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en

LES

GRANDS ÉCRIVAINS

DE LA FRANGE

NOUVELLES ÉDITIONS

rvnjlu lovt la Diascmni

DE M. AD. REGNIER

Membre de llnstitat

ŒUVRES

DE MALHERBE

TOME I

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I

pvnis,

IMPRIMERIE DE Cil. I.AIIl RE tl C * Rue de Fleanu, 9

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ŒUVRES

DE MALHERBE

UCUItLUlS ET ARNOTKU

PAR M. L. LALÂNNE

NOUVELLE ÉDITION

MMTUm SOm LXB AUTOGBAPHBS, LB8 COFfBS LBS PLUS AirTHBlITIQUKS

BT LUS PLUS AHcnurinis impbbsstons

BT AVGlUIITn

de notices, de ▼trianlet, de nolet, d'an Icsiqne des mots et locotioiis remaninaMes, d'un portrait, d*an fac-similé, etc.

TOME PREMIER

PARIS

LIBRAIRIE DE L. HACHETTE ET C

BOVl^STARD SAIHT-6SRMAIK, H* 77

1S62

•àlk*/

AVERTISSEMENT.

Les œuvres de Malherbe n^ont point été réunies de son imrsnt. La première édition, publiée seulement près de deux ans après sa mort, est de Tannée i63o. Elle con- tient en un volume in-4^9 ®t sans la moindre note, les traductions du Traiié des Bienfaits j de Sénéque, et du XXXIIP livre de Tite Idve , quatre-vingt-dix- sept lettres , et six livres de poésies. De ces écrits les uns avaient été imprimés séparément ou disséminés dans des recueils du temps; les autres étaient inédits. Sept ans plus tard, en 1637, parut la traduction des Epures de Sénéque, qui n'a jamais été jointe aux autres

Le texte de l'édition de i63o fut reproduit fidèlement dans les vingt-huit réimpressions complètes ou partielles que Ton en fit jusqu'en 1723. A partir de cette dernière époque, les traductions furent entièrement laissées de côté et Ton ne réimprima plus que les vers et un choix des lettres.

En 1666, Ménage donna des poésies une édition qu'il

. T

II AVERTISSEMENT.

accompagna de commentaires carieux, mais d^une pro- lixité pédante, Ton retrouve les qualités et les défauts du maître de Hme de Sévigné. Il conserva le texte et la division en six livres de l'édition de i63o, et ajouta quel- ques vers qui n'avaient point encore été recueillis. Son travail fîit réimprimé, pour la sixième et dernière fois, en 1723.

Quatre-vingt-onze ans après Ménage, en 1757, Lefeb- vre de Saint-Marc publia la seconde édition annotée, et, on peut le dire , la seule édition véritablement critique que Ton possède des poésies de Malherbe. Il ne se borna pas à reproduire le texte de i63o et à le commenter longuement; il le compara soigneusement à celui des recueils de vers et des ouvrages la plupart des poésies avaient paru antérieurement, et put ainsi relever de nom- breuses variantes. Il rejeta avec raison le classement ar- bitraire suivi jusqu'à lui, rangea autant qu'il put les pièces chronologiquement et en ajouta de nouvelles. Son texte a été depuis adopté dans toutes ou presque toutes les éditions; dans quelquesHines on a préfièré à l'ordre chro- nologique la division par genres : odes, sonnets, chan- sons, épigrammes, etc.

Quelque précieux qu'il soit, le résultat des reoherdies de Saint-Marc, qui nous ont été très-utfles, ne saurait aujourd'hui satisfaire les amateurs de notre littérature classique. D'abord une révision des textes était néoet- saire : car, ainsi qu'il Ta reconnu lui-même, il s'est gliasé dans son travail un certain nombre de fautes et d'in- corrections; en outre les documents mis au jour depuis une quarantaine d*années permettent maintenant d'an-

AVERTISSEMENT. m

noter les pièces d'une manière plus précise et souvent de leur assigner des dates différentes de celles qu*il leur avait données.

Qu'on nous permette de citer deux exemples à Tappui de ce que nous avançons :

Ménage a le premier réuni aux œuvres de Malherbe on quatrain sur le portrait de Gassandre, maîtresse de Ronsard, et il Ta publié ainsi :

L'art, la nature exprimant, En ce portrait m'a fait telle; Si n'y suis^Jepas si belle Qu'aux écrits de mon amant.

Saint-Marc et tous ses successeurs sans exception ont reproduit Je texte de Ménage. S*ik avaient recouru à rédition de Ronsard, il a été publié pour la première fois, ils se seraient aperçu que de ces quatre vers deux sont estropiés, et qu'il faut les rétablir ainsi :

L'art, la nature exprimant, En ce portrait me fait belle; Mais si ne suis^fe point telle Qa*aax écrits de mon amant.

Malherbe a adressé Sur un livre de fleurs^ à un peintre nonuné Rabel, un sonnet que Saint-Marc avait placé à Tannée i6o3, parce qu à cette date il avait rencontré dans \tJourwial de P. de TEstoile la mention de la mort d*un peintre nonuné Jean Rabel. Nous avons retrouvé au ca- binet des Estampes le livre de fleurs en question. A côté de la signature Daniel Rabel, il porte l'indication de

IV AVERTISSEMENT.

Tannée 1624* Nous avons donc pu reculer de vingt ans la date que Saint-Marc avait attribuée à la pièce.

L'édition de Malherbe que nous donnons aujourd'hui sera aussi complète qu'il est possible. Elle compren- dra non-seulement tout ce qui se trouve dans l'édition de i63o, mais la traduction des Épîtres de Sénéque, qui n'en faisait point partie, sa correspondance avec Peiresc, Y Instruction à son fils^ un certain nombre de pièces en vers ou en prose et de lettres, inédites ou qui n'avaient point encore été recueillies, et ses commentaires sur Desportes, dont SaintrMarc avait le premier fait con- naître des extraits.

Pour les poésies, nous avons adopté le système de Saint-Marc, et nous les avons rangées, autant que nous l'avons pu, par ordre de dates. Le texte en a été colla- tionné soit sur quelques autographes et anciennes copies que nous sommes parvenu à nous procurer, soit sur les imprimés antérieurs à l'édition de i63o. On trouvera au bas des pages les variantes que nous y avons relevées.

Une notice placée en tête de chaque pièce explique elle a paru pour la première fois, a quelle occasion et vers quelle époque elle a été composée. Enfin les notes sont assez nombreuses pour qu'aucun passage, aucune expression ne puisse arrêter le lecteur.

Quant aux traductions, qui ont une très-grande impor- tance pour l'histoire de notre langue classique, car elles montrent quelle grande part a eue Malherbe à la création de la prose française, nous avons procédé de la même manière. Chacune d'elles est accompagnée d'une no- tice, et nous avons mis au bas des pages, outre l'indi-

AVERTISSEMENT.

cation des variantes qni peuvent offrir quelque intérêt, des notes où, sans avoir Fintention de relever toutes les inezactitades et les licences de Finterprétation, nous avons cm devoir signaler quelques-unes de ces infidélités que se permettaient sans scrupule les traducteurs du dix- septième siècle.

La partie la plus curieuse de la correspondance de llalheibe est celle qu'il entretint depuis 1606 jusqu'à sa mort avec le savant Peiresc. Elle offre un véritable intérêt historique et fut publiée pour la première fois en iSaa, d après les originaux conservés à la Bibliothèque impé- riale. Malheureusement cette édition est bien défectueuse. L'éditeur a d'abord supprimé un certain nombre de lettres ; puis tantôt il a réuni en une seule deux lettres distinctes* tantôt il a retranché ou ajouté des mots et des phrases entières. Les noms propres ont été étrangement défi- gurés : on a lu Bagarrus pour Bagarris; f^alvez pour F'alavez; Biennes pour Brèues; le comte de la Ceppède pour le président de la Ceppède; Bression pour Bres^ sieu; Pujet pour Puget; Saint-Paul pour Sault; Canos pour Carcesj etc. Le reste du texte n'a pas été plus res- pecté. A chaque page on trouve des altérations comme celles-ci : Juger fOur penser; impatiente pour importune; pensé pour parlé; enthousiasmé pour embesogné; avec voire ami pour avec votre congé; prison pour preuve; aux Landris pour aux jardins; etc., etc., etc. Tout cela n*est tiré que des trente premières pages, et il 7 en a cinq cents dans le volume, qui contient à peine une quarantaine de notes.

Le texte que nous donnerons de ces lettres sera colla-

VI AVERTISSEMENT.

tionné sur les autographes de la Bibliothèque impériale. Pour pouvoir les annoter convenablement, nous avons été à Carpentras consulter les minutes des lettres de Pei- resc à Malherbe, et nous ne saurions trop remercier le savant bibliothécaire de cette ville, M. Lambert, de Tobligeance sans égale avec laquelle il nous a facilité notre travail. Ces minutes, dont on n'avait point encore tiré parti, nous ont fourni de précieux renseignements. Dans la même bibliothèque, nous avons trouvé quel- ques pièces inédites, nous avons collationné sur le ma- nuscrit original Y Instruction de Malherbe à son fils, édi- tée il y a dix-sept ans d'après une copie extrêmement fautive de la bibliothèque d'Aix. Enfin une visite aux bibliothèques d'Avignon et de Grenoble nous a procuré deux pièces, non publiées jusqu'à présent, dont nous avons (ait usage dans la Notice biographique.

Le nombre des autres lettres, adressées à Racan, Co- lomby, Balzac, de Bouillon Malherbe, etc., qui est de quatre-vingt-dix-sept dans l'édition de i63o, sera fort augmenté dans la nôtre, nous mettrons à profit les publications qui ont été faites depuis une quarantaine d'années par MM. Roux-Alpheran, Miller, Hauréau et Mancel.

Les souscripteurs recevront avec le dernier volume un beau portrait de Malherbe (voyez p. cxxiv), un foc simile de son écriture, ses armoiries, la musique composée pour une de ses pièces par un ses contemporains, et une vue de la maison qu'il a habitée à Caen. Nous pouvons dire que rien n'a été ni ne sera négligé pour rendre cette édition digne de la collection dans laquelle elle doit figu-

AVERTISSEMENT. vn

rer, et de la place éminente que Blalherbe occupe dans notre littérature.

Sur le titre, au-dessus du nom du signataire de cet aTertisaement, on trouvera celui d'un savant académi- cien, M. Ad. Régnier : ce ne sera que justice. Il s'est diai^é de diriger la publication de la Collection des grands icrwains de la France^ et je puis affirmer, en ce qui concerne Blalherbe et son éditeur, que ses fonctions n*ont point été une sinécure. Depuis tantôt vingt mois que rimpression a été commencée, sa vigilance ne s'est pas ralentie un instant. Dans cette tâche d'amicale direc- tion et d'attentive révision, il n'a épai^é ni ses soins ni ses conseils, et c'est en grande partie à lui que notre édi- tion sera redevable de l'exactitude et de la correction qui en feront et en doivent faire le principal mérite : aussi je ne &is que payer une dette en consignant ici l'expression de ma bien vive et bien sincère gratitude.

LUD. LALANIfB.

Juin iS6a.

n

NOTICE BICXÎRAPHIQUE

SUR MALHERBE

François de Malherbe naquit à Caen, en i555, d*nne famille qui posséclait depuis longtemps les premières magistratures de la ville ^ Dès i5i8 on trouve un M* Jean Malherbe, sieur d^Ârry, pourvu de la lieutenance générale du bailli de Gaen, dutfge qu'occupait en 1 533 un autre Jean Malherbe, sieur de Mondreville. Suivant le poète, sa famille se rattachait à la maison de Malherbe Saint«-Aignan ; mais les preuves qu'il en donne en divers endroits de ses écrits ont si peu de valeur qu'il n'y a pas lieu de s'y arrêter. Le a janvier 1644» une sentence de la Potherie, intendant à Caen, confirmée le 19 sep* tembre 164 5 par arrêt des requêtes de l'Hôtel du Roi, maintint les sieurs de Malherbe en leur noblesse comme sortis de cette antique maison; cependant, en 1666, lors de la recherche de la noblesse faite par Chamillart, ils ne furent point placés dans la classe des anciens nobles, mais seulement dans celle des nobles ayant justifié quatre degrés.

Troisième fils de Guillaume , sieur de Missy , et de Marie d'Elbeuf, François de Malherbe, sieur de Digny, conseiller du Roi au siège présidial de Caen, eut neuf enfants de sa femme Louise le Vallois, fille de Henri, sieur d'Ifs, qu'il avait épousée

I. Hoet, Origines de la pUU de Caen, édition de 1706, p. 364> Voyez k maoïucrit oonterré à la Bibliothèque de Caen, intitolé : Catalogue •Ipka^ique des personnes de Hormandie qui ont été annohUes tant par la Ckartre, des francs^fiefs que depuis iceile, et des anciens nobles qui^ ayant été inquiettez sur leur qualité^ ont été maintenus par arrêt de la Cemr du aides à Rouen (par Ch. de Quens, avocat à Caen et disciple do P. André). Dana ce manuacrit, la généalogie de la famille de tfalberbe ne oommence qu*en i5i8 aTec Jean Malherbe.

Les armes de la famille étaient d*kermines à sis roses de gueules.

X NOTICE BIOGRAPHIQUE

le i3 juillet 1 554. L'aîné àe tous fut notre poëte, appelé Fran- çois comme son père^

D'après ce que Malherbe a raconté lui-même, rien ne fut négligé pour son éducation, qui se fit en partie à Caen, en partie à Paris, et qui s'acheva à Tétranger, sous la direction du calviniste normand Richard Dinoth*. De retour dans sa pa- trie, il ne paraît pas y avoir fait un très-long séjour, car au mois d*aoùt 1 576, à vingt et un ans, et non à dix-sept comme le dit Racan, il quitta la maison paternelle pour n'y revenir qu'en i586.

Quelle fut la cause de ce départ? Les biographes ont tons, on peu s'en faut, adopté la version de Racan. « Son père, dit celui-ci, se fit de la religion, un peu a»ant que de mourir * Son fils eo reçut un si grand déplaisir qu'il se résolut de quitter son pays. > Le père de Malherbe étant mort en 1606, il serait assex difficile d'expliquer comment son abjuration vers 1604 ou i6o5 aurait pu motiver en 1 576 l'éloignemcnt de son fils. De plus, qnoique récemment encore on ait révoqué en doute son chan* gcment de croyance', il nous semble qu'il devait être déjà huguenot quand il confia l'éducation de son fils aîné à Dinodi,

I. Voyec plus bas, p. 333, V Instruction de Malherbe à ton fih.

9. Vovez V Instruction, Tf. 336. c Son père, ani hii dettiooit m ekiiige, cÛtHuet, le fitétuoier dans l'Uniirersité de Carn, il eut le bonhear d'avoir Ronxel ponr maître dans l'étude de l'éloquence. Il TeuToya ensuite en Allemagne et en Suisse, il prit à Heidelbcrget à Bile les leçons des plus habiles hommes de ces contrées. Étant de Ktour à Caen, il fit des discours dans les écoles publiques, ayant l'épée an e6té, ce qui n*étoit pas sans exemple. » {Origines de lu nUc de Caen, p. 3640

3. c On a écrit qu'il s'était fait huguenot vers la fin de sa vie, mais le docteur de Cabaignes, son contemporain, ne mentionne point ce fait grave dans l'article biographique sur ce magistrat.... Ainsi ce changement de religion, qui n'est attesté par aucun témoin du même temps, reste dans le domaine de l'inTraisemblance et de Terreur, s (Reeherekes sur la vie de Malherbe et critique de ses etueies^ par M. F. A. de Goumay, Mémoires de l'Académie de Caen, iSSa, p. aSa.) Le médecin Jacques de Cabaignes n'a point écrit une biographie du père de Malherbe. Il a fait son é/oge en une page dans la Première centurie des éloges des citoyens de Caen [Elogiorumeivium Cadomensha» centuria prima), Caen, 1609, in- 4* ; eteneore une partie de cette page est-elle consacrée à la louange dn poète. Le silence du panégyriste ne prouTe donc absolument rien.

SUR MALHERBE. xi

et même quelques années auparavant. Deux registres d'état cml de Vancienne église réformée de Caen, dernièrement dé- coufeits, constatent que « François de Ma1heTi)e, sienr de Di- gny, conseiller du Roi an siège présidial de Caen, * fut parrain de deux enfants baptisés au temple, Tnn le i** février i566, Fautre trente ans plus tard le i8 février iSgS*. Je ne pense donc pas qu*un dissentiment religieux ait motivé le départ de Malherbe. On pourrait plutôt l'attribuer à son refus de soc* céder à son père dans la charge de conseiller', car il professa dès sa jeunesse pour la carrière de la magistrature un dédain qu*H parvînt à grand*peine à surmonter, à la fin de sa vie, quand il destina son fils Marc-Antoine à devenir conseiller au parlement d'Aix*.

I. Voyez cm article de M. Ch. Read dans la Corretpondanee tUté" mh» éa %S )vm 1860, p. 371 et siiiv. Il 7 a poortuit one difflealté qae je im puis rétondte, furtoat n'avaot pat let docmaenti fons les

Cmx. Soi^ant M. de Goamay (p. aoa], qui ne cite point sa source, père de Malherbe serait inscrit avec sa femme et ses filles, dans les années i593 et 1596, an catalogue des communiants de Pâques en la paroiaae Saint-Étienne de Caen. Si d'un côté, suivant les preserip- tioDS fonaelles des synodes, on catholique ne pouvait alors être uar* rain d'un enfant présenté an baptême dans un temple protestant, d'nn asire côté an protestant pou^-ait encore moins oommonier dans ime église catholique. Mais comment était dressée eette liste de commu- niants? Était-elle bien sincère et bien exacte? N'y a-lpll point qael- qoe crteor de noms ? car la famille et les homonymes de Malherbe éttôent fort nombreux en Normandie. Si c'est bien du père de Ifal- hcriw qu'il s'agit et dans le registre et dans le catalogue, le seul moyen de concilier ce double témoignage serait d'admettre que dans les dernières années de sa vie, il était rerenn au catholicisme. Quant an £ût même de sa profession de calrinisme, je crois qu'il est hors de doote.

s. Ce fut le frère puîné de Malherbe , Éléazar, U grand tUaxar^ comme il l'a appelé dans l'épitaphe de M. d'Ifs, qui succéda à son père vers i583. Voyez V Itutruetion, p. 334*

3. Le 14 octobre 1636 (et non 16 16, comme le porte à tort l'im- primé), il écrirait à M. de Mentin : « Vous vous émerveillerez qu'ayant anlrefois si peu estimé la longue robe, je sois à cette heure si afrec- tienne à la rechercher. Il est vrai qu*en mes premières années, j'y ai eu une très-grande lépuananoe. Mais soit qu'avec plus de temps j'aie éu plus de loisir de considérer les choses du monde, soit que la vieil- lesse ait de meilletiros pensées que la jeunesse, il s'en faut de beau- eoop que je n'en parle comme je faisois en ce temps-là. Je sois bien d'aTÎs que i'épée est la vraie profesôon dn gentilhomme; mais que la

XII NOTICE BIOGRAPHIQUE

Qnoi qu'il en soit, Malheii>e, que d'ailleurs aucun sentiment d'affection ne semble avoir retenu près de sa famille , se dé- cida à suivre la carrière des armes et s'attacha à la personne de Henriy duc d'Angouléme, grand prieur de France et fils natu- rel de Henri H. U le suivit en Provence en qualité de secré- taire', et ils paraissent avoir vécu en bonne intelligence, bien que tous deux fissent des vers et que le futur législateur du Parnasse traitAt avec un assez grand mépris le talent poétique de son maître. « Un jour, dit Tallemant des Réaux', ce Mon- sieur le Grand Prieur, qui avoit l'honneur de faire de méchants vers, dit à du Perrier : « Voilà un sonnet; si je dis à Malherbe « que c'est moi qui l'ai fait, il dira qu'il ne vaut rien; je vous « prie, dites-lui qu'il est de votre façon. » Du Perrier montre ce sonnet à Malherbe en présence de Monsieur le Grand Prieur. « Ce sonnet, lui dit Malherbe, est tout comme si c'étoit Mon- « sieur le Grand Prieur qui l'eût fait. » Ce fut pourtant sous le patronage de ce prince que Malherbe fit circuler, je ne dis pas la première pièce qu'il ait composée, mais la première que l'on

robe fioM préjudice à la noblcise, je ne vois pas que cette opinion soit si universelle comme elle a été par le passé. »

Malherbe, dit Tallemant, ne vonloit pas que son fils fût conseilr 1er ; cela lui sembioit indigne de lui. (Voyez Vhûtonette de Mal^ hêrèâ, édit. P. Paris, tome I, p. 3o3 et 3o4*)

I. J*ai trouvé à la Bibliothèque d* Avignon, dans la ooUeetion d'autographes provenant de M. Reqnicn, un ordre du Grand Prieur contre-signe par Malherbe. Je le transcris ici parce que c'est, je crois, la plus ancienne pièce connue on se trouve l'écriture du poète :

c Gonsulz de Montdragon, pour quelque occasion bien expresse et importante au service du nov, je vous envoyé ma compagnye. Vous ne feres faute de la recevoir et luy fournir rivres selon nostre règlement, pour une dixaine seulement. A ce ne £ûctes fiiute. Au camp devant Menerbe, ce xvm* d'octobre iSyj.

« H. D'AirGOULBlHB.

tt Par mon dit seigneur,

c DsMALaaBa » (avec paraphe).

DemaUrbe (d'un seul mot et sans h) : c'est ainsi que le poète écri- vit presque constamment son nom jusqu'au moment il se fixa k Pans. Voyez Roux-Alpheran, Recherches biographiques sur Malherbe^ Aix, 1840, in-8, p. a6 et 99.

9. Édition P. Paris, tome I, p. 971.

SUR MALHERBE. xiii

oomiaisse de Ini : le quatrain sur le portrait d*Étieime Pasquier qm figure en tête de notre édition ^

Pignore si les avantages attachés à sa position étaient consi- dérables : en tout cas, il ne put pas compter sur l'assistance de sa famille pour l'améliorer, car de 1 676 à 1 586 il n'en reçut pas un liard, suivant 5on expression*. Cela ne l'empêcha pas de gagner les bonnes grâces d'une veuve dont le père était prési- dent au parlement de Provence : Madeleine de Carriolis ou Co- riolis, fille de Louis de Carriolis* et de Honorade d'Escallis. n avait vingt-six ans quand il l'épousa en octobre i58i \ et bien qu'elle eât à peu près le même âge*^ elle était déjà veuve de deux maris*. Quarante-sept ans plus tard, elle devait encore survivre au troisième.

Trois enfants sortirent de cette union, à des intervalles éloi- gnés, et tous moururent avant leurs parents : Henri, le ai juillet i585 à Aix, mort à Caen le 29 octobre i587; Jour- daine, née le %% septembre iSgi en Normandie, morte de la peste à Caen le a3 juin 1 699 ; et enfin Marc-Antoine , à

I. Voyez p. I. 9. Voyez V Instruction j p. 335.

3. En i585, Louis de Carriolis en était à ta quatrième femme.

4. Le contrat de mariage est du i"* octobre i$8i. Vojec Roux- Alphcran, Recherches^ p. 6 et suivantes.

5. Je ne pois admettre ropinion de M. de Gonmay (p. 937) qui aTance, mais sans preuve, qu elle était Agée de trente ans à Tépoque de son troisième mariage. Son dernier enfant, Marc- Antoine, étant an mois de décembre 1600, elle l'aurait donc en à quarante-neuf ans; ce qu*on admettra difficilement, surtout en se rappelant qu'elle appartenait à une race méridionale.

6. Jean de Bourdon, écuyer d'Aix, sieur de Booq, dont elle eut on fils qui lui sonrécut; 90 Balthasar Qitin, sieur de Saint-Savour- nin, lieutenant du sénécbal de Marseille. Racan a donc commis une ciTenr en disant que Madeleine était tcutc d'un conseiller ; mais il est probable que ce n'ext pas par sa faute et que Malherbe le contait ainti à ses amu de Paris, lui qui, en arrivant en Prorence, s'était fait passer pour fils d'un conseiller au Parlement de Normandie. Du moins c'est la qualité qui lui avait été d'abord donnée sur la minute de son con- trat de mariage ; et bien que les mots c conseiller du Roy au Parle- ment dndit pays > aient été rayés, comme le porte une note, c du consentement du sieur de Malerbe, » je pense que ce n'est pas le notaire qui avait inventé cette qualification, et je partage à cet égard l'opinion de M. Roux-Alpberan, qui le premier a signalé le fait. Voyez ses Âecherches, p. 6.

xiY NOTICE BIOGRAPHIQUE

Aix le a4 décembre 1600, et dont noos aurons à parler km* guement.

Ce fut seulement, à ce qu'il semble, dans les années <|ui sui- virent son mariage que se marqua d'une manière éclatante le talent poétique de Malherbe. Lorsqu'en 1627, dans sa belle ode à Louis Xni, il s'écriait avec une noble fierté :

Les pnisMDtes fitrears dont Parnasse m*honore, Non loin de mon beroeau oommeneèrent leur eoors; Je les possédai jeune, et les possède enoore A la fin de mes jours *,

il se faisait un peu illusion sur le passé, s'il faut s'en rapporter à Tallemant des Réaux. c Ses premiers vers, dit-il (tome I, p. 272), étoient pitoyables. J'en ai vu quelques-uns, et entre autres une élégie qui débute ainsi :

Oonoqoes ta ne vis plus, Geneffîève, et la ount En rarril de tes ans te monstre son effort. »

Cette élégie est perdue ou du moins on ne l'a point enoore retrouvée*. Peut'-étre a-t-elle été imprimée sans nom d'auteur et gît-elle ensevelie dans quelque recueil inconnu. On a peu de chose à regretter.

Le quatrain sur Pasquier, un sonnet retrouvé récemment par M. Éd. Foumier*, des stances à une dame de Provence, et probablement la plus grande partie, sinon la totalité des Jjarmcs de saint Pierre^ c'est-à-dire environ 45o vers, voilà ce que Ton connaît des productions de Malherbe pendant les dix premières années qu'il passa en Provence (1576-1 586), et avant qu'il eût atteint trente-deux ans *.

I. Voyez pièce cm, p. sSS.

9. Maucroix en parle i Boileau, en estropiant le premier Ters, le seul qu*il cite, dans une lettre datée du a 3 mai 1695. Voyez la Cor- respondance entre Boileau et Brossette^ publiée par Laveixiet, i858, p. 418.

3. Voyez plus loin Notice bibliographique^ p. cxn.

4. Tabemant s*est trompé en disant que Malherbe avait trente ans quand il composa ses fameuses stances i du Périer. Nous avons dé- montré dans la notice sur ces stances (p. 38), qu'elles n*ont pu être écrites aTant le mois de juin iSqq, et elles le furent bien probable- ment assez longtemps après sou retour en Provence, qui eut lieu au mois de décembre de la même année.

SUR MALHERBE. xv

En 1 586, Malherbe était en Normandie depuis le mois d'avril iiaand il apprit la mort tragique du Grand Prieur, tué à Aix, le a juin de la même année ^ Cet événement brisa toutes ses espérances de fortune '. Décidé alors à ne peînt retoamer en Provence, il manda sa femme prés de lui ' ; et l'année suivante, pour essayer de remplacer le puissant protecteur qu'il avait perdu, il dédia les Larmes tie saint Pierre à Henri III, auquel, malgré les troubles continuels qui déchiraient le royaume, il ne craignit pas de dire* :

Henri, de qui les yeux et l'image sacrée

Font no visage d*or à cette âge ferrée,

Ne refdae i mes vœux un faTorable appui ;

Et si pour ton antel ce n'est chose asses grande,

Pense qu'il est si grand, qa'il n'anott point d'offrande

S'il n'en reoeroit point que d'égaies à Ini.

Ce fapomble appui ne fîit pas refusé, et le Roi paya de cinq cents écus, accompagnés de promesses, les louanges menson* gères du poète, qui pourtant, quinze ans plus tard, n'hésita pas à flétrir la mémoire du prince dans une des strophes les plus énergiques qu'il ait écrites'.

La vie qu''il mena en Normandie paraît avoir été assez triste. Réduit à ses propres ressources, « vivant du sien, sans aucun

1. Voyez plus loin, p. i.

Elles étaient grandes, si l'on en juge par ce qu'il disait à une de iVoTcnoe (royez pièce n, p. 3) :

Si je passe en ce temps dedans ^otre prorinoe, Vons Toyant sans beauté et moi rempli d'honneur, Car peut-être qu*alors les bienfaits d'un grand Prince Marieront ma fortune arecque le bonheur.

Je crois que c'est à la mort du Grand Prieur que Malherbe fait aDusicni dans une lettre non datée, mais écrite en i6i5, qui est la deuxième du premier livre dans les anoiennes éditions.

3. En juillet : voyez Vl/ntruetio/t, p. 335.-- 4* Voyez pièce m, p. 5.

S. Quand «n roi lisinéant, la vergogne des princes, Laissant à tes flatteurs le soin de ses provinces, Entre les voluptés indignement s'endfort, Quoi que Ton dissimule, on n'en fait point d'estime, Et si la vérité se neuf dire sans crime, C'est avecque plaisir qu*on sanrit à sa mort.

Voyez Prière vour le Roi Henri le Grande pièce xviu, p. 73.

XVI NOTICE BIOGRAPHIQUE

secours de sa maison que peut-être un tonneau de ddre', » il fut obligé d'emprunter douce cents écus « pour s'entretenir lui et sa famille » jusqu'en i SqS, époque sa femme retourna en Provence. U ne la rejoignit que deux ans après, en mai 1 595, et revint au mois d'août 159S en Normandie, il séjourna jusqu'en décembre de l'année suivante. Chacun de ces deux séjours dans son pays natal fut marqué par une cruelle épreuve. Sa femme était près de lui à Caen, quand le 29 octobre 1 687, ils perdirent leur unique enfant, Henri , Agé de deux ans. Il était seul lorsque le a3 juin 1^99, il vit expirer entre ses bras sa fille Jourdaine, qui était née en 1591. On a conservé une partie de la lettre qu'il écrivit à sa femme pour lui annoncer le coup qui les frappait, et nous la transcrivons ici d'autant plus volontiers qu'elle porte l'empreinte d'un profond senti- ment de douleur, dont on ne retrouve guère de trace dans l'é- pitaphe pompeuse * qu'il fit graver sur le tombeau de celle qu'il avait d'abord pleurée si amèrement.

« J'ai bien de la peine à vous écrire cette lettre, mon cher cœur, et je m'assure que vous n'en aurez pas moins à la lire. Imaginez- vous , mon âme, la plus triste et la plus pitoyable nouvelle que je saurois vous mander : vous l'entendrez par cette lettre. Ma chère fille et la vôtre, notre belle Jordaine, n'est plus au monde. Je fonds en larmes en vous écrivant ces pa- roles; mais il faut que je les écrive, et faut, mon cœur, que vous ayez l'amertume de les lire. Je possédois cette fille avec une perpétuelle crainte, et m'étoit avis, si j'étois une heure sans la voir, qu'il y avoit un siècle que je ne l'avois vue. Je suis, mon cœur, hors de cette appréhension ; mais j'en suis sorti d'une façon cruelle et digne de regrets, s'il en fîit jamais une bien cruelle et bien regrettable. Je m'étois proposé de vous consoler; mais comme le ferois-je, étant désolé comme je suis? Recevez cet office d'un autre, mon cœur; car de moi je ne puis si peu me représenter cet objet et me ressouvenir que je n'ai plus ma très-chère fille, que je ne perde toutes les consi- dérations qui me devroient donner quelque patience, et ne haïsse tout ce qui me peut diminuer ma douleur. J'ai aimé

I . Voyez VJtuimetioftf p. 335.

a. Vo^ez à la fin du Tolume, p. 36i.

SUR MALHERBE. xvii

aniquement ma fille; j'en veux aimer le regret uniquement. Le mal qui me Ta ôtée ne m*ôtera pas le contentement que j'ai de m'en affliger. Mais que fais-je, ma chère âme ? je me devrois contenter de ne vous consoler point, sans vous donner, par ces discours si tristes et si mélancoliques, sujet de vous attrister davantage. A la nouveauté de cet accident, un de mes plus profonds ennuis, et qui donnoit à mon âme des atteintes plus vives et plus sensibles, c'étoit que vous n'étiez avec moi pour m' aider à pleurer à mon aise, sachant bien que vous seule, qui m'égalez en intérêt, me pouviez égaler en affliction. Plût à Dieu, mon cher cœur, que cela eût été ! je serois relevé de cette peine de vous écrire de si déplorables nouvelles, et vous hors de ce premier étonnement qui faut^ que les âmes les plus roides et les plus dures sentent an premier assaut que leur donne cette doi:Qeur. Mais puisqu'il en faut sortir, et que vous difierer da- vantage cette lamentable histoire, c'est difierer votre résolu- tion, je vous dirai que le dimanche'.... »

Six mois après, au mois de décembre 1 599, Malherbe repar- tit pour Aix où, l'année suivante, sa femme le rendit père d'un troisième enfant, d'un fils auquel tous deux, nous l'avons dit, devaient aussi survivre. Il semble n'avoir plus quitté la Pro- vence qu'en août i6o5, quand il alla faire c en France » un voyage qui décida de son sort '.

Sauf la mort de ses deux enfants, on ne sait rien ou pres- que rien de la vie de Malherbe pendant l'intervalle qui s'écoula entre son premier voyage de Normandie et son dernier retour en Provence (i 586-1599). Suivant Huet^, il fit partie d'une députation envoyée à Henri IV pour l'assurer de la soumission et de la fidélité de la ville de Caen (1589); d'après un autre document', on le voit chargé en juin i593, avec trois autres de ses concitoyens, de préparer c quelques gentilles inventions et quelques vers françois > pour fêter l'entrée à Caen de la sœur

1. CTest-à-dire, qu'il faut.

1. Ce fragment a été publié pour la première fois eu i85o par M. Uauréau, diaprés une copie conservée à la Bibliothèque impé- riale, dans le manuscrit i33 des papiers de Baluze.

3. Voyez V/futruction, p. 346,

4. Voyez Origines de la ville de Caen, p. 364-

5. Cité par M. de Goumay, p. ^53, note i.

Malbbbbb. I ^

xviii NOTICE BIOGRAPHIQUE

da Roi, Catherine de Navarre, celle princesse pour laquelle il composa vers le même temps , au nom du duc de Montpen- sier, une longue déclaration en vers^

Voilà tous les renseignements que nous possédons sur lui pour cette époque ; car on ne saurait avoir grande confiance dans les deux ou trois anecdotes de sa vie militaire que Racan a rapportées diaprés lui :

c Les actions les plus remarquables de sa vie, et dont je me puis souvenir , dit-il , sont que pendant la Ligue lui et un nommé la Roque.... poussèrent M. de Sully deux ou trois lieues si vertement qu'il en a toujours gardé du ressentiment contre le sieur de Malherbe. »

Nous avons cherché en vain à déterminer l'époque ce fait aurait pu se passer. Est-ce avant i586? mais alors Malherbe, attaché au Grand Prieur, ne paraît pas être sorti de Provence, Sully n'alla jamais guerroyer. Après i586? mais dans son Instruction si précise en faits et en dates, on ne trouve pas la moindre allusion à une expédition militaire, qu'on ne saurait placer. Est-ce après Pavénement de Henri IV ? mais d'après ce que nous venons de dire, le poète parsut avoir été attaché à la cause royale. Jusqu'à preuve du contraire, il est donc per- mis de révoquer en doute ce premier récit de Racan *.

Le second est encore moins acceptable :

« Il m'a encore dit plusieurs fois qu'étant habitué à Aix depuis la mort de Monsieur le Grand Prieur, son maître, il fut commandé de mener deux cents hommes de pied devant la ville de Martigues, qui étoit infectée de contagion, et que les Espagnols assiegeoient par mer et les Provençaux par terre pour empêcher qu'ils ne communiquassent le mauvais air, et qui la tinrent assiégée par lignes de communication si étroite- ment, qu'ils réduisirent le dernier vivant à mettre le drapeau noir sur la ville devant que de lever le siège. »

I. Voyez plus loin, p. ao, la pièce t.

a. Eln tout cas, je iie pense pas qu'il faille identifier notre Malherbe avec un certain capitaine de Malherbe dont parle Pal ma Ciyet et qui combattit bravement en iSgo à la tète d'une troupe de royalistes au siège du château de Sablé. [Citronologie novennaîre^ année iSqo, Collt*ction de MM. Mîchaud et Poujoulat, première série, tome XII, p. aa6, aay.)

SUR MALHERBE. xix

Ce fait, qa'il faut placer entre les mois de mai bu de juin i $95, époque Malherbe retourna en Provence, d'où il était absent depuis i5ft6, et le mois de mai iSqS, ou fut signé le traité de Vervins avec T Espagne, était certes assez remarquable pour n*élre point oublié par les historiens; mais les érudits n'ont point encore pu découvrir un passage il en soit parlé. On trouve bien dans de Thou, à l'année iSgô', la mention avec quelques détails de la prise, par le duc de Guise, de la ville de Mardgoes, qui tenait pour la ligue ; mais rien dans son texte ne rappelle de près ou de loin le récit de Racan. Je crois que cette fois, et ce n est pas la seule, le poète aura abusé de la crédulité naïve de son élève.

Quoi qu'il en soit, Malherbe, comme il l'écrivait à du Per- ron« comptait s'en retourner en Normandie à la fin de 1601 '; mais les procès qu'au mois de novembre de cette année il es- pérait voir terminés au bout de quelques jours, n'étaient point finis trois ans après ; et lorsqu'il quitta la Provence au commen- cement d'août i6o5, ses affaires étaient encore si embrouillées que, par prudence, il rédigea pour son fils une Instniction se retrouve la minutieuse exactitude d'un homme du pays de tapienee^*

Les quatre années qui précédèrent son arrivée à la cour ne lurent du reste perdues ni pour sa gloire ni pour son avenir. Au mob de novenibre 1600, il présenta à Aix, à Marie de Médids, Smr sa bienvenue en France^ une ode qui marquait une ère nou- velle dans la poésie française et laissa probablement dans le sou- venir de la jeune reine une impression dont Malherbe recueillit le fruit plus tard. Vers la même époque, il adressa à son ami

I. Voyez liTw ex VL

9. c Je sais ici accroché encore pour quelques joars à deux ou trois nicchautt procès et D*al tends que d*aToir trouTé quelque fil à ce labyrinthe pour m'en retourner en nos quartiers, 0 Comme Mal- herbe écrÎTait à un compatriote (la famille de du Perron rtait de Saint-LA), qui occupait le ûége épiscopal d^Éyreux, les derniers mots désignent évidemment la Normanaie. Cette lettre, dont nous icparlerous, est datée d'Aix le 9 novembre 1601. M. de Goumay (p. ajs) l'a citée à tort comme écrite de Normandie.

3. Vojei-en Je texte i VJpf^endice qui suit les poésies, p. 33 x et isivantes. Elle est datée du %6 juillet i6o5. Marc-Ântoiue, à qui elle est adressée, était dans sa cinquième année.

XX NOTICE BIOGRAPHIQUE

du Périer cette célèbre Consolation dont quelques strophes sont dans toutes les mémoires. Les autres pièces que Ton croit avoir été composées durant ce dernier séjour en Provence avant i6o5, sont» outre celles que nous avons citées : Con- solation à Cari ^ Dessein de quitter une dame^ Prosopopée d'Ostende , Jux ombres de Damon, Quant à la Paraphrase du psaume VIII que j'avais, avec Saint-Marc, rangée dans cette catégorie, il se pourrait que Racan, sur lequel nous nous sommes appuyés , eât encore ici commis une erreur. En effet, j'ai trouvé à la Bibliothèque de Carpentras une lettre inédite de M. de Valavez, qui écrit de Fontainebleau à Peiresc, son frère, le i3 juin i6ia : « Malherbe a traduit le psaume hui- tième depuis quinze jours y mais il Ta laissé, à ce qu'il dit, à Paris ^ > Malherbe avait quelquefois de tels accès de lenteur dans la composition, qu'il ne serait point tout à fait impossible d'admettre qu'il eût achevé en 1612 une pièce commencée sept ou huit ans plus tôt*.

L'année 1604 fut particulièrement heureuse pour Malherbe : il fit à cette époque, par le moyen de Guillaume du Vair, premier président au parlement de Provence, la connaissance de Claude Fabri de Peiresc, que son amour pour les sciences et pour les arts rendit plus tard si célèbre. Malgré une grande différence d'âge', il se forma entre eux une liaison intime cpii dura jusqu'à la mort du poète, à qui Peiresc donna en maintes circonstances les marques de Taffection la plus sincère et la plus dévouée*.

I. Manuscrits Peiresc, Reg. 57, tome III, P> 38i.

a. « Le bonhomme Malherbe m*a dit plusieurs fois, au*après avoir fait un poëme de cent vers, ou un discours de trois fruitles, il falloit se reposer dix ans. » (Lettre de fialzac, du a 5 juillet i65o, Œwrety tome 11, p. 881.) Voyez plus loin, p. 3i3 (notice de la pièce cxvni), ce que nous disons de deux stances que Malherbe pré- senta à Richelieu et qu'il avait composées plus de trente ans aupa- ravant.

3. Peiresc, en i58o, avait alors vingt-quatre ans, et Malherbe plus du double.

4. Voici ce que le célèbre Gassendi (ou mieux Gassend) raconte dans sa Vie de Peiresc, année 1604 : c Peireskius.... jucundissimam ( familiaritatem duplicem paravit. Altéra fuit cum nobili Francisco c Villanovano Flayosci barone.... altéra cum celebri viro Francisco ( Malherbio, qui oeinceps habitus fuit gallice lingue arbiter, et poe-

SUR MALHERBE. xxi

Appelé en Normandie pour ses afiaires particulières , Mal- hobe quitta la Provence au commencement d'août i6o5, et comme à la même époque, Peiresc et du Vair |)artirent pour se rendre à la cour% il n'est pas douteux qu'il fit en leur com- pagnie ce voyage qui devait exercer sur sa vie une influence décisive.

Racan a raconté en quelles circonstances et avec quels éloges le nom de Malherl)e fut prononcé, pour la première fois peut- être, devant Henri lY. C'était quelques semaines après que Tode dont nous avons parlé plus haut avait été présentée à Marie de Médicis : le Roi demandant k du Perron s'il faisait encore des vers, le prélat n'hésita pas à lui répondre « qu'il œ falloit point que personne s'en mêlât après un certain gen- tilhomme de Normandie, habitué en Provence, nommé Mal- herbe, qui avoit porté la poésie françoxse à un si haut poiat que personne n'en pouvoit jamais approchera >

c SCO» fftcile princeps. Inyisebat enim aterque; et quum priorem qui- ff dem ipsi patria commuiris, ac studium earuodem rerum coDciliaft- f set, posteriorem illi quxsivit commendatio Vmi{du f^oir), clamm- ff que in Provincia nomen, ex que tempore fnerat memorato magno

Francis Priori a secretit. Hinc proinae cœpit Peireakius Malherbii

poemata cogooscere, suspicere, apud exteros commendare. Siqui- I dem qonm mense septembris iila memorabilîs Ostendae obsidio c exitom habuisset, palchraque illa carmina, jirea parva dueum, etc., fuissent gallicii versibus non modo a Vario, sed a Malherbio etiam 9 ezpreasa , misit illico quum ad aliot, tum ad ipsnm Scaligeram,

qnem latinorum carminam arbitrabatnr esse anctorem. > ( Firi iUmatrii y'icoUù Claudu Pahricu de Peirese vit a per Petrum GaisemUtmy Parîfly 1641» io-4S p. 78 et 79.)

I. \ojez ibidem, p. 8a.

a. Le fait se passa k I^yon où, à l'occasion de son mariage avec Marie de Médicis, le Roi séjourna du 9 décembre 1600 au ao jan- vier 1 601. Ce fut seulement le 9 novembre suivant que Malherbe écri- vit d'Aix à du Perron une lettre 'de remercimcnt éonx voici le com- raoïcement : c MouAieur, il y a boit ou dix mois que je fus averti

Îi*an dernier voyage de Lyon, vous trouvant an soir au souper du oi, sor un discours qui se présenta, vous prîtes occasion de me nommer à Sa Majesté, et le fîtes avec des termes qui furent jugés de ceux qui les ouïrent ne pouvoir partir que d'une singulière et du kmt extraordinaire affection en mon endroit. Ce rapport, qui me fut bit premièrement par un gentilhomme de mes amis, me fut, à ne mentir point, une merveille si grande que le ne pense jamais avoir fien oui de quoi je demeurasse plus étonné.... Toutefois ce même

xxii NOTICE BIOGRAPHIQUE

Henri IV garda le souvenir de celui que du Perron avait loué si magnifiquement devant lui, et il en parlait souvent à un compatriote du poëte, à Vauquelin des Tveteaux, poëte lui- même et qui était alors précepteur de César de Vendôme. Des Yveteaux offrit plusieurs fois de le faire venir à la cour, mais le Roi, < qui étoit ménager, » reculait toujours devant cette dépense : du moins Racan Taffirme. De son côté, Malherbe, qui était probablement prévenu de cette bonne volonté, cher^ cha à ne point se laisser oublier ; et la dernière année de son séjour à Aix, il composa pour un combat de barrière qui eut lieu à la cour, le ^S février i6o5, des strophes que Ton im- prima quelque temps après, dans une relation de cette féte^. Lorsqu'au mois d'août suivant, il arriva à Paris, des Yveteaux s'empressa de prévenir le Roi, qui manda le poète, et Malherbe, sans crainte d'être démenti, pouvait, le lo septembre i6i5, écrire à Racan : « Si je n'ai autre avantage, pour le moins ai-je celui de n*étre point venu à la cour demander si l'on avoit af- faire de moi, comme la plupart de ceux qui y font aujourd'hui le plus de bruit. Il y a eu, en ce Aïois nous sommes, vingt ans que le feu Roi m'envoya quérir par M. des Yveteaux, me commanda de me tenir près de lui et m'assura qu il me feroit du bien '. > Le Roi partait alors pour aller tenir les grands jours en Limousin, et il lui commanda, pour cette circonstance, des vers que le poëte lui présenta à son retour '. C'est la belle ode

G Dieu, dont les bontés de' nos larmes touchées.

Jamais, même aux plus beaux jours de l'Académie de Char- les IX, le Louvre n'avait retenti d'une pareille poésie. Henri

avis m*ayant été confirmé par une infinité de personnes d*honneur qui se duoient y avoir été présentes, il faut que je le tienne pour vé- ritable et que, contre ma coutume, je me lâche k quelque vanité. ...»

I. Voyez p. 65, la pièce xvi.

a. Malheroe ajoute encore: a Je n*en nommerai point de petits té- moins. I^ Reine mère du Roi, Mme la princesse de Conti, Mme de Guise, sa mère, M. le duc de Bellegarde, et généralement tous ceux qui alors étoîent ordinaires au Cabinet, savent cette vérité ; et savent aussi qu'une infinité de fois il m*a dit que je ne me misse point en peine, et qu'il me donneroit tout sujet d être content. »

3. Voyez p. 69. La lettre d'envoi qui accompagnait cette pièce figure en tète des lettres de Malherbe, oans les anciennes éditions.

SUR MALHERBE. xxiii

le sentit et recommanda Malherbe à son grand écuyer, M. de Bellegarde, qui lui donna mille livres d'appointements, et < l'entretint d*un homme et d'un cheval. » Cette générosité qui n*a surpris personne, m'avait paru assez singulière jusqu'au moment j'ai lu dans Huet que M. de Bellegarde avait donné à Malherbe une place d' écuyer du Roi : s'il en est ainsi, il me semble très-naturel de supposer que les avantages que nous venons d'énumérer,,ou du moins une partie, étaient attachés à cette placée Ce n'est pas tout . Malherbe devint, probable- ment k la même époque, gentilhomme ordinaire de la chambre du Roi', et les gages qu'il recevait en cette qualité, si, ce que tout porte à croire, ils étaient alors ce qu'ils furent cinquante ans plus tard, se montaient à deux mille livre»'.

La mort de son père, arrivée avant le mois de juillet 1606, vint encore augmenter son revenu ^ ; mais cela ne l'empêcha pas, tant que vécut Henri lY, de solliciter, soit sur le trésor royal, soit sur un évéché ou une abbaye, une pension, que de son côté le Béarnais ne se lassa pas de lui promettre '; et en attendant

I. U Estât Je la France dans sa perfection (i658) donne aux vinet émyen que le grand écuyer arait sous ses orares sept cents Hrres oe gages (p. io5). Je lis en outre, dans VÉtat Je la France (1749» tmne Û, p. 101), au chapitre des Écuyers ordinaires de la Grtuiie Écurie j qui, an dernier siècle, étaient au nombre de trois : a De ces nmyers , il y en a qui ont chacun cinq cents livres de ga^es , mille lirres de Utt^ ou dépenses de deux cheraux, quatre cents livres pour états et appointements, sept cent vingt livres pour la nourriture de dcnx chevaux, cent quatre-vingt-deux livres dix sols chacun pour leur nourriture, qu*iis reçoivent par les mains de Targentier. »

a. Suivant Huet, ce fut aussi M. de Bellegarde qui lui fit avoir rené charge.

3. Voyez V Estât de la France dans sa perfection, p. igS.

4. M. de Goumay a découvert dans l'étude d'un notaire, à Caen, l'acte de partage de la succession paternelle entre Éiéazar de Mal- herbe et son frère aîné. Le poète eut pour sa part soixaute-dix acres de terres, situés en la commune de Missy, la maison que son père habitait à Caen, quelques rentes en argent, blé et orge, et des faisances de peu d'importance. Sur ces biens , il devait payer une part du donaÎDf de sa mère et diverses rentes montant à cent soixante*trois livres dix sols. {Mémoires de V Académie de Caen, p. a 6 3.) Dans Y Instruction, Malherbe évaluait, en i6o5, le revenu de son père à six on sept cents ëcus de rente.

5. Vovez les lettres de Malherbe à Peiresc, en date du 18 juillet 1607, du 6 mars 1608, etc.

XXIV NOTICE BIOGRAPHIQUE

on sut tirer de lui tout le parti possible. « Lundi au soir, érrî- vait-il à Peiresc en date de février 1606, Monsieur le Grand (Bellegarde) me commanda de faire des vers pour les dames. Je fis ce que je pus pour m'en excuser, mais il n'y eut ordre. Vous pouvez juger si un homme qui a mauvaises jambes, comme j'ai , peut faire beaucoup de chemin en si peu de temps. J'en fis pourtant, car il fallut obéir ; mais ce furent des vers de né- cessité. Ils ne laissent pas d'être loués; le mal est que je ne les loue pas et que je ne veux pas qu'on les voie ^. >

A ces vers succédèrent des odes et des sonnets pour le Roi ' et pour M. de Bellegarde, des vers de ballets, et enfin les cinq pièces il chante les amours de Henri pour la princesse de Condé.

Des vers de commande ou c de nécessité, » des vers inspi- rés par le désir d'obtenir ou de payer un bienfait, une grâce, voilà ce qui forme la plus grande et la plus importante partie de son œuvre, depuis le moment il se fixa à la cour; et chose singulière, parmi ces vers se trouvent préci- sément les plus beaux qui soient sortis de sa plume. Si jamais homme eut le tempérament d'un poète officiel, c'est bien Mal* herbe. Son génie s'est nourri et s'est vivifié de ce qui en au- rait tué d'autres plus poètes que lui, et il est à cet égard un phénomène à peu près unique dans notre histoire littéraire. Ses vers d'amour pour la vicomtesse d'Auchy (Caliste) sont en nombre et en mérite au-dessous de ceux qu'au nom d'Alcandre il écrivit pour Oranthe, et il était si habitué à parler pour les

I. Il s'agit des stances Aux Darnes^ pour les demi^ Dieux marins: voyez pièce xx, p. 84. Balzac écrivait à Conrart le 3o avril i65o : « Vous savez ce que disoit le père Malherbe des sonnets et des stances de commande. En fffet, Monsieur, Thumeur est une chose bien libre, et qui a bien de la peine à suivre et à obéir. Il y a des gens qui vont moins volontiers à l'église le dimanche que les jours ouvriers. •» (Balzac, Œuvres, tome II, p. 879.)

1. Rectifions en passant le texte d'une phrase qu'on lui a repro- chée bien souvent. On lui fait dire dans une lettre à Peiresc (oc- tobre 1606) : « Vous verrez bientôt près de quatre cents vers que j*ai faits sur {lisez : pour) le Roi. Je suis fort enthousiasme y parce qu'il m*a dit que je Taime et qu'il me fera du bien. > Or, la lettre autographe porte : c Je suis fort embesogné, » ce qui ofïre un sens tout à fait différent.

SUR MALHERBE. xxv

aatres, qu'on citait comme des exceptions les pièces qu'il com- posa pour lui-même^. Ronsard dont il faisait si peu de cas, d*Anbigné qui semble n'avoir pas existé pour lui, ne se se- raient jamais effacés à ce point; mais s'il leur est inférieur pour l'originalité , le sentiment et la passion, il leur est infi- niment supérieur par ce qui fait vivre Técrivain : par le bon sens, le goût, la justesse et le choix de l'expression. Ce sont les premières et nécessaires qualités d'un maître et d'un législateur de la langue, tel qu'il le fut et tel que, dans le même siècle, devait Fétre un jour Boileau ; et celles-là il les eut à un baut degré.

Sa prose c* de commande ou de nécessité » est aussi excel- lente que ses vers, et il faudra désormais lui assigner comme prosateur une place qu'on n'avait point encore songé à lui donner. L'épitre de consolation qu'en 1614 il adressa à sa protectrice la princesse de G)nti , au sujet de la mort du che- valier de Guise, ne brille point, je le sais, par le naturel ni par la simplicité; mais au point de vue de la langue^ sous le rap- port de la noblesse et de la correction du style, c'est peut-être le morceau le plus achevé qui eût paru à cette époque ; et son auteur mérite plus que Balzac, dont les premiers écrits ne furent publiés qu'en i6a4, d'être appelé le créateur de la prose fran- çaise. Sa traduction de Tite Live*, pour laquelle il avait une si haute estime', vient encore à l'appui de cette opinion, que ne démentiront certainement pas ses traductions de Sénèque. Je n'en dirai point autant des lettres familières, à Tégard des- quelles il avait un tout autre système. « Je suis bien aise, écrivait-il à son cousin M. de Bouillon, que mes lettres vous soient agréables. Vous en pensez selon mon goût quand vous dites qu'en les lisant vous pensez m'ouïr deviser au coin de mon feu. C'est là, ou je me trompe, le style dont il faut écrire

I. Voyez la notice de la pièce li, p. 174*

■X. Vo>'ez plus loin, p. 38g et sairantes.

3. « Quelques-uns de «es amis le prièrent un jour de faire une

cette sorte qu'il falloit écrire. » {La Bibliothèque française de M, C, SoreijP^ris, 1664, p. a34.)

xxvj NOTICE BIOGRAPHIQUE

les lettres. » Il ne se trompait pas : voyez plutôt ce que le genre épistolaire est devenu sous la plume de Mme de Sévigné, de Voltaire et de tant d^autres ; seulement pour y réussir il aurait fallu à cet esprit net et vigoureux, mais peu brillant et nulle- ment prime-sautier, une vivacité et une souplesse qui lui man- quaient complètement.

Marie de Médicis, devenue régente, ne garda point rancune au poêle de ses vers pour Oranthe, et se chargea d'acquitter le» promesses de son époux. Six semaines à peine s'étaient écou^ lées depuis l'attentat de Ravaillac, que Malherbe pouvait écrire à Peiresc : c Mme la princesse de Conti gouverne la Reine plus que jamais. Elle me fit hier accorder un méchant don.... Je n'ai autre peur que de ma mauvaise fortune, qui pourroit bien à l'accoutumée me frustrer de cette espérance ^ » Deux jours après, il lui reparlait de ce qu'il continuait d'appeler une mé- chante affaire^ bien qu'on lui eût dit, ajoutait-il, qu'elle valait dix mille écus'. Enfin au mois de décembre il lui annonça qu'il était inscrit au nombre des « nouveaux pensionnaires , » et ne lui cacha pas les alarmes que lui causaient les dispositions hos- tiles de Sully, c II est vrai, ajoutait-il, que la Reine en me promettant ma |)ension, a usé de ce mot d'absolument. Nous

I. Lettre du a 6 juin 1610.

1. Elle ne fut terminée qu'en 16 18, et M. Roux-Alpheran l'a par- faitement résumée, d'après les pièces originales conservées aux ar- chives d'Aix (vovez RechercheSy p. 3o-3a). Voici ce dont il s'agis* sait. Au mois de juin 161 5, Malherbe présenta au Roi un placet pour obtenir en pur don un terrain situé sur le port de Toulon) et il se proposait de faire bâtir des maisons. Après une exper> tise faite par les trésoriers généraux de France à Aix, ceux-ci, mal- gré l'opposition des consuls de Toulon, reconnurent Futilité du projet, et Louis XIII, par un brevet, daté du 3o juin 1617, et il déclare « vouloir gratifier le sieur de Malherbe, en considération de ses mérites et des bons et recommandables services qu'il a rendus et rend journellement à Sa Majesté, s lui fit don du terrain demandé. Ce terrain était situé dans l'enclos de la darsine de Toulon , et on devait y bâtir vingt-deux maisons, à la charge, les constructions ter- minées, d'une rente annuelle de deux écus par maison, et des droits seigneuriaux, en cas d'aliénation, au profit de Sa Majesté. Le brevet fut suivi de lettres patentes enregistrées au parlement d'Aix, au mois d'avril 16 18. Cette compagnie, il comptait beaucoup d'amis , le tint quitte des épicet dues à raison de l'enregistrement.

SUR MALHERBE. xxvu

saurons dans dix ou douze jours ce qui en sera^ » Les jours, les semaines et les mois se passèrent, et ce fut seulement vers la fin d'avril 1611 que Tafiaire fut réglée. Cette pension, qui était de quatre cents écus, fut portée à cinq cents en juin 161 a*. » C'était le prix de devises faites pour la Reine par le poëte, qui se promettait de mériter, Tannée suivante, une nou- velle c gratification par quelque nouvel ouvrage. >

11 n'y manqua pas; car à peine en 16 14 eut-il fait contre les princes révoltés une paraphrase du psaume cxxviii ', qu'il demanda à être compris « dans la capitulation. » La Reine le lui promit, et probablement tint parole. En 161 5, c'est le frère de Peiresc, M. de Valavez, qu'il met en avant, et inutilement cette fois, pour obtenir une pension sur tm évéché *. »

Malherbe, du reste, au lieu d'être un grand poëte, n'aurait été qu'un simple courtisan qu'il aurait mérité ces faveurs par son assididté près de la Ueine et le dévouement qu'il lui té- moigna, tant qu'elle garda le pouvoir. Malgré l'ennui que lui

I. Lettre à Peiresc, du a3 décembre 16 10.

a. c Encore que je n'aie aucun digne sujet de vous écrire, si je n^ai Youlu perdre la commodité de ce laquais pour tous dire que la Reine se laissa persuader devant bier au soir à M. de Malherbe de lai augmenter sa peusion de cent écus, de sorte qu*il a cinq cens écus par an. » (Lettre citée plus haut de M. de Valavez à son frère Peiresc, en date du i3 juin 161 a.) Malherhe, de son côté, dans une lettre à Peiresc, raconte ainsi le fait : a J'ai fait voir à la Reine les devises que ]*ai faites pour elle. Elle les a trouvées fort à son goût, ee que je crois, pource qu'elle Ta dit, mais encore plus parce qu'elle m'a augmenté ma pension de cent écus. Si je me fusse préparé à lui faire cette requête, je la trouvai si bien disposée que je crois qu'elle eût passé pins avant : ce sera, Dieu aidant, pour l'année prochaine; cependant je tâcherai de mériter cette gratification par quelque nou- vel ouvrage. > Cette lettre, qui n'est pas datée dans l'édition de Biaise, y est classée à tort parmi celles de i6i3 (p. a 69) ; car elle est adressée à Peiresc à Paris; or le savant conseiller n'avait séjourné dans cette ville qu'en 161 a, et dès le mois de novembre de cette an- née était retourné en Provence, d'où il ne revint qu'en 1616. M. de Goumay, qui s'appuie sur cette pièce , s*est donc trompé en disant (p. a68) que la pension de Malherbe, qui était d'abord de quinze cents livret, fut en i6i3 portée à dix-huit cents.

3. Voyez plus loin, pièce lxut, p. aoy.

4. Voyez les lettres à Peiresc, des 6 octobre, e5 et a8 novembre i6i5.

XXVIII NOTICE BIOGRAPHIQUE

causaient les voyages à Fontainebleau et les fêtes royales , il suivait fidèlement la cour, étant sans cesse, grâce à ses fonc- tions de gentilhomme de la chambre, au Cabinet, il cher- chait à amuser la princesse par ses propos et les histoires qu*il pouvait apprendre de côté et d'autre ^ Il parvint même à la persuader de la sincérité de son attachement. Un jour, la prin- cesse de Conti donna à lire à la Reine, au moment cellç-ci montait en carrosse, un pamphlet intitulé : Remontrances de la noblesse au Chancelier. « Mme de Guise, raconte Malherbe, étoit auprès d'elle à la portière, qui m'a dit qu'en le lisant tout le long du chemin, elle rougissoit à tout moment. Comme elle eut tout lu, elle lui demanda qui le lui avoit baillé; elle répondit que ç'avoit été Malherbe ; à quoi elle répliqua : « Je « m'assure qu'il n'en a pas moins été piqué que moi*. »

Il faut dire que jamais poëte ne pratiqua plus consciencieu- sement la maxime qu'il inscrivit en tête de sa lettre à Henri IV : « Les bons sujets sont à l'endroit de leur Prince , comme les bons serviteurs à l'endroit de leurs maîtresses. Ils aiment ce qu'il aime, veulent ce qu'il veut, sentent ses douleurs et ses joies, et généralenoent accommodent tous les mouvements de leur esprit à ceux de sa passion. » En effet, si des pièces qu'il composa depuis la mort de Henri IV on retranche des vers faits pour des amis et quelques chansons, il ne reste guère que des pièces de circonstance : des vers funèbres sur la mort du Roi au nom de M. de Bellegarde, des vers de ballet, des odes et des sonnets à la Reine mère, deo stances contre les princes révoltés, et plus tard, des odes , des sonnets, des stances pour le Roi, Monsieur, Richelieu, le surintendant la Vieuville, contre les Réformés, etc. Une pareille abnégation de la part du poète ne fut pas sans récompense. L'un des sonnets à Louis XIH'

I. Voyez sa lettre à Peiresc, du i3 1611, il lui raconte avec quel plaisir a été lue au Cabinet la relation qu'il avait reçue de lui sur les sorcelleries de Gaufridi, et celle du 4 novembre i6a3, où, à propos d'une autre histoire de sorcier, il écrit à Racan : c Vous m avez fait un plaisir extrême de me mander la nouvelle de cet acci- dent notable advenu à la Flèche. Il y a de quoi entretenir la Reine. 1

a. Voyez la lettre de Malherbe à Peiresc, du 37 juin 161 5.

3. Voyez pièce cxr, p. a6o.

SUR MALHERBE. xxix

lui valut un don de cinq cents écus. Richelieu^ auquel il écri- vait : « Je vous mets en tête un grand monstre , quand je vous propose ma mauvaise fortune , » Richelieu , cet <u/o- rabie prélat^ ne l'oublia pas non plus, et ce fut probablement à lui qu'il dut le don d'un office de trésorier de France '.

On voit que si des Yveteaux avait quelque raison de lui reprocher de demander toujours Taumône un sonnet à la main y Malherbe, de son côté, pouvait dire en toute assurance . « La monnoie dont les petits payent les bienfaits des grands , c'est la gloire. J'espère que de ce côté-là on ne m'accusera ja- mais d'ingratitude '. »

I . Voyez à Y Appendice de la Notice biographique ^ p. l, une lettre de Richelieu i Malherbe.

3. c II plut à Monseigneur le Gudinal, il y a quelque» jours, de me promettre qu'aussitôt que M. de Fiat (d'Efiiat) seroit de retour, il me feroit payer de ma pension, et y ajouta encore qu'il me you-

IcMt faire mes petites affaires Aujourd'hui que

M. de Fiat est arrivé, il est question de me ramentevoir à Monsei- gneur le Cardinal, afin qu'il se souTienne , tant de l'assistance qu'il m'a offerte en cette occasion, que de celle qu'il m'a promise en l'office de trésorier de France, dont il a plu au Roi de me gratifier. » [Lettre à Vévéque de Mende,) Dans une lettre inédite de Peiresc à P. Dupuy en date du la novembre i6a6, je trouve le passage sui- vant : « ....U n'y a pas grand mal quand vous feriez demander quel- que office, en finançant quelque petite portion seulement. Cest comme cela que Malherbe s'est fait donner une charge de trésorier de France en ce pays (en Provence), et le neveu du P. Suffren une autre à fort bon marché ; et leur mérite et qualité fera passer l'édit, pour l'a- mour d'eux, qui ne passeroit jamais. » (Bibliothèque impériale, ma- nuscrits Dupuy, no 716, f^ 53.) U y eut en août i6ai, en février 1616 et en avril 1617 des créadons d offices de trésorier de France; d'après ce qui précède, Malherbe en aurait été pourvu au plus tard en i6s8.

3. Lettre à tévéque de Mende, On y lit le passage suivant : < Je fus dernièrement trouver un homme pour quelque peiiie affaire, et je crois que sans ofTenser sa conscience, il lui étoit aisé de me satisfaire. La peur que j'ai d'être refusé, me fait toujours prendre garde de ne jamais rien demander qui ne soit raisonnable; et d'ail- leurs j*avois quelque sujet de croire que cet homme aimât les vers. Je le trouvai toutefois si peu courtois et si fort résolu de ne mv point gratifier, que je m'en revins avec un déplaisir de lui avoir jamais rien demandé, et avec une protestation de ne lui demander

jamais rien La nécessité est forte ; mais elle ne l'est pas assez

pour me faire faire une seconde prière à un homme à qui la première

i^xx NOTICE BIOGRAPHIQUE

De ce GÔté-là, soit; maïs il est plas d'un genre d'ingrati- tude, et il y a dans sa vie des taches dont avec la meilleure volonté du monde on ne peut laver sa mémoire. A partir du moment un attachement trop grand à la mère du Roi pou- vait devenir dangereux, n'a-t-il pas oublié bien vite Vobjet di^ vin des dntes et des yeux^ la Reine sans pareille ^ la Reine chef- d*œuvre des cieux^ la princesse à qui il devait tout, qu'il avait si souvent célébrée et dont le nom ne se retrouve plus dans ses vers? N*a-t-il pas adulé bassement, dans une dédicace qui est un chef-d'œuvre du genre S le connétable de Luynes, qu'après sa mort , quelques mois plus tard , il appelait cet absinthe au nez de barbet ^ qu'il aurait voulu voir au gibet*? Je reconnais que jusqu'à la fin de sa vie il ne cessa de chanter les louanges, en vers et en prose, de Richelieu, de ce grand cardinal^ grand chef-d'œuvre des deux; mais je n'aurais pas conseillé à l'illustre Kminence d'être disgraciée du vivant du poète, ou de le précéder dans la tombe.

Il faut dire, comme circonstance atténuante, que malgré la bonne volonté du prince, la position d'un c pensionnaire > était toujours fort précaire : trop souvent il dépendait d'un ministre de retarder, ou même d*arréter complètement les effets de la munificence rovale. Malherbe le savait, et il ma- nœuvra assez prudemment au milieu des intrigues et des ré- volutions de la cour pour ne jamais compromettre, je ne dis

n'a de rien servi. D me pouvoit faire du bien; je lui pouvois donner des louanges. Il me semble que ce qu*il eût eu de moi valoit bien ce que j'eusse reçu de lui. Puisqu'il ne Ta pas voulu, il le faut laisser là. Me Toilà déchargé d'une grande peme. » M. de Goumay cite ces dernières lignes , pour nous faire admirer c la fierté avec la- quelle Malherbe repoussoit toute idée de faire une démarche ou seu- lement une demande qui humilieroit son amour-propre, lors même qu'elle devroit améliorer sa fortune s (p. a 59). U aurait se rap- peler qu'il ne s'agissait ici, comme le poète le déclare lui-même, que d*uite petite affaire,

I. La dédicace de la Traduction du XXXIII' livre de Tite Live (voyez plus loin, p. 889 et suivantes). Outre le Roi et le connétable, MalberDe trouve moyen d'y louer le chancelier, le garde des sceaux, le surintendant des finances, les secrétaires d'État, le cardinal de Rais, le président Jeannin, le prince de Condé, et jusqu'à Messieurs les tré- soriers de t Épargne. U est vrai qu'il avait souvent besoin de ceux-ci.

a. Voyez pièce lxxxiv, p. aSo.

SUR MALHERBE. xxxi

pas la dignité de son caractère, mais sa position*. Anssi à la fin de sa vie, il était sinon riche, du moins fort à son aise ; et on peut le croire, lui qui se plaignait sans cesse, quand il disait dans sa mauvaise ode à M. de la Garde * :

Je ne désiste pas pourtant D'être dans moi-même content D'aToir bien vécu dans le monde, Prisé (quoique vieil ahattu) Des gens de bien et de vertu : £t voili le bien qui m'abonde*.

Sa pension de cinq cents écus ^, ses appointements de gentil-

I. Je n'ai trouvé qu'une seule fois le nom de Malherbe mêlé à des propos de cour. Pendant une absence du poète, Peiresc, qui se trou- vait alors i Paris, lui écrivit qu'au Cabinet (du Roi], son départ était mal interprété. On prétendait qu'il s'était enfui de peur a'être re- cherché comme l'auteur d'un « certain discours en trois feuillets. > c Celui qui a fait courir ce bruit , ajoutait Peiresc, est quelqu'un de ceux qui avoient accès chez vous. > (Bibliothèque de Carpentras, ma- nuscrit cité, fo 53) vo, lettre du 4 mai 1630.) Malherbe, je crois, se tint il l'écart des intrigues politiques, et suivit religieusement cet autre précepte qu'on lit dans sa dédicace au duc de Luynes : c Pour moi, qui ai toujours gardé cette discrétion de me taire ae la conduite d'un vaisseau je n'ai autre qualité que de simple passager, le meilleur avis que je puisse donner à ceux qui n'y sont que ce que je suis, c'est de s'en rapporter aux mariniers, v

a. Voyez pièce cv, p. aSS.

3. Ce dernier vers est la réfutation de l'épitaphe que Gombauld a composée pour Malherbe :

L'Apollon de nos jours, Malherbe ici repose. n a longtemps vécu sans beaucoup de support. En quel siècle? Passant, je n'en dis autre chose : D est mort pauvre.... et moi je vis comme il est mort.

Le poëte Patrix, compatriote de Malherbe , le trouva un jour à table : c Monsieur, lui dit-il, j'ai toujours eu de quoi dîner, mais jamais de quoi rien laisser au plat. » Voyez Tallemant des Réaux, tome I, p. 29a.

4. Une anecdote, que l'on trouvera plus loin (voyez p. lxvih), permet d'apprécier à peu près le revenu que cette pension de quinze cents livres faisait à Malherbe. Suivant Racan , le poëte donnait à son valet vingt écus de gages et dix sous par jour pour sa nourriture, soit par an deux cent quarante-deux hvres, « ce qui étoit honnête en ce temps-là. » Avec sa pension seule, Malherbe avait donc un peu plus que six fois la somme nécessaire au pa\ ement et à l'entre- tien de son valet.

xxxii NOTICE BIOGRAPHIQUE

homme ordinaire et plus tard de trésorier de France, ce qu'il avait recueilli des successions de son père et de sa mère*, et surtout la concession des terrains à Toulon ' lui procurèrent en effet, bien qu'il ne fût pas « ménager', » une existence fort ho- norable. Et notez que je ne fais pas figurer dans ce calcul les gratifications qu'il dut recevoir de temps en temps soit du Roi, soit d'autres personnages pour lesquels il a fait des vers ^. Il dit lui-même quelque part c qu'il ne se donnoit pas volontiers de la peine aux choses dont il n'espéroit ni plaisir ni profit*. >

Nous avons vu plus haut comment en i6o5, après vingt- quatre ans de mariage, Malherbe se sépara de sa femme pour venir à Paris. Il ne la revit plus que deux fois, en 1616 et en 1 6aa, lorsqu'il alla en Provence. Malgré Téloignement, leurs relations n'en furent pas moins très-suivies, et l'on trouve en maintes pages de sa correspondance la preuve de l'affec- tion sincère qu'il avait pour elle *. Toutefois le récit de Racan nous apprend que, bien qu'il fût d'un âge mûr quand il vint se fixer à la cour, il y mena une vie peu régulière et le libertinage tint plus de place que la passion. En 161 1, il écrivait :

Je renonce à T Amour, je quitte son empire.

11 était temps, car il avait cinquante-six ans. Mais certaine- ment lorsque le père Luxure^ comme on l'appelait chez M. de Bellegarde, et l'Amour se séparèrent, ce ne fut pas le poète qui fit les premiers pas en arrière ''.

I. Sa mère mourut le ai novembre 161 3, à quatre-vingt-deux ans.

a. M. de Goumay parle (p. 27!!) des salines de Castigneau qui auraient aussi été données à Malherbe ; les titres de concession se trouveraient, à ce qu*il parait, à Toulon.

3. e Quand je serois ménager, ce que je ne suis pas, » dit-il dauis une lettre à son cousin de Bouillon.

4. Dans une lettre (c'est la iv^ du livre I dans les aiicieimes édi- tions), il remercie Monseigneur *** « du beau présent > quUl vient de recevoir. Je pense aussi que ce ne fut pas gratuitement qu'il fit pour le financier Montauban certain couplet dont il parle dans une xmtre lettre.

5. Lettre à Racan, du 18 octobre 162$.

6. Il lui envoyait sans cesse de Targeut, et souvent des sommes assez fortes.

7. Voyez ses doléances k ce sujet dans sa lettre à Balzac.

SUR MALHERBE. xuiii

Malherbe avait laissé auprès de sa femme, à Aix, son fils onifpie, Laurent-Marc-Antoine, né, nous Vavons déjà dit, le 14 décembre i6oo. G)mme ce fils a tenu une grande place dans les dernières années de la vie de son père et que d'ailleurs nous avons pu nous procurer sur lui et ses aventures des do- cuments inconnus ou inédits, nous allons en parler un peu longuement.

Marc- Antoine annonça de bonne heure les plus heureuses dispositions; c'était un vrai prodige, au dire de Peiresc, qui ne laissait échapper aucune occasion de raconter à son ami les succès de l'enfant et du jeune homme ^.

I. « Le petit Maro-Antoine, lui écrit-il le 17 octobre 1606, est plat grand que tous ne Tavez laiûé d*un bon demi-pan, et je ne vii ja- mais enfant de son âge si gentil ni si érciUé que lui. Vous ne sau- riez croire comme il se plait à bien apprendre ses levons , et le grand plaisir qu'il a d*ou!r dire qu'il fait mieux que ses compagnons. 1 (Bibliothèque de Carpentras, manuscrits de Peiresc, Correspondance^ volume H-M, 454)

Gnq semaines plus tard, le a6 novembre 1606, il écrit encore :

« Le petit Marc- Antoine est toujours plus gentil. Il dîna derniè- rement chez M. du Périer, le jour du doctorat de son fils, il en- tretint merreilleusement toute cette compagnie, et avec les discours pertinents, comme si c'eut été un homme bien consumé (consomméj. » 74r</., f»456.)

Pextrais d'autres lettres inédites les passages suivants :

< Votre petit Marc- Antoine est si gentil, maintenant qu'il a le haut- déchausses, qu'il ne se daigne point d'aller avec des enfants. Ses dis- cours sont si bien sensés que d'homme de trente ans que je connoisse. n n'espère k rien qui ne soit grand, et ne veut point de passe-temps qui ne soit honorable. D a tant importuné sa mère de lui faire mon- trer k sonner du luth , qu'elle a été contrainte de le lui accorder. A quoi il a si bien avancé , que M. Begis (?) assure qu'il a plus appris dans trois jours qu'aucun autre n'auroit fait en quinze. Madame y foisoit quelque difficulté, craignant que cela ne vous fût pas bien agréable; mais je lui dis bien que j'écrirois que vous le trouveriez bon, car cela sert toujours aux personnes de toute qualité, s (Lettre du s5 juillet 1609, ihid.^ 477-)

Votre petit Marc- Antoine est toujours plus gentil. Il m'a fait des vers en latm d'importance. Ce va être une merveille du siècle. Dieu aidant, s (Lettre du 3o janvier i6i3, ibid^ f^ 5o5 v^. Voyez aussi lettre du 10 janvier i6i3, F> 5i3.)

c Votre petit Marc-Antoine est bien avant en la logique. Il y a des discours si judicieux que j'en suis quelquefois ravi. Il nous tarde bien que vous le puissiez voir. 1 (Lettre du 27 septembre 161 'ihid,^ fr5îi4v«.)

»xiy NOTICE BIOGRAPHIQUE

Au mois de novembre i6i5, il soutint des thèses de plnloso- phie d'une manière si brillante que le premier président du parlement de Provence, Guillaume du Vair, qui y avait assisté, s'écria c que c'étoit le plus grand miracle qu*il étoit possible d'imaginer ^ b Deux ans plus tard, nous le retrouvons à Paris ; il y avait été amené par Malherbe, qui, en 1616, alla passer quelque temps' à Aix, d'où il repartit avec Peiresc et du Vair*, lorsque celui-ci eut été nommé garde des sceaux. Le séjour de Paris semble avoir exercé sur lui une influence fâcheuse, en dépit des soins de son père, qui tous les jours le faisait tra- vailler plusieurs heures sous ses yeux ; et une lettre de Peiresc en date du 119 octobre 16 17 montre quelles étaient les inquié- tudes de Mme de Malherbe, qui craignait de voir son (ils re- noncer à la carrière de la magistrature , que par suite de ses relations de famille elle devait désirer par-dessus tout^.

I. t Monsieur de Malherbe, votre fils, écrit Peiresc è Malherbe , le 18 novembre 161 5, soutint ses thèses en philosophie ces jours passés, Monsieur le premier président voulut assister, sans que celui à qui elles étoient dédiées Teùt invité. La plus grande partie de notre com- pagnie y fut aussi. Mais sans cajolerie je nevis jamais mieux faire, ni ré- futer les arguments, ni parler si élégamment, ni avec tant d'assurance, de promputude, ni avec un si beau langage, et avec une aussi grande connoissance de cette science. Tout le monde en étoit ravi. Le cathé- drant n'étoit rien au prix du répondant. Monsieur le président dit au sortir de que c*étoit le plus grand miracle qu*il étoit possible d'ima- giner. Jugez si c'est à bon titre que nous vous en de'vons féliciter. Vous avez bien occasion d'en louer Dieu. Je n'y eusse désiré que votre présence ; mais d'ailleurs j'eusse quasi eu de l'appréhension qu'un si grand excès de réjouissance qu'il vous eût fallu ressentir de nécessité, n'eût apporté du préjudice à votre santé. {Jbid.^ 53o.)

a. Ce voyage fut sans doute motivé par le désir de presser la con- clusion de 1 affaire des terrains qui lui avaient été concédés i Toulon. Voyez plus haut, p. xxvi.

a. Le 19 avril. Voyez Roux-Alpheran , Recherches^ p. 3a.

4. c Madame , suivant votre lettre, je n'ai point failli à toutes les occasions qui se sont présentées de remontrer à M. de Malherbe ce qui étoit de vos appréhensions , et vous assure que je n'ai pas eu de U peine i persuader M. le garde des sceaux de le faire aussi de son côté, car je l'avois déjà prévenu par diverses fois sur ce qu'il avott vu à Monsieur votre fils des habillements de couleur. Enfin, M. de Malherbe l'a assuré que son intention étoit de lui faire continuer les lettres.... Je vous dirai bien davantage que Monsieur votre fils n'a nulle inclination d'cpée, ains a lui-même eu horreur de cette

SUR MALHERBE. xxzv

Ce& inquiétades n'étaient que trop fondées. Malgré ce que disait Peiresc de rhorrenr que la profession des armes inspi- rait à Marc- Antoine, l'humeur batailleuse de celui-ci Tentraîna dans trois querelles, dont la dernière lui coûta la vie. La pre- mière eut lieu au mois de mai i6aa, au moment Malherbe Tenait d'arriver en- Provence. Nous en ignorons les circon- stances, car il n'en a parlé qu'en termes assez vagues dans sa correspondance : c Deux jours après que je fus arrivé, écrit-ii à son cousin de GolombyS je ne sais quel fripon d'officier fit une niche à mon fils pour laquelle il a été con- traint de garder la chambre, et moi privé du contentemen. que j*étois venu chercher à ma maison.... Mes amis me disent que c'est un juif à qui j'ai afiaire et que je ne dois pas trouver étrange que mon fils soit persécuté par ceux mêmes qui ont crucifié le fils de Dieu'.... Ce que j'y vois de meilleur pour moi, c'est que le moyen qu'a ce maroufle de me nuire n'est pas égal à sa volonté. Mais toujours aurai-je de la peine et de la dépense à démêler cet écheveau.... J'ai eu depuis quatre on cinq jours des inhibitions du Conseil pour ôter à ce parle- ment la connoissance de ma brouillerie. Il me reste encore quelques informations à faire pour évoquer. C'est à quoi je

profewicni. Son p^re l'a fait étudier tous les jours quatre ou ciuq boniicf heures en sa présence, de quoi j'ai été témoin diverses fois. U s'est résolu de le vous ramener bientôt lui-même là-bas, estimant qu'il y puisse bien mieux faire ses affaires qu'ici. » (Lettre de Peiresc à Mme de Malherbe, datée de Paris le ag octobre 1617. Bibliothèque de Carpentras, manuscrit cité, 53a.)

I. Cette lettre, dans les anciennes éditions, est la trente-huitième et dernière du lÎTre II. Dans une lettre écrite d'Aix i Peiresc (alors à Paris), en date du 10 juillet de la même année (1619), il donne quelques autres détails : c Le jour même de la Fête-Dieu, il plut à 1 arocat général Thomassin de faire garder la chambre à mon fils,

quitte, msku parce que je me doute qu'ils l'eussent obligé à quelque satisfiiction à sa partie, j'ai mieux aimé qu'il soit privé de quelques jours de la place des Jacobins que de le soumettre à cette indignité. J'ai donc envoyé quérir un renvoi à un nutre parlement ; je l'attends au premier jour, avec les inhibitions à celui-ci. s

a. n a repris cette pensée dans le sonnet qu'en 1637 il fit sur la ■lort de son fils (voyez p. 376, pièce eu, vers i3 et i4}*

xxxvi NOTICE BIOGRAPHIQUE

travaille. » Ce « fripon d*officier > d'origine juive est proba- blement Paul Forda, seigneur de Piles, dont il va être ques- tion tout à rheure.

Cette mésaventure aurait servir de leçon à Marc-Antoine, mais il n'en fiit rien; et c la chaleur de la jeunesse' » fit avorter les plans que son père avait formés. < Il y aura bientôt trois ansy écrit Malherbe à M. de Mentin le 1 4 octobre 1 6*k6y que vous vous employâtes à me faire avoir pour mon fils un office de con- seiller au parlement de Provence. Le traité qui s'en fit alors fut interrompu par une brouillerie qui lui survint*. » L'affaire, que Malherbe traite si lestement de brouillerie^ était des plus graves, et elle est restée inconnue jusqu'ici à tous ses bio- graphes, qui ont rapporté à la précédente les détails qu'ils avaient trouvés dans sa correspondance : il s'agissait d'un duel Marc- Antoine avait tué son adversaire, un nommé Raymond Audebert ou Audibert, bourgeois d' Aix. Ceci se pas- sait au mois de juin i6a4* Les espérances que l'on avait d'abord données à Malherbe' ne se réalisèrent pas, et les

I . Peiresc, de retour à Aix, écrit à Malherbe le 6 décembre i6a3 : « Mme de Malherbe m'a communiqué certaine affaire concernant remploi de Monsieur votre fils, à quoi je voudrois bien pouToir con- tribuer quelque chose pour son contentement et le TÔtre, ayant un extrême regret de voir qn*an si subtil esprit, qui feroit des merreillet dans le monde, perde une si bonne partie de son temps au grand déplaisir de tous vos amis et serviteurs, et spécialement de ceux que vous avez dans notre Compagnie, qui seroient bien aises de lui tendre la main, de le dispenser, je m'assure, de tout ce qu'ils pourroient pour rhonneur de vous et de lui. Pensez-y, je tous supplie, tandis que votre service de par de lui peut faire espérer plus de faveur auprès du Roi et de son conseil, et avant que la chaleur de la jeu- nesse le porte à quelques résolutions qui servissent par après d ob- stacle aux bonnes intentions de vos amis. Je crains bien que vous ne blâmiez ma trop grande liberté, mais, etc. s (Bibliothèque de Car- pentras, manuscrit cité, 54a.)

a. Cette lettre, qui est laxvin* du second livre dans toutes les édi- tions, y est datée à tort de i6i6, au lieu de i6i6. Le contenu ne laisse aucun doute sur la date véritable.

3. Dans une lettre écrite le 27 juin i6a4> pour < se condouloir avec lui du malheur arrivé à son fils, qui a été universellement plaint par toute cette ville, » Peiresc dit : c Mais pour ce que c'est chose faite qui ne peut pas ne l'avoir été, je me persuade que ce mal pourroit être cause de quelque bien, si Monsieur votre fils vouloit un peu ré- soudre à l'avenir de contenter ses parents, amis et serviteurs. La cou-

SUR MALHERBE. xxxvii

choses prirent une tournure si alarmante qu'il fit quitter la Provence à son fils. En effet, le lo octobre, une sentence du sénéchal d'Aix, rendue sur la poursuite de la veuve et de ses enfants, condamnait Marc-Antoine à avoir la tète tranchée. Mais Malherbe, sachant bien qu'en pareille occurrence il ne fallait que gagner du temps, envoya son fils en Normandie, comptant, < avec un million de gentilshommes, » sur un par- don général, dont le mariage de Madame avec Charles P' devait être le prétexte*.

En attendant cette amnistie qui tarda assez longtemps, il par- vint à faire évoquer l'affaire au conseil du Roi, qui la renvoya au parlement de Dijon, et il sut se faire appuyer près de ses nouveaux juges par une lettre fort pressante de Marie de Mé- dicis'. La procédure fut longue ; enfin il obtint, en juin i6a6, des lettres de grâce, qui ne furent entérinées que le 1 3 février de l'année suivante; mais Marc- Antoine, pour jouir de leur effet, dut, par arrêt de la Cour, payer les dépens et quinze cents livres de dommages et intérêts à la veuve Audebert et ses enfants *.

CSnq mois après, jour pour jour, le 1 3 juillet, à quatre lieues d'Aix, Marc- Antoine périssait à son tour dans une querelle avec Gaspard de Bovet, baron de Borroes, et avec le beau- frère de celui-ci, Paul de Fortia, seigneur de Piles, dout on a déjà vu le nom plus haut. Malherbe cria à l'assassinat, et l'on peut voir dans sa lettre à Louis XIII* en quels termes il par- lait des meurtriers de son fils. L'accusation ne parait point suf-

ditîon des personnes auxquelles il a affaire est telle que Ton réduira i tout oe qu'il Toudni, et la qualité du fait est réduite, Dieu merci, CD termes qu'il n*y aura rien que vous n'obteniez. » (Bibliothèque de Carpcntras, manuscrit cité, fo 545*)

I. Lettre à Racan du i3 décembre 1634 : c II y a fort longtemps que je l'ai en'voyé en Normandie, il passe son temps, à ce qu il m'éoit, mieux qu'en lieu il a jamais été. Je l'ai tiré d'ici pour la doote que j'arois que ses parties ne lui eussent tendu quelque piège, oomme certes j'ai découvert qu'ils avoient fait. Mais j'eus bon nez, de quoi bien lui prit et à moi aussi. Pattends, avec un million de gen- tdsbommes, on pardon général de tous les duels, dont le mariage de Madame sera le prétexte. >

a. Voyez-en le texte à VÂppendiee^ p. li.

3. Voyez k Y Appendice, p. ur, un lésumé de l'affaire.

4. Voyez plus loin, p. 349 ^ suivantes.

xxxviii NOTICE BIOGRAPHIQUE

fisamment établie^ et, à vrai dire, à cette époque les que- relles étaient si fréquentes, les parents et les amis, se soute- nant les uns les autres l'épée à la main, changeaient si souvent un duel en mêlée, il n'était pas toujours facile, quand un des combattants restait sur le carreau, de savoir exactement par qui et comment il avait été frappé. Le récit de Tallemant me semble devoir se rapprocher assez de la vérité : < Voici^ dit-il, comme ce pauvre garçon fut tué. Deux hommes d'Aix, ayant querelle, prirent la campagne; leurs amis coururent après; les deux partis se rencontrèrent en une hôtellerie. Cha- cun parla k l'avantage de son ami. Le fils de Malherbe étoît insolent ; les autres ne le purent souffrir ; ils se jetèrent dessus et le tuèrent. Celui qu'on en accusoit s'appelait Piles. Il n'étoit pas seul sur Malherbe; les autres l'aidèrent à le dépécher. »

Marc-Antoine fut enterré dans l'église des Mini(nes^ à Aix, le surlendemain de sa mort, le 1 5 juillet, et ce jour même le bon Peiresc écrivait au malheureux père une lettre touchante, que nous donnerons plus loin *.

Malherbe, qui croyait et pouvait croire à un assassinat, poursuivit sans relâche les meurtriers, et surtout de Piles, que des témoins déclaraient avoir vu frapper Marc-Antoine avant que celui-ci « eût la main à l'épée*; » et il recommença comme demandeur le pénible chemin qu'il avait , les années précé- dentes, parcouru comme défendeur, pour ce même fils dont il voulait aujourd'hui venger la mort.

Un Extrait des registres du sénéchal d^Àix^ imprimé de quatre pages, qu'a bien voulu me communiquer le savant bibliothécaire de Grenoble, M. Gariel, et qui était demeuré inconnu aux bio- graphes de Malherbe, donne quelques détails intéressants sur

I. Balzac ne parle de TafTaire que comme d*iui duel.

3. Aujourd'hui l'église des Dames du Saint - Sacrement, (Roux- Alpheran, Recherches, p. 89, note i.)

3. Voyez VjéppenMce, p. uy. Le 27 juillet i^a?» Malherbe n'avait point encore reçu la nouvelle de la mort de son fils, car nous avons de lui, à cette date, une lettre adressée à Peiresc et il ne parie que de choses indifférentes.

4- Voyez à Vjéppendice, p. lv, une lettre inédite de Malherbe à M. de Bouillon.

SUR MALHERBE. uxix

les premiers résultats dn procès ^ Noas y apprenons que, c sur la requête de Damoiselle Mdgdeleine de Gorriolis, de la ville d^Aix, tant en son nom que comme femme et procuratrice gé- nérale de François de Malerbe, écujer, gentilhomme ordi- naire de la chambre du Roi, querellante en assassinat et meurtre commis en la personne de M. Marc-Antoine de Malerbe, lui vivant avocat an parlement de Provence, son fils, etc., » le sé- néchal d*Aix prononçant, par défaut, contre les sieurs de Piles et de Bonnes, les déclara, le 14 aoftt 1627, un mois après le meurtre, < atteints et convaincus du cas et crime de meurtre et homicide douleusement' commis, » et les condamna à la peine de mort. Un troisième accusé, frère Louis de Villages, chevalier de l'ordre de Saint- Jean de Jérusalem, bien que contumax, fut élargi à charge de se représenter « quand sera dit et ordonné. >

Le jour même, les condamnés appelèrent de cette sentence, qui ne les effraya pas plus que Malherbe n*avait été effrayé de celle qui, en des circonstances analogues et presque dans les mêmes termes, avait été rendue contre son fils deux ans aupa- ravant.

Quelque temps après, il écrivait à un de ses amis de Provence qn*il attendait « que le conseil des parties fût établi en quelque Heu pour y continuer les poursuites contre les assassins et les mettre le plus avant qu*il pourroit dans le chemin de Grève. > Tout ce que je demande, ajoutait-il, c'est qu'on nous baille un parlement. Les assassins disent qu'ils ne veulent pas de Gre- noble. De ce côté-là nous sommes d'accord. Je me doute qu*ils voudroient Paris, mais je ne le veux pas. Le judaïsme s'est étendu jusque sur la Seine. Il seroit à souhaiter qu'il fût de- meuré sur le Jordain, et que cette canaille ne fût point mêlée, comme elle est, parmi les gens de bien. Il n*y a remède. Ma cause est bonne ; je combattrai partout avec l'aide de Dieu, f&t-ce dans Jérusalem et devant les douze lignées d'Israël *. »

Il combattit, en effet, mais inutilement. Bien que Louis XIII « Feùt exhorté à faire prendre les drûles, l'assurant que du

I. Voyez-en le texte kV Appendice^ p. Lvn- i. Traitreasement.

3. Cette lettre a été publiée pour la première fois, et d*après une eopîe du temps, par M. Roux-Alpheran (Recherehes ^^ p. 6a). Elle B*ett point datée et ne porte point de nom de destinataire.

XL NOTICE BIOGRAPHIQUE

reste il auroit justice^; » bien que Malherbe loi eât adressé, avec la belle ode contre les Rochelois, une lettre pathéthique', grâce aax relations de lenr famille avec le parlement de Pro- vence, et à la protection du frère de Richelieu, de Tarche- ▼éque d'Aix*, les meurtriers échappèrent à sa vengeance. Suivant l'exemple que Malherbe lenr avait donné lui-même, ils surent tirer l'affaire en longueur et la traîner de tribunal en tribunal. « Enfin, dit Balzac, qui le voyait tous les jours dans le fort de son affliction, on lui parla d'accommodement, et un conseiller du parlement de Provence, son ami particulier, ICu porta parole de dix mille écus. Il en rejeta la première propo- sition, et nous ^ dit l'après-dînée ce qui s'étoit passé le matin entre lui et son ami ; mais nous lui fîmes considérer que la ven- geance qu'il desiroit étant apparemment impossible, à cause du crédit que sa partie avoit à la cour, il ne de voit pas refuser cette légère satisfaction qu'on lui présentoit, que nous appe- lâmes

Solatia luctus

Exigua ingentis, nmero sed débita patri *.

< Eh bien, dit-il, je croirai votre conseil ; je pourrai prendre c de Fargent, puisqu'on m'y force ; mais je proteste que je ne « garderai pas un teston pour moi de ce qu'on me baillera. « J'emploierai le tout à faire bâtir un mausolée à mon fils. > Il usa du mot mausolée , au lieu de celui de tombeau, et fit le poète partout *. »

I. Lettre de Malherbe à Peiresc, en date du 4 octobre 1637.

a. Voyez plus loin, p. 349 ^^ suivaDtes.

3. Voyez la lettre que Malherbe lui adresse, en date du a jan- vier ifiaé.

4* A Balzac et à François de Porchères, sieur d*Arbaud. Il leur disait aussi qu*il voulait se battre contre de Piles, et répondait aux objections qu*ils lui faisaient comme il répondit à Racan, en pa- reille circonstance , au camp de la Rochelle. Voyez plus loin , p. Lxvm.

5. Virgile, Enéide^ liv. XI, v. 6a, 63.

6. Œuvres de Bttizac,éàlûon de i665,in-fo, tome II, p. 683. Disser- tation xxvm. A Monsieur de Plassac-Méré. De Malherbe. Ce récit de Balzac est reproduit presque textuellement par Tallemant des Réaux. Il faut, disoiis-le en passant, lire avec méfiance ce qu*en divers passages de ses écrits Balzac a rapporté du bonhomme Malherbe qu'il

\

SUR MALHERBE. xli

Je ne sais ce qni fit manquer ce projet d'accommodement; mais au mois de juillet i6a8, Malherbe, craignant probablement que ses adversaires n'obtinssent des lettres de grâce, quitta Pa- ris pour aller trouver le Roi devant la Rochelle ^ Ce voyage, qui devait lui être si fatal, parait avoir été assez inutile, d'après ce qu'on lit dans une lettre du 14 septembre i6a8, la dernière que Ton connaisse de lui : < On m^écrit de Provence que mes parties se vantent d'avoir eu leur rémission. Je n'en crois rien, pource que je sais que, si cela étoit, vous en eus- siez mandé quelque chose par deçà. Mais quand il seroit vrai, je ne m'en mets guère en peine. Ce n'est pas que je les at- tends. La pierre qui les fera chopper et choir, s'il plaît à Dieu, ce sera Tentérinement. Nous en verrons l'ébattement à cette Saint-Martin, ou bientôt après. Je vous supplie bien humble- ment. Monsieur, s'ils l'ont présentée ou s'ils la présentent, de prendre la peine de m'en faire avoir une copie, pour me pré- parer à combattre ce fantôme. Ils n'ont pas trouvé leur compte à la Jame'; je ne pense pas qu'ils le trouvent mieux à Tou- louse. Peut-être s'imaginent-ils que mon âge me fera craindre les incommodités d'un si long voyage. Us se trompent : la même cause qui m'a fait mépriser l'été me fera mépriser l'hiver *. >

Il ne devait plus y avoir pour lui d'été ni d'hiver. De son séjour au camp de la Rochelle au moment des plus grandes chaleurs , il avait rapporté le germe d'une maladie qui ruina rapidement la robuste constitution dont il se glorifiait encore trois ans auparavant^; et le 16 octobre, trois semaines après

«▼ait particolièremeiit connu. Ainsi il termine la dissertation que noas Tenons de citer par une anecdote que Tallemant lui a encore empruntée et il pi^ête à Malherbe une épigramme {Bien que Du- WÊOulin en son Hvre) qui est de Racan.

I. Lettre de Peiresc i Malherbe en date du 14 juillet i6a8. (Bi- bliothèque de Carpentras, manuscrit cité, f^ 556.)

a. La Jame, près de la Rochelle. Le garde des sceaux s'y trou- vait au mois d'août i6a8. Voyez Bassompierre , édition Michaud et Poojoulat, p. a84.

3. Cette lettre , adressée à un sieur Legros , a été publiée pour la première fois par M. Miller, d'après le manuscrit i33 des papiers de fialuze.

4. Je n^ai, grâces à Dieu , écrivait-il à Balzac en 1 6a 5, de quoi mormnier contre la constitution que la nature m'avoit donnée. Elle

XLn NOTICE BIOGRAPHIQUE

avoir écrit la lettre que nous venons de citer, il mourait à Paris, à Tâge de soixante»treize ans.

Porchères d'Arbaud, son cousin par alliance, et le poète Yvrande paraissent avoir été les seuls de ses parents et de ses amis qui assistèrent à ses derniers moments. Le fidèle Racan était encore au siège de la Rochelle, et ce fut de Porchères qu'il apprit les détails qu'il nous a transmis sur la fin de son maître*. Balzac prétend que lui aussi aurait pu en donner; il avait envoyé près du malade < un homme qui le vit mou- rir. » « Mais, dit-il, ce que je sais de plus particulier que les autres ne se peut écrire de bonne grâce, et il y a certaines vé- rités qui ne sont bonnes qu'à supprimer*. >

Il n'est pas difficile de deviner quelles étaient ces vérités* c Malherbe, dit Tallemant, n'étoit point autrement persuadé de l'autre vie; > et c'est une assertion que le récit de Racan ne vient certainement pas infirmer. Que penser, en effet, des croyances religieuses d'un homme qui proclamait « que la re- ligion des honnêtes gens était celle de leur prince'? » Que dire d'un catholique qui, au lit de la mort, ne se décida à se con- fesser que lorsqu'on lui eut remontré « qu'ayant fait profes- sion de vivre comme les autres hommes, il falloit mourir aussi comme les autres^? >

Ajoutons que dans ses lettres familières, il laisse si libre- ment courir sa plume, on ne retrouve rien qui rappelle ces

étoît si bonne qa*en l'Age de soixaute-dix ans , je ne sais que c'est d'une seule des incommodités dont les hommes sont oixlinairement assaillis en la yieillesse. Et si c'étoit être bien que de n'être point mal , il se voit peu de personnes à qui je dusse porter enrie. » En effet, dans la correspondance de Malherbe, je n'ai guère trouvé d'autre mention de maladie que celle d'une sciatique qui le tint dix jours au lit. (Lettre à Peiresc du 3 octobre 1608.)

I. Voyez plus loin, p. Lxxxvn et suivante.

3. Lettre à G>nnirt, du a3 janvier i65i, Œuvres, i665, tome II,

p. 900-

3. c II ayoit souvent à la bouche, dit Santal, ces paroles assez libertines que le poëte Prudence attribue à l'empereur Gallien : Cote Jmmomum quod eoUt emtas, » (jéntiquités de Paris, tome I, p. 3i4*)

4. Voyez plus loin, p. lxxxvtii. « U disoit, quand on lui parioit de l'enfer et au paradis : c Pai vécu comme les autres, je veux mou- c rir comme les autres, et aller vont les autres. * (Tallemant, tomel, p. 3o5.)

SUR MALHERBE. xliii

quelques pratiques de dévotion dont parle Racan. Ce qui sem- ble dominer chez lui, c'est une sorte de philosophie stoîque qu'il avait peut-être puisée dans Sénèque' et qu'il aimait à manifester par « le mépris de toutes les choses que l'on es- time le plus en ce monde, > mépris dans lequel il compre- nait malheureusement Tart même il excellait*.

Malherbe n'avait jamais beaucoup aimé sa famille, avec la- quelle il paraît avoir vécu en assez mauvaise intelligence, et il le lui prouva à sa mort. Il la déshérita complètement et choisit pour légataire universel Vincent de Bojer, fils d'un ne- veu de sa femme, Jean-Baptiste de Boyer, conseiller au parle- ment de Provence, Il disposa, en outre, d'une somme de trois fliille livres en faveur d'un sieur Astruc, avocat chargé des poursuites contre les meurtriers de Marc- Antoine, et à qui Mme de Malherbe, par reconnaissance de ses bons soins et de l'amitié qu'il avait portée à son fils, laissa aussi la moitié de ses biens.

Mme de Blalherbe survécut encore vingt mois à son mari. Elle mourut au commencement de juin i63o, probablement à Aix régnait alors la peste. Son testament, daté du i*' août 1629, est rempli du souvenir de son fils , dont elle demande

I. One philosophie était empreinte d*une sorte de fatalisme ■'entrait pour rieo Tidée de Providence, c Qu*on die ce qn*on vou- dra de la prudence humaine, écrivait-il à son cousin Colomby, je ne la veux pas exclure de Tentremisede nos affaires, quand ce ne seroit

3 ne de peur de trop autoriser la nonchalance ; mais pour ce qui est es événements* il fandroit d'autres exemples que ceux que j'ai vus jusqu'à cette heure, pour me faire croire qu'elle y ait aucune juris- diction. Qui est heureux, ira aux Indes sur une claie ; qui est mal- heureux, quand il seroit dans le meilleur vaisseau du monde, il aura de la peine à traverser de Calais à Douvres, sans courir fortune de se noyer, s

1. « Un bon poète, disait-il, n'est pas plus utile à l'État qu'un bon joœar de quilles. » Voyez plus loin, p. lXxvii et lxxvi. Il avait sans cesse à la bouche des maximes comme celles-ci : t Cette vie est une pore souise. J'estime si peu le monde, que je n'estime pas en quel habit nous fassions le peu de chemin que nous avons à y faire. ^- Pour moi je tiens que le vivre .parmi tous les délices n'est pas grand'chose. s On ne peut du moms lui reprocher de n'avoir pas mis ses préceptes en pratique; car l'unique chambre qui lui servait de logement et les cinq ou six chaises de paille qui composaient sou ameublement témoignent assez de son indifférence pour te luxe,

XLiv NOTICE BIOGRAPHIQUE

instamment^ à ses héritiers de venger la mort, désir qui ne fut que bien imparfaitement exaucé. L'arrêt définitif dans cette triste affaire ne fut rendu qu'en i632. Le 29 avril de cette année, le parlement de Toulouse' condamna le sieur deFortia de Pilesy « ce maroufle, » comme l'appelait Malherbe, à payer huit cents livres « pour faire prier Dieu pour le repos de l'âme de Jtfarc-Antoine de Malherbe, fils de la dame de Carriolis, à cause de l'assassinat commis en la personne dudit Marc-Antoine, ladite somme applicable à l'église son corps avoit été ense- veli* > : châtiment bien léger s'il y avait eu réellement assi^- sinat. Quant à l'autre accusé, le baron de Bormes, il est pro- bable qu'il s'était auparavant arrangé avec la famille. Ce qui est certain, c'est qu'en i638 il épousa une belle-sœur de ce même Vincent de Boyer, héritier de Malherbe^.

Les mémoires que Racan a rédigés à la prière de Ménage, et que Tallemant a reproduits en les augmentant, sont une source précieuse de renseignements sur la vie de Malherbe ; mais, quoiqu'il les ait écrits sans aucun doute avec les meil- leures intentions du monde, i! faut convenir qu'ils ne font guère honneur à son tact et à son discernement, et qu'ils ont peu servi la gloire de son maître. Je me garderai bien de vouloir représenter Malherbe comme un modèle de toutes les vertus, et de dire en style d'épitaphe avec Meusnier de Quer- Ion qu'il fut « tout à la fois bon fils, bon père, bon mari, bon maître. » Ce qui précède fait justice de ces éloges ridicules ; toutefois, d'après sa correspondance, on voit qu'on aurait pu dire de lui autre chose que ce qu*en a rapporté son disciple favori. Malheureusement Racan vivait au milieu d'une so- ciété corrompue et dans l'intimité du président Maynard, le poète le plus licencieux peut-être d'une époque il y en avait beaucoup, et il paraît avoir spécialement pris plaisir à conserver dans ses souvenirs et à nous transmettre avec une crudité naïve'

I . Roux-Alpheran, Recherches, p. 43 et suivantes, a. Nous avons inudlement fait chercher à Toulouse, dans les ar- chives du parlement, le texte de l'arrêt.

3. Roux-Alpheran, Recherches, p. 43. Cette somme revint à l'église des Minimes d*Aix, Marc-Antoine avait été enterré.

4. Ibidem^ p. $7.

5. Si l'on veut avoir une idée de cette naïveté de Racan , on n'a

SUR MALHERBE. xlt

des traits qn'il aurait pu, sans le moindre inconvénient, passer sous silence. A un autre point de vue, il nous a rapporté un certain nombre de mots et d'anecdotes nous ne saurions découvrir le sel et la finesse qu'il voulait y voir. Il a beau nous dire : « Ces discours ne se peuvent exprimer avec la grâce qu'il (Malherbe) les prononçoit, parce qu'ils tiroient leur plus grand ornement de son geste et du ton de sa voix ; » on se rap- pelle alors que lui Racan bégayait, et ne pouvant prononcer ni les r ni les r, ne devait pas être fort exigeant pour un homme qui s'avouait lui-même du pays de Balbut en Balbutie^,

Dans un remarquable article de critique où, suivant son ha- bitude, il a laissé peu de chose à dire à ceux qui viendront après lui*, M. Sainte-Beuve a écrit ceci : < La probité sub- siste même sous les défauts de Malherbe. Son caractère privé, Uen qu'étroit, est solide, et suffit à porter, sans jamais fléchir, sa grandeur lyrique. » Rien n'est plus juste ni plus vrai. Si Malherbe était bruscpie et emporté*, il pouvait se vanter « d'avoir une âme ennemie de dissimulation > et « de prétendre en finesse moins qu'homme du monde. > Il eut et mérita de

qa^à lire une lettre il consulte sérieusement Chapelain sar un conte ordnrier qu'il avait mis en vers, et se montre tmiquement préoccnpé du soin d'éviter un hiatus. Voyez (Œuvres de Racan, Bi- bliothèque elzéririenne, tome I, p. 337.

I. Tallemant, qui rapporte ce mot (tome I, p. 187), dit de plus : f Malherbe gâtoit ses beaux vers en les prononçant, outre qu'on ne l'entendott presque point, à cause de l'empêchement de sa langue et de l'obscurité de sa voix : avec cela, il crachoit au moins six fois en disant une stance de six vers. Cest pourquoi le cavalier Marin disoit qn'il n'avoit jamais vu d'homme plus humide, ni de poëte plus sec. A cause de sa crachoterie, il se mettoit toujours auprès de la che- minée. > Tallemant a emprunté ce passage à Balzac, qui ajoute : c Malherbe disoit les plus jolies choses du monde; mais il ne les disoit point de bonne grâce, et il étoit le plus mauvais récitateur du monde. >

1. Âevue européenne, i5 mars iSSg. Cet article, M. Sainte- Beuve a résumé plusieurs de ses travaux antérieurs, est intitulé : Mal' herbe, Je ferai seulement quelques réserves sur quelques-unes de set appréciations du caractère du poëte.

3. Il l'était assez pour s'être oublié un jour jusqu'à souffleter la dame de ses pensées, la vicomtesse d'Auchy : voyez Tallemant, tome I, p. Soi . Nous publierons la lettre d'excuse qu'il lui écrivit à ce sujet.

XLiri NOTICE BIOGRAPHIQUE

bons et sincères amis, et ne paraît guère avoir en d'autres en- nemis que ceux qu'il s'attirait par la rudesse d'une franchise qu'il poussait souvent jusqu'au cynisme* et par l'inflexibilité de ses doctrines littéraires. Chef d'école, se sentant appelé à ré- former la poésie et la prose française, et persuadé, suivant l'expression de Boileau, que « notre langue veut être extrê- mement travaillée *, » il exerça et tint à exercer sur les écri- vains que son talent, sa position et son âge groupaient autour de lui, une domination qui devenait souvent la plus minutieuse des tyrannies '. Écoutez ce qu'en dit Balzac :

c Vous vous souvenez du vieux pédagogue de la cour qu'on appeloit autrefois le tyran des mots et des syllabes, et qui s'ap- peïoit lui-même, lorsqu'il étoit en belle humeur, le grammai- rien en lunettes et en cheveux gris. N'ayons point dessein d'imi- ter ce que Ton conte de ridicule de ce vieux docteur. Notre ambition se doit proposer de meilleurs exemples. J'ai pitié d'un homme qui fait de si grandes affaires entre pas et point; qui traite l'affaire des participes et des gérondifs comme si c'étoit celle de deux peuples voisins l'un de l'autre et jaloux de leurs frontières. Ce docteur en langue vulgaire avoit accoutumé de dire que depuis tant d'années il travailloit à dégasconner la cour et qu'il n'en pouvoit venir à bout. La mort l'attrapa sur l'arrondissement d'une période, et Tan climatérique l' avoit sur- pris délibérant si erreur et doute étoient masculins ou féminins. Avec quelle attention vouloit-il qu'on l'écoutât quand il dog- matisoit de l'usage et de la vertu des particules^ ? >

Le portrait est sans doute un peu chaîné, mais au fond je le crois vrai ; seulement en le traçant, le vauiteux écrivain, qui si souvent n'a été qu'un arrangeur de mots, oubliait qu'il avait adulé Malherbe vivant et ne se souvenait plus sans doute que de quelques blessures faites à son amour-propre *.

I. Voyez, entre autres, Tallemant, tome I, p. 386. 9. Lettre de Boileau à Maucroix, 30 avril 1696. CorrespondoBce entre Boileau et Broitette, édition Laverdet, p. 417*

3. c Lingendes, qui étoit pourtant assez poli , ne voulut jamab subir la censure de Malherbe, et disoit que ce n*étoit qu'un tyran, et qu*il abattoit Tesprit aux gens, v (Tallemant , tome I, p. 377.)

4. Soerate chrétien^ discours x. Œuvres, tome II, p. 961.

5. De celle-ci peut-être: « Malherbe dit un jour à Gombenrille, à

n

SUR MALHERBE. xlvii

Une rare qualité de Malherbe et qai indique à la fois la vi gueur et la supériorité de son esprit, c'est Tindifférence avec laquelle il bravait les attaques de ses adversaires : « Écrive contre m<À qui voudra, » disait-il à ce même Balzac, qui n'était point doué d'une telle fermeté. « Si les colporteurs du Pont-Meuf n'ont rien à vendre que les réponses que je ferai , ils peuvent bien prendre les crochets ou se résoudre à mourir de faim. On pensera peut-être que je craigne les antagonistes. Non fais. Je me moque d'eux, et n'en excepte pas un, depuis le cèdre jus- qu'à rhysope'. > U fit comme il disoit. Desportes, Bertaut et des Yveteaux le poursuivirent en vain de leurs critiques. U se borna à rép(Midi'e c que s'il s'y mettoit, il feroit de leurs fautes un livre plus gros que leurs livres mêmes '. » U s'y mit une fois, et nous publierons dans un de nos prochains volumes les annotations dont il a chargé un exemplaire des œuvres de Des- portes, exemplaire qui, après avoir appartenu à Balzac ' et au président Bouhier, se trouve aujourd'hui à la bibliothèque de l'Arsenal.

Nous n'avons pas eu la prétention dans les pages qui précè- dent d'épuiser ce qui concerne la vie et les écrits de Malherbe ;

pro|M» des premières lettres de Balzac : c Pardieu ! pardieu ! touteii t œs badioeries-là me sont Tenues à Tesprit; mais je les ai rebutées. > (Tallemant, tome IV, p. 89.) c Vous me prenez poor un autre, écrivait un jour Balzac à Courart, si tous me prenez pour un admira- teur; je ne le suis pas de Virgile, comment le serois-je de Mal- herbe? En effet, je ne l'estime beaucoup que par la comparaison des autres que j'estime peu; mais je voua l'ai dit, il y a longtemps, et je ne pense pas que je m'en dédise jamais, s'il y a (^^uelque objet de mon admiration dans le monde, c'est l'homme à qui j'écris cette lettre. » (OCut^rei, tome II, p. 95g.)

I. Lettre à Balzac. C'est la xyii« du livre II, dans les ax>cieunes éditions.

s. Tallemant, tome I , p. 17$. Il se vengea pourtant un jour fort brutalement d'une satire de Berthelot (voyez plus loin, p. 96); il est irrai que la vicomtesse d'Auchy y était encore plus maltraitée que lui.

3. Le ao novembre i653 , Balzac écrivait à Connut : c ie vous dirai seulement que j'ai ici un exemplaire de ses œuvres (de De»- portes), marqué de la main de feu M. de Malherbe, et corrigé d'une terrible manière. Toutes les marges sont bordées de ses observa- tions critiques, et j'ai résolu, avec votre licence, d'en choisir les plus belles, pour en faire un chapitre de nos remarques, t (Œuvres de SaUae, i665, in-fol., tome II, p. 967 )

XLYiii NOTICE BIOGRAPHIQUE

et l'on trouvera dans sa biographie par Racan, dans nos com- mentaires et dans V Historiette de Tallemant, bien des particu- larités qnUl était inutile de répéter ici. Quant aux jugements sur ses œuvres, nous nous en sommes abstenu le plus possible afin de nous conformer au plan fort sage adopté pour la Collée^ tion des grands écrivains de la France^ dont fait partie le pré- sent ouvrage. Cette lacune sera facilement réparable pour les lecteurs; placé sur le seuil du dix-septième siècle il eut à la fois à combattre les derniers efforts de la Renaissance et à frayer le chemin aux nouveaux venus, s'offrant ainsi le pre- mier à ceux qui se livrent à Tétude de cette grande époque , et ayant d'ailleurs le bonheur d'appartenir à une province jalouse entre toutes de la gloire de ses grands hommes , Mal- herbe a été depuis Godeau et Ménage l'objet de nombreux travaux. Cependant si nous ne prenons pas la parole pour nous-méme, nous pouvons la céder à un autre; et l'on nous permettra de terminer cette notice en donnant une apprécia- tion tracée par un chartreux , le seul de son ordre peut-être qui, en France, se soit occupé de critique littéraire : Bonaven- ture d'Argonne, plus connu sous le pseudonyme de Vigneul- Marville* :

« Malherbe , dit-il, étoit avec un génie heureux pour la poésie, principalement [jour la poési« lyrique. Il avoit de l'élé- vation dans l'esprit, de la noblesse dans les pensées et de la force dans l'expression. En un mot, Malherbe savoit louer ; ce qui est tout dire en ce genre de poésie.

< Son plus grand mérite vient de ce qu'il a pu vaincre le phébus de son siècle, et qu'en imitant les Grecs et les Latins, il n'a point pris cet air de collège et de fausse érudition affecté par Ronsard.

« Malherbe étoit flegmatique et donnoit beaucoup de temps à la composition de ses ouvrages, à imaginer ses desseins et à tourner ses vers. J'ai oui dire qu'il ne faisoit ses odes que par petits morceaux, un vers d'un côté, un vers de l'autre.... Quelque peine qu'il ait prise dans ses compositions, il n'a point tant réussi que lorsque, s' abandonnant à son bon natu-

I. n était six ans après la mort de Malherbe, en i634, et mourat en 1704.

SUR MALHERBE. xux

rely il a écrit avec rapidité ce qui lui venoit à la pensée. Nous en avons un exemple qui saute aux yeux dans les stances à M. du Périer, où, après avoir sué longtemps, sa veine venant à s'ouvrir, il fait voir plus de grâce, d'uniformité et de bon sens en trois stances qui nous dépeignent la mort, que dans tontes les antres qu'il s'est arrachées de l'esprit.

c Cest mon sentiment, Monsieur, touchant ce rare poète, dont vous avez voulu que je parlasse avec liberté. . . . Adieu, l>erge me amare *. »

I. Copie avitographe des lettres de BonaTenture d'Argonne. Lettre è l'abbé de L«.... (le Dom est effacé), manuscrit de la Bibliothèque de Grenoble, ii<* 889, p. Sa. Cette lettre que nous croyons inédite ot sans date.

LuD. Lalannb.

MALHmaBK.

APPENDICE

DE LA NOTICE BIOGRAPHIQUE.

LETTRE DB RICHELIEU A MALHERBE.

Bayle, dans son piquani article sur Malherbe, dit ceci : c Je ne troDve pas qu'il ait eu beaucoup de part à rafiection du cardinal de Richelieu. Par malheur pour ce grand pocte, ses épargnes d^esprit furent connues de ce cardinal. » Que Riche- lieu ait été peu flatté de voir Malherbe lui offrir un jour des vers qui n*avaient point été faits à son intention , je Tadmets sans difficulté ^ Mais il n'en garda pas longtemps rancune au poëte, comme le prouve la lettre suivante, qu'il lui adressa le i5 mars 1628, lorsque Malherbe lui eut envoyé l'Ode contre les Rochelois, six strophes lui sont consacrées *.

«c A MONSIRUa DK MALHERBE.

c i5 mars (1618).

« Monsieur, j*ai tu vos vers qui font voir que M. de Malherbe est et sera toujours lui-même tant qu'il plaira à Dieu le consenrer. Je ne dirai pas seulement que je les ai trouvés excellents, mais bien que personne de jugement ne les lira qui ne les reconnoisse et avoue tels. Les meilleurs esprits vous doivent cet hommage d'approuver tout ce qui vient du vôtre comme parfait. Je prie Dieu que d'ici à trente ans vous nous puissiez donner de semblables témoignages de

I. Voyez plus loin, p. 3i3, la notice de la pièce cxviii. a. Voyez plus loin, pièce ciir, p. 279.

APPENDICE DE LA NOTICE BIOGRAPHIQUE, li

la werdtnr de Tofre esprit, que les années n*ont pu faire TÎeinîr <|ii*aataDt qu'il foUoit pour Téparer entièrement de oe qoi se troinre quelquefois à redire en cenx qui ont peu d'expérience, aux jeunes gens. Pour tous donner lien de passer ce temps commodément, j'écris de bonne encre ii M. d*EfBat, tonekaat le mémoire que tous iB*aTCK eDToyé, et lui fois connottre que le Roi a tant d'inclination à faToriser les gens de mérite, qu'assurément il feroit contre son intention si tos affaires étoient sans recommandation en son esprit. .\asiirez-TOus que j'embrasserai tons vos intérêts comme les miens propres, et que personne n'est plus que moi, etc., etc.*. »

LETTRE DE RECOMMANDATION DE MARIE DE MÉDICIS

EN FAVEUR DE MALHERBE.

Cette lettre est inédite; rorigiBal est conservé à la Bibliothè- que impémle, collection Dupuy, vol. 63 1 , f^ 83 :

c Messieurs, le s** de Malherbe alaut un procès au parlement de

Bourgogne, auquel il est appelant d'une sentence rendue au siège

d'Ail qui a adjugé des intéretz ciTÎlz à la veufve d'un nommé Aadibcrt

contre qui le filz aud. Malherbe s'est battu en duel , il y a quelque

temps, auquel procès il soustient que tous deux aïant commis la mesme

bote, la punition en doibt estre esgale, suivant et conformément aux

êditx du Bo^, Monsieur mon filz, sur ce suject, il m'a supplié de

vous écrire pour tous recommander son affaire ; ce que je fais bien

volontiers par cette lettre, qui est pour vous assurer que vous ferez

chose qui me sera fort agréable de luy tesmoigner en cette occasion

Testât que vous faites de ma recommandation, le favorizanten ce qui

dépandra de voz charges autant que la justice le pourra permettre,

comme une personne que son esprit a toujours fait estimer, en ceste

cour, homme de mérite. La présente n'estant à autre un, je ne l'alon-

gerai que pour vous dire que j'en aurai du ressentiment ainsy que je

vous feray paroistre aux occasions qui s'en présenteront. Priant sur ce

I. Cette lettre, publiée il y a quelques années dans le Journal des icmiis de Normandie^ a été insérée par M. Avenel dans la Correspon- ét»cê de Jtiekeâem, f^ minute est aux archives du ministère dfs af- ■iits étrangères.

iji APPENDICE

Dien qu'il tous tienne en sa sainte et digne garde. Escript à Paris le

XXII* jour d'avril i6aS.

« MARIE.

f BOUTHILLIRR.

« A Mesi* les conseillers d'Estat du Roy, Monsieur mon filz, ses procureur et advocats généraux en son parlement de Bourgogne. »

PROCÈS DE LA VEUVE ACDEBERT COHTRE MARC- ANTOINE DE MALHERBE, MEURTRIER DE SOlf MARI.

Le savant archiviste de la Côte-d'Or, M. Joseph Gamier, a bien voulu nous envoyer le résumé suivant de Taffaire, qu'il a trouvé dans les archives du greffe de la cour d'appel de Dijon :

f Vu le procès criminel fait à requeste du procureur du Roy du senechal d^Aix en Provence, instigation et poursuite de D«^l« Hono- rade de Blain, yefve de Raymond Audebert, bourgeois dudit Aix, Gaspard et Anne Audebert, enfans et héritiers par bénéfice d'inven- taire dudit feu Audebert, et M<> Marc- Antoine Malherbe, advocat au parlement dudit Aix , à cause de l'homicide commis à la personne dud. Audebert. Sentence donnée au juge le lo* octobre i6a4, par laquelle icelui Malherbe auroit esté condamné à estre délivré es mains de l'exécuteur de la haulte justice, mené et conduit par tous les lieux et carrefours de ladite ville accoustumés et jusques à la place des Jacobins, et sur l'échafaud d'icelle oùseroit dressé un piloris avoir la teste tranchée, et en après son corps porté au lieu patibulaire ; et il ne pourroit estre apréhendé seroit exécuté en efigie ; en 3oo livres d'am. envers le Roy, aoo livres à l'esglise led. défunt avoit esté inhumé, pour prier Dieu pour son ame, à ses frais, le séquestre défi- nitivement deschargé, et en 5oo livres d'am. envers lad. de Blain, looo livres pour chacun des enfans. Lettres de relief d'appel, obtenues en la chanc. d' Aix, le 5 décembre i6i4> par François de Malherbe, gentilhomme ordinaire de la ch. du Roy, au nom et comme père et légitime administrateur de la personne dudit M. A. son fils, touchant l'appel de la dite sentence.... Lettres patentes obtenues à Paris par le même le 3i du mesme mois par lesquelles S. M. évoque 1 affaire et en renvoie l'examen au parlement de Dijon. Arrêt de cette cour du 17 février i6a5 qui retient la Gonnoissance*de cette affaire et nomme des commissaires pour en instruire. Requeste

DE LA NOTICE BIOGRAPHIQUE. lui

de Malherbe père, ^u i8 arril, contenant qne, le lieutenant d*Aix n^ayant rien prononcé contre le corps et la mémoire d*Audebert, il n'avait point observé la rigueur des édits sur le duel, il avait, lui, appelle de cette sentence à ce chef seulement, et demandoit que les parties produisissent par lettres et que le procureur général fût adjoint à la cause. Arrêt du même jour qui ordonne la production de ces pièces.— Autre du i a juin qui ordonne la nomination d*un curateur à la défence de feu Raymond Audebert, pour répondre sur les charges de l'information. Arrêt du i3 qui délègue à cet effet F. Bandon, procureur à la cour.— Appointements divers pour la production des pièces et les dispositions des parties en ordonnance du commissaire de la cour, rendue en la ville d*Aix le 8 octobre i6a5 à requeste de F. de Malherbe par laquelle il prescrit la comparution de Favre, cu- rateur nommé à la defence de Audebert pour répondre sur les charges. Interrogatoires du curateur. Descente faite sur les lieux Ton pré- tend que le combat a été fait. Déclaration de Favre de l'impossi- bilité où il est de fournir la preuve des faits qu^il allègue. Lettres patentes obtenues par ledit M. A. de Malherbe à Paris, au mois de juin i6a6, par lesquelles S. M. en conséquence de son édit sur les duels du mois de février précédent et en faveur de Theureux mariage de sa soeur la reine d'Angleterre, auroit audit de Malherbe quitté, remis et pardonné, esteint et aboUy le fait et cas de l'homicide dudit Andebert, ainsi qu'il est exprimé et déclaré dans lesdites lettres. Arrêt du !*■* décembre 1626, par lequel sur la présentation de ces let- tres par ledit de Malherbe fus eu l'audience , il auroit été dit qu'il serait ouy et répété sur le contenu en icelles par commissaires, et sur ses réponces communiquées au procureur géuéral, estre ordonné à qui il appartiendra et ce pendant qu'il passera le guichet. Interroga- toires dnd. de Malherbe des 8 et 9 décembre. Sa requête par la- quelle il demande l'entérinement desdites lettres et la faveur de sortir de prison, sauf à ne pas quitter la ville. Arrêt de la cour du 10 qui ordonne la communication desdites lettres et requête à la dame Aude- bert, et donne pour prison au s^ Malherbe la maison de F. Gault, huissier.* Autres requêtes des parties. Conclusions du procureur général. La cour entérine les lettres de grâce, ordonne que de Malherbe jouira de leur effet, le condamne eu i5oo livres d'intérêts, savoir Soo livres envers la veuve A. et 1000 au profit des enfans, et aux dépens, ordonne qu'il tiendra prison jusques à l'entier payement des

mtéréu. Met à néant l'appel intenté par ¥. de M. et les parties

hors de cause. Signe , B. Lbgout et B. Muxst.

t Fait à la Toumelle, à Dijon, le i3« février 1627, et prononcé and. t^ de Malherbe fils, prisonnier en la Conciergerie. »

uv APPENDICE

LETTRE INÉDITE DE PEIRESC A MALHERBE SUR LA MORT DE SON FiLS.

c Monsieur, je vien^i de me condouloir et de pleurer tout mon saoul avee la pauvre désolée mère, Mme de Malberbe, et Toudrois bien m'étre trouvé près de vous, ou que la distance des ]î<^x et ma foible santé ne m'eussent pas empècbé, comme elles font , de vous aller voir, ainsi que je le desirerois en cette funeste rencontre, pour joindre mes larmes aux vôtres et recevoir avec la condoléance et la compassion générale toutes les plaintes qu'une si juste douleur tons pouvoit faire verser dans le sein de l'un de vos plus fidèles servi- teurs. Mais quoique je ne puisse personnellement m'acqnitter de ce devoir, vous aurez, s*il vous plaît, agréable que je supplée comme je pourrai par lettre, et que je vous die que j'ai tant de part à votre perte que je suis encore moi-même hors des termes de recevoir au- cune consolation ; tant s'en faut que je puisse être en état d*entre- prendri' de vous en donner, sachant, comme je fais, combien vous seroit inutile tout ce qui pourroît venir d'une si chétive main que la mienne, et sachant aussi de quelle façon feu M. de Malherbe, votre fils, avoit gagné le cœur de tant d'amis que vous avez en ces pays, et des siens propres, voire de tout ce qu'il y a de galants hommes et de gens de bien, lesquels ne pou voient assez admirer la bonne vie qu'il avoit reprise et l'assiduité qu'il mettoit à l'étude de- puis peu : ce qui fiiisoit qu'un chacun avoit généralement conçu très-grande espérance de sa vertu et de sa magnanimité, et qu'on s'en promettoit tout ce qui se pouvoit attendre de l'un des plus beaux esprits de son siècle, et qui avoit les plus belles et les plus re- commandables parties d'un gentilhomme de son âge. Mais nous étions certainement indignes d'en cuâllir le fruit dans ce malheu- reux pays, puisque nous ne l'avons su priser et choyer comme il méritoit. Je prie Dieu que la punition n'en tombe que sur ceux qui en ont véritablement le tort, principalement à cette dernière ac- tion, dans laquelle Dieu l'a pris à soi, dans une conjoncture si avan- tageuse pour le salut de son âme, qu'il semble qu'il ait voulu laisser ce sujet de consolation à tous les siens; car c'a été quand il étoit parvenu à un grand amendement de vie et mœurs et qu'il s'étoit en- tièrement dévoué il son service en une religion fort austère, aupara- vant qu'il eût le loisir ou le besoin de changer d'avis, Dieu lui ayant fait la grâc«; de mourir le plus chrétiennement et le plus exemplaire- ment qu'on eût su désirer ou attendre d'un homme grandement con- sommé et exercé dans les plus grandes vertus humaines, et avec une

DE LA NOTICE BIOGRAPHIQUE. lv

Gonttance et charité signala : ce qui mérite et doit extorquer des ac- tion» <ie grâce à «a dirine bonté dans les plus fortes des douleur* que la nature poîsêe fiûre ressentir en telle occurrence à ses plus proche* et plat intéressés à sa perte; ce que j*ai td fort constamment prati- «lncTy à M coup, à Mme de Malherbe, laquelle, dans les plus rio- lente* secoasse» de sa douleur, repranoit ses forces pour en Tenir à eca termes, en se résignant A son Dieu et implorant son secours et sa juste Tcngeanoe. Je crois bien que votre constance ne vous manquera pas à vous non plus en cette occasion, et qne vous vons y résoudrez enfin» comme tous vos meilleurs amis tous en conjurent, et encore eelni qui est de si longue main et qui sera inviolablement à jamais, MfMMÎeur, etc. '. s

LETTRE IHÉDITE DE MALHERBE SUR LA MORT

DE SON FILS.

nous devons à robligeance de M. Rathery la eonunnnicatimt de la lettre suivante de Malherbe à son cousin M. de Bouillon Malherbe. Elle est inédite et très-intéressante. On y voit la résolution du poëte de ne rien ménager poar venger la mort de son fils.

La pièce sur laquelle a été prise cette copie est une minute pleine de ratures et de corrections. Elle a figuré à la vente La* moareiiXy elle a été adjugée au prix de cent vingt-deux francs.

« MoHsiaua nos chba cous» ,

m Vous ne doutez point que cette malheureuse affaire ne me donne dca soins autant qu'il est possible d*en avoir. Cest pourquoi je n*ai pas répondu a votre lettre sitôt que i*eusse désiré. Il m*a fallu aller ii Gorbeii. A cette heure il me faut aller ii Olinville est le Roi, et à Chanteloup est Monsieur le Cardinal. Je ne contesterai point contre ce que vons avez écrit. Vous le faites avec affection, je le vois bien ; mais pour cela je ne saurois sortir de si justes sentiments comme sont les miens. La plupart des grands de cette cour m*ont fait Thonneur de m'envoyer visiter; et M. de Guise même à qui mes parties s*étoient adressées est venu jusque céans pour m'offrir son assistance contre

I. Bibliothèque de Carpentras, manuscrit cité, P> 55a v».

4

w APPENDICE

les assAMins, pource que un secrétaire qa*il a en Provence et son avocat loi ont écrit au vrai cette pitoyable histmre. U dit au Roi qu'il n'y avoit en France un plus franc courage et une meilleure épée que celle de mon fils. Il en avoit dit autant devant les Reines, en ma présence, durant sa vie ; et j*ai su que depuis huit jours, en oompa* gnie des principaux de cette cour, sur ce que quelqu'un dit qu'a- vois ' le visage bien changé, il dit qu'il y avoit assez de pères qui perdoient des fils uniques, mais qu'il n'y en avoit guère qui en per- dissent un tel qu'étoit le mien. Ce pauvre enfant est loué de tout le monde, et ne s'en trouve pas un qui y trouve à redire. Tous les pa- rents de votre cousine* prennent cette affaire, non comme l'aflaire d'un parent, mais comme la leur propre. J'espère qu'avec l'assis- tance de tant de personnes, nos voleurs feront un grand coup, s'ils se sauvent. Pour vous, mon cher cousin, je vous réitère la très- humble prière que je vous ai faite'.... Je vous en laisse arbitre et juge absolu; car j'en veux sortir et manger tout ce que Dieu m'a donné pour témoigner que j'ai été digne d'avoir un fils de cette réputation. C'est, Monsieur mon cousin, toute la contribution que je désire de vous en cette affaire. Vous couperez chemin à une grande longueur en laquelle je me mettrois nécessairement si je prenois une autre voie. [Mon cousin de Colomby s'obligera à vous ou avec vous, n me l'a ainsi dit devant que de partir, et ainsi écrit depuis.... et quand il ne l'auroit jamais fait, il ne permettroit pas, je le sais bien, que je lui en fisse une segonde prière*.] Adieu.

c Monsieur mon cher cousin, confirmez par cette action charitable la bonne opinion que j'ai de votre courage et la volonté que j'ai d'être toute ma vie

f Votre très-humble et très-iJfectionné serviteur,

ff Malubiibb.

<r J'ai fait imprimer ce que j'ai vu de ce qui a été écrit par deçà touchant cet assassinat. Mais depuis l'avoir fait imprimer, j'ai eu les informations qui chargent Piles d'avoir donné un coup à votre cou- sin au travers du corps, devant qu'il eût la main à l'épée. U est venu depuis trois ou quatre jours une femme qui y étoit allée plaider par évocation. Elle dit merveille des regrets de la mort de mon pauvre fils et a usé de ce mot que tout le pleure jusqu'aux pierres*. »

I. Que j'avois. a. La femme de Malherbe.

3. U y a ici neuf ou dix mots rayés.

4. La phrase placée entre crochets est biffée.

5. Ce post-scriptum tout entier est biffé sur la minute.

DE LA NOTICE BIOGRAPHIQUE. lvii

SENTENCE CONTRE LES BfEURTRIEBS DE MARC- ANTOINE DE MALHERBE.

Extrait des registres du sénéchal d*Aix.

Va le procès criminel et procédures faites par défaut à la re- qnéie de Damoiselle Magdeleine de Corriollis de la ville d'Aix, tant en son nom que comme femme et procuratrice générale de François de Malerbe , écuyer, gentilhomme ordinaire de la chambre du Roi , querellante en assassinat et meurtre commis eu la personne de M. Marc- Antoine de Malerbe, lui vivant avocat au parlement de Provence, son fils; joint le procureur du Roi en ce siège général de ladite ville; et encore messire André d'Oraison, marquis dudit lieu, vicomte de Cadenet, prenant la cause de son procureur jurisdictionnel dudit Cadenet, joint au procès par requête du ii août 1637, contre Pol de Fortias, sieur de Pilles, Jean-Baptiste de Couvet, baron de Bonnes, et frère Louis de Villages, chevalier de Tordre de Saint-Jean de Jérusalem, querellés et défaillants ; même la sentence donnée par M. Pierre Gautier, conseiller audit siège, en em|)èchement des sieurs lieutenants criminel et particulier, et plus ancien conseiller audit siège, sur l'adjudication du proGt et utilité des défauts obtenus contre lesdits querellés par la Damoiselle querellante, portant qu'a- vant juger l'entier profit et utilité desdits défauts , les témoins ouïs aux charges et informations prises contre lesdits querellés, seront re- collés et recensés en leur déposition pour servir d'accariation, appelés lesdits querellés en personne ou domicile et pièces mentionnées au voni de ladite sentence en date du 7 dudit mois d'août 1637. Ex- trait du rôle desdits témoins. Requête de commission à nous pour procéder audit recollement appointée par ledit M. Gautier. Lettres lues à cette fin, le tout en date dudit jour 7 août. Exploits faits sur les diligences de treuver lesdits querellés pour les assigner pour voir procéder audit recensement, et à faute de ce, d'avoir été assignés en leurs domiciles aux personnes y dénommées auxdites fins ; et autres exploits d'assignations données auxdits témoins pour ledit recense- ment, le tout en date dudit jour 7 août, 8, 9, 10 et 11 dudit mois. Recollement et recensement par nous faits desdits témoins, avec le procès- verbal sur ce aussi par nous fait desdits jours 8, g, 10 et Il août 1637. Extrait de sentence rendue dans la chambre du con- seil par M. Estienne, conseiller audit siège , sur le sublevement du Mirsoy obtenu par le sieur baron de Couvet, père dudit sienr baron de Bonnes, du jugement de ce procès dudit jour 1 1 août. Extrait

Lvni APPENDICE

d^arrèt de la chambre des yacalions du parlement de Proyence donné sur la requête présentée par ladite Damoiselle querellante , portant enjonciion aux officiers dudit siège général de passer outre au ju- gement du procès, auquel ledit sieur baron de Couvet ne sera en qualité, du la dudit mois, avec Texploit au bas contenant ladite enjonction , faite tant à nous qu'à MM. Meyronnet et Arbaud, con- seiller et procureur du Roi audit siège, dudit jour is. Autre extrait d*arrét de ladite chambre entre ledit sieur baron de Couvet et ladite Damoiselle de CorrioUis, sur l'appellation relevée par ledit sieur baron, de la sentence donnée par ledit M. Estienne, ci-dessus men- tionnée, portant que l'appellation est mise au néant et ce dont a été appelé tiendra , et enjonction à nous de procéder au jugement du procès contre lesdits querellés du i4 dud. mois d'août avec l'exploit an bas, sur l'intimation faite à nous et audit M. Meyronnet ledit jour. Requête de jonction dudit sieur marquis dudit jour 1 1 . Conclusions du procureur du Roi et desdites Damoiselle de CorrioUis et sieur marquis d'Oraison, et tout ce que de la part de ladite Damoiaelie de CorrioUis a été fourni et produit par devers nous. Tout considéré et en conseU.

c NOUS en jugeant l'entier profit et utilité des défauts pour les causes résultantes du procès, avons déclaré lesdits sieurs de Pilles et de Bormes atteints et convaincus du cas et crime de meurtre et ho- micide douleusement commis en la personne dudit feu M. Marc- Antoine de Bialerbe. Pour réparation duquel les avons condamnés à faire amende honorable un jour d'audience, tête nue et à genoux, tenant un flambeau chacun d*eux entre leurs mains, et demander pardon à Dieu, au Rot, à justice et à ladite DamoiseUe quereUante en la quaUté qu'eUe procède , et en après être Uvrés es mains de l'exécuteur de la haute justice, pour être menés et conduits par tous les lieux et carrefours dudit Aix accoutumés, et jusques ii la place des Jacobins, et iUec sur le piloris d'icelle avoir leurs têtes tran- chées : et ne pourront être appréhendés seront exécutés ene£Qgie, les condamnant en outre chacun d'eux en iSoo livres d'amende , pour être employées à la fondation d'une messe en l'église le corps dudit feu M. de Malerbe a été inhumé, pour faire prier Dieu pour son àme ; 3ooo livres chacun envers le Roi, looo livres chacun envers ledit sieur marquis d'Oraison , et lo ooo livres aussi chacun envers ladite DamoiseUe querellante en la susdite qualité, et aux firais et dépens de justice. Et ordonnons que pour le tout seront con- traints solidairement , sauf à celui qui aura payé son recours contre l'autre. Et en ce qu'est dudit frère Louis de VUlages , l'avons mis à procès ordinaire; et au moyen de ce appointé, les parties en leurs faits contndres articuleront icenx dans la huitaine, feront preuves et

DE LA NOTICE BIOGRAPHIQUE. lix

enquêtes au mois pour ce fait, et rapporté, le tout communiqué au procnreur duBoi, et remis par devers nous y ordonner ce qu*il ap- partiendra par raison. Et cependant avons élargi ledit frère de Villages par tout en passant les soumissions de se représenter et remettre lors et qaand sera dit et ordonné , et à faute de ce demeurer à droit et payer le juge, le condamnant néanmoins aux dépens de contumace le concernant, les autres réservés, et à la taxe des adjugés à nous ré- servée. Signé: Puech, conseiller; Meyronnet , conseiller; Ruffy, Depontevez, Graffan, avocats. Publié à Aix dans la chambre du conseil du Siège général d*Aix, à M. Arbaud, procureur du Roi, en- semble à M. Erguillosi , procureur audit siège , intervenant pour M. Bourdon, procureur de la Damoiselle querellante, lesquels ont ac- quiescé. £t de suite sortant, nous commis en ladite chambre d'icelle arec M. Puech, conseiller audit siège, s^est présenté M. Longis, pro- cureur an même siège, disant intervenir, tant pour lesdits sieurs de Pilles et de Bonnes, que encore pour M. Jean-Baptiste de Couvet, sieur baron de Tretz, consei'ler du Roi et garde des sceaux en la Cour, p^re et légitime administrateur dudit sieur de Bonnes, lequel a dit qu'il appelle de ladite seiitencCi requérant audit sieur conseiller Puech de lui en concéder acte le 1 4* août 1627. Signé: Aymar, commis, suivant la sentence ci-dessus, et ordonnance dans ladite chambre. Lesdits sieurs de Pilles et de Bormes ont été exécutés en effigie ledit jour.

c TRABUG, commis, ï

1

VIE

DE

M" DE MALHERBE

PAR M' DE RACAN.

NOTICE.

A quelle époque les Mémoires de Racan sur la TÎe de Malherbe fnient-ilt publiés pour la première fois? Cette question soulève quelques difficultés que nous allons exposer brièrement.

C'est dans la Relation de Fhistoire de l'AceuUmie françoise, par Pel- lisson * y qu'on rencontre la première mention de cette biographie : c J'ai, dit-il, appris depuis peu, dans ^ueiqaet Mémoires que H, de Bacon « donnés pour la vie de cet excellent poète (Malherbe)*.... » Pellisson veut-il dire que Racan a publié ces Mémoires ou qu'il les a seulement communiqués à quelques amis, à Ménage, par exemple, dont n-ous allons parler ? La phrase est assez ambiguë pour que le doute soit permis, d'autant plus que dans le Catalogue de Messieurs de Va endémie ', Pellisson ne fait point figurer ces Mémoires parmi les ouvrages imprimés de Racan.

Soixante-seize ans plus tard, en 1729, le continuateur de Pellisson, l'abbé d'Olivet, en énnmérant les œuvres de Racan, n'oublie pas les Mémoires f et les indique de la manière suivante^ : c Mémoires sur la pie de Malherbe f Paris, in-is, i65i. » Voilà une indication bien précise; malheureusement les renseignements bibliographiques de l'abbé d'Olivet laissent beaucoup à désirer; et comme il est le seul qui ait mentionné cette édition, comme depuis lui elle n'a été vue par per- sonne, on a pu, sans trop d'invraisemblance, révoquer en doute

I. Paris, Courbé, i653, in-8<».

s. A la page 44S> îl cite trois anecdotes qu'il tire « des Mémoires que M. de Racan a écrits de la vie de Malherbe. 1 3. Page 536. 4* Histoire de t Académie française ^ par d'Olivet, 1 799, in-4S p* i lo.

hxn VIE DE MALHERBE

l'exactitude de son aMertion. Ajoutons qu*entre i653 et 1671 tes Mémoires de Racan sont mentionnés plus d*une fois, et jamais comme imprimés. Ménage, pour qui, s'il faut Ten croire, ils auraient été composés, en cite plusieurs passages dans sou édition de Malherbe*. La Fontaine y fait allusion dans son premier recueil de fables publié en 1668*; enfin, ils ont été copiés presque textuellement par Talle- mant des Réaux *, dont les Historietiêt ont été rédigées de 1657 à i56o ; et du silence que lui ^ et Ménage ont gardé au sujet de la pu- blicaiîon qui en aurait été faite antérieurement, on peut tirer un très- fort argument contre la réalité de Texistence de l'édition de i65i.

Quoi qu*il en soit, la première édition que Ton connaisse actuel- lement de ces Mémoires est crlle qu*t-n donna, en 1671, Pierre de Saint-Glas, abbé de Saint- Ussans, dans les Divers Traités d'Histoire^ de Morale et d'Éloquence (Paris, in-ii). Ils furent réimprimés en 1717 dans le tome II des Mémoires de Littérature de Sallengre, et dans les éditions de Malherbe publiées en 171a, 1733 et 17S7.

L'édition la meilleure et la plus complète de ces Mémoires a été publiée par MM. Tenant de Latour", d'après un manuscrit qui nous paraît être contemporain de Racan *. U suffît de le parcourir pour se coBTaincre que c'est bien là, sans altération ni interpolation, le véri- table texte sorti de la plume de l'élève chéri de Malherbe : aussi nous le reproduisons fidèlement , à part quelques anecdotes omises dans les anciennes éditions et qu'il était impossible de donner ici. Nous conservons son titre : f^ie de M*^ de Malherbe par MT de Racan,

1 . c J'apprends, dit-il, des Mémoires de M. de Racan pour la vie de Malherbe , écrits en ma faveur dans le dessein que j'avois d'écrire la vie de ce prince de nos poètes lyriques.... > Voyez dans son édition de Malherbe ses observations sur la Prière pour le Roi allant en Limousin. Comme, dans sa préface rédigée h la fin de i665. Ménage foit remonter à plus de douze ans le commencement de son traTail, cela nous reporte à peu près à l'époque (i^53) Pellis- son a parlé des Mémoires de Racan.

3. Voyez, plus loin, p. lxxxi, note 3.

3. Historiette de Malherbe, Voyez l'édition donnée par M. P. Paris (tome I, p. 170 et suivantes). Les passages empruntés parTallemant y sont indiqués.

4. Loin de renvoyer à un imprimé, Tallemant se sert de phrases comme celle-ci : « Racan, de qui j'ai eu la plus grande partie de cps Mémoires.... > [Ibidem^ tome I, p. 3oi.)

5. OEupres complètes de Racan ^ nouvelle édition revue et annotée par MM. Tenant deLatour. Paris, Jaunet (bibliothèque ekéTirienne), 1857, iu-i8, tome I, p. a53 et suivantes.

6. Bibliothèque impériale, fonds français, 6ooa, a6 p. in-40.

PAR RACAN. Lxiif

VIE DE M" DE MALHERBE.

Messire François de Malherbe naquit à Caen en Normandie, environ Tan i555. Il étoit de l'illustre maison de Malherbe Saint-Agnan, qui a porté les anries en Angleterre sous un duc Robert de Normandie^ et s'étoit rendue plus illustre en An- gleterre qu*au lieu de son origine, elle s'étoit tellement rabaissée que le père dudit sieur de Malherbe n'étoit qu'asses- seur à Caen*. Il se fit de la religion un peu avant que de mourir'. Son fils, dont nous parlons, en reçut un si grand déplaisir, qu'il se résolut de quitter son pays, et s'alla habituer en Provence , à la suite de Monsieur le Grand Prieur \ qui en étoit gouverneur. Alors il entra en sa maison à l'âge de dix-sept ans', et le servit jnsques à ce qu'il fut assassiné par Artiviti'.

Pendant son séjour en Provence, il s'insinua aux bonnes i(râces de la veuve d'un conseiller et fille d'un président, dont je ne sais point les noms ^, qu'il épousa depuis, et en eut plu- sieurs enfants, qui sont tous morts avant lui. Les plus remar- quables, ce sont une fille qui mourut de la peste à l'âge de cinq ou six ans, laquelle il assista juscjnes à la mort, et un fils qui fut tué malheureusement à l'âge de ans' par

M. de Piles.

I. Robert II, fils de OuîUaume le Conquérant.

a. En i566, il était conseiller du Roi au siège présidial de Caen.

3. C'est une erreur. Le père de Malherbe, caWiniste dès 1 56f>, ne mourut qu'en 1606. Voyez pins haut la Notice biogr^kique, p. x.

4. Voyez les notices oies pièces f et 11.

5. Ceci est encore un** erreur. Malherbe ne quitta son père pour s'attacher au duc d'Angouléme qu'en août 1676, c'est-à-dire à vingt et un ans. Voyez plus haut la Aotice biographique^ p. x.

6. AhoTÎti.

7. Madeleine de Cariolis. Elle n'était' point veure d'un conseiller. Voyez la Notice kogr^kique, p. xin.

8. On lit 9 ans dans le manuscrit, le premier chirPre étant resté en blanc. Le fils de Malherbe, quand il fut tué, était âgé d'en- viron vingt-sept ans.

Lxiv VIE DE MALHERBE

Les actions les pins remarquables de sa vie , et dont je me puis souvenir, sont que pendant la Ligue lui et un nommé la Roque', qui faisoit joliment des vers et qui est mort à la suite de la reine Marguerite, poussèrent M. de Sully deux ou trois lieues si vertement qu'il en a toujours gardé du ressentiment contre le sieur de Malherbe, et c'étoit la cause, à ce qu*il di- soit, qu'il n'avoit jamais su avoir de bienfaits du roi Henri IV pendant que le sieur de Sully a été dans les finances *.

Je lui ai aussi ouï conter plusieurs fois qu'en un partage de fourrage ou butin qu'il avoit fait, il y eut un capitaine d*in- fanterie assez fâcheux qui le maltraita d'abord jusques à lui ôter son épée, ce qui fut cause que ce capitaine eut, pour un temps, les rieurs de son côté; mais enfin ayant fait en sorte de ravoir son épée , il obligea ce capitaine insolent d'en venir aux mains avec lui, et d*abord lui donna un coup d'épée au travers du corps qui le mit hors du combat, et fit tourner la chance, et tous ceux qui l'avoient méprisé retournèrent de son côté.

Il m'a encore dit plusieurs fois qu'étant habitué à Aix de- puis la mort de Monsieur le Grand Piieur, son maître, il fut commandé de mener deux cents hommes de pied devant la ville de Martigues, qui étoit infectée de contagion, et que les Espa- gnols assiégeoient par mer et les Provençaux par terre pour empêcher qu'ils ne communiquassent le mauvais air, et qui la tinrent assiégée par lignes de communication si étroitement, qu'ils réduisirent le dernier vivant à mettre le drapeau noir sur la ville devant que de lever le siège *. Voilà ce que je lui ai ouï dire de plus remarquable en sa vie avant notre con- noissance.

Son nom et son mérite furent connus de Henri le Grand par le rapport avantageux que lui en fit M. le cardinal du Perron ^. Un jour le Roi lui demanda s'il ne faisoit plus de vers ; il lui dit que depuis qu'il lui avoit fait l'honneur de l'employer en

1 . On a de lai : Les ORuvres du sieur Je la Eo^ue, de Clermont en Beauvoisis, Paris, mdcix, in-ia.

2. Sully garda les finances neuf mois après la mort de Henri IV. Voyez la Notice biographique^ p. xvm.

3. Voyez plus haut la Notice biographique^ p. xvni.

4. Voyez p. XXI, note a.

PAR RAGAN. lxt

ses afiaires, il avuit tout à fait quitté cet exercice, et qu'il ne £dloit point qne personne s'en mêlât après M. de Malherbe, gentilhomme de Normandie, habitué en Provence; qu'il avoit porté la poésie Françoise à un si haut point que personne n'en poovoit jamais approcher.

Le Roi se ressouvint de ce nom de Malherbe ; il en parloit souvent à M. des Yveteaux^, qui étoit alors précepteur de M. de Vendôme. Ledit sieur des Yveteaux, toutes les fois qu'il lui en parloit, lui o£Eroit de le faire venir de Provence; mais le Roi, qui étoit ménager, craign<»t que le faisant venir de si loin , il seroit obligé de lui donner récompense , du moins de la dépense de son voyage ; ce qui fut cause que M. de Mal- herbe n'eut l'honneur de faire la révérence au Roi que trois ou quatre ans après que M. le cardinal du Perron lui en eut parlé ; et par occasion étant venu à Paris pour ses affaires particulières, M. des Yveteaux prit son temps pour donner avis au Roi de sa venue , et aussitôt il l'envoya quérir. G'étoit en l'an i6o5. Gomme il étoit sur son partement pour aller en Li- mousin, il lui commanda de faire des vers sur son voyage; ce qu'il fit et les lui présenta à son retour. G'est cette excellente pièce qui commence :

O Dieu, dont les bontés de nos larmes touchées *....

Le Roi trouva ces vers si admirables qu'il désira de le rete- nir à son service, et commanda à M. de Bellegarde de le garder jttsques à ce qu'il l'eût mis sur l'état de ses pensionnaires. M. de Bellegarde lui donna sa table , et l'entretint d'un homme et d'an cheval, et mille livres d'appointements*.

Ce fut Racan , qui étoit lors page de la chambre sous M. de Bellegarde, et qui commençoit à rimailler de méchants vers, eut la connoissance de M. de Malherbe, de qui il a ap- pris ce qu'il a témoigné depuis savoir de la poésie françoise,

I. Nicolas y auquelin , sieur des Yveteaux, vers 1567, mort en 1849. Tallemant des Réaux lui a consacré une historiette. Ses cpovres poétiques ont été pabUées en i854 P^ ^' ^* Blanchemain. Paris, Anbry, in-8^.

9. Voyez plus loin, p* 69, pièce XYin.

3. Voyez plus haut, p. xxni.

MALHXaBB. I e

LXYi VIE DE MALHERBE

ainsi qu'il Fa dit plus amplement en une lettre qu'il a écrite à M. Conrart^

Cette connoissance et Tamitié qu'il contracta avec &1. Je Mal- herbe dura jnsques à sa mort, arrivée en 16918, quatre ou cinq jours * avant la prise de la Rochelle, comme nous dirons ci*- après.

A la luort d*Henri le Grand, arrivée en 1610, la reine Marie de Médicis donna cinq cents écus de pension à M. de Malherbe, ce qui lui donna moyen de n'être plus à charge à M. de fiellegarde. Depuis la mort d'Henri le Grand il a fort peu travaillé *, et je ne sache que les odes qu'il a faites pour la Reine mère, quelques vers de ballet, quelques sonnets au Roi, à Monsieur et à des particuliers, et la dernière pièce qu'il fit avant que de mourir, qui commeoce :

Donc un nouveau labeur^....

Pour parler de sa personne et de ses mœurs , sa constitution étoit si excellente que je me suis laissé dire par ceux qui Font connu en sa jeunesse que ses sueurs avoient quelque chose d'a- gréable comme celles d'Alexandre.

Sa conversation étoit brusque ; il parloit peu, mais il ne dî- soit mot qu'il ne portât; en voici quelques-uns :

Pendant la prison de Monsieur le Prince, le lendemain que Madame la Princesse, sa femme, fut accouchée de deux enfants morts', pour avoir été incommodée de la fumée quïl faisoit en sa chambre au bob de Vincennes , il trouva un conseiller de Provence de ses amis en une grande tristesse chez M. le garde des sceaux du Vair; il lui demanda la cause de son affliction. Le conseiller lui répond que les gens de bien ne pouvoient avoir

1 . Cette lettre n*a pas été publiée.

s. Lisez treize jours. Voyez plus haut, p. xli.

3. Les pièces composées par Malherbe avant la mort d'Henri IV sont au nombre de cinquante et une, représentant environ deux mille trois cents vers ; les pièces postérieures i cette époque (sans compter celles qui ne sont pas datées) comprennent près de dix-huit cents vers, répartis en cinquante-huit pièces. Le reproche de Racan n'est donc guère fondé.

4. Voyez p. 377, pièce cm.

5. Au mois de décembre 16 18.

PAR RACAN. Lxvu

de joie après le malheur qui venoil d'arriver de la perre de deux princes du sang par les mauvaises couches de Madame k Princesse. M. de Malherbe lui repartit ces propres mots : < Monsieur, Monsieur» cela ne vous doit point affliger; ne vous soucies que de bien servir, vous ne manquerez jamais de maître. »

Une autre fois, un de ses neveux l'éloit venu voir au re- tour du collège , il avoit été neuf ans. Après lui avoir de- nandé s'il éfcoit bien savant, il loi ouvrit son Ovide j et convia son neveu de lui en expliquer quelques vers; à quoi son nevea se trouvant empêché, après Tavoir laissé tâtonner un qoart d'heure avant que de pouvoir expliquer un mot de latin , H. de Malherbe ne lui dit rien, sinon : < Mon neveu, croyex*moi, soyez vaillant : vous ne valez rien à autre chose. »

Un jour, dans le Cercle % quelque homme prude, en Tabor- dint , lui fit un grand éloge de Mme la marquise de Guer- cbevilleS qui éloit lors présente comme dame d'honneur de la Reine, et après lui avoir conté toute sa vie et la con- stance qu'elle avoit eue aux poursuites amoureuses du feu roi Henri le Grand, il conclut son panégyrique par ces mots, en la montrant M. de Malherbe : « Voua ce qu'a fait l«i vertu. »] M. de Malherbe, sans hésiter, lui montra de la même sorte la connétable de Lesdiguières*, qui avmt son pla- cer auprès de la Reine, et lui dit : c Voilà ce qu'a fait le ?îce. »

Un gentilhomme de ses parents faisoit tous les ans des en- fants à sa femme, dont M. de Malherbe se plaignoit, en lui di- sant qu'il craignoit que cela n'apportât de l'incoaunodité à ses affaires, et qu'il n'eût pas le moyen de les élever selon leur condition ; à quoi le parent lui répondit qu'il ne pouvoit avoir trop d'enfants pourvu qu'ils fussent gens de bien. M. de Mal- herbe lui dit fort sèchement qu'il n'étoit point de cet avis,

I. Cest-à-dire au cercle de la Reine.

1. Antoinefte de Pons, marquise de Guercheviile, morte en i63a.

3. Marie Vignon , fille d*un fourreur de Grenoble, mariée en pre- laièret noces à an drapier nommé Mathel, qui fut assassiné en 1614* Trob ans après elle éponsa le connétable, avec lequel elle Tirait depuis loaglemps. Voyez Tallemant, Jiutariette du connétabU de Ludigmères (édit. P. Paris, tome l, p. 127).

Lxvni VIE DE MALHERBE

et qu'il aimoit mienx majager un chai>on avec un voleur qu'avec trente capucins.

Quand son (ils fut assassiné par M. de Piles, il alla exprès an siège de la Rochelle en demander justice au Roi, de qui n'ayant pas eu toute la satisfaction qu'il espéroit, il disoit tout haut dans la cour d'Estrées, qui étoit alors le logis du Roi, qu'il vouloit demander le combat contre M. de Piles. Des capitaines des gardes et autres gens de guerre qui étoient se sourioient de le voir à cet âge parler d'aller sur le pré, et le sieur de Racan, comme son ami , le voulut tirer à part pour lui donner avis qu'il se faisoit moquer de lui, et qu'il étoit ridicule , à l'âge de soixante-treize ans qu'il avoit , de se battre contre un homme de vingt-cinq ans. Sans attendre qu'il achevÂVsa remontrance, il lui répliqua brusquement : « C'est pour cela que je le fais : je hasarde un sol contre une pistole. >

Une année que la Chandeleur avoit été un vendredi, ayant gardé quelque reste de gigot du mouton du jeudi, dont il fai- soit une grillade le samedi matin , sur les sept à huit heures, et comme après la Chandeleur l'Église ne permet plus de manger de viande le samedi, le sieur de Racan, entrant dans sa chambre à l'heure qu'il faisoit ce repas extraordinaire, lui dit : « Quoi, Monsieur, vous mangez de la viande? Notre Dame n'est plus en couche. » M. de Malherbe se contenta de lui ré- pondre assez brusquement, à son ordinaire, que les dames ne se levoient pas si matin.

Sa façon de corriger son valet étoit assez plaisante. Il lui don- noit dix sols par jour, qui étoient honnêtement en ce temps-là, pour sa vie, et vingt écus de gages ; et quand son valet l'avoit fâché, il lui faisoit une remontrance en ces termes : < Mon ami, quand on a offensé son maître, on offense Dieu ; et quand on offense Dieu, il faut , pour avoir absolution de son péché, jeûner et donner l'aumône ; c'est pourquoi je retiendrai cinq sols de votre dépense, que je donnerai aux pauvres à votre intention, pour Texpiation de vos péchés. »

Étant allé visiter Mme de Bellegarde au matin, un peu après la mort du maréchal d'Ancre, comme on lui dit qu'elle étoit allée à la messe, il demanda si elle avoit encore quelque chose à demander à Dieu, après qu'il avoit délivré la France du maréchal d'Ancre.

^w

PAR RAGAN. lxix

Un jonr que M. de Mésiriac^ avec deux oa trois de ses amis 9 lui apporta un livre d'arithmétique d'un auteur grec nommé Diophante, que M. de Mésiriac avoit commenté, et ses amis loi louant extraordinairement ce livre, comme un travail fort ntile au public , M. de Malherbe leur demanda s'il feroit amender le pain et le vin.

U fit presque une même réponse à un gentilhomme de la religion qui Timportunoit de controverse, lui demandant pour tonte réplique si on boiroit de meilleur vin, et si on vivroit de meilleur blé à la Rochelle qu'à Paris.

Il n'estimoit aucun des anciens poètes françois , qu*un peu Bertaut'; encore disoit-il que ses stances étoient nicktlati dos^^ et que pour trouver une pointe à la fin, il faisoit les trois pre- miers vers insupportables.

Il avoit été ami de Régnier le satirique, et l'estimoit en son genre à l'égal des Latins; mats la cause de leur divorce ar- riva de ce qu'étant allés dîner ensemble chez M. Desportes*, oncle de Régnier, ils trouvèrent que l'on avoit déjà servi les potages. M. Desportes reçut M. de Malherbe avec grande civi- lité, et offrant de lui donner un exemplaire de ses Psaumes qu'il avoit nouvellement faits, il se mit en devoir de monter en sa chambre pour l'aller quérir. M. de Malherbe lui dit qu'il les avoit déjà vus, que cela ne valoit pas qu'il prit la peine de remonter, et que son potage valoit mieux que ses Psitumes, Il ne laissa pas de dîner avec M. Desportes, sans se dire mot, et aussitôt qu'ils furent sortis de table, ils se

I . C. G. Bachet de Méziriac, linérateur et mathématicien, membre de l'Académie frauçaise, en i58f , mort en i638. Son édition de V ÂriihMmétiqut d€ Diophante parut en i6ai, in-f^.

9. J. Berlant, érèqne de Séez, à Caen en i55a, mort en 1611.

3. « Nichil au dat^ rapporte le Dictionnaire de Trévoux, s*est dit, foÎTant Henri Ettienne, des pourpoints dont le devant étoit de ve- lonn et le derrière d'une étoffe de ril prix, et a été appliqué géné- Falemcnt à tontes les choses qui aboient un bel extérieur, auquel l*iiitérîeiir ne répondoit point. » Nichil est une forme souvent em- ployée dans la basse latinité pour mikkL

4. Ph. Desporttfs, abbé de Tiron, à Chartres en i546» mort en 1606. La première édition de sa traduction en vers des cent cin- quante paaomcs parut en |6o3 ; il en avait publié soixante en iSgi; ont eo 1598.

Lxx VIE DE MALHERBE

séparèrent et ne se sont jamais vus depuis. Cela donna Heu à Régnier de faire la satire contre Malherbe , qui commence :

Rapîn, le ÊiYori% etc.

Il n'estimoît point du tout les Grecs, et particulièrement il s'étoit déclaré ennemi du galimatias de Pindare.

Pour les Latins, celui qu'il estimoit le plus étoit Stace, qui a fait la Thébaîde, et après Sénèque le IVagique, Horace, Juvénal, Ovide, Martial.

Il estimoit fort peu les Italiens, et disoit que tous les sonnets de Pétrarque étoient h la grecque^ aussi bien que les épigram- mes de Mlle de Goumay *.

Il se faisoit presque tous les jours, sur le soir, quelque pe- tite conférence, assistoient particulièrement Golomby, May- nard , Racan , Dumonstier' et quelques autres dont les noms n'ont pas été connus dans le monde ; et [un jour], un habi- tant d*Aurillac, Maynard étoit alors président, vint heurter à la porte en demandant : « Monsieur le Président est-il point ici ? » Cela obligea M. de Malherbe à se lever brusquement pour courir répondre à cet habitant : < Quel président deman- dex-vous? Apprenez qu'il n'y a point ici d'antre président que moi. >

Quelqu'un lui disant que M. Gaumin* avoit trouvé le secret d'entendre le sens de la langue punique, et qu'il y avoit fait le Pater noster^ il dit à l'heure même assez brusquement, à son ordinaire : « Je m'en vais tout à celte heure y faire le Credo; » et à l'instant il prononça une douzaine de mots qui n' étoient

I . Cest la ix« satire.

'j. Le Ménagiana rapporte que Raean ayant reproché aux épi-

Srammes de Mlle de Goumay de manquer de pointe, celle-ci répon- it qu'il ne fallait pas prendre garde à cela, que c'étaient des épi- grammes à la grecque.

3. F. Cauvigny, sieur de Colomby, membre de l'Académie fran- ^se, à Caen en i588, mort en 1648. F. Ma>-naid, président à Aurillac, membre de l'Académie française, à Toulouse en i58a, mort en 1646. Daniel Dumontier ou Dumonstier (on écrivait ansai, mais à tort, Dumonstier), célèbre portraitiste, à Paris en i55o, mort en i63i.

4. Gilbert Ganimin, orientaliste, à Moulins en iS85, mort en i665.

PAR RACAN. LXii

J'anciuie Ungoe , en disant : « Je tous soutiens que voilà le Credo en langue punique : qui est-ce qui me pourra dire le contraire? >

n s^opiniâtra fort longtemps avec un nommé M. de la Loy* à faire des sonnets licencieux '. Golomby n'en voulut jamais âàre et ne les pouvoit approuver. Racan en fit un ou deux, mais ce fut le premier qui s'en ennuya ; et comme il en vou- Mt divertir' M. de Malherbe, en lui disant que ce n*étoit pas on sonnet si l'on n'observoit les règles ordinaires de rimer les deux premiers quatrains, M. de Malherbe lui disoit : « Eh bien, Monsieur, si ce n'est un sonnet, c*est une sonnette *. » Tou- idois & la fin il s'en ennuya , et n'y a en que Maynard , de tons ses écoliers, qui a continué à en faire jusques à la mort. M. de Bfalherbe les quitta lui-même, lorsque Golomby ni Racan ne l'en persécutoîent plus. C'étoit son onlinaire de s'aheurter d*abord contre le conseil de ses amis , ne voulant pas être pnssé, pour y revenir après que l'on ne l'en pressoit plus.

Il «voit aversion contre les fictions poétiques, et en lisant nne épître de Régnier à Henri le Grand qui commence :

n étoit prefque jour, et le ciel souriant*....

et il iéint que la France s'enleva en l'air pour parler à Ju- piter et se plaindre du misérable état elle étoit pendant la ligue, il demandoit à Régnier en quel temps cela étoit arrivé, et disoit qu'il avoit toujours demeuré en France depuis cin- quante ans et qu'il ne s'étoit point aperçu qu'elle se fÙt en* levée bors de sa place, n avoit un frère aine* avec lequel il a toujours été en

1 . Lalen , tuiTant les anciennes éditions. Je ne pense pas que ce soit le Lalea, onde de Tallemant, dont il est question dans les Biâtoriettts.

9. Irréguliers, c'est-à-dire c dont les deux quatrains ne sont pas sar mesmes rimes, > ajoute Pellisson, qui a cité ce passage (p. 44^) CD Tabregeant.

3. Détourner.

4. Dans les anciennes éditions on lit : c Si ce n*est un sonnet, ce sont des Ters ; s ce qui rappelle fort les épigrammes à la grecque dont il vient d*étre parié.

5. Cest ht première des Épures de Régnier. Elle parut en i6o8.

6. Lises puùU; car Malherbe étût Tdné de la famille. Ce frère

Lxxii VIE DE MALHERBE

procès, et comme un de ses amis le plaignoit de cette mau- vaise intelligence, et que c'étoit un malheur assez ordinaire d'avoir procès avec ses proches , M. de Malherbe lui dit qu'il ne pouvoit pas en avoir avec les Turcs et les Moscovites, avec qui il n'avoit rien à partager.

Il perdit sa mère environ Tan 1 6i 5, qu^il étoit Agé de plus de soixante ans, et comme ta Reine mère envoya un gentilhomme pour le consoler, il dit à ce gentilhomme qu'il ne pouvoit se revancher de Phonnenr que lui faisoit la Reine qu'en priant Dieu que le Roi son fils pleurât sa mort aussi vieux qu'il pleu- roit celle de sa mère.

Il ne pouvoit souffrir que les pauvres , en demandant Tau- mène, dissent : « Noble gentilhomme ; » et disoit que cela étoit superflu, et que s'il étoit gentilhomme il étoit noble.

Quand les pauvres lui disoient qu'ils prieroient Dieu pour lui, il leur répondoit qu'il ne croyoit pas qu'ils eussent grand crédit envers Dieu, vu le mauvais état auquel il les laissoit en ce monde, et qu'il eût mieux aimé que M. de Luynes on quelque autre favori lui eût fait la même promesse.

Un jour que M. de Termes reprenoit Racan d'un vers qu'il a changé depuis, il y avoit, parlant d'un homme cham- pêtre :

Le labeur de ses bras rend sa maison prospère ',

Racan lui répondit que M. de Malherbe avoit usé de ce mot prospère de la même sorte en ce vers :

O que la fortune prospère*.... M. de Malherbe, qui étoit présent, lui dit assez brusque- est celui que dans VÉpilapfte de M. d'h (voyez p. lo, pièce ir], il appelle le grand ÊUazar mon frère. Voyez plus loùiy'p. 333 et sui- vantes, V Instruction de Malherbe à son fils.

I . Voyez les OEuvres de Racan (bibliothèque elzèvirienne), tome I, p. 196. Ce vers a été ainsi modifié par Tauteur :

Il laboore le champ que labonroit son père.

a. C'est le douzième vers de la pièce xix (voyez p. 76). Seule- ment il est imprimé ainsi :

O que nos fortunes prospère»....

PAR RAGAN. lxzui

ment: c Eh bien, mort Dieu I si je fais un pet^, en youlez-voas Cure on antre? »

Quand on loi montroit quelques vers il y avoit des mots saperflus et qui ne servoient qu'à la mesure ou à la rime, il dîâoit que c*étoit une bride de cheval attachée avec une ai- gnillette.

Un homme de robe longue, de condition, lui apporta des vers assez mal polis, qu'il avoit faits à la louange d'une dame, et lui dit, avant que de les lui montrer, que des considéra- tions Tavoient obligé à faire ces vers. M. de Malherbe les lut avec mépris, et lui demanda, après qu'il eut achevé, s'il avoit été condamné à être pendu ou à faire ces vers-là, parce que à moins de cela il ne devoit point exposer sa réputation en produisant des ouvrages si ridicules*.

S^étant vétn un jour extraordinairement, à cause du grand froid qu'il faisoit, il avoit encore étendu sur sa fenêtre trois on quatre aunes de frise verte; et comme on lui demanda ce qu'il vouloit faire de cette frise, il répondit brusque- ment, à son ordinaire : « Je pense qu'il est avis à ce froid qu'il n'y a plus de frise dans Paris; je lui montrerai bien que si. »

En ce même temps , ayant mis à ses jambes une si grande quantité de bas, presque tous noirs, qu'il ne se pouvoit chaus- ser également qu'avec des jetons, Racan arriva en sa chambre comme il étoit en cet état-là, et lui conseilla, pour se délivrer de la peine de se servir de jetons, de mettre à chacun de ses bas un ruban de quelque couleur, ou une marque de soie qui commençât par une lettre de l'alphabet, comme au premier un ruban ou une lettre de soie amarante, au second un bleu, au troisième un cramoisi, et ainsi des autres. M. de Malherbe approuva le conseil et l'exécuta à l'heure même, et le lende- main, venant dîner chez M. de Bellegarde, en voyant Racan il lui dit, au lieu de bonjour : J'en ai jusques à TL; > de quoi

I. Dan* les anciennes éditions : Si Je fait une tott'uê,

a. Cest à peu près ce qn'Alceste dit à Oronte dans U Hisant/trope.

Comparez la lettre xi de Raean à Chapelain, dans le tome I, p. 344i

de Tédition de MM. de Latour.

Lxnv VIE DE MALHERBE

tOHt le monde fut fort surpris, et Racan même eut de la peine à comprendre d'abord ce qu'il vonloit dire, ne se souvenant pas alors du conseil qu'il lui avoit donné, pour expliquer cette énigme.

Il disoit aussi à ce propos que Dieu n'avoit fait le froid que pour les pauvres et pour les sots, et que ceux qui avoient le moyen de se bien chauffer et bien habiller ne dévoient point souffrir de froid.

Quand on lui parloit des affaires d'État , il avoit toujours ce mot en la bouche , qu'il a mis dans l'épttre liminaire de Tite Live adressée à M. de Luynes : qu'il ne falloit point se mêler de la conduite d'un vaisseau l'on n'étoit que simple passager.

Un jour que le roi Henri le Grand montra à M. de Mal- herbe la première lettre que le feu roi Louis XIII lui avoit écrite, et M. de Malherbe y ayant remarqué qu'il avoit signé lots sans u pour Louis^ il demanda assez brusquement au Roi si Monsieur le Dauphin avoit nom Lots? De quoi le Roi se trou- vant étonné, voulut savoir la cause de cette demande. Alors M. de Malherbe lui fit voir qu'il avoit signé Loïs^ et non pas Louis, Cela donna sujet d'envoyer quérir celui qui montrmt à écrire à Monsieur le Dauphin, pour lui enjoindre de lui faire mieux orthographier son seing avec un tt, et c'est pourquoi M. de Malherbe disoit qu'il étoit cause que le feu Roi avoit nom Louis,

' Comme les états généraux se tenoient à Paris , il y eut une rande contestation entre le tiers état et le clergé, qui donna sujet à cette belle harangue de M. le cardinal du Perron*, et cette affaire s'échauffant, les évéques menaçoient de se retirer et de mettre la France en interdit. M. de Bellegarde entre- tenant M. de Malherbe de l'appréhension qu'il avoit d*étrc excommunié, M. de Malherbe lui dit, pour le consoler, qu'au contraire il s'en devoit réjouir, et que, devenant tout noir, comme sont les excommuniés, cela le délivreroit de la peine

1. Le a janTier i6i5. U s^agissait de répondre à dirers articles que le tiers état avait mis en tète de ses cahiers , et entre antres à celui qui demandait que la conronne de France fût déclarée indé- pendante du pouToir spirituel.

PAR RACAN. ixxv

qu*il prenoit tous les jours à se peindre la barbe et les cheyenx.

Une autre fois il disoit à M. de Bellegarde : c Tous faîtes bien le galant et l'amoureux des belles dames ; Usez-vous en- core à livre ouvert ? » qui étoit sa façon de parler pour dire s'il êtoit toujours prêt à les servir. M. de Bellegarde lui dit qu'oui; à quoi M. de Malherbe répondit en ces mots: « Pardieu ! Mon- sieur, j'aimerois mieux vous ressembler de cela que de votre duché et pairie. »

Un jour Henri le Grand lui montra des vers qu'on lui avoit donnés, qui commençoient :

Toujours rheur et la gloire Soient à votre c6té ! De vos faits la mémoire Dure à Tétemité !

M. de Malherbe, sur-le-champ, et sans en lire davantage, les retourna en cette sorte :

Que répée et la dague Soient à votre o6té; Ne eonrez point la bague Si vous n'êtes botté;

et là-dessus se retira sans faire aucun jugement.

Je ne sais si le festin qu'il fit à six de ses amis et il faisoit le septième pourroit avoir place en sa vie. D'abord il n*en avoit prié que quatre, savoir : M. de Fouquerolles, enseigne ou lieutenant aux gardes du corps ; M. de la Masure, gentil- homme de Normandie, qui étoit à la suite de M. de Bellegarde ; M. de Colomby et M. Patris* : ce dernier est à présent au service de S. A. R.', capitaine de son château de limours. Mais le jour de devant que se dût faire le festin, Yvrande' et Racan revinrent de Touraine, de la maison de Racan, venant descendre chez M. de Malherbe. A l'heure même qu'il les vit, il commanda à son valet d'acheter encore deux chapons, et les pria de dîner le lendemain chez lui. Enfin, pour le faire

I. Patrix, poète, k Caen en i583, mort en 167 1.

3. Gaston, duc d'Orléans.

3. Yvrande, gentilhomme breton et poêle.

Lxxvx VIE DE MALHERBE

conrt, toat le festin ne fut qne de sept chapons bouillis, dont il leur en fit servir à chacun un, outre celui qu'il garda pour lui, et leur dit : « Messieurs, je vous aime tous également; c'est pourquoi je vous veux traiter de même, et ne veux point que vous ayez d'avantage l'un sur lantre. »

Tout son contentement étoit d^entretenir ses amis particu- liers, comme Racan, Colomby, Yvrande et autres, du mépris qu'il faisoit de toutes les choses que Ton estime le plus dans le monde. En voici un exemple : il disoit souvent à Racan que c'étoit folie de se vanter d'être d'une ancienne noblesse, et que plus elle étoit ancienne, plus elle étoit douteuse, et qu'il ne falloit qu'une femme lascive pour pervertir le sang de Char*- lemagne et de saint Louis ; que tel qui se pensoit être issu d'un de ces grands héros étoit peut-'être venu d'un valet de chambre ou d'un violon

n ne s'épargnoit pas lui-même en l'art il excelloit, et disoit souvent à Racan : « Voyez-vous, Monsieur, si nos vers vivent après nous, toute la gloire que nous en pouvons espérer est qu'on dira que nous avons été deux excellents arrangeurs de syllabes, et que nous avons eu une grande puissance sur les paroles, pour les placer si à propos chacune en leur rang, et que nous avons été tous^déux bien fous de passer la meilleure partie de notre âge en un exercice si peu utile au public et à nous, au lieu de l'employer à nous donner du bon temps, ou à penser à l'établissement de notre fortune. »

Il avoit aussi un grand mépris pour tous les hommes en général, et après avoir fait le récit du péché de Caîn et de la mort d'Abel son frère, il disoit après : « Voilà un Lieau début! Ils n'étoient que trois ou quatre au monde et il y en a un qui a tué son frère ! Que pou voit espérer Dieu des hommes après cela pour se donner tant de peine de les conserver ? N'eût-il pas mieux fait d'en éteindre dès Theure l'engeance pour jamais? »

C'étoient les discours ordinaires qu'il avoit avec ses plus familiers amis; mais ils ne se peuvent exprimer avec la grâce qu'il les prononçoit, parce qu'ils tiroient leur plus grand orne- ment de son geste et du ton de sa voix.

M. l'archevcque de Rouen l'ayant prié de dîner chez lui

PAR RÀCAN. Lxxvii

poar entendre le sermon qn'il devoit faire en une église proche de son logis , aussitôt qne M. de Malherbe eut dîné il s*endor- mit dans une chaire', et comme Monsieur de Rouen le pensa réveiller pour le mener au sermon, il le pria de l'en dispenser en lui disant qu'il dormiroit bien sans cela.

Il parloit fort ingénument de tontes choses, et avoit un grand mépris pour les sciences, particulièrement pour celles qui ne servent que pour le plaisir des yeux et des oreilles, comme la peinture, la musique et même la poésie, encore qnll y fût excellent ; et un jour comme Bordier ' se plaignoit à lui qu'il n'y avoit des récompenses que pour ceux qui ser- voient le Roi dans les armées et dans les affaires d'importance, et qne l'on étoit trop ingrat à ceux qui excelloient dans les belles-lettres, M. de Malherbe lui répondit que c'étoit faire fort prudemment, et que c'étoit sottise de faire des vers pour en espérer autre récompense que son divertissement , et qu un bon poète n'étoit pas plus utile à l'État qu'un bon joueur de quillei.

Un jour qu'il se retiroit fort tard de chez M. de Bellegarde avec un flambeau allumé devant lui, il rencontra M. de Saint- Paul, gentilhomme de condition, parent de M. de Bellegarde, qui le vouloit entretenir de quelques nouvelles de peu d4m- portance; il lui coupa court en lui disant: < Adieu, adieu, vous me faites ici brûler pour cinq sols de flambeau, et tout ce que vous me dites ne vaut pas six blancs. »

Dans ses Heures^ il avoit effacé des litanies des saints tous les noms particuliers, et disoit qu'il étoit superflu de les nommer tous les uns après les autres, et qu'il snffiroit de les nommer en général : Omnns sancti et stmctx Dei^ orale pro nobis.

Il avoit aussi effacé plus de la moitié de son Ronsard et en cotoit à la marge les raisons. Un jour, Tvrande, Racan, Co- lomby et autres de ses amis le feuilletoient sur sa table, et Ra- can lui demanda s'il approuvoit ce qu'il n'avoit point effacé : c Pas plus que le reste, > dit-il. Gela donna sujet à la compa- gnie, et entre autres à Golomby, de lui dire que si Ton trou-

I. Chaire, chaise.

3. René Bordier^poete du Roi, grand faiieur de ballets sont Henri IV et Louis XIII.

i^xYui VIE DE MALHERBE

voit ce livre «près sa mort, on croiroit qu'il auroit trouvé bon ce qu'il n*auroit point effacé; sur quoi il lui dit qu'il dîsoit vrai, et tout à Theure acheva d'effacer tout le reste.

U éfcoit assez mal meublé, logeant ordinairement en chambre garnie, et n'avoit que sept ou huit chaires de paille; et comme il étoit fort visité de ceux qui aimoient les belles -lettres, quand les chaires étoient toutes remplies, il fermoit sa porte par dedans, et si quelqu'un y venoit heurter, il lui cri<Ht : c Attendez, il n*y a plus de chaires ; » et disoit qu'il valoit mieux ne les point recevoir que de leur donner l'incommodité d*étre debout.

Il se vtntoit avec autant de vanité d'avoir sué trois fois la V..... que s'il eût gagné trois batailles, et faisoit le récit assez plaisamment du voyage qu'il fit à Nantes pour trouver un homme qui avoit la réputation d'être expert en cette cure de maladie vénérienne. C'étoit la raison pourquoi on l'appeloit chez M. de Bellegarde le père Luxure,

Il a toujours été fort adonné aux femmes, et se vantoit en sa conversation ordinaire de ses bonnes fortunes et des mer- veilles qu'il y avoit faites.

Un jour, en entrant dans l'hôtel de Sens , il trouva dans la salle deux hommes qui jouoient an trictrac, et qui disputant d'un coup se donnoient tous deux au diable qu'ils avoient gagné. Au lieu de les saluer, il ne fit que dire : « Viens, diable, viens, tu ne saurois faillir : il y en a l'un ou l'autre à toi. b

Il y eut une grande contestation entre ceux qu'il appeloit du pays dadieusias^ qui étoient tous ceux de delà la Loire, et ceux du pays de deçà, qu'il appeloit du pays de Dieu vous co/iduiie: savoir s'il falloit appeler le petit vase de quoi l'on se sert pour manger du potage une cuiller ou une cuillère. La raison de ceux du pays d'atlieusias , d'où étoit Henri le Grand , ayant été nourri en Béam, étoit que cuiller y étant féminin, devoit avoir une terminaison féminine. Le pays de Dieu vous conduise alléguoit, outre l'usage, que cela n'étoit pas sans exemple de voir des choses féminines qui avoient une terminaison mas- culine, entre autres une perdrix ^ une met * à boulanger ou de pressoir. Enfin cette dispute dura si longtemps qu'elle obligea le

I. Pétrin et huche; conduit d*an pressoir par t^écoule le \m.

PAR RACAN. Lxzix

Roi à en demander Tavis à M. de Malherbe, lequel ne craigût poÎDl de contester, et lui dire qu il falioit dire cuiUer, et non pas cuillère y et le renvoya aux crochetenrs du port au Foin, comme il avoit accoutumé ; et comme le Roi ne se sen* toît pas condamné du jugeaient de M. de Malherbe, il lui dit ces mêmes mots : « Sîre, vous êtes le plus absolu roi qui aye jamais gouyeiné la France, et si' tous ne sauriea faire dire deçà la Loire une cuillère, à moins que de faire défense, à peine de cent livres d'amende, de la nommer autrement. >

Un jour .M. de Bellegarde, qui étoit, comme Ton sait, gascon, lui envoya demander lequel étoit le mieux dit de dé^ pensé ovi dépendu; il répondit sur-le-champ que dépensé éloit plus françms , mais que pendu , dépendu , rependuj et tons les composés de ce vilain B«>t qui lui vinrent en la bouche, étoîeot plua propres pour les Gascons.

Quand on lui demandoit son avis de quelque mot franoois, il renvoyoit ordinairement aux crocheteurs du port au Foia, et disent que c'étoîent ses maîtres pour le langage; ce qui peut- être a donné lien à Régnier de dire :

Gomiiient ! il faudroit donc , pour faire une œuvre grande Qui (le la calomnie et du temps se défende. Et qui nous donne rang parmi les bons auteurs , Piarler comme à Saint-Jean parlent les crocheteurs*?

Un jour il récitoit à Racan des vers qu41 avoit nouvellement faits, et après il lui en demanda son avis. Racan s'en excusa, lui disant qu*il ne les avoit pas bien entendus et qu'il en avoit mangé la moitié; dont se sentant piqué, parce qu'il étoit fâché de ce qu*on lui disoit un peu trop librement son défaut d'être bègue, il lui dit en colère : c Mort Dieu ! si vous me fAchez, je les mangerai tous; ils sont à moi puisque je les ai faits, j'en puis faire ce que je voudrai. »

II ne vouloit pas que Ton fit des vers qu'en sa langue ori- ginaire, et disoit que nous n'entendions point la finesse des langues que nous n'avions apprises que par art, et à ce propos,

I . Et lif et pourtant.

a. Satire ix, vert ig-Sa. Le premier et le troisième vers cités ici spDt imprimés un peu différemment dans les éditions de Reguier.

Lxxz VI£ DE MALHERBE

pour se moquer de ceux qui faisoient des vers latins, il disoit que si Virgile et Horace revenoient au monde ils bailleroient le fouet à Bourbon et à Sirmond^

Il disoit souvent, et principalement quand on le reprenait de ne suivre pas bien le sens des auteurs qu'il traduisoit ou paraphrasoit, qu'il n'apprétoit pas les viandes pour les cuisi- niers; comme s'il eût voulu dire qu'il se soucioit fort peu d'être loué des gens de lettres qui entendoient les livres qu'il avoit traduits, pourvu qu'il le fût des gens de. la cour; et c'étoit de cette même sorte que Racan se défendoit de ses censures, en avouant qu'elles étoient fort justes, mais que les fautes qu'il lui reprenoit n'étoient connues que de trois on quatre personnes qui le hantoient, et qu'il faisoit ses vers pour être lus dans le cabinet du Roi et dans les ruelles des dames, plutôt que dans sa chambre ou dans celles des autres savants en poésie..

11 avoit* pour ses écoliers les sieurs de Touvant*, Colomby, Maynard et de Racan. Il en jugeoit diversement , et disoit en termes généraux que Touvant faisoit fort bien des vers, sans dire en quoi il excelloit ; que Colomby avoit fort bon esprit, mais qu'il n' avoit point le génie à la poésie ; que Maynard étoit celui de tous qui faisoit le mieux des vers, mais qu'il n'avoit point de force et qu'il s* étoit adonné à un genre de poésie au- quel il n' étoit pas propre, voulant dire ses épigrammes, et qu'il n'y réussiroit pas, parce qu'il n'avoit pas assez de pointe ; pour Racan, qu'il avoit de la force, mais qu'il ne travailloit pas assez ses vers ; que le plus souvent, pour mettre une bonne pensée, il prenoit de trop grandes licences, et que de ces deux derniers on feroit un grand poëte.

1. Nicolas Bourbon, poète latin, membre de l'Académie française, en 1574, mort en 164 4* J^^uii Sirmond, poëte latin, membre de l'Académie française, en i589, mort en 1640.

a. On lit avouait dans Pellissou, qui a cité ce passage (p. 44 5} t dans Tallemant des Réaax et dans les anciennes éditions.

3. Charles de Piard, sieur d'InfrainviUe et de Touvant. Ses vers sont épars dans les recueils du commencement du dix>septième siècle, et «otre autres dans le tome I des DeRces de la poésie framboise ^ 161 5, il en est parlé comme d'un mort. Le manuscrit porte par erreur Tourant au Len de TowmuU,

PAR RACAN. Lxzxi

La connoissance qu'avoit eue Racan avec M. de Malherbe étoit lorsqu'il étoit page de la chambre chez M. de Belle- garde, âgé au plus de dix-sept ans^; c^est pourquoi il respec- tait toujours M. de Malherbe comme son père, et M. de Mal- herbe vivoit avec lui comme avec son Ûs. Gela donna sujet à Racan, à son retour de Calais, il fut porter les armes en sortant de page, de demander avis à M. de Malherbe de quelle sorte il se devoit conduire dans le monde, et lui fit la déduc- tion de quatre ou cinq sortes de vies qu'il pouvoit faire. La première et la plus honorable étoit de suivre les armes ; mais d*autant qu'il n*y avoit alors point de guerre qu'en Suède ou ea Hongrie, il n'avoit pas moyen de la chercher si loin, à moins que de vendre tout son bien pour faire son équipage et les frais de son voyage.

La seconde étoit de demeurer dans Paris pour liquider ses afiaires, qui étoient fort brouillées, et celle-là lui plaisoit le

La troisième étoit de se marier, sur la créance qu'il avoit de trouver un bon parti dans l'espérance que Pon auroit de la succession de Mme de Bellegarde, qui ne lui pouvoit man- quer : à cela il disoit que cette succession seroit peul-étre longue à venir, et que cependant, épousant une femme qui Pobligeroit, si elle étoit de mauvaise humeur il seroit con- traint d^en souffrir.

D lui proposoit aussi de se retirer aux champs à faire petit pot* ; ce qui n'eût pas été séant à un homme de son âge, et ce n^eàt pas aussi été vivre selon sa condition.

Sur toutes ces propositions dont Racan lui demandoit con- seil, M. de Malherbe, au lieu de lui répondre directement à sa demande, commença par une fable en ces mots* :

c II y avoit, dit-il, un bonhomme âgé d^environ cinquante ans qui avoit un 61s qui n'en avoit que treize ou quatorze. Us n'avment, pour. tous deux, qu'un petit âne pour les porter

I. Racan étant en iSSg, cette date nous reporte k Tannée 1606.

a. Faire petit poif rirre petitement.

3. On sait que la Fontaine, qui a mis en vers cette fable (livre III, i ) , pobliée anténeurement dans les Facéties du Pogge, dans les Fables de Faéme et de Verdizotti, a mentionné ainsi le récit de Malherbe :

Antrefois à Racan Malherbe Ta conté

Lxxxii VIE MALHERBE

en un long voyige qu'ils enireprenoient. Le premier qui monta sur Tâne, ce fat le père; mais après deux ou trois lieues de chemin , le fils commençant à se lasser, il le suivit à pied de loin et avec beaucoup de peine, ce qui donna sujet à ceux qui les voyoient passer de dire que ce bonhomme avoit tort de laisser aller à pied cet enfant qui étoit encore jeune, et qu'il eût mieux porté cette fatigue-là que lui. Le bonhomme mit donc son fils sur Tâne et se mit à le suivre à pied. Cela fut encore trouvé étrange par ceux qui les virent, lesquels disoîent que ce fils étoit bien ingrat et de mauvais naturel , d'aller sur l'âne et de laisser aller son père à pied. Ils s'avisèrent donc de monter tous deux sur l'âne, et alors on y trou voit encore à dire : « Ils sont bien cruels, disoient les passants, de monter ainsi tous c deux sur cette pauvre petite béte , qui à peine seroit suffi- « saute d'en porter un seul. » Comme ils eurent ouï cela, ils des- cendirent tous deux de dessus l'âne et le touchèrent devant eux. Ceux qui les voyoient aller de cette sorte se moquoioit d'eux d'aller à pied, se pouvant soulager d'aller l'un on l'autre sur le petit âne. Ainsi ils ne surent jamais aller au gré de tout le monde ; c'est pourquoi ils se résolurent de faire à leur vo- lonté, et laisser au monde la liberté d*en juger à sa fantaisie. Faites-en de même , dit M. de Malhert)e à Racan pour toute conclusion; car quoi que vous puissiez faire, vous ne seres jamais généralement approuvé de tout le monde , et l'on trou- vera toujours à redire en votre conduite \ »

Encore qu'il reconnût, comme nous avons déjà dit, que Racan avoit de la force en ses vers , il dboit qu'il étoit hé- rétique en poésie, pour ne se tenir pas assez étroitement dans ses observations , et voici particulièi-ement de quoi il le blâmoit :

Premièrement, de rimer indifieremment aux terminaisons en ant et en enty comme innocence et puissance ^ apparent et conquérant^ grand et prend; et vouloit qu'on rimât pour les yeux aussi bien que pour les oreilles. Il le reprenoit aussi de rimer le simple et le composé , comme temps et printemps , sé-^ Jour et Jour. Il ne vouloit pas aussi qu'il rimât les mots qui

I. Les anciennes éditions ont intercalé ici la fable delà Fontaine, qui ne se trouTait certainement pas dans Técrit de Racan.

PAR RAGAN. hxxxiu

iToieiit cjnelque convenance*, comme montagne et campagne, défense et offense, père et mêre^ toi et moi, 11 ne vouioit pas non plus que l'on rimât les mots qoi dérivoient les uns des au- tres, comme adin étire ^ commettre ^ promettre, et antres , qu^ii dîsott <|ai dérivoient de mettre. Il ne vouioit point encore qu'on rimât les noms propres les uns contre les autres, comme Thés- salie et Italie y CastiHe et Bastille y Alexandre et Lysandre; et sur la fin il étoit devenu si rigide en ses rimes qu'il avoit même peine à souffrir que Ton rimât les verbes de la termi- nation en er qui avoient tant soit peu de convenance, comme abandonner y ordonner et pardonner^ et disoit qu'ils venoient tous trois de donner. La raison qu'il disoit pourquoi il falloit plutôt rimer des mots éloignés que ceux qui avoient de la con- venance est que Ton trouvoit de plus beaux vers en les rap- prochant qu'en rimant ceux qui avoient presque une même signification ; et s'étudioit fort à chercber des rimes rares et stériles, sur la créance qu'il avoit qu'elles lui faisoient produire quelques nouvelles pensées, outre qu'il disoit que cela sentoit son grand poète de tenter les rimes difficiles qui n'a voient point encore été rimées. Il ne vouioit point qu'on rimât sur malheur ni bonheur , parce qu'il disoit que les Parisiens n'en pronon- çoient que l'tf, comme s'il y avoit bonkur^ malhur^j et de le ri- mer à honneur il le trouvoit trop proche. Il ne vouioit non plus que Ton rimât à flame^ parce qu'il l'écrivoitet le prononçoit ain« avec deux m : flamme, et le faisoit long en le prononçant ; c'est pourquoi il ne le pouvoit rimer qu'à épigramme. Il re- prenoit aussi Racan quand il rimoit quUls ont eu avec vertu on battu, parce qu'il disoit que l'on prononçoit à Paris ont eu en trois syllabes , en faisant une de l'^ et l'autre de Vu du mot eu.

Outre les réprimandes qu'il faisoit à Racan pour ses rimes , il le reprenoit encore de beaucoup de choses pour la construc- tion de ses vers , et de quelques façons de parler trop hardies qui seroient trop longues à dire, et qui auraient meilleure grâce dans un art poétique que dans sa vie. C'est pourquoi je

I. Conremanee, rapport.

a. On trouve cette orthographe dans les éditions de Malherbe de 1689, 17»! et 1713. Voyez la Notice bibliographique, p. ci et en.

uxziT VIE DE MALHERBE

me contenterai de faire encore une remarque de ce point dont ils étoient en contestation.

Au commencement que M. de Malherbe vint à la cour , qui fut en i6o5, comme nous avons déjà dit, il n'nbservoit pas encore de faire une pause au troisième vers des stances de six, comme il se peut voir en la Prière qu'il fit pour le Roi allant en Limousin, il y a deux ou trois stances le sens est em- porté, et au psaume Domine Domintu noster^y en cette stanoe et peut-ctre quelques autres dont je ne me souviens pas â présent :

Sitôt que le besoin excite son désir,

Qu'est-ce qa*en ta largesse il ne trouve à choisir?

Et par ton mandement, l'air, la mer et la terre

N*entretienuent-ils pas Une secrète loi de se faire la guerre A qui de plus de mets fournira ses repas?

Il demeura toujours en cette négligence pendant la vie de Henn le Grand, comme il se voit encore en la pièce qui com- mence :

Que n'ètes-Tons lassées ,

en la seconde stance, dont le premier vers est :

Que ne cessent mes larmes,

qu'il fit pour Madame la Princesse*, et je ne sais s'il n'a point encore continué cette même négligence jusques en i6ia , aux vers qu'il fit pour la place Royale ' : tant y a que le premier qui s'aperçut que cette observation étoit nécessaire pour la per- fection des stances de six fut Maynard, et c'est peut-être la rai- son pour laquelle M. de Malherbe^ Testimoit l'homme de France qui savoit le mieux faire des vers. D'abord Racan, <|ui jouoit un peu du luth et aimoit la musique , se rendit en faveur des musiciens , qui ne pouvoient faire leur reprise aux stances de six, s'il n'yavoit un arrêt au troisième vers. Mais quand M. de Malherbe et Maynard voulurent qu'aux stances de dix , outre

!• Voyez les pièces xvni et xv, p. 69 et 61. 3. C'est-à-dire pour le Roi amoureux de la princesse de Condé. Voyez pièce xlvi, p. i63.

3. Voyez pièce ltui, p. 197 et suivantes.

^Bî^^^^^^^C^^^^^^^^^^^^C^S5^^^55

PAR RACAN. Lxzxv

l'arrêt du quatrième vers, on en fît encore un au septième, Racan s^y opposa, et ne Ta jamais presque observé. Sa raison étoit que les stances de dix ne se chantent presque jamais , et que quand elles se chanteroient on ne les chanteroit pas en trois reprises ; c'est pourquoi il suffisoit d'en faire une au qua- trième. Yoilà la plus grande contestation qu'il a eue contre M. de Malherbe et ses écoliers , et pourquoi on a été prêt de le déclarer hérétique en poésie ^

M. de Malherbe vouloit aussi que les élégies eussent un sens parfiût de quatre vers en quatre vers, même de deux en deux, s'il se pottvoit-, à quoi jamais Racan ne s'est accordé.

Il ne vouloit pas que l'on nombrât en vers de ces nombres vagues, comme mille ou cent tourments^ et disoit assez plai- samment, quand il voyoit quelqu'un nombrer de cette sorte : c Peut-être n'y en avoit-il que quatre-vingt-dix-neuf. > Mais il estimoit qu'il y avoit de la grâce à nombrer nécessairement*, comme en ce vers de Racan :

Vieilles forêts de U-ois siècles âgées.

Cest encore une des censures à quoi Racan ne se pouvoit rendre de ne point nombrer par cent ou par mille pour dire infiniment, et néanmoins il n'a osé s'en licencier * que depuis sa mort.

A ce propos de nombrer, quand on lui disoit que quelqu'un avoit les fièvres en plurier, il demandoit aussitôt : c Combien en »-t-il de fièvres? »

Ses amis familiers, qui voyoient de quelle sorte il travail- loit , disent avoir remarqué trois sortes de styles dans sa prose :

Le premier étoit en ses lettres familières, qu'il écrivoit à ses amis sans aucune préméditation, qui, quoique fort négli- gées, avoient toujours quelque chose d'agréable qui sentoit ion honnête homme.

Le second étoit en celles il ne travailloit qu'à demi, Ton croit avoir remarqué beaucoup de dureté et de pensées in- digestes qui n'avoient aucun agrément.

I. Ce passage a été cité par Pellisson, p. 448 et suivantes a. Cest-à-we d^ODe manière précise. 3. S'en dcMiner la licence.

LxxKTi VIE DE MALHERBE

Le troisième étoit dans les choses que par un long travail il roettoit en lenr perfection , sans cloute il s'élevoit beaucoup au-dessus de tous les écrivains de son temps.

Ces trois divers styles se peuvent remarquer en ses lettres familières à Racan et à ses autres amis, pour le premier ; pour le second, en ses lettres d'amour, qui n'ont jamais été fort esti- mées ; et pour le troisième, en la Consolation à la princesse de Contiy qui est presque le seul ouvrage de prose qu'il ait achevé.

Il se moquoit de ceux qui disoîent qu'il y avoit du nombre en la prose, et disoit que de faire des périodes nombreuses c'étoit faire des vers en prose. Cela a fait croire à quelqnes^ins que les Épttres de Sénèque n'étoient point de lui, parce que les périodes en sont un peu nombreuses.

Celle pour qui il a fait'des vers sous le nom de Caliste étoit la vicomtesse d'Auchy, dont le bel esprit a paru jnsques à sa mort; et sa Rodanthe étoit Mme la marquise de Rambouillet ^ Voici la raison pourquoi il lui donna ce nom -là :

Un jour ils s'entretenoient Racan et lui de leurs amours qui n'étoient qu*amours honnêtes, c'est-à-dire du dessein qu'ils avoient de choisir quelque dame de mérite et de qualité pour être le sujet de leurs vers.

M. de Malherbe lui nomma Mme de Rambouillet, et Racan lime de Termes, qui étoit alors veuve*. H se trouva que toutes deux avoient nom Catherine^ savoir : la première, que M. de Malherbe avoit choisie, Catherine de Vivonne ; et celle de Ra- can, Catherine Chabot. Le plaisir que prit M. de Malherbe en cette conversation lui fit promettre d*en faire une Églogue, on entretien de bergers, sous les noms de Méiibée pour lui et Areas pour Racan, et je me suis étonné qu'il ne s'en est trouvé quelque commencement dans ses manuscrits, car je lui en ai ouï réciter près de quarante vers.

Prévoyant donc que ce même nom de Catherine y servant pour tous deux, feroit de la confusion dans cette Églogue qu41 se promettoit de faire, il passa tout le reste de raprès-dinée, avec Racan, à chercher des anagrammes sur ce nom qui eussent

I . Pour la vicomtesse d*Auchy, voyez pièce xxix. —Mme de Ram- boaillet, la célèbre marquise dont il est tant question dans Tallemaiit. 3. Elle ne le devint qu'en i6sr.

PAR RACAN. Lxxxvii

de la douceur pour mettre dans les vers; ils ii*en trouvèrent que trois : ArUiénice^ Éraèinibe et Carinthée, Le premier fut j«gé le plus beau ; mais Racan s'en étant servi dans sa pasto- rale, qu'il fit incontinent après, M. de Malherbe méprisa les deux autres» et prit Rodanthe, ne se souciant plus d'en prendre qui fussent anagrammes de Catherine,

M. de Malherbe étoit alors marié et fort avancé en âge; cot pourquoi son amour ne produisit que quelques vers, entre autres ceux qui commencent :

Ch^re beanté, que mon âme rarie, etc. *,

et ces autres que Boisset mit en air :

Us t'en vont, ces roii de ma vie*.

n fit aussi quelques lettres sur le même nom de Rodanthe ; mais Racan, qui avoit trente-quatre ans moins que lui, et qui étoit alors garçon , Mme de Termes étant d'ailleurs veuve , il se trouva engagé à changer son amour poétique en une véritable et légitime, et fit 'quelques voyages en Bourgogne pour cet efiet. C'est ce qui donna lieu à M. de Malherbe de lui écrire une lettre, il y a des vers, pour le divertir de cette passion, sur ce qu'il avoit appris que Mme de Termes se laissoit cajoler par M. Vignier, qui l'a épousée depuis; et quand il sut que Racan étoit résolu de se marier en son pays, il le manda aus- sitôt à Mme de Termes, en une lettre qui est imprimée*.

Il disoit, quand on lui parloit de l'enfer et du paradis : « J'ai vécu comme les autres, je veux mourir comme les autres, et aller vont les autres. »

Il mourut à Paris , comme nous avons dit ci-devant , vers la fin du siège de la Rochelle, Racan commandoit la compa- gnie de M. d'Effiat, ce qui fut cause qu'il n'assista point à sa mort et quMl n'en a su que ce qu'il en a ouï dire à M. de Por- chères d^Arbaud*. Il ne lui a point celé que pendant sa maladie

I. Voyei pièce lxxxii, p. 147.

a. Voyez p. sai la notice de la pièce Lxvm, est réfutée cette aiicrdoD de Racan.

3. Ce sont les lettres xxx et tx du liyre I, dans les anciennes éditions.

4. F. d*Arbaad, sieur de Porchères, membre de l'Académie fîran- rajse. Voyez plus loin la Notice hibUographique^ p. xcn et xcm.

Lxxxviii VIE DE MALHERBE PAR RACAN.

il n*eût en beaucoup de difficulté à le faire résoudre de se con- fesser, lui disant qu'il n'avoit accoutumé de se confesser qu'à Pâques. Il étoit pourtant fort soumis aux commandements de rÉglise, et quoiqu'il fût fort avancé en âge, il ne mangeoit pas volontiers de la viande aux jours défendus, sans permis- sion ; car ce qu'il en mangea le samedi d'après la Chandeleur, ce fut par mégarde. Il alloit à la messe toutes les fêtes et tous les dimanches, et ne roanquoit point à se confesser et commu- nier à Pâques, en sa paroisse. Il parloit toujours de Dieu et des choses saintes avec grand respect , et un de ses amis lui fit un jour avouer devant Racan qu'il avoit une fois fait vœu d'aller d'Aix à la Sainte-Baume tête nue, pour la maladie de sa femme. Néanmoins il lui échappoit quelquefois de dire que la religion des honnêtes gens étoit celle de leur prince; et il avoit souvent ces mots à la bouche, à l'exemple de M. Coef- feteau* : Bonus arùmus^ bonus Deus^ bonus cuitus. C'est pour- quoi Racan s'enquit fort soigneusement de quelle sorte il étoit mort. Il apprit que celui qui l'acheva de résoudre à se con- fesser fut Tvrande , gentilhomme qui avoit été nourri page de la grande écurie, et qui étoit son écolier en poésie, aussi bien que Racan. Ce qu'il lui dit pour le persuader de recevoir les sacrements fut qu'ayant toujours fait profession de vivre comme les autres hommes, il falloit mourir aussi comme les autres; et M. de Malherbe lui demandant ce que cela vouloit dire, Yvrande lui dit que quand les autres mouroient, ils se confes- soient, commiinioient et recevoient les autres sacrements de l^glise. M. de Malherbe avoua qu'il avoit raison, et envoya quérir le vicaire de Saint-Germain, qui l'assista jusques à la mort. On dit qu'une heure avant que de mourir, après avoir été deux heures à l'agonie, il se réveilla comme en sursaut pour reprendre son hôtesse, qui lui servoit de garde , d'un mot qui n'étoit pas bien françois à son gré; et comme son confes- seur lui en fit réprimande, il lui dit qu'il ne pou voit s'en em- pêcher , et qu'il vouloit jusques à la mort maintenir la pureté de la langue françoise.

I. CoefFetean , évéqae de Marseille, en i574» mort en i6a3.

NOTICE BIBUOGRAPHIQUE.

OEuvres détachées publiées du ifwant de Malherbe.

Les renseignements bibliographiques qui suivent et que j*ai eu beaucoup de peine à réunir sont les plus complets et les plus précis que Ton ait jusqu*ici donnés sur les Œuvres de Malherbe. Cepen- dant ib ne le sont point encore autant que je l'aurais désiré; car il y a plusieurs volumes qu'il m*a été impossible de me procurer, et de plus il m*a été parfois fort difficile de me reconnaître au milieu de la confusion causée par les supercheries des libraires et les contre- façons; on en jugera par ce seul fait que de i635 à 1647 '^ y ^^^ *^^ éditions des Œuvres qui portent le titre de troisième.

I. Les Larmes de saint Pierre, imitées da Tan&iUe. Paris,

1587, iii-4*

Ces stances furent réimprimées k Paris, L. Brexel, i596,in-8, et k Rouen, Raph. du Petit- Val, 1698, in- 8; de plus, comme nous le disons ailleurs (voyez pièce m, p. 4)> ^Ues furent insé- rées dans divers recueils de vers publiés du vivant de Malherbe.

Ode du sieur de Malherbe. A la Reine. Pour sa bienvenue en France. Aix, J. Tholosan, 1601, 16 pag. in-8.

3. Ode sur Fattentat commis en la personne de Sa Majesté, le 19 décembre i6o5. In-8.

Voyez pièce ux, p. 7$.

4. Vers du sieur de Malherbe à la Reine. Paris, Ad. Beys,

xc NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE.

i6i I, 36 pag. in-8, plus un feuillet pour l'extrait du pri- vilège.

On y trouve Tode à k Reine : Nymphe qu'ijûmait me sommeiUet, et Tode à M. de Beilegarde : A la fin c'est trop de silence.

L'extrait du privilège porte : « Par grâce et privilège du Roy, il est permis au sieur de Malherbe de faire imprimer ses Œuvre» durant le temps de six ans, par tels imprimeurs et libraires que bon luy semblera et pour tel temps qu*il voudra accorder à chacun d*iceux, et deffenses sont faictes.... comme plus ample- ment est contenu et déclaré par les lettres de ce données k Paris, le a5* jour de novembre ifiio. Signées Louys.... I^edict sieur de Malherbe, suivant le contenu audict privilège, a permis à Adrien Beys, marchant libraire k Paris, d'imprimer les vers qui sont cy-devant. Faict à Paris, ce i4 décembre i6io. »

L'ode à la Reine reparut l'année suivante dans Us Trophées de Henry le Gr<ind^ Lyon, 1611, in-4 de 32 pages.

5. Lettre de consolation à Madame la princesse de Conty sur la mort de M. le chevalier de Lorraine de Guise, son frère. Paris, Toussaint du Bray, 16149 in-8.

6. Récit d^un berger sur les alliances de France et d'Espagne. Sans date, ni nom de lieu. (Paris, 161 5), 4 pag. in-4.

7. Le XXXIII* livre de Tite Live nouvellement trouvé à Bamberg, en Allemagne, traduit par le S^ de Malherbe, gentilhomme ordinaire de la chambre du Roy, et dédié à Monseigneur le duc de Lnynes. A Paris, chea Toussainct du Bray (avant février), mdgxxi, in-8. Avec privilège du Roy.

Gomme nous le disons (p. Sgo), une partie de cette traduc- tion avait paru dès 161 6 dans la traduction de Tite Live par Vigenère. Voyez aussi plus loin p. xcni.

8 et 9. Pour le Roy allant chastier la rébellion des Rochelois. Sans lien ni date. (Paris, 1628), 18 pag. in-4* Le même, ao pag. in-8.

Malherbe, dans une lettre à Peiresc en date du 3 avril 1698, rapporte qu'il avait fait tirer trois cent cinquante exemplaires de cette pièce et qu'on en fit une « antre impression sans son soin et sans son aven. >

NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE. xct

Un exemplaire de réditîon în-8 a figuré à la vente de M. Ch. Giraad en i855 (n<> i3o9), et la lettre, suivant le cata- logue, portait des corrections de la main même de Malherbe.

Pignore quelle est de ces deux éditions la première en date. On trouve dans toutes les deux Fode que nous avons donnée sous le n^* ciii, la lettre de Malherbe à Louis XIII avec quelques vers et le sonnet sur la mort de son fils (voyez pièce cii). Cest donc k tort que Tallemant des Beaux a avancé que ce sonnet n*avait point été imprimé. Pour être exact, il aurait se borner ï dire que la pièce ne figurait point dans les éditions de i63o, i63i, etc.

n se ponnrait aussi que Balxac eût commis une erreur dans la lettre à M. de Plassac Meré que nous avons citée plus haut (voyez p. XI.). « Malherbe y dit -il, fit imprimer un factum et trois sonnets qui n*ont point été mis dans le corps de ses autres ou- vrages. Je voudrois bien pouvoir contenter la curiosité que vous aves de les voir. Mais de plusieurs exemplaires qu*il m*en avoit donnét, il ne s'en est pu trouver aucun parmi mes papiers, et il ne me souvient que de ce seul vers :

Mon fils qui lut si brave et que j'aimai si fort.

Sur ma parole assaro^vous qu'ils étoient tous excellents et que ce n'est pas une petite perte que celle que vous en faites, i

Je crois qu'ici comme ailleurs la mémoire de Balzac l'a mal serri, et que par ces trois sonnets dont personne autre que lui n'a parlé, il ûiut entendre tout simplement les vers mentionnés dans la plaquette citée plus haut. Quant aux factums, il est cer- tain que Malherbe a en publier (voyez plus haut, p. lyi] ; mais nous n'avons pu en rencontrer un seul exemplaire.

Ajoutons pour compléter cette liste que les pièces xi, xc, xa, xcn, xcxT de notre édition ont été publiées d'abord en feuilles volantes, sans date, ni lien d'impression.

xcu NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE.

Il

OEuifres, (Poésies y traductions , lettres, etc.)

Les Œuvres de M'* François de Malherbe, gentil-homme ordinaire de la chambre du Roy. A Paris, chez Charles Chappelain, m.dc.xxx. Auec priuilege du Roy. In-4.

Après le titre, se trouve un beau portrait de Malherbe {D. Du^- monstier plnxit. Vostermeui sculpj).

Le Tolume contient :

lo Discourt sur les ceuvres de ÂP' de Malkerhe (2 a feuillets non paginés). Ce Discours n'est pas sîg;né, mais il est de Godisau, évéque de Venoe, et parut séparément dès 1619, iu-4< Quel<pics bibliographes Tindiquent à tort comme étant de Porchères.

ao Le priTÎiége du Roy, dont voici la teneur : c Louys, par la grâce de Dieu, Roy de France et de Navarre. A nos amez et féaux conseillers, les gents tenants nos cours de Parlement de Paris, Tholoze, Rouen, Bordeaux, Dijon, Aix, Grenoble et Rennes, prenost de Paris, seneschal de Lyon, et à tous nos autres juges et officiers qu'il appartiendra, chacun en droit soy , salut. Nostre bien amé Francis d*Arband , escuyer, sieur de Porchères, nous a tres-humhlement remonstré que le feu sieur de Malherbe, gentil-homme ordinaire de nostre chambre, son cousin, lui auroit peu auparavant son deceds recommandé et mis entre ses mains toutes les œuures par lui faites, composées, corrigées et augmentées, tant en prose qu*en poésie, pour les faire imprimer toutes en un volume, sans estre meslées ni ac- commodées auec aucunes œuures, comme auroient fait cy-deuant quelques imprimeurs et libraires, qui en auroient imprimé ou fait imprimer quelques pièces séparément, sous priuilege parti- culier, ce que nous ayant l'exposant très* humblement supplié luy permettre, Nous, voulant fauoriser l'intention dudit defTunt de Malherbe, auons audit exposant permis et permettons par ces présentes, que pendant six ans il puisse faire imprimer par tel imprimeur et libraire que bon luy semblera, toutes et cha- cunes des œuures, tant en prose qu'en poésie, imprimées et non imprimées dudit deffunt sieur de Malherbe, les réduire et mettre

NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE. xcm

en xm seul Tolome, et en tel caractère que bon lay semblera; sans que pendant ledit temps aucuns antres imprimeurs, librai- res ne autres personnes les puissent imprimer par pièces sépa- rées, ne autrement en quelque façon que ce soit, à peine de deux mille livres d'amende, applicables moitié à nous et Tautre moitié audit exposant, auec confiscation des exemplaires qui se trouueront d*autre impression, et de tous dépens, dommages et interests. Voulant qu'en mettant par luy le contenu du présent prîuilege au commencement ou à la fin de chacun desdits exem- plaires, il soit tenu pour deuëment signifié; à la charge de mettre deux desdits exemplaires en nostre bibliothèque au oon- nent des Gordeliers à Paris. Car tel est nostre plaisir. Donné à la Rochelle le neufieme jour de nouembre mille six cens vingt- huit, et de nostre règne le dix-nenfieme.

c Par le Roy en son conseil, La Lova.

« Le sieur de Porchères a cédé et transporté k Charles Chap- pelain, imprimeur à Paris, le prinilege cy-detsns, pour en jouir avec tout le droit y contenu. A Paris, le quatorzième de décembre mil six cens vingt-huit.

c Acheué d'imprimer le vingt-deuxième de décembre mil six cens vingt-neuf, s

Traitté des Bienfmiu Je Seneque (voyez plus bas la no- tice n« 9).

U XXXlli* ihre de Tite Im^, pi^oédé d'une dédicace h Monseigneur le duc de Luynes, et suivi d'un adpertusemetit.

Les Lettres de if de Malherbe, Elles sont divisées en trois livres et sont an nombre de quatre-vingt-dix-sept. La pagination finit avec les lettres et recommence avec les poésies.

Les Poésies de MT de Malherbe, Elles sontdivisées en six livres.

Malgré la date de V achevé d'imprimer (99 décembre 1629) le volume n*avait point encore paru en juin i63o, comme on le voit d'après une lettre de Peiresc k Dupuy en date du 16 juin i63o. (Bibliothèque impériale, manuscrits Dupuy, n^ 717, i^ 97O

Nous avons eu à signaler quelques légères différences entre deux exemplaires datés de cette année i63o.

Je ne sais si ce fut Porchères qui donna ses soins k cette édi- tion; ce doute m'est venu en lisant dans les correspondances inédites de Peiresc et de P. Dupuy la mention d'un sieur Gra- nier qui, en 1639, préparait une édition des Œuvres de Mal- herbe, et pour qui on avait demandé à Peiresc communication des lettres qu'il possédait. Dupuy, le 18 mai 1699, écrit à son ami de Provence :

c Notre ami, qui entreprend les Œuvres de M. de Malherbe,

xciv NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE.

t'appeUe Granîer, qui a l'hoiinenr d'être oonnu de tom et de Monnenr Totre frfrre, tous prend aa mot pour let lettres de M. de Malherbe qui lenriroient de grand ornement à ton édition ; que fi n*aTeK le loisir d*en faire le choix et retrancher ce qui seroît inutile , il vous donne sa parole que les enroyant ici, il les re- verra très-exactement et suivra l'ordre que lui prescrirez. Je vous prie, s'il y a moyen, de le favoriser en cela. La mémoire de M. de Malherbe semble vous y convier, et puisqu'il les avoit voulu examiner pour les polir, cda fiût croire qu'il les jugeoit dignes de voir le jour. Mondit sieur Granicr m'avoit , il y a quelque temps, fait cette prière que j'avois éoondnite, crainte de vous faire une requête incivile. Mais puisque de vous-même vous vous y êtes comme engagé, je n'ai fait difficulté de faire cet office. Vous en userez néanmoins comme le trouverez plus à propos. » ( Bibliothèque Je Carpentras , manuscrits Peiresc , R«g. 4i» ▼ol. a.)

Dnpny en paria encore plusieurs fois à Peiresc, qui lui ré- pondit le i8 août suivant :

c Des lettres de feu M. de Malherbe , je vous écrivoîs la se- maine passée ce que j'en avois trouvé. Je suis bien aise que vous ayez en des nouvelles du recueil que feu M. de Malheriie avoit fait d'aucunes de ses lettres plus considérables et aucunes pièces dont il m'avoit aucune fois parlé , et m'avoit même de- mandé mes liasses de lettres qu'il m'avoit écrites pour y en in- sérer quelques-4ues. Je craignois que cela fût perdu; car M. le conseiller de Boyer qui est héritier, ou père de l'héritier dudit feu M. de Malherbe, ne l'ayant pas trouvé entre ses papiers, étoit bien en peine il pouvoit avoir recours. Je m'étonne fort que le sieur Icard ' lui aye voulu celer, puisqu'il étoit dé- positaire et comme fidéi-commissaire de tous les livres et papiers du défunt , pour remettre le tout audit sieur de Boyer, à qui il a en effet rendu les livres et quelques papiers, mais, à ce que je vois , il avoit soustrait le meilleur. Il n'y avoit que deux jours que mondit sieur de Boyer étoit parti de cette ville pour aller du cûté de Toulon, quand je reçus votre avis; mais à son retour je lui communiquerai l'avis, et ferai que lui en écrira comme il faut audit sieur Icard, auquel je ferai même écrire par Monsieur le premier président et par le marquis d'Oraison, qui sont ses meilleurs patrons et amis, et qui aimoient bien le pau-

I. Ou Ycard. C'était l'homme d'affaires de Malherbe, autant du moins que je puis le conjecturer d'après la correspondance du poëte avec Peiresc, il en est parlé plusieurs fou.

NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE. xcv

rre Malberbe. Je n'y ai pas da crédit pour mon particnlier, pour certaines petites galanteries qai m'aToient été faites de sa main en affaire bien importante ; mais je le ferai prendre de tant de côtés qn*il aura bien de la peine k se parer de coup, je serai bien aise d'agir pour Tamour du pauvre M. de Malherbe que j'ai aimé comme mon propre père, et pour l'amour aussi de M. Granier, à qui j'ai de l'obligation , sans l'avoir jamais servi, dont je serois bien aise de me pouvoir revancher, mais princi- palement pour l'amour de vous, Monsieur, puisque vous vous en mêlez si cbaritablement. Je verrai aussi par même moyen s'il y avoit moyen d'arracher de mondit sieur le premier pré- sident et de M. le marquis d'Oraison quelques-unes des lettres que ledit sieur de Malherbe leur écrivoir, dont j'en ai autrefois vu de très-bonnes. M. de Boyer m'avoit dit, ce me semble, tout après le décès du sieur de Malherbe , que le défunt avoit laiMé quelques siens écrits en dépôt en mains d'un sieur de Porchères, son parent (autre que le célèbre courtisan) , pour « prendre le«soin de les faire revoir et imprimer. Je croyois que ce fàt lui qui eût remis à M. Granier ce qu'il en avoit, et qui lui eût aussi /émis le privilège dont j'avois autrefois ouï par- ler. U sera boa de s'en éclaircir et m'en écrire , s'il vous plaît, au plus tôt que vous pourrez, pour s'assurer si c'est autre chose que le recueil dont ledit sieur Icard se trouve aujour- d'hui saisi *. t

Le Granier en question est sans contredit Auger (ou Oger) de Mauléon, seigneur de Granier, qui, entré à l'Académie française le 3 septembre 1 63 5, en fut chassé à l'unanimité le i4 mai sui- vant, pour avoir abusé d'un dépôt à lui confié par des reli- gieuses. « Cétoit, dit Pellisson, un ecclésiastique, natif du pays de Bresse, homme de bonne mine, de bon e^rit, d'agréable con- versation, qui avoit même du savoir et des belles-lettres. Pour s'établir à Paris, il s'associa avec tm libraire nommé Chapelain, et depuis avec un autre nommé Bouillerot. Et comme il avoit été curieux de bons manuscrits, il en mit au jour quelques-uns qui étoient encore fort rares. Nous lui devons les mémoires de la reine Marguerite et eeux de M. de Villeroy, les lettres du car- dinal d'Ossat et celles de M. de Poix*, s Ce libraire Chapelain ou Chappelain est précisément celui qui a été l'éditeur de Malherbe.

I. Bibliothèque impériale, manuscrits Dupuy, n^yi^, f^ y S. 9. Hiitoire de rAeadéme frwt^oite , édition Livet , tome I , p. iS3.

xcvi NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE.

a. Les Œuvres de M** François de Malherbe, gentil-homme ordinaire de la chambre dn Roy. Seconde édition. Paris, Chappelain, avec privilège dn Roy, i63i, in-4.

Cette seconde édition est à peu de chose près la reproduction de la précédente. I^e Discours a subi d^assez grandes modifica- tions que nous avons indiquées. Les variantes du texte sont peu nombreuses et peu importantes. 'Ce sont, à notre coipaissance, les deux seules éditions publiées pendant la durée des six années du privilège qui expirait en décembre i634-

3. Les Œuvres de Messire François de Malherbe, gentil- homme ordinaire de la chambre du Roy. Troisiesme édition. Imprimé à Troyes et se vendent (sic) à Paris, chez Jean Promé, au coin de la rue Dauphine. h.dg.xxxv, in-^.

Cette édition, assez incorrecte, contient les mêmes œuvres que les précédentes ; mais immédiatement après le titre et avant le Discours^ on a placé six pages non numérotées, contenant les Fragments qui, dans les deux premières éditions, terminent le sixième livre des poésies. «

Il y a six éditions qui portent le titre de troisième. Voyez les n«* 4i 7f io> i5 et i6.

4. Les Œuvres de Messire François de Malherbe, etc. Troi- siesme édition. A Troyes, chez Jacques Balduc, x.dc.xxxv, in-8.

C*est probablement la même impression que la précédente, avec un autre titre. Comme les Fragments et le Discours de Go- deau ne sont point paginés , et que les six livres de poésies et les œuvres en prose ont une pagination différente, il y a des exemplaires les poésies précèdent les traductions et les lettres.

5. Les Œuvres de M** François de Malherbe, etc. Paris, Est. Hébert, i635, in-8.

Je n'ai pu rencontrer cette édition, qui a figuré en i855 k la vente de M. Ch. Giraad, sous le n^ i3oo.

6. Les Epistres de Seneque, traduites par M'* François de Mal- herbe, gentil-homme ordinaire de la chambre du Roy. A Paris, chez Anthoine de Sommaville, m.dg.xxxvji.

Cette édition, dont nous ignorons le format, est restée jus- qu'ici inconnue à tous les bibliographes. Nous n'avons pu nous

NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE. xcvn

la procurer, mais son existence nous a été rérélée par la note •nÎTante mise à la suite du piÎTiIége de l^édition des Èpitrts de 1648 : Acheté d^imprtmer pour la première fois le septiesme sep^ , temhre 1637. Voyez plus bas la notice 17.

7. Les Œuvres de M'* François de Malherbe, etc. Troîsiesme édition. A Paris, chez Antoine de Sommaville, m. dc. xxxviii, avec privilège du Roy, in-4.

Le Discours de Godeau, le Traité des Bienfaits et, arec une pagination différente, les poésies , yoilà ce que contient le yo- lome, ne se trouTcnt ni le Tite Live, ni les lettres, ni le pririlége. En tète le portrait, d'après Dumonstier, grayé par Briot. On remarquera le titre de troisième édition donné à cette édition, qui est la quatrième et peut-être la sixième. Voyez n»* 4, 10, i5,'>x6.

8. Les Epistres de Seneque, traduites par M'* François de Malherbe , gentil-homme ordinaire de la chambre du Roy. A Paris, chez Anthoine de Sommaville, m.dc.xxxix, avec privilège du Roy, in-ia.

A la suite du pririlége, daté du 6 décembre i636, on lit : jickevé ttisnprimer^ pour la seconde fois , le premier jour de /e- vrier 1639. Avant le texte des épitres, on trouve neuf feuillets non paginés, et contenant : !<> Épitre dédicatoire adressée à Richelieu par J. B. de Boyer, neveu par alliance et héritier de Malherbe; lo un Avis au lecteur ^ de J. Baudoin, qui déclare avoir donné ses soins à l'édition ; 3<> deux petites pièces de vers français, par Dalibny et Colletet, et une épigramme latine de I. Isnard , toutes trois à l'éloge du traducteur ; 4*^ privilège du Roi. -* En tète un méchant portrait signé H'.

9. Seneque. Des Bienfaits , de la version de M'* François de Malherbe , gentil-homme ordinaire de la chambre du Roy. A Paris, chez Antoine de Sommaville, m.dc.xxxix, in-ia.

A la suite du privilège, on lit : Achevé d'imprimer pour la premUrefois le 3o mai 1639. 11 est dit dans ce privilège : c Nostre bien-amé Antoine de Sommaville, marchand libraire à Paris, nous a fait lemonstrer qu'U desixeroit faire imprimer et mettre en lumière le Traitté des bienfaits de Seneque, de la version de François de Malherbe, gentil-homme ordinaire de nostre cham- bre; lequel il a recouvert augmenté de quelques chapitres non encore imprimés. 9 Ces chapitres sont les onze premiers du livre

MALHXaBB. I g

xcviii NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE.

second, qui, suivant une note de Tédition de if)3o, n^aTaient point été traduits par Malherbe. Nous ayons dit ailleurs, tome II, p. a5i, ce que nous pensions de Tauthenticité de ce texte. En tête le portrait signé H^*, qui se retrouve dans l'édition des Épttres que nous venons de mentionner.

10. l^es Œuvres de M'" François de Malherbe, gentil- homme, etc. Troisiesme édition. Paris, chez Henanlt, 1641, in-8.

J'ai pris cette indication sur le catalogue de la Bibliothèque Sainte-Geneviève ; mais je n'ai pu voir le volume , qui ne s'est pas retrouvé sur les rayons. Voyez uo* 3, 7> i^> x6«

11. Les Œuvres de M^ François de Malherbe, gentil- homme, etc. A Paris, chez Antoine de Sommaville, x.DG.xLii, in-ia, avec privilège dn Roy.

Bfalgré son titre, ce volume ne contient que le D'ueows (non paginé) de Godeau et les six livres de poésie. On y trouve le fragment: Elie était jusqu* au nomhnl^ que j'avais cru publié pour la première fois dans l'édition de Ménage. Voyez plus loin, p. 3 16, pièce Gxx.

ta. Les Epistres de Seneque, traduites par M'* François de Malherbe, gentil-homme, etc. A Paris , chez Anthoine de Sommaville, h.dc.xxxxv, in-ia. .

C'est, avec quelques légères variantes, la reproduction de l'édition de 1639. A la suite du privilège, on lit : jichevé tTim- primer pour la quatriesme fois le troisiesme jour de jwilet nul six cens quarante cinq. Entre i637 et i645 il y a donc eu encore une édition. Personne n'en a parlé et nous n'avons pu la dé- couvrir.

1 3 . Les Lettres de M*"' François de Malherbe, gentilhomme, etc. Paris , Barbin , m. oc. xlv, in- 1 a.

f J'ai relevé cette indication sur le catalogue de la Bibliothèque

Sainte-Geneviève. Le volume n'a pu être retrouvé sur les rayons.

1 4 . Les Lettres de M" François de Malherbe, gentilhomme, etc. A Paris, chez Antoine de Sommaville, m. oc. xlv, in-ia.

En tète se trouve la traduction du XXXIII* livre de Tite Live, avec la dédicace au duc de Luyues.

NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE. xcix

iS. Les Œuvres de M** François de Malherbe, gentil- homme, etc. Troisiesme édition. A Troyes, chez Nicolas Oudoty M. Dc. XLYiiy in-8.

L'ordre est le même que dans le numéro 3.

i6. Les Œuvres de M" François de Malherbe, gentil- homme, etc. Troisiesme édition , à Paris, chez Mathurin Henault, h.dc.xlvu, in-8.

Reprodactiôn des précédentes éditions données à Troyes. Vojez plus hant les b9* 3, i^*

17. Les Epistres de Seneqae, traduites par M'* François de Malherbe, gentil-homme, etc. A Paris, chez Antoine de Sommaville, x.dc.xlyui, avec privilège du Roy. In-4. En tête un beau portrait gravé par Briot.

Cette édition est divisée en deux parties. La première contient répttre dédicatoire de Boyer an cardinal de Richelieu, un Aris «tt lecteur, de J. Baudoin ; le privilège du Roy, daté d* Amiens, le 6 décembre 1 636 ; les quatre-vingt-onze épitres traduites par Mal- herbe. La seconde partie renferme, avec une pagination diffé- rente, la $mtte des epistres de Seneque traduites par Pierre Du»Ryer. On lit, après le privilège de la première partie : Achevé d'imprimer pour la première fois le septiesme septembre i637 : ce qui nous donne la date de la première édition. Voyez plus hant le n^ 9.

18. Seneque. Des Bienfaits, de la version de M'* François de Malherbe, gentil-homme, etc. A Paris , chez Antoine de Sommaville, m.dc.l, in-12.

Reproduction de Tédition de 1639. Voyez le n<> 9.

19. Les Œuvres de Seneque, de la traduction de M** François de Malherbe, gentil-homme, etc., continuées par Pierre Du-Ryer, de F Académie françoise. A Paris, chez Antoine de Sommaville, x. nc.Lvni et x.dg.lix, avec privilège du Roy. a vol. in-fol.

Le premier volume de cette belle édition contient le Treùté de* BiemfoMis et les ÊpÙres, H est daté de i659, et le tome II de i658. du Ryer a beaucoup modifié le texte de Malherbe.

so. Les OEuvres de M'* François de Malherbe, gentil-

NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE.

homme, etc. Imprimé à Orléans, et se vend à Paris, chez Claude Barbin, h.dc.lix, in- ta.

Cette édition contient le Discourt de Godeaa et les six livres de poésies, comme l'édition de 1643* Voyez le 1 1 .

ai. Les Œuvres de M. Françob de Malherbe, gentil- homme, etc. Imprimé à Orléans, et se vend à Paris, chez Guillaume de Luyne, m.dc.ux, in-ia.

On 7 trouYe le Discours de Godeaa, les six livres de poésies et les Lettres,

aa . Les Lettres de M'* Françob de Malherbe, gentil-homme, etc . Imprimé à Orléans, et se vend à Paris, chez Claude Barbin, M.DC.UX, in-ia.

si3. Les Poésies de M. François de Malherbe,'gentiI-homme, etc. Imprimé à Orléans, et se vend à Paris , chez Antoine de Sommaville, m.dc. lx, in-ia.

Cette édition ne renferme absolument que les six livres de poésies, sans préCeice, dédicace, ni privilège.

a4. Les Œuvres de Seneque, de la traduction de du Byer, etc. Lyon, chez Christofle Foumy, m. dc.lxv, 14 vol. in-ia.

a5. Les Œuvres de Seneque, de la traduction de Pierre du Bier, etc. Imprimées à Lyon, et se vendent à Paris, au Pa- lais, par la Compagnie des libraires associés au privilège, M.DG.Lxix, 14 vol. in-ia.

Comme la précédente, cette édition est la reproduction de Tédition de i659, iu-fol. Voyez le 19.

a6. Les Poésies de M. de Malherbe, avec les Observations de Monsieur Ménage. A Paris, chez Thomas Jolli. x. dc. lxvi, avec privilège du Boy. In-8.

A la suite du privilège, on lit : jéchepê J^imprimer pour la première fois le i^^ jour de janvier 1666.

Cette édition contient une épître dédicatoire de Ménage i Col- bert, nne préface, le Discours de Godeau, les six livres de poé- sies, auxquels Ménage a ajouté quelques nouvelles pièces, puis les Observations qui ne comprennent pas moins de 3f>6 pages, et des

NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE. ci

additions et coirections qui ont été fondnes dans les réimpres- sions de 1689, 173s et 1733. L'exemplaire de cette édition, an- noté par Huet et dont nous avons parlé d'après Saint-Marc ', est actuellement à la Bibliothèque impériale. Sur le feuillet de garde est attachée une copie de la pièce xi, en haut de laquelle on lit, écrit de la main de Huet : Envoyé par le P, Martin, eordeHer^ le % janvier I7e4> Elle a servi à Huet à relever les variantes que nous avons signalées, d'après Saint-Marc, qui en a négligé quel- ques-unes. Quant aux annotations peu nombreuses du savant prélat, ce ne sont guère que des indications des passages d'au- teurs anciens imités par Malherbe.

Ce volume vient de la maison professe des jésuites, à Paris, à laquelle Huet avait légué sa bibliothèque. Un autre exemplaire, qui vient du collège des jésuites de la même ville, est conservé à la Bibliothèque de l'Université. U porte au bas du titre et de la main de Ménage : Dono V. Cl. Mg Menagii,

Aux archives de l'Empire, dans le Recueil Clérambaut, tome XX (kx, 601), f9 isS, on trouve la lettre suivante de Ménage k Colbert, lettre dont je dois la communication k mon ami M. G. Servois.

Monseigneur,

Je vous envoie enfin les Observations sur les poésies de Mal- herbe que j'ay pris la liberté de vous desdier. Je vous supplie, Monseigneur, de les avoir agréables, et de les recevoir comme un témoignage de ma reconnoissanoe, et de la passion ardente et respectueuse avec laquelle je suis,

Monseigneur,

Votre très-humble et très-obéissant serviteur.

MivAGB.

27. Les Epistres de Seneque, traduites par M'* François de Malherbe, gentil -homme, etc. Paris, par la Compaignie des libraires du Palais, 1667, in- 1 a.

Les épures sont divisées en trois parties. La dernière com- prend la suite des épitres traduite par du Ryer.

a8. Les Poésies de Malherbe avec les Observations de Mé- nage, segonde édition. A Paris, chez Claude Barbin,

I. Voyez p. 38, la notice de la pièce xi.

cil NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE.

XL. DG.LXXxiXy in-ia, avec privilège da Roy. (Il y a des exemplaires avec portrait, suivant Brunet.)

Cette édition, publiée trois ans avant la mort de Ménage, re- produit Tédition de 1666. Uorthographe adoptée est fort bi- zarre et conforme à la prononciation parisienne :

O qu*il nous utt coûté de morts, O que la France ust fait d*efforts, etc. Qui n*ftf/ crû que ses murailles N'iissent fait des funérailles, etc. . Priam qui vit ses/Âr abattus par Acbille, etc.

Cette orthographe a été suivie dans les éditions données en ijaa et 1733. ^

39. Les mêmes avec les observations de Ménage. Paris, Brunet, 1698, in-ia.

Je n*ai pu me procurer cette édition dont j*ai trouvé Tindi- cation dans quelques catalogues.

3o. Les Œuvres de François de Malherbe avec les observa- tions de M. Ménage et les remarques de M. Chevreau sur les poésies. Paris, Coustelier, 1722, 3 vol. in- 12 (avec approbation et privilège du Roy).

Tome I : un extrait des Mémoires de Uttiraiure^ de Sallengre (publiés à la Haye en 1717); la ^^ de Malherbe j par Racan; les Poésies en six livres, et les Remarques de Chevreau. -* Tome II : la dédicace de Ménage à Colbert, la préface et les observations de Ménage. Tome III : le Discours de Godeau, les lettres et la traduction de Tite Live.

Dans plusieurs exemplaires, après la Vie, par Racan, on ren- contre un portrait de Malherbe gravé par A. 0ormans. A la suite de cette même Vie, on lit cet Avis : c Dans la dernière édition des Poésies de Malherbe (1689), les Observations de M. Ménage étoient à la suite des Poésies, dans oelle-oi ce sont les Remarques de M. Chevreau. Cet arrangement a paru nécessaire pour ren- dre égaux les trois volumes de la présente édition, dont le se- cond contient les Observations de M. Ménage, et le troisième les Lettres et Traduction du XXXIll^ livre de Tite Live. Onasoivî, pour l'impression de ce dernier volume, l'orthographe de l'édi- tion in-quarto 1 63 1. Celle du second et des Poésies est conforme à l'édition de M. Ménage, de 1689, laquelle a servi de copie à celle-ci. »

NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE. ciu

»

« Oatre Fie Je Malherbe ^ par Racan, à laquelle on a ajouté quelques Notes y et V Éloge de ses œupres par M. Godeau, cette édidon est augmentée dea Bemarques de M. Chevreau, qui ne sont pas moins estimées des Savants que les Ohservations de M. Ménage. >

Urbain Cherrean, secrétaire de Christine de Suède, mort en 1701, avait publié en 1660 (Saumur, in-4) nne partie des Remarques insérées ici. Le reste a été tiré de ses OEnvres mêlées.

3i. Les Œuvres de François de Malherbe, avec les observa- tioDS de M. Ménage et les remarques de M. Chevreau sur les poésies. Paris, chez les frères Barbou, m.doc.xxii, avec privilège du Roy. 3 vol. in-ia.

32. Les mêmes. Paris, chez les frères Barbou, m.dcg.xxiii, avec privilège du Roy. 3 vol. in-ia.

Ces deux éditions renferment absolument les mêmes matières que rédition de Coustelier ; seulement Tordre des tomes n'est pas le même : le tome in de Tune est devenu le tome II de Taotre.

33. Poésies de Malherbe, rangées par ordre chronologique avec un Discours sur les obligations que la langue et la poésie françoise ont à Malherbe, et quelques remarques historiques et critiques. A Paris, de l'imprimerie de Joseph Barbou, m.dgc. lvii, in-8, portr.

Cette édition, due à Lefebvre de Saint-Marc, contient : un Avertissement; U ^i«, par Racan; les Poésies ^ divisées en quatre livres et rangées pour la première fois par ordre chronologique. Le Discours mentionné sur le titre renferme de nombreux extraits d'un commentaire inédit de Malherbe sur Desportes, commen- taire écrit sur un exemplaire des poésies de ce dernier. C'est l'exemplaire dont nous avons déjà parlé (p. XLvn) et qui, après avoir été possédé successivement par Balzac, le président Bou- liicr, et, an dire de L. ParreUe (voyez plus loin , n^ 53), par la Bibliothèque impériale, est aujourd'hui à la Bibliothèque de l'Arsenal.

A la suite du Discours se trouve une c Table raisonnée des poésies de Malherbe, l'on rend compte de l'ordre qu'on leur a donné dans cette édition , et des corrections qu'il avoit &ites en différents temps à quelques-unes des principales ; l'on ras- semble ce qu'il peut avoir en dessein d'imiter chez les anciens ou chez les modernes, et l'on entre dans quelques détaib his- toriques et critiques. >

ciY NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE.

Saint-Marc, dans ce Tolnnie, qui nou a M fort atile, a donné pour la première fois une édition critique des poésies de Mal- herbe. Il acollationnéaTecsoin les nombreux recueils aTaient paru d*abord une grande partie des pièces, et les éditions qui en araicnt été faites séparément avant i63o; il en a releré les va- riantes et ajouté quelques morceaux qui n'avaient point encore été réunis aux œuvres. U a de plus rangé, autant qu*il Ta pu, les pièces par ordre chronologique ; aussi, malgré quelques erreurs et quelques incorrections, son travail a mérité de servir de type à la plupart des éditions postérieures. En tète de la table est une liste chronologique des recueils qu'il a consultés, liste qu'on trouvera plus loin (p. cix-€xn). Le portrait qui accompagne le volume a été gravé, d'après Dumonstier, par St. Fessard.

Il y a, de cette édition, des exemplaires de trois sortes : pa- pier ordinaire, papier fort et papier de Hollande.

34 . Poésies de Malherbe, rangées par ordre chronologique» avec le Vie de l'auteur et de courtes notes. Nouvelle éditioB, revue et corrigée avec soin. A Paris , chez J. Barbou, X. Dcc. Lxiv. In-8 (avec un portrait gravé par L. J. Catfae- lin, daté de 176a, et portant cette indication fautive : iV. Z). Âtonstier pinxit) .

Dans l'avertissement, l'éditeur, Meusnier de Qnerlon, pré- vient qu'il reproduit l'édition de Saint-Marc ; seulement il lui a fidt subir d'assez nombreuses modifications. H a supprimé : lo la VU y par Racan , qu'il a remplacée par une notice qui a été souvent réimprimée dans les éditions postérieures; leZ>û- eomrs sur les obligations que la tangue et la poésie franfoise ont à Malherbe; 3* la Table raisonnee. Par contre il a réimprimé pour la première fois la lettre de Blalherbe à Louis XŒ.

35. Ijes mêmes. Paris , Barbou, m . dcc. lxxvi, in-8.

36. Poésies de Malherbe, rangées par ordre chronologique. A Genève, x. doc.lxxvu. (Édit. Cazin.) In-ia.

U n'y a dans ce volume que les poésies divisées en quatre livres, sans avertissement, préface , notice ni commentaire. £0 tète un portrait gravé par N. de Lannay, d'après Dumonstier.

37. Œuvres choisies de Malherbe. Paris , Didot, 1796, in-ia.

38. Poésies de Malherbe. A Paris, imprimé au Louvre par

I90TICE BIBLIOGRAPHIQUE. cv

Didot l'ainé, an V, x.DGc.xcyii, iii-4, papier vélin, tiré à 25o exemplaires.

Les poésies, dans cette magnifique édition, sont divisées en cinq livres : Odes, Stances, Chansons, Sonnets, Épigranunes. Après la notice biographique placée en tète se trouve une Taèle des pièces par ordre chronologique,

39. Poésies de Malherbe. Édition stéréotype , à Paris, de Tim- primerie de P. Didot Tainé, an VIII, in-ia.

C'est, ainsi que la suivante, la reproduction de l'édition in-4-

40. Poésies de Malherbe. Édition stéréotype. Paris , Didot l'aîné , an IX, in- 1 8.

41. Poésies de Malherbe et de Racan. Paris, Deterville, De- bray, 1801, in- 18.

Fait partie d'une collection de poètes français en quatorze vo- lumes in- 18.

4^. Malherbiana, précédé de la Vie de Malherbe, avec on choix de ses poésies , par Consin d' Avallon , Paris , Delan- nay, 181 1, in-i6.

43. Poésies de Malherbe. A Paris, de Timprimerie et de la fonderie de P. Didot Faîne, m. dgcc.xv, in-8.

Cest la reproduction de l'édition de 1 797 et le XXI« volume de la Collection des meilleurs ouvrages de la langue française, dédiée aux amateurs de l'art typographique.

44. Choix des poésies de Malherbe, avec des remarques par Jullien Lctertre. A Caen, de l'imprimerie de F. Poisson, 181 5, petit in-i8.

Ce livre est moins une édition de Malherbe qu'une étude litté- raire sur quelques-unes de ses poésies , qui même n'y sont pas rapportées en entier. Le commentaire est souvent intercalé entre les strophes. En tète un Discours préliminaire^ et un Éloge de Malherbe.

45. Poésies de Malherbe. Paris, Menard etDesenne, 18^1, in*i8, avec portrait.

46. Poésies de Malherbe , revues avec soin sur toutes les édi- tions de ce poète par P. R. Auguis, précédées d'une notice

GTi NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE.

biographiqae et suivies de la lettre de Malherbe à Louis XIII. Paris, Froment, i8aa, in-i8.

47. Poésies de Malherbe, suivies d'un choix de ses lettres. Édition nouvelle, avec des variantes et des notes. Paris, Janet et Gotelle, i8aa, in-8 (avec portrait gravé par De- quevauviller).

On y trouve un aTertissement , la vie de Malherbe par Meua- nier de Querlon, les poésies et quarante-huit lettres. Cette édition, Ton a suivi le texte de 1776, a été réimprimée en 1834 *ous le même titre, dans le même format et chez les mêmes libraires.

48. Poésies de Malherbe, ornées de son portrait et d'un fac- similé de son écriture. Nouvelle édition, dédiée à la ville de Caen. A Paris, J. J. Biaise, Bi.uccc.xxii,in-8, portrait.

Dans cette édition , dédiée par l'éditeur Biaise à la ville de Caen, les poésies sont rangées en quatre livres, suivant Tordre adopté par Saint-Marc. A la suite viennent la lettre à Louis XIII et la lettre de consolation à la princesse de Conti. Les notet sont rejetées à la fin du volume , elles occupent les p. 279 à 307. Le portrait placé en tête a été gravé par Dieu ; la notice est celle de Meusnier de Querlon. Le fac-similé reproduit un billet de Malherbe à Peiresc en date du 17 juillet 161 S.

49* Lettres de Malherbe, ornées du fac-similé de son écriture, dédiées à la ville de Caen, avec une vue de cette ville. A Paris, J. J. Biaise, libraire, m.dccc.xxii, in-8.

Ce volume, qui parut après Tédition des poésies que nous ve- nons d'indiquer, est uniquement composé des lettres de Mal- herbe à Peiresc, lettres conservées en original à la Bibliothèque impériale, et restées jusqu'alors inédites. L'édition est très- fautive. Le fac-similé de l'écriture de Malherbe, qui n'est peut- être pas joint à tous les exemplaires, est celui qui a été donné dans l'édition des poésies.

50. Poésies de Malherbe. Paris, L. De Bure, m. dccc. xxiii, gr. in-3a.

En tête, courte biographie et un portrait gravé par Ingonf. Les poésies y sont divisées en cinq livres.

5 1 . Poésiesde Malherbe, etc. Paris, Janet et Cotelle, 1 8249 in-8.

Cest la réimpression de l'édition donnée en i8aa par les

NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE. cvii

isémct libnirety ou pent-étre la même édidon Ton a on Doayean titre.

5a. Poésies de Malherbe. Paris, L. De Bure, x.dgcg.xxv, gr. iii-32.

Beprodnction de l'édition de iSaS, ou peut-être la même édition rajeunie par un nouveau titre.

53. Œuvres choisies de Malherbe, avec des notes de tous les commentateurs, édition publiée par L. Parrelle. Paris, Lefévre, i8a5, a vol. in-8 (XXV« et XXVI« volumes de la Collection des classiques français).

Le tome I*' de cette édition, faite avec soin, oomprend la He 4* MaUurhéy par Raoan^ avec un supplément^ et les poéaiet. Dans le tome second, on trouve : V* les Lettres choisies^ au nombre de quarante-huit; i9 Lettres et fragments de la correspondance avec Peiresc (soixante et une lettres , dont quelques-unes inédites) ; le Commentaire sur Philippe Desportes, qui avait été analysé dans ré«Iition de 1757, par Lell^vre de Saint-Marc (voyez plus haut, n^ 33) ; 4* Observations eritiques sur Tite Liée, C*est Vavertisse» meni placé par Malherbe à la suite de sa traduction de Tite Live ; 50 Pensées traduites ou imitées de Sénèque, Ce sont des pensées tirées de la traduction des Épitres.

54. Poésies de Malherbe. Paris, Dufour, 1827, ia-^S,

(Collection des classiques en miniature.)

55. Poésies de Malherbe, suivies d'un choix de ses lettres, avec un essai hbtorique sur sa vie et ses ouvrages , par M. Léon Thiessé. Paris, Baudouin frères, m. dccc.xxvih, in-8. (Collection des meilleurs ouvrages de la langue fran- çaise en prose et en vers.)

On y trouve un avertissement, un essai historique^ les poésies divisées en cinq livres (Odes, Stances, Chansons, Sonnets, Épi- grammes), et un choix de quarante-cinq lettres publiées anté- neurement.

56. Poésies de Malherbe. Paris, Lecointe, 1829, in-i8.

(Nouvelle bibliothèque des classiques français.)

57. Poésies de Malherbe, suivies d'un choix de ses let-

cviii NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE.

ires, etc., par M. Léon Thiessé. Paris, Pourrat frères, i83i,in-8.

C'est la reproduction (ou peut-être simplement un rajeunis- sement) de rédition donnée par le même auteur en i8a8. Hya eu aussi une réimpression portant la date de i838.

58. Œuvres complètes de Boileau, précédées des OEuvres de Malherbe, etc. Paris, Lefèvre, i835 , gr. in-8 à a colonnes.

59. OEavres complètes de Boileau, précédées des OEuvres de Malherbe. Paris, F. Didot, i838, gr. in-8 à a colonnes.

Cest la reproduction du numéro 58.

60. Poésies de François Malherbe, avec un commentaire inédit , par André Chénier, précédées d'une notice sur la vie de Malherbe et d'une lettre sur le commentaire. Seule édition complète, publiée par MM. deLatour. Paris, Char- pentier, 184a, in- 18.

n y a eu an nouyean tirage en 1 85 5. La rie de Malherbe placée en tète est signée Antoine de Latour. Elle est suivie d'une lettre

de M. Tenant de Latour à Mme la comtesse de Ranc au sujet

du commentaire écrit par André Chénier sur les marges d'un exemplaire de l'édition de 1776. A la suite des poésies, MM. de Latour ont ajouté le Bouquet des fleurs de Sénèque , réimprimé en 1834 par l'abhé de la Rue, et qu'il nous est impossible de reconnaître comme de Malherbe (yoyez plus loin, p. cxvn). Le volume est terminé par la lettre de Malherbe à Louis XIII.

61. OEuvres de Malherbe (poésie et prose), J. B. Rousseau et Écouchard Lebrun. Paris, F. Didot, 18 43, in- 12.

6a. Instruction de F. de Malherbe à son fils, publiée pour la première fois en son entier d'après le manuscrit de la Bi- bliothèque d^Aix. Caen, imprimerie de F. Poisson et fils, 1846, viu et 38 p. in-8.

La préface, signée Ph, de Chennevières, est datée d'Aix, fé- vrier 1844* Voyez plus loin, p. 33 1 et suivantes.

63. Couvres choisies de J. B. Rousseau^ suivies des meilleures odes de Malherbe, etc. Lyon, Pélagaud, et Paris, Pous- sielgue, i853,in-8.

Réimprimé en i854*

NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE. cix

64. Lettres inédites de Malherbe , mises en ordre par Georges Mancely conservateur de la Bibliothèque de Gaen. Caen, le Gost-Clerisse, i85a, 64 p. in-i8, avec fac-similé.

M. Maocel a classé et réuni dans cette brochure les lettres (an nombre de Tingt-sept) publiées antérieurement par M. Roux- Alpheran {Mémoires de l'jicadémie d'Aix^ 1840), par M. Miller (Revue de bib&ographie analytique, mars 184 1)» et par M. Hau- réau (Bulletin des comités historiques, i85o).

III

Anciens recueils de poésies (i 597-1 635) ou ont été insérées des pièces de Malherbe.

On tait que la plupart des poésies de Malherbe ont paru pour la première fois dans des recueils de tcts publiés depuis la fin du sei- zième siècle jusqu'à sa mort. Saint-Marc, qui s*est beaucoup senri de ces recueils pour coUationnerle texte de l'édition de i63oy en a dressé nne liste chronologique (Toyez son édition, p. 417 ^ 4^8), que nous reproduisons en la complétant. Dans les notes nous relerons les ▼ariantes et ici , nous désignons ceux dont il a fait usage par les lettres de Talphabet qu'il a adoptées pour les distinguer.

I. Diverses poésies nouvelles. Rouen, Raph. du Petit-Val , 1597, in-ia (A).

a. L'Académie des poètes françois. Paris, Ant. duBrueil, 1599, in-ia (B).

3. Le Parnasse des plus excellents poètes françois de ce temps, ou Muses françoises ralliées de diverses parts. Paris, Ma- thieu Guillemot, tome I, 1599, in-i6 (C). -—Tome II, 1600 (D).

Le même libraire a réédité plusieurs fois ce recueil , publié par Despinelles, en lui faisant subir d'assez nombreuses mo- difications. Je citerai l'édition de i6o3 (E), les deux éditions de 1607 (F, G), et celles de 1609 (H), de 1618 (O), et de ifii8.

cz NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE.

4. Les Muses gaillardes , recueillies des plus beaux esprits de ce temps, par A. D. B. (Antoine du Brueil). Paris, Antoine du Brueily in-ia (sans date).

U en a été publié en 1609 deux éditions (I) ; l'une Tpotîe seconde et l'autre dernière édition.

5. Nouveau Recueil des plus beaux vers de ce temps. Paris, Toussainct du Bray, 1609, in-8 (K).

Ce recueil y dédié à la Ticomteft$e d'Auchy, a été réimprimé i Lyon, Barthélémy Ancelin, 16 x 5, in- 13.

6. Le Temple d* Apollon, ou nouveau Recueil des plus excel- lents vers de ce temps. Rouen, Raphaël du Petit-Val, 161 1, a vol. in-ia (L).

7. Le Parnasse des plus excellents poètes françois. A Lyon, par Barthélémy Ancelin, a vol. in- 18 (M).

Saint-Marc n'a vu de ce recueil qu'un exemplaire sans fron- tispice, et a conjecturé qu'il était de 16x1. C'était peut-être l'é- dition de 161 8, dont il est question à la page précédente, n^ 3.

8. Les Délices de la poésie françoi&e, ou Recueil des plus beaux vers de ce temps , recueillis par François de Rosset. Paris, Toussainct du Bray, 161 5, a vol. in-8 (N).

Il y a des exemplaires qui sont datés de 16x8.

9. Le Parnasse des plus excellents poètes françois. A Lyon, par Barthélémy Ancelin, 16 18, a gros vol. in- 18.

Ce recueil, aussi à Despinelles , diffère notablement du Parnasse publié i Paris. Voyez ci-dessus, 3.

10. Le Cabinet des Muses, ou nouveau Recueil des plus beaux vers de ce temps. A Rouen , de Timprimerie de David du Petit-Val, 1 6 19, a vol. in- 1 a.

1 1 . Les Délices de la poésie françoise , ou dernier Recueil des pins beaux vers de ce temps. Paris, Toussainct du Bray, i6sio, in-8 (P).

la. Le Second livre des Délices de la poésie françoise, ou nou- veau Recueil des plus beaux vers de ce temps, par J. Bau- douin. Paris, Toussainct du Bray, 16210, in-8.

NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE. cxi

i3. Les Délices de la poésie françoîse ou dernier Recueil des plus beaux vers de ce temps , corrigé de nouveau par ses autheurs et augmenté d*une eslite de plusieurs rares pièces non encore imprimées, dédié à madame la princesse de Conty. A Paris, Toussainct du Bray, i6ai.

Comme le dit le libraire dans son Aris aux lecteurs, c'est un abrégé des deux éditions précédentes de ce recueil. Il annonce que c ceux des auteurs qu'il a l'honneur de connoistre et cpi se sont rencontrés à Paris ont corrigé eux-mêmes leurs Ters. «

i4* Le Bouquet des plus belles fleurs de Téloquence cueilli dans les jardins des sieurs du Perron, du Vair, Daudi- gnier, du Rousset, CoifTetaud, Bertaud, Malerbe, la Brosse, la Serre. Paris, Billaine, i6a5, in-8.

Les noms des poètes sont placés dans autant de fleurs réunies dans un rase.

i5. Recueil des plus beaux vers de messieurs de Malherbe, Racan, Maynard, etc. Paris, Toussainct du Bray, i6a6, in-8(R}.

D'autres éditions , ou peut-être seulement des exemplaires de 1616 rajeunis par de nouTeaux frontispices, sont datés de 1627 (R), i63o, i638, etc.

i6. Le Séjour des Muses, ou la Cresme des bons vers, tirea du meslange et cabinet des sieurs de Ronsard, du Perron, Aubigny père et fils, de Malherbe, etc. Rouen, chez Tho- mas Daré, i6a6, in-ia.

17. Le Séjour des Muses, ou la Cresme des bons vers, etc. Rouen, Martin de la Motte, i63o, in-8 (S).

18. Le Doux Entretien des bonnes Compagnies, ou le Recueil des plos beaux airs à danser, le tout composé depuis trois mois par les plus rares et excellens esprits de ce temps. A Paris, chez Jean Guignard, au quatriesme pillier de la grande salle du Palais, m.dc.xxxiv, in-ia.

On y trouTC sous le numéro 34 une chanson qui est indiquée comme étant de 0 Monsieur de Malherbe. > Nous donnons plus loin (p. cxx) cette pièce qui n'avait jamais été recueillie, et sur l'attribution de laquelle nous avons les plus grands doutes. Elle

czii NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE.

a été signalée ponr la première fois, aTec un toniiet à Perrache (qae Ton trouyera plus bas), par M. Éd. Foumier dans le nu- méro de t Artiste du iS septembre i85o, p. lao.

19. Le Sacrifice des Muses au grand cardinal de Richelieu. Paris, Seb. Cramoisy, i635, a part. in-4.

C'est Bois-Robert qui a été Téditeur de ce recueil.

IV

Ouvrages dii^rs conienarU des pièces de Malherbe.

1 . Le Triomphe du Berian, sont déduites plusieurs des trom- peries du jeu et par le repentir sont montrez les moyens d^éviter le pesché, par le capitaine I. Perrache, gentilhoomne provençal. Paris, par Math. Guillemot, i585. Avec privi- lège du Roy, 8.

Il parut de ce livre une deuxième édition en iSSj, ou ponr mieux dire on se borna à rajeunir la première en lui donnant le titre suivant : La vanité du jeu^ la misérable condition et fin dam~ nable de ceux qui le suyvent et les mojrens de s'en tirer, poëme très excellent et nécessaire à ceux qui font profession de la guerre ^ vo- lontiers addonnez à ceste malheureuse escolle herlandiere.

En tête du volume se trouvent huit pièces latines, proven^les et fran^ses, par F. du Perrier, la Bellaudière, Thomassin, C. de Nostredame. La dernière est un sonnet de Malherbe à Perrache, sonnet qui n^avait point encore été recueilli, et que nous avons connu trop tard pour Tinsérer à son rang dans notre édition. Nous le donnons ici. Cest M. Edouard Foumier qui Ta men- tionné le premier dans l'artide indiqué plus haut.

A MONSIEUR nSRBÀCRB.

Le guerrier qui, brûlant, dans les cieux se rendit. De monstres et de maux dépeupla tout le monde, Arracha d'un taureau la torche vagabonde, Et sans vie à ses pieds un lion étendit ;

Anthée dessous lui la poussière mordit, Inégal à sa force à nul autre seconde.

NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE. cxiii

Et THydre, si souTent i renaître féconde. Par un coup de sa main les sept têtes perdit.

De tout ce qui troubloit le repos de la terre Le Berlan seulement fut exempt de sa guerre, N^osant pas sa vertu poursuivre ce bonheur.

Peirache qui s*émeut d'une sainte colère. L'attaque, le combat, et remporte rhonneur D'avoir fait un travail qu'Alcide n'a su faire.

a. Recueil des cartels et défis pour le combat de la barrière. Paris, i6o5, in-itt.

Voyez pièce xvi.

3. L'Art d'embellir, par le sieur Flurance RivauU. 1608, in-8. Voyez pièce xxvni.

4 Recueil des vers du balet de la Reyne. Paris, 1609, iri-ia. Voyez pièce xu.

5. La Jeunesse d'Estienne Pasquier et sa suite. Paris, chez Jean Petit-Pas, 161 o, in-8.

Voyez pièce i.

6. Recueil des vers lugubres et spirituels de Louis de Chabans, S' du Haine. Paris, 161 1, in-8.

Voyez pièce i.vi.

7. Les Trophées de Henry le Grand. Lyon, 161 1, in-4.

On y trouve la pièce un.

H. Le Camp de la place Royalle. Paris, 16 12, in-4. Voyez pièces Lvin et ux.

9. Théorèmes sur le sacré mystère de nostre Rédemption, par J. de la Ceppede. Toulouse, 161 3, in-'A*

Voyez pièce lx.

10. Recueil de diverses inscriptions proposées pour remplir les tables d'attente éuns sous les statues du roi Charles VII et de la Pucelle d'Orléans. Paris, 161 3, et i6«8, in-4«

Voyez pièces rxi et Lxn. MAUisaini. i ^'

cxnr NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE.

II. Description du ballet de Madame, sœur, aisnee du Roy. Paris, i6i5. Lyon, pour François Yvrad, m.dc.xy, 3a p. in-8.

Voyez pièoet Lxxn et jjoaa,

la. Airs de cour. Paris, P. Ballard, i6i5, 1617, i6a4, in-ia. Voyez pièces xjnrui, ULxm, lxxxtui.

i3. Les Décades qui se trouvent de Tite live en François.... par B. de Vigenere. En cette dernière édition est aionsté ce qui defailloit au troisiesme liure de la quatriesme décade, trouué en un vieil liure de la bibliothèque du Chapitre de Bamberque, et traduit en François par le S' de Malherbe. Avec Priuilege du Roy. A Paris, chez la vefve L'Angelier, in-fol. Tome I, m.dc.xtii, tome II, m.dcxvi.

C*est dans le tome II, imprimé avant le tome I, que te trouTe la traduction de Malherbe, placée, comme l'indique le titre, dans la quatrième décade. EUe est précédée de la note suivante : c Ce troisiesme livre de la quatriesme Décade est en partie de la tra- duction du sieur de Malherbe, en partie de celle du sieur de Vigenere. Ce qui est traduit par le sieur de Malherbe est la par- tie qui defailloit jusqnes à cette heure et qui a esté nouvellement trouvée; à sçavoir depuis le commencement du livre jnsques à la description de la rille de Leucade, et finît ainsi : D*en9iron cinq cent pas de long et six vingts de large. La traduction de Vi- genere recommence en ces mots : En ce destroict est située la vUle de Leucade f etc. «

On lit de plus, dans Y Extrait du privilège du Roy: c Par graoe et privilège du Roy, il est permis à Françoise de Louvain, vefve de feu Abel L*Angelier, d*imprimer ou faire imprimer , vendre et distribuer le troisiesme livre de la quatriesme Décade de Tite Live^ tourné en françois par le sieur de Malherbe.... Donné à Paris, le cinquiesme jour de septembre. Tan de grâce mil six cens seize, et de nostre règne le septiesme. 1

14. Airs de différents auteurs mis en tablature de luth. Paris, P. Ballard, i6i7,in-4*

1 5. Les Poèmes divers dn sienr de Lortigues, provençal. Paris, J. Gesselin, 1617.

Voyez pièce lxxv.

NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE. cxv

16. Le Pourtraict de l'Eloquence françoise, par J. da Pré. Paris, i6ai, in-8.

Voyez pièce Lxxxm.

1 7. Recueil de lettres nouvelles, publié par Faret. Paris, Tous- sainct du Bray, 16217, in-8.

Le priTÎlége est du 17 man 1627. Il y a dans ce Tolume neuf leuret de Malherbe, qui occupent les quatre-TÎngt-dix- neuf premières pages.

18. GCuTres de Ronsard. Paris, 17^3, in-fol.

On troaye, au tome I, Tépigramme (Toyez pièce lxxxt) snr la portndt de Gassandre.

19. Discours sur les arcs triomphaux dressés en la ville d*Aix à l'heureuse arrivée de Louis XIII, en 16%^, Aix, Tholo- san, 16^49 in-fol.

Voyez pièces Lxxrn et lxxxtu.

20. Somme théologique, par le P. Garasse. i6a5.

Voyez pièces xcvi et xcrii.

1kl. Philine, ou T Amour contraire, pastoralle, par le sieur de la Morelle. Paris, i63o, in-8«

Voyez pièce ori.

ai. Continuation des Mémoires de littérature de M. de Sa- lengre. 1726, tome I.

Voyez pièce cv.

^3*«

PIÈCES

ATTRIBUÉES A MALHERBE,

En 1776 les Affiches de Normandie signalèrent comme exis- tant dans un manuscrit de la Bibliothèque du Roi un rondeau sur rimmaculée Conception, rondeau qui portait le nom de Malherbe. Cette pièce ne fut pourtant publiée qu'en i855, par M. G. ManceP, d'après une copie transcrite dans un manuscrit de la Bibliothèque de Caen , intitulé : les Trois siècles palino- diques^ de Tabbé Guyot. En voici le texte, que j'ai revu sur le manuscrit qui se trouve encore aujourd'hui à la Bibliothèque impériale * :

Rondeau oit la Vierge réfute Une disjunetive improiabU^ Faisant sa contraire probable^ Qui evidamment la con/ute.

MALHEBBB.

Ou Dieu a peu ce qu'il n'a roolu fere : On a voulu et n'a peu ce parfaire ; On il a peu et voulu , et n'a faict Que mon corps fust en nature parfaict. Chacu^ implique , et l'opposite infère , Qu'il soit ainsy, raison peult satisfaire Pour son vouloir, son vouloir ne diffaire A son povoir, ne le vouloir au faict. Ou Dieu a peu.... Ou a voulu. .. Ou il a peu....

Droict filial en grâce me préfère

Aux aultres corps, et tant d'honneur confère

I. Rondeau inédit de Malherbe sur l'immaculée conception, Caen, le Go8t*Clerisse, i855, 8 p. in-8. Tiré à cinquante exemplaires, a. Fonds françau, n9 3oo (olim 6989), in-u>I. sur vélin.

PIECES ATTRIBUÉES A MALHERBE, cxvii

Qne filft pour mère a pea mettre en efTect ; Par conséquent la loy de vice infect A mon concept formellement défère. Ou Dieu a peu....

Si M. Mancel avait recoom à ce manuscrit, il n'aurait pas hésité un instant à reconnaître à quel point était peu fondée cette attribution d*un pareil rondeau. En effet, par son écri- ture gothique et ses miniatures, le manuscrit est certainement antérieur à i54o^; or, Malherbe est en i555. D'ailleurs, i défaut d'autre preuve, le style de la pièce su£Brait seul à démontrer que jamais il n'a pu être l'auteur d'un pareil gali- matias.

Le Malherbe qui a laissé cet échantillon de son talent poé- tique appartenait-il de près ou de loin à la famille de Fran- çois? Je n'en sais absolument rien, et la chose, à vrai dire, est fort indifférente.

En 1 834 M. l'abbé de la Rue réimprima*, dans le tome III de ses Essais historiques sur les hardesy les jongleurs et les trouvères mormands et anglo^normands^ un opuscule publié en i Sgo, sans nom d'auteur , sons le titre de : le Bouquet des fleurs de Sé^ fiêque, Caen, chez Jacques le Bas, in-4. C'est un recueil de huit odes, traitant de sujets philosophiques, et ayant chacune one épigraphe tirée de l'écrivain latin. Le livre est imprimé à Caen, patrie de Malherbe ; il est inspiré de Sénèque, dont Mal- herbe a traduit les Bienfaits et les Èpttres* : voilà , à ce qu'il me semble, les seules raisons qui ont pu porter M. de la Rue

I. Dant son Catalogue des manutefus (tome III, p. ^67], M. Paulin Paris n*hésîte pas à aatigner au manuscrit la date de i536 ou iSSj. n Booa semble que les vers mêmes sont bien antérieurs à cette date.

9. Il en fut fait la même année un tirace à part intitulé : le Bouf- ftet desfieurs de Sénèque ^ poésies inédites de tâMerbe^ Caen, Mancel, 1834» p. gr. in-8.

3. 0 n'était pas besoin d*étre traducteur de Sénèque pour com- poser un pareil Bouquet ; longtemps avant i $90, on avait publié : Flores Stneem exoerpfi abErasmo, emendati ab Ant. Goino, Anvers, i539, iD-8; Flores uiriusque Senects morales ^ Paris, Gorbinus, i574f in-ia; Fions SeneesB de moribus^ sans date, in-8, etc.

cxviii PIÈCES ATTRIBUÉES A MALHERJBE.

à l'attribuer à Malherbe. Je dis : à ce qu'il me semble; car il n'en a donné aucune et s'est contenté d'émettre ses assertions avec une assurance aussi grande que si le nom de Malherbe eût figuré sur le titre et que le poète eût raconté dans une pré- face l'histoire de ces poésies ^ Or, comme je viens de le dire, le volume de i Sgo est anonyme ; on n'y trouve ni dédicace, ni préface , ni avertissement, ni privilège quelconque, c'est-à- dire pas une seule de ces pièces qui peuvent fournir des rensei- gnements; et, de plus, l'examen des vers, loin d'être favorable à la thèse de M. l'abbé de la Rue , fait au contraire arriver à des conclusions diamétralement opposées.

D'abord, si Malherbe eût été réellement l'auteur de ces poé - sies, qui ne manquent pas d'un certain mérite, il serait malaisé d'expliquer qu'aucun souvenir ne s'en fût conservé dans les écrits de ses compatriotes et de ses contemporains, et qu'on n'en retrouvât pas la moindre trace soit dans sa correspon- dance, soit dans sa Fie par Racan. Pourquoi d'ailleurs n'au- rait-il pas signé ce livre? il n'en était point à ses débuts, puisque trois ans auparavant, en i587, il avait publié à Paris les Larmes de saint Pierre.

A ces difficultés viennent s'enjoindre d'autres tirées des vers eux-mêmes. Quelques-uns n'ont jamais pu être écrits par Malherbe, comme :

S'un fils ingrat aux bienfaits de son père. Qui n'a vu rC Athènes ni Rome ;

1. t Loin de la cour et de la capitale, dit M. l'abbé de la Roe, c'est dans la solitude qu'il (Malherbe) médite et se pénètre de la mo- rale de Sénèque, en traduisant presque toutes ses épitres ; et sa philo-* Sophie le charme tellement, qn elle inspire bientôt sa muse; aussi le sujet de ses premières «des est-il toujours pris dans une sentence du philosophe q^ui fait ses délices , et comme , par sa naissance et son mérite, il était en rapport avec les familles les plus distinguées de la Normandie, c'est aux personnes les plus marquantes de cette proriiice qu'il adresse ses premières productions. Malherbe les réunit en 1S90 elles fit imprimera Caen, sous le titre de Bouquet des /leurs de Sé^ nèque. Cet ouvrage passa absolument inaperçu dans la capitale, alors dominée par la Ligue, et dans les provinces agitées par la guerre cirile ; aussi est-il devenu excessivement rare et absolument inconnu aux premiers comme aux derniers éditeurs des opuvres de Malherbe. » (Tome III, p. 355.)

PIÈCES ATTRIBUÉES A MALHERBE. cxix

oa bien encore ceux-ci, dont il se serait moqué s'il les avait IrooTés dans Desportes :

Un ruisselet argentelet,

Au bord mousselet, douoelet, etc.

Puis est-ce bien Malherbe qui a pu dire en 1 590 :

Si met parents sont morts, ils ont payé la dette Qu*on doit en ce séjour,

quand son père et sa mère vivaient encore? En oitre, dans ces vers parsemés d*invectiTes contre les nihéisies sans souci et les pourceaux tPÉpicure^^ règne un profond sentiment philoso- phique et religieux qui s'accorde peu avec ce que Ton sitit de !>on genre de vie et de son caractère , et dont on ne rencontre aucun vestige dans ses écries.

n me semble que la discussion peut se résumer ainsi : d'un côté, aucune espèce de motif plausible pour attribuer ces pièces à Malherbe; de l'autre, raisons suffisantes pour lui en refuser la paternité. On ne s'étonnera donc pas de ne point voir figurer dans notre édition ie Bouquet des fleurs de Sénèque*.

Dans le tome III (p. 354) du même ouvrage, M. Tabbé de la Rue mentionne, comme se trouvant dans un manuscrit du doc- teur J. de Cahaignes, dont nous avons déjà parlé (p. x), la tra- duction en vers par Malherbe, alors âgé de vingt ans, d'une épi- taphe composée en latin par ledit de Cahaignes. On ne sait à Caen, du moins c'est la réponse qui m'a été faite, l'on peut trouver cette pièce. Dans le même article il a donné le son- œt à Perrache (voyez plus haut, p. cxu), M. Éd. Fournier a encore réimprimé une chanson qu'il a tirée du Doux enire^ tien des bonnes compagnies ^ 1634» in-ia. Ce livre est un recueil

I . Vojes Tode IV , qui commence ainsi :

Je hais le mignon médisant.

J*ai rencontré cette pièce dans plusieurs de ces recueils manuscrits que nos pères aimaient tant à former , mais elle ne portait point de nom d*aatciir.

s. On le trouvera dans Tédition des poésies de Malherbe donnée par MM. de Latour (bibliothèque Charpentier, 184a, in- 18). Il y m placé à la fin, sous le titre de Poésiet Je la jeunesse Je UaUierbe. £0 i 590, Malherbe avait trente-cinq ans.

cxx PIÈCES ATTRIBUÉES A MALHERBE.

de chansons composées depuis trois mois, dit le titre. Une seule pièce (le 34) y porte un nom d*auteur; c^est la pièce qui est attribuée à Malherbe et que voici :

PAR MONSIEUR DE MALHERBE.

Belle y quand te lasseras -tu De causer mon martyre ?

Je n*ons ni biauté ni yartu ; Cela vous plait à dire.

Portez vos biaux discours ailleurs, Car je n*ainuons point les railleurs.

Je ne te raille nullement Quand je te nomme belle.

Je sommes belle voirement, Mais c*est à la chandelle ;

Ce niantmoins pas un sermonneur N*a rien gannié sur notre honneur.

Tu sais bien, si tu me connois, Que je ne dissimule.

Vous donnez le goût à la noix, Vous sucrez la pilule;

Framis qui ne vous connoitroit Peut bien dire quUl en tenroit.

Faut-il voir tant de cruauté Parmi tant de mérite?

Si vous appelez laideur beauté, J*avons sen que vous dite ;

La, la, Monsieur, tous vos rébus Ne passont point pour Jacobus.

Il n*y a beauté sous le ciel Qui soit à toi semblable.

Si vous voulez parbolizer. Allez à tous les diable,

Avecque tout votre jargon Qui ne vaut pas un patagon.

En France, je suis admiré Comme chose adorable.

Si vous vous étiez bien miré.

PIÈCES ATTRIBUÉES A MALHERBE, cxxi

Vous iriez à Fétable ; Car vous êtes an âne bien fait. Tant en paroles qu'en effet.

N'aimer pas un sujet si beau,

C'est faire mille crimes. Cest à Nicolle do Poinciau

Qu'il faut conter ces rimes. A répondra, car eHe a lu Les livres du père Goullu *.

Je ne peux me figurer que Malherbe ait composé de pareils ▼ers. Le titre du volume portant que la pièce en question, comme toutes les autres, était, en i634, composée depuis trois moisj ne suffit-il pas pour éveiller la défiance, car à cette date il y avait cinq ans que Malherbe n^était plus de ce monde? L'erreur est si grossière que, pour l'expliquer, j'avais d'aliord supposé que ce recueil était une réimpression d'un livre publié antérieurement et dont on aurait seulement rajeuni la date. Mais le privilège est bien de i634 (la juillet). Mon hypothèse est donc inadmissible. Enfin, le style de la chanson est tel, il diffère si complètement de tout ce que l'on connaît de notre poète, que je n'hésite pas à croire qu'il y a eu ici supercherie ou erreur du libraire*.

On trouve dans le tome III, p. 378 , de l'édition de Talle- mant des Réaux, par M. P. Paris, une notice sur la célèbre Mme des Loges, notice tirée des manuscrits de Conrart, et dans laquelle on lit ce qui suit :

« Il a été fait une infinité de vers et autres pièces à sa louange, et il y a un livre tout entier, écrit à la main, rempli des vers des plus beaux esprits de ce temps, au frontispice

I. Dom Jean Goulu, général des Feuillants, mort en 1629. Il a publié entre autres douze lettres de Philippe à Ariste, il critique TtTement Balzac. On a fait sur lui une épitaphe qui commence ainsi :

Ci-git non un goulu de vibres,

Mais un goulu des meilleurs livres, etc.

a. Le fib de Blalherbe avait fait des vers qui sont perdus. Cette chanson serait-elle de lui ? Je donne cette conjecture pour ce qu'elle ▼aut.

cxxii PIÈCES ATTRIBUÉES A BIALHERBE.

duquel sont écrits ceux-ci , qui ont été faits et écrits par feu M. de Malherbe :

Ce livre est comme un sacré temple , chacun doit , i mon exemple , Offrir quelque chose de prix. Cette offrande est due à la gloire D*une dame qoe Ton doit croire L'ornement des plus beaux esprits, i

Ces vers, qui sont sans doute de Malherbe, n*ont ppînt en- core été réunis à ses Œuvres. Nous en dirons autant d'une épigramme citée dans sa Fie^ par Racan ; mais de telle nature qu'il est impossible de la faire figurer dans notre édition ^

On trouve encore dans quelques recueils imprimés ou ma- nuscrits des pièces signées du nom de Malherbe. Ainsi le Chaa^ sonnier Maurepas (tome XXIV, p. a58) donne comme étant de lui Tépigramme bien connue contre le parasite Montmor :

Montmor plus goulu qu'un pourceau,

épigramme qui est de Malleville.

Dans un recueil du dix-huitième siècle (t Élite des poésies fugitii*es^ 1769, tome OLI, p. a4) on rencontre le madrigal suivant :

Le soleil ici-bas ne roit que vanité ,

De vices et d'erreurs tout l'univers abonde;

Mais aimer tendrement une jeune beauté

Est la plus douce erreur des vanités du monde.

U est signé Malherbe , mais rien ne prouve qu'il soit de notre poète.

L'ancien catalogue imprimé de la Bibliothèque impériale mentionne un petit opuscule fort rare qui y est classé à l'ar- ticle de Malherbe : il est intitulé : Quatuor orationes de fati principata habita in gjrmnasio Ferrato^ ab ingenuis adoles-

I. Le Bulletin du Bouquiniste annonçait , en 1857, comme conte- nant entre antres des vers inconnus de Malherbe, un recueil intitulé : Hortus epitaphioruM^ 1666, in-8. Tontes les pièces de Malherbe qui y figurent se trouvent dans l'édition de i63o.

PIÈCES ATTRIBUÉES A MALHERBE, cxxiii

eentibus Franc, Malherbe^ Juliodunensi ^ Philiberto de Boire y Jndegan^nsi^ EUario Guibert, Safmuriensi\ et Fincentio Rochin^ Turonensi. Cal. sept. i6oa, authore Lud. Rochaeo, Ambiano, ejosdem collegii Primipilo, necnon Parisioriim Cholere» domus alumno. Andegavi, apud Joannem Hernault. (78 p. in-4 par 1^ signatures, mais de format in-ia.) —La dédicace à Balesdens, curé de Saint-Séverin , est datée de la veille des calendes de septembre 160a.

Inutile de dire qne, malgré le prénom, il ne s'agit pas ici de notre Malherbe. En 1602 il avait quarante-sept ans, et n'était plus d'âge à passer ponr un ingenuus adolescens. De plus , ce François Malherbe, harangueur, était, comme on le voit par le titre, citoyen de Loudun, ce qui nous met un peu loin de la viHe de Caen.

DES PORTRAITS

DE MALHERBE

On coniuât, ou du moins on connaissait (car je ne sais si tous trois existent encore aujourd'hui) » trois portraits contempo- rains de Malherbe. L'un, peint par Finsonius, appartenait au siècle dernier à H. Boyer d*AguilIes (ou d'Éguilles), et fut gravé avec le reste de la riche collection de cet amateur'. Au bas de la gravure exécutée par Coelemans on lit : Finsonius Belga pittxit i6i3. Or Malherbe en i6i3 avait cinquante- huit ans, et le portrait le représente à Tâge d'environ trente ou trente-cinq ans ; de plus, en cette même année i6i3, Malherbe ne quitta Paris que pour aller à Fontainebleau, tandis que Finsonius resta en Provence '. Il faut donc, ou que la date soit

I . Becueil Jtettampet d après Us tableaux des peintres les plus célèbres d'Italie, des Pays-Bas et de France, qui sont à Aix, dans le cabinet de M, Boyer itÀguUles , procureur général du Roy au parlement de Pro- vence, graTées par Jacques Coelemans d'Anvers, par les soins et sous la direction de Monsieur Jean-Baptiste Boyer d*Aguilles, conseiller au même parlement , avec une description de chaque tableau et le por- trait de chaque peintre. A Paris, chez P. J. Mariette, iidccxi.iv, in-fol.

Une première édition, mais moins complète, avait paru en 1709.

A la page 1 1 , se trouve la notice suivante :

c Portrait de François de Malherbe, gentilhomme ordinaire du Roy » et le plus grand poëte de son siècle, peint en 161 3 par Finsonius, peintre flamand , peu connu hors de la Provence, il avoit établi son séjour, mais qui cependant a fait, dit-on, des portraits qui peu- vent aller de pair avec ceux de Vandyck. Celui-ci, qui est un de ses plus beaux, est passé à titre d'héritage dans la famille de Messieurs Boyer, avec les livres et les manuscrits de Malherbe. Jean-Baptiste Boyer, un de leurs ancêtres , mort dojen du parlement de Provence en 1637, dont on trouvera ci-après le portrait, étoit beau-frère de ce restaurateur de la poésie françoise. Ils avoient épousé les deux sœurs. Les plus grandes alliances n*ont rien de préférable à celle d'un homme aussi rare que celui-ci. >

a. Voyez sur Finsonius (Louis Finson, de Bruges) la longue et

DES PORTRAITS DE MALHERBE. cxxt

fausse ou , ce qui est plus probable , que Finsonius ait copié un portrait fait une vingtaine d'années auparavant. La gravure de Goelemans n'a été reproduite qu'une fois, et en lithographie, par Rulmann; l'éditeur ou l'artiste a ajouté au bas cette indica- tion erronée : I^ après un iabieiui de Diunoutier,

Le second portrait est un crayon du célèbre Daniel Du- monstier', ce bizarre personnage sur lequel Tallemant des Réaux nous a laissé une charmante historiette. II avait été fait pour Peiresc, qui Tavait commandé à Tardste et eut toutes les peines du monde à l'obtenir. La correspondance inédite du sa- vant antiquaire nous offre à ce propos quelques détails pi- quants qu'on nous permettra de transcrire ici.

Le 1" avril 1607, Peiresc écrit d'Aix à Dumonstier : « Ne laissez pas de me faire savoir ce qu'il vous faut pour le prix des peintures de M. le président (du Vair) et de M. de Malerbe, et je vous ferai quand et quand payer de par delà; car il me tarde bien d'avoir ces portraits-là. M. de Malerbe m'a bien reconunandé souvent de vous envoyer vos poissons, mats il ne m'a pas encore dit d'avoir la peinture en dépôt, comme vous dites. Je le crois pieusement en attendant de vos nou- velles » et vous supplie de faire état de moi comme de votre, etc.*. »

Dumonstier, grand amateur de curiosités, paresseux et peu délicat de sa nature, Dumonstier, « ce maraud indigne de la oonnoissance des gens d'honneur, » comme l'appelait Dupuy*, sut exploiter Féloignement et la générosité de Peiresc et se

cnrieufe notice placée en tète da tome I det Âecherehes sur ia vie et tes ouvrages de quelques peintres provinciaux de F ancienne France , de Ph. de Pointel (de Ghennerièret). Paris, Dumoulin, 1847» i^~8. Voyez aussi dans le même Tolume (p. 98 à 140) une description déuillce de la coilectioa de M. Boyer d'Agnilles.

I. On écrit ordinairement Damoustier; mais l'orthographe Téri- table est Dumonstier. Du moins c'est ainsi qu'il a signé ses portndts et des Ters insérés dans les recueils du temps. Une importante collec- tion de tes crayons est au cabinet des estampes de la Bibliothèque impériale. Celui de Malherbe n'y figure pas, et l'on ne sait ce qu'il est devenu.

1. Bibliothèque de Garpentras, manuscrits Peireso, Reg. xu, tome I, I* 447 ^t suivant.

3. Lettre inédite de P. Dupuy à Peiresc, Bibliothèque de Carpen- tias, manuscrits Peiresc, Reg. xu, tome II, f^ 91.

cxxvi DES PORTRAITS DE MALHERBE.

sans remords accabler par liû de poissoDs, de lézards et de reproches'.

Le I*' juillet de la même année Peirese était obligé de lui écrire encore : « Je porte bien impatiemment Tattente si longue des portraits de M. du Vair et de M. de Malerbe. Je vous sup- plie de ne me faire point tant languir et de quitterquelque antre besogne pour y mettre la dernière main et me les envoyer par le premier messager. Je vous assure que je vous en aurai trois fois autant l'obligation que si vous attendez tant de me donner ce contentement. Il y a déjà plus de quatre mois que vous m'a- viez écrit que vous les aviez mis en déposition chez M. de Malerbe , et toutefois vous me confessez maintenant qu*ils ne sont point achevés. Si vous n'êtes plus soigneux de votre répu- tation, vous voyez bien pour qui on vous prendra. Je vous en supplie de tout mon coeur; et pour un coup d'éperon, je vous envoie un lézard qui fut porté* dernièrement du grand Caire, en Egypte, etc.'. » Le i a octobre, nouvel envoi de poissons; aussi le la du mois suivant Malherbe écrivait à Peirese: c J'oubliois à vous dire que le sieur Dumonstier est si content de vous qu'il n'est pas possible de plus : il vous eût envoyé le portrait de M. le premier président, et à M. du Perrier, celui de M. le cardinal du Perron; mais il attend que le mien soit achevé, ce qui sera, Dieu aidant, cette semaine^. > Mais la se-

I. Le 17 ayril Peirese lui parle encore des portraits et du paye- ment, et lui annonce qu'il lui expédie des poissons curieux. On lit aussi à la date de 1607 dans la Vie de Peirese par Gassendi qne nous aTODs citée pins haut (p. xx) : c Quin etiam mîttens Parisiot, adjec- c tam Yoluit congeriem diversisaimam oonchyliorum et piscinm, qui « monstrosa forma in mari Mediterraneo visuntur, itemque pellem t feiis mariai et . innumera alia, qoB destinavit prassertim ad pieto- a rem celebrem Danielem Monstenum a quo exspectabat iconet Variî, Thuani, Casauboni atque Malherlni. » (Fin iUustr'u NicoUd Clamdu Fabricude Peirese vita per Peirum Gassendum, p. 107.)

1. Apporté.

3. fiibliothèque de Carpentras, manuscrits Peirese, Reg. xi.t, tomel.

4. « Le sieur Dumonstier vous prie de l'excuser (écrit Malherbe à Peirese le ao janrier 1608) , à cause du temps qui est si rigoureux qu'on ne peut travailler; car certainement il n y aToit ordre (moyen) de manier le pinceau. Je le presserai , aussitôt qu'il dégèlera , de sa- tisfaire à votre désir. 9

DES PORTRAITS DE MALHERBE. cxxvii

maîne se pass^, oelle-là et bien d'autres, et Peiresc, ne voyant rien venir, lui expédia, le %6 avril 1608, une nouvelle caisse « il 7 a tout plein de poissons étranges de notre mer.... espérant que cela Texciterolt à lui envoyer les portraits. > -^ c U ne fiant point perdre de temps, ajoutait-il, car si M. de Malerbe vous échappe encore, vous ne le recouvrerez point facilement. J'entends qu'il s'en va en Bourgogne avec Monsieur le Grand^ dont je ne pense pas qu'il puisse être sitôt de retour ^ » Du- moiistîer dut terminer son travail vers cette époque, car c'est la dernière fois qu'il en est question dans la correspondance de Peiresc et dans celle du poëte.

A moins, ce qui est bien peu probable , qu'il n'en existât un antre exécuté aussi par D. Dumonstier, c'est le portrait fait pour Peiresc et représentant Malherbe à l'âge d*environ dn- quante-trois ans, qui fut gravé après sa mort, d'abord par Yosterman ' pour orner la première édition de ses couvres (i63o), pois par Briot*. Ces deux gravures, fort belles, ont servi de type à cette multitude de portraits de toute grandeur^ publiés depuis le dix-septième siècle, et qui, altérés successi- vement, ont fini par devenir complètement méconnaissables.

Le portrait qui accompagne notre édition est une reproduc- tion fidèle de la gravure de Yosterman.

Enfin il existe à la Bibliothèque de Caen, mais je ne puis en parler que par ouï-dire, nn troisième portrait qui parait être de la première moitié du dix-septième siècle. C'est peut-être nn des deux portraits dont il est question dans les dernières lettres de Malherbe à son cousin M. de Bouillon : il lui écri- vait le ai décembre 1627 : c Pour avoir mon portrait vous n'aves que faire de gageure. La demande que vous m'en faites

I. Bibliothèque de Carpentras, manaserits Peiresc, Re^. xxi, tome II, fo 44^^ yo.

9. « Je suis bien aise que Wostreman se soit trouvé pour tailler son portrait, » écrit Peiresc à Dupuy le 17 juin i63o. (Bibliothèque impériale, collection Dupuy, manuscrit 717, p. 97.)

j. Voyez l'édition des OEwret^ de i638, et celle des Épures de Sénèque, de 1648.

4- lien existe TÎnfit 'huit (grarures ou lithographies) au cabinet des estampes delà Bibliothèque impériale. En 181 5, une souscription fut ouverte à Caen , par les soins de M. P. A. Lair, et le produit serrit à frapper une médaille qui fut gravée par M. A. Gatteaux.

cxxTiii DES PORTRAITS DE MALHERBE.

est trop obligeante pour ne la vous accorder pas. Je désire seulement que vous me donniez temps jusqnes à ce que nous soyons dans les chaleurs. Il est vrai que je n'ai jamais que mauvaise mine, mais en hiver je Tai pire qu'en été. Je vous en ferai donc faire un ce mois de mai, et en ferai faire un autre pour me faire mettre en médaille, pour en tirer une cinquantaine et de cette façon satisfaire à beaucoup de per- sonnes qui me font la même prière que vous. Il y a une dou- zaine de mes parents ou de mes amis à Gaen à qui j*en veux donner. Il m'en faut pour cette ville et pour Provence. Ce ne seroit jamais fait de m'amuser à me faire peindre. » Le a I janvier suivant, il lui renouvelait sa promesse pour le mois de mai. LVt-il tenue? cela est probable, et il est fort possible que Tun de ces portraits soit celui que l'on conserve à la Bi- bliothèque de Caen.

Quant à la statue de pierre que Segrais éleva à Malherbe, au portrait en pied exécuté par Robert Lefèvre, à la statue de bronze par Dantan qui se trouve à Gaen , et à une antre statue de pierre qui figure dans une des niches du nouveau Louvre, nous n'avons pas à nous en occuper.

ŒUVRES

DE MALHERBE.

POESIES

I

SUR LE PORTRAIT d'ÉTIENNE PASQUIER QUI n'aVOIT

POINT DE MAIIfS.

Le célèbre avocAt Etienne Pa«qiiier raconte que, te trouvant, en iS83, à Troyes, il fit faire son portrait par un peintre flamand, Jean DoTy, qui le représenta sans mains. Cette particularité lui in- tpira on (Ûstique latin qui fut l'occasion d'un déluge de vers français, grecs, latins, etc., réunis et imprimés à Paris, en i5849 ûi-4*> ^ous le titre de : La Main, ou Œuvres poétiques faites sur ta main d* Etienne Pes^mier, Le volume parvint à Henri d'Angouléme, grand prieur de France , fik naturel de Henri H, et ce prince, alors gouverneur de Provence, adressa d'Aix, i Pttquier, le 8 juillet i585, une lettre acoompag^iée de deux quatrains, l'un composé par lui-même, l'autre (cdoiqae nous donnons ici) parc le seigneur de Malherbe, > qui était tlors attaché à sa personne. L'épigramme de Malherbe parut en 1610, «Sans ia Jeunesse d'Etienne Pastjuier, par And. Duchesne, et fut repro- dnitedans l'édition de Ménage (1666), puis avec la lettre du grand prienr dans les Œuvres de Pasquier (i7!»3, tome H^ col. 919 et 104^).

n ne faut qu'avec le visage L'on tire tes main» au pinceau : Tu les montres dans ton ouvrage. Et les caches dans le tableau.

Miu.asaBK

. t

POÉSIES, II.

II

STAHCBA.

Cette pièce, adressée à une dame de ProTenoe dont on ignore le nom, fut publiée d'abord dans le TémpU d* Apollon (Rouen, 1611), recueil que nous n'avons pu nous procurer, puis dans le Cab'met des Muses (1619). Ellle ne reparut ensuite, et très-incorrectement, que dans Tédition de Saint-Marc, qui Ta donnée a^ec raison comme com- posée ayant le mois de juin i586. En effet, dans TaTant-demière stropbe, le poète, alors en Provence, fait allusion à son protecteur, Henri d'Angouléme, dont nous Tenons de parler, lequel fut tué à Aiz par Pbilippe Altoviti, baron de Castellane, le 3 juin i586 (voyez à cette date le Journal de l'Estoile).

Si des maux renaissants avec ma patience N'ont pouvoir d'arrêter un esprit si hautain, Le temps est médecin d'heureuse expérience; Son remède est tardif, mais il est bien certain.

Le temps à mes douleurs promet une allégeance , 5

Et de voir vos beautés se passer quelque jour ; Lors je serai vengé, si j'ai de la vengeance Pour un si beau sujet pour qui j'ai tant d'amour.

Vous aurez un mari sans être guère aimée,

Ayant de ses désirs amorti le flambeau ; i o

Et de cette prison de cent chaînes fermée

Vous n'en sortirez point que par l'huis du tombeau.

Tant de perfections qui vous rendent superbe.

Les restes du mari, sentiront le reclus ;

Et vos jeunes beautés floriront comme l'herbe, 1 5

POÉSIES, II. 3i

Que Ton a trop foulée et qui ne fleurit plus.

Vous aurez des enfants des douleurs incroyables,

Qui seront près de vous et crieront à Tentour;

Lors fuiront de vos yeux les soleils agréables,

Y laissant pour jamais des étoiles autour. 3 o

Si je passe en ce temps dedans votre province. Vous voyant sans beauté et moi rempli d^honneur. Car peut-être qu^alors les bienfaits d^un grand Prince Marieront ma fortune avecque le bonheur.

Ayant un souvenir de ma peine fidèle, 9 5

Mais n^ayant point à Theure autant que j^ai d'ennuis, Je dirai : « Autrefois cette femme fut belle, Et je fus d^autre fois plus sot que je ne suis. »

31 et 97. QnToit ici, comme plus loin (in, ▼. iBy), que Malberbe, dans let premières compositions, ne proscrivait pas encore Thiatus, dont on retroare aussi quelques exemples dans ses dernières pièces. Voycx CT, T. 3 et 61, et crm, t. 39.

POÉSIES, III.

III

LES LARMES DE SklVT PIERRE, imitées da Tanûlle.

àV HOI.

Le poëme de Luigi Tanûllo (né à Nola, mort en iSfig) est inti- tulé : Le Lagrime di San Pietro. Publié en partie dès i56o (Venise, in-8*), il ne parut en entier qu*en i585. La première édition des Stances de Malherbe, dédiées à Henri m, date de 1587 (Paris, in-4*). Elles furent réimprimées en 1596 et 1598, et fi^rèrent dans divers recueils, de 1699 à 1608 {Vjéeadémie des poètes francois^ le Parnasse des plus excellents poètes de ce temps, etc.).

« Malherbe, dit Ménage, fit ce poëme étant encore fort jeune. H n*est pas si poli que ses autres ouvrages , et j*ai souvent ouî dire à M. Guyet et à M. de Racan que Tauteur le désarouoit. Cependant on ne peut nier qu*il n*y ait beaucoup de belles choses. » Parmi les lettres de Ck>star, il s'en trouve une adressée à la marquise de Lavar- diu, et dont le sujet est la critique de ces Stances de Malherbe.

Nous indiquerons, dans V Appendice de ce volume, les emprunts que Malherbe a faits au Tansille.

Ce n est pas en mes vers qu'une amante abusée

Des appas enchanteurs d*un parjure Thésée ,

Après r honneur ravi de sa pudicité,

Laissée ingratement en un bord solitaire ,

Fait de tous les assauts que la rage peut faire 5

Une fidèle preuve à Finfidélité.

Les ondes que j'épands d'une étemelle veine Dans un courage saint ont leur sainte fontaine; Famour de la terre, et le soin de la chair Aux fragiles pensers ayant ouvert la porte , Une plus belle amour se rendit la plus forte ,

I

POÉSIES, m. :>

Et le fit repentir aussitôt que pécher.

Henri , de qui les yeux et F image sacrée

Font un visage d'or à cette âge ferrée ,

Ne refuse à mes vœux un favorable appui; 1 5

Et si pour ton autel ce n'est chose assez grande ,

Pense qu'il est si grand, qu il n auroit point d'offrande

S'il n en recevoit point que d'égales à lui.

La, foi qui fut au cœur d'où sortirent ces larmes,

Est le premier essai de tes premières armes ; a o

Pour qui tant d'ennemis à tes pieds abattus,

Pftles ombres d'enfer, poussière de la terre,

Ont connu ta fortune , et que l'art de la guerre

A moins d'enseignements que tu n'as de vertus.

De son nom de rocher, comme d'un bon augure , a 5

Un étemel état l'Eglise se figure ;

Et croit, par le destin de tes justes combats ,

Que ta noain relevant son épaule courbée ,

Un jour, qui n est pas loin, elle verra tombée

La troupe qui l'assaut , et la veut mettre bas. 3 o

le coq a chanté pendant que je m'arrête A l'ombre des lauriers qui t'embrassent la tête , Et la source déjà commençant à s'ouvrir A lâché les ruisseaux qui font bruire leur trace , Entre tant de malheurs estimant une grâce, 3 5

Qu'un Monarque si grand les regarde courir.

Ce miracle d'amour, ce courage invincible, Qui n'espér#it jamais une chose possible

3o. Im trot^ ^ui Vasuuiiy etc«, les hugneiioCf.

G POÉSIES, III.

Que rien finît sa foi que le même trépas,

De vaillant fiaiit couard , de fidèle fait traître , 4 o

Aux portes de la peur abandonne son maître,

Et jure impudenmient qu il ne le connoît pas.

A peine la parole avoit quitté sa bouche ,

Qu'un regret aussi prompt en son ftme le touche.

Et mesurant sa faute à la peine d' autrui, 4 5

Voulant faire beaucoup, il ne peut davantage

Que soupirer tout bas, et se mettre au visage

Sur le feu de sa honte une cendre d* ennui.

Les arcs qui de plus près sa poitrine joignirent,

Les traits qui plus avant dans le sein F atteignirent , 5o

Ce fut quand du Sauveur il se vit regardé;

Les yeux furent les arcs , les œillades les flèches.

Qui percèrent son âme , et remplirent de brèches

Le rempart qu'il avoit si lâchement gardé.

Cet assaut , comparable à Téclat d'une foudre , 5 5

Pousse et jette d'un coup ses défenses en poudre;

Ne laissant rien chez lui, que le même penser

D'un homme qui tout nu de glaive et de courage

Voit de ses ennemis la menace et la rage.

Qui le fer en la main le viennent offenser. 60

Ces beaux yeux souverains, qui traversent la terre Mieux que les yeux moi*tels ne ti^ versent le verre, Et qui n'ont rien de clos à leur juste courroux , Entrent victorieux en son âme étonnée ,

53. Traduction exacte du yert du Tansille (I, st. 39) :

Gli occhi fur gli archi, e i guardi fur gli atrali. 58. Tout nu, c^est-à-dire dénué ^ mot qui a la même étymologie.

POÉSIES, III.

Comme dans une place au pillage donnée ,

Et lui font recevoir plus de morts que de coups.

La mer a dans le sein moins de vagues courantes , Qu'il n^a dans le cerveau de formes différentes. Et D*a rien toutefois qui le mette en repos ; Car aux flots de la peur sa navire qui tremble Ne trouve point de port, et toujours il lui semble Que des yeux de son maître il entend ce propos :

« Eh bien, maintenant est ce brave langage? Cette roche de foi ? cet acier de courage ? Qu est le feu de ton zèle au besoin devenu ? sont tant de serments qui juroient une fable ? Conune tu fus menteur, suis-je pas véritable? Et que t^ai'je promis qui ne soit advenu ?

« Toutes les cruautés de ces mains qui m'attachent,

mépris effronté que ces bourreaux me crachent ,

Les preuves que je fais de leur impiété ,

Pleines également de fureur et d'ordure,

Ne me sont une pointe aux entrailles si dure ,

Comme le souvenir de ta déloyauté.

« Je sais bien qu'au danger les autres de ma suite Ont eu peur de la mort, et se sont mis en fuite; Mais toi, que plus que tous j'aimai parfaitement, Pour rendre en me niant ton offense plus grande. Tu suis mes ennemis, t'assembles à leur bande, Et des maux qu'ils me font prends ton ébattement.

Le nombre est infini des paroles empreintes

80. Vae. (B, £, ¥, L, O) : Que ces boaches me crachent.

B3. Vab. (édit. de i63i et de i635) : Ne me sont une preaye.

65

75

80

85

90

8 POÉSIES, III.

Qae regarde F Apôtre en ces lumières saintes ;

Et celui seulement que sous une beauté

Les feux d'un œil humain ont rendu tributaire ,

Jugera sans mentir quel effet a pu faire 95

Des rayons immortels Finunortelle clarté.

Il est bien assuré que Fangoisse qu'il porte

Ne s'emprisonne pas sous les clefs d*une porte ,

Et que de tous côtés elle suivra ses pas;

Mais pour ce qu il la voit dans les yeux de son maître, 1 00

Il se veut absenter, espérant que peut-être

Il la sentira moins en ne la voyant pas.

La place lui déplaît, la troupe maudite

Son Seigneur attaché par outrage dépite;

Et craint tant de tomber en un autre forfait, i o5

Qu'il estime déjà ses oreilles coupables

D'entendre ce qui sort de leurs bouches damnables.

Et ses yeux d'assister aux tourments qu*on lui fait.

Il part , et la douleur qui d'un morne silence Entre les ennemis couvroit sa violence , no

\^ Comme il se voit dehors a si peu de combats ,

Qu'il demande tout haut que le sort favorable Lui fasse rencontrer un ami secourable, Qui touché de pitié lui donne le trépas.

En ce piteux état il n'a rien de fidèle i x 5

Que sa main , qui le guide Forage F appelle; Ses pieds comme ses yeux ont perdu la vigueur; Il a de tout conseil son âme dépourvue, Et dit en soupirant que la nuit de sa vue

III. Vas. (B, E, F, L, O) : A si peu de compas.

POÉSIES, IIL 9

Ne Tempéche pas tant que la nmt de son cœvr. i a o

Sa vie auparavant si chèrement gardée,

Lui semble trop longtemps ici-bas retardée;

C'est elle qui le fâche, et le fait consumer;

U la nomme parjure, il la nomme cruelle ,

Et toujours se plaignant que sa faute vient d'elle , i a 5

U n'en veut faire compte, et ne la peut aimer.

« Va, laisse-moi, dit-il, va, déloyale vie;

Si de te retenir autrefois j'eus envie.

Et si j'ai désiré qae tu fusses chez moi.

Puisque tu m'as été si mauvaise compagne, 1 3o

Ton infidèle foi maintenant je dédaigne,

Qaitte-moi, je te prie, je ne veux plus de toi.

« Sont- ce tes beaux desseins, mensongère et méchante.

Qu'une seconde fois ta milice m'enchante,

Et que pour retarder une heure seulement 1 3 5

La nuit déjà prochaine à ta courte journée ,

Je demeure en danger que l'âme, qui est née

Pour ne mourir jamais, meure éternellement?

« Non , ne m'abuse plus d'une lâche pensée;

Le coup encore frais de ma chute passée 1 4 o

Me doit avoir appris à me tenir debout.

Et savoir discerner de la trêve la guerre ,

Des richesses du ciel les fanges de la terre ,

Et d'un bien qui s'envole un qui n'a point.de bout.

« Si quelqu'un d'aventure en délices abonde, i45

D se perd aussitôt et déloge du monde;

i3i. Dans la plupart des mots en aigne, Vi ne se prononçait pas. i3a. Yab. (B, £, F, L, O; : Qaitte-moi, je te quitte.

lo POÉSIES, IIL

Qui te porte amitié, c'est à lui que ta nuis;

Ceux qui te veulent nud, sont ceux que tu conserves,

Tu vas à qui te fuit, et toujours le réserves

A souffrir en vivant davantage d* ennuis.

I DO

« On voit par ta rigueur tant de blondes jeunesses.

Tant de riches grandeurs, tant d'heureuses vieillesses,

En fuyant le trépas au trépas arriver;

Et celui qui chétif aux misères succombe.

Sans vouloir autre bien que le bien de la tombe, 1 55

N^ayant qu'un jour à vivre, il ne peut Fachever.

m Que d'hommes fortunés en leur &ge première.

Trompés de Finconstance à nos ans coutumiére.

Du depuis se sont vus en étrange langueur !

Qui fussent morts contents, si le ciel amiable 1 60

Ne les abusant pas en son sein variable.

Au temps de leur repos eût coupé ta longueur.

« Quiconque de plaisir a son &me assouvie.

Plein d'honneur et de bien, non sujet à Tenvie,

Sans jamais en son aise un malaise éprouver, t65

S'il demande à ses jours davantage de terme ,

Que fait-il, ignorant, qu'attendre de pied ferme

De voir à son beau temps un orage arriver?

« Et moi, si de mes jours l'importune durée

Ne m'eût en vieillissant la cervelle empirée, 170

Ne devois-je être sage, et me ressouvenir

D'avoir vu la lumière aux aveugles rendue.

Rebailler aux muets la parole perdue,

i6s. Tous les recaeils portent ia longueur, au lieu de m, que don- nent les éditions de i63o et 1 63 1, et qui est une faute d*impreision. 166. Cest-à-dire : S*il demande que le termede ses jours soit reculé.

POÉSIES, III. Il

Et faire dans les corps les âmes revenir?

« De ces faits non communs la merveille profonde, 1 7 5

Qui par la main d'un seul étonnoit tout le monde.

Et tant d'autres encor, me dévoient avertir

Que si pour leur auteur j'endurois de Toutrage,

Le même qui les fit', en faisant davantage,

Quand on m'offenseroit, me pouvoit garantir. 1 80

Bfais troublé par les ans, j'ai souffert que la crainte ,

Loin encore du mal, ait découvert ma feinte;

Et sortant promptement de mon sens et de moi,

Ne me suis aperçu qu'un destin favorable

M'ofiït>it en ce danger un sujet honorable i S5

D'acquérir par ma perte un triomphe à ma foi.

« Que je porte d'envie à la troupe innocente

De ceux qui massacrés d'une main violente

Virent dés le matin leur beau jour accourci ;

Le fer qui les tua leur donna cette grâce, 190

Que si de faire bien ils n'eurent pas l'espace,

Ils n'eurent pas le temps de faire mal aussi.

« De ces jeunes guerriers la flotte vagabonde

AUoit courre fortune aux orages du monde.

Et déjà pour voguer abandonnoit le bord, 195

Quand l'aguet d'un pirate arrêta leur voyage ;

Mais leur sort fut si bon, que d'un même naufrage

Ils se virent sous l'onde, et se virent au port.

« Ce furent de beaux lis, qui mieux que la nature Mêlant à leur blancheur l'incarnate peinture a ou

180. Var. (Ey Fy L) : Me pourroit garantir. 196. t*ttgu€tf remboaoadc.

la POÉSIES, 111.

Que tira de leur sein le couteau criminel, Devant que d'un hiver la tempête et Forage A leur teint délicat pussent faire dommage, S'en allèrent fleurir au printemps étemel.

« Ces enfants bienheureux (créatures parfaites, s o 5

Sans rimperfection de leurs bouches muettes)

Ayant Dieu dans le cœur ne le purent louer,

Mais leur sang leur en fut un témoin véritable ;

Et moi pouvant parler, j'ai parlé, misérable,

Pour lui faire vergogne, et le désavouer.

9 lO

« Le peu qu'ils ont vécu leur fut grand avantage,

Et le trop que je vis ne me fait que dommage.

Cruelle occasion du souci qui me nuit!

Quand j'avois de ma foi l'innocence première.

Si la nuit de la mort m'eût privé de lumière, ^ a i 5

Je n'aurois pas la peur d'une immortelle nuit.

« Ce fut en ce troupeau que venant à la guerre

Pour combattre Fenfer, et défendre la terre.

Le Sauveur inconnu sa grandeur abaissa ;

Par eux il commença la première mêlée, ^%o

Et furent eux aussi que la rage aveuglée

Du contraire parti les premiers offensa.

« Qui voudra se vanter avec eux se compare.

D'avoir reçu la mort par un glaive barbare ,

Et d'être allé soi-même au martyre s'offrir; aas

L'honneur leur appartient d'avoir ouvert la porte

A quiconque osera d'une âme belle et forte

Pour vivre dans le ciel en la terre mourir.

ii6. Vah. (édit. de i63i) : D'une étemelle nnit.

POÉSIES, III. i3

« O désirable fin de leurs peines passées!

Leurs pieds qui n ont jamais les ordures pressées, a 3o

Un superbe plancher des étoiles se font;

Leur salaire payé les services précède,

Premier que d'avoir mal ils trouvent le remède,

Et devant le combat ont les palmes au front,

«t Que d'applaudissements, de rumeur, et de presses, «35 Que de feux, que de jeux, que de traits de caresses. Quand là-haut en ce point on les vit arriver ! Et quel plaisir encore à leur courage tendre. Voyant Dieu devant eux en ses bras les attendre , Et pour leur faire honneur les Anges se lever! 340

« Et vous, femmes, trois fois, quatre fois bienheureuses. De ces jeunes amours les mères amoureuses, Que &ites-vous pour eux, si vous les regrettez? Vous âchez leur repos, et vous rendez coupables, Ou de n'estimer pas leurs trépas honorables, a 4 5

Ou de porter envie à leurs félicités.

« Le soir fut avancé de leurs belles journées;

Mais qu'eussent-ils gagné par un siècle d'années?

Ou que leur advint-il en ce vite départ,

Que laisser promptement une basse demeure, « 5 o

Qui n'a rien que du mal, pour avoir de bonne heure

Aux plaisirs étemels une étemelle part?

« Si vos yeux pénétrant jusqu'aux choses futures Vous pouvoient enseigner lem's belles aventures, Vous auriez tant de bien en si peu de malheurs, a 5 5 Que vous ne voudriez pas pour l'empire du monde

aS5. rouvriez, en deux syllabes.

i4 POÉSIES, III.

ITavoir eu dans le sein la racine féconde D*où naquit entre nous ce miracle de fleurs.

« Mais moi, puisque les lois me défendent Feutrage Qu'entre tant de langueurs me commande la rage, 960 Et qu'il ne faut soi-même éteindre son flambeau; Que m'est-il demeuré pour conseil et pour armes, Que d'écouler ma vie en un fleuve de larmes, Et la chassant de moi l'envoyer au tombeau?

« Je sais bien que ma langue ayant commis l'offense, s 6 s

Mon cœur incontinent en a fait pénitence.

Mais quoi ? si peu de cas ne me rend satisfait.

Mon regret est si grand, et ma faute si grande.

Qu'une mer étemelle à mes yeux je demande

Pour plem-er à jamais le péché que j'ai fiiit. » 970

Pendant que le chétif en ce point se lamente ,

S'arrache les cheveux, se bat et se tourmente,

En tant d'extrémités cruellement réduit,

n chemine toujours, mais rêvant à sa peine.

Sans donner à ses pas une règle certaine, a 7 5

n erre vagabond le pied le conduit.

 la fin égaré (car la nuit qui le trouble

Par les eaux de ses pleurs son ombrage redouble) ,

Soit un cas d'aventure, ou que Dieu Tait permis,

U arrive au jardin, la bouche du traître , s s o

Profanant d'un baiser la bouche de son maître.

Pour en priver les bons aux méchants l'a remis.

Comme un homme dolent, que le glaive contraire

A privé de son fils et du titre de père.

Plaignant deçà delà son malheur advenu, a 8 5

POÉSIES, III. i5

S'il arrive en la place s'est fiiit le dommage, L'ennui renouvelé plus rudement Foutrage En voyant le sujet à ses yeux revenu.

Le vieillard , qui n'attend une telle rencontre.

Sitôt qu'au dépourvu sa fortune lui montre 990

Le lieu qui (ut témoin d'un si lâche méfait,

De nouvelles fureurs se déchire et s'entame,

Et de tous les pensers qui travaillent son âme

L'extrême cruauté plus cruelle se fait.

Toutefois il n'a rien qu'une tristesse peinte , 995

Ses ennuis sont des jeux, son angoisse une feinte ,

Son malheur un bonheur , et ses larmes un ris ,

Au prix de ce qu'il sent quand sa vue abaissée

Remarque les endroits la terre pressée

A des pieds du Sauveur les vestiges écrits. 3oo

C'est alors que ses cris en tonnerre s'éclatent. Ses soupirs se font vents qui les chênes combattent , Et ses pleurs, qui tantôt descendoient mollement, Ressemblent un torrent qui des hautes montagnes Ravageant et noyant les voisines campagnes, 3o5

Veut que tout l'univers ne soit qu'un élément.

U y fiche ses yeux, il les baigne, il les baise,

Il se couche dessus, et seroit â son aise ,

S'il pouvoit avec eux à jamais s'attacher.

11 demeure muet du respect qu'il leur porte ; 3 1 o

Mais enfin la douleur se rendant la plus forte,

Loi fait encore un coup une plainte arracher.

3oi. Vab. (E, F, L) : En tomnerret édiatent.

I

i6 POÉSIES, III.

« Pas adorés de moiy quand par aocoutiunance

Je n'aurois comme j'ai de vous la connoissanoe ,

Tant de perfections vous découvrent assez ; 3 1 s

Vous avez une odeur des pai*fums d'Assyrie,

Les autres ne Tont pas, et la terre flétrie

Est belle seulement vous êtes passés.

« Beaux pas de ces seuls pieds que les astres connoissent, Gomme ores à mes yeux vos marques apparoissent ! 3 1 o Telle autrefois de vous la merveille me prit, Quand déjà demi-clos sous la vague profonde , Vous ayant appelés, vous affermîtes Tonde, Et m'assurant les pieds m'étonnàtes Tesprit.

« Mais, ô de tant de biens indigne récompense ! 3^5

O dessus les sablons inutile semence ! Une peur , ô Seigneur ! m'a séparé de toi ; Et d'une âme semblable à la mienne parjure , Tous ceux qui furent tiens, s'ils ne t'ont fait injure, Ont laissé ta présence, et t'ont manqué de foi. 33o

« De douze, deux fois cinq étonnés de courage,

Par une lâche fuite évitèrent l'orage,

Et tournèrent le dos quand tu fus assailli ;

L'autre qui fut gagné d'une sale avarice,

Fit un prix de ta vie à l'injuste supplice, 335

Et l'autre en te niant plus que tous a failli*

« C'est chose à mon esprit impossible à comprendre,

Et nul autre que toi ne me la peut apprendre,

Ciomme a pu ta bonté nos outrages souffrir.

Et qu'attend plus de nous ta longue patience, 340

Sinon qu'à l'homme ingrat la seule conscience

Doive éti*e le couteau qui le fasse mourir?

POÉSIES, llh 17

« Toutefois tu sais tout, tu connois qui nous sommes, Tu vois quelle inconstance accompagne les hommes, Faciles à fléchir quand il faut endurer. 34 S

Si j'ai fait comme un homme en faisant une offense, Tu feras 6<Hmne Dieu d'en laisser la vengeance, Et m^ôter un sujet de me désespérer.

« Au moins si les regrets de ma faute avenue

Mont de ton amitié quelque part retenue, 35 a

Pendant que je me trouve au milieu de tes pas.

Désireux de Thonneur d'une si belle tombe,

Afin qu*en autre part ma dépouille ne tombe^

Puisque ma fin est prés, ne la recule pas. »

En ces propos mourants ses complaintes se meurent, 3 5 5

Mais vivantes sans fin ses angoisses demeurent,

Pour le faire en langueur à jamais consumer.

Tandis la nuit s'en va, ses lumières s'éteignent.

Et déjà devant lui les campagnes se peignent

Du safran que le jour apporte de la mer. 3 60

L'Aurore d'une main, en sortant de ses portes,

Tient un vase de fleurs languissantes et mortes.

Elle verse de l'autre une cruche de pleurs.

Et d'un voile tissu de vapeur et d'orage.

Couvrant ses cheveux d'or, découvre en son visage 365

Tout ce qu'une ftme sent de cruelles douleurs.

Le soleil qui dédaigne une telle carrière, Puisqu'il faut qu'il déloge , éloigne sa barrière ; Mais conune un criminel qui chemine au trépas, Montrant que dans le cœur ce voyage le fâche, 370

II marche lentement, et désire qu'on sache Que si ce n'étoit force il ne le feroit pas.

Malhembr. I a

4 »-

i8 POÉSIES, III.

Ses yeux par un dépit en ce monde regardent;

Ses chevaux tantôt vont, et tantôt se retardent ,

Eux-mêmes ignorants de la course qu*ils font; 3^5

Sa lumière pâlit, sa couronne se cache;

Aussi n'en veut-il pas , cependant qu'on attache

A celui qui la fait des épines au front.

Au point accoutumé les oiseaux qui sommeillent , Apprêtés à chanter dans les bois se réveillent; 3So

Mais voyant ce matin des autres différent , Remplis d'étonnement ils ne daignent paroitre, Et font, à qui les voit, ouvertement connottre De leur peme secrète un regret apparent.

Le jour est déjà grand , et la honte plus claire 385

De Fapôtre ennuyé l'avertit de se taire;

Sa parole se lasse, et le quitte au besoin;

Il voit de tous côtés qu'il n'est vu de personne ,

Toutefois le remords que son âme lui donne

Témoigne asvsez le mal qui n^a poiut de témoin. 390

Aussi l'homme qui porte une âme belle et haute ,

Quand seul en une part il a fait une faute ,

S'il n'a de jugement son esprit dépourvu ,

Il rougit de lui-même, et combien qu'il ne sente

Rien que le ciel présent et la terre présente , 39^

Pense qu'en se voyant tout le monde l'a vu.

391. En une part, quelque part.

POÉSIES, IV. 19

IV

iPITAPHE DE MONSIEUR d'iS, PARENT DE l' AUTEUR, ET DE QUI l'auteur ^OIT HÉRITIER.

Ménage y en 1666, a édité cette pièce pour la première fois et lai a donné le titre ci-dessas. On peut à peu près en fixer la date, grioe à V Instruction de F, de Malherbe à son fils , publiée en i84<) (Caen, in-S^), par M. Ph. de ChenncTières. On Ut en effet dans ce document, qu'au moment Malherbe récrivait, c'est-à-dire an mois de juillet i6o5, la fille de Jean le Valloys, sieur d*Ifs, onde du poète, était âgée d'environ seize ans, et qu'elle était née peu de temps avant la mort de son père. M. d'Ifs mourut donc vers l'année 1689, et son épitapbe ne dut pas se faire attendre.

Les trois sœurs de Malherbe étaient Jeanne, morte vers 1 597, Marie et Louise. -^ Son frère Éléazar était conseiller au siège présidial de Cacn. Ses trois tantes étaient Charlotte et Marie le Valloys, saurs de sa mère, et Jeanne de Mainbeville, seconde femme de M. d'Ifs. Mé- nage s'est trompé en prétendant que Malherbe était héritier de celui- ci, car M. d'Ifs, nous venons de le dire, avait laissé une fille, qui fut mariée à François de Malherbe, sieur de Bouillon et d'Escousebeuf, l'aîné de la maison, c Dieu la fasse vivre, dit Malherbe dans son Instruction , et lui donne des enfans. Si elle n'en avoit point , mon cousin de Maizet et nous en serions héritiers. 1 On a public un certain nombre de lettres adressées par Malherbe à son cousin rie Bouillon. On les trouvera dans notre édition.

Ici dessons gtt Monsieur d'Is.

Plût or à Dieu qu'ils fussent dix !

Mes trois sœurs, mon père et ma mère;

Le grand Éléazar, mon frère;

Mes trois tantes , et Monsieur d*Is. s

Vous les nommé-je pas tous dix ?

ao POÉSIES, y.

POUR MONSIEUR DE MOUTPENSIER , A MADAME

DEVANT SON MARIAGE.

VTAirCBS.

Henri de Bourbon, dac de Montpensier, le 12 mai iSjS, mort le a 7 férrier 1608, avait demandé la main de Catherine de Bourbon, sœur de Henri IV, duchesse de Bar, née le 7 février i558, morte le i3 février 1604.

n est assez difficile d*assigner une date bien précise à cette pièce, imprimée dès i6o3, dans le Parnasse des plus excellents poètes de ce temps. Elle a été certainement composée avant 1599, puisque Catherine épousa Henri de Lorraine, duc de Bar, le 3i janvier de cette année, qui vit aussi le mariage du duc de Montpensier avec Henriette-Marie de Joyeuse. Les écrits du temps reprochent à Henri IV de n*avoir pas hésité i promettre à la fois à divers princes la main de sa sœur, c Ne Ta-t-il pas offerte , dit X Apologie pour le roi Henri IV^ à cinq ou six en même temps , en mandant à Tun : c Venez-moi trou- c ver, je vous donnerai ma sœur; > i l'autre : c Faites faire la paix c par ceux de votre parti, je vous donnerai ma sœur? » O prince vrai- ment politique ! 9 De tous ces prétendants, Catherine préférait le comte de Soissons, qu^elle fut sur le point d'épouser en dépit du Roi, au commencement de iSqB ; mais Henri la fit revenir près de lui et rappela en même temps de Bretagne le duc de Montpensier qu'il lui destinait pour époux et qu'elle refusa opiniâtrement (de Thou, liv. I, io5). L*£stoile prétend (janvier 1599) ^^ ^^ ^^^^ avait fait sa demande lors du dernier siège de Rouen, qui dura depuis le mois de décembre iSgi jusqu'au mois d'avril 159a. Ce serait donc dans cet intervalle qu'il faudrait placer la date de la pièce. A cette époque, Malherbe était en Normandie, il séjourna de 1 586 à i595.

Beau ciel par qui mes jours sont troubles ou sont calmes, Seule terre je prends mes cyprès et mes palmes , Catherine, dont Tœil ne luit que pour les Dieux,

1

POÉSIES, y. %i

Punissez vos beautés plutôt que mon courage.

Si trop haut s^élevant il adore un visage 5

Adorable par force à quiconque a des yeux.

Je ne suis pas ensemble aveugle et téméraire,

Je connois bien Terreur que Tamour m'a fait faire ,

Cela seul ici-bas surpassoit mon effort ;

Mais mon âme qu*à vous ne peut être asservie, i o

Les destins n'ayant point établi pour ma vie

Hors de cet Océan de naufrage ou de port.

Beauté , par qui les Dieux las de notre dommage

Ont voulu réparer les défauts de notre âge ,

Je mourrai dans vos feux , éteignez-les ou non , 1 5

Gomme le fils d'Alcméne en me brûlant moi-même;

Il suiBt qu'en mourant dans cette flamme extrême,

Une gloire étemelle accompagne mon nom.

On ne doit point sans sceptre aspirer j'aspire :

C'est pourquoi, sans quitter les lois de votre empire, 90

Je veux de mon esprit tout espoir rejeter.

Qui cesse d'espérer, il cesse aussi de craindre.

Et sans atteindre au but l'on ne peut atteindre,

Ce m'est assez d'honneur que j'y voulois monter.

Je maudis le bonheur le ciel m'a fait naître, % 5

5, 6. Malherbe fait bien de ne Tanter que le Tisage de la princesse. En eflet, la Reine mère avait empêché ses deax fils François d'Alen^on et Henri lH dV'pouser Catherine, en leur représentant qu'elle était naine et contrefaite, c Ce qui n*étoit pas Trai, > s'écrie arec indi- gnation le P. Daniel, c car elle éioit d'une médiocre stature^ quoique tani toit peu boiteuse, >

a3, 34. Properce a dit (H, 10, S) :

Quod si deficiant vires, audacia certe Laus erit : in magnis et voluisse sat est.

aa POÉSIES, Y.

Qui m*a fait désirer ce qu'il ma (ait connoitre;

D faut ou vous aimer , ou ne vous faut point voir.

L^astre qui luit aux grands en vain à ma naissance

Epandit dessus moi tant dlieur et de puissance,

Si pour ce que je veux j*ai trop peu de pouvoir. 3 o

Mais il le faut vouloir, et vaut mieux se résoudre

En aspirant au ciel être frappé de foudre ,

Qu'aux desseins de la terre assuré se ranger.

J'ai moins de repentir, plus je pense à ma faute ,

Et la beauté des fruits d une palme si haute 3 5

Me fait par le désir oublier le danger.

36. Vab. (édit. de i63i et de i635) : Me ùlt par le plaisir....

POÉSIES, VI. ai

VI

AU ROI HENRI LE GRAND, SUR LA PRISE

DE MARSEILLE.

ODB.

La ville de Marseille , tombée au pouToir de la Ligue dès 1689, avait été, à peu près depuis cette époque, gouvernée despotiquement par Louis d'Aix, viguier, et Charles Casault (ou Casaux), premier coDSul, qui s*étaient fait continuer dans leurs fonctions. Us avaient projeté de vendre la ville aux Espagnols, lorsque deux frères, Pierre et Barthélémy de Libertat, la livrèrent, dans la nuit du 16 au 17 fé- vrier 1596, aux troupes du Roi, commandées par le duc de Guise, gouverneur de Provence. Casault fut tué; son fils et Louis d'Aix parvinrent à s'échapper, c En moins d'une heure et demie, dit MauL Cayet , cette viUo qui étoit presque espagnole redevint toute fîançoise. Pierre de Libertat, nommé viguier perpétuel et gratifié de cinquante mille écus, mourut l'année suivante, empoisonné, dit- OD, par les ligueurs.

Malherbe, qui ne vint s'établir k Paris qu'après juillet i6o5, était, suivant Ménage, encore en Provence quand il fit cette ode, imprimée poor la première fois dans l'édition de i63o.

Enfin après tant d'années,

Voici rheurense saison

nos misères bornées

Vont avoir leur guérison.

Les Dieux longs à se résoudre 5

Ont fait un coup de leur foudre ,

Qui montre aux ambitieux ,

Que les fureurs de la terre

Ne sont que paille et que verre

A la colère des cieux. i «

I :>

a4 POÉSIES, YI.

Peuples, à qui la tempête

A fait faire tant de vœux ,

Quelles fleurs à cette fête

Couronneront vos cheveux ?

Quelle victime assez grande

Donnerezr-vous pour offrande?

Et quel Indique séjour

Une perle fera naître

D assez de lustre , pour être

La marque d'un si beau jour ? 20

Cet effroyable colosse ,

Casaux, Tappui des mutins,

A mis le pied dans la fosse

Que lui cavoient les destins.

D est bas , le parricide ; a 6

Un Alcide fils d'Alcide,

A qui la France a prêté

Son invincible génie,

A coupé sa tyrannie

D*un glaive de liberté. 3 o

Les aventures du monde

Vont d'un ordre mutuel ,

Comme on voit au bord de Tonde

Un reflux perpétuel.

L'aise et Tennui de la vie 3 s

17-90. Imitation de ces deax yen de Martial (X, 38) :

O nox omnis et hora qam notata est Caris littoris Indici lapillis ! 94* Cavoient, creusaient.

96. Charles de Lorraine, duc de Guise. Il était fils du duc Henri, assassiné à Blois.

90. Allusion au nom de Labertat.

POÉSIES, VI. 35

Ont leur course entre-suivie

Aussi naturellement

Que le chaud et la froidure.

Et rien , afin que tout dure,

Ne dure éternellement. 40

Cinq ans Marseille volée

A son juste possesseur ,

Avoit langui désolée

Aux mains de cet oppresseur.

Enfin le temps Ta remise 4 5

En sa première franchise;

Et les maux qu'elle enduroit

Ont eu ce bien pour échange ,

Qu'elle a vu parmi la fange

Fouler ce qu'elle adoroit. 5o

Déjà tout le peuple More

A ce miracle entendu ;

A l'un et l'autre bosphore

Le bruit en est répandu;

Toutes les plaines le savent 5 5

Que l'Inde et l'Euphrate lavent;

Et déjà pâle d'effroi

Memphis se pense captive ,

Voyant si près de sa rive

Un neveu de Godefroi. 60

53. Le Bosphore de Thrace et le Bosphore Cimmérien. (k>. On toit que les princes lorrains prétendaient descendre de Godefroi de Bouillon.

a6. POÉSIES, VII.

vn

SUR LE MÊME SUJET.

ODB.

Imprimée pour la première fois, comme la pièce précédente, dUns l'édition de i63o.

Soit que de tes lauriers la grandeur poursuivant D'un cœur Tire juste et la gloire commande , Tu passes comme un foudre en la terre Flamande , D'Espagnols abattus la campagne pavant;

Soit qu'en sa dernière tête 5

L'Hydre civile t'arrête,.

Roi , que je verrai jouir

De l'Empire de la terre ,

Laisse le soin de la guerre,

Et pense à te réjouir. x o

Nombre tous les succès ta tatale main , Sous l'appui du bon droit aux batailles conduite, De tes peuples mutins la malice a détruite, Par un heur éloigné de tout penser humain;

Jamais tu n*as vu journée 1 6

De si douce destinée;

Non celle tu rencontras

Sur la Dordogne en désordre

L'orgueil à qui tu fis mordre

17. Non celle, pat même celle.

POÉSIES, VIL 27

La poussière de Coutras. a o

Casaux, ce grand Titan qui se moquoit des cieux, A vu par le trépas son audace arrêtée, Et sa rage infidèle , aux étoiles montée , Du plaisir de sa chute a fait rire nos yeux.

Ce dos chargé de pourpre , et rayé de clinquants , « 5 A dépouillé sa gloire au milieu de la fange, Les Dieux qu'il ignoroit ayant fait cet échange Pour venger en un jour ses crimes de cinq ans.

La mer en cette furie

A peine a sauvé Dorie ; ^.,^ 3o

Et le funeste remords

Que fait la peur des supplices ,

A laissé tous ses complices

Plus morts que s'ils étoient moils.

ao. La iMtaille de Coatru, fut vaincu et tué le duc de Joyeuse, le Utts le 30 octobre iSSy.

3o. C. Doria commandait sept galères espagnoles qu'au mois de décembre iSgS Casault arait introduites dans le port de Marseille.

a8 POÉSIES, VIII.

VIII

VICTOIRE DE LA GONSTÂITCE.

nàscE».

Ménage a prétendu à tort que Malherbe avait apporté ceue pièce de ProTence, qoand il vint à Paris en i6o5 : elle avait été plu- •ieurs années aaparaTant insérée, d*abord dans les D'werses poésies mouveUes (Roaen, 1^979 in-ia), elle est intitulée C/uuuon, puis dans deux éditions (1599 et i6o3) du Parnasse des plus exceUeiUs poètes de ce temps.

Enfin cette beauté m*a la place rendue Que d'un siège si long elle avoit défendue ; Mes vainqueurs sont vaincus; ceux qui mWt fait la loi La reçoivent de moi.

J'honore tant la palme acquise en cette guerre, 5

Que si victorieux des deux bouts de la terre J'avois miUe laurien» de ma gloire témoins, Je les priserois moins.

Au repos je suis tout ce qui me travaille , C'est la doute que j ai qu'un malheur ne m'assaille , 1 o Qui me sépare d'elle, et me fasse lâcher Un bien que j'ai si cher.

Il n^est rien ici-bas d'éternelle durée;

a. Vak. (A, C, etc.) :

Qu'elle avoit contre moi si longtemps défendue. 10. Vab. (C, F, etc.) : C'est le doute....

POÉSIES, VIII. «9

Une chose qui plaît n'est jamais assurée; L épine suit la rose, et ceux qui sont contents t s

Ne le sont pas longtemps.

Et puis qui ne sait point que la mer amoureuse En sa bonace même est souvent dangereuse; Et qu'on y voit toujours quelques nouveaux rochers. Inconnus aux nochers?

ao

Déjà de toutes parts tout le monde m'éclaire; Et bientôt les jaloux ennuyés de se taire , Si les vœux que je fais n'en détournent l'assaut, Vont médire tout haut.

Peuple qui me veux mal , et m'imputes à vice % 5

D'avoir été payé d'un fidèle service, trouves-tu qu'il faille avoir semé son bien , Et ne recueillir rien?

Voudrois-tu que ma dame, étant si bien servie, Refusât le plaisir l'âge la convie , ' 3o

Et qu'elle eût des rigueurs à qui mon amitié Ne sût faire pitié ?

Ces vieux contes d'honneur, invisibles chimères, Qui naissent aux cerveaux des maris et des mères.

17-30. Cette strophe, saiTant Saint-Marc, ne fut ajoutée à la pièce <IQe dans le RectteU des plus beaux vers, publié en 1627. 31. M'éclaire f m'épie. ig-Sa. Vab. (A, etc.) :

Qu'anrois-je fait aux dieux pour avoir eu la peine D'attacher mon espoir à la poursuite Taine D'une maîtresse ingrate , à qui mon amitié Ne sût faire pitié?

3o POÉSIES, VIII.

Étoient-ce impressions qui pussent aveugler 3 5

Un jugement si clair?

Non, non, elle a bien fait de m^étre favorable, Voyant mon feu si grand , et ma foi si durable, Et j'ai bien fait aussi d'asservir ma raison

En si belle prison. 40

C'est peu d'expérience à conduire sa vie , De mesurer son aise au compas de l'envie. Et perdre ce que l'âge a de fleur et de fruit , Pour éviter un bruit.

De moi, que tout le monde à me nuire s'apprête , 4 s

Le ciel à tous ses traits fasse un but de ma tête; Je me suis résolu d'attendre le trépas, Et ne la quitter pas.

33-36. Ménage a remarqué a^ec raison que cette stropbe, fort peu morale, parait avoir été inspirée par les vers suivants de Bembo, que nous reproduisons avec leur ancienne onliographe :

Il pregio d'honestate amato et coko Da quelle antiche poste in prosa e*n rima; Et le uoci che*l uulgo errante et stolto Di peccato et disnor si graui estima; Et quel lungo rimbombo indi raccolto, Cbe s'ode risonar per ogni clima; Son foie di romanzi, et sogno et ombra, Cbe Talme simplicette preme, e*ngombra.

(Délie Aime di P. Bemlo, terza impretsione, p. i^^.)

37-40. Vah. (A, etc.) :

Non, non, elle a bien fait, et la femme avisée Qui n*a de songes vains sa raison abusée, Préférant sagement an langage TefFet, Fera ce qu'elle a fait.

45. De moi, pour moi, quant à moi.

POÉSIES, VIII. 3i

Plus j'y voîs de hasard , plus j'y trouve d'amorce; le danger est grand , c'est que je m'efforce; 5o En un sujet aisé moins de peine apportant , Je ne brûle pas tant.

Un courage élevé toute peine surmonte; Les timides conseils n'ont rien que de la honte; Et le front d'un guerrier aux combats étonné 5 5

Jamais n'est couronné.

Soit la fin de mes jours contrainte ou naturelle , S'il plaît à mes Destins que je meure pour elle y Amour en soit loué , je ne veux un tombeau

Plus heureux ni plus beau. 60

53-56» Vab. (A, etc.) :

Toujours d'un beau dessein la gloire aventureuse Veut avoir pour hôtesse une âme généreuse. Et jamais un guerrier au combat étonné Ne se voit couronné.

*

Le tome II des Muses ralliées donne ainsi ce dernier vers :

N*eut le front couronné. f>o. Vab. (A, etc.) : Ne plus beau.

POÉSIES, IX.

IX

GOlfSOLATION CARITÉB SUR LA MORT

DE 80K MARI.

Cette pièce parut pour la première fois, mais inoomplètement, dam le tome II da Parnasse des plus exceiUnts poètes de ee temps , Paris, i6oOy in-i6. Elle ne fiit donnée telle qu'elle est ici (]u*eu 1607, dans une autre édition du Parnasse,

Caritée était, sniTant Ménage, qui parait aroir eu de bonnes infor- mations, la reuve d'un gentilhomme de Proyence, nommé Lévéque, seigneur de Saint-Etienne.

Ainsi quand Mausole fut mort,

Artémise accusa le sort,

De pleurs se noya le visage ,

Et dit aux astres innocens

Tout ce que (Seût dire la rage , 5

Quand elle est maîtresse des sens.

Ainsi fut sourde au réconfort ,

Quand elle eut trouvé dans le port

La perte qu^elle avoit songée,

Celle de qui les passions 1 o

Firent voir à la mer Egée

Le premier nid des Alcyons.

Vous n'êtes seule en ce tourment

7. Vah. (D) : Ainsi perdit tout réconfort.

10- 13. Alcyone, fille d'Éole; son époux Céyx ayant péri dans un naufrage, elle se précipita dans la mer, et Thétis les changea tous deux en alcyons.

POÉSIES, IX. 33

Qai témoignez du sentiment ,

O trop fidèle Caritée : z 5

En tontes ftmes Tamitié,

De mêmes ennuis agitée,

Fait les mêmes traits de pitié.

De combien de jeunes maris

En la querelle de Pftris a o

Tomba la vie entre les armes ,

Qui fussent retournés un jour,

Si la mort se payoit de larmes,

A Mycènes (aire Tamour!

Mais le destin qui fait nos lois , !> 5

Est jaloux qu'on passe deux fois

Au deçà du rivage blême;

Et les Dieux ont gardé ce don ,

Si rare, que Jupiter même

Ne le sut &ire à Sarpédon. 3 <•

Pourquoi donc si peu sagement, Démentant votre jugement ,

i3-i8. Vab. (D) :

Vous n'étiez seule en ce malheur, Qui témoigniez de la douleur, Belle et divine Caritée : En toutes âmes l'amitié. Des mêmes ennuis agitée, Sent les mêmes traits de pitié.

3o. Vak. (P) : Ne le put....

On connaît dans la Fable deux héros du nom de Sarpédon. Tous <leiu avaient pour père Jupiter, qui accorda à Tun (fils d'Europe) de nvre trois âges d'homme, et qui ne put sauver l'antre (fils de Laoda- Ue), tué par Patrocle au siège de Troie.

3a. Van. p et E) :

Trompant votre beau jugement. Mauisuib. I i

34 POÉSIES, IX.

Passez- vous en cette amertume

Le meilleur de votre saison ,

Aimant mieux plaindre par ooutuiM , 3 5

Que vous consoler par raison?

Nature fait bien quelque effort ,

Qu'on ne peut condamner qu a tort;

Mais que direz-vous pour défendre

Ce prodige de cruauté, 40

Par qui vous semblez entreprendre

De ruiner votre beauté ?

Que vous ont fait ces beaux cheveux ,

Dignes objets de tant de vœux ,

Pour endurer votre colère ? 4 5

Et devenus vos ennemis ,

Recevoir Tinjuste salaire

D'un crime qu'ils n'ont point commis?

Quelles aimables qualités

En celui que vous regrettez 5 o

Ont pu mériter qu'à vos roses

Vous ôtiez leur vive couleur.

Et livriez de si belles choses

A la merci de la douleur?

36. Dans les deux éditions D et E, de 1600 et de i6o3, cette stance était suirie de celle-ci, qui terminait la pièce et que Malherbe a complètement modifiée lorsqu'il a ajouté mx stances nouTelles (voyez plus loin vers 69-72) :

Quelle injustice faites-vous

Aux yeux que tous aures si doux.

Quand vos orages seront calmes,

De refuser de les guérir

Et ne les apprêter aux palmes

Qu'ils brûlent de vous acquéijju-!

POÉSIES, IX. 35

Remettez-vous T&me en repos , & 6

Changez ces funestes propos ;

Et par la fin de vos tempêtes,

Obligeant tous les beaux esprits ,

Conservez au siècle vous êtes

Ce que vous lui donnez de prix. ()o

Amour autrefois en vos yeux

Plein d appas si délicieux ,

Devient mélancolique et sombre,

Quand il voit qu'un si long ennui

Vous fait consumer pour une ombre 65

Ce que vous n'avez que pour lui.

S*il voua ressouvient du pouvoir Que ses traits vous ont (ait avoir, Quand vos lumières étoient calmes, Permettez-lui de vous guérir, : o

Et ne différez point les palmes Qd'îI brûle de vous acquérir.

Le tcmpa d'un însensibk cours

Nous porte à la fin de nos jour»;

C'est à notre sage conduite , : 5

Sans mmmurrr de ce défaut,

De nous consoler de sa fuite,

En le ménageant comme il fiiut.

^. Vos iumièreSf vos yeux. C*oit le lumina des Ijatins.

36 POÉSIES, X.

X

DESSEIN DE QUITTER UNE DAME QUI NE LE COITTENTOIT QUE DE PROMESSE.

mtAMCMM.

Cette pièce a imprimée d'abord dans le tome II da Parnasse des plus excellents poètes de ce temps, dont quelques exemplaires, sni- Tant Saint-Marc, sont datés de 1699. Elle porte le titre de chanson dans un antre Recueil.

Beauté, mon beau souci, de qui l^ftme inoeruine A, comme rOcéau, son flux et son reflux, Pensez de vous résoudre à soulager ma peine , Ou je me vais résoudre à ne le souffrir plus.

Vos yeux ont des appas que j'aime et que je prise , 5 Et qui peuvent beaucoup dessus ma liberté ; Mais pour me retenir, s'ils font cas de ma prise. Il leur faut de Tamour autant que de beauté.

Quand je pense être au point que cela s'accomplisse, Quelque excuse toujours en empêche l'effet ; i o

C'est la toile sans fin de la fenune d'Ulysse, Dont l'ouvrage du soir au matin se défait.

Madame, avisez-y, vous perdez votre gloire

I. Var. (D) : Beauté, mon cher souci.

4. Vab. (ibid,) : Ou je me résoudrai de ne le souflrir plus.

7. Var. (ihid.) : Mais en me retenant....

POÉSIES, X. 37

De me Tavoir promis , et vous rire de moi ;

S'il ne vous en souvient vous manquez de mémoire , x 5

Et s'il vous en souvient vous n'avez point de foi.

Javois toujours fait compte, aimant chose si haute,

De ne m en séparer qu avecque le trépas;

S'il arrive autrement ce sera votre faute,

De faire des serments et ne les tenir pas. a o

16. Vab. (D) : Ou s'il vous en souvient....

17, 18. Vab. (iA'ui.) :

Pavois toujours fait cas, aimant chose si haute, De ne m'en départir jusques à mon trépas.

38 POÉSIES, Kl,

Xi

GOlfSOLATION A MONSIEUR OU FÉRIER , GENTILHOMME D*AIX EN PROVENCE, SUR LA MORT DE SA FILLE.

STAHCBS.

des Stances, les plus célèbres de Malherbe, ont été écrites pos- térieurement au mois de juin iSqq, puisque le poète y fait allu- sion à la mort de ses deux premiers enfants, dont le second monruf dans ses bras, à Gien, le i3 juin de cette année. EUlcs furent impri- mées en 1607, dans le tome II du Parnasse ties plus excellents poètes de ce temps , et avaient d'abord paru en Provence , en feuille volante. Cette première édition, aujourd'hui introuvable, contenait de nom- breuses variantes , que Huet avait transcrites«,sar un exemplaire des œuvres de Malherbe (édition de 1666). Saidt-Marc eut communi- cation de ce volume, et c*est d'après lui que nous donnerons les variantes.

François du Périer, fils de Laurent du Périer, avocat au parlement d'\ix, était un grand ami de Malherbe, qui en parle souvent dans ses lettres. Sa fille s'appelait Marguerite. On raconte que Malherbe avait d'abord rédigé ainsi le vers 1 5 :

Et Rosette a vécu ce que vivent les roses;

mais à l'imprimerie on déchiffra mal le manuscrit, et l'on mit RoseUe au lieu de Rosette. En lisant l'épreuve à haute voix, le poète fut frappé de ce changement et écrivit le vers tel qu'il est aujourd'hui. Nous ne savons cette anecdote fort connue a été rapportée pour la première fois , mais elle nous semble démentie par la rédaction primitive du vers en question que nous donne une variante rapportée plus bas.

Dans un manuscrit de la collection Gaignières, à la Bibliothèque impériale (n* looi, p. 974)» ou trouve une parodie de cette pièce, à propos d'un factum de Sacy pour M. de Pommereu. Elle com- mence ainsi :

Ta fureur, de Sacy, sera-t-elle étemelle?

^

POÉSIES, XI. 39

Ta douleur, du Parier, sera donc étemelle ,

Et les tristes discours Que te met en Tesprit Tamitié paternelle

L augmenteront toujours?

Le malheur de ta fille au tombeau descendue , 5

Par un commun^j^pi^^ Est-ce quelque dédale , ta raison perdue

Ne se retrouve pas?

Je sais de quels appas son enfance étoit pleine,

Et n'ai pas entrepris , i o

Injurieux ami, de soulager ta peine Avecque son mépris.

Mais elle étoit du monde , les plus belles choses Ont le pire destin ;

1-4. Vab. :

Ta douleur, Cléophon, «era dooo incurable.

Et les sages discours Qu'apporte à Tadoucir un ami secourable,

L'enaigrissent toujours.

9-13. Vab. :

J'ai sa de MO ei^krit la beauté oatnrelle.

Et si par du mépris Je Toolois t'empécher de soupirer pour elle,

Je serois mal appris.

Nul autre plus que moi n'a fait cas de sa perte,

Pour avoir tu ses mœurs, Arec étonnement qu*une saison si verte Portât des fruits si meurs. i3-i6. Vas. :

Ifaia elle étoit du monde, les plus belles choses

Font le moins de séjour. Et ne pouvoit Rosette être mieux que les roses

Qui ne virent qu'un jour.

4o POÉSIES» XL

Et rose elle a vécu ce que vivent les roses , f 5

L'espace d un matin.

Puis quand ainsi seroit , que selon ta prière

Elle auroit obtenu D*avoir en cheveux blancs terminé sa carrière,

Qu en (ùt*il ajl^egi^

90

Penses-tu que plus vieille en la maison céleste

Elle eût eu plus d'accueil? Ou qu'elle eût moins senti la poussière funeste.

Et les vers du cercueil?

Non , non , mon du Périer, aussitôt que la Parque a 5

Ote Tàme du corps , L'âge s'évanouit au deçà de la barque ,

Et ne suit point les morts.

Tithon n'a plus les ans qui le firent cigale;

Et Pluton aujourd'hui, 3o

Sans égard du passé, les mérites égale

D'Archémore et de lui.

Ne te lasse donc plus d'inutiles complaintes; Mais sage à l'avenir,

a5. Vab. : Non, non, mon Qéophon....

39. Tithon, aimé de l'Aurore, obtint d'elle Tinmiortalité ; mais il avait oublié de lui demander en même temps ime jeunesse étemelle. Aussi , plus tard , pour le consoler de sa décrépitude , elle ne rit d'antre moyen que de le changer en cigale.

3a. Opheltès, fils de Lycurgue, roi de Némée, mourut en bas âge, et les sept chefs qui allaient assiéger Tfaèbes, ayant été involon- tairement cause de sa mort, instituèrent en son honneur les jeux néméens, et le surnommèrent Ârchémort,

34* Var. : Ains, sage à Tarenir.

POÉSIES, XL 4i

Aime une ombre comme ombre, et des cendres éteintes 3 5

9

Eteins le souvenir.

C*est bien, je le confesse, une juste coutume,

Que le cœur affligé , P^ le canal des yeux vidant son amertume.

Cherche d'être allégé. 4o

Même quand il advient que la tombe sépare

Ce que nature a joint. Celui qui ne s émeut a Tâme d'un barbare.

Ou n en a du tout point.

Mais d'être inconsolable , et dedans sa mémoire 4 5

Enfermer un ennui. N'est-ce pas se haïr pour acquérir la gloire

De bien aimer autrui?

Priam qui vit ses fils abattus par Achille ,

Dénué de support, 5o

Et hors de tout espoir du salut de sa ville ,

Reçut du réconfort.

37. Var. : Je sais que la nature a fait cette coutume.

3g. Vâh. : Versant son amertume.

43, 44* ^^ deux vers sont imités du Pastor fido (act. IV, se. ▼) :

Ben duro cor aTrebbe, o non avrebbe Più toftto cor.

La strophe ayait été d*abord écrite ainsi par Malherbe :

Mais lorsque la blessure est en lieu si sensible,

Il faut que de tout point L'homme cesse d'être homme et n'ait rien de passible

S'il ne s'en émeut point.

45. Var. : Mais sans se consoler....

47. Vaa. : N*€st*oe pas se haïr pour nue vaine gloire.

4a POÉSIES, XI.

François, quand la Castille, inégale à ses armes,

Lui vola son Dauphin , Sembla d'un si grand coup devoir jeter des larmes, 5 5

Qui n'eussent point de fin.

Il les sécha pourtant, et comme un autre Alcide

Contre fortune instruit. Fit qu'à ses ennemis d un acte srperfide

La honte (iit le fruit. 6o

Leur camp qui la Durance avoit presque tarie

De bataillons épais , Entendant sa constance eut peur de sa furie ,

Et demanda la paix.

De moi, déjà deux fois d'une pareille foudre 65

Je me suis vu perclus,

54* François, ûU aine de Franco» I*', néen i5i7, mort en i$35. Sa mort assez soudaine fit croire qu'il avait été empoisonné, à. Tinsli- gation de Gharies-Qnint, et Sébastien de MontecucuUi , gentilhomaM ferrarais et son échanson , expia par un affreux supplice ces soup- çons , ({ui n'avaient aucune espèce de fondement.

55. Vab. : Sembloit....

56. Vah. : Qui n'eussent jamais fin.

64. Charles-Quinty après avoir envahi la Provence en juillet t536 et assiégé Marseille , fut forcé , au mois de septembre, d'opérer uue retraite désastreuse , et l'année suivante , de conclure un armistioe transformé en 1 538 en une trêve de dix ans.

65. Malberbe à cette époque, ainsi que nous l'avons dit plus haut, avait perdu deux enfants : Henri, mort le ag octobre iSSy, et Jourdaine, le a 3 juin 1599. Son troisième et dernier enfant ne vint au monde que dix-sept mois après la mort de Jourdaine.

Balzac a dit assez spirituellement au sujet de cette strophe, dans son premier Entretien adressé à dom André, le Feuillant : c Pour le plan de l'appartement que vous m'avez envoyé, je fais état de vous porter une description de la retraite de l'empeicuA Charles. Et je fais en ceci comme le bonhonme Malherbe quand il se mettoit im-

POÉSIES, XI. 43

Et deux fois la raison m*a si bien fait résoudre , Qu'il ne m en souvient plus.

Non cpi'il ne me soit grief que la terre possède

Ce qui me fut si cher; 70

Mais en un accident qui n a point de remède, Il n en iaut point chercher.

La mort a des rigueurs à nulle autre pareilles;

On a beau la prier, La cruelle qu'elle est se bouche les oreilles , 7 5

Et nous laisse crier.

Le pauvre en sa cabane , le chaume le couvre ,

Est sujet à ses lois; Et la garde qui veille aux barrières du Louvre

N'en défend point nos Rois. s o

De murmurer contre elle, et perdre patience,

U est mal à propos; Vouloir ce que Dieu veut, est la seule science

Qui nous met en repos.

médiatemcnt après les rois et qu*il disoit : « Priam a re^ de la t oooaolatioD ; Francis premier n'a pas tûuIu monrir de regret, ni t moi ansti. s

69. Var. : Non ipi'îl ne me soit mai.... Gfitf ne formait autrefob qn'une seoie sjllabe. 73-76. Vab. :

La mort d*nn eoop fiital tonte chose moiisoniie,

Et l'arrêt tonverain Qui vent que sa rignenr ne connoisse personne

Est écrit en aôrain.

U POÉSIES, XII.

XII

A LA REINE, MÈRE DU ROI, SUR SA BIENVENUE

EN FRANqp.

ODB PUSSHTiB A SA MAlStXK, A AZX, I**AnriB 160O.

Marie de Médicis, quand elle vint en France partager le trftne de Henri IV, fit son entrée à Aix le 16 novembre if>oOy et en repartit le surlendemain. H paraît que ce fut François du Périer, dont il Tient d*étre question , qui présenta Malherbe à la nouvelle Reine.

La première édition de cette ode a été donnée en 1601 , À Aix, chex J. Tholosan , sous le titre de Ode du sieur de Malherbe. A la Beute, pour sa bienvenue en France, 16 p. in-S**. Elle était jusqu'ici restée in- connue aux éditeurs de Malherbe et aux bibliographes. La pièce re- parut en i6o3 dans le Parnasse des plus excellents poètes, et Ait réim- primée fort souvent avant i63o. C'est une de celles que Malherbe a le plus retravaillées y comme le prouvent les nombreuses variantes que nous allons avoir à relever. Nous n'avons pas besoin de dire que les mots mère du Roi n'ont été ajoutés au titre que dans les réimpreitions postérieures à la mort de Henri IV.

Peuples, qu^on mette sur la tête

Tout ce que la terre a de fleurs ;

Peuples, que cette belle fête

A jamais tarisse nos pleurs;

QuVux deux bouts du monde se voie 5

5-8. Var. (E, F, L, O) :

Que les flammes aillent aux nues. Que le bal empêche les mes, Et dans l'oubli soyent noyés Tant de pitoyables orages.... Édition de 1601 :

Que le bal étouffe les rues

Et dans les coupes soient noyé».

POÉSIES, XII. 45

Luire le feu de notre joie ;

Et soient dans les coupes noyés

Les soucis de tous ces orages,

Que pour nos rebelles courages

Les Dieux nous ayoient envoyés. i o

A ce coup iront en fumée

Les VŒUX que faisoient nos mutins ,

En leur âme encore affamée

De massacres et de butins;

Nos doutes seront éclaircies ; 1 5

Et mentiront les Prophéties

De tous ces visages pftlis,

Dont le vain étude s'applique

A chercher Fan climatérique

De Fétemelle fleur de lis. 9 o

Aujourd'hui nous est amenée Cette Princesse, que la foi D'Amour ensemble et d^Hyménée Destine au lit de notre Roi ;

11-14. Vah. (E, O) ;

A ce coup sera dissipée L'attente qn*avoient nos mutins , Qu'ils retremperoient leur épée Aux parricides intestins.

16. Vab. (£y O, etc.) : A la honte des prophéties.

18. Var. (O] : De qui le cerreau s'alamhique.

19. c Année dangereuse à passer, on est en danger de mort, au dire des astrologues, » dit le Dictionnaire de Trévoux. La loixante-troiaièroe année était regardée comme l'année climatérique de la vie de l'homme.

34. Vab. (édition de 1601, E, F, O, S) :

D'un loyal et saint hyménée Fait épouse de notre Roi.

46 POÉSIES, XII.

La voici, la belle Marie , s 5

Belle merveille d'Elrurie,

Qui fait conCoMer au soleil,

Quoi que Tàge passé raconte,

Que du ciel, depuis qu'il y monte,

Ne vint jamais rien de pareil. 3 o

Telle n^eat point la Cythérée,

Quand un nouveau £bu s'alkunant,

Elle sort pompeuse et parée

Pour la conquête d'un amant;

Telle ne luit en sa carrière 3 5

Des mois Tinégale oourrière;

Et telle dessus Thorison

L*Aurore au matin ae s'étale.

Quand les yeux mêmes de Céphale

En feroient la comparaison. 4o

Le Sceptre que perte sai race,

rheur aux mérites est joint,

Lui met le respect en la faoe ,

Mais il ne Tenorgueillit point ;

Nulle vanité ne la touche; 4 5

3a. Var. (édit. de 1601) : QaBnd d*an nooTeao.... 33, 34. Vab. (E, O) :

Elle va pompeuse et parée Se faire voir à quelque amant.

37. Vab. (édit. de 1601) : Ni telle....

39. CéphaUy nom de deux héro« mythologi^iet qui furent l*Qn et Tautre aimés de rAurore.

4i- Malherbe arait mis d'abord (édition de 1601, £, O) :

L'antique sceptre de sa race.

n a bien fait de changer ce tcts, qui arait flatter la Reine. On sait que la race des Médicis ri'était rien moins qu'ancienne, et que Marie Stuart appelait Catherine, sa belle-mère, t la fille du marchand. »

POÉSIES, XII. 47

Les Grâces parlent par sa bouche;

Et son front , témoin assuré

Qu'au vice elle est inaooessiUe,

Ne peut que d'un cœur insensible

Être yu sans être adoré. 5 o

Quantes fois, lorsque sur les ondes

Ce nouveau miracle flettoit,

Neptune en ses caves profondes

Plsugnit-il le feu qu'il sentoît *

Et quantes fois en sa pensée, 55

De vives atteintes blessée ,

Sans l'honneur de la royauté

Qui lui fit celer son martyre ,

Eùt-il voulu de son empire

Faire échange à cette beauté ! 6o

5i-6o. Vab. (E, O) :

Quantes fois, lorsque sur les ondes

Elle flottoit en set Taîsseanx,

Neptone après ses tresses blpndes

Attentif conrat sur les eaux I

Et quantes fois en sa pensée,

Que Tamour avoit offensée,

Si l'honneur de la royauté

Ne l'eût fait celer son martyre,

Eât-il Toulu de son empire

Faire échange à cette beauté ! Dans le tome I des Muses fran^oîses ralliées et dans le Séjour des Muses (1695), le huitième rers est ainsi :

Ne reîit fait sage en son martyre. L'édition de 1601 offre encore les Tariantes suivantes pour les Ters 4 et 8 de cette stance :

Attentif a couru les eaux !

N'aToit fait honte à son martyre. 54. Vab. (F, L, O) : Soupira du £en qu'il sentoit.

48 POÉSIES, XII.

Dix jours, ne pouvant se distraire

Du plaisir de la regarder ,

U a par un effort contraire

Essayé de la retarder;

Mais à la fin, soit que laudaoe 65

Au meilleur avis ait fait place ,

Soit qu*un autre démon plus fort

Aux vents ait imposé silence,

Elle est hors de sa violence ,

Et la voici dans notre port. 7 o

La voici, peuples, qui nous montre

Tout ce que la gloire a de prix ;

Les fleurs naissent à sa rencontre

Dans les cœurs, et dans les esprits;

Et la présence des merveilles 7 5

Qu*en oyoient dire nos oreilles ,

Accuse la témérité

De ceux qui nous Tavoient décrite,

D^avoir figuré son mérite

Moindre que n*est la vérité. 80

O toute parfaite Princesse , L*étonnement de lunivers,

61. Une tempête força Marie de Médicis de relAcher à Poitofino le 19 octobre et d*y séjourner jusqu'au a8. {Journal de l'EstoiU^ année 1600.)

63, 64. Var. (édit. de 1601, E, F, L, O, S):

Par une tempête contraire n a pensé la retarder.

71. Cette strophe se trouve pour la première fois dans les DéUces de la poésie française f i6i5.

81. Vab. (édit. de i6ox) : 16, belle et divine Princesse 1

(E, O) : O belle et divine Princesse!

(S) : O toute divine Princesse!

POÉSIES, XII. 49

Astre par qui vont avoir cesse

Nos ténèbres et nos hivers;

Exemple sans autres exemples, 8 5

Future image de nos temples,

Quoi que notre foible pouvoir

En votre accueil ose entreprendre ,

Peut-il espérer de vous rendre

Ce que nous vous allons devoir ? 90

Ce sera vous qui de nos villes

Ferez la beauté refleurir,

Vous qui de nos haines civiles

Ferez la racine mourir ;

Et par vous la paix assurée 95

N^aura pas la courte durée

Qu'espèrent infidèlement,

Non lassés de notre souffrance,

Ces François qui n'ont de la France

Que la langue et Thabillement.

X 00

Par vous un Dauphin nous va naître, Que vous-même verrez un jour De la terre entière le maître , Ou par armes ou par amour;

90. Let «juatre derniers Yen de cette strophe ayaient été primitiTe- iMnt écrits par Malherbe des deax manières suivantes (édit. de 1601, E,0,S):

Qael ingrat ne baisera pas,

S*il n*a la raison empêchée,

La terre qui sera touchée

Des belles marques de vos pas?

Quel orgueil n'estimera pas Sa peine assez récompensée , S'il baise la terre prôsée, etc. ?

93- Vaa. (E, F, O, eto.) : Vous, qui de nos guerres civiles. Mauhebi. I 4

5o POÉSIES, XII.

Et ne tarderont ses conquêtes , i o 5

Dans les oracles déjà prêtes,

Qu autant que le premier coton ,

Qui de jeunesse est le message ,

Tardera d*étre en son visage ,

Et de faire ombre à son menton. 1 1 o

Oh ! combien lors aura de veuves

La gent qui porte le turban !

Que de sang rougira les fleuves

Qui lavent les pieds du Liban !

Que le Bosphore en ses deux rives 1 1 5

Aura de Sultanes captives !

Et que de mères à Memphis^

En pleurant diront la vaillance

De son courage et de sa lance ,

Aux funérailles de leurs fils ! i «o

Cependant notre grand Alcide , Amolli parmi vos appas, Perdra la foreur qui sans bride

II 5, ii6. Var. (édit. de i6oiy E, F, O) :

O que JafTe et 1^ eu leun lÎTet Auront, etc.

La fin de cette strophe rappelle cet denx Yen de CatoUe {Mpiika" iamiitm PeUi et Thetidos, 349)

IlUus egregias virtutes claraqae fiicta

Saepe fatebuntur gnatorum in fnnere maires.

ia3. Citons un échantillon des critiques du dix-septième siècle. Voici ce que dit, à propos de ces vers, Urbain ChcTreau, qui a publié en 1660 des Remarques sur les œuvres poétiquet deMotuieurde Malherht: c Outre qvi' amolli ne me plaît pas, dit-il , cette bride est une filaine chose pour un grand roi , et nous sommes trop respectueux et trop retenus en France pour y donner une bride aux rois et aux princes. >

POÉSIES, XII. 5

:>i

L'emporte à chercher le trépas ;

Et cette valeur indomptée , i a 5

De qui Thonneur est TEurysthée,

Puisque rien n'a su Tobliger

A ne nous donner plus d'alarmes,

Au moins pour éparg^ner vos larmes,

Aura peur de nous affliger. 1 3 o

Si l'espoir qu'aux bouches des hommes

Nos beaux faits seront récités ,

Est l'aiguillon par qui nous sommes

Dans les hasards précipités ;

Lui, de qui la gloire semée 1 3 5

Par les voix de la renommée,

En tant de parts s'est fait ouïr.

Que tout le siècle en est un livre.

N'est-il pas indigne de vivre,

S'il ne vit pour se réjouir ? x 4 u

Qu'il lui snflise que l'Espagne,

Réduite par tant de combats

A ne l'oser voir en campagne ,

A mis l'ire et les armes bas ;

Qu'il ne provoque point l'envie 1 4 ^

Du mauvais sort contre sa vie;

133, 124. Yam. (édit. de 1601, £, F, S, «te.) ;

.... La fiiieur qui le guide A la recherche du trépas.

136. L'Eurysthée^ c'eftt-à-dire le mobUe. On sait qu*£arysthée im- pôts à Hercule des épreuTes dont le héros sortit victorieux. i3a. Va», (édit. de 160 1) : Voleront nos Cuits récités. 139, 140. Var. (édit. de x6oi, E, F)

A quoi doit-îl penser qu*à vivre , Vous jouir et se réjouir|?

5a POÉSIES, XII.

Et puisque, selon son dessein ,

Il a rendu nos troubles calmes,

S'il veut davantage de palmes,

Qu'il les acquière en votre sein. i So

C'est qu'il faut qu'à son génie ,

Seul arbitre de ses plaisirs ,

Quoi qu'il demande, il ne dénie

Rien qu'imaginent ses désirs;

C'est qu'il faut que les années 1 55

Lui coulent conune des journées.

Et qu'il ait de quoi se vanter

Que la douceur qui tout excède,

N'est point ce que sert Ganimède

A la table de Jupiter. i^o

Mais d'aller plus à ces batailles ,

tonnent les foudres d'enfer ,

Et lutter contre des murailles,

D'où pleuvent la flamme et le fer.

Puisqu'il sait qu'en ses destinées ^^^

Les nôtres seront terminées ,

i5i-i54. Vah. (E, O):

C*68t qu^il faut qu*à son géuie. Faisant iuyenter des plaisirs, n s'entretienne et ne se nie Rien qu'imaginent ses désirs.

161-164. Var. (édit. de 1601, E, F, O, etc.) :

Mais d'aller plus i ces batailles tonne l'horreur des enfers, Et lutter contre des murailles D'où pleuvent les feux et les fers.

165.170. Var. (E, O, F) :

Puisqu'il sait qu'eu ses destinées Les nùtres seront terminées,

POÉSIES, XII. '53

Et qn^après lui notre discord

N'aura plus qui dompte sa rage,

N'e8t->oe pas nous rendre au naufrage

Après nous avoir mis à bord ? 170

Cet Achille, de qui la pique

Faisoit aux braves d'Ilion

La terreur que fait en Afrique

Aux troupeaux Tassant d un lion ,

Bien que sa mère eût à ses armes 1 7 5

Ajouté la force des charmes.

Quand les Destins Feurent permis,

N'eut-il pas sa trame coupée

De la moins redoutable épée

Qui f&t parmi ses ennemis ? 180

Les Parques d une même soie Ne dévident pas tous nos jours ;

Et qu'en lui seul est réservé Notre bien et notre dommage, N'est-ce pas chercher le naufrage D'un Taissean qu'il en a sauvé?

Dans les Mutu raUiéesy on lit à l'ayant-demier vers la forme pro- vinciale cêreher an lieu de chercher,

175-180. Dans les éditions de 1601 et de i6o3, on trouve cette variante :

Bien que sa peau fût estimée

Dans un fleuve si bien chaimée.

Que nulle sorte de péril

Ne lui p&t oncques faire brèche,

Ne chut-il pas d'un coup de flèche

Dans les embûches de Paris?

Et dans «lie de x6i8 :

Bien que par les charmes d'un fleuve, On le cràt si bien à l'épreuve, Que nulle sorte de périls A sa pean ne put fiiire brèohe, etc.

54 POÉSIES, XIJ.

Ni toujours par semblable voie

Ne font les planètes leur cours;

Quoi que promette la fortune , i s 5

A la fin quand on Timportune,

Ce qu'elle avoit fait prospérer

Tombe du faite au jNrécipice;

Et pour Tavoir toujours propice

Il la faut toujours révérer. 190

Je sais bien que sa Carmagnole

Devant lui se représentant

Telle qu'une plaintive idole.

Va son courroux sollicitant,

Et Tin vite à prendre pour elle 1 9 5

Une légitime querelle ;

Mais doit-il vouloir que pour lui

Nous ayons toujours le teint blême,

Cependant qu'il tente lui-même

Ce qu'il peut faire par autrui ? a o o

Si vos yeux sont toute sa braise ,

Et vous la fin de tous ses vœux,

Peut-il pas languir à son aise

En la pnson de vos cheveux ?

Et commettre aux dures corvées 9 o .s

Toutes ces âmes relevées,

Que d'un conseil ambitieux

191. Le Roi était en ce moment en guerre «Tee le duc de Savoie, an sujet du marquisat de Saluées , dont Carmagncde est la capitale. 195-199. Var. (édit. dei6oiyE, F, etc.) :

Et TappeUe à yenger Tinjure

Que lui fiait un Toisin parjure ;

Mais doit-il vouloir que pour lui

Ceux qui Taiment soient toujours Uémes,

Cepcadant qu'il tente lni<

POÉSIES, XII. 55

La £dm de gloire persuade D'aUer sur les pas d^Encelade Porter des échelles aux cieux ?

3 ZO

Apollon n'a point de mystère,

Et sont profanes ses chansons,

Ou, devant que le Sagittaire

Deux fois ramène les glaçons ,

Le succès de leurs entreprises , a 1 5

De qui deux provinces conquises

Ont déjà fait preuve à leur dan ,

Favorisé de la victoire.

Changera la fable en histoire

De Phaéton en l'Éridan.

3ao

Nice payant avecque honte

Un si^e autrefois repoussé.

Cessera de nous mettre en compte

Barberousse qu'elle a chassé;

Guise en ses murailles forcées aa 5

Remettra les bornes passées

Qu'avoit notre empire marin;

Et Soissons fatal aux superbes,

Fera chercher parmi les herbes

En quelle place fut Turin. a 3 o

ii6. La Bresie et la Saroie conquises en i6oo, la première par ^n, la seconde par Lesdigoières.

iii-aa4. ^ 1543» du lo août an 8 septembre , Nice fut tnnti- ^ent assiégée par une armée française , que secondait une flotte torque. Cette Tille arait fait jadis partie du comté de Provence.

3i5. Le duc de Guise dont il a été question plus haut, p. aS et 34*

3i8. Charles de Bourbon, comte de Soissons.

56 POÉSIES, XIIL

XIII

PROSOPOPÉE D OSTENDE.

STANGIS.

D*aprè8 an passage de la Fie de Peirese par Gasaendi , Malherbe écrivit en i6o4 ces stances, qui parurent non en i63o, comme le dit Saint-Marc, mais en i6i5, dans les Délices de la poésie frmtçoue. Cest une imitation d*une pièce de tcts latins qui venait d*étre composée par Grotius, alors âgé d*ane vingtaine d*aunées. Voici cette pièce :

Area parva Ducum, totus quam respicit orbis, Celsior una malis, et quam damnare mine Nunc qaoque fiita timent, alieno in litore resto. Tertius annus abit, toties mutavimus bostem ; Swit byems pelago, morbisque fiirentibus sstas; Et minîmnin est quod fecit Iber. Crudelior armis In nos orta lues ; nullum est sine funere funns , Nec perimit mors ona semel. Fortona, quid bnnes? Qoa mercede tenes mistos in sangoine Mânes? Quis tumulos moriens bos occupet, boste peremto, Quieritury et sterili tantum de pulvere pugna est.

Ostende se rendit aux Espagnols, le lo septembre 1604, après un siège de trente-neuf mois. (Voy. de Thon, liv. GXXX.)

Trois ans déjà passés, théâtre de la guerre, J*exerce de deux chefs les funestes combats. Et fais émerveiller tous les yeux de la terre, De voir que le malheur ne m*ose mettre à bas.

 la merci du ciel en ces rives je reste , 5

je souffre Thiver froid à lextrémité ; Lorsque Tété revient il m*apporte la peste , Et le glaive est le moins de ma calamité.

POÉSIES, XIII. 57

Tout ce dont k Fortune afflige cette vie

Péle-méle assemblé me presse tellement , 1 o

Que c'est parmi les miens être digne d'envie ,

Que de pouvoir mourir d'une mort seulement.

Que tardez-vous, Destins? ceci n'est pas matière Qu'avecque tant de doute il faiUe décider; Toute la question n'est que d'un cimetière, 1 5

Prononcez librement qui le doit posséder.

58 POÉSIES, XIV.

XIV

AOX OMBRES DE DAMOK.

Suivant Ménage , qui le tenait de Racan, Malherbe aurait com- posé cette pièce en PrOTcnoe, c'est-à-dire avant le mois d'août de l'année i6o5. Elle n'est point terminée; aussi n'a-t-elle été imprimée que dans l'édition de i63o.

L'Orne conime autrefois nous reverroit encore. Ravis de ces pensers que le vulgaire ignore , Egarer à Técart nos pas et nos discours ; Et couchés sur les fleurs conune étoiles semées , Rendre en si doux ébat les heures consumées , 5

Que les soleils nous seroient courts.

Mais , 6 loi rigoureuse à la race des hommes, C'est un point arrêté , que tout ce que nous sommes , Issus de pères rois et de pères bergers , La Parque également sous la tombe nous serre^ i o

Et les mieux établis au repos de la terre , N'y sont qu'hôtel et passagers.

Tout ce que la grandeur a de vains équipages , D'habillements de pourpre , et de suite de pages , Quand le terme est échu n allonge point nos jours ; z 5 Il faut aller tout nus le Destin commande ; Et de toutes douleurs, la douleur la plus grande C'est qu'il faut laisser nos amours.

POESIES, XIV. 59

Amours ijui la plupart iufidèlea et feintes, Font gloire de manquer à nos cendres éteintes , a o

Et qui plus que Thoinneur estimant le plaisir, Sous le masque trompeur de leurs visages blêmes. Acte digne du foudre ! en nos obsèques mêmes Conçoivent de nouveaux désirs.

EOes savent assez alléguer Artémise , a 5

Disputer du devoir et de la foi promise;

Mais tout ce beau langage est de si peu d effet ,

Qu'à peine en leur grand nombre une seule se treuve

De qui la foi survive, et qui fiasse la preuve

Que ta Carinice te fait. 3o

Depuis que tu n*es plus , la campagne déserte A dessous deux hivers perdu sa robe verte , Et deux fois le printemps la repeinte de fleurs , Sans que d'aucuns discours sa douleur se console. Et que ni la raison, ni le temps qui s'envole, 35

Puisse faire tarir ses pleurs.

Le silence des nuits , Thorreur des cimetières , De son contentement sont les seules matières; Tout ce qui platt déplatt à son triste penser; Et si tous ses appas sont encore en sa face , 4 o

C'est que Tamour y loge, et que rien qu'elle fasse N'est capable de l'en chasser.

Mais quoi? c'est un chef-d'œuvre tout mérite abonde,

93, 94. Ovîde a dit (jért mm.<, Œ, 43i) :

Fnnere s«pe riri rir qucritor.

6o POÉSIES, XIV.

Un miracle du ciel , une perle du monde , Un esprit adorable à tous autres esprits ; 4 5

Et nous sommes ingrats d'une telle aventure , Si nous ne confessons que jamais la nature N*a rien fait de semblable prix.

J'ai vu maintes beautés à la cour adorées, Qui des vœux des amants à Tenvi désirées, 5o

Aux plus audacieux ôtoient la liberté ; Mais de les approcher d une chose si rare, C'est vouloir que la rose au pavot se compare , Et le nuage à la clarté.

Celle à qui dans mes vers, sous le nom de Nérée, 55

J'allois bâtir un temple étemel en durée,

Si la déloyauté ne lavoit abattu ,

Lui peut bien ressembler du front ou de la joue.

Mais quoi ! puisqu a ma honte il fiiut que je lavoue,

Elle n'a rien de sa vertu. 60

L'âme de cette ingrate est une âme de cire. Matière à toute forme, incapable d'élire, Changeant de passion aussitôt que d'objet; Et de la vouloir vaincre avecque des services , Après qu'on a tout fait, on trouve que ses vices 65

Sont de l'essence du sujet.

Souvent de tes conseils la prudence fidèle M'avoit sollicité de me séparer d'elle. Et de m'assujettir à de meilleures lois;

55. c Je me sou-nens d*aYoir oui dire, rapporte Ménage, mais je ne me souyiens point à qui, que cette Nérée étoit une dame de Pro- yence qui ayoit nom Renée. » Nérée est en effet l'anagruune de Renée.

POÉSIES, XIV. 6i

liais Taifle de la voir avoit tant de puissance , 7 o

Que cet ombrage faux m'ôtoit la connoissance Du vrai bien tu m'appelois.

Enfin après quatre ans une juste colère,

Que le flux de ma peine a trouvé son reflux; Mes sens qu'elle aveugloit ont connu leur offense , 7 5 Je les en ai purgés, et leur ai fait défense De me la ramentevoir plus.

La femme est une mer aux naufirages fatale ; Rien ne peut aplanir son humeur inégale ; Ses flammes d'aujourd^hui seront glaces demain ; So

Et s'il s'en rencontre une à qui cela n'avienne Fais compte, cher esprit, qu elle a coname la tienne Quelque chose de plus qu'humain.

77. HMmemtêpoir, rappeler.

6a POÉSIES, XV.

XY

PARAPHRASE DU PSAUME VIII.

C'est le pcaume Domine , Dominus noster, quam admiràhiU est nomen tuum in unîpersa terra !

Saint-Marc conjecture, d'après une assertîc» de Racan, que ces stances, imprimées pour la première fois dans les Délices de la poésie française f Paris, i6i5, ont été composées ayant i6o5. Gela est pro- bable, car dans une lettre à Peîresc, en date du 3 nud i6i4, Malherbe en parle comme de Ters qu'il arait fiûts mutrefm» H ajoute qa'oa Te- nait de les mettre eu musique.

O Sagesse étemelle, à qui cet univers Doit le nombre infini des mirades divers Qu'on voit également sur la terre et sur Tonde ;

Mon Dieu , mon créateur , Que ta magnificence étonne tout le monde , 5

Et que le ciel est bas au prix de ta hauteur !

Quelques blasphémateurs , oppresseurs d'innocents , Â qui Texcés d'orgueil a fait perdre le sens , De profanes discours ta puissance rabaissent;

Mais la naïveté r o

Dont mêmes au berceau les en&nts te confessent, Clôt-elle pas la bouche à leur impiété ?

De moi, toutes les fois que j'arrête les yeux

A voir les ornements dont tu pares les cieux ,

Tu me semblés si grand, et nous si peu de chose, 1 5

Que mon entendement Ne peut s'imaginei: quelle amour te dispose

POÉSIES, XT. 63

A nous fiEiiroriser d'un regard seulement.

n n*e8t foîblesse égale à nos infirmités ;

Nos plus sages discours ne sont que vanités ; 9 o

Et nos sens corrompus n'ont goût qu'à des ordures ;

Toutefois , ô bon Dieu , Nous te sommes si chers, qu entre tes créatures, Si Tange est le premier, Thomme a le second lieu.

Quelles marques d'honneur se peuvent ajouter a 5

A ce comble de gloire tu las fait monter? Et pour obtenir mieux quel souhait peut-il faire?

Lui que jusqu'au ponant, Depuis le soleil vient dessus l'hémisphère, Ton absolu pouvoir a fait son lieutenant? 3o

I^t6t que le besoin excite son désir,

Qu'est-ce qu'en ta largesse il ne trouve à choisir ?

Et par ton règlement l'air , la mer et la terre

N'entretiennent-ils pas Une secrète loi de se (aire la guerre 3 5

A qui de plus de mets fournira ses repas ?

Certes je ne puis faire en ce ravissement , Que rappeler mon &me, et dire bassement :

a4. Vae. (N et P) :

Si l'ange a le premier....

98. c Pai oaï dire à plosieurs de nos anciens, raconte Ménage, qu*on se moqnoit à la cour de ce vers, à cause du mot de Ponant, » Dans le langage populaire, ce mot , en effet , arait une tout autre signification. (Voy. le Dictionnaire comique de Leroux.)

36. Malherbe s*est souvenu ici du chapitre ▼, livre IV, du Traité des B'unfaitâ de Sénèque, dont il a, comme on sait, fidt une tra- duction.

64 POÉSIES, XV.

O Sagesse étemelle, en merveilles féconde,

Mon Dieu, mon créateur, 40

Que ta magnificence étonne tout le monde. Et que le ciel est bas au prix de ta hauteur !

%i

POÉSIES, XVT. 65

X?I

POUR LES PAIRS DE FRAITCE, ASSAILLAKTS AU COMBAT

DE BARRIÈRE.

«TAHCES..

c Le dimanclie a 5 féTrier i6o5, dit Bassompierre , se fit Puis) le combat à la barrière , le seul qui s*est fait du règne du feu Roi (Henri IV), ni de celui de son fils présent régnant. Notre psrde étoit les cberaliers de l'Aigle, et éfîoiis le comte de Sault, Saint-Lac et moi, qui entrions ensemble, a Le» itanoei de Malherbe furent imprimées en i6o5, dans le Recueil des cartels et défis.,,, pour le combat de la Barrière, Paris, in-ia. Dans ce volume que je n*ai pu me procurer, elles sont , suivant Saint-Marc , intitulées : Pour les ftdadins de France, Je ne crois pas qu'ellei aient été réimprimées avant l'édition de i63o.

Et quoi donc? la France féconde

En incomparables guerriers ,

Aura jusqu'aux deux bouts du monde

Planté des forêts de lauriers,

Et fait gagner à ses armées 5

Des batailles si renommées,

Afin d'avoir cette douleur

D'ouXr démentir ses yictoines , .

Et nier ce que les histoires

Ont publié de sa valeur ? t o

Tant de fois le Rhin et la Meuse Par nos redoutables efforts Auront vu leur onde écumeuse Regorger de sang et de morts ;

Malhxbbb. I ^

es POÉSIES, XVI.

Et tant de fols nos destinées 1 5

Des Alpes et des Pyrénées

Les sommets auront fait branler,

Afin que je ne sais quels Scythes ,

Bas de fortune et de mérites ,

Présument de nous égaler. a »

Non, non, s'il est vrai que nous sommes

Issus de ces nobles aïeux

Que la voix conmiune des hommes

A &it asseoir entre les dieux ,

Ces arrogants , à leur donmiage , a s

Apprendront un autre langage ,

Et dans leur honte ensevelis ,

Feront voir à toute la terre ,

Qu*on est brisé comme du verre

Quand on choque les fleurs de lis. 3u

Henri, lexemple des monarques

Les plus vaillants et les meilleurs.

Plein de mérites et de marques

Qui jamais ne furent ailleurs ;

Bel astre vraiment adorable , 3 5

De qui lascendant favorable

En tous lieux nous sert de rempart ,

Si vous aimez votre louange,

Desirei>-vous pas qu'on la venge

D*une injure vous avez part? 4 o

18. Les adversaires des Pairs de France représentaient des Sc}t]ies. Plus loin (vers 4^) le poëte fait allusion à la tradition qui don- nait pour premier roi aux Scythes, Scythes, fils d*HercuIe et d*Échidna.

9 1-34* On sait qu*une légende acceptée jusqu'au seizième siècle faisait descendre les Francs de Francns, fils d^Hector.

POÉSIES, XVI. 67

Ces arrogants, qui se défient

De n'avoir pas de lustre assez,

Impudemment se glorifient

Aux fables des siècles passés ;

Et d'une audace ridicule , 4 5

Nous content qu'ils sont fils d'Hercule,

Sans toutefois en faire foi ;

Hais qu'importe-t-il qui puisse être

Ni leur père ni leur ancêtre,

Puisque vous êtes notre roi ? 5

Contre l'aventure funeste

Que leur garde notre courroux ,

Si quelque espérance leur reste »

C'est d'obtenir grâce de vous ;

Et confesser que nos épées , 5 5

Si fortes et si bien trempées

Qu'il faut leur céder, ou mourir ,

Donneront à votre couronne

Tout ce que le ciel environne.

Quand vous le voudrez acquérir. 60

68 POÉSIES, XVII.

XYll

MADAME LA PRINCESSE DOUAIRIERE, CHARLOTTE

DE LA TRIMOUILLE.

•omBT.

Sarvant Ménage» Malherbe fit ce sonnet en arriyant à la conr, c*est-à-dire en i6o5. Il TenToya à la princesse (Charlotte-Catherine de la Trémonille, yeuTe de Henri I**, prince de Condé), avec une lettre qui a été publiée, et il lui dit : «Je yous apporte Toffiande d*un chétif sonnet que je fis tout aussitôt que je sus qu'au lieu de revenir par deçà, tous touniiez le visage vers la Provence. »

Ces vers furent imprimés pour la première fois, en i6ao, dans les tomes I et n des Déùees Jg la poésU fraaeoue.

Quoi donc, grande Princesse en la terre adorée, Et que même le ciel est contraint d'admirer, Vous avez résolu de nous voir demeurer En une obscurité d'étemelle durée?

La flanune de vos yeux , dont la cour éclairée 5

A vos rares vertus ne peut rien préférer. Ne se lasse donc point de nous désespérer. Et d'abuser les vœux dont elle est désirée?

Vous êtes en des lieux, les champs toujours verts, Pour ce qu'ils n'ont jamais que des tièdes hivers , i o

Semblent en apparence avoir quelque mérite.

Mais si cW pour cela que vous causez nos pleurs, Conmnent faites-vous cas de chose si petite , Vous de qui chaque pas fait naître mille fleurs?

lo. YAa, (éd. de t63t) : De tièdes hivers.

POÉSIES, XVIII. 6*9

XYIII

PRIÈRE POI]R LE ROI HEU RI LE GRAND, ALLAirr EV LIWOU9IM.

STAlfCRS.

Hairi IV, en tq>teiiibi« iSoS, an moment U partait aree det tnmpes pour aller tenir let grands jours en Limonsûni commanda ees TOI à Malherbe , qui les lui présenta à son retour. U est pent-ètra pomis de croire, d'après un passage de l'Estoile, qu'ils parurent d'abord en feuille Tolante. En tout cas, ils furent imprimés en 1607 dans le tome II du Parnasse des plus excellents poètes de ce temps.

On peut Toir dans Y Histoire de l'Acaddinie française par Pellisson (édition LiTct, tomel, p. iso et suiv.) l'analyse de l'examen que l'il- lustre compagnie fit de la pièce de Malherbe , examen auquel elle consacra trois mois (du 9 ayril au 6 juillet i638), sans pourtant acherer sa besogne ; car elle ne s'oocupa point des Tingt-qoatre der* siéra Tcrs (il y en a en tout ia6). Une seule strophe ÇQuand un Roi fûuuant) troara grice derant elle.

0 Dieu , dont les bontés de nos larmes touchées

Ont aux vaines fureurs les armes arrachées ,

Et rangé Tinsolence aux pieds de la raison ,

Poisqu^à rien d'imparfait ta louange n'aspire ,

Achève ton ouvrage au bien de cet empire, 5

Et nous rends Tembonpoint comme la guérison.

Nous sommes sous un roi si vaillant et si sage,

3. L'insolence, L'édition de i63o et les éditions postérieures portent i'ifMocence, ce qui n'offre aucun sens, et est érîdemment une feme d*imprcssîon. Nous aTona suivi, arse Ménage et Saint-Marc, la kçab qne donnent les divers Recueils la pièce avait paru antérieurement et an manuscrit dont nous parlons plus loin. Voyet p. 7a, note sur les V. 80-89.

70 POÉSIES, XVllI.

Et qui si dignement a fait l'apprentissage

De toutes les vertus propres à conunander,

Qu'il semble que cet heur nous impose silence, i o

Et qu'assurés par lui de toute violence,

Nous n'avons plus sujet de te rien demander.

Certes quiconque a vu pleuvoir dessus nos têtes Les funestes éclats des plus grandes tempêtes Qu'excitèrent jamais deux contraires partis , 1 5

Et n'en voit aujourd'hui nulle marque paroître, En ce miracle seul il peut assez connottre Quelle force a la main qui nous a garantis.

Mais quoi? de quelque soin qu'incessanunent il veille, Quelque gloire qu'il ait à nulle autre pareille , i o

Et quelque excès d'amour qu'il porte à notre bien ; Conune échapperons-nous en des nuits si profondes, Parmi tant de rochers que lui cachent les ondes. Si ton entendement ne gouverne le sien?

Un malheur inconnu glisse parmi les hommes , « s

Qui les rend ennemis du repos nous sommes;

La plupart de leurs vœux tendent au changement;

Et conune s'ils vivoient des misères publiques.

Pour les renouveler ils font tant de pratiques ,

Que qui n'a point de peur n'a point de jugement. 3 o

En ce fâcheux état ce qui nous réconforte,

C'est que la bonne cause est toujours la plus forte,

Et qu'un bras si puissant t'ayant pour son appui.

Quand la rébellion plus qu'une hydre féconde

Auroit pour le combattre assemblé tout le monde , 3 5

la. Var. (F, L, O) : Nous n'ayoni pas....

1

POÉSIES, XVIII. 71

Tout le monde assemblé s'enfuiroit devant lui.

Confonne donc, Seigneur, ta grâce à nos pensées,

Ote-nous ces objets cpii des choses passées

Ramènent à nos yeux le triste souvenir;

Et comme sa valeur, maîtresse de Torage , 4 o

A nous donner la paix a montré son courage.

Fais luire sa prudence à nous lentretenir.

D n a point son e^oir au nombre des armées ,

Étant bien assuré cpie ces vaines fumées

N ajoutent que de Tombre à nos obscurités; 4 5

Laide qu^il veut avoir, c'est cpie tu le conseilles;

Si va le fais, Seigneur, il fera des merveilles,

Et vaincra nos souhaits par nos prospérités.

Les fuites des méchants, tant soient-elles secrètes ,

Quand il les poursuivra n auront point de cachettes; 5o

Aux lieux les plus profonds ils seront éclairés;

11 verra sans effet leur honte se produire.

Et rendra les desseins qu'ils feront pour lui nuire

Aussitôt confondus comme délibérés.

La rigueur de ses lois , après tant de licence , 5 5

Redonnera le cœur à la foible innocence ,

Que dedans la misère on faisoit envieiUir.

A ceux qui Toppressoient, il ôtera Taudace;

Et sans distinction de richesse, ou de race,

Tous de peur de la peine auront peur de faillir.

60. C*est la traduction du vers :

Odenint peccare mail formidine pœnae, 911 est lui-même une imitation de oe vers d'Horace (Epist. I, xri. Sa): Oderont peccare boni virtutia amore.

POÉSIES. XVIIL

La terreur de son nom rendra nos villes fortes,

On n*en gardera plus ni les murs ni les portes ,

Les veilles cesseront au sommet de nos tours;

Le fer mieux employé cultivera la terre,

Et le peuple qui tremble aux frayeurs de la guerre , 65

Si ce n'est pour danser, n'aura plus de tambours.

Loin des mœurs de son siècle il bannira les vices.

L'oisive nonchalance, et les molles délices,

Qui nous avoient portés jusqu'aux derniers hasards;

Les vertus reviendront de palmes couronnées, 70

Et ses justes faveurs aux mérites données ,

Feront ressusciter l'excellence des arts.

La foi de ses aïeux , ton amour et ta crainte , Dont il porte dans l'âme une étemelle empreinte , D'actes de piété ne pourront l'assouvir; U étendra ta gloire autant que sa puissance; Et n'ayant rien si cher que ton obéissance, tu le fais régner il te fera servir.

•53

Tu nous rendras alors nos douces destinées;

Nous ne reverrons plus ces fâcheuses années 80

66. On trouTe dans deux recueils (N et P) de 161 5 et 1630, la variante n'orra (futur du verbe oulr\ qui me semble bien préférable.

c Cette stance est fort belle, > dit Ménage, et il a raison, c M. de Racan, ajoute-t-il, y trouve pourtant à dire t[u'on y parle de danser au son des tambours , dans un poëme adressé à Dieu : ce qui lui semble peu respectueux. Mais à cela on peut répondre qu'on dansoit devant le tabernacle, etc., etc. >

8o-8a. Un manuscrit de la Bibliothèque impériale (Suppl, fr.^ xt9 397) contient de cette pièce une copie du temps qui nous donne ici les variantes suivantes :

Nous ne reverrons plus ces (3Lcbeuses années Qui d'une Ame de roche eussent tiré des pleurs. Toute félicité comblent nos familles.

POÉSIES, XVIII. 73

Qui pour les plus heureux n ont produit que des pleurs. Toute sorte de biens comblera nos familles, La moisson de nos champs lassera les faucilles» Et les fruits passeront la promesse des tleurs.

La fin de tant d'ennuis dont nous fûmes la proie s s

Nous ravira les sens de merveille et de joie; Et d autant que le monde est ainsi composé Qu'une bonne fortune en craint une mauvaise, Ton pouvoir absolu, pour conserver notre aise. Conservera celui qui nous laura causé, 90

Quand un roi fainéant , la vergogne des princes , Laissant à ses flatteurs le soin de ses provinces, Entre les voluptés indignement s'endort, Quoi que Ton dissimule, on n'en fait point d'estime; Et si la vérité se peut dire sans crime, 95

C'est avecque plaisir qu'on survit à sa mort*

Mais ce roi, des bons rois l'étemel exemplaire,

Qui de notre salut est l'ange tutélaire.

L'infaillible refuge, et l'assuré secours ,

Son extrême douceur ayant dompté l'envie , 100

De quels jours assez longs peut-il borner sa vie ,

Que notre affection ne les juge trop courts?

Nous voyons les esprits nés à la tyrannie,

Ennuyés de couver leur cruelle manie.

Tourner tous leurs conseils à notre affliction ; i o 5

Et lisons clairement dedans leur conscience ,

Que s'ils tiennent la bride à leur impatience.

91-96. Cette ttroplie fait évidemment allusioo à Henri m. io3. Vas. (N) : Noos voyontoMc^iu....

74 POÉSIES, XVIIL

Nous Tk*en sommes tenus qu a sa protection.

Qu*il vive donc, Seigneur, et qu*il nous fasse vivre; Que de toutes ces peurs nos âmes il délivre ; no

Et rendant Tunivers de son heur étonné, Ajoute chaque jour quelque nouvelle marque Au nom qu'il s*est acquis du plus rare monarque Que ta bonté propice ait jamais couronné.

Cependant son Dauphin d'une vitesse prompte r 1 5

Des ans de sa jeunesse accomplira le compte;

Et suivant de Thonneur les aimables appas.

De faits si renonunés ourdira son histoire,

Que ceux qui dedans lombre éternellement noire

Ignorent le soleil , ne l'ignoreront pas. i a o

Par sa fatale main qui vengera nos pertes,

L'Espagne pleurera ses provinces désertes ,

Ses châteaux abattus, et ses champs déconfits.

Et si de nos discords l'infâme vitupère

A pu la dérober aux victoires du père , i a s

Nous la verrons captive aux triomphes du fils.

ia3. Vae. (F, L, O) : Et ses camps...'.

ia4- f^iiupère signifie à proprement parier c blâme, reproche,» et

le Yers assez obscur de Malherbe vent dire : Si nos discordes dignes

de tant de blâme ont pu empêcher Henri IV de dompter FEspagne.

ia6. Le manuscrit cité plus haut donne une dernière strophe que

voici :

Il est temps, 6 grand Dieu, que les fléaux de ton ire

Lui fassent confesser qu*en vain elle désire

De Yoir le monde entier à son empire joint.

La paix en apparence a nos guerres bornées;

Mais puisque tous nos maux Tiennent de ces menées.

Nous pouvons nous aimer et ne la haïr point.

POÉSIES, XIX. 75

XIX

SUR L'ATTEJirTAT COMMIS EN LA PERSONNE DE HENRI LE GRAND, LE I g DE DÉGEMRRE l6o5.

ODB.

c Le lundi 19 décembre x6o5 , dit TEstoile , comme le Roi rrrenant de la chaue passoit à cheral sur le pont Neuf , environ le» cinq heures du soir, se rencontra un fon qui, ayant nn poignard on sous son manteao, tâcha d'en ofTenser Sa Majesté; et Payant saisi par le derrière de son manteau , que le Roi ayoit agrafé, le seoooa assez longtemps, jusques à ce que, chacun étant accouru au secours, étant pris et interrogé sur ce qu*il Touloit faire, dit qu'il ▼onloit tuer le Roi, pour ce qu'il lui détenoit injustement son bien et la plupart de son royaume, et plusieurs autres folies; puis, en riant, dit que pour le moins il lui avoit fait belle peur. Ce fou s'appeloit Jacques des Isles, natif de Senlis, praticien et procureur audit lieu, et transporté dès longtemps de son esprit; lequel, k cette occasion, selon la déposition des procureurs mêmes dudit Senlis, ayoit été chassé de leur siège, et l'en ayoient ôté comme fou et furieux. > Malgré une folie aussi bien constatée , les juges voulaient l'envoyer au gibet ; c mais le Roi ne le voulut jamais permettre , disant qu'il en fidsoit conscience. »

La pièce de Malherbe parut en 1607 dans le Parnasse des pUu excellents poètes de ce temps. Le P. Lelong en indique une édidon in-8* que je n'ai pu rencontrer.

Que direz- vous, races futures, Si quelquefois un vrai discours Vous récite les aventures De nos abominables jours?

4. Quelques exemplaires de l'édition de i63o et l'édition de i63f portent :

De nos misérables jours,

vers trop court d'une syllabe.

^

76 POÉSIES, XIX.

Lirez-Yous , sans rougir de honte « 5

Que notre impiété surmonte

Les faits les plus audacieux ,

Et les plus dignes du tonnerre ,

Qui firent jamais à la terre

Sentir la colère des deux? o

O que nos fortunes prospères

Ont un change bien apparent!

O que du siècle de nos pères

Le nôtre s*est fait différent!

La France devant ces orages , 1 5

Pleine de mœurs et de courages

Qu*on ne pouvoit assez louer,

S*est faite aujourd'hui si tragique.

Qu'elle produit ce que TAfirique

Auroit vergogne d'avouer. « o

Quelles preuves incomparables

Peut donner un prince de soi ,

Que les rois les plus adorables

N'en quittent l'honneur à mon roi?

Quelle terre n'est parfumée » 4

Des odeurs de sa renommée?

Et qui peut nier qu'après Dieu ,

Sa gloire qui n'a point d'exemples ,

N'ait mérité que dans nos temples

On lui donne le second lieu? 3o

Qui ne sait point qu'à sa vaillance

Il ne se peut rien ajouter?

Qu'on reçoit de sa bienveillance

Tout ce qu'on en doit souhaiter?

Et que si de cette couronne , 3 5

POÉSIES, XIX. 77

Que sa tige illustre lui donne ,

Les lois ne l'eussent revêtu ,

Nos peuples d'un juste suffrage

Ne pouvoient sans faire naufirage

Ne Toffrir point à sa vertu? 40

Toutefois, ingrats que nous sommes,

Barbares, et dénaturés.

Plus qu'en ce climat les hommes

Par les hommes sont dévorés.

Toujours nous assaillons sa tète 4 5

De quelque nouvelle tempête;

Et d'un courage forcené ,

Rejetant son obéissance,

Lui défendons la jouissance

Du repos qu'il nous a donné. 5 o

La main de cet esprit farouche

Qui sorti des ombres d'enfer

D'un coup sanglant frappa sa bouche,

A peine avoit laissé le fer;

Et voici qu'un autre perfide , 5 5

la même audace réside,

Gomme si détruire l'Etat

Tenoit lieu de juste conquête,

De pareilles armés s'apprête

3$-4o. La même idée est exprimée dans ces vers de Ronsard sur Charles IX:

Et quand il ne seroit héritier de TEmpire, Sor ses rares vertus on le derroit élire.

Si. Jean Chatel, qui, le 17 décembre 1S94» s^introdnisit dans la chambre de GabrieUe d*£atrécs, le Roi menait d'arriver, et le fmfipa d*ui coup de oouteaa qui loi fendit la lètre. Dès le snrlendemaio, Tassastin était tenaillé, écartelé et brîUé.

78 POÉSIES, XIX.

A faire un pareil attentat. <So

O soleil, 6 grand laminaire,

Si jadis Thorreur d un festin

Fit que de ta route ordinaire

Tu reculas vers le matin ,

Et d'un émerveillable change 6 5

Te couchas aux rives du Gange ,

D vient que ta sévérité.

Moindre qu'en la faute d'Atrée ,

Ne punit point cette contrée

D'une étemelle obscurité ? 70

Non , non , tu luis sur le coupable ,

Conune tu fais sur l'innocent;

Ta nature n'est point ciqmble

Du trouble qu'une &me ressent.

Tu dois ta (banme à tout le monde ; 7 5

Et ton allure vagabonde,

Comme une servile action

Qui dépend d'une autre puissance,

N'ayant aucune connoissanoe.

N'a point aussi d'affection. 80

Mais, 6 planète belle et claire. Je ne parle pas sagement; Le juste excès de la colère

71, 7a. t .... Patris Testri qui.... solem samn oriri lacît snper c bono» et malot, et plnit super jnstos et injustot, dit rérangile de saint Matthieu (chap. t, verset 45).

Sénèqne, de son côté, a dit (je cite la traduction de Malherbe, Des Bienfaits^ liy. IV , chap. xky) : t Les méchants voient le soleil comme les bons, et les mers ne font point meilleure mine à la barque d*nn marchand qu*â la frégate d*nn écnmeur. »

POÉSIES, XIX. 79

M'a fait perdre le jugement;

Ce traître , quelque frénésie 8 5

Qui travaillât sa fantaisie,

Eut encore assez de raison ,

Pour ne vouloir rien entreprendre,

Bel astre, qu'il n'eût vu descendre

Ta lumière sous Thorizon. 90

Au point qu'il écuma sa rage ,

Le dieu de Seine étoit dehors

A regarder croître l'ouvrage

Dont ce prince embellit ses bords;

U se resserra tout à l'heure 9 5

Au plus bas lieu de sa demeure;

Et ses Nymphes dessous les eaux ,

Toutes sans voix et sans haleine,

Pour se cacher furent en peine

De trouver assez de roseaux. i o o

La terreur des choses passées

A leurs yeux se ramentevant,

Faisoit prévoir à leurs pensées

Plus de malheurs qu'auparavant;

Et leur étoit si peu croyable i o 5

Qu'en cet accident effroyable

Personne les pût secourir.

Que pour en être dégagées ,

Le ciel les auroit obligées

S'il leur eût permis de mourir.

Revenez, belles fugitives;

De quoi versez-vous tant de pleurs?

93y 94. la gnnde galerie du LouTre.

I xo

8o POÉSIES, XIX.

Assurez vos ftmes crsintives;

Remettez vos chapeaux de fleurs;

Le Roi vit, et ce misérable, 1 1 5

Ce monstre vraiment déplorable,

Qui n'avoit jamais éprouvé

Que peut un visage d*Alcide,

A conmiencé le parricide,

il ne Ta pas achevé. i « o

Pucelles, qu'on se réjouisse;

Mettez-vous Tesprit en repos ;

Que cette peur s'évanouisse;

Vous la prenez mal à propos ;

Le Roi vit, et les destinées ' la 5

Lui gardent un nombre d'années,

Qui fera maudire le sort

A ceux dont l'aveugle manie

Dresse des plans de tyrannie

Pour bâtir quand il sera mort. 1 3o

O bienheureuse intelligence,

Puissance, quiconque tu sois,

Dont la fatale diligence

Préside à l'empire françois;

Toutes ces visibles merveilles, 1 3 5

De soins , de peines , et de veilles

Qui jamais ne t'ont pu lasser,

N'ont-elles pas fait une histoire ,

Qu'en la plus ingrate mémoire

L'oubli ne sauroit effacer? x 4 o

Ces archers aux casaques peintes Ne peuvent pas n'être surpris. Ayant à combattre les feintes

POÉSIES, XIX. 8i

De tant d^infidèles esprits;

Leur présence n'est qu'une pompe ; 145

Avecque peu d art on les trompe;

Mais de quelle dextérité

Se peut déguiser une audace ,

Qu'en Tàme aussitôt qu'en la face

Tu n'en lises la vérité ? 1 5 o

Grand démon d'étemelle marque, Fais qu'il te souvienne toujours Que tous nos maux en ce monarque Ont leur refuge et leur secours; . Et qu'arrivant l'heure prescrite , 1 5 5

Que le trépas, qui tout limite, Nous privera de sa valeur, Nous n'avons jamais eu d'alarmes nous ayons versé des larmes Pour une semblable douleur. 1 6 o

Je sais bien que par la justice ,

Dont la paix accroît le pouvoir.

Il fait demeurer la malice

Aux bornes de quelque devoir,

Et que son invincible épée 1 6 5

Sous telle influence est trempée,

Qu'elle met la frayeur partout,

Aussitôt qu'on la voit reluire;

Mais quand le malheur nous veut nuire ,

De quoi ne vient-il point à bout? 1 7 o

Soit que l'ardeur de la prière Le tienne devant un autel , Soit que l'honneur à la barrière L'appelle à débattre un cartel, Mauoebb. I ^

Ha POÉSIES, XIX.

Soit que dans la chambre il médite , 175

Soit qu'aux bois la chasse Tinvite,

Jamais ne t'écarte si loin ,

Qu'aux embûches qu'on lui peut tendre

Tu ne sois prêt à le défendre.

Sitôt qu'il en aura besoin. 1 3o

Garde sa compagne fidèle,

Cette reine dont les bontés

De notre foiblesse mortelle

Tous les défauts ont surmontés.

Fais que jamais rien ne l'ennuie ; 1 8 s

Que toute infortune la fuie;

Et qu'aux roses de sa beauté,

L'ftge , par qui tout se consume ,

Redonne, contre sa coutume,

La grâce de la nouveauté.. 1

Serre d'une étreinte si ferme

Le nœud de leurs chastes amours,

Que la seule mort soit le terme

Qui puisse en arrêter le cours.

Bénis les plaisirs de leur couche, 1 9 '

Et fais renattre de leur souche

Des scions si beaux et si verts,

Que de leur feuillage sans nombre

A jamais ils puissent faire ombre

Aux peuples de tout l'univers. s f>u

187. L'édition de i63o porte par erreur hanié. Paî adopté le texte des Recueils.

193. Dans les éditions de i63o et de if>3i, on lit : Que sa seule mort, ce qui est éTidenimcnt une faute d'impression ; aussi j*ai cru devoir suivre la leçon que donnent les Recucib.

\

POÉSIES, XIX.

Surtout pour leur commune joie

Dévide aux ans de leur Dauphin,

A longs filets d'or et de soie,

Un bonheur qui n*ait point de fin ;

Quelques vœux que fasse Tenvie , a o 5

Ck>n8erve-lear sa chère vie ;

Et tiens par elle ensevelis

D'une bonaoe continue

Les aquilons , dont sa venue

A garanti les fleurs de lis. a i o

Conduis-le sous leur assurance

Promptement jusques au sommet

De rinévitable espérance

Que son enfance leur promet ;

Et pour achever leurs journées , « 1 5

Que les oracles ont bornées

Dedans le trône impérial ,

A^ant que le ciel les appelle,

Fais-leur ouïr cette nouvelle

Qu'il a rasé FEscurial. a a o

31 S. Texte des Recueils :

De rindnbitable espérance.

f

94 POÉSIES, XX.

XX

Alix DAMES, POUR LES DEMI-DIEUX MARINS, COWDDITS PAR NEPTUNE.

fTAHOBS.

Cet ttanoesy imprimées pour la première fois , en 1609, dans le Nouveau Parnasse y furent composées pour le carrousel des Quatre Éléments f donné peu de temps après que la Reine fut accoucliée (10 fé- vrier 1606) de Christine, qui fut plus tard duchesse de Savoie, c Nous fîmes quelques ballets, dit Bassompierre, et un carrousel qui fut couru au Louvre et i l'Arsenal , qui étoit de quatre troupes. La première étoit de r£au, M. le Grand (Bellegarde) et les principaux de la cour étoient. Celle qui entroit après étoit la Terre, que M. de Vendôme menoit ; la troisième étoit le Feu, que M. de Roban condnisoit, et la quatrième TAir, de laquelle étoit chef M. le comte de Sommerire. s Bassompierre parle encore, à Tannée 1608, de ce ballet des D'uux marins f qui fut dansé â Paris, par lui et d'autres seigneurs, à l'arri- vée du duc de Mantoue.

O qu une sagesse profonde

Aux aventures de ce monde

Préside souverainement;

Et que Taudace est mal apprise

De ceux qui font une entreprise, 5

Sans douter de Tévénement !

Le renom que chacun admire

Du prince qui tient cet empire ,

Nous avoit fait ambitieux

De mériter sa bienveillance , i <>

Et donner à notre vaillance

IjC témoignage de ses yeux.

POÉSIES, XX. 85

Nos forces, partout reconnues,

Falsoient monter jusques aux nues

Les desseins de nos vanités ; 1 5

Et voici qu'avecque des charmes

Un enfant qui n avoit point d'armes

Nous a ravi nos libertés.

Belles merveilles de la terre,

Doux sujets de paix et de guerre , « o

Pouvons-nous avecque raison

Ne bénir pas les destinées,

Par qui nos âmes enchaînées

Servent en si belle prison?

L'aise nouveau de cette vie 9 S

Nous ayant fait perdre Tenvie

De nous en retourner chez nous ,

Soit notre gloire ou notre honte,

Neptune peut bien faire compte

De nous laisser avecque vous. 3 n

Nous savons quelle obéissance

Nous oblige notre naissance

De porter à sa royauté;

Mais est-il ni crime ni blâme ,

Dont vous ne dispensiez une âme 3 5

Qui dépend de votre beauté?

Qu'il s'en aille à ses Néréides ,

3a. Ce yen est ainsi dans le nouveau recueil des plus beau* vers^ 181 S, et dans les Délices de la poésie frun^oise, édit. de x6sio. Le» éditions de i63o et de i63i portent : ^01» ohRge à notre naissance^ ce xpî n*oflre aucnn sens. Ménage a corrigé Ifous obligea.

•••

86 POÉSIES, XX.

Dedans ses oavemes bumides ,

Et vive misérablement

Confiné parmi ses tempêtes; io

Quant à nous, étant vous êtes,

Nous sommes en notre élément.

38. U y a par erreur etuvermu dans l'éditû» de i63o.

POÉSIES, XXI. 87

XX(

AU ROI HENRI LE GRA.ND, SUR l'hEUREDX SUOCKS

DU VOYAGE DE SEDAN.

ODB.

Cette pièce fut imprimée pour la première fois, en 1607, dans le Pvnaue des plus csceilents poètes de ce temps. On Yoît dans TËstolle qu'elle courait manuscrite dès le mois de décembre de Tannée précé- dente. Suivant Ménage , qui le tenait de Racan, c'était «ne de celles que Malherbe estimait le plus.

Henri IV partit de Paris le i5 mars 1606, à la tète de son armée, pour aller assiéger le duc de Bouillon dans Sedan, qui se rendit le a avril.

Enfin après les tempêtes

Nons voici rendus au port;

Enfin nous voyons nos têtes

Hors de Tinjure du sort.

Nous n'avons rien qui menace 5

De troubler notre bonaoe;

Et ces matières de pleurs ,

Massacres, feux, et rapines,

De leurs funestes épines .

Ne gâteront plus nos fleurs. i «>

Nos prières sont ouïes.

Tout est réconcilié;

Nos peurs sont évanouies,

Sedan s'est humilié.

A peine il a vu le foudre 1 S

Parti pour le mettre en poudre ,

88 POÉSIES, XXI.

Qiie faisant comparaison De Tespoir et de la crainte, Pour éviter la contrainte U s'est mis à la raison.

2u

Qui n'eût cm que ses murailles,

Que défendoit un lion ,

N'eussent fait des fiinérailles

Plus que n'en fit Ilion ;

Et qu'ayant qu'être à la fête a î

De si pénible conquête ,

Les champs se fussent vêtus

Deux fois de robe nouvelle ,

Et le fer eût en javelle

Deux fois les blés abattus? 3o

Et toutefois , 6 merveille !

Mon roi, l'exemple des rois.

Dont la grandeur nonpareille

Fait qu'on adore ses lois.

Accompagné d'un Génie , 3 ^

Qui les volontés manie,

L'a su tellement presser

D'obéir et de se rendre.

Qu'il n'a pas eu pour le prendre

Loisir de le menacer. 4 '^

Tel qu'à vagues épandues Marche un fleuve impérieux , De qui les neiges fondues

9 1 . f/ifi /îoA. La maiion des seigiieurs de U Marck, ducs de Bouillcui , portait dans ses armes on lion 'usant de gueules en chef. a3. Va». (F, M, O) : Eussent fait....

POÉSIES, XXI. 89

Rendent le cours furieux ;

Rien n'est sûr en son rivage; 4 b

Ce qu*il trouve il le ravage;

Et tiatnant comme buissons

Les chênes et les racines ,

Ote aux campagnes voisines

L'espérance des moissons. 5 o

Tel, et plus éponvaniable,

S'en alloit ce conquérant ,

A son pouvoir indomptable

Sa colère mesurant.

Son front avoit une audace 5 5

Telle que Mars en la Thraoe;

Et les éclairs de ses yeux

Étoient comme d'un tonnerre,

Qui gronde contre terre ,

Quand elle a fftché les cieux. 60

Quelle vaine résistance

A son puissant appareil ,

N'eût porté la pénitence

Qui suit un mauvais conseil?

Et vu sa faute bornée 6 5

D'une chute infortunée,

Gonune la rébellion ,

Dont la fameuse folie

Fit voir à la Thessalie

Olympe sur Pélion ? 70

Voyez comme en son courage, Quand on se range au devoir, La pitié calme l'orage Que l'ire a fait émouvoir.

7^

90 POÉSIES, XXL

A peine fut rédamée Sa douceur acooatnmée , Que d*un Bentiment humain Frappé non moins que de chamiea, D fit la paix , et ka armes Lui tombèrent de la main.

Arriére, vaines chimères

De haines et de ranoneurs;

Soupçons de choses amères,

Éloignez-vons de nos cœurs;

Loin , bien loin , tristes ^Misées, 8 s

nos misères passées

Nous a voient ensevelis;

Sous Henri , c'est ne voir goutte ,

Que de révoquer en doute

Le salut des fleurs de lis. 90

O Roi, qui du rang des hommes

Texoeptes par ta bonté,

Roi, qui de T&ge nous sommes

Tout le mal as surmonté ;

Si tes labeurs, d la France 95

A tiré sa délivrance.

Sont écrits avecque foi.

Qui sera si ridicule

Qui ne confesse qu'Hercule

Fut moins Hercule que toi? 100

De combien de tragédies,

89. Rottcueurtf ranoimes. 99. Va«. (K) :

Qu'il ne oonfeiae..*.

POÉSIES, XXL 91

Sans ton assuré secours 1

Étoieut les trames ourdies

Pour ensanglttiter nés jours?

Et qu auroit fait Tinnooenoe , c o 5

Si Toutrageuse lioenee,

De qui le souverain bien

Est d'opprimer et de nuire,

N*eût trouvé pour la détruire

Un bras fort comme le tien? 1 1 o

Mon Toij connois ta puissance ,

Elle est capable de tout ;

Tes desseins n*ont pas naissance

Qu'on en voit déjà le bout ;

Et la fortune amoureuse 1 1 5

De la vertu gméreuse .

Trouve de si doux appas

A te servir et te plaire ,

Que c'est la mettre ed colère

Que de ne l'employer pas. 1 9 o

Use de sa bienveillance.

Et lui donne ce plaisir,

Qu'elle suive ta vaillance

A quelque nouveau désir;

que tes bannières aillent, laS

Quoi que tes armes assaillent ,

11 n'est orgueil endurci,

Que brisé conune du verre,

A tes pieds elle n'atterre,

S'il n'implore ta merci. x 3o

>««. Vai. (F, M, O) : De U ▼crtu....

■A>*

POÉSIES, XXI.

Je sais bien que les oracles

Prédisent tous qu'à ton fils

Sont réservés les miracles

De la prise de Memphis;

Et que c'est lui dont Tépée , c 3 s

Au sang barbare trempée,

Quelque jour apparoissant

A la Grèce qui soupire ,

Fera décroître lempire

De rinfidèle Croissant. 1 4 o

Mais tandis que les années

Pas à pas font avancer

L'âge de ses destinées

La gloire doit commencer ,

Que Êds-tu , que d'une armée , 1 4 s

A te venger animée ,

Tu ne mets dans le tombeau

Ces voisins dont led pratiques

De nos rages domestique»

Ont allumé le flambeau? 1

Quoique les Alpes chenues

Les couvrent de toutes parts ,

Et fassent monter aux nues

Leurs effroyables remparts;

Alors que de ton passage 1 5 5

On leur fera le message ,

Qui verront-elles venir,

Envoyé sous tes auspices.

i3i. Les oracles. Allusion aux nombreux horoscopes faits et pu- bliés À Tépoque de la naissance du Dauphin. 148. Ces poisins. Le duc de SaToie.

POESIES, XXI, 93

Qu*an88itôt leurs précipices

Ne se laissent s^lanir? 1 r>u

Crois-moi, contente lenvie

Qa'ont tant de jeones guerriers

D'aller exposer leur vie

Pour t*acquérir des lauriers;

Et ne tiens point ocieuses 1 6 5

Ces âmes ambitieuses ,

Qui jusques le matin

Met les étoiles en fuite ,

Oseront sous ta conduite

Aller quérir du butin. x 7 o

Déjà le Tessin tout morne

Consulte de se cacher,

Voulant garantir sa corne ,

Que tu lui dois arracher;

Et le , tombe certaine 1 7 5

De Taudace trop hautaine ,

Tenant baissé le menton,

Dans sa caverne profonde

S*appréte à voir en son onde

Choir un autre Phaéton, 1 80

Va, monarque magnanime, Souffre à ta juste douleur, Qu'en leurs rives elle imprime

16S. Oeteuses, oisWet.

173. Les poëtes de Tantiqnité ont en général représenté les dieux des fleures arec une tête de taareau. Comiger Hetperidwm JUipiu* regmaior a^wërum^ dit Virgile (Enéide ^ VIII, 77], en pariant du Tibre.

94 POÉSIES, XXL

Les marques de ta valeur. L'astre dont la course ronde 1 8 5

Tous les jours voit tout le monde , N'aura point achevé Tan, Que tes conquêtes ne rasent Tout le Piémont, et n'écrasent La couleuvre de Milan. 1 90

Ce sera que ma Ijnre,

Faisant son dernier effort.

Entreprendra de mieux dire

Qu'un cygne près de sa mort;

Et se rendant favorable 1 9 s

Ton oreille incomparable,

Te forcera d'avouer.

Qu'en l'aise de la victoire

Rien n'est si doux que la gloire

De se voir si bien louer. 2 « o

Il ne faut pas que tu penses

Trouver de l'éternité

En ces pompeuses dépenses

Qu'invente la vanité;

Tous ces chefs-d'cBuvres antiques u o 5

Ont à peine leurs reliques;

Par les Muses seulement

L'honmie est ejcempt de la Parque;

Et ce qui porte leur marque

184. n y a ici une fiante dans les éditiont de i63o et de i63i : dauUur^ comme deux Tert plot haut , aa liea de paient ,

190. Le duché de Milan arait pour armes une couleuvre dévorant un enfiint.

191-900. Comparez cette strophe avec le fragment cxxi.

POÉSIES, XXL 9&

Demeure éternellement.

a i o

Par eUes traçant Thistoire

De tes faits laborieux,

Je défendrai ta mémoire

Du trépas injurieux;

Et quelque assaut que te fasse a i &

L'oubli par qui tout s*effiice.

Ta louange dans mes vers,

D*amarante couronnée,

N*aura sa fin terminée

Qu*en celle de Tunivers.

ano

9l8. c Courommer fuelqu*wi d'amaratUt^ eit, dit Ménage, mie fiiçon de parler trèi-beUe et trèf-poédqne, pour dire lui donmêr l'imtmorta" iitég l'amarante étant nne flenr qui ne se flétrit point, comme le marque •on nom, et qui pour oela est appelée VlmmoruUe* »

96 POÉSIES, XXII.

XXII

CHAVfOV.

Composée MYUit le mois d'octobre x6o6 et imprimée en 1607 dans le Parnasse des plus exeeUents poètes de ce temps,

« Pai ouï diîe à M. de Racao, dit Ménage, que cette chanson fut faite dans la chambre de Mme de Bellegarde, par elle, par loi et par Malherbe, à l'imitation d'une chanson espagnole, dont le refrain étoit : Bienpuedeser, Nopuede ser; et que Mme de Bellegarde y aroit beaucoup plus de part, ni que lui, ni que Malherbe. Ainsi cette pièce n'a point être mise parmi celles de Malherbe. Cependant, de son temps méfne, elle passoit pour être de Malherbe, comme il paroit par cet Ters que Berthelot fit contre lui , au sujet de cette chanson. »

La pièce de Beithelot, composée de sept couplets très-mordants, se termine ainsi :

Être six ans à iaire une ode. Et faire des lois à sa mode,

Cela se peut facilement ; Mais de nous charmer les oreilles Par sa merveiUe des merveUies,

Cela ne se peut nullement.

Pour se venger, Malherbe, à ce que raconte encore Ménage, fit donner des coups de bftton à Berthelot par un gentilhomme de Caen nommé la Boulardière.

On lit dans le Journal de VEstoile, à la date du x4 décem- bre 1606 : c Ce jour, M. Despinelle m'a donné le Combat de V Amour et du Repos f vers de Malherbe, avec la réponse de Berthelot. s II y a ici évidemment une erreur de l'Estoile ou de son éditeur. Le Combat de l'Amour et du Repos est une pièce de cent cinquante vers qui commence ainsi :

Cet enfant de qui les flammes Brûlent les plus belles Ames Et les courages les plus bas, Un jour pensant voir sa mère,

POÉSIES, XXII.

Se Tint rendre à ma commère. Pour dormir entre ses bras.

97

Elle a été imprimée, sans nom d'auteur, dans le second volume du Pmtmnste des plus exceUenis poètes. Rien ne permet de supposer qu'elle puisse être de Bfalherbe : le style appartient à un mauvais poète de l'école de Ronsard, et de plus ce n'est nullement à ces vers que répondent les vers de Berthelot cités plus haut.

Qu^autres que vous soient désirées, Qu'autres que vous soient adorées,

Gela se peut facilement ; Mais qu'il soit des beautés pareilles A vous , merveille des merveilles, 5

Gela ne se peut nullement.

Que chacun sous telle puissance Gaptive son obéissance,

Gela se peut facilement; Mais qu'il soit une amour si forte i o

Que celle-là que je vous porte ,

Gela ne se peut nullement.

Que le fftcheux nom de cruelles Semble doux à beaucoup de belles ,

Gela se peut facilement ; 1 5

Mais qu'en leur ftme trouve place Rien de si froid que votre glace,

Gela ne se peut nullement.

Qu'autres que moi soient misérables

Par vos rigueurs inexorables , a o

Gela se peut facilement; Mais que la cause de leurs plaintes

7* Vab. (G, M, O) : Que chacun sous votre puissance. Malbkhbb. I 7

98 POÉSIES, XXII.

Porte de si vives atteintes » Cela ne se peut nullement.

Qu'on serve bien , lorsque Ton pense » 5

En recevoir la récompense ,

Cela se peut facilement ; Mais qu'une autre foi que la mienne N*espère rien et se maintienne ,

Cela ne se peut nullement. 3o

Qu'à la fin la raison essaie Quelque guérison à ma plaie ,

Cela se peut facilement ; Mais que d un si digne servage La remontrance me dégage , 3 s

Cela ne se peut nullement.

Qu'en ma seule mort soient finies Mes peines et vos tyrannies ,

Cela se peut facilement ; Mais que jamais par le martyre 40

De vous servir je me retire ,

Cela ne se peut nullement.

aa, a3. Vah. (G, M, O) :

Mais que de si rives atteintes Parte la cause de leurs plaintes.

Porte, suKstitué à parte dans l'édition de i63o et dans les snirantes, pourrait bien être une foute d'impression.

a5, afi. Vab. (ihui.) :

Qu'un amant flatté d'espérance Obstine sa persérérance.

3î, 35. Vah. (G, M, O) :

Mais que de si digne serrage, I Pour une autre je me dégage.

POESIES, XXIII. 99

XXIII

•TAirCM.

Cette pièce parut en 1^)07, dans le m^me recneil que la précé- dente. Suivant Ménage, elle fut £ûte pour M. de Bellegarde, « au sujet d*nne fille qui s*étoit imaginé que M. de Bellegarde Tai- moit. a

Philis qui me voit le teint blême,

Les sens ravis hors de moi-même,

Et les yeux trempés tout le jour,

Cherchant la cause de ma peine,

Se figure, tant elle est vaine, 5

Qu'elle m'a donné de Tamour.

Je suis marri que la colère

Me porte jusqu'à lui déplaire;

Mais pourquoi ne m'est-il permis

De lui dire qu'elle s'abuse , i o

Puisqu'à ma honte elle s'accuse

De ce qu'elle n'a point commis?

En quelle école nonpareille

Auroit-elle appris la merveille

De si bien charmer ses appas, x 5

6. Vab. (G, I, Ky M, etc.) : Qu^elle me donne.... 8. Vab. (ihid,) : M*emporte.... II, 13. Vab. {ihid,) :

Puisqu'à sa honte elle m*aceuse De ce que je n'ai point commis.

loo POÉSIES, XXIII.

Que je pusse la trouver belle , Pâlir, transir, languir pour elle , Et ne m'en apercevoir pas?

Oh ! qu'il me seroit désirable

Que je ne fusse misérable a o

Que pour être dans sa prison !

Mon mal ne m*étonneroit guères ,

Et les herbes le plus vulgaires

M*en donneroient la guérison.

Mais , ô rigoureuse aventure ! a 5

Un chef-d'œuvre de la nature ,

Au lieu du monde le plus beau ,

Tient ma liberté si bien close ,

Que le mieux que je m'en propose

C'est d'en sortir par le tombeau. 3o

Pauvre Philis malavisée.

Cessez de servir de risée,

Et souffrez que la vérité

Vous témoigne votre ignorance ,

Afin que perdant l'espérance, 3 5

Vous perdiez la témérité.

C'est de Glycère que procèdent Tous les ennuis qui me possèdent,

ai . Dans Tédition de i63i et dans certains exemplaires de l'édition de i63o, ce vers a une syllabe de moins par suite de Télision :

Que pour être en sa prison.

as. V4R. (G, I, K, M, etc.) : Mes douleurs ne dureroient guères. a3. Vah. (i63i, etc.) : Et les herbes les plus Yulgaires. 37. Vab. (G, I, K, M, etc.) : En un lieu si fort et si beau.

POÉSIES, XXIII. loi

Sans remède, et sans réconfort;

Glycère fait mes destinées , 40

Et comme il lui plaît mes années

Sont ou près ou loin de la mort.

G^est bien un courage de glace ,

la pitié n*a point de place,

Et que rien ne peut émouvoir ; 4 5

Mais quelque défaut que j'y blâme ,

Je ne puis Tôter de mon âme ,

Non plus que vous y recevoir.

loa POÉSIES, XXIV.

XXIV

AU ROI HEITRI LE GRAKD.

lOKBKT.

Une copie autographe de ce sonnet et du tuirant existe i la Bi- bliothèque impériale, dans le tome I de la Correspondance de Peiresc {typpi. fr. nP 99B). Le premier y est intitulé : Stmntt pour Mes^ le Dauphin et d'Orléans, et le seccmd : Sonnet au Moi sur la naissance de Monsieur d'Anjou, Ils ont été imprimés pour la première fois, Tun en 16 II dans le Temple d* Apollon^ Tantre en 1609 dans le Nouveau Recueil des plus beaux pers de ce temps. Comme il 7 est question du second fils du Roi, le 16 avril 1607, et que Malherbe, dans une lettre adressée i Peiresc le 18 juillet de la même année, mentionne ces deux pièces , il en résulte qu'elles ont été composées entre les mois d'avril et de jniUet. L'Estoile, à la date du 17 août 1607, écrit dans son Journal: « M. du Pni m*a donné quatre sonnets non- veaux de Malherbe, qu'on trouve assez bien faits. » Les deux son- nets dont nous parlons étaient évidemment du nombre.

Je le connois, Destins, vous avez arrêté Qu'aux deux fik de mon roi se partage la terre , Et qu'après le trépas ce miracle de guerre Soit encore effroyable en sa postérité.

»

Leur courage aussi grand que leur prospérité Tous les forts orgueilleux brisera comme verre; Et qui de leurs combats attendra le tonnerre, Aura le châtiment de sa témérité.

I. Vab. (manuscrit de Malherbe et L) : Destins, je le connob.... 4. Var. [ihid,) : Soit encore adorable....

POÉSIES, XXIV. io3

Le cercle imaginé, qui de même intervalle

Du nord et du midi les distances égale , i o

De pareille grandeur bornera leur pouvoir.

Mais étant fils d*un père tant de gloire abonde , Pardonnez-moi, Destins, quoi qu'ils puissent avoir. Vous ne leur donnez rien s'ils n'ont chacun un monde.

io4 POÉSIES, XXV.

XXV

AU ROI HENRI LE GRAND.

SOHRBT.

Voyez la notice de la pièce précédente. Ce sonnet est on des cinq sonnets iiréguliers composés par Malherbe ; d*après la règle, les deux premiers quatrains devraient aroir les mêmes rimes.

Mon roi, sHl est ainsi que des choses futures L'école d'Apollon apprend la vérité , Quel ordre merveilleux de belles aventures* Va combler de lauriers votre postérité!

Que vos jeunes lions vont amasser de proie ! s

Soit qu'aux rives du Tage ils portent leurs combats, Soit que de TOrient mettant Tempire bas , Us veuillent rebâtir les murailles de Troie.

Us seront malheureux seulement en un point;

C'est que si leur courage à leur fortune joint i o

Avoit assujetti l'un et l'autre hémisphère ,

Votre gloire est si grande en la bouche de tous , Que toujours on dira qu'ils ne pouvoient moins faire, Puisqu'ils avoient l'honneur d'être sortis de vous.

5-8. Var. (manuscrit de Malherbe) :

Que vos jeunes lions vont amasser de proies Sitôt qu'en Tâge mûr ils seront arrivés I Et que pour les combats qu'ils auront achevés La paternelle amour vous donnera de joies !

POÉSIES, XXVI. io5

XXVI

POUR LE PREMIER BALLET DE MONSEIGNEUR LE DAUPHIN.

AU AOI HXNBI UB GHAJTD. SOjniBT.

Saint-Marc et, après lui, les autres éditeurs de Malherbe ont en tort d'assigner i ce sonnet (imprimé pour la première fois, je crois, dans Tédition de i63o) la date de 1610. Le Dauphin dansa, il est vrai , un ballet i la fin de férrier de cette année, mais ce n'était pas le premier, car, dans une lettre écrite par Malherbe i M. de Galas, le 6 mars 1608, je trouve le passage suivant : c La mort du comte de Montpensier a empêché M. le Dauphin de danser un ballet, combien qu'il fût venu exprès ici pour cela. Le Roi en eut le plaisir à Saint-Germain le soir du premier jeudi de carême, et certainement ceux qui y étoient présents disent que de bien grandes personnes eussent été fort empêchées de s*en acquitter si dignement. Les per- sonnages du ballet étoient M. le Dauphin , Madame, M. le cheralier de Vendôme, Mademoiselle de Vendôme, M. et Mademoiselle de Vemeuil et quatre ou cinq autres petits garçons de leur âge. » Cest donc vers le mois de mars 1608 que fut composé le sonnet ci-deisoas.

Voici de ton État la plus grande merveille , Ce fils ta vertu reluit si vivement ; Approche-toi, mon prince, et vois le mouvement Qu'en ce jeune Dauphin la musique réveille.

Qui témoigna jamais une si juste oreille 5

A remarquer des tons le divers changement; Qui jamais à les suivre eut tant de jugement, Ou mesura ses pas d'une grâce pareille?

io6 POÉSIES, XXVI.

Les esprits de la cour s'attachant par les yeux

A voir en cet objet un chef-d'œuvre des cieux, i o

Disent tous que la France est moins qu*il ne mérite;

Mais moi que du futur Apollon avertit,

Je dis que sa grandeur n'aura point de limite,

Et que tout Tunivers lui sera trop petit.

POÉSIES, XXVII. 107

XXVII

 MONSIEUR LE GRA9D ÉCUTER DR FRANCE.

ODB.

Roger de Saint-Lari , seigneur de Bellegarde , grand écuyer de Franee, créé duc et pair par Louis Xm en i6ao. Cest i lui qu'en i6o5 Henri IV confia Malherbe jusqu'à ce qu'il eût pounru au •ort du poète, c M. de Bellegarde , dit Racan , lui donna sa table, un cheval et mille livres d*appointements. » L'ode de Malherbe parut en 1609 dans le Nouveau Parnasse et dans le Nouveau Recueil des plus heaatx vers de ce temps, et nous avons conservé le titre qu'elle y porte et qui est préférable à celui de l'édition de i63o : ji Monseigneur le due de Bellegarde, car Bellegarde n'était encore en 1609 que Monsieur le grand éeujrer. Le texte des premières éditions dilTère tellement de celui de l'édition de i63o, que nous le donnerons plus loin (p. 117) d'après le Nouveau Recueil des plus Beaux vers de ce temps ^ édition de 161 5.

A la fin c'est trop de silence

En si beau sujet de parler :

Le mérite qu*on veut celer

Souffre une injuste violence.

Bellegarde , unique support 5

mes vœux ont trouvé leur port ,

Que tarde ma paresse ingrate ,

Que déjà ton bruit nonpareil

Aux bords du Tage et de FEuphrate

I, 9. Scarron a reproduit ces vers dans une ode à la duchesse d'Aiguillon y mais il a eu soin d'ajouter :

Ces vers sont ici d'importance, J'ai fort bien fait de les voler.

io8 . POÉSIES, XXVII.

N'a vu l'un et Tautre soleil ? i o

Les Muses hautaines et braves

Tiennent le flatter odieux,

Et comme parentes des Dieux

Ne parlent jamais en esclaves ;

Mais aussi ne sont-eUes pas 1 5

De ces beautés dont les appas

Ne sont que rigueur et que glace,

Et de qui le cerveau léger ,

Quelque service qu'on lui fasse,

Ne se peut jamais obliger. a o

La vertu , qui de leur étude

Est le fruit le plus précieux,

Sur tous les actes vicieux

Leur fait haïr l'ingratitude ;

Et les agréables chansons a 5

Par qui les doctes nourrissons

Savent charmer les destinées ,

Récompensent un bon accueil

De louanges que les années

Ne mettent point dans le cercueil. 3o

Les tiennes par moi publiées,

Je le jure siur les autels ,

En la mémoire des mortels

Ne seront jamais oubliées ;

Et l'éternité que promet 35

La montagne au double sommet,

N'est que mensonge et que fumée,

Ou je rendrai cet univers

ao. Obliger^ enchainer, attacher par la recoimaiMaDoe, etc.

POÉSIES, XXVII. 109

Amoureux de ta renommée,

Autant que tu l^es de mes vers. 4 o

Gomme en cueillant une guirlande ,

L*homme est d'autant plus travaillé ,

Que le parterre est émaillé

D*une diversité plus grande ;

Tant de fleurs de tant de côtés 4 5

Faisant paroître en leurs beautés

L^artifice de la Nature ,

Qu'il tient suspendu son désir,

Et ne sait en cette peinture

Ni que laisser, ni que choisir : 5o

4 1-44* Encore des yen pillés par Scarron , qui ii*a point oublié d*en aTCitir le lecteur :

Vous serez encore pillé, Prince de la rime normande : Comme en cueillant une guirlande On a l'esprit fort travaillé, Quand d'une diversité grande Le jardin se trouve émaillé.

Au reste, Malherbe avait imité lui-même dans cette strophe les vers suivants de l'ode de du Bellai au prince de Melfe :

Mais comme errant par une prée. De diverses fleurs diaprée, La vierge souvent n'a loisir, Parmi tant de beautés nouvelles, De reconnoitre les plus belles. Et ne sait lesquelles choisir.

Ainsi confus de merveilles. Pour tant de vertus pareilles Qu'en toi reluire je voi. Je perds toute connoissance, Et pauvre par l'abondance Ne sais que choisir en toi.

iio POÉSIES, XXVII.

Ainsi quand, pressé de la honte

Dont me fait rougir mon devoir ,

Je veux mon œuvre concevoir

Qui pour toi les âges surmonte,

Tu me tiens les sens enchantés 5 5

De tant de rares qualités ,

brille un excès de lumière ,

Que plus je m*arrête à penser

Laquelle sera la première,

Moins je sais par commencer. 60

Si nommer en son parentage

Une longue suite d^aïeux

Que la gloire a mis dans les cieux.

Est réputé grand avantage.

De qui n*est-il point reconnu 65

Que toujours les tiens ont tenu

Les charges les plus honorables ,

Dont le mérite et la raison ,

Quand les Destins sont favorables ,

Parent une illustre maison ? 70

Qui ne sait de quelles tempêtes

Leur fatale main autrefois,

Portant la foudre de nos rois,

Des Alpes a battu les têtes?

Qui n'a vu dessous leurs combats 7 5

Le mettre les cornes bas ?

Et les peuples de ses deux rives ,

Dans la frayeur ensevelis ,

Laisser leurs dépouilles captives

A la merci des fleurs de lis ? 80

71-80. Voyez dans Brantôme U vie du maréchal de Ternies et

POÉSIES, XXVII. III

Mais de chercher aux sépultures

Des témoignages de valeur ,

C'est à ceux qui n Wt rien du leur

Estimable aux races futures ;

Non pas à toi, qui revêtu 8 5

De tous les dons que la vertu

Peut recevoir de la Fortune,

Connois que c*est que du vrai bien ,

Et ne veux pas, comme la lune,

Luire d'autre feu que du tien. 90

Quand le monstre inftme d'envie,

A qui rien de Tautrui ne platt,

Tout lâche et perfide qu'il est,

Jette les yeux dessus ta vie.

Et te voit emporter le prix 9 $

Des grands cœurs et des beaux esprits

Dont aujourd'hui la France est pleine.

Est-il pas contraint d'aypuer

Qu'il a lui-même de ta peine

A s'empêcher de te louer ? 100

Soit que l'honneur de la carrière

T'appelle à monter à cheval ,

Soit qu'il se présente un rival

Pour la lice ou pour la barrière ,

Soit que tu donnes ton loisir 1 o5

celle du marchai de Bellegarde. Le premier contribua puntam- ment an gain de la bataille de Cérisoles, il fut fait prisonnier

85-90. Voyez, comme contre-partie de ce panégyrique, l'histo- riette que Tallemant des Réanx a consacrée i Bellegarde.

loi. Carrière, Ce mot se dit, suivant Nicot, c de la course et tirée d*un homme à cheral , soit qu'il joute , soit qu'il coure pour plaisir tant que la longueur d'une haleine ou lice se peut étendre. »

lia POÉSIES, XXVII.

A prendre quelque autre plaisir, Éloigné des molles délices; Qui ne sait que toute la cour , A regarder tes exercices , Comme à des théâtres accourt?

I I o

Quand tu passas en Italie,

tu fus quérir pour mon roi

Ce joyau d'honneur et de foi,

Dont TAme à la Seine s'allie ;

Téthys ne suivit-elle pas 1 1 5

Ta bonne grâce et tes appas,

Comme un objet émerveillable,

Et jura qu'avecque Jason

Jamais argonaute semblable

N alla conquérir la toison ?

I ao

Tu menois le blond Hyménée,

Qui devoit solennellement

De ce fatal accouplement

Célébrer Theureuse journée.

Jamais il ne hit si paré ; i s 5

Jamais en son habit doré

Tant de richesses n'éclatèrent;

Toutefois les Nymphes du lieu.

Non sans apparence, doutèrent

Qui de vous deux étoit le Dieu. i 3o

De combien de pareilles marques, Dont on ne me peut démentir, Ai-je de quoi te garantir

114. VArne^ l*Amo. Bellegarde avait été envoyé à Florence pour y chercher Marie de Médicit.

POÉSIES, XXVII. 1,3

Contre les menaces des Parques ?

Si ce n^est qu'un si long discours 135

A de trop pénibles détours ;

Et qu*à bien dispenser les choses ,

Il faut mêler pour un guerrier

A peu de myrte et peu de roses

Force palme et force laurier ? 140

Achille étoit haut de corsage ;

L'or éclatoit en ses cheveux ;

Et les dames avecque vœux

Soupiroient après son visage ;

Sa gloire à danser et chanter , 145

Tirer de Tare, sauter, lutter,

A nulle autre n'étoit seconde ;

Mais s'il n'eût rien eu de plus beau ,

Son nom , qui vole par le monde,

Seroit-il pas dans le tombeau ? 1 5 o

S'il n'eût par un bras homicide,

Dont rien ne repoussoit l'effort,

Sur Ilion vengé le tort

Qu'avoit reçu le jeune Atride ;

De quelque adresse qu'au giron 1 5 5

Ou de Phénix, ou de Chiron,

n eût fait son apprentissage ,

Notre âge auroit-il aujourd'hui

Le mémorable témoignage

Que la Grèce a donné de lui ? 160

C'est aux magnanimes exemples Qui sous la bannière de Mars Sont faits au milieu des hasards. Qu'il appartient d'avoir des temples : Malhbbbr. I 8 -

ii4 POÉSIES, XXVII.

Et c^est avecque ces couleurs 1 65

Que riiistoire de nos malheurs

Marquera si bien ta mémoire,

Que tous les siècles à venir

N'auront point de nuit assez noire,

Pour en cacher le souvenir. x 7 o

En ce long temps les manies

D'un nombre infini de mutins,

Pousses de nos mauvais destins ,

Ont assouvi leurs félonies ,

Par quels faits d'armes valeureux , 175

Plus que nul autre aventureux ,

N'as-tu mis ta gloire en estime?

Et déclaré ta passion ,

Contre l'espoir illégitime

De la rebelle ambition ? i So

Tel que d'un effort difficile

Un fleuve au travers de la mer.

Sans que son goût devienne amer,

Passe d'Elide en la Sicile ;

Ses flots par moyens inconnus 1 8 5

En leur douceur entretenus

Aucun mélange ne reçoivent ;

Et dans Syracuse arrivant

Sont trouvés de ceux qui les boivent

Aussi peu salés que devant : 190

Tel entre ces esprits tragiques ,

1 81-190. Voltaire a imité cette comparaison dans les vers ù connus de la Henriade :

Belle Aréthnse, ainsi ton onde fortunée....

POÉSIES, XXVII. ii5

Ou plutôt démons insensés,

Qui de nos dommages passés

Tramoient les funestes pratiques.

Tu ne t*e8 jamais diverti 1 9 5

De suivre le juste parti ;

Mais blâmant Timpure licence

De leurs déloyales humeurs.

As toujours aimé Tinnocence ,

Et pris plaisir aux bonnes mœurs. a o o

Depuis que pour sauver sa terre,

Mon roi, le plus grand des humains ,

Eut laissé partir de ses mains

Le premier trait de son tonnerre ,

Jusqu'à la fin de ses exploits, a o 5

Que tout eut reconnu ses lois,

A-t-il jamais défait armée,

Pris ville, ni forcé rempart,

ta valeur accoutumée

N'ait eu la principale part?

a I o

Soit que prés de Seine et de Loire

Il pavât les plaines de morts.

Soit que le Rhône outre ses bords

Lui vit faire éclater sa gloire.

Ne Tas-tu pas toujours suivi ? a 1 5

Ne Tas-tu pas toujours servi?

Et toujours par dignes ouvrages

Témoigné le mépris du sort

Que sait imprimer aux courages

Le soin de vivre après la mort? a a o

195. Diverti^ détourné.

I

it6 POÉSIES, XXVII.

Mais quoi? ma barque vagaboncle

Est dans les Syrtes bien avant ;

Et le plaisir la décevant

Toujours l'emporte au gré de Tonde.

Bellegarde , les matelots a a 5

Jamais ne méprisent les flots,

Quelque phare qui leur éclaire ;

Je ferai mieux de relâcher,

Et borner le soin de te plaire ,

Par la crainte de te fâcher. « So

L'unique but mon attente

Croit avoir raison d'aspirer,

C'est que tu veuilles m'assurer

Que mon offirande te contente;

Donne-m'en d'un clin de tes yeux 9 15

Un témoignage gracieux ;

Et si tu la trouves petite,

Ressouviens-toi qu'une action

Ne peut avoir peu de mérite,

Ayant beaucoup d'afTection. 940

Ainsi de tant d'or et de soie

Ton âge dévide son cours ,

Que tu reçoives tous les jours

Nouvelles matières de joie ;

Ainsi tes honneurs florissants, 945

De jour en jour aillent croissants ,

Malgré la fortune contraire ;

Et ce qui les fait trébucher ,

De toi ni de Termes ton frère

349. César- Auguste de Saiiit-I^ri, baron de Termes, tué au siège de Clérac le aa juillet 163 1.

■■I

POÉSIES, XXVII. 117

Ne puisse jamais approcher.

2 30

Quand la faveur à pleines voiles ,

Toujours compagne de vos pas ,

Vous feroit devant le trépas

Avoir le front dans les étoiles ,

Et remplir de votre grandeur a 5 5

Ce que la terre a de roudeur ,

Sans être menteur, je puis dire

Que jamais vos prospérités

N'iront jusques je désire ,

Ni jusques vous méritez. a 6 o

A U fin c*e8t trop de silence

En beau sujet de parler;

Le mérite qu*on yent celer

Souffre une injuste riolence.

Bellegarde, unique support 5

mes vœux ont trouvé leur port,

Que tarde ma paresse ingrate,

Que déjà ton bruit nonpareil

An bord du Tage et de TEuphrate

N*a TU Tnn et Tautre soleil? i o

Les Muses hautaines et braves

Tiennent le flatter odieux ;

Et comme parentes des Dieux

Ne parlent jamais en esclaves :

Mais aussi ne sont-elles pas i 5

De ces beautés dont les appas

Ne sont que rigueur et que glace,

Et de qui le cerveau léger,

Quelque service qu'on leur fasse ,

Ne se peut jamais obliger. a o

ii8 POÉSIES, XXVII.

La Tertu, qui de leur étude

EUt le fruit le plus précieux,

Sur tous les actes -vicieux

Leur fait haîr l'ingratitude;

Et les agréables chansons ^ 5

Par qui leurs doctes nourrissons

Savent charmer les destinées,

Récompensent un bon accueil

De louanges que les années

Ne mettent point dans le cercueil. 3o

Les tiennes yiyront, je le jure

Touchant de la main à Tautel,

Sans que jamais rien de mortel

Ait pouvoir de leur faire injure;

Et l'éternité que promet 3 5

La montagne au double sommet

N'est que mensonge et que fumée,

Ou je rendrai cet univers

Amoureux de ta renommée

Autant que tu l'es de mes vers. 4 o

Comme en cueillant une guirlande

On est d'autant plus travaillé

Que le parterre est émaillé

D'une diversité plus grande,

Tant de fleurs de tant de côtés 4 5

Faisant paroître en leurs beautés

L'artifice de la nature.

Que les yeux troublés de plaisir

Ne savent en cette peinture

Ni que laisser ni que choisir : 5 o

Ainsi quand pressé de la honte

Dont me fait rougir mon devoir,

Je veux une œuvre concevoir

Qui pour toi les âges surmonte.

Tu me tiens les sens enchantés 5 s

De tant de rares qualités

brille un excès de lumière.

Que plus je m'arrête à penser

Laquelle sera la première.

Moins je sais par commencer. 60

POÉSIES, XXVII. 119

Par combien de semblables marques

Dont on ne peut me démentir,

Ai-je de quoi te garantir

Contre les outrages des Parques?

Mais des sujets beaucoup meilleurs 6 5

Me font tourner ma route ailleurs.

Et la bienséance des choses

M*aTertit qu*il faut qu*un g[uerrier

En sa couronne ait peu de roses

ATccque beaucoup de laurier. 7 o

Achille étoit haut de corsage,

L*or éclatoit en ses cheveux,

Et les femmes avec des yœux

Soupiroient après son visage;

Sa gloire à danser et chanter, 7 s

Tirer de Tare, sauter, lutter,

A nulle autre n'étoit seconde ;

Mais s*il n'eût rien eu de plus beau.

Son nom qui vole par le monde

FÂt-il pas clos dans le tombeau? g o

Cest aux magnanimes exemples

Qui dessus la scène de Mars

Sont faits an milieu des hasards,

Qu*il appartient d*ayoir des temples ;

Et c'est que je veux trouver 8 5

De quoi si dignement graver

Les monuments de ta mémoire.

Que tous les siècles à venir

N'auront point de nuit assez noire

Pour en cacher le souvenir. 9 o

En ce long temps les manies

D'un nombre infini de mutins

Poussés de nos mauvais destins

Ont assouvi leurs tyrannies.

Qui se peut vanter comme toi 9 5

D'avoir toujours gardé sa foi

Hors de soupçon comme de crime?

Et d'une forte passion

Hai l'espoir illégitime

De la rebelle ambition ? i o o

lao POÉSIES, XXVII.

Tel que d*iiii effort difficile

Un fleoTe par-deisons la mer,

Sans que son flot derienne amer,

Pa«se de Grèce en h Sicile;

n ne lait loi-mème comment 1^5

n peut couler si nettement ,

Et sa fngitiTe Aréthnae,

Coutomière à le mépriser,

De ce miracle est si conliise

Qu'elle s'accorde à le baiser: j j ^

Tel entre ces esprits tragiques,

On plutôt démons insensés ,

Qui de nos dommages passés

Tramoient les funestes pratiques ,

Tu ne t'es jamais direrti 1,5

De suivre le juste parti,

Mais blâmant l'impure licence

De nos déloyales bumeurs,

As toujours aimé l'innocence

Et pris plaisir aux bonnes mœurs. i , «

Si nommer en son parentage

Une longue suite d'aïeux

Que la gloire a mis dans les eieux.

Est réputé grand avantage ,

A qui peut-il être inconnu ,25

Que toujoun les tiens ont tenu

Les charges les plus bonorables

Qu'espèrent ayecque raison

Sons des monarques favorables

Ceux qui sont ^l'illustre maison? i 3 o

Qui ne sait de quelles tempêtes Leur fatale main autrefois. Portant la foudre de nos rois , Des Alpes a battu les têtes?

Qui n'a vu dessous les combats i^%

Le mettre ses cornes bas? Et les peuples de ses deux rives ^ Dans la frayeur ensevdis.

Laisser leurs dépouilles captives

A la merci des fleurs de lis? 140

POÉSIES, XXVII. lai

Mais de chereher aux lépultiires

Des témoignages de Taleur,

C*est 4 ceux qui n'ont rien du leur

Estimable aux races (utores,

Non pas à toi qoi rerétu 145

De tons les dons que la yertu

Peut reoeroir de la Fortune,

Gonnois ce qui Traiment est bien.

Et ne yeux pas, comme la lune.

Luire d'autre feu que du tien. 1 5o

Quand le monstre inOlme d'envie,

A qui rien de l'autrui ne plah,

Tout lAcbe et peifide qu'il est,

Jette les yeux dessus ta vie,

Et voit qu'on te donne le prix 155

Des beaux cœurs et des beaux esprits

Dont aujourd'hui la France est pleine, ^

N'est-il pas contraint d'avouer

Qu'il a lui-même de la peine

A s'empêcher de te louer? 160

De quelle adresse incomparable

Ce que tu fkb n'est-il réglé?

Qui ne voit s'il n'est aveuglé

Que ton discours est admirable?

Et les charmes de tes bontés 1 65

N'ont-ils pas sur les volontés

Une si parfidte puissance,

Qu'une Ame ne peut éviter

D'être sous ton obéissance.

Quand tu l'en veux solliciter? 170

Soit que l'honneur de la cairière

T'appelle à monter à cheval.

Soit qu'il se présente un rival

Pour la lice ou pour la barrière,

Soit que tu donnes ton loisir 175

A faire en quelque autre plaisir

Luire tes grâces nonpareilles ,

Voit-on pas que tonte la cour

Aux spectaelrâ de tes merveilles

Gomme à des théâtres aocourt? 180

laa POÉSIES, XXYII.

Quand il a fidlu par les armes

Venir à l'essai glorieux

De réduire ces furieux

ÀTengl^ d*appas et de charmes,

Qui plus heureusement a mis 1 8 5

La honte an front des ennemis?

Et par de plus dignes ouTiages

Témoigné le mépris du sort.

Dont sollicite les courages

Le soin de TÎ^re après la mort? 190

Dreux sait bien avec qudk audace

n yit au haut de ses remparts

Ton glaire craint de toutes paris

Se fiûre abandonner la place.

Et sait bien que les assiégés 195

En péril extrême rangés

Tenoient dëjà leur perte sàre.

Quand demi-mort, par le défiint

Du sang yersé d'une blessure.

Tu fus remporté de l'assaut. a 00

La défense TÎctoriease

D'un petit nombre de maisons.

Qu'à peine aroit clos de gaions

Une hite peu curieuse;

Un camp Tenant pour te forcer, « o 5

Abattu sans se redresser.

Et le repos d'une proyinoe

Par un même effet rétabli,

Au gré des sujets et du Prince,

Sont-ce choses dignes d'oubli? a i o

Sous la canicule enflammée

Les blés ne sont point aux sillons

Si nombreux que les bataillons

Qui fourmilloient en cette aimée,

Et si la fureur des Titans a i S

Par de semblables combattants

Eût présenté son escalade.

Le ciel avoit de quoi douter

Qu'il n'eût yu régner Encelade

En la place de Jupiter. a a o

POÉSIES, XXVII. ia3

Qui ren Tépaisseur d*aii bocage

A TU se retirer des lotips

Qa*im berger de cris et de conps

A repousses de son herbage ,

n a TU ces désespérés a a 5

Par ta gloire déshonorés

S*en rerenir en leur tranchée,

Et ne rester de leurs efforts

Que toute la terre jonchée

De leurs blessés et de leurs morts. a 3 o

La paix qui neuf ans retirée,

Faisoit la sourde à nous ouïr,

A la fin nous laissa jouir

De sa présence desii^te.

Au lieu du soin et des ennuis 9 35

Par qui nos jours sembloient des nuits,

L*Age d'or revint sur la terre,

Les délices eurent leur tour.

Et mon roi lassé de la guerre

Mit son temps à faire Tamour. 940

Le nom de sa chaste Ifane

Le traraiUoit d'une langueur

Qu'il pensoit que pour sa longueur

Jamais il ne verroit guérie,

Et bien que des succès heureux 9 45

De ses combats aventureux

Toute l'Europe sût l'histoire,

n croyoit en sa royauté

N'avoir rien, s'il n'avoit la gloire

De posséder cette beauté. > 5 o

Elle auparavant invincible

Et plus dure qu'un diamant,

S'apercevoit que cet amant

La faisoit devenir sensible.

Les doutes que les femmes font 9 5 5

Et la conduite qu'elles ont

Plus discrète et plus retenue,

Contre sa flamme combattant,

Faisoit qu'elle étoit moins connue,

Mais elle étoit grande pourtant. 960

124 POÉSIES, XXVII.

En l*heui«uz sein de la Toicaiie,

Diane aux pmbres de ses bois

La nouimioit desaous ses lois,

Qui n*enseignent rien de profane.

Tandis le temps faisoit mûrir 9 6 5

Le dessein de l'aller qnerir,

Et ne restoit plus que d*élire

Celui qui seroit le Jason

Digne de faire à cet empire

Voir une si belle toison. a 7 u

Tu vainquis en cette dispute ,

Aussi plein d*aise dans le cœur

Qn*à Pise jadis un vainqueur

On de la course ou de la lutte;

Et parus sur les poursuivants 3^5

Dont les vœux trop baut s^élevants

Te donnoient de la jalousie.

Comme dessus des arbrisseaux

Un de ces pins de Silésie

Qui font les mâts de nos vaisseaux. a 8 «

Quelle prudence inestimable

Ne fis-tu remarquer alors?

Quels ornements d*âme et de corps

Ne te firent trouver aimable?

Téthys, que ta grâce ravit, a g 5

Pleine de flamme te suivit

Autant que dura ton passage ,

Et l*Amo cessa de couler.

Plein de bonté qu'en son rivage

n n'avoit de quoi l'égaler. 390

Tu menois le blond Hyménée,

Qui devoit solennellement

De ce fatal accouplement

Célébrer l'beureuse journée.

Jamais il ne fut si paré, a 9 5

Jamais en son babil doré

Tant de richesses n'éclatèrent;

Toutefois les Nymphes du lieu

Non sans apparence doutèrent

Qui de vous deux étoit le Dieu. 3 o o

POÉSIES, XXVÏI. laS

Mais quoi? ma barque yagabonde

Eat dans les Syites bien avant ;

Et le plaisir la décerant

Toujours la pousse au gré de Tonde.

Bellegarde, les matelots 3 o 5

Jamais ne méprisent les flots^

Quelque pbare qui leur éclaire ;

Je ferai mieux de relâcher.

Et borner le soin de te plaire

Par la crainte de te f&cber. Sic

Tonte la gloire mon attente

Croit avoir raison d'aspirer,

Cest qu'il te plaise m'assurer

Que mon ofFrande te contente.

Donne-m'en d'un clin de tes yeux 3 i 5

Un témoignage gracieux ,

Et si tu la trouves petite.

Considère qu'une action

Ne peut avoir peu de mérite

Ayant beaucoup d'alTection. 3 3 o

Ainsi toujours d'or et de soie

Ton âge dévide son cours ;

Ainsi te naissent tous les jours

Nouvelles matières de joie,

Et les foudres accoutumés 3 a 5

De tous les traits envenimés

Que par la fortune contraire

L'ire du ciel fait décocher.

De toi, ni de Termes ton frère,

Ne puissent jamais approcher. 3 3 o

/ Quand la faveur à pleines voiles. Toujours compagne de vos pas. Vous feroit devant le trépas Avoir le firont dans les étoiles.

Et remplir de votre grandeur 33 5

Ce que la terre a de rondeur. Sans être menteur je puis dire Que jamais vos prospérités N'iront jusques je désire, Ni jusques vous méritez. 340

fkS POÉSIES, XXVIIl.

XXVIII

a monsieur de fleuralfce, sur son art

d'embellir.

sonner.

Cette pièce te tronTe en tAte du lÎTre intxtnlé : T^rt tTemèeWr^ tiré du sens de ce sacré Paradoxe : La sagesse de la personne em- bellit sa fiioe , étendu en toute sorte de Beauté et es moyens de faire que le corps retire en effet son embellissement des belles qualités de l'Ame, Par le sieur de Flnranoe Rivault. A Paris, chez Julien Bertaaty 1608. David de Rivault , sieur de Fluranoe, à Laval ou dans les environs, vers 1571, mort à Tours au mois de janvier ifiiB, fut suc- cessivement sous-précepteur, lecteur aux mathématiques, puis pré- cepteur de Louis Alii, et conseiller d'État. Le plus connu de ses ouvrages a pour titre : les Élémens d'artillerie, 9* édition, 1608, in-8.

Caliste est la vicomtesse d*Auchy, dont nous allons parler à la page ia8.

Le sonnet est irrégulier (voyez la notice de la pièce xxv).

Voyant ma Caliste si belle , Que ron n'y peut rien désirer , Je ne me pouvoîs figurer Que ce îtx chose naturelle.

J'ignorois que ce pouvoit être 5

Qui lui coloroit ce beau teint, l'Aurore même n'atteint Quand elle commence de naître.

9. Vab. (An d'embellir):

Que rien ne s*y peut désirer. 5, 6. Voyez la notice de la pièce xxix.

POÉSIES, XXVIII. ia7

Mais, Flearanoe, ton docte écrit

M*ayant (ait voir qu*un bel esprit i o

Est la cause d'un beau visage;

Ce ne m*est plus de nouveauté, Puisqu'elle est parfiûtement sage , Qu'elle soit parfaite en beauté.

f o. Var. (Jrt d'emheUir) :

BTayant fait Toir qo*aii sage esprit.

laS POÉSIES, XXIX.

XXIX

•OMVBT.

La belle dont Malherbe déplore le départ est Charlotte JonTenel des Urtîns, mariée à Eustache de ConflïmSy yicx>mte d*Attchy (oa Ochy)y cheralier det ordres du Roi. Les généalogistes le font mourir en juin 1698. Si cette date est exacte, elle réfute complètement le récit de Tallemant (Historiette de la vicomtesse d'Auehjr)^ snivant le- quel le vicomte , tant qu*il vécut , tint prudemment sa femme à la campagne. Quoi qu*il en soit, une fois arrivée à Paris (elle y était avant 1609], elle se forma une petite cour de poètes et de savants, et se rendit ridicule par ses prétentions littéraires et même théolo- giques, car, en i63i, elle fit paraître sous son nom des Homéfies sur VÉpttre de saint Paul aux Hébreux. Malherbe, Lingendes, Malle- ville ont à Tenvi célébré ses attraits , mais il ne semble pas qu'elle en ait été plus séduisante, t Elle n'avoit rien de beau, dit Tallemant, que la gorge et le tour du visage. Elle avoit un teint de malade, et ses yeux furent toujours les moins brillants et les moins clairvoyants du monde, s Elle mourut le 3 janvier i64f), assez âgée, on peut le croire, sans avoir besoin de s*en rapporter à Berthelot, qui écrivait d'elle :

Ses enfants pleins de vie, Devant Pavie, N'étoient déjà plus mineurs.

Outre les vers que Malherbe a composés en son honneur, il lui a adressé un certain nombre de lettres publiées pour la première fois dans l'édition de i63o.

Le sonnet ci-dessous a été, ainsi que les huit pièces suivantes, inséré dans le Nouveau Recueil des plus beaux vers de ce temps, qui est précisément dédié c à très-illustre et vertueuse dame Charlotte des Ursins, vicomtesse d'Ochi. s Ce volume, publié à Paris en 1609, a été réimprimé sous le même titre, à Lyon , par Barthélémy Anoe- lin, i6i5, in-ii.

POÉSIES, XXIX. t%^

Qael astre malheureux ma fortune a bâtie ? A quelles dures lois ma le ciel attaché, Que Textréme regret ne m'ait point empêché De me laisser résoudre à cette départie ?

Quelle sorte d'ennuis fut jamais ressentie s

Egale au déplaisir dont j'ai l'esprit touché?

Qui jamais vit coupable expier son péché

D'une douleur si forte, et si peu divertie?

On doute en quelle part est le funeste lieu

Que réserve aux damnés la justice de Dieu , i o

Et de beaucoup d'avis la dispute en est pleine;

Mais sans être savant, et sans philosopher, Amour en soit loué , je n'en suis point en peine : Galiste n'est point, c'est qu'est mon enièr.

4. Départie, départ.

5-8. Les Ttn de ce quatrain sont ainsi rangés dans l'édition de i63o :

Quelle sorte d*ennuis fut jamais ressentie Égale an déplaisir dont j*ai l'esprit touché ? D'une douleur si forte, et si peu dÎTertie, Qui jamais yit coupable expier son péché ?

Nous aTons suiri la disposition des Recueib, et séparé la seconde rime masculine du quatrain de celle qui termine le premier, yen du tercet.

Malhxhbb. I v4

i3o POÉSIES, XXX.

XXX

STAHCBt.

Imprimées en 1609 arec le titre de chamâon dans le Nouveau Parnasse et dans le Nouveau recueil des plus beaux vers de ee temps. c M. de Racan, dit Ménage, croit que Malherbe fit ces stances pour lui-même, s EHles sont adressées à la vicomtesse d*Auchy.

Laisse-moi, raison importune,

Cesse d'affliger mon repos,

En me faisant mal à propos

Désespérer de ma fortune ;

Tu perds temps de me secourir, 5

Puisque je ne veux point guérir.

Si TAmour en tout son empire,

Au jugement des beaux esprits ,

ITa rien qui ne quitte le prix

A celle pour qui je soupire , i o

D'où vient que tu me veux ravir

L'aise que j'ai de la servir ?

A quelles roses ne fait honte

De son teint la vive fraîcheur ?

Quelle neige a tant de blancheur 1 5

Que sa gorge ne la surmonte ?

Et quelle flanune luit aux cieux

Claire et nette comme ses yeux ?

i3-i8* Voyez plus haut la notice de la pièce xxix.

POÉSIES, XXX. ,3i

Soit qae de ses douces merveilles

Sa' parole enchante les sens , 90

Soit que sa voix de ses accents

Frappe les cœurs par les oreilles,

A qui ne fait-elle avouer

Qu'on ne la peut assez louer?

Tout ce que d'elle on me peut dire, « 5

C'est que son trop chaste penser,

Ingrat à me récompenser ,

Se moquera de mon martyre :

Supplice qui jamais ne faut

Aux désirs qui volent trop haut. 3o

Je raccorde , il est véritable :

Je devois bien moins désirer;

Mais mon humeur est d'aspirer

la gloire est indubitable.

Les dangers me sont des appas ; 3 5

Un bien sans mal ne me plidt pas.

Je me rends donc sans résistance

A la merci d'elle et du sort ;

Aussi bien par la seule mort

Se doit faire la pénitence 4 o

D'avoir osé délibérer

Si je la devois adorer.

3o. Var. (K) : A odai qui Tole trop liant

lix POÉSIES, XXXI.

XXXI

somnr.

Imprimé en 1609 dins le Nouveau recueil des plus heûux vers de ce temps»

Berthelot, qui détestait Malherbe et la vicomtesse d*Auchy, a fait de ce somiet une parodie, dont Toici quelques vers :

De tontes les laideurs Francine est la plus laide....

La cire de ses yeux éblouit les regards ;

Ainsi que dans le miel Amour y tient ses dards.

Dont il la perce à jour comme Ton fait un crible.

Mes yeux en la Toyant font un mauvais repas : Qu'en dis-tu , ma raison ? crois-tu qu'il soit possible D'aroir du jugement et ne l'abhorrer pas?

Il n^est rien de si beau comme Caliste est belle , G^est une œuvre nature a fait tous ses elForts ; Et notre âge est ingrat qui voit tant de trésors, S*il n'élève à sa gloire une marque étemelle.

La clarté de son teint n'est pas chose mortelle ; 5

Le baume est dans sa bouche , et les roses dehora; Sa parole et sa voix ressuscitent les morts , Et Tart n'égale point sa douceur naturelle.

La blancheur de sa gorge éblouit les regards;

Amour est en ses yeux, il y trempe ses dards , i o

10. A propos de oe tcts , Mme de Rambouillet disait , suirant Tallemant {Hittoriette de la vicomtesse d*j4uehy) , que Malherbe arait

POÉSIES, XXXI. iri

Et la fait reconnoître un miracle visible.

En ce nombre infini de grâces et d'appas ,

QuVn dis-tu , ma raison? crois-tu qu*il soit possible

D'avoir du jugement, et ne Tadorer pas?

raison , car les yeux de la vicomtesse plearaient presque toujours et t l'Amour ponvoit trouTer de quoi tremper ses dards tout à son

î. s

i34 POÉSIES, XXXII.

XXXII

tTAMCSS.

Publiées en 1609 aTeo le titre de chanson dans le Ifoupeau recueil des plus beaux vers de ce temps.

c M. de Racan, dit Ménage, croit que ces stances ont été faites par Malherbe pour la yicomtesse d'Auchi.... Mais Mme la manjoise de Rambouillet m*a assuré qu*il les avoit faites pour une certaine Mme la comtesse de la Roche, au nom de laquelle il aroit risé en cet endroit de ces mêmes stances :

Atcc quelle raison me puis-je figurer

Que cette âme de roche une grâce m*octroie ?

Parmi les lettres de Théophile il y en a une à cette Mme la com- tesse de la Roche. » Cest probablement la même dont Malherbe parle dans une lettre à Peiresc du 5 avril 161 1, et qui à cette date était depuis trois jours à l'agonie.

Le dernier de. mes jours est dessus rhorizon ; Celle dont mes ennuis avolent leur guérison S'en va porter ailleurs ses appas et ses charmes ; Je fais ce que je puis, Ten pensant divertir; Mais tout m'est inutile, et semble que mes larmes Excitent sa rigueur à la faire partir.

'i

Beaux yeux, à qui le ciel , et mon consentement,

Pour me combler de gloire, ont donné justement

Dessus mes volontés un empire suprême ,

Que ce coup m'est sensible; et que tout à loisir i o

Je vais bien éprouver qu'un déplaisir extrême

Est toujours à la fin d'un extrême plaisir.

Quel tragique succès ne dois-je redouter

POÉSIES, XXXII. i35

Du funeste voyage vous m allez 6ter

Pour un terme si long tant d aimables délices , 1 5

Puisque votre présence étant mon élément,

Je pense être aux enfers , et souffrir leurs supplices,

Lorsque je m*en sépare une heure seulement!

Au moins si je voyois cette fière beauté Préparant son départ cacher sa cruauté a o

Dessous quelque tristesse , ou feinte , ou véritable ; L^espoir, qui volontiers accompagne Tamour, Soulageant ma langueur, la rendroit supportable, Et me consoleroit jusques à son retour.

Mais quel aveuglement me le fait désirer? a h

Avec quelle raison me puis-je figurer

Que cette âme de roche une grâce m'octroie?

Et qu'ayant fait dessein de ruiner ma foi.

Son humeur se dispose à vouloir que je croie

Qu'elle a compassion de s'éloigner de moi ? 3o

Puis étant son mérite infini comme il est,

Dois-je pas me résoudre à tout ce qui lui plaît,

Quelques lois qu'elle fasse, et quoi qu'il m'en advienne.

Sans faire cette injure à mon affection

D'appeler sa douleur au secours de la mienne , 3 5

Et chercher mon repos en son affliction?

Non, non, qu'elle s'en aille à son contentement.

Ou dure ou pitoyable, il n'importe comment;

Je n'ai point d'autre vœu que ce qu'elle souhaite;

Et quand de mes souhaits je n'aurois jamais rien , 4 o

Le sort en est jeté, l'entreprise en est faite,

40. Vab. (H, Ky N) : Et quand de mes travaux....

l36 POÉSIES, XXXII.

Je ne saurois brûler d'autre feu que du fden.

Je ne ressemble point à ces foibles esprits.

Qui bientôt délivrés, comme ils sont bientôt pris ,

En leur fidélité n*ont rien que du langage; 4 5

Toute sorte d objets les touche également;

Quant à moi, je dispute avant que je m'engage.

Mais quand je Tai promis, j'aime éternellement.

48. « Paî appris de M. de Raean , dit enoore Ménage , que cette «tance et celle qui commence par roUà comme je vis, PoUà ce que j'endure j qui est de la plainte d*Alcandre pour la captirité de sa maitreue (Toyez p. 160), étoient les deux de tontes les poésies de Malherbe que Malherbe estimoit davantage. » On sait que, quand il s*agit de leurs oeuvres, les aoteors et les artistes sont loin d*étre des juges infaillibles.

POÉSIES, XXXIII. i37

XXXIII

•09:^ ET.

imprimé^ comme les pièces précédentes, dans le recueil de 1609, et adressé à U Ticomtesse d'Auchy.

Beauté, de qui la grftoe étonne la nature, U faut donc que je cède à Tinjure du sort, Que je vous abandonne , et loin de votre port M*en aille au gré du vent suivre mon aventure.

U n*est ennui si grand que celui que j^endure ; 5

Et la seule raison qui m'empêche la mort, C'est la doute que j ai que ce dernier effort Ne fût mal employé pour une âme si dure.

Caliste, pensez-vous? qu'avez- vous entrepris? Vous résoudrez-vous point à borner ce mépris , 1 o

Qui de ma piatience indignement se joue?

Mais, 6 de mon erreur l'étrange nouveauté ! Je vous souhaite douce, et toutefois j'avoue Que je dois mon salut à votre cruauté.

i38 POÉSIES, XXXIV.

XXXI?

Imprimé dans le même recueil de 1609, arec le titre de ehansom. U n*e8t guère besoin de dire qu'ici, comme dam la pièce suivante, il s'agit de Fontainebleau, dont le cbâteau et les jardins durent de nombreux embellissements à Henri IV, qui y fit travailler dès l'année i593.

Beaux et grands bâtiments d'étemelle structure, Superbes de matière , et d*ouvrages divers , le plus digne roi qui soit en Tunivers Aux miracles de Tart fait céder la nature ;

Beau parc, et beaux jardins, qui dans votre clôture 5 Avez toujours des fleurs , et des ombrages verts , Non sans quelque Démon qui défend aux hivers D*en effacer jamais Tagréable peinture ;

lieux qui donnez aux cœurs tant d'aimables désirs, Bois , fontaines , canaux , si parmi vos plaisirs 1

Mon humeur est chagrine, et mon visage triste,

Ce n'est point qu'en effet vous n'ayez des appas ; Mais quoi que vous ayez , vous n'avez point Caliste , Et moi je ne vois rien quand je ne la vois pas.

la. Vab. (K) : Ce n'est pas....

POÉSIES, XXXV. j39

XXXV

•OKnr.

Cette pièce fait pour ainii dire suite à la précédente et a été im- primée en 1609 dans le même recueil.

Caliste, en cet exil j'ai Tâme si gênée

Qu^au tourment que je souffre il n*est nen de pareil;

Et ne saurois ouïr ni raison ni conseil.

Tant je suis dépité contre ma destinée.

J^ai beau voir commencer et finir la journée, 5

En quelque part des cieux que luise le soleil. Si le plaisir me fuit, aussi fait le sommeil, Et la douleur que j'ai n'est jamais terminée.

Toute la cour fait cas du séjour ou je suis,

Et pour y prendre goût, je fais ce que je puis ; 1 o

Mais j'y deviens plus sec, plus j'y vob de verdure.

En ce piteux état si j'ai du réconfort. C'est, ô rare beauté, que vous êtes si dure. Qu'autant près conmie loin je n'attends que la mort.

9. Vab. (K) : Tout le monde fait cai ....

i4o POÉSIES, XXXVI.

XXXVI

aosmrr.

Imprimé dims le recaeil de 1609.

G*est fait, belle Caliste, il n y faut plus penser; Il se faut affranchir des lois de votre empire; Leur rigueur me dégoûte, et fait que je soupire Que ce qui s'est passé n'est à recommencer.

Plus en vous adorant je me pense avancer, Plus votre cruauté , qui toujours devient pire , Me défend d'arriver au bonheur j'aspire, Gonmie si vous servir étoit vous offenser.

Adieu donc, 6 beauté, des beautés la merveille; Il faut qu'à l'avenir ma raison me conseille , Et dispose mon âme à se laisser guérir.

Vous m'étiez un trésor aussi cher que la vie ; Mais puisque votre amour ne se peut acquérir, Gonune j'en perds l'espoir, j'en veux perdre l'envie.

a, 3. Vab. (K) :

La f&cheoie rigueur des lois de rotre empire Étonne mon courage et fkit que je aoupire.

Dans N et P oe dernier ren commence ainsi :

M'étonne le courage....

1 ri

POÉSIES, XXXVII. I/.I

XXXVII

«TASCm.

c J*aî apprit de M. de Ractiiy dit Ménage, que Malherbe fit cet fttancïet pour la yioomtesse d*Auchi , mais qu'elles servirent à M. de Bell«^arde pour la princesse de Conti. s Elles forent imprimées dans les deux recueils H et K , de 1609, avec le titre de chanson.

Dure contrainte de partir,

A quoi je ne puis consentir,

Et dont je ne m'ose défendre ,

Que ta rigueur a de pouvoir !

Et que tu me fais bieu apprendre s

Quel tyran c'est que le devoir !

J aurai donc nommé ces beaux yeux

Tant de fois mes rois et mes dieux ,

Pour aujourd'hui n'en tenir compte?

Et permettre qu'à l'avenir c o

On leur impute cette honte

De ne m'avoir su retenir?

Ds auront donc ce déplaisir,

Que je meure après un désir,

la vanité me convie? : S

Et qu'ayant juré si Souvent

D'être auprès d'eux toute ma vie.

Mes serments s*en aillent au vent?

la. Var. (N) : De n'avoir su me retenir.

i4a POÉSIES, XXXVÏI.

Vraiment je puis bien avouer

Que j'avois tort de me louer « o

Par-dessus le reste des hommes ;

Je n'ai point d'autre qualité

Que celle du siècle nous sommes ,

La fraude, et Finfidélité,

Mais à <juoi tendent ces discours , s s

O beauté qui de mes amours

Êtes le port et le naufrage?

Ce que je dis contre nui foi,

N'est-ce pas un vrai témoignage

Que je suis déjà hors de moi ? 3 o

Votre esprit, de qui la beauté

Dans la plus sombre obscurité

Se fait une insensible voie.

Ne vous laisse pas ignorer

Que c'est le comble de ma joie 3 5

Que rhonneur de vous adorer.

Mais pourrois-je n'obéir pas

Au Destin, de qui le compas

Marque à chacun son aventure,

Puisqu'en leur propre adversité 40

Les Dieux tout-puissants de nature

CSèd^t à la nécessité?

Pour le moins j'ai ce réconfort,

Que les derniers traits de la mort

Sont peints en mon visage blême , 4 3

Et font voir assez clair à tous ,

46. Var. (N) : Qui font roîr....

POÉSIES, XXXVII. 143

Que c'est m*arracher à moi-même Que de me séparer de vous.

Un lâche espoir de revenir

Tâche en vain de m entretenir ; 5 o

Ce qu*il me propose m'irrite;

Et mes vœux n'auront point de lieu ,

Si par le trépas je n'évite

La douleur de vous dire adieu.

i44 POÉSIES, XXKYIII, XXXIX.

XXXVIll

POUR METTRE DEVAITT LES HEURES DE CALISTE.

Bien qae j'ignore an juste la date àe cette épigramme et de la soi- Tante y impriméet en i6i5 dan» les Dé&ees de la poésm fiançoise, j'ai cm pouvoir les placer immédiatement à la suite des pièces précé- dentes, car il me semble qu'elles ont être composées tcts la même époque.

Tant que vous serez sans amour,

Caliste, priez nuit et jour,

Vous n^aurez point miséricorde;

Ce n'est pas que Dieu ne soit doux ;

Mais pensez- vous qu'il vous accorde 6

Ce qu'on ne peut avoir de vous?

XXXIX

AUTRE SUR LE mAmE SUJET.

Prier Dieu qu'il vous soit propice, Tant que vous me tourmenterez, C'est le prier d'une injustice; Faitefr-moi grâce, et vous l'aurez.

POÉSIES, XL. 145

XL

SOSStT,

Saint-Marc I qui le premier a joint ces vers aux œuvres de Mal- herbe, conjecture qu'ils furent écrits au sujet d'un violent accès de goutte dont le Roi fut atteint le 16 janvier 1609, et qui le re- tint plus de quinze jours au Ut. Us pourraient néanmoins avoir été composés en 1607 , car au mois de juin de cette année c le Roi, dit TEstoile , fut tellement travaillé de ses gouttes et si péniblement qu'il en changea de visage et de naturel. » Us furent imprimés dans les différentes éditions des Délices de la poésie francoise (161 5, i6aOy i6ai].

Quoi donc ! c'est un arrêt qui n'épargne personne , Que rien n'est ici-bas heureux parfaitement , Et qu'on ne peut au monde avoir contentement Qu'un fimeste malheur aussitôt n'empoisonne !

La santé de mon prince en la guerre étoit bonne ; 5

Il vivoit aux combats comme en son élément. Depuis que dans la paix il régne absolument , Tous les jours la douleur quelque atteinte lui donne.

Dieux , à qui nous devons ce miracle des rois ,

Qui du bruit de sa gloire , et de ses justes lois 1 o

Invite à l'adorer tous les yeux de la terre ;

Puisque seul après vous il est notre soutien , Quelques malheureux fruits que produise la guerre , N'ayons jamais la paix, et qu'il se porte bien.

Mâlhsrbk. I 10

i46 POÉSIES, XLI.

XLI

BALLET DE LA REINE.

SaiTint Bassompieire y le ballet de la Reine se dansa le premier dimanche de carême 1609, c et fut le plus beau et le dernier aussi de tous ceux qu'elle a dansés. » Il est possible que le ballet ait été exécuté à la date que donne Bassompierre , dont les souvenirs d'ailleurs ont bien pu le tromper ; mais il est certain que ce ne fut pas pour la première fois ; car voici ce qu'on lit dans le Journal de l'Estoile^ à la date du 3i janvier de la même année : c Le samedi 3i et dernier de ce mois, la Reine fit à Paris son ballet magnifique, dès longtemps pourpensé par elle , mais différé jusques à ce Jour, et ne Ait qu'en deux lieux, à l'Arsenal et chez la reine Marguerite. » Les vers de Malherbe ont paru d'abord , et sans nom d'auteur, non pas en i6ao, comme le dit Saint-Marc, mais en 1609, dans un petit volume resté inconnu jusqu'ici et intitulé : Recueil des vers du baUt de la Rejrne, Paris, in- 13, p. 8.

La Renommée au Roi,

Pleine de langues et de voix ,

O Roi le miracle des rois ,

Je viens de voir toute la terre ,

Et publier en ses deux bouts

Que pour la paix ni pour la guerre 5

Il n'est rien de pareil à vous.

Par ce bruit je vous ai donné

Un renom qui n'est terminé

Ni de fleuve, ni de montagne;

Et par lui j'ai fait désirer 1 o

A la troupe que j'accompagne

De vous voir, et vous adorer.

POÉSIES, XLI. 147

Ce sont douze rares beautés ,

Qui de si dignes qualités

Tirent un cœur à leur service , 1 5

Que leur souhaiter plus d'appas ,

C'est vouloir avec injustice

Ce que les cieux ne peuvent pas.

L'Orient qui de leurs aïeux

Sait les titres ambitieux , a u

Donne à leur sang un avantage ,

Qu'on ne leur peut faire quitter ,

Sans être issu du parentage ,

Ou de vous, ou de Jupiter.

Tout ce qu'à façonner un corps a 5

Nature assemble de trésors.

Est en elles sans artifice;

Et la force de leurs esprits,

D'où jamais n'approche le vice.

Fait encore accroître leur prix. 3 o

Elles souffrent bien que l'Amour

Par elles fasse chaque jour

Nouvelle preuve de ses charmes;

Mais sitôt qu'il les veut toucher,

Il reconnoît qu'il n'a point d'armes 3 5

Qu'elles ne fassent reboucher.

Loin des vaines impressions

De toutes folles passions,

La vertu leur apprend à vivre;

Et dans la cour leur fait des lois , 4 ^

3(). Keboucher^ rebrousser, émoiuser, ft*éinoutser.

i48 POÉSIES, XLI.

Que Diane auroît peine à suivre Au plus grand silence des bois.

Une reine qui les conduit,

De tant de merveilles reluit.

Que le soleil qui tout surmonte, 4 5

Quand même il est plus flamboyant ,

S*il étoit sensible à la honte,

Se cacheroit en la voyant.

Aussi le temps a beau courir.

Je la ferai toujours fleurir 5o

Au rang des choses étemelles;

Et non moins que les immortels.

Tant que mon dos aura des ailes,

Son image aura des autels.

Grand roi, faites-leur bon accueil; 5 5

Louez leur magnanime orgueil,

Que vous seul avez fait ployable;

Et vous acquerrez sagement ,

Afin de me rendre croyable ,

La faveur de leur jugement. 60

Jusqu'ici vos faits glorieux

Peuvent avoir des envieux ;

Mais quelles ftmes si farouches

Oseront douter de ma foi ,

Quand on verra leurs belles bouches 6 5

Les raconter avecque moi ?

POÉSIES, XLII. 149

XLII

BALLET DE MADAME.

Saint- Marc a placé à tort en 1610 ces xers, composés un an anparaTant. La date exacte nous en est donnée par une lettre de Malherbe, qui, le ai mars 1609, écrit i Peiresc : c Marc- Antoine TOUS fera xoir des rers que j*ai faits pour le ballet de Madame. H se doit danser à Saint-Germain de jeudi prochain en huit jours. 9 Tallemant, dans son Historiette de Madame la Princesse, a raconté com- ment , aux répétitions de ce ballet , Henri IV deyint amoureux de la jeune Charlotte de Montmorency, qui quelques mois après épousa le prince de Condé. Il y eut encore un autre ballet avec Nymphe» fait aussi pour Madame , et dont Malherbe parle dans une lettre du II janvier 161 3. Madame était Elisabeth, Tainée des filles du Roi, née en i6oa. Elle devint plus tard reine d'Espagne.

« Pai appris de M. de Racan, dit Ménage, que Malherbe fit ces vers en un jour. » Le fait était assez rare pour qu'il le notât. Us furent im- primés en i6ao dans les tomes I et II des Délices de la poésie française.

De petites Nymphes qui mènent V Amour prisonnier,

AU AOI.

A la fin tant d'amants dont les âmes blessées

Languissent nuit et jour, Verront sur leur auteur leurs peines renversées , Et seront consolés aux dépens de TAmour.

Ce public ennemi, cette peste du monde, 5

Que Terreur des humains Fait le maître absolu de la terre et de Tonde , Se trouve à la merci de nos petites mains.

Nous le vous amenons dépouillé de ses armes,

i5o POÉSIES, XLII.

O Roi , l'astre des rois ; i o

Quittez votre bonté, moquez-vous de ses larmes, Et lui fSûtes sentir la rigueur de vos lois.

Commandez que sans grâce on lui fasse justice ;

n sera malaisé Que sa vaine éloquence ait assez d'artifice 1 5

Pour démentir les faits dont il est accusé.

Jamais ses passions, par qui chacun soupire,

Ne nous ont fait d'ennui; Mais c'est un bruit commun que dans tout votre empire Il n'est point de malheur qui ne vienne de lui. 20

Mars, qui met sa louange à déserter la terre

Par des meurtres épais , N'a rien de si tragique aux Aireurs de la guerre , GoDune ce déloyal aux douceurs de la paix.

a 3

Mais sans qu'il soit besoin d'en parler davantage ,

Votre seule valeur, Qui de son impudence a ressenti l'outrage , Vous fournit-elle pas une juste douleur?

Ne mêlez rien de lâche à vos hautes pensées ;

Et par quelques appas 3 o

Qu'il demande merci de ses fautes passées , Imitez son exemple à ne pardonner pas.

L'ombre de vos lauriers admirés de l'envie

Fait l'Europe trembler; Attachez bien ce monstre , ou le privez de vie , 3 5

Vous n'aurez jamais rien qui vous puisse troubler.

31. Déserter y rendre déserte

POÉSIES, XLÏII. i5i

XLIII

POUR ALCANDRE.

flTAKCBS.

Je ne pense pas que ces stances aient paru avant Tédition de i63o.

On sait qne, malgré ses cinquante-six ans, Henri IV (voyez la no- tice de la pièce précédente) s*était épris de la passion la plus violente pour Charlotte-Marguerite de Montmorency, dont il rompit l'union projetée avec Bassompierre, et qu*il maria en mai 1609 à Henri de Bourbon, prince de Condé. Il espérait le trouver de facile composi- tion; mais le prince, ennuyé des poursuites du Roi, quitta Fontaine- bleau au mois de juillet, fut obligé d*y revenir en septembre, et enfin, le ag novembre , s'enfuit avec sa femme à Landrecies , d'où il gagna Bruxelles. Sur .les circonstances de cette fuite et les extravagances que la passion fit faire au Roi , voyez les MémoireSy pas toujours trè»- esuuïts pour les dates , de Bassompierre , le Journal de l'EstoïU , an- nées 1609, 1610, et les Historiettes de Tallemant (Madame la Prin- ceue, Henri IV y etc.).

Suivant un usage qui eut cours pendant tout le dix-septième siè- cle, et qui nous parait bien singulier aujourd'hui, Henri IV, pour chanter son amour et ses peines, eut recours à autrui. « Le Roi, écrit Malherbe à Peiresc (Chandeleur 1609) , m'a entretenu de quel- que autre galanterie dépendante du ballet qui étoit la vraie occasion pourquoi il m'a envoyé quérir exprès par un garçon de chambre , et le baUet n'a servi que de prétexte. 9 A sa demande ou , pour mieux dire, sur sa commande, le poète composa les pièces suivantes :

I. Quelque ennui donc qu'en cette absence.

n. Revenez f mes plaisirs , ma dame est revenue,

ni. Que d'épines. Amour , accompagnent tes roses!

IV. Que n'éteS'VOtu lassées.

V. Donc cette merveille des deux.

Je crois pouvoir les classer ainsi , d'après les renseignements que je trouve dans les lettres de Malherbe à Peiresc :

Le 19 octobre 1609, il parle de vers composés pour le Roi, qui les a « exactement loués. > Le 38 , il annonce qu'il a , ce soir même, donné de nouveaux vers au Roi. Ces deux passages ne peuvent

i5a POÉSIES, XLIII.

8*appliquer qu'aux pièces I et II , écrites évidemment arant la fbite du prince de Condé , laquelle eut lieu, comme je viens de le dire, le 39 novembre.

Le 5 janvier 1610, il envoie à son ami les vers Que d'épines, jimour, qui c ont été extrémem<n:it agréables. » Le 18 février, Henri IV reçoit de lui une chanson {Que nêtes'Vous lassées) ^ et loi commande une élégie que le poète (comme il récrivait le a 4 mars) espérait avoir finie avant Pâques, c'est-à-dire avant le 11 avril. Voilà donc les cinq pièces mentionnées plus haut. L*élégie dont il est question est celle que je place au cinquième rang , et que Saint- Marc a mise la première.

Les noms d'Alcandre et d'Oranthe, qui désignent dans cet poèmes le Roi et Charlotte de Montmorency, signifient, le premier (il se trouve dans Homère) a homme fort, courageux, j le second c celle qui a la fleur de jeunesse, de beauté. > On connaît les Amours du ffrand Aicandre, espèce de roman historique publié en i65a et sou- vent réimprimé.

Quelque ennui donc qu'en cette absence

Avec une injuste licence

Le destin me fasse endurer,

Ma peine lui semble petite ,

Si chaque jour il ne Tirrite b

D un nouveau sujet de pleurer.

Paroles que permet la rage

A l'innocence qu'on outrage,

C'est aujourd'hui votre saison ;

Faites-vous ouïr en ma plainte; f o

Jamais l'àme n'est bien atteinte,

Quand on parle avecque raison.

O fureurs, dont même les Scythes

N'useroieiit pas vers des mérites

Qui n'ont rien de pareil à soi, ih

Ma dame est captive , et son crime

C'est que je l'aime , et qu'on estime

Qu'elle en fait de même de moi.

POÉSIES, XLIII. i53

Rochers , mes inquiétudes

Viennent chercher les soh'tudes , i o

Pour blasphémer contre le sort,

Quittez la demeure vous êtes,

Je suis plus rocher que vous n'êtes,

De le voir, et n'être pas mort.

Assez de preuves à la guerre , a s

D'un bout à l'autre de la terre ,

Ont fait parottre ma valeur ;

Ici je renonce à la gloire ,

Et ne veux point d'autre victoire

Que de céder à ma douleur. 3 o

Quelquefois les Dieux pitoyables

Terminent des maux incroyables ;

Mais en un lieu que tant d'appas

Exposent à la jalousie.

Ne seroit-ce pas frénésie 3 5

De ne les en soupçonner pas ?

Qui ne sait combien de mortelles

Les ont fait soupirer pour elles ,

Et d'un conseil audacieux,

En bergers, bêtes, et Satyres, 40

3 a. Ce vert, qui rime trop bien arec le suivant, manque dans les éditions de i63o, i63i et i635, où, à Texception des deux premières lettres, il est resté en blanc. Je le trouve pour la première fois dans l'édition de Troyes, 1647, in-8*, qui porte le titre de troisiènu^ comme celle de i635. - Ménage, qui n*avait peut-être pas consulté l'édition de 1647, ^ comblé la lacune par le vers suivant :

Quoique insensibles aux tempêtes ,

reproduit sans observation par Saint-Marc et tous ses successeurs. J'i^ore si le vers est de Méïiage.

i54 POÉSIES, XLIII.

Afin d apaiser leurs martyres , Les ont fait descendre des deux ?

Non, non, si je veux un remède,

G*est de moi qu'il fÎBLut qu'il procède;

Sans les importuner de rien , 4 5

J'ai su faire la délivrance

Du malheur de toute la France,

Je la saurai faire du mien.

Hâtons donc ce fatal ouvrage;

Trouvons le salut au naufrage ; 5 o

Et multiplions dans les bois

Les herbes dont les feuilles peintes

Gardent les sanglantes empreintes

De la fin tragique des rois.

Pour le moins la haine et Tenvie 5 5

Ayant leur rigueur assouvie

Quand j'aurai clos mon dernier jour,

Oranthe sera sans alarmes ,

Et mon trépas aura des larmes

De quiconque aura de l'amour. 60

A ces mots tombant sur la place , Transi d'une mortelle glace, Alcandre cessa de parler; La nuit assiégea ses prunelles;

5a-54- Alloftion i Thyacinthe des poètes, née du sang du jeune Hyacinthe et de celui d'Ajax. On y croyait lire les exclamations de douleur AI, AI, qui rappelaient, dit Ovide (Metam,, XTTT, 897), le nom d*Ajax et les plaintes d'Hyacinthe. Le nom de rois appliqué à ces deux héros grecs est un souTenir de Virgile (JEc/., IH, 106) : ittscripti itomina regum flores.

POÉSIES, XLIII. i55

Et son âme étendant les ailes 65

Fut toute prête à s'envoler.

« Que fais- tu, monarque adorable,

Lui dit un Démon favorable ,

En quels termes te réduis-tu?

Veux-tu succomber à Forage , 7 o

Et laisser perdre à ton courage

Le nom qu'il a pour sa vertu?

« N'en doute point, quoi qu'il advienne,

La belle Oranthe sera tienne;

C est chose qui ne peut faillir; 7 5

Le temps adoucira les choses ,

Et tous deux vous aurez des roses ,

Plus que vous n'en saurez cueillir. »

i56 POÉSIES, XLIV.

XLIV

POUR ALCAKDRE AU RETOUR d'oRANTHE A FONTAINEBLEAU.

STAHCZBS.

Imprimées pour ia première fois en x6ao dans les tomes I et II des Délices de la poésie franço'ue.

Le prince de Condé , qui s'était absenté de la cour en juillet, après son mariage, comme nous l'avons dit plus haut, y rerint avec sa femme, mais il n*y séjourna guère, c En ce mois de sep- tembre (1609), dit l'Estoile, M. le prince de Condé ayant été mal- mené du Roi.... se retira fort piqué et mal content en sa maison, n'ayant été possible à Sa Majesté de retarder son partement seule- ment d'un jour, s Les vers 3o et 3i de la pièce ci-dessous indi- quent suffisamment qu'elle fut composée après le second départ du prince. On sait que Malherbe ne travaillait pas vite, et, pour qu'il pût être un poète de circonstance, il fallait que les circonstances marchassent bien lentement.

Revenez, mes plaisirs, ma dame est revenue; Et les vœux que j ai faits pour revoir ses beaux yeux, Rendant par mes soupirs ma douleur reconnue, Ont eu grâce des cieux.

Les voici de retour ces astres adorables, s

prend mon Océan son flux et son reflux ; Soucis, retirez-vous, cherchez les misérables; Je ne vous connois plus.

Peut-on voir ce miracle , le soin de nature

A semé comme fleurs tant d'aimables appas , x o

POÉSIES, XLIV. i57

Et ne confesser point qu'il n'est pire aventure Que de ne la voir pas?

Certes Tautre soleil d'une erreur vagabonde Court inutilement par ses douze maisons ; C'est elle, et non pas lui, qui fait sentir au monde 1 5 Le change des saisons.

Avecque sa beauté toutes beautés arrivent; Ces déserts sont jardins de l'un à l'autre bout; Tant l'extrême pouvoir des grâces qui la suivent Les pénètre partout.

Ces bois en ont repris leur verdure nouvelle; % o

L'orage en est cessé , l'air en est éclairci ; Et même ces canaux ont leur course plus belle Depuis qu'elle est ici.

De moi, que les respects obligent au silence, J'ai beau me contrefaire, et beau dissimuler; 95

Les douceurs je nage ont une violence Qui ne se peut celer.

Mais, 6 rigueur du sort! tandis que je m'arrête A chatouiller mon âme en ce contentement , Je ne m'aperçois pas que le Destin m'apprête 3o

Un autre partement.

Arrière ces pensers que la crainte m'envoie ; Je ne sais que trop bien l'inconstance du sort; Mais de m'ôter le goût d'une si chère joie ,

C'est me donner la mort. 3 5

i58 POÉSIES, XLV.

XLV

▲LGAHDRE PLAINT LA CAPTIVITÉ DE SA MAITRESSE.

tTAHCBS.

Imprimées pour la première fois en i6i5, dans les DéUees de la ifoésie française f et en 1617, avec un air de Boesset, dans deox re- cueils imprimés par P. Ballard : les jéirs de cour (Ut. II, p. 19) et les j^irs de diffe'rents auteurs mit en tablature de luth (Ut. YII, p. 18). Nous aTons dit plus haut ( xim, notice ) que Malherbe transcri- Tit cette pièce dans une lettre adressée à Peiresc, le 5 jauTier 1610, et consenrée à la BibUothèque impériale {Suppl. fr.^ 998, p. 61). EUe y est intitulée Pour Jlcandre, et présente plusieurs Tariantes que nous allons relcTer aTec ceUes que nous fournissent les Recueils deBaUard.

Que d'épines, Amour, accompagnent tes roses! Que d*une aveugle erreur tu laisses toutes choses

A la merci du sort ! Qu'en tes prospérités à bon droit on soupire! Et qu'il est malaisé de vivre en ton empire, 5

Sans désirer la mort !

Je sers , je le confesse , une jeune merveille , En rares qualités à nulle autre pareille.

Seule semblable à soi ; Et , sans faire le vain , mon aventure est telle , i u

a. Vab. (nu.) : Tu conduis toutes choses.

7. Vab. (iw.) : n est Trai que je sers une jeune merreiUe.

Et dans les jiirs de cour .

Je sers, je le confesse, une rare merreiUe.

POÉSIES, XLV. i59

Que de la même ardeur que je brûle pour elle, Elle brûle pour moi.

Mais parmi tout cet heur , 6 dure Destinée !

Que de tragiques soins , comme oiseaux de Phinée ,

Sens-je me dévorer ! 1 5

Et ce que je supporte avecque patience , Ai-je quelque ennemi, s*il n'est sans conscience,

Qui le vit sans pleurer?

La mer a moins de vents qui ses vagues irritent ,

Que je n ai de pensers qui tous me sollicitent a o

DW funeste dessein; Je ne trouve la paix qu a me faire la guerre ; Et si Tenfer est fable au centre de la terre,

U est vrai dans mon sein.

Depuis que le soleil est dessus Thémisphère, 1 5

Qu'il monte, ou qu'il descende, il ne me voit rien faire

Que plaindre et soupirer; Des autres actions j'ai perdu la coutume, Et ce qui s'offire à moi, s'il n'a de l'amertume,

"Je ne puis l'endurer, 3o

14. Les Harpies, que les dieux euToyèrent tourmenter Phinée, roi de Salmidessos , en Thraoe.

i5. Vab. {nu.) : Me sens-je dévorer. 16-18. Cest le mot d*Énée dans Virgile {Enéide, n, 6-8) :

Quis talia fiuido Myrmidonum Dolopnmye aut duri miles Ulyssei Temperet a lacrymit?

19, 10. Vam. (nu. et jéirs de cour) :

Les Tents en TOcéan tant de vagues n*irritent, Comme j*ai de pensers.... a6. Vab. {jiirs de différents auteurs ) : Qu'il monte, et <{n*il descend....

i6o POESIES, XLV.

Comme la nuit arrive , et que par le silence , Qui fait des bruits du jour cesser la violence ,

L'esprit est relâché , Je vois de tous côtés sur la terre et sur Tonde, Les pavots qu'elle sème assoupir tout le monde , 3 5

Et n'en suis point touché.

S'il m'advient quelquefois de clore les paupières, Aussitôt ma douleur eu nouvelles matières

Fait de nouveaux efforts ; Et de quelque souci qu'en veillant je me ronge , 40

Il ne me trouble point conune le meilleur songe

Que je fais quand je dors.

Tantôt cette beauté, dont ma flamme est le crime, M'apparoît à l'autel , comme une victime

On la veut égorger ; 4 5

Tantôt je me la vois d'un pirate ravie; Et tantôt la fortune abandonne sa vie

A quelque autre danger.

En ces extrémités la pauvrette s'écrie :

« Alcandre, mon Alcandre, ôte-moi, je te prie, 5o

Du malheur je suis. » La fureur me saisit, je mets la main aux armes; Mais son destin m'aiTéte, et lui donner des larmes,

C'est tout ce que je puis.

Voilà comme je vis, voilà ce que j'endure, 5 5

3a. Vak. (jiirs de eour) : Les tempêtes du jour cessant leur violence. 34. Vab. (uu.) : En la terre et dans Tonde.

38. Vab. (nu. eijéirs de différents auteurs) : En nouvelles manières. 55. Vab. (^jéirs de cour et Airs de différents autetirs) :

Voilà comme je vis, voilà comme j'endure.

POÉSIES, XLV. i6i

Pour une affection que je veux qui me dure

Au delà du trépas ; Tout ce qui me la blâme offense mon oreille, Et qui veut m'affliger , il faut qu'il me conseille

De ne m'affliger pas. 60

On me dit qu'à la fin toute chose se change,

Et qu'avecque le temps les beaux yeux de mon Ange

Reviendront m'éclairer; Mais voyant tous les jours ses chaînes se rétraindre. Désolé que je suis! que ne dois-je point craindre ^ 65

Ou que puis-je espérer?

Non, non, je veux mourir; la raison m'y convie; Aussi bien le sujet qui m'en donne l'envie

Ne peut être plue beau; Et le sort qui détruit tout ce que je consulte , 7 o

Me fait voir assez clair que jamais ce tumulte

N'aura paix qu'au tombeau.

Ainsi le grand Alcandre aux campagnes de Seine Faisoit , loin de témoins , le récit de sa peihe,

Et se fondoit en pleurs ; 7 5

IjC fleuve en fut ému; ses Nymphes se cachèrent; Et l'herbe du rivage , ses larmes touchèrent ,

Perdit toutes ses fleurs.

58. Vab. : Tout oe qui m'en dit mal.... 76, 77. Vab. (mi. et j4irs de cour) :

. . . Tjcs astre* se caclièrent, Et la rWe du fleure ses pieds la touchèrent.

Bfalherbe a bien fidt de changer ce dernier yers, qui aurait pu prêter à de roauTaises plaisanteries. Voyez-en la raison dans Tallemant {Hit^ torleîte de Henri IV ^ édit. Paulin P&ris, tome I, p. 9).

Malhkhbb. I II

i6ft POÉSIES, XLYI.

XLVI

SUR LK MÊME SUJET.

•VAVdt.

Cet ttanoety acheréet en fémer 1610, forent imprima en 161 5, dans les Déùees de la poésie franço'ue et dans les Airt de cour (publiés par P. BÉllard, IW. I, p. 55), avec un air de Guesdron. Voici ce qu'on trouve à ce sujet dans la correspondance de Malherbe. Le 1 3 fif- vrier 1610, il écrit à Peiresc : c Vous m'avez vu, ce me semble, quelques couplets d'une méchante chanson que j'avois commencé à faire sur un air que m'avoit baillé le marquis d'Oraison. A cettr heure que je l'ai achevée, je vous prie, Monsieur, de me faire ce bien, de prier M. le marqub, de votre part et de la mienne, de vous en donner l'air et de me l'envoyer par le premier, et tout aussitôt je vous enverrai les paroles; j'y ferai mettre ici un autre air, et nous retiendrons le meilleur. I^ chanson se commencoit :

Infidèle mémoire.

Pourquoi fais-tu gloirp De me ramentevoir Une saison prospère

Que je désespère De jamais plus revoir?... s

Six jours après Malherbe écrit encore : c Pai baillé ce soir au Roi la chanson pour laquelle je vous avois prié de m'envoyer un certain air sur lequel j'ai pris ma mesure. Je vous fiiis encore la même prière : ce sera pour le comparer avec celui que Guesdron y fera ; car le Roi l'a envoyé quérir à l'heure même qu'il eut lu mes vers, et lui a dit qu'il vouloit qu'il y travaillât dès ce soir. 9 Enfin, 34 mars, il annonce qu'il a recouvré l'air c qu'a fait M. Guesdron sur la chanson dont il est question. Je ne m'y connois pas; mais tout le monde le trouve fort* beau, et surtout le Roi. » Quant à la pièce infidèle mémoire , il n'en reste que le couplet cité plus haut et jusqu'ici non réuni aux œuvres de Malherbe. Il serait toutefois possible que, le rhythme étant le même, Malherbe en eût utilisé un certain nombre de vers pour sa seconde chanson.

POÉSIES, XLVI. î6!»

Que n'étes-YûQS lassées ,

Mes tristes pensées , De troubler ma raison? Et faire avecque blâme

Rebeller mon ftme 5

Contre ma gaérison?

Que ne cessent mes larmes ,

Inutiles armes? Et que n'ôte des cieux La &tale ordonnance i «

A ma souvenance Ce qu'elle 6te à mes yeux?

O beauté nonpareille,

Ma chère merveille,

Que le rigoureux sort 1 5

Dont vous m'êtes ravie

Aimeroit ma vie S'il m'envoyoit la mort !

Quelles pointes de rage

Ne sent mon courage, a o

De voir que le danger En vos ans les plus tendres

Menace vos cendres D un cercueil étranger?

Je m'impose silence a 5

En la violence

6. Yam. (N, R et jéirs Je cour) : Contre ta goéruon. a4. Var. (j4irs Je eour) : D'un sépolere étranger. Ce ren confirme oe que j*ai dit pins haut tur la date de la pièce, car il t'applique au séjour de la prînceMe de Coudé en Flandre.

i64 POÉSIES, XLVI.

Que me fait le malheur ; Mais j'accrois mon martyre;

Et n'oser rien dire M'est douleur sur douleur. 3 o

Aussi suis-je un squelette;

Et la violette, Qu'un froid hors de saison , Ou le soc a touchée,

De ma peau séchée S5

Est la comparaison.

Dieux, qui les destinées

Les plus obstinées Tournez de mal en bien , Après tant de tempêtes 4 o

Mes justes requêtes N'obtiendront-elles rien?

AvezrYous eu les titres

D'absolus arbitres De l'état des mortels , 4 s

Pour être inexorables

Quand les misérables Implorent vos autels?

17. Var. (jiirt de cour) : Que me fait ce malheur. 34-36. Vab. (iiû/.) :

Et le lec a flétrie , A ma peau meuitne Est la comparaiton.

37-39. Va». (i^O :

Dieux! que les destinées

Les plus obstinées Tournent de mal en bien !

POÉSIES, XLVI. i65

Mon soin n^est point de faire

En lautre hémisphère 5o

Voir mes actes guerriers; Et jusqu'aux bords de Tonde

finit le monde , Acquérir des lauriers.

Deux beaux yeux sont Tempire 5 5

Pour qui je soupire; San9 eux rien ne m'est doux; Donnez-moi cette joie

Que je les revoie , Je suis Dieu comme vous. 60

i66 POÉSIES, XLVII.

XLVII

Publiée pour la première fois en 1611, dans le Temple d^ApoUom^ oeCle pièce a été placée par Saint-Marc en télé de oellet que Malherbe oompota pour les amours de Henri IV. J*ai cru, d'après les raisons rapportées plus baut (xun, notice], pouvoir la mettre la dernière. Elle me semble y en outre, respirer un certain air guerrier s*accordant très-bien avec les préparatifs militaires du Roi, qui avait déclaré vou- loir prêter cinquante mille bommes à son compère (le marécbal de Montmorency)! pour aller cbercber sa fille en Flandre.

Donc cette merveille des cieux,

Pour ce qu^elle est chère à mes yeux ,

En sera toujours éloignée;

Et mon impatiente amour,

Par tant de larmes témoignée , 5

N*obtiendra jamais son retour?

Mes vœux donc ne servent de rien ;

Les Dieux, ennemis de mon bien,

Ne veulent plus que je la voie ;

Et semble que les rechercher. i o

De me permettre cette joie ,

Les invite à me Tempécher.

O beauté, reine des beautés,

a. Via. (P) : Parce qu'elle. 10, II. Vas (Net?) :

Et semble que de recbercber^ Qu'ils me permettent cette joie.

POÉSIES, XLVII. 167

Seule de qui les volontés

Président à ma destinée , 1 5

Pourquoi n^est comme la toison

Votre conquête abandonnée

A leffort de quelque Jason?

Quels feux, quels dragons, quels taureaux, Quelle horreur de monstres nouveaux , 9 o

Et quelle puissance de charmes , Garderoit que jusqu'aux enfers Je n'allasse avecqne les armes Rompre vos chaînes et vos fers?

N'ai-je pas le cœur aussi haut , « 5

Et pour oser tout ce qu'il faut

Un aussi grand désir de gloire ,

Que j'avois lorsque je couvri

D'exploits d^étemelle mémoire

Les plaines d'Arqués et d'Ivri? 3 o

Mais quoi? ces lois dont la rigueur

Tiennent mes souhaits en langueur

Régnent avec un tel empire.

Que si le ciel ne les dissout ,

Pour pouvoir ce que je désire 3 s

18. Vah. (L, N, R) : a reffort d'an autre Jaion.

ai. Var. (ibid,) : Pourroit empêcher qu*aux enfers.

3i. Ce yen est ainsi, avec son solécisme, dans toutes les éditions antérieures à oelles de Ménage , qui a proposé de remplacer éUtmetU par teiieni.

34. Pendant un moment, le prince de Condé fut tellement las des mauvais traitements auxquels il était en butte de la part du Roi, qu'an dire de TEstoile , < il oonsentoit à demi la dissolution du ma- riage, qu*il savoit le Roi tenter par tons les moyens. »

i68 POÉSIES, XLYII.

Ce n*e8t rien que de pouvoir tout.

Je ne veux point en me flattant

Croire que le sort inconstant

De ces tempêtes me délivre ;

Quelque espoir qui se puisse offrir , 4 o

U &ut que je cesse de vivre

Si je veux cesser de souffrir.

Arrière donc ces vains discours ,

Qu*après les nuits viennent les joui*s »

Et le repos après Torage ; 4 s

Autre sorte de réconfort

Ne me satisfait le courage «

Que de me résoudre à la mort.

C^est que de tout mon tourment

Se bornera le sentiment ; 5 o

Ma foi seule, aussi pure et belle

Comme le sujet en est beau ,

Sera ma compagne étemeUe,

Et me suivra dans le tombeau.

Ainsi d^une mourante voix 5 5

Alcandre an silence des bois

Témoignoit ses vives atteintes;

Et son visage sans couleur

Faisoit connottre que ses plaintes

Étoient moindres que sa douleur. 6u

36. Vaa. (N) : Cest bien pea que de pouvoir tout. 37-4*- Cette stanoe manque, ainsi que la tuiTante, dans les Recueils N, L et P. 59. Vaa. (P) : Faisoit paroitre....

POÉSIES, XLVIL 169

Oranthe qui par les zéphyrs

Reçut les funestes sohpirs

D'une passion si fidèle,

Le cœur outré de même ennui,

Jura que s'il mouroit pour elle , 6 5

Elle mouroit avecque lui*

66. Vab. (P) : Elle moturoit aiusi pour lai.

I70 POÉSIES» XLYIII.

XLyiti

POUR MADEMOISELLE DE GOHTI, MARIE DE BOURBOK.

Loniae de Lorraine, princesse de Condy accoucha au Louvre, le 8 mars 1610, d'une fiUe qui fut baptisée le 19; < et, dit TEstoile, pour ce qu'on Toyoit qu'elle alloit bientôt mourir, par ordre de mondit prince (de Conti) ont été choisis et élus deux pauvres de la paroisse, savoir Jacques de Elssart pour parrain et Martines Demares pour marraine, lesquels lui ont donné le nom de Marie. « Elle mourut en effet le lendemain, c laissant, écrit Malherbe à Peiresc, Monsieur le ]nînce son père fort affligé; car ce pauvre père ne bougeoit d'auprès du berceau : c'étoit , à ce que Ton dit , la plus belle et la plus grande enfant qui se pouvoit voir. » Une copie autographe des vers de Malherbe, conservée à la bibliothèque de Carpentras, est intitulée : Sur la fille de Madame la princesse de Conti lorsqu'on en eut fait le portrait. Cette pièce et la suivante parurent, en 1627, dans le Recueil des plus beaux vers de ce temps.

Outre l'épitaphe en vers donnée ci-après (xux), Malherbe en a aussi écrit une en prose qui se trouve à la Bibliothèque impériale dans les Papiers de Baluze (ms. n9 i33, p. 35).

N*égaloiis point cette petite Aux Déesses que nous récite L'histoire du temps passé, Tout cela n*est qu une chimère; Il faut dire, pour dire assez ; 5

Elle est belle comme sa mère.

I. Var. (copie autog.) : N'égalez point.

POÉSIES, XLIX. 171

XLIX

liPITAPHE DE LA MÊME, somtcr.

Tu vois, passant, la sépulture D*un chef-d*œuYre si précieux, Qu avoir mille rois pour aïeux Fut le moins de son aventure.

O quel affront à la nature , 5

Et quelle injustice des cieux Qu'un moment ait fermé les yeux D'une si belle créature !

On doute pour quelle raison

Les Destins si hors de saison t o

De ce monde Tout appelée.

Mais leur prétexte le plus beau. C'est que la terre étoit brûlée S'ils n'eussent tué ce flambeau.

II. Voici oomment cette strophe et la préoédcnle tout imprimée» dans kt différentes éditions du Recueil de 1627 :

L'experte main de la Nature Et le soin propice des cieux Jamais ne s'accordèrent mienx A former une créature.

On doute pourquoi les Destins An bout de quatorze matins De ce monde l*ont appelée.

17a POÉSIES, L.

à MOirSEIGHEUR LE DAUPHIK.

•OBinST.

La date de ce sonnet (imprimé pour la première fois en 161 5, dans les Dé&ees Je la poésie françoise) ne peut être ûxée oue d*nne manière approximative. Henri IV eut trou filles : Elisabeth, Chrestienne (ou Christine) et Henriette. Puisque Malherbe parle dans ses rers des sœurs du Dauphin, il est érident qu*ils ne peuvent avoir été écrits avant le 10 février 1606, date de la naissance de la seconde. En outre, il y fait mention de propositions de mariage, et, dans une lettre écrite à Peiresc le ai septembre 1609, il raconte (pie le président Richardot, ambassadeur de Philippe HI, c étoit venu parler de quelcpie mariage des enfimts de France et d'Espagne. > D serait donc fort possible que le sonnet fût de la fin de 1609 ou du conmienoement de 1610.

Que rhonneur de mon prince est cher aux destinées ! Que le Démon est grand qui lui sert de support! Et que visiblement un favorable sort Tient ses prospérités Tune à lautre enchaînées!

Ses filles sont encore en leurs tendres années, 5

Et déjà leurs appas ont un charme si fort, Que les rois les plus grands du Ponant et du Nord , Brûlent d'impatience après leurs hyménées.

Pensez à vous, Dauphin, j ai prédit en mes vers

9. Voyez les deux Sonnets au Roi de Tannée 1607 et TOde sur la prise de Sedan (Pièces xxi, xxiy et zxt).

i

POÉSIES, L. 173

Que le plus grand orgueil de tout cet univers, i o

Quelque jour à vos pieds doit abaisser la tête ;

Biais ne vous flattez point de ces vaines douceurs, Si vous ne vous hâtez d'en faire la conquête, Vous en serez frustré par les yeux de vos sœurs.

174 POÉSIES, LI.

LI

PLAINTE SflR UITE ABSENCE.

•TAircis.

SniTont Ménage, Malherbe fit cette pièce en Bourgogne et pour lui-même. Elle fut imprimée, en i6i5, dani les DéUee* de la poésie fran^oise; mais, comme on le voit d'après la huitième stanoe, elle a^ait été composée avant la mort de Henri IV.

Complices de ma servitude,

Pensers mon inquiétude

Trouve son repos désiré , Mes fidèles amis, et mes vrais secrétaires , Ne m'abandonnez point en ces lieux solitaires; 5

C'est pour Tamour de vous que j'y suis retiré.

Partout ailleurs je suis en crainte;

Ma langue demeure contrainte;

Si je parle c'est à regret; Je pèse mes discours , je me trouble et m'étonne ; i o

Tant j'ai peu d'assurance en la foi de personne; Mais à vous je suis libre, et n'ai rien de secret.

Vous lisez bien en mon visage

Ce que je souflre en ce voyage,

Dont le ciel m'a voulu punir;

Et savez bien aussi que je ne vous demande,

15

19. A VOUS, avec tous.

POÉSIES, LI. 17S

Étant loin de ma dame, une grâce plus grande Que d'aimer sa mémoire, et m'en entretenir.

Dites-moi donc sans artifice ,

Quand je lui vouai mon service , 9 o

Faillis-je en mon élection? N'est-ce pas un objet digne d'avoir un temple? Et dont les qualités n'ont jamais eu d'exemple, Comme il n'en fut jamais de mon affection ?

Au retour des saisons nouvelles a 5

Choisissez les fleurs les plus belles.

De cpii la campagne se peint; En trouverez- vous une , le soin de nature Ait avecque tant d'art employé sa peinture, Qu'elle soit comparable aux roses de son teint? 3o

Peut-on assez vanter l'ivoire De son front , sont en leur gloire La douceur et la majesté? Ses yeux, moins à des yeux qu'à des soleils semblables. Et de ses beaux cheveux les nœuds inviolables , 3 5

D'où n'échappe jamais rien qu'elle ait arrêté?

Ajoutez à tous ces miracles

Sa bouche, de qui Jes oracles

Ont toujours de nouveaux trésors; Prenez garde à ses mœurs , considérez-la toute ; 4 o

Ne m'avoûrez-vous pas que vous êtes en doute Ce qu'elle a plus par&it, ou l'esprit, ou le corps?

99. Vab. (N et R] : N*ett-ce pas un sujet....

36. Var. (P et édit. de i63i) : D'où n*écluippa jamais...

176 POÉSIES, LI.

Mon roi par son rare mérite

A fait que la terre est petite ^

Pour un nom si grand que le sien ; 4 5

Mais si mes longs travaux faisoient cette oonquéte.

Quelques fameux lauriers qui lui couvrent la tête,

Il n'en auroit pas un qui fût égal au mien.

Aussi quoique r<Hi me propose

Que Tespérance m'en est close , 5 o

Et qu'on n'en peut rien obtenir, Puisqu'à si beau dessein mon désir me convie, Son extrême rigueur me coûtera la vie , Ou mon extrême foi m'y fera parvenir.

Si les tigres les plus sauvages 55

Enfin apprivoisent leurs rages ,

Flattés par un doux traitement. Par la même raison pourquoi n'est-il croyable Qu'à la fin mes ennuis la rendront pitoyable, Pourvu que je la serve à son contentement? 6 ci

Toute ma peur est que l'absence

Ne lui donne quelque licence

De tourner ailleurs ses appas ; Et qu'étant, conmie elle est, d'un sexe variable. Ma foi, qu'en me voyant elle avoit agréable , 6 5

Ne lui soit contemptible en ne me voyant pas.

Amour a cela de Neptune,

Que toujours à quelque infortune

Il se faut tenir préparé; Ses infidèles flots ne sont point sans orages; 7 o

Aux jours les plus sereins on y fait des naufrages; Et même dans le port on est mal assuré.

POÉSIES, LI. 177

Peut-être qu'à cette même heure

Que je languis, aoupire , et pleure ,

De tristesse me consumant, 7 5

Elle qui n'a souci de moi, ni de mes larmes , Etale ses beautés , fait montre de ses charmes , Et met en ses filets quelque nouvel amant.

Tout beau, pensers mélancoliques,

Auteurs d aventures tragiques , 8 o

De quoi m'osez- vous discourir? Impudents boute-feux de noise et de querelle. Ne savez-vous pas bien que je brûle pour elle , Et que me la blâmer c'est me faire mourir?

Dites-moi qu'elle est sans reproche , s 5

Que sa constance est une roche ,

Que rien n'est égal à sa foi ; Préchez-moi ses vertus , contez-m'en des merveilles ; C'est le seul entretien qui plaît à mes oreilles ; Mais pour en dire mal n'approchez point de moi. 90

MaI^USKHS. I l'i

17B POÉSIES, LU.

LU

VERS FUNEBRES

SUR MORT DE HENRI LE GRAND.

•TAHGBS.

Henri IV a'vait été atsassîné le 14 nud 1610. Trois raois plus tard, le 9 août, Malherbe écrÎTait à Peiresc : c Pour les yers (sur la raort du Roi), tous aurez reçu par M. de Valavez tout ce qui s*en est tu par deçii ; j'en dirai ma râtelée après les autres , mais ce sera assez tôt si assez bien. » Cette râtelée fut si longue à anÎTer que le poète, à ce que rapportait Racan, ne put mettre la dernière main à ces Ters. Voilà pourquoi, comme le pense Saint-Marc, ils ne furent imprimés que dans l'édition de i63o. Le même Racan ayait encore appris à Ménage que VAleippe, dont parle la dernière stance, était M. de Bellegarde.

Enfin rire du ciel, et sa fatale envie, Dont j'avois repoussé tant d'injustes efforts , Ont détruit ma fortune , et sans m'ôter la vie M'ont mis entre les morts.

Henri, ce grand Henri, que les soins de nature 5

Avoient fait un miracle aux yeux de Tunivers, Conune un homme vulgaire est dans la sépulture A la merci des vers.

Belle âme, beau patron des célestes ouvrages ,

Qui fus de mon espoir Tinfaillible recours , x o

Quelle nuit fut pareille aux funestes ombrages

POÉSIES, LU. 179

tu laisses mes jours?

C'est bien à tout le monde une commune plaie, Et le malheur que j'ai chacun Testime sien ; Mais en quel autre cœur est la douleur si vraie , 1 5

Comme elle est dans le mien?

Ta fidèle compagne, aspirant à la gloire Que son affliction ne se puisse imiter. Seule de cet ennui me débat la victoire. Et me la ùàt quitter.

%o

L'image de ses pleurs, dont la source féconde Jamais depuis ta mort ses vaisseaux n'a taris, C'est la Seine en fureur qui déborde son onde Sur les quais de Paris.

Nulle heure de beau temps ses orages n'essuie, 9 5

Et sa grftce divine endure en ce tourment Ce qu'endure une fleur que la bise ou la pluie Bat excessivement.

Quiconque approche d'elle a part à soiï martyre. Et par contagion prend sa triste couleur; 3o

Car pour la consoler que lui sauroit-on dire En si juste douleur?

Reviens la voir, grande âme, 6te-lui cette nue. Dont la sombre épaisseur aveugle sa raison , Et fais du même lieu d'où sa peine est venue, 35

Venir sa guérison.

Bien que tout réconfort lui soit une amertume, Avec quelque douceur qu'il lui soit présenté,

i8o POÉSIES, LU.

Elle prendra le tien , et selon sa coutiinie

Suivra ta volonté. 40

Quelque soir en sa chambre apparois devant elle , Non le sang en la bouche , et le visage blanc , Comme tu demeuras sous Tatteinte mortelle Qui te perça le flâne.

Viens-y tel que tu fus, quand aux monts de Savoie 4 5 Hymen en robe d'or te la vint amener; Ou tel qu'à Saint-Denis entre nos cris de joie Tu la fis couronner.

Après cet essai fait, s'il demeure inutile. Je ne connois plus rien qui la puisse toucher; 5o

Et sans doute la France aura , comme Sipyle , Quelque fameux rocher.

Pour moi, dont la foiblesse à Forage succombe, Quand mon heur abattu pourroit se redresser, J'ai mis avecque toi mes desseins en la tombe , 5 5

Je les y veux laisser.

Quoi que pour m'obliger £asse la destinée,

Et quelque heureux succès qui me puisse arriver.

Je n'attends mon repos qu'en l'heureuse journée

je t'irai trouver. 60

5i. c fl est constant parmi les géographes, dît Mén&ge, que Sipyle est une montagne, mais il n'est pas bien constant parmi eux en quel pays est cette montagne. » On s^accorde aujouitl'hui à placer le mont Sipyle en Lydie , sur la cAte ouest de TAnatolie. Cest à son sommet que Niobé, c dont le risage, dit Sophocle dans Antigotu (t. 819], est inondé de larmes qui ne tarissent jamais, > fut changée en rocher.

POÉSIES, LU. i8i

Ainsi de cette cour l'honneur et la merveiUe Alcippe soupiroit, prêt à s'évanouir. On Tauroit consolé; mais il ferme Toreilie , De peur de rien ouïr.

i8a POÉSIES, LUI.

LUI

REIllEy HÈRE DU ROI, SUR LES HEUREUX

SUGCilS DE SA REGENCE.

ODE.

Cette ode, imprimée pour la première fois en 1611 d*abord sépa- rément f puis dans le Temple d'Apollon , fut composée au plus tôt en septembre 1610 (il y est question de la prise de Juliers qui eut lien le a de ce mois), et ne fut probablement terminée qu'un peu plus tard; car le a 3 décembre Malherbe écrit à Peiresc : c Je tous enroie des Ters que j*ai donnés à la Reine ; ils sont au goût de toute cette cour. Je désire qu*iU soient au -vôtre. S'ils produisent quelque chose de bon pour moi, ils seront au mien; jusque-là je tiendrai mon jugement suspendu, s Voilà une phrase qui peint Malherbe tout entier. Ses Ters durent lui paraître excellents, car ils lui valurent une pension de i5oo livres.

Nymphe qui jamais ne sommeilles, Et dont les messagers divers En un moment sont aux oreilles Des peuples de tout lunivers; Yole vite, et de la contrée Par le jour fait son entrée Jusqu'au rivage de Galis , Ck)nte sur la terre et sur Tonde, Que rhonneur imique du monde,

7. Pendant une partie du dix-septième siècle, on disait indiffé- remment en France (et, à ce qu'il parait, en Espagne] Cadiz ou Calis. Pai retrouvé dans l'Estoile et dans Palma Cayet ce nom orthographié cooune l'écrit Malherbe.

POÉSIES, LUI. i83

C'est la Reine des flears de lis.

lO

Quand son Henri, de qoi la gloire

Fut une merveille à nos yeux,

Loin des hommes s'en alla boire

Le nectar avecque les Dieux ,

En cette aventure effroyable x 5

A qui ne sembloitril croyable

Qu on alloit voir une saison ,

nos brutales perfidies

Feroient naître des maladies

Qui n'auroient jamais guérison?

20

Qui ne pensoit que les Furies

Viendroient des abîmes d'enfer.

En de nouvelles barbaries

Employer la flamme et le fer?

Qu'un débordement de licence a s

Feroit souffrir à l'innocence

Toute sorte de cruautés?

Et que nos malheurs seroient pires

Que naguéres sous les Busires

Que cet Hei cule avoit domptés ? 3 «

Toutefois depuis l'infortune De cet abominable jour, A peine la quatrième lune Achève de faire son tour;

1 3, i4- Quos inter Augustus recumbens Purpureo bibit ore nectar.

(Horace, 0<^, m, 3, II.)

39. BusirtSf Bosim.

3i-34. Henri IV, comme noiu Tarons dit plus haut, avait été asiawiné le 14 mai 1610.

i84 POÉSIES, LUI.

Et la France a les destinées 3 5

Pour elle tellement tournées

Ckintre les vents séditieux ,

Qu'au lieu de craindre la tempête,

Il semble que jamais sa tête

Ne fut plus voisine des cieux. 4 o

Au delà des bords de la Meuse

L'Allemagne a vu nos guerriers,

Par une conquête fameuse

Se couvrir le front de lauriers.

Tout a fléchi sous leur menace ; 4 ^

L'Aigle même leur a fait place ;

Et les regardant approcher

Conune lions à qui tout cède,

N'a point eu de meilleur remède ,

Que de fuir , et se cacher. 5 o

O Reine , qui pleine de charmes

Pour toute sorte d'accidents ,

As borné le flux de nos larmes

En ces miracles évidents;

Que peut la fortune publique 5 5

Te vouer d'assez magnifique , ,

Si mise au rang des immortels.

Dont la vertu suit les exemples,

Tu n'as avec eux dans nos temples,

41. Le a septembre 16 10, après un siège assez meurtrier, qui avait duré cinq semaines , la ville et le château de Juliers se rendirent à Tannée firançaise, commandée par le maréchal de la Châtre, que soutenaient un corps de reftres du prince d'Anhalt et des troupes hollandaises sous les ordres du comte Maurice de Nassau.

46. L'Aigle^ armes de Tempire d'Allemagne et de TAiitricfae.

58. Vas. (L et R] : Dont ta vertu....

POÉSIES, LUI. i85

Des images et des autels? 6 o

Que sauroit enseigner aux princes

Le grand Démon qui les instruit,

Dont ta sagesse en nos provinces

Chaque jour n'épande le fruit ?

Et qui justement ne peut dire , 6 5

A te voir régir cet empire ,

Que si ton heur étoit pareil

A tes admirables mérites ,

Tu ferois dedans ses limites

liCver et coucher le soleil ? 70

Le soin qui reste à nos pensées,

O bel astre, c'est que toujours

Nos félicités commencées

Puissent continuer leur cours.

Tout nous rit , et notre navire 7 5

A la bonace qu'il désire;

Mais si quelque injure du sort

Provoquoit Tire de Neptune,

Quel excès d'heureuse fortune

Nous garantiroit de la mort? 80

Assez de funestes batailles

Et de carnages inhumains

Ont fait en nos propres entrailles

Rougir nos déloyales mains;

Donne ordre que sous ton génie s 5

Se termine cette manie;

Et que las de perpétuer

Une si longue malveillance,

Nous employions notre vaillance

Ailleurs qu'à nous entre- tuer. 90

i86 POÉSIES, LUI.

La discorde aux crins de couleuvres ,

Peste fatale aux potentats.

Ne finit ses tragiques œuvres

Qu'en la fin même des Etats;

D'elle naquit la frénésie 95

De la Grèce contre TAsie,

Et d'elle prirent le flambeau

Dont ils désolèrent leur terre,

Les deux frères de qui la guerre

Ne cessa point dans le tombeau. i o o

C'est en la paix que toutes choses

Succèdent selon nos désirs;

Comme au printemps naissent les roses,

En la paix naissent les plaisirs;

Elle met les pom|>es aux villes, i o a

Donne aux champs les moissons fertiles ,

Et de la majesté des lois

Appuyant les pouvoirs suprêmes,

Fait demeurer les diadèmes

Fermes sur la tête des rois. 1 1 o

Ce sera dessous cette égide,

Qu'invincible de tous côtés,

Tu verras ces peuples sans bride

Obéir à tes volontés;

Et surmontant leur espérance , 1 1 5

Remettras en telle assurance

Leur salut qui fut déploré.

91. Discordia démens,

Vipereom crinem Titds innexa cruentis.

(Virgile, Enéide, VI, a8o.)

99. Êtéocle et Polynice.

POÉSIES, LUI. 187

Que vivre au siècle de Marie,

Sans mensonge et sans flatterie ,

Sera vivre au siècle doré. 1 a o

Les Muses , les neuf belles fées ,

Dont les bois suivent les chansons,

Rempliront de nouveaux Orphées

La troupe de leurs nourrissons;

Tous leurs vœux seront de te plaire; i a 5

Et si ta faveur tutélaire

Fait signe de les avouer,

Jamais ne partit de leurs veilles

Rien qui se compare aux merveilles

Qu elles feront pour te louer. 1 3 o

En cette hautaine entreprise,

Gonmiune à tous les beaux esprits.

Plus ardent qu'un athlète à Pise,

Je me ferai quitter le prix ;

Et quand j'aurai peint ton image , 1 3 5

Quiconque verra mon ouvrage,

Avoùra que Fontainebleau ,

i33. Pise, Tille d'Élide, titaée à peu de distance d*01ympie, les jeux olympiques se célébraient tous les quatre ans. CTest de cette ville que parle Malherbe dans la Tingt-buitième stropbe de la va- riante de la pièce xxvn.

1 35- 140. Dans Tédition de i63o, ils sont publiés pour la pre- mière fois, et dans les suivantes, on a placé séparément et comme frag- ment les vers suivants, qui ne sont qu'une variante de cette stropbe :

Et quand j'aurai peint ton image Comme j'en prépare l'ouvrage , Sans doute on dira quelque jour : Quoi que d'Apelle on nous raconte, Malberbe pouvoit à sa bonté Achever la mère d* Amour.

i88 POÉSIES, LUI.

Le Louvre, ni les Tuileriet,

En leurs superbes galeries

N^ont point un si riche tableau. 1 4 »

Apollon à portes ouvertes

Laisse indâféremment cueillir

Les belles feuilles toujours vertes

Qui gardent les noms de vieillir;

Mais Fart d en faire les couronnes 145

N'est pas su de toutes personnes;

Et trois ou quatre seulement ,

Au nombre desquels on me range.

Peuvent donner une louange

Qui demeure éternellement. 1 5 o

145* Vas. (L et R) : IVen faire des conroniies.

POÉSIES, LIV. 189

LIV

ÉPITAPHE DE FEU MOfTSEIGlTEUR LE DUC D'oRUfiAJTS.

N. de Franoe, duo d'Orléanf, second fib de Henri IV, à Fon- tainebleau le 16 avril 1607, mort le 17 norembre 161 1, sani aroir été nommé.

L*épitaphe parut, en i6ao, dam les tomes I et II des DéUeet de la poésie française,

f M. de Segrais m*a dit , rapporte Ménage , qn*il aroit oui dire au- trefois à feu M. le duc d'Orléans, Gaston de France, que les religieux de Saint-Denis en France aroient refusé de mettre dans leur église ce petit duc d'Orléans est enterré, ce sonnet de Malherbe, quoique parfaitement beau, à cause du vers il est parlé de Mars, et de celui il est parlé de la Parque , qui sont des divinités païennes. >

Plus Mars qae Mars de la Thrace, Mon père victorieux Aux rois les plus glorieux Ota la première place.

Ma mère vient d'une race 5

Si fertile en demi-dieux, Que son éclat radieux Toutes lumières efface.

Je suis poudre toutefois;

Tant la Parque a fait ses lois i o

Égales et nécessaires ;

Rien ne m'en a su parer;

I90 POÉSIES, LIY.

Apprenez, ftmes vulgaires, A mourir sans murmurer.

13-14. Imitatioii des ren suinuits de Jean Second dam son épi taphe de Marguerite d'Autriche, fille de Tempereur Maximilien ï

At Tos plebeio geniti de sanguine, quando Feirea nec nobis didicerunt fata nec ullis Paroere nominibos, patientius ite snb nmbras.

«r

POÉSIES, LV. 191

LV

A LA. REINE, ni^RE DU ROI 9 SUR LA MORT DE MONSEIGlfEUR LE DUC D^ORLlÉAfïS.

LDuprimé pour la première fou dans rédition de i63o. Le tome I des DéÙees de la poésie françoue y édition de i6ao, contient de Go- lomby, Ton des disciples de Malherbe, une pièce sur le même sujet et qui commence ainsi :

Gonsolez-Tous, Madame; essuyez votre face.

Gonsolez-YOuSy Madame, apaisez votre plainte; La France, à qui vos yeux tiennent lieu de soleil , Ne dormira jamais d un paisible sommeil Tant que sur votre front la douleur sera peinte.

Rendez-vous à vous-même , assurez votre crainte , 5

Et de votre vertu recevez ce conseil ,

Que souffrir sans murmure est le seul appareil

Qui peut guérir Tennui dont vous êtes atteinte.

Le ciel , en qui votre âme a borné ses amours ,

Étoit bien obligé de vous donner des jours t o

Qui fussent sans orage, et qui n^eussent point d^ombre.

Mais ayant de vos fils les grands cœurs découverts, N a-t-il pas moins failli d'en ôter un du nombre. Que d'en partager trois en un seul univei*s?

iga POÉSIES, LVI.

LVI

MOnSIEUR DU MAINE, SUR SES OEUVRES

SPIRITUELLES.

Le prêtent loiinet figure, arec quelques Tariantet, en tète an Me- €ueU des vers lugubres et spirituels de Louis de Chabans, s' du Blaine, gendihomme ordinaire de la chambre du Roi, Paris, 1611, in-S. L*autenr fut tué en duel ou, pour mieux dire, assassiné par TEnclos, le père de Ninon, le a6 décembre i63a, à Paris.

Suivant Ménage, le baron de Chabans, d*abord aide de camp, puis ingénieur dans les armées de France, avait passé ensuite au service des Vénitiens. Tallemant, qui lui a consacré quelques lignes, dit qu*il portait Tépée, mais qu*on Taccusait d'avoir été violon on joueur de luth. Il est aussi question de lui dans les Histoires tragiques de Claude Malingre.

Tu me ravis, du Maine, il faut que je Tavoue, Et tes sacrés discours me charment tellement , Que le monde aujourd'hui ne m*étant plus que boue. Je me tiens profimé d'en parler seulement.

Je renonce à Tamour , je quitte son empire , 5

Et ne veux point d'excuse à mon impiété , Si la beauté des cieux n'est l'unique beauté Dont on m'orra jamais les merveilles écrire.

Caliste se plaindra de voir si peu durer

9. Vab. : Me touchent tellement. 9. Vab. :Charicle se plaindra....

Nous avons vu plus haut (xxvm et sniv.) que le nom de Caliste désignait la vicothtesse d'Aucfay.

POÉSIES, LVI. 193

La forte passion qui me iaisoit jurer i o

Qu'elle anroit en mes vers une gloire étemelle ;

Mais si mon jugement n'est point hors de son lieu , Dois-je estimer Tennui de me séparer d'elle , Autant que le plaisir de me donner à Dieu?

If Ai.iim«n. I i3

194 POÉSIES, LVII.

LVII

A LA REIIfEy iràRE DU ROI, PENDAIfT SA Rl^GElTCE.

STASGBS.

Imprimées en if>ao dans le tome I des Délices de la poésie fram-' foise, et composées probablement en 1611, an moment Ton com- mençait à parler du double mariage d'Espagne.

c n est à remai'quer, dit Ménage, que tous les vers de ces stances sont masculins. Malherbe . les fit sur Tair de cette chanson qui cou- roit de son temps :

Belle qui m'avez blessé d'un trait si doux , Hélas! pourquoi me laissez-yons? Moi qui languis d'un cruel désespoir. Quand je suis sans tous Toir.

Mais elles ne purent être chantées , le premier tcts étant trop court d'une syllabe. J'ai appris cette particularité de M. de Racan, de qui j'ai appris aussi que Malherbe n'aroit point d'oreille pour la musi- que , et qu'il n'a jamais pu faire de vers sur les airs que les musi- ciens lui donnoient. > Jamais, est trop dire, car Malheriie y réussit au moins une fois en sa vie. Il nous l'apprend lui-même, dans une lettre écrite à Peiresc le 11 février i6i3:cllya quelques jours que la Reine m'avoit commandé des vers sur l'air d'une chanson italienne; ce n'a pas été sans peine ; tant y a que je les ai achevés à son con- tentement, et que la Bailli, qui les a chantés devant elle, a dit qu'ils étoient entièrement semblables aux italiens; aussi la Reine l'avoit envoyée les concerter avec moi. »

Objet divin des âmes et des yeux ,

Reine le chef-d'œuvre des cieux , Quels doctes vers me feront avouer Digne de te louer?

I. Var. (P) : Objet divers.... (ce qui est évidemment une faute d'impression).

POÉSIES, LVII. 195

Les monts fameux des vierges que je sers 5

Ont-ils des fleurs en leurs déserts Qui s'efforçant d'embellir ta couleur, Ne ternissent la leur?

Le Thermodon a vu seoir autrefois

Des reines au trône des rois ; ^ m

Mais que vit-il par qui soit débattu Le prix à ta vertu ?

Certes nos lis , quoicpe bien cultivés,

Ne s'étoîent jamais élevés Au point heureux les destins amis 1 5

Sous ta main les ont mis.

A leur odeur TAnglois se relâchant ,

Notre amitié va recherchant; Et l'Espagnol , prodige merveilleux !

Cesse d'être orgueilleux. «o

De tous côtés nous regorgeons de biens;

Et qui voit Taise tu nous tiens , De ce vieux siècle aux fables récité Voit la félicité.

Quelque discord murmurant bassement, a 5

Nous fit peur au conunencement ; Mais sans effet presque il s'évanouit , Plus tôt qu'on ne l'ouït.

Yu menaças l'orage paroissant,

9. RÎTÎère du Pont, sur les bords de laquelle habitaient les Ama- zones. C'est aujourd'hui le Termeh.

16. L'édition de if>3o et celle de i63i portent par erreur : Us a mit.

196 POÉSIES, LVII.

Et tout soadain obéissant , 3 o

Il disparut comme flots courroucés Que Neptune a tancés.

Que puisses-tu , grand soleil de nos jours ,

Faire sans fin le même cours, Le soin du ciel te gardant aussi bien , 3 5

Que nous garde le tien !

Puisses-tu voir sous le bras de ton fils

Trébucher les murs de Memphis; Et de Marseille au rivage de Tyr

Son empire aboutir! 4 o

liCS vœux sont grands; mais avecque raison

Que ne peut lardente oraison ? Et sans flatter ne sers-tu pas les Dieux Assez pour avoir jnieux?

3s. Voyez VÉndUU, Ut. I, t. i35 et saiTUitt.

POÉSIES, LVIII. 197

LVIII

LES SIBYLLES.

SUR LA FETE DES ALLUNCES DE FRANCE

BT D^ESPAGNE.

La relation de ces fifttet parât en 1619, m-4S tons ce titre : Le Can^ de la Place BojaUe ou Reladon de ce fui s'y est passé les cm- ^Ume, sixième et septième Jours ttavril mil six cens douze ^ pour la pu" iûeation des mariages du Roy (Louis Alli) et de Madame (Elisabeth de France) avec l'Infante (Anne d*Aatriche) et le Prince d'Espagne (Philippe IV). £0 tout recueilli par le commandement de Sa Majesté, Paris, de l'imprimerie de Jean Laqnehay. On y tronTe sans nom d'aateur les stances de Malherbe, qui avaient été mises en musique par Boesset.

Le premier des intitulés que nous leur donnons est tiré de Tédition de i63o et le second de la Relation,

La sibylle Persique, roua lA anas.

Que Bellone et Mars se détachent ,

Et de leurs cavernes arrachent

Tous les vents des séditions;

La France est hors de leur furie ,

Tant qu'elle aura poiur alcyons 5

Llieur et la vertu de Marie.

5. < Alcyon^ oiseau duquel on dit qu'il fait son nid au bord de la mer, et qu'alors la mer demeure calme, s {Dictionnaire de l'Académie^ de 1694.)

198 POÉSIES, LVIII.

La Libyque.

POUH LA BBIIIB.

Gesse, Pô, d abuser le monde,

U est temps d'ôter à ton onde

Sa fabuleuse royauté.

L'Arne, sans en faire autres preuves, 1 o

Ayant produit cette beauté,

S'est acquis Tempire des fleuves.

La Delphique.

POUR LES MARIAGBft.

La France à TEspagne s^allie;

Leur discorde est ensevelie ,

Et tous leurs orages finis. t s

Armes du reste de la terre ,

Contre ces deux peuples unis

Qu'étes-vous que paille et que verre?

La Cumée.

POT7& LX MÉMB SUXn.

Arrière ces plaintes communes ,

Que les plus durables fortunes % o

Passent du jour au lendemain;

Les nœuds de ces grands hyménées

Sont-ils pas de la propre main

De ceux qui font les destinées ?

10. L*Amo. Voyed xxrn, 114.

19. Titre de la strophe ly. L*adjectif Cumée pourrait 8*appliqaer tout aussi bien à la sibylle de Cumei {Cum») en Campanie, qu'à la sibylle (trèS'Contestable) de Cume {Cuma, Cyme), en Éolie, qu*il désigne

POÉSIES, LVIII. 199

L'Erythrée. rouB LB Mâm tuiar.

Taisez-vous, funestes langages, % s

Qui jamais ne faites présages

quelque malheur ne soit joint;

La discorde ici n*est mêlée,

Et Thétis n y soupire point

Pour avoir épousé Pelée. 3o

La Samienne.

POUB IX BOf.

Roi que tout bonheur accompagne,

Vois partir du c6té d'Espagne

Un soleil qui te vient chercher;

O vraiment divine aventure,

Que ton respect fasse marcher s 5

Les astres contre leur nature !

La Cumane.

O que rheur de tes destinées

Poussera tes jeunes années

A de magnanimes soucis;

Et combien te verront épandre 40

De sang des peuples circoncis

Les flots qui noyèrent Léandre !

réellement ici. Mais l'adjectif à désinence latine Cumaim (Toyez la •trophe vii) ne peat s'appliquer qu'à la première.

4a. L'Hellespont, que Léandre trarersait toutes les nuits à la nage, et il se noya dans une tempête.

aoo POÉSIES, LVIIL

L'Hellespontique,

POm UL BOI.

Soit que le Danube t'airéle ,

Soit que TEuphrate à sa conquête

Te fasse tourner ton désir, 4 s

Trouveras-tu quelque puissance,

A qui tu ne fasses choisir

Ou la mort, ou Tobéissance?

La Phrygienne.

POUR XA &URB.

Courage, Reine sans pareille :

L^esprit sacré qui te conseille 5o

Est ferme en ce qu'il a promis.

Achève, et que rien ne t'arrête;

Le ciel tient pour ses ennemis

Les ennemis de cette fête.

La Tiburtine.

POURXJk BBOB.

Sous ta bonté s'en va renaître s s

Le siècle Saturne fut maître;

Thémis les vices détruira;

L'honneur ouvrira son école;

Et dans Seine et Marne luira

Même gabion que dans Pactole. So

5o. Allusioii probable aa maréchal d'Ancre.

«1

POÉSIES, LIX. aoi

LIX

SUR LE MÊME SUJET.

c Une des libyllet, dit la Melaiion^ chanta oes antres stances an nom de tons les Fnuiçois. s

Donc après un si long séjour,

Fleurs de lis, voici le retour

De vos aventures prospères ;

Et vous allez être à nos yeux

Fraîches comme aux yeux de nos pères 5

Lorsque vous tombâtes des cieux.

A ce coup s*en vont les Destins

Entre les jeux et les festins

Nous faire couler nos années;

Et commencer une saison , i o

nulles funestes journées

Ne verront jamais Thorizon.

Ce n'est plus conmie auparavant ,

Que si FAurore en se levant

D'aventure nous voyoit rire , 1 5

On se pouvoit bien assurer»

I. c Séjour f c*est tardation, tnora, conune : rons faites trop long séjonr, monam dueis, b (Nicot.)

6. Allnsion à nne légende assez moderne, à nn c petit conte sans fondement, inconnu des anciens antenrs, t comme dit le Dietiomnairt de Trévoux.

aoa POÉSIES, LIX.

Tant la fortune avoit d'empire! Que le soir nous verroit pleurer.

De toutes parts sont éclaircis

Les nuages de nos soucis ; s o

La sûreté chasse les craintes;

Et la discorde sans flambeau

Laisse mettre avecque nos plaintes

Tous nos soupçons dans le tombeau.

O qu'il nous eût coûté de morts , % s

O que la France eût fait d efforts,

Avant que d'avoir par les armes

Tant de provinces qu'en un jour,

Belle Reine , avecque vos charmes

Vous nous acquérez par amour ! 3o

Qui pouvoit, sinon vos bontés,

Faire à des peuples indomptés

Laisser leurs haines obstinées,

Pour jurer solennellement.

En la main de deux h3rménées , s 5

D'être amis éternellement?

Fleur des beautés et des vertus ,

Après nos malheurs abattus

D'une si parfaite victoire ,

Quel marbre à la postérité 4 o

Fera parottre votre gloire

Au lustre qu'elle a mérité?

Non, non, malgré les envieux

La raison veut qu'entre les Dieux

Votre image soit adorée ; 4 5

POÉSIES, LIX. ao3

Et qu'aidant comme eux aux mortels, Lorsque vous serez implorée , Comme eux vous ayez des autels.

Nos fastes sont pleins de lauriers

De toute sorte de guerriers ; 5 o

Mais, hors de toute flatterie,

Furent-ils jamais embellis

Des miracles que fait Marie

Pour le salut des fleurs de lis?

BBPBIIB PAB TOliTSS LBS UBXLLU.

A ce coup la France est guérie ; 5 5

Peuples fatalement sauvés , Payez les vœux que vous devez A la sagesse de Marie.

53. Var. : Du miracle qu*a fait Marie.

55-58. Ce dernier couplet a été pour la première fois réuni par Saint-Marc aux œuTres de Malherbe.

!io4 POÉSIES, LX.

LX

POUR MONSIEUR DE LA GEPPSDE, SUR SON LIVRE DE LA PASSION DE NOTRE SEIGNEUR.

Imprimé en tète des Théorèmes sur le sacré mystère de notre Rédemp^ tioiif Tonlouae, i6i3, in-4"y pv J* de la Ceppède, aeignenr d*Ai- galadeSy premier président de la Gonr des comptes de ProTenoe, mort en i6a3.

J^estime la Geppède, et Thonore, et Tadmire, Comme un des ornements des premiers de nos jours; Mais qu*à sa plume seule on doive ce discours, Certes, sans le flatter, je ne Toserois dire.

L^Esprit du Tout-Puissant , qui ses grâces inspire 5

A celui qui sans feinte en attend le secours , Pour élever notre ftme aux célestes amours, Sur un si beau sujet Ta fait si bien écrire.

Reine, Theur de la France, et de tout lunivers,

Qui voyez chaque jour tant d'hommages divers , i o

Que présente la Muse aux pieds de votre image;

Bien que votre bonté leur soit propice à tous , Ou je n'y connois rien , ou devant cet ouvrage Vous n'en vîtes jamais qui fi!^t dig;ne de vous.

a. Vaa. (Théorèmes) : Les premiers de nos jours. 5. Var. {iiid.) : L*£sprit de ce grand Dieu.

POÉSIES, LXI. ao5

LXI

POUR LA PUCELLE d'oRL^ANS. iPIGAAMMB.

Cette épigramine et U snifante sont tirées d*im oaTiage intitulé : Reeuêil de diverses Inscriptions proposées pour remp&r les Tables d'iUSenie étans sous les Statues du Âoi Charles Fil et de la Pucelle d'Orléans, fui sont élevées également armées^ et à genoux, aux deux côtés étune Croix, et de V Image de la Vierge Marie étant au pied d'icelle, sur le Pont de la Filie d'Orléans, dès Van i458. Et de diverses Poésies faites à la louange de la mesme Pucelle , de ses Frères et leur postérité, etc, Paris, Edme Martin, i6i3, in-4*. Ibid., 1698, aTec des additions. On trouTe dans ce recueil des pièces de vers grecques, latines, françaises, italiennes, espagnoles, etc

L'ennemi tous droits violant,

Belle Amazone, en vous brûlant,

Témoigne son âme perfide;

Mais le Destin n'eut point de tort;

Celle qui vivoit comme Alcide , 5

Devoit mourir comme il est mort.

ao6 POÉSIES, LXII.

LX1I

SUE LE m£mE sujet.

Cette pièce a été pour la pEemîère fois réunie par Saint-Marc anx cea^rrcs de Malherbe. -^ Voyez la notice précédente.

Passants, vous trouvez à redire

Qu'on ne voit ici rien gravé

De l'acte le plus relevé

Que jamais Thistoire ait fait lire;

La raison qui vous doit suffire , s

C'est qu'en un miracle si haut,

D est meilleur de ne rien dire

Que ne dire pas ce qu'il faut.

POÉSIES, LXIII. 207

LXIII

PARAPHRASE DU PSAUME GXXYIII.

Imprimée en i6i5 dans les DéRces de la poésie francoUe, Malherbe la compoia durant la première guerre cWile des princes, que ter- mina le i5 mai i6i4 le traité de Sainte-Menehould. Le 3 de ce même mois, il ayait écrit à Peiresc : c U y a dix ou douze jours que je donnai au Roi et à la Reine une traduction que j*ai faite du psaume cxxTm. La Reine, après TaToir lue, commanda à Mme la princesse de Conty de la lire tout haut. Cela fait, la Reine dit : c Mal- c herbe, approchez-vous , > et me dit tout bas à Toreille : c Prenez « un casque. » Je lui répondis que je me promettois qu'elle me feroit mettre en la capitulation; là-dessns elle se mit i rire et me dit qu'elle le feroit.... On fait un air au psaume dont il est question. »

Le psaume cxxTin commence par ces mots : S»pe expuptaverunt me a Juvénilité mea.

Les funestes complots des âmes forcenées, Qui pensoient triompher de mes jeunes années , Ont d'un commun assaut mon repos offensé. Leur rage a mis au jour ce qu'elle avoit de pire,

Certes je le puis dire ; 5

Mais je puis dire aussi qu'ils n'ont rien avancé.

J'étois dans leurs filets; c'étoit fait de ma vie;

Leur funeste rigueur qui l'avoit poursuivie,

Méprisoit le conseil de revenir à soi ;

Et le contre aiguisé s'imprime sur la terre i o

Moins avant, que leur guerre N'espéroit imprimer ses outrages sur moi.

Dieu , qui de ceux qu'il aime est la garde éternelle ,

ao8 POÉSIES, LXIII.

Me témoignant contre eux sa bonté paternelle,

A selon mes souhaits terminé mes douleurs. i &

Il a rompu leur piège, et de quelque artifice

Qu*ait usé leur malice , Ses mains qui peuvent tout m*ont dégagé des leurs.

La gloire des méchants est pareille à cette herbe

Qui, sans porter jamais ni javelle ni gerbe, so

Croît sur le toit pourri d^une vieille maison;

On la voit sèche et morte aussitôt qu'elle est née,

Et vivre une journée Est réputé pour elle une longue saison.

Bien est- il malaisé que Finjuste licence % s

Qu'ils prennent chaque jour d'affliger l'innocence En quelqu'un de leurs vœux ne puisse prospérer; Mais tout incontinent leur bonheur se retire,

Et leur honte fait rire Ceux que leur insolence avoit fait soupirer. 3o

POÉSIES, LXlV. !io9

LXIV

POUR LA REINE, MÈRE DU ROI, PENDANT SA RiSgENCE.

ODX.

Ménage déclare aroir appris de Racan qne cette ode (imprimée seulement, et arec quelques incorrections, dans l'édition de i63o) c n'avoit ni commencement ni fin, et que ce n*étoit qu*un frag- ment. 9 •— Elle fut composée, comme la précédente et comme les trois fragments lxt, ucn et unm, à Toccasion de la guerre des princes.

Si quelque avorton de Tenvie

Ose encore lever les yeux ,

Je veux bander contre sa vie

L'ire de la terre et des cieux;

Et dans les savantes oreilles 5

Verser de si douces merveilles ,

Que ce misérable corbeau ,

Comme oiseau d augure sinistre,

Banni des rives de Caïstre ,

S aille cacber dans le tombeau. i o

Venez donc, non pas habillées Comme on vous trouve quelquefois. En jupe dessous les feuillées

9. Le Cajstre, fleure de Lydie, Ton disait que les cygnes abon- daient. II. Jje poète ici s'adresse aux Muses. MALHEfiBB. I 14 *

aïo POÉSIES, LXIV.

Dansant au silence des bois.

Venez en robes , Ton voie 1 5

Dessus les ouvrages de soie

Les rayons d*or étinceler;

Et chargez de perles vos têtes ,

Comme quand vous allez aux fêtes

les Dieux vous font appeler. 10

Quand le sang bouillant en mes veines

Me donnoit de jeunes désirs ,

Tantôt vous soupiriez nies peines ,

Tantôt vous chantiez mes plaisirs;

Hais aujourd'hui que mes années a 5

Vers leur fin s en vont terminées,

Siéroit-il bien à mes écrits

D ennuyer les races futures

Des ridicules aventures

D'un amoureux en cheveux gris? 3o

Non, vierges, non; je me retire

De tous ces involes discours;

Bfa Reine est un but à ma lyre ,

Plus juste que nulles amours;

Et quand j 'aurai , comme j 'espère , 3 5

Fait ouïr du Gange à l'Ibère

Sa louange à tout l'univers ,

Permesse me soit un Cocyte,

Si jamais je vous sollicite

De m'aider à faire des vers. 40

Aussi bien chanter d'autre chose , Ayant chanté de sa grandeur , Seroit-ce pas après la rose Aux pavots chercher de l'odeur?

POÉSIES, LXIV. su

Et des louanges de la luue 45

Descendre à la clarté commune

D un de ces feux du firmament,

Qui sans profiter et sans nuire ,

N'ont reçu Tusage de luire

Que par le nombre seulement? So

Entre les rois à qui cet ftge

Doit son principal ornement,

Ceux de la Tamise et du Tage

Font louer leur gouvernement ;

Mais en de si calmes provinces , 5 5

le peuple adore les princes,

Et met au degré le plus haut

L'honneur du sceptre légitime,

Sauroit-on excuser le crime

De ne régner pas comme il fiiut? 60

Ce n est point aux rives d'un fleuve,

dorment les vents et les eaux,

Que fait sa véritable preuve

L art de conduire les vaisseaux ;

Il faut en la plaine salée 0 5

Avoir lutté contre Malée,

Et près du naufrage dernier

47- n manqne une syllabe à ce ren dans Tédidon de i63o et dans celle de i63i ; on Ut dans l'une et dans l'antre des feux pour de ces /euSt,

53. Jacques et Philippe IH.

63. Ici encore il y a une faute évidente dans les éditions de i63o et de 1 63 1 : donnent pour dorment,

66. MaUe^ promontoire de Laconie, qui passait pour très-dan- gereux; autrefois Malea, aujourd'hui cap Saint-Ange.

67. Le nmufrage dernier, dans le sens latin, pour c l'extrémité, les extrhnes dangers du naufrage. i>

iti% POÉSIES, LXIV.

S'être vu dessous les Pléiades Eloigné de ports et de rades , Pour être cru bon marinier. 70

Ainsi quand la Grèce partie

D'où le mol Anaure couloit ,

Traversa les mers de Scythie

En la navire qui parloit ,

Pour avoir su des Gyanées : &

Tromper les vagues forcenées ,

Les pilotes du fils d'Éson ,

Dont le nom jamais ne s eiface ,

Ont gagné la première place

En la fable de la toison. 80

Ainsi conservant cet empire

rinfidélité du sort,

Jointe à la nôtre encore pire ,

AUoit faire un dernier effort.

Ma Reine acquiert à ses mérites' 8 5

68. Les Pléiades. Leur nom chez les Latins était quelquefois syno- nyme de tempête,

yi. La Grèce, les héros grecs qui allèrent conquérir en Colchide la toison d'or.

7». VAruuire, fleure de Thessalie qui passait près d'Iolcos, patrie de Jason , fils d*Éson.

73. I^s mers de Scythie, le Pont-Euxin , qu'Ovide, exilé sur set bords, désigne plusieurs fois dans ses Tristes par le nom de Pomtms sejrthicus,

74. -^rgo, navire des Argonautes, dan^ la charpente duquel était une pièce du chêne fatidique de Dodone.

75. 76. Les Cyanées ou Symplégades étaient deux rochers situés à l'entrée du Pont-Euxin, entre lesquels les Argonautes réussirent à passer par la protection de Junon, et qui , à partir de ce moment, demeurèrent immobiles. Auparavant, disent les poètes, ib s'écartaient k l'approche d'un navire, puis se rapprochaient pour le briser.

POÉSIES, LXIV. a,3

Un nom qui n*a point de limites; Et ternissant le souvenir Des reines qui Tont précédée , Devient une étemelle idée De celles qui sont à venir.

90

Aussitôt que le coup tragique

Dont nous fûmes presque abattus,

Eut fait la fortune publique

L exercice de ses vertus,

En quelle nouveauté d orage 95

Ne fut éprouvé son courage?

Et quelles malices de flots,

Par des murmures effroyables,

A des vœux à peine payables

N'obligèrent les matelots ?

1 00

Qui n*ouït la voix de Bellonne ,

Lassée d'un repos de douze ans,

Telle que dun foudre qui tonne,

Appeler tous ses partisans;

Et déjà les rages extrêmes , x o 5

Par qui tombent les diadèmes ,

Faire appréhender le retour

De ces combats , dont la manie

Est Tétemelle ignominie

De Jamac et de Moncontour?

110

Qui ne voit encore à cette heure Tous les infidèles cerveaux

89. Idée, idéal, modèle. 91. L'aisassioat de Henri IV.

I xo. Les deux TÎctoires bien connues remportées sur les hngucnols par Henri HI, alors duc d*Anjon.

ï

si4 POÉSIES, LXIV.

Dont la fortune est la meilleure.

Ne chercher que troubles nouveaux;

Et ressembler à ces fontaines 1 1 s

Dont les conduites souterraines

Passent par un plomb si gâté.

Que toujours ayant quelque tare,

Au même temps qu*on les répare

L*eau s*enfttit d un autre côté ? i s

La paix ne voit rien qui menace

De faire renaître nos pleurs;

Tout s accorde à notre bonace;

Les hivers nous donnent des fleurs;

Et si les pÂles Euménides , i a 5

Pour réveiller nos parricides.

Toutes trois ne sortent d'enfer,

Le repos du siècle nous sommes

Va faire à la moitié des honmies

Ignorer que c*est que le fer. i 3o

Thémis, capitale ennemie

Des ennemis de leur devoir,

Gonmie un rocher est affermie

En son redoutable pouvoir;

Elle va d un pas et d un ordre i i :>

la censure n a que mordre;

Et les lois qui n'exceptent rien

De leur glaive et de leur balance ,

Font tout perdre à la violence

Qui veut avoir plus que le sien. 1 4 o

Nos champs même ont leur abondance , Hors de loutrage des voleurs; Les festins, les jeux, et la danse

POÉSIES, LXIV. ai5

En bannissent toutes douleurs.

Rien n'y gémit, rien n'y soupire; 145

Chaque Amarille a son Tityre,

Et sous l'épaisseur des rameaux ,

Il n'est place l'ombre soit bonne ,

Qui soir et matin ne résonne

Ou de voix , ou de chalumeaux. 1 5 o

Puis quand ces deux grands hyménées,

Dont le fatal embrassement

Doit aplanir les Pyrénées ,

Auront leur accomplissement ,

Devons-nous douter qu'on ne voie , 1 5 5

Pour accompagner cette joie,

L'encens germer en nos buissons ,

La myrrhe couler en nos rues ,

Et sans l'usage des charrues,

Nos plaines jaunir de moissons ? 160

Quelle moins hautaine espérance

Pouvons-nous concevoir alors,

Que de conquéter à la France

La Propontide en ses deux bords?

Et vengeant de succès prospères 1 6 5

Les infortunes de nos pères.

1 46- La fiuk de cette strophe rappelle et développe oet vers si connus de la première Égiogue de Virgile :

.... Tu Tityre, lentns in nmbra , Formosam resonare doces Amaryllida sil^as.

i5i-i53. Voyez la notice de la pièce LTin.

i53. On voit que Malherbe a été le premier à dire le fameux mot : // n'jr a plus de Pyrénées ^ si gratuitement prêté i Louis XIV. (Voyez le Journal de Dangeau^ édit. Didot, tome Vil, p. 418, 4i9*)

i58. Les éditions de i63o et i63i ont la mjrihe pour la mjrrrhe.

r

ai6 POÉSIES, LXIV.

Que tient l*Égypte ensevelis. Aller si près du bout du monde. Que le soleil sorte de Tonde Sur la terre des fleurs de lis?

170

Certes ces miracles visibles

Excédant le penser humain ,

Ne sont point ouvrages possibles

A moins qu'une immortelle main.

Et la raison ne se peut dire, 175

De nous voir en notre navire

A si bon port acheminés,

Ou sans fard et sans flatterie,

C'est Pallas que cette Marie ,

Par qui nous sommes gouvernés. 1 80

Quoi qu'elle soit, Nymphe ou Déesse,

De sang immortel ou mortel ,

Il faut que le monde confesse

Qu'il ne vit jamais rien de tel;

Et quiconque fera l'histoire 1 8 5

De ce grand chef-d'œuvre de gloire,

L'incrédule postérité

Rejettera son témoignage,

S'il ne la dépeint belle, et sage

Au deçà de la vérité. 1 90

Grand Henri, grand foudre de guerre,

Que cependant que parmi nous

Ta valeur étonnoit la terre ,

Les Destins firent son époux ;

Roi dont la mémoire est sans blâme , 195

166, 167. Allufion à U première croinde de saint Louis.

POÉSIES, LXIV. ai7

Que dis-tu de cette belle ftme ,

Quand tu la vois si dignement

Adoucir toutes nos absinthes,

Et se tirer des labyrinthes

la met ton éloignement ? a o o

Que dis-tu lors que tu remarques

Après ses pas ton héritier ,

De la sagesse des monarques

Monter le pénible sentier?

Et pour étendre sa couronne , a o 5

Croître conmie un faon de lionne?

Que s'il peut un jour égaler

Sa force avecque sa furie ,

Les Nomades n'ont bergerie

Qu'il ne suffise à désoler. 2 1 o

Qui doute que si de ses armes

Dion avoit eu Tappui,

Le jeune Atride avecque larmes

Ne s'en fût retourné chez lui;

Et qu'aux beaux champs de la Phrygie , 2 1 5

De tant de batailles rougie.

Ne fussent encore honorés

Ces ouvrages des mains célestes ,

Que jusques à leurs derniers restes

La flamme grecque a dévorés? %%o

a 18. Les mon de Troie araient été bâds par Apollon et Neptune.

!ii8 POÉSIES, LXV.

.j

LXV

FRAGMEirr SUR LE mImE SUJET.

Ce fragment et les deux ffuivants ont paru ponr la première fois dans rédition de i63o. Us ont été publiés d*après une copie qui se trouTe à la Bibliothècjae impériale (Papiers de fialuze, vfi i33).

O toi, qui d un clin d*œil sur la terre et sur Fonde

Fais trembler tout le monde. Dieu, qui toujours es bon, et toujours Tas été, Verras-tu concerter à ces âmes tragiques

Leurs funestes pratiques^ 5

Et ne tonneras point sur leur impiété?

Voyez en quel état est aujourd'hui la France,

Hors d'humaine espérance. Les peuples les plus fiers du couchant et du nord Ou sont alliés d elle , ou recherchent de Fétre ; i

Et ceux qu'elle a fait naître Tournent tout leur conseil pour lui donner la mort.

POÉSIES, LXVI. 319

LXVI

PRiDIGTIO» OE LA MEUSE AUX PBHtCES RÉVOLTÉS.

Le titre qae nous donnons à cette pièce est celai qu'elle porte dans le manusGrit que nous Tenons de citer. Les princes étâiient alors réunis à Mézières, qui, comme on sait, est située sur la Meuse.

Allez à la malheure , allez, âmes tragiques, Qui fondez votre gloire aux misères publiques ,

Et dont Torgueil ne connoît point de lois. Allez, fléaux de la France, et les pestes du monde; Jamais pas un de vous ne reverra mon onde ; 5

Regardez-la pour la dernière fois.

4. FUmu, pour/Etaifjr, en une seule syllabe.

aao POÉSIES, LXYII.

LXVII

AUTBB FBAGMBlfT.

Ames pleines de vent , que la rage a blessées , Gonnoissez votre faute, et bornez vos pensées

En un juste compas; Attacbez votre espoir à de moindres conquêtes; Briare avoit cent mains , Typhon avoit cent têtes , 5

Et oe que vous tentez leur coûta le trépas.

Soucis, retirezr-vous , faites place à la joie, Misérable douleur, dont nous sommes la proie;

Nos vœux sont exaucés; Les vertus de la Reine, et les bontés célestes , i o

Ont fait évanouir ces orages funestes , Et dissipé les vents qui nous ont menacés.

POÉSIES, LXYIII. %%i

LXVIII

GHAinOV.

SttÎTint Racaiiy oe serait pendant le TeitTage de Urne de Termes, dont le mari moorut en i6ai, que Malherbe aurait composé cette chanson pour Mme de Rambouillet. Gelle-c) ne se rappelait pat cette circonstance, au dire de Ménage, qui prétend que la pièce a été faite pour Galiste, c'est-à-dire pour la vicomtesse d'Auchy. En tout cas, ces Ters sont antérieurs i l'époque indiquée par Racan , car ils ont été insérés dès i6i5 dans les jiirs de eour^ imprimés par P. Bal- lard (Ut, I, p. i8), arec la musique de Boesset. Je ne crois pas qu'ils aient été réimprimés avant l'édition de i63o. Dans une des éditions du Parnasse se trouve un sonnet qui commence ainsi :

Bs s*en vont ces beaux yeux , ces soleils de ma vie.

n est du cardinal Duperron et a précédé certainement la chanson de Malherbe.

Ils s'en vonty ces rois de ma vie,

Ces yeax , ces beaux yeux , Dont réclat fait pâlir d'envie

Ceux même des cieux. Dieux amis de Tinnocence, 5

Qu'ai-je fait pour mériter Les ennuis cette absence Me va précipiter ?

Elle s'en va cette merveille,

Pour qui nuit et jour, i o

Quoi que la raison me conseille ,

Je brûle d amour. Dieux amis 9 etc.

aaa POÉSIES, LXVIII.

En quel effroi de solitude

Assez écarté, Mettrai-je mon inquiétude 1 5

En sa liberté ? Dieux amis, etc.

Les affligés ont en leurs peines

Recours à pleurer; Mais quand mes yeux seroient fontaines ,

Que puis-je espérer ? « o

Dieux amis, etc.

i

POÉSIES, LXIX. aa3

LXIX

80SinBT>

n s'agit ici non point ^ comme quelques-uns l'ont cm, de la femme de Malherbe, car elle survécut à son mari, mais de la femme d'Etienne Puget. Cest celui-ci que le poète fait parler. Etienne Puget, qui, après son reuTage, embrassa Tétat ecclésiastique, et fut évéque de Marseille de i643 à 1668, était fils de Pommeuse Puget, trésorier de l'Épargne , sur lequel on peut consulter Tallemant des Réaux , et sa femme était fille de Halle , doyen de la chambre des comptes de Paris.

Le sonnet fut imprimé en 161 5 dans les Délices de la poésie fran» foise.

Celle qu'avoit Hymen à mon cœur attachée , Et qui îut ici-bas ce que j'aimai le mieux , Allant changer la terre à de plus dignes lieux, Au marbre que tu vois sa dépouille a cachée.

Comme tombe une fleur que la bise a séchée, 5

Ainsi fut abattu ce chef-d'œuvre des cieux;

Et depuis le trépas qui lui ferma les yeux ,

L'eau que versent les miens n'est jamais étanchée.

Ni prières , ni vœux ne m'y purent servir ;

La rigueur de la mort se voulut assouvir, i o

Et mon- affection n'eu put avoir dispense.

Toi dont la piété vient sa tombe honorer,

3. Var. (N) : Ce que j*aimois le mieux.

!i!i4 POÉSIES, LXIX.

Pleure mon infortune, et pour ta récompense Jamais autre douleur ne te fasse pleurer.

Belle âme qui fus mon flambeau , 1 5

Reçois rhonneur qu*en ce tombeau

Je suis obligé de te rendre;

Ce que je fais te sert de peu ;

Mais au moins tu vois en la cendre

Gomme j'en conserve le feu. a o

17. Vab. (R): Le deroir m*obiige à te rendre. 3o. Vab. (ihid.) : Que j'en aime enoore le feo.

POÉSIES, LXX. aaS

LXX

POUR UNE FONTAINE.

c Pai onl dire à M. du Casse, lieutenant général de Laitoore (Lee- toure), rapporte Ménage, qu'il y a auprès de Laitoure une maison de campagne ces vers sont gravés au pied d'une fontaine, d'un ca- ractère qui paroît ancien, et que la commune créance du pays est qu'ils sont de du Bartas, et que du Bartas les fit en faveur de sa sœur, à qui cette maison appartenoit. Mais j'ai ou! dire aussi à Mme la marquise de Rambouillet, que Malherbe les avoit faits i sa prière pour la fontaine de l'hôtel de Rambouillet , ils furent gravés lorsque cette fontaine fut revêtue de pierres la première fois. Malherbe étoit l'homme du monde le moins plagiaire : et d'un autre côté ces vers sont plus élégants que ni le siècle ni le style de du Bartas ne le com- portent, n ne faut donc point douter que ces vers ne soient de Mal- herbe. Et puisqu'ils se trouvent gravés au pied de la fontaine de cette maison de campagne dont nous venons de parler, il faut croire que quelqu'un lés y a fait graver depuis que Malherbe les fit, il y a plus de soixante ans (c. à d. vers 1606), pour la fontaine de l'hôtel de Ram- bouillet, comme on les a fait graver depuis peu au pied d'une fontaine du couvent des capucins de la ville d'Angers, s

Cette inscription parut pour la première fois, non pas en 1627, comme le dit Saint-Marc, mais en 161 5, dans les DêUees de la poésie

'ramcoue.

Vois- tu, passant, couler cette onde, Et s écouler incontinent? Ainsi fuit la gloire du monde; Et rien que Dieu n^est permanent.

Malhbubb. x 5

aa6 POÉSIES, LXXI.

LXXI

CHARSOir.

Cette chanson y imprimée en i6i5 dans le tome II des DéÛces Je la poésie francoise, et en i63o dans \e Recueil des plut beaux vers, a été pour la première fois jointe par Saint-Marc aux œuvres de Malherbe.

Sus debout la merveille des belles ,

Allons voir sur les herbes nouvelles Luire un émail , dont la vive peinture Défend à Tart d'imiter la nature.

L'air est plein d une haleine de roses , 5

Tous les vents tiennent leurs bouches closes ,

Et le soleil semble sortir de Tonde

Pour quelque amour , plus que pour luire au monde.

On diroit, à lui voir sur la tête

Ses rayons comme un chapeau de fête , i o

Qu'il s'en va suivre en si belle journée Encore un coup la fille de Pénée.

Toute chose aux délices conspire ,

Mettez-vous en votre humeur de rire; Les soins profonds d'où les rides nous viennent, 1 5 A d'autres ans qu'aux vôtres appartiennent.

Il fait chaud , mais un feuillage sombre

la. Daphné, fille du Pénée, fleuve de la Tliessalie.

I

I

POÉSIES, LXXI. a27

Loiu du bruit nous fournira quelque ombre , nous ferons parmi les violettes Mépris de lambre et de ses cassolettes. a o

Près de nous sur les branches voisines

Des genêts , des houx et des épines , Le rossignol déployant ses merveilles , Jusqu'aux rochers donnera des oreilles.

Et peut-être à travers des fougères a 5

Verrons-nous de bergers à bergères Sein contre sein, et bouche contre bouche, Naître et finir quelque douce escarmouche.

C*est chez eux qu*Amour est à son aise ,

Il y saute, il y danse, il y baise, 3o

Et foule aux pieds les contraintes serviles

De tant de lois qui le gênent aux villes.

O qu^un jour mon ftme auroit de gloire

D'obtenir cette heureuse victoire, Si la pitié de mes peines passées 3 r>

Vous disposoit à semblables pensées !

Votre honneur, le plus vain des idoles.

Vous remplit de mensonges irivoles. Mais quel esprit que la raison conseille , S'il est aimé, ne rend point de pareille? 4 «

aa8 POÉSIES, LXXII.

LXXII

RiciT d'un berger au ballet de madame y

PRiircESSE d'espaghe.

On dansa oe ballet le 19 mars 161 5, dans la grande saUe de Bourbon, lorsque Louia XIQ se disposait i partir pour Bordeaux, avec sa sœur Elisabeth et sa mère, i Toccasion des mariages dont il a été déjà parié (yoyez la notice de la pièce lviu). Les yen de Malherbe parurent d'abord en feuille volante. J'en ai trouvé à la Bibliothèque impériale un exemplaire formé de 4 p^^ in-4** <^ intitulé : Récit d'un Berger sur les aUianees de France ei d'Espagne. Cet exemplaire diffère nota- blement de celui que Saint-Marc a eu entre les mains et il n*a signalé qu'une seule variante (vers 7-9).

De plus, le ballet fut imprimé deux fois en 161 5. Je n'ai pu me pro- curer que la seconde édition intitulée : Description du ballet de Madame^ sœur aînée du Roi. A Lyon, pour François Yvrad , pris sur la copie imprimée à Paris, avec Privilège du Roy. MDCXV , 3a p. in-8<*. On y raconte que le Roi et sa mère choisirent, entre tous les projets de ballet qui leur furent présentés , celui du sieur Durand , contrôleur pro- vincial des guerres, c comme .^. se rapportant le plus à la condition et qualité de Madame, qu'il faisoit être une Minerve, et tout le ballet un triomphe qu'elle £ûsoit d'avoir captivé le Prince d'Espagne à qui elle étoit promise.... Puis Sa Majesté envoya quérir le s' Malherbe, comme celui à qui les plus beaux esprits de la France défirent, pour le faire communiquer avec ledit Durand , prendre l'ordre du ballet de lui et travailler ensemble aux vers qu'il y faudroit réciter. » Des huit pièces de vers intercalées dans le ballet cinq sont de Durand, deux de Bordier. Une seule (celle que nous donnons ici) est de Malherbe. Elle fut récitée dans les circonstances suivantes : A la suite d'un ballet dansé par deux jeunes filles parut sur la scène « un bei^er qui étoit le sieur Marais, homme d'armes de la compagnie de Mon- sieur le Grand, lequel comme remenant ses troupeaux en l'étable an couchant du soleil, sortit des bois en chantant et alla jusque devant Leurs Majestés, toujours récitant les vers faits par le sieur Malherbe.

Racan a raconté à Ménage que le poëte, sur la fin de ses jours, c préféroit cette pièce à toutes ses autres. »

POÉSIES, LXXII. 229

Houlette de Louis» houlette de Marie, Dont le fatal appui met notre bei^erie

Hors du pouvoir des loups, Vous placer dans les cieux en la même contrée

Des balances d'Astrée , 5

Est-ce un prix de vertu qui soit digne de vous-?

Vos pénibles travaux, sans qui nos pâturages, Battus depuis cinq ans de grêles et d'orages,

S en aUoient désolés, Sont-ce pas des effets que même eu Arcadie, i o

Quoi que la Grèce die, Les plus fameux pasteurs n'ont jamais égalés?

Voyez des bords de Loir^, et des bords de Garonne, Jusques à ce rivage Téthys se couronne

De bouquets d'orangers , 1 5

A qui ne donnez- vous une heureuse bonace.

Loin de toute menace Et de maux intestins , et de maux étrangers?

5. Asirée^ la Vierge du zodiaque, représentée ordinairement aveo des épis dans une main, et une palme ou une balance dans l'autre. 7-9. Vaa. (exemplaire de Saint-Marc) :

.... par qui nos pâturages Sont encore en leur gloire, en dépit des orages Qui les ont désolés.

Cette strophe manque dans la feuille Tolante. i3-i5. Vab. (Description du baiiet) :

Voyons du bord de Loire et du bord de Garonne Jusqu'à ce beau rivage....

Et dans la feuiUe volante :

Voyons depuis Loire entre an sein de Nérée Jusqu'où les flots du Var ont leur rive parée De forêts d'orangers.

i8. Vab. (feuille volante) : Et de feux intestins....

a3o POÉSIES, LXXII.

ne voit-on la paix comme un roc affermie ,

Faire à nos Géryons détester Tinfamie a u

De leurs actes sanglants? Et la belle Gérés en javelles féconde

Oter à tout le monde La peur de retourner à Tusage des glands?

Aussi dans nos maisons , en nos places publiques , 1 5 Ce ne sont que festins, ce ne sont que musiques

De peuples réjouis; Et que lastre du jour ou se lève ou se couche ,

Nous n avons en la bouche Que le nom de Marie, et le nom de Louis. 3o

Certes une douleur quelques âmes afflige, Qu'un fleuron de nos lis séparé de sa tige

Soit prêt à nous quitter; Mais quoi qu'on nous augure et qu'on nous fasse craindi^e,

Elize est-elle à plaindre 3 5

D un bien que tous nos vœux lui doivent souhaiter?

Le jeune demi-dieu qui pour elle soupire.

3 1-36. CeUe strophe est ainsi dans la feuille volante :

Certes un déplaisir quelques âmes étonne De voir qu*à nos voisins notre Élize se donne

Et nous veuille quitter; Mais quoi qu*on se figure et qu'on nous fasse craindre,

Quelqu'un la peut-il plaindre De ce que tous nos vœux lui doivent souhaiter?

33, 34<> Var. {Description du Mlet) :

S'apprête à nous quitter; Mais quoi qu'on nous figure....

35. Elize, la princesse Elisabeth.

POÉSIES, LXXIL a3i

De la fin du couchant termine son empire

En la source du jour. £lle va dans ses bras prendre part à sa gloire; 40

QueUe malice noire Peut sans aveuglement condamner leur amour?

U est vrai qu'elle est sage, il est vrai qu'eUe est belle, Et notre affection pour autre que pour elle

Ne peut mieux s'employer. 4 5

Aussi la nommons-nous la Pallas de cet âge;

Mais que ne dit le Tage De celle qu en sa place il nous doit envoyer?

Esprits malavisés , qui blâmez un échange ,

se prend et se baille un ange pour un ange, Sb

Jugez plus sainement ; Notre grande bergère a Pan qui la conseille;

Seroit-ce pas merveille Qu'un dessein qu'elle eût fait n'eût bon événement?

C'est en rassemblement de ces couples célestes, 5 5

38, 39. Var. (feuille Tolante) :

Des mondes opposés nuit à son empire L'un et l'autre séjour.

43. Var. (feuille volante) :

Élize est du tout sage, Élize est du tout belle

46. Vab. (feuille Yolante) : Aussi Tappelons-nouH....

48. Anne d'Autricbe.

49- Vab. (Description du balUt) :

Dessillez-Tous les yeux, tous qui de cet échange....

Cette strophe manque dans la feuille Tolante.

Si. Var. {ibid,) : Parlez profancment.

Sa. Pan, le maréchal d* Ancre : Toyez plus haut, p. aoo.

!i3a POÉSIES, LXXIL

Que si nos maux passés ont laissé quelques restes.

Ils vont du tout finir ; Mopse qui nous Tassure a le don de prédire^

Et les chênes d'Épire Savent moins qu'il ne sait des choses à venir. 60

Un siècle renaîtra comblé d'heur et de joie, le nombre des ans sera la seule voie

D'arriver au trépas; Tous venins y mourront comme au temps de nos pères;

Et même les vipères 65

Y piqueront sans nuire, ou n y piqueront pas.

La terre en tous endroits produira toutes choses. Tous métaux seront or, toutes fleurs seront roses ,

Tous arbres oliviers; L'an n'aura plus d'hiver, le jour n'aura plus d'ombre, 7 o

58. On trouve dans les éciÎTains de Tantiquité la mention de deux de-vins portant le nom de Mopse. L*un faisait partie de la troupe des Argonautes; Tautre était fils d*Âpollon et de Manto, fille de Tirésias. En outre, Mopsus est le nom d'un berger qui reparait plusieurs fois dans les tglogues de Virgile.

59. Les chênes de la forêt de Dodone. Voyez plus haut uuv, note du t. 74.

60. Vab. [Description du btJièt) : Les ohoses à Tenir.

61. Vab. (feuille volante) : Tissu d*or et de soie.

64. Vab. (Description du tallet) :

Tout y sera sans fiel comme au temps de nos pères.

Virgile a dit, EcL ir, a 4 et a 5 :

Occidet et serpens et fallax herba veneni Oocidet.

65, 66. Vab. (feuille volante) :

Même ceux des vipères, Et l'aconite bu n'empoisonnera pas.

POÉSIES, LXXIL a33

Et les perles sans nombre Germeront dans la Seine au milieu des graviers.

Dieux y qui de vos arrêts formez nos destinées, Donnez un dernier terme à ces grands hyménées»

C'est trop les di£férer. 7 ^

L'Europe les demande, accordez sa requête;

Qui verra cette fête , Pour mourir satisfait n'aura que désirer.

70-73. Vab. (feuille rolante) :

Et ces perles de prix sous TAurore péchées

Aux mers les plus cachées Seront aux bords de Seine au milieu des graviers.

73, 74. Vab. (feuille Tolante) :

Cieux, qui de tos arrêts formez nos destinées, Avancez-nous le jour de ces grands hyménées.

a34 POÉSIES, LXXIII.

I-

LXXIII

POUR Ufl BALLET DE MADAME.

Ceftt le hallet furent chantées les ttances précédentes.

c J*ai oui dire à M. de Racan, rapporte Ménage, que Malherbe fit ces vers à la prière de Marais, porte-manteau du feu Roi, sur un air qui couroit, et qu'il les fit en moins d*un quart d'heure. Ds ne furent point estimés; et Théophile (Bautru, suivant Tallemant), pour s'en moquer, parodia le premier couplet de la sorte :

Ce hrare Malherbe Qu'on tient si parfiût. Donnez-lui de l'herbe. Car il a bien fait.

Malherbe lui-même ne les estimoit pas. » Et il n'avait point tort.

On les trouve avec la musique de Guesdron dans les jiirs de cour, i6i5, liv. I, f»6.

En 1735, on a parodié ces vers pour les appliquer à la future épouse encore inconnue de Louis XV :

La Reine est si belle. On l'aime si fort; Pourquoi ne vient-elle? Vraiment elle a tort.

Aimable anonyme. Viens donc promptement. La France t'estime. Sans savoir comment.

(Collection Maurepat, tome XVI, p. 365.)

Cette Anne si belle, Qu'on vante si fort, Pourquoi ne vient-elle? Vraiment elle a tort.

I . Anne d'Autriche.

POÉSIES, LXXIII. i35

Son Louis soupire s ^

Après ses appas; Que veut-elle dire De ne venir pas?

S'il ne la possède

Il s'en va mourir ; i o

Donnons-y remède ,

Allons la quérir.

Assemblons , Marie ,

Ses yeux à vos yeux;

Notre bergerie 1 5

N'en vaudra que mieux.

Hâtons le voyage;

Le siècle doré

En ce mariage

Nous est assuré. ao j

a36 POÉSIES, LXXIV.

LXXIV

SUR LE MARIAGE DU ROI ET DE LA REIITE,

Le mariage de Louis AUX et d'Anne d'Autriche eat lieu le s 5 oc- tobre i6i5.— - Les yen de Malherbe furent imprimés en i6sOy dans les tomes I et II des Déliées de la poésie fnan^oUe^ ayec le titre ê^Èpi-

Mopse entre les devins TApollon de cet ftge

Avoit toujours fait espérer Qu'un soleil qui naîtroit sur les rives du Tage En la terre du lis nous viendroit éclairer.

Cette prédiction sembloit une aventure s

Contre le sens et le discours , N'étant pas convenable aux règles de nature, Qu'un soleil se levât se couchent les jours.

Anne, qui de Madrid (ut Tunique miracle,

Maintenant Taise de nos yeux , i o

Au sein de notre Mars satisfait à Toracle , Et dégage envers nous la promesse des cieux.

Bien est-elle un soleil; et ses yeux adorables.

Déjà vus de tout Thorizon, Font croire que nos maux seront maux incurables, 1 5

I. Mt^tse, Toyez la note du rers 58 de la pièce Lxxn. Vai. (P et R) : L* Apollon de notre âge.

POÉSIES, LXXIV. !i37

Si dW si beau remède ils n'ont leur guérison.

Quoi que Tesprit y cherche, il n'y voit que des chaînes

Qui le captivent à ses lois ; Certes c'est à l'Espagne à produire des reines , Gomme c'est à la France à produire des rois. 90

Heureux couple d'amants, notre grande Marie

A pour vous combattu le sort; Elle a forcé les vents, et dompté leur Airie; C'est à vous à goûter les délices du port.

Goùtez-les , beaux esprits, et donnez connoissance , a S

En l'excès de votre plaisir, Qu'à des cœurs bien touchés tarder la jouissance, C'est infailliblement leur croître le désir.

Les fleurs de votre amour dignes de leur racine.

Montrent un grand commencement; 3o

Mais il &ut passer outre, et des fruits de Lucine Faire avoir à nos vœux leur accomplissement.

Réservez le repos à ces vieilles années

Par qui le sang est refroidi; Tout le plaisir des jours est en leurs matinées; 3 5

La nuit est déjà proche à qui passe midi.

a5. Vab. (P) : Faites-le, beaux esprits....

17, 98. Corneille (Pofyeuete, I, i) a dit après Malherbe :

Et le désir s^aecrolt quand TefTet se recule.

9i3H POÉSIES, LXXV.

LXXV

POUR METTRE AU DEVAITT BU LIVRE DU SIEUR DE liORTIGUES.

Ce li'vre est intitiilé : Les Poèmes dhers du sieur de Lortigues^ Pro^ pençal. Au Roi. Pïois, J. Gesselin, 1617. La biographie de raatenr le troure dans les F'ies des poètes françoiSf par G>lletet, dcmt le ma- nuscrit est à la bibliothèque du LouTre.

Vous dont les censures s'étendent Dessus les ouvrages de tous , Ce livre se moque de vous : Mars et les Muses le défendent.

POÉSIES, LXXVL %3g

LXXVI

PROPHÉTIE DU DIEU DE SEINE.

STAKGEfl.

Une copie de ces vers, imprimés pour la première fois dans l'édi- tion de i63o, est conserrée à la Bibliothèque impériale (Papiers de fialuze, n^ i33). Elle est intitulée : La Seine au maréchal d' A nere^ le jour qu'il fut tué (^4 avril 1617). Malherbe, qui, dans la première strophe, reproduit en partie la pièce lxvi, s'est arrangé cette fois pour prophétiser à coup sûr et sans danger. L'épitaphe du duc de Luynes (voyez plus loin , n^ lxxxiv) prouTcra encore mieux sa pru- dente habitude de n'attaquer qu'après leur mort les puissants qu'il avait flattés durant leur vie.

Va-t'en à la malheure, excrément de la terre, Monstre qui dans la paix fais les maux de la guerre,

Et dont TorgueQ ne connoît point de lois; En quelque haut dessein que ton esprit s'égare, Tes jours sont à leur fin , ta chute se prépare, s

Regarde-moi pour la dernière fois.

C'est assez que cinq ans ton audace effrontée. Sur des ailes de cire aux étoiles montée,

Princes et rois ait osé défier : La Fortune t'appelle au rang de ses victimes, t o

Et le ciel, accusé de supporter tes crimes.

Est résolu de se justifier.

i

a4o POÉSIES, LXXVII.

LXXVII

Ces fttancea furent compoiées pour Charles Chabot p comte de Chamy, amoureux de Mlle de Castille, petite-fille par sa mère du président Jeannin. D l'épousa en i6so et mourut, Tannée suivante, an siège de Montpellier. Sa Teure se remaria, en 1698, arec le comte de Chalais, qui fut décapité à Nantes en i6s6. (Voyez Tallemant des Réaux, édition P. Paris, tome m, p. 190 et suir.)

Les rers de Malherbe parurent en 1690, dans le tome I des Dâices de la poésie françoise; ils furent probablement composés en 1619.

Enfin ma patience, et les soins que j'ai pris

Ont selon mes souhaits adouci les esprits

Dont rinjuste rigueur si longtemps m'a fiât plaindre;

Cessons de soupirer; Grâces à mon destin , je n ai plus rien à craindre , s

Et puis tout espérer.

Soit qu'étant le soleil, dont je suis enflammé, Le plus aimable objet qui jamais fut aimé, On ne m'ait pu nier qu'il ne fût adorable;

Soit que d'un oppressé ic

Le droit bien reconnu soit toujours favorable.

Les Dieux m'ont exaucé.

Naguère que j'oyois la tempête souffler.

Que je voyois la vague en montagne s'enfler.

Et Neptune à mes cris faire la sourde oreille; i &

A peu près englouti, Eussé-je osé prétendre à l'heureuse merveille

POÉSIES, LXXVIL a4i

D*en être garanti?

Contre mon jugement les orages cessés

Ont des calmes si doux eh leur place laissés , a o

Qu'aujourd'hui ma fortune a Tempire de Tonde;

£t je vois sur le bord Un ange dont la grâce est la gloire du monde,

Qui m'assure du port.

Certes c'est lâchement qu'un tas de médisans, a 5

Imputant à l'amour qu'il abuse nos ans , De frivoles soupçons nos courages étonnent;

Tous ceux à qui déplaît L'agréable tourment que ses flammes nous donnent.

Ne savent ce qu'il est. So

S'il a de l'amertume à son commencement, Pourvu qu'à mon exemple on souffre doucement, Et qu^aux appâts du change une âme ne s'envole.

On se peut assurer Qu'il est maître équitable, et qu'enfin il console 3 5

Ceux qu'il a (ait pleurer.

Malhbmbh. I x6

a4a POÉSIES, LXXVIII.

LXXVIII

SUR UNE IMAGE DE SAIHTE CATHERINE

énGMAi

Publiée en i6ao dans les tomes I et II des DéHces de la poésie françolse, H s*agit de sainte Catherine d* Alexandrie, martyrisée vers l'an 307.

L'art aussi bien que la nature

EAt fait plaindre cette peinture;

Mais il a voulu figurer

Qu aux toiuments dont la cause est belle,

La gloire d'une &me fidèle 5

Est de souffrir sans murmurer.

j

POÉSIES, LXXIX. a43

LXXIX

Imprimée en 1690 dans le tome II des Dé&ees de ia poésie franeoise, Cest une imiution de Tépigramme (VI, 40) de Martial :

Femina prsferri potuit tibi nuUa, Lycori :

Pneferri Glycerse femina nulla potest. Haec erit hoc quod tu : tu non potes esse quod h«c est.

Tempora quid faciunt? hanc yoIo, te volui.

t

Jeanne, tandis que tu fus belle,

Tu le fus sans comparaison ;

Anne à cette heure est de saison ,

Et ne voit rien si beau comme elle;

Comme à toi les ans lui mettront 5

Quelque jour les rides au front.

Et feront à sa tresse blonde

Même outrage qu'à tes cheveux;

Mais voilà oonmie va. le mondje, .^

Je t'ai voulue, et je la veux. ,, %n

5, 6. Vab. (Q) :

Je sait qae leaf ans lui mettvq^t C4omme à toi les rides au froBf.

10. \kh, {thid,): Je te voulus....

a44 POÉSIES, LXXX.

LXXX

A MADAME LA PRINCESSE DE COKTI.

ftomxT.

Publié en 1690 dans les tomes I et II des Délices de ia oeésie française, Voyez la notice de la pièce xLvni.

Race de mille rois , adorable princesse , Dont le puissant appui de faveurs m*a comblé , Si faut-il qu*à la fin j acquitte ma pixMnesse, Et m allège du faix dont je sois accablé.

Telle que notre siècle aujourd'hui vous regarde, 3

Merveille incomparable en toute qualité, Telle je me résous de vous bailler en garde Aux fastes étemels de la postérité.

Je sais bien quel eflPort eet ouvrage demande ;

Mais si la pesanteur d*une charge si grande i o

Résiste à mon audace, et me la refroidit ;

Vois-je pas vos bontés à mon aide parottre. Et parler dans vos yeux'un signe qui me dit Que c'est assez payer que de bien reconnoître?

POÉSIES, LXXXI. a45

LXXXI

fTAircBs SFiBrroxixw.

Publia en i6ao dans les tomes I et II des Déliées de la poétie franfoue, Gostar en a fait la critiqtie dans une de ses lettres (tome I, n* i6i) à la martpiise de Lavardin.

Louez Dieu par toute la terre,

Non pour la crainte du tonnerre

Dont il menace les humains ; Mais pour ce que sa gloire en merveilles abonde, Et que tant de beautés qui reluisent au monde 5

Sont des ouvrages de ses mains.

Sa providence libérale

Est une source générale.

Toujours prête à nous arroser. L*Aurore et TOccident s abreuvent en sa course, i o

On y puise en Afrique, on y puise sous TOurse,

Et rien ne la peut épuiser.

N*est-ce pas lui qui fait aux ondes

Germer les semences fécondes

D un nombre infini de poissons; 1 5

Qui peuple de troupeaux les bois et les montagnes. Donne aux prés la verdure , et couvre les campagnes

De vendanges et de moissons?

6. Vas. (P) : Sont les ouTinges....

ao

246 POÉSIES, LXXXI.

U est bien dur à sa justice

De voir Timpudente malice

Dont nous Toffensons chaque jour; Biais comme notre père il excuse nos crimes, Et même ses courroux, tant soient-ils légitimes.

Sont des marques de son amour.

Nos aiSections passagères, s %

Tenant de nos humeurs légères.

Se font vieilles en un moment. Quelque nouveau désir comme un vent les emporte ; La sienne toujours ferme, et toujours d'une sorte.

Se conserve éternellement.

99. Les éditioiifl de i83o et i63i portent la tumiu.

POÉSIES, LXXXII. i47

LXXXII

GHARMW.

G>inpo8ée pour Mme de Rambooillety cette chanson parut en i6ai> dans le Recueil des plus beaux vers et dans le tome I des Délices de la poésie francoise , Elle avait été faite, suivant Ménage, sur un air donné à Malherbe , ce qui explique l'irrégularité du rhy thme.

Chère beauté que mon âme ravie Comme son pôle va regardant , Quel astre d'ire et d'envie Quand vous naissiez marquoit votre ascendant, Que votre courage endurci , 5

Plus je le supplie moins ait de merci ?

En tous climats, voire au fond de la Tlirace, Après les neiges et les glaçons, |

Le beau temps reprend sa place , Et les étés mûrissent les moissons ; i o j

Chaque saison y fait son cours; fin vous seule on trouve qu'il gèle toujours.

J'ai beau me plaindre, et vous conter mes peines,

Avec prières d'y compatir; J'ai beau m'épuiser les veines , 1 5

Et tout mon sang en larmes convertir:

Un mal au deçà du trépas,

4 jéscendani se disait, en astrologie, du point qui se Wve, oomi- déré par rapport à la nativité des personnes. 6. Vab. (P.) : ....Moins j*ai de merci.

9148 POÉSIES, LXXXII.

Tant soit-il extrême, ne vous émeut pas.

Je sais que c^est : vous êtes offensée ,

Gomme d un crime hors de raison , a o

Que mon ardeur insensée En trop haut lieu borne sa guérison , Et voudriez bien, pour la finir, M*6ter Tespérance de rien obtenir.

Vous vous trompez; c'est aux foibles courages, 3 5 Qui toujours portent la peur au sein, De succomber aux orages , Et se lasser d un pénible dessein. De moi, plus je suis combattu , Plus ma résistance montre sa vertu. 3o

Loin de mon front soient ces palmes communes tout le monde peut aspirer; Loin les vulgaires fortunes , ce n'est qu'un jouir et désirer;

Mon goût cherche l'empêchement , 3 i

Quand j'aime sans peine j'aime lâchement.

Je connois bien que dans ce labyrinthe Le ciel injuste m'a réservé Tout le fiel, et tout l'absinthe Dont un amant fut jamais abreuvé ; . 4 «

Mais je ne m'étonne de rien ; Je suis à Rodanthe , je veux mourir sien.

94* Le recueil de i6ao et les éditioni de i63o et i63i portent de ne rien obtenir; ce qui est évidemment une faute d*impres8ion, car la ▼en anrait une syllabe de trop.

4a. Rodanthe, Sur ce nom , voyez dans oe volome la vie de Mal- herbe par Bacan.

POÉSIBS, LXXXIII. !ft49

LXXXIII

A MOirSIEUR DE PRÉ, SUR SOU PORTRAIT DE Ii'lÎLOQUElfCB FRANÇOISE.

Lb Forerait de l'Éloquence française avec dix aeiione oratoires, par J. du Pré y écayer, aei^oeur de la Porte, oonieiller da Roi et général en M Conr des Aides de Nonnandie, bien que daté de i6ai, fut u achevé d'imprimer » le iS novembre 1630, à Paris, chez Jean l'Éves- qne, in-^. Le privilège est du 6 octobre de la même année. A la page 3a se trouvent les vers de Malherbe.

Tu faux, de Pré, de nous pourtraire Ce que réloquence a d'appas; Quel besoin as-tu de le faire? Qui te voit, ne la voit^il pas?

1 . Tu four, tu te trompes, tu as tort.

aSo POÉSIES, LXXXIV.

LXXXIY

Il s'agit ici da connétable de Luynet, mort le s 5 décembre i6si. Malherbe lui avait dédié , cette même année , sa traduction du XXXm* livre de Tite Live, il lui disait ceci : « Tai eu l'honneur que toutes les fois que je me suis trouvé devant vous, j'en ai été re- cueilli avec un visage et des caresses qui eussent convié un plus am- bitieux que je ne suis à vous importuner plus souvent que je ne fais. > Le mot alujrne, qui autrefois signifiait absinthe, a permis un af&eux jeu de mot au poète. Quant au nez de barbet, c'est une particularité fort exacte, comme le prouvent les portraits du temps et entre autres celui qui est conservé au château de Dampierre. L'épigramme n'a paru que dans l'édition de i63o. .

Cet absinthe au nez de barbet, En ce tombeau fait sa demeure; Chacun en rit, et moi j'en pleure. Je le vouloîs voir au gibet.

POÉSIES, LXXXV. aSi

LXXXV

SUR LE PORTRAIT DE GASSAITDRE, MAÎTRESSE DE RONSARD.

On lit cette inaeripdon an yeno du 7* feuillet du tome I des GEu« Très de Ronsard, édition de 1 6a 3. Elle est placée au bas du portrait de Cassaudre gravé par Cl. Mellan. Ménage l'a réunie le premier aux poésies de Malherbe ; mais de ces quatre tcts lui et ses successeurs en ont estropié deux.

L'art, la nature exprimant, En ce portrait me fait belle; Mais si ne suis-je point telle Qu*aux écrits de mon amant.

!i5a POÉSIES, LXXXVL

LXXXVI

VERS GOMFOSÉS POUR l'eRTRÉE DE LOUIS XIII

A AIX.

Cette pièce et la taivanle, omiâes jusqu'ici par tons les éditeurs de Sfalherbcy sont imprimées pages 7 et 37 dans les Diseour$ sur tes areê triomphaus dressés en la vilie d'jiis à theureuse arrive de Louis XIH em 1699 y Aixy Tholosan, 1694» in-fol. L'anteor des Discours ^ Jean de Chastueil Gallaup, procureur général de la chambre des comptes de ProTcnoe , nous raconte qu'après avoir composé un arc de triomphe au milieu duquel s'élevait une statue de la rille d'Aix montrant un bouclier se trouvait le portrait du Roi, il s'éprit de son propre ouvrage comme PygmaUon de sa statue, c Moi, dit-il, je cnis de trouver en Bfalherbe ce feu inspirant la vie que Prométhée ravit aux deux. Ma croyance ne fut point vaine. Il donna une âme à cette statue et lui fit ainsi la voix : »

Lk VILLB d'AIX au aOI.

Grand fils du grand Henri, grand chef-d*œuvre des cieux, Grand aise et grand amour des âmes et des yeux, Louis, dont ce beau jour la présence m^octroie. Délices des sujets à ta garde commis. Le portrait de Pallas fut la force de Troie , 5

Le tien sera la peur de tous nos ennemis.

5. Le portrait de Pallas , le Palladium.

POÉSIES» LXXXVII. s53

LXXXYIl

AUTRE SUR mAmS 8U1BT.

AMPRIOir AU BOI.

Or 808, la porte esl close aux tempêtes civiles :

La Justice et la Paix ont les clefs de tes villes;

Espère tout, Louis, et ne doute de rien.

Si le IMeu que je sers entend Tart de prédire,

Jamais siècle passé n'a vu monter empire, 5

le siècle présent verra monter le tien.

Les faits de plus de marque et de plus de mérite,

Que la vanité grecque en ses fables récite.

Dans la gloire des tiens, seront ensevelis,

Ton camp boira le Gange avant qull se repose. i o

Et dessous divera noms ce sera même chose

Être maître du monde et roi des fleurs de lis.

#

a54 POÉSIES, LXXXVIII.

LXXXYIll

POCn MONSEIGNEUR LE COMTE DE SOISSONS.

Malherbe écrivit ces ttanoet pour Louis de Bourbon, comte de SoUsons (tué en 1641.au combat de la Marfëe], qui recherchait en mariage Henriette de France, devenue, en i6a5, reine d'An- gleterre. — Elleft furent imprimées pour la première fois, non pas en 1627 (Reeueil de* plas beaux veri)^ oonmie le dit Saint-Marc , mais en 1634 dans le VI« livre (p. Sg) des jiirs de cour^ publié par P. Ballard. La musique est sans nom d*auteur; c'est peut-être celle de Boesset, que Ménage appelle un chef-d'œuvre. En ce cas, il aurait eu tort de dire qu'elle ne fut composée qu'après la mort de Malherbe, et que celui-ci c a eu .cette mortification de ne point voir de beaux airs sur ses belles chanfons. s

Une copie autographe de cette pièce, qui avait figuré à Pans dans une vente (8 avril i844]> se trouve actuellement au BrUuh Muséum et nous a fourni deux variantes, dont l'une est aussi dans les jiirt de cour.

Ne délibérons plus^ allons droit à la mort; I^a tristesse m appelle à ce dernier effort,

Et rhonneur m'y convie ;

Je n'ai que trop gémi; Si parmi tant d'ennuis j aime encore ma vie,

Je suis mon ennemi.

O beaux yeux , beaux objets de gloire et de grandeur^ Vives sources de flamme, j'ai pris une ardeur

Qui toute autre surmonte,

Puis-je souffrir assez , i u

Pour expier le crime, et réparer la honte

POÉSIES, LXXXVIII. ti55

De vous avoir laissés?

Quelqu'un dira pour moi que je fais mon devoir ; Et que les volontés d un absolu pouvoir

Sont de justes contraintes; 1 5

Mais à quelle autre loi Doit un parfait amant des respects et des craintes

Qu a celle de sa foi?

Quand le ciel offriroit à mes jeunes désirs

Les plus rares trésors ^ et les plus grands plaisirs s o

Dont sa richesse abonde;

Que saurois-je e^rer A quoi votre présence, 6 merveille du monde.

Ne soit à préférer?

On parle de Tenfer, et des maux éternels, a 5

Baillés pour châtiment à ces grands criminels

Dont les fables sont pleines;

Mais ce qu'ils souffrent tous.

IO-I3. Yab. (cop. autogr. et j4irs de cour) :

A moins qae du trépas Puis-je expier le crime et réparer la honte D*étre TOUS n'êtes pas?

1 9. Mes jeunes désirs. Le comte de Soissons était le 1 1 mai 1604 ; il avait donc au plus vingt ans quand Malherbe composa ces stances. 19-ai. Vae. {Airs de cour) :

Quand les dieux s*offiriroient à combler mes désirs Des honneurs les plus chers et des plus doux plaisirs Dont leur richesse abonde.

(Cop. autog.) : Les plus rares trésors et les plus doux plaisirs, a 3. Vab. (R) : A quoi votre espérance.... aH. Vaa. {Airs de cour) :

Qu'ordonne sa rigueur à ces grands criminels.

a56 POÉSIES, LXXXVIII.

Le sottffré-je pas seul en la moindre des peines

D^étre éloigné de vous ? 3 o

J*ai beau par la raison exhorter mon amour De vouloir réserver à Taise du retour

Quelque reste de larmes;

Misérable qu'il est, Contenter sa douleur , et lui donner des armes , 3 5

C'est tout ce qui lui platt.

Non, non, laissons-nous vaincre après tant de combats; Allons épouvanter les ombres de là-bas

De mon visage blême;

Et sans nous consoler, < o

Mettons fin à des jours que la Parque elle-même

A pitié de filer.

Je connois Charigène, et n'ose désirer Qu'elle ait un sentiment qui la fasse pleurer

Dessus ma sépulture; n

Mais cela m'arrivant. Quelle seroit ma gloire? et pour quelle aventure

Voudrois-je être vivant?

33. Vae. {jiirs de cour) : Qaelqae reste d'alamiefl. 48. Ls dernière stanoe manque dans les A'wt de eottr.

POÉSIES, LXXXIX. a57

LXXXIX

A RABEL, PEINTRE, SUR UN LIVRE DE FLEURS.

sorasT.

Saint-Marc a^ait placé ce aoimet à Tannée ifioS, parce qu'il araît rencontré à cette date dans le Journal de TEstoile la mention de la mort d*un peintre nommé Jean Rabel. H a eu tort, comme je vais le démontrer.

Pai été assez heureux pour retrouver au cabinet des estampes de la Bibliothèque impériale le livre de fleurs manuscrit qui a été le sujet de la pièce de Malherbe. Cest un magnifique volume in-folio relié en maroquin rouge aux armes de France, coté /. ^./74 et intitulé : FUurs peiniespar Rabel en i6a4- H contient cent planches de fleurs et d^insectes peints sur vélin , en miniature , avec une rare perfection ; chaque planche est entourée d*un filet d*or. Sur un des feuillets de garde du commencement se trouve cette signature, incontestablement autographe : Daniel Rabel, /. i6a4* En tète on a placé, outre les vers de Malherbe, une notice imprimée, de six pages, qui nous ap- prend que le manuscrit, après avoir appartenu au duc de Mazarin, puis au président de Rieux, à la vente duquel (1747) il avait été payé 396 livres 5 sols, fut acquis, moyennant loio livres, à la vente Gaignat. U figure sur les catalogues de ces deux collectionneurs et est cité dans la Bibliographie instructive de Debure (t. Il, p. 354)* Ainsi, plus de doute, c'est bien pour Daniel Rabel et son livre que fut écrit le sonnet qui parut pour la première fois dans l'édition de i63o. Mariette, qui a consacré au peintre deux pages dans son Âbeeedario^ conjecture qu'il était le fils de Jean Rabel, et ignore la date de sa mort. Son portrait, fait par lui-mâme et inachevé, se trouve dans son ttuvrè an cabinet des estampes. (Voyez la Correspondance littéraire , HP du 10 septembre 1860, p. 489*)

Quelques louanges nonpareilles Qu*fl(t Apelle encore aujourd'hui, Cet ouvrage plein de merveilles Met Rabel au-dessus de lui. Mauuhbb. I 17

s58 POÉSIES, LXXXIX.

L'art y surmonte la nature, Et si mon jugement n'est vain , Flore lui conduisoit la main Quand il faisoit cette peinture.

Certes il a privé mes yeux

De lobjet qu'ils aiment le mieux ,

N'y mettant point de marguerite ;

Mais pouvoit-il être ignorant Qu'une fleur de tant de mérite Auroit terni le demeurant?

I V

POÉSIES, XC. aSg

xc

MONSEIGNEUR FR^RE DU ROI.

Au dire de Ménage, Malbedbe aurait fait ce sonnet en 1618. GVst une erreur; la pièce, imprimée d'abord en feuille Tolante, a paru dès 1637 dans le Recueil des plus beaux vers , et est probablement fort antérieure à cette date; car Gaston, duc d'Orléans, en 1608, n'aurait eu qu'en i6a8 les Tingt ans dont parle le poète.

Muses, quand finira cette longue remise De contenter Gaston , et d*écrire de lui ? Le soin que vous avez de la gloire d*autrui Peut-il mieux s'employer qu'à si belle entreprise ?

En ce malheureux siècle chacun vous méprise, 5

Et quiconque vous sert n'en a que de Tennui, Misérable neuvaine, sera votre appui, S'il ne vous tend les mains , et ne vous favorise ?

Je crois bien que la peur d'oser plus qu'il ne faut, Et les difficultés d'un ouvrage si haut, Vous ôtent le désir que sa vertu vous donne;

Mais tant de beaux objets tous les jours s'augmentants, Puisqu'en âge si bas leur nombre vous étonne, G>nmie y foumirez-vous quand il aura vingt ans ?

7. Vaa. (feuille volante) :

Quel espoir aTez-vous de trouTer de l'appui.

1 o

a6o POÉSIES, XCI.

XGI

AU ROI.

Inséré en 1627 dans le RecÊteil des plmt èemux fwv , ce sonnet avait d*abord été imprimé en feuille Tolante. Pen ai trouvé à la Biblio- thèque impériale on exemplaire au bas duquel se lit cette noie manuscrite, d*une écriture du temps : « Le Roi lui fit donnef 5oo écus le jour qu*il lui présenta ce sonnet* » Cette particulaiilé permet de dater la pièce, car dans une lettre de Malberbe à son cousin de Bouillon, en date du 38 février 1634 » on rencontre ce passage : c Je vous envoie demî-donzaine de copies d*un sonnet «|ne je doanai au Roi il y a cinq ou six jours.... L'effet qu'il a eu, c'a été einq cents écus que le Roi m'a donnés par acquit patent. »

Muses , je suis confus ; mon devoir me convie A louer de mon Roi les rares qualités; Mais le mauvais destin qu'ont les témérités Fait peur à ma foiblesse, et m'en ôte Tenvie.

A quel Front orgueilleux n'a laudace ravie 5

Le nombre des lauriers qu'il a déjà plantés ? Et ce que sa valeur a fait en deux étés , Alcide l'eùt-il fait en deux siècles de vie?

Il arrivoit à peine à l'âge de vingt ans , Quand sa juste colère assaillant nos Titans , Nous donna de nos maux l'heureuse délivrance.

if>

Certes, ou ce miracle a mes sens éblouis ,

Ou Mars s'est mis lui-même au trùne de la France,

Et s'est fait notre roi sous le nom de Louis.

POÉSIES, XCII. a6i

XGII

A MOlfSEIGIfErR LE CARBOAL DE RICHELIEU.

Malherbe éenTic probableflieiit oette pîèoe en i6i4» lorsque le cardi- nal de Richelieu entra (a6 avril) an conieii dn Roi. Elle parut d'abord en feuille volante, puis en 1637 dans le Recueil des pUu heaux vers.

A ce coup nos frayeurs n*auront plus de raison, Grande ftme aux grajiids travaux sans repos adonojée; ^Puis({ue par vos conseils la France est gouvernée, Tout ce qui la travaille aura sa guérison.

Tel que fut rajeuni le vieil âge d'Éson, »

Telle cette Princesse en vos mains résinée Vaincra de ses destins la rigueur obstinée ^ Et reprendra le teint de sa verte saison.

Le bon sens de mon roi m'a toujours Ëiit prédire

Que les fruits de la paix combleroient son empire, i «

Et comme un demi-dieu le feroient adorer;

Mais voyant que le vôtre aujourd'hui le seconde, Je ne lui promets pas ce qu il doit espérer. Si je ne lui promets la conquête du monde.

3. Ce vers est reproduit presque textuellement dans la pièce cxvi.

4. Vae. (feuille volante) : Tout ce qu'elle a de mal.... 6. Résinée, résignée.

a6a POÉSIES, XCIII.

XGIII

AU aoi.

Ménage tenait de Racan cpe ce sonnet , imprimé en 1627 dans le

Recueil des plus beaux vers, avait été composé en x 6a

Qu*avec une valeur à nulle autre seconde, Et qui seule est fatale à notre guérison. Votre courage mûr en sa verte saison Nous ait acquis la paix sur la terre et sur Tonde ;

Que rhydre de la France en révoltes féconde, s

Par vous soit du tout morte, ou n^ait plus de poison, Certes c*est un bonheur dont la juste raison Promet à votre front la couronne du monde.

Mais qu'en de si beaux faits vous m'ayez pour témoin, Connoissez-le, mon Roi, c'est le comble du soin 10

Que de vous obliger ont eu les destinées.

Tous vous savent louer, mais non également ; Les ouvrages communs vivent quelques années; Ce que Malherbe écrit dure éternellement.

POÉSIES, XCIV. a63

xcnr

POUR LE MARQUIS DE LA VIEUVILLEy SUPERin TENDANT DES FUT ANGES.

soniriT.

Imprimé d*abord en feaille volante, pais en 1617 dans le Recueil des plus beaux vers, mais composé en 1634 s^u plus tard; car le mar- quis de la Vieuville, nommé en x6a3 surintendant des finances, ne garda qu*an an cette charge.

U est vrai, la Vieuville, et quiconque le nie Condamne impudenunent le bon goiit de mon roi ; Nous devons des autels à la sincère foi Dont ta dextérité nos affaires manie.

Tes soins laborieux, et ton libre génie, 5

Qui hors de la raison ne connott point de loi, Ont mis 6n aux malheurs qu*attiroit après soi De nos profusions Teffroyable manie.

Tout ce qu'à tes vertus il reste à désirer,

C'est que les beaux esprits les veuillent honorer.

Et qu'en Téteraité la Muse les imprime.

J^en ai bien le dessein dans mon âme formé; Mais je suis généreux, et tiens cette maxime. Qu'il ne faut point aimer quand on n'est point aimé.

7. Vae. (feuille Tolante) : Ont fini le malheur....

!•

•264 POÉSIES, XCV.

XCT

FR^GMBHT.

On trouve ces Ters, les senli en rimes plates que Ton connaisse de Malherbe , dans une lettre sans date adressée à Racan par le poète, qui, après les avoir rapportés, ajoute : c Vous savez trop bien que c'est que de vers, pour ne connoitre pas que ceux-là sont de ma façon. Si vous en goûtez la rime, goûtez -en encore mieux la raison, j Publiés pour la première fois en 1637 dans le Recueil de lettrei nouvelles donné par Faret (Paris , Toussaint du Bray, in-8<>), ils ont été faits pour Mme de Rambouillet, et au plus tard en 163 5 ; car, dans une autre lettre à Racan, datée du 18 octobre de cette même année, Malherbe en a reproduit trois vers, avec une variante que nous donnons plus bas.

Et maintenant encore en cet âge penchant.

mon peu de lumière est si près du couchant ,

Quand je verrois Hélène au monde revenue,

En Tétat glorieux Paris Ta connue.

Faire à toute la terre adorer ses appas, s

N'en étant point aimé, je ne Taimerois pas.

CSette belle bergère, à qui les destinées

Sembloient avoir gardé mes dernières années.

Eut en perfection tous les rares trésors

Qui parent un esprit, et font aimer un corps. t o

Ce ne furent qu*attraits, ce ne forent que charmes;

3-6. Vab. (lettre à Racan du 18 octobre i6a5) :

Quand je verrois Hélène au monde revenue.... Pleine autant que jamais de cbarmes et d'apfMS, N*en étant point aimé , je ne Taimerois pas.

POÉSIJ&S, XCV. «65

Sitôt que je la vis, je lui rendis les armes,

Un objet si puissant ébranla ma raison,

Je voulus être sien, j'entrai dans sa prison,

Et de tout mon pouvoir essayai de lui plaire, x 5

Tant que ma servitude espéra du salaire.

Mais comme j*aperçus TiaiSadllibLe danger

Où, si je poursuivois, je m'allois engager,

Le soin de mon salut m'ôta cette pensée ,

J'eus honte de brûler pour une âme glacée ; « o

Et sans me travailler à lui (aire pitié,

Restreignis mon amour aux termes d'amitié.

îi66 POÉSIES^ XCVl.

XCVI

ÉPI6RAMME POUR METTRE AU DEVAUT DE LA SOMME THÉOLOGIQUE DU P. GARASSE.

La Somme théologique du P. Garasse parut en 163 5. Cette épi- gramme et la suiTante, placées en tète de l'ouvrage, n*ont point encore été réunies aux œurres de Malherbe. Le livre du jésuite ayant été condamné par la Sorbonne, elles furent complètement oubliées, et ce n'est qu'en 1859 que M. Gh. AUeaume les a remises en lumière. (Voyez la Correspondance littéraire du ao mai iSSq.)

Esprits qui cherchez à médire, Adressez-vous en autre lieu ; Cette œuvre est une œuvre de Dieu : Garasse n'a fait que Técrire.

POÉSIES, XCVIL a67

XGVII

AUTRE A l'auteur DE CE UTRB.

En vain, mon Garasse, la rage

De quelques profanes esprits

Pense diminuer le prix

De ton incomparable ouvrage.

Mes vers mourront avecque moi, 6

On ton nom au nom de mon roi

Donnera de la jalousie ;

Et dira la postérité

Que son bras défit Thérésie,

Et ton savoir Timpiété. i o

%6S P0É5IES, XCVIIL

XCVIII

COirSOLATIOlf MOBSIEUa LE PREMIER PEéSIBElTT, SUR LA MORT DE MADAME SA FEMME.

« Malherbe, dit Ménage, fvt prêt de trois ans à fiûre ces stances sur la mort de la femme du premier président de Verdun; et, quand il les publia, le premier président étoit marié en secondes noœs arec Charlotte de Fondebon, tcutc de M. de Barbeûers de Chémeraut; ce qui leur fit perdre beaucoup de leur grioe. Je tiens toutes ces particularités de M. de Racan , de qui j*ai appris iusai que cette pre- mière femme du président de Verdun ë*appelloit Charlotte du Gué. b

Peu suis f&ché pour Racan, mais sa mémoire Ta ici fort mal serri, et il a induit en erreur Ménage, Saint-Marc et les antres commenta- teurs, qui d'après lui ont daté les vers de x6si ou 1 6s a. La première femme de Nicolas de Verdun mourut en i6s6, et son époux alla la rejoindre dans la tombe le 17 mars 1637, l'année même les stances de Malherbe parurent dans le Recueil des plus beaux vers^ après aroir été imprimées en feuille yolante. Nous sommes donc loin des trois ans dont parle Racan. Maintenant le président s'étant remarié très-peu de temps après la mort de sa première femme, il est évident que les vers peuvent fort bien n'avoir pas été terminés au moment de ses secondes noces, ni même avant sa mort. Mais vraiment on ne saurait en faire on reproche an poëte, qui ne pouvait pas se douter que son ami, « déjà très-avancé en âge, 1 se consolerait si vite et mourrait sitât.

Sacré ministre de Thémis ,

Verdun, en qui le ciel a mis

Une sagesse non commune; Sera-ce pour jamais que ton cœur abattu

Laissera sous une infortune 5

Au mépris de ta gloire accabler ta vertu ?

Toi de qui les avis prudents En toute sorte d accidents

POÉSIES, XCVIIL 969

Sont loués même de Tenvie , Perdras-tu la raison , jusqu'à te figurer i o

Que les morts reviennent en vie, Et qu'on leur rende Tàme à force de pleurer ?

Tel qu'au soir on voit le soleil

Se jeter aux bras du sommeU,

Tel au matin il sort de Tonde. 1 5

Les affaires de Thomme ont un autre destin ;

Après qu'il est parti du monde , La nuit qui lui survient n'a jamais de matin.

Jupiter, ami des mortels,

Ne rejette de ses autels 90

Ni requêtes ni sacrifices ; Il reçoit en ses bras ceux qu'il a menacés ;

Et qui s'est nettoyé de vices, Ne lui fait point de vœux qui ne soient exaucés.

Neptune , en la fureur des flots a 5

Invoqué par les matelots ,

Remet l'espoir en leurs courages ; Et ce pouvoir si grand dont il est renommé,

N'est connu que par les naufrages Dont il a garanti ceux qui l'ont réclamé. 3o

Pluton est seul entre les Dieux Dénué d'oreilles et d'jeux, A quiconque le sollicite; U dévore sa proie aussitôt qu'il la prend ;

i3, #4* Vab. (feuille Tolante) :

Tel que se cooche le soleil Au soir, accablé de sommeil.

%no POÉSIES, XCVIII.

Et quoi qu*on lise dHippoljte, 3 5

Ce quWe fois il tient, jamais il ne le rend.

S'il étoit vrai que la pitié

De voir un excès d amitié

Lui fît faire ce qu'on désire , Qui devoit le fléchir avec plus de couleur, 40

Que ce fameux joueur de lyre , Qui fut jusqu'aux enfers lui montrer sa douleur?

Cependant il eut beau chanter,

Beau prier, presser, et flatter,

n s'en revint sans Eurydice ; 4 5

Et la vaine fiatveur dont il fut obligé

Fut une si noire malice , Qu'un absolu refias l'auroit moins affligé.

Mais quand tu pourrois obtenir

Que la mort laissât revenir 5o

Celle dont tu pleures l'absence , La voudrois-tu remettre en un siècle effronté,

Qui plein d'une extrême licence Ne feroit que troubler son extrême bonté ?

Que voyons-nous que des Titans , 6 5

De bras et de jambes luttans

Contre les pouvoirs légitimes ? Infâmes rejetons de ces audacieux ,

Qui dédaignant les petits crimes , Pour en faire un illustre attaquèrent les cieux ? 60

Quelle horreur de flamme et de fer

40. Couieur^ apparence.

POÉSIES, XCVIII. a7i

N^est éparse comme en enfer

Aux plus beaux lieux de cet empire?

Et les moins travaillés des injures du sort,

Peuvent-ils pas justement dire 6 S

Qu'un honmie dans la tombe est un navire au port?

Crois-moi, ton deuil a trop duré;

Tes plaintes ont trop murmuré ;

Chasse Tennui qui te possède; Sans t'îrriter en vain contre une adversité, 70

Que tu sais bien qui n'a remède Autre que d'obéir à la nécessité.

Rends à ton âme le repos

Qu'elle s'ôte mal à propos,

Jusqu'à te dégoûter de vivre ; 7 S

Et si tu n'as l'amour que chacun a pour soi,

Aime ton prince , et le délivre Du regret qu'il aura s'il est privé de toi.

Quelque jour ce jeune lion

Choquera la rébellion , 8 o

En sorte qu'il en sera maître; Mais quiconque voit clair, ne connott-il pas bien

Que pour l'empêcher de renaître Il faut que ton labeur accompagne le sien ?

La Justice le glaive en main 8 S

Est un pouvoir autre qu'humain

Contre les révoltes civiles ; Elle seule fait l'ordre , et les sceptres des rois

N'ont que des pompes inutiles, S'ils ne sont appuyés de la force des lois. 90

A7» POÉSIES, XCIX.

XGIX

POUR MONSEIGNEUR LE CARDINAL DE RICHEUEU.

Saint-Marc a joint le premier aux ouTret de Malherbe oeUe pièce imprimée en i635 dans le Sacrifice des Muse* (Paris, in-4°)» ^t dont la date est donnée par le passage suivant d'une lettre écrite par le poète à Peiresc, le 19 décembre 1 6a6 : c Monseigneur le Cardinal m*a promis toute sorte de faTCurs.... Je lui donnai il y a enriron un mois ou six semaines un sonnet que je tous envoie. >

Peuples, çà de Tencens; Peuples, çà des victimes, A ce grand Cardinal, grand chef-d'œuvre des cieux, Qui n a but que la gloire, et n'est ambitieux Que de faire mourir Finsolence des crimes.

A quoi sont employés tant de soins magnanimes 5

son esprit travaille, et fait veiller ses yeux. Qu'à tromper les complots de nos séditieux. Et soumettre leur rage aux pouvoirs légitimes ?

Le mérite d un homme, ou savant, ou guerrier, Trouve sa récompense aux chapeaux de laurier, 1 o

Dont la vanité grecque a donné les exemples ;

Le sien, je l'ose dire, est si grand et si haut.

Que si comme nos Dieux il n'a place en nos temples.

Tout ce qu'on lui peut fiure est moins qu'il ne lui faut.

POÉSIES, C. ^73

C

PARAPHRASE DU PSAUME CXLV.

En i859y parut dans le Bulletin du bièliopkile un article rantenr, trompé par une indication erronée d*un manuscrit de la Bibliothèque impériale, voulait enlerer ces vers à Malherbe et les donner à lia- thnrin Régnier. Il n'avait point fait attention que cette ode, qui depuis deux cent trente ans figurait sans contestation dans toutes les éditions de Malherbe, avait été publiée du vivant même du poète et avec son nom, en 1637, dans le Recueil des plus beaux vers; et que, de plus, comme on le veira dans les notes, on connaissait par Racan différentes particulantés relatives à sa composition. Ainsi, il ne peut y avoir de doute : U pièce est bien de Malherbe, et le style seul suffirait, au besoin, pour démontrer qu'elle n'a jamais pu sortir de la plume du satirique.

Le psaume oxlt commence ainsi : Lauda, anima mea, Dominum, Malherbe n'en a paraphrasé, et très-librement, que les trois premiers versets.

PT espérons plus, mon âme, aux promesses du monde ; Sa lumière est un verre, et sa faveur une onde Que toujours quelque vent empêche de calmer. Quittons ces vanités, lassons-nous de les suivre;

C'est Dieu qui nous fait vivre, 5

C'est Dieu qu'il faut aimer.

3. Racan ayant objecté à Malherbe, dit Ménage, que dans ce vers rien ne se rapportait au premier hémistiche du vers précédent, le poète se rangea à son avis, et sur l'heure même et en sa présence, » il changea ainsi ce passage :

Son état le plus ferme est l'image de l'onde Que toujours quelque vent empêche de calmer.

Mais , comme on le voit d'après le Recueil de 1637 et l'édition de i63o, il en revint à sa première rédaction.

MALHVBBa. 1 18

2174 POÉSIES, C.

En vain pour satisfaire à nos lâches envies,

Nous passons près des rois tout le temps de nos vies

A souffirir des mépris et ployer les genoux.

Ce qu*ils peuvent n*est rien ; ils sont conmie nous sommes,

Véritablement hommes,

Et meurent conmie nous.

Ont-ils rendu Tesprit, ce n est plus que poussière Que cette majesté si pompeuse et si fière Dont Féclat orgueilleux étonne Tunivers ; 1 5

Et dans ces grands tombeaux, leurs âmes hautaines

Font encore les vaines,

Ils sont mangés des vers.

se perdent ces noms de maîtres de la terre, D'arbitres de la paix, de foudres de la guerre ; ao

Conmie ils n ont plus de sceptre, ils n'ont plus de flatteurs ; Et tombent avec eux d'une chute commune

Tous ceux que leur fortune

Faisoit leurs serviteurs.

9. Malherbe, à ce que dit Ménage, avant de s'arrêter à cette der- nière forme, arait écrit ce vers des deox manières suivantes :

A sooffirir leurs mépris et baiser leurs genoux. Et comme des autels adorons leurs genoux.

i5. Vab. (éd. de if)3i) : Étonnoit l'univers.

POÉSIES, CL «75

CI

POUR UN GENTILHOMME DE SES AMIS, QUI MOURUT

ÂGÉ DE CENT ANS.

Cette épitaphe a été imprimée en 1637 dans le JUeueil des plui heaux vers. Peraomie ne sait, pas même Ménage, pour qoi ni à quelle époque an juste elle a été composée.

N'attends, passant, que de ma gloire

Je te fasse une longue histoire,

Pleine de langage indiscret.

Qui se loue irrite Venvie;

Juge de moi par le regret 5

Qu'eut la mort de m'ôter la vie.

276 POÉSIES, Cil.

Cil

SUR LA MORT DE SON FILS.

tomrxT.

Le fils de Malherbe, Marc- Antoine, fut tué en duel ou plutôt dans une querelle, au mois de juin 1637, auprès d*Aix (voyez la notice en tète du Tolume). Le sonnet ci-dessous, imprimé au commencement de 1618, à la suite des deux pièces qu'il précède ici, ne figure point dans l'édition de i63o. Cest Ménage qui Ta réuni aux otuTres de Malherbe.

Que mon fils ait perdu sa dépouille mortelle, Ce fils qui (îit si brave, et que j'aimai si fort : Je ne Timpute point à Tinjure du sort, Puisque fijiir, à Thomme est chose naturelle.

Mais que de deux marauds la surprise infidèle 5

Ait terminé ses jours d'une tragique mort , En cela ma douleur n'a point de réconfort , Et tous mes sentiments sont d'accord avec elle.

O mon Dieu, mon Sauveiur, puisque par la raison

Le trouble de mon âme étant sans guérison, i o

Le vœu de la vengeance est un vœu légitime,

Fab que de ton appui je sois fortifié.

Ta justice t'en prie; et les auteurs du crime .

Sont fils de ces bourreaux qui t'ont crucifié.

i3, i4* L*nndes meurtriers s'appelait Fortia de Piles, et un bruit plus ou moins fondé le faisait descendre d'une famille de Juifs.

POÉSIES, cm. ^77

GIII

POUR LE ROI, ALLANT CHATIER LA RÉBELLION DES ROCHELOISy ET CHASSER LES AN6LOIS, QUI EN LEUR FAVEUR ETOIENT DESCENDUS EN l'ÎLE DE RÉ.

ODS.

Les Anglais s'étaient emparés de Tile de au mois de juillet 1627. Le Roi, parti de Paris le 10 juin, pour aller rejoindre son armée qui assiégeait la Rochelle , tomba malade en route, et n'airiya au camp que le 13 octobre.

Malherbe avait près de soixante-treize ans quand il fit cette ode, qui est l'une des meilleures et des plus correctes qu'il ait écrites. D'après une de ses lettres à son cousin de Bouillon , Û y travaillait encore le a 3 décembre 1637, lorsque depuis six semaines les Anglais avaient été chassés de l'ile. Le 3 avril suivant, il racontait à Peiresc les compli- ments qu'elle lui avait attirés de la part du Roi. Elle parut en i6a8, jointe à la lettre écrite à Louis XIU par le poëte au sujet de la mort de son fils, et que nous donnerons dans ce volume. Le tout forme 18 pages in-4®.

Donc un nouveau labeur à tes armes s'apprête; Prends ta foudre, Louis, et va comme un lion Donner le dernier coup à la dernière tête De la rébellion.

Fais choir en sacrifice au Démon de la France 5

Les fronts trop élevés de ces âmes d'enfer; Et n'épargne contre eux pour notre délivrance Ni le feu ni le fer.

Assez de leurs complots Tinfidèle malice

A nourri le désordre et la sédition. 1 0

278 POÉSIES, cm.

Quitte le nom de Juste, ou fais voir ta justice En leur punition.

Le centième décembre a les plaines ternies, Et le centième avril les a peintes de fleurs, Depuis que parmi nous leurs brutales manies 1 5

Ne causent que des pleurs.

Dans toutes lés fureurs des siècles de tes pères. Les monstres les plus noirs firent-ils jamais rien , Que rinhumanité de ces cœurs de vipères

Ne renouvelle au tien ? ^ o

Par qui sont aujourd'hui tant de villes désertes? Tant de grands bâtiments en masures changés? Et de tant de chardons les campagnes couvertes , Que par ces enragés?

Les sceptres devant eux n*ont point de privilèges; a s Les Lnmortels eux-méme en sont persécutés; Et c*est aux plus saints lieux que leurs mains sacrilèges Font plus d'impiétés.

Marche, va les détruire; éteins-en la semence; Et suis jusqu'à leur fin ton courroux généreux, 3o

Sans jamais écouter ni pitié ni clémence Qui te parle pour eux.

Ds ont beau vers le ciel leurs murailles accroître , Beau d'un soin assidu travailler à leurs forts , Et creuser leurs fossés jusqu à faire paroître 3 5

Le jour entre les morts.

Laisse-les espérer, laisse-les entreprendre;

POÉSIES, cm. 279

Il suffit que ta cause est la cause de Dieu;

Et qu'avecque ton bras elle a pour la défendre

Les soins de Richelieu. 40

Richelieu, ce prélat de qui toute Fenvie Est de voir ta grandeur aux Indes se borner, Et qui visiblement ne fait cas de sa vie Que pour te la donner.

Rien que ton intérêt n'occupe sa pensée ; 4 5

Nuls divertissements ne rappellent ailleurs , Et de quelques bons yeux qu'on ait vanté Lyncée, Il en a de meilleurs.

Son âme toute grande est une âme hardie , Qui pratique si bien lart de nous secourir, 5 o

Que pourvu qu'il soit cru, nous n'avons maladie Qu'il ne sache guérir.

Le ciel, qui doit le bien selon qu'on le mérite, Si de ce grand oracle il ne t'eût assisté, Par un autre présent n'eût jamais été quitte s 5

Envers ta piété*

Va, ne diffère plus tes bonnes destinées; Mon Apollon t'assure, et t'engage sa foi, Qu'employant ce Tiphys, Syrtes et Gyanées

Seront havres pour toi. 60

Certes, ou je me trompe, ou déjà la victoire. Qui son plus grand honneur de tes palmes attend , Est aux bords de Charente en son habit de gloire,

59. Tiphjrs, le pilote du narire des Argonaates.

%So POÉSIES, cm.

Pour te rendre content.

Je la vois qui t'appelle, et qui semble te dire : 65

« Roi, le plus grand des rois, et qui m*es le plus cher, Si tu veux que je t'aide à sauver ton empire, U est temps de marcher. »

Que sa façon est brave, et sa mine assurée! Qu'elle a fait richement son armure étoffer ! 7 o

Et qu'il se connott bien, à la voir si parée, Que tu vas triompher!

Telle en ce grand assaut, des fils de la terre La rage ambitieuse à leur honte parut. Elle sauva le ciel, et rua le tonnerre, 7 5

Dont Briare mourut.

Déjà de tous côtés s'avançoient les approches; Ici couroit Minas; Typhon se battoit; Et suoit Euryte à détacher les roches

Qu'fjicelade jetoit. s o

A peine cette Vierge eut l'affaire embrassée, Qu'aussitôt Jupiter en son trône remis, Vit selon son désir la tempête cessée, Et n'eut plus d'ennemis.

Ces colosses d'orgueil furent tous mis en poudre, s 5

Et tous couverts des monts qu'ils avoient arrachés ;

78. MinaSf lisez àfinuu,

81. Cest un souvenir de la Théogonie d*Hésiode (▼. 388 et suivants). La Victoire, avec ses sœurs la Force, la Puissance, etc., vint aider Jupiter à triompher des Titans.

POÉSIES, cm. a8i

Phlégre qui les reçut, pût encore la foudre Dont ils furent touchés.

L exemple de leur race à jamais abolie, Devoit sous ta merci tes rebelles ployer; 90

Mais seroit-ce raison qu^une même folie N'eût pas même loyer ?

Déjà letonnement leur fait la couleur blême; Et ce lâche voisin qu^ils sont allés quérir. Misérable qu*il est, se condanme lui-même 95

A fuir ou mourir.

Sa faute le remord ; Mégère le regarde. Et lui porte Tesprit à ce vrai sentiment. Que d'une injuste offense il aura, quoiqu'il tarde.

Le juste châtiment. i o o

Bien semble être la mer une barre assez forte, Pour nous ôter l'espoir qu'il puisse être battu; Mais est-il rien de clos dont ne t^ouvre la porte Ton heur et ta vertu?

Neptune importuné de ses voiles infâmes , i o 5

Conmie tu parottras au passage des flots , Voudra que ses Tritons mettent la main aux rames, Et soient tes matelots.

rendront tes guerriers tant de sortes de preuves, Et d'une telle ardeur pousseront leurs efforts,

110

87. Pli/, pue. Cest rancienne forme de la troisième penonne de puer^ primitivement ^«ir. 94. Les '

382 POÉSIES, cm.

Que le sang étranger fera monter nos fleuves Au-dessus de leurs bords.

Par cet exploit fatal en tous lieux va renaître La bonne opinion des courages françois ; Et le monde croira, s'il doit avoir un maître, Qu'il faut que tu le sois.

ii5

O que pour avoir part en si belle aventure

Je me souhaiterois la fortune d'Éson,

Qui, vieil comme je suis, revint contre nature

En sa jeune saison ! i a o

De quel péril extrême est la guerre suivie , je ne fisse voir que tout Tor du Levant N'a rien que je compare aux honneurs d'une vie Perdue en te servant?

I a 3

Toutes les autres morts n*ont mérite ni marque; Celle-ci porte seule un éclat radieux , Qui fait revivre l'homme, et le met de la barque A la table des Dieux.

Mais quoi ? tous les pensers dont les âmes bien nées Excitent leur valeur, et flattent leur devoir, x 3o

Que sont-ce que regrets quand le nombre d^années Leur ôte le pouvoir?

Ceux à qui la chaleur ne bout plus dans les veines En vain dans les combats ont des soins diligents ; Mars est comme l'Amom* : ses travaux et ses peines 1 3 5 Veulent de jeunes gens.

i35, i36. Oride a dit (^m., I, ix, 3] :

Que bello est habilis, Veneri quoque cooTenit Btas.

POÉSIES, cm. a83

Je suis vaincu du temps; je cède à ses outrages; Mon esprit seulement exempt de sa rigueur A de quoi témoigner en ses derniers ouvrages

Sa première vigueur. 1 4 o

Les puissantes faveurs dont Parnasse m'honore , Non loin de mon berceau commencèrent leur cours ; Je les possédai jeune, et les possède encore A la fin de mes jours.

Ce que j'en ai reçu, je veux te le produire; 1 4 5

Tu verras mon adresse ; et ton front cette fois Sera ceint de rayons qu'on ne vit jamais luire Sur la tète des rois.

Soit que de tes lauriers ma lyre s'entretienne , Soit que de tes bontés je la fasse parler, 1 5 o

Quel rival assez vain prétendra que la sienne Ait de quoi m'égaler?

Le fiimeux Amphion, dont la voix nonpareille Bâtissant une ville étonna l'univers. Quelque bruit qu'il ait eu, n'a point fait de merveille 1 5 5 Que ne fassent mes vers.

Par eux de tes beaux faits la terre sera pleine ; Et les peuples du Nil qui les auront ouïs, Donneront de l'encens, comme ceux de la Seine ,

Aux autels de Louis. 1 60

a64 POÉSIES, GIV.

CIV

FRAGMENT.

Saint-Marc a le premier réuni ce fragment aux œuvres de Mal- herbe. Il Ta tiré de la lettre à Louis XIII , dont il a été question dans la notice de la pièce précédente. Le poëte mourut, comme on sait, treize jours avant la prise de la Rochelle, qui eut lieu le 29 oc- tobre i6a8.

Enfin mon roi les a mis bas Ces murs qui de tant de combats Furent les tragiques matières ;

La Rochelle est en poudre et ses champs désertés N'ont face que de cimetières,

gisent les Titans qui les ont habités.

POÉSIES, CV. ;iS5

cv

k MONSIEUR DE LA. GARDE, AU SUJET DE SON

HISTOIRE SAIirTE.

ODB.

Cette pièce est Tune des dernières qa*ait faites Malherbe (il y parle, à la quatrième stance, de la mort de son fils), et pourtant on pourrait la croire de la jeunesse du poète, tant il y a de négligences et de mauvaises rimes; évidemment il n'a pas eu le temps d'y mettre la dernière main. £Ue fut publiée pour la première fois, «t avec une foule d'incorrections, dans le tome I de la Continuation des mémoires de littérature de M, de SaUngre (Paris, 1726), par le P. Bougerel , d'après une copie tirée des manuscrits de Peiresc (no xu), conservés actuellement à la bibliothèque de Carpentras. Le savant bibliothécaire de cette ville, M. Lambert, a bien voulu prendre la peine de collationner l'imprimé sur la copie , et grâce à lui nous avons pu donner un texte aussi exact que possible. Nous le prions de recevoir ici tous nos remerciments.

A l'ode était jointe une lettre que l'on trouTera plus loin. On ignore si V Histoire sainte a jamais été imprimée. Son auteur était un gentilhomme de Provence de la maison de Villeneuve.

La Garde, tes doctes écrits Montrent le soin que tu as pris A savoir toutes belles choses ; Et ta prestance et tes discours Étalent un heureux concours De toutes les grâces écloses.

Davantage tes actions

3. Ce n'est pas le seul hiatus de l'ode. Voy. t. 63.

ti88 POÉSIES, CV.

Félonne ne doit pas fiiir

Pour sa damnation nencourÎTi . 65

Et n'être en TErèbe remise.

Désolé je tiens ce propos,

Voyant approcher Atropos

Pour couper le nœud de ma trame ;

Et ne puis ni veux 1 éviter, 70

Moins aussi la précipiter ;

Car Dieu seul commande en mon âme.

Non, Malherbe n'est pas de ceux

Que Tesprit d enfer a déceus

Pour acquérir la renommée 7 5

De s'être affranchis de prison

Par une lame, ou par poison,

Ou par une rage animée.

Au seul point que Dieu prescrira,

Mon âme du corps partira So

Sans contrainte ni violence ;

De l'enfer les tentations,

Ni toutes mes afflictions

Ne forceront point ma constance.

Mais, la Garde, voyez comment 85

On se divague doucement.

Et comme notre esprit agrée

De s'entretenir près et loin,

Encor qu'il n'en soit pas besoin ,

Avec l'objet qui le récrée. 90

65. Damnation démît avoir ici quatre syllabes, coinme tentation et affliction f qui se trouyent nn peu plas loin (▼. 89 et 83). 74. Déceus^ déçus.

POÉSIES, CV. 289

J'avoîs mis ma pluftie à la main ,

Avec riionorable dessein

De louer votre sainte Histoire;

Mais Tamitié que je vous dois ,

Par delà ce que je voulois 95

A fait débaucher ma mémoire.

Vous m'étiez présent en Tesprit ,

En voulant tracer cet écrit ;

Et me sembloit vous voir paroître

Brave et galant en cette conr, 1 00

les plus huppés à leur tour

Tàchoient de vous voir et connoitre.

Mais ores à moi revenu ,

Comme d un doux songe advenu

Qui tous nos sentiments cajole ; 1 o 5

Je veux vous dire franchement,

Et de ma façon librement,

Que votre Histoire est une école.

Pom* moi, en ce que j'en ai veu

J'assure qu'elle aura l'aveu 1 1 o

De tout excellent personnage ;

Et puisque Malherbe le dit ,

Cela sera sans contredit.

Car c'est un très-juste présage.

Toute la France sait fort bien 1 1 5

Que je n'estime ou reprends rien

Que par raison et par bon titre,

Et que les doctes de mon temps

Ont toujours été très-contents

De m'élire pour leur arbitre. 1 2 »

Malhsrbk. 1 IM

î»9o POÉSIES, CV.

La Garde, vous m'en croirez donc,

Que si Gentilhomme fut onc

Digne d'étemelle mémoire,

Par vos vertus vous le serez.

Et votre los rehausserez i a 5

Par votre docte et sainte Histoire.

POÉSIES, CVI. agi

CVI

A MONSIE€B DE LA MORELLE, SUR LA. PASTORALE

DE l'amour CONTRAIRE.

SOITNET.

Je dois à Tobligeance de M. Marty Laveaux d'avoir pu retrouTer oe sonnety oublié jusqu'ici, et qui est placé en tête de PhUine ou r Amour contraire, Pojtoraiie, par le sieur de la Morelle, Paris, i630y in-S®. Le libraire, dans VA vis au lecteur, dit que cette pièce a été repré- sentée bien des fois sur le théâtre de l'hôtel de Bourgogne et dans les meilleures maisons de la France, et que ce sont des amis de l'auteur et entre autres Malherbe qui l'ont invité à la publier. —> La Morelle est encore l'auteur d'i^m/^mioit, tragi-comédie, Paris, 1637.

Si Ton peut acquérir par la plume la gloire D'un des plus beaux esprits qui soit en Tunivers, Je veux laisser juger aux filles de mémoire La grâce et le parler de tes amoureux vers :

Il semble en les voyant que Ton lise une histoire Traversée en amour d'accidents tous divers, Dont le discours parfait à tout chacun fait croire Que la prose n'est rien au prix de tes beaux vers.

Quand elles auront vu ce sujet qui ravi Si doctement dépeint, si dignement suivi , Sans doute elles diront, ainsi que je le pense.

Que pour favoriser les hommes et les Dieux

£t purger d'ignorants tout ce qu'on voit des cieux,

Il te faut marier avecque l'éloquence.

5

I (I

PIÈCES

DONT LA DATE EST INCERTAINE.

CVII

CHAH80H.

a Malherbe, dit Ménage, fit cette chanson et la saiTante pour M. de Bellegarde, qui étoit amoureux d*une dame de la plus haute condi- tion qui fût en France, et même dans l'Europe, » c'est-à-dire d'Anne d'Autriche, c Ce fut son dernier amour, raconte Tallemant (Historiette de M, de Bellegarde). Il disoit quasi toujours : c Ahl je suis mort! » On dit qu'un jour, comme il lui demandoit ce qu'elle feroit à un homme qui lui parleroit d'amour : c Je le tuerois, dit-elle. Ah ! je a suis mort! > s'écria-t-il. » Cest le refrain de la chanson de Malherbe.

Les deux pièces ont été sans aucun doute composées à la même époque. On pourrait donc les dater de 16^3, si la seconde était la chanson de 4^ 'v^n dont parle assez mystérieusement Malherbe dans une lettre à Racan du 4 novembre de cette année. Elles ont été im- primées pour la première fois en i63o.

Mes yeux, vous m'êtes superflus ; Cette beauté qui m'est ravie Fut seule ma vue et ma vie, Je ne vois plus, ni ne vis plus.

Qui me croit absent, il a tort, S

Je ne le suis point, je suis mort.

O qu'en ce triste éloignement, la nécessité me traîne ,

ayA POÉSIES, CVII. .

Les Dieux me témoignent de haine, Et m^affligent indignement !

Qui me croit absent, il a tort,

Je ne le suis point, je suis mort.

Quelles flèches a la douleur

Dont mon âme ne soit percée ?

Et quelle tragique pensée 1 3

N'est point en ma pftle couleur?

Qui me croit absent, il a tort.

Je ne le suis point, je suis mort.

Certes, Ton peut m* écouter,

J'ai des respects qui me font taire; lo

Mais en un réduit solitaire

Quels regrets ne fais-je éclater ?

Qui me croit absent, il a tort,

Je ne le suis point, je suis mort.

Quelle funeste liberté a 5

Ne prennent mes pleurs et mes plaintes. Quand je puis trouver à mes craintes Un séjour assez écarté?

Qui me croit absent, il a tort.

Je ne le suis point, je suis mort. Zu

Si mes amis ont quelque soin De ma pitoyable aventure, Qu'ils pensent à ma sépulture : C'est tout ce de quoi j'ai besoin.

Qui me croit absent, il a tort, 3 s

Je ne le suis point, je suis mort.

POÉSIES, CVIII. agS

CVIII

CHAKSOir.

Voyez la notice de la pièce précédente.

C'est assez, mes désirs, qu'un aveugle penser Trop peu discrètement vous ait fait adresser

Au plus haut objet de la terre ; Quittez cette poursuite, et vous ressouvenez

Qu^on ne voit jamais le tonnerre $

Pardonner au dessein que vous entreprenez..

Quelque flatteur espoir qui vous tienne enchantés , Ne connoissez-vous pas qu'en ce que vous tentez ,

Toute raison vous désavoue? Et que vous allez faire un second Ixion , i o

Cloué là-bas sur une roue , Pour avoir trop peimis à son affection ?

Bornez- vous, croyez-moi, dans un juste compas , Et fuyez une mer, qui ne s'irrite pas

Que le succès n'en soit funeste ; 1 3

Le calme jusqu'ici vous a trop assurés;

Si quelque sagesse vous reste , Connoissez le péril , et vous en retirez.

Mais, 6 conseil infâme, ô profanes discours,

II. L'édition de i63o et toutes celles qui sont antérieures à Ménage portent le has^ ce qui est éyidemment une faute d'impression.

%gfi POÉSIES, CVIIL

Tenus indignement des plus dignes amours s'i

Dont jamais âme fut blessée; Quel excès de frayeur m'a su faire goûter

Cette abominable pensée, Que ce que je poursuis me peut assez coûter?

D^où s'est coulée en moi cette Iftche poison, a 5

D'oser impudenmient faire comparaison

De mes épines à mes roses? Moi de qui la fortune est si proche des cieux.

Que je vois sous moi toutes choses , Et tout ce que je vois n'est qu'un point à mes yeux. 3o

Non, non, servons Ghrysanthe, et sans penser à moi. Pensons à l'adorer d'une aussi ferme foi

Que son empire est légitime ; Exposons-nous pour elle aux injures du sort ;

Et s'il faut être sa victime 3 >

En un si beau danger, moquons-nous de la mort.

Ceux que l'opinion fait plaire aux vanités, Font dessus leurs tombeaux graver des qualités ,

D'où à peine un Dieu seroit digne; Moiy pour un monument et plus grand et plus beau,

Je ne veux rien que cette ligne : « L'exemple des amants est clos dans ce tombeau. »

36. Suivant Ménage, Malherbe avait mis d^abord : En si »of»i^ danger^ et ce fut M. de Bellegarde qui lui fit faire le changement.

39. Encore on hiadif . Il se trouTe dans les éditions antérieures * Ménage^ qui a corrigé et mis doni.

i .

POÉSIES, CIX. !I97

CIX

POUR LA GUÉRISON DE GHRTSAlfTHE.

8TASCB0.

Chrysanthe, c'est-à-dire Anne d'Autriche , est le nom de Théroîne des deux pièces précédentes. Le même nom désigne-t-il ici la même personne? cela est possible, mais c'est tout ce cpie j'en puis dire. Ces stances ont été imprimées pour la première fois dans l'édition de i63o.

Les destins sont vaincus, et le flux de mes larmes De leur main insolente a fait tomber les armes; Amour en ce combat a reconnu ma foi; Lauriers, couronnez-moi.

Quel penser agréable a soulagé mes plaintes, 5

Quelle heure de repos a diverti mes craintes. Tant que du cher objet en mon âme adoré Le péril a duré?

J'ai toujours vu ma dame avoir toutes les marques De n'être point sujette à Toutrage des Parques; i o

Mais quel espoir de bien en Texcès de ma peur N'estimois-je trompeur?

Aujourd'hui c'en est fait, elle est toute guérie, Et les soleils d'avril peignant une prairie,

4* Ite triumphales circum mea tempora, lauri, a dit Oride (Am., II, xa, i).

%^ POÉSIES, CIX.

En leurs tapis de fleurs n'ont jamais égalé 1 5

Son teint renouvelé.

Je ne la vis jamais si fraîche, ni si belle; Jamais de si bon cœur je ne brûlai pour elle; Et ne pense jamais avoir tant de raison

De bénir ma prison. a o

Dieux, dont la providence et les mains souveraines. Terminant sa langueur, ont mis fin à mes peines , Vous saurois-je payer avec assez d'encens L'aise que je ressens?

Après une faveur si visible et si grande , a s

Je n'ai plus à vous fiedre aucune autre demande; Vous m'avez tout donné, redonnant à mes yeux Ce chef-d'œuvre des cieux.

Certes vous êtes bons, et combien que nos crimes Vous donnent quelquefois des courroux légitimes , 3o Quand des cœurs bien touchés vous demandent secours, Us l'obtiennent toujours.

Continuez, grands Dieux, et ne faites pas dire, Ou que rien ici-bas ne connott votre empire. Ou qu'aux occasions les plus dignes de soins, 3 5

Vous en avez le moins.

Donnez-nous tous les ans des moissons redoublées. Soient toujours de nectar nos rivières comblées; Si Chrysanthe ne vit, et ne se porte bien,

Nous ne vous devons rien.

POÉSIES, ex. 299

ex

A MONSIEUR GOLLETET9 SUR LA MORT DE SA SOEUR.

ÉPIGBAMMK.

Publiée, pour la première fois, par Ménage. Guillaume G>lletet, membre de 1* Académie française, en iSgS, mourut en 1659. On trouve, dans le second volume des Délices tie la poésie françoue (i6ao), des vers adressés à Malherbe par Colletet, qui en a mis aussi quel- ques-uns en tète de la traduction des Épures de Sénèque»

En vain, mon Colletet, tu conjures la Parque

De repasser ta sœur dans la fatale barque :

Elle ne rend jamais un trésor qu'elle a pris.

Ce que Ton dit d'Orphée est bien peu véritable.

Son chant n'a point forcé l'empire des Esprits, 5

Puisqu'on sait que l'arrêt en est irrévocable.

Certes, si les beaux vers faisoient ce bel effet.

Tu ferois mieux que lui ce qu'on dit qu'il a fait.

3. Malherbe a dit ailleurs (voyez pièce xcym, vers 36), en parlant de Pluton :

Ce qtt*une fois il tient, jamais il ne le rend.

3oo POÉSIES, CXI.

GXI

POUR UKE MAiSGARADE.

Publiées pour la première fois dans l'édition de i63o.

Ceux-ci de qui vos yeux admirent la venue, Pour un fameux honneur qu'ils brûlent d'acquérir, Partis des bords lointains d une terre inconnue , S'en vont au gré d'amour tout le monde courii*.

Ce grand Démon qui se déplaît 5

D'être profane comme il est.

Par eux veut repurger son temple ;

Et croit qu'ils auront ce pouvoir,

Que ce qu'on ne fait par devoir.

On le fera par leur exemple. i o

Ce ne sont point esprits qu'une vague licence

Porte inconsidérés à leurs contentements;

L'or de cet âge vieil régnoit l'innocence,

N'est pas moins en leurs mœurs qu'en leurs accoutrements;

La foi, l'honneur, et la raison 1 5

Gardent la clef de leur prison;

Penser an change leur est crime ;

17. Ce yen est ainsi dans une copi* conservée à la Bibliothèque impériale (Papiers de Baluze, i33), tandis qu'on lit dans les édi- tions de i63o et de 1 63 1 :

Penser au change leur est un crime,

ce qui donne une syllabe de trop au vers.

POÉSIES, CXI. 3oi

Leurs paroles n'ont point de fard ;

Et faire les choses sans art,

Est l'art dont ils font plus d'estime,

so

Composez-vous sur eux, âmes belles et hautes; Retirez votre humeur de l'infidélité; Lassez-vous d'abuser les jeunesses peu cautes, Et de vous prévaloir de leur crédulité;

N'ayez jamais impression s 5

Que d'une seule passion ,

A quoi que l'espoir vous convie;

Bien aimer soit votre vrai bien ;

Et, bien aimés, n'estimez rien

Si doux qu'une si douce vie. 3o

On tient que ce plaisir est fertile de peines, Et qu'un mauvais succès l'accompagne souvent ; Mais n'est-ce pas la loi des fortunes humaines , Qu'elles n'ont point de havre à l'abri de tout vent?

Puis cela n'advient qu'aux amours, 35

les désirs, comme vautours ,

Se paissent de sales rapines ;

Ce qui les forme les détruit ;

Celles que la vertu produit

Sont roses qui n'ont point d'épines. 40

3oa POÉSIES, CXII.

GXll

CHAKftOV.

Imprimée pour la première fois dans TéditioD de i63o.

Est-ee à jamaist folle espérance, Que tes infidèles appas M^empécheront la délivrance Que me propose le trépas?

La raison veut, et la nature, 6

Qu^après le mal vienne le bien ; Mais en ma funeste aventure, Leurs règles ne servent de rien.

C'est fait de moi, quoi que je fasse ;

J ai beau plaindre et beau soupirer, x o

Le seul remède en ma disgrftce.

C'est qu'il n'en faut point espérer.

Une résistance mortelle Ne m'empêche point son retour ; Quelque Dieu qui brûle pour elle Fait cette injure à mon amour.

Ainsi trompé de mon attente, Je me consume vainement , Et les remèdes que je tente, Demeurent sans événement.

1 ■»

90

POÉSIES, CXII. 3o3

Toute. nuit enfin se termine; La mienne seule a ce destin, Que d autant plus qu*elle chemine, Moins elle approche du matin.

Adieu donc, importune peste, a 5

A qui j*ai trop donné de foi ; Le meilleur avis qui me reste , C*e8t de me séparer de toi.

Sors de mon ftme, et t*en va suivre

Ceux qui désirent de guérir; 3o

Plus tu me conseilles de vivre,

Plus je me résous de mourir.

3o4 POÉSIES, CXIII.

CXIII

8TAVGB8.

Imprimées pour la première fois dans Tédition de i63o.

Quoi donc, ma lÀcheté sera si criminelle? Et les vœux que j'ai faits pourront si peu sur moi. Que je quitte ma dame, et démente la foi Dont je lui promettois une amour étemelle?

Que ferons-nous, mon cœur , avec quelle science 5

Vaincrons-nous les malheurs qui nous sont préparés? Courronfr-nous le hasard comme désespérés ? Ou nous résoudrons-nous à prendre patience?

Non, non, quelques assauts que me donne lenvie. Et quelques vains respects qu'allègue mon devoir, i o Je ne céderai point, que de même pouvoir Dont on m'ôte ma dame, on ne m'ôte la vie.

Mais va ma fureur? quelle erreur me transporte.

De vouloir en géant aux astres commander?

Ai-je perdu Tesprit, de me persuader 1 5

Que la nécessité ne soit pas la plus forte?

Achille, à qui la Grèce a donné cette marque. D'avoir eu le courage aussi haut que les cieux , Fut en la même peine, et ne put faire mieux

POÉSIES, CXIII. 3o5

Que soupirer neuf ans dans le fond d'une barque. a o

Je veux du même esprit que ce miracle d'armes,

Chercher en quelque part un séjour écarté

ma douleur et moi soyons en liberté,

Sans que rien qui m'approche interrompe mes larmes.

Bien sera-ce à jamais renoncer à la joie, 9 5

D être sans la beauté dont l'objet m'est si doux ; Mais qui m'empêchera qu'en dépit des jaloux , Avecque le penser mon âme ne la voie ?

Le temps qui toujours vole, et sous qui tout succombe, Fléchira cependant l'injustice du sort; 3o

Ou d'un pas insensible avancera la mort. Qui bornera ma peine au repos de la tombe.

La fortune en tous lieux à Thomme est dangereuse ; Quelque chemin qu'il tienne il trouve des combats ; Mais des conditions l'on vit ici-bas , 3 5

Certes celle d'aimer est la plus malheureuse.

i

30. Neuf ans! Lisez neuf mois, et c'est encore beaucoup plus que ne permet l'Iliade.

Samsin 8*était sans doute inspiré de Malherbe dans ces Ter s adressés au duc d*Enghien :

Achille beau comme le jour, Et vaillant comme son épée , Pleura neuf ans pour son amour, Comme un enfant pour sa poupée.

Ménage, en publiant les poésies de Sarrasin , remplaça neuf ans par neuf mois,

35. Je ne sais Saint-Marc a pris pour ce vers le texte suivant qu*il a adopté :

Mais des conditions que l*on voit ici-bas.

M\i.iisaBK. I

uo

3o6 POÉSIES, GXIV.

CXIV

CHAV80V.

Publiée pour la première fois dans Téditioii de i63o.

C'est faussement qu'on estime . Qu'il ne soit point de beautés ne se trouve le crime De se plaire aux nouveautés.

Si ma dame avoit envie 5

D'aimer des objets divers,

Seroit-elle pas suivie

Des eux de tout l'univers ?

Est-il courage si brave.

Qui pût avecque raison i ••

Fuir d'être son esclave,

Et de vivre en sa prison ?

Toutefois cette belle ftme ,

A qui l'honneur sert de loi,

Ne hait rien tant que le blâme . t s

D'aimer un autre que moi.

Tous ces charmes de langage

Dont on s'offre à la servir,

Me l'assurent davantage,

Au lieu de me la ravir. 90

POÉSIES, GXIV. 3o7

Aussi ma gloire est si grande D*im trésor si précieux, Que je ne sais quelle offirande M Va peut acquitter aux cieux.

Tout le soin qui me demeure, > 5

N^est que d'obtenir du sort, Que ce qu'elle est à cette heure , Elle soit jusqu'à la mort.

De moi , c'est chose sans doute.

Que l'astre qui fait les jours .1.»

Luira dans une autre voûte,

Quand j'aurai d'autres amours.

ioH ' POÉSIES, GXV.

ex?

KPIGBAMMV.

c U n'y a rien aa monde de plos béte que cette ^pigramme, > a dit André Chénier, et je mit complètement de ton aria.

Tu dis, Colin, de tous côtés, Que mes vers, à les ouïr lire, Te font venir des crudités, Et penses qu'on en doive rire ; Cocu de long et de travers, Sot au delà de toutes bornes, Conune te plains- tu de mes vers, Toi qui souffres si bien les cornes ?

7. Comme, comment.

POÉSIES, CXVI. 3o9

CXVI

BUR LA MORT D^VTX GENTILHOMME QUI FUT ASSASSINÉ.

sonraT.

Une copie autographe de ce sonnet, publié pour la première foii dans IVdition de i63oy est conservée à la Bibliothèque impériale dans les papiers de Baluze (Ms. n* i33).

Belle ftme aux beaux travaux sans repos adonnée, Si parmi tant de gloire et de contentement Rien te fâche là-bas, c'est Tennui seulement Qu'un indigne trépas ait clos ta destinée.

Tu penses que d'ivri la fatale journée, 5

ta belle vertu parut si clairement, Avecque plus d'honneur et plus heureusement Auroit de tes beaux jours la carrière bornée.

Toutefois, bel esprit, console ta douleur ; Il faut par la raison adoucir le malheur, £t telle qu'elle vient prendre son aventure.

Il ne se fit jamais un acte si cruel :

Mais c'est un témoignage à la race future ,

Qu'on ne t'auroit su vaincre en un juste duel.

lo. Dans Tédition de i63o, on lit, au lieu de malheur, une se- conde fois douieur.

FRAGMENTS

SANS DATE.

CXVII

FRAGMENT.

Cet deux itrophesy dirigées contre ]es mignon» de Henri III, ont paro pour 1a première foit dans l'édition de i63o.

Les peuples pipés de leui* mine,

Les voyant ainsi renfermer,

Jugeoient qu'ils parloient de s'armer

Pour conquérir la Palestine ,

Et borner de Tyr à Calis 5

L'empire de la fleur de lis;

Et toutefois leur entreprise

Etoit le parfum d'un collet,

Le point coupé d'une chemise

Et la figure d'un ballet. i o

De leur mollesse léthargique,

Le discord sortant des enfers,

Des maux que nous avons souflerts

Nous ourdit la toile tragique;

la justice n'eut plus de poids; < 5

L'impunité chassa les lois;

3ia POÉSIES, CXVII.

Et le taon des guerres civiles Piqua les ftmes des méchants, Qui firent avoir à nos villes La lace déserte des champs

%o

POÉSIES, CXVIII. ii3

CXVIII

FRAMTENTS.

A MOtfmOIlKUH Ut CABDIHAL DE HIGUBLISU.

Imprimés pour la première fois dans l'édition de i63o.

« J*ai su de M. de Racan , dit Ménage , que Malherbe avoit fait ces deux stances plus de trente ans avant que le cardinal de Richelieu, auquel il les adresse , fût cardinal , et qu'il en changea seulement les quatre premiers vers de la première stance pour les accommoder à son sujet. J'ai su aussi de M. de Racan que le cardinal de Richelieu, qui avoit connoissance que ces vers n'avoient pas été faits pour lui, ne les reçut pas agréablement quand Malherbe les lui fit présenter : ce qui fit que Malherbe ne les continua pas. »

Richelieu a3rant été créé cardinal en i6a3, ces vers remonteraient donc à l'année iSga tout au moins, suivant Racan et Ménage.

Grand et grand prince de TËglise,

Richelieu, jusques à la mort,

Quelque chemin que Thomme élise,

Il est à la merci du sort ;

Nos jours filés de toutes soies 5

Ont des ennuis comme des joies ;

Et de ce mélange divers

Se composent nos destinées,

Gomme on voit le com*s des années

Gomposé d'étés et d'hivers. x u

Tantôt une molle bonace Nous laisse jouer sur les flots; Tantôt un péril nous menace , Plus grand que Tart des matelots;

3i4 POÉSIES, GXyiII.

Et cette sagesse profonde x s

Qui donne aux fortunes du monde

Leur fatale nécessité,

N'a fait loi qui moins se révoque,

Que celle du flux réciproque

De rhem* et de Tadversité. ao

POÉSIES, CXIX. 3i5

GXIX

Ce fingmeiit, poblié pour la pranière fois dans réditîon de i63o, se rapporte bien probablement à l'ode sur la prise de Marseille. (Voyex la pièce ti.)

Tantôt nos navires, braves

De la dépouille d'Alger,

Viendront les Mores esclaves

A Marseille décharger ;

Tantôt, riches de la perte 5

De Tonis et de Biserte,

Sur nos bords étaleront

Le coton pris en leurs rives.

Que leurs pucelles captives

En nos maisons fileront. x o

I . c Bra9ê^ dit Nicot, ancunefois signifie superbe et bantain. j 6. Biserte, an nord-ooest de Tonis; son port, presque comblé au- j ourdirai, fut jadis on des meiUeors de l'Afrique.

3i6 POÉSIES, CXX.

cxx

FRAGMENT. Publié pour la première fois, je crois, dans l'éditioii de Ménage.

Elle étoit jusqu'au nombril Sur les ondes paroissante, Telle que Faube naissante Peint les roses en avril.

POÉSIES, GXXI. 3i7

GXXI

FUI d'une ode pour le roi.

Publiée pour la première fois dans Tédition de i63o. Ces ren se rapportent très-TTaisemblablemeiit à la pièce xxi.

Je veux croire que la Seine

Aura des cygnes alors,

Qui pour toi seront en peine

De &ire quelques efforts.

Mais vu le nom que me donne 5

Tout ce que ma lyre sonne,

Quelle sera la hauteur

De rhynme de ta victoire.

Quand elle aura cette gloire,

Que Malherbe en soit Fauteur ! i o

3i8 POÉSIES, GXXII.

CXXII

FRAGMENT d'uICB ODE d'hORACE.

Ce fragment est inédit, je Tai trooTé dans le manuscrit déjà enté des papiers de Balnze, 1 33. Je crois qne Tode d'Horace qne Mial- herbe aurait vonlu imiter, mais de très-loin, est la 1 3* du IV* livre.

Andiyere, Lyce, Di mea rota, Di Audivere, Lyoe : fis anus....

Voici venir le temps que je vous avois dit. Vos yeux , pauvre Galiste, ont perdu leur crédit, Et leur piteux état aujourd'hui me ùàt honte D'en avoir tenu compte.

POÉSIES, CXXIII. 3i9

GXXIII

A.1TTRB FRAGMEHT. Inédit et tiré da même manuscrit que le précédent.

Vous avez beau, mon berger,

Me déguiser le danger^

Je fiais bien que par mes larmes

Le jeu se terminera ;

Mais vos prières sont charmes;

Faites ce qu*il vous plaira.

viH DBS roÉsns.

APPENDICE.

LE LAGRIME Dl SAN PIETRO, DEL SIG. LUIGI TANSILLO, ET LES LARMES DE SAINT PIERRE, DE MALHERBE \

Le poème Le Lagrime di San Pietroy de Luigi Tansillo, est divisé en treize chants ou Plaintes (Pianto primo , Pianto se-- condo^ etc.). Il se compose de neuf cent onze octaves, formant en tout sept mille deux cent quatre-vingt-huit vers. L'imita- tion de Malherbe porte sur dix-neuf strophes prises çà et dans le premier chant, sur les cinq premières du second, et siu* les quatre premières du cinquième. Elle est excessivement li- bre. On en jugera par les extraits suivants du poëme italien*,

I. Nous deTons oette comparaison du poëme de Tansillo et de rîmitation de Malherbe a on homme de beaucoup de goût et de sayoir, et particulièrement trè8-ver»é dans la littérature italienne, M. Paul Tiby, qui a bien voulu nous permettre dVn enrichir notre édition. Nous le prions de recevoir ici nos plus sincères remercîments.

a. Nous avons conservé Torthographe et la ponctuation de Tédition de 1687, qui forme un volume in- 18, intitulé : Le Lagrime di S, Pietro eUl Sig» Luigi TansiUo, di nuovo ristampate con nuova gionta délie la-- grime délia Maddalena del Signor Erasmo Falwassone, et altre rime spiri- tuali delmolto R, D. Angelo Grilla^ non piu vedute^ et ora novamente date in luce. In Genova, appresso Girolamo Sartoli^ MDLXXXVII. Dans le Pianto settimo, strophe vm* (page 70), on lit ces deux vers :

// mille cinque cent o y e settant* uno Anno chiuae hoggi il ciel girando intorno^

qui montrent qu'à la fin de 157 1 TansiUo n'avait point encore achevé son poëme.

Malhehbr. I ui

3!i2 APPENDICE.

dans lesquels est contenu tout ce qui, de près ou de loin, a pu servir d'inspiration au poëte français. Ces passages, qui don- nent matière à de curieux rapprochements , sont en outre in- téressants par eux-mêmes, et souvent remarquables pour la pensée et surtout pour le style.

PIANTO PB1MO.

Le lagrime, e le voci accoglio in rima,

Che da gli occhi, e dal petto uscir di PIERO ;

Che vinto dal timor di croce prima,

Fra la lingua, ed il cor smarrî '1 sentiero ;

E di vita mortal facendo stima ;

Nego di vita, e morte il Signor vero.

II

Ma chi darammi di la su favore, Altri, che Musa, o che '1 Signor di Delo? O tu, c'havesti il novo, etemo honore D'aprir', e di serrar gli usci del Cielo; Impetra al petto il lume de Tardore, Che venne al tno, quando si mppe il gelo De la paura, e col sno canto il gallo, A pianger ti desto rhorrihil faI1o^

xxxvin

il MAGNANIMO PIETRO, che gîurato Havea tra mille lance, e mille spade, Al suo caro Signor morire à lato; Quando s'accorse, vinto da viltade.

I . Comparez ces deux sUmces avec les douxe premier» vert de la pièce de Malherbe, p. 4.

LES LARMES DE SAINT PIERRE. 3i3

Nel gran bisogno haver di mancato; La vergogna, el dolore, e la pietade Del proprio fallo, e de Faltrai mardro ; Di mille punte il petto gli feriro '.

XXXIX

Ma gli archiy cbe nel core gli aventaro

Le saette piu acute, e pin mortali;

Fur gli occhi del Signor, quando il miraro :

Gli occhi fur gli archi, e ^i guardi fur gli strali,

Che del cor non contenti, sen' passaro,

Fin dentro à Valma; e vi fer piaghe tali,

Che bisogno mentre che visse poi,

Ungerle col licor degli occhi suoi.

XLDI

Più fieri (parea dir) son gli occhi tuoi De l'empie man, che mi porranno in croce ; Ne sento colpo alcun, che si m'annoi Di tandy ch'altmi forza in me ne scocca; Qnanto il colpo, ch' uscio de la tua bocca*.

XUV

< Nessun fedel trovai, nessun cortese Di tanti, c' ho degnati ad esser miei : Ma tu, dove '1 mio amor via più t'accese, Perfido, e ingrato sovr' ogn' akro sei. Ciascun di qnei sol col fuggir m'offese , Tu mi negastiy ed hor con gli altri rei, Par, che ti paschi del mio danno gli occhi; E che la parte del piacer ti tocchi'. >

I. Comparez Malherbe, yen 43 à 48, p* 6.

1. Comparez Malherbe, yen 49~^4» 61-66, p. 6.

3. Comparez Malherbe, yera 79-90, p. 7.

324 APPENDICE.

XLV

Chi 'l men de le parole dir potesse Di sdegno, di pietade, e d'amor piene ; Che parve à Pietro di veder impresse Nel sacro giro de le due serene Lnci ; scoppiar faria chi Tintendesse : Ma se d'occhio moital sovente viene Virtù, che 'n noi puo si : chi M prova, pensi, Che potè occhio divin ne gli human sensi*

LI

Bramoso d'incontrar chi giusta pena Desse al sno grave error, poiche paum I>i maggior mal Tardita man raffrena; Per le folt' ombre de la notte oscora, Sen' va gridando, ove'l dolor lo mena : E la vita, che dianzi hebbe si à cura, Hor più ch' altro odia, e sol di lei si dnole; E perche M fece errar, più non la vuole'.

LTI

•i Yattene vita, va (dicea piangendo) Ove non sia chi t*odii, e chi ti sdegni. Lasciami sol, che non è ben, ch' essendo Compagnia cosi rea^ meco ne vegni. Vattene vita, va : ch' io non intendo, Ch' un' altra volta ad esser vH ra'insegni. Non vô, per allungar tue frali tempre, Uccider l'Aima nata à viver sempre*. »

i. Comparez Malherbe, ver» 91-96, p. 7 et 8.

2. Comparez Malherbe, ver» 109-114, iai-ia6, p. 8 et 9.

3. Comparez Malherbe, ver» 1 27-1 38, p. 9.

LES LARMES DE SAINT PIERRE. SaS

LV

< A quanti, gia felici in giovanezza, Reco rindn^o tno longhi tormenti? Che s'innanzi al venir de la vecchiezza Sciolti fosser del Mondo, assai contenti Morti sarian poiche non fermezza Stato alcun, che dilettî, 6 che tormenti ^

LVI

< Non trovava mia si duro intoppo,

Se ta* non stavi insin ad hoggi meco;

Se non m' havesse il desiarti troppo

Il senno tolto e la memoria seco,

Pensar dovea ch' io vidi dar* al zoppo

Il pièy la lingna al ninto, e gli occhi al cieco ;

E quel che giù maravigliar Fombre

Render Taninie à i corpi ond^ eran sgombre,

LVII

« Quest' opre, e più, che1 Mondo, ed io sapea ;

Ramentar mi dovean, cheM lor fattore

Fontana di sainte esser dovea;

E sgombrar del mio petto ogni timoré.

Di quà si puo veder, mentr' io temea

S'era di senno, e di me stesso fuore;

Gh' al gran periglio ricercando aita,

Per tema di morir, negai la vita'. >

I. Comparez Malherbe, vers iSy-iôa, p. lo.

a. La rita.

3. Comparez Malherbe, vers 169-186, p. 10 et f i.

3a6 APPENDICE.

UX

« O quanto deimo à Valta gratia Iode Quei fanciaHettiy che moriron santi, Quando la cmdeltà del fiero Herode Per uccideme un sol, n'uccise tanti? Gh' inabili al mal fare, ed à le frode ; Morir poteron, che peccare inanti; E quasi fior, pria lîan translati in cielo ; Che vento in terra mai gli oltraggi, 6 gelo.

LX

« Quant^ utile lor l'età novella, Tanto il me lasso la matura noce. Essi non negar Dio con la favella. Corne fec' io per tema de la croce ; An» perche non erano atti in quella, A trar de petti intelligibil voce; Lasciando aprir le pargolette gole, li dieder sangue in vece di parole.

LXI

K Non con la lingua, no ; ma con la morte Si fer preconi etemi del suo nome; E le madri vedran ne Talta corte Corona à molti, a cni non vider chiome. O troppo rara sorte (se pur sorte A noi dir lice) senza saper come Si pugna, eteme palme havran di guerra; E andran nel ciel, senza calcar la terra.

LXII

< Madri felici, che da vostri petti Sveller vedeste i dolcî, e cari figli;

LES LARMES DE SAINT PIERRE. îa^

Deh non piangete voi lor morte pia.

LXIII

< Se voi sapeste il fmtto, ch' uscir debbe De la pioggia di quel sangue ionocente ; Quel sangue, che Faltr'* hier la terra bebbe, E'n ciel fia riservato etemamente ; Non pur la morte lor non vi dorrebbe, Ma di quante n' il Mondo più contentp Con ragion yi terreste, e più felici: Di » bei fiori essendo voi radici.

LXIV

« Con quanto plauso imaginar si pote, Che accolti fian quegli angioletti belli ; Le sedie empiendo, che tanti anni vote Lasciate havean gli spiriti mbelli? Fra quai suon, fra quai canti, e fra quai note, A schiera à schiera, quei guerrier novelli, Vestiti à bianco, se n'andranno ovanti Al trionfo di Cristo intomo, e innanti ^ »

LXVI

c Ma io, che debbo altro, che pianger sempre, Fin che piangendo il vecchio corpo atterri Poiche bisogna, che^ furor si tempre, dal carcer mortal me stesso sferri? Ma senza oprar più dolorose tempre, Senza cercer veleni, lacci, o ferri ; Ahi lasso, e non dovria se fosse forte, Bastar la doglia sola à darmi morte' ? »

I. G>mparez les six stances précédentes avec les vers 187 à 358, p. II, la et i3.

3. Gmiparez vers 359-370, p. i4-

UH APPENDICE.

nAKTO SBCOITDO.

I

Cosi piangendo, Pietro ; ed accusando Se stesso nel pensiero ; à capo chino Sen gia, ne sapea dove ; al pie lasciando, Non à l'occhio, Tarbitrio del camino, Senza avedersen' unqua, caminandoy O fosse caso, 6 pur voler divino ; Ne rhorto capito, donde la sera, Seguendo il sao Signor, partito s^era.

II

Corne padre dolente, che sotterra Lasciando il morto figlio, esce del Tempio; E mentre incerto sospirando egli erra, Giunge à la piazza, ove^l di stesso Tempio Ferro Tuccise, e rossegiar la terra Vede del fresco sangue ; al cmdo scempio, Rinova il grido, e più, che prima piange Tal, che la doglia par, che'n rabbia cange.

m

Cosî '1 buon vecchio, che più amava ei solo, Che qaanti padri ha il Mondo accolti insieme ; Giungendo à Thorto, ove'l nemico stuolo li toise il sao Signor, più forte geme : Ma visto de' suoi piè stampato il suolo, Troppo grave dolor TAlma li preme : Hor le voci, hor le lagrime radoppia ; E d'ira quasi, e di cordoglio scoppia.

LES LARMES DE SAINT PIERRE. 3^9

IV

c Se de la gratia tua, che' miei demeiti M' hanno tolta (dicea) mi resta tanto, Padre del ciel ; che di toccar' io merti Il terren tocco dal tuo piede santo; Poiche' ndegno son fatto di vederti: (E tutta via crescea ne gli occhi il pianto) Se l'amor mio giamai caro ti fue; Famroi morir sopra qnest' onne tue.

« Orme felici, e da quel piè stampate» Di coi sendron lieve, e dolce incarco, L'accpie, che furo à tanto honor degnate ; Gom' lior vi vedo in terra, cosi carco Di meraviglia, io v'ho spesse fiate Viste nel mare : e voi seguendo, il varco Hebbi ; e la Fe mi fè, dov' altri afibnda, Indorar sotto i piè la liqnid' onda^ »

PIANTO QUIMTO.

I

La cara à malfattori ombra notturna, Da se sgombrava il Mondo; dal cui destro Lato Taurora uscia, di lagrime uma Versando innanzi al giorno, e non canestni Di vaghi fîor, con la sua mano eburna, Macchiata il volto di vapor terrestro ; E'I biondo crine^ ond' ella indora il cielo Avolta d'atro, e nubiloso vélo.

I . Comparez ces cinq stances avec les vers 271 -3a4y p. 1 4, 1 5 et i

33o APPENDICE.

n

n Sol vema appo lei, corne persona,

Oie va dove altri à fona la sospinge:

E qaanto sfena l'altre volte, e sprona

I suoi destrier, tant' hor gli affrena, e stringe;

Torbido gli occhi, e senza la corona

Di chiari rai, che l'anree chiome cinge;

Sdegnando haver di raggi il capo avinto,

Qoando di spine, il suo fattor Tlia cinto.

III

L'aer di nebbia grave à gli occhi infesto, Sembrava d' ogni intomo infetto, ed egr6 : Ogni aogelletto, ch' à quel tempo desto, Sdatar suole il giorno in rami allegro ; Tacito apparve in ramo, o in siepe mesto, Odiando con il Chiaro, corne il Nero, E 'n veoe saa per gli antri, e per le mpi S'udian pianger buboni, ed nrlar Inpi.

IV

Crebbe il dolore, e crebbe la vergogna Nel cor di Pietro, à Tapparir del giorno ; E benche non vegga altri, si vergogna Di se medesmoy e di cio c'ha d'intomo; Ch' d magnaDimo spirto non bisogn. La vista altnu, per arrossir di scomo * Ma di se si vergogna talhor, ch' erra; Se ben no'l vede altro, che cielo» e terra ^

I . Comparez cet quatre ttanoes avec les Yen 36i à 398, p. 1 7 et 18.

INSTRUCTION DE MALHERBE A SON FILS. 33i

II

ursTRUCTioir de f. de Malherbe a son fils.

M. Roax-Alpheran , dans ses Recherches 6iographiques sur Mal" herbe fi84o), a le premier fait connaître cet écrit , qui, sans aToir aacnne Talenr littéraire, donne de curieux renseignements sur quelques points de la yie du poète. Quelques années plus lard (1846), M. Ph. de ChenncvièrM en a publié le texte complet, diaprés le SMauscrit de la Bibliothèque d*Aix signalé par M. Ronx- Alpberany et qui n'était malheureusement qu'une copie pleine de fautes de tout genre. Le texte que nous reproduisons ici a été oolk* tionné par nous sur le manuscrit autographe de Malherbe oonserré à la Bibliothèque de Carpentras , et dont les éditeurs précédents avaient ignoré l'existence. Cest un petit in-8^| doré sur tranche, relié en parchemin et coté n^ aoi. Sur la garde on lit : Généedogie de Mal" herbe Saini'Aîgnan, MM. Roux-Alpheran et de Chennerières ont donné à cet opuscule le seul titre qui lui couTÎnt, et nous le lui

Il y a d'autres que nous qui portent le nom de Malherbe en Normandie, mais à la distinction de ceux-là nous nous appe- lons Malherbe de Saint- Agnan.

La terre de Saint-Agnan, à cinq lieues de Caen, du côté du Bocage, n'est plus aujourd'hui à notre maison, quoique tou- jours elle s'appelle Saint- Agnan-le-Malherbe. Elle fut vendue par l'un de nos prédécesseurs pour le voyage de la terre sainte.

Plusieurs autres terres portent encore le nom de notre mai- son, comme Neuilly-le -Malherbe^ et autres, et toutefois ne sont plus à nous; les unes ayant été aumônées* aux églises, comme Bléville, par Fouques Malherbe , à l'abbaye de Caen, comme il se voit par la fondation; les autres vendues, et les

1. Neuillv-le-Malherbe, dans l'arrondissement de Caen. 3. Données en aumône.

33» APPENDICE.

autres , par mariages , passées en maisons étrangères , comme celle de Jony, en Picardie, fut par une fille de notre maison, avec plusieurs autres , emportée en la maison de Pellevé, elle est encore aujourd'hui.

En la chronique de Normandie, il y a un chapitre exprès des seigneurs, princes, chevaliers et barons qui accompagnèrent le duc Guillaume à la conquête d'Angleterre, entre lesquels est la Haye Bfalherbe , d'où nous sommes sortis, lequel étoit ba- ron de la Haye en CQtentin; et parce que l'on pourroit dire que ce pouvoit être de l'autre race des Malberbes que l'on appelle Malherbe de la Meausse, cela se résout pour nous» parce que le duc Guillaume ayant fait peindre toutes les ar- moiries des maisons illustres qui l'avoient suivi au voyage d'Angleterre, les nôtres se trouvent en ce nombre tant en une salle de l'abbaye de Saint-Étienne de Caen, qui est de sa fon- dation, qu'en une de l'abbaye de Saint-Michel au rivage de la mer, en la basse Normandie. Nos armoiries sont d'argent à six roses de gueules et des hermines de sable sans nombre.

Il se trouve force documents de notre maison en la chambre des comptes de Paris, et en celle de Rouen, en plusieurs fon- dations d'églises , et ailleurs en beaucoup de maisons nobles avec lesquelles nous avons eu alliance par le passé, comme de Nocy, Pellevé, Tesson et autres.

Mon père peut aujourd'hui posséder six ou sept cents écus de rente, selon l'estimation que plusieurs fois j'en ai oui faire, et même dernièrement quand je partis de Normandie au mois de décembre 1 699.

Mon grand-père étoit cadet de sa maison. Son aine étoit sei- gneur de Mondreville, Merville et plusieurs autres terres.

Ma grand'mère paternelle étoit de la maison d'Elbeuf ^ il y avoit alors cinq ou six terres nobles, desquelles, par mauvais ménage, il en est bien à peine demeuré une aux mains de l'héritier.

Ma mère s'appelle Louise le Yallois, fille de Henri le Vallois, seigneur d'Ifs, à demi-lieue de Caen, et de demoiselle Ca- therine le Joly, héritière de plusieurs biens roturiers tant à Bréteuille la Pavée qu'à Louvigny.

De ce Henri le Vallois, sieur d'Ifs, et de ladite Catherine le Joly sortirent plusieurs enfonts, desquels ceux que j'ai vn^

INSTRUCTION DE MALHERBE A SON FILS. 333

sont : Louise le Vallois, ma mère, Jean le Vallois, Charlotte et Marie le Vallois.

Charlotte et Marie sont tontes deux décédées, Charlotte sans enfants. Marie, mariée au sieur de Maizet, a laissé un seul fils, marié aujourd'hui à une des filles de Fontaines-Estoupefour.

Jean le Vallois, sieur d'Ifs, leur frère et mon oncle, fut en premières noces marié avec une sœur du sieur de Lamber- ville, maître des requêtes, et depuis l'un de ses héritiers.

De ce mariage étoit sortie Marie le Vallois , fille unique, qui mourut un quart d'heure après sa mère, l'an 1687, ce me semble.

Mon oncle se remaria avec demoiselle Jeanne de Mainbe« ville, sœur et l'une des héritières du sieur de Comiers.

De ce mariage sortit une fille qui est aujourd'hui mariée avec François de Malherbe , sieur de Bouillon et d'Escorche- beuf , qui est l'aîné de notre maison. Elle peut avoir aujour- d'hui seize ans. Son père mourut peu de temps après qu'elle fîit née, si bien qu'elle est demeurée seule héritière de ladite terre d'Ifs et des biens assis à Bréteuille la Pavée, qui avoient appartenu à ladite Catherine le Joly, sa grand'mère et la mienne. Dieu la fasse vivre et lui donne des enfants. Si elle n'en avoit point, mon cousin de Maizet , sorti de ladite Marie le Vallois, dont j'ai fait mention, et nous, en serions héri- tiers. S'il n'y avoit autre bien que le noble, nous l'emporte- rions par-dessus mondit cousin de Maizet, parce que nous sommes de Louise le Vallois, fille aînée dudit Henri le Vallois, sieur d'Ifs, et encore l'emporterois-je au préjudice de mon frère, parce que je suis son aîné, et le premier de tous les en- fants sortis du mariage de mesdits père et mère.

Nous avons été neuf enfants : François, Jeanne, Éléazar, Pierre, Josias, Marie, Jeanne, Etienne et Louise.

Jeanne la première, Josias et Etienne, sont morts en enfance. Pierre mourut à Lisieux, au retour du siège de la Fère*. Je crois que lors il n'avoit que dix-sept ou dix-huit ans.

La seconde Jeanne décéda il y a environ huit ou neuf ans, et a laissé plusieurs enfants mâles, ayant été mariée avec le sieur Fauconnier, trésorier de France.

I. En i58o.

^

3'i4 APPENDICE.

Marie est mariée au sieur de Réveillou Puteooste, doni elle a des enfants.

Louise est veuve du sieur de Gouloiiibiers*GQerville, et en a un fils et une fille. Elle fut mariée cependant que j*étois en ce pays ici, au second voyage que j'y ai fait, et ledit sieur de Goulombiers son mari décéda de peste en l'année i588y an mois d'août, le même jour que j'arrivai à Gaen, si bien que je ne l'ai point vu.

Mon frère est marié avec demoiselle Marie Lambert, dame en partie de la terre d'Ouville près Falaise. En faisant son mariage, mon père lui a donné un état de conseiller au siège présidial de Caen , qu'il lui avoit baillé dès Tannée ^3 ou 84 ; maïs il faut que mon frère m'en tienne compte de la moidé, parce que, par la coutume de Normandie réformée devant ledit mariage, un père ne peut directement ni indirectement avancer un fils plus que l'autre.

Cet état valoit douze cents écus pour le moins, quand mon père le lui bailla, de sorte que je lui en veux demander six cents avec les intérêts depuis ce temps-là , qui sont vingt ou vingt-deux ans.

Je fais compte que ceci m'acquitte trois cents écus que je dois au sieur Fauconnier et dont je lui fais la rente au denier dix, et vingt écus de rente que je fais à Harcourt pour deux cents écus qu'il me prêta pour le voyage de ma femme, quand elle s'en revint en ce pays ici.

Le contrat fait avec ledit Fauconnier contient quatre cents et quelques écus de principal, mais la vérité est que je n'en reçus que trois cents livres. Le surplus étoit déjà audit Fauconnier, pour pareille somme par lui prêtée à mon père pour l'achat de la petite maison qui est près de la nôtre, ainsi que mon père me le dit.

Mon cousin de la Pigacière, Pierre Malherbe, m'a piégé ^ envers ledit Fauconnier de ladite somme de trois cents livres, dont mon père lui a fait une promesse de l'indemniser, dans laquelle promesse il déclare que je n'ai touché que lesdites 3oo livres, et qu'il devoit le reste auparavant.

Pour le regard de ce que je suis signé au mariage de mon

1. Cautionné.

INSTRUCTION DE MALHERBE A SON FILS. 335

frère, cela ne me peut préjudicier pour ma part dudit office, parce que mon père m'y mena et que pour son respect seul je me signai audit mariage.

De toutes ces affaires et autres que je puis ou pourrai avoir en Normandie, j'espère avec l'aide de Notre-Seigneur en en- voyer des mémoires plus amples à ma femme, aussitôt que je serai arrivé par delà , et lui envoyer aussi le rôle bien parti- culier des biens que mon père possède, et des papiers que j*ai par delà concernant les affaires de deçà , comme sont les quit- tances de Mme d'Oise, héritière du sieur du Yillars, et du ca- pitaine Benoît de Languedoc et autres.

S'il falloit plaider contre mon frère, il lui faudra, outre ce que dessus, objecter que toujours il a été nourri et entretenu aux dépens de la maison, de laquelle il n*a jamais bougé, même depuis qu'il a ledit office , ni depuis qu'il est marié , sinon peut-être un an qu'il demeura en la maison du sieur de l'Escarde tout vis-à-vis de la nôtre, il recevoit ordinai- rement plusieurs provisions nécessaires. Hormis ladite année, il a continuellement demeuré chez mon père, et lui et sa famille ont été nourris aux dépens de la maison, lui, sa femme et ses enfants, vivant à la table de mon père ; et quand pour le mé- nage mon père et ma mère, aux mois de juillet, août et sep- tembre, se retiroient aux champs, mondit frère, sa femme, enfants et serviteurs s'y retiroient aussi, vivant aux dépens de mon père, ce qui est notoire à tout le monde.

Pour moi, en l'année 1576, je partis de chez nous au mois d*aoùt, et n'y revins qu'en avril i586, dix ans après. Durant cette absence, je n'ai pas eu un liard de la maison.

Comme j'y fus arrivé audit an 86, au mois d'avril, ma fenune m'y suivit au mois de juillet ensuivant, et dès le mois de sep« lembre nous nous retirâmes au logis de ma cousioe de Mon- dreville, vivant du notre, sans aucun secours de ma maison, que peut-être un tonneau de cidre. De vint que je fus con- traint d'emprunter six cents écus de M. du Yillars, trois oents du capitaine Benoit et trois cents du sieur Fauconnier dont il a été fait mention par ci-devant : de toutes lesquelles sommes il m'a fallu entretenir moi et ma famille depuis le- dit an 86, en septembre, jusques en l'an 93 que ma femme s'en revint en Provence. Après qu'elle fut partie, je me tins

336 APPENDICE.

toujours séparé , et n*allois que fort rarement manger chez mon père.

En l'an gS, an mois de mars, je m'en revins en Provence, cl*où je ne fns de retour que jusques en 98, au mois d'août.

Durant l'absence de ma femme, ma fille Jourdaine fut nourrie chez mon père, avec Madeleine, fille de ma soeur de Réveillon, jusques au mois de juin 1 699, qu'elles décédèrent de la peste ^Q même semaine.

Ledit an 1 599, au mois de décembre, je partis de Normandie et m'en revins en ce pays, 011 je suis encore aujourd'hui 160 5, ce dixième de juillet.

De toutes lesquelles choses il se voit le peu de dépense que j'ai £aite à mon père ; et pour l'entretien des écoles, je n'ai jamais été que six mois en pension chez les Philippes à Gaen, à Paris un an avec mon cousin de Mondreville le jeune , puis derechef à Caen chez Varin , un an sous l'Amy mon précep- teur, et après sous Dinot* environ six ou sept mois à Caen, et enfin sous lui-même deux ans en Allemagne.

Mon frère a été aussi longtemps à Paris et en plusieurs pen- sions à Caen. Quand il n'a point été en pension , il a eu on précepteur en la maison.

J'ai discouru tout ceci afin que si mon frère de bonne foi ne vouloit faire raison à mon fils, il ait de quoi se la faire faire. Dieu me fera, s'il lui plaût, la grâce de vivre pour le délivrer de cette peine, et lui conserver ce que nature lui a donné.

J'ai id une déclaration que mon frèi« m'a envoyée, par la- quelle il me reconnoît, et après moi mon fils Marc-Antoine, son héritier en la moitié de tous ses biens présents et à venir. La- dite déclaration est du 24* septembre 1 60a, passée à Caen devant Horace le Forestier, et Nicolas Roque , tabellions dudit Caen.

Ma femme est Madeleine de Carriolis, fille de messire Louis de Carriolis, président au parlement de Provence, et de dem<»- selle Honorée Descalis. Son bien consiste en trois mille écus mis sur la communauté de Brignole , et huit cents écus constitués en rente sur la ville de Tarascon au denier doute.

Les trois mille écus de dot de ma femme furent premièrement

I . Richard Dinoth, pastenr protestant, mort vers i585.

INSTRUCTION DE MALHERBE A SON FILS. 337

mis sur la communauté de Soliers, par acte du dernier de jan- vier i585, et depuis, en avril iSSg, ils furent par M. Sébas- tien Loup, M* procureur, étant nous en Normandie, prêtés à la communauté de Brignole. Au bout de Tan, ils furent som- més par ledit Loup de rendre ladite somme, dont il appert par exploit de Massonneau, du cinquième de mai 1690, au pied d'une requête présentée par celui Loup à M. le lieutenant d'Aix, et par ledit lieutenant décrétée le 4* dudit mai iSqo. Durant mon absence ledit Loup exigea les intérêts de ceux de Brignole, comme il avoit fait de ceux de Soliers, sans nous en faire tenir un sol.

Étant revenus en ce pays, à savoir ma femme en Tannée i5g3 et moi en l'année iSgS, nous comptâmes avec ledit Loup. L'acte dudit compte est reçu par M* Bruys, notaire d'Aix, du- dit an iSq 5, au mois de.... La procuration faite par ma femme et moi audit M* Loup est passée à Caen devant Aubert et Caillet, tabellions, le 22* de juin i586.

Ma femme étant de retour en ce pays eut pour le payement des arrérages qui lui étoient dus par la communauté de Bri- gnole quelques assignations qui plusieurs fois lui furent diver- ties^, furent payées en deniers débordés* et en marchandises qui lui furent fournies à plus grand prix qu'elles ne valoient, et fut plus de trois ans à l'exaction desdits arrérages.

Enfin elle mit en cause lesdits de Brignole pour retirer les trois mille écus ; ils usèrent en ce fait de beaucoup de fuites, alléguèrent avoir surpayé les intérêts et avoir baillé trois cents livres par avance audit Loup. Enfin il y eut arrêt du cin- quième de juin 1 698, auquel ils sont condamnés avec dépens ; lesdits dépens par arrêt du 10* de juillet 1598 sont liquidés à trois cents cinquante écus. Ma femme priée par ceux de Bri- gnole ne se hâta point de faire exécuter son arrêt, et se con- tenta de la promesse qu'ils lui firent de lui payer les intérêts. Cependant survint un arrêt général de la Cour sur la révision et la réduction des dettes des communautés de ce pays.

Le sieur Guiran, conseiller aux comptes, fut commissaire

I. C'e8t*à-dire, au lieu de la payer avec les fonds sur lesquels on Tavait assignée, on les employa à d autres usages.

a. Débordé signifie sans doute ici c rogné, dont on a coupé le bord. »

Mauisbbb. I aa

338 APPENDICE.

pour la réduction des dettes de Brignole, devant lequel nous fûmes par son ordonnance ajournés, le 14* de juin 1600, i comparoître le 3* de juillet ensuivant.

M. d'Esparre avoit eu du commencement cette conmiîs- sion, et nous avoit fait ajourner par-devant lui pour voir faire la réduction, avec inhibition d'exécuter. L'ajournement est du i5* de juillet iSgg et l'exploit d'inhibition du io« de juillet de la même année i^gg, par Fossenque, notaire dudit Brignole.

Toutefois, ayant été ladite commission ôtée audit sieur d'Es- parre, lieutenant dudit Brignole, et baillée audit sieur Guîran, conseiller aux comptes, nous comparûmes devant lui le 1 8* de juillet 1600, lesdits de Brignole alléguèrent les intérêts payés à plus haut prix que l'ordonnance , que Loup, M* procureur qui leur avoit fait bailler ladite somme, avoit pris trois cents livres par avance, comprenant aux payements faits des intérêts plusieurs sommes payées au sieur de Malherbe ou sa femme pour autres occasions, comme quatre cents livres pour la vente à eux faite de cent charges de blé, deux cenfs écus prêtés par ledit sieur de Malherbe à la communauté pour payer un com- missaire de Mgr de Guise, gouverneur, et antres affaires de la communauté, et cent dix écus aussi prêtés à ladite communauté par ledit s' de Malherbe pour payer les Badier. Ils c6mpre- noient aussi auxdits intérêts la somme de trois cents cinquante écus de dépens par eux payés suivant l'arrêt de liquidation, Ci- dessus mentionné, et y comprenoient aussi tons dépens e^cé- cutoriaux, et tout plein d'autres sommes, pour nous rendre odieux devant ledit commissaire.

Enfin après une longue contestation et raisons alléguées de part et d'autre, dont il appert par le procès-verbal dudit com- missaire du 18* de juillet 1600, s'ensuivit du consentement des parties une ordonnance dudit commissaire, du 3* août 1600, que la communauté me payeroit cinquante écus dans trois jours pour tons dépens, dommages et intérêts par moi demandés, et que ladite obligation de trois mille écus demeureroit sans au- cun retranchement à notre profit, sauf à moi de me pourvoir contre M* Loup, notre procureur, pour les dommages et inté- rêts par nous prétendus.

Ladite ordonnance est du troisième d'août 1600.

L'an 160a, M" de Brignole nous font derechef ajourner par-

INSTRUCTION DE MALHERBE A SON FILS. 33g

devant le sieur d'Esparre, lieutenant dudit Brignole, lequel , depuis la mort du conseiller Guiran, avoit eu commission pour procéder à la réduction des dettes de ladite communauté. L'a- journement est du neuvième jour de janvier i6oa, à compa- roître le dix-septième dudit mois de janvier, qui est huit jours après l'exploit.

Suivant cet sgoumement nous comparûmes derechef à Bri- gnole où, après plusieurs comptes et contestations verbalement faites, nous fîmes un compte final du 3o* de janvier i6o3. De- puis ils nous ont payé les intérêts chacune année à raison du denier seize suivant Tordonnance du Roi. Mais aux quittances que je leur fais, j'y fais toujours mettre que c'est sans appro- bation de leurs départements, et de pouvoir exécuter mes arrêts pour retirer mon principal quand bon me semblera. Ce qu'il faut toujours continuer jusques à ce que nous leur fassions [payer] ledit principal.

Ma femme, outre ce que dessus, a huit cents écus sur la commune de Tarascon, faisant, à raison du denier douze, deux cents livres de rente par chacun an.

M. le président Carriolis, son frère, et nous ayant eu après la mort du feu sieur président Carriolis, son père, quelque diffé- rend pour le recouvrement de la dot de leur mère, demoiselle Honorade d'Escalis, et supplément de la légitime qui leur ap- partenoit sur les biens de leur dit père , nous transigeâmes le a* du mois d'avril i6oa, devant maître Antoine Maurel, no- taire d'Aix.

Depuis cette transaction mondit frère, président Carriolis, ayant quelque différend avec ma sœur de Châteauneuf, et crai- gnant qu'elle ne luy fit saisir sa récolte de ses bastides du plan * Péricard et du Puy, me pria de passer avec lui un acte par lequel je lui remettois la pension que par ladite transac- tion il m'avoit baillée à prendre sur la communauté de Taras- con, et il me bailloit au lieu d'icelle ses blés provenant desdites bastides ; ce que je fis par le moyen d'une déclaration qu'il me fit qne ledit acte avoit été fait pour quelque considération et à sa prière, sans que je lui remisse ladite pension de Taras- con y laquelle demeuroit toujours à ma femme en vertu de la-

I De la plaine.

340 APPENDICE.

dite transaction du a* avril 1602, et demeurant icelle transac- tion en la même force et vertu qu'auparavant ledit acte.

Suivant cela nous avons toujours tiré ladite pension durant les trois années qui sont depuis échues, comme il se voit par les quittances que nous en avons faites en faveur de ladite communauté de Tarascon, dont ne nous sommes jamais mêlés de retirer aucune chose de ladite hastide. Ladite déclaration que mon frère m'a fait est volante, de peur qu'elle ne fût trou- vée au registre. M. Gilles d'Aix Ta écrite et signée devant Loup et d'autres témoins, et signée dudit sieur Président, le 6* juillet i6oa. Ledit sieur président Carriolis, mon beau-frère, an mois d'octobre dernier 1604 présenta requête au lieutenant d'Aix pour avoir payement de trente écus qu'il disoit m'avoir prêtés.

Sur quoi lui étant ma femme allé parler et lui ayant re- montré que depuis ladite transaction nous n'avions eu que faire ensemble, et que pour le regard de ce qui s'étoit passé entre nous avant icelle transaction, tout y étoit compris et que nous n'avions plus rien à nous demander, U quitta ladite poursuite, laquelle, vu sa probité, je crois qu'il ne voudroit recommencer. Toutefois en cas qu'il le 6t, voici ce qu'il lui faudroit répondre :

Par ladite transaction faite entre ledit sieur Président et ses sceurs, il leur dédmt toutes les sommes qu'elles avoient re- çues, ou par prêt ou par intérêt; particulièrement il déduit à sa sœur de Margaillet, entre autres sonunes, cent quarante et un écus qu'il avoit prêtés au sieur de Margaillet, fils d'icelle, à plusieurs fois et sans aucune promesse ; pourquoi, s'il eût prêté quelque chose à sa sœur de Malherbe, n'en eût-il fait mention?

Quand ils transigèrent ledit 2* avril i6oa, ledit sieur Prési- dent céda huit cents écus à sa sœur de Malherbe sur la com- munauté de Tarascon, dont les intérêts échoient au second de février ensuivant, de sorte qu'il y avoit deux mois du terme passé au profit dudit sieur Président : de quoi ayant lui fait instance et voulant que la rétention des intérêts desdits deux mois expirés fût apposée dans la transaction, le sieur de Malherbe le pria que, vu la parvité^ de la somme, il ne s'en

I. L'exiguïté.

INSTRUCTION DE MALHERBE A SON FILS. 34i

parlât point en ladite transaction, et qne le terme échu il les lai payeroit ; ce qu'il fit franchement, encore qu'il n'y en eût rien par écrit.

Plus, il faut considérer que dans ladite transaction, discou- rant par le menu d'où procédoit ladite somme de huit cents écus, il y employa seulement deux cents écus de droits mater- nels et cent écus d'intérêts de ladite somme de deux cents écus : sur quoi il faut noter que ledit principal, qui n'est em- ployé que pour deux cents écus, se monte deux cents treize écus un tiers. Et les intérêts qui n'y sont employés que pour cent écus se montent pareille somme de deux cents treize écus vingt sous, qui sont en tout quatre cents vingt-six écus et quarante sous pour principal et intérêt, et par la transaction il n'est fait mention que de trois cents écus ; si bien qu'il y auroit mécompte et erreur de cent vingt-six écus deux tiers, lesquels ledit Président devroit de bonne foi à ma femme, étant bien aisé à voir par que ladite transaction ne contient point un compte exact, mais une composition amiable telle qu'elle doit être entre frères et sœurs.

Plus, il y a les deux cents livres léguées par le feu sieur pré- sident Carriolis, père des transigeants, à chacune de ses filles, en cas que leur frère eût l'état de président.

La condition est échue, et par conséquent lesdites deux cents livres pour fille sont dues.

II ne sert rien de dire qu'il y a fait des frais; car le testateur savoit bien que les états par résignation ne s'obtiennent pas sans frais, de quoi toutefois, en considération des services du feu sieur Président, leur père, il a eu bon marché, lequel bon marché doit être considéré pour les sœurs comme pour lui, parce qu'elles sont héritières comme lui des services de leur dit père.

Ledit feu sieur Président , par le mariage de ma femme, sa fille, avec le lieutenant de Marseille, M. Balth. Catin, fait en avril 1 577 par-devant Catrebars, notaire d'Aix, promet de payer lesdits deux cents treize écus un tiers dans dix ans. Lesquels dix ans expirèrent en même mois de l'année 1587. Or de l'an- née 1 587 à l'année mil six cents et deux, que ladite transac- tion fut faite au même mois d'avril , il y a justement quinze ans ; si bien qu'au denier quinze lesdits deux cents treize écu«

34a APPENDICE.

vingt sous se trouvent doublés, et se monte le tout quatre cents vingt et six écus et quarante sous, combien que dans la transac- tion ledit sieur Président ne fait compte à ma femme sa soeur que de trois cents écus en tout.

Honorade d^Escalis fut la première femme dudit feu sieur président Carriolis.

De ce mariage sont issues demoiselles Anne, Madeleine et Marie Carriolis.

Le mariage dudit sieur Président et de. ladite demoiselle Honorade d'Escalis est du i"'' jour de novembre année i548, par -devant M' François Bourrilly, lors notaire de la ville d'Aix.

Par ce mariage sa mère et ses frères lui promettent six cents cinquante écus d'or sol de poids, du coin de France, et ce pour ses droits paternels, et sadite mère de son coté lui donne cin- quante écus. Moyennant cela, ik la font renoncer à tous droits tant paternels que maternels, combien qu'elle ne Tait pu faire, et par ainsi y a lieu de demander à M. le président de Bras Marc-Ant. d'Escalis, héritier des biens de ladite maison d'Es- calis et des droits d'Andrieu Mathieu du Revest, mère du sieur de Bras, son père, le supplément de légitime appartenant à ladite Honorade d'Escalis.

Desdits sept cents écus promis en mariage à ladite demoi- selle Honorée d'Escalis, il s'en trouve six cents de payés comme il se voit par quatre reconnoissances.

La première est de la somme de deux cents écus, acte pris par M* Bourrilly, notaire d'Aix, audit an i548 et le 4* de décembre.

La seconde est de cent trente -quatre écus, acte pris par M' Antoine Chabaud , notaire audit Aix , le 9* de mars 1 549.

La troisième est de cent soixante -six écus, acte pris par M* Antoine Chabaud, audit an i549» le 29* de septembre.

La quatrième est de cent écus, acte pris par ledit M* Cha- baud, notaire dudit Aix, en Tannée i55o et le i5* de mars.

Toutes lesquelles reconnoissances se montent six cents écus, et par ainsi il reste par ledit sieur président de Bras la somme de cent écus.

Étant en Normandie, ma femme emprunta six cents écus à M. du Villars, lors gouverneur du Havre.

INSTRUCTION DE MALHERBE A SON FILS. 343

Ledit sieur du Villars les donna à sa mère, Mme d'Oise, à laquelle nous les avons payés partie argent comptant, partie en une cession, sur la communauté de Tarascon, de certains de- niers que M* Bastien Loup nous avoit cédés sur icelle com- mune de Tarascon, pour nous payer des intérêts de trois mille écus qu'il avoit reçus des communes de Soliers et de Brignole durant notre séjour en Normandie.

L'acquit que nous lui avons fait et ladite cession sur Taras- con sont compris en un acte passé devant M* Bruys, notaire d'Aix, demeurant à la place des Trois-Ormes, audit Aix, en l'année i585, et le....

J'ai tous les papiers concernant l'acquit de ladite partie de six cents écus en Normandie : il s'en pourroit voir quelque chose chez M' Gatrebard, notaire dudit Aix, de Tannée mil cinq cents 97 ou 98,

Ëtant plus en Normandie, nous empruntâmes trois cents écus du capitaine Benoît Degan, étant lors auprès du sieur de la Vé- rune, gouverneur du château de Gaen.

Plus, ma femme venant en ce pays emprunta, ce me semble, cent autres écus de lui au Pont-Saint-Esprit.

De toutes lesquelles sommes j'ai les acquits en Normandie : il y en a quelques-uns passés à Brignole et les autres en cette ville; en vertu desquels, en l'année 1598, m'en allant en Nor- mandie, je passai audit Pont-Saint-Esprit, et (is canceller l'acte d'obligation que ma femme lui avoit passé.

Étant à Paris en l'année i587, le capitaine Boissony me prêta trois cents écus, lesquels je lui fis rendre en ce pays par M* Loup qui faisoit mes affaires. La quittance en est passée devant M* Graniér, notaire dudit Aix, Tan i587, et le 18* de décembre. Au registre dudit M' Granier ladite quittance se trouvera pour la somme entière; car ne lui ayant de com- mencement été payé que deux cents quatre-vingt-dix écus, j*ai depuis payé les dix écus qui restoient à sa veuve, et ai retiré ma promesse comme quitte.

Je devois au viguier Aymar de Pertuys six écus qu'il m'avoit prêtés, je crois, en 1 58o, de laquelle somme il a ma promesse et ne me Ta point rendue, encore que j'en aye quittance de lui du 17* de septembre i6oa.

Sauvecanne, de la Tour d'Aygues, son neveu, avoit été fer-

344 APPENDICE.

mier de la bastide de Bourdon, appartenant lors à moitié à Jean-Honorat Bourdon, sieur de Bouq, fils de ma femme ; et en cette qualité ledit Sauvecanne nous devoit pour les aliments dudit Jean-Honorat Bourdon cinquante et quelques écns, et y avoit été condamné par sentence du lieutenant d'Aix dès Tannée....

Étant allés en Normandie en Tannée 1 586, la poursuite da- dit Sauvecanne cessa jusques à ce qu^en Tan 1602 je le fis pren- dre prisonnier en vertu de ladite sentence. Et lors ledit Ay- mar, son oncle, pour lui aider à me fournir vingt et cinq écos moyennant lesquels je promettois relâcher ledit Sauvecanne, me pria de prendre en payement lesdits six écus que je lui devois, ce que je fis comme il se voit par la quittance que je fis audit Sauvecanne à la Tour d'Aygues, année 1602 au mois de septembre, ce me semble.

Ledit viguier Aymar m'envoya un acquit desdits six écos et m'écrivit que ma promesse étoit entre les mains de son fils Jean-Antoine, garde-sceau à Aix, auquel il écrivit de me la rendre.

J*ai la lettre que ledit viguier en écrit à sondit fils, mais pour la parvité de la somme, j'ai jusques à cette heure né- gligé de la lui rendre. Quoi qu'il en soit, j'ai la quittance dudit viguier Aymar.

Nous avons eu plusieurs afiaires avec ma sœur de Margail- let, desquelles ayant fait compte ensemble, ma femme et elle se trouvent quittes l'une envers l'autre de toutes choses, par acte passé devant M* Gazel, notaire d'Aix, en l'année i6o3 et le seizième d'octobre.

Le même jour mon neveu de Mai^aillet nous fit quittance de tout le temps que nous avions tenu sa maison et de la moi- tié de l'année lors courante par-devant ledit M* Gazel, notaire dudit Aix. Depuis, nous avons de terme en terme payé ledit louage de maison à mondit neveu, et ne lui devrons rien qu'à la Saint-Michel prochaine. Les quittances sont chez ledit M* Gazel, notaire.

Le jeudi 1 4* de décembre mil six cents, environ onze heures du soir, naquit Marc-Antoine mon fils et de demoiselle Ma- deleine de Carriolis, fille de feu sieur président Garriolis.

Et le vendredi 1 5* du même mois, il fut tenu sur les fonts

INSTRUCTION DE MALHERBE A SON FILS. 345

par M. Laurens de Carriolis , anssi président an parlement de Provence, frère de ma femme, qui lui donna le nom de Laurens-Marc-Antoine.

Mme de Margaillet, Anne de Carriolis, sœur de ma femme, fut sa marraine. Le nom seul de Marc -Antoine lui est de- meuré.

Mme de la Vérune, Jourdaine de Montmorency, qui avoit été en Normandie marraine de feu ma fille Jourdaine, se trou- vant ici au mois de novembre 1600 pour la réception de la reine Marie de Médicis, vint voir ma femme, qui lors étoit grosse, et n'avoit plus qu'un mois à s'accoucher. La demoiselle de Boisroger, sa cousine, étoit avec elle.

Lorsque ma femme en accoucha, j'avois avec moi un ser- viteur que j'avois amené de Normandie, nommé François Maxienne, du lieu de Plissj^ L'on m'a dit que depuis il a été tué en Normandie d'un cheval en l'abreuvant.

Un nommé Maheut, messager, qui a fait plusieurs voyages en ce pays, y a vu mondit fils Marc-Antoine toutes les fois qu'il y est \enu.

Il y a un an ou environ que l'un des fils du sieur de Naut Londel, de Caen, et un nommé la Racinière, marchand de Caen, étant en cette ville, me vinrent voir et virent mondit fils.

Un peintre nommé Jean de Cayé, fils d'une que l'on appe- loit Françoise de Cayé, tapissière, et qui a montré à mes sœurs à coudre en tapisserie, a fait le portrait de mondit fils Marc- Antoine; lequel portrait je porterai à mon père, Dieu aidant, an voyage que j'y vais faire. Ledit de Cayé fit ledit por- trait en l'année i6o5, au mois de juin, durant lequel temps il étoit en cette ville et y a séjourné quelque temps, y étant encore de présent a5' juillet i6o5.

Un nommé Jean le Bas, jeune garçon de vingt ans, fils, à ce qu'il disoit, de Gilles le Bas, voiturier de Caen à Paris, a aussi vu mondit fils, étant en cette ville au service de Mme de Cas- tellane, l'an i6o5 et au mois de juillet.

I . Sans dottte du PUsiy ou du Plessis, nom de plusieurs localités en Normandie, il n*en existe aucune de celui de Plissy, (Note de M, de Chenneviires,)

346 APPENDICE.

Un autre jeune homme qui se disoit être de Caen, nommé Jacques Lucas, frère d'un nommé Sallière, précepteur d'en- fants en l'université de Caen, m'est venu servir au commence- ment du présent mois de juillet même année i6o5.

Un autre menuisier de Caen, nommé. qui depuis

* travaille en cette ville, a vu mondit fils Marc- Antoine, comme ont aussi fait ime infinité d'autres. Ce que j'ai voulu écrire ici, pource qu'il arrive quelquefms que ceux qui sont nés loin de la maison de leur père sont méconnus de leurs parents, qui se veulent attribuer la part qui leur peut appartenir. Je ne crois pas que mon frère le voulût faire; mais il n'y a point de mal de laisser les choses avec le plus de lu- mière que Ton peut, vu que le temps n'y met toujours que

trop de ténèbres.

Fa. DK Malrbbb.

Monsieur de Guespean, président au grand conseil, étant en ce pays pour un procès qu'il avoit évoqué en ce parle- ment , le sieur de Bremond , conseiller audit grand conseil , qui étoit ici pour le même fait, ont aussi vu mondit fils Marc- Antoine.

Monsieur le Sage, avocat au grand conseil, qui étoit ici pour l'intérêt qu'avoit monsieur Parent audit procès, a sé- journé longtemps en cette ville, il a vu mondit fils assez de fois; et à ce qu'il m'a dit depuis qu'il est de retour par delà, il a vu mon père, auquel il a donné de nos nouvelles, et par- ticulièrement de mondit fils.

Fa. DB MÀLsaBB.

Ledit sieur le Sage, à ce qu'il m'a dit, est de Falaize en Normandie.

Le a6* juillet i6o5, étant sur le point de m'en aller en France, je m'en allai trouver Mons' le président Carriolis pour le prier de faire canceller l'acte qu'à sa mère j'avois fait et simulé de rétrocession de cinq cents écus faisant partie de huit cents écus qu'il m'avoit cédés sur Tarascon, ce qu'il m'avoit prié de faire.

I . Il y a ici deux blancs dans le manuscrit.

INSTRUCTION DE MALHERBE A SON FILS. 347

pource que, lotf^u'étoit en juillet i6oa, il di5oit avoir peur que ma soeur de Chàteauneuf ne lui fit saisir les fruits de la bastide, lesquels par ledit acte simulé de rétrocewion il me bailloit pour ladite somme de dnq cents écus, de la nullité de laquelle rétrocession il [m'avoit] le jour et à l'instant même fait déclaration écrite de la main du notaire, signée dudit sieur Président, de deux témoins et dudit notaire qui étoit M* Gil- les ; et là-dessus, m' ayant ledit sieur Président mon beau-frère déclaré qu'il étoit prêt de faire faire ladite cancellation de ladite rétrocession, ledit M* Gilles, notaire, qui l'avoit faite fut envoyé quérir, et au pied dudit acte de rétrocession écri- vit que nous étions demeurés d'accord qu'elle f&t nulle et comme non faite, et que la transaction auparavant faite entre nous, par laquelle il nous cédoit les huit cents écus, demeu- rât en son entier. Ladite déclaration ainsi écrite par ledit M* Gilles an pied dudit acte simulé fut signée par ledit sieur président Carriolis; mais parce qu'il signa Coriolis, ce qu'il me semble qu'il n'avoit accoutumé de faire, j'ai gardé la pre- mière déclaration volante qu'il m'en avoit faite, laquelle est signée Carriolis et aussi attestée de deux témoins et du même notaire M* Gilles, afin que si ledit sieur Président vouloit y contredire en quelque chose, ce que je ne crois pas vu sa pro- bité, on ait de quoi lui répondre. Je fis quand et quand extraire la copie de ce qui fut écrit pour la cancellation dudit acte simulé, et en ai emporté l'extrait collationné par ledit M* Gilles, notaire, et ai aussi emporté ladite première déclaration que me fit mondit frère à l'instant que ledit acte simulé fut fait, afin que la vérité se connoisse en cas que quelqu'un voulût impugner.

On verra davantage que, tant ladite année que toujours depuis, mondit beau-frère a toujours joui de sa bastide; ce qui se prouvera par les quittances passées au rentier de ladite année i6oa, et autres depuis, et que je ne [me] suis jamais mêlé de ladite bastide et seulement n'y suis jamais allé ni aucun des miens.

An commencement de ladite année 1602, et toujours depuis ladite transaction, j'ai joui des intérêts de la somme de huit cents écus cédée par ledit sieur président Carriolis à sa sœur, ma femme.

348 APPENDICE.

J'écrivois tout ce que dessus, en Taimée r6o5, ponr Tin- stniction de mon fils au cas que je vinsse à décéder avant qu'il fftt en âge, pour le rendre capable des affaires que j'ai eues en cette province, et proteste devant Dieu que ce que j'ai ci-dessus écrit est la pure vérité. Fait audit Aix, le ag* de juillet mil six cents et cinq.

F. DE MALERBE.

LETTRE AU ROI LOUIS XIII. 349

III

LETTRE DE MALHERBE AU ROI LO€IS XIU^

SiBS,

Les vers que Votre Majesté vient de lire passeront, s'il loi plaît, pour un très-humble remerciement de la promesse qu'elle m'a faite, de ne donner jamais d'abolition à ceux qui ont assas- siné mon fils. Une bonté médiocre se fût contentée de me l'avoir dit une fois ; la Vôtre , qui , en l'amour de la justice et en la haine des crimes, n'est semblable qu'à soi-même, après me l'avoir réitéré, y voulut encore ajouter ce favo- rable commandement, que je travaillasse à faire prendre les meurtriers, et que je ne me souciasse point du demeurant. Il semble bien , Siax, que des paroles prononcées de la bouche d'un Roi, le plus grand et le meilleur qui soit au monde , me doivent être en telle révérence, que sans être criminel moi- même, je ne puisse faire doute de leur vérité; mais, Sibx, sur quelle sûreté se peut reposer un esprit de qui le trouble est si grand et si déplorable comme le mien ? Gauvet, conseil-* 1er d'Aix, beau-père de Piles, et père de Bormes (qui sont les deux abominables assassins de mon pauvre fils)', prêche partout la vertu de ses pistoles , et parle de la poursmte que j'en fais, non avec l'humilité d'un qui a besoin de miséricorde, mais avec la présomption d'un qui se tient assuré de triompher. C'est cela, SiEE, qui m'amène une seconde fois à vos pieds pour vous faire souvenir de votre promesse, et vous en demander la con- firmation. Pour ce qui est des faveurs dont Cauvet se promet d'être appuyé , je ne m'en mets point en peine. Il en sera ce qu'il pourra; mais je sais bien qu'un homme d'honneur y pen- sera deux fois devant que de se ranger de son parti. Protéger

1. Cette lettre acoompagnait la pièce cm; voyez p* ^77. 9. Voyez la Notice biographique.

35o APPENDICE.

une méchanceté, et la commettre, sont actions qui partent presque d'une même source : et qui fait l'un, Sirb, feroit Vau- tre, s'il en espéroit la même impunité. Puis quand il se trou- veroit des âmes assez perdues pour l'assister, sur quelles ap- parences, s'ils ont quelque lumière de bon sens, sauroient-ils fonder leur intercession ? Si par les qualités mes parties se pen- sent rendre considérables à mon préjudice , qui est-ce qui ne sait point qu'un nombre infini de personnes vivent encore à Marseille, qui ont vu arriver le père et l'oncle de Cauvet, et là, petits marchandots, avec des balles de cannelle, poivre, gin- gembre, raisins et autres telles denrées, commencer leur trafic, qui, de deux ou trois mille livres qu'ils pou voient avoir alors, est abouti à près de deux millions , que tout le monde croit qu*ils aient cejourd'hui? Je n'ai parlé que du père et de l'oncle; mais Cauvet, tout hardi qu'il est, oseroit-il nier qu'il n'ait fait le métier lui-même, et qu'assez de fois son nom n'ait été écrit au livre de l'écrivain du vaisseau ? Quant à Piles, si un secré- taire d'État, appuyé d'une personne qui pouvoit tout auprès d*i feu Roi votre père, ne lui eût fait donner la chétive ca- pitainerie du château d'If, vacante par la mort d'un valet de chambre d'Henri troisième , ensuite de laquelle il a fait de- puis quelques autres petites grivelées*, ne seroit-il pas à cette heure ou à Carpentras ou en Avignon, caché parmi ses pa- rents dans les ordures de la honteuse condition il est né? Pour ce qui est de moi, Sieb, il est bien vrai que la maison des Malherbes de Saint-Agnan , dont je suis , et dont je porte le nom, est depuis deux cents ans en si mauvais termes qu'elle ne sanroit être pis, si elle n'étoit ruinée entièrement. Et quand je dis cela, je ne pense laisser rien à dire à mes ennemis. Mais il est vrai aussi que non-seulement dans l'histoire de Norman- die, mais en la voix commune de tout le pays, elle est tenue pour l'une de celles qui suivirent il y a six cents ans le duc Guil- laume à la conquête d'Angleterre, et que pour le justifier, l'écusson de leurs armes est encore aujourd'hui parmi trente ou quarante des principales du temps, en Tabbaye de Saint- Étienne de Caen, dans une salle que la fortune, plutôt qu'autre chose, exempta du ravage que fit la fureur des premiers troubles

1 . Profits illicites, dans un emploi, dans nne charge.

LETTRE AU ROI LOUIS XIIL 35i

en tout le reste de cette maison. Si mes parties s*en veulent éclaircir, qu'ils aillent sur le lieu : leur propre vue leur ap- prendra ce qui en est. Mais peut-être s'imaginent*ils qu'ils donneront à ce crime une couleur qui en diminuera l'abomina- tion. C'est chose qu'ils ont déjà tentée inutilement. S'ils y re- tournent, je ne crois pas que ce soit avec plus de succès. Cette maudite affaire ne fut pas sitôt arrivée que Cauvet, qui vou- droit avoir des juges à sa fantaisie, ou plutôt qui n'en vou« droit point du tout, dépécha par deçà un des siens pour avoir une interdiction du parlement de Provence ; et en chemin faisant le chargea de conter la nouvelle de la façon qu'il lui étoit expédient qu'elle fût crue. Son homme s'acquitta de sa commission le mieux qu'il put ; mais ce furent des ténèbres qui ne durèrent guère. Il arriva dans cinq ou six jours une infinité de lettres de Provence qui , par des narrations véri- tables et non suspectes, démentirent ce que ridiculement ce messager avoit publié. Mons. de Guise même, qui avoit été prévenu de cette imposture, me fit l'honneur de me venir voir, et m'avoua que du premier abord il avoit cru ce que l'homme de Cauvet avoit dit, mais que depuis ceux qui font ses af- faires en Provence lui avoient écrit au vrai comme la chose s'étoit passée; que l'action étoit très-vilaine, et que de bon cœur il m'assbteroit en ce qui dépendroit de lui. Voilà comme réussit à Cauvet le premier essai qu'en cette occasion il fit d'a- buser le monde. A cette heure que la chose est décriée comme elle est, et que sur les informations faites par trois juges dif- férents et les dépositions de plus de quarante témoins , les as- sassins ont été condamnés à mort, je ne vois pas avec quelle apparence il pourroit reprendre le même chemin. Aussi crois-je bien que ce n'est pas que lui et les siens jettent le plus assuré fondement de leur espérance. Ils me voient en un âge il est malaisé que ma vie soit plus guère longue, ils font ce qu'ils peuvent pour en attendre la fin. Il ne se passe guère se- maine que sur des vétilles ils ne m'assignent au Conseil. Contre tons leurs artifices, Mons. le Garde des Sceaux ^ est mon refuge. Les bonnes causes sous lui ne doivent rien craindre, ni les mauvaises rien espérer. Son intégrité est une muraille d'airain :

i. Michel de Marillac.

35a APPENDICE.

il n'y a moyen d'y faire brèche. Tout le monde bénit Félection qne Votre Majesté en a faite : je crois qu'il ne sera pas marri que j'en fasse de même , et qu'avec les antres je publie sa vertu, pource que véritablement elle est une des plus fortes et plus nécessaires pièces dont V. M. puisse composer la fé- licité de l'État. L'ordonnance vent que toute audience soit déniée aux criminels, que premièrement ils ne se soient re- mis en prison. Je sais bien que c'est ce que mes parties ne feront pas ; et par conséquent je me dois rire d'eux, si, quoi qu'ils ÊLssent dire en leur absence, ils s'imaginent d'être écou- tés dans le Conseil. Je suis trop long, Simx, j'abuse de votre loisir. Mais si les plus foibles passions sont rebelles à la rais<»i, il ne faut pas penser qu^ les fortes demeurent dans l'obéis- sance. Je m'en vais finir, après que j'aurai dit à Y. M. une chose que peut-être elle n'entendra pas sans étonnement. Mon pauvre fils ayant été tué à quatre lieues d'Aix, y fut apporté, pour, selon son désir, être inhumé en l'église des Minimes , qui est au bout de l'un des faubourgs. Le peuple ne sut pas sitôt que le corps étoit arrivé qu'il y courut en telle abondance, qu'il ne demeura au logis qne les malades. Comme il fut question de le mettre en terre , ils dirent tous que résolument ils le vouloient voir encore une fois. Les re- ligieux en firent quelque difficulté, mais il fallut qu'ils cé- dassent. La bière fut ouverte, le drap décousu, et le peuple satisfait de ce qu'il avoit désiré. Quelles bénédictions furent alors données au pauvre défunt, et quelles imprécations faites contre les meurtriers, c'est chose vue et attestée de trop de gens pour m'y arrêter. Il suffit. Siée, que je supplie très- humblement Votre Majesté de considérer quelles étoient les mœurs d'un homme que toute une ville a regretté de cetle fa- çon. Ce n'est rien de nouveau de plaire à cinq ou six person- nes; mais de plaire à tout un peuple, et lui plaire jusqu'à si haut point, il est malaisé que ce soit que par le moyen d'une vertu bien reconnue, et dont les témoignages ayent une bien claire et bien générale approbation. Aussi ne doutai-je point, SiEB, que Votre Majesté, qui a uoe aversion de toute sorte de crimes, ne trouve en cette circonstance extraordi- naire de quoi faire sentir à mes parties un extraordinaire courroux. Tuer qui que ce soit est toujours un mauvais acte;

LETTRE AU ROI LOUIS XIII. 353

mais tuer un homme de bien, et le tuer poltiomiement et traî- trement, c'est mettre le crime si haut qu'il ne puisse aller plus avant. J^ai certes de la peine à croire qu'il y ait un homme qui ose parler pour ceux qui ont commis cettui-d. Toutefois ponrce qu'il y a des esprits bossus et boiteux aussi bien que des corps, s'il avenoit à quelque effronté d'en prendre la har- diesse, soupeneiroouSy Sibb, que ceux qui 9tms prient d^une in- justice^ vous tiennent capable de la faire; et -dessus Jugez quelle opinion vous devez avoir de personnes qui Vont si mau" vaise de V, M, Pour moi, qui ai accoutumé de nommer les choses par leur nom, je ne sanrois dire sinon que je les tiens pour gens sans conscience , et à qui le succès de vos affai- res bon ou mauvais est indifférent. Qu'on examine vos pros- pérités comme on voudra, il ne s'en trouvera point d'autre cause que la sainteté de votre vie. Je n'ôte rien à la gloire de votre épée. Vos mains avoient bien à peine la force de la mettre hors du fourreau, que V. M. en fit des choses qui furent admirées de toute l'Europe. Je n'ôte rien non plus aux soins incomparables qu'apporte Mons. le Gard, de Riche- lieu à la direction de vos affaires, aux profusions excessives qu'il fait de son bien pour votre service, ni aux assiduités in- fatigables qu'il y rend avec un péril extrême de sa santé. Au contraire, j'estime ce très-grand Prélat jusque-là que je ne le vois point tant soit peu indisposé que je ne soupçonne quelque grande indignation de Dieu contre l'État. Mais, Sire, qu'en cette occasion de File de Ré, la mer se soit humiliée devant vous, que, de si revéche qu'elle est, elle soit devenue si com- plaisante, c'est, pour en parler comme il faut, une affaire il y a quelque chose plus que de l'homme. Je sais bien les dévotions qu'a faites pour vous la Reine votre mère. Reine aussi grande qu'elle est bonne mère, mère aussi bonne qu'elle est grande Reine, et telle en toutes ses qualités, que c'est ne savoir que c'est de perfection, que de croire qu'il y ait rien à désirer. J*^ n'ignore pas aussi celles que la Reine y a contribuées, Reine si belle et si vertueuse que, hors l'honneur qu'elle a eu d'é- pouser V. M., le monde ne lui pouvoit donner de mari qui la méritîlit. Mais quelque ardeur de prière qu'elles y eussent ap- portée l'une et l'autre, eussent-elles obtenu pour un Prince de piété commune ce qu'elles ont obtenu pour vous? Non, non,

MALHmBB. 1 3 3

354 APPENDICE.

SiRB, il n* y a penoniie qui raîsonnaklenient se puisse plaindre, quand je dirai que Y. M. n'a mis ses affaires au bon état elles sont que par le soin de plaire à Dieu et la crainte de Toffenser. Continuez, Siasy de marcher dans un diemin si assuré. Haïssez toujours le mal , Dieu tous fera toujours da bien. Je ne crois pas qu'il y ait chose au monde que vous desi- riez, et qui vous soit si désirable comme d*étre père. Vous le serez, Sns, par beaucoup de raisons, mais ce n'en sera pas une des moindres que la compassion que vous aurez eue d*nn père affligé comme je suis, et dans peu de jours V. M. mettra tel- lement ses rebelles dans leur devoir que ce que j'ai dit sera véritable :

Enfin mon Roi les a n^s bas

Ces murs qui de tant de combats

Furent les tragiaues matières ; La Rochelle est en pondre et ses champs déseriét

N*ont face que de cimetières gisent les Titans qui les ont habités * .

C'est là, SiZB, que trident les voeux de tous les gens de Ineni et, autant que de nul autre, ceux de

Votre très-humble, très-obéissant et très-affectionné sujet et serviteur,

MALHERBE.

1. Voyez p. a84-

LETTRE A M. DE LA GARDE. 355

I?

LETTRE DE MALHERBE JL M. DE LA GARDE '

MONSIBUï,

J'avois pressenti les contentements que m'ont donnés vos bonnes nouvelles deux jours avant les avoir reçues, car j'avois rhonneur d'entretenir Madame la princesse de Conti fort ac- compagnée en son hôtel, il fut bien parlé de vous, qu'elle témoigna désirer de connoitre en présence, comme en votre bonne réputation. Vous pouvez croire que je n'y oubliai rien à dire de ce que je suis obligé depuis quarante années de votre heureuse connoissance. U est très-vrai que je ne parle pas d'un si long temps partout, car, par discrétion, il faut vous en re- trancher, étant vous encore garçon et à marier par bonheur.

En cette belle compagnie on mit sur les rangs votre belle conversation et votre Histoire sainte , de laquelle Monsieur votre gouverneur a conté des merveilles, même aussi les mar- quis de Gordes et d'Esplans*, lui pour l'avoir vue chez vous avec votre bonne chère, comme il me dit peu avant son trépas, digne d'être regretté véritablement même de vous qui avez perdu en lui un très-assuré ami.

Votre longue et agréable lettre me fut rendue au point qu'un petit frisson de fièvre me faisoit retirer en mon logis, et dimi-

I . Cette pièce a été publiée pour U première fois dans le tome I de la contmaatioD des Mémoires de littérature de M, de Salengre, Nous en aTons rem le texte sur la copie qui avait servi à cette pu- blication et qui avait été faite sur roriginai. Elle se trouve dans le registre xu da tome II (f> 197) des manuscriu de Peiresc à la Biblio- tbèqae de Garpentras. —Voyez p. a85, pièce or, les vers qui accom- pagnaient cette lettre.

3. Guillaume de Simiane, marquis de Gordes, mort en 1643. D*Eaplans est probablement Esprit Alard, sieur d*Esplans, marquis de Grimaud.

356 APPENDICE.

nua beaucoup mon incommodilé par la douceur de son style et d'autant plus par l'assurance que vous m'y donnez de revenir bientôt à Paris faire le présent de votre livre à cette auguste Reine, la mère du Roi, de laquelle vous serez très-bien reçu, je vous en assure , pour Tavoir ainsi appris de sa propre bou- che. Ne tardez donc que le moins que votre délicieuse Garde du Freynet et votre la Motte (que j'ai nommé un petit Saint- Germain) le vous permettront, afîn que l'inconstante fortune qui règne ne vous ravisse ou diminue le bien que vous mé- ritez et que chacun vous désire.

Vous ne me trouverez plus tel que vous m'avez vu, car ma dernière saison oragée de tant d'afflictions qui ont désolé ma Calliope ressent aussi mes enthousiasmes grandement refroidis. Ce nonobstant j'envoie à votre livre des vers qu'elle m'a dicté;» parmi les inquiétudes de ma tristesse. Je vous y exprime une partie de mes bonnes intentions et de mes sentiments sans adu- lation , en attendant avec impatience le bien de votre vue ici, pour vous faire ressentir mes bons offices et mes services.

On parle bien en cette cour de vous et de votre petit Carna- val des honnêtes gens que je n'ai point vu et dont vous me par- lez par votre lettre. Étant de ce nombre-là, je vous en dirai mon avis dans même logis que je vous ai préparé très-corn- modément selon notre résolution et votre désir. Nous y en conterons à loisir et vous ferai voir que durant votre absence ma plume n'a pas été inutile.

Recevez cependant ma contribution de si bon cœur que je la vous donne, beaucoup plus stérile que de mon ordinaire, à mon grand regret; mais l'apathie des Stoïciens n'étant point en moi, mon affliction la rend de moindre estime pour la perte que j'ai faite de la personne que j'avois la plus chère au monde.

Voilà l'ennui qui tyrannise mes esprits et mon âme pour le peu de justice qui m'en est faite. J'emporterai Tintérét et le déplaisir au tombeau, et elle, la peine au delà.

Je ne vous dis rien des divers changements qu'on voit ordi- nairement en cette cour, car ce seroit autant à vous en conter si je venois de Pile de Chypre l'on rencontre des caméléons partout. Il est bien vrai que notre expérience est capable de connoître par les causes les événements et d'y proÔter par prudence.

LETTRE A M. DE LA GARDE. 35;

Si vous venez, vous reculerez mon soleil pour dix ans, aussi je ne vous serai pas inutile par mes adresses et les grandes connoissances que j'ai faites ici. Cependant je finis ma lettre par un violent trouble d'esprit qui me remet en mémoire le funeste catalogue de tant de bons amis que la mort nous a ravis, et parmi eux le bon marquis des Arcs, votre cher frère, le généreux comte de Sanlt, le brave Grillon, mestre de camp des gardes du Roi, le judicieux du Vair, notre commun ami, arraché de notre Provence pour sa perte, tant Tenvie a de pouvoir sur la vertu même ; le président de la Geppède, pre- mier [président] aux Comptes à Aix ; ce jeune héros, le cheva- lier de Guise, de qui on a vu précipiter le bel orient dans Toc- cident d'un déplorable désastre, auquel, par excès de vanité, il s* étoit lui-même fatalement destiné, ainsi qu'on m'a dit; car, faisant son entrée de lieutenant du Roi en la petite ville de Ma- nosque, une bande de femmes équipées et armées en amazones lui firent, de braverie, un saive de mousquetades, et comme les plus apparents de ceux qui Vaccompagnoient voulurent les faire cesser pour la crainte de quelque fâcheux accident [ordinaire] en telles occasions, il ne les avoua pas pourtant, mais en riant il leur dit qu'il ne redoutoit point les mousquetades , s'assurant qu'il ne pouvoit mourir que d'un coup de canon, ainsi qu'il lui advint peu de temps après^ au château des Baux, proche de la ville d'Arles, par Téclat d'un auquel il voulut lui-même opiniâtrement mettre le feu, quoiqu'il en fût instamment dis- suadé : ce qui servira de leçon aux courages peu considé- rés et trop faciles à vouloir choquer les périls et à tenter la fortune.

Mais continuant mon funeste catalogue en rétrogradant, je mettrai en compte de nos pertes plus signalées cet incompa- rable prince Henri d'Angoulême, grand prieur de France, gou- verneur de notre Provence , mon bon maître , qui vous esti- moit et aimoit uniquement ; le roi Henri troisième, de qui vous eûtes l'honneur d'être connu et favorisé par un bonheur de peu de durée par la rigueur de la Parque ; le grand Henri, la mer- veille des rois, et plusieurs autres seigneurs de grande consi- dération.

I. Le i^'juin i6i4*

358 APPENDICE.

£t jugeant de tous ceux-là ce que je dcMs, je fais ie même que ceux qui nous survivront feront de nous après avoir jptLjè le nole^ à Caron. Qu'il plaise donc à Dieu de ne nous dénier point Tordinaire vie des hommes qui la passait doucement comme nous et de n'interrompre point aussi la continuation de l'inviolable amitié qui nous a liés depuis notre printemps, étant assuré que la vôtre me sera telle , comme la mienne ne sera point aussi terminée non pas même par la mort naturelle de

Votre très-humble et très-assuré serviteur,

MALHERBE.

I . Noie, nolage, on naulage, comme Técrit Nicot ; en italien »ûiù, du latin naulum, prix dn passage. En Provence on dit encore molu (d'où nol'uer) pour le fret d'un bâtiment.

ÉPITAPHES. Vji)

RPITAPHES DIVERSES COMPOSÉES PA.R MALHERBE.

I. ÂPITÀPHS DE BENHI, PBEMIISE FILS DE M1LHEEEE^

D. M.

Passant t je suis mort, tu es mortel. Je suis à ma fis, tu t'en vas à la tiemie, et déjà tu n'as lu mot de cette écriture que tu ne t'en soies approché d'un pas. Ce que je t'en dis n'est pas pour te renvoyer triste en ta maison ; car à quel propos vou- drois-tu vivre avec autre condition que tout ce qui jamais a vécu par le passé, qui vit à cette heure et qui vivra jamais à l'avenir? Et puis seroit-il possible que devant moi tu n'eusses jamais vu d'autres exemples de mortalité? Tourne tes yeux deçà, toume-^les de delà ; tu ne verras céans autre chose. Cha- cune de ces pierres couvre un corps et les vides sont autant de niches qui ne font qu'attendre les statues qui les doivent remplir au premier jour. Ce que je veux de toi, tu le deman- deras aux autres, quand tu seras en l'état je suis : c'est que tu me donnes autant de temps qu'il en faut pour lire en ce tableau ce que je te veux dire de ma vie. Elle fut courte : l'histoire n'en sera guère longue. Je naquis en la ville d'Aix, en Provence, le dimanche xxi de juillet, en l'année mdxxcv, entre cinq et six heures du soir. Monseigneur Henri d'Angou- léme, frère naturel du Roi, gouverneur et lieutenant général

I. Henri naquit k Aix en i585, et mourut le 90 octobre 1387. Son père fit placer cette épitaphe sur sa tombe dans une église de Caen ; elle a été publiée pour la première fois en 1840 par M. Roux- Alpfaeran dans un Appendice à ses Recherches (4 p. in-8<>). U Tayait tirée d'un manuscrit de la bibliothèque du château de Toumefort. Elle existe en double à la Bibliothèque impériale, Papiers de Baluze, ma. i33(F>*4if 43).

» »

^6o APPENDICE.

pour Sa Majesté dans ce pays, assisté de IVIme Marthe Faure de VercorSy femme de M. Louis de Carriolis, président au parlement, mon grand-père maternel , me fit cet honneur de me tenir sur les fonts et de me donner son nom. Mon sur- nom fut Malherbe, de ceux de Saint* Àgnan, desquels l'ancienne extraction ne veut autre témoignage que les hermines mou- chetées qu'ils portent sans nombre en leurs armes. Ma mère, en l'âge de onze mois, me fit apporter en ce pays et me condui- sit elle-même, non sans beaucoup de sollicitudes et d'incom- modités. Enfin, comme si la nature ne m'eût donné les pieds que pour m'en aller au sépulcre, et la bouche pour dire à mes parents l'adieu pitoyable d'une si longue séparation, à grand'- peine avois-je commencé de m'en servir que l'usage m'en fut 6té par une mort précipitée, et mes yeux qui n'avoient vu la lumière que deux ans trois mois et sept jours, le mercredi xxviu d'octobre mdxxcvii, environ dix heures du soir, demeu- rèrent enveloppés d'une obscurité qui seroit étemelle sans Tespérance du jour du jugement. Dieu sait de quelle affection et diligence les moyens de ma guérison furent recherchés! combien de remèdes furent essayés en terre et combien de vœux adressés au ciel ! Mais enfin toutes peines demeurant inutiles, il fallut obéir à la nécessité. En cet accident si funeste et si dé- plorable, François mon père, et Madeleine ma mère se pro- curant une triste consolation par le moyen d'un objet qui leur représente la souvenance perpétuelle de ce qu'ils ont aimé si chèrement, et faisant le dernier office à celui duquel, si la mort eût considéré les âges , ils le dévoient recevoir, m'ont avec des larmes qui ne sécheront jamais, posé ce lamentable monument. Passant, ne cherche rien de certain en l'incertitude du monde. Dis les bonnes paroles à mon ombre ; asperge mes cendres et t'en va. f. m. p. p.

^-<

KPITAPHES. 36i

II« iPITAPHE DB JOUEDÀIRB, FILLB DE MALHERBE ^

Passant, si tu n'as quelque soupir à me donner, fais ton chemin; je ne t'appelle point. Mais tu t'arrêtes, et semble qu'en la multitude de ces funestes objets ton imagination se dispose à quelque pitié : à la bonne heure. Je te vais dire qui parle à toi : c'est Jourdaine de Malherbe , fille unique de

François de Malherbe et de Madeleine de Carriolis, * de

cette province. Tu sais la noblesse et l'antiquité des Malherbes de Saint -Agnan : mon père est au rang de ceux qui sont connus en son siècle et peut-être les futurs n'ignoreront point qu'il a vécu. Ma mère est fille de M. Louis de Carriolis, cons. du Roi en son conseil d'État et président depuis .... ans au par^ lement de Provence. C'est assez de mon parentage. La vanité n'habite point aux lieux ou je suis. Il est raisonnable que je te die quelque chose de mes autres qualités. Nature aux traits de visage, en la proportion de la taille et en la disposition de tontes les parties du corps m'avoit donné de quoi la remer- cier. Mon esprit et mon jugement sembloit excéder la por- tée de mon âge ; mon humilité m'avoit acquis la bonne grâce de ceux à qui je devois du respect, et ma douce conversation, la bienveillance générale de tout le monde. Que me restoit-il à désirer ? Rien. Je pouvois vivre heureusement, si j'eusse pu vivre. Mais il étoit autrement écrit de moi dans le livre du ciel : je n'avois été donnée que pour être otée et n'étois venue au monde que pour en sortir le neuvième mois de ma hui- tième année. Je fus blessée de deux pestes et de six charbons, qui dans trois jours m'eurent envoyée tu me vois. Mon mal commença le dimanche, à sept heures du matin, il finit et me finit le mercredi ensuivant , environ deux heures après mi- nuit. Veux-tu savoir que fit mon père au conflit de cette ma- ladie? tout jusqu*à la témérité. Sa piété fut inexpugnable

1. Tirée du ms. Ptmiert de Baluze, u^ i33, f^ 38, et publiée pour la première fois en léSa par M. G. Mancel dans les Lettre* inédites de Malherbe, Nous donnerons ailleurs la lettre touchante on Mal- herbe apprend à sa femme la mort de sa fille.

3. Le mot est surchargé; on ne peut lire que située.

36a APPENDICE.

aux conseils que ses amis lui donnèrent de me quitter. U me vit abandonnée de tout le mondé et demeura seul auprès de moi. Je ne pris ni viande ni remède d'autre main que de la sienne. Je fus portée entre ses bras partout le chagrin me fit désirer d'aller. Que veux-tu que je te die? La prudence ne lui montra point de périls qu'il ne méprisât, ni l'amour d'ofiBces qu'il ne me rendît. Enfin il essaya tout, et tout lui fut inutile. Si la mort eût voulu céder ou pardonner, elle ne fût pas venue avec tant d'appareil. Ce qu'il fit alors, ce qu'il dit, ce qu'il devint, il faut que tu l'imagines : les paroles ne vont point si avant. Mais que diras-tu de ce que tu n'oyes rien dire de ma mère? La comprendras-tu du nombre de ceux que l'appréhension du danger fit retirer d'auprès de moi? 0, si tu le fais , que tu t'abuses ! Combien estimes-tu qu'elle ait fait de plaintes de la fortune, pour lui avoir envié la gloire de me témoigner son affection en ce dernier besoin? De combien penses -tu qu'elle eût racheté la certitude de se perdre pour l'incertitude de me sauver? Mais elle étoit en Provence, la condition de ses affaires l'avoit appelée assez de temps aupa- ravant. Cette occasion la fit douloir plus tard, mais non plus modérément. Elle eût bien voulu regagner sur mon père l'a- vantage qu'il avoit d'avoir été le premier à me pleurer; mais comme elle s'étoit opiniâtrée à vaincre, il s'étoit opiniâtre à n'être point vaincu. Passant, tu serob bien aise que je t'en- tretinsse plus longtemps; mais que te saurois-je dire de grand d'une si petite vie? Je naquis le aa de septembre 1591, et décédai le a3 de juin 1 699. Va-t'en donc et compte chez toi que tu as vu la tombe de la fille la plus passionnément aimée et la plus inconsolablement regrettée qui fut jamais. Mon très- cher père et ma très-chère mère m'ont fait ce pitoyable présent. S'ils vivent, prie pour le soulagement de leur ennui; s'iL» ont vécu, pour la rétribution de leur piété.

ÉPITAPHES. 363

m. * ânTimS DB MÂDAMH OB BOUILUm MALHBBBB^

Eh bien, passant! qa'est-*ce qui te semble de la misérable oonditiQn de la vie humaine? J'étois entre les exemples de la félicité de ce monde et me^ voici entre ceux de sa vanité. Mon niNxi fut Judith le Vallois, fille et héritière unique de Jean le Valloisy 5ieur d'Ifs, et de Jeanne de Mainbeville de la maison de Cornières ; je fus femme du sieur de Bouillon de l'ancienne race des Malherbes de Saint-Agnan : ainsi en ma naissance et en mon mariage, comme en toute autre chose, j'avois de quoi ne porter envie à personne. Ma stérilité seule me tenoit en peine; et de tous mes souhaits celui que j'avois le plus ordinai- rement en la bouche , et le plus véritablement au cœur, étoit de pouvoir donner à mon mari un héritier pour gage de mon amour, et ne vivre pas une heure après. Je l'obtins au bout de 1 4 années, et l'obtins à la condition que je Tavois demandé. J'accouchai d'un fils le sam. a3 mars 1618 et décédai le mercr. ensuivant. Si tu sais que c'est que d'aimer, juge ce qu'il sentit, quand ayant bien à peine acquis le nom de père, il lui fallut perdre celui de mari. C'est assez, passant : je ne tourne pas volontiers mon imagination vers un objet si pitoyable; va<-t'en en paix et Dieu te donne les joies que tu desires, mais à meil- leur marché que la n6tre. Je vécus a8 ans, 5 mois, 8 jours; mon entrée au monde fut le a 5 d'octobre; ma sortie je te l'ai dite.

Qui fies y talia ne fleas^ viator,

I. Cousine germaine de Malherbe. Voyez plus haut, p. 19, la notice de la pièce iv, et V Instruction de Malherbe^ p. 333. L'épitaphe, qui ae trouvait jadis dans Téglise Saint-Sauvear de Caen, a été pu- bliée pour la première fois d'après un manuscrit de la Bibliothèque de Caen par M. Manoel (Lettres ine'dUes, p. 42)* <V^ hi croit de Malherbe. M. Eugène Cfaâtel, archiviste du département du Calva- dos, a bien voulu en coUationner le texte sur le manuscrit.

36^1 ÀPPEnDICE.

IV. •— inTAVHB DB lUDBMOISBLLE DB GOUTI ^.

Tu t'approches, passant, et me fais croire que tu veux savoir de qui est ce monument. Il est de Marie de Bourbon, fille de Monsogneur François de Bourbon et de Madame Louise de Lorraine, prince et princesse de Conti. Tout ce qu41 y a au- jourd'hui de rois en Europe sont branches d'une de ces deux tiges. Félicités humaines, que votre durée est petite! Cette merveille qui avoit été désirée avec une infinité de vœux et reçue avec un excès de joie ne fut possédée que 1 4 jours. Quiconque tu sois, donne des fleurs à sa sépulture ; ses mérites en eussent rempli le monde si Tâge les eût conduits à la per- fection. Elle naquit le 10 mars 16 10 et décéda le 29 du même mois en la même année.

I. Inédite et tirée des Papiers de Baluze, ms. i33, P* 35. V^oyez pla» haut, p. 170, la notice de la pièce xltui.

DISCOURS DE GODEAU. 365

VI

DISCOURS SUR LES OEUVRES DE M. DE MALHERBE (par GODEAU, ÉV:ÊQUE DE VENCE).

Ce DueotirSf placé en tète de Tédition de i63o, et que l'on retrouye dans presque toutes les éditions du dix-septième siècle , est le pre- mier ouTrage d*un homme qui plus tard acquit une grande réputa- tion. Antoine Godeau , Tun des habitués de Thôtel de Rambouillet, membre de TAcadémie française , évéque de Grasse et de Vence , avait à peine vingt-quatre ans quand il l'écrivit. U n'y mit point son nom, qui parut, je crois, pour la première fois, dans l'édition de Ménage. ^ Suivant Niceron (t. X VIU) et l'abbé d'Olivet {Histoire de Fjicadémie\ le Z>ûcoMrj fut publié d'abord séparément en 1629, in-4®; mais je pense qu'il s'agit seulement d'un tirage k part. Godeau a fait d'assez nombreuses modifications À son texte dans l'édition de i63i, que nous allons suivre ici. Nous indiquerons en note les variantes de l'édition de i63o.

On remarque d'étranges antipathies dans la nature , mais je crois qne la plus irréconciliable est celle qui se trouve entre les grands esprits, et ceux qui ne savent ni faire les bonnes choses, ni les connoître ; ou qui n'adorant que les ouvrages de leurs mains , pensent qu'on leur dérobe quelque chose , lorsqu'on leur présence on donne des louanges à ce qu'ils n'ont pas fait. Ce que la fable a inventé d'Hercule se peut dire vé- ritablement de la gloire. A peine est-elle née, qu'il faut qu'elle étouffe des serpents; et si, quand elle arrive à un certain point, il ne se présente plus d'ennemis découverts à combattre, elle en a toujours de cachés', qui ne trouvent point d'artifice si noir qu'ils n'emploient hardiment pour la ruinera Mais si Tenvie est jamais cruelle, et l'injustice des jugements insup-

I. Vab. (édit. de i53o) : Pour l'obscurcir.

366 APPENDICE.

portable, c'est sans doute dans les ouvrages, soit de vers, soit de prose, de quelque savante main qu'ils puissent sortir. Les arts les plus mécaniques sont traités avec plus d'honneur ; car ceux qui lei ignorent ne se mêlent pas d'en juger, on ils suivent le sentiment des autres qui les entendent. Au contraire, en ma- tière de livres, le plus impertinent est le plus hardi critique ; le lecteur ne se fait point prier pour dire son avis ; il condamne, il approuve, il se moque, il admire, non pas ce qui est de meilleur, mais ce qui se trouve de plus proportionné à la foi- blesse de son jugement, ou à l'extravagance de son goût. C'est pourquoi je ne m'étonne pas si beaucoup d'excellents hommes aiment mieux paroitre oisifs , que de s'exposer à une censure si barbare et se mettre au hasard de déplaire à mille stupides, pour contenter un honnête homme. Car comme il n'y a point de lieu si saint les impies ne commettent point de sacri- lèges % il ne faut pas s'imaginer qu'il se trouve de si excel- lentes productions d'esprit, qu'elles puissent se sauver des atteintes de la calomnie et de l'ignorance. On trouble tous les jours les cendres de ces illustres anciens, sans qui les sciences se fussent perdues aussi bien que les États' dans lesquels ils ont vécu. Et si ces exemples paroissent trop éloignés, Malherbe, tout parfait qu'il puisse être, ne court-il pas la même for- tune ? Quelqu'un doit-il trouver étrange aujourd'hui d'avoir des envieux, puisque cet homme admiiable a des persécuteurs? Toutes les oreilles qui ne sont point barbares, sont charmées par la douceur de ses vers. Ce je ne sais quoi qui se trouve sur le visage des belles femmes, que l'on voit et que l'on ne peut exprimer, se rencontre dans toutes ses périodes , que les Muses ont, ce semble, elles-mêmes mesurées. Néanmoins devant com- bien de juges n'est-il point condamné? et quel petit rimail- leur ne croit en conscience qu'il écrit beaucoup plus noblement que lui ? Les plus excellents poètes de l'antiquité ont en des rivaux, qui n'ont pu supporter leur lumière; et leur parti, qui étoit le plus juste, n'a pas toujours été le plus fort. Mais la postérité leur a Inentôt rendu la justice qu'ib n'avoient pu

I. Vab. (édit. de i63o) : les impies ne commettent det sacri- lèges.

3. Vab. (édit. de i63o) : Les empires....

DISCOURS DE GODEAU. 367

obtenir de rîngratitnde de leur siècle. Sortant de la vie, ils sont entrés dans le temple de la gloire , personne n'a pins osé lenr disputer la place dont ils étoient dignes, et leurs enne- mis mêmes sont venus quelquefois les adorer. Je veux croire que Malherbe ayant souffert une semblable persécution, rece- vra une même couronne. Toutefois, quand cela ne seroit pas, quand la cruauté de ses censeurs iroit jusques à violer son sépulcre , il me semble que je ferois tort à son grand coarage, et que ses mAnes m'accuseroient de l'avoir trahi, si je le vou- lois justifier devant ceux qu'il n'eût jamais reconnus pour ac- cusateurs dignes de lui , tant s'en faut qu'il les voulût avouer pour ses juges. Le grand Scipion, qui contraignit la fortune d'abandonner Anmbal pour se mettre de son parti, se voyant accusé d'avoir volé les trésors du roi Antiochus , comparut à l'assignation que les tribuns lui avoient fait donner. Mais an lieu de se purger d'un crime si dangereux , il fit souvenir le peuple romain que le même jour il avoit gagné une bataille contre les Carthaginois, et pria chacun de le suivre dans le temple il alloit rendre grâces aux Dieux , estimant que son innocence étoit assez forte toute seule, et le mérite de ses ac- tions assez connu, pour se moquer de la calomnie. Je veux imiter le procédé généreux de ce grand homme , et sans m'amuser à rendre raison de toutes les choses que l'on blâme dans notre auteur, proposer seulement ce que contiennent ses œuvres, découvrir la conduite qu'il a observée , et éle- ver ma voix pour faire ouïr à tout le monde ces légitimes éloges.

Malherbe, l'honneur de son siècle, les délices des rois, l'a- mour des Muses et l'un de leurs plus accomplis chefs-d'couvre, est l'auteur de ce volume. Retirez-vous, profanes : chaque ligne est sacrée; vous n'y pouvez porter la main, sans commettre un sacrilège. Orgueilleux esprits, qui ne laissez jamab votre humeur critique, si ce n'est pour lire les ouvrages de votre façon, changez vos injures en louanges ; et si vous ne l'hono- rez pas assez pour consacrer des temples à sa mémoire , au moins respectez ceux que les autres entreprennent de lui bâtir, et ne les empêchez point d'y travailler.

Je ne crois pas que la comparaison de ce grand capitaine, dont je me suis servi, puisse être trouvée mauvaise ; car il me

368 APPENDICE.

semble qu'il ne faut faire guère de différence entre ceuK qui gagnent les victoires , et ceux qui savent Part d'en rendre la mémoire étemelle. Homère n'est pas moins honoré parmi nous qu'Achille ou qu'Hector, et personne n'a trouvé maa* vais jusques ici que la fable ait mis Orphée dans le vaisseau des Argonautes. Les poètes portent une couronne de laurier aussi bien que les conquérants ^, et ils ont cet avantage par- dessus eux , qu'ils ne sont point obligés de la quitter quand la cérémonie de leur triomphe est passée. J'aurois beaucoup de choses à dire sur cette agréable matière, s'il n'étoit plus à propos de traiter du principal sujet de mon discours , je garderai Tordre selon lequel on a disposé les matières de ce volume*.

II y a beaucoup de personnes qui croient que la traduction est indigne d'un homme courageux, et que comme cet ancien philosophe ne permettoit d'aller prendre de l'eau chez son voi- sin, qu'après avoir fouillé sa terre jusques à l'argUe , un esprit ne doit s'adonner à expliquer les autres, que lorsqu'il se re- connoît incapable de produire quelque chose de lui-même. Mais je ne saurois être de cet avis. Au contraire, il me semble que pour réussir en la version d'un excellent auteur, il ne faut guère moins de doctrine , de jugement , et d'éloquence , que dans les ouvrages d'invention. Malherbe, au pis aller, a les plus honnêtes gens de l'antiquité pour compagnons de sa foi- blesse, si c'est en témoigner que de s'amuser à traduire; et je m'assure qu'il aime mieux être au rang de ces coupables , que parmi les innocents qui le reprennent. La plupart des comédies de Plante et de Térence , dans lesquelles on trouve toutes les richesses et les beautés de la langue latine , sont de pures tra- ductions grecques ; et Cicéron , ce grand génie de l'éloquence, après lequel il me semble que l'on pourroit faillir impunément, n'a pas cru cette occupation ou inutile , ou indigne de son divin esprit, ayant fait les livres de Platon, de Xénopfaon, et d'Aratus, romains , qui sont de trop longue haleine pour s'imaginer qu'il n'en attendoit pas de la gloire. Après lui, Mes-

1 . Godeaa ft^est souvenu ici des vers de Charles IX a Ronsard.

2. Dans l'édition de i63o, les matières sont ainsi rangées: Traité des bienfaits; le XXXIU* livre de Tiie-Lipe , les Lettres et les Poésies.

DISCOURS DE GODEAU. 369

sala s'occupa au méine travail, et quelque délicate que fût Foraison d'Hypéride pour cette fameuse courtisane Phryné, il fit avouer par les grâces de sa version que la copie n'étoit pas nx>ins excellente que roriginal. De siècle en siècle il s'est trouvé des hommes qui ne pouvant être riches tout seuls , ont fait part des trésors qu'ils avoient découverts dans Athènes, ou dans Rome» à ceux auxquels les affaires, Vâge, ou les maladies ne per* mettoient pas d*aller puiser les sciences jusque dans leurs sour- ces. Que si l'intention des interprètes, qui n'ont pas heureuses ment réussi en ce dessein, mérite quelque louange, comme sans doute elle en est digne, quel assez grand honneur pouvons- nous rendre aux autres, lesquels , comme s'ils étoient animés de l'esprit de ceux qu'ils nous expliquent, ne leur dérobent rien de leurs beautés, et les font parler aussi agréablement que s'ils n'avoient jamais respiré un autre air que celui du Louvre? Le tnédecin qui découvre la vertu de quelque simple inconnu ' auparavant est quasi adoré, et on ne fera pas de compte de celui qui renonce à ses plaisirs, néglige le soin de sa santé, oublie ses affaires, et met son esprit s\ la torture , pour ensei- gner l'obéissance aux sujets, la modestie aux souverains , et à tous l'art de vivre heureusement, par la bouche de ces hom- mes divins du temps passé , dans lesquels la nature a fait tous les efforts dont il semble qu'elle soit capable ? Il n'y a que les ignorants qui se puissent imaginer que ce travail n'est aucu- nement pénible. Car comme chaque langue a ses délicatesses particulières, et chaque esprit son caractère différent, ou à raison du climat, ou à cause de l'inégale disposition des or- ganes qui lui servent en ses opérations , ou par la diversité de la nourriture et de l'institution, il est besoin d'une haute sudi- sance, et d'une longue méditation, pour empêcher qu'un au- teur ne paroisse ridicule sous des habits qu'il n'a pas accou- tumé de porter. Mais s'il y eut jamais quelque notable diversité dans la façon d'écrire, elle se trouve sans doute entre la nôtre et celle des Latins, qui n'ont garde d'être si scrupuleux que nous, soit à éviter la répétition des mots, soit dans le rapport des comparaisons, dans l'observation de la suite, et l'usage des

I. Godeau a fait simple du fémiDÎn t c Quelque simple in- connae...* >

Maxjiuuib. r 94

370 APPENDICE.

nétaphores. Leurs oreilles souffrent un style serré, et quelque- fois rompu, oe qui nous seroit insupportable. Ils ont foçons de parler ou naturelles, ou imitées du grec, qu'un tradndeiir ne peut rendre sans faire un grand tour de paroles, et \tK conséquent sans affoiblir les pensées, dont la subtilité est sou- vent* renfermée dans les mots , s'il ne se consulte longtemps soÎHuéme, et n^entend leur langue aussi parfaitement qoe la sienne. C'est pourquoi son principal dessein doit être de ren- dre le sens avec une exacte fidélité', et ce seroit quelquefob nue faute de jugement très-signalée que de s^amuser i la forme de rélocutimi , chaque nation ayant ses goûts différents poar les grAces du style^ et ce qui excite Tadmiration en un endroit, courant fortune de n*étre pas souffert en un autre. U ne faut point en chercher de preuves plus éloignées que Sénèque. On peut l'appeler le plus illustre martyr que la philosophie ait jamais eu, et il semble que cet esprit qui faisoit souffrir aux premiers chrétiens la cruauté des flammes et des tortures 'dvec moins d'émotion que n'en avoient leurs juges à les regarder, est celui qui prononce par sa bouche ces courageuses exhorta- tions à l'amour de la vertu, et au mépris de la mort. Il ni a point de passion si véhémente que son entretien ne modère, de tristesse qu'il n'adoucisse, et de doutes dont il ne donne la résolution. Mais il faut avouer après cet éloge, que sa diction se sent beaucoup des vices de son siècle, négligeant Tan- cienne pureté de la langue, on s'étoit jeté sur les pointes ; qti'il a fort peu de soin du nombre des périodes dans la pinprt de ses livres, et qu'elles sont bien souvent détachées ; ce que j'at- tribue à cette grande fertilité d'esprit qui lui foarnissoit inces- samment de nouvelles matières, et à la sévérité de cette vertn dont il faisoit profession, qui ne lui permettoit pas, à son avis. de s'arrêter avec tant de scrupule aux règles des orateurs.

I . Souvent n'est pas dans rédition de i63o.

s. Godeau a supprimé ici, dans Tédition de i63i, un membre of phrase qui ne se trouve que dans l'édition de i63o : « C'est ponr- quoi , encore qu'il fût à souhaiier pour une pUu grande perfection f«" force de méditer sur son original^ U en exprimât jusques ans mût»- dres trait 9 et qu'il prît mime son style ^ néanmoins son principal des- sein.... »

3. Var. (édit. de ir>3o): Pour l'éloquence....

J

DISCOURS DE GODEAU. 371

Mais nos oreilles sont aujourd'hui si délicates, et les plus puis- santes vérités font si peu d^mpression sur les esprits quand on ne les dit pas de bonne grâce , que jamais ancien n'eût sitôt lassé ses lecteurs que ce divin philosophe S si Malherbe n'eût hardiment renversé ses périodes, changé ses liaisons pour faire la suite meilleure, retranché les mots qui paroissoient superflus, ajouté ceux qui étoient nécessaires pour Téclaircissement du sens, expliqué par circonlocution des choses qui ne sont plus en usage parmi nous, et adouci quelques figures dont la har- diesse eût indubitablement offensé les lecteurs. Un autre que lui ne se fût jamais servi avec tant de jugement et de retenue de ces libertés, absolument nécessaires pour bien traduire. Car s'il les prend dans les passages sans elles il seroit indubita* blement obscur^ il s'attache ailleurs avec une fidélité si scru- puleuse à sa pensée et à la forme de son style, que si Sénèqne revenoit au monde, je ne doute point qu'il n'ajoutât au nom- bre des plus illustres bienfaits dont il parle dans ses livres, celui qu'il a reçu de Malherbe * en une si excellente et si agréable version. Celle du trente-troisième livre de Tite Live, que l'on a mise après, n'est pas moins excellente ; et si lui-même n'en avoit fait la préface, j'en toucherois un mot ensuite de ce que je viens de dire. Mais il a si judicieusement répondu aux ob» jections que les critiques lui pouvoient faire, que ce seroit une témérité d'y vouloir ajouter quelque chose.

Je pense que tous ceux qui jetteront Toeil sur ces deux excellentes pièces seront de mon opinion, pourvu qu'ils soient raisonnables, et qu'ils n'admireront pas moins que moi les grâces qu'elles ont conservées en changeant de langue* Mais leur ravissement s'augmentera sans doute, quand ils liront la plupart de ces belles lettres *, dont il faut avouer que je suis charme, et que chacun peut prendre pour de très-par- faits modèles des règles qu'il faut observer en ce genre d'é- crire. Ce n'est pas mon dessein de traiter cette matière plei- nement ; car elle désire un discours à part, et une parfaite

1. Vab. (édit. de i83o) : Quand on ne leur donne pas des orne- ments agréables pour leur plaire, que jamais auteur n*eût sitôt....

2. De MaUueroe manque dans réuition de i63o.

3. Vab. ^édit. de i63d): Quand ils viendront à ces belles lettres....

37a APPENDICE.

connoissance des secrets de la rhétorique, dans lesquels je me confesse très-ignorant. Je ne veux rapporter ici ^ que tes maximes les plus communes, pour satisfaire les esprits de ceitx qui pourroient s'étonner de l'inégalité des pièces dont la se- conde partie de ce livre est composée , plutôt que pour justi- fier Malherbe devant ses envieux , auxquels il me semble que je ne puis faire de réponse, sans reconnoitre tacitement qu'ils sont capables de Taccuser.

Le discours, ou Toraison par laquelle l'esprit fait entendre ce qu'il a conçu, est de deux sortes : Tune libre, étendue, et comme négligée; l'autre contrainte sous de certaines 1<hs, ren- fermée dans quelques bornes, et parée avec un soin particulier. Sous la première espèce, les entretiens familiecs et les lettres sont comprises*; sous la seconde, les actions publiques, soit cpi'elles louent les grands personnages, soit qu'elles traitent des affaires d'État qui tombent en délibération, ou qu'elles servent pour défendre et pour accuser. Les maîtres de l'art donnent plusieurs règles pour reconnoitre quand cette partie, qu'ils appellent composition, est parfaite dans les unes et les antres; mais il me semble que toutes se peuvent rapporter à l'obser- vation de ces trois choses : Pordre, la liaison ou la suite, et le nombre. L'ordre ne range pas seulement les mots selon les règles de la grammaire; il dispose les matières, donne la place aux raisons, selcm qu'elles sont ou plus fortes ou plus foibles, et retranche ce qui est superflu, ou ajoute ce qui peut être né- cessaire pour l'éclaircissement du sens. La liaison unit toutes les parties du discours, en forme un corps agréable*, et fait que celui qui lit ou qui écoute, étant conduit d'un point à l'autre par une méthode facile, imprime si parfaitement les choses dans sa mémoire, qu'elles n'en peuvent plus échapper. Le nombre chatouille les oreilles par la cadence agréable des périodes, lesquelles n'étant ni coupées, ni étendues ^, ni mesurées avec

I. Vah. (édit. de i63o) : Et beaucoup plut de connoiiMnoe dfs secrets de la rhétorique, à laquelle seule il appartient de régler \et disputes de cette nature, que je n*en reconnou dans mon esprit. ne rapporte ici....

a. Il y a le féminin dans les deux édidons de i63o et de i63i«

3. Ce membre de phrase manque dans l*édidon de i63o.

4. Vam. (édit. de i63o) : Ni trop étendues....

DISCOURS DE GODEAU. ^-ji

trop de soin, ni tout à fait négligées, forment une certaine har^ monie, sans laquelle il n'y a point de pensées qui ne dégoûtent incontinent. Les deux premières perfections doivent se ren- contrer également dans toutes sortes de discours. Mais pour ce qui regarde la dernière, elle change selon la nature des sujets qui sont traités; et quiconque n'observe ces différences, ne produira jamais que des monstres. Car comme dans les répu- bliques où la police est exacte, il n'est pas permis aux per- sonnes privées de porter des habits aussi riches que les ma- gistrats, et que chacun a part aux honneurs selon le degré de sa naissance, ou à proportion de sa vertu, de même dans TÉtat de l'éloquence, il ne faut s'imaginer aucune confusion, tontes les matières ne doivent pas paroitre sous des ornements de pareil éclat. Chacune a son style, des figures, et des beautés qui lui répondent ; et il faut exactement considérer en quelle qualité on parle, quel est fe sujet que l'on traite, quelles les personnes qid écoutent, qui délibèrent, ou qui jugent, afin que l'oraison ne soit pas grave quand elle doit être un peu libre % ou véhémente quand il faut qu'elle imite plutôt le cours pai- sible d'une rivière que la force d'un torrent qui se déborde. Or il n'y a point de doute que cette diversité ne naisse de ce que j'ai appelé nombre. En effet, selon que les paroles qui commencent ou finissent les périodes sont propres ou méta- phoriques, brèves ou longues, composées de plusieurs syl- labes ou de peu ; elle est plus basse ou plus élevée, plus pro- pre à émouvoir ou à instruire, plus remplie d'artifice ou plus natorelie. Et cette vérité a lieu non-seulement dans les trois genres qui marquent ces différences, mais encore dans les lettres, quoique par la première division que j'ai faite il semble que je les aie voulu priver de toute sorte d'art et de règles. Les unes sont familières, par lesquelles nous avertissons nos amis, ou de notre santé, ou de nos affaires, ou de nouvelles qui les touchent, ou de ce cpii se passe dans le monde; et les autres changeant leur nature ordinaire, servent tantôt pour expliquer quelque point de science, tantôt pour persuader quelque vertu*.

I. Vab. (édit. de iH3o) : Un peu gaie....

a. A la place de ce membre de phrase, on lit celui-ci dans Tédi- tion de i63o : c .... de science, tantôt pour ramener à une fiiçon de

374 APPENDICE.

tantôt pour demander quelque chose aux princes, leur renou- veler ses devoirs, les louer de quelque grande action, les con- soler sur leurs pertes, et quelquefois se justifier auprès d'eux d'une accusation importante. Celles de la première espèce ne doivent pas être entièrement négligées, ou dépourvues de nombre, encore que le nom de familières^ qu'elles portent semble en bannir toute sorte d'étude et de soin. Car les oreilles ne peuvent recevoir les choses* avec plaisir, et les rapporter sans confusion à la faculté de Tâme qui les doit examiner après elles, quand on les mène plus loin qu'elles ne peuvent aller, ou que, tombant dans une autre extrémité, on les arrête lors- qu'elles s'attendent de faire encore quelque chemin* Mais il suffit qu'elles n'y soient point offensées, ou si on leur veut plaire, il faut que ce soit avec un artifice extrémemenl caché. Car on a trouvé le secret de faire excellemment les lettres dont nous parlons, lorsque la composition n'en paraît aucunement contrainte, que le style en est naïf, que les périodes sont courtes, et non pas divisées en plusieurs membres, ou remplies de mob dont la prononciation leur donne un poids et une gravite qu'elles ne doivent point avoir. C'est dans les antres dont le sujet est plus noble, qu'il est permis d'élever son style, de tra- vailler puissamment à émouvoir les passions, de remplir l'esprit de celui qu'on entretient, de grandes pensées, et qu'il faut non- seulement se faire entendre, mais se faire entendre avec force. Alors le nombre peut être (»bservé, pourvu que ce soit sans une affectation trop scrupuleuse ou trop visible, et tous les mouve- ments des harangues y trouvent leur place, si on en excepte quelques-uns, qui doivent être nécessairement conjoints avec l'action, et qui naissent de figures plus éclatantes que ne peut souffrir la nature de Tépitre, laquelle doit toujours retenir qud- que chose de la naïveté.

Il me semble que voilà à peu près l'image de la perfection dont les lettres sont capables. Mais il n'en est pas de même que de l'idée de l'orateur de Cicéron, dont on n'a jamais vu d'exem-

vivre plus réglée les personnes qui nous appartiennent, tantôt poor demander.... »

I. Vab. (édit. de i63o] : Encore que le nom qu*elles portent....

a. Var. (édit. de i63o) : Les images des choses.. .

DISCOURS DE GODEAU. 376

pie, si lui-même ne l'a été; car il ne faul que lire la seconde partie des œuvres de Malherbe, pour voir toutes les beautés, i*artifice et les grâces dont je viens de parler, plus parfaitement employées que je ne les ai décrites ^ Il entretient ses amis avec un style si naïf, il les console avec tant de force*, il parle aux grands d'une façon si relevée, il découvre les sentiments de sa passion à sa maîtresse avec des pensées si délicates, que si je ne craignois de lui susciter de nouveaux envieux, je dirois qu'en ce genre d'écrire il est tout à fait inimitable. La lettre à Mme la princesse de Conti se peut appeler un chef-d'œuvre; et comme à chaque fois que l'on jette la vue sur un excellent tableau on y remarque des beautés nouvelles, je ne doute point qu'avec quelque soin que les curieux aient examiné cette rare produc- tion d'esprit, ils n'y rencontrent encore à cette heure de nou- veaux sujets d'admiration. Sans doute le Génie qui préside à la fortune de sa maison, dont elle est un des plus grands orne- ments, et celui qui conserve parmi nous l'empire de l'éloquence, l'inspiroit pendant ce glorieux travail, et il me semble qu'être consolée de cette façon, c'est presque gagner autant que l'on a perdu'. J'avoue que ses autres lettres n'ont pas les grâces et les richesses de celle-là, et qu'il s'en trouve même quelques- unes, sans être injuste on peut trouver quelque chose à re- dire. Mais il ne faut pas s'étonner si parmi un grand nombre de diamants, il s'en rencontre qui ont des pailles. Les plus excellents peintres ne réussissent pas toujours, et l'état de l'es- prit, la stérilité des sujets, ou la confiance en celui auquel on écrit, sont bien souvent cause que le style se relâche, et que l'on n'examine pas les périodes et les pensées. C'est une grande injustice de vouloir qu'un homme fasse toujours des mira- cles, parce qu'il en fait quelquefois, et de ne lui permettre pas les vertus communes, à cause qu'il en a d'extraordi- naires.

Ce seroit assez de tant d'excellents ouvrages, pour rendre sa

s. Vah. (édit. de i635) : Pour voir toutes les grâces et artifices dont je viens de parler, plus par&itement employés que je ne les ai décrits.

3. Ce membre de phrase manque dans l'édition de i63o.

3. Ce qui suit, jusqu'à la fin de l'alinéa, manque dans l'édition de i63o.

3:6 APPENDICE.

roéinoire précieuse à tons les hommes, et faire taire ceax qui ne peuvent supporter Téclat de sa gloire. Mais je puis dire sans hyperbole que je n*ai pas encore découvert ce qui se peut particulièrement appeler son trésor. Nous voici arrivés sur la porte, et je vois déjà tant de raretés qui font un agréable mé- lange de leurs lumières, que mes yeux en demeurent éblouis. Comme il faisoit une particulière profession de la poésie, c'est en cette qualité qu'il a eu de plus sévères censeurs, et reçu des injustices plus signalées. Mais il me semble que je fermerai la bouche à ceux qui le blâment, quand je leur aurai montré que sa façon d'écrire est excellente, quoiqu'elle s*éloigne un peu de celle de nos anciens poëtesS qu'ils louent plutôt par un dégoût des choses présentes que par les sentiments d'une véritable estime, et qu*il mérite le nom de poète.

La poésie arrive à sa fin, qui est d'instruire et déplaire, d^une façon toute particulière. Car elle cache sous Técorcede la fable ce que les autres sciences proposent à découvert, pour rendre les vérités qu'elle publie plus vénérables par ce voile qui les couvre, et se donner entrée dans Fesprit avec moins de peine, par le contentement qu'il reçoit d*une fiction ingénieuse. Elle emploie encore la mesure des syllabes pour les uns, la douceur des rimes chez les autres, et parmi tous la pompe du style, la majesté des figures, les hardiesses dans les façons de parler, et la naïveté des descriptions, comme ses ornements plus natu- rels, et qui la distinguent mieux de l'éloquence oratoire. De sorte que celui-là peut être estimé le plus excellent poète, qui sait mieux l'art de profiter et de plaire tout ensemble, soit aux doctes, qui ont poli leur esprit par l'étude, soit aux autres, qui n'ont que les lumières d'un bon jugement naturel. Or il est certain que pour former parfaitement cette agréable mélange' du plaisir et de l'utilité , la structure du vers doit être belle, et plus ou moins noble selon la difierence des matières, qui ne veu- lent pas être traitées avec même soin. Je sais que ce n'est pas en cet arrangement de paroles qu'elle enseigne, que consiste la perfection des poèmes, et que quelques-uns s'en peuvent passer absolument. Mais puisque par une coutume, trop ancienne pour

I. Var. (édit. de i63o) : Des anciens. .. a. Vab. (édit. de i635) : Ce mélange....

DISCOURS DE 60DEAU. S77

être changée, on n'appelle poètes que ceux qui font des vers sous de certaines mesures de syllabe, comme parmi les Latins, 00 sous les lois de la rime, comme parmi nous, je conclus har- diment qu'il est nécessaire de prendre garde à les bien tourner, et de faire qu'ils contentent l'oreille, pour le plaisir de laquelle ils semblent avoir été particulièrement inventés. Car sans cela les fables les plus heureusement imaginées, les pensées les plus délicates, les matières les plus hautes dégoùtei^ment l'esprit des lecteurs, au lieu de les transporter hors d'eux-mêmes ; ce qui est le plus haut effet de la poésie. Les noms de ces grands hommes, Ronsard et du Bellay, ne doivent jamais être proférés sans imprimer dans l'esprit de ceux qui les écoutent une secrète révérence, et il faut avouer que jamais personne n'apporta une plus excellente nature, une force de génie si prodigieuse, et une doctrine si rare à la profession des vers* ; mais il est certain aussi qu'ils n'ont pas eu tout le soin que l'on pouvoit désirer de irette partie de la poésie dont nous parlons, soit qu'ils la négli- geassent, ou que les oreilles de leurs temps fussent plus rudes que les nôtres, les juges moins sévères, et la langue moins raffinée. La passion qu'ils avoient pour les aneiens étoit cause qu'ils pilloient leurs pensées plutôt qu'ils ne les choisissoient, et que mesurant la suffisance des autres par celle qu'ils avoient acquise, ils employoient leurs épithètes sans se donner la peine de les déguiser pour les adoucir, et leurs fables sans les expli- quer agréablement, et considérer d'assez près la nature des matières auxquelles ils les faisoient-servir. Mais Malherbe, con- noissant le goût du siècle auquel il écrivoit, a cru qu'il devoit être plus scrupuleux en cela qu'ils n'ont été, et que des Portes, Bertaut, et le cardinal du Perron, ayant ajouté à la poésie la politesse de laquelle ils étoient capables ou qu'ils jugeoient né- cessaire pour la mettre en un état de perfection, il pouvoit bien à leur exemple chercher de nouvelles grâces pour parer nos Muses, qu'il voyoit si cruellement méprisées, et les retirer d'entre les mains de tant de petits monstres qui les déshono- roient. Les licences qu'il a évitées, soit pour l'addition ou le retranchement des syllabes dans les mots, la sévérité qu'il a

I. Var. (édit. de i(>3o) : Jamais hommes n'apportèrent une plm exceUente nature, etc. à leur profession....

37ft APPENDICE.

gardée dans Temploi des rimes, et tant d'autres règles, des- quelles on lai reproche l'invention, sont des diaines à la Tenté, mais on les doit plutôt appeler des ornements convenables à leur sexe, que des marques honteuses de servitude ; et quand j*avoueroîs qu*elles sont captives, il est certain que œCte non* velle prison leur est plus avantageuse que leur andenne liberté ; qu'il n'y a que ceux qui les veulent faire parier comme des filles ddMuchées, qui condamnent la sévérité dont elles (oal maintenant profession, et que si on a jamais espérer de les revoir assises sur le trône, d'où elles étoient chassées, c^est à cette heure qu'elles ont repris les grâces de leur visage, la ma- jesté de leur port, et les charmes de leur conversatioD, sous la discipline de notre Malherbe.

Cette rigueur qu'il a observée en sa façon d'écrire fait que ses plus grands ennemis confessent qu'il étoit excellent versifi- cateur; mais c'est toute la louange qu'il peut obtenir de leur courtoisie, car le nom de poète, à leur avis, ne lui peut appar- tenir, le prenant dans son ancienne et véritable signification. Cette calomnie est fondée sur d'aussi mauvaises raisons que les antres, et par conséquent il ne me sera pas plus difficile d'j répondre, pourvu qu'ils se contentent de la vérité.

La poésie et la peinture ont été appelées sœurs, à cause que ces deux arts ne sont rien autre chose qu'une imitaticm de la nature, et que d'autant plus qu'elles en af^rochent, d*autant sont-elles voisines de la perfection qui leur est propre. La poé- sie est une peinture parlante, la peinture une poésie muette; et comme les peintres sont distingués par la différence des choses qu'ils représentent, les uns travaillant après le naturel, les autres ne faisant que des dessins^, ainsi les poètes sont différents les uns des autres par la variété des sujets qu'ils imitent, et la manière de l'imitation, dans laquelle on peut con- sidérer quatre choses : le sujet, le spectateur, les instruments qui servent, et celui qui les emploie. Le sujet comprend sous lui tout ce qui peut être représenté de la personne qu'on vent

I. L'édition de i63o donne ici oe membre de phrase, reUmcbé dans les éditions suivantes : c Ceux-ci ne réussissant qu'en des pos- tures bouffonnes ou lascives, et ceux-là qu'en l'expression des mou- vements furieux d'un homme en colère ou touché de quelque gnad* tristesse....

DISCOURS DE GODEAU. 379

imiter. Dans le spectateur il ne fiant considérer que la fantaisie^ qui reç<Ht les images de ce qui se fait ; les instruments qui for- ment ce que les anciens a^peloient spectacle , et ce que nous nommons décorations de théâtre, se rapportent on à la vue, ou à Touïe ; et Timitaleur' arrive à sa fin, ou par le discours seul, on par la gesticulation (car il faut que je me serve de ce mot), ou par le chant. L'imitation qui ne se sert que du discours, est celle qui se voit dans les poëmes éjnques, héroïques, élégia- c|ucs, satiriques, ceux qui se chantoient en l'honneur de Bac- chus, appelés dithyrambiques, et encore dans nos épigrammes et nos sonnets. Celle qui, outre le discours, emploie encore le chant, est particulière aux lyricpies ; car les anciens avoient* trouvé Tart de représenter les actions de qui que ce fût^ par rharmonie des flûtes, on des autres instruments de musique qui étoient en usage parmi eux. La dernière qui se fait en toutes les trois façons, par le discours, la gesticulation et le chant, constitue les poëmes tragiques et comiques ; ce qui ne sera plus obscur quand on aura considéré la différence qui se trouve entre la scène des Grecs et la nàtre. Parmi eux, aussitôt que les acteurs avoient achevé la pièce, les danseurs venoient sur le théâtre, qui représentoient tout ce qu'elle contenoit par leurs diverses figures, d*où nos ballets ont sans doute pris leur origine ; et quand ils étoient sortis, les musiciens expri- moient encore en quelque façon par les différents accords des flûtes ce qui étoit déjà entré dans Tesprit des spectateurs, par les vers du poëte, et par les postures des baladins. Auparavant même que les acteurs vinssent sur le théâtre, le peuple savoit si l'argument de la pièce devoit être sérieux ou risible, par le ton des flûtes qu'il entendoit'.

Donc pour prouver que Malherbe est poëte, et donner à sa poésie le nom qui lui appartient, il faut considérer s'il imite, quelles sont les choses qu'il imite, et de quelle sorte d'imita-*

I. Vab. (édit. de i635) : La feintîse....

9. Vab. (édit. de i63o) : Les instruments se rapportent ou à la vue ou à l'ouïe; et l'imitateur.. . .

3. Vah. (édit. de i63o) : Les anciens, à la mode desquels je parle à cette heure, avoient....

4. Var. (édit. de i63o): Deqiû(}ue ce soit....

5. Cette phrase manque dans l'édition de i63o.

S8o APPENDICE.

tion il s'est servi. Pour être éclaird du prenier point, il suffit de lire une de ses belles «xies, il représente avec tant de naïveté les plus illustres événements de l'État, les désirs, les doutes, et les autres passions dont les personnes qu'il introduit pouvoient être agitées, ou Tont véritablement été ; la bien- séance est si religieusement observée, les anciennes fables expliquées de si bonne grâce, et celles de son invention mises avec tant d'artifice ; le style est si éclatant par les figures qui l'embellissent, lorsque son sujet le demande, et si délicat quand il ne lui permet pas de s'élever beaucoup, qu'il fant avouer que jamais homme ne modéra la cbaleur de son esprit avec plus de jugement, et ne mérita mieux la qualité d'excellent poëte lyrique.

Quoiqu'il ait parlé de deux grands princes et d'une reineS dont les actions peuvent fournir de matière à cent poëmes hé- roïques, ne s'étant pas toutefois servi du genre de vers* qui leur est propre, et ayant eu plutôt dessein de chanter des hymmes à leur louange, sur quelques actions particulières, que d'écrire une narration continue, et y faire entrer plusieurs épisodes on digressions, il ne peut légitimement prétendre qu'à ce rang dans lequel nous le mettons ; mais aussi se peut-il vanter d'y occuper une des premières places. Sapho', Anacréon et Pinfiare ont acquis le plus de réputation dans cette espèce de poésie parmi les Grecs, qui se sont montrés idolâtres du dernier, et en ont inventé des choses dignes de leur fidélité accoutumée, pour rendre sa mémoire plus vénérable. Chacun d'eux a suivi ses inclinations dans le choix de son sujet. La première a parlé de ses amours ^ ; le second s'est occupé à louer les femmes et le vin ; le dernier, se proposant un objet plus noble , a célébré le nom de ceux qui avoient gagné quelque couronne aux jeux olym- piques. Mais quelque vanité qui les fiatte, il est certain qu'Horace vaut mieux tout seul que ces trois ensemble ; car il n'y a point de sujets qu'il n'ait traités avec une délicatesse incomparable ; et quand il confesse Pindare au-dessus de l'imitation, ou il com-

I . Henri IV, Loait XUI et Marie de Médicis.

a. Var. (édit. de i63o) : I>e la sorte de yen,...

3. Dans Pédition de i63o: Sûpphon,

à. Vab. (édit. de i63o) : De ses monstrueuses amours....

^ j

DISCOURS DE GODEAU. 38c

mençoit à faire des vers, on il suivoit Topiiiion comoMne , et tAchoit de gagner Tesfirit de ses lecteurs par un si célèbre té- moignage d'humilité. Il a pn l'avoir pour maître, mats il est devenu plus habile que lui ; et quiconque fera la comparaison de leurs ouvrages, trouvera sans doute son style beaucoup plus poli, la structure de ses vers plus belle, et ses pensées plus rai- sonnables. Toutes les richesses de la langue latine éblouissent les yeux dans ses ouvrages; toutes ses délicatesses y cha- touillent les oreilles; et j'oserois quasi dire que nous n'avuiis point de source plus pure et plus abondante^ Que peut-on ima- giner de plus digne des triomphes du grand Auguste que ces belles odes il les loue avec tant de grâce et de pompe, que chaque vers se peut appeler un chef-d'œuvre de Fart? Il ne s'en faut guère que celle qu'il adresse à Drusus et à Tibère ne réponde à la grandeur des victoires que ces vaillants princes avoient gagnées; et chacun sait Testime que faisoit d'une autre le grand Scaliger', dont il disoit qu'il eût mieux aimé être au- teur, que de commander à un royaume'* Celle il traite si cruellement la fameuse sorcière Canidia n'est pas moins par- faite en son genre ; et depuis que les Muses apprennent aux poètes à découvrir leurs passions avec quelque artifice, unt- elles jamais inspiré à personne des sentiments si délicats qtie ceux du dialogue il s'introduit lui-même parlant avec une de ses andeimes maîtresses? Je l'ai vu traduit par une excel- lente fille^, que ses écrits rendent assez illustre, sans que j'en- treprenne de la louer, et si je m'y connois, cette copie a toutes les grâces qui se peuvent désirer. Mais nous n'avons guère sujet' de porter envie au siècle dans lequel ce grand homme a

I. Celte phrase manque dans Fédition de i83o.

s. Vab. (édit.de i63o) : Le plus nch\e critique de notre temps. « La correction était nécessaire. Le texte de i63o s'appliquerait plutôt à Joseph- Juste Scaliger, mort en 1609 , qu'à son père Jules-César, mort en i558. C'était ce dernier qui disait qu'il aimerait mieux ayoir fait l'ode d'Horace : Quem tu, Me^pomene (IV, 3), que d'être roi d'Aragon. v

3. Vab. (édit. de i63o) : A un grand royaume.

4. Mlle de Goumay , la fiUe tToUianee de Montaigne. (Voyez Gon- jct. Bibliothèque frtutfoisef tome V, p. 3i4» et tome VI, p. 4o6.) Cette ode (m, 9) est la seule qu'elle ait traduite.

5. Var. (édit. de i63o) : Nous n'a yods point sojet....

38i APPENDICE.

vécu, le nôtre ayant eu un Malherbe; et il semble qn^ontrela oonformité de leur génie, le ciel a encore vouln qu'ils fiassent témoins de la vie des plus grands princes qui ont jamab été. Mous pouvons appeler ses pièces d'amour odes aussit6t que stances, puisque tout ce qui peut être chanté peut aussi rece- voir ce nom. Et si quelqu'un s'étonne que celles qui le por- tent ne soient pas divisées par strophes, antîstrophes et épodes, il doit considérer que cette distinction seroit inutile, Tusage qae nous en faisons étant bien différent de celui des anciens, qui se servoient de ces mots pour signifier les divers tours de leurs danses aux environs de l'autel, pendant lesquelles ils avoient accoutumé de les chanter.

Je suis plus amoureux des anciens que ceux qui croiront que je les offense par le discours que je viens de faire; et je ne crains point d'avouer pour mon auteur, qu'il les a toujours pris pour ses guides. En effet, soit que ces grands chefs- d'œuvre de la nature se donnassent k la profession de l'élo- quence, soit qu'ils choisissent l'étude de la philosophie, ou qne se laissant conduire à leur inclination, ils s'appliquassent ao métier des vers, ils y réussissoient si parfaitement, que pour être capable de produire quelque chose d'excellent , il en fanl prendre les semences de leiurs livres^ U me semble qu'auprès des rayons qui sortent de leurs écrits, les lumières de la plu- part de nos modernes ne sont que ténèbres; et je ne feroîs non plus de difficulté de reconnoître qu'ils ont poli mon style, enrichi ma mémoire , et forme mon jugement, que de confes- ser qu un prince m'auroit fait du bien. Mais toutes les bonnes choses ont deux extrémités vicieuses, et comme je blâme ceux qui les méprisent, je ne saurois souffrir ceux qui les adorent partout, et qui ne consultent en les imitant ni leurs orâlles, ni le goût des hommes qui les doivent lire. Les peintres qui veu- lent faire un excellent portrait, doivent s'étudier à exprimer

I. Vab. (édit. de i63o) : Dans leurs livres. -^ Ces mots sont soi- ris, dans l'édition de i63o, de cette phrase, retranchée detéditioof suivantes : c Je ne saurois souffrir ces petits esprits de notre siècle qui ont assez d'eflronterie pour comparer les statues de boue qu*iU fonnent avec tant de peine, à celles que ces honnêtes gens nous ont laissées , qui retiennent encore les premières gr&oes qu'elles ont reçues de leurs mains, il me semble.... i

V

DISCOURS DE GODEAU. 383

sur la toile tous les traits dn visage sur lequel ils travaillent; et il n'y a si petite observation de taches ou de rides qni ne fasse beaucoup à la ressemblance , en laquelle eonsbte la per- fection de leur art. Il n'en doit pas être ainsi de ceux qui pren- nent les anciens auteurs pour leurs patrons; car ils doivent se contenter de prendre' leur ordre et leur artifice, sans dépendra servilement de leur esprit, n'osant écrire que lorsqu'ils leur tiennent la main, et imitant leurs vices aussi bien que leurs vertus, n faut quelquefois enchérir sur leurs pensées , et re- giarder ce que chaque nation goûte, pour ne heurter pas les oreilles, qui sont les premiers juges de l'éloquence, et ne pécher jamais contre la bienséance , sans laquelle toutes sortes d'ouvrages sont indubitablement ridicules. Malherbe, sachant de quelle importance étoient ces distinctions, les a rigoureuse- ment observées. Il a aimé les Grecs et les Romains , mais il n'en a pas été idolâtre. Il s'est enrichi de leurs dépouilles, il s'est paré de leurs ornements, mais il les a changés auparavant avec tant de dextérité, qu'il faut avoir bonne vue pour les dis- tinguer d'entre ceux qui sont à lui.

11 me semble que c'est douter de la puissance de la nature, que de s'imagiuer qu'elle ne puisse plus faire de miracles , et d'une bonne mère que nous la devons croire , en faire une cruelle marâtre, de se persuader qu'elle n'a donné qu'aux an* ciens les dispositions nécessaires pour arriver à la perfection des sciences '. Ce Parnasse si fameux dedans les écrits des poètes est la demeure des Muses, mais il n'est pas leur prison. Elles en sont autrefois descendues pour venir rêver aux bords du Tibre, et comme notre Seine est aujourd'hui plus renommée qu*il ne fut jamais, ne doutons point qu'elles ne prennent plai- sir à se promener sur ses rivages. Si elles y caressent peu de personnes, c'est qu'elles sont modestes* plutôt cjne farouches, que toute sorte d'amants ne leur plaisent pas, et qu'il n'y a que ceux entre les mains desquels leur chasteté se peut tenir assurée à qui elles permettent d'en prendre le nom. Celui que nous louons étoit sans doute un des plus illustres, et je ne

1. Vab. (édit. de i63o) : De dérober....

3. Var. fédit. de i63o) ; A la perfection de sciences.

3. Vab. (édit. de i63o) : Discrètes....

384 APPENDICE.

pense pas que personne en puisse douter après avoir lu ses admirables écrits.

J'ai plutôt eu dessein d'en faire Téloge dans ce discoors, que le jugement ou Tapologie^ ; et les mêmes raisons qui me pouvoient empêcher de l'entreprendre^ ont été celles qui m'ont persuadé d'y travailler. Car la matière que j'avois à traiter m'a paru si riche, que j'ai jugé qu'elle se pouvoit aisément passer d'une belle forme, et que n'ayant pas ime mauvaise cause à défendre', je n'avob besoin ni des finesses de la rlié^ torique , ni de ces grands mouvements avec lesquels il ^nt éblouir l'esprit des lecteurs quand on ne veut pas qu'ils recon- naissent la vérité. Si c'est faire un sacrilège que de parler des vertus extraordinaires avec des termes et des pensées com- munes, j'avoue que je suis coupable du plus grand qui se com- mettra jamais. Mais si les louanges doivent plaire lorsqu'elles sont justes, j'aurai sans doute satisfait toutes les perscumes qui liront celles que je lui ai données, son mérite ne pouvant être inconnu que parmi les nations barbares, et dissimulé qu'entre ses envieux ou ses ennemis. Je ne suis pas si vain que de les vouloir faire passer pour un présent magnifique, dont sa renommée puisse recevoir quelque augmentation de gloire. Ce m'est assez qu'il les reçoive comme un tribut ; et je ne me fâcherai jamais qu'un autre lui dresse des trophées plus glorieux , pourvu que ce soit avec les mêmes sentiments de respect desquels je suis maintenant tondié. Il a eu deux sortes de persécuteurs : les ignorants, qui ne pouvant goûter que ce qui étoit de proportionné à leur foiblesse, ont condamné dans ses écrits comme ridicule ce qu'il y a voit de plus noble; et ses envieux, qui voulant tromper les autres après s*étre trompés eux-mêmes, ont tâché de persuader' qu'il faisoit les fautes dont ils avoient envie qu'il fût coupable, pour le con- damner avec quelque apparence de justice. Les premiers pour- ront continuer leurs impertinences tout h leur aise, et je n'es- time pas qu'il se faille beaucoup soucier du mépris de ceux

I. Var. (édit. de i63o) : ....dans ce discours, que Tapologie. a. Vas. (édit. de i53o) : Et que n*ayant ui fautes à déguiser, ni qualités ordinaires à décrire comme excellentes.... 3. Var. (édit. de f63o) : De leur persuader....

1

DISCOURS DE GQDEAU. 385

desquels on doit rejeter Tapprobation. Pour les autres, ines- péré qu'enfin ils se résoudront à croire leur conscience^ et que sa lumière étant un peu éloignée , elle ne leur fera plus si mal aux yeux qu'auparavant ^ En effet, la gloire ne doit pas être de ces maîtresses qui font naître des querelles entre les amants qui les recherchent*. Elle demeure toujours chaste, quoiqu'elle se donne à plusieurs ; chacun rencontre dans son temple la place dont il est digne, et le chemin par lequel on y doit parvenir n*est pas si étroit, que deux personnes n'y puissent marcher à la fois sans se heurter. Mais je parle à des gens' qui n'ont pas envie de se laisser persuader, et il vaut mieux que je finisse ce discours, après la vue duquel les lecteurs auront sujet de dire que je les ai conduits dans un superbe palais par un chemin fort désagréable, si ce n'est point offenser le génie du grand Malherbe, que de croire qu'ils puissent conserver le souvenir de mon fâcheux entretien, après avoir goûté celui de ses in- comparables ouvrages.

I. On lit ici dans l'édition de i63o cette phrase, supprimée dans les autres éditions : c 11 y a beaucoup de raisons qui font mépriser dans notre siècle ceux qui se mêlent ae faire des liyres ; mais je crois que l'une des plus fortes et peut-être des plus légitimes est ce ridicule amour que quelques-uns se portent à eux-mêmes, ce mépris insup- portable qu'ils font des autres, et ces lâches artifices qu'ils pratiquent pour établir leur réputation.

s. c Et il n'y a que ceux qui se reconnoissent indignes de gagner ses bonnes grâces par leurs mérites, qui ont recours aux sortilèges. » (Édition de i63o.)

3. Vab. (édit. de i63o) : A des personnes....

mv DK l'afpkndicx.

Malhbrbs. t 3 5

TRADUCTIONS

ppvaa^HiiVHPMitWgaRHHpga^VBWqp^wM^BWvv . . iJJ<i"i J

TRADUCTION

OU

XXXIU- LIVRE DE TITE UVE,

La traduction des seize premiers chapitres et d*uDe partie du dix-septième de ce livre parut en 1616 dans le second tome de la tra- duction de Tite Liye par Vigenère * . Plus tard Malherbe acheva son oeuvre et publia, en 1621, la version du livre entier, sous le titre de : Le XXXIII Uvre de Tite Live nouvellement trouvé à Bamberg, en AUemagne^ traduit par le S'' de Malherbe, gentilhomme ordinaire de la chambre du Roy^ et dédié à Monseigneur le duc de LuyneSy Paris, T. du Bray, in-S». Elle fut depuis réimprimée dans Tédition de i63o et dans toutes celles qui en furent la reproduction. On la trouve en- core dans un recueil des Lettres, de 164 5. La dernière édition des OEuvres elle ait figuré est celle de 1713. Le texte que nous don- nons ici est celui de i63o : nous indiquons les variantes de l'édition de 161 I.

Lorsque du R^er traduisit les Décades de Tite Live (i653, 1 vol. in-fol.), il ne fit pas une version nouvelle du livre XXXIII, mais il adopta celle de Malherbe, qu'il fit précéder de cet avertissement : c Je n*ai point touché au livre suivant, qui est de la traduction de feu Monsieur de Malherbe; et j*ai tant de respect pour la mémoire de ce grand homme, que quand je serois assuré de faire mieux, je ne pourrois me résoudre de lui en disputer la gloire. »

Le XXXm* livre de Tite Live, depuis le ^ ^ du chapitre xvn jus- qu'à la fin, et le XL* depuis le § 3 du chapitre xxxvn jusqu'à la fin, furent découverts à Mayence, au commencement du seizième siècle, dans un très-ancien manuscrit , et publiés pour la première fois en i5i8 dans l'édition intitulée : Titus Livius Patavinus historicus, duobtts libris auctns, cum L. Flori epitome, indice copioso et annotatis in libros VU, belli Maeedonici, Moguntim in udibus Joannis Scheffer, mense novembri

I . Voyez la Notice bibliograp/ii^ue en tête du présent volume.

390 LK XXXm« LIVRE

anno BiDxvtu. Un siècle plus tard on trouTa dans un manoserit de la cathédrale de Bamberg les dix-sept chapitres dn livre XXXI II qai manquaient dans le manuscrit de la ville de Mayence; ils furent pu- bliés, à Rome, en 1616, arec le reste du livre, sous oe titre : T, Lhii HistoriaruM ah F, C. iiher XXXIII. Prmeiptia parte, qitm desiderabatur^ expUtus ex cotfiee mantueripto, Romm apud BarlKolomumm Zarnsei^ tum MDCxvi. n parut la même année deux réimpressions, Tuike 4 Venise, et l'autre i Paris. Par nae faute tinguliète, le titre courant, dans Tédition de Rome, et dans celle de Paris, est, i panir de la page 17, iièer XLIII^ au lieu de Uher XXXIII. Celle de Rome, A la dernière page , invite le lecteur à corriger cette faute, ce que ne bit pas celle de Paris, bien que du reste elle reproduise, page pour page, l'édition de Rome.

DE TITE LIVE. 391

A MONSEIGNEUR LE DUC DE LUYNES.

MomncHKiiB,

Il est très->ceitain que le mieux que puissent faire ceux qui ont à vivre dans les monarchies, c'est de porter honneur aux rois et se conformer à leurs volontés. Mous sommes grands ou petits, riches ou pauvres, heureux ou malheureux, comme l)on leur semble. Ce que la fortune veut que nous ayons, elle nous le baille par leurs mains. Et en un mot , ils sont lieu* tenants d'un maître qui leur fait telle part de son pouvoir absolu sur les choses de la terre, qu'il faut avoir une stupidité fort approchante de celle des bétes , pour mépriser d'être en leurs bonnes grâces, et ne craindre pas de tomber en leur in- dignation. Cette instruction étant si naturelle, que sans étude le sens commun la donne k tout le monde, ce m'est une mer- veille bien étrange de voir je ne sais quels gens , qui en la seule démonstration que vous fait le Roi de sa bienveillance pensent avoir assez d'occasion de vous prendre à partie; et comme si votre bonheur étoit leur misère, disent et écrivent des mensonges les plus effrontés et des absurdités les plus ri^ dicules qui puissent jamais être dites ni écrites sur un sem- blable siiget. ils savent assez que vous avez l'honneur d avoir été mis auprès du Roi par le feu Roi son père. Ils voient tous les jours les devoirs que vous rendez à Sa Majesté, si grands, si laborieux et si peu divertis, que dans la cour même, sont les âmes les plus nées à la servitude , il y en a d*assez libres pour refuser une faveur semblable, si elle leur étoit présentée k semblable condition. Pour ce qui est de votre for- tune, ils ne peuvent pas nier que toute grande qu'ils la figurent, elle ne soit encore au deçà de beaucoup d'autres, dont nous avons lliistoire dans le siècle et dans le Royaume, ni que telle qu'elle est, vous ne la conduisiez avec une franchise si obli- geante et une civilité si officieuse, que ne donnant sujet de se plaindre à homme qui vive, vous en donnez de vous remercier

iga LE XXXIIP LIVRE

à tous ceux qui s^adressent à vous. Et finalement ils jii§;enr bien que réduire les gratifications des rois à la mesure qn^iU prétendent, c'est condamner tout ce qu'il y a de gentilshommes en France à n avoir jamais ni plus de bien ni plus de rang que ce que leur naissance leur en a donné. Mais quoi? toutes ces considérations, quelque véritables qu'elles soient, ne les tou- chent point. Il faut, à quelque prix et de quelque façon que ce soit, qu'ils satisfassent à leur malice, et que pour avoir l'applaudissement de ceux qui leur ressemblent, puisqu'ils n'ont rien à dire contre votre vie, ils trouvent en votre pros- périté de quoi vous mettre sur le tapis. Je ne crois pas, Monsei- gneur, que lorsque ces calomnies viennent à vos oreilles, bien que leur seule impertinence les réfute, vous les entendiez sans en avoir quelque déplaisir. Si vous êtes patient , comme cer- tainement vous l'êtes jusques au point le peut être un cou- rage parfaitement généreux, il ne s'ensuit pas que vous soyex insensible. Mais outre le repos d'esprit que donne à cenx qui sont innocents le témoignage de la conscience, n*aves-vous pas nne consolation telle que vous ne la pouvez désirer plus grande, quand vous voyez les gens de bien s'attacher à cette maxime, que les afiections des rois ne sont pas moins sacrées que lenrs personnes, et admirant en vous et en Messieurs vos frères^ nne modération qui diflBcilement se trouveroit en autres* qui an- roient le même pouvoir, prier Dieu que longuement il vous laisse jouir d'un bien qu'il vous a fait posséder si justement? Croyez-moi, Monseigneur, quelque bons orateurs que soient tous ces brouillons que nous avons parmi nous, s'ils persuadent quelque chose à votre préjudice, ce ne sera qu'à des gens qui sont déjà persuadés. Tout homme qui sans hypocrisie aime la paix de l'Etat, se moque des maladies qu'ils y présupposent, et croit que par la même raison que tout semble jaune à ceux qui ont la jaunisse, il est impossible qu'il n'y ait du désordre en la tête de ceux qui s'en imaginent au gouvernement. Pour moi, qui ai toujours gardé cette discrétion de me taire de la

1. Honoré d'Albert, seigneur de Cadenet, duc de Chaulnes, pair et maréchal de France. Léon d'Albert, seigneur de Brantes, doc de Luxembourg et de Piney, pair de France.

2. Vab. (édit. de z63i} : En d'autres.

DE TITE LIVE. SgS

conduile d'un vai&seau je n'ai antre qualité que de simple passager, le meUIeur avis que je puisse donner à ceux qui n'y sont que ce que je suis, c'est de s'en rapporter aux mariniersy et se représenter que la voie ordinaire que tiennent les factieux pour exciter les peuples à mal obéir, c'est de leur faire en- tendre quils ne sont pas bien commandés. Nous avons dans les charges et dans les affaires de si grands hommes, que s'ils n'y étoient point, il serait nécessaire de les y appeler. Je ne pense pas que nous soyons trompés quand nous dormirons sur leur vigilance, et que nous nous reposerons sur leur travail. Je dis cela en général. Mais s'il est question de les considérer chacun k part, qui est-ce qui connoit Monsieur le chancelier et Mon* sieur le garde des sceaux*, qui ne confesse que TÉtat n'a ja- mais en de ministres dont la sagesse fût mieux préparée à toute sorte d'occurrences , ni la justice de magistrats qui fus- sent ou plus roides à châtier ceux qui oppriment, ou plus favorables à défendre ceux qui sont opprimés? Les finances, au maniement desquelles, pource que le pécher est si profi- table, il est si malaisé de ne pécher point, n'ont- elles pas en Monsieur le comte de Schomberg * un chef dont la diligence est si exacte, et l'intégrité si scrupuleuse, qu'il hxiX croire on que jamais on ne reverra l'abondance dans les coffres du Roi, ou qu'indubitablement ce sera lui qui par ses règlements salu- taires aura l'honneur de l'y avoir fait revenir ? Qu'est-ce qu'on peut dire à la louange de Messieurs les secrétaires d'État, qui ne soit au-dessous de leur inestimable suffisance, et de leur incomparable probité? Quelle si grande gloire peut^on donner à Messieurs les trésoriers de l'Épargne, qu'on ne leur en doive davantage, pour les notables secours qu'aux dépens de leurs commodités particulières, ils donnent aux nécessités publiques, toutes les fois que le temps en fait naître quelque besoin,? Qui

z . L'impretûon de la traducdoD de Malherbe fut terminée avant le mois de février 1621. A cette époque, le garde des sceaux était Guil- laume dn Vair, mort le 3 août de la même année, et le chancelier, Nicolas Brulart, mort en 1614» ^ qui on avait retiré les sceaux en 1616.

3. Henri de Schomberg, comte de Nanteuil et de Duretal, omh réchal de France. Il fut surintendant des finanoes de 1619 à 1633.

394 LE XXXIII- LIVRE

peut ignorer que Monsieiir le Cardinal de Rais * ne aoit un prélat dont la pourpre a moins d'éclat que le mérite? et Mon- sieur le Président Janin ' un personnage, à qui ses longs services, toujours très-fidèlement faits et toujours très-heureusement réussis, ont fait avoir une approbation la plus générale que jusqu'ici notre siècle ait donnée à la vertu? Si cela ne suffit, allons jusqu'à Monsieur le Prince', et sans rien donner à sa qua- lité de premier prince du sang, prenons la liberté de faire la même revue de ses actions que nous ferions de celles d^une personne privée. Ne treuverons-nous pas que si la naissance Teût fait moins que ce qu'il est, elle ne l'eût pas fait ce qu'il mèritoit d'être? et qu'ayant en ce dernier tumulte si utilement et si glorieusement contribué son assistance à la conservation de l'autorité royale, il n'y a rien de bon ni de grand qu'en toutes les occasions qui s'offriront on ne se puisse promettre de lui? Mais qu'est-ce que je fais. Monseigneur, et à quoi est-ce que je pense? Je parle à vous, et ne parie point du Roi. Je parle de chasser nos ténèbres , et ne me souviens point de notre soleil. Certes devant que les miracles qu'il vient de faire nous eussent montré à quoi devoit aboutir Textraor- dioaire vigueur de ses premières années, il y avoit sujet d*étre en quelque peine. Mous remarquions bien en lui une très-grande répugnance à toute sorte de vices, et une parfaite inclination à toute sorte de vertus , qui sont deux qualités que nous treuvi<Mis d'autant plus admirables, que n'étant pas fort compatibles avec la jeunesse, il semble qu'elles le soient en- core moins avec la royauté. A cela nous ajoutions qu'étant fils du plus sage et du plus victorieux roi du monde , et de la reine la plus accomplie que nous eussions jamais vue seoir au trône des fleurs de lis, il étoit vraisemblable que la vertu de la souche passeroit au rejeton, et que par conséquent il ne pourroit apporter que de bon fruit. Mais si toutes ces rai- sons étoient assez fortes pour nous donner des espérances,

1. Henri de Gondi, cardinal de Retz, dernier évéqne de Paris, chef du conaeil du Roi, mort à Béziers le 3 août i6aa.

'A. Pierre Jeannin, premier président au parlement de Boureogne, mort le 3i octobre i6aa. sauf un court intervalle, il fit de- pui» i6i I jusqu'à sa mort partie du ministère.

3. Henri II, prince de Condé, père du grand (k>ndé.

DE TITE LIVE. 3^5

elles étoient trop foibles pour mettre nos vesux en sûreté. A

cette heure qa'à s'est renda maître d^une tempête qui nous

ÊBÛsoit craindre le nanfra^^, et a rétabli son autorité entre

des peuples qui depuis cinquante ans ou ne TavcHent du tout

point connue, ou ne Tavoient connue que pour la mépriser,

1 ne lui serions-nous pas injurieux si nous pensions qa^iX y eût

monstre qui pût échapper à son épée, ni labyrinthe d'où sa

I prudence ne fût capable de nous développer? Quant à vous»

Monseigneur, que chacun sait avoir la plus secrète communi<-

ï cation de ses pensées, à quel degré d^impudence faudroit-'il être

i monté, pour, après avoir rendu à Sa Majesté ce qui lui a|>par-

i tient comme au premier et plus puissant ressort de notre

salut, ne vouloir pas avouer que la fidélité de vos conseils et

i l'assiduité de vos travaux sont les plus fortes aides qu'il ait

» eues, et les plus véritables causes du repos noua sommes

L aujourd'hui? C'est, à n'en mentir point, un sujet sur lequel je

> serois bien aise de m'étendre ; mais le lieu je suis n'ayant

ç pas d'espace pour une si longue carrière, il vaut mieux que je

7 le réserve à une autre fois. Aussi bien n'ayant entrepris ce dis-

; cours que pour vous témoigner qu'en ce qui est des brouille-

ries du temps, quelque prétexte qui les colore et quelque muU

titude qui les suive, je n'ai point d'autre sentiment que celui

^ d'un homme qui ne veut jamais sortir de son devoir, je pense

; en avoir assez dit pour le vous faire croire, et pour en cette

considération obtenir de vous la réception favorable d'un petit

ouvrage que ma très-humble affection me donne la hardiesse

i de vous apporter. C'est un livre de Tite live, qui n'a jamais

, été vu jusques à cette heure que la bonne fortune des lettres

) le vient de tirer d'entre la poudre et les araignées d'une biblio-

, thèque d'Allemagne , la mauvaise l'avoit tenu douze ou

quinze siècles enseveli^. Son exemplaire latin a eu le Cardinal

Bourguese' pour protecteur; quand la traduction que j'en ai

faite aura le duc de Luynes pour le sien, je ne penserai pas

être le plus mal partagé. Votre courtoisie, Monseigneur, n'est

1 . Voyez la notice qui précède cette Dédicace.

1, ScipioD CafFarelli, cardinal Borghèse, neyeu du pape Paul IV. il est nommé Burghesius dans l'édition de Rome , et Burgetitu dans celle de Paris.

3^6 LE XXXIII* LIVRE

pas de ces pesantes machines, qui ne vont qu'avec nn nombre infini de contre-poids et de roues. Elle se meut d'elle-ménie, et si naturellement, que je l'oifenserois de la solliciter avec trop de scnn. J'ai eu Thonneur que toutes les fois que je me suis treuvé devant vous, j'en ai été recueilli avec un visage et des caresses qui eussent convié un plus ambitieux que je ne suis à vous importuner plus souvent que je ne fais. Si aujour- d'hui avec les mêmes démonstrations vous me daignez faire paroître que le désir que j'ai de vous plaire , quelque foible qu'en soit la preuve, ne laisse pas de vous être agréable, vous me ferez une grâce qui mettra mes contentements an point je les souhaite, et m'obligerez. Monseigneur, à chetrfaer de plus importantes occasions pour vous donner de plus fortes assurances de la volonté que j'ai d'être toute ma vie et de tout mon cœur,

Votre serviteur trés-humble et très-affectionné,

Malbkebb.

DE TITE LIYE. 397

SOMMAIRE DU XXXDl» LIVRE DE TTTE LIVE».

Titus Quindns fait résoudre les Béotieut A s'allier arec les Ro- mains. Philippe et lui cherchent à se rencontrer. Comparaison de la palissade grecque ayec la romaine. La bataille se donne aux Cynocéphales. Philippe la perd. Quîntius et lui confèrent. An- drosthène, l'un des lieutenants de Philippe, est défait près de Go- rinthe par les Achaîens. Les Acamaniens sont sollicités de prendre le parti des Romains. Pour en délibérer ils s'assemblent à Leucade. La chose ne réussit pas au gré des Romains. Us assiègent Leucade, et la prennent. Ceux de Rhodes attaquent la Pérée, et défont Dinocrate, lieutenant de Philippe. Les Dardaniens entrent en la Macédoine. Us sont défaits, et se retirent. Anûochus s'empare de tout plein de places en la c6te de Cilicie et de Carie. Attalus meurt à Pergame. O se fait un grand mouTement en Espagne. Philippe est battu en Thessalie par Quintius. Il enToie à Rome demander la paix. On députe des commissaires pour l'aller faire. Sempronius Tuditanus est défait et tué en Aragon. Prodiges expiés. Les Béotiens piqués du meurtre de Barcylas, leur capitaine général, assassinent les soldats romains. Ils sont rangés à la raison. Quintius et les commissaires s'assemblent A Gorinthe. Les jeux isthmiens se célèbrent. La liberté des yiUes de la Grèce y est pro- clamée. Après les jeux, les députés d'Antiochus ont audience, puis ceux des communautés. L'assemblée pylaïque se tient aux Ther- mopyles. Quelques esclares prennent les armes en Toscane. Ils sont chAtiés, Maroellus est battu par les Boies, et après il bat les Insubriens. Antiochus passe en la Chersonèse, et fait rebAtir Lysi- machie. Cornélius y yient conférer ayec lui. Un faux bruit de la mort de Ptolomée les fait séparer sans rien faire. Les prêtres pré- tendent exemption des fnà» de la guerre. Us en sont déboutés, et condamnés aux airérages. Un printemps sacré, youé yingt et un ans auparayant, est mis en exécution. Annibal est élu préteur A Car- thage. n yeut réprimer l'insolence des officiers de justice, et A cette fin fait faire un édit, que leurs charges qui étoient A yie ne se-

1 . Il n'y a point de sommaire dans les éditions latines de 1616.

iffi LE XXXIII- LIVRE

roieDt plus qn'aminelles. 11 essaye anssi de réfonncr le des finanoes. Cela lui acquiert force enDemis, qui donnent des ayis à Rome contre lui. Ou députe à Carthage pour lui faire faire son procès. H en a le Tcnt, et s*enfuit vers Antiocbus.

P. Voilà comme se passa F hiver. Aussitôt que le prin- temps fut venu, Quintius, qui voyoit que les Béotiens ne se déclaroient encore ni d*un côté ni d^autre, ne vou- lut pas demeurer avec cette épine en Tesprit*. Il partit donc d^Élatie, accompagné d'Attalus , que pour cet effet il pria de vouloir être du voyage, et passant par la Pfao- cide se vint camper à cinq quarts de lieue de Thèbes, ville capitale de la Béoce. Le lendemain avec une compagnie de gens de pied, et les députés des villes qui le soivoient alors en assez bon nombre, il s^achemina droit à la ville, et commanda aux piquiers d'une légion , qui étoient deux mille hommes, de venir mille pas après lui. Anû- philus, préteur des Béotiens, vint au-devant de Qointias jusqu^à la moitié du chemin. Le reste du peuple, préparé à cette nouveauté de voir ensemble un général d*année romain et un roi* y étoit sur les murailles à les attendre. Il ne paroissoit à leur suite que bien peu d*armes, et en- core moins de gens de guerre. Pour les piquiers, on ne les voyoit point, à cause du grand tour qu'on leur avoit fait prendre et des vallons ils passoient à oonvort. Comme Quintius approcha de Thèbes, il se mit à mar- cher au petit pas. Il sembloit que ce fïit pour recevoir ceux qui lui venoient faire des compliments, mais en effet c'étoit pour attendre les piquiers qu'il avoit laissés der-

1 . Nous arons indiqué les chapitres pour faciliter Tusage de cette traduction et la comparaison avec le texte de Tite lAre, Ils ne sont marqués ni dans Malherbe, ni dans les éditions latines de 1616 : tout s*y suit sans un seul alinéa.

a. Var. (édit. de i63i) : Avec cette peine en l'esprit.

3. Vab. (édit. de ifiai) : Un général d'armée ttun roi.

DE TITE LIVE. ^^

rière. Cela fut manié si dextrement, que ceux de la Tille, que tout exprès Ton iaisoit marcher devant le hérant, ne 8*en aperçurent que Ton ne fbt au logis du général. A cette vue, se figurant que leur préteur les avoit trahis, ils demeurèrent grandement troublés , et jugèrent bien c[u en leur assemblée, qui étoit assignée au lendemain, la nécessité de complaire leur ôteroit la liberté d* opiner. Toutefois pource que c*étoit une affaire faite, et que d^en témoigner du déplaisir, c*eùt été faire avec danger une chose qui n'aui^it de rien servi, ils se résolurent de tenir bonne mine.

II. En cette assemblée, Attalus parla le premier. Le commencement de sa harangue fut un récit des bons offices que toute la Grèce, et particulièrement les Béo- tiens, avoient reçus de ses prédécesseurs et de lui. Là- dessus la foiblesse de son âge ne répondant pas à la véhémence de son action, il demeura tout d'un coup sans mouvement et sans voix, et le fallut emporter à son logis. Le trouble de cet accident fit pour quelque temps discontinuer la délibération. Comme il (ut passé, Aristène, préteur d'Achaïe, prit la parole; et fut son avis d'autant mieux reçu, que c'étoit le même qu'il avoit baillé aux Achaïens. Quintius, qui parla après lui, ne s'arrêta pas tant à magnifier les armes des Ro- mains, qu'à donner bonne opinion de leur foi envers leurs amis. Cela fait, Dicéarque, député de Platées, pro- posa qu'il se fidloit ranger au parti des Romains. A quoi ne se trouvant personne qui osât contredire, la chose passa selon son avis, et du consentement de toute la compagnie fut arrêté que le décret en seroit fait. L'as- semblée finie, Quintius, qui par le moyen de cette alliance nouvelle et de celle qu'auparavant il avoit faite avec les Achaïens, ne laissoit rien derrière lui qui ne fût à sa dé- votion, tourna toutes ses pensées à terminer la guerre

4oo LE XXXII P LIVRE

contre Philippe. Et pour cet effet n'ayant aéjoomé à Thèbes qu'autant que Vj obligea rinconvénient arrivé à Attalus, comme il vit que pour ce coup il étoit hors de danger, et que la fin de son mal ne pouvoit être qu'une débilitation de membreSi il le laissa pour achever de se guérir, et s'en revint à Ektie.

III. Philippe, à qui le retour des ambassadeurs qu'il avoit envoyés à Rome avoit fait perdre toute espérance de paix , se mit à faire de nouvelles levées par tous les lieux de son royaume. Et pource que aux guerres que depuis longtemps lui et les siens avoient eues, tant par mer contre Attalus et les Rhodiens, que par terre contre les Romains, toute la fleur de ses honunes s'étoit perdue, il fit comprendre en cet enrôlement jusques à de jeunes garçons de seize ans. Que si parmi ceux à qui la vieillesse avoit fait donner des exemptions il s'oi treuvoit qui eussent encore quelque reste de force pour la guerre, il les contraignoit d'y retourner. Sur la fin de mars, ayant ainsi refoumi son armée, il la mena à Dion ; faisant journellement exercer ses soldats, il se prépa- roit pour la venue de l'ennemi. Cependant Quintius par- tit d'Élatie, et prenant son chemin par Thronion et par Scarphie s'en vint aux Thermopyles, pour être à l'assem- blée générale des Étoliens, qui s'alloit tenir à Héraclée. Il étoit question de savoir de quel nombre d'hommes ils assisteroient les Romains. L'affaire ayant été résolue, trois jours après il se rendit aux Xinies sur les confins des Enniens et des Thessaliens, Phanéas lui amena tout aussitôt deux mille honunes de pied, et quatre cents chevaux, que les Etoliens lui envoyèrent. Comme il les eut reçus, il en partit à l'heure même; ce qui fit cou- nottre qu'il n'y avoit séjourné que pour les attendre. De il s'en vint sur les terres de Phtie, cinq cents GortynienSy commandés par Cyndate, avec trois oenu

DK TITE LIVE. 4oi

Apoloniates en même équipage le vinrent joindre; el bientôt après le joignirent aussi douze cents hommes de pied qu'Aminandre lui amena. Philippe, qui vit les Ro- mains sortis d'Élatie, se douta bien qu'ils le venoient cheixher. Il pensa donc qu'il étoit temps de parler à ses soldats, et les mettre en humeur de se battre. Pour cet effet leur répétant des langages qu'assez souvent il avoit accoutumé de leur tenir, tant de la vertu de ceux de sa maison, que de la valeur des Macédoniens, il n'oubUoit rien de ce qu'il estimoit pouvoir ou accroître leur espé- rance ou diminuer leur appréhension.

IV. Il leur disoit que si les Romains avoient eu quel- que atteinte sur eux au bord de la rivière d'Aoûs, pource que les Macédoniens avoient été attaqués en un lieu ils n'avoient pas eu moyen de former leur ba- taillon, ils en avoient eu leur revanche auprès d'A- trace, sans autre avantage que celui du bras et du courage ils avoient fait tourner le dos aux Romains. Et quant à ce qui étoit du pas d'Epire, qu'ils avoient abandonné, il disoit que la première faute de s'être laissé surprendre étoit venue de leurs sentinelles, et que pour la seconde de n'avoir pas bien combattu, elle se devoit imputer à je ne sais quels mercenaires et mal armés , et non pas aux Macédoniens, qui en cette occasion avoient fait tout ce que des gens de bien pouvoient faire, comme toujours ils feroient quand la partie seroit égale, et que le lieu ne donneroit point d'avantage à leurs ennemis. Son armée étoit composée de seize mille Macédoniens , qui étoit ce qu'il avoit de meilleur, deux mille hommes por- tant rondaches, deux mille Thraciens, avec autant d'Uly- riens, de ceux qu'on appelle Tribales, et environ mille soldats ramassés, que pour de l'argent il avoit fait le- ver en divers endroits. Sa cavalerie étoit de deux mille hommes. L'armée des Romains pouvoit être de même

Mauuibbb. 1 ab

/ioa LE XXXIir LIVRE

nombre. S'ils avoient qudque chose plus que Philippe, ce n'étoit que ce que les Étoliens leur avoient envoyé.

V. Quintius s'étant venu camper auprès de Thèbes en Phtie, eut opinion de s*en pouvoir emparer par le moyen d'une intelligence pratiquée avec un Dimon, qui étoit le premier honmie de dedans. U s'approcha donc des mu- railles avec quelque cavalerie légère ; mais il se trouva si loin de son compte, par une furieuse sortie que firent sur lui ceux de la ville, que sans le secours de quelques gais de pied et de cheval qu'il fit venir du camp et qui am- vèrent à point nonuné, il étoit en danger d'être perdu. Gomme il vit le mauvais succès d'une espérance qu'il n'avoit pas bien conçue^ il ne s'y voulut pas opiniâtrer davantage; et sur l'avis qu'il eut que Philippe étoit déjà entré en la Thessalie, sans toutefois savoir en quelle part, il envoya ses soldats couper du bois, pour avoir de quoi fermer son camp lorsqu'il en seroit besoin. L'in- vention de la palissade a bien été pratiquée par les Macédoniens et par les Grecs. Mais avec ce qu'ils y em- ployoient des arbres si gros et si branchus^ que les soldats déjà chargés de leurs armes étoient accablés de les por- ter, la clôture qui s'en faisoit n'étoit pas une fortification sur laquelle on se pût bien assurer; d'autant qu'en celte quantité de grosses branches, entre lesquelles il demeu- roit de grands espaces vides, étant aisé de les prendre à plein poing, quand deux puissants hommes, ou trois au plus venoient à y mettre la main, il n'y avoit pieu si ferme qu'avec peu de peine ils n'arrachassent ; et depuis qu'il y en avoit un arraché, il y demeuroit une ouverture aussi large qu'une porte, laquelle il n'étoit pas possible de boucher qu'avec beaucoup de loisir. Au contraire les pieux des Romains sont légers, et n'ont que deux ou trois fourchons, ou quatre pour le plus; de manière que le soldat avec ses armes pendues derrière le dos en peut

DE TITE LIVE. 4o3

encore porter plusieurs tout à la fois. Qui plus est, ils les fichent si près lun de Tautre, qu'il est malaisé de juger de quelle tige partent les branches; et avec ce qu'ils en font le bout fort pointu , ils les entrelacent d'une façon qu'il n'y a moyen d'y passer la main pour les arracher, ni de les renverser en les poussant. Que si d'aventure l'ennemi en arrache quelqu'un, la brèche ne peut pas être si grande qu'il ne soit bien aisé d'y remédier.

YI. Quintius le lendemain faisant prendre des pieux à ses soldats , afin qu'en quelque lieu qu'il se trouvât il îùt toujours prêt à camper, s'avança à une lieue et demie de Phères, et de envoya découvrir en quelle part de la Thessalie étoient les ennemis. Philippe étoit alors aux environs de Larisse. Gomme il sut que de Thèbes Quin- tius étoit venu à Phères, il jugea bien que c'étoit en in- tention de se battre. Ayant donc de son côté le même désir, il mardia droit à lui et se campa à une lieue de Phères. Le lendemain étant allé des coureurs de part et d'autre pour se saisir de certaines buttes, qui étoient au- dessus de la ville, également proches des deux armées, comme ils se fuirent vus, ils en envoyèrent porter des nouvelles à leurs gens, et d^nander ce qu'ils avoient à faire. L'ordre qu'ils eurent fut de se retirer, comme ils firent. Le lendemain il y eut quelques escarmouches au- dessous de ces mêmes buttes, principalement par le devoir que rendirent les Étoliens , les gens de Philippe furent maltraités et remenés battant jusque dans leur retranchement. Le lieu ils se trouvoient étoit plein d'arbres et de jardins, comme cela se voit ordinairement aux environs des villes, et les chemins resserrés entre des murailles de pierre sèche avoient si peu d'espace, et en quelques endroits étoient si embarrassés, qu'il n 'étoit pas possible d'y faire un notable combat. Ils se réso- lurent donc les uns et les autres, comme s'ils eussent

4o4 LE XXXIII* LIVRE

concerté ensemble, de s'ôter de el s'en aller vers Scotuse, Philippe en intention d'y trouver des blés pour faire vivre son armée , et Quintius avec dessein de Tafla- mer. IjCS armées , à cause d'une rangée de petites mon- tagnes qui les séparoit, marchèrent un jour sans se voir. La nuit venue , les Romains se logèrent à Erethrie, au terroir de Phtie, et Philippe le long de la rivière d'On- cheste. Jje lendemain Philippe s'étant logé à Melambion, sur les terres de Scotuse, et Quintius à Thétidion, sur les tenues de Pharsale , ils n'eurent non plus de nouvelles les uns des autres qu'ils en avoient eu le jour précédent. Le troisième jour il tomba une grosse pluie, à laquelle suc- céda une obscurité si grande qu'il sembloit qu'il fût nuit. Les Romains, craignant que l'ennemi ne se servît de cette occasion pour leur faire quelque surprise, ne bougèrent de leur logement.

YII. Philippe n'eut point cette appréhension, et sans perdre temps fit marcher son armée aussitôt qu'il eut cessé de pleuvoir. Mais étant le brouillas * si épais, qu'il n*étoit pas possible ni à ceux qui portoient les ensei- gnes de voir le chemin, ni aux soldats de voir les enseignes , ils ne faisoient que se fourvoyer , et sans savoir ils alloient, comme gens égarés de nuit, tour- noient indifféremment partout ils étoient appelés. Comme ils furent au delà de certaines petites monta- gnes qui se nomment les Cynocéphales, ils y assirent de bons corps de garde, tant d'infanterie que de cava- lerie, et se logèrent. Les Romains, sans partir de Théti- dion, envoyèrent trois cents chevaux et mille hommes de pied apprendre ce que faisoit l'ennemi, et les avertirent de prendre garde à soi, pource que en ces ténèbres il n'y avoit lieu si découvert il n'y eût moyen de se cacher.

I. Brouillard.

DE TITE LIVE. 4o5

Ils ne furent pas sitôt aux- buttes dont Tennemi s*étoit emparé, qu'ils se trouvèrent en vue. Cette rencontre inopinée ayant donné de la peur aux uns et aux autres, les fit demeurer sans rien entreprendre. Seulement en- voyèrent-ils chacun en leur camp porter de leurs nou- velles. Gomme ce premier étonnement fiit passé, il n'y eut plus de moyen qu'ils s'empêchassent de venir aux mains. Le combat fut commencé par quelques-uns qui s'avancèrent à la tète de leurs troupes, et entretenu par ceux qui les vinrent soutenir. Les Romains, qui n'y (ai- soient pas bien leurs affaires, dépéchèrent vers leur géné- ral pour lui faire entendre leur nécessité. Il leur envoya quand et quand deux maîtres de camp, avec cinq cents chevaux et deux mille honmies de pied , Etoliens pour la plupart. Ce renfort ayant fait regagner aux Romains l'avantage qu'ils avoient perdu , il fallut que les Ma- cédoniens à leur tour envoyassent quérir du secours. Philippe, qui à cause du grand brouillas ne s'étoit pré- paré à rien moins qu'à la bataille, et avoit envoyé la plupart de son armée au fourrage, demeura quelque temps qu'il ne sa voit à quoi se résoudre. Enfin, pressé parles messagers* qui lui arrivoient l'un sur Fautive, et déjà par l'éclaircissement du brouillas, voyant ses gens sur une butte la plus élevée de toutes , ils se défen- doient plutôt par l'assiette du lieu que par la force de leurs armes , il pensa qu'il valoit mieux tout hasarder, que d'en laisser perdre une partie à faute de la secourir. Il y envoya donc Âthénagoras, coronel' de ses merce- naires; et outre la cavalerie macédonienne et thessa- lienne, lui bailla tout ce qu'il avoit de cavalerie étrangère, réservé les Thraces. Â leur arrivée les Romains furent

I. Vab. (édit. de i6ai] : Messages. a. Vab. (édit. de i63i) : Colonel.

4o6 LE XXXIII* LIVRE

si rudement poussés, qu'Us ne s'arrêtèrent qu'au iond de la vallée; et sans la cavalerie étolienne, il est vrai- semblable qu'ils étoient pour avoir encore pis. Aussi certes est-ce^ la meilleure cavalerie qui fiit alors en toute la Grèce. Pour leur infanterie, elle n'étoit pas si bonne que celle de leurs voisins.

VIII. Cet exploit ayant été figuré à Pbilij^ plus à son avantage qu'il n'étoit, et de moment en mo- ment lui étant rapporté que les Romains avoient Té- pouvante, et qu'ils s'enfîiyoient, il se résolut de mettre toute son armée en bataille; avec protestation néan- moins qu'il faisoit une faute, et que le temps ni le lieu ne lui plaisoient point. Quintius, par nécessité pla- tèt que par élection, en fit de même. D mit ses élé- phants à la tête des enseignes, et laissant à la nuÛB droite ses troupes de réserve , prit le bataillon de la main gauche, et marcha contre les ennemis , disant à ses gens pour leur donner courage : Que les Macédoniens qu'ils avoient à combattre étoient ceux mêmes à qui mal- gré tant de montagnes et de rivières qui les couvroienl, ils avoient fait quitter le pas d'Épire, et ceux mêmes que sous la conduite de Sulpitius, ils avoient autrefois assiégés et forcés au même passage; que la réputation seule avoit jusques à cette heure-là maintenu le royaume de Macédoine, et qu'encore s'en falloit-il beaucoup qu'elle ne fût telle qu'elle avoit été par le passé. A la venue de Quintius et des troupes qu'il amenoit, les Ro- mains qui étoient dans ce fond de vallée ils avoient été poussés , retournèrent au combat, et eurent leur re- vanche de ceux qui les avoient fait fuir. Philippe avec ses porteurs de rondache et sa phalange, qui est ce que les Macédoniens tiennent pour la principale force de leurs

I. Vab. (édit. de i6ai): Étoit-oe.

DE TITE LIVE. 407

armées, s'en va au grand pas vers les ennemis, et com- mande à Nicanor, Tun des principaux d'auprès de sa personne, de le suivre avec le reste de Tarmée. Gomme il (ut au haut de la butte , il y trouva des armes et des morts, que les Romains y avoient laissés en se retirant. Ce spectacle lui donna une extrême joie, qui fut encore plus grande quand il vit que déjà le combat se faisoit proche du camp des ennemis. Mais en un instant, voyant les affaires changées, et ses gens mis en fuite , il (îit sur le point de s en retourner en son camp. Toutefois conune il eut considéré que ceux des siens qui tenoient ferme étoient infaiUiblement perdus, s'ils n'avoient du secours, et d'ailleurs que lui-même ne pouvoit plus se retirer qu'avec péril, enfin sans pouvoir attendre le reste de son armée, ce lui fiit force de hasarder la bataille. Et pour cet effet ayant mis à la main droite ceux de sa cavalerie et des armés à la légère , qui avoient déjà été au com- bat, il donna la main gauche aux porteurs de rondache et à la phalange des Macédoniens, auxquels, pource que la longueur de leurs piques étoit empêchante, il fit com«- mandement de les quitter, et mettre du premier abord l'épée à la main. D'ailleurs, il diminua le nombre des rangs, et retira dans les files ce qu'il en ôta, pour faire son bataillon plus long que large, et par conséquent plus malaisé à enfoncer. Il leur fit aussi serrer les rangs, en sorte que les honmies et les armes s'entre-touchoient. IX.. Quintius, après avoir retiré dans les rangs ceux qui étoient venus du combat, fit sonner la charge. Il est peu souvent arrivé que l'on ait crié au commencement d'ime bataille, comme il fut crié* au commencement de celle- ci. Car il se rencontra que les deux armées firent leur cri tout à la fois ; et ne fut pas seulement crié par ceux

I. Vab. (édit. de 1691) : Comme il y eut crié.

4o8 LE XXXIIl» LIVRE

qui étoient aux mains , mais aussi par les troupes de réserve , et encore plus par ceux qui étoient eu chemio pour aller au combat. A la main droite Philippe, à cause du lieu élevé d'où ses gens combattoient, avoit de Ta- vantage ; mais à la gauche ses affaires alloient mal. Et même une partie de la phalange, qui avoit été mise en Tarriére-garde , ayant commandement de s^aTancer, ne le faisoit qu*en désordre. Le bataillon du milieu, qui se treuvoit le plus près du côté droit, regardoit &ire ceux qui se battoient , comme si c*eùt été chose il n'eût point eu d'intérêt. La phalange, qui étoit venue eo foule plutôt qu*en bataille, et plus préparée à marcher qu'à se battre, n'étoit que bien à peine arrivée au haut de la butte , que le consul qui se voulut servir de Tocca- sion, encore qu'il vît ses gens malmenés au o6té droit, s'en va l'attaquer, et (ait marcher devant lui ses élé- phants, avec cette imagination que ceux qui en se- roient renversés feroient vraisemblablement courir la même fortune au demeurant. Et certainement la chose lui réussit comme il se l'étoit proposé. Les premien rangs s'étant mis en désordre par la frayeur que leur donnèrent ces animaux , en firent faire de même à ceiu qui venoient après eux. D'ailleurs, un maître de camp s'étant avisé qu'il y avoit moyen de rompre un bataillon d'ennemis qui étoit à la main droite en le prenant par derrière, laissa cette partie des siens qu'il voyoit avoir de l'avantage , et avec vingt compagnies s'en alla le charger et le défit. Les affaires des Macédoniens étant de tous côtés en ces mauvais termes , il v avoit encore un autre inconvénient pour eux, c'est que leur phalange, et pour avoir des armes sous lesquelles elle ne se pouvoit presque mouvoir, et pour se treuver assaillie de ceux mêmes qui venoient de fuir devant elle, ne pouvoit aller la nécessité l'appeloit. Avec tout cela le heu ne

DE TITE LIVE. 409

leur étoit pas favorable, pource qae pendant quils avoient donné la chasse anx Romains, qui leur tour- noient le dos , ils avoient abandonne le haut de la butte aux ennemis, qui s'en étoîent saisis par derrière. De cette façon ayant à fiiire en deux lieux , et ne pouvant pas entendre partout, il en demeura une partie sur la place, Tautre jeta ses armes, et s'enfuit. ,

X. Philippe, qui avec quelques gens de pied et de cheval étoit monté sur la plus haute de ces buttes pour considérer ce qui se taisoit à la main gauche, comme il vit tous ses gens en fuite, et que de quelque part qu'il se tournât il ne paroissoit que les armes et les enseignes des Romains, il se retira lui-même hors du combat. Quintius , qui alloit après les fuyards, ayant vu les Ma- cédoniens hausser les piques, et ne sachant ce que cela vouloit dire , s'arrêta tout court ; puis ayant appris que c 'étoit un signe que ceux de cette nation avoient accou- tumé de faire lorsqu'ils se vouloient rendre, il eut opi- nion de les sauver. Mais les soldats qui ne savoient, ni que l'intention des Macédoniens fût de demander la vie, ni que la volonté du général fïlt de la leur donner, se ruèrent sur eux si furieusement, qu'il n'échappa de leurs mains que ceux que la fuite en put garantir. Phi- lippe à bride abattue se retira à Tempe, et séjourna un jour à Gonnes, pour recueillir ceux qui seroient échap- pés du combat. Les Romains étant allés au camp des ennemis pour le piller, treuvèrent que la diligence des Étoliens les avoit délivrés de cette peine* U mourut en ce combat huit mille des gens de Philippe, et en fut pris quinze cents. Les Romains y en perdirent environ sept cents. Antias, qui toujours fait les choses démesuré- ment plus grandes qu'elles ne sont , dit que Philippe y perdit quarante mille hommes. Quant aux prison- niers, il y va plus retenu. Il n'en met que cinq mille

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sept cents , et deox cent soixante et une enseignes per> dues, daudius fait le nombre des morts de trente-deux mille, et quatre mille trois cents prisonniers. De moi, j'ai suivi Polybe, qui en toutes choses, mais particulière* ment aux affaires de la Grèce, parle pertinemment de ce que les Romains y ont fait.

XI. Philippe ayant rassemblé ceux qui dissipés par les divers accidents de la bataille Fétoient venus retrouver, et ayant envoyé à Larisse brûler ses mémoires, de peur qu'ils ne fussent vus des ennemis, se retira en Macédoine. Quin- tius, après qu'il eut vendu une partie des prisonniers et du butin, et donné l'autre aux soldats, s'en aUa à Larisse, n'ayant pas encore nouvelles assurées, ni de quel côté Philippe avoit tiré, ni quelle pouvoit être son intention. vint un héraut de la part de Philippe lui demander une suspension d'armes pour emporter ses morts, mais en effet c'étoit pour obtenir un sauf-conduit aux ambas- sadeurs qu'il lui vouloit envoyer. Quintius lui accorda l'un et l'autre, et chargea le héraut de lui dire qu'il eût bon courage. Cette civilité ne fut pas au goût des Éto- lieus, qui déjà commençoient de murmurer. Us se pUi- gnoient que depuis la bataille Quintius avoit changé d'humeur; qu'auparavant il n'y avoit affaire , grande ni petite, dont il ne communiquât avec ses alliés, et qu'à cette heure, de quoi qu'il fût question, ils n'étoient jamais appelés au conseil; qu'il faisoit toutes choses de lui-même, et déjà cherchoit de s'obliger Philippe en particulier; que les ÉtoUens avoient eu la principale part des travaux et des périls de la guerre, et que les Romains en vouloient avoir tout le profit. Et sans mentir, ce qu'ils disoient de son refroidissement en leur endroit étoit bien véritable ; mais la cause qu'ils en soupconnoient ne l'étoit pas. Quintius avoit aussi peu d'inclination à la- varice qu'homme du monde. Néanmoins ils pensoient

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DE TITE LIVE. 4ii

qae ce qu*il ne les honoroit pas comme de coutume, fût qu'il vouloit obliger Philippe, pour en tirer des pré- sents; et c*étoit qu*il s'offensoit de les voir insatiables et ne pouvoit souffrir qu'ils s'attribuassent le gain de la bataille, comme ils faisoient avec des paroles si pré* somptueuses, qu'il n étoit pas possible de les ouïr sans en être importuné. Il prévoyoit d ailleurs que si Philippe étoit mort et la puissance des Macédoniens détruite, il falloitque la Grèce tombât en la domination desÉtoliens. Yoilà pourquoi tout exprès il faisoit plusieurs choses pour diminuer leur crédit , et humilier leur vanité.

XII. On avoit accordé quinze jours de trêve à Phi- lippe, et pris lieu pour traiter avec lui. Devant que le temps expirât, Quintius appela tous les alliés au con- seil, pour avoir lem* avis sur les conditions de paix qu'il devoit imposer à Philippe. Aminandre dit en un mot qu'il falloit si bien faire la paix que, lorsque l'ar- mée des Romains seroit retirée, la Grèce demeurât assez forte pour conserver d'elle-même la paix et sa liberté. Les Étoliens ne parlèrent pas si honnêtement. Après quelque préface de belles paroles, ils dirent à Quintius qu'il faisoit ce qu'il devoit de communiquer les délibéra- tions de la paix à ceux qui avoient été ses compagnons en la guerre; mais qu'il se trompoit manifestement s'il croyoit que les Romains se pussent assurer de la paix, ni les Grecs de leur liberté, que Philippe ne fût hors du monde, ou pour le moins hors de son royaume; qui étoient deux choses très-&isables, si l'on se vouloit ser- vir de l'occasion. A cela Quintius répondit, que vérita- blement leur opinion étoit conforme à leur humeur et qu'en toutes les conférences il ne s'étoit jamais parlé de paix qu'ils n'eussent toujours été d'avis de faire la guerre à toute extrémité, et de ne désarmer que le parti contraire ne fût ou mort ou ruiné ; mais qu'ils se dévoient

4ia LE XXXIIP LIVRE

souvenir que les Romains ont toujours fiiit profession de pardonner à ceux qu'ils ont vaincus, dont Texemple étoit méiporable en la paix qu^ils avoient accordée à Annibal et à ceux de Carthage ; que pour ne parler que de Philippe, ils avoient plusieurs fois traité avec }ui, mais jamais ils n'avoient fait mention de le déposséder de son royaume; que si à cette heure il avoit perdu une ba- taille, ce n*étoit pas à dire qu'il le fallût exclure de toute réconciliation ; que tant que les ennemis avoient Tépée à la main, il leur falloit faire la guerre à bon escient; mais que depuis qu'ils étoient par terre, il n'appartenoit qu'à des ftmes lâches de leur mettre le pied sur la gorge ; que la Grèce avoit jalousie des rois de Macédoine, mais que si une fois ce royaume et cette nation n 'étoient plus au monde, ce que la Grèce craignoit d'eux, elle Tauroit à craindre des Thraces, des Illyriens et des Galates, qui étoient toutes nations très-puissantes , et desquelles il ne faudroit jamais espérer ni pitié ni courtoisie ; que les Grecs dévoient prendre garde que se voulant garantir des incommodités qu'ils avoient à leur porte, ils ne fissent ouverture à d'autres qui les fàcheroient bien davantage et dont il ne leur seroit pas si aisé de se développer. Pha- néas, préteur des Étoliens, l'interrompant et protestant que si Philippe échappoit en cette occasion, il ne falloit pas douter qu'au premier jour il ne reprit les armes et ne donnftt plus d'affaires que jamais, Quintius lui répliqua : « Nous ne sommes pas ici pour crier, nousy sonunes pour délibérer. Nous donnerons à Philippe des conditions de paix , qui le garderont bien de recommencer la guerre. » XIII. Le lendemain que leur délibération fut cessée, Philippe s'étant rendu au pas de Tempe, qui étoit le lieu de l'assignation, les Romains au bout de deux jours y arrivèrent et avec eux un grand nombre de leurs alliés. En cette conférence Philippe ayant mieux aimé

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laisser passer volontairement tout plein de choses, sans lesquelles il savoit bien qu'il ne pouvoit avoir la paix, qu'après les avoir contestées être contraint de les ac- corder, déclara que de tout ce qu'avoient désiré les Ro- mains, et de tout ce qu'avoient demandé leurs alliés la dernière fois qu'on avoit traité, il s'en remettoit à ce qui en seroit ordonné par le sénat. Il sembloit bien qu'une submission si grande devoit fermer la bouche à ceux même qui lui étoient les plus mal affectionnés. Néan- moins le même Phanéas, n'y ayant pas un des autres qui répondit mot, s'adressa à lui et lui dit : « A quoi tient-il, Philippe, que vous ne nous rendez Pharsale, Larîsse, Grémaste, Échin et les Thèbes de Phtie? » Phi- lippe lui ayant répondu qu'il n'empéchoit pas qu'ils ne les prissent, il y eut dispute entre Quintius et les Ëto- liens pour le fait de Thèbes. Quintius prétendoit que par droit de guerre cette ville appartenoit au peuple romain, d'autant que, lorsque les choses étoient encore en leur entier, les étant aUé prier de vouloir être ses amis en un temps ils le pouvoient faire sans courir fortune, et ayant tout exprès fait éloigner son armée, pour ne leur donner opinion qu'il voulût rien avoir d'eux que ce que leur propre sentiment leur conseilleroit, ils avoient pré- féré le parti de Philippe à celui des Romains. Phanéas soutenoit que par le traité ce qu'ils avoient eu devant la guerre leur devoit être rendu par la paix, et qu'il avoit été convenu entre eux que des choses gagnées celles qui se pourroient emporter ou emmener appartiendroient aux Romains, les autres, comme les terres et les villes, demeureroient aux Étoliens. La réplique de Quintius fut que les Étoliens avoient les premiers contrevenu au traité, lorsqu'abandonnant les Romains ils s'étoient jetés au parti de Philippe; que quand cela ne seroit pas, en ma- tière de conquêtes les choses ne se pratiquent jamais

4i4 LE XXXIII» LIVRE

d'autre façon ; et que pour le regard des villes de Thés- salie , elles s'étoieut yolontairement données au peuple romain. Ces raisons furent généralement approuvées de tous les alliés. Les Étoliens furent seuls qui témoignèrent en être mal satisfaits, et par leurs bizarreries bientôt après s'attirèrent sur les bras une guerre qui les accabla de toutes sortes de calamités. L'accord avec Philippe fut, qu'il bailleroit son fils Démétrius et quelques-uns de ses amis en otage, payeroit six vingt mille écus, et pour le surplus députeroit à Rome vers le sénat; qu'à cette fin il y auroit trêve de quatre mois; que si le sénat ne vouloit point de paix, on rendroit à Philippe ses otages et son argent. Ce qui faisoit presser la conclusion delà paix à Quintius, c'étoit qu'il avoit de bons avis qu'Antio- chus se préparoi t à la guerre, et vouloit passer en Europe. XIV. Au même temps, et, selon quelques-uns, le même jour que Philippe perdit la bataille des Cynoc^hales, Androsthène, l'un de ses lieutenants, fat défait par les Achaïens près de Corinthe. Philippe, qui avoit fait compte que cette ville lui seroit une citadelle pour tenir en bride le reste des villes de la Grèce , ayant fait venir à lui les principaux habitants sous couleur de traiter avec eux du nombre de cavalerie qu'ils lui pourroient fournir en cette guerre, les avoit retenus pour lui servir d'otages ; et de plus, outre la garnison ordinaire, qui étoit de treize cents hommes, dont il y en avoit huit cents Macédoniens, il y avoit envoyé de surcroit mille autres Macédoniens, douze cents Illyriens, huit cents Thraces et Candiots, peu- ples qui servoient indiffSèremment en l'un et en l'autre parti. Outre tout cela, Androsthène avoit mille Béo- tiens, Thessaliens et Acamaniens, tous portant ronda- clies; desquels et de la jeunesse de Corinthe ayant mis ensemble jusqu'à six mille combattants, il ne cherchoit qu'une occasion de venir aux mains. Nicératus, préteur

DE TITE LIVE. 4i5

d' Achaïe, qui en gens de pied et de cheval n'avoit que denx mille hommes, et lesquels encore n'avoient garde d'être si bons soldats que ceux des ennemis , n'osoit montrer le nez hors des murailles de Sicyone. Les troupes d*An- drosthène, autant Tinfanterie que la cavalerie, alloient ordinairement courir sur les terres de Pellène, Phlionte et Gléonées, et quelquefois même donnoient jusqu'aux portes de Sicyone, reprochant à ceux de la garnison qu'ils leur faisoient garder la chambre. Qui plus est, An- drosthène avoit quelque nombre de vaisseaux, avec lesquels il pilloit toute la côte d'Achaïe. Nicératus ayant considéré que pour le mépris que les ennemis faisoient de sa foiblesse ils ne marchoient jamais qu'en désordre, s'i- magina qu'il y avoit moyen de leur donner sur les doigts. Il avertit donc secrètement ceux des villes voisines de se trouver à certain jour à Apélaure eu Stymphalie, avec le plus d'hommes qu'il leur seroit possible. Sitôt qu'ik y eurent satisfait, il part à l'heure même, et passant par les confins de Phlionte arrive de nuit à Cléonées, sans que personne se doutât de ce qu'il avoit envie de faire. Il avoit cinq mille hommes de pied, d'entre lesquels il prit ceux qui étoient armés légèrement, et avec trois cents chevaux les envoya reconnoître en quelle part les ennemis s^oient allés courir.

XV. Androsthène, qui ne savoit rien de cette as- semblée, se loge sur la rivière de Némée, entre les terres de Corinthe et de Sicyone. il fait trois troupes d'une moitié de ses gens, et en envoie courir l'une à Pellène, l'autre à Sicyone, et la troisième à Phlionte. L'avis en ayant été aussitôt porté à Cléonées, Nicé- ratus à l'heure même fait partir une bonne troupe de ses mercenaires, pour aller gagner un bois * il falloit

I. Vab. (édit. de 1611) : Un bois par oà.,..

4i6 LE XXXIII* LIVRE

passer pour entrer sur les terres de Corinthe, et fai- sant marcher sa cavalerie à la tête des enseignes, di- vise ce qu'il avoit de reste en deux troupes. En Tune il met ce qu'il avoit de reste de mercenaires et ceux qui étoient armés légèrement, en Tautre ceux qui portoient des rondaches, et en cet équipage s'en alla chercher les ennemis. Il n'eut guère fait de chemin qu'il les rencon- tra, infanterie, cavalerie, et particulièrement les Thra- ciens, en l'état qu'il desûx>it, c'est-à-dire épars et déban- dés, comme gens qui ne croyoient pas avoir occasion de penser à soi. Il se jette sur les plus avancés. Ceux qui étoient moins éloignés de leur camp eurent loisir de s'y retirer et y donnèrent l'alarme. Ce fut une merveille à Androsthène de voir jusques à Cléonées ceux que jamais il n'avoit vus sortir de Sicyone plus avant que les co- teaux qui sont auprès de leur porte; et encore étoit-ce chose qu'ils n'avoient faite que bien peu souvent. Il en- voie donc un trompette faire revenir ceux qui étoient à la campagne, commande à tout le monde de prendre les armes, et sortant lui-même à la hâte, assez mal accom- pagné, se va ranger en bataille au bord de la rivi^^. Le reste de ses gens n'ayant eu loisir ni de se mettre ensem- ble, ni de s'équiper, tournèrent le dos à la première charge qui leur fut faite. Les Macédoniens furent ceux qui en plus grand nombre se rendirent auprès des en- seignes. £t certes ils fii'ent si dignement que l'on fiit longtemps en doute à qui l'avantage demeureroit. Enfin, comme ils se virent abandonnés de leurs gens et assaillis de deux côtés, en flanc de ceux qui étoient légèrement armés, et en tête des porteurs de rondache, les affaires n'allant pas bien pour eux, après avoir reculé quelque temps ils tournèrent le dos tout à fait, et la plupart sans s'arrêter en leur camp, pour le peu d'espérance qu'ils avoieut de le pouvoir défendre, s'en allèrent droit à Ck>-

DE TITE LIVE. 417

rinthe. Nicératus les fit suivre par ses mercenaires, et quand et quand envoya sa cavalerie avec le secours des Thraciens charger ceux qui étoient allés ravager sur les terres de Sicyone. Ils firent les uns et les autres si bien, qu'en ces deux endroits il ne mourut pas moins d'hom- mes qu'au lieu du combat. Ceux qui avoient couru du côté de Pellène et de Pblionte, les uns revenant en désordre, comme gens qui ne savoient rien de ce qui étoit arrivé, s'allèrent jeter ignoramment dans les ennemis, qu'ils pre- noient pour être de leurs gens; les autres, qui par les allées et venues qu'ils voyoient faire emmi les champs se doutèrent de ce que c'étoit, ayant pris parti qui deçà, qui delà, tombèrent entre les mains des paysans, qui ne leur firent pas meilleur marché qu'eussent fait les gens de guerre. U mourut en cette journée quinze cents hommes des gens d'Androsthène, et y en eut trois cents prisonniers. XYI. Devant la bataille des Cynocéphales, Lucius Quintius, général de l'armée de mer, avoit mandé à Cor- fou les principaux des Acamaniens, qui seuls entre tous les Grecs étoient demeurés au parti de Philippe, et pen- soit disposer les choses à quelque changement. L'affection de ces peuples à l'endroit de Philippe avoit deux raisons : Tune que naturellement ils ont une forte inclination à garder leur foi; l'autre qu'ils avoient peur des Etolieus, et les haïssoient mortellement. Pour en délibérer, il y eut une assemblée tenue à Leucade. Tous les Acamaniens ne s'y trouvèrent pas, et ceux qui s'y trouvèrent ne furent pas tous d'une opinion. Néanmoins les magistrats et les principaux s'en étant fait accroire, il fut ordonné que l'on s'allieroit avec les Romains. Comme c'étoit chose contre l'avis de la plus grande partie de ceux qui y avoient été présents, aussi déplut-elle généralement à tous ceux qui ne s'y étoient point treuvés. Cependant que le peuple murmuroit de cette violence, deux des principaux du pays, Malbxbbb. I 37

4i8 LE XXXIIP LIVRE

Androclès et Echidémus, qui arrivèrent de la part de Phi- lippe, firent non-seulement casser Tordonnance faîte en faveur des Romains , mais aussi condamner conmie mi- tres Archélaûs et Bianor qui en avoient été auteurs, et dé- poser le préteur Leuxidas qui en avoit fait la proposition. La-dessus les condamnés prirent une résolution téméraire, qui toutefois leur réussit. Leurs amis leur conseilloient de s*accommoder au temps, et se retirer à Corfou vers les Romains. Contre cet avis ils s'allèrent présenter au peuple, en intention, ou de faire leur paix, ou de souffrir tout ce qui leur pourroit arriver. Comme ils furent ar- rivés * en rassemblée, il s'y fit premièrement un bour- donnement de voix, pour la merveille que donnoit leur action à tous les assistants, et bientôt après un profond silence, pour la pitié que faisoit la comparaison de leur dignité passée avec leur misère présente. Leur ayant été donné congé de parler, ils commencèrent leur harangue en termes de suppliants. Mais comme ils furent plus avant en matière et qu'ils vinrent à leur justification, ils parlèrent avec la hardiesse accoutumée aux personnes innocentes, et passant jusqu'à se plaindre eux-mêmes, dirent tout haut qu*on les avoit injurieusement et cruel- lement traités. Leurs paroles firent un tel effet en Fesprit des auditeurs que sur-le-champ on révoqua leur con- damnation , et néanmoins il fut arrêté que l'alliance nouvellement faite avec les Romains n'auroit point de lieu et que Ton i*eviendroit à celle de Philippe.

XVn. C'est ce qui fut résolu à Leucade, ville capitale d^Acamanie, en laquelle se tiennent ordinairement le» états généraux de la province. Comme Lucius Quintius eut la nouvelle de cette révolte, il partit de Corfou, et avec ce qu'il avoit de vaisseaux s'en vint prendre terre

1. Vak. ;eilit. de ifiai; : Entré»....

DE TITE LIVE. 419

auprès de Leucade, en un quartier qui s'appelle Héréon. De avec toutes sortes de machines de batterie il s'ap- procha de la ville , croyant que la seule peur de sa pré- sence rangeroit incontinent les habitants à faire ce qu'il desireroit. Comme il les en vit fort éloignés, il com- mença avec mantelets et gabions à gagner le pied de la muraille, et se préparer à la force. Toute TAcamanie est située entre TÉtolie et TÉpire, vers le soleil couchant et la mer de Sicile. La Leucadie est aujourd'hui une lie séparée de la terre ferme par un fossé fait à la main, la mer est guéable en beaucoup de lieux; mais alors elle tenoit à l'Acamanie par une langue de terre d'en- viron cinq cents pas de long et six vingts de large*. C'est en ce détroit qu'est assise la ville de Leucade, partie attachée contre le pendant d'une petite montagne qui regarde rAcamanie et le soleil levant, partie étendue en une plaine le long du ti*ajet qui (ait la séparation de la Leucadie et de l'Acamanie. De ce côté -là, poui'ce que l'eau y est extrêmement basse et aussi plate que celle d'un étang, et d'ailleurs que la terre y est si facile à remuer, qu'il n'y a sorte d'ouvrage que les assiégeants n'en puissent faire, en quelque façon que l'on attaque Leucade, il n'est pas malaisé de l'emporter. Aussi et par la sape et par la batterie il y avoit déjà beaucoup d'ouvertures à la muraille. Néanmoins aux grandes commodités que ceux de dehors avoient d'entrepren- dre, ceux de dedans opposoient tant d'assiduité à rem- parer les brèches, et tant de courage à repousser les assauts, que véritablement ils défendoient plutôt les mu- railles, que les murailles ne les défendoient. Ce qui en fit avoir meilleur marché aux Romains, fut que par l'in- telligence de certains bannis d'Italie qui s'y étoient ha-

I. Ici s'arrête la traduction de Malherbe dans rédîtiou de 1616.

4ao LE XXXIIP LIVRE

bitués, ils eurent moyen de faire couler des gens dans la forteresse, et de la forteresse dans la ville. Gda ne s^é- tant pu faire qu'avec beaucoup de bruit, les habitants coururent aussitôt se mettre en bataille à la place du marché, et y soutinrent quelque temps, non moins cou- rageusement qu'ils étoient furieusement assaillis. Mais enfin Quintius , avec un gi'and nombre d'hommes qui entrèrent ou pai* des échelles ou par les ruines de la muraille, les étant venu enclore par derrière, les uns furent tués sur la place , les autres quittèrent les armes et se rendirent aux victorieux. A quelques jours de vint la nouvelle de la bataille des Cynocéphales , qui en fit faire de même au reste de TAcamanie.

XVni. En ce même temps, comme si la fortune par une concurrence de toutes sortes de malheurs eût cher- ché d'avancer la ruine de Philippe, ceux de Rhodes se résolurent de lui ôter la Pérée, qui est une contrée en terre ferme, laquelle par le passé leur avoit appartenu. Us en donnèrent la commission à Pausistrate leur pré- teur, et pour cet effet lui baillèrent deux mille sept cents honmfies de pied, dont il y en avoit huit cents d'Achaïe, et le reste de toutes sortes de nations, comme Galates, Nisuëtes, Pisuëtes, Tamiens, Araeens en Afiri- que, et Laodicéens en Asie. Avec ces troupes, Pau- sistrate s'alla camper au terroir de Stratonicée ; et devant que les gens de Philippe en eussent le vent, se saisit d'un lieu fort avantageux, qui autrefois avoit été entre leurs mains. tout à propos Théoxène amena aux Rhodiens un renfort de cent chevaux et miUe honmnes de pied, que pour cet effet ils avoient envoyé quérir en Achaïe. Dinocrate, lieutenant de l'armée de Philippe, ayant envie de recouvrer cette place, s'en alla du com- mencement chercher les Rhodiens en leur camp ; puis tout aussitôt retourna vers Astragon, qui est un autre

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fort au même terroir de Stratonicée, pour y ramasser les garnisons qu^il avoit aux lieux d'alentour. Cela fait, et ayant même tiré de Stratonioée le secours qu'il avoit eu des Thessaliens, il prit son chemin vers Âlabande, avec son premier dessein de rencontrer les ennemis. Les Rhodiens ne reculèrent point; de sorte que les Ma- cédoniens s'étant approchés, on ne fut guère sans venir aux mains. Dinocrate à son côté droit mit cinq cents Macédoniens, au gauche ce qu'il avoit d'Agriens, et au milieu les hommes qu'il avoit tirés des garnisons, qui étoient Cariens pour la plupart. Sur les ailes il mit les gens de cheval. Les Rhodiens à leur main droite mi- rent, avec ce qu'ils avoient de gens du pays, le secours que la Candie et la Thrace leur avoient envoyé, à la gauche leurs étrangers entretenus, qui étoit une infan- terie merveilleusement bonne, au milieu un gros com- posé de toutes les nations qui les assistoient, et aux ailes ce qu'ils avoient de cavalerie et de gens armés légè- rement. Le premier jour les armées, qui n'étoient sépa- rées que d'un ruisseau, et encore bien petit, furent en présence l'une de l'autre, et après s'être saluées de quel- ques coups de trait, se retirèrent chacune en son loge- ment. Le lendemain les uns et les autres étant revenus au même lieu et en même ordre, la bataille se donna plus furieuse qu'avec apparence on ne devoit l'atten- dre de si peu de gens, n'y ayant pas de chaque côté plus de cent chevaux et trois mille honunes de pied. Comme leur nombre et leurs armes étoient semblables , aussi étoient leurs courages et leurs espérances. Les Achalens furent les premiers qui passèrent le ruisseau et allèrent charger les Âgriens. Après eux passa le gros. Le combat dura longtemps sans avantage d'une part ni d'autre. Les mille Achaïens firent reculer quatre cents honmies qu'ils avoient devant eux , et alors tout le côté

4aa LE XXXIII* LIVRK

droit commença de ployer. Qaant aux BIaoédoiiieD5, tani qtt*ils ne se bougèrent, il n y eut moyen de les rompre. Mais comme du c6té gauche, n ayant plus rien qui les couvrît, ils s'ébranlèrent pour tirer sur les ennemis que de côté ils voyoient venir à eux, ils firent ce mouvement avec quelque trouble, du trouble ils vinrent au dés- ordre, et enfin tournèrent tout à fidt le dos, et à sauve qui peut s'enfuirent à Bargyles. Dinocrate s'y retira aussi. Tant que le jour dura, les Rhodiens continuèrent la chasse. La nuit les fit revenir au logis. On demeure d'accord que si de ce pas ils fussent allés droit à Strato- nicée , on leur eût ouvert les portes. Mais s' étant amu- sés a reprendre quelques chftteaux et petites places de la Pérée, ils perdirent cette occasion. Cependant la garni- son ayant eu du temps pour se rassurer, et bientôt après Dinocrate s'y étant jeté avec ce qui lui étoit de- meuré de la bataille, la ville se trouva en tel état que depuis, cpielque siège et quelque batterie que l'on y ftu il (iit impossible de la ravoir jusques à ce que par le traité de paix les Romains la retirèrent de Philippe, et en firent un présent aux Rhodiens. C'est à peu près ce qui d'un même temps se passoit en Thessalie, en Achaie et en Asie.

XIX. Philippe ayant nouvelles que les Dardaniens étoient entrés sur ses terres et ravageoient la haute Macédoine, encore cpie de quelque côté que lui et ses lieutenants se tournassent ils eussent toujours la fortune contraire S néanmoins, jugeant qu'il lui valoit mieux se perdre que de ne conserver pas la Macédoine, il fit promptement une levée de six mille hommes de pied, et six cents chevaux , et avec cela s'en alla surprendre les ennemis auprès de Stobes en Pélagonie. U en de-

I. Vab. (édit. de 1631) : Ils ensseatjoujours le Tent an Tiaage»

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meura une bonne partie au lieu du combat , mais le plus grand meurtre se fit emmi les champs, de ceux qui étoient allés a la picorée. Ceux qui se treuvèrent assez loin pour n'être point obligés à se battre, n'estimèrent pas qu'il fot à propos de venir chercher noise, et sans tirer Tépée s'en retournèrent de bonne heure en leurs maisons. Philippe par cet exploit, il fut traité de la fortune autrement qu'il n'avoit accoutumé , ayant remis le cœur a ses gens, se retira à Thessalonique. Il s'étoit rencontré fort à propos pour les Romains, que lorsqu'il leur fallut avoir la guerre contre Philippe, celle qu'ils avoient contre Carthage étoit terminée. Mais ce leur fut bien encore meilleure fortune , que lorsqu' Antiochus se mit à brouiller en Syrie, ils a voient mis Philippe à la rai^ son. Car outre qu'ils eurent meilleur marché d'un ennemi seul qu'ils n'eussent eu de deux ensemble, il étoit indu- bitable que la furieuse révolte qui au même temps s'étoit faite en Espagne leur alloit tailler de la besogne. Antio- chus, qui l'été précédent avoit pns toutes les places qu'avoit Ptolomée en la Célosyrie , s'en étoit allé passer l'hiver à Antioche; mais pour cela il n'en étoit pas demeuré plus en repos. Il avoit levé deux puissantes ar- mées, l'une de mer et l'autre de terre. Comme le prin- temps (ut venu , il bailla celle de terre à ses deux fils Ardues et Mithridates, et leur commanda de l'aller at- tendre à Sardes. Pour lui, il prit celle de mer, qui étoit de trois cents vaisseaux, tant grands que petits, et s'en alla terre à terre le long des côtes de Cilicie et de Carie, en partie pour tâter le pouls aux villes que Ptolomée y avoit, et en partie pour assister Philippe, qui alors n'é- toit pas encore entièrement ruiné.

XX. Certes les Rhodiens ont en beaucoup d'occa- sions généreusement témoigné leur fidélité au parti des Romains et leur affSection à la liberté de la Grèce;

4a4 LE XXXIIP LIVRE

mais de toutes leurs actions celle qui a eu le plus d'é c'est qu'en un temps ou ils voyoient une guerre si dan- gereuse prête à leur tomber sur les bras, ils envoyèrent vers Antiochus lui déclarer que si son armée passoit ao deçà de la Néphélide, qui est un promontoire de Gilicie renommé pour un ancien traité qui y fut fiedt avec les Athéniens, ils iroient au-devant de lui, et se met- troient en devoir de le combattre; non qu'ils lui vou- lussent du mal, mais de peur qu'il ne se joignit à Philippe et qu'ensemble ils n'empêchassent le dessein qu'avoient les Romains de remettre la Grèce en liberté. Antiochus avoit pris Zépliynon, Soles, Aphrodisiade , Corique et Sélinonte au delà d'Anémurion, qui est un autre promon- toire de Cilicie , et généralement toutes les petites places de cette côte ou de gré ou de crainte s'étotent rendues à lui. Coracésion seul, contre ce qu'il s'en étoit promis, avoit eu la hardiesse de lui fermar les portes et Tavoit obligé à l'assiéger. Il étoit devant et le battoit lorsqu'il ouït les ambassadeurs des Rhodiens. Le message qu'ils lui faisoient avoit de l'aigreur assez pour le piquer. Tou- tefois il n'en fit point de semblant. Sa réponse (îit, qu'il enverroit à Rhodes renouveler l'amitié que de tout temps lui et les siens avoient eue avec eux ; que pour sa venue, ils n'en prissent point d'alarme; que ni eux ni les leurs n'en recevroient aucun déplaisir; quant aux Romams, qu'ils étoient ses amis, qu'il ne feroit rien contre eux ; que ses ambassadeurs ne faisoient que reve- nir de Rome, d'où ils lui avoient apporté des déclara- tions du sénat les plus honorables et des réponses les plus gracieuses qu'il eût su désirer. Et certainement ce qu'il disoit pour ce dernier point étoit véritable; d'autant que les Romains, qui alors avoient encore affaire à Philippe, vouloient ménager Antiochus et faire, autant qu'il leur seroit possible, qu'il n'eût aucune occasion de

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remuer. Pendant que les députés d*Antiochus étoient à Rhodes, la nouvelle de la bataille des Cynocéphales y arriva et 6ta aux Rhodiens toute la peur qu'ils pouvoient avoir d'Antiochus. Leur résolution fut d'aller combattre son armée de mer. Mais pour cela ils ne témoignèrent pas moins le soin qu'ils avoient de conserver la liberté des villes de Ptolomée, qu Antiochus étoit sur le point d'at- taquer. Aux unes ils envoyèrent des hommes, aux autres ils donnèrent des avis. Et ce^ que les Cauniens, Myn- diens, Halicamassiens et Samiens demeurèrent libres, il est très-certain que ce fut aux Rhodiens et non à autre qu'ils en eurent l'obligation. Mais ce sont choses je n'ai que faire de m' arrêter. Il me suiBt de réciter ce qui est proprement de la guerre des Romains.

XXI. En ce même temps, le roi Attalus, qui de Thè- bes , il étoit tombé malade , s'étoit fait apporter à Pergame , mourut le soixante et onzième an de son âge, et le quarante-quatrième de son règne. La fortune certes n'avoit donné à cet homme autre chose qui lui pût faire espérer une couronne, que ses très-grandes richesses. Mais les dispensant conune il faisoit, judi- cieusement et splendidement tout ensemble , il se mit en état de pouvoir prétendre à la royauté, et donna sujet aux autres de l'en estimer digne. -dessus lui étant réussi un combat contre les Galates , en un temps leur nouvelle venue en Asie les rendoit extrêmement redoutables, il ne marchanda plus à prendre ouverte- ment le titre de roi. Et certainement il en eut toujours le courage aussi bien que la qualité. Jamais il ne fit injustice à ses sujets, jamais il n'abandonna ses alliés, et jamais il ne perdit occasion de faire du bien à ses ser- viteurs. Sa femme le survéquit, et avec elle deux de ses

I. Cela, ce fait qae....

4a6 LE XXXIIl* LIVRE

fils , auxquek fl laissa son Etat si bien affcmii , cpie jusqu'à la troisième race eux et les leurs en oooacnrèrent la possession. Comme les affaires d'Ane, de Grèce et de Macédoine étoient en ces termes, la guerre de Philippe n'étant que bien à peine cessée, et pour le moins ce qui avoit été accordé par la paix n'étant pas encore exécuté, il s'alluma une grande guerre en Andelonsie. Hdvîos qui en étoit gouverneur écrivit an sénat, que Colcas et Lar- cin, deux des principaux seigneurs du pays, avoient pris les armes ; qu'avec Colcas il y avoit dix-sept petites viÛes, et avec Luscin deux très-grandes, Cardonne et Bar- donne; (pie pour ceux de la côte, ils ne boogeoient encore, mais que , leurs voisins remuant, il ne se Edloit pas imaginer qu'ils demeurassent les bras croisés. Ces lettres ayant été lues au sénat par le préteur Sei^ns, il fut résolu qu'après que la création des préteurs seroît faite, celui à qui toucheroit l'Espagne dresserait in- continent un état de ce qu'il estimeroit nécessaire pour y faire la guerre, et en feroit son rapport au premier jour.

XXII. Environ ce même temps les consuk furent de retour à Rome, et ayant fait assembler le sénat au temple de fiellone, demandèrent que pour les bons services qu'ils avoient rendus à la République le triomphe leur fût accordé. Les tribuns du peuple Labéo et Ursanius remontrèrent qu'y ayant de la différence aux mérites il y en devoit avoir en la récompense , et que pourtant ils requéroient que chacun des prétendants eût à faire sa poursuite séparément. Minutius disoit pour sa raison, que le gouvernement d'Italie leur étoit échu à tous deux ensemble. Cornélius ajoutoit* que son compagnon et lui n'avoient rien fait l'un sans l'autre, et nommément

1. Vab. (édit. de 162 1) : ComéUos y ajoatoit.

DE TITE LIVE. 4*7

que les Boïes ayant passé le * pour venir assister les Insubriens et les Cénomans contre lui, Minutius étoit allé ravager leurs terres, et par ce moyen les avoit contraints de s*en retourner chez eux, pour entendre à la défense de leurs maisons. Les tribuns avouoient bien à Cornélius quHl avoit si dignement servi, qu*il y avoit autant d'apparence de ne remercier pas les Dieux, que de ne lui accorder pas le triomphe. Mais ils disoient que jamais homme ayant obtenu le triomphe pour soi , n' avoit eu ni le pouvoir ni le crédit de l'obtenir pour son compagnon, et qui plus est , pour un honunc à qui la seule effronterie donnoit la hardiesse de le demander; que les combats qu' avoit faits Minutius en la Ligurie n*étoient que simples rencontres, et encore si légères, qu^elles ne valoient pas en parler : qu'au contraire il avoit été rudement battu en la Lombardie , et y avoit perdu avec un grand nombre de soldats plusieurs vaillants hommes et même des honmies de qualité, entre les- quels ils nommoient deux maitres de camp, Juventios et Cneius frère de Labéo; que si je ne sais combien de villettes et de bourgades s'étoient rendues à lui, il nen avoit tiré ni otages ni aucune autre assurance; de sorte cpi 'elles étoient demeurées en état de se ré- volter toutes et quantes fois que bon leur sembleroit. Cette dispute entre les consuls et les tribuns dura deux jours.

XXIII. Enfin les tribuns gagnèrent leur cause, et fallut que les consuls fissent leur demande chacun à part. Corné- lius d'un consentement universel emporta ce qu'il desiroit. Ceux de Plaisance et de Crémone le rendirent encore plus favorable, par l'obligation que publiquement ils déclarè- rent lui avoir de ce qu'il avoit fait lever le siège de devant

I. Malberbe écrit U Pau.

4a8 LE XXXIIP LIVRE

leurs villes , et même avoit délivré plusieurs de leurs habi- tants, qui étoient esclaves entre les mains des ennonis. Minutius, qui sentit que s*il s'aheurtoit à son afiire, il auroit tout le sénat à combattre, se contenta d^en biie un simple récit, et s*en alla triompher au mont Alban. U disoit que comme consul il le pouvoit fiiire; et d'aiUenn (pi 'il en avoit l'exemple de plusieurs grands personnages, qui en semblable refus avoient usé de semblable remède. Cornélius étoit encore en Tannée de son consulat quaod il fit son triomphe. Il y fit porter tout plein d'enseignes et de dépouilles sur les mêmes chariots qu'il avoit pris. Plusieurs seigneurs de marque y forent menés, entre les* quels il y en a qui nonmient Amilcar, capitaine de Car- thage. Ce qu'il y eut en cette montre de plus r^ardé, fot une troupe de Crémonois et de Plaisantins, qui en habit d'affranchis voulurent marcher après son chariot. Il mit à l'épargne trente-quatre mille cinq cents quatre-vingt- seize livres quinze sols, et donna à chaque homme de pied trente-cinq sols, à chaque homme de cheval soixante et dix, et à chaque capitaine cinq livres cinq sols. IMCnutios triompha des Liguriens et des Boïes au mont Alban. Son triomphe, et pour le lieu, et pour les faits d'armes, et encore pour la dépense, que l'on savoit assez qu'il avoit faite de ses propres deniers, ne fut pas a beaucoup près si honorable que celui de Coméhus. Il mit à l'épaigne dix-neuf mille six cents cinquante hvres. Quant aux gens de guerre, il leur donna les mêmes sonmnes que son compagnon leur avoit données.

XXrV. Le triomphe passé, il fut question de trs* vailler à la création des consuls. Furius Purpuréo et Claudius Marcellus le furent. Le lendemain furent faits préteurs Fabius Butéo, Sempronius Longus, Minutius Thermus , Acilius Glabrio , Apustius FuUo et Caïus Lélius. Sur la fin de l'année, (^inûus écrivit à Rome,

DE TITE LIVE. 4^9

qu^en Thessalie il s'étoit battu avec Philippe et Favoit défait. Ses lettres furent premièrement lues au sénat par le préteur Sei^us, et puis par le commandement du sénat en l'assemblée du peuple. Pour ce bon succès, il fut ordonné que durant cinq jours il seroit fait pro« cessions générales. Bientôt après arrivèrent des am- bassadeurs de Philippe et avec eux quelques députés de Titus Quintius. Les gens de Philippe furent logés et traités hors de la ville en une maison qui est à la Répu- blique. Pour les ouïr, le sénat fut assemblé au temple de Bellone. Il ne s'y fit pas de grands discours, pource que les Macédoniens déclarèrent que le roi leur raattre feroit tout ce qui plairoit au sénat. Là-dessus, suivant Tancienne coutume, il fîit ordonné qu'il iroit dix com- missaires sur les lieux, pour avec Quintius aviser à quelles <x>nditions on accorderoit la paix à Philippe, et fut dit expressément que Publius Sulpicius et Publius Yillius, qui en Tannée de lem* consulat avoient eu leur départe- ment en la Macédoine, seroient du nombre des députés. Le même jour ceux de Cosse ayant présenté requête pour avoir une crue d'habitants, il leur fut permis d'en prendre jusques à mille, pourvu que ce ne filt point de ceux qui depuis le consulat de Lucius Cornélius et Titus Sempronius avoient porté les armes contre les Romains. XXY . Cette même année les édiles curules, Cornélius 'Scipio et Manlius Volso, firent faire les jeux romains au cirque et sur l'échafaud. Comme ils n'avoient jamais été faits avec tant de dépense, aussi pour les bonnes nouvelles que de tous côtés l'on avoit eues ils n'avoient jamais été regardés avec tant de plaisir. Ils furent refaits par trois fois. Ceux du menu peuple furent faits par Acilius Glabrio et Caïus Lélius, et réitérés par sept fois. Us dé- dièrent aussi de l'argent des amendes trois images, l'une à Cérès, l'autre à Bacchus, et la troisième à Proserpine.

43o LE XXXIIl* LIVRE

Aussitôt que les nouveaux consuls furent en exerrâoe, la première affaire qu*ils mirent sur le tapis fut le dépar- tement des provinces. Le sénat vouloit qu'ils doneums- sent tous deux en Italie. Marcellus, qui avoit envie d'être employé en quelque province, demanda que la Macédoine fot tirée au sort avec l'Italie, pource qu'à son dire la paix faite avec Philippe n'étoit qu'une paix simulée, et que si une fois les Romains étoient de retour en Italie, il ne demeureroit en repos que jusques à la première commodité qu'il auroit de remuer. Le sénat ne savoit ce qu'il en devoit dire. Et peut-être que les consuls eussent emporté ce qu'ils desiroient, n'eût été que les tribuns du peuple protestèrent de n'y consentir jamais qu'ils n'en eussent parlé au peuple, et qu'il n'eût dé- claré qu'il le vouloit et qu'il le commandoit. On s'as- sembla donc pour cet effet au Capitole. Les trente-cinq tribus furent toutes à la paix. Leurs volontés qui y étoient portées d'ailleurs, y furent grandement confirmées par la triste nouveUe qui vint d'Aragon, que l'armée du pro- consul Sempronius Tuditanus a\oit été toute défaite; qu'en ce combat il étoit demeuré tout plein de personnes d'importance et qu'il y avoit lui-même été tellement blessé, qu'il en étoit mort incontinent après. Les deux consuls eurent l'Italie pour leur département, et fut arrêté qu'avec l'armée qu'avoient eue les consuls de l'année précédente ils lèveroient encore quatre légions, detix pour servir le sénat ordonneroit , et deux qui seroient baillées à Quintius , avec lesquelles et ce qu'il avoit déjà il demeureroit encore un an en Macédoine, dont pour cet effet le gouvernement lui seroit continué. XXVI. Cela fait, les préteurs firent leurs départements au sort. Apustius eut la juridiction de la ville, Glabrio oeUe des étrangers, Butéo l'Andeiousie, Minutius Thermus r Aragon , Lélius la Sicile, et Sempronius Longus la ii

DE TITE LIVE. 43 1

daigne ; et fut ordonné que des quatre légions que les con- suls auroient le\ ées, ils en bailleroient les deux que bon leur sembleroit à Butéo et à Minutius pour faire la guerre en Espagne, et qu'avec cela et quatre mille hommes de pied, tant des Latins que des alliés, ils s'en iroient à leurs charges le plus tôt qu'il leur seroit possible. Il y avoit alors cinq ans qu'une guerre que l'Espagne et Carthage faisoient ensemble contre les Romains avoit été assoupie. Quant à celle-ci, eUe se pouvoit dire une guerre nouvelle, d'autant que c'étoit la première fois que l'Espagne sans soldat ni capitaine de Carthage avoit pris les armes en son propre nom. U fut donc arrêté que devant que les préteurs allassent à leurs charges, ni les consuls aux leurs, il seroit fait des sacrifices, pour l'expiation des prodiges dont on avoit nouvelles de tous côtés. Comme Lucius Julius, chevalier romain, s'en alloit aux Sabins, lui et son cheval avoient été tués de la foudre. Le feu du ciel étoit tombé sur le temple de Féronie au terroir de Capène. En celui de Monète le feu s' étoit pris aux fers de deux piques. Un loup, qui étoit entré dans Rome par la porte Esqui- line, étoit venu jusqu'à la place du marché par les en- droits de la ville les plus fréquentés, et tout du long de la rue Tusque et puis de la Mélienne s'en étoit retourné par la porte Capéne presque sans avoir été iîrappé. Tout cela faisant croire que les Dieux étoient courroucés; pour les apaiser on leur sacrifia les grandes victimes accou- tumées en semblables occasions.

XXVU. Au même temps Cornélius Lentulus, qui de- vant Sempronius Tuditanus avoit eu le gouvernement d'Aragon, triompha par ordonnance du sénat. Il fit porter devant lui deux mille deux cents soixante et douze marcs et demi d'or, trente mille marcs d'argent, et en espèces la valeur de huit mille six cents trente- sept livres dix sols. Stertinius à son retour d'Ande-

43a LE XXXIII* LIVRE

loasie mit à l'épargne soixante et quinze mille marcs d'argent, et de son butin fit £aiire deux arcs en la place aux Bœufs, Fun devant le temple de Fortune, l'autre de- vant la mère Matute , et encore un troisième au grand cirque, sur chacun desquels il fit mettre une image de bronze doré; et avec tout cela , il ne daigna pas seule- ment ouvrir la bouche pour demander le triomphe. C'est à peu près ce qui se faisoit durant l'hiver. Quintius étoit alors * à Athènes, de toutes pails les alliés hii venoient iaire des requêtes. Les Béotiens lui en firent une , que ceux de leur nation qui avoient porté les armes pour Phi- lippe pussent revenir en leurs maisons. Il la leur accorda facilement; non pas qu'il les en estimât dignes , mais pource que Antiochus donnant déjà de l'ombrage, il étoit expédient d'acquérir aux Romains la bienveillance des communautés de la Grèce. Les bannis des Béotiens n'eurent pas eu sitôt leur rappel de ban , qu'ils firent vpir le peu de gré qu'ils en savoient à celui qui le leur avoit donné. Car ils envoyèrent remercier Philippe, comme s'ils lui en eussent eu l'obhgation, et non pas à Quintius. Qui plus est, en la prochaine création de leurs ofiiciers, ils firent leur capitaine général un Barcvhis, pour la seule considération qu'il avoit été chef des Béo- tiens en l'armée de Philippe. Zeusippe, Pisistrate, et quel- ques autres qui les avoient portés à s'allier avec les Romains, se piquoient grandement de cette élection, comme d'un affront qui leiur étoit iait. Toutefois le sen- timent du présent ne les touchoit point conmie l'appré- hension de l'avenir, quand ils se représentoient ce que vraiseml^lablement on leur feroit lorsque les Romains seroient en Italie , et que Philippe qui étoit leur voisin auroit à toutes heures la commodité d'assister ses amis, et

I. Yab. (édit. de 169 1) : Lort

DE TITE LIVE. 433

persécuter ceux qui ne le seroient pas, puisque Farinée romaine étant encore dans le pays, et par manière de dire à leurs portes, on avoit eu la hardiesse de leur faire cette indignité.

XXVIIL Pour y remédier, Us pensèrent que devant que les Romains s* en allassent il se falloit défaire de Bar- cylas. Comme ils en épioient l'occasion , celle-ci se pré- senta, qu'ils ne laissèrent pas échapper. Un soir que Bar- cylas revenoit d'un festin qui s'étoit fait en Thôtel de ville, suivi d'une troupe de chantres, baladins, bouffons, et autres telles gens, dont la profession est de faire passer le temps aux lieux ils sont appelés, six hommes armés, trois Italiens et trois Étoliens, se jetèrent sur lui et le tuèrent. Ceux qui étoient en sa compagnie s'enfuirent, et en un instant les rues furent pleines de monde, de cris et de lumières. Les meurtriers sortirent de la ville par la porte qui se trouva la plus prochaine. Le lendemain de grand matin, comme si l'on eût eu des indices de la vé- rité, il fut fait un ban, que chacun eût à se trouver au théâtre. On disoit bien tout haut que ces coquins avoient fiût le coup, mais il n'y avoit personne qui en son âme ne crût que Zeusippe l'avoit fait faire. Pour l'heure , il fut trouvé bon de se saisir de ceux qui étoient auprès de Ban^las quand il fut tué, et leur bailler la question. Pen- dant qu'on les cherche, Zeusippe, pour se mettre hors de soupçon, se vint présenter à l'assemblée, il dit que c'étoit avoir trop bonne opinion de ces marauds qui n'é- toient que demi-hommes, de penser qu'ils eussent com- mis un si notable assassinat. Les raisons qu'il en rendit furent goûtées de quelques-uns, et leur firent penser que cette hardiesse de se produire en telle compagnie et y faire mention d'une chose dont on ne lui disoit rien, étoient marques indubitables de son innocence. Les autres,

le prenant d'un autre biais, jugèrent que cette effronterie

I 18

/,34 LE XXXIIP LIVRE

de prévenir Faccusation étoit an artifice, par lequel il se pensoit décharger de la mauvaise opinion que Ton avoit de lui. Cependant ceux qui n'en pouvoient mais furent mis à la question, fondés sur le brait commun ils char* gèrent Zeusippe et Pisistrate. Ils n'alléguoient ni preuve ni conjecture qui fortifiât leur déposition, et hors le re- mords de conscience, il ne sembloit pas que les aocosés eussent occasion de rien appréhender. Toutefois Zeusippe, quoi que ce îùt qui lui fît peur, sortit de nuit accom- pagné d'un Stratonidas, et s'en alla à Tanagre. Quant i Pisistrate, il n'en tint du tout point de compte et ne bou- gea de Thèbes. Zeusippe avoit un valet, qui avoit concerté l'affaire et qui en avoit fait tous les messages. La peur qu'eut Pisistrate qu'il ne les découvrît fut la seule cause qu'ils en furent découverts. Il écrivit à Zeusippe que son valet, qui savoit ce qui s' étoit passé, ne lui sembloit pas si capable de tenir la chose secrète qu'il avoit été propre à la négocier, et que son avis étoit qu'il s'en dé- fît. Le porteur de la lettre eut charge de la rendre en toute diligence. Ne l'ayant pu faire, pource qu'il n'eut point de moyen de parler à Zeusippe, il la bailla à oe ser- viteur comme à celui dont il croyoit que son maître se fioit le plus; et pour la lui recommander davantage, Ini dit que c' étoit une lettre de Pisistrate pour une affaire qui importoit grandement à Zeusippe. Ces paroles don- nèrent à penser au valet. 11 ouvre donc la lettre au lieu de la rendre, et y ayant treuvé ce qu'il soupçonnoit, s'en- fuit à Thèbes. Zeusippe en alarme de la fuite de son y^- let, s'en va à Athènes, comme au lieu qu'il estimoit le plus assuré pour sa retraite. Pisistrate eut la question et fut exécuté.

XXIX. L'horreur de ce meurtre, dont Zeusippe, le premier homme de la Béoce, se treuvoit coupable, mit toute la ville en furie, et universellement fit avoir à tous les

DE TITE LIVE. 435

Béotiens le nom des Romains en abomination. Ils eussent bien voulu se révolter, mais n'ayant ni force pour le faire, ni chef pour les conduire, ce qu'après la guerre ils pou- voient faire de pis, ils le firent. Ils se mirent à assassiner les soldats romains. S'ils en avoient de logés chez eux , ils treuvoient moyen de les dépécher. S'il eu alloit quel- ques-uns d'une garnison à l'autre, tantôt ils les alloient attendre en de mauvais passages, et leur coupoient la gorge, tantôt, sous couleur de leur montrer le chemin, ils les menoient en des hôtelleries écartées , ils leur faisoient recevoir le même traitement. La haine leur avoit fiiit commencer cette vie, le gain la leur fit conti- nuer; d'autant que la plupart de ceux qui alloient par pays avoient quelque trafic à faire, et par conséquent ne se mettoient pas en chemin sans avoir de l'argent. Le nombre de ceux que l'on treuvoit à dire étant petit au commencement, (ut à la fin si grand, que toute la Béoce en fiit décriée, et que les soldats, quand il falloit sortir du quartier, n'avoient pas moins de peur que s'il leur eût fallu passer par les terres de l'ennemi. Quintius envoya de tous côtés en fiiire des plaintes et des recherches. U fot tiré des marais de la Gopaïde force soldats que l'on y avoit jetés, attachés les uns à des pierres, les autres à des cruches pour les faire aller à fond. D se treuvoit que la plupart de ces voleries avoient été faites à Acréphie et à Coronée. La première chose que fit Quintius, ce (ut de demander les coupables , et trois cents mille écus pour cinq cents soldats que l'on treuvoit avoir été tués. Comme il vit que pour toute satisfaction les Béotiens répondoient que c'étoient fautes personnelles , et qu'il ne se treuvoit point* que les corps des villes y eussent trempé, il fit par- tir Pttblius Claudius avec une partie de ses forces pour

I. Vab. (édit. de i6di) : Et qu'il ne se trouTeroit point.

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attaquer Acréphie, et lui avec Tautre s'en alla devant Go- ronée. Ces deux troupes partant d'Élatie désolèrent tout par elles passèrent. Il n'y eut lieu qui ne fot miné, homme ni femme qui n'abandonnât sa maison. Ce pîteax ménage ayant donné de meilleures pensées aux Béotiens, ils envoyèrent vers Quintius. Du commencement il ne voulut point voir leurs députés. Mais les Athéniens et les Achaïens arrivèrent, qui intercédèrent pour eux. La prière des Achaïens fit le plus d'effet. Aussi étoient*ils résolus s'ils n'eussent obtenu la grâce des Béotiens, de se joindre avec eux, et leur aider à faire la guerre. Par leur moyen les Béotiens eurent audience. La paix leur (ut accordée, et le siège levé de devant Acréphie et Goronée, à la charge de livrer ceux qui se treuveroient coupables, et payer dix- huit mille écus d'amende.

XXX. En ce même temps arrivèrent de Rome les dix commissaires, par l'avis desquels la paix fut accordée à Philippe. Les conditions forent : que toutes les villes grecques, en quelque part qu'elles fossent, seroient maintenues en leurs libertés, lois et privilèges; que s'il y en avoit Philippe eût des garnisons, il les en fe- roit vider présentement; quant à celles d'Asie, Eurome, Pédases, Bargyles, lasse , Myrine , Abyde, Thase et Pé- rinthe, qu'elles seroient libres comme le reste; que pour la Uberté de ceux de Gios, Quintius écriroit au roi de Bi- thy nie ce que le sénat et les commissaires en auroient or- donné; que Philippe rendroit aux Romains tous les pri- sonniers et tous les fogitifs; qu'il mettroit entre leurs mains tout ce qu'il avoit de navires couverts, et nommé- ment un à seize bancs qu'il avoit fait faire pour sa per- sonne, d'une grandeur si monstrueuse, que presque il étoit impossible de s'en servir; qu'il ne pourroit entrete- nir plus de cinq cents hommes de guerre; qu'il n'auroit aucun éléphant; que sans le congé du sénat il ne pourroit

DE TITE LIVE. 437

mener ni envoyer des troupes hors de la Macédoine ; qu*il payeroit six cents mille écus, trois cents mille comptant, et trois cents mille en dix années. Antias met six mille marcs d'argent par an dorant dix ans, et comptant trente mille marcs. Le même dit que nommément il fut défendu à Philippe de faire la guerre à Eumène, fils et nouveau successeur d'Attalus. De tout ce que dessus il bailla des otages, entre lesquels fut son fils Démétrius. Antias ajoute que les Romains donnèrent à Attalus File d'Egine et quelques éléphants ; aux Rhodiens Stratonicée de Carie, avec quelques autres villes que Philippe avoit tenues, et aux Athéniens les lies de Paros, Imbros, Délos et Scyros.

XXXI. Cette paix fut au gré de toutes les communau- tés. Les Étoliens furent seuls qui treuvèrent à redire aux ordonnances des commissaires. Us disoient que toutes leurs belles lettres, de quelque apparence de liberté qu'elles fussent colorées, n'étoient autre chose que des chansons. Car à quel propos adjugeoient-ils des villes aux Romains sans les nonuner, et en nommoient-ils d^autres pour être libres sans les bailler, sinon afin que celles d'Asie, qui pour leur éloignement avoient le moins à craindre, fussent libres, et que celles de Grèce, comme Corinthe, Chalcis, Orée, Érétrie et Démétriade, par cet artifice de ne les nommer point, demeurassent en leur possession? Et certes la plainte des ÉtoUens n étoit pas du tout sans fondement. Car en l'affaire de Corinthe, Chalcis et Démétriade, il y avoit de quoi douter, pource que dans le pouvoir des commissaires il étoit véritablement porté que les autres villes de Grèce et d'Asie seroient libres, mais pour ces trois, les commissaires avoient charge d'en faire ce qu'en leurs consciences ils jugeroient le plus expédient. Us voyoient qu'Antiochus n'attendoit qu'une bonne dispo-

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sitioD à ses afiSûres pour passer en Europe, et ne treu- voient pas à propos que des villes qui étoient si fort à sa bienséance demeurassent en tel état, qu aussitôt quHl en auroit envie il eût moyen de s*en emparer. Quintius et les commissaires partirent d^Élatie et s*en allèrent à An- ticyre. D'Anticyre ils passèrent à Gorinthe, ils travail- lèrent aux affaires. L'avis de Quintius étoit, que si Ton vouloit fermer la bouche aux Etoliens, (aire aimer et révérer le nom des Romains à tout le monde, et montrer qu'ils n'avoient point passé la mer pour ôter à Philippe la seigneurie de la Grèce avec intention de la prendre pour eux, il n'y en avoit point d'autre moyen que de mettre sans exception toutes les villes de la Grèce en liberté. Les commissaires n'y contredisoient pas ; mais ils estimoient que, afin qu'elles fussent plus assurées, il leur valoit mieux avoir encore pour quelque temps une garni- son romaine, que, n'en ayant point, demeurer en danger qu'au partir'de la domination de Philippe elles ne tom- bassent en celle d'Antiochus. La résolution fut que Go- rinthe seroit rendue aux Achaîens, mais qu'on laisseroit une garnison dans la forteresse, et retiendroit-on Ghalcis et Démétriade, jusques à ce que l'intention d'Antiochus fût mieux reconnue et que l'on sût de quelle façon on auroit à vivre avec lui.

XXXII. La fête des jeux isthmiens étoit proche. C'est un spectacle de tout temps il aborde un nombre infini de monde, pour deux raisons : l'une , que s*y faisant toutes sortes de combats d'adresse, de foroe et de disposition *, ce peuple, qui naturellement est porté à telles gentillesses, treuve en ce lieu-là de quoi satis&irv à sa curiosité ; l'autre, que, de quelque côté de la Grèce que l'on vienne à Gorinthe, les deux mers, sur lesquelles

I . Disposition f agilité, qualité de celui qui est dispos.

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èette ville est située, rendent le voyage extrêmement com- mode. Mais en cette occasion, d'autant que les Grecs se proraettoient d'y apprendre quelle seroit la fortune géné- rale du pays, et encore la condition particulière de chaque ville, il s'y treuva des spectateurs plus qu'il ne s'y en étoit jamais vu. Comme Quintius et les commissaires se fîirent mis en leurs sièges et qu'un trompette eut fait faire silence, le héraut s'avança à l'endroit du théâtre d'où l'on a accoutumé de proclamer la fête, et prononça ce qui s'cQSuit : « Le sénat romain et le général Quintius, après que par leurs victoires ils se sont rendus mattres du roi Philippe et des Macédoniens, déclarent qu'ils veulent que les Corinthiens, Phociens, Locriens, ceux de rtle Eubée, les Magnètes, les PeiThèbes, et les Achaïens de Phtie jouissent des mêmes exemptions, droits et privi- lèges dont ils ont joui par le passé. » Comme il eut nommé toutes les nations qui avoient été sous la domination de Philippe, et que la proclamation fut achevée, il y eut en l'assemblée une joie si extraordinaire, qu'il n'y avoit homme qui ne fût hors de soi. Pas un ne pensoit avoir ouï ce qui avoit été publié. Ils se regardoient les uns les autres, étonnés comme gens qui pensoient avoir songé. Pour les choses qui les concemoient en particu- lier, ils ne s'en Soient pas à leurs oreilles et demandoient à leurs voisins ce qui en étoit. Ce ne leur fut pas assez d'avoir ouï le porteur d'une si bonne et si grande nou- velle, ils eurent envie de le voir. Ils le firent donc revenir et le prièrent de leur redire ce qu'il avoit crié. Et alors, étant leur joie toute certaine, il se fit des applaudissements si grands, et des acclamations si hautes et si réitérées, que jamais en occarion quelconque il ne fut reconnu conmie en celle-ci, que de tous les biens du monde la liberté est celui pour qui les hommes ont une plus forte et plus véritable passion. Après cela les jeux furent faits,

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mais par acquit, et sans être ni regardés ni écoutés de personne ; tant Timpërieux objet de cette joie s etoit rendu maître absolu de tous les sentiments, et les empèchoit de s'arrêter sur aucun autre plaisir.

XXXIIL Les jeux finis, ils s*en coururent presque tous vera Quintius avec une ardeur si démesurée, que du grand nombre de ceux qui tout à la fois se tou- loient approcher de lui, les uns pour lui toucher les mains, les autres pour lui jeter des fleurs, il ne s^en fallut guère qu'ils ne Tétoufifassent. Et peut-être l'eussent- ils fait, si la vigueur de son âge, qui ne pouvoit être que d'environ trente-trois ans, et la satisfaction que de son côté il avoit d'une si grande gloire ne lui eussent fourni de la force pour s'en garantir. La fin de la journée ne fut pas la fin de la joie. Il se passa un fort long temps que les es- prits n'eurent point d'auti*es pensées, ni les compagnies point d'autres discours. Ils ne se pouvoient assez émer- veiller qu'il se fût treuvé une nation qui à ses dépens, avec tant de travaux et par tant de périls, eût fait la guerre pour la liberté des autres ; et ce qui est encore plus con- sidérable, ne Teût pas fait en faveur de quelque peuple son voisin, mais eût traversé un long espace de mers pour ôter la tyrannie de la terre, et faire que entre les hommes il n'y eût autorité absolue que celle des lois et de la rai- son ; que la délivrance de toutes les villes de la Grèce et de l'Asie, faite par la seule voix d'un hérault, étoit certai- nement un ouvrage dont le projet ne se pouvoit fiaiire que par des courages extrêmement relevés, mais que pour l'effectuer il n' étoit pas possible qu'autre fortune ni autre vertu que celles des Romains en eussent jamais su venir à bout.

XXXIV. La fête passée, Quintius et les commissaires donnèrent audience aux députés. Les premiers appelés fu- rent ceux d'Antiochus. Connue l'on vit que presque leurs

DE TITE LIVE. 44 1

propositions n etoient que celles mêmes qu*ils avoient eûtes à Rome, et que de tant de choses qu'ils disoient il n*y en ayoit pas une que Ton pût croire, la réponse qu*on leur fit ne fut ni perplexe ni ambiguë, comme elle avoit été du temps que Philippe étoit encore sur ses pieds; mais franchement et sans rien déguiser on leur déclara qu'il falloit que leur mattre désemparât les villes qu'il tenoit en Asie; que pour les villes franches , et généralement toutes les villes grecques, il n'y touchât, ni ne s'en mêlât en quelque friçon, et pour quelque sujet que ce fôt ; et surtout que ni lui , ni personne pour lui, ne passât jamais en Europe à main armée. Âpres que les députés d'Antiochus eurent eu leur congé, on se mit à dépêcher les communautés. L'expédition n'en frit pas longue, pource que les com- missaires dans leurs ordonnances exprimoient le^ noms de toutes les villes, et par ce moyen gagnoient le temps qu'on eût perdu à expliquer ce qu'ils n'eussent dit qu'en général. Les Orestiens, qui sont peuples de la Macé- doine, pour ce qu'ils avoient été les premiers â quitter le parti de Philippe , frirent rétablis en leurs privilèges* Les Magnétes, les Perrhèbes et les Dolopes eurent la même grâce. Pour les Thessaliens, outre leur liberté, on leur donna les Achalens de Phtie , hormis Thèbes et Pharsale. Les Etoliens , qui prétendoient que par leur traité Pharsale et Leucade leur dévoient être rendues, furent pour ce regard renvoyés au sénat. Cependant on leur bailla les Phociens et Locriens, avec leurs dé* pendances, telles qu'ils les avoient eues auparavant, et leur en fit-on expédier les déclarations nécessaires. Go- rinthe, Triphylie, et Hérée, qui est aussi une ville du Péloponnèse, frirent rendues aux Achaïens. Pour Orée et Erétrie, les commissaires étoient d'avis d'en foire un présent au roi Eumène , fils d'Attalus. Mais Quintius y contredisant, le jugement en frit remis au sénat, qui

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ordonna qu^elIes seroient libres, et Caiyste ausu. Lingue et les Parthéniens furent baillés à Pleurate. Ce sont deux contrées dlUyrie, dont Philippe s'étoit accommodé. On laissa à Aminandre les châteaux que durant la guerre il avoit gagnés sur Philippe.

XXXY. L'assemblée finie, les commissaires, après avoir fait entre eux le département des lieux ils dé- voient aller, s'acheminèrent chacun au sien. Cornélius alla vers Philippe, Yillius et Térentius vers Antiodius, Lentulus à Bargyles , Stertinius à Éphœstie, à Thase et aux villes de la Thrace. Cornélius treuva Philippe à Tempe en Thessalie. Après lui avoir dit ce qui étoit de sa commission, il lui demanda s'il seroit capable d'écouter un ami, qui lui donneroit un très-bon et très- salutaire conseil, Philippe lui répondit que non-seulement il Técou- teroit, mais encore se tiendroit grandement son rede- vable et chercheroit le moyen de s'en revancher. Cor- nélius alors lui dit, que puisqu'il avoit obtenu la paix des Romains, il étoit d'avis qu'il n'en demeur&t pas en si beau chemin , mais que franchement il les priât de le recevoir en leur amitié, de peur que ne le faisant pas il ne fût soupçonné de vouloir gagner le temps* jus» qu'à ce qu' Antiochus remuât , pour recommencer à re- muer avec lui. Philippe lui promit que de ce pas il s'en alloit dépécher à Rome pour cet effet. De Cornélius s'en vint aux Thermopyles, il se tient à certain jour une grande assemblée de toute la Grèce, qu'ils ap- pellent la Pylaïque. il exhorta grandement les Éto- liens à demeurer en bonne intelligence avec le peuple i-omain. Leurs réponses furent des plaintes, de ce qu'à cette heure que les Romains étoient au-dessus de leurs affaires, ils ne vivoient plus avec eux comme ils y avoient

I. Vab. (édit. de 169 1) : Gagner tempt.

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vécu durant la guerre. Il y en eut qui parlèrent plus au- dacieuaement, et lui reprochèrent que sans eux les Ro- mains n^eussent pas mis le pied dans la Grèce, tant s'en faut qu'ils fussent venus à bout de Philippe. Quintius, qui ne vouloit pas que les choses en vinssent jusqu'à la dispute, ne répliqua rien à leurs picoteries; mais en termes généraux leur dit que, s'ils envoyoient à Rome, il s'assu- roit qu'ils ne demanderoient rien de raisonnable qui ne leur fût accordé. Voilà comme se termina la guerre contre Philippe.

XXXVI. Pendant que cela se faisoit en Grèce, en Ma- cédoine et en Asie, il se fit en la Toscane une conjuration d'esclaves, qui la pensa toute mettre en combustion. Le préteur Acilius ayant eu la charge de cette affaire, prit une des deux légions de la ville et s'y en aUa. Ceux qui se treuvèrent en corps d'armée furent défaits, les uns tués, les autres pris. Pour les auteurs du tumulte, après qu'ils eurent été bien fouettés, il les fit mettre en croix et rendit les autres à leurs maîtres. Les consuls s'en allèrent aux provinces. Marcellus étant arrivé aux terres des Botes, comme il étoit sur le point de se camper au haut d'une butte, Corolamus, le prince du pays, avec de grandes forces le vint charger, et ayant treuvé ses gens harassés d'une longue traite qu'ils venoient de faire, lui en tua trois mille; entre lesquek il y eut des personnes de mar- que, conune Sempronius Gracchus et Marcus Junius, qui avoient tous deux commandement aux troupes des alliés, et Aulus Ogulnius et Publius Claudius, maîtres de camp de la deuxième légion. Les Boïes après ce bon succès ne croyant plus que rien leur filt impossible, attaquèrent le camp des Romains ; mais ils le treuvèrent si bien retran- ché, et qui plus est, si bien défendu, que ce fiit à eux à se retirer. Les Romains, pour faire panser leurs blessés et rassurer leurs soldats que cette première secousse avoit

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aaounement ébranlés, ne partirent de de quelques jotm. Les Bo'ies, impatients selon leur coutume aux choses qui tirent en quelque longueur, s'en retournèrent chez eux. Marœllus tout aussitôt passa le Pô, et s'en alla droit sur le terroir de Gôme. Les Insubriens, qui y étoient canapés, et avoient avec eux ceux du pays à qui ils avoient Eût prendre les armes, vinrent au-devant de lui, et l'attaquè- rent sur le chemin si vertement, que ceux qui portcnent les enseignes furent contraints de lâcher le pied. Lui qui reconnut Tétonnement de ses gens, craignant qu'après avoir reculé ils ne tournassent le dos tout à fait, les en- voya soutenir par une compagnie de Marses, et en même temps commanda à toute la cavalerie latine de donner. Leur première et seconde charge ayant arrêté les ennemis, assura premièrement le gros des Romains qui branloit, et bientôt après les fit aller Airieusement au combat. Ce ftit alors aux Insubriens à pourvoir à leurs affaires, et s'en- fuir sans regarder derrière soi. Antias écrit qu'il y en de- meura plus de quarante mille; qu'il y fut gagné cinq cents sept enseignes et quatre cents trente-deux chariots, n dit aussi qu'il y fut pris force chaînes d'or; entre les- quelles s'en étant treuvé une de pesanteur extraordinaire, Claudius écrit qu'on l'estima digne d'être donnée à Jupi- ter et qu'on la lui fit porter au Capitole. Le même jour que les Insubriens furent défaits, leur camp fut pris et pillé. Gôme le fut bien peu de temps après, et alors vingt- huit petites places se déclarèrent pour les Romains. Ceux qui ont fieiit l'histoire de cette guerre ne demeurent pas d'accord qui furent les premiers attaqués par le consul, les Botes ou les Insubriens. Les uns tiennent qu'il avoit été battu par les Boïes devant qu'il battit les Insubriens, et les autres au contraire qu'il battit les Insubriens, et puis fut battu par les Boïes.

XXXVII. Purpuréo, le second consul, s'acheminoit

DE TITE LIVE. 445

vers les Boles par TOmbrie. Gomme il fat près du châ- teau de Mutile, il eut peur de se trouver enfermé entre les Boïes et les Liguriens. Cette appréhension le fit re- tourner sur ses pas, et prendre un long circuit de grandes et larges campagnes, par lesquelles hors de toute surprise il se rendit auprès de son compagnon. Gomme les armées furent jointes, leur premier exploit fut d'aller courir dans le pays des BoYes, jusques aux portes de Boulogne. La ville, le reste des places, et presque tous les Boïes, hor- mis quelque jeunesse qui pour voler s'étoit retirée dans les bois, se rendirent aux Romains. Gela fait, les armées passèrent en Ligurie. Les Boïes, qui s'imaginoient que les Romains les croyant éloignés ne se tiendroient pas sm* leurs gardes, eurent opinion de les surprendre, et avec ce dessein se mirent à leur queue par des lieux il étoit malaisé de les découvrir. Ne les ayant pu atteindre, ils passèrent vitement dans des bateaux au delà du P6, ils coururent et pillèrent tout le pays des Leviens et libuens. Gomme ik s'en revenoient menant leur butin c(nand et eux, ils treuvèrent les Romains en tète sur les dernier» con6n» delà Ligurie. Us se man^handèrent moins, et se battirent plus opiniâtrement en cette rencontre, que si c*eùt été une journée les uns et les autres fussent venus bien préparés. vitH>n manifestement ce que la colère peut sur les hommes. Les Romains, comme s*ils eussent eu plus d'envie de tuer que de vaincre, menèrent les mains si basses, qu'il demeura bien à peine un seul homme des Boïes qui en put porter des nouvelles à la mai- son. Les consuls ayant mandé ces bons succès à Rome, il fut ordonné qu'il seroit fait processions générales duiunt trois jours. A quelque temps de Marcellus s'en vint à Rome, du consentement de tout le sénat il triompha de ceux de G6me et des Insubriens. Pour les Boïes, d'au- tant qu'ils avoient eu quelque avantage sur lui et que son

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compagnon en avoit eu sur eux, il lui en laissa espérer le triomphe. Il fit voir au sien de grandes dépouilles des en- nemis qui furent portées dans les mêmes chariots qu^U avoit gagnés sur eux. Il y fut aussi porté grand nombre d'enseignes, et en monnoie, tant d'argent que de cuivre, la valeur de soixante-six mille six cents livres. U donna à chaque homme de pied vingt livres, à Thomme de cheval et au capitaine trois fois autant qu'à Tliomme de pied.

XXXYni. La même année Antiochus passa Thiver à Ephèse, et y travailla à remettre toutes les villes d'Asie en la forme ancienne de leur gouvernement, se promettant que les autres, ou pource qu'elles étoient en rase campa- gne, ou pource qu'elles n'avoient murailles, armes, ni hommes qui les pussent défendi*e, se laisseroient aisément porter à le reconnoitre. Smyme et Lampsaque se gouver- noient en villes libres, et y avoit à craindre que si on le leur souffroit, les autres villes de l'Éolide et de l'Ionie ne fissent comme Smyme, et celles de l'Hellespont comme Lampsaque. Il envoya donc assiéger Smyme par les troupes qu'il avoit à Ephése, et Lampsaque par celles qui étoient à Abyde, il se contenta de laisser autant de gar- nison qu'il en falloit pour la garder. Pendant qu'il tentoit la voie des aimes, il n'oublioit pas celle de la douceur. U leur faisoit dire qu'ils a voient tort de s'opiniâti'er mal à propos; que bientôt ils auroient ce qu'ils demandoient; et que de cette heure même eux et les autres pouvoient bien juger que la liberté qu'ils avoient n'étoit pas un effet de leur dextérité à l'avoir su prendre, mais une marque de son indulgence à les en laisser jouir. Toute la réponse qu'il en eut fut qu'il ne devoit treuver ni mauvais ni étrange qu'ils aimassent mieux jouir pré- sentement de leur liberté que de l'attendre à l'avenir. Au commencement du printemps il partît d'Éphèse, et sur ses vaisseaux s'en vint en l'Hellespont, où, ayant

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joint ses armées de mer et de terre, il passa ayec toutes deux du côté de la Chersonèse. Ceux de Madyte lui ayant refusé les portes, il les investit; mais il n eut pas sitôt fait commencer les tranchées (ju'ils se rendirent. Leur exemple fut suivi des autres villes de la Chersonèse. De là, avec tout ce qu*il avoit deforces, il s* en vint à Lysimachie. Il n y avoit pas longtemps que par le sac et le feu les Thraciens Tavoient mise en si mauvais état, que presque il n'y étoit point demeuré d'habitants. Pour les bâti- ments, ce qu'il y en avoit de reste ne se pouvoit appeler que des masures. La réputation d'une si belle ville et la commodité de son assiette lui donnèrent envie de la re- bâtir. Il fit donc tout aussitôt mettre la main aux maisons et aux murailles. Au soin de la rebâtir, il ajouta celui de la repeupler. Pour cet effet, il racheta tous les habitants qui se treuvoient esclaves en quelque part que ce fût, ras- sembla ceux qui fuyant la désolation de leur ville étoient dispersés deçà et delà par THellespont et par la Cherso- nèse, et de plus y en fit venir de nouveaux sous l'espé- rance des commodités qu'il leur proposa. S'il y avoit quel- que difficulté à la restauration de cette ville, c'étoit la peur que donnoit le voisinage des Thraciens. Pour la faire cesser, Antiochtis prit une moitié de son armée et s'en alla ravager leur firontière. L'autre moitié demeura avec la chourme' de ses vaisseaux à travailler à Lysi- machie.

XXXIX. Cornélius, que le sénat avoit député pour ac- commoder les différends d' Antiochus et de Ptolomée, étoit alors à Sélymbrie, Lentulus à Bargyles , Yillius et Téren- tius à Thase. Ils se rendirent tous à Lysimachie, peu de jours après Antiochus les vint trouver. Au premier abord, il fit grandement l'honneur de la maison, et n'oublia civi-

1. Chionrme.

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lité quelconque pour leur faire croire qu'ils étoient les bienvenus. Comme il fiit question de parler de ce qui les menoir, et particulièrement des affaires d'Asie, Thonné- teté fut mise à part. Les Romains lui dirent franchement que tout ce qu'il avoit fait depuis son embarquemmt en Syrie avoit offensé le sénat; qu'il falloit qu'il rendît toutes les villes qu'il avoit prises à Ptolomée ; que pour celles de Philippe, qu'il lui avoit ôtées pendant qu'il étoit empêché à faire la gueiTc aux Romains, il n'y avoit pas d'apparence que les Romains eussent couru tant de fortunes par mer et par terre, fait tant de frais et enduré tant de peines, pour en laisser cueillir le fruit à Antiochus ; que quand les Romains ne voudroient rien dire de son entrée en Asie, comme de chose qui leur seroit indifférente, à cette heure qu'il étoit passé en Europe avec ses armées de mer et de terre, que s'en falloit-il que ce ne fût leur déclarer la guerre ouvertement? S'il le pouvoit nier, il le pourroit nier tout de même quand il entreroit en ItaUe.

XL. Antiochus à cela répondit, que ce n'étoit pas de cette heure que les Romains mettoient le nez en ses affaires; que pour lui il les voyoit tous les jours faire des progrès par mer et par tert'e, et ne s'en formaUsoit point; que l'Asie n'étant point à eux, ils n'avoient non plus à s'informer de ce qu Antiochus y faisoit, que lui de ce que le peuple romain faisoit en Italie. Quant k ce qu'ils se plaignoient qu'il avoit été des villes à Ptolomée, il disoit que Ptolomée étoit son ami, et qu'il étoit après de faire que dans*peu de temps il seroit son allié; qu'il ne s'étoit point prévalu de la mauvaise fortune de Phi- lippe pour se revêtir de sa dépouille; que s'il étoit passé en Europe, ce n'avoit pas été en intention de faire la guerre aux Romains; que le droit de la victoire ayant donné à Séleucus les villes qu' avoit Lysimachus en la Ghersonèse, il croyoit que justement, conune héritier

DE TITE LIVE. 449

de Sëleuoas, il en pouvoit aujourd'hui prendre la pos- session ; que pendant que ses prédécesseurs étoient em- pêchés à d'autres guerres, Ptolomée le premier, et après lui Philippe, s'en étoient emparés comme ils avoient fait de plusieurs autres lieux aux frontières de la Thrace, qui étoient manifestement à Lysimachus; qu'il ne faisoit que reprendre ce qu'on lui avoit pris, et qui par droit de succession lui appartenoit ; que son dessein étoit de rebâ- tir Lysimachie, que les Thraciens avoient ruinée, et la remettre en état que Séleucus son fils y pût faire sa rési- dence, comme en la capitale de la province.

XLI. Après que ces disputes eurent continué quel- ques jours, il vint un bruit que le roi Ptolomée étoit mort. On ne savoit qui en étoit l'auteur. Toutefois pour- ce que sur cette nouvelle les uns et les autres, sans faire connottre qu'ils en eussent rien ouï, formèrent quand et quand de nouveaux desseins, l'assemblée se rompit, sans qu'il y fût pris aucune résolution. Corné- lius, qui avoit envie de se trouver en Egypte devant qne la mort de Ptolomée y eût apporté du changement, prit son prétexte de partir sur la charge qu'il avoit d'ac- corder les deux rois. Ântiochus de son côté, pensant que si Ptolomée étoit mort l'Egypte ne pouvoit faillir de tomber entre ses mains, donna vitement congé à la com- pagnie, et laissant à son fils Séleucus son armée de terre, pour continuer les réparations de Lysimachie, s'en vint avec celle de mer à Éphèse. De ayant dépéché vers Quintius, pour l'assurer qu'à bon escient il desiroit faire amitié avec les Romains, il poursuivit son voyage le long de la côte d'Asie. Gomme il fut arrivé en Lycie, et qu'à Patares il eut appris que Ptolomée se portoit bien, il ne pensa plus à l'Egypte ; mais il ne laissa pas de tenir tou- jours la route de Chypre. Au delà du cap de Chélidoine

ses mariniers firent quelque rumeur, qui l'obligea de sé- Malhbbbb. I 99

45o LE XXXIIP LIVRE

joui*ner en Pamphylie à Tembouchure de rEurymédon. Gomme il en fut parti et qu'il fut à un certain lieu que ceux du pays appellent les têtes du Sar, il ne s'en fallut guère qu'une grande tourmente ne le noyât lui et toute son armée. Une partie de ses vaisseaiu donna à travons, les autres allèrent à fond , sans que de tout ce qui étoit dedans il y eût un seul homme sauvé. 11 fit la une très- grande perte, non-seulement de mariniers et de simples soldats, mais encore d'honnêtes hommes et de personnes dont il faisoit cas. Gomme il eut recueilli les restes de ce naufrage et fait la revue de son armée, ne se trouvant plus en état d'entreprendre sur Chypre, pour la grande diminution de ses forces depuis son embarquement, il s'en revint à Séleucie. Là, pource que l'hiver étoit pro- chain, il fit tirer ses vaisseaux en terre et s'en alla atten- dre le printemps à Antioche. Voilà les termes étoient les affaires des rois.

XLII. En ce même temps se fit à Rome la praniére création de trois intendants des festins sacrés. Licinius Lucullus, Titus Romuleius, qui en avoit proposé l'édit, et Portius Lecca furent les premiers. On leur attribua le droit de porter la robe en broderie, ne plus ne moins que le pontife. En la même année, il y eut une grande brouillerie entre les prêtres et les trésoriers de la ville, Fabius Labéo et Lucius Âurélius. U étoit question de rembourser aux particuliers la dernière avance qu'ils avoient faite pour les frais de la guerre. Les trésoriers demandoient de l'argent aux augures et aux pontifes, qui n avoient jamais rien payé. Eux pour s'en exempter recoururent aux tribuns, et les prièrent de s'y opposer. Mais cela ne leur servit de rien. U fallut qu'ils payassent tout ce qu'ils dévoient d'arrérages , jusqu'au dernier de- nier. Gette année-là moururent deux pontifes , et en fut mis d'autres en leurs places ; à savoir le consul Marcellus en

i

DE TITE LIVE. 45i

la place de Sempronius Tuditanus, qui étoit mort préteur en Espagne, et Lucins Yalérius en celle de Cornélius Gé- thégus. Fabius Maximus, augure, mourut au même temps, étant encore en la fleur de son âge, et devant que d'avoir eu aucune magistrature. L'année se passa sans que Ton pourvût à sa charge. Le consul Marcellus convoqua rassemblée pour la création des consuls. Yalérius Flaccus et Porcins Cato le furent. Après les consuls on fit les pré- teurs , qui furent Fabricius Luscinus , Antinius Labéo , ManliusYolso, Claudius Néro, Publius Manlius et Porcius Lecca. Les édiles curules, Fulvius Nobilior et Gaïus Fla- roinius, distribuèrent au peuple un million de boisseaux de blé, à un sol le boisseau. C'étoit du blé que les Siciliens, en rhonneur de Gaïus Flaminius et de son père, avoient fait apporter à Rome. Toutefois Flaminius voulut que Ton en sût gré à son compagnon comme à lui. Les jeux romains furent célébrés avec beaucoup de dépense, et réitérés par trois fois. Les édiles du peuple, Doraitius .£nobarbus et Scribonius Gurio, accusèrent devant le peuple plusieurs gardiens de bétail. Il y en eut trois ccm- damnés, et des amendes qu'ils payèrent fut bâti le temple de Faune en Ttle du Tibre. Les jeux du peuple furent faits par deux fois, et y fut fait un festin solennel.

XLin. Le propre jour que les consuls entrèrent en exercice, ils proposèrent le département des provinces. Le sénat, qui voyoit que la guerre d'Espagne étoit en tel état, qu'il n'y falloit pas de moindre chef qu'un consul, ni de moindre armée qu'une armée consulaire, ordonna que des consuls, l'un iroit en Aragon , et l'autre demeu- reroit en Italie, et qu'ils s'en accorderoient , ou bien tireroient au sort, au cas qu'ils ne s'en pussent accorder; que celui à qui écherroit l'Espagne, s'y en iroit avec deux légions, cinq mille hommes de pied des alliés du nom latin, et cinq cents chevaux; le tout porté sur vingt longs

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navires, qui lui seroient baillés pour cet effet; que Tautre consul lèveroit deux légions, qui lui sufBroient pour tenir les Boïes et les Insubriens en cervelle', attendu que les défaites de Tannée précédente ne pouvoient pas leur avoir laissé ni grand moyen ni grande envie de faire du mal. Après les consuls, les préteurs tirèrent leurs dépar- tements au sort. La préture de la ville échut a Luscinus, celle des étrangers à La}>éo, à Volso la Sicile, à Néron TAndelousie, et Pise à Lecca. Cette partie de Toscane avoit été mise entre les départements des préteurs, afin que ce- lui à qui elle toucheroit ttnt les Liguriens en bride et iiàt prêt à leur courir sus aussitôt qu'ils feroient quelque sem- blant de remuer. Manlius fut baillé pour aide au consul qui avoit FAragon. Quintius, pour Fombrage que Ton avoit, non-seulement d'Antiochus et des Etoliens, mais aussi d'un Nabis, tyran de Lacédémone, fut continué au gouver- nement de la Grèce avec deux légions. S'il avoit besoin de quelque crue , les consuls eurent conunandement de la faire, et la lui envoyer. On bailla à Claudius Néro la légion qu' avoit eue Fabius et pouvoir de lever jus- qu'à deux mille hommes de pied et deux cents chevaux. Manlius, qui devoit aller en Aragon, eut la légion quV voit eue Minutius, et pouvoir de faire même levée que Fabius. A Lecca, qui avoit son département aux environs de Pise, furent ordonnés deux cents hommes de pied et cinq cents chevaux de l'armée qui étoit destinée pour la Lombardie. Le gouvernement de Sardaigne fut continué à Sempronius Longus.

XLIY. Les provinces étant distribuées, les consuls, avant que sortir de la ville, suivant le conunandement

T . Tenir en eeryelU , tenir en inquiétude , et par fuite contenir. Le latin porte : Mis Gal&am obtineri tûtis etse^ frmctis proximo ttmmo Ituubrium et Boiorum anim'u.

J

DE TITE LIVE. 453

que leur en firent les pontifes, mirent en exécution le printemps -sacré dont, sous le consulat de Cneus Servilius et Catus Flaminius , par Tavis du sénat et de Tordonnance du peuple, le préteur Matnmula avoit fait le vœu vingt et un an auparavant. En ce même temps, daudius Pulcher, fils d^Appius, fut fait augure en la place de Quintus Fabius, qui étoit augure Tannée pré- cédente. Comme le monde commençoit à murmurer que la guerre d*Espagne ne se faisoit pas avec le soin qu'elle méritoit, Minutius écrivit à Rome qu'auprès de Tarbes, il avoit défait deux capitaines espagnols, Budare et Be- saside ; qu'il leur avoit tué douze mille hommes sur la place; que Budare étoit prisonnier et le reste de leurs gens à vau-de->route * . Cette nouvelle diminua Tappréhen- non que Ton avoit de ce côté-là, et dès lors, surtout de- puis le retour des commissaires qui étoient allés en Grèce, on ne pensa plus qu'à Antiochus. Après qu'ils eurent (ait leur relation de ce qui s'étoit passé avec Philippe, et des conditions auxquelles on lui avoit accordé la paix, ils ajoutèrent qu'à cette heure, on alloit avoir af- faire à Antiochus, qui feroit une guerre aussi périlleuse que celle de Philippe ; qu'il étoit passé en Europe avec deux grandes armées, l'une de mer et l'autre de terre; et que sans une vaine espérance qu'il avoit eue de s'em- parer de l'Egypte, sur le bruit qui avoit couru de la mort de Ptolomée, il n'y auroit lieu en toute la Grèce il n'eût déjà mis le feu; davantage, qu'étant les Etoliens d'une humeur inquiète, il ne se falloit pas imaginer qu'en un temps ils étoient mal avec les Romains , lorsqu'il te feroit quelque remuement, ils ne voulussent être de la partie; qu'après tout cela, il y avoit encore un autre grand mal dans les entrailles de la Grèce : c'étoit un

T. En déroute.

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454 LE XXXIII^ LIVRE

Nabis, qui pour lors étoit tyran de Lacédémone, mais qui, si on le laissoit faire, le seroit bientôt de toute la Grèce , et tel qu'il iroit du pair avec les plus cruels et les plus avares dont on eût jamais ouï parler aux siècles passés ; que si une fois il tenoit Argos, qui est comme une citadelle à tout le Péloponnèse, après que les armées romaines seroient de retour en Italie , en vain les Grecs auroient été délivrés des mains de Philippe, puisqu^au lieu d*un roi , qui au pis aller étoit fort éloigné d*eux, ils se trouveroient à la merci d'un tyran qui par le moyen du voisinage auroit tous les jours quelque nouveau sujet de leur faire du déplaisir.

XLY. Gomme Ton eut ouï ce rapport fait par des per- sonnes sérieuses, et qui ne parloient point des choses par ouï-dire, mais pour avoir été sur les lieux, il (îit avisé que pour ce qui touchoit Antiochus, on y doiH neroit ordre tout aussitôt qu'il auroit pris le chemin de la Syrie. Quant à Nabis, les opinions forent diffé- rentes. Les uns tenoient que l'affaire étoit déjà assez considérable pour y pourvoir à bon escient. Les autres étoient d'avis de la remettre à Quintius, et lui donner pouvoir d'y faire ce que pour le service de la Républi- que il estimeroit plus à propos. La dernière opinion fut suivie; et jugea-t-on que d'y pourvoir un peu plus tôt ou un peu plus tard, ce pouvoit bien être chose de quelque conséquence, mais non pas telle qu'il n'y eût bien plus à penser du côté d'Annibal et de Carthage, s'il falloit que l'on vint à rompre avec Antiochus. On a voit cha- que jour avis de Carthage, par des lettres que ceux de la faction contraire à Annibal écrivoient à Rome à leurs amis, que Antiochus avoit écrit à Annibal, et Annibal à Antiochus, et même qu' Antiochus avoit souvent envoyé vers lui ; qu' Annibal étoit un esprit irréconciliable et vé- ritablement du naturel de ces bétes qui ne se peuvent

DE TITE LIVE. 455

jamais apprivoiser; qu^ordinairement il se plaignoit que le repos et Toisiveté avoient endormi les courages de Garthage, et disoit qu*il n'y avoit qu une trompette capa- ble de les éveiller. La mémoire de la guen*e précédente , dont il n'avoit pas moins excité le commencement qu'il en avoit conduit le progrès, faisoit aisément ajouter foi à tous ces avis. Même depuis peu de temps, il s'étoit offert une occasion, il avoit extrêmement offensé les prin- cipaux de Garthage.

XLVI. Les officiers de la justice avoient alors un pou- voir absolu dans la ville. La raison étoit que leurs char- ges étant perpétuelles, il ne se pouvoit faire que le bien, la vie et Thonneur de tout le reste ne fussent en leur disposition . Qui en touchoit Tun , avoit quand et quand toute la compagnie sur les bras, et qui avoit un juge pour ennemi étoit assuré de n'être point sans accusateur. Cet excès de pouvoir les ayant portés à ne faire cas de per- sonne, rendoit leur gouvernement de si mauvais goût et si odieux qu'il n'y avoit plus de patience qui fùtt capable de les souffrir. Conune Annibal fut élu préteur, il fit dire au trésorier qu'il vint parler à lui. Le trésorier, qui étoit de parti conti*aire, se moqua de son commandement. Et pource que c' étoit une règle inviolable que de la charge de trésorier on montoit à celle de juge, ce trésorier vou- loit être en même considération que si déjà il eût été ce qu'il étoit assuré d'être quelque jour. Annibal, piqué de ce mépris, l'envoya prendre par un huissier, et l'ayant fait venir devant l'assemblée, se mit à faire des plaintes contre lui et plus encore contra tout l'ordre des juges , que leur autorité démesurée les avoit rendus si hauts à la main et si présomptueux qu'il n'y avoit loi ni magistrat qu'ils n'eussent la hardiesse de fouler aux pieds. Comme il vit que ce qu'il disoit étoit au gré de la compagnie, et que de ceux qui étoient présents il n'y avoit homme à

456 LE XXXIIP LIVRE

qui r insolence de ces gens ne fot insupportable, il fit à l^heure même faire un édit que dorénavant les charges de judicature seroient annuelles, et que le terme expiré, il n'y auroit espérance quelconque d en obtenir la contî- nuatîon. Si cela fut bien reçu des petits, il ne le fut pas des grands. Mais Ânnibal ne laissa pas de passer outre, et pour le bien public fit encore une autre chose , qui en son particulier lui acquit force nouveaux ennemis. Les deniers des recettes en partie se perdoient par nuiuvais ménage, et en partie étoient mangés par les principaux de la ville, qui les partageoient entre eux ; tellement que n y ayant point de fonds pour payer le droit des Romains, il en falloit venir à une cotisation des particuliers, qui ne pouvoit que leur être mal agréable.

XLYII et XLYIII. Annibal, après qu'il eut exacte- ment appris ce que se montoient les fermes tant de la mer que de la terre, queUes étoient les causes des im- positions, ce qui s en employoit aux chai^^es ordinai- res et combien il en pouvoit demeurer aux mains des receveurs , tout compté et rabattu, il fit voir à ïœl et toucher au doigt que quand les restes seroient exigés, il y auroit de quoi payer les Romains, sans que personne (ut cotisé. Là-dessus tout plein de gens, qui jusques alors avoient vécu de grivelées, estimant que les empêcher de les continuer, c'étoit leur ôter leur propre bien, n'oublièrent artifice quelconque pour exciter les Romains à une chose à quoi d'eux-mêmes ils avoient assez de disposition, qui étoit de ruiner Annibal. Les avis que l'on donnoit contre lui ayant été proposés au sénat, l'afiaire fut mise en dé- libération. Scipion y fit de grandes remontrances, que c'étoit chose contre la dignité du peuple ronuiin de s'em- barrasser dans les partialités de la ville de Carthage, et qu'il leur devoit suffire d'avoir vaincu Annibal l'épée à la main, sans le persécuter encore par des chicaneries. Mais

DE TITE LIVE. 457

quoi qo'il sût dire, il ne put empêcher qu'on n'enyoyàt à Garthage pour accuser Annibal. Le crime dont on le chargeoit étoit qu'il avoit sollicité Antiochus de faire la guerre contre les Romains. Les députés pour en aUer faire k poursuite ftirent GaYus Servilius, Glaudius Marcellus et Térentius Labéo. Comme ils anûvèrent à Garthage, ils publièrent, suivant Tavertissement que les ennemis d'An- nibal leur avoient donné, qu'ils étoient pour compo- ser les différends de ceux de Garthage avec le roi des Numides. La chose, assez vraisemblable de soi , fut esti- mée vraie de tout le monde. Annibal , qui eut meilleur nez que les autres, sentit bien que c'étoit à lui que le pa- quet s adressoit, et que si les Romains avoient fait la paix avec ceux de Garthage , ils s'étoient réservé cette pen- sée intérieure de n'être jamais qu'en guerre avec lui. Il se résolut donc de céder au temps et à la fortune; et après avoir pourvu à tout ce qu'il pensa lui être nécessaire pour se sauver, s'étant tout du long du jour promené emmi la place, pour ne donner point de soupçon de ce qu'il avoit envie de faire, le soir, avec l'habit même qu'il avoit porté au conseil , et seulement accompagné de deux hommes auxquels il n' avoit rien communiqué , sortit de la ville, s'en alla ses chevaux l'attendoient, et prenant son chemin par le terroir de Yocan, pour la doute qu'il avoit d'être suivi, fit telle diligence, que le lendemain au matin il se trouva à une maison qu'il avoit entre Thapse et Adru- mète, il s'embarqua sur une (régate bien armée qu'il y faisoit tenir pour cet effet ^ Voilà conune Annibal sortit de Garthage, plus affligé du mauvais état de son pays que de celui de ses propres affaires. Le même jour il passa en

I. Malherbe a réuni en une seule phrase la dernière du cha- pitre XLwn et la premi^ du chapitre XLVin. Celui-ci commeDoe dans Tite Lire après les mots traduits par & sortit de la Tille. »

I

1

458 LE XXXIII* LIVRE

l^e de Cercine. Gomme il y eut pris terre, s^étant trea\é quelques marchands de Carthage, il (ni tout ausâtèt environné de personnes qui lui vinrent (aire la révëranœ. Il avoit fait dire par ses gens qu'il s'en alloit à Tyr en ambassade. Toutefois, ayant peur que de nuit il ne partît quelque vaisseau , qui portât nouvelles à Thapse ou à Âdrumète qu'on Favoit vu àCercine, ilfit préparer on sa- crifice au bord de la mer, et y convia tout ce qu'il y avoit dans le port, tant de marchands, que de maîtres de na- vire. On étoit alors aux plus grandes chaleurs de l'été. Gela lui (ut un prétexte de leur emprunter leurs voiles et leurs veines*, pour faire un lieu ils pussent manger à l'ombre. Le festin (iit magnifique, autant que la chose et la saison le purent permettre. Tant y a qu'il y (ut bu à bon escient, et bien avant en la nuit. Gomme Annibal vit les a(raires en état qu'il pouvoit partir sans être aperçu, il leva l'ancre. Les autres qui avoient bu plus que leur saool, ne s'éveillèrent qu'il ne iùt bien grand jour, et encore quand ik (urent éveillés, ils ne pensèrent qu'à remettre en leurs navires ce qu'ils en avoient ôté pour le service du festin.  Garthage, ceux qui aToient accoutumé de (ré- quenter chez Annibal s'étant treuvés de matin en grand nombre à la porte de son logis, comme le bruit (iit épandu qu'il ne se treuvoit point, la place lut aussitôt pleme de gens, qui demandoient ce qu' étoit devenu le premier homme de leur ville. lies uns disoient, comme il étoit vrai, qu'il s'en étoit (ui ; les autres que les Romains l'avoient fait tuer; et c'étoit de toutes les opinions celle que l'on tenoit la plus certaine. Ghacun avoit le visage selon sa passion. Enfin il vint des nouvelles qu'il avoit été vu à Gercine.

I . Nioot, dans son Dictionnaire^ dit qn^en hh de naTires on em- ploie vtrgu on vergues»

DE TITE LIVE. 4S9

XLIX. Et alors les députés de Rome exposèrent le B véritable sujet de leur venue , qui étoit que les Romains

i étoient fort bien avertis que rien n'avoit tant porté Phi-

lippe à leur faire la guerre que les sollicitations d*Ânni- r: bal ; qu'encore à cette heure il étoit après, et par lettres et

I par messages, à en faire faire de même à Ântiochus; que

c' étoit un esprit au mal, qui ne seroit jamais à son aise qu'il n'eût mis le feu aux quatre coins de la terre; que si la ville de Carthage vouloit faire chose qui fût agréable au peuple romain, il ne falloit pas qu'il en demeurât im- ^ puni. A cela ils répondirent que si Annibal avoit offensé

f les Romains, il ne se treuveroit point que leur ville y eût

f aucune part, et qu'en ce qu'ils leur commanderoient, ils

étoient prêts à leur donner toute sorte de satisfaction. Ce- pendant Annibal qui eut bon vent, ne tarda guère d'ar- river à ^fyr, pour la réputation des grandes choses qu'il avoit faites , et pour la gloire que les Tyriens se don- nent d'avoir été fondateurs de Carthage, il fut accueilli comme en un autre lieu de sa naissance. Il y séjourna dix jours, et puis s'en alla à Antioche. Le Roi en étoit parti quelques jours auparavant. Il s'en alla donc faire la ré- vérence à son fils, qui étoit lors à Daphné, pour y voir de certains jeux qui ont accoutumé de s'y faire tous les ans. Après qu'il eut fait son compliment au jeune prince et qu'il eut reçu de lui toutes sortes de bonne chère, il con- tinua son voyage. Antiochus étoit à Éphése, non encore bien résolu à la guerre contre les Romains. Sa venue lui fit franchir le saut, et ce qui l'y confirma, fut le mauvais ménage il vit les Étoliens avec les Romains , pourcc que ayant envoyé à Rome demander Phai*sale, Leucade, et quelques autres villes, que par leur premier traité ils prétendoient leur appartenir, on ne leur avoit donné autre satisfaction que de les renvoyer à Quintius.

46o LE XKXIIP LIVRE

AVERTISSEMENT.

II y a quelques lieux en cette version j'ai suppléé des choses qui défailloient an texte latin, et d'autres j'ai changé des paroles dont la corruption étoit manifeste. Si ceux qui examineront ces difficultés ne sont de mon avis, je serai hien aise qu'ils en . donnent de meilleurs. Pour le moins aurai-je cette satisfactioui de leur avoir témoigné ma diligence.

Acceptm ad Aoum fluçium^ in angustiis ctadi [ierra) Macerir>- fiumphaiange ad Atratem vipulnos Romanos opponebat [chap. ir]. n n'y a personne qui ne voie qu'il y a ici du malentendu. J'avob cru du commencement que au lieu de terra^ il falloit lire ier a', pource que c'étoit ce qui se pouvoit imaginer de plus appro- chant. Mais ne se trouvant pas en l'histoire, comme aussi il n'est pas vraisemblable qu'en même lieu près d'Atrace les Romains eussent eu trois rencontres avec les Macédoniens, j*ai quitté cette opinion, et suis revenu à l'incertitude j'étois auparavant. Querengus* pour terra substitue territa. Ce qui m'empêche d'être de son avis, c'est que Philippe ayant à donner du cœur à ses soldats, n'eût pas été bon orateur de leur ramentevoir leur lâcheté; vu même que bientôt après il dit qu'en cette occasion les Macédoniens étoient demeurés» invincibles, et que toujours ils le seroient quand la partie seroit bien faite. Ainsi ne voyant pas, que ni de terra ni de ter ri ta il se puisse rien faire de bon, j'ai tâché, sans employer ni l'un ni l'autre, d'interpréter le reste le plus à propos, et au plus près de l'intention de l'auteur qu'il m'a été possible.

Nom cas [Thelnu Phthias) populi romani Jure belii factas

I. A /iuvium, qui est dans les éditions latines de 1616, on a depuis, dans le texte deTite Live, substitué >?ifiiitf«.

3. J. F. GronoY (GronoTius)a fait la même conjecture.

X Querengus , un des auteurs des notes marginales de l'édition romaine de 1616.

DE TITE LIVE. 461

esse,,,, dieehat^ e^uod integris rébus ^ exerrim ab se admoto^ vocati in amictiiam,,,, regiam societatem roman» prssposms" sent [cbap. ziii]. Au lien de admoîo^ je lis antoto; pouroe que, outre que ab se admoto ne se peut dire qn'avec ex* travaganee, la vérité du fait est que Quintius, qui pensait surprendre les Thèbes de Phtie, connue il avoit fait celles de Béoce, se fiant sur une intelligence qu'il y avoit, s'en approcha seulement avec quelque cavalerie légère, et de peur de mettre les habitants en alarme, laissa le reste de son armée en quelque lieu assez loin ponr n'être pas aperçue, et assez près pour lui servir au besoin qu'il en pourrmt avoir.

Neequiequam inde Sbsessa oppugnaiaque ttrbs est; recipi^ nisi aiiqiuinto post^ per Antiochtun non potuii [chap. xviii]. Stra- tonicée dont il parle, étoit entre les mains de Philippe, et ne passa jamais en celles d'Antiochus. D'ailleurs, en ce même livre il est dit que les Romains ayant mis Philippe à la raison, lui firent quitter Stratonicée, et la donnèrent aux Rhodiens. Adjicit F'ateritts Antias Attaio absenti Mginam insulam^ eie- pkantosqae dtmo datos^ et Rhodiis StratonicsBam Cariœ, atqtte alias urbes quas Philippus tenuisset [chap. xxx]. Gomme donc peut subsister ce qu'il a dit auparavant , que Stratonicma re- cipi , nisi aiiquanto post , per Antiockum non potnitP II y a certes de la présomption à changer témérairement ce qui est dans le texte; mais aussi seroît«-ce une discrétion bien niaise et bien ridicule de suspendre son jugement en des choses visibles comme celle-ci Le moyen d'excuser Tite live est de s'en prendre à quelque copiste, qui a pris ici Paris pour CorbeiU. Il y a encore en ce même livre une grande bévue, ^

qui est qu'en la proclamation faite à Corinthe des peuples et des villes que les Romains entendoient remettre en leur liberté, Tite live comprend en termes exprès les Phociens et Lo- cnens, puis un peu après il dit que les Romains en firent un

]. Duu sa traduction (voyez p. 4a 1) Malherbe a supprimé très- hardiment ce qui rembarrasse dans ce passage, et au heu de parler de la prise de Stratonicée par Antiochus, il raconte que les Romains c retirèrent cette Tille de Philippe et en firent un présent aux Rho- diens. » On peut Toir, dans la note de Drakeuboren sur cet endroit, que la difficulté n*était pas insoluble.

V.

46ii LE XXXIIP LIVRE

présent aux Étoliens*» Glaréanos' ne croil point celte 1îbè> ralité. Pour moiy je ne vois pas qae des propositioos si ooo- traîres puissent toutes deux être véritables , ni qu'il y ait explication qni puisse démêler cette fusée. Ceux qui auronft du loisir de reste y penseront bon leur semble. Je n^aime pas tant le travail, que j'en veuille prendre pour une chose de si peu de fruit.

Summajustiiia suos rexit; tuticam fidem sociisprxsiitit; rem ac iiberos duos superstitts habuit; miiis ac magni ficus ami^ eus fuit; rtgnum adeo stabile ac prmum reliquii, ut ad tcrtiam stirpcm possessio rjus descenderit [chap. xxi]. Il ne faut pas être bien grand critique , pour reconnoître qu'il y a id une trans- position, et qu'il faut lire, summa Justitia suos rexit; unicam fidem sociis prmstitii; mitis ac magni ficus amicus fuit; ac libéras duos superstites habuit; regnum adeo stabile at firm^ reUquity ut^ etc. De cette façon les choses, qui autrement sont confuses, seront en leur place. Ce qui appartient aux mceurs, comme avoir été bon roi , bon allié, et bon ami , se treuvera d'un côté ; et de l'autre, ce qui touche Fétat de sa maiscMi, qui est que sa femme le survéquit, et deux fils avec elle, auxquels il laissa sa succession. Qui ne voit cette lumière ne voit pas celle du jour en fJein midi. Au reste, il n'y a point de doute que Tite live ne se soit abusé de ne donner ici que deux fils à Attalus. Les autres historiens en nomment quatre; et lui-même, au XXXVII* livre [chap. lui], (ait dire à Eu- mène, fils aîné d' Attalus , pariant an sénat, qu'il n^y a simple soldat qui avec plus d'assiduité ait tenu pied aux armées ro- maines que lui et ses frères*. A ce compte-là ils ne pouvoient pas être motus de trois^.

I . Voyez les chapitres xxxiu et xxxir. Ici la béTiie n*est le hàx ni de Tite Live , ni des copistes. Malherbe n'a pas bien compris, an chapitre xxxit, le verbe eoniribtterunt ,

a. Henri Loriti, dn canton de Claris, auteur de remarques snr Tite Live et d'une chronologie de l'histoire romaine (iS3i). Il fut pendant trois ans professeur an collège de France à Pkns.

3. Nemo m'Uet romonus magi* atsiduus in euttris vestris fint, frnrna ego fratretque met.

4 Dans le manuscrit de Bamberg, au lieu des mots: Uxortm ae liberoSy on lit cornu uxor et Iiberos, Kreyssig a ainsi disposé

^

DE TITE LIVE.

463

Quaternûm milHnm pondo argenti pectigai in decem amtos; triginta quaterna miilia pondo et ducenta ; prasrns pîginti miiiia pondo [chap. xxx]. Il y a ici trois sortes de sommes qui par la paix furent imposées à Philippe. La première est quaternûm miiiium pondo argenti vectigal in decem annos , qui sont du- rant dix ans six mille marcs d^argent par an. La dernière est de trente mille marcs, qu'il de voit bailler comptant. Tout cela semble assez clair. Il reste la somme du milieu, rr/- ginia quaterna miiiia pondo et ducenta^ qui vaut cinquante et un mille trois cents marcs ; et c'est que sont les ténèbres. Glaréanus dit qu'il n y voit goutte ; comme de fait dans le Tite live latin, toutes les sommes du texte sont évaluées à la marge, il n'y a mot de celle-ci. Quant à moi, j'aime mieux faire louer ma modestie, en n'y touchant pas, que blâmer ma hardiesse, en voulant expliquer une chose à quoi tant de grands personnages confessent n'avoir rien entendue

Terrestres copias ab Ahydo trajeeit Chersonesi urbem [chap. xxxviu]. J'ai suivi en ma traduction l'opinion defirlaf- réanus et de Sigonius*, qui lisent terrestres copias Madytum trajeeit Chersonesi urbem^. Car de lire jib/dutn^ il n'y a point d'apparence, vu qu'Abyde est au côté de l'Asie en la Troade, Seste est au bord de l'Hellesiiont du côté de la Thrace, Ma- dyte est plus avant en terre ferme. De Seste à Madyte il peut y avoir cinq de nos lieues, et de Madyte à Lysimachie dix. J'en parle selon nos cartes. Si elles sont fausses, je m'en rap- porte à ceux qui les ont faites. Ces deux villes, Abyde et Seste, sont assez connues par les amours de Léandre et d'Éro.

ce membre de phrase : eomis uxori ac libenj quot supers tites hahuit^

comme dans les autres.

I. Les éditeur» conyiennent généralement que la phrase est al- térée, et on a essayé de rétablir le texte par des conjectures très- diverses.

a. Charles Sigonio. Ses remarques sur Tite Lire parurent d'abord dans l'édition de i555.

3. On a depuis tenté d'autres corrections de ce passage.

464 LE XXX IIP LIVRE

Antîochiis en la conférence tenne à Lysimachie répcmd an. Romains, après plusieurs autres choses : Ifee ex PhÛipjn qui- dém adpersa fortuna spolia ulla se petiisse^ aut ad»ertms Bioma^ nos in Europam imjecisse *** fuerit^ qun Pteto omnia quss iUius fuissent 9 jure belU Seleuci factasint^ etc. [chap. zl] ^ Il n'y a per- sonne qui ne voie qu'en ce lieu défuUent quelques paroles, ou plutôt quelques li^es. Polybe, de qui oed est tiré mot à mot, récite la même chose de cette façon : c II disoit(Antiochus) qu'il étoit passé en Europe avec des forces, pour recouvrer la Clier^ sonése, et les villes qu'il avoit en Thrace; que ces lienx-li lui appartenoient, et mm à autre, pource que premièrement ils a voient été à Ljsimachus, lequel ayant fait la guerre à Séleucus, et ayant été vaincu par lui, Séleucus par le droit de l'épée étoit devenu maître, et de cela, et de tout ce que Ly- simachus avoit eu en sa domination. » Qui voudra voir le texte grec, aille au XVII* livre de Polybe, vers la fin. A ce même propos on peut encore lire au XXXIV* livre de Tîte Live [chap. Lvni] le langage que tient à Qnintius Hégésianax, am- bassadeur d'Antiochus : c Ce seroit à la vérité une chose in- digne, et que les oreilles auroient peine à supporter, qu'on voulût faire perdre à Andochus les villes de la Thrace et de la Chersonèse, que Séleucus, son bisaïeul, l'épée à la main, a conquises sur Lysimachus en une bataille, il tailla son ar- mée en pièces, et le fit demeurer lui-même sur la place. > Après ces deux textes, il n'y a doute quelconque que ce qui est imparfait dans le texte de Tite Live, ne soit rhabillé en ma traduction selon la vérité du fait.

Si en quelques antres lieux j'ai ajouté ou retranché quel- que chose, comme certes il y en a cinq ou six, j'ai fait le premier pour éclaircir des obscurités, qui eussent donné de la peine à des gens qui n'en veulent point ; et le second, pour ne tomber en des répétitions, ou autres impertinences, dont sans doute un esprit délicat se fût offensé. Pour ce qui est de l'his- toire , je l'ai suivie exactement et ponctuellement ; mais je

I. Il y a ici uoe lacune dans le manuscrit. On a essayé de la com- bler de diverses manières, qui toutes se rapprochent plus ou moina, quant au sens, de la oonjectnre de Malheroe.

DE TITE LIVE. 465

n'ai pas voulu faire les grotesques, qu'il est impossible d'éviter quand on se restreint dans la servitude de traduire de mot à mot. Je sais bien le golûit du collège, mais je m'arrête k celui du Louvre. Si le lecteur est juste, il considérera que c'est ici la version d'un livre, dont il n'y a exemplaire au monde que celui que nous a donné un manuscrit nouvellement trouvé à Bamberg^ et que par conséquent les défauts dont il est plein ne se peuvent réparer qu'en devinant. S'il est injuste , je lui rendrai la pareille qui est due à ceux qui offensent les pre- miers. Le mépris qu'il aura fait de mon ouvrage, je le ferai de son jugement.

I. Ici encore, comme dans le titre même de sa traduction, Mal- herbe étend à tout le livre XXXIII ce qui n*est yrai que des dix- sept premiers chapitres. Le reste du livre avait déjà été traduit en français par Biaise deVigenère. Voyez Notice bibliograpfiique,p, cxiv, ii<» i3.

FIN DU XXXIII* LIVRK DK TITK UVK.

Malherbe, i 3o

r

FRAGMENT DE TRADUCTIOIN

DBS

QUESTIONS NATURELLES

DE SÉNÈQUE.

Le fragment sniTant, resté inédit et inconno jusqu'à ce jour, oc- cupe les derniers feuillets d*un manuscrit [Papiers de Baluze^ n^ i33) que nous avons déjà cité plus d*une fois et qui est uniquement com- posé de pièces de Malberbe. Nous croyons donc qu'on peut, sans difficulté, Tattribuer à récrirain qui a traduit le Traité tUt Bienfaits et la plus grande partie des Èpàres du philosophe latin. Ce frag- ment de traduction comprend seulement la préface des Questions naturelUsy le chapitre i et une partie du chapitre ii du livre I.

PRÉFACE DE SÉNÈQUK.

Autant que la philosophie a d'avantage sur les autres sciences , autant en a la partie de philosophie qui touche la connoissance des dieux par-dessus Tautre qui concerne les affaires des hommes. Elle est plus haute et plus cou- rageuse; et ne se tenant pas contente, comme fait Fautre, de la vue , a pris beaucoup plus de liberté , se persua- dant quHl y avoit quelque chose de plus grand et de plus beau que la nature n'avoit pas voulu nous montrer. Somme, il n'y a pas moins de différence de Tune à Tautre

468 QUESTIONS NATURELLES DE SÉNÈQUE.

que de rhomme à Dieu. L'une enseigne ce qu'il faut faire en la terre, Tautre ce qui se fait au ciel. L^une règle nos erreurs , et nous résout les doutes qui sont en cette vie ; l'autre est bien haut par^lessus cette épaisseur nous sommes , et nous arrachant de l'obscurité, nous conduit à la source même de la lumière. Quant à moi, je me trouve infiniment redevable à la nature, non de se laisser voir à moi du côté que tout le monde la voit, mais quand arrivé à ce qu'elle a de plus secret et de plus re- tiré, j'apprends quelle est la matière de l'univers , quelles mains l'ont bâti, quelle puissance le gouverne; que c'est que Dieu ; s'il est empêché du tout à la considération de soi-même , ou si quelquefois il nous daigne regarder ; si tous les jours il travaille à quelque chose , ou si dès le commencement il a fait, une fois pour toutes, ce qu*il vouloit faire; s'il est une partie du monde ou s'il est le monde même; s'il a l'autorité de faire chaque jour des ordonnances, et déroger à la loi des destinées, ou si ce seroit point retrancher de sa grandeur et Taccuser de faute, de dire qu'il ait fait des choses la réformation et le changement soient nécessaires; car il faut que tou- jours mêmes choses plaisent à celui qui ne sauipit se plaire à rien qui ne soit bon. Non que pourtant il soit moins libre , ni qu'il ait moins de pouvoir ; mais c'est qu'il est lui-même sa nécessité. Si je n'avois eu le crédit d'entendre ces merveilles, ce ne m'eût pas été grand avantage Je naître ; car à quelle occasion me fussé-je réjoui d'avoir été mis au nombre des vivants ? Eût-ce été pour couler éternellement du pain et du vin S et farcir ce misérable corps, qui se ruineroit tout aussitôt s'il n'étoit rempli d'une heure à l'autre, passant tout ainsi ma vie que ceux qui sont à servir un malade ? Ou pour craindre la mort,

I. Dans le texte latin : ci6os et potlones percoUwf.

PRÉFACE. 469

à laquelle nous sommes tous destinés dès le point de notre naissance? Otez-moi ce bien inestimable ^ le demeurant de la vie ne vaudra seulement qu'on s'en échauffe. Oh! que rhomme est peu de chose , s'il ne monte plus haut que l'humanité ! Quand nous luttons avec nos passions, que faisons-nous qui soit digne de si grande louange ? Et bien que nous demeurions les maîtres, de quoi sommes- nous victorieux que de chimères et de fantômes? Quelle occasion avons-nous de nous vanter, pource que nous ne ressemblons pas à ceux qui sont parvenus au deiiiier degré de méchanceté ? Je ne trouve pas qu'être plus fort qu'un qui est maladif et de petite complexion, soit chose qui mérite de s'en glorifier. Il y a beaucoup de différence entre la force et la bonne disposition. Vous vous êtes sauvé des vices de l'âme. Vous n*avez point de déguise- ment au visage , de flatterie en la bouche , ni de feintise au cœur. Vous n'êtes commandé ni de l'avarice , qui ruinant tout le monde, craint de s'entretenir; ni de la luxure, qui faisant des dépenses honteuses, cherche encore des moyens plus déshonnétes , afin d'y pouvoir fournir; ni de l'ambition, qui ne nous conduit jamais aux dignités qu'avec toutes les indignités du monde. Vous n'avez rien avancé pour tout cela. Vous vous êtes paré de beaucoup de choses, mais non encore de vous- même ; car la vertu que nous recherchons est brave et magnifique; non pource que de soi ce soit félicité de n'avoir point de mal, mais pource qu'elle Iftche l'es- prit, le prépare à la connoissance des choses célestes, et rend l'homme digne de se trouver en la présence de Dieu. Nous arrivons lors à la perfection de tout le bien que la condition des hommes peut désirer , quand ayant mis toutes choses mauvaises sous le pied, nous prenons le haut, et pénétrons au plus particulier cabinet de la nature. C'est alors que l'homme se promenant parmi les

47© QUESTIONS NATURELLES DE SÉNÈQUE.

astres, prend plaisir à se moquer des palais des grands, voire même de la terre avec tout Tor qu'elle a déjà mis entre les mains des hommes pour être employé à leur usage, et qu'encore au fond de ses entrailles elle réserve à Tavarice de notre postérité. Car de mépriser les gale- ries, les planchers marquetés d'ivoire , les forêts suspen- dues sur des voûtes , et les conduits des rivières qu'on détourne dans les maisons, c'est chose qu'il ne sauroit faire que premièrement il n'ait circuit le monde *, et que d'en haut il n'ait considéré la petitesse de la terre, cou- verte de mer en la plus grande part, et le plus souvent inhabitable aux lieux elle est découverte, ou pour une excessive chaleur, ou pour une froidure trop violente. Alors je ne crois pas qu'il se puisse garder de dire en soi- même : Est-il vrai que ce soit le point de qui tant de nations débattent le partage par le feu et par le fer? Oh! que les bornes des hommes sont ridicules ! Que les Daces demeurent au delà de l'Istre ' . Que le Strymon enferme les Thraces, l'Euphrate arrête les Parthes, le Danube divise la possession des Romains de celle des Sarmates. Que le Rhin soit le bout de la Germanie. Que les monts Pyrénées s'élèvent entre les Gaules et l'Espagne. Qu'une grande campagne pleine de sablons et de solitudes sépare l'Egypte de l'Éthippie. S'il étoit possible que les fourmis eussent l'entendement tel que les hommes, ne feroient-ils* pas la même division d'une aire en plusieurs provinces? Quand vous aurez élevé votre âme à ces choses qui sont vé- ritablement grandes, combien de fois voyant marcher deux camps les enseignes déployées , et comme si c'éloit pour quelque chose d'importance, une cavalerie tantôt

I. Fait le tour du monde; en latin : totum circumeat mundum,

3. L*Ister, le bas Danube.

3. Fourmi est du genre masculin dans le Dietiomoûire de Nicot.

PRÉFACE. /,7i

s'avancer pour découvrir, et tantôt s élargir sur les ailes, aurez-vouB envie de dire :

La bande noire aux campagnes s'épand * ?

Cette façon de courre appartient proprement aux four- mis qui travaillent en un lieu trop étroit. Et de fait, en quoi diffèrent-ils de nous, sinon en ce qu'ils n'ont pas une si grande masse de corps ? Ce n'est qu'un point que toute cette grandeur vous naviguez, vous faites vos guerres et disposez vos royaumes, lesquels semblent en- core plus petits quand des deux côtés ils sont environnés de l'Océan. Là-haut il y a des espaces infinis, qu'il est permis à l'esprit de posséder, pourvu qu'il se dépouille du corps autant qu'il lui sera possible, et paroisse pur et net, content de peu de chose, et déchargé de toute super- fluité. Quand il y est arrivé, il s'y nourrit et s'y fortifie, et comme délivré de prison reprend possession du lieu de son origine; ayant pour témoignage de sa divinité le plai- sir qu'il prend aux choses divines , lesquelles il regarde comme siennes, et non comme étrangères. Il voit à son aise tous les astres, il les voit coucher, et combien qu'ils s^accordent, tenir toutefois chacun un chemin différent Il prend garde chaque étoile commence de luire, en quel lieu elle est en sa perfection, queUe route elle tient, et jusques en quelle part elle descend. Il épluche curieu- sement toutes ces choses l'une après l'autre, et met peine de s'en informer, comme sachant bien que c'est à lui qu'en importe la connoissance. Il méprise alors la pe- titesse de sa première demeure, quand il voit que le dernier rivage de l'Espagne n'est pas tant éloigné des Indes qu'une barque avec le vent à propos n'arrive de l'un à l'autre en l'espace de fort peu de jours. Mais en la

I. Virgile, Enéide, Uv. IV, ▼. 404.

473 QUESTIONS NATURELLES DE SÉNÈQUE.

région du ciel, il y a du chemin pour trente années à celui des astres qui va le plus vite , bien qu'il ne s^arrête eu nulle part , et que toujoui'S il chemine avec une pareille diligence. Cest qu^enfin il parvient à rintelligence de ce que longtemps il a cherché. Cest que premièrement il commence à connoltre Dieu. Qu'est-ce que Dieu? L'àme de Tunivers. Qu'est-ce que Dieu ? Tout ce qui se voit, et qui ne se voit pas. C'est qu'enfin il recouvre sa grandeur, qui est telle qu'il ne s'en peut imaginer de plus grande. Si Dieu seul est toutes choses, il faut croire qu^îl comprend et dedans et dehors tout ce qu'il a fait. Quelle différence donc trouvons-nous entre sa nature et la nôtre? La meilleure partie de nous, c'est l'esprit; en Dieu, hors l'esprit, il n'y a chose quelconque. Il est tout raison; combien que l'aveuglement est si grand ici-bas , que les hommes, au lieu de l'estimer tel qu'il est , beau , réglé, ferme et constant en ses résolutions , que rien ne le peut être davantage, se le figurent néanmoins je ne sais quoi de fortuit et de tumultueux, qui chemine à l'aventure parmi les foudres, les nuées, les tempêtes, et toutes autres choses semblables, dont la terre et ce qui est voisin de la terre est ordinairement battu. Et cet erreur* n'a pas seulement saisi le menu peuple, mais est même parvenu jusques à ceux qui font profession ouverte de sagesse. C'est grand cas qu'il soit des hommes si présomptueux , qu'ils pensent avoir un entendement capable de gouverner eux et tout le reste du monde, et toutefois estiment que cet univers, duquel nous-mêmes sonunes une portion, n'ait point de conseil, et soit porté .casuellement, ou par une témérité, sans dessein et sans ordre, ou par la nature qui ignore elle-même ce qu'elle fait. Combien

I. Erreur du masculin, comme en latin. Voyez ci-detsus la No^ tice biographuiue f p. xlyi.

PRÉFACE. 473

pensez-vous qu'il est expédient de savoir ces particula- rités, et d'assigner des limites à toutes choses? comme, jusques s'étend la puissance de Dieu; s'il a fait lui- même la matière, ou s'il la trouva faite avant que de l'employer; si l'idée fut premier que la matière, ou la matière premier que l'idée ; si Dieu fait tout entièrement ce qu'il lui plalt, ou si bien souvent plusieurs choses sortent imparfaites de sa main; et s'il est possible qu'un si grand ouvrier fasse rien de mal à propos, non par ignorance, mais faute que la matière ne s'accommode et n'obéit pas à la science. Toutes ces considérations ne nous élèvent-elles pas au-dessus de ce qui est mortel, et ne nous rangent- elles pas à quelque chose de meilleur que la condition ordinaire des hommes ? Vous me demanderez à quoi cela sera bon ; et je vous répondrai que si je n en remporte autre chose, pour le moins en aurai-je ce point, que je trouverai toutes choses étroites entre les hommes, après que j'aurai considéré les grandeurs de Dieu. Mais nous en parlerons puis après.

474 QUESTIONS NATURELLES DE SÉNÈQUE.

LIVRE PREMIER.

I. VeDons à cette heure à notre discours, et voyons ce que nous peut apprendre la philosophie touchant les feux que Ton voit traverser Tair. Leurs démarches obli- ques et leur promptitude impétueuse nous font juger qu*ils sont poussés avec une grande violence. Vous diriez qu'ils ne vont pas , mais plutôt qu'ils sont jetés. Ils ont plusieurs formes, qui toutes sont différentes Tune de Tautre. Il y en a qu'Aristote appelle chèvres. Si vous me demandez pourquoi, je vous demanderai que première- ment vous me rendiez raison pourquoi vous les voudriez ap peler boucs ^ Mais si, pour avoir plus tôt fait, nous nous voulons accorder de ne nous faire point ces questions inutiles, enquérons-nous de la chose même, sans nous étonner pour quelle occasion Aristote a donné le nom de chèvre à ce globe de feu. On en vit un de cette forme, et de la grandeur d'une lune, au temps de la guerre que fitPaulus a Perséus, roi de Macédoine. £t nous-mêmes avons vu plus d'une fois paroître une flamme en forme d'une gi*ande pile', puis tout aussitôt s'évanouir au milieu de sa course. Un semblable prodige apparut environ vers le trépas d'Auguste de divine mémoire; un autre en la mort de Séjanus; et de même façon aussi nous (îit dé- noncé le trépas de Germanicus. Vous me direz : Vous êtes donc si malavisé de croire que les Dieux prennent

I . Il y a dans le latin : quare hcedi poeentur. a. PÛe, en latin pUa, balle à jouer.

LIVRE ]. CHAPITRE I. 47S

la peine de nous signifier quand il doit mourir quelqu'un, et qu'il y ait en la terre chose si grande qui mérite que le monde soit averti de sa ruine. Nous en parlerons une autre fois, en la dispute que nous ferons si toutes choses marchent avec une certaine ordonnance , et sont telle- ment entrelacées, que ce qui précède soit la cause ou le signe de ce qui doit advenir. Par même moyen nous verrons s'il est vrai que les Dieux se donnent soin des af- faires des hommes, ou si la disposition même des choses, avant que de rien faire, avec certaines marques nous en donne l'avertissement. Cependant mon opinion est que ces feux procèdent d'un air broyé avec véhémence, quand s'étant penché d'une part il ne se retire point, mais vient au combat contre soi-même. De cette agita- tion naissent les chevrons*, les globes, les torches et les embrasements. Mais s'il n'est touché que bien légère- ment, et seulement frotté, par manière de dire, il en sort moins de lumière, qui donne aux astres une apparence de chevelure. Et alors ces feux, qui sont très-petits, tra- cent aussi dans le ciel une très-petite voie; et pour cette occasion, il n'est quasi point de nuit que nous n'en voyions ; car il n'est pas besoin pour les (aire que l'air soit beaucoup agité. Et pour achever en un mot. Ils se font de la même façon que les foudres, mais avec moins de violence, comme les nuées en s'entre-froissant dou- cement sont cause des éclairs et des foudres, quand elles sont poussées avec une force plus impétueuse. Aristote en rend cette raison : il sort de la terre plusieurs respi- rations qui sont différentes, les unes humides, les autres sèches, les unes froides et les autres propres à conce- voir le feu; n'étant pas chose étrange qu'il sorte de la terre des exhalations en grand nombre et de toutes qua-

I . Dans le texte latin : trabes.

4:6 QUESTIONS NATURELLES DE SÉNÈQUE.

lités, vu même que dans le ciel toules choses n^ont pas une semblable couleur, niais la rougeur de la canicule est plus éclatante, celle de Mars plus foible, et quant à Jupiter il n*en a du tout point, mais reluit simplement d*une lumière toute pure. U est donc nécessaire qu'en la grande abondance de tant de petits corps, «jui sortent de la terre et montent en haut, il en arrive aux nues quelques-uns propres à la nourriture du feu, qui se peu- vent embraser ou par une collision, ou même au simple sentiment qu'ils ont des rayons du soleil; car ici-bas même nous voyons que la paille couverte de soufre s^al- lume par la présence d'un feu qui ne la touche point. Il est donc vraisemblable que telle matière s'étant assem- blée dans les nues se peut aisément allumer, et qu'il en peut sortir des feux ou plus grands ou plus petits, selon que les forces en sont ou plus grandes ou plus petites ; car c'est la plus grossière ignorance du monde, de pen- ser que les étoiles tombent, ou aillent de place en autre, ou qu elles puissent rien perdre de ce qu'elles ont; d'au- tant que s'il étoit ainsi, c'est chose certaine qu'elles ne fussent plus il y a longtemps ; car il ne se passe pas une nuit que plusieurs d'eutre elles ne semblent cheminer, et être tirées l'une d'un côté l'autre de l'autre. Et toutefois on les retrouve toujours en leur place accoutumée, et avec une même grandeur. U s'ensuit donc que ces feux naissent au-dessous d'elles, et qu'ils s'évanouissent bien- tôt, comme n'ayant aucun fondement ni demeure qui leur soit assurée. Pourquoi donc ne les voit-on cheminer de jour? Que seroit-ce si je vous disois que de jour il n'est point d'étoiles, pource qu'on ne les voit point? Tout ainsi qu'elles se cachent, et sont offusquées de la splen- deur du soleil , ainsi n'est-il pas impossible qu'il erre de ces feux par le ciel en plein midi, mais à cause de la clarté du jour ils ne se découvrent pas. Et si quelquefois

LIVRE I. CHAPITRE ï. 477

il s'en voity c'est qu ils ont tant de vertu, qu'ils peuvent au travera du jour faire paroître leur clarté particulière. De notre temps il s'en est vu de jour une infinité, les unes tournées du levant au ponant, les autres du ponant au levant. Les mariniers prennent ce déplacement de beau- coup d'étoiles pour conjecture qu'il y aura de la tem* péte ; de manière que si c'est signe de vents, il faut que les vents soient au même endroit, c'est-à-dire en cet air qui remplit l'espace d'entre la lune et la terre. En une grande tempête, il apparoît des étoiles qui semblent as- sises au haut des voiles, et lors ceux qui courent fortune pensent être secourus de Castor et de Pollux. Ce qui leur donne bonne espérance , c'est que lors on voit déjà la tempête commencer à se rompre, et les vents à se re- tirer. Les feux sont quelquefois portés, et ne demeurent pas fermes. Gylippus s'en allant à Syracuse vit une étoile arrêtée au haut de sa lance. Aux armées des Romains on a vu flamber des javelots, pour être tombé sur eux de certains feux, qui bien souvent frappent les animaux et les plantes aussi rudement que la foudre; et parfois, comme ils sont poussés avec moins de force, ne font que glisser et s'asseoir tout bellement, sans blesser ni donner aucune atteinte. Les uns se font en temps d'orage, les autres au plus beau jour du monde , selon que la dispo- sition de l'air est susceptible de feu ; car il tonne quel- quefois en temps serein, pour la même raison qu'il tonne en temps nubileux, quand l'air est battu l'un contre l'au- tre. Et combien qu'il soit plus luisant et plus sec, si est-ce qu'il ne laisse pas de s'amasser, et de faire des corps qui ressemblent aux nuées, lesquels font bruit comme ils vien- nent à être frappés. De vient que nous voyons quelque- fois des chevrons, quelquefois des boucliers, et des figui'es de grands feux épandus, quand une même cause, mais plus grande et plus forte, a rencontré semblable matière.

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478 QUESTIONS NATURELLES DE SENÈQUE.

II. Voyons maintenant comme se (ait cette laeor, <jai partit à Tentour des astres. Notu lisons que le jour qu* Auguste entra dans Rome 9 à son retour d*Apcdlome, on vit tout a Tentour du soleil un cercle, avec le même bizarrement de couleurs que nous voyons oïdinairanent en Tarc-en-ciel. Les Grecs Tapprilent une aire*, et nous fort à propos le pouvons appeler courcmne. Comme œk se fait, je m*en vais le vous dire. Jetez une pierre dans une fontaine, vous verrez incontinent Teau se séparer en beaucoup de rond[eurs], desquelles la première sera très-petite, l'autre plus grande, et les autres d'après encore davantage , selon qu'elles sont plus éloignées , jusques à ce que Tébranlement se perde, et s'aplanisse comme le reste de l'eau qui ne s* est point ressentie de cette agitation. Il faut faire compte qu'en l'air il en arrive tout de même. Quand il est épais, il peut être frappé ; de sorte que la clarté du soleil, ou de la lune, ou de quelque autre étoile, venant à le rencontrer, le fait écarter en forme de cercles ; car l'humeur' , l'air, et toutes choses à qui le coup peut donner forme, étant poussées, prennent la Sgure même de ce qui les pousse. Or toute lumière est ronde. Il faut donc que Vair étant frappé de quelque lumière devienne rond. Pour cette occasion les Grecs ont donné le nom d*aire à telle manière de clartés, d'autant que le plus souvent les lieux destinés à battre les blés ont la forme ronde. Biais il ne faut croire que ces clartés, soit aires ou couronnes , se fassent auprès des astres, car elles en sont bien loin

I. *AXh>c, kalo^ mot qae la science a ooiuervé. 3. L*eau, le liquide; eo latin : iuimor.

ri-S Dl» QVKSTIONS R&TUaKtXIlS.

TABLE DES MATIÈRES

CONTENUES DANS LE PREMIER VOLUME.

AvEBTisssiisirr i

NonCB BIOGRAPHIQUE SUR MaLHERBB , IX

Appendice de la Notice Inographiqne l

Vie de Malbebbb par Racan lxi

Notice bibliographique lxxxix

Pièges attribuées a Malherbe cxvi

Des portraits de Malherbe cxxiv

POÉSIES.

I. Sur le portrait d'Etienne Pasquier qui n*ayoit point

de mains i

n ne faut qu'avec le risage.

II. Stances a

Si des maux renaissants ayec ma patience.

III. Les Larmes de saint Pierre, imitées du Tansille ... 4

Ce n'est pas en mes yers qu'une amante abusée.

IV. Épitaphe de Monsieur d'Is 19

Ici dessous git Monsieur d'Is.

V. Pour Monsieur de Montpensier, à Madame devant son

mariage. Stances ao

Beau ciel par qui mes jours sont troubles ou sont calmes.

480 TABLE DES MATIÈRES.

VI. Au roi Henri le Grand, sur la prise de Marseille.

Ode 23

Enfin après tant d'années.

Vil. Sur le même sujet. Ode a^

Soit qae de tes laorier» la grandeur poursniTant.

VIII. Victoire de la constance. Stances 28

Enfin cette beauté m'a la place rendue.

IX. Consolation à Caritée sur la mort de son mari .... 32

Ainsi quand Mansole fut mort.

X. Dessein de quitter une dame qui ne le contentoit qae

de promesse. Stances Vi

Beauté, mon beau souci, de qui l'âme incertaine.

XI. Consolation à Monsieur du Périer, sur la mort de

sa fille. Stances 38

Ta douleur, du Périer, sera donc étemdle.

XII. A la Reine, mère du Roi, sur sa bienvenue en France. Ode présentée à Sa Majesté, à Aix^ l'an- née 1600 4^1

Peuples, qu'on mette sur la tète.

XnL Prosopopée d'Ostende. Stances 56

Trois ans déjà passés, théâtre de la guerre.

XIV. Aux ombres de Damon 58

L'Orne comme autrefois nous rererroit encore.

XV. Paraphrase du psaume Vin 6a

O Sagesse étemelle, à qui cet unirers.

XVI. Pour les pairs de France, assaillants au combat de barrière. Stances 65

Et quoi donc? la France féconde.

XVII. A Madame la Princesse douairière, Charlotte de

la Trimouille. Sonnet 68

Quoi doue, grande Princesse en la terre adorée.

TABLE DES MATIÈRES. 481

«

XVIII. Prière pour le roi Henri le Grand, allant en Li- mousin. Stances 69

O Dieu, dont les bontés de nos larmes touchées.

XIX. Sur Tattentat commis en la personne de Henri le Grand, le 19 de décembre i6o5. Ode 75

Que direz-YOUS, races futures.

XX. Aux Dames, pour les Demi-Dieux marins, conduits

par Neptune. Stances 84

O qu'une sagesse profonde.

.: XXI. Au roi Henri le Grand, sur Theureux succès du

voyage de Sedan. Ode 87

f Enfin après les tempêtes.

n XXII. Chanson 96

Qu'autres que vous soient désirées.

XXIII. Stances 99

' Philis qui me voit le teint blême.

m

XXIV. Au roi Henri le Grand* Sonnet lo'i

Je le connois, Destins, tous avez arrêté.

XXV. Au roi Henri le Grand. Sonnet 104

Mon Roi, s'il est ainsi que des choses futures.

XXVI. Pour le premier ballet de Monseigneur le Dau- phin. Au roi Henri le Grand. Sonnet io5

Voici de ton État la plus grande merreille.

XXVII. A Monsieur le grand écuyer de France. Ode. 107 A la fin c'est trop de silence.

XXVIII. A Monsieur de Fleurance, sur son Art d'em- bellir. Sonnet ia6

Voyant ma Caliste si belle.

XXIX. Sonnet 128

Quel astre malheureux ma fortune a bâtie ? Malhsrbr. I 3i

48:1 TABLE DES MATIÈRES.

XXX. Stances f "io

Laîste-moi, raison importune.

XXXI. Sonnet i3a

Il n'est rien de si bean comme Galiste est belle.

XXXII. Stonce» i3',

Le dernier de mes jours est dessus l'horizon.

XXXm. Sonnet i3:

Beauté, de qui la grâce étonne la nature

XXXIV. Sonnet i38

Beaux et grands bâtiments d'éternelle structure.

XXXV. Sonnet i39

Caliste, en cet exil j'ai l'âme si gênée.

XXXVI. Sonner i4o

C'est fait, belle Galiste, il n'y faut plus penser.

XXXVII. Stances i4i

Dure contrainte de partir.

XXXVIII. Pour mettre devant les heures de Caliste. . 144 Tant que tous serez sans amour.

XXXIX. Autre sur le même sujet 144

Prier Dieu qu'il tous soit propice.

XL. Sonnet 1 1 )

Quoi donc ! c'est un arrêt qui n'épargne personne.

XLI. Ballet de la Reine 146

Pleine de langues et de Toix.

XLn. Ballet de Madame 149

A la fin tant d'amants dont Itt Ames bleiaéct.

XLIII. Pour Alcandre. Stances i5i

Quelque ennui donc qu'en cette absence.

TABLE DES MATIERES. 483

XLIV. Pour Alcandre , au retour d'Oranlhe à Fontaine- bleau f56

ReveDezy mes plaisirs, ma dame est revenue.

XLV. Alcandre plaint la captivité de sa maîtresse. Stan- ces i58

Que d'épines, Amour, accompagnent tes roses.

XL VI. Sur le même sujet. Stances i6a

Que n'êtes- vous lassées.

XLVIL Stances i6G

Donc cette merveille des cieux.

XLVIIL Pour Mademoiselle de Conti, Marie de Bour- bon 170

N'égalons point cette petite.

XLIX. Épitaphe de la même. Sonnet 171

Tu vois, passant, la sépulture.

L. A Monseigneur le Dauphin. Sonnet 172

Que l'honneur de mon prince est cher aux destinées.

LI. Plainte sur une absence. Stances 17/1

Complices de ma servitude.

LII. Vers funèbres sur la mort de Henri le Grand.

Stances 178

Enfin l'ire du ciel, et sa fatale envie.

LUI. A la Reine, mère du Roi, sur les heureux succès

de sa régence. Ode 182

Nymphe qui jamais ne sommeilles.

LIV. Épitaphe de feu Monseigneur le duc d'Orléans.

Sonnet 189

Plus Mars que Mars de la Thrace.

LV. A la Reine, mère du Roi, sur la mort de Monsei- gneur le duc d'Orléans. Sonnet '. 191

Consolez- vous. Madame, apaisex votre plainte.

/«84 TABLE DES MATIÈRES.

LVI. A Monsieur du Maine, sur ses Œuvres sfûritaelles.

Sonnet 193

Tn me nTÛ, da Maine, il fiuit que je FaTcme.

LVII. A la Reine, mère du Roi , pendant sa régence.

Stances 194

Objet di^în des âmes et des yeux.

LVIII. Les Sibylles. Sur la fête des alliances de France

et d'Espagne 197

Que Bellone et Mars se détachent.

LIX. Sur le même sujet ... soi

Donc après on si long séjonr.

LX. Pour Monsieur de la Geppède, sur son livre de la

Passion de Kotre-Seigneur. Sonnet 904

Pestime la Ceppède, et rbonore, et Tadmire.

LXI. Pour la Pucelle d'Orléans. Épigramme su 1

LVnnemi tons droits TÎoUnt.

LXIl. Sur le mcme sujet ao6

Passants, tous trooyez à redire.

LXI II. Paraphrase du psaume CXXVIII 207

Les funestes complots des âmes foroenëes.

LXIV. Pour la Reine, mère du Roi, pendant sa régence.

Ode 209

Si quelque avorton de Tenvie.

LXV. Fragment sur le même sujet a 18

O toi, qui d*an clin d*œil sur la terre et snr Tonde.

LXVI Prédiction de la Metiseaux princes révoltés. . . 119 Allez à la malheure, allez, âmes tragiques.

LXVll. Autre fragment aïo

Ames pleines de vent, que la rage a Messées.

LXVIII. Chanson aai

Ils s'en vont, ces rois de ma vie.

TABLE DES MATIÈRES. «85

LXIX. Sonnet 'i23

Celle qu*avoit Hymen i mon cœur attachée.

LXX. Pour une fontaine 225

Vois-tu» passant, couler cette onde.

LXXl. Chanson 226

Sus dehout la merveille des belles.

LXXII. Récit d'un berger au ballet de Madame, prin- cesse d^Espagne 228

Houlette de Louis, houlette de Marie.

LXXIIL Poar un ballet de Madame 284

Cette Anne si belle.

LXXIV. Sur le mariage du Roi et de la Reine. Stances. 2^6 Mopse entre les devins TApollon de cet âge.

LXXV. Pour mettre au devant du livre du sieur de

Lortigues 238

Vous dont les censures sVtendent.

LXXVI. Prophétie du Dieu de Seine. Stances 289

Va- t'en à la malheure, excrément de la terre.

LXXVll. Stances 240

Enfin ma patience, et les soins que j'ai pris.

LXXVIII. Sur une image de sainte Catherine. Épi- gramme ^4^

L'art aussi bien que la nature.

LXXIX. Épigramme 243

Jeanne, tandis que tu fus belle.

LXXX. A Madame la Princesse de Ccmti. Sonnet. . . . 244 Race de mille rois, adorable princesse.

LXXXI. Stances spirituelles ^4^

Louez Dieu par toute la terre.

486 TABLE DES MATIERES.

LXXXll. Chanson a47

Chère beauté que mon âme rarie.

LXXXIII. A Monsieur de Pré, sur son Portrait de

rÉloquence françoisc a 49

Tu faux, de Pré, de nous pourtraire.

LXXXIV. Épigramme aSo

Cet absinthe au nez de barbet.

LXXXV. Sur le portrait de Cassandre, maîtresse de

Ronsard 2S1

L*art, la nature exprimant.

LXXXVI. Vers composés pour l'entrée de Louis XUI

à Aix aSa

Grand fils du grand Henri, grand cbef-d*œuTre des cieux.

LXXXVII. Autre sur le même sujet. Amphion au

Roi a53

Or sus, la porte est close aux tempêtes civiles.

LXXXVIIL Pour Monseigneur le comte de Soissons.

Stances aS4

Ne délibérons plus ; allons droit à la mort.

LXXXIX. A Rabel, peintre, sur un livre de fleurs.

Sonnet %5-;

Quelques louanges nonpareilles.

XC. A Monseigneur frère du Roi. Sonnet a 69

Muses, quand finira cette longue remise.

XCI. Au Roi. Sonnet aSn

Muses, je suis confus; mon devoir me conrie.

XCII. A Monseigneur le cardinal de Richelieu. Son- net a6i

A ce coup nos frayeurs n*auront plus de raison.

XCUL Au Roi. Sonnet a6a

Qu'arec une valeur à nulle autre seconde.

TABLE DES MATIÈRES. 487

XCIV. Pour le marquis de la Vieuville, superintendant

des finances. Sonnet si63

Il est yrai, la Vieu-ville, et quiconque le nie.

XCV. Fragment a64

Et maintenant encore en cet âge penchant.

XCVI. Épigramme pour mettre au devant de la Somme

théologique du P. Garasse 'Ji66

Esprits qui cherchez à médire.

XCVII. Autre à l'auteur de ce livre 167

En yain, mon Garasse, la rage.

XCVIII. Consolation à Monsieur le premier Président,

sur la mort de Madame sa femme a68

Sacré ministre de Thémis.

XCIX. Pour Monseigneur le cardinal de Richelieu.

Sonnet 27a

Peuples, çà de Tencens ; peuples, çÀ des victimes.

C. Paraphrase du psaume CXLV 273

N*espérons plus, mon âme, aux promesses du monde.

CI. Pour un gentilhomme de ses amis , qui mourut âgé

de cent ans 27.5

N'attends, passant, que de ma gloire.

eu. Sur la mort de son fils. Sonnet 276

Que mon fils ait perdu sa dépouille mortelle.

CIII. Pour le Roi, allant châtier la rébellion des Roche- lois. Ode 277

Donc un nouveau labeur à tes armes s'apprête.

CIV. Fragment 284

Enfin mon roi les a mis bas.

CV. A Monsieur de la Garde, au sujet de son Histoire

sainte. Ode 285

La Garde, tes doctes écrits.

488 TABLE DES MATIÈRES.

CVI. A Monsieur de la Morelle, sur la pastorale de

r Amour contraire. Sonnet tigi

Si l'on peut acquérir par la plume la gloire.

PIECES

DONT LA DATE EST INCERTAINE.

CVn. Chanson agi

Mes yeux, vous m'êtes superflus.

CVni. Chanson ^gS

C'est assez, mes désirs, qu'un aveugle penser.

CIX. Pour la guérison de Chrysantbe. Stances 297

Les destins sont vaincus, et le flux de mes larmes.

ex. A Monsieur CoUetet, sur la mort de sa sœur. Épi- gramme 299

En vain, mon CoUetet, tu conjures la Parque.

CXI. Pour une mascarade. Stances 3oo

Ceux-ci de qui vos yeux admirent la venue.

CXII. Chanson 3oa

Est-ce à jamais, folle espérance.

CXIII. Stances 3o4

Quoi donc, ma lâcheté sera si criminelle.

CXIV. Chanson 3o6

C'est faussement qu'on estime.

CXV. Épigramme 3o8

Tu dis. Colin, de tous côtés.

CXVI. Sur la mort d'un gentilhomme qui fut assassiné.

Sonnet 309

Belle âme aux beaux travaux sans repos adonnée.

TABLE DES MATIÈRES. 4»9

FRAGMENTS SANS DATE.

GXVII. Les peuples pipés de leur mine 3 1 1

CXVILI. A Monseigneur le cardinal de Richelieu . ... 3i3 Grand et grand prince de TËglise.

CXIX. Tantôt nos navires brayes 3i5

CXX. Elle étoit jusqu'au nombril 3 16

CXXI. Fin d'une ode pour le Roi 3i7

Je veux croire que la Seine.

CXXIl. Fragment d'une ode d'Horace 3 18

Voici venir le temps que je vous avois dit.

CXXIII. Vous ayez beau, mon berger 3i9

APPENDICE.

I. Le Lagrime di san Pietro de! Sig. Luigi Tansillo, et

les Larmes de saint Pierre, de Malherbe .... 3a i

II. Instruction de F. de Malherbe à son fils 33 1

III. Lettre de Malherbe au roi Louis XIII 349

IV. Lettre de Malherbe à M. de la Garde 355

V. Épitaphes diverses composées par Malherbe .... 359

VI. Discours sur les oeuvres de M. de Malherbe (par

Godeau, évéque de Vence) 365

TRADUCTIONS.

Traducdon du XXXIIP livre de Tite Live 389

Fragment (inédit) de traduction des Questions naturelles

de Sénèque 4^7

riN DB LA TABLE DES MATlifiBS.

TABLE DES POESIES

RANGÉES SUIVANT L*ORDRE ALPHABÉTIQUE

DU PREMIER VERS DE CHAQUE PIÈCE.

A ce coup nos frayeurs n'auront plus de raison a6i

Ainsi quand Mausole fut mort 3a

A la fin c*est trop de silence 107

A la fin tant d'amants dont les âmes blessées 149

Allez à la malheure» allez, âmes tragiques a 19

Ames pleines de rent, que la rage a blessées aao

Beau ciel par qui mes jours sont troubles ou sont calmes . . 30

Beauté de qui la grâce étonne la nature 137

Beauté, mon beau souci, de qui Tàme incertaine 36

Beaux et grands bâtiments d'étemelle structure i38

Belle âme aux beaux travaux sans repos adonnée 309

Belle, quand te lasseras-tu cxx

Caliste, en cet exil, j'ai l'âme si gênée 139

Ce livre est comme un sacré temple cxxii

Ce n'est pas en mes vers qu'une amante abusée 4

Celle qu'avoit Hymen à mon cœur attachée aa3

C'est assez, mes désirs, qu'un aveugle penser a 95

C'est fait, belle Caliste, il n'y faut plus penser 1 4o

C'est faussement qu'on estime 3o5

Cet absinthe au nez de barbet a5o

Cette Anne si belle a34

Ceux-ci de qui vos yeux admirent la venue 3oo

Chère beauté que mon âme ravie a47

Complices de ma servitude 174

Consolez-vous, Madame, apaisez votre plainte 191

49^ TABLE ALPHABÉTIQUE DES POÉSIES.

Donc après un si long séjour soi

Donc cette menreillc des cieux if>fi

Donc un nouveau labeur à tes armes s*appréte. . ... 277

Dure contrainte de partir i4i

Elle étoit jusqn^au nombril 3i6

Enfin après les tempêtes 87

Enfin après tant d'années a3

Enfin cette beauté m*a la place rendue iS

Enfin l'ire du ciel, et sa fatale envie 178

Enfin ma patience, et les soins que j'ai pris a 40

Enfin mon roi les a mis bas a84

En vain, mou CoUetet, tu conjures la Parque 299

En vain, mon Garasse, la rage af>7

Esprits qui cherchez à médire a 56

Est-ce à jamais, folle espérance 3oa

Et maintenant encore en cet âge penchant 3^4

Et quoi donc? La France féconde 65

Grand et grand prince de TÉglise 3i3

Grand fils du grand Henri, grand chef-d'œuvre des cieux. . a 5a

Houlette de Louis, houkltte de Marie aa8

Ici dessous git Monsieur d'Is 19

n est vrai, la Vieu ville, et quiconque le nie a63

U ne faut qu'avec le visage i

Il n'est rien de si beau comme Caliste est belle i3a

Ils s'en vont, ces rois de ma vie aai

Infidèle mémoire i6a

Jeanne, tandis que tu fus belle a43

Je le connois. Destins, vous avez arrêté 10a

J'estime la Ceppède, et l'honore, et l'admire ao4

Je veux croire que la Seine 317

La Garde, tes doctes écrits a8S

Laisse-moi, raison importune i3o

L'art aussi bien que la nature a43

L'art, la nature exprimant aSi

Le dernier de mes jours est dessus l'horizon i34

Le guerrier qui brûlant dans les cieux se rendit cxu

Le soleil ici -bas ne voit que vanité cxxu

L'ennemi tous droits violant ao5

Les Destins sont vaincus, et le flux de mes larmes 397

Les funestes complots des âmes forcenées 307

Les peuples pipés de leur mine 3 1 1

TABLE ALPHABÉTIQUE DES POÉSIES. "Agî

L'Orne comme autrefois nous reverroit encore 58

Louez Dieu par toute la terre a45

Mes yeux, tous m*étes superflus 993

Mon Roi, s'il est ainsi que des choses futures 104

Mopse entre les derins l'Apollon de cet Age 236

Muses, je suis confus ; mon deroir me eouTie 260

Muses, quand flnira cette longue remise 2S9

N'attends, passant, que de ma gloire 27$

Ne délibérons plus, allons droit à la mort a 54

N'égalons point cette petite 170

N'espérons plus, mon Ame, aux promesses du monde . . . 273

Nymphe qui jamais ne sommeilles i8a

O Dieu, dont les bontés de nos larmes touchées 69

O qu'une sagesse profonde 84

O sagesse étemelle, à qui cet univers 69

O toi, qui d'un clin d'œil sur la terre et sur l'onde . . . . a 18

Objet divin des Ames et des yeux 194

Or sus, la porte est close aux tempêtes civiles a 53

Passants, vous trouvez à redire ao6

Peuples, çà de l'encens ; peuples, çà des victimes a 7a

Peuples, qu'on mette sur la tête 44

Phiiis qui me voit le teint blême 99

Pleine de langues et de voix 1^6

Plus Mars que Mars de la Thrace 189

Prier Dieu qu'il vous soit propice i44

Qu'autres que vous soient désirées 96

Qu'avec une valeur à nulle autre seconde a6a

Que Bellone et Mars se détachent 197

Que d'épines. Amour, accompagnent tes roses i58

Que direz-vons, races futures. . . . ' 75

Que l'honneur de mon prince est cher aux destinées. . . . 17a

Que mon fils ait perdu sa dépouille mortelle a 76

Que n'étes-vous lassées i6a

Quel astre malheureux ma fortune a bAtie ia8

Quelque ennui donc qu'en cette absence i5i

Quelques louanges nonpareilles a 57

Quoi donc, c'est un arrêt qui n'épargne personne i45

Quoi donc, grande princesse en la terre adorée 68

Quoi donc, ma lAcheté sera si criminelle 3o4

Race de mille rois, adorable princesse a 44

Revenez, mes plaisirs, ma dame est revenue 1 56

494 TABLE ALPHABÉTIQUE DES POÉSIES.

Sacré ministre de Tfaémis ^68

Si des maux renaissants arec ma patience ^

Si Ton peut acqaérir par la plume la gloire 391

Si quelque avorton de l'envie 309

Soit que de tes lauriers la grandeur poursuivant a6

Sus debout la merveille des belles 3s6

Ta douleur, du Périer, sera donc étemelle 38

Tant que vous serez sans amour 144

TantÔ9nos navires braves 3i5

Trois ans déjà passés, théâtre de la guerre 56

Tu dis, Colin, de tous côtés 3o8

Tu faux, de Pré, de nous pourtraire 349

Tu me ravis, du Maine, il faut que je l'avoue 19a

Tu vois, passant, la sépulture 171

Va-t'en à la malheure, excrément de la terre 339

Voici de ton État la plus grande merveille io5

Voici venir le temps que je vous avois dit 3 18

Vois-tu, passant, couler cette onde 33S

Vous avez beau, mon berger 319

Vous dont les censures s'étendent 338

Voyant ma Caliste si belle 361

FIN DE LA TABLS ALPHABKTIQVK DES FOl^IBS.

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