par exemple, nous ne ïommes pas lurs qu'on puifîe tirer une ligne defeparation entre le règne animal
^ le
PHifiolre Naturelle^ '4 c)
& le règne végétal , ou bien entre le règne végétal & ie minéral , &l que dans la Nature il peut fe trouver des choies qui participent également des propriétés <ie l'un & de l'autre, iefquelles par con- féquent ne peuvent entrer ni dans l'une iii dans l'autre de ces divifions.
A cela je réponds que s'il exifle des chofes qui foient exadement moitié ani- mal & moitié plante , ou moitié plante & moitié minéral , 6^c. elles nous font encore inconnues ; en forte que dans le fait la divifion eft entière & exacfle , & l'on fent bien que plus \^s divifions fe- ront générales , moins il y aura de rifque de rencontrer des objets mi -partis qui participeroient de la nature des deux chofes comprifes dans ces divifions, en forte que cette même objedion que nous avons employée avec avantage contre kâ diftributions particulières , ne peut avoir lieu lorfqu'iî s'agira de divifions aufîl gé- nérales que l'eft celle-ci, fur-tout fi Tou ne rend pas ces divifions exclufives, & fi l'on ne prétend pas y comprendre (ans exception , non-feulement tous les êtres connus, mais encore tous ceux qu'on Tome L C
[j^ 'Mamère de traiter
pourroît découvrir à l'avenir. D ailîcurJ, Ti l'on y fait attention , l'on verra bien que nos ide'es généraics n'étant compo- {ees que d'idées particulières , elles font relatives à une échelle continue d'objets de laquelle nous n'apercevons nettement que les milieux , & dont les deux extré- ïiiités fuient & échappent toujours de plus en plus à nos confidérations , de forte qwe nous ne nous attachons jarnais qu'au gros des choies, & queparconfé- quent on ne doit pas croire que no$ idées, quelque générales qu'elles puif- iênt être , comprennent les idées parti- culières de toutes les choies exiftantes 6c pofTibles.
La féconde objection qu'on nous fera iàns doute , c'eft qu'en luivant dans notre ouvrage l'ordre que nous avons indiqué , nous tomberons dans l'inconvénient de mettre enfemble dts objets très-difFé^ rens ; par exemple dans l'hifloire des ani- maux , fi nous commençons par ceux qui nous font les plus utiles, les plus familiers, nous ferons obligés de donner l'hifloire du chien après ou avant celle du chcvai , ce qui ne paroît pas naturel ; parce que
fHïjloire Naturelle» 5 r]
Ces animaux font fi differens à tous autres égards, qu'ils ne paroifTent point du tout faits pour être mis Ci près l'un de l'autre dans un traite d'Hiiloire Naturelle ; & on ajoutera peut-être qu'il auroit mieux valu fuivrela méthode ancienne deladi- vifion des animaux en Sel'/pedes, Pieds^ Fourchus & Fiffipedes, ou la méthode nouvelle de la divifion des animaux par les dents & les mamelles , &c.
Cette objecflion, qui d'abord pourroit paroître Ipécieufe , s'évanouira dès qu'on l'aura examine'e. Ne vaut-il pas mieux ranger, non-feulement dans un traité d'Hiitoire Naturelle, m:h même dans un tableau ou par-tout ailleurs, les objets dans l'ordre & dans la pofition où ils fe trouvent ordinairement , que de les for- cer à (è trouver enfemble en vertu d'une fuppofition ! Ne vaut-il pas mieux fliire fuîvre le cheval qui eit folipède , par le chien qui cO: fifîjpède , & qui a coutume de le fuivre en effet , que par un zèbre qui nous eft peu connu , & qui n'a peut- être d'autre rapport avec le cheval que d'être folipèdcî D 'ailleurs, n'y a-t-il pas le même inconvéniem pour les différences
C ij
5_2 Jïiduiere Je traiter
dans cet arrangement que dans ie notre ! un lion , parce qu'il eil fiffipède , reflcni- bie-t-il à un rat qui eft auffi fifîjpède , plus qu'un cheval ne rcflemble à un chien î un éléphant folipèderenemble-t-il plus à un âne iolipède auffi , qu'à un cerf qui eft pied-fourchu î & fi on veut fe fervir de la nouvelle méthode dans la- quelle les.. dents & les mamelles font les caractères fpéciuques, & fur leiquels font fondées les divifions & les diflribu- tions,trouvera-t-on qu'un lion reflemblc plus à une chauve-fouris, qu'un cheva! ne reffemble à un chien î ou bien , pour faire notre comparaifon encore plus exac- tement, un cheval reffemble- t-il plus à un cochon qu'à un chien , ou un chien ref- femble-t-il plus à une taupe qu'à un che- val (b)\ Etpuifqu'il y a autant d'inconvc- jiiens & des différences aufii grandes dans ces méthodes d'arrangement que dans ia nôtre , & que d'ailleurs ces m.éthodes n'ont pas les mêmes avantages , & qu'elles font beaucoup plus éloignées de la façon ordinaire & naturelle de considérer les choies , nous croyons avoir eu des raifons
(h) Voyez Linn.^/jyA nat>p. 0 ^ îX fuiv.
tHipîre Ndîurelk 53
fuitirantes pour lui donner la préférence, & ne fuivre dans nos dillributions que i'ordre des rapports que les chofes nous ont paru avoir avec nous-mêmes.
Nous n'examinerons pas en détail toutes ies méthodes artificieiies que l'on a données pour ia divifion des animaux 5 elles font toutes plus ou moins fujettes aux inconvéniens dont nous avons parlé au fujet des méthodes de Botanique, & il nous paroît que l'examen d'une leuîe de ces méthodes lufnt pour faire décou- vrir ies défauts des autres; ainfi nous nous bornerons ici à examiner celle de M. Linnaeus qui efl la plus nouvelle, afin qu'on ioit en état de juger fi nous avons eu raifon de la rejeter , & de nous attacher feulement à l'ordre naturel dans lequel tous les hommes ont coutume de voir & de confidérer les chofes,
M. Linnxus divife tous les animaux en fix clafTes, favoir, les Quadrupèdes, les Oifeauxp les Amphibies, \qs Poiffons, les Jnfeâes & les Vers. Cette première divifion ed, comme l'on voit, très-arbi- traire & fort incomplète, car elle ne Xious donne aucune idée de certains
Cii;
54 Manière de îraher genres d'animaux , qui font cepcndnnt îrès-confidérables & très-étendus, les ierpens, par exemple, les coquillages, les cruftacccs, & il paroît au premier coup d'ceil qu'ils ont été oubliés; car on n'imagine pas d'abord que les ierpens foient des amphibies, les cruftacces des inleifles, & les coquillages des vers. Au îieu de ne faire que fix clafles, fi cet au- teur en eût fait douze ou davantao-e , & qu'il eût dit les quadrupèdes , les oileaux , les repaies, les amphibies, les poifTons cétacées, les poiilons ovipares, les poif- fons mous, les cruftacées, les coqiiil- iages, les inledes déterre^ les infcc^les de mer , les iniedies d'eau douce , &c. ii eût parié plus clairement, & fes divi- fions eullem été plus vraies & moins ar- bitraires; car en général, plus on augmen- tera le nombre des divifions des produc- tions naturelles , plus on approchera du vrai , puifqu'il n'exille réellement dans la Nature que des individus ; & que les genres, les ordres & les clafles n'exiflent que dans notre imagination.
Si l'on examine les caractères géné- raux qu'il emploie, & la manière dont
l'Hifloire Naturelle. 5 5^
2 fait Tes divifions particniières , on y trouvera encore des défîuns bien plus cfTemieis; par exemple, un caradère gé- néral comme celui pris des mamelles pour la divifion dès quadrupèdes, de- vroit au moins appartenir à tousi les qua- drupèdes , cependant depuis Ariftote 011 iait queie cheval n'a point de mamelles.
Il divife la clafFe des quadrupèdes en cinq ordres , le premier Anthropomorphd , ie fécond Ferœ^ le troifième G lire s , le quatrième Jumenla , & le cinquième Pecora ; & ces cinq ordres renferment, félon lui, tous les animaux quadrupèdes. On va voir par rexpofidon & rénumé- ration même de ces cinq ordres , que cette divifion eft non-feulement arbi- traire , mais encore très-mal imaginée ; car cet Auteur met dans le premier ordre l'homme, le finge, le parefTeux & le ie'zard e'caîlleux. 11 faut bien avoir la ma- nie de fiiire des claiïes, pour mettre en- fèmbîe des êtres auili différens que Thom- me & le parefTeux , ou le finge &. le lézard ccailieux. PafTons au fécond ordre qu'il appelle Ferœ, les bêtes féroces ; ii com- mence Qïï e^et par ie lion , le tigre , mais
C iii;
5 6 ^/lanière de îraiter il continue par le chat, la belette, îa ioiitre, le veau-marin, ieciiien, l'ours, îe blaireau , & il finit par le hérifTon , la taupe & îa chauve- fouris. Auroit-oa jamais cru que le nom de Fnœ en latin , bêles fauv âges ou féroces en francois , eut pu être donné à la chauve- fouris, à la îaupe , au hérifîbn ; que les animaux do- ineiîiques, comme le chien ôl le chat , fuflent des bêtes fauvagesî & n'y a-t-i£ pas à cela une auiîi grande équivoque de bon fens que de mois î Mais voyons ïe troifième ordre G lires, les loirs, ces ]oirs de M. Linnoeus , font le porc-épic^ le lièvre, l'écureuil, le caftor & les rats;, l'avoue que dans tout cela je ne vois «qu'une efpèce de rats qui foit en effet un loir. Le quatrièm.e ordre e(l celui des Jmnenîa ou bêtes de famme, ces bêtes de fomme (ont l'éléphant, l'hippopo- tame , la niufaraigne , le cheval & le co- chon ; autre aflembiage , comme on voit» qui eft aufil gratuit & auiïi bizarre que (i l'Auteur eût travaillé dans le defTein de le rendre tel. Enfin le cinquième ordre Pecora ou le bétail, comprend le cha- iîieau , le cerf, le bouc , le bélier <$c fc
tHijïoire Naturelle. 57
^œuf; mais quelle différence n'y a-t-iï pas entre un chameau & un béiier, ou entre un cerf & un bouc î & quelle rai- Çon peut-on avoir pour prétendre que ce foit des animaux du même ordre, fi ce n'eft que voulant abfoiument faire des ordres, & n'en faire qu'un petit nombre , il f\ut bien y recevoir des bêtes de toute efpèceî Enfuite en examinant les der- nières divifions des animaux en efpèces particulières , on trouve que le ioup- cervier n'eft qu'une efpèce de chat, ie renard & le loup une efpèce de chien, la civette une efpèce de biaireau, le cochon d'inde une eipèce de lièvre , le rat d'eau une efpèce de caftor , le rhinocéros une efpèce d'éléphant, l'âne une efpèce de cheval , &c. & tout cela parce qu'il y a quelques petits rapports entre le nom- bre des mamelles ôl des dents de ces ani- maux , ou quelque reffemblance légère dans la orme de leurs cornes.
Voilà pourtant, &l fm> y rien omettre^ à quoi le réduit ce ly lème delà Nature pou. 'es an' maux quadrupèdes. Ne ieroit- il pis plus fimpl<", pfs n urel & plus vrai de dire qu'un âne cil un âne , & un
C V
^58 jMamère Se irmtef
chat un chat , que de vouloir , fans /avoir pourquoi , qu'un âne loiî un cheval^ & un chat un ioup-cervierî
On peut juger par cet échantillon de tout le relie du tyliènie. Leslerpens., félon cet Auteur, lont des amphibies , les écrevifies font des infecftes , <S^ non- feulement des inlèdes, mais des infedes du même ordre que les poux & les puces; & tous les coquillages , les cruftacées & les poiflons mous iont des vers ; les huî- tres , les moules , les ourfins , les étoiles de mer, les sèches, &c. ne font, félon cet Auteur que des vers. En fmt-il da- vaniage pour f lire (entir combien toutes ces diviiions font arbitraires, & cette méthode mal fondée î
On reproche aux Anciens de n'avoir pas fiit des méthodes, & les modernes fe croient fort au-de(fus d'eux parce qu'ils ont fait un grand nombre de ces arran- gemens méthodic|ues & de ces diction- naires doni nous venons de parler, ils fe fcnt perfuadés que cela feul fufïit pour prouver que les Anciens n'avoient pas à beaucoup près autant de connoiflances €ft HiJiloire Naturelle que nous en avons :
rHiJloke Naturelle. 55)
cependant c eft tout le contraire, & nous aurons dans la fuite de cet ouvrage mille occafions de prouver que les Anciens étoient beaucoup plus avancés &: plus inilruits que nous ne le fonimes, je ne dis pas en Phyfique, mais dans l'Hiftoire Naturelle des animaux & des minéraux , & que les faits de cette Hilloire leur étoient bien plus fiimiîiers qu'à nous qui aurions dû profiter de leurs découvertes & de leurs remarques. En attendant qu'on en voie des exemples en détail , nous nous contenterons d'indiquer ici les raifons générales qui fuffiroient pour le fiiire penier, quand même on n'en auroii pas des preuves particulières.
La langue grecque efl: une des plus nn-ciennes , & celle dont on a fiiit le plus iong-temps ulage : avant & depuis Ho- mère on a écrit & parlé grec jufqu'au treize ou quatorzième fiècle, & aduel- îement encore le grec corrompu par les idiomes étrangers ne diffère pas autant du grec ancien , que l'italien diffère du îatin. Cette langue, qu'on doit regar^ der comme la plus parfaite & ia plus abondante de toutes , étoit dès le temps
C y)
éo Manière de traiter
d'Homère portée à un grand point de perfection, ce cjui Tuppcfe nécefiaire- ment une ancienneté confidérable avant ie fiècle niênie de ce grand Poëie; car l'on pourroit eftimer l'ancienneté ou la nouveauté d'une langue par la quantité plus ou moins grande des mots, & la variété plus ou moins nuancée des conf^ trudions : or nous avons dans cette lan- gue Les noms d'une très-grande quantité de chofes qui n'ont aucun nom en latin ou en François ; les animaux les plus rares^ certaines el'pèces d'oiieaux ou de poif- fons, ou de minéraux qu'on' ne ren- contre que très-difficilement, très-rare- ment , ont des no!ns & des noms conP tans dans cette langue: preuve évidente que ces objets de l'Hifloire Naturelle étoient connus , & que les Grecs non- feulement les connoifioient, mais même qu'ils en avoicnt une idée précife qu'ils ne pou voient avoir acquife que par une étude de ces mêmes objets , étude qui fuppofe nécefiîtirement des obier valions & des remarques ; ils ont même des noms pour les variétés, & ce que nous ne pouvons repréfenter que par une phrafè^
rHijloh-i Ndtiirelle. 6t
fè nomme dans cette langue par un feuî fubftamif. Cette abondance de motSy cette richeiïe d expredions nettes & pré- cifes , ne Tuppolent-elies pas h même abondance d'idées & de connoifTances î Ne voit-on pas que des gens qui avoient nommé beaucoup plus de choies que nous , en connoiffoient par conféquent beaucoup plus l & cependant ils n'a- voient pas fliit, comme nous, des mé- thodes & des arrangemens arbitraires; ils penfoient que la vraie fcience eft ia connoiiïance des faits, que pour l'ac- quérir il falloit le familiarifer avec les productions de la Nature , donner des noms à toutes , afin de les fitire recon- noître , de pouvoir s'en entretenir , de fe reprélenter plus fouvent les idées des choies rares & fingulières , & de multi- plier ainfï des connoiiîanccs qui fans cela ie leroient peut-être évanouies , rien n'é- tant plus fujet à l'oubli que ce qui n'a point de nom. Tout ce qui n'ed pas d'un ulage commun ne Te foutient que parle fecours des repréfentatîons.
D'ailleurs les Anciens qui ont écrit fur i'Hifk>ire Naturelle étoient de grands
62 Afû/iiere Je traiter
hommes, & qui ne s'étoient pas bornés à cette leule étude : ils avoient l'elprit élevé, des connoifîànces variées, approfondies, & des vues générales; & s'il nous paroît au premier coup d'œil qu'il leur manquât un peu d'exaditude dans de certains dé- tails , il eft aile de reconnoître en les iiiant avec réflexion, qu'ils ne penioient pas que les petites choies méritafTent une attention aulîî grande que celle qu'on ieur a donnée dans ces derniers temps ; & quelque reproche que les Modernes puiîîent fiiire aux Anciens, il me paroît qu'Aridote, Théophrafle & Pline qui ont été les premiers Naturalifles , font auffi les plus grands à certains égards. L'hiiloire des animaux d'Ariftote efl: peut-être encore aujourd'hui ce que nous avons de mieux fait en ce genre , & il i'croit fort à defirer qu'il nous eût îailîé quelque choie d'aulîi complet iUr ics végétaux & fur les minéraux , mais les deux livres des plantes que quelques A u- teurs lui attribuent, ne relTemblent pas à fes autres ouvrages , & ne font pas en efîèt de lui fc), II eil vrai que la Botanique
(cj Voyez le Commentai rç de Scaliger»
l'HijIoke Naturene. 6 y
n'étoit ras fort en honneur Je fon temps; les Grecs, & nième les Romaini» ne la regardoient pas comme une Icience qui eût exifter par elle-même , & qui dût faire une objet à piirt, ils ne la conlîdé^ roient que relativement à l'Agriculture, au Jardinage, à la Médecine & aux A rts; & quoique Théophrafle, diiciple d'A- riOote , connût plus de cinq cents genres de plantes , & que Piine en cite plus de mille , ils n'en parlent que pour nous en apprendre la culture , ou pour nous dire que les unes entrent duns la compofitiofl des drogues, que les autres font d'ulage pour les arts, que d'autres fervent à orner nos jardins, &c. en un mot, ils ne les confidèrent que par l'utilité qu'on en peut tirer , & ils ne fe font pas attachés à les décrire exaélement.
L'hifloire des animaux leur étoit mieux connue que celle des plantes. Alexandre donna des ordres & fit des dépenfcs très- confidérablcs pour rallembler des ani- maux & en fiiire venir de tous les pays, & il mit Ariftoteen état de les bien ob- ferver ; il paroû par Ion ouvrage qu'il les coniioifloit peut-être mieux, & fous
6-\. Aveline re de traiter
des vues plus générales qu'on ne les connoît aujourd'hui. Enfin, quoique les Modernes aient ajouté leurs découvertes à celles des Anciens , je ne vois pas que nous ayons fur l'Hiftoire Natu- relle beaucoup d'ouvrages modernes qu'on puiiTe mettre au-dcifus d'Ariftote & de Pline; mais comme la prévention naturelle qu'on a pour ion fiècle, pour- roit perfuader que ce que je viens de dire, efl avancé témérairement, je vais fliire en peu de mots rexpofnion du plan de leurs ouvrages.
Ariftote commence Ton hifloire des animaux par établir des différences & des refTe m b lances générales entre les difFérens genres d'animaux ; au lieu de les divifer par de petits caracflères parti- culiers, comme l'ont fait les Modernes, il rapporte hifloriquement tous les taits & toutes les ob fer valions qui portent fur des rapports généraux & Ibr Aqs caractères lènfibles; il tire ces caracflères de la forme, de la couleur, de la gran- deur & de toutes les qualités extérieures de l'animal entier , (Se aufîl du nombre & de la pofition de les parties, de la
THijIolre Naturelle. 6 5
«::iandeur, du mouvement, de la forme f Je Tes membres , des rapports fejriblables ou difîerens qui le trouvent dans ces jiiémes parties comparées, & il donne par-tout des exemples pour fefèiire mieux entendre: il confidère aufli les diffé- rences des animaux par leur façon de wre , leurs allions & ieurs mœurs, leurs habitations, &c. II parle des parties qui font communes & effentielies aux animaux , & de celles qui peuvent man- quer & qui manquent en effet à piufieurs ! efpèces d'animaux : le fens du toucher, dit-il, efl la feule chofe qu'on doive regarder comme nécefîiiire , Sl qui ne doit manquer à aucun animai ; & comme ce fens eli: commun à tous ies animaux, il n'eft pas poffibie de donner un nom h la partie de leur corps , dans laquelle réfide la faculté de fentir. Les parties ies plus effentielies font celles par lefquelles l'animal prend fa nourriture , celles qui reçoivent & digèrent cette nourriture , ÔL celles par où il en rend le fuperiîu. 11 examine enfuite les variétés de la gé- Ciération des animaux, celles de leurs weinbres ôl de leurs différentes parties
66 Mamêre de tràter
qui fervent à leurs mouvemcns & à leurs ibndions naturelles. Ces obrervations générales & préliminaires font un tableau dont toutes les parties font intéreflantes, & ce grand Phiiofoplie dit aufli qu'il les a prélentées fous cet afped, pour donner un avant-goût de ce qui doit fuivre & faire naître l'attention qu'exige l'hiiloirc particulière de chaque animai, ou plutôt de chaque cho(e.
ïl commence par l'homme & il le décrit le premier , plutôt parce qu'il eft Ranimai le mieux connu, que parce qu'il efl: le plus parfait; & pour rendre fa defcription moins sèche & plus piquante , ii tâche de tirer des connoiiTanccs mo-^ raies en parcourant les rappons phyfî- ques du corps humain , il indique les caradères des hommes par les traits de leur vifage: fe bien connoître en phy- fîonomie, feroit en effet une fciencebien utile à celui qui i'auroit acquiie , mais peut-OH la drer defHifloire Naturelle î Il décrit donc l'homme par toutes {t% parties extérieures & intérieures , & cette defcription eft la feule qui ibit entière : au lieu de décrire chaque animai en
ïHijloire Naturelle. 6j
jiartîculier , il les fiiit connoître tous par les rapports que toutes les panies de leur corps ont avec celle du corps de Thom- îne : lorfqu'il décrit , par exemple , la tête humaine, il compare avec elle la tête de différentes elpèces d'animaux-, il en eft de même de toutes les autres parties ; à la defcription du poumon de ■ Fhomme, il rapporte hiiioriquement tout ce qu'on la voit des poumons des animaux , & il fait l'hiftoire de ceux qui en manquent; de même à l'occaiion des parties de la génération , il rapporte toutes les variétés des animaux dans la manière de s'accoupler , d'engep.drer , de porter & d'accoucher, «Slc. à l'occafion du fang il fait l'hiftoire des animaux qui en font privés, & fuivant ainfi ce plan de comparaifon , dans lequel , comme l'on voit, l'homme fert de mo- dèle, & ne donnant que les différen- ces qu'il y a des animaux à l'homme, & de chaque partie des animaux à chaque partie de l'homme , il retranche à deiTein toute defcription particulière , il évite par-là toute répétition , il accumule les faits, & il n'écrit pas un mot qui foit
oo Mdinère de traiîef inutife; aufli a-t-ii compris dans un petit voiume un nombre prefqu'infrni de diiîërens foits, & je ne crois pas qu'ii foit pofTjble de réduire à de moindres termes tout ce qu'il avoit à dire fur cette matière , qui paroit il peu fufceptible de cette précifion , qu'il {û\qiI un génie comme le fien pour y conferver en Jnême temps de Tordre & de la netteté. Cet ouvrage d'Ariftote s'ed préfenté à ines yeux comme une table de matières, qu'on auroit extraite avec le plus grand foin de plufieurs milliers de volumes remplis de defcriptions & d'obfervations de toute efpèce , c efl l'abrégé le plus fr'vant qui ait jamais été fait, fi la ÏQi^wc^ e(t en effet l'hiftoire des faits : 6i quand même on fuppoferoit qu'A- riilote auroit tiré de tous les livres de fon temps ce qu'ii a mis dans le fien , le plan de l'ouvrage , fi diflribution, le choix A^s exemples , la judeiïe des comparaifons , une certaine tournure dans les idées , que j'appellerois volontiers le caraètère philo- fophique, ne laiiTent pas douter un inllant qu'il ne fût lui-même bien plus riche que ceux dont il auroit emprunté.
l'Hiftolre Naturelle» 6c)
Pline a travaillé fur un pian bien plus grand , & peut-être trop vafle , il a voulu tout embraffer, &:il femble avoir mefuré la Nature &: l'avoir trouvée trop petite encore pour l'étendue de Ion efprit : fou Hifloire Naturelle comprend, indépen- damment de l'hiftoire des animaux , des plantes & des minéraux , l'hiftoire du ciel &L de la terre , la médecine, le commerce, ia navigation, l'hiftoire des arts libéraux & mécaniques , l'origine dcs> udiges , enfin toutes les fciences naturelles &: tous ! les arts humains ; & ce qu'il y a d'éton- j nant, c'eft que dans chaque partie Pline eft également grand, l'élévation des idées, ia nobleiïe du ftyle relèvent encore fix profonde érudition ; non- feulement il iavoit tout ce qu'on pouvoit favoir de ■ fon temps , mais il avoit cette flicilité de ' pcnfer en grand qui multiplie la fcience, . il avoit cette fineffe de réflexion , de la- I quelle dépendent l'élégance & le goût , & il communique à fcs ledeurs une cer- taine liberté d'cfprit, une hardiefTe de penfer qui eft le c^erme delà Philofophie. Son ouvrage , tout aufîi varié que la Na- ture, la peint toujours en beau, c'eft, fi.
yo Manière de traher Ton veut , une compilation Je tout ce qui avoit été écrit avant lui , une copie de tout ce qui avoit été fait d'excellent & d'utile à favoir ; mais cette copie a de fi grands traits, cette compilation contieiu des chofes raOembiées d'une manière fi neuve, qu'elle eft préférable à la plupart des ouvrages originaux qui traitent des mêmes matières.
Nous avons dit que l'hiftoire fidèle & ïa defcription exade de chaque chofe étoient les deux feuls objets que l'on devoit fc propofer d'abord dans l'étude de l'Hiftoire Naturelle. Les Anciens ont bien rempli le premier, & font peut- être autant au-deiïus des Modernes par cette première partie , que ceux-ci font au-deffus d'eux par la féconde ; car les Anciens ont très-bien traité l'hiftorique de la vie & des moeurs des animaux , de la culture & des ufiges des plantes, des propriétés &: de l'emploi des minéraux, & en même temps ils femblent avoir néaligé à deflein la defcription de cha- que chofe: ce n'eft pas qu'ils ne fuflent très-capables de la bien faire, mais ils dédaignoient apparemment d'écrire des
l'Hifloire Naturelle, jt
chofes qu'ils regardoient comme inutiles,
èi cette façon de penfèr tenoit à quelque
choie de général & n'étoit pas aufîi dé-
. raifonnabie qu'on pourroit le croire ; <&
|mênie ils ne pouvoient guère penferau-
■i trement. Preiuièrement ils cherchoient à
être courts & à ne mettre dans leurs ou-
vrages que [qs faits eiïentiels & utiles,
parce qu'ils n'avoicmpas,comme nous,la
facilité de multiplier les livres, & de les
I groifir impunément. En fécond lieu ils
tpufi^oient toutes les fciences du côté de
l'utilité & donnoient beaucoup moins
; que nous à la vaine curiofué ; tout ce
I qui n'étoit pas intérefTant pour la fociété
! pour la famé, pour hs arts, étoit négligé)
ils rapportoient tout à l'homme morll,'
& ils ne croyoient pas que ks chofes qui
n'avoient point d'ufige, fuffent dignes
de l'occuper ; un infede inutile dont nos
Obfervatcurs admirent les manœuvres ,
une herbe fans vertu dont nos Botaniftes
obfervent les étamines, n'étoient pour
eux qu'un infede ou une herbe: on peut
citer pour exemple le 27/ livre de Pline,
Religua herbarum gênera, où il met en-
kmble toutes les herbes dont il ne fait
7 2 Manière de traiter
pas grand cas , qu'il le contente de nom- mer par lettres alphabétiques , en indi- quant leulement quelqu'un de leurs caradères généraux & de leurs uiages pour la Médecine. Tout cela venoit du peu de goût que les Anciens avoient pour la Phyfique, ou, pour parler plus exadeinent , comme ils n'a voient aucune idée de ce que nous appelons Phyfique particulière & expérimentale, ils ne penfoient pas que l'on pût tirer aucun avantacre de l'examen icrupuleux & de ia delcripticn exade de toutes les parties d'une plante ou d'un petit animal, &ils ne voyoient pas les rapports que cela pouvoit avoir avec lexplication àç.s phénomènes de la Nature.
Cependant cet objet eft le plus im- portant, & il ne faut pas s'imaginer, même aujourd'hu' , que dans l'étude de l'Hifloire Naturelle on doive le borner uniquement à faire des defcriptions cxaéles & à s'aflurer feulement des faits particuliers; c'cft à la vérité, &: comme nous l'avons dit, le but efîentiel qu'on doit fe propofer d'abord; mais il fiut tâcher de s'élever à quelque chofe de
plus
VHîJloîre Naturelle. 73"
J)îus grand & plus digne encore de nous, occuper, c'efl: de combiner les obierva- tions, de généralifer les fîiits, de les lier enfembie par la force des analogies, &: de tâcher d'arriver à ce haut degré de connoilîiinces où nous pouvons juger que les effets particuliers dépendent d'effets plus généraux, où nous pou- Tons comj)arer la Nature avec elle-même dans Tes grandes opérations , & d'où nous pouvons enfin nous ouvrir des routes pour perfèélionner les différentes parties delà Phyfique. Une grande mé- jnoire , de l'affiduité & de l'attention ixxÇ- fifent pour arriver au premier but, mais il fîuit ici quelqtie choie de plus, il faut des vues générales , un coup d'œil ferme & un railbnnement formé plus encore par la réfîexion que par l'étude ; il faut enfin cette qualité d'efprit qui nous fût làifir les rapports éloignés, les rafîem- bler & en former un corps d'idées rai- ibnnées, après en avoir apprécié au jufle les vraifemblances, & en avoir pefé le* probabilités.
C'elt ici où Ton a befoin de méthode pour conduire fon efprit, non pas de
Tome L Ù
74 Manière de traiter ~ ccik dont nous avons parlé , qui ne feiî qu'à arranger arbitrairement dcS mots^ inais de cette méthode qui foutient l'or- dre même des chofes, qui guide notre raifonnement , qui éclaire nos vues, les étend & nous empêche de nous égarer.
Les plus grands Philofophes ont fenti ia nécefîité de cette méthode; & même ils ont voulu nous en donner des prin- cipes & des efîais ; mais les uns ne nous ont laiflTé que l'hifloire de leur penfées^ ^ les autres la fable de leur imagina-^ don ; & fi quelques-uns lie font élevés à ce haut point de métaphyfique d'où l'on p.eut voir les principes, les rap- ports & l'enfembie des Sciences, aucua ne nous a fur cela communiqué fes •idées , aucun ne nous a donné des con- feils, & la méthode de bien conduire fou jelprit dans les Sciences eft; encore à trouver : au défaut de préceptes on a fubftitué des exemples , au lieu de prin- cipes on a employé des définitions, au .iieu de fiits avérés , des fuppofitions hafirdées.
Dans ce fièclemême où les Sciences •paroifrent être çuidvées avec foin^ \^
THiJlolre Naturelle. j^
fxo\s qu'il eft aifé de s'apercevoir que ia Philofophie eil négligée, & peut-être plus que dans aucun autre fi'ècle ; les arts qu'on veut appeler fcieiuifiques , ont pris fa place ; les méthodes de Cal- cul ^ de Géométrie, celles de Bota- nique & d'Hiftoire Naturelle, les for- .muks , en un mot , & les dictionnaires occupent prefque toiu le monde; on s'imagine fa voir davantage , parce qu'on a augmenté le nombre des expreiîions fymboliques & des phrafes favantes, & on ne fait point attention que tous ces xirts ne font que des échafaudages pour arriver à la fcience , & non pas la fcience elle-même, qu'il ne faut s'en fervir que ïorfqu'on ne peut s'en paiïer, & qu'on doit toujours fe défier qu'ils ne viennent à nous manquer lorfque nous voudrons . ies appliquer à l'édifice.
La vérité, cet être métaphyfique dont ,;tout le monde croit avoir une idée claire, me paroît confondue dans un fi grand nombre d'objets étrangers auxquels on donne fon nom , que je ne fuis pas fur- pris qu'on ait de la peine à la recon- . uoître. Les préjugés & les fauffes appli-
D i;
j6 Manière de traiter
cations fe font muhipîiées à médire que j nos hypothèfes ont cté plus ^lavantes, 1 pius abflraites & plus perfedionnées ; il efl: donc plus difficile que jamais de ïeconnoître ce que nous pouvons favoir, & de le diftinguer nettement de ce que nous devons ignorer. Les réflexions iui- vantes ferviront au moins d'avis fur ce ilijet important.
Le mot de vérité ne fait naître qu'une idée vague , il n'a jamais eu de défini- tion préciie, & la définition elle-même priie dans un fens général & abfolu , h'eft qu'une abftradion qui n'exifie qu'en venu de quelque riippofnion ; ûu lieu de chercher à faire une défini- tion de la vérité, cherchons donc à faire une énumération , voyons de près ce qu'on appelle communément vérités, & tâchons de nous en former des idées nettes.
II y a plufieurs eij:)èces de vérités, & on a coutume de mettre dans le premier ordre les vérités mathématiques, ce ne font cependant que à(t>> vérités de défi- nition ; ces définitions portent iur <\%% fûppofitions fimpîeSj mais abflraites, ^
VHijIolre NûiiireHe^ Jf
toutes les vérités en ce genre ne font que des conféquences compolées , mais toujours abftraites, de ces définitions» Nous avons fiiit les fuppofitions , nous les avons combinées de toutes les fli* çons, ce corps de combinaifons efl: là fcience mathématique ; ii n'y a donc rien dans cette fcience que ce que nous y avons mis, & les vérités qu'on en tire ne peuvent être que des expreiîions dif- férentes fous lefquelies fe pré (entent les fuppofitions que nous avons employées; ainfi les vérités mathématiques ne font que les répétitions exades des défini- tions ou fuppofitions. La dernière con- féquence n'efl vraie que parce qu'elle efl identique avec celle qui la précède , & que celle-ci i'efl avec la précédente, & ainfi de fuite en remontant jufqu'à fa première fuppofnion ; & comme les de% finitions font les feuls principes fur lef^ quels tout eft établi , & qu'elles font arbi-^ traires & relatives, toutes les conféquen- ces qu'on en peut tirer font également arbitraires & relatives. Ce qu'on appelle vérités mathématiques fe réduit donc à des identités d'idées &n'a aucune réalité:
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7 8 Manière de traiter
nous fuppofons, nous raifcnnons fur nos Tuppoiitions , nous en tirons des conféquences , nous concluons, la con- clufion ou dernière conféquence ell une propofition vraie, relativement à notre fuppofition , mais cette vérité n'eft pas plus réelle que la fuppofition elle-même. Ce n'eft point ici le iieu de nous étendre fur les ufàges des fciences mathéma- tiques , non plus que fur l'abus qu'on en peut faire , il nous fuffit d'avoir prouvé que les vérités mathématiques ne font que des vérités de définition , ou , fi l'on Veut des expreiïions différentes de fa même chofe , & qu'elles ne font vérités que relativement à ces mêm.es définitions que nous avons faites ; c'eft par cette raifon qu'elles ont l'avantage d'être tou- jours exaéîes & démonftratives , mais iibftraites , intellecftuelîes & arbitraires.
Les vérités phyfiques, au contraire, iie font nullement arbitraires & ne dé-^ pendent point de nous , au lieu d'être fondées fur dQS (lippofîtions que nous ayons faites , elles ne font appuyées que jfur des faits ; une fuite de faits fembla- î)les f ou ^ fi l'on veut ^ une répétition
THîjIoire Natiireik;^ 7^
flcqueaté & une fuccefîion non inter^ rompue des mêmes evènemens , fait i'eflence delà vérité phyfique ; ce qu'on- ■appelle vérité phyfique n'elt donc qu'une probabilité, mais une probabilité li grande qu'elle équivaut à une certitude. En. Mathématique on fuppofe , en Phy- fique on pofe <& on établit ; là ce font des définitions y ici ce font des fiits ; on va de définitions en définitions dans ks fciences abflraites , on marche d'ob- fervations en obfervations dans les fcicn- xes réelles ; dans les premières on arrive à l'évidence, dans les dernières à la cer- -tiîude. Le mot de vérité comprend l'une & l'autre , & répond par conféquent à deux idées différentes, la fi^nification ^ft vague k. compofée , il n eioit donc pas poffible de la définir généralement; il faljoit , comme nous venons de le faire, en diftinguer les genres "afin de s'en former une idée nette.
Je ne parlerai pas des autres ordres de vérités; celles de la Morale, par Texempïé, qui font en parties réelles & ^n partie arbitraires , demanderoient une longue difpuffion qui nous éloigne roi t de
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8o Marne re Je îrmîer
notre but, & cela d'autant plus qu'elles n'ont pour objet & pour fin que d^s convenances & des probabilités.
L'évidence mathématique & la cer- titude ph y fi que font donc les deux feuls points fous lelquels nous devons con- fidérer la vérité ; dhs qu'elle s'éloignera de l'une ou de l'autre , ce n'efl: plus que vraifemblance & probabilité. Examinons donc ce que nous pouvons favoir de Icience évidente ou certaine, après quoi nous verrons ce que nous ne pouvons connoître que par conjedure , & enfin ce c[ue nous devons ignorer.
Nous fltvons ou nous pouvons fa- voir de fcience évidente toutes les pro-t priéiés ou plutôt tous les rapports des jiombfes, des lignes , des furfaces & de toutes les autres quantités abllraites; nous pourrons les favoir d'une manière plus complète à mefure que nous nous exer- cerons à ré foudre de nouvelles qucliions, & d'une manière plus fûre à mefure que nous rechercherons les caufes des diffi- cultés. Comme nous fommes les créa-^ teurs de cette fcience; & qu'elle ne comprend abfolument rien que ce quç
THijlou'e Naturelle, §t
nous avons nous-mêmes imaginé, il ne peut y avoir ni obfcurités ni paradoxes qui foient re'els ou impofTibles, & on en trouvera toujours la folution en exa- minant avec loin les principes fuppoiés > & en fuivant toutes les démarches qu'on a faites pour y arriver: comme les corn- binaifons de ces principes & des façons de les employer font innombrables , il y a dans les M atliématiques un cbamp d'une immenle étendue de connoifilmces acquifes & à acquérir , que nous ferons toujours !es niai très de cultiver quand nous voudrons, & dans lequel nous re- cueilierons toujours la même abondance de vérités.
Mais ces vérités auroient été perpé- tueliementde pure fpéculation , de (impie curiofué & d'entière inutilité, fi on nV voit pas trouvé les moyens de les afTocier aux vérités phyfiques ; avant que de confidérer les avantages de cette union, voyons ce que nous pouvons eipérer de favoir en ce genre.
Les phénomènes qui s^offrent tous> \t$ jours à nos yeux , qui le iuccèdcnt êi. fe répètent fans interruption & dan*
D y
§2 Manière de traiter
tous les cas , font le fondement de nos connoifTances phyfiques. H fuffit qu'une choie arrive toujours de la même façon •pour qu'elle faffe une certitude ou une vérité pour nous, tous les faits de la [Nature que nous avons obfervés, ou que nous pourrons ob fer ver , font autant ■de vérités ; ainfi nous pouvons en aug- menter ie nombre autant qu'il nous plaira, en multipliant nos obfervations;. notre' fcience n'ed ici bornée que par ies limites de l'Univers. / Mais lorfqu'après avoir bien conflatë ïes fiits par des obfervations réitérées ^ lorfqu'après avoir établi de nouvelles vérités par des expériences exacfles , nous voulons chercher ies raifons de ces mêmes faits, les caufes de ces effets j- nous nous trouvons arrêtés tout-à-coup, réduits à tâcher de déduire les effets, d'efîèts plus généraux , & obligés d'a- vouer que les caufes nous font & nous feront perpétuellement inconnues, parce que nos fens étant eux-mêmes les efîèts de caufes que nous ne connoifîons point, ils ne peuvent nous donner des idées ^ue des effets, & jamais des caufes; A
THiflolre Natiireïïe. 8 3
faudra donc nous réduire à appeler caufe un effet général , & renoncer à lavoir au-delà.
Ces effets généraux font pour nous ks vraies loix de ia Nature; tous les phé- nomènes que nous reconnoîtrons tenir à ces loix & en dépendre , leront autant de faits expliqués , autant de vérités comprifes ; ceux que nous ne pourrons y rapporter, feront de fimples fiits qu'il faut mettre en réferve, en attendant qu'un j:4us grand nombre d'obfervations- & vuie plus longue expérience nous- apprennent d'autres faits & nous décou- •vrent la caufe phyfique, c'efl:-à-dire>.. i'eiîèt général dont ces effets particu- liers dérivent. C'eft ici où l'union des^ ■deuxfciences Mathématique & Phyfique peut donner de grands avantages , l'une donne le combien, & l'autre le com- ment des chofes; & comme il s'agit icï de combiner & d'eftimer des probabilités pour juger fi un effet dépend plutôt d'une caufe que d'une autre, lorfque vous avez imaginé par la phyfique ie- comment,, c'ell-à-dire, lorfque vous av€z vu qu'un -tel effet pou rroiî hhm
§4 Manière Je traiter dépendre de lelie caufe, vous appliquez en faire le calcul pour vous afîurer du combien de cet effet combiné avec là .Cîiuiè, & fi vous trouvez que le réfultat s'accorde avec ics obfervaiions , la pro- babilité que vous avez deviné jufle, augmente fi fort qu'elle devient une certitude, au lieu que fans ce fecours die feroit demeurée fimple probabilité.
II eft vrai que ceue union des Ma- thématiques & de la Phyfique ne peut fe fiire que pour un très-petit nombre ^€ fujets; il faut pour cela que les phé- iïomènes que nous cherchons à expli- quer, foient fufceptibles d'être confi- dérés d'une manière abftraite , & que de îeur nature ils foient dénués de prefquc toutes qualités phyfiques, car pour peu qu'ils foient compofés, le calcul ne peut plus s'y appliquer, La plus belle ^L îa plus heureufe application qu'on en îiiî jamais faite , eft au fyftème du monde; ^L il faut avouer que fi Newton ne nous eût donné que les idées phyfiques de fon fyftème, fans les avoir appuyées fur desévaluations préci(ès& mathématiques, ^lies n'auroient pas eu à beaucoup près
THîJloirè Naturelle. 85
la même force ; mais on doit fentir en même temps qu'il y a très-peu de fujcts aufîi fimples, c'eft-à-dire, aufîi dc'nués deTjualiiés phyfiques que l'efl: celui-ci; car la diftance des planètes efl fi grande qu'on peut les eonfidèrer les unes à l'égard des autres comme n'e'tant que des points : on peut en même temps , flins fe tromper , fiiire abflradion de toutes les qualités phyfiques des pla- nètes, & ne confidérer que leur force d'attracflion; leurs mouvemens font d'ail- leurs les plus réguliers que nous con- noiflions, & n'éprouvent aucun retarde- ment par laréfillance : tout cela concourt à rendre l'explication du fyflème &a monde un problème de mathématique, auquel il ne falloit qu'une idée phyfique heureufement conçue pour le réaliler, & cette idée efi: d'avoir penfé que la force qui fait tomber les graves à îa furface de la terre, pourroit bien être la même que celle qui retient la lune dans fon orbite.
Mais , }e le répète , il y a bien peu de fil jets en phyfique où l'on puifle appli- -quer aujQi avantage ufement les kiencfô
Î6 Mcw} ère de traiter"
abllraites, & je ne vois guère qu5 r Agronomie & l'Optique auxquelles elles puiflent être d'une grande utilité ; i'Aftronomie par les raiibns que nous venons d'expoier, &. l'Optique parce que ia lumière étant un corps prefqu'infi- îiinient petit dont les effets s'opèrent en ligne droite avec une vîteiïe prefque infinie, iès propriétés font prcTque ma- thématiques, ce qui fait qu'on peut y appliquer avec quelque fuccès le calcul ÔL les mefures géométriques. Je ne par- ierai pas des Mécaniques, parce que ja Mécanique rationnelle efl: elle-même une fcience mathématique & abftraite ^ de laquelle la Mécanique-pratique ou l'art de faire & de compofer les ma- chines, n'emprunte qu'un feul principe par lequel on peut juger tous les effets en failant abdradion des frottemens & des autres qualités phyfiques. Aufîi fn'a-t-il toiijours paru qu'il y avoit une cfpèce d'abus dans ia manière dont on profeffe la Phyfique expérimentale, l'objet de cette Science n'étant point ^lu tout celui qu'on lui prête. La 4«iiw)niilration des effets mécaniques,;
FHipoire NaîureSe. &7
xroinme dé la puifTance des leviers , des^ poulies , de l'équilibre des lolides &l des fluides, de l'effet des plans inclinés, de celui des forces centrifuges , &c. appar- tenant entièrement aux Mathématiques,. & pouvant être faifie par les yeux de i'efprit avec la dernière évidence , il me- paroît fuperflu de la repréfenter à ceux du corps ; le vrai but efl: au contraire de faire des expériences fur toutes les chofes que nous ne pouvons pas me- ilirer par le calcul, fur tous les effets dont nous ne connoiffons pas encore les caufes , & iur toutes les propriétés dont 310US ignorons les circonftances , cela feul peut nous conduire à de nouvelles découvertes , au lieu que la démonftra- lion des effets mathéjiiatiques ne nous apprendra jamais que ce que nous fa- vons déjà.
Mais cet abus n'efl: rien en compa- raifon des inconvéniens où l'on tombe lorfqu'on veut appliquer la Géométrie èi le calcul à des fujets de Phyfique trop compliqués, à des objets dont nous ne connoiffons pas affezies propriétés pour jpouvoir les mefurery o.a eft obligé dai^
8 8 Mcimère de îrdiîer
tous ces cas de fliire des fupporitions toujours contraires à la Nature, de dé- pouiller le fujet de la plupart de Tes qua- lités, d'en faire un être abftrait qui ne refTemble plus à l'être réel, &: lorfqu'on a beaucoup railonné & calculé lur les rapports & les propriétés de cet être abllrait, & qu'on efl: arrivé à une con- clu fion toute aufTi abftraite , on croit avoir trouvé quelque choie de réel, <Sc on tranfporte ce rélliltat idéal dans le fujet réel, ce qui produit une infinité de fiu(îes conféquences & d'erreurs.
C'efl ici le point le plus délicat & le plus important de l'étude des Iciences: lavoir bien diftinguer ce qu'il y a de réel dans un fujet de ce que nous y mettons d'arbitraire en le confidérant , reconnoître clairement les propriétés qui ]ui appartiennent & celles que nous lui' prêtons , me paroît être le fondement de ia vraie méthode de conduire fon elprit dans les fciences ; & fi on ne perdoit jamais de vue ce principe , on ne feroit pas une faufie démarche, on éviteroit de tomber dans ces erreurs lavantes, cju'on reçoit fouvem covrane des vérités ^
rHifoire Naturelle. 89
en verroit difparoître les paradoxes, les quellions infolubles des fciences ab(^ traites, on reconnoîtroit les préjugés & les incertitudes que nous portons nous- mêmes dans les fciences réelles , on vien- droit alors à s'entendre fur la Métaphy- fique des fciences, on cefferoit de dii- puter, & on fe réuniroit pour marcher dans la même route à la fuite de l'expé- rience, & arriver enfin à la connoifTance de toutes les vérités qui font du refîort de l'efprit humain.
Lorfque les fujcts font trop compli- qués pour qu'on puifle y appliquer avec avantage le calcul & les meflires , comme le font prefqiie tous ceux de l'Hiftoire Naturelle & de la Phyfique particulière, il me paroît que la vraie méthode de conduire /on efprit dans ces recherches c'eft d'avoir recours aux obfervations , de {qs> raflembler, d'en fliire de nou- velles, & en aflez grand nombre pour nous afîurer de la vérité des faits princi- paux , & de n'employer la méthode mathématique que pour eflimer les prct- babilités des conféquences qu'on peut tirer de ces faiu; fur-tout il faut tacher
C) o Manière de traiter, &'c>
de ies généralifer & de pjien diftingucf ceux c[ui font eiïentiels de ceux qui ne^ font q'.i'acceiToires au fujet que nous confîdérons, il faut enfuite les lier en^ iemble par les analogies, confirmer ou de'truire certains points équivoques, par le moyen des expériences, former fon- pian d'explication fur la combinaifon de tous ces rapports, & les préienier dans l'ordre le plus naturel. Cet ordre' peut fe prendre de deux façons, la pre- mière eH: de remonter des effets parti-- Guliers à des effets plus généraux, & i'autre de defccndre du général au par- ticulier : toutes deux font bonnes , & le choix de l'une ou de l'autre dépend plutôt du génie de l'Auteur que de fa» nature des chofes, qui toutes peuvent être également bien traitées par l'une ou i'autre de èes manières. Nous allons- donner des efiais de cette métliode dans îes difcours fuivans, de la THÉORIE DE LA Terre, de la Formation DES Planètes , & de la Généra^ ïiON DES Animaux.
HISTOIRE
NATURELLE.
Second Difcotirs,
Vidi ego y qucd fuerat qucndam foUdiJJima tel/us ,
Ejfe fretiim ; vidï fraStas ex œquore terras;
Et prccul à pelago conchœ )acin:re mar'uiœ ^
Et vêtus inventa ejl in mcntihus anchcra fummis ;
Quodque fuit campus , vallem decurfus
aquarum Fecit f (tf eluvie mons ej] deduéîus in trquor,
Ovid. Méiam. iîb. 15.
LJGem4^ iU /a. /la/ure ilûnsia Ciy/ià'/n/fli/f.m tA- /Th
^5
fflioiwoiom.^.
Ihistoire
NATURELLE-
SECOND DISCOURS.
Hijloîre & Théorie de la Terre.
IL n'ed ici queflion ni de la figure de ia Terre (a) , ni de Ion inou veinent, îii des rapports qu'elle peut avoir à l'ext'irieur avec les autres parties de i'Univers ; c'eft là conftitution inté- rieure , la forme & fa matière que nous nous propofons d'examiner. L'hilloire générale de la Terre doit précéder l'hil- toire particulière de les productions , & les détails des faits fincfuliers de la vie & des moeurs dts animaux ou de la culture f3c de la végétation des plantes, appar-
fa) Voyez ci-après les Preuves dç la théorie de ia Terre, art, L
'ç4 Hijlolre Naturelle,
îîennent peut - être moins à l'Hidoirç Naturelle que les réfultats généraux àts obfervations qu'on a faites îur les difFé- jentes madères qui compo(ent le globe' terreftre , fur les éminences , les profon- deurs & les inégalités de fa forme, fur le mouvement d^s mers , fur la di- jedion des montagnes, fur la pofition des carrières , fur la rapidité &: les effets des courans de la mer, &c. Ceci eft la Nature en grand , & ce font - là fes principales opérations , elles influent fur toutes ks autres, & la théorie de ces effets efl: une première fcience de la- quelle dépend l'intelligence des phé- j nomènes particuliers , aufli - bien que ia connoifîîuice exa<5lc des fubflances îerreflres ; & quand même on voudroit donner à cette partie des fciences na- turelles le nom de Phyfiqiie, toute phy- fique où l'on n'admet, point de fyfl:èmes.i n'efl-elle pas l'Hiftoire de la Nature î
Dans des fujets d'une vafte étendue dont les rapports font difficiles à rappro- cher, où les faits font inconnus en partie, & pour le relie incertains , il eft plus aifé d'imaginer un fyftème que de donnée
Théorie de la Terre. -95
tine théorie ; auffi {a tliéorie de la terre n'a-t-eile jamais"^ été traitée que d'une rnanière v?^ue & hypothétique. Je ne parlerai donc que légèrement des idées Singulières de quelques Auteurs qui ont ^ccrit fur cette matière. ^
L'un (b) plus ingénieux que raîfon- yfhi^fiy^^ nable , A Aronome convaincu du fyftème de Newton , fcnvifageanttous les évènc^ mens poiîibies du cours & de la direc- tion des aftres , explique , à l'aide d'ua calcul mathématique , par la queue d'une comète , tous les changemens qui font arrivés au globe terreftre.
Un autre ^c^, Théologien hétérodoxe, '^/x^'/i. ^ fa tête échauffée de vifions poétiques , croit avoir vu créer l'Univers, ofant prendre le ftyle prophétique, après nous . Avoir dit ce qu'étoitla terre au fortir du néant , ce que le déluge y a changé, ce qu'elle a été & ce qu'elle ed ; il nous -prédit ce qu'elle fera , même après la deftrudion du genre humain.
(h) Whi^Qn. Voyez les preuves de la théorie /ie la Terre , art, 1 1,
(c) Burnet. Voyez les preuves de la théorie df^ jta Terre, ^/, Il h i
p6 Hiffokc Naturelle*
n^^^ I .V Un troifième fd), à la vérité meiffeur ri j^dfii caret , ^ \ ^\
obiervateur que ks deux premiers, maiî
tout auffi peu réglé dans les idées , ex- plique par un abyme immenfe d'un li- quide contenu dans les entrailles du globe, les principaux phénomènes de la terre, laquelle, félon lui, n'eft qu'une croûte fuperficieile & fort mince qui fert d'enveloppe au fluide qu'elle renferme.
Toutes ces hypothèles faites au hafird, & qui ne portent que iur des fbndemens ruineux , n'ont point éclairci les idées & ont confondu les fiits , on a mêlé la fable à la Phyfique, aulîi ces fyflcmcs n'ont été reçus que de ceux qui reçoi- vent tout aveuglément , incapables qu'ils font de diflinguer \q.^ nuances du vrai- iemblable , & plus flattés du merveilleux que frappés du vrai.
Ce que nous avons à dire au fujet de la terre , fera lans doute moins extraor- dinaire , (Se pourra paroître commun ea comparaiion des grands fyftèmes dont nous venons de parler; mais on doit fe ibuvenir qu'un Hiftorien ed: fiit pour décrire & non pour inventer , qu'il ne
(d) Woodward. Voyez lej preuves, art, J V,
doit
Théorie de la Terre, ()y
doit fe permettre aucune fuppofition , & qu'il ne faut faire uiage de Ion ima- gination que pour combiner les obfer- varions , généralifer les fîiits , & en for- mer un enfembie qui prëfente à i'efprit un ordre méthodique d'idées claires & de rapports fuivis &: vraifemblables ; je dis vraifemblables , car il ne faut pas efpérer qu'on puiffe donner des démonf- trations exactes fur cette matière , elles n'ont lieu que dans les fciences ma- thématiques, & nos connoilFances en Phyfique & en Hiftoire Naturelle dé- pendent de l'expérience & fe bornent à des inductions.
Commençons donc par nous repré- fcnter ce que l'expérience de tous les temps & ce que nos propres obfèrvations nous apprennent au fujet de la terre. Ce globe immenle nous offre à la furface., des hauteurs , des profondeurs, des plai- nes, des mers, des marais, dQs fleuves, des cavernes, des gouffres , des volcans, & à la première infpedion nous ne dé- couvrons en tout cela aucune régularité, aucun ordre. Si nous pénétrons dans foa intérieur, noas y trouverons des métaux.
Tome I, JE»
■() 8 'Hifolre Nûtîirelk:
des minéraux , des pierres, des bîtumeSj^ des fables , des terres , des eaux & des madères de toute elpèce , placées comniq au hafard & ians aucune règle apparente ; \ en examinant avec pius d'attention, noua | voyons des montagnes afTaifTées (ej , des \ rochers fendus &. brifés , des contrées englouties , des îles nouvelles , des ter--* reins fubmergés, des cavernes comblées ; nous trouvons des matières pefmtes fou- vent polées fur des matières légères , des corps durs , environnés de fubdances molles, des chofcs sèches, humides", chaudes , froides, folides , friables , toutes mêlées & dans une efpèce de confufioa qui ne nous préfente d'autre image que celle d'un amas de débris & d'un monde en ruinç.
Cependant nous habitons ces ruines avec une emière fécurité ; les générations d'hommes , d'animaux , de plantes (e fuccèdcnt Ians interruption , la terre fournit abondamment à leur lubfillance ;
(e) Vuîe Senec. (jim^. Uh, VT, cap. 2 1 . Strab. Geograplu Iil\ I. Orol". lilu II, cap, i S. Plin. Uh. Il, tap, ip. Hift, de i'Acid, des 5c. année lyçSt
TJîéone de h Terre. ' ^^
ïa mer a des iimites & des loix , iès mouvemens y fom afîujettis , l'air a Tes courans réglés /J^, les faifons ont leurs retours périodiques & certains , h ver- dure n'a jamais manqué de fuccéder îiux friniats ; tout nous paroit être dans J'ordre ; la terre qui tout-à-i'heure n'é- toiî qu'un cahos , eft un féjour délicieux
où rèornent le calme &: l'harmonie , où ^ . . . -
tout eil animé & conduit avec une puii-
fance & une intelligence. qui nous rem-
piiilent d'admiration & nous éièvent
jufqu'au Créateur.
Ne nous preiïons donc pas de pro- noncer fur l'irrégularité que nous voyons à ïa furface de la terre , & fur le défcrdre apparent qui ie trouve dans fon intérieur, xar nous en reconnoîtrons bientôt l'u- tilité , & même la nécellité ; & en y failànt pîus d'attention nous y trouverons peut- être un ordre que nous ne foupçonnions pas , ÔL des rapports généraux que nous ai'apercevions pas au premier coup d'oeil. A la vérité nos connoi (lances à cet égard feront toujours bornées : nous lie connoifTons point encore la fur fa ce
{fj Voyez !es preuves , art, XÎV,
£i)
fïôo 'Eîjîohe Naturelle:
entière fg) du globe , nous ignorons en partie ce qui le trouve au fond des mers ; il y en a dont nous n'avons pu fonder les profondeurs : nous ne pouvons pénétrer que dans l'ëcorce de la terre , & les plus grandes cavités (h)^\es mines (î) les plus profondes ne defcendent pas à la huit millième partie de fon diamètre ; nous ne pouvons donc juger que de la couche extérieure & prelque fuperficielle , l'in- térieur de la mafie nous eft entièrement inconnu ; on fait que , volume pour volume , la Terre pèie quatre fois plus que le Soleil; on a aufîi le rapport de fa pefanteur avec les autres planètes , mais ce n'eft qu'une eilimation relative, l'unité de mefure nous manque , le poids réel de ïa matière nous étant inconnu , en forte que l'intérieur de la terre pourroit être ou vide ou rempli d'une matière mille fois plus pelante que l'or , & nous n'avons aucun moyen de le recon- noître; à peine pouvons-nous former
(g) Voyez les preuves , art. VJ,
(h) Voy. TrmJ. Phil. Abrig\ vol. TI , p. 3 2 3;
(ij Voyez Boyk's Works , vol. Jll, p, 23a,
Théorie de la Terre. i o r
far cela quelques conjedures (k) raifon- nahies.
li fcUit donc nous borner à examiner & à décrire la furfiice de la terre & la petite e'paiiïeur intérieure dans laquelle nous avons pénétré. La première choie qui fe préiente, c'eft l'immenie quantité d'eau qui couvre la plus grande partie du globe ; ces eaux occupent toujours les parties les plusbafîes, eiles font aufli toujours de niveau , & elles tendent p'er- pétuellement à l'équilibre & au repos : cependant nous les voyons agitées (l) par une forte puiflance , qui s'oppofant à ia tranquillité de cet élément, lui imprime un mouvement périodique & réglé , fou- lève & abaiiïe alternativement les fîots , & fîiit un balancement de la maffe totale des mers en les remuant jufqu'à la plus
; grande profondeur. Nous favons que ce mouvement efl: de tous les temps , & qu'il durera autant que la lune & le
.ioleil qui en font les caufes.
Confidérantenfuite le fond de la mer,
(k) Voyez les preuves, art. h
(l) Voyez les preuycs, an, Xll.
E iij
Î02 HiJIoire Naîurelle:
îiaus y remarquons autant d'inégaïités fm) que fur la furface de ia terre ; nous y trouvons des hauteurs (n), des vallées , des plaines , des profondeurs , des rochers , des terreins de toute efpèce ; nous voyons que toutes les îles ne font que les iommets de vades montagnes foj, dont ie pied <Sc les racines font couvertes de î'élément liquide ; nous y trouvons d'autres fommets de montagnes qui font prefqu'à fleur d'eau, nous y remarquons des courans rapides (p) qui femblent le jTouflraire au mouvement générai : on les voit (q) fe porter quelquefois conflam- lîient dans la même diredion, quelque- fois rétrograder & ne jamais excéder leurs limites, qui paroifîent aufîî inva- riables que celles qui bornent bs efforts des fleuves de la terre. Là font ces con- trées orageufcs ou les vents en fureui:
(m) Voyez les preuves, an. JiJII,
(n) Voyez la Carte diefTée en 1737 par Mi Buache, àts profondeurs de l'Océan entre l'Afrique & l'Amérique,
(0) Voyez Varen, Geogr, gen. page 2 l 'S.
(p) Voyez les preuves , an, XIll,
(q) Voyez Varen. page j^o. \oyt% auffi ie| Voyages de Tyrard , i^'-'gs jjZa
Théorie Je la Terre, 103
|)ïc'cipltciit la tempête , 011 la mer & le ciel également agites fe choquent & fè confondent : ici font des niouvemens intedins , des bouillonnemens (rj , Aqs trombes (f) ôl des agiLadons extraordi- naires cauiees par des volcans dont fa bouche fubmergée vomit le feu du feiii des ondes, & pouffe jufqu'aux nues une épaiffe vapeur mêlée d'eau, de foufre ôc de bitume. Plus loin je vois ces gouffres ftj dont on n'ofc approcher , qui femblent attirer les vailTeaux pour les engloutir : au-delà j'aperçois ces vaPtes plaines toujours calmes & tranquilles fuj, mais tout auffi dangereules , où les vents n'ont jamais exercé leur empire , 011 i'art du Nautonier devient inutile^ où il faut reRer &. périr : enfin portant les yeux jufqu'aux extrémités du globe, je vois ces glaces énormes (WJ qui fe détachent
(^rj Voyez les Voyages de Shaw, tame II ^
(f) Vo)'ez les preuves, an. JÏVI,
(t) Le Maieiirooni dans îa mer de Norvège.
(n) Les calmes & les tornados de la mer Éilûo:; |)ique.
(x] Voyez ks preuves, «;/. Vl àr X,
Eiiij;
iTo4 HiJIôhê Naturelle:
des continens des pôles , & viennent comme des montagnes flottantes voya- ger ^ fe fondre jui'qué dans les régions tempe' ré es. fy).
Yoiîà les principaux objets que nous offre le vafte empire de la mer ; des milliers d'habiians de différentes efpè- ces en peuplent toute l'étendue , les uns couverts d'écailies légères en tra- verfènt avec rapidité les diBérens pays , d'autres chargés d'une épaifle coquille fe traînent pefamment & marquent avec lenteur leur route fur le iable ; d'autres à qui la Nature a donné des nageoires en forme d'ailes , s'en fervent pour s'é- ïcver & fe foutenir dai^ les airs ; d'autres enfin à qui tout mouvement a été rcfufé, croiiïent & vivent attachés aux rochers ; tous trouvent dans cet élément leur pâ- ture. Le fond de la mer produit abon- damment des plantes , des moufles & des végétations encore plus fingulières , -îe terrein de la mer eft de fible , de gra- vier , fouvent de vafe , quelquefois de terre ferme , de coquillages , de rochers,
(y) Voyez la Carte de l'expédition de M. Bouvet^ dreirée par M. Buache en j 73 9.
Théorie de h Terre. 105
&: pnr - tout ii reiTeinbie à la terre que nous habitons.
Voyageons maintenant fur la partie sèche du globe , quelle difîérence pro- digieufe entre les climats ! quelle varie'té de terreins ! quelle inégalité de niveau 1 mais obiervons exactement , & nous re- connoîtrons que les grandes chaînes (-^ de montagnes ie trouvent plus voifines de l'équateur que des pôles ; que dans l'ancien continent û\qs s'étendent d'o- rient en occident beaucoup plus que du nord au fud , & que dans le nouveau monde elles s'étendent au contraire du nord au fud beaucoup plus que d'orient en occident ; mais ce qu'il y a de très- remarquable, c'ell que la forme de qq.s montagnes & leurs contours qui paroi f- fènt ablolument irréguliers (a) , ont ce- pendant des directions fui vies & corref^ pondantes entr'eiles (b) , en forte que les angles faillans d'une mpntagne fe trou- vent toujours oppofés aux angles rentrans de la montagne voifme qui en eft léparée
(l) Voyez les preu\es, arr, IX. {a) 'No-^tTL les preuves , art,^ IX if XIL fij Voyez I^çtlres phil» de Bourguet, page j Siii
£ Y
{jo6 Hijlo'tre Naîwelle: par un vallon ou par une profondeur. J'obferve auiïi que les collines oppofées ont toujours à très-peu près la même îiauteur , & qu'en général les montagnes occupent le milieu des continens &: par- tagent dans la plus grande longueur les îles 5 les promontoires & les autres terres avancées (c): je fuis de même la diredion des plus grands fleuves , & je vois qu'elle efl: toujours prefque per- pendiculaire à la côte de la mer dans laquelle ils ont leur embouchure , & que dans la plus grande partie de leur cours iis vont à peu près (d) comme les chaînes de montagnes dont ils prennent leur fource & leur direction. Examinant enfuite les riva ores de la mer, je trouve qu'elle efl ordinairement bornée par des îochers, des marbres & d'autres pierres dures , ou bien par des terres & des febles qu'elle a elle-même accumulés ou que les fleuves ont amenés , & je remarque que les côtes voifines & qui lie font réparées que par un bras ou par un petit trajet de mer, font coinpofées
(c) Vide Varemi Geogr. pag. 69,
(d) Voyez les preuves , arti X^
Tlîéone de la Terre^ 107
fies mêmes matières, <Sc que les lits de terre font les mêmes de l'un & de l'atitre côté ^^y^; je vois que les volcans (f) fe trouvent tous dans les hautes montacrnes, qu'il y en a un grand nombre dont les feux font entièrement éteints , que quel- ques-uns de ces volcans ont des corrcf^ pondances fouterraines ("g) , & que leurs explofions fe font quelquefois en même temps. J'aperçois une correfpondance femblable entre certains lacs & les mers voilines ; ici font des fleuves & des torrens (h) qui fe perdent tout- à-coup & paroifîent fe précipiter dans les entrailles de la terre, là eft une mer intérieure où fe rendent cent rivières qui y portent de toutes parts une énorme quantité d'eau, fans jamais augmenter ce lac immenfe , qui femble rendre par des voies fouter- raines tout ce qu'il reçoit par fes bords, & chemin faifant je reconnois aifément les pays anciennement habités , je les dillingue de ces contrées nouvelles où
'(e) Voyez les preuves , art. Vil,
(f) Voyez les preuves , art, XVI.
(g) Vide Kh'chtr Alund, jiihter, in praj^ ^h) Voyez. Yann^ Ceogr. page 43.
ii vj
[10 D Hîjloire Naturelle»
îe terrein paroît encore tout brut, oBI ïes fleuves font remplis de catarad:es , où les terres font en partie fubniergées , lîiarécageufes ou trop arides , où ia dif- tribution des eaux eft irréguiière, où <\t% bois incultes couvrent toute la furfiice des terreins qui peuvent produire.
Entrant dans un plus grand détail, je vois que la première couche (i) qui enve- loppe le globe, efl: par-tout d'une même fub (tance ; que cette fub (tance qui fert à fiùre croître & à nourrir les végétaux & les animaux , n'efl eilc - même qu'un compolé de parties animales & végétales détruites, ou piutôt réduites en petites parties , dans lefquelles l'ancienne orga- niduibn n'cfl: pas lenfible. Pénétrant phis avant , je trouve la vraie terre , je vois des couches de fable , de pierres à chaux , ■ d'argile , de coquillages , de marbre, de gravier, de craie , de plâtre, &c. & ^ remarque que ces couches (k) font toujours pofées parallèlement \^ unes (iir les autres (l) , ôl que chaque
^1) Voyez les pretlVes , ûri, VU
(h) Voyez idem.
(IJ Vj)>;ez Voodiyajrci , pnge ^r ^ i?'c^^
Thème de h Terre. \ oc^ tceuche a ia même épaiiïeur dans toute fon étendue : je vois que dans les collines voifines les mêmes matières fe trouvent au même niveau , quoique les collines ibient féparées par des intervalles pro- fonds & confidérables. J'obferve que dans tous les lits de terre ^mj^ & même dans les couches plusfolides, comme dans ies rochers , dans les carrières de mar- bres & de pierres^ il y a des fentes , que ces fentes (ont perpendiculaires à l'ho- rizon , & que dans les plus grandes comme dans les plus petites profon- deurs , c'efi: une efpèce de règle que ia Nature fuit conflamment. Je vois de plus que dans l'intérieur de la terre , fur ia cime des monts ^nj & dans les lieux les plus éloignés de la mer, on trouve des coquilles , des fquelettes de poif- ifons de mer , des plantes marines , &c. qui font entièrement femblabies aux co- quilles , aux poifTons, aux plantes a(^tuel- lement vivantes dans la mer, & qui en : effet font abfolument les mêmes. Je re- marque que ces coquilles pétrifiées font
/'.'/y' Voyez ies preuves ; aru VIII ■'J Voyçz idem,
fl I ô" H'ijlolre Naturelle:
en prodigieufc quantité, qu'on en trouvé' dans une infinité d'endroits , qu'elles font renfermées dans l'intérieur des ro- chers & des autres mafles de marbre <Sc de pierre dure , aufli-bien que dans les craies & dans les terres ; & que non-feu- lement elles font renfermées dans toutes . ces matières, mais qu'elles y font incor- porées , pétrifiées &: remplies de la fubl- cance même qui les environne : enfin je îne trouve convaincu par des obferva- tions réitérées , que les marbres , les pierres , les craies , les marnes, les argiles, les fables & prelque toutes les matières îerreflres font remplies de coquilles (o) & d'autres débris de la mer, & cela par toute la terre & dans tous les lieux où i'on a pu faire des obfervations exad;es.
Tout cela pofé , raifonnons.
Les changemens qui font arrivés au globe terrefire depuis deux & même trois mille ans , font fort peu confidé- Tables en comparaifon des révolutions > qui ont dû le faire dans les premiers
fo) Voyez Stenon, Woodward, Ray, Bourguet, Scheuchzsr, les Tranf, phii, les Mém, de TAcadg
T'Iieone Je la Terre: 1 1 T
Icmps après la création ; car il ell aifô de démontrer que comme toutes les matières terreftres n'ont acquis de la fo- ' îidité que par l'ad;ion continuée de la gravité &. des autres forces qui rappro- chent & réunifient les particules de la ' matière, ia furface de ia terre devoit être au commencement beaucoup moins fo- " iide qu'elle ne Veiï devenue dans la fuite , ' & que par conféquent les mêmes caufes qui ne produifent aujourd'hui que des changemens prefqu'infenfibles dans i'ef- !pace de plufieurs fiècles, dévoient caufer alors de très - grandes révolutions dans un petit nombre d'années : en effet , \l paroît certain que la terre aduellem^ent .sèche & habitée, a été autrefois fous j les eaux de la mer , & que ces eaux Ictoient fupérieures aux fommets des plus hautes montagnes, puifqu'on trouve : îiir ces montagnes & jufque fur leurs I fommets des produdlions marines & des ' coquilles , qui , comparées avec les co- quillages vivans font les mêmes, & qu'on ne peut douter de leur parfaite reffem- blance ni de l'identité de leurs efpèces. Il paroît aufli que ks çaux de la mer OAt;
tîi Hiflmre Naturelle;
féjourné quelque temps fur cette terre l puifqu'on trouve en plufieurs endroits des bancs de coquilies fi prodigieux & fi e'tendus qu'il n'efl: pas pofîibie qu'une au lîi grande fp) multitude d'animaux ait été' tout-à-la-fois vivante en même temps: cela (emble prouver aufîi que quoique îes matières qui compofent la furface de la terre fuiîent alors dans un état de niolleffe qui les rendoit fufceptibles d'être aifément divifées, remuées & tranfpor- tées par [es eaux , ces mouvemens ne fe font pas faits tout-à-coup , mais fuccef- fivement & par degrés ; & comme on trouve quelquefois des productions de la mer à mille & douze cents pieds de profondeur , il paroît que cette épaif- feur de terre ou de pierre étant fi confi- dérable , il a fallu des années pour la produire : car quand on voudroit fup- polêr que dans le déluge univerfel tous îes coquillages eufTent été enlevés du fond àcs mers & tranfportés fur toutes îes parties de ia terre , outre que cette fuppofïtion feroit difficile à établir (qj, à
(p) Voyt-L les preuves , art, VUL (q) Voyez }e* preuves ^ art^ K
Théorie de la Terre. 1 13 cft clair que comme on trouve ces co- quilles incorporées &l pétrifiées dans les marbres & dans les rochers des plus hautes montao-nes , il fîiudroit donc fuppofer que ces marbres & ces rochers eu lient été tous formés en même temps <& pré- cifément dans l'inftant du déluge , & qu'avant cette grande révolution il n'y avoit fur le globe terreftre ni montagnes, ni marbres, ni rochers, ni craies, ni au- cune autre madère fembîable à celles que nous connoiflons , qui prefque toutes contiennent des coquilles & d'autres débris des produ(51ions de la mer. D'ail- leurs la furface de la terre devoit avoir acquis au temps du déluge un degré confîdcrable de folidité , puilcjue la gra- vité avoit agi fur les matières qui la corn- pofent , pendant plus de feize fiècîes, & par conléquent il ne paroît pas pofîlble ■que les eaux du déluge aient pu boule- verfer les terres à la furface du globe jufqu'à d'auffi grandes profondeurs dans le peu de temps que dura l'inondation univerfelle.
Mais fans infifter plus long-temps fur ce point qui fera difcuté dans la fuite ,
1Î4 Hijlolre Naturelle. je m'en tiendrai maintenant aux oî^itr-* vations qui font confiantes , & aux fliiis qui font certains. On ne peut douter c[ue ies eaux de ia mer n'aient iejourné iur la furface de ia terre que nous iia- bitons , & que par confequent cette même furface de notre continent n'ait été pendant ([ueique temps ie fond d'une mer, dans laquelle tout fe pafTqit comme tout fè paffe adueilement dans ia mer d'aujourd'hui ; d'ailleurs les couches des différentes matières qui compofent la terre, étant, comme nous l'avons remar* que (r), pofées parallèlement & de ni- veau , il effc clair que cette pofition efli i'ouvrage des eaux qui ont amafTé & ac-* cumulé peu à peu ces matières & leur onti donné la même fituation que l'eau prend toujours elle-même , c'elt-à-dire , cette fituation horizontale , que nous obfer- Yons prefque par - tout ; car dans lesn plaines les couches font exa<ftement ho-^ rizontaies , & il n'y a que dans les mon- tagnes où elles foient inclinées , comme ayant été formées par des fédimens dé- pofés fur une bafe inclinée , c'eft-à-dire; (rj Voyez les preuves ^ an^ yil^
Théorie de h Terre. 115
fur un terrein penchant : or je dis que ces couches ont été fonnées peu à peu, & non pas tout d un coup par quelque révolution que ce foit, parce que nous trouvons ibuvent des couches de ma- tière plus pefànte , polées fur àcs cou- ches de matière beaucoup plus légère ; ce qui ne pourroit être , fi , comme le veulent quelques Auteurs , toutes ces matières dilTouies (f) &. mêlées en même îemps dans l'eau , fe fufîent enfuite pré- cipitées au fond de cet élément, parce qu'alors elles eufîent produit une toute autre compofition c]ue celle qui exifte ; îes matières les plus pefantes feroient descendues les premières ôc au plus bas ; & chacune ie feroit arrangée fuivant (a gravité Ipécifique , dans un ordre rela- tif à leur pefanteur particulière , &. nous ne trouverions pas des rochers maffifs fur des arènes légères , non plus que des charbons de terre fous des argiles, des glaifes fous des marbres , Ôl des métaux fur des fables.
Une chofe à laquelle nous devons f ncore faire attention , & qui confirme (fj Voyez les preuves, art, IJ^^
î I 6 Hïjloire Naturelle,
ce que nous venons de dire fur îa for- mation des couches par le mouvement & par le fédimem des eaux, c'eil que toutes les autres caufes de révoiuiion ou de changement fur le globe ne peuvent produire les mêmes effets. Les monta- gnes les plus éieve'es font compofees de couches parallèles tout de même que les plaines les plus baffes , & par con- fcquent on ne peut pas attribuer l'ori- gine & la formation des montagnes à des fecoufles , à des trembîemens de terre , non plus qu'à des volcans ; <Sc nous avons des preuves que s'il fe forme quelquefois (t) de petites éminences par ces mouvemens convulfifs de la terre , ces éminences ne font pas compofees de couches parallèles ; que les matières de Ces éminences n'ont intérieurement aucune liaifon , aucune pofition régu- lière , & qu'enfin ces petites collines formées par les volcans ne préientent aux yeux que le défordre d'un tas de matière rejetée confufémem ; mais cette efpèce d^organifation de la terre que nous découvrons par -tout , cette fituation (t) Voyez les preuves, an^ XV ÎU
Théorie de la Terre, \\j
horizontale & parallèle àts couches , ne peuvent venir que d'une caufe conl- xwMQ ôc d'un mouvement régie & tou- jours dirige' de la même ilicon.
Nous Ibmmes donc afTurés par des obfervations exades, réitérées & fondées lur des fliits incontefhibles, que la partie sèche du globe que nous bahitons a été long-temps fous les eaux de la mer ; par conléquent cette mêuie terre a éprouvé pendant tout ce temps les mêmes mou- veinens , les mêmes changemens qu'é- prouvent adluellement les terres cou- vertes par la mer. Il paroît que notre terre a été un fond de mer; pour trouver donc ce qui s'eft paiïé autrefois fur cette terre, voyons ce qui le pafîe aujourd'hui fur le fond de la mer, & de-là nous tirerons des indudions raifonnables fur la forme extérieure & la compofition intérieure ^es terres que nous habitons.
Souvenons-nous donc que la mer a de tout temps , & depuis la création , un mouvement de fîux & de reflux caufé principalement par la lune ; que ce mou- vement qui dans vingt -quatre heures Élit deux fois élever & baiffer les eaux ,
^I I 8 'Hifîoh-e 'Naturelk:
s'exerce avec plus de force fous l'equil* teiir que dans les autres climats. Sou- Yenons-nous aufTi que la terre a un mou veinent rapide fur Ton axe, & par conlec[uent une force centrifuge plus grande à l'equateur que dans toutes les autres parties du globe ; que cela {^v\ , indépendamment des obfervations ac- tuelles (Se des mefures , nous prouve qu'elle n'eil pas ^parfaitement Iphérique, mais qu'elle eft plus élevée ious l'equa- teur que fur les pôles; & concluons de ces premières oblervaiions , que c[uand même on fuppoferoit que la terre e(t fortie des mains du Créateur parfiite- ment ronde en tout lens ( fuppolition gratuite & qui marqueroit bien le cercle étroit de nos idées ) , fon mouvement , diurne & celui du flux & du reflux au- 1 roient élevé peu à peu les parties de l'equateur, en y amenant fucceffivement ics limons , les terres , les coquillages , <Scc. Ainfi les plus grandes inégalités du globe doivent iè trouver & le trouvent en effet voifines de l'equateur; & comme ce mouvement de flux & de reflux fii) fq, (il) Voyez les preuves, art^ Xîl»
Théone cle h Terre, \ ïp
fc,'.i par des alternatives journalières ôz YcpéiéQS ians interruption ; il cil fort iic rurel d'imaginer qu'à chaque fois les eaax emportent d'un endroit à l'autre une petite quantité de matière , laquelle tonihéSenfuite comm.e un fédiment au ■ 'id de l'eau , &. forme ces couches
.illèies ik horizontales qu'on trouve i^.ir-tout ; car la totalité du mouvement des eaux dans le nux &: le reflux étant liorizontaîe , les matières entraînées ont îiccellaircnient fuivi la même direction &: fe font toutes arrangées parallèlement é. de niveau.
Mais , dira-t-on , comme îe mouve- ment du fîux & reflux ePc un balancement; égal des eaux, une efpèce d'ofciilation régulière , on ne voit pas pourquoi tout ne feroit pas compenfé , & pour- quoi les matières apportées par le flux ne leroient pas remportées par le reflux, êi. dès-lors la caufc de la formation des couches difparoît, & le fond de la mer doit toujours reucr le menie , le fîux détruifant les efîèts du reflux, & l'un & i'autre ne pouvant caufèr aucun mou^ venient, aucune altération fenfible dan$
12Ô Hïjloire Naturelle»
le fond de la mer, & encore moins ei\ changer la forme primitive en y produi- {àntdes hauteurs & des inécxalités.
o
A cela je réponds que le balancement des eaux n'eft point égal , puifqu'ij pro- duit un mouvement continuel delà mer de l'orient vers l'occident , que de plus i'agitation cauféc par les vents s'oppofè à l'égalité du flux & du reflux , & que de tous les mouvemens dont la mer eft fufceptible, il réfultera toujours des tranf- ports de terre & des dépôts de matières dans de certains endroits ; que ces amas de matières feront compofés de couches parallèles & horizontales , les combi- nailons quelconques des mouvemens de îa mer tendant toujours à remuer les terres & à les mettre de niveau les unes fur les autres dans les lieux où elles tom- bent en forme de fédiment ; mais de plus il efl aifé de répondre à cette ob- jedion par un fait , c'efl que dans toutes ies extrémités de la mer où l'on obfèrve îe flux & le reflux , dans toutes les côtes qui la bornent, on voit que le flux amène une infinité de choies que le reflux ne jremporte pas, qu'il y a des terreins que
fa mer
Théorie de h Terre. i 2 f
îa mer couvre infenfiblement (x), ôc d'autres qu'elle laifTe à découvert après y avoir apporté des terres , des {ables , des coquilles, &c. qu'elle dépofe, & qui prennent naturellement une lituation ho- rizontale , & que ces matières accumulées par la fuite des temps & élevées juf^ qu'à un certain point , fe trouvent peu à peu hors d'atteinte aux eaux , refient enfuite pour toujours dans J'état de terre sèche, & font partie des continens terreftres.
Mais pour ne îaifler aucun doute (ûr ce point important, examinons de près ia polîibilité ou i'impofïibilité de la for- mation d'une montagne dans le fond de îa mer par le mouvement ôi par le fé- diment des eaux. Perfonne ne peut nier que fur une côte contre laquelle la mer agit avec violence dans le temps qu'elle eft agitée par le flux , fès efforts réité- rés ne produi(ent quelque changement, & que les eaux n'emportent à chaque fois une petite portion de la terre de la côte , & quand même elle feroit bornée de rochers , on fait que l'eau ufè peu à /xj Voyez les preuves, art, XIX»
Tome I. f
fi 2 2 Hijioire Naturelle:
peu ces rochers (y), & que par confe-* quent elle en emporte de petites parties à chaque fois que la vague iè retire après s'être brilée : ces particules de pierre ou de terre , feront néceilîiirement tranlpor^ tées par les eaux jufqu'à une certaine diflance & dans certains endroits où îe mouvement de l'eau (è trouvant ra- knti , abandonnera ces particules à leur propre pefanteur , & alors elles Te pré- cipiteront au fond de l'eau en forme de fédiment, & là elles formeront une pre-^ r.iière couche horizontale ou hiclinée , fuivant la pofition de la furfàce du ter^ rein fur laquelle tombe cette première couche, laquelle fera bientôt couverte & furmontée d'une autre couche (em- Hable & produite par la même caule , &: înienfiblement il 1^ formera dans cet endroit un dépôt confidérable de ma-r tière , dont les couches feront pofées pa- rallèlement les unes fur les autres. Cet amas augmentera toujours par les noii^ veaux fédimens que les eaux y tranf- porteront , & peu à peu par fuccefîion de temps il fe formera une élévation , (jij \'ûyez les Voyages de Shaw, lome II, page ô'pt
Théorie de la Terre. i 2 ^
ime montagne dans k fond de In mer , qui lera entièrement lemblable aux cmi- nences & aux montagnes que nous con- noiffons fur la terre, tant pour ia corn- pofition intérieure que pour la forme extérieure. S'il fe trouve des coquilles dans cet endroit du fond de la mer, où nous fuppofons que fe fiit notre dépôt , les fédimens couvriront c^s coquilles &: les rempliront , elles feront incorporées dans les couches de cette matière dépo- lie , & elles feront partie des mafies for- r.îées par ces dépôts , on les y trouvera dans la fituation qu'elles auront acquife en y tombant, ou dans l'état où elles, auront été failles ; car dans cett-e opé- ration celles qui fe jleront trouvées au fond de la mer lorfque les premières, couches fe feront dépofées , fe trouve- ront dans la couche la plus balle , & celles qui feront tombées depuis dans ce même endroit, fe trouveront dans les couches plus élevées.
Tout de même, lorfque le fond de la mer fera remué par l'agitation des eaux , il fe fera nécefïïiirement àç.h tranfports de terre ? dç vafe , de coquilles & d'autres
Fi;
fi 24 fJiJloire Naturelle, matières dans de certains endroits o\i elles fe dépoferont en forme de fédU mens : or nous fomnies aflurés par les piongeurs (tJ , qu'aux plus grandes pro- fondeurs où iis puiflent defcendre , qui font de vingt brafles , le fond de la mer efl remué au point que i'eau le mêle avec la terre , qu'elle devient trou- ble , & que la vafe - &. les coquillages font emportés par le mouvement des eaux à des diftances confidérables : par conféquent , dans tous les endroits de la mer où l'on a pu de 1 cendre , il fe fait des tranfports de terre & de coquilles qui vont tomber quelque part, & former, en (e dépofant , des couches parallèles & des éminences qui font compofées comme nos montagnes le font ; ainfi le flux & le reflux , les vents , les courans & tous les mouvcmens des eaux pro- duiront des inégalités dans le fond de la mer , parce que toutes q^% caufcs dé- tachent du fond & à^s côtés de la mer , des matières qui fe précipitent enfuite en forme de fédimeus.
Au refte , il ne faut pas croire que ces (-Q Voyez Boyk's Works, vol, III, p, ajz.
Théorie de la Terre, 125'
tmnfports de matières ne puiiïênt pas (e fuie à des dilances confidérables , puif- quc nous voyons tous ies jours des grai- nes ik d'autres produélions des Indes orientales & occidentales arriver fur nos côtes (a); à ia vérité elles iont fpécifi- quementplus légères que l'eau, au lieu que les matières dont nous parlons font plus pefantes , mais comme elles font réduites en poudre impalpable , elles fe iouuendrom afiez long-temps dans l'eau pour être tranfportées à de grandes dif- tances.
Ceux qui prétendent que la mer n'efl pas remuée à de grandes profondeurs , ne font pas attention que le flux & le reflux ébranlent & agitent à la fois toute ia mafîe des mers , & que dans un globe qui feroit entièrement liquide il y auroit de l'agitation & du mouvement jufqu'au centre ; que la force qui produit celui du flux & du reflux , ^^i une force pé- nétrante qui agit fjr toutes les parties proportionnellement à leurs mafles ; qu'on pourroit mêm»e mefurer «Se déter-
(a) P'rticiiiièremerît fur les côtes d'ÉcofFe & d'Irlande. Voyez E^a/i Difcourjes.
F iij
120 Hifloire Naturelle.
miner par le caîcui la quantité de cette adion fur un liquide à différentes pro- fondeurs, & qu'enfin ce point ne peut être conteftë qu'en fe refuiant à Tévi- dence du raifonnement &l à la certitude des obfervations.
Je puis donc fuppofer légitime- ment que le iïux & le reflux , les vents & toutes les autres caufes qui peuvent agiter la mer , doivent produire par le mouvement des eaux , d^s éminences & des inégalités dans Je fond de la mer , qui feront toujours compofées de cou- ches horizontales, ou également incli- nées ; ces éminences pourroni avec le. temps augmenter confidérablement , & devenir des collines qui dans une lon- gue étendue de terrein , fe trouveront , comme les ondes qi-ù les auront pro- duites, dirigées du même fens , & for- meront peu à peu une chaîne de mon- tagnes. Ces hauteurs une fois formées, feront obdacle à l'uniformité du mou- vement des eaux , <Sc il en réfultera des mouvemens particuliers dans le mou- vement général de la mer : entre deux^ hauteurs voifuies il fe formera aéceffai-
Tlîécàe de la Terre: \ 27
rcmént un courant (b) qui fuivra leur direclion commune , & coulera comme coulent les fleuves de la terre , en for- mant un canal dont les angles feront alternativement oppofés dans toute l'é- tendue de ion cours. Ces hauteurs for- mées au - delTus de la iurface du fond pourront augmenter encore de plus en plus; car les eau>c qui n'auront cjue le mouvement du fîux dépoieront fur la cime le iédiment ordinaire , & celles qui obéiront au courant entraîneront au loin les parties qui le feroient dépofées entre deux, & en même temps elles creufè- ront un vallon au pied de ces monta- gnes, dont tous les angles le trouveront correfpondans , & par l'effet de ces deux mouvemens & de ces dépôts le fond de la mer aura bientôt été fillonné , traverfé de collines & de chaînes de jnontagnes , & femé d'inégalités telles que nous les y trouvons aujourd'hui. Peu à peu les matières molles dont les éminences étoient d'abord compofces , fe feront durcies par leur propre poids , les imes formées de parties purement (h) \'oyez les preuves^ an, XUL
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1 2 8 Hîjlotre Naturelle.
argileufes auront produit ces collines de giaife qu'on trouve en tant d'endroits, d'autres compofées de parties fablon- jieufes & crillallines ont fiùt ces énor- jnes amas de rochers & de cailloux d'où i'on tire le criftai & les pierres pré- cieufès ; d'autres faites de parties pier- reules mêlées de coquilles , ont formé ces lits de pierre & de marbres où nous retrouvons ces coquilles aujourd'hui ; d'autres enfin compofées d'une matière encore plus coquilleufe & plus terredre ont produit les marnes , les craies & les terres : toutes font pofées par lits , toutes contiennent des fu]3llance-s hétérogènes, îes débris des produélions marines s'y trouvent en abondance & à peu près fuivant le rapport de leur pefanteur, les coquilles les plus légères font dans les- craies , les plus pcfantes dans les argiles & dans les pierres , Ôl elles font remplies de la matière même des pierres & dts terres oti elles font renfermées ; preuve înconteflabîe qu'elles ont été tranfpor- tées avec fa matière qui les environne & qui les remplit , & que cette matière étoit réduite en particules impalpables ;
Théorie de la Terre. i "K^^
enfin toutes ces matières dont la fitua- tion s'ed établie par ie niveau des eaux de la mer , conlervent encore aujour- d'hui leur première pofition.
On pourra nous dire que la plupart éts, collines & des montagnes dont le fommet eft de rocher , de pierre ou de marbre, ont pour baie des matières plus légères ; que ce font ordinairement ou des monticules de gîaiie ferme <3c fo- Xiàç: , OU des couches de iabîe qu'on retrouve dans les plaines voifines jus- qu'à une diitance affez grande , & on nous demandera comment il eit arrivé c|ue ces marbres & ces rochei*s fe foient trouvés au - delTus de ces fables & de ces glaiiês. Il me paroît que cela peut s'expliquer afîez naturellement ; i'eau aura d'abord tranfporté la glaife ou le lable qui faiioit la première couche des côtes ou du fond de la mer, ce qui aura produit au bas une éminence compofée de tout ce lable ou de toute cette glaiie raffemblée ; après cela les m.atières plus fermes & pins pefantes , qui fe feront trouvées au - defibus , auront été atta- quées & iranfpoiiées par les eaux en
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[ï 3 o Hïfîoire Naturelle,
pouffière impalpable au-delTus de cette éniinence de glaile ou de labié, & cette pouiîiçre de pierre aura formé les ro- chers & les carrières que nous trouvons siu-defllis des collines. On peut croire qu'étant les plus pe fiâtes , ces matières étoieni autrefois au-déflous des autres , & qu'ejjes font, aujourd'hui au-defîus, parce qu'elles ont été enlevées & tranf- portées les dernières par le mouvement des eaux.
Pour confirmer ce que nous avons dit , examinons encore plus en détail la jfituadon des matières qui compofent cette première épaifîeur du globe ler- reflre, la feule que nous connoiflions, Les carrières font compofées de diffé- rens lits ou couches prefque toutes ho- TÎzontales ou inclinées fuivant la même pente , celles qui pofent fur des glaifes ou fur des baies d'autres matières folides , font fenfîblement de niveau , fur - tout dans les plaines. Les carrières où l'on trouve les cailloux & les grès difperfés , ont à la vérité wnç: pofuion moins ré- gulière , cependant l'uniformité de la Nature iie laiiTe pas de s'y recoanoître:
Tlîéorie Je la Terre: 131: tAr îa pofitioii horizontale ou toujours vAlement peach:inte des couches ie ^,Live dans les carrières de roc vit & dans celles des grès en grande mafie , elle n'eil ah.érée <3c imerronipue que dans les carrières de cailloux & de grès en petite mafie dont nous ferons voir que la formation eft poilérieure à celle de toutes les auires matières; car le roc •vif, le lablc vitrifiable , les argiles , les marbres , les pierres calcinables , les craies, les marnes , font touies difpofées par couches parallèles toujours horizon- tales , ou également inclinées. On re- connoît aifément dans ces dernières ma- tières la première formation , car les couches font exadlement horizontales & fort minces, & elles font arrangées les ime^ fur les autres comme les feulHcts d'un livre ; les couches de fable , d'ar- gile.molle, de glaife dure, de craie , de cociuilles , font auffi toutes ou horizon- tales ou inclinées fuivant la même p&me: le:> épaifieurs des couches font toujours les mêines dans toute leur étendue , qui fouvent occupe un efpace de plufieurs lieues, & que i'oa pourruit fuivre bien
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•I 3 2 Hîfloîre Naturelle.
plus îoîn fi l'on obfervoit exadement. Enfin toutes les matières qui compofent îa première épaifTeur du globe , font dirpofées de cette fliçon , & quelque part qu'on fouille, on trouvera des couches, & on fe convaincra par Tes yeux de la vérité de ce qui vient d'être dit.
Il faut excepter à certains égards les couches de fable ou de gravier entraîné du fommet des montagnes par la pente dç.s eaux ; ces veines de fable fe trouvent quelquefois dans les plaines où elles s'é- tendent même aiïez confidérablement , elles font ordinairement pofées fous la première couche de îa terre labourable , ÔL dans les lieux plats elles font de ni- veau comme les couches plus anciennes & plus intérieures ; mais au pied & fur la croupe des montagnes , ces couches de feble font fort inclinées , & elles fui vent ïe penchant de la hauteur fur laquelle elles ont coulé : les rivières & les ruif- féaux ont formé ces couches , &: en changeant fou vent de lit dans les plaines, ils ont entraîné & dépofé par -tout ces fables & ces graviers. Un petit ruijfTeau coulant des hauteurs voifmes fuffit, avec
Théorie de la Terre. l 3 J
îe temps, pour étendre une couche de iable ou de gravier fur toute la luper- ficie d'un vallon , quelque (pacieux qu'il ioit , & j'ai fouvent oblervc dans une campagne environnée de collines dont la balè efl de glalfe aulFi-bien que la première couche de la plaine, qu'au- deîius d'un ruifîeau qui y coule , la glaife fe trouve immédiatement fous la terre labourable , & qu'au-deflous du ruifTeau il y a une épaiiïeur d'environ un^pied de Iable fur la glaife, qui s'étend à une diftance confidérable. Ces couches pro- duites par les rivières & par les autres eaux courantes , ne font pas de l'an- cienne formation , elles le reconnoiiTent aifément à la différence de leur épaifl'eur, qui varie &: n'efl pas la même par-tout comme celles des couches anciennes, à leurs interruptions fréquentes , &. enfin à la matière même qu'il eil aifé de juger & qu'on reconnoît avoir été lavée, rou- lée &. arrondie. On peut dire la même chofe des couches de tourbes & de vé- gétaux pourris qui fe trouvent au-defîous de la première couche de terre dans \ts l-erreins marécageux; ces couches ne font
fr34 HiiJoire Naturelle: pas aiicfCiines , & elles ont été produites par l'eataireàieni iuccefîif des arbres & des plantes qui peu à peu ont combîé ces marais, il en cil: encore de même de ces couches limonneufès que l'inon- dation des fleuves a produites dans diiîe-* rens pays ; tous ces terrains ont été nou- vellement formés par les eaux courantes ou llagnantes , &. ils ne lui vent pas h pente égale ou le niveau aulîi exacte- ment que les couches anciennement produites par le mouvement régulier des ondes de la mer. Dans les couches que ies rivières ont formées , on trouve des coquilles fliiviatiles , mais il y en a peu de marines , & le peu qu'on y en trouve , eft briié , déplacé , ilolé ; au lieu que dan.-» ies couches anciennes ies coquilles marines fe trouvent en quantité , il n'y en a point de fluviatiles, & ces coquilles de mer y font bien conlervées & toutes placées de la même manière , comme ayant été tranfportées & pofecs en même te.nps par la mêine caule ; & en e^tet, pourquoi ne trouve-t- on pas les ma- tières entaiTécs irréo-ul'èrement , au lieu I ^
de ies trouver par couches î pourquoi
Théorie âe la Terre. 135^
les marbres , les pierres dures , ïes craies, ies argiles , les plâires , les marnes , &c, ne lonr - ils pas dirperfés ou joims par couches irrégulières ou verticales î pour- quoi ies choies pelantes ne font-elîes pas toujours au-defTous des plus légères \ 11 efl: ailé d'apercevoir que cette unifor-- mité de la Nature , cette efpèce d'orga- iiilation de ia terre, cette jondion des différentes matières par couches paral- lèles & par lits, lans égard à leur pelan- teur , n'ont pu être produi'tes que par une caufe auiïi ruilTante &: auffi conf- iante que celle de l'agitation des eaux de kl mer , ioit par le mouvement réglé des ven-s, ibit par celui du fîux &. du reflux, &.C.
Ces caidcs agilTent avec plus de force Ibus i'équateur que dans les autres cli- mats , car [es vents y font plus conflans &: les marées plus violentes que par-tout ailleurs ; auiïi les plus grandes chaînes de montagnes font voidnes de l'Equateur : ies montagnes de l'Afrique & du Pérou font ks plus hautes qu'on connoifle , & après avoir traverié des cominens entiersj, elles s'étcudent encore à des dUlaiice^
1^6 Hi flaire Naturelle.
très-conficlérabies fous les eaux de la mer occane. Les montagnes de l'Europe & de i'Afie qui s'étendent depuis l'Efpagne jufqu'à la Chine , ne font pas aufîi éle- vées que celles de l'Amérique méridio- nale & de l'Afrique. Les montagnes du nord ne font , au rapport des Voya- geurs, que des collines en comparaifon de celles des pays méridionaux ; d'ail- leurs le nombre des îles cft fort peu confidérable dans les mers feptentrio- naîes , tandis qu'il y en a une quantité prodigieufè dans la zone torride ; & comiîic une île n'eft: qu'un foni met de montagne, il eft clair que la furface de ia terre a beaucoup plus d'inégalités vers l'équateur que vers le nord.
Le mouvement général du flux &: du reflux a donc produit les plus grandes montagnes qui fe trouvent dirigées d'oc- cident en orient dans l'ancien continent, & du nord au fud dans le nouveau , dont les chaînes font d'une étendue très- confidérable , mais il faut attribuer aux mouvemens particuliers des courans , des vents & des autres apfîtations irrétru- iières de ia mer , l'origine de toutes les
Théorie de la Terre. 137
autres montagnes ; elles ont vraifen.- blableinent été produites par la corn- binailon de tous ces inouveinens , dont on voit bien que ies effets doivent être variés à l'infini , puifque les vents , fa pofition différente des fies & des côtes ont altéré de tous les temps & dans tous ies fens poilibles la diredion du flux & du reflux des eaux ; ainii il n efl pc int étonnant qu'on trouve fur le globe ( e; éminences confidérables dont ie cours efl dirigé vers différentes plages : il iufïit pour notre objet d'avoir démontré que ies montagnes n'ont point été placées au hafard , & qu'elles n'ont point été produites par des tremblemens de terre ou par d'autres caufès accidentelles , mais qu'elles font un effet rciultant de l'ordre général de ia Nature , auffi-bien que i'efpèce d'organifation qui leur eft propre & la pofition des matières qui ia compofent.
Mais comment efl- H arrivé qvie cette terre que nous- habi ons , que nos an- cêtres ont habitée comme nous, qui de temps immémorial efl un continent fec , fenne & éloigné des mers , ayant été
^138 Hiflokc Naturelle.
îiuîrefois un fond de mer, foit acflueîle- inent lupérieur à loutes les eaux & en foit fi didindemeiit iépurëe ' pourquoi ies eaux de la mer n'ont-elies pas relié iur ccLie terre , [juirqu'elles y ont ié- jounié fi ioiig-iemps \ quel accident , queiie cauie a pu produire ce ciiange- nientd.insle globe! e(l-iî même poltible d'en concevoir une aflez puifÏÏmte pour opérer un tel effet î
Ces queftions font difnciies à réfou- drc , mais les faits étant certains , la manière dont ifs font arrivés peut de- meurer inconnue fins préjudicier au jugement que nous devons en porter ; cependant fi nous voulons y réfléchir , nous trouverons par indu(flion des rai- {bnstrès-pfaufibîes de ces changemens/Vy', Nous voyons tous ies jours la mer ga- gner du terrein dans de certaines côtes & en perdre dans d'au res ; nous fa- voris que l'Océan a un mouvement générai & continuel d'orient en occi- dent , nous en endons de loin les efforts terribles que la mer fiit contre les baf^ {ç.s terres & contre les rochers cjui la (c) Voyez les preuves , art* XIX*
Thème de la Terre. 13P bornent, nous connoiflons des provinces ciuieres où on ell: obligé de lui oppoicr des digues que rinduftrie humaine a };icn de la peine à foutenir contre la fu- reur des flots , nous avons des exemples de pays récemment iiibmergés , & de débordemens réguliers; l'Hiitoire nous parle d'inondations encore plus grandes ai de déluges : tout cela ne doit -il pas nous porter à croire qu'il eft en eftet nrrivé de grandes révolutions fur la fur- fàce de la terre , & que la mer a pu quitter & laifler à découvert la plus grande partie des terres qu'elle occu- poit autrefois î Par exemple , fi nous nous prêtons un inftant à iuppofer qii^e i'ancien & le nouveau monde ne fû- foient autrefois qu'un feul continent , & que par un violent tremblement de terre le terrein de l'ancienne Atlantique de Platon le foit affiiifîee , la mer aura iiéceflairement coulé de tous côtés pour former l'Océan Atlantique, & par con- féquent aura laiiïe à découvert de vaftcs continens qui font peut-être ceux que nous habitons ; ce changement a donc pu fe luire tout ~ à - coup par l'afFaiiîe-
140 HiJIoire Naturelle» ment de quelque vafte caverne dans l'intérieur du globe , & produire par conféquent un déluge univerfel ; ou.. bien ce changement ne s'eft pas fait tout- à-coup , & il a fàilu peut-être beaucoup de temps, mais enfin il s'eft fait, & je crois même qu'il s'eft fait natureliemeni ; car pour juger de ce qui cft arrivé & ïnême de ce qui arrivera, nous n'avons qu'à examiner ce qui arrive. Il eft cer- tain par les obfervations réitérées de tous les voyageurs /d), que l'Océan a un mouvement coniiant d'orient en occi- chent ; ce niouvement fe fait ientir non- feulement entre les tropiques , comme celui du vent d'eft , mais encore dans toute i'éîendue dts zones tempérées & froides où l'on a navigué : il fuit de cette obfervation qui eft conftante , que la mer Pacifique fait un eftbrt continuel contre les côtes de la Tanarie , de la Chine &. de l'Inde ; que l'Océan In- dien fiit effort contre la côte orientale de l'Afrique , & que l'Océan Atlantique agit de même contre toutes les côtes orientales de l'Amérique; ainfi la mer.
(dj Voyez Varcrt, Gco^r, gcn. pag. 119.
Tkécr'ie de h Terre, 141'
â dû & doit toujours gagner du terreiri fur les côtes orientales , & en perdre fur ies côtes occidentales. Cela feui fuffiroit pour prouver la poflibilité de ce chan- gement de terre en mer & de mer e^i terre ; & fi en effet il s'efl: opéré par ce mouvement <S^% eaux d'orient en occi- dent , comme il y a grande apparence , ne peut -on pas conjedurer très-vrai- femblablement que le pays le plus ancien du monde efl: i'Afie & tout le continent orientai î que l'Europe au contraire & une partie de l'Afrique , & fur-tout les côtes occidentales de ces continens , comme l'Angleterre, la France , i'Ef- -pagne, la Mauritanie, &c. font des terres plus nouvelles î L'hifloire paroît s'ac- corder ici avec la Phyfique , & confir- mer cette conjedure qui n'eft pas fans fondement.
Mais il y a bien d'autres caufcs qui concourent avec le mouvement conti- nuel de la mer d'orient en occident pour produire l'effet dont nous parlons. Combien n'y a-t-il pas de terres plus baffes que le niveau de la mer & qui ne font défendues que par un ifthmc ,
^1^2 HiJîoJre TSIaturelk:
lîii banc de rochers , ou par éQS> (ïiax^t^ encore plus foibles \ l'etfort des eaux de'truira peu à peu ces barrières , cc dès-lors ces pays feront lubmergcs. De plus , ne lait-on pas que les montagnes s'abaiffent continuellement ( e) par les pluies qui en détachent les terres & les entraînent dans les vallées ! ne lait - on pas que les ruifîeaux roulent les terres des plaines & des montagnes dans les fîeuves , qui portent à leur tour cette terre fuperfîue dans la mer î ainfi peu à peu le fond des mers (è remplit , la fur- fiice des continens s'abai(îe & fè met de niveau, & il ne fiuit que du temps pour ^.ÇL la mer prenne fuccefîivement la place de ia terre.
Je ne parle point de ces cau(es éloi- gnées qu'on prévoit moins qu'on ne ies devine, de ces fècouiïes delà Nature cfont le moindre effet feroit fa catallro- phe du monde ; le choc ou l'approche d'une comète , l'abfence de la lune , Ja prélence d'une nouvelle planète , &c, îbnt des fuppofuions fur lefquelles il efl
(e) Voyez Ray' s Dijcourfcs , page 226, Plot^ Bijl. Naî. ifc, ' '
ThéoAe de la Terre. \^f
aîfé de donner carrière à {ou imagina- tion; de pareilles caufes produiient tout ce qu'on veut , & d'une feule de ces hy- pothèies on va tirer mille romans phy- fiques que leurs Auteurs appelleront Théorie de la Terre. Comme hilloriens, nous nous refufons à ces vaines fpe'cu- lations , elles roulent fur des pofîjbilite's qui , pour le réduire à l'ade , fuppofent un bouieverfement de l'Univers , dans iequel notre globe, comme un point de matière abandonnée , échappe à nos yeux & n'eft plus un objet digne de nos recrards ; pour les fixer il faut le prendre tel qu'il eil: , en bien obferver toutes les parties , & par des indudions conclure du préfent au pafîé ; d'ailleurs des caufes dont l'effet eft rare , violent & fubit , .ne doivent pas nous toucher , elles ne le trouvent pas dans la marche ordinaire de la Nature , mais des efiets qui arri- vent tous les jours, des mouvemens qui fe fuçcèdent & le renouvellent fans in- terruption , des opérations confiantes & toujours réitérées, ce lont-là nos caufes ^ nos raifons.
Ajoutons - y des exemples , comb i-
'î44 H'iflohe Namrelle, nous la cauie générale avec les caufès particulières, & donnons des faits dont ie détail rendra fenfibles les difFérens chancremens qui font arrivés fur le globe , foit par l'irruption de l'Océan dans les terres , foit par l'abandon de ces mêmes terres , lorfqu'elles fe font trou- vées trop élevées.
La plus grande irruption de i' Océan dans les terres (f) efl celle qui a produit- la mer Méditerranée (g); entre deux promontoires avancés (hj, l'Océan coule avec une très-grande rapidité par un paiïàge étroit , & forme enfuite une valte mer, qui couvre un efpace , le- quel, fans y comprendre la mer Noire, efl environ fept fois grand comme ia France. Ce mouvement de l'Océan par le détroit de Gibraltar eft contraire à tous les autres mouvemens de la mer dans tous les détroits qui joignent l'Océan à l'Océan; car le mouvement général de la mer eft d'orient en occi- dent, & celui-ci fèul eft d'occident en
(f) Voyez les preuves , art. XI iT XIX,
(g) Voyez Ray s Difcmrfes , page 209.
(h) Voyez Tranjf, PhiU drigd. vol. II , pge i Rçj
orient ^
théorie de la Terre. 1 4 J
©rient, ce qui prouve que la mer Mé- diterranée n'eft point un golfe ancien de l'Océan, mais qu'elle a été formée par une irruption des eaux , produite par quelques cauies accidentelles, comme feroit un trcmblemicnt de terre, lequel auroit affaiffé les terres à fendroit à\X détroit, ou un violent effort de l'Océaii caufé par ies vents, qui auroit rompu la digue entre les promontoires de Qi- I)raltar & de Ceuta. Cette opinion efl appuyée du témoignage des Anciens //^^ qui ont écrit que la mer Méditerranée n'exifioit point autrefois, & elle elî , comme on voit, confirmée par FHif- toire Naturelle, & par les observations qu'on a fiites fur la nature des terres à la côte d'Afrique & à celle d'Efpagne où l'on trouve les mêmes lits de pierre , ies mêmes couches de terres en deçà & au-deià du détroit, à peu près comme dans de certaines vallées où les deux col- lines qui les fur montent fe trouvent être compofées des mêmes matières & au même niveau.
L'Océan s'étant'donc ouvert cettQ
(î) Diodore de Sicile, Strabon.
1^6 Hifloire Naturelle.
porte , a d'abord coulé par le détroit avec une rapidité beaucoup plus (grande qu'il ne coule aujourd'hui , & il a inondé le continent qui joignoit l'Europe à l'Afrique; les eaux ont couvert toutes ies baiîes terres dont nous n'apercevons aujourd'hui que les éminences & les fomniets dans l'Italie, & dans les îles dç Sicile, de Malte, de Gorfe, de Sar^, daigne, de Chipre, de Rhodes & de l'Archipel.
Je n'ai pas compris la mer Noire dans cette irruption de l'Océan, parce qu'il paroît que la quantité d'eau qu'elle re- çoit du Danube, du Niéper, du Don & de piufieurs autres fleuves qui y en- trent, efl plus que fuffiduite pour la for- mer, & que d'ailleurs elle coule (k) avec une très-grande rapidité parle Bofphore dans la mer Méditerranée. On pourroit même préiumer que la mer Noire & la mer Cafpienne ne fail oient autrefois que d«gux grands lacs qui peut-être étoient joints par un détroit de communication, ou bien par un marais ou un petit laç qui réunifl oient les eaux du Don & du
(hj Voyez Tranf. Phil.Abrig'd. Vol. II; page 2 89,
Théorie de h Terre, 1 47'
Volga auprès de Tria , où ces deux fleuves font fort voifins l'un de l'autre , & l'on peut croire que ces deux iners ou ces deux lacs étoient autrefois d'une bien plus grande étendue qu'ifs ne ibnt aujourd'hui : peu à peu ces grands fleu- ves, qui ont leur embouchure dans la mer Noire & dans ia mer Calpienne, ^auront amené une aflez grande quantité "de terre pour fermer la communication, remplir le détroit & féparer ces deux lacs; cir on (ait qu'avec le temps les grands fleuves reHipliflent les mers & forment des continens nouveaux , comme la province de l'embouchure du fleuve Jauneà la Chine, la Louifiancà l'embou- chure du Mifljfllpi, & la partie fepten- trionale de l'Egypte qui doit fon ori- gine (l) & fon exiflence aux inondations du Nil (m), La rapidité de ce fleuve ea traîne les terres de fintérieur de l'Afri- que , & il les dépofe enfuite dans les dé- bordemens en fi grande quantité , qu'on peut fouiller juiqu'à cinquante pieds
(l) Voy. les Voyages de Shaw, vol. Il, p^g^i /^S jufquà la y âge i 88.
(m) Voyez les preuves, an, XIX.
Gij
'14S hîjlohe Nûîureïïe.
dans l'épaiileur de ce limon dépofé pnr îcs inondations du Nil ; de même les terreins de la province de lu rivière Jaune & de Iîi Louifiane ne fe font for- me's que par le limon des fleuves.
Au relie , la mer Cafpienne eft acflueP îement un vrai lac qui n'a aucune com- iiiunication avec les autres mers , pas même avec le lac Aral qui paroit en avoir fliit partie , & qui n'en efl féparé que par un vafle pays de fable, dans le- quel on ne trouve ni fleuves , ni rivières , ^i aucuji canal par lequel la mer Cas- pienne, puifTe verfer (es eaux. Cette mer n'a donc aucune communication exté- rieure avec les autres mers , & je ne fais fi l'on efl: bien fondé à foupçonner qu'elle en a d'inte'rieure avec la mer Noire ou avec le golfe Perfique. II eu vrai que la mer Çaipienne reçoit le Volga ÔL pluficurs autres fleuves qui fembient lui fournir plus d'eî^u que l'é- vapcration n'en peut enlever, mais in- dépendamment de la difficulté de cette (eflimation , il paroïtquc li elle avoît com- Biunication avec l'une ou l'autre de ces ^rs , on y auroit reconnu uii couraa|
Théorie de la Terre, 1491
rapide & coudant qui entraîncroît touf vers cette ouverture qui lerviroit de dë-= charge à les eaux , & je ne fâche pas qu'on ait jamais rien obfervé de fem- blabie lur cette mer; des Voyageurs exads, fur le témoignage defqueis on peut compter , nous alfurent le contraire, & par conféquent ii eil nécefîliire que 1 evaporation enlève de ia mer Caipienne une quantité d'eau égaie à celle qu'elle reçoit^
On pourroit encore conjecPcurer avec quelque vrailembiance, que ia mer Noire fera un jour féparée de ia Méditerra- née, & que le Boipiiore fe remplira iorl- que les grands fleuves qui ont leurs em^ boucliures dans ie Pont-Euxin , auront amené ime afTez grande quantité de terre pour fermer ie détroit ; ce qui peut arri-' ver avec le temps , & par la diminution fucceflive des fleuves , dont ia quantité des eaux diminue à mefure que les mon- tagnes & les pays élevés dont ils tirent leurs fources , s'abaiflent par le dépouil- lement des terres que les pluies entrai-^ lient & que les vents enlèvent.
La mer Cafpienne (Se la mer Noire
G ii]
'I 5 o FTîfloke NatiireUe»
doivent donc être regardées pîutot comme des lacs que comme des mers ou des goifès de i' Océan; car elles reiïemblent à d'autres lacs qui reçoi- vent tm grand nombre de fleuves & qui ne rendent rien par les voies exté- rieures, comin\e la mer Morte , plufieurs lacs en Afrique, &:c. D'ailleurs les eaux de ces deux jçners ne font pas à beaucoup prèsauffifaiées que celles de la Méditer- ranée ou de l'Océan; & tous les voya- geurs afiurent que la navigation efl: très- diiïicile fur la mer Noire & (ur la mer Cafpienne, à caufe de leur peu de pro- fondeur & de la quantité d'écueils & de bas-fonds qui s'y rencontrent, en forte qu'elles ne peuvent porter que de petits A^aiiïeaux (n); ce qui prouve encore qu'elles ne doivent pas être regardées comme des golfes de l'Océan, mais- comme des amas d'eau fermés par les grands fleuves dans l'intérieur des terres. Il arriveroit peut-être une irruption confidérable de l'Océan dans les terres, fi oncoupoiti'ifthme qui fépare l'Afrique
(n) Voyez les voyages de Pietro délia Vaile^ vol 111, jyage z^6^
Théorie 'de la Terre. i 5 t de î'Afie, comme les Rois dTgypte , & depuis ies Califes en ont eu le projet ; & ie ne lai fi le canal de communi- cation quon a prétendu reconnoitre entre ces deux mers, eft aiïez bien conftaté, car la mer Rouge doit être plus élevée que la mer Méditerranée; cette mer étroite eft un bras de l'Océan qui dans toute Ton étendue ne reçoit aucun fleuve du côté de l'Egypte, & fort peu de l'autre coté : elle ne fera donc pas fujète à diminuer comme les mers ou es lacs qui reçoivent en même temps les terres & les eaux que les fleuves y ame^ nent, & qui fe remplifTent peu à peu. L'Océan fournit à la mer Rouge toutes feseaux, &le mouvement du flux & du reflux y eft extrêmement fenfible; amii e'ie participe immédiatement aux grands mouvemens de l'Océan. Mais la mer Méditerranée efl plus bafi'e que l'Océan, puifque les eaux y coulent avec une très- p-rande rapidité par le détroit de Gibral- far: d'ailleurs elle reçoit le Nil qui coule parallèlement à la côte occidentale de h mer Rouge & quitraverfe l'Egypte dans toute fa longueur, dont le terrem eit
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I 5 2 Hïfloire Naturelle. par lui-même extrêinement bas ; aînfi lî eil très-vrailemblabîe que fa mer Rouge ^'à plus élevée que la Méditerranée, & que ù on otoit la barrière en coupant i^illhme de Suez, il senfuivroit une grande inondation & vaiq augmentation confidérable de ia mer Méditerranée, à inojns qu'on ne retint les eaux par des dîgues & des éclufes de diflance en dif^ tance , comme il eil à préflimer qu'on i a {m autrefois , fi i'^mcien canat de communication a exiilé.
Mais fims nous arrêter plus lono-- temps à des ccnjedures qui , quoique fondées, pourroient paroître trop ha- iardées, ^fur-tout à ceux qui ne juaenî t^es pollibilirés que par les évènenTens aduels, nous pouvons donner des exem- ples récens & des fiits certains , liir le ^^hangemcnt de mer en terre fo) &. de terre en mer. A Y enife le fond de la mçr Adriatique s'élève tous les jours, & il y a déjà long-temps que les lagunes & la yûk feroient partie du conttiient, fi on n avoit pas un très-grand Ibin de net- toyer & vider les canaux : il en clt de ("oj Vo) ez les prouves, «r/. A'IX.
Théorie de la Terre. 153
même de la plupart des ports , à^s petites baies & des embouchures de toiues les rivières. Y^n Hollande , le fond de la mer s'élève aufli en plufieurs endroits , car le petit golfe de Zuyderzee & îc détroit du Texel ne peuvent plus rece- voir de vaiiïeaux aufii grands qu'autre- fois. On trouve à i embouchure de pret^ que tous les fleuves, des îles, des labiés, des terres amoncele'es & amenées par les eaux , & il n'eft pas douteux que la mcv ne le remplifîe dans tous les endroits où elle reçoit de grandes rivières. Le Rhin fe perd dans les labiés qu'il a lui-même îiccumuîés; le Danube, le Nil & tous îes grands fleuves ayant entraîné beau- coup de teiTern, n'arrivent plus à la mer par un ieul canal, mais ils ont plufieurs bouches dont les intervalles ne font rem- plis que des iables ou du limon qu'ils ont chariés. Tous les jours on defsèche des marais, on cukive des terres aban- données par la mer, on navige iur des pays fubmergés; enfin nous- voyons fous nos yeux d'affez grands changemens de terres en eau & d'eau en terres, pour être afî Lires que cei changemens fe font faits j.
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î 5 4 Hijloîre Naturelle,
fe font & le feront , en forte qu'avec îe temps les golfes deviendront des conti- ncns , les ilthmes feront un jour d^s détroits, les marais deviendront des terres arides, & les fommetsdenos montagnes les écueiis de la mer.
Les eaux ont donc couvert & peuvent encore couvrir fuccelTivement toutes les panies des continens terreftres , & dès-lors on doit ceffer d'être étonne de trouver par-tout des produdions ma- rines & une compofition dans l'intérieur qui ne peut être que l'ouvrage des eaux. Nous avons vu comment fe font formées les couches horizontales de la terre , mais nous n'avons encore rien dit des fentes perpendiculaires qu'on remarque dans ies rochers , dans les carrières , dans les argiles , &:c. & qui fe trouvent aufîl généralement fp) que les couches hori- zontales dans tomes les matières qui compofent le globe ; ces fentes perpen- diculaires font à la vérité beaucoup plus éloignées les unes des autres que les couches horizontales , & plus les matières font molles, plus ces fentes paroiffeiit être
(pj Voyez les preuves , art, JCVIU
Théorie de la Terre, i j 5 éloignées les unes des autres. II eft fort ordinaire dans les carrières de marbre ou de pierre dure, de trouver des fentes i^erpendiculaires, éloignées feulement de quelques pieds ; fi la mafle des rochers eil fort grande , on les trouve éloignées de quelques toifes , quelquefois elles defcendent depuis le fommet des rochers jufqu'à leur bafe, fouvent' elles fe ter- minent à un lit inférieur du rocher , mais elles font toujours perpendiculaires aux couches horizontales dans toutes les ma- tières calcinabies , comme les craies , les marnes, les pierres, les marbres, &c. au lieu qu elles font plus obliques & plus irrégulièrement pofées dans les matières vitriîiables, dans les carrières de grès & les rochers de caillou , où elles font in- térieurement garnies de pointes de crif- tal, & de minéraux de toute efpèce ; & dans les carrières de marbre & de p'erre calcînable , elles font remplies de fjoar, de gypfe , de gravier & d'un fible ter- reux , qui eil bon pour bâtir, & qui contient beaucoup de chaux; dans les argiles, dans les craies, dans les marnes & dans toutes ki autres efpèces de terre ,
G vj '
'i')6 Hîjîoke Naturelle. a l'exception des tufs , on trouve cey tentes perpendiculaires, ou vides, ou remplies de quelques matières que l'eair y a conduites.
Il me iemble qu'on ne doit pas aller chercher loin la caulè & l'origine de ces fentes perpendiculaires ; coinmc toutes les matières ont été aoîenées & dépofées par les eaux, il cfl naturel de penfer qu'elles étoient détrempées & qu'elles contenoient d'abord une grande quan- tité d'eau , peu à peu elles fe font dur- cies & reiîuyées, & en iedefféchant elles ent dimmué de volume, ce qui les a fm lendre de diliance en d^mct , elles -^ni dû le fendre perpendiculairement tarce que l'action de la peiànteur des parties les unes fur lus autres , eft nulle «îans cette dueclîon , & qif au contraire m\i^ efl tout-à-fiit oppoiée à cette difrup- rwnd^nsh fituation horizontale ,. ce qui ® fait que la diininution de volume n'a |)u avoir d'effets fenfibles que dans la direclion verticale. Je dis que c'eft h dimmuûon du volume par le deiïéchel Kient qui feule a produit ces fentes per- pendiculaires , &que ce iVeiî pas4 cw
Théoùe de h Terre. l^f Contenue dans l'inténeur de ces matières; qui a cherché des iffues & qui a formai
CCS
... fentes; car j'ai fouvent obierve que ies deux parois de ces fentes le re^ pondent dans toute leur hauteur aulif exactement que deux morceaux de bois qu'on viendroit de fendre; îeuï inté- rieur eft rude , & ne paroit pas avoir cffuyé le frottement des eaux qui au- roient à la longue poli & uie les lur- faces; ahifi ces fentes le font fûtes ou tout-à-coup ou peu à peu par le délie- chement , comme nous voyons les ger- çures le faire dans les bois , & la plus orande partie de l'eau s'cll évaporée par fes pores. Mais nous ferons voir dans notre difcours fur les minéraux, qu li refte encore de ceue eau primitive dans ks pierres & dans plufieurs autres ma^ tières , & qu'elle fert à la produdion des eriftaux 'dts minéraux & de plufieurs autres fubftances terreflres.
L'ouverture de ces fentes perpencR- culaires varie beaucoup pour la gran- deur, quelques-unes n'ont qu'un demi- pouce , un pouce , d'autres ont un pied ^ dtux pieds , il y en a qui ont quelque o^
i 5 8 Hïfioire Naturelle, plufieurs toiles, & ces dernières forment entre les deux parties du rocher ces pré- cipices qu'on rencontre fi fouvent d.ns i^s Alpes & dans toutes ies hautes mon- tagnes. On voit bien que celles dont l'ou- verture efl petite, ont été produites par le leuldefTéchement, mais celles qui pré- lentent une ouverture de quelques pieds de largeur ne fe font pas augmentées à ce point, par cette feule caufe, c'eflauffi parce que la bafequi porte le rocher ou les terres fupérieures , s'efl affaiffée un peu plus d'un côté que de l'autre, & un petit affiiilTement dans la bafe mr exemple, une ligne ou deux, fuffit pour produire dans une hauteur confidérable des ouvertures de pîufieurs pieds, &: même de piufieurs toifes : quelquefois aulli \qs rochers coulent un peu fur leur baie de glaife ou de fable , & les fentes perpendiculaires deviennent plus grandes par ce mouvement. Je ne parle pas en- core de ces la t-ges ouvertures, de ces énormes coupures qu'on trouve dans les rochers & dans les montagnes; elles ont été produites par de grands affai/Te- iuens, comme feroit celui d'une caverne
Théorie de la Terre', 155
mtérieure qui ne pouvant plus foutcnir ie pokls dont elle efl: chargée , s'affiiifTe &: laifle un intervalle confidérable entre les terres fupéneures. Ces intervalles fpnt différens des fentes perpendiculaires , ils paroiflènt être des portes ouvertes par les mains de la Nature pour la commu- nication des nations. C'eft de cette fiiçon que (è prélentent les portes qu'on trouve dans les -chaînes de monta ornes & les ou- vertures des détroits de la mer , comme les Thermopyles, les portes du Caucafe, des Cordillères , &c. la porte du détroit de Gibraltar entre les monts Calpe & Abyla, la porte de l'HelIelpont, &:c. Ces ouvertures n'ont point été formées par la fimple féparation des matières , comme les fentes dont nous venons de parler (q)^ mais par l'affaifTement & la deftrudion d'une partie même d^s terres, qui a été engloutie ou renverfée.
Ces grands affailTemens , qtioique produits par des caufes accidentelles & fecondaires (r) , ne laiiïent pas de tenir une des premières places, entre les pria-
(q) Voyez les preuves, art, XV IL
(r) Voyez iàm^
'l6o Hifloire^K!aîurene. cipaux fliits de i'hiftoire de la Terre, & lis n'ont pas peu contribué à chanoer ia£ice du globe. La plupart iont ca^Ii- i^s par des feux intérieurs, dontl'explc^ iion fait les trembieniens de terre & les volcans, rien n'eit comparable à ia force de ces matières enflammées & reffcrrées (f) A'àmX^ fcin de la terre, on a vu des- villes entières englouties, des provinces i^ouleverlées, des montagnes renverfces par leur elFort ; mais quelque grande que ioit cette violence , cS. quelc|ue prodigieux que nous en paroilîent les effets, îl ne f|iut pas croire que ces feux viennent d un feu central , comme quelques Au- teurs l'ont écrit, ni même qu'ils viennent dune grande profondeur, comme c'eft i opinion commune; car l'air ^?i abfo- ïunient nécefî^iire à leur embrafement , au moins pour l'entretenir. On peur s aiTurer en examinant les mcHières oui iortent d^s volcans dans les plus vio- lentes irruptions , que le foyer de \x matière enflammée nV-il pas à une grande
7n^ FU Abn^,, Voi. \\, p. 3 c, ;. R^^^ -, ^.,,,,.,. pag. 272.^ fc^ ^ 4' i
*Tlicor\e de la Terre, l6t
profondeur , Si que ce font des matières feinbla}3les à celles qu'on trouve fur la croupe de ia montagne , qui ne font dé- figurées que par ia calcinaiion & la fonte des parties métalliques qui y font mêlées; & pour fe convaincre que ces matièr^àr jetées par les volcans ne viennent pas d'une grande profondeur, il n'y a cjii'à fiiire attention à la hauteur de ia mon- tagne , & juger de la force immenfe qui feroit néceflaire pour pouffer des pierres Si des minéraux à une demi-lieue de hau- teur; car l'Etna, i'Hécla &. plufieurs autres volcans ont au moins cette éléva- tion au- de (fus des plaines. Or on fait que l'action du feu le fait en tout fens ; die ne pourroit donc pas s'exercer en haut avec une force capable de lancer de groffes pierres à une demi-lieue en hau- teur, ians réagir avec la même force en bas &: vers les côtés , cette réaclion auroiî bientôt détruit &l percé la montagne de tous côtés, parce que les matières qui la compolent ne font pas plus dures cjue celles qui font lancées ; & comment imaginer que la cavité qui fert de tuyau OU de canon pour conduire ces matières
I 62 HïjîoWe Naturelle, j^rqu'à l'embouchure du voican , pui/Te réfifter à une fi grande violence î d'ail- leurs fi cette cavité defcendoit fort bas , comme l'orifice extérieur n'efl pas fort grand, il feroit comme impoflible qu'il en fortît à la fois une auffi grande quan- tité de matières enflammées & liquides , parce qu'elles fe choqueroi-ent entr'elles & contre les parois du tuyau, & qu'en parcourant un efpace auffi long, elles s'éteindrolent & fe darciroient. On voit fouvent couler du fommet du volcan , dans les plaines, des ruiiïeaux de bitume & de foufi-e fondu qui viennent de l'in- térieur, & qui font jetés au dehors avec ies pierres &les minéraux. Eft-il naturel d'imaginer que des matières ù peu fo- iides , & dont la maffe donne fi peu de prife à une violente adion , puiiïent être lancées d'tme grande profondeur! Toutes les obfervations qu'on fera fur ce fujet, prouveront que le feu des volcans n'en pas éloigné du fommet de la mon- tagne, & qu'il s'en faut bien qu'il ne defcende au niveau des plaines (tj. Cela n'empêche pas cependant que (t) Voyez Borelli, de Incendiïs y£tm, iTc.
Théorie de la Terre. 163
fon n(5i:ion ne fe faffe feniir dans ces piaines par des (ecouiïes & des tremble- mens de terre qui s'étendent queiquefois à une très -grande dillance, qu'il ne puifTe y avoir des voies fouterraines par où la flamme & la fumée peuvent fe communiquer d'un volcan à un autre (u)^ Si que dans ce cas ils ne puiflent agir & s'enflammer prefqu'en même temps; mais c'efl du foyer de i'embrafement dont nous parions , il ne peut être qu'à une petite diflance de la bouche du vol- can , ÔL il n'eft pas nécefîaire pour pro- duire un tremblement de terre dans la plaine , que ce foyer foit au-deflous du "niveau de la plaine , ni qu'il y ait des cavités intérieures remplies du même feu ; car une violente explofion , telle qu'efl celle du volcan , peut , comme celle d'uii magafm à poudre, donner une fecoufle affez violente pour qu'elle produife par fa réadion un tremblement de terre.
Je ne prétends pas dire pour cela qu'il n'y ait des tremblemens de terre produits immédiatement par des feux fouterrains ,
fuj Voyez Traîi/, PhiL Ahrî^'dy voi. H; p. 3 9s*
^l ^4 Hipolre Naturelle, mais il y en a qui viennent de la feuîe cy- ploiion des volcans (x). Ce qui confirme tout ce que je viens d^lv^ncer à ce iujet ceft qu'il elt très-rare de trouver dtl volcans dans les plaines , ils font au con- traire tous dans les pkis hautes monta- gnes, & ont tous leur bouche au fom- niet: fi le feu intérieur qui les confume s etendoit jufque deffous ks plaines, né le verroit-on pas dans le teinps de ces violentes éruptions s'échapper & s ou- vrir un paffiige au travers du terreiji des plaines ; & dans le temps de la première éruption ; ces feux n'auroient -^ ils pis puuôt percé dans les plaines <Si au pied des montagnes où ils n'iiufoient trouve qu unefoibleréfiiiance, en comparairon iie ceLe qu^'ls ont dû éprouver ^ s'il eil vrai qu'ils aient ouvert & tendu une mon- tagne d'une demi-lieue de hauteur pour trouver une iiïue.
^ Ce qui fiit que les volcans font tou- jours dans les montagnes, c'efl que les mméraux, les pyrites & les foufres fe trouvent en j)lus grande quantité & plus a découvert dans les montagnes que daiia (xj Woycz les preuves , an, X^I,
Théorie de la Terre. ï 6f
îes plaines, & que ces lieux élevés re- cevant plus ailement & en plus grande abondance les pluies & les autres impre(^ fions de l'air , ces matières minérales qui y font expofées , fe mettent en fermen- tation 6l s'échauffent jufqu'au point de s'enflammer.
Enfin on a fouvent oblervé qu'après de violentes éruptions pendant ieiquelles le volcan rejette une très-grande quan- tité de matières , le fommet de la mon- tagne s'aifiille & diminue à peu près de la même quantité qu'il ieroit néccffûre qu'il diminuât pour fournir les matières répétées; autre preuve qu'elles ne vien- nent pas de la profondeur intérieure dti pied de la montagne , mais de la partie voifine du fommet, & du lommet même.
Les tremblemens de terre ont donc produit dans pluficurs endroits des af- faifîemens confidérables , & ont fait quelques-unes dçs grandes léparaticns qu'on trouve dans les chaînes des mon- tagnes : toutes les autres ont été pro- duites en même temps que les montagnes jnêm.es par le mouvement des courans de la mer ; ôl par-tout où il n'y a pas
i66 HïfJohe Naturelle.
eu de bouleverfement , on trouve les couches horizontales &. les angles cor- refpondans des montagnes ^y*. Les vol- cans ont aulTi formé des cavernes &: des excavations fouterraines qu'il eli ailé de diflinguer de celles qui ont été formées par les eaux , qui ayant entraîné de l'in- térieur des montagnes les fibles & les autres matières diviiees , n'ont iaiiïe que les pierres & les rochers qui contenoient ces fables, & ont ainfi formé les ca- vernes que l'on remarque dans les lieux élevés : car celles qu'on trouve dans les plaines ne font ordinairement que des carrières anciennes ou des mines de fel & des autres minéraux, comme la carrière de Maftricht & les mines de Poîoone , &c. qui font dans les plaines ; mais les cavernes naturelles appartiennent aux montagnes, & elles reçoivent les eaux du fommet & des environs, qui y tom- bent comme dans des réfervoirs, d'où elles coulent enfuite fur la furface de ïa terre lorfqu'elïes trouvent une ifTue. C'eit à ces cavités que l'on doit attri- buer l'origine des fontaines abondantes (y) Voyez les preuveS| aru XVII^
Théorie de la Terre. i 6j
êc des grofles fources , & lorfqu'une ca- verne s'afFaifle & le comble , il s'enfuit ordinairement une inondation ^^y.
On voit par tout ce que nous venons de dire, combien les feux fouterrains contribuent à changer la lurface & l'in- térieur du globe : cette caulc ell: allez puiffante pour produire d'aulîi grands effets, mais on ne croiroit pas que les vents puiïent caufer des altérations ("û^ fenfibles fur la terre ; la mer paroit être ieur empire, & après le fïux & le reflux , rien n'agit avec plus de puiflance fur cet élément ; même le flux & le reflux mar- chent d'un pas uniforme , & leurs effets s'opèrent d'une manière égale & qu'on prévoit, m.ais les vents impétueux agil- fent , pour ainfi dire , par caprice , ils le précipitent avec fureur & agitent la mer avec une telle violence , qu'en un inllant cette plaine calme & tranquille , devient hérifTée de vagues hautes comme des montagnes, qui viennent fe brifer con- tre les rochers ôl contre les côtes. Les vents chtingent donc à tout moment la
^^^ Voyez Tratif. Phil, Ahr, Vol. II, pag. 522, (a) ^o'j^L les preuves, an, XV,
ï68 Hijfolre Natîfrelk.
face mobile de la mer : mais la face de % terre c|ui nous paroît fi folide , ne de- vroit-elle' pas être à l'abri d'mi pareil effet l On fait cependant que les vents élèvent des montagnes de fàbie dans l'Arabie & dans l'Afrique, qu'ils en cou- vrent \qs plaines , & c|ue fouvent ils tranfportent ces f ibles à de grandes fb) diflances &; julqu'à plufieurs lieues dans la mer , où ils les amoncèlent en fi grande quantité qu'ils y ont formé des bancs, des dunes & des îles. On lait que les ouragans lont le fîéau des An- tilles, de Madagalcar & de beaucoup d'autres pays, où ils agiiîent avec tant de fureur c|u'ils enlèvent quelquefois les ar- bres, les plantes, les animaux avec toute la terre cultivée; ils font remonter & tarir les rivières , ils en produifent de nou- velles, ils renverfenî les montagnes &: les rochers , ils font des trous & des gouffres dans la terre, & changent entièrement la furfice des malheureufes contrées où ils fe forment. Heureuiement il n'y a que peu de climats expofés â la fureur
(h) Woy. Bellarmin. de AJcen. viemisinDemi. Varen» Çeogr, gen, p. z^i , Yojagcé Pjrard, 1. 1, p. 470.
impétueufc
Théorie de la Terre» 1 6^
Tmpétueufe de ces terribles agitations de i^iir.
Mais ce qui produit les changemens les plus grands & les plus généraux fur ia furface de la terre , ce font les eaux du ciel , les fleuves , les rivières, les torrens. Leur première origine vient des vapeurs que le foleil élève au-deiïus de la ïurfacc des mers, & que les vents tran(portent dans tous les climats de la terre ; ces va- peurs foutenues dans les airs & pouflees au orré du vent, s'attachent aux ibmmets des montagnes qu'elles rencontrent , & s'y accumulent en ii grande quantité , qu'elles y forment continuellement ôqs nuages & retombent ince(îîimment en forme de pluie , de rofée , de brouillard ou de neio-e. Toutes ces eaux font d'à-
o
bord defcendues dans les plaines fc) fuis tenir de route fixe , mais peu à peu elles ont creufé leur lit, & cherchant par leur pente naturelle les endroits les plus bas de la montagne & les terreins les plus £iciles à diviièr ou à pénétrer , elles ont entraîné les terres & les fibles , elles ont formé des ravines profondes en coulant (c) Voyez les preuves, art, X CT XV Hh
Tome L H
liyo Hîjloîre Naturelle,
avec rapidité clans ies plaines, elles fè' iont ouvert des chemins jufqu'à la mer, qui reçoit autant d'eau par les bords qu'elle en perd par l'évaporation; &: de inême que les canaux & les ravines que les fleuves ontcreulés, ont des finuo- iités & des contours dont ies ano"Ies font correlpondans entr'eux , en iorte que l'un des bords formant un anoxie iaiiiant dans les terres, le bord oppoië fiiit tou- jours un angie rentrant, les montagnes & les collines qu'on doit regarder comme îes bords des valltes qui ies féparent , ont auiîi des finuolués correfpondantes de ïa même fliçon , ce qui fembie démon- trer que ies vallées ont été les canaux des courans de la mer ^ qui les ont creu- fés peu à peu & de la même manière que les fleuves ont creufé leur lit dans îes terres.
Les eaux qui roulent fur la furfàce de ia terre &: qui y entretiennent la ver- dure & la fertilité j ne font peut-être que la plus petite partie de celles que les vapeurs produifent ; car il y a des veines d'eau qui coulent & de l'humidité qui fe filtre à de grandes profondeurs dans
Thcorie Ae h Terre, 171:
riiitérieui: de la terre. Dans cfc certains lieux, ea quelque endroit qu'on fouille, on e(l fur de fiiirc un puits & de trouver de l'eau; dans d'autres on n'en trouve ])oint du tout; dans prclque tous les valions & les plaines baffes on ne manque guère de trouver de l'eau à une profon- deur médiocre; au contraire, dans tous les lieux élevés & dans toutes les plaines en montagne, on ne peut en tirer du feia de la terre , & il f lut ramafTer les eaux du ciel. Il y a des pays d'une vafic étendue où l'on n'a jamais pu faire un puits & où toutes les eaux qui fervent à abreuver les habitans (Scies animaux font contenues dans des mares &des citernes. En Orient, fur-tout dans l'Arabie, dans l'Egypte, dans la Perfè, &c. les puits font extrê- mement rares aufli-bien que les fources d'eau douce , & ces peuples ont été obligés de faire de grands réiervoirs pour recueillir les eaux des pluies & des neiges : ces ouvrages fiits pour la né- ceiîité publique , font peut-être les plus beaux & les plus magnifiques monumens des Orientaux; il y a des réfervoirs qui ont jufqu'à deux lieues de furfice . &.qui
Hij
\ljz 'Hifîohe Naturelle. jfèrvent à arrofer &: à abreuver une pro^ viiice entière , au moyen des laignées & écs petits ruifTeaux qu'on en dérive de tous côtes. Dans d'autres pays au con- traire , comme dans les plaines où cou- lent les grands fleuves de la terre , on ne peut pas fouiller un peu profondément ians trouver de l'eau , &l dans un camp fitué aux environs d'une rivière , fouvent chaque tente a fon puits au moyen de quelques coups de pioche.
Cette quantité d'eau qu'on trouve par-tout dans les lieux bas , vient des terres liipérieures & des collines voifines, au moins pour la plus grande partie, cardans le temps des pluies & de la fonte des neiges, une partie des eaux coule fur 3a furface de la terre , & le refîe pénètre dani. l'intérieur à travers les petites fentes des terres & des rochers; & cette eau fourcille en différens endroits lorfqu'elle trouve des iffues , ou bien elle ie filtre dans les fables , & lorfqu'elle vient à trou- ver un fond de glaife ou de terre ferme & folide, elle forme des lacs, des ruif- feaux , & peut-être des fleuves fouter- itains dont k cours & l'embouchure iiou^
TluGrie de la Terre, 173
font inconnus, mais Jont cependant par ies loix de la Nature ie mouvement ne peut fe fiiire qu'en allant d'un lieu plus élevé dans un lieu plus bas, & par con- icquent ces eaux Ibuterraines doivent tomber dans la mer ou (e raflembler dans quelque lieu bas de la terre , foit à la ilirfàce , foit dans l'intérieur du globe ; car nous connoKTons fur la terre quel- ques lacs , dans iefquels il n'entre & deP quels il ne fort aucune rivière , & il y en a un nombre beaucoup plus grand qui ne recevant aucune rivière coniidé- rabîe, font les fources des plus grands fleuves de la terre, comme les lacs du fleuve Saint- Laurent, le lac Chiamé , d'où fbrtent deux grandes rivières qui arrofent les royaumes d'Afem & de Pégu, les lacs d'Afîiniboïis en Amérique, ceux d'Ozera en Mofcovie, celui qui donne naiiTance au fleuve Bocr celui dont fort
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la grande rivière Irtis, &:c. & une infinité d'autres qui femblent être les réfervoirs (d) d'où la Nature verle de tous côtés les eaux qu'elle diftribue fur la furfiice de la terre. On voit bien que ces lacs ne (d). Voyez les preuves , art, XL
H iij
Î74 Hipoire Naturelle. peuvent être produits que par les eaux des terres fuperieures qui couient par de petits canaux louterrains en ie filtrant à travers les graviers & les iabies, & vien- nent toutes Te raffeinbler dans les lieux les plus bas où ie trouvent ces grands iimas d'eau. Au refte il ne faut pas croire, comme quelques gens l'ont avancé, qu'il fe trouve des lacs au ionimet des plus hautes montagnes; car ceux qu'on trouve dans les Alpes & dans les autres lieux hauts , font tous furmontés par des terres heaucoup plus hautes, & font au pied d'autres montagnes peut-être plus élevées «que les premières, ils tirent leur origine des eaux qui coulent à l'exteTieur ou fe filtrent dans rintérieur de ces montagnes, tout de même que les eaux des vallons & des plaines tirent leur fource des collines voiiines &l des terres plus éloignées qui les lurmontent.
Il doit donc fe trouver, & il fe trouve ^UQ-^Qi dans l'intérieur de la terre, des îacs & des eaux répandues , lur-tout au- deiïbus des plaines (e) & des grandes vallées ; car les montagnes , les collines tk.
(ej Voyez les preiivo- , aru XV 111^
Théorie de la Terre, 175
toutes les hauteurs qui flinnontent les terres bafTes , font découvertes tout autour & préfentent dans ieur penchant une coupe ou perpendiculaire ou inclinée , dans l'étendue de laquelle les eaux qui toinbent fur ie fommet de ia montagne ik ftir les plaines élevées, après avoir pé- nétré dans les terres, ne peuvent man- quer de irouver ifîiie &: de fortir de plu- fieurs endroits en forme de fources & de fontaines , <5c par conféquent il n'y aura que peu ou point d'eau ious les monta- gnes. Dans les plaines au contraire, comme i'eau qui le filtre dans les terres ne peiit trouver d'iiïue, il y aura des amas d'eau fcuterrains dans les cavités de la terre, & Vl^& grande quantité d'eau qui fuintera à travers les fentes des crlaifes & des terres fermes, ou cjui fe trouvera difperfée & dîviiée dans les ^raviers & dans les fables. C'eil: cette eaû qu'on trouve par-tout dans les lieux bas ; pour l'ordinaire le foLid d'un pivits n'efi: autre chofe qu'un pe it baflin dans lequel les eaux qui fij'ntent des terres voifines, fe ralfem- bîent en tombant d'abord goutte à goutte^ ckenluiîe erf filets d'eau continu^
■ H iii;
jy6 Hiflolre Naturelle*
lorfqiie les raines font ouvertes aux eduy ks plus éloignées ; en forte qu'il efl: vrai de dire que quoique dans les plaines hafles , on trouve de l'eau par- tout , on ne pourroit cependant y fliire qu'un cer- tain nombre de puits, proportionnés à ia quantité d'eau difperfée , ou plutôt à l'étendue, des terres plus élevées d'où ces eaux tirent leur (ource.
Dans ia plupart des plaines, il n'eft pas nécefTaire de creufer jufqu'au niveau de la rivière pour avoir de l'eau, on la trouve ordinairement à une moindre profondeur, & il n'y a pas d'apparence que l'eau des fleuves & des rivières s'étendent loin en fe filtrant à travers les terres ; on ne doit pas non plus leur attribuer l'oricrine de toutes les eaux qu'on trouve au-defTous de leur niveau dans l'intérieur de la terre , car dans les îorrens , dans les rivières qui tariffent , dans celles dont on détourne le cours , on ne trouve pas , en fouillant dans leur lit , plus d'eau qu'on n'eu trouve dans les terres voifines , il ne faut qu'une langue de terre de cinq ou fix pieds d'épailfeur pour contenir l'eau
Théorie de la Terre'. 177 &^ l'empêcher de s'échapper, & j'ai fou- vent obfervé que les bords des ruil- feaux & à&s mares ne font pas fenfi- blement humides à fix pouces de dif^ tance. II eft vrai que l'étendue de la fihradon eft plus ou moins grande félon que le terrein eft plus ou moins pénétrabïe ; mais fi l'on examine les ravines qui fe forment dans les terres & même dans les fables , on reconnoîtra que l'eau paffe toute dans le petit elpace qu'elle fe creuie elle-même, & qu'à peine les bords font mouillés à quelques pouces de diflance dans ces fables : dans les terres végétales même , OÙ la fïltration doit être beaucoup plus grande que dans les fables & dans les autres terres , puifqu'elie efl; aidée de la force du tuyau capillaire, on ne s'aperçoit pas qu'elle s'étende fort loin. Dans un jardin onarro(è abondamment & on inonde y pour ainfi dire, une planche, fans que les planches voifines s'en refTentent confidéi-ablcment : j'ai re- marqué en examinant de gros monceaux de ter ie de jardin de huit ou dix pieds
H y
il/S Hijloïre Naturelle.
d'épaifieur , qui n'avoieiit pas été remués
depuis quelques années & dont le fommet
étoit à peu près de niveau , que l'eau
des piuies n'a jamais pénétré à plus de
trois ou quatre pieds de profondeur;
en foîte qu'en remuant cette terre au
printemps après un hiver fort humide ,,
j'ai trouvé la terre de l'intérieur de ces
morceaux aulîî sèche que quand on
i'avoit amoncelée. J'ai fliit la même
obfervation fur des terres accumulées
depuis près de d-eux cents ans ; au-defîous
de trois ou quatre pieds de profondeur
3a terre étoit aufli sèche que la pouffièrey
ainfi l'eau ne fe communique ni ne
s'étend pas aulTi loin qu'on le croit
par la feule filtration : cette voie n'en
fournit dans l'intérieur de la terre que
h. plus petite partie ; mais depuis la
furfàce jufqu'à de grandes profondeurs
l'eau defcend par fon propre poids : elle
pénètre par des conduits naturels ou par
de petites routes qu'elle s'ell: ouvertes
elle-mêi^ne , elle fuit les racines des ar-
fcres , les >fentes des rochers, les interftices
des terres , & fe divife & s'étend d^
Théorie Je la Terre. 'i/c^
i^ous côtés en Une infinité de petits ra- meaux & de filets toujours en defcendant , jufqu'à ce qu'elle trouve une iiïue après avoir rencontré la glaife ou un autre terrein folide fur lequel elle s'eft raf- lenibléc.
Il feroit fort difficile de ftire une évaluation un peu julte de la quantité des eaU'X fouterraines qui n'ont point d'iffue apparente Cf). Bien des gens ont prétendu qu'elle furpaîloit de beaucoup celle de toutes les eaux qui font à ia fur- fâce de ia terre, & lans parier de ceux qui ont avancé que rintérieur du globe éroit nbfolument rempli d'eau, il y en a qui croient qu'il y a une infinité de fleuves , de ruifieaux , de lacs dans la profondeur de la terre : m.ais cette opinion , quoicjue commune , ne me parou pas fondée , & je crois que la quantité des eaux louterraines CTui n'ont point d'ifîue à la furface du globe , n'eft pas confidérable ; car s'il y avoit un fi grand nombre de rivières fouterraines , pourquoi ne verrions-nous
//; Vc-ez ks preuves, <2rr. :i, XI ^^ ^Vllh '
I 8 o EîJIolre Naturelle. '
pas à la furflice de la terre les embou- chures de quelques-unes de ces rivières, & par conféquent des fources grofles comme des fleuves! D'ailleurs les rivières & toutes les eaux courantes produifent des changemens trés-confidérables à ia furface de la terre ; elles entraînent les terres , creufent les rochers , déplacent tout ce qui s'oppofe à leur pafTage : il en feroit de même des fleuves fouter- jrains , ils produiroient des aïte'rations fenfibles dans l'intérieur du globe ; mais on n'y a point obiervé de ces change- mens produits par le mouvement é^s eaux , rien n'eft déplacé ; les couches parallèles & horizontales fubfiflent par- tout , les différentes matières gardent par-tout leur pofition primitive , & ce ja'efl: qu'en fort peu d'endroits qu'on a obfervé quelques veines d'eau fouier- ïaines un peu confidérables. Ainfi l'eau ne travaille point en grand dans l'inté- rieur de la terre, mais elle y fait bien de f ouvra cre en petit : comme elle effc divifée en une infinité de filets , qu'elle cft retenue par autant dobftacles, ^
Théorie de la Terre, i 8 il enfin qu'elle ell difperfée prefqiie par- tout, elle concourt immédiatement à la formation de plufieurs fubflances ter- reftres qu'il faut diftinguer avec foin des matières anciennes , & qui en effet en diffèrent totalement par leur forme de par leur organiiation.
Ce font donc les eaux rafîemblées dans ia vafte étendue des mers, qui, par le mouvement continuel du flux & du reflux, ont produit les montagnes, les vallées & les autres inégalités de la terre ; ce font les courans de la mer qui ont creufé les vallons & élevé les collines en leur donncnit des diredions corre(j3on- dantes ; ce font ces mêmes eaux de la mer, qui en tranfportant les terres, les ont difpofées les unes flir les autres par lits horizontaux , & ce font les eaux du ciel qui peu à peu détruifent l'ouvrage de h. mer, qui rabaifîent continuellement ia hauteur des montagnes, qui comblent les vallées, les bouches des fleuves & les golfes , & c[ui ramenant tout au ni- veau , rendront un jour cette terre à la ïiier, qui s'en emparera fucceffiyement;»
\1%1 HïJIolre Naturelle, Vrc: eil laiiïant à découvert de iiouveauTC continens entrecoupés de vallons & de nioniagnes , & tout ièmblables à ceux; que nous habitons aujourd'hui.
A Montbard k ^ Oéîobre 1744»
PREUVES
DELA
THÉORIE
DE LA TERRE,
Ficitque cadend»
Undique ne caderet,
^ Maniî,
TOTTU I.
T. 18 s.
-±=^0:
f/^%u p'bj /a£^/J /uj^Jkm.^
i85
PREUVES
DE LA
THÉORIE DE LA TERRE, ARTICLE L
De la formation des Planètes,
NOTRE objet étant l'Hidoire Na- turelle , nous nous difpenienons volontiers de parler d'Aftronoinie ; mais ia Phyfique de la tjerre tient à la Phy- fique célelle , & d'ailleurs nous croyons que pour une plus grande intelligence de ce qui a été dit, il eft néceflaire de donner quelques idées générales fur ia formation , le mouvement & ia figure de la Terre & des Planètes.
La Terre eft un globe d'environ trois mille lieues de diamètre , elle eft ftiuéc à trente millions de lieues du Soleil, autour duquel elle fait la révoludon en trois cents foixante-cinq jours. Ce mou- vement de révolution eil le réiuitat de
1
'î8^ H'phe Natwe/ie. \
deux forces , l'une qu'on peut fe repre- t fenter comme une im.puiiion de droite \ à gauche , ou de gauche à droite , & i'autre cojiime une attraction du haut en bas, ou du bas en haut vers un centre. La direction de ces deux forces oc leurs quantités font combinées & propor- tionnées de fiçon qu'il en ré fuite un mouvement prefque uniforme dans vd\Q eliipfe fort approchante d'un cercle. Sem- blable aux autres planètes, la terre eft opaque, elle fait ombre, elle reçoit & réfléchit la lumière du foleil , & elle tourne autour de cet aflre fuivant les loix qui conviennent à fa diliance & à {'à denfité reiaîi\ e ; elle tourne aufîi fur elle-même en vingt-quatre heures , & ' Taxe autour duquel le fiit ce mouvement | de rotation , eft incliné de foixante-fix degrés & demi fur le plan de forbiie de (a révolution. Sa figure eft celle d'un iphéroïde dont les d'^wx axes diftèrent d'environ une cent foixanie & quin- zième partie , & le plus petit axe eft- celui autour duquel le fait la rotation.
Ce font-là les principaux phénomènes de la terre , ce font-ià les réfultats des
Théorie de la Terre, î 8/ , omaJes découvertes que l'on a fiiîte5 par le moyen de la Géométrie, de l'Allronomie& delà Navigation, Nous n'entrerons point ici^ dans ie détail i qu'elles exigent pour être démontrées, & nous n'exajnineroDS pas comment on ed venu au point de s'afîurer de la vérité de tous ces faits, ce feroit répéter ce qui a été dit; nous ferons feulement quelques remarques qui pourront lervir à éclaircir ce qui eil encore douteux ou contefté ,& en même temps nous donne- rons nos .idées au fajet de la formation des planètes , & des différens états par où il elt poffible qu'elles aient paffé avant que d'être parvenues à i'état où nous les voyons aujourd'hui. On trouvera dans la fuite de cet ouvrage des extraits de tant de fyilèmes & de lant-d'hypothèfes fur la formation du globe terreilre, iur les différens états par où il a pafie & fur les changemens qu'il a fubis , qu'on ne peut pas trouver mauvais que nous joio-nons ici nos conjedures à celles des Philofophes qui ont écrit fur ces matières; &: fur -tout lorfqu'on verra que nous ne les donnons en effet que
"^i88 Hïjloire Naturelles
pour de fimples conjcL^ures , auxquelles nous prétendons feulement affigner un plus grand degré de probabilité qu'à toutes celles qu'on a fiites lur le inêiue lujet; nous nous refufons d'autant moins à publier ce que nous avons penfé lur cette matière , que nous efpérons par-là mettre le lecfteur plus en état de pronon- cer fur la grande difîercnce qu'il y a entre une hypothèie où il n'entre que des poffibilités , & une théorie fondée fur des fiits , entre un fyftème tel que nous allons en donner un dans cet article far îa formation & le premier état de la terre, iSi une hiftoire phyfique de fon état îiduel , telle que nous venons delà donner dans le difcours précédent»
Galilée ayant trouvé la loi de ïa chute des corps, & Kepler ayant obfervé que les aires que les planètes principales décrivent autour du foleil , & celles que les fttellites décrivent autour de leur planète principale , font proportionnelles aux temps, & que les temps des révo- iutions des planètes & des fatellites font propornonnels aux racines quarrées des cubes de leurs diftances au foleii ou à
Théorie de h Terre, i8^
îeurs planètes principales , Newton trou- va que la force qui fait tomber les gra- ves îur ia lurfice de ki terre, s étend jufqu'à ia lune & la retient dans fou orbite ; que cette force diminue en même proportion que le quarré de ia diRance augmente , que par conféquent la lune ell attirée par ia terre , c|ue ia i terre & toutes les planètes ibnt attirées I par le foleil , & qu'en général tous les i corps qui décrivent autour d'un centre i ou d'un foyer des aires proj^ortionnelles I au temps , font attirés vers ce point, I Cette force que nous connoifTons fous ie nom de pefanteur, eft donc généra- iement répandue dans toute la matière : les planètes, les comètes, le ioleil, la terre, tout eft fujet à fes loix , & elle fert de fondement à i'Iiarmonie de l'Univers; : îious n'avons rien de mieux prouvé en \ Phyfique que l'exiflence actuelle & indi- viduelle de cette force dans les planètes, I dans le foleil , dans la terre & dans toute ia matière que nous touchons ou que nous apercevons. Toutes les obferva- îions ont confirmé l'effet aduel de cette force, & ie calcul en a déterminé la
'ïpo Hiflehe Naturelle:
qtianiité &. les rapports; l'exaditude cfeS Géomètres &: ia vioilance des Allro- nomes atteignent a perne a la precilion de cette mécanique célefle, & à la re'gu- kfité de Tes effets.
Cette eau le ^^éneraîe étant connue , on en déduiroit aiiëment les phénomènes , il l'aélion des forces qui les produilent, n'étoit pas trop combinée ; mais qu'on iè repréfente un moment le fyflème du monde lous ce point de vue , & on i^ntira quel cahos on a eu à débrouiller. Les planètes principales font attirées par le fokil, le foleil efl attiré par les planètes, les lateilites font aufîi attirés par leur planète principale, chac[ue planète ed attirée par toutes les autres , ëi qWq les attire aufîi : toutes ces a<fl:ions &. réadions varient fuivant les mafîès & ks diftances , elles produifent des iné- galités, des irrégularités ; comment com- biner &: évaluer une fi grande quantité de rapports î Paroit-il po(îible au milieu de tant d'objets , de. fuivre un objet particulier l Cependant on a furmontc ces difficultés, le calcul a coîifirmé ce que ia raifon avoit foupçonné ; chaquçt
TJiéone de la Terre] i p f obfcrvation e(t devenue une nouvelle (Jénioniiraiion, & l'ordre fyllématique de l'Univers ell à découvert aux yeux de tous ceux qui flivent reconnoître la vérité'.
\j]\^ feule chofe arrête , & efl en efîèt ndépendante de cette The'orie , c'efl la force d'impulfion ,ron voit évidemment que Qé\Q d'attraction nrant toujours les planètes vers le ibleil, elles tomberoient en ligne perpendiculiiire fur cet aflre, fi elles n'en étoient éloignées par une autre force, qui ne peut être qu'une impuifion en ligne droite, dont ït'^^i s'excrcerolt dans la tangente de l'orbitej fi la force d'attraélion ceiToit un infîant. Celte force d'impulfion a certainement été communiquée aux afl:re$ en général par la main de Dieu, lorfqu'elle'donna fe branle à l'Univers ; mais comme on doit , autant qu'on peut , en Phyfique s*abllenir d'avoir recours aux caufes qui font hors de la Nature, il irje paroît "que dans le fyftème folaire on peut rendre raifon de cette force d'impuifioa d'une manière afTez vrailemblable , <$c qu'on peut eu trouver une caufe doiU
'I92 Hifloire Naturelle,
i'effet s'accorde avec les règles de l'X
o
Me'caniqiie , & qui d'ailleurs ne s'é- loigne pas des idées qu'on doit avoir au liijet des changemens & des révolu- tions qui peuvent 6t doivent arriver dans l'Univers.
La vafle étendue du fyftème folaire, ou, ce qui. revient au même, la Iphère <fe J'attradion du foleil ne fe borne pas à l'Orbe des planètes, même les plus éloignées , mais elle s'étend à une diflance indérinie , toujours en décroiflant , dans la même raifon que le quarré de la diftance augmente : il eft démontré que ies comètes qui fe perdent à nos yeux dans la profondeur du ciel, obéifTent à cette force , & que leur mouvement, comme celtd des planètes , dépend de î'attradion du loleil. Tous ces aftres dont les routes font fi différentes , décri- vent autour du foleil , des aires propor- tionnelles au temps , les planètes dans des ellipfes plus ou moins approchantes d'un cercle , & les comètes dans des ellipfes fort alongées. Les comètes & les planètes fe meuvent donc en vertu de deux forces , Tune d'atira(flion & '
l'autre
Tliéarie de la Terre. 1^3
Fautr€ d'iinpulfion , qui agifîant à la fois & à tout indnnt , les obligent à décrire c^s courbes; mais il fliut remar- quer que ics comètes parcourent le fy(- tème folaire dans toutes fortes de direc- tions. & que les inclinaifons des plans de leurs orbites font fort différentes entrelles , en forte que , quoique fu jettes, comme les planètes , à la même force d'attradion , les comètes n'ont rien de commun dans leur mouvement d'iin- pulfion, elles paroiiïent à cet égard abfolument indépendantes les unes des autres. Les planètes , au contraire , tour- nent toutes dans le même fêns autour du foleii, & prefque dans le même plan , n'y ayant que lept degrés & demi d'inclinaifon entre les plans les plus éloignés de leurs orbites : cette confor- mité de pofition & de diredion dans le mouvement des planètes, fuppofe iiéceflairement quelque chofe de corn- niun dans leur mouvement d'impulfion , & doit faire loupçonner qu'il leur a été communiqué par une feule &. même caufe.
Ne peut-on pas imagînerav€C queîqiic Tom£ I, 1
' î ^ 4 Hîfloh'c NaîunUe, forte de vraifembiance , qu'une comète tombai^t fur la fur face du loleil , aura déplacé cet aftre , &: qu'elle en aura fé- paré quelques petites parties auxquelles elle aura communiqué un mouvement d'impulfion dans le même fens & par wn même choc, en forte que les pla- nètes auroient autrefois appartenu au corps du foleil , & qu'elles en auroient été détachées par une force impuifive commune à toutes , qu'elles confervent encore aujourd'hui !
Cela me paroît au moins auffi probable que l'opinion de M. Leibnitz, qui pré- tend que les planètes & la terre ont été des foleils , & je crois que fon fyflème dont on trouvera le précis à l'article cin- quième , auroit acquis un grand degré de généralité & un peu plus de probabilité , s'il fe fût élevé à cette idée. C'eft ici le cas de crdre avec lui que la chofe arriva dans ie temps que Moyfe dit que Dieu fépara la lumière des ténèbres; car , félon Leibnitz, la lumière fut féparée des té- nèbres lorfc^ue les planètes s'éteignirent. Mais ici fa féparation efl phyfique & réelle, puirque la matière op«que qui
Théorie de h Terre, ^ ï p 5
compofe le corps des planètes , fut réellement leparée de la matière lumi- neufè qui compolè le foleil.
Cette idée fur la caufe du mouvement d'impulfion des planètes paroîtra moins hafardée lorfqu'on rafièmblera toutes ies analogies qui y ont rapport, & qu'on voudra ie donner la peine àiç.ïv efîimer ies probabilités. La première eft cette diredion commune de leur mouvement d'impulfion qui fait que les fix planètes vont toutes d'occident en orient : il y a déjà 64 à parier contre un, qu'elles ïi'auroient pas eu ce mouvement dans ie même fens, fi la même caufe ne l'avoit pas produit, ce qu'il eft aifé de prouver par la dodrine des hafards.
Cette probabilité augmentera pro- "digieufèment par la féconde analogie , qui eft que rinciinaiibn des orbites n'ex- cède pas 7 degrés & demi; car en com- parant les efpaces , on trouve qu'il y a 24 contre un pour que les deux planètes (e trouvent dans des plans plus éloignés ,
& par conféquent 24 ou 7692624 à parier contre un , que ce ii eft pas par
1 p 6 Hifloire Nul ur elle, Lafard qu'elles le trouvent toutes '(îx ainfi placées & renfermées dans i'efpace de 7 degrcs & demi, ou, ce qui revient au même, il y a cette probabilité qu'elles ont quelque chofe de commun dans le mouvement qui leur a donné cette .pcfuion. Mais que peut-ii y avoir de commun dans l'imprefîion d'un mouve- ment d'impulfion , fi ce n'efl: la force & la diredion des corps qui le com- muniquent î on peut donc concLur-e avec une très - grande vraifembîance que les planètes ont reçu leur mouve- ment d'impulfion par un feul coup. Ceue probabilité, qui équivaut prefque 2i une certitude, étant acquiie , je cher- che quel corps en mouvejnent a pu faire ce choc & produire cet effet , & je ne vois que les comètes capables de com- muniquer un auffî grand mouvement â d'aufîi vaftes corps.
Pour peu qu'on examine le cours des comètes, on fe perfuadera aifément qu'il eft prefque néceflairc qu'il en tombe quelqtiefois dans le foleil. Celle de I 68 G en approcha de fi près, qu*à ion périhélie elle n'en étoit pas éloignée
I
Théorie de h Terre. 1517 de h fixicme partie du diamètre folaire, «Se fi elle revient, comme il y a appa- rence, en l'année 2:155, elle pourroit bien tomber cette fois dans le tbieil; cela dépend des rencontres qu'elle aura faites Cur fa route , & du retardement ([u'clle a fouffert en pafîant dans l'atmo- i]>hère du foleii. Voy, Newton, j / édition, page ^2^,
Nous pouvons donc prélumer avec le Phiiofophe que nous venons de citer, qu'il tombe quelquefois des comètes fur le foleil ; mais cette chute peut fe f lire de différentes façons : fi elles y tombent â-plomb , ou même dans une diredion qui ne foit pas fort oblique, elles de- meureront dans le foleil, &. ferviront d'aliment au feu qui conlume cet aftre, & le mouvement d'impulfion qu'elles nuront perdu & communiqué au foleil, ne produira d'autre efïet que celui de le déplacer plus ou juoins , félon que la maffe de la comète fera plus ou moins confidérable ; mais fi la chute >de la comète fe fait dans une direc^lion fort oblique , ce fqui doit arriver plus fou vent de cette fiçoa que de l'autre,.
1 ii;
fî p 8 Hijroire Naîtirelk:
alors la comète ne fera que rafer la furfacc du foieii au la filïonner à une petite profondeur , & dans ce cas elle pourra en fortir & en chafler quelques parties de niatière, auxquelles elle communiquera lui mouvement commun d'impuifion, & ces parties poufTées hors du corps du foleiî, &: la comète elle-même, pourront devenir alors des planètes qui tourneront autour de cet allre dans le même fens ÔL dans le même pian. On pourroit peut- être calculer quelle m.aflej quelle vïtcffe & quelle direclion dcvroit avoir une comète pour faire fortir du foleil une quantité de matière égale à celle que con- tiennent les fix planètes & leurs latellites ; mais cette recherche ieroit ici hors de ià place, il fuffira d'obferver que toutes les planètes avec les faiellites ne font pas îa 6 50.""^ partie de la maffe du folelL Voyei Newton, page 40 J , parce que îa denfité des grofies plnnètes , Saturne di. Jupiter, eft moindre que celle du foleil , ^ que quoique la terre foit quatre fois , & la lune près de cinq fois plus dénie que îe foleil, elles ne font cependant que comme des atomes en comparaifoa de la maffe de cet allre..
Théorie de la Terre ^ i q 9
J'avoue que quelque peu confidéra- ble que foit une fix cent clnquantièjne partie d'un tout, il paroît au premier coup d'œil qu'il faudroit, pour i'eparer cette partie du corps dufoieiijUne très- puiflante comète : mais fi on f:\it réfle- xion à la vîtefTe prodigieufe des comètes dans leur périhélie , vïtefie d'autant plus grande que leur route eft plus droite , &L qu'elles approchent du ibleil de plus près ; fi d'ailleurs on fait attention à la denfîté, à \\ fixité , <Sc à la folidité de la matière dont elfes doivent être compo- fées , pour IbuiîrJr, fans être détruites, la chaleur inconcevable qu'elles éprou- vent auprès du foleil , & fi on fe fou vient en même temps qu'elles préfentent aux yeux des obfervateurs un noyau vif & folide, qui réfléchit fortement la lumière du foleil à travers i'atmofphère immenfe de la corn è le qui enveloppe & doit olifcurcir ce noyau, on ne pourra guère douter c[ue les comètes ne foient com- pofées d'une matière très-folide & très- é^\\(^ , «Si qu'elles ne contiennent fous un petit volume une grande quantité de miitière \ que par conféquent une comète
1 iii;
:2 0 0 Hïjhire Naturelle,
lie puilTe avoir afîez de mafîe <5c de vî- \^& }30ur déplacer le loleil , & donner wn mouvement de projecftile à une quan- tité' de matière aufîi confidérabie que i'eft la 6 ^ o.""" partie de la mafle de cet aftre. Ceci s'accorde parfaitement avec ce cjue l'on lait au tujet de la denfité des planètes ; on croit qu'elle e(t d'au- tant moindre que les planètes font plus éloignées du ioleil & qu'elles ont moins de chaleiu* àfupportcr, en forte que Sa- turne eft moins d^rSo. que Jupiter , & Jupiter beaucoup moins dénie que la terre: & en effet, fila denfité des planètes étoit, cotnme le prétend Newton, pro- ])ortionneiie à la quantité de chaleur qu'elles ont à fupporter , Mercure feroit fept fois plvis denfe que la terre, «Se vingt- huit fois plus denfe que le foleil , la co- mète de 1680 feroit 2 8 mille fois plus àç.\-\ÇQ que la terre , ou i i 2 mille fois plus denfe que le ioleil, & en la fuppofmt grofîe comme la terre, elle contiendroit ious ce volume une quantité de matière égale à peu près à la neuvième partie de ia mafTe du foleil , ou , en ne lui donnani que la cendème parue de la groffeur de
Théorie de h Terre, 10 l la"terre, fa niafle feroit encore ég<lle à la 5>oo.'"'' partie du foleil ; d'où il eft aifé de conclure qu'une telle mafle qui ne fait qu'une petite comète , pourroit lepa- rer &poufîèr hors du foleil une ^oo.""^ ou une 650.""^ partie de fi ma(îe , fur-tout fi l'on fait attention à l'immenle vitejfè acquife avec iaqueiie les comètes (e meu- vent lorfqu'eiles paiïent dans le voifinage de cet aftre.
Une autre analogie, & qui mérite quelqu'attention , c'efl: la conformité entre la denfité de la matière des pla- nètes & la denfité de la matière du foleil^ Nous connoiffons fur la furfice de la terre des matières 14 ou 15 mille fois plus denfes les unes que les autres, les denfités de l'or & de l'air font à peu près dans ce rapport; mais l'intérieur de la terre & le corps des planètes font com- pofés de parties plus fimilaires & dont la denfité comparée varie beaucoup moins, & la conformité deladenfité de la matière des planètes & de la denfité de la matière du foleil eft telle, que fur 650 parties qui compofent la totalité de la matière des planètes , il y en a plus
1 Y
2.01 Hiflotre Naîureïïe',
de 640 qui font prefque de la même denfité que la matière du foleil , & qu'il n'y a pas dix parties iur ces 650 qui' foient d'une plus grande denfné; car Saturne & Jupiier iontà peu près de la même denfité que le Tolcii , & la quan- tité de matière que ces deux planètes, contiennent, efl: au moins 64 fois plus; grande que la quantité de matière des quatre planètes inférieures, Mars, la Terre, Vénus & Mercure. On doit donc dire que la matière dont (ont com- pofées les planètes en général , efl: à peu. près la même que celle du foleil , & que, par conféquent cette matière peut eii avoir été féparée.
Mais, dira- 1- on, ii îa comète en) tombant obliquement fur le foleil, en a filionné la furface & en a fait lortir la- madère qui compofe les planètes, il pa- roît que toutes \^s planètes , au lieu de décrire des cercles dont le foleil efl le centre, auroient au contraire à chaque révolution rafé la furface du foleil, & fe- roient revenues au même point d'où ç)Xç.s etoient parties, comme feroit tout pro^ jediie qu'ûnianceroit avec aiïèz de force
Tliéorie Je la Terre. 2 OJ'
dW point de la furface de la terre, pour l'obliger à tourner perpétuelknient; car H eit aife de démontrer que ce corps reviendroit à chaque révolution au point d'où il auroit été lancé, & dès-lors on ne peut pas attribuer à rinipuifion d'une comète la projection des planètes hors du foleil, puifque leur mouvement autour de cet aiireeft différent de ce qu'il feroit dans cette hypothèle.
À cela je réponds que la matière qur compofe les planètes n'efî: pas fortie de cetaftre en globes tout formés, auxquels la coiiiète auroit communiqué ion mou- vement d'impuifion , mais que cette ma- tière efl: fonie fous la forme d'un tor- rent dont le mouvement ùqs parties an- térieures a dû être accéléré par celui des parties poftérieures; que d'ailleurs l'at- tradion àç.s parties antérieures a dû aufîi ficcélérer le mouvement des parties pos- térieures, & que cette accélération de mouvement, produite par l'une ou l'autre' de ces caufes, & peut-être par toutes ies deux , a pu être telle qu'elle aura changé la première dire^ion du mou- vement d'impulfion , & qu'il a pu en
1 vj
20^ Hijîoîre Naturelle.
réiulter un mouvement tel que nous l'oL- iervons aujourd'hui dans les planètes , fur-tout en fuppofant que le choc de la comète a déplacé le foleii; car pour donner un exemple qui rendra ceci plus lenfible , fuppofons qu'on tirât du haut d'une montagne une balle de mou(quet, ÔL que la force de la poudre fût affez grande pour la pouffer au-delà du demi- diamètre de la terre , il ell: certain que cette balle tourneroit autour du o^lobe & reviendroit à chaque révolution pafier au point d'où elle auroit été tirée ; mais f\ au lieu d'une balle de moufquet nous fuppofons qu'on ait tiré une fufée vo- lante où fadion du feu leroit durable & accéléreroit beaucoup le mouvement «fijupùlfion, cette fufée ou plutôt le cartouche qui la contient , ne revien- droit pas au même point , comme la halle de moufquet, mais décriroit un orbe dont le pério-ée feroit d'autant plus éloigné de la terre, que la force d'accé- iération auroit été plus grande & auroit changé davantage la première dired:ion ^ toutes chofes étant fuppofées égales d'ail- leurs. Ainfi ; pourvu qu'il y ait eu de
toutes chofes étant ruppofées écrafes d'aile leurs. Ainfi , pourvu qu'il y ait eu de
Thème de Jû Terre. 205 l'accclératioa clans le mouvement cl'im- pulfion communiqué au torrent de ma- tière par la chute de la comète , il eft très-poflible que les planètes qui fe font formées, dans ce torrent, aient acquis le mouvement que nous leur connoiflons dans des cercles & des ellipfes dont ie foleii eft le centre & ie foyer.
La manière dont fe font les grandes éruptions des volcans , peut nous donner une idée de cette accélération de mou- vement dans le torrent dont nous par- ions. On a obfervé que quand le Véfuve commence à mugir & à rejeter les ma- tières dont il eft embrafé , le premier tourbillon qu'il v@mit, n'a qu'un certain deo-ré de vîtefîe , mais cette vîteffe eft bien-tôt accélérée par l'impulfion d'un {Qcoïià tourbillon qui fuccède au pre- mier , puis par l'adion d'un troifième , & ainfi de fuite , les ondes pefantes de bitume , de foufre , de cendre , de métal fondu , paroiffcnt des nuages maffifs , &: quoiqu'ils fe fuccèdent toujours à peu près dans la même direction y ils ne laif- fent pas de changer beaucoup celle du premier tourbillon; & de le poufTer
10 6 Hïfloke Naîureïïe,
ailleurs & plus loin qu'ii ne feroîl parvenir tout leui.
D'alîieurs, ne peut-on pas répondre à ceueobjedion , que le fo'eil ayant e'té frappé par îa comète , & ayant reçu une partie <Je fon mouvement d'impulfion, il aura lui-même éprouvé un mouvement qui l'aura déplacé , & que quoique ce mouvement du foieiï foit maintenant trop peu fenfîbîe pour que dans de petits- intervailes de temps les Aftronomes aient pu l'apercevoir, ii (è peut cependant que ce mouvement exifte encore, & que ie foieiï le meuve lentement vers diffé- rentes parties de l'Univers, en décrivant une courbe autour du centre de o-ravité de tout le fyRème \ & fî cela efl, c^omme je le prélume, on voit bien que ies planètes, au lieu de revenir auprès du foleil à chaque révolution , auront au eoiîtrnire décrit des orbites dont \z% points des périhélies , font d'autant plus éloignés de cet aflre, qu'il seft plus éloigné lui-même du lieu qu'il oCGupoit anciennement.
Je iens bien qu'on pourra me dire que fi i'accéléruïion du raouvement fè
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io6 Hïffoire Ndtureïïe,
ailleurs «Se plus loin qu'ii ne feroîtparven tout feui.
Théorie de ta Terre* loj
ait dnns la même dire<^ion, cela ne :hange pas ie point du périhélie qui \tïà toujours à la lurfàcê du Ibleii : mais loit-on croire que dans un torrent dont =s parties fe font fuccédées , il n'y a eU' ucun changement de diredionî il eft u contraire très-probable qu'ii y a eu urt fiez grand changement de direction ^ our donner aux planètes ife mouvement u'eilcs ont.
On pourra mè dire aufîi que fi lè >ieil a été déplacé par le choc de la- omète , il a dû îë mouvoir un formé'- lent , & que dès-lors ce mouvement ant commun à tout le fyftème, il n'a û rien changer ; mais ie Ibieii ne pou^ oit-il pas avoir avant le choc un mou* ement autour du centre de c^ravité du (lème cométaire, auquel jnouvement rimiiif ie choc de la comète aura ajoiut le augmentation ou une diminution! cela iufîiroit encore pour rendre raifoa 1 mouvement actuel des planètes.
Enfin fi l'on ne veut admettre aucune ? ces fupporitions , ne peui-on pas pré- mer , lans choquer la vraifembiance, ae dans ie choc de la comète contre k.
'^ o 8 Htflohe NaîiireÏÏe:
foleil il y a eu vine force élaftique quî aura élevé le torrent au-defîus de la fur- face du foleil , au lieu de le pouffer di- redemeiit î ce qui feul peut fuffire pour écarter le point du périhélie & donner aux planètes le mouvement qu'elles ont coniervé ; & cette fuppoiition n'efl pas dénuée de vrailembiance , car la matière du foleil peut bien être fort élaftique, puifque la feule partie de cette matière que nous eonnoiffons , qui eft la lu- mière , femble par fes effets être parfais tement éliftique. J'avoue que je ne puis pas dire fi c'eft par l'une ou par l'autre àts raifons que je viens de rapporter, que la diredion du premier mouvement d'impulfion des planètes a changé , mais ces raifons fuffifent au moins pour fiire voir que ce changement eft pofîible, & même probable, & cela fufïit aufû à mon objet.
Alais fans in fi fier davantage fur \qs
o
objedions qu on pourroit fiire , non plus que fur les preuves que pourroient fournir les analogies en faveur de mon hypothèfe , fuivons-en l'objet & tirons ëes indudions ; voyons donc ce ^ui a
Théorie Je la Terre. ^o<) pu arriver lorfque les planètes , & fur- tout la terre , ont reçu ce mouvement ci'imjHilfion , & dans quel état elles fe font trouvées après avoir été féparées de la maiTe du foleil. La comète ayant par un feul coup communiqué un mou- vement de projedile à mie quantité de , matière égaie à la 6 5 o.""' partie de la 'mafle du foleil, les particules les moins ■ denfes fe feront fé]^arées des plus denfes, & auront formé par leur attradion mu- tuelle des globes de différente denfité ; Saturne , compofé des parties les plus i groffes & les plus légères , fe fera le plus éloigné du foleil; enfuite Jupiter qui eft plus ilçi\(e que Saturne , fe fera moins éloigné , & ainfi de fuite. Les planètes les plus grofies & les moins denfes font les plus éloignées, parce qu'elles ont reçu un mouvement d'impulfion plus fort que les plus petites <Sc les plus denfes ; car ia force d'impulfion fe communiquant par les furfaces, le même coup aura fait mouvoir les parties les plus groffes & les plus légères de la matière du foleil , a ec plus"de vîteffe que les parties les plus petites & les plus mafTives ; il fe fen
^ I o Hiflotre Nûîurelle. donc £iit une fcparatîon d^s parties denlçs de differcns degrés, en forte que la denfité de la matière du foleil étant égale à i oo, ceile de Saturne eil égale j ^ 6y, celle de Jupiter — 94!, celle de ' Mars =: 200, celle de la Terre rr 400, celle de Vénus =r 800, & celle de Mer-: cure —2800. Mais la force d'attradioiî:' île (e communiquant pas , comme celle- ci liîipufjon , par hi furf ice , ôl agifïïmt au contraire fur toutes les parties de la mafle , elfe aura retenu les portions de matière les plus denfes, & c'efl pour cette raifoii qiie les planètes les plus denfes font les plus voiijnes du foleil , & qu'elles tour- nent autour de cet adre avec plus de ra- ' pidité que ks planètes les moins denfes, qui iontaufli les plus éloignées.
Les deux grofîes pîanèies, Jupiter <Sc 5aturne, qui font , comme l'on fût, les parties principales du fyflème folaire , ont conserve ce rapport entre leur denfité & leur luouvement d'impulfion, dans une proportion fi iufte qu'on doit en ene frappé ; la denfité de Saturne eH à ceLe de Jupiter comme 6y à 94! , & kuïs vheQh font à peu près comme 88f
Théorie de la Terre, 2 î 1 3 ï20 ~ , ou comme ôy à 9of^; il efi: rare que de pures conjeclures on puifle tirer des rapports auiil exacts. Il eft vrai qu'en luivant ce rapport entre ia vîtefîe & la denfité des planètes , la denfité de ia terre ne devroit être que comme 206 ^ , au lieu qu'elle efl: comme 400, de -la on peut conjedurer que notre globe étoit d'abord une fois moins denfê qu'il ne Teft aujourd'hui. A l'égard des autres planètes, Mars, Vénus & Mercure , comme leur denfité n'efl connue que par conjeclure, nous ne pouvons lavoir û cela détruiroit ou con- firmeroiî notre opinion fur le rapport de la vîteffe & de la dcnfité des planètes en général. Lefentiinentde Newton efl que la denfité ell d'autant plus grande que la chaleur à laquelle la planète efl expofée , efl plus grande , & c'ed fur cette idée que nous venons de dire que Mars eft une fois moins denfe que laTerre, Vénus une fois plus denfe, Mercure fept fois plus dénie, & la comète de i 680 , 28 mille fois plus denfe que la Terre; maisf- eette proportion entre la denfité des pla- nètes & la chaleur qu'elles ont à fupporter
:2 1 2 Hïjloire Naturelle.
ne peut pas lubrifier lorfqu'on fliit atten- tion à Saturne & à Jupiter qui font les principaux objets que nous ne devons jamais perdre de vue dans le fyftème fo- laire ; car félon ce rapport entre la denfitié & la chaleur, il fe trouve que la denfité de Saturne feroit environ comme 4 -^, &. celle de Jupiter comme 14^, au lieu de 6y & de p4^, différence trop grande pour que le rapport entre ia denfité & la. chaleur que les planètes ont à fuj)- porter , puifîe être admis ; ainfi malgré la confiance que méritent les conjedures de Newton , je crois que la denfité des planètes a plus de rapport avec leur vî~ tefle qu'avec le degré de chaleur qu'elles ont à fijpporter. Ceci n'efl qu'une caule iinnie , & l'autre ell: un rapport phy- fique dont l'exaélitude eff fingulière dans les deux groffes planètes; il eft cependant vrai que la denfité de la terre au lieu d'être 206 1 fè trouve être 400, & que par conféquent il faut que le globe terreflre fè foit coïKlenfe dans cette raifon de 20^1 à 400.
M ais la condenfuion ou la co^lion des planètes ii'a-t-elle pas quelque rapport
théorie de la Terre, 1 1 3
avec la quantité de la chaleur du foîeil dans chaque planète î & dès-lors Saturne qui eft fort éloigné de cet aftre n'aura foufîèrt que peu ou point de conden- lation , Jupiter fera condenfé de 90 ~k ^4 ^ ; or la chaleur du foIeil dans Ju- piter étant à celle du foleil fur la terre , comme 14-^ font à 400 , les conden- iîitions ont dû fè faire dans la même pro- portion, de forte que Jupiter s'étant condenfé depo~à ^j^-^lz terre auroit .dû Çq. condenfer en même proportion de 2 0(5 I à 2. 1 5 Y^ç-^ , fi elle eût été placée dans l'orbite de Jupiter, ou elle n auroit dû recevoir du foleil qu'une chaleur égale à celle que reçoit cette planète : •mais La terre fe trouvant beaucoup plus ;près de cet afire, & recevant une chaleur dont le rapport à celle que reçoit Jupiter eft de 40 Q à i^ ~ , il faut multiplier la quantité de la condenlatîon qu'elle auroit €ue dans l'orbe de Jupiter par le rapport de 400 à 147I, ce qui donne à peu près 234 j, pour la quantité dont Li terre a dû fe condenfer. Sa denfité étoit 2o<5|, en y ajoutant la quantité de >CQndenfation l'on trouve pour fa denfité
2 14 Hljloîre Naturelle,
âduelle 44.0 |, ce qui approche afîez de ia cleniité 400, déterminée par la pa- rallaxe de la lune. A a refte , je ne pré- , tends pas donner ici des rapports exaéls, mais ieulcment des approximations pour faire voir que les denfités des pla- nètes ont beaucoup de rapport avec leur vîtefle dans leurs orbites.
La comète ayant donc par fa chute oblique fillonné la (urfiice du foleil, aura poufîe hors du corps de cet aftre une partie de matière égale à la 650.""" partie de fa maiïe totale: cette matière qu'on doit confidérer dans un état de fluidité. , ou plutôt de liquéfadion , aura d'abord formé un torrent , les parties les plus ^roiïes & les moins denfes auront été poufTées au plus loin, & les parties les "plus petites & les plus denfes n'ayant reçu que la même impulfion , ne le leront pas {\ fort éloi ornées, la force d'attraâ:ion du foleil les aura retenues ; toutes, les parties détachées par la comète & poufTées les unes par les autres auront été contraintes de circuler autour de cet aftre, & ea même temps l'attradlion mutuelle des parties de ia matière en aura formé des
Théorie de la Terre. 215
gîobes à difFérenies diftaiices, dont les plus voifins du foieil auront nécelTai- rement confervé plus de rap.idite' pour tourner en fuite perpétuellement autour de cet aftre.
Mais , dira-t-on une féconde fois , fi: îa matière qui compofc les planètes a été réparée du corps du foleii , ies pla- nètes devroient être comme. le foïeil, brûlantes & lumineufes, & non pas froides & opaques comme elles le font : rien ne reiïemble moins à ce globe de , 4,.- feu qii'un globe de terre & d'eau , &: à ^ 1
en juger par comparailon, la matière de '
la terre &: des planètes efctout-à-fiit différente de celle du foieil.
À cela on peut répondre que dans la féparation qui s'eft faite des particules plus ou moins denfes, la matière a changé de forme , &: que la lumière ou le feu fe font éteints par cette féparation eau fée . .
par le mouvement d'impulfion. D'ail-yi '^^ c&umML leurs, ne peut-on pas foupçonner que ^ a>^t «^ ^ <*^ fi le foieil ou une étoile brûlante & lumi- ^^^ neufe par elle-même (e mouvoit avec autant de vîteffe que fe meuvent les pla- nètes ; ie feu s'cteindroit peut-être , &
2 I 6 Hîjloire Naturelle,
que c'ell par cette raifon que toutes ks étoiles lumineufes font fixes & ne chan- gent pas de lieu , & que ces étoiles que l'on appelle nouvelles, qui ont proba- blement changé de lieu , le font éteintes aux yeux même des oblervateurs î Ceci fe confirme par ce qu'on a obiervé furleis comètes , elles doivent brûler jufcjw'au centre lorfqu'elles paflent à leur péri- hélie ; cependant elles ne deviennent pas lumîneulés par elles - mêmes , on voit feulement qu'elles exhalent des vapeurs brûlantes dont elles laiffent en chemin une partie confidérable.
J'avoue que fi le feu peut çxifl^r dans un milieu où il n'y a point ou très-peu de réfiflance , il pourroit aufll fouffrir un très-grand mouvement fans s'éteindre; j'avotie aufFi cjue ce que je viens de dire ne doit s'entendre que des étoiles qui dilparcifîént pour toujours, &: que celles qui ont des retours périodiques, & qui le montrent & difparoiffent alter- nativement lans changer de lieu , font fort différentes de celles dont je parle : les phénomènes de ces aftres finguliers ont été expliqués d'une manière très-
fatis>fiûfante
Théone de la Terre'» 217^
iLitisfaKante par M. de Maupertuis dans Ton Difcours fur fa figure des Ailres, <Sc je fuis convaincu qu'en partant des faits qui nous font connus , ii n'elt pas pof. fible de mieux deviner qu'il l'a fait; mais les e'toiles qui ont paru & enfuite difparii c/ tir^ I
pour toujours, {q. {qwx. vrai(emblable-' * . A ment éteintes , foit par ta vîtefTe de leur **^*'*"**'*^ 1 mouvement, foit par quelqu'autre caufe, nf^mJi J^itmH j & nous n'avons point d'exemple dans la ^,>jC>gâ>i Nature qu'un aftre lumineux tourne au^^y_^ y * tour d'un autre alire : de vingt-huit ou . ^jt- ^ .trente comètes «Se de treize planètes qut^^ compofènt notre fyiième, & qui fe i«M-^ •'«^ **' ï meuvent autour du foieil avec plus oii^»4M,Mi#<ùCi4? moins de rapidité, il n'y en a pas une .de Itimineuiè par elle-même.
On pourroit répondre encore que le feu ne peut pas fubrifteraufîi long-temp* dans les petites que dans les grandes maffes , &: qu'au fortir du foleil les pla- nètes ont du brûler pendant quelque temps, mais qu'elles fe font éteintes faute de matières combuRibles, comme le foleil s'éteindraprobablementpar la même raifon , mais dans des âges futurs & aufli éloignés des temps auxquels les planètes
Tome I, JK.
2 \ S hijlairc Naturelle, fe font éteintes , que fli grofleur Tefl Je celle des planètes : quoi qu'il en (oit, la réparation des parties plus ou moins dénies, quis'eft hiite néceiïairementdans le temps que la comète a pouflé hors du )i^ A: foleil la matière des planètes , me paroît __ fuffiiante pour rendre raiibn de cette
i* V extmcnon de leurs feux. ^ '^^■«^ \^';x terre &. les planètes au fortir du ^î^^VYv t foleii étoient donc brûlantes ik. dans uii 'Wf A,.. ;t.«, état de liquéiàdion totale, cet état de ^/., ^.' iiquéfadion n'a duré qu'autant que la , violence de la chaleur qui Tavoit pro- *'^" duit; peu à peu les planètes fe font re^ y -^^.^ ^ froidie?, &: c'eil dans le temps de cet état de fluidité caufé par ie feu, qu'elles auront pris leur figure, & que leur mou^ veinent de rotation aura fait élever Its^ parties de l'équateur en abaiflant les pôles. Cette figure qui s'accorde fi bien avec les loix de l'H ydroftatique , fuppo(e jiéceflairement f[ue la terre & les pla- nètes aient été dans un état de fluidité , & Je fuis ici de l'avis de M. Leibnitz * ; cette fluidité étoit une liquéfidion caufée par la violence delà chaleur, l'intérieur * Prop'giXû, iiu[ G, C» L» 4id, Er, Lipf an. i 6q z .
Théone Je la Terre. 2. i ^
de îa terre doit être une matière vîîrifïce dont les fables , les grès, le roc vif, les granités , & peut-être les argiles , lont des fragmens Se des fcories.
On peut donc croire avec quelque vraileinbiance, que les planètes ont appartenu au loieii , qu'elles ont été fépartes par un leul coup qui leur a donne un mouvement d'impulfion dans ie même fcns & dans le même plan , & que leur pofition à différentes dillances du foleil ne vient que de leurs différentes denfités. Il refte maintenant à expliquer par la même théorie le mouvement de rotation des planètes â<. la formation des flrteliites ; mais ceci, loin d'ajouter des difficultés ou des impolllbilités à notre hypothèiè, fèmble au contraire la con- firmer.
Car le mouvement de rotation dépend uniquement de l'obliquité du coup, & il ert néceflaire qu'une impulficn , dès qu'elle eft oblique à la furface d'un corps dorme à ce corps un mouvement de rotadon ; ce mouvement de rotation iera égal ÔL toujours le même, fi le corps qui k reçoit eil homogène, ôl il fera inégal
[2.2 6 'Htfloîre l^atureÙe':
fi le corps eft compofe de parties hété- rogènes ou de différente denfité , & de-Ià on doit conclure que dans chaque pla- nète la matière eft homogène , puifque leur mouvement de rotation eft égal ; autre preuve de ia féparation des parties denfes & moins denfes lorfqu'elles fe font formées- Mais l'obliquité du coup a pu être telle qu'il fe fera féparé du corps de la planète principale de petites parties de matière qui auront conCèrvé la même diredion de mouvement que la planète même, ces parties fe feront réunies, fuivant leurs denfités, à différentes dis- tances de la planète par la force de leur attracflion mutuelle ; & en même temps elles auront fuivi néceflàirement la pla- nète dans fon cours autour du foleil en tournant elle-même autour de la pla- nète, à peu près dans le plan de fon orbite. On voit bien que ces petites par- ties que la grande obliquité du coup aura fcparces , font les fatellitcs ; ainfi la formation , la pofitioii & la direétion des mouvemens des fatellites s'accordent parfaitement avec la théorie -, car ils oiU
Théorie de h Terre, 2 1 1
tous la même diredion de mouvement dans des cercles concentriques autour de leur planète principale, leur mouvement efl: dans le même plan , & ce plan eft celui de l'orbite de la planète : tous ces cfes qui leur font communs & qui dé- pendent de leur mouvement d'impul- fion , ne peuvent venir que d'une caufe comiTume , c'e(l-à-dire , d'une impulfion commune de mouvement , qui leur a e'té comnumtquée par un feul & même coup donné fous une certaine obliquité.
Ce que nous venons de dire fur la caufè du mouvement de rotation & de ia formation des fatellites, acquerra plus de vraifemblance , fi nous faiions atten- tion à toutes les circonftances des phé- nomènes. Les planètes qui tournent le plus vite fur leur axe , font celles qui ont des flitellites ; la Terre tourne plus vue que Mars dans le rapport d'environ 24 a I 5 , la Terre a un fatellite & Mars n'en a point ; Juj^iter fur-tout , dont la rapi- dité autour de fon axe eft 5 ou 600 fois plus grande que celle de ia terre, a quatre fatellites , & il y a grande apparence que Saturne qui en a cinq & un anneau
K iij
^2 2 Hifloirc Naturelle.
tourne encore beaucoup plus vite que Jupiter.
On peut même conjccflurer avec quel- que fondement, que i'anceaii de Saturne ell parallèle à i'<. quaieur de cette planète, en forte que le plan de l'équateur de i'aniieau.&. celui Je l'équateur de Saturne font à peu près les mêmes; car en fup- pofmt , (iiivant la théorie précédente , que l'obliquité du coup par lequel Sa- turne a é\e mis en mouvement, ait été fort grande , la vîtelTe autour de Taxe qui aura réluké de ce coup oblique, aura pu d'abord êire telle que la force centrifuge excédoii celle de la gravité, & ii le iera détaché de l'équateur & des parties voifines de l'équateur de la pla^ lîète, une quantité conddt'rable de ma- tière , qui aura néceihiirement pris la iigure d'un anneau, dont le plan doit être à peu près le même que celui de l'équateur de la planète ; «& cette partie de matière qui forme l'anneau , ayant été détachée de la planète dans le voifinage de l'équateur, Saturne en a été abaifle d'autant fous l'équateur , ce qui fut que malgré la grande rapidité que nous lui
Théorie de la Terre* 12 y
îup{*)orons autour de fon axe , les dia- mètres de cette planète peuvent n'être pas aufîi inégaux que ceux de Ju]:>iter , qui difîèrent de plus d'une onzième partie.
Quelque grande que foit à mes yeuK îa vraiieiublance de ce que j'ai d t juf- qu'ici lur ia formation des planètes & de ieurs latell tes, comme chacun a la me- fare , fur-tout pour edimerdcs probabi- iitèsde cette nature, & que cette nieiure dépend de la puilîance qu'a felprit pour combiner des rapports plus ou moins éloignés , je ne prétends pas contraindre ceux qui n'en voudront rien croire. J'ai cru feulement devoir femer ces idées , pa.ce qu'elles m'ont paru railonnables, ÔL propres à éclaircir une matière fur laquelle on n'a jamais rien écrit, quel- qu'imporiant qu'en foit le fujet , puiique ie mouvement d'impulfion des planètes entre au moins pour moitié dans la corn- pofuion du iyîième de l'Univers, que i'attia(5tion ieule ne peut expliquer. J'a- jouterai feulement pour ceux qui vou- droientnier la poflibilité de mon îyftème, k5 quellions fui vantes.
K iii;
^24 Hîjloire Naturelle.
i.*" N'eft-il pas naturel d'imaginer qu'un corps qui eft en mouvement, ait reçu ce mouvement par le choc d'un autre corps î
2, ." N 'eil-il pas irès-probabie que plu- fieurs corps qui ont ia même diredion dans leur mouvement, ont reçu cette diredion par un fcul ou par pîufieurs coups dirigés dans le même fens î
3 ." N'elt-ilpas tout-à-fait vraifemîjlabïe qiie plufieurs corps ayant la même direc- tion dans leur mouvement &: leur pofition clans un même plan , n'ont pas reçu cette diredion dans le même fens &: cette pofi- tion dans le même plan parplufieurscoups^ mais par un feul <& même coup !
4." N'eft-il pas très-probable qu'en même temps qu'un corps reçoit un mou- yement d'impulfion , il le reçoive obli- quement, & que par conféquent il foit obligé de tourner fur lui-même , d'autant plus vite que l'obliquité du coup aura été plus grande ! ii ces quelîions neparoifTent pas déraifonnables , le fyftème dont nous \enons de donner une ébauche, cefTera de paroître une abfurdité.
Paflous maintenant à quelque cjioie.
Théorie de la Terre, 225'
qui nous touche de plus près , & exaini- iT-ons la figure de la terre lur laquelle Oii a tait tant de recherches & de fi grandes obiervaiions. La terre étant, comme i[ paroît par l'e'galitë de Ton mouvement: diurne & la conltance de i'inciinaiion (\z fon axe, compofée de parties homo- gènes , & toutes Tes parties s'atiirant en railon de leurs mafTes, elle auroit pris néceffairement la figure d'un globe par- faitement rphérique, fi le mouvement d'impulfion eût été donné dans une ^i- reélion perpendiculaire à la iurface ; mais ce coup ayant été donné obliquement, îa terre a tourné fur fon axe dans le mêm.e temps qu'elle a pris fîi forme , & de la combinaifon de ce mouvement de rotation & de celui de i'attracftion des parties il a réfulté une figure fphcroïde plus élevée fous le grand cercle de ro- tation , & plus abaiffée aux deux extré- mités de l'axe, & cela parce que l'action de la force centrifuge provenant du mxou- vemicnt de rotation, diminue i'aclicn de îa gravité; ainfi ïa terre étant homogène, &: ayant pris fa confi (lance en même temps qu'elle a reçu fon mouvement de
K v
2i6 H'îjloire Nûîurelle.
rotation , elie a du prendre une figure fphéroïde dont les deux axes dilîèrent d'une 2 3 o.""" partie. Ceci peut le démon- trer à la rigueur oc ne dépend point des hypoihèle- qu'on voudroii fiiire lur la diretftion delà pelanieur, car il n'eM pas permis de faire des h y pot h è les contraires à des vérités établies, ou qu'on peut établir : or les loix de la pelanteur nous font connues, nous ne pouvor.s douter que les corps ne pèlent les uns fur les autres en railbn dire<51:e de leurs mafles, <& inverle du quarre de leurs diftance ; de même nous ne pouvons pas douter que l'adion générale d'une malî'e quelconque ne foit compoiée de toutes les adlions particulières des parues de cette mafîe , ainfi il n'y a point d'hypothèfe à faire fur la diredion de la pelanteur , chaque partie de matière s'attire mutuellement en raifon d-reèle de la maffe &. inverie du cjuarre de la diilance , & de toutes ces attradions il réfulte une fphère lors- qu'il n'y a point de rotation , & il en réfulte un Iphéroïde lorfqu'il y a rotation. Ce fphéroïde ell plus ou moins accourci aux deux extrémités de i'axe de rotation^
Scorie de la Terre. ^ ^ 7j fi proportion de fa vîtcfie de ce mouvc- inent , & ia terre a }:)ris en vertu de la VÎtefre de rotation (Se de l'attradion mu- tuelle de toutes les parties, la ligure d'un fpheroïde dont les deux axes font entr'eux comme 229 à 2 3 o.
Ainfi par l'a coiillitution originaire, par ïow homoo^énéiié , & indéne»; dam ment de toute liypothèie fur la dirediondela peianteur , la terre a pris cette figure dans le temps de la formation , &: elie ell , en vertu des loix de la Mécanique, élevée nécefTairement d'environ fix lieues & deiîiie à chaque extrémité du diamètre de i'équaieur de plus que Tous les pôles.
Je vais in fi fier fur cet article, parce qu'ii y a encore des Géomètres qui croient que ia figure delà terre dépend dans la théorie, du iyflème de phiioiophie qu'on em- brafie , <Sc de ht direction qu'on iuppofe à ia peianteur. La première choie que nous ayons à démontrer , c'ell i'atiradion mu- tuelle de toutes les parties de la matière, & la lecondc rhom.og-. néité du globe tcrrelbe; fi nous fltiions voir cldreiuent que cci deux faits ne peuvent j as être ré- voqués en doute , il n'y aura plus aucune
2.1 s 'Hijlolre NaîiireVe:
hypothèfe à faire fur la diredlion de îà pelanteur ; la terre aura eu nécefîairement îa figure déterminée par Newton, & toutes les autres figures qu'on voudroit lui don- ner en vertu des tourbillons ou des autres hypothèfes , ne pourront iubfiller.
On ne peut pas douter, à moins qu'on île doute de tout , que ce ne foit la force d€ la gravité qui retient les planètes dans leurs orbites; les fatellites de Saturne gravitent vers Saturne , ceux de Jupiter yers Jupiter, îa Lune vers la Terre, & Sa- turne, Jupiter, Alars, la Terre, Vénus 6c Mercure gravitent vers le Soleil: de même Saturne & Jupiter gravitent vers leurs fàteflites , îa Terre gravite vers la Lune , & le Soleil gravite vers les planètes , la gravité eft donc générale & mutuelle dans toutes \ts plsnèies, car i'adion d'une force ne peut pas s'exercer fins qu'il y ait réaélion , toutes les planètes agifi"ent donc mutuellement les unes fur les autres : cette attratflion mutuelle fert de fondement aux îoix de leur mouvement, &: elle efl: dé- montrée par les phénomènes. Lorfque Saturne & Jupiter font en conjonc^lion, ils stgiflent l'un fur i'autrc; & cette attradiou
Théorie de la Terre , '21^
produit une irrégularité dans leur mou- vement autour du Soleil ; il eu eft de même de la Terre ôl de la Lune, elles agiiïent mutuellement l'une fur l'autre, mais les irrégularités du mouvement de la Lune viennent de l'attradion du Soleil, eu forte que le Soleil , la Terre & la Lune , agiffent mutuellement ies uns fur les autres. Or cette attradion mutuelle que les planètes, exercent les unes fur les autres, eft proportionnelle à leur quantité de ma- tière lorfque les diftances font égales , ôc la même force de gravité qui fait tomber îes graves fur la furface de la Terre, &. qui s'étend jufqu'àla Lune , eft aufll propor- tionnelle à la quantité de matière; donc la gravité totale d'une planète eft compofée de la gravité de chacune des parues qui îa compoiènt ; donc toutes les parties de la madère, foit dans la terre , foit dans ks planètes , gravitent les unes fur les autres; donc toutes les parties de la matière s'at- tirent mutuellement : & cela étant une fois prouvé , la terre par fon mouvement de rotation a dû néceffairement prendre ïa figure d'un fphéroïde dont les axes font entr'eux comme 22^ à 2.30, & ia
!â3ô' Hîjîohe Naturelle.
d[ire(51ion de la pefanteur eft nécefîîiirc*» ment pcrpendicuiaire à ia furface de ce fphéroïde ; par conféquent il n'y a point d'hypotlièle à faire fur la diredion de la pelanteur, à moins qu'on ne nie l'attrac- tion mutuelie & générale des partie de îa matière, mais on vient 'de voir que Tattraiflion mutuelie efl: démontrée par îes obfervations , & les expériences àts pendules prouvent qu'elle efi générale dans Toutes les parties delà matière , donc on ne peut pas faire de nouvelles hypo- thèfès lur la direcflion de la pefanteur , (ans aller contre l'expérience & la railon.
Venons maintenant à rhomogéneité du globe terrefire; j'avoue que fi l'on fupp jie que le globe foit plus dénie dans cer: aines parties que dans d'autres , îa diieélion de ia peïân eur doit être dif- férente de celle que nous venons d'af- figner, qu'elle fera différente fuivant les différentes fuppofitions qu'on fera, & que la fgiirede la terre deviendra dif- férente aulîi en vertu des mêmes fjp- poîiàons. Mai qiîdle raifon a-t-on pour croire que cela foit ainfi î Pourquoi Teut-on, par exemple, que les parties
Tliéone Ae la Terre. 1 3 t''
voifmes du centre , foient plus dciifes que ce les qui en iont pius éloignées î toutes les part eu es quicompolent le globe ne le lont-elfes pas raftemblées par leur at- tra^ion mutuelle \ dès-lors chaque parti- cule eft un centre, &. il n'y a pas de raiiori pour croire que le.-» parties qui font au:our du centre de grandeur du globe , foient plus denfes que ce les qui font autour d'un autre point ; mais d'ailleurs fi une partie confidérable du globe étoit plus denfe qu'une autre p^rJe, i'axe de rotation le trouveroit plus près des parties denfes, & il en réfuUeroit une ineg lire dans la révolution diurne , en lorte qu'à la furface de la tene nous remarquerions de rinégi'Jité dans le mouvement ap- parent des fixei , elles nous paroit oient le mouvoir beaucoup plus vî e ou be:iu- coup plus Icnfetnenc uu zénith qu'à l'ho- rizon , lelon que nous ferions polés fuï les parties dénies ou iégè:ei du globe: cet axe dt la terre ne pafî^tnt plus par le cent e de granieurdu globe, ch nge- roic auili très-lènfb'enient de pofui n ;• m is tout ceL; n'arr e })..s, on iiic ;ui con- traire que le mouvemeiit diurne de iâ^
X-^z 'Hijloke Naturelle,
terre eft égal & uniforme , on fait qu*l toutes les parties de la furfàce de la terre ies étoiles paroiiïent fe mouvoir avec la inême vîteiïe à toutes ies hauteurs, & s'il y a une nutation dans l'axe, elle efl: afïez infènfible pour avoir échappé aux obler- vateurs ; on doit donc conclure que^ le globe efl homogène ou prefque homo- gène dans toutes Tes parties.
Si la terre étoit un globe creux & vide dont la croûte n'auroit, par exemple, que deux ou trois lieues d'épaiiïeur , il en ré- fulteroit i .^ que les montagnes feroient dans ce cas des parties fi coiiridérables de l'épaifTeur totale de la croûte qu'il y auroit une grande irrégularité dans les Biouvemens de la terre par l'attradion de !a lune & du foieil ; car quand les parties les plus élevées du globe, comme les Cordillères, auroient la lune au méri- dien, l'attradion feroit beaucoup plus forte fur le globe entier que quand les parties les plus baffes auroient de même cet aftre au méridien. 2.'' L 'attraction des moniagnes feroit beaucoup plus con- fidérabie qu'elle ne l'efl en comparai- ion de l'attradion totale du globe, & les
Théorie âe la Terre. % 3 3
expériences faites à la montagne deChim- boraçoau Pérou ,donneroientdans ce cas plus de degrés qu'elles n'ont donné de fécondes pour ladéviaiion du fil à-plonib. 3,'' La pedinteur des corps feroit plus grande au-de/Tus d'une haute montagne , comme le Pic de Ténérifle, qu'au niveau de la mer, en forte qu'on fe ièntiroit confidérablement plus pefint & qu'on mar cheroit plus difficilement dans les lieux élevés que dans les lieux bas. Cesconfidé- raiions & quelques autres qu'on pourroit y ajouter , doivent nous faire croire que l'intérieur du globe n'efl pas vide & c|u'il eft rempli d'une matière aflez denfe.
D'autre côté, fi au-defîous de deux ou trois lieues , la terre étoit remplie d'une matière beaucoup plus denfe qu'aucune des matières que nous connoifTons , il arriveroit néceflairement que toutes les fois c[u'on dcicendroit à des profondeurs Hiême médiocres , on pèferoit fenfible- ment beaucoup plus, les pendules s'ac- célérer oient beaucoup plus qu'ils ne s'ac- célèrenî en effet lorfqu'on les tranfporte d'un lieu élevé dans vui lieu bas ; ainfi nous pouvons préfumer que i'imérieux
':2-34 Hipohe Nûîurelie. de la terre eft rempli d'une matière a petî près femblable à celle qui compofe la furface. Ce qui peut achever de nous déterminer en faveur de ce (entinient , c'ell" que dans ie temps de la première formation du globe, lorlqu'ii a pris la forme d'un fj^hcroïde aplati fous les pôles , la matière qui le compofe, éioit en fufion, & par confequent homo- gène , & à peu près e'gnlement denfe d;ins toutes fes parties , aulfi-bien à la furfice qu'à l'intérieur. Depuis ce temps, la ma- tière de ia fuiface, quoique la même, a été remuée 6i travaillée par les caufes extérieures , ce qui a produit des ma- tières de différentes denfnés; mais on doit remarquer que les madères qui, comme l'or & {es métaux , font les plus dénies , font aulTi celles qu'on trouve le plus rarement , & qu'en confécjuence de î'adiion des eau lès extérieures, la plus grande partie de la matière qui compote ie glo]:îe à la furface , n'a pas fubi de très-grands changemens par rapport à la denfité , & les matières les plus coiw- munes, comme le fable & la orlaife , ne dif^ fèreiit pas beaucoup eu dea.fité; eu iorts
Tiléone de h Terre, 2^^ ,
qu'il y a tout lieu de conje^fturer avec
gnmde vraifeniblance , queji^^kur ^trt tij^n- ^
<:}e la terre ell rempli d'une m^^^^itri- P,i^*_ /;( * ^« j
ri(^e donf'là dêniite,'e{i à peu prés ia Vy 0 !"/**] iTi'eme que celle du llible , <& que par ^^ ^^^J^ • confequent le globe terreftre en général peut être regardé comme homogène.
li refle une relTource à ceux qui veu- ient abfolumcnt faire des ruj)poli ions, c'efl: de dire que le globe eit comporé de couches concenrriques de différentes denfités, car dans ce cas le mouvement diurne fera éaal , & l'inclinaifon de l'axe confiante, comme dans le cas de l'homo- généité. Je l'avoue , mais je dem nde en , * jnême temps s'il y a aucune railon de ^**^ ^««**«/ft^ croire que ces couches de diiférenîes«/^'»«<** T*^*^ denfités exiftent, fi ce n'eu pas vouloir «>^ dtmiiiiu que les ouvrages de la Nature s'ajuftent j MrvwnJ à nos idées abltraites , & fi l'on doi. ad- ,. . * mettre en Phyfique une fuppofuion qui*'^^*^^'^'^*^*^ n'eft fondée fur aucune obfervation , '^^^ tf'*^, ^ aucune andogie , & qui ne s'accorde avec aucune des indudions que nous pouvons tirer d'ailleurs.
Il paroît donc que la terre a pris, eii vertu de i'attraâion mutuelle de feg
2^6 Hîflolre 'Naturelle,
parties & de Ton mouvement de rotation , r'* •>■<. -^t* Ici,j^|^||ft|^n fphéroïde dont îes deux >% ^^, axes^Hilmit d'une 220.""* P'^niejJ paroi c que c éit-ia i;i n^ure primitive - " » quelie a priie neceliaïrement dans le temps de ion état de fluidité ou de il- quéfàélion ; il paroi t qu'en vertu àç.s loix de ia gravité & de h force centri- fuge, elle ne peut avoir d'autre figure , que du moment même de fa formation if y a eu cette différence entre les deux diamètres , d^ fix iieues & demie d'éiéva- tron de plus fous l'équateur que fous les pôles, &i que par conféquent toutes les , ..^hypothèfes par lefqueiles on peuttrou- ****'"* ver plus ou moins de différence font -• ••'^ -^es fi(flions auxquelles il ne faut faire ^*».* -», aucune attention. ,^»r .-V..,- Mais, dira-t-on , fi la théorie efl vraie, fi le rapport de 22a à 230 efl le vrai rapport des axes, pourquoi les *-^ - ,.-♦ Mathématiciens envoyés en Lapponie& au Pérou , s'accordent-ii's à donner le rapport de 1 74 à i 7 5 î d'où peut venir cette différence de ia pratique à la théo- rie î &, fans fiire tort au raifonnement qu'on vient de faire pour démontrer h
Théorie de la Terre* 2 3 7
théorie , n'eft-il pas plus raifonnable de -donner la préférence à la pratique & aux mefures, îur-tout quand on Mpeut pas douter qu'elles n'aient été prîtes par les plus habiles Mathématiciens de l'Europe (M, de Mmperîuis , figure de la Terre) & avec toutes les précautions nécefîaires pour en conftater le réfultat \
À ceLi je réponds que je n'ai garde de donner atteinte aux ob fer vations faites fous î'équateur & au cercle polaire , que je n'ai aucun doute fur leur exaélitude , .& que la terre peut bien être réelienient élevée d'une 17 5."'^ partie de plus fous I'équateur f|ue fous les pôles ; mais en même temps , je maintiens la théorie, & je vois clairement que ces deux réfultats peuvent le concilier. Cette différence des deux réfultats de la théorie & des mefures , efl d'environ quatre lieues dans les deux axes, en forte que les parties fous I'équateur font élevées de deux lieues de plus c(u 'elles ne doivent l'être fuivantla théorie : cette hauteur de deux lieues répond aflez jufte aux plus grandes inégalités de la furfice du globe , elles proviennent du mouvement de la mer
1
l'jS Hiflotre Naturelle; ÔL de i'adioii des fluides à la furface de îa terre. Je m'explique, il me piroît que dji"^e temps qtie la terre s'eît for- mée, elle a iiëcefTairement dû prendre, en vertu de i'i.ttnîdion mutuelle de Tes parties & de l'adion de la force centri- fuge , la figure d'un fphéroïde dont les axes diffèient d'une 230."''' p:.rtie ; \x terre ancienne & originaire a eu necei- f lirement cette figure qu'elle a prife lorl- qu'elîe étoit fluide ou plutôt liquéfiée par le feu , mais lorlqu'après la forma tion & ion refroidiflement , les vapeurs qui étoient étendues & raréfiées, comme FxOus voyons ratmofphère & la queue d'une comète , le furent condenlées , elles tCHibèrent fur la iurface de la terre & formèrent l'air & l'eau ; & lorique ces eaux qui étoient à la furface, furent agi- tées par le mouvement du flux & reflux , ks matières furent entraînées peu à peu des pôles vers l'équateur, en forte qu'il efl: pcffible que les parties clés pôles iè foient abaiflees d'environ une lieue , & que les parties de l'équateur fe foient élevées de la même quantité. Cela ne s'cfl: pas fait tout-à-coup, mais peu à peu
Théone de la Terre. 2 j ff &. dans la fuccefîion des temps; la terre étant à i'exîérieur expolte aux vents, à l'adion de l'air & du ioleiifRoutes ces cailles ir régulières ont concouru avec îe fîux Si le reflux pour fillonner û\ fur- fîice , y creufer des profondeurs, y élever des montagnes, ce qui a produit des inéoraittés , des îrréoruiariiés dans cette couche de terre remuée , dont cepen- dant la plus grande épaifîeur ne peut être que d'une lieue fous l'cquateur; cette inégalité de deux lieues ell: peut- être la plus grande qui puilTe être à h iiirface de la terre , car les plus hautes montagnes n'ont guère qu'une lieue de hauteur, & les plus grandes profondeurs de la mer n'ont peut-être pas une lieue, La théorie efl: donc vraie, &. la pratique peut l'être aufî] ; h terre a du d'abord n'être élevée fjus l'équatcur que d'envi- ron fix lieues & demie de -plus qu'au pôle , Se enfuite par les changemens qui font arrive's à fi riirface , e'ie a pu s'é- lever davantage. L'Hilloire Naturelle confirme merveilieulement cette opinion, & nous avons prouvé dans le diicours précédent, que c'eftie fîux ôc le reflux êc
2^6 Hîflohe Naturelle:
ies autres mouvemens des eaux qui on? produit les montagnes & toutes les ine'- galités deWfurface du globe ; que ccno. même furface a iubi des changemens très-confidérables , & qu'à de grandes profondeurs comme fur les plus grandes hauteurs, on trouve des os, des coquilles & d'autres dépouilles d'animaux habitans' des mers & de la furface de la terre.
On petit conjedurer par ce qui vient d'être dit, que pour trouver la terre ancienne & les matières qui n'ont jamais été remuées, il fmdroit creuiêr dans les climats voifins des pôles , oii ia couche de terre remuée doit être plus mince que dans les climats méridionaux.
Au relie , fi l'on examine de près les mefures par lefquelles on a déterminé la figure de la terre , on verra bien qu'il entre de l'hypothétique dans cette déter- mination , car elle fuppofe que la terre a une figure courbe régulière , au lieu qu'on peut penier que la furface du globe ayant été altérée par une grande quantité de caufes combinées à l'infini, elle n'a peut-être aucune figuré régu- lière ; & dès-lors la terre j^ourroit biei:ï
n'être
Théorie de la Terre, 241
n'être en effet aplatie que d'une 230.""*^ partie , comme le dit Newton , & comme la théorie le demande. D 'ailleurs , 011 fait bien que quoiqu'on ait exad:ement la longueur du Degré au cercie polaire ^ à i'équatcur , on n'a pas aufli exacfle- ment la longueur du Degré en France, & que l'on n'a pas vérifié ia mefure de M. Picard. Ajoutez à cela que la dimi- iiution &: l'augmicntation du pendule ne peuvent pas s'accorder avec le réiultat des meiures , & qu'au contraire elles s'ac- cordent à très-peu près 2ivec la théorie de Newton ; en voilà plus qu'il n'en flmt pour qu'on puifTe croire que la terre n'eit réellement aplatie que d'une 23 o.""^ partie, & que s'il y a quelque différence , elle ne peut venir que des inégalités que les eaux & les autres caules extérieures ont produites à la lurface ; & ces inégalités étant, feîon toutes les appa- rences , plus irrégulières que régulières , on ne doit pas faire d'hypothèfe fur cela, ni fuppofer, comme on l'a fait , que les méridiens font des ellipfes ou d'autres courbes régulières ; d'où l'on voit que quand onmefureroit fuccelîivement plu- Tome /. L
242. Htflolre Naturelle.' fleurs Degrés de la terre dans tous les fèns, on ne ieroit pas encore aiîuré j^ar- ià de la quantité d'aplatifi'emcnt qu'elle peut avoir de moins ou de plus que de a 230. partie.
Ne doit-on pas conjeiflurer aufll que il l'iticlinaiion de l'axe de* la terre ;i changé , ce ne peut être qu'en vertu des chaiîgeniens arrivés à la lurface, puilquc tout le reile du globe eil: hoiucgène; que par coniéqucnt, cette variation eil trop peu lenfibie pour être aperçue par les Ailronoines, & qu'à moins cjue lu terre ne ioit rencontrée par qiîelque coiuète , ou dérangée par c|uefqii'autre cauie extérieure, ion axe demeurera per- pétuellement incliné comtne il i'ei'i au- jourd'hui, & comme il l'a toujours été ! 1^ £t afin de n'omettre aucune des conjeélures qui me paroiflent raiion- nabies , ne peut-on pas dire que comme les montagnes & les inégalités qui loiit à la Turface de la terre, ont été formées par l'a<fliondu flux & reflux, les mon.timnes & les inégalités que nous remarquons à fa ilirfiice de la iunc , ont été produites par une caiiic iemblabie ; qu'elles font
ThSone de la Terr^, 243
Tîeavjcoiip pWs élevées que cclîcs de h terre , parce que le fîux ik reflux y eîl beaucoup plus fort , puifqu'ici c'efl la lune , & là c'eft la terre qui le caufe , dont la maffc étant beaucoup plus ccn- fîdérable que celle de la lune , devrolt produire deseffets beaucoup plus grands fi la lune avoit, comme la terre, v.n mouvement de rotation rapide par lequel elle nous préfèmeroit fucceflivemient toutes les parties de fa furface ; mais comme la lune préfente toujours la mem.e face à la terre, le flux & le reflux ne peu- vent s'exercer dans cette planète qu'en vertu de ion mouvement de iibration par lequel elle nous découvre alternati- vement un fegment de fa furftce, ce qui doit produire une efpèce de fîux & de reflux fort diiiérent de celui de 1105 mers , & dont les edèts doivent être beaucoup moins confidérables qu'ils ne le feroient, fi ce mouvement avoit pour caufe une révolution de cette planète autour de Ion axe , aulîi prompte que l'eiî: la rotation du globe terrelb'e.
J'aurois pu faire un livre gros comme celui de Burnet ou de Whiflon , fï j'cu&
L ij
^44 fîtflotre Naturelle. voulu délayer les idées qui compofent le fyftème qu'on vient de voir , ^ en leur donnant i'air géométrique, coinjne l'a fait ce dernier Auteur, je leur eufTe en même temps donné du poids; mais je penfe que des hypothèfes, quelque vraifemblables qu'elles foient, ne doivent point être traitées avec cet appareil .quj dent un peu de la charlatanerie.
A Buffon le 2 q Septembre j y ^^ .
Tfiéorîe Je la Terre, "2 4 5^
PREUVES
DE LA
THÉORIE DELA TERRE. A R T I C L E 1 1.
Du Syfthne de AL Wlùpn.
A ncw Theory of the Earth , by Wiii. Whiftonp Lvndon , lyoS»
CET Auteur commence fon traite de ia Théorie de la Terre par une difTertation fur ia création du monde ; iï prétend qu'on a toujours mal entendu le texte de la Qç,Tih{Q^ qu'on s'eft trop atta- ché à ia iettre & au iens qui ie prélente à ia première vue, Hms fliire attention à ce que la Nature , îa raiibn, ia Philofo- phie , & même ia décence exigeoient de i'Écrivain pour traiter dignement cette matière. îi dit que ies noticns^-qû'on a communément de i'ouvrap^e des fix jours, Ibnt aÎDibîament taufies , & que ia del- crijuionde Moyfe n'eii pas une mrrauoa
L iij
2 4-6 mpotre Naturelle: exade & philofophiqiie de {a création de l'Univers entier <& de i origine de tomes choies, mais Mie rcpréientation iîiiiorique de la formation du fenl globe terrefire. La terre , félon lui, exidoit auparavant dans le cahos, ^ elle a reçu dans le temps mcniionnépar Moyfe la fonrié, laiïiuation & la confiHance né- ceiiaires pour pouvoir être habitée par le genre humain. Nous n'entrerons point émsÏQ détail de fes preuves à cet égard , ^ nous -n'entreprendrons pas d'en f lire îa réfutation; lexpcfition que nousvc- lions de faire , fuffit pour démontrer la cciîtrariété de ion opinion avec la foî^ & par conféquent i 'in lufâ lance ck fes preuves: au reftc, il traite cette matière eii l'héologien controveifiiie plutôt qu'en Ph iiofophe éclairé.
Pariant de ces fmx principes , il pafTe à des fuppofitions ingénieufes, & qui, Cjuoiqu extraordinaires , ne lailTent pas d'avoir un degré de vraifemblance lori- qu on veut fe livrer avec lui à î'enthou- fiafme du fyilème: il dit que l'ancien cahos, iorigine de notre terre, a été i'atinof])hère d'une comète ; que le mou-
Théorie de la Terrer 247 veillent annuel de la terre a commencé dans le temps qu'elle a pris une nouvel.e forme , mais que Ton mouvement diurne n'a commencé qu'au temps delà ointe du premier homme : nue le cerc.e de l^écliptique coupolt alors le tropique ou C'incer au point du paradis terreitre a Sa floniière d'Aayrie, du côté du nord^ ouell; qu'avant le déluge Tannée com- mcnroit à l'équinoxe d'automne ; que les orbiics originaires àti planèies, & iur- îout l'orbite de k terre, étoienî avant ie déluge des cercles parlaits ; que e d-luc^e a commencé le 18,' jour de Nov'embre del'année 2365 delapériode Julienne , c'eft-à-dire , 2 3 49 f 7 ^^ i'ere chrétienne; que l'année iolaire & Tannée kmaire éioient les mêmes avant le deluae, & qu'elles contenoient juite .60 jo^jrs; qu'une comète defcendant dans ie plan de l'écliptique vers Ton péri- hélie . a pafie tout auprès du globe de la terre le jour même que le déluge a commencé; qa'il y a une grande cha- leur dans l'intérieur du globe terreitre, (nji ie répand conrtammenî du^ centre à la circonférence ; que la conuitutiou
L iiij'
i4§ Hifloire Naturelle. intérieure & toialede la terre eft comme cel.ed unœuf.ancienemblémedu dobc • que es montagnes font les pardes les plus kgeres de Ja terre, &c. Enfuite il attribue an déluge univerfei toutes les altérations & tous les changemens arrivé* a ia lurflice & >, l'intérieur du ^lobe Il adopte aveuglément les hypotiiçfes de' Voodwm-d, & fe fert Indiiîinflement <ie toutes les obfervations de cet Auteur au fujetde l'état préfem du globe; mais i! y ajoute beaucoup lorfqu'ii vient à înmer de l'état futur dé la terre : félon lui ^tle périra par le feu, & f, deftruc^ion lera précédée de tremblemens épou- v;uitables, de tonnerres & de météores effroyables le foleil & la iune auront iafpea hideux, les deux paroîtront s écrouler, l'incendie fera général fur la terre; mais lorfque Je feu aura dé- vore tout ce qu'elle contient d'impur , lorfquclie fera vitrifiée & tranfparente comme le criiïal, les Saints & les Bien- heureux viendront en prendre poiïéirion pour 1 hajjiter jufqu'au temps du iuo-e- meiit dernier. '^
Toutes ces hypothèfes-^emblem au
Théorie de h Terre. 249 premier coup d œil , être autant d'afTer- fions téméraires, pour ne pas dire extra- vacrantes; cependant l' Auteur ies a ma-- nic^-s avec tant d'adrelTe , & les a réunies avec tant de force , qu'elles cefTent de paroître abfolument chimériques : il met dans ibn fujet autam d'elprit & de fcience qu'il peut en comporter , & on fera touiours étonné que d'un mélange d'idées auin bizarres & aufTi peu faites pour aller enfemble , on ait pu urer un fyrtèmeéblouiffam; cen'eft pas même aux efprits vulgaires , c'eft aux yeux à^^. Savans qu'il paroîtra tel , parce que les Savans font déconcertés plus ailement que le vulgaire par l'étalage de l'érudi- tion, & par la force & la nouveamé des . idées. Notre Auteur étoit un Aftronome célèbre, accoutumé à voir le ciel en raccourci , à mefurer les mouvemens des afti-es,à compafferles efpaces descieux, il n'a jamais pu fe perfuader que ce petit arain de fable , ceue terre que nous ha- bitons, ait attiré l'attention du Créateur au poim de l'occuper plus long-temps que le Ciel & l'Univers entier, dont a. \afte étendue contient d&s millions de
L V
250 Hifloh-e ISlaUircIle. miliions de foleils & de terres. Il pré- tend donc que Moyfe ne nous a pas
donne lh,fto.re de la première création, mais leukment le détail de la nouvelle lorn.e que la terre a prife, lorlque la ma,n du 1 ou(-puiff,nt la tirée dt. non.- J^re des comètes pour la fiire planète, ou, ce qui revient au même, lorlque dun inonde en défordre & d'un cahos ■ "Uforme ,1 en a ftit une hai^itaiion tran- quille & un (ejour agréable; les comètes ipnt en effet luj êtes à des vicilDiudes tçrribles a caufe de l'excentricité de leurs orbites; tantôt, coMime dans celle de <68o, ,1 y 11,!, n,i,i^ fois plus chaud cfuaum,l,eu d'un brafier ardent, tatitôt U y fut mille fois plus froid que dans la glace, & çhes ne peuvent guère être habitées que par d'étranges Créatures, ou pour trancher court, elles foiit in- l)abitees.
, ^^'P^-'W.'^es au contraire font des lieux oe repo ou la diftaiice au foleil ne variant PAS beaucoup , la température relie à peu p.es In i„eme, & pe,,^et aux efpèces de piaaies & d aniinaux, de croîax, de durer « de œu'iiplier.
Ihecrie cu la Terre, 1 5 * ' Au cominenccment, Dieu créa donc î-Univers, mais, Icloii notre Auteur, in lerrc confondue avec les autres aRres errans , n'étoit alors qu'une comète inha- bitable, loufFrant aiternaiivement Texcè du froid & du chaud, dans iaquelle ies matières fe liquéfiant, fe vitrifiant, fe glaçant tour à tour , formoient un cahos , un abyme enveloppé d'épaiffes ténèbres, ér îenelmv annt Ju/jcr fiiiem ûhyjji. Ce cahos étoit l'aimofj)hère de la comète qu'il faut le repréfeuier comme un corps coinpofé de matières hétérogènes, dont ie centre étoit occupé par un noyau fphérique , folide & chaud , d'environ deux mille lieues de diamètre, autour duquel s'étcndoit une très-grande cir- conférence d'un fluide épais, mêlé d'une matière informe , confufe , telle qu'étoit l'ancien cahos , rudis indigepacjue moles. Cette vafte atmofphèrc ne contenoit que fort peu de parties sèches , folides ou terreftres , encore moins de particules aqueufes ou aériennes , mais une grande quantité de matières fluides , dénies & pefantes, mêlées, agitées &l confondues enfembie. Teik éioic la terre la veille des
Lvj
:2 5 2. HiJIoire NdtureJk.
fîx jours; mais dès le lendemain , c'eft-a- dire , dès ie premier jour de la création îorfque l'orbite excentrique de la comète eût été chanote en une ellijjfe prefque circulaire, chaque cho(e prit la place, & ies corps s'arrangèrent fuivant la loi de ieur gravité rpéciiique, les fluides pefans deicendirent au plus bas, & aban- donnèrcntaux parties tcrreftres , aqucuîes & aériennes la région fupérieure; celles- ci deicendirent auiîi dans ieur ordre de peianteur , d'abord la terre , enfuitc l'eau, ÔL enfin l'air; & cette iphère d'un cahos immenle le réduitit à un globe d'un vo- lume médiocre , au centre duquel eft le noyau folide qui conferve encore au- jourd'hui la chaleur que le foleil lui a autrefois communiquée lorlqu'il étoit noyau de comète. Cette chaleur peut Lien durer depuis fix mille ans , jpjif- qu'il en faudroit cinquante mille à la comète de 1680 pour fe refroidir, & qu'elle a éprouvé en pafîlmt à fou périhélie , une chaleur deux mille fois plus grande que celle d*un fer rouge. A utour de ce noyau loiide & brûlant qui occupe le centre de la terre , fe trouva
Théorie de la Terre. 2 ^ "^
le fluide clenle &; peflmt qui cJefceiidit ie premier , <Sc c'eft ce fluide qui forme ie grand abyme fur lequel la terre porteroit comme le liège fur ie vit-argent; mais camme les parties terreftres étoient mê- lées de l)eaucoup d'eau, eiles ont en deicendimt entraîné une partie de cette eau qui n'a pu remonter lorfque ia terre a été conloiidée, & cette eau forme une couche concentrique au fluide pefmt qui enveloppe ie noyau , de forte que ie grand abyme efl com.poié de deux orbes concentriques , dont ie plus inté- rieur ell un fluide pelant, & le fupé- rieur ell: de l'eau ; c'efl proprement cette couche d'eau qui fert de fondement à ia terre , & c'efi: de cet arrangement admi- rable de l'atmofphcre de la comète que dépendent la théorie de ia terre & l'ex- plication des phénomènes.
Car on fent bien c[ue quand i'atmo- fphère de la comète fut une fois débar- raflee de toutes ces matières folides & terreflres, il ne refta plus que la matière légère de l'air, à travers laquelle les rayons du foleil paflerent librement, ce qui tout d'un coup produifit la
a 5 4 Hijfloire Naturelle .
lumière, ^at /ux. On voit bien que îes colonnes qui coinpo(enti*orbe de la terre, s'etant formées avec tant de précipita- tion, elies fe font trouvées de différentes denfités, & que par conféquent les plus pefantes ont enfoncé davantage dans ce fluide fouterrain , tandis que les plus iégcres, ne fe font enfoncées qu'à une moindre profondeur, & c'eft ce qui a produit fur ia furfice de la terre des vallées & des montagnes : ces inégalités étoient, avant le déluge, difperfees & fituées autrement qu'elles ne le iont au- jourd'hui ; au lieu de la vafle vallée qui contient l'Océan, il y avoit far toute ia furfKc du globe plufieurs petites cavités féparées qui contenoient chacune une partie de cette eau , & ftifoient autant de petites mers particulières , les montagnes étoient aufîi peu divifées & ne formoient pas des chaînes comme elles en forment aujourd'hui. Cependant la terre étoit mille fois plus peuplée , & par confé- quent milie fois plus fertile qu'elle ne l'efl , ia vie des hommes & des animaux étoit dix fois plus longue , & tout cela parce que ia chaleur intérieure de ia
TIléone de la Terre. 255
terre qui provient du noyau central, étoit alors clans toute (a force ; & que ce plus grand degré de chaleur failoit éclore <S^ germer un plus grand nombre d'animaux & de plantes, & leur donnoit ie degré de vigueur nécediiire pour durer {)lus long-temps & fe multiplier plus abondamment ; mais cette même chaleur, en augmentant les forces du corps, porta malheureufement à la tête des hommes & des animaux , elle aug- menta les pafîlons , elle ôta la fagefTe aux animaux & l'innocence à l'homme: tout, à l'exception des poifTons qui habitent un élément froid, le refTentit des effets de cette chaleur du noyau , enfin tout devint criminel & mérita la mo.t: elle nrriva, cette mort univerfelle, un mercredi :2 8 novembre, par un déluge affreux de quarante jours &: de quarante nuits, & ce déluge fut caufé par la queue d'une îiutre comète qui rencontra la terre en revenant de fon périhélie.
La queue d'une comète eft la panie la plus légère de fon atmofphère , c'eft un brouillard tranfparent, une vapeur fubtile que l'ardeur du foleil fait fortir
12 5 6 Hiflolre Naturelle. du corps & de l'atmofphère de la comète; cette vapeur coiiipofée de particules aqueuîes & aériennes extrêmement raré- fiées, fuit la comète lorfqu'elle delcend i Ton périhélie, & ia précède lorlqu'eile remonte, en forte qu'elle e(l toujours fituée du côté oppofé au loleil , comme fi elle cherchoit à ie mettre à i'ombre & à éviter la trop grande ardeur de cet aftre. La colonne qui forme cette vapeur efl fouvent d'une longueur immenfe, & plus une comète approche du foieil , plus la queue efl longue & étendue ; de forte qu'elle occupe fouvent des eipaces très-grands , & comme plùfieurs comètes defcendent au-defîous de i'orbe annuel de ia terre , il n'ell pas furprenant que ïa terre fe trouve quelquefois enveloppée de la vapeur de cette queue; c'efl pré- ci fément ce qui efl: arrivé dans le temps du déluge , il n'a fallu que deux heures de féjour dans cette queue de comète pour faire tomber autant d'eau qu'il y en a dans la mer; enfin cette queue étoit ies cataratftes du ciel , ù^ cataradœ cœlï éipertœ fiint. En effet, le globe terrcftre ayant une fois rencontré ia queue de la
Théorie de la Terre. 257
comète, il doit, en y failant fa route ^ s'approprier une partie de la matière qu'elle contient ; tout ce qui fe trouverai dans la fphère de l'attradion du globe doit tomber fur la terre, &i tomber en forme de pluie , puiique cette queue eft. en partie com.poiée de vapeurs aqucufes. Voilà donc une pluie du ciel qu^oii peut fîiire aulTi abondante qu'on voudra, & un déluge univerfei dont les eaux furpafîeront aifément les plus hautes montagnes. Cependant notre Auteur ! qui, dans cet endroit, ne veut pas s'éloi- I gner de la lettre du livre facré , ne donne I pas pour caufe/ unique du déluge cette pluie tirée de fi loin , il prend de l'eau I par-tout où il y en a ; le grand abyme, i comme nous avons vu, en contient une i bonne quantité, la terre à l'approche de j k comète , aura fans doute éprouvé la I force de fon attradion , les liquides con- tenus dans le grand abyme auront été agités par un mouvement de flux &. de reflux fi violent, que la croûte fuper- ficielle n'aura pu réAfler, elle fe fera fendue en divers endroits , & les eaux de l'intérieur fe feront répandues fur la
2.58 Hifîoke Naturelle,
(urface , & ruptï funt fontes ahyjf!.
Mais que fiiire de ces eaux que fa queue de la comète & ie grand abyine ont fournies fi libéralement î notre Au- teur n'en cil point cmbarraffé. Dès que la terre, en coniinuant la route , Te fut éloignée de la comète , l'eltct de fon flîtradion, le mouvement de fîux 6: de reflux, cefili dans le grand al) y me, & dès-lors les eaux fupérieures s'y préci- pitèrent avec violence par les mêmes voies qu'elles en étoien: îbrties, le grand îibyme abforba toutes les eaux fupcrliues, éL fe trouva d'une capacité aOez grande pour recevoir non-feulement les eaux qu'il a voit déjà contenues . meus encore toutes celles que la queue de la comète avoit laiffées, parce que dans ie tem[)S de fon agitation 6c de la rupture de la croûte, il avoit agrandi i'efpace en ]>oufftnt de tous côtés la terre qui l'en- vironnoit ; ce fut auiîi dans ce temps que la figure de la terre qui jufque-ià avoit été i{>hériqrte , devint elliptique , tant par l'cfFct de la force centrifuge eau- fée par Ion mouvement diurne, que par ! adion de la comète, ôl cela parce que
Théorie de h Terre, 259 a terre en parcourant la queue dé la :omète, fe trouva pofee de façon qu'elle jrciemoJt les parties de l'equateur à cet iHre , & que la force de l'attraclion de ■X comète concourant avec la force cen- riUio-e de la terre, fit élever les parties je i'éc[uateur avec d'autant plus de ficiiité que la croûte étoit rompue &: divifée ?a une infinité d'endroits, & que l'action du flux & du reflur de l'abyme poufToit plus violemment que par- tout ailleurs le^ parties fous l'equateur.
Voilà donc l'hilloire de la création, [es caufes du déluge univerfcl , celles de la lono-ueur de la vie des premiers hommes , & celles de la figure de la tçrre ; tout cela fenible n'avoir rien coûté à notre auteur, iTsais l'arche de Noé paroît l'inquiéter Ijeaucoup : comment imaginer en effet qu'au milieu d'un défordre aulFi aflreux , îiu milieu de la confufion de la queue d une comète avec le grand abyme , au îiiHieu des ruines de l'orbe terreftre , & d uis ces terribles momens où non- feu- le luent leà élémens de la terre étoient confondus, mais où il arrivoit encore du ciel & du tartare de nouveaux élémens
l6ù " Hîjîoire Naturelle.
pour augmenter le cahos, eoinment inia-- giner que l'arche voguât tranquiliement avec fa nombreufc cargaifon fur h cime' des fîois î Ici notre auteur rame & fliit de grands efforts pour arriver & pour don-- lier une railbn pliyTique de ia coiifcrva- tion de l'arche ; mais comme il m'a paru qu'elle étoit infuffirante , mal imaginée & peu orthodoxe , je ne la rapporterai point ; il me fiiffira de faire (en tir com- bien il efl: dur pour un homme qui a' expliqué de fi grandes chofes fans avoir] recours à une puilTance furnatureile ou au miracle , d'être arrêté par une cir-- conftance particulière : aufîi notre auteur aime mieux rifquer de (e noyer avec l'arche , que d'attribuer, comme il le devoit , à la bonté immédiate du Tout-- puiiTant la confervation de ce précieux^ vaiiïeau.
Je ne ferai qu'une remarque fur ce fyflème dont je viens de faire une expo- fition fidèle, c'efl que toutes les fois qu'on fera affez téméraire pour vouloir expliquer par d^i raiforts phyfiques {qs vérités tbéoiogiques, qu'on fe permet-tra d'interpréter dans des vues puremem
Théorie de la Terre.. 2 6 1 lumainesle texte divin des livres facres , 5c que l'on voudra raifonner fur ies vo- ontés du Très-haut & iur l'exécution de [es décrets, on tombera néceiïaireinent dans les ténèbres & dans le cahos où eft :ombé l'auteur de ce fyftènie , qui ce- pendant a été reçu avec grand appiau- didement. II ne doutoit ni de la vérité du déluge , ni de l'authenticité des livres ilicrés ; mais comme il s'en étoit beau- coup moins occupé que de Phyfique & d'Aftronomie, il a pris les pafTages de l'Écriture (aime pour des faits de Phy- fique & pour des réfukats d'obfervations aftronomiques , & il a fi étrangement mêlé la fcience divine avec nos fciences humaines , qu'il en a réfulté la chofe du monde la plus extraordinaire , qui eft le fyftème que nous venons d'expofer,
G^ HiO.oire Naturelle.
PREUVES
DELA
THÉORIE DE LÀ TERRE. ARTICLE III.
Du fyfthne de M. Biirnet.
Thomas Burnet. TeUuris Theoriafdcra , orbis nrfîri origimm iX nnilariûms gencrahs, quns end jaiv jvlut, ûui u'imjuhiiuïus cji cowpiedcns. Londini, 1681.
CET auteur eft le premier qui ait traite cette matière généralement & d'une manière lyflématique; il avait beaucoup ci'ejprit &l étoit homme de Belies-letires : ion ouvrage a une grande réputation, & il a été critiqué par queic[ues Savans, entr'autres par M. Keill , qui épluchant celte matière en Géomètre, a démontré les erreurs de Burnet dans un traité qui a pour titre : Examlnatïon of tlie Thcory of ihe Earth. L.ondon , ly^^, 2' édit» Ce même M. Keill a aufîi réfuté îe fyi- tème de Whilton , mais il traite ce dernier
Théorie cle la Terre. 26^
auteur b'en différemment du premier, il
(èutble niêiiQc qu'il ell de Ton avis daiis plu fleurs cas , & il regarde comme une choîe fort probable ie déluge caulé par la queue d'uue comète. Mais pour revenir à Burnet, (uii livre e(t élégamment écrit, ij iàit peindre & prcfenter avec force de grandes images , & meure fous les yeux des iccnes uirignifiques. Scn pian eit \a(le , mais l'exécution manque fiuue de moyens, fon raifonncmcnt ed petit, ies preuves font foibles & ià confiance eit il grande qu'il la fait pcrdrç à fou icdeur.
U commence par nous dire qu'avant îe déluge , la terre a'\'cit une fornie très- diirérenie de ceiie cjue nous loi voyons aujourd'hui. C'ctoit d'abord une mafle fluide , un cahos compote de matières de toutes elpèces & de toutes fortes de fi- gures , les plus pelantes defcendirent vers le centre & formèrent au milieu du globe un corps dur & folide, autour duquel les eaux plus légères le raffemblèrent & enveloppèrent dé tous cotés ie "globe in- térieur ; l'air & toutes les liqueurs plus icgères que l'eau la iurmontèrent &
z64' Hîfîohe Naturelk» i'enveloppèrent aufîi dans toute la cîf-' conférence : ainfi entre l'orbe de i'air <Sfc celui de l'eau , il le forma un orbe d'huiie .& de liqueur grafle plus légère q.uç i'eau ; m^is comme i'air étoit encore fort impur & qu'il contenoit une très- grande quantité de petites particules de matière terreftre , peu à peu ces partie «ules defceiidirent , lombèrent fur la couche d'huile, & formèrent un orbe terreflre mêlé de limon & d'huile , & ce fut-ià la première terre habitable & le premier féjour de l'hoinme. C 'étoit un excellent terrein , une terre légère, grafle, j& faite exprès pour fe prêter à la foi- bleflc des pjemiers germes,. La furfàcc du globe terreHre étoit donc dans ces premiers temps égale , uniforme , conti- nue , fans montagnes , fans mers & fans inégalités ; mais la terre ne demeura qu'environ feize fiècles dans cet état, car la chaleur du foleil defl"échant peu à peu cette croûte limonneufe, la fit fendre d'abord à la furface, bientôt ces fentes pénétrèrent plus avant &: s'augmenter rent fi confidérablement avec le temps, qu'enfin û\^^ s'ouvrirent en entier ; dans
Théorie de h Terre, 2^5
un inftant toute ia terre s'e'crouia & tomba par morceaux dans i'abyme d'eau qu'elle contenoit, voilà comme fe fit le déluge univerfel.
Mais toutes ces mafles de terre, en tombant dans l'abyme, entraînèrent une grande quantité d'air, & elles (è heur- tèrent, fe choquèrent, fe divisèrent, s'ac- cumulèrent fi irrégulièrement , qu'elles lailsèrent entr'elles de grandes cavités remplies d'air; les eaux s'ouvrirent peu à peu les chemins de ces cavités, & à melure qu'elles les rempiifl oient, la lurface de la terre le découvroit dans les parties les plus élevées, enfin il ne relia de l'eau que dans les parties les plus baffes, c'eil- à-dire, dansîes val] es vallées qui coniiennent la mer ; ainfi noire océan cd: une partie de l'ancien abyme, le refte eft entré dans les cavités inté- rieures avec lefquelies communique l'o- céan. Les îles & les écueils font les petits fragmeas, les continens font lèf grandes malîès de l'ancienne croûte ; & comme la rupture & la chute de cet:è croûte le font fûtes avec confufion, il n'eil pas étonnant de trouver fur la terre
Tome L M
^GG Hifloire NaîîtreM
des ëminences, des profondeurs , des plaines & des iiiégaiités de toute efpèce. Cet échantillon du fyftème de Burnet fuffit pour en donner une idée ; c'eft un roman bien écrit , & un livre qu'on peut lire pour s'amufer, mais qu'on ne doit pas confulter pour s'inftruire. L'auteur ignoroit les principaux phénomènes de ia terre, & n'étoit nullement informé des obfervations : il a tout tiré de fou imagination qui , comme l'on fait , fert volontiers aux dépens de la vérité.
''^IP'
Théorie de la Terre, 2 67
PREUVES
DE LA
THÉORIE DE LA TERRE. ARTICLE IV.
Du fyjlhne de M. Woodward.
Jean Woodward. An E/fay towards the Natural Hiftory of the Eauh , &c.
ON peut dire de cet Auteur qu'il a voulu élever un monument im- ■inQ.n.(Q fur une bafe moins folide que le fable mouvant, & bâtirl'édifice du monde avec de la poufTière ; car il prétend que dans le temps du déluge il s eft fait une difToiution totale de la terre : la première idée qui (e préfente après avoir lû fon livre , c'efl: que cette difToiution s'efl: faite
tpar les eaux du grand abyme , qui fe font répandues fur la furface de la terre , <Se qui ont délayé &l réduit en pâte les pierres, les rochers, les marbres, les iiaétauxj &c. Il prét-end que l'abyme 011 Mi;
z6S HîJIoire Naturelle;
cette eau étoit renfermée , s'ouvrit tout d'un coup à ia voix de Dieu, &: répan- dit fur la furface de îa terre la quantité énorme d'eau qui étoit néceflaire pour ia couvrir & furmonter de beaucoup les plus hautes montagnes, & que Dieu fuf^ pendit la caufedela cohéfion des corps, ce qui réduifit tout en pouffière, &c. il ne fait pas attention que par ces flip- pofiiions il ajoute au niiracle du déluge univerfcl d'autres miracles , ou tout au moins des impofîlbilités phyfiques qui ne s'accordent ni avec la lettre de îa fàinte Ecriture , ni avec les princijjes inathématiques de la philofophie natu- relle. Alais comme cet auteur a le mérite d'avoir rafiemblé plufieurs obfervaiions importantes , & qu'il connoifloit mieux C[ue ceux qui ont écrit avant lui , les ma- tières dont le globe efl compofé , foii fyftème , quoique mal conçu & mai digéré , n'a pas jaifié d'éblouir les gens leduits par la vérité de quelques fûts pariiculiers, & peu difficiles fur ia vrai- iêmblance des conféquences générales. Nous avens donc cru devoir préfenter l'Ui extrait de cet ouvrage , dans lequel ,
Théorie de h Terre, l6<)
eri rendant juftice au mérite de l'auteur & à l'exaditude de lès obfervations j noua mettrons le ledeur en état de juger de l'infuffiilince de Ton fyrtèine & de la faufîeté de quelques-unes de iès remar- ques. M. Voodvvard dit avoir reconnu par (es yeux que toutes les matières quf compofcnt la terre en Angleterre, de- puis fa furface jufqu'aux endroits les ]:)lu3 profonds où il eft defcendu, étoient dif- pofées par couches , & que dans un grand nombre de ces couches il y a ûqs coquilles & d'autres producn:ions marines; en fuite il ajoute que par fes correlpon- dans & par fes amis il s'eit aiïuré que dans tous les autres pays la terre elt compofée de même , & qu'on y trouve des coquilles, non-feulement dans les plaines & en quelques endroits, mais encore fur les plus hautes montagnes, dans les carrières les plus profondes & en une infinité d'endroits : il a vu que ces couches étoient horizontales & po- fées les unes fur les autres, comme le feroient des matières tranfporiées pai- les eaux &: dépofées en forme de fédiment. 'Ces remarques générales qui font très-
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%yo Hipolre Naturelle^
vraies, font fuivies d'obfervations partie cuiières , par Icfquelles il fait voir évi- demment que les foffiks qu'on trouve incorporés dans les couches , font de vraies coquilles & de vraies productions marines , & non pas des minéraux , des corps finguliers, des jeux de la Nature, &c. A ces obfervations, quoiqu'en partie faites avant lui , qu'il a raflembiées & prouvées, il en ajoute d'autres qui font moins exacfles ; il affure que toutes les ma^ tières des différentes couches font pofées les unes iur les autres dans l'ordre de îeur pefameur fpécifique, en forte cjue ks plus pefmtes font au-delîous;. & les plus légères au-deiïus. Ce fait général îî'eil point vrai, on doit arrêter ici l'au- teur , & lui montrer les rochers que nous voyons tous les jours au - deiïus des gîaifes , des fables , des charbons de terre , dts bitumes , & qui certainement font plus peftns fpécifiquement que toutes ces matières ; car en effet , ù par toute la terre on trouvoit d'abord les couches de bitume, enfuite celles de craie, puis celles de marne, enfuite celles de glailè, celles de labié j celles de pierxQ,^
Théorie de la Terre, ijl
celîes de inarbre , & enfin les métaux ,- en forte que ia compofitioa de la terre 'iuivit exadement & par-tout ia loi de îa pelanteur , & que les inatières fuirent toutes placées dans l'ordre de leur gra- vité fpécifique , il y auroit apparence qu'elles le feroient toutes précipitées en même temps , & voilà ce que notre au- teur aflure avec confiance , malgré l'évi- dence du contraire ; car fans être obier- vateur , il ne faut qu'avoir des yeux pour ^tre affuré que l'on trouve des matières pelantes très-fouvent pofées fur des ma- tières légères, & que par conféqu<int ces -fédiinens ne fe font pas précipités tous en même temps , mais qu'au contraire ife ont été amenés & dépofés fucceffivement par les eaux. Comme c'eft-là k fonde^ ment de fon fyflème , &. qu'if porte ma-^ iiifeilement à faux , nous ne le fuivrons plus loin que pour faire voir combien un principe erroné peut produire de fauiïes combinailons & de mauvaiies confé- quences. Toutes les matières, dit notre auteur, qui compofent la terre, depuis les lommets des plus hautes montagnes jufqu'aux plus grandes profonde uc^
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njx Hijlone "Naturelle'»
des mines & des carrières, font difpofees par couches, fuivant leur pelanteur ipé- ciiTque ; donc, conclut-il, toute la ma- tière qui compoie le globe a été difioutc & s'eiï précipitée en même temps. Mais clans qiîelie matière &: en quel temps a-t-eilecié didoute ! dans l'eau & dans le temps du déluge. Mais il n'y a pas allez d'eau lur \q. giobe pour que cela le puiile, puilqu'il y a plus de terre que d'eau , & que le fond de la n^er e(l de terre î hé }3ien , nous dit-il, il y a de beau plus qu'il n'en faut au centre de la terre , il ne s'agit que de la faire monter, de lui donner tout enièmble la vertu d'un dilToIvant imiverlêl & la qualité d'un remède préler- vatif pour les coquilles qui feules n'ont pas été di (Toutes , tandis que les marbres & les rochers l'ont été ; de trouver en- iuite le moyen de ftire rentrer cette eau diins l'abyme , &: de faire cadrer tout cela avec l'hiftoire du déluge : voilà le fyf- tème, de la vérité duquel l'auteur ne trouve pas le moyen de pouvoir douter ; car quand on lui oppofe que l'eau ne peut point difî'oudre les inarbres, les pierres , les métaux ; fur-tout en quarante
Théorie de la Terre, ^ly^
Jours qu'a duré le déluge, ii répond fim- pieniem que cependant cela eft arrivé ; quand on lui demande quelle étoit donc Ja vertu de cette eau de l'abyme , pour difioudre toute la terre &. conferver ea même temps les coquilles, il dit qu'il n'a jamais prétendu que cette eau fut un di/îoivant, mais qu'il cil clair, par les fîiits, que la terre a été dilToute, & que les coquilles ont été préfèrvées ; en^a lorf- qu'on le preiîe & qu'on lui fait voir évi- demment que s'il n'a aucune raifon à donner de ces phénomènes, (an fyftème n'explique rien , il dit qu'il n'y a qu'à imaginer que dans le temps du déluge la force de la gravité & de la cohérence de ia madère a ceiïe tout-à-coup ; & qu'au moyen de cette fuppofition dont l'eiTet eft fort aifé à concevoir, on explique d'une manière ftiisfaifante la difloîution de l'ancien monde. Mais, lui dit-on , il la force qui tient unies les panies de la mdtière a ccffé ^ pourquoi les coquiileS' n'ont-elles pas été diffoutes comme tout le refte î Ici il fait un difcours fur l'orga- nifation des coquilles & des os des ani- inaiàx , par lequel il prétend prouver quer
a 74 Hipoîre Naturelle» kur texture étant fibreufe & différente de celle des minéraux, leur force de cohéfion efl: auffi d'unautre genre; après tout il n'y a, dit-il, qu'à fuppofer que îa force de la gravité & de la cohérence n'a pas cefTé entièrement, mais feulement qu'elle a été diminuée aiïez pour défunir toutes les parties des minéraux , mais pas affez pour défunir celles des animaux» A tout ceci on ne peut pas s'empêcher de reconnoître que notre auteur n'étoit pas aufîi bon Phyficien qu'il étoit bon Obfervateur, & je ne crois pas qu'il foit lîécefîîûre que nous réfutions férieufe- ment des opinions fans fondement , fur- tout lorfqu'elles ont été imaginées contre les règles de la vraifemblance, & qu'on n'en a tiré que des conféquences QOïi^ traires aux loix de la Mécanique»-
o
Théorie de la Terre. 275
PREUVES
DE LA
THÉORIE DE LA TERRE. ARTICLE V.
Expoftwn de quelques autres Syftcmes. N voit bien que les trois hypo- thèi^^s dont nous venons de parler, ont" beaucoup de chofes communes; dies s'accordent toutes en ce point, nue dans le temps du déluge la terre a change de forme, tant à l'extérieur qu a l'hirérieur: ainfi tous ces fpéculatifs B'ont pas fait attention que la terre avant le déluge étant habitée par les mêmes cfpèces d'hommes & d'animaux, devoit êire néceflTairement teik , à très - peu près , qu'elle eft aujourd'hui , & qu'en effet les livres faints nous apprennent qu'avant le déluge il y avoit fur la terre des fleuves, des mers, des montagnes, xies forêts & des plantes ; que ces fleuves
M vj
'ij6 Hïflotre Ndîwclk,
& ces montagnes étoient, pour la pîit- part , les mêmes , puifque le Tigre & l'Eufrate etoient les fleuves du Paradis terrellre ; que la montagne d'A rnaénie, fur laquelle l'Arche s'arrêta, éroit une -des plus hautes montagnes du monde au temps du déluge, connue elle l'eft en- core aujourdliui ; que les mêmes plantes & les Uiêmes animaux qui exiitent , q\\Ç- toient alors, pu il qu'il y cil parlé du ier]:ieni , du coiLeau , & que la colombe rapporta une branche d'olivier ; car quoique M. de Toumefort prétende qu'il n'y a point d'oliviers à plus de 400 lieues du mont Ararath, <& qu'if fiifle lurcela d'aiîezmauvaiiebplaifanieries {Voyage du Levant . vol. H, page ^ j 6), il eit cependant certain qu'il y en avoit en ce lieu dans le temps du délup-e , puiique le livre facré nous en aflure, & il n'eîî pas étonnant que dans «n elpace de 4000 ans les oliviers aient été détruits dans ces cantons & (è ioient multipliés dans d'autres; c'ert donc ? tort &: contre la lettre de la fainte Écriture que ces A^uteurs ont fuppofé que la terre étoit, avant ie déluge , totalement diiféreii,te de
Théorie Ae fa Terre. IJJ
ce qu'elle eil aujourd'hui, &l cette coiv tradiclion de leurs hypothèles avec le texte fàcre', auffi-bieii que leur oppo- sition avec les vérités phyiiques, doit faire rejeter leurs lyiièmes , quand même ils iëroient d'accord avec quelcjues phé- nomènes , mais il s'en faut bien que cela foit ainii. Burnet qui a écrit le premier, n'avoit pour fonder fon fyftème ni ob- fervations ni faits. Woodward n'a donnié qu'un eflai , où il promet beaucoup plus qu'il ne peut tenir, fon livre ell ua projet dont on n'a pas vu L'exécution. On voit feule îiient qu'il emploie deux oblervations gc'nérales ; la première ,, que la terre eit par- tout compolee de matières qui autrefois ont été dans un état de molie/Ie Ôl de fluidité, qui ont été tran (portées par les eaux . & qui fe font dépofées par couches kori/ontales;. la féconde , qu'il y a de.> produdions jTiitrines dans l'intérieur de la terre en une infinité d'endroits. Pour rendre raifon de ces faits, il a recours au déluge uni- yerfel, ou plutôt il paroît ne les donneu que comme preuves du déluge , mais \l tombe, auiîi-bien que Burnet, dam. des
'278 HîJIoîre 'Naturelle.
eontradiclions évidentes ; car iî n'eft pas permis de fuppoler avec eux qu'avant le déluge il n'y avoit point de montagnes , puilqu'ilefl: ditprécilément & très-claire- ment que les eaux furpafsèrent de i 5. coudées les plus hautes montagnes ; d'au- tre côté il n'efl: pas dit que ces eaux aient tdétruit & diiTous ces montagnes , au cort- traire ces montagnes font reftées en place, & l'arche s'eft arrêtée fur celle que les «aux ont laiiTée la première à découvert, ï) 'ailleurs, comment peut-on s'imaginer •que pendant le peu de temps qu'a duré le déluge , les eaux aient pu difToudre les anontagnes & toute la terre \ n'eft-ce pas une abiurditéde dire qu'en quarante jours i'eau a dilîous tous les marbres , tous les rochers , toutes les pierres , tous les mi- néraux ! n'eft-ce pas une contradiction nianifefte que d'admettre cette difîolu- tion totale , & en même temps de dire que les coquilles & les produdions ma- rines ont été préfervées, & que tout ayant été détruit & difTous , elles feules ont été confervées, de forte qu'on les retrouve aujourd'hui entières &les mêmes qu'elles ëioicnt avant le déluge \ je ne craindrai
Théorie de h Terre. a/r^
donc pas de dire qu'avec d'excellentes oblèrvations , Woodward n'a fait qu'un fort mauvais fyfhème. Whiilon qui eft venu le dernier a be;uicoup enchéri fur les deux autres , mais en donnant une vafte carrière à fon imagination, au moins n'eft-il pas tombé en contradiction ; ii dit des chofes fort peu croyables , mais du moins elles ne font ni abfolument ni évidemment impoffibles. Comme on Ignore ce qu'il y a au centre & dans l'in- térieur de la terre, il a cru pouvoir fup- pofé que cet intérieur étoit occupé par un noyau foiide , environné d'un fîuide pefant & enfuite d'^au fur laquelle la croûte extérieure du globe étoit foute- nue , & dans laquelle les différentes parties^ de cette croûte (e font enfoncées plu^ ou moins , à proportion de leur pefan— teur ou de leur légèreté relative ; ce qui a produit les montagnes «Se les inégalités de Ja furface de la terre. Il faut avouer que cet Aftronome a fait ici une faute de mécanique ; il n'a pas fongé que la terre dans cette hypothèfe doit fûre voûte de tous côtés, que par conféquent éXç. ne peut être portée fur i'cau qu «lie comieiït
uSo HiJIpire Naturelle,
& encore moins y enfoncer : à cela près , je ne Hiche pas qu'il y ait d'autres erreurs de phy fique dans cefyitème. II y en a un grand nombre , quanta la métaphyfique & à la théologie; mais enfin on ne peut pas nier abfolument que la terre rencon- trant ia queue d'une comète , lorfque celle-ci s'approche de fon périhélie , ne puifTe être inondée, fur-tout iorfqu'on aura accordé à l'auteur que la queue d'une comète peut contenir des vapeurs aqueules. On ne peut nier non plus, comme une impoiîibîlité abfolue , que ia queue d'une comète en revenant du périhélie ne puifTe brûler la terre, fi on îuppofe avec l'auteur, que la comète ait pailé fort près du loleil , & qu'elle ait été prodigieufèment échauffée pendant fon pailiige ; il en eft: de même du reile de ce fyllème : mais quoiqu'il n'y ait pas d'iinpolîibilité abfolue , il y a fi peu de probabilité à chaque choie prile fépa.- rément , qu'il en réfulte une impoillbi- iité pour lè tout pris enfemblc.
Les trois fyftèmes dont nous venons de parler, ne font pas les feuls ouvrages qui aient été faits fur la théorie de ia
Théorie Ae h Terre. 2 8 ï'
terre. Il a paru en i 729 un mémoire de M. Bourguet, imprimé à Amfierdarrg3^<^^*u/C; avec les fettres phiiofophiques lur ia for- mation des Tels, &c. dans lequel ii donne un échantillon du fylUnie qu'il médi- toit, mais qu'il n'a pas propolé , ayant été prévenu par la mort. Il faut rendre juflice à cet auteur, peribnne n'a mieux rafTemblé les phénomènes &. les faits, on lui doit même cette belle & grande obfervation qui eft une des clefs de la théorie de la terre , je veux parler de la correfpondance des angles des monta- gnes. Il préfente tout ce qui a rapport à ces matières dans un grand ordre ; mais avec tous ces avantages , ii paroît qu'il n'auroit pas mieux réulfi que les autres à faire une hilloire phyfique & raifon- née des changemens arrivés au globe, & qu'il étoit bien éloigné d'avoir trouvé les vraies caufes des efiets qu'il rapporte; pour s'en convaincre , il ne faut que jeter ies yeux fur les proportions qu'il déduit des phénomènes , & qui doivent fervir de fondement à fa théorie , Voye^^ page 211. Il dit que le globe a pris fa forme dans un même temps , & non pas
jx 8 2 Hijfoîre Naturelle.
fucceflivement ; que la forme & ïa dif- ypofition du globe fuppofent nécefTaire- -mem qu'il a été dans un état de fluidité , -Cjue Fétat préient de la terre eft très-dif- férent de celui dans lequel elle a été pen- dant plufîeurs ficelés après la première formation; que l.i madère du globe étoit <iès le commencement moins denfe <}u'elîe ne l'a été depuis qu'il a changé de fice; que la condeniation des parties folides du globe diminua fenfiblement avec fa vélocité du globe mêm.e , de forte qu'après avoir fait un certain nombre <ie révolutions fur fon axe & autour dm fcleil , il (e trouva tout-à-coup dans ui^i ctat de d'iToluiion qui détruifit fi pre- mière ftrudlure ; que cela arriva veî^s^ Téquinoxe du printemps; que dans k temps de cette diiTolution les coquilles s'introduîfirent dans les madères dif- foutcs ; qu'après cette diflolution la terre a pris la forme que nous lui voyons , & qu'aufînôt le feu s'y ell mis , la confume peu à peu & va toujours en augn^entant, de forte qu'elle fera détruite un jour pat iine explofion terrible , accompagnée 'di'juii incendie général , qui augmentera
Théorie de h Terre. i S J ratmofphère du gîobe & en diminuera îe diamèire, & qu'alors la terre, au lieu de couches de iîible ou de terre , n'aura que des couches de métal & de minéral I calciné, & des montagnes compofées i d'amalgames de différens métaux. En voilà aflez pour faire voir quel étoit le fyftème que l'auteur méditoit. Deviner de cette façon le paiTé, vouloir prédire Tavenir , &: encore deviner & prédire à peu près comme les autres ont prédit & deviné , ne me paroit pas être un effort^ aulîl cet auteur avoit beaucoup plus de Gonnoifiances &: d'érudition que de vues {aines & générales, &: il m'a paru man- quer de cette partie fi néceffaire aux phyficiens, de cette métaphyfique qui raiïemble les idées particulières, qui les îend plus générales , & qui élève l'efprit au point où il doit être pour voir l'en- chaînement des caufes & des effets. y , ,/ Le fameux Leibnitz donna en 1683^ UiA^f^-^U^ dans les A des de Leipfic , pagt 4 0, un projet de fyftème bien différent , fous le titre de Proîogœa. La terre , félon Bour- guet & tous les autres , doit finir par k ièu j kloïi Leibaiu , elle a coinnieac^
i84 Hlfloire Naînrelje. par-là , & a fouffcrt beaucoup plus de changeinens & de révolutions qu'on ne l'imagine. La plus grande partie de fa matière terreftre a été enibrafee par un feu violent dans îe temps que Moyfe diî que la lumière fut léparée des ténèbres. Les planètes, aufli-bien que la terre, etolent autrefois des étoiles fixes & lu- mineules par elles-mêmes. Après avoir brûlé long-temps , il prétend qu'elles (c font éteintes faute de matière combuf- tiblc, & qu'elles font devenues des corps opaques. Le feu a produit par la fonte des matières une croûte vitrifiée, & la baie de toute la matière qui compole Je globe terreflreeft: du verre , dont les iiibles ne font que des fragmens ; les autres efpèces de terres fe font formées du mélange de ce lable avec des Tels fixes ôc de l'eau , & quand la croûte fut refroidie, les parties humides qui s'étoient élevées en fomie de vapeurs , retombèrent <5c formèrent les mers. Elles enveloppèrent d'abord toute la fi.irHtce du globe, & furmontèrent même les endroits les plus élevés qui forment aujourd'hui les con- tiiiens & les îles. Selon cet auteur, l?s
Théorie Je h Terre. 285" coquilles &: les autres débris cfe la mer qu'on trouve par-tout, prouvent que la liera couvert toute la terre ; 6c la grande quantité de lels fixes, de labiés & d'autres uaùères fondues &; calcinée.^ qui^ font crilermées dans les entrailles de la terre, trouvent que l'incendie a e'té général , 5: qu'il a précédé l'exiAence des mers. Quoique ces penlées foient dénuées de preuves , elles font élevées , &. on fent Ditn qu'elles font le produit des médi- ations d'un grand génie. Les idées ont ic la liaifon , les hypothèfes ne font pas ibiolument impoflibles, & les conlé- ]uenccs qu'on en peut tirer ne font xis contradidoires ; mais le grand déftut le cette théorie, ç'efl qu'elle ne s'ap- )Iique point à l'état préfent de la terre ,\ :'cil le pafîé qii'elle explique , & ce paffé îft fi ancien & nous a laifîé fi peu de relliges qu'on peut en dire tout ce ]u'on voudra, &: qu'à proportion qu'un lomme aura plus d'efprit , il en pourra lire des chofes qui auront l'air plus .raifcmblable. Aiïurer, comme l'affure vVillhon , que la terre a été comète, ou :>rétendre avec Leibaitz qu'elle a cic
:i%6 HiJIoJre Naturelle.
foleil, c'eft dire des chofès également poffibles ou impofTibîes , &'îiux quelles il feroit fuperfîu d'appliquer les règles des probabilités : dire que la mer a autre- fois couvert toute la terre , qu'elle a eii- * veloppé le globe tout entier, & que c'e(V
' par cette raifon qu'on trouve des co-
quilles par-tout, c'eft ne pas £aire at- tention à une choie très-efîëntielle, qui» ed l'unité du temps de la création ; car fi cela étoit , il fàudroit néceflairement dire que les coquillages & les autres animaux habitans des mers , dont on trouve les dépouilles dans l'intérieur de la terre, ont exiflé les premiers, & long-temps avant l'homme & les animaux terreRres: ^ or indépendamment du témoignage des
'h* f'to^ùn^f^ livres fàcrés , n'a-t-on pas railon de croire iii» ^ ouM^^ ^"^ toutes les efpèces d'animaux & de C J Ti^nw^ végétaux font à peu près aullj anciennes ^<cfrv**< . 1^^ xwies que les autres!
fil M. Scheuchzer dans une difTertatioii
jùtu**, . ^^v| ^ j^jj-g^j^g ^ l'Académie des Sciences
en I 708, attribue , comme Woodv^^ard , îe changement ou plutôt la féconde for- mation de la furfacc du globe, au dé- Juge univerfel ; 5c pour expliquer celle
Théorie de la Terre. 1 87
des montagnes , il dit qu'après îe déluge^ Dieu voulant faire rentrer les eaux dans les réfervoirs fouterrains, avoit brifë 6c déplacé de fà main toute - puiflante ua grand nombre de lits auparavant hori- zontaux , & les avoit élevés fur la fur- face du globe ; toute fa difîertation a été faite pour appuyer cette opinion» CoiTime ii falloit que ces hauteurs ou éminencesfufîent d'une confiftan ce fort folide , M. Scheuchzer remarque que Dieu ne les tira que des lieux où il y avoit beaucoup de pierres , de-là vient , dit-il, que les pays, comme la Suiffe , où il y en a une grande quantité , lont montagneux ; & qu'au contraire ceux qui, comme fa Flandre, l'Allemagne, ia Hongrie, la Pologne, n'ont que du fable ou de l'argrile, même à une affez grande profondeur, font prefqu 'entière- ment fins m_ontagnes. Voye^ l'Hifi. de IfAcad. I y 0 8 , page ^ 2,
Cet auteur a eu plus qu'aucun autre le défaut de vouloir mêler la phyfique avec ia théologie , &: quoiqu'il nous ait donné quelques bonnes obfervations , la partie fyftémadque de fes ouvrages eft; encote
^88 Hifloh-e Ndîiirclk, plus mauvaifc que celle de tous ceux qui l'ont précédé , il a même fait fur ce ibjet des déclamations & des plailante- ries ridicules. Voyez la plainte des poil- Ibns , Pifc'mm querelœ , &c. fans ]:»arler de fon gros livre en plufieurs voluines in-foiio, intitulé, Phyficafacra, OM\'ràae puérile, & qui paroît fait moins pour occuper les hommes , que pour amuier les enfans par les gravures & les images qu'on y a entailées à delfein &. lans néceiHté.
Stenon 5c quelques autres après lui, ont attribué la caufe des inégalités de la furfice de la terre à des inondations par- ticulier res , à des tremblemens de terre , à des fecouffes , deséboulemens , &c. mais les elfets de ces caules fécondai res n'ont pu produire que c[uelques légers chan- gemens. Nous admeuons ces mêmes cau:es après la caufe première qui eif le mouvement du flux & reflux , & le mou- vement de la mer d'orient en occident; au relie , Stenon ni les autres n'ont pas donné de théorie, ni même de flfits gé- néraux fur cette matière. Voyez la Diu.
de Solido intrafolidum , &c*
Ray
Théorie de la Terre* aSjf' Ray prétend que toutes les montagnes.!^^ ont été produites par des tremblemens de terre , & il a flnt un traité pour le prou- ver; nous ferons voir à l'article des volcans , combien peu cette opinion efl: fondée.
Nous ne pouvons nous difpenfêr d'ob- {èrver que la plupart des auteurs dont nous venons de parler, comme Burnet, Whifton & Woodward, ont fait une faute qui nous paroît mériter d'être relevée , c*efl: d'avoir regardé le déluge comme poflible par Tadion des caules naturelles, au lieu c[ue l'Écriture fainte nous le pré- fente comme produit par la volonté im- médiate de Dieu; il n'y a aucune caufcS^ afti^^C naturelle qui puifîe produire fur la furfacc ^/ y , . entière de la terre la quantité d'eau qu'i!^^?5r ***'a*^ a fillu pour couvrir les plus hautes mon-/i*-^*>**^***^j ta ornes ; & quand même on pourroit ima- -^ ^ ^
giner une caute proportionnée a cet ertet , ^^^
ît feroit encore impofiible de trouver**"**^ ^. quelqu'autre caufe capable de faire ôiC-f^^^^^, paroître les eaux; car en accordant à*,^^^^^*"**T Whifton que ceseaux font venues de la z,^,^^,./^*^. V queue d'une comète , on doit lui nier qu'if^^^^^ ç,^- en foit venu du grand abyme & qu'elles y
Tome I. N ^^ ^Nx^u^
^po Hi flaire Naturelle.
.- (oient toutes rentrées , puifque le grandf abyme étant, lelon lui, environné Qç. prefié de tous côte'spar la croûte ou i'orbe terreilre , il ell impoflible que l'attraciioa de la comète ait pu caufer aux fluides contenus dans l'intérieur de cet orbe , le moindre mouvement; par conféqucnt îe grand abyme n'aura pas éprouve, coMime il le dit, un fîux & reflux vio- lent ; dès-lors il n'en fera pas forti & il n'y lerapas entré une feule goutte d'eau, & à moins de luppoier que l'eau tombée de la comète a été détruite par miracle, elle feroit encore aujourd'hui fur la fur- face de la terre , couvrant les fommets ^des plus hautes montagnes. Rien ne ca- ^^radérife mieux un miracle que l'impof- fibilité d'en expliquer l'effet par les caufes naturelles ; nos auteurs ont fait de vains euorls pour rendre raifon du déluge , leurs erreurs de Phyfique au fnjet des caufes fécondes qu'ils emploient, prou- vent la vérité du fait tel c{u'il eft rapporté dans l'Écriture fiinte , & démontrent qu'il n'a pu être opéré que par la caui'e première, par la volonté de Dieu.
D'ailleurs il efl aile de fe convaincre
Théorie de la Terre, l<)t
tjlie ce n'eit ni dans un feul & même temps, ni par refFet du déluge que ki iiier a laiiïé à découvert ies continens que nous habitons ; car il eft certain , par le témoignage des livres fàcrés , que ie Paradis terrefire etoit en Aile; & que i'Afie éîoit un continent habité avant ie déluge ; par coniéquentcen'efi: pas dans ce temps que les mers ont couvert cette partie conîidérabie du globe. La terre éioit donc avant le déluge telle à peu près qu'elle eft aujourd'hui; & cette énorme quantité d'eau que la Juftice divine fit tomber fur la terre pour punir l'homme coupable , donna en Ci^èt la mort à totites^Ies créatures; mais elle ne** produifit aucun changement à la furFacc de la terre , éX^ ne déiruifit pas même ies plantes , puifque la colombe rapporta une branche d'olivier.
Pourquoi donc imaginer , comme Vont fait la plupart de nos Naturaliftes, que cette eau changea totalement la furface du globe jufqu'à mille & deux mille pieds de profondeur \ pourquoi veulent-ils que ce foit le déluge qui ait apporté fur la terre les coquilles qu'o»
N \]
i^2 Hijloire Naturelle^ trouve à fept ou huit cents pieds dans ïcs rochers & dans ks marbres \ pourquoi dire que c'eft dans ce temps que le font formées les montagnes & les collines î & comment peut-on fè figurer qu'il foit pofîible que ces eaux aient amené des mafîes & des bancs de coquilles de cent iieues de longueur î Je ne crois pas qu'on puiHe perfifler dans cette opinion , à moins qu'on n'admette dans le déluge un double miracle , le premier pour l'augmentation des eaux , & le fécond pour le tranfport des coquilles ; mais comme il n'y a que le premier qui foit rapporté dans l'Ecriture làinte, je ne vois pas qu'il foit néceflaire de faire un article de foi du (econd.
D'autre côté, fi les eaux du déluge, après avoir féjourné au-deffus des plus hautes montagnes , fe fuffent enfuite re- tirées tout-à-coup , elles auroient amené une fi grande quantité de limon & d'im- mondices que les terres n'auroient point été labourables ni propres à recevoir des arbres & des vignes que plufieurs fiècles après cette inondation , comme l'on fiit que dans le déluge qui arriva en Grèce,
Théorie de la Tene* 2^3
le pays fubmergé fut totalement aban- «Jonné & ne put recevoir aucune cul- ture que plus de trois fiècles après cette inondation. Voyez Aâa erudit. Lipf» anno j 6 p j , pag, 100. Auffi doit-on regarder ie déluge univerfel comme un moyen furnaturei dont s'efl: fervi la Toute-puiffance divine pour ie châti- ment des hommes, & non comme uit effet naturel dans lequel tout fe feroit palTé félon les ioix de la Phyfique. Le déluge univerfel eft: donc un miracle dans fi caufe & dans (es effets ; on voit clairement par le texte de l'Ecriture fainte qu'il a fervi uniquement pour détruire l'homme & les animaux, & qu'il n'a changé en aucune fiçon la terre, puif- qu'après la retraite des eaux , les mon- tagnes , & même les arbres, étoient à leur place , & que lafurface de la terre étoit propre à recevoir la culture & à pro- duire des vignes & des fruits. Comment toute la race des poiffons, qui n'entra pas dans l'arche, auroit-elle pu être coafervée, fi la terre eût été diffoute dans l'eau , ou feulement fi les eaux cufîent j^ Clé aflez agitées pour tranfporter les dYloCJ^'t'
OL / aù^ ii^ y^ ^ (^^ryo-^ er^
2 9 4 Hïflotre Naîureïïê, ' coquiiles des Indes en Europe ^c^ ^ Cependant cette %polnion ', que : celt ledduge univerfel qui atranfporté i ies coqutlfes de la mer dans tous les cli- niats de la terre, efî devenue l'opinion ou plutôt la fuperdition du commun des T^aturalifres. "Woodward, Scheuchzer & quelques autres appellent ces coquilles pétrifiées les reftes du déluge, ils les regardent comme les médailles & \^s monumens que Dieu nous a iaiiiés de ce terrible événement, afin qu'il ne s efiaçat jamais de la mémoire du prenre humain, enfin ils ont adopté cette hy- pothèfe avec tant de refpee^ , pour ne pas dire d aveuglement, qu'ils ne paroiiïenî s être occupés qu'à chercher les moyens de concilier l'Ecriture ûinte avec leur opinion, & qu'au lieu de fe fervir de leurs obfervations & à'^n tirer des lu- mières, ils fe font enveloppés dans kg iiuaaes d'une théologie phyfique, dont ioblcurité & la petitefTe dérogent à la clarté & à la dignité de la religion, & ne hiifTent apercevoir aux incrédules qu'un mélange ridicule d'idées humaines ^ de faits diyiiis, Prcteiidre ea effeî
\
Théorie delà Terre-, 295 expliquer le déluge univerfel & Tes caufes phyfiques, vouloir nous apprendre le détail de ce qui s'eft paffé dans le temps de cette grande révolution , deviner quels en ont éié les effets, ajouter des fiiirs à ceux du livre facré , tirer des conté- quences de ces faits, n'eft-ce pas v ou- îoir mefurerîa puiiïance du Très-haut î ' Les merveilles que fa main bienfiifame opère dans la Nature dune manière uniforme & régulière , font incompré- henfibles, & à plus forte raifonïes coups d'éclat; les miracles , doivent nous tenif dans le fiifiiïement & dans le filence.
Mais, diront-ils , le déluge univerfel étant un fait certain , n'e(l-il pas permis de raifonner fur les conféquences de ce fait! à la bonne heure, mais il faut que vous commenciez par convenir que le déluge univerfel n'a pu s'opérer par les puiflances phyfiques, il faut que vous je reconiioilfiez comme un effet immé-- diat de la volonté du Tout-puiffant, il faut que vous vous borniez à en lavoir feulement ce que les livres facrés nous en apprennent , avouer en même temps qu'il ne vous eft pas permis d'en favoir ^ N iiiij
^5?<î Hip'tre Naturelle. davantage & fur-tou. ne pas mêFerune mn„va,|e phy/îque avec la pureté du livre famt. Ces précautions qu'exige le relped que nous devons aux décrefs de JJieu, étant prifes, que refte-t-il à exa- inmer au fuje. du déluge ! Eft-il dit dan. Ecriture Ca.nte que le d.luge ait formé les montagnes! il e!t dit le contraire: elt-il du que les eaux fulTent dans une ag.tat.on allez gr.nde pour enlever du tond des mers les coquilles & les tranf- porter par toute la terre î Non , l'Arche voguoit tranquillement furies floîs ■ ell-if dit que la terre fouffi-it une dflbiution totale; point du tout; lerécit dc'Hifto-
NaturaLftes eft compofé & fabuleux.
Tfiéorie de la Terre. -2-97
PREUVES
DE LA
THÉORIE DELA TERRE,
ARTICLE VI.
GÉO GR APHIE.
LA furflice de ïaTerren'efl pas, comme celle de Jupiter , divifée par bandes alternatives & parallèles à l'équateur , au comr ire el e eit di\ liée d'un pôle à l'autre par deux bandes de lerre & deux bandes de mer; la première &: principale bande eft l'ancien continent, dontlapiiis grande longueur (è trouve être en diagonale avec l'équateur , & qu'on doit meiurer en commençant au nord de la Tartarie ia pliis orientale, de-là à La terre qui avoifine Je golfe Linchidolin, où les Molcovites vont pêcher des baleines, de-là à Toboisk ; de Tobolsk à ia mer Cafp'enne , de la mer Cafpienne à ia Mecque^ de la Mecque à ia partie occi-
N V
2()S MiJIorre Naturelle .
dentale du pays habité par le peuple de Galles en Afrique, eniliite au Monoe- mugi , au M onomotapa, & enfin au cap de Bonne-efpérance. Cette ligne, qui eft îa plus grande longueur de l'ancien continent, efl: d'environ 3600 lieues^ elle n'eft interrompue que par la mer Cafpienne & par la mer rouge, dont les largeurs ne font pas confidérabies , & on ne doit pas avoir égard à ces petites interruptions lorfque l'on confidère ,. comme nouslefaifonsjla furface du globe diviiée feulement en quatre parties.
Cette plus grande longueur fe trouve en mefurant le continent en diagonale ; car~fi on le mefure au contraire fuivant les méridiens , on verra qu'il n'y a que ^500 lieues depuis le cap nord de Lap- ponie jufqu'au cap de Bonne-efpcrance, & qu'on traverfe la mer Baltique dans fa longueur , & la mer Méditerranée dans toute fa largeur , ce qui fait une bien moindre longueur & de plus grandes in- terruptions que par la première route. A' l'égaid de toutes les autres diftances qu'on pourroiî mefurer dans l'ancien con- tinent fou5 les ipêmes méridiens, on les
Théorie Ae la Terre, ^^p
\ trouvera encore beaucoup plus petites que celle-ci , n'y ayant , par exemple , que } 800 lieues depuis la pointe méri- dionnie de l'île de Ceylan jufqu'à la cote feptentrionale de la nouvelle Zemble^ De même, fi on mefure le continent pa- rallèlement à l'cquateur , on trouvera que ia plus grande longueur laas interrup- tion fe trouve depuis la côte occidentale de l'Afrique àTrefluia , jufqu'à Ningpo fur la côte orientale de la Chine, & qu'elle cft environ de 2 8 o o lieues ; qu'une autre longueur fans interruption peut fe mefj- xer depuis la pointe de la Bretagne à Breft jufqu'à la côte de la Tartarie Chinoife y & qu'elle e(t environ de 2300 lieues; qu'en mefurant depuis Bergen en Nor-' vège jufqu'à la côte de Kamtfchatka, if n'y a plus que i 800 lieues. Toutes ces lignes ont , comme l'on voit , beaucoup moins de longueur que la première , ainfi la plus grande étendue de l'ancien con- tinent e(t en effet depuis le cap oriental ' de la Tartarie la plus feptentrionale juf- qu'à u cap de Bonne-efpérance, c'e(i-à-^, dire , de 3600 lieues Voye^ la première, Carîe^ de Ccogrfphlc.
300 Hijloîre Naturelle .
Cette ligne peut être regardée comme le milieu de la bande de terre qui com- pofe l'ancien continent , car en melurant l'étendue de la furface du terrein des deux côtés de cette ligne, je trouve qu'il y a dans la partie qui efl à gauche 247 1 0^2^ lieues quarrées , & qlie dans la partie qui eft à droite de cette ligne , il y a ^2469687 lieues quarrées, ce qui efl une égalité fingulière, & qui doit fliire préfu-
iner avec une très-ofrande vraiieniblance,
o ...
que cette ligne eft le vrai milieu de l'an- cien continent , en même temps qu'elle en efl: la plus grande longueur.
L'ancien continent a donc en tout environ 4940780 lieues carrées, ce qui ne fîiit pas une cinquième partie de la ïurfitce totale du globe ; & on peut regar- der ce continenr comme une large bande de terre inclinée à i'équateur d'environ 30 degrés.
A l'égard du nouveau continent, on peut le regarder aufîi comme une bande de terre, dont la plus grande longueur doit être prife depuis l'embouchure du fleuve de la Plata jufqu'à cette contrée jïiarécageufc qui s'étend au-delà du lac
Théorie de la Terre, 3 o r
des Afiiniboïls, cette route va de lem- bouchure du fleuve de la Piata au lac Caracares , de-là elle paiïe chez les Ma- taguais^ chez les Chiriguanes, eiifuite à Pocona, à Zongo, de Zongo chez les Zamas, les Marianas , les Moruas, de-Ià à S/ Fc & à Cartagcne , puis par le golfe du Mexique, à la Jamaïque, à Cuba, tout le long de la péninfule de la Floride, chez les Apalaches , les Chicachas , de-là au fort Saint-Louis ou Creve-cœur , au fort le Sueur , & enfin chez les peuples qui habitent au-delà dulacdesAlîiniboïls, où l'étendue des terres n'a pas encore e'té reconnue. Voye:^ la féconde Carte de
.^Géographie.
jf_ Cette ligne quin'eA interrompue que par le golfe du Mexique , qu'on doit re- garder comme une mer méditerranée, peut avoir environ deux mille cinq cents iieues de longueur , & elle partage le nou- veau continent en deux parties égales, dont celle qui eft à gauaLe a ic6(^zo6^ lieues quarrées de furf^ , & celle qui eft à droite en a 1070926-^; cette ligne qui fat le milieu delà bande du nouveau conuneat, eft aulîi iuciijiée à l'équateur
'30 2 Hîfîotre Nûîiireîk.
d'environ 3 o degrés , mais en fens op-' pofé , en forte que ceiîe de l'ancien con- tinent s'ëtendant du nord-efi: au fud-oued,. celle du nouveau s'étend du nord-ouefl: au fud-efl: ; & toutes ces terres eniemble, tant de l'ancien que du nouveau con- tinent , font environ 7080993 lieues quarrécs , ce qui n'eflipas , à beaucoup près , ie tiers de la furface totale du globe ' qui en contient vingt-cinq millions.
On doit remarquer que ces deux lignes qui traver fent les continens dans leurs plus grandes longueurs , ôl qui les partagent chacun en deux parties égales , aboutif- ' ient toutes les deux au même degré de latitude feptentrionale & auftrale. On' peut auiïi ob fer ver que les deux coiiîi- néns font des avances oppofées & qui fè regardent , fa voir, le^ côtes de l'Afrique depuis les îles Canaries, jufqu'aux côtes* de la Guinée , & celles de l'Amérique* depuis la Guiane jufqu'à rembouchure* de Rio- Janeiro. %
Il paroît donc que les terres les plus anciennes du globe (ont les pays qui font aux deux côtés de ces lignes à un€ diA' tance' médiocre , par exemple'; à'aoo on**
Théorie Je la Terreé ^ùj
3250 lieues de chaque côté, & en fui- Vaut ceue idée qui elt fondée fur les ob- fervations que nous venons de rapporter, nous trouverons dans l'ancien continent que les terres les plus anciennes de l'A- frique font celles qui s'étendent depuis le cap de Bonne-efpérance jufqu'à la mer rouge & jufqu'à l'Egypte , fur une lar- geur d'environ 500 lieues, & que par conféquent toutes les côtes occidentales de l'Afrique, depuis la Guinée jufqu'au détroit de Gibraltar , font des terres plus nouvelles. De même nous reconnoîtrons' qu'en A fie, fi on fuit la ligne fur la mêine largeur , les terres les plus anciennes font l'Arabie heureufe & déferte, la Perfe & la Géorgie ; la Turcomanie & une par- tie de la Tartarie indépendante , la Cir- caffie & une partie de la Molcovie , &c, que par conféquent l'Europe efl: plus nouvelle , & peut-être auffi la Chine & ' ïa partie orientale de la Tartarie : dans le ' nouveau continent , nous trouverons que ' ia terre Magellanique , la partie orientale du Brefil, du pays des Amazones, delà' Guime & du Canada font des p. y s nou-- veaux en comparaifon du Tucuman ; d&'
'304 HiJIoke Naturelle, Pérou , de la Terre ferme & des îles du golfe du Mexique , de la Floride , du Milîiffipi & du Mexique. On peut en- core ajouter à ces obfervationsdeux faits qui font alTcz remarquables , le vieux & ie nouveau continent font prefque oppo- fés l'un à l'autre ; l'ancien efl plus étendu au nord de l'équateur, qu'au fud, au con- traire le nouveau l'eu: plus au fud qu'au nord de l'équateur; le centre de l'ancien continent elt à i 6 ou 1 8 degrés de lati- tude nord , & le centre du nouveau eft à I 6 ou 18 derrrés de latitude fud, en forte qu'ils femblent faits pour fe contre-ba- lancer. II y a encore un rapport fingu- iier entre les deux continens , quoiqu'il nieparoiffe plus accidentel que ceux dont je viens de parler, c'ell que les deux continens feroient chacun partagés en deux parties qui feroient toutes quatre environnées de la mer de tous côtés ians deux petits ilthmes , celui de Suez & celui de Panama.
Voilà ce que l'inipec^ion attend ve du globe peut nous fournir de plus générai iwx la divifion de la terre. Nous nous abf- ïkadrons défaire fur cela des hypothèfès
Théorie de la Teire. 305
& de halarder des raifonnemens qui pourroient nous conduire à de fîiufîes conféquences , mais comme perfonne n'avoir conridëré Ibus ce point de vue la divifion du globe , j'ai cru devoir com- muniquer ces remarques. Il ed: afTez fin- gulier cjue la ligne qui tait la plus grande longueur des contiiiens terreftres , les partage en deux parties égales ; il ne l'eft pas moins que ces deux lignes commen- cent & finiflent aux mêmes degrés de latitude , & qu'elles foient toutes deux inclinées de même à i'équateur. Ces rap- ports peuvent tenir à cjueique ch Je de général que l'on découvrira peut-être, & que nous ignorons. Nous verrons dans la fuite à examiner plus en détail les iné- galités de la figure des continens ; il nous fuffit d'obferver ici que les pays les plus anciens doivent être les plus voiiins de ces lignes > &. en même temps les plus élevés , & que lesterresplus nouvelles en doivent être les plus éloignées, & en même temps les plus bafîcs. Ainfi en Amérique la terre des Amazones , la Guiane & le Canada feront les parties les plus nouvelles; en jetant les yeux fur la
'30 6 Hijloire Naturelle.
carte de ce pays , on voit que les enux J font répandues de tous côte's, qu'il y a ua grand nombre de iacs &l de très-grands fleuves , ce qui indique encore que ces terres font nouvelles: au contraire le Tu- cuman , le Pérou & le Mexique font des pays très-éievés, fort montueux , & voi- fins de la ligne qui partage le continent , ce qui femble prouver qu'ils font plus anciens que ceux dont nous venons de parler. De même toute l'Afrique ell: très- montueufe, & cette partie du monde eft fort ancienne: il n'y a guère que l'Egypte, la Barbarie & les côtes occidentales de l'Afrique jufcju'au Sénégal, qu'on puiffe regarder comme de nouvelles terres. L'Afie eft auffi une terre ancienne, <Sc peut-être la plus ancienne de toutes, fur- tout l'Arabie, la Perfe & la Tartarie; mais les inégalités de cette vafte partie du monde demandent, aufli-bien que celles de l'Europe,' un détail que nous ren- voyons à un autre aYticle. On pourroit dire en général que l'Europe ell un pays nouveau , la tradition fur la migration des peuples & fur l'origine des arts & des fciences paroît l'indiquer, il n'y a pas
Théorie de la Terre. 307
îong-temps qu'elle e'toit encore remplie de marais & couverte de forêts , au lieu que dans les pays très - anciennement habités il y a peu de bois , peia d'eau , point de marais , beaucoup de landes & de bruyères , une grande quantité de montagnes dont les lommets font fecs & (lériîes ; car les hommes détruifent les bois, contraignent les eaux , relîerrent les fleuves, defsèchent les marais, «Se avec le temps ils donnent à la terre vme face toute différente de celle Aç,^ pays inha- bités ou nouvellement peuplés.
Les Anciens ne connoifToient qu'une très-petite partie du globe; l'Amérique entière, les terres arctiques , la terre Auf- traie &. Magellanique, une grande partie de l'intérieur de l'Afrique, leur étoient entièrement inconnues, ils ne favoient pas que la Zone torride étoit habitée > quoiqu'ils eulTent navigé tout autour de l'Afrique, car il y a 2200 ans que Neco loi d'Egypte donna des vaiiîeauxà i^Q% Phéniciens qui partirent de la mer rouge , côtoyèrent l'Afrique , doublèrent le cap de Bonne-efpérance , & ayant employé deux ans à faire ce voyage , ils entrèrent
'30 8 Hftoke Naturelle.
la troifième année dans le détroit de Gi- braltar. Voye:^ Hérodote, lib. IV. Cepen- dant les Anciens ne connoifîoient pas la propriété qu'a l'aimant de fe diriger vers les pôles du monde , quoiqu'ils connuf- ient celle qu'il a d'attirer le fer; ils igno- roient la caufe générale du flux & du reflux de la mer , ils n'étoient pas lûrs que i'océan environnât le globe lans inter- ruption : quelques-un 1 à la vérité l'ont foupçonné , mais avec fi peu de fonde- ment qu'aucun n'a ofé dire ni même Goa- jcCiurer qu'il étoit poflible de faire le tour du monde. Magellan a été le pre- mier qui l'ait fîiit en l'année i 5 1 9 dans i efpace de i i 24 jours. François Drake a été le fécond en 1 5,77 , & il l'a fiit en 1 0 5 6 jours. Eniiiite Thomas Cavendish a fait ce grand voyage en y-yy jours dans l'année 1 586 , ces fameux Voya- geurs ont été les premiers qui aient dé- montré phyfiquement la fphéricité & J'éiendue delà circonférence de la terre; car les Anciens étoient aufli fort éloignés d'avoir une jude mefure de cette circon- férence du globe, quoiqu'ils y euflent beaucoup travaillé. Les vents généraux
Théorie Je la Terre. 309» & réglés , & lufage qu on en peut faire pour les voyages de long cours leur étoient auffi ablolument inconnus ; ainfi on ne doit pas être furpris du peu de progrès qu'ilsontfliit dans la Géographie, puilqu'aujourd'hui , malgré toutes k$ connoifTances que Ion a acquifes par le fêcours des fciences mathématiques & par les découvertes des Navigateurs, il refle encore bien des chofes à trouver & de vafles contrées à découvrir. Prefque toute s les terres qui font du côté du pôle an- tarctique nous font inconnues , on fiit feulement qu'il y en a , & qu'elles font féparées de tous les autres continens par l'océan ; il refle auiïî beaucoup de pays à découvrir du côté du pôle arclûque , & Ton ert: obligé d'avouer avec quelque efpèce de regret, que depuis plus d'un fiècle l'ardeur pour découvrir de nou- velles terres s'eft extrêmement ralentie ; on a préféré , & peut-être avec raifon , l'utilité qu'on a trouvée à faire valoir celles qu'on connoiffbit , à la gloire d ea conquérir de nouvelles.
Cependant la découverte de ces terres auftrales feroit un grand objet dç
3 I o Hîfloire Naîurellci
ciiriofité , &. pourroit être utile ; on n'a reconnu de ce côté - là que quelques côtes , & il efi: fâcheux que les Naviga- teurs qui ont voulu tenter cette décou- verte en diiîérens temps , aient prei que toujours été arrêtés par des glaces qui les ont empêchés de prendre terre. La brume,, qui efl fort confidérabie dans ces parages , efi: encore un obflacle : cependant malgré ces inconvénicns , il efl: à croire qu'en ]:>artant du cap de Bonne- efpérance en différentes faiions , on pourroit enfin reconnoître une partie de ces terres , lefqueiies jufqu'ici font un monde à part.
Il y auroit encore un autre moyen qui peut-être réuffiroit mieux ; comme les glaces & les brumes paroiffent avoir ar- rêté tous les Navigateurs qui ont entre- pris la découverte des terres auflrales par l'océan atlantique , &: que les glaces le j font prélentées dans l'été de ces climats aufîi-bien que dans les autres faifons , ne pourroit-on pas ie promettre un meil- leur fuccès en changeant de route ! II me femble qu'on pourroit tenter d'arri- ver à ces terres parla mer pacifique, en
Théorie de h Terre. :? r { partant de Baldivîa ou d'un autre 'port de la cote de Chili, & -travernuit cette mer^ fous le 50."" degré de latitude lud. Il n'y a aucune apparence que cette na- vigadon, qui n'a jamais été faite, 'fôt périlleufe , & il eft probable qu'on trou- veroit dans cette traverite de nouvelles terres; car ce qui nous refle à connoitre xdu côté du pôle auftral ed fi confidé- rable, qu'on peut flms Te troinj^er' l'éva- luer à plus d'un quart de la fuperficie du gloire, en forte qu'il peut y avoir dans ces climats un continent- terre/Ire auffi grand que l'Europe, l'A fie, & 1 Afrique prifcs toutes trois enfemble.
Comme nous ne connoiffons point du tout cette partie du globe , nous ne .pouvons pas lavoir au jufle la propor- tion qui eil entre la furface de la [erre !& celle de la mer; feulement, autant qu'on en peut juger par l'infpedion.de ;Ce qui ell connu, \\ paroît qu'il y a plus de mer que de terre.
Si l'on veut avoir une idée de la quan- tité énorme d'eau que contiennent \ts mers, on peut fuppofer une profondeur fPiiiinune & générale à l'océan , & en ne
'3 ï a Hifloire Naturelle»
îa faiiaiit que de deux cents toifes ou cf^ la dixième partie d'une lieue , on verra qu'il y a afîez d'eau pour couvrir le globe entier d'une hauteur de fix cents pieds d'eau , & fi on veut réduire cette eau dans une feule mafle, on trouvera qu'elle fait un globe de plus de foixante lieues de diamètre.
Les Navigateurs prétendent que îe continent de^ terres auftrales eft beau- coup plus froid que celui du pôle arc- tique, mais il n'y a aucune apparence que celte opinion (bit fondée, & probable- ment elle n'a été adoptée des Voyageurs, que parce qu'ils ont trouvé des glaces à une latitude où l'on n*en trouve prcfque jamais dans nos mers feptentrionales , mais cela peut venir de quelques eau (es particulières. On ne trouve plus déglaces dès iemois d'Avril en deçà des 67 & 68 degrés de latitude (eptentrionaie , cSc les Sauvages de i'Acadie & du Canada difent que quand elles ne font pas toutes fondues dans ce mois-là, c'eft une marque que le relie de l'année fera froid & plu- vieux. En 1725 il n'y eut, pour ainfi dire, point d'été, & il plut prcfque continuellement;
Théorie de la Terre* 313
ôondnuellement; aufîi non-feuîement les glaces des mers lèptentrionales n'étoieut pas fondues au mois d'avril au 67."*' degré , mais même on en trouva au i 'y juin vers le 41 ou 42.'"'' degî*é. Voyei^ l'Hifi. dd r Acad. année i y2 j ,
On trouve une grande quantité' de ces glaces flottantes dans la mer du nord ^ lur-tout à quelque diftance des terres ; elles viennent de la mer de Tartarie dans celle de la nouvelle Zemble & dans les autres endroits de la mer glaciale. J'ai été afTuré par des gens dignes de foi , qu'un Capitaine Angloîs , nommé Mon- fon , au lieu de chercher un pafîage entre les terres du nord pour aller à la Chine , iivoit dirigé fa route droit au pôle & eu avoit approché julqu'à deux degrés : que dans cette route il avoit trouvé une haute mer fins aucune glace , ce qui prouve que les glaces (e forment auprès des terres , & jamais en pleine mer ; car quand même on voudroit fuppofer , contre toute apparence , qu'il pourroit fiiire alTez froid au pôle pour que la fuper- ficie de la mer fût glacée , on ne conce- vroit pas mieux comment ces énormes Tome I. O
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3 1 4 hîfloîrc Naturelle»
gbxes qui flottent, pourroient fe former il elles ne trou voient pas un point d'appui contre les terres, d'où enfuite elles fè dé- tachent par la chaleur du foleil. Les deux vaiiïeaux que la Compagnie des Indes iCnvoya en 1739 ^ ^'^ découverte des terres auitrales , trouvèrent des glaces à une latitude de 47 ou 48 degrés, mais ces glaces n'étoient pas fort éloignées .des terres , puifqu'ils les reconnurent 1 fans cependant pouvoir y aborder. Voye-^ fur cela la carte de M. Baache, i j^ g^ Ces glaces doivent venir des terres inteV rieures & voifines du pôle auilral , & 011 peut conjedurer qu'elles luivent le cours de plu fleurs grands fîeuyes dont ces terres inconnues font arrofées , de même que îe fleuve Oby, le Jénifca &: les autres grandes rivières qui tombent dans les mers du nord , entraînent les glaces qui bouchent pendant la plus grande partie de l'année le détroit de V^aio-ats , & rendent inabordable la mer de Tartarie par cette route , tandis qu'au-delà de 1$ nouvelle Zemble & plus près des pôles où il y a peu de fleuves & de terres , les glaces font moins comniiines & }a mer
Théorie de la Terre, 3 r 5
^fl plus navigable; en forte que fi 011 vouloit encore tenter le voyage de fa Chine & du Japon par les mers du nord , il faudroit peut - être , pour s'éloigner le plus des terres & des glaces, diriger fa route droit au pôle , & chercher les plus hautes mers , où certainement il n'y a que peu ou point de glaces ; car on fait que l'eau (aîee peut finis fe geler de- venir beaucoup plus froide que l'eau douce glacée ; & par conféquentle froid •excefTif du pôle peut bien rendre l'eau de la mer plus froide que la glace , fins que pour cela la furface de la mer fe gèfe, d'autant plus qu'à 80 ou 82 degrés , la furfice de la mer , quoique mêlée de beaucoup de neige & d'eau douce , n'eft glacée qu'auprès des côtes. En recueil- lant les témoignages des Voyageurs flir îe paffage de l'Europe à la Chine par la mer du nord , il paroît qu'il exifle , & que s'il a été fi iouvent tenté inutilement, <:'efl parce qu'on a toujours craint de s^éloigner des terres &: de s'approcher du pôle, les Voyageurs l'ont peut-être Kgardé comme un écueil.
Cependant Guillaume Barents qui
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3 ï 5 Hijloire Naturelle» avoit échoue, comme bien d autres, dans Ton voyage du nord , ne doutoit pas qu'il n'y eût un pafînge , & que s'ij fe fût plus éloigné des terres, il n'eût trouvé une mer libre &: liins glaces. Des voya- geurs Molcovites envoyés par le Czar pour reconnoître les mers du Nord ,, rap- portèrent que ia nouvelle Zemble n'eft point tine île , mais une terre ferme du .continent de la Tartarie , & qu'au nord de ia nouvelle Zemble c'eft une mer libre & ouverte. Un voyageur Hollan- ,dois nous alTure que la mer jette de temps «n temps fur la côte de Corée & du Japon , des baleines qui ont fur le dos des harpons Anglois& Hollandois.Unautre Hollandois a prétendu avoir été jufque fous le pôle , & afTuroit qu'il y faifbit ;iufn chaud qu'il fait à A mfterdairi en été. XJn Angioisnommé Goulden , qui avoit fait plus de trente voyages en Groenland, rapporta au roi Charles II , que deux ..vaifleaux Hollandois avec leiquels il faifoit voile, n'ayant point trouvé de baleinjÊS à la côte de V\\q d'Edges, réfo- |iîrent d'aller plus ;iu nord , ik qii'étant |de jp.çtour m bp|.u de quinze jours , ces
Théorie de la Terre» J î /
Hoîlandois lui dirent qu'ils avoient été jufqu'au Sp**"*" degré de latitude j c'ell- à-dire , à un degré du pôle , &: que là ils n'avoient point trovivé de glaces , mais une mer libre & ouverte , fort profonde & fembiable à celle de \\ baie de Bifcaye, & qu'ils lui montrèrent quatre journaux des deux vaifTeaux , qui atteftoicnt la même chofe & s'accordoient à fort peu de chofe près. Enfin il eft rapporté dans ks Tranfadions philofophiques , que deux Navigateurs qui avoient entrepris d€ découvrir ce padïtge, firent une route de 300 iieues à l'orient de la nouvelle Zemble, mais qu'étant de retour, la Compagnie des Indes qui avoit intérêt que ce pafîage y^ fut pas découvert^ empêcha ces Navigateurs de retourner, Voye-^ le recueil des voyages du Nord , p, 2 0 0. Mais la Compagnie des Indes de Hollande crut au contraire qu'il étoitde (on intérêt de trouver ce pafîàge ; l'ayant tenté inutilement du côté de l'Europe ,' elle le fit chercher du côté du Japon , ^ elle auroit apparemment réufîi, Il l'empereur du Japon n'eût pas interdit aux étrangers toute navigation du côté
'3 1 8 Hijîoire 'Naturelle.
des terres de JeiTo. Ce pafTage ne peut donc fe trouver qu'en allant droit au pôle au-dçlà de Spitzberg , ou bien en iuivant le milieu de la haute mer, entre îa nouvelle Zembie & Spitzberg , fous ie y^/"^ degré de latitude : fi cette mer a une largeur confidérable , on ne doit pas craindre de la trouver glacée a cette latitude , «Se pas même fous le pôle , par les raifons que nous avons alléguées;, en effet, iln'y a pas d'exemple qu'on? ait trouvé la iurface de la mer, glacée au larofe & à une diftance confidérable des côtes , le feul exemple d'une mer tota- lement gbcée e(l celui de la mer noire y elle eft étroite 6c peu falée, & elle reçoit, une très-grande quantité de fleuves qui viennent des terres feptentrionales & qui y apportent des glaces , aufîi elle gèle quelquefois au point que fa furface eft entièrement glacée , même à une pro- fondeur confidérable, &, fi on en croit les Hiiioriens , elle gela du temps de- l'empereur Copronyme , de trente cou- ' dées d'épaifleur , fans compter vingt coudées de neige qu'il y avoit par-deffus h glace. Ce fut me paroît exagéré, mais
Thème de la Terre, 3 ï 9 ïl efl (Tir qu'elle gèle prefque tous le* hivers ; tandis que les hautes mers qui font de mille lieues plus près du pôle ^ ne cèlent pas , ce qui ne peut venir que de la différence de la.dilure & du peu de glaces qu'elles reçoivent par les fleuveSy en coiuparaiion de la quantité énorme de glaçons qu'ils tranfportent dans la mer noire.
: Ces glaces , que l'on regarde comme des barrières qui s'oppofent à la naviga- tion vers les pôles & à la découverte des lerres aullrales, prouvent feulement qu'if y a de très-grands fleuves dans le voifi- nage des climats où on les a rencontrées ,= par conféquent elles nous indiquent auffi qu'il y a de vaftes coniinens d'où ces fleuves tirent leur origine, & on ne doit pas fe décourager à la vue de ces obfta- eles; car fi l'on y fai[ attention, l'on reconnoîtra aifément que ces glaces ne doivent être que dans de certains en- droits particuliers ; qu'il cd; preique impofnble que dans le cercle entier que nous pouvons imaginer terminer* les terres auftraies du coté de i'équateur , il y ait par-tout de grands fleuves qui-
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3 2© Hlfloire "Nàturehi
chariem des glaces, & quepar confequcnt il y a grande apparence qu'on reuiîiroit en dirigeant fa rouie vers qwelqu'autre. point de ce cerck. D'aiiieurs la defcriij*- tion que nous ont donnée Dampier & quelques autres voyageurs, du terrein de la nouvelle Hollande, nous peut faire Soupçonner que cette partie du globe qui avoifine les terres auli raies , & qui peut- ctre en fait partie , eft un pays moins ancien cjue le refle de ce continent inconnu. La nouvelle Hollande efl une terre bafîe , fans eaux , fins montagnes > peu habitte, dont les naturels font fau- vages & fans indudrie; tout cela con- court à nous faire penfer qu'ils pour- ïoient être dans ce continent à peu près ce que les Sauvages des Amazones ou (\}x Pcraguai font en Amérique. On a trouvé é&% hommes policés , des empires & des lois au Pérou , au Mexic[ue , c'eil-à- dire , dans les contrées de l'Amérique les plus élevées, &par conféquent les plus anciennes ; les Sauvages au contraire le font trouvés dans les contrées les plus baffes <St les plus nouvelles; ainfi on peut préfimier que dans l'intérieur dei
Théorie de h Terre, 321
fermes auftrales on trouveroit aiilîi des* hommes réunis en fociété dans les con- trées élevées j d'où ces grands fleuves qui amènent à ia mer ces glaces prodi- gieulès tirent ieur fource.
L'intérieur de l'Afrique nous ell in^ connu, prefqu'autant qu'ii i'étoit aujc Anciens, ils avoient, comme nous, fait ij tour de cette prefqu'iie par mer, mais- à la vcrrité ils ne nous avoient laifîe ni cartes, ni defci-iption de ces côtes. Piinc nous dit qu'on avoit, dès le temps d'A- lexandre, fait le tour de l'Afrique, qu'on av'oit reconnu dans la mer d'Arabie de» débris de vailîeaux E(|:)agnois. & que Hannon Général Carthaginois av^oit fait ie. voyage dépuis. Gades jui»qu'à la mer d'Arabie ,- qa'il avoit même donné par écrit la relation de ce voyage. Outre cela , dit - il , Cornélius. Nepos nous appreiKl que de fon temps un ccrt.iiii Exidoxe perfécuté par le. roi Lathurus, fut obligé de: s'enEiir \ qu'étant parti du' golfe. Arabique , il étott arrivé. à Gades^ & qu'avant ce temps on commerçoit d'Efpagne en Ethiopie par la mer. Voyer Plm, HiJ. Nat, tom, I.yl'é. ^. Cepen^
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3 22 Hijloire Naturelle.
dant, malgré ces témoignages des An-» ciens , on s'étoit perfuadé qu'ils n'avoient jamaisdoublé le cap de Bonne-eipérance, & l'on a regardé comme une découverte nouvelle cette route que les Portugais ont prife les premiers pour aller aux grandes Indes: on ne fera peut-être pas fâché de voir ce qu'on en croyoit dans Je neuvième fiècle]
ce On a découvert de notre temps. 33 une chofe toute nouvelle, & qui étoit 53 inconnue autrefois à ceux qui ont vécu :>3 avant nous. Perfonne ne croyoit que D5 la mer qui s'étend depuis les Indes juf-^ 3» qu'à la Chine, eût communication. 33 avec la mer de Syrie , 6c on ne pou- 33 voit ie mettre cela dans l'efprit. Voici 33 ce qui efl: arrivé de notre temps , félon 33 ce c[ue nous en avons appris : on. a.. 33 trouvé dans la mer de Roum ou médi- 33 terranée les débris d'un vaiiïeau Arabe- 33 que la tempête avoit brifé, & tous ceux 33 qui le montoient étant péris , les flots 33- l'ayant mis en pièces, elles furent por- 33 tées par le vent & parla vague jufque 33 dans la mer des Cozars , & de-là au ca- ->3 nal de la mer méditerranéen d'où elles
Théorie (le la Terre. 3 2" 3'
furent enfin jetées fur la côte de Syrie, ce Cela fait voir que ia mer environne ce tout le pays de la Chine & de Cila , ce l'extrémité du Turqueftan & le pays ce des Cozars , qu'enfuite elle coule par ce îe détroit jufqu'à ce qu'elle baio«-ne la ce côte de Syrie. La preuve eft tirée de ce la conftrudion du vai(îeau dont nous ce venons de parler , car il n'y a que les ce vaifTeaux de Siraf , dont la fabriqué efl: ce telle que les bordages ne font point ce eîoués, mais joints enfemble d'une ce manière particulière, de même que s'ils c< étoient cou fus, au lieu que ceux de ce- tous les vaifTeaux de la mer méditerra- ce- née &: de la côte de Syrie , font cloués, ce & ne font pas joints de cette manière. 33^ Voye-^ les anciennes relations des voyages- faits par terre a la Chine , p- J 3 & y 4-
Voici ce qu'ajoute le Tradudleur de cette ancienne relation.
ce Abuziel remarque comme une chofe- nouvelle & fort extraordinaire , qu'un «- yaifleau fut porté de la mer des Indes ce' for les côtes de Syrie. Pour trou- ce ver le paiïage dans la mer méditerra- ce- îiée ; ii fuppofe qu'il y a une grande <c^
O vj;
^24 Hljîone Nalureïïè, 3j étendue de mer au-defliis delà Chine,. » qui a communication avec la mer des. :>3 Cozars y c'efl-à-dire , de M-ofcovie.. :» La mer cjui eii au-delà du cap des C cii- » rans étoit entièrement inconnue aux 53 Arabes à caufe du péril extrême de la Dj navigation , ôl le continent étoit habité >î par des peuples fi barbares, qu'il ii étoit. >> pas facile de les loumetire , ni même; 33 de les civililer par le commerce. Les, •» Portugais ne trouvèrent depuis le cxip -33 de Bonne - elpérance julqu'à Soffala. 03 aucuns Maures établis, comme: ils en 33 trouvèrent depuis dans toutes les villes. 33 mariu"mes jufqu'à la Chine. Cette ville 33 étoit la derniers que connoiiîoient \q^ 33 Géographes,, mais ils ne pouvoient :» dire fi lamer avoitcommunication.par 3û rextrémitéderAfrlc[ue avec la mer. de 3>- Barbarie , & ils le contentoient de la 33 décrire jufqu'à la cote de 2.inge qui e/l 33 celle de la Cafrerie , c'eft pourquoi 33. nous ne pouvons doutei^ que la pre— , minière découverte du pafîïige de cette 33 mer par le cap de Bonne-eipéi^ance 53. lirait été faite par. les Eiuropéens tous la. 3» conduite de Vafco de Gaaia, Quaii»
Théorie cTtrla Terrev 3^2-5^
moins cjuelques années avant qu'il ce doublât le cap , s'il eft vrai qu'il fe foit ce trouvé des cartes marines plus ancien:- « nés que cette navigation^ où le cap ce étjQÏt marqué fous le nom de Front eira ce da Afriqua, Antoine Galvan téuioi- cc giie llir le rapport de Francifco de ce Soufa Tavares , qu'en 1528 l'Inflmt ce Don. Fernand lui fit voir, une (embla- co He carte qui fe trouvoit dans ie monaf- ce tère d'Acoboca, &.qui. étoit tàiteJL y^-ce a voit L 20. ans, peut-être fur cetis qu'on ce dit être, à Venilè dans le tréfor de S/ ce Marc^ & qu^on.croit.avcir été copiée, ce fur celle de Marc Paolo, qui marque ce aufîi la pointe de l'Afrique, félon le ce téinoignage de Ramufio, &c ^^.-L'igno- rance de. ces.fiècles,au fujet dela.naviga^ lion autour de l'Afrique parDÎtra peut- être, mains fingulière que le fiiencc de l'éditeur de cette ancienne, relation au fujet des partages d'Héiodote , de Pline , &.C. que nous avons cités, & q,ui prou- vent que les Anciens ayoiem fiait le tour dg, i' Afrique.
Quoi qu'il en (bit,. les cotes de l'A- frique nous, fom aducllçmem \i)sm
^z6 Hiflotre Natîirelk^
connues, mais quelques tentatives qu'on- ait faites pour pénétrer dans l'intérieur du pays , on n'a pu parvenir à le connoître afTez pour en donner des relations exac- tes. II ieroit cependant fort à fouhaiter que par le Sénégal ou par quelqu'autre fieuve on pût remonter bien avant dans les terres & s'y établir , on y trouveroit , félon toutes les apparences , un pays aufli riche en mines précieufes que l'eft le Pérou ou le Brefil , car on fait que les fleuves de l'Afrique charient beaucoup d'or, & comme ce continent efl: un pays de montagnes très-élevées , & que d'ail- iieurs il eft fitué fous l'équateur , il n'eft pas douteux qu'il ne contienne, aufîi-bien que l'Amérique , les mines de métaux les plus pefans, & les pierres les plus compactes & les plus dures.
La vafle étendue de la Tartarie fepten- îrionale & orientale n'a été reconnue que dans ces derniers temps. Si les cartes des Mofcovites font julles , on connoît à préfent les côtes de toute cette partie de l'A fie, &: il paroît que depuis la pointe de la Tartarie orientale jufqu'à TAmé- rjque feptentrionale, il n'y a guère qu'un
Tlîéone de la Terre. 3 27»- efpace de quatre ou cinq cents lieues ; ont a même prétendu tout nouvellement que ce trajet étoit bien plus court ; car dans la gazette d'Amfterdam du 24. janvier I 747, il ed: dit à l'article de Péterfbourg, que M. S tôlier avoir découvert au-delà de Kamtfchatka une des îles de l'Amé- rique feptentrionale, & qu'il avoit dé- montré qu'on pouvoit y aller dès terres^ de l'empire de Rufîie par un petit trajet»- Des Jéfuites & d'autres MifTionnaires ont auiïi prétendu avoir reconnu en Tar- tarie des Sauvages qu'ils avoient caté— chifés en Amérique , ce qui fuppoferoit, en effet que le trajet feroit encore bien.; plus court. Voye-^ F Hijîoire de la nouvelle France, par k P. Charlevoix , tome 111 , pages ^ 0 & s J ' Cet Auteur prétend; même que les deux continens de l'ancien & du nouveau monde fe joignent parle nord^ôc il dit que les dernières naviga- tions des Japonnois donnent lieu de juo-er que le trajet dont nous avons parlé,, neft qu'une baie, au-defTus de laquelle on peut paffer par terre d'Afie en Amé- rique; mais cela demande confirmation,, carjufqu'à préfem on a cru avec quelque
'Î^S Hiflolre Naîurefîe. ' f^^rte de vrailèinblaiice, que fe coml> nent du pôleardique eli feparé en eiuier de^ autres comineas , aulil-bien que celui du poJe aiiiardique.
L'afîroiiomie & l'art de la navigation. lo4it portés à un fi hnut point de perfec- tion , qu'an peut raifonnablement efpérer G avoir un jour une connoifTaiice exade delà lurfhce entièredu globe. Les Anciens n'en connoiflLient qu une afTez petite partie , parce que n'ayant pas la bouITolc , tls n'ofoieju ie hafarder dmis les hautes, mers. Je (îiis bien que quelques gens ont. prétendu (|ueies Arabes avoient inventé laboufFoIe,. 6c s'en étoicm fervis long^- tenips avant nous pour voyager fur fa^ rner d^s Indes & commercer fufqu'à la ^ Chine (Voy^i V Abrégé de rHiJîoire des^ ^arraiins, de Btrgeron,page i ipj, mais cette opinion. m'a toujours paru dénuée de toute vraiièmbian^e ; car il n'y a au- cun mot dans le^ langues aiabe, turque ou perfànnequi puilfe fignifier la bouf- lole , ils fe fervem du mot. Italien /^^^/^; ils ne (avem pas même encore aujour- ^fbui faire des bouffoies ni aimanter, les ^guilies, 6i ïh achetteiit des E^ropëens^
Tlieme de la Terre. 5 25^ celles dont ils le fervent. Ce que dit le Père Martini au fujet de cette invention, ne nie paroît guère mieux fondé , il pré- tend que les Chinois connoifToient ia. bouffole depuis plus de trois nfilie ans (Voyei Hijt, Sinica , page 1 a6); mais fi cela efl: , comment elt-ii arrivé qu'ils en aient fliit fi peu d'uiage î pourquoi prenoicnt-ils dans leurs voyages à la Co- chinchine une route beaucoup plus lon- gue qu'il n'étoit nécelîaire ! pourquoi (c bornoient-ils à faire toujours les mêmes voyages dont les plus grands étoient à Java & à Sumatra! & pourquoi nau- roient-îls pas découvert avam les Euro- péens une infinité d'iks abondâmes <Sc de terres fertiles dont ils font voifins , s'ils avoicnt eu fart de naviguer en pleine mer î car peu d'années après la décoiw verte de cette merveilleuiè propriété de l'iûmant , les Portugais firent de très- grands voyages , ils doublèrent le cap de Bonne-efj^érance, ils traversèrent les mers de l'Afrique <& des Indes , <^ tandis qu'ils dirigeoient toutes leurs vues du côté de l'orient & du midi, Chriftophe Colomb K)ui»a les fieunes vers l'occideat^
k
jljo Hifloire Nûtureik,
Pour peu qu'on .y fît attention , A ctoit fort aifé de deviner qu'il y avoit des cfpaces iiTimeilfes vers l'occident; car eil comparant la partie connue- du globe , par exemple, la diftance de l'Efpagne à la Chine, & fùfant attention au mouve- ment de révolution ou de la terre ou du ciel, il étoit aifé de voir qu'il relloit à de'couvrlr une bien plus grande étendue vers l'occident que celle qu'on connoii- foit vers l'orient. Ce n'eft donc pas par k défaut des connoiffances aflronomi- ques que les Anciens n'ont pas trouvé le nouveau monde, mais unicjuement par le défaut de la boufTole : les pafl^iges de Platon & d'Ariilote, où ils parlent de terres fort éloignées au-delà des colon- nes d'Hercule, femblent indiquer que quelques Navigateurs avoient été pouflcs par la tempête jufqu'en Amérique, d'oii ils n'étoient revenus qu'avec des peines infinies ; ôi on peut conjedurer que quand même les Anciens auroient été perfuadés de l'exiflence de ce continent par la relation de ces Navigateurs , ils n'auroient pas même penfé qu'il fut pof- £bJe de s'y frayer des routes j n'ayant
f
I
! Théorie de la Terre. yyt
mcun guide, aucune connoifTance de boufToIe.
J'avoue qu'il n'eft pas abfolument im- poflible de voyager dans les hautes mers làns bouffole, ^ que des gens bien dé- terminés auroient pu entreprendre d'aller hercher le nouveau monde en fe con- duifant feulement par les étoiles voifines du pôle. L'aflrolabefur-toutétant connu des Anciens , il poiivoit leur venir dans l'efpritde partir de France ou d'Efpagne & de faire route vers l'occident, en laif- fant toujours l'étoile polaire à droite , & en prenant fouvent hauteur pour fe con- duire à peu près fous le même parallèle ; c'eft fans doute de cette façon que les Carthaginois dont parle Ariftote, trou- vèrent le moyen de revenir de ces terres éloignées, en laifTant . l'étoile polaire à gauche, mais on doit convenir qu'un pareil voyage ne pouvoit être regardé que comme une entreprife téméraire , &. que par confequent nous ne devons pas. être étonnés que les Anciens n'en aient pas même conçu le projet.
On a voit déjà découvert du temps de Chriftopbç Colomb les Açores,les,
i
532 Hifhhe Naturelle*
Canaries , Aladère : on avoit remarque que loriqiie les vents d'oueft avoient régné long-temps, la mer atnenoit fur les côtes de ces îles des morceaux de bois étrangers , des cannes d'une elpèce inconnue, & même des corps morts qu'on reconnolfroit à plufietirs lignes n'être ni Européens ni Afriquains. (Voyej^ r H'ijhire de Saint - Dombigue r parle P. CharUvoix r tome 1 , page 66 df fi^v.) Colomb iiii-mênTc remarqtia que du coté de l'ouell: il venoit certains vents qui neduroicnt que quelques jours-, & qu'il ie perfuada être des vents de terre cependant,, quoiqu'il eût furies Anciens tous ces avantages , èi la boufToie , les^ difficultés qui reiloient à vaincre étoiem encore u grandes , qu'il n*y avoit que le fuccès qui pût juiiitier rentreprife; car luppofons pour un inftant que le con- tinent du nouveau monde eût été plus éloigné ,. par exemple , à mille ou quinze cents lieues plus loin qu'il n'eft en effet y cbofe que Colomb ne pouvoit ni (avoir ni prévoir, il n'y fer oit pas arrivé, & peut-être ce grand pays feroit-il encore Âitoiiiiii. Cette conjedure efl d'autam
TJieone ^e la Terre. 3 ^^
rnîeux fondée que Colomb , quoique le )lus habile Navigateur de fon fiècle , fut àifi de frayeur & d etonnement dans fon iécond voyage au nouveau monde ; car comme la première fois il n'avoit trouvé que des îles , il dirigea fa route plus au midi pour tâcher de de'couvrir une terre ferme, &l il fut arrêté par les courans, dont l'étendue confidérabie &. la direc- tion toujours oppofée à ia route , l'obli- gèrent à retourner pour chercher terre l'occident : il s'imaginoit que ce qui J'avoit empêché d'avancer du côté du midi n'étoit pas des courans , mais que la mer ajloit en s'élevant vers le ciel , & <}ue peut-être l'un & l'autre fetouchoîent du côté du midi : tant il eft vrai que dans les trop grandes entreprifes la plus j)etitc çirçonflance malheurcufe peut tourner k >ete ^ abattre le courage.
'5 3 4 Hifloire Natureïïel
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PREUVES
DE LA
THÉORIE DE LA TERRL
ARTICLE VII.
'Sur la produdioji des couches oii lits de terre.
No U s avons fait voir dans l'article premier, qu'en vertu de l'attradion démontrée mutuelle entre les parties de la înatière & en vertu de îa force centrifug€ qui réfulte du mouvement de rotation fuï fon axe , la terre a néceffairement pris la forme d'un fphéroïde dont ies diamètres «iiffèrent d'une 2 3 o.""" partie, & que ce lie peut être que par ks changemens arrivés à la furface & caufés par les mou- vemensde l'air & des eaux , que cette dif- férence a pu devenir plus grande, comme on prétend le conclure par les mefures prifes à l'Equateur & au Cercle polaire. Cette figure de la terre qui s'accorde fï bien avec les loix de l'hydroftatique & avec notre théorie , fuppofe que le globe
Théorie de la Terre, 335
« été dans un état de liquéfàétion dans le temps qu'il a pris fa forme , & nous avons prouvé que le mouvement de proje<^io]i .& c^Iui de rotation ont été imprimés en ïTiême temps par une même impulfion. On fe perluadera facilement que la terre A été dans un état de liquéfacSlion produite par le feu, lorfqu'on fera attention à la nature des matières que renferme le globe, dont la plus grande partie , comme les fables & les glailes, font àats matières vitrifiées ou vitrifiables , & lorfque d'un autre côté on réfléchira iur l'impodibilité .qu'il y a que la terre ait jamais pu fe trou- ver dans un état de fluidité produite par les eaux, puiiqu'il y a infininient plus de terre que d'eau , & f{ue d'ailleurs l'eau 2i'a pas la puifTance de difToudre les fables, îes pierres & les autres matières dont la terre eli compofée.
Je vois donc que la terre n'a pu prendre fa figure que dans le temps où die a été liquéfiée par le feu , & en fui- vant notre hypothèie je conçois qu'au fortir du foleil la terre n'avoit d'autre forme que celle d'un torrent de matières .fondues &. de vapeurs enflammées ; que
3 3 ^ Hiflolre Naturelle. ce torrent fe raflembk par î-attni^ioîl îiiutuelle des parties , ^ devint un globe auquel le mouvement de rotation donna la ligure d'un fpfeéroïde , & lorique la terre fut refroidie , les vapeurs qui s'e'toient •d abord étendues , comme nous voyons ^s'étendre les queues dei comètes , fè con- densèrent peu à ])eu^ tombèrent en eau fur la iurfice du globe , & déposèrent en Blême temps un limon mêlé de matières fulfureufes & iîïlines , dont une partie s'eft glidée par le mouvement des eaux dans les (entes perpendiculaires où elle a produit les métaux & les minéraux , & k relie ell: demeuré à iafurface de la terre & a produit cette terre rougeâtre qui forme la première couche de ia terre & qui, fui- vant les différens lieux, efl: plus ou moins mêlée de particules animales ou végétales réduites en petites molécules dans lef- quelles l'organilation nVft plus lenfible.
A infi dans le premier état de la terre, le globe étoit, à l'intérieur , compoi^ d'une matière vitrifiée, comme je crois qu'il i'eft encore aujourd'hui; au-deffus de jcette matière vitrifiée fe font trouvées les .parties que le feu aura le plus divifées ,
comme
Théorie Be la Terre» 537
comme les fables, qui ne font que des fragmens de verre ; & au-defTus de ces fables les parties les plus légères, les pierres ponces, les écumes & les fcories de la matière vitrifiée ont furnagé & ont formé les glaifes & les argiles: le tout étoit recouvert d'une couche d'eau (a) <Je 5 ou Ôoo pieds d'épaifîeur, qui fut produite par la condenfation des vapeurs lorfque le globe commença à fe refroi- dir ; cette eau dépofa par-tout une cou- che limonneufè mêlée de toutes les ma- tières qui peuvent fe fublimer & s'exhaler par la violence du feu^ & l'air fut formé des vapeurs les plus fubtiles qui fe déga- gèrent des eaux par leur légèreté , & les furmontèrent.
TeJ étoit l'état du globe lorfque
(a) Cette opinion , queîa terre a été entièrement couverte d'eau , eft celle de quelques Philofophes anciens , <Sc même de la plupart àçs Pères de i'É- glife: in mundi frimordio aqua in ommm teiram Jîag^ nahat , dit S.* Jean-Damafcène, liv. II, chap. 9. 'Terra erat invïf.biUs , quia exundabat aqua iT operiebat ttrram , dit S.' Ambroife, liv. I , Hexam. chap. 8, ^ubmevfa tellus cùm effet , faciem ejiis wundtitne aqua, non erat adfyedabilis , dit S.^ Bafile , Homélie 2, Voyez auiïi S.' Auguftin, livre I de la Genèfe, chap. 13.
Tome L P
'358 FTîflolre Natureîle.
raclion du flux & reflux , celle ^t% vents & de la chaleur du loleii coinmencèrent à iilte'rer la Turfàce de la terre. Le mou- vement diump & celui du flux & reflux iéi^vèrent d'aboxd les eaux fous les cli- mats jne'ridionaux , ces eaux entraînè- rent & portèrent vers i'équateur le Unii^i, les ^ài^ç-s^ les iabics, & en cïevaat les parties de l'équateur , elles ahaifsèrent peut-être peu h. peu celles des pôles .de cette difFe;:ence d'environ deux lieues, dont nous avons parlé, car les eaux bri- sèrent bientôt & réduifirent en poyflière les pierres ponces ^ les autres parties fpongienfes de la matière vitrifiée qui étoient à la furfàce, elles creusèrent des profondeurs & élevèrent des hauteurs qni dans la fuite font d^evenues des con- tinens, & elles produifirent toutes les inégalités que nous remarquons à la fup- iitce d€ la terr^ , & qui ibnt plus confl- .dérables vers Téquaieur que par-tout ailleurs : car les plus hautes montagnes font entre les tropiques & .dans le mi- ficu des zones tejnpérées, & les plus hx^ts font au cercle polaire & au-delà , puifque i*oKi a erKre les tropiques les
Théorie {Je la Terre, 330 Cordillères & prefque toutes les rnontr.- gnes du Mexique (& du Brefil, les mcn- tagiies de l'Afrique , lavoir le grand & le peut Atlas , les monts de la Lune , <Scc. & que d'ailleurs les terres qui font entre les tropiques lont les plus inégales de tout le globe aulfi-bien que les mers , puif- qu'il le trouve entre les tropiques beau- coup plus d'îles que par-tout ailleurs ; ce qui fliit voir évidemment que les plus grandes inégalités de la lerre le trouvent en effet dans^ le voifinage de l'équateur.
Quelque indépendante que Ibit ma théorie de cette hypothèfe fur ce qui s'ell pufTé dans le temps de ce premier état du globe, j'ai été \Àtx\. aife d'y remonter dans cet article , afin de fliire voir la liai- Ton & la pollibilité du fyftème que j'ai propofé , & dont j'ai donné le précis dans l'article premier ; on doit leuiement remarquer que ma théorie , qui fait le texte de cet ouvrage ne part pas de fi loin , que je prends la terre dans un état à peu près (emblabîe à celui où nous la voyons, & que je ne me lèrs d'au- cune des fuppoiitions qu'on efl obligé d'employer iorfqu'on veut raifonncr fm
Pi;
■j4<3 Hipoire Naîurellep î'ëtat parfé du globe terreftre; wm$ .comme je donne ici une nouvelle idéie au fujet du limon des eaux qui, fcloii iTîoi, a forme la première couche de îerre qui enveloppe le globe , il me pa- i'oît necefîaire de donner aufll les raifons fur lefquelies je fonde ceue opinion. Les vapeurs qui s'élèvent dans l'air, produi- sent les pluies , les rolces, les feux aëriens ^ îes tonnerres , & les autres météores : ces vapeurs font donc mêie'es de particules aqueuies , aériennes , luifureuiès , ter- reflres , &c. & ce font ces particules folides & terreftres qui forinent le limon dont nous voulons parler. Lorfqu'on laiffe dépoièr de l'eau de pluie , il fe forme un fèdiment au fond ; lorfqu 'après avoir ramafîe une aiïez grande quantité 4e rofe'e , on la laiiïe dépofer &: fe cor- rompre, elle produit une efpèce de li- îuon qui tombe au fond du vafe ; ce limon e(t même fort abondant, & la rofée £11 produit beaucoup plus que l'eau de pluie; ileft gras, onilueux & rougeâtre.
La première couche qui enveloppe le globe de la terre .eft coinpofée de ce Jiinouroêléavec des parties de végétauaL
Théorie de la Terre, 345^
ou d'animaux détruits, ou bien avco des particules pierreufes ou fablonneufes: on peut remarquer prefque par-tout que ia terre labourable eil rougeâtre & mêlée plus ou moins de ces différentes ma- tières ; ies particules de lable ou de pierre- cfu'on y trouve, lont de deux efpèces, ks unes grolTières & mafîives , les autres^ plus fines & quelquefois impalpables; les plus groffes viennent de la couché inférieure dont on les dc^ache en labou- rant & en travaillant ia terre , ou bien le limon fupérieur en fe gliffant & en péné- trant dans la couche inférieure Cfui efl de fable ou d'autres matières divifées , formé ce^ terres qu'on appelle des fables gras f les autres parties pierreuies qui font plus fines, viennent de l'air, tombent comme" ks rofées & les pluies , & ie mêlent inti- mement au limon ; c'elt proprement lé )?éfidu de la pouffjcre que l'air tranfporte,. c|ue les vents enlèvent continuellement de la furface de la terre , &: qui retombe enfuite après s'être imbibée de Thumi- dité de l'air. Lorfque le limon domine, qu'il fe trouve en grande quantité, <St «[u'au contraire ks parties pierreufes 6c
Piij,
/342. HiJIohe Naturelle.
iàblonneufes font en petit nombre , !a lerre eft roiigeâtre, pétriiîîible & très- fertile : fi elle efl en même temps mêlée d'une quantité' confidérable de végétaux ou d'animaux détruits , la terre elt noi- râtre, & fouvent elle eft encore plus fer- tile que la première; mais fi le limon n'eft qu'en petite quantité, auffi - bien que les parties végétales ou animales , dors h terre efl blanche & flériie, & iorfqueîes parties fablonneufes, pierreufes ou crétacées qui compofent ces terres itériles ôl dénuées deJimon, font mêlées d'une af΀z grande quantité de parties de véofétaux ou d'animaux détruits, elles loranent les terres noires & légères qui n'ont aucune iiaifon & peu de fertilité ; en forte que , fuivant les différentes corn- i)inaifons de ces trois différentes ma- tières , du limon , des parties d'animaux &i de végétaux, & des particules de fab!e & de pierre , les terres font plus ou moins fécondes &. différemment colo- riées. Nous expliquerons en détail dans notre difcours fur les végétaux, tout ce qui a rapport à la nature & à la qualité de3 différenies terres ^ nniis ici nous
Théork Je la Terre. 34^ n'avons d*autre but que celui de faire entendre comment s'eft formée cette première couche qui enveloppe le globe & qui provient du limon des eaux.
Pour fixer les idées , prenons le pre- mier terrein qui fe pré fente , & dans le- quel on a creufé aflez profondément,- p^r exemple, le terrein de Mariy-ia-viile Gilles puits font très-profonds; c'eft un pays élevé, mais plat & ferdie, dont les couches de terre font arrangées horizon- talement. J'ai fait venir des échantillons • de toutes ces couches que M., Dalibard, habile Botanilie & verfé d'ailleurs dans toutes les parties des Sciences, a bien voulu nùre prendre fous fes yeux, & après avoir éprouve toutes ces matières à l'eau- forte , j'en ai drefle la table fuivante.
JE TA T des dïfférens lits de terre qui fe troment a Marly -la -ville , jufquà cent pieds de profondeur (b)»
h Terre franche rougeâtre , mêlée de beaucoup
de limon, d'une très-petite quantité de friblc
(b) La fouille a été faite pour un puits dans un ter- ïsiji uui appartient aftuellemem à M. de Pommcry,
P iiij
^344 HiJIolre Nûîurelle.^
vitrifiable , & d'une quantité un peu plu^
confidérable de fable calcinable,
que j'appelle gravier. . , . , . .... i ^p'"''- qp'*"*'
I I.
Terre franche ou limon mêlé de plus de gravier <Sc d'un peu plus de fable vitrlfiable. . , ..... 2^ ,6.
I I I.
Limon mêlé de fable vîtri- fiabîe en alTez grande quantité , <5c qui ne faîfoit que très -peu <3'effervefcence avec reau-fortt. , 3 »,
IV.
Marne dure qui faîfoit une grande effervefcence avec Teau» forte 2.
V.
Pierre marneufe aiïez dure ,7 4> .
V I.
Marne en poudre, mêlée de fable vitrifiable. , ,' , 5.
VII.
Sable très-fin vitrifiabîe. , . . , i , 6«
Profondeur , ,. 3 if««i*-
Théorie de la Terre, 3 4 5
Ci-contre 3 i'''*^"' 0''°""'-
VIII.
Marne en terre , mêlée d'un »eu de fable vltrifiable 3. 6*
I X. Marne dure, dans laquelle on rouve du vrai caillou qui eU de a pierre à fulil parfaite.. , . , . 3. 6»
X.
Gravier ou poufîière de marne. !. X I.
Eglantine, pierre de la dureté du grain du marbre , 6c qui eft fonnante. , . , . . , i. 6.
XII. Gravier marneux i. 6»
XIII.
Marne en pierre dure , dont îe grain eft fort fin. ....... , i. 6.
XIV.
Marne en pierre, dont le grain n'elt pas fi fin. ,,.,.. F. 6»
XV.
Marne encore plus grenue
Profondeur. 0 â^s'^"^' o'"^"^
34^ Hifloïre Naturelle.
De l'autre pan ^<y'''''' o^*^**
& plus groflîère, ., , , 2, 6»
X V L
Sable vitrifiable très-fin, m^Ié 'j
€Îc coquilles de mer foiTiIes, qui n'ont aucune adhérence avec le fable , & qui ont encore leurs couleurs & leurs vernis natureJs. i.
XVII.
Gravier très - mer>u ou p.ouP £ère fine de marne 2^
X V I I !..
Marne en pierre dure. .,»... 3:. ^
X I X. Marne en poudre aOez gro(^ iiQîc r. ^»
X X.
Pierre dure & calcinabîe comme le marbre , !••
XXL
Sû)\t gris vrtrifiable, mêî'é àt coquilles foffilcs , & fur- lout de beaucoup d'huîtres & ?
de /pondiies, qui u'ont aucune
Proibadeur .,*,•.., jt****^ qp*""«^
1 Théorie de h Terre. 347 Ci-contre 57^*"' O'''^-"' (îhércnce avec le fable, <Sc qui ne font nullement pétrifiées. .. ^«
: X X 1 L
Sable blanc, vîtrifiable , mêlé de^niêmei coquilles « t»
XXIII.
Sable rayé de rouge & d€ blanc , virrifi.ible , & mêlé des mêmes coquilles. ..,.,».... i»
XXIV.
Sabîe plus gros , mais tou* jours vitrifiable , & mêlé des mêmes coquilles . . ^ . ► f .
X X V.
Sable gris y fin , vitrifiable , & niêlé des mêmes coquilles., , S. 4y
XXVI.
Sable gras , très-fin , où U n'y a plus que quelques co- quilles , .#»♦ 3 0.
XXVII.
Profondeur. v^^""' 6^^'
F V7
1
348 Hifloire Naturelle:
De l'autre part. ..... 'j^^^^'- ô'^'**'
XXVIII,
Sable viîrifiahîe , rayé de rouge (Se de blanc. ......... 4.-»
XXIX.
Sable blanc vîtrifiable, . , , , 3. 6.
XXX.
Sable vîtrifiable , rougeâtre. . 15.
Profondeur où l'on a? ^^^p;,^,, ceffé de creufer, , ..... \
J'ai dit que j 'a vois éprouvé toutes ces matières à l'eau-forte ; parce que quand i'infpedion & la coiuparailon des ma- tières avec d'autres qu'on connoît , ne fuffiient pas pour qu'on loit en état de les dénommer & de les ranger dans la clafîe à laquelle elles appartiennent, & qu'on a peine à le décider par la fiinple obfervation, il n'y a pas de moyen plus prompt, il peut-être plus (ur , que d'éprouver avec l'eau-forte les matières terreules ou lapidifiques ; celles que \es cfprits acides dilToIvent fur le champ avec chaleur & ébuiiition , Ibat ordinairement
Théorie de h Terre • 349/ caîcinables, celles au contraire qui réfif-- tent à ces efprits & fur lelquels ils ne font nucune iinprefîion , font vitriliahles.
On voit par cette énumération , quç îe terrein de Marly-la-ville a été autre- fois un fond de mer qui s'eft élevé au moins de 75 pieds, puisqu'on trouve des coquilles à cette profondeur de 75 * pieds. Ces coquilles ont été tranfponees par le mouvement des eaux en même temps que ie fable où on les trouve , & le tout eli tombé en forme de fédimens qui fè font arrangés de niveau & qui ont produit les différentes couches de làt:Ie gris, bkmc, rayé de blanc & de rouge , &c. dont l'épaifleur totale eil de- 15 ou 18 pieds; toutes les autres cou- ches fupérieures jufqu'à la première ont été de même transportées par le mou- vement des eaux de la mer , & dépofées en forme de fédimens , comme on ne peut en douter , tant à caufe de la litua- îion horizontale des couches , qu'à caufè. des difîérens lits de fable mêlé de co- quilles, & de ceux de marne , c|ui ne font que dés débris ou plutôt des détri- xiiens de coquilles; la dernière couche^
3 5 o Hîflohr Nûtîirelle. elle-même a été formée prefqu'cn entier par le limon dont nous avons parlé , qui s'efl: mêlé avec une partie de la marne qui étoit à la furface.
J'ai choifi cet exemple comme îe plus défavantagcux à notre explication, parce qu'il paroît d'abord fort difficile de con- cevoir que le limon de l'air & celui des pluies &L des rolees aient pu produire une couche de terre franche épaifîe de I 3 pieds ; mais on doit oblerver d'abord qu'il efl très-rare de trouver, fur-tout dans les pays un peu élevés , une épaif- fêur de terre labourable aufîi coniidé- table ; ordinairement les terres ont trois ou c[uatre pieds, & fouvent elles n'ont piis un pied d'épaifleur. Dans les plaines environnées de collines, cette épaifleur de bonne terre ed: plus grande , parce que les pluies détachent les terres de ces collines & les entra'inent dans les vallées , mais en ne fuppofmt ici rien de tout cela , je vois que les dernières couches formées par les eaux de la nier fom des lits de marne fort épais: il eil naturel d imaginer que cette marne avoit au commencement une épaiffeur enccjrc
Tfieone de la Terre. 3 5 1
'^\x% grande , & que des i 3 pieds qur compoient l'épaifîeiirdeia couche iupt;- TÎeure, il y en avoii plufieurs de marne lorfque la mer a abandonné ce pays <Sc a laifle le terrein à découvert. Cette marne expofée à l'air fe fera fondue par les pluies, i'adion de l'air & de la chaleur du foleil y aura produit des gerçures , de petites fentes , & elle aura été altérée par toutes ces cauiès exté- rieures au point de devenir une matière divifée & réduite en pouffière à la fur- ftce, comme nous voyons la marne que nous tirons de la carrière tomber en poudre iorfqu'on ia laifle expofée aux injures de l'air r la mer n'aura pas quitté ce terrein fi brufquement qu'elle ne l'ait encore recouvert quelquefois, foit par les alternatives du mouvement des ma- rées , foit par l'élévation extraordinaire des eaux dans les gros temps , & elle aura m^lé avec cette couche de marne, de la va(e , de la boue & d'autres ma- tières limonneufes ; lorfque le terrein fe fera enfin trouvé to«t à- fait élevé au- deflus des eaux, les plantes auront cora- nmtcé à y croître , ^ c efi alors que k
^^2 Hijloire Nûîurcîle, .
limon des pluies & des rofees aura peu 'à; peu coloré & pénétré cette terre , & lui aura donné un premier degré de fertilité que les hommes auront bientôt aug- mentée par la culture , en travaillant & dividuit lafurface, & donnant ai nfi au limon des roiées & des pluies la facilité de pénétrer plus avant , ce qui à la fin aura produit cette couche de terre franche de I 3 pieds d'épaifîeur.
Je n examinerai point ici fi la couleur rougeâire des terres végétales, qui eft aufli celle du limon, de la rofce & des pluies, ne vient pas du fer qui y eft contenu; ce point, qui ne laide pas d'être important , fera difcuté dans notre difcours lur les minéraux: il nous fuffit d'avoir expofé notre façon de concevoir la forinatioii de la couche fuperficielle de la terre , & nous allons prouver par d'autres exejuples que la formation des- couches intérieures ne peut être que iiQUvrnge des eaux.
La iarfice du globe , dit Woodward, cette couche extérieure fur laquelle les hommes ^ les animaux marchent, qui fejrt de ma^ufin pour la fonnaiion deS;
Théorie de la Terre é 5 5: 3'
végétaux & des animaux , efl: , pour ia p!us grande partie coinpofée de matière végétale ou animale , qui efl dans un mouvement & dans un changement con^ tinuel. Tous les animaux &. les végétaux, qui ont exifté depuis la création du monde , ont toujours tiré fucceffivement de cette couche ia matière qui a com-^ pofé leur corps , & ils lui ont rendu îi leur mort cette matière empruntée 5, elle y refle , toujours prête à être reprife de nouveau & à fervir pour former d*autres corps de îa même efpèce fuccel^ fivement fans jamais difcontinuer ; car. la matière qui compoie un corps, efl propre & naturellement difpofée pour' en former lui autre de cette efpèce, Voye-^ Effaî fur l'Hlfloire Naturelle , éTc,^ pûge 1^6. Dans les pays inhabités, dans les lieux où on ne coupe pas les bois, où les animaux ne broutent pas les plantes, cette couche de terre végétale s'augmente afîéz cpnfidérabîement avec le temps ; dans. tous les bois, & même dans ceux qu'on coupe, il y a une couche de terreau de 6 ou 8 pouces d'épc^fî'eur ,, qui n'a été formée que par les feuilles .,.
'3 54 I^ijloire Naturelle. îes j^etites branches & les écorces qui fe Ibnt pourries; j'ai foUvent obiervé fur un ancien grand chemin fiiit , diu on, du leiups des Romains, qui tra- verfe ia Bourgogne dans une longue étendue deterrein, c|u'il s'eft formé liif ies pierres dont ce grand chemin efl conllruit, une couche de terre noire de plus d'un pied d'cpaideur qui nourrit a(^ueliement des arbres d'une hraiieur îiiïez confidérablc , & cette couche n'eft compofée que d'un terreau noir forme par les feuilles, les écorces & les bois pourris. CoJiime les végétaux tirent pour leur noum'ture beaucoup j:*ius de îiibflance de l'air & de l'eau, qu'ils n'en tirent de la terre, il arrive qu'en pcur- riflànt ils rendent à la terre plus citi'ils n'en ont tiré ; d'ailleurs une forêt déter- mine les eaux de la pluie en arrêtant tes vapeurs , ainfi dans un bois qu'on conferveroit bien long -temps fans y loucher, la couche de terre qui fert à la végétation augmenteroit confidé- rablement ; mais les animaux rendant moins à la terre qu'ils n'en tirent, & ks hommes fiiifaiit des confommations
Théorie de h Terre. 355
énormes de bois & de plantes pour le feu & pour d'autres ufages, il s'enfuit que la couche de terre végétale d'un pays habité doit toujours diminuer & devenir enfin comme le terrein de i'A- rabie pétrée, & comme celui de tant d'autres provinces de l'orient » qui eft en efîèt ie climat le plus anciennement habité, où l'on ne trouve que du fei & des fables ; car le Tel fixe des plantes & des animaux refle , tandis que toutes les autres parties le volaiililent.
Aj)rès avoir parié de cette couche de terre extérieure que nous cultivons , il faut examiner la pofition & la formation des couches intérieures. La terre , dit Woodward, paroît , en quelqu'endrok qu'on la creufe , compofée de couches placées l'une fur l'autre, comme autant de fédimens qui feroient tombés iuccei^ fivement au fond de l'eau ; les couches qui font les plus enfoncées , font ordi- nairement les \)\\xs épaiffes, & celles qui font fur celles-ci Ibnt les plus minces par degré julqu'à la furface. On trouve des coquilles de mer, des dents & des os de poilîgns dans ces dilîercnies couche^;
3 5^ Hijloîre Naturelle. M s'en trouve non-feiilement dans Tes- couches molles , comme dans la craie , i'argile & la manie , mais même dans' les couches les plus folides & les plus dures , comme dans celles de pierre, de marbre , &c. Ces productions ma- rines font incorporées avec la tàqïvq , & lorfqu'on la rompt & qu'on en fépare k coquille , on obferve toujours que la pierre a reçu l'empreinte ou la forme de la furface avec tant d'cxaiflitude , qu'on voit que toutes ies parties étoient exactement contiguës & appliquées à^ la coquille, ce Je me fuis afTuré , dit cet sauteur, qu'en France, en Flandre,- >3 en Hollande, en Efpagne, en Italie, >3 en Allemagne, en Danemarck, en » Norvège & en Suède , îa pierre & les- 55 autres lubflances tcrreflres font diipo- 53 fées par couches de même qu'en An- 35 gîeierre ; que ces couches font divifées- » par des fentes parcilièles ; qu'il y a au- 33 dedans des pierres (Se d'autres fubf- 33 tances tcrreftres & compactes ,_ une >5 grande quantité de coquillages , de >:> d'autres productions de la mer dil'po- ^ fées de la même manière que dans
Thème de la Terre. 357'
;€ette île ^y. J'ai appris que ces couches ce iè trouvoient de même en Barbarie , ce .en Egypte, en Guinée & dans les <c autres parties de l'Afrique , dans l'A- ce jabie, la Syrie , ia Perfe , le Malabar, ce la Chine & les autres provinces de ce l'A fie , à la Jamaïque, aux Barbades, « r€n Virginie, dans la nouvelle Angle- ce terre , au Brefii , au Pérou & dans les ce ,autres parties de l'Amérique 3?. Effaifur r H'ijloïre Naturelle de la Terre, pages ^,
Cet auteur ne dit pas comment & par qui il a appris que les couches de la terre au Pérou contenoient des co- quilles , cependant comme en générai {çs obfervations font cxades , je ne doute pas qu'ii n'ait été bien informé , & c'eft .ce qui me perfuade qu'on doit trouver .des coquilles au Pérou dans les couches de terre , comme on en trouve par-tout ailleurs; je fais cette remarque à i'occa- fion d'un doute qu'on a formé depuis peu fur cela, & dont je parlerai tout-à-^ i'heure.
Dans une fouille que i'on ^i à
(f). En- Angleterre.
"5 5 8 Hifloke Naturelle: A mflerdam pour faire un puits , on creuf^ jufqu'à 232 pieds de profondeur , & on trouva les couches de terre fuivantes,
7 pieds de terre végétale ou terre de jardin , ^ pieds de tourbe , p pieds de glailè molle , 8 pieds d'arène , 4 de terre , 1 o d'argile , 4 de terre , i o pieds d'arène, fur iaquelk on a coutume d'appuyer les pilotis qui foutiennent les jnaiibns d'Amilerdam ; enfuite 2 pieds d'argile ^ 4 de iablon blanc , 5 de terre sèche , I de terre molle , 1 4 d'arène,
8 d'argile mêlée d'arène , 4 d'arène mêlée de coquilles , enluite une épaif- feur de 1 00 &. 2 pieds de glaife, & enfin 3 i pieds de fable, où l'on cefla de creufer. Voye^ Varenii Geogr. gêner aU pnge ^6,
Il eft rare qu'on fouille auiïi profon- dément fans trouver de l'eau , & ce fiit cil remarquable en plufieurs chofes : j/' il fait voir que l'eau de la mer ne communique ]>as dans l'intérieur de la ïerre par voie de filtration ou de lliîla- tion , comme on le croit vulgairement: 2.° nous voyons qu'on trouve des co- quilles à 100 pieds au-deflbus de la
Théorie r}€ la Terre» 35^
fw-ffâce de la lerre dans un pays cxtrê- menieat bas , «Se que par conféquent le terreîn de la Hollande a été élevé de 100 pieds par les iédimens de la mer; 3." on peut en tirer une induction que cette couche de glaiiè épaifTe de 102 pieds, & la coucne de lable qui efl au-defTous, dans laquelle on a fouillé à 3 I pieds, & dont l'épaifTeur entière efl inconnue, ne Ibnt peut-être pas fort éloignées de la première couché de la vraie terre ancienne & originaire, telle qu'elle étoit dans le temps de (Ii première formation & avant que le mouvement des eaux eût changé ia furface. Nous avons dit dans l'article premier, que fi ['on vouloit trouver la terre ancienne, il f ludroit creuler dans les pays du nord plutôt que vers féquateur , dans les plaines bafîês plutôt que dans les mon- tagnes ou dans les terres élevées. Ces conditions fe trouvent à peu près raffein- blées ici ; feulement il auroit été à fbu- haltcr qu'on eût continué cette fouille à une plus grande profondeiir, 6c que 'auteur nous eût appris s'il n'y avoit pas de coquilles ou d'autres produdions
3^0 Hijloire Naturelle.
vîTiariiies dans cette couche de glaife de I02 pieds d'épaiiïeur & dans celle de >fable qui étoit au-deflous. Cet exemple confirme ce que nous avons dit , lavoir, que plus on fouille dans l'intérieur de la terre, pliis on trouve les couches épaiffes, ce qui s'explique fort naturellement dans notre théorie.
Non-feulement la terre efl compofée de couches parallèles & horizontales dans les plaines & dans les collines, mais les montagnes même font en général com- pofées de la même façon : on peut dire que ces couches y font plus apparentes que dans les plaines , parce que les plaines font ordinairement recouvertes d'une quantité affez confidérable de fable ÔL de terre , c[ue les eaux y ont amenés, & pour trouver les anciennes couches il fmt creuler plus profondément dans Its plahies que dans les montagnes.
J'ai fouvent obfervé que lorfqu'une montagne eft égale & que Ion fommet efl: de niveau, les couclies ou lits de pierre qui la compofent, font aufli de iiiveau ; mais li le fommet de la mon- lagne n'eft pas poie horizontalement, ôc
i'ii
Théorie de la Terre. 3^1
%''\ penche vers l'orient ou vers tout filtre côte , les couches de pierre pen- chent aufli du même côié. J 'a vois ouï dire à pkifieurs perfonnes que pour l'or- dinaire les bancs ou lits des carrières penchent un peu du côté du levant , mais ayant obfervé moi-même toutes les carrières & toutes les chanies de rochers qui le font préfentces à mes yeux , j'ai reconnu que cette opinion ed: faufîè, & que les couches ou bancs de pierre ne penchent du côté du levant ([ue lorf- que le fommet de la colline penche de ce même côté ; & qu'au contraire fi le fommet s'abaiiTe du côté du nord , du midi, du couchant ou de tout autre côté, les lits de pierre penchent aufîj du côté du nord, du midi, du couchant, &c. Lorfcju'on tire les pierres &: les marbres des carrières , on a grand foin de les leparer fuivant leur pofnion na- turelle , & on ne pourroit pas même les avoir en grand volume fi on vouloit les couper dans un autre (èns ; lorfqu'on ies emploie , il faut pour que la maçon- nerie foit bonne & pour que les pierres jdurent long - temps , ies pofer fur leur T\)me L Q
'3^2 Hifloire Nûturelle,
lit de carrière, c'eil aiiifi que les ouvriers appellent la couche horizontale : fi dans ia maçonnerie les* pierres étoient polees fur un autre fens , elles fe fendroient & ne réfifteroient pas aufîi long-temps au poids dont elles font chargées. On voit bien que ceci confirme que les pierres le font forme'es par couches parallèles & horizontales , qui le font fuccefTivemcnt accumitlées les unes fur les autres, &i que ces couches ont compofé des malîès dont la réfiJdance eft plus grande dans ce iens que dans tout autre.
Au refle, chaque couche, foit qu'elle foit horizontale ou inclinée, a dans toute fon étendue une épaiffeur égale, c'efl-- à-dire , chaque lit d'une matière quel- conque, pris à part, a une épaiffeur égale dans toute fon étendue ; j^ar exem- ple , lorfque dans une carrière le lit de pierre dure a 3 pieds d'épaifî«ur en un endroit , il a ces 3 pieds d'épailTeur par- tout ; s'il a fix pieds d 'épaiffeur en un endroit, il en a 6 par-tout. Dans les carrières autour de Paris le lit de boime pierre n'efl pas épais , & il n*a guère que a8 à2o pouces d'épaifieur par-tout;
Théorie de la Terre. 3 6-^ dans d'autres carrières, comme en Bour- gogne, la pierre a beaucoup plus d'épai{^ ' leur; il en elt de même des marbres, ceux dont le liteO: le plus épais, font les marbres ' blancs & noirs , ceux de couleur font or- dinairement plus minces, & je connois des lits d'une pierre fort dure & dont les payfans fe fervent en Bourgogne pour couvrir leurs maifons , qui n'ont qu'un pouce d'épaifleur. Les épaifîeurs des dif^ fercns lits font donc différentes, mais chaque lit conferve la même épaiffeur dans toute fon étendue : en général, on peut dire que i'épaifleur des couches horizontales eil tellement variée , qu'elle va depuis uv\Q ligne & moins encore , jufqu'à I, 10, 20, 30 & 100 pieds d'epaiffeur \ les carrières anciennes & nouvelles qui Ibnt creufees horizontale- ment ; les boyaux des mines , & les cou- pes à plomb, en long & en travers , de ^pluficurs montagnes, prouvent qu'il y s des couches qui ont beaucoup d'éten- due en tout fens. ce II eil bien prouvé , dit rhiftorien de l'Académie, que ce toutes les pierres ont été une pâte ce molle , «Se comme il y a des carrières «
Qi;
^6 4' HiJIoire Nûtiirel/e. 33 prefque par-tont, la furtace dch terre 53 a donc été dans tous ces lieux , du D3 moins jufqu'à une certaine profon- DO deur, une vafe & une bourbe ; les co^ 35 quillages qui fe trouvent dans prel que 30 toutes les carrières, prouvent que cette 33 vafe etoit une terre détrempée par l'eau 33 de la mer, & par conféquent la mer 33 a couvert tous ces lieux-là , & elle n'a 33 pu les couvrir lans couvrir au(li tout 33 ce qui étoit de niveau ou plus bas, 3> & elle n'a pu couvrir tous les lieux 33 où il y a des carrières & tous ceux qui 33 font de niveau ou plus bas, lans çou- 33 vrir toute la furface du globe terreflre. 53 Ici l'on ne confidère point encore les 35 montagnes que la mer auroit dû cou- 33 vrir aulîj , puifqu'il s'y trouve toujours » des carrières &. louvent des coquil- 33 îages ; û on les (lipporoit fermées, le 33 raifonnement que nous f liions en de- 33 viendroit beaucoup plus fort. 53 La mer , continue - t - il , couvroit 35 donc toute la terre, & de-ià vient que 33 tous les bancs ou lits de pierre qui ?:> font dans les plaijics, font horizontaux 5> ÔL parallèles entr'cux , les poiiîons
Théorie de la Terre. 365 auront été les plus anciens habitans ce du globe, qui ne pouvoir encore avoir ce ni animaux terreftres, ni oileaux. Mais ce comment la mer s'eft-elle retirée dans ce les grands creux , dans les vafles baffins ce qu'elle occupe préientementî Ce qui ce le préfente le plus naturellement ài'ei- £c prit, c'eft que le globe de la terre, du ce moins jufqu'à une certaine profondeur, ce n'étoit pas folide par-tout, mais entre- ce mêlé de quelques grajids creux dont ce ies voûtes le font foutenues pendant un ce temps, m/ais enfin font venues à fon- ce dre fubitement ; alors les eaux feront ce tombées dans ces creux , les auront ce remplis, &: auroht laide à découvert ce une partie de la farn\ce de la terre qui ce iéra devenue une habitation convena- ce ble aux animaux terre (Ires & aux oi- ce féaux : les coquillages des carrières s'ac- ce cordent fort avec cette idée , car outre «: qu'il n'a pu fe conferyer jufqu'à pré- ce ient dans les terres que des parties ce pierreufes des poifîons , on fait qu'or- ce dinairement les coqtiillages s'amaffent <e en grand nombre dans certains en- ce droits de la mer, où ils font comme ac
Qiij
^66 HiJIoire Naturelle.
•y> immobiles 6c forment àt% efpèces Je r> rochers ; & ils ^l'auront pu fuivre ics :>3 eaux qui les auront flibiiement -aban- yy donntes ; c'eft par cette dernière raifcn » que l'on trouve infiniment plus deco- 3:) c|uiliages que d'arêtes ou d'empreintes 33 d'autres poiflons , ci cela même prouve >:• une chute foudiiiiie de la mer daiis 35 Tes badins. Dans le même temps que y> les vouîcs que nous Tupp-ofons, ont » fondu, il eft fort poffibie que d'autres ■x> parties de la furface du globe fe foient yi é\Q\iç.%^ & par la mcmecaufe, ce feront 33 là les montagnes qui le leront placées •»> fur cette (urfice avec des carrières déjà 33 toutes formées ; mais les lits de ces car- j3 rières n'ont pas pu conlerver la di- 33 redion horizontale qu'ils avoient au- 33 para vaut , à moins que les maffes des 33 montagnes ne fe fuffent élevées pré- 3> cifémcnt lelon un axe perpendiculaire 33 à la furface de la terre , ce qui n'a pu 33 être que très-rare : aufîi comme nous 33 l'avons déjà obfervé en 1708, (pûge -i-y ^ 0 & fijv.) les lits des carrières des 33 montagnes font toujours inclinés à v> riiorizon; mais parallèles enir'eux ^
Théorie de h Terre. 3^7
cîir ils n'ont pas changé de pofition les ce uns à i'éo-ard des autres, mais leulement ce à l'égard de la furface de la terre, j? Voye:^ les Mcm. de i'Acad. année i ji 6 , page j \^ &fuiv. de l'Hifloire.
Ces couches parallèles , ces iits de terre ou de pierre qui ont été formés par les fédimçns des eaux delà mer, s'étendent fouvent à des diflances très- confidérables , & même on trouve dans îes collines féparées par un vallon les mêmes lits, les mêmes matières, au même niveau. Cette obfervation que j'ai fîiite , s'accorde parfaitement avec celle de l'é- galité de la hauteur des collines oppo- fées dont je parlerai tout-à-l'heure ; on pourra s'afTurer aifément de la vérité de ces fîtits , car dans tous les vallons étroits , où l'on découvre des rochers j on verra que les mêmes lits de pierre ou de marbre fe trouvent des deux côtés à la même hauteur. Dans une campagne que j'habite (buvent &. où j'ai beaucoup examiné les rochers & les carrières , j'ai trouvé une carrière de marbre qui s'é- tend à plus de douze lieues enlongueur^ & dont h largeur eft fort confidérable,
368 Hîj%îre Naturelle; quoique je n'aie pas pu m'aifurer pré- çirénient de cette étendue en largeur. J'ai* fou vent obferVé que ce Ik de marbre a la iriênie épaiiTeur par-tout , & dans des collines féparées de cette carrière par un vallon de 1 00 pieds de profon- deur & d'un quart de iieue de largeur, î'ai trouvé le même lit de marbre à la même hauteur : je fuis perfuadé qu'il en efl de même de toutes les carrières de pierre ou de marbre où l'on trouve des coquilles ; car cette obfervation n'a pas lieu dans les carrières de grès. Nous donnerons dms la fuite les raifons de cette différence, & nous dirons pour- quoi le grès n*c(t pas difpofé , comme les autres matières, par lits horizontaux, ^ qu'il efl: en blocs irréguliers pour la forme & pour la pofition.
On a de même obfervé que les lits de terre font les mêmes des deux côtés des détroits de la mer , & cette obferva- tion, qui efl importante, peut nous con- duire à reconnoître les terres & les îles qui ont été féparées du continent ; elle prouve, par exemple, que l'Angleterre a été féparéedela ÎVançe, l'Elpagne i%
Théane de la Ttrre* jij^ rAfrique , la Sicile de l'Italie, & il ferait à loLihaiter qu'on eût fliit la même obler- vatioii dans tous les détroits; je fuis per- /uadc qu'on la trouveroit vraie prefque par- tout, &pour commencer par le plus long détroit que nous connoiffions, qwi eft c€iui de Magellan, nous ne (avons pas fi \qs mêmes lits de pierre (c trouvent à la même hauteur des deux côtés , mais nous voyons à l'infpedion des cartes particulières de ce détroit., que les deux côtes élevées qui le bornent, forment à peu près comme les montagnes de Li terre , des angles correfpondans , & que -les angles fiillans (ont oppofés aux angles rentrans dans les détours de ce détroit , ce qui prouve que la terre de Feu doit être regardée comme une pîirtie du con- tinent de l'Amérique ; il en eft de même du éétroit de Forbisher , l'iie de Fril- lande paroît avoir été féparée du conti- îient du Groenland.
Les îles Maldives ne font Réparées les
unes des autres que par de |>etits trajets
de mer, de chaque côté deiquels le
trouvent de> bancs & des rochers cona-
. poJjes éè h mèm^ iiiatiè*e ; toutes ces
Q V
'37^ Hipoke Naîureik.
îles qui , prifes enfemble , ont près de 2.0 0 lieues de longueur, ne formoieni autrefois qu'une même terre, elles ibnt divifées en treize provinces que l'on ap- pelle Aîûllons, Chaque A tollon contient un grand nombre de petites îles dont la plupart font tantôt fubmerge'e?, & tantôt à découvert ; mais ce qu'il y a de remar- quable, c'efl: que ces treize Atollons font chacun environnés d'une chaîne de ro- chers de même nature de pierre, & qu'ii n*y a que trois ou quatre ouvertures dangereufes par où on peut entrer dans chaque A tollon ; ils font tous pofés de fuite & bout à bout, & il paroît évi !em- ment que ces îles étoient autrefois une iongue montagne couronnée de rochers. Voye^ Voyages de Franc, Pyrard, vol. 1, Paris , I y 1 p , page i o S , &c,
Pluficurs auteurs, comme Verftegnn , Twine , Sommer , & fur-toiu Campbell dans fa defcription de l'Angleterre , au chapitre delà province de Kent, don- nent des raifcns très-fortes , pour prou- ver que l'Angleterre étoit autrefois jointe à ia France , & qu'elle en a été féparée par un coup de mer qui s'étant ouvert
Théorie Je la Terre» ^Ji
cette porte, a laiflé à de'couvert une grande quantité déterres bafles & inaré- cageufes tout le iong des côtes méridio- nales de l'Angleterre. Le Dodeur Waliis fait valoir comme une preuve de ce fait, ia conformité de l'ancien fancraore des Gallois & des Bretons , & il ajoute plu- fieurs obfervations que nous rapporte- rons dans les articles fui vans.
Si l'on confidère, en voyngeant , la forme de> terreins , la poliîion des mon- tagnes & les finuofités des rivières, on s'apercevra qu'ordinairement les collines oppofécs foni non-feuleinent compofécs des mêmes matières , au même niveau, mais même qu'elles font à peu près également élevées : j'ai obier vé cette égalité de hauteur dans les endroits où j'ai voy^'gé ; &i je fai toujours trouvé la même, à irès-pcu près, des deux côtés, fur-tout d.iiis les valions ferrés, & qui n'oiit tout au plus qu'un quart ou un tiers de lieue de larocur; car d^nsles grandes vdlées qui ont bcau- -ccup plus de largeur, il cd allez dilliciie de fuger exaèleinent de la hauteur des coiiiiie^ <Sv de leur égaliiéj parce qu'il y a
Q v;
37^ Hiflolre Ndînrelk»
erreur d'optique & erreur de jugement; en regardant une plaine ou tout autre tenein de niveau \ qui s'étend fort au îoin, il paroît s'élever, & au contraire en voyant de loin des coltines, elles paroifleni s'abaifîcr : ce n'ell: pas ici le iieu de donner la raiCon mathéinatique de cette différence. D'autre côté, il eft fort difficile de juger par le fiinple coup <l'œil où (e trouve le milieu d'une grande Tallée, à moins qu'il n'y ak une rivière; ïiu lieu que dans \&s vallons lerrés le rapport des yeux efl: moins équivoque & le jugement plus cenain. Cette partie de la Bourgogne qui elt comprile entre Auxerte , Dijon, Autun & Bar-fur- Seine , oc dont une étendue confidérable s'appelle k bailliage de la Montagne, cft un des endroits les plus élevés de la France; d'un côté delà plupart de ces montagnes qui ne font que du fécond ordre, & qu'on ne doit regarder que comme des collines élevées , les eaux coulent vers l'océan , & de l'autre vers !a méditerranée; il y a des points de partage , comme à Sombernon, Pouifli %n Auxois, &c. où on peut tourner kç
Théorie de la Terre. 373'
eaux indifféremment vers l'océan ou vers la méditerranée : ce pays élevé eft entre-coupé de plufiewrs petits vallons allez ferrés, &. prefque tous arrolés de gros ruiffeaux ou de petites rivières. J'ai mille & mille fois oblervé la correl[)on- dance des angles de ces collines & leur égalité de hauteur, & je puis aflurer que j'ai trouvé par-tout les angles faillans oppofés aux angles rentrans, & les hau- teurs à peu près égales des deux côtés» Plus on avance dans le pays élevé où font les points de partage dont nous venons de parler, plus les montagnes ont de hauteur ; mais cette hauteur efl toujours la même des deux côtés des vallons, & les collines s'élèvent ou s'a- baiffent également : en ie plaçant à l'extrémité des vallons dans le milieu de la largeur, j'ai toujours vu que le J^afTin du vallon étoit environné & lur- monté de collines dont la hauteur étoit égale , j'ai fîtit la même obièrvation darrs plu fleurs autres provinces de France, C'efl: ccitc égalité de hauteurs dans les collines qui fait les plaines en monta- gnes , ces pliiines , forment , pour aiafi
^374 Hijlohe Naturelle. dire , des pays élevés au-delTus d'autres pays; mais les hautes montagnes . ne paroiiïent pas êti^e fi égales en hauteur, elles fe terminent la plupart en pointes & en pics irréguliers ; & j'ai vu en traverflmt piufieurs fois les Alpes & i'Apennin, que les angles font en effet correfpondans, mais qu'il eft prefque impolfible de juger à l'œil de l'égalité ou de l'inégalité de hauteur des montagnes oppofées , parce que leur fommet fe perd dans les brouillards & ditns les nues.
Les différentes couches dont la terre eft compofée, ne font pas dilpofées, fuivant l'ordre de leur pelanteur fpéci- jfique , fouv ent on trouve des couches de matières pefuites pofées fur des cou- ches de matières plus légères; pour s'en affurer , il ne faut qu'examiner la nature des terres fur leiquelles portent les rochers, &: on verra que c'cd ordinai- rement fur des glaifes ou iur des iables qui font fpécifiquement moins pelans que la matière du rocher. Dans les collines & dans les autres j)ciiLes élé- vations , on reconnoii facilement la ba'e fur laquelle portent les rochers; mais
Théorie de la Terre* 375
1Ï n'en eft pas de même des grandes montaornes, non-feulement le Ibmmet eu de rocher, mais ces rochers portent fur d'autres rochers, il y a montagnes fur montagnes & rochers fur rochers, à des hauteurs fi confidérables & dans une Çi grande étendue de terrein , qu'on lie peut guère s'affurer s'il y a de la terre dcffous, & de quelle nature eft cette terre. On voit des rochers coupés à pic qui ont plufieurs centaines de pieds de hauteurs , ces rochers portent fur d'autres qui peut-être n'en ont pas moins , cepen- dant ne peut- on pas conclure du petit au grand î & puifque les rochers des petites montagnes dont on voit ta ba(e, portent fur' des terres moins pelantes & moins folides que la pierre , ne peut-on pas croire que la bafe des hautes mon- tagnes eft aufti de terre \ Aw refte tout ce que j'ai à prouver ici , c'eft qu'il a pu arriver naturellement, par le mou- vement des eaux , qu'il le {(Ài accu mu ié des matières plus peiiuites au-dcflus des plus légères; & que fi cela le trouve en effet dans la plupart des collines , il eR probable que cela eft arrivé cçmnie je
37^ f^lffoire Naturelle. l'explique dans le texte. Mafs quand même on voudroit fe refuler à mes raiions , en m'oBjedant que je ne fuis pas bien fonde à fuppoler qu'avant la formation des montagnes , les matières les plus pelantes étoient au-delTous des moins pe Tantes , je répondrai que je îi'aflure rien de général à cet écrard , J)arce qu'il y a piufieurs manières dont cet effet a pu lé produire, foit que les matières pelantes fuflent au-deiïous ou au-deiïus, ou placées indifféremment, comme nous ks voyons aujourd'hui ; car pour concevoir comment la mer ayant d'abord foriné une montagne de glaife l'a enfuite couronnée de rochers, il fufïit de fiire attention que les fédi- mens peuvent venir fuccefll veinent de différens endroits , & qu'ils peuvent être de matières différentes, en forte que dans un endroit de la mer oij les eaux auront dépofé d'abord piufieurs fédi- mens de giai(è, il peut très- bien arriver; que tout d'un coup au lieu de giail-eles eaux apportent des fédimens pierreux & cela parce qu'elles auront enlevé du fond, .Qw détaché «des côtes .w>wtc ia
Théorie de la Terre, '^yj
glaife : & qu'eiifuite elles auront attaque les rochers , ou bien parce que les pre- miers fédimens venoient d'un endroit, & les féconds d'un autre. Au relie, cela s'accorde parfiiitement avec les oblerva- tions , par lerqueiles on reconnoît que les lits de terre, de pierre, de gravier, de fiible , &c. ne fuivent aucune règle dans leur arrangement, ou du moins le trouvent placés indifféremment & comme au hafard les uns au-defîus des autres.
Cependant ce hafard même doit avoir des règles qu'on ne peut connoître qu'en eftimant la valeur des probabilités & la vraifemblance des conjectures. Nous avons vu qu'en fuivant notre h y- pothèie fur la formation du globe, l'in- térieur de la terre doit être d'une matière vitrifiée, fembiable à nos fables vitri- fiables- qui ne font c|ue des fragmens de verre, & dont les glaifes font peut-être les fcories ou les parties décompofées ; dans cette fuppofiiion, la terre doit être compoiée dans le centre , & prefque jufqu'à la circonférence extérieure , de verre ou d'une matière vitrifiée c]\À eu
378 Hiflolre Naturelle.
occupe prefque tout l'intérieur, & nti- deffus de cette matière on doit trouver les fables , lès glaîfes & les autres fcories de cette matière vitrifiée. Ainfi en con- fidèraht la terre dans Ton premier état, c'étoit d'abord un noyau de verre ou de matière vitrifiée , qui eft ou malllve comme le verre , ou divifée comme le fable , parce que cela dépend du degré de l'ftélivité du feu qu'elle aura éprouvé ; au-deffus de cette matière étoient ies fables, & enfin les glaifès; le limon des eaux & de l'air a produit l'enveloppe extérieure qui efl: plus ou moins épaiiïe iliivant la fituation du terrein , plus ou moins colorée fuivant les diffère ns mié- ianges du limon , des fables <Sc des parfics d'animaux ou de végétaux détruits , & plus ou moins féconde fuivant l'abon- dance ou la difette de ces mêmes parties. Pour faire voir que cette fuppofition, au fujet de la formation des fibles ô^ des glailes , n'efi: pas aufîi gratuite qu'on pourroit l'imaginer, nous avons cru devoir ajouter à ce que nous venons de dire, quelques lemarques particu^ lières.
Théorie de la Tene. '^,79 Je conçois donc que la terre dans le premier état étoit un globe, ou piiiîôt un iphéroïde de matière vitrifiée, de verre, fi l'on veut, très- compare , couvert d'une croûte légère & friable , formée par les fcories de la matière en fufion , d'une véritable pierre ponce: le mouvement & l'agitation des eaux & de l'air brisèrent bien-tôt &: réduifirent en pouffjère cette croûte de verre fpon- gieufe , cette pierre ponce qui étoit à In furface; de - là les fables qui, en s'u- niffant, produifirent eniuite les grès & Je roc vif, ou, ce qui eft la mène chofe, les cailloux en grande maffe , qui doivent , aufîi-bien que les cailloux en petite maiïe , leur dureté , leur cou-^ leur ou leur tranfparence & la variété de leurs accidens , aux différens degrés de pureté & à la ftneflc du grain des fibles qui font entrés dans leur corn- pofition.
Ces mêmes fables dont les parties conftituantess'uniiïent par le moyen du feu , s'afllir.iient & deviennent un corps dur très-denfe, & d'autant plus tranl- pareat que le lable eft plus homogène,
380 Hi flaire Naturelle*
expofés au contraire long-temps à V^àr^ le décompolent par la déllinion & l'ex- foliation des petites lames dont ils font formés , ils commencent à devenir terre ^ & c'efl ainfi qu'ils ont pu former les glaifes & les argiles. Cette poufîJèrej tantôt d'un jaune brillant, tantôt iem- blable à des paillettes d'argent dont ou le lert pour fécher l'écriture, n'eft autre chofe qu'un fable très-pur, en quelque façon pourri , prelque réduit en les principes, ôi qui tend à une décompo- fition parf lite : avec le temps ces pail- lettes iè feroient atténuées & divifées au point qu'elles n'auroient plus eu affez d'épailTeur & de lurface pour réfléchir fa lumière , & elles auroient acquis toutes les propriétés des gîailes : qu'on regarde au grand jour un morceau d'argile , en y apercevra une grande quantité de ces pailleues talc[ueuies, qui n'ont pas encore enuèrement perdu leurforme. Le fible peut donc avec le temps produire l'argile, & celle-ci en fedivifant acquiert de même les propriétés d'un véritable limon , matière vitrifiable comme l'argile à. qui efl du même genre.
Théorie de la Terre, :> § t
Cette théorie eft: conforme à çc qui fê palîe tous les jour^ lous nos yeux ; qu'on Live du iable iortant de fa minière , i'eau ie chargera d'une afTez grande quan- tité de terre noire , dufliie , grafle , de l'eritable argile. Dans les villes où les rues (ont pavées de grès, les boues font toujours noires & trcs-grafies , &l é^iÇé- chées elles forment une terre de la même nature que l'argile. Qu'on détrempe «Se qu'on lave de même de l'argile prile dans un terrein où il n'y a ni grès ni cailloux, ii le précipitera toujours au fond de l'eau une afîez grande quantité ' *
de labîe vitriliable.
Mais ce qui prouve parfiitement que Q^ixkM ^t^Jh, le Hible, & même le caillou & le verre, a
ex i (lent dans l'argile & n'y font que déguilés, c'eft que le feu en réunifiant les parties de celle-ci, que l'aélion de l'air &: des autres éiémens avoit peut- être divifées, lui rend fa première forme. Qu'on mette de l'argiie dans un four- neau de réverbère échauffé au degré de la calcination ,, elle le couvrira au dehors d'un émail très-dur: fi à l'intérieur elle a'efl pas encoi^ vitrifiée, elle aura
3^^ ////?^/V^ Naturelle, cependant acquis une très-grande duret<^, elle réridera à la lime & au burin; elle étjnceiera fous le hiarteau , elle aura enfin toutes les propriétés du caillou ; un degré de chaleur de plus la fera couler &. la convertira en un véritable verre.
L'ai-gile & le ilible font donc des ma- tières parfiitement analogues & du même genre , ù l'argile en fe condenllint peut devenir du caillou , du verre , pourquoi îc fahie en fe divifint ne pourroit-il pas devenir de l'argile î Le verre paroît être ÉÉ if^ J^ la véritable terre élémentaire , & tous les i f* ^nixtes .un verre déguifé ; les métaux , les
r»*^^*^ ^'ininéraux , les fels , &c. ne font qu une terre vitreilible ; la })ierre ordinaire, les autres matières qui lui font analogues , &: -les coquilles des teftacécs, des crufiacées, &c. font les feules fubflances qu'aucun ao-ent connu n'a pu jufqu'à pré fent vitri- fier, &L les feules qui femblent faire une claffe à part. Le feu en réunifiant les par- ties divifées des premières , en fait une matière homogène , dure & traiifparente ^\\i\ certain degré, fans aucune diminu- tion de pefanteur, & à laquelle il n'eft plus capable de cauler aucune altération;
Théorie de h Terre', 383'
celles-ci au contraire, dms iefquelies ii entre une plus graïude quantité de prin- cipes aélifs & volatils, & qui fe calcinent, perdent au feu plus du tiers de leur poids, & reprennent fiinplement la forme de terre, fans autre altéradon que la de'funioii de leurs principes : ces matières excep- tées, qui ne font pas en grand nombre, & dont les combinaifons ne produifent pas .de grandes variétés dans la Nature, toutes .les autres fubftances, & particu- lièrement f argile , peuvent être conver- ties en verre , & ne font eflentiellement par conféquent qu'un verre décompofé. Si le feu fiit changer promptement de forme à ces fubllances , en les vitrifiant , fe verre , lui-même , l'oit qu'il ait la na- ture de verre, ou bien celle de lable ou de caillou , fe change naturellement en argile, mais par un progrès lep.t & in- fenfible.
Dans les terreins où le caillou ordi- naire ed la pierre dominante , les campa- gnes en font ordinairem.ent jonchées; &. fi le lieu efl inculte & que ces cailloux aient été long-temps expofés à l'air fans avoir été remués, leur fuperficie fupérieure efl
384 Hijhire Nûîurellc. toujours très-blanche , tandis que le coté oppofé qui touche inimcdiatement à la terre , ell: rrès-brwn & conferve la cou- leur naturelle : fi on caffe pluficurs de ces cailloux , on r^connoîtra que la blan- cheur n'eft pas feulement au dehors, mais qu'elle pénètre dans l'intérieur plus ou moins profondément , & y forme une efpèce de bande qui n'a dans de certains cailloux que très-peu d'épaiiîeur, mais qui dans d'autres occupe pi-efque toute celle du caillou ; cette partie blanche efh. un peu grenue, entièrement opaque, aufli tendra que la pierre, & elle s'attache à la langue comme les bols, tandis que k relie du caillou efl: ii/fe & poli , qu'il n^ani fil ni grain, & cju'il a conferve fa couleur naturelle , fa tranfparence & fà même dureté; fi on met dans un four- neau ce même caillou à moitié décom- pofé ,, fli partie blanche deviendra d'un rouge couleur de tuile , & fa partie brune d'un très-beau blanc. Qu'on ne dil'e point avec un de nos plus célèbres Na- luraliftes, que ces pierres font des cail- loux imparfaits de difîerens âges , qui n'ont pas encore acquis leur perfedion ;
cax^
Théorie de la Terre. 385
cair pourquoi feroient-ils tous imparfaits ^ pourquoi le feroient-iis tous du même côtéjd: ducôté qui eft expofé à l'air î H 111c fembie qu'il ci\ aile de le convaincre que ce (ont au contraire des cailloux alierés, décompofés, qui tendent à re- prendre la forme & les propriétés de i argile & du bol dont ils ont été formés. Si c'eil conjedurer que de raifonner ainfi , qu'on expole en plein air le caillou le plus caillou (comme parle ce fameux Naturalifte) , le plus dur & le plus noir, en moins d'une année il changera de couleur à la (urfàce , 6l fi on a la patience de lliivre cette expérience, on lui verra perdre infenfiblement & par degrés fà dureté, fa tranlparence & les autres ca- radères fpéciliques , & approcher de plus en plus chaque jour de la nature de l'argile.
Ce qui arrive au caillou, arrive au ia])ie ; chaque grain de iable peut être conlidéré comme un petit caillou , & chaque caillou comme un amas de grains de faille extrêmement fins & exadement engrenés. L'exemple du premier degré de décompofuion du (able iè trouve
Tome L R
3 8 6 Hijloke Nnrureik.
dans cette poudre brîllanie, mais opaque^ , micû , dont nous venons de parler, &j dont i'arglie & J'ardoife font toujours ; parienîées; ies cailloux entièrement trani- parens , les quart-^, produiicnt, en fc dé- compoiant, des talcs gras & doux au toucher, auiîi pétrifiables & ducn:iles que }a glaiie, & vitrifiabics comme eife , tels que ceux de Venile & de Molcovie; & il me paroît que le talc eft un terme moyen entre le verre ou le caillou trani- parent & l'argile , au lieu que le caillou grofiler & impur, en (e décompodint, paUe à l'araile ians intermède.
Notre verre faclice éprouve aufTi la même altération , il fe décompoie à l'air - ÔL ie pourrit en quelque façon en féjour- liant dans les terres; d'abord là fuper- fîcie s"infe , s'écaille, s'exfolie, & en le nianianî on s'aperçoit qu'il s'en détache des paillettes brillantes ; mais lorique fa décompofinon efl plus avancée , il s'écrale entre les doigts & fe réduit en })Oudre talqueufe très-blanche & très- line, i'Art a même imité la Nature pour la décompofition du verre ôl du caillou, EJl eùam certa melhodus folius aqiuv
Tfieone de h Terre, 387
tommimis opefd'ices & atenam in \quorem vifcofum , etnndtmque in fal v'iride c cuver- îendi , &" hoc in okum rubicundum , &c> Sûlius igniî éf aquœ ope fpeciali expert- mento duriffimos qitofque lapïdts in mucorem rcfolvo, qui diftillatus fubtilem fpiritum ex- fûbct â^ oleum nidlïs laudlbus ptœdicabile. Voyez Bêcher, Phyf. fubter.
Nous traiterons ces matières encore plus à fond dans notre difcours fur \qs iiiine'raiîx , & nous nous contenterons d'ajouter ici , que les différentes couches qui couvrent le giobe terreflre, étant encore aclueiiement ou de matières que nous pouvons confidérer comme vitri- fiées, ou de matières analogues au verre, qui en ont les propriétés les plus eiïen- tielies, & qui toutes font viirefcibles ; & que d'ailleurs, comme il efl: évident que de la décompofuion du caillou & du verre qui fe f:\it chaque jour fous nos yeux , il réfulte une véritable terre argi- ieufe, cen'efl donc pas une fuppofition précaire ou gratuite, que d'avancer, comme je l'ai fait , que les glaifes , les argiles & les fibîes ont été formés par ies icories & les écumes vitrifiées du
Rij
'388 Hipire Naturelle.
globe terreilre , fur - tout lorfqu'on y joim les preuves a priori , que nous avons données p^our faire voir qu'il a été dans un état de liquéflidion caufée par le feu.
PREUVES
DE LA
THÉORIE DE LA TERRE, ARTICLE VIIL
Sur les Coquilles & les autres pro- diiâwns de la mer, quon trouve daiis ï intérieur de la terre.
J'ai fouvent examiné des carrières du haut en bas , dont les bancs étoient rempi'is de coc[uiIles, j'ai vu des collines entières qui en font compofées, à&s chaînes de rochers qui en contiennent une grande quantité dans toute leur étendue. Le volume de ces produdions
Théorie Ae h Terre. 385?
de îa mer efl: étonnant , & ïe nombre de ces dép oui lies d'animaux marins eft fi prodigieux , qu'il n'eft guère poUlble d'imaginer qu'iipuiiï'e y en avoir davan- tage dans ia mer \ c'cft en confidcrant cette multitude innombrable de coquilles & d'autres productions marines, qu*on ne peut pas douter que notre terre n'ait été pendant un très-Iong-témps un fon-d de mer peuplé d'autant de coquilia ges que l'eftaiflueiiement l'océan: la quantité en eft immenfe, & naturel- iement on n'imagineroit pas qu'il y eût dans la mer une multitude aufli grande de ces animaux; ce n'eft que par celle des coquilles fofîjles & pétrifiées , qu'on trouve fur la terre , que nous pouvons en avoir une idée. En effet, il ne flmt- pas croire , comme fe l'imaginent tous îes gens qui veulent raifonner fur cela fans avoir rien vu , qu'on ne trouve ces coquilles que par hafàrd, qu'elles^ font diiperfées çà & là, ou tout au plus par petits tas , comme des co- cjuilles d'huîtres jetées à la porte ; c'efl par montagnes qu'on les trouve, c'eft par bancs de 1 00 6c 200 lieues de
R iij
3 p o Hiflotre NdtiircJle,
longueur; c'cii: par collines & pap-pro- vinces qu'ii faut les toiier, fouvent dans une L'paiffeur de 5 $> ou 60 pieds , & c'efl d'après ces faits qu'il faut raifonner.
Nous ne pouvons donner fur ce fujet un exemple plus frappant que celui des coquilles de louraine; voici ce qu'en dit l'Hidorien de l'Académie, année i y 2 o, page j & fu'iv. ce Dans tous les fièciès yy aOez peu éclairés & a(iez dépourvus D) du Q^éiXQ. d'obfervation & de recher- D5 cheb, pour croire que tout ce qu'on » appelle aujourd'hui ^/Vr^^j-^^^^r/^i, & 53 les coquillap-es même trouvés dans la :>^ terre , é oient des jeux de la Nature^ >3 ou quelques petits accidens particu- >D liers ; le ha'làrd a dii mettre au jour une 53 intinité de ces fortes de curiofités que >:> les Philofophes même, fi c'étoient des y> Philofophes , ne regardoient qu'avec 25 une furprife ignorante ou une légère a> attention , & tout cela périfToit fans iD auciui fruit pour le progrès des con- >> noillances. Un Potier de terre qui ne i> favoit ni latin ni grec, fut le premier (d)
(d) Je ne puis m'empecher d'obferver que fe femiment de Palifiy a voit été celui des Anciens ;
Théorie de la Terre. 391 v^^isk fin au XVI / ficcie qui oCi dire « dans Paris, & à la face de tous ies « Dodeurs, que ies coquilies foilues ce €toientde véritables coquilles dépotées ce autrefois par ia mer dans les lieux ou ce elles fe trouvoient alors ; que des ani- ce maux, «& fur-tout des poiHons , avoient ce <ionné aux pierres figurées toutes leurs ce •<llfférentes figures. &c. & il défia ce hardiment toute i'écoie d'AriUote ce d'auaquer fes preuves; c'elt Bernard ce PaliîTy , Saintongeois , aulTi grand te Phyficien que laNature feule enpuiffe ce former un; cependant fon fyftème a ce dormi près de cent ans, & le nom ce même Je l'auteur eft prefque mort, ce Enfin ies idées de Paiifly fe lont ce réveillées dans lelprit de plufieurs ce Savans , elles ont fait la fortune qu elles ce méritoient, on a profité de toutes les ce coquilles, de toutes les pierres figu- ce récs que la terre a fournies, peut-être ce
Conchuks, avenus, huccinns , caknlos varié hfâos flrmrimfolo, quibiijdam eîiam in numtilms repcrirt, cenum f.gmm maris alluvione evs coopmos locos volunt HcroÂus, Flato, Simho , Semcn Temlhmm . ry ardus, Ovidim, iX aiii. Vide Daufqui , lerra
39 2 Hifoire Naturelle.
» (êufement font-elles devenues aujour- >- cl hui trop commufîes , & les confé- « quences qu'on en tire, font en danger ^' cl être bientôt trop inconteftafcles. » Maigre cela, ce doit être encore une » chofe étonnante que le fujet des obfer- » vations préièntesde M. de Reaumur
«. . ne malTe de 130 millions 680 nulle =' toifes citbiques, enfo.ne fous tejre, qui >> n eifqu unamasdecoquillesoudefcL
- n-.ens de coquilles, uns nul mélan ce de « matière étrangère, ni pierre, ni t?rre,
- n, labJe ; jamais jufqu'à préfent les -' coquilles fofides n'ont paru en cette -> «îorme quantité, & jamais , quoiqu'en =» une quantité beaucoup moinb're, elle? » n ont paru iTans mélange. C'eft en » rourauie que fe irouve ce prodigieux - amas à plus de 3 6 lieixs de la mer- on » 1 y connoît.parce queles payions de ce « canton fe fervent de ces coquilles qu'ils
» «!'-entde terre, comme de marne, pour » fen.I,ferlei,rs campagnes, qui fans cela '' (eroientabfolument lîériles. Nous laif- " ions expliqueràM . de Reaumur, com- » ment ce moyen alTez particulier, & ea « apparence aiTez bizarre, leur ïcuffit;
Théone de la Terre: '3 9 3^ nous nous renfermons dans ia fmgii- c< iarité de ce grand tas de coquilles. ^c
Ce qu'on tire de terre , & qui ordi- ce naireinent n'y eft pas à plus de 8 ou 9 ce pieds de profondeur, ce ne font que ce d€ petits fragmens de coquilles, très- ce reconnoifTabies pour en être des frag- ce jîiens; car ils ont les cannelures très- ce bienmarquées,feulewient ont-ils perdu ce leur luifaAt&leur vernis, comme prei- ce que tous les coquillages qu'on trouve ce en terre , qui doivent y avoir été long- ce te:nps enfouis. Les plus petits fragmens ce qui ne font que de la poufTière , font ce encore reconnoiffables pour être des ce fragmens de coquilles, parce qu'ils ce Aoni parfaitement de la même matière ce que les autres, quelquefois il le trouve ce de. coquilles entières. On reconnoît ce les efpèces , tant des coquilles enîiè;es ce que des fragmens un peu gros, quel- ce qaes-uncs de ces efpèces font connues ce furies côtes de Poitou, d'autres appar- ce tiennent à des côtes éloignées. Il y a ce iufqu'à des fragmensdeplaniesmarines ce pierreuies , telles que des madrépores, ce
de> champignons de mer, ac toute «
5p4 f^'îjîohe Naturelle. » cette matière s'appeile dans le pays du >3 falim.
■y> Le canton , qui , en quelqu'endroit 33 qu'on le fouille, fournit û\x falun , a ■>:> bien neuf lieues carrées de furface. » On ne perce jamais la minière de fa- ■» lun ou falunière au-delà de 20 pieds , 33 M. de Reaumur en rapporte les rai- y> (ons, qui ne font prilesque de la corn- as modité des laboureurs & de l'épargne 33 des frais; ainfi les fiiunières peuvent 3D avoir une profondeur beaucoup plus 33 grande que celle qu'on leur connoît : 33 cependant nous n'avons fait le calcul 33 des I 30680000 toifes cubiques, que 33 fur le pied de i 8 pieds de profondeur, -j3 <& non pas de 20, & nous n'avons 33 mis la lieue qu'à 2200 toifes ; tout a 33 donc été évalué fort bas, & peut-être 33 l'amas de coqui les eft-il de beaucoup 33 plus grand que nous ne l'avons pofé; 33 qu'il Ibit il ulement double , combien la 33 merveille augmente-t-elle î 33 Dans les fiits de Phy fique, de petites 33 circonllances que la plupart des gens 33 ne s'avii'eroient pas de remarquer , » tirent quelquefois à ccnléquence &
Théorie de la Terre. 395 donnent des lumières. M.deReaumur ce a oblervé que tous les fVagmens de ce coquil es font dans leur tas pôles tur ce ie plat &. horizontalement ; & de-la il a ce conclu que cette infinité de fragmens ne ce
font pas venus de ce cftie dans le tas ce formé d'abord de coquilles entières, les ce fupérieuresauroient par leur poids bnle ce les inférieures, car de cette manière*! « fe feroit ftit des écroule mens qui au- <e roient donné auxfragmens une inhniie ce
de pofitions différentes. Il fltut que la ce mer ait apporté dans ce lieu-là toutes ce ces coquilles , foit entières, foit quel- ce ques-unes déjà briiees, & comme elle ce les apportoit flottantes, elles etoient ee pofées fur le plat & horizontalement; ce après qu'elles ont été. toutes dépotées ce nu rendez-vous commun, l'extrême ce lon^tieur du temps en aura brifé & ce- prefque calciné la plus grande partie ce fins déranger leur pofnion. ^ «<
Il paroît aiïez par-là qu'elles n'ont ce pu être apportées que fuccelli vement , c< &i en effet comment la mer voitureroit- cc- el!e totu-à- la-fois une fi prodigleuie ce cuantité de coquilles ; & toutes dan^ «c- ^ R. vi
'39^ Hipolre Naturelle. ^^ une pofïîion horizoriîaîe î elles ont dû 3> i'aiïembler dans un même lieu , & par :» conféquent ce IJeu a été le fond d'un ^^ golfe ou une elpèce de baiïin. ^^ Toutes ces réflexions j)rouvent que ^> quoiqu'il ait dû refier, & qu'il refte :>5 effedivement fur la terre beaucoup de ^> vcdiges du déluge univeriel raj)porré ^^ par 1 Ecriture fiinte, ce n'efl point ce :>^ déhgQ qui a produit l'amas des co- » quilles de Touraine , peut-être n'y en 3> a-t-il d'aufli grands ainas dans aucun :>:> endroit du fond de la mer ; mais enfin >^ ledeluge ne les en auroit pas arrachées , ^' & s'il l'avoit fait , ç'auroit été avec une ^' impétuofjîé & une violence qui n'au- 3> roit pas permis à toutes ces coquilles ^' <J^^voir une même pofuion ; éhs ont ^> dû être apportées & dépofées douce- ^^ ment, lentcuiem, & par conféquent 55 en un temps beaucoup plus long ^ qu'une année.
» Il fmt donc, ou qu'avant, ou qu'a- 3> près le ûélugt la furflice de la terre ait 55 été, du moins en quelques endroits, » bien différemment dilpofée de ce 55 qu'elle efi aujourd'hui j que ks mers
Théorie âe h Terre. ^^7
Sl îes GontineiiS y aient eu un autre ce allongement , & qu'enfin il y ait eu un «c grand golfe au milieu de la Touraine. ce Les changemens qui nous font connus ce depuis le temps des hiiloires ou des ce fiibksqui ont quelque choie d'hiftori- ce €jue , font à la vérité peu conildérables , ce mais ils nous donnent lieu d'imaginer ce aifément ceux que des temps plus longs ce pourroiem amener. M. de Reaumur ce imnaine comment le golfe de Tou- ce raine tenoit à l'océan, & quel étoit le te courant qui y charioit les coquilles, ce mais cen'ertquunefimpîeconjeaui-e ce donnée pour tenir lieu du véritable fliit <c inconnu , qui fera toujours quelque ce chofe d'approchant. Pour parler liire- «c ment fur cette matière , il taudroit avoir ce des efpèces de cartes géographiques ce drefTées félon toutes les niiniè esde co- ce quillages enfouis enterre; quelle quan- ce tité d'obfervaiions ne ftudrcit-i' pas , ce & quel temps pour les avoir! Qui fait ce cependant filesSciencesn'iront pas im ce jour jufque là, du moins en partie ! 3,
Ceue quantité fi confdérab'e de coquilles nous étonaeia m<^iiis li nous
'598 H}j%ire Naîiirelle.
fiiifons attention à quelques circonflances qu'il e(l bon de ne pas omettre, la pre* inièreefi que les coquillages le niuitipiient prodigleulement , <5c qu'ils croiilent en fort peu de temps, l'abondance d'indi- ■vidus dans chaque efpèce prouve leur fécondité , ^n a un exemple de cette grande multiplication dans les huîtres : on enlève quelquefois dans un feul jour un volume de ces coquillages de plu- fieurs toiles de groiïeur , on diminue confidérablement en aflez peu de temps ks rochers dont on les fépare , <Sc il femble qu'on épuife les autres endroits où on les pêche ; cependant l'année iuivante on en retrouve autant qu'il y en avoit aupara- vant, on ne s'aperçoit pas que la quantité d'huîtres foit diminuée, Ôc je ne lâche pas qu'on ait jamais épuiié les endroits où elles viennent naiurellement. Une féconde attention qu'il faut faire, c'efl que les coquilles font d'une fubftance analogue à la pierre , qu'elles fe con- fervent trcs-lcng-temps dans les matières molles , qu'elles le pétrifient aifément dans les matières dures , & que ces pro- ductions marines ôl ces coquilles que nous
Théorie de la Terre. 399 trouvons fur la terre, étant les dépouilles de plufieurs fiècles, elles ont du former un volume fort confidérable.
Il y a, comme l'on voit, une prodi- o-ieufe quantité de coquilles bien confer- Yées dans les marbres, dans les pierres à chaux , dans les craies , dans les marnes, &LC. on les trouve , comme je viens de . ie dire , par collines & par montagnes , elles font fouvent plus de la moitié du volume des matières oi^i elles font con- tenues ; elles paroifTent la plupart bien confervées d'autres font en fragmens, mais aflez gros pour qu'on puifle recon- noître à l'œil l'efpèce de coquille à la- quelle ces fragment appartiennent , & c'eft là où fe bornent les obfervations & les connoiiïances que l'infpe^ion P^ut nous donner. Mais je vais plus loin, je ^A^^*— ^ prétends que les coquilles font l'inter- >^,4;.j^<U/^ mède que la Nature emploie pour former ^ /.^.^jC^ju h plupart des pierres ; je prétends que ^ j^ les craies, les marnes & les pierres à chaux ^ ne font compofées que de poufilèrc & de f^ éu'Uy.^
détrimens de coquilles, que par conte- ^
quent la quantité de coquilles dérruiies:^^ ^Ls.9^
^^ q^M*^
eft encore infiniment plus confidérable ^J^ ^.^^-^ ,
'400 HiJIotre Naturelle.
que celle des coquilles confervées: on verra dans le difcours fur les minéraux les preuves que j'en donnerai, je méconten- terai d'indiquer ici le point de vue fous iequel il faut confide'rer les couches dont le globe eflcompofé. La première couche extérieure eft formée du limon de l'air, du fédiment des pluies , des rofées , <St des parties végétales ou animales , réduites en particules dans le(quelies l'ancienne organifation n'eft pas fenfible; les couches intérieures de craie , de marne , de pierre à chaux , de marbre , font compofées de détriinens de coquilles & d'autres productions marines , melccs avec des fr.îgînens de coquilles ou avec des co- quilles entières , mais les labiés vitri- fiables & l'argile (mil les matières dont Irintérieur du globe efl compofé; elles ont été vitrifiées dans le temps que le globe a pris la forme , laquelle luppole néceiïaircment que la m.atière a é é toute en fufion. Le granité , le roc vif, les cailloux & les grès e:i grande malle, les ardoifes , les charbons de terre doivent leuï origine au fible & à l'argile , & ils jfoat aufil diipofés par couches , mais ka
Théorie de la Te ire. 40 l
tufs , les grès & les cailloux qui ne font pas en grande mafîe, les criftaux , les métaux , les pyiLes , la plupart des minéraux , les loufres , &c. font des matières dent la formation eit nouvelle en comparaifon des marbres, des pierres calcinables , des craies , des marnes , &. de tomes les autres m.atières qui font difpofées par couches horizontales, & qui contiennent des cocjuiiles & d'autres débris des productions de la mer.
Comme les dénominations dont je viens de m^e fervir , pourroient parcitre obfcures ou équivoques, je crois qu'il cfl néccfiairede les expliquer. J'entends par ie moi d'argile, non-feulement les argiles blanches, jaunes, mais aufîi les gbifes bleues , molles , dures, feuilletées, &c. que je regarde comme des fcories de verre, ou comme du verre décompofé. Par le mot de fable , j'entends toujours le fable vitrifiable , & non- feulement je comprends lous cette dénomination le fable fin qui produit les grès & que je regarde comme de la pouiîière de verre, ou plutôt de pierre ponce, mais auffi le fabie qui provient du grès ufé & détruit
40 2 HîJIoire Naturelle,
par ic froncment, &. encore le fable gros coiDine du menu gravier, qui provient du granité & du foc vif, qui eil aip^re , anguleux, rougeâtrc, & qu'on trouve aflèz communément dans le lit des ruif- feaux & des rivières qui tirent imme'dia- tement leurs eaux des hautes montapfnes, ou de collines qui fontcompoféesde roc vif ou de granité. La rivière d'Armanfoii qui paiïe à Sèmur en Auxois, où toutes îes pierres iont de roc vif, charie une grande quantité de ce fable , qui ell oxos ÔL fort aigre ; il efl de la même nature que îe roc vif ^ & il n'en ed en eiiet que le débris , comme le crravier calcinable n'efl que le d^ibris de la pierre de taille ou dii moellon. Au refle , le roc vif & le granité font une feule & même fubftance , mais ■j'ai cru devoir employer les deux déno- minations, parce qu'il y a bien des gens c[uî en font deux matières différentes : il en eft de même des cailloux & des crrès
o
en grande malîe, je les regarde comme des efpèces de rocs vifs ou de granités, & je les appelle cailloux en grande maffe , parce qu'ils font difpofés, comme la pierre calcinable ; par coucheS; & pour
Théorie de la Terre. 40 3 îes diftinguerdcs cailloux & des grès que j'appelle en petites majfes , qui ioiit les cailloux ronds & les grès que l'on trouve à la chajfe, comme difeiit les ouvriers , c'eft-à-dire , les c^rès dont les bancs n'ont pas de fuite & nelbrment pas de ca-rières continues & qui aient une certaine éten- due ; ces o-rès & ces cailloux font d'une formation plus nouvelle , & n'ont pas la même ori<,nne que les cailloux & les grès en grande mafîe , qui font difpofés par couches. J'entends par la dénomina- */> 1^ lion à'ardoîfe , non-feulement l'ardoife^6«^, bleue, que tout le monde ccnnoît, mais îes ardoifes blanches, griiès, rougeâtres & tous les fchits; ces matières fe trouvent ordinairement au-deflbus de l'argiie feuilletée, & femblent n'être en eiïet que de l'araile, dont les différentes petites couches ont pris corps en fe deffçchant , cequiaproduitlesdélits qui s'y trouvent. Le charbon de terre, la houille, le jais font des matières qui appartiennent auiïi à i'arcrile, & qu'on trouve fous l'argile feuilletée ou fous l'ardoife. Par le mot de tuf, j'entends non-feulement k tuf ordinaire qui paroît troué , 6c pou^
4^4 Hïfloire Naturelle. ainfi dire, organifé, mais encore toutes les couches de pierres qui fe font faites par Je dépôt des eaux courantes , toutes ies Italadites, toutes les incruftations, toutes les efpèces de pierres fondantes; il n'eft pas douteux que ces matières ne foient nouvelles & qu e les ne prennent tous les jours de l'accroifTement. Le tuf n'eft qu'un amas de pierres iapidifiques, dans iefquellcs on n'aperçoit aucune couche diftinde ; cette matière eft difpofée ordi- k ^^ nairement en petits cylindres creux , . *>* ^ irrégulièrement grouppcs & forjyaés par des eaux gouttières au pied des montagnes ou lur la pente des collines , qui contien- nent des lits de marne ou de pierre tendre & calcinable; la mafTe totale de cts cylindres, qui font un (\ç:s caradères fpécifîques de cette efpèce de tuf, eft toujours ou oblique ou verticale, félon ia diredion des filets d'eau qui les forment ; CCS fortes de carrières parafiîes n'ont aucune fuite, leur étendue efl très-bornée en coinparaifon des carrières ordinaires, & e le eft proportionnée à la hauteur des montagnes qui leur fourniffent la matière de leur accroiiïèment. Le tuf recevant
Théorie delà Terre, 405'
chaque jour de nouveaux iijcs lapidi- fiques, ces peiites colonnes cylindriques qui laifloient entr'elles beaucoup d'in- tervalle , fe confondent à la fin , &: avec le temps , le tout devient compade; mais cette matière n'acquiert jamais la dureté delà pierre, c'eft alors ce qu'Agricola nommew^r^^ tofaceajijlulofa. On trouve ordinairement dans ce tuf quantité d'im- prefîions de feuilles d'arbres & de plantes- de l'efpèce de celles que le terrein des- environs produit, on y trouve aufli aflez fouvent des coquilles terreftres très-bien confervées , mais jamais de coquilles de mer. Le tuf eft donc certainement une matière nouvelle, qui doit être mile dans la claffe des llaladites , des pierres fon- dantes, des incrurtations, &:c. toutes ces matières nouvelles font des efpèces de pierres parafites qui fe forment aux de'- pens des autres , mais qui n'arrivent jamais à la vraie pétrification.
Le criltal , toutes les pierres pré- cieules , toutes celles qui ont une figure régulière , mêrhe les cailloux en petites maffes qui font formés par couches con- centriques , foit que ces fortes de pierres
4o6 Hiflolre I\dî!irelle: fe trouvent dans les fentes perpendicu- laires des rochers, ou par-tout ailleurs, ne font que des^exudations des cailloux en crrande malTe , des fucs concrets de ces mêmes matières , des pierres parafites nouvelles , de vraies ftaiadites de caillou ou de roc vif.
On ne trouve jam.ais de coquilles ni dans ie roc vif ou grani e , ni dans le grès, au moins je n y en ai jamais vu, quoiqu'on en trouve , & même aflez fouvent , dans ic fable vitriliabie duquel ces matières tirent leur origine; ce qui femble prouver que le fable ne peut s'unir pour former du grès ou du roc vif, que quand il efl: ]Uîr ; & que s'il eft mêlé de fubflances d'un autre genre , comme font les co- quilles, ce mélange de parties qui lui font hétérogènes, en empêche la réu- nion. J'ai obfervé , dans le deffein de m'en ailurer, ces petites pelotes qui fe forment fouvent dans les couches de fa- ble mêlé de coquilles , & je n'y ai jamais trouvé aucune coquille, ces pelotes font un véritable grès , ce font des concré- tions qui fe forment dans le fible aux endroits où il n'eft pas mêlé de matières
Théorie de h Terre, 407
ïictc'roo-ènes qui s'oppoient à la forma- tion des bancs ou d'autres mafîes plus grandes que ces pelotes.
Nous avons dit qu'on a trouvé à Amilerdam , qui eft un pays dont le terrein eft fort bas , des cocjuilles de nier à I 00 pieds de profondeur fous terre , & à Marly-la-vilîe à (ix lieues de Paris , à 7 ) pieds : on en trouve de même au fond des mines <& dans des bancs de rochers au-defTous d'une hauteur de pierre de 5 o, 100 , 200 <5c jufqu'à nfille pieds d'é-» paifTeur, comme il eit ailé de le remar- quer dans les Alpes & dans les Pyrénées; il n'y a qu'à examiner de j)rès les rochers coupes à plomb, & on voit que dans les lits inférieurs il y a des coquilles & d'autres produéiions mannes : mais pour aller par ordre, on en trouve fur les montagnes d'Efpagne, far les Pyrénées, fur les montaijrnes de France , fur celles d'Ai>- gîeterre , dans toutes les carrières de marbre en Flandre, dans les monta ornes de Gueldres, dans toutes les collines autour de Paris , dans toutes celles de Bour- gogne & de Champagne , en un mot dans tous les endroits où le fond du terrein
4o8 Hiflûîre Naturelle.
n'eR pas de grès ou de tuf; <Sc dans îa plupart des lieux dont nous venons de parler, ii y a prefque dans toutes les pierres plus de coquilles que d'autres ma- tières. J'entends ici par coquilles, non- leulement les dépouilles dts coquillages, mais celles des cru (lacées , comme tayes & pointes d'ourfin , & aufîi toutes \t% productions des iniedtes de mer, comme îes madrépore 5 , les coraux , les aftroïtes , &c. Je puis aflurer, &: on s'en convain- cra par lès yeux quand on le voudra , que dans la plupart des pierres calcinables & des marbres il y a une fi grande quan- tité de ces productions marines , qu'elles paroiiTent turpaiïèr en volume la matière qui les réunit.
Mais fuivons; on trouve ces produc- tions marines dans les Alpes , même au- deflus des plus hautes montagnes , par exemple , au-defTus du mont Cénis; on en trouve dans les montagnes de Gènes^ dans les Apennins & dans la plupart des carrières de pierre ou de marbre en Italie. On en voit dans les pierres dont font bâtis les plus anciens édifices des Romains, il y en a dans les montagnes du Tirol &
dani
Théorie de la Terre. 4^9
dans le centre de l'Italie, au fommet du mont Paterne , près de Boulogne, dans ies mêmes endroits qui produilent cette pierre lumineule qu'on appelle h pierre de Boulogne; on en trouve dans des collines de la Fouille , dans celles de la Calabre , en plufieurs endroits de l'Alle- magne & de la Hongrie, & généralement dans tous les lieux élevés de l'Europe. Voy. fur cela Stenon, Ray, Woodward, &€» En A fie & en Afrique , les voyageurs en ont remarqué en plufieurs endroits , par exemple, fur la montagne de Caftra- van au-deiïus de Barut il y a un lit de pierre blanche, mince comme de l'ar- doife , dont chaque feuille contient un grand nombre & une grande diverfité de poirfons, ils font la plupart fort plats & fort comprimés , comme efl: la fougère ibfîile, & ils font cependant fi bien con- lervés , qu'on y remarque parfaitement jufqu'aux moindres traits àç.s nageoires, des écailles <Sc de toutes les parties qui diftinguent chaque efpèce de poifTon. On trouve de même beaucoup d'ourfns de mer & de coquilles pétrifiées entre Suez & le Caire , & fur toutes ies collines ToiM L S
4TÔ Hifloire Naturelle.
& les hauteurs de la Barbarie, la plupart font exadement conformes aux elpèces qu'on prend aduellement dans la 'mer rouge. Voye-7^ les voyages de Shaw, volume /^^ pdges y 0 & S j.. Dans notre Eu- rope , on trouve des poiffons pétrifiés en Suille, en Allemagne, dans la carrière d'Onincrcn, &c.
La longue chaîne de montagnes, dit '. /M. Bourguet, qui s'étend d'occident en '^(4^**-**î orient , depuis le fond du Portugal ju(- qu'aux parties les plus orientales de la Chine, celles qui s'étendent collatérale- ment du côté du nord & du midi, les montagnes d'Afrique & d'Amérique qui nous ibnt connues, les vallées & les plaines de l'Europe, renferment toutes des couches de terre & de pierres qui font remplies de coquillages , & de-là on peut conclure pour les autres parties du inonde qui nous font inconnues.
Les îles de l'Europe , celles de f Afie & de l'Amérique où les Européens ont eu occafion de creuier, foit dans les montagnes , foit dans les plaines , four- niflent aufFi des coquilles, ce qui fait voir qu'elles ont cela de commun avec
Tliéone de la Terre, '41 fl îes coiitiiiens qui les avoilliieut. Vvyet Lettres phïlofoph, fur la formation des fis , page 2 0 j.
En voilà afîez pour prouver qu'en effet on trouve des coquilles de mer , des poilToiis pétrifiés & d'autres productions marines prefque dans tous le:» lieux où on a voulu les chercher , & qu'elle:, y font en prodigieule quantité.
ce II eit vrai, dit un auteur Anglois, / Tancred RobmfonJ qu'il y a eu quel- c< ques coquilles de mer diiperfées çà ai ce ià fur la lerre par les armées , par les ce habitans des villes & des vill ges, & ce que la Loubère rapporte d ns Ton ce voyage de Siam , que les finges au cap ce de Bonne-efp rance s'amulènt conti- ce nueliement à tranlporter des coquilles ce du rivage de la merau-defîus des mon- ce tagne.s , mais cela ne peut pas réfoudre ce la queilion pourquoi ces coquilles font ce difperfées dans tous les climats de la ce terre, & jufque dans l'intérieur des plus ce hautes montagnes , où elles font pofées ce parfit , comme elles le font dans le fond ce de la mer ^^.
En lifaat une lettre Italienne fur les
Si;
4î2 Hîpoire Naturelle:
changcmens arrivés au g'obe terreflre, imprimée à Paris cette année (1746), je m'attcndois à y trouver ce fait rap- porté par la Loubère , il s'accorde par- faitement avec les idées de l'auteur : les poilîons pétrifiés ne font , à fon avis , que des poilTons rares , rejetés de la table des Romains , parce qu'ils n'étoient pas frais ; & à l'égard des coquilles , ce font, dit-il , les pèlerins de Syrie qui ont rap- porté dans le temps des croifades celles des mers du Levant qu'on trouve aduel- lement pétrifiées en France, en Italie, & dans les autres États de la chrétienté ; pourquoi n'a-t-il pas ajouté que ce font ies fmgcs qui ont tranlporté les coquilles au fommet des hautes montagnes &. dans tous les lieux où les hommes ne peuvent habiter! cela n'eût rien gâté & eût rendu fon explication encore plus vraifem- blable. Comment fe peut-il que des perfonnes éclairées & qui fe piquent înême de phiiofophie, aient encore des Idées aulTi fauffes fur ce fujet ! Nous ne BOUS contenterons donc pas d'avoir dit qu'on trouve des coquilles pétrifiées dans prefque tous les endroits de la terre où
Théorie de la Terre. 4 î 3
Ton a fouillé, & d'avoir rapporté les témoignages des auteurs d'Hiftoire Na- turelle ; comme on pourroit les loup- çonner d'apercevoir, en vue de quelques fyllèmes , des coquilles où il n'y en a point , nous croyons devoir encore citer les Voyageurs qui en ont remarqué par hafar J , & dont les yeux moins exercés n'ont pu reconnoître que les coquilles entières & bien confervées; leur témoi- gnage fera peut-être d'une plus grande autorité auprès des gens qui ne font pas à portée de s'afîurer par eux-mêmes de îa vérité des faits , & de ceux qui ne con- noilTent ni les coquilles ni les pétrifica- tions, & qui n'étant pas en état d'en faiie la comparaiibn , pourroient douter que ies pétrifications fuflent en effet de vraies coquilles, & que ces coquilles fe trou- valTent entaffées par millions dans tous les climats de la terre.
Tout le monde peut voir par (es yeux les bancs de coquilles qui font dans les collines des environs de Paris , fur-tout dans les carrières de pierre, comme à la Chauffée près de Sève, à Iffy, à Paffy 6t ailleurs. On trouve à Yilleïs-cotterêt^
S iij
414 Hifloire Naturelle. une grande quantité de pierres lenticu- laires, ies rochers en font même entière- ment formés , & eîlcs y font mêlées fans aucun ordre avec une efpèce de mortier ^pierreux qui les tient toutes liées en- fèmble. A Chaumont on trouve une fi grande quantité de coquilles pétrifiées, que toutes ies collines qui ne laiflent pas d'être aiïez élevées , ne paroiflent être compoiees d'autre chofe; il en efl: de même à Courlrgncn près de Reims, où le banc de coquilles a près de quatre lieues de largeur fur plufieurs de lon- gueur. Je cite ces endroits , parce qu'ils font ftmeux , & que les coc|uiiles y frap- pent les yeux de tout le monde.
A l'égard des pays étrangers , voici ce que les Voyageurs ont obiervé.
ce En Syrie, en Phénicie, la pierre vive 55 qui fert de bafe aux rochers du voifi- 53 naoe de Latikea, efl furmontée d'une •>:> eipèce de craie molle, & c'eft peut- D> être de-Ià que la ville a pris fon nom de 53 Promontoire -blûnc . La Nakoura, nom-. 33 mée anciennement Scala Tyriormn, ou 53 \ Échelle des 7 y riens , efl à peu près >3 de la même nature , & l'on y trouve
Théorie de ' h Terre. 4 1 j
encore , en y creulunt , quantité de ce toutes fortes de coraux , de coquilles. 3> Voye7^ les Voyages de Shmv.
ce On ne trouve fur le mont Sinaï que peu de coquilles foffiles & d'autres ce leinbîables marques du déluge, à moins c^ qu'on ne veuille mettre de ce nombre c« k Tamarin fofîile des montap^nes voi- ce iines de 5inai, peut-être que la matière ce première dont leurs marbres Te font ce formés , a voit une vertu corrofive &: ce peu propre à les conferver ; mais à Co- ce iondei , où le roc approche davantage ce de la nature de nos pierres de taille , je ce trouvai piufieurs coquilles de moules ce & quelques pétoncles, comme aulîi ce un hérilîon de mer fort fnigulier , de ce i'efpèce de ceux qu'on appel iej|^^/^7^7^ ce mais plus rond & plus uni ; les ruines ce du petit village d'Ain el Moufa, & ce piufieurs canaux qui fervoient à y con- ce duire dei'eau^ fourniflent des coquil- ce lagesfofîiles. Les vieux murs de Suez ce & ce qui nous rede encore de fon an- ce cien port ont été conftruits des mêmes ce matériaux qui lemblent tous avoir été ce tirés d'un même endroit. Entre Suez & c«
S iiij
4 î 6 Hïflotre Naturelle, » le Caire, ainfi que fur toutes les moi>- D5 tagnes , hauteurs & collines de la Lybie 3> qui ne font pas couvertes de fiible , on :» trouve grande quantité d'hériiïons de 33 mer , comme aufîi des coquilles bi- 3> valves & de celles qui fe terminent en 33 pointe , dont ia plupart font exade- 35 ment conformes aux efpèces qu'on 33 prend encore aujourd'hui dans la mer X) rouge. Idem , tome II, page S ^. Les 33 labiés mouvans qui font dans le voi- 33 finage de Ras Sem dans le royaume 33 de Barca, couvrent beaucoup de pal- » miers d'hériffons de mer &: d'autres pé- 33 trifications que l'on y trouve commu- •» nément lans cela. Ras Sem fignifie la 33 tête du poifTon & efl: ce qu'on appelle 33 le village pétrifié , où l'on prétend qu'on 33 trouve des hommiCs, des femmes 6c 3> des enfms en diverfes poflurei» & atti- 33 tu des , qui avec leur bétail ^ leurs ali- 33 mens , leurs meubles ont été convertis 33 en pierre ; mais à la rélerve de ces fortes 35 de monumens du déluo-e, dont il ell: » ici quedion , & qui ne font pas parti- 33 culiers en cet endroit , tout ce qu'on en 3? ditp font de vains contes d fable toute
Théorie Je ïd Terre. 417 pure, ainfi que je i'ai appris non-feu- ce lenient par M. ie Maire, qui dans Je ce temps qu'il étoit Conful à Tripoli y ce envoya plufieurs perlbnnes pour en ce prendre connoiflance , mais auffi par ce des gens graves, de beaucoup d'efprit, ce qui ont été eux-mêmes fur les lieux, ce On trouve devant les pyramides cer- ce tains morceaux de pierres taillées par ce îe cifeau de l'ouvrier, & parmi ces ce pierres on voit des rognures qui ont ce la figure ôc la grofleur de lentilles , ce quelques-unes même reflemblent à des ce grains d'orge à moitié pelés ; or on ce prétend que ce font des reRes dt cq ce que les ouvriers mangeoient, qui le c< font pétrifiés , ce qui ne me paroît pas ce vraifemblahle , &c. >^ Idem. Ces len- tilles & ces grains d'orge font des pétri- fications de coquilles connues par tous ks Naturaliftes tous le nom de piem
lentîculûire.
« On trouve diverfes fortes de ces coquillages dont nous avons parlé, aux ce €nvirons°de Maftrcicht, fur-tout vers ce îe vilbge de Zichenou Ticlicn , & à et la petite montagne appelée des Huns* cf
S T
4 ï 8 Hïfloire Naturelle.
Voye^ le voyage de Aliffon , tome IIJ], page I op.
ce Aux environs^de Sienne je n'ai pas 53 manqué de trouver auprès de Ceraldo, 55 félon l'avis que vous m'en avez donné , >» plufieurs montagnes de fable toutes 33 farcies de diver(es coquilles. Le Monter D3 mariô , à un mille de Rome, en eft 33 tout rempli ; j'en ai remarqué dans les 33 Alpes , j'en ai vu en France & ailleurs». 33 Glé.irius, Stenon , Cambden, Speed 33 & (juantité d'autres Auteurs tant an- ■x> ciens que modernes , nous rapportent îe même phénomène. 3^ Idem , tome II, page ^12.
35 L'île de Gerigo étoit ancienne- 33 ment appelée Porphyr'is, à caufe de la quantité de porphyre qui s'en tiroit. 33 Voyage de Thevemî , tome J , page ^y. Or on fait que le porphyre ed compofé de pointes d'ourfin réunies par un ci- irrent pierreux & très-dur.
« Vis-à-vis le village d'Inchené & fur >3 îe bord oriental du Nil, je trouvai des >3 plantes pétrifiées qui croilTent natureî- >3 iement dans un elpace de terre qui a ^ environ deux ikuçs de longueur fur une
Théorie de la Terre. 419
krccuf très-mediocie, c'eft «'« P™- « dudiondes plus finguiières de h Na- « ture; ces plantes relfemblent alTez au « corail blanc qu'on trouve dans la mer « rouge. » Voyage de Paul Lucas , tome 11,
pages ^ 8 0 Ù" S^ '• , •■ i„o
ce On trouve fur le mont Lioan des pétrifications de plufieurs elpèces, & « entr'autres des pierres plates ou ion « trouve desfqueiettes de poilTons bien « confervés & bien entiers ,& auffi des « châtaignes de la mer rouge avec ^des « petits biiiflons de corail de la même ce mer.» Idem, tome l II, page 326. ■ « Sur le mont-Carmel, nous trou- vâmes grande quantitéde pierres qui, « à ce qu'on prétend , ontlafigured o- « lives/de melons, de pêcbes& d autres « fruits, que l'on vend d'ordinaire aux « pèlerins , non-feulement comme de « fimples curiofués, mais auff. conmie « des remèdes comre divers maux. Les « olives qui font les lapides Juddici qu on ce trouve dans les bouticpes des L-ro- ce pu'ftes, ont toujours été regardées ce comme un fpécificiue pour la pierre & ce. la caravelle. « Vojage de Slum^, tome U, "^ S vj
42a Hîjlolré Naîiireïïe.
page yo. Ces lapides Juddicï font des pointes d'ourfins.
ce M ►la Roche,iMédecin, me donna y> de ces olives pétrifiées , dites lapis Ju» y* ddicus, qui croifient en quantité dans :» ces montagnes , où l'on trouve , à ce 33 qu'on m'a dit, d'autres pierres qui 33 repréfentent parfaitement au dedans des natures d'hommes & de femmes. » Voyage de Ad^oncoî^ys , première parties, pnge ^ ^4. Ceci ell riiyftero lit lies*
ce Y^w allant de Smirne àTauris, iorf- 35 que nous fumes à Tocat , les chaleurs >3 étant fort grandes , nous laiiTames 33 le chemin ordinaire du côté du nord , 33 pour prendre par les montagnes où ii :» y a toujours de l'ombrage & de la fraî- 33 cheur. En bien des endroits nous 33 trouvâmes de la neige & quantité de 33 très- belle ofeilie ; & lur le haut de 33 quelques-unes de ces montagnes on 33 trouve des coquilles comme fur le bord 33 de la mer , ce qui eft aflez extraordi- naire. 33 Tavernier,
Voici ce que dit Olearius au fujetdes coquilles pétrifiées qu'il a remarquées en Vttiï& & dans les rochers des montagacs
Tkme de ta Terre, ^^i où font tail'és les fépulcres , près dii village de Pyrmaraiis.
ce Nous fumes trois qui montâmes jufque fur le haut du roc par des préci- ce picesefFroyabies, nous entr'aidant les ce uns les autres; nous y trouvâmes quatre ce grandes chambres , & au dedans plu- c< lieurs niches taillées dans le roc pour « fervir de lit ; mais ce qui nous iurpnt ce k plus , ce fut cjue nous trouvâmes ce dans cette voûte fur le haut de la mon- c< tagne , des coquilles de moules , & en ce quelques endroiis en fi grande quan- c< tité , qu'il lembloit que toute cette ce roche ne fCit compolee que de fab'e & c« de coquilles. En revenant de Perfe, ce nous vîmes le long de la mtr Cafpie ce plu fleurs de ces montagnes de co- c«
quilles. » . . j^a
Je pourrois joindre a ce qui vient d erre rapporté, beaucoup d'autres citations, que je fupprime , pour ne pas ennuyer ceux qui n'ont pas befoin de preuves furabondantes , & qui fe font aflurés , comme moi , par leurs yeux , de l'exif- tence de ces coquilles dans tous les lieux ©ù on a voulu les chercher.
42 2 Hîjïaire Natureïïe.- ,
On trouve en France, non- feulement ies coquilles de nos côtes, niais encore à^^ coquilles c[u'oi> n'a jamais vues dans nos mers. Il y a même des Naturalilles qui prétendent que la quantité de ces coquilles étrangères pétrifiées , eft beau- coup plus grande, que celles des coquilles de notre climat, mais je crois cette opinion mial fondée; car indépendam- ment des coquillages c|ui habitent le fond de la mer & de ceux qui font diffi^ ciles à pêcher, & que par conléquent on peut regarder comme inconnus ou même étrangers, quoiqu'ils paillent être nés dans nos mers , je vois en gros qu'en comparant les pétrifications avec les ana- logues vivans , il y en a plus de nos côtes que d'autres; par exemple, tous les peignes , la plupart à^s pétoncles , les moules , les huîtres , les glands de mer, la plupart des buccins, ies oreilles de nier, les patelles, les coeurs de bœuf, les nautilles , les ourfins à gros tubercules &: à grolles pointes , les ourfins châtaignes de mer , les étoiles , les dentales , les tubuliies , les adroites , les cervaux , les coraux, les madrépores , &c. qu'on
Théorie de la Terre. • 42 j trouve pétrifiés en tant d'endroits, font GCitainenient des produdions de nos mers; & quoiqu'on trouve en grande quantité les cornes d'amnion, les pierres îenticuiaires , les pierres judaïques; ies coiumnites, les vertèbres de grandes- étoiles & plufîeurs autres pétrincauons, comme les grolTes vis, le buccin appelé abajour, les labots, &c. dont l'analogue vivant eO: étranger ou inconnu , je luis convaincu par mes obiervations , que le nombre de ces efpèceseft petit en com- paraifon de celui des coquilles pétrifiées de nos côtes ; d'ailleurs , ce qui fiût le fond de nos marbres & de preique toutes nos pierres à chaux & à bâtir , iont des madrépores, des adroites , & toutes ces autres produdions formées par les in- fectes de la mer & qu'on appeloit autre- fois plantes warlnes ; les coquilles , qud-* que abondantes qu'elles foient , ne font qu'un petit volume en comparaiton de ces produdions , qui toutes font origi-- naires de nos mers , & fur-tout de ia méditerranée.
La mer rouge eft de toutes les mers edk qui produit le plus abondamment
4^4 Htjloîre NaîiireUe, des coraux , des madrépores & des plantes marines ; il n'y a peut-être point d'en- droit qui ea fburr>ifle une plus grande variété que le port de Tor; dans un temps calme il le prélente aux yeux une fi grande quantité de ces plantes, que le fond de la mer, refTemble à une forêt, il y a dti madrépores branchus qui ont jufqu'à 8 & I G pieds de hauteur : on en trouve beaucoup dans la mer niéditer- ranée , à Marfeille , près des côtes d'Italie & de Sicile : il y en a aufTi en quantité dans la plupart de^ golfes de l'océan , autour des îles, fur les bancs, dans tous les climats tempérés où la mer n'a qu'une profondeur médiocre.
M. Peyfîonel avoit obfervé & re- connu le premier que les coraux , les ma- drépores , &c. dévoient Inir origine à des animaux , & n'étoient point des plantes , comme on le croyoit & comme leur forme & leur accroiffement paroiiïoient l'indiquer : on a voulu long-temps dou- ter de il vérité de l'oblervation de M. Peyffonel , quelques Naturaliftes trop prévenus de leurs propres opinions , i'om même rejetée d'abord avec uii*
Théorie de la Terre. 425 efpèce de dédain ; cependant ils ont été obligés de reconnoîne depuis peu la découverte de M. Peyflonel, & tout le inonde eft enfin conveim que ces pré- tendues plantes marines ne font autre chofe que des ruches, ou plutôt des loges de pents animaux qui relîemblent aux poiiïons des coquilles en ce qu'ils forment comme eux , une grande quan- tité de fubftance pierreufe, dans laquelle ils habitent, comme les poifions dans leurs coquilles ; ainfi les plantes marines que d'abord l'on avoit miles au rang des minéraux , ont enfuite paiïe dans la claiïe des végétaux, & font enfin demeurées pour toujours dans celle des animaux.
II y a des coquillages qui habitent le fond des hautes mers , & qui ne font jamais jetés fur les rivages; les Auteurs les appellent Pela^'m , pour les diftin- guer des autres qu'ils appellent Litlotûles, lleil à croire que les cornes d'ammon & quek|ues autres efpèces qu'on trouve pétrifiées, & dont on n'a pas encore trouvé les analogues vivans , demeurent toujours dans le fond des hautes mers , &
4-2^ Hifloire Naturelle.
qu'ils ont été remplis du fédiment pier- reux dans le lieu même où ils étoient ; il peut le faire aufîi qu'il y ait eu de certains animaux dont i'elpèce a péri, ces co^ quillages pourroient être du nombrci les os folilies extraordinaires qu'on trouve en Sibérie, au Canada^ en Irlande &. dans plufieurs autres endroits , femblent con-^ firmer cette conjedure , car jufqu'ici or ne connoît pas d'animai à qui on puifîe attribuer ces os, qui pour la plupart, font d'une grandeur & d'une grofîeur demefurée.
On trouve ces coquilles depuis le haut |ufqu'au fond des carrières, on les voit aulli dans des puits beaucoup plus pro- fonds : il y en a au fond des mines de Hongrie. Voye^^ Woodward.
On en trouve à 200 bra/Tes, e'eft-à- dire , à mille pieds de profondeur dans des rochers qui bordent l'île de Caldé &: dans la province de Pembrock en Angleterre. Voye^^ Ray' s IMfcourfis » page lyS,
Non- feulement on trouve à de grandes profondeurs & auydedus des plus hautes montagnes des coquilles pétrifiées , mais
Théorie de la Terre. 427 on en trouve aufTi qui n'ont point changé de nature, qui ont encore le luilam , les couleurs & la légèreté des coquilles de la mer, on trouve des gloi- fopètres & d'autres dents de poifTons dans leurs mâchoires, & il ne fiiut pour fe convaincre entièrement fur ce fujet , que regarder la coquille de mer & celle de ten-e , & les comparer : il n'y ^a peribnne qui, après un examen, même léger j. puifîe douter un inftant que ces coquilles fofTiles & pétrifiées ne foient pas les niêmes que celles de la mer, on y re- marque les plus petites articulations, & même les perles que l'animal vivant pro- duit; on rem.arqueque les dents de poil- fon font polies &: uiees à l'extrémité , & qu'elles ont fervi pendant le temps que i'animal étoit vivant.
On trouve auffi prefque par-tout dans la terre, des coquillages de la même efpèce, dont les' uns font petits, les autres gros , les uns jeunes , les ^autres vieux ; quelques-uns imparfaits, d'autres entièrement parfaits ; on en voit même de petits & de jeunes attachés aux gros.
Le poifTon à coquille appelé Purpura
'428 Hïjloire Naturelle,
a une langue fort longue dont l'extrémité ell oiïcuie & pointue , elle lui iert coiniue de tarrière pour p^ercer les coquilles des autres poiflons , & pour fe nourrir de ieur chair, on trouve communément dans les terres des coquilles qui font percées de cette fiiçon ; ce qui ell: une preuve incontellable qu'elles rcnfer- jnoient autrefois des poiilons vivam, & que ces poifîons habitoient dans des en- droits où il y avoit aulîi des coquillages de pourpre qui s'en étoient nourris. Voye-^ Woodwnrd, pages 2^6 & ^00»
Les obélifques de Saint Pierre de Rome , de Saint-Jean-de-Latran , de la place Navone, viennent, à ce qu'on prétend , des pyramides d'Egypte , elles font dé granité rouge , lequel efî une efpèce de roc vif, ou de grès fort dur : cette matière, comme je l'ai dit, ne con- tient point de coquilles , mais les anciens marbres Africains & Égyptiens , & les porphyres que l'on a tirés , dit-on , du Temple de Saiomon & des Pal.is des Rois d'Egypte, & que l'on a employés à Rome en difïérens endroits , font rem- plis de coquilles. Le porphyre rouge eil
Théorie de la Terre. 42^
compofé d'un nombre infini de pointes de i'efpèce d'ouriin que nous appelons châtaigne de mer ; eiies lont pofées afîez près les unes des autres, & forment tous les petits points blancs qui font dans ce por- phyie : chacun de ces points blancs laifTe voir encore dans Ton mileu un petit point noir qui eft la iei5lion du conduit longitudinal de la pointe de l'ourfin. II y a en Bourgogne , dans un lieu appelé Ficin , à trois lieues de Dijon, une pierre rouge tout-à-fait femblable au porphyre par fa conipofition , & qui n'en difîère que par la dureté , n'ayant que celle du marbre , qui n'efi: pas à beaucoup près fi grande que celle du porphyre ; elle efl: de même entièrement compolèe de pointes d'ourfins , &. e'ie efl: très-confidérable par l'étendue de fon lit de carrière & par Ion épaifTeur ; on en a fait de très-beaux ou- vrages dans cette province, & notamment les gridins du piédeflal de la figure équen:rede Louis le Grand qu'on a élevée au milieu de la place royale à Diion. Cette pierre n'cfl: pas la feule de cette efpèce que je connoiiïe ; ii y a dans la Hnêaie province de Bourgogne, près de
430 HiJIoke Naturelle. îa ville de Montbart, une carrière confi- dérable de pierre compolee comme le porphyre, mais dont la dureté eft en- core moindre que celle du marbre ; ce porphyre tendre eft compofé comme le porphyre dur, & il contient même une plus grande quantité de pointes d'ourfins & beaucoup moins de matière rouge* Voilà donc les mêmes pointes d'ourfins que l'on trouve dans le porphyre ancien d'Egypte & dans les nouveaux porphyres de Bourgogne , qui ne diffèrent des an- ciens que par le degré de dureté & par le nombre plus ou moins grand àt^ pointes d'ourfins qu'ils contiennent.
A l'écrard de ce que les Curieux ap- pellent du porphyre vert, je crois que c'efl plutôt un granité qu'un porphyre, il n'efl: pas compofé de pointes d'ourfins, comme le porphyre rouge, & fa fubftance me paroît iembl.ble à celle du gn.n te cominim. En Tofcane,dans les pierres dont étoient bâtis les anciens murs de ia ville de Volatera , il y a une grande quantité de coquillages, & cette muraille étoit faite il y a deux mille cinq cents ans. Voyez Stcnonin Prodromo dijf, de
Théorie de la Terre, 43 r'
Sohdo intrafolïdum , page 6 ^ . La plupart des marbres antiques, les porphyres & ks autres pierres cjes plus anciens monu- mens contiennent donc des coquilles, des peintes d'ourfins, & d'autres débris des productions marines , comme ies marbres que nous tirons aujourd'hui de nos carrières ; ainfi on ne peut pas douter , indépendamment même du té- moignage facré de l'Écriture fiiinte, qu'avant le déluge la terre n'ait été com- pofée des mêmes matières dont elle l'eft aujourd'hui.
Par tout ce que nous venons de dire, on peut être afTuré qu'on trouve des coquilles pétrifiées en Europe, en A fie, & en Afrique dans tous les lieux oîà le haiard a conduit des obiervateurs; on ea trouve auffi en Amérique, au Brefd , dans le Tucuman , dans les terres Ma- gellaniques , & en fi grande quantité dans ies îles Antilles, qu'au-defious de ia terre labourable , le fond , que les habitans appellent la chaux , n'eil: autre choie qu'un compofé de coquilles , de madrépores , d'aftroïtes & d'autres pro^ dudions de la mer. Ces obfervatbns qui
43^ Hi/Ioke Naturelle:
font certaines , m'auroient fliit penfei' qu'il y a de même des coquilles &. d'autres produdion marines pétrifiées dans ia plu> orande partie du co:-tinentde l'Amé- rique , & fur tout dans les montagnes , comme i'afîure Woodward; cependant M. de la Condamine qui a demeuré pendant plufieurs années au Pérou, m'a affuré qu'il n'en avoit pas vu dins les Cordillères, qu'il en avoit cherché inutilement, & qu'il ne croyoit pas qu'il y en eût. Cette exception fèroit fmgulière,&: les coniéqucnces qu'on en pourroit tirer le feroient encore plus; mais j'av'oue que , malgré le témoignage de ce célèbre obfervateur , je doute en- core à cet égard, & que je fuis très-porté à croire qu'il y a dans les montagnes du Pérou, comme par-tout ailleurs, des co- quilles & d'autres pétrifications marines, mais qu elles ne fe font pas offertes à (es yeux. On fiit qu'en matière de témoi- gnages, deux témoins pofuifs qui affu- rent avoir vu , fufifiient pour faire preuve complète , tandis que mille & dix mille témoins négatifs , & qui affurent feule- ment n'avoir pas vu, ne peuvent que fiire
naître
Tfieone de la Terre. 43 ^'
tïîi.ître un doute léger; c'eil; pour cetie
raiion , & parce que la force de l'aaalogie
m'y .contraint, que je perfiite à croire
qu'on trouvera des coquilles fur les
montagnes du Pérou , coniine on eu
trouve prefque par-tout ailleurs , fur-tout >i^«^ y Ma
ïi on les cherche fur la croupe de la ^«^^v#i ÙJt^
montagne & non pas «au fomniet. J.*Vi^^ '^^
Les montagnes les plus élevées (o\Vi*t>^ ordinairement compoféesau fommet,de roc vif, de granité , de grès & d'autres matières vitrifiables qui ne contiennent que peu ou point de coquilles. Toutes ces matières le font formées dans les couches du ftbie de la mer qui recou- vroient le deffus de C€S montagnes ; iorfque la mer a laifle à découvert ces fommets de montagnes , les labiés ont coulé dans les plaines , où ils ont été entraînés par la chute des eaux des pluies , &c. de forte qu'il n'efl demeuré au-deflus des montagnes que les rochers qui s'é- toient formés dans l'intérieur de ces couches de fible. A 200, 300 ou 400 toiles plus bas que le fom^met de ces montagnes, on trouve iouvent àiQ.s matières toutes différentes de celles du
Tome L T
434* Hîflohâ Naturelle, fommet, c'e(l-à- dire, des pierres, des marbres & d'autres matières calcinables , iefquelles font difpofées par couches parallèles , & contiennent toutes des co- quilles & d'autres productions marines ; ainfi il n'efi: pas étonnant que M. de la Condamine n'ait pas trouvé de coquilles fur ces montaaries , fur - tout s'il les a cherchées dans les lieux les plus élevés & dims les parties de ces montagnes qui lont compolées de roc vif, de grès ou de fable vitrifiable ; mais au-deflous de ces couches de fible & de ces rochers qui font le fommet , il doit y avoir dans ies Cordillères, comme dans toutes les autres montagnes, des couches horizon- tales de pierres, de marbres, de terres, &c. où il fe trouvera des coquilles ; car dans tous les pays du monde où l'on a fait des obfervaiions , on en a toujours trouvé dans ces couches.
Mais fuppoions un inftant que ce fiiit foit vrai , ik qu'en effet il n'y ait aucune produdion marine dans les montagnes du Pérou , tout ce qu'on en conclura ne iêra nullement contraire à notre théorie, ÔL ii pourroit bien le faire , abfolumeni
Théorie àe la Terre, 435'
parîant , qu'il y ait fur le globe des parties qui n'aient jamais été fous les eaux de la mer , & fur-tout des parties auffi élevées que le font les Cordillères, mais en ce cas , il y auroit de belles obfervations à fiiire fur ces montagnes ; car elles ne feroîent pas compofées de couches pa-» rallèies entr'elles comme toutes les autres le font ; les matières feroîent aulîx fort différentes de celles que nous con* noiflons, il n'y auroit point de fentes perpendiculaires , la compofition des ro- chers & des pierres ne refîèmblcroit point du tout à la compofition des rochers & des pierres des autres pays, & enfin nous trouverions dans ces montagnes Tancienne flrudure de la terre telle qu'elle étoit originairement & avant que d'être changée & altérée par le mouve- ment des eaux ; nous verrions dans ces climats le premier état du globe , les matières anciennes dont il étoit compole , la fornîe , la liaifon & l'arrangement naturel de la terre , &c. mais c'eft: trop efpérer , & fur des fondemens trop légers , & je penfe qu'il faut nous borner à croire qu'on y trouvera des coquilles ^
T ij
^3<5 Hîpolre Naturelle;
comme on en trouve par-tout aiïïeurSv A l'égard de la manière dont ces co- quilles font difpoféfes & pbcces dans les couches de terre ou de pierre , voici ce qu'en dit Woodward. ce Tous les coquil- 53 lages qui fe trouvent dans une infinité 53 de couches cie terres & de bancs de 35 rochers , fur les plus hautes montagnes 33 & dans les carrières & les mines les plus 33 profondes, dans les cailloux de cor- 33 naline , de calcédoine, ôcc. Sl dans les 33 mafTes de ibufre, de marcafîjtes & d'au- 33 très matières minérales & métalliques , 33 font remplis de la matière même qui 33 formg les bancs ou les couches , ou les 33 mafîes qui les renferment , & jamais d'aucune matière hétérogène , 3^ page ^ 0 6 , ù' ailleurs, « La pefanteur fpéci- 35 fique des différentes efpèces de fables 3J ne diffère que très-peu , étant généra- 33 lement par rapport à feau , comme 2 |- 33 ou 2 -^ à j > &: les coquilles de pé- 33 tondes qui font à peu près de la même 33 pefanteur , s'y trouvent ordinairement 33 renfermées mi grand nombre , tandis X» qu'on a de la peine à y trouver des 53 écailles d'huîtres, dont la pefintei;r
Théorie de la Te ire. 4B7i ^lecifique n'efi: environ que comme a ^ j à I ; de hérilTons de mer , dont la ce pefanteur n'ell que comme 2 ou 2. -^ ce à I , ou d'autres efpèces de coquilles ce plus légères; mais au contraire dans ce ia craie qui efl: plus légère que la ce pierre , n'étant à la pefanteur de l'eau ce que comme environ 2 -^ à i , on ne ce trouve que des coquilles de hérifTons ce de mer & d'autres efpèces de coquilles c< plus légères. 33 Voye-^pages i j & i 8 ,
Il fiiut obfervcr que ce que dit ici ^¥oodward ne doit pas être regardé comme règle générale , car on trouve des coquilles plus légères & plus pefantes dans les mêmes matières, par exemple, éts pétoncles , à^s huîtres & des ourfms dans les mêmes pierres & dans les mêmes terres , &: même on peut voir aii cabinet du Roi un pétoncle pétrifié en cornaline & des ourfms pétrifiés en agate, ainfi Ja différence de la pefanteur fpécifique des coquilles n'a pas influé , autant que le prétend Woodward , fur le lieu de leur pofition dans les couches de terre ; & la vraie raifon pourquoi les coquilles d'our^ fins & d'autres auHi légères fe trou veut
Tiij
438 Hijloite Naturelle*
pluà ahondamment dans ies craies , c*eft que h craie n'ell qu^un détriment de coquilles , ^ que ctlles des ourfms étant pius légères , moins epaiffei & plus friables que les autres , elles auront été nifement réduites en poufîière 64 en craie, en forte qu'il ne fe trouve des couches de craie que dans les endroits oii il y avoit anciennement fous les eaux de lu mer une grande abondance de ces co- quilles légères, dont les débris ont forqié ia craie dans laquelle nous trouvons celles qui ayant réliilé au choc <St aux frotte- inens , fe font conlervées toutes entières , oa du moins en parties aflez grandes pour que nous puilfions les reconnoître. Nouà traiierons ceci plus à fond dans notre difcours fur les minéraux , conten- ions-nous feulement d'avertir ici qu'il iàut encore donner une modification aux cxprciTions de Woodward : il paroît dire qu'on trouve àt% coquilles dans les caiU ioux , dans les cornalines , dans les cal- cédoines , dans les mines , dans les maffes de ioufre, auin fou vent <3c en au(fi orand nombre que dans les autres matières , au lieu que lu vérité eit qu'elles font très-
Théorie de la Terre, 439
rares A:^\\% toutes les matières vitrifîables ou purement inflammables , & qu'au conifiiire elles font en proclîgieufe abon- dance clans les craies, dans les marnes, dans les mar!)res & dans les pierres , en forte que nous ne prétendons pas dire ici qu'abfolument les coquilles les plus légères font dans les matières légères, & ks plus pefantes, dans celles qui Ibnt aufïï îes plus pefàntes , mais feulement qu'en général cela fe trouve plus fouvent aiiifi qu'autrement. A la vérité elles font toutes également remplies de la fubftance même qui les environne , aufTi-bien celles qu'on trouve dans les couches horizontales , que celles qu'on trouve en plus petit nombre dans les matières cpi occupent les fentes perpendiculaires, parce qu'en effet les unes & \^% autres ont été également formées par les eaux , quoiqu'en diffé- rens temps & de dilîérentes façons ; les couches horizontales de pierre, de marbre, &c. ayant été formées parles grands mouvenicnsdes ondes de la mer, ik les cailloux, les cornalines, les cal- cédoines & toutes les matières qui font dans les fentes perpendiculaires, ayant
T iii)
44® Hijloîre JNatureJk. €té produites par fe mouvement partîcu-' ikr d'une petite quantité d'eau chargée de différens iljcs 'lapidifiques, métal- liques , &c, &. dans les deux cas ces ma- tières étoient réduites en poudre fine & impalpable qui a rempli l'intérieur des coquilles fi pleinement & fi abfolument ^ qu'elle n'y a pas laifié le moindre vide ^ & qu'elle s'en eft fait autant de moules, à peu près connne on voit un cachet fe mouler fur le tripoli.
Il y a donc dans les pierres, dans les marbres, &c. une multitude très-grande de coquilles qui font entières , belles & il peu altérées , qu'on peut ailément les comparer avec les coquilles qu'on con- ièrve dans les cabinets ou qu'on trouve iiir les rivages de la mer ; elles ont pré- cifément la même figure &. la même gran- deur , elles font de la même fubftance & leur tifîu efl: le même ; la matière parti- culière qui les compole , eft la même , elle efl dilpofée & arrangée de la même manière, la direction de leurs fibres & deb lignes fpirales eft la même , la com- pofition des petites lames formées par les fibres cil la même dans les unes & kj
Théorie de la Terre. 44 tl ïimres , on voit dans le même endroit ies vertiges ou infcrtions des tendons par le moyen defquels l'animal étoit attaché & joint à fa coquille , on y voit les mêmes tubercules , les mêmes /Wfj^ ies mêmes cannelures ; enfin tout eft fembiable , foit au dedans , foit au de- hors de la coquille , dans fa cavité ou fur fa convexité , dans fa fubdance ou fur la iuperficie ; d'ailleurs ces coquil- îaf^es fofiiles font fujets aux mêmes acci- deiis ordinaires que les coquillages- de la mer, par exemple, ils font attachés les plus peiits aux plus gros j ils ont des conduits vermiculaires, on y trouve des perles & d'autres chofcs femblables qui ont été produites par l'animai lorfqu'il habitoit la coquille , leur gravité fpéci- fique ert exadement la même que celle de leur efpèce qu'on trouve adueilement dans la mer ; & par la chimie , on y trouve ies mêmes chofes, en un mot ils refTemblentexademem à ceux de la mer. Voyei Woodwardr page 1 ^,
J'ai foiîvent obier vé moi-m.cme- avec une eipèce d'étonnement , comme je l'ai déjà dii^ des montagnes entières, d^è
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44 2 Hîjloïre Naturelle,
chaînes de rochers , des bancs énormes de carrières tout compofés de coquilles & d'autres débris de^produdions marines qui y font en fi grande quantité , qu'il n'y a pas à beaucoup près autant de volume dans la matière qui les lie.
J'ai vu des champs labourés dans lef- quels toutes les pierres étoient des pé- toncles pctrifiés , en forte qu'en fermant ies yeux & ramaffant au hafard on pou^ voit parier de ramafler un pétoncle : j'en ai vu d'entièrement couverts de cornes d'amnion, d'autres dont toutes les pierres étoient des coeurs de bœufs pétrifiés ; & pius on examinera la terre , plus on fera convaincu que ie nombre de ces pétrifi- cations eft infini, & on en conclura qu'il eil impoiîible que tous les animaux qui habitoient ces coquilles , aient exiftc dans ie même temps.
J'ai même fiit une obfervation en cherchant ces coquilles, qui peut être de quelque milite, c'eft que dans tous les pays où l'on trouve dans les champs & dans les terres labourables un très-grand nombre de ces coquilles pétrifiées, €0!iiine pétoncles, cœurs de bœufs, &c«
Théorie de la Terre. 443 entières, bien confervees, & totalement réparées , on pem être afluré que ia pierre de ces pays e(l géli(fe : ces coquilles ne s'en font réparées en fi grand nombre que par l'adion de la gelée, qui détruit la pierre & laifle fablillcr plus long-temps la coquille pétriiiée. t r /ri
Cette immenfe quantité de lollUes marins que l'on trouve en tant d'endroits , prouve qu'ils n'y om pas été tranCportes par un déluge ; car on obierve plufieurs milliers de gros rochers & des carrières dans tous les pays où il y a des marbres & de la pierre à chaux , qui (ont toutes remplies de vertèbres d'étoiles de mer, de pointes d'ourfins , de coquillages <Sc d'autres débris de produélions mannes. Or fi ces coquilles c[u'on trouve par-tout eufTent été amenées iùr la terre sèche par un déluge ou par une inondation , la plus p-rande partie feroit demeurée lur la lur- ^ice de la terre , ou du moins elles ne feroient pas enterrées à une grande pro- fondeur , & on ne les trouvercit pas dans les marbres les | lus lolides à lept ou huit cents pieds de profondeur. Dans tomes les curiièies , ces coc[uil[es
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jj.^^ Hifloire Nûtureïïe, font partie de la pierre à l'intérieur , Se on en voit quelquefois à l'extérieur qui font recouvertes de ftaladites qui, comme l'on (iiit, ne font pas des matières aufîr anciennes que la pierre qui contient les coquilles ; une féconde preuve que cela n'eft point arrivé par un déluge , c'eft que les os , les cornes , les ergots , ïts 'ongles , &c. ne Te trouvent que très-rare- ment, & peut-être point du tout, ren- fermés dans les marbres & dans les autres pierres dures, tandis que fi c'étoit l'effet d'un déluge où tout auroit péri, on y devroit trouver les rcftes des animaux de 3a terre aiiffi-bien que ceux des mcrs^ Voye:^ Ray s D'ifcourfes , page ij8 if fui van tes.
C'eft , comme nous l'avons dit , une fuppofnion bien gratuite , que de pré- tendre que toute la terre a été difloute dans l'eau au temps du déluge ; & on ne peut donner quelque fondement à cette idée , qu'en luppoiant un iecond mi- racle qui auroit donné à l'eau la pro- priété d'un difîolvant univerfel , miracle dont il n'ell fait aucune mention dans FEcriture fume ; d'iiiileurs ^ ce qui
Théorie de h Terre* ^445
anéantit la fuppofîiion & la rend même- contradidoire , c cO: que toutes les ma- tières ayant été did'outes dans l'eau , ies coquilles ne l'ont pas été, puifque nous ies trouvons entières &: bien confervées dans toutes lesmafTes qu'on prétend avoir été difToutes , cela prouve évidemmeni qu'il n'y a jamais eu de telle diilolution , & que l'arrangement des couches hori- zontales «& parallèles ne s'eft pas fait en un inftant , mais par ies fédimens qui le font amoncelés peu à peu , & qui ont enfin produit des hauteurs confidérabies par la lucceffion des temps ; car il eft évident pour tous les gens qui fe donne- ront la peine d'obferver, que l'arrange- ment de toutes les matières qui com- pofcnt le globe , efi l'ouvrage des eaux ;■ il n'eft donc queftion que de favoir fi cet arrangement a été fait dans le même temps : or nous avons prouvé qu'il n'a pas pu fe faire dans le même temps , puifque les matières ne gardent pas l'ordre delà pelanteur fpécifique & qu'il n'y a pas eu de diffolution générale de toutes les matières : donc cet arrancremient a été produit par les. eaux ou plutôt par
44^ Hijlohe Naturelle. les fédimens qu'elles ont dcpofe's dans îa lucceffioii des temps: toute autre revo- limon , tout autre mouvement , toute autre caulè auroit produit un arran- gement très-différent; d'aiiieurs un ac- cident particulier , une révolution ou un bouleverfement n'auroit pas produit un. pareil effet dans le globe tout entier, &: il l'arrangement des terres & des couches avoit pour caufe des révolutions particulières & accidentelles , on trouve- roit les pierres & les terres diipolées diffé- remment en différens pays , au lieu qu'on les trouva par-tout dilj:)olées de même par couches parallèles, horizontales, ou également inclinées.
Voici ce que dit à ce fiijet l'Hiflorien <Je l'Académie , année i yi S , page ^ & fu'iv,
c< Des vefliges très-anciens & en tres- sa grand nombre d'inondations qui ont 5J dû être très- étendues fe), & la manière 3> dont on eft obligé de concevoir que 53 les montagnes fe font formées (f)i
(t) Voye2 \t% Mémoires fage 2 S y, (f) Voyez l'Hift.de 1703, jhtge 22; de 170^, y^gij^; àciyoB,jhi^e^^; & 4e 171 6, page S, b'c»
T/iéorîe de la Terre, 447 prouvant aiïez qu'il eft arrive autrefois ce à la lurtace de la terre de grandes révo- ce iutions. A utant qu'on en a pucreulèr, ce on n'a prelque vu que des ruines , des ce débris , de vaftes décombres entafies ce pêle-mêle , & qui par une longue luite ce de fiècles le lont incorporés eniemble ce & unis en une lèule malTe le j:)lus qu'il ce a été poffible ; s'il y a dans le globe ce de la terre quelque efpèce d'organila- ce tion régulière , elle eit plus profonde, ce & par conléquent nous iera toujours ce inconnue, & toutes nos recherches ie ce termineront à fouiller dans les ruines ce de la croûte extérieure , elles donne- ce ront encore afîez d'occupadcn aux ce Philolbphes. ce
M . de Juflleu a trouvé aux environs ce de Saint-Chaumont dans le Lyon- ce nois , une grande quantité de pierres ce écailleufes ou feuilletées , don prcfque ce tous les feuillets portoient iur leur ce fuperficie l'empreinte ou d'un bout de ce tiore , ou d'une feuille , ou d'un frag- ce meut de feuille de quelque plante ; les ce repréfentations de feuilles étoient tou- cç jours exademcnt éicndues, comme fi ce
^44-8 Hifloire Naturelle. •^ on avoit colle les feuilles fur les pîerfési ■*> avec la main , ce qui prouve qu'elles hr> avoient été apportées par de l'eau qui les •^ avoit tenues en cet état ; elles étoient 55 en différentes fituations , & quelquefois o) deux ou trois fe croiioient. '55 On imagine bien qu'une feuille *33 dépofée par l'eau fur une vale molle, '^ & couverte enfuite d'une autre va(e T> pareille , imprime lur l'une l'image de 33 l'une de fes deux fur faces & fur 35 l'autre l'image d'e^ l'autre furface , de 35 forte que ces deux lames d-e'vafe étanî 35 durcies »8c pétrifiées, elles porteront 35 chacune l'empreinte d'une face diffé- 35 rente : mais ce qu'on aurort cru devoir 35 être, n'ell pas, les deux lames ont 35 l'empreinte de la même face de la 35 feuille , l'une en relief, & l'autre 'en 35 creux. M. de Juflieu a oblervé dans 35 toutes ces pierres figurées de Saint- 35 Chaumontce phénomène qui efl: affez 35 bizarre ; nous lui en laiffons l'expîi- 35 cation pour pafîer à ce que ces fortes 35 d'obtervations ont de plus général <& 35 de plus intéreilant. i* Toutes les plantes gravées dans les
Théorie de h Terre. 449 pierres de Saint-Chaiiinont font des ce plantes étrangères, non-leulement elles ce ne retrouvent ni dans le Lyonnois , ni <« dans le refte de la France, mais elles ne ce font que dans les Indes orientales & dans te les climats chauds de l'Amérique , ce ce ibnt la plupart des plantes capillaires , «c & fouvent enpardculier des fougères, c< leur tiffu dur & ferré les a rendu plus ce propres à fe graver & à le conferver ce dans les moules autant de temps qu'il a ce fallu. Quelques feuilles de plantes des ce Indes imprimées dans des pierres d'Aï- ce femagne , ont paru étonnantes à M. ce Léibnitz (g) , voici la même merveille ce infiniment multipliée ; il fenible mêine ce qu'il y ait à cela une certaine afîe^lation ce de la Nature , dans toutes les pierres ce de Saint-Chaumont on ne trouve pas ce une feule plante du pays. ce
Il eft certain par les coquillages des ce carrières & des montagnes , que ce ce pays, ainfi que beaucoup d'autres, a ce dû autrefois être couvert par l'eau de la ce mer; mais comment la mer d'Ame- c<
Ù). Voyez i'Hifî, de 170^; J^^g^ ^ ^ S^^H
'450 HiJIoire Nawrelk, 3> riquc ou celle des Indes orlentaks y 3> eft-elie venue !
3s On peut , pour fluisfliire à plufieurs » phénomènes , fuppofer fi\ ec aflez de 3s vraifemblance que la mer a couvert 3î tout le globe de la terre , mnis alors il. ^ n'y avoit point de plantes terreftrcs , & 33 cen'eft qu'après ce temps-là, & lorf- 3' qu'une j^artie du globe a éié decou- 33 verte , qu'il s'cft j3U fliire les grandes 33 inondations qui ont tranfporte des 33 plantes d'un pays dans d'autres fort 33 éloignes.
35 M, de Jufîjeu croit que comme le 33 lit de la mer hauiTe toujours par les 33 terres , le limon , les fables que les >î rivières y charienr incefîîimment , des 33 mers renfermées d'abord entre certaines 3> digues naturelles, font venues ri les 33 furmonter & fe font répandues au loin ; 33 que les digues aient elles-mêmes été « minées par les eaux 64 s'y foient ren- 33 verfées , ce fera encore le même effet 33 pourvu qu'on les fuppofc d'une gran- -ï5 deur énorme. Dans les premiers temps 55 de h formation de la terre , rien n'avoit 5> encore pris une forme réglée & ari ctée,
Théorie de la Terre • 451
il a pu ie faire alors des révolutions ce prodigleufes 6t fubites dont nous ne ce voyons plus d'exemples , parce que ce tout eft venu à peu près à un état de ».t confiflance, qui n*e(t j)ouriant pastel «. que les changeinens lents ai j)eu confia c« dèrables qui arrivent , ne nous donnent «.c lieu d'en imaginer comme j^oiïjblei tt d'autres de même efpèce , mais plus ce griuids & plus prompts. .x
Par quelqu'une de ces grandes v, révolutions, la mer à^i> Indes , Ibit <.«; orientales , foit occidentales , aura été ce pouflee jufqu'en Europe, & y aura ce apporté des plantes étrangères flot- «.e lautes fur les eaux , elle les avoit arra- ce chécs en chemin de les alloit dépo^r et doucement dans les lieux où l'eau t« n'étoit qu'en peùte quantité & pou voit ^% s'évaporer w.
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