Il m .y HISTOIRE NATURELLE, GÉNÉRALE ET PAP^TICULIÈRE Tome V. ŒUVRES \ COMPLETES D E M. LE C.T"^ DE BUFFON, Inteîidaîît du Jardin du Roi , de V Académie Françoife , de celle des Sciences , è^c. BM Tome Cinquième. Discours sur la nature des Animaux. A PARIS, DE L'IMPRIMERIE ROYALE. M. D C C L X X I V, TABLE pjasxBÊÊSaifaaitJiMHkiunii mmmms^pvsx) TABLE De ce qui eft contenu dans ce Volume. K A R I É T É S dans ïefpèce liu^ maine Pa^e i Dîfcours fur la nature des Animaux 241 Lettres de MM. les Députés & Syn- dic de la Faculté de Théologie , à M. de Bufbn , avec les réponfe à^ déclaration de M. de Buffon, j Difcours prononcé à l'Académie Fran- foife. xxj t HISTOIRE NATURELLE. HISTOIRE DE L'HOMME* Variétés dans l'efpèce humaine. TO U T ce que nous avons dit juf- qu'ici de la génération de l'homme , de fa formation, de Ton développement, de Ton état dans les difïerens âges de fa vie , de fes fens &: de la ftrucfture de fou corps , telle qu'on la connoît par les dif- férions anatomiques , ne fait encore que J'hiftoire de l'individu , celle de l'efpèce demande un détail particulier , dont les faits principaux ne peuvent (è tirer que des variétés qui fe trouvent entre les hommes des différens climats. La pre- mière & la plus remarquable de ces va- riétés eft celle de la couleur , la féconde cfl celle de la forme & de la grandeur, .\es yeux petits. Or comme ce font-If pj îout-à-fait les traits des habitans de la >3 Chine, j'ai trouvé, après avoir bien 53 obiervé la çhofe durant mes voyagea , >? qu'il y a ia même configuration de >3 vifage 6c de taille dans tous les peuples 33 qui iont à l'orient & au feptentrion de ce ia mer Cafpienne & à l'orient de ia pref- 33 qu'îie de Maiaca , ce qui depuis m'a fait D3 croire que ces divers peuples fortent D5 tous d'une même fouche , quoiqu'il •>!> paroiffe des différences dans leur teint 33 & dans leurs mœurs ; car pour ce qui 3-> efl du teint, la différence vient de la •>y qualité du climat & de celle des alim.ens, 33 & à l'égard des mœurs la différence » yient aullî de la nature du terroir & de l'opulence plus ou moins grande ^i^. 3> Le Père Parennin , qui , comme Ton fait, a demeuré fi long-temps à la Chine , ^ en a fi bien obfervé les peuples ^ les mœurs , dit que les voifins des Chmois du côté de l'occidenî depuis le Thibet en allant au nord jufqtJ • Chamo , fembient être différens des C ';inoi3 par (i) Voyez les Voyages de Chardin , Amjiadatn^ Je ï Homme: ^^f îes moeurs , par ie langage , par îes traits du vifage &. par la configuration exté- rieure ; que ce font gens ignorans , grofliei's , fainéans , défaut rare parmi ies Chinois ; que quand it vient quel- qu'un de ces Tartares à Pékin , & qu'on demande aux Chinois la raifon de cette différence, ils difent que cela vient de l'eau & de la terre , c'eft-à-dire , de la nature du pays qui opère ce changement fur ie corps , & même fur l'efprit des habi- tans. li ajoute que cela paroîtencore plus vrai à la Chine que dans tous ies autres pays qu'il ait vus , & qu'il fe fouvient qu'ayant fuivi l'Empereur jufqu'au 4 S."''* degré de latitude nord , dans la Tartarie , il y trouva des Chinois de Nanquin qui s'y étoient établis , & que leurs enfans y éîoient devenus de vrais Mongoux, ayant la tête enfoncée dans les épaules , les jambes cagneufes , & dans tout l'air une grolîièreté & une mai-propreté qui rebutoit. Voye:^ la Lettu du P. Parennin, datée de Pékin le J2 S Septembre i y^ j , Recueil 2^ des Lettres édifiantes. ■ Les Japonnois font afTez feniblabîes aux Chiaois pour. qu'on pui/Te les re- 'âS Hipoire Ndîiirefle garder comme ne faidint qu'une feule & xiiêine race d'hommes , ils Ibnt ieulemem plus jaunes ou pius bruns , parce qu'ils habitent un climat plus méridional; en général ils font de forte complexion , ils ont la taille ramaffée , le vifage large & plat j le ntz de même , les yeux petits (k), peu de barbe , les cheveux noirs , ils lont d'un naturel fort altier , aguerris , adroits , vigoureux, civils & obiigeans, parlant bien, féconds en complimens, mais in- çonftans & fort vains , ils fupportent avec une confiance admirable la faim , la foif , îe froid , le chaud , les veilles , la fatigue & toutes les incoirnnodités de la vie ^ de laquelle ils ne font pas grand cas ; ils ie fervent, comme les Chinois, de petits bâtons pour manger , & font aufli plw- fieurs cérémonies ou plutôt plufieurs grimaces & plufieurs mines fort étranges pendant le repas ; ils font laborieux de très- habiles dans les arts & dans tous les métiers, ils ont, en un mot, à très-peu près ie même naturel , les mêmes mœura ^ les mêines coutumes que les Chinois. (k) Voyez les Voyages de Jean Struys. Rouett^ ^de VHomméi 2^ L'une des plus bizarres & qui eft com- mune à ces deux nations , eft de rendre les pieds des femmes fi petits, qu'elles ne peuvent prefque fe foutenir. Quel-- ques voyageurs difènt qu'à la Chine, quand une fiile a pafle l'âge de trois ans, on lui caiïe le pied , en forte que les doigts font rabattus fous ia plante , qu'on y ap- plique une -eau forte qui brûie les chairs , &: qu'on l'enveloppe de plufieurs ban- dages jufqu'à ce qu'il ait pris fon pli ; ils ajoutent que les femmes refienteilt cette douleur pendant toute leur vie, qu'elles peuvent à peine marcher , & que rien n'efl plus déiagréable que leur démarche ; que cependant elles fouffrent cette incommodité avec joie , & que comme c'efi: un moyen de plaire, elles tâchent de le rendre le pied auffî petit qu'il leur eft poffible. D'autres voya- geurs ne dilent pns qu'on leur caiïe is pied dans leur enfance , mais feulement qu'on le ferre avec tant de violence qu'on l'empêche de croître , êc ils conviennent aOez unanimiCment qu'une fenime de condition, ou feulement une jolie femme à U Chine doit avoir le pied affez petit T^ •• • i> llj. f^ô Hiflohe Naîurelle pour trouver trop aifee ia pantoufle a un enfant de fix ans» Les Japonnoîs & les Chinois font donc une feule &: même race d'hommes qui le lont très- anciennement civilités, ^ qui diffèrent des Tartares plus par les mœurs que par la figure ; la bonté du terrein, la douceur du ciijuat , le voifi- nage de ia mer ont pu contribuer à rendre ces peuples policés, tandis que les Tartares éloignés de ia mer & du com- înerce des autres nations , & fcparés des autres peuples du coté du midi par de hautes montagnes, font demeurés crrans dans leurs valtes déferts fous un ciel dont la rigueur , flir-tout du côté du nord , ne •peut être îlipportée que par des hommes durs & grofliers. Le pays d'Yeço qui eil au Nord du Jappon , quoique fitué fous lui climat qui devroit être tempéré efl cependant très -froid, très- fliériie & très- îuontueux , aufli les habitans de cette contrée font- ils tout difîérens des Japon- nois (Se des Chinois ; ils font grofîlers , brutaux, fins mœurs, fans arts; ils ont îe corps court & gros , les cheveux longs ^ hérilTés , les yeux noirs , le front pLu . ^de T Homme» '5 îl le xéiwl jaune , mais un peu moins que celui des Japonnois , ils font fort veius fur le corps & même lur le vilage^, ils vivent comme des Sauva aes , &^ nour- rident de lard de baleine «Se d'huile de poiiïbn ; ils font très - parefTeux ^ très- mal-propres dans leurs vêtemens : les enfiins , vont preique nus , ies femmes n'ont trouvé pour fe parer d'autres moyens que de fe peindre de bleu les fourcils & les lèvres; les hommes n'ont d'autre plaifir que d'aller à la chafTe des ioups marins , à&s, ours , des élans , de? rennes , & à la pêche de la baleine ; il y en a cependant qui ont quelques cou- tumes Japonnoiles , connue celle de chanter d'une voix tremblante , mais en général ils reiîembient plus aux Tartares feptentrionaux ou aux Samoïedes qu'aux Japonnois, Maintenant, fi Ton examine les peuples voifins de la Chine au midi & à l'occi- dent , on trouvera que les Cochinchi- nois , qui habitent un pays montueux & plus méridional que la Chine, font plus bafanés & plus laids que les Chinois , ^ que ks Tuiiquinois dont le pays eft B iii; ^5^ HiJIoh-e Naturelle meilleur, & qui vivent fous un clîmâî moins chaud que ies Cochinchinois , font mieux faits & moins laids. Selon Dampié^' , les Tunquinois font en gé- néral cie moyenne taiiie , iis ont le teint bafiné comme les Indiens, mais avec ceia la peau fi belle <5c fi unie qu'on peut s'apercevoir du moindre changement qui arrive fur leur vifige iorfqu'ils paliflent ou qu'ils rougident, ce qu'on ne peut pas reconnoître fur le vifage des autres In- diens. Ils ont communément le vifage plat &: ova^ , le nez & ies lèvres afîez bien proportionnés, les cheveux noirs, longs & fort épais , ils le rendent les dents aulîi noires qu'il leur efl: pofTlhle. Selon ies relations qui font à la fuite des voyages de Tavernier, les Tunquinois font de belle taille & d'une couleur un peu oli- vâtre , ils n'ont pas le nez ni le vifàge fi plat cjue les Chinois , & ils font en général mieux faits. Ces peuples, comme l'on voit, ne diffèrent pas beaucoup des Chinois, ils refîemblent par la couleur à ceux des provinces méridionales; s'ils font plus ba- iùnés; c'eil parce qu'iU habitent fous un Je l'Homme» 5 3J cîliil.it pîus chaud, & quoiqu'ils aient le vilage moins plat & le nez moins écrafé que les Ciiinois, on peut les regardeif comme des peuples de même origine. Il en efl: de même des Siamois , des Pé- guans , des habitans d'Aracan, de Laos, &c. tous ces peuples ont les traits alFez reflemblans à ceux des Chinois , & quoi- qu'ils en diffèrent plus ou moins par la couleur, ils ne diiièrent cependant pas tant des Chinois que des autres Indiens. Selon la L ou b ère les Siamois font plutôt petits que grands , ils ont le corps bien fliit , la figure de leur vifage tient moins de l'ovale que du lofange, il «-il: large & élevé par le haut des joues, & tout d'un coup leur front fe rétrécit & le termine autant en pointe que leur menton ^ ils ont les yeux petits Le P. Ta^ chard dit que ces peuples de Java (ont: bien faits & robuftes , qu'ils paroifent vifs & réfolus, & que l'extrême chaleui- du climat les oblige à aller prefque. (tl Vide Indiot Orlmtcdis faytm primam . /;. J / ^ tius ("uj. Dans ies Lettises édifiantes, oit trouve que ces habitans de Java ne font ni noirs ni biaics, mais d'un rouge pour- pré , Se c{u'iis font doux, familiers & carefîans^j^^. François Legatrapporte que les femmes de Java qui ne font pas ex- pofées coiume les hommes aux grandes ardeurs du foleil , font moins bafanées qu'eux; & quelles ont le vifige beau, ie lein élevé & bien fait , le teint uni 6C beau, quoique brun, la main belle, l'air doux , les yeux vifs , le rire agréable , ôl qu'il y en a qui danfent fort joliment /yj. La plus grande partie des voyac^eurs Hollandois s'accordent à dire que les habitans naturels de cette île, dont ils font aduellement les poiïeffeurs & les maîtres , font robuftes , bien faits , ner- veux ô<. bien mufclés ; qu'ils ont le vifage plat , les joues larges & élevées , de grandes paupières, de ])etits yeux, les mâchoires grandes, les cheveux longs, {uJ'Voytz le premier Voyage du Père Tachard ; Paris, I 6Sd, pai^e /^^. (x) Voyez les Lettres édifiantes, Recueil XVI , fage /,-•.. ^(y) Voyez les Voyages de François Légat, Anf^ \fyo8jîçmt 11, page ijc. de THommé^, '4ï' îe teînt bafané , & qu'ils n'ont que peu de barbe, qu'ils portent ies cheveux & les ongles fort longs , & qu'ils ie font limer ies dents (■^) . Dans une petite île qui efi: en face de celle de Java , ies femmes ont le teint bafané , les yeux petits , la bouclie grande , le nez écrafé , ies che- veux noirs & longs (a). Par toutes ces relations on peut juger que les habitans de Java relTembient beaucoup aux Tar- tares & aux Chinois, tandis que les Malais &. les peuples de Sumatra & des petites îles voi fines en diffèrent & par les traits & par la forme du corps , ce qui a pu arriver très-naturellement; car la pref- qu'îfe de Malaca & les îles de Sumatra & de Java, aufîi-bien que toutes les autres îles de l'Archipel Indien , doivent avoir été peuple'es par les nations des continens voifins, (Se même par les Eu- ropéens qui s'y font habitués depuis plus de deux cents cinquante ans , ce qui (l) Voyez îe Recueifdes voyages delà Compagnie de Hollande, Amflerdam , iyo2,tomel,pege]^2i Voyez aufT] les Voyages de Mandelfio. Tome Jlg, page ^^4. (a) Voyez les Voyages de le Gentil. FmSt ^ J^$l tom& îll , page <^2t^ '4^ Hiflolre Ndtiirelk fait qu'on doit y trouver une très-grnncîe variété dans ks hommes , foit pour les traits du vilage & la couleur de la peaU;, foit pour la fonne du corps & la pro- portion des membres; par exempie, il y a dans cette îie de Java une nation qu'on appelle Chacrelas , qui eft toute différente, non-feulement des autres ha- bitans de cette île , mais même de tous ies autres Indiens. Ces Chacrelas font blancs & blonds , ils ont les yeux foibles ^ & ne peuvent fupporter le grand jour? au contraire ils voient bien la nuit , le jour ils marchent les yeux baiffés &: pref- que fermés (h). Tous les habrtans des îles Aîoluques, font, félon François Pyrard, fembiables à ceux de Sumatra & de Java pour les mœurs, la façon de vivre, les armes, les habits, le langage, îa couleur, &:c. (c). Selon MandeKîo, les hommes des Moluques font plutôt noirs québafanés, & les femmes le font moins j ils ont tous les cheveux noirs & lifTeSj (h } Voyez les Voyages de François Légat. Amjîerdt \iyo8 , tome 11 , -page i ^y* (c) Voyez fes Voyages de François Pyrard./kw^ \i 6 1 g, tome U, pa^e '7^i 'de ï Homme. 4î; les yeux gros , ïes fourcils & les paupiereî iarcreSjle corps fort ai robufte ; its font adroits & agiles , ils vivent long -temps , quoique leurs cheveux deviennent blancs ,de bonne heure. Ce voy?geur dit aulil que chaque ile a fon langage particu-- lier , & qu'on doit croire qu'elles ont été peuplées par différentes nations j^^^. Seioii lui, les habitans de Bornéo & de Baîy ont le teint plutôt noir que balané (e) , mais félon les autres voyageurs ils font feulement bruns comme les autres In- diens If). Gemeiii Careri dit que les habi- tans de Ternate tbnt de la même couleur que les Malais, c'eft-à-dire un peu plus bruns que ceux des Philippines ; que leur phyfionomie eft belfe, que ks hommes font mieux faits que les femmes , & que les uns & les autres ont grand foin de leurs cheveux (g). Les voyageurs Holiandois rapportent que les naturels de l'île de (d) Voyez les Voyages de Mandelfîo, tome lU vage jyS. y -, y /■ (e) Voy . ihid. Tome II, jmgis ^ ô^o^ ^^6, (f) Voy. le Recueil des voyages de la Compagnie de Hollande , tome 11, page. 120. (g) Voyez les Voyages de GemelIi Careri, tomt K^ 44 HiJIolre Naîmelk Banda vivent fort long-temps, & qii% y ont vu un homme âgé dé i 30 ans, & plufieurs autres qui approchoient de cet âge ; qu'en général ces infulaires font fort fainëans , que les hommes ne font que fe promener, & que ce font ies iemmes qui travaillent (h). Selon Dam- pier , les naturels originaires de l'île de Timor, qui ell l'une des plus voifines de la Nouvelle Hollande , ont la taille mé- diocre, le corps droit , les membres déliés, le vif^gelong, les cheveux noirs & poin- tus , & la peau fort noire ; ils font adroits & agiles, mais pareffeux au fuprême degré ("ij. Il dit cependant que dans la même île les habitans de la baie de Lapaho font pour la plupart ba(anés & de couleur de cuivre jaime, & qu'ils ont les cheveux noirs & tout plats (k). Si l'on remonte vers le nord , on trouve Manille & les autres îles Philip- pines, dont le peuple eft peut-être le plus (h) Voyez le recueil des voyages cîc la Compagnie èe Hollande , tome I, page j 6 6, (i) Voyez les Voyages de Dampier. RontUf lyi ^^ tome V, page 6 ^ i , (h) Voyez ïh'id, tomtl,page /-2» de ïHomme\ 45' mêle de l'Univers , par ics alliances qu'ont faites enlemble les Efpagnols , les In- diens, les Chinois, les Alalabares , les Noirs, &c. Ces Noirs qui vivent dans les rochers & les bois de cette île , dif^ fèrent entièrement des autres habitans ; quelques-uns ont les cheveux crépus , comme les Nègres d'Angola, les autres Jcs ont longs: la couleur de leur vilage efl comme celle des autres Nègres , quel- ques-uns, font un peu moins noirs; oa en a vu plufieurs parmi eux qui avoient des queues longues de quatre 011 cinq pouces , comme les Inlulaires dont parle Ptoléme'e. Voye-^ les Voyages de Gemelli Careri, Paris , i j i p , tome V, p. 6 8, Ce voyageur ajoute que des JeTuites très-dignes de foi , lui ont aiïuré que dans i'îie de Mindoro , voifine de Manille , il y a une race d'hommes, appele's AJan^ ghiens , qui tous ont des queues de quatre ou cinq pouces de longueur , & même que quelques-uns de ces hommes à queue avoient embraffé la foi Catho- lique. Voye-^ id, tome V, page p 2, ôc que ces Manghiens ont le vifcige de couleur olivâtre & les cheveux longs. Voye^ idm» ^5 'Hïjlmre Natiirelle tome V, page 2 p 8 . Dampier dit que le^ habitans de i'île de Mindanao , qui eil une des principales &. des plus méri- dionales des Philippines, font de taiile médiocre, qu'ils ont les membres petits, k corps droit , & ia tête menue , le vifage ovale , le front plat , les yeux noirs & peu fendus , le nez court, la bouche afîez grande, les lèvres petites & rouges , les dents noires & fort faines, les cheveux noirs & lifTes , le teint tanné, i-çais tirant plus fur le jaune-clair que celui de cer- tains autres Indiens; que les femmes ont le teint plus clair que les hommes ; qu'elles font auffi mieux faites, qu'elles ont le viiage plus long , & que leurs traits font affez réguliers , il ce n'eft que leur nez efl fort court & tout-à-fait plat entre les yeux , qu'elles ont les membres très-pe- tits , les cheveux noirs & longs ; & que les hommes en général font fpiritueis & agiles, mais fàinéans &: larrons. On trouve dansles Lettres édifiantes , que les habitans. des Philippines relTemblent aux Malais, qui ont autrefois conquis ces îles ; qu'ils ont comme eux , le nez petit , les yeux grands , la couleur gliyâtre - jaune ; & ^^e l'Homme: JÇf^ tjuc ΀urs coutumes & leurs langues fout à peu près ies mêmes (l). Au* nord de Manille on'^- trouve l'île Formofe qui n'efi: pas éloignée de la côte de la province de Fokien à la Chine ; ces infulaires ne refTemblent cependant pas aux Chinois. Selon Struys les hommes y font de petite taille , particulièrement ceux qui habitent ies montagnes , la plu- part ont le viiage large , les femmes ont ies mamelles grofTes & pleines , & de ia barbe comme les hommes; elles ont les oreilles fort longues , & elles en aug- mentent encore la longueur par certaines groiîes coquilles qui leur fervent de pen^ dans ; elles ont les cheveux fort noirs & fort longs , le teint jaune-noir , il y en a auffi de jaunes-blanches & de tout-à-fait jaunes : ces peuples font fort fainéans , leurs armes iont le javelot & l'arc dont ils tirent très-bien, ils- font aufîi excel- lens nageurs, & ils courent avec unç vîtefTe incroyable. C'eft dans cette île où Struys dit avoir vu de (es propres yeux un homme qui avoit une queue (1) Voyez les Lettres édifiantes? Rtcueil II, fagt^ 4-8 Hîfloire Naturelle longue de plus d'un pied, toute couverte d'un poil roux , & fort lemblable à celle d'un bœuf; cet homme à queue afTuroit que ce défaut, fi c'en étoit un , venoit du climat, & que tous ceux de la partie mé- ridionale de cette île avoient des queues comme iui ^?n). Je ne (àis fi ce que dit 5truys des habitans de cette île, mérite une entière confiance , & fur-tout fi If dernier fait efl vrai , il me paroît au moins exagéré & différent de ce qu'ont dit les autres voyageurs au fujet de ces hommes à queue, &. même de ce qu'en ont dit Ptolémée j que j'ai cité ci-deffus, & jMarc Paul dans fa defcription géogra- phique, imprimée à Paris en 1 5 5 6, où il rapporte que dans ie royaume de Lam- bry, il y a des hommes qui ont des queues de la longueur de la main, qui vivent dans les montagnes. Il paroît que Struys s'appuie de l'autorité de Al arc Paul , comme Gemelli Careri de celle de Pto* îémée , & la queue qu'il dit avoir vue , efl fort différente pour \qs dimënfions de celles que les autres voyageurs donnent (m) Voyez les Voyages de Jean Struys. Rouen, \f7jpt t^s J, page le^, aux Je THommèi 4^ aux Noirs de Manille, aux haLitans de Lambry , &c. L'éditeur des me'moires de Plafmanalar fur l'île de Formole , ne parle point de ces hommes extraor- dinaires & fi différens des autres ; il dit même que , quoiqu'il fafTe fort chaud dans cette île , les femmes y font fort belles & fort blanches , fur- tout celles qui ne font pas obligées de s'expofer aux ardeurs du foleil ; qu'elles ont un grand foin de fe laver avec certaines eaux pré- parées pour fe conferver le teint ; qu'elles "ont le même foin de leurs dents , qu'eiks tiennent blanches autant qu'elles le peu- vent , au lieu que les Chinois & les Japonnois les ont noires par l'ufàge du bétel ; que les hommes ne font pas de grande taille , mais qu'ils ont en groileur ce qui leur manque en grandeur ; qu'ils font communément vigoureux , infati- gables , bons foldats , fort adroits, &c ^nj. Les voyageurs Hollandois ne s'accor- dent point avec ceux que je viens de (n) Voyez la defcription de l'îîe Formofc, drefîce fur les Mémoires de George Plafmanafàr , par le fieur N. F. D. B. R, Amjlei:dam , J /o/, page i o^^ ^ fmvâintes. Tome V* C [J1^ Hîjlolre NaîursUe citer au flijet des habitaiis de Formofer jVlandeifla , aufli-bien que ceux dont les relations ont été publiées dans le recueil des voyages qui ont ièrvi à l'établifle* ment de la compagnie cco Indes de Hol- lande , diient que ces infuiaires font ïon grands & beaucoup plus hauts de taille que ies Europceus ; que la couleur de leur peau eft entre le blanc .& le noir , eu d'un brun tirant fur k noir ; qu'ils ont le corps velu ; que le? femmes y font de petite taille , mais qu'elles font robufles , grafTes & aiTez bien f Jies. La plupart des écrivains qui ont parlé de l'île Formofè , n'ont donc fîtit aucune mention des ces hommes à queue, &. ils difîèrent beau- coup entr'eux dans la defcription qu'ils donnent ce la forme &. des traits de ces infuiaires, mais ils femblent s'accorder iur tsn fait qui n'eft peut-être pas moins cxt traordinaire que le premier, c'eil que dans cette île il n'elt pas permis aux femmes d'.accoucher avant trente-cinq ans, quair qu'il leur foit libre de ie marier long-temps avant cet âge. Rechteren parle de cette coutume dans les termes fuivans : « D'à- •^ Jbord cjue le§ femmes foiit mariées ; eik.s 2e l'Homme: '51] ne mettent point d'en fans au monde , ce il faut au moins pour cela qu'elles aient c< 3 5 ou 3 7 ans ; quand ciles font grofTes, ce leurs prêtreiTes vont leur fouler le ventre « avec les pieds s'il le faut , & les font oc avorter avec autant ou plus de douleur ce q:u 'elles n'en fouffriroient en accou- ce chant , ce feroit non - ieulenienc une ce honte , maïs même un gros péché de te ialfTer venir un enfant avant l'âge pref- ce crit. J'en ai vu qui a voient déjà fait ce quinze ou feize fois périr leur iruit , «Sç « qui éîoient grofîcs pour la dix-feptième ce fois , lorfqu'il leur étoit permis de mettre ce un enfàiit au monde (0), Les îles Marianes ou des Larrons , qui font , comme l'on fait , les i\qs les plus éloignées du côté de l'orient , & , pour ainli dire , les dernières terres de notre hémifphère, font peuplées d'hom- mes très-grofîiers. Le Père Gobien dit, qu'avant i arrivée des Européens ils n'a- voient jamais vu de feu , que cet élé- ment fi nécefTaire leur étoit entièrement (o) Voyez les voyages de Rechtei-eji dans fe Kecueii àes voyages de la Compgnie HoHandoifc, C i; '^f Hî(Ioire Naturelle Inconnu , qu'iis ne furent jamais fi furprîs qu€ quand ils en virent pour ia première fois , lorfque Magellan defcendit dans î'uiie de leurs îles ; ils ont le teint bafânë , mais cependant moins brun & plus clair que celui des habitans d^s Philippines ; îls font plus forts & plus robufies que les Européens; leur taille e(l haute, & leur corps efl bien proportionné , quoiqu'ils Bc fe nourriffent que de racines , de fruits & de poiflon , ils ont tant d'embonpoint qu'ils en paroiiïènt enfîe's , mais cet embonpoint ne les empêche pas d'être fouples &: agiler. Ils vivent long-temps , & ce n'eft pas une chofè extraordinaire que de voir chez eux des perfonnes d-gé^s de cent ans , & cela fans avoir jamais été malades fp), Gemelli Careri dit que ie$ habitans de ces îles font tous d'une figure gigantelque , d'une groffe corpulence (5c d'une grande force , qu'ils peuvent aifé- înent lever flir leurs épaules un poids de cinq cents livres (q). Ils ont pour la plupart (f)) Vo)'ez l'hiftoire des îles Marianes, par le Pèrç Charles le Gobien , i ye o, (q) Voyez, les voyages de Gemelli Carreri^ tome V» ie rHorUme, jj {es cttevenx crépus fr), le nez gros, de grands yeux & la couleur du vifàge comme les Indiens, Les habitans de Guan , l'une de ces îles , ont les cheveux noirs &l longs , les yeux ni trop gros ni trop petits, ie nez grand , les lèvres grofles, les dents afTez blanches , le vifage long , l'air fé- roce , ils font très-robuUes & d'une taille fort avantageule , on dit même qu'ils ont juiqu'à (èpt pieds de hauteur ff). Au midi des îles Marianes & à l'orient des îles Moluc[ues, on trouve la terre des Papous & la nouvelle Guinée, qui paroiiïent être les parties les plus méri- dionales des terres auiirales. Selon Ar- genfola ,- ces Papous lont noirs comme ies Cafîres , ils ont les cheveux crépus , ïe vifage maigre & fort défagréabie , lancs & aufîî blonds que les Allemands ; ces blancs ont ies yeux irès-foibles & très- délicats, (tj. On (r) V. ies Lettres édifiantes. Recueil XVlU,p> ï pSt (f) Voy. les Voyages de Dampicr, /-cwir /, p. jyS. .Voyez auifi ie voyage autour àa monde de Cowicy, (t) Voyez l'hifl. de la conquête des îles Moiuques,- 'iAi^^flerdam , i/oét tome 1, fa^^e ifS, C if rjl^* HifiOne Naturelle trouve dans la relation de la nftv]g auties naturels de ces îies orientales; mais qu'outre ceux- là , qui paroifTent être les principaux de i'île, il y a auffi des Nègres, & que ces Nègres de la nouvelle Guinée, ont les cheveux crépus & coton nés fx); que les habitans d'une autre île qu'il appelle Gûrret- Denys , font noirs, vigoureux & bien taillés ; qu'ils ont la tête grofle & ronde , les cheveux frifés & courts ; qu'ils les coupent de différentes manières, & les teignent auiîî de différentes cou- leurs , de rouge , de blanc , de jaune , (u) Voy. la navigation auftrale de Jacques le Maire, tome IV à\i recueil des voyages qui ont fervi à l'éta- blilTement de la Compagnie àts Indes de Hoilande, page é^ 8. (x) Voyez le voyage de Dampier, tome V, p S 2} C m'y rçô ïiîjtoïre Naturelle qu'ils ont le vi(age rond & large avec vin gros nez plat ; que cependant leur phyTiononiie ne feroit pas abfoiument défagrcable s'ils ne fc défigufoient pas îe vilâge par une efpèce de cheville de îa groileur d'un doigt & longue de quatre pouces , dont ils traverfent les deux na- rines , en lorte que les deux bouts tou- cjient à l'os des joues , qu'il ne paroît qu'un petit brin de nez autour de ce bel ornement ; & qu'ils ont aufîi de gros trous aux oreilles où ils mettent des che- villes comme au nez fyj. Les habitans de la côte de la nouvelle Hollande , qui efl: à i 6 degrés i 5 mi- nutes de latitude méridionale & au midi de l'île de Timor , font peut - être les gens du monde les plus miférables , & ceux de tous les humains qui approchent le plus d^s brutes ; ils font grands, droits & menus , ils ont les membres ion os & déliés , la tête grofle , le front rond , les iourcils épais ; leurs paupières font tou- jours à demi- fermées , ils prennent cette habitude dès leur enfance , pour garan- tir leurs yeux des moucherons qui les Ù^j Voyez le voyage de Dampier, îomc VfP, / p>3« de l'Homme, 57 îtlcomniodent beaucoup , &. comme ils n'ouvrent jamais les yeux , ils ne fau- roient voir de ioin à moins qu'ils ne ièvent la tête , comme s'ils vouloient regarder quelque chofe au-defTus d'eux-. Ils ont le nez gros y les lèvres grolîès & la bouche grande ; ils s'arrachent appa- remment \q^ deux dents du devant de la mâchoire fupérieure, car eiles manquent à tous, tant aux hommes qu'aux femmes, aux jeunes & aux vieux, ils n'ont point de barbe : ieur vilage eft long , d'un afpedl très-déiagréable , fans un leui trait qui puiiïè plaire ; leurs cheveux ne font pas longs &: lifies comme ceux de prel^ que tous les Indiens , mais ils font courts, noirs & crépus, comme ceux des Nègres^ leur ])eau eft noire comme celle de* Nègres de Guinée. lis n'ont point d'ha- bits , mais feulement un morceau d'écorca d*arbre attaché au milieu du corps en^ forme de ceinture , avec une poignée d'herbes longues au milieu ; ils n'ont point de maifons , ils couchent à l'air fans aucune couverture , & n'ont ^our lit que la terre, ils demeurent en troupes de vingt ©u trente j hommes ;. femmes & enfai^s^ 58 'Hîflokê NdUireÏÏe tout cela pêie-mêle. Leur unique nour- riture eft un petit poifîon qu'ils prennent en faifant des réfervoirs de pierre dans de petits bras de mer, ils n'ont ni pain, ni grains, ni légumes, &c. (-^J, Les peupies d'un autre coté de la nouvelle Hollande , à vingt -deux ou vingt- trois degrés latitude fud , (emblent être de la même race que ceux dont nous venons de parler , ils font extrêmeinent laids , ils ont de même le regard de tra- vers , la peau noire , les cheveux crépus y ic corps grand & délié (a). II paroît par toutes ces defcriptions , que les îles & les côies de l'océan In- dien font peuplées d'hommes très-diffé- rens entre eux. Les habitans de Malaca, de Sumatra & des îles Nicobar femblent tirer leur origine des Indiens de la prel- qu'île de l'Inde; ceux de Java, des Chi- nois, à l'exception de ces hommes blancs & blonds qu'on appelle Chacrelas , qui doivent venir des Européens ; ceux des îles Moluques paroiïTent auffi venir, pour ia plupart, des Indiens^de la prefqu'îîe; /y Voy. îevoyagedeDampier, tome II, p, i yi% (a) Idcntf^ mnc iV, page ij^i de r Homme: 5P maïs îes habitans de l'île de Timor qui eft la plus voifine de la nouvelle Hol- lande , lont à peu près fembiables auK peuples de cette contrée. Ceux de l'île Formofe & des îles iVlarianes le refîein- bîent par la hauteur de la taille , la force & les traits ; ils paroiHènt former une race à part différente de toutes les autres qui les avoifinent. Les Papous & les autres habitans des terres voi fines de la nouvelle Guine'e , font de vrais noirs & reiïembîent à ceux d'Afrique , quoiqu'ils en foient prodigieulement éloignés , & que cette terre lôit féparée du continent 'de l'Afrique par un intervalle de plus de 2 200 lieues de mer.' Les habitans de îa nouvelle Hollande refTcrnblent auK Hott€ntots; mais avant que de tirer des eonféquences de tous ces rapports , & avant que de raifonner iur ces différences, il eft néceffaire de continuer notre exa- men en détail des peuples de l'A fie & de l'Afrique. Les Mogoîs Si ïes autres peuples de îa prefqu'île de i'Lide , reiïemblent aflez aux Européens par la taille & par les traits , mais ils en diâeient plus ou moin^ C YJ 6o HiJIoire Naturelle par la couleur. Les Mogoîs font oli- vâtres , quoiqu'en langue Indienne Jldo'gol veuille dire blanc; les femmes y font ex- trêmement propres , & elles fe baignent très-fbuvent ; elles font de couleur oli- vâtre comme les hommes , & elles ont ïes jambes & les cuilTes fort longues & îe corps affez court , ce qui efl: le con- traire des femmes Européennes (b). Ta- vernier dit que lorfqu'on a palîe Lahor & le royaume de Cachemire , toutes les ^mmes du Mogol naturellement n'ont point de poil en aucune partie du corps , & que les hommes n'ont que très -peu de barbe (c). Selon Thevenot les femmes Mogoles font aiïez fécondes , quoique très-chaftes , elles accouchent aufîi fort aifément, & on en voit quelquefois mar- cher par la mWÏ'^ dès le lendemain qu'elles- font accouchées ; il ajoute qu'au royaume de Dëcan on marie les enfans extrêm.e- ment jeunes ; dès qtîe le mari a dix ans & la femme huit, les piUens les laiflenî coucher enfemble , & il y en a qui ont (h) Voyez les voyages de la Boulaye-ie- G0UZ4 ^^CylVoy.ies voyages de Tavernier. /?(?«^ff, tyi^l PM JV, P^S^ 8_Qj. Je r Homme, 6t «les enfans à cet âge , mais les femmes qui ont des enfàns de li bonne heure , cefTent ordinairement d'en avoir après l'âge de trente ans , & elles deviennent extrê- mement ridces (d). Parmi ces femmes ii y en a qui fe font découper la chair en fleurs , comme quand on applique des ventoufes ; elles peignent ces :^eurs de diverles couleurs avec du jus de racines , de manière que leur peau paroîî comme Mne étoffe à fleurs (e)> Les Bengalois font plus jaunes qug les Mogols , ils ont auiîi des mœurs toutes différentes , les femmes font beau- coup moins chartes , on prétend même que de toutes les femmes de l'înde ce ibnt les plus lafcives. On fait à Bengale un grand commerce d'efclaves mâles & femelles ; on y f^^it aufli beaucoup d'eu- nuques, foit de ceux auxquels on n'ôte que les teflicuîes , foit de ceux à qui on fait l'amputation toute entière. Ces peu- ples font beaux & bien faits , ils aiment ie commerce & ont beaucoup de douceur dans les mœurs, (f). Les habitans de la côte {(1) Voy. les voyages de Thevenot, t, III , p. 2^6» (e) Voy. ies voyages dé Tavernier, tome III, p^ j-dé (fj Voyez les voyages de Pyrard ^ page //-^t Zi: ^Hîpoh-e Naturelle de Coromandel font plus noirs que îes Eengalois , iis Ibnt auifi moins civililés ; les gens du peuple vont prefque nus ; ceux de ia côte de Malabar font encore plus noirs , ils ont tous ies cheveux noirs, îiiTes & fort longs , ils font de la taille des Européens ; les femmes portent des anneaux d'or au nez ; ies hommes , les femmes & ies filles fe baignent eniembie & publiquement dans des badins au mi- lieu des villes , ies femmes font propres & bien faites, quoique noires, ou du moins très-brunes ; on les marie dès l'âge de huit ans fg). Les coutumes de ces diifé- rens peuples de i'Inde font toutes fort fin- gulières , & même bizarres. Les Banianes ne mangent de rien de ce qui a eu vie , ils craignent même de tuer le moindre in- fede , pas même les poux qui ies rongent, ils jettent du ris & des fèves dans ia rivière pour nourrir ies poifTons , & des graines fur la terre pour nourrir ies oifeaux & Ï€» infedes : quand ils rencontrent ou im chaffeur ou im pêcheur, ils le prient inflamment de fe défilter de fon entre- (s) Voy€z îe Recueil des Voyages» Atn^Ctdata s cle VHomme: 6^ prîfe ; ai fi Ton eft fourd à leurs prières , ils offrent de l\\rgent pour le fufii & pour les filets , & quand on refufe leurs offres, ifs troublent l'eau pour épouvanter les poiffons , & crient de toute Jeur force pour fiiire fuir le gibier & les oileaux ^hj. Les Naires de Calicut font des militaires qui font tous nobles, & qui n'ont d'au- tre profeffion que celle des armes ; ce font des hommes beaux ôc bien faits , quoiqu'ils aient le teint de couleur oli- vâtre, ils ont la taille élevée &. ils lont hardis, courageux, & très- adroits à ma- nier les armes ; ils s'agrandiffent les oreilles au point qu'elles defcendent jufque fur leurs épaules , & quelquefois plus bas. Ces Naires ne peuvent avoir qu'une femme , mais les femmes peuveru pren- dre autant de maris qu'il leur plaît. Le Père Tachard dans ù lettre au Père de ia Chaife , datée de Ponticheri , du i 6 fé- vrier I 70 I , dit que dans les Galles ou Tribus nobles , une femme peut avoir lé- gitimement plufieurs maris , qu'il s'en efl trouvé qui en avoient eu tout-à-la-foîs jufqu'à dix , qu'elles regardoient comme (hj Voyage de Jean Struys^ (mt U^ page ^^Jij '6^4 Hiflolre ISaîurêlk autant d'efdaves qu'elles s'e'toient fournis par ieur beauté (ij. Cette iiberté d'avoir plufieurs maris ell un priviiége de no- blefle que les femmes de condition font valoir autant qu'elles peuvent , mais les bourgeoifes ne peuvent avoir qu'un mari ; il cft vrai qu'elles adoucifTent la dureté de leur condition par ie commerce qu'elles ont avec les étrangers , auxquels elles s'abandonnent fans aucune crainte de leurs maris & fans qu'ils oient leur rien dire. Les mères proftituent leurs jfiîîes le plus jeunes qu'elles peuvent. Ces bourofeois de Calicut ou Moucois iem^ blent être d'une autre race que les nobles ou Naires ; car ils font hommes & femmes, plus laids, plus jaunes , plus mal faits & de plus petite taille ( k)* Il y a parmi les Isfaires de certains hommes & de cer- taines femmes c{ui ont les jambes aufîi grofîès que le corps d'un autre homme ; cette difformité n'ell point une maladie , elle leur vient de naiifance ; il y en a fî) Voyez les Lettres édifiantes, Recueil 11, page \i88. (k) Voyez les voyages de Frasiçois Pyrard , pa^f (}e l'Homme, 65^ qui n'ont qu'une jambe Ôl d'autres qui ies ont toutes les deux de cette grofTeur . monflrueufe ; la peau de ces jambes efl dure & rude comme une verrue , avec cela ils ne laifTent pas d'être fort difpos. Cette race d'hommes à groiîes jambes s'eft plus multipiie'e parmi les Naires que dans aucun autre peuple des Indes , on en trouve cependant quelques - uns aii- ïeurs, & fur-tout à Ceyian ( l) t où l'on dit que ces hommes à grofîes jambes font de la race de Saint-Thomas. Les habitans de Ceyian refîemblenf affez à ceux de la côte de Malabar , ils ont les oreilles auffi larges , aufll bafîès & aufïi pendantes , ils font leufement moins noirs (m) , quoiqu'ils foient cepen- dant fort bafuie's , ils ont l'air doux & font naturellement fort agiles , adroits 5c Spirituels ; ils ont tous les cheveux très- noirs , les hommes les portent fort courts, ies gens du peuple font prefque nus , les (I) Voyez idem, pûge ^i 6 if fuh. Voyez aufTi îe Jlecueil à^ts voyages qui ont fervi à l'établifTemerit de la Compagnie des Indes de Hollande , tomt i V, page ^62: & le Voyage de Jean Hugiiens. (vi) Voyez Phil. Pigafetia Indifs. crUmaUi ])arîtnè jprlmarn, ])J^f page 39. ^ 66 Uî/îoire Naiurelk femmes ont le fèin découvert, cet ulagâ! eft même afîèz générai dms l'Inde (n)^ Il y a des efpèces de iauvages dans i'ïlé de Ceyîan , qu'on appelle Se dû s, ils de^ meurent dans la partie feptentrionale dû î'de , & n'occupent qu'un petit canton; èes Bedas femblent être une elpèce d'hommes toute différente de celle de ces climats , ils habitent un petit pays tout couvert de bois fi épais qu'ii eft fort difîicîle d'y pénétrer , & ils s'y tien- nent fi bien cachés qu'on a de la pe'ne à en découvrir quelques-uns ; ils font blancs comme les Européens , ii y en al même quelques-uns qui font roux ; ils ne parlent pas la langue de Ceyian , 2 leur langage n'a aucun rapport avec toutes les langues des Indiens, ils n'ont ni villages ni mailbns , ni communication avec per- fonne ; leurs armes font i'arc & les flè- ches , avec lefquelles ils tuent beaucoup de fangliers ^ de cerfs , &c. ils ne font jamais cuire leur viande y mais ils la confifènt dans du miel qu'ils ont eit abondance. On ne fait point l'origine (ji) Voyez Je Recueil des voyages, &c, tome VJJ^ fagc I g. - 'âe ÎHonmel ^^7, ■Je ctiic nation qui n'eft pas fort nom- hreufe, & dont les familles demeurent féparées les unes des autres (o). Il me paroît que ces Bedas de Cey ian, auiïi-bien que les Chacrelas de Java , pourroient bien être de race Européenne , d'autant .plus que ces hommes blancs & blonds font en très - petit nombre. Il eft très- poffible que quelques hommes & quel- ques femmes Européennes aient été aban- données autrefois dans ces îles , ou qu'ils y aient abordé dans un naufrage , & que dans la crainte d'être mal traités des na- turels du pays, ils foient demeurés eux & leurs defcendans dans les bois & dans les lieux les plus efcarpés des montagnes où ils continuent à mener la vie de Sauvages , qui peut - être a fes douceurs iorfqu'on y eft accoutumé. On croit que les Maldivois viennent des habitans de Tile de Ceylan ; cepen- dant ils ne leur reflemblent pas , car les habitans de Ceylan font noirs & mai formés , au lieu que les Maldivois font tien formés & proportionnés , & qu'il (o) Voyez l'hiaoîre de Ceylan, par Ribeyroi éS Htjloire Naîiireîk y a peu de difFérence d'eux aux Eilfo-^ péens , à l'exception qu'ils font d'une couleur olivâtre ; au refle , c'eft un peuple mêlé de toutes les nations. Ceux qui habitent du côté du nord font plus ci- vilifés que ceux qui habitent ces îles au fud , ces derniers ne font pas même fi bien fiiiis & font plus noirs; les femmes y font alTez belles, quoique de couleur olivâtre , il y en a aufîi quelques-unes quï font auffi blanches qu'en Europe , toutes ont les cheveux noirs, ce qu'ils regar- dent comme une beauté; l'art peut bicil^ y contribuer , car ils tâchent de les fiiire devenir de cette couleur , en tenant la tête rafe à leurs filles jufqu'à l'âge de huit ou neuf ans. Ils rafent auffi leurs garçons, ôc cela tous les huit jours , ce qui avec ie temps leur rend à tous les cheveux noirs , car il efl: probable que fins cet ufage ils ne les auroient pas tous de cette couleur , puifqu'on voit de petits enfans qui les ont à demi - blonds. Une autre beaiué pour les femmes . eft de les avoir fort îongs & fort épais ; ils fe frottent îa tête & le corps d'huile parfumée ; au refte , leurs cheveux ne font jamais frifés ; 'Ae ï Homme": 6cj[ Knaîs toujours îifles ; les hommes y font velus par ie corps , plus qu'on ne i'efl en Europe. Les Maldivois aiment l'exer- cice & font indufirieux dans les arts ; ifs font fuperllitieux & fort adonnés aux femmes , elles cachent foigneulêmcnt leur fein , quoiqu'elles foient extraordinaire- ment débauchées & qu'elles s'abandon- nent fort aifémenty elles font fort oifives & fe font bercer continuellement, elles inancrent à tous momens du bétel qui efl une herbe fort chaude , ôl beaucoup jd'épices à leurs repas , pour les hommes ils font beaucoup moins vigoureux qu'il ne conviendroit à leurs femmes. Voye? les Voyages de Pyrard, p. 120 ù* ^ 2^» Les habitans de Cambaye ont le teint gris ou couleur de cendre, les uns plus , ies autres moins, & ceux qui font voifins delà mer font plus noirs que ies autres (p); ceux de Guzarate font jaunâtres (q )• Les Canarins qui font les Indiens de Goa & des îles voifines , font olivâtres (r), (p) Voy. Pîgafetm Lkliœ Orient alis yartem jmnmm^ page 34. {q) V. ies voyages de la Bouiiaye-le-Gouz, ^^$22/^ (r) Voyez idem , ihid, ja Hifolre Naturelle Les voyageurs Hollandois rapportent que les habiians de Guzarate foiit jau- nâtres , les uns plus que les au res;* qu'ils foiit de m^me taille que les Européens ; que les femmes qui ne s'expofent que très-rarement aux ardeurs du Ibleii , lont un peu plus blanches que les hommes, & qu'il y en a quelques - unes qui font à peu près auiîi blanches que les Por- tu gai les (f), Mandeiilo en particulier dit que les habitans de Guzarate font tous bafanés ou de couleur olivâtre plus ou moins foncée , félon je climat où ils demeurent ; que ceux du côté du midi le font le plus , que les hommes y font forts & bien proportionnés , qu'ils ont le vilage iarge & les yeux noirs ; que les femmes font de pedte taille , mais propres 6c bien f sites , qu'elles portent les cheveux longs ; qu'elles ont aulii des bagues aux narines (îk de grands pendans d'oreilles , pcig^ 1 g ^. Il y a parmi eux fort peu 4e bofiui ou de boiteux ; quelques-uns ( Ç] Voyez le Recueil des voyages qui ont fervî à l'établiiïement de la Compagnie des lnd.€S de Hollande, /É-wê K^ V^^^ f ^/.» de l'Homme* jï biit le tcînt plus clair que les autres ^ niais ils ont tous les cheveux noirs & YiHes. Les anciens habitans de Guzarate font aifé^ à reconnoître, on lesdifHngue des autres par leur couleur qui efl ];eaucoup plus noire , ils lont aufll plu$ fluj)ides ,<& {)Ius grofficrs. Idem, tome II ^ page 2 2 2. La ville de Goa efl -, conime l'on î'Xii , le principal éiablilTement des Por- tugais dans les Indes , & quoicju'eîie foit beaucoup déchue de Ton ancienne fplen- deur, elle ne laiiïe pas déire encore unç yille riche & commerçante , c'efl: le pays du monde où il le vendoit autrefois [e plus d'eiclaves, on y trouvoit à acheter 4es fiiies & des femmes fort belles de tous les pays des Indes ; ces eiclaves fa vent pour la plupart jouer des inflrumens , coudre & broder en perfe<^ion ; il y en a de bLincbes , d'olivâtres, de ba- flmées , &: de toutes couleurs ; celles dont les Indiens font le plus amoureux, font les filles CafFres de Mofambique , qui font toutes noires. « C'eft , dit Py- rard , une choie remarquable entre ce to.iis ces peuples ludicns ; tant mâle$ «^ -ji. Hîjîoke Naturelle 3» que femelles , & que fai reniarque'e , - » que leur fueur ne put point , où les » Nègres d'Afrique, tant en deçà que 33 delà ie cap de Bonne - efpérance , iy Tentent de telle forte quand ils font » échauffés , qu'il eft impofîible d'ap- » procher d'eux , tant ils puent & (entent mauvais comme des poireaux verds 35. li ajoute que les femmes Indiennes aiment beaucoup les hommes blancs d'Europe , &: qu'elles les préfèrent aux blancs des Indes , & à tous les autres Indiens (t). Les Perfàns font voifîns des Mogols ^ ils leur reffemblent affez , ceux fur- tout qui habitent les parties méridionales de ia Perfè , ne diffèrent prefque pas des Indiens ; les habitans d'Ormus, ceux de la province de Bafcie & de Balafcie font très-bruns & très-bafanés , ceux de ia province de Chefimur & des autres parties de ia Perfe , où ia chaleur n'eft pas aufn grande qu'à Ormus , font moins bruns , & enfin ceux d^s provinces (t) Voyez la IL* partie du voyage de Pyrard , tome 11 , i^agc é^ if piiv* feptcntrJonalçs Je r Homme» 75, Septentrionales font nffez biancs (u), Lesf femmes des lies du golfe Perfique font, au rapport des voyageurs Hoilandois , brunes ou jaunes & fort peu agréables, elles ont le vifage large 6c de vilains yeux ; eifes ont aufli des modes & des coutumes fem niables à celles des femmes Indiennes, comme celle de le pafîer dans îe carii- iage du nez des anneaux & une épingle d'or au travers de. îa peau du nez près ÔQS yeux (x); mais il elt vrai que cet ufage de fe percer le nez pour porter des battues & d'autres joyaux , s'efl étendu beaucoup plus loin , car il y a beaucoup de femmes chez les Arabes qui ont une narine percée pour y palTer un grand anneau , & c'eft une galanterie chez ces peuplés de baifèr la bouche de leurs femmes à travers ces anneaux , qui font quelquefois affez grands pour enfermer (tt) Voyez la defcription des provinces Orientales; par Marc Paul. Paris ^ ij;6, pages 22. à' ^r^m Voyez aufTi le voyage de Pyrard , tome U , pag& { X ) Voyez le Recueil àes, voyages de ïa Covn- pagnie de Hollande, Amjlerddm , jyo2, tome V^ 2)0 ge j p I » Tome V.» D y^ Hlflone NatmÏÏê foute îa bouche dans leur ronJeur fyjr Xénophon j en parlant des Per(ans, dit qu'ils étoient la plupart gros & gras ; Marceilin dit au contraire que de Ion temps ils étoient maigres & fecs. OIeariu5 qui fait cette remarque , ajoute qu'ils iont aujourd'hui , comme du temps de ce dernier auteur , maigres & (qcs , mais qu'ils ne laifient pas d'être forts & ro- Luftes ; félon lui ils ont le teint olivâtre ^ les cheveux noirs & le nez aquilin {^Jr Le fang de Perfe , dit Chardin , eft naturellement grofîier , cela fe voit aux Guèbres qui Ibnt le rede des anciens Perians , ils font laids, mal faits, pefans, ayant la peau rude & le teint coloré ; cela fe voit auiïi dans les provinces les plus proches de l'Inde où les habitans ne font guère moins mal faits que \çs Guèbres , parce qu'ils ne s'allient qu'entre eux ; mais dans le relie du royaume le fàng Perfan eft préfentement devenu fort beau , par le mélange du fang Géorgien (y) Voyez fe voyage fait par orcîre cîu Rci dans la Palefiine, par M. D. L. R, Paris, i y 1 7 , l^ig^ i é o> (l) Voyez le vpyage d'Qlfarius. Paris ^ ^6^6^ XQïim l, page j oit P^-§^ -^S' Voyez auffi îa fuite de*! .^Vyages d'Oléarius , tome II, pcge i o 8t_ àe r Homme, 8 i une aiguîlie faite exprès, la marque en eft: ineffaçable (^li) , Cette coutume fingu- lière fe trouve chez les Nègres qui ont eu commerce avec les Mahomètans. Chez les Arabes qui demeurent dans les déferts fur les frontières de Tremeceu & de Tunis, les filles pour paroître plus belles le font des chiures de couleur bieue fur tout le corps avec la pointe d'une ïancette & du vitriol, & !es Africaines en font autant à leur exemple , mais non pas celles qui demeurent dans les villes , car elles coniervent la même blancheur de vifige avec laquelle elles font venues au monde; quelques-unes feulement (e peignent une petite fîeur ou quelque autre chofe aux joues , au front ou au menton avec de la fumée de noix de galle & du fifran, ce qui rend ia marque fort noire ; elles 'î^i noircifîent aufTi les fourcils. FÎ?Vi'{ l' Afrique de yVIannol , tome I , page S S . La Boullaye dit que les femmes des Arabes du dèfert ont les mains, les lèvres & le menton peints de bleu y que ia plupart ont des anneaux d'or ou (h) Voyez les voyages de Pi:tro délia Valîe. Rouen f. jy^j, îoms, Il , i>ngs 2.6 ^^ 8 2 Jitfloh'ê fiatïïïeVie d'argent au nez , de trois pouces de diamètre , qu'elles font affez laides , parce qu'elles font perpétuellement au foleil, 3Tiais qu'elles naifîènt blanches ; que les- jeunes filles font très- agréables , qu'elles chantent fins cefîe , & que leur chant ai'eft pas triiîe comme celui des Turques ou des Perfannes , mais qu'il ell bien plus étrange , parce qu'elles pouffent ïeur haleine de toute leur force , & qu'elles articulent extrêmement vite. "Voye-^ les voyages de la Boullaye-le-Gou:^, fûge^iS, •c Les princeiïes & les dames A rabes , ?> dit un autre voyageur , qu'on m'a » montrées par le coin d'une tente , m'ont 55 paru fort belles & bien faites , on peut '>■> juger par celles-ci & par ce qu'on m'en » a dit , que les autres ne le font guère 5* moins , elles font blanches , parce 5> qu'elles font toujours à couvert du » foleil. Les femmes du com.mun font 3) extrêmement halées; outre la couleur 35 brune & bafanée qu'elles ont natu- 3) rellement , je les ai trouvées fort laides 3s dans toute leur figure , & je n'ai rien vu P en elle§ que les agrémens ordinaires ^êe V Homme, 83 qui accompagnent une grande jeu- » luiTe. Ces femmes fe piquent les lèvres ce î\vec des aiguilles , & mettent par-defTus crainte innocente qui refTemble fort à 33 la pudeur & à la timidité d'une jeune 30 fiile. Les dames & les nouvelles mariées ■>:> noirciiîent ieurs fourcils & les font :>p joindre fur le milieu du front , elles 53 le piquent aufîi ies bras & les mains , » formant plu fleurs fortes de figures » d'animaux , de fîeurs , &c. elles fe •» peignent les ongles d'une couleur ;» rougeâtre y & les hommes peignent y> aufli de la même couleur les crins & >3 la queue de ieurs chevaux ; elles ont » les oreilles percées en plufieurs endroits y> avec autant de petites boucles & d'an- •» neaux ; elles portent des bracelets aux bras & aux jambes». Voye-^ le voyage fait par ordre da Roi dans la Palejline par M. D, L. R. page 2 60, Au refie tous les Arabes font jaloux de leurs femmes , & quoiqu'ils les achettent ou qu'ils les enlèvent , ils les traitent avec douceur , ôl même avec quelque lelped. Les Égyptiens qui font fi voifins des Arabes , qui ont la même religion , &; qui font comme eux foumis à la domi- nation des Turcs , ont cependant de§. de T Homme', S f Coutumes fort différentes de celles des Arabes ; par exemple ^ dans toutes les- villes <5i viiiages le long du Nil on trouve" des filles dellinées aux plaifirs des voya- geurs , fans qu'ils foient obligés de les payer ; c'eft i'ufage d'avoir des maifons d'hofpitalité toujours remplies des ces filles , & les gens riches fe font en mou- rant un devoir de piété de fonder ces juaifons & de les peupler de filles qu'ils font acheter dans cette vue charitable ; îorfqu'elles accouchent d'un garçon y elles font obligées de l'élever jufqu'à l'âge de trois ou quatre ans , après quoi elles îe portent au patron Je la maifon ou à fes héritiers qui font obligés de recevoir l'enfant , & qui s'en fervent dans la fuite comme d'un efclave; mais les petites filles refient toujours avec leur mère , & fer- vent enfuite à les remplacer (i)»^ Les Egyptiennes font fort brunes ^ elles ont îesyeux vifs (k); leur taille eft au-deffous de la médiocre , la manière dont elles font (i) Voyez les voyages de Paul \jxzzz, Paris, i yo^, (h) Voyez les voyages dç Gemelli Oreri^ î^mtî^ page 1^9^ Ë6 Hijlolre l^aîwelle vêtues n'efl point du tout agréable , 5c ieur converfation eft fort ennuyeufe (l); au refte elles font beaucoup d'enfans , & quelques voyageurs prétendent que la fécondité occafionnée par l'inondation du Nil ne fe borne pas à fa terre feiiîe , mais qu'elie s'étend aux hommes &. aux Minimaux ; ils difent qu'on voit par une expérience qui ne s'eil jamais démentie , que les eaux nouvelles rendent ies femmes fécondes , foit qu'elles en boivent , ioit qu'elles fe contentent de s'y baigner ; que c*eft dans les premiers mois qui fui- vent l'inondation , c'eft-à-dire , aux mois de juillet & d'août , qu'elles conçoivent ordinairement , & que les enfms vien- nent au monde dans ies mois d'avri-1 & de mai ; qu'à l'égard àes animaux , ies vaches portent prefque toujours deux veaux à ia fois , ies brebis deux agneaux , &c. (m). On ne fait pas trop comment concilier ce que nous venons de dire de ces bénignes influences du Nil , avec (I) Voyez les voyages du Père Vanfleb, Paris , (m) Voyez les voyages du fîeur Lucas, Kouen^ "cle r Homme* îy. les maladies fâcheufes qu'il produit ; car M. G ranger dit que l'air de i'Égyplc eft mallain , que les maladies des yeux y font très-fréquentes , & ii difficiles à guérir que prefque tous ceux qui en font attaqués perdent la vue , qu'il y a plus d'aveugles en Egypte qu'en aucun autre pays, & que dans le temps de la crue du Nil la plupart des habitans font attaqués de dilTenteries opiniâtres, caufées par les eaux de ce fleuve , qui dans ce temps- là font fort chargées de fels (n) . Quoique les femmes foient communé- ment aflez pentes en Egypte , les hommes font ordinairement de haute taille (o )^ ï^es uns & les autres font généralement parlant , de couleur olivâtre , & plus on s'éloigne du Caire en remontant , plus ies habitans font bafanés , jufque-là que ceux qui font aux confins de la Nubie , font prefque aulîi noirs que les Nubiens mêmes. Les défuns les plus naturels aux Egyptiens , font l'oifiveté <&. la poltron* (ti) Voyez le voyage de M, Granger. Paris, //«f/* j)(jge 2 I . (o) Voyez les.Yoyageî de Pietro délia Vaile^ tomt 1^ ?8 Hifloire NatureVie îicrie, ils ne font prefque autre cîiofè tout le jour que boire du café , fumer, dormir ou demeurer oififs en une place , ou caufer dans les rues ; ils- (ont fort ^gnorans , & cependant pleins d'une vanité ridicule. Les Coptes eux-mêmes ne font pas exempts de ces vices , & quoiqu'ils ne puiilent pas nier qu'ils n'aient perdu leur nobleffe , les Iciences , l'exercice des armes , leur propre hiftoire & leur langue même , &. que d'une nation iliuilre & vaillante ils ne loient devenus un peuple vil 3 d'un air majeilueux, de viiage & de 35 tailie admirables, elles ont outre cela 35 un regard engageant qui carefTe tous 35 ceux qui les regardeni : les moins belles » & celles qui font âgées le fardent 33 groflièrement , & Te peignent tout le 35 vilnge, iourcils, joues, front, nez, 33 menton ; les autres Te contentent de >3 (e peindre les iourcils , elles le parent 33 le plus qu'elles peuvent. Leur habit 33 e(ï femblable à celui des Perfannes, 33 elles portent un voile qui ne couvre 33 que le deflus & le derrière de la tête, .33 elles ont de refprit, elles font civiles 33 & affedueules , mais en même temps 33 très- perfides , & il n'y a point de mé- 33 chanceté qu'elles ne mettent en uiacre 33 pour fe f lire des amans , p>our les con- 33 lèrver ou pour les perdre. Les hommes 33 ont aufîi bien* de mauvailes qualités , 33 ils font tous élevés au larcin, ils i'é- 33 tudient , ils en font leur emploi, leur. 23 plaifir ôcieur honneur , ils content avec de t Homme, 9^ une fatisfadion extrême les vols qu'ils ce ont faits, ils en lont loués, ils en c< tirent leur plus grande gloire; l'aflaf- ce finat , le vol, le menlonge , ceft ce ce qu'ils appellent de belles acflions; le ce concubinage, la bigamie, l'in ceft e , ce font des habitudes vertueulès en Min- ce grelie, l'on s'y enlève les femmes les 5j uns aux autres , on y prend lans fcru- ce pule fa tante, fi nièce, la tante de ce la femme, on épouie deux ou trois ce femmes à la fois , & chacun entretient ce autant de concubines qu'il veut. Les ce maris font très- peu jaloux , & quand ce un homme prend (a femme fur le fiit ce avec fon galant , il a droit de le con- ce traindre à payer un cochon , ^ d'ordi- ce naire il ne prend pas d'autre ven- ce geance , le cochon fe, mange entre eux ce trois. Ils prétendent que c'efl: une très- ce bonne &: irès-louable coutume d'avoir ce pîufieurs femmes & plufieurs conçu- c< bines, parce qu'on engendre beaucoup ce d'enfans qu'on M^Vià argent comptant, ce ou qu'on échange pour des bardes ou ce pour des vivres.. « Voye-^ les voyages d^ Chardin, page jj Ù' fuiy» ïoo Hifloire Naturelle Au refte >, ces efclavcs ne font pas îoxl çhers , car les hommes âgés depuis vingt- cinq ans juiqu'à quarante ne coûtent que quinze écus , ceux qui font plus âgés huit ou dix ; ies belles filles d'entre treize & dix-huit ans , vingt écus ; ies autres moins, les femmes douze écus, k. les enfans trois ou quatre. Idem , page i o j , Les Turcs qui achettent un très-grand nombre de ces elclaves , font un peuple compofé de plufieurs autres peuples , ies Arméniens, ies Géorgiens, fes Turco- mans fe font mêlés avec ies Arabes , les Egyptiens , & m.eme avec les Européens dans le temps des croiiàdes ; il n'eft donc fyuèrepoffibîe de reconnoïîreles habitans naturels de l'Afie mineure, de la Syrie ^ du rede de la Turquie : tout ce qu'on peut dire , c'efl qu'en général ies Turcs font des hojumes robuites & afTez bien fî^îs ; il eft même afîez rare de trouver parmi eux des boiïiis & des boiteux (f). Les femmes lont auiH ordinairement belles , bien fiites & fans défauts ; elles font fort blanches parce qu'elles fortent (fj Voyez le Voyage de Thcvenot. Paris, i 6 6^i 'de V Homme. '\oX^ peu , & que quand elles forteiîl elles font toujours voilées (g), ce II n'y a femme de laboureur ou de payfan en Allé, dit Belon , qui n'ait ce le teint frais comme une rofe, la peau ce délicate &. blanche , fi polie & fi bien ce tendue qu'il fembie toucher du velours ; ce eiles (e fervent de terre de Chic qu'elles ce déirempent pour en fiire une efpèce ce d'onguent dont elles fe frottent tout le ce corps en entrant au bain , aulîi-bien ce que le vifage & les cheveux. Elles fe ce peignent auffi les fourcils en noir, ce d'autres fe les font abattre avec du rufma c P^o^ ^99' ^^ ajouie que les Turcs, hommes & femmes, ne portent de poil en aucune partie du corps , ex^ cepté les chevaux & la barbe ; qu'ils (e fervent du rufma powr Tôter , qu'ils mêlent (g) Voyage de Thevenot , tome I, ■p'^Jge i o s* E ii) rîo2 Hïflohe Naturelle moitié autant de chaux vive qu'il y n de rufma , <3c qu'ils détrempent le touî dans de l'eau ; qu'en entrant clans le bain on applique cette pommade, qu'on la laifle fur la peau à peu près autant de temps qu'il en faut pour cuire un œuf; dès que l'on commence à iuer dans ce bain chaud le poil tombe de lui-même en le lavant leulement d'eau chaude avec la main , &. la peau demeure lifTe & polie , fans aucun veflige de poil. Idem, page 10 S, II dit encore qu'il y a en Egypte un petit arbrifleau nommé Alcanna , dont les feuilles defféchées & miles en poudre iêrvent à teindre en jaune ; les femmes de toute la Turquie s'en fervent pouï ie teindre les mains , les pieds & les cheveux en couîeur jaune ou rouge , ils teignent aufH de In même couUur les chêveuK des petits enfans, tant mâles que femelles, & les crins de leurs ehe» vaux j etc. Idim , page 1 1 ^. Les femmes Turques fe mettent de la tutiê brûlëe éc préparée dans les yeuse pour les rendre plus noirs , elles fe fer- vent pour cela d'un* petit poinçon dMr ou d'argent qu'ciks mouiiient de leur de l'Homme, 103 faîive pour prendre cette poudre noire, & la faire pafler doucement entre leurs paupières & leurs prunelles (h) ; elles fe baignent aufîi très-fouvent , elles fe par- fument tous les jours , & il n'y a rien qu'elles ne mettent en ufige pour con- fcrver ou pour augmenter leur beauté*; on prétend cependant que les Perlannes {q. lecherchent encore plus far la pro- preté que les Turques ; les hommes font aufîi de diftérens goûts fur la beauté, ]es Perians veulent des brunes & les Turcs des roufîes (i). On a prétendu que les Juifs , qui tous fortcnt orJgîiinireîrient cie la Syrie & de Id. Paltiliiie, ont encore ntijour- d'hui le teint brun coninîe ils.Favoient autrefois ; mais , comme le fejnarqiie fort bien MifTon , c'cd une erreur de dire que tous le^ Juifi font bafmés ; cela n'eft vr*ii que des Juin Portugais, Ces gens- \\ (e. mariant toujours les uns avec les autres, les enfan^ refTemblent à leurs père & mère, & leur teint brun fe perpétue ^/^y Voyez la nouvdie rdition du Levant, par M. p. A, Paris, i 66y,page ///« (ij Voyez U Voyage de U Douliayc , jhjge r j 04 E iii; I o4 Hifloire Naturelle aiifTi. avec peu de diminution ptir-toiit où ils habitent , même dans les pays du Nord , inaisies Juifs Allemands, comme, par e-xempie, ceux ^e Prague n'ont pas !e teint plus bï iané que tous les autres Allemands (^kj. Aujourd'hui les habiîans de la Judée refîèmbiem aux autres Turcs , feulement ils font plus bruns que ceux de Condaii- îinople ou des cbiQ^ de la mer noire , comme les Arabes font aulTi plus bruns que les Syriens, parce qu'ils font plus méridionaux. II en eft de même chez les Grecs, ceux de la partie feptentrionaie de la Grèce font fort blancs, ceux des îles ou des provinces méridionales font bruns: généralement parlant, les femmes Grec- ques iont encore plus belles &: plus vives que les Turques, & elles ont de plus l'a- vantage d'une beaucoup plus grande li- berté. Gemelii Careri dit que les femmes de i'ÎIe de Chio iont blanches, belles, vives & fort fimilières avec les hommes ; que les filles voient les étrangers fort (h) Voy. les voyages de Miflbn, J yij, tome It^ de r Homme* ïoj ÎÎDrement, & que toutes ont la gorge emièrenient découverte ^l). II dit aulli que ies femmes Grecques ont les plus beaux cheveux du monde, lur-tout dans ic voifinage de Conftaminopie , mais il reinarque que ces femmes dont les che- veux delccndent julqu'aux talons, n'ont pas les traits aulii réguliers que les autres Grecques fm). Les Grecs reorardent comme une très- grande beauté dans ies femmes , d'avoir de grands & de gros yeux & les fourciis fort élevés , & ils veulent que les hommes les aient encore plus gros &. plus grands (n). On peut remarquer dans tous les buftes antiques , les médailles , (Sec. des anciens Grecs , que ies yeux font d'une grandeur excefijve en' comparaifon de celle des yeux dans les bufles & ies médailles Romaines. Les liabiians des îles de l'Archipel font prefque tous grands nageurs gf 2 O0r £ V ê \i o 6 Hïpoire NûHirelk s'exercent à tirer les e'ponges du fond de la mer , & même les hardes & ics mar- chandifes des vaifTeaux qui fe perdent , & que dans l'île de Samos on ne marie pas les garçons qu'ils ne puifTent plonger îbus l'eau à huit Brafîes au moins (o) ; Daper dit vingt braffes (p) , & il ajoute que dans quelques îles , comme dans celle de Nicarie , ils ont une coutume afTez bizarre qui eft de fè parler de loin, fur-tout à la campagne , & que ces Infulaires ont la voix (i forte qu'ils le parlent ordinairement d'un quart de lieue, & fouvent d'une lieue, en forte que la converfation efl coupée par de grands intervalles , la réponfe n'arrivant que plufieurs fécondes après la queftion. Les Grecs, les Napolitains, les Sici- îiens, les habitans de Corfe, de Sar- daigne , & les Efpagnoîs étant fitués à peu près fous le même parallèle , font affez femblablcs pour le teint , tous ces peuples font plus balanés que les François, (o) Voyez le voyage de Thevenot, tome 1 y page (p) Voyez la defcription àz% îles de l'Arcfcipel^par Paper. Amjîerdam , J /Oj , page 1 6^ . {]e l'Homme: ro/^ les Anglois, les Allemands, fes Polonois, les Moidaves, les Clrcafîiens, ôl tous les autres habitans du Nord de l'Europe jufqu'en Lapponie, où, comme nous l'avons dit au commencement, on trouve une autre efpèce d'hommes. Loriqu'oii fîiit le voyage d'Eipagne,on commence à s'apercevoir dès Bayonne de la diffé- rence de couleur ; les femmes ont le teint un peu plus brun , elles ont aufîî ies yeux plus brillans (qj. Les Efpagnols font maigres & afîez petits , ils ont la taille fine , la tête belle , les traits réguliers , les yeux beaux , les dents afTez bien rangées, mais ils ont le teint jaune & bafané ; les petits enfans naiffent fort blancs , & font fort beaux , mais en grandifTant leur teint change d'une manière furprènante, l'air les jau- nit , le foleil les brûle, & il eft aile dô reconnoître un Efpagnol de toutes les autres nations Européennes (r). On a remarqué que dans quelques provinces d'Efpagne, comme aux environs de la (q) Voyez la relation du voyage d'Efpagne, Paris, 'f^pty page ^, (r) Idem , page i Sj, E v) 10 8 H:jIoîre Naturelle rivière de BidafToa , les habitans ont îes oreilles d'une grandeur demcfurée (f). Les hommes à cheveux noirs &. bruns commencent à être rares en Angleterre , en Flandre, en Hoilande & dans les pro- vinces feptentrionales de l'Allemagne; on n'en trouve prefque point en Dane- marck , en Suède, en Pologne. Selon iVL Linnseus les Goihs font de haute taille, ils ont les cheveux liffes, blonds ar- gentés , & l'iris de l'œil bleuâtre : Gothi corpore proceriore , capillis albïd'is redis t oculorum iridibus cinereo - cœrulefcentîbus. Les Finnois ont le corps muiculeux ôc charnu , les cheveux blonds - jaunes & longs , l'iris de l'œil jaune-foncé : Fen- nones corpore îorofo , capdlïs jîavis prolix'is ^ oculorum irïdïbus fufcïs (t). Les femmes font fort, fécondes en Suède , Rudbeck dit qu'elles y font or- dinairement huit,, dix ou douze enfanS;^ ^ qu'il n'elt pas rare qu'elles en faflent ^ix-huit, vingt, vingt - quatre , vingt- (j) Voyez la relation du voyage d'Efpagne. Payis'i \J é ^ t , -page ^ 2 6» (ï) Vide Linnai Famam Succkam* Stockoim, 1 74(5^ ■**^ (Je r Homme, lop îiult &: jufqu'à trente; il dit de plus qu'il s'y trouve fouvent des hommes qui paflent cent ans, que quelques uns vi\ent juiqu'à cent quarante ans, &l qu'il y en a même eu deux dont l'un a vécu cent cinquante-fix, &.rautre centroixanie- un ans (u). Mais il eft vrai que cet auteui? efl: un cnthoufiafle au fujet de (à patrie ,. & que ielon lui, la Suède ell à tous ég^ards le premier pa} s du monde. Cette fécon- dité dans les femmes ne luppofe pas qu'elles aient plus de penchant à l'amour; les hommes même font beaucoup plus chafles dans les pays froids que dans ies climats méridionaux. On elf moins amoureux en Suède qu'en Efpagne ou en Portugal , & cependant les femmes y font beaucoup plus d'enfans. Tout le monde fait que les nations du nord ont inondé toute l'Europe , au point que les Hiftoriens ont appelé le Nord, Ojffic'ma gcnt'ium. L'auteur des voyages hiftoriques de rEurope dit aufli , comme Rudbcckj que les hommes vivent ordinairement en Suède plus long-temps que dans U (uj Vide Oku I^uSeMi Atiamica, Upfal y iCd^ . 1 1 0 Hîpolre Naturelle plupart des autres royaumes de l'Europe, & qu'il en a vu plufieurs qu'on lui aflu- roit avoir plus de cent cinquante ans (x), II attribue cette iongue durée de vie des Suédois à ia Hilubrité de l'air de ce climat, jl dit à peu près la même chofe du Dane- marck : félon lui les Danois font grands & robuftes , d'un teint vif& coloré, & ils vivent fort long-temps à caufe de la pureté de l'air qu'ils refpirent; les femmes font auffi fort blanches , aflez bien faites, & très -fécondes (y). Avant ie Czar Pierre I/^ les Mofco- vîtes étoient , dit- on , encore prefque barbares; le peuple né dans l'efclavage étoit grofîier , brutal , cruel , fans cou- rage & fins mœurs, lis fe baignoient très- fouvent hommes & femmes pêle-mêle dans des étuves échauffées à un degré de chaleur infoutenablepour tout autre que pour eux, ils alloient enfuite, comme îcs Lappons (e jeter dans i'eau froide ail fortîr de ces bains chauds. Ils fe nour- riffoient fort mal, leurs mets favoris (x) Voyez les voyages hifloriques de l'Europe, faris, i(^pS' ^^^'^ VIII, page ^2p, (y) likm, pages 279 & 280. {}e r Homme* fît lA'toîent que des concombres ou des melons d'Aflracan qu'ils mettoient pen- dant l'été confire avec de i'eau, de la fiirine & du Tel (-^J , Ils fe privoient de quelques viandes, comme de pigeons ou de veau , par des fcrupules ridicules: ce- pendant (\ès ce temps-là même les femmes (iivoient fe mettre du rouge , s'arracher les fourcils , fe les peindre ou s'en former d'artificiels : elles fa voient auffi porter des ])ierreries, parer leurs coiffures de perles , fe vêtir d'étofïes riches & pré- cieufes ; ceci ne prouve-t-il pas que la barbarie commençoit à finir , & que leur Souverain n'a pas eu autant de peine à lespolicer que quelques auteurs ont voulu l'infinuer î Ce peuple eft aujourd'hui civilifé , commerçant , curieux des arts & des fciences , aimant les fpaélacîes & les nouveautés ingénieules. II ne fufïit pas d'un grand homme pour faire ces chan- gemens, il faut encore que ce grand homme naifîè à propos. Quelques Auteurs ont dit que l'air de Mofcovieeft fi bon qu'il n'y a jamais eu (l) Voyez la relation curieufe de Mofcovie, PariSf ■■fèpS, page j Sip Îî'i2" Hifloïre Naturelle de pefle, cependant les annales Jii pays rapportent qu'en 1421, & pendant les fix années luivantes, la Mofcovie fut tellement affligée de maladies contngieu- j ïci , que la conflitution des habitans & de leurs deicendans en fut altérée , peu d'hommes depuis ce temps arriv^ant à î'âge de cent ans , au iîeu qu'auparavant il y en avoit beaucoup qui alioient au- de-îà de ce terme fa)» Les Ingriens & les Caréliens qui ha- bitent les provinces feptentrionales de la Mofcovie , & qui font les naturels du pays des environs de Péterfbourg , font des hommes vipfoureux & d'une conili- tuiion robufte , ils ont pour ia plupart ies cheveux blancs ou blonds (bj: ils refTemblent allez aux Finnois &. îls parlent la même laii^ue qui n'a auciui rapport avec toutes ies autres langues du Nord. En réfîéchifîant lur ia defcription hif- lorique que nous venons de faire de tous (a) Voyez le voy3L*e d'un Ambaiïîideur de TEm- pereur LéopoU au Czar Michaëlowlts. Lcydt, i (j S f^ , ■jpage 220, (h) Voyez les nouveaux Mémoires fur 1 état de \d^ grande RuflTie. Paris, J ;;^2j, touK il, page C^, de r Homme, ^ ^^3 )\\es peuples de l'Europe &. de l'A fie , il ei paroît que la couleur dépend beaucoup lit' du climat , ians cependant qu'on puillè > dire qu'elle en dépend entièrement: it & y a en efîet jilufieurs eau (es qui doivent ;ii linfiuer fur la couleur & même lur la forme \ du corps &i des traits des différens peuples j ; l'une des principales eft la nourriture , & . nous examinerons dans la fuite les chan- gemens qu'elle peut occafionner. Une N autre, cpii ne laifle pas de produire I fon effet , font les mœurs ou la manière 1 de vivre ; un peuple policé qui vit dans i une certaine aifance , qui ell accoutumé . à une vie réglée, douce e<: tranquille, ; qui par les foins d'un bon gouverne- i ment eR à l'abri d'une certaine misère , [ & ne peut manquer des choies de pre- r mière néceffité, fera par cette feule raifon compofé d'hommes plus forts , plus , Jjeaux &. mieux fiits, qu'une nation fait- ; vage & indépendante, où chacjue individu, ne tirant aucun iecours de ia fociété , eft oblioré de pourvoir à la fubfiHance, de fouffrir alternativement la fiim ou les excès d'une nourriture fouvent mau- vaife , de s'épuifer de travaux ou de 114- Hîfloire Naturelle ïafTitude , d'éprouver les rigueurs du climat (ans pouvoir s'en garantir , d'agir en un mot plus fou vent comme animal que comme homme. En fuppofant ces deux différens peuples fous un même climat , on peut croire que les hommes de la nation iauvage leroient plus bafanés, plus laids ^ pkis petits, plus ridés que ceux de la nation policée. S'ils avoient quelque avantage fur ceux-ci , ce (eroiî par la force ou plutôt par la dureté de leur corps ; il pourroit fe f-.ire aufii qu'il y eût dans cette niation Iauvage beaucoup moins de bofius, de boiteux, de fourds, de louches 5 6cc. Ces hommes défedlueux vivent & même fe multiplient dans une nation poticée où l'on fe fup- porte les uns les autres , où ie fort ne peut rien contre le foiblêj où les qualités du corps font beaucoup moins q\îe celles de l'efprit ; mais dnns un peuple iauvage, comme chaque individu ne fubfiiîe, ne vit, ne fe défend que par fes qualités corporelles , fon ndreOë 6c fa force , ceux qui font malheureufement nés foibles , défeélueux ou qui deviennent incom- «nodés , cefient bientôt de faire parti^ de la nation* de l'Homme. 115 J'aJmettrois donc trois caufès qui toutes trois concourent à produire . ics variétés que nous remarquons dans les difiérens peuples de ia terre. La première eft l'influence du climat, la féconde qui tient beaucoup à ia première, cft la nour- riture, & la troifième qui tient peut-être encore plus à la première & à la leconde, font les mœurs ; mais avant que d'expoler [es raifons fur lefquelies nous croyons devoir fonder cette opinion, il e(t nécel- iaire de donner la defcription des peuples de l'Afrique & de l'Amérique, comme nous avons donné celle des autres peuples de la terre. Nous avons iàé)2L parlé des nations de toute la partie feptentnonale de l'Afii- que ^ depuis la mer méditerranée jufqu'au tropique-; tous ceux qui font au-delà du tropique depuis la mer rouge juiqu'à i'océaiî j fur une. largeur d'environ cent ou cent cinquante lieues , font encore des efpèces de Maures , mais fi baianés ([u'iîs paroifTent preimie tout noirs, les hoiumes fur-tout (ont eNîrêmement bruns, les feintnes font un peu plus blanches, iiien faites i3c afîez, belles ; ii y a parmi ti6 Hïflohe Naturelle ces Maures une grande quantité de Mu- iâu'es qui font encore plus noirs qu'eux parce qu'ils ont pour mère des Nè- grefles que les Maures achettent , &: deC quelles ils ne iailîent pas d'avoir beaucoup d'enfans (c). Au-delà de cette ctendui de terrein , fous le 17."^^ ou i S."'*" degr^ de latitude nord &.au même parallèle on trouve les Nègres du Sénégal age ioj% 'êe V Homme» 125 ^ ieurs Circadjens , ceux de Cuinte ioiit extrêmenient iaicis & ont une odeur iiifiipportabie , ceux de Sofàla &: de Molàmbique font beaux & n'ont au- cune mauvaiie odeur. II eit donc nécef- faire de diviler les noirs en différentes races , & il me fenible qu'on peut les réduire à deux principales , celle àts Nèorres «Se celle des Cadres ; dans la première , je comprends les noirs de Nubie, du Sénégal, du Cap-verd , de Gambie , de Serra-liona , de la côte à^s Dents, delà côte d'Or, de celle de Juda, de Bénin, de Gabon, de Lowango, de Congo , d'Angola & de Benguela , jufeiu'au Cap -nègre; dans la féconde je mets les peuples qui4bnt au-delà du Caj)-nègre jufqu'à la pointe de l'Afrique, où ils prennent le nom de Hottentots, ôc auiîi tous les peuples de la côte orientale de l'Afrique, comme ceux de la terre de Natal, de Sofala, de Monomotapa , de Mofambique , de Méiinde ; les noirs de Madagafcar & des îles voifines feront aufli des Caffres & non pas des Nègres. Ces deux efpèces d'hommes noirs le (effemblent plus par la couleur c|ue Fi/ ,124 Hîjïoire Naturelle par les traits du vifage; ieurs cheveii5f, leur peau , l'odeur de leur corps , leurs mœurs &: leur naturel font aufli très- différons. Eniuiie en examinant en particulier les différens peuples qui compofent chacune de ces races noires , nous y verrons autant de variétés que dans les : races blanches , & nous y trouverons toutes les nuances du brun au noir , comme nous avons trouvé dans les races blanches toutes les nuances du brun au blanc. Commençons donc par les pays qui font au nord du Sénégal , & en fuivant toutes les côtes de l'Afrique, confidé- rons tous les différens peuples que les voyageurs ont reconnus , & defquels ils ont donné quelque defcription ; d'abord il eH: certain que les naturels des îles Canaries ne font pas des Nègres, puif- que les voyageurs afîurent que les an- ciens habitans de ces îles ctoient bien faits , d'une belle taille , d'une forte compiexion ; que les femmes étoient belies & avoient les cheveux fort beaux & fort finS; & que ceux qui liabitoienç de r Homme. il 5^ \:l partie méridionale de chacune de ces îles , étoient plus olivâtres que ceux qui deiueuroient dans la partie feptentrio- nale (l), Duret, page y 2. de la relation de Ton voyage à Lima , nous apprend que les anciens habitans de l'île de TénérifFe étoient une nation robufte & de haute taille, mais maigre & balanée^ r{ue la plupart avoient le nez plat (in)^ Ces peuples , comme l'on voit , n'ont rien de commun avec les Nègres, fi ce n'eft le nez plat ; ceux qui habitent dans le continent de l'Afrique à la même hauteur de ces îles font des Maures alTez bafanés , mais qui appartiennent , aufîi- bien que ces inlulaires , à la race des hhncs. Les habitans du Cap - bîanc font encore des Maures qui fuivent la loi Mahoméiane, ils ne demeurent pas long- temps dans un même lieu , ils font crrans comme les Arabes , de place ea ( l) Voyez l'Iiifloire cîe la première découverte its Canaries, par Bontier & Jean le Verrière. Paris ^ j ^ ^ o , page 2 f I , (m) Voyez Thifloire générale àt% voyages, pa£( M. l'ahbé, Prévôt. Paris, t j^^t tome JI , }>. 2 j 0% F ii; I ■ I 2 6 Hiflo'ire Naturelle place , félon les pâturages qu'ils y troiî- vent pour ieur bétail dont ie lait ieur fcrt de nourriture; ils ont des chevaux , des chameaux , des boeufs , des chèvres , des moutons ; ils commercent avec les Nègres qui leur donnent huit ou dix efclaves pour V'.w cheval , & deux ou trois pour un chameau (n) , c'eft de ces Maures que nous tirons la gomme ara- bique , ils en font diffoud; e dans le lait dont ils le nourriflent , ils ne mangent que très-rarement de la viande, & ils ne^ tuent guère leurs befliaux que quand ils les voient près de mourir de vieilielîe ou de maladie (o). Ces Maures s'étendent jufqu'à îa ri- vière du Sénégal , qui les fépare d'avec les Nègres ; les Maures , comme nous venons de le dire , ne font que ba fa- nés , ils habitent au nord du fîeuve , îei Nègres iont au midi & font abfolumeni noirs ; les Maures font errans dans \z campagne , les Nègres font fédentairef & habitent dans des villages; les premier* /;/ ) Voyez ie voyage du fieur le Maire fotis M P'incourt. Parts , i âç j , pages ^^ ^ -f/. (o) Idem , page 66 ^ ^^e r Homme, iiy font libres & indëpendans , les féconds ont des Rois qui les tyrannifent &: dont iis font efclaves ; les Maures foiit afTez petits , maigres &: de niauvaife mine avec de i'efprit & de ia finefie ; les Nègres au contraire font grands , gros , b:cn f^its , mais niais & Tans génie ; enfiii le pays habité par les Maures n'ell: que du fable il ftériie qu'on n'y trouve de ia verdure qu'en très - peu d'endroits , au lieu que le pays des Nègres eft gras, fécond en pâturages , en millet & en arbres toujours verts , qui à la vérité lie portent prefciue aucun fruit bon à înanger. On trouve en quelques endroits , au nord & au midi du fleuve , une efpèce d'hommes qu'on appelle Foules , qui iem- blent faire la nuance entre les Maures & les Nègres, & qui pourroient bien n'être que des Mulâtres produits par le mélange des deux Nations; ces Foules ne font pas tout - à - fait noirs comme les Nèorres , mais ils font bien plus bruns que les IVlaures & tiennent le milieu entre ies d^wx , ils font auffi plus civilifés que les Nègres, ils fuiveni la loi de Mahomet F iii; ;ï -2 8 Hïjlolre Naturelle comine les Maures , & reçoivent ^(ùi bien ies e'trangers (p). Les îles du Cap-verd (ont de même toutes peuplées de Mulâtres venus des premiers Portugais qui s'y e'tablirent, & des Nègres qu'ils y trouvèrent, on les appelle IS'egres couleur de cuivre , parce qu'en effet , quoiqu'ils reffemblent afiez aux Nègres par les traits , ils font ce- pendant moins noirs , ou plutôt ils font jaunâtres; au refte ils font bien fliits & fpirituels , mais fort pareifeux ; ils ne vivent , pour ainfi dire , que de cha[fe & de pêche ; ils dreffent leurs chiens à chalTer & à prendre les chèvres fauvages» ils font part de leurs femmes & de leurs filles aux étrangers , pour peu qu'ils veuillent les payer ; ils donnent aufïï pour des épingles ou d'autres chofes de pareille valeur , de fort beaux perroquets très-ficiles à apprîvoifer , de belles co- quilles appelées Porcelaines ôi. même de i'ambrc gris , &.c, f^J, (p) Voyez le voyage du fieur îe Maire fous M«. Dancourt. Paris , '^pj t page yj. Voyez aulïî l'Afrique de Marmol , fome I, page ^ c^, (^g£ S ^7 i de l'Homme. I ip' Les premiers Nègres qu'on trouve, font donc ceux qui habitent le borJ mé^ ridional du Se'négal; ces peuples, auffi- bien que ceux qui occupent toutes les terres coinpriics entre cette rivière 6c celle de Gambie, s'appellent Jalofes, ils iont tous fort noirs , bien proportion- nés , & d'une taille afîez avantageufc , les traits de leur vifage font moins durs que ceux des autres Nègres ; il y en a, fur-tout des femmes , qui ont des traits , fort réguliers ; ils ont aufîi les mêmes idées que nous de la beauté , car ils veu- lent de beaux yeux , une petite bouche, des lèvres proportionnées , & un nez i^ien fait, il n'y a que fur le fond du tableau qu'ils penfent différemment , il f lut que la couleur foit très - noire & tïès-luilànîe, ils ont aufîi la peau très- nne & très -douce , & il y a parmi eux d'aufTi belles femmes, à la couleur près, que dans aucun autre pays du monde , elles font ordinairement très- bien fiites , Très- gaies , très -vives & très - portées à i'amour , elles ont du goût pour tous^ ceux de Jean Struys, wvii /, i>a^t ii; à. cey^ tl'innigo de J^lirviliaS; f^^c //» fi 3 o Hïflôtre Naîureïïe îes hommes , & particulièrement poui les blancs qu'elles cherchent avec em- preflement , tant pour fe iaiisfaire , qut pour en obtenir quelque préfent ; leur* maris ne s'oppofent point à leur pen- chant pour les étrangers , & ils n'en font jaloux que quand elles ont commerce avec des hommes de leur nation ; ils 1^ battent même fouvent à ce fujet à coup^ de labre ou de couteau , au lieu qu'ils offrent fouvent aux étrangers leurs fem- mes , leurs filles ou leurs fœurs , & tien- nent à honneur de n'être pas refufés. Au refte ces femmes ont toujours la pipe a la bouche , & leur peau ne laiffe pas d'avoir aufli une odeur défigréable lorf- «|u'elles font échauffées , quoique l'odeur de ces Nègres du S^énégal foit beau- coup moins forte que celle des autres l^ègres; elles aiment beaucoup à fauter <& à danfer au bruit d'une calebaffe , d'un tambour ou d'un chaudron , tous les mouvemens de leurs danfes font sutant de pollures lafcives & de gefles indécens , elles fe baignent fouvent & elles fe liment X^'^y dents pour les rendre ]pîus égales \ la plupart des filles avaut de r Homme'* 'i 3 \\ que de ie marier fe font découper & broder la peau de difîe'rentes tïgures d'a- nimaux , de fleurs , <î^c. Les Négrefies portent prefque tou- jours ieurs petits enfans fur le dos peu- : dant qu'elles travaillent; quelques voya- Tc| geurs prétendent que c'efl par cette raifon que les Nègres ont communément k ventre gros & le nez aplati , la mère en fe haullant & baillant par fecoufîes , fait donner du nez contre Ion dos à l'en- fant , qui pour éviter le coup fe retire en arrière autant qu'il le peut , en avan- çant ie ventre (r) . lis ont tous les che- veux noirs & crépus comme de ki laine ffifée ; c'efl aufîi par les cheveux & par b couleur qu'ils diffèrent principalement des autres hommes , car leurs traits ne font peut-être pas fi différens de ceux des Européens que le vifage tartare l'effc du vifige franc ois. Le Père du Tertre (y) Voyez le Voyage du fieur le Maire fous M. Dancourr. Pnrn , ' à (^ j , page i ^^ jvfqu'à 7//^ Voyez au(Ti ia tioifième partie de l'hilioire dea cbofes mémorabies advenues aux Indes , &c. pas k Père du Jaric. Bordeaux , i 6 1 ^ , -page ^ 6 ^; & Thif^oire S.cs An-iHes par le Père du Tertre. Paris ;, fï 3 i H'ijîoire Naturelk dit expreffëment que ii prefque tous les Nègres font camus , c'eit parce que les pères & mères écrafent le nez à leurs cnfans, qu'ils leur prelTcnt aufîi les lèvres pour les rendre plus grofîès , & que ceux auxquels on ne fait ni l'une ni l'autre de ces opérations , ont les traits du. Tiiàge aufîi beaux , le nez aufîî élevé 3. & les lèvres auiîi minces que les Euro- péens ; cependant ceci ne doit s'en* tendre que des Nègres du Sénégal, qui^ font de tous les Nègres les plus beaux.. & les mieux faits, & il paroît que dans, prefque tous les autres peuples Nègres^ îcs grofTes lèvres & le nez large & épaté^ font des traits donnés par la Nature , qui- ont fèrvi de modèle à l'art qui eft chez eux en ufage d'aplatir le nez & de grofîlr ies lèvres à ceux qui font nés avec cette perfediion de moins. Les Négrefîès font fort fécondes & accouchent avec beaucoup de facilité & fans aucun fecours , les fuites de leurs couches ne font point fâcheufes , & il ne leur faut qu'un jour ou deux de repos pour fe rétablir, elles font très -bonnes îiourrices, & elles ont une très -grande Il- " de V Homme, \ 3 J tendrefle pour leurs enfans , elles font aufîi beaucoup plus fpiritueiies & plus adroites que les hommes , elles cher- chent même à fe domier des vertus ,. comme celles de Li difcrétioii & de la tempérance. Le Père du Jaric dit que pour s'accoutumer à manger à. parler peu, les Nègreiïes Jalofes prennent de i'eau le matin & la tiennent dans leur; bouche pendant tout le temps qu'elles s'occupent à leurs affaires domefliques, & qu'elles ne la rejettent que quand l'heure du premier repas eH: arrivée (f). i Les Nèp^res de i'îie de G orée 5c de la-. I côte du Cap-verd , font, comme ceux- \ du bord du Sénégal , bien taits & très- : noirs , ils font un li grand cas de leur j couleur , qui eft en effet d'un noir d'é- I bène profond & éclatant , qu'ils mépri- j fent les autres Nègres qui ne font pas fï noirs , comme les blancs méprifent les bafanés ; quoiqu'ils foicnt forts & ro- buftes , ils font très-pare(feux , ils n'ont j point de blé , point de yvs\ , point de j fruits , ils ne vivent que de poiiïbn empêchent pa.^ d'être contens & très - gais , ils croient que ïeur pays efl le meilleur & le plus beau climat de la terre, qu'ils font eux-mêmes ks plus beaux hoinmes de l'Univers ,, parce qu'ils font les plus noirs , & ù (.t) Voyez \t voyage de M. d Cenncs, par M, Fr oger. Paris , r 6 ^ 8 y page i j & fiAvantes. /«,' Voyez ks Le^ res édif;aritei". Reaicil Xî , }^''^(^ 4S ir /^. '^de l'Homme. 'l^f leurs femmes ne marquoient pas du goût pour lei blancs , ils en feroient fort peu de cas à caufe de leur couleur. i Quoique les Nègres de Serra-Lîona \ ne foient pas tout - à - fait aufîi noirs qu$ ; ceux du Sénégal , ils ne font ceperk- I dant pas, comme le dit Struys , îoine î , page 2 2 , d'une couleur roufsâtre & bafanée, ils font y comme ceux de Gui- née , d'un noir un peu moins foncé que les premiers ; ce qui a pu tromper ce voyageur, c'eft que ces Nègres de Serra-Liona & de Guinée fe peignent fouvent tout le corps de rouge & d'autres couleurs , ils fc peignent aulTi le tour des yeux de blanc , de jaune , de roi^ge , & fe font des marques & des raies de diffé- rentes couleurs fur le vifage , ils fe font auiTi les uns & les autres déchiqueter la peau pour y imprimer des figures de bêtes ou de plantes ; les femmes font encore plus débauchées que celles du Sénég l , il y en a un très- grand nombre qui font publiques & cela ne les des- honore en aucune façon; ces Nègres^ hommes & femmes , vont toujours la tête découverte ^ ils fe rafent ou fe eoupeat '7 '^6 Hijloire NûîureUe les cheveux , qui font fort courts , de piufieurs manières difFérentes , ils portent des pendans d'oreiiies qui pèient jufqu'à I trois ou quatre onces ; ces pendans d'o- ïeilles font des dents , à^i coquiiies , des cornes , des morceaux de bois , &c. it y en a aulîi qui fe font percer la ièvre- llipérieure ou les narines pour y fuf- pendre de pareils ornemens ; leur vête* ment confii'le en une efpèce de tablier.; fait d'écorce d'arbre & quelques peaux de iînge qu'ils portent par-deiïbs ce tabiier^ iîs attachent à ces peaux des fonnaiiies iemblables à celles que portent nos inulets ; ils couchent fur des nattes de. jonc , & ils mangent d,u poi/Ton ou de- là viande lorfqu'iis peuvent en avoir y mais ieur principale nourriture font des ignanes ou des bananes (x ), Ils n'ont aucun goût que celui des femmes ôc aucun deiir que celui de ne rien faire,, leurs maifons ne font que de miférables chaumières, ils demeurent très-fouvent dans des lieux (auvages , & dans des terres- (x) Vide IndiéZ Orient aUs yartem fecmdam , in qua: Jcannis Hugonis LinJIcotani navî^atlQ > iT^f. Franco^- fU£!J|. 1 5 2;^ ; pages \i & ^i^ de l'Homme. "137' fleriîes , tandis qu'il ne tiendroît qu'à eux d'habiter de belles vallées , des collines agréables &: couvertes d'arbres , &: des campagnes vertes , fertiles & entre- cou- pées de rivières & de ruifîeaux agréables, jnais tout cela ne leur fait aucun plaifir , ils ont la même indifférence prefque fur tout ; ies ciiemins qui conduilent d'un lieu à un autre font ordinairement deux fois plus longs qu'il ne faut , iis ne cher- chent point à ies rendre plus courts , & quoiqu'on leur en indique les moyens, ils ne penfent jamais à pafier par le plus court, ils fuivent machinalement le che- min battu (y), & le ibucient fi peu de I perdre ou d'employer leur temps qu'ils jie le mefurent jamais. Quoique les Nègres de Guinée foient ■d'une fanté ferme &. très - bonne , rare- ment arrivent-ils cependant à une cer- taine vieiileiïe , un Nègre de cinquante ans eil: dans fon pays un homme fort vieux , ils paroifTent l'être dès l'âge de quarante : Tu (âge prématuré des femmes eft peut-être la caule de la brièveté de (y ) Voyez le voyage de Guinée par Guiilaum;^ BoCmaa, Vtruht, jyoj,i^a^t ^^i» ■ î 3 8 Hïj%ire Natureik leur vie ; les enfîms font fi débauchés &, il peu coniraiiiîs par les pères & mères, que dès leur plus tendre jeuneire ils fe livrent à tout ce que la Nature leur fuggère (yj ; rien n'eil fi rare que de trouver dans ce peuple quelque fille qui puifTe ie fouvenir du temps auquel clk a ceiTé d'être vierge. Les habitans de Tiie Saint- Thomas, de nie d'Anabon, &c. font des Nègres iembiables à ceux du continent voiiin . ils y ibnt feulement en bien plus petii nombre , parce que les Europe'ens lei ont chafies & qu'ils n'ont gardé qu< ceux qu'ils ont réduits en efciavage. IIi. vont nus hommes & femmes , à l'ex- ception d'un petit tablier de coton ( a) Mandeiflo dit que les Européens qui d font habitués ou qui s'habituent aéluelle ment dans cette île de Saint -Thomas qui n'eft qu'à un degré & demi d( i'équateur , confervent leur couleur & demeurent blancs jufqu'à la troifièm< génération , & il femble infinuer qu'aprè, fi) Voyez le voyage de Guinée par Guillaumn jSorman» Ùirechr , i y o j , jntgc i t 8, (a) Voyez les voyages, de F/rard;/w^f i6i de V Homme, ^i 3p cela ils deviennent noirs , mais il ne me paroît pas que ce changement puilîe fe f;u!e en aufïî peu de temps. Les Nègres de la côte de Juda & (TArada font moins noirs que ceux du ^vuegal & de Guinée, & même que c> eft au bord de la mer, & ayant fait » tendre une tente fur le bord du lac >j pour y manger leur pêche, comme ils 55 étoient à fe divertir à la fin du re})as , il 35 vint fept à huit Nègres en Palanquins, 5> quie'toient les principaux de Lowango, 35 qui leur préfentèrent la main pour 3> les faluer lelon la coutume du pays ; » ces Nègres a voient frotté leurs mains » avec une herbe qui e(l un poifoa 35 très-fubtil , & qui agit dans i'inflant 33 lorfcjue maiheureufement on touche :>5 quelque chofe ou que l'on prend du » tabac fans s'être auparavant lavé les 33 mains , ces Nècrres réuflirent fi bien » dans leur mauvais deffein qu'il mourut 35 fur le champ cinq Capitaines & troi$^ 55 Chirurgiens , du nombre defqueis étoit' mon Capitaine, <&c >5. Lorique ces Nègres de Congo {Qn^^ ! tent de la douleur à la tête ou dans ! queîqu 'autre partie du corps , ils fonfi une légère bleflure à l'endroit doulou- reux , 6l ils appliquent fur cette blefTure une elpèce de petite corne percée , atiji )3e r Homme. i^y aïoyen de laquelle ils fucent comme avec un chalumeau ie fang ju(qu'à ce que la Jouleur foit appaifée (c) . ij Les Nègres du Sénégal, de Gambie, 'ju Cap-verd, d'Angola & de Congo font d'un plus beau noir que ceux de !a côte de Juda , dlfîigni , d'Arada & des lieux circonvoifins , ils font tous bien noirs quand ils fe portent bien , mais leur teint change dès qu'ils font malades , ils deviennent alors couleur de biftre , ou même couleur de cuivre (d) , On préfère dans nos îles les Nègres d'Angola à ceux du Cap-verd pour la force du corps , mais ils fentent fi mauvais ilprfqu'ils font échauffés , que l'air des 'endroits par où ils ont pafîé en elf in- fedé pendant plus d'un quart d'heure ; , ceux du Cap-verd n'ont pas une odeur ! fi mauvaife à beaucoup près que ceux d'Angola , & ils ont aufîi la peau plus . belle &L plus noire , le corps mieux i fait , les traits du vifage moins durs , le fc) Vide Indiœ Orientalîs jiartem primatn, per FM-* Jipyum Pigajetiam , page 5 1 . '■ (d) Voyez les nouveaux voyages aux îles de l'A- il périquç. /J^im , 1^22, tome IV, fa^t j^S* li rï44 'Hiflolre Naturelk naturel plus doux & la taille plus âvAiî- îageufe (e). Ceux de Guinée font auffi très-bons pour le travail de la terre &: pour les autres gros ouvrages ; ceux du Sénégal ne font pas fi forts, mais ils font plus propres pour le fer vice do- îîieftique, & plus capables d'apprendre des métiers, (f). Le Père Charlevoix dit que les Sénégalois font de tous les Nègres les mieux fliits , les plus aifés à difcipliner & les plus propres au fervice domeftique ; que les Bambras font les plus grands 5 mais qu'ils font fripons; que les Aradas font ceux qui entendent îe mieux la culture des terres ; que les Congos font les plus petits , qu'ils font fort habiles pêcheurs , mais qu'ils défer- lent aifément ; que les Nagos font les plus humains , les Mondongos les plus cruels ; les Mimes les plus réfolus , \çi plus capricieux &l les plus fujets à fe dé- iêfpérer ; & que les Nègres créoles, dc^ quelque naiion qu'ils tirent leur origine , (e) Voyez l'hiftoire des Antilles du P. du Tertre, ^Paris, I 66y, page ^ç y . (f) Voy. {fs nouveaux voyages aux îles, tome IV, \ ^age 1 1 6% cîe l'Homme. 145' lie tiennent de leurs pères & mères que l'efprit de fervitude & la couleur, qu'ils font plus fpiriiuels, plus raifonnables, plus adroits, mais plus fainéans & plus libertins que ceux qui font venus d'A- frique. Il ajoute que tous les Nègres de Guinée ont l'elprit extrêmement borné, qu'il y en a même plufieurs qui paroif- "ent être tout-à-fliit llupides , qu'on en /oit 'qui ne peuvent jamais compter au- Jelà de trois, que d'eux-mêmes ils ne )en(ènt à rien , qu'ils n'ont point de némoire , que le pafTé leur ell aullî nconnu que l'avenir; que ceux qui ont ie l'efpnt font d'afiez bonnes plailan- eries & faififTent afîez bien le ridicule ; |u'au refte ils font très - dillimuk's Si. \\x'\\s mourroient plutôt cjue de dire leur ecret , qu'ils ont communément ie na- urel fort doux , qu'ils font humains , iociles , fimples, crédules, & même uperltiiieux; qu'ils iont aflez fidèles, lifTez braves, & que ii on vouloit les iifcipliner & les conduire, on en ferait i'aflèz bons foldats (gj. (g) Voyez l'hiftoire de Saint-Domingue, par le ?ci e Charievoi x. ' Pans , /// quoiqu*iI y ait grande pparence (|u*iis n'ont jamais entendu varier de h loi de Mahomet , puifqu'ils l'ont ni temples, ni mofquées, ni eligîon ^^e). Les François ont été les Il premiers qui aient abordé à. fait un éta- lifîetnent dans cette île , qui ne fut pas (i) Voyeis fe Voysgç de François Cauche^/W^i / 162 Hïflolre Naîurelk foutenu ff); lorfqu'ils y defcendireiit , îh y trouvèrent les hommes blancs dont nous venons de parier , & ils y remar- quèrent que les noirs qu'on doit regarde) comme les naturels du pays, avoient du refped; pour ces blancs (g). Cette île dt Madagaicar eft extrêmement peuplée êi fort abondante en pâturages & en bétail les hommes & les femmes font fort dé- bauchés , & celles qui s'abandonnent j)U bîiquement ne font pas deshonorées ; il aiment tous beaucoup à danfer , à chante,' & à fe divertir , à. quoiqu'ils Ibient for parefleux , Us ne laifîènt pas d'à vol quelque connoiflance des arts mécani ques , ils ont des laboureurs , des forge rons, des charpentiers, des potiers, t même des orfèvres , ils n'ont cependan aucune commodit'é dans leurs maifons aucuns meubles, ils couchent fur de nattes, ils mangent la chair prefque cru & dévorent même le cuir de leurs bœui après en avoir fait un peu griller ie poil ; (f) Voyez le Voyage c^e Flacour, Parist t 66, (g) Voyez la relation d'un voyage fait aux Imi par Mt Ddon. Amjieïdum, i é<}^% de l'Homme, 16'^^ s mangent aufîî la cire avec le miel ; es gens du peuple vont prefque tout nus, les plus riches ont des caieçons ou des upons de coton & de foie (h). Les peuples qui habitent l'intérieur Je l'Afrique ne nous font pas aiïez :bnnus pouf pouvoir les décrire ; ceux jué les Arabes appellent Zingues, font les noirs prefque (auvages ; Mnrmol dit |u'i{s multiplient prodigieufement & ju'ils inonderoient tous les pays voifms , i de temps en temps il n'y avoit pas une jrande mortalité parmi eux, eau fée par les vents chauds. II pnroîi par tout ce que nous venons le rapporter, que les Nègres propre-» lient dits, font différens des CafTres, |ui font des noirs d'une autre efpèce ; nais ce que ces defcriptions indiquent encore plus clairement , c'eft que la cou- eur dépend principalement du climat, ^ que les traits dépendent beaucoup des ïfliges où font les différens peuples de 'écrafer le nez , de fe retirer les paupières, (h) Voyez le Voyage de V\^cour,page po; celui re Struvs, tome I, page j2i cdui de Pyrard | âge S S* [1^4 Hipolre Naturelle de s'alonger les oreilles, de le gromr îes lèvres, de s'aplatir le vifage, &c. rien ne prouve mieux combien le climat influe fur la couleur , que de trouver ibus ie même parallèle, à plus de mille iieues de diftanee , des peuples auflj femblables que le font les Sénégalois & les Nubiens , & de voir que ie< Hoîientots qui n'ont pu .tirer leur ori- gine que de nations noires , iont ce- pendant les plus blancs de tous ces peupiej de l'Afrique, parce qu'en efièi ils Ibn | dans le climat le plus froid de ceît< partie du monde ; 6c Ç\ l*on s'étonn< de ce que fur les bords d.» Sénégal or trouve d*un côté une na kai bifinér ^ de l*îuure côté une ntion emière- ment noire*, on peut fe fouvciiir de e< que nous avons déjà infinué au fjje des efi^èîs de la nourriture , ils doiven influer fur la couleur comme fur le autres habitudes du corps , & fi on ei Teut un exemple , on peut en donne un tiré dQi animaux , que to^it le mond eft en ctat de vérifier ; les lièvres di laine (?c des er.droiis aquatiques on a chciir bien plus blanche que ceux d de T Homme» i 6^5^ iion'agnes & des terreins (eci , & dans e même lieu ceux qui habitent la prairie ont tous dJlTérens de ceux qui demeu- ent iur les collines; la couleur de la haïr vient de celle du (an g & des autres umeurs du corps Iur la qualité àç.\' uelles ia nourriture doit néceflciireinent Influer. L'origine des noirs a dans tous les temps lait une grande queflion , les Anciens qui ne connoiiToient guère que ceux de Nubie, les regnrdoknt comme faifant la dernière luiauce des peuples bafanës , & ils les confondoien^ avec les Éthiopiens & les autres nations de cette partie de TAfrique qui , quoique extrê- mement bruns , tiennent plus de la race blanche que de la race noire ; ils pen- foient donc que la différente couleur des hommes ne provenoit que de la difté- rence du climat, & que ce qui produi- foit la noirceur de ces peuples , étoit la -Irop grande ardeur du loleil à laquelle ils font perpétuellement cxpofés : cette opinion , qui efl: fort vrailemblable , a fouffert de grandes, difficultés lorfqu'on ,/econnut qu'au-delà de la Nubie dans i66 Hïjloire Naturelle iin cîlmat encore plus méridional , 5c fous l^équateur même , comme à jVJé* ïinde <5c à Mombaze , la plupart des hommes ne lont pas noirs comme les Nubiens , mais ieukment fort bafànés, & loriqu'on eut oblervé qu'en trans- portant des noirs de leur ciimat brûlant t dans des pays tempére's , ils n'ont rien perdu de leur couleur &. l'ont e'galement communiquée à leurs deicendans : mais fi l'on fait attention d'un côté à la mi- gration des difîérens peuples ; & de l'autre-, au temps qu'il fiut peut-être pour noircir ou pour blanchir une race , on verra que tout peut le concilier avec le fentiment des Anciens, car les habitans | naturels de cette partie de l'Afrique font les Nubiens, qui font noirs (k originai- rement noirs , & qui demeureront j^er- pétuelîement noirs tant qu'ils habiteront îe même climat, & qu'ils ne fe mêleront pas avec les blancs ; les Ethiopiens au . contraire, les Abyffins & même ceux de Mélinde, qui tirent leur origine des blancs, puifqu'il^ ont la même religion & les mêmes ufacrcs que les Arabes, &i qu'ils leur rellemblent par la couleur,! de ï Homme] i 67 ont à îa vérité encore plus bafancs que es Arabes méridionaux ; mais cela même )rouve que dans une même race d'hom- aes , le plus ou moins de noir dépend e la plus ou moins grande ardeur du :limat : il fiiut peut-être pluficurs fîècles fc une iucceUion d'un grand nombre le (vénérations pour qu'une race blanche )renne par nuances fa couleur brune k devienne enfin tout - à - £iit noire ; nais il y a aj:)parence qu'avec le temps ua )euple blanc tranlporté du nord à i'é- juateur pourroit devenir brun & même out-à-£iit noir, fur-tout fi ce même )euple changeoit de mœurs & ne fe êrvoit pour nourriture que des pro- ludtions du pays chaud dans lequel il uroit été tranf porté. L'objedion qu'on pourroit fiiire contre :ette opinion & qu'on voudroit tirer de a différence des traits , ne me paroît )as bien forte , car on peut répondre |u'il y a moins de différence entre les raits d'un Nègre qu'on n'aura pas dé- ïguré dans fonenflmce, & les traits d'un î^uropéen , qu'entre ceux d'un T'artare ou l'un Chinois, & ceu?c d'un Circaflleii h 6^ Hïfloire Naturelle ou d'un Grec ; & à l'égard des cheveux ieur nature dépend fi fort de celle d la peau , qu'on ne doit les regarder qu< comme faifant une différence très-acci dentelle , puifqu'on trouve dans le mêmi pays & dans la même ville des tiomme qui, cjuoique blancs , ne laident pa d'avoir les cheveux très-difFérens les un des autres au point qu'on trouve mêm( en France, des honuiies qui le>> ont âufî courts & aufTi crépus que les Nègres & que d'ailleurs on voit que le climat le froid & le chaud influent fi fort fu ïa couleur des cheveux des hommes 6 du poil des animaux, quil n'y a poin de cheveux noirs dans les royaumes di nord , & que les écureuils , les lièvres les belettes blés à ceux d'Europe ou aux Samoïedes , d'Afie ; & quoiqu'ils foient peu nom- breux en comparaifon de ceux-ci , ils ne iaiiîent pas d'être répandus dans une étendue de terre fort confidérable. Ceux qui habitent les terres du détroit de Î3avis , font petits, d'un teint olivâtre, ils ont les jambes courtes & grofies , ils font habiles pêcheurs , ils mangent leur poilTon & leur viande cruds , leur boi/îon feit de l'eau pure ou du fang de chien de mer , ils font fort robuftes & vivent fort long-temps ^/y. Voilà, comme l'on (h) Voyez l'hiftoire naiureile des Ifles. Roterdam'^ de r Homme: r/r, içoît , la figure , la couieiir & les mœurs des Lappons, & ce qu'il y a de lingu- lier, c'ell que de même qu'on trouve jauprès des Lappons en Europe les Fin- bois qui font blancs, beaux, afTez grands & aflez bien faits; on trouve auffi auprès de ces Lappons d'Amérique une autre lefpèce d'hommes qui font grands, bien iàiis & afîez blancs , avec les traits du \ilâge fort réguliers (l). Les Sauvages de la baie de Hudfon & du nord de la terre de Labrador ne paroiflent pas être de la même race que les prejniers ,. iquoiqu'ils foient iaids , petits , mai faits , ils ont le vilage prefque entièrement couvert de poil comme les Sauvao-es dit Ipays d'Yeço au nord du Japon , ils ha- bitent l'été fous des tentes faites de peaux d'orignal ou de caribou (m) ^ l'hiver ils iviveni fous terre comme les Lappons & les Samoïedes , & fê couchent comme jeux tous pêle-mêle fans aucune diftinc- |tion ; ils vivent aufli fort long - temps , (l) Voyez l'hiftoire naturelle àt% Ides, Roterdam l i 6 j 8, page I Sp . {m) G'eft le nom qu'on dçnne au Renne crt Amérique, \ljz ^HîJIoke Naturelle' quoicju'ils ne fe nourriflent que cîe chalf ou de poifTon cruds (n). Les Sauvages de Terre-neuve reflembient afiez â ceux du détroit de Davis , ils font de petite tailie , ils n'ont que peu ou point de barbe , ieur vifage eft iarge & piat , ieurs yeux gros , & ils font généralement afTez camus ; le voyageur qui en donne cette defcripiion , dit qu'ils relTemblent afTez bien aux Sauvages du continent fepten- îrional & des environs du Groenland (o). Au-deiïbus de ces Sauvages qui font répandus dans les parties les plus fep- îentrionales de l'Amérique, on trouvei d'autres Sauvages plus nombreux & îout différens des premiers, ces Sauvages font ceux du Canada & de toute la profon- deur des terres jufqu'aux Afliniboils , ils font tous aflez grands , robuftes , forts & affez bien faits , ils ont tous les cheveux & les yeux noirs , les dents très- j Manches , le teint bafané , peu de barbe ^ (n) Voyez le voyage de Robert Lade , traduit paï Tabbé Prévôt. Paris, 17^^ , tome 11, page ^o^ ^ Juivantest (û) Voyez le recueil àts voyages au nord, Rouen ( r^ 7/ <^f wim ÎII, i^agz 7, ^ ^(k r Homme. '173 Se point ou prefque point de poil en aucune partie du corps , ils font durs & jnf^itigahles à ia marche , très - légers à la courle, ils fupportent au(fi aiiement [a faim que les plus grands excès de nourriture , ils font hardis , courageux , fiers , graves & modcre's ; enfin ils ref- leinbient fi fort aux Tartares orientaux par ia couleur de ia peau , des cheveux &. des yeux , par ie peu de barl:>e & de poil, ^ aufTi par ie naturel & les mœurs , qu'on les croiroit iiTus de cette nation , (i on ne les regardoit pas comme féparés es uns des autres par une vafte mer ; ils font aufii fous ia ir.ême latitude , ce 'qui prouve encore combien ie climat iiyfîue fur ia couieur & même fur ia ifigure des hommes. En un mot , on licuve dans ie nouveau continent, com- p.e dans l'ancien , d'aijord des hommes ,11 nord femblabies aux Lappons , & aufîî Jes hommes IMancs & à clieveux blonds (embiables aux peuples du nord de l'Eu- rope , enfuite des hommes velus fem- ' 'ibles aux fauvages d'Yeço , & enfin ._: Sauvnges du Canada & de toute ia ^erre ferme ; jufqu'au goife du Mexique, H iij ''Ï74 J^iflolre Naturelle qui refTembfent aux Tartares par tant d'endroits qu'on ne douteroit pas qu'ils ne fu/Tent Tartares en effet , fi l'on n'é- loit embarraiïe fur la pofTjbitité de la migration; cependant fi l'on fait atten- lion au petit nombre d'hommes qu'on a trouvé dans cette étendue înimenfe des terres de l'Amérique feptentrionale , & qu'aucun de ces hommes n'étoit encore civilifé , on ne pourra guère fe reiufei à croire que toutes ces nations fauvaget ne foient de nouvelles peuplades pro- duites par quelques individus échappés d'un peuple plus nombreux. II efl: vrai qu'on prétend que dans l'Amérique fep- tenirionale , en la prenant depuis le nord' jufqu'aux îles Lucayes & au Mifîifîipi 31 ne refle pas aâ:uellement la vingtième partie du nombre des peuples naturels . qui y étoient lorfqu'on en fit la décou- verte , & que ces nations fauvages oni été ou détruites ou réduites à un li petii nombre d'hommes , que nous ne devons pas tout - à - fliit en jucer aujourd'hui comme nous en aurions jugé dans ce temps ; mais quand même on accorde- roit que i'Aieériquc feptentrionale avoii de rHonufie. ^7^ [ilors vingt fois plus d'habitans qu'il n'en refle aujourd'iiui , cela n'empêche pas qu'on ne dût la confidérer dès - lors comme une terre déferte ou fi nouvel- lement peuplée , que les hommes n'a- voient pas encore eu le temps de s'y muhipiicr. M. Fabry que j'ai cité ('pj, & qui a fliit un très-long voyage dans h profondeur des terres au nord - oued du MifîilTipi où perlonne n'avoit encore pénétré, & oii par conféquent les na- tions fauvages n'ont pas été détruites , m'a affuré que cette parue de l'Amé- rique e(l fi déferte qu'il a fouvent fait cent &L deux cents lieues fins trouver une fice humaine ni aucun autre veflige qui pût indiquer qu'il y eût quelque habi- tation voifine des lieux qu'il parcouroit, ÔL loriC{u'il renconîroit quelques-unes de ces habitations , c'étoit toujours à des diftances extrêmement grandes les unes des autres , & dans chacune il n'y avoit ibuvent qu'une feule fimille , quelque- fois deux ou trois, mais rarement plus de vingt perfonnes enfemble , la vraie caufe de la différence de cou- leur dans ks hommes ; puifq^uc celle de \le r Homme. \^j l'influence du ciimat fe trouve ici tout-it- ait démentie î Avant que de fatisfaire , autant cjue e le pourrai , à ces cjuefiions , il faut :ontinuer notre examen , & donner la ieicription de ces hommes qui paroilîènt iMi effet fi différens de ce cju'ils devraient !?tre , fi la diRance du pôle étoit la cau(e :)rincipale de la variété cjui fe trouve ians iefpèce hu,maine ; nous avons déjà Jonné celle des fauvages du nord & des auvag^s du Canada 7f), ceux de la FIo- •jde , du Miiîifïipi Ô: (ïts autres parties iicridionales du continent de l'Ajuéricjue eptentrionale font plus ba fanés que ceux; Ju Canada^ fans cependant qu'on puiiîè (f ) Voyez à ce fujtt les voyacres du Baron de a Hontan. La Haïe , 1J02 ; ia relation' de fa Safpënt , par le Père le Cicrcq , Récciet. Paris ^ I rpi, Jh-i^es ^^ iX ^ p 2 ; la defcription de \x louvelle France , par ie Père CHarievoix. Pivis , t^/f.^, tome J , page i 6 & Juirantcs ; tome 111, \)ûges j ^, , 3 o 2 , ^ i c à" ^ 2 ^ ;\t% Lettres édifiantes^ \Rccus.il XJdl] , pi'gcs 2 f> ^ & 2^2 ; <îk le voyage au. pays déi Hurons , par Gabriel Sabard Théodat , JRéco'et. Paris, 16^2, pages 12S & i y 8 ; le |royag€ de la nouvelle France, par Dierville, Rouen j, \v-7o^, page 122 jujqu'd ipi ; t à huit pouces & à demi - frifcs. Ces Indiens , hommes ÔL femmes , ne font pas fj grands que Jes autres , 6c ■ ce qu'ils ont encore de très-fingulier , c'cft que leurs paupières font d'une figure oblongue, ou plutôt en forme de croiflant dont les pointes tournent en bas : ils ont les yeux û fuibles qu'ils ne voient prefque pas en plein jour, ifs ne peuvent fupporter la lumière du foleil , &i ne voient bien qu'à celle de la lune ; ils font d'une com- plexion fort délicate en comparaiion des autres Indiens , ils craignent les exercices pénibles , ils dorment pendant le jour & ne fortent que la nuit; & lorfque ia iune luit , ils courent dans les endroits les plus fombres des forêts aufîi vite c]ue les autres le peuvent faire de jour , à cela près qu'ils ne font ni aufîi robufles ni aufîi vigoureux. Au refle , ces hommes pe forment pas une race particulière ô^ diftinde , mais ii arrive quelquefois qu'un père & une mère qui font tous deux couleur- de cuivre jaune, oot un çnfant tel que nous venons de le décrire. > Tome V* I (Ip^ Hîjlolre Naturelle Wafer qui rapporte ces faits , dit qu'îF a vu iui- même un de ces enfans qui n'avoit pas encore un an (b). Si cela efl , cette couleur & cette habitude fingulière du corps de ces Indiens blancs, ne feroient qu'une efpèce de maladie qu'ils tiendroient de leurs pères & mères ; mais en iîippofant que ce dernier fait ne fût pas bien avéré ^ c'eft-à-dire , qu'au lieu de venir des Indiens jaunes ils fiffent une race à partj, ?lors ils relTembïeroient aux Chacreias de Java, & aux Bedas de Ceyian , dont nous avons parlé ; ou fi ce fait ell: bien vrai , & que ces blancs naifient en effet de pères & mères couleur de cuivre , ort pourra croire que les Chacreias & les Bedas viennent aufFi de pères & mères bafanés , & que tous ces hommes blancs qu'on trouve à de fi grandes diftances les uns des autres , font des individus qui ont dégénéré de leur race par quelque caufe accidentelle. J'avoue que cette dernière opinion me paroît la plus vraifemblable , & que {b ) Voyez le voyage de Dampier^ tome IV ^ de l'Homnw» ^P î fi les voyageurs nous eufTent donné des defcriptîons aufîi exades des Bedas &. ûqs Chacielas que Wafer l'a fait des D ariens , nous euiîions peut-être reconnu qu'ils ne pouvoient pas plus que ceux - ci , être d'origine Européenne. Ce qui me paroît appuyer beaucoup cette manière de penfer , c'eft que parmi les Nègres il naît aulîi des blancs de pères & mères noirs ; on trouve la delcription de deuK de ces Nègres blancs dans l'hiftoire de l'Académie, j'ai vu moi-même l'un des deux, & on aflure qu'il s'en trouve un afTez grand nombre en Afrique parmï Jes autres Nègres (cj. Ce que j'en ai vu» indépendamment de ce qu'en dilent IcS yoyageurs , ne me laifle aucun doute fur leur origine ; ces Nègres blancs font des Nègres dégénérés de leur race, ce ne font pas une ^eipèce d'hommes particulière & confiante , ce font des individus finguliers qui ne font qu'une variété accidentelle , en mi mot , ils font parmi les Nègres ce que Wafer dit que nos Indiens blancs font parmi les Indiens Jaunes , & ce que font apparemment les (c) Voyez ia Venus phyficjue, Paris , //-f/» II] fx^C HiJJolre Naîitrelk Chacreîas & les Bedas parmi \ç.i Indiens bruns : ce qu'il y a de pîus finguiier , c'eit que cette variation de ia Nature lie fe trouve que du noir au blanc , ^ non pas du blanc au noir ; car elle »rrive chez les Nègres , chez ies Indieas les pius bruns , & auili chez les Indiens ïes pius jaunes, c'eft-à-dire , dans toutes les races d'hommes qui font ies plus t'îoignées du blanc , (Si. il n'arrive jamais cliez ies Indiens qu'il naifTe des indi- vidus noirs : une autre fmgularité , c'eft que tous ces peuples des Indes orien- tales , de l'Afrique & de l'Amérique , chez iefquels on trouve ces homme^ blancs , lont tous fous la même latî- îude ; i'irfhme dç D arien , le pays des Nèofres «Si Ceylan font abfofument fous le même parallèle. Le blanc paroît donc être la couleur primitive de la Nature, que le climat , la nourriture & les mœurs altèrent & changent , même jufqu'au jaune , au brun ou au noir , &: qui reparoît dans de certaines circonilances , mais avec une ii grande altération , qu'if' jie reflemble poisit au blanc primitif, qui eu çiïet a été dénaturé par les Je r Homme: ic^Tj califes que nous venons d'indiquer. En tout , les deux extrêmes fe rappro* chent prefque toujours ; la Nature aufîî parfcîiie qu'elle peut i'êire , a fait les nommes blancs , & la Nature altcrce; autant qu'il eil poffibîe, les rend encore blancs ; mais le blanc naturel ou blanc de i'eijpèce efl: fort différent du blanc individuel ou accidentel ; on en voit des exemples dans les plantes aufîi - bien cjue dans les hommes «Si les animaux , la ra(e blanche, la gérofîée blanche, &c. font bien différentes , même pour le blanc , des rofes ou des géroflées rouges , qui dans l'automne deviennent blanches , lorf- qu'elles ont iouîTert le froid des nuits & ks petites gelées de cette failbn. - Ce qui peut encore fliire croire cjue •ces hommes blancs ne font en effet que des individus qui ont dégénéré de leur cfpèce, c'ed qu'ils font tous beaucoup moins forts Sl moins vigoureux que les autres, & qu'ils ont les yeux extrême- ment foibles ; on trouvera ce dernier fait moins extraordinaire lorfqu'on fe rappellera que parmi nous les hommes «^ui font d'un bload blanc , ont ordi- I iij ^198 Hijîotre Naturelle jiairement les yeux foibîes: j'ai aufîi re- marqué qu'ils avoient fouvent i'oreille dure , & on prétend que ies chiens qui font abfoluinent blancs & fans aucune tache , font fourds ; je ne fais (i cela efl généraiement vrai , je puis feulement affurer que j'en ai vu plufieurs qui l'é- toient en effet. Les Indiens du Pérou font aufîi. cou- leur de cuivre, comme ceux de l'Iflhme, fur-tout ceux qui habitent le bord de ia mer & les terres bafîcs , car ceux qui demeurent dans les pays élevés, comme entre les deux chaînes des Cordillères, font prelque aulîl blancs c[ue les Eu- ropéens ; les uns font à une lieue de hauteur au-defîus des autres , & cette dinérence d'élévation fur le globe fait autant qu'une différence de mille lieues . en latitude pour la température du climat. En effet , tous les Indiens naturels de ia terre ferme, qui habitent le long de la rivière des Amazones & le continent de la Guiane , font bafanés & de cou- leur rougeâire , plus ou moins claire : la diverfité de la nuance, dit M . de la Condamiue, a vraiiemblablement pour iJe l'Homme. J^p •xnufe principale la différente température de l'air des pays qu'ils habitent , varice depuis la plus grande chaieur de la zone torriJe julqu'au froid caufé par le voi- fmage de la neige ^d). Quelques-uns de ces Sauvages , comme les Omaguas ^ aplatiffent le vidige de leurs enfans , ea leur (errant la tête entre deux planches f^ej; quelques autres fe percent les narines , les lèvres ou les joues , pour y paffer des os de poiflons , des plumes d'oifeaux & d'autres ornemens; la plupart fè percent ki oreilles , fê les agrandiflent prodigieu- fement , & rempliffent le trou du lobe d'un gros bouquet de fleurs ou d'herbes qui leur fert de pendans d'oreilles (^fj. Je ne dirai rien de ces Amazones dont on a tant parlé , on peut confulter à ce fujet ceux qui en ont écrit ; & après les avoir lus , on n'y trouvera rien d'affez pofiîif pour conftater l'exifience adtuelîe de ces femmes ^gj. (fî) Voyez le voyage de l'Amérique méridionale,' en defcendant ia rivière des Amazones, par Mt de ja Condamine. Paris, i y^j , page ^fQ% (e) Idem , page 7 2 . , (f) Idem, page 4.0 & fui vantes. (o) ^'°y' ^^^f^» p3gs i o 1 jufqua I I 3 ; la relatioii I iii; 200 H'i flaire Naturelle 'J Quelques voyageurs font mention d'une nation dans la Guiane , dont les hommes font plus noirs que tous les autres Indiens: les Arras, dit Raîeigh^ font prefque aufîi noirs que les Nègres , ils (ont fort \i£[oureux & ils fe fervent de flèches empoifonnées : cet Auteur parle auiîi d'une autre nation d'Indiens qui ont le cou fi court &< les épaules fi: élevées , que leurs yeux paroiiïent être fur leurs épaules , & leur bouche dans leur poitrine (hj; cette difformité fi monf- trueufe n'efl lûrement pas naturelle, &: ii y a grande apparence que ces Sauvages qui le plaitent tant à défigurer la Nature en aplatiffànt, en arrondiflant, en aion- geant la tête de leurs enfans , auront aufîï imaoriné de leur faire rentrer le cou dans les épaules ; il ne faut pour donner nail- fance à toutes ces bizarreries , que l'idée de la Giiiane, par Walter Raleigh , tome U des voyages de Corenl , page 2f; la relation du Père d'Acuna , traduit par GcmlervUk, Paris ^ lôSjt, vjhiine I, page ^SJ' ^^^ Lettres édifiantes, Re^ , ened X , page 2^1 ; & Recueil XII , page 21 j; les voyages de Mocquet , page lêi jufqu'à i oj, ifCa (h) Voyez ie fécond tome deî voyages de Corcaiji pages j$ ir ;s^ de V Homme: ':lùi\ .3e fe rendre par ces difFormke's , plus .effroyables & pins terribles à leurs en- nemis. Les Scythes , autrefois aulîi fau- .vages que le font aujourd'hui les Amé- ricains , avoient appareminent les mêmes idées qu'ils réalifoient de la même fa- çon ; & c'cfl: ce qui a fans doute donne lieu à ce que les Anciens ont écrit ■au fujet des hommes acéphales , cyno- céphales, &c. Les Sauvages du Brefil font à peu près de la taille des Européens , mais plus forts, plus robudes & plus difpos; lis ne font pas fa jets à autant de maîa- vdies , & ils vivent communément plus long-temps : leurs cheveux , qui font noirs , blanchiffent rarement dans la vieilleffe ; ils font balanés , & d'une cou- leur brune qui tire un peu fur le rouge ; ils ont la tête groffe , les épaules larges & les cheveux longs ; ils s'arrachent la barbe , le poil du corps , & même les fourciis & les cils , ce qui leur donne un regard extraordinaire & farouche ; ils le percent la lè\ re de defTous pour y paiTer un peiit os poli comme de l'i- voire, ou une pierre verte affez groffe ; 1 V 201 TJi/lohe Naturelle les mères écrafent ie nez de leurs enfans peu de temps après ia naifTance ; ils vont tous ablolumem nus , &; fe peigneiu ie corps de différentes couleurs (ij. Ceux qui habitent dans les terres voifines des cotes de la mer, le font un peu civilifès par ie commerce volontaire ou forcé qu'ifs ont avec les Portugais , mais ceux de l'intérieur des terres iont encore, pour la plupart , abfolumenî fauvages ; ce n'eif pas même par la force & en voulant les réduire à un dur efclavage , qu'on vient à bout de les policer , les Miiïions ont formé plus d'hommes dans ces nations barbares , que les armées vicftorieufes des , Princes qui les ont fubjuguées : le Pa- raguai n'a été conquis que de cette fiçon ; la douceur, le bon exemple, la charité & l'exercice de la vertu , conf* îamment pratiqué par les Miflionnaires ^ { i) Voyez le voyage ini au Brefil, par Jean de Lery. Farii , ijyS, fagt io8; le voyage cie Coreal , tome I, p. / ej i^ fuipafites ; les mémoires pour fervir à i'hiftoire des Indes , iyo2,-page28jî. î'hirtoire à.ts Indes de Maffé, Paris , i 6 6 j , p, ji ; la féconde partie àts voyages de Pyrard , tome II t. page j?^7, les Lettres édiiiantes , Rtcmil X V^ ^e r Homme: '^03 ont touché ces Sauvages , & vaincu leur défiance & leur férocité ; ils font venus fouvent d'eux-mêmes demander à connoître la loi qui rendoit les hommes il parfaits , ils fe font fournis à cette ioî & réunis en fociété : rien ne fait plus d'honneur à la religion que d'avoir civilifé ces nations & jeté les fondemens d'un empire , fans autres armes c[ue celles de (a vertu. Les habitans de cette contrée du Pa* rao-uai ont communément la taille a(îez belle & aiTez élevée : ils ont le vifage uit peu long & la couleur olivâtre ^ k), \l règne quelquefois parnu eux une maladie extraordinaire , c'eft une eipèce de lepre qui leur couvre tout le corps , & y forme une croûte femblable à des écailles de poiflon ; cette incommodité ne ïeuî! caufe aucime douleur , ni même aucua autre dérangement dans la fmté (IJ, Les Indiens du Chili font, au rapport (k) Voyez les voyages de Coreaf, totne I , p, 2^9 kt 2 jy ; ies Lettres édifiantes, Recueil XI, y> S9 ' '. Rtcueil XII , page 6, (l ) Voyez ies Lettres édifiantes. Recueil XXV^ 1 Vf 2 0^ HifJoire Nature ik de M. Frezier, d'une couleur Lafanee , qui tire un peu fur celle du cuivre rouge, comme celle des Indiens du Pérou : cette couleur efl: diiïerente de celle des mulâtres ; comme ils viennent d'un blanc & d'une ne greffe , ou d'une blanche & d'un nègre , leur couleur e(t brune , c'eft-à-dire, mêlée de blanc & de noir ; au iicu que dans tout le continent de l'Amérique méridionale , les Indiens font jaunes ou plutôt rougeâtres. Les babitans du Chili font de bonne taille :■ ils ont les membres gros, la poitrine large, îe vifage peu agréable & fans barbe ,, les yeux petits , les oreilles longues , les cheveux noirs , plats & gros comme du crin ; ils s'alongent les oreilles , Ôc ils s'arrachent la barbe avec des pinces faites de coquilles, la plupart vont nus, quoique le climat foit froid , ils portent feulement lur leurs épaules quelques peaux d'animaux. C'eft à l'extrémité du Chili, vers les terres Magellaniques, que le trouve , à ce qu'on prétend , une race d'hommes dont la taille eft g^ïgantefque ; M. Frezier dit avoir appris de plufieurs Efpagnoîs qui avoieut vu '^'' (Je T Homme* 'ioj" quelques - uns de ces hommes , qu'ifs avoient quatre varres de hauteur , c'eft- à-dire, neuf ou dix pieds; félon lui, ces géans appelés Patagons , habitent ie côte de i'efl de la côte déferte dont les anciennes relations ont parlé , qu'on a enfuiie traitées de fables , parce que l'on a vu au détroit de Magellan des Indiens dont la taille ne furpaffoii pas celle des autres hommes : c'eft , dit-il , ce qui a pu tromper Froger dans fa relation du voyage de M. de Gennes; car quelques vaifTeaux ont vu en même temps les uns & les autres : en i 70^, les gens du vaif- feau le Jacques, de Saint-Malo , virent fept de ces géans dans la baie Grégoire y & ceux du vaiffeau le Saint- Pierre , de Marfeille, en virent fix , dont ils s'ap- prochèrent pour leur offrir du pain , du vin &ç de l'eau-de-vie qu'ils refusèrent^ quoiqu'ils euflent donné à ces mateî-ott quelques flèches , & qu'ils les eufTcnî aidés à échouer le cayiot du navire (^in)» Au refte,' comme^M. Frezier ne dit pas avoir vu lui-même aucun de ces géans ^ (m) Voy, ie voyage de M, Frezier. Paris, 1/^2 ^ page 7/ &'jtiîVi '2 0 6 HiJIolre Naturelle êi que îes relations qui en parlent font remplies d'exagérations fur d'autres cho- ies, on peut encore douter qu'il exide en effet une race d'hommes toute com- pofée de géans , fur- tout iorfqu'on leur fiippofera dix pieds de hauteur ; car le volume du corps d'un tel homme feroit huit fois plus confidérable que celui d'un homme ordinaire ; il femble que la hauteur ordinaire des hommes étant de cinq pieds, les limites ne s'étendent guère qu'à un pied au-deffus & au-deflbus; un homme de fix pieds eft: en effet un très - grand homme , & un homme de quatre pieds eft très-petit ; les géans & îes nains qui font au-deffus & au-deffous de ces termes de grandeur , doivent être reorardés comme des variétés individuelles CD & accidentelles , & non pas comme des différences permanentes qui produiroient des races confiantes. Au refte , û ces géans des terres Ma- gellaniques cxiftent , ils font en fort petit nombre , car les habitans des terres du détroit & des îles voifines font des Sauvages d'une taille médiocre ; ils font éQ couleur olivâtre , ils ont . la poitrine àe l'Homme, 207 ïnrge, îe corps afiez quarré, les membres gros , les cheveux noirs & plats (^e), en v un mot , ils refîembleiit pour la taille à ^tous les autres hommes, & par la couleur ôi les cheveux aux autres Américains. II n'y a donc, pour ainfi dire, dans tout le nouveau continent , qu'une (eule & même race d'hommes , qui tous font plus ou moins bafane's ; & à l'exceptioa du nord de l'Amérique , où il fe trouve des hommes femblables aux Lappons» & aufîi quelques hommes à cheveux blonds , femblables aux Européens du nord , tout le relie de cette vafte partie * du monde ne contient que des hommes parmi lefquels il n'y a prefqu'aucune diverfité ; au lieu que dans l'ancien continent nous avons trouvé une pro- digieufe variété dans les difîférens peu- ples : il me paroît que la raiion de cette (n) Voyez le voyage du Cap Narbrugh , fécond volame de Ccnal , -pages 2^ i & 28^ ; l'hiftoire de la conquête des îles Moiiiques, par Argenfola, tome /* }^^o' S S ^ ^ S f ' ^^ voyage de M. de Gennes, par Froger, page ç y; !e recueil Aç.^ voyages qui ont fervî à i'établiirement deia Compagnie de Hollande , tome l ^ page 6j I ; les voyages du Capitaine Vood ^ cinquims; ,- folume de Dam^'icr , page j y^, &'ci io9 HîJIoire Naturelle uniformité dans les hommes de l'Amé- rique , vient de ce qu'ils vivent tous 4 de ia même façon; tous les Américains naturels étoient , ou lont encore , iau- vages ou prelque fauvages , les Mexi- quains & ies Péruviens étoient fi nou- vellement policés qu'ils ne doivent pas faire une exception. Quelle cjue (oit donc l'origine de ces nations fauvages, elle paroît leur être commune à tomes j tous ies Américains fortent d'une même fouche , &L ils ont coniervé jufqu'à pré- fent ies cara<5tères de leur race (ans graivde variation , parce cju'ils font tous demeu- rés fauvages , qu'ils ont tous vécu à peu près de ia même façon , que leur climat n'efl pas à beaucoup près auffi inégai pour le froid & pour le chaud que ce- lui de l'ancien continent , & qu'étant nouvellement établis dans leur pays , les caufes qui produifent des variétés n'ont pu agir allez long-temps pour opérer ^es efïèts bien fenfibies. Chacune des railons que je viens d'avancer , mérite d'être confidérée en particulier : les Américains font des peuples nouveaux , il me fembie qu'on éle fHommel lôçi n'en peut pas douter iorfqu'on fait atten- tion à leur petit noiyibre , à ieur igno- rance , & au peu de progrès que les plus civiiile's d'entre eux avoient £\h dans ies arts , car quoique ies premières rela- tions de la découverte & des conquêtes de l'Amérique nous parlent du Mexi- que , du Pérou , de Saint-Domingue , êic. comme de pays très- peupiés ; & qu'elles nous diicnt que ies Eipagnoîs ont eu à combattre par-tout des armées très-nombreufes , il efl: ailé de voir que ces faÏLs font fort exagérés , premiè- rement par le peu de monumens qui refient de la prétendue grandeur de ces peuples, fecondement par la nature même de leur pays qui, quoique peuplé d'Eu- ropéens plus induflrieux fans doute que ne l'étoient les naturels , eft cependant encore fauvage , inculte , couvert de bois , & n'eft d'ailleurs qu'un grouppe de montagnes inacceffibies , inhabitables , qui ne laifîcnt par conféquent que de petits efpaces propres à être cultivés Iancs que ics autres. D'ailleurs , ce vent qui vient frapper contre les ïiautes montagnes des Cordillères , doit fe réfléchir à d'affez grandes dillances dans les terres voifines de ces montagnes, & y porter la fraîcheur qu'il a prile fur îes neiges qui couvrent leurs fommets ; ces neiges elles-mêmes doivent produire des vents froids dans les temps de leur fonte. Toutes ces caufès concourant donc à rendre le climat de la Zone torride en Amérique beaucoup moins chaud, il n'ell: point étonnant qu'on n'y trouve pas des hommes noirs, ni même bruns, comme on en trouve fous la Zone torride en Afrique &. en Afie , où les cir- confhinces font fort différentes, comme nous le dirons tout- à -l'heure ; foit qu,e i'on fuppoie donc que les habitans de l'Amérique foient très - anciennement naiurai^fés dans leur pays, ou qu'ils y foient '^tv\\\> plus nouvellement , on ne doit pas y trouver des hoiumes noirs, puilque leur Zone torride eft un climat tempéré. La dernière raifon que j'ai donnée dç "2 1 4 HiJIoire Naturelle ce qu'il le trouve peu de variétés dans les hommes en Amérique , c'eft l'uni- formité dans leur manière de vivre, tous étoient lauvages ou très - nouvellement -civilifés , tous vivoiem ou avoient vécu de la même façon : en fuppofant qu'ils cufTent tous une origine commune , les races s'étoient difperlées fans s'être croi- fées , chaque famille faifoit une nation- toujours femblable à elle-même, & pref^ que femblable aux autres , parce que le climat ÔL la nourriture étoient auiîi à peu près femblables ; ils n'a voient aucun moyen de dégénérer ni de fe perfec- tionner , ils ne pouvoient donc que de- meurer toujours les mêmes , & par-tout à peu près les mêmes. Quant à leur première origine , je ne doute pas, indépendamment même des raifons théologiques , qu'elle ne foit la même que la nôtre ; la reiTemblance des Sauvages de l'Amérique feptentrionale avec les Tartares -Orientaux, doit faire foupçonner qu'ils fortent anciennement de ces peuples : les nouvelles décou- vertes que les RufTes ont faites au - dtlk de Kamtfchatka , de plufieurs terres & de de r Homme. ^ ^ 5 pîufieurs îles, qui s'étendent jufqu'à la partie de l'oueft du continent de TAmé- rique ne laifTeroient aucun doute fur la pofTibiiité de la communication , fi ces découvertes étoient bien conftatécs , & que ces terres fuflent à peu près con- tiguës ; mais en fuppofant même qu'il y ait des intervalles de mer aiîez conli- dérables, n'eft-il pas très-polTible que des hommes aient traverfé ces intervalles, & qu'ils foient allés d'eux - mêmes cher- cher ces nouvelles terres ou qu'ils y aient été jetés par la tempête! il y a peut-être un plus grand intervalle de mer entre les îles Marianes & le Japon , qu'entre aucune des terres qui font au- delà de Kamtfchatka & celles de l'A- mérique, & cependant les îles Marianes fe font trouvé peuj)lées d'hommes qui ne peuvent venir que du continent oriental. Je (erois donc porté à croire que les premiers hommes qui font venus en , Amérique , ont abordé aux terres qui font au nord-oued de la Californie ; que le froid exceffif de ce climat les obligea à gagner les parties plus méridionales de leur nouvelle demeure, qu'ils fe fixèrciu Zi 6 Hijloire Naturelle d'abord au Mexique & au Pérou , d'où ils fe font enfuite re'paudus dans toutes les parties de l'Amérique feptentrionale di méridionale ; car le Mexique & que s'il a paru blanc à ceux qui i'ont examiné , c'e(î parce qu'il eft extrê- mement mince & tranfparent , mais c[u'Jl efl réellement aulîi noir que de la corne noire qu'on auroit réduite à une aufîi. petite épaiiïeur : ils aflurent auffi que la peau des Nègres efl d'un rouge-brun (y) Voyez l'iicrit du Docfîeur Towns , adreiïe à h Société Koyale de Londres, (j ) Voyez la DifTertatiou fur la coufeur ^os Nègres, par M. Barrère. Paris , i y^i , (t) Voyez Expofition anatomicjue du corps hll^ pi»iR; par M, Winllow ^ f ^'^•^. ^ îa plupart des animaux : nous trouverons pareillement à l'extrémité inférieure du tronc un certain nombre de vertèbres extérieures qui forment une queue à i'animal ; & ces vertèbres extérieures manquent à cette extrémité inférieure du corps de i'homme. De même l'extré- mité inférieure de la tête , les mâchoires.,, êiL l'extrémité fiipérieure de la tête, les. os du front diffèrent prodigieufemenî dans l'homme & dans l'anîmaT: les mâ- choires dans la plupart des animaux font fort aîongées ^ & les os frontaux font au contraire fort raccourcis. Enfin , en com- parant les membres de l'animal avec ceux de l'homme , nous reconnoîtrons encoi;e aifément que c'eft par leurs extrémités qu'ils diffèrent le plus , rien ne fe refTem-- blant moins au premier coup d'œil quç ia main humaine & le pied d'un cheval ou d'un bœuf. En prenant donc k coeur pour centre dans la machine animale , je vois que i'Iioinme reiTembie parfait€iiieip.t aux fur la nature des Amwaux. 2 jj animaux par l'économie de cette partie 6l des autres qui en font voi fines : mais plus on s'éloigne de ce centre , plus les différences deviennent confidérabîes, & c'eft aux extrémités où elles font les plus grandes ; &. lorlque dans ce centre même il le trouve quelque différence,, î'animal eft alors infiniment plus différent de l'homme j il eft, pour ainfi dire, d'une autre nature , & n'a rien de corn- iimin avec les efpèces d'aniniaux que nous confidérons. Dans la plupart des Inie(^es , par exemple , l'organifation de cette principale partie de Téconomie animale eft fingulière ; au lieu de cœur & de poumons on y trouve des parties qui fervent de même aux fondions vitales , & que par cette raifon l'on a regardé comme analogues à ces vilcères , mais cjui réellement en font très-diffé- rentes ^ tant par la ftrucflure que par le réfuîtat de leur adion : auffi les Infecftes diffèrent- ils , autant qu'il eft polîlble j de l'homme & des autres animau;:. Un« légère différence dans ce centre de i'économie animale eft toujours accomr fag^née d'une différence infîaiaiem plus ^54 D'ifcours grande dans les parties extérieures, ht tortue, dont le cœur eft fingulièrement conformé , eft auffi un animai extraor- dinaire, qui ne refTemble à aucun autre Que {'on confidère l'homme, îes ani- maux quadrupèdes, les oileaux, les c-- îacées , les poiiïons , les aniphibies , les ïeptiles, quelle prodigieufe variété dans îa iTgure, dans la proportion de leur corps, dans le nombre & dans ia pofi- îion de leurs membres, dans lafubiiance cie leur chair , de leurs os , de leurs tegumens î Les quadrupèdes ont aOez généralement des queues , des cornes , ^ toutes les extrémités du corps diffé- rentes de celles de l'homme : les céia- cees vivent dans un autre élément &: quoiqu'ils fe multiplient par une voie de génération femblable à celle des qua- drupèdes, ils en font très-différens par la forme, n'ayant point d'extrémités in- férieures : les ofieaux femblent en différer encore plus par leur bec, kurs plumes, leur vol , & leur génération par des œufs r les poTfîons & les amphibies font encore plus éloignés de la forme humaine ; les , fur la nature erçu par les yeux & que nous défi- ■ns de toucher , s'il eft à notre portée )us étendons le bras pour l'atteindre, s'il efl éloigné nous nous mettons en ouvement pour nous en approcher. jn homme profondément occupé d'une éculation ne faifira-t-il pas, s'il a ■and faim , le pain qu'il trouvera fous main l il pourra même le porter à bouche & le manger fans s'en aper- îvoir. Ces mouvemens font une fuite éceffaire de la première impreffion des )jets ; ces mouvemens ne manqueroient mais de fuccéder à ceue imprefîion , fi autres impreiTions qui fe réveillent ei^ "^i6^ Difcoitrs même temps ne s'oppofoient fouvent a cet effet naturel , foit en afFoibliflant , foii en détruifant i'aûion de cette première; ïinprefîion. Un être organiÊ qui n'a point de fens , une huîire, par exemple, qui probabiement n'a qu'un toucher fori imparfait , eft donc un être privé , non- feulement de mouvement progreffif, mais même de lentiment & de toute intelligence , puifque l'un ou l'autre pro duiroient également le defir , & le mani- felleroient par le mouvement extérieur, Je n'affurerai pas que ces êtres privé» de fens foient auffi privés du fentimem même de leur exiftence , mais au moin.' peut-on dire qu'ils ne la fentent que très- imparfaitement , puisqu'ils ne peuveni apercevoir ni fentir l'exidence des autre,' êtres. C'efl: donc l'a^lion des objets fur îeii fens qui fait naître le defir, & c'eft ie defir qui produit le mouvement pro- greffif. Pour le fiire encore mieux fçntir , fuppolons un homme , qui dans i'inllant où il voudroit s'approcher d'un objet, fe trouv^roit tout-à-çoup privé des Jtir la nature des Animaux, 1 6 5] t3es membres nëceflaires à cette acflion» cet homme auquel nous retranchons ieS jambes tâcheroit de marcher fur les ge- noux , ôtons-Iui encore les genoux 6q les cuifles , en lui coniervant toujours le defir de s'approcher de l'objet , il s'ef- forcera alors de marcher fur fes mains, privons-le encore des bras & des mains , il rampera , il fe traînera , il • emploiera toutes les forces de fon corps & s'aidera de toute la flexibilité des vertèbres pour iè mettre en mouvement , il s'accrochera par le menton ou avec les dents à quelque point d'appui pour tâcher de changer de lieu ; & quand même nous réduirions fon corps à im point phy- fique , à un atome globuleux , fi le defir fubrifte ) il emploiera toujours toutes ies forces pour changer de fituation : mais comme il n'auroit alors d'autre moyen pour fç mouvoir que d'agir contre le plan fur lequel il porte , il ne manqueroit pas de s'élever plus ou moins haut pour atteindre à l'objet. Le mouvement extérieur & progrefîif ne dépend donc point de l'organifation & de la figure du corps ôi. des membres, Tome r. M s. 6 6 Dijcours puifque de quelque manière qu\m être fût extérieurement conformé , ii ne pour- roit manquer de fe mouvoir , pourvu qu'il eût des lens & le delir de les liuisfliire. C'ed à la vérité de cette organifation extérieure que dépend la facilité , la vîtefTe , la diredion , la continuité , &c, du mouvement ; mais la caufe , le prin- cipe , l'adion , la détermination , vien- nent uniquement du defir occafionné par l'impreffion des objets fur les fens : car fuppofons maintenant que la con^ formation extérieure étant toujours b même , un homme fe trouvât privé i -fucceffivement de fes fens, il ne chan^ géra pas de lieu pour fatisfaire fes yeux . s'il eft privé de la vue; il ne s'appro- chera pas pour entendre , fi le fon n< 'fait aucune impreffion fur fon organe il ne fera jamais aucun mouvement pou i refpirer une bonne odeur ou pour ei éviter une mauvaife , fi fon odorat ef détruit ; il en cfl de même du touche & du goût, fi ces dmx fens ne fon plus fatceptibles d'impreffion , il n'agir pas pour les f\tisfaire : cet homni Jiir la nature des Animaux, 267 tfenieurera donc en repos , & perpé- tiiellement en repos , rien ne pourra ie faire changer de fituation & lui impri- mer le mouvement progrefîlf , quoique par fa conformation extérieure il fût parfaitement capable de le mouvoir 5c d'agir. Les befoins naturels , celui , par exemple, de prendre de la nourriture, lont des mouvemens intérieurs dont les împrefTions font naître le defir, Tappétit, & même la néceffité ; ces mouvemens intérieurs pourront donc produire Aqs^ mouvemens extérieurs dans l'animal , 5c pourvu qu'il ne foit pas privé de tous les fcns extérieurs , pourvu qu'il y ait mi fens relatif à fes beloins , il agira pour les fatisfiire. Le befoin n'eft pas ie defir, il en diffère comme la caufe diffère de i'eifet , nous condamnons nos a- pellerois volontiers rémini fcence plutôt que mémoire, n'eft que le renouvelle- ment de nos fenfations, ou plutôt des ébranlemens qui les ont caufées : la ' première émane de famé , & comme je l'ai prouvé , elle eli pour nous bien plus parfaite que la féconde; cette der- nière au contraire n'efl: produite que par le renouvellement des ébraniemens du fens intérieur matériel, & elle efl: la feule qu'on puifTe accorder à l'animaf ou à i'hojnnie imbccrlle : leurs fenfa- tions antérieures font renouvelées par les lenlations aéluelles , eiles fe réveillent avec toutes les circonftances qui les accompagnoient , fimage principale 6c. préfente appelle les images anciennes ëc accefToires , ils fentent comme ils ont fenti , ils agifîent donc comme ils ont agi , ils voient enfemble le préfent & le > pa(fd , mai^ iitns les diAinguer , fans ks» O vj .^24 ^Dîjcours comparer, & par confequenî Inns îé$ connoître. Une féconde objedron qu'on me fera fans doute, & qui n'eft cependant qu'une conféquence de la première y mais qu'on ne manquera pas de donner comme une autre preuve de l'exigence de la mémoire dans les aiiimaux ^ ce font leurs rêves. Il efl: certain que les animaux fe repréfentent dans le fom- meil les choies dont ils ont e'té occupes- pendant la veille ; les chiens jappent ibuvent en dormant, & quoique cet: aboiement foit fourd & foible, on y reconnoît cependant la voix de la chalTe y. ies accens de la colère, les fons du defir ou du murmure , &c. on ne peut donc pas douter qu'ils n'aient des chofes paf- lees un fouvenir très-vif, très-adif & différent de celui dont nous venons de; parler , puifqu'il le renouvelle indépen- damment d'aucune caufe extérieure qut pourroit y être relative. Pour éclaircir cette difficulté & y- îépondre d'une manière latisfiifante , if faut examiner la nature de nos rêves, & €hercher s'ils viennent de notre aina Jîtr la nature des Animanxl 3 2 ^. fOU s'ils dépendent feulement de notre fens intérieur matériel ; fi nous pouvions prouver qu'ils y réfident en entier, ce ieroit , non - feulement une réponfe à i'objedion , mais une nouvelle démonl- tration contre fentendement & la mé- moire des animaux. Les imbécilles, dont l'ame efl: fans adion , rêvent comme les autres hom-- mes; il fe produit donc des rêves in- dépendamment de Tame , puifque dans- îes imbécilles l'ame ne produit rien : les animaux qui n'ont point d'ame peuvent donc rêver auiîi , & non-feulement il fe produit des rêves indépendamment de i'ame, mais je ferois fort porté à croire que tous les rêves en font indé- pendans. Je demande feulement que chacun réfléchiffe fur fes rêves , & tâche . à reconnoître pourquoi les parties en font fi mal liées, &: les évènemens fi bizarres , il m'a paru que c'étoit princi- cipalement parce qu'ils ne roulent que fur des fenfations à. point du tout fur des idées. L'idée du temps ^ par exemple, n'y entre jamais, on fe repréfente bien ies perfoiiuçs que l'on U a pas vues , ^ "3 2 6 Difcours même ceîles qui (ont mortes depuis plufieurs années, on les voit vivantes 6c telles qu'elles étoient , mais on les joint aux chofes aétueiles & aux perfonnes préfentes ou à des chofes & à des perfonnes d'un autre temps : il en efl de même de l'idée du iieu , on ne voit pas où elles étoient ; les chofes qu'on (e reprélente , on les voit ailleurs , où elles ne pouvoient être ; fi l'anie agifloit , if ne lui fimdroit qu'un inftant pour mettre de l'ordre dans cette fuite découfue,! dans ce cahos de lenfuions , mais ordi- 1 nairement elle n'agit point , elle lai/Te ies reprélentations fe fuccéder en def- ordre, & quoique chaque objet ie pré- fente vivement, la fuccelîîon en effc fouvent confufe & toujours chimérique i & s'il arrive que Tame foit à demi ré- veillée par l'énormité de ces difparates'^ ou feulement par la force de ces fen- fations , elle jettera fur le champ une étincelle de lumière au milieu des té« nèbres , elle produira une idée réelle dans le fein même des chimères , on rêvera que tout cela pourroit bien n'être is qui n'étant pîiS afîez forte pour dilîjper i'iilufion , s'y mêle, en devient partie , & n'empêche pas ies rcpréientations de (e iuccéder, en forte qu'au réveil on s'imagine avoir rêvé cela même qu'on avoit penfé. Dans les rêves on voit beaucoup^ on entend rarement , on ne raifonne point, on fent vivement, les images iè fuivent , les fenfations fe fuccèdent fans que l'ame les compare ni ies réuniiïe t on n'a donc que des fenfations & point d'idées, puifque les idées ne font que ies comparaifons des fenfations ; ainfi ks rêves ne réfident que dans le ièns inté- térieur matériel , l'ame ne les produit point, ils feront donc partie de ce • fouvenir animal , de cette efpèce de réminifcence matérielle dont nous avons parl^ : la mémoire au contraire ne peut exifter fans l'idée du temps , fans la comparaifon des idées antérieures & des idées aduelles , & puifque ces idées n'entrent point dans ies rêves, ii parg0 i^ 2 8 Dtfcoîirs .démontré qu'ils ne peuvent être nî un^ conféquence, ni un effet , ni une preuve de fa mémoire. Mais quand même on voudroit foutenir qu'il y a quelquefois des rêves d'idées , quand on ciieroit , pour le prouver, les iomnanbules , les gens qui parlent en dormant & difeni des chofes fuivies , qui répondent à des queftions , &c. & que l'on en inféreroit que les idées ne font pas exclues des rêves, du moins auffi abfolument que je le prétends , il me fuffiroit pour ce que j'avoïs à prouver, que le renou- vellement des fenfations puiiïe les pro- duire ; car dès-iors les animaux n'auront que des rêves de cette efpèce , & ces rêves , bien loin de fuppofer la mémoire, n'indiquent au contraire que la réminif- cence matérielle. Cependant je fuis bien éloigné de croire que les fonmanbules, les gens qui parient en dormant , qui répondent à des queftions , &c. foient en effet oc- cupés d'idées : i'ame ne me paroît avoir aucune part à toutes ces adions; car les fomnanbules, vont, viennent, agifîenî fans réflexion ; fan^ connoifiànce de Ieu$ fur la nature des Animaux. 3 1 p rituaiioii, ni du péril, ni des inconve'- iiiens qui accompagnent leurs déinar- ciies, les feules facultés animales font en exercice, & même elles n'y font pas toutes : un fomnanbule eft: dans cet état plus flupide qu'un imbéciile, parce qu'il n'y a cju'une partie de (es fens & de fon fentiment qui foit alors en exercice j, au lieu que i'imbécilie dilpofe de tous fes fens & jouit du fentiment dans toute fon étendue ; & à l'égard des gens qui parlent en dormant , je ne crois pas qu'ils difent rien de nouveau : la réponfe à certaines qucftions triviales & ufitées , la répétition de quelques phrafes commu- nes , ne prouvent pas l'aélion de l'ame , tout cela peut s'opérer indépendamment du principe de la connoifiance & de ia peniée. Pourquoi dans le fommeil ne parleroit-on pas fins penfèr, puifqu'en s'examinant foi- même lorfqu'cn efi: le mieux éveillé, on s'aperçoit, fur- tout dans les pafîjons , qu'on dit tant de chofes fnns réflexion l A l'égard de la caufe occafionnelfe des rêves , cjui fait que les fenfations •antérieures fe renouyeileat fans être ex- ^3 3 <^ Dijcours I citées p.lr îes objets préfens ou pftr cïe| ieiiiaiions adueiies , on obfervera que i'oii ne rêve point lorfque le fomnieiî cil: profond , tout eft alors aiïoupi , on dort en dehors <& en dedans , mais le lens intérieur s'endort le dernier & (e réveille le premier, parce qu'il eil: plus vif, plus a(flif , plus aifé à ébranler que les lens extérieurs : le lommeii eft dès- iors moins complet & moins profond , c'eft-là le temps des fonges illufoires; îes feniations antérieures, fur-tout celles fur lelquelles nous n'avons pas réfléchi fe renouvellent ; le lens intérieur ne pouvant être occupé par des ienfations aduelles à caufe de rina(n:i<)n à^s fens externes , ap-it & s'exerce fur ces Ienfa- tions pafTées ; les plus fortes , font celles qu'il faifit le plus fouvent , plus elles font fortes , plus les fituations font ex- ceftives, & c'elt par cette raifon que prefque tous les rêves font effroyables ou charmans. Il n'eft pas même néceffaire que les fens extérieurs foient abfolument afîou- pis pour que le fens iiitérieur matérieïi puiffe agir de fon propre mouYement| fur la nature des Animaux. 3 3 T' 1! fuffit qu'ifs foient fans exercice. Dans l'habitude od nous ioninies de nous livrer régulièrement à un repos anticipé , on ne s'endort pas toiijoius aiiëment ; ie corps &: les membres moiienient étendus font fans mouvement: les yeux doublement voilés par la paupière &: les ténèbres, ne peuvent s'exercer ; la tran- quillité du lieu & le filence de la nuit rendent l'oreille inutile ; les autres lens font également inaélifs , tout eft en repos , & rien n'eft encore ad ou pi : dans cet état , lorfqu'on ne s'occupe pas d'idées, &: que i'ame e(t aufîi dans l'inaétion , l'empire appartient au fens intérieur matériel , il eîl alors la feule puifîance qui agifTe, c'eft-là le temps des images chimériques , des ombres voltigeantes ; on veille , & cependant 011 éprouve les effets du fommeii : fi l'on elf en pleine fanté , c'efî: une fuite d'i- mages agréables , d'illufions charmantes; mais pour peu que le corps foit fouffrant ou affailTé , \ç.^, tableaux font bien diffé- rens , on voit des figures grimaçantes j des vilages de vieilles , des fantômes Jiideux qui femblent s'adreffer à nous^ êc qui fe fuccèdent avec autant clé hU zarrerie que de rapidité ; ce[[ la lanterne magique ; c'ell une fcènc de chimères qui rempIifFent le cerveau vide alors de toute autre fenfation , & les objets de cette fcènt font d'autant plus vifs , d'autant plus nombreux , d'autant plus déiagréables , que fes autres fticuités ani- maies, font plus lézées, que les nerfs font plus délicats, & que Ton eil plus foible, parce que ies ébraniemens caufés par les fenfttions réelles étant , dans cet éiat de- foiblefîe ou de maladie , beaucoup plus forts & plus défagréables que dans l'état de fmté , les repréfentations de ces fên- lîitions, que produit îe renouvellement de ces ébraniemens , doivent aufli être plus vives Se plus agréables. Au refte , nous nous louvenons de nos rêves, parla même raifon que nous nous fouvenons des fenfation s que nous venons d'éprouver, &: la feule différence qu'il y ait ici entre les animaux & nous, c'efl que nous diftinguons parfaitement ce qui appartient à nos rêves de ce qui appartient à nos idées ou à nos fenfations' réelles , ÔL ceci efl une comparaifon; une! fur la imtiire des Animaux, ly^ opération de h mémoire, dans laquelle entre l'idée du temj^s ; les animaux au contraire , qui font privés de la mémoire & de cette puifTance de comparer les temps , ne peuvent diftinguer leurs rêves de leurs lenfations réelles, & l'on peut dire que ce qu'ils ont rêvé leur effc çfFedivement arrivé. Je crois avoir déjà prouvé d'une manière démonltrative, dans ce que j'ai écrit (d) fur la nature de l'homme , que ies animaux n'ont pas la puifîance de réfléchir : or l'entendement eft , non-* ièulement une faculté de cette puiiîance de réfléchir , mais c'eft l'exercice même de cette puiflance , c'en efl le réfuhat , c'efi: ce qui la manifefle ; feulement nous devons diftinguer dans l'eniende- ment deux opérations différentes, dont la première fert de bafe à la féconde & la précède néceflairement : cette pre- mière acftion de la puiliance de réflé--» chir eft de comparer les fenfations & àH^w former des idées , & la féconde eft (il) Voyez Farticle de la nature de l'homme |. yoU IV de cette Hiftoire Naturelle, *j 3 ^ DifcGurs de comparer les idées mêmes & d'en former des raiionnemens ; par la j^re- îîîière de ces opérations, nous acqué- rons des idées particulières & qui iuf- fi (ent à la connoifTance de toutes les choies fenfibles ; par la féconde , nous nous élevons à des idées ofénérales , nécefîaires pour arriver à l'intelligence des choies abllraites. Les animaux n'ont ni l'une ni l'autre de ces facultés, parce qu'ils n'ont point d'entendement ; & l'en- tendement de la plupart des hommes paroît être borné à la première de ces opérations. '^ Car fi tous les hommes étoîent éga- ement capables de comparer des idées, de les généralifer & d'en former de nouvelles combinailons , tous manifefle- roient leur génie par des produd:ions nouvelles , toujours différentes de celles des autres, 6l louvcnt plus parfaites ; tous auroient le don d'inventer , ou du moins les talens de perfectionner. Mais jion : réduits à une imitation fervile, la plupart des hommes ne font que ce qu'ils voient fliire, ne penfent que de mémoire §s. dans ie même ordre que les autrçg fur la nature âcs Ainmaux. 3 3 j uVA pcnfé; les formules, les méthodes, les métiers rempliflcnt toute la capacité de ieur eniendenient , ôc les dilpenient de réfléchir afîez pour créer. L/imagination eft auffi une ficuhé Je l'ame : fi nous entendons par ce not imagination la puiflance que nous ivons de comparer des innges avec des dées , de donner des couleurs à nos senfées, de repréienîer & d'agrandir nos .ènfations , de peindre le feniiment ^ m un mot de faifir vivement les cir- ronOances & de voir nettement ies apports éloignés des objets que nous :onfidérons , cette puifTance de notre une en eft même la qualité la plus ^riilante & la plus aétive, c'eft refprit "upérieur , c'eft le génie , lés animaux en ont encore plus dépourvus que d'en-» endement & de mémoire : mais il y a 4ne autre imagination , un autre principe :jui dépend uniquement des organes :orporels, & qui nous eft commun avec es animaux ; c'eft cette aélion tumul- ueaie & forcée qui s'excite au dedans ie nous-mêmes par les objets anal(;gues au coutraires à nos appéùts; ç'ell cçttQ ''5 j 6 Dîjcotirs impreffion vive & profonde des îmngeS^ de ces objets , qui malgré nous Te renou- velle à tout inllant , & nous contraint d'agir comme les animaux , fans réflexion, iàns délibération ; cette repréfentation des objets plus acftive encore que ieur préfence, exagère tout, flilfifie tout. Cette imagination eft l'ennemie de notre ame , c'elt la Iburce de i'iiiufion , la mère des paffions qtii nous maîtrifent , nous emportent malgré les efforts de la raifon , &. nous rendent le malheureux ^théâtre d'un combat continuel, où nous fommes prefque toujours vaincus, Homo duplex. L'homme intérieur eft double, il eft compofé de deux principes différens par leur nature, & contraires par leur aétion. L'ame , ce principe fpirituel, ce principe de toute connoiiïance , eft toujours en oppofition avec cet autre principe animal ai purement matériel : le premier eft une lumière pure qu'ac- compagnent le calme & la férénité ; une^ iburce iàlutaire dont émanent la fcience, la fur la nature des Animaux. 3 3 "/ la raifon, la (ageiïè; l'autre efl: une fîiufîe lueur qui ne brille que par la tempcte & dans i'obicurité , un torrent impétueux qui roule & entraîne à fa iuite les pafîjons & les erreurs. Le principe animal fe développe îe premier ; comme il efl purement ma- tériel , & qu'il confifle dans la durée des ébranlemens & le renouvellement des impreflions formées dans notre lens intérieur matériel par les objets analogues ou coiitraires à nos appétits , il com- mence à agir dès que le corps peut ieiitir de la douleur ou du plaifir , il nous détermine le premier & aufîitôt que nous pouvons fîiire ufage de nos i^ns. Le principe fpirituel fe .maniferte plus tard , il fe développe , il fe perfeélionne au moyen de l'éducation ; c'efl: par la communication des penfées d'autrui que l'enfant en acquiert & devient lui-même peniant & raifonnable , & fins ' cette communication il ne feroit que (lupide ou ^ntafque , félon le degré d'inadioii ou d'adivité de fon fens intérieur ma- tériel. Confidérons un enfant lorfqu'il eft Toms F» P. '3 3 s ' DjJcow's en liberté &: loin de i'œil de fes maîtres ^ nous pouvons juger de ce qui fe pafîe su dedans de iui par le réfultat de les actions extérieures , il ne penfe ni ne réfléchit à rien , il fuit indifTeremment toutes les routes du plaifir , il obéit à toutes içs imprefîions des objets exté- rieurs, il s'agite fans raifon , il s'amufe, comme les jeunes aniir.aux , à courir , à exercer Ton corps , il va , vient & revient fans defiein , iTms projet , il agit fans ordre & fans fuite ; mais bien- tôt , rappelé par la voix de ceux qui iui ont appris à penler , il fe com- pole , il dirige fes adlions , il donnç des prçuves qu'il a conlervé les penfées qu'on lui a communiquées. Le principe înatériei domine donc dans l'enflince , & il continueroit de dominer & d'à air prefque feul pendant toute la vie , fi î'éducation ne A^enoit à développer le' princip.e fpîrituel , ^ à mettre Tame ci>, exercice, Il ell aifé , en rentrant en foi - même , de reconnoître l'exiflence de ces deux principes : il y a des inflans dans la fie, il y a même d^s heures, ûc$. jours, fur la nature des Animaux. 33^ des (Iiifons où nous pouvons juger , non - leufement de la certitude de leur Exificnce , mais aufli de leur contrariété d'action. Je veux parler de ces temps d'ennui , d'indolence, de dégoût, où nous ne pouvons nous déterminera rien , où nous voulons ce que nous ne faifons as , & faifons ce que nous ne voulons as ; de cet état ou de cette maladie à [aquelle on a donné le nom de vapeurs , hat où fe trouvent fi fouvent les hommes DÎfifs, & même les hommes qu'aucun travail ne commande. Si nous nous ob- fervons dans cet état , notre moi nous •>aroîtra divifé en deux perfonnes , dont a première , qui repréfente la ficulté raifonnabie, blâme ce que fait la ieconde, mais n'eft: pas affez forte pour s'y op- -)ofer efficacement & la vaincre ; au contraire , cette dernière étant formée de toutes les illufions de nos fens 5c de notre imamnation , elle contraint , elle enchaîne , & fouvent elle accable a première , & nous fait agir contre ce que nous penfons , ou nous force » l'inadion , quoique nous ayons isi volonté d'agir» Pi; ^"4<^ Difcours Dans le temps où la faculté raîfbii-^ liable domine, on s'occupe tranquiiie-; jiient de foi-même, de (es amis, de fe< aîîaires ; mais on s'aperçoit encore , m fût-ce que par des diil radions involou: taires , de ia préfence de l'autre principe Lorfque celui-ci vient à dominer à for tour , on fe livre ardemment à fa àïi fipation , à fcs goûts , à fes paillons & à peine réfléchit- on par inllans fu; ies objets mêmes qui nous occupent & qui nous remplillent tout entiers. Dan; ces deux étais nous fommes heureux dans le premier nous commandons ave^ fuiifaction , &. dans le fécond nou. pbéilTons encore avec plus de plaifir comme il n'y a que i'un des deux prin cipes qui foit alors en action , Sl qu'i agit fms oppofition de la part de l'autre nous ne (entons aucune contrariété inté ricure , notre ?noi nous paroît fimple parce que nous n'éprouvons qu'uru jmpulfion fîmple , & c'efl: dans cetti unité d'adion qiîe confifle notre bon heur, car pour peu que par des réfle^ ;xions nous venions à blâmer nos plaifir| en!e & on n'agit que ])0ur approuver &: pour fnisfaire fa pafîjon ; tant que cette ivrefîe dure , 011 cil heureux , les conîradiâ:ions & les peines extérieures femblent refferrer en- core l'unité de l'intérieur, elles fortifient la paiîion; elles en rempliiTent les intervalles P iii; r344 Dïfcours lancruiiîans , elfes réveillent l'orooielî , h achèvent de tourner toutes nos vues vers ïe même objet & toutes nos puiffiinces vers îe même but. Mais ce bonheur va pafTer comme un ionge , le charme difparoît, le dé- goût fuit , un vide affreux fuccède à iii piénitude des fentimens dont on étoit occupé. L'ame , au fonir de ce fom- meii létargique , a peine à fe recon- noitre , elle a perdu par l'efciavage l'habitude de commander , éÀQ n'en a plus ia force , elle regrette même la fer- vitude & cherche un nouveau inaitre , un nouvel objet de pallions qui dirparoît bientôt à Ton tour , pour être Tuivi d'un «lutre qui dure encore moins ; ainfi les excès & les dégoûts fê m.ultiplient , les piaiiirs fuient , les organes s'ufent , le iêns matériel , loin de pouvoir com- mander , n'a plus ia force d'obéir. Que relie- 1- H à l'hom^me après une telle jeunefic î un corps énervé , une ame amollie , îk i'impuiilance de ie fcrvir de tous deux. Auiiî a-t-on remarqué que c'eft dans le moyen âge que ie;? hommes font i^^ fur la nature ries Àuhiiaux. 345 plus (ujets à ces langueurs dei'anie, à cette maladie intérieure , à cet état de vapeurs dont j'ai parlé. On court encore à cet âge après les plaifirs de la jeunefîe , on les cherche par habitude 6c non par beioin ; & comme à mefure qu'on avance il arrive toujours plus fréquemment cju'on fcnt moins k }:)îaifjr que l'im- puiiïance d'en jouir , on fe trouve con- tredit par foi - même , humilié par la. propre foiblelfe , fi nettement & li lou- vent , qu'on ne peut. s'empêcher de le blâmer, de condamner les aclions , &, de fe reprocher même fes defirs. D ailleurs , c'eft à cet âo-e que naifient les ioucis de que la vie ell la plus coii- tentieufe ; car on a pris un état , c'eil-' à - dire , qu'on eit entré par hafàrd ou par choix dans une carrière qu'il eR' tou- jours honteux de ne pas fournir y éc louvent très -dangereux de remplir avec éclat. On marche donc péniblement entre deux écueils également formida- bles, le mépris & la haine, on s'afîoiblit par les efforts qu'on fait pour les éviter , ÔL l'on tombe dans le découragement ; car lorfqu'à force d'avoir vécu'& d'à voie P V 34^ Di [cours reconnu , éprouvé îes injudices des hommes, on a pris i'nabitude d'y com- pter comme fur un mJ nécefiai- e : lorf- qu'oji s'eil: enfin a_ccout'.>mé à faire moins de cas de leurs jugemens qiîe de ion repos , & que le cœur endurci par les cicatrices mê.i es des coups qu'on lui a |)ortés, e(l devenu plu» in- fenfible , on arrive aifémcni à cet e'taî d'indiiférence , à cette quiétude indo- îente , dont on auroit rougi quelques années auparavant. La gloire , ce puii- iani mobile de toutes les orandes âmes , & qu'on voyoit de loin comme un but éclatant qu'on s'efforçoit d'atteiiidre par des acflions brilLintes & des travaux utiles , n'eft plus qu'un objet ians attraits pour ceux qui en ont approché , <8c ; un Emiome vain & trompeur pour les autres qui font reflés dans 1 eloignement, La parelTe prend fa place , &. femble offrir à tous des routes plus ailées & des biens plus folides ; mais le dégoût îa précède c\ l'ennui la fuit ; l'ennui , ce ; trille tyran de toutes lésâmes qui pcnfent, contre lequel la fageffe peut moins que iii folie. fur la nature ries Animaux'. 347 Ctlt donc parce c|i;e la nature de i'honime eft coinpoiéc <.ie deux principes- op[)c)les , qu'il a tant de p; ine à te can- crlifr avec lui- même; c'eH de -là que viennent ion inconltance, Iba irreluiu- lion , lès ennuii. Les animaux au contreiire , dont la nature efl: fimpie (^< purement UKiteridle , ne refltiuent ^ ni combats intérieurs , ni oppofition , ni trouble; ii^ n'ont, ni nos regrets , ni nos remords , ni noo e'pé- rances , ni nos craintes. Séparons de nous tout ce qui appar- tient à famé, ôtons-nous l'entendement , i'eiprit & la inlifnoire , ce qui nous re(^ tera (èra la partie matérielle par la(]uelle nous fommes animaux , nous aurons encore des befoins , des fen faiions , des appétits , nous aurons de la douleur & du plaifir , nous auruns mêine des par- iions; car une palTion efl elle autre choie qu'une fenfation plus forte que les autres , éi qui fe renouvelle à tom inllnnt î or , nos fenlatîons pourront (è renouveler dans notre fens inférieur matériel ; nous aurons donc toutes les padions, du moins toutes ks palîjons- aveugles que ranîe;^ F vj •548 Difcours ce prijicîpe de ia connoiflance , ne peut' jii prodiûre , ni fomenter. C'eil ici ie point le plus difficile : comment pourrons- nous , fur - tout avec i'abus que i'on a fiit des termes , nous fiiire entendre & diftinguer nettement îes paffions qui n'appartiennent qu'à Thomme , de celles qui lui font com- munes avec les animaux î eft-ii certain , efl-ii croyable que les animaux puiffent avoir des paillons î n'ed-il pas au contraire convenu que toute paffion efl: une émo- tion de l'ame î doit-on par confe'quent chercher ailleurs que dans ce principe fpi- rituel les germes de i'org|leii, de l'envie^ de l'ambition , de l'avarice & de toutes îes pafîjons qui nous commandent ! Je ne fais , mais il me femble que tout ce qui commande à Famé ell: hors d'elle,. 11 me femble que le p^rincipe de la con- noillluice n'eft point celui du fentiment ^ il me fembie que le germe de nos paf- lions eft dans nos appétits , que îes iiiu- iions viennent de nos fens & réfident- clans notre fens intérieur matériel , que d'abord l'ame n'y a de part que par. fon lifciîce ; que quand elle s'y prête elle fur h natnre des ^Animaux. J4-9 tfl: fubjuguée , & pervertie lorfqu'eile s'y complaît. Difiinguons donc dans les partions de i'homme le phyric|ue & le moral , l'un efl la caufe , l'autre efl l'effet ; la pre- mière émotion eft dans le fens inté- rieur matériel , l'aroe peut la recevoir , mais elle ne la produit pas : didinguons aufîi les mouvemens inllantanés des mouvemens durables , &: nous verrons d'abord que la peur, l'horreur, la colère ^ l'amour , ou plutôt le defir de jouir, font des fentimens , qui quoique dura- bles , ne dépendent que de l'impreflioiî; des objets fur nos iens , combinée avec ies impreHions fubfiilantes de nos fen- faîions antérieures, & que par conléquent ces pafîions doivent nous être comm.unes- avec ies animaux» Je dis que les im- prefîions aclueiles des objets font com- binées avec les impreiTions fubfiilantes de nos fenfations antérieures , parce que rien n'eft horrible, rien n'ell effrayant,, rien n'eft attrayant pour un homme ou pour un animal qui voit pour la pre- mière fois : on peut en faire l'épreuve fur de jeunes animaux j j'en ai vu ft $^o Dtfcours jeter au feu îa première fois qu'on îes' ■y prélentoii : ils n'acquièrent de i'ex- périence (jue par des a(^es réiiércs , doni {es iinprefîions lubfiilent dans leur ièns iniérieur ; & quoique leur expé- rience ne loir point raifonnée , elle n'en eft pas moins lûre, elle xxi^n. eil même que plus circonijie(fle : car un grand bruit, un mouvement violent ; une li- gure extraordinaire , qui ie préfenie ou le fait entendre iubiiement & pour la première fois , produit dans l'animal une fccouffe dont l'eïîeî eft lemblabie aux: premiers mouvemens de la peur , mais ce lentimeni n'ed c|u'inflantané ; comme ii ne peut le combiner avec aucune fenlaîion précédente , il ne peut donner à l'animal qu'un ébranlement momen- lané , (k non pas une émotion dura- ble, telle que la fuppoie la paffion de la peur. Un jeune animal tranquille habitant des forêts qui tout - à - coup enrend le ibn éclatant d'un cor, ou le bruit fubit & nouveau d'une arme à fèu , treflaillit ,, bondit , Si fuit par la feule violence 1 d€ la fecouITe qu'il vient d'éprouver.! fiiî' Id nature des Ammaiix, 35! Cependant fi ce bruit cfl flms effet , s'il Celle , l'animai rec( nnoît d'abord 1« filtnce ordinaire de la Nature , il (e caiiiie, s'airête, & rej^a^ne à pas ecraux ili paifible retraite. IVLJi i'^gc & l'expé- rience le rendront bieiitôt circonlpect & limide , dès qu'à l'occafion ^v.w bruit jnrcîl il le lera ienii blelié , atteint ou j^ourfu'ivi : ce (ennuient de peine ou ccKe lenlation de douleur le conler\e dans Ion fens intérieur , & lorique le }riéine bruit le fait encore entendre , elle fe renouvelle , ik le combinant avec l'ébranlement ad:uei , elle produit un lentiment durable , une paOton lubfii- tiinte , une vraie peuj», l'animal fuit & fuit de toutes le> forces, il fuit trèi-loin , il fuit long-temps, il fuit toujours , puil- cjue fouvent il abaiulonne à jamais loa iejour ordinaire. La peur efl donc une pafTion dont i'animai efl: (lifceptible , quoiqu'il n'ait pas nos craintes raifonnées ou prévues: il en eil de même de l'horreur , de la colère, de l'amour, quoiqu'il n'ait, ni nos aver fions réfléchies , ni nos h lines durables , ni nos aniiiiéy conflanies. 3 5 ^" Dtfcours L'animal a toutes ces pallions premières;, elles ne Tuppoient aucune connoiiîance , aucune idée , <5c ne font fondées que fur l'expérience du feniiment , c'efl-à- dire , fur la répétition des adles de dou- îeur ou de plaifir, 6i te renouvellement des fenfations antérieures du même genre. La colère , ou fi l'on veut ie courage naturel , le remarque dans les animaLix qui Tentent leur force , c'eft-à- dire, qui les ont éprouvées, mefurées ,- & trouvé fupérieures à celles des autres ; la peur efi: le partage des foibles , mais ie fentiment d'amour leur appartient à tous. A mour I defir înné ! ame de îa Na-*' ture ! principe inépuifabk d'exiflence î puifiance louveraine qui peut tout , & contre laquelle rien ne peut , par qui tout agit , tout refpire & tout le re-- nouvelle î divine flamme ! aerme de perpétuité que l'Eternel a répandu dans- tout avec le fouffle de vie ! précieux: ièntiment qui peut feul amollir les cœurs féroces & glaces , en les pénétrant d'une douce chaleur 1 caule première de tout fcjen^ de toute -fociété; qui réunie fai;s fur la nature des Animaux, 353" tontrainte ^ par tes feuls attraits {es natures iauvages & difj)errées I fource unique &: féconde, de tout piaifir , de toute volupté ! amour I pourquoi fais-tit i'éiat heureux de tous les êtres (Si le mal- heur de l'homme ! C'elt qu'il n'y a que le phyfique de cette pafTion qui foit bon , c'eft que , malgré ce que peuvent dire les gens épris, le moral n'en vaut rien. Qu'elt-ce en effet que le moral de l'amour î la vanité ; vaiiité dans le plaifir de la con- quête, erreur qui vient de ce qu'on en fait trop de cas ; vanité dans le defir de la conferver exckifivement , état malheureux qu'accompagne toujours la jaloufie , petite paflion , li bafie qu'on voudroit la cacher ; vanité dans la ma- nière d'en jouir , qui fait qu'on ne multiplie que fes gefles ou fes eftorts fans multiplier fes plaifirs ; vanité dans îa façon même de la perdre , on veut rompre le premier; car fi l'on efl quitté, quelle humiliation ! & cette humiliation fe tourne en défefpoir lorfqu'on vient à reconnoître qu'on a été long-temps dupe i5c trompé. 'I 5 4 JJijcoms Les animaux ne font pioint fuiets à toutes ces misères , ils ne cherchent pas des plaifirs où il ne peut y en avoir ; guidés par ie fentiment feul , ils ne fe trompent jamais dans leur choix , leurs defirs font toujours proportionnés à la puifîance de jouir , ils fentenr autant qu'ils jouiiient, & ne jouificnt qu'autant qu'ils iêntent : l'homme au contraire , en voulant inventer des plaifirs , n'a fait - que gâter la Nature , en voulant fè forcer fur ie fentiment, il ne fait qu'a- bu(èr de fon être , & creufer dans fon cœur un vide que rien en fuite n'efi: ca- pable de remplir. Tout ce qu'il y a de bon dans l'amoirr appartient donc aux animaux tout aulli- bien qu'à nous , Ôl même , comme li ce fentiment ne pouvoit jamais être pur, ils paroifient avoir une petite portion de ce qu'il y a de moins bon, je veux pnrler de la jaloufie. Chez nous cette paiîîon fuppofe toujours quelque dé- fiance de foi-même , quelque connoii- fmce fourde de fa propre foibfefTe ; les animaux au contraire femblent être d'au- tant plus jaloux qu'ils ont plus de force ^^ Jur la nature des Amniûux, 3 5 J plus d'ardeur &. plus d'habitude au plaifir; c'elt que notre jalouHe dépend de nos idtes , & la ieur du fentimcnt ; ils ont joui ; ils défirent de jouir encore , ils s'en {entent la force , ils écartent donc tous ceux qui veulent occuper leur place , leur jaioufie n'eii point réfléchie, ils ne la tournent pas contre l'objet de leur amour , ils ne font jaloux que de leurs j)laifjrs. Mais les animaux font- ils borne's aux feules palTîons que nous venons de dé- crire î la peur , la colère , l'horreur . l'amour & la jaloufie font-elles \qs leules affections durables qu'ils puifîent éprou- ver î il me iemble qu'hidépendamment de ces paflions , dont le fentiment natu- rel ou plutôt l'expérience du fentiment rend les animaux fuicepîibles , ils ont encore des pafilons qui leur iont com^ inuniquées , &. qui viennent de l'édu- eation , de l'exemple, de l'imitation & de l'habitude : ils ont leur elpèce d'a- mitié, leur efpèce d'orgueil, leur eipèce d'ambition , ôl quoiqu'on puiile déjà s'être afTuré, par ce que nous avons dit, gue dans toutes leurs opérations & dans tous ies fK^les qui émanent de leurs paf^ lions il n'entre ni réflexion , ni penfcc , ni même aucune idée , cependant comme îes habitudes dont nous parlons font celles qui femblent le pins fur^poler quelques degrés d'intelligence , h. que c'efl ici où la nuance entr'cux & nous eft Ja plus délicate & la plus difficile à faifir , ce doit être aufii celle que nous devons examiner avec le plus de foin. Y a-t'i! rien de comparable à ratta- chement du chien pour la pcrfonne de fon maître î on en a vu mourir lur le tombeau qui la renfermoit ; mais ( fans vouloir citer ies prodiges ni les héros d'aucun genre ) quelle fidélité à accom- pagner, quelle confiance à fuivre, quelle attention à défendre fon maître ! queî emprefîement à rechercher Tes carefTes \ quelle docilité à lui obéir ! quelle pa- tience à fouffrir fa mauvaife humeur & des châtimens fouvent injuftes ! quelle douceur & quelle humilité pour tâcher "de rentrer en grâce I que de mouve- mens , que d'inquiétudes , que de cha- grin s'il ell abfent ! que de joie lorfqu'il fur la nature des Animaux, "3 5 /j % retrouve I à tous ces traits peut - on mcconnoître l'amitié î fe marque- 1 -elle même parmi nous par des caradères aufîi énergiques \ W en e(t de cette amitié comme de celle d'une femme pour Ton ferein , d'un enfant pour Ton jouet, &c, toutes deux font aulli peu réfléchies , toutes deux ne font qu'un ientiment aveugle ; celui de l'animal efi: feulement plus naturel ^ puifqu'il efl: fondé fur le befoin , tandis que l'autre n'a pour objet qu'un infipide ^mufement auquel l'ame n'a point de part. Qqs habitudes puériles ne durent que par le défœuvrement , & n'ont de force que par le vide de la tête ; <&: le goût pour les magots & le cuite des idoles , l'attachement en un mot aux chofes inanimées , n'eft-il pas le der-* nier degré de la (tupidité ! Cependant- que de créateurs d'idoles (Se de magots, dans ce monde ! que de gens adorent i'argile qu'ils ont paîtrie ! combien d'au-^ très font amoureux de la glèbe qu'ils ont remuée ! Il s'en faut donc bien que tous les, ^itachemeas viennent de l'ame , & quç 'j 5 3 Dîfcùîirs i;i faculté de pouvoii" s'attacher iiippofe réccfTaîrcinent ia puillance ce penier & (de réfléchir , puilque c'efl lorfqu'on penfe & cju'on réfléchit ie moins que naifient ia plupart de nos attachemens, que c'efl encore faute de penfer & de ïétîéchir qu'iis le confirment & le tour- nent en habitude , qu'ii fuffit que c(uel- que chofe flatte nos fens pour que nous î'aimions , &l qu'enfin ii ne faut que s'occuper fouvent & long ^ temps d'un objet pour en faire une idole. Mais i'amiiié fuppofe cette puiffance de réfléchir , c'eft de tous ies attache- mens le plus digne de l'homme & fe feul qui ne le dégrade point ; l'amitié n'émane que de la raifon , l'imprefllon des fens n'y fait rien , c'efl: l'ame de fou ^mi qu'on aime , & pour aimer une ïime il faut en avoir une , ii faut en avoir fût ufige , l'avoir connue , l'avoir comparée & trouvée de niveau à ce que l'on peut connoître de celle d*un autre : Vamitié fuppo(è donc , non - feulement ie principe de la connoiflànce , mais l'exercice aduel & réfléchi de ce prin^ ■çipe, fur la nature des Animaux', 3 j p Ainfi l'amitié n'appartient qu'à l'kom* jne , & l'attachement peut appartenir jiux animaux : le fentiment ftul fuffit pour qu'ils s'attachent aux gens qu'ils voient louvent , à ceux qui les loigntnt , qui les nourrifTent , &c. le leul lenti- îiient fuffit encore pour qu'ils s'attachent aux objets dont ils font forces de s'oc- cuper» L'attachement des mères pour leurs petits ne Aient que de ce qu'elles ont été fort occupées à les porter , à îes produire , à les débnrrafTer de leurs enveloppes , &. qu'elles le font encore à les allaiter, tSc li dans les oifcaux les pères femblent avoir quelque attache- ment pour leurs petits , jjy ïnoins des xronvenanccs phyfîques que des relations morales. L'homme a d'a- bord inefuré (à force & fa foibleiTe , iî a comparé Ton ignorance & fa curio- fité , ii a fcnti que feul ii ne pouvoit fuffire ni fatisfàire par lui-même à la multiplicité de (es befoins, il a reconnu i'avantage qu'il auroit à renoncer à l'u- iîige illimité de fa volonté pour acquérir un droit fur ia volonté des autres , ii a réfléchi fur l'idée du bien & du mial , il l'a gravée au fond de (on cœur à la faveur de la lumière naturelle qui lui a été départie par la bonté du Créateur , H a vu que la folitude n'étoit pour lui qu'un état de danger 6c de guerre , iî a cherché la fureté & la paix dans la focicîé , il y a porté les forces & (es iumières pour les augmenter en les réu- iiidlmt à celles des autres: cette réunion eft de rhomm.e l'ouvrage le meilleur , c'ell: de (à railon fulage le plus lage,. En effet ii n'eR tranquille, il n'efl forr^ il n'efl grand, il ne commande à l'U- nivers que parce qu'il a fu (e com- mander à lui-même, fe dompter ^ fe ibmnettre &. s impofer des loix; i homms '57^ 'D}fcours en un mot n'efl homme que parce qu'2 ;i fu fe réunir à l'homme. Il eft vrai que tout a concouru à rendre l'homme fociable ; car quoique ics grandes lociétés , ies fociëtés poli- " cées dépendent certainement de i'uiage & quelquefois de l'abus qu'il a fait de fa railon , elles ont fans doute été pré- cédées par de petites (ociété'S , qui ne dé])endoient , pour ainfi dire, que de la Nature. Une famille eft une iociété naturelle , d'autant plus ftabie , d'autant anieux fondée, qu'il y a plus de befoins, plus de caufes d'attachement. Bien dif- férent des animaux, l'homme n'exifle prefque pas encore lorfqu'il vient de naître; il eft nu, foi ble , incapable d'au- cun mouvement; privé de toute a^lion, réduit à tout fouffrir , fa vie dépend des fecours qu'on lui donne. Cet état de i'enfince imbécille, impuiiîluite , dure long-temps ; la nécefTité du fecours devient donc une habitude , qui feule fèroit capable de produire l'atiachemcnt mutuel de l'enfmt & des père & mère : jnais comme à riiefure qu'il av.;nce , i'eafaut acquiert de quoi fe pafler plu^ Jiir h nature des Animaux. 3 7^. îiîfénient de fecours , comme il a phy- fiqucinent moins befoin d'aide; que les parens au contraire continuent à s'oc- cuper de lui beaucoup plus qu'il ne s'occupe d'eux , il arrive toujours que l'amour defcend beaucoup plus qu'il ne remionte : l'at-achement des père & Kicre devient excefîif , aveugle , ido- iâtre j >& celui de i'enfant refle tiède & ne reprend (^Qs forces que lorfque la rai Ton vient à développer le germe de la reconnoilTance. Ainfi la fociété , confidérée même dans une feule famille, funpofe dans riiomm.e la fKulié raifonnable; la fo- ciètè , dans les animaux qui femblent fe re'unir librement & par convenance , ilippoîe l'expérience du feniiment , & ia fociéié des bêtes qui , comme les abeilles , le trouvent enfemble fans s^êtrc cherchées ,-ne fuppofe rien : quels qu'en puiïTent être les réfultats , il eft clair qu'ils n'ont été, ni prévus, ni or- donnés, ni conçus par ceux qui les exécutent ; & cju'ils ne dépendent que du mécaniime univerfel & des loix du ^louvemem établies par ie Créateur, '^ 7 s Dîfcoiirs Qu'on mette enienible dans îe même lieu , dix milie automates anime's d'une force vive &; tous déterminés , par la reflembîance parfaite de ieur forme extérieure & intérieure , &: par la con- formité de leurs mouvemens , à faire chacun la même chofe dans ce même iieu , il en réfultera néccfîairement un ouvrage régulier: les rapports d'égaiité, de limiiitude , de (ituation s*y trouve- ront , puifqu'ils dépendent de ceux de mouvement que nous fuppofons égaux & conformées; les rapports de juxta-pofi- tion, d'éiendue, de figure s'y trouveront auili , piûlque nous fnppofons l'efpace donné & circonicrit ; & fi nous accordons à ces automates ie pius petit decrré de fenument, celui feulement qui ell: nécef- faire pour lentir fon exiftence, tendre à fa propre conlervation , éviter les chofès nuifibles , appeler les chofes convena» blés, Ô;c. l'ouvrage fera , non -feulement régulier, proportionné, fitué , fem- blable, égal, mais il aura encore l'air de la lymétrie , de la folidité , de la commodité , &c. au plus haut point ât perfeclion ; parce qu'en ie formant ^ fur la nature des Animaux, 3 /p" tliacuii de ces dix mille individus a cherché à s'arranoer de la manière la plus commode pour lui, & qu'il a en même temps été forcé d'agir & de le placer de la manière la moins incom- mode aux autres. Dirni-je encore un mot; ces cellules des abeilles , ces hexagones tant vantés , tant admirés , me fournirent une preuve de plus contre Tcnthoufialnie & l'ad- miration : cette figure , toute géomé- trique & toute régulière qu'elle nous paroît , &: qu'elle e(t en efiet dans la ipéculation , n'eft ici qu'un réfultat mé- canique & alTez imparfait qui fe trouve fbuveiit dans la K'ature , & que l'on 'remarque même dans lès produ61ions les plus brutes ; les criiiau:: & plufieurs autres pierres , quelques fels , &c. pren- nent conftamment cette figure dans ieur formation. Qu'on obier ve les pe- tites écailles de la peau d'une rouiïette , on verra qu'elles font hexagones , parce ■que chnque écaille croiffim en même temps , le fait obflacle , & tend à occuper îe plus d'efpnce qu'il efl: pofîibîe dans iin elpace donné: on voit ces mêa^e^ l^îô Dîf cours ^ hexagones dans ie fécond efloinac del animaux ruminans, on les trouve dans îes graines, dans leurs capfuies, dans certaines fleurs, &c. qu'on remplide ua vaifTeau de pois, ou plutôt de quei- qu'autre graine cylindrique, &: qu'on fe ferme exaclement après y avoir verié autant d'eau que ies intervalles qui relient entre ces graines peuvent en recevoir ; qu'on fade bouillir cette eau, tous ces cylindres deviendront des colonnes à ùx pans. On en voit clairement la raiion , qui efi: purement mécanique ; chaque graine , dont la figure efl cylindrique , tend par Ton renflement à occuper le plus d'elpace poiîlble dans un efpace donné , elles deviennent donc toutes néceflliirement hexagones par la compref- fion réciproque. Chaque abeille cher- che à occuper de même le plus d'efnace polîjble dans un efpace donné, il ell donc néce(ïî\ire aufli , puiiquc le corps des abeilles eft cylindrique , que leurs cellules foient hexagones , par la même yaifon des obftacles réciproques. On donne plus d'efprit aux mouches doatic5 ouvrages fgnt les plus réguliers^, Jm- h nature clcs Animaux. 3 8 r- ïes aheiiles font , dit-cn , plus ingénieufes que les guêpes , que les frelons, &c. qui finent aulH l'archiiedure , mais dont les condrudions font plus groflitrcs & plus irre'gulières que celles des abeilles : 011 ne veut pas voir, ou l'on ne le doute pas que cette régularité' , plus ou nioins grande , dépend uniquement du nombre & de la fipure , & nulleirient de l'intelli- gence de ces petites bètcs ; plus ç:^.ç.s lont nombreules , plus il y a de forces qui ngifTent également, & qui s'oppofent de même , plus il y a par coniéquent de contrainte mécanique , de régularité forcée & de perfed:îon apparente dans kurs produclions. Les animaux qui refièmbîent îe plus à l'homme par leur figure &: par leur organifation, feront donc, malgré les apolcgiftes é^s infedlcs, maintenus dans ia pofTefT'on où ils étoient, d'être fupé- rieurs à tous les autres pour les qualités intérieures , & quoiqu'elles foient infini- ment différentes de celles de l'homme , qu'elles ne foient , comme nous l'avons prouvé , que des réfultats de l'exercice éc de l'expérience du femiment^ ces 2 Uîicours '3 animaux font par ces facultés mêmes forf fupérieurs aux inieâ:es , & comme tout] Te £iit & que tout elt par nuances dans; ïa Nature , on peut établir une échelle pour juger des degrés des qualités, intrinsèques de chaque animai, en pre-^, nant pour premier terme la partie jua-^ térielie de l'homme , & plaçant fuc- ceflivement les animaux à différentes diftances ,' félon qu'en effet ils en appro-i chent ou s'en éloignent davantage , tant par la forme extérieure , que par l'or- ^anifation intérieure ; en forte que le linge, le chien, l'éléphant & les autres quadrupèdes feront au premier rang ; les cétacées qui , comme les quadru- pèdes & l'homme, ont delà chair & dxi fana, qui font comme eux vivipares- feront au fécond ; les oifeaux au troi-^ fième , parce qu'à tout prendre , ils diffèrent de l'homme plus que les cétacées & que les quadrupèdes ; & s'il n'y avoit pas des êtres qui , comme les huîtres j ou les polypes, fèmblent en diiiérer ' autant qu'il eit podibîe , les infecles ièroient ayec raifon les bêtes du dernier raiîg. fur h naiure des ^Animaux. 3 ^y ■ Mais il les animaux font dépourvus Kentendement , d'efpnt & de mémoire, js'ils font privés de toute intelligence , fi toutes leurs facultés dépendent de leurs ieiis , s'ils font bornés à Texercice & à f 'expérience du fentiment feul , d'où |:)eut venir cette efpèce de prévoyance pu'on remarque dans quelques-uns d'en- tr'euxî le feul fentiment peut -il fiire qu'ils ramaffent des vivres pendant l'été pour fubfifter pendant l'hiver î ceci ne fuppofe-t-ii pas une comparaifon àQ% temps , une notion de l'avenir , une nquiétude raifonnéeî pourquoi trouve- roit-on à la fin de l'automne dans ie trou d'un mulot affez de gland pour le nourrir ufqu'à l'été fuivant î pourquoi ceue abondante récolte de cire & de mie! dans tes ruches î pourquoi les fourmis font-elles des provifions î pourquoi les oifeaax feroient-ils des nids, s'ils ne favoient pas qu'ils en auront befoin 30ur y dépofer leurs œufs & y élever eurs petits , &c. & tant d'autres faits Danicuiiers que l'on raconte d& la pré- voyance des renards, qui cachent leur gibier e;i difîerens endroits pour ie '5 8 4 Dljcoiirs retrouver au Lefoin ôc s'en nourrir pen^ dant plufieurs jours; de la fubtilité rai- fonnée des hiboux , qui favent ménage ieur provifion de fouris en leur coupant] les pattes pour les empêcher de fuir ; de, îa pénétration merveilleule des abeilles qui favent d'avance que leur reine doi pondre dans un tel temps tel nombre d'œufs d'une certaine efpèce , dont il doit foriir des vers de mouches mâles, & tel autre nombre d*œufs d'une autre efpèce qui doivent produire les mouches neutres , 6c qui en conféquence de cette connoiiîance de l'avenir, conflruifent tel nombre d'alvéoles pins grandes pour ies premières , & tel autre nombre d'af- véoies plus petites pour les fécondes l 3iC , &c , &c. Avant que de répondre à ces quef-j tiens , & même de raifonner fur ces' faits , il fiuJroit être affuré qu'ils font réels &: avérés , il faudroit qu'au lieu d'avoir été racontés par le peuple ou publiés par des obfervateurs amoureux du merveilleux , ils eufTcnt été vus par des gens fenfés , & recueillis par des '■ nhiloibphes : je fuis perfuadé que toutes fur la nature des Animaux, 385 les prétendues merveilfes difparoîtroiem , & qu'en y réfléchifTant on trouveroit la caufe de chacun de ces effets en parti- culier. Mais admettons pour un inftant la ve'rité de tous ces faits , accordons aA'ec ceux qui les racontent , le pref- fentinient , la préviiion , la connoifîimce même de l'avenir aux animaux , en réfultera-t-il que ce foit un effet de leur inteiligence \ fi cela étoit , eîle feroit \yi^\\ fupérieure à la nôtre ; car notre pré- v'oyance eft toujours conjed:uraIe , nos lotions fur l'avenir ne font que dou- eufès, toute ia lumière de notre ame Tuffit à peine pour nous faire entrevoir es probabilités des chofes futures : dès- ors les animaux qui en voient la certi- ude, puifqu'ils fe déterminent d'avance 3c fans jamais fe tromper , auroient en îux quelque chofè de bien fupérieur m principe de notre connoifîànce , ils luroient une ame bien plus pénétrante bien plus clairvoyante que la nôtre. Te demande fi cette conféquence ne épugne pas autant à la religion qu'à la aifon ! Ce ne peut doilC être par une întel- Tqïïiî V. R o85 Difcoîirs . ligence fembîable à la nôtre que le animaux aient une connoifTance certain de l'avenir , puifque nous n'en avon que des notions très-douteufes & très imparfaites ; pourquoi donc leur accorde il légèrement une qualité fi fublinic pourquoi nous dégrader mal-à-propos ne feroit - il pas moins déraifonnabîe } fuppofé qu'on ne pût pas douter des faits , d'en rapporter la caufe à des loix mécaniques , établies comme toutes les autres loix de la Nature , par la volonté du Créateur! La fureté avec laquelle on fuppofe que les animaux agiflent, la certitude de leur détermination , fuffi- roit feule pour qu'on dût en conclure que ce font les effets d'un pur méca- nifme. Le caradère de la raifon le plus marqué, c'cft le dôme, ç'efl la délibé- ration , c'eft la comparaifon ; mais dq mouvemens 6ç des adions qui n'annon- cent que la décifion ôl la certitude prouvent err même temps le mécariifm< ^ la ftupidité. Cependant, comme les loix de h Nature , telles que nous les connoif fons, n'en font q\ie les effets généraux fur Id nature des Animaux, 387 & que les faits dont il s'agit ne font ait contraire que des effets très-particuliers, il feroit peu philofophique &, peu digne de l'idée que nous devons avoir du Créateur, de charger nial-à-propos fa volonté de tant de petitei loix , ce feroit déroger à fa toute ^ puiiïance & à la noble fimplicité de la Nature , que de i'embarraffer gratuiienient de cette quan- tité de fiatuts particuliers, dont l'un ne ieroit fait que pour les mouches, i autre pour les hiboux , l'autre pour les niulois , &c. ne doit- on pas au contraire fiire tous fes efforts pour ramener ces effets particuliers aux effets généraux, ci, {i cela n'étoit pas podîbie, mettre ces fiiis en réferve & s'abfîenir de vouloir les expliquer jufqu'à ce que par de nouveaux faits & par de nouvelles analogies, nous puiffions en connoître les caulès. Voyons donc en effet s'ils font hiex- plicables, s'ils font fi merveilleux, s'ils font même avérés. La prévoyance des fourmis n'étoit qu'un préjugé, on là eur a voit accordée en les obfervant , oa a leur a ôtée en les obfervant mieux; ;,Iles font engourdies tout fhiver , leurs lli; 588 'Difcoiirs provifions ne font donc que des ama iuperflus , amas accumulés- fans vues fans connoiiïiince de l'avenir , puifque! par cette connoiffance même elles eu auroient prévu toute l'inutilité. N'eil-il pas très-naturel que des animaux qui ont une demeure fixe où ils font accoutumés à tranlporter les nourritures dont ils ontj âcflueilement befoin , & qui flattent leu apDétii; , en tran (portent beaucoup piu qu'il ne leur en faut , déterminés par ïe fènti'ment feu! & par le plaifir de i'odorat ou de quelques autres de leurs fens , & guidés par l'habitude qu'ils ont prile d'emporter -leurs vivres pour ies manger en repos î cela même ne démontre-til pas qu'ils n'ont que du fentiment & point de raifonnement \ C'ell: par la même raifbn que ies abeilles ramaffcnt beaucoup plus de cire & de miel qu'il ne leur en faut : ce n'eft donc point du produit de leur intelligence , c'eft des efFets de l?ur flupidité que nous profitons ; car l'intelligence k% porteroit néceflairement à ne ramafîei^ qu'à peu près autant qu'elles ont befoin ^ & à s'épargner ia peine de tout le relie , fiir la nature cks Ammaux, j 8p fur-tout après la trille expérience que ce travail elt en pure perte , qu'on leur enlève tout ce qu'elles ont de trop , qu'enfin cette abondance eil la feule caulè de la guerre qu'on leur f'iit , ôc la foLirce de la défoiation & du trouble de leur focieté. Il efl fi vrai que ce n'efl: que par (eniiment aveugle qu'elles travaillent , qu'on peut les obliger à travailler , pour ainfi dire , autant que l'on veut : tant qu'il y a des fleurs qui leur conviennent dans le pays qu'elles habitent, elles ne ceflent d'en tirer le miel & la cire ; eles ne dilcontinuent leur travail & ne finifient leur récoite que parce qu'elles ne trouvent plus rien à ramaHer. On a imaofiné de les tranf- porter & de les faire voyager dans d'au- tres pays où i y a encore des fleurs : alors elles reprennent le travail , elles continuent à rami.fTer, à entafler juiqu'à ce que ''e^ fleurs de ce nouveau cantori foient cpuilces ou flétries ; & fi on les porte dans un autre qui foît encore fleuri , elles continueront de uiême à recueillir , à amaffer : leur travail n efl donc point une prévoyance ni une peine R ii; '3 p o Difœurs qu'elles Te donnent dans ia vue de faire des provifions pour elles, c'efl au contraire un mouvement di(fté par le fentiment , & ce mouvement dure & fe renouvelle autant & aufîî long - temps qu'il exifte des objets qui y font relatifs. Je me fuis particulièrement informé ÛQS mulots, & j'ai vu quelques-uns de îeurs trous, ils font ordinairement divifés en deux , dans l'un ils font leurs petits , dans l'autre ils entafTent tout ce qui flatte îeur appétit. Lorfqu'ils font eux-mêmes leurs trous , ils ne les font pas grands , ôi. alors ils ne peuvent y placer qu'une afîez petite quantité de graines : mais lorfqu'ils trouvent fous le tronc d'un arbre un grand efpace , ils s'y logent, & ils le remplifîènt, autant qu'ils peuvent, de blé, de noix , de noifettes , de glands , {êlon le pays qu'ils habitent ; en lorie que la provifion au lieu d'être propor- tionnée au befoin de l'animal , ne i'efl au contraire qu'à la capacité du lieu. Voilà donc déjà les provifions- des fourmis , des mulots, des abeilles, ré- duites à des tas inutiles , difproportionnés §L r-amaffés fans vues, voilà les petites fur la nature ^es Animaux, 391; loîx particulières de leur prévoyance fup- pofée , ramenées à ia loi réelle & géné- rale du ièntiment ; il en fera de même de ia prévoyance des oileaux. Il n'efl pas néceflaire de leur accorder la con- noiflance de l'avenir, ou de recourir à la fuppofition d'une ioi particulière que ie Créateur auroit établie en leur fîiveur, pour rendre raifon de la conftrudion de leurs nids ; ils font conduits par degrés à les faire, ils trouvent d'abord un lieu qui convient , ils s'y arrangent , ils y portent ce qui le rendra plus commode ; ce nid n'eft qu'un lieu qu'ils reconnoîtront , qu'ils habiteront fans in- convénient , & où ils féjourneront tran- quillement : l'amour efl: le fentiment qui les guide & les excite à cet ouvrage , ils ont beibin mutuellement l'un de l'autre, ils fe trouvent bica enfèmble , ils cherchent à le cacher , à ie dérober au refte de l'Univers devenu pour eux plus incommode & plus dangereux que jamais; ils s'arrêtent donc dan^ lei> endroits les plus touffus des arbres, d.uis les lieux les plus inacceiïibles ou les plus obfcurs * ^ pour s'y foutenir , pour y demeurer 592 Di [cours d'une manière moins incommode, îîs en- fafîeiit des feuilies , ils arrangent de petits lîiate'riaux , «Se travaillent à i*envi à leur habitation commune : ies uns moins adroits ou moins fenfueîs ne font qwe ^ts ouvrages grofîièrement ébançhés , d'autres fe contentent de ce qu'ils trou- Vent tout fait , & n'ont pas d'autre do- micile que les trous qui (è pré fentent ou ÏQS pots qu'on leur oiFre. TouLes ces manœuvres font reiaiives à leur organi- fation & de'pendantes du fentiment qui re peut , à quelque degré qu'il fjit , produire le railonnement, & encore moins donner cette prévifion intuitive , cette connoifiiince certaine de l'avenir, qu'on leur fuppofe. On peut le prouver par des exemples familiers ; non - feulement ces animaux ne (avent pas ce qui doit arriver , mais ils ignorent même ce qui ell arrivé. Une poule ne diilingue pas fes œufs de ceux d'un autre oifeau , elle ne voit point que les petits canards qu'elle vient de fiire cclorc ne lui appartiennent point , elle couve des œufs de craie , dont il ne doit rien réfuUer, avec autant d'attentioii fur la nature des Animaux, 3 p 3 Ijue (es propres œufs , elle ne connoît donc ni le paffé , ni l'avenir, & fe trompe encore fur le preiènt. Pourquoi les oif'eaux de baffe- cour ne font -ils pas des nids comnic les autres î feroit - ce parce que le nûle app'^rtient à pfufieurs femelles l ou plutôt n'cft-ce pas qu'étant domcfli- ques , familiers Si accoutume's à être à l'abri des inconvéniens & des dangers , ils n'ont aucun befjin de Ce fouftraire aux yeux , aucune habitude de chercher leur fureté dans la retraite & dans la foli- tude l cela même pourroit encore fe prouver par le fait , car dans la même efpèce, l'oifeau fàuvage fût fouvent ce que l'oifeau domefiiqie ne fût point , la gelinotte & la cane Sauvage font des nids , la poule & la cane domeflique n'en font point. Les nids des oifeaux , ies cellules des mouches , les provifions des abeilles , des fourmis , des mulots , ne fuppofent donc aucune intelligence dans l'animal, &: n'émanent pas de quel- ques loix particulièrement établies pour chaque efpèce , mais dépendent , comme toutes les autres opérations des animaux , du nombre , de la figure , du meuve- 394 Dîf cours ment , de l'orp-anifaiion & du (entîment , qui font les loix de la Nature , générales & communes à tous les êtres animés. Il n'est j)as éLonnant que l'homme, qui fe connoît fi peu lui - même , qui confond fi fou vent fes fenfations &; fes idées , qui dlftingue fi peu le produit de fon ame de celui de fon cerveau , fe compare aux animaux , & n'admette entr'eux & lui qu'une nuance , dépen- dante d'un peu plus ou d'un peu moins de perfeélion dans les organes ; il n'efl pas étonna^it qu'il les filFe raifonner , s'entendre & fe déterminer comme lui & qu'il leur attribue , non-feulement les qualités qu'il a , mais encore celles qui lui manquent. Mais que l'homme s'exa- inine , s'analyfe & s'approfondilîe , il re- connoîtra bientôt la nobkfFe de fon être , il fentira l'exillence de fon ame, il cefTera de s'avilir , &. verra d'un coup d'œil la diftance infinie que l'Etre fuprême a mife entre les bêtes & lui. DIEU feul connoît îe paffé , le préfent & l'avenir , il efl de tous les temps , (^ voit dans tous les temps : fur la nature des Animaux. 305' riîomme , cfont la durée eft de fi peu d'infians , ne voit que ces inftans ; mais une Puiflance vive , immortelle , com- pare ces inftans , les diftingue , les or- donne , c'efl par Elle qu'il connoît le préfent , qu'il juge du pafie , & qu'il prévoit l'avenir. Otez à l'homme cette lumière divine , vous effacez , vous obrcurcifTez fon être, il ne refiera que i'animal ; il ignorera le pafTé , ne foup- çonnera pas l'avenir , & ne faura même ce que c'efl que le préfent. LETTRE l Lettre de MM. les Députes & Syndic de ia faculté de Théologie^ à M. de Buffon, ON SI EUR, I Nous avons été informés , par m if entre nous, de votre part , que lorfque vous av^l appris que l'Hijloire Naturelle , dont vous êtes auteur , et oit un des ouvrages qui ont été choifis par ordre de la Faculté de Théologie , pour être examinés & cen- furés , comme renfermant des principes ù* des maximes qui ne font pas corformes a ceux de la Religion , vous lui ave^ déclaré que vous navie^ pas eu intention de vous Tome Vo a I en écarter , & que vous tiici dîfpofé à fa" îisfaire la Faculté fur chacun des articles qu'elle trouver oit répréhenfibles dans votre dit 'éuvrage ; nous ne pouvons , Adonfieur, donner trop d'éloges h une réfolution aujfi chrétienne , tf pour vous mettre en état de l'exécuter , nous vous envoyons les propofitions extraites de votre livre , qui nous ont paru contraires à la croyance de rÉglife. Nous avons l'honneur d'être avec mB parfaite confidé ration, MONSIEUgf Vos très - humbles & três^ obéijfans ferviteurs , Les Députés & Syndic de la Faculté de Théo- logie de Paris. Sn Sa M"iron V. Le mot de vérité ne fiit naître qu'une idée vaorue. • . ôc ia définition elle-même, prife dans un fens général & abfolu , p'efl: qu'une abdradion , qui n'exiilç qu'en vertu de quelque fii])pofîiion. EdiU îV^/ toîne I , page ^ y, m-j 2, tome Ij page j6^ V L II y a plufieurs efpèces de vérités , éc on a coutume de mettre dans le premier ordre les vérite's mathématiques ; ce ne font cependant que des vérités de défi- nitions ; ces définitions portent fi,ir à^s fuppofinons fimples, mais abftraîtes ; & toutes les vérités en ce genre ne font que des conféquences compofées , mais toujours abftraites de ces définiiionsp Ibidem, VII. La fignification du terme de vérité efl vague & compofée , il n'étoit donc pas pofîible de la définir généralement; jl fàlioit , comme nous venons de le faire, en diflinguer les genres, afiii de s'en former une idée nette. Édition in-^* tome /, page j y, in- 12, tome J, page 7 y VI IL Je ne parlerai point des autres ordres de yérités; celles de la morale ; par exemple^ A ii j v/ qui font en partie réelles Se en pnrtîe arbitraires elles n'ont pour objet que des convenances ôc des pro- babilités. Edit. în-^f tome I, page jj- ; in-j 2, tome I , page yp, I X. L'évidence mathématique & îa certi- tude phyfique font donc les deux feuls points fous lefquels nous devons conii- dércr la vérité ; dès qu'elle s'éloignera de l'un ou de l*autre, ce n'eft plus que vraifeniblance & probabilité. JEdit, in-j^, page j-/; in- 12, page S 0, X. L'exîflence de notre ame nous eft démontrée , ou plutôt nous ne faifons qu'un, cette exîuence &. nous. Edition- in ^ ^f tome JI , page 4S ^ i in- 12, tome IV i page 1^4» XL L*exîfl:ence de notre cor])s & à^^ autres objets extérieurs efl douteufè pour quiconque raifonne fans préjugé ; car miette étendue eu longueur, largeur ôc Vîj, profoncteuf , que nous aj)peîons ?iotre Corps , ôi qui lenible nous appartenir de il près , qu'eft - elle autre chofe finoii un rapport de nos fens î Edît. in - 4/ tome 11 , page ^^2 ; in- ï 2 , tome IV, page /j-j. XII. Nous pouvons croire qu'il y a quel- que cliofe hors de nous , mais nous n'en roimnes pas fûrs, au lieu que nous fonimes aiïurés de l'exiRence réelle de tout ce qui eft en nous; celle de notre ame eft donc certaine , & celfe de notre corps paroît douteufe, dès qu'on vient à penfer que la matière pourroit bien n'êire qu'un mode de notre ame, une de Tes façons de voir. Édition in - ^.^ iome 11 , page -f^^; in'i2 , Tome IV 9 page i^y, XIII. Eîîe (notre anic) verra ^\\r. 7.° Qu'il n'eft pas vrai que l'exiflence de notre ame & nous ne foient qu'un , en ce fens , que l'homme foit un être purement fpiriuiel , & non mi compofé de corps & d'ame : que l'exiflence de notre corps & des autres objets exté- rieurs efl; une vérité certaine , puifque Hoa-feulemem ia Foi nous l'apprend y xh mais encore que îa fàgeiïe ôc îa bonté de Dieu ne nous permettent pas de penier qu'il voulût mettre les hommes dans une illufion perpétuelle & aénérale ; que par cette railbn , cette étendue ea longueur, largeur & profondeur ( notre corps) n'efl pas un iimple rapport de» nos fens. 8.° Qu'en conféquence, nous fommes très-furs cju'il y a quelque chofe hors de nous , & que la croyance que nous avons des vérités révélées , préfuppofe & renferme l'exillence de plufieurs objets hors de nous; &. qu'on ne peut croire que la matière ne foit qu'une modifica- tion de notre ame, même en ce (ens,^ que nos fenfations exiilent véritablement, iuais que les objets qui femblent les ex- citer, n'exifient point réellemem. p.° Que quelle que foit ia manière dont l'ame verra dans l'état où elle fc trouvera depuis fa mort jufqu'au juge-» îTient dernier ; elle fera certaine de l'exif- tence des corps , & en particulier de celle du fien propre , dont i'état^futur Tinté- reflera toujours , ainiî que l'Écniure nous l'apprend. 10." Que quand J*ai dît que Famé etoit iinpaffible par Ton edence , je n'ai prétendu dire rien autre cho(è , finon que i'ame par fa nature n'eft: pas fufceptible des imprefîions extérieures qui pour- roient la détruire ; & je n'ai pas cru que par la puifîânce de Dieu elle ne pût être fufceptible des fentimens de douleur, que la Foi nous apprend devoir faire dans l'autre vie la peine du péché & le tourment des méchans^ Signé B u F F O î^. Le 1 1 mars |7 > i ♦ îcy Seconde Lettre de MM. les Députés & Syndic de la Faculté de Théologie , à M. de Buffon. M ON SI EUR, No u s avons reçu îes^ explications ^ue yous nous ave-^ envoyées , des propofitions que nous avions trouvé repréhenfibles dans yotre ouvrage qui^ a pour titre , Hiftbire Naturelle ; if après les avoir lues dans notre ajfemblée particulière , nous les avons préfentées à la Faculté dans fon ajfemblée générale du premier avril i jj i , préfentt année; é^ après en avoir entendu la le dure ^ elle les a acceptées ù* approuvées par fû délibétatïon & fa conclusion dudit jour» XVl) Nous avons fuit part en même temps , Afonfieur, à la Faculté , de la promejfe que vous nous ave-^ faite de faire imprimer ces explications dans le premier ouvrage que vous donnerez au public /ft la Faculté le defire; elle a reçu cette propôfmon avec une extrême joie, & elle ejphe que vous voudrez bien r exécuter. Nous avons l honneur d'être , avec lesfentimens de la plus pat faite confidération , Monsieur, Vos très -humbles & très-*, ebéiffans ferviteurs , Les Députés & Syndic de la Faculté de Théo- logie de Paris. En îa Maifon «le la Faculté j ic 4. mai 1751. DISCOURS P R O N O NC É DANS L'ACADÉMIE FRANÇOISE, Par M. DE BuFFONi Le iâmedi 2 j Août 1753. M' DE Bu F FON ayant été élu par Mejfieurs de l Académie Françoife à la place de feu M. l'Arche-- VEQUE DE Sens , y vint prendre, féaîice le famedi 2j août ///J^ & prononça le Difcours qui fuit* M ESSIE URS, Vous m'avez comble d'honneur en m'appelant à vous ; mais la gloire n'ed un hitvi qu'autant qu'on en eft digne ; & je ne me perfuade pas que quelques Eiïais écrits fans an & fans autre ornement que celui de ia NaLure, foient des titres fiiffiràns pour o:èr prei-idre place parmi les maiires de l'art, parmi les Hommes éminens qui repré- fentent ici la rpiendeur iliicfaire de I9 XXÎJ France, Se dont les noms célébrés aujourd'hui par la voix des Nations, retentiront encore avec éclat dans lu bouche de nos derniers neveux. Vous avez eu, Messieurs, d'aun*es motifs en jetant les yeux fur moi ; vous avez voulu donner 'à l'iliuftre Compagnie à hqueile j'ai l'honneur d'appartCiiir de- puis long-temps , une nouvelle marque de confidération ; ma reconnoilUmce , quoique partagée , n en fera pas moins vive; mais cojnment latisfaire au devoir qu'elle m'impofe en ce jour! Je n'ai , Messieurs, à vous offrir que votre propre bien: ce font quelques idées fur le Ityle , que j'ai puifécs dans vos ouvrages ; c'eft en vous li(ânt , c'eft en vous admi- rant qu'elles ont été conçues, c'efl: eii les foumettant à vos lumières qu'elles fe produiront avec quelque fuccès. Il s'cft trouvé dans tous les temps des hommes qui ont fu commander î\nx autres par la puiflance de la parole. Ce n'eft que dans les fiècles éclairés que l'on a bien écrit & bien parlé. La véritable éloquence fuppofe l'exercice du génie à, de la culture de l'elprlt. Eîîc cfl bien différente de cette facilité iiaturelle de pnrlcr qui n'efl qu'un talent, une qualité accordée à tous ceux doni Jci paf fions (ont fortes, les organes Toupies & l'imagination prompte. Ces hommes fentem vivement, s'affedcnt de même , le marquent fortement au dehors ; & , par une impreHion pure- ment mécanique, ils tranfmeitent aux autres leur enthoufiafine & leurs affec- tions. C'eft le corps qui parle au corps ; tous les mouvemens ,' tous les fignes concourent & fervent également. Que fiut - il pour émouvoir la multitude & l'entramer ! que faut -il pour ébranler la j-îlupart des autres hommes <3: les perfua^ dcr î un ton véhément & pathétique, (\qs gelles expreffifs & fréquens, des paroles lapides & fonnantes. Mais pour le petit nombre de ceux dont la tête eft ferme, ie goût délicat & le fens exquis , & qui , conmie vous , Messieurs, comptent pour peu le ton , les gelles & le vain fon des mots , il faut dçs chofes, des penfées , des raifons, il fuit favoir les prélenter , les nuancer , les ordonner ; il ne fuffit pas de frapper xxh Toreiile & d'occuper Tes yeux , iï faut agir fur l'ame & toucher ie cœur en parlant à i'efprit. L€ ftyle n'eft que Tordre & le mou- vement qu'on met dans Tes penfées. Si on les enchaîne étroitement, fi on les ferre , le ftyle devient fort , nerveux & concis, fi on ies lailîè fe fuccéder ientement, ôc ne fe joindre qu'à la faveur des mots, quelqu'élégans qu'ils foient, le ilyle fera diffus, iâch^ & traînant. Mais avant de chercher l'ordre dans ïequel on préfèntera fes penfées, il fiut s'en être fait un auîre plus générai , où ne doivent entrer que les prefuières vues & les principales idées : c'eft en marquant leur place fur ce plan qu'un fujet fera circonfcrit, & que Ton en connoîtra l'étendue ; c'eft en fè rappe- iant fans cefTe ces premiers linéamens , qii'on déterminera les jufles intervalles qui féparent les idées j)rincipa{es , & qu'il naîtra des idées acceffoires êc moyennes qui ferviront à les remplir. Par la force du génie , on fe repréfen- tera toutes les idées générales & particu- lières fous leur véritable point de vue ; par XXV par une grnnde finefie cîe difcernement, oïl diiUnguera les penfees fiériles des idées fécondes ; par la fagacité que donne la grande habitude d'écrire , on fenu'ra d'avance quel fera le produit de toutes ces opérations de l'eiprit. Pour peu que le fujet Toit vafle ou compliqué, il ell bien rare qu'on puifTe l'efubra/îèr d'un coup dœil, ou le pénétrer en entier d'un feul êi premier effort de génie; âc il ell rare encore qu'après bien des ré- flexions on en faififfe tous les rapports. On ne peut donc trop s'en occuper ; c'efl même le feul moyen d'affermir' d'étendre & d'élever fes penfées: plus on leur donnera de fubflance & de force plus il fera facile, enlliite de les reaiifer par l'expreffion. Ce plan n'eft pas encore le flyîe , mais il en eft la bafe; il le foutient , il le dirige , il règle fon mouvement éc le foumet à des loix ; fins cela, ie meilleur écrivain s'égare ; fa plume riarche fans guide , & jette à l'aventure des traits irréguliers & des figures dif- cordantes. Quelque brillantes que foient fes couleurs qu'il emploie; quelques^ beaiités qu'il feme dans ks détails jj icomme l'enfemble choquera , ou ne fë fera point (entir, l'ouvrage ne fera point conftruit ; & en admirant i'efprit de l'au^ teur, on pourra foupçonner qu'il manque de génie. C'cft par cette raiion que ceux qui écrivent comme ils parlent , quoi- qu'ils parlent très -bien, écrivent mal; que ceux qui s'abandonnent au premier feu de leur imagination, prennent un ton qu'ils ne peuvent foutenir ; que ceux qui craignent de perdre des pen- fées ifolées , fugitives , & qui écrivent en différens temps des morceaux déta- chés, ne les réunifient jamais fans tran- fitions forcées; qu'en un mot, il y a tant d'ouvrages faits de pièces de rap- port, & fi peu qui foient fondus d'un îeul jet. Cependant tout fujet eft un, & quel- que vafle qu'il foit , il peut être renfermé dans un feul difcours; les interruptions, îes repos, les fecftions ne devroient être fd'ufage que quand on traite des fujets fdifFérens , ou lorfqu 'ayant à parler de chofès grandes , épineufes &: difparates ,^ la marche du génie fe trouve interrompue xxvlj par h multîpîicîtc des obllacîes , & con- trainte par ia nccefîné des circonllances: autrement, le grand nombre de divifions, loin de rendre un ouvrage plus folide^ en détruit raflembiage ; le Livre paroît plus clair aux yeux , mais le defîèia de l'auteur demeure obfcur; il ne peut faire imprefîion fur l'efprit du Lecteur , il ne peut même Ce faire fentir que par la con- tinuité du fil , par la dépendance harmo- nique des idées , par un développement fuccefTif , une gradation foutenue , un mouvement uniforme que toute inter- ruption détruit ou fait languir. Pourquoi les ouvrages de la Nature font-ils fi parfaits î c'eft que chaque ou- vrage e(t un tout, Si qu'elle travaille fur un plan éternel dont elle ne s'écarte jamais ; elle prépare en filence les germes de fès produdions ; elle ébauche par un ade unique la forme . primitive de tout être vivant : elle la développe , elle ia perfecflionne par un mouvement con- tinu & dans un temps prefcrit. L'ou- vrage étonne , mais c'efi: l'empreinte divine dontîl porte les traits qui doit nous frapper. L eiprit humain ne peut riea r créer , ii ne produira qu'après avoir été fécondé par l'expérience & la méditation ; fes connoifîlinces (ont les germes de fes producflions : mais s'il imite la Nature dans (a marche &. dans Ton travail, s'il s'élève par la contemplation aux vérités les plus fublimes, s'il les réunit, s'il les encjiaîne, s'il en forme un fyftème par la réflexion , il établira fur des fonde- mens inébranlables , des monumens im- iporteis. C'ed faute de plan, c'eft pour n'avoir pas allez réfléchi fur fon objet , qu'un homme d'eiprit fe trouve embarraffé , &: ne (Iiit par où commencer à écrire: îl aperçoit à la fois un grand nombre d'idées ; comme il ne les a ni com- parées ni fubordonnées , rien ne le déter- mine à préférer les unes aux autres; il demeure donc dans la perplexité ; mais iorfqu'il le fera fait un plan, lorfqu'une fois il aura raflemblé & mis en ordre toutes les idées elTèntielles à fon fujet, il s'apercevra aifément de Tinflant auquel il doit prendre la plume , il fentira le point de maturité de la produélioii de l'eiprit , il fera preflé de la faire éçlore | 'k'xh îî n'aura même que du pîaîfir à écrire : îes penfées fe fuccéderont aifément, & ïe flyle fera naturel & facile ; la chaleur naîtra de ce plaifir, fe répandra par-tout & donnera de la vie à chaque exprelTion; tout s'anhnera de plus en plus ; le ton s*élèvera , les objets prendront de fa couleur ; & le fentiment fe joignant à la lumière , l'augmentera , la portera plus loin , la fera pafTer de ce que l'on dit , à ce que l'on va dire ; & le flyle de- viendra intéreffant & lumineux. Rien ne s'oppole plus à la chaleur, que ie defir de mettre par-tout des traits iâiiians ; rien n'eft plus contraire à la iumière , qui doit faire un corps &. fe répandre uniformément dans un Écrit, que ces étincelles qu'on ne tire que par force en choquant les mots les uns contre îes autres & , qui ne vous éblouifîent pendant quelques infîans que pour vous îaifTcr enfuite dans les ténèbres, (^e font des penfees qui ne brillent que par Top- pofition, l'on ne préfenîe qu'un côté de l'objet, on met dans l'ombre toutes îes autres fices ; & ordinairement ce côté qu'on choifu eft une pointe, un angle h iij fur lequel on £îît jouer refprît avee d'autant plus de facilité qu'on l'éloigné davantage des grandes faces fous lefquelles îe bon lens a coutume de confidérer les chofes. Rien n'efl encore plus oppofé à îa véritable éloquence que l'emploi de ces penfées fines , & la recherche de ces idées légères, déliées, fans confiflance, & qui , comme la feuille du métal battu , ne prennent de l'éclat qu'en perdant de ia folidité:. auiîî plus on mettra de cet efprit mince & brillant dans un écrite moins il y aura de nerf, de lumière , de chaleur & de ilyle , à moins que cet efprit ne ioit lui-même le fond du iujet , & que l'Ecrivain n'ait pas eu d'autre objet que la plaifàmerie ; alors l'art dç dire de petites chofes devient peut-être plus difficile que l'art d'en dire de grandes. Rien n'efl: plus oppofé au beau na- turel , que la peine qu'on fe donne pour exprimer des choies ordinaires ou com- munes d'une manière fngulière ou pom- peufe; rien ne dégrade plus l'Écrivain. i^oin de l'admirer ^ on le plaint d'avoir pane tant dé temps à fliire de nouvelles combinaifons de fyllabes, pour ne dire que ce que tout le monde dit. Ce dé- fîiut eft celui des efprits culdvés , mais flériles ; ils ont des mots en abondance ^ point d'idées ; ils travaillent donc fur \qs mots, & s'imaginent avoir combiné des idées , parce qu'ils ont arrangé des phrafes^ & avoir épuré le langage quand ils l'ont corrompu jen deiournant les acceptions^ Ces Ecrivains n'ont point de llyie , ou il l'on veut , ils n'en ont que l'ombre : le ftyle doit graver des penfées, ils ne fa vent que tracer des paroles. Pour bien écrire , il fitut donc pofTé- der pleinement Ton lu jet, il faut y ré- fléchir af]ez pour voir clairement Tordre de fes penfées , & en former une fuite ^ luie chaîne continue, dont chaque point repréicnte une idée ; & lorfqu'on aura pris la plume il fmdra la conduire fuccefll- vement fur ce premier trait , fans lur permettre de s'en écarter , fans l'appuyer trop inégalement , fans lui donner d'autre mouvement que celui qui fera déterminé par l'efpace qu'elle doit parcourir. C'efl an cela que confifle la févérité du llyle j^ h iiij c'efl auiïi ce quî en fera ï'unîtë & ce qui en réglera la rapidité , & cela feul aufîi fuffira pour le rendre précis & fimple , égal &: clair , vif «Se fuivi. A ceite première règle di(51ée par le génie , ii l'on joint de la délicatefTe & du goiit , du fcrupule fur le choix des expreiîions, de l'attention à ne nommer les chofcs que par les termes les plus généraux , le flyie aura de la nobltflë; Si l'on y joint encore de la défiance pour Ion prenîier mouvement , du mépris pour tout ce qui n'efl que brillant , & une répugnance confiante pour l'équivoque & la plailan- terie , le (lyîe aura de la gravité , il aura même de la majefié. Eniin (i l'on écrit comme l'on penfe, fi l'on eft convaincu de ce c[ue l'on veut perfuader, cette bonne foi avec foi-même, qui fait la bienféance pour les autres & la vérité du ftyle, lui fera produire tout fon effet, pourvu que cette perfuafion inté- rieure ne ie marque pas par un enthou- fiafme trop fort, & qu'il y ait par-tout plus de candeur que de confiance, plus de raifon que de chaleur. C'eitainfi, Messieurs, qu'il me xxxlî} •«V. ïfemMoît en vous îifant que vous me pariiez , que vous m'inflruifiez : mon ame qui recueilioit avec avidité ces oracles de la iageiïe vouloit prendre i'e/Tor & s'élever jufqu'à vous , vains eftoris ! Les règles , difiez-vous encore , ne peuvent luppiéer au génie , s'il manque , elles leront inutiles: bien écrire, c'ell: tout- à-la-fois bien penfer , bien (entir &: bien rendre, c'ell avoir en même temps de lefprit, de i'ame & du goût; le Ilyle fuppofe la réunion & i'exercice de toutes les facultés intelieifiueiles ; les idées feules forment le fond du flyle , l'harmonie des paroles n'en eft que l'accefibire, & ne dépend que de la fenfibilité des or- ganes. II fuffit d'avoir un peu d'oreille pour éviter les diflonances des mots » & de l'avoir exercée , perfeeTiionriée par ia Ie(5lure des Poètes & des Orateurs, pour que mécaniquement on ioit porté à l'imitation de ia cadence poétique & des tours oratoires. Or jamais l'imitation n'a rien créé; aulîi cette harmonie des mots ne fait ni ie fond , ni le ton du flyle, & (e trouve fouvent dans des Ecrits T^ides d'idées. b V ^PCXXll^ Le ton n'efl: que la convenance àm f!:yle à fa nature du Tujet ; il ne doit jamais être forcé ; il naîtra naiurellement du fond même de la chofe , & dépendra beaucoup du point de généralité auquel on aura porté fes penfées. Si l'on s'eft ëlevé aux idées les plus générales , & fi l'objet en lui - inême eft grand, le ton- paroîïra s'éiever à la même hauteur ; & fi en le foutenant à cette éiévation , le- génie fournit aiïez pour donner à chaque- objet une forte lumière , fi i'on peut ajouter la beauté du coloris à l'énergie du deiîln , û i'on peut en un mot ^ repréfenter chaque idée par une image vive & bien terminée , & former de chaque fuite d'idée un tableau harmonieux & mouvant, îe ton fera non-feulement clevé , mais fubiime. Ici, Messieurs, l'application feroit plus que la règle , les exemples inilrui- roient mieux que les préceptes; mais comme il ne m^eft pas permis de citer les morceaux fiibiimes qui m'ont fi fou- vent tranfporté en iilant vos Ouvrages ^ je (uis contraint de me borner à des ré- flexions. Les ouvrages bien écrits feront les (êuîs qnî pafîeront à îa poflérité : la nuiltitiide des connoillances , la ilnaula- jrité des faits, la nouveauté même des découvertes ne font pas de fûrs garans de l'immortalité; fi les Ouvrages qui les contiennent ne roulent que fur de petits objets, s'ils font écrits ians goût, fans noblefîe & finis génie, ils périront , parce que les connoilîiinces , les faits & les découvertes s'enlèvent aifément, fe tranf- portent, & gagnent même à être miles en œuvre par des mains plus habiles,- Ces choies font hors de l'homme , le ftyle eft l'homme même : le llyle ne peut donc ni s'enlever , ni fe tranfporter,, ni s'altérer : s'il eft élevé, noble, fublime,. l'Auteur fera également admiré dans tous les temps; car il n'y a que la vérité qui foit durable 6c même éterneile. Or: tin beau ftyle n'eft tel en eflet que par. \q, nombre infini de vérités qu'il préfente. Toutes les beautés inteliecluelles qui s'y trouvent , tous les rapports dont il efb compofé , lont autant de vérités aufîi utiles , & peut-être plus précieules pour, l'efprit humain que celles qui peuvent^ jËiire le fond du iiijet,. xxxyj Le fubîlme ne peut être que dans lêi grands fiijets. La Poëfie , i'Hiftoire de la Philofophle ont toutes le même ob- jet, & un très-grand objet, i'Homme & la Nature. La Phiîoiophie décrit ëc de'peint La Nature ; la Poëfie la peint ôi l'embeiiit , elle peint aufîi les hommes, elie les agrandit , eile fes exao-ère , elle crée les Héros & les Dieux : i'hiftoire ne peint que l'homme , & le peint tel qu'il efl; : ainfi le ton de i'hiftorien ne deviendra fubiime que quand ii fera le portrait des plus grands hommes , quand il expofera les pins grandes adlions , les pins grands mouvemens , les plus grandes révolutions, & par-tout ailleurs il fuffira qu'il foit majellueux & grave. Le ton du Philofophe pourra devenir fubiime toutes les fois qu'il parlera des loix de la Nature, des êtres en général, de l'elpace , de la matière , du mouve- ment & du temps , de l'ame, de l'eiprit humain, des fentimens, des pafîions ; dans le refte il fuffira qu'il foit noble 5c élevé. Ma^s le ton de F Orateur ou du Poëte , dès que le fujet efl: grand , doit totîjours être fubliine , parce qu'il eft le »-^ t* s:xxv!j iiiaître de Joindre à la grftnJeur du fujet autant de couleur, autant de mouvement » autant d'illufion qu'il lui plaît ; & que devant toujours peindre ôc toujours agrandir les objets , il doit auffi par-tout employer toute la force & déployer toute l'étendue de fon génie. Que de grands objets, MESSIEURS^, frappent ici mes yeux ! Et quel ftyle & quel ton faudroit-il employer pour ks peindre ^^' v\