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DU TAB£>EAU DES MOEURS DU DIX-SEPTIÈME SIÈCLE, ET DE Là VIE DE HOUËEZ,
PAR M. PETITOT,
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J. p. AIIXAUD, QUAI VOLTAIRE, H"
UDOocxxin.
2 9ArR i974 I
I
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/
DON GARCIE
DE NAVARRE,
OU
LE PRINCE JALOUX,
COMÉDIE HÉROÏQUE
EN CINQ ACTES ET EN VERS,
Représentée à Paris , dans la salle du Palais - Rojral , le 4
iiéyrier i66i.
M oiuiiRi. a.
^
PERSONNAGES.
Don GARGIE, prince de Navarre, amant de done Blvire.
Do NE ELVIRE, princesse de Léon.
Don ALPHONSE, prince de Léon, cru prince de Gastille
sous le nom de don Sylve. Done IGNES, comtesse, amante de don Sylve, aimëe par
Maurëgat, usurpateur de l'Etat de Lëon. ËLISB, confidente de done Elvire. Don ALYAR, confident de don Garcîe^ amant d'Elise. Don LOPE, autre confident de don Garcie, amant d'Elise. DonPËDRE, ëcuyer d'Ignés. Un page de done Elvire. -
La seine est dans Astorgue , ville d'Espagne , dans le lo janme
de Léon. .
DON GARCIE
DE NAVARRE,
*
OU
LE PRINCE JALOUX.
ACTE PREMIER.
SCÈNE L
DONE ELVIRE, ÉLISE.
DONB ELVIRE.
Non, ce n'est point nn choix qui pour ces deux amants
Sut régler de mon>cœur les secrets sentiments;
Et le prince n'a point, dans tout ce qu'il peut être,
Ce qui fit préférer l'amour qu'il £iit paroître.
Don Sylve , comme lui, fit briller à mes yeux
Toutes les qualités d^un héros glorieux ;
Même éclat de vertus, joint à même naissance.
Me parloit en tous deux pour cette préférence;
Et je serois encore à nommer le vainqueur.
Si le mérite seul prenoit droit sur un cœur :
Mais ces chaînes du ciel qui tombent sur nos âmes
Décidèrent eu moi le destin de leurs flammes;
Et toute mon estime, égale entre les deux.
Laissa vers don Garcie entraîner tous mes vœux.
• ■ * -
4 DON GARCIE DE NAVARRE.
ÉLISE.
Cet amour que pour lui votre àstrè vous inspire N'a sur vos actions pris que bien peu d'empire, Puisque nos yeux, madame, ont pu long- temps douter Qui de ces deux amants vous vouliez mieux traiter.
DONE ELVIRE.
De ces nobles rivaux Tamoureuse poursuite  de fîcheux combats, Élise, m'a réduite. Quand je regardois Tun, rien ne me reprochoit Le tendre mouvement où mon âme penchoit ; Mais je me limputois à beaucoup d'injustice, Quand de l'autre à mes yeux s'ofiroit le sacrifice : Et don Sylve, après tout, dans ses soins amoureux. Me sembloit mériter un destin plus heureux. Je m'opposois encor ce qu'au sang de Castille Du feu roi de Léon semble devoir la fille. Et la longue amitié qui d'un étroit lien Joignit les intérêts de son pore et du mien. Ainsi, plus dans mon âme un autre prenoit place. Plus de tous ses respeas je plaignoisla disgrâce : Ma pitié, complaisante à ses brûlants soupirs, D un dehors favorable amusoit ses désirs, Et vouloit réparer, par ce foible avantage, Ce qu'au fond de mon cœur je lui faisois d'outrage.
ÉLISE.
Mais son premier amour que vous avez appris Doit de cette contrainte af&anchir vos esprits ; Et puisque avant ces soins où pour vous il s'engage
ACTE I, SCÈNE I. 5
Done Ignés de son cœur ayoit reçu l'hommage, Et que y par des liais aussi fermes que doux , L'amitié yousi unit cette comtesse et vous , Son secret révélé vous est une matière  donner à vos vœux liberté tout entière; Et vous pouvez sans crainte à cet amant confus D'un devoir d'amitié couvrir tous vos refus,
DONE EtVIRE.
il est vrai que j'ai lieu de chérir la nouvelle Qui m'apprit que don Sylve étoit un infidèle, Puisque par ses ardeurs mon cœur tyrannisé Contre elles à présent se voit autorisé, Qu'il en peut justement combattre les hommages, Et, saps scrupule, ailleurs donner tous ses suffrages. Mais enfin quelle joie en peut prendre ce cœur. Si d'une autre contrainte il soufire la rigueur; Si d'un prince jaloux l'éternelle foibfesse Reçoit indignement les soins de ma tendresse, Et; semble préparer, dans mon juste courroux. Un éclat à briser tout commerce entre nous?
ÉLISE.
Mais, si de votre bouche.il n^a point su sa gloire , Est-ce un crime pour lui que de n'oser la croire? Et ce qui d'un rival a pu.flatter les feux . L'autorise-t-il pas à douter de vos vœux?
DONE ELVIRE. ^ -
Non , nen^ de cette sotubre et lâcbô jalousie
6 DON GARCIE DE NAVARRE.
Rien ne peut excuser Tétrange frénésie; Et par mes actions je Fai trop informé Quil peut bien se flatter du bonheur d'être aîm^. Sans employer la langue, il est des interprètes X^ui parlent clairement des atteintes secrètes : Un soupir, un regard , une simple rougeur, Un silence est assez pour expliquer un cœur. Tout parle dans lamour ; et sur cette matière Le moindre jour doit être une grande lumière, Puisque chez notre se;s:e, ou Thonneur est puissant, On ne montre jamais tout ce que l'on ressent. J'ai voulu, je layoue, ajuster ma conduite, Et voir d'un œil égal l'un et l'autre mérite : Mais que contre ses yœux on combat vainement, Et que la différence est connue aisément De toutes ces faveuts qu'on fait avec étude, A celles où du cœur fait pencher Thabitude! D'ans les unes toujours on paroît se forcer; Mais les autres , hélas ! se font sans y penser, Semblables à ces eaux si pures et si belles Qui coulent sans effort des sources naturelles. Ma pitié pour don Sylve avoît beau l'émouvoir, Ten trahissois les soins sans m'en apercevoir; Et mes regards au prince, en un pareil martyre, En disoient toujours plus que je n'en voulois dire.
ÉLISE.
Enfin si les soupçons de cet illustre amant, Puisque vous le voulez , n'ont poiut de fondemjent ,
ACTE I, SCÈNE I. y
Ponr le moins font-ils foi d'une ftme Hen atteinte; Et d'antres chériroient ce qui fait votre plainte. De jaloux mouyements doivent être odieux ^ S'ils partent d'un amour <jtd déplatt à nos yeux : Mais tout' ce qu'un amant nous peut montrer d'alarmes Doit, lorsque nous l'aimons , avoir pour nous des charmes ; C'est par-là que son fou se peut mieux exprimer; Et plus il est jaloux , plus nous devons Faimer. Ainsi y puisqu'on votre âme un prince magnanime. • •
DONE ELVIRE.
Alil ne m'avance^ point cette étrange maxime : Partout la jalousie est un monstre odieux; Rien n'en peut adoucir les traits injurieux^ Et plus l'amour est cher qui lui donne naissance, Plus on doit ressentir les coups de cette offense Voir un prince emporté , qui perd à tous moments Le respect que l'amour inspire aux vrais amants^ Qui , dans les soins jaloux où son âme se noie y Querelle également mon chagrin et ma joie^ Et dans tous mes regards ne peut rien remarquer Qu'en JÈiveur d'un rival il ne veuille expliquer. . . î; Non j non , par ses soupçons je suis trop offensée y. Et sans déguisement je te dis ma pensée : Le prince don Garcie est cher à mes désirs , n peut d'un cœur illustre échauffer les soupirs;. Au milieu de Léon on a vu son courage Me donner de sa flammé un noble témoigna^^ Braver en ma Êiveur les périls les {dus grands^
8 DON GARQIE DE NAVARRE.
AFenlçyer anï desseins de noâ lâches tyrans ,
Et , dans ses murs forcés , Imettre^ dia destinée
A couvert ({es horreurs d'un indigne hyménée :
Et je ne cèle point que j'àurôis de l'ennui
Que la globe eti fut:due à quelque autre que l'ai ;
Car un cœur amoureux prend un plaisir extrême
A se voir redevable, Élise ^ à ce qu'il aime;
Et sa flamme timide ose mieux éclater .
Lorsqu^en Êivorisant elle croit s'acquitter.
Oui^ j aime qu un secours qui hasarde sa tête
Semble à sa passion donner droit de conijuéte; \ !
J'aime que mon péril m'ait jetée en ses mains,
Et si les bruits coinmuhs ne sont pas des bruits vains,
Si la bonté'du ciel nous ramène mon frère,
Les vœux les phis ardents que mon cœur puisse fairte ,
C'est que son bras encor sur un perfide sang
Puisse ^ider à ce frère à reprendre son rang^
Et par d'heureux succès d'une haute ^vaillance
Mériter tous les soins de sa reconnoissance.
Mais avec tout oela , sll pousse mon courrpujjc ,
S^il ne purge ses feux de leurs transports jaloux,
Et ne les range aux lois que je lui veux prescrire,
C'est inutilement qu'il prétend done Elvire :
L^hymen ne peut nous joindre; et j'abhorre des nœuds
Qui deviendroient sans douté un enfer pour tous deux,
ÉLISE.
Bien que Fon pût avoir des sentiments tout autres, C^est au prince, madame, à se régler aux vôl;res;
ACTE I, SCÈNE I. 9
Et dans votre billet ils sont si bien marqués, Que , quand 3 les verra de la sorte expliqués. . .
DONE ELVIRE.
Je n'y veux point , Elise, employer cette lettre; C'est un soin qu^à ma bouche il me vaut mieux commettre ; La faveur d un écrit laisse aux mains d'un amant Des témoins- trop constants de notre attachement :
Ainsi donGèmpâch'ez qu^àu prince oh ne la livre.
- • • « ' • »
ELISE»
• "■ • • . • •
Toutes vos volontés sont des lois qu'on doit suivre.
Jadmire cependant que le ciel ait jeté
Dans le goût des esprits tant de diversité ,
Et que ce que les uns regardent comme outrage
Soit vu par d^autres yeux sous lin autre visage.
Pour moi j je trouverois mon sort tout-à-fait doux
Si j avois un amant qui pût être jaloux ; '
Je saurois m'applaudir de son inquiétude :
Et ce qui pour mon âme est souvent un peu rude ,
C'est de voir don Alvar ne prendre aucun souci. . .
• • ■ ■ ' ! ■
r
DONE ELVIRE. .
Kous ne le croyions pas si proche; le voicL .
SCÈNE II.
DONE ELVIRE, DON ALVAR, ÉLISE.
.'DONE ELVIRE.
Votre retour surprend :qu'avez-vous à m'âpprendre-î Pon Alphonse vient-il? a-t-oti lieu de ralteudre ?
10 DON GARCIE DE NAVARRE.
D. ALYAR.
Oui, madame; et ce bère en CastiUe élev£ De rentrer dans ses droits voitle temps arrivié, JusqnHci don Louis , qui yit à sa pradence Par le feu roi mourant commettre son enfance ^ A caché ses destins aux yeux de tout FEtat, Pour Fôter aux fureurs du traître Maurégat: Et bien que le tyran , depuis sa lâche audace , L^ait souvent demandé pour lui rendre sa place ^ Jamais son zèle ardent n'a pris de sûreté A l'appât dangereux de sa fausse équité : Mais 9 les peuples émus par cette violence Que vous a voulu faire tme injuste puissance. Ce généreux vieillard a cru qu'il étoit temps D'éprouver le succès d'un espoir de vingt ans : n a tenté Léon , et ses fidèles trames Des grands comme du peuple ont pratiqué les âmes, Tandis que la Castille armoit dix mille bras Pour redonner ce prince aux vœux de ses États 5 n fait auparavant semer sa renommée, Et ne veut le montrer qu'en tête d'une armée, Que tout prêt à lancer le foudre punisseur Sous qui doit succomber un lâche ravisseur. ' On investit Léon , et don Sylve en personne Commande le secours que son père vous donne.
DOIfE ELVIRE.
Un secours si puissant doit flatter notre espoir;' Mais je crains que mon frère y puisse trop devoir.
-t
0
ACTE I, SCÈNE IL H
D. ALYÀR.
Mais, madame, admirez que, malgré la tempête Que votre usurpateur voit grouder sur sa tète, Tous les bruits de Léon annoncent pour certain: Qu'à la comtesse Ignés il va donner la main.
DONi: ELVIRE.
n cbercbe dans lliymen de cette illustre fille L'appui du grand crédit où se voit sa famille. Je ne reçois rien d'elle, et j'en suis en souci; Mais son cœur au tyran fut toujours endurci.
iLISE.
De trop puissants motifs d'bpnneur et de tendresse Opposent ses refus aux nœuds dont on la presse. Pour....
D. A&VAR.
Le prince entre ici.
SCÈNE III.
D. GARCIE, DONE ELVIRE, D. ALVAR, ÉLISE.
D. GARCIE.
Je viens m'intéresser, IVbdame', au doux espoir qu'il vous vient d'annoncer. Ce frère, qui menace un tyran plein de crimes , Flatte de mon amour les transports légitimes : Son sort ofEre à mon bras des périls glorieux Dont je puis faire bommage à l'éclat de vos yeux, Et par eux m'acquérir^ si le ciel m'est propice^
la DON GARCIE DE NAVARRE.
La gloire d'un revers que vous doit sa justice,
Qui va faire à vos pieds choir Tinfidélité ,
Et rendre â votre sang toute ^ dignité.
Mais ce qui plus me plaît d^une attente si chère,
C'est que, pour être roi, le ciel vous rend ce frère;
Et qu^ainsi mon amour peut éclater au moins .
Sans qu a d'autres motifs on impute ses soins,
Et qu'il soit soupçonné que dans vQtre personne
Il cherche à me gagner les droits dune couronne.
Oui , tout mon cœur voudroit montrer aux yeux de tou$
Qu'il ne regarde en vous autre chose que vous :
Et cent fois, si je puis le dire sans offense ,
Ses vœux se sont armés contre votre naissance;
Leur chaleur indiscrète a d'un destin plus bas
Souhaité le partage à vos divins appas ,
Afin que de ce cœur le noble sacrifice
Pût du ciel envers vous réparer Tin justice.
Et votre sort tenir des mains de mon amour
Tout ce qu'il doit au sang dont vous tenez le jour.
Mais puisque enfin les cieux de tout ce juste hommage
A mes feux prévenus dérobent l'avantage,
Trouvez bon que ces feux prennent un peu d'espoir
Sur la mort que mon bras s'apprête à faire voir,
Et qu'ils osent briguer par d'utiles services
D'un frère et d un État les suffrages propices.
DONE ELVIRE.
Je sais que vous pouvez, prince, en vengeant nos droits. Faire par votre amour parier cent beaux exploi Is ;
ACTE I, SCÈNE III. i3
Mais ce n^est pas assez pour le prix qu'il espère
Que l'aveu d'un État et la faveur d*un frère;
Done Elvire n'est pas au bout de cet effort , i
Et je vous vois à vaincre un obstacle plus fort.
D. GARCIE.
Oui, madame, j'entends ce que vous voulez dire.
Je sais bien que pour vous mon cœur en vain soupire; .
Et Tobstacle puissant qui s'oppose à mes feux,
Sans que vous le nommiez, n'est pas secret pour eux.
DONE ELVIRE.
Souvent on entend mal ce qu'on croit bien entendre ^ Et par trop de chaleur, prince, on se peut méprendre* Mais , puisqu'il &ut parler, désirez-vous savoir . Quand vous pourrez me plaire et prendre quelque espoir 7
D. 04RGIE.* * j'
Ce me sera, madame, une faveur extrême.
DONE ELVIRE.
Quand vous saurez m'aimer comme il faut que Ton aime.
D. GARCIE.
Et que peut-on , hélas I observer sous les deux Qui ne cède à l'ardeur que m'inspirent vos yeux ?
»
DONS ELVIRE.'
Quand votre passion ne fera rien paroître Dont se puisse indigner celle qui Ta fait naître.
D. GARCIE.
.C'est là son plus grand soin.
i4 DON GARCIE DE NAVARRE.
DONE EliVlRE.
Quand tous ses mouvements Ne prendront point de moi de trop bas sentiments.
D. G^ARGIE.
Ils vous révèrent trop.
DONE ELVIRE.
Quand d'un injuste ombrage Votre raison saura me réparer l'outrage, Et que vous bannirez enfin ce monstre affi*eux Qui de son noir venin empoisonne vos feux ; Cette jalouse humeur, dont Fimportun caprice Aux vœux que vous m^ojQtez rend un mauvais office, S'oppose à leur attente, et contre eux à tous coups Arme les mouvements de mon juste courroux.
D. GARCIE.
Ahl madame, il est vrai, quelque effort que je &5se,
Qu'un peu de jalousie en mon cœur trouve place,
Et qu un rival absent de vos divins appas
Au repos de ce cœur vient livrer des combats.
Soit caprice ou raison, j'ai toujours la croyance
Que votre âme en ces lieux souffire de son absence,
Et que, malgré mes soins, vos soupirs amoureux
Vont trouver à tous coups ce rival trop heureux.
Mais , si de tels soupçons ont de quoi vous déplaire,
Il vous est bien facile, hélas! de m y soustraire;
Et leur bannissement, dont j'accepte la loi,
Dépend bien plus de vous qu^ ne dépend de moi.
Oui , c'est vous qui pouvez , par deux mots pleins de flamme, '
ACTE I, SCÈNE lU i5
Contre la jalousie armer tonte mon âme. Et y des pleines clartés d'an glorieux espoir, Dissiper les horreurs que ce monstre y &it choir. Daignez donc étouffer le doute qui m'accable, Et faites qu'un ayeu d'une bouche adorable Me donne l'assurance, au fort de tant d'assauts, Que je ne puis trouver dans le peu que je vaux.
nONE ELVIRE.
Prince, de vos soupçons la tyrannie est grande.
Au moindre mot qu'il dit un cœur veut qu on l'en Vende ,
Et n'aime point ces feux dont Fimportunite
Demande qu^on s'expb'que avec tant de clarté.
Le. premier mouvement qui découvre notre âme
Doit dW amant discret satis&ire la flamme;
Et c'est à s'en dédire autoriser nos voeux
Que vouloû* plus avant pousser de tels aveux.
Je ne dis point quel choix, s'il m'étoit volontaire,
Entre don Sylve et vous mon âme pourroit faire :
Mais voulob vous contraindre à n'être point jaloux
Auroit dit quelque chose à tout autre que vous ;
Et je croyois cet ordre un assez doux langage
Pour n'avoir pas besoin d'en dire davantage.
Cependant votre amour n^est pas encor content ;
il demande un aveu qui soit plus éclatant ;
Pour Fôter de scrupule, il me Êiut à vous-même,
En des termes exprès, dire que je vous aime;
Et peut-être qu'encor, pour vous en assurer,
Vous vous obstineriez à m'en faire jurer.
i6 DON GÂRCIE DE NAVARRE.
D. GARCIE.
Hé bieni madame, hé bien! je suis trop téméraire; De tout ce qui vous plait je dois me satisfaire. Je ne demande point de plus grande clarté : Je crois que vous avez pour moi quelque bonté ^ Que dW peu de pitié mon feu vous sollicite^ Et je me vois heureux plus que je ne mérite. Cen est fait, je renonce à mes soupçons jaloux; L*arrêt qui les condamne est un arrêt bien doux, Et je reçois la loi qu^il daigne me prescrire Pour affiranchir mon cœur de leur injuste emphre.
DONE ELYIRE.
Vous promettez beaucoup, prince; et je doute fort Si vous pburrez sur vous faire ce grand effort.
n. GARGIE.
Ah! madame, il suffit, pour me rendre croyable, Que ce qu on vous promet doit être inviolable, Et que rheuf d'obéir à sa divinité Ouvre aux plus grands efforts trop de facilité. Que le ciel me déclare une étemelle guerre. Que je tombe à vos pieds d'un éclat de tonnerre^ Ou, pour périr encor par de plus rudes coups, Puissé-je voir sur moi fondre votre courroux, Si jamais mon amour descend à la foiblesse De manquer au devoir d'une telle promesse,. Si jamais dans mon âme aucun jaloux transport Fait. .A
/■
ACTE I, SCÈNE IV. 17
SCÈNE IV.
DONE ELVIRE, D. GARCIE, D. ALVAR, ÉLISE5
UN PAGE^ PRÉSENTAIfT U» BILLET A DOHTE ELVIRE.
DONE ELVIRE.
J'en étois en peine, et tu m'obliges fort* Que le courrier attende. *-
SCÈNE V.
I
DONE ELyiRE, D. GARCIE^ D. ALVAR, ÉLISE.
DONE ELVIRE^ bas, à part.
A ces regards qu'il jette , Vois -je pas que déjà cet écrit Tinquiète? Prodigieux effet de son tempérament !
( haut. )
Qui vous arrête, prince, au Inilieu du serment?
D. GARCIE. I
J'ai cru que vous aviez quelque secret ensemble, Et je ne voulois pas Finterrompre.
DONE ELVIRE.
Il me semble Que VOUS me répondez d'un ton fort altéré. Je vous vois tout à coup le visage égaré. Ce changement soudain a lieu de me surprendre : D'où peut-il provenir? le pourroit-on apprendre ?
D. GARCIE.
D'un mal qui tout à coup vient d'attaquer mon cœur.
MoLiknc 2. %
i8 DON GARCIE DE NAVARRE.
DONE ELVIRE.
Souvent plus qu'on ne croit ces maux ont de rigueur, Et quelque prompt secours vous seroit nécessaire. Mais encor, dites-moi, vous prend-il d'ordinaire?
D. GARCIE.
Parfois.
DONE ELVIRE.
Ahl prince foible, hé bien ! par cet écrit, Guérissez-le ce mal; il n'est que dans l'esprit.
n. GARCIE.
Par cet écrit, madame? Ah! ma main le refuse. Je vois votre pensée, et de quoi l'on m accuse. Si. . .
DONE ELVIBE.
Lisez-le, vous dis- je, et satisfaites- vous.
D. GARCIE.
Pour me traiter après de foible , de jaloux ? Non, non : je dois ici vous rendre un témoignage Qu à mon cœur cet écrit n'a point donné d'ombrage; Et, bien que vos bontés m'en laissent le pouvoir, Pour me ^justifier je ne veux point le voir.
nONE ELVIRE.
Si vous vous obstinez à cette résistance, J'aurois tort de vouloir vous faire violence; Et c est assez enfin que vous avoir pressé De voir de quelle main ce billet m'est tracé.
D. GARCIË.
Ma volonté toujours vous doit être soumise.
ACTE I;, SCÈNE V. 19
Si c'est votre plaîsîr que pour vous je le lise , Je consens volontiers à prendre cet emploi.
DONE ELVIRE.
Oui, oui 9 prince^ 1;enez, vous le lirez pour moi.
D. GARGIE.
C^est pour vous obéir au moins; et je puis dire. , .
DONE ELVIEE.
C'est ce que vou^ voudrez ; dépéchez-vous de lire*
D. GARCIE.
Il est de donc Ignés, à ce que je connoi.
DONE ELVIRE.
Oui. Je m'en réjouis et pour vous et pour moi.
D. GARGIE Ut,
« Malgré Feffort d'un long mépris, « Le tyran toujours m aime; et, depuis votre absence, « Vers moi , pour me porter au dessein quHl a pris , « n semble avoir tourné toute sa violence, ce Dont â poursuivait l'aUiance « De vous et de son fils. « Ceux qui sur moi peuvent avoir empire, «Par de lâches motifs qu'un faux honneur inspire,
« Approuvent tous cet indigne lien. K Jignore encor par où finira mon martyre; « Mais je mourrai plutôt que de consentir rien. « Puissiez -vous jouir, belle Elvire, « D'un destin plus doux que le mien!
« D. Ignbs. » Dans la haute vertu son âme est affermie.
\
.*
îto DON GARCIE DE NAVARRE.
DONS ELVIRE.
Je vais faire réponse à cette illustre amîe* Cependant apprenez , prince , à vous mieux armer Contre ce qui prend droit de vous trop alarmer. J'ai calmé votre trouble avec cette lumière j Et la chose a passé dWe douce manière; Mais^ à n^en point mentir, il seroit des moments Où je pourrois entrer en d autres sentiments.
D. GARCIE.
Hé quoi ! vous croyez donc. . . ?
DONE ELVIRE.
Je crois ce qu il faut croire. Adieu. De mes avis conservez la mémoire ; Et, s'il est vrai poux moi que votre amour soit grand, Donnez -en à mon cœur les preuves qu'il prétend»
D. GARCIE.
Croyez que désormais c'est toute mon envie, Et qu'avant d'y manquer je veux perdre la vie.
Flir DU PREMIER ACTE.
DON GARGIE DE NÂVARRC:. v
N^»^«^»^» ^ '<» i^i^^l^P^» #«i^^^»
ACTE SECOND.
SCÈNE I.
ÉLISE, D. LOPE:
, »
ELISE.
To UT ce que fait le priDce , à parler franchement,
N^est pas ce*qui me donne un grand étonnement;
Car, que d'un noble amour une âme bieo saisie
En pousse les transports jusqu^â la jalousie,
Que de doutes fréquents ses vœux soient traversés,
Il est fort naturel, et je lapprouve assez :
Mais ce qui me surprend, don Lope, c'est d entendre
Que Yous lui préparez les soupçons qu^il doit prendre;
Que votre âme les forme, et quil n'est, en ces lieux,
y
Fâcheux que par vos soins, jaloux que par vos yeux. Encore un coup, don Lope, une âme bien éprise . Des soupçons quelle prend ne me rend point surprise ; Mais qu^on ait sans amour tous les soins d W jaloux , C'est un,e nouveauté qui n'appartient qu'à vous*
D. LOPE.
Que sur cette conduite à son aise l'on glose! Chacun règle la sienne au but qu'il se propose ; Et, rebuté par vous des soins de mon amour , Je songe auprès du prince' à bien faire ma cou,r.
aa DON GARCIE OE KAYAk^R*.
ÉLISE.
Mais sâvez-Yous qu^eufin il fera mal la sienne,
S'il faut qu eh cette humeur votre esprit reiitretienne?
D. LOPE.
Et quand, charmante Elise, a-t-on vu, s'il vous plaît,
Qu'on cherche auprès des grands que son propre intérêt;
Qu'un parfait courtisan veuille charger leur suite
D'un censeur des défauts qu on trouve en leur conduite,
Et s'aille inquiéter si son discours leur nuit,
Pourvu que sa fortune en tire quelque finiit?
Tout ce qu'on &it ne va' qu'à se mèitre en lèiir grâce i
Par la plus courte voie on y ôherche une place;
Et les plus prompts moyens de gagner leur faveur,
C'est de flatter toujours le foible de leur cœur,
D'applaudir en aveugle à ce qu'ils veulent faire,
Et n'appuyer jamais ce qui peut leur déplaire :
C'est U le vrai secret d'être bien auprès d eux.
Les utiles conseils font passer pour fâcheux.
Et vous laissent toujours hors de la confidence.
Où vous jette d'abord l'adroite complaisance.
Enfin on voit partout que l'art des courtisans
Ne tend qu'à profiter des foiblesses des grands,
A nourrir leurs erreurs, et jamais dans leur âme
Ne porter les avis des choses qu'on y blâme.
Ces maximes un telnps leur peuvent succéder :
Mais il est des revers qu'on doit appréhender,
Et dans l'esprit des grands, qu'on tâche de surprendre.
ACTE II, SCÈNE I. a3
Un rayon de lumière à la fin peut descendre , Qui sur, tous ces flattleurs venge, équitablement Ce qu'a Eut à leur gloire un long ayeuglement« Cependant je dirai que votre âme s'explique Un peu bien librement sur votre politique ; Et ces nobles moti&, au prince rapportés, Serviroient assez mal vos assiduités.
n. LOPE.
Outre que je pourrois d^avouer sans blâme
Ces libres vérités sur quoi s'ouvre mon âme y
Je sais fort bien qu Elise a l'esprit trop discret
Pour aller divulguer cet entretien secret.
Qu'ai-je dit, après tout, que sans moi Ton ne sache ?
Et dans mon procédé que fautnil que je cache?.
On peut craindre une chute avec quelque raison ,
Quand on met en usage ou ruse ou trahison :
Mais qu aî-je à redouter, moi qui partout n'avance
Que les soins approuvés d'un peu de complaisance ,
Et qui suis seulement par d^utîles leçons
La pente qu'a le prince à de jaloux soupçons?
Son âme semble en vivre, et je mets mon étude
A trouver des raisons à son inquiétude ,
A voir de tous côtés s'il ne se passe rien
A fournir le sujet d'un secret entretien;
Et quand je puis venir,, enflé d'une nouvelle ,
Donner à son repos mie atteinte mortelle,
C'est lors que plus il m'aime, et je vois sa raison
P'une audience avide avaler ce poison.,
24 DON GARCIE DE NAVARRE.
Et m'en remercier comme d*une victoire
Qui combleroit ses jours de bonheur et de gloire. . .
Mais mon rival paroit, je vous laisse tous deux :
Et, bien que je renonce à Fespoir de vos vœux,
Jaurois un peu de peine à voir qu'en ma présence
Il reçût des effets de quelque préférence;
Et je veux j si je puis, m'épargner ce souci.
ÉLISE.
Tout amant de bon sens en doit user ainsi.
SCÈNE U.
D. ALVAR, ÉLISE.
n. ALVAR.
Enfin ftous apprenons que le roi de Navarre Pour les désirs du prince aujourd'hui se déclare, Et qu'un nouveau renfort de troupes nous attend Pour le fameux service où son amour prétend. Je suis surpris , pour moi , qu'avec tant de vitesse On ait fait avancer. . . Mais. . .
SCÈNE IIL
D. GARCIE, ÉLISE, D. ALVAR.
D. GARCIE.
QiTE fait la princesse?
ÉLISE.
Quelques lei£r23, seigneur, je le présume ainsi. Mais elle va savoir que vous êtes ici.
D. GARCIE.
^attendrai qu'elle ait fait.
ACTE II, SCÈNE IV. 23
SCÈNE IV.
D. GARCIE.
Près de souffirir sa vue, Dun trouble tout nouveau je me sens Fâme émue, Et la crainte , mêlée à mon ressentiment , Jette par tout mon corps un soudain tremblement. Prince , prends garde au moins qu'un aveugle caprice Ne te conduise ici dans quelque précipice, Et que de ton esprit les désordres puissants Ne donnent un peu trop au rapport de tes sens : Consulté ta raison, prends sa clarté pour guide; Vois si de tes soupçons l'apparence est solide : Ne démens pas leur voix ; mais aussi garde bien Que, pour les croire trop, ils ne t'imposent rien. Qu'à tes premiers transports ils n'osent trop permettre, Et relis posément cette moitié de lettre. Ah! qu'est-ce que mon cœur, trop digne de pitié, Ne voudroit pas donner pour son autre moitié! Mais , après tout , que dis^ je ? il suffit bien de Tune , Et n'en voilà que trop pour voir mon infortune.
« Quoique votre rival. . . « Vous devez toutefois vous, . . - « Et vous avez en vous à. . . ce L'obstacle le plus grand. . .
a Je chéris tendrement ce. . . « Pour me tirer des mains de. . .
a6 DON GARCIE DE NAVARRE.
« Son amour, ses devoirs. • • « Mais il m'est odieux avec. • .
« Otez donc à vos feux ce. . • « Méritez les regards que Ton. . • « Et lorsiju'on vous oblige. . . <c Ne vous obstinez point à. . . »
Oui, mon sort par ces mots est assez éclairci; Son cœur, comme sa main, se fait connoitre ici, Et les sens imparfaits de cet écrit funeste Pour s'expliquer à moi n'ont pas besoin du reste. Toutefois dans Tabord agissons doucement, Couvrons à l'infidèle un vif ressentiment; Et, de ce que je tiens ne donnant point d'indice, Confondons son esprit par son propre artifice. La voici. Ma raison, renferme mes transports, Et rends-toi pour un temps maitresse du dehors.
SCÈNE V.
DONE ELVIRE, D. GARCIE.
DONE ELVIRE.
Vous avez bien voulu que je vous fisse attendre.
D. GARCIE, bas ^ à paru AL I qu'elle cache bien. . . !
DONE ELVIRE.
On vient de nous apprendre Que le roi votre père approuve vos projets,
ACTi; II, SCtNE V. ay
Et veut bien que son fils nous rende nos sujets ; Et mon âme en a pris une allégresse extrême.
9. 6ARGÎB.
Oui, madame , et mon cœur s en réjouit de même ; Mais...
DONE ELVIRE.
Le ^an , sans doute , aura peine à parer Les foudres que partout il entend murmurer; Et j'ose me flatter que le même courage Qui piit bien me soustraire à sa brutale rage, Et dans les murs d'Âstorgue , arrachée à ses maitis. Me faire un sûr asile à braver ses desseins, Pourra, de tout Léon achevant la conquête, Sous ses nobles efforts faire choir cette tête.
D. GAROIE.
Le succès en pourra parler dans quelques jours. Mais, de grâce, ^passons à quelque autre discours. Puis-j^ , sans trop oser, vous prier de me dire A qui vous avez pris , madame , soin d'écrire , . Depuis que le destin nous a conduits ici?
PONE ELVIRE.
Pourquoi cette demande? et d'où vient ce souci?
D. GARCIE.
D'un désir curieux de pure fantaisie.
DONE ELVIRE.
La curiosité nait de la jalousie.
â8 DON GARCIE DE NAVARRE.
D. GARCIE.
Non y ce n'est rien du tout de ce que vous prisez ^ Vos ordres de ce mal me défendent assez.
DONE ELVIRE.
Sans chercher plus avant quel intérêt vous presse , JTai deux fois à Léon écrit à la comtesse, Et deux fois au marquis don Louis à Burgos. Avec cette réponse êtes-vous en repos?
D. GARCIE.
Vous n'avez point écrit à quelque autre personne, Madame?
DONE ELVIRE.
Non, sans doute; et ce discours m'étonne»
D. GARCIE.
De grâce, songez bien avant que d'assurer. En manquant de mémoire on peut se parjurer.
DONE ELVIRE.
Ma bouche sur ce point ne peut être parjure.
0 D. GiiRGIE.
Elle a dit toutefois une haute imposture.
DONE ELVIRE.
Prince!
D. GARCIE.
Madame !
DONE ELVIRE.
O ciel! quel est ce mouvement? Avez-vous, dites-moi; perdu le jugement?
ACTE II, SCÈNE V. 29
D. GARGIE.
Ouï, oui, je laî perdu, lorsque dans votre vue Jai pris, pour mon malheur, le poison qui me tué. Et que j'ai cru trouver quelque sincérité Dans les traîtres appas dont je hs enchanté.
DONE ELVIRE.
De quelle trahison pouvez-vous donc vous plaindre ?
D. GARGIE.
Ah! que ce cœur est double, et sait bien Fart de feindre! Mais tous moyens de ftiir lui vont être soustraits. Jetez ici les yeux, et connoissez vos traits. Sans avoir vu le reste, il m'est assez facile De découvrir pour qui vous employez ce style.
DONE ELVIRE.
Voilà donc le sujet qui vous trouble lesprit?
D. GARGIE.
Vous ne rougissez pas en voyant cet écrit?
D017E ELVIRE.
Llnnocence à rougir n'est point accoutumée.
D. GARGIE.
n est vrai qu'en ces lieux on la voit opprimée. Ce billet démenti pour n'avoir point de seing. . .
DOKE ELVIRE.
Pourquoi le démentir, puisqu'il est de ma main?
D. GARGIE. '
Encore est-ce beaucoup que, de franchise pure, Vous demeuriez d'accord que c est votre écriture : Mais ce sera sans doute ^ et j'en serois garant,^
3o DON GARCIE DE NAVARRE.
Un billet (ju'on envoie à quelque indifférent; Ou du moins ce qu'il a de tendresse évidente Sera pour une amie ou pour quelque parente.
I
!
DOKB ELVIRE.
Non , c'est pour un amant que ma main la fiirmé, Et, j ajoute de plus^ pour uu amant aimé.
D. OAECIS.
Et je puis, ô perfide!. . .
DONB BliYIllE.
Arrêtez, prince ûod^e. De ce lâche transport l'égarement insigne. Bien que de vous mon cœur ne prenne point de loi^. Et ne doive en ces lieux aucun compte qu'à soi, Je veux bien me purger, pour votre seul supplice, Du crime que m'impose un insolent caprice. Vous serez éclairci, n'en doutez nullement : Jaima défense prête en ce même moment; Vous allez recevoir une pleine lumière; Mon innocence ici paroitra tout entière; Et je veux, vous mettant juge en votre intérêt, Vous faire prononcer vous-même votre arrél.
D. GARG'IE.
Ce sont propos obscurs quW ne sauroit comprendre.
DONE BLVXRE. <
%
Bientôt à vos dépens yons me pourrez entendre. Élise, holà!
ACTE II, SCÈNE VI.
SCÈNE VI.
D. GARCIE, DONE ELVIRE, ÉLISE.
ÉLISE. MAtDAME? DONE BCVIRE, & don Garcie.
Observez bien au moins Si j ose à vous tromper employer quelques soins , Si par un seul coup d^œil'ou geste qui l'instruise Je cherche de ce coup A parer la surprise.
( à Élise. )
Le billet qiœ tantèt ma main ayoit tracé , Répondez promptement, où faYez-yous laissé?
ÉLISE.
Madame, j'ai sujet de m'ayouer coupable;
Je ne sais cosune il est demeuré sur ma table;
Mais ou yient de m'apprendre en ce même moment
Que don Lope yenant dans mon appartement,
Par une liberté qu'on lui yoit se permettre ,
A fureté partout, et trouyé cette lettre.
Gomme il la déplioit, Léonor a youlu
S'en saisir promptement ayant qu'il eût rien lu ;
Et, se jetant sur lui, la lettre contestée
En deux justes moitiés dans leurs mains est restée;
Et don Lope, aussitôt prenant un prompt essor,
 dérobé la sienne aux soins de Léonor*
DONS ELyiRE.
Avez-yous ici Pautre?
3a DON GARCIE DE NAVARRE.
ÉLISE.
Oui 9 la Yoilà , madame.
DONE ELYIRE. ( à don Garcie. ]
Donnez. Nous allons voir qui mérite le blâme. Avec votre moitié rassemblez celle-ci. Lbez, et hautement, je veux lentendre aussi.
D. GARCIE.
Au prince don Garcie. Ah I
D0N£ ELVIRE.
Achevez de lire. Votre âme pour ce mot ne doit point s'interdire.
D. GARCIE lit.
« Quoique votre rival, prince, alarme votre âme, « Vous devez toutefois vous craindre plus que lui; « Et vous avez en vous à détruire aujourd'hui « L'obstacle le plus grand que trouve votre flamme.
« Je chéris tendrement ce qu'a fait don Garcie « Pour me tirer des mains de mes fiers ravisseurs;' « Son amour , ses devoirs , ont pour moi des douceurs , « Mais il m'est odieux avec sa jalousie.
« Otez donc à vos feux ce qu'ils en font paroitre, « Méritez les regards que l'on jette sur eux; « Et lorsqu'on vous oblige à vous tenir heureux, « Ne vous obstinez point à ne pas vouloir Fêtre. .».
DONB ELVIRE.
Hé bien ! que dites -vous ?
ACTE II, SCÈNE VI. 33
D. GAEGIE.
Âh! madame, je dis Qu'à cet objet mes sens demeurent interdits, Qae je vois dans ma plainte une horrible injustice. Et qu'il n'est point pour moi d'assez cruel supplice.
DONE ELYIRE.
n suffit. Apprenez que si j'ai souhaité Qu à vos yeux cet écrit pût être présenté. C'est pour le démentir , et cent fois me dédire De tout ce que pour yous vous y venez de lire. Adieu, prince.
n. GARCIE.
Madame, hélas! où fuyez -vous?
DONE ELYIRE.
Où VOUS ne serez point , trop odieux jaloux.
O. GARGIE.
Âh ! madame j excusez un amant misérable ^
Qu un sort prodigieux a Ëiit vers vous coupable ,
Et qui , bien qu'il vous cause un courroux si puissant.
Eût été plus blâmable à rester innocent.
Car enfin peut-il être une âme bien atteinte
Dont l'espoir le plus doux ne soit mêlé de crainte ?
Et pourriez-vous penses que mon cœur eût aimé.
Si ce billet J&tal ne l'eût point alarmé.
S'il n'avoit point fi:émi des coups de cette foudre
Dont je me figurois tout mon bonheur en poudre?
Vous-même, dites-moi si cet événement
N'eût pas da<ns mon erreur jeté tout autre amant ^
MoLiàaz. 2« 3
34 DON GARCIE DE NAVARRE.
Si d'une preuve, hélas! qui me sembloit si claire Je pouyois démentir. • .
DONE ELVIRE.
Oui , vous le pouviez faire ] Et dans mes sentiments, assez bien déclarés, Vos doutes rencontroient des garants assurés : Vous n'aviez rien à craindre; et d autres, sur ce gage, Auroient du monde entier bravé le témoignage.
D. GARCIE.
Moins on mérite un bien qu^on nous fiiit espérer.
Plus notre âme a de peine à pouvoir s'assurer.
Un sort trop plein de gloire à nos ;^eux est fragile.
Et nous laisse aux soupçons une pente facile.
Pour moi, qui crois si peu mériter vos bontés,
J'ai douté du bonheur de mes témérités^;
«
J'ai cru que, dans ces lieux rangés sous ma puissance. Votre âme se forçoit à quelque complaisance; Que, déguisant pour moi votre sévérité. . .
PONÈ EtVIRE.
Et je pourrois descendre à cette lâcheté! Moi , prendre le parti d'une honteuse feinte , Agir pat" les motifs d'une servile crainte, Trahir mes sentiments, et, pour être en vos mains. D'un masque de faveur vous couvtir mes dédains î La g|loire sur mon cdeur auroit s! peu d'empire! Vous pouvez le penser! et vous me l'osez dire! Apprenez que ce cœur ne sait point s'abaisser. Qu'il n'est rien sous les cieux qUi puisse l'y forcer;
ACTE II, SCÈNE YI. 35
Et, s'il vous a fait voir, par une erreur insîf^e, Des marcpies de bonté doat tou» n'étiez pas digoe. Qu'il saura bien montrer, malgré votre pouvoir, La haine que pouf vous i| se résout d'avoir, Braver votre furie, et vous &ire connaître Qu'il n'a point été lâche et ne veut jamais 1 être;
Hé bien ! je suis coupable , et ne m'tii. défends pas :
Mais je demande grâce à vos divins appas ;
Je la demande au nom de la fim vive flamme
Dont jamais deux beaux yeiïx ^ient fait brûler une âme.
Que si votre courroux ne peut être apaisé ,
Si mon crime est trop grand pour se voir excusé |
Si vous ne regardez ni l'amour q^i le cause ,
Ni le vif repentir que mon cœur vdos expose,
11 ËLut qu'un coup heureux^ on tne faisant mourir^
MTarrache à des tourments que je ne puis soul&ir.
Mon , ne présumez pas qu'ayant su vous déplaire,
Je puisse vivre une heure avec votre colère.
Déjà de xx memmi la barbare longueur
Sous ses cuisants remords fait succocaber mon cœur,
Et dcv mille vautours les biessui^ cruelles
N'ont rien de compatible k cestkuleurs mortelles.
Madame, vous n'avez qu'à me le .déclarer.
S'il n'est point de pardon que je doive espérer,
Cette épée auasitôt, par un coup favorable,
Va peresr i vos yeux le ceeur d'un misérable ,
Ce cœiâr, oe tMMve cœur, dont leS ^perplexités
36 DON GARCIE DE NAVARRE.
Ont si fort outragé vos extrêmes bontés : Trop heureux^ en inonrant, si ce coap légitime EBkce en votre esprit Timage de mon crime , Et ne laisse aucuns traits de TOtre aversion Au foible souvenir de mon affection! C'est Tunique faveur que demande ma flamme^
DONE XLVIRB.
Ah I prince trop cruel !
p. GARCIE.
Dites, parlez, madame.
DONS ELVIRE.
Faut- il encor pour vous cons^rer des bontés, Et vous voir m'outrager par tant d^indîgnités?
D. 6AR0IE.
Un coeur ne peut jamais outrager quand, il aime ; Et ce que fait l'amour, il Texcuse lui-même.'
DONE ELVIRE.
L'amour n'excuse point de tels emportements.
D. GARCIE,
Tout ce qu'il a d'ardeur passe en ses mouvements; Et plus il devient fort, plus il trouve de peine. • «
DONE ELVIRE.
Non, ne m'en parlez point, vous méritez ma haine.
D. GARGIE.
Vous me haïssez donc?
DONE ELVIRE.
Ty veux tâcher au moins : MaiS| hélasl fe trains bien que j'y perde mes soins,
ACTE II, SCÈNE VI. 37
Et qae tout le courroux ^'excite votre offense Ne puisse jusque-là faire aller ma vengeance.
D. 6ARCIE.
D'un supplice si grand ne tentez point l'effort, Puisque pour vous venger je vous offire ma mort; Prononcez-en Farrât, et j'obéis sur l'heure.
DONE ELVIRE.
Qui ne saurpit haïr ne peut vouloir quW meure.
B. GiARCIE.
Et moi, je ne puis vivre, à moins que vos bontés
Accordent un pardon à mes témérités.
Résolvez l'un des deux, de punir, ou d'absoudre.
DONE ELVIRE.
Hélas! j'ai trop fait voir ce que je puis résoudre. Par Taveu d'un, pardon n'est-ce pas se trahir. Que dire au criminel qu'on ne le peut haïr?
D.. GARGIE.
Âh! c'en est trop; soaffi'e;z, adorable princesse. ••
DONE ELVIAÊ.
Laissez ; je me veux mal d'une telle foiblesse.
%
D. GÂRGIS, seuln
Enfin je suis.
. .
38 DON 6ARG1Ë DE NAVARRE.
SCÈNE VU.
D. GARCI5, D. LOPE,
n. EûPB. SjuGNJirvR^ je vicxi^ tou» infiNner D'un secret dont tos feax o&t droit de s dkf mer«
», GÀRCIÇ-
Ne me YÎeixs poiot parler de secret ni d'diarme
Dans les doux mouvements du transport qui me charme.
Après ce qu'à mes yeux on vient de présenter,
Q n^est point de soupçons que je doive écouter j
Et d'un divin objet la bonté sans pareille
À touâfces vains rapports doit fermer mon oreille :
Ne m'en fai$ plus.
D. LOPE.
t ■
Seigneur, je veux ce qull voUs plaît; Mes soins en* tout ceci n'ont que votre intérêt.' J'ai cru que le secret que je viens de surprendre Méritoit'bîcn qu'en hâte on vous le vint apprendre : Mais, puisque vous voulez que je n^en touche rien , Je vous dirai , seiigneur, pour ohangoBr d'^ntEetioot^ Que déjà dans Léoii on voit çb^ue famille Lever le masque au bruit des troupes de QastiUe. Et que surtout le peuple y fait pour son vrai roi Un éclat à donner au tyran de leifroi,
D. GARCIE,
La Castille du moins n aura pas la victoire Sans que nous essayions d en partager la gloire;
ACTE II, SCÈNE VII. « 39
Et nos troupes aussi peuvent être en état D^imprimer ^elque crainte au cœur de Maurégat. Mais quçl est ce secret dont tu voulpis mHnstruire? Voyons un peu.
D. LOPE.
Seigneur, je n'ai rien à vous dire.
D. GARCIE.
Va, va, parlé; mon cœur t'en donne Je pouvoir.
Pf Loy*. Vos paroles, seigneur, m^en ont trop &it savoir; Et puisque pie? avis ont de quoi voua déplaire, Je saurai 4^sormais trouver Yant de me t^ire.
D. OARÇÏE.
Enfin je vçui: savoir la chose absolument*
D. LOP£.
Je ne réplique point à ce commandement.
Mais^ seigueur ^ en ce lieu le devoir de mon z^le
Trahiroit le secret d'une telle nouvelle ;
Sortons pour vous Tapprendre; et ^ §au5Tien eipj?ra§fier,
Vous-même yçqç vçrrez ce qu'on en doit peuseï:.
FIN nV SECOND ACTE.
4o DON GARCIE DE NAVARRE.
ACTE TROISIÈME.
«k I
SCÈNE I.
DONE ELVIRE, ÉLISE.
DORE EI.YIRE.
Elise , que ttis-ta de l'étrange foiblesae , Que vient de témoigner le cœur d\ine princesse? Que dis-tu de me voir tomber si promptemenC De to4le la chaleur de mon ressentiment. Et, malgré tant d'éclat, relâcher mon courage Au pardon trop honteux d'un si cruel outrage?
ÉLISB.
Moi, je dis que d'un cœur que nous pouTous chérir
Une injure, sans doute, est bien dure à souffiir;
Mais que, s'il n'en est point qui davantage irrite,
n n en est point aussi qu'on pardonne si vite.
Et qu'un coupable aimé triomphe à nos genoux
De tous les prompts transports du plus bouillit courroux ,
D'autant plus aisément, madame, quand loifense
Dans un excès d'amour peut trouver sa naissance.
Ainsi p quelque dépit que l'on vous ait causé.
Je ne m'étonne point de le voir apaisé;
Et je sais quel pouvoir, malgré votre menace,
A de pareils forfaits donnera toujours grâce.
ACTE m, SCÈNE I. 4i
DONK BIVIRB.
Âh ! sache , quelque ardeur qui m'im^pose Ses lois y Que mon front a rougi pour la dernière fois , Et que, si désormais on pousse ma colère, n n^est point de retour qu'il faille qu^on espère. Quand je pourrois reprendre un tendre sentiment, Cest assez contre lui que Téclat d'un serment : Car enfin un esprit qu'un peu d orgueil inspire Trouve beaucoup de honte à se pouvoir dédire, Et souvent, aux dépens d'un pénible combat. Fait sur ses propres vœux un illustre attentat, S'obstine par honneur, et n a rien qu'il n'imimole  la noble fierté de tenir sa parole. Ainsi, dans le pardon que l'on vient d'obtenir. Ne prends point de clartés pour régler l'avenir. Et, quoi qu'à mes destins la fortune prépare, Crois que je ne puis être au prince de Navarre, Que de ces noirs accès qui troublent sa raison n n'ait fait éclater l'entière guérison , Et réduit tout mon cœur, que ce mal persécute, A n'en plus redouter laflfront d'une rechute-
ÉLISE.
Mais quel affront nous fait le transport d'un jaloux ?
DONE ELVIRE,
En est-il un qui soit plus digne de courroux? Et puisque notre cœur faitun effort extrême Lorsqu'il se peut résoudre à confesser qu il aime. Puisque l'honneur du sexe, en tout temps rigoureux^
43 DON. QARCIP DE NAVARRE.
Oppose un fort obst^Je 4 i^i pai^eik aveux , L'amam qiÀ v^il pow Iw ^Tv^ncti un tel <^tade Doit-il impimëm^t dou^ ^ eet or^de? Et n est-il pas ço^^able ftlors qu'il ne çcoit pas Ce qu'on ne dît jamb qu aprë$ de grands çembats?
Moi, je tiens que touj^ur^ un peu ^e défiance
En ces occasions n'a rion qui nous offense,
Et qu'il est dangereux qu-uq çoepr qu'on 4 cbanpé
Soit trop persuadé , madaip^, d'être aimé :
Si. . .
nONE B^VIRE.
Ken disputons plu$. Chaçmi a sa pei^séfe. C'est un scrupule enfin dopt .mon ime «$t Ule$aé^ \ Et contre ines désirs je sen$ je ne çais quoi Me prédire un éclat entre U prince et moi^ Qui j malgré ce qu'on doit aux vertus dont il briUe. • , Mais, ô ciel! en c^ iieu;^ don Sylve de Castille! ^
SCÈNE IL
DONE ELYIRE; D. ALPHONSÇ, cru D. SYLVp-
ÉLISE.
âh! seigneur, par quel sprt vous y^is-|e maintenant?
D. ALPHarïSE.
Je sais que mon abord, madame, est surprenant , Et qu'être sans éclat entré dan$ cette ville ^ Dont Tordre d'un rival rend l'accès difficile^
ACTE III, SCÈNE IL 43
Qu'avoir pu me soustraire aux yeux de ses soldats , C'est un événement que vous n^ttendiez pas. Mais si j^ai dans oe& lieux franchi quelques obstacles^ L'ardeur de VQUS revoir peut bien d'autres miracles ; Tout mon cœur a senti par de trop rudes coups Le rigoureux destin d^dti^ éloigné de vous, Et je n'ai pu nier an tourment qui le tue Quelques momenta secrets d'une si chère vue* Je viens vous dire dcmc que je rends grflciei aux eieux De vous voir hors des mains d^un tyran odiei£& : Mais, parmi les douceurs d'une telle aventuré, Ce qui m^est un sujet d éternelle torture, . .
C'est de voir qu^à mon bras les rigueitrs'de mon sert Ont envié l'honneur de cet illustre effi>rt. Et fait à mon lival , avec trop d^injustice , Offinr les doux périls d'un si.&meux servie^. Oui , madame , j'avois , pqur rompre vos liens , Des sentiments sans doute aussi be^ux que les siens; Et je pouvois pour Wus ^gfier cette victoire , Si le ciel n'eût voulu m*en dérober la gloire.
DONÉ ELVXRE. /
Je sais , seigneur, je saiâ que vous ayez un cœur
Qui des plus grands périls vous peut rendre, vainqueur;
Et je ne doute point que ce généreux 2sè}e,
Dont la chaleur vous pousse à venger ma querelle,
N'eût contre les efforts d'un indigne projet. .
Pu faire en ma Ëiveur tout çâ qu'un autre a fait.
Mais , sans cette action dont vous étiei; oapa^ e ,
44 DON GARCIE DE NAVARRE-
Mon sort à la Castille est a^ssez redevable ;
On sait ce qu'en ami plein d'ardeur et de foi
Le comte Totre père a fait pour le feu roi : .
Après Tavoir aidé jusqu'à l'heure dernière,
n donne en ses États un asile à mon frère.
Quatre lustres entiers il y cache son sort
Aux barbares fureurs de quelque lâche effort;
Et^ pour rendre à son front l'éclat d'une couronne,
Contre nos ravisseurs vous marchez en personne.
N'êtes-vous pas content? et ces soins généreux
Ne m attachent-ils point par d'assez puissants nœuds?
Quoil votre âme, seigneur, seroit-elle obstinée
A voukir asservir toute ma destinée ?
Et faut-il que jamais il ne tombe sur nous
L'ombre d'un seul bienfait, qu'il ne vienne de vous?
Ah! souffrez, dans les maux où mon destin m'expose,
Qu'aux soins d'un autre aussi je doive quelque chose;
Et ne vous plaignez point de voir un autre bras
Acquérir de la gloire où le vôtre n'est pas*
D. ALPHONSE.
Oui, madame, mon cœur doit cesser de s'en plaindre. Avec trop de raison vous voulez m'y contraindre; Et c'est injustement qu'on se plaint d'un malheur. Quand un autre plus grand s'offre à notre douleur. Ce secours d'un rival m'est un cruel martyre. Mais, hélas! de mes maux ce n'est pas là le pire : Le coup , le rude coup dont je suis atterré , C'est de m^ voir par vous ce rival préféré.
N
ACTE III, SCÈNE IL 45
Ouï, je ne vois que trop que ses feux pleins de gloire
Sur les miens dans votre âme emportent là victoire;
Et cette occasion de servir vos appas ,
Cet avantage offert de signaler son bras.
Cet éclatant exploit qui vous fut salutaire,
N'est que le pur effet du bonheur de vous plaire,
Que le secret pouvoir d'un astre merveilleux
Qui fait tomber la gloire où s'attachent vos vœux.
Ainsi tous mes efforts ne seront que fumée.
Contre vos fiers tyrans je conduis une armée :
Mais je marche en tremblant à cet illustre emploi.
Assuré que vos vœux ne seront pas pour nioi,
Et que , s'ils sont suivis, la fortune prépare
L'heur des plus beaux succès aux soins de la Navarre»
Â.hl madame, faut-il me voir précipité
De l'espoir glorieux dont je m etois flatté?
Et ne puis- je savoir quels crimes on m'impute.
Pour avoir mérité cette eflfroyable chute?
DONE ELVIRE.
Ne me demandez rien avant que regarder Ce qu'à mes sentiments vous devez demandeur; Et sur cette firoideur qui semble vous confondre Répondez-vous, seigneur ^^ ce que je puis répondre : Car enfin tous vos soins ne sauroient ignorer Quels secrets de votre âme on m'a su déclarer; Et je la crois cette âme et trop noble et trop haute Pour vouloir m'obliger à commettre une £iute. Vous-même , dites-vous s'il est de l'équité
46 DON GARCIE DE NAVARRE.
De me voir couronner une infidélité.
Si vous pouyez m'offirîr sans beaucoup d^in justice
Un cœur à d'autres yeux offert en sacrifice ,
Vous plaindre avec raison , et blâmer mes refiis
Lorsqu'ils veulent d'un crime affiranchir vos vertm.
Oui, seigneur, c'est un crime; et les premières flamme
Ont des droits si sacrés sur les illustres ftmes ,
Qu'il faut perdre grandeurs et renoncer au jour
Plutôt que de pencher vers un second amour«
J'ai pour vous cette aideur que peut p^rendre l'estime
Pour un courage haut, pour un cœur magnanime;
Mais n exigez de moi que ce que je vous dois ,
Et soutenez l'honneur de votre premier choix.
Malgré vos feux nouveaux, voyez quelle tendresse
Vous conserve le cœur de l'aimable comtesse,
Ce que pour un ingrat ( car vous Pètes, seigneur, )
Elle a d'un choix constant refiisé de bonheur;
Quel mépris généreux, dans son ardeur extrâm«,
Elle a fait de l'éclat que donne un diadème :
Voyez combien d'ejffi>rts pour vous elle a bravés,
Et rendez à son cœur ce que vous lui devez.
D. ALPHONSE.
Ah! madame, à mes yeux n'ollrez point son mériiie, Il n'est que trop présent à l'ingrat qui la quitte ;. Et si mon cœur vous <dît ce que pour elle il sent, J'ai peur qu'il ne soit pas envers vous innaceût. Oui , ce cœur lose plaindre , et ne smt pas «ans \^^^ L'impérieux effort de l'amour qui l'entraîne;
ACTE III, SCÈNE tl. I^j
Âacun espoir pour yoiis ii'à Sàtté mes désirs, '
Qui ne m'ait arraché pour elfe des soupira^
Qui n'ait dans ^^ douceurs fait jeter à mëti ânie
Quelques tristes regards vers sa pemière iSamm^,
Se reprocher l'efiet de vos divins attraits ,
Et mêler des remords à mes plus chers^ouhaits.
J'ai fait plus que cela, puis^u'U vdus faut tout dire ;
Oui, j'ai voulu sur moi vous ôter votre empire,
Sortir de votre chaîne, et rejeter mon cœur
Sous le joug innocent de son premier Vainqueur.
Mais, après mes efforts ^ ma constance ahattue
Voit un cours néce^^aire à ce mai qui me tue;;
Et, dût être mon sort à jamais malheureux ,
Je ne puis renoncer à Tespoi^de mes vœtix.
Je ne sauroifi sotifflrir Pépouvantahle idée
De vous voir par un autre à mes yeux possédée ;
Et le flambeau du jour qui m'offre vos appas
Doit avant cet hymen éclairer mon trépas*
Je sais que je trahis une princfeSSe aimable;
Mais, madame, après tout^ mon cœur est-3 coupable?
Et le fort ascendant qiié prend votre beauté
Laisse- t-il aux esprits aucune liberté?
Hélas ! je suis ici bien phis à plaindre qu'elle ;
Son cœur, en mé perdant, tie perd qu'un iûfiéèle ;
D'un pareil déplaisir on se peut consoler :
Mais moi , par un malheur qtti né petit s'égaler ,
J^ai celui de quitter une aiinabk personne,
Et tous les maux encor que mon amour me. donne.
48 DON GARCIE DE NAVARRE.
P0I7E ELVIRE.
Vous n avez que les maux que vous voulez avoir; Et toujours notre coeur est en notre pouvoir: Il peut bien quelquefois montrer quelque foiblesse; Mais enfin sur nos sens la raison est maîtresse. • .
SCÈNE m.
D. GARCIE, DONE ELVIRE, D. ALPHONSE, cko
D. SYLVE.
D. 6AKGIE.
Madame., mon abord, comme je connois bien , Assez mal à propos trouble votre entretien : Et mes pas en ce lieu, s'il faut que je le die, Ne croyoient pas trouver si bonne compagnie.
DONE ELVIAE.
Cette vue, en effet, suiprend au dernier point; Et, de même que vous, je ne Fattendois point*
i). GARCIE.
Oui, madame, je crois que de cette visite.
Comme vous lassurez , vous n'étiez point instruite. ^
( à don Sjlye. )
Mab, seigneur, vous deviez nous faire au moins l'honneur De nous donner avis de ce rare bonheur, Et nous mettre en état, sans nous vouloir surprendre, De vous rendre en ces lieus ce qu on voudroit vous rendre.
J>. ALPHONSE.
Les héroïques soins Vous occupent si fort.
ACTE III, SCÈNE III. 49
Que de vous en tirer, seigneur, j'aurois eu tort; Et des grands conquérants les sublimes pensées "^ Sont aux civilités avec peine abaissées.
D. GARCIE.
Mais les grands conquérants, dont on vante les soins,
Loin d'aimer le secret, affectent les témoins :
Leur âme, dès l'enfance à la gloire élevée,
Les fiiit dans leurs projets aller tête levée ;
Et s appuyant toujours sur de hauts sentiments.
Ne s'abaisse jamais à des déguisements.
Ne commettez-vouS point vos vertus héroïques
En passant dans ces lieux par de sourdes pratiques^
Et ne craignez-vous point qu'on puisse , aux yeux de tous,
Trouver cette action trop indigne de vous?
D. ALBHONSS.
Je ne sais si quelqu'un blâmera fta conduite,
Au secret que j'ai fait d'une tqlle visite;
Mais je sais qu an;x projets qui veulent la clarté ,
Prince , je n ai jamais cherché l'obscurité :
Et , quand j'aurai sui: vous à faire ui^e entreprise ,
Vous n'aurez pas sujet de blâmer la surprise ;
n ne tiendra qu'à vous de vous en garantir.
Et l'on prendra le soin de vous en avertir.
Cependant demeurons aux termes ordinaires ,
Remettons nos débats après d'autre affaires;
Et, d'un sang un peu chaud réprimant ks bouillons ,
N oublions pas tous deux devant qui nous parlons.
MOLI^AE 2. '4
So DON 6ÂRCIE DE NAVARRE.
DONB BLYIRB, à ^n Garcîe.
Prince, VOUS avez t<^; et sa irisite est' t^6) Que vous...
D. GARGIE«
Ah ! c^en est trop que prendra sa ^erelle , Madame; et votre esprit devroit feindre an peu mieux, Lorsqu^il veut ignorer sa venue en ces lieux* Cette chaleur si prompte à vouloir Ja défendre Persuade assez mal (ju elle ait pu vous surprendre.
DONE ELVIRB.
Quoi que vous soupçonniez, il m'importe si peu, Que j^aurois du regret d en faire un désaveu*
D. GARGIE. .
Poussez donc jusquVu bout tet orgueil héroïque, Et que sans hésiter tout votre cœur s^explique; * C'est au déguisement donner trop de crédit. Ne désavouez rien, puisque vous l'avez dit. Tranchez , tranchez le mot , forcez toute conlrainte) Dites que de ses feux vous ressentez latteinte^ Que pour vous isa présence a des charmes si doajic. ; .
DONB EtVIRE.
Et si je veux l'aimer, m en empêcherez- vous? Âvez-vous sur mon cœur quelque empire à prétendrai Et, pour régler mes vœux, ai-je votee ordre à prendre? Sachez que trop d orgueil a pu vous décevoir. Si votre cœur sur moi sVst cru quelque pouvoir. Et que mes sentiments sont d'une âme trop grande Pour vouloir les cacher lorsqu'on me les demanâe.
ACTE m, SCÈNE IIL 5t
Je ne Y0113 dirai point si le comte est aimé :
Mais apprenez ^e moi qu'il est fort estimé;
One ses haute» v^tus, pour qui je m'intéresse,
Méritent mieux que vous le$ vqpuz IPune princesse;
Que je garde aux ardeur^ , aui soips quH me feit voir,
Tout le ressentiment qn^uQ ftipe puisse, avoir;
Et que, si des destiqs la &tale puis^pce
M^ôte la liberté d'être sa récompense ^
Au moins esl-il en moi de promettre & ses yœipc
Qu'on ne me yçrra point le butin de yos feui^. »
Et, sans tous amuser d'une attente ^iyole,
C^est à quoi JQ Ve^gage ; et je tiendrai paroje,
Voilà mon cœur oi^yert , puisque yous le vouiez ^
Et mes vrai^ sentimeqts à vos yeux étalée.
Êtes-vous satjsj^t? et mon âme attaquée
S'est-elle , à votre ^yi? , ^sses bien expliquée ? ■
Voyez , pour vo^ ôter toqt lie^ de soupçonner ^
S'il reste quelt^u^ jc^qr ençorq ^ vqu^ donner*
Cependant si VQS ^oipç s'attachent à me plaire. Songez quç votre })ra$, ÇQinte, m^est nécessaire ^ Et, d'un capricie^i^ qu^}$ <^e çoient les transports^ Qfik punir nos tyrans U dpit tpiis çps efforts. Fermez l'oreille enfii» ^ jQUte ^ ftjrie J Et, pour vous y porteri c'pgt jsxql qui yous en prie.
5a DON GARCIË Dfe NÀYÀRRR
SCÈNE IV.
D GARCIE; D- ALPHONSE, cwj IX SYLVE.
' D. &ÀRCIE.
Tout vous rit, et votre âme en cette occasion Jouit superbement de ma confusion, n vous est doux de voir un aveu plein de gloire Sur les feux d un rival marquer votre victoire : Mais c'est à votre joie un surcroît sans égal, * J^en avoir pour témoins les yeux de ce rival^ Et mes prétentions , hautement étouffées , A vos vœtix triomphants sont d'illustres trophées. Goûtez à pleins transports ce bonheur éclatant : Mais sachez qu'on n'est pas encore où Ion prétend. La fureur qui m^anime a de trop justes causes, Et Ton verra peut-être arriver bien des choses. Un désespoir va loin quand il est échappe, Et tout est pardonnable à qui se voit trompé. Si l'ingrate, à mes yeux, pour flatter votre flamme, A jamais n être à moi vient d'engager son âme, Je saurai bien trouver, dans mon juste courroux. Les moyens d'empêcher qu elle ne soit à vous.
n. ALPHONSE.
Cet obstacle n'est pas ce qui me met en peine. • Nous verrons quelle attente, en tout cas, sera vainc; Et chacun de ses feux pourra , par sa valeur. Ou défendre la gloire, ou venger le malheur. Mais comme^ entre rivaux, Tàme la plus posée
♦ ,
ACTE III, SCÈNE IV. . 53
A des termes d aigreur trouve une pente aisée, Et ^e je' ne yeu^ point qu'un pareil entretien Poissa trop échauflfer Totre esprit et le mien , Prince, affi*anchissez-moi d'une gêne secrète, Et me donnez moyen de Êiire ma retraite.
D.i GRACIE.
Non, non, ne craignez point qa'on pousse votre esprit A viofer ici Tordre qu on vous prescrit. Quelque juste fureur qui me presse et vous flatte. Je sais, comte, je sais quand il faut qu'elle éclate. Ces lieux vous sont ouverts; oui , sortez-en, sortez , Glorieux des douceurs que vous en remportez : Mais, encore une fois, apprenez que ma tète Peut seule dbns vos mains mettre votre conquête*
■
D. ALPHONSE.
Quand nous en serons là, le sort en notre bras De tous nos intérêts videra les débats.
riN DU TROISIEME ACTE.
< ••
54 DON GÂRCIE DE NAVARRE.,
ACTE QUATRIÈME.
ji r.
SCÈNE L
DONE ELVIREj D. ALVAft.
DONE SLVIRE.
Retournez , don Alvar, et perdè^ Tèisfîéralicé De me persuader loilUi 'àt celttt offeâdè. Cette plaie entnoB cœur îitB sauroît isè gnérir^ Et les soins ç[^ii'on en prend ne font den que f^grin A (juelijues faux respects 6roit41 que je défère? Non , non , il a poussé trop avant knâ Côlèré ; Et son vain repentir qui porte ici vos pas^ Sollicite un pardon que vous n'obtiendrez pas,
D. ALVAR.
Madame, il fait pitié : jamais cœur, que je pense, Par un plus vif remords n'expia son offense; Et , si dans sa douleur vous le ^nsidériez , H toucheroit votre âme, et vous Texcuseriez. On sait bien que le prince est dans un âge à suivre Les premiers mouvements où son âme se livre, Et qu en un sang bouillant toutes les passions Ne laissent guère place â des réflexioilS* Don Lope, prévenu d'ui^e fausse lumière ^
ACTE IV, SCÈNE I. 5S
De Terreur de son maître a fourni la manière. Un bruit assez confiis, dont le zèle înâîscret A de l'abord du comte éventé le secret) Vous avoit mise aussi de cette inlelUgence- Qui , dans ces lieux gardés , a donné sa présence» Le prince a cru Tavis; et son amour séduit Sur une fausse alarme a &it tout ce grand bruit. Mais d'une telle erreur son âme est revenue : Votre innocence enfin lui vient d'éfte connue ; Et don Lope qu'il chasse est un visible effet Du vif remords qu'il sent de l'éclat qu'il a fait.
DONE ELVIRE.
Ah! c'est trop promptement qu'il croit mon innocence, Il n'en a pas encore une entière assurance : Dites-lui, dites-lui qu'il doit bien tout peser , Et ne se hâter point, de peur de s'abuser,
n« alvàr.
Madame , il sait trop bien. . .
DON£ ELVIRE.
Mais, don Alvar, de grfcc, N'étendons pas plus loin un discours qui me lasp -, lU^veille un cliagrin qui vient à contre-temps En troubler dans mon cœur d'autres plus importants. Qui, ^LU^ trop grand malheur la surprise me presse, Et le bruit du trépas de Tillustre comtesse Doit s'emparer si bien de tout mon déplaisir, ' Qu'aucun autre souci n'a droit de me saisir.
5(5 DON GARCIE DE NAVARRE.
. D. ALVAJI.
Madame, ce peut être une fausse nouvelle; Mais mon retour au prince en porte une cruelle.
DONE ELVIRE.
De ({uelq[ue grand ennui qu'il puisse être agité^ Il en aura toujours moins qu'il n^a mérité.
SCÈNE ii:
DONE ELVIRE, ÉLISE.
ELISE.
JaTtendois qu'il sortit, madame, pour vous dire Ce qu il faut maintenant que votre âme respire, Puisque votre chagrin, dans un moment d'ici, Du sort de dofte Ignés peut se voir éclairci. Un inconnu, qui vient pour cette confidence, Vous &it par un des siens demander audience.
DONE ELVIRE.
Élise, il faut le voir) qu'il vienne promptemeut.
ÉLISE.
MaU il veut n'être vu que de vous seuleiment;
Et par cet envoyé, madame, il sollicite
Qu^il puisse sans témoins vous rendre sa tlM^ite.
DONE ELVIRE.
Hé bien! nous serons seuls, et je vais l'ordonAer Tandis que tu prendras le soin de l'amener. Que mon impatience en ce moment est forte! Q destins! est-ce joie ou douleur quVn m'apporte?
ACTE IV, SCÈNE III. 57
SCÈNE III.
«
D. PEDRE, ÉLISE.
iLISE,
oi... i
D. PiDRB.
Si vous me cherchez, madame , me voici*
ÉLISE.
En qnel lieu votre maitre 7
D. PÂDRE.
Il est proche d'ici. • Le ferai- je venir?
ELISE.
Dites-lui qu'il s'avance , Assm^ qu'on l'attend avec impatience y * Kt qu'il ne se verra d'aucuns yeux éclairé.
(seule.)
Je ne sais quel secret en doit être auguré ; Tant de précautions qu'il affecte de prendre. . • Mais le voici déjà.
SCÈNE IV.
DONE IGNÉS, DÉGUISÉE en hommej ÉLISE.
lELISE.
Seigneua, pour vous attendre On a Ëtit. . . Mais que vois-je 7 Âh 1 madame , mes yeux. . . f
DONE iGNis. ^e me découvrez point, Élise, dans ces lieux,
58 DON GARCIE DE NAVARRE.
Et laissez respirer ma triste destinée Sous une feinte mort que je me suis donnée. GW elle qui m arrache à tous mes fiers tyrans, Car je puis sous ce nom comprendre mes parents; J'ai par elle évité cet hymen redoutable, Pour qui j'aurois souffert une mort yéritable ; Et sous cet équipage et le bruit de ma mort , Il faut cacher à tous le secret de mon sort , Pour me voir à l'abri de l'injuste poursuite Qui pourroit dans ces lieux persécuter ma fuite.
^LISE.
Ma surprise en public eût trahi vos désirs; Mais allez là-dedans étouffer des soupirs, Et des charmants transports d^un« pleine allégresse Saisir à votre aspect le cœur de la princesse : Vous la trouverez seule; elle-même a pris soin Que votre abord fiit libre, et n'eût aucun témoin.
SCÈNE V.
D. ALVAR, ÉLISE.
ÉLISE.
Vois- JB pas don Alvar?
n. ALVAR.
Le prince me renvoie Vous prier que pour lui votre crédit s emploie. De ses jours, belle Élise, on doit n'espérer rien, S'il n'obtient par vos soins un moment d'entretien. Son âme à des transports. . . Mais le voici lui-méBie.
ACTE IV, SCÊNË Vl. Sg
SCÈNE VI.
D. GARCIE, ÏK ÂLVÂR, ÉLISE.
1» D. GARCIE.
Ah! sqjfi un peu sensible à ma disgrâce extrême, Elise, et prends pitié d^un cœur infortuné Qu^auz plus vives douleurs tu vois abandonné.
£fIS£.
G^est avec d'autres yeux que ne fait la princesse ^ Seigneur^ <|ae je verrois le tourmetit qui vous jMresM i Mais nous avons dtt ciel, ou du tempérament^ Que nous jugeons de tout chacun diversement; Et puiscju elle vous blâme , et que sa fantaisfe Lui fait un monstre affreux de votre jalousie, Je serois complaisant, et voudrois m'efForcer De cacher à ses yeux ce qui peut les blesser. IM amant suit sans doute une utile méthode, S'il Ëtit qu'à notre humeur la sienne s'accommode; Et cent devoirs font moins que ces ajustements Qui font croire en deux cœurs les mêmes sentiments. L'art de ces deux rapports fortement les assemble, ' Et nous n'aimons rien tant que ce qui nous ressemble.
•
D. GARGIB.
Je le sais : mais, hélas! les destins inhumains S'opposent à YeSët de ces justes desseins, Et, malgré tous mes soins, vieniftnt toujours me tendre Un piège dont mon cœur ne sauroit se défendre.
6o DON GARCIE DE NAVAsRRE.
Ce n'est pas cpie l'ingrate, aux yeux <fe mon rival, N'ait Eût contre mes feux un aveu trop fatal, Et témoigne pour lui des excès de tendresse Dont le cruel objet me reviendra sans cesse : Mais comme trop d ardeur enfin m'avoit séduit Quand j^ai cru qu^en ces lieux elle l'eut introduit^ ' D'un trop cuisant ennui je sentirois Fatteinte A lui laisser sur moi quelque sujet de plainte. Oui , je veux faire au moins , si je m'en vois quitté , Que ce soit de son cœur pure infidélité^ Et, venant m^excuser d^un trait de promptitude. Dérober tout prétexte à son ingratitude.
ELISE.
Laissez un peu de temps à son ressentiment, Et ne la voyez point, seigneur, si promptement.
D. GARCIE.
*
Ah ! si tu me chéris , obtiens que je la voie s .
C'est Une liberté qu'il fîiut qu'elle m'octroie :
Je ne pars point d'ici , qu'au moins son fier dédain. . •
ÉLISE.
De grâce , différez l'effet de ce dessein.
D. GARCIE. t
Non , ne m'oppose point une. excuse frivole.
ELISE, à part.
Il faut que ce soit elle , avec une parole, Qui trouve les moyens de le faire en aller.
(à don Garcie. )
Demeurez donc, seigneur; je m'en vais lui parler^
ACÏE IV, SCÈNE VI. 6i
D. 6ARGIE.
Dis-lui que j^ai d'abord banni de ma présence
Celui dont les avis ont causé mou offense; ^
Que don Lope jamais. . .
i. SCÈNE VIL
D. GARCIE, D. ALVAR.
D. GARCIE, regardant par la porte qu'Élise a laissée
entr'ou verte.
Que vois-je, ô justes cieux! Faut-il que je m'assure au rapport de mes yeux ! Âh! sans doute, ils me sont des témoins trop fidèles. Voilà le comble affireux de mes peines mortelles; Voici le eoup fatal qui devoit m'accabler : Et quand par des soupçons je me sentois troubler, Cétoit, cetoit le ciel, dont la sourde menace Présageoit à mon cœur cette horrible disgrâce.
D. ALYAR.
Qu'avez-vous vu, seigneur, qui vous puisse émouvoir?
D. GARCIE.
fki vu ce que mon âme a^peine à concevoir; Et le renversement de toute la nature Tie m'étonneroit pas comme cette aventure. C'en est fait. . Le destin. . . Je ne saurois parler.
D. ALVAR.
Seigneur, que votre esprit tâcbe à se rappeler. .
D. 6ABCIB«
J'ai vu. • . Vengeance , ô ciel I
69 DON QÂRCIE DE NAVARRE.
QueUe atteinte soudaine, • •
D« GARCIS.
Ten monirai, don Alyar; la chose est bien certaine*
3 D. ÀLVAR.
Mais, Seigneur, qui pourroit. . . '^
Ah! tout est ruiné! Je suis, je suis trahi, je suis assassiné: Un homme (sans mourir te le puis- je bien dire?), Un homme dans les bras de Tinfidèle Elvire !
D. ALYAR*
Ah ! seigneur, la princesse est vertueuse au point, , .
D. GARCI£.
Ah ! sur ce que j^ai vu ne me conteste point , Don Alvar; c en est trop que soutenir sa gloire. Lorsque mes yeu? font foi d'une actiou si noire.
n, ALyAR.
Seigneur, nos passions nous font prendre 30uvent Pour chose véritable un objet décevant; Et de croire qu'uoe âme à la vertu nourrie Se puisse. . .
n. GARCIE«
Don Alvar, laissez-moi, je vous prie : Un conseiller me choquf? ep cettç occasion , Et je ne prends avis que de ma passion.
D. 4.LVAR, à part*
n ne faut rien répondre à cet esprit £u:ouche.
ACTE IV, SCÈNE VIL 63
0. GAKGIS.
Al! que simaiblaDezit cette atteinte me touche! Mais il faut voir qui c'est , et de ma main punir. • • La voici. Ma fureur^ te peux-tu retenir ?
SCÈNE vni. '
DONE ELVWE, D. GARCIE, D. ALVAR.
DONE ELVIRE.
Hi bien! que voulez-vous? et quel espoir de grâce} Après vos procédés, peut flatter votre audace? Osez-vous à mes yeux encor vous présenter? Et que me direz-vous que je doive écouter?
D. GARCIE.
Que toutes les horreurs dont une âme est capable A vos déloyautés n'ont rien de comparable; Qae le sort, les démons, et le ciel en courroux, N ont jamais rien produit de si méchant que vous.
DONB ELVIRE.
Ahl vraiment j'attendois l'excuse d'un outrage, Mais, à ce que je vois, c'est un autre langage*
n. GARCIE.
Oui , oui, c en est ua autre ; et voust n^atteudiez pas Que j'eusse découvert le tfaitré dans vos bras; Qu'un funeste hasaid, par la porte entrouverte,. Eût offert à mes yeux votre honte et ma perte. Est-ce l'heureux amant sur ses pas revefiiu. Ou quelque autre rival qui mutait inconnu?
64 DON GARCIE DE NAVARRE.
O ciel, donne à mon cœur des forces suffisantes
Poui: pouvoir supporter des douleurs si cuisantes !
Rougissez maintenant, vous en avez raison,
Et le masque est levé de votre trahison.
Voilà ce que iflarquoient les troubles de mon âme ,
Ce n'étoit pas en vain que s^alarmoit pia flamme; '
Par ces fréquents soupçons qu'on trôuvoit odieux,
Je cherchois le malheur qu'ont rencontré mes yeux-^
Et, malgré tous vos soins et votre adresse à feindre,
Mon astre me disoit ce que j^avois à craindre.
Mais ne présumez pas q«e, sans être vengé.
Je sou£Sre le dépit de me voir outragé.
Je sais que sur les vœux on n'a point de puissance ^
Que l'amour veut partout naître sans dépendance,
Que jamais par la force on n'entra dans un cœur j
Et que toute âme est libre à nommer son vainqueur :
Aussi ne trouverois-je aucun sujet de plainte,
Si pour moi votre bouche a voit parlé sans feinte ; *
Et , son arrêt livrant mon espoir à la mort ,
Mc^n cœur n auroit eu droit de s'en prendre qu'au sort.
Mais d'un aveu trompeur voir ma flamme applaudie,
C est une trahison, c'est une perfidie.
Qui ne sauroit trouver de trop grands châtiments;
Et je puis tout permettre à mes ressentiments.
Non , non , n espérez rien après un tel outrage ;
Je ne suis plus à moi , je suis tout à la rage.
Trahi de tous cfttés, mis dans un triste état ,
Il faut que mon amour se venge avec éclat,
ACTE IV, SCÈNE VIII. 65
Qulci j'immole tout â ma fureur extrême, Et que mou désespoir achève par moi>-même.
DÔNE ELVIRE.
Assez pabiblement vous a-t-^n écouté? Et pourrai- je à mon tour parler eu liberté?
D. GARCIE.
Et par quels beaux discours que l'artifice inspire* . .
DONE ELVIKE.
Si vous avez encor quelque chose à me dire, Vous pouvez rajouter, je suis prête à Touïr; SiuoD, faites au moins que je puisse jouir De deux ou trois moments de paisible audience.
D. GARCIE.
Hé bien! j'écoute. O ciel! quelle est ma patience!
DONE ELVIRE.
Je force ma colère, et veux, sans nulle aigreur, Répondre à ce discours si rempli de fureur.
D. GARCIE.
C'est que vous voyez bien. . .
DONE ELVIRB.
^ Ah ! j'ai prêté Foreille Autant qu'il vous a plu; rendez-moi la pareille. J'admire mon destin, et jamais sous les cîeux 11 ne fut rien , je crois , de si prodigieux , Rien dont la nouveauté soit plus inconcevable, Et rien que la raison rende moins supportable. Je me vois un amant qui , sans se rebuter , Applique tous ses soins à me persécuter*,
MoLlàAE. 2.
66 DON GARCIE DE NAVARRE.
Qui, dans tout cet amour que sa bouche m exprime ^ Ne conserve pour moi nul sentiment d estime; Rien au fond de ce cœur qu'ont pu blesser mes yeux Qui ùisse droit au sang que j ai reçu des cieux. Et de mes actions dé&nde Tinnocence Contre le moindre effort d'une fausse apparence. Oui, je vois...
( Don Garcie- montre de Timpatience pour parler. )
Ah! surtout ne m'interrompez point. Je vois, dis- je, mon sort malheureux à ce point. Qu'un cœur qui dit qu'il m'aime ; et qui doit faire croire Que, quand tout l'univers douteroit de ma gloire. Il voudroit contre tous en être le garant. Est celui qui s'en fait lennemi le plus grand. On ne voit échapper aux soins que prend sa flamme Aucune occasion de soupçonner mon âme : Mais c'est peu des soupçons; il en fait des éclats Que, sans être blessé, l'amour ne souffre pas. Loin d'agir en amant qui, plus que la mort même, Appréhende toujours d'offenser ce qu'il aime , Qui se plaint doucement, et cherche avec respect A pouvoir s eclaircir de ce qu'il croit suspect, A toute extrémité dans ses doutes il passe. Et ce n'est que fureur, qu'injure et que menace. Cependant aujourd'hui je veux fermer les yeux Sur tout ce qui devroit me le rendre odieux. Et lui donner moyen , par une bonté pure , De tirer son salut d'une nouvelle injure.
ACTE, IV, SCÈNE VIII. 67
Ce grand emportement qu^U ];aa fallu souffirir Part de ce qu'à td6 yeux le hasard yi^ût d^offrir* J'aurois tort de vouloir démentir votre vue , Et votre âme sans doute a dû parojitre imue«
D, GARCIE.
Et n'est-ce pas,..
DOUB £LyiR£.
Encore un peu d^attentioui Et vous allez savoir ma résolution, n faut que de nous deux le destin s accomplisse. ^ Vous êtes maintenant sur un grand précipice; Et ce que votre cœur pourra délibérer Va vous y faire choir, ou bien vous en tirer. Si y malgré cet objet qui vous a pu surprendre, Prince, vous me rendez ce que vous devez rendre , Et ne demandez point d'autre preuve que moi Pour condamner l'erreur du trouble où je vous voi; Si de vos sentiments la prompte déférence Veut sur ma seule foi croire mon innocence ^ Et de tous vos soupçons démentir le crédit, Pour croire aveuglément ce que mon cœur vous dit ^ Cette soumission, cette marque d'estime, Du passé dans ce cœur eSace tout le crime ; Je rétracte à l'instant ce qu'un juste courroux M'a fait dans la chaleiir prononcer contre vous 3 Et si je puis 'un jour choisir ma destinée Sans choquer les devoirs du rang où je suis née ^ Mon honneur ) satisfait par ce respect soudain ^
68 DON ÔARCIE t)E NAVARRE.
Piomet à votre amour et mes vœux et ma main.
Mais, prêtez bien l'oreille à ce que je vais dire,
Si cette offire sur vous obtient si peu d'empire
Que vous me refusiez de me faire entre nous
Un sacrifice entier de vos soupçons jaloux;
S'il ne vous suffit pas de toute lassurance
■Que vous peuvent donner mon cœur et ma naissance.,
Et que de votre esprit les ombrages puissants
Forcent mon innocence à convaincre vos sens.
Et porter à vos yeux Téclatcint témoignage
D'une vertu siilcère à qui Ton fait outrage ,
Je suis prête à le faire, et vous serez content :
Maia il vous &ut de moi détacher à l'instant,
A mes vœux pour jamais renoncer de vous-même :
Et j'atteste du ciel la puissance suprême
Que, quoi que le destin puisse ordonner de nous,
Je choisirai plutôt d'être à la mort qu'à vous.
Voilà dans ces deux choix de quoi vous satisfaire :
Avisez maintenant celui qui peut vous plaire.
D. GARCIE.
Juste ciel! jamais rien peut-il être inventé Avec plus ^d'artifice et de déloyauté! Tout ce que des enfers la malice étudie A-t-il rien de si noir que cette perfidie ! Et peut-elle trouver dails toute sa rigueur Un plus cruel moyen d'embarrasser un cœur! Ah! que vous savez bien ici contre moi-même. Ingrate, vous servir de ma foiblesse extrême, •
ACTE IV, SCÈNE VIII. . 69
Et ménager pour vous l'effort prodigienz De ce fatal ao^our né deyos traîtres y^ux.!. Parce qu'on est surprime et qu'on manque d'eiLCUse, D'une offire de pardon on emprunte la ruse : Votre feinte douceur forge un amusement Pour divertîr l'eftet de mon ressentiment; Et, par le nœud subtil du choix qu'elle embarrasse, Veut soustraire un perfide au coup qui le menace. Oui, vos dextérités veulent me détourner D'un éclaircissement qui vous doit condamner; Et votre âme , feignant une innocence entière , Ne s'o£Bre, à m'en donner une pleine lumière Qu'à des conditions qu^après d^ardents souhaits Vous pensez que mon cœur n'acceptera jamais. Mais vous serez trompée en me croyant surprendre : Ouï, oui , je prétends voir ce qui doit vous défendre , Et quel Ëimeux prodige, accusant ma fureur, Peut de ce que j'ai vu justifier l'horreur.
DONE ELVlRE.
Songez que par ce choix vous allez vous prescrire De ne plus rien prétendre au cœur de done Elvire.
I). GARClE.
* Soit : je souscris à tout; et mes vœux aussi-bien, En l'état où je suis, ne prétendent plus rien.
DONE ELVIRE.
Vous vous repentirez de l'éclat que vous Êiites.
. D. IG^ARCIE.
Non, non, tous ces ^scours sont de y^ipes défîtes;
70 DOIÎ ÔÀftClËbE NAVARRE.
Et c'est moi bien plutôt qui dois vous avertir Que quelque autre dam peu se pouita repentir : Le traître, quel qu'il soit, n'aura pas l'avantage De dérober sa vie à Feifort de ma rage.
nONE ELVIRE.
^ Ah! c'est trop çri souffrir; et mon cœur irrité Ne doit plus conserver une sotte bonté; Abandonnons l'ingrat à son propre caprice; Et, puisqu'il veut périr, consentons qu'il périsse.
( à don Garcie. ^
Élise. . . à cet éclat vous voulez me forcer;
Mais je vous apprendrai que c*est trop m'offenser:
SCÈNE IX. DONE ELVIRE, D. GARCIE, ÉLISE, D, ALYAR.
DONS ELVIUE, à Élise.
Faites un peu sortir la personne chérie. . . Allez, vous m entendez, dites que je l'en prie.
D. GARCIE.
Et je puis. . .
DONE ELVIRE.
Attendez , vous serez satisfait.
ÉLISE, à part, en sortant.
Voici de son jaloux sans doute tm nouveau trait.
DONB BLVIHE.
Prenez garde qu'au moins cette noble colèi^e
ACTE IV, SCÈNE IX. yç
Dans la même fierté jusqu'au bout persévère;
Et surtout désormais songez bien à quel prix >
Vous ayez voulu voir vos soupçons éclaircis.
SCÈNE X.
DONE ELVIRE, D. GARCIE; DONE IGNÉS, DÉGUISÉE EN homme; ÉLISE, D. ALVAR.
DONE ELVIRE,à don Garcîe, en lui montrant done Ignés.
Voici, grâces au ciel, ce qui les a fait naître
Ces soupçons obligeants que l'on me fait paroitre;
Voyez bien ce visage, et si de done Ignés
Vos yeux au même instant n'y connoissent les traits.
D. 6ARGIE.
Ociel!
DONE ELVIRE.
Si la fureur dont votre âme est émue Vous trouble jusque-là l'usage de la vue, Vous avez d'autres yeux à pouvoir consulter, Qui ne vous laisseront aucun lieu de douter. Sa mort est une adresse au besoin inventée Pour fuir l'autorité qui Ta persécutée ; Et sous un tel habit elle cachoit son sort Pour mieux jouir du finit de cette feinte mort.
( k done Ignè«. )
Madame , pardonnez s il faut que je consente A trahir vos secrets et tromper votre attente : Je me vois exposée à sa témérité >
711 DON GARCIE DE NAVARRE.
Toutew«i mes actions n'ont plus de liberté ;
Et mon honnçur, en butte aux soupçonsqu'il peut pren4re ,
Est réduit à toute heure aux soins de se défendre.
Nos doux embrassements, qu'a surpris ce jaloux,
De cent indignités m'ont fkit^souflBrir les coups.
Qui , voilà le sujet d^une fureur si prompte ,
Et rassuré témoin qu'on produit de ma honte.
( à don Garcie.)
Jouissez à cette heure en tyran absolu De l'éclaircissement que vous avez voulu : Mais sachez que j'aurai sans cesse la mémoire De Foutrage sanglant qu'on a fait à ma gloire , Et, si je puis jamais oublier mes serments, Tombent sur moi du ciel les plus grands châtiments. Qu un tonnerre éclatant mette ma tête en poudre, (lOrsqu à souffrir vos feux je pourrai me résoudre ! Allons, madanie, allons, ôtons-noiis de ces Ueux Qu'infectent les regéirds d\ui monstre fi^rieux; Fuyons-en promptement Fatteinle enveninjée j Evitons les effets de sa rage animée, Et ne faisons des vœux, dans nos justes desseins. Que pour nous voir bientôt afl^anchir de ses mains.
DONE IGNÉS, à dan Garcie^
Çeigneur, de vos soupçons l'injuste violence A la même vertu vient de faire une offense.
ACTE IV, SCÈNE XI. 73
SCÈNE Xî.
D. GARCIE, D. ALVAR.
D. 6ARGIE.
Quelles tristes clartés, dissipant mon erreur, Enveloppnt mes sens d'une profonde horreur, Et ne laissent plus voir à mon âme abattue Que FeABroyable objet dHxn remords qui me tue! Ah! don Alvar, je vois que vous avez raison; Mais l'enfer dans mon cœur a soufflé son poison , Et, par un trait fatal de sa rigueur extrême , Mon plus grand ennemi se rencontre en moi-même. Que me sert-il d'aimer du plus ardent amour Qu'une âme consumée ait jamais mis au joui^, Sij par ces mouvements qui font toute ma peine, Cet amour à tout coup se rend digne de haine? Il faut, il faut venger par mon juste trépas L'outrage que j'ai fait à ses divins appas ; Aussi-bien quels conseils aujourd'hui puis- je suivre? Ah! j'ai perdu l'objet pour qui j'aimois à vivre. Si j'ai pu renoncer à Tespoir de ses vœux, Renoncer à la vie est beaucoup moins fâcheux.
D. ALVAR.
Seigneur. • .
D. GARCIE.
Non, don Alvar, ma mort est nécessaire; D n est soins ni raisons qui m'en puissent distraire ; Mais il faut que mon sort, en se précipitant ^
74 DON GARGIE DE NAVARRE.
Rende à cette princesse an service éclatant;
Et je veux me chercher dans cette illustre envie
Les moyens glorieux de sortir de la vie,
Faire, par un grand coup qui signale ma foi,
Qu'en expirant pour elle elle ait regret à moi,
Et qu^elle puisse dire en se yoyant yeilgée :
ce C^est par son trop d'amour qu'il m aypit outragée^ »
Il faut que de ma main un illustre attentat
Porte une mort trop due au sein de Maurégat,
Que j^aille prévenir par une belle audace
Le coup dont la Castille avec bruit le menace ;
Et j'aurai la douceur, dans mon instant fatal ,
De ravir cette gloire à Fespoir d'un ri^al.
D. ALVAR.
Un service , seigneur, de cette conséquence Auroit bien le pouvoir d'efiacer votre offense ; Mais hasarder. . .
_ D. GARGIE.
Allons, par un juste devoir. Faire à ce noble eflfort servir mon désespoir.
FIN DU QUATRIÈME ACTE.
DON GARCIE DE NAVARRE. 78
ACTE CINQUIÈME.
SCÈNE L
.D. ALVAR, ÉLISE.
D. ALVAR.
Oui, jamais il ne fut de si rude surprise.
Il venoit de former cette haute entreprise ;
 Tavide désir d'immoler Màurégat
De son prompt désespoir il toumoit tout l'éclat;
Ses soins précipités youloient â son courage
De cette juste mort assurer layantage,
Y chercher son pardon, et prévenir Fennui
QuW rival partageât cette gloire avec lui;
II sortoit de ces murs ; quand un bruit trop fidèle
Est venu lui porter la fâcheuse nouvelle
Que ce même rival qu'il vouloit prévenir
A remporté l'honneur qu il pensoit obtenir ^
L'a prévenu lui-même en immolant le traître, ,
Et poussé dans ce jour don Alphonse à paroître,
Qui dun si prompt succès va goûter la douceur,
Et vient prendre en ces lieux la princesse sa soeur
Et, ce qui n'a pas peine à gagner là croyance ,
On entend publier que c^est la récompense
Dont il prétend payer le service éclatant
Du bras qui lui &it jour au trône qui l'attend.
76 DON GARCIE DE NAVARRE.
' Oui, done Elvîre a su ces nouvelles semées, Et du vieux don Louis les trouve confirmées, Qui vient de lui mander que Léon dans ce jour De don Alphoi^se et d'elle attend Fheureux retour; Et que c'est là qu'on doit, par un revers prospère, Lui voir prendre un époux de la main de ce frère. Dans ce peu qu'il en dit, il donne assez à voir . Que don Sylve est Fépoux qu elle doit recevoir,
D. ALVAK.
Ce coup au cœur du prince. . •
ELISE.
Es^t sans doute bien rudej Et je le trouve à plaindre en son inquiétude. Son intérêt pourtant, si j^en ai bien jugé, Est encor cher au cœur qu'il a tant outragé; Et je n'ai point connu qu'à ce succès qu on vante La princesse ait fait voir une âme fort contente De ce frère qui vient, et de la Içttre aussi : Mais...
• SCÈNE II.
»
DONE ELVIRE; DONE IGNÉS, déguisée en homme; élise, DON ALVAR.
DONE ELVIRE.
Faites, don Alvair, venix le prince ici..
( Don AlVar sort. ) *
Souffi'ez que devant vous je lui parle, madame,
ACTE V, SCÈNE IL 77
Sur cet ëyénement dont on surprend mon âme ;
Et ne m'accusez point d'un trop prompt changement,
Si je perds contre lui tout mon ressentiment.
Sa disgrâce imprévue a pris droit de Téteindre ;
Sans lui laisser ma haine , il est assez à plaindre ;
Et le ciel, qui Texpose à ce trait de rigueur,
Wa que trop bien servi les serments de mon cœur.
Un éclatant arrêt de ma gloire outragée
A jamais n'être à lui me tenoit engagée :
Mais, quand par les destins il est exécuté ,
J'y vois pour son amour trop de sévérité ; •
Et le triste succès de tout ce qu'il m'adresse
ITefiace son offense et lui rend ma tendresse.
Oui, mon cœur, trop vengé par de si rudes coups,
Laisse à leur cruauté désarmer son courroux ,
Et cherche maiïitenant, par .un soin pitoyable,
 consoler le sort d'un amant misérable :
Et je crois que sa flamme a bien pu mériter
Cette compassion que je lui veux prêter.
DONE IGNÉS.
w
Madame, on auroit tort de, trouver à redire Aux tendres sentiments qu'on voit qu'il vous inspire» Ce qu'il a fait pour vous. . . Il vient, et sa pâleur De ce coup surprenant marque assez la douleur.
78 DON GARCIE DE MAVARRE.
SCÈNE IIL D. GARCIE, DONE ELVIRE; DONE IGNÉS,
DÉGUISÉE EN HOM,ME; ÉLISE. D. GARCIE.
Madame, ayec quel front faut-il que je m'avance, Quand je viens vous oiErir Todieuse présence. . . ?
DONS ELVIRE»
Prince, ne parlons plus de mon ressentiment : Votre sort dans mon âme a Êiit du changement; Et, par le triste état où sa rigueur vous jette, Ma colère est éteinte, et notre paix est faite. Oui, bien que votre amour ait mérité les coups Que &it sur lui du ciel éclater le courroux; Bien que ces noirs soupçons aient offensé ma gloire Par des indignités qu'on auroit peine à croire; Javoûrai toutefois que je plains son malheur Jusqu'à voir nos succès avec quelque douleur; Que je hais les faveurs de ce fameux service, Lorsqu'on veut de mou cœur lui faire un sacrifice. Et voudrois bien pouvoir racheter les moments Ou le sort contre vous n'armoit que mes serments. Mais enfin vous savez comme nos destinées Aux intérêts publics sont toujours enchaînées, Et que Tordre des cieux, pour disposer de moi. Dans mon frère qui vient me va montrer mon roi. Cédez comme moi , prince , à cette violence Où la grandeur soumet celles de ma naissance;
ACTE V, SCÈNE III. 79
Et, si de votre amour les déplaisirs sont grands , Qu'il se fasse un secours de la part que j'y prends , Et ne se serve point, contre un coup qui Fétonne , Du pouvoir qu^en^ces lieux votre valeur vous donne : Ce vous seroit sans doute un indigne transport De vouloir dans vos maux lutter contre le sort : Et, lorsque c'est en vain qu'on s'oppose à sa rage, La soumission prompte est grandeur de courage. Ne résistez donc point à ces coups éclatants-, Ouvrez les murs d'Astorgue au frère que j attends: Laissez-moi rendre aux droits qu'il peut sur moi prétendre Ce que mon triste cœur a résolu de rendre ; Et ce fatal hommage oh mes vœux sont forcés Peut-être n'ira pas si loin que vous pensez.
D. GÀRGIE.
C'est faire voir, madame, une bonté trop rare
Que vouloir adoucir le coup qu'on me prépare ;
Sur moi, sans de tels soins, vous pouvez laisser choir
Le foudre rigoureux de tout votre devoir.
En l'état où je suis je n'ai rien à vous dire.
J'ai mérité du sort tout ce qu'il a de pire ;
Et je sais , quelques maux qu'il me faille endurer,
Que je me suis ôté le droit d'en murmurer.
Par où pourrois-je, hélas! dans ma vaste disgrâce.
Vers vous de quelque plainte autoriser laudace?
Mon ammir s est rendu mille fois odieux ;
D n'a fiiit qu'outrager vos attraits glorieux ;
Et lorsque, par un juste et fameux sacrifice ,
8o DON GARCIE DE NAVARRE.
Mon bras à votre sang cherche à rendre un service, Mon astre m'abandonne au déplaisir fatal De me voir prévenu par le bras d'un rival. Madame, après cela je n'ai rien à prétendre; Je suis digne du coup que Ton me ùdt attendre; Et je le vois venir sans oser contre lui Tenter de votre cœur le favorable appui. Ce qui peut me rester dans mon malheur extrême, Cest de chercher alors mon remède en moi<-méme, Et faire que ma mort, propice à mes désirs, A£Branchisse mon cœur de tous ses déplaisirs. Oui, bientôt dans ces lieux don Alphonse doit être , Et déjà mon rival commence de paroître : De Léon vers ces murs il semble avoir volé Pour recevoir le prix du tyran immolé. Ne craignez point du tout qu'aucune résistance Fasse valoir ici ce que j'ai de puissance : n n est effort humain que, pour vous conserver, Si vous y consentiez , je ne pusse braver. Mais ce n'est pas à moi, dont on hait la mémoire, A pouvoir espérer cet aveu plein de gloire; Et je ne voudrois pas , par des efforts trop vains. Jeter le moindre obstacle à vo^ justes desseins : . Non , je ne contrains point vos sentiments , madame ; Je vais en liberté laisser toute votre âme , Ouvrir les murs d'Astorgue à cet heureux vainqueur, Et subir de mon sort la dernière rigueur.
ACTE V, SCÈNE ly. 8i
SCÈNE IV.
DONE ELVIRE; DONE IGNÉS, D^GinsÉE en homme;
ÉLISE.
I>ON£ ELVIRE. '
Madame , au désespoir où son destin Fexpose De tous mes déplaisirs n'imputez point la cause. Vous me rendrez justice en croyant que mon cœur Fait de vos intérêts sa plus vive douleur ; Que bien plus que lamour l'amitié m'est sensible^ Et que si je me plains d^une disgrâce horrible , Cesi de voir que du ciel le funeste courroux Ait pris chez moi les traits quHl lance contre vous y Et rendu mes regards coupables d'une flamme Qui traite indignement les bontés de votre âme.
DONE IGNÉS.
C'est un événement dont sans doute vos yeux
MWt point pour moi, madame, à quereller les cieux.
Si les foibles attraits qu'étale mon visage
IVTexposoiait au destin de souffirir un volage,
Le ciel ne pouvoit mieux m'adoucir de tels coups ,
Quand , pour m'ôter ce cœur , il s'est servi de, vous ;
Et mon front ne doit point rougir d'une inconstance
Qui de vos traits aux miens marque la différence.
Si pour ce changement je pousse des soupirs,
Os viennent de le voir fatal à vos désirs;
Et, dans cette douleur, que 1 amitié m^cxcite,
Je m'accuse pour vous de mon peu de mérite,
MoLiinE. îi. 0
8a DON GARCIE DE NAVARRE.
Qui n^a pu retenir un cœur doHt les tributs Causent un si grand trouble â yos yœux combattus.
DOITE ELVIRE.
Accusez-vous plutôt de l'injuste silence
Qui m'a de yos deux cœurs caché l'intelligence.
Ce secret, plus tôt su, peut-être à toutes deux
Nous auroit épargné des troubles si fâcheux;
Et mes justes froideurs, des désirs d\in yolage
Au point de leur naissance ayant banni Fhommage^
Eussent pu rcnyoyer. . .
DONE IGKÈS.
Madame, le voici.
DONE ELVIRE.
Sans rencontrer ses yeux vous pouvez être ici : Ne sortez point, madame ; et dans un tel martyre^ Veuillez être témoin de ce que je vais dire.
noNE iGNis. Madame, j'y consens, quoique je sache bien Qu'on fuiroit en ma place un pareil entretien^
DONE ELVIRE.
Son succès, si le ciel secondé ma pensée, Madame, n'aura rien dont vous soyez Uessée.
ACTE V, SCÈNE V.
iB
SCÈNE. V.
D. ALPHONSE, cko D. SYLVEj DONE ELVIREj DONE tGNÈS, J>iovaéz en homme; ÉLISE.
DONS EIiTIRE.
Avant que vous pariiez, je demande instamment
Que TOUS daigniez, seigneur, m écouter un moment.
Déjà la renommée a jusqu'à nos oreilles
Porté de yotre bras les soudaines merveilles;
Et j'admire ayec tous comme en si peu de temps
Il donne à nos destins ces succès éclatant^. '
Je sais bien qu'un bienfait de cette conséquence'
Ne sauroit demander trop de reconnoissance,
Et qu'on doit toute chose à l'exploit immortel
Qui replace mon frère au trône paternel.
Mais, quoi que de son cœur vous o£Grent les hommages ^
Usez en généreux de tous vos avantages,
Et ne permettez pas que ce coup glorieux
Jette sur moi, seigneur, un joug impérieux :
Que yotre amour, qui sait quel intérêt m'anime,
S obstine à triompher d un refus légitime ,
Et yeniUe que ce frère, où l'on va m'exposer,
Commence d'être roi pdur me tyranniser*
Léon 'a d autres prix dont, en cette occurrence,
n peut mieux honorer votre haute vaillance :
Et c'est à vos vertus faire un présent trop bas
Que vous donner un cœur qui ne se donne pas«
84 DON GARCIE DE 3ÎAVARRE.
Peut-on être jamais satisÊiIt en soi-même,
Lorsque par la contrainte on obtient ce qu'on aime?
Cest un triste avantage; et l'amant généreux
A ces conditions refuse d'être heureux :
Il ne veut rien devoir à cette violence
Qu'exercent sur nos coeurs les droits de la naissance ,
Et pour l'objet qu'il aime est toujours trop zélé
Pour souffrir qu'en victime il lui soit immolé.
Ce n'est pas que ce coeur au mérite d'un autre
Prétende, réserver ce qu'il refuse au vôtre :
Non , seigneur, j'en réponds , et vous donne ma foi
Que personne jamais n'aura pouvoir sur moi;
Qu'une sainte retraite à toute autre poursuite. . .
D. ALPHONSE.
J'ai de votre discours assez souffert la suite,
Madame; et par deux mots je vous l'eusse épargné,
Si votre Êiusse alarme eût sur vous moins gagné. .
Je sais qu un bruit commun , qui partout se fait croire ,
De la mort du tyran me veut donner la gloire;
Mais le seul peuple enfin, comme on nous fait savoir,
Laissant par don Louis échauffer son devoir,
A remporté l'honneur de cet acte héroïque
Dont mon nom est chargé par la rumeur publique :
Et ce qui d'un tel bruit a fourni le sujet.
C'est que., pour appuyer son illustre projet.
Don Louis fit semer, par une feinte utile^
Que , secondé des miens , j'avois saisi la ville :
£t par cette nouvelle il a poussé les bras
ACTE ?, SCÈNE V. 85
Qui d^un usurpateur ont hâté le trépas;
Par son zèle prudent il a su tout conduire ,
Et c*est par un des siens qu'il vient de m en instruire.
Mais dans le même instant un secret m'est appris ;
Qui va TOUS étonner autant qu'il m'a surpris.
Vous attendez un ùëre , et L^on son vrai maitre :
 vos yeux maiBtenant le ciel le fait paioitre :
Oui, je sub don Alphonse; et mon SQrt conservé,
Et sous le nom 4u sang de Castille élevé,
Est un fameux efiet de Tamitié sincère
Qui fut entre son prince et le roi notre père.
Don Louis du secret a toutes les clartés,
Et doit aux yeux de tous prouver ces vérités.
D^autres soins maintenant occupent ma pensée ^
Non qu à votre sujet elle soit traversée,
Que ma flamme querelle un tel événement.
Et qu'en mon cœur le firère importune Tamant. .
Mes feux par ce secret ont reçu sans murmure
Le changement qu^en eux a prescrit la nature ;
Et le sang qui nous joint m a si bien détaché
De l'amour dont pour vous mon cœur étoit touché.
Qu'il ne respire plus , pour Êiveur souveraine ,
Qu-e les chères douceurs de sa première chaîne,
Et le moyen de rendre à l'adorable Ignés
Ce que de ses bontés a. mérité L'excès,
Mais son sort incertain. rend le mien misérable :
Et, si ce qu'on en dit se trouvoit véritable,
En vain Léon m appelle et le trône, m'attend;
86 DON GARCIE DE HAVARRE.
La couronne n'a rien à me rendre content, £t je n'en yeux l'éclat que pour goûter la joie D'en couronner Fobjet où le ciel me renvoie, Et pouvoir réparer par ces justes tributs L'outrage que j'ai fait à ses rares vertus» Madame 9 c'est de vous que j'ai raison d attendre Ce que de son destin mon âme peut apprendre ; Instruisez-m'en, de grâce; et, par votre di^ours, Hâtez mon désespoir, ou le bien de mes jours*
DONS ELVIKE.
Ke vous étonnez pas si je tarde à répondre, Seigneur; ces nouveautés ont droit de me confondre. Je n^entreprendrai point de dire h votre amour Si done Ignès est morte , ou respire le jour; Mais par ce cavalier, l'un de ses plus.fîdèles , Vous en pourrez sans douté apprendre des nouvelles.
D. ALPHONSE, reconnoissant done Ignès.
Ah! madame, il m'est doux en ces p^rj^exités De voir ici briller vos célestes beautés. Mais vous , avec quels yeux verrez-vous un volage Dont le crime. , .
DONE IGNÉS,
Ah ! gardez de me taire un outrage , Et de vous hasarder à dire que vers moi Un cœur dont j'ai fait cas ait pu manquer de foi : Ten refuse l'idée , et l'excuse me blesse. Rien n'a pu m'oitènser auprès de la princesse; Et tout ce que d ardeur elle vous a causé
ACTE V, SCÈNE V. 8;
Par un si haut mérite est assez excusé. Cette flamme vers moi ne vous rend point coupable; Et, dans le DX)ble orgued dont je me sens capable, Sachez , si tous Tétiez , que ce seroit en yain Que vous présumeriez de fléchir mon dédain, Et qu'il n'est repentir, ni suprême puissance , Qui gagnât sur mon cœur d^oabliert:ette offense*
DONE £LytRS<<
Mon frère, d'un tel nom souflS:ez-moi la douceur. De quel ravissement comblez-vous une sœur ! Que» j'aime votre choix, et bénis l'aventure Qui vous Ëiit couronner une amitié si pure ! Et de deux.XM)bIes cœurs que j'aîme tendrement.. .
SCÈNE VI.
D. GARCIE, DONE ELVIRE; DONE IGNÉS, DÉGUISAS EN homve; D. ALPHONSE, cmjj D. SYLYE; ÉUSE.
D. GABCIE.
De grâce, cachez-moi votre contentement. Madame, et me laissez mourir dans la croyance Que le devoir vous fait un ]^eu de violence. Je sais que de vos vœux vous pouvez disposer, Et mon dessein n est pas de leur rien opposer; Vous le voyez assez , et quelle obéissance De vos commandements m'arrache la puissance : Mais je vous avoûrai que cette gaieté Surprend au dépourvui toute ma fermeté,
88 DON ÔARCIE DÉ NAVARRE.
Et qu'un pareil objet dans mon âme &it naître
Un transport dont fai peur qnè je ne soîs pas maitre;
Et je me punirois . s'il m ayoit pu tirer
De ce respect soumis où je veux demeurer.
Oui, vos commandements ont prescrit à mon âme
De souf&ir sans édat le malheur de ma flamme;
Cet ordre sur mon cœur doit être tout-puissant,
Et je prétends mourir en vous obéissant :
Mais, encore une fois, la joie oii je vous treuve '
M'expose à la rigueur d'une trop rude éjpreuve,
Et Tâme la plus sage en ces occasions '
Répond malaisément de ses émbtîbiis'.
Madame , épargnez-moi cette cruelle atteinte j ■
Donnez-moi par pitié deux moments de contrainte;
Et, quoi que d'un rival vous inspirent les soins,
N en rendez pas mes yeux les malheureil;x témoins : '
C'est la moindre iaveur qu'on peut, je cbois-, prétendre ,
Lorsque dans ma disgrâce un amant peut descendre.
Je ne l'exige pas , madame, pour long-temps,
Et bientôt mon départ rendra vos vcèùx Obritcùts. •
Je vais où de ses feux mon âme consumée"
N'apprendra votre hymen que par la renommée :
Ce n'est pas un spectacle où je doive courir^ '
Madame; sans le voir, j en saurai bien mounr.;
»
DONE IGNÉS.
Seigaeur, permettez-moi de blâmer Votre plaînie. De vos maux la princesse a su jparoître atteinte; Et cette joie encor^ de quoi vous murmurer y
ACTE V, SCÈNE VL 89
Ne lui vient que des biens qui vous sont préparés. Elle goAte un succès à vos désirs prospère , Et dans votre rival elle trouve son frère ; Cest don Alphonse enfin dont on a tant parlé , Et ce Êtmeujt secret Tient d'être dévoilé.
b. ALFHONSB.
Mon cœur, grâces au ciel, après un long martyre, Seigneur, sa&s vous rien prendre, a tout ce qu'il désire, Et goûte d'autant mieux sdn bonheur en ce jour. Qu'il se voit en état de servir votre amour.
D. GARGIE.
Hélas! cette bonté, seigneur, doit me confondre;
A mes plus chers désirs elle daigne- répondre.
Le coup que je craignois, le ciel Ta détourné, -
Et tout autre que moi Éè verrott fortuné :
Mais ces douces clartés d'un secret favorable
Vers l'objet adoré me découvrent coupable;
Et, tombé de nouveau dans ces traîtres soupçons,
Sur quoi Ton m'a tant fait d'inutiles leçons.
Et par qui mon ardeur, si souvent odieuse ,
Doit perdre tout espoir d'être à jamais heureuse. . ,
Oui , l'on doit me haïr avec trop de raison ;
Moi-même je me trouve indigne de pardon ;
Et, quelque heureux succès que le sort me présente,
La mort, la seule mort est toute mon attente.
DON£ ELVIRE.
Non , non ; de ce transport le soumis mouvement, Prince, jette en' mon âme un plus doux sentiment.
g6 DON GARCIE DE NAVARRE.
Par lui de mes serments je me sens détachée ;
Vos plaintes 9 vos respects, yos douleurs mont touchée^
Jy vois partout briller un excès d'amitié,
Et votre maladie est digne de pitié.
Je vois 9 prince , je vois qu'on doit quelque indulgence
Aux défauts où du ciel fait pencher Tinfluence;
Et , pour tout dire enfin , jaloux ou non jaloux ,
Mon roi, sans me gêner, peut me donner À vous,
^ D. GA&CIE.
Ciel , dans l'excès des biens que cet aveu m^octroie , Rends capable mon cœur de supporter sa joie!
D. ALPHONSE.
Je veux que pet hym^n , après nos vains débats, Seigneur, joigne à jamais nos cœiïts et nos État;. Mais ici le temps presse, ef Léon nous appelle; , Allons dans nos plaisirs satisÊdre son zèle. Et, par notre présence et nos soins diffîrents. Donner le dernier coup du parti des tyrans.
FIN DE DON GARCIE DE NAVARRE.
RÉFLEXIONS
SUR
DON GARCIE DE NAVARRE.
JuA jalousie eéi une des passions les plus propres à réussir au théâtre. Molière essaya pour là première fois de la peindre dans cette pièce; ' mais il échoua ; et le peu de succès dé son entreprise lui fît deviner les moyens de présenter cette pas- sion sous les véritables couleurs qu'elle doit avoir da''ns la co- médie. La jalousie est une passion très-sérreuse : elle fait le tourment de ceux qui eu sont atteints : tout est pour eux ma-» tière de Soupçons et d'inquiétudes; et l'aveuglement qui les égare leur fait souvent commettre deis injustices : maïs ce travers , qui rend aussi malheureux ceux qui s'y abandonnent que celles qui en sont l'objet, n'est pas susceptible d'intéres- ser au théâtre comique : on ne prend aucune part aux visious qui en sont la suite ; et l'homme jaloux ne peut même espérer d'être plaint.
Le ridicule de cette passion est donc le seul^côté par lequel on peut la présenter avec succès sur la scène comique. Aussi Molière, éclairé par l'acceuil froid qu'on fit à don Garcie, ne peignit plus la jalousie quedans desrôles plaisans. Sganarelle et Arnolphe * offrirent ce travers dans toute son énergie : on ne
« Sganarelle, dans le Cocu imaginaire; n'est point vëritablemcnt ja- loux ; il n'est pas amoureux de sa femme. 3 École des BCam , École des Femmes.
ga RÉFLEXIONS
plaignit point le tuteur d'Isabelle d'être entièrement trompé dans son espoir,, et de^se voir joaë et dupé par l'adresse d'une jeune personne. Le sort d'Arnolphe éprouvant l'ingratitude d'une orpheline qu'il a recueillie n'inspira pas plus d'intérêt : on s'aifi^usa de leurs précautions inutiles, des pièges qui leur étoieut tendus,, et du peu de -succès de leur prëvoyance. Le Misanthrope , amoureux et jaloux , quoique plus noble , ne produisit pas un autre effet : on estima sa franchise et sa lojautë , mais on se moqua de sa passion pour Gelimène ; et sa jalousie, exprimée avec la même force que celle de don Garcie, fit une sensation très-difïerenle,. parce que la situa- tion d'Alceste est constamment comique.
Cependant le Prince jaloux , tout défectueux qu'il est pour la conception, annonce un grand maître. Ce carâetère, par- faitement soutenu , présente les intervalles d'emportement et de douceur qui lui sont naturels : Tantôt aux genoux de sa maîtresse, tantôt l'accablant des injures les plus yiolentes, don Garcie ne connoît aucune mesure entre une confiance sans bornes et une méfiance outrageante. Son rôle est plein de chaleur et d'énergie : on voit qi|e l'auteur avoit éprouvé cette terrible passipn dont il faisoit la peinture. A côté de ce personnage il a eu l'art de placer un vil flatteur qui nourrit la passion de son maître par de faux rapports : ce rôle de don Lope olFre un tableau très-curieux dû manège de la. cour à cette époque : il est malheureux qu'il ne soit pas plus déve- loppé.
La jalousie de don Garcie est fondée sur trois motifs assez raisonnables, et qui par cela même produisent moins d'effet. Don Lope lui apporte un billet déchiré dont il interprète le sens contre Elvire ; et ce n'est que lorsque celle -«ci lui prouve sa fidélité par lautrc partie du billet qu'il cosse de la soup*
SUR DON GARCÏE DE NAVARRE. 93
çonrier. L'idée de ceftt€ méprise a'éCé employée d'une manière très-heureuse par M. de Voltaire dans le conte de Zadig. Le second motif de jalousie paroît trop commun : c'est tout sim- plement l'arrivée d'un prince- qui n'est pas attendu. Le troi- sième est plBS piquant , et fournit une situation cb'amatique. Une femme déguisée en homme va chez Elvire : la porte est ouverte; et don Garcie les voit s'embrasser tendrement. Il entre en fureur : un de ses confidents lui dit en vain qu'il ne faut pas s'en rapporter aux apparences, il s'ëcrie qu'il a tout vu par ses yeux , et son emportement augmente par la con- tradiction. Si cette situation, au lieu d'être sérieuse, eût été prise du côté comique , il y a lieu de présumer qu'elle auroit relevé la pièce, dont le dénouement est froid et languissant.
Molière transporta, dans la scène du Misanthrope où ce personnage fait éclater sa jalousie, plusieurs morceaux de deux scènes de don Garcie. On distingue principalement le commencement de cette tirade :
Oai, ooi, je Tai perdu lorsque dans vôtre vue, etc. l'emportement d'Alceste :
C'est une trahison, c*est une perfidie, etc.
Et ce retour si naturel :
Ah ! ^ue Y011S savez bien ici contre moi-même , Ingrate, vous servir de ma tendresse extrême !
Cette scène, dans le Misanthrope, est toujours fort ap- plaudie ; pourquoi ne produisit-elle pas le même effet dans le Prince jaloux? C'est que don Garcie est jaloux d'unç femme vertueuse dont il cause injustement le malheur, tandis qu'Al- ceste aime une coquette qui se moque de lui , qui d'un coup d'œil le désarme , et qui ne s^effraic pas de ses emportements-
94 RÉFLEXIONS SDR DON GARCIE DE NAV.
La scène du Prince JALonc tient au genre da drame; celle du Misanthrope est de l'excellente comëdie.
L'auteur transporta aussi dans Amphitryon quelques vers trèsp-heureux du Prince jalofitz. Don Garcie implore sa grâce d'Elyire , et lui dit qu'il mourra si elle ne la lui accorde. Elvire attendrie répond :
Qui ne saoroit baïr, ne peut Tonloir qu'on meure.
Alcmène fait la même réponse à Jupiter qui sollicite le par- don des torts qu'elle lui suppose.
L'emploi de tous ces vers dans d'autres pièces prouve que Molière* avoit entièrement renoncé à celle-ci ^ et que le juge» ment du public lui paroissoit juste. Elle ne fut imprimée qu'a- près sa mort» On a prétendu qu'il l'avoit imitée d'un auteur espagnol nommé Gicognini : il nous a été impossible de nous procurer l'ouvrage de cet auteur, dont il n'est fait mention dans aucune biographie.
rfft
L'ECOLE
DES MARIS,
COMÉDIE
EN TROIS ACTES ET EN VERS,
Représentée le la juin 1661 , dan« une fête que donna Fouqnet à la reine d'Angleterre ; et le 1 4 du même mois , sur le théâtre ^ Palais^lojaL
A MONSEIGNEUR
LE DUC D'ORLÉANS,
I
FRÈRE UNIQUE DU ROI.
M
ONSEIGNEUR
Je fais voir ici à la France des choses bien peu propor- tionnées : il n'est rien de si grand et de si superbe que le nom que je mets à la tête de ce livre , et rien de plus bas que ce qu'il contient. Tout le monde trouvera cet assem- blage étrange; et quelques-uns pourront bien dire, pour en exprimer l'inégalité , que c'est poser une couronne de perles et de diamants sur une statue de terre , et faire entrer par des portiques magnifiques et des arcs triom- phaux superbes dans une méchante cabane. Mais, mon- seigneur, ce qui doit me servir d'excuse, c'est qu'en cette aventure je n'ai eu aucun choix à faire, et que l'honneur que j'ai d'être à votre altesse royale m'a imposé une nécessité absolue de lui dédier le premier
ÉPITRE DÊDICATOIRE. 97
ouvrage que je mets de moi-même au jour. Ce n'est pas un présent que je lui fais, c^est un devoir dont je m'acquitte; et les hommages ne sont jamais regardés par les choses qu'ils portent. J'ai donc osé, monseigneur^ dédier une bagatelle à votre altesse royale, parce que je n'ai pu m'en dispenser; et si je me dispense ici de m^étendre sur les belles et glorieuses vérités quou pourroit dire d'elle, c est par la juste appréhension que ces gtasdes idées ne fissent éclater encore davantage la- bassesse de mon of- frande. Je me suis imposé silence pour trouver un endroit plus propre à placer de si belles choses ; et tout ce que j'ai prétendu dans cette épitre, c'est de justifier mon action à toute la France , et d'avoir cette gloire de vous dire à vous- même, MONSEIGNEUR, avcc toutc la soumissiou possible, que je suis, . , i
DE VOTRE ALTESSE ROYALE
et très-humble , très-obéissant et très-fîdèle serviteur^
MOLIÈRE.
MoiikBE. a.
' ^* ^ ' ^ ' - ' ' ■ ■ '-'
PERSONNAGES.
SGANARELLE, frère d'Ariste. ARISTE, frère de Sganarelle. ISABELLE, sœur de Lëonor. LËONOR, sœur d'Isabelle. VALËKE, amant d'Isabelle. LISETTE, suivante de Lëonor. ERGASTE, valet de Valère. UN COMMISSAIRE. UN NOTAIRE. DEUX LAQUAIS.
La scène est à Paris , dans une place pubUqae»
7?
L'ECOLE DKSMAHIS.
V»
L'ECOLE
DES MARIS.
ACTE PREMIER.
SCÈNE I.
SGA^ARELLE, ARJSTE.
' ■ ' ' ' • .
. ^OA«A|LELLE.
jylon frère ^ s'il Vews plaît , ^e ^î^coqroii» point t^nt ; Et que chacun de nous vîye comme il Fenteud. Bien que sur pioi deç ^^s vous ^yez l'avantage , Et so^e? assôTi vieM! pour devoir 4tre sage, . Je vous dirai pourtant ^e mes intentions Sont de ne prendre poiut dé vos QOfreqtioùi^ y Que j'ai pe^ur .tout con^^il ma Ëintaisiç i ^iLiyt^^ Et me trouve fort bien de ma façou ^e 'y\KT^\
ARISTE,
Mais^h^Ufl 1a çfiUdftmne.
. ;jaA3ïfAREI'X|i.
Qui , des foi^ comn^ voç^ . .Môpfrirç.*
ARISTE.
Grand merci ; le compliment est douxl .
100 UÉCOLE DES MARIS.
SGANARELLE.
Je voudroîs bîen savoîr, puisqu'il faut tout entendre, Ce (jue ces beaux censeurs en moi peuvent reprendre.
ARISTE.
Cette farouche humeur dont la sévérité
Fuit toutes les douceiu*s de la société,
A tous vos procédés inspire un air bizarre ^
Et jusques à Thabit, rend tout chez vous barbare.
SGANARELLE.
Il est vrai qu'à la mode il faut m assujettir,
Et ce n'est pas pour moi que je me dois vêtir.
Ne voudrieZ'Vous point par vos belles sornettes,
Monsieur mon frère aîné, car. Dieu merci, vous Fâtes
D'une vingtaine d'ans, à ne vous rien celer.
Et cela ne vaut pas la peine d en parler;
Ne voudriez-vous point, dis- je, sur ces matières.
De vos jeunes muguets * m'inspirer les manières;
Mobliger à porter de ces petits chapeaux
Qui laissent éventer leurs débiles cerveaux,
Et de ces blonds cheveux dé qui la \fa&te enflure
Des visages humains ofiusque la figure;
De ces petits pourpoints sous les bras se perdants.
Et de ces grands collets jusqu'au nombril pendants;,
De ces manches qua table on voit tâter les sauces.
Et de ces cotillons appelés hauts-de-chausses;
I Muguet, galant. Ménage prétend que ce mot yient de rnuKo* tum. aromate.
. ACTE I, SCÈNE I. loi
De ces souliers migopus de rubans reyétus,
Qai vous font ressembler à des pigeons patus;
Et de ces grands canons ' où , comme en des entraves ,
On met tous les matins ses deux jambes esclaves ,
Et par qui nous voyons ces messieurs les galants
Marcher écanjuillës ^ ainsi çjue des volants?
Je vous plairois sans doute équipé de la sorte ,
Et je vous vois porter les sottises quW porte.
ARISTE.
Toujours au plus grand nombre on doit s'accommoder,
Et jamais il ne &ut se faire regarder.
LW et l'autre excès choque; et tout homme bien sage
Doit fsiire des habits ainsi que du langage,
N'y rien trop affecter, et, sans empressement.
Suivre ce que Fusage y fait de changement.
Mon sentiment n'est pas qu'en prenne la métliode
De ceux qu'on voit toujours enchérir sur la mode.
Et qui, dans ces excès dont ils sont amoureux.
Servent fâchés qu'un autre eût été plus loin qu'eux :
Maïs je tiens qu'il est mal, sur quoi que l'on se fonde,
De fuir obstinément ce que suit tout le monde.
Et qu'il vaut mieux souffrir d'être au nombre des fous
Que du sage parti se voir seul contre tous.
r
« Canon, bande d étoffe que l'on portoit au-'dessus du genou. ( Voy. tome I , la note des Précieuses ridicules , page SSy. )
» EcarcjuiUer, ou escarqaliier les jambes, les ouvrir, les écarte^ autant que l'on veut.
loa L'ÉCOLE DES MARIS.
Gda sent soA Vieillard qui ^ pom* eh faire acccolm. Cache ses cheveux blancs d'une ^emvjoe noire.
ARISTfi«
C^est un étrange &it du soin que vous prenez  me venir toujours jeter mon âge au nez y Et qu'il faille qu'en moi sans oesse je vous voie Blâmer l'ajustement aussi-bieu que la joie : Comme si, condamnée à ne plu» rien chérir, La vieillesse devoit ne songer qu^à mourir | Et d'assez de laideur n'est pas accompagnée ^ Sans se tenif encor inal ropre et rechignéc. '
Quoi qu il en soit, je suis attaché fortement
A ne démordre point de mon habillement.
Je veux une coiÔure^ en dépit de la mode,
Sous qui toute Ina tête ait un abri commode ;
Un bon pourpoint bien long, et fermé comme il faut,
Qui , pour bien digéter , tienne l'estomac chaud ;
Un haùt-de-chausse fait justement pour ma cuisse ;
Des souliers bu mes pieds ne soient point au supplice,
Ainsi qu eii ont usé sagement nos aïeux :
Et qui me trouve mal n'a qu'à fermer les yeux.
. _- -- - , I I - .
» Rechigné, vient de réchin, vieux mot françois qui signidoit chagrin X morose, de mauvaise humeur.
ACTE I. SCÈNE U io3
SCÈNE IL
lÉONOR, ISABELLE, LISETTE-, ARISTE, jlt SGANARELLiE, paaiiAhx b49 ^i^ssm^ipe sur le
DEVANT DU THEATEE, SANS ÊTRE APERÇUS.
LÉONOR, à Isabelle.
Je me charge de tout en cas que Ton vous gronde.
LISETTE, k Isabelle.
Toujours dans une chambre à ne point voir le n^ondel
ISABELLE.
Il est ainsi bâti.
LioNOR.
Je voos en plains, ma sœur.
LISETTE, à Léonor.
Bien vous prend que son firère ait tout une autre humeur,
Madame ; et le destin tous fut bien favorable
En vous Élisant tomber ai» mains du raisonnable.
ISABELLE.
C^est un miracle encor qu^il ne m^ait aujourd'hui Enfermée à la clef, ou menée avec lui.
LISETTE.
Ma foi , je l'enverrois au diable avec sa frabe , Et...
SGANARELLE, hearté par Lisette.
Où donc allez-y 0118) qu^il ne vous en déplaise?
LiONOR.
Nous ne savons encore, et je pressoia ma sœur
lol UÊCOLE DES MARFS.
De venir du beau temps respirer la douceur : Mais. . .
SGANARELLEy à Léonor.
Pour VOUS , VOUS pouvez aller où. bon vous semble ;
( montrant Lisette. )
Vous n'avez qu'à courir, vous voUà deux ensemble.
( à Isabelle. )
Mais VOUS 9 je vous défends , s'il vous plait, de sortir.
▲ RISTE.
Âhl laissez-les 9 mon frère, aller se divertir.
SGANARELLE.
Je suis votre valet, mon frère.
ARISTE.
La jeunesse Veut, • 4
SGANARBLLE.
La jeunesse est sotte, et parfois la vieillesse*
ARISTE.
Croyez-vous qu'elle est.mal d'être avec Léonor?
SGANARELLE.
Non pas; mais avec moi je la crois mieux encor.
ARISTE.
Mais. . .
SGANARELLE.
Mais ses actions de moi doivent dépendre. Et je sais l'intérêt enfin que fy dois prendre.
ARISTE.
A celles de sa sœur ai^je un moindre intérêt?
ACTE I, SCÈNE II. io5
86ANA⣣I.E.
Mon Dieu! chacun raisonne et &it comme il lui plait. Elles sont sans parents , et notre amî> leur père Nous commit leur conduite à son heure dernière ; Et 9 nous chai^eant tous deux, ou de les épousèry Ou, sur notre refus, un jour d'en disposer, Sur elles , par contrat , nous sut , dès leur en&nce , Et de père et d'époux donner pleine puissance. D'élever celle-là vous prhes lé souci , Et moi je me chargeai du soin de celle-ci : Selon vos veloutés vous gouvernez la vôtre : Laissez-moi, je vous prie, à mon gré régir Vautre.
ARIST.E.
D me semble. . .
SGANARELLE.
n me semble, et je le dis tout haut. Que sur un tel sujet c'est parler comme il faut. Vous sou£Grez que la vôtre aille leste et pibapanle , Je le veux bien; qu'elle ait et laquais et suivante. J'y consens ; qu elle coure , aime l'oisiveté , Et soit des damoiseaux flairée en liberté. J'en suis fort satisfait : mais j entends que la mienne Vive à ma fantaisie, et non pas à la sienne ; Que d'une serge honnête elle ait son vêtement. Et ne porte le noir qu'aux bons jours seulement; Qu'enfermée au logis, en personne bien sage , Elle s'applique toute aux choses du ménage, A recoudre mon linge aux heures de loisir ,
io6 L'ÉCOLE DES MAHI&
Ou bien à tricoter qudcpes bas par plabir ;
Quaux discours des muguets elle ferme roréille,
Et ne sorte jamais sans avoir cpd la yeiUe.
Enfin la chair est foible, et j entends tous les bruits.
Je ne veux point porter de'comes y si je puis;
Et, comme à m'épouser sar fortuite l'appelle^
Je prétends, corps pour corps 9 pouvoir répondre d'oU^*
Vous n'avez pas sujet , que je crois. . «
SOASARJSLIiS.
Xaises^TOus. ^ Je vous apprendrai bien s'il &ut^sbrtîr sans nous.
LÉONOR»
Quoi donc, monsieur. . .
S<^ANAR£I.l.jE,
Mon Dieul madame, sans langage: Je ne vous parle pas , car vous êtes trop sa§&.
IiéONOR.
Voyez-vous Isabelle avec nous à regret?
Oui ; vous me la gâtez , puisqu'il faut parler net.
Vos visites ici ne font que me déplaire ;
Et vous m'obligerez de ne nous en plus faire.
tiipvoR. Voulez-vous que mon ceeur vous parle net aussi? J'ignore de quel œil elle voit tout ceci ; Mais je sais ce qu'en moi feroit la défiance : Et , quoiqu'un même sang nous ait donné naissance ,
ACTE I, SCÈNE IL 107
Noos sommes bien peu sœur», s'il &tit que chaque joor Vos manières d'agir lui doaneat de ramour.
LI8BTTB. En effet, tous ces soins sont des. choses infâmes : Sommes-nous chee les Turcs , pour ren£snner les femmes? Car on dit qu'on les tient esclaves en ce lieu , Et que c est pour vdà qu'ils sont maudits de Dieu. Notre honneur .est ^ monsieur, bien sujet i foiblesse , S'il &ut qu^il ait besoin qu'on le garde sans cesse. Peosez-Tous , après tout , que ces précautions Servent de quelque obstacle à nos intentions? Et, quand nous notts mettons quelque chose à la' tête , Que rhomme le plus fin ne soit pas une bête? Toutes ces gardes-là sont visions de fous; Le plus sûr est , ma foi , de se fier en nous : Qui nous gène se met en un péril extrême , Et toujours notre honneur veut se garder lui-même. Cest nous inspirer presque un désir de pécher, Que montrer lant de soins de nous en empêcher. Et, si par un mari je me veyob contrainte, J'aurois fort grande pente à confirmer sa crainte.
SGAI^ARELLE, à Ariste.
Voilà, beau précepteur, votre éducation. Et vous souffirea cela sans nulle émotion ?
ARISTE.
Mon frèrcf , so^i discours ne doit que faire rire ;. Elle a quelque raison en ce qu'elle veut dire. Leur sexe aime i jouir d'un peu de liberté :
io8 L'ÉCOLE DES MARIS.
On le retient fort mal par tant d^austërité ;
Et les soins défiants, les verrous et les grilles,
Ne font pas la vertu des femmes ni des filles :
C'est rhonneur qui les doit tenir dans le devoir.
Non la sévérité que nous leur faisons voir.
C'est une étrange chose, à vous parler sans feinte,
Qu'une femme qui n est sage que par contrainte.
En vain sur tous ses pas nous prétendons régner,
Je trouve que le coem* est ce qu'il. &ût gagner;
Et je ne tiendrois, moi, quelque soin qu'on se donne,
Mon honneur guèresâi* aux mains d'une personne
A qui , dans les désirs qui pouiroient Tassaillir,
Il ne manqueront rien qu'un moyen de Êdllir.
SG^ANARELLS.
Chansons que tout cela.
ARISTE.
Soit; mais je tiens sans cesse Qu'il nous faut en riant instruire la jeunesse, Reprendre ses défauts avec grande douceur, Et du nom de vertu ne point lui faire peur. Mes soins pour Léonor ont suivi ces maximes^ Des moindres libertés je n'ai point Êiit des crimes ; A ses jeunes désirs j'ai toujours consenti, Et je ne m'en suis point, grâce au ciel, repenti. J'ai souffert qu'elle ait vu les belles compagnies , Les divertissements , les bals , les comédies : Ce sont choses, pour moi, que je tiens de tout temps Fort propres à former l'esprit des jeunes gens;
ACTE I, SCÈNE IL 109
Et l'école du monde en l'air dont il Êiut vivre
Instruit mieux, à mon gré, que ne fiiit aucun livre.
Elle aime à dépenser en habits , linge et nœuds : *
Que voulez-vous? je tâche à contenter ses vœux ;
Et ce sont desplaisirs qu'on peut dans nos familles ,
Lorsque Ion a du bien , perm^tre aux jeunes filles.
Un ordre paternel Toblige à m/épouser ;
Mais mon dessein n'est pas de la tyranniser.
Je sais bien que nos ans ne se rapportent guère,
Et je laisse à son choix liberté tont entière.
Si quatre mille écus de rente bien venants ,
Une grande tendresse et des soins complaisants,
Peuvent, à son avis, pour un tel mariage.
Réparer entre nous l'inégalité d'âge,
Elle peut m'épouser; sinon, choisir ailleurs.
Je consens que sans moi ses destins soient meilleurs ;
Et j'aime mieux la voir sous un autre hyménée ,
Que si contre son gré sa main m'étoit donnée.
SGANARELLE.
Hé! qu'il est doucereux ! c'est tout sucre et tout miel 1
ARLSTE..
Enfin c'est mon humeur, et j'en rends grâce qu ciel.
Je ne suivrois jamais ces maximes sévères
Qui font que les enfants comptent les jours des pères. .
' Les femmes, les hommes mêmes portaient alors beaucoup ^ rubans. .>■...■
110 L'ÉCOLE DES MARIS.
8GANARELLB.
Mais ce qa en la jeimesse on prend de liberté Ne se retKUûdbie pas avec facilité ; Et tous ces sentiments soi^^ront mal votre es^yie. Quand il faudta changer sa manière de vie.
Et pourquoi la changer!
8GANARSLX.B.
Pouaquoi ?
ARISTJE.
Oui.
Jenefsaî#
ARISTE.
Y voit-on quejque chose où Thomieur seÂt blessé?
saANAREi;iï.^. Quoi! si vous l'épousez, elle pourra préteindre Les mêmes libertés qiie fille on lui voit pipepdre?
ARISXE^
Pourquoi non.?
SGANARELLE.
Vos désirs lui seront complaisants Jusques à lui laisser et mouches et rubans?
ARISTE.
Sans doute.
SGANARELLE.
A lui souffrir, en cervelle troublée,
' ' ' . *•'•.. ' < •• '
De courir tous les bals et les lieux d'assemblée ?
f . • . >
ACTE I, SCÊJtË II. fti
ARXSTB.
Oui yraiment.
SGÀKARËXLE.
Et chez VOUS ir<>iit les damoiseaux?
àRISTE.
Et quoi doue?
Qoi joÛTom^ donneront des cadeauic?
ARISTE*
Faccord.
S^ANARfiLLE.
Et votre femUié entétiâra les fleurettes?
ARISTE. '
Fort bien, ^
SGANARELLE.
Et voué verrez ces visites muguettçs > ■' ( D'un œil à témoigner de n'en être point soûl?
ABISTE.
Cela s'entende
SGANARELLE. ■
Allez y vous êtes un vieux fi>u.
fà IsabeUe. )
Rentrez pour n^onïr point cette praticpiè in£imet )
" , • • • • •
> Visites muguettes, yitites glda»iCeft. .
> ' < ■ ' I
11^ L'ÉCOLE DES MARIS.
SCÈNE IIL
ARISTE, SGANARELLE, LÉONOR, LISETTE.
ARISTE.
Je yeux m abandonner à la foi .de ma femme , Et prétends toujours vivre ainsi que j'ai vécu.
SGANARELLE.
Que j'aurai de plaisir quand il sera cocu !
ARISTE.
J'ignore pour quel sort mon astre m'a &it naître : Mais je sais que, pour vous, si vous manquez de Fêtre, On ne vous en doit point imputer le dé&ut; Car vos soins pour cela font bien tout ce qu'il Ëtut.
SGANARELLE.
Riez donc, beau rieur. Oh! que cela doit plaire De voir un goguenard presque sexagénaire!
LÉONOR.
Du sort dont vous parlez je le garantis, moi, S'il faut que par l'hymen il reçoive ma loi ; n s'en peut assurer : mais sachez que mon âme Nerépondroit de rien^ si j etois votre femme.
LISETTE.
C'est conscience à ceux qui s-assurent ennous; Mais c'est pain bénit, certe^ â des gens comme vous.
SGANARELLBt,
Allez , langue maudite et des plus mal apprises.
ARISTE.
Vous vous êtes , mon frère , attiré ces sottises-
ACTE I, SCÈNE III. (ii3
Adieu. Changez d'humeur, et soyez ayerti Que renfermer sa femme est un mauvais parti* Je suis votre valet.
SGA.NARELLE.
Je ne suis pas le vôtre.
SCÈNE IV.
SGANARELLE.
0 H ! que les voilà Bien tous formés Fun pour lautre I
Quelle belle &mille! un vieillard insensé
Qui fait le dameret dans un corps tout cassé I
Une fille maîtresse et coquette suprême I
Des valets impudents! Non , la sagesse même
N'en viendroit pas à bout, perdroit sens et raison
A vouloir corriger une telle maison.
Isabelle pourroit perdre dans ses hantises '
Les semences d'honneur qu'avec nous elle a prises;
Et, pour l'en empêcher, dans peu nous prétendons
Lui £ûre aller revoir nos choux et nos dindons.
SCÈNE V.
VALÈRE, SGANARELLE, ERGASTE.
VA LE RE*, dans le fond dn théâtre.
Ergàste, le voilà cet Argus que j'abhorre, Le sévère tuteur de celle que j'adore.
* Dans ses hantises, en la fréquentant. MoLxànE. 3. 8
ai4 L'ÉCOLE PES MARIS.
S<&ANAkELtË, se-crojantlsenl.
N'est-ce pas ^elqae chose èûfin de surpreftafil Que la corruption des mœurs de maintendAt?
VAtÈRE.
Je Youdrois l'accoster, is'il est en ma puissance, Et tâcher de lier avec lui connoissance.
SGANARELLB, se croyant seul.
AU lieu de voir régner cette sévérité Qui composoit si bien Tancienne honaâteté^ La jeunesse en ces Heux, libertine^ absolue^ Ne prend...
CYalère salue Sganarelle de loin. ) VALÈRÊ,
Il ne voit pas que c'est lui qu'on salue.
ERGASTE.
Son mauvais œil peut-être est de ce côté-ci. Passons du côté droit.
SGANARELLE, se croyant seul.
Il faut sortir d'ici. Le séjour de la ville en moi ne peut produire Que des. . .
VA LE RE, en s'approchant peu à pcu'.
Il faut chez lui tâcher de mlntroduire.
SGANAREX/LE, entendanf c[nel<pie bruit.
Hé !.. . j'ai cru ^'on parloit.
( se croyant seul. )
Aux chan^ , grâcesaux cieux , Les sottises du temps ne blessent point mes yeux.
ACTE I, SCÈNE V. n5
£RGAST£, àYalèce. Âbordez4e.
SGANARELXiEy .enteoidant encore du bruit.
Plaît-a?
(n'enteoid&iit plus rien. ) ( se crojaut stv^,. )
Là, tous les passe-temps de nos filles se bornent. . .
( Il aperçoit Y alère qui le salue, )
Est-ce â nous?
Approchez.
SGANARELliD, sans prendre garde à Y alère.
Là, nul godelureau '
( Yalère le salue encore. )
Ne yient. . .Que didUe. . «?
(Il se retourne , et voit Erg^sjte qi^i le salue de l'autre côté. J
Encor ! que de coups de chapeau 1
VALÈRE.
Monsieur, un tel abord-yous interrompt peut-être?
SGANARELLE.
Cela se peut.
VAX è RE.
Mais quoi! l'honneur de vous connoître
' Godelureau, suivant Ménage, vient de gaudere, se réjouir. On l'emploie dans le stjle familier, pour exprimer un homme qui fait l'agréable auprès des feiusnes.
ii6 L'ÉCOLE DES MARIS.
ATest un si grand bonheur, m'est un si doux plaisir, Que de vous saluer j'avois un grand désir.
SGANARELLE.
Soit.
VALÈRJE.
Et de TOUS venir, mais sans nul artifice, Assurer que je suis tout à votre service.
S6ANARELLE.
Je le croîs.
VALÂRE.
J'ai le bien d'être de vos voisins, Et fen dois rendre grâce à mes heureux destins.
SGANARELLE.
C'est bien &it.
VA LE RE.
Mais, monsieur, savez-vous les nouvelles Que l'on dit à la cour, et qu'on tient pour fidèles?
SGANARELLE.
Que in'importe?
VALÈRE.
Il est vrai ; mais pour les nouveautés On peut avoir parfois des curiosités. Vous irez voir, monsieur, cette magnificence Que de notre dauphin prépare la naissance?
SGANARELLE.
Si je veux.
VALERE.
Avouons que Paris nous £ait part
ACTE I, SCÈNE V. 117
De cent plaisirs charmants qu^on n a point autre part. Les provinces, auprès, sont des lieux solitaires. A quoi donc pass6z-Yous le temps?
SGANARELLE.
A mes affaires.
VALÈRE.
L'esprit veut du relâche , et succombe parfois Par trop d'attachement aux sérieux emplois. Que faites-vous les soirs avant quW se retire?
SGANARELLE.
Ce qui me plait.
VALERE.
Sans doute ; on ne peut pas mieux dire ; Celte réponse est juste, et le bon sens paroit  ne vouloir jamais &ire que ce qui plait. Si je ne vous croyob l'âme trop occupée, rirois parfois chez vous passer Taprès-çoupée.
Serviteur.
SCÈNE VL
VALÈRE, ERGASTE.
VALÈRE.
Que dis-tu de ce bizarre fou ?
E&OASTE.
B a le repart brusque, et l'accueil loup-garou^
VALÈRE.
Ah! j'enrage!
XI» LÉCOLE DES MAHlS.
BA6ASTE.
Etdecfnoî?
talIré. De qaoi? Cest que j'enrage De voir celle que j'aime au pouvoir d'un sauvage, D'un dragon surveillant,.dont U sévérité Ne lui laisse )otut d aiicune tib^té.
&A6A6TÈ.
Cest ce qui fait pôui" VOHsj et stnr efeiJ conséqilénciés 'Votre amour doit fondel* de grandes espérances. Apprenez , pour avoir votre esprit affermi , .Qu'une femme qu'on garde est gagnée à demi, Et que les noirs chagrins des maris ou des pères Ont toujours du galaÉit avancé lèi^ affairée. Je coquette fort peu > c'est tnon èofôindre fâknt j Et de profession je ne sui^ pt^int galant i ' Mais j en ai servi vingt de ces chiçrehéurd éë proie, Qui disoient fort souvent que leur plus grande joie Ëtoit de rencontrer de ces maris fâcheux Qui jamais sans gronder ne revieni^ent chez eux, De ces brutaux Qeffés qui, sans raison ni suite. De leurs femmes en tout contrôlent la conduite, Et, du nom de maris ûèréï&éM èê parants, Leur rompnt en vitiièr^ aux yeux des souptmnts. On en sait , disent-ils , prend^fe ms avantages ; Et Faigreur d^ la dame^ k c^'s èetVds dotittâges Dont la plaint doucement te céài^laisant témoin , Est un champ à pousser les choses assez loin.
ACTE I, SCÈNE Yl. iig
En an mot^ ce vous est une att^i^te assez belle Que la sévérité du Datais d'Isabelle.
Mais depuis quatre mois que je raime ardeinment; Je n'ai pour lui parler pu trouver un moment.
ERGASTE.
L'amour rend inventif; mais vous ne Têtes guère : Et si î'avois été. . .
VALÈRE.
Mais qu^aurois-tu pu faire ^ Puisque sans ce brutal on ne la voit jamais j Et qu'il n'est li-dedans servantes ni valets Dont, par jappât flatteur de quelque récompense , Je puisse pour mes feux ménager l'assistance?
ERGASTE.
ËUe ne sait donc pas encor que vous Faimez?
VALÈRE.
Cest uu point dont mes vœux ne sont pas informés. Partout où ce farouche a conduit cette belle. Elle m'a toujours vu comme une ombre après elle;
■
Et mes regards aux siens ont tâché chaque jour Qe pouvoir expliquer l'excès de mon amour. Mes yeux ont fort parlé : mais qui me peut apprendre Si leur langage enfin a pu se faire entendre?
ERGASTE.
Ce langage , il est vrai , peut être obscur parfois y^ S'il n'a pour truchement l'écriture ou la voix..
120 L'ÉCOLE DES MARIS.
VALÈRE.
Que faire pour sortir de cette peine extrême, Et savoir si la belle 4 connu que je l'aime? Dis-m'en quelcpie moyen.
jBRGASTE*
C'est ce qu^îl faut trouver. Entrons un peu chez vous, afin dy mieux râver.
FIN pu PREMIER ACT£«
L'ÉCOLE DES MARIS. lai
^^^#i^^l^^»^^>t^ ^^^«^»^^»«»«i^i^^^»i^«^i^'^«i^'»««^«i
ACTE SECOND.
SCÈNE L
ISABELLE, SGANARELLE.
SGANARELLE.
Va, je sais la maisoB , et connois la personne Aux marcpies seulement que ta bouche me donne.
ISABELLE, à part.
0 ciel, sois->moi propice, et seconde en ce jour Le stratagème adroit d un innocent amour!
SGANARELLE.
Dis-tu pas qu'on t'a dit qu'il s'appelle Valère?
ISABELLE.
Oui.
SGANARELLE.
Va, sois en.repos, rentre, et me laisse faire; Je vais parler sur Theure à ce jeune étourdi.
ISABELLE, en s*ën allant.
Je fais, pour une fille, un projet bien hardi : Mais l'injuste r^eur dont envers moi Ton use Dans tout esprit bien fait me servira d'excuse.
laa L'ÉCOLE DES MARIS.
SCÈNE IL SGANARELLE.
(Il frappe à sa porte , crojant ^ue c*e8t celle de Yalére. )
Ne perdons point de temps : c'est ici. Qui va là? Bon! je rêve. Holà, dis-je, holà quelqu'un, holà. Je ne m'étonne pas, après cette lumière, S'il y yenoit tantôt d\B si douce manière. Mais je yeux me hâter, et de son fol espoir. . .
SCÈNE III.
VALÊRE, SGANARELLE, ERG ASIE.
SGANARELLE, à Ergaste qui est sorti brasqûement.
Peste soit du gros bœuf, qui, pour me faire choir. Se yient deyant mes pas planter comme une perche!
VALÈRE.
Monsiaur, j ai du regret. . .
SGANARELLE.
Ah! c'est vous que je cherche.
VALÉRE.
Moi, monsieur?
SGANARELLE.
Vous. Valère est-il pas yotre nom?
yALÈRE. '
Oui.
SGANAREI.LE.
Je viens vous parler, si vous le trouvez ton.
ACTE II, SCÈNE IIL laS
Puis-Je être assez heureux pour vaas rendre service?
SGA.NAR£I.I.B«
Non. Mais je ^élelids^ mm^ vous rendre un bon office; Et c'est ce qui chez vous prend droit de m'amener.
yALÈR£«
Chez moi, monsieur?.
SOANAlLELLE.
Chez vous» Faut-il tant s étonner?
VALiSKX.
J^en ai bien du sujet; et mon âme ravie De l'honneur. . .
Laissons là cet honneur, je vous prie.
VALÈRE.
Voulez-vous pas entrer?
SGANARSLLE.
Il n en est pas besoin. Monsieur, de grâce!
SGAKTARELLE.
Non , je n'irai pas plus loin. ,
. VALÉRE.
Tant que vous setet là, je ne puis vous entendre.
SOA17AREI.LE.
Moi, ]en^4n veuis bou^r.
VALÈRE*
Hé bien! il faut se rendre.
ia4 L'ÉCOLE DES MARIS.
Vite, puisque monsieur à cela se résout, Donnez un siège ici.
SGANARELLE.
Je veux parler debout.
VA LE RE.
Vous souifrir de la sorte?
SGANARELLE.
Âhl contrainte ejBBx)yableI
'^ VALÈRB.
Cette incivilité seroit trop condamnable.
SGANARELLE.
C'en est une que rien ne sauroit égaler,
De n^ouïr pas les gens qui veulent nous parler.
VALÈRE.
Je vous obéis donc.
SGANARELLE.
Vous ne sauriez mieux faire.
( Ils font de gi'andes cérémonies pour se couvrir. )
Tant de cérémonie est fort peu nécessaire. Voulez-vous m'écouter?
VALÈRE.
Sans doute, et de grand cœur.
SGANARELLE.
Savez-vous , dites-moi , que je suis le tuteur D*une fille assez jeune et passablement belle Qui loge en ce quartier, et qu'on nomme Isabelle?
* . VALÈRE.
Oui,
\
ACTE II, SCÈNE III. laS
SGANARELI.E.
Si yoas le savez , je ne vous lapprends pas. Mais savez-yous aussi , lui troayant des appas, Qu'autrement qu'en tuteur sa personne me touche, Et qu'elle est destinée à l'honneur de ma couche ?
VALÈRE.
Non.
SGAITARELLE.
Je vous rapprends donc, et qu'il est à propos Que vos feux, s'il vous plaît, la laissent en repos.
VALÈRE.
Qui ? moi , monsieur ?
SGANARELLE.
Oui , VOUS. Mettons bas toute feinte.
VALÈRE.
Qui vous a dit que j'ai pour elle Fâme atteinte?
SGANARELLE.
Des gens à qui l'on peut donner quelque crédit.
VALÈRE.
Mais encore?
SGArrARELLE.
' Elle-même.
VALÈREo
Elle ?
SGANARELLE.
Elle. Est-ce assez dit?, Comme une fille honnête, et qui m^aime d'enfance. Elle vient de m'en faire entière conjBdence, ^
ia6 L'ÉCOLE DES MARIS.
Et, de pins 9 m^a chai^^ Tans 4ioBner avis Que, depuis fpae par voos tons ses pas 6ont «uvis, Son cœur y qu'avec «xoès votre poursuite 4Nilra^ , N'a que trop de vos yeux entendu le langa^ ; Que vos secrets désirs lui sont assez ooiuuis, Et que c est tous donner des soucis superflus De vouloir davantage expliquer une flamme Qui choque l'amitié que rae garde son âme.
VALÈRE.
C est elle y dHes^oos, qui de sa part vous &iL . «
SGANARSLLE.
Oui y vous venir donner cet avis franc>et aet;
Et qu'ayant vu Tardeur dont votre âme est blessée ;
Elle vous eût ]^ufi tôt fait savoir sa pensée ,
Si son cœur avoit eu, dans son émotion,
A qui pouvoH* donner cette commission ;
Mais qu'enfin la douleur dbnecontrainte extrême
L^a réduite à vouloir ^e servir de moi-même
Pour vous rendre averti , comme je vous ai dit,
Qu'à tout autre que moi son cœur est interdit.
Que vous avez assez joué de la prunelle,
Et que , si vous avez tant soit peu de cervelle ,
Vous prendrez d'autres soins. Adieu, jusqu'au revoir;
Voilà ce que j'avois à vous faire savoir.
VALÈRfi, bas.
Ergaste, que dis-tu d'une telle aventure?
s G- AN A RE L'IrE ^ bas , a part.
Le voilà bien surpris!
ACTE II, SCÈNE III. 137
SROÂSTIB, bat, àTalère.
Selon na conjectoie^ Je tiens qu elle n'a rien de déplaisant pour vous, Qu'un mystère assez fin est caché là-dessous , Et qu'enfin cet ayis n'est pas d une personne Qui veuille voir cesser Famour <|u'elle vous donne.
SGANARELtE, à part.
II en tient comme il faut.
VA L Ë R E 9 bas , à Ergaste.
Tu crois mystérieux. . .
ERGASTE, bas.
Oui. . . Mais il nous ohserve , ôtons-nous de ses yeux.
SCÈNE IV.
SGANARELLE.
Que sax^onfusion paroit sur son visage!
II ne s'attendoit pas^, sans doute, à ce message.
Appelons Isabelle : elle montre le fruit
Que réducation dans une âme produit;
La vertu fait ses soins , et son cœnr s'y consomme
Jusques à s'offenser des seuls regards d'un homme.
SCÈNE V.
ISABELLE, SGANARELLE.
ISABELLE, bas, en entrant.
J'ai peur que mon amant, plein de sa passion, N ait pas de mon avis compris l'intention j
Ta8 L'ÉCOLE DES MARIS.
Et j'en yeux, dans les fers où je suis prisonnière ^ Hasarder un qui parle avec plus de lumière,
SGANARELLE,
Me voilà de retour.
ISABELLE.
;
Hé bien?
86ANARELLE.
Un plein effet A suivi tes discours, et ton homme a son fait. Il me vouloit nier que son cœur fut malade : MaiS; lorsque de ta part j'ai maïqué l'ambassade, n est resté d'abord et muet et confus; Et je ne pense pas qu'il y revienne plus.
ISABELLE.
Ah ! que me dites-vous? J'ai bien peur du contraire, Et qu'il ne nous prépare encor plus d'une affaire.
SGANARELLE.
Et sur quoi fondes-tu cette peur que tu dis?
ISABELLE.
Vous n'avez pas été plus tôt hors du logis , Qu'ayant, pour prendre l'air , la tête à ma fenêtre, J'ai vu dans ce détour un jeune homme paroître, .Qui d'abord, de la part de cet impertinent, Est venu me donner un bonjour surprenant, Et m'a, droit dan^ma chambre, une boîte jetée
ACTE II, SCÈNE V. 1A9
Qu! renferme une lettre en poulet * cachetée. Jai voulu safks tarder lui rejeter le tout ; Mais ses pas de la rue avoient gagné le bout ^ Et je m'en sens le Cœur tout gros de fâcherie.
Voyez un peu la cuse et la friponnerie I
l'SABELLE.
Il est de mon devoir de Êiire promptement Reporter boîte et lettre à ce maudit amant; Et j'aurois pour cela besoin d'une personne. • • Car d'oser à vous-même. . .
SGANARELIS.
Au contraire, mignonne, C'est me Êare mieux voir ton amour et ta foi ; Et mon cœur avec joie accepte cet emploi : Tu m'obliges par-là plus que je ne puis dire.
ISABELLE. ^
Tenez donc.
SGANARELLE.
Bon. Voyons ce qu'il a pu t'écrire.
ISABELLE.
Ah ciel! gardez-vous bien de l'ouvrir, . .
' On donne plusieurs étjmologies au mot poutet, pris dans ce sens. Saumaise le fait dériver du latin, t) autres pensent cpie l'on a donné ce nom aux billets doux, parce qu'ils étoient plies de manière à ce qu'il j ayoit deux pointes qui formoient comme des ailes de poulet.
MoLiii^aE. 2. 9
i3d L'ÊQOLÊ DES MARIS.
S6ANARBLtE.
Etpotinjùoi?
ISABSLtE.
Lui voulez-vous donuer à croire que c^est moi? Une filLe d'honneur doit toujours se défendre De lire les billets qu un homme lui &it rendre. La curiosité qu on fait lors éclater Marque un secret plaisir de s'en ouïr conter^ Et je trouve à propos qu9, toute cachetée, Cette lettre lui soit promptement reportée ^ Afin que d autant mieux ill conp.oisse aujourd'hui Le mépris éclatant que mon cœur lait de lui. Que ses feux désormais perdent toute espérance, Et n^entreprennent plus pareille extravagance.
SGANARELLE.
Certes, elle a raison lorsqu'elle parle ainsi. Va , ta vertu me charme, et ta prudence aussi ; Je vois que mes leçons ont germé dans ton âme ; Et tu te montres digne enfin d'être ma femme.
ISABELLE.
Je ne veux pas pourtant gêner votre désir.
La lettre est dans vos mains, et vous pouvez Touvrir.
S6ANARELLE.
Non, je n'ai garde; hélas! tes raisons sont trop bonnes ; Et je vais m'acquitter du soin que tu me donnes, A quatre pas de là dire ensuite deux mots. Et revenir ici te remettre en repos.
ACTE II, SCÈNE VI. i3i
SCÈNE VL
SGANARELLE.
Dans quel ravissement est-ce que mon cœur nage.
Lorsque je vois en elle une fille si sage I
C'est un trésor dlionneur qu^ j'ai dans ma maison.
Prendre un regard d^amour pour une trahison!
Recevoir un poulet comme une injure extrême,
Et le faire au galant reporter par moi-même !
Je voudrois bien savoir, en voyant tout ceci,
Si celle de mon frère en useroit ainsi.
Ma foi, les filles sont ce que Ton les fait être.
Holà.
(Il firappe à la porte de Val ère. )
SCÈNE VIL
SGANARELLE, ERGASTE.
ERGASTE.
Qu'est-ce? •
sgaiïarelle. Tenez , dites à votre maître Qu'il ne s'ingère pas d'oser écrire encor Des lettres qu'il envoie avec des boîtes d'or, . Et qulsabelle en est puissamment irritée. Voyez, on ne Ta pas au moins décachetée, n connoitra l'état que l'on fait de ses feux. Et quel heureux succès il doit espérer d'eux.
i3à L'ÉCOLE DES MARIS.
SCÈNE VIII.
VALÈRE, ERGASTE.
TAtÈRE.
Que vient de te donner cette farouche bête?
ERGASTE.
Cette lettre, monsieur, qu'avecque cette boîte On prétend quaît reçue Isabelle de vous, Et dont elle est, dit-il, en un fort grand courroux. C'est sans vouloir l'ouvrir qu'elle vous Fa fait rendre. Lisez vite, et voyons si je me puis méprendre.
VALÈRE lit.
<c Cette lettre vous surprendra sans doute; et Ton peut « trouver bien hardi pour moi , et le dessein de vous 1^- cc crire, et la manière de vous la faire tenir : mais je me a vois dans un état à ne plus garder de mesure. La juste ce horreur d un mariage dont je suis menacée dans six jours « me fait hasarder toutes choses; et, dans la résolution de « m'en affranchir par quelque voie que ce soit, j'ai cru « que je devois plutôt vous choisir que le désespoir. Ne « croyez pas pourtant que vous soyez redevable de tout à c( ma mauvaise destinée : ce n'est pas la contrainte où je « me trouve qui a fait naître les sentiments que j'ai pour « vous; mais c'est elle qui en précipite le témoignage, et (( qui me fait passer sur des formalités où la bienséance du « sexe oblige. Il ne tiendra qu'à vous que je sois à vous ce bientôt; et j'attends seulement que vous m^ayez marqué
ACTE II, SCÈNE VIII. |33
R les intentions de votre amour pour tous £ure savoir la « résolution que j ai prise : mais surtout songez tpie Je « temps presse, et que deux cœurs qui s'aiment doivent « s^entendre à demi-mot. »
ERGASTE.
Hé bien ! monsieur, le tour est-îï original? Pour une jeune fille , elle n'en sait pas mat. De ces ruses d amour la croiroit-on capable ?
VALÈRE.
Âh ! je la trouve là tout-â-fait adorable. Ce trait de son esprit et de son amitié Acaoit pour elle encor mon amour de moitié y Et joint aux sentiments que sa beauté m'inspire. . .
ERGASTE.
La dupe vient : songez à ce qu'il vous faut dire.
SCÈNE IX.
SGANARELLE, VALÉRE, ERGASTE.
SGAl^ARELLE, se croyant seul.
0 TROIS et quatre fois béni soit cet édit Par qui des vêtements le luxe est interdit! Les peines des maris ne seront plus si grandes, Et les femmes auront un frein à leurs demandes. Oh ! que je sais au roi bon gré de ces décris ! * Et que , pour le repos de ces mêmes maris , Je voudrois bien qu'on fit de la coquetterie
* On appeloit décri, la défense par cri public de faire une chos^.
i34 L'ÉCOLE DES »JARIS.
Comme de la guipure ' et de la broderiel J ai voulu lacbeter Fédit expressément Afin que d'Isabéllé il soit lu hautement; Et ce sera tantôt, n étant plus occupée, Le divertissement de notre après-soupée.
( apcrccy^mt Yalèw. )
Envoîrez-vous ^iK:of , monsieur aux blonds cheveux 9 Avec des boites d^or des billets amoureux? Vous pensiez bien trouver quelque jeune coquette , Friande de l'intrigue et tendre à la fleiuretle : Vous voyez de quel air on reçoit vos jejaux. Croyez-moi y c'est tirer votre poudre aux moineaux : Elle est.sage, elle m'aime^ et votre a»mir routrage. Prenez visée ailleurs, et troussez?<noi bagage.
VALÈKE.
Oui, oui, votre mérite, à qui chacun se rend, Est à mes vœux , monsieur, un obstacle trop grand ; Et c'est folié & moi, dans mon ardeur fidèle^ De prétendre avec vous à Tamour dlsabelle.
S^ANARELLE,
11 est vrai , c'est folie,
Ausçi u'aurois-je pas Abandonné mon coeur à suivre ses appas, . Si j'avois pu prévoir ^ue ce coeur misérable Dût trouver un rival comme vous redoutable. .
I Guipure, espèce de ^entelif.
ACTE II, SCÈNE IX. i35
SGANARELLE.
Je le crois.
Je n'ai garde à présent d espérer : Je vous cède, monsieur; et c'est sans murmurer.
SGANAKBLIiE.
Vous Élites bien.
Le drcit de la^sorte Fordonne; Et de tant de vertus brille yotre personne, Que j^auroistort de voir d'un regard de courroux Les tendres sentiments qulsabelle a pour vous.
SGÀNARELLE.
Cela s'entend.
VALÈEE.
Oui , oui ^ je vous quitte la place : Mais je vous prie au moins, et c'est la seule grâce, ^ Monsieur, que vous demande un misérable amant Dont vous seul aujourd'hui causez tout le tourment; Je vous conjure donc d'assurer Isabelle Que , si depuis trois mois mon cœur brûle pour elle, Cet amour est sans tache, et n'a jamais pensé A rien dont son honneur ait lieu d'être offensé.
SGANARELLE.
Oui.
<yALÉRE.
Que^ ne dépendant que du choix de mon âme. Tous mes desseins étoiept de l'obtenir pour femmo^
i36 L'ÉCÔLÈ DES MARIS.
Si les destins 9 en vous qui captiyez son cœur, N'opposoient un obstacle à cette juste ardeur.
SGANAREILE.
Fort bien. :
VAlÈièg. Que, quoi qu'on fasse, il ne lui fiiut pas croire Que jamais ses appas sortent de ma mémoire; Que, quelque arrêt des deux qu'il me faille subir, Mon sort est de Paimer jusqu'au demi»:' soupir; Et que, si quelque cbose étouffe mes poursuites, C'est le juste respect que j'ai pour vos mérites.
SGAITARELLE.
C est parler sagement; et je yais de ce pas Lui faire ce discours qui ne la choque pas : Mais, si vous me croyez , tâchez de faire en sorte Que de votre cerveau céttfe passîoil sorte: Adieu,
ERGASTE, à Valèrç,
La dupe est boiinë.
SCÈNE ,X.
sganarelLe.
« ■ T ' * •
' '' ' . . '
Il nie fait grand'pitié. Ce pauvre malheureux tout rempli d'amitié ; Mais c'est un mal pour lui de ç'être mis en tête De vouloir prendre un fort qui se voit ma conquête.
,( Sganarelle hçurte à sa porte. ) .
ACTE II, SCÈNE XL t^
SCÈNE XL SGANARELLE, ISABELLE.
t •
SGANARELLE.
Jamais amant n'a faît tant de trouble éclater ,
Au poulet renvoyé sans le décacheter :
Il perd toute espérance enfin , et se retire.
Mais il m'a tendrement conjuré de te dire
« Que du moins en t'aimant il n'a jamais pensé
« A riei; dont ton honneur ait lieu d^être offensé;
« Et que^ ne dépendant que du choix de son âme,
(c Tous ses désirs étoient de t'obtenir pour femme ^
« Si les destins, en moi qui captive ton cœur, ^
« N'opposoient un obstacle à cette juste ardeur;
« Que 5 quoi qu'on puisse faire, il ne te faut pas croire
« Que jamais tes appas sortent de sa mémoire;
« Que, quelque arrêt des cieux qu'il lui faille subir,
« Son sort est de f aimer jusqu'au dernier soupir;
« Et que, si quelque chose étouffe sa poursuite,
« C est le juste respect qu'il a pour mon mérite. »
Ce sont ses propres mots; et, loin de le blâmer,
Je le trouve honnête homme, et le plains de t'aimer.
ISABELLE, bas.
Ses feux ne trompent point ûia secrète croyance, Et toujours ses; regards m'en ont dit l'innocence.
SGANARBLLE.
Que dis-tu?
i38 L'ÉCOLE DES MARIS.
ISABELLE.
Qu il m'est dur que vous plaigniez si fort Un homme que je hàxÈ i Fégal dé k môrt^ Et que, si vous m'aimiez autant que vous le dites ^ Vous sentiriez Fa&ont que me font ses poursuites.
SGANARELLE. ,
Mais il ne savoit pas tes inclinations ; Et , par l'honnêteté de ses intentions J^ Son amour ne mérite. . .
ISABELLE,
Est-ce les avoir bôtines , Dites-moi, de vouloir enlever les personnes? Est-ce être homme d'honneur de fonaer des dessein» Pour m'épouser de force en m'ôtant de vos mains? Gomme si j'étois fille à supporter la vie Après qu'on m'auroit îàit une telle infsimie.
SGAKARELLE.
Comment?
ISABELLE.
Oui, oui; j'ai su que ce traître damant Parle de m'obtenir par un enlèvement; Et j'ignore, pour moi, les pratiques secrètes Qui l'ont instruit sitôt du dessein que vous faites De me donner la main dans huit jours au pins tard, Puisque ce n'est que d'hier que vous m'en fltes part : Mais il veut prévenir, dit-on , cette journée Qui doit à votre sort unir ma destinée.
ACTE II, SCÊME XL i3i)
Voilà qui ne vaut rien.
Oh que pardonnez^moi ! Cest on fort hùonéit homme, et qui ne sent pour moi. • .
SGAMARSLLS.
II a tort ; et ceci passe la raillerie.
ISABELLE.
Allez, votre douceur entretient sa folie;
S'il TOUS eût vu tantôt lui parler vertement,
II craindroit vos transports et mon ressentiment ;=
Car c^est encor depuis sa lettre méprisée
Qu'il a dit ce dessein qui m^a scandalisée;
Et^on amour conserve, ainsi que je l'ai su,
La croyance qu'il'est dans mon coeur bien reçu,
Que je fuis votre hymen , quoi que le monde en croi/e ,
Et me verrois tirer de vos mains avec joie. •
SGARARELLB.
II est fou.
ISABELLE.
Devant vous il sait se déguiser; Et son intention est de vous amuser. Croyez , par ces beaux mots , que le traître vous joue. Je suis bien malheureuse , il £tttt tpie je Favoue , Quavecque tous mes soins pour vivre dans l'honneur, Et rebuter les vœux d un lâche suborneur. Il faille être exposée aux fâcheuses surprises De yoir Êiire sur moi d 'infilmes entreprises I
1 /
î4o L'ÉCOLE DES MARIS.
SGANAREtLB.
Va , ne redoute rien.
ISABELLE.
Pour moi, je vous le di , Si vous n'éclatez fort contre un trait si hardi, Et ne trouvez bientôt moyen de me défaire Des persécutions d'un pareil téméraire , J'abandonnerai tout, et renonce i lennui De souffirir les affironts que je reçois de lui.
. S6AKARELLE.
Ne t'afflige point tant; va, ma petite femme, Je m'en vais le trouver, et lui chanter sa gamme.
ISABELLE.
Dites-lui bien au moins qu'il le niroit en vain, Que c est de bonne part qu'on m'a dit son dessein; Et qu'après cet avis, quoi qu'il puisse entreprendre,. J ose le défier de me pouvoir surprendre ; Enfin que, sans plus perdre et soupirs et moments. Il doit savoir pour vous quels sont mes sentiments, Et que, si d'un mall^eur il ne veut être cause, Il ne se fasse pas deux fois dire une chose.
SGAlNfARELLE.
Je dirai ce qu'il faut.
ISABELLE.
I
Mais tout cela d un ton Qui marque que mon cœur lui parlé tout de bon.
SGANARELLE.
Va, je n oublîrai rien, je t'en donne assurance.
ACTE II, SCÈNE XI. i4i
I ISABELLE.
^attends votre retour avec impatience; Hàtez-le 5 s'il vous plaît, de tout votre pouvoir : Je languis cjuand je suis un moment sans vous voir.
SGANARELLE.
Va , pouponne , mon cœur, je reviens tout à l'heure.
SCÈNE XII.
SGANARELLE.
EsT-iL une personne et plus sage et meilleure?
Ah! que je suis heureux! et que j'ai de plaisir
De trouver une femme au gré de mon désir!
Oui, voilà comme il faut que les femmes soient faites;
Et non, comme j'en sais, de ces franches coquettes
Qui s'en laissent conter, et font dans tout Paris
Montrer au bout du doigt leurs honnêtes maris.
( Il frappe à la porte de Valère. )
Holà, notre galant aux belles entreprises.
SCÈNE XIII.
VALÈRE, SGANARELLE, ERGASTE.
VALÉRE.
Monsieur^ qui vous ramène en ces lieux?
SGANARELLE.
Vos sottise^*
VALÈRE.
Gomment?
i4a UÉCOLE DES MARIS.
SaABrARELLE.
Vons sarez bien de quoi je veux parler. Je vous croyoifi |Jiis sage , a ne yons rien celer. Vous venez m'amnser de vos belles paroles , Et conservez sous main des espérances folles. Voyez-vous, j^ai voulu doucement vous traiter; Mais vous m obligerez à la fin d'éclater. N avez-vous point de honte, étant ce ^e vous êtes. De faire en votre esprit les projets que vous faites, De prétendre enlever une fiUe d'honneur, Et troubler un hymen qui fait tout son bonheur?
VALÈRE.
Qui vous a dit, monsieur, cette étrange nouvelle?
SGANARELLE.
Ne dissimulons point, je la tiens d'Isabelle, Qui vous mande par moi, pour la dernière fois. Qu'elle vous a fait voir assez quel est son choix; Que son cœur^ tout à moi, d'un tel projet s^offense; Qu elle mourroit plutôt qu'en souffirir l'insolence; Et que vous causerez de terribles éclats , Si vous ne mettez fin à tout cet embarras.
VALÈRE.
S'il est vrai qu'elle ait dit ce que je viens d'entendre, . J'avoûrai que mes feux n'ont plus rien à prétendre ; Par ces mots assez clairs je vois tout terminé, Et je dois révérer l'arrêt qu'elle a donné.
SGANARELLE.
Si. . . Vous en doutez donc, et prenez pour des feintes
ACTE II, SCÈNE XIII. 143
Tout ce que de sa part je wjoub ai fitU de plaintes? Voulez-ycras <pi elle-même elle explique sob cœur? Ty consens yolontiers pour vous tirer d'erreur. Suiyez-moi, vous verrez s il est rien que jWance^ Et si son jeune cœur entre nous deux balance.
( U Ta frapper à sa porte» )
SCÈPTE XIV.
ISABELLE, SGANARELLE, VALÈRE, ERGASTE^
ISABBLI.E.
Quoi! vous me Famenez ! quel est votre dessein? Prenez-vous contre moi ses intérâts en main ? Et voulez-vous, charmé de ses rares mérites , RTobliger à Faimer, et souffirir ises visites?
/ : S6AKARELIE.
Non, ma mie, et ton cœur pour cela m est trop cher : Mais il prend mes avis pour des contes en Fair , Croit que c'est moi qui parle, et te fais, par adresse, Pleine pour lui de haine, et pour moi de tendresse; Et par toi-même enfin j'ai voulu sans retour Le tirer d une erreur qui nourrit 4Son amour.
ISABELLE, àYaUre.
Quoi! mon âme à vos yeux ne se montre pas toute , Et de mes vœux encor vous pouvez être en doute?
VALiRE.
Oii, tout ce que monsieur de votre part m'a dit, Madame , a Uen pouvoir de surprendre un esprit : J'ai douté, je l'avoue, et cet arrêt suprême
i44 L'ÉCOLE DES MARIS*
Qui décide du sort de mon amour extrême Doit m*étre assez touchant pour ne pas sWenser Que mon cœur par deux fois le fisse prononcer^
ISA3ELLB.
Non , non y un tel arrêt ne doit pas tous surprendre :
Ce sont mes sentiments qu^il vous a &it entendre;
Et je les tiens fondés sur assez d'équité
Pour en £dre éclater toute la vérité.
Oui , je yeux bien qu'on sache , et j en dois être crue,
Que le sort offire ici deux objets à ma rue ,
Qui, m'inspirant pour eux différents sentiments,
De mon cœur agité font tous les mouvements.
L^un, par un juste choix où Thonneur m^intéresse,
A toute mon estime et foute ma tendresse;
Et l'autre, pour le prix de son affection,
A toute ma colère et mon aversion.
La présence de lun m'est agréable et chère,
J'en reçois dans mon âme une allégresse entière;
Et lautre , par sa vue , inspire dans mon cœur
De secrets mouvements et de haine et d^horreur.
Me voir femme de lim est toute mon envie ;
Et, plutôt qu'être k l'autre , on.m'ôteroit la vie.
Mais c'est assez montrer mes justes sentiments,
Et trop long-temps languir dans ces rudes tourments
Il faut que ce que j'aime, usant de diligence.
Fasse à ce que je hais perdre toute espérance,
Et qu'un heureux hymen affiranchisse mon sort
D^un supphce pour moi plus affireux que la morte
ACTE II, SCÈNE XIV. i45
SGANARELLB«
Oui, mignonne, je songe à remplir ton^itt^te.
ISABELLE.
C'est Panique moyen de .me rendre contente.
SGANARELLB.
Tu le seras dans peu.
ISABELLE.
Je sais qu'il est honteux Aux filles d'expliquer si librement leurs yoeux.
SGAyARELLE.
Point, point.
ISABELLE.
Mais, en Tétat où sont mes destinées, Be telles libertés doivent m*êtré données ; Et je puis sans rougir faire un aveu si doux A celui que déjà je regarde en époux.
sganarëI^le.
Oui, ma pauvre &n&n , pouponi^e de mon âme.
ISABELLE.
Qu'il songe donc, de grâce, à me prouver sa flamme.
SGANARELLE.
Oui, tiens^ baise ma main.
ISABELLE.
Que sans plus de soupirs Il conclue uti hymen qui- fait tous mies désirs,
Moi.iàiiB. a. ■ lo
/
t46 L'ÉCOLE DES MARlâ.
Et reçoive en ce liea la fin que je loi donne De n^écooter jainab ks vcettx dPaidve personiM*
(Elle £ut semblant d'embiasser Sçanarelley et donne m main à
baiser k Yalère. )
SGANAEELLE.
Hai, hai, mon petit nez , panvre petit bonchon,
Ta ne langniias pas long-temps, je t*en répond.
Va, cbnt.
(à^Valèw.)' YposleToyeK, jenelni&ispasdire, '
Ce n'est qn'après moi senl cjne son âme respire.
YALÂRE.
Hé bien I madame, bë bien! c'est s'expliquer assez : Je vois par ce discours de quoi voos me juressez; Et je saurai dfins peu vous ôter la présence De celui qui vous fait si grande violence. .
ISABELLE.
Vous ne me sauriez faire .un plus charmant plaisir; Car enfin cette vue est fâcheuse à souffrir. Elle m'est odieuse; et Thorréur est si forte. . .
SGANARELLE.
Hé! hé!
ISABELLE.
• * '
Vous offensé- je en parlant de la sorte ? Fais-je, . . ....:'.
iî^ SOAKARELLE.
Mon Dieu ) nenni , ijë âe dii» pas èeb r
i .• '
• «
. Il
ACTE II, SCÈNE XIV. [f/iy
Mais je plains, sans mentH'^ FétatiMi le yoilà;
Et c'est trop haateménd que ta baîxie.se) montie^ ) : -i :u\
Je n en puis CMip mantrec.ei^ parejlié réi^èofitre; . .'. '
'''>.', j . VA tiEiRB*. .
Oui , vous serez contente ; jet, dans trois jours , vos yeux Ne verront plus l'objet qi^ vous est odieux. • .., . ' . /ï
A la bonne heiàe» Âdièuvi . : :: i.. .;.: r s l
. . ls>tA:BAA'fiLL£.'àValeffl.i: '';'.,> 'T.
. ': : ' Je plaioâ.YQti'etiB&KtiiiiQ :
Mais... .-M.ï^:.: /.::.
VAIÈRB.
Non, vous n^eateOidreEjdB noBcœur plainteaucune :
I^dame assaién)éol} iJomi îttslSb^ i
Et je vais travailler ArCif ntenter ses v«eux.
Adieu. !; . ,' 'j 1.1 'j> r; iii". >>! :;; : .• ''•».'
SGANARELLE.
Pauvre garçon! sa douleur est extrême. Venez, embrassez-moi , c^est un autre elle-même.
SCÈNE XV.
ISABELLE, SGANARELLE.
SGAIÏAAELLE*
Je le tiens fort à plaindre.
ISABELLE.
I
Allez, il ne lest point.
i48 L'ÉCOLE DES MARIS.
SGANARELLE.
AU reste y ton amour me touche au dernier point, Mignonnette , et je veux qu il ait sa récompense : C'est trop que de huit jours pour ton impatience; Dès demain je t'épouse, et n'y veux appeler* . •
ISABELLE.
Dès demain?
SGANA&SLLE.
Par pudeur tu feins d'j recaler : Mais je sais bien la joie où ce discours te jette , Et tu youdrois déji que la chose fût fitite.
ISABELLE.
Mais. . . f
SGANARELLE*
Pour ce mariage allons tout préparer.
ISABELLE, àpart..
O ciel, inspirez-moi ce qui peut le parer!
FIN DU S£Ct)KD ACtB.
L'ÉCOLE DES MARIS. 149
'■i»^*»«»^'>^i*^'^»i<i»^i^^*<
ACTE TROISIÈME.
SCÈNE I.
ISABELLE.
(jvtj le trépas cent fois me semble moins à craindre Que cet hymen fiital où l'on veut me contraindre ; Et tout ce que je £aiis pour en fuir les rigueurs Doit trouver quelque grflce auprès de mes censeurs» * Le temps presse, il £dt nuit; allons , sans crainte aucune , A la foi d^un amant commettre ma fortune.
SCÈNE IL
-•
SGANARELLE, ISABELLE.
SGANA'RELLB^ parlante ceux ^ui sont dans sa maison.
Je reviens , et Ton va pour demain de ma part.
ISABELLE.
Ociel!
SGANAREiLLE.
C'est toi, mignonne 1 Où vas-tu donc si lard? Tu disois qu en ta chambre , étant un peu lassée , Tu t'allois renfermer lorsque je t'ai laissée ; Et tu m avois prié même que mon retour Ty souffrit en repos jusques à demain, jour.
i5o UÊCOLE DES MAHIS,
Il est vrai; mais...
SGAlîARBLtB. ...
Hé quoi?
ISABELLE.
Vous me voyez confuse, Et je ne sais comment vous en dire l'excuse.
SGANARELLE.
Quoi donc? que pourroittoe êtve?
isabeli;e.
Un secret surpvâiaiit : G est ma sœur qui m'obUge k sortir maintenant ^ Et qiû^ pour un dosseiin dont je Pai fort blâmée, M'a demandé mu ckambro, où je Fai renfermée^ :
SGANARELLE.
Comment?
ISABELLE.
Ueût-on pu croire? Elle aim^ç cet ax^c^t Que nous ayons ban^ui.
SGARAHELLE.
Valère.
' ISABELLE.
ÉperdAment. C'est un transport si grand , qu'il n^en est point de même; Et vous pouvez juger de sa puissance extrême, Puisque seule, à cette heure, elle est venue ici Me découvrir i mpi son amoureux souci.
ACTE III, 3CÈNE IL. i&\
Me dire ahsotument qu'elle perdra la vie , Si son âme n^'obtient Feffet de son envie; Que depuis plus d'un an d assez vives ardeurs Dans un secret commerce entretenoient leurs cœurs ; Et que même ils s'ëtoient, leur flamme étant nouvelle, Donné de s'épouser une foi mutuelle. . .
SGAIÏARELLE.
La vilaine!.
ISABBLL£..
Qu'ayant appris le désespoir Où j'ai précipité celui qu'elle aime à voir, Elle vient me prier de soufirît que sa flamme Puisse rompre un départ qui lui perceroit Tâme; Entretenir ce soir cet amant^SQUs mon nom Par la petite rue où ma chambre répond; Lui peindre, d'une voix qui contrefait la mienne. Quelques doux sentiments dont lappât le retienne. Et ménager enfin pour elle adroitement Ce que pour moi Ton sait qu'il a d'attachement.
ÇGANARELLE.
Et tu trouves cela. . .
4
ISABELLE.
Moi? j'en suis courroucée. Quoi! ma sœur, ai-je dit, êtes-vous insensée? Ne rougissez-vous point d'avoir pris tant d'amour Pour ces sortes de gens qui changent chaque jour. D'oublier votre sexe, et tromper l'espérance D un homme dont le ciel vous clonnoit lalliauce?
i5a L'ËCOLE DES MAR1&
SGANARSLLE.
Il le mérite bien ; et j'e^ suis fort ravi.
ISABE)r.XE.
Enfin de cent raisons mon d^pit s est servi Pour lui bien reprocher des bassesses si grandes , Et pouvoir cette nuit rejeter ses demandes : Maïs elle ma fait voir de si pressants désirs, Â tant versé de pleurs y tant poussé de soupirs y Tant dit qu^au désespoir je porterois son âme , Si je lui refusois ce qu'exige sa flammq, Qu a céder malgré moi mon cceur s'est vu réduit; Et , pour justifier cette intrigue de nuit , Oii me Ëiisoit du sang relâcher la tendresse, Gallois Élire avec moi venir coucher Lucrèce, Dont vous me vaqtez tant le» vertus chaque jour : Mais vous m'avez surprise avec ce*prompt retour.
SGÀNÀKELi:.E,
Non , non , je ne veux point chez moi tout ce mystère. J'y pourrois consentir à Tégard de mon firère : Mais on peut être vu de quelqu'un du dehors ; lEt celle que je dois honorer de mon corps Non-seulement doit être et pudique et bien née, 11 ne faut pgs que même elle soit soupçonnée. Allons chasser Tinfâme; et de sa passion. . •
Âh ! vous lui dopnçriez trop de confusion ; Et c'est avec raison qu'elle pourroît se plaindre Du peu de retenue où j'ai su me contraindre ;
ACTE III, SCÈNE IL |53
Pulsqae de son dessein je dois me départir, Attendez que du moins je la &sse -sortir. .
SGAirAREI.LE.
Hé bien liais.
ISABELLE.
Mais surtout cachez- vous, je voQ5 prie, Et, sans lui dire rien , daignez voir sa sortie.
SOANARELLE.
Oui, ponr Famour de toi je retiens mes transports : Mais, dès le même instant qu'elle sera dehors. Je veux, sans difiGerer, aller trouver mon frère : J'aurai joie à courir lui dire cette afiaire.
ISABELLE.
Je vous conjure donc de ne me point nommer. Bonsoir; car tout d'un temp je vais me renfermer.
S6ANARELLE, senl.
Jusqu'à demain-, ma mie. • . En quelle impatience Suis-je de voir mon frère , et lui conter sa chance ! II en tient, le bon homme, avec tout son phébus. Et je n'en voudrois pas tenir cent bons écus.
ISABELLE, dans la maison.
Oui, de vos déplaisirs l'atteinte m'est sensible : Mais ce que vous voulez, ma sœur, m'est impossible; Mon hpuneur, qui m'est cher, y court trop de hasard. Adieu. Retirez-vous avant qu'il soit plus tard.
SGANARELLE.
La voilà qui, je crois, peste de belle sorte : De peur qu elle revint, fermons à clef la porte.
1^ L.'ÊCOL£ DES MARIS.
I S AB E LL E y en sortant»
O ciel, dans mes desseins ne m^abandiomeâ pas !
SGArUARSLLE, àpart.
Où ponrra-t-elle aUer? Suivons un peu ses pas.
ISABELLE, àpart.
Dans mon trouble du moins la nuit me favorise.
SGANARBLLE, à part.
Âu logis du galant! Quelle est son entreprise?
SCÈNE III;
VALÊRE, ISABELLE, SGANARELLE,
VA L È R E , sortant brusquement^
Oui, oui, je veux tenter quelque effort cette nuit Pour parler.. . Qui va là?
ISABELLE, àYalère.
Ne faites point de bruit, Valère; on vous prévient, et je suis Isabelle.
SGANARELLE.
Vous en avez menti, chienne^ ce n^est pas eUe. De l'honneur que tu fuis elle suit trop les lois ; Et tu prends £iussement et son nom et sa voix«
ISABELLE, àYalère.
Mais à moins de vous voir par un saint hyménée. . .
VALERE.
Oui, cest l'unique but ou tend ma destinée; Et je vous donne ici ma foi que dès demain Je vais où vous voudrez recevoir votre main.
ACTE III, SCÈNE III. i55
8GANARELLB,2i part. "
Pauvre sot qui s'abasêî ^ .
VALlRBi
Entrez en assurance : De votre Argus dupe je brave la puissance; Et, devant qu'il vous pût ôter â mou ardeur, Mon bras de mille coups lui percer oit le cœur.
SCÈNE IV.
SGANARELLE,
Ah! je te promets bien que je n'ai pa$ CQvie De te Tôter , Finfâme à tes feux asservie , Que du don de ta foi je ne suis point jaloux, Et que, si j^en suis cru, tu seras son époux. Oui, faisons-le surprendre avec cette effrontée 5 La mémoire du père à bon droit respectée , Jointe au grand intérêt que je prends à la sœur, Veut que du moins Ton tâche à lui rendre l'honneur. Holà.
( Il frappe à la porte d un commissaire. )
SCÈNE V.
SGANARELLE, UN COMMISSAIRE, UN NOTAIRE. UN LAQIJAiS AVEC UN flambeau.
le commissaire. Qu'est-ce?
sganarelle. Salut, monsieur le commissaire.
1^6 L'ËCOLEDES MARIS.
Votre présence en robe est ici nécessaire; Suiyez-moi, s'il vous platt, avec votre clarté.
LJS COMMISSAIRE^
Nous^ sortions...
SGAKARSLLB.
n s'agit d'un £iit assez hâté.
LE COMMISSAIRE.
Quoi?
SGANÂRELLS,
D^aller là-dedans , et d'y surprendre ensemble Deux personnes qu'il &ut quW bon hymen assemble; C^est une fille à nous, que, sous un don de foi, Un Valëre a séduite et fait entrer chez soi. Elle sort de &mille et noble et vertueuse, Mais. . .
LE COMMISSAIRE.
Si c'est pour cela , la rencontre est heureuse , Puisqu'ici nous avons un notaire.
SGANARELLE,
Monsieur?
LE NOTAIRE.
Oui, notaire royal,
LE COMMISSAIRE.'
De plus, homme d'honneur.
SGANARELLE.
Cela S en va sans dire. Entrez dans cette porte, Et sans bruit ayez Fœil que personne n'en sorte :
ACTE III, SCÈNE V. 167
Vous serez pleinement contentés de vos soins; Mais ne vous laissez pas graisser la pâte, an moins*
LE COMMISSAIRE.
Comment! Vous crojez donc cpi'un homme de justice. • •
SGAITARELLE.
Ce que j'en dis n'est pas pour taxer votre office. Je vais £àire venir mon firère promptement : Faites que le flambeau m'éclaire seulement.
( à part. )
Je vais le réjouir cet homme sans colère. Holà.
( Il frappe à la porte &*Ariste. )
SCÈNE VI.
ARISTE, SGANARELLE.
ARISTE.
Qui frappe? Ah! ah! que voulez-vous, mon frère?
SGAMARELLE.
Venez , beau directeur, suranné damoiseau, On veut vous faire voir quelque chose de beau.
ARISTE.
Comment?
SGANARBLLE.
Je vous apporte une bonne nouvelle.
ARISTE.
Quoi?
SGAKARELLE.
Votre Léonor, où, je vous prie , est-elle?
*^ L'^ÇQtB DES MARIS.
Pourqi»QÎ:celtç (Jemand^? Elle est, coIl^ae je ^pi ,
Au bal chez son amie, .
• • ■ '4 ■ » . ■
...m! S^rXBïAREHrE.
Hé I oui 5 oui ; suivez-moi , Vous verrez à queljb^l la donzelle est allée.
ARISTE,
Que voulez-vous conter?
SGANARELLE.
Voug lavez bieii Stylée : 11 n'est pas bon de vivre en sévère censeur ;
On gagne les espîts pai* beaucoup de douceur;
Et les soins défiante, 1^ verrous et les grilles,
Ne font pas la vertu des femmes ni des filles;
Nous les portons au ïnal par tâiït d'aiistérité,
Et leur sexe demande un peu de. liberté.
Yrainiesit elle en jbl .pif i& tout 3oîq ftoAl ,' la rusée ;
Et la vertu chez elle eatifort humanisée.
Où veut donc ibtotJir.liiipai^e&tr^içii? .
SGA|r^I|fi$.LE.
Allez , mon frère aîné , cela vous sied fort bien ; Et je ne voudroîs pas.,,pQji|r:yingjt bonnes pistoles, Que vous.iiensskZfCe fruit de vos m^2ËJl>iaQS ailles : On voit ce qu'en deux sœurs JlOi? leçons ont produit; , L'une fuit les galants , et l'autre les poursuit. '
Si vous mAbe rende? cette jénigude plWfCicCireii'O' f
A CT'E I II , S CÈNE^ V II 9S9
L énigme est ijii&sôii bal est chez monsleiir Valèrèj ' Que, de nuit, je Tai vue y conduire ses pas, Et qa a rbeurté préseivte elle est entre ses bras.
AIIISTIS. '
Qui?
SO^ANAIl£LLË.
Léonor.
ARISTE.
Cessons de railler, je vous prie.
SGAT?ARELXE.
Je raille. . • Il est fort- bén àvèc sa raillerie !
< • • • •
Pauvre esprit! Je tous dis, et vous redis eûcor Que Valère cfcei hii tient votre Léohpr, Et ^'ils s^étoiênt promis une foi muluelle Avant qull eût songé dèr poursuivre Isabelle.
■ • • •* - AkiSISE.
Ce discours d'appariencè est si fiart dépourvu. . .
sganaréAle. n ne le croira pas éùcore en Vayântvu : J'enrage. Par ma foi , Tâge rie sert de guère . ' • ' Quand on n a pas cela. • *
( Il met le doigt sur son front. )
. ARISTE.
^ Qiioil vouka-voasj mpîï frèw.'.-?
SGANARELLE.
Mon Dieu! je ne veux rien. Suivez-moi seulement; Votre esprit tout à l'heure aura contentement;
i«o L'ÉCOLE DES MARIS.
Vous verrez si jlmpose, et si leur foi donnfc
N 'avoit pas joint leurs cœurs depuis j^us d^une année.
A&ISTE.
L'apparence qu^ainsi, sans m'en £iire avertir,
A cet engagement elle eût pu consentir?
Moi y qui dans toute chose ai, depuis son enfance,
Montré toujours pour elle entière complaisance,
Et qui cent fois ai fait des protestations
De ne jamais gêner ses inclioations!
SGAICARELLE.
Enfin VOS propres yeux jugeront de Tafiaire. J'ai fait venir déjà commissaire et notaire : Nous avons intérêt que l'hymen prétendu Répare sur-le-champ l'honneur qu elle a perdu; Car je ne pense pas que vous soyez si lâche De vouloir l'épouser avecque cette tache. Si vous n'avez encor quelques raisonnements Pour vous mettre au-dessus de tous les bemements.
AKISTE.
Moi? Je n'aurai jamais cette foiblesse extrême De vouloir posséder un cœur malgré lui-même. Mais je ne saurois croire enfin. . .
SGANAAELLE.
Que de discours? Allons, ce prçcès-là continûroit toujours.
J
ACTE III, SCÈNE VII. i6i
SCÈNE VIL
UN COMMISSAIRE, UN NOTAIRE, SGANARELLE,
ARJSTE.
LB COMMISSAIRE.
Il ne faut mettre ici nulle force en usage,
Messieurs; et, si vos vœux ne vont qu^au mariage.
Vos transports en ce lieu se peuvent apaiser.
Tous deux également tendent à s^épouser}
Et Valère déjà , sur ce qui vous regarde ,
A signé que pour femme il tient celle qu^il garde.
JLRISTE.
La fille...?
LE COMMISSAIRE.
Est renfermée , et ne veut point sortir Que vos désirs aux leurs ne veuillent consentir.
SCÈNE VIII.
VALÈRE, UN COMMISSAIRE, UN NOTAIRE,
SGANARELLE, ARISTE,
VALi^RE, à la fenêtre de sa maison.
Non, messieurs; et personne ici n'aura Tentrée Que cette volonté ne m^ait été montrée. Vous savez qui je suis, et j'ai feit mon devoir En vous signant l'aveu qu'on peut vous faire voir. Si c'est votre dessein d'approuver l'alliance, Votre main put aussi m'en signer l'assurance;
MoLiàas. a. ii
i6> L'I^COLE DES MAHIS.
Sinon j £iites état de m'arracher le jour , Plutôt que de m'ôter lobjet de mon amoor.
SOAirAREI.LB« •
Non, nous ne songeons pas k yons séparer d^elle.
( bas , à part }
II ne s'est point encor détrompé d'Isabdle : P)*ofitons de Terreur.
ARISTE^àValète.
Mais est-<:e Léonor?
S<&AN AaSLLE^ k Ariste.
Taisez-YOttS.
ARISTE.
Mais...
SGAMARBLLE.
Paix donc^
ARISTE.
Je yeux sayoir. . •
SGANARELLE.
Encor? Vous tairez-yous? yous dis- je.
yALÈRE.
Enfin, quoi qu'il aviennc, Isabelle a ma foi; j^ai de même la sienne, Et ne suis point un choix, à tout examiner ;j Que yous soyez reçus à faire condamner.
A RI s X £ , k SganareUe. Ce qu'il dit là n'ei$t pa3.*.
ACTE III, SCÈNE VIII. iG3
S6ANAR£LL]&*
Taise^-YOHS , et pour caase.
(àValcre.)
Vous saurez le secret. Oui, sans dire autre chose, Nous con^ntoDS tous deux que vous soyez I epouz De celle qu'à présent on trouvera chez vous.
LE COMMISSAIRE.
Cest dans ces termes-là que la chose est conçue , Et le nom est en Uanc pour ne lavoir point vue. Signez. La fille après vous mettra tous d'accord.
VALÈRE.
Tj consens de la sorte.
SGANARELLE.
Et moi je le veux fort.
( à part. ) ( haut. )
Nous rirons bien tantôt. Là, signez donc, mon frère. L'honneur vous appartient.
ARISTE.
Mais quoi! tout ce mystère...
SGANARELLE.
Diantre! que de façons! Signez , pauvre butor.
ARISTE.
Il parle dlsabelle, et vous de Léonor.
SGANARELLE.
N êtes- vous pas d'accord 9 mon frère , si c'est elle , De les laisser tous deux à leur foi mutuelle?
ARISTB.
Sans doute.
i64 L'ÉCOLE DES MARIS.^
SGANARELLE.
Signez donc; j'en fais de même aussi.
ARISTE.
Soit. Je n'y comprends rien.
SGANARBLLE.
s Vous serez éclairci.
LE COTteMISSAIRE.
Nous allons revenir.
SGANARELLE, à Ariste.
Or çà y je vais vous dire La fin de cette intrigue.
^Ils se retirent dans le fond du théAtre. )
SCÈNE IX.
LÉONOR, SGANARELLE, ARISTE, LISETTE.
LÉONOR.
O L ÉTRANGE martyre! Que tous ces jeunes fous me paroissent fâcheux? Je me suis dérobée au bal pour l'amour d'eux.
LISETTE.
Chacun d'eux près de vous veut se rendre ag-iable.
LÉONOR.
Et moi, je n'ai rien vu de plus insupportable; Et je préférerois le plus simple entretien A tous les contes bleus de ces diseurs de rien. Us croient que tout cède à leur perruque blonde, Et pensent avoir dit le meilleur mot du monde,
\
k
ACTE III, SCÈNE IX. i65
Lorsqu'ils Tiennent, d'un ton de mauvais goguenard , Vous railler sottement sur Famour d'un vieillard ; Et moi, d'un tel vieillard je prise plus le zèle Que tous les beaux transports d'une jeune cervelle. Mais n'aperçois-je pas. . . ?
5GAN ARELLE, à Ariste.
Oui^ lafiaire est ainsi.
( Aper<;eyant Léonor. )
Ah ! je la vois paroitre , et sa suivante aussi.
ARISTE.
Élénor, sans courroux, j'ai sujet de me plaindre. Vous savez si jamais j'ai voulu vous contraindre. Et si plus de cent fois je n^ai pas protesté, De laisser à vos vœux leur pleine liberté ; Cependant votre cœur, méprisant mon sujQBrage, De foi comme d amour à mon insu s* ngage. Je ne me repens pas de mon doux traitement : Mais votre procédé me touche assurément; Et c'est une action que n'a pas méritée Cette tendre amitié que je vous ai portée.
LÉONOR.
Je ne sais pas sur quoi vous tenez ce discours : Biais croyez que je suis la même que toujours. Que riep ne peut pour vous altérer mon estime^ Que toute autre amitié me paroitroit un crime, Et que, si vous voulez satisfaire mes vœux, ^n saint nœud dès demain nous unira tous deux.
iGd L'ÉCOLE DES MARIS.
ÀRISTE.
Dessus quel fondement venez-votis Jbtoc, mon frère...?
SGANARELLE.
Quoi! vous ne sortez pas Ai logis de Valère? Vous n'avez point conté vos amours aujourd'hui? £t vous ne brûlez pas depuis tn an pour lui ?
I.£OMO<R.
Qui vous a fait de moi de si belles peintures ^ Et prend soin de ferger de telles impostures ?
SCÈNE X.
ISABELLE, VALÈRE, LÉONOR, ARISTE, SGANARELLE, UN COMMISSAIRE, US NOTAIRE, LISETTE, ERGASTE.
t
ISAB£IiL&.
Ma sœur, je vous demande un généreux pardon^. Si de mes libertés j'ai taché votre nom* Le pressant embarras d une surprise extrême M'a tantôt inspiré ce honteux stratagème : Votre exemple cpndamnq un tel, emportement; Mais le sort nous traita tous dcui^ diversement,
(à Sganarelle. )
Pour vous 5 5e ne veux poîjit , mon5ieur , vous faire excuse ;
Je vous sers beaucoup plus que je ne vous abuse.
Le ciel pour être joints ne nous fit pas tous deux :
Je me suis reconnue indigne de vos feux;
Et j'ai bien mieux aime me voir aux mains êî'xm autre,
Que ne pas mériter un cœur comme le vôtre, ^
AGTE Hf, SCÈNE X. 167
VALÈIIE, à Sgdtiarelle.
Pour moi, je mets ma gloire et mon bien souverain A la pouvoir; monsieur, tenir de Votre main.
ÀRISTE.
Mon frère, doucement il faut boire la .chose :
D'nne telle action vos procédés jçont cau^ ;
Et je vois votre sort malheuretu; à ce point ,
Que, vous sachant dupé, Ton ne vous plaindra point. . .
LISSTTS. ,
Par ma foi , je lui «ais bon gré de cette affaire ; Et ce prix de ses soins est un trait exemplaire.
LÉONOR.
Je ne sais si ce trait doit se faire estimer.
Mais je sais bien qu au moins je ne le puis blâmer.
ERGASTE.
Au sort d'être cocu son ascendant l'eipose';
Et ne Têtre qu'en herbe est pour lui douce chose.
SGAMARELLE, sortaQt de raccablement dans lequel il étoil
plongé.
Non, je ne puis sortir de mon étonnement. Cette ruse d'enfer confond mon jugement; Et je ne pense pas que Satan en personne Paisse être si méchant qu'une telle friponne. JTaorois pour elle au feu mis la main que voilà. Malheureux qui se fie à femme après cela ! La meilleure est toujours en malice féconde; C est un sexe engendré pour damner tout le monde*
i63 L'ÉCOLE DES MARIS. ACTE m, SCÈNE X.
Je renonce à jamais à ce sexe trompeur, Et je le donne tout au diable de bon cœur.
ERGASTi;.
Bon. \
ARISTE.
Allons tous chez moi.. Venez, seigneur Valère; Kous tâcherons demain d'apaiser, sa colère.
LISETTE, au partei^e.
Vous, si TOUS connoissez des maris Joups-garous, Envoyez-les au moins à' l'école chez nous.
FIN DE l'eCOLÈ des MARIS.
RÉFLEXIONS
' STTR
L'ÉCOLE DES MARIS.
VjETTi^ pièce, qu'on peut considërer comme l'un des chefs- d'œuvre de Molière, est une de celles où il a le moins inventé. Térence , dans les Adelphes, avoît don&é l'idée des deux sys- tèmes d'éducation , et des suites qu'ils peuvent avoir : Bocace , dans une de sesNouvelles, ' avoît parfaitement indiqué les situa- tiens du second acte : dans une comédie espagnole intitulée : uDiscRETA ENAMORADA', Cette sîtuatiou étoit devenue plus théâtrale. Enfin une mauvaise pièce de Dorimon , la Femme INDUSTRIEUSE, avoit, pour la première fois, ofifert sur la scène françoîse quelques traces de cette espèce de comique. Mais si Molière n^ pas imaginé ces situations charmantes , quel parti n'en a-t-il pas tiré ! Il a su se les approprier en les disposant d'une manière plus naturelle et plus morale , en donnant à ces situations trop libres une décence dont il n'y avoit pas encore d'exemple au théâtre. C'est ce que nous allons montrer par là comparaison entre les originaux qui viennent d'être cités , et la pièce de Molière. ,
Les Adelphes n'ont que peu de rapports Aveç l'Ecole des Makis. Déméa possède deux fils t il eh a confié un a son frère Micion, célibataire riche : il élève l'autre lui-môme. Micion, qui est aussi indulgent qu'Àriste , ne refuse rien à son pupille ,
I Troisième nouvcUe.de la troisième jaurnée du Dccamëroo.
170 RÉFLEXIONS
et cherche âfgagiier^a colifiâgfcé :Pénféft., att.aDnCmîre, exerce la plus grande sëvëiité sur le fils ddnt il s'est rëscrvé l'éduca- tion; et, comme dans la pièce de. Molière, ce dernier fait en- core plus de folies que son frère. Cette première combinaison est la seule quîa^péxtienBé k T^sence : du reste ^ p9 qe trouve dans la comédie latine aucune situation qui ressemble aux derniers actes de l'Ëcoxe des Maris. L'exposition du carac- tène de Micion a pu fournir à- Molière l'idée de ses deux pre- mièrcs scènes. C'est Micion- qui parle :
' (( Dès ma première jeunesse , j'ai mené à la yille une yie « tranquill.e et heureuse. Je n'ai point pris de. femme , ce que « dans le monde on regarde comme un très-grand bonkeur., (( Mon frère a fait toutle contraire : il s'est .consacré à la cul- « ture. dcses terre», si vécv laborieusement , avec la plus sévère (c économie : il s'est m^rié» et sa femme lui a donne deux fils, (c J'ai adopté l'aîné ; je l'ai élevé dès sa plus tendre enfance, et c< je l'ai aimé comqie s'il eût été imoi. Je mets en lui vxon bon- « heur; il est ce que j'ai de pjjis cher au monde. J'emploie (( tous nacs soins pour qu'il par.ta|[e. mes sentiments. Je. lui « donne ce. qu'il désire, j'ai pour lui beaucoup d'indulgence^
' Jam indè ab adolescentià
Ego haac clementem vitam xirbanam, atque otîum
Secntus suni : et , quod fortunatum isti putant ,
Uxorem nuDquàm habui. Ule conUn haec tDnuita :
Ruri agére Vitàm , aemper parce ac dnsiltr
Se bikfcere. U»9rein doxit i nt^ filU
Dup. Indè çgo hune najorem adoptavi mihi :
Rduxi 2i parvulo , babui , amavi pro meo :
In eo me oblecto : solum id est caruib rnihi.
lUe ut item contra me babeat , (ado sedulô.
Do , prïetennitto, non ntcesse babeo omnia
SUR L'ÉCOLE DES MARIS. tjt
«et je iK crois Jias nëcessaire qu'il' n'agisse que par mc^ « ordres. Je 1^ habitué i& ne pas each^r ces petites* fiiutes dont «les jenttes gi^ë feiit mjstère à leiivs'p^è^tàs; car ceuxquf « trompeirt teurs j^arents doitent atroir une bien ^us mauvaise «comfuîté^afis la société. ïlvauftnîeui, je- crois, contenir a les jeiraes gbn^ par la gënëi^o^skë et l'ainoiii^^propre que par « la craiirte. €ètte confite n'èSt pas celle de mon frère, et \\x\ « dépliail beaucoup. Loi^^ejelevois, ii est toujours di; raau« « vaîse humeur : Que fàites»-vous,me d^t^il, B@cion7 Peur-' « quoi gâtez-vous ainsi ce jeune homme ? pcfuriqUoi- a-^il à!Qt « maîtresses»? pourquoi aime -t- il les festrns? pourquoi lui tf fourni95e2-Veus de rargéntpoiâr toutes oe^ foKes ? pourquoi « pcrmfettè:&'^Vèùs qif il se m^tte avec tant d'élégance ?£n vérité t( vous n'entendez rien à l'éducation. Selon mot, c'est lui qui « est trcrpââr^'r il é'ëfotgne beaucoup du droit chemin. Celui- . « là se troffijte qui croit obtenir plus par la îbtce que par « l'amitié et la^ douceur. Tels sont mes principes, et f y sou-«.
Pro mea jure agere. Ppstremè , «lii cbnculùqi
Patres qux faciunt, quee fert adolescenti9,
Ea ne me celet , CQosuefeci filium : .
]9am qui mentiri aut faHere insuerït patrein , aut
Âudebît , tanto inagis àudebit cœteros.
Pudore etUberalltate Tibeiros
Rednere,' «èffinis'esse credo, quàm meta.
Haec fi-atri mecum non conTeniunt, nequtf plaicent.
Venit ad me sse'p^ clïimans : Quîd agis , Micio ?
Car perdis adoléscetitem liobis ? dur ftmat ?
Car potat? car tù hîs rébus somptura stijggcris?
Yestitu -nîtiii^tm itidnlgis : tifmijim ïaéptus el
Nimiùm ipse ei^t duras , praeter'stqoiùiïqQe et bonum ,
Et eirat long(*, meâ qnidem sententià,'
Qui imperium credat gravias esse ( aut stabilius
lya RÉFLEXIONS
« mets ma conduite. Celui qui fait son devoir dans la crainte ic du châtiment agit avec circonspection tant* qu'il sait qu'on « Tobserve : s'il peut espërer d'échapper à la surveillance, il «revient à son mauvais naturel. Celui au contraire qu'on u mène avec douceur fait le bien sans peine et sans contrainte. 4( Il cherche a vous rendre les sentiments que vous avez ponr a lui. Que vous soyez absent ou présent, il sera toujours le <c même. C'e«t le devoir d'un père d'I^abituer ses enfants à se tt bien conduire plutôt de leur propre mouvement que par la (c crainte d'être punis. »
Quel parti Molière n'a-t-^il pas tiré de ces principes d'in- dulgence en les opposant au rigorisme outré de Sganarelle ! La scène de Térencerest froide et languissante; celle du poète frauçois est pleine. dq vivacité et de force comique. -
Bocace a le premier imaginé la situation d'une femme qui se sert d'un homme dont elle doit craindre la surveillance pour entretenir une correspondance avec son' amant, et qui, sous prétexte de se plaindre des importunités de cet amant,, l'instruit de tout ce qu'il faut faire pour parvenir jusqu'à elle. Cette situation, comme on le sait, fait tout le comique du se- cond et de la moitié du troisième acte de l'Ëcole des Maris.
Vi quod fit , quàm illud quod amicitià adjnngitiv; Mea sic est ratio , et sic anixnuin induco meum :. Malo coactus qui suum officium facit , Dùm id rescitum iri crédit, tantisper.çavet. Si sperat fore cUim , ru^sùm ad ipgeiûiiin redit. «
Quem benefido adj,^ogas , ille ex anima facit : Studet par referre , praesens absenaque idem . evit. Hoc patriuxn est, potiùs consuefacere filiupi Suâ sponte rectë facere, quàm alieoo metu.
(Adelphes, acte J, scène h)
j
SDR L'ÉCOLE DES MARIS. i;3
Dans la nouvelle de Bocace , c'est une femme mariëe qai em- ploie son confesseur à cette intrigue. Les modifications que Mollëre a faites dans cette conception, qui auroit été scanda- leuse au théâtre, montrent autant de gënie que s'il l'eût in- ventée. Pour faire sentir tout le mérite de ce grand poète , on a cru nécessaire de traduire toute la partie dramatique de la nouvelle de Bocace : cette suite de scènes forme un ensemble piquant; elles retracent avec beaucoup de vérité les mœurs du temps ; et le lecteur pourra , en les comparant au second et au troisième acte de l'Ëcole des Maris, juger la manière dont Molière savoit imiter.
' (( Une jeune dame de Florence av<Mt épousé un marchand « de soie fort riche , et qu'elle u'aimoit pas : quelque temps « après elle devint amoureuse d'un gentilhomme. Ne trouvant « aucun moyen de lui faire connoître son amour, et craignant « rindiscrétion des personnes qu'elle pourroit lui envoyer, « elle prit le parti d'aller se confesser à un bon religieux , ami «du gentilhomme; elle se présenta au confessionnal de ce u moine :
tt Mon père , dit-elle , j'ai besoin d'implorer votre appui et « vos conseils dans une affaire très-délicate. Je sais que vous « connoissez ma famille et mon mari. Il me chérit : je ne forme « aucun désir sans qu'il ne s'empresse aussitôt de le satisfaire. « Il emploie pour me rendre heureuse les immenses richesses « dont il jouit : aussi je l'aime autant qu'on peut aimer. Si je « me condui soi s autrement, si j'imaginais quelque chose contre « son honneur, je serois la plus coupable des femmes; et les
' On a cru inutile de joindre ici le texte de Bocace, parce que Molière n a {HÎs dans cette scène que ^e Ibnd des idées et de la situation , et qu*il n'a eu l'intention d^imiter aucun détail.
r74 RÉFLEXIONS
« tourments de l'enfer ne seroient pas trop rigoiiDeax pour « punir mon ingratitude.
«Un gentilhomme dont j'ignore ,ai£me le nom, bien fait, tt^e mettant avec élégance, et qui, si je ne me tronipe, est a fort lié avec tous, ignore probablement mes véritaèles sen- « timents, puisqu'il m'obsèdjB depuis quelques jours. Je ne <c peux paroître à ma porte , à ma fenêtre , ou sortir de la mai- a son, qu'il ne s'offire aussitôt à ma vue; et je suis même a étonnée qu'il ne soit pas en ce moment dans l'église pour « m'épier. Cette poursuite obstinée m'afflige beaucoup , parce a qu'il arrive souvent que la réputation d'une bonnête femme « souffire de pareilles démarches sans qu'elle ait aucun tort. « J'ai d'abord eu l'idée de lui en faire faire des reproches par « mes frères; mais j'ai réfléchi que, quand les hommes se a chargent de ces sortes de missions, ils y mettent de l'aigreur, (I et qu'une parole insultante peut entraîner de grands maux, a Pour éviter ce danger, et pour prévenir toute espèce de a scandale , j'ai pris la résolution de m'ouvrir à vous , parce « que vous êtes son ami , et que c'est à son ami qu'il appar- « tient de lui donner de bons conseils. Je vous conjure donc, « au nom de Dieu, de vouloir bien lui parler, de lui faireles 4fL reproches qu'il mérite , et de l'engager à changer de con- <c duite. U j a dans cette ville assez de femmes disposées à <c écouter un amant tel que lui : elles feront leur bonheur d'eu « être recherchées : quant à moi , son obstination à me pour- ce suivre me donne le plus grand chagrin ; et mon cœur ne r« rompra jamais les doux nœuds qui l'attachent
«A ces mots, la jeune dame baissa la tête et fondit en m larmes. Le religieux reconnut trés-bi^n le gentilhomme « qu'elle lui désignoit : il l'exhorta à persister dans ses bonnes « dispositions, et lui promit de faire ce qu'elle désiroit. La
SDR L'ÉCOLC DES MARIS. Ï75
« dftiiie^ crai^Mut quelque odaleilteBdii, lot dit encore : Je « Yous en ecNDJurey mon père ^ si ce gâitilhamme nîoit ce qa» « je viens de v^ns confier, ditea*ltti liardiment que c'est de M moi que voos le tenez, et que je vens ai adresse mes plaintes. « Le religieux la congédia en PinTitant à faire quelques au- « mènes pour le couvent y elle ne se fit pas prier. .
« Ce bon noîne n'eut rien de plus presse que d'allertMmver « le gentillftomme. Après l'avoir tire à part^ il lui fit quelques V. reproclies. Celui-ci s'ëtonna d'autant plus, fu'dl n'avoit ja- ^ mais renu^qoë la dame , et qu'il ne lui dtoit arrivé que très- ce raremcoit de passer devant sa maison ; mais le religieux , ne « le laissant pas achever, poursuivit ainsi :
a N'^ez pas l'air de tous ëionner, et ne perdez pas voire « temps i mer une chose dont je suis sûr. Ce n'est point par «les' voisins (pe j^ai appris votre conduite : la jernie dame ic elle-même m'a tout raconté en se plaignant de vous. Ces « galanteries ne von$ conviennent pas; elles lui conviemieni K encore bien moins , car si jamais j'ai vu une femme honnâte c et vertueuse, c'est celle-là. Je vous prie donc , au nom de « votre honneur, et par les égards que vous devez à une per*- ic sonne aussi respectable , de ne pas continuer votre poursuite.
«Le gentHhemme, plus fin que je bon religieux, comprit « alors sans peine les secrètes intentions de la dame : il feignit « de se repentir, et promit de se corriger. Prenant airasitôt un « prétexte pour le quitter, il courut dans la rue où elle de« Il meuroit, se promena devant sa maison; et, par les mines « qu'elle lui fit, il vit bientôt qu'il ne s'étoit pas trompé dans a ses conjectures. Quelque temps après, la dame, voulant en- ce fiammer davantage son amant, retourna à l'église, et se pré- <c senta à son confissseur. Le moine lui demanda s'il lui étott <t arrivé quelque chose de nouveau.
176 RÉFLEXIONS
(( Mon père , rëpondit-elle , je n'ai rien à vous dire de non.'* « veau, si ce n'est que votre, méchant ami dont je me plaignis « à vous l'autre jour, persiste dans ses poursuites. Je crois (( qu'il est ne pour le tourment de ma vie; bientôt, s'il conti- « nue , je n'oserai plus mettre les pieds hors de chez moi. — a Comment y s'écria le moine , il n'a pas cessé de vous tour- te menter? — Bien au contraire, reprit la dame; j'avois eu « peut-être trop de scrupule en me plaignant de ce qu'il pas- ce soit quelquefois devant chez moi : à présent il y passe sans « cesse. Mais plût à Dieu qu'il se contentât d'y passer et de « me regarder! Il a été assez hardi et assez insolent pour m'cn- K voyer hier une femme chargée de me parler pour lui , et de « me donner de sa part une bourse et une ceinture , comme si c( j'avois besoin de ses présents. J'avoue, mon père, que je me « suis trouvée si offensée de cette démarche, que, si je n'avois « craint de pécher, je me serois livrée à tous les transports de (( ma colère. Mais je me suis calmée, -et je n'ai voulu prendre « aucune résolution avant de vous avoir consulté. Mon pre- (c mier mouvement âvoit été de rendre la ceinture et la bourse (( à cette femme ; mais , craignant qu'elle ne les gardctt pour c( elle, en disant que je les avois reçues , je l'^i rappelée, et j'ai tt arraché de ses mains qps indignes présents. Je vous prie, (c mon père , de les rendre vous-même à votre ami : dites-lui « bien que je n'ai pas besoin de ses largesses : grâce à Dieu et ((à mon excellent mari, je ne manque de rien. A ces mots, « fondant en larmes, elle jeta sur le» genoux du moine une (( jolie bourse et une superbe ceinture. Celui-ci, croyant pieu- ce sèment tout ce qu'elle lui disoit, répondit fort troublé :
<( Ma fille , je ne suis pas étonné que vous soyez irritée de
' « cette obstination, et je ne vous en fais aucun reproche. Je
a vois avec plaisir que vous ne voulez rien faire sans mescon-
SUR L^ECOLE DES MARIS. 177
(c seîls. Je me suis trouve l'autre jour avec mou ami ; je Tai « gronde beaucoup ; et il a bien mal tenu la promesse qu'il (c m'avoit faite. Je compte lui laver si bien îeÉ oreilles pour les «nouvelles entreprises qu'il vient de tenter, que vous n'au- « rez plus à vous en plaindre. Au nom de Dieu surtout , ne (( vous laissez pas emporter à la colère , et gardez-vous bieu « d'instruire votre famille de ce qui se passe : cela pourroit « avoir des suites funestes. Ne craignez point d'encourir au« « cun blâme : devant Dieu et devant les hommes , j'attesterai « toujours que vous êtes un modèle de vertu. La dame lit scm- « blant de se remettre , et donna de l'argent au moine pour « dire des messes. Il reçut cette offrande avec joie, exhorta « la dame à persister dans sa conduite pieuse , lui cita plu- « sieurs exemples , et la congédia avec douceur.
« A peine fut-il rentré chez lui , qu'il envoya chercher le « gentilhomme, qui, le voyant fort troublé, devina qu'il alloit « avoir des nouvelles de sa maîtresse , et attendit impatiem- « ment que le moine prît la parole. Le bon homme lui répéta « fort irrité ce que venoit de lui dire la dame , et lui fit les « remontrances les plus fortes. Le gentilhomme, qui ne voyoit . «pas encore où le moine en vouloit venir, ne se défendoit « que foiblcment, afin que, si la dame lui avoit remis la bourse « et la ceinture , il ue balançât pas à les lui donner. Le moine, « plus irrité, s'écria : Comment pouvez-vous nier votre faute', « scélérat? Voilà ces présents qu'elle-même m'a rapportés en « pleurant. Les reconnoissez-vous ?
(c Le gentilhomme, feignant d'être confondu : Je les recon-' « nois , dit-il , et j'avoue ma faute ; j'ai les plus grands torts ; « mais, puisque je connois les dispositions de cette dame, je « vous jure que je me corrigerai , et que vous n'entendrez plus ' «c parler de cela.
MOLliBE. a« la
jyg RÉFLEXIONS
« Ils s*entretinrent long-temps : enfiale moiae , après avoir « bien endoctrine son. ami , lui remit la bourse et la ceinture , « et le congédia. Le geatilhonune, flatté de la certitude d'être fc aimé, ébloui du riche présent qu'il venoit de recevoir , alla H sur-le-champ près de la maison de la dame , et lui fit voir « que sa commission avoit été remplie avec exactitude. La tt dame 9 de son côté^ fut très-contente que son entreprise eût et tant de succès.
((Elle p'attendoit plus qu'une chose y c'est que son mari (( s'éloignât pour quelques jours de la ville, afin de pouvoir (( mettre fin à cette aventure. Il arriva que, très-peu de temps (( après, quelques afiaires l'appelèrent à Gênes.,
a A peine Peut-elle vu monter à cheval et partir de grand « matin , qu'elle retourna vers le saint moine. — Mon père , u lui dit-elle en pleurant , je ne puis plus souffi-ir l'état où je (( suis. Mais, comme je vous l'ai promis l'autre jour, je ne (( veux rien faire que par vos conseils. Pour vous prouver que « mes plaintes et mes gémissements ne sont pas sans motif, je (( veux vous raconter l'outrage que votre ami , ou plutôt ce a monstre digne de l'enfer, m'a fait ce matin. Je nje sais par (( quel malheur il a appris que mon mari étoit parti hier pour (( Gênes : à la pointe du jour il s'est introduit chez moi; et, (( après avoir monté sur un arbre , il a paru à ma fenêtre qui il. donne sur le jardin. Déjà il l'avoit ouverte , et vouloit entrer ((; chez moi , lorsque éveillée en sursaut , j'ai sauté à bas de (( mon lit. J'étoîs prête à crier et à appeler du secours; mais (( lui , qui n'étoit pas encore entré, m'a demandé grâce au nom (( de Dieu, m'a parlé de vous, et s'est fait connoître. Par res- « pcct pour vous, j'ai gardé le silence, et demi-nue , j'ai^ouru (( à la fenêtre, et je la lui ai fermée au visage. Je crois qu'il s'est a retiré aussitôt, car je ne l'ai plus entendu. Maintenant, mon
SUR rïrcè'LE Ï)ES MARIS. 179
(C père 9 voyez si je dois soufirir une telle msolcnce : ma pa- « tiënce e^ à bout , et je croîs en avoir eu Icaùcoup trop.
((Le moine, en entendant ce r^cît^ fut quelque temps dans « le |)Ius grand trouble : il ne savoit que répondre ; seulement « il demanda à la dame si elle ne s'étoit pas trompée, et si ce « n'éloît pas un aUlré homme. — Dieu soit loué , dit-elle , je le « connoîs parfaitement;' je vous rëpète que c'étoît lui : s'il ose . «vous le hier, gardez-vous de le croire. — Ma fille, reprît a tristement le moine , je n'ai rien à vous dire, si ce n'est que « cette hardiesse passe toutes les bornes , et que vous avez « très-bien fait de renvoyer cet insolent. Mais j'ose vous prier « de suivre mes conseils comme vous les avez déjà suivis deux • XI fois. Ne vous plaignez point à vos parents, et laissez-moi «tenter encore les moyens de réprimer ce diable déchaîné j « que j'avois si long-temps pris pour un saint. Si je parviens <c à le guérir de cette passion furieuse, je serai trop heureux ^ ^i si je ne réussis pas, alors vous pourrez faire tout ce que votre « vertu vous conseillera : je ne m'y opposerai plus. — Eh bien, « dit la dame, je consens encore à vous obéir pour cette fois; a mais faites en sorte qu'il n'y revienne pas : isans quoi je ne « m'adresserai plus à vous.
« A peine la dame étoit-elle hors de l'église, que le gentil- « homme y arriva. Le mohie l'ayant appelé, le tira à part, el « lui dit tout ce que son indignation put lui inspirer. Le gen- « tîlhomme , habitué aux suites de ces remontrances, s'excusa « foiblement, fut très-attentif, et s'attacha a faire parler le A moine. — Enfin, lui dît- il, pourquoi tout ce bruit? Ai -je « donc crucifié notre Seigneur? — Toyez ce perfide! s'écria le <c mojne. Ecoutez ce qu'il dit : il parle comme s'il s'étoit passé « un an ou deux depuis ses folies, et que cet espace de temps (f les eût lait oublier. Avez-vous depuis, ce matin perdii le sou-
i8o REFLEXIONS
a venir de l'injure que tous ayez faite à quelqu'un ? Oili ëtiez* u vous un peu ayant le jour? — Je ne sais où je suis allé, ré- « pondit le gentilhomme : vous avez eu bien rapidement cette Xi nouvelle. — Il est vrai, reprit le moine , que je viens de la « recevoir. Vous avez cru y parce que le mari de cette jeune « dame est absent , qu'elle vous recevroît aussitôt dans ses « bras. Voyez cet honnête homme ! il est devenu coureur de « nuit; il a forcé les portes d'un jardin, il est monté sur un « arbre. Croyez- vous vaincre la vertu de cette dame en arri- <( vaut à elle par le moyen des arbres qui sont sous ses fenêtres? a Rien ne lui déplaît tant au monde que votre conduite ; et ce- « pendant vous mettez le comble à vos insolences. Elle vous a « déjà plusieurs fois montré son «aversion, et vous ne tenez K compte ni de ses répugnances, ni de mes reproches. Mais c voici ce qui me reste à vous dire : jusqu'à présent , par égard « pour mes prières, et non par intérêt pour vous, elle a gardé « le silence; mais elle ne lézardera plus; et si vous continuez, « je l'ai autorisée à faire ce qu'elle croira convenable. Que « deviendrez-vous , si elle révèle tout à ses frères ?
«Le gentilhomme, ayant parfaitement deviné l'intention de ac la dame , apaisa le moine, et lui fît les plus belles promesses. n La nuit suivante, à l'approche- du jour, il pénétra dans le H jardin , monta sur l'arbre ; et, ay aut trouvé la fenêtre ouverte, (( il entra dans la chambre de la dame , et se félicita d'être « enfin parvenu auprès de sa belle maîtresse. La damé, qui « l'avoit attendu très-iaapatiemment , le reçut avec joie : — Je «dois, dit -elle, beaucoup de remercîmeuts à notre bon <( moine ; il vous a appris les moyens de venir ici. Tous deux « rirent de sa simplicité, etc. »
Ce récit est très-comique : le dialogie en est ajissi vrai que piquant; les personnages ne disent que ce qui convient à leurs
LES FACHEUX,
■
COMÉDIE-BALLET.
EN TROIS ACTES ET EN VERS,
Représentée à la fête de Vaux, le ao août 1661'; et à Paris, sur le tbéâtre du Palais-Rojal , ie 4 noyembre de la même année.
i
AU ROI.
Sire,
TxJovTE Une scène à la comédie; et ç^est une espèce
de fâcheux assez insupportable <]u'un homme qm dédie
•
un Ëvre. Votre majesté en sak des nouvelles plus que per- ionne de. son royau me , et ce n'est pas d'aujourd'hui qu elle se voit en butte à la furie des épttres dédicatbires. Mais, bien que je suive l'exemple des autres, et me mette moi- même au rang de ceux que j'ai joués, j'ose dire toutefois à votre majesté que ce que j'en ai fait n'est pas tant pour lui présenter un livre que pour avoir lieu de lui rendre
m
grâces du succès de cette comédie. Je le dois, Sire, ce succès qui a passé mon attente, non-seulement à cetle glorieuse approbation dont votre majesté Jionora d'abord la pièce^ et qui a entraîné si hautement celle de tout le monde, mais encore à l'ordre qu'elle me donna d'y ajouter un caractère de fâcheux dont elle eut la bonté de m'ouvrir les idées elle-même, et qui a été trouvé partout le plus beau morceau de l'ouvrage. 11 tàul avouer, Sire, que je
i88 ÈPITRE DÉDICATOIRE.
n^ai jamais rien Êiit avec tant de Ëicilité, ni si prompte- ment, que cet endroit où votre majesté me commanda de trayailler. J'ayois une joie à lui obéir qui me valoit bien mieux qu^Apollon et toutes les muses ; et je conçois par-là ce que je serois capable d exécuter pour tine comédie en- tière, si j'étois inspiré par de pareils commandements. Ceux qui sont nés en un rang élevé peuvent se proposer llionneur de sefirir votre majesté dans les grands emplois; mais pour moi^^oute la gloire où je puis aspirer, cVst de la réjouii^. Je borne là Tambition de mes souhaits ; et je crois qu'en quelque façon ce n'est pas êtte inutile ai la France que de contribuer en quelque chose au divertisse* ment de»spïi roi. Quand je ny réussirai pas, ce ne s^â jamais par un défaut de zèle ni4l'étude, mais seulement par un mautais destin qui suit assez souvent les meillenres intentions, et qui sans doute affligeroit sensiblement,
•i
Slft£,
De Vôtre majesté
le très-humble , trés^béissant et trés-Aièlei^serTiteiir,
MOLIÈRE.
SUR L'ÉCOLE DES MARIS. i8l
tÈtAttèren et à leurs projets; c'est ua des premiers modèles du genre dramatique dans les temps md&emes. Maïs un tel sujet pouvoit-il convenir à un théâtre ^puré? tlne femme marië^ detoît-elle jr'ètre offerte dans cette situation? Ne se dëgradoit-elle pas en faisant de pareilles avances à un homme dont elle n'ëtoit ni aimëe, ni même connue? Lope de Vega ^ là pins grand poète dramatique de l'Espagne, fut le premier qui, sentant l'eicellent fonds de cette nouvelle, chercha les moyens d'en faire une comédie que les honnêtes gens pussent voir sans scandale. Yoidi les principales conceptions de la DiscretAi ENAifo&ADA, qui a beaucoup servi à Molière.
Un vieillard a la igiblesse d'aimer une jeune personne : il ignore que soiftfils la connoit depuis long-lEemps, lui a fait Ta i^our 9 et que ses hommages ont été accueillis* La fortune du vieillard tente les parents de la demoiselle, qui la forcent de consentir à l'épouser. Les deux amants sont au désespoir; mais la jeune personne, qui a beaucoup d'esprit, feint de céder, se borne à demander un délai d'un mois, et se flatte, non sans beaucoup d'apparence , qu'elle fera de son vieîkamaut toutce qu'elle voudra. Le jeune homme , qui ne connoît pas les des- seins secrets de sa maîtresse , voyant qu'elle va épouser sUn pèi^ , n'ose plus la yoir ni lui parler; ce n'est pas ce que veut la jeune personne*
Elle aborde le vieillard en pleurant, lui ^voue que son fils est amoureux d'elle , lui dit que , devant être bientôt sa belles mère , elle a cette passion en horreur, et désire qu'il mette fin à ses Importunités. La commission est faite avec beaucoup d'exactitude : grandes remontrances du père , confusion ap- parente du fils, qui devine facilement les intentions secrètes de sa maîtresse. D'après les indications que lui donne son père, il continue ses relations amoureuses. Le vieillard| averti
i6a RÉFLEXIONS.
de nouveau 9 lui fait les plus sanglants reproches, et le force à venir faive ses excttees à sa Lelle-mère future. Il s'y rend avec joie y mais feignant d'y être contraint.
^ En prësence de son père, il se jette aux genoux de sa maî- tresse y qui lui donne sa main à baiser. Le jeune homme, animé
par cette faveur, lui demande tout bas s'il ne pourroit trouver
*
les moyens de l'embrasser : la demoiselle , totjours aussi adroite que hardie, lui répond que la chose sera facile , et que le vieillard en est réduit à tout voir sans rien croire. Elle feinS de tomber, son amant vole à son secours , et obt^nXâftns peine, sous les yeux de son rival, le baiser qu'il avoit désiré. Après une intrigue assez embrouillée, le vîeil^^*d découvre tout, et permet le mariagé^e son fils. 4) *
Cette pièce, où Ton trouve le germe du second acte de L'ËcbLE DES Maris, et principalement de la scène charmante qui le termine, manque de décence dans les détails : Hutriglie est obscure et compliquée , et le comique n'est pas assez fort.
Au commencement de l'année où Molière donna l'EcSle DBS Maris, il narut une mauvaise comédie intitulée : laJPemme INDUSTRIEUSE, OÙ l'autcur scmbloit avoir abandonné les con- oeptionf heureuses de Lope de Vega pour retomber dans l'in- décence de Bocace. On n'en pari eroit point, s'il u'ctoiipas probable que Molière y a puisé une intention comique.
Une femme mariée, devenue amoureuse d'un écolier dont elle n'est pas même oonnue , s'adresse au précepteur de ce jeune homme , et se pi idnt qu'il est venu lui parler d'amour sous ses fenêtres. L'écolier, d'abord étonn'^ bmû& soiipçoiuiant les intenfîons de la dame, vole à sa ma' ni cl(> mari
l'empêche d'entrer : ils ont une scène d. le itOw t*
homme, présumant que la dame peut -. parle dt^
manière à lui faire croire qu'il l'aime. Cette dame , enchantée
SDR L'ECOLE DES MARIS.
)83
da son succès , se sert du même moyen qae Phëroîne de Bocace, accuseVëcolier d'avoir voulu pénëtrer daus sa cham- bre, et lui en fait ainsi connoître les moyens. Le rendez-vous a lieu; maïs le mari surprend les amants; etîa dame^ qui no perd point la tête, lui fait croire que c'est un revenant.
La seule id^e que Molière a pu puiser dans cettj^ farce , est celle de l'entretien à double sens de Valère et d'Isabelle , qui n'y est que bien foiUement indiqué»
Maintenant, après avoir examine toutes ees sources y on peut se £iiie nneidléc[du gënie de Molière par le parti qu'il en a tire.
L'intervention d'un personnage indifférent, comme dans Bocace et dans Doriq^n, ne pouvoit lui convenir; d'un autre cote, un f ère dope et bafoué par sou fils, comme dans Lope deTega, lui pâroissoit peu susceptible de comique : cette cou- ception ne pouiboit entrer que dans le sujiit de l'Avare. Il fai- loitdonc un caractère comme celui de Sganarefle, un tuteur Iherohant à profiter injustement d'ua testament pour épouser une jeune fille dont il est détesté. Ce personnage pouvoir être tourné en ridicide sans blesser les bienséances.
Mais un trait de génie qu'on ne sau^oit trop admirer, est d'avoir joint à ce sujet la belle conception des Adelphes. Quel (Joil^ste entre les deux frères ! quels beaux développements! quelle science profonde du cœur humain !
Les détails ne sont pas moins admiraVle% Le personnage d'Ariste est le modèle de ces caractères sages et modérés que Molière mit souvent en opposition avec lès rôles passionnés , et dont la philosophie se renferme en ces mots : Ne quid nimU. Ce fut pour la première fois qu'il développa cette philosophie qui étoit la sienne.
Isabelle est très-dépeute , quoique sa conduite ne soit rien moins que régulière. Elle s'excuse plusieurs fois sur i'extrë-
i84 RÉFLEXIONS SUR UÊCOLE DES MARIS.
oiité qui la force â fraochîr les bornes de la réçerve pre&erite 4 son sexe ; elle ne se décide à faire des avances à Valère que parce qu'elle sera obligée d'épouser Sgan^reUe dans six jours. Toute redresse et toutl'espritique la captivité et la contrainte ppuvfiqt donner à une jeune fille se développent dans ce rôle, La scène où elle remet à son tuteur le paquet cacheté est surtout admi- rable; la pudeur qu'elle affecte, l'observation qu'elle fait à Sganarelle pour l'empêcher d'ouvrir ce paquet, soutdans soq caractère et dans sa situation : rien n'est plus tbéàtralt
Lèonor forme un excellent contraste avec Isabelle : elle se iWre aux plaisirs de son âge, mais sa conduite est irrépro- chable : autant sa sosur a d'horreur pour Sganarelle, autant elle chérit un tuteur qui l'a élevée avec douceueet irittulgenoe, et qui n'est ennemi ni d'une parure décente, ni des distractions honnêtes qu'unie jeune personne peut se permettre ; o'étoit l'unique situation au théâtre où l'on pût se permettre die pré- senter une fille de cet âge recevant les soins d'un vieillard, ci l'aimant sincèrement»
Ergaste, dont le rôle est court, mais très- comique, pré- tente un valet de cis siècle , qui , confident des amours de sod maître, lui donne des conseils et le sert dans sou intrigue. Lisette est peut-être un peu libre; mais telles étaient les^u* brettes prises dans la classe du peuple : la décence étott plus dans leur condi^te ^ue dans leurs paroles.
Enfin le dénouement de ce chef-d'œuvre est un des meilleurs gui existent dans Ta comédie : il n'exige point d'explication, n'entraîne point de longueurs : la présence seule de Léonor ei dlsabelle suffit pour montrer à Sganarelle qu'il est trompé.
Le Prince jaloux avoit répandu quelques nuages sur la répu- dia naissante de Molière; l'École des Maeis les dissipa ; et ee grand homme reprit dans l'opinion la place qu'il mériloit.
|i » I mifm
AVERTISSEMENT.
J AHAis entreprise au théâtre ne fut si précipitée que celle-ci ; et c'est une chose, je crois, toute nouvelle , qu'une comédie ait été conçue, faite, apprise et représentée en quinze jours. Je ne dis pas cela pour me piquer de T/m- promptUf et en prétendre de la gloire, mais seulement pour prévenir certaines gens qui pourrolent trouver à redire que je n'aie pas mis toutes les espèces de fâcheux qui se trouvent. Je sais que le nombre en est grand et à la cour et dans la ville, et que, sans épisodes, j'eusse bien pu en composer une comédie de cinq actes bien fournis, et avoir encore de la matière de reste. Mais, dans le peu de temps qui me lut donné, il m'étoit Impossible de faire un grand dessein, et de rêver beaucoup sur le choix de mes prsonnages et sur la disposition de mon sujet. Je me ré- doisb donc à ne toucher qu'un petit nombre d'importuns ; et je j»îs ceux qui s'offrirent d'abord à mon esprit, et que je crus les plus propres à réjouir les augustes personnes devant qui j'avois à paroître : et, pour lier promptemènt toutes ces choses ensemble, je me servis du premier nœud que je pus trouver. Ce n'est pas mon dessein d'examiner maintenant si tout cela pouvoit être mieux , et si tous ceux qui s'y sont divertis ont ri selon les règles. Le temps vien- dra de faire imprimer mes remarqtles sur les pièces que
190 AVERTI S S E M EN T.
j^aurai faites; et je ne désespère pa5 de faire vt)ir un jour, en grand auteur, que je puis citer "Afîstdte et Horace. En attendant cet examen, (jui peut-être ne viendra point, je m'en remets assez aux décisions de la multitude, et je tiens aussi difficile de combattre un ouvrage que le public approuve que d'en défendre un qu'il condamne.
Il n'y a personne qui ne sache pour quelle réjouissance la pièce fut composée ; et cette fête a fait un tel éclat , qu il n est pas nécessaire d'en parler : mais il ne sera pas tors de propos de dire deux .paroles des ornements quon a mêlés avec la comédie.
Le dessein étoît Je donner un ballet aussi ; et , comme il ny avoit qu'un petit nombre choisi de danseurs excel- lents, on fut contraint de séparer les entrées de ce ballet, et lavis fut de les jeter dans les entr'actes de la comédie, afin que ces intervalles donnassent temps aux mêmes baladins de venir sous d'autres habits; de sorte que, pour ne point rompre aussi le fil de la pièce par ces ma- nières d'intermèdes, on s'avisa de les coudre au sujet du mieux que l'on put, et de ne faire qn une seule chose du ballet et de la comédie : mais comme le temps étoit fort précipité, et que tout cela ne fut pas réglé entièrement par une même tête, on trouvera peut-être quelques en- droits du ballet qui n entrent pas dans la comédie aussi naturellement que d'autres. Quoi qu'il en soit, c'est un mélange qui est nouveau pour nos théâtres, et dont on pourroit chercher quelques autorités dans Tantiquité ; et comme tout le monde Fa trouvé agréable, il peut servir
AyOïlSSEMENT. rgi
d'idée à d'autres choses qui pourroien t être méditées avec plus de loisir.
D'abord que la toile fiit levée, un des acteurs, comme vous pourriez dire moi , parut sur le théâtre en habit de ville, et, s'adressant au roi avec le visage d'un homme surpris, fit des excuses en désordre de ce qu'il se trouvoit là seul , et manquoit de temps et d'acteurs pour donner â sa majesté le divertissement qu'elle sembloit attendre. En même temps, au milieu de vingt jets d'eau naturels, s'ou- vrit cette coquille que tout le monde a vue; et l'agréable naïade qui parut dedans s'avança aulxH^du théâtre, et d'un air héroïque prononça les vers que M. Pellisson avoit faits, et qui servent de prologue.
3
PROLOGUE.
Le théâtve représente un jardin orné de termes et de plusieurs
jets d ean.
vieiE HÀÎÀDE, sortant des eaux dans une coquille.
ir ouR voir en ces beaux lieux le plus grand roi du monde ,
Mortels , je viens à vous de ma grotte profonde.
Faut-il , en sa faveur, que la terre ou que Teau
Produisent à vos yeux un spectacle nouveau ?
Qu'il parle, ou qu*il souhaite, il n est rien d'impossible.
Lui-même n*est-il pas un miracle visible ?
Son règne , si fertile en miracles divers ,
N'en demande-t-il pas à tout cet univers?-
Jeune, victorieux, sage, vaillant, auguste.
Aussi doux que sévère , aussi puissant que juste;
Régler et ses États et ses propres désirs ;
Joindre aux nobles travaux les plus nobles plaisirs ;
En ses justes projets jamais ne se méprendre;
Agir incessamment , tout voir et tout entendre ;
Qui peut cela peut tout : il n*a qu'à tout oser , .
Et le ciel à ses vœux ne peut rien refuser.
Ces termes marcheront , et , si Louis l'ordonne ,
Ces arbres parleront mieux que ceux de Dodone.
Hôtesses de leurs troncs , moindres divinités ,
C'est Louis qui le vent , sortez , njmphes , sortez ;
Je vous montre l'exemple : il s'agit de lui plaire.'
Quittez pour qilelque temps votre forme ordinaire ,
Et paroissons ensemble aux yeux des spectateurs
Pour ce nouveau théâtre autant de vrais acteurs.
Plusieurs drytides, accompagnées de faunes et de satyres, sorteut des
arbres et des termes.
PROLOGUE. Ï93
Yons , soin de aeft sujets , sa plus oharniaiite ëtuâof Héroïque souci , rojale inquiétude , Laissez-le respirer, et souffrez qu*un moment Son grand cœur s'abandonne au divertissement. Vous le verrez demain , d-'une force nouyéile , Sous le fardeau pénible où votre voix Tappelle ^ Faire obéir les lois , partager les bienfaits , Par ses propres conseils prévenir vos souhaits , Maintenir l'univers dans une paix profonde , Et s'ôter le repos pour le donner au monde* Qu'aujourd'hui tout lui plaise , et ëémblé consentir A l'unique dessein de le bien divertir* Fâcheux, retirez-vous; ou, s'il faut qu'il vous voie. Que ce soit seulement pour exqiter sa joie.
La môade emmène avec ellje, pour la comédie, une partie des gens qu'elle a fait paroitre, pendant que le reste se met à danser aa son des hautbois qui se joignezit aux violons.
MoLikaE. a. i3
t*i
f
(
PERSONNAGES DE LA COMÉDIE.
DAMIS, tuteur d'Orphise. ORPHISE.
ËRASTE, amoureux d'Orphise.
ALCIDOR,
LISANDRE,
ALCANDRE,
ALCIPPE,
ORANTE,
CLIMÈNE, ^ ^''^®'*'^-
DORANTE,
CARITID£S,
ORMIN,
FILINTE,
LA MONTAGNE, valet d'Èrastè.
L'ÉPINE, valet de Daniis.
LA RIVIÈRE, et deux autres valets d'Ëraste.
PERSONNAGES DU BAtLET.
Premier acte. P^^^^*^^= ^^^^
CURIEUX.
JOUEURS DE BOULE. _ _ , FRONDEURS.
occond acte, i
SAVETIERS ET SAVETIÈRES. \
I UN JARDINIER.
SUISSES.
Troisième acte. ^ quatre bergers.
UNE BERGÈRE.
La scène est \ Paris.
LES FACHEUX.
^«<^»^»#«l^^i^»^i^'^'<^«^<^'^^'*S^'^'»»>^'«^*^«^«^»^l^^»^ ^«^ ^^>»^^ ^^^»^^»^
ACTE PREMIER.
SCÈNE I.
ÉRASTE, LA MONTAGNE.
ÉRASTE.
Sous quel astre, bon Dieu! fautai que je sois né,
Pour être de fâcheux toujours assassiné!
Il semble que partout le sort me les adresse^
Et j'en VOIS chaque jour quelque nouvelle espèce.
Mais il n'est rien d'égal au fâcheux d'aujourd'hui :
J'ai cru n'être jamais débarrassé de lui;
Et cent fois j'ai maudit cette innocente envie
Qui m'a pris, à dîner, de voir la comédie,
Où, pensant m'égayer, j'ai misérablement
Trouvé de mes péchés le rude châtiment
Il faut que je te fasse un récit de Taffaire ,
Car je m'en sens encor tout ému de colère.
J'étois sur le théâtre en humeur d'écouter
La pièce, qu'à plusieurs j'avois ouï vanter;
Les acteurs commençoient, chacun prêtoit silence
Lorsque, d'un air bruyant et plein d'extravagance
Un homme à grands canons est entré brusquement
En criant. Holà, ho! un siège promptement!
7
?
tgg LES FACHEUX,
Et, de son grand fracas surprenant FassemBIée,
Dans le pins bel endroit a la pièce tronbiée.
Hé ! mon Dieu ! nos François , si souvent redressés ,
Ne prendront-ils jamais un air de gens sensés,
Ài-je dit, et faut-il, sur nos- défauts extrêmes,
Qu'en théâtre public nous nouj» jouions nous-mêmes,
Et confirmions ainsi, par des éclats de fous,
Ce que chez nos Toisins oa dit partout de nous !
Tandis que là-dessus je haussois les épaules.
Les acteurs ont voulu continuer leurs rôles :
Mais l'homme, pour s'asseoir, a fait nouveau fracas :
ï!t traversant encor le théâtre à grands pas.
Bien que dans les cÂtés il pût être à son aise ,
Au mUieu du devant il d planté sa chaise,
Et, de son large dos nK)rguant les spectateurs ^
Aux trois quarts du parterre a caché les acteurs.
Un bruit s'est élevé, dont un autre eût en honte ;
Mais lui, ferme et constant, n en a Êiit aucun compte
El se seroit tenu comme il s'étoit posé ,
Si, pour mon infortune, il ne m'eût avisé.
Ah! marquis, m'a-t-il dit, prenant près de moi place,
Comment te portes-tu? souffre que je t embrasse.
Au visage sur l'heure un rouge m'est monté
Que l'on me vît connu d'un pareil éventé.
Je l'étois peu pourtant; mais on en voit paroître
De ces gens qui de rien veulent fort vous connoître,
Dont il faut au salut les baisers essuyer.
Et qui sont familiers jmsqu à vous tutoyer.
)
ACTE I, SCÈNE L 197
n m^a Élit à l'abord cent qiiestîoBs fiiydids ,
Plus haat tpe les acteucs élerànt ses paroks.
Chacun leinatuliasoit; et moi, pour rarréter,,
Je serois , ai- je dil^^ Bîm aise d'écouter.
Tu n^as poi st tu ceci , marq[uis 7 Ah I Dieu me danme I
Je le trouve assez dréle , et je n'y âûs pas âne ;
Je sais par ijàdles lois un ôùyragè est parfait ,
Et Comeille ine vient lire tout ce qu'il fait
Là-dessus , dé la pièce il ma fait un Sommaire .
Scène à scène averti de ce qui s'alloît faire,
Et jusque^ à des vers quli en savoit par cœur.
Il me les récitoit tout haut avant Facteur.
J'avois beau m^en défendre, il â poussé isa chance,
Et s'est devers la fin levé long-temps dWance ;
Car les gens du bel air, pour agir galamment ,
Se gardent bien surtout d'ouïr le dénoûment.
Je rendois grftcé au ciel , et croyois , de justice ,
Qu'avec la comédie eût fini mon supplice ; ^
Mais , comme si c'en eût été trop bon marché ,
Sur nouveaux frais mon homme à moi s est attaché,
M'a conté ses expbits, ses vertus non communes,
Parlé de ses chevaux , de ses bonnes fortunes ,
Et de ce qu'à la cour il avoit de feveur,
Disant qu'à m'y servir il s'offi*oit-de grand cœur/
Je le remerciois doucement de la tété,
Minutant à tous coups quelque retraite honnête i
Mais lui , pour le quitter me voyant ébrapJé ,.
Sortons , ce m'a-t-il dit , le monde est écoulée
igS LES FACHEUX.
Et, sortis de ce lieu, me la donnant plus sèche, '
Mafquis, allons au cours &ire voir ma calèche :
Elle est bien entendue , et plus d'un duc et pair
En fait à mon faiseur Êilre une du même air.
Moi de lui rendre grâce^ et, pour mieux m'en défendre,
De dire que j'avois certain repas à rendre.
Ah ! parbleu , j'en yeux être , étant de tes amis ,
Et manque au maréchal, à qui fayois promis.
De la chère, al- je dit, la dose est trop peu forte
Pour oser y prier des gens de votre sorte.
Non, m'a-t-il répondu, je suis sans compliment.
Et j'y vais pour causer avec toi seulement;
Je suis de grands repas fatigué , je te jure.
Mais si Ton vous attend, ai- je dit, c^est injure.
Tu te moques, marquis; nous nous connoissons tous,
Et je trouve avec toi des passe-temps plus doux.
Je pestois contre moi , l'âme triste et confuse
Du funeste succès qu avoit eu mon excuse ,
Et ne savois à quoi je devols recourir
Pour sortir d^une peine à me faire mourir,
Lorsqu'un carrosse &it de superbe manière,
Et comblé de laquais et devant et derrière,
S'est avçc un grand bruit devant nous arrêté.
D'où sautant un jeune homme amplement ajusté,
Mon importun et lui, courant à 1 embrassade,
» ■ <i'
' Ancienne expression proverbiale- qui signifioit , mtnilr am impudence»
ACTE I, SCÈNE L ^99
Ont surpris les passants de leur brusque incartade : Et , tandis que tous deux étoient précipités Dans les convulsions de leurs civilités, Je me suis doucement esijuivé sans rien dire ; Non sans avoir long-temps gémi d'un tel martyre, Et maudit le fâcheux dont le zèle obstiné M'ôtoit au rendez-vous qui m'est ici donné.
LÀ M0NTAGI7E.
Ce sont chagrins mêlés aux plaisirs de la vie. Tout ne va pas, monsieur, au gré de notre envie. Le ciel veut qu'ici bas chacun ait ses fâcheux. Et les hommes seroient sans cela trop heureux.
J^RASTE.
Mais de tous mes fâcheux le plus fâcheux encore. C'est Damis , le tuteur de celle que j'adore , Qui rompt ce qu'à mes vœux elle donne d'espoir, Et malgré ses bontés lui défend de me voir. Je crains d'avoir déjà passé l'heure promise; Et c'est dans cette allée où devoit être Orphise.
LA MONTAGNE.
L'heure d'un rendez-vous d'ordinaire s'étend, Et n'est pas resserrée aux bornes d'un instant.
ÉRASTE.
D est vrai : mais je tremble ; et mon amour extrême D'un rien se fiiit un crime envers celle que j'aime.
LA MONTAGNE.
Si ce par&it amour que vous prouvez si bien Se Élit vers votre objet un grand crime de rien ,
aoo I^ES FACHEUX.
«
Ce que ^ pœu^ pour Yom sent de feux IdgitÎBivs En revanche l)ii 6it un rien de tpii^ vp§ crimes^
SRASTS. -
Mais tout Aq bon j croû 4u ^e je sois d'elle «une?
cà montagitx. Quoi! TOUS doutez enccnr d'un avour confirmé?
ERASTE.
lÂhl c'est malaisément qu'en pareille matière Un cœur bien ^iflammé prend assurance entière : Il craint de se flatter , et , dans ses divsrs soins y Ce que plus il souhaite est ce qu'il croit le moins. Mais songeons à trouver une beauté si rare.
LA MONTAGNE.
Monsieur, votre rabat * par devant se sépare.
ÉRASTE.
N'importe.
LA MONTAGNE.
Laissez-moi l'ajuster, sll vous platt.
ÉRASTE.
Ouf! tu m'étrangles; fet, laisse-le comme il est.
LA MONTAGNE.
Souffrez qu'on peigne un peu. . .
ÉRASTE.
Sottise sans pareille! Tu m as d'un coup de dent presque emporté Foreille.
^ Rabat j pièce de toile , de mûtisielme ou de dentelle , qoe ^^ hommes mettoient Ru^ur du cou*.
ACTE I, SCÈNE I. aoi
LÀ MONTAGNE.
Vos canons*..
Laisse-les; tu prends trop de soucL
LA ICOVTAèNE.
Ils sont tout cliiffi)nnés.
' J« yeux qu ils soient ainsi.
LA MOIÏTAÔNE.
Accordez-moi du ïnoins, par^râce singulière,
De frotter ce chapeau qu'on volt plein de poussière.
ERASTE.
Frotte donc, puisqu'il faut que j'en passe p^-là.
LA MONTAGNE.
Le voulez-vous porter fait comme le voilà?
ÉRASTE.
Mon Dieu ! dépêche-toi.
LA MONTAGNE.
Ce iieroit conscience.
É R A STE I ^près avoir attendu.
C'est assez.
LA I^ONTAONE.
Donnez-vous un peu de patience.
ËRASTE.
Il me tue.
LA MONTAGNE.
En quel lieu vous ête3* vous fourré?
ao2 LES FACHEUX.
ÉRASTE.
ï'es-tu de ce chapeau pour toujours emparé?
LA MOITTAGNB.
C'est &it.
éRASTE.
Donne-moi donc
LA HONTAGITE^ laissant ttomber le chapeau.
Hail
ÉRASTE.'
Le vo3à par terre! Je suis fort avancé. Que la fièvre te serre I
LA MONTAGNE.
Permettez qu'en deux coups j'ôte. . .
ERASTE.
Il ne me plait pas. Au diantre tout valet qui vous est sur les bras , Qui fatigue son maître, et ne fait que déplaire A force de vouloir trancher du nécessaire!
SCÈNE IL
ORPfflSE, ALCroOR, ÉRASTE, LA MONTAGNE.
(Orphise traverse le fond du théâtre; Alcidor lui donne
la main.)
ÉRASTE.
Mais vois-je pas Orphise? Oui , c'est elle qui vient. Oii vâ-t-elle si vite? et quel homme la tient?
(Il la salue comme elle passe; et elle, en passant, détourne
la tête.)
ACTE I, SCÈNE IIL ao3
SCÈNE IIL
ÉRASTE, LA MONTAGNE.
ÉRASTE.
Quoi ! me voir en ces lieux devant elle paroître, Et passer en feignant de ne me pas connoitre ! Que croire? Qu'en dis-tu? Parle donc, si tu veux.
LA MONTAGNE.
Monsieur, je ne dis rien, de peur d'être fâcheux.
ÉRASTE.
Et c'est l'être en effet que de ne me rien dire Dans les extrémités d'un si cruel martyre. Fais donc quelque réponse à mon cœur abattu : Que dois-je présumer? Parle, qu'en penses-tu? Dis-moi ton sentimenL
LA MONTAGNE.
Monsieur, je veux me taire, Et ne désire point trancher du nécessaire.
ÉRASTE.
Peste l'impertinent! Va-t'en suivre leurs pas; Vois ce qu'ils deviendront , et ne les quitte pas.
LA MONTAGNE, revenant sur ses pas.
Il faut suivre de loin ?
ÉRASTE.
,Oui.
LA MONTAGNE, revenant sur ses pas. .
Sans que Ton me voie , Ou Élire aucun semblant qu après eux on m envoie?
»o4 LES FACHEUX.
éraste;
Non, tu feras bien mieux de leur donner ayls Que par mon ordre exprès ils sont de toi suivis.
LA MONTA Gif E , revenant sur ses pat.
Vous trotrveraî-je ici?
éRASTE.
Que le cîei te confonde, Homme, à mon sentiment, le plus fâcheux du monde 1
SCÈNE IV.
É RAS TE.
Ah ! que je sens de trouble! et qu'il m'eût été doux Qu'on me leût fait manquer ce fatal rendez-vous! Je pensois y trouver toutes choses propices , Et mes yeux pour mon cœur y trouvent des supplices*
SCÈNE V.
LISANDRÉ, ÉRASTE.
LISAITDRE.
•
Sous ces arbres de loin mes yeux t'ont reconnu,
Cher marquis, et d'abord je suis à toi venu.
Comme à de mes amis, il faut que je te chante
Certain air que j'ai fait de petite courante ,
Qui de toute la cour contente les experts,
Et sur qui plus de vingt ont déjà fait des vei*s.
J'ai le bien, la naissance, et quelque emploi passable^
ACTE I, SCÈHE V. aoS^
Et Êii^ figure en France assez considérable : Mais je ne voudrois pas^ pour tx)ut ce que je stlis j N'avoir point fait cet air <|u'ici je te produis.
(Il prélude.)
La , k. . . Hem , hem , écoute avec soin , je te prie.
( Il chante sa courante. )
N'est-efle pas belle?
ÉRASTE.
Ah!
IISANDRE.
Cette fin est jolie.
( II rechante la fin quatre on cinq fois de ^ite.)
Gomment la trouves- tu?
ÉRASTE.
Fort belle assurément.
LISANDRE.
Les pas que j'en ai faits n ont pas moins d^agrément, Et surtout la figure a merveilleuse grâce.
( Il chante , parle et 4ai^se tout ensemble. }
Tiens, lliomme passe ainsi, puis la femme repasse: Ensemble ; puis on quitte, et la femme vient là. Vois-tu ce petit trait de feinte que voilà? Ce fleuret? ces coupés, courant après la belle? Dos à dos , face à face , en se pressant sur elle. Que t'en semble, marquis?
lêRASTE.
Tous ces pas -là sont fins.
aoô LES FACHEUX.
LISANDRB.
Je me moque, pour moi, des maîtres baladins.'
Mraste. On le voit.
LISÀNDRE.
Les pas donc?
ERASTE.
N'ont rien qui ne surprenne.
LISAIfDRE.
Veux-tu par amitié que je te les apprenne?
ÉRASTE.
Ma foi , pour le présent , j^ai certain embarras. « .
LISANDRE.
Hé bien donc, ce sera lorsque tu le voudras. .
Si j'avois dessus moi ces paroles nouvelles,
Nous les lirions ensemble, et verrions les plus belles.
ÉRASTE.
One autre fois.
LISANDRE.
Adieu. Baptiste le très-cher N'a point vu ma courante, et je le vais chercher : Nous avons pour les airs de grandes sympathies , Et je veux le prier d'y faire des parties.
( Il s'en ya chantant toujours. ) J Maîtres baladins , pour maîtres de ballets.
ACTE I, SCÈNE VL 307
SCÈNE VL
ÉRASTE.
Ciel! faut-il que le rang^ dont on veut tout couvrir^ De cent sots tous les jours nous oblige à souffirir, Et nous fasse abaisser jusques aux complaisances D applaudir bien souvent à leurs impertinences!
SCÈNE Vil.
ÉRASTE, LA MONTAGNE.
LA MONTAGNE.
Monsieur, Orpbise est seule, et vient de ce c6të.
ÉRASTE.
Ah! d'un trouble bien grand je me sens agité ! •Tai de Famour encor pour la belle inhumaine , Et ma raison voudroit que j'eusse de la haine.
LA MONTAGNE.
Monsieur, votre raison ne sait ce qu'elle veut. Ni ce que sur un cœur une maîtresse peut. Bien que de s'emporter on ait de justes causes, Une belle d'un mot rajuste bien des choses.
ERASTE.
Hélas! je te Tavoue, et déjà cet aspect A toute ma colère imprime le respect*
ao8 LES FACHEUX.
SCÈNE VIII.
ORPHISE, ÉRASTE, LA MONTAGNE.
ORI^HISE.
Votre front à mes yeux montre peu d'allégresse ! Seroit-ce ma présence, Eraste, qui vous blesse? Qu'est-ce donc? qu'avez-vous? et sur quels déplaisirs, Lorsque vous me voyez, poussez-vous des soupirs?
ÉRASTE.
Hélas ! pouvez-vous bien me demander, cruelle^ Ce qui fait de mon cœur la tristesse niortelle? Et d'un esprit méchant n'est-ce pas un eSst , Que feindre d'ignorer ce que vous m'avez fait? Celui dont l'entretien vous a &it à ma vue Passer. . .
ORPHISE, riant.
C'est de cela que votre âme est émue?
ÉRASTE.
Insultez , inhumaine , encore à mon malheur : Allez , il VOUS sied mal de railler ma douleur, Et d'abuser, ingrate, à maltraiter ma flamme^ Du foible que pour vous vous savez qu'a mon âme.
ORPHISE.
Certes, il en faut rire, et confesser ici Que vous êtes bien fou de vous troubler ainsi. L^homme dont vous parlez, loin qp'il puisse me plaire, Est un homme fâcheux dont j'ai su me dé&ire.
ACTE I, SCÈNE VIII. aog
Un de ces importuns et sots officieux
Qui ne pourroient souffirir qu'on soit seule eii des lieuz^
Et yiennent aussitôt, avec un doux langage^
Vous donner une main contre qui Ton enrage.
J'ai feint de m^en aller pour cacher mon dessein ,
Et jusqu'à mon carrosse il m'a prêté la main.
Je m'en suis promptement défaite de la sorte ;
Et j'ai, pour vous trouver, rentra par Fautre porte»
ÉRASTE.
A Vos discours, Orphise, a jouterai- je foi? Et votre cœur est-il tout sincère pour moi?
ORPHISE.
Je vous trouve fort bon de tenir ces paroleâ , Quand je me justifie à vos plaintes frivoles. Je suis bien simple encore; et tn;a sotte bonté. » *
ÉRASTE.
Ah! ne vous fâchez pas, trop sévère beauté.:
Je veux croire en aveugle, étant sous votre empire ,
Tout ce qne vous aurez la bonté de me dire.
Trompez, si vous voulez, un malheureux amant;
J'aurai pour vous.respect jusques au monument. . . '
Maltraitez mon amour, refiisez-moi le vôtre ^
Exposez à mes yeux le triomphe d'un autre ;
Oui , je souffrirai tout de ros divins appas.
J^en mourrai : mais enfin je ne m'en plaindrai pas.
< Monument^ pout tom^eaK.
MOLI^BE. 9. k4
210 LES FACHEUX.
ORPHISE.
Quand de tels sentiments régneront dans votre âme, Je saurai de ma part. . .
• SCÈNE IX.
ALCANDRE, ORPfflSE, ÉRASTE, LA MONTAGNE.
▲ LGANDRE.
(à Orphisc.)
Marquis, un mot. Madame, De grâce , pardonnez si ]e suis indiscret En osant devant vous lui parler en secret.
( Orphise sort. ) .
SCÈNE X.
ALCANDRE, ÉRASTE, LA MONTAGNE.
ÀLCAKDRE.
Avec peine,. marquis, je te faisla prière : Mais un bomme vient là de me rompre en visière, Et je souhaite fort, pour ne rien reculer, Qu'à rheure de ma part tu l'ailles appeler. Tu sais qu'en pareil cas ce seroit avec joie Que je te le rendrois en la marne, monnoie.
ERASTE, après tftoir été qntàtpie temps «ans parler.
Je ne veux point ici faire le capitan : Mais on m'a vu sbldat:avant<jùef courtisan -^ J'ai servi quat^ze aa&y et je croifrétre «n passe De pouvoir d'un tel pas me tirer avec grâce,
ACTE I, SCÈNE X. su
Et de ne craindre point qu'à quelque lâdieté Le refus de mon bras me puisse être imputé.. Dn duel met les gens en mauvaise posture; Et notre roi n'est pas un monarque en peinture. II sait faire obéir les plus grands de l'État, Et je trouve qu'il fait en digne potentat. Quand il faut le servir, j'ai du cœur pour le faire ; Mais je ne m'en sens point quand il faut lui déplaire. Je me fais de son ordre une suprême loi : Pour lui désobéir cherche un autre que moi. Je te parle, vicomte, avec franchise entière, Et suis ton serviteur en toutte autre matière. Adieu.
SCÈNE XL
ÈRASTE, LA MONTAGNE.
ÉRASTE.
Cinquante fois au diable les fâcheux! Où donc s'est retiré cet objet de mes vœux?
LA MONTAGNE.
Je ne sais.
ÉRASTE.
Pour savoir où la belle est allée , Va-t en chercher partout ; j attends dans cette allée.
FIN DU PREMIER ACTB.
• I
sia LES FACHEUX.
BALLET DU PREMIER ACTE.
PREMIÈRE ENTRÉE.
Des joaeurs de mail, en criant gare, obligent Éraste à se retirer.
SECONDE ENTRÉE.
Après que les joueurs de mail ont fini, Éraste revient pour attendre Orphise. Des curieux tournent autour de lui pour le connoitre, et font quil se retire encore pour tui moment.
LES FACHEUX. ai3
«
ACTE SECOND.
SCÈNE L
ÉRASTE.
Lbs fâcheux à la fin se sont-ils écartes?
Je pense qu il en pleut ici de tous côtés.
Je les fiiis , et les trouve ; et , pour second martyre j
Je ne saorois trouver celle que je désire.
Le tonnerre et la pluie ont promptement passé,
Et n'ont point de ces lieux le beau monde chassé : -
Plût au ciel 9 dans les dons que ses soins y prodiguent,
Quils en eussent chassé tous les gens qui fatiguent!
Le soleil baisse fort, et je suis étonné
Que mon valet encor ne soit point retourné.
SCÈNE IL
ALCIPPE, ÉRASTE.
ALCIPPE. BoNJOtJR.
ÉRASTE) à part.
Hé quoil toujours ma flamme divertie!
ALCIPPE.
Console-moi, marquis, d'une étrange partie Qu'au piquet je perdis hier contre un Saint Bouvain A qui je donneitois quinze points et la main.
2i4 LES FACHEUX.
Gesl un coup enragé qui depuis hier m'dccable,
Et qui feroit donner tous les joueurs au diable ,
Un coup assurément à se pendre en public.
Il ne m en faut que deux, Fautre a besoin d'un pic :
Je donne, il en prend six, et demande à refaire;
Moi, me voyant de tout, je n'en voulus rien &ire.
Je porte l'as de trèfle (admire mon malheur),
L'as , le roi , lé valet , le huit et dix de cœur;
Et quitte , comme au point alloit la politique ,
Dame et coi de carreau, dix et dame de pique.
Sur mes cinq cœurs portés , la dame «rrive eacor;,
Qui me fait justement une quinte major.
Mais*mon homme avec lâs, non sans surprise extrême.
Des bas carreaux sur table étale une sixième :
J'en avois écarté la dame avec le roi.
Mais lui fallant un pic, je sorjis hors d'effiroi.
Et croyois bien du moins faire deux points uniques.
Avec les sept carreaux il avoit quatre piques ,
Et, jetant le dernier, m'a mis dans l'embarras
De ne savoir lequel garder de mes deux as.
J'ai jeté l'as de cœur, avec raison, me semble;
Mais il avoit quitté quatre trèfles ensemble.
Et par un six de cœur je me suis vu capbt,
Sans pouvoir, de dépit, proférer un seul mot.
Morbleu ! fais-moi raison de ce coup effroyable ;
A moins que l'avoir vu, peut-il être croyable?
ÉRASTE.
C'est dans le jeu qu'on voit les plus grands coups du sort
ACTE II, SCÈNE II. ai5
ALCIPPE.
Parbleu! tu jugeras toi-*même si j'ai tort, Et si c est sans raison que ce coup me transporte ; Car voici nos deux jeux (juHexprès sur moi je porte* Tiens, c'est ici mon port, comme je te lai dit; Et voici. . •
SRASTE.
y ai compris le tout par ton récit, Et vois de la justice au transport qui t^agite : Mais pour certaine affaire il faut que je te quitte. Adieu. Console-toi pourtant de ton malheur.
ALCIPPE.
Qui, moi? j aurai toujours ce coup-là sur le cœur; Et c'est pour ma raison pis qu'un coup de tonnerre. Je le veux faire , moi , voir à toute la terre..
Il s'en va , et rentre en disant.
Un six de cœur! Deux points !
ÉRASTE.
En quel lieu sommes-nous? De quelque part qu'on tourne, on ne voit que des fous.
SCÈNE III.
ÉRASTE, LA MONTAGNE.
. ÉRASTE.
Ah ! que tu fais languir ma juste impatience !
LA MONTAGNE.
Monsieur, je n^ai pu faire une autre diligence.
si6 LES FACHEUX.
Araste. Mais me rapportes-tu quelque nouyelle enfin?
LA. MONTAGNE.
Sans doute, et de l'objet qui fait vptre destin. JTai par son ordre exprès quelque chose à vous dire.
lÎRASTE.
Et quoi? Déjà mon cœur après ce mot soupire. Parle,
LA MONTAGNE.
Souhaitez-vous de savoir ce que c^est?
ÉRASTE.
Oui, dis vite,
LA MONTAGNE.
Monsieur, attendez , s'il vous plaît : Je me suis à courir presque mis hors d'haleine.
ÉRASTE.
Prends-tu quelque plaisir à me tenir en peine?
LA MONTAGNE.
Puisque vous désirez de savoir premptement L'ordre que j'ai reçu de cet objet charmant, Je vous dirai. . . Ma foi, sans vous vanter mon zèle, J'ai bien fait du chemin pour trouver cette belle; Et si. . .
iRASTE.
Peste soit, fat, de tes digressions f
LA MONTAGNE.
Âh ! il faut modérer un peu ses passions; Gt Séftèque. . .
ACTE II, SCÈNE III. 217
ÉRASTE.
Sén^ue est un sot dans ta bouche, Puisqu'il ne me dit rien de tout ce qui me touche. Dis-moi ton ordre tôt.
LA MONTAGNE. '
Pour contenter vos vœux, Votre Orphise. . . Une bête est là dans vos cheveux.
ÉRASTE.
Laisse.
LA MONTAGNE.
Cette beauté de sa part vous fait dire. . .
ÉRASTE.
Quoi?
' LA MONTAGNE.
Devinez.
ÉRASTE.
Sais-tu que je ne veux pas rire?
Lis, MONTAGNE.
Son ordre est qu'en ce Ueu vous devez vous tenir, Assuré que dans peu vous Yy verrez venir. Lorsqu'elle aura quitté quelques provinciales. Aux personnes de cour fâcheuses animales.
ÉRASTE.
Tenons-nous donc au lieu qu'elle a voulu choisir. Mais, puisque l'ordre ici m'oflfre quelque loisir. Laisse-moi méditer.
(La Montagne sort. )
ai8 LES FACHEUX.
J'ai dessein de lui faire Quelques vers sur un air où je la vois se plaire.
(Il rêve.)
SCÈNE IV.
ORANTE, CLIMÉNE; ÉRASTE, dans un coik
DV TaiA.T&£ SANS ÊTRE APERÇU. ORANTE.
Tout le monde sera de mon opinion.'
CLIMÈNE.
Croyez-vous remporter par obstination?
ORANTE.
Je pense mes raisons meilleures que les vôtres.
CLIMÈNE.
Je voudrois qu on ouït les unes et les autres..
ORANTE^ apercevant Ëraste.
J'avise ' un homme ici qui n'est pas ignorant :
Il pourra nous juger sur notre diflërènt.
Marquis j de grâce, un mot; soul&ez qu^on vous appelle
Pour être entre nous deux juge dupe querelle,
D'un débat qu'ont ému nos divers sentiments
Sur ce qui peut marquer les plus parfaits amants.
ÉRASTE.
C'est une question à vider difficile;
Et vous devez chercher un juge plus habile. «
* J'avise, pour j'aperçois.
ACTE II, SCÈNE IV. uiq
ORANTE.
Non , VOUS nous dites là d^inutiles chansons.
Votre esprit &it du bruit, et nous yous connoissons;
Nous savons <pie jchacun yous donne à juste titre. . .
^RASTE.
Hé ! de grâce. . .
ORANTE.
En un mot, yous serez notre arbitre; Et ce sont deux moments qu il yous faut nous donner.
CLIMÈNE, à Crante.
Vous retenez ici qui doit yous condamner : Car enfin , s'il est yrai ce que j'en ose croire, Monsieur à mes raisons donnera la yictoire.
ÉRASTE, à part.
Que ne puis-je à mon traître inspirer le souci D'inventer quelque chose à me tirer d'ici!
ORANTE, àClimène.
Pour moi, de son esprit j'ai trop bon témoignage Pour craindre qu'il prononce à mon désavantage.
( à Éraste. )
Enfin , ce grand débat qui s'allume entre nous Est de savoir s^il faut qu'un amant soit jaloux.
CLIMÈNE.
Ou, pour mieux expliquer ma pensée et la vôtre. Lequel doit plaire plus d'un jaloux ou d'un autre.
ORANTE.
Pour moi j sans contredit, je suis pour le dernier.
aao LES FACHEUX,
GLIMÈNE.
Et dans mon sentiment je tiens pour le premier.
OAÀNTE.
Je crois que notre cœur doit donner son suffrage A qui fait éclater du respect davantage.
GLIMÈITE.
Et moi^ que, si nos vœux doivent paroître au jour, C'est pour celui qui &it éclater plus d'amour.
ORÀNTE.
Oui; mais on voit l'ardeur dont une âme est saisie Bien mieux dans les respects que dans la jalousie.
GLIMENE.
Et c^est mon sentiment que qui s'attache à nous Nous aime d'autant plus qu^il se montre jaloux.
ORANTE.
Fi! ne me parlez point pour être amants, Climène, De ces geus dont lamour est fait comme la haine, Et qui, pour tous respects et toute offre de vœux. Ne s'appliquent jamais qu'à se rendre fâcheux; Dont Tâme, que sans cesse un noir transport anime, Des moindres actions cherche à nous faire un crime, En soumet Finnocence à son aveuglement. Et veut sur un coup-d œil un éclaircissement; Qui, de quelque chagrin nous voyant Fapparence, Se plaignent aussitôt qu'il naît de leur présence; Et, lorsque dans nos yeux brille un peu d'enjoûment, Veulent que leurs rivaux en soieiit le fondement ; Ëpfin qui, prenant droit des fureurs de leur zèle,
ACTE II, SCÈNE IV. aai
Ne nous parlent jamais ^e pour faire qaerelle , Osent défendre à tous l'approche de nos cœurs ^ Et se font les tyrans de leurs propres yainqueuro. Moi^ je yeux des amants <jue le respect inspire ; Et leur soumission marque mieux notre empire.
GLIHÈNB.
Fi! ne me parlez point, pour être vrais amants,
De ces gens qui pour nous n ont nuls emportements ,
De ces tièdes galants de qui les cœurs paisibles
Tiennent déjà pour eux les choses infaillibles,
N'ont point peur de nous perdre , et laissent , chaque jour,
Sur trop de confiance endurcir leur amour;
Sont avec leurs rivaux en bonne intelligence,
Et laissent un champ libre à leur persévérance.
Un amour si tranquille excite mon courroux :
C'est aimer froidement que n'être point jaloux-,
Et je veux qu'un amant, pour me prouver sa flamme.
Sur d'étemels soupçons laisse flotter son âme ,
Et, par de prompts transports, donne un signe éclatant
De lestime qu'il fait de celle qu'il prétend.
On s applaudit alors de son inquiétude ;
Et, s'il nous Élit parfois un traitement trop rude,
Le plaisir de le voir, soumis à nos genoux,
S'excuser de l'éclat qu'il a fait contre nous, *
Ses pleurs, son désespoir d'avoir pu nous déplaire.
Sont un charme à calmer toute notre colère.
ORANTE.
Si, pour vous plaire, il faut beaucoup d'emportement,
5M LES FACHEUX.
Je sais qui vous pourroit donner contentement;' Et je connois des gens dans Paris phis de quatre , Qui, comme ils le font voir, aiment jusques à battre.
ctiMiruE.
Si, pour vous plaire, il faut n'être jamais jaloux, Je sais certaines gens fort commodes pour vous; Des hommes en amour dune humeur si souffi*ante« Qu'ils vous verroient sans peine entre les bras de trente.
ORANTE.
, Enfin par votre arrêt vous devez déclarer Celui de qui l'amour vous semble à préférer.
( Orphise paroît dans le fond du théâtre , et voit Éraste entre
Orante et Glimène. )
ÉRASTE.
Puisqu'à moins d'un arrêt je ne m en puis défaire. Toutes deux à la fois je veux vous satisfaire; Et, pour ne point blâmer ce qui plaît à vos yeux. Le jaloux aime plus , et l'autre aime bien mieux.
CLIMENE.
L'arrêt est plein d'esprit; mais. ..
JÊRASTB.
SuflSt. Ten suis quitte. Après ce que j'ai dit, soutirez que je vous quitte.
ACTE II, SCÈNE V. aa3
SCÈNE V.
ORPHISE, ÊRASTE.
ÉRASTE^ apercevant Drphise, et allant au-devant d'elle.
Que vous tardez, madame! et que j'éprouve bien. . . !
ORPHISE.
Non, non, ne quittez pas un si doux entretien. A tort vous m'accusez d'être trop tard venue;
(montrant Orant^ et Glimène qui viennent de sortir. )
Et VOUS avez de quoi vous passer de ma vue.
éRASTE.
Sans sujet contre moi voulez-vous vous aigrir? Et me reprochez-vous ce qu'on me fait souffrir? Ah ! de grâce , attendez.
ORPHISE.
Laissez-moi, je vous prie; Et courez vous rejoindre à votre compagnie^
SCÈNE VI.
ÉRASTE.
Ciel! faut-il qu'aujourd'hui fâcheuses et fâcheux Conspirent à troubler les plus chers de mes vœux! Mais allons sur ses pas malgré sa résistance, Et Élisons à ses yeux briller notre innocence.
a^ LES FACHEUX.
SCÈNE VIL DORANTE, ÉRASTE.
DORANTE.
Ah ! marquis , que Ton voit de fâcheux tous les jours Venir de nos plaisirs interrompre le cours! Tu me Yois enragé d'une assez belle chasse Qu'un fat. . . C est un récit qu'il faut que je te fasse.
ÉRASTE.
Je cherche ici quelqu'un et ne puis m'arréter«
DORANTE.
Parbleu! chemin faisant, je te le yeux conter.
Nous étions une troupe assez bien assortie,
Qui pour courir un cerf avions hier fait partie ;
Et nous fûmes coucher sur le pays exprès ,
C^est-à-dire, mon cher, en fin fond de forêts.
Comme cet exercice est mon plaisir suprême,
Je voulus, pour bien faire, aller au bois moi-même.
Et nous conclûmes tous d'attacher nos efforts
Sur un cerf que chacun nous disoit cerf dix-cors;
Mais moi, mon jugement, sans qu'aux marques j'arrête,
Fut qu'il n'étoit que cerf à sa seconde tête.
Nous avions comme il faut séparé nos relais.
Et déjeunions en hâte avec quelques œufs frais.
Lorsqu'un franc campagnard avec longue rapière,
Montant superbement sa jument poulinière.
Qu'il honoroit dii nom de sa bonne jument,
S'en est Venu nous faire un mauvais compliment,
ACTE II, SCÈNE VIL aaS
Nous présentant aussi, pour surcroît de colère, Un grand benêt de fils aussi sot que son père, n s^est dit grand chasseur, et nous a priés tous Qu^îl pût avoir le bien de courir avec nous. Dieu préserve, en chassant, toute sage personne DW porteur de huchet ^ qui mal à propos sonne; De ces gens qui, suivis de dix hourets ' galeux. Disent, ma meute, et font les chasseurs merveilleux! Sa demande reçue , et ses vertus prisées , Nous avons tous été frapper à nos brisées. A trois longueurs de trait, tayaut, voilà d^abord Le cerf donné aux chiens. J appuie et sonne fort. Mon cerf débuche , et passe une assez longue plaine ; Et mes chiens après lui, mais si bien en haleine , Qu'on les auroit couverts tous d^un seul justaucorps, n vient à la forêt. Nous lui donnons alors La vieille meute; et moi, je prends en diligence Mon cheval alezan. Tu las vu?
iRASTB.
Non, je pense. '
DORAITTB.
Comment î c est un cheval aussi bon qu'il est beau , Et que ces jours passés j'achetai de Gavean. ^ Je te laisse à penser si , sur cette matière , Il voudroit me tromper j lui qui me considèreti^
^■^^^ III I II I ■ M I —— — i— i<1^— I I 1 I I I <
* Huchet, petit cor que portent les chasseuri/ us » Hourets , mauvais chiens de chasse. —
' Fameux piqneur.
MoLiinE. a« i5
«6 LES FACHEUX.
Aussi je m en coatente; et jamab^ en effet,
Il n'a vendu cheval ni meilleur ni mieux fait. .
Une tête de barbe , avec FétoUe nette ;
Uencolure d'un cygne^effilée et bîan droite ;
Point d'épaules non plus ({u'un lièvre-; court-joinlé,
Et qui Élit dans son port voir sa vivacité ;
Des pieds , morbleu , des pieds ! le rein double : à vrai dire,
J'ai trouvé le moyen y moi seul , de le rédtlîre ;
Et sur lui j quoîqumix yeux il montrât beau semblant,
Petit-Jean de Gaveau ne montoit quçn tremblant.
Une croupe en largeur à nulle autre pareille ,
Et des gigots, Dieu sait! Bref, c'est.une merveille;
Et j'en ai refusé cent pistoles , crois-moi ,
Au retour d'un cheval amené pour, le roi.
Je monte donc dessus , et ma jdie . étoit pleine
De voir filer de loin: les coupeurs dans la plakie;
Je pousse, et je me trouve en uhfortà Tècârt,
A la queue de nos chiens , tnoi seul avec Drécart : '
Une heure là-dedans notre .cerf se fait battre.
J'appuie alors mes chiens, .et fais le diable à quatre;
Enfin jamais chasseur ne se vit plus joyeux.
Je le relance seul ; et tout alloit des mieux , ^ '
Lorsque d'un jeune cerf s accompagne le nàtffè :
Une part de mes chiens se sépare de latttre , ;
Et je les voi«, 'marquis y cobotme tu pe^x penser,
Chasser tou^véc crante , et FInaut balancer ;
^— ^■^■— — — ^■-— ■ «■ Il ■ Il ■■ Il I ■ n
' Fameux marchand de ehevaux.
• ACTE II, SCÈÎIE VII, u^y
tl se rabat soudain , dotit j eus Time ravie ^
n empaume la voie ; et moi^ je sonne et cÂe , . j\
A Finaut ! à FiaautlJ'en revois à plaisir
Sur une taupimère , et r^onne à loisir.
Quelques chiens revenoient à moi ^ quand, pour disgrAce,
Le jeune cerf , marquis ^ à mou campagnard passe.
Mon étourdi se met à sonner comme il faut ,. ; '
Et crie à pleine voix , tayaut! tayaut ! tayaut !
Mes chiens me quittent tous , et vont à ma pécore :
jy pousse^ et j^en revois dans le chemin encore ;
Mais à terre, mon cher /je n'eus pas jeté Vœil,
Que je connus le chaiigie , et sentis un grand deuil.
Xai beau lui faire voir toutes les différences
Des pinces de mon cerf et de ses connoissances, '
D me soutient toujours, en chasseur igniorant,
Que c'est le cerf de meute ; et par ce diflercQt
0 donne temps aux chiens d'aller loin. J'en enrage;
Et pestant de bon cœur contre le personnage,
Je poussé mon cheval et par haut et par bas ,
Qui plioit des gaulis ^ aussi gros que le bras :
Je ramène les chiens à ma première voie^
Qui vont en me donnant une excessive joie,
Requérir notre cerf, comme s'ils l'eussent vu.
■Pi»«*«
i^iM.
« Connousances , en terme de clias»3* signifie les indices, les vesii^gs du gibier «
* Gaulis, terme de vénerie. On appelle gaulis les branches d'arbres qu'il faut que le chasseur pdie ou détourne lorsqu'il perce dans le fort du bois.
saS LES FACHEUX.
Us le relancent : mais ce coup est-il prévu?
Aie dire le vrai, cher marquis, il m'assomme :
Notre cerf relaûcé va passer à notre homme ,
Qui, croyant faire un coup de dtasseur fort vanté,
D'un pistolet d'arçon qu*il avoit apporté
Lui donne justement au milieu de la tête,
Et de fort loin me crie, Ah! j'ai mis bas la béte.
A-t-on jamais parlé de pistolets , bon Dieu I
Pour courre un cerf! Pour moi, venant dessus le lieu,
Jai trouvé Faction tellement hors d'usage ,
Que j'ai donné des deux à mon cheval , de rage ,
Et m en suis revenu chez moi toujours courant,
Sans vouloir dire un mot à ce sot ignorant.
ERASTE.
Tu ne pouvois mieux faire, et ta prudence est rare : C'est ainsi des fâcheux ^'il faut <}u'on se sépare. Adieu»
DORANTE.
Quand tu voudras , nous irons quelque part Où nous ne craindrons point de chasseur campagnard.
ÉRASTE. (seul.)
Fort bien. Je crois qu'enfin je perdrai patience. Cherchons à m'excuser aveoque diligence.
YIV DU SECOND ACTE.
LES FÂCHEUX. aa9
BALLET DU SECOND ACTE.
PREMIÈRE ENTREE.
Des joueurs de boule arrêtent Eraste pour mesurer un coup sur lequel Us sont en dispute. 11 se défait d eux avec peine, et leur laisse danser un pas composé de toutes les postures qui sont ordinaires à ce jeu.
SECONDE ENTRÉE.
De petits frondeurs le viennent interrompre, qui sont chassés ensuite.
* »
TROISIEME ENTRÉE.
Des savetiers et des savetières, leurs pères, et autres, sont aussi chassés à leur tour.
QUATRIÈME ENTRÉE.
Un jardinier danse seul, et se retire pour faire place au troisième acte.
a3o LES FÂCHEUX.
^»^>^>^»^»^'^^S^«i^»^'^>«^>^ ^■^*^»^i^»^*^<»«i^>^s^s^i^»i^ir^^wi^<^»i^ii^i^>^i^«^i^<^^^^^>»»»#>^
ACTE TROISIÈME.
SCÈNE I.
ÉRASTE, LA MONTAGNE.
ÉRÀST£.
Il est vrai, d'un côté mes soins ont réussi ,
Cet adorable objet enfin s'est adouci;
Mais d'un autre on m'accable, et les astres sévères
Ont contre mon amour redoublé leurs colères.
Oui, Damis son tuteur, mon plus rude fâcheux,
Tout de nouveau s'oppose au plus doux de mes vœux,
A son aimable nièce a défendu ma vue,
Et veut d'un autre époux la voir dein'ain pourvue.
Orphise toutefois, malgré son désaveu,
Daigne accorder ce soir une grâce à mon feu;
Et j'ai fait consentir l'esprit de cette belle
A soufirix qu'en secret je la visse chez elle.
L'amour aime surtout les secrètes faveurs;
Dans l'obstacle qu^on force il trouve des douceurs;
Et le moindre entretien de la beauté qu'on aime,
Lorsqu'il est défendu, devient grâce suprême.
Je vais 'au rendez-vous, c'en est l'heure à peu près;
Puis , je veux m'y trouver plutôt avant qu'après.
» .
ACTE m, bCÈNE I. a3i
LA MONTAGNE.
Suivrai-je VOS pas?
ERASTE.
Non. Je craindrois que peut-être • A quelques yeux suspects ta me fisses counoître.
tA MONTAGNE.
Mais. .'•
ÉRASTE.
Je ne le veux pas.
LA MONTAGNE.
Je dois suivre vos lois : Mais au moins si de loin. . .
ÉRASTE.
Te tairas-tu, vingt fois? Et ne veux-tu jamais quitter cette méthode De te rendre à toute heure un valet incommode?
SCÈNE IL
CARITIDÉS, ÉRASTE.
CARITIDÈS.
Monsieur, le temps répugne ' à l'honneur de vous voir; Le matin est plus propre à rendre un tel devoir : Mais de vous rencontrer il n'est pas bien facile; Car vous dormez toujours, ou vous ête^ en ville : Au moins messieurs vos gens me l'assurent ainsi -, Et j'ai, pour vous trouver, pris l'heure que voici.
#
* Le temps répugne, le moment n'est pas favorable.
a39 LES FÂCHEUX.
Encore est-ce un grand heur dont le destin mlionore; Car , deux moments plus tard y je vous manqnois encore.
ÉRASTE.
Monsieur, souhaitez-YOus quelque chose de moi?
CARITIDÈS.
Je m'acquitte, monsieur, de ce que je tous doi, Et vous yiens. • .Excusez l'audace qui minspire. Si. . .
ÉRASTE.
Sans tant de façons , qu^ayez-vous à me dire?
CÀi^iTinis. Comme le rang, l'esprit, la générosité. Que chacun vante en vous. . •
Mrasts.
Oui, je suis fort vanté. Passons, monsieur.
CARITIDÈS.
Monsieur , c est une peine extrême Lorsqu^il &Ut à quelquW se produire soi-même j Et toujours près des grands on doit être introduit Par des gens qui de nous Eussent un peu de bruit, Dont la bouche écoutée avecque poids débite Ce qui peut faire voir notre petit mérite. Pour moi, j^aurois voulu que des gens bien instruits Vous eussent pu, monsieur, dire ce que je suis.
ÉRASTE.
Je vois assez, monsieur^ ce que vous pouvez être, Et votre seul abord le peut Êiire connoitre.
ACTE III, SCÈNE II. aSS
CARITIDÈS.
Oui , je snis an sayant charmé de yos vertus : Non pas de ces savants dont le nom n'est qu'en us, D n'est rien si commun qu'un nom à la latine : Ceux qu'on habille en grec ont bien meilleure mine^ Et pour en avoir un qui se termine en es, Je me ùis appeler monsieur Caritidës.
iRASTE.
Monsieur Caritidès soit Qu'ayez-vous à dire ?
CARITJDÈS.
t
C'est un placet, monsieur, que je voudrois vous lire, Et que , dans la posture où vous met votre emploi , J'ose vous conjurer de présenter au roi.
iaASTE.
Hé! monsieur, vous pouvez le présenter vous-même.
CARITIDES.
Il est vrai que le roi fait cette grâce extrême ;
Mais, par ce même excès de ses rares bontés,
Tant de méchants placets, monsieur, sont présentés
Qu ils étouffent les bons; et Fespoir où je fonde,
Est qu on donne le mien quand le prince est sans mohue.
iRASTE.
Hé bien ! vous le pouvez , et prendre votre temps.
CARITinis.
Àh! monsieur, les huissiers sont de terribles gens! Ils traitent les savants de faquins à nasardes, Et je n'en puis venir qu'à la salle des gardes.
û34 LES FACHEUX.
Les mauvais traitements qu'il me &ut endurer Pour jamais de la cour me feroient reti^r, Si je n'ayois conçu 1 espérance certainei Qu'auprès de^ notre roi vous serez mon Mécène. Oui , votre crédit m^est un moyen assuré. « .
ÉRASTE.
Hé bien^ donnez-moi donc; je le présenterai.
GARITIDis.
Le voici. Mais au moins oyez-en la lecture.
^ ÉRASTE.
Non. . . ,
CARITIDÈS.
C'est pour être instruit, monsieur : je vous conjure.
PLACET AU ROI.
Sire,
« Votre très-humble, très-obéissant, très-fidèle et très- (c savant sujet et serviteur Caritidès, François de nation, ce Grec de profession, ayant considéré les grands et no- ce tables abus qui se commettent aux inscriptions des en- ce seignes des maisons, boutiques, cabarets, jeux de boule, ce et autres lieux de votre bonne ville de Paris, en ce que ce certains ignorants, compositeurs desdites inscriptions, ce renversent par une barbare , pernicieuse et détestable ce orthographe, toute sorte de sens et déraison, sans au- fc cun égard d'étymologie, analogie, énerçie, ni allégorie <c quelconque, au grand scandale de la république des
ACTE m, SCÈNE IL a35
« lettres, et de^ la lïâtiob iiançoise, qui se décrie et se ce déshonore par lesâitis abus et fautes groissières envers les « étrangers, notaminent enYers les Âllémancîs, curieux « lecteurs et S|)e|jtateiiii9 desditë» Inscription^. . .
ÉRASTE.
Ce placet est fort long, et pourroit bien fâcher.
• CARITIDÉS.
» • • • - »
Âh ! moAsidur, pas 4n. mot ne s'«n peut retrancher.
( Il continue. )
supplie humblemei|t votre majesté^ de créer, pour le bien de son Etat et la gloire de son empire, une charge de contrôleur,* intendant, correcteur, réviseur et res- taurateur général desdites inscriptions, et d'icelle hono- rer le suppliant, tant en considération de son rare et éminent savoir, que des grands et signalés services qu'il a rendus à ITEtat et à votre majesté , en faisant Fana- gramme de votredite majesté, en firançois, latin, grec, hébreu^ syriaque , chaldéen , arabe. . . »
ÉRASTE, rinterrompant.
Fort bien. Donnez-le vite , et faites la retraite. Il sera vu du roi; c'est une afiaire faite.
CARITIDÉS.
Hélas! monsieur, c^est tout que montrer mon placet. Si le roi le peut voir j je suis sûr de mon fait; Car , comme sa justice en toute chose est grande, n ne pourra jamais refuser ma demande.
a36 LES FACHEUX.
Âtt reste , pour porter au ciel votre renom , Donnez-moi par écrit votre nom et surnom ; J^en veux &ire un poëme en forme d'acïostiche Dans les deux bouts du vers et dans cha^e hémîstidio.
JRASTE.
Oui, vous l'aurez demain, monsieur Caritidès.
(seul.)
Ma foi, de tels savants sont des flnes bien foits. Jaurois dans d^autres temps bien ri de sa sottise.
SCÈNE III.
ORMIN, ÉRASTE.
ORMIN.
Bien qu^une grande affaire en ce lieu me conduise, J'ai voulu qu'il sortît avant que vous parler. .
ÉRAST£«
Fort bien. Mais dépéchons; car je veux m en aller.
ORMIN.
Je me doute à peu près que l'homme qui vous quitte Vous a fort ennuyé, monsieur, par sa visite. C'est un vieux importun qui na pas l'esprit sain, Et pour qui j'ai toujours quelque défaite en main. Au Mail, au Luxembourg, et dans les Tuileries, Il fatigue le monde avec ses rêveries ; Et des gens comme vous doivent fuir l'entretien De tous ces savantas qui ne sont bons à rien.
ACTE m, SCÈNE IIL u3y
Pour moi^ je ne crains paà que je tous importune, Puisque je viens, monsieur, faire votre fortune. *
iRASTE, bas, à part.
Voici quelque souffleur, de ces gens qui n'ont rien , Et nous viennent toujours promettre tant de bien.
( haut. )
Vous avez &it, monsieur, cette bénite pierre Qui peut seule enrichir tous les rois de la terre?
ORMIN.
La plaisante pensée , hélas ! où vous voilà !
t)ieu me garde, monsieur, d'être de ces fous-là!
Je ne me repais point de visions frivoles.
Et je vous porte ici lès solides paroles
D'un avis que par vous je veux donner au roi ,
Et que tout cacheté je conserve sur moi :
Non de ces sots projets, de ces chimères vaines.
Dont les surintendants ont les oreilles pleines ;
Non de ces gueux d'avis dont les prétentions
Ne parlent que de vingt ou trente millions;
Mais un qui , tous les ans, à si peu qu'on le monte ,
En peut donner au roi quatre cent$ de bon compte.
Avec facilité, sans risque ni soupçon, .
Et sans fouler le peuple en aucune &çon ;
Enfin c'est un avis d'un gain inconcevable,
Et que du premier mot on trouvera faisable.
Oui , pourvu que par vous je puisse être poussé. . .
éRASTE. '
Soit, nous en parlerons. Je suis un peu pressé.
a38 LES FACHEUX
0RMI1!(.
SI vous' me promettiez de garder le silence , Je vous âécoayricçis cet ayis dimportance.
^RASTE.
Non, non , je ne veux point savoir votre secret.
ORMIW.
Monsieur^ pour le trahir je vous crois trop discret, Et veux avec franchise en deux mots vous l'apprendre. Il faut voir si quelqu'un ue peut point nous entendre.
( Après avoir regardé si personne ne leçoute, il s'approche de
ToreiUe d'Éraste. )
Cet avis merveilleux dont je suis l'inventeur Est que. . .
ÉRASTE.
D'nn peu pliis loin, et p6»r catfôè, monsieur.
ORsriir.
Vous voyez le grand gain, sans qu'il faille le dire, Que de ses ports de mer le roi tous les ans tire : Or l'avis, dont encor nul ne s'est avisé, Est qu'il faut de la France, et c'est un. coup aisé. En fameux ports de mer mettre toutes les côtes. Ce seroit pour monter à des sommes irès-hau tes; Et si. . .
ÉRASTE.
LWis est bon, et plaira fort au roi. Adieu. Nous nous verrons.
ACTE III, «GÈNE III. aSg
ORMIN.
Au moins appuyez-moi Pour en avoir ouvert les premières paroles.
EJIASTE,
Oui, oui.
^ ORMIN.
Si vous vouliez me prêter deux pistoles. Que VOUS reprendriez sur le droit de Tavis, Monsieur...
ERASTE. (Il donne deux louis à Ormin. ) (seul. )
Oui, volontiers. Plût à Dieu qu'à ce prix De tous les importuns je pusse me voir quitte ! Voyez quel contre-temps prend ici leur visité ! Je pense qu'à la fin je pourrai bien sortir. Viendra-t-il point quelqu'un encor me divertir?
SCÈNE IV.
FILINTE, ÉRASTE.
FILINTE.
Marquis, je viens d'apprendre une étrange nouvelle.
ÏRASTB.
Quoi?
FILINTE.
Qu^un homme tantôt t'a fait une querelle.
Chaste. A mol?
Mo LES FACHEUX.
FILIITTB.
Que te sert-il de le dissimuler? Je sais de bonne part quon t'a &it appeler; Et y comme ton ami, quoi qu'il en réussisse, Je te viens contre tous fiiire offire de service.
XRASTE.
Je te suis obligé ; mais crois que tu me &is. . .
FILINTE.
Tu ne lavoûras pas, mais tu sors sans valets. Demeure dans la ville, ou gagne la campagne, Tu n'iras nuUe part que je ne f accompgne.
^RASTE, à part.
Ah ! j'enrage !
FILINTE.
A quoi bon de te cacher de moi?
ÉRASTE.
Je te jure, marquis, qu'on s'est moqué de toi.
FILINTE.
En vain tu t'en défends.
ERASTE.
Que le ciel me foudroie. Si d^aucun démêlé. . .
FILINTE.
Tu penses qu'on te croie?
^BASTE.
Hé! mon Dieu! je te dis et ne déguise point Que. . .
< ■'
ACTE III, SCÈNE IV. a4i
FILINTE.
Ne me crois pas dupe et crédule à ce point.
ÉAÀSTE*
Veux-tu m'obliger?
FILINTÉ.
Non.
KRASTE.
Laissé-moi, je te prie.
FILINTE.
Point â^siSkirCj marquis.
ÉRÀSTE.
Une galanterie En certain lieu, ce soir...
FILtNTE. -
Je ne te quitte pas j En quel lieu qiic ce soit je veux suivre tes pas.
ÉRASTE.
Parbleu, puisque tu veux que j'aie une querelle, Je consens à Tavoir pour contenter ton zèle. Ce sera contre toi, qui me fais enrager, Et dont je ne me puis par douceur dégager.
FILINTE*
C'est fort mal d'un ami recevoir le service. Mais puisque je vous rends un si mauvais office. Adieu. Videz ' «ans moi tout ce que vous aurez.
' Videz ou terminez toutes ces affaires, etc.
MOLIÙBE. 2.
242 LES FACHEUX.
ÉRÂ5TE.
Vous serez mon ami quand vous me quitterez.
( seul. ]
Mais voyez quels malheurs suivent ma destinée! Ils m^auront fait passer l'heure qu'on ma donnée.
SCÈNE V.
DAMIS, L'ÉPINE, ÉRASTE, LA RIVIÈRE
ET SES COMPAGNONS. DAMIS, à part.
Quoi! malgré moi le traître espère Fobtenir! Ah! mon juste courroux le saura prévenir.
ÉRASTE, à part.
J'entrevois là quelqu'un sur la porte d'Orphise!
Quoi! toujours quelque obstacle aux feux qu eUe autorise!
DAMIS, àTÊpine.
Oui , j'ai SU que ma nièce , en dépit de mes soins , Doit voir ce soir chez elle Eraste sans témoins.
LA RIVIÈRE 2 à ses compagnons.
Qu'entends-je à ces gens-là dire de notre maître? Approchons doucement sans nous faire connoitre.
DAMIS, à l'Épine.
Mais avant qa'iji ait lieu d'achever son dessein, Il faut de mille coups percer son traître sein. Va-t'en faire venir ceux que je viens de dire, Pour les mettre en embûche aux lieux que je désire, Afin qu'au nom d'Eraste on soit prêt à venger
i
ACTE III, SCÈNE V. a43
Mon honneur que ses feax ont l'orgueil d outrager, A rompre un rénâez-Tou$ qui dans ce lien l'appelle , Et noyer dans son sang sa flamme criminelle.
LA RIVIÈftE, attàiJttAnt Damis ayec MS compagnonSé
Avant qu a tes fureurs on puisse Fimmoier) Traître , tu trouveras en nous à qui parler.
ÉRASTÉ.
Bien qu'il m'ait voulu perdre , un point d'honneur me pressa De secourir ici l'oncle de ma maîtresse.
( à Damis. )
Je suis à vous, monsieur.
( Il met répée à la main contre La Riyière et ses compagnons ,
qn'il met en fuite.
DAMIS.
O ciell par quel secoui^s D'un trépas assuré vois- je sauver mes jours? A qui suis-je oblige d'un si rare service?
ERASTB, revenant.
Je n'ai fait, vous servant, qu'un acte de justice.
DAMIS«
CielJ puis- je à mon oreille ajouter quelque foi? Est-ce la main d'Eraste. • . ?
étlASTB.
Oui, oui, monsieur, c'est moi- Trop heureux que ma main vous ait tiré de peine , Trop malheureux d avoir mérité votre haine.
DAMIS.
Quoi! celui dont j'avois résolu le trëpaâ
a44 LES FACHEUX.
Est celui qui pour moi vient dVmpIoyer son bras!
Âh ! c'en est trop; mon cœur est contraint de se rendre;
Et, quoi que votre amour ce soir ait pu prétendrei
Ce trait si surprenant de générosité
Doit étouffer en moi toute animosité.
Je rougis de ma faute y et blâme mon caprice.
Ma haine trop long-temps vous a fait injustice;
Et, pour la condamner par un éclat fameux,
Je vous joins dès ce soir à Tobjet de vos vœux.
SCÈNE VI.
ORPHISE, DÀMIS, ÉRASTE.
ORPHISE, sortant de ohiez elle ayec un flambeau.
Monsieur, quelle aventure a d'un trouble eflSroyable...
DAMIS.
Ma nièce, elle na rien que de très-agréable, Puisque après tant de vœux que j'ai blâmés en vous, C'est elle qui vous donne Eraste pour époux. S«n bras a repoussé le trépas que j'évite, Et je veux envers lui que votre main m'acquitte.
ORPHISE.
Si c est pour lui payer ce que vous lui devez ) J*y consens, devant tout aux jours qu'il a sauvés»
ÉRASTE.
Mon cœur est si surpris d'une telle merveille, Qu'en ce ravissement je doute Jsi je veille.
ACTE m, SCÈNE VL ' a45
DÀMI&
Célébrons llieureux sort dont vous allez jouir , Et ^e nos violons viennent nous réjouir.
( On frappe À la porte de Damis. }
^RASTE.
Qui frappe là si fort?
SCÈNE VIL
DAMIS, ORPfllSE, ÉRASTE, L'ÉPINE.
l'épine.
Monsieur, ce sont des masques Qui portent des crincrins * et des tambours de Basques.
( Les masques entrent, qui occupent toute la placc«)
ÉRASTE.
Quoi! toujours des fâcheux? Holà! Suisses, ici; Qu'on me fasse sortir ces gredins que voici.
I—— ■ Il lll.!!»! I llll I I — — ^»
BALLET DU TROISIÈME ACTE.
PREMIERE ENTRÉE.
Des Suisses avec des hallebardes chassent tous «les piasques fâcheux^et seretirent ensuite pour laisser danser.
SECONDE ENTRÉE.
Quatre bergers et une bergère ferment le divertissement.
■«•
I Le mot crincrins, pour violons, ne se trouye dans aucun dic- tionnaire.
FIN DES FACHEUX.
« I » ■ ■ ■ «
RÉFLEXIONS
SUR
LES FACHEUX.
On peut regarder cette pièce comme un tour de force : l'au- teur fut averti trop tard par M. Fouquet , qui , dans la fête célèbre qu'il douna à Louis XI Y*, n'eut pas d'abord le projet de faire entrer un spectacle dramatique. Cette comëdie , comme le dit Molière^ fui conçue, faite, apprise et représentée en quinze jour$^ Si l'on eon-sidère con^bien de portraits elle renferme, si l'on réfléchit qu'elle est écrite en vers , pn se fera une idée de rétonnante facilité de l'auteur.
La première conception des Fâcheux est puisée dans la neuvième satire d'Horace et daiis la huitième de Régnier, qui , quoiqu'elle ne soit qu'une imitation de la pièce latine, pré- sente des développements nouveaux dont Molière a proGté. Le récit que fait Ëraste dans la première scène embrasse presque tout le plan de la satire d'Horace.
' (( Je passois ^ dit Horace , dans la voie Sacrée , rêvant , (( selon ma coutume , à des bagatelles dont j'étoîs tout occupé. 'c( Un certain personnage, que je connois à peine, m'aborde, et <( me prenant la main : Comment vpus portez-vous, mon cher? t< me dit-il. -^Très-bîen , pJcêt à vous servir. Voyant qu'il me
* Iham foctè via Sacra , sicut ïaieua est mos ,
lïescio qiiid meditans nugarum, totus in ilHs : ■
Accurrit quidam notus mihi Domine tantùm ;
Arreptâque manu : Quid «gis, dulcissime reiiun?
REFLEXIONS SUR LES FACHEUX. «47
« suivoît : Que voulez-yous? lui dis-jc. —Je veux cultivei « votre connoissance : je ne suis pas étranger aux lettres. — Yc Tant mieux , j'en ai plus de considëration pour vous ; et je « cherche à m'esquiver. Tantôt je, presse le pas, tantôt je la « ralentis ; quelquefois je. dis un mot à mon valet : la sueuc (( inonde mes memhres. . • Le bourreau m'accable de son hAf « vardage : il loue la ville et la campagne de Rome. Comme je ce ne lui réponds pas un mot : Je vois bien , dit-il , que vout « voulez m'ëchapper; mais ce)a ne vous sera pas facile : je ne w vous quitte pas, et je vous suivrai partout où vous irez. — ; '(( Epargnez-vous cette peine : je vais chez un de mes amis quj « ne vous est pas connu : il demeure fort {pin d'i,ci, au-d<elà .<( du Tibre, près des jardins de César. — Je n'ai rien à faire, « rëplique le traître; je marche bien, et je vous suivrai, etc. » CeFiMieux tojirmente encore Horace : il a un procès ; mais , an lieu d'aller s'en occuper, il aime mieux continuer ses im- poi^unités. Enfin, par bonheur, il rencontre sa partie adverse
Suaviter ut nunc est , inquam ; et cupio oznnia quœ vis.
Quiun assectaretur : Numquid vis ? occupo. Al ille :
Nôris nos , inquit ; docti suxnus. Hîc ego : Pluris
Hoc, inquam, mihi eris. Miserè discedere quaerens,
Ire modo ociùs , interdiim consistere , in aurem
t)icere nescio quid puero. Quùm sudor ad îmos «
JVf anaret talos. ..'......
, . Quùm qui^libet ille
Garriret, vicos, urbem laudaret; ut illi Nil respondcbam : Miserè cupis , inquit , abire : Jamdudùm video { sed nil agis ; usquè tenebo: Persequar. Hinc, quo nunc iter e«t tibi? Nil opus est te Circumagi : qaemdam volo visefre non tibi notum ; Tran» Tiberîm longà.cubat is , propè Caesari« hortos. • Nil habeo quod agam , et non suro piger ; usquè sequar te
î48 RÉFLEXIONS
qui Parrête en criant ; et le poète profite de la dispute pour s'échapper.
' Molière délivre Ëraste d'une manièpe qui se rapproche beaucoup de celle-ci : du reste , la peinture d'un Fâcheux qui accable eu plein théâtre un honnête homme de ses importu- nités, et qui lui fait partager le ridicule dont il se couvre, est d'une force comique qu'on ne trouve pas au même degré dans le badiuago élégant d'Horace.
Régnier, en suivant l'idée du poëtc latin , y a joint un épi- sode qui paroît avoir fourni à Molière le nœud de sa pièce. II suppose qu'un Fâcheux le suit jusque chez sa maîtresse , étale toute sa fatuité dsms cette maison , et ne lui laisse pas un mo- ment pour parler de son amour :
Ce fan&ron chez elle eut do moi cognoissanoe ; Et pe fut de parler jamais en ma puissance, Lui voyant ce jour-là son chapeau de velours , Bire d*un fascheax conte, et &ire un sot discours ; Bien qu'il m'eût â Tabord doucement fait entendre Çn^\ ëtoit mon valet k vendre et à despendre ; Et, détournant les jeux : Celle, à ce que j*eii tends, Comment ! vous gouvernez les beaux esprits du temps I Et , faisant le doucet de parole et de geste , Il se met sur un lit, lui disant : Je proteste Çue je me meurs d'amour quand je suis près de vous ; Je vous aime si fort, que j'en suis tout jaloux. Puis , recbangeant de note , il montre sa rotonde : Cet ouvrage est-il beau ? Que vous semble du monde ? L'homme que vous savez m*a dit qu*il n'aime rien. Madame, à votre avis, cejourdTiui suis-je bien? Suis<je pas hien chaussé ? Ma jambe est-elle belle ? Voyez ce tafiètas , la mode en est nouvelle ; C'est œuvre de la Chine. A propos , on m*a dcct Qu« contre les clinquants le roi fait un cdic^
1
SDR LES FACHEUX. S149
Sur le ooudo U m met , troii boutont ae dëlace.
Ma'dame , bauec^mei : u*ai-je pas bonne grAoe ?
Que vous êtes jOtoheuse ? A la fin on Terra ,
Rosette , le premier qui s*en repentira. '
Eiccobpni prétend mal à propos que l'idëe des Fâcheux fut donnée à Molière par une farce italienne, intitulée : gli (NTEKHOMnMENTi Di Pantàlone, dout Yoici le sujet. Le viQ.ux Pantalon est amoureux d'une jeune fille qu'il tourmente sans cesse. Un valet de cette fille , dans le dessein de la débarrasser des poursuites du vieillard , imagine de faire venir successi- vement plusieurs personnages qui , sous différents prétextes , entretiennent Pantalon , et lui font manquer le rendez -vous que la jeune personne avoit été obligée de lui accorder. On voit que Pantalon n'a aucun rapport avec Ëraste : d'ailleurs , les Fâcheux qui importunent ce vieillard ridicule ne sont que de misérables farceurs , tandis que Moîière a profité de l'oc- casion pour mettre en scène des caractères extrêmement variés.
Il paroit que l'auteur, en traçant deux de ces caractères ; s'est rappelé une des plus jolies nouvelles de Cervantes. Le dia- logue DE DEUX CHIENS cst ccllc OÙ l'autcur espagnol a le mieux peint les mœurs de son temps , et relevé les travers de toutes les classes de la société. On voyoit déjà au commencement du dix-septième siècle de grands seigneurs s'occuper d'arts fri- voles, et s'en glorifier plus que s'ils avoient fait des actions dignes de leur rang. Cervantes les attaqlie avec beaucoup de raison et de finesse. Un des interlocuteurs, après avoir parlé de la fable de l'Ane et du petit Chien, continue ainsi :
' a II me semble que cette fable nous donne à entendre que
> Parcceme que esta fabula nos da a entcuder que cl donayre y.
a5o RÉFLEXIONS
a les grâces et les gentillesses qui conTienoent aux uns seroient <( dëplacj^es dans d'autres. Le baladin peut dire des folies, « l'histrion dëclamer et gesticuler , le charlatan amuser le « peuple en contrefaisant le chant des oiseaux ou les cris des « animaux : tout cela convient à des hommes du peuple ; mais a tju^un gentilhomme, un grave magistrat s'exerce à ces tours « d'adresse, plus il excellera, plus il sera mëprisë. Plût à Dieu « (jue tous ceux que je vietas de designer pussent m'entendre! <f Je ne sais quel instinct naturel me fak trouver ridicule (( qu'un gentilhomjne se pique d'être un excellent escàmo- Cl teur , et qu'il se glorifie de n'avoir pas son pareil pour la c( danse.»
Le gentilhomme qui interrompt Ëraste pour lui chanter une courante de sa composition , dont la tête n'est remplie qu^ de semblables bagatelles, paroît calque sur les personnages atta- qués par l'auteur espagnol.
L'homme à projets qui veut convertir toutes les sôtes de France en ports do mer, parce que les ports enrichissent un Etat, a des rapports marques avec un personnage de Cervantes, qui a aussi la manie des projets. Tous deux annoncent qu'ils ne sont pas des charlatans, et qu'ils s'occupent de choses se-
garbo de alganos , no estan bien en. otros : apode el truhan , juegoe d< manos y voltos el histrion , réhuzne.el picaro, imite el cjuito de los paxaroSi y los diverso^ ges|09 y accio^es de lo^ ^animales y los hoinibres el hombrs baxO) que se huyiere dadp a ello, y no lo quiera hacer el hombre {«iqcipal a quien nînguna babilidad destas le puede darcredito ni nombre honnosci. Oxala , que como tu me entiendes , me entendiesen aquellos por quien lo digo! Que no se que leugo de buen natural, que me pesa infinito , quaodo Veo que un cabidlero se bace chocarrero, y se precia que sabc jugar los cubiletes , y las agallas , y que no hay quien como cl scpa baylar la oha- Oona. ( Coîoquio de los Perros. )
SUR LES FACHEUX. a5i
rieuse^ 9tf îiiiiportailtes : rhomme à projets de Molière com-
mence ainsi :
J0 n€ mé repais point de visions IjiToles , Et je rm» porte ici de solides paroles.
Celui de Cervantes n^a pas moms bonne opinion de lui-même : son projet est au moins aussi comique queles spëculations d'Or- min : il feutconsidéi^erque ce grand économiste est k l'hôpital : " •« Pour moi , dit-îl , je n'aime point les travaux qui ne nour- <t rissent pas leurs maîtres. Je m'occupe , messieurs , d'écono- « mie politique , et j'ai soumis en difFérents temps à sa majesté « plusieurs projets utiles pour elle, sans qu'ils fussent nuisibles « au peuple. J*ai dans ce moment un mémoire par lequel je la <c supplie de faire examiner un de mes projets qui me semble a propre à acquitter en peu de temps toutes les dettes de « FÊtat : mais le sort de mes autres mémoires ne me fait pas ce beaucoup espérer pour celui-là. Cependant, afin que vos « seigneuries ne me regardent pas comme un insensé , je veux! « le leur soumettre. Il consiste à proposer que tous les sujets « de sa majesté, depuis l'âge de quatorze ans jusqu'à soixante,
» Reniego yo de oficios y exercicios que ni entrctieneni ni dan de corner
a sus 'duenos i yo senores, soi arbitrista, y be dado à su magestad en Jife-
rcntes tiempos muçbos y difeientes arbitrios lodos en provecho sayo , y
sin dano del reyno^ y abora tengo becho un memorial.dcnde le suplico
nie scuale persona coq ^wen comunique un auevo arbi^o que tengo^ tal
que ba de ser la total restauracion de sus empenos ; peA> ppr lo que me
ha sucedido ton los otros memoriales , entiendo que este tambien ba de
par-ar en el carnero. Tdas porque vuesas meroedes no me tengan por mente*
cato, aùnqUemi arbitrio quede desde este punto publico,lesquiero deeir-
que es este. Consiste â proponer, que todps los vasallos de suinagestad
desde edad de catorce a scsenta anos sean obligados a ayunar una vez en e)
mes a pan y agua, y eslo ha de ser el dia que se escogiere y saûalare, y
/
aSa RÉFLEXIONS
«c soient obligésde jeûner une fols par mois au pain et à Peau, xc et que ce qu'ils dëpenseroient en vin, en viande, en pois- ce son, en œufs ou en lëgumes, soit versé dans les caisses c< royales , avec serment de n'en rien retrancher. Par cet impôt (( d'une espèce nouvelle , l'Ëtat au bout de vingt ans seroit dé* (( chargé de toutes ses dettes. En voici la preuve que j'ai ac- cc quise par mes calculs : Il y a en Espagne plus de trois millions tt de personnes qui ont l'âge requis ; je ne compte pas les « vieillards, les enfants et les malades. La dépense d'un jour « ne peut être évaluée à moins d'un féal et demi : ce seroit «c donc plus de trois millions de réaux qui entreroient chaque Ai mois dans les coffres du roi. Les Espagnols, ainsi imposés, « gagneroient plus qu'ils ne perdroient : ils auroient le double « avantage de plaire à Dieu et de servir le roi : tel d'entre eux <c obtiendroit son salut par cette pénitence. Voila mon projet; « il ne*présente aucun des inconvénients des autres contribu- « tiens. Cet impôt pourroit se lever dans les paroisses , sans u qu'on eût besoin de cette armée de collecteurs et de commis <( qui ruinent r£tat. »
que todo el gasto que en olros conduxnios de fruta, carne, y pescado, vîno , huevos y legunibres que se han de gastar aquel dia , se reduzga i dinero , y se xle â su niagestad sin defraudarle un xnarayedi , y con esto - en veinte auos queda el e tado libre y desempenadcf : porqne si se hace la cuenta como yo la tengo beçha , bien bay en Espana mas de très mil-" lones de personas de la dicba edad, fuera de los enfermos, mas viejos o mas mucbachos : y ningnno destos dexara de gastar* y esto contado al menorete , cada dia real y medio , y yo quiero que no sea mas de un real que no puedc ser menos, aunque coma albolvas. Y esto antes séria provecha qiie danod los ayunantes ; porque con el ayuno agradarian aï cielo, y ser- virian a su rey , y tal podria ayunar que le fucse conveniente para su saUid. Este es el arbitrio limpio de polvo y de paja , y prodriase cojer por parroquias siu costa de comisarios , que dcstruycn la r> publica.
SUR LES FACHEUX, a53
Cette idée de faire jeûner toute l'Espagne estt anssî singu- lière et aussi coïnique que celle des ports de mer : mais ce qui rend la scène de Molière plus piquante , c'est que cet Ormin y qui ne parle que de millions, et qui veut faire la fortune d'Ëraste y finit par lui emprunter deux pistoles.
Molière y dans cette pièce y combattit d'autres travers plus importants. On a vu , dans le Discours préliminaire , qu'il eut la noble hardiesse de s'ëlevcr contre la manie des duels, alors très-répandue, malgré les édits les plus sévères.
Aux premières repsésentations , la scène du chasseur n'existoit pas. Louis XIY, ayant fait jouer la pièce à Ver- sailles, parla de ce ridicule à l'auteur, et lui donna pour mo- dèle son grand-veneur, M. de Soyecour, qui portoit le goût de la chasse jusqu'à la folie. Si l'on en croit madame de Sévi- gné , cet ofBcier avoit peu d'esprit : sa manie l'absorboit en- tièrement, et la course moquoîtde lui. M. de Yivonne, général des galères, plein de cet esprit des Mortemarts, qui avoit alors tant de succès, ' s'amusoit souvent à le déconcerter. Un jour Soyecour, assez sujet aux distractions, lui demanda : Quand le roi ira-t'H à la chasse? Vivonne, étonné qu'un grand -veneur
fit cette question , lui répondit : Quand tes galères parti- ront-elles ?
La scène d'Orante et de Climène rappelle les questions fri- voles qu'on agitoit à l'hôtel de Rambouillet, et qui donnoient lieu à des discussions très-longues. Un amant jaloux aime-t-il mieux que celui qui s'abandonne à la fidélité de sa maîtresse ? Cette question est approfondie devant Ëraste, qui brûle d'aller à un rendez-vous; et son impatience rend encore plus comique
- - - r
> Madame de Montespan, sa aœnr, ëtoit en faTeur.
a54 RÉFLEXIONS SUR LES FACHEUX.
la sulitilité et la fausse délicatessd^es précieuses. Maigre son humeur, il tranche très-hien U questîou :
Le jaioux aûn/e phu , et Tautre aime biea mîeaz.
Cette décision est digne de Molière ^ et très- conforme à son caractère.
Le dénouement des Fâcheux a ëté critique de nos jours : mais on n'a pas remarque qu'il est conforme aux mœurs du temps. A cette ëpoque , on se faisoit accompagner aux rendez- vous par des hommes armés ; on ëtoit toujours prêt à mettre
r
l'ëpëe à la main ; et les aventures du genre de celle d'Eraste et de Damis n'ëtoient pas rares. Notre police , plus régulière aujourd'hui, ne doit pas nous faire trouver des défauts dans une comédie ancienne.
LECOLE
DES FEMMES,
COMÉDIE
EN CINQ ACTES ET EN VERS,
Repréfrentëe à Paris , sur le théâtre du Palais -Rojal , le a6
décembre i66a.
-.-'
^
A MADAME
Madame,
Je suis le plus embarrassé homme du monde lorsqu'il me faut dédier un livre ; et je me trouve si peu &it au style d epître dédicatoire, que je ne sais par od sortir de celle- ci. Un autre auteur qui seroit à ma place trouveroit d^abord cent belles choses à dire de votre altesse royale sur ce titre de VEcole des Femmes/ei l'offre qu^il vous en feroit. Mais, pour moi y Madame, je vous avoue mon foible rje ne sais pomt cet art de trouver des rapports entre des choses si peu proportionnées; et quelque belles lumières que mes confrères les auteurs me donnent tous les jours sur de pareils sujets, je ne vois point ce que votre altesse royale pourroit avoir à démêler avec la comédie que je lui pré- sente. On n'est pas en peine, sans doute, comme il faut faire pour vous louer : la matière , Madame , ne saute que trop aux yeux; et de quelque côté qu'on vous regarde, on rencontre gloire sur gloire et quahtés sur qualités. Vous en avez, Madame, du côté du rang et de la naissance, qui vous font respecter de toute la terre. Vous en avez du côté des grâces et de Pesprit et du corps, qui vous font admirer de toutes les personnes qui vous voient* Vous en avez du
ÉPITRE*£)ÉDICATOIRE. 257
côté de rflme, qui, si l'on ose parler ainsi, vous font aimer de tons ceux qui ont l'honneur d approcher de vous : je veux dire cette douceur pleine de charmes dont vous dai- gnez tempérer la fierté des grands titres que vous portez , cette bonté tout obligeante, cette affabilité généreuse que vous faites paroitre pour tout le monde. Et ce sont parti- culièrement ces dernières pour qui je suis, et dont je sens fort bien que je ne me pourrai taire quelque jour. Mais encore une fois, Madame, le ne sais point le biais de faire entrer ici des vérités si éclatantes; et ce sont choses, à mon avis , et d'une trop vaste étendue ^ et d un mérite trop relevé, pour hft vouloir renfermer dans une épitre et les mêler avec dés bagatelles. Tout bien considéré, Madame, je ne vois rien à faire ici pour moi que de vous dédier simple- ment ma comédie, et de vous assurer, avec tout le respect qu'il m'est possible , que je suis ,
Madame,
de votre altesse royale
le trés-humble, très^béistUnt ^ et très-obligé servitear,
MOLIÈRE. MoLiiRk. a. 17
PRÉFACE.
Bien âes gens ont firondé d'abord cette comédie : mais les rieurs^oBt été pour elle; et tout le mal qu'on en a pu dire n'a pu faire (Ju eUe n'ait eu un snccës dont je me coa- tente. Je sais quoo attend defià<)i dans cette impression quel(}ue préface qui réponde anx censeurs, et rende raison de mon ouTrage ^ et sans doute que je suis assez redevable à toutes les^personnes qui lui ont donn^ leur approbation pour me croire obligé de déf^idre leur jugemeii^ontre celui des autres : mais il se ttouye qu'une grande partie des choses que j'aurois à dire sur ce sujet est déjà dans une dissertation que j'ai &îte en dialogue,, et dont je ne sais encore ce que je ferai. L'idée de ce dialogue, ou, si Ton V(^ut, de cette petite comédie, me vint après les deux ou trois premières représentations de ma pièce. Je la dis, cette idée^ dans une maison où je me trouvai un soir : et d'abord une personne de qualité , dont Tesprit est assez connu dans le monde, et qui me fait Thonneur de m^aimer. trouva le projet assez à son gré , non-seulem,ent pour me solliciter dy mettre la main ^ mais encore pour l'y mettre lui-même; et je fus étonné que, deux jours après, il me montra toute l'affaire exécutée d'une manière, à la vérité, beaucoup plus galante et plus spirituelle que je ne puiâ faire , mais où je trouvai des choses trop avantageuse* pour moi; et j'eus peur que, si je produisois cet ouvrage
tSfirËFÂCE. ^
sur iu>tre théâtre , on' ne nCaççasâjt d'aToir mendié les louanges qu'on m y donnolt. Cependant cela m'empêcha ^ par qaelqiie considération ^d'ache^r ee que j'atvqU Qp^p^ mencé. Mais tant de gens me pressât tous les jonr$^ de U faire, que je ne sais ce qui en sdra; et cette. incertitaik est cause que je ne mets point. dans ceCte prâ^ ce qu'on verra iUms la critique, en cas que je m& résolve à la bkû paroître. S^il faut que cela soit, je te dis encore, ce sera seulement pour venger le public du chagrin déHcai de cei^* taines gens; car, poinr moi, je m'en tiens assez vengé par la réussite de ma comédie; et je souhaite cpie toutes ceHeii que je pourrai Étire soient traitées par eux comme celle-ci, pourvu que le reste soit de même.
**■■*■
PERSONNAGES.
ARNOLPHE ott LA SOUCHE.
AGNES, fille d'Enrique.
HORACE , amant d'Agnès , fils d'Oronte.
CHRYSALDE , ami d'Arnolphe.
ENRIQIJEy beau-frère de Chrysalde et père d'Agnès.
ORONTE, père d'Horace et ami d'Arnolphe.
tALAINy paysan y valet d'Arnolphe.'
GEORGE! TE, pajia^ne, scirviinte d'Arnolphe.
UN NOTAIRE.
La scène est à Paris, dans une place dun faubourg.
LECOLE
DES FEMMES.
10»^*
AGTE PREMIER.
• SCÈNE' I.
; CQRYSÂLOE, ARNOLPflE.
^ '*■ • • . • • • . •
GHRTSALDE.
V ous venez, dites-vous, pour lui donner la main?
, ARNOLPHB.
Oui. Je veux terminer la chos^ dan3 demiain.
Nous sommes ici seuls; et Ton peut, ee me semble,- . Sans craindre d^étre ouïs , y discourir ensemble. Voulez-vous qja-en ami je vous ouvre mon cœfur ? Votre dessein pour vous me fait trembler de peur-: Et, de quelqne Êiçonque yous tourniez l'affaire. Prendre femme est à vous un coup bien téméraire.
. ARNO.LPHJS.
II est vrai , notre ami ,,p€Ut-^tre cpe chez vous Vous trouvez des sujets de ciaindre pour chez nous; Et votre front, je crois, veut que du mariags Les cornes soient partout linfaillible apanage^
i. . •
• r
a6a L'ÉCOtB DÇS FEMMES.
CHRTSALDE.
Ce sont (^]b$4u1)Asard) doftt çt n^eàt peÛÉt^ant; Et bien sot, ce me senû)lé, est le soin qii'dîf en'pPend. Mais quand jexrains ponr yoiîs^, t:^ oette raillerie Dont cent pauvres maris ont souffert la furie : Car enfin voùi saVèz tpiA û^si gra^lds m^tits Que de yotre critique on ait vus garantis; Que vos plus grands plaisirs sont, partout où vous êtes, Pe faire cent éclats dés iirtrittkès sej^ètes. . .
• » • o • . »
ARNOLPHE.
Fort bien. Est-il aU inolK^ uHe^tttfe vïUè è[«iisi
Où Ton ait des maris si patients qu'ici?
Est-ce qu'on n'en voit pas de toutes les espèces,
Qui sont accommodés chez eiixâe tbùtèà pièces?
L'un amasse du bien, dotit Sa femme fait part
A ceux qui prennéûi Ébiïi 3é lè felrè c6 Aiârd :
L'autre , un peu plus heureux , màisïion pas moins infâme,
Voit faire tous M J'ô'ilr^ desftèseMs à fe'fëihtiîè,
Et d'aucun soin jaloux n'a l'espfit combattu,
Parce qu'elle lui dit qilé c est pour kâ Verttt.
L'un fait bëiiûcoiip dé Ibtûit qui liè îui Isert de guètfes :
L'autre éri toute (toucéur laissé âHè'rles affaires,
■ ■ • ■ • • ... . . , ' •
Et , voyant arriver chez lui le dâmôiseâti , *
Prend fort honnêtement ses gants et son manteau.
L'une de son galant, en aâroïté jfenieB'e ,
Fait fausse confidence à son épô'ux fidèle , '
Qui dort en suretë sur un pareil âppàs, *
Et le plaint , <:è galant , des Soihè' qtt'îï ité peïd pas :
. ACTE I, SXÈTÎE I. m3
L^autre , pour se purger de sa magnificence , ; , .
Dit qu'elle gagne ad jeu Taigent «juelle dépense; . .
Et le mari benêt, sans spnger à quel jeu,
Sur les. gains qu^dUe; fait rend des grâceâ à Dieu. :
Enfin ce sont partout des sujets de satire; .
Et , comme Spedtatem^/ne pni^-jp pas eÉi rire?.
Puis-je pas de ÛIN5 sots. . .? :
GHRYSALDEi. .
Oui : mais qui rit d'autrui. . • [ Doit craindre qu'en revanche on rie aussi de lui. Jeùtênds parier le monde '^et des gens se! délassent A venir débifier lep choses qui âe passent : Mais , quoi que l'on divulgue aux «endroits oà je suis , . ' Jamais on ne m'a vu triompher de ces bruits. J'y suis assez modeste : et bien qu'aux ofcourreaces Je puisse condamner certaînies tqlér^nces, ' : r Que mon dessein ne soit de souiMr naileméirt .. t
Ce que quelques maris sonffî^nt pàisibiement, Pourtant je n'ai jamais a^bcté de le dire; Car enfin il Êiut craindre un revers desitire, ? Et l'on ne doit jamais jurer sur de tels cas De ce qu'on pourra faire, ou bien ne foire pas. Ainsi , quand à mon &ont , par un sort qui tout ipàsac^j . Il seroit a^rrivéqi^eique disgrâx:ie humailie^ Après mon procédé, je'sods presque certain^ Qu on se contenteiiia de s'en rire sous main : Et peut-être qu'efiioor j^akrai cet avantage • Que quelques b0ïi:n«^ gens diront que ç'fcstdiaaipiage»
f %
*♦_
,1
a64 L'ËCOLË DES FEMMES.
Mais de vous , cher compèœ , il en est aatremeat ; Je T0U3 le dis eiicor, vops risquez diablement. Gomme sur les maris accusés de sou£Srancé De tout temps votre langue a daubé d'importance , Qu on vous a vu contre eux un diable déchatiné, Vous dp yez.marcher droit pour n'être point bemé ; Et, s'il £iut que sur vous on ait la. moindre prise 9 tjrare qu'aux carrefours on ne vous tympanise, £t« « •
ARNOEPHE.
Mon Dieu! notre ami, ne vous tourmentez point. Biçn rusé qui pourra m attraper sur ce poinlu Je s^is les tours rusés et les subtiles trames Dont pour nous en planter savent user les femmes; Et^ comme on est dupé par leurs dextérités^ Contre cet accident |'ai pris mes sûretés ; ^ Et celle que j'épouse a toute Tinnocence Qui peut sauver mon front de maligne influence.
GH&YSALDS.
Hé I que prétendezrvous ? qu une sotte en un viot.
ARIfOLPHE.
{Ipouscr une sotte, est pour n'être point sot, Je crois, en bon chrétien, votre moitié fort $age: Mais une femme habile est un mauvais présage; Et je sais ce qu il coûte à de certaines gens Pour avoir pris les leurs: avec trop de talents. Moi, j'irois me charger d'une spirituelle . Qui ne parlerait rien que cercle et que ruelle ,
1
ACTE I, SCÈNE r, a65
Qui de prose et de irers feroit'de doux écrits, Et que y isiteroient maixjùis et beaux; es|Hits j Tandis que ^ sous le nom de mari de madame , Je serois comme un ^aînt que pas un ne réclame ? Non, non , je ne yeux point d'un esprit ^i soit baut^ Et femme qui compose en sait plus qu'il ne fiint. Je prétends que la mienne^ eii clstftés peu subliine , Même ne sache pais ce que c^est qu une nme; Et s il Ëiut qu'ayec elle on JoHe àù corbilk^, Et qu'on yienne à lui dire à son tour,. Qu'y met-on ? Je yeux qu'elle réponde , Une tarte â la cfèmè ; En un mot, quVBe soit d^ùné ignotiance éxtrèitie : Et c'est assez pour eSfte , à yous en bien parler, De sayoir prier Dieu,tn'^iriier, coudre et filer.
CHRYSALDE.
Une femn^e stupide est donc yotare marotte?
ARNOtPHE.
Tant, que j^aimefois mieux une laide bien sotte, Qu^une femme fort belle ayec beaucoup -d^êsprit.
CHRYSALliS. <
Uesprit et la beauté. • .
ABKOLPHE.
Uhdnnèteté suffit^
CHRTSALDE. ' : '
Mais comment youlez-rôus^ après tout , qu'une béfe Puisse jamais sayoir ce que c'est qu'être honnête? Outre qu'il est assez ennuyeux, que je croi, D ayoir toute ^ yie une bète ayec soi, '
aS6 L'ÉCOLE DES FEMMES.
Pensez-vous le Hen prdadte, et que sur yotre idée La sûreté d^un femt puisse ^tre bîw fondée? Une femme d'es^t petit trahir squ. deToir^ - . Mais il &ut pour le moias.^'^Q ose le vouloir î * Et la stupîde aja wtk peM rVtiaiiqiier d^or^aaii^. Sans en avoir Teiivie) e*t ^saafi pens^ la faii;e;
:iuKiroi.P9s. Â ce bel argument, à. ce discours ptiofoncl, Ce que Pantagruel & Paqurge répQi^d : Pressezrmoi de me joindre à fen^ae autre que spite, Prêchez, patrocinez ' jusqu'à la Peatecôtfs^. Vous serez ébahi, quand Vonis s^rez^aubout.,. Que vous ne m'aurez rien persuadé jdu itou(.
C;H|lT8AtÔE.
Je ne vous dis plus mc^« .
A.IIN1»LPHE«
. Chacun a sa méthode. En femme, comme eÀ tout, je veux suivre £ftâ mode : Je me vois riche assez pour pouvoir, que je croi , Choisir une moitié qui tisane tout de moi , Et de qui la soumise et pleine dépeo'dauce N'ait à me reprocher aucun bien ni naissance. Un air doux et posé, paitoi d'autres enfants, M^inspira de Famour pour elle déis quatre ans : Sa mère se trouvant de pauvi^té pressée ,
» Palrociner, du latin pittrpcînari, protégé*, prendre U défense. On en a fait palrociner, plai«lfr, .parler iopgiifip«nt. ..
ACTE I, SCÈNE I. 967
De la lui demander il me i^kA ^n pensée;
Et la bonne paysantie, appndoaht mon dé$ir,
A s'ôler cette charge eut beaucoup de plaisir. —
Dans un petit couvent, l<^iti âe tMte pratique^
Je la fis élever selon ïna politiqïi^ ,
C'est-à-dire , orâ6ïitiam xftëlë «^s Àà emplotmit
Pour la rendre idiote aUltet (jill'$e^6«ift*k*-
Dieu merci , le succès a Stiii ËMk^ien«e ; r
Etgrande,jeM^è'àtèipdintÎH*oi©^», '
Que j'ai béni le qiel d^iiNîiir trouvé moft &i€
Pour me faire utie '^tn^e âû gré de iXiitù B^xàiwÀ^ '■'"'.
Je Tai donc retirée; et, (k>fl^me âia demeure
A cent sortes de gens est Mverte â 4^te heui^e ^ . • ^
Je l'ai mise à l'écart, cotrime il faut tout prévoir,
Dans cette autre maison où nul ne me vient voir;
Et , pour ne point gâter sa boute ttiatt|**Éiîe ,
Je n'y tiens que fles gens tout âùsÈi simples qu'elle.
Vous me du^ , î^ourqûoi cette liârratio$ ?
C est pour vous Te^ttAwî iwstruil de ina prtcâ«itipn.
Le résultat de tout est ^u'^ù ^ini fidèle • ■ '
Ce soir je vous invite à souper ayec elle ; •
Je veux que vous puissiez lin peu l'examiner,
Et voir si tic mon choix on doît mé ct^damner, • •
CHRYSALDfe.
Jy consens.
> •
Vous pomtei, dans cette conférence, Juger de sa personne et de son innocence..
a68 ^ L'ÉCOLE DES FEMMES.
CHRTftALDB.
Pour cet anide-Ià, ce que voos m^ayez dit Ne peut. . .
▲HNOLPHE.
La vérité passe encor mon récit. Dans ses simplicités à toùs^ups je Tadmire, Et parfois elle en dit dp^nt je pâme de rire; L'autre jour, pouxroit-on se le persuader? Elle étoit fort en peine, el me vint demander, Avec une innocence à tiulle autre pareille. Si les enfants qu on &it se Êdsoient par l'oreille.
CHRTSALnS.
Je me réjouis fort, seigneur Arnolphe. . .
AUNOLPHS.
Bon! Me vou'ez-yous toujours appeler de ce nom?
GHRT8ALDE.
Âh ! malgré que j'en aie , il me vient à la bouche, Et jamais je ne songe à monsieur de La Souche. Qui diable vous a £3iit aussi vous aviser  quarante-^eux ans de vous débaptiser. Et d'un vieux tronc pourri de votre métairie Vous faire dans le monde un nom de seigneurie?
N
.ARNOLPHE.
Outre que la maison par ce nom se connoit, La Souche plus qu'Ârnolphe à mes oreilles plait
CHRYSALDE.
Quel abus de quitter le vrai nom de ses pères.
ACTE I^ SCÈNE L aSg
Pour en youloir prendre un bâti sur des chimères !
De la plupart des gens c'est la démangeaison ;
Et, sans vous embrasser dans la comparaison,
Je sais un paysan qu^on appeloit Gros-Pierre,
Qui, n'ayant pour tout bien q[uunseul quartier de terre,
Y fit tout alentour Ëiire un fossé bourbeux ,
Et de monsieur de l'Isle en prit le nom pompeux.
A.RNOLPHE.
Vous pourriez vous passer d'exemple de la sorte. Mais enfin de La Souche est le nom que je porte :^ J'y vois de la raison , j y trouve des appas; Et m'appeler de Fautre.est ne m obliger pas.
CHRYSALDE.
Cependant la plupart ont peine à s'y soumettre, Et je vois même encor des adresses de lettre. . .
ARNOlPHE.
iJe le souffire aisément de qui n'est pas instruit; Mais vous. . .
CHRTSALDE.
Soit : là-dessus nous n'aurons point de bruit ; Et je prendrai le soin d'accoutumer ma bouche A ne vous plus nommer que monsieur de La Souche.
ARNOLPHE.
Adieu. Je frappe ici pour.donner le bonjour. Et dire seulement que je suis de retour.
CHRTSALDE, à part ^ en 8*en allant.
Ma foi , je le tiens fou de toutes les manières.
370 L'ÉCOLE DES FEMMES.
ARNOLPHE^ieol.
n est un peu hksaé de certaines matières. Chose étrange de yoir conutte arec passk» Un chacun est chauMe de son opinion!
(Il frappe à sa porte* )
Holà!
SCÈNE IL ARNOLPHE; ALAIN et GEORGETTE dans u mai^n.
ALAIK.
Qui heurte?
AH£?0£PRB.
(impart.)
Ouvrez. On aura , que je pemf , Grande joie à me voir après dix jour$ d'absence*
ALAIN.
Qui va là?
ARNOLPHE.
Moi.
ALAIN.
Georg^tte!
GEORGETTE.
Hé bien?
ALAIN.
Ouvre là-bas.
CÏEQRGETXE*
Vas-y, toi.
ACTE I, SCÈNE It ayi
I ALAIN.
Vas-y, toi.
asandBfTB.
AJI4 fjpi^ je. n,'iraî pa5.
Je n'irai pas aussi.
Belle cérémonie. Pour me laisser dehors ! Holà ho ! je vous prie.
XÏEORGÇTTE.
Qui frappe?
ARNOI^PHE.
Votre maître.
GEORGETTE.
Alain!
ALAIN.
Quoi?
GEORGETTE.
C'est monsieu. Ouvre vite.
ALAIN.
Ouvre j toi. .
GEORGETTE.
Je souffle notre feu.
ALAIN.
J'empêche, peur du chat, que mon moineau ne sorte.
ARNOLPHE.
Quiconque de vous deux n'ouvrira pas la porte
aya L'ÉCOLE DES FEMMES.
N'aura point i manger de plos de quatre ioun. Ah!
6E01L6BTTB,
Par qaelle raison y venir , ^and j'y cours?
ALAIlf.
Pourquoi plutôt que moi? Le plaisant stratagème!
GEORGETTE.
Ote-toi donc de lâ.
ALAIN.
Non , ôte-toi , toi-même.
GEORGETTE.
Je veux ouvrir la porté.
ALAIN.
Et je veux Touvrir, moi.
georgbtte;. Tu ne l'ouvriras pas.
ALAIN,
Ni toi non plus,
GEORGETTE.
Ni toi.
ARNOLPHE.
Il faut que j aie ici Fâme bien patiente!
A LA I N ^ en entrant.
Au moins, c'est moi, monsieur,
GEORG£TTS| en entrant.
Je suis votre servante; C est moi«
ACTE 1/ SCÈNE IL 073
ALAIN.
Sans le respect de mqnsieùr ^e voilà, Jeté...
ARNOLPHE j recevant on coop d* Alain.
Peste!
ALAIN. ^
, Pardon.
ARNOLPHE.
Voyez ce lourdaud-là I- ,
ALAIN.
C'est elle aussi, monsieur.
ARNOLPHE*
Que tous deux on se taise. Songez à me répondre, et laissons la fiidaise. Hé bien! Alain, comment se porte-t-on ici?
ALAIN.
Monsieur, nous nous. . .
(Arnolphe ôte le chapeau de dessus la tête d'Alain.)
Monsieur, nous nous por. . .
( Arnolphe Tôtfl eneore. )
Dieu merci,
Nous nous...
ARNOLPHE, ôtànt le'chapcau d'Alain pour la troisième fois,
et le jetant par terre.
Qui vous apprend, impertinente bête, A parler devant moi le chapeau sur la tête 7
MoLièaE. a. i^
%;{ L'£ÈOLÊ t)ËS Ï'ËMMES.
AtÀiir. Vous Eûtes bien, fal tort.
▲RNOLPHEjà Alain.
Faites clescenâi^ Agnès.
SCÈNE III.
ARNOLPHE, GEORGETTE.
ARNOLPHE.
*
Lorsque je m'en allai, fut-elle triste après?
GEORGETTE.
Triste? Non.
ARNOLPHE.
Non!
GEORGETTE.
Si&it.
ARNOLPHE.
Poun^uoi donc. . . ?
GEORGETTE.
Ouï, je meure.
Elle vous croyoit voir de retour à toute heure; Et nous n^oyions jamais passer deyaxit chez nous Cheval, âne, ou mulet, quelle ne prit pour vous.'
ACTE I, SCÈNE IV. ^yS
SCÈNE IV. ARNOLPHE, AGNÈS, ALAIN, GEORGETTE.
AENOLPHE.
La besogne à la main! c'est un bon témoignage. Hé bien , Agnès , je suis de retour du voyage : En étes-YOus bien aise ?
AGNÈS.
Oui, monsieur, Dieu merci.
ARNOLPHE.
Et moi de vous revoir je suis bien aise aussi.
Vous vous êtes toujours, comme on voit, bien portée?
AGNÈS.
Hors les puces, qui mont la nuit inquiétée.
ARNOLPHE.
Ah! vous aurez dans peu quelqu'un pour les chasser.
A NÉS.
Vous me ferez plaisir.
ARNOLPHE.
Je le puis bien penser. Que faites-vous donc là?
AGNÈS.
Je me fais des cornettes. Vos chemises de nuit et vos coiSss sont &ites.
ARNOLPHE.
Ah ! voilà qui va bien I Allez y montez là-haut : -Ne votts ennuyez point, je reviendrai tantôt. Et je vous parlerai d'affaires importantes.
3y6 L'ÉCOLE DSS, FEMMES.
S GÈNE V.
«
ARNOLPHE. •
Héroïres du temps^ mesdames les savantes,
ê ^
Pousseuses de tendresse et de beaux sentiments; Je défie à la fois tous vos vers , vos romans . Vos lettres, billets doux, toute v(Àe science, De valoir cette.honnête et padique ignorance. Ce n'est point par le bien qu'il faut être ébloui; Et pourvu que Ilionneur soit... •
SCÈNE VI.
HORACE, ARNOLPHE.
ÂKNOLPHE.
Que vois-je ! Est-ce. . . ? Oui. Je me trompe. Nenni. Si fait Non, c'est lui-même, Hor...
HORACE.
Seigneur Ar...
ARNOLPHE.
Horace.
HORACE.
Arnolpte.
ARirOLPHE.
Ahl joie extrême! Et depuis quand ici 7
ACTE J, SCÈNE VL ^77
no~R£CE.
Depuis neuf jours.
▲ RNOLPHE.
Vraiment?
HORJkCEé
Je fus d'abord chez yous^ mais inutilement
ARNOLPHE.
J'étois à la campagne.
HORACE.
Oui, depuis dix jouvnées.
ARNOLPHE.
Oh! coiùme les enfants croiissent en peu d'années ! J'admire de le voir au point où le voilà , Après que. je lai vu pas plus grand gue celai
HORACE.
Vous voyez.
ARWOL^BE.
Mais de grâce, Oronte vôtre père j Mon bon et cher ami que j'estime et révère , Que fidt-il à présent? Est-il toujours gaillard? A tout ce qui le louche il sait que je prends part : Nous ne nous sommes vus depuis quatre ans ensemble , Ni , qui plus est , écrit l'un à l'autre , me semble.
HORACE.
Il est, seigneur Amolphe, encor plus gai que nous: Et j'avois de sa part une lettre pour vous; Mais depuis par une autre il m'apprend sa venue, Et la raison encor ne m^en ^st pas connue;
2178 L'ÉCOLE DES PEMMES.
Sayez-yons qui peut être on de tos citoyens Qui retourne en ces lieux avec beaticoup de biens Qu'il s'est en quatorze ans acquis dans l'Amérique?
ARNOLPHÉ.
Non. Mais vous a-t-on dit comme on le nomme?
HORACE.
Enriqae.
ARNOLPHE.
Non.
t^^r HORACE.
"'>
^y Mon père m'en parle, et qu'il est revenu , Comme s^ devoit m*èCre entièrement connu, Et m'écrit qu'en chemin ensemble ils se vont mettre Pour un Eut important que ne dit pas sa lettre.
( Horace remet la lettre d'Oronte à Arnolphe. }
ARirOLPHË.
Jaurai certainement grande joie à le voir, Et pour le r^kr je ferai mon pouvoir.
(après Skvpit lu la l^ttife.)
11 faut pour les amis des. lettres moins civiles , Et tous ces compliments sont chçses inutiles. Sans qu'il prît le souci de m'en écrire rien , ^ Vous pouvez librement disposer de mop bien.
HORACE.
Je suis homme à saisir les gens par leurs paroles, Et j'ai présentement besoin de cent pistqles.
ARNOLPHE. .
Ma foi, c'est m'obliger que d'en user ainsi,.
ACTE I, 3CÊHE VL ^ly».
Et je me réjouis de les avoir ici* Gardez aussi la bourse.
HORACS.
IlËlUt..
AB.NOLPHE.
Laissons ce style. Hé bien I comment encor trouvez-vous cette yille?
HORACE.^
Nombreuse en citoyens, superbe en bâtiments; Et j'en croîs merveilleux lesdivertissemei^ts.
ARNOI.PHE.
Chacun a ses plaisirs qu'il se ^it à sa guise : Mais pour ceux que du nom de galant$;pu bciptise, Ils ont en ce pays de quoi se contenter, ' C§r les femmes y sont faites à coqueter : On trouve d^bumeur douce et la brune et la blonde , Et les maris aussi les plus bénins du m0ude ; C'est un plaisir de prince , et des tours que je vol Je me donne souvent la comédie à mc4. Peut-être en avez-vous déjà féru * quelqu'une. Vous est-il point encore arrivé de fortune ? Les gens faits comme vous font pluâ que les écus, Et TOUS êtes de taille à faire des cocu;S.
HORACE.
A ne VOUS rien c£tcber de la vérité pure ,
<^
■*-*<-
* Féru, du yer}>e férir, frapper, blesser. Au iiguré, inspirer de, tamour.
a8o L'ÉCOLE DES FEMMES.
JTai d'amour en ces lieux eo certaine aventare, Et Tamitié m'oblige à vous en &ire part.
ARNOLPHB, à part.
Bon! Voici de nouveau quekjue conte gaillard; Et ce sera de quoi mettre sur mes tablettes.
HORACE.
Mais, de grAce, qu'au moins ces choses soient secrètes.
ARNOLPffE.
Oh!
■
HORACE.
Vous n'ignorez pas qu en ces occasions Un secret éventé rompt nos prétentions. Je vous avQÛrai donc avec pleine franchise Qu'ici dWe beauté mon âme s'est éprise. Mes petits soins d'abord ont eu tant de succès, »
Que je me suis chez elle ouvert un doux accès, Et, sans trop me vanter ni lui faire une injure, M^s afiaires y sont en fort bonne posture.
ARNOLPHE, en riant.
Eté est?
*
HORACE, lui montrant le logis d'Agné».
t Un jeune objet qui loge en ce logis Dont vous voyez d'ici que les murs sont rougis ; Simple, à la vérité, par l'erreur sans seconde D'un homme qui la cache au commerce du monde j Mais qui , dans l'ignoFanco où l'on veut l'asservir , Fait briller des attraits capables de ravir ^ Un air tout engageant, je ne sais quoi de tendre
ACTE I, SCÈNE VI. 281
Dont il n'est point de cœur ^m se puisse défendre. Mais peut-être il nVst pas que vous n'ayez bien vu Ce jeune astre d amour de tant d attraits pourvu : C'est Agnès qu'on lappelle.
ARNOLPHEj à part.
Ahlje crève !
HORACE.
Pourllionime, C'est , je crois , de La Zousse y ou Source^ iqu on le nomme ; Je ne me suis pas fort arrêté sur le nom : Riche, à ce qu'on m^a dit; mais des plus sensés, non : Et l'on m'en a parlé conune d'un ridicule. Le connoissez-vous point?
ARNOLPHE, à pan.
La fâcheuse pilule!
HORACE.
Hé! vous ne dites mot?
ARNOLPHE.
Et oui, jeleconnoi.
HORACE.
C est un fou , n est-ce pas ?
ARNOLPHE.
Hé. . •
HORACE.
Qu'en dites-vous? Quoi: Hé, c'est-à-dire , oui. Jaloux à faire rire 7
28a L'ÉCOLE DES É^EMMES.
Sot? Je vois qu'il en est ce que Ton m^a pu dire.
Enfin l'aimable Agnès a sa m^assujettir.
C'est un joli bijou, pour ne vous point mentir;
Et ce seroit péché qu'une beauté si rare
Fût laissée au pouvoir de cet homme bizarre.
Pour moi , tous mes efforts, tous mes vœux les plus doux
Vont à m'en rendre maître en dépit des jaloux;
Et l'argent que de vous j'emprunte avec franchise
N'est que pour mettre à bout cette juste entreprise.
Vous savez mieux que moi, quels que soient nos efforts,
Que Targent est la clef de tous les grands ressorts,
Et que ce doux métal qui frappe tant de têtes,
En amour comme en guerre, avance les conquêtes.
Vous me semblez chagrin! Seroit-ce qu'en effet
Vous désapprouveriez le dessein que j'ai fait?
▲ RNOLPHE.
Non , c'est que je songeois. . •
HORACE.
Cet entretien vous lasfc Adieu. J'irai chez vous tantôt vous rendre grâce.
ARNOLFHE, se croyant seul.
Ah ! faut-il. ^ . !
HORACE, revenante
Derechef, veuillez être discret; Et n'allez pas, de grâce, éventer mon secret.
ARNOLPHE, se croyant seul. ' '
Que je sens dans mon âme. r • I
J
ACTE I, SCÈNE VL a83
H OR ACE j revenant.
Et surtout à mon père, Qui s^en feroit peut-^tre un sujet de colère.
ARNOLPHE,. croyant qn'Horace revient encore..
Oh!...
SCÈNE VII.
■
ARNOLPHE.
Oh ! que j ai soufTert durant cet entretien ! Jamais trouble d'esprit ne fiit égal au mien. Avec quelle imprudence et quelle hâte extrême n m'est venu conter cette aSaire à moi-même ! Bien que mon autre nom le tienne dans Terreur , Étourdi montra-t-il jamais tant de Aireur? Mais, ayant tant souffert, je devois me contraindre Jusques à m'éclaircir de ce que je dois craindre, A pousser jusqu'au bout son caquet indiscret, Et savoir pleinement leur commerce secret. Tâchons de le rejoindre; il n'est pas loin, je pense : Tirons-en de ce fait l'entière confidence. Je tremble du malheur qui m en peut arriver. Et l'on cherche souvent plus qu'on ne veut trouver.
FIN DU PREMIER ACTE.
1
a84
L'ËCOLÈ DES FEMMES.
ACTE SECOND.
SCÈNE I.
ARNOLPHE.
Il m'est, lorsque j'y pense, avantageux sans doute D'avoir perdu uies pas, et pu manquer sa route : Car enfin de mon cœur le trouble impérieux N^eùt pu se renfermer, tout entier à ses yeux; Il eût fait éclater Fenuui qui me dévore, Et je ne voudrois pas qu'il sût ce qu'il ignore. Mais je ne suis pas homme à gober le morceau, Et laisser un champ libre aux yeux d'un damoiseau; J'en veux rompre le cours, et, sans tarder, apprendre Jusqu'où rintelligence entre eux a pu s'étendre : J'y prends pour mon honneur un notable intérêt; Je la regarde en femme aux termes qu'elle en est; Elle n'a pu faillir sans me couvrir de honte , Et tout ce qu'elle fait enfin est sur mon compte. Eloignement fatal! voyage malheureux!
( Il frappe à sa porte. )
ACTE II, SCÈNE II. ^95
SCÈNE IL
ARNOLPHE, ALAIN, GEORGETTE.
ALAIN.
Ah! monsieur, cette fois. . •
ARNOLPHE.
Paix. Venez çà y tons deux. Passez là , passez là. Venez là , venez , dis-je.
GEORGETTE.
Âh I vous me faites peur, et tout mon sang se fige.
ARNOLPHE.
C'est donc ainsi qu absent vous m'avez obéi? Et tous deux de concert vous m'avez donc trahi?
G £ O R G ETT E ^ tombant aux genoux d'ArnolpIîe.
Hé, ne me mangez pas, monsieur, je vous conjure.
ALAIN, à part.
Quelque chien enragé l'a mordu, je m'assure.
ARNOLPHE, à part.
Ouf! Je ne puis parler, tant je suis prévenu; * Je suffoque, et voudrois me pouvoir mettre nu.
( à Alain et à Georgette.)
Vous avez donc souffert, ô canaille maudite I
l & Alain qui veut s'enfuir. )
Qu'un homme soit venu. . . ? Tu veux prendre la foite !
' Prévenu a agité.
1
a86 L'ÉCOLE DES FEMMES.
( à Georgette. )
Il £iat que sur-le-champ. • . Si tu bouges. • • Je veux
(à Alain.) Que vous me disiez. . . Hé ! oui , je yeux que tous deux. .<
( Alain et Georgette se lèvent et renient encore s enfiiir. ]
Quiconque remûra, par la morti je Fassomme. Comme estrce que chez moi s'est introduit cet homme? Hé I parlez. Dépêchez, vite, promptement, tôt. Sans rêver. Veut-cm dire?
ALAIN et GEORGETTE.
Âhlahl
GEORGETTE, retombant aux genoux d'Arnolphe. .
Lecœur me/aut.
ALAIN, retombant aux genoux d'Arnolphe.
Je meurs.
ARNOLPHE, àpart.
Je suis en eau : prenons un peu d'haleme; n faut que je m'évente et que je me promène. Aurois-je deviné, quand je Tai vu petit. Qu'il croîtroit pour cela? Ciel! que mon cœur pâtit! Je pense qu'il vaut mieux que de sa propre bouche Je tire avec douceur l'affaire qui me touche. Tâchons à modérer notre ressentiment. Patience, mon cœur, doucement, doucement.'
(à Alain et à Georgette, )
Levez-vous, et, rentrant, faites qu'Agnès descende.
(àpart.)
Arrêtez. Sa surprise en deviendroit moins grande:
ACTE II, SCÈNE IL 287
Du chagrin ^ me trouble ils iroient l'avertir, Et moi-même je yeux l'aller fiiire sortir.
( à Alain dt à Georg;ette. }
Que ron m'attende ici.
SCÈNE III.
ALAIN, GEORGETTE.
GEORGETTE.
Mon Dieu! qu'il est terrible I Ses regards m'ont fait peur, mais une peur horrible; Et jamais je ne vis un plus hideux chrétien.
ALAIN.
Ce monsieur Fa fâché: je te le disois bien.
OEORGETTE.
Mais que diantre est-ce là, qu avec tant de rudesse 11 nous fait au logis garder notre maîtresse? D'oii vient qu'à tout le monde il veut tant la cacher, Et qu'il ne sauroit voir personne en approcher?
ALAIN.
C'est que cette action le met en jalousie.
' GiEORGETTE.
Mais d'où vient qu'il est pris de cette fantaisie?
ALAIN.
Cela vient. . . Cela vient de ce qu'il est jaloux.
GEORGETTE.
Oui : mais pourquoi l'est-il? et pourquoi ce courroux?
a88 L'ÉCOLE DES FEMMES.
ALAIN.
C'est que la jalousie. . • eutends-tu bien y Georgette? Est une chose. • . là. . . ^ Êit qvi!pn s'in^ète. . • £t qui chasse les gens d'autour d'une maison. Je m'en vais te bailler une comparaison , Afin de conceyoir la chose dayantage : Dis-moi 9 nW-il pas yrai, quand tu tiens ton potage , Que y si quelque affamé venoit pour en manger, Tu serois en colère , et voudrois le charger?
GEORGETTE.
Oui, je comprends cela.
ALAIN.
C est justement tout comme. La femme est en effet lepotage de Thomme; £t quand un homme voit d'autres hommes parfois Qui veulent dans sa soupe aller tremper leurs doigts, Il en montre aussitôt une colère extrême.
GEORGETTE.
Oui : mais pourquoi chacun n'en fait-il pas de même, Et que nous en voyons qui paroissent joyeui Lorsque leurs femmes sont avec les beauz.monsieuz?
ALAIN.
G^est que chacun n'a pas cette amitié goulue Qui n'en veut que pour soi.
GEORGETTE.
, Si je n'ai la berlue,
Je le vois qui revient.
ACTE II, SCÈNE ML 289
ALAIN.
Tes yeux sont bons, c'est lui.
GÂORGBTTB.
Vois comme il est chagrin. • ^
ALAIN.
C est qull a de l'entaau
SCÈNE IV.
ARNOLPHE, ALAIN, GEORGETTE.
ARNOLPHE, à part.
Un certain Grec disoit à Fempereur Auguste, Comme une instruction utile autant que juste , Que, lorsqu'une aventure en colère nous met. Nous devons, avant tout, dire notre alphabet, Afin que dans ce temps la bile se tempère, Et qu'on ne fasse rien que l'on ne doive faire, f ai suivi sa leçon sur le sujet d'Agnès, Et je la Élis venir dans ce Heu tout exprès. Sous prétexte dy faire un tour de promenade, Afin que les soupçons de mon esprit malade Puissent sur le discours la mettre adroitement. Et, lui sondant le cœur, s'éclaircir doucement.
SCÈNE V.
ARNOLPHE, AGNÈS, ALAIN, GEORGETTE.
ARNOLPHE.
Venez, Agnès.
( k Alain et à Georgette.)
Rentrez. '
MoLikai. 9., 19
990 L'ÉCOLE OÊSPEMïtfES.
SCÈNE VI.
ARNOLPHE, AGNÈS.
ARNOLPRE.
r Li. promenade est belle.
AGNÈS.
Fort belle.
A.RNOLPËE*
Lebeaa j€furl
AGNÂS.
Fort beâtt.
JLRNOLPHE.
QueHe nouvelle?
AGNÈS.
Le petit chat est mort.
ARNOLPHE.
C'est dommage; mais (juoi! Nous sommes tous mortels, et chacun est pour soi. Lorsque j^étols aux champs, n'a-t-il point fait de pluie?
AGNÈS.
Non.
ARNOLPHK.
Vous ennuyoit-il?
AGNÈS.
Jamais je ne m'ennuie.
ARNOLFHE.
Qu'avez-vous fait encor ces neuf ou àix jours-cil
. ACTE II; SCÈNE VI. 991
Six chemises, je pense, et six coi£^ aussi.
ARNOLPHEy aprii aroir rm peu tété.
Le monde , chère Agnès , est une étrange cho^ I Voyez la atédisanae, eC comme chacad cause ! Quelcpies voisins m'ont dit qu'oQ jeitne h^mime incon4U Étoit en mou absence à U maison Tenti;. Que vous aviez souffert sa vue el âes. harangue^ :; Mais je n^ai point pria foi sur ces méchatites langues'^ Et j'ai voulu gagel* que c'étoîi &ussiAnenf k • • *
Mon Dieu! ne gagez pas, vous perfidies vraiment.
Quoi ! c'est la vérité qu un homme. . . ?
Chose sûre. II n^a presque bougé de chez nous j je vous jure.
▲RNOli^HS, bas, à part.
Cet aveu qu elle fait aVep sincérité
Me marque pour le moins $tm ingénuité.
( haut. )
Mais il me semble , Agnès , si ma mémoire est bonne , Que j'avois défendu que vous vissiez personne.
AGNÈS.
Oui : mais quand je Tai vu, vous ignoriez poiu'quoi; Et vous en auriez fait sans doute autant que moi.
ARNOLPH£.
Peut-être. Mais enfin contez^moi cette histoire*
\
ig^ L'ÊGOLE DES FEMMES.
AGNÈS.
Elle est fort étonnante, et difficile à croire.
J'étois sur le balcon à travailler au frais.
Lorsque je vis passer sous les arbres d'auprès
Un jeune homme bien fait, qui, rencontrant ma vue^
D'une humUe révérence aussitôt me salue :
Moi , pour ne point manquer à la civilité ,
Je fis la i^Vërence aussi de mon cdté.
Soudain il me refait une autre révérence;
Moi j j'en refais de même une autre en diligence :
Et lui d'une troisième aussitôt repartant.
D'une troisième aussi j'y repars à l'instante
Il passe , vient , repasse , et toujours , da plus belle ,
Me &it à chaque fois révérence nouvelle;
Et moi, qui tous ses tours fixement regardois,
Nouvelle révérence aussi je lui rendois :
Tant que, si sur ce point la liuit ne fât venue,
Toujours comme cela je me serois tenue.
Né voulant point céder, ni recevoir Pennui
Qu^il me pût estimer moins civile que lui.
ARNOLPHE.
* " * *
Fort bien.
AGNÈS.
Le lendemain , étant sur notre porte , Une vieille m'aborde, en parlant de la sorte : « Mon enfant, le bon Dieu puisse-t-U vous bénir, « Et dans tous vos attiaits long-temp vous maintenir 1 « Il ne vous a pas £dte une belle personne
A€TE II, SCÈNE VI. agS
« Afin de mal use? des choses qu'il Yous donne; .
« Et TOUS devez savoir que vous avez blessé
« Un cœur qui de s en plaindre est aujourdhui forcé. »
ARNOLPSE., àpart.
Ah l suppôt de Satan ! exécrable damnée I
AGNES.
Moi j j'ai blessé quelqu'un ! £s-je tout étonnée.
m Oui; dit-elle , blessé, mais blessé tout de bon;
« Et c'est rhomme qu'hier vous' vîtes du balcon. » •
Hélas ! qui pourroit , dis- je , en avoir été cause ? .
Sur lui, sans y penser, fis- je choir quelque chose?
« Non , dit-elle ; vos yeux ont fait ce coup fatal ,
« Et c'est de leurs regards qu'est venu tout son mal. »
Hé! mon Dieul ma surprise est, fis- je, sans seconde;
Mes yeux ont-ils du mal pour en donner au monde?
« Oui, fit-elle, vos yeux pour causer le trépas,
flc Ma fille, ont un venin que vous ne savez pas.
« En un mot, il languit, le pauvre misérable ;
ce Et, s'il faut, poursuivit la vieille charitable,
« Que votre cruauté lui refuse un secours ,
« C'est un homme à porter en terre dans deux jours. »
Mon Dieu! j'en âurois,^dis-je, une douleur bien grande.
Mais potu* le secourir qu'est-ce qu il me demande?
« Mon enfant, me dit-elle, il ne veut obtenir
fc Que le bien de vous voir et vous entretenir ;
fc Vos yeux peuvent eux seuls empêcher sa ruine ,
% Et du mal qu'ils ont fait être la médecine, n.
394 L'ÉCOLE DES FEMMES.
Hélas ! volontiers , dis-je ; et pnisop'il est ainsi , Il peut , tant qu'il youdra , me vepir yoir ici.
AttjWOLPHE, àpmrt.
Âh I sorcière maudite, emppisonoçuse d'âmes, Puisse Fenfer payer tes charitables trames!
AGNÈS.
Voilà comme il me vit , et reçut guérison. Vous-même, à votre avis, n'ai- je pas eu raison? Et pouvois- je , après tout , avoir la conscience De le laisser mourir faute d'une assistance? Moi qui compatis tant aux gens qu^on &it souffrir, Et ne puis , sans pleurer ^ voir un poulet mourir !
ARNOLPHE, ba», àpart.
_ #
Tout cela n'est parti que dWe âme innocente; Et j^en, dois accuser inon absence imprudente , Qui sans guide a laissé cette bonté de mœjors Exposée aux aguets des rusés séducteurs. Je crains que le pendard, dans ses veux téméraires^ Un peu plus fort que jeu n'ait poussé les affaires.
AGirjks.
Qu'avez-vous?Vous grondez, ce me semble, un petit? ' Est-ce que c^est mal fait ce que je vous ai dit? .
ARNOLPHE,
Non. Mais de cette vue apprenez-moi les suites, Et comme le jeune homme a passé ses visités.
' Un petit, pour an peui
ACTE II, SCÈNE VI. agS
AGNÈS.
Hélas! si vous saviez comme il étoit ravi , Comme il perdit son mal sitôt que je le vi, Le présent qu'il m'a fait d'une belle eassette, Efc Faiçent qu'en ont eu notre Alain et Georgette y Vbus Faimeriez sans doute , et diriez comme nous.
ARNfOLPHE.
Oui. Mais que faisoit-il étant seul avec vous?
A6NÈS..
H dîsoit qu'il m'aitnoit d*une amour sans seconde,, Et me disoit des mots les plus gentils du monde , Des choses (pie jamais rien ne peut égaler, Et dont, toutes les fois que je T'entends parler, La dQuceur,me chatouille, et là-dedans remue Certain Je ne sais quoi, dont je suis tout émue.
ARNOLPHE, Bas, àparU
O fâcheux examen d'un mystère fatal, ^Où. l'examinateur souffire seul tout le mal!
4haut. )
Outre tous ces discours,, toutes ces gentillesses,. Ne vous faisoit-il point aussi quelques caresses?
AGNÈS.
Oh tant! il me prenoit et les mains et les bras , Et de me les baiser il n'étoit jamais las.
ARNOLPHE.
Ne vous a-t-il point pris, Agnès, quelque autre chose^
()a Yojant intecdite,».}
Oufl
âge L'ÉCOLE DES FEMMES.
AGNES.
Hé! a m'a.,.
ARNOLPHE.
Quoî?
AGNÈS.
pris. . •
ARNOLPHE.
Hé! AGNÈS.
le...
ARNOLBHE.
Plaît-a?
AGNÈS.
Jen'ose^ Et vous vous fâcherez put-Stre contre moî.
ARNOLPHE.
Non.
AGNÈS,
Si fait«
ARNOLPHE,
Mon Dieu! non.
AGNÈS.
Jurez donc votre foi
ARNOLPHE.
Ma foi, soit.
AGNÈS.
Il 3i'a pris. • . Vous sere7 en colère.
ACTE II, SGËNE VI. 297
ARNOtPHB.
Non. Si.
ARVOLPHE.
Non, non 9 non, non. Diantre! qae de mystère! Qu'est-ce <ju*il vous a pris?
AGNis.
n...
ARNOLPHEj àpart.
Je souffire en damné.
AOI7ÊS.
Il ma pris le ruban que vous m^ayiez donné. A vous dire le vrai, je n'ai pu m'çn défendre.
ARNOLPHB, repFenant haleine.
Passe pour le ruban. Mais je voulois apprendre S il ne vous a rien Ëiit que vous baiser les bras.
AGNÈS.
Comment! est-ce qu'on fait d'autres choses?
ARNOLPHE.
Non pas. IVIais y pour guérir du mal qu'il dit qui le possède , Na-t-il pas exigé de vous d'autre remède?
AGNÈS.
Non. Vous pouvez juger, s'il en eût demandé , Que pour le secourir j aurois tout accordé.
a9« L'tCOLE t)ES FEMBfES.
Grâce aux bontés du ciel, j'en suis quitte à bon compte : Si j^y retombe plus, je vçaX bifixi qu on m'ajQBnontie. '
(hant.)
Chût. De votre innocenc|e;| Agnès, c'est un effet; Je ne vous en dia |iiot. C^ (|ui s'est fait est ait. Je sais qu'en vous flattant le galant ne désire Que de vont abuser, et puis après s'en rire.
AGNÈS.
Oh! point. Il me la dit plus de vingt fois à moi.
ARNOLPHE.
Ah ! VOUS ne savez pas ce que c'est que sa. foi. Mais enfin apprenez qu'accepter des cassettes Et de ces beaux blondins écouter les sornettes, Que se laisser par eux, à force de langueur. Baiser ainsi les mains et chatouiller le cœur, Est un péché mortel des plus gros qu'il se hsse,
AGNÈS.
Un péché, dites-vous? Et la raison, de grâce?
ARNOLPHE.
La raison? La raison est Pàrrêt prononcé Que par ces actions le ciel est courroucé.
AGNÈS.
Courroucé! Mais pourquoi faut-il qull s'en courrouce? C'est une chose, hélas! si plaisante et si douce!
« Affronte^ poUï faire affront.
ACTE lU frCÈNE VI «99
Tadmire quelle joie on goitff & tout cela , Et je ne sayois point fiscor. c$s cbQse^lâ*
«
Oui, c'est un grand ^isir <pie toutes ces tendreiaes^ Ces propos si gentils, et çe$ douces caresses; Mais il &nt le goûter en toute honnêteté , Et ^'en se mariant le crime en soit été.
ITest-K^e plus un péché, loiâipi* l'on se marie?
ARNOLFBE.
Non.
Mariez-moi donc promptenient, je vous prie.
ARÏTOLPHE.
Si vous le souhait^^ 9 p ^ souhaite aussi ; Et pour vous marier on ne revoit ici.
AGNÈS.
Est-il possible ?
ARNOLPHJE.
Oui. .
. AGNÂS. .
Que TOUS me ferez aise ! aunolphe. Oui, je ne doute point que l'hymen ne vous plaise.
AGNÂS.
Vous nous voulez nous deux. . . ?
ARlSrOLPHE.
Rien, ds pkis assuré.
3oo L'ÉCOLE DES FEMMES.
Que, si cela se &it, je vous caresseraif
ARKOLPHB.
Hé ! la chose i$era de ma paît réciproque.
Je ne reconnois point, pour moi, quand on se moque; Parlez-Yous tout de bon ?
ARNOLPHE.
Oui, vous le pourrez Toir.
AGNES.
Nous serons mariés ?
ARNOLPHE.
Oui.
AGNiS.
Mais quand? -
^ ARNOLPHE.
Dès ce soir.
AGNÈS, riant.
Dès ce soir?
ARNOLPHE»
Dès ce soir. Cela tous fait donc rire?
AGNÈS.
Oui.
ARNOLPHE.
Vous voir bien contente est ce que je désire,
AGNÈS.
Hélas! que je vous ai grande obligation. Et qu'avec lui j'aurai de satisfaction I
/
ACTE II, SCÈNE VL ?oi
ARNOLPHE. \
Avec qui?
AGNË».
Avec. . • Là. . .
Là, . . là n'est pas mon compte. A cboisir un mari vous êtes un peu prompte. Gest un autre, en un mot^ que je vous tiens tout prêt. Et quant au monsieur Là, je prétends, s'il vous plaît, Dût le mettre au tombeau le mal dont il vous herce , Qu^avec lui désormais vous rompiez tout commerce, Que, venant au logis, pour votre compliment, Vous lui fermiez au nez la porte honnêtement, . Et , lui jetant , s il heurte , un grès par la fenêtre , L'obligiez tout de bon à ne plus y paroître. ATen tendez-vous, Agnès? Moi, caché dans un coin, De votre procédé je serai le témoin.
Las ! il est si bien &it ! C^est. . •
ARNOLPHE.
Ahl que de langage!
A6I7ÂS.
Je n'aurai pas le cœtîr. . .
ARNOLPHE.
Point de bruit davantage. . Montez là-haut.
3oa L'ÉCOLE DES FEMMES.
agktès. Mais ^oi ! voulez-vous. . .
ARirOLfltE.
Cest assez. Je suis maître, je parle} allez , obéissez.
FIN ]>Tf SECOND ACTE.
L'ËCOLE DES FEMItlBS. 3o&
ACTE TROISIÈME.
SCÊNÈ t.
ARNOLPHÉ, AGNÈS, ALAIN, GEORGETTE.
ARNOLPHE.
\Jvi, tonf a bien été, ma |oi4 est sans pareille :
Vous avez là suivi mes ordres à merveille,
Confondu de tout point le Uondin séducteur;
Et voilà de quoi sert un sage directeur.
Votre innocence, Agnès, avoit été surprise :^
Voyez, sans y penser, où tous vous étiez mise.
Vous enfiliez tout droit, sans mon instruction ,
Le grand chemin d'enfer et de perdition.
De tous ces damoiseaux on sait trop les coiittimes :
Ils ont de beaux canons, force rubans et plumes,
Grands cheveux, belles dents, et des propos fort doux ;
Mais, comme je vous dis, la griffe est là-dessous.
Et ce sont vrais satans, dont la gueuk altérée
De Fhonneur féminin cherche à faire curée.
Mais encore une fois, grâce au soin apporté,
Vous en êtes sortie avec honnêteté.
L'air dont je vdûs ai vu lui jeter cette pîerw.
Qui de tous ses desseins a piis l'espoir pai' terre,
3o4 UÊCOLE DES FEMMES.
Me confirme encor mieux à ne point diffîrer Les noces où j'ai dit qaHl yous &at préparer. Mais j arvant toute chose , il est bon de vous Êiire Quelque petit discours qui vous soit salutaire.
( à G'eorgette et à Alain . )
Un siège au fiais ici. Vous, si jamais en rien. . .
GE0R6ETTS.
De toutes vos leçons nous ik>us souviendrons bien. Cet autre monsieur-là nous en faisoi^accroire. Mais. . .
ALAIN.
S'il entre jamais, je veux jamais ne boire. Aussi-bien est-ce un sot, il nous a l'autre fois Donné deux écus d'or qui n'ètoient pas de poids.
ARNOI^HE.
Ayez donc pour souper tout ce que je désire; Et pour notre contrat, comme je viens de dire, Faites venir ici, Fun ou l'autre, au retour, Le notfiire qui loge au coin du carrefour.
SCÈNE IL
âRNOLPHE, AGNÈS.
\ARKOLPHE, assis.
Agnès, pour m^écouter, laissez là votre ouvrage : Levez un peu la tète, et tournez le visage :
(mettant le doigt sur son front. }
Là, regardez-moi là durant cet entretien :
Rt, jusqu'au moindre mot, imprimez-le-vous bien.
ACTE m, SCÈNE II. 3o5
Je TOUS épouse , Apië^ ; et ^ cent fbia la jouruée , Vous devez bénir lliéur de Totre destinée, Contempler la bassesse 0Û vèuâ àirez £té, Et dans le même tempâ admirer ilia bonté, Qui de ce vîl'^t de pauvre VîIIàgfebîsé. Vous fiiît nkéittèr au rang d'hoàorable botirgeoîsè, Et jouir de la couche et des eâibrassemént^ D un homme qui fuybit tèùs ces engagements, Et dont, à vingt partis fort capable de plaire, Le cœiu* a refusé Fhonneur qu'il vous veut faire. Vors devez toujours , dis-je , avoir devant les yeux Le peu quevoUs étiez sans ce nœud glorieux, Afin que cet objet d*autant mieux vous instruise  mériter Tétat où je vous aurai mise,  toujours vous connoftre, et fiiire qu'à jamais Je puisse me louer de l'acte que je fais. Le mariage, Agnès, n'est pas un badinage :  d^austëres devoirs le rang de fetàme engage; Et vous n'y montez pas, à ce que je prétends , Pour être libertine et prendre du bon temps. Votre sexe n est là que pour la dépendance : Du côté de la barbe est la toute-puissance. Bien qu'on soit deux moitiés de la société , Ces deux moitiés pourtant n'oïit point d'égàlîté : ' L'une est moitié suprême , et Tantre subalterne ;
L'une en tbut est soumise à l'autre qui gouverne;
. . •' ' ' . . ■ .
Et ce ^e le soldat dans son devoir instruit Montre d^obëissance au chef qui fe conduit ,
MoxiiBE. a. ao
M L'ïlC Q iE D.E.5 F E.ftI Hï E S.
Le valet à son mailxte ^im enÊint k son père ^
A son sapérieur le moindre petit firère^
N'approche point ençor de la docilité,
Et de l'obéissance, et de rhumilité,
Et du profond respect ok 4a femoie doit être
Pouf son mari, son chef, son seigneur et son mattre.
Lorsqu^il jette sur elle un regard sérieux,
Son devoir aussitôt est de hausser les yeux,
Et de n'oser jamais le regarder en face,
Que quand d^un doux regard il lui veut Êâre grâce.
C'est ce ({n'entendent mal les femmes d aujourd'hui :
Mais ne vous gâtez pas sur Texemple d'i^utrui.
Gardez-vous d'imiter ces cocpettes vilaines
Dont par toute la ville on chante les fredaines,
>
Et de vous laisser prendre aux assauts du qialio, Cest-â-dire d'ouïr anqon jeune blondin« , Songez qu'en, vous ^isanf moitié de ma. personne, C'est mon honneur, Agnès, que je vous abandonne; Que cet honneuj[ est tendre, et se blesse de peu; Que sur un tel sujet il ne faut point de jeu , Et qu'il est aux enfers des chaudières bouillantes . Qù l'on plonge à jamais le^ JCe^mes mal vivantes. Ce que je vous dis là ce sont pas des chansons; Et vous devez du cœur dévoref ces leçons. Si votre âme le^ suit , et fuit ^êtro coqujstte , Elle sera toujours, conune un lis, blanche et nette : Mais s'il faut qu'à l'honneur, elle fasse, un i^ux bond Elle deviendra lors .npi^e (fOmso^, un charbon} .
( •:
ACTE m, SCÈNE II. Zoj
Vous paroîtrez à tous un objet effiroyable ,
Et vous irez un jour ^ Trai partage du diable,
Bouillir dans les enfers à toute éternité,
Dont vous veuille garder la céleste bonté!
Faites la réyérence. Ainsi qu'une novice
Par cœur dans le couvent doilt savoir son oiSice,
Entrant au mariage.il en faut faire autant;
£t voici dans ma poche un écrit important
Qui vous enseignera l'office de la femme.
J'en ignore l'auteur, mais c'est quelque bonne flme;
Et je veux que ce soit votre unique entretien.
( Il se lève. )
Tenez. Voyons un peu si vous le lirez bien. •
ilGNiiS lit.
LES MAXIMES DU MARIAGE,
OU
LES DEYOIKS DE LA FEMME MARIÉE,
avec spn. exercice journalier.
• •' • i ' ' ', " . •
PREMIÈRE MAXIME.
J. ■ .. . ' • .
Celle qu^uu lien bonnéte Fait entrer au lit d autrui Doit se mettre dans la tête, Malgré le train d'aujourd'hui , Que lliomme qui la prend ne la prend que pour lui.
ARNOLPHE. , .
Je vous expliquerai ce que cela veut dire :
Mais pour l'heure présente il ne faut rien que lire.
3o8 UÊCOLE DES FEMMES.
AGNÈS y ponnuit. BlfTlXIÈMB MAllITE.
Elle b^ se doit parer Qu'autant ^e peut désirer Le mari ^ la possède : . C est lui que touche seul le soin de sia beauté ; Et pour rien doijt être compté Que les autres la trouvent laide.
TROISIÈME MAXIME.
Loin ces études d'oeillades, Ces eaux, ces blancs, ces pommades,^ Et mille ingrédients qui fojit'4es teints lieuris : A l'honneur, tous les jour$, cç sont drogues mortelles, Et les soins de paroître belles Se prennent peu pour les maris. ^
QUATRIÈME MAXIME.
Sous sa coiffe en sortant, comme llionneur rordonQ^? Il faut que de ses yeux elle étouâe les coups ;
Car , pour bien plaire à son époux ,
Elle ne doit plaire à personne.
«
CINQUIÈME MAXIME.
Hois ceux dont au mari la visite se rend , La bonne règle défend De recevoir aucune âme : Ceux qui de galante humeur N ont affaire qu'à madame N'accommodent pas mon5teun
ACTE III, SCÈNE II. Sag
5IXriMB MAXIME.
Il faut des présents des^ hommes QuVUe se défende btedi ; Car, dans le siècle où nous sommes, On ne donne rien pour rien.
SEPTIÈME MAXIllE.
Dans ses meubles, dût-elle en avoir de l'ennui. Il ne faut écritoire, encre, papier, ni plumes :
Le mari doit, dans les bonnes coutumes.
Écrire tout ce <jui siéent chez lui.
HUITI&ME MAXIME.
Ces sociétés déréglées Qu'on nomme belles assemblées, Des femmes tous les jours corrompent les esprits : En bonne politique on les doit interdire. Car c est là que Ton conspire Contre les pauvres maris.
NEUVIÈME MAXIME.
Toute femme qui veut à Fhonneur se vouer Doit se défendre de puer, Comme d'une chose funeste :
Car le jeu, fort décevant.
Pousse une femme souvent
A jouer de tout son reste.
DIXIÈME MAXIME*
Des promenades du' temps,
Ou repas quon donne aux champs.
3io L'ÉCOLE DES FEMMES.
Il ne faut point qu'elle essaie. Selon les prudents cerveaux, Le mari dans ces cadeaux Est toujours celui qui paie,
ONZXiHE MAXIMK. ARNOLPHE.
Vous achèverez seule; et, pas à pas, tantôt
Je vous expliqu^ai ces choses comme il faut.
Je me suis souvenu d^une petite affaire :
Je n^ai qu^un mot à dire, et ne tarderai guère.
Rentrez, et conservez ce livre chèrement.
Si le notaire vient, qu'il m'attende un moment.
scène; III,
ARNÔLPHE.
Je ne puis faire mieux que d en faire ma femme. Ainsi que je voudrai, je tournerai cette âme; Comme un morceau de cire entre mes mains elle est, Et je lui puis donner la forme qui me plaît. Il s'en est peu fallu que, durant mon absence. On ne m'ait attrapé par son trop d^înnocence; Mais il vaut beaucoup mieux, à dire vérité. Que la femme qu'on a pèche de ce côté. De ces sortes d'erreurs le remède est facile. Toute personne simple aux leçons est docile; Et, si du bon chemin on la fait écarter, Deux mots incontinent l'y peuvent rejeter.
ACTE in, séENE'ÎH.'^ 8ii
Mais une femme habile est bien uaeiiMtre béte :
Notre sort ne dépend gue de sa geule tête^
De ce gu'eDe s'y met rien ne la fait gauchir, '
Et nos enseignements ne font 1& que blanchir :
Son bel esprit lui sert à railler nos maximes^
A se faire souvient des vertus de ses crimes ,
Et trouver, pour venir à ses coupables fins ,
Des détours à duper Fadresse des plus fins.
Pour se parer du coup en vain on se Ëttigue :
Une femme d'esprit est un diable en intrigue;
Et, dès que son caprice a prononcé tout bas
L'arrôt de notre honneur, il faut passer le pas :
Beaucoup d'honnêtes gens en pourroient bien que dire.
Enfin mon étourdi n'aura pas lieu d'en rire;
Par son trop de caquet il a ce qu'il lui faut.
Voilà de no;5 François Pordinaire défaut :
Dans la possession dune bonne fortune,
Le secret est toujours ce qui les importune ;
Et la vanité sotte a pour eux tant d'appas ,
Qu'ils se pendroient plutôt que de ne causer pas;
Oh ! que les femmes sont du diable bien tentées ,
Lorsqu'elles vont choisir ces têtes éventées !•
Et que. . . Mais le voici. Cachons-nous toujours bien ,-
Et découvrons un peu quel chagrin est le sien.
I Gauchir, vieux mot qui signifie détourner,
3i4 L'ÉCOLE DES FEMMES.
SCÈNE IV-
HORACE, ARNOLPHE.
HORACE. .
Je reviens de chez tqus, et le destiit me BApiHre Qu'il n'a pas résolu ^e je vous y rencontDOw Mais j'irai tant de fois , qu ei^ quelcpie moment. • •
ARNOLPHE.
Hé ! mon Dieu ! n^entrons poitit dans ce vain complim^l : Rien ne me fâche tant que ces cérémonies; Et, si l'on m'en croyoit, elles seroient bannies. C'est un maudit usage ; et la plupart des gens Y perdent sottement les deux tiers de leur temps.
( Il se couvre. )
Mettons donc sans façon. Hé bien! vos amourettes? Puis-je^ seigneur Horace, apprendre où vous en êtes? J'étois tantôt distrait par quelque vision; Mais depuis là-dessus j'ai Eût réflexion. De vos premiers progrès j'admire la vitesse, Et dans l'événen^ent mon âme s intéresse.
aORACE.
Ma foi, depuis qu'à vous s'est découvert mon cœur^ n est à mon amour airivé du malheur.
ARNOLFHE.
Oh! oh ! comment cela?
HORACE.
La fortune crueDe A ramené des champs le patron de la belle.
ACTE ni, SCÈNE IV. 3j3
ARNOLPR^.
'QuelniaUieur!
HORACC.
Et de plofi , à moQ: tréâ-grand regret , Il a su de nous decu^ le commerce secret.
ARNOliPHE.
DVù diantre a-t-U sitôt appris cette aventure?
HORACE.
Je ne sais : mais enfin c^est une chose sûre.
Je pcnsois aller rendre , à mon heure à peu près,
Ma petite visite à ses jeunes attraits ,
Lorsque, changeant pour moi de ton et de visage,
Et servante et valet m'ont bouché le passage,
Et d'un, Retirez-if ous , vous nous importuna^
M'ont assez rudement fermé la porte au nez.
ARXOLPHE.
La porte au nez I
HORACE«
Au nez.
ARIfOI^PHE.
La chos^ est uil peu forte.
HORACE.
j'ai voulu leur parler au travers de la porte ; Mais à tous mes propos ce quils ont répondu 9 C'est, Vous n^entrerez point, monsieur l'a défendu.
ARNOLPHE*
Ils n'ont donc point ouvert?
3i4 L'ÉCOLE DES FEMMES.
HORACE.
Non. Et de la fenêtre Agnès m^a confirmé le retour de ce maître, En me chassant de là d'un ton plein de fierté, Accompagné d'un grès que sa main a jeté.
A.RNOI.PHE.
Comment! dW grès!
HORACE.
D^un grès de taille non pçtite, Dont on a par ses mains régalé ma yiâte,
▲RNQLP.1PIE.
Diantre ! ce ne sont pas des prunes que cela I Et je trouve fâcheux l'état où vous voilà.
HORACE.
11 est vrai, je suis mal par ce retour funeste.
ARI^OLPHE.
m
Certes, j'en suis fâché pour vous, je vous proteste.
HORACE.
Cet homme me rompt tout.
ARNOLPHE.
Oui ; mais cela n est rien , Et de vous raccrocher vous trouverez moyen.
HORACE.
Il faut bien essayer, par quelque intelligence , De vaincre du jaloux Fexacte vigilance.
ARNOLPHE.
Cela VOUS est facile; et la fille, après tout, Vous aime.
ACTE III, SCENE ÏV. tiS
T
HORACE.
' Assurément.
jIRNOLPHE.
Voiis en viendrez à bout.
HORACE.
/ ...
Je Tespèrc.
ARNOLPHE.
Le grès TOUS a mis en déroute; Mais cela ne doit pas vous étonner.
HORACE.
Sans doute; .Et j'ai compris d'abord c[ue mon homme étoit là , Qui , sans se faire voir, conduisoit tout cela. Mais ce qui m'a surpris , et qui va vous surprendre , C'est un autre incident que vous allez entendre; Un trait hardi qu'a fiiit cette jeume beauté, Et qu'on n'attendroit pint de sa simplicité. 11 le faut avouer, l'amour est un grand maître : Ce qu'on ne fut jamais , il nous enseigne à l'être ; Et souvent de nos mœurs l'absolu changement Devient par ses leçons l'ouvrage d'un moment. De la nature en nous il force le? obstacles , '
Et ses eflFets soudains ont de Tair des miracles. D'un avare à Finstant il fait un libéral, Un vaillant d'un poltron , un civil d'un brutal : Il rend agile à tout l'âme la plus psante , Et donne de l'esprit à la plus innocente. Oui , ce dernier miracle éclate dans Agnès ;
3i6 L'ÉCOLE DES FEMMES.
Car tranchant ayec mol par ces termes exprès, a Retirez-yons, mon âme aux ^iskes renonce, « Je sais tous vos discours, et Toilà.ma réponse , » Cette pîienre ou ce grès dont tous vous étonniez Ayec un mot de lettre est tombée^ à mes pieds; Et j admire de yoir cette lettre ajustée Ayec le sens des mots et la pierre j/atée. D'une telle action n efes-yous pas surpris? L'amour sait-il pas l'art d'aiguiser les esprits? Et peut-on me nier que ses flammes puissantes Ne Êssent dans un cœur des choses étonnantes? Que dites-*yous du tour et de ce mot d'écrit? Hél nadmirez-TOus point cette adresse, d'esprit? Trouyez-yous pas* plaisant de yoir quel perstpaskige A joué mon jaloux dans tout ce badisage? Dites.
AR50LPHE.
Oui , fort plaisant. .
HORAGB.
Riez-en donc un peu.
(Amolphe rît d'un air forcé.)
Cet homme gendarmé d'abord contre mon feu, Qui chez lui se retranche, et de grès fait parade, Comme si j'y youlois entrer par escalade^ Qui, pour me repousser, dans son bizarre effiroi. Anime du dedans tous ses gens contre moi ; Et qu'abuse à ses yeux, par sa machine même, Celle qu'il yeut tenir dan^ Tignorance extrême I
ACTE IIljj SCÈNE IV. 3i7
Poiar moi j je yons Favoue , encor que son retour En on grand embarras jette ici mon amour. Je tiens cela plaisant autant qu'on sauroit dire : Je ne puis y songer sans de bon cœur en rire ; Et TOUS n'en riez pas assez, à mon aids.
▲RNOLPRB, arec un ni Airee.
Pardonnez-moi, j'en ris tout autaiit que je puis.
HOkÀCE.
Mais il fiiut qu'en ami je vous montre sa lettre. Tout ce que son cœul* setit , sa main a su 1^ mettre j Mais en termes touchants et tout pleins de bonté , De tendresse innocente et d'ingénuité, De la manière enfin que la pure nature Exprime de Tamour la première blessure*
ARNOLPHE, bas, à part.
Voilà, friponne, à quoi l'écriture te sert;
Et, contre mon dessein, Fart t'en fut décoihrert.
HORAGS lii.
« Je yeux tous écrire, et je suis bien en peine par où « je m'y prendrai. J'ai des pensées que je désirerois que « vous sussiez; mais je ne sais comment ùive pour vous K les dire, et je me défie de mes paroles. Comme je com- « mence i. connoitre qu'on ma toujours tenue dans Figno- .<c rance , j'ai peur de mettre quelque chose qui ne soit pas « bien, et d'en dire plus que je ne devrois. En vérité, je « ne sais ce que vous m'avez fait; mais je sefUs que je suis « ftchée A mourir de ce qu on me feit feire contre vous, « que j'aurai toutes les peines du monde à me passer de
3i8 L'ËCOLE DES FEMMES.
« VOUS, et que je serois bien aise d'être à yous. Penl-iétte « ^'U y a du mal à dire cela;; mais enfin' ^ aepuû mW a pêcher de le dire, et je ypodrois (jue cela se pût £tire « sans qu'il y en eût. On me dit fort que tous les jeunes ce hommes sont des trpmpeprs, qu'il ue les &ut point éçou- €( ter, et que tout ce que vous me dites n'est que pour a m'abuser : mais je tous assure que je n'ai, pu encore me ce figurer cela de yous; et je suis si touchée de vos paroles, « que je ne saurois croire qu'elles soient mÊoteuses. Dites- ce moi firanchement ce qui en est s car enfin , comme je suis f< sans malice, vons auriez le plus grand tort du monde si ce yous me trompiez, et je pense que j'en miouxrois de dé- « plaisir. »
A&NOLPâS, à part..
Hon ! chienne I
. , . HOEACJS.
Qu'âvezryou§? ...
, Moi ? rient. C'^st qi^. je tousse.
HOftACS.
I. Âyez^yous jamais. yu. d expression pliis d^uce? <. . .
Malgré IciS: soins maiudits d'up injuste pouyx>ir , .
Un plus heau naturel se pput-ilfaire yp^? , . ,.
Et n'est-ce pas sansi doute un, crime punissable
De. gâter n^échammet^tiCfe Sunds d'Orne a4mira})le,
D'avoir da^as lignorançe et la stupidité ^
You^u de cet esprit étoufier la clarté? . . i ,
JU'an^our, a .cçmmcncé d'en déchirer le yoile ;
ACTE III, SCÈNE IV. Siq
Et si, par la faveur de <jael^e bonne étoile, Je puis, comme j^esp^re, à ce franc animal, Ce traître , ce bourreau ^ ce faqoin ,' ce brutal. . .
▲RNOi^ptf e: Adieu. ,. • •
HORACE.
Comment I si vite ?
II. m'est d^ns la pensée : Venu tout n^isûntenant une affaire pressée^
HORACE. ' ,
Mais ne sauriez-vous point, comme on la tient de {ffès. Qui dans cette maison pourroit avoir accès? J'en use sans scrupule; et ce n'est pas merveille Qu'on se puisse, entre amis, servir à la pareille. Je n'ai plus là-dedans que gens pour m'observer ; Etservanteet valet, que je viens de trouver, t
N'ont jamais, de quelque air que je ia'y sois pii prendrey. Adouci leur rudesse à me vouloir..ëntendre. J'avois pour de tels coups certaine vieille en inain, D un génie , à vrai dire ^ au-dessus de. Thumain : Elle m'a dans Tabord servi de bonne sorte ; Mais , depuis quatre jours ^ la pauvre femme ejst môrtOi Ne me ppurrie^-vous point ouvrir quelque mojèù?
ARNOLPHÇ^
V
Non , vraiment', et sfips moi vous en trouvère^ b}en«
BORACK.
Adieu donc. Vous vpyeiç.ce^que je vous confie,
lÀo L'ËCÔLE DES FEMMES.
.; .SCÈNE V. ■
ARNOLPHÇ.
Comme 41 faut devant lui ^e je m^e mortifie ! Q[aelle peine à cacher mon déplaisir cuisant! Quoi ! pour une tstttocentç' AA îesprit si présent! Elle a feint d^étre^lelle à mes yeux^la traîtresse j Qli le diable à son âme àéèûfflé ^étte adresse, fàifin mê ToiU mott par ce fiineste écrit. Je Yois fu'il a , k tiaitre^ enpamné Sdn esprit ^ Qu^à ma oppression il s'eM'an<efé chez elle; £{ cVst mon désespoir «t m» p^e pioitelle'. Je souf&é doùUement daiis ie^vol de^smi câeùr; Et Famour y pÀtit aussî-bien que l'faônneiir. Jenrage de trouYerlcetto place usurpée^ < Et f enrage de vôir^ma prudem;e trompée. Je sais que , pour pdnir son amour li|>eEtin , Je n^ai qu'à laisi^er faire^à son mauvais destli^i , Que je serai vengé d'elle par elle-môme : Mais il^ est bien fâcheux de pcitlre ce qu^on aime. Ciel! puisque pc^ur un ehoix j ai tant philosophé ^ Faut-il de ses 4ppa$: mi^tpe- si fort coiffî ! Elle ii\ ni pserents ^ ni supf ort<^ ni r{chè$se; Elle trahit m<es soins, mes bontés-, vbA tendresse : Et cependant je l'aime après ^ Méhe tour , Jusqu'à ne me pouvoir passer de cet amour. Sot! n as-tu point de honte? Ahî je crève, j'enrage, Et je soufflëtterois miUe.foi^ mon visage.
ACTE III, SCÈNE V. 3n
Je yeux entrer un peu^ mais seulement pour voir Quelle est sa contenance après un trait si noir. Ciel, Élites que mon front soit exempt de disgrâce; Ou bien s'il est écrit qu il Êdlle que j y passe , Donnez-moi tout au moins, pour de tels accidents, La constance qu'on voit à de certaines gens !
• •
FIN DU TROISIÈME ACTE.
MotiàiE. s. ai
3m l'ëcole des femmes. ACTE QUATRIÈME.
SCÈNE I.
ARNOLPHE.
J'ai peine , je Tavone , à demeurer en place , Et de mille soucis mon esprit s^emLarrasse, Pour pouvoir mettre un ordre et dedans et dehors Qui du godelureau rompe tous les efforts. De quel œil la traîtresse a soutenu ma vue ! . De tout ce qu'elle a fait elle n'est point émue; Et, bien qu'elle me mette A deux doigts du trépas, On diroit, à la voir, qu'elle ny touche pas. Plus, en la regardant, je la voyois tranquille. Plus je sentois en moi s'échauffer une bile 5 Et ces bouillants transports dont s'enflammoit son cœur Y sëmbloient redoubler mon. amoureuse ardeur. J'étois aigri, fâché , désespéré contre elle; Et cependant jamais je ne la vis si belle. Jamais ses yeux aux miens n'ont paru si perçants, Jamais je n'eus pour eux des désirs si pressants ; Et je sens là-dedans qu'il faudra que je crève. Si de mon triste sort la disgrâce s'achève. Quoi! j'aurai dirigé son éducation Avec tant de tendresse et de précaution,
ACTE IV, S€ÈNE I.. 3^3
Je l'aurai fait passer cb^; moi 4^5 son enfance, Et j en aurai çbéri la plus tendre espérance^ Mon cœur aura bS^û ^ur ^e$ attraits naissauts. Et cru la mito&n^ pqur mqi durant treize ans. Afin' (ju'un jeune fou dont elle sVmQuracI^e Me la vienne enlieyer jusque 3ur 1^ moustapbe^ Lorsqu'elle est avec moi mariée à demi ! Non, parbleu! non, parbleu! Petit sot, mon ami. Vous aurez beau tourner, ou j y perdrai mes peines, Ou je rendrai, ma fqi! vos espérances vaines. Et de moi tout-â-fait vous ne. vous rirez point.
SCÈNE IL
>
UN NOTAIRE, ARNOLPHE. - .
L£ NOTAIRE.
Ânlle voilà! Bonjour. Me voici tout à point Pour dresser le contrat que vous souhaitez faire. ARNOLPHE , se crojant seul, et sans voir ni entendre le notaire. '
Comment faire?
lE NOTAIRE.
Il le faut dans la forme ordinaire.
ARNOLPHE, se crojant seul.
A mes précautions je veux songer de près.
LE NOTAIRE.
Je ne passerai rien contre vos intérêts.
ARNOLPHE, se crojant seul.
Il se faut garantir de toutes les surprises.
1 I
M L'ÉCOLE DES FEMMES.
LE NOTAIRE.
Suffit qu^entre mes mains vos affaires soient mises. Il ne vous Êtudra point, de peur d^étre déçu, . Quittancer le contrat, que vous n'ayez reçu.
ARNOLPHE, se crojant seul.
J'ai peur, si je vais faire éclater quelque chose, Que de cet incident par la ville on ne cause.
LE notair:e. Hé bien! il est aîsé d'empêcher cet éclat, Et l'on peut en secret faire votre contrat.
ARirOLPHE^ se crojrant seul.
Mais comment faudra-t-il (pi avec elle j en sorte?
LE NOTAIRE.
Le douaire se règle au bien qu'on vous apporte.
ARNOLPHE, se crojant seul.
Je l'aime, et cet amour est mon grand embarras.
LE NOTAIRE.
On peut avantager une femme en ce cas.
ARNOLPHE, se crojant seul.
Quel traitement lui faire en pareille aventure?
LE NOTAIRE.
L'ordre est que le futur doit douer la future
Du tiers de dot qu^elle a; mais cet ordre n'est rien,
Et Ton va plus avant lorsque Ton le veut bien.
ARNOLP HE, se crojant seul. ( 11 aperçoit le notaire. )
ÀGTE ly-, SCÈNE 11^ 3a5
LE NOTAIRE.
Pour le précîpul, il les regarde ensemble. |e dis que le futur peut, comme bon lui semble , Douer la future.
ARNOLPHE.
• • • '
Hé!
t
LE NOTAIRE.
B peut l'avantager Lorsqu'il Fàithe beaucoup et qu'il Veut l'obliger; . Et cela par douaire , OU préfix , qu'on appelle , Qui demeure perdu par le trépas d'icelle ; Ou sans retour,, qui va de ladite à ses hoirs ; Ou coutumîidp^ selon les difiërents vouloirs; Ou par donation dans le contrat formelle, Qu'on fait ou pure ou simple, ou qu'on fait mutuelle. Pourquoi bauaserle dos? Est-ce qu'qn parle en fat ,. . Et que l'on ne sait pas les formes dW contrat? Qui me lès apprendra? personne , je présume. ' Sais-je pas qu'étant joints, on est pai'la doutume ' ' Communs en meubles, biens, immeubles et conquéts, A moins que par un acte on n'y renonce exprès? Sais-je pas que le tiers du bien de la future Entre en communauté poiir. .Si
ARNOIPHE.
• * ■
. Oui, c'est chose sûre ^ Vous savez tout cela f.i^a^squi vous en dit mot?
3a6 UÉCOLÉ DÈS' FEMMES.
LÉ 'itÔtAlRE.
Vous, qui me prétendez faiçQ f)ai$ser poyr sot', En me haussant T^ps^v^^^ ^^ faisant la ^ii^ape^^
ARNOLPHE.
La peste soit de Thomme, et sa chienne de face! Adieu. C'est le moyen de vous £aire finir.
LE NOTAIRE.
Pour dresser un contrât iA'à-^mïb pas Ml venir?
Oui, je vou^ ai mai^Jé : mai^ lfiic}iose est ri^ffiisç, Et l'on vous qiand^i^ «{uand i'tif^^rQ <s^^ pri#9- Voyez quel diable d'JiOmxQe avoc fm fiHU^n I
LE i^otAiiB'y atih , Je pense qu'il en li^it, et jeei^^wdr biea.^.
< I
SCÈNE in.
• '
LE NOTAIRE; ALAIN, OEORGfiTTE.
.)5
LE N'O TAIRE, allant au-devant d'Alain et de Georeette*
M'ÊTEs-vous pas yenu quérir pour votre luaître?
'. A'LA^W^.:
Oui.
I4E NOTAIRE.
J ignore pour qui ; vous le pouvez cpnnoitrc, Mîais allez de ma part lui dire de ce pas Que c'est un fou fiefie.
• GEORGETTE.
Nous n'y Manquerons ps.
ACTE IVi SCÈNE iV, Zv]
SCÊN.E. iv.
ARNOLPHE, ALAIN, GEOHGEXTE. ;
.jLiAlsr; Monsieur...
arnolphe. Approches-VoUs; vous êtes mes fidèles, Mes bons, iiiés mis siiziis^ et j'en sais des nouvelles.
Le notaire. . .
ARNOLPHE.
Laissons, cW pour quelque autre jour. On veut à mon honneur jouer d'un mauvais tour; Et <]uel aSrolit {^6tir t^ùs ^ tues «nfants , pourroit-ce être, Si Ton av<>it été i^^hOfltiéuk' à vbtt« tiiaîtî*e ! Vous n'oseriez après parohre en nul endroit; Et chacun , vous voyant , vous montrerait au dnigt; Donc, puisque autant que moi l'affaire vous regarde, Il faut de Vottè part faire une telle garde, Que ce galaiit tie jmis^ en aucune façon, . .
Vous nous avez tantôt montré nôtre leçon.
ARKOLPHE.
Mais à ses beaux discoi;ir$ gdjrdeÉ[ bien de vous rendre.
ALAIir.
Oh vraiment! i
/ ...
GEOROETTE.
îîous savons comme il faut s en défendre.
3a8 L'ÉCOLE DES FEMMES.
ARNOIiPHE.
S'il venoit doucement : Alain, mon pauvre cœur, Par un peu de secours soulage ma langueur. . .
ALAIN.
Vous êtes un sot.
ARKOLÎFHE.
(àGeorgette. )
Bon. Georgette , ma mignonne, Tu me parois si douce et si boime personne. • .
GEORGETTE.
■
Vous âtes un nigaud.
ARIfOLPHE. (à Alain.)
. Boa. Quel mal trouves-tu Dans un dessein honnête et tout plein de vertu?
ALAIN.
Vous êtes un fripon.
ARNOLFHB.
(àGeorgette.}
. Fort bien. Ma mort est sûre, Si tu ne prends pitié des peines que j'endure.
GEORGETTE.
Vous êtes un benêt, un impudent.
ARNOLPHE.
Fort bien.
(à Alain.)
Je ne suis pas un homme à vouloir rien pour rien; Je sais, quand on me sert, en garder la mémoire;
ACTE IV, SCÈNE IV. Sag
.Cependant, par avance ,,Âlam, yoilà pour boire; Et voilà pour t'avoir, Georgette, un cotillon.
( Ib tendent tons denx la main , et prennent l'aigent. )
Ce n*est de mes bien!&its qu'un simple échantillon. Toute la courtoisie enfin (ïont je vous presse, C'est que je puisse voir votre belle maîtresse.
GEORGETTE, le poussant.
À d'autres.
ARNOLPHE.
Bon cela.
^ L A I N , le poussant.
Hors d'ici.
ARNOLPHE.
Bon.
GEORGETTE, le poussant:
Mais tôt.
ARNOLPHE.
Bon. Holà; c'est assez.
GEORGETTE.
Fais*je pas comme il faut?
ALAIN.
Est-ce de la façon que vous voulez l'en tendre?
ARITOLPHE.
Oui , fort bien , hors Targent , qu'il ne falloit pas prendre.
GEORGETTE.
Nous ne nous sommes pas souvenus de ce point.
ALAIN.
Voulez-vous qu'à Tinstant nous recommencions ?
33o LÉCOLË DES FEMMES.
AUKOLPHE*
Point : Suftt. Rentrée tons denz.
Vous n'avez rien cju^à dire.
AkNbLPHE.
Non , vous dis- je ; rentrez , puisse je le désire. Je vous laisse l'argent. Allez : je vous rejoins. Ayez bien l'œil à tout, et secondez mes soins.
SCÈNE V.
ARNOLPHR
Je veux pour espion c[tti soit d'exacte vue Prendre le savetier du coin de notre me; Dans la maison toujours je prétends la tenir, Y faire bonne garde, et surtou;t en bannir Vendeuses de rubans, perruquières, coi&uses, Faiseuses de mouchpirs, gantières, revendeuses, Tous ces gens qui sous înain travaillent chaque jour A Ëdre réussir les mystères d'amour. Enfin j'ai vu le monde ^ et j en sais les finesses. Il faudra que mon homme ait de grandes adresses, Si message ou poulet de sa part peut entrer.
ACTE IV, SCtNÊ VI. 83»
• * < «,^« ■
SCÈNE VI.
HORACE, ARNOtPHE.
bORACfi.
La place m'est heureuse à tous j rencontrer.
• • •
Je viens de l'ëchappcr bien belle ^ je tous jure. Au sortir d'avec vous, sans prévoir ravefiture, Seule dans-tiô balcOn j'ai vu |)arottre Agnès, Qui des arbres prochains prenoit uu peu le frais. Après m'avoir fait signe, elle a su Ëiire en sorte, Descendant au jardin, de m^n ouvtîr la porte : Mais â peine tons deux dans sa chambre étions^nous, Qu'eUe a sur les degrés entendu son jaloux ; Et tout ce Kjti elle a pu dans tin tel accessoire. C'est de me renfermer dans une grande armoire. D est entré d'abord : je ne le voyois pas, Mais je Foyois marcher, sans rien dire, à grands pas; Poussant de temps en temps des soupirs pitoyables, Et donnant quelquefois de grands coups sur les tables, Frappant un petit chien qui pour lui s'émouvoit. Et jetant brusquement les bardes qu'il trouvoit* Il a même cassé, d'uBe main mutinée. Des vases doxit la belk (mioit sa cheminée ; Et sans doute il faut bien qu'à ce becque-ComU ' Du trait qu'elle a joué quelque jour soit venu.
Enfin , après vingt tours , ayant de la manière
-
' Le iQot ùecque ne se trouve dans aucun dictionnaire..
33a L'ÉCOLE^>ES FEMMES.
Sur ce qui n'en peat mais déchargé sa colère ,
Mon jaloux inquiet, sans dire son ennui,
Est sorti de la chambre, et nioi de mon étui.
Nous nWons point voulu, de peur du personnage,
Risquer à nous tenir ensemble davantage;
C'étoit trop hasarder : mais je dois cette nuit
Dans 3a chambre un peu tard m'introduire sans bruit.
En toussant par trois fois je me ferai connoître y
Et je dois au signal voir ouvrir la fenêtre ,
Dont , avec une échelle , ejt secondé d'Agnès,
Mon amour tâchera de me gagner l'accès.
Comme à mon seul ami, je veux bien vous l'apprendre^
L'allégresse du cœur s'augmente à la répandre;
Et, goûtât-on cent fois un bonheur tout parfait,
On n en est pas content, si quelqu^un ne le sait. .
Vous prendrez part, je pense, à l'heur de mes affaires,
Adieu. Je vais songer aux choses nécessaires.
SCÈNE VIL
ARNOLPHE.
.Quoi! l'astre qui s'obstine à me désespérer Ne me donnera pas le temps de respirer! Coup sur coup je verrai, par leur intelligence, De mes soins vigilants confondre la prudence ! - Et je serai la dupe , en ma maturité , * D'une jeune innocente .et d'un jeune éventé !
•*■
^ Eh ma maturité , pour dans l'âge mdr.
ACTE IV, SCÈNE VII. 333
En sage philosophe on m'a vu , vingt années,
Contempler des maris les tristes destinées^,
Et m'instniire avec soin de tous les accidents
Qui font dans le malheur tomher les plus prudents;
Des disgrâces d autrui profitant dans mon âme,
J'ai cherché les mojens, voulant prendre u!ne femme,
De pouvoir garantir mon front de tou3 afiront32
Et le tirer du pair d avec les autres fronts;,
Pom* ce noble dessein , j'ai cru mettre en pratique
Tout ce que peut trouver l'humaine politique :
Et, comme si du sort il étoit arrêté
Que nul homme ici-bas n'en seroit exempté,
Après l'expérience et testes les lumières
Que j'ai pu m'acquérir sur de telles matières.
Après vingt ans et plus de méditation
Pour me conduire en tout avec précaution ,
De tant d'autres maris j'aurois quitté la trace
Pour me trouver après dans la même dbgrâce!
Ah! bourreau de destin, vous en aurez menti.
De l'objet qu'on poursuit je suis encor nanti;
Si son cœilr m'est volé par ce blondin ftmeste,
J'empêcherai du moins qu'on s'empare du reste;
Et cette nuit qu'on prend pour ce galant exploit
Ne se passera pas si doucement qu'on croit.
Ge m'est quelque plaisir, parmi tant de tristesse ,
Que l'oi^ me dpnne avis du piège qu'on me dresse ;,
Et que cet étourdi , qui veut m'êtrè fatal ,
Passe son confident de son propre rival.
334 L'ËCOLE DES FEMMES.
SCÈNE VIIL
CHRYSALDE, ARNO|<PHE.
CHRTSAtDE.
Hé bien! souperons-nous avant la promenade?
s
AKNOLPHE.
Non. Je jeûne ce soir.
CHRTSAtDE.
D'où vient cette boutade?
▲ RNOLPHE. )
De grâce, excusez-moi, j'ai quelque autre embarras.
CHRYSALDE.
Votre hymen résolu ne se fera-t-il pas?
ARNOLPHE.
C est trop s'inquiéter des affaires des autres.
GHRYSALDE.
Oh! ohl si brusquement! quels chagrins sont les vôtres?
Seroit-il point, compère, à votre passion
Arrivé quelque peu de tribulation?
Je le jurerois presque, à voir votre visage.
ARNOLPHE.
Quoi qu'il m'arrive, au moins aurai-je l'avantage
De ne pas ressembler k de certaines gens
Qui souffrent doucement lapproche des galants.
CHRYSALDE.
C'est un étrar^e feit, qu'avec tant de lumières Vous vous effarouchiez toujours sur ces matières,
ACTE rV; SCÈNE VI IL 335
Qu'en cela vous metliex le ^uyerâîn bbnhoiur,
Et ne conceviez point au monde d^autre honneur !
Être avarQ^ bmtal^ foiirbe, méchant d lâche.
N'est rien, k YOtre avis, auprès de cette tache,
Et , de quelque façoQ qu'on puisse avoir vécu ,
On est homme d honneur quand on n est point cocu.
A le bien prendre au fond, pourquoi voulez-vous croire
Que de ce cas fortuit dépende notre gloire,
Et qu une âme bien née ait à se reprocher
L'injustice dun mal qu'on ne peut empêcher?
Pourquoi voulez-vous, dis- je, en prenant une fenuoe,
Qu'on soit digne, à son choix, de louange ou de blime,
Et qu'on s'aille former un monstre plein d'eifreâ
De Taffiront que nous fait son manquement de lbi.7
Mettez-vous dans lesprit qu'on peut du cpcuage
Se faire en galant homme une plus douce image ;
Que , des coups du hasard aucun n'étant garant ,
Cet accident de soi doit être indiffèrent ,
Et qu'enfin tout le mal, quoique le monde glose ,
N'est que dans la façon de recevoir la chose :
Et, pour se bien conduire en ces dij£caltés ,
Il y faut, comme en tout, fuir les extrémités.
N'imiter pas ces gens un peu trop débonnaires
Qui tirent vanité de ces sortes d'affaires,
De leurs femmes toujours vont citant les galants ,
En font partout l'éloge , et prônent leurs talents,
Témoignent avec eux d'étroites sympathies ,
Sont de tous leurs cadeaux, de toutes leurs parties,
336 L'ÉCOLE DES FEMMES.
Et font qu'avec raison les gens sont étonnés De voir leur hardiesse à montrer là leur nez. Ce procédé sans doute est tout-â-fait blâmable : Mais l'autre extrémité n'est pas moins condamnable. Si je n'approuve pas ces amis des galants, Je ne suis pas aussi pour ces gens turbulents Dont Timpriident chagrin, qui tempête et qui gronde^ Attire au bruit qull fait les yeux de tout le monde, Et qui, par cet éclat, semblent ne pasi voidoir Qu'aucun puisse ignorer ce qu'ils peuvent avoir. Entre ces deux partis il en est un honnête. Où, dans Foccasion, Thomme prudent s'arrête; Et quand on le sait prendre, on n'a point à rougir Du pis dont une femme avec nous puisse agir. Quoi qu'on en puisse dire enfin , le cocuage Souâ des traits moins affireux aisément s envisage; Et comme je vous dis, toute Fhabileté Ne va qu'à le savoir tourner du bon côté.
ARNOLPHE.
Après ce beau discours, toute ia confrérie. Doit un remerciment à votre seigneurie : Et quiconque voudra vous entendre parler" Montrera de la joie à s'y voir enrôler.
CHRTSALDB.
Je ne dis pas cela ; car c'est ce que je blàime : Mais, comme c'est le sort qui nous donne une femme, Je dis que Ion doit faire ainsi qu'au jeu de dés. Où, s il ne vous vient pas ce que vous demandez |
r
ACTE IV, SCÈNE VIÎI. 33;
n Êtut jouer d'adresse, et d^une âme réduite Corriger le hasard par la boane conduite.
ARNOLPHE.
C'est-à-dire , dormir et manger toujours bien , Et se persuader que tout cela n'est rien»
chrysàLde. Vous pensez tous moquer : mais^ à ne vous rien feindre, Dans le monde je vois cent choses plus à craindre, Et dont je me ferois un bien plus grand malheur Que de cet accident qui vous fait tant de peur. Pensez-vous qu'à choisir de deux choses prescrites, Je n'aimasse pas mieux être ce que vous dites, Que de me voir mari de ces femmes de bien Dont la mauvaise humeur fait un proeès sur riefi , Ces dragons de vertu, ces honnêtes diablessesi, Se retranchant toujours sur leurs sages prouesses , ' Qui, pour un petit tort qu'elles ne nous font 'pas , Prennent droit de traiter les gens du haut en bas, Et veulent, sur le pied de nous être fidèles. Que nous soyons tenus à tout endurer d'elles? Encore un coup, compère, apprenez qu'en effet Le cocuage n'est que ce que Ton le Êiit ; Qu'on peut le souhaiter pour de certaines causes, Et qu il a ses plaisirs commer les autres choses.
ARNOLPHE.
SI vous êtes d'humeur à vous en contenter, Quant à moi , ce n'est pas la mienne d'en tâfer; .
Et plutôt que subir une telle aventure. . •
MoLikRS. a. ^*
338 UÉCOLE DES FEMMES.
CHK.Y5ALDE,
Mon Dieu! ne jurez point, de peur d'être parjure. Si le sort Ta réglé, vos soins sont superflus, Et l'on ne prendra pas votre avis làrdessus.
ARNOLPHE.
Moi, je seroîs cocu!
CHRTSAIDE.
Vous voilà bien malade! Mille gens le sont bien , sans vous faire bravade , Qui de mine, de cœur, de biens et de maison ^ Ne feroient avec vous nulle compraison.
ARNOLPHE.
Et moi, je n'en voudrois avec eux faire aucune. Mais cette raillerie, en un mot, m'importune; Brisons là , s^il vous plait.
CHRYSALDE.
Vous êtes en courroux I Nous en saurons la cause. Adieu. Souvenez-vous, Quoi que sur ce sujet votre honneur vous inspire, Que c'est être à demi ce que Ion vient de dire , Que de vouloir jurer qu'on ne le sera pas.
ARNOLPHE.
Moi, je le jure encore, et je vais de ce pas Contre cet accident trouver un bon remède.
(Il court heurter à sa porte. )
ACTE IV, SCÈNE IX. 3Bg
SCÈNE IX.
ARNOLPHE, ALAIN, GEORGETTË.
AillN;OLPHE.
r
Mes amis, c'est ici que )impIof« yfitref i^/e. Je suis édifié de votre affectiop : Mais il faut qu elle éclate en cette occasion \ Et, si vous m'y servez selon ma confiance, Vous êtes assurés de votre récompense. L'homme que vous savez, n'en Êiites point de bruit, Veut, comme je l'ai su, m'attraper cette nuit, Dans la chambre d'Agnès entrer pat escalade -y Mais il lui &ut, nous trois^ dresser une embuscade. Je veux que vous preniez chacun un bon bâton. Et, quand il sera près du dernier échelon, Car dans le temps qu'il &ut j'ouvrirai la fenêtre , Que tous deux à l'envi vous me chargiez ce traître. Mais d un air dont son dos garde le souvenir. Et qui lui puisse apprendre à n y plus revenir; Sans me nommer pourtant en aucune manière. Ni faire aucun semblant que je serai derrière. Auriez-vous bien l'esprit de servir mon courroux?
ALAIN.
S'il ne tient qu'à firapper, mon Dieu! tout est à nous : Vous verrez ^ quand je bats, si j'y vais de main morte.
GEORGETTË.
La mienne, quoiqu'aux yeux elle semble moins forte, N'en quitte pas sa part à le bien étriller.
34Ô
L'ÉCOLE DES FEMMES.
ARirOLPHE.
Reintrez donc; et surtout gardez de babiller.
(seul.)
Voilà pour le prochain une leçon utile ; Et , si tous les maris qui sont en cette ville De leurs femmes ainsi recevoient le galant^ Le nombre des cocus tie seroit pas si grand.
FIN DIT QUATRIÈME ACTE.
L'ÉCOLE DÇS. FEMMES. 341
ACTE ÇINOUIÈME.
SCÈNE I.
ARNOLPHE, ALAIN, GEOHGETTE,
▲ RNOIPHE.
T&AiTRSS, qn'ayez-Yous Ëiit par cette violence J
ALAIN.
Nous vous ayons rendu, monsieur, obéissance.
ARNOLPHE.
De cette excuse en vain you5 voulez vous armer, LWdre étoit de le battre, et non de l'as^oijimer» Et c'étoit sur le idos, et nojn p^s sur la^ tête, Que j Wois commancë qu'on fit choir la tempête, Ciell dans quel açcideint o^e jette ici le sort ! Et que puis- je résoudre à voir cet homme mort? Rentrez daos la maison ^^ et gardez de rien dire De cet ordre innocent que j*ai pu vous prescrire.
(seul.')
Le jour s'en va paroître, et je vais consulter Comment dans ce malheur je me dois comporter. Hélas! que deviendrai-je? et que dira le père, |^Qrs(jue inopinément il saura cette affaire?
3^^ L'ECOLE DÈS FEMMES
SCÈNE IL HORACE^ A'RNOLPHE.
HORilCSy àpart.
Il fiiat ^e j'aille on peu reconnoitre qui c'est,
ÀRS70LPHB, se CTOjant seul.
Eùt-on j^mMos ptém. • . 7
(Ihenrté par Horace , qu'il ne Veconnait pas. J
Qui va là, sll vous plaît?
HORACE.
C'est vous , seigneur Aiu^lphe]?
ARNOLPHE.
Oui. Mais vous. • . ?
âORACE.
C'est Horace. Je m'en allois chez vous vous prier dHlne grâce. Vous sortez bîeii matin I
ARNOLPHE, bas, àpart.
Quelle confusion I Est-ce un enchantement? est-ce une illusion?
HORACE.
J'étois , à dire vrai , dans une grande peine ;
Et je bénis du ciel la bonté souveraine
iQui fait gu^à point nommé je vous rencontre ainsi.
Je viens vous avertir que tout a réussi ,
Et même beaucoup plus que je n eusse osé dire^
Et par un incident qui devoit tout détruire.
ACTE V, SCÈNE IL 343
Je ne sais point par où l'on a pu soupçonner Cette assignation quW mWoit su donner : Mais , étant sur le point d'atteindre à la fenêtre , Jai , contre mon espoir , vu quelq[ues gens paroitre , Qui y sur moi brusquement levant chacun le bras y IVTont fait manquer le pied et tomber jusqu'en bas ; Et ma chute, aux dépens de quelque meurtrissure, De vingt coups de bâton m^a sauvé Faventure. Ces gens-là , dont étoit , je pense , mon jaloux , Ont imputé ma chute à l'eiSbrt de leurs caups; Et, comme la douleur, un assez long espace, M^a fait sans remuer demeurer sur la place. Ils ont cru tout de bon qu'ils m'avoieut assommé, Et chacun d'eux s'eu est aussitôt alarmé. J'entendois tout le bruit dans le profond silence : L^un lautre ils s accusoient de cette violence ; Et , sans lumière aucune , en querellant le sort , Sont venus doucement tâter si j'étois mort Je vous laisse à penser si, dans la nuit obscure,, J'ai d'un vrai trépassé su tenir la figure^ Bs se sont retirés avec beaucoup d effîoi; Et, comme je songeois à me retirer, moi. De cette feinte mort la jeune Agnès émue Avec empressement est devers moi venue : Car les discours qu'entre eux ces gens avoient tenus Jusques à son oreille étoient d'abord venus , Et pendant tout ce trouble étant moins observée. Du logis aisément elle s'étoit sauvée;
344 L'ÉCOLE DES FEMMES.*
Mais, me trouyant saiis mal, efle a £aât éclater Vu transport difficile à bien représenter. Que vous dirai-je enfin? Cette aimable personne A suivi les conseils que son amour lui donne , PTa plus voulu songer à retourner chez soi, Et de tout son destin s'est commise à ma foi. Considérez un peu, par ce frait dlnnocence, Oà l'expose d'un fou la haute impertinence , Et quels fâcheux périls elle pourroit courir, Si j'étois maintenant homme à la moins chérir^ Mais d'un trop pur amour mon âme est embrasée; ^ Jaimerois mieux mourir que la voir abusée : Je lui vois des appas dignes d'un autre sort, Et rien ne m'en sauroit séparer que la mort. Je prévois là-dessus l'emportement dun père; Mais nous prendrons le temps d'apaiser sa colère. A des charmes si doux je me laisse emporter, EH dans la vie enfin il se Ëiut contenter. Ce que je veux de vous sous un secret fidèle. C'est que je puisse mettre en vos mains cette belle ; Que dans votre maison , en faveur de mes feux, Vous lui donniez retraite au moins un jour ou dçux. Outre qu'aux yeux du monde il faut cacher sa fuite , Et qu'on en pourroit faire une exacte poursuite, Vous savez qu'une fille aussi de sa façon Donne avec un jeune homme un étrange soupçon ; Et comme c'est à vous, sûr de votre prudence, Que j'ai fait de mes feux entière confidence ,
. ACTE V, SCÈNE IL 345
C'est à Yoafl seul amsi ^ comme ami généreux, Que je puis confia: ce dépôt amoureux.
ARNOLPHB.
Je suis, n'en douter point, tout à votre service.
fiORÀCE.
Vous.youlez.bien me rendre un si charmant office?
▲ RNOLPHE.
Très-yolontiers, vOUs dis- je; et je me sens ravir De cette occasion que j'ai de voUs servir. Je rends grâces au ciel de ce qu'il me l'envoie , Et n'ai jamais rien fait avec si grande joie.
HORACE.
Que je suis redevable à toutes vos bontés!
J'avois de votre part craint des difficultés :
Mais vous êtes du monde ; ' eV, dans votre sagesse ,
Vous savez excuser le feu de la jeunesse.
Un de mes gens la garde au coin de ce détour.
ARNOLPHE.
Mais comment ferons-nous? car il fait un peu jour. Si je la prends ici , l'on me verra peut-être ; Et s'il faut que chez moi vous veniez à paroitre, Des valets causeront. Pour jouer au plus sûr, Il faut me l'amener dans un lieu plus obscur. . Mon allée est commode , et je l'y vais attendre.
HORACE.
Ce sont précautions qu'il est fort bon de prendre.
J- Vous êUs du monde, pour vous connoisse% U monde.
346 L'ÉCOLE DES FEMME&
Pour moi, je ne ferai qae yoiu la mettre en main. Et chez moi^ sans éclat, je retourne soudain.
ARirOLPHE,seta.
Ah! fortune, ce trait d'aventure propice Répare tous les maux que m'a faits ton caprice.
[ Il s'enveloppe le nez de 9on manteau. )
SCÈNE III.
AGNÈS, HORACE, ARNOLPHE.
1
HORACE, à Agnès.
Ne soyez point en peine où je vais vous mener; C est un logement sûr que je vous fais donner. Vous loger avec moi, ce setoit tout détruire : ^ Entrez dans cette porte, et laissez-vous conduire.
( Arnolpbe lui prend la main sans qu'elle le connoisse.)
A6KÈS; à Borace. Pourquoi me quittez-vous ?
HORACE.
Chère Agnès, il le faut.
AG'NÂS.
Songez donc , je vous prie , à revenir bientôt.
HORACE.
J'en suis assez pressé par ma flamme amoureuse.
AGNÈS.
Quand je ne vous vois point, je ne suis point joyeuse.
HORACE.
Hors de votre présence, on me voit triste aussi.
ACTE V, SCÈNE ni. 34^
Hélas! s il ëtoit yraî^ vous resteriez ici.
HORACE
Quoi ! vous pourriez douter de mon amour extrême!
AGNÈS.
tion y vous ne m'aimez pas autant que je vous aime,
( Arnolphe la tire. ) ^
Âb ! l'on me tire trop.
HORACE.
C'est qu'il est dangereux , Chêà-é ApïkÉy qu'en ce lieu nous sojrons vus tous deux; Et ce par&it ami de qui la main vous presse Sait le zèle prudent qui pour nous l'intéresse.
AGNÈS.
Mais suivre un inconnu que. . .
HORACE.
N'appréhendez rien : Entre de telles mains vous ne serez que bien.
AGNÈS.
Je me trouverois mieux en&e cfsUes d'Horace, Et j'aurois...
( à Amolphe t{ui la tire encore. ]
Attendez.
' HORACE.
Adieu. Le jour kne chasse.
AGNÈS.
Quand vous verrai- je donc?
348 L'ÉCOLE DE& FEMMES.
HORA.CE.
Bientôt assurément. . Agiras. Que je vais m^ennuyer jusqnes à ce moment!
0
HORACE^en s'en allant. '
Grâce au ciel, mon bonheur n^est plus en concurrence'^ Et je puis maintenant dormir en assurance.
SCÈNE IV.
ARNOLPHE, AGNÈS.
ARNOLPHE, caché dans «on manteau^ et déguisant sa Toi&
Venez, ce n'est pas là que je vous logerai, Et votre gîte ailleurs est par moi préparé. Je prétends en lieu sûr mettre votre personne.
(se faisant connoître.]
Me connoissez-vous ?
AGNÈS. *
Hai!
ARNOLPHE.
Mon visage, friponne, Dans cette occasion rend vos sens efBnajés, Et c'est à contre-cœur c[u'ici vous, me voyez ; Je trouble en ses projets l'amour qui vous possède.
(Agnès regarde si elle ne verra point Horace. )
N'appelez point des yeux le galant à votre aide ; Il est trop éloigné pour vous donner secours. Àh! ah! si jeune encor, vous jouez de ces tours 1 Votre simplicité, qui semble sans pareille,
. ACTE V, SCÈNE IV. 349
Demande si l'on fait les enÉints par Toreille; Et TOUS savez donner des rendez-yons la nuit, Et pour suivre un galant vous évader sans bruit! Tu-dieu ! comme avec lui votre langue cajole ! Il faut qu^on vous ait mise à quelque bonne école ! Qui diantre tout d'un coup vous en à tant appris ? Vous ne craignez donc plus de trouver des esprits? Et ce galant , la nuit , vous a donc enhardie ? Âh! coquine, en venir à cette perfidie! Malgré tous mes bienfaits, former un tel dessein ! Petit serpent que j'ai réchauffé dans mon sein. Et qui , dès qu'il se sent, par une humeur ingrate , Cherche à faire du m^d à celui qui le flatte !
AGNÈS.
Pourquoi me crijez^ôus?
.A,RN0LPHE.
J'ai grand tort! en effet !
JLGNÈS.
Je n^entends point de mal dans tout ce que j^ai fait.
ARNOLPHE.
Suivre un galant n'est pas une action infîbne?
. AGNÈS.
C'est un, homme qui dit qu'il me veutpour sa femme ; J'ai suivi vos leçons , et vous m'avez prêché Qu'il se faut marier pour ôter le péché.
AKNOLPHE.
Oui. Mais pou/r femme, moi, je prétendois vous prendre; Et je vous l'a vois fait, me semble, assez entendre.
I
\
35o L'ÉCOLE DES FEUAIES.
Oui. Mais^ à vous parler firanchemenl entre nous, Il est plus pour cela selon mon goût ^e vous. Chez vous le mariage est fâcheux et pénible; Et vos disconrs en font une image terrijble; Mais, las! il le ^t, lui, si rempli de plaisirs, Que de se marier il donne des dJésirs.
ARNOLPHB.
Ah ! c'est que youâ Taimez^ traîtresse !
AGITES.
Oui, jeFaime.
A&lrOLP^B«
Et vous ayez le front de le dire à'nioi'-mêmel :
AGNÈS.
Et pourquoi , s'il est vrai , ne le dkoisr je pas ?
AILNOLFnB..
Le deviez-YOus aimer, impertinente?
AGNÈS.
. Hélas! Est-ce que j^en puis mais? ' Lui seul en est la cause, Et je n^y songeois pas lorsque se fit la chiMe.
ARNOLPHE.
Mais il &lloit diasçer cet amoureux désir.
. ■ AGNÈS.' '
Le moyen de chasser ce qui fait du plaisir?
* Mais, de mas, espagnol, qui signifie mais et plus, (Vojr* *' note page a^, vol. I. )
ACTE V, SCÈNE IV. 35i
ARKOLPHE.
Et ne savez-vous pas que c'étoît me déplaire?
AGNÈS.
Moi? point du tout. Quel mal cela vous peut-il faire?
AB.NOLPHE.
Il est vrai , j ai sujet d'en être réjoui ! Vous ne m'aimez donc pas , à ce compte ?
AGNÈS.
Vous?
ARNOliPHE.
AGNÈS.
Oui,
Hélas I non.
* ARNOtPâE.
Comment, non! '
AGNÈS.
voulez-vous que je mente?
ARNOLPHE.
Pourquoi ne m'aimer pas, madame Timpudente?
A.GNÈIS-
Mon Dieu ! ce n'est pas moi que vous devez blâmer : Que ne vous êtes-vous , comme lui , fait aimer? 3e ne vous en ai pas empêché, que je pense.
ARNOLPHE.
}e m'y suis efToroé de toute ma puissance ; Mais les soins que j'ai pris , je les ai perdus tous.
35i L'ÉCOLE DES FEMMES.
. AGNÈS.
Vraiment il en sait donc là-dessus plus que vous; iCar à se faire aimer il n'a point eu de peine.
ARNOLPHE; kpart.
Voyez comme raisonne et répond la vilaine I Peste! une précieuse en diroit-elle plus? Âh ! je l'ai mal connue ; ou , ma foi , là-dessus Une sotte en sait plus que le plus habile homme.
(k Agnès.)
Puiscpi en raisonnements votre esprit se consomme, La belle raisonneuse , est-ce qu un si long temps Je vous aurai pour lui nourrie à mes dépens?
jlgjxès. Non. Il vous rendra tout jusques au dernier double.
ARNOLPHE, bas, à part.
Elle a de certains mots où mon dépt redouble.
( haut. )
Me rendra-t-il, coquine, avec tout son pouvoir, Les obligations que vous pouvez mWoIr ?
AGNÈS.
Je ne vous en ai pas de si grandes cpi'on pense.
ARNOLPHE.
N'est-ce rien que les soins d'élever votre enfonce?
AGNÈS.
Vous avez là-dedans bien opéré vraiment, Et m'avez fait en tout instruire joliment! Croit-on que je me flatte, et qu'enfin dans ma tète Je ne juge pas bien que je suis une bête?
ACTE V, SCÈNE IV. 353
Moi-même j'en ai honte; 6t, dans l'âge où je suis. Je ne yeux plus passer pour sotte j si je puis.
▲ RNOLPHE.
Vous fuyez l'ignorance, et voulez, quoi qu'il coûte, Apprendre du blondin quelque chose ? ^
▲ GNÉS.
Sans doute; C'est de lui que je sais ce que je peux savoir; Et beaucoup plus qu'à vous je pense lui devoir.
ARNOLPHE.
Je ne sais qui me tient qu'avec une gourmade Ma main de ce discours ne venge la bravade* J'enrage quand je vois sa piquante froideur^ Et quelques coups de poing satisferoient mon cœur.
AGNÈS.
Hélas ! vous le pouvez , si cela vous peut plaire.
ARNOLPHE, à part.
Ce mot, et ce regard désarme ma colère, Et produit un retour de tendresse de Cœur Qui de son action efface la noirceur. Chose étrange d'aimer, et que pour ces traîtresses Les hommes soient sujets à de telles foiblesses ! Tout le monde connoit leur imperfection ; Ce n'est qu'extravagance et qu'indiscrétion ; Leur esprit est méchant , et leur âme fragile ; Il n'est rien de plus foiMe et de plus imbécillc , Rien de plu5 infidèle : et malgré tout cela , Dans le monde on fait tout pour ces animaux-là.
MoLikac. A. 23
354 L'ÉCOLE DES FEMMES.
(à Agnès.)
Hé bien ! faisons la paix. Va , petite traîtresse , Je te pardonne tout, et te rends ma tendresse ; Considère par-là l'amour que j^ai pour toi , Et, me voyant si bon , en revanche âime-moi.
AGNÈS.
Du meilleur de mon ooeur je voudrois vous complaire : Que me coûteroii-il, si je le pouvois faire?
ÀKNOLPHE.
Mon pauvre pet^t cœur, tù le peux, si tu veux.
Écoute seulement ce soupir amoureux^
Vois ce regard mourant, contemple ma personne,
Et quitte ce morveux et Tamour qu'il te donne.
C'est quelque sort qu'il faut qu'il ait jeté sur toi,
Et tu seras cent fois plus heureuse avec moi.
Ta forte passion est d'être brave et leste,
Tu le seras toujours, va, je te le proteste ;
Sans cesse, nuit et jour, je te caresserai,
Je te bouchonnerai, ' baiserai, mangerai;
Tout comme tu voudras, tu pourras te conduire :
Je ne m'explique point, et cela, c'est tout dire. ( bas ,à part. )
Jusqu'où la passion peut-elle feire aller !
(haut.)
Enfin à mon am^^ur rien ne peut s'égaler :
Quelle preuve veuX-tu que je t'en donne, ingrate?
i ■ .., ■ ■ ■■.■■,. — —
< Bouchonner, de bouchon, diminutif . de bouche. Bcuchtmtf <éCoit ua terme de mignardise.
ACTE V, SCÈNE IV. 355
Me veux-tu voir pleurer? Veux-tu que je me batte? Veux-tu que je m^arrache uu côté de cheveux? Veux-tu que je me tue ? Oui , dis si tu le veui^j Je suis tout prêt) cruelle, A të pumver ma flamme.
AGNÈS.
Tenez, tous vos discours ne me touchent point Fâme : Horace avec deux mots en feroit plus que vous.
ÂRITOLPHE.
Ah ! c^est trop me braver, trop pousser mon courroux. / Je suivrai mon dessein , bête trop indocile, Et vous dénicherez à Imstant de la ville. Vous rebutez mes vœux et me mettez à bout', Mais un cul de couvent me vengera de touU
SCÈNE V.
ARNOLPHE, AGNÈS, ALAIN.
.ALAIN.
Je ne sais ce que c^est , monsieur; mais il m6 semble Qu Agnès et le corps n(ort s^ensoùt allés ensemble.
ARNOLPHE.
La voici. Dans ma chambre allez nie la nicher.
(à part.)
Ce ne sera pas là qu'il la Viendra chercher; ,Et puis, c'est seulement pour une demi-heure. Je vais , pour lui donner une sûre demeure,
(à Alain.) »
Trouver une voîtui^. Enfermez^vous âes mieux,
-356 L'ÉCOLE DES FEMMES*
£t surtout gardez-vous de la quitter des yeux^
(seul.)
Peut-être que son flme^ étant dépaysée, Pourra de cet amour étif désabusée.
SCÈNE VI.
HORACE, ARNOLPHE.
HORACE.
Ah ! je viens vous trouver, accablé de douleur.
Le ciel, seigneur Amolphe, a conclu mon malheur;.'
Et, par un trait Êital d'une injustice extrême.
On me veut arracher de la beauté que j'aime.
Pour arriver ici mon père a pris le frais;
J'ai trouvé qu'il mettoit pied à terre ici près :
Et la cause, en un mot, d^une telle venue
Qui, comme je disois, ne m'étoit pas connue,
C'est qu'il m'a marié sans m'en écrire rien.
Et qu'il vient en ces lieux célébrer ce lien.
Jugez, en prenant part à mon inquiétude.
S'il pouvoit m'arriver un contre-temps plus rude.
Cet Enrique dont hier je m'informois à vous
Cause tout le malheur dont je ressens les coups :
Il vient avec mon pèrfe achever ma rume^
Et c'est sa fille unique à qui l'on me destine.
Pai dès leurs premiers mots pensé m'évanouir :
Et d'abord, sans vouloir plus long-temps les ouïr.
Mon père ayant parlé de vous rendre visite.
ACTE V, SCÊïfË VI. . 3^
L'esprit plein de fiayerur, je l'ai devancé vite. De grâce 9 gardez-yous de lui rien découvrir De mon engagement <jui le pourroit aigrir; v
Et tâchez, comme en vous il prend grande créance, De le dissuader de cette autre alliance.
ÂRNOLPHE.
Oui-dà.
HOllÂCE.
Conseillez-lui de différer un peu, Et rendez en ami ce service à mon feu.
Â&NaLPQS.
Je n'y ma&<{uerai pas,
HORACE^
C'est en vous <jue j espère.
ÀRNOLPHE.
Fort bien.
HORACE.
Et je vous tiens mon véritable père. Dites-lui que mon âge. . . Ahl je le vois venir! Écoutez les raisons que je vous puis fourçir.
358 L'ÉCOLE DBS FEMMES.
SCÈNE yii.
- r -
ENWQUE, ORONTE, CHRYSALDE, HORACE,
ARNOLfHE.
(Horace et Amolpbe m teiûeat'.dans ilii coin du tbéâtre , «t
parlent bas ensemble.)
ENB.IQUE, à Chrysalde.
Aussitôt qu^à mes yeu? je vqvws ai vu paroître,
Quand ou ne mVût lien d^t, j ^uroi^ su tous c^itnoître.
JTai reconnu les traits dje cette .aimable sœur
Dont rhymen autrefois m'c^voit &it possesseur;
Et je serois heureux , si la Parque cruelle ,
M'eût laissé ramener cette épouse fidèle,
Pour jouir avec moi des sensibles douceurs
De revoir tous les siens après nos longs malheurs.
Mais , puisque du destin la fatale puissance
Nous prive pour jamais de sa chère présence ,
Tâchons de nous résoudre , et de nous contenter
Du seul fruit amoureux qui m'en ait pu rester.
Il vous touche dé prés, et sans vôtre sulTrâge
J'aurois tort de Vouloir disposer de ce gage.
Le choix du fils d^Oronte est glorieux de soi ;
Mais il ËLut que ce choix vous plaise comme à moi.
)CHRTSALD£.
C'est de mon jugement avoir mauvaise estime, Que doigter si j'approuve un choix si légitime.
ARNOLPHE, k part, à Horace.
Qui, je veux vous servir de la bonne façon.
ACTE V, SCflNE VU. dSg
HORACE,àpart,àAniolpli«.
Gardez encore un coup,
ARNOLPHE, à Horace.
N ayez aucun soupçon,
( Arnolphe quitte Horace pour aller embrasser Oronte.)
ORONTE^ à Arnolphe.
Ah! que cette embrassade est pleine de tendresse!
▲RN.OLPHE.
Que je sens à vous voir une grande allégresse!
ORONTE.
Je*suis ici venu. . .
ARNOLPHE.
Sans m^en £aui:e récit, Je sais ce cpi vous mène. ,, .
ORONTE<
On VOUS l'a déjà ditZ
ARNOLPHE.
Oui.
ORONXE<
Tant mxeux.-
ARNOLPHE.
Votre fils à cet hymen résiste, Et son cœur prévenu n'y voit rien que de triste : Il m'a même prié de vous en détourner. Et moi, tout le conseil que je vous puis donner, C'est de ne pas soufirir que ce nœud se diffère j^ Et de &ire valoir lautorité de père..
36o L'ÉCOLE DES FEMMES.
Il faut ayec vigueur ranger les jeunes gens,
Et nous faisons contre eux à leur être indulgents.
HORACE, à part,
Ahltraitrel
CHRYSALDB»
Si son cœur a quelque répugnance, Je tiens qu'on ne doit pas lui Êiire résistance. Mon frère, que je crois, sera de mon avis.
ARNOLPHE,
Quoi! se laissera-t-il gouverner par son fils?
Est-ce que vous voulez qu'un père ait la mollesse
De ne savoir pas faire obéir la jeunesse?
Il seroit beau vraiment qu'on le vît aujourd'hui
Prendre loi de qui doit la l'ecevoir de lui!
Non, non : c'est mon intime, et sa gloire est la mienne :
Sa parole est donnée, il faut qu'il la maintienne;
Qu il fasse voir ici de fermes sentiments.
Et forcç de son fils tous les attachements.
ORONTE.'
C'est parler comme il faut; et dans cette alliance C est moi qui vous réponds de son obéissance.
CHRYSAIiDE, à Arnolphe.
Je suis surpris , pour moi , du grand empressement Que vous me faites voir pour cet engagement. Et ne puis deviner quel motif vous inspire. . •
ARNOLPHE,
Je sais ce que je fais, et dis ce qu'il faut dire.
ACTE V, SCÈNE VII. 36i
ORONTE.
Ouï 2 oui 5 seigneur Arnolphe , il est. . .
GHRYSÀIDE.
Cenoinraigrit; C^est monsieur de La Souche; on vous l'a déjà dit.
ARNOLPHE.
Il n'importe.
HORACE, à part.
Qu'entends-je!
ARNOLPHE, se retournant vers Horace^
Oui , c'est là le mystère ; Et vous pouvez juger ce que je deyois faire.
HORACE, à part.
En quel trouble. . .
SCÈNE Vin.
ENRIQUE, ORONTE, CHRYSALDE, HORACE, ARNOLPHE, GEORjGETTE.
GEORGETTE.
Monsieur, si vous n'êtes auprès, Nous aurons de la peine à retenir Agnès ; Elle veut à tous coups s^échapper, et peut-être Qu'elle se pourroit bien jeter par la fenêtre.
arnolphe. Faites-la-moi venir; aussi-bien de ce pas
( à Horace. )
Prétends- je Femmener. Ne vous en fâchez pas :
362 L'ÉCOLE DES FEMMES.
Un honheur continu rendroit Thomme superbe. Et chacun a son tour, comme dit le proverbe.
HORA.CE, à part.
Quels maux peuvent, ô ciel! égaler mes ennuis?. Et s'est-on jamais vu dans l«ibime où je suis?
ARNOLPHE, kOronte.
Pressez vite le jour de la cérémonie,
Ty prends part, et déjà moi-même [e m'en prie.
ORONTE.
C'est bien là mon dessein.
SCÈNE IX.
AGNÈS, ORONTE, ENRIQUE, ARNOLPHE, HORACE, CHRYSALDE, ALAIN, GEORGETIE.
ARNOLPHE, à Agnès.
Venez, belle, venez, Qu'on ne sauroit tenir, et <jui vous mutinez. Voici votre galant, à qui pour récompense. Vous pouvez faire une humble et douce révérence.
(à Horace.)
Adieu. L'événement trompe un peu vos souhaits; Mais tous les amoureux ne sont pas satisfaits.
AGNÈS.
Me laissez-vous , .Horace , emmener de la sorte ?
HORACE.
Je De sais oii feu smsj tant ma douleur est forte.
I
ACTE V, SCÈNE IX. 36a
AAICOLPHE.
Allons , pausense , allons. . .
Je ypax rester ici.
Dites-nous ce que c^ést .^e të mj^stère-ci :
Nous nous regardons tç^ussans }e pouvoir comprendre.
Avec plus de loisir jepOâh'ài rotns rapprendre. Jusqu^au revoir.
Où donc prétende2!-vpU3 aller ? Vous ne nous parlez poi^t comme il nous faut parier.
Je vous ai conseiHé, mal^ 'tout son murmure , D achever Thymënée. .
OROIf.TE.
. Oui imàis pous lé. conclure, Si Ton vous a dit tout ^^oe you^ a-t-on pas dit Que vous avez chez vo^ celle dont il s^agit , La fille qu'aulTjeibis de l'aimable Angélique Sous des liens secrets eut le seigneur Enrique? Sur quoi votre discours étoit-U donc fondé?
GHRYSALDE.
Je m'étonnois aussi de voir son procédé.
ARNOIiPHZ.
Quoi? »
364 UÉCOLE DES FEMMES-
CHRTSÀLDE.
D'un hymen secret ma sœur eut une fille Dont on cacha le sort à toute la famille.
ORONTE.
Et qui; sous de feints noms, pour ne rien découyrir^ Par son époux aux champs fiit donnée à nourrir.
CHRTSÀLDE.
Et, dans ce temps, le sort, lui déclarant la guerre, L'obligea de sortir de sa natale terre.
ORONTE.
Et d^aller essuyer mille périls divers
Dans ces lieux séparés de nous par tant de mers.
CHRTSALDE.
Où ses soins ont gagné ce que dans sa patrie Âyoient pu lui ravir l'imposture et Fenvie.
ORONTE.
Et , de retour en France ,' il a cherché d'abord Celle à qui de sa fille il confia le sort.
CHRTSALDE.
Et cette paysanne a dit avec franchise
Qu en vos mains à quatre ans elle Favoit remisé.
ORONTE.
Et qu'elle Favoit fait, sur votre charité, Par un accablement d'extrême pauvreté.
CHRTSALDE.
Et lui, plein de transport, et Fallégresse en Fâme, A fait jusqu'en ces lieux conduire cette femme.
ACTE V, SCÈNE IX. 365
OEOKTB.
Et TOUS allez enfin la voir venir ici ,
Pour rendre aux yeux de tous ce mystère éclairci,
CHRYSALDE, à Ârnolplie.
Je devine à peu près ^el est votre supplice : Mais le sort en cela ne vous est que propice. Si n*être point cocu vous semble un si grand bien^ Ne vous point marier en est le vrai moyen.
ARNOLPHB y 8*eii aUant tout transporté , et ne pouvant parler.
Ouf!
SCÈNE X.
ENRIQCE, ORONTE, CHRYSALDE, AGNÈS,
HORACE.
ORORTEt
D*otr vient qu'il s'enfuit sans rien dire?
HORACE.
Ah ! mon père j Vous saurez pleinement cesurprenant mystère. Le hasard en ces lieux avoit exécuté Ce que votre sagesse avoit prémédité. Tétois, par les doux nœuds dune amour mutuelle^ Engagé de parole avecque cette belle 3 Et c'est elle en un mot que vous venez chercher, Et pour qui mon refus a pensé vous fâcher.
ENRIQXJE.
Je n'en ai point douté d'abord que je l'ai vue,
366 L'ÉCOLE DES FEMMES, ACTE V, SCÈNE X.
Et mon âme depuis n a cessé d^étre émue. Ab ! ma fille, je cède à des transports si doux.
CHRTSAL0£^
Jen ferois de bon cœur, mon firère, autant que vous; Mais ces lieux et cela ne s'accommodent guères. Allons dans la mafson débrouiller ces mystères, Payer à notre ami ses soins officieux, Et rendre grâce au ciel, (pii fait tout pour le mieux«
FIT7 DE L'icOLE DES FEMMES.
RÉFLEXIONS
SUR
L'ÉCOLE DES FEMMES.
L'ËGOLE DES Femmes est, comme l'Ëcole des Maeis, puisée dans un grand nombre de sources ; et Molière, avec 1q même gëuie , s'est approprie ces difTërentes conceptions. Cer- vantes, dans sa nouvelle du Jaloux, Scarron, dans celle de LA Précaution inutile, l'auteur d'un mauvais roman intitulé, LES Nuits fameuses de Straparolle, avoient offert les prin- cipales situations de cette comédie.
Cervantes est le premier qui ait peint la singulière folio d'un homme âgé , plein d'expérience , qui veut prendre pour femme une jeune personne simple, et qui croit pouvoir s'as- surer d'elle en l'enfermant.
Philippe de Carrizales, après s'être ruiné avec les femmes, part pour l'Amérique, où il s'enrichit. De retour en Espagne , à plus de soixante ans, il devient amoureux d'une jeune fille qui a toujours vécu dans la retraite , et dont les parents sont pauvres. « Elle est charmante ( dit-il au moment où il la voit (€ pour la première fois. ) Les dehors de la maison qu'elle ha- (( bitè n'annoncent pas qu'elle soit riche : c'est un enfant. Son « inexpérience suffît pour prévenir mes soupçons. Je l'épou- « serai, je l'enfermerai, je ne la perdrai pas un moment de « vue : ainsi elle n'aura d'autre genre de vie que celui que je
368 RÉFLEXIONS
« voudrai. Je ne suis pas sî vieux que je ne puisse encore avoir « des héritiers. Qu'elle ait une dot ou non , peu m'importe; le a ciel m'a donne assez de bien pour nous deux. Les riches « doivent plutôt consulter leur goût que toute antre chose ^ « quand ils veulent se marier. C'est cela qui fait le charme de (c lavie, tandis que ceux qui ne se marient que par intérêt sont «toujours malheureux. Allons, le sort en est jeté t voilà la « femme que le ciel me destinoit. ' »
Il est curieux de voir dans l'auteur espagnol les précautions de Carrizales : elles sont encore plus minutieuses que celles d'Arnolphe. II ne veut pas qu'un tailleur prenne la mesure de l'habit de noces de sa maîtresse : nue jeune £lle de la même taille est choisie pour la suppléer. Quand il a la jeune per- sonne en son pouvoir, c'est bien autre chose : il fait élever les murs des terrasses de manière que dans l'intérieur on ne puisse plus voir que le ciel : toutes les fenêtres extérieures sont mu- rées ; et la règle d'un couvent est établie dans cette maison. Si\ femmes sont préposées à la garde deLéonor; et Carrizales, comme Amorphe, fait un long discours sur les devoirs du mariage. Mais ces précautions ne suffisent pas pour le ras- surer.
* Esta muchacna es Lermosà, y a Iq que miiestra la presencia desta casa no debe de ser rica , y ella es nina , sus pocos aîios pueden asegurar mis sospechas : casannehe cou ella, encerrarela, harela a mis manaft, y fcoa esto no tendra otra oondicion que aqueUa que yo le ensenare ; yo no soj tan vieio que pueda perder la esperanza de tencr hijos que me hereden : de que tenga dote o no, no liay paraque hacer caso, pues el cielo me diô para todo, y los ricos no han de buscar en sus matrinikonios hacienda, sino gubto que el gusto alarga la vida , y los disgustos entre los casados la acortan : alto pues , cchada esta la suerte y esta es la que el cidlo quiere que yo tenga.
(El ZelosoEstubmeho.)
SUR L'ÉCOLE DES FEMMES. 869
' « n ne vouloît pas, dit Cervantes , qu'il se trouvât dans sa €( maison des animaux mâles. Jamais chat n'j poursuîvoit des « souris; jamais on n'y entendoit les aboiements d'un chien : <f tout ëtoit du genre féminin. Garrizales veilloît jour et nuit <c sur son trésor : sans cesse il faîsoit sentinelle chez lui , et ne « parloit à ses amis que dans la rue. Les tapisseries et les ta- « bleaux qui ornoient ses appartements ne représentoient que (c des femmes , des fleurs et des bois. On respîroit dans cette « maison une odeur de chastetë. Pendant les longues soirées « d'hiver, quand, autour du feu, les esclaves racont oient des <c histoires et des contes, comme le vieillard étoit présent, on « ne parloit jamais d'amour. »
Il est aise de présumer que les précautions de Garrizales ne lui réussissent pas mieux que celles d'Arnolphe. L'igno- rance do Léonor ne Tempéche pas de devenir très-éclairée et très^adroîte quand il s'agit d'une intrigue amoureuse.
n paroît que cette nouvelle, l'une des plus agréables de celles de Cervantes, fournit à Scarron l'idée de la Précaution inutile; mais, selon sa coutume, cet auteur, poussant trop loin le comique, tomba dans l'invraisemblance et dans l'exa" .^»— ^— -^^i— ^— — — ^— ^— I ■ ■ I II I
' Pues aun no queria que dentro de su casa buvîese aTgiin animal que fuese varoo. A los ratones deila jaroas los persiguio gato, ni en ella se oyo ladrido de perro, todos eran del genero femenino : de dia peosaba, de noche no dormia. El era la ronda y centinela de sn casa , y el argos de lo que bien queria. Con sus amigos negociaba en la calle, las figuras de los panos que sus salas y quadras adomàhan, todas eran bembras, flores, boscages : toda su casa olia a Loncstidad) reoogîmiento y recaf o , aun hasta en las consejas que en las largas noches del înviemo en la cbinieriea sus criadas contaban, por estar el présente en ningnna ningun genero de las* civia se descubria.
(El Zsloso Esthemeêîo.) MoLiàas. a. 24
r
370 RÉFLEXION^
gëration. Cependant Molière a pris dans cette Nouvelle plu- sieurs traits essentiels de sa comédie.
Dans LA. Précaution inutile, don Pèdre ayant *«té trompé par un grand nombre de femmes d'esprit, en prend une qui en est entièrement dépourvue. Il choisit les valets les plus sots et les servantes les plus innocentes. Lorsque les deux époux sont seuls y don Pèdre se met gravement dans un fauteuil , fait tenir sa femme debout, et lui parle ainsi : « Vous êtes ma femme, <c dont j'espère que j'aurai sujet de louer Dieu tant que nous ce vivrons ensemble. Mettez-vous bien dans l'esprit ce que je « m'en vais vous dire, et l'observez exactement tant que vous « existerez , de peur d'offenser Dieu et de me déplaire. A <c toutes ces paroles, poursuit Scarron, l'innocente Laure fai- « soit de grandes révérences à propos ou non , et regardoit « son mari entre deux yeux aussi timidement qu'un écolier « nouveau fait à un pédant impérieux. Savez-vous, continua (c don Pèdre, la vie que doivent mener les personnes mariées? M Je ne le sais pas , lui répondit Laure , faisant une révérence <( plus basse que toutes les autres ; mais apprenez-le-moi , et (c je le retiendrai comme Ave, Maria; et puis autre révérence. (( Don Pèdre étoit le plus satisfait des hommes de trouver on- ce corc plus de simplicité en sa femme qu'il n'^eût osé en es- « pérer. »
Molière a développé cette excellente scène dans le com- mencement du troisième acte de l'Ëcole des Femmes. Scarron cependant ne reste pas long-temps dans la bonne route : son principal pcrsonipge a l'idée singulière d'exiger que pendant la nuit sa femme soit armée de pied en cap, et veille comme une sentinelle devant le lit nuptial : il lui persuade que c'est le devoir des femmes. Laure s'y soumet. Son mari entreprend on voyage , et les premiers jours elle fait exactement les factions.
SUR L'ÉCOLE DES JPEMMES. 371
IJd jeune homme la remarque à sa fenêtre | il est sëduit par sa beauté y et bientôt une vieille entremetteuse se mêle de cette aifaire.
Elle aborde Lanre sous le prétexte de lui vendre des rubans, la recommande à Dieu, la loue de sa beauté ^ et lui parle du beau gentilhomme qui désire de lai servir. ' a Je lui suis fort « obligée , répond l'innocente , et j'aurai son service fort tt agréable, n La vieille cherche à lui faire comprendre quelle espèce de service on veut lui rendre, et Laure accorde/ un rendez-vous pour la nuit suivante. «La vieille damnée, pour- ce suit Scarron, prit ses mains, et les lui baisa cent fois, lui Il disant qu'elle alloit redonner la vie à ce pauvre gentilhomme a qu'elle avoit laissé demi-mort. Et pourquoi? s'écria Laure (c tout ef&ayée. Cest vous qui l'avez tué , dit alors la vieille. <i Laure devint pâle comme si on l'eût convaincue d'un*meurtre , « et elle allait protester de son innocence , si la méchante (c femme , qui ne jugea pas à propos d'éprouver davantage son (c innocence, ne se fût séparée d'elle, lui jetant les bras au t( cou, et l'assurant que le malade n'en mourroit pas.» Lorsque le mari revient, il a une explication avec Laure; et cette scène est indécente sans ctre comique i
Molière s'est emparé de cette scène de la vieille ; il en a mis très-adroitement le récit dans la bouche d'Agnès.
' Dans une situation pareille, Régnier fait dire à une vieille' :
Ma fille , Dieu vous garde et vous veuille bénir : Si je vous veux du mal , qu'il n^'en puisse advenir.
Molière a imité ce tour :
Mon en&nt , le bon Dieu puuBe'>t4i von» béèir,
Et dans tous vos attraits Ipn^texî^ voua maintenir I
37a RÉFLEXIONS
Le même Dorimon j qui avoit traité le sajet de l'École de9 Maus , traita aussi celui de l'Ecole des Feu mes avant Mo- lière, n est ëtonnant qu'avec assez de goût pour choisir aussi bien y cet auteur ne fit que de mauvaises pièces. Il se traîne péniblement sur les pas de Scarron j et suppose , comme lui , ^ue l'ëpoux exige de sa femme qu'elle soit armée .pendant la nuit. Dans l'absence de cet ^poux , un jeune homme donne à la dame les lumières qui lui manquent ; et l'explication qui a lieu ensuite est un des meilleiu^s morceaux de la pièce. Qoris répond à son mari , qui la trouve la nuit sans armes :
Cet étranger courtois , civil et plein de charmes,
Me lés a fait quitter, et m^a dit , ébahis ,
Çut Ton n'exerçoit peint fces lois en son pa js ,
Que les fiemniet avoient après le manage
Des «mes à la main qui faiK>icait moins d'outrage ^
Qu'elles avoient des lois plus douces qa*en ces lieux.
Aussitôt mon esprit s'est montré curieux :
J'ai brûlé du désir de les pouvoir apprendre ;
Et lui-même a voulu me les faire comprendt«.
La première idée des scènes charmantes d'Horace et d'Arr < nolphe se trouve dans un roman aujourd'hui inconnu, les Nuits fameuses du seigneur St&apa&olle. Dans cette histoire bouffonne, un amant, ignorant qu'un de ses amis est son rival, vient tous les jours lui faire confidence des faveurs qu'il ob- tient de sa maîtresse. Mais ce roman, qui n'ofire que cette idée heureuse, n'a qu'un comique plus forcé et plus trivial que celui de Scarron.
Voilà les principales sources dans lesquelles Molière a puisé les différentes situations de l'Ëcole des Femmes. Mais quel ensemble n'a-t-il pas su donner à ces combinaisons vagues
SUR L'ÉCQLE DES FEMMES. 378
et sans intérêt, si l'on en excepte celles de Cervantes! Peut- être y a-t-îl autant de mërîte à tirer ainsi parti de matériaux informes qu'à crëer des sujets. Molière , lorsqu'il n'inventoit pas y donnoit aux objets une nouvelle couleiiret u,ne nouvelle forme : ce qu'il preuoit sembloit ne plus appartenir aux auteurs qu'il avoit mis à contribution.
Il s'imposa dans cette pièce la même loi que dans l'Ecole DES Maris ; ce fut de ne pas faire jouer le principal rôle à une femme mariée. Agnès inspire de la compassion et de l'intérêt; elle a du bon sens et de l'esprit naturel ; son ignorance seule , qui ne doit être imputée qu'à Arnolphe , l'a empêchée de faire usage de ces heureuses dispositions : elle n'a d'autre but que de se marief' à l'homme qu'elle aime. Quelle différence entre cette jeune personne et les femmes qui figurent dans Cervantes 9 Scarron et Dorimon ! Une femme mariée qui manqué à son devoir cesse au théâtre d'intéresser, quels que sçieut ses mor ti£5 dç plainte contre son époux.
Le rôle d' Arnolphe étpit absolument; neuf : sa«pa3Sit>n est naturelle et pleiiie d'impëiuoské. Cette chaleur ajoute à l'effet du rôle. Il a tous les mouyements d'un caractère tragique; et, par une combinaison qui ne pouvoit appartenir qu'à un homme de génie , ce personnage fait rire par les mômes sentiments qui attcndriroient dans une tragédie. Qu'on se représente en effet un homme qui a tout sacrifié pour une orpheline, qui l'a tirée d'un état malheureux afin de l'élever jusqu'à lui , et qui n'est payé de ses bienfaits que par une trahison. Sans doute ce personnage touchera : c'est cependant celui d'Arnolphe , contre lequel tout le monde se déclare dans la comédie. Il est à remarquer aussi que Molière a mis dans ce caractère touto l'adresse et toute la prévoyance qu'on pouvoit désirer : C€ n'est point un tutei^r de comédie ; il connoît mieux ^u'Horaea
3;4 RÉFLEXIONS
le monde et les femmes; et cependant il est toujours dupe : voilà le vrai comique.
Molière a imité quelques détails de Térence , de Rabelais et de Brantôme : les derniers ëtoient ses auteur» favoris.
AmoTphe, -pressé par Ghrjsalde sur sa folie, ne peut que lui dire :
A ce bel argument , h ce discours profond, Ce que Pantagruel à Panurge répond : Fressez^'moi de me joindre à femme autre que aotte ; I^rèchez , patrodnex jusqu'à la Pentecôte, Voua. serez ébahi, quand vous serez au Bout, Que TOUS ne in'aurez rien persuade du tout.
Panurge soutient que dans un Ëtat il est très -bon qu'il j ait des débiteurs et des créanciers. « J'entends, répond Panta- agruel, et me semblez bon topicqueur, et affecté à votre « cause : mais prêchez et patrocinoz d'ici à la Pentecôte ; et <( enfin vous serez ébahi comment rien ne m'aurez per- « suadë. ' »
Alain explique à Georgette ce ^ue c'est que la jalousie :
Dis-moi , n*est-il pas vrai , quand tu tiens ton potage , Que , si quelque aflàmé venoit pour en manger, etc.
C'est une plaisanterie de Rabelais. Pantagruel, ayant consulté sur son mariage, poursuit ainsi : « Ce sort dénote que ma a femme sera preude , pudicque et loyale , non mie armée , « rcbousse, n'écervelée et extraite de cervelle comme Pallas, « et ne me sera corrival ce beau Jupin, et jà ne saulcera son «c pain en ma soupe quand ensemble serions à table. ' » L'idée du long sermon d'Arnolphe paroît, comme on l'a
*■'■■■' I I , I I I I ■■! ■ ■ .1 ■ I > I.. 'J«
» Tome III , chapitn» V. — » Tome III , chapitre XII.
SUR UÉCOLE DES FEMMES. 3-5
vil y être prise dans Scarron : peut-être aussi Molière l'a-t-il puisse dans Rabelais.
«Sur SCS vieux ans^ dit cet auteur, Hanscarvel ëpousa la «fille du bailli Concordant, jeune, belle et fresque. Donc « advint, en succession de quelques hcbdomades, qu'en devint « jaloux comme un tigre , et etitra en soupçon qu'elle ne lui « ëtoit pas fidèle. ' Pour à laquelle chose obvier, lui faisoit « tout plein de beaux contes touchant les désolations advenues « par adultère , lui lisoit souvent les légendes des preudes a femmes, la preschoitde pudicité, lui fit un livre de louanges c( de fidëlitë conjugale , détestant fort et ferme les ribaudes « mariées, etc. ^ »
Chrjsalde , pour consoler Arnolphe , lui peint des prudes qui fout le désespoir de leurs maris.
De CCS femmes de bien Dont la niauvaise humeur fait un procès sur rien , Ces dragons de vertu, ces honnêtes diablesses, Se retranchant toujours sur leurs sages prouesses , Qui , pour UQ petit tort qu'elles ne- tous font pas , Prennent droit de traiter les gens du haut en batf #
Cette peinture est puisée dans Brantôme : « A aulcuns J'ai a ouï dire que quelquefois pour les maris , il n'est si besoin ce aussi qu'ils aient leurs femmes si chastes ; car elles en sont si <c glorieuses, je dis celles qui ont ce don si rare, que quasi a vous diriez qu'elles veulent dominer, non leurs maris seule- ce ment, mais le ciel et les astres : voire qu'il leur semble, « par telle orgueilleuse chasteté que Dieu leur doive du re-
« tour. ^ »
' L'expression de Rahelais ne peut se conserver, a Tome III, chapitre XXVIII. 3 Dames galantes, diseoun I*',
376 RÉFLEXIONS
Molière a encore employé cette idée dans AmphitiyoB :
Mercure dit à la prude CHëanthis :
Jft 8018 pas 81 femme de bien ,
Et me rcxmps on peu moinf k tête.
Chry saldc , pour pousser Amolphe à bout y et pour se mo- quer de lui y soutient une opinion singulière :
Encore nn oonp , compère , apprenez qi^'en efièt Le oocnage n'est que ce que 1 on le fait ; Qu'on peut le souhaiter pour de certaines causes, Et qu'il a ses plaisirs comme les autres choses.
Rabelais et Brantôme s'ctoient permis cette plaisanterie ha- sardée, mais qui devient très -dramatique dans la situation d'Ârnolphe et de Ghrjsalde. «II n'est pas, dit Rabelais, coquu tt qui veut. Si tu es coquu , ergo ta femme sera belle ; ergo ta Il seras bien traite d'elle; ergo tu aurasdes amis beaucoup; ergo fc tu seras sauvé. ' » Brantôme développe cette pensée : a Quand une femme, dit-il, est un peu g^lai^te, elle se rend f( plus aisée, plus subjecte, plus docile ,. craintive , et de plus a douce et agréable humeur, plus humble et plus prompte à m faire tout ce que le mari veult, et lui condescend en tout, a comme j'en ai vu plusieurs telles qui n'osent gronder, ni « crier, ni faire des acariâtres , de peur qi^e leurs maris ne les « meni^cent de leurs fautes. Bref , elles font ce que leurs maris « veulent, * » . Chrysalde dit à Amolphe :
Mais , comme c'est le sort qui nous donne une femme , Je dis que l'on doit faire ainsi qu'au jeu de dés , etc.
« livre III, chap. XX VIL ■ Dames galantes, discourt T'.
SUR L'ÉCOLE DES FEMMES. 377
Cést une imitation de Térence dans les Adelphes . ' <c Dans ft.la vie , dit Micion y il faut se conduire comme au jeu de des : ce si le point qui tous ëtoit nécessaire ne tombe pas , il faut par « Totre adresse corriger celui que le sort vous a envoyé .
Âmolphe, dans son désespoir, imagine un singulier mojen de se calmer :
Un certain Grec disoit à Tempereur Auguste, etc.
Ce trait comique est tiré d'une vieille comédie italienne de Pino di Gagli , intitulée : gli Ingiusti sdegni. «J'ai déjà (dit n un des personnages) répété une fois Palphabet grec pour <( apaiser ma colère. ^ »
Jean Bouchet, vieux poète françois, avoit exprimé l'impa- tience d'une jeune fiancée de la manière suivante :
Et m'est avis , quand j*ois quelque cheval Qui roarcbe fier, qui fait les sauts et rue^. Que c'est le vôtre; alors je sors en rue, Hâtivement, cuidant que ce soit vous. ^
Molière a tiré de cette idée naïve une excellente plaisan- terie : Georgette , en parlant d'Agnès , dit à Arnolphe :
EQe vous croyoit voir de retour h toute heure ; Et nous n'oyions jamais passer devant chez nous Cheval , âne ou mulet qu'elle ne prît pour vous. /
C'étoit ainsi qu'il s'approprioit les idées des anciens auteurs.
* nia vita hominum est, quasi cùm ludas tesaeris : Si illud quod maxumè opus est jactu , non cadit , Illud quod cecidit forte , id arte ut corrîgas.
(Adelphes, acte IV, scène VII.) ^ Ho detto gia una volta Talfabeto greco per temperar Tira, (^(fo III , icen. V.)
3 Épitre IV de Boacfaet. '
378 RÉFLEXIONS SUR L'ÉCOLE DES FEMBIES.
Les critiques contemporains, et même ceux de nos jours ^ ont blâmé le dénouement de l'Ecole des Femmes. U est vrai qu'il est inférieur à celui de 1'£cole des Maus , l'un des meil- leurs qui existent au théâtre. Mais, avant de juger si sévère- ment un des chcis-d'œuvre de Molière y il faudroit peut-être réfléchir un peu sur la nature du poème comique, et sur ce qui le distingue du drame et de la tragédie. Dans ces deux der- niers genres , l'intérêt doit dominer : il faut que de scène en scène , d'acte en acte, cet intérêt augmente , et qu'avec vrai- semblance on arrive à une catastrophe qui déchire le cœur ou calme ses agitations. L^objet de la comédie n'est pas le même : elle se borne à peindre les ridicules et les travers, A faire rire aux dépens de ceux qui en ont ; et les préparations nécessaires pour amener un dénouement savamment combiné étouffe- roient souvent le comique , et nuiroieut aux développements où les mœurs sont retracées. C'est pourquoi Molière n'a géné- ralement admis que des intrigues très - simples , et s'est peu inquiété de ses dénouements , quand il a eu la certitude de remplir son véritable objet. Le dénouement de l'École des Maris étoit indiqué par la fable : au lieu que celui de l'Ëcole des Femmes auroit eu besoin, pour être mieux amené, de plu- sieurs préparations qui, jetées dans diverses parties de l'ou- vrage, en auroient retardé la marche, et auroicnt affoibli le comique des scènes charmantes d'Horace et d'Arnolphe.
Au reste, aucune pièce ne fut plus critiquée et plusJouëe que celle-ci : nous y reviendrons dans les réflexions sur les deux comédies suivantes. ♦
LA CRITIQUE
DE
L'ÉCOLE DES FEMMES,
COMÉDIE
EN UN ACTE ET EN PROSE,
Reprcsentée II Paris , sur le théâtre du Palais - Rojal ,
le I*' juin x663.
A LA REINE MÈRE.
Madame,
Je sais bien que votre majesté n*a que Êdre de tontes nos dédicaces, et que ces prétendus devoirs dont on lui dit élégamment qu on s acquitte envers elle sont des hom- mages, à dire vrai, dont elle nous dispenseroit très-volon- tiers : mais je ne laisse pas dWoir Faudace de lui dédier la Critique de l'Ecole des Femmes, et je n'ai pu refuser cette petite occasion de pouvoir témoigner ma joie à votre majesté sur cette heureuse convalescence qui redonne a nos vœux la plus grande et la meilleure princesse du monde, et nous promet en elle de Ipngues années dune santé vigoureuse. Comme chacun regarde les choses du côté de ce qui le touche, je me réjouis, dans cette allé- gresse générale , de pouvoir encore avoir Thonneur de di- vertir votre majesté; elle. Madame, qui prouve si bien que la véritable dévotion n'est point contraire aux hon- nêtes divertissements j qui , de s^s hautes pensées et de ses
ÉPITRE DÉDICATOIRE. 38i
importantes occupations, descend si hamainement dans le plaisir de nos spectacles, et ne dédaigne pas de rire de cette même bouche dont elle prie si bien Dieu : je flatte, dis-je, mon esprit de lespërance de cette gloire; j'en at* tends le moment avec toutes les impatiences du monde; et, quand je jouirai de ce bonheur, ce sera la plus grande joie que puisse recevoir,
Madame,
De votre majesté
le très-humble , très^obéissant et très-fidèle servi teur,
MOLIÈRE.
wmmmm^imm
PERSONNAGES.
URANIE.
ÉLISE.
CLIMÈNE.
LE MARQUIS.
DORANTE ou LE CHEVALIER.
LYSIDAS, poète.
GALOPIN, laquais.
La scène est à Paris , dans la maison dllranie*
LA CRITIQUE
DE
L'ÉCOLE DES FEMMES.
^^^^ ^^«^ ^^||^»'^^'«■^»^«^^^i^>^«^^^«^»^s^^>^F<.^»,
"«•^r»
SCÈNE ï.
URANIE,. ÉLISE.
VRANIE.
V^uoi! cousine, personne ne t'est venu rendre visite?
ÉLISE.
Personne du monde.
URANIE.
Vraiment! voilà qui m'étonne , que nous ayons été seules l'une et l'autre tout aujourd'hui.
ÉLISE.
Cela m'étonne aussi : car ce n est guère notre coutume; et votre maison, Dieu merci^ est le reftige ordinaire de tous les fainéants de la cour.
URANIE.
L'après-dînée, à dire vrai, m'a semblé fort longue.
ÉLISE.
Et moi je Tai trouvée fort courte.
VRAME.
C'est que les beaux esprits, cousine, aiment la solitude.
384 LA CRITIQUE DE L'ÉCOLE DES FEMMES.
ÉLISE.
Âh ! très-humble servante au bel esprit I vous savez que ce n est pas là que je vise.
URANIE.
Pour moi; j aime la compagnie , je lavoue.
ELISE.
Je l'aime aussi, mais je Faime choisie; et la quantité des sottes visites qu'il vous faut essuyer parmi les autres est cause bien souvent que je prends plabir d'être seule.
URANIE.
La délicatesse est trop grande de ne pouvoir souISrii que des gens triés.
ELISE.
Et la complaisance est trop générale de souffirir indilTér remment toutes sortes de personnes.
XJRANIE.
Je goûte ceux qui sont raisonnables, et me divertis des extravagants.
ELISE.
Ma foi, les extravagants ne vont guère loin sans vous ennuyer, et la plupart de ces gens-là ne sont plus plaisants dès la seconde visite. Mais, à propos d'extravagants, ne voulez-vous pas me défaire de votre marquis incommode? Pensez-vous me le laisser toujours sur les bras, et que je puisse durer à ses turlupinades ' perpétuelles? —
Turlupinades, mauvaises plaisanteries, pointes. Voyez la note page 38g,
SCÈNE I. 385
VRAKIS.
Ce langage esta la mode^ et Ion le tourne en plaisan- terie à la cour.
' • £ lé I s £•
Tant pis pour ceux qui le font, et qui se tuent tout le jour à parler ce jargon obscur. La belle chose de faire en* trer aux conversations du Louvi'e de vieilles équivoques ramassées parmi les boues des halles et de la place Mau- bert ! La jolie façon de plaisanter pour des courtisans! et qu un homme montre d^esprit lorsqu'il vient vous dire : Madame, vous êtes dans la Plapç-^Royale , et tout le monde vous voit de trois lieues de Paris, car chacun vous voit de bon œil ! à cause que Bonneuil est un village à trois lieues . d^icî. Cela nVst-il pas bien galant et bien spirituel? et ceux qui trouvent ces belles rencontres n'ont-ils pas lieu de s'en glorifier?
XJRANÎEé
(
On ne dit pas cela aussi cpI^^lç une chose spirituelle; et la plupart de ceux qui affectent ce langage savent bien eux-mêmes qu^il est ridicule^
ELISE.»
Tant pis encore de prendre peine à dire des J^ottises, et d'être mauvais plaisauts dç dessein formé. Je les en tiens moins excusables; etsi jVi é)d}s jij^e , je sais bien! quoi jecondamneroistouscas;0i«i9siei]rslés^ttrlupins. . ; .
' Lâisiionf cette matièref qui féchauflë un peu trop,
386 LA CRITIQUE DE L'ÊœiE DES FEMMES.
' disons gue Dorante vient bien tard, à mon ayis, pour la sou{>eT que nous devons faire ensemble.:
ÉLISE.
Peut-être la-t-il oublié, et que...
SCÈNE IL
URANIE, ÉLISE, GALOPIN.
GAtOPIIT.
r
Voila Climène , madame , qui vient ieî pour vous voir.
TTRANIE,
Hé! mon Dieu! quelle visite!
ÉLISE.
Vous vous plaignez d'être seule; aussi le ciel vous en punit.
URANIE.
Vite , qu^oQ aille dire que je n'y suis pas.
GALOPIN.
On a déjà dît qne vous y étiez.
URANtE. '.
Et qui est le sot qui Fa dit?
GALOPIN.
Moi, madàttie.
trkANffe: Diantire soit lé petit vilain { Je Vdus apprendrai bien à faire vos réponses de vôiw-mêmie^) .. ; - •
.QAi<eFm. Je vais lui4i^^e, ifta^mer, que vou^ vQuJç^^tBB sortie-
SCÊKE II. 38^
Airdtez^ atunial , et la laissez monter, poisse la sottîae est&ite* ^
CALOPIN.
Elle parle encore à un homme dans la rue.
Ah! cousine, que cette visite m'embarrasse à Fheure qu^il est!
ÉLISE.
11 est vrai (jue la dame est un peu embarrassante de son naturel : j'ai toujours eu pour elle une furieuse aversion; et, nen déplaise à sa qualité p c'est la plus sotte béte qui se soit jamais mêlée de raisonner*
.IJRANIE* • •
L'ëpithëte est un peu forte.
ÂUe^ ^ allçz , elle oiéiâte bien cela , et quelque chose de plus si on lui &isoit justice» EsVçequ'ily aune personne qui soit plus véritablement qu'elle ce qu'on appelle précieusq, k j^ndire le mot daxis sa plus mauv^ûse signification.?.
urakie; Elle se défaid bien de ce nom pourtant^
ÉLISE.
n est vrai, elle se défend du tiom, mais non pas de la chose : car enfin elle lest depuis les pieds jusqu'à la lé te, et la plus grande façonniére du.monde. Il semble que tout son corps soit démonté,: et que les. mouvements de ses
388 LA CRITIQUE DE LtGOLE DES FEMMES.
hàncheSyde ses épaules et de sa léte, n aillent que par les- sorts. EDe afifecte toujours un ton de roiz languissant et niais, Êiit la moue pour montrer une petite bouche, et roule les yeux pour les £ûre paroître grands.
URAITIE.
Doucement donc. Si elle yenoit à entendre. . .
ÉLISE.
Point, point; elle ne monte pas encore. Je me'souvieiu toujours du soir qu'elle eut envie de voir Damon, sur la réputation qu^on lui donne et les choses que le public a vues de lui. Vous connoissez Thomme et sa naturelle pa- resse à soutenir la conversation. Elle Tavoit invité à sou- per comme bel-esprit, et jamais il ne parut si sot parmi une demi-douzaine de g^ns à qui elle avoit Êiit fête de lui, et qui le regardoient avec de grands yeùx^ comme udc personne qui ne devoit pas être faite comme les autres. Ils pensoient tous qu^il^toit là potu- "défrayer la compa- gnie de bons mots'; que cba^ë 'paille qui sôrtoit db sa bouche devoit être extraordinaire; qu'il devoit faire des impromptu sûr tout ce qu'on disoit, et ne Jéniânderâ boire quWec une pointe. Mais il les trompa fort par son silence; et la dame fut aussi mal satisfaite de lui que je le fus d'elle.
URANIE.
Tais- toi. Je vais la recevoir à' la porte de la chambre.
ÉLISE.'
Ehcore un mot. Je voudrois bien la voir mariée avec
SCÈNE II. 389
le marquis dont, nous ayons parlé : le bel assemblage que ce seroit d une précieuse et d'un turlupîn ! *
VRAiriE.
Veux-tu te taire ? La voici.
SCÈNE IIL
CLIMÈNE, URANIE, ÉLISE, GALOPIN,
VRANIE.
Vraiment, c'est bien tard que. . .
CLIMÈNE.
Hé! de grâce, ma chère, faites-moi vite donner un siège.
tJRANIE, k Galopin»
Un fiiuteuil promptement.
CLIMÈNE.
Ahl mon Dieu I
VRANIB.
Qu'est-ce donc?
CLIMÈNE.
Je n'en puis plus.
URANIE.
QuWez-vous?
P
' Turlupin, Il j ayoit à l'hôtel de Bourgogne un célèbre farceur « qui se faisoit appeler BelleviUe pour le comique , et Turtupia pou|r la farce. On a donné le nom de Turlupins aux mauvais plaisants , aux faiseurs de pointes.
3go LA CRITIQUE DE L'ÉCOLE DES
GLWftHX.
Le cœur me manque.
Sont-ce vapeurs qui tous ont piii ?
CLIHÂICE,
Non.
UEAICIB.
Voulez-vous qu'on vous délace?
CLIMilTB.
Mon Dieu I non'. Âh!
Quel est dope votre mal? et depuis quand vous a*t-il pris?
CLIHtKB.
Il y a plus de t^ois heures, et je l'ai apporté du Palais- Royal.
' PRAICIE.
Comment?
CLIMÂNB.
Je viens de voir pour mes péchés cette méchante rap- sodie de l'Ecole des Femmes. Je suis encore en déÊtilIance du mal de cœur que cela m'a donné ; et je pense que je n'en reviendrai de plus de quinze jours.
iLISE.
Voyez un peu comme les maladies arrivent sans qu'on y songe!
URANIE.
Je ne sais pas de quel tempérament nous sommes m«
SCÈNE III. 3gi
cousine et moi; mais nous filmes avant-hier à la même pièce , et nous en revînmes toutes deux saines et[ gaillardes*
Quoi I TOUS lavez vue 7
URANIE.
Oui , et écoutée d^un bout à Fautre.
GLIMÈNE.
Et vous n'en avez pas été jusques aux convulsions, ma cbère?
. Je ne sub pas si délicate, Dieu merci; et je trouve, pour moi, que cette comédie seroit plutôt capable de guérir les gens que de les rendre malades.
CLIMÈNE.
Àb! mon Dieu! que dites-vous là? Cette proposition peut-elle être avancée par une personne qui ait du revenu en sens commun? Peut- on impunément, comme vous faiites, rompre en visière à la raison? Et, dans le vrai de * la chose , est-il un esprit si affamé de la plaisanterie, qu'il puisse tâter des fadaises dont cette comédie est assaisonnée? Pour moi , je vous avoue que je n'ai pas trouvé le moindre grain de sel dans tout cela. Les enfants par V oreille m'ont paru d'un goût détestable, la tarte à la crème m^a affadi le cœur; et j'ai pensé vomir au potage.
ÉLISE.
Mon Dieu! que tout cela est dit élégamment! rauroîs cru que cette pièce étoit bonne : mais madame a une éloquence si persuasive, elle tourne les choses d'une ma-
Sga LA CRITIQUE DE L'ÉCOLE DES FEMMES.
nière si agréable, qu'il &ut être de son sentiment malgré qu'on en ait.
Pour moi , je n'ai pas tant de compkisance; et pour dire ma pensée, je tiens oette comédie une des plus plai- santes que Fauteur ait produites.
ClIMÈNÉ.
Ah ! vous me faites pitié de parler ainsi , et je ne saurois vous soul&ir cette obscurité de discernement. Peut -on, ayant de la vertu, trouver de Tagrément dans une pièce qui tient sans cesse la pudeur en alarme , et salit à tout moment l'imagination?
izisz.
Les jolies façons de parler que voilà! Que vous êtes, madame , une rude joueuse en critique ! et que je plains le pauvre Molière de vous avoir pour ennemie I
CLIMÈ^E.
Croyez-moi, ma chère, corrigez de bonne foi votre jugement; et, pour votre honneur, n allez point dire par le monde que cette comédie vous ait plu.
URANIE.
Moi , je ne sais pas ce que vous y avez trouvé qui Liesse la pudeur.
CLIMÈIT£.
Hélas! tout; et je mets en fait qu'une honnête femme ne la sauroit voir sans confusion , tant j'y ai découvert d'ordures et de saletés.
SCÈNE III. SgS
URANIE. •
Il faut donc que pour les ondures vous ayez des lu- mières que les autres nont pas; car, pour moi, je n'y en ai point vu.
CLIMÈI^E.
C'est que vous ne voulez pas y en avoir vu, assuré* ment; car enfin toutes ces ordures, Dieu merci, y sont à visage découvert. EUes n'ont pas la moindre enveloppe qui les couvre, et les yeux les plus hardis sont effrayés de leur nudité.
SLISE.
Âhl
CLIMÂNE. •
Hai,liai,hai.
tJRAIÎIE.
Mais encore, s il vous plait, marquez-moi mie de ces ordures que vous dites.
CLIMENE.
Hélas I est-il nécessaire de vous les marquer ?
XJRANIE.
Oui, Je vous demande seulement ui^ endroit qui vous mt fort choquée.
CLIMÈNE.
En faut-il d'autres que la scène de cette Agnès j lors- qu'elle dit ce qu'on lui a pris ?
Et que trouvez-vous là de sale?
Zgi LÀ CRITIQUE DE U£COLE DES FEMMES.
CLIMJSNBi
Àhl
De grâce.
Fil
Mab encore?
U&ANIE.
CLIMENE.
URAVIE.
CLIniKE.
Je n^ai rien à vous dire.
VRAVIE.
Pour moi, je n'y entends point de mal.
ÇLIMÂNE» '
Tant pis pour vous.
Tant mieux plutôt y ce me semble : je regarde les choses du côté qu on me les montre, et ne les tourne point pour y chercher ce qu'il ne &ut pas voir.
GLIMÈNE.
I
^honnêteté d'une femme. . .
URANIE.
L'honnêteté d'une femme n'est pas dans les grimaces. Il sied mal de vouloir être plus sage que celles qui sont sages. L'affectation en cette matière est pire qu'en toute autre; et je ne vois rien de si ridicule que cette délicatesse d honneur qui prend tout en mauvaise part , donne un sens criminel aux plus innocentes paroles, et s'offense de J'ombre des choses. CrOyez-moi ; celles qui font tant de
SCÈTÎE in. 390
fiiço'm n'en saot pas dstîméës plus fiempes de bien; au çontraiire, leur sévérité my^tërfense et ieof s grimacei af- (eQtie$ irriient la Censure de tout le mondç contre les; actions de leur vie. On est ravi de découvrir ce qu'il y peut avoir à redire : et, pour tomber dans l'ôxemple, il y avoit l'autre jour des femmes à cette comédie /vis-à-vis de la loge où nous étions/ qui, par les mines qu'elles afiec- tèrent durant toute la pièce, leurs détournements de tête, et leurs cachements de visage , firent dire de tous côtés cent sottises de leur conduite; que Ion nauroit pas dites sans cela: et quelquW même des laquais cria tout haut flpi'élles étoient pluscbai^tesdesoreilles que de tout le reste du corps.
GLIMÊKE.
Enfin il faut être aveugle dans cette, pièce, et ne pas faire semblant d'y voir les choses. \
UAAKIE.
n ne faut pas y vouloir voir ce qui n'y est pas.
GLIMÈNE..
Ah! je soutiens, encore un coup, que les saletés y crèvent les yeux.
URANIE.
Et moi , je ne demeuré pas d'accord de cela.
CLlMilTE.
Quoi ! la pudeur n est pas visiblement blessée par ce que dit Agnès dans l'endroit dont nous parlons?
Non , vraiment. Elle ne dit pas un mot qui de soi ne soit
3^ LA CRITIQUE DE LtCOLE DES
finrt honnête ; et , si yoos yonlez entendre dessous qœlqiitt aatiechose, c'est vous qni fiâtes Fordore, ètnonpaselley puisqu'elle paile seulement ^'un ruban qu'on lui a pris.
CLIKÈNE.
Ahl ruban tant qu'3 tous p!aira;:niais ce le où die s'arrête n'est pas mis pour des prunes. Il ^ént sur ce le d'étranges pensées : ce le scandalise furieusement; et, quoi que vous puissiez dire, vous ne sauriez défendre l'insolence de ce /e.
ÉLISE.
« Il est vrai, ma cousine, je suis pou^ madame .contre ce
le. Ce le est insolent au dernier point, et vous avez tort
de défendre ce le.
n a une obscénité qui n*est pas supportable.
ÉLISE.
Coniment dites-yous ce mot-là, madame?
CLIMÉKE.
Obscénité, madame.
ELISE.
Ah ! mon Dieu ! obscénité. Je ne sais ce que ce mot yeat dire; mais je le trouve le. plus joli du monde.
CLIMÉITE.
Enfin vous voyez comme voire sang prend mon parti.
URANIE.
Hé! mon Dieu! cest une causeuse qui ne dit pas ce quelle pense. Ne vous y fiez pas beaucoup, si vous m'en youlez croire.
SCÈNE III. Sg;
ÉLISE.
Ah ! que vous êtes mécEante de me vouloir rendre sus* pacte à madame! Voyez un peu où j en serois , si elle alloit croire cequeyous dites. Serois-je si malheureuse, madapie, que vous eussiez de moi cette pensée?
clih£i7E.
Non, non; je ne mWêtepas à ses paroles , et je vous crois plus sincère qu^elle ne dit.
ÉLISE.
Ah! que vous ayez bien raison , madame ! et que vou» me rendrez justice, quand vous croirez que je vous trouve la plus engageante personne du monde, que j entra dans tous vos sentiments, et suis charmée de toutes les expressions qui sortent de votre bouche .
CLIMENE.
Hélas! je parle .sans àSBèciMUm. .
. ÉLISE.
*
On le voit bien, mad^inic^ et quei tout est naturel en vous. Vos paroles, le ton de votre, voix, vos regards, .vos pas , votre action , et votre ajustement, ont je ne sais quel air de qualité qui enchante les gens. Je vous étudie des yeux et dçà oreillers-, et. je suis isi remplie; de vous, que je tâche d'être votre singe'et de voué contre&tre en tout.
CLIMÉNE.
Vous vous moquez de moi , madame.
ELISE.
Pardonnez-moi, madame. Qiîi voudroit se moquer de vous?
3^ LÀ CRITIQUE DE L'ECOLE DES
CLIHSHB.
Je ne sois pas vu bon modèie, madame.
ÉLISX.
Oh qoe si , madame! Vous me flattez, madame.
ÉLISE.
Point du tout, madame.
CLIMENE.
Epargnez-moi, s'il tous plait, madame.
ÉLISE.
Je vous épargne aussi, madame^ et je ne dis pas la moitié de ce que je pense, madame.
CLIM&NE.
Ah ! mon Dieu ! brisons là, de grftce. Vous me jetteriez dans une concision épouyan table. Enfin (à Uranie) nous Toilà deux contre tous ; et Fopbiiâtreté sied si mal aux personnes spirituelles. . . '
SCÈNE IV.
LE MARQOIS, CLIMÈNB, CRANIE, ÉLISE,
GALOPIN.
GALOPINj à la porte de la chambre.
r
Arrêtez, sll tous plaît ^ monsieur.
LE MARQUIS.
Tu ne me connois pas , sans doute !
SCÈNE IV. 399
OÀLOPIK.
Si Êdt; je vous connois; mais vous n'entrdvz pas.
XE UA&QUI5.
Ah î que de bruit , petit laquais!
GÂLOPIir.
Gela nVst pas bien de .vouloir entrer malgré les gens.
LE MA,RQUIS.
Je veux voir ta maîtresse.
6A.L0PIN. Elle n'y est pas, vous dis-je.
LE MARQUIS.
La voilà dans sa chambre.
GALOPIN.
II est vrai, la voilà : mais elle n'y est pas.
URANIE.
Qu'est-ce donc qull y a là?
LE MARQUIS.
Cest votre laquais, madame , qui Eût le sot.
CALOPIN.
'Je lux dis que vouar n'y êtes pas, madame; et il ne veut pas laisser d'entrer.
TJRANIE.
Et pourquoi dire à monsieur que je n'y suis pas?
• GALOPIN.
Vous me grondâtes l'autre jour de lui avoîrdîtque vous
• • « »
jetiez. ' ^
tîRANIE.
Voyez cet insolent ! Je vous prie , i46ûsieur , de ne pas
4do LA CRirrQDE DE L'ÉCOLE DES FEMMES.
croire ce ^*il dit. C^est na petit éceryelé (pi vous a pris pour on autre.
LE MARQUIS.
Je Tai bien yu, madame; et, sans votre respect, je lui aurois appris à connoître les gens de qualité.
ÉLISE.
Ma cousine vous est fort obligée de cette déférence.
URANIE, à Galopin.
Un siège donc, impertinent ?
GALOPIK.
N en voilà-t-il pas un ?
URANIE.
Approchez-le.
( Galopin pousse le siège rudement , et soit. )
SCÈNE V. .;
LE MAUQDIS, CLIMÈNE, URANIE, ÉLISE.
LE HAR(2UI3.
Votre petit Urquais, madap[ie^ ^ 4u mépris pour* ma personne.
ÉLISE,
*
Il auroit tort, sans doute.
LE MARQUAIS.
C'est pei^t^être que je paye Tiptérêt de m^ iBau\;ms« mine : ( il rit ) hai , hai, hai.
élis;. L'âge le rendw^iilus édairé en lïonnêtds;gen^.
SCÈNE V. 4oi
LE MARQXJIS.
Sur qaoi en étiez-vous, mesdames, lorsijue je vous ai interrompues?
1
ÙRAKIE.
Sur la comédie de l'Ecole des t'einâieSé
L£ MARQUIS.
Je ne ùàs que d'en sortir.
GtlMÉNË.
Hébien! monsieur, comment la trouVéz-voUs, s il vous plaît?
LÉ MAliQUiSa
ïôut-à-fait impertinente.
CLIMÈNÉ.
Ah ! que j en suis ravie ! ^
LE MAAQUIS.
C'est la plus méchante chose du monie. Comment diable! k peine ai-je pu trouver place. J'ai pensé être étouffé à la porte , et jamais on ne m'^ tant marché surles pieds. Voyez comme mes canons et mes rubans en sont a justes 9 de grâce.
lÉLISE.
tl est vrai que cela crie vengeance contre TÉcole des Femmes, et que vous la condamnez avec justice.
LE MARQUIS.
tl ne s est jamais fait, je pense, une si méchante comédie.
URANIÉ.
Ah! votci Dorante que nous attendions.
MoLiimE.. a. a^
4oa LA CRITIQUE DE L'ÉCOLE DES FEMMES.
SCÈNE YL
DORANTE, CLIMÈNE, DRANIE, ÉLISE,
LE MARQUIS.
DORANTE.
Ne bougez, de grâce, et n'interrompez point votre discours. Vous êtes là sui une matière (jui , depuis ^atie jours , fait presque l'entretien de toutes les maisons dç Paris; et jamais on n a rien vu de si plaisant que la diver- sité des jugements qui se font là-dessus : car enfin j'ai ouï condamner cette comédie à certaines gens par les mêmes choses que j'ai^.ii d'autres estimer le plus.
URA.N1E.
Voilà monsieur .le marquUi qui en dit {qtûù qtàl.
tE AARQUIS.
n estTrai. Je la troute dét«6table, morUea t détestable, du dernier détestable, ce qu'on appelle détestable.
DORA.NTE.
Et jnoi, mon cher marquis, je trouve le jugement dé- testable.
LE MARQUIS.
Qnoil chevalier, est-ce que tu prétends soutenir cette pièce?
DORANTE.
Oui, je prétends la soutenir.
SCÈNE VI. 4o3
LS MARQUIS.
ParUeal je ta garantis détestable.
DORANTS.
La caution n'est pas bourgeoise. Mais, marquis, par quelle raison, de grâce; cette comédie est-elle ce que tudb?
l£ MARQUIS.
Pourquoi elle est détestable ?
nORANTÈ.
Ouï.
LE MARQUIS.
Elle est détestable, parce qu'elle est détestable,
DORANTE.
Après cela il n y a plus rien à dire j voilà son procès fait. Mais encore, instruis-nous, et nous dis les défauts qui y sont.
LE MARQUIS.
Que sais-je, moi? Je ne mè suis pas seulement donné la peine de l'écouter. Mais enfin je sais bien que je n'ai jamais rien vu de si méchant, Dieu me sauve! et Dorilas, éontre qui j'étois, a été de mon avis. •*
«
DORANTE.
L^autorité est belle, et le voilà bien appuyé!
LE MARQUIS.
Il ne faut que voir les continuels éclats de rire que le parterre y fait. Je ne veux point d autre chose pour té- moigner qu'elle ne vaut rien.
4o4 LA CRITIQUE DE LtCOLE DES FEMMES.
. DORANTS;
Tu es donc 9 marquis, de ces messieurs du bel airiqui ne veulent pas que le parterre ait du sens commiiti , et qui seroient fâchés davoir ri avec lui, fut-ce Ide la meilleure chose du monde? Je vis l'autre jour sur le théâQreun de nos amis qui se rendit ridicule par-là. Il écouta toute la pièce avec un sérieux le plus sombre du monde; et tout ce qui égayoït les autres ridoit son front. Â tous les éclats de risée, il haussoit les épaules, et regardoit le parterre en pitié; et quelquefois aussi , le regardant avec dépit j il lui disoit tout haut:Bw donc, parterre, ris donc. Ce fut une seconde comédie que le chagrin de notre ami : il la doDna en galant homme à toute l'assemblée, et chacun demeura d'accord qu'on ne pouvoit pas mieux jouer qu'il fit» Apprends , marquis , je te prie , et les autres aussi , que le bon sens n'a point de place déterminée à la comédie; que la différence du demi-louis d"or * et de la pièce de quinze sous ne fait rien du tout au bon goût ; que debout ou assis on peut donner un mauvais jugement; et qu'enfin, à le prendre en général, je me fierois assez à l'approbation du parterre, par la raison qu'entre ceux qui le composent il y en a plusieurs qui sont capables de juger d'une pièce selon les règles, et que les autres en jugent par la bonne
' Le louis ou lifs d'or valoit à cette époque 7 livres tournois. -Le marc étoit à 4^3 livres xo sous 1 1 deniers , à vingt-trois karats un qnait du titre. Le Jjirfx des premières plaôes'au spectacle étoit donc de trois livres dix sous.
/
SCÊTïE VI. ' 4o5
&çon d'en juger, qui est de se laisser prendre aux choses , et de n'avoir ni prévention aveugle, ni complaisance affectée , ni délicatesse ridicule.
LE MARQUIS.
Te voilà donc, chevalier, le défenseur du parterre! Parbleu! je m'en réjouis, et je ne manquerai pas de l'avertir que tu es de ses amis. Hai , hai. . .
DORANTE.
Ris tant que tu voudras. Je suis pour le bon sens , let ne saurois soupir les ébullitions de cerveau de nos n^arquis de Mascarille. J'enrage de voir de ces gens qui se tra- duisent en ridicules malgré leur qualité', de ces gens qui décident toujours, et parlent hardiment de toutes choses sans s'y connoitre; qui, dans une comédie, se récrieront aux méchants endroits, et ne branleront pas à ceax qui sont bons; qui, voyant un tableau, ou écoutant un con- cert de musique, blâment de même, et louent tout à contre-sens, prennent par où ils peuvent les termes de Tart qu'ils attrapent, et ne manquent jamais de les estro- pier et de les mettre hors déplace. Hé! morbleu! messieurs, tciisez-vous* Quand Dieu ne vous a pas donné la connols- sance d'une chose, n'apprêtez point à rire à ceux qui vous entendent parler; et songez qu'en ne disant mot on c]:oira peut-être que vous êtes d'habiles gens.
LE MARQUIS.
Parbleu! chevalier, tu le prends là. . .
DORANTE.
Mon Dieu! marquis, ce n'est pas à toi que je parle;
4o6 LA CRITIQUE HE L'ECOLE DES FEMMES.
c est 1 une douzaine de inessieurs qjoi dëshonoient la gens de coor par lésais manières extravagantes, et font croire parmi le people qne noos nous ressemUons tous. Pour moi, je m'en yenx jostifier le pins qa^û me sera po&- nble; et je les danberai taiit en tontes rencontres, ^*à la fin ils se rendront sages«
LE MAllQVIS.
IKsrmoi nn peu, chevalier : orois*tu que Ly sandre ait de l'esprit?
Oui , sans doute , et beaucoup.
URANIE.
C'est une chose qu'on ne peut pas nier.
LE MARQUIS.
Demande-lui ce quHI lui semble de lEcole des Femmes, tu verras qu'il te dira qu'elle ne lui plaît pas.
DORANTE.
Hé! mon Dieu! il y en a beaucoup que le trop d'esprit gâte, qui voient mal les choses à force de lumières, et même qui seroient bien fâchés d'être de Tayi^ des autres, pour avoir la gloire de décider.
. URANIE,
n est vrai. Notre ami est de ces gensrlâ , sans doute. U veut être le premier de son opinion, et qu'on attende par respect son jugement. Toute approbation qui marche avant la sienne est un attentat sur ses lumières, et dont il se venge hautement en prenant le contraire parti. II vent qu'on le consulte sur toutes les afiaires d'esprit ; et je suis
SCÈNE VI.
sAre que, si l'auteur luieftl nootré sa comédie ayant que de la &ire yoir au pubUc^ il l'eût ûrouvée la pbu belle du monde.
LE MARQUIS.
Et que dire8*yoiis de la masquise Àraminte, qui la pu- blie partout pour épouvantable , et dit qu elle n'a pu ja- mais souffiir les ordures dont elle est pleine 7
DORANTE.
Je dirai que cela est digne du caractères qu'elle a pris, et qu^il y a des personnes qui se rendent ridicules pour vouloir avoir trop d'honneur. Bien qu'elle ait de l'esprit, elle a suivi le mauvais exemple de celles qui, étant sur le retour de Tâge, veulent remplacer de quelque chose ce qu'elles voient qu'elles peident, et prétendent que les grimace^ d'une pruderie scrupuleuse leur tiendront lieu de jeunesse et de beauté. GeUe-ci pousse Tafiaire 'plus avant qu'aucune ; et l'habileté de son scrupule découvre des saletés où jamais personne n'en avoit vu. On tient qu'il va, ce scrupule, jusques à défigurer notre langue, et qu'il n'y a presque point de mots dont la sévérité de cette dame ne veuille retrancher ou la tête ou la queue pour les syl- labes déshonnétes qu'elle y trouve.
URANIE.
Vous êtes bien fou , chevalier^
LE MARQUIS.
Enfin, chevalier, tu crois défendre ta comédie en fiàir sant la satire de ceux qui la condamnent.
4/0» LA CRITIQDE DE L'ÉCOLE DES
Non pas; mais je tiens qae cette dame se scandalise à tort...
ÉLISE.
Tont beau , monsieur le chevalier ! il pouiroity en ayoir d'aiitres qu'elle qqi seroient dans les mêmes sentiments.
nORAHTE.
Je sais bien que ce nest pas vous,' au moins; et que lorsque vous av^z vu cette représentation. . .
ÉLISE.
n est vrai , mais j ai changé 4 avis ; et madame ( montrant €limène) sait appuyer le sien par des raisons si convain- cantes, qu'elle m'a entraînée de son côté,
DORANTE, à Climènei
Ah! madame, je vous demande pardon; et, si vous le voulez, je me dédirai, pour l'amour de vous, de tout ce que j'ai dit.
CLIMÈKE,
Je ne veux pas que ce soit pour l'amour de moi, mais pour l'amour de la raison : car enfin cette pièce , à le bien prendre, est tout-à-fait indéfendable, et je ne conçois pas. . .
TJRANIE.
Ah ! voici Pauteur monsieur Lysidas. Il vient tout à propos pour cette matière. Monsieur Lysidas, prenez un siège vous-même , et vous mettez là.
SCÈNE VII. 409
SCÈNE VIL
LYSIDAS, CLIMÈNE, URANIE, ÉLISE, DORANTE,
LE MARQUIS.
LTSIDAS'.
Madame, je viens un peu tard : mais il m'a fallu lire ma pièce chez madame la manjuise dont je vous avois parlé ; et les louanges qui lui ont été données m'ont retenu une heure de plus que je ne croyois.
ELISE.
C'est un grand charme que les louanges pour arrêter un auteur.
URANIE.
Asseyez-vous donc, monsieur Lysidas; nous lirons votre pièce après souper.
LY8IDAS. Tous ceux qui étoient là doivent venir à sa première représentation , et m'ont promis de faire leur devoir comme il faut.
URANIE.
Je le crois. Mais, encore une fois, asseyez-vous, s'il yous plaît. Nous sommes ici sur une matière que je serai hien aise que nous poussions.
LYSIDAS.
Je pense, madame, que vous retiendrez aussi une loge pour ce jour-là.
4io LA CRITIQUE DE L'ÉCOLE DES FEMMEF.
URAiriE.
Nous Terrons. Poursuivons , de grâce , notre discours.
LTSIDAS.
Je TOUS donne avis, madame, qu'elles sont pres(]iie toutes retenues.
VRÂNIE.
Voilà qui est bien. Enfin j'ayois besoin de vous, lors- que vous êtes yenu^ et tout le monde étoit ici contre moi.
ÉLISE, à Uranie.
(montrant iDorante.) H s'est mis d'abord de Yotre côté : mais maintenant qu'il sait que madame ( montrant Glimène ) est à la tête du parti contraire, je pense que vous n^z qu'à chercher un autre secours. '
CLIMÈNE.
Non, non , je ne voudrois pas qu'il fit mal sa cour au- près de madame yotre cousine, et je permets à son esprit . d'être du parti de son cœur.
DORANTE.
Avec cette permission, madame, je prendrai la har- diesse de me défendre.
URANIE.
Mais , auparavant , sachons un peu les sentiments de .Jiïonsieur Lysidas.
LTSIDAS.
Sur quoi, madame?
URANIE.
Sur le sujet de lEcole des Femmes.
SCÈNE VIL 4ii
ITSIDAS.
Ahlahl
DORANTE.
Que vous en semble ?
LirSIDA9.
Je n'ai rien à dire là-dessus; et vous savez qu'entre nous autres auteurs nous devons parler des ouvrages les uns des autres avec beaucoup de circonspection.
DORANTE.
Mais encore, entre nous, que pensez-vous de cette comédie?
LTSIDAS.
Moi, monsieur?
TJRANIE.
De bonne foi, dites-nous votre avis.
LTSIDAS.
Je la trouve fort belle ^
DORANTE.
Assurément?
LTSIDAS.
Assurément. Pourquoi non! n'est-elle pas en effet la plus belle du monde?
DORANTE.
Hon, bon, vous êtes un méchant diable, monsieur Lysidas; vops ne dites pas ce que vous pensez.
LTSIDAS. I
P^rdoQpez-moî,
4i2 LA CWTIQUE DE L'ÉCOLE DES FJ
DORANTE.
Mon Di€u! je vous connob. Ne dissimulons pdmt.
LYSIDAS.
Moi, monsieur?
DOUANTE.
Je vois bien que le bien que vous dites de cette pièce n'est que par honnêteté, et que, dans le fond du cœoi', vous êtes de l'avis de beaucoup de gens qui la trouvent mauvaise.
LTSIDAS.
Hai, hai,hai.
DORANTE.
Avouez , ma foi , que c'est une méchante chose que cette comédie.
LTSIDAS.
Il est vrai qu'elle n'est pas approuvée par les connois- seurs.
LE MARQUIS.
Ma foi, chevalier, tu en tiens; çt te voilà payé de U raillerie. Ah, ah, ah, ah, ah.
DORANTE.
Pousse, mon cher marquis, pousse.
LE MARQUIS.
Tu vois que nous avons les savants de notre côté.
DORANTE.
Il est vrai, le jugement de monsieur Lysidas est quel- que chose de considérable : mais monsieur Lysidas veut bien que je ne me rende pas pour cela ; et puisque j'aîbien
SCÈNE VIL 4i3
t
Taudace de me défendre contre les sentiments de madame ( Montrant Glimène), il ne trouvera pas mauvais que je com- batte les siens.
4
ELISE.
Quoi! vous voyez contre vous madame;, monsieur le marquis et monsieur Lysidas^ et vous osez résister encore! Fi ! que cela est de mauvaise grâce!
CLIMÈNE.
Voilà. qui me confond, pour moi, que des personnes raisonnables se puissent mettre en tête de donner protec- tion aux sottises de cette pièce.
LE MARQUIS.
Dieu me damne! madame, elle est misérable depuis le commencement jusqu^à la fin.
DORAITTE.
Cela est bientôt dit , marquis. Il n'est rien plus aisé que de trancher ainsi; et jç ne vois aucune chose qui puisse être à couvert delà souveraineté de tes décisions.
LE MARQUIS.
Parbleu! tous les autres comédiens qui étoient là pour la voir en ont dit tous les maux du monde.
DORANTE.
Ah ! je ne dis plus mol; tu as raison , marquis. Puisque les autres comédiens en disent du mal , il faut les en croire assurément : ce sont tous gens éclairés et qui parlent sans intérêt. Il ny a plus rien à dire, je me rends.
CLIMENE.
Rendez-vous, ou ne vous rendez pas, je sais fort bien
4i4 LA CRITIQUE DR LTÊCOIE DES FEMMES, qae vous ne me péxsQSLà&ez point de sonflinr les buno* desties de cette pièce, non plo» que Les «satires dé^li* géantes c[u'on y voit contre les fenimes.
URÂNIB.
Pour moi, je me garderai bien de m'en ofl^ser, et de prendre rien sur mon compte de tout ce qui s'y dit* Ces sortes de satires tombent directement sur les mœurs , et ne frappent les personnes que par réflexion. N'allons point nous appliquer k nous-mêmes les traits d'une censure gé* nérale; et profitons de la leçon, si nous pouvons, sans faire semblant qu'on parle à nous. Toutes les peintures ridicules qu'on expose sur les théâtres doivent être regar- dées sans chagrin de tout le monde. Ce sont miroirs pu- blics où il ne faut jamais témoigner qu on se voie; et c'est se taxer hautement d'un défaut que se scandaliser qu'on le reprenne.
CLIMÈNE.
Pour moi, je ne parle pas de ces choses pr la part que j'y puisse avoir, et je pense que je vis d'un air dans le monde à ne pas craindre d'être cherchée dans les pein* tures qu'on fait là des femmes qui se gouvernent mal.
ELISE.
Assurément, madame, on ne vous y cherchera point. Votre conduite est assez connue, et ce sont de ces sortes de choses qui ne sont contestées par personne.
URANIE, à Climéne.
Aussi, madame, n'ai-je riep 4i.t qui^iU^ & Y^^^; ^^ ^^^
SCÈNE VIL 4ï5
pordies, Gomme les satires de la congédie, demeurent dans la thèse générale.
GLIMÉNE.
Je n'en doute pas, madame. Mais enfin passons sur ce chapitre. Je ne sais pas de quelle Êiçon vous recevez les injures qu'on dit à notre sexe dans un certain endroit de la pièce; et pour moi, je vous avotie que je suis dans une colère épouvantable de. voir que cet auteur impertinent nous appelle Je^ animaux.
TJRAT^IE.
Ne voyez-vous pas que c'est un ridicule qu il fait parler?
DORANTE.
Et puis, madame, ne savez -vous pas que les injures des amants n'offensent jamais; qu'il est des amours em- portés aussi-bien que des doucereux; et qu'en de pareille» occasions les paroles les plus étranges^ et quelque chose de pis encore , se "prennent bien souvent pour des marques d'affection par celles mêmes qùî les i^eçoivent?
ELISE.
Dites tout ce que vous voudrez , je ne saurois digérer cela, non plus que le potage et la tarie à la crème dont madame a parié- tantôt.
LE MARQUIS.
Ah ! ma foi , oui , tarte à la crème ! Voilà ce que j'avoi» remarqué tantôt; tarte à la crème! Que je vous suis obligé , madame , de m'avoir fait souvenir de tarte à la
4iG LA CRITIQUE DE L'ÉCOLE DES FEMMES.
crème ! T a-t-il assez de pommes en Normandie ' pour mrte à la crème? Tarte à la crème! morbleu , tarte à la
crème!
DORANTE.'
Hé bien! ^e veux-tu dire? tarte à la crème!
LE MARQUIS.
Parbleu l tarte à la crème, chevalier.
DORANTE.
Mais encore?
LE MARQUIS.
Tarte à la crème.
DORANTE.
Dis-nous un peu tes raisons.
LE HAR^^UIS.
Tarte à la crème.
URANIE.
Mais il faut expliquer sa pensée, ce me semble.
LE MARQUIS.
Tarte à la crème, madame.
URANIE.
Que trouvezHVous là à redire?
^Ê,m^m
> Autrefois on jetoit des pommes aux acteurs lorsqu'on étoit mécontent de leur jeu ou de la pièce. On connoît l'épigramme de Racine sur l'origine des sifflets i
Quant K Pradon , si j'ai bonne mémoire , Pommes sur lui volèrent largement.
SCÈNE VIL 417
LE MARQUIS. '.
Moi? rien. Tarte à la crème.
URANIE.
Âh! je le quitte.
/ ÉLISB«
Monsieur le marquis s'y prend bien , et vous bourre de la belle manière. Mais je youdrois bien que monsieur Ly- sidas voulût les achever ^ et leur donner quelques petits coups de sa façon.
LtSIDA^.
Ce ti'est pas ma coutume de rien blâmer, et je suis as- sez indulgent pour les ouvrages des autres. Mais enfin , sans choquer Tamitié que monsieur le chevalier témoigne pour l'auteur , on m'avouera que ces sortes de comédies ne sont pas proprement des comédies, et qu'il y a une grande différence de toutes ces bagatelles à la beauté des pièces sérieuses. Cependant tout le monde donne là-dedans au- jourd'hui; on ne court plus qu'à cela; et Ton voit une solitude effroyable aux grands ouvrages, lorsque des sot- tises ont tout Paris. Je vous avoue que le cœur m'en siaigne quelquefois , et cela est honteux pour la France.
CLIMÊNÈ.
11 est vrai que le goût des gens est étrangement gilté la-dessus , et que le siècle s'encanaille furieusement.
ÉLISE.
Celui-là est joli encore, s'encanaille! Est-ce vous qui l'avez inventé, madame?
4i8 LA CRITIQUE DE UÉCOLE DES FEMMES.
CLIHÈNE.
Hé!
iSlise. Je m'en suis bien doutée.
DORANTE.
Vous croyez donc , monsieur Lysîdas y que tout l'esprit «t toute la beauté sont dans les poèmes sérieux , et que les pièces comiques sont des niaiseries qui ne^ méritent au- cune louange?
URANIS'.
Ce n'est pas mon sentiment, pour moi. La tragédie, sans doute , est quelque cho^e de beau quand elle est bien touchée; mais la comédie a ses charmes, et je tiens que Tune n'est pas moins difficile que Fautre.
DORANTE.
Assurément, madame; et quand, pour la difficulté, TOUS mettriez un peu plus du côté de la comédie, peut- être que vous ne vous abuseriez pas : car enfin je trouve qu'il est bien plus aisé de se guinder sur de grands senti- ments, de braver en vers la fortune, accuser les destins, et dire des injures aux dieux, que d entrer comme il &ut dans le ridicule des honames, et de rendre agréablement sur le théâtre les défauts de tout le monde. Lorsque vous peignez des héros, vous Êiites ce que vous voulez ; ce sont des portraits à plaisir, où l'on ne cherche point de ressem- blance, et vous n'avez qu'à suivre les traits dWe imagi- nation qui se donne Tessor, et qui souvent laisse le vrai pour attraper le merveilleux. Mais, lorsque vous peignez
SCÈNE VIL 4i9
les hommes , il fiiut peitidre d'après nature ; on veut que ces portraits ressemblent; et vous n^àyez rien fait, si vous n y Élites reconnoître les gens de votre siècle. En un mot) dans les pièces sérieuses, il suffit , pour n'être point blâmé , de dire des<3faûses qui soient de bon sens et bien écrites : mais ce n'est pas asisez dans les autres , il y &vâ, plaisanter ; et c'est une étrange entreprise que celle de fitirë rire les lK>niiétes gens.
CttlftÈNÉ.'
Je crois être du nombre des honnêtes geili^; et cepen- dant je n'ai pas trouvé le mot pour rire dans tout ce que j'ai vu.
LE MA&QUIS» *
Ma foi, ni moi non plus»
DORAir^B.
Pour toi , marquis , je ne m'en étonne pas : c'est que tu n'y as point trouvé de turlupinades.
LTSIDAS.
Ma foi, monsieur, ce qu'on y rencontre ne vaut guère mieux; et toutes les plaisanteries y sont assez froides, à mon avisk
DORANTE.
La cour n'a pas trouvé cela. . .
LTSIDAS.
Âh ! monsieur , la cour I
DORANTE.
Achevez, monsieur Lysidas. Je vois bien que vous voulez dire que la cour ne se connbit pas à ces choses; et
42M) LA CRmQUE DE LTÈCOLE DES FEMMES.
c est le refuge ordinaire de vous autres messieurs les au- teurs, dans le mauvais succès de vos ouvragés, que d'ac- cuser rinjusiice du siècle, et le peu de lumières des cour- tisans. Sachez, s'il vous plait, monsieur Lysidas,'que lés courtisans ont d'aussi bons yeux que d'autres; qu^on peut être habile avec un point de Venise et des plumes aussi- bien qu'avec une perruque courte et un petit rabat uni; que la grande épreuve de toutes vos comédies, cest le ju- gement de la cour; que c'est son goût qu'il faut étudier pour trouver l'art de réussir; qu'il n'y a point de lieu où les décisions soient si justes; et, sans mettre en ligne de compte tous les gens savants qui y sont, que, du sim- ple bon sens naturel et du commerce de tout le beau monde, on s'y fait une manière d'esprit qui, sans comp- raison, juge plus finement des choses que tout le savoir eurouillé des pédants.
.URAins. Il est vrai que, pour peu qu'on y demeure, il vous passe là tous les jours assez de choses devant les yeux pour acquérir quelque habitude de les connoitre, et surtout pour ce qui est de la bonne ou mauvaise plaisanterie.
DORANTE.
La cour a quelques ridicules , j'en demeure d'accord ; et je suis, comme on voit, le premier à les fix>nder : mais, ma foi , il y en a un grand nombre parmi les beaux esprits de profession; et, si Ton joue quelques marquis, je trouve qu'il y a bien plus de quoi jouer les auteurs, et que ce seroit une chose plaisante à mettre sur le théâtre, que
«SCÈNE VII. ^ ^ 421
leurs grimaces savantes et leurs raffinements ridicules, leur vicieuse coutume d'assassiner les gens de leurs ou- vrages , leur friandise de louanges, leurs ménagements de pensées, leur trafic de réputation, et leurs ligues offensives et défensives, aussi-bien que leurs guerres d'esprit et leurs combats de prose et de vers.
LYSIDAS.
Molière est bien heureux , monsieur , d'avoir un prolec- teur aussi chaud que vous. Mais enfin , pour venir au fait , il est question de savoir si sa pièce est bonne; et je m'of- fre d'y montrer partout cent défauts visibles.
URANIE. •
C'est une étranger chose de vous autres messieurs les poètes, que vous condamniez toujours les pièces où tout le monde court, et ne disiez jamais du bien que de celles où personne ne va ! Vous montrez pour les unes une haine invincible, et pour les autres une tendresse qui n'est pas concevable.
DORANTE.
C'est qu'il est généreux de se ranger du côté des affligés.
URANIE.
Mais, de grâce, monsieur Lysidas, faites-nous voir ces défauts dont je ne me suis point aperçue.
LYSIDAS.
Ceux qui possèdent AriJstote et Horace voient d'abord, madame, que cette comédie pèche contre toutes les règles de l'art.
4aa LA CRITIQUE DE L'ÉCOLE DES FEMMES.
URAKIE.
Je VOUS avoue que je n'ai aucune habitude avec ces messieqr&rlà) et que je ne sais point les règles de Fart.
DQRAirTIS.
Vous êtes de plaisantes gens j avec vos règles dont tous embarrassez les ignorants et nous étourdissez tous les jours I II semble , à vous ouïr parler , que ces règles de Fart soient les plus grands mystères du monde; et cependant ce ne sont qup quelques observations aisées que le bon sens a Ëiites sur ce qui peut ôter le plaisir que Ion prend à ces sortes de poëmes ; et le même bon sens qui a Êiit au- trefois ces observations les fait fort aisément tous les jours sans le secours d'Horace et d'Aristote. Je voudrois bien savoir si la grande règle de toutes les règles n est pas de plaire, et si une pièce de théâtre qui a attrapé son but n'a pas suivi un bon chemin. Veut-on que tout un public s'abuse sur ces sortes de choses, et que chacun n'y soit pas juge du plaisir qu'il y prend ?
URANIE.
J'ai remarqué une chose de ces messieurs -là , c'est que ceux qui parlent le plus des règles, et qui les savent mieujs que les autres ^ font des comédies que personne ne trouve belles.
dorante: Et cest ce qui marque, madame, comme on doit s'ar- rêter peu à leurs disputes embarrassées. Car enfin, si les pièces qui sont selon les règles ne plaisent pas, et que celles qui plaisent ne soient pas selon les règles, il faudfoit^
SCÈ>ÎE VH. 4a3
de nécessite, (jue les règles.eussent été mal Ëiites. Moquons- nous donc de cette chicane où ils veulent assujettir le goAt du public, et ne consultons dans une comédie que leffet qu^elle fait sur nous. Laissons-nous aller de bonne foi aux choses qui nous prennent par les entrailles, et ne cher- chonspointde raisonnements pour nous empêcher d'avoir du plaisir.
URANIE.
Pour moi, quand je vois une comédie, je regarde seu- lement si les choses me touchent; et, lorsque je me suis bien divertie, je ne vais point demander si j'ai eu tort, et si les règles d'Âristote me défendoient de rire.
DORANTE.
C^est justement comme un homme qui auroit trouvé une sauce excellente, et qui voudroit examiner si elle est ^-'Z'CT} bonne , sur les préceptes du Cuisinier françois, , ^^ '^\
' URANIE. \* "^l
Il est vrai ; et j'admire les raflinements de certaines gens ^^'^o *" 'V sur des choses que nous devons sentir nous-mêmes.
DORANTE.
Vous avez raison, madame, de les trouver étranges, tous ces raffinements mystérieux. Car enfin, s'ils ont lieu, nous voilà réduits à ne nous plus croire; nos propres sens seront esclaves en toutes choses; et, jusqu^au manger et au boire, nous n'oserons plus trouver rien de bon sans Iq congé de messieurs le3 experts.
LYSIDAS.
Enfin , monsieur , toute votre raison , c'est que l'Ecoh
4a4 LA CRITIQUE DE L'ÉCOLE DES FEMMES.
des Femmes a plu; et vous ne vohs souciez point qu^elIe ne soit pas dans les règles j pourvu. . .
DORANTE.
Tout beau, monsieur Lysidas; je ne vous accorde pas cela. Je dis bien que le grand art est de plaire, et que, cette comédie ayant plu à ceux pour qui elle est faite, je trouve que c est assez pour elle, et qu'elle doit peu se soucier du reste. Mais, avec cela, je soutiens qu^elle ne pèche contre aucune des règles dont vous parlez : je les ai lues, Dieu merci, autant qu'un autre, et je ferois voir aisément ^e peut-être n'avons-nous point de pièce au théâtre plus ré- gulière que celle-là.
ÉLISE.
Courage , monsieur Lysidas ! nous sommes perdus si vous reculez.
LYSIDAS.
Quoi! monsieur, la protase, l'épitase, et la péripétie...
DORANTE.
Âh! monsieur Lysidas, vous nous assommez avec vos grands mots. Ne paroissez point si savant, de grâce; hu- manisez votre discours , et parlez pour être entendu. Pen- sez-vous qu'un nom grec donne plus de poids à vos raisons? Et ne trouveriez-vous pas qu'il fût aussi beau de dire Tex- posidon du sujet que la protase; le nœud, que Tépitase; et le dénoûment, que la péripétie?
LYSIDAS.
Ce sont termes de Fart dont il est permis de se servir. Mais^ puisque ces mots blessent vos oreilles, je m'cxph-
SCÈNE VIL 4a5
querai d'une autre façon, et je vous prie de répondre po- sitivement à trois ou quatre choses que je vais dire. Peut-on souffi'ir une pièce qui pèche contre le nom propre des pièces de théâtre? Car enfin le nom de poème drama- tique yient d'un mot grec qui signifie agir, pour montrer que la nature de ce poëme consiste dans Faction ; et , dans cette comédie-ci, il ne se passe point d'actions, et tout consiste en des récits que vient faire ou Agnès ou Horace.
LE MARQUIS.
Ah! ah! chevalier.
CLIMÈNE.
Voilà qui est spirituelleipent remarqué , et c est prendre le fin des choses.
LYSIDÀS.
Est-il rien de si peu spirituel, ou, pour mieux dire ^ rien de si bas, que quelques mots où tout le monde rit, et surtout celui des enfants par ï oreille?
. CLIMÈNE.
Fort bien.
ÉLISE.
Ah!
LTSIDAS.
La scène du valet et de la servante au-dedans de la maison n'est-elle pas d'une longueur ennuyeuse et tout-à- fait impertinente?
LE MARQUIS.
Cela est vrai.
4^6 LÀ CRITIQUE DE L1ËC0LE DES FEMMES.
GLIBliN£.
Assurément.
ELISE.
n a raison.
i
LtSiBAS.
Amolphe ne donne-t-il pas trop librement son aident Il Horace? Et puisque c'est le personnage ridicule de la pièce , Mloit-il lui £dre faire Faction d'un honnête homme ?
XE MARQUIS.
Bon. La remarque est encore bonne.
CLÎMÈNE.
Admirable.
ÉLISE.
Merveilleuse.
LTSIDAS.
Le sermon et les maximes ne sont-elles pas des choses ridicules, et qui choquent même le respect que l'on doit à nos mystères?
LE MARQUIS.
C'est bien dit.
CLIMENE.
Voilà parler comme il faut.
lÎLISB.
Il ne se peut rien de mieux.
LTSIDAS.
Et ce monsieur de La S^ouche, enfin, qu'on nous fait un homme d esprit, et qui paroit si sérieux en tant d'en- droits, ne descend-il point dans quelque chose de trop
SCÈNE VIL 4^7
comique et de trop outré au cinquième acte^ lorsqu^il ex- plique à Agnès la violence de sou amour ayec ces roule< ments d^yeux extrayagauts , ces soupirs ridicules, et ces larmes niaises qui font rire tout le monde?
LE MARQUIS.
Morbleu I merveille I
CLIUiNE.
Miracle !
él.lSE.
Vii^at monsieur Lysîdas I \
LTSIDAS.
Je laisse cent mille autres choses, de peur d'être en* nuyeux.
LE MARQUIS.
Parbleu, chevalier^ te voilà mal ajusté.
DURANTE.
Il j&ut voir.
LE MARQUIS.
Tu as trouvé ton homme.
DORAIfTE.
Peut-être.
LE MARQUIS.
Répôi^ds, réponds , réponds, réponds.
DORANTE.
Volontiers. IL . .
LE MARQUIS.
Réponds donc 2 je te prie.
428 LA CRITIQUE DE L'ÉCOLE DES FEMMES.
DORANTE.
Laisse-moi donc faire. Si. . .
LE MARQUIS.
Parbleu! je te défie de répondre.
DORANTE.
Oui, si tu parles toujours.
CLIMÈNE.
De grâce, écoutons ses raisons.
DORANTE.
Premièrement, il n'est pas vrai de dire que toute la pièce n'est qu'en récits. On y voit beaucoup d actions qui 86 passent sur la scène : et les récits eux-mêmes y sont des actions, suivant la constitution du sujet; d'autant qu'ils sont tous faits innocemment, ces récits, à la personne in- téressée, qui, par-là, entre à tous coup dans une con- fusion à réjouir les spectateurs, et prend, à chaque nouvelle, toutes le^ mesures quHl peut pour se parer du malheur qu'il craint.
URANIE.
Pour moi , je trouve que la beauté du sujet de l'École des Femmes consiste dans cette confidence' perpétuelle; et ce qui me paroît assez plaisant, c'est qu'un homme qui a de l'esprit, et qui est averti de tout par une innoceutc qui est sa maîtresse, et par un étourdi qui est son rival, ne puisse avec cela éviter ce qui lui arrive.
LE MARQUIS.
Bagatelle, bagatelle.
SCÈNE VII. 42g
CLtSfiNE.
Foible réponse.
ÉLISE.
Mauvaises raisons.
DORANTE.
Pour ce qui est des enfants par Voreille, ils ne sont plaisants que par réflexion à Arnolphe; et Fauteur n^a pas mis cela pour être de soi un bon mot , mais seulement pour une chose qui caractérise l'homme, et peint d'autant mieux son extravagance, puisqu'il rapporte une sottise triviale qu'a dite Agnès ^ comme la chose la plus belle du monde et qui lui donne une joie inconcevable.
LE MARQUIS.
Cest mal répondre.
GLIMÈNE.
Cela ne èatisfatit point.
ÉLISE.
C'est ne rien dire.
DORANTE.
Quant à l'argent qu'il donne librement, outre que la lettre de son meilleur ami lui est une cautioai suffisante, il n'est pas incompatible qu'une personne soit ridicule en de certaines choses et honnête homme en d^aûtres. Et, pour la scène d'Alain et de Georgette dans le logis, que quelques-uns ont trouvée longue et âroide,.il est certain qu'elle n'est pas sans raison; et de même qù' Arnolphe se trouve attrapé pendant son voyage par la pure innocence de sa maîtresse, il demeure au retour long -temps ù. sa
43o LA CRITIQUE DE L'ÉCOLE DES FEMMES
porte par l'innocence de ses valets, afin qu'il soit partout puni par les choses cpi^il a cru Ëiire la sûreté de ses pré- cautions.
LE MARQUIS.
Voilà des raisons qui ne valent rien. Tout cela ne £iit que blanchir.
ÉLISB.
Cela fart pitié.
DORAKTS.
Pour le discours moral que youâ appeler un sermon, il est certain que de vrais dévots qui l'ont puï n'ont pas trouvé qu'il choquât ce que vous dîtes; et sans doute que ces paroles d^enfer et de chaudières bouillantes sont assez justifiées par Textravagance d'Ârnolphe et par l'innocence de celle à qui il parle. Et quant au trans{)ort amoureux du cinquième acte , qu'on accuse d'être trop outré et trop comique^ je voudrois bien savoir si ce n'est pas &ire la sa- tire des amants 9 et si les honnêtes gens mêmes et les plus sérieux 9 en de pareilles occasions, ne fi)nt pas des choses. . •
LE KARQVIS.
Ma foi , chevalier, tu ferois mieux de te tak«.
PORAKTE.
Fort bien. Mais enfin^ si nous nous regardions nous^ mêmes quand nous sommes bien amoureux.
LX MARQUIS.
Je ne veux pas seulement t'écouter.
M • •
SCÈNE va 43i
DORANTE.
Écoute-moi si tu veux. Est-ce que dans la violence de la passion...?
LB MARQtJIS.
La, la, la, la, lare, la, la, la, la^ la.
( Il chante. ) PORAKTE.
Quoi!...
hZ MARQUIS.
La, la, la, lare, la, l£(, la, la, la, la. Je ne sais pas si. . .
LE MARQUIS.
La, la, la, la, lare, la, la, la, la, la, k.
URANIE.
Il me semble que. . .
LE MARQUIS.
La, la, la, lare, la, la, la, la, la, la, la^ la, la.
URAME.
n se passe des choses assez plaisantes dans notre dis- pute. Je trouve qu'on en pourroit bien faire une petite comédie, et que cela ne seroit pas trop mal à la queue de l'École des Femmes^
DORANTE.
Vous avez raison.
LE MARQUIS.
Parbleu! chevalier, tu jouerois là-dedans un rôle qui ne te seroit pas avantageux.
43a LA CRITIQUE DE L ÉCOLE DES FEMMES.
DOEANTE.
11 est vrai y marquis.
CLIMÈNE.
Pour mol, je souhaiteroîsque cela se fit, pourvu qu'on traitât Fafiaire comme elle s'est passée.
ÉLISE.
Et moi, je fournirois de bon cœur mon personnage.
LTSIDAS.
Je ne refuserois pas le mien , que je pense.
uranie;
Puisque chacun en seroit content, chevalier, faites an mémoire de tout, et le donnez & Molière, que vous con- noissez, pour le mettre en comédie.
CLIMÈNE.
Il n^auroit garde, sans doute, et ce ne seroit. pas des vers à sa louange.
VRANIE.
Point, point : je connois son humeur; il ne se soucie pas qu'on fronde ses pièces , pourvu qu'il y vienne du monde.
DORANTE.
Oui. Mais quel dénoûment pourroit-il trouver à ceci? car il ne sauroit y avoir ni mariage ni reconnoissance, el je ne sais point par où l'on pourroit Êiire finir la dispute.
URANIE.
Il faudroit rêver à quelque incident peur cela.
SCÈNE VlII. 433
SCÈNE VIII.
CLIMÈNEjURANIE, ÉLISE, DORANTE, LE MARQUIS, LYSIDAS, GALOPIN.
i
GALOPIlTi
Madame, on a servi sur tablç*
DORANTE.
Âh! yoilâ justement ce qu'il faut pour le dénoûment l^e nous cherchions y et Ton ne peut rieb ti^ouVet de plus naturel. On disputera fort et ferme de part et d'autre , comme nous ayons fait, sans que personne se rende; un petit laquais viendra dire qu'on a servi, on se lèvera , et chacun ira soupet*.
URANIÈ.
La comédie ne peut pas mieux finir, et nous fqrond bien d'en demeurer là«
Flîf Dfi tA GRiTtQUE DÉ l'£G01.E DSS FEMMES.
MoLikAE.1 a« ^8
i* « fc .^
RÉFLEXIONS
SUR
LA CRITIQUE
D»
L'ÉCOLE DES FEMMES.
JVLolière, dans cette pièce, ne se borna pas à humilier ses ennemis : il prc^senta sous les traits les plus vrais et les plus comiques les sociétés qui exîstoient alors, et donna l'esquisse, de quelques caractères qu'il approfondit par la suite. C'est und chose admirable que , dans une simple défense qui devoit peu intéresser le public, l'auteur ait pu faire entrer tant de scènes agréables, et que, sans nœud, sans intrigue, il soit parvenu à composer une pièce qu'on verroit encore avec plaisir si elle étoit remise' ati théâtre. Ce n'est point l'apologie de l'École DES Femmes qu'on j cherche; l'agrément de cette comédie n'est plus contesté. Mais le4ecteur, qui aime à suivre les pro- grès d'un homme de génie , remarque dans cette critique les germes de plusieurs conceptions que Molière m^ditoit alors, et qu'il fit entrer dans ses cheifs-d'œuvre.
Les gens trop scrupuleux , et principalement les hypo- crites, avoient trouvé de l'indécence dans le sermon d'Ar-
RÉFLEXIONS SUR LA CRITIQUE, etc. 435
nolphe : les derniers soutenoient que Fauteur, en parlant des chaudières bouillantes, avoît voulu tourner en ridicule les peines de l'enfer. Ce fUt la première dispute que Molière eut avec les faux dëvotS;; iï leur répondit par&itement dans cette pièce; mats ils étoient loin de s'attendre qu'il leur prëparoit la comé- die foudroyante du Tartuffe. Il paroît en effet qu'il s'en oc- cupa dès cette époque.
Les dames de l'hôtel de Rambouillet, qui avoient souffert assez patiemment les Précieuses ridicules, parce que l'au- teur avoît eu l'adresse de leur faire croire qu'il n'avoit voulu attaquer que les sociétés de province , s'étoient récriées contre quelques passages de l'Ëcole di:s Fehmës. Les naïvetés d'Agnès les avoient choquées ; et leur imagination travaillant sur des expressions qui offroîent à la vérité plus d'un sens, elles y avoient trouvé la plus horrible indécence. Molière, qui ne pouvoit les soufirîr, entrevit le parti qu'il étoit possible de tirer de leur pruderie et de leur prétendue spiritualité. Dès-lors il résolut de compléter le tableau de Thôtel de Rambouillet , qui n'étoit qu'esquissé dans les Précieuses, |et de mettre sur le théâtre l'abus du purisme et du néologisme que ces dames portoient très-loin.
Glimène offre la première idée du rôle de Philaminte dans la comédie des Femmes savantes : même enthousiasme pour un mauvais poëte , même aversion pour ce qui tient aux idées généralement reçues, même affectation de déprimer tout ce qui n'est pas pointe ou jeux de mots.
On trouve aussi dans cette pièce le croquis de la prude Ârsinoé du Misanthrope « Une femme cherche ridiculement ce
436 RÉFLEXIONS SUR LA CRITIQUE
qui peut blesser la pudeur dans la comëdie qu'elle critique; elle le commente, et paroît prendre plaisir à donner les expli- cations les plus singulières. Cependant elle frémit de tant d^indëcence; et Pun des personnages, fatigué de toutes ces grimaces, lui fait observer qu'on dit d'elle ffue ses oreiUes sont plus chastes que tout le reste de son corps. N'est-ce pas la même idée que Célimcne exprime dans le Misanthrope?
file &it des tableaux coQTrir les nudités ; Mais elle a du penchant pour ies réalités.
Molière, dans cette comédie du premier ordre, n'oçapa» exprimer la fausse délicatesse de certaines femmes qui trou- volent la langue indécente parce que quelques syllabes au- roient pu l'être si on les eût isolées. Il transporta cette idée comique dans la Comtesse d'Esc arbagn as. ' On observe qu'il Tavoit indiquée dans la Critique de l'Ëcole des Femmes : le scrupule de cette dame, dit un homme raisonnable, va jusqu^àdé' figurer la langue; il n'y a point de mots dont sa sévérité ne veuille re- trancher ou la tête ou la queue pour les syllabes déshonnêtes qu'elle if trouve.
L'auteur, de son vivant, ne fut bien apprécié qu'à la cour; aussi , dans les Femmes savantes , il peignit l'homme aimable
■ Cette idée est au«si déyeloppee, mais d'une manière plus décente, dans LES Femmes savantes. Pbilaminte dit qu'elles ont :
Un dessein plein de gloiiie, et qui sera vanté
Chez tous les beaux esprits de la postëiité ;
C'est le retranchement de ces syllabes sales
Çui dans les plus beaux mots produisent des scandales
DE L'ÉCOLE DES FEMMES. 437
dans le personnage du courtisan Clitandre. La Critique de l'Ëcole i5es Femmes présente l'esquisse de ce rôle, porante s'emporte contre le pédant Ljsidas sur ce qu'il a l'air de mé- priser les suffrages de la cour ; « Il n'j a point de lieu, dit-il, (( où les décisions spient si justes; et sans mettre en ligne de « compte tous les gens savants qui y sont, du simple bon sens <( naturel et du commerce de tout le beau monde, on s'y fait c( une manière d'esprit qui, sans comparaison, juge plus (liic- « ment des choses que tout le savoir enrouillé des pédants. » Clitandre , dans les Femmes savantes , développe cette idée en attaquant Trissotîn.
Vous en voules beaucoup à cette pauvre cour, etc.
Les précieuses cherchoient toujours à faire l'analyse de leurs sentiments; et ces subtilités produisoient un jargon sou- vent inintelligible. On parloit beaucoup de la différence de Tesprit et du cœur; et cette distinction frivole^, qu'on retrouve souvent dans les écrivains du dix-huitième siècle « est ici atta- quée par Molière'. «Je ne voudrois pas, dit une précieuse, que « Dorante fit mal sa cour à madame vôtre cousine , et je per- H mets à son esprit d'être du parti de son coswr, »
Ces dames étoient fort empressées d'accueillir les nouveaux mots, et surtout ceux qui s'accordoient avec leurs idées : leur prétention à la pudeur rendit très- facile l'admission du mot obscénité; elles le répétoieut chaque fois que leur délicatesse étoit blessée; et celaarrivoit souvent. Le désir qu'elles avoicnt de conserver le bon ton, et de ne pas descendre à des sociétés indignes d'elles, les rendit aussi indulgentes -pour le mqt
438 REFLEXIONS SUR LA CRITIQUE
encanaUier, qui commençoît alors à se rëpandre. Ces deux mots y dont Molière se moque y sont restés dans notre langue.
Cette pièce, comme on le voit, est un tableau très-piquant de quelques sociétés du dix-septième siècle. On j trouve la critique de l'espèce de plaisanteries qui étoient à la mode. Cétoient des turlujpinades f expression qui vient du nom de l'in- venteur de ces spttises, Turlupin, acteur du théâtre de Bour- gogne. Ce farceur, ainsi qu'on en a vu dans tous les temps, jouoit sans cesse sur les mots ; et la n^eilleure compagnie pre- noît plaisir à l'entendre. Ses pointes étoient répétées dans la société y où il ne manquoit p^s d'imitateurs. On disoit à une dame qui demeuroit à la Place-Rpyale y qu'on la votfoit de bon oàl, parce que de Bonneuil y village voisin de Paris, on apercevoit cette place. Les turtupinades étQÎent ce que nous appelons des catembourgs. Nous en faisons peut-être autant de cas que du temps de Molière, et nouç nous excusons de même qu'alors, en disant que ce sont des sottises dont nous sentons le ridicule. Tant pis pour vous, répondroit Molière , .comme il le fait dire dans sa pièce , tant pis de prendre peine à dire des sottises, et d*iir mauvais plaisants de dessein formé.
On s'étonnera peut-être de trouver dans cette pièce une ti- rade contre la tragédie, où elle est réduite à se guinder sur de grands sentiments , à braver en vers la fortune, et à dire des injuret aux dieux. Sans doute Molière ne pensoît pas ainsi. Mais il faut remarquer que Racine n'avoit encore rien donné, et que, comme il a été dit dans la vie de Molière , Corneille s'étoit mis au nombre des détracteurs de l'Ecole des Femmes. L'auteur
DE L'ÉCOLE DES f^EMMES. 4%
vottlat M vtoBtf^^.HÏMi i«il ^pit larre^gc^noe é$t toujours
aveugle.
II n'est pas probable que Molière ait eu d'abord le projet de peindre le poète Boursgult dans le rgle de Lysidas : il con- noissoit et apprëcioit son mërite. Mais les comédiens de l'hôtel de Bourgogne, voulant lui faire un ennemi de plus, persua- dèrent à Boursault que c'ëtoit lui qu'on avoit joué : il répliqua par une satire; Molière s'oublia jusqu'à le nommer sur la siçène ; et ces deux hommes ^ dignes de fi'estlmor , furent irré- concilififale^. On doit observa que ce rôle de Ljsîdas n'est nullement chargé : ce poète a/Qli^e bea^oup. de. mesure; et ses arguments contre l'Ëcole des Femmes ont quelque chose de spécieux. Les successeurs de Molière qui ont peint dea poètes n'ont pas imité sa retenue ; ils n'ont présenté que des caricatures.
Un original plus singulier est peint dans cette pièce : mais on n'a pas sur lui la même incertitude que sur Boursault. Pla- pisson, ayant beaucoup de prétention à la philosophie , livré à la société où Molière étoit mal vu, s'emporta contre le suc- cès de l'Ëcole des Femmes. Il alloit sur le théâtre avec l'air le plus sombre : tout ce qui égayoit le parterre l'attristoit. A tous les éclats de rire il haussoit les épaules , eC regardoit le public avec mépris : Ris donc, parterre, disoit-il tout haut, ris donc!
Des hommes plus importants se déclarèrent contre la pièce : ou remarque parmi eux le commandeur de Souvray et le vi- comte du Broussin : ce dernier sortit un jour au second acte, en criant qu'il ne concevoif pas comment on pouvoit avoir la.
44o RÉFLEXIONS SUR LA CRITIQUE, etc.
patience d'aller ju9q[tt'au bout. BoSeau fit allusion à oetfe folie dans sa septième ëpitre :
Le commandeur vouloit la scène plus exacte j: Le vicomte indigné sonoit an second acte.
Molière n'osa parler dans sa comédie de la conduite de ces deux seigneurs.
La Critique de l'Ecole des Femmes est la première comé^ die qui n'ait pour objet que la défense d'une autre pièce. Elle est une de celles oà Molière a le mieux peint les petits ridi- cules de la société. Quelques auteurs ont voulu travailler dans le même genre, aucun n'a réussi.
L'IMPROMPTU
DE VERSAILLES,
COMÉDIE
EN UN ACTE EN EN PROSE,
tteprésentée à Venaîlles le i4 octobre i663; et à Paris, sur le théâtre da Palais-Rojal , le 4 noyembre de la même année.
^■^É»— I I ■ ^— ^W— — MOMt » I < I l< <» lin I >i^^— ^— — 1^.1^
RËMERGIMENT
AU ROI.
V OTEE paresse enlm me tcandâlise , Ma muse , obéissez^oioi : Il faat ce matin , sans xeaise. Aller au lever du toi s
Vous saviex faîeii pote^aoi ; Et ce TOUS est une Jionte De n'ayoir pas été pfais prompte A le remercier de ses frmeux bSenfaits» Mais il yant mieni tard. que jamais s Faites donc T4>tre compte D'aller au Louvre accomplir mes souhaits* Gardez^YOus bien d'4tre en muse bâtie; • Un air de muse est choquant .dans ces lieux: On y veut des objets ii réjouir les jeux; Vous en devez étve avertie ; Et vous ferez votre cour faeanooop jnieux Lorsqn'en marquis vous serez travestie. Vous savez ce qu'il faut pour piaroître marquis ;
N'oubliez rien de l'air ni des habits; Arborez un chapeau chargé de trente phimes Sur une perruque de prix ; Que le rabat seit des plus grands volumes , Et le pourpoint des plus petits : Mais surtout je vous recommande Le manteau d'un ruban sur le dos retroussé ,
La galanterie en est grande ; Et parmi les marquis de la plus hante bande G'est'peur être placé. Avec vos brillantes hardes Et votre ajustement , Faites tout le trajet de la salle des gardes i
444 REMERGIMENT AU ROI.
Et, vous peignant galamment, Portez de tons côtés yos regards brusquement ; Et ceux que vous pourrez connoitre ,
Ne manquez pas , d'un haut ton , De les saluer par leur nom , De quelque rang qu'ils puissent être. Cette familiarité Donne à quiconque en use un air de qualité. Grattez du peigne à la porte
De la chambre du roi ; Ou si , comme je préyoi , La presse s j trouve forte , Montrez de loin votre chapeau , Ou montez sur quelque chose Pour faire voir votre museau ; Et criez , sans aucune pause , D'un ton rien moins que naturel : Monsieur l'huissier, pour le marquis un tel. Jetez-vous dans la foule , et tranchez du notable ; Coudoyez un chacun , point du tout de quartier. Pressez , poussez , faites le diable Pour vous mettre le premier ; Et quand même l'huissier, A vos déftirs inexorable , Vous trouveroit en face un marquis repoussable , Ne démordez point pour cela , Tenez toujours ferme là t A déboucher la porte il iroit trop du vôtre ;
Faites qu'aucun n'y puisse pénétrer, Et qu'on soit obligé de yous laisser entrer
Pour faire entrer quelque autre. Quand vous serez entré , ne vous relâchez pas ; Pour assiéger la chaise il faut d'autres combats : Tâchez d'en être dessins proches. En y gagnant le terrain pas à pas ; Et , si des assiégeants le prévenant amas En bouche toutes les approchéis, Prenez le parti doucement D attendre le prince au palsage.
REMERCIMENT AU ROI. 445
Il connoîtra votre yisage Malgré votre déguisement ; Et lors , sans tarder davantage , Faites-lui votre compliment. Vous pourriez aisément l'étendre , Et parler des transports qu'en vous, font éclater Les surprenants bienfaits que , sans les mériter, Sa libérale main sur vous daigne répandre , Et des nouveaux efforts où s'en va vous porter L'excès de cet honneur où vous n'osiez prétendre :.
Lui dire comme vos désirs Sont , après ses bontés qui n'ont point de pareilles , D'emplojer à sa gloire , ainsi qu'à ses plaisirs , Tout votre art et toutes vos veilles , Et là-dessus lui promettre merveilles. ' Sur ce chapitre on n'est jamais à sec : Les muses sont de grandes prometteuses ; Et , comme vos sœurs les causeuses , Vous ne manquerez pas , sans doute , par le bec. Mais les grands princes n'aiment guères Que les compliments qui sont courts \ Et le nôtre surtout a bien d'autres affaires
Que d'écouter tous vos discours. La louange et l'encens n'est pas ce qui le touche : Dès que vous ouvrirez la bouche Pour lui parler de grâce et de bienfait , ' / Il comprendra d'abord ce que vous voulez dire;
Et , se mettant doucement à sourire D'un air qui sur les cœurs fait un charmant effet , Il passera comme un trait , Et cela vous doit suffire. Voilà votre compliment fait.
^•■111 I ■ nm iii»i
PERSONNAGES.
MOLIÈRE 9 marquis ridicule. BRËGOURT, homme de cpialitë. LÀ GRANGE y marquis ridicule. DU CROISY, poète.
Mademoiselle BU PARC; marquise façonnière. Mademoiselle BËJART, prude. Mademoiselle DE BRIE, sa^e coquette. Mademoiselle MOLIÈRE , satirique spirituelle. Mademoiselle DU CROISY, peste doucereuse* Mademoiselle HERYË, servante prëciemse. LA THORILLIËRE, marquis fâcheux. BËJART, homme qui fait le nécessaiia» QUATRE NÉCESSAIRES.
La scène est à YersaUles» àam$ lantichambre da roL
riMPROMPTU
DE VERSAILLES.
SCENE I.
MOLIÈRE, BRÉCOURT, LA GRANGE, DU CROISY; MESDEMOISELLES DUPARC, BÉJART, DE BRIE^ MOLIÈRE, DU CROÏSY, HERVÉ.
MOLIÈRE} seul , parlant à ses camarades qai sont derrièrt
le théâtre.
Allons donc, messieurs et mesdames ^ vous moquez- vous avec votre longueur? et ne voulez-vous pas tous venir ici? La peste soit des gensi Holà^ ho, monsieur de Brécourt.
BRicoURT, derrière le théâtre.
Quoi?
MOLIÈRE.
Monsieur de La Grange.
LA GRANGE, derrière le théâtve.
Qu'est-ce?
MOLIÈRE.
Monsieur du Croisy.
DU CROIST, derrière le théâtre.
Plaît-a?
MOLIÈRE.
Mademoiselle du Parc.
448 LIMPROMPTD DE VER&AII/LE&
MADEMOISELLE DU PARC, derrière le théâtre.
Hé bien?
MOLIÈRE.
MademoiseUe Béjart.
MADEMOISELLE BÉ J ART, derrière le théitie.
Quya-til?
MOLIERE.
Mademoiselle de Brie.
MADEMOISELLE DE BRIE, derrière le théâtre.
Que veut-on?
MOLIÈRE.
Mademoiselle du Groisy.
MADEMOISELLE DU GROIST, derrière le théâtre.
Qu*est-ce-que c'est?
MOLIÈRE.
Mademoiselle Hervé.
MADEMOISELLE H ERvé, derrière le théâtre.
On y va.
MOLIÈRE. ,
Je crois que je deviendrai fou avec tous ces gens-ci. Hé!
(Brécourt, La Grange, Da Groîsj, entrent.) .
Tétebleu! messieurs, me voulez-vous faire ebrager au- jourd'huî?
BRECOURT;
Que voulez-vous qu on fasse? Nous ne savons pas nos rôles; et c^est nous &ire enrager vous-même que de nous obliger à jouer de la sorte.
SCÈNRI. 449
MOlilÈRE.
Ah! les étranges animaux à conduire que des co- médiens!
^ MesdemoîseUes Béjart , du Parc , de Brie , Molière , du Cvoiêj
et Herré , arrivent. )
MADEMOISELLE BÉJART.
Hé bieni nous voilà. Que prétendez'^yous faire?
MADEMOISELLE DU PARC.
Quelle est votre pensée 7
MADEMOISELLE DE BRIE^
De quoi est-il question?
MOLIÈRE.
De grâce, mettons-nous ici; et puisque nous voilà tous habillés, et que le roi ne doit venir de deux heures, em- ployons ce temps à répéter notre afiaîre^ et voir la manière dont il faut jouer les choses^
LA GRANGE.
Le moyen de jouer ce qu'on ne sait pas?
MADEMOISELLE DU PARC.
Pour moi, je' vous àéclare que je ne me souviens pa^ d'un mot de mon personnage.
MADEMOISELLE DÉ BRIE.
Je sais bien qu'il me faudra souffler le mien d'un bout à lautre.
MADEMOISELLE BÉJART.
Et moi, je me prépare fort à tenir mon rôie à la main.
MADEMOISELLE MOLIÈRE.
£t moi aussi.
MoLiànz. a. ^9
45a L'IMPROMPTU DE VERSAILLES.
MÂDEM0I8BI.LE HERVÉ.
Pour moi^ je n'ai pas grand'chose à dire.
MADEMOISELLE DU GROI»Y.
Ni moi non plus; mais, avec cela , je ne répondrois pas de ne point manquer. ^
DU CROISY.
J'en voudrois être quitte pour dix pistoles.
BRÉCOURT.
Et moi, pour vingt bons coups de fouet, je vous assure.
MOLIÈRE.
Vous voilà tous bien malades d avoir un méchant rôle à jouer! Et que feriez-vous donc si vous étiez à ma place?
MADEMOISELLE BEJART.
Qui? vous? Vous n êtes pas à plaindre; car ayant fcit la pièce, vous n'avez pas peur d'y manqua.
MOLIÈRE.
Et n'ai-je à craindre que le manquement de mémoire? Ne comptez-vous potir rien rinquiétudé d'un succès qui ne regarde que moi teul? Et pensez-vous que ce soit une petite affaire que d'exposer quelque chose de comique de- vaut une assemblée comme celle-ci, que d'entreprendre de faire rire des personnes qui nous impriment le respct, et ne rient que quand elles veulent? Est-ïl auteur qui ne doive trembler lorsqu'il en vient à cette épreuve? Et n est-ce pas à moi de dire que je voudrois en être quitte pour toutes les choses du monde?
MADEMOISELLE BEJàRT.
Si cela vous faisoit trembler, vous prendriez mieux
SCÈNE I. 45i
I
VOS précautions, et n^auriea pas entrepris en huit jours ce que vous ayez fitit
MOtiliRE.
Le moyen de men défendre quand un roi me Fa com- mandé?
MADEMOISELLE BEJAIlT*
Le moyen? une respectueuse excuse fondée sur l'im- possibilité de la chose dans le peu de temps qu'on vous donne; et tout autre à votre place ménageroit mieux sa réputation ^ et se seroit bien gardé de se commettre comme vous faites. Où en serez-vous , je vous prie, si l'affaire réussit mal? et quel avantage pensez-vous qu'en prendront tous vos ennemis?
MADEMOISELLE DE BRIE.
En effet, il falloit s'excuser avec respect envers le roi, ou demander du temps davantage.
MOLIÈRE.
Mon Dieu! mademoiselle, les rois n'aiment rien tant qu'une prompte obéissance , et ne se plaisent point du tout à trouver des obstacles. Les choses ne sont bonnes que dans le temps qu'ils les scftihaiteni; et leur en Vouloir reculer le divertissement , est en ôter pour eux toute la grâce. Ils veulent des plaisirs qui ne se fassent point at- tendre, et ks moins préparés leur sont toujours les plus agréables. Nous ne devons jamais nous regartler dans ce quils désirent de nous; nous lic? sommes que pôiii* leur plaire; et lorsqu'ils nous ordonnent quelque chose, cest à nous à profiter vite de Tenvie où ils sont. Il vaut mieux
45a L'IMPROMPTU DE VERSAILLES.
s'acquitter mal de ce qu'ils nous demandent, que de ne s'en acquitter pas assez tôt; et, si Ton à la honte de n'a- voir pas bien réussi, on a toujours la gloire d'avoir obéi vite à leurs commandements. Mais songeons à répéter, s'il vous plait.
MADEMOISELLE BSJART.
Comment prétendez -vous que nous fassions, si nous ne savons pas nos rftles?
MOLIÈRE,
Vous les saurez, vous dis-je; et, quand même vous ne les sauriez pas tout-à-fait, pouvez-vous pas y suppléer de votre esprit, puisque c'est de la prose, et que vous savez votre sujet?
MADEMOISELLE BÂJART.
Je suis votre servante : la prose est pis encore que les vers.
MADEMOISELLE MOLIÈRE.
Voulez -vous 2ue je vous dise? vous deviez faire une comédie où vous auriez joué tout seul.
MOLIÈRE.
Taisez-vous, ma femme, vous êtes une béte.
MADEMOISELLE MOLIÈRE.
Grand merci, monsieur mon mari. Voilà ce que c'est! Le mariage change bien les gens; et vous ne m'auriez pas dit cela il y a dix-huit mois.
MOLIÈRE. i
Taisez-vous, je vous prie
SCÈNE I. 453
MADEMOISELLE •MOI.IÉRE.
Cest use chose étrange, qu'une petite cérémonie soit capable de nous ôter toutes nos belles qualités, et qi^W mari et un galant regardent la même prsonne avec des yeux si différents !
MOLIÈRE.
Que de discours I
MADEMOISELLE MOLIÈRE.
»
Ma foi, si je faisois une comédie, je la ferois sur ce su- jet. Je justifierois les' femmes de bien des choses dont on les"^ accuse; et je ferois craindre aux maris la différence qu il y a de leurs manières brusques aux civilités des ga- lants.
MOLIÈRE.
Ah! laissons cela. Il n'est pas question de causer main<« tenant, nous avons autre chose à Êiire.
MADEMOISELLE BÉJART.
Mais, puisqu'on vous a commandé de travailler sur le sujet de la critique qu on a faite contre vous, que n'avez- vous fait cette comédie des comédiens dont vous nous avez parlé il y a long-temps? C'étoit une affaire toute trouvée, et qui venoit fort bien à la chose; et d'autant mieux, qu'ayant entrepris de vous peindre , ils vous ou- vroiont Foccasion de les peindre aussi, et que cela auroit pu s'appeler leur portrait, à bien plus juste titre que tout ce qu'ils ont fait ne put être appelé le vôtre : car vouloir contrefaire un comédien dans un rôle comique , ce n est 23as le peindre lui-même, c'est peindre d'après lui lesperr
454 L'IMPROMPTU Dt VERSAILLES.
sonnages qu^il représente , et se servir des mSmes traits et des mêmes couleurs qu'il est obligé d employer aux diffé- reols tableaux des caractères ridicules qu'il imite d'après nature ; mais coiitreÊiire uu comédien dans des rôles sé- rieux 9 c'est le peindre par des défauts qui scmt entière- ment de lui , puisque ces sortes de personnages ne veulent ni les gestes ni les tons de voix ridicules dans lesquels on le reconnoît,
MOLIÈRB.
n est vrai : mais j'ai mes raisons pour ne le pas &ire; çt je n'ai pas cru^ entre nous, que la chose en valût la peine. Et puis , il falloit plus de temps pour exécuter cette idée. Comme leurs jours de comédie sont les mêmes qae les nôtres, à peine ai-je été les voir trois ou quatre fois depuis que nous sommes à Paris : je n'ai attrapé de leur manière de réciter que ce qui m'a d'abord sauté aiux yeux; et j aurois eu besoin de les étudier davantage pour &ire des portraits bien ressemblants.
ITADEMOISBLLB DU PARC.
Pour moi, j'en ai reconnu quelques-uns dans votre bouche.
MADEMOISELLE DE BRIE.
Je n'ai jamais ouï parler de cela.
MOLIÈRE.
C^est une idée qui m'avôit passé une fois par la tête , et que j'ai laissée là comme une bagatelle , une badinerie , qui peut-être n^auroit pas fait rire.
SCÈNE I. 455
.MADEMOISELLE DE BEIE.
Dites-la-moi un peu, puisque Vous l'avez dite aux autres^
MOLIÈRE.
Nous n'avons pas le temps maintenant.
MADEMOISELLE DE BRIE..
Seulement deux mots.
MOLIÈRE.
J'avoîs songé une comédie où il y auroit eu un poëte, que j'aurois représenté moi-même, qui seroit venu pour offrir une pièce à une troupe de comédiens nouvellement arrivés de campagne. Avez-voùs, auroit-il dit, des acteurs et des actrices qui soient capables de bien faire valoir un ouvrage? car ma pièce est une pièce. . . Hé ! monsieur, au- roient répondu les comédiens, nous avons des hommes él des femmes qui ont été trouvés raisonnables partout ou nous avons passé. Et qui fait les rois parmi vous? Voilà un acteur qui s en démêle parfois. Qui? ce jeune homme bien fait? Vous moquez-vous? il faut un roi qui soit gros et gras comme quatre; un roi, morbleu! qui soit entri- paillé comme il faut; un roi d'une vaste circonférence, et qui puisse remplir un trône de la belle manière. La belle chose quun roi dWe taille galante! Voilà déjà un grand défaut. Mais que je l'entende un peu réciter une douzaine de vers. Là-dessus le comédien auroit récité, par exemple, quelques vers du roi de Nîcomède,
Te le dirai>je , Araspe ? il m'a trop bien serTi , Augmentant mon pooToic. . <
456 L'IMPROMPTU DE VERSAILLES.
le plus natureUement qa'il lui auroit été possible. Et le poète : Gomment! vous appelez cela réciter? C'est se rail- ler; il &ut dire les choses avec emphase. Ecoutez-moi.
(Il contrefait Mqptfleiirj, comédien de l'hôtel de Bourgogne.) Te le dirai-je , Araspe. . . ?etc.
Voyez-vous cette posture? Remarquez bien cela. Là, ap- puyez comme il faut le dernier vers. Voilà ce qui attire Fapprobation et &it faire le brouhaha. Mais, monsieur, auroit répondu le comédien, il me semble qu'un roi qui s'entretient tout seul avec sou capitaine des gardes parle un peu plus humc^inement, et ne prend guère ce ton dé- moniaque. Vous ne savez ce que c'est : allez-vous-en réci- ter comme vous faites, vous verrez si vous ferez feire siucun ah I Voyons un peu une sc^ne d'amant et d^amante. Là-dessus une comédienne et un comédien auroient £iit une scène ensemble, qui est celle de Camille et de Curiace,
Iras-tu , ma chère âme ? et ce funeste honneur Te plait-il aux dépens de tout notre honheur ? Hélas ! je vois trop bien. . . etc.
tout de même que l'autre, et le plus naturellement quils auroient pu. Et le poëte aussitôt : Vous vous moquez, vous ne faites ri^n qui vaille; et voici comme il faut réci- ter cela.
(Il imite mademoiselle 'de Beauchàteau, comédienne de l'hôtel
de Bourgogne. )
Iras-tu , ma chère âme .... Non , je te cqnnois mieux. . . etc.
Voyez-vous comme cela est naturel et passionné? Admirez
SCÈNE 1 457
ce visage riant qu'elle conserve dans les plus grandes afflic- tions. Enfin voilà l'idée^ Et il anroit parcouru de même tous les acteurs et toutes les actrices.
ItfADEMOISELLB DE BRIE.
Je trouve cette idée assez plaisante, et j'en ai reconnu là dès le premier vers. Continuez, je vous prie.
M 0 L I ËR £ , imitant Beauchâteau , comcdien de l'hôtel de Boargogne , dans les stances dn Gid«
Perce jusques au fond du cœur, etc.
Et celui-ci, le reconnoitrez-vous bien, dans Pompée de Sertorius?
( Il contrefait Hauteroche , comédien de Thôtel de Bourgogne. )
L'inimitié qui règne entre les deux partis 19 j rend pas de rhonneur, etc.
MADEMOISELLE DE BRIE.
Je le reconnois un peu, je pense.
MOLIÈRE.
Et celui-ci?
( Imitant de Yilliers , comédien de l'hôtel de Bourgogne. )
I
Seigneur, Poljrbe est mort , etc.
MADEMOISELLE DE BRIE.
Oui, je sais qui c'est. Mais il y en a quelques-uns d'entre eux , je crois , que vous auriez peine à contrefaire.
MOLIÈRE.
Mon Dieu! il ny en a point qu'on ne pût attraper par
458 L'IMPROMPTD DE VERSAILLES.
quelque endroit, si je les avois bien étudiés. Mais vous me faites perdre un temps qui nous est cher : songeons à nous, de grâce, et ne nous amusons pas davantage à discourir. Vous (à La Graage) , prenez garde à bien représenter avec moi votre rôle de marquis.
HADEHOIS]Çia.S MOLliRE.
Toujours des marquis!
KOLliRE.
Oui, toujours des marquis. Que diable voulez-vous qu'on prenne pour un caractère agréable de théâtre? Le marquis aujourd'hui est le plaisant de la comédie : et comme, dans toutes les comédies anciennes, on voit tou- jours un ballet bouffon qui fait rire les auditeurs, de même , dans toutes nos pièces de maintenant , il faut toujours un marquis ridicule qui divertisse la compagnie.
MADEMOISELLB BijART.
Il est vrai , on ne s'en sauroit passer.
MOLIÈRE.
Pour vous , mademoiselle. . .
MADEMOISELLE DV PARC.
Mon Dieu! pour moi, je m'acquitterai fort mal de mon personnage, et je ne sais pas pourquoi vous m'avez donné ce rôle de façonnière.
MOLIÈRE.
Mon Dieu! mademoiselle, voilà comme vous disiez lorsque Ion vous donna celui de la Critique de l'Ecole des Femmes : cependant vous vous en êtes acquittée à mer-
SCÈNE I. 459
veille-, et toat le monde est demeuré d'accord qu'on ne peut pas mieux faire que vous avez feit. Croyez -moi, celui-ci sera de même, et vous le jouerez mieux que vous ne pensez.
MADEMOISELLE DU PARC.
Comment cela se pourroit-il Étire? car il n'y a point de personne au monde qui soit moins façonuière que moi.
MOLIÈRE.
Cela est vrai ; et c'est en quoi vous £iites .tnieux voir que vous êtes une excellente comédienne, de bien repré- senter un personnage qui est si contraire à votre humeur. Tâchez donc de bien prendre, tous, le caractère de vos rôles, et de vous figurer que vous êtes ce que vous repré- sentez.
• ( à du Croisy . )
Vous faites le poète, vous; et vous devez vous remplir de ce personnage, marquer cet air pédant qui se conserve parmi le commerce du beau monde, ce ton de voix sen- tencieux, et cette exactitude de prononciation qui appuie sur toutes les syllabes et ne laisse échapper aucune lettre de la plus sévère orthographe.
( à Brécourt. }
Pourvous, VOUS faites un honnête homme de cour, comme vous avez déjà fait dans la Critique de FEcoledes Femmes ; c'est-à-dire que vous devez prendre un air posé, un ton de voix naturel, et gesticuler le moins qail vous sera possible.
46o L'IMPROMPTU DE VERSAILLES.
( à La Grange. }
Pour vous y je n'ai rien à vous dire.
( à mademoiselle Béjart. )
VoQS) V0U5 représentez une de ces femmes qui, poorvu qu'elles ne fassent point Famour, croient ^e tout le reste • leur est permis ; de ces femmes qui se retranchent toujours . fièrement sur leur pruderie ^ regardent un chacun de haut en bas, et veulent que toutes les plus belles qualités que possèdent les autres ne soient rien en comparaison dW misérable honneur dont personne ne se soucie. Ayez tou- jours ce caractère devant les-yeux pour en bien Ëiireies grimaces. '
( à mademoiselle de Brie. )
Pour vous , vous faites une de ces femmes qui pensent être les plus vertueuses personnes du monde, pourvu quelles sauvent les apparences; de ces femmes qui croient que le péché n^est que dans le scandale, qui veulent conduire doucement les affaires qu'elles ont sur le pied d'attache- ment honnête, et appellent amis ce que les autres nom- ment galants. Entrez b|en dans ce caractère.
{ à mademoiselle Molière. )
Vous, VOUS faites le même personnage que dans la Cri- tique, et je n'ai rien à vous dire, non plus qu'à mademoi- selle du Parc.
( à mademoiselle du Groisy . )
Pour vous, vous représentez une de ces personnes qui prêtent doucétnent des charités 'à tout le monde , de ces femmes qui donnent toujours le petit coup de langue en
SCÈNE I. 46i
passant, et seroient bien fâchées devoir soufFei't qu'on eût dit du bien du prochain. Je crois que vous ne vous acquit- terez pas mal de ce rôle.
(à mademoiselle Hervé.,)
Et pour vous, vous êtes la soubrette de la précieuse, qui se mêle de temps en temps dans la conversation , et at- trape comme elle peut tous les termes de sa maîtresse. Je vous dis tous vos caractères, afin que vous vous les imprimiez fortement dans l'esprit. Commençons mainte- nant à répéter, et voyons comme cela ira. Ah! voici jus- tement un fâcheux! 11 ne nous falloit plus que .cela.
SCÈNE II.
LA THORILLIÈRE, MOLIÈRE, BRÉCOURT, LA GRANGE, DD CROISY; mesdemoiselles DU PARC , BÉJART , DE BRIE , MOLIÈRE , DU CROISY, HERVÉ.
LA THORILLiiRE.
Bonjour, monsieur Molière.
MOLIÈRE.
Monsieur, votre serviteur, (à part.) La peste soit de l'homme I
LA THORILLIÈRE.
Comment vous en va ?
«
MOLIÈRE.
Fort bien ^ pour vous servir, (aux actrice»,) Mesdemoi- selles, ne...
46a L'IMPROMPTU DE VERSAILLES.
LA THOUILLIÈRE.
Je viens d'un lieu où j^ai bien dit du bien de Vous. . .
MOLIÈRE.
Je vous suis obligé, (à part.) Que lé diable t'emporte! (aux acteurs.) Ayez uu peu de.soin. . .
LA THORILLIÈRE.
Vous jouez une pièce nouvelle aujourd'hui?
MOLIERE.
Oui y monsieur, (amx actrices. ) N'oubliez pas. . .
LA THORILLIERE.
C'est le roi qui vous la fait faire?
MOLIERE.
Oui, monsieur, (aux acteurs.) Dç grâce, songez...
LA Tnt)RILLliRE.
Comment lappelez-vous?
MOLIÈRE.
Oui, monsieur.
LA THORILLIERE.
Je vous demande comment vous là àommez.
MOLIÈRE.
Ah! ma foi, je ne sais, (aux actrices.) Il faut, s'il vous plaît, que vous...
LA THORILLIERE.
Comment serez-vous habillés?
MOLIÈRE.
Comme vous voyez, (aux acteurs.) Je vous prie. . •
LA THORILLIERE.
Quand commcncerez-vous?
SCÈNE IL 463
MOLIÈRE.
Quand le roi sera yenn. (à part.) Au diantre le ques- tionneur J •
LA THORILLIÈRE.
Quand croyez-vous qu'il vienne?
MOLIERE.
La peste m'étouffe, monsieur, si je le sais !
LA THORILLIÈRE.
Savez-vous point. . . ?
MOLIÈRE.
Tenez, monsieur, je suis le plus ignorant homme du monde. Je ne sais rien de tout ce que vous pourrez me de- mander, je vous jure. ( à part. ) J'enrage ! Ce bourreau vient avec un air tranquille vous faire des questions, et ne se soucie pas qu on ait en tête d'autres affaires.
LA THORILLIÈRE.
Mesdemoiselles, votre serviteur.
MOLIÈRE.
Ah! bon! le voilà d'un autre côté.
LA THORILLIÈRE, à mademoiselle du Croisj.
Vous voilà belle comme un petit ange. Jouez-vous
toutes deux aujourd'hui? (en regardant mademoiselle Heryé. ) MADEMOISELLE DU GROJSY.
Oui, monsieur.
LA THORILLIÈRE.
Sans vous la comédie ne vaudroit pas grand chose.
MOLIÈRE, bas , aux actrices.
Vous ne voulez pas faire en aller cet homme-là 7
464 L'IMPROMPTU DE VERSAILLES.
MADEMOISELLE DE BRIS, àLaThorillîèie.
Monsieur, nous avons ici quelque chose â répéter en- semble. *
LA THOaiLLi&RE.
Âhl parbleu! je ne veux pas vous empêcher; yoas n avez qu'à pour^ivre.
MADEMOISELLE DE BRIE.
Mais. . .
LA THORILLIÈRE.
iNon, non; je serois fâché d^incommoder personne. Faites librement ce que vous avez â faire.
MADEMOISELLE DE BRIE.
Oui; mais...
LA THOBILLIÈRE.
Je suis homme sans cérémonie, vous dis-je; et vous pouvez répéter ce qu'il vous plaira.
MOLIÈRE.
Monsieur, ces demoiselles ont peine à vous dire qu'elles souhaiteroient fort que personne ne fût ici pendant cette répétition.
LA THORILLIÈRR.
Pourquoi? il n'y a point de danger pour moi.
MOLIÈRE.
Monsieur, c'est une coutume qu'elles observent, et vous aurez plus de plaisir quand les choses vous sur- prendront.
SCÈNE II. 465
£▲ THORILLIÂRE.
Je m'en vais donc dir« c[ue vous êtes prêts,
MOLIÈRE.
Point du tout 9 monsieur 3 ne; vous hfltez pas, de grâce.
SCÈNE III.
«
MOLIÈRE, BRÉCOURT, LA GRANGE, DD CROISY; MESDEMOISELLES DD PARC, BÉJART, DE BRIE, MOLIÈRE, DU CROISY, HERVÉ.
« MOLIÈRE.
Ah! que le monde est plein d^iropertinents! Or sus commençons. Figurez-vous donc premièrement que la scène est dans Fantichambre du roi ; car c^est un lieu où il se passe tous les jours des choses assez plaisantes. Il est aisé de faire venir là toutes les personnes qu on veut, et on peut trouver des raisons même pour y autoriser la venue
des femmes que j'introduis* La comédie s'ouvre par deux
«
marquis qui se rencontrent.
( k La Grange. )
Souvenez-vous bien , vous , de venir, comme je vous ai dit, là, avec cet air qu on nomme le bel air, peignant votre perruque, et grondant une petite chanson entre vos dents. La, la, la, la, la, la, la^ Rangez-vous donc ^ vous autres; car il faut du terrain à deux marquis, et ils ne sont pas gens à tenir leur personne dans un petit espace.
(à La Grange.)
Allons, parlez.
(Mo Liions, a. 3o
466 L'IMPROMPTU DE VERSAILLES.
LA CHANGE.
« Bonjour, marquis. »
MOLIÈRE.
' Mon Dieu! ce n'est point là le ton dW marquis : il faut le prendre un peu plus haut; et la plupart de ces messieurs affectent une manière de parler particulière pour se dis- tinguer du commun. « Bonjour, marquis. » Recommen- cez donc.
LA GRAN6B.
ce Bonjour, marquis. »
MOLIÈRE.
fc Âh! maitjuis, ton serviteur. »
LA GRANGE.
« Que fais- tu là? »
MOLIÈRE.
a Parbleu! tu vois; j'attends que tous ces messieurs fc aient débouché la porte pour présenter là mon visage. »
LA GRANGE.
ce Tétebleu ! quelle foule I Je n ai garde de m'y aller (c frotter, et j'aime bien mieux entrer des derniers. »
MOLIÈRE. •
ce n y a là vingt gens qui sont fort assurés de n'entrer «e point, et qui no laissent pas 4p se presser et d'occuper te toutes les avenuQS de la porte. »
LA GRANGE.
K Crions nos deux noms à Fhuissier, afin qu'il nous « appelle. »
i
SCEJSE III. 467
« Cela est bon pour toi; mais, pouf moi, je ne yeux « pas être joué par Molière. »
LA ORANGÉ.
« Je pense pourtant, marquis ', qiie c est toi qu'il joue ce dans la Critique. »
MOLIÈRE.
« Moi? Je suis ton valet; c'est toi-môme en propre per- « sonne. »
LA GRAN(Ï£.
« Ah I ma foi , tu es bon de m'appliquer ton prson- « nage. »
MOLIÈRE.
« Parbleu! je te trouve plaisant de me donner ce qui c( t'appartient. ^
LA GRANGE, riant.
(c Âh, ah, ah! Cela est drôle. »
MOLIÈRE, riant.
« Âh, ah, ahl Cela est bouffon. »
LA GRANGE.
« Quoi! tu veux soutenir que ce n est pas toi qu'on c( joue dans le marquis de la Critique? »
MOLIÈRE.
« Il est vrai : c'est moi. Détestable , morbleu ! détes^ « table; tarte à la crème. C'est moi, c'est moi, assuré- ce ment, cest moi. »
LA GRANGE.
te Oui, parbleu! c'est toi^ t)u n'as que faire de railler;
468 L'IMPROMPTU DE VERSAILLES.
« et) si ta Tcuzy nous g^geronSy et veuuus qm a raison K des deux. »
« Et que venx-ta gager encore ? »
LA GmAKGE.
« Je gage cent pistoles que c^esi toL s
MOLiiaE. « Et moi, cent pbtoles qoe c est toL 4
LA GRANGE.
« Cent pistoles comptant »
MOLIÈRE.
fl( Comptant. Qnatre-yingt-dîx pïstotes sur Amyntas, « et dix pistoles comptant »
LA GRANGE.
« Je le yetix. »
MOLIÈRE.
a Cela est fait. »
LA GRANGE.
« Ton argent court grand riscpe. vH
m
MOLIÈRE.
« Letien est bien aventuré. »
LA GRANGE.
c< À qui nous en rapporter? »
MOLIÈRE.
(( Voici un homme qui nous jugera, (à Brécourt.) CUe- « valier. »
BRlfcOURT.
« Quoi? »
SCÈNE III. 469
MOLIÈRE.
Bon I voilà Tautre qui prend le ton de marquis! Vous ai-je pas dit que vous faites un rôle où l'on doit parler nar turellement? •
BRÉCOURT.
II est vrai.
MOLIÂRE.
Allons donc. « Chevalier. »
BRÉCOURT.
I
«Quoi?»
MOLIÈRE.
ce Juge -nous un peu sur une gageure que nous avons ce £dte. »
BRÉCOURT.
« Et quelle? »
MOLIÈRE.
ce Nous disputons qui est le marquis de la Critique do . c< Molière : il gage que c'est moi; et moi je gage que c^est « luL »
BRÉCOURT*
((. Et moi, je juge que ce n'est ni Pun ni l'autre. Vous ce êtes fous tous deux de vouloir vous appliquer ces sortes !cc de choses; et voilà de quoi j'ouïs Fautre jour se plaindre te Molière, paelânt à des personnes qui le chargeoient de ce même chose que vous. Il disoit que rien ne lui donnoif ce du déplaisir comme d'être accusé de regarder quelqu'un iccdans les portraits qu'il fait; que son dessein est de :^ peindre les mœurs sans vouloir toucher aux personnes,
470 L'IMPROMPTU DE VERSAILLES.
c( et qae tous les personnages ^^il représente sont des c( personnages en l'air ^ et des Êintômes proprement, qu'il « habillç à sa fantaisie pour réjouir les spectateurs; qu'il <( seroit bien £^hé d'y avoir jamais marqué qui que ce ce soit; et que, si quelque chose étoit capable de le dé- ce goûter de faire des comédies, c^étoit les ressen^ances ce qu'on y youloit toujours trouver, et dont ses ennemis c< tâchoient malicieusement d'appuyer la pensée pouhr loi « rendre de ^iauyab offices auprès de certaines personnes ce à qui il n^a jamais pensé. En effet, je trouve quil a rai- « son ; car pourquoi vouloir, je vous prie , appliquer tous « ses gestes et toutes ses paroles, et chercher à lui faire des n affaires en disant hautement. Il joue un tel, lorsque ce ce sont des choses <]ui peuvent convenir à cent personnes? ce Comnie l'c^ffiiire de la comédie est de représenter en, gé- cc néral tous les défauts des hommes , et principalement ce d^s hommyes de notre siècle , il est impossible i Molière ce de Élire aucun caractère quinerencontre quelqu'un 4dn^ ce le monde; et, s'il Êiut qu'on l'accuse d'avoir songé â ce toutes les personnes où l'on peut trouver les défauts ce qu'il peint, il Êiut, s^ns doute, qu'il ne i^se plu$ de ce comédies* n
ce Ma foi, chevalier, tu veux justifier Molière, et épar- ce gner notre ami que voilà. »
LA GRAN6B.
c< Point du tout, c'est toi qu'il épargna; et nous trou- ée verons d'autres juges. »
SCÈNE III. 4jf,
MOLIÈRE.
« Soit. Mais dis-moi, cfaeyalier , crois-tu pas que ton « Molière est épuisé inaintenant; et qu'il ne trouyers^ plus. « de matière pour. . . ? »
ce Plus de matière I Hé! mon pauvre marquis, nous lui c< en fournirons toujours assez; et nous ne prenons guère « le chemin de nous rendre sages, pour tout ce qu'il &it ce et tout ce qu'il dit. »
* MOLIERE.
Attend^, n faut {marquer davantage tout cet endroit. Éicoutez-le-moi dire un peu. . . « et qu'il ne trouvera plus « de matière pour... Plus de matière I Hé! mon pauvre « marquis , nous lui en fournirons toujours assez ; et nous <( ne prenons guère le chemin de nous rendre sages, pour « tout ce qu'il feit et tout ce qu'il dit. Croîs-tu qu'il ait <c épuisé dans ses comédies tout le ridicule des hommes ? ce Eh! sans sortir de la cour, n'a-l-il pas encore vingt ca- « ractères de gens où il n a point touché? NVt-il pas, pr ce exemple, ceux qui se font les plus grandes amitiés du u monde, et qui, le dos tourné, font galanterie de se dé- « chirer l'un l'autre? N'a-t-il pas ces adulateurs à outrance, c( ces flatteurs insipides qui n'assaisonnent d'aucun sel les c< louanges qu'ils donnent, et dont toutes les flatteries ont c( une douceur &de qui &it mal au cœur à ceux qui les « écoutent? N'a-t-il pas ces lâches courtisans de la faveur, ce ces perfides adorateurs de la fortune qui vous encensent (t dans la prospérité^ et vous accablent dans la disgrâce?
• \
473 L'IMPROMPTU DE VERSAILLES.
ce NVt-il pas ceux ^i sont toujours mécontents de la a cour, ces suivants inutiles, ces incommodes assidus, ces « gens , dis-je,qui, pour services, ne peuvent compter que ce des importunités, et qui veulent g[uon les récompense ce d'avoir obsédé le prince dix ans durant?N'a-t.a pas ceux ce qui caressent également tout le monde, qui promènent ce leurs civilités à droite et à gauche, et courent à tous ce ceux qu'ils voient avec les mêmes embrassades et les ce mêmes protestatiotos d'amitiés? Monsieur, votre très- ce humble serviteur. Monsieur, je suis tout à votre service. ce Tenez-moi des vôtres, mon cher. Faites élat de moi, ce monsieur , comme du plus chaud de vos amiis. Monsieur, ee je suis ravi de vous embrasser. Ah I monsieur , je ne vous ce voyois pas. Faites-moi la grâce de m'employer; soyez ce persuadé que je suis entièrement â vous. Vous êtes a l'homme du monde que je révère le plus. Il n^ a per- ce sonne que j'honore i l'égal de vous. Je vous conjure de ce le croire. Je vous supplie de n'en point douter. Serviteur, ce Très-humble vajet. Va, va, marquis, Molière aura tou- te jours plus dé sujets qu'il n'en voudra; et tout ce qu'il a ce touché jusqu'ici n'est rien que bagatelle au prix de ce ec qui reste, mi
Voilà à peu près comme cela doit être joué.
BRicOURT.
Cest assez,
MOLlâ|lE«
Poursuivez.
SCÈNE 111. 473
BRÉCOURT*
« Voici Glimène tt Elise. >>
MOtlÂRE. ( à mesdemoiselles dv Parc et MoiUière, )
Là-dessus, TOUS arriverez toutes deux.
( à mademoiselle du Paro. )
Prenez bien garde, vous, à vous déhancher comme il &ut et à faire bien des façons. Cela vous contraindra un peu; mais qu'y &ire7'Il &ut parfois se &ire violence.
MADEMOIS£Li:.E UOLIÂRE.
« Certes, madame, je vous ai reconnue de loin; et j'ai <c bien vu, à votre air^ que ce ne pouvoit être une autr« is que vous. »
MADEMOISELLE DU PARC.
«Vous voyez, je viens attendre ici la sortie dVui « homme avec qui j'ai une affaire à démêler. »
MADEMOISELLE MOLIÈRE.
(c Et moi dé même. »
MOLIÈRE.
Mesdames, voilà des coffires qui vous serviront de &a* teuils.
MADEMOISELLE DU PARC.
ce Allons^ madame^ prenez place, s'il vousplait. »
MADEMOISELLE MOLIÈRE.
« Après vous^ madamjs. »
MOLIÈRE.
Bon. Après ces petites cérémonies muettes, chacun prendra place, et parlera assis, hors les marquis, qui
474 L'IMPROMPTU DE VERSAILLES.
tantôt se lèveront) et tantôt s'asseoiront, suivant leur m- quiétode naturelle. « ParblenI chevalier, tu devrois &ire « prendre médecine à tes canons. »
BRÉCOURT.
« Comment? »
MOLIÈRE.
« Ils se portent fort mal. »
BRÉCOURT.
ce Serviteur i la turlupinade.*»
MADEMOISELLE MOLIÈRE.
(c Mon Dieu ! madame, que je vous trouve le teint d'une îR blancheur éblouissante, et les lèvres d'une couleur de ce feu surprenante I »
MADEMOISELLE DU PARC.
«Âhl que dites-vous là, madame? ne me regardez « point, je suis du dernier laid aujourd'hui. v>
MADEMOISELLE MOLIÈRE.
« Hé! madame, levez un peu votre coi£fe. »
MADEMOISELLE DU' PARC.
« Fi! je suis épouvantable, vous dis-je, et je me fais « peur à moi-même. »
MADEMOISELLE MOLIÈRE.
c( Vous êtes si belle ! »
MADEMOISELLE DU PARC.
■
« Point, point. »
MADEMOXSELtLE MOLIÈRE.
« Montrez vous. »
SCÈNE III. 475
MADEMOISELLE DU PAUG.
« Ahl fi donc, je vous priel »
MADEMOISELLE MOLIÈRE,
(( De grâce. »
MADEMOISELLE DU PARC.
€( Mon Dieu! Hon. »
MADEMOISELIS MOLlÊRE.
a Si fait. »
MADEMOISELLE DU PARC.
« Vous me désespérez. »
MADEMOISELLE MOLIÈRE.
« Un moment. » '
MADEMOISELLE DU PARC.
ce Hai. »
MADEMOISELLE MOLIÈRE. •
c< Résolument , vous vous montrerez. On ne peut point <c se passer de vous voir, w
MADEMOISELLE DU PARC.
«Mon Dieul que vous êtes une étrange personne! « Vous voulez fiurieuspment ce que vous voulez. »
MADEMOISELLE MOLIÈRE.
(c Ah! madame, vous n-avez aucun désavantage à pa- « roître au grand jour, je vous jure. Les méchantes gensj^ c< qui assuroient que vous mettiez; qudiquê chose ! Vrai- ce ment! je les démentirai bien maintenant* »
MADEMOISELLE DU PARC
ccH^IasI je ne sais pas seulement ce qu'on appelle « mettre quelque chose. Mais où vont ces dames? » >
476 L'IMPROMPTU DE VERSAILLES.
SCADEBIOISBLLE DE BRIE.
« Vous voulez bien, mesdames, que nous tous don* « nions en passant la plus agréable nouvelle du monde, ft Voilà monsieur Lysidas <jui vient de nous avertir qu'on (c a Ëdt une pièce contre Molière, que les grands corné-* ce diens vont jouer. »
MOLli&l^
« Il est vrai ; on me Fa voulu lire. C'est un nommé Br. . . €< Brou... Brossant gtii Ta &ite. »
DU CROISY.
« Monsieur, elle est affichée sous le nom de Boursaut; (c mais, à vous dire le secret, bien des gens ont mis la ce main à cet ouvrage, et l'on en doit concevoir une assez ce haute attente. Gonune tous les auteurs et tous les comè- te diens regardent Molièrp comme leur plus grand ennemi , « nous nous sommes tous unis pour le desservir. Chacun c< de nous a donné un coup de pinceau à son portrait; <c. mais nous nous sommes bien gardés d'y mettre nos ^ noms : il Iv^ auroit été trop glorieux de succomber, aux tK yeux du monde, sous les efforts de tout le Parnasse; et, XK pour rendre sa dé&ite plus ignominieuse, nous avons t( voulu choisir tout exprès un auteur sans réputation. »
I^ADEMOISELLE DU PARC.
ce Pour moi, je vous avoue que j'en ai toutes les joies ce imaginables. s>
UQLliRE.
« Et moi aussi. Parla sambleu Ile railleur sera raillé^ a il aura sur les doigts, ma foi. »
SCÈNE m. 477
MADEMOISELLE DU PARG4
ce Cela lui apprendra à vouloir satiriser tout. Corn- « menti cet impertinent ne veut pas que les femmes aient « de Fesprit! Il condamne toutes nos expressions élevées, ce et prétend que nous parlions toujours terre à terre I »
MADEMOISELLE DE BRIE.
a Le langage n'est rien : mais il censure tous nos atta- K chements, quelque innocents qu'ils puissent être ; et, de « la façon qu'il en parle, c'est être criminelle que d'avoir « du mérite. »
MADEMOISELLE DU CROIST.
ce Cela est insupportable. Il n^ a pas une femme qui « puisse plus rien ^ke. Que ne laisse»t-il en repos nos ce maris, sans leur ouvrir les yeux, et leur faire prendre ce garde à des choses dont ils ne s'avisent pas? »
MADEMOISELLE BÉJART.
« Passe pour tout cela ; mais il satirise même les femme? c< de bien , et ce méchant plaisant leur donne le titre d'hon* ce nâtes diablesses. »
, MADEMOISELLE MOLIERE.
« C'est un impertinent. Il faut qu'il en ait tout le c< soûl. »
DU GROISY.
ce La représentation de cette comédie, madame, aura « besoin d'être appuyée ; et les comédiiens d^'hôtel. . • »
MADEMOISELLE DU PARC.
ce Mon Dieu! qu'ils n'appréhendent rien; je leur ga- fc rantis le succès de leur pièce, corps pour corps. »
47» L'IMPROMPTU DE VERSAILLES.
MADEMOISELLE MOLIÈRE.
« Vous avez raison, madame. Trop de gens sont in- « téressés à la trouyer belle. Je tous laisse à penser si tons cct;enx qui se croient satirisés par Molière ne prendront « point loccasion de se venger de lui en applaudissant à « cette comédie. »
BRECOURT 9 iromtpiement.
« Sans doute; et pour moi je réponds de douze mar- H quis , de six précieuses , de vingt coquettes , et de trente « cocus, qui ne manqueront pas dy battre des mains. »
MADEMOISELLE MOLIÈRE.
ce En effet , pourquoi aller offenser toutes ces per- ce sonnes-là, et particulièrement les cocus, qui sont les « meilleures genSs du monde? »
MOLIÈRE.
« Par la sambleu ! on m'a dit qu'on va le dauber , lui ce et toutes ses comédies, de la belle manière, et que les ce comédiens et les auteurs, depuis le cèdre jusqu'à lliy- « sope, sont diablement animés contre lui. »
MADEMOISELLE IfOLIÈRE. .
« Cela lui sied fort bien. Pourquoi fait-il de méchantes « pièces que tout Paris va voir, et où il peint si bien les « gens, que chacun s'y connoît? Que ne fait -il des co- cc médies comme celles de monsieur Lysidas ? Il n auroit c( personne contre lui, et tous les auteurs en diroient dû c( bien. Il est vrai que de ^emblaUes comédies n'ont pas ce ce grand concours de monde : mais, en revanche, elles « sont toujours bien écrites; personne n'écrit contre elles,
SCÈNE III. 479
«r et tous ceox qui les voient meurent dVnvie de les trou- n ver belles. »
DU CROIST.
« Il est vrai que j ai l'avantage de ne me point &ire c< d'ennemis, et que tous mes ouvrages ont lapprobation ce des savants. »
MADEMOISELLE MOLIÈHE.
c( Vous Élites bien d^être content de vous : cela vaut «c inieux que tous les applaudissements du public, et que « tout l'argent qu'on sauroit gagner aux pièces de Molière. « Quevous importe qu'il vienne du monde à vos comédies, ce pourvu qu'elles soient approuvées par messieurs vos ce confrères? »
LA GRANGE.
c( Mais quand jouera*t-on le Portrait du Peintre?
DU GROISY.
c( Je ne sais; mais je me prépare fort à paroître des ce premiers sur les rangs , ppur crier, Voilà qui est beau I »
MOLIÈRE.
ce Et moi de même, parbleu I »
LA GRANGE.
(c Et moi aussi , Dieu me sauve ! »
MADEMOISELLE DU PARC.
c< Pour moi, j'y paierai de ma personne comme il faut; « et je réponds d'une bravoure d'approbation qui mettra ce en déroute tous les jugements ennemis. C'est bien la ce moindre chose que nous devions faire , que d'épauler de ce nos louanges le vengeur de nos intérêts. »
48o L'IMPROMPTU DE VERSAILLES.
MADEMOISELLE MOLIERE.
« C'est fort bien dit. »
MADEMOISELLE D'E BRIE.
« Et ce qa^il nous &ut taire toutes. »
MADEMOISELLE b£jART.
<c Assurément. »
MADEMOISELLE DU GROIST.
« Sans doute* »
MADEMOISELLE HBRVIS.
« Point de quartier à ce contre&iseur de gens. »
MOLIÈRE.
« Ma foi, chevalier moii ami, il&udra que ton Molière K se cache. »
BRÉCOURT.
ft Qui? lui? Je te promets, marquis, qu'il fait dessein <^ d'aller sur le théâtre rire, avec tous les autres, du por- « trait qu'on a Ëiit de lui. »
MOLIÈRE.
« Parbleu ! ce sera donc du bout des dents qu'il y rira. »
BRÉCOURT.
« Va, va, peut-être qu'il y trouvera plus de sujets de « rire que tu ne penses. On m'a montré la pièce -, et comme c< tout ce qu'il y a d agréable sont effectivement les idées « qui ont été prises de Molière, la joie que cela pourra flc donner n^aura pas lieu de lui déplaire , sans doute ; car, «ipour l'endroit où Ton s'efforce de le noircir, je- suis le « plus trompé du monde , si cela est approuvé de per- < sonne. Et quant à tous les gens qulls ont tâché d'animer
'
SCÈNE III. 48i
« contre lui, sur ce qu'il &it, idit-on, des portraits trop ce ressemblaiits, outre que cela est de fort mauvaise grâce ^ ce je ne vois rien de plus ridicule et de plus mal pris; et je ce n'avois pas cru jusqu'ici que ce fût un sujet de blâme ce pour un comédien , que de peindre trop bien les ce hommes. »
LA ÛRANGË.
c( Les comédiens m'ont dit qu*ils lattendûient sur la ce réponse , et que. . . »
BREGOUiRt.
ce Sur la réponse? Ma foi, je le ti'otiverois un grand fou ce s'il se mettoit en peine de répondre à leurs invectives, ce Tout le monde âait assez de quel motif elles peuvent ce partir ; et la meilleure réponse qu'il leur puisse faire ^ ce c est une comédie qui réussisse comme toutes ses autres : « voilà le vrai moyen de se venger d^eux comme il faut, ce Et de l'humeur dont je les connois, je suis fort assuré ce qu'une pièce nouvelle qui leur enlèvera le monde les ce fâchera bien plus que toutes les satires qu'on pourroit cr faire def leurs personnes. »
MOtlÉKE.
Il Mais , chevalier. . . ? «
, MADEMOISELLE BEJART.
Souffrez que j'interrompe pour un peu la répétition. ( à Molière.) Voulez-vous que je vous die? Si j'avois été en votre place, j'aufois poussé les choses autrement. Tout le monde attend de vous une réponse vigoureuse; et, après la manière dont on m'a dit que vous étiez traité dans cette
MoLiànt. a. 3i , •
48a L'IMPROMPTU DE VERSAILLES.
comédie, vous étiez en droit de tout dire contre les corné* diens, et vous deviez u en épargner aucun.
MOLIÈRE.
. Jenrage de vous ouïr parler de la sorte. Et voil4 votre manie à vous autres femmes : vous voudriez qne je prisse feu d'abord contre eux, et qu'à leur exemple j'allasse éclater promptement en invectives et en injures. Le bel honneur que j'en pourrois tirer! et le grand dépit (jue je leur ferois! Ne se sont-ils pas préparés de bonne volonté à ces sortes de choses 7 et , lorsqu'ils ont délibéré s'ils joueroient le Portrait du Peintre, sur la crainte d^une ri- poste, quelques-uns d'entre eux n ont-ils pas répondu, Qu'il nous rende toutes le^ injures qu^il voudra, pourvu que nous gagnions de l'argent? N'est-ce pas là la marque d'une âme fortseQsibje à la honte? et ne me vengerois-je pas bien d'eux en leur donnant ce qu'ils veulent bien re- cevoir?
MADEMOISELLE DE BBilE.
Ils se sont fort plaints toutefois de trois ou quatre mots que vous avez dits d'eux dans la Critique et dans vos Précieuses.
MOLIERE.
• i
n est vrai , ces trois ou quatre mots sont fort offensants, et ils ont grande raison de les citer ! Allez , allez , ce n'est pas cela. Le plus grapd mal que je leur aie fait, c'est que j'ai eu le bonheur de plaire un peu plus qu'ils n'auroient voulu; et tout leur procédé^ depuis que nous sommes venus à Paris, a trop marqué ce qui les touche. Mais
SCÈNE III. 483
A
laissons-les faire tant qu^fls voudront; toutes leurs entre- prises ne doivent point m'inquiéter. Ils critiquent mes pièces , tant mieux ; et Dieu me garde d'en faire jamais qui leur. plaisent! ce seroit une mauvaise affaire pour moi. -
MADEMOISELLE DE BRIE.
Il ny a pas grand plaisir pourtant à voir déchirer ses oavrages.
MOLIÈRE.
Et qu'est-ce. que cela me feit? N ai*je pas obtenu de ma comé&e tout ce que jWvoulois obtenir, puisqu'elle a eu le bonheur d'agréer aux augustes personnes à qui par- ticuli^emént je moi&e de plaire?- N'ai- je pas lieu d'être satisfait de sa destinée? et toutes leurs censures ne vien- nent-'clles pas trop tard? Est-ce moi , je vous prie, que cela rè^rde maintenant? et lorsqu'on attaque une pièce qui à eu du succès , n est-ce pas attaquer plutôt le juge- ment de ceux qui Tout approuvée que l'art de celui qui l'a Élite?
MADEMOISELLE PE BRIE.
Ma foi, j'aurois joué ce petit monsieur l'auteur qui se môle! d'écrire contre des gens qui ne songent pas à lui.
MOLIÈRE. •■
Vous ête3 folle. Le beau sujet à divertir la cour que monsieur BoursautI Je voudxois bien savoir de quelle façoifon pourroit l'ajuster pour le rendre plaisantî, et si, quand on le berneroit sui le théâtre,il seroit assez heureux pour faire rire le monde. Ce lui seroit trop d'honneur <jue d'être joué devant une auguste assemblée^ il ne deman-
484 L'IMPROMPTU DE VERSAILLES.
deroit pas mieux ; et îl m'attaque de gaieté de coeur pour se faire connoître de quelque façon que ce soit. C'est un homme qui n'a rien à perdre ; et les comédiens ne me ront déchaîné que pour m'engager à une sotte guerre, et me détourner, par cet artifice, des autres ouvrages que j'ai a faire : et cependant vous êtes assez simples pour donner toutes dans ce panneau ! Mais enfin j'en ferai ma déclara- tion publiquement : je ne prétends faire aucune réponse à toutes leurs critiques et leurs contre-critiques. Qu'ils disent tous les maux du monde de mes pièces, j'en suis d'accord. Qu'ils s'en saisissent après, nous ; qu'ils les re- tournent comme un habit pour les mettre sur leur théâtre, et tâchent à profiter de quelque agrément qu'on y trouve et d'un peu de bonheur que j'ai, j^y consens, ils en ont besoin; et je serai bien aise de contribuer à les faire sub- sister, pourvu qu'ils sfe contentent de ce que je puis leur accorder avec bienséance. La courtoisie doit avoir des bornes ; et il y a des choses qui ne font rire ni les specta- teurs ni celui dont oii parle. J<f leur abandonne de bon cœur mes ouvrages, ma figure, mes gestes, mes paroles, mon ton de voix et ma façon de réciter, pour en faire et dire tout ce qu'il leur plaira , s'ils en peuvent tirer quel- que avantage. Je ne m'oppose point à toutes ces choses, et je serai ravi que cela puisse réjouir le monde; mais ea leur abandonnant tout cela, ils me doivent faire la grâce de me laisser le reste , et de ne point toucher à des ma- licïes de la nature de celles sur lesquelles on m*a dit qu'ils to'attaquoient dans leurs comédies. C'est de quoi je prierai
SCÈNE m, 485,
civilement cet honnête monsieur qui se mêle d écrire pour eux; et voilà toute la réponse qu'ils auront de moi.
MADEMOISBLLE BJÉJART.
Mais enfin. . .
MOLIÈRE.
Mais enfin vous me feriez devenir fou. Ne parlons point de cela davantage ; nous nous amusons à faire des discours au lieu de répéter notre comédie. Où en étions-nous? je ne m'en souviens plus.
MAnEMOISELLE DE BRIE.
Vous en étiez à lendroit. . .
MOLIÈRE.
Mon Dieu! j'entends du bruit : c'est le roi qui arrive, assurément; et je vois bien que nous n'aurons pas le temps de passer outre. Voilà ce que c'est de s'amuser. Oh bien I faites donc, pour le reste, du mieux qu'il vous sera possible.
MADEMOISELLE BEJART.
Par ma foi! la frayeur me prend; et je ne saurois aller jouer mon rôle, si je ne le répète tout entier.
MOLIERE.
Gomment! vous ne sauriez aller jouer votre lôle?
MADEMOISELLE BEJART.
Tïon. t
MADEMOISELLE DU PARC.
Ni moi le mien.
MADEMOISELLE DE BRIE.
Ni moi non plus.
486 LIMPROMPTD PE VERSAILLES,
MADEMOISELLE MOLIÈRE.
Ni moi.
MADEMOISELLE HERVÉ.
Ni mqi.
MADEMOISELLE DU CROIST.
Ni moi.
MOLI&BE.
Que pensez-vous donc faire? Vous moquez-vous tontes de moi?
SCÈNE IV.
BÉJART , MOLIÈRE , LAGRANGE , DU CROISY ; MESDEMOISELLES DU PARC, BÉ JART , DE BRIE, MOLIÈRE, DU CROISY, HERVÉ.
BÉJTART.
Messieurs, |e viens vous avertir que le roi est venu, et qu'il attend que vous commenciez.
MOLIÈRE.
Ah! monsieur, vous me voyez dans la plus grande peine du inonde; je suis désespéré à Theure que je vous parle. Voici des femmes qui s effiraient et qui disent qu'il leur faut répéter leurs rôles avant que d'aller commencer. Nous demandons, de grâce, encore un moment. Le roi a de la bonté, et il sait bien que la chose a été précipitée.
SCÈNE V. 487
SCÈNE V.
MOLIERE, ET LES MÊBfES ACTEURS, A l'eXCEPTIOK
DE BEJART.
MOLIÈRE.
HéI de grâce, tâchez de vous remettre; prenez cou* rage, je vous prie.
MADEMOISELLE DU PABLC.
Vous devez vous aller excuser.
MOLIÈRE.
Comment m'excuser?
SCÈNE VL
MOLIÈRE, ET LES MÊMES ACTEURS; UN NECESSAJRE.
LE NECESSAIRE.
Messieurs, commencez donc.
MOLIÈRE,
Tout à l'heure, monsieur. Je crois que je perdrai l'es- prit de cette affaire-ci , e|. . .
s<:ène VII.
MOLIÈRE, ET LES MÊMES ACTEURS; UN SECOND
NÉCESSAIRE.
LE SECOND NÉCESSAIRE.
Messieurs, commencez donc.
MOLIÈRE.
Dans un moment, monsieur. (& tes camarades.) Hé quoi- donc! voulez-vous que j'aie l'affront. . .7
488 L'IMPROMPTU DE VERSAILLES.
SCÈNE Vin,
MOLIÈRE, ET LES HÊHES ACTEURS; UN TROISIEME
NÉCESSAIRE.
LE TROISIÈME NÉCESSAIRE.
Messieurs, commencez donc.
MOLIÈRE.
Oui, monsieur, nous y allons. Hé! que dfi gens se font fête, * et viennent dire. Commencez donc, à qui le roi ne Ta pas commandé !
SCÈNE IX.
MOLIÈRE, ET LES MÊMES ACTEURS; UN QUATRIÈME
NÉCESSAIRE.
LE QUATRIÈME NÉCESSAIRE.
Messieurs, commencez donc.
MOLIÈRE.
Voilà qui est fait, monsieur, (à ses camarades.) Quoi donc! recevrai- je la confusion. . .?
SCÈNE X. •
BÉJART, MOLIÈRE, et les mêmes acteurs.
MOLIÈRE.
Monsieur^ VOUS venez pour nous dire de commencer, mais. . .
■ ■ -M ■ ■ IJ _ll .1 I I ^1 ■ I t
' Il &lloit se font^de f^te. Cette esptemon. veut dire : s'entremettre de quelqae affiiire, et Touloir s'y rendre nécessaire sans j avoir été appelé. ,
SCÈNE X 48g
BlfjART.
Non , messieurs ; je viens pour vous dire qu'on a dit au roi l'embarras où vous vous trouviez , et que , par une bonté toute particulière, il remet votre nouvelle comédie à une autre fois, et se contente, pour aujourd'hui, de la première que vous pourrez donner.
MOLIÈRE.
Ahl monsieur, vous me redonnez la vie. Le roi nous fait la plus grande grâce du monde de nous donner du temps pour ce qu'il a souhaité; et nous allons tous le rtè* mercier des extrêmes bontés qu^il nous fait paroître.
FIN DE l'impromptu DE VERSAILLES.
RÉFLEXIONS
SUR
LIMPROMPTU DE VERSAILLES.
On a VU, dans la YÎe de Molière^ que Boursattlt, ayant cru se reconnoître dans le personnage du poète Lysîdas, composa LE PoBlTEAit dtj Peintre , pièce où H chercha à toomer en ri- dicule quelques vers de l'École des Femmes. Cette comédie, écrite avec assez d'élégance , mais dont l'ironie est foible et la plaisanterie sans sel , affligea beaucoup Molière , parce qu'elle servit en quelque sorte de point de ralliement à tous ses enne- mis, qui étoient nombreux. Ses protecteurs et ses partisans, parmi lesquels on pouvoil compter les hommes les plus distin- gues de la cour, en parlèrent au roi, qui permit verbalement que Fauteur répondît à ses adversaires dans une comédie qui seroit jouée à la cour.
Molière, enhardi par cette marque inouïe de bienveillance, céda au désir de se venger, et nomma Boursault avec le plus grand mépris , quoique la pièce de ce dernier n'oârît aucune personnalité. L'Impromptu de Versailles fut très-goûté : c'étoit une affaire de parti. Toute la jeunesse de la cour, ex- cepté quelques marquis, voyoit avec plaisir qu'on attaquât les prudes , les précieuses et l'hôtel de Rambouillet , qu'elle re- gardoit comme la vieille cour. Cependant l'auteur, plus juste que ses partisans, retira sa pièce après le cours des premières
RÉFLEX. SUR LIMPR. DE VERSAILLES, 4gi
représentations : il reconnut qu'il avoit eu tort de renouveler la licence du théâtre d'Athènes, dont on pouvoit se servir contre lui , ce qui ne manqua pas d'arriver. * L'Impromptu de Ver- sailles ne parut donc plus, et ne fut iuLprimë qu'après ^a; mort.
Cette pièce offire^ comme la Critique de l'j&cole des Femmes, l'indication de plusieurs caractères que l'auteur se proposoitde peindre. On peut considérer ces esquisses légères comme un trésor précieux ; rien ne plait tant aux amateurs et ne sert mieux à les instruire que les premières ébauches d'un homme de génie. On trouve aussi daiM| cette pièce des. détails qui ne sont pas moins curieux. Molière s^ présente au milieu de sa troupe, gourmandant les uns, encourageant les autres, la tête> remplie de soins minutieux , et cependant rêvant tou- jours à de grandes conceptions. Quand cette pièce n'offriroit que ce tableau singulier, elle seroit digne de toute l'attention des connoisseurs.
Parmi les caractères indiqués, il en est quelques-uns qu'il a traités par la suite , d'autres qu'il a laissés à ses successeurs. Le rôle de l'homme de cour, à peu près pareil à celui de la Critique de l'École des Femmes, fut développé dans les Femmes savantes. La femme qui se croit tout permis, parce qu'elle est fidèle à son époux, servit de modèle à Cléanthîs i' Amphitryon ; et la prude qui, se bornant à sauver les appa- rences, fait passer des galants pour des amis, trouva sa place dans LE Misanthrope.
Les autres caractères indiqués doivent être étudiés avec
l Voyez , dans la Vie de Molière, ce qui est dit de VJmpromptu de VKôtel de Condé^ que Montflenrj composa pour répondre à VImprofnptu de Vei'saillei,
4^2 RÉFLEXIONS
soin par ceux qui Teulent faire des comédies. Quelques-nus ont ëté traités : le Flatteuk n'a pas réussi à J. B. Rousseau : Destouches n'a pas tiré meilleur parti de l'Amutieux ; mais il a eu plus de succès lorsque, dans le Dissipàicur^ il a peint ces perfides adorateurs de ta fbrtume qui vous encensent dans la prospérité, et vous accablent dans la disqrâea. Il reste plusieurs caractères qui attendent qu'un auteur comique les mette en œuyre. Pourquoi, jusqu'à présent, n'en a-t-on pas profité?. Cest peut-être parce qu'il faudioit le génie de Molière pour les placer avantageusement sur la scène. Depuis cette époque, on a souvent peint des poètes ridicules : mais on n'a jamais gardé la juste mesure ; et leurs rôles n'ont pu passer que poui* des charges. En effet, quel poète ressemble à M. Desmazures? ^ Peut-on espérer que ceux qui ont des travers très-opposés à ceux de ces personnages se corrigent eu les voyant ? L'indica- tion donnée par Molière est de tous les temps : fout auteur à prétention aura les défauts de son poète : U faut, dit-il„ manfuer cet air pédant qui se conserve parmi le commerce du beau monde, ce ton de voix sentencieux, et cette exactitude de prononcia^ tion qui appuie sur toutes les syllabes, et ne laisse échapper aucum^ lettre de la plus sévère orthographe.
On remarque dans cette pièce la prétention qu'avoit Mo- lière à bien jouer la tragédie. Il contrefait les principaux ac*- teurs du théâtre de l'hôtel de Bourgogne , et se moque de leur jeu maniéré. On ne peut savoir aujourd'hui jusqu'à quel point sa critique étoit juste : ce dont on est sûr, c'est que sa troupe étoit hors d'état de lutter avec sa rivale dans le genre sérieux. Il ne tarda pas à sentir les conséquences de la satire personnelle qu'il s'étoit permise : comme il prêtoit le flanc par
"■'"'■"■- ' ■ «■-■ I ' .11.- - ■ I n
* Fausse Agnès.
SUR L'IMPROMPTU DE VERSAILLES. 493
une prëtention mal fondée , on ne manqua pas de se moquer de la manière dont il jouoit Nicomède, rôle dans lequel il se flattoit d'exceller. ' Au reste, la vëritable cause de la haine qui exiàtoit entre les deux troupes venoit de leur rivalité. Dès le moment où Molière s'établit à Paris , Thôtel de Bourgogne en conçut de l'ombrage ; et les succès toujours croissants du nouveau théâtre ne servirent pas à dissiper cette crainte, ils critiquent mes pièces, dit Molière avec beaucoup de finesse; et Dieu me garde d'en faire jamais qui leur plaisent ': ce serait une mauvaise affaire pour moi.
On trouve dans cette comédie un passage assez singulier; c'est un petit dialogue eotre Molière et sa femme. Il étoit marié depuis un an et demi ; et sans doute il n'avoit plus pour cette jeune personne les empressements et les soins d'un amant. Mais devoit-il se représenter la traitant assez m^ , et ifaire entrevoir dans sa réponse qu'elle pourroit se venger? Je n'ose affirmer que ce passage ne soit pas de Molière , quoiqu'il me semble contraire à son caractère jaloux et réservé. Mais ne pourroit-on pas former une conjecture vraisemblable? La pièce ne fut imprimée qu'après sa mort : on étoit alors indigné, de la conduite que sa femme avoit tenue avec lui ; on exagé- roit ses torts ; on faisoit courir des libelles contre elle ; son second mariage alloit augmenter cette rumeur. II seroit permis de soupçonner que cette femme, voulant se justifier, fit insérer
s
ce passage dans l'Impromptu de YsasAiLLES , afin de montrer que son premier mari la traitoit diu-ement, et la mettoit dans le cas de lui faire craindre la difféPence qu'il y avoit de ses ma- nières aux civilités des qalants. Cette conjecture, à laquelle ce-
' Voyez Vie de Molière.
494 RÉnJK.SimLlMPR. m; VERSAILLES.
pendant on n'attache aucnne importance ^ servîroit à expliquer la raison d'une disconvenance qu'on a peine à imputer à uni homme tel que Molière, et s'accorderoit avec le caractère de sa femme, qni, comme on le sait, ne manquoit ni de fiœsse ni d'esprit.
FIN DU SECOND VOLUME.
TABLE
DES EIÈCES CONTENUES DANS CE VOLUME.
Don Garcie de Nàyârhe, ou le Prince ïaloux. . , *>age ^
Héflexions sur don Garcie de Navarre . 91
L''ÉcoLE DES Maris. ...'*• • , gS
Réflexions sur TÉcole des Maris ^ 169
Les Fâcheux i85
Réflexions snr les Fâcheux. • 246
ti'ÉcoLE DES Femmes. . .' \ \ . ,^ , 255
w
Réflexions sur VËcole âes Feinm^ « 3£k^
L*A Gritiqqe oe l'Écolb DEt Femmes.. . ^. ^79
Réflexions sur la Critique de l'École des Femmes 4^4
*
L'Impromptu de V^rsailies. « y. .... '. 44 <
Réflexions sur Tlmpromptu de Versailles « . . 490'
Fin de la Table.
* >
^»
à ^ M.
m I» ^ ...
• • • . , . *
y •••• t..,.,.
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