Library of the University of Toronto Digitized by the Internet Archive in 2010 with funding from University of Ottawa http://www.archive.org/details/oeuvresdepasteur00past SUR ÉTUDES : LE ML 4 4 LE Va VIN DA VICTOR MASSON ET FILS, PLACE DE L'ÉCOLE DE MÉDECINE. L’Auteur déclare réserver ses droits de traduction et de reproduction en pays étrangers. Ce volume a été déposé au Ministère de l'Intérieur (division de l'imprimerie et de la librairie) en septembre 1866. A r ETUDES . 0ù GES | à | BOUR LE VIN SES MALADIES CAUSES QUI LES PROVOQUENT PROCÉDÉS NOUVEAUX POUR LE CONSERVER ET POUR LE VIEILLIR PAR M. L. PASTEUR MEMBRE DE L'INSTITUT ÉTUDES COURONNEES PAR LE COMITE CENTRAL AGRICOLE DE SOLOGNIH PARIS IMPRIMÉ PAR AUTORISATION DE SON EXC. LE GARDE DES SCEAUX À L'IMPRIMERIE IMPÉRIALE M DGCGG LXVI d'a 11 L | V4 L 1 LUN CS Î 4 NEA | NN HUE T. 4 | u | : Lu Mr 11 1 FR TNMIRIN TE L'EMLE 4 : pi d'u. 1 ro , : ben L Re u à ris \& k L { SE L re A + LE » v | M D 1 Fest i ÉRCCRS = À 2 ln LR. > ® PT AVERTISSEMENT. Au mois de juillet 1863, l'Empereur voulut bien m'encou rager à porter mes recherches vers la connaissance des mala dies des vins. Déjà guidé par des observations de détail, que mes études relatives aux fermentations m'avaient suggérées, J'entre- voyais la possibilité d’un travail profitable sur ce sujet. auquel je me consacrai dès lors avec la pensée de son intérêt pour une des plus grandes productions agricoles de la France ‘et le désir de répondre à la bienveillance d’un auguste patronage. Aujourd'hui que je me décide à publier mes observations, afin de hâter les essais d'applications industrielles qui en découlent, je sens trop combien elles sont insullisantes; mais J'ai l'espoir qu'elles pourront servir de base à des études plus approfondies. Le 3 décembre 1865, j'eus l'honneur d'être reçu par l'Empe- reur au palais de Compiègne et d'exposer à Sa Majesté les résul- tats de mes recherches, en Lui remettant la lettre suivante, dont Elle à daigné autoriser la publication : SIRE, Volre Majesté, préocenupée avec raison du préjudice que portent au commerce des vms de France les alte- rations auxquelles ils sont sujets, a daigné nrinviter, il vil AVERTISSEMENT. y à deux ans, à rechercher les causes des maladies des vins et les moyens de les prévenir. Depuis le jour où j'ai été honoré de cette importante MISSION, Je n'ai cessé de my appliquer tout entier. Les résultats auxquels je suis parvenu sont exposés, dans ouvrage ci-jomt, qui à pour titre : Études sur le vin. — Ses maladies; causes qui les provoquent. — Procédés nouveaux pour le conserver et pour le vieillir. Si le temps, juge nécessaire et infaillible de toutes 5 les productions de la science, consacre, comme Je l'es- père, lexactitude de mon travail, J'aurai acquis, Sire, la satisfaction la plus enviable pour un savant, celle d'avoir servi utilement mon pays, en répondant à un désir de l'Empereur. Je suis avec le plus profond respect, Sire , de Votre Majesté, le très-humble et très-fidèle serviteur et sujet. L. PASTEUR, Membre de l Académie des sciences. ÉTUDES SÛR LE VIN. PREMIÈRE PARTIE. INTRODUCTION. La superficie du sol de la France plantée en vigne s'élève à plus de deux millions d'hectares, et elle s'accroît chaque an- née dans une proportion sensible. Ces deux millions d'hectares représentent annuellement environ cinquante millions d'hec- tolitres de vin, dont la valeur moyenne dépasse 500 millions de francs. « La récolte du vin, dit Chaptal, est, après celle des céréales, la plus importante de toutes celles de la France; » et si l'on considère que, dans plusieurs de nos contrées, le sol et le climat sont si bien appropriés à la culture de la vigne, que le seul département de l'Hérault produit plus de sept mil- lions d'hectolitres de vin, trois fois plus que le royaume de Por- tugal!, et que, grâce aux traités de commerce chaque jour plus nombreux entre la France et toutes les nations civilisées, les vins de France se transportent sur les principaux marchés du globe, on comprendra facilement que le vin peut devenir pour ! Renseignement fourni par M. Pagézy, député de l'Hérault (1864). 2 ETUDES SUR LE VIN. 4 notre pays un objet de commerce d'une si orande valeur, qu'on aurait peine aujourd'hui à s'en faire une Juste idée!. Malheureusement les vins de France supportent difficile- ment les voyages prolongés. [ls sont sujets à de nombreuses maladies : l'acétification, la pousse, la graisse, l'amier, ete. 27e arrivés à leur destination, ils se détériorent, et d'autant plus rapidement qu'ils sont livrés à des mains plus ou moins inha- biles, dans des celliers mal disposés, privés de ces mille soins qui font de l'élevage des vins un art où peu de personnes excel- lent, même en France. 1 Récolte des vins en 1864 : INiTSE ee vos 474,54o* | Garonne (H“-). 532,461 | Orne ........ 1 Aisne..." "1 -- 174089 | (ÉSbonsodine 1,304,070 | Pas-de-Calais. . 1 Er Le ec 299,695 | Gironde...... 2,794,663 | Puy-de-Dôme... 641,274" Alpes (Basses-).. 57,498 Hérault....... 7121,4P3 Pyrénées (B"“*). 65,791 Alpes (Hautes-). 103,019 | Ille-et-Vilaine. . 1,970 | Pyrénées (H“*) 103,827 Alpes-Maritimes. 59,484 | Indre........ 232,748 | Pyrén.-Orient.. 439,874 Ardèche. ...... 202,243 | Indre-et-Loire.. 839,809 | Rhin (Bas-)... 469,800 Ardennes. ..... 890 RISErE CE C- CE 412,217 | Rhin (Haut-).. 494,297 ATIÉDER See ee 55529 | Niura- -*--e H52,5h7|MRROnEE EPPER 859,729 Aubert 2-0 te 290,256 | Landes. .... 190,949 | Saône (Haute). 320,209 AUDE re 1,b08,596 Loir-et-Cher .. 801,240 Saône-et-Loire. 1,297,128 Aveyron. ...... 332,876 | Loire........ 356477 (Sarthe 2 130,391 Bouch.-du-Rhône 419,300 Loire (Haute-). 69,323 SAVOIE EE 310,326 Calvados... .... 3 | Loire-Inf”....2,454,156 | Savoie(Haute-). 247,436 Gantalé "22... 4,091 Loiret: 1%: 875,018 Semen. 71,421 Charente ...... 2700,8020|Nl0t-- crc er 467,500 | Seime-Inf”.... 7 Charente-Inf.. 5,413,170 | Lot-et-Garonne. 965,219 Seine-et-Marne. 315,410 Cher. ent: 196,952 Hozere tee 7,154 Seine-et-Oise.. 4og,472 Corrèze..." . 223,225 Maine-et-Loire. 715,42 9 Sèvres (Deux-). 491,950 Corse... 20 1 Manche ...... 1 Somme....... 11 Côte-d'Or... ... 776,341 | Marne... ..... 389,083 | Tarn......... 436,145 Côtes-du-Nord.. 11 Marne (Haute). 404,111 Tarn-et-Garon* 320,918 Creuse rene 11 Mayenne...... 2,902 Var eee 856,852 Dordogne. ..... 792,803 | Meurthe...... 705,714 Vaucluse.:.... 466,456 Doubs... 149,424 |. Meuse... ... 367,500 Vendée" 729,858 Drome... 279,009 Morbihan. .... 24,073 Vienne: "22" 615,320 Hure ere ne 11,877 Moselle. ...... 175,900 Vienne (Haute-) 24,201 Eure-et-Loir... . 83,615 Nièvre ....... 223,097 Mosper PP 182,896 Finistère... .... 1 Nord 22. 1 Yonne "ere 895,266 CdEEE ere 1,702, 0001NUISE Pc. 13,685 Torar... 50,456,421 Je dois communication de ce tableau à M. Teissonnière , négnciant en vins, membre du conseil municipal de la ville de Paris. INTRODUCTION. 5 Un négociant anglais très-éclairé m'écrivait, à la date du 29 octobre 1863 : «On s'étonne en France que le commerce des vins français n'ait pas pris plus d'extension en Angleterre depuis le traité de commerce. La raison en est assez simple. Tout d'abord nous avons accueilli ces vins avec empressement, mais on n'a pas tardé de faire la triste expérience que ce com- merce mène à de grandes pertes, et à des embarras infinis à cause des maladies auxquelles ils sont sujets. » Tous les vins de table sont, en effet, susceptibles d'altéra- tion, et ceux des meilleurs crus sont souvent les plus délicats. Chaque année, par exemple, la maladie dite de l’amer dété- riore de grandes quantités des vins les plus exquis de la Bour- gogne. Plus j'ai avancé dans cette étude des maladies des vins, plus je me suis convaincu que Îles pertes qu'elles occasionnent sont immenses. Les propriétaires et les négociants affirment volontiers qu'ils n'ont que des vins irréprochables, et qu'ils savent par des soins intelligents éviter toute altération. Cette assertion est très-or- dinairement dictée par l'intérêt ou lamour-propre. Je crois pouvoir assurer à mon tour, et cela donnera une idée de l'étendue du mal, qu'il n'y a peut-être pas une seule cave en France, chez le pauvre comme chez le riche, qui ne renferme quelque portion de vin plus où moins altéré. Préoccupé du préjudice que les maladies des vins portent au commerce de cette denrée, l'Empereur daigna m'encoura- cer, il y a deux ans, à diriger mes recherches sur cette impor- tante question, afin de découvrir, s'il était possible, un moyen d'empêcher l'apparition de toutes ces maladies. Le travail que je publie aujourd'hui a pour but de faire con- .) naître les résultats de mes recherches. Si je ne me trompe, J'ai 4 ÉTUDES SUR LE VIN. reconnu les véritables causes des diverses maladies des vins, et un moyen simple et pratique de les prévenir. OPINION ANCIENNE SUR LES CAUSES DES MALADIES DES VINS. Les auteurs qui ont écrit sur le vin l'ont considéré jusqu'à présent comme un liquide dont les divers principes réagissent continüment les uns sur les autres par des actions mutuelles lentes. Le vin, disent-ils, est toujours en travail. Lorsque la fermentation du moût de raisin est achevée, l'équilibre n'est pas établi encore entre les divers principes de la liqueur. Elle a besoin du temps pour se faire, pour que ces principes se fondent les uns dans les autres; et l'on ajoute, en termes non moins vagues, que, si ce développement des actions récipro- ques entre les substances qui composent le vin n'est pas régu- lier, le vin devient malade. Par ces apparences d'explication du vieillissement et des ma- ladies.des vins, on ne fait qu'exprimer la différence bien con- nue qui existe entre le vin à ses divers âges, et le fait non moins avéré de ses altérations spontanées. [1 y a eu cependant quel- ques essais de théorie au sujet des causes qui provoquent les maladies des vins. Je vais en indiquer l'origine et les prin- cipes. Dans la seconde moitié du dernier siècle, toutes les ques- tions relatives aux fermentations préoccupèrent vivement les esprits. En même temps que les maîtres de la science s'effor- çaient d'apporter quelque lumière sur ces mystérieux phé- nomènes, bon nombre de sociétés savantes en proposèrent CAUSES DES MALADIES DES VINS. 5) l'étude pour sujet de prix. Ge mouvement, auquel s'associa brillamment l'Académie des sciences, par divers travaux de ses membres, principalement par celui de Lavoisier sur la fer- mentation alcoolique, ne resta point stérile, même à l'étran- ger. Les recherches expérimentales qui méritent surtout d'être mentionnées ici sont celles de Fabroni, savant Italien, qui remporta le prix proposé en 1785 par l'Académie de Florence. Le sujet du prix consistait dans la découverte d'une théorie de la fermentation vineuse , confirmée par l'expérience et appliquée à la recherche des moyens propres à tirer de chaque espèce de moût, d'après la nature des principes qui le constituent, un vin doué des meilleures qualités, et principalement de celle d'être propre au transport el susceptible d'une longue conservation. L'ouvrage de Fabroni a été traduit de l'italien et publié à Paris en 1801, et, en outre, un mémoire de cet auteur sur le même sujet fut laissé par lui à la Société philomathique de Paris, en 1798, après un séjour qu'il fit en France, où il était venu, par ordre de son gouvernement, pour concourir à l'éta- blissement du système des poids et mesures. Un résume cri- tique de ce mémoire, dû à Fourcroy, fut insérée dans le tome XXXI des Annales de chimie. C’est là qu'il convient de prendre l'expression de quelques-unes des idées de Fabroni, parce qu'elles y ont une date plus récente que dans son pre- mier traité, et qu'elles s'y trouvent débarrassées des obscuri- tés de l'hypothèse du phlogistique. D'ailleurs, le seul point vraiment digne d'attention dans les observations de Fabroni, celui qui doit nous les rendre parti- culièrement recommandables, est relatif à la composition du ferment. Fabroni, en eflet, est le premier qui ait reconnu que le ferment est de la nature des substances que nous appelons ô ÉTUDES SUR LE VIN. aujourd'hui albuminoïdes. Mais il est juste de rappeler que M. Thenard, dans un mémoire bien connu, a beaucoup fait pour préciser cette opinion. Fourcroy exprime ainsi l'une des propositions avancées par Fabroni : «La matière qui décompose le sucre dans l'effervescence vineuse est la substance végéto-animale; elle siége dans des utricules particulières, dans le raisin comme dans le blé. En écrasant le raisin on mêle cette matière glutineuse (ce gluten) avec le sucre, comme si l'on versait un acide et un carbonate dans un vase; dès que les deux matières sont en contact, l'ef- fervescence ou la fermentation y commence, comme cela à lieu dans toute autre opération de chimie. » Laissons de côte les erreurs évidentes que cette proposition renferme. Elles étaient même, à divers égards, plus sensibles qu'il n'est dit ici par Fourcroy. Ge qui est digne de remarque, cest l'assimilation ou l'identité établie par Fabroni entre le gluten et le ferment. Par matière végéto-animale, Fabroni entend parler du glu- ten que Beccari, antérieurement, avait extrait de la farine. Fabroni rapporte en ces termes le mode de préparation de cette substance : (Il ne s'agit que de former une masse de pâte épaisse, telle qu'on la prépare pour faire le pain, et ensuite de la laver dans l'eau courante jusqu’à ce qu’elle cesse de la teindre en blanc. La partie tenace et glutineuse qui reste entre les mains est la substance végéto-animale. » Fabroni savait, en outre. que ce principe végéto-animal existe dans la plupart des organes des végétaux, et il rendait compte, par le fait de sa présence, d'expériences déja con- nues de son temps, dans lesquelles on avait vu la fermenta- CAUSES DES MALADIES DES VINS. 7 tion s'établir par l'addition à l'eau sucrée de diverses substances végétales où animales, expériences qui ont été, comme on le sait, variées à l'infini depuis trente à quarante ans. Ainsi le marquis de Bullion avait reconnu que lon provoquait la fer- mentation du sucre en lui adjoignant des feuilles de vigne pi- lées !. « Cette expérience, dit Fabroni, confirme ma manière de voir sur le fait que la matière végéto-animale a une grande part dans le prompt mouvement de la fermentation vineuse, car les feuilles ajoutées dans cette expérience, outre la partie mucilagineuse et résineuse, ont encore une matière analogue à la substance végéto-animale de la farine. Il a été démontré, par Rouelle le jeune, que dans les fécules vertes des plantes il existe une matière végéto-animale semblable en tout à celle que lon a trouvée dans le blé.» Puis, à limitation du marquis de Bullion, il institue des expériences avec d’autres parties de plantes que les feuilles, par exemple avec les fleurs de sureau, et, s’il obtient une fermentation plus rapide qu'en se servant des feuilles d’oseille employées par le marquis de Bullion, il en attribue la cause à une proportion de matière albuminoïde plus forte dans les fleurs de sureau que dans les feuilles d’oseille. ! «J'ai mis à fermenter, pendant le mois d’août dernier, 120 pintes d’eau, 120 onces de sucre et une livre et demie de crème de tartre; le mélange a resté trois mois sans apparence de fermentation. J'ai jugé, d’après cette expérience , qu'il fallait autre chose que de l’eau, du sucre et du tartre pour obtenir la fer- mentation vineuse, et que la matière extractive résineuse était absolument néces- saire. J'ai donc ajouté à un mélange semblable au précédent 16 livres de feuilles de vigne pilées : le mélange a fermenté avec force pendant quinze jours; je l'ai ensuite distillé et j'ai obtenu quatre pintes d'eau-de-vie. J'ai mis à fermenter la même quantité d'eau et de feuilles de vigne, sans sucre et sans tartre : le mélange a fermenté doucement, et je n'ai obtenu à la distillation que de l’eau acidulée. » (Marquis de Bullion, Journal de physique, t. XXIX , 1786.) 8 ÉTUDES SUR LE VIN. Après ces détails, il est presque superflu d'ajouter que Fa- broni a fait de nombreux essais de fermentation vineuse avec des mélanges d'eau sucrée, de tartre et de gluten, et que, conséquemment, au point de vue de cette fermentation, Fa- broni se montre aussi avancé qu'on l'était de nos Jours, avant mes recherches, en ce qui concerne les fermentations lac- tique, butyrique, etc. Ses expériences étaient semblables à celles qui ont été pra- tiquées par les auteurs les plus modernes’. On peut, à cet égard, consulter les importants travaux sur les fermentations de MM. Colin, Liebig, Frémy, Berthelot, et ceux de divers chimistes allemands résumés dans le Traité de chimie orga- nique de M. Gerhardt. Fabroni peut donc être considéré à juste titre comme le principal promoteur des idées modernes sur la nature du fer- ment. Lavoisier a éclairé la nature des fermentations prises du point de vue de la composition du corps fermentescible et de sa transformation sous l'action du ferment. Le travail de Fa- 1 «Je fis un autre moût artificiel avec les proportions suivantes : DORE ares Ses à ER ee ee 864 parties. Gomme: RS SOIR E 2 / An oo OS Un 0e 24 ACIdE tartar exe. eee este LC à Matière végéto-animale. .............. 36 Aero 0 EE TES UT ee 3,436 Je plaçai le tout à une chaleur variable depuis 22 jusqu'à 35 degrés Réaumur, dans laquelle je le laissai pendant six jours; ensuite je modérai la chaleur jusqu’à 20 degrés, et, le jour d’après, c’est-à-dire le huitième, je vis la liqueur écumante et la fermentation établie; alors je la plaçai à une température constante de 1 2 de- grés ; mais, trouvant la fermentation trop diminuée ,Je la remis à son premier de- gré de chaleur, et je la vis à l'instant rétablie : J'obtins de ce moût une très- agréable espèce de cidre.» {Fabroni, De l'Art de faire le vin, traduit de Vitalien par Baud , 1787-1801.) CAUSES DES MALADIES DES VINS. 9 broni, au contraire, bien qu'à une grande distance de celui de Lavoisier pour la rectitude et l'importance des résultats, a porté la lumière sur la nature du corps qui provoque la fer- mentation. Sur ces deux points, et si on laisse de côté la vue juste et féconde de Cagnard-Latour, qui considéra plus tard le ferment de la bière comme un être organisé, Lavoisier et Fabroni ont été aussi loin que les auteurs modernes. Revenons à l'art de la vinification. À la suite des travaux théoriques de Lavoisier et de Fabroni, un progrès restait à ac- complir. I fallait éclairer les pratiques de la vinification de la connaissance des résultats de ces travaux; il fallait, en d'autres termes, s'attacher à composer un traité sur le vin ayant pour base le fait, établi par Lavoisier, de la décompo- sition du sucre en alcool et en acide carbonique, et celui de l'influence des matières albuminoïdes dans l'acte de la fer- mentation selon les vues de Fabroni. C'est précisément ce que fit avec talent un chimiste habile, animé d'un grand zèle pour le bien public et fort versé dans toutes les applications de la chimie aux arts, où il voyait si justement l'une des sources principales de la fortune publique, je veux parler du comte Chaptal. Membre de l'Institut, conseiller d'État, et à la veille d'être appelé au ministère de l'intérieur, Chaptal ne dédaigna pas de publier un traité sur l'Art de faire le vin, qu'on lit en- core aujourd'hui avec le même intérêt et la même utilité que les ouvrages plus récents sur cette matière. Cest dans lédi- tion de 1807 que l'on trouve le premier essai de théorie sur la cause des maladies des vins !. 1 Le traité de L'Art de faire le vin, de Chaptal, a paru d’abord en 1799 dans les Annales de chimie et dans le cours d'agriculture de l'abbé Rozier. Cette première édition parle des maladies des vins sans leur attribuer des causes bien déter- minées,. 10 ÉTUDES SUR LE VIN. «Pour mieux comprendre, dit Chaptal, les dégénérations auxquelles les vins sont sujets, il faut rappeler quelques-uns des principes que nous avons déjà développés. «La fermentation vineuse n’est due qu'à l'action réciproque entre le principe sucré et le ferment ou le principe végéto- animal. «1° Si les deux principes de la fermentation se sont trou- vés dans le moût dans des proportions convenables, ils ont dû être décomposés entièrement l’un et l'autre, et il ne doit exister, après la fermentation, ni principe sucré, ni ferment ; dans ce cas on ne doit craindre aucune dégénération ulté- rieure, puisqu'il ne se trouve dans le vin aucun germe de deé- composition. «2° Si le principe sucré prédomine dans le moût sur le principe végéto-animal ou ferment, ce dernier sera tout em- ployé pour ne décomposer qu'une partie du sucre, et le vin conservera nécessairement un goût sucré. «Les vins de cette nature peuvent être conservés sans alte- ration aucune aussi longtemps qu'on peut le désirer. «3° Mais si la levüre ou le ferment prédomine dans le moût sur le principe sucré, une partie du ferment suflira pour décomposer tout le sucre, et ce qui reste produit presque toutes les maladies propres au vin. En effet, ce principe de fermentation existant toujours dans le vin, ou bien il réagit sur les principes que contient la liqueur, et dans ce cas il pro- duit une dégénération acide; ou bien il se dégage de la liqueur qui le retenait en dissolution, et lui donne alors une consis- tance sirupeuse qui produit le phénomène qu'on appelle grais- ser, filer, etc.» Ce n'est pas le lieu de dire ce que ces opinions de Chaptal CAUSES DES MALADIES DES VINS. (h: ont d’exagéré. Je me bornerai seulement à faire remarquer que la dernière, qui est relative aux causes des maladies des vins, règne encore dans la science. Les auteurs qui ont suc- cédé à Chaptal n'en ont pas donné de plus certaine, et mème ils n'ont fait que la reproduire sous des formes diverses. Elle est d’ailleurs bien en harmonie avec les théories de la fermen- tation dues à MM. Licbig et Berzelius, et que les travaux accomplis en France avaient paru confirmer. En résumé, nous voyons qu'il a été admis jusqu'à présent que le vin est un liquide dont les principes réagissent sans cesse les uns sur les autres, qui se trouve constamment dans un état de travail moléculaire intestin, et que, lorsqu'il ren- ferme une matière azotée de la nature du gluten, ou, comme on dit aujourd'hui, albuminoïde, celle-ci peut se modifier ou s'altérer par des causes inconnues et provoquer alors les di- verses maladies du vin. OPINION NOUVELLE SUR LES CAUSES DES MALADIES DES VINS. DESCRIPTION DE CES MALADIES. Les principes que j'expose dans cet ouvrage, et que je crois avoir déduits d'une observation attentive des faits, sont tout autres que ceux que je viens de faire connaître. En premier lieu j'essayerai de montrer que le vin ne travaille pas de lui-même, à beaucoup près, autant qu'on le suppose. Sans doute, le vin étant un mélange de diverses substances, parmi lesquelles il y a des acides et de l'alcool, il doit se for- 12 ÉTUDES SUR LE VIN. mer, avec le temps, des éthers particuliers, et des ellets du même ordre prennent peut-être naissance entre les autres principes également contenus dans le vin. Mais si l'on ne peut nier l'exactitude de tels faits, parce qu'ils sont établis sur des lois générales, confirmées et étendues par des travaux récents, je crois que l’on en fait une fausse application lorsqu'on les veut faire servir à rendre compte du vieillissement des vins ou de leurs maladies, en un mot, des principaux change- ments de bonne ou de mauvaise nature dont ils sont le siège evident. L'un des résultats principaux de mon travail est précisément d'établir que les variations qui s’observent dans les qualités du vin abandonné à lui-même, soit en tonneau, soit en bou- teille, reconnaissent pour causes des influences extérieures à sa composition normale. I résultera, je l'espère, de l'ensemble de mes observations et de mes expériences, que le vieillisse- ment des vins réside essentiellement dans des phénomènes d'oxydation dus à l'oxygène de l'air, qui se dissout et pénètre dans le vin de diverses manières. J'établirai, en outre, qu'une deuxième source des changements propres au vin ne doit pas être cherchée dans l'action spontanée d'une matière albumi- noïde, modifiée par des causes inconnues, mais dans la pré- sence de végétations parasitaires microscopiques, qui trouvent dans le vin les conditions favorables de leur développement, et qui l'altérent soit par soustraction de ce qu’elles lui enlèvent pour leur nourriture propre, soit par la formation de nou- veaux produits qui sont un effet même de la multiplication de ces parasites dans la masse du vin. De là cette conséquence claire et précise qu'il doit suflire, pour prévenir les maladies des vins, de trouver le moyen de CAUSES DES MALADIES DES VINS. 15 détruire la vitalité des germes des parasites qui les constituent, de facon à empêcher leur développement ultérieur. Nous verrons combien il est facile d'atteindre ce but. A MALADIE DE L'ACESCENCE DU VIN. — VINS PIQU ES, AIGRES, ETC. Je commencerai par la plus commune de toutes les mala- dies des vins, celle qui constitue le vin acide, le vin piqué, le vin aigre, etc. «L'acescence du vin, dit Chaptal, est la maladie la plus commune, on peut même dire la plus naturelle, car elle est une suite de la fermentation spiritueuse. « Pour connaître exactement cette maladie, il faut rappeler quelques principes, qui seuls peuvent nous fournir des lu- mières à ce sujet. «Nous avons observé plusieurs fois que la fermentation du moût n'avait lieu que par le mélange du principe sucré avec le principe végéto-animal : or ces deux principes peuvent exIS- ter dans le moût dans des proportions bien diflérentes. Lors- que le corps sucré est abondant, le principe végéto-animal est tout employé à le décomposer, et il ne suffit même pas; de sorte que le vin reste sucre et liquoreux sans qu'on doive craindre une dégénération acide. Lorsqu'au contraire le prin- cipe végéto-animal est plus abondant que le principe sucré, ce dernier est décomposé avant que le premier soit tout ab- sorbe; alors il reste du ferment dans le vin, lequel s'exerce sur les autres principes, se combine avec l'oxygène de l'air atmosphé- rique, et fait passer la liqueur à la dégénération acide. » 14 ÉTUDES SUR LE VIN. «On ne peut prévenir ce mauvais résultat, ajoute Chaptal, qu'en clarifiant, collant, soufrant et décantant le vin pour enlever tout le ferment qui y existe, ou bien en mêlant dans le vin du sucre ou du moût très-sucré, pour continuer la fer- mentation spiritueuse, et employer tout le levain à produire de l'alcool. » Telle est l'application particulière faite par Chaptal de sa théorie générale des causes des maladies du vin à l'explication de lacescence. Le vin renferme de la matière albuminoïde; celle-ci, sous l'influence de circonstances diverses mal déterminées, mais au nombre desquelles on peut compter comme très-efficace l’éle- vation de la température, devient propre à absorber l'oxygène de Fair et à acidifier l'alcool. Une opinion semblable a été admise et mieux précisée plus tard par M. Liebig dans son Traité de chimie organique. «L'alcool pur ou étendu d'eau, dit M. Liebig, ne s’acidifie pas à l'air. Le vin, la bière, et en général les liqueurs fermen- tées, qui, outre l'alcool, contiennent des matières organiques étrangères, s'acidifient facilement au contact de l'air, à une certaine température. L'alcool pur étendu d'eau subit la même transformation quand on y ajoute certaines matières orga- niques, telles que de l'orge germée, du vin, du marc de rai- sin, du ferment, ou même du vinaigre déjà tout formé. «ÆEn considérant l'ensemble des phénomènes, il ne peut y avoir le moindre doute à l'égard du rôle que jouent ces ma- tières azotées dans l'acidification de l'alcool. Elles mettent l'al- cool en état d'absorber l'oxygène, puisque à lui seul il ne pos- sède pas cette faculté. L'acidification de l'alcool est absolument de même ordre que l'action qui provoque la formation de CAUSES DES MALADIES DES VINS. 15 l'acide sulfurique dans les chambres de plomb; de la même manière que l'oxygène de l'air est transporté sur l'acide sulfu- reux par l'intermédiaire du bioxyde d'azote, de même aussi les substances organiques, en présence de l'esprit-de-vin , absorbent l'oxygène et le mettent dans un état particulier qui le rend susceptible d'être absorbé par l'alcool. » J'ai démontré ailleurs! que cette manière de voir était tout à fait inacceptable, et que la fermentation appelée acétique s'accomplit sous l'influence exclusive d'un être organisé, agis- sant à la manière du noir de platine. Entre cette théorie et la théorie ancienne que je viens d'exposer d'après Chaptal et M. Liebig, il y a cette différence fondamentale, qu'au lieu de placer la propriété de condensation et de transport de Foxygène de l'air dans les matières azotées du vin, de la bière, du cidre, de la levüre, etc. je prétends qu'elle ne réside que dans un mycoderme, et que, dans tous les cas où des matières orga- niques azotées, associées à l'alcool et exposées à une certaine température, ont donné lieu à la formation d'acide acétique, le mycoderme a pris naissance à l'insu de lexpérimentateur. La différence des deux opinions, toute simple qu'elle peut paraître au premier moment, est au fond considérable, autant pour la théorie générale des fermentations que pour les appli- cations industrielles. Sans revenir sur les nombreuses preuves expérimentales ren- fermées dans mon mémoire inséré dans les Annales scienti- fiques de l'École normale, je dois néanmoins faire connaitre les observations particulières sur lesquelles je m'appuie pour étendre à l’acescence du vin la conclusion la plus importante ! Mémoire sur la fermentation acétique ( Annales scientifiques de l'Ecole normale supérieure , t. L, 1864). 16 ÉTUDES SUR LE VIN. de ce mémoire, savoir, qu'il n'y a Jamais acescence d'un li- quide alcoolique en dehors de la présence du champignon mi- croscopique désigné sous le nom de mycoderma acelr. Avant d'entrer dans le détail de ces observations, il est utile que je dise quelques mots de l'histoire de ce petit champignon et de diverses particularités de son développement. Les botanistes micrographes attribuent à Persoon (1822), à Desmazières (1825), ou à Kützing (1838), le mérite d'avoir décrit, comme productions de nature végétale, ces pellicules grasses que l'on voit se former si facilement à la surface du vin, de la bière, du vinaigre; mais Chaptal avait, longtemps auparavant, assigné une nature végétale à ces pellicules. «Un phénomène, dit Chaptal, qui a autant frappé qu'em- barrassé les nombreux écrivains qui ont parlé des maladies du vin, C'est ce qu'on appelle les fleurs du vin. Elles se forment dans les tonneaux, mais surtout dans les bouteilles, dont elles occupent le goulot : elles annoncent et précèdent constamment la dégénération acide du vin. Elles se manifestent dans presque toutes les liqueurs fermentées. et toujours plus ou moins abon- damment, selon la quantité d'extractif qui existe dans la li- queur. | «Ces fleurs, que j'avais prises d'abord pour un précipité de tartre, ne sont plus à mes veux qu'une végétation, un vrai byssus, qui appartient à cette substance fermentée. I se réduit à presque rien par la dessiccation et n'offre à l'analyse qu'un peu d'hydrogène et beaucoup de carbone. «Tous ces rudiments ou ébauches de végétation ne me paraissent pas devoir être assimilés à des plantes parfaites... De semblables phénomènes sobservent dans toutes les dé- compositions des êtres organiques. » MALADIE DE L'AGESCENCE. ( Vins piqués , aigres, ele.) Fleurs du vinaigre (mycoderma aceti). Le ferment est encore très-jeune Fi we 19 1. hoo/1 P, 16-17. CAUSES DES MALADIES DES VINS. 17 Le mycoderma aceti est une des plantes les plus simples. La figure 1 le représente en voie de formation. Il consiste es- sentiellement en chapelets d'articles, en général légèrement étranglés vers leur milieu, dont le diamètre, un peu variable suivant les conditions dans lesquelles la plante s'est formée, est moyennement dans son jeune âge de 1,5 millième de mil- limètre. La longueur de l'article est un peu plus du double, et, comme il est un peu étranglé en son milieu, on dirait quel- quefois une réunion de deux petits globules, surtout lorsque l'étranglement est court; et, quand il y a une couche, une pel- licule un peu serrée de ces articles, on croirait avoir sous les yeux un amas de petits grains ou de petits globules. IT n'en est rien. Si l'on méconnaissait cette structure des articles du mycoderma aceti, on pourrait souvent confondre ce myco- derme avec des ferments en chapelets de grains de même diamètre, qui en diffèrent cependant essentiellement par leur fonction chimique. Le mode de multiplication de ces articles n'est pas douteux. Chacun d'eux s'étrangle de plus en plus, et donne deux nou- veaux globules ou articles, qui s'étranglent eux-mêmes en gran- dissant, et ainsi de suite. Beaucoup d'infusoires, les vibrians notamment, se reproduisent ainsi. On peut composer des liqueurs qui provoquent le dévelop- pement de la plante avec une rapidité vraiment extraordinaire. Que l'on prenne, par exemple, un liquide formé de 100 parties eau de levüre de bière !, ou d'eau qu'on aura fait bouillir avec de la lie de vin: ! Prendre de la levûre de bière en pâte (ou de la lie de vin), la faire bouillir dans de l'eau pendant un quart d'heure à la dose de 50 ou 100 grammes par litre d'eau, filtrer à clair : c'est ce que j'appelle ean de levüre. En évaporant 100 centi- 2 18 ÉTUDES SUR LE VIN. 1 ou 2 parties d'acide acétique; 3 ou À parties d'alcool, et que l’on sème à sa surface quelques taches de mycoderma aceli, à la température de 2 0 degrés environ; dès le lendemain ou le surlendemain, le plus souvent, la surface du liquide, quelle que soit son étendue, sera couverte d'un voile uni, formé ex- clusivement, par les petits articles du mycoderme, en chapelets enchevêtrés. L'imagination se refuse à calculer le nombre des articles ainsi produits dans un espace de temps relativement très-court. Comment se procurer une première fois la semence de mycoderma aceti? Rien n’est plus facile. Le liquide dont je viens de donner la composition, ou tout autre analogue, four- nit constamment, sans rien y semer préalablement, après un temps plus ou moins long (deux, trois, quatre jours ou un peu plus), un voile de mycoderma aceti. On le place à cet effet dans un cristallisoir, couvert d’une lame de verre. Les pous- sières qui sont dans l'air, ou à la surface des parois du cris- tallisoir, ou dans les liquides mélangés, renferment toujours quelque semence pouvant amener le développement du petit champignon. Il faudrait, pour que cela n'eùt pas lieu, prendre des précautions particulières, par exemple mélanger les li- quides chauds, laver à l'eau bouillante le cristallisoir, ete. toutes manipulations qui tuent les germes des êtres inférieurs. mètres cubes de la liqueur, desséchant dans une étuve à eau bouillante, on a la teneur des matières extractives dissoutes. Ce sont des substances albuminoïdes et autres, avec phosphates terreux et alcalins qui, en général, offrent dans cette préparation un aliment azoté et minéral excellent pour la plupart des ferments, soit végétaux, soit animaux. La bière, le vin, le cidre, etc. renferment des prin- cipes analogues. Ce sont ces principes que Chaptal et Liebig, adoptant les idées de Fabroni, considèrent par erreur comme étant des ferments. CAUSES DES MALADIES DES VINS. 19 I n'est pas diflicile de s'en convaincre, car, si l'on prend les précautions de propreté exagérée que j'indique, bien qu'on opère au contact de l'air ordinaire, on voit que lon peut re- culer, en quelque sorte à la volonté de l'opérateur, l'appart tion spontanée de la plante. Voici d'autres compositions de liqueurs très-propres à four- nir le mycoderma aceli spontanément, c'est-à-dire sans se- mence ajoutée directement. Je citerai, par exemple, 1 volume de vin rouge ou blanc ordinaire, avec à volumes d'eau et 1 vo- lume de vinaigre; ou bien encore 1 volume de bière, 1 vo- lume d’eau et 1/2 volume de vinaigre. Je parle ici de vinaigre de table, qui renferme environ 7 pour 100 d'acide acétique. Au lieu de vinaigre de table, on pourrait se servir d'eau pure additionnée d'une quantité d'acide acétique cristallisable cor- respondante. Les proportions de ces mélanges peuvent être beaucoup modifiées, en restant néanmoins dans de certaines limites. Ce qui doit être évité lorsqu'on veut obtenir spontanément le mycoderma aceti, ce sont d'une part les petits infusoires , bacte- rium et autres, et surtout le mycoderma vint, production si con- nue sous la dénomination qu'employait tout à l'heure Chaptal de fleurs du vin. Le vin ordinaire, surtout le vin rouge et particulièrement le vin rouge nouveau, non étendu d'eau et sans addition d'acide acétique, ne donne que rarement le mycoderma aceti spontané. Il produit assez facilement, au contraire, le myco- derma vi. H le produit plus facilement encore si lon étend le vin de son volume d’eau. Le vin rouge ordinaire donne assez difficilement naissance au mycoderma aceti pour que j'aie vu souvent le mycoderma » 20 ÉTUDES SUR LE VIN. vint se former spontanement sur du vin à la surface duquel je n'avais pourtant semé que du mycoderma acelt, et bien que ce dernier eût pris déjà un commencement de développement, pénible il est vrai. Il est assez curieux même d'observer dans ce cas la marche de ces développements. Tandis que le myco- derma aceti se multiplie avec une grande lenteur, le mycoderma rini, de croissance plus rapide, envahit peu à peu la surface du liquide et refoule toutes les plages couvertes de mycoderma aceli, lequel s'épaissit progressivement, puis finit par tomber au fond du liquide en laissant toute la place à son voisin. Mais les choses se passent autrement si le vin est additionné d'acide acétique, par exemple de son volume de vinaigre de force ordinaire. C'est alors le mycoderma aceli qui se déve- loppe de préférence, et l'on peut reproduire dans ces condi- tions, en sens inverse, l'expérience de tout à l'heure, c'est-à- dire faire étouffer le mycoderma vint par son congénère. Enfin on peut avoir des liqueurs qui offrent à la fois par développement spontané les deux mycodermes mêles. Ainsi la bière étendue de son volume d’eau donne volontiers un mé- lange des deux mycodermes. Sans addition d'eau, le myco- derma vini est ordinairement le plus abondant. On empêche toujours les bacteriums de se montrer en aci- dulant un peu les liqueurs; aussi ne les voit-on jamais appa- raitre dans le vin. La figure 2 représente l'image photographique d'une des variétés du mycoderma vini développée spontanément à la sur- face de vin rouge. Le mode de multiplication de la plante par bourgeonnement est bien évident sur les articles ou globules qui se trouvaient exactement au foyer. Le grossissement était de 4A6o diamètres. CAUSES DES MALADIES DES VINS. 21 Lorsque Jjeus acquis une connaissance suflisante des pro: priétés des deux mycodermes du vin et de leur manière d'agir en présence de l'oxygène, conformément aux résultats des ex- Fe EX MC UART ! ! + périences de la note que j'ai insérée aux Comptes rendus de l'Académie au mois de février 1862, et du mémoire relatif à la fermentation acétique que j'ai publié dans le tome T des LA Annales scientifiques de l'École normale, je m'attachai à re chercher s'ils s'appliquaient fidèlement à toutes les circons- lances relatives à la maladie de l'acescence du vin. C’est le point qu'il me reste à éclaircir. L'une des localités où cette maladie est la plus fréquente est le Jura, notamment dans la région du vignoble très-réputé d'Arbois, des Arsures, de Pupillin, ete. La connaissance que .) J'avais des lieux et l'obligeance des personnes ! rendirent facile ! Je dois adresser des remerciments particuliers à MM. Gallier, Charrière, Jules Vercel, Eugène Vuillame, et à la Société de viticulture d'Arbois, présidée par M. Parandier, inspecteur général des ponts et chaussées. Je saisirai également l'occasion qui m'est offerte de témoigner ma gratitude en- vers le conseil municipal de la ville d'Arbois pour les intentions généreuses qu'il a manifestées à mon égard. Mes expériences ont consisté quelquefois en analyses très-délicates, celles, par exemple, que je rapporterai sur la composition des gaz contenus dans le vin. On comprendra aisément les difficultés qu'elles ont dû rencontrer dans une ville où Je ne pouvais trouver aucune des ressources d'un laboratoire, et où j'avais dû transporter de Paris les appareils de physique et de chimie les plus indispensables. Plusieurs personnes furent témoins de ces embarras matériels, Or il arriva, tout à fait à mon insu, que le conseil municipal de la ville d'Arbois, sur la proposition du maire, M. le comte de Broissia, magistrat plein de zèle et de dévouement aux intérêts qui lui sont confiés, décida qu'un local et une somme suffisante seraient mis à ma disposition pour la création d’un laboratoire à ma convenance. Je crus devoir décliner un honneur dont l'acceptation aurait trop engagé l'indépendance de mes études, mais je n'en garde pas moins une vive reconnaissance à mes com- patriotes , et je suis heureux de divulguer ici une démarche qui honore autant la science que les personnes qui en ont pris l'initiative éclairée. 22 ETUDES SUR LE VIN. et plus fructueux le travail auquel je me livrai pendant les mois de septembre, octobre et novembre 18063. Je me transportai dans plusieurs caves et j'examinai sur place toutes les sortes de vins en tonneaux. Voici très-sommairement les pratiques ordinaires de la vini- fication dans le vignoble dont il s'agit. Les raisins sont déposés dans une cuve qui à été amenée à la vigne même. Un ouvrier égrappe soigneusement tous les rai- sins, puis la vendange est conduite chez le propriétaire et vidée dans des tonneaux de petite ou de grande dimension, situes dans des caves assez profondes, avec voûtes de maçonnerie. Elle y fermente et y séjourne pendant six semaines ou deux mois. Alors on soutire le vin clair, on presse les marces, dont la partie liquide est mise à part sous le nom de vin de pressurage. Le vin soutiré est placé dans des tonneaux que lon ne rem- plit jamais entièrement. Pour un tonneau de 50 à 6o hectohi- tres, la vidange, mesurée en hauteur, est de 20 centimètres environ de la bonde au niveau du liquide. Elle est de 10 centi- mètres à peu près pour un tonneau de à à 600 litres. Le vin, après cette entonnaison, est abandonné, sans qu'on y touche, jusqu'au mois de février ou de mars. Alors il est soutiré, et de nouveau avec la précaution de laisser du vide dans les ton- neaux, autant que la première fois. Par suite de cet usage, qui consiste à ne pas remplir les ton- neaux au moment des soutirages, le vin en tonneau, dans les localités qui m'occupent, est constamment couvert de fleur. Elle y forme une couche blanche, épaisse. Sous elle le vin est généralement fort limpide. Cela posé, l'observation INICrOSCOpIque ma permis de cons- later que, toutes les fois qu'un vin était considéré, par un dé- FLEURS DU VIN. { Wycoderma DIN. ) Lorsque les fleurs sont aussi pures * que le dessin les représenté le vin en souffre peu où pas Fio. ». Le] 100/1 Par ces mots pureté de la fleur du vin, il faut entendre l’absence complèle du parasite de ignre 1. MALADIE DE L'ACESCENCE DU VIN. (Mycoderma vin et Mycoderma aceti réunis. ) La maladie est à son début; la fleur du vin commence à perdre de sa pureté. P. Lackerbauer, ad nat. del Imprimerie Imperiale P, 52-923. MALADIE DE L'ACESCENCE DU VIN (| Wycoderma acelr.) A cet état de ferment , le mal est déjà très-avance 3 BP. Lackerbauer, ad nat 500o/1 * CAUSES DES MALADIES DES VINS. 23 gustateur habile, comme sain et non piqué, les fleurs étaient composées de mycoderma vint très-pur, fig. 2. Au contraire, et sans aucune exception, les fleurs étaient un mélange de mycoderma vini et de mycoderma aceli lorsque le vin tournait à l'acide. La figure 3 représente cette association des deux my- codermes. Les vins ordinaires, pour ainsi dire à tous les àges (il est vrai qu'on ne conserve ceux-ci que peu d'années), et les vins de choix, lorsqu'ils sont nouveaux, n'offrent guère que le my- coderma vini pur; mais les vins fins de ploussard, de trous- seau, de ploussard et naturé blanc, vins qu'on laisse volon- tiers vieillir en tonneaux pendant cinq et six années, et souvent davantage, avant de les mettre en bouteilles, montrent assez souvent le mycoderma aceli dans la fleur qui les recouvre. D'ailleurs, le vin est d'autant plus piqué et tourné à l'aigre que la proportion du mycoderma acett est plus grande. Le vin est tout à fait perdu, propre seulement à être transformé en vinaigre, dans le cas où le mycoderma uceti est seul déve- loppé. Le mycoderme âgé perd beaucoup de sa netteté originelle. Il se montre au microscope sous l'aspect d'un amas de granu- lations où l'on ne retrouve plus la disposition en chapelets que représente la figure 1. La figure 4 rend assez bien cette nouvelle apparence. En multipliant ces recherches, il m'est arrivé fréquemment de constater la présence du mycoderma aceti en si faible quantité dans la fleur, que son influence fâcheuse sur le vin n'était pas encore appréciable au goût. Enfin la sûreté des in- dications microscopiques est telle que l'on peut fréquemment assigner à l'avance l’état du vin avant toute dégustation. 24 ÉTUDES SUR LE VIN. Il résulte de ce qui précède, que Chaptal avait tort de dire d'une manière absolue que les fleurs annoncent toujours la dégénération acide du vin, puisque l'on voit dans le Jura des vins couverts de fleurs pendant des années, sans qu'ils s'aigris- sent, mais c'est à la condition que la fleur sera toujours for- mée de mycoderma vini pur. Or, ainsi que je le faisais re- marquer tout à l'heure, la pureté de la fleur du vin tend à disparaître au fur et à mesure que le vin vieillit, que le vin se dépouille, pour employer une expression consacrée. Physiologi- quement parlant, le vin perd de son aptitude à nourrir le my- coderma vini, lequel, se trouvant progressivement privé d'ali- ments appropriés, se fane, s'atrophie, et alors le mycoderma aceli apparaît et se multiplie avec une facilité d'autant plus grande qu'il puise pendant assez longtemps sa première nour- riture dans les cellules mêmes du mycoderma vint !. On peut consulter pour cet objet le paragraphe 9 de mon mémoire sur la fermentation acétique. Il faut bien se convaincre, d'ailleurs, qu'il n'y a pas d'autre circonstance possible. Un vin en tonneau que l'on n'ouille pas tous les mois ne peut pas ne pas être couvert de fleur. ! L'aspect physique de la fleur change avec sa pureté, et lon peut en quelque façon mettre cet aspect de la fleur en rapport avec sa nature et avec son action sur le vin. Les anciens agronomes avaient même fait à ce sujet des remarques ju- dicieuses. Pline dit : « La fleur du vin blanche est de bon augure; rouge, de mau- vais, à moins que ce ne soit la couleur du vin.» On trouve dans les Géoponiques un passage plus exact et plus étendu sur le même objet. Il est certain que l'as- pect velouté, d’un blanc un peu sec, du mycoderma vint pur et jeune, change beaucoup lorsque ce mycoderme se trouve associé à son congénère, le myco- derma aceti, lequel vit à ses dépens, le fane et permet son humectation et sa co- loration par le vin, circonstance qui change entièrement l'apparence extérieure de la fleur. On pourrait, si on le désirait, apporter une certaine rigueur dans ces comparaisons, el en lirer quelques inductions sur la proportion du mélange des deux mycodermes. CAUSES DES MALADIES DES VINS. 29 Or il n'y a guère que deux espèces de fleurs possibles pour le vin : ce sont les précédentes. Si donc le mycoderma vint ne se développe pas, ou mieux si, après s'être développé, il vient à se faner et à mourir, il faut nécessairement que le vin se couvre de mycoderma aceti. La maladie de lacescence fait alors les progrès les plus rapides. Les personnes habituées aux soins de l'ouillage, prescrit avec raison dans la plupart des vignobles, seront bien surprises sans doute d'apprendre que, dans le Jura, on éloigne au con- traire systématiquement cette pratique, et elles seront tentées de considérer comme défectueux des usages si opposés à ceux qu'elles pratiquent avec succès sur les vins de leurs départe- ments. N'est-il pas vraisemblable cependant que chaque loca- lité est arrivée à une sorte de perfection relative dans les pra- tiques qu'elle s'impose? Je suis volontiers porté à croire que les usages séculaires ont plus ou moins leurs raisons d'être dans la nature même des choses. Si le Jura fait le vin et le soigne tout autrement que la Côte-d'Or, dont il lui serait si facile d'imiter les coutumes, n'est-ce pas la nature du vin qui l'exige? Les vins de ces deux départements sont de composi- tions très-différentes. Les cépages ne sont pas et ne peuvent pas être les mêmes. Le pinot de la Bourgogne communique aux grands vins de cette contrée un bouquet particulier dont les vins du Jura sont privés. Ces derniers sont généralement beau- coup plus acides, tant à cause de la nature des cépages que par l'effet d'une maturité moindre à l'époque de la vendange. Un développement des fleurs, très-nuisible en Bourgogne, ne pourrait-il done pas, au contraire, se montrer sans mauvaise influence, utile même, dans le Jura? J'ai constaté un fait qui pourrait bien rendre raison de la nécessité de la pratique de 26 ÉTUDES SUR LE VIN. l'ouillage en Bourgogne, et de son inutilité dans le Jura. C'est que la fleur spontanée des vins de Bourgogne est le plus sou- vent le mycoderma aceti, tandis que celle des vins du Jura, dans les premières années principalement, est formée par le mycoderma vini pur. Or le mycoderma aceti doit être éloigné à tout prix, puisqu'il acétifie nécessairement le vin, tandis que le mycoderma vini est inoffensif à ce point de vue. H s'empare de l'oxygène de l'air et le porte sur l'alcool à la manière du mycoderma aceti; mais, tandis que celui-ci fait de l’eau et de l'acide acétique, le mycoderma vini transforme l'alcool en eau et en acide carbonique. La combustion qu'il provoque étant complète, il ne dépose rien de nuisible dans le vin. L'étude comparative de la nature des fleurs à la surface des grands vins de Bourgogne et du Jura, ou de telle autre loca- lité déterminée, peut se faire sans trop de dépense et com- modément par le moyen des vins en bouteilles. Jai réuni un certain nombre de bouteilles de vins de Pomard et de Volnay, et un nombre égal de bouteilles de bons vins ordi- naires du Jura, toutes bien bouchées. Les bouchons peuvent même être mastiqués. En laissant les bouteilles debout, il ar- rive ordinairement que le vin, dans l'intervalle de quelques semaines, se couvre de fleurs dans le goulot des bouteilles. Or on constate facilement que le mycoderma aceti apparaît de préférence dans les bouteilles de Bourgogne, et le mycoderma vint dans celles du Jura. Ce dernier résultat étant précisément le même dans le Jura pour les vins en tonneaux, il est vrai- semblable que le fait que nous offre ici le bourgogne en bou- teilles sappliquerait également au bourgogne conservé en tonneaux, c’est-à-dire qu'il se couvrirait de préférence du my- coderma aceti. L'ouillage en Bourgogne, particulièrement CAUSES DES MALADIES DES VINS. 27 pour les vins fins, est donc une nécessité absolue. Le Jura au contraire, peut considérer cette pratique d'un œil indilté- rent, L'immunité toutefois n'est pas absolue, ainsi que je Fai expliqué tout à l'heure. Elle dépend de l'âge du vin et de sa qualite. L'existence d'un bouquet spécial dans les vins de Bour- gogne, que ceux du Jura ne présentent pas, peut bien encore exiger l'absence de toute fleur, même du mycoderma vint pur, à la surface des vins de la Côte-d'Or. Le mycoderma vint peut déterminer en effet la combustion complète de quelques-uns de leurs principes volatils. Pareil inconvénient n'est guere à craindre pour les vins du Jura, puisqu'ils n'ont pas de bou- quel spécial. Si les faits qui précédent démontrent que l'on peut, sans inconvénient sensible, laisser les vins du Jura en vidange à l'époque des soutirages et se couvrir de fleurs, ils ne prouvent pas que ces fleurs doivent leur être utiles. Mais il y a une circonstance digne d'intérêt, sur laquelle je puis, dès à présent, appeler l'attention. Lorsque j'examinerai la composition des gaz contenus dans le vin, nous reconnaîtrons que ce liquide, même exposé librement au contact de l'air, ne peut pas dis- soudre la moindre trace d'oxygène, pour peu qu'il soit recou- vert d'une pellicule de mycoderma vini. En d'autres termes, l'oxydation des principes du vin par l'oxygène de l'air est pro- fondément modifiée par la présence du mycoderma vini, et, comme j'espère démontrer dans la deuxième partie de cet ouvrage que l’on ne peut pas impunément altérer les condi- tions de laération du vin, je suis porté à croire que la pré- sence du mycoderma vint, à la surface des vins du Jura (ei sans doute cela pourrait se dire de plusieurs autres sortes 28 ÉTUDES SUR LE VIN. de vins), entre comme élément utile dans les pratiques de la vinification de cette contrée, par les conditions spe- ciales dans lesquelles elle place le vin sous le rapport de son aération. En résumé, je ne me crois pas du tout autorisé, par les ré- sultats de mes recherches, à conseiller aux propriétaires du Jura et de bien d’autres localités d'adopter la pratique de l'ouillage ; mais, si j'avais le bonheur que ce modeste ouvrage répandit l'usage des observations microscopiques parmi les personnes qui ont de grands intérêts dans le commerce des vins, je conseillerais une étude très-attentive de la nature de la fleur et de sa composition à chaque soutirage, et que la pratique de l’ouillage füt suivie dès que lon s'apercevrait que le mycoderma vini perd de sa pureté, c'est-à-dire qu'il se montre associé, même au degré le plus faible, avec le mycoderma acetr. Je reviens aux études microscopiques que j'ai faites dans les caves d'Arbois. Leur utilité sera mieux appréciée si Je m'attache exclusivement à celles qui concernent une sorte de vin fort estimé que lon prépare dans le Jura, notamment dans le vignoble de Château-Chälons, sous les noms de vin Jaune, vin de qarde, vin de Château-Chälons , et qui a beaucoup d'analogie avec le vin de Madère sec. Voici les procédés que lon suit à peu près invariablement pour faire cet excellent vin. Le cépage exclusivement employé est le savagnin ou naturé blanc. Tandis que la vendange principale du vignoble a lieu du 1 au 15 octobre, la récolte du naturé ne commence qu'en novembre, et l'on attend même que les premières gelées aient un peu coti le grain du raisin. On égrappe à la vigne comme à , CAUSES DES MALADIES DES VINS. 29 l'ordinaire. La vendange est mise sous le pressoir dès qu'elle arrive. Le moût qui s'écoule est réuni dans des cuves décour- vertes, placées dans les celliers ou dans les caves selon lempla- cement du pressoir. La fermentation se déclare un peu plus tôt, un peu plus tard, d'après le degré de la température, gé- néralement froide à cette époque de l'année. Une couche écumeuse, de couleur chocolat clair, monte à la surface, em- portée par les premières bulles de gaz acide carbonique. On saisit le moment, souvent rapide et fugitif, où cette couche commence à se fendiller. C’est alors que le vin, toujours un peu trouble, est le plus éclairci. On le soutire par un robinet placé au-dessus du dépôt boueux du fond. Ce vin, ou mieux, ce clair, comme on l'appelle, est mis dans une cuve ouverte à côté de la première; le lendemain ou le surlendemain la fermentation a ramené à la surface une deuxième couche de matière un peu épaisse, un nouveau soutirage est pratiqué. Quelquefois, cela dépend de l'épaisseur de la deuxième couche ou de l'année, on procède à un troisième soutirage après une nouvelle fermentation. Le soutirage, en temps convenable , em- pêche que la couche boueuse de la surface retombe et se mêle au liquide. Le vin est mis ensuite en tonneau, où on le laisse indéfini- ment, même sans le soutirer jamais, jusqu'a ce qu'il mange sa lie, expression volontiers employée par les vignerons. Le vin reste doux souvent pendant plusieurs années. Tel est le mode de préparation du vin Jaune, vin très-re- marquable au point de vue de lapplication des principes de la science. Ce vin reste en tonneau pendant quinze, vingt ans et même bien plus longtemps, sans ouillage, et, comme les tonneaux ont souvent une capacité de 10, 20 hectolitres , 30 ÉTUDES SUR LE VIN. la vidange du tonneau s'élève quelquefois à 3 et 6 hecto- litres. L'étude attentive de ce vin et de toutes les conditions de sa fabrication est une de celles qui m'ont le plus éclairé sur les propriétés générales des vins. Représentons-nous la composition que doit avoir nécessai- rement le vin jaune bien fait. Sa préparation à une époque tardive, alors que le raisin a déjà subi les premiers froids de l'hiver. le soin que l'on met à éloigner les matières azotées du moût au moment de la fermentation des premiers jours, montrent assez que la fermentation ultérieure dans les ton- neaux est toute particulière. Elle se rapproche extrêmement de ces cas de fermentation que j'ai examinés autrefois, dans lesquels le sucre est en grand excès relativement à la quantité de matière assimilable à l’état de ferment organisé actif, et où la proportion de glycérine et d'acide succinique formés est la plus élevée. Il en résulte que le vin Jaune, dès son origine, est un vin dépouillé, un de ces vins dont Chaptal aurait dit qu'il y a excès du principe sucré sur le principe ferment, et que, par conséquent, ce vin ne doit pas être sujet aux mala- dies. Les choses sont telles, en effet, pour la plupart des ma- ladies du vin. Elles n'atteignent pas le vin jaune. Mais si l'on se reporte pour un moment à l’un des chapitres de mon mé- moire , déjà cite, sur la fermentation acétique, chapitre intitulé Acétification sans matière albuminoïde, où je démontre que le my- coderma aceli peut vivre à la rigueur, et se multiplier sur des liqueurs de composition, pour ainsi dire, purement minérales, on comprendra facilement que la proposition de Chaptal ne saurait s'appliquer à la maladie de l'acescence. Or le vin Jaune, par son mode même de fabrication, qui exige une vidange pro- longée, doit être fort sujet à contracter cette maladie. C'est, CAUSES DES MALADIES DES VINS. 31 en eflet, ce que j'ai pu constater, et, bien qu'au début de mes recherches je reçusse volontiers cette assurance que le vin jaune ne s'altérait pas, je ne tardai pas à reconnaître que toutes les personnes qui habituellement préparent de tel vin en perdent fréquemment, et lorsque j'en vins aux observa- tions microscopiques dans les caves, toutes celles-ci m'offrirent un ou plusieurs tonneaux de vin jaune plus ou moins aigri. Grâce à cette circonstance j'ai pu examiner un grand nombre de tonneaux de vin blanc, façon de vin jaune, au point de vue de la relation nécessaire qui existe, suivant moi, entre la présence du mycoderma aceti et l'existence de la maladie de l'acescence du vin. Or j'ai reconnu que, dans tous les cas où le vin ma été signale comme altéré, plus où moins, il portait à sa surface, soit le mycoderma aceti seul, soit un mélange de mycoderma aceti et de l’une des variétés du mycoderma vint, variété caractérisée par cette circonstance, qu'elle a un aspect bien plus grêle que celle qui pousse sur les vins rouges ou blancs ordinaires. Elle est formée en général de globules sphé- riques et non d'articles plus ou moins rameux. Cette variété était seule développée et très-pure toutes les fois que le vin Jaune était sain. Dans bien des cas il m'est arrivé d’avertir utilement les pro- priétaires, à la suite d'un examen microscopique, de l'urgence qu'il y avait à éloigner du vin la pellicule de sa surface, par un soutirage immédiat dans un tonneau très-propre, que l'on remplirait complétement, en sattachant à écarter le plus pos- sible la moindre quantité de l'ancienne fleur. Le grand prix du vin jaune, les soins qu'il exige, me firent consulter fréquemment sur les moyens que lon pourrait mettre en pratique pour le guerir lorsqu'il a pris un Commen- 32 ÉTUDES SUR LE VIN. cement d'acescence. J'ai essayé un procédé fort simple et tout naturellement indique, qui a donné les meilleurs résultats : je veux parler de la saturation par la potasse caustique pure. À cet effet, après avoir déterminé exactement le titre acide du vin malade, et celui d'un vin analogue de bonne qualité, on sature la différence des deux titres acides par la potasse en so- lution concentrée et dosée. L'opération réussit toutes les fois que l'acidité due à l'acide acétique ne dépasse pas 2 grammes environ d'acide acétique par litre !! Je noterai cette circonstance, bien digne d'attention, que le bouquet des vins jaunes, bouquet souvent très-prononcé et que masque l'odeur de l'acide acétique, n'est nullement altéré par un commencement d'acétification. H reparaît après la sa- turation par la potasse. C’est sans doute parce que le bouquet des vins jaunes, comme je le démontrerai plus tard, est le ré- sultat d'une oxydation , et que l'acétification, qui est également une oxydation, ne peut agir en sens inverse d'une action chi- mique de même ordre. L'influence non douteuse de l'oxygène pour détruire cer- tains principes odorants du vin encore mal connus, et qui contribuent à son arome, montre bien, si on la rapproche du fait que je signale relativement au bouquet du vin jaune, qu'il peut exister dans les vins des substances volatiles odo- rantes de natures très-diverses. Les unes sont naturelles, propres aux cépages, d'autres sont acquises, et, parmi ces dernières, les plus importantes sont la conséquence de phénomènes d'oxy- 1 I faut bien que le moyen soit bon, car j'ai eu l'occasion de traiter de cette manière plus de 500 litres de vin jaune, par portions appartenant à divers pro- priétaires qui n'avaient sollicité le remède qu'après avoir constaté la guérison sur des échantillons. C'est seulement lorsque l'acescence est trop avancée que l'acétate de potasse communique au vin une saveur un peu pharmaceutique. .CAUSES DES MALADIES DES VINS. 33 dation. Je remets à la seconde partie de mon travail les preuves | de cette opinion. B MALADIE DES VINS TOURNÉS. MONTES. QUI ONT LA POUSSE, ETC. Lorsque la chaleur des mois de mai, juin, juillet, août, à pénétré suffisamment dans les caves ou dans les celliers et en a élevé la température de plusieurs degrés, il arrive fréquem- ment, et dans tous les pays, que le vin tourne. Voici les ca- ractères de cetté maladie. Le vin est plus ou moins trouble, et, si on l'agite dans un tube de verre de à à 2 centimètres de diamètre, on y voit des ondes soyeuses se déplacer et se mou- voir en divers sens. Cela rappelle l'effet de certains précipités minéraux, notamment celui que montre le racémate de chaux. Le tonneau est-il bien fermé et plein, il n’est pas rare de voir des suintements aux joints des douves; les fonds mêmes du tonneau peuvent bomber. Si lon pratique un fausset, le vin jaillit avec force et très-loin. De là l'expression vulgaire : t à la pousse. Versé dans un verre, on aperçoit souvent sur les bords une couronne de très-petites bulles à la surface du vin. Exposé à l'air, sa couleur change; elle se fonce; le trouble du vin paraît augmenter. La saveur est, en outre, plus ou moins altérée. Elle prend quelque chose de fade. L'abbé Rozier dit qu'on peut rendre un vin, même trés-généreux, semblable à un vin poussé, si on le bat et si on l'agite longtemps à l'air libre. Or on sait que le vin qui a été soumis à l'action de Pair perd de sa force, ce que l'on exprime en disant qu'il sévente. Rozier dit encore que la maladie de la pousse rend les vins ) J mnt OR en 2 34 ÉTUDES SUR LE VIN. plats, faibles et de mauvais goût !. Tous les auteurs qui ont écrit sur le vin tourné attribuent cette maladie à la lie qui re- monte. Ils croient que le dépôt que l'on trouve, en quantité variable, au fond des tonneaux, se soulève et se répand dans toute la masse du vin. Cette maladie est très-fréquente. La moindre négligence dans les soutirages peut la provoquer. Certains vins blancs y sont également sujets, et aussi la bière et le cidre. Les expres- sions de bière tournée, de cidre tourné, sont bien connues. Au mois de septembre 1858, j'eus l'occasion de constater dans plusieurs vins altérés du Jura un ferment très-différent de la levüre alcoolique du vin, évidemment organisé, et qui offrait les plus grands rapports avec le ferment lactique. C'est alors que j'eus la première idée de rechercher si les maladies des vins étaient bien, comme on le croyait, des altérations spontanées, sans causes appréciables, une sorte de déviation du mouvement de ces réactions intestines auxquelles on attri- buait le vieillissement graduel du vin. La présence constatée, dans un vin malade, de filaments organisés analogues à ces fer- ments que j'étudiais depuis deux ans et auxquels j'attribuais les fermentations proprement dites, ouvrait aux recherches sur le vin des aperçus nouveaux sur lesquels une circonstance parti- culière devait bientôt appeler l'attention. Un grand propriétaire de vignobles de Montpellier avait vendu le 20 octobre 1861, après la récolte, du vin de bonne qualité, agréé par l'acheteur. Le 14 novembre ce vin avait éprouvé une altération profonde. On avait cru d'abord que ce vin avait été additionné d'eau, conclusion que repoussaient l De la fermentation des vins, Rozier, 1770, p.15. Ouvrage médiocre, qui à remporté le prix proposé en 1766 par la Société d'agriculture de Limoges. MALADIE DES VINS TOURNES Aspect, au microscope, d'une goulle de vin tourné troubli { Le trouble est dû à la présence du parasite.) Fi, 5. Oo P. Lackerbauer, ad nat. del Imprimerie Imperiale } 100/1 CAUSES DES MALADIES DES VINS. 39 d'une manière absolue lhonorabilité du propriétaire et la fidé- lité de ses employés. Le propriétaire s'empressa de consulter M. Balard , qui voulut bien n'inviter à examiner ce vin , avee lui. Tout de suite nous reconnûmes que ce vin altéré, et si fade que lon pouvait croire à une falsification par addition d'eau, était précisément sous Pinfluence d'une fermentation spéciale de la nature de la fermentation lactique. M. Balard l'étudia avec sa sagacité ordinaire {la note qu'il lut à l'Acadé- mie sur ce sujet est insérée au tome LIT des Comptes rendus de ses séances); il ne tarda pas à reconnaitre toute la fréquence de cette maladie dans le midi de la France. Pendant les automnes de 1863 et de 1864, j'ai eu l'occa- sion d'examiner dans le Jura un grand nombre de vins tournés. Telles sont les circonstances qui ont permis de constater que le trouble du vin tourné est dû, sans aucune exception, à la présence de filaments d'une extrême ténuité, qui ont souvent moins de de millimètre de diamètre, de lon- a At 1000 gueurs très-variables. La figure 5 représente l'apparence au microscope d'une goutte de vin tourné. Des filaments sont suspendus dans un liquide très-limpide. Ce sont ces filaments qui donnent lieu, lorsque le vin est agité, à ces ondes soyeuses dont je parlais tout à l'heure. Quant au dépôt du tonneau, ce n'est point du tout de la lie ordinaire, mais un amas de ces filaments, souvent très-longs, tous enchevêtres les uns dans les autres, formant ordinairement une masse noirâtre, gluti- neuse, qui se tient et se met en fils muqueux lorsqu'on la re- tire à l'aide d'un tube effilé plongeant jusqu'au fond du ton- neau ou de la bouteille. Ce ferment s'accompagne, dans son action sur le vin, d'un dégagement de gaz acide carbonique que je crois sans mélange de gaz étranger (cela mérite cepen- y . 30 ÉTUDES SUR LE VIN- dant confirmation }, et c'est là ce qui donne lieu au pétillement dans le verre et au phénomène de la pousse dont j'ai parlé. La pression augmente en effet dans le tonneau par suite de la production de ce gaz. La maladie du tourné est donc constituée par une fermen- tation due à un ferment organisé spécial, et cest sous l'in- fluence du développement de ce parasite que la limpidité du vin, sa saveur et sa qualité éprouvent des changements si pro- nonceés. Je saisis de nouveau l'occasion qui m'est offerte de faire remarquer la grande utilité des observations microscopiques dans les soins que réclament les vins. Rien n'est plus facile que de reconnaître si un vin est prêt à prendre la maladie qui nous occupe. On ouvre le robinet adapté au tonneau; on re- jette les premières portions du vin qui s'écoule, on en tire de nouveau un verre, qu'on laisse reposer quelques heures; puis, après décantation, on examine au microscope les dernières gouttes restées dans le verre. Si peu que le vin soit trouble, ces gouttes offrent de nombreux filaments. Le plus souvent même, l'examen attentif d'une goutte de vin, sans attendre qu'il ait déposé, suffit pour reconnaître s'il a éprouvé un com- mencement de maladie. L'examen du dépôt du tonneau n'est pas moins instructif lorsqu'on le fait à divers intervalles. On ôte la bonde et lon plonge un tube à gaz un peu effilé à son extrémité, Jusqu'à ce qu'il touche le fond, en s’en servant à la manière d'un tâte-vin. S'il y a de la fleur à la surface du vin, elle couvre les parois extérieures du tube lorsqu'on le retire du tonneau. [ faut essuyer cette fleur avec un linge et laisser perdre les premières portions du dépôt, puis observer au mi- croscope. Si l'on n'avait pas la précaution d'essuver le tube ex- CAUSES DES MALADIES DES VINS. 37 térieurement, la fleur se mélerait à la goutte que l'on doit exa- miner au microscope, et il pourrait en résulter des erreurs d'observation. Il est facile de juger de l'abondance plus ou moins grande du parasite dans le dépôt formé depuis le der- nier soutirage ou depuis le dernier examen microscopique. Le parasite dont il s'agit est un de ceux auxquels le vin donne le plus facilement asile et qui ont la plus grande influence sur sa composition. J'ai dit qu'il se montrait de préférence après les chaleurs des mois de juin, juillet, août. I faut entendre que c'est à ce moment que le parasite se multiplie et envahit toute la masse du vin, mais je vais établir par de nombreuses observations qu'il existe à l'état de germe, pour ainsi dire, dès les premiers temps de la vinification, et qu'il accompagne presque normalement le ferment alcoolique du moût de raisin. Le 2 1 novembre 1864, divers échantillons de vins rouges et blancs du Jura, de la récolte d'octobre, même année, ont été prélevés sur place, dans les caves, les vins étant encore sous le marc, non éclaircis, avant tout soutirage quelconque et en prenant la précaution de ne pas les exposer au contact de l'air. A cet effet le vin s'écoulait des foudres (foudres de 40 à 60 hec- tolitres) dans des flacons de litre qui avaient été préalablement remplis de gaz carbonique. La figure 6 représente ce mode de prélèvement des échantillons. J'ai dit que dans le Jura la ven- dange , égrappée à la vigne, était amenée dans les caves et placée dans des tonneaux où elle fermente pendant six semaines en- viron. On pratique alors le premier soutirage, qui porte dans le pays le nom d'entonnaison. C'est avant ce soutirage que les échantillons ont été prélevés. Aussitôt après le remplissage des flacons, les bouchons étaient placés et serrés fortement, puis mastiqués. La vendange avait eu lieu du 1oau 20 octobre 1864. | 38 ÉTUDES SUR LE VIN. Î ! Ces vins ont éte expédiés à Paris et examinés aussitôt après } : ñ ; . ° an 1 leur arrivée, c'est-à-dire dans les premiers Jours de décembre | 1864. Après agitation des flacons, ils étaient tous un peu | troubles; par le repos le trouble tombait, et l'on voyait se ras- | sembler sur le fond des vases un dépôt sensible. J'ai commence Fig. 6. par étudier ce dépôt au microscope avec beaucoup de soin. Un mot en premier leu sur la nature de ces VIns. N° 1. — Vin d'Arbois de tous plants. Ploussard dominant, et environ un quart de trousseau. Très-bon ordinaire. Tempe- rature du vin au moment de la prise d'échantion, 11°. CAUSES DES MALADIES DES VINS. 39 N°2.— Vin d'Arbois de tous plants, avec enfariné et plant maldoux dominant. Vin très-ordinaire. FT —8°,5. N°3. — Vin d'Arbois, presque uniquement formé par du plonssard des meilleures vignes de Pupillin. Vin très-fin. 0.2. N° 4.— Vin d'Arbois de tous plants. Vin ordinaire. T = 9°!. N° 5. — Vin d'Arbois de ploussard à peu près pur, Vin assez fin. N° 6.— Vin d'Arbois de ploussard, valet noir et naturé. Très- bon ordinaire. T — go. N° 7. — Vin d'Arbois, bon ordinaire, un peu moins fin que le n° 5. T — de ! Je ferai remarquer que la température de la vendauge qui a fourni ce vin à été élevée de 12 à 17 degrés en portant à une température voisine de l'ébullition une partie du moût de cette vendange. Voici le détail de l'opération : Lorsque le foudre fut rempli aux trois quarts de vendange {il ne faut pas rem- plir entièrement, à cause de la grande augmentation du volume par la fermenta- tion), on a soutiré par la cannelle * environ 30 litres de moût par 500 litres de vendange, puis, après avoir chauffé ce moût dans de grandes chaudières de cuivre, on l’a reversé dans le tonneau. Pour opérer le mélange de la partie chaude avec la partie froide, on a soutiré par la cannelle des seaux de moût que lon a reversé par la bonde, un grand nombre de fois, jusqu'à ce que la température des couches supérieures de la vendange füt celle du moût arrivant par la can- nelle. Cette expérience a été faite à titre d'essai pour faciliter la fermentation. Je ferai remarquer que la fermentation a du être modifiée par une autre cause, sur laquelle j'aurai l'occasion de revenir, je veux parler de l'aération du moût par le fait du mélange des diverses portions de la vendange tel que je viens de le re- later. * La cannelle ou cannette est un robinet de bois ou de bronze qui est adapté à la partie inférieur: du tonneau. Son conduit serait bientôt obstrué par les pellicules des grains de raisin , si l'on n'avait la précaution d'entourer son orifice intérieur par une calotte formée d'un treillis d’osiers. A0 ÉTUDES SUR LE VIN. N° 8. —— Vin blanc d'Arbois, du plant appelé melon. Vin blanc cuvé, c'est-à-dire que la vendange a été mise à fer- menter dans les foudres à la manière de la vendange rouge. Le vin blanc non cuvé est celui qui est obtenu en faisant fer- menter le moût que donne la vendange par l'action du pres- soir. La vendange blanche du plant melon est ordinairement cuvée; celle du plan naturé où savaqgnin est au contraire sou- nise au pressoir. Voici le résumé des observations microscopiques propres aux dépôts de ces huit espèces de vins. N° 1. — Belle levüre alcoolique de vin, de tailles diverses, de forme sphérique ou ovale, rarement sous forme allongée où pyriforme. Beaucoup de cristaux de bitartrate de potasse en lamelles aiguillées, associés à des cristaux primastiques-octaé- driques de tartrate de chaux. Enfin, de temps à autre, en dé- placant la lame de verre sur le porte-objet, un filament pareil à ceux de la figure 5. N° °.— Le dépôt a exactement l'aspect du n° 1 et renferme les mêmes éléments organiques où minéraux; filaments du parasite aussi rares que dans le n° 1. N° 3. — Même dépôt; mêmes principes; mais ce dépôt se distingue tout de suite des précédents par une plus grande abondance des filaments du parasite. y en a toujours plusieurs dans chaque champ; dans les n° 1 et 2 il fallait chercher dans plusieurs champs pour en trouver un seul. N° 4. — Mème depôt, mais avec absence complete de bi- tartrate de potasse ; rares cristaux de tartrate de chaux; ici pas CAUSES DES MALADIES DES VINS. Al du tout de filaments. I nrest arrivé quelquefois d'en soupcon- ner un, en cherchant attentivement dans une foule de champs distincts, mais je n'oserais rien affirmer. L'élévation initiale de la température de la vendange et son aération ne paraissent donc pas avoir provoqué le développement du parasite fili- forme. N° 5. — Même depôt que dans le n° 1; peut-être quelques filaments de plus que dans les n° 1 et 2. N°6. —— Même dépôt et toujours avec bitartrate en lamelles plus ou moins nettes, et des cristaux de tartrate de chaux. Des filaments du parasite à peu près comme dans le n° 3, toujours plusieurs par champ. N° 7. — Ici les globules de levüre alcoolique paraissent vieux et fanés. Pas de tartrate de chaux. Du bitartrate de po- tasse en aiguilles peu nettes. Des huit échantillons, c'est celui qui renferme le plus de filaments du parasite. Il y en a sensi- blement plus que dans les n° 3 et 6, une dizaine par champ environ. N° 8.— Ici pas de filaments du parasite dans le dépôt, qui est forme d'une belle levüre alcoolique. Ainsi, sur huit échantillons de vins examinés un mois seu- lement après la vendange, six, au moins, ont offert le parasite qui fait tourner le vin pendant les chaleurs de leté. La ven- dange avait eu lieu du 16 au 20 octobre. Je rappelle que, dans le Jura, du moins dans le vignoble d’Arbois, la fermentation de la vendange a lieu dans des foudres couchés, sans que Pair ait le moindre accès, parce que la portion vide du foudre est constamment remplie de gaz acide carbonique. 12 ETUDES SUR LE NIN. Le vin renferme donc, le plus souvent dès l'origine, et pour ainsi dire normalement, les germes de son altération ulté- rieure, et ici, par le mot de germe, je n'entends point parler d'une cause vague et indéterminée dans sa nature, mais d'un objet visible et tangible qui a déja tous les caractères d'une organisation complète et qui se multipliera à profusion dès que les conditions de son développement seront favorables !. ‘Il m'est arrivé de voir le ferment filiforme dont il est ici question se multi- plier dans une fermentation alcoolique presque à l'égal du ferment levüre. Le 5 sep- Fic. 7. / tembre 1863 j'ai mis à fermenter dans une bouteille de verre munie d’un tube ab ducteur plongeant dans l’eau : La fermentation , commencée dès le lendemain , a été à la fois acide et alcoolique. La figure 7 représente l'aspect microscopique du ferment étudié le 14 septembre. On y voit que, sous le rapport du nombre des articles, le ferment filiforme était aussi mulüplié que le ferment alcoolique. Je noterai en passant que ce dernier était CAUSES DES MALADIES DES VINS. 43 Poursuivons cette étude. L'entonnaison, dans le Jura, se fait à la fin de novembre. Le premier soutirage a lieu ensuite au mois de mars, et le deuxième au mois de juillet ou d'août. Le 20 juillet 1865 j'ai examiné au microscope onze dépôts de vins de la récolte de 1864, vins de la même nature que ceux dont je viens de parler. Tous étaient en foudres de 40 à 50 hectolitres et venaient d'être soutirés. Le premier soutirage avait eu lieu, selon l'usage, au mois de mars. Voici le résultat de l'examen microscopique : - Vin fin de ploussard. — Assez grand nombre de filaments dans chaque champ du microscope. Vin commun de tous plants. — Le champ en est rempli. Vin commun de tous plants. — Plusieurs par champ. Vin bon ordinaire. — Pas du tout. Vin de Montigny, Arsures et Arbois mélés. — Quelques-uns par champ. en articles allongés, pyriformes , souvent assez volumineux. C'est une des variétés du ferment alcoolique qui a sur le sucre une action plus lente, plus paresseuse que la levûüre alcoolique ordinaire , et il est possible qu'il y ait eu là une cause indi- recte du plus facile développement du ferment filiforme. (Voir, au sujet des variétés des levüres alcooliques, une note que j'ai insérée dans le Bulletin de la Société chi- mique de Paris, pour le mois de juin 1862.) Le vin, très-peu alcoolique , qui est résulté de cette fermentation, avait une aci- dité fort désagréable et était très-riche en acides volatils , dont il répandait même l'odeur. Bien qu'il soit assez rare, sans doute, que les deux ferments dont je parle s'ac- compagnent dans de telles proportions relatives , il est pourtant nécessaire que l'at- tention soit éveillée sur la possibilité d'un tel fait qui rappelle ces fermentations de jus de betteraves à la fois lactiques où mannitiques et alcooliques, et qui sont dé- signées sous le nom de fermentations nitreuses , parce qu'elles donnent lieu à une dé- composition des nitrates de la liqueur. J'ai fait remarquer depuis longtemps que la cause de ces fermentalions anomales était due précisément, comme dans le cas actuel, au développement parallèle et simultané du ferment alcoolique et de lune des variétés du ferment lactique où du ferment visqueux. RE EE ds. Re Da dé US, 44 ET UDES SUR LE VIN. Vin bon ordinaire. — Le champ en est rempli. Vin ordinaire. — Rares filaments. Vin très-bon ordinaire. — Rares flaments. Vin d'Arsures, Arbois et Montigny mélés. — Plusieurs par gny ( champ. Vin bon ordinaire. — Grand nombre. Vin fin des Arsures. — Une foule dans chaque champ du microscope. Il est manifeste par ces résultats que le parasite continue de se multiplier et d'agir après la fermentation originelle, et d'autant mieux, paraît-il, qu'il n'est plus associé au ferment alcoolique, puisque nous trouvons ici généralement bien plus de filanrents du parasite que dans les huit vins encore sous Île marc dont j'ai parlé en premier lieu. Avant d'aller plus loin, je ferai tout de suite remarquer lun des bons effets des soutirages. Ges onze sortes de vins étaient clairs et en bonne santé pour le propriétaire qui les possédait. Cependant nous voyons que le parasite s'était multiplié depuis l'entonnaison de novembre, mais cette multiplication n'affec- tait pas encore la masse du vin. De là une limpidité satisfai- sante. Quant à la qualité accusée par la dégustation, on com- prend très-bien qu'elle n'ait pu paraitre déjà altérée, puisque le parasite n'avait pris qu'un développement relativement faible; car un vin n’est réputé malade pour le propriétaire et le consommateur qu'alors que les produits nouveaux répandus dans ce vin sy trouvent en proportion suflisante. Jusque-là rien n'avertit de l'existence du mal. C'était le cas présente- ment; mais le microscope nous dit que le mal existait et avait du commencer ses ravages. Aussi rien de plus rationnel que CAUSES DES MALADIES DES VINS. A5 cette vieille coutume léguée par la sage expérience de ceux qui nous ont précédés et qui conseille de soutirer le vin en temps convenable pour en éloigner les dépôts. Ceux-ci, en effet, sont tout prêts, je ne dirai pas à remon- ter dans le vin, l'expression serait impropre, mais à se multi plier dès que la température s'élèvera dans les celliers où dans les caves. . Quand le développement du parasite est lent et pénible, il est naturel qu'on le rencontre de préférence dans le fond du tonneau, où il tombe en vertu de son poids; mais, lorsque les conditions de son développement sont plus favorables, on le trouve partout dans la masse du vin. Il pourrait bien, dans certains cas exceptionnels, y être porté par des bulles de gaz qui le soulèveraient du fond du tonneau, et, dans ce cas, on pourrait dire, avec raison, que la lie remonte dans le vin. Je me plais à rattacher aux explications de la science Îles usages techniques. Ils sont presque toujours le fruit d'observa- tions justes. Bien que la nature de mes travaux ne m'ait pas sou- vent rapproché de l'application, il m'a été donne déjà maintes fois de reconnaître toute la vérité des pratiques de métier. arrive bien parfois que c'est la vérité de la légende, mêlée de merveilleux; mais si cette pointe de miracle ne vous rebute pas, et que vous veniez à considérer les faits en eux-mêmes, vous reconnaîtrez, à peu près invariablement, qu'un usage quelconque, lorsqu'il est généralement suivi, est le fruit d’une expérience raisonnée, qu'il y a quelque utilité à ne point s'en écarter, et que la connaissance des phénomènes naturels qui Sy rattachent n'est vraiment complète que lorsqu'on peut en donner scientifiquement l'explication. J'en citerai quelques exemples. A6 ÉTUDES SUR LE VIN. Je crois que dans tous les pays et à toutes les époques, comme on en a la preuve dans les traditions recueillies par les agronomes latins, les vignerons ont établi une relation entre la vie du vin et celle de la vigne. Hs prétendent qu'au moment où le raisin fleurit, vers le 15 juin dans le Jura, le vin est en travail, et, également au mois d'août, lorsque le raisin com- mence à muürir. Volontiers ils croient à une influence mysté- rieuse entre ces diverses circonstances. Rien n'autorise à aller jusque-là. C'est à cette époque que la température des caves subit des variations, et telle est sans doute l'explication de la coïncidence dont je parle. Mais qu'importe que le paysan croie au mystère ? c'est le fait seul qu'il faut considérer, parce qu'il sert de guide dans certaines pratiques de la vinification. Les plus vieux écrits sur le vin recommandent le mois de mars pour le premier soutirage, et que le vent du nord souffle, non le vent du sud, qui est le vent de la pluie, au moins dans le Jura. Ne croyez pas à un préjugé ou à une routine aveugle. L'usage est ancien. I est suivi généralement. Recherchez plutôt s'il n'est pas dans la nature des choses, tout bizarre qu'il vous paraît. Pour moi, il me semble fort ration- nel. Le vin, surtout le vin jeune, est sursaturé de gaz acide carbonique. Si le baromètre est très-bas depuis plusieurs jours, le vin doit dégager de ce gaz. IT doit s'en élever de petites bulles du fond des tonneaux, capables d'emporter avec elles les parcelles solides les plus ténues des dépôts. Le vin sera donc moins limpide que si on le soutire par un temps de brise, alors que la pression atmosphérique tend à augmenter la so- lubilité des gaz dans les liquides. Telle est, je pense, l'origine de la pratique dont je parle. Un vigneron me dit un jour : Nous croyons que le vent du CAUSES DES MALADIES DES VINS. 17 nord colle le vin, et il ajouta : Dans tous les cas il est bien sûr qu'il colle l'eau de la rivière. Rien n'est plus vrai en effet, La ri- vière de la Cuisance, qui traverse la ville d'Arbois, a sa source, à quelques kilomètres seulement, dans les premières assises du calcaire jurassique. L'eau est chargée de carbonate de chaux dissous à la faveur du gaz acide carbonique. Par le vent de la pluie, l'eau de la rivière perd de sa limpidité, On distingue moins bien les cailloux qui forment son lit. Quelquefois on voit la mousse du fond se soulever. Qu'au contraire le vent du nord souffle , et l'on apercevrait une épingle à plusieurs pieds de profondeur. N'est-ce pas la confirmation de l'explication que je donnais tout à l'heure au sujet du vin et du conseil de sou- tirer de préférence par le vent du nord ? Mais revenons au parasite du vin. Je disais, en commencant cet ouvrage, que le travail du vin, Cest-à-dire ces changements lents et progressifs qui sur- viennent avec l'âge dans ses propriétés, sont moins un effet d'actions chimiques intestines spontanées, entre ses divers principes, que le résultat tout extérieur, en quelque sorte, des parasites auxquels il donne asile, joint à l'influence de l'intro- duction graduelle de oxygène de Fair. En ce qui concerne les parasites de la figure 5, je vais mon- trer, non plus par l'examen au microscope, mais par une étude chimique, que ces petits filaments dont nous venons de cons- tater la présence dans la levüre alcoolique du moût de raisin suffisent pour déterminer dans le vin une modification lente et progressive. On a constaté depuis longtemps que le vin ren- ferme des quantités variables d'acide acétique, auquel il faut ajouter d'autres acides gras volatils, suivant les observations de M. Béchamp. Or nous allons reconnaitre que ce n'est point 4S ÉTUDES SUR LE VIN. 4 à la fermentation normale qui produit le vin qu'il faut en at- tribuer la présence, mais à l'action des parasites dont il s'agit, pour la plus grande partie du moins. Je trouve dans un traité sur les vins de M. Mulder ! un ta- bleau des proportions d'acide acétique que ce savant a rencon- tre dans diverses sortes de vins. Je ne reproduirai que quelques termes de ce tableau. Ouaniié d'acide acctique par litre, Vinqdu Rin.tS ns ent etes 0,793 Bordeaux 2, MR Er Le 1 02) SAUTER EEE DEN I 1 ,045 Beaunestt PIECE REIN SPP ORRTERERR Oo ,307 Pomard.s 0e eur M MERE .. #07/79 Hermitage se sent fes vi 203 + CLEO Mavelle-v Re Ce re. STE Oo ,348 Champasne ts cu nes ect Oo ,794 DErSErACANS A EEE ICE FN EMOOP Ces nombres, nous allons le voir, sont tout à fait exagérés. Si le vin naturel n'est que le produit du ferment alcoolique propre au moût de raisin, il ne contient guère que 1 à 2 décigrammes d'acides volatils par litre. Je crois que, lorsque la proportion de ces acides dépasse ce chiffre, et c'est le cas le plus ordi- naire, J'oserais même dire que cela est toujours ainsi pour les vins marchands, on peut être assuré que le vin a été sous l'in- fluence des parasites, et il est possible de se rendre un compte assez exact des phases antérieures de la vie du vin à ce point ! Muilder, Chimie du vin. Rotterdam, 1855 ; Leipsig, 18537. Voir aussi le Traité d'œnologie publié par M. Ladrey en 1857, qui est un résumé clair et intéressant des principales connaissances à cette époque sur la vigne et le vin. — Dijon et Pa- FIST 097: CAUSES DES MALADIES DES VINS. A9 de vue, par la détermination de la quantité des acides volatils qu'il renferme. J'espère même que, quand l'application de la chimie à l'industrie des vins sera plus répandue, on cherchera à connaître les altérations que les vins ont pu éprouver anté- rieurement, et qu'ils sont susceptibles d'éprouver encore, par la proportion des acides volatils qu'ils contiennent à un mo- ment donné, par exemple au moment de leur mise en vente. Cette pratique mériterait toute l'attention du commerce. Essayons, en eflet, de déterminer la proportion des acides volatils de différents vins qui nous seront bien connus quant à l'influence qu'ils auront subie de la part du parasite fig. 5. Il ne faut pas espérer isoler complétement ces acides par la distillation. Les dernières portions d'acide acétique sont rete- nues opiniätrément, et lon doit craindre une altération des matières organiques du résidu du vin et le dégagement de l'a- cide succinique!. La difficulté peut être levée de la manière suivante : Un litre de vin est mis à distiller au bain de chlorure de calcium. On recueille d'abord 500% de liquide exactement, puis 4oo®; on ajoute alors 400% d'eau pure, et l'on recueille de nouveau par la distillation 400% de liquide. L'expérience montre que le rapport des produits volatils, à partir de la troisième distillation, est à peu près celui de deux à un entre deux distillations successives. IL est donc facile de déduire ap- proximativement , des quantités d'acides volatils que renferment les 500 recueillis en premier lieu et les 400" recueillis en- ! Il faudrait y joindre, selon MM. Berthelot et de Fleurieu , des acides éthérés. (Annales de chimie et de physique, 4° série, t. V, p. 218.) Voir au sujet des acides volatils dans la fermentation un mémoire de M. Duclaux, inséré dans les Annales scientifiques de l'École normale, t. IL, 1865. | | | | ' 50 ÉTUDES SUR LE VIN. suite à deux reprises, quelle est la proportion totale d'acide acétique renfermée dans un litre du vin. Quant au dosage des acides volatils, évalués comme acide acétique pur, dans les liquides de distillation, il peut se faire à l'aide d'une solution d'eau de chaux titrée. Voici quelques mesures prises en suivant cetle marche : Vin n° 1, de la page 58. Les 500% ont exigé 26% eau de chaux. Les 400% de la deuxième distillation ont exigé 44° d’eau de chaux. Les 4oo° de la troisième distillation ont exigé sensiblement 20° d’eau de chaux. La quantité totale d'acide acétique contenue dans ce vin correspond donc à 26% + 44° + 20° + 10% + 5° + 2%,5 +1,75 -+ etc. d'eau de chaux. La somme de ces derniers nombres, non déduits de l'expérience directe, fait à peu près, et dans tous les cas il en sera de même, un nombre égal au troisième nombre déterminé expérimentalement. Le total gé- néral est donc sensiblement 26% + 44° +920°+ 20"=110" eau de chaux. Or 2 7" de cette eau de chaux saturaient 05,06 1 25 d'acide sulfurique ou 0,075 d'acide acétique. Les 1 10 d'eau de chaux correspondent donc à 0f',30 d'acide acétique par litre de vin. Vin n° 4, de la page 39. Les mêmes opérations sont effectuées. Les 500 ont exigé 18% eau de chaux; Les Lhoo° de la deuxième distillation ont exigé 28"; Les Aoo de la troisième distillation ont exigé ua. CAUSES DES MALADIES DES VINS. 51 Le volume d'eau de chaux correspondant à l'acide acétique Miallest donc de 18% + 28% + 19% + 12%— 70°, ce qui fait of ,19 d'acide acétique par litre de vin. Vin n° 7, de la page 39. Mêmes opérations. Ce vin renfermait of" ,42 d'acide acétique par litre. Mais considérons le win n° 8. Les 500° de la première distillation n'ont exigé que 17" d'eau de chaux pour leur saturation. Les 4oo° de la deuxième distillation ont exigé 20; Les 400° de la troisième distillation ont exigé 10" Le volume total d'eau de chaux propre à saturer tout l'a- cide acétique contenu dans un litre de vin était donc égal à D + 20° + 10° + 10*— 57", ce qui équivaut à of", 16 d’'a- cide acétique seulement par litre. Il n'est pas douteux que les différences dans les proportions d'acides volatils entre ce n° 8 et les n° 1, 4 et 7, doivent être rapportées presque exclusivement à celles qu'offraient leurs dépôts examinés au microscope. Mais il ne sera pas sans uti- lité d'en donner une preuve directe. Le 4 janvier 1866, j'ai examiné de nouveau les dépôts de ces mêmes vins pris dans d’autres flacons que j'avais conservés soigneusement, et qui n'avaient jamais été ouverts depuis le Jour où ils avaient été remplis, le 21 novembre 1864, c'est-à- dire depuis treize à quatorze mois environ. Ces vins étaient restés surchargés de gaz acide carbonique , très-bien bouchés, et les bouchons mastiqués. Grâce à la fermeture et à la ten- sion intérieure du gaz acide carbonique, il n'est pas rentré dans les flacons la moindre quantité d'air. Or l'examen microsco- 52 ÉTUDES SUR LE VIN. pique fait sur les dépôts des n° 1, 2, 4 et 7, a montré l'exis- tence d’un nombre de filaments sensiblement plus grand que lors de la première observation qui avait été faite sur ces dé- pôts, observation relatée pages 4o et 41. Les figures 8, 9, 10 et 11 donnent une idée de l'aspect du champ !. J'ai alors déterminé de nouveau pour les n® 1 et 4 les quantités d'acides volatils, et j'ai trouvé que le volume total d'eau de chaux (eau de même dosage que la précédente) propre à saturer tout l'acide était : Pour le n° 1, 43° + 65" + 29" +15" ==m0ge; Pour le n° 4, 38°+ 57" +25 + 13° + 1 3°— 1 46°. Ce qui équivaut à 06,46 et o%,40 d'acide acétique par litre de vin, proportions sensiblement plus élevées que celles qui existaient une année auparavant et qui étaient 0f,30 et 0F,19. Cette différence ne peut s'expliquer que par la multiplication des filaments du parasite. Nul doute que j'aurais trouvé éga- lement bien plus d'acide acétique dans les vins n° 2 et 7, puisque les figures 9 et 11 accusent aussi une plus grande abondance du parasite depuis l'observation antérieure d’une année. Mais nous pouvons aller plus loin dans cet ordre de preuves. J'ai fait observer précédemment que tous les vins en géné- ral, au fur et à mesure qu'ils prennent de l’âge, sont de plus en plus sous l'influence de productions parasites, alors même qu'ils ne sont pas encore considérés comme malades par les consommateurs. Ï est donc vraisemblable que le vin mar- ! Je ferai remarquer en passant que nous avons ici la preuve certaine que le parasite de la figure 5 n'a pas du tout besoin de gaz oxygène pour se développer, puisqu'il s’est multiplié, dans cette occasion, absolument à l'abri de ce gaz. MALADIE DES VINS TOURNÉES. Aoo/1 a, a, Ferment alcoolique ordinaire du vin. b,b, Cristaux aiguillés de bitartrate de potasse. ce, e, Cristaux de tartrate neutre de chaux. d, d, Filaments du parasite qui détermine la maladie des vins tournés. MALADIE DES VINS TOURNES Fo, 0. Le) P. Lackerbauer, ad nat. del a,a, Ferment alcoolique ordinaire du vin b,b, Cristaux aiguillés de bitartrate de potass: c, c; Cristaux de tartrate neutre de chaux. d,d, Filaments du parasite qui détermine la maladie des vins tournés P. 59-53. de. MALADIE DES VINS TOURNÉS. Fi ‘10 10. 10. hoo/1 a; a; Ferment alcoolique ordinaire du vin. b,b, Cristaux aiguillés de bitartrate de polasse c, €, Cristaux de tartrate neutre de chaux. d;,d;, Filaments du parasite qui détermine la maladie des vins tournés EF F9 22-99 MALADIE DES VINS TOURNÉS. P . Lackerbauer, ad nat. del. Loo/1 a, a, Ferment alcoolique ordinaire du vin. b,b, Cristaux aiguillés de bitartrate de potasse. ce, ce, Cristaux de tartrate neutre de chaux. d, d, Filaments du parasite qui détermine la maladie du vin |. ul CAUSES DES MALADIES DES VINS. 03 chand, de une, deux, trois années d'âge, renfermera une plus forte quantite d'acide acétique. C’est ce que l'expérience con- firme. Voici l'essai de quelques vins choisis dans ces condi- L 1 tions : Vin d'Arbois, bon ordinaire de 1863. — Étudié en 1865. Un litre renferme 14,33 d'acide acétique. Î Vin de Bordeaux, acheté en 1864 et vendu comme vin de 1859. _— Étudié en 1865. Un litre renferme 1%,08 d'acide acétique. Vin de Douby 1854, envoyé par M. Terrel des Chênes \. — Beaujolais. Étudié en 1865. Un litre renfermelof",66 d'acide acétique. Vin de Bourgogne ordinaire de 1856. — Etudié en 1864. Un litre renferme 0f',80 d'acide acétique. q Vin des Arsures de 1859. — Étudié en 1864. Un litre renferme 25,41 d'acide acétique.—H est probable que ce dernier vin, qui n'avait été livré et mis en bouteille qu'au mois d'octobre 1863, avait éprouvé un commencement d'acétification par le mycoderma aceti développé à sa surface en tonneau. Tous ces vins, sans exception, renfermaient des filaments. Il suffit de relever une des bouteïlles, de la laisser reposer un ! Je saisis avec plaisir l'occasion qui m'est offerte de remercier M. Terrel des Chênes, auteur de divers écrits intéressants sur les maladies des vins , de son em- pressement à m'offrir ses services dans les études auxquelles je me suis livré. 54 ÉTUDES SUR LE VIN. jour ou deux, de décanter avec soin la presque totalité du vin et d'observer son dépôt au microscope, après l'avoir bien agité avec les deux ou trois centimètres cubes de liquide laissés à dessein au fond de la bouteille. Quelque faible que soit ce dé- pôt, on voit un nombre variable de filaments qui se sont for- més dans la bouteille ou qui proviennent du tonneau d’où le vin a été tiré. Ainsi la figure 12 représente le dépôt du vin de Douby de 1854 dont il a été parlé tout à l'heure. Je le ré- pète, il est bien rare de trouver un vin rouge de table, com- mun ou de grand cru, bien naturel, qui soit exempt de para- sites dans son dépôt. Cependant la figure 13 en offre un exemple. Elle représente le dépôt d'un vin de 1834, vin de qualité très-supérieure. L'observation a été faite en 1865. Je reviendrai sur la nature de ces dépôts. Ce que je désire surtout faire remarquer en ce moment, cest que nous retombons ici pour des vins marchands, pris au hasard, sur des proportions d'acide acétique assez conside- rables et de l'ordre de celles que j'ai empruntées au tableau de M. Mulder. H n'est donc pas douteux que les quantités d'acide acétique trouvées par ce chimiste dans différents vins ne sont point na- turelles et n'ont aucune signification propre. Elles sont l'effet d'une maladie du même ordre que la maladie de l'acescence, et dépendant d'une cause analogue. L'acescence exige le contact de l'air. Elle est propre aux vins conservés en füts. C’est elle, en grande partie du moins, qui a fait naître la pratique de l’ouillage, si nécessaire dans la plupart des vignobles. C'est elle encore qui a amené la pratique, non moins utile, de la conservation du vin en bouteilles couchées et non debout, parce que le vin dans des bouteilles debout, l . D h 5 5E) p P. Leckerbauer, ad nat. 5 h-55 del. hoo/1 Imprimerie Impériale CAUSES DES MALADIES DES VINS. 09 mème très-bien bouchées, est sujet à l'acescence. Enfin cette maladie exige le contact de l'air parce que son ferment ne peut vivre et agir qu'en présence de ce gaz. Mais à côté de ce genre d'acescence 1} y en a un autre dont les conditions diffè- rent. Les vins en bouteilles couchées y sont sujets aussi bien que ceux qui sont en füts parfaitement ouillés. C'est que le ferment de cette maladie, qui est un ferment proprement dit, na pas du tout besoin de gaz oxygène libre pour vivre, ou pour agir. Aussi les vins les mieux soignés peuvent éprouver les eflets de cette maladie. H n'y a pas de pratique, aujour- d'hui connue dans l'art de la vinification, qui puisse la préve- nir sûrement. Cependant, comme son ferment se multiplie lentement, surtout à une basse température, et que, plus lourd que le vin, il tombe au fond des tonneaux, et que c’est là surtout qu'il agit, il est extrêmement utile, pour diminuer les inconvénients de cette maladie, de conserver les vins dans des caves à basse température, et de les soutirer vers l'époque des chaleurs. On les isole ainsi du dépôt qui les altère : on isole surtout le foyer du mal, et l'on oblige le végétal à se reformer avant qu'il puisse agir de nouveau. Telles sont, à mon avis, quelques-unes des principales circonstances qui ont amené l'usage des caves à basse température pour conserver le vin, et qui motivent la pratique si utile des soutirages, une ou deux fois par année. Plus on réfléchira aux causes des maladies des vins, plus on se convaincra que l'art de la vinification, et les soins que l'expérience des siècles a proclamés nécessaires, ont principa- lement leur raison d'être dans les conditions mêmes de la vie et de la manière d'agir des parasites du vin, de telle sorte ue, si lon pouvait arriver à supprimer par une opération pra- P PI Ï 56 ÉTUDES SUR LE VIN. tique très-simple , les causes des altérations spontanées des vins, on pourrait, sans nul doute, fonder un art nouveau de faire le vin beaucoup moins dispendieux que celui qui est suivi depuis si longtemps, bien plus efficace surtout pour supprimer les pertes qu'occasionnent les maladies des vins, très-propre par conséquent à l'extension du commerce de cette denrée. Il est désirable que l'on atteigne ce but, car le vin peut être à bon droit considérée comme la plus saine, la plus hygié- nique des boissons. Aussi, parmi celles qui sont connues au- jourd'hui, c'est celle que l'homme recherche de préférence à toutes les autres, si peu que l'occasion lui ait été offerte de s'y habituer. Ce serait ici le lieu d'examiner quels sont les principes im- médiats du vin qui disparaissent lorsque le vin tourne, pour donner naissance à de nouveaux produits. M. Balard, dans la note que J'ai citée précédemment, et M. Béchamp, ont déjà traité cette question !. Je m'en suis occupé à mon tour, mais sans arriver à être satisfait de mes observations. Pour appré- cier l'influence d'un ferment sur la nature des principes qu'un vin renferme, il est à peu près indispensable d’avoir à sa dis- position une portion du même vin que le ferment n'aura pas du tout altérée, afin de procéder à une comparaison rigou- reuse des deux échantillons. Cette condition est très-difhicile à réaliser et je n'y étais point parvenu à l’époque où je me li- vrais aux observations auxquelles je viens de faire allusion. Assurément on peut étudier un vin, le laisser s'altérer, puis re- prendre à nouveau son analyse. C'est ce que j'ai tenté de faire. Mais cette marche est tres-peu sûre, et à peine qualitative, 1 M. Glénard, professeur de chimie à Lyon, s'était également occupé de ce sujet en 1869. {Voir le Recueil des Mémoires de la Société d'agriculture de Lyon.) CAUSES DES MALADIES DES VINS. 97 parce que nous ne connaissons pas encore de bons procédés de dosage des substances contenues dans le vin; de telle sorte que l’on doit toujours craindre que les différences constatées à long intervalle entre deux analyses d'un même vin tiennent à l'incertitude du mode d'analyse. Heureusement cette diffi- culté pourra être levée à l'avenir, grâce à un nouveau procédé de conservation du vin que je ferai connaître dans la troisième partie de cet ouvrage. Aussi ai-je commencé de nouvelles ex- périences sur les substances que les maladies introduisent dans les vins. J'ai pris diverses sortes de vins pouvant subir les ma- ladies auxquelles ils sont sujets. À une partie de ces vins j'ai appliqué le procédé de conservation dont je parle. L'autre partie n'a pas été traitée et s'altère. Lorsque la maladie aura suffisamment exercé son influence, le vin malade sera com- paré avec le même vin conservé. On sait combien ces com- paraisons simultanées sont précieuses, même lorsqu'elles sont effectuées par des méthodes incertaines. Je donnerai ultérieu- rement, pour la maladie de l'amertume, un premier exemple de l'application de ce moyen d'étude aux effets que produisent les maladies des vins. { Voir l'Appendice.) Je me bornerai en ce moment à soulever une question in- téressante relative à la composition normale du vin et qui est liée au sujet dont je parle. Le vin renferme-t-il de l'acide lac- tique ? À une époque où l'acide lactique passait pour être un produit de la fermentation alcoolique, la présence normale de l'acide lactique dans le vin était généralement admise. Mais, à la suite du mémoire relatif à cette fermentation! dans le- quel j'ai montré que l'acide lactique n'existait, dans les liquides ! Pasteur, Mémoire sur la fermentation alcoolique. (Annales de chimie et de phy- sique , t. LVIIL, 1860.) 58 ÉTUDES SUR LE VIN. sucrés qui avaient éprouvé la fermentation alcoolique, qu'au- tant que cette fermentation avait été associée à une fermenta- tion lactique proprement dite, on a dû penser que la présence de l'acide lactique dans le vin n'était rien moins que prouvée, à moins que le raisin lui-même ne renfermât cet acide. Ce- pendant, postérieurement à la connaissance des faits dont je parle, M. Balard a retiré directement de l'acide lactique de plu- sieurs espèces de vins, et notamment de vins qui n'avaient Ja- mais été réputés altérés. L'acide lactique paraît donc être un principe immédiat propre à la nature du vin. Mais il ne faut pas se hâter de porter ce jugement. En effet, nous avons re- connu tout à l'heure que des vins, très-sains en apparence, qui ne sont point du tout altérés pour le consommateur, peu- vent être, chimiquement parlant, sensiblement malades, et que même il est bien difficile de trouver un vin rouge de table qui n'ait subi à un certain degré l'influence du ferment de la maladie des vins tournés. Dès lors on doit se demander si l'a- cide lactique reconnu par M. Balard dans les vins qu'il a exa- minés n'était pas un produit accidentel , développé par l'in- fluence d'un ferment parasite, comme il arrive pour les fermentations alcooliques ordinaires lorsqu'elles donnent nais- sance à cet acide. C'est encore un sujet d’études qu'il sera fa- cile d'aborder en profitant du procédé de conservation des vins auxquels je faisais allusion tout à l'heure. Je ne puis por- ter présentement un Jugement assez autorisé sur la question dont je parle; cependant je dois dire qu'ayant recherché avec grand soin la présence de l'acide lactique dans les vins n° 4 et 7 de la page 39, je n'ai point trouvé cet acide dans un litre de vin n° 4, mais j'en ai trouvé plusieurs décigrammes dans le n° 7. Or le vin n° 4 s'était formé sous l'influence d'une fer- CAUSES DES MALADIES DES VINS. 00 mentation alcoolique dont le ferment était sensiblement pur, tandis que le ferment alcoolique du vin n° 7 était associé aux filaments propres au vin {ourné, ainsi que je l'ai précédem- ment exposé. Ce résultat tendrait donc à faire penser que l'acide lactique n'existe dans le vin qu'autant que le vin a été soumis à l'influence du ferment filiforme, fig. 5. On pourrait croire que je préjuge ici la question de la na- ture des filaments qui font tourner le vin, et que je les regarde comme identiques avec ceux qui composent le ferment de la fermentation lactique proprement dite. Mais il existe tant d’es- pèces distinctes parmi les ferments filamenteux qu'il faut être très-circonspect dans ces sortes de questions. La formation de l'acide lactique ne suflit pas à décider celle-ci, car il peut se faire que divers ferments donnent lieu à une production d’a- cide lactique. Un seul principe ne peut servir à caractériser une fermentation. Pour ce qui est de l'observation microscopique, le ferment des vins tournés offre les plus grandes ressemblances, il est vrai avec le ferment lactique, surtout lorsqu'il a été agité, brise et réduit en petits fils ou bâtonnets. Mais lorsqu'on l'étudie sur place, là où il a pris naissance, et sous ses divers aspects, on constate entre eux certaines différences qui consistent princi- palement en ce que le ferment des vins tournés est formé de longs filaments cylindriques flexibles sans étranglements bien apparents, de véritables fils non rameux, et dont les articula- tions ne sont pas toujours bien accusées. Le ferment lactique, au contraire, est formé d'articles courts, légèrement déprimés à leur milieu, de telle sorte que sous un certain jour on dirait une série de points, lorsque plusieurs articles sont réunis bout à bout. 60 ÉTUDES SUR LE VIN. Il ne faut pas exagérer toutefois la distinction des deux fer- ments d'après ce caractère. On le retrouve à quelque degré dans la plupart de ces productions, à cause du mode de mul- tiplication par fissiparité qui leur est habituel. La nature d'un ferment ne peut être rigoureusement établie que par sa fonc- tion physiologique, et nous ne connaissons pas encore suff- samment celle du ferment des vins tournés. Je suis même porté à croire que l'on réunit sous l'expression de vins tournés des maladies différentes auxquelles correspondent plus d'un ferment filiforme. Les vins rouges ne sont pas seuls sujets à ce genre de ma- ladie. I arrive souvent que les vins de Champagne, ou les vins clairets et mousseux du Jura, prennent un goût de piqué très- désagréable. J'ai reconnu que cette altération est produite par le parasite qui nous occupe. La bière elle-même est sujette à cette maladie. La figure 14 représente le ferment que j'ai observé dans une bière dite montée ou tournée. Le tonneau qui la renfermait, lorsque je l'ai examinée, offrait en outre à la surface du liquide une couche mycodermique formée de la reunion du mycoderma aceti et du mycoderma vint. De là le mélange de productions organisées qu'offre la figure. Une par- tie des mycodermes de la surface est tombée et s'est mêlée aux filaments qui ont fait tourner la bière. C MALADIE DE LA GRAISSE. — VINS FILANTS. VINS HUILEUX. Cette maladie, rare dans les vins rouges, est très-fréquente dans les vins blancs, particulièrement dans les vins blancs BIERE TOURNÉE. + Fio Il 19. (FE P. Lackerbauer, ad nat. A o je hoo/1 a,;a, Levûre de bière ordinaire. b, b, Mycoderma vini. ec, c, Ferment des vins tournés. Go-G1 Imprimerie Impériale | ; CAUSES DES MALADIES DES VINS. ü1 faibles de divers vignobles. Tels sont, par exemple, les vins blancs du bassin de la Loire et de l'Orléanais. Les vins perdent leur limpidité naturelle, deviennent plats et fades, et, lorsqu'on les transvase, ils filent comme de l'huile. La maladie se déclare dans les tonneaux, ou dans les bou- teilles les mieux bouchées. « Pour concevoir, dit Chaptal, cette dégénération du vin, il faut se rappeler les principes que nous avons déjà développés sur la fermentation. J'ai observé que les deux principes néces- saires à la fermentation étaient le sucre et un ferment qui se rapproche de la nature du gluten animal. J'ai ajouté que, pour que la fermentation fût parfaite, il fallait qu'il existât une juste proportion entre ces deux substances. Si le gluten pré- domine, il en reste une partie dans le vin, qui peut sen dé- gager, et c'est cette substance qui forme la graisse dans les vins faibles. » M. François, pharmacien à Chälons-sur-Marne, qui a fondé sur l'emploi du tanin un remède très-apprécié en Champagne pour prévenir cette maladie, a émis des idées analogues à celles de Chaptal. Le gluten de froment renfermerait une substance soluble dans l'alcool, identique avec celle que l'on peut extraire également par l'alcool des résidus de vins blancs gras. Le tanin précipite cette substance, qui, selon M. François, est la cause directe de la maladie !. Ce n'est pas le lieu de critiquer ces opinions. On peut bien prévoir dans l'état actuel de la science qu'elles sont erronées, mais il faut attendre le résultat des comparaisons dont je par- 1 Sur la cause de la graisse des vins, etc. par François ( Annales de chimie et de physique, DM, 2°séne, p:212. 1829-1831). 62 ÉTUDES SUR LE VIN. lais tout à l'heure entre les vins malades et les mêmes vins conservés, afin d'être bien assuré de la nature des produits qui fournissent la graisse du vin. La figure 15 représente le ferment des vins blancs filants. Ce sont des chapelets de petits globules sphériques dont le dia- mètre varie sensiblement suivant les espèces de vins atteints de cette maladie. Ceux de la figure appartenaient à un vin blanc nantais, de la nature de ceux qui servent à Orléans dans la fabrication du vinaigre. Ici les globules avaient moins de —— de millimètre de diamètre. Si le vin est devenu filant en bouteille, on trouve ce fer- ment au fond de la bouteille, ou en suspension dans la masse du vin. Dans ce dernier cas, la présence du ferment peut con- tribuer à la propriété filante du vin, parce que les chapelets enchevêtrés guident le jet liquide et font qu'on lui attribue plus de viscosité qu'il n'en possède réellement. C'est peut-être ce qui explique le fait reconnu par les anciens auteurs, Chap- tal entre autres !, que l'on peut corriger le mal en agitant les bouteilles pendant un quart d'heure, et les débouchant ensuite pour laisser s'échapper le gaz et l'écume. Le ferment s'accom- pagne d'une sorte de gelée qui peut bien aussi se concréter par l'agitation, eflet propre également à diminuer la viscosité ap- parente. Cette matière mucilagineuse et les chapelets enchevé- trés du ferment forment quelquefois par leur réunion une 2- véritable peau, glissante au toucher, entièrement analogue la mère du vinaigre. J'ai observé cette forme de la maladie à Orléans sur un grand nombre de tonneaux de vin blanc de la maison Breton-Lorion. Ces tonneaux restés en vidange, et qui ! Cours complet d'Agriculture, par l'abbé Rozier, t. X, p. 358. — Chaptal , article Vin. MALADIE DE LA GRAISSE DES VINS BLANCS DE LA CHAMPAGNE, DE L'ORLEANAIS, ET( { Vin D'OnLEaANs , très-filant. ) Fig. 15. FE. Lackerbauer, ad nat. del Imprimerie Imper 500/1 P. 62-63. CAUSES DES MALADIES DES VINS. 65 contenaient du vin flant, avaient tous à leur surface une peau membraneuse au lieu de la fleur ordinaire du mycoderma vin. À ne juger des choses que par l'aspect de cette pellicule, on aurait pu croire que le vin devait être transformé en vinaigre. Cependant il ne renfermait pas d'acide acétique, et l'observa- tion microscopique m'a permis de reconnaître que la pellicule de la surface n'était point formée par le mycoderma aceti, mais qu'elle constituait une disposition particulière du développe- ment du ferment des vins gras, due sans doute au contact de l'air et à la vidange. Ces peaux enfermées dans des bouteilles avec du vin blanc le rendaient, après un certain temps, extré- mement filant. En résumé, la graisse des vins n'est point du tout produite, comme on l'a admis jusqu'à présent, par la précipitation d'une substance glutineuse, plus ou moins analogue à certains prin- cipes du gluten du froment, se déposant dans le vin sous l'in: fluence de causes inconnues. C’est une fermentation accessoire due au développement d'un parasite dont le germe doit être emprunté au raisin, et probablement à certains grains de rai sin qui ont pourri sur le cep par l'effet de ce même parasite ou de l'une de ses variétés ou métamorphoses. Quelle profu- sion de germes de toute nature n'introduit-on pas dans une cuve de vendange ! Que d'altérations diverses ne rencontre-t-on pas dans telle ou telle feuille, dans tel ou tel grain que mille causes ont pu entr'ouvrir, et qui ont été le siége de fermentations et de putréfactions de diverses natures ! Et quel nombre effrayant de germes apportés par l'air et attachés dans la couche un peu cireuse de la surface extérieure des grains du raisin! Que le vin par sa composition soit de nature à permettre le développement de quelques-uns de ces germes, et ceux-ci ne 64 ÉTUDES SUR LE VIN. manqueront pas de se multiplier à un moment ou à un autre, selon les circonstances de température et d'aération de la li- queur. IH y a deux classes de germes à jamais étouffés dans la cuve de vendange en fermentation et dans le vin qui en ré- sulte. Ce sont, d'une part, tous ceux des infusoires, bacteries, kolpodes, anguillules, etc. et d'autre part toutes les spores des moisissures aériennes. Aucun infusoire n'apparaîtra dans le vin, parce que le vin est acide et que l'acidité les fait périr. Quant aux spores des moisissures , elles ne germeront pas, parce qu'elles ont besoin, elles et les êtres adultes qui doivent en provenir, de gaz oxygène pour vivre. Or la cuve de vendange ou le foudre en fermentation sont des espaces absolument fermés à l'introduction de l'air. C’est un autre motif pour que les infu- soires n'apparaissent pas. Quel genre de vie se montrera donc et à profusion? C’est celui qui est propre aux ferments, à ces êtres étranges qui peuvent vivre sans air, dans les profondeurs des matières organiques dont ils empruntent l'oxygène combiné, d'où résulte leur caractère de ferments, selon une théorie gé- nérale de la fermentation à laquelle j'ai été conduit il y a quel- ques années, et qui me paraît de plus en plus l'expression des faits les mieux étudiés !. Encore ne verra-t-on apparaître que les ferments végétaux dont la vie peut s'accommoder d’une certaine proportion d'a- cide et d'alcool. Ainsi jamais de fermentation butyrique dans les vins, parce que les vibrions qui déterminent cette fer- mentation périssent dans Îles liquides acides. Ce seraient eux au contraire que l'on verrait se multiplier si l'on venait à ajouter ! Comptes rendus de l'Académie des sciences , t. LIL. 1861. Expériences et vues nouvelles sur la nature des fermentations. CAUSES DES MALADIES DES VINS. 69 dans la cuve de vendange une certaine quantité de chaux propre à rendre le liquide neutre. Dans toutes ces études, si lon perd de vue les conditions d'existence des êtres inférieurs, on ne voit que choses extraor- dinaires, et l'on s'imagine volontiers que lon assiste à des créations variées, tandis que les lois générales trouvent ici, comme partout ailleurs, de simples et naturelles applications. Je n'ai pas besoin de faire observer combien, au premier aspect, il y a d'analogie entre le ferment des vins filants et celui des vins tournés. Dans ces deux cas l'apparence est celle de filaments, mais ceux de la maladie de la graisse sont des chapelets de grains, tandis que ceux de la maladie des vins tournés sont des chapelets d'articles, dont les articulations sont en général mal accusées. On les dirait pleins dans une grande longueur, le plus souvent du moins, car il n'y a ici rien de bien absolu. Ces distinctions deviendront plus claires dans la section suivante. D MALADIE DE L'AMERTUME. — DE L'AMER. DU GOÛT DE VIEUX. ETC. Voici une des maladies qui nuisent le plus au commerce des vins, particulièrement des vins vieux, qui sont toujours les vins des meilleurs crus, puisque l'on ne conserve que les vins les plus estimés. Tous les vins rouges, sans exception, sont sujets à cette maladie, mais elle atteint de préférence les vins les plus délicats de la Côte-d'Or, et en général les vins des meilleurs crus. Il n'y a pas de contrée vinicole en France qui n'ait son coteau plus ou moins célèbre. Eh bien, c’est le J 66 ÉTUDES SUR LE VIN. vin de ce coteau qui deviendra amer avec les années. On pour- rait dire que le vin de la plaine n'est jamais conservé assez longtemps pour que l'on sache s'il prendrait à son tour de l’a- mertume. Cela est vrai dans une certaine mesure. Mais il n’est pas douteux néanmoins que, toutes choses égales d’ailleurs, le vin commun ne soit bien moins sujet à l'amertume que le vin de qualité. Par contre les vins communs sont plus sujets à tourner que les grands vins. Je ne pourrais mieux faire pour décrire la maladie de d'a- mertume des vins que de reproduire ici une lettre intéressante qu'un habile œnologue, M. de Vergnette-Lamotte, a bien voulu m'adresser à la date du 27 avril 1864, à la suite d’une com- munication que javais faite à l'Académie le 18 janvier précé- dent, et dans laquelle j'avais décrit le ferment qui produit l'amertume des vins !. On trouvera cette lettre reproduite textuellement dans l'ap- pendice de cet ouvrage. J'en extrais les passages suivants : «Nous distinguons deux sortes d'amertume dans les vins : la première, celle qui les atteint de la deuxième à la troisième année de leur âge, et l'autre, que l'on rencontre dans les vins très-vieux. Cette dernière maladie, à laquelle on peut plus spé- cialement donner le nom de goût de vieux, est loin de présen- ter autant de gravité que la première, en ce sens que les vins qu'elle atteint ont été et sont restés bons pendant de longues années, tandis que l'amertume proprement dite altère et dé- truit même complétement le vin dans ses premières années. «Au début du mal le vin commence par présenter une ! M. de Vergnette-Lamotte a été nommé correspondant de l'Académie des sciences, dans la séance du 20 février 1865, pour ses travaux sur la culture de la vigne et sur les vins. CAUSES DES MALADIES DES VINS. 07 vOoû gout on le odeur sut generis; sa couleur est moins vive; au trouve fade : nos tonneliers disent que le vin doucine. La sa veur amère nest pas encore prononcée, mais elle est immi- nente si lon n'y prend garde : tous ces caractères ne tardent pas à augmenter rapidement. Bientôt le vin devient amer, et l'on reconnait à la dégustation un léger goût de fermentation dû à la présence du gaz acide carbonique. Enfin la maladie peut s'aggraver encore, la matière colorante s'altère complé- tement, le tartre est décomposé let le vin n'est plus buvable. «Ïl nest pas nécessaire que les symptômes du mal soient aussi avancés que nous venons de le dire pour que nos vins perdent une grande partie de leur valeur. Que le bouquet soit altéré, que la franchise ne soit pas entière, et voilà un vin qui valait 500 francs la pièce et qui n'en vaut plus que 100, et une bouteille de Pomard, qui, payée 15 francs, vaudra à peine 1 franc. « L'amertume des vins est donc la maladie qui fait le plus de tort aux grands crus de la Bourgogne, ou mieux aux vins rouges de pinots de la Bourgogne et de la Champagne. L'a- mertume est pour nous la maladie organique des vins de pi- nots. C’est du reste la seule qu'ils aient à redouter.. . » On lira avec intérêt dans la lettre de M. de Vergnette les procédés empiriques qu'il emploie pour se mettre autant que possible à l'abri de cette maladie de amertume. Chacun sera frappé du passage dans lequel M. de Vergnette proclame que, si l'on parvenait à trouver le moyen de prévenir cette mala- die, on aurait donné des millions à la France : c’est dire toute 1 En affirmant ici la décomposition du tartre, M. de Vergnette s'appuie sans doute sur les résultats du travail déjà cité de M. Glénard. On verra dans l'Ap- pendice de cet ouvrage que ce sujet exige de nouvelles études. 68 ÉTUDES SUR LE VIN. l'importance de la recherche de la véritable cause de la mala- die de amertume des vins de pinots. Je ferai suivre ces renseignements dus à M. de Vergnette de quelques observations extraites d'une lettre qui m'a été adressée, à la date du 1° mai 1865, par M. Boillot, maire de Volnay. «Les vins fins de Volnay 1859 ont été généralement moins beaux et moins bons que ceux de 1858. Hs se sont également moins bien conservés. J'en ai qui sont en bouteilles depuis deux ans environ {mis en bouteilles après cinq ans) et auxquels cette opération a été très-funeste. Is sont devenus troubles, puis des flocons se sont formés et, en vidant la bouteille, les flocons arrivent et se mêlent au vin, qu'on ne peut obtenir très- clair. Ce dépôt ne s'attache pas aux parois de la bouteille. «Les vins de 1861 se sont conduits on ne peut plus mal ici et dans nos environs. Cette récolte a été désastreuse pour le commerce. Les ?, sans exagération, se sont comportés comme je viens de le dire pour les 1859. Seulement les 1861 que j'ai encore ont beaucoup de dépôt adhérent à la bouteille, outre les flocons. Cependant ces vins de 1861 mis en bouteilles ici, et restés sur place, pour ainsi dire abandonnés, sont moins mauvais qu'il y a un an. Îl est bien entendu que je ne parle que de vins très-purs et naturels, sans mélange ni addition. » Ces renseignements, joints à la lettre de M. de Vergnette, suffisent bien pour dire toute la fréquence de la maladie qui nous occupe et les pertes immenses qu'elle occasionne. J'ai étudié une foule d'échantillons de vins amers, et 1l me sera aisé de démontrer que cette maladie est encore produite par un parasite, lequel se multiplie avec une merveilleuse fa- cilité dans les grands vins de la Côte-d'Or, beaucoup plus dif- MALADIE DE L'AMERTUME DES GRANDS VINS DE LA CÔTE D'OR. ( Vin DE Vounar. 1859.) Fig. 16. P. Lackerbauer, ad nat hoo 1 P. 68-69. MALADIE DE L'AMERTUME ( Vin DE BORDEAUX, vieux.) Le ferment est mêlé à des cristaux de tartre et à de la matière colorante. Fig. 17. P. Lackerbauer, ad nat. del Imprimerie Impériale hoo/1 P. 68-69 CAUSES DES MALADIES DES VINS. 09 ficilemient dans les vins communs de Bourgogne, du Jura ou de Bordeaux, et que telle est l'explication des différences que la maladie présente dans son développement, suivant les lo alités et les natures de vins, bien que tous y soient sujets. C'est ainsi que, suivant les constitutions et les tempéraments, les maladies épidémiques atteignent de préférence ceux qui sont prédisposés à les contracter. Je suppose que l'on ait entre les mains un vin devenu amer en bouteille, et dont l'amertume soit prononcée. Ce sera, si l'on veut, cette deuxième phase de l'amertume des grands vins de la Bourgogne dont M. de Vergnette parlait tout à l'heure qui frappe le vin à un certain âge. Plaçcons debout quelques bouteilles de ce vin, et, après quelques jours de repos, exami- nons le dépôt des bouteilles au microscope. Dans toutes, et quel que soit le vin, nous trouverons un élément commun, des espèces de branchages tout rameux, tout noueux, de diamètres plus ou moins larges, dans les rapports de 1 à 2 et à 3, et quelquefois même davantage, plus où moins articulés, inco- lores ou faiblement colorés en rouge, d'une teinte claire vive, ou d'une teinte brune tréès-foncée. Ces filaments seront seuls et composeront tout le dépôt, ou bien ils seront associés à des lamelles de couleur uniforme, ou à des amas mamelonnés. ou à des cristaux. Les figures 16 et 17, appartenant à des dé- pôts de vins amers de Bourgogne et de Bordeaux, donnent des exemples de quelques-unes de ces particularités. Dans ces figures, les filaments branchus, contournés, représentent pré- cisément le parasite qui est la principale cause de l'altération que le vin à éprouvée. C'est ce que nous reconnaîtrons claire ment dans la suite. La matière mamelonnée, malgré l'apparente organisation 70 ÉTUDES SUR LE VIN. quelle présente quelquefois, n'est autre que la matière co- lorante du vin, qui s'est oxydée peu à peu par l'influence de l'oxygène de l'air, que les pores du bouchon laissent toujours introduire. Les petits bourgeons qui sont placés de distance en distance sur les filaments contournés, n’ont rien d'organisé. Hs n'appartiennent pas aux filaments. Ce sont tout simplement de petits nodules de cette matière colorante dont je parle, rendue insoluble par l'oxydation ou par les altérations chi- niques que procure la vie du parasite. Enfin la différence de largeur des filaments tient presque exclusivement à ce qu'ils sont plus ou moins recouverts, suivant leur âge, par cette même matière. Ces déductions ne sont point des idées préconçues. Elles sont démontrées par des faits positifs. Ainsi nous recon- naîtrons tout à l'heure que l'on peut dissoudre la matière co- lorante mamelonnée et incrustante par les acides et lal- cool, et que les filaments ont alors un diamètre réduit et un aspect tout autre, sans nodosités ni coloration quelconque. On comprend très-bien que le parasite cesse d'agir, et perde, en partie du moins, sa vitalité ou mieux sa faculté de dévelop- pement lorsqu'il s'incruste de matière colorante. C'est ce qui arrive, el l'on voit très-souvent l’amertume s'arrêter à un cer- lain moment, diminuer même, sans doute parce que le vin connue de vieillir, et Saméliore de nouveau comme vin non malade. Cette amélioration relative fait croire souvent à une guérison, mais elle n'est jamais bien réelle. Ce qui précède s'applique au parasite de amertume lors- quil est âge et plus ou moins fané. Examinons-le lorsqu'il est en voie de développement, très-jeune. Voici quelques indications au sujet de la figure 18. M. Marey-Monge, grand propriétaire de vignes dans la Côte DES MALADIE DE L'AMER' GRANDS VINS DE LA ( Vin DE Pomarn. 1848.) Fig. 18. P. Lackerbauer, ad nat. del hoo/:1 lUME C0OUTE-D'OR es er Le Doc AS à . Se — m0. ue — 2 = Ds —_ AL sf CAUSES DES MALADIES DES VINS. 71 d'Or, m'adresse, le 10 mai 1865, vingt-cinq bouteilles de Po- mard 1848. Dans une lettre qu'il eut l'obligeance de m'écrire à cette époque, M. Marey-Monge me donne les renseignements qui suivent et qui ne sont pas sans intérêt pour le lecteur dans la question qui nous occupe. « Nos vins travaillent en août, plus ou moins, plus tôt ou plus tard, dans les bonnes comme dans les mauvaises années. Dans nos caves cela ne nous inquiète pas beaucoup, parce que nous soutirons en septembre. En mars nous soutirons encore, colons, resoutirons, et le vin est parfaitement clair. Pour le consommateur c’est autre chose. Il se plaint, ne sait que faire; souvent il nous renvoie le vin, qui s'est bien conduit quelquefois pendant un ou deux ans. Vaine- ment nous lui disons : Filtrez vos bouteilles ou bien décantez- les dans un füt de bon goût, et collez, puis, quinze jours après, remettez en bouteilles. I le fait quelquefois avec succès, mais le plus souvent il se démoralise. « Des vins très-bons, comme les 1854, deviennent quelque- fois troubles à la bouteille comme de l'encre, et ils restent ainsi quatre, cinq ans, jusqu'à faire croire qu'ils sont perdus; puis un beau jour ils s'éclaircissent; le dépôt s'attache au verre ; on les décante, et ils sont très-bons. Ce serait donc rendre un immense service que de parvenir à supprimer le dépôt. » Dans une lettre subséquente : «L'année 1848 était assez bonne; cependant le vin nous a donné quelque désagrément de dépôt et d’amertume chez le consommateur. Chez nous avec nos soutirages et collages, dont Je vous parlais dans ma dernière lettre, il s'est bien conduit. Le vin que je vous envoie a dix-sept ans. Il a été soutiré, à trois fois par an, cinquante et une fois. » 72 ÉTUDES SUR LE VIN. Les bouteilles de ce vin, mises debout pendant deux jours, présentaient toutes au fond de la bouteille un peu de dépôt flottant, très-peu, puisqu'elles venaient d'être dépotées avant de mètre envoyées. Ce transvasement est pratiqué par tous les propriétaires lorsqu'ils expédient du vin en bouteille afin qu'il arrive très-limpide chez le consommateur. J'observe ce dépôt au microscope et j'y reconnais des filaments articulés. Ce sont ceux que lon voit dans la figure, colorés, et de plus large diamètre. Je couche les bouteilles et je les conserve dans une cave très-saine, Du mois de mai au mois de novembre je reconnais que le dépôt augmente progressivement, et qu'en même temps il se forme sur les parois des bouteilles une couche uniforme brune, adhérente, très-peu abondante. Le dépôt est donc de deux natures. Je l'étudie au microscope, et j'y recon- nais les trois matières qu'indique le dessin de la figure 18. 1° Des filaments très-nombreux, plus ou moins nettement articulés, sensiblement plus gros que les filaments du vin tourné, sans coloration appréciable. 2° Quelques filaments de plus gros diamètre et colorés en rouge. Je répète qu'ils sont anciens et que leur formation a précédé le dernier transvasement du vin. 3° Une matière mamelonnée amorphe. C'est elle qui cons- titue le dépôt adhérent des parois. Les filaments incolores sont de récente formation. C’est tout ce qui à pris naissance du parasite de l'amertume depuis que le vin est arrivé à Paris. L’altération dans la qualité du vin est certaine. J'en donnerai la preuve ultérieurement afin de ne pas anticiper sur des con- sidérations d'un autre ordre. Comme cette altération dans l'exemple particulier que je viens de prendre est corrélative de MALADIE DE L'AMERTUME. (Vin DE Pouanv. 1863.) Le ferment est jeune, en voie de développement et en pleine activité Fig. 19. P. Lackerbauer, ad nat. del. Imprim Loo/:1 P. 72-73. CAUSES DES MALADIES DES VINS. 73 deux sortes de dépôts, dépôt flottant cryptogamique, dépôt amorphe de matière colorante rendue insoluble par oxydation, on pourrait penser que l'amertume est liée peut-être à la pré- sence du dépôt amorphe et non à celle du dépôt organisé. L'une des preuves que l’on peut invoquer en faveur de l'ab- sence de toute solidarité entre l'amertume et le dépôt de la matière colorante, c'est que, d'une part, le dépôt de matière colorante est souvent seul et qu'il n'est pas accompagné d'a- mertume, comme j'en donnerai des exemples divers ailleurs, et que, d'autre part, l'amertume existe et peut être très-pro- noncée dans des cas où le dépôt est uniquement un dépôt flot- tant de parasites. Je citerai tout de suite une preuve de ce der- nier fait. Le 15 mars 1865, je reçois de M. de Vergnette-Lamotte 25 bouteilles de diverses sortes de vins, parmi lesquelles 3 bouteilles de vin de Pomard de 1863. Ce vin venait d'être soutiré. Chaque fût de 228 litres avait fourni 3 litres de dé- pôt. Le vin à son arrivée était très-limpide, mais le dépôt du tonneau d’où le vin avait été tiré, dépôt que j'ai pu étudier, renfermait des filaments et de la matière amorphe en granu- lations confuses, et par conséquent le vin contenait des germes de cryptogames. Or il arriva qu'au bout de six semaines déjà il était visible qu'un dépôt flottant organisé se formait dans les bouteilles. Trois mois après il était abondant et uniquement composé du parasite de l'amertume, sans trace de matière colorante brune. Le vin avait conservé toute sa belle couleur. La figure 19 est la reproduction d'une photographie micros- copique de ce ferment. L'organisation et le mode de reproduc- tion du parasite sont ici bien évidents. La première impression est celle de fils plus ou moins enchevêtres, puis on distingue 74 ÉTUDES SUR LE VIN. dans ces fils des solutions de continuité qui forment articula- ion. C'est à ces places que les fils se brisent souvent sans se disjoindre, ce qui annonce l'existence aux articulations d’une matière plus molle qui soude les articles les uns aux autres. Si l'on s'arrêtait à cet examen on pourrait croire que les articles s'allongent de plus en plus par une de leurs extrémités, comme les tiges des arbres. Mais, si l’on examine avec soin et de plus près l'image photographique, surtout pour un certain foyer du microscope, il sera visible que chaque article est formé lui- même en quelque sorte de sous-articles qui s'accusent par des renflements et retrécissements alternativement clairs et obscurs. Gette structure me paraît indiquer avec évidence que l'allonge- ment des fils se fait en chaque point de leur longueur, que ces articles se sous-divisent d'abord confusément, puis plus nettement au fur et à mesure qu'ils s'allongent. Ce serait le mode de division par scissiparité de beaucoup d'infusoires, très- différent du mode de reproduction par bourgeonnement du mycoderma vint, si bien accusé dans la photographie, fig. 2. Le vin de Pomard de 1863 dont je viens de parler était encore en fûts, ainsi que je l'ai fait observer, lorsque M. de Vergnette eut l'obligeance de m'en envoyer quelques bouteilles. Le moment n'était donc pas venu encore de le mettre en bou- teilles. On pourrait dès lors penser que, la mise en bouteilles de l'échantillon que j'ai reçu ayant été prématurée, cela a facilité le développement du parasite de l'amertume. NH n’est pas dou- teux que l'époque de la mise en bouteilles d'un vin peut avoir une grande influence sur sa bonne conservation ultérieure. Tous les viticulteurs sont d'accord sur ce point, et j'ajoute que depuis mes recherches la science peut en donner une explica- tion satisfaisante. Néanmoins l’'amertume attaque tous les vins, MALADIE DE Le ferment est mort depuis longtemps. I est Fig. 60 L'AMERTUME. incrusté de 20. natière colorante et n agil plus g1 plu À o DAS D EAU PETER PT 2e CAUSES DES. MALADIES DES VINS. 79 quel que soit leur âge, et c'est bien plus avec la composition du vin qu'avec son âge qu'il faut compter, en général, toutes les fois qu'il s'agit des maladies qui peuvent laflecter. J'ai déjà cité du vin de Pomard qui, après dix-sept années Ï Î ] d'âge, continuait de nourrir facilement le parasite de lamer- tume, fig. 18. (Vin de M. Marey-Monge de 1848.) La figure 20 représente le ferment développe au bout de trente années. Voici la note du propriétaire relative au vin qui l'a fourni : « Ce vin est de 1822. Pendant trente années il a été partait. Depuis dix ans il faiblit et prend un goût d'amertume. Au- jourd'hui il est perdu comme vin de table. » M. de Vergnette, à qui ce vin avait été remis, ajoute dans sa lettre d'envoi - «En vous envoyant ces échantillons j'ai voulu appeler votre attention sur cette variété de vin passé à l'amer. Elle na, à mon avis, aucun rapport avec la maladie prompte et redou- table qui, dans l'intervalle d'une année, a détruit beaucoup de 1822 et de 1861. C'est cette dernière maladie, plus que la première, qui cause le plus de mal aux vignobles de la France. » La note du propriétaire de ce vin, jointe à l'observation mi- croscopique du dépôt, montre bien que le ferment de l'amer s'est développé ici après un laps de temps considérable. Pourquoi après ce laps de temps et pas plus tôt? C'est sans doute parce que la modification amenée par le temps dans ce vin, telle que l'oxydation de ses principes par l'oxygène de Fair, et dont je traiterai dans la deuxième partie de cet ouvrage, ou quelque circonstance accidentelle inconnue de temperature, etc. dans la cave où le vin était conserve, a dispose le vin à servir d'ali- 76 ÉTUDES SUR LE VIN. ment au parasite. Enfin d'ou venait donc le germe du pa- rasite, dans ces bouteilles depuis si longtemps saines et tout à coup malades? Ce germe existait depuis le jour de la mise en bouteilles, et provenait du tonneau au moment du soutirage. En eflet, prenez le dépôt d'une bouteille de vin rouge quel- conque, füt-il en bouteille depuis dix, quinze, vingt ans... et parfaitement conservé, vous y reconnaîtrez au microscope des filaments de parasites. On ne saurait dire souvent quelle est leur nature, si ce sont ceux de la maladie du vin tourné, du vin amer, du vin gras, mais leur présence n'est pas dou- teuse, et lon en trouve dès l'époque de la mise en bouteilles. En d'autres termes, le vin, par sa composition, par les soins dont on l'entoure, par la nature des vases ou des locaux qui servent à sa conservation, est plus ou moins apte à déterminer la multiplication des parasites qui peuvent l'altérer et dont il contient les germes. Je pourrais citer bien des faits à l'appui de cette manière de voir. Telle est, selon moi, la véritable explication des effets du vinage, des vins procédés, ou de la congélation artificielle ap- pliquée aux vins. L'alcool est un des ennemis des parasites du vin. Tel vin qui renferme 10 ou 12 p. 0/0 d'alcool, et dans le- quel le parasite de l'amertume se développe facilement, ne pourra plus que très-difficilement faire vivre ce cryptogame si l'on a porté sa proportion d'alcool à 13, 14,15 p. 0/0, tous les autres éléments du vin restant pourtant les mêmes. Quant aux deux phases de la maladie de l'amer, elles ne constituent pas deux maladies différentes. C’est le même fer- ment qui les provoque, mais son développement se manifeste dans les premières années ou longtemps après, le vin ayant MALADIE DE L'AMERTUME. Ferment très-âgé, terni el épaissi par la matière colorante Mème ferment débarrassé de la matière colorante Fig. 20 bis. P Lackerbauer, ad nat. de Imprimerie Imperials !, 1901 P. 76-77. CAUSES DES MALADIES DES VINS. 77 été très-bon dans l'intervalle, Il est naturel que la maladie soit plus remarquée et jugée plus désastreuse lorsqu'elle détruit le vin avant qu'il soit livré au commerce et à la consommation. On ne pourrait arguer de l'existence de deux maladies d'après la diflérence d'aspect du ferment lorsqu'on l'observe dans le vin jeune et dans le vin vieux. Dans le vin vieux, qui dépose toujours plus ou moins par suite d'une oxydation, le ferment change d'état, se colore et grossit, prend l'aspect de branches de bois mort, par le fait d'une sorte de teinture des filaments due à la matière colorante brune qui se précipite. L'explication que je donne des différences d'aspect du ferment jeune en voie de développement et du ferment très-vieux et coloré ne peut être l'objet d'un doute. I suffit de traiter ce dernier par l'alcool et les acides, et quelquefois par l'alcool seul pour réduire le ferment au même état qu'il possède lors- qu'il est de nouvelle formation. Sa coloration brune, ou rouge, (car elle est quelquefois d'un beau rouge), disparaît, et le dia- mètre apparent de ses filaments se trouve très-notablement di- minué et ramené au diamètre des filaments jeunes. La figure 20 bis représente dans sa moitié gauche le dépôt du vin amer de 1822 dont j'ai parlé tout à l'heure, et dans sa moitié droite le même dépôt, mais préalablement traité par l'alcool ou par l'alcool et les acides, car il arrive quelquefois que la dissolution de la matière colorante exige l'emploi des acides. On voit que le diamètre des filaments a diminué con- sidérablement , que ceux-ci ont perdu leur coloration, et qu'en- fin ils ont pris assez sensiblement l'aspect du ferment de l'amertume, encore jeune, non coloré et en voie de dévelop- pement. 2] . « . Le] . J'ai avancé que les vins communs prenaient l'amertume bien 78 ÉTUDES SUR LE VIN. plus difficilement que les vins fins. Ge fait est bien connu. Rien n'est plus facile à démontrer avec des vins de Bourgogne de gamari et de Bourgogne de pinot. Ces derniers, dans lin- tervalle de quelques mois, au moins tous ceux que j'ai eus à ma disposition et qui provenaient de la partie la plus méri- dionale de la Côte-d'Or, ont montré le développement rapide du ferment de l'amertume, tandis que des vins de gamai de même année, de même localité, n’en ont pas fourni durant le même temps. Je ne terminera pas l'examen auquel je me suis livré sur l'amertume des vins sans faire remarquer que le vin, mis en vidange, prend souvent, par le seul fait de l'action de l'air, une amertume non douteuse. Celle-ci n'a rien à faire avec un dé- veloppement cryptogamique. J'ai vérifié maintes fois que l'effet était dû uniquement à une action chimique. Cette amertume offre ceci de particulier qu’elle disparaît si on supprime la vi- dange , et si l'on conserve le vin en bouteilles pleines pendant quelques semaines. Le 16 novembre 1865, je mets en vidange une bouteille de vin de Pomard, conservé par le procédé que j'indiquerai ultérieurement, et qui a la propriété d'empêcher le plus souvent la naissance des fleurs à la surface du vin, même après qu'il a été mis en vidange, sans précautions particulières. Le 23 no- vembre, le vin n'a pas du tout de fleurs : aucun cryptogame ne s'est développé ni à sa surface, ni dans le fond de la bou- teille. Le vin a cependant un goût d'amertume prononcé. Je transvase le vin dans une bouteille plus petite, que je remplis et que je bouche bien. Le 27 décembre, c'est-à-dire un mois après environ, le vin, toujours très-bien conservé, n'a plus la moindre amertume. Par une nouvelle vidange, elle s'est ma- CAUSES DES MALADIES DES VINS. 79 nifestée de nouveau tout aussi forte sans qu'il y eût davantage de cryptogame formé. Pendant le travail de l'oxydation du vin, il peut done se faire qu'une amertume se développe en dehors de toute pré- sence d'organisme. C'est sans doute ce fait qui, étendu au cas de l'amertume proprement dite, aura fait croire à diverses per- sonnes que la maladie de l'amertume résultait d'une décom- position de la matière colorante. Ce qui a pu induire encore en erreur et faire prendre l'effet pour la cause c'est que la ma- ladie de l'amer s'accompagne très-souvent d'une altération no- table de la matière colorante. Si l'on considère un vin dont un échantillon est parfaitement conservé et dont un autre est devenu amer, ou mieux a été sous l'influence des filaments dont nous venons de parler, on reconnaitra , dans bien des cas, par la comparaison des couleurs dans deux verres de même dimen- sion que l'échantillon malade est d'une couleur moins vive, plus rouge, plus claire et moins agréable. Si l'on sature deux volumes égaux des deux échantillons par l'eau de chaux, les teintes du vin malade, variables avec les proportions du réactif, sont toujours plus pâles que celles du vin non malade. Cette différence est surtout accusée au moment de la neutralisation complète, et en outre le vin malade offre alors quelque chose de terne et de louche. Après la saturation du vin non malade, les flocons qui s'y déposent sont d'un violet bien plus fonce et bien plus franc que celui des flocons déposés dans le vin malade. Les choses se passent de la même façon, que le vin ait été privé ou non, préalablement, de son gaz acide carbo- nique dissous. Il y aurait une question bien importante à élucider à propos de l'amertume du vin : c'est celle de la nature de son ferment S0 ETUDES SUR LE VIN. comparée à celle du ferment qui provoque la maladie des vins tournés. Je ne serai en mesure de la résoudre que quand je connaîtrai exactement les fonctions physiologiques de ces fer- ments. Les différences physiques de ces ferments ne suffisent peut-être pas pour les distinguer. Les filaments du vin tourné sont plus fins que ceux du vin amer; leurs articulations moins sensibles, bien qu'elles existent et que le mode de reproduction soit le même dans les deux cas, et tel que je l'ai indiqué pré- Fig. 22. cédemment pour le parasite de la maladie de l'amertume. Les filaments du vin tourné enfin ne sincrustent pas de matière colorante. On trouve souvent un mélange de ces filaments incolores, très-fins, mêlés dans des vins vieux à des filaments volumineux et colorés, comme dans la figure 2 1. La figure 22 représente aussi cette association des deux sortes de filaments. Enfin ce ne sont pas les mêmes vins qui tournent et deviennent amers. Les vins communs tournent facilement. Les vins fins, au contraire, deviennent amers. MALADIE DES VINS TOURNÉS ET AMERS. Fig. 21. P. Lackerbauer, ad nat. del Imprimerie Impériale J, j 400) 1 P. 80-81. CAUSES DES MALADIES DES VINS. sl Si les filaments du vin tourné constituaient le même ferment que ceux des vins amers, on ne verrait pas pourquoi les vins communs qui tournent n'offriraient pas avec l'âge le ferment de l'amer, avec ses particularités de couleur, de volume, et ce caractère rameux et brisé du ferment de l'amer. Enfin les viticulteurs ont toujours fait une distinction entre le vin qui tourne et le vin qui devient amer, bien que le vin qui tourne soit fade et un peu amer, caractères que l’on trouve dans les grands vins de Bourgogne lorsqu'ils deviennent ma- lades dans leurs premières années. Cependant je reconnais que la séparation des deux maladies des vins qui tournent et des vins qui passent à l'amertume ré- clame encore de nouvelles preuves expérimentales. » © ' : Né " 1! Are Fr È | Fr 1 rt LÉ EU ' L” 3 ‘ M or pa Fi . | * CE" he | 71 +, 20 a ou £ Ù NU, Ir , | , L RM OUT Die 2 ty Drug | à 4 | * e fi "| — Pre as DLL.) S ‘ 4 ; “ Q î U Fi PU, LU OL CRC EUR LUE! \ K nb ? ri Mit Fu ti ; D F ” , { Ü | 2 AT Fe LV PRL (és re | É cts é | ] di ‘ Paul | 1 ; Lait rot ai LA ; | L LAN & F : 1 = d ï 1" x 1108 ) i 14 din d 3 ww | s1rh88 SU ; 2 f 2 ) th AURAS: « Fi 1! 1 t ) —— j à X : ' ‘ . Le DEUXIÈME PARTIE. DE L'INFLUENCE DE L'OXYGÈNE DE L'AIR DANS LA VINIFICATION. Tout le monde connaît l'ingénieuse expérience par la- quelle Gay-Lussac démontra ce que l'on avait longtemps pres senti et énoncé sans preuves, que l'oxygène de l'air est néces- saire à la fermentation du moût de raisin. Le jus sucré du raisin renfermé dans les grains encore réunis à la grappe qui les portait sur le cep ne fermente pas. Il était dès lors facile de prévoir que l'air, et dans l'air l'oxygène, est nécessaire à la fermentation du moût de raisin !. Gay - Lussac en donna la démonstration expérimentale. Après avoir écrasé des grains de raisin sous une éprouvette renversée pleine de mercure, il vit qu'ils ne fermentaient pas, soit seuls, soit au contact de divers gaz. L'addition d'une pe- tite quantité de gaz oxygène déterminait au contraire la fer- mentation. ! M. Chevreul s'exprime ainsi dans un article du Journal des Savants relatif aux travaux du célèbre chimiste Stahl : « Stahl avait bien apprécié la triple influence de l'air, de l'eau , et d'une certaine température pour la fermentation. | «Il devait à Bohn l'observation de la nécessité de l'air pour la fermentation du moût du sue de groseille, etc... car, hors du contact de l'atmosphère, ces sucs ne fermentent pas. Cette observation, qui remonte à Van Helmont et qui fut repro- duite par Mayow en 1654 , a été longtemps oubliée, car, en 1810, Gay-Lussac la reproduisit comme nouvelle, et encore aujourd'hui peu de personnes savent qu'elle remonte à plus de deux siècles, » s4 ÉTUDES SUR LE VIN. Voici le récit que fait Gay-Lussac de l'expérience dont il s'agit, et comment elle lui fut suggérée : «ÆŒEn examinant les procédés de M. Appert pour la conser- vation des substances végétales et animales, j'avais remarqué avec surprise que du moût de raisin qui avait été conservé sans altération pendant une année entière entrait en fermen- tation quelques jours après avoir été transvasé. C'est même ainsi que M. Appert préparait des vins mousseux dans toutes les saisons de l'année. Ce fait m'a porté à soupçonner que l'air avait une certaine influence sur la fermentation. .. «En conséquence j'ai pris une cloche, dans laquelle j'ai in- troduit de petites grappes de raisin parfaitement intactes, et après l'avoir renversée sous le mercure, je l'ai remplie cinq fois de suite de gaz hydrogène, pour chasser les plus petites portions d'air atmosphérique; après cela j'ai écrasé le raisin dans la cloche au moyen d'une tige de fer, et je l'ai exposé à une température de 15 à 20°. Vingt-cinq jours après, la fer- mentation ne s'était pas manifestée , tandis qu’elle s'était dé- clarée le jour même dans du moût auquel j'avais ajouté un peu d'oxygène. Pour n'assurer que c'était à cause de l'absence de ce gaz que la fermentation ne s'était pas manifestée dans la première cloche, j'y ai introduit un peu d'oxygène, et peu de temps après elle a été très-vive. J'ai remarqué dans ces deux dernières expériences que l'oxygène était absorbé presque com- plétement; mais je ne puis aflirmer sil s'est combiné avec le carbone ou avec l'hydrogène. J'ai observé un volume de gaz acide carbonique cent vingt fois plus considérable que celui du gaz oxygène que j'avais ajouté au moût de raisin; d'où il est évident que, si l'oxygène est nécessaire pour commencer la fermentation , il ne l'est point pour la continuer, et que la plus OXYGÈNE DE L'AIR DANS LA VINIFICATION. 85 grande partie de l'acide carbonique produit est le résultat de l'action mutuelle des principes du ferment et de ceux de la matière sucrée. «Dans une autre expérience du même genre que la précé- dente, la fermentation s'est déclarée au bout de vingt et un Jours; mais le raisin était très-avancé ; d'ailleurs, une portion Ju même moût mis en contact avec un peu d'oxygène avait fermenté trente-six heures après avoir été préparé. Ainsi il est encore évident par cette expérience que le gaz oxygène favo- rise singulièrement le développement de la fermentation!. » Puisque l'oxygène de l'air intervient dans la fermentation et que le sucre n'a que faire de ce gaz pour se transformer en alcool et en acide carbonique, il me paraît certain que c’est le ferment qui exige la présence de l'oxygène pour passer de l’état de germe à la forme cellulaire adulte, propre à se multiplier ensuite par bourgeonnement en dehors de toute influence de ce gaz. Dans l'expérience que je viens de rappeler, le ferment était à l'état de germe, soit sur les parois de l'éprouvette, soit dans les impuretés dont 1e mercure est souillé, soit à la sur- face des grains de raisin. Sous l'influence de l'oxygène, ce germe, encore inconnu dans sa véritable forme, devient cel- lule-ferment, à peu près comme une graine a besoin d'oxy- gène libre pour devenir petite plante ayant radicule et tigelle. C'est du moins l'explication qui me paraît la plus raisonnable du fait observé par Gay-Lussac. Mais à côté de cette influence de l'oxygène, sur laquelle il est inutile que je métende en ce moment, il en est une autre qui mérite d’être prise en sérieuse considération. Il existe dans 1! Gay-Lussac. (Extrait d’un mémoire sur la fermentation lu à FInstitut le 3 décembre 1810. Annales de chimie, t. LXXVI, p. 245.) 86 ÉTUDES SUR LE VIN. le moût de raisin, comme dans la plupart des liquides propres aux organismes végétaux et animaux, des principes encore mal connus, extrêmement avides d'oxygène et qui se combi- nent directement avec cet élément. Ces principes sont certai- nement multiples déjà dans le moût et à plus forte raison dans le vin, où se trouvent en outre les matières colorantes de la pellicule des grains de raisin, elles-mêmes très-avides d'oxy- gène. Si l'on considère l'ensemble des pratiques de la vinification , on reconnaîtra que l'air atmosphérique en est, pour ainsi dire, exclu. Les raisins sont jetés dans la cuve de vendange. Quelques- uns sont détachés de leur grappe, ou écrasés, un peu de jus s'écoule : l'air est présent; mais c'est en quantité bien faible comparativement au volume des raisins. Bientôt la fermenta- tion se déclare, alors plus d'oxygène du tout et le liquide est constamment saturé de gaz acide carbonique. Le vin est sou- tiré rapidement, à gros jet, eton en remplit sur-le-champ des tonneaux. Le contact avec l'air peridant le soutirage ne dure qu'un instant. Une fermentation alcoolique lente continue dans les tonneaux, pendant laquelle le liquide est toujours sursaturé de gaz acide carbonique. Arrivent les soutirages. Alors le vin passe dans l'air, en jet plus ou moins volumineux, suivant le volume de la cannelle, pour être immédiatement transporté dans un autre tonneau. Il n'y a pas de temps d’ar- rêt, et en Bourgogne le soutirage se fait même à l'abri de Fair autant que possible. La mise en bouteilles donne lieu encore à un contact obligé de l'air et du vin, mais toujours très-rapide. À partir de ce moment, le vin n'a plus d'occasion d'être au contact de OXYGÈNE DE L'AIR DANS LA VINIFICATION. 87 l'air. Joignons à cela la pratique habituelle de l'ouillage et celle du méchage, qui est assez fréquente, surtout pour les vins blancs. Si nous nous rappelons d'autre part le fait de l'é- vent, c'est-à-dire l'affadissement du vin lorsqu'il est placé au libre contact de l'air pendant plusieurs heures, il sera sensible pour tous que l'air a pu être considéré comme l'ennemi du vin, et que toutes les pratiques de la vinification invitent à adopter cette manière de voir. Les rapports que présente l'oxygène de l'air dans son con- tact avec le vin ont été étudiés directement par M. Boussingault, qui a reconnu que le vin ne renfermait pas d'oxygène en dis- solution, mais seulement de l'azote et du gaz acide carbonique. La conséquence naturelle de ce fait est qu'il existe dans le vin des principes très-oxydables. M. Berthelot a non-seulement confirmé l'exactitude de ce fait, mais il a, le premier à ma connaissance, rapporté judicieusement à l'influence d'une ab- sorption d'oxygène la perte de qualité que le vin éprouve par la vidange. En d'autres termes, M. Berthelot a expliqué l'évent par le fait de l'absorption d'une certaine proportion de ce gaz. Il a émis, en outre, l'opinion fort exacte, à mon avis, que la vinosité, ou mieux la force du vin, n'est pas due seulement au principe alcoolique. I ÿ a certainement dans le vin une ou plusieurs substances qui lui donnent de la force indépen- damment de l'alcool. J'ajoute que ces substances ne sont pas le produit de la fermentation ni de la vinification. Elles sont toutes formées dans le grain de raisin, et il est très-facile de reconnaître qu'il y a des raisins forts et des raisins faibles, comme il y a des vins forts et des vins faibles, circonstance dont il faudrait tenir grand compte dans le choix des cé- pages. 88 ÉTUDES SUR LE VIN. Parmi les cépages que l'on cultive dans le vignoble d'Ar- bois se trouvent le ploussard et Le valet noir. Le 1 4 octobre 1863 j'ai récolté dans une vigne bien exposée au soleil des raisins de ces deux plants, d'une belle maturité. J'ai trouvé dans le moût de ces raisins : ; 9%, d'acide par litre, évalué en acide tartrique. Valet noir. Ù 207 ,4 de sucre. 85,7 d'acide. Piouesal. | PRSRREE | 223 ,2 de sucre. Or, bien que le valet noir fût choisi dans ce cas particulier plus acide et moins sucré que le ploussard, en mangeant alter- nativement des grains de l'un et de l’autre cépage, il n'y avait aucune comparaison à faire entre les saveurs et l'impression générale sur le palais, et le plus doux et le plus sucré en ap- parence n'était pas le ploussard. Ge dernier a une force très- supérieure au valet notr, toutes choses étant égales, et l'on se rend bien compte que le valet noir doit donner un vin beau- coup plus plat et en apparence moins acide que le vin de plous- sard. I ne serait pas difficile de trouver du valet noir plus sucré et moins acide que du ploussard et dont le vin, une fois fait, n'aurait cependant ni la force, quoique plus riche en alcool, ni l'acidité apparente, quoique plus acide, du vin de ploussard. Dans l'étude des cépages il faut donc envisager l'acidité ha- bituelle et la proportion de sucre, et également la force, le corps, du jus de leurs raisins, mots très-vagues, mais qui se préciseront lorsque la science sera plus avancée. Il faut tenir grand compte assurément de l'acidité et de la proportion de sucre lorsqu'il s'agit de différences considérables s'exprimant, par exemple, par des moyennes respectives de (e) et ie pour OXYGÈNE DE L'AIR DANS LA VINIFICATION. 59 l'acidité, 180 et 220 pour le sucre; mais pour celles que je viens de comparer 8,7 et 9,5 en acidité, 207 et 223 en sucre, les vins peuvent n'en être pas très-aflectés. Cependant leurs qualités pourraient différer notablement parce qu'elles se trou- veraient sous la dépendance d'autres principes que les acides et le sucre. J'ai à mon tour étudié la question des rapports qui peuvent s'établir entre l'oxygène de l'air atmosphérique et le vin dans les diverses pratiques de la vinification. Tout en reconnaissant l'exactitude des faits signalés avant moi, tout en applaudissant à l'excellence de plusieurs des pratiques qui proscrivent le con- tact de l'air et du vin, j'ai été conduit cependant à envisager ce sujet sous un point de vue nouveau et que je crois plus vrai. « Les phénomènes que j'ai observés, dit M. Berthelot, prou- vent avec quel soin le vin, une fois fait, doit être préservé de l'action de oxygène de Fair, puisque le contact prolonge de 10 centimètres cubes d'oxygène, c'est-à-dire 50 centimètres cubes d'air, suffit pour détruire le bouquet d'un litre de vin.» Un auteur qui a écrit un traité assez estimé sur les vins de France proclame qu'il n'y a pas de bon vin dans un vase qui n'est pas plein ?. En un mot, je le répète, l'oxygène a toujours été considéré comme l'ennemi du vin, ne fût-ce qu'à cause de son rôle dans l'acétification. Mais la question est plus complexe, et je puis ajouter plus importante, qu'on ne l'a pensé jusqu'à présent 5. À l'époque où M. Berthelot faisait ses observations, qui cor- roboraient les idées des viticulteurs sur la nécessité de préser- ! Berthelot, Comptes rendus , t. LVIL, novembre 1 863. ? Batilliat, Traité sur les vins de la France , 846. * Pasteur, Comptes rendus , t. LVIE, décembre 1863. 90 ÉTUDES SUR LE VIN. ver le vin du contact de l'oxygène, j'ai été amené à considérer ce gaz, non comme nuisible, mais comme très-utile au vin. Selon moi, c'est l'oxygène qui fait le vin; c'est par son in- fluence que le vin vieillit; c'est lui qui modifie les principes acerbes du vin nouveau et en fait disparaître le mauvais goût; c'est encore lui qui provoque les dépôts de bonne nature dans les tonneaux et dans les bouteilles, et loin, par exemple, qu'une absorption de quelques centimètres cubes de gaz oxy- gène par litre de vin use ce vin, lui enlève son bouquet et l'affaiblisse, je crois que le vin n’est pas arrivé à sa qualité et ne doit pas être mis en bouteille tant qu'il n'a pas absorbé une quantité d'oxygène bien supérieure à celle-ci. Comment expliquer ces observations contradictoires? C'est quil faut distinguer avec un très-grand soin l'action brusque et l’action lente de l'oxygène de l'air sur le vin. En outre, il n'est pas difficile de démontrer que les pratiques de la vini- fication, si ennemies qu’elles paraissent être de l'introduction du gaz oxygène dans le vin, sont éminemment propres à sou- mettre ce liquide à une aération progressive et lente, en même temps qu'elles s'opposent à une aération brusque et prolongée. J'ajoute que, s'il ne fallait pas s'armer constamment, dans les soins à donner au vin, contre les maladies auxquelles il est sujet, il y a beaucoup de pratiques dans l'art de faire le vin que lon abandonnerait parce qu’elles éloignent l'oxygène de l'air. IL faut bien remarquer, en effet, que tel usage, celui de l'ouillage, par exemple, qui témoigne du soin que l'on apporte à éloigner la vidange, ne signifie pas d'une manière absolue, comme on le croit, que le vin doit être privé d'oxygène et qu'il n'y a pas de bon vin dans un vase qui nest pas plein. OXYGÈNE DE L'AIR DANS LA VINIFICATION. O1 L'ouillage est commandé par la nécessité d'éviter les mala- dies du vin, et il atteint ce but par la gène qu'il apporte dans le développement de certains parasites. J'en dirai autant du méchage. L'évent du vin doit être lui-même envisagé avec plus de ri- gueur qu'on ne l'a fait. Il est bien vrai que la vidange affaiblit le vin, mais j'ai observé que cet effet change beaucoup avec le temps, si le vin, après avoir été éventé, est renfermé, à l'abri de Pair, en bouteilles pleines. L'évent constitue donc un genre d'altération qui ne dure pas . à beaucoup près, avec son caractère originel, et ce fait aide à comprendre toute la différence qui doit exis'er entre laéra- tion brusque et l'aération lente du vin. Pour développer les idées qui précèdent avec le soin qu'elles méritent, il est nécessaire que j'entre plus avant dans l'exposé des faits qui m'ont conduit à envisager l'action de l'oxygène de l'air sur le vin comme une action bienfaisante et indispensable. ÉTUDE DE LA NATURE DES GAZ CONTENUS DANS LE VIN ET DANS LE MOÛT DE RAISIN. Au point de vue qui m'occupe en ce moment, l'étude de la nature des gaz contenus dans le vin méritait une grande attention. Je me suis servi pour cet objet de l'appareil même qu'a imaginé M. Boussingault, en le modifiant légèrement, afin d'en rendre l'emploi plus sûr et plus pratique. Voici la manière d'opérer de M. Boussingault. Un ballon de litre, muni d'un bouchon et d'une coiffe de caoutchouc, porte deux tubes du diamètre des tubes à gaz, 92 ÉTUDES SUR LE VIN. comme l'indique la figure 23. Ges tubes sont très-ongs, gar- nis de robinets, et l'un d’eux est recourbé de façon à pouvoir s'engager sur une cuve à mercure, sous une éprouvette ren- versée pleine de ce liquide. Rien de plus facile en échauffant un peu Fair du ballon, puis le refroidissant pendant que lun des tubes plonge dans l'eau, et que le robinet de l'autre est fermé, d'introduire 3 à hoo centimètres cubes d’eau dans le ballon. Alors le robinet R' étant fermé, le robinet R ouvert et l'ex- trémité du tube recourbé engagée sous le mercure, on chasse rigoureusement tout l'air du ballon en portant à l'ébullition l'eau qui s y trouve. Lorsque tout l'air a été chassé par la va- peur d'eau, on laisse refroidir le ballon , le mercure monte dans le tube , et l'on s'assure facilement, en surveillant la colonne de mercure après le refroidissement, que les robinets tiennent exactement le vide. Lorsque cette condition est remplie, on OXYGÈNE DE L'AIR DANS LA VINIFICATION. 703 introduit dans le ballon un volume déterminé du liquide à éprouver, en plongeant l'extrémité B du tube R'B dans ce li- quide et en ouvrant le robinet R’. Lorsque le liquide est introduit, on le fait bouillir, R' étant fermé et R ouvert, et l'on recueille tout le gaz dans une éprou- vette sur le mercure. Ce procédé que j'ai appris à connaître dans une des excel- lentes leçons de M. Boussingault au Conservatoire des arts et métiers, leçon à laquelle j'assistais, est exactement celui que j'ai adopté; seulement j'ai supprimé les robinets et le bouchon de liége. J'avais trouvé trop de difficultés à rencontrer des ro- binets et un bouchon tenant le vide après une longue ébul- lition. Voici la disposition simple et sûre à laquelle je me suis arrêté. Un ballon de litre, auquel on a soudé un long tube de verre de 1 mètre recourbé, est fixé à l'aide de brides de cuir sur une planche découpée comme l'indique la figure 24 ci-après. Un anneau de fer portant un appendice fixe avec des vis à la planche soutient en outre le ballon. L'anneau de fer est en- touré d'une bande de toile afin que le ballon repose mieux sur l'anneau. Le ballon est ainsi rendu très-solide, très-maniable, et d'un transport facile. Le ballon est placé dans un bain de chlorure de calcium. Un vase cylindrique de fer-blanc de quelques litres de capa- cité sert à contenir et à faire bouillir le bain de chlorure. Un trépied en fer porte le vase de fer-blanc, qui est chauffé par une lampe à gaz, ou sur un fourneau au charbon de bois, si le gaz fait défaut. Pour soutenir la planche et son ballon il suffit d’un support de métal à longue tige, dont la mâchoire s'engage dans un trou 94 ÉTUDES SUR LE VIN. pratique dans la planche. En outre, la planche repose sur le bord même du vase de fer-blanc. Le ballon est rempli d’eau au tiers et même un peu plus. fl ï T , 4 # 4 (HILL ‘ à l'i 1 . Vies . / à — . \ 1b ny a pas d'inconvenient à ajouter 4 à 900 centimètres cubes d'eau. On fait bouillir rapidement cette eau. C’est seulement lorsque l'on arrive à la fin de l'évaporation que l'on fait plon- OXYGÈNE DE L'AIR DANS LA VINIFICATION. o ver l'extrémité recourbée du tube de verre dans le mercure, Tant que l'ébullition est vive il n'y a pas à craindre la rentrée de l'air extérieur. Par le refroidissement le mercure remonte dans le tube et se fixe à une hauteur qui n'éprouve plus que les variations de la pression atmosphérique et de la tempéra- ture. On peut facilement transporter le ballon au loin, par exemple dans une cave. À cet ellet, on ferme sous le mercure le caoutchouc placé à l'extrémité du tube, à l'aide d'un tube de verre plein, et au moment où le tube barométrique est un peu incliné, de facon que, en le relevant pour le transpor- ter, il y ait pression du mercure de l'intérieur à l'extérieur sur le bouchon de verre. Pour plus de sûreté on peut, en outre, adapter au caoutchouc une pince de Mohr entre le bouchon de verre et l'extrémité du tube barométrique. S'agit-il d'introduire du vin placé dans une bouteille dans un flacon ou dans un petit tonneau dont on peut ôter la bonde sans inconvénient, on prend un siphon, fig. 25, muni d'un tube de caoutchouc et d'un bout de tube de verre qui 96 ÉTUDES SUR LE VIN. pourra s'engager dans le tube de caoutchouc fixé à l'extrémité du tube barométrique. Alors, après avoir rempli le siphon du vin à étudier, on le réunit au tube barométrique, tout en pin- çant fortement avec les doigts, par son milieu, le tube de caoutchouc fixé à l'extrémité de ce tube, puis on desserre les pinces, et l’on incline doucement le ballon et son tube. Le liquide du flacon se précipite alors dans le ballon. On en intro- duit environ 200, 300, 500 cent. cubes, ou même davan- tage, suivant les conditions de l'expérience et de l'analyse ulté- rieure, Puis on pince de nouveau fortement avec les doigts le caoutchouc du tube barométrique, on détache le siphon, et on plonge dans le mercure l'extrémité du tube barométrique de façon à laisser s’'équilibrer la pression intérieure par la ren- trée du mercure dans le tube. Si l'on a à rapporter le ballon dans le laboratoire à distance, on replace le bouchon de verre pour fermer le tube barométrique avec les précautions que j'ai indiquées tout à l'heure. Le ballon est alors introduit dans le bain de chlorure de calcium. On chauffe celui-ci, la pression augmente et l’on en- lève sous le mercure le bouchon de verre qui ferme le tube barométrique. L’extrémité de ce dernier a été préalablement ajustée dans la rainure d'une cuve à mercure en porcelaine, de façon à disposer facilement par-dessus une éprouvette ren- versée pleine de mercure. Lorsque tout le gaz est recueilli, il a passé en général très-peu de liquide dans l'éprouvette, et dans la plupart des cas, lorsqu'il s'agit du vin, on peut sans erreur sensible transvaser le gaz dans un tube gradué en éloignant le liquide, avant l'introduction de la potasse. Ce liquide encore chaud renferme peu de gaz en dissolution. Dans le cas où lon veut recueillir sur place, dans une OXYGÈNE DE L'AIR DANS LA VINIFICATION. 97 cave, du vin en tonneau, on adapte au tonneau un bouchon muni d'un tube de verre et d'un caoutchouc et d'un autre petit bout de tube avec caoutchouc, comme l'indique la figure 26, et l'on procède ainsi qu'il a été dit plus haut pour l'introduction du vin dans le ballon. Fig. 26. La méthode que je viens de décrire pour recueillir les gaz dissous dans le vin et dans les liquides en général est assez com- mode. Le ballon et son tube n'ont point du tout la fragilité qu'on pourrait supposer. Quant à l'expulsion du liquide du ballon et de la petite quantité du mercure qu'il a chassé de- vant lui, rien de plus facile. Lorsque le gaz a été recueilli et Î 08 ÉTUDES SUR LE. VIN. que le ballon et le liquide sont encore très-chauds, et au sortir même du bain de chlorure, on renverse le ballon dans la po- sition de la figure 27, et lon chauffe avec une lampe à alcool. Le liquide bout et la vapeur, emprisonnée à sa sur- face à cause de la position du ballon, chasse le liquide et le mercure, si l'on a soin, au moment où l'ébullition se déclare, de relever un peu le ballon, afin que le mercure arrive dans le tube. Higs 27: Le liquide est recueilli dans une capsule et mesuré, en tenant compte de la portion qui a passe dans l'éprouvette avec le gaz. I y a une petite perte de liquide due à ce que lon recueille un liquide bouillant dont une partie se vaporise. Dès que le liquide est entièrement chassé, on fait rentrer de l'eau dans le ballon, on le lave, et l'on chauffe de nouveau pour chasser l'eau de lavage par la vapeur surchauffée. Puis enfin on remplit de nouveau le ballon d'eau pour une nou- velle opération que l'on met tout de suite en train, ce qui se fait rapidement, puisque le bain de chlorure de calcium est encore très-chaud. OXYGÈNE DE L'AIR DANS LA VINIFICATION. 90 1 Toutes ces manipulations sont assez faciles pour que Jjaie pu les pratiquer à cent lieues de Paris, loin de tout labo- ratoire, dans un rez-de-chaussée, presqu'en plein air, et en allant recueillir le vin dans telle ou telle cave de la localité. Une petite cuve à mercure, d'un litre de capacité, quelques tubes gradués et quelques supports, composaient le mobilier de ce laboratoire improvisé. Je ne dois pas oublier toutefois l'aide de quelques jeunes agrégés de l'École normale, pleins d'intelligence et d'ardeur, et que l'amour seul de la science avait amenés avec moi |. Voici les résultats auxquels nous sommes parvenus : GAZ DU MOT. I. Le 7 octobre 1864, récolte à la vigne de raisins blancs. (Cépage dit melon.) On les écrase à la main avec leurs grappes dans un seau, puis, après avoir pressé le tout dans un linge, on procède immédiatement À l'analyse. Lorsqu'on opère avec le moût, il est bon de ne remplir le ballon qu'à moitié, afin que l'ébullition ultérieure du liquide ne donne pas une mousse gênante et qui puisse passer dans l'éprouvette destinée à recueillir les gaz. Le volume total du moût a été mesuré à la fin de l'opéra- tion. Volume total du moût............. Lx5° D ae Le tn, 33 I y a dans l'éprouvette ASS à CEE 5 d’eau condensée. Les 33% de gaz renfermaient 4,6 d'azote et le reste en acide carbonique, sans trace de gaz oxygène. En supposant ! Ce sont MM. Gernez, Lechartier, Raulin et Duclaux. Qu'ils veuillent bien recevoir ici l'expression publique de mes remerciments et de mon affection. 7: 100 ÉTUDES SUR LE VIN. que les 5* d'eau condensée et refroidie ont dissous leur vo- lume de gaz acide carbonique, un litre de moût contenait : AO IE Se 2e AE ETC IA US MEN tie CU n eee 1120 ACTE CARDOMIQUE Se Les sement des 0.800 DRVSÉTRE PE TR ENTRE UE 0.0 IT. Même cépage. On égrappe, puis on écrase les grains à la main et immédiatement on procède à l'analyse. Les grappes avaient été récoltées la veille. Volume total du moût............. 375" Gaz dolls ERRELESSE re ROPANT. N PTE 36 AOC ES LR SRE STE D ÉeNE CTECLRE s 1311 Acide carbonique, se PER Et RERR . ‘+ 00 Oxygène MR SG E Haba le À. Re, e EUR RTE s 4227 O0 IT. Moùût du même cépage conservé depuis 48 heures au libre contact de l'air, dans un large cristallisoir, à une tempé- rature de 9°. Un litre de moût renfermait : AZOBES Le CPE EE RER Rs ACIUe CAFDORIQUE : 2e 2er Ne 91,2 Oxygène. .. .:. RP Rd one 0,0 IV. Moût du cépage dit ploussard conservé 48 heures dans les mêmes conditions et toujours au libre contact de l'air : Un litre renfermait 15,0 de gaz azote. Pas de trace d'oxy- gène. L'acide carbonique n'a pas été mesure. OXYGÈNE DE L'AIR DANS LA VINIFICATION. 101 J'ai eu l'occasion d'examiner un moût qui était depuis sept Jours dans une grande cuve ouverte, et qui n'avait pas encore fermenté à cause de la température basse où se trouvait la cuve. Îl ne contenait pas du tout d'oxygène libre en dissolu- tion. Sans doute le moût dissout de l'oxygène, mais, au fur et à mesure de sa dissolution, ce gaz se combine avec des prin- cipes oxydables. IT paraîtrait même qu'il serait saturé de gaz azote, puisqu'il n'offre guère plus d'azote après avoir été con- servé 48 heures exposé à l'air que lorsqu'il est récent. La disparition du gaz oxygène n’est pas tellement rapide que l'on ne puisse avoir du moût tenant de l'oxygène en disso- lution, mais il faut que le moût vienne d'être agité avec de l'air. 9 litres de moût ont été agités dans une grande bouteille de 10 litres avec leur volume d'air pendant une demi-heure. 0 centimètres cubes de gaz extraits du moût un quart d'heure après l'agitation ont laissé 13 centimètres cubes de gaz non absorbables par la potasse, lesquels renfermaient 20 p. 100 de gaz oxygène. La même expérience répétée sur le même moût, en lais- sant reposer le liquide pendant une heure après l'agitation avec l'air, n'a plus fourni que 6 p. 100 d'oxygène dans le gaz privé d'acide carbonique. Enfin, en laissant du moût dans une bouteille bien bouchée en contact avec son volume d'air {à une température de 10° afin de retarder la fermentation), l'air de la bouteille renfer- mait, au bout de 48 heures, près de 3 p. 100 de gaz carbo- nique, et 14 p. 100 de gaz oxygène seulement. On avait agité à deux reprises le moût avec l'air pendant une demi-heure. Chaque litre de moût avait donc absorbé environ 70 centi- 102 ÉTUDES SUR LE VIN. mètres cubes de gaz oxygène. Cette expérience a été faite en 1863. J'ai essayé de la renouveler en 1864, mais J'ai trouvé alors des absorptions beaucoup moindres de gaz oxygène, sans que j'aie pu bien me rendre compte de la cause des différences. Je crois que la température ou un premier commencement insensible de fermentation ont une grande influence sur l'ab- sorption du gaz oxygène. Le 1° octobre 1864, j'extrais du moût de ploussard de deux espèces de grappes, les unes bien mûres, les autres commen- çcant à noircir, mais encore d'un rouge lie de vin. Je remplis à moitié avec ces moûts des tubes de 50 centimètres cubes de capacité. Le 3 octobre, c'est-à-dire 48 heures après, j'analyse l'air des tubes. Les tubes, fermés à la lampe, ont été placés dans une cave froide afin d'empêcher la fermentation de se déclarer. MOÛT DES RAISINS MÜRS. Crtoile." SR NES pese A RES 17,9 Après L'action de daÿpotisse, 2 16,8 Après l'action de l'acide pyrogallique. ......... 13,6 Cela répond à 2,9 p. 100 de gaz acide carbonique, et à 19,0 p. 100 d'oxygène dans le gaz restant. MOÛT DES RAISINS NON MÜRS. Gazdtotal: 255. Eee NOR 18,8 , Après l'actiontde la potasse.. : 442.01: Rue 18,9 Après l'action de l'acide pyrogallique. . ........ 14,9 Cela répond à 2,7 p. 100 de gaz acide carbonique, et à 18,6 d'oxygène dans le gaz restant. Le moût le moins mür est donc moins oxydable que l'autre. Je ferai remarquer que re résultat s'est soutenu dans deux autres séries d'expériences. OXYGÈNE DE L'AIR DANS LA VINIFICATION. 105 La combinaison de l'oxygène de l'air avec le moût modifie sa couleur. Le moût de raisins blancs, à peu près incolore dans le grain et au moment du pressurage, devient jaune-brun en passant par les états intermédiaires. Le moût de raisins rouges renferme également des matières incolores qui brunis- sent par le contact de l'air. Enfin l'odeur du moût récent, qui est faible et a quelque chose de vert, prend peu à peu, sil n'est pas filtré, une odeur agréable, éthérée, au moment où la fermentation commence, et cette odeur paraît être en rap- port avec une aération lente du moût. Le moût de raisin renfermant des principes oxydables, et la fermentation étant plus propre par son caractère général à en augmenter le nombre qu'à les détruire, il est permis d'admettre que le vin sera lui-même un liquide très-avide d'oxygène. Il est même facile de comprendre qu'il doit con- tenir des substances oxydables de natures diverses, car Île moût en fournit probablement de plusieurs sortes, matières colorables par oxydation et autres, et la fermentation intro- duit de son côté les matières colorantes ou colorables de la pellicule qui sont très-avides d'oxygène. En résume, le vin est un liquide que lon n'expose pas à l'air, ou très-peu, le moins possible, qui débute par être sa- turé de gaz acide carbonique, sans trace d'un autre g?z quel- conque par la nature même de la fermentation !, et qui con- tient en outre des substances multiples très-oxydables. IT re- sulte de là que toute circonstance qui sera propre à priver 1 Dans mon mémoire sur la fermentation alcoolique inséré dans les Annales de chimie et de physique pour l'année 1860, J'ai indiqué la présence d'une quantité extrêmement faible d'azote mélangé au gaz acide carbonique des fermentations industrielles des distilleries de grains et de betteraves. Mais l'absence absolue de ce 104 ÉTUDES SUR LE VIN. le vin du contact de loxygène, c'est-à-dire de Fair atmos- phérique, ou qui, au contraire, le mettra en rapport avec ce gaz, doit mériter la plus sérieuse attention. Pour m'assurer par l'expérience directe que le vin nouveau ne renferme pas la plus petite quantité de gaz oxygène, ni de gaz azote, et qu'il est saturé de gaz acide carbonique, j'ai trans- porté dans une cave l'appareil barométrique de la figure 24, et, en opérant comme il a été dit à la page 97; jy ai introduit du vin d'un des tonneaux. Le gaz recueilli a été complétement absorbable par la po- tasse. Il ne renfermait pas du tout d'azote ni d'oxygène. Une expérience de ce genre, faite le 19 novembre 1863, dans une cave d’Arbois, sur du vin de la récolte du mois d’oc- tobre précédent, a fourni à la température de 7°, 1 it. 481 de gaz acide carbonique par litre, très-pur. Dans la même cave j'ai prélevé le jour suivant, par le même procédé, 250% d'un vin de deux années de la récolte de 1861. Il ne renfermait par litre que 200" de gaz acide carbonique, et 16 de gaz azote, mesurés à la température de 12°, et éga- lement sans trace d'oxygène. Ce vin n'avait été soutiré que deux fois, en mars et en juillet 1862. Sans aller plus loin, nous pouvons conclure de ces faits, 1° Que le vin nouveau ni le vin vieux ne renferment pas trace d'oxygène libre en dissolution; 2° Que le vin nouveau ne contient que du gaz acide carbo- nique pur ; gaz azote dans la fermentation du moût de raisin me fait craindre que le gaz azote que j'ai recueilli autrefois n'ait eu pour origine la solution concentrée de potasse qui m'avait servi à absorber le gaz carbonique, bien que j'aie cru prendre toutes les précautions pour éloigner cette cause d'erreur, dificile à éviter complétement. OXYGÈNE DE L'AIR DANS LA VINIFICATION. 105 3° Que le vin vieux contient bien moins de gaz acide car- bonique que le vin nouveau, et du gaz azote en proportion sensible. D'où provient le gaz azote qui est en dissolution dans le vin d'un certain âge? Nous allons reconnaitre d'abord que la moindre agitation du vin avec Fair, et cette agitation est un des eflets nécessaires des soutirages, amène immédiatement dans le vin, indépendamment d'autres causes non moins efli- caces, une proportion sensible de gaz azote. Le 20 novembre 1863, j'introduis 7 litres du vin nouveau dont j'ai parlé tout à l'heure, ne contenant ni azote, ni OXY- gène, dans une grande bouteille de 14 litres de capacité, et J'agite pendant quelques instants le vin et l'air contenus dans la bouteille, puis, une demi-heure après l'agitation, j'étudie la composition des gaz en dissolution dans le vin. 520% de vin ont laissé 10° de gaz non absorbables par la potasse, lesquels ont fourni 7*,5 de gaz azote après l'action de l'acide pyrogallique. Un litre de vin avait donc absorbé par son contact avec l'air 14*,5 de gaz azote et 4",7 de gaz oxy- gène. J'ai placé alors 4 litres de ce vin aéré dans un grand flacon bien bouché. Le lendemain matin, 700% de ce vin ont fourni 10%,4 d'un gaz non absorbable par la potasse et ne contenant pas trace d'oxygène. L'oxygène était donc entré en combinaison avec certains principes oxydables contenus dans ce vin, con- formément aux résultats des expériences de MM. Boussingault et Berthelot. Mais rapprochons-nous davantage d'un soutirage ordinaire. J'ai dit que le vin de 1861 ne contenait pas du tout de gaz oxY- gène, pas plus que le vin nouveau de 1863, dont nous venons de 106 ÉTUDES SUR LE VIN. parler. Je soutire au tonneau 4 litres de ce vin de 1861 dans une terrine, à l'aide d'une cannelle dont le jet est assez fort. Le soutirage a donc été très-rapide. Aussitôt après, et sans plus de perte de temps qu'il n’en a fallu pour rapporter la terrine de la cave au rez-de-chaussée, je fais passer un certain vo- lume de ce vin dans l'appareil barométrique. Or le gaz con- tenu dans le vin renfermait 10,4 p. 100 de son volume de gaz oxygène après avoir été privé de son acide carbonique. Voici d'autres faits relatifs à l'influence des soutirages sur le vin. Le 21 novembre 1864, on remplit plusieurs tonneaux , de 60 litres de capacité environ , de vin de la récolte d'octobre, pris sousle marc. À cet effet, un gros tube de caoutchouc adapté à la cannelle du foudre vient se rendre jusqu'au fond du petit tonneau. Celui-ci se remplit dans l'intervalle de quelques instants. Lorsqu'il est tout à fait plein on en retire avec un si- phon exactement 300 de vin. Gette précaution, peut-être inutile, a été prise afin que le tonneau püt supporter sans accident une élévation de température de quelques degrés. Plusieurs tonneaux, remplis de cette façon, pris sous marc, sont expédiés d'Arbois à Paris et sont conservés dans une pièce de rez-de-chaussée au nord, non chauftée. Le 27 décembre, le gaz du vin est étudié pour un des ton- neaux. On prélève 540% de vin qui ont fourni 588% de gaz à 12° et 736" de pression, lesquels ont laissé un résidu de gaz azote pur de 3,5. Un litre de ce vin renfermait donc dans les conditions de l'expérience 1082° de gaz acide carbonique et 6®,5 de gaz azote. On avait expédié en même temps à Paris le même vin dans des flacons de litre bien bouches. Le vin d'un de ces flacons, OXYGÈNE DE L'AIR DANS LA VINIFICATION. 107 examiné le 27 décembre, renfermait 1 229" de gaz acide car- bonique pur sans trace d'azote à la température de 1 i°. La vidange du tonneau rempli le 21 novembre n'était pas moins de 810% le 27 décembre, défalcation faite des 300" enlevés le 21 novembre. C'était un tonneau de bois de chêne neuf. Afin d'étudier l'effet des soutirages je transvase, le 27 de- cembre, le vin de ce tonneau dans un autre tonneau de 60 litres, puis aussitôt après je remets le vin dans son premier tonneau. Le soutirage a été pratiqué avec un robinet de bronze dont l'ouverture de débit était de 0",01 de diamètre. Le lendemain, je détermine la composition du gaz dissous dans le vin. 500° de vin ont fourni 290% de gaz contenant 6,25 de gaz azote à 12° et 749%" de pression. Température du vin 11°. Nulle troce de gaz oxygène. Ainsi un litre de vin dans les conditions de l'expérience ne renfermait plus que h67*,5 de gaz acide carbonique, au lieu de 1082 environ, et 12°,5 de gaz azote, au lieu de 6,5. L'influence des soutirages sur le vin nouveau ne sera pas moins bien indiquée par l'essai suivant : Saz contenu Le 12 mai 1865, j'étudie la composition du g dans le vin d'un autre tonneau de 60 litres, pareil au préceé- dent et rempli à Arbois le même jour, c'est-à-dire le 21 no- vembre 1864, de vin pris sous marc. La température du vin était de 20°. La vidange, défalcation faite des 300* enlevés à l'origine, n’était pas moins de 1°"-925%. 570% de vin ont fourni 563 de gaz à 19° et 760"" de pression, qui n'ont laissé que 3*,3 de résidu de gaz azote. Ainsi ce vin avait conservé une grande quantité de gaz acide carbonique , et ne s'était pas aéré. C'est évidemment que la 108 ÉTUDES SUR LE VIN. température du vin s'étant progressivement élevée depuis le mois de novembre 1864 jusqu'au mois de mai 1865, le vin avait dégagé peu à peu de l'acide carbonique par les pores du bois. IL y avait eu constamment pression de l'intérieur à l'exté- rieur, et la partie vide elle-même du tonneau était pleine de gaz acide carbonique ayant une force élastique plus élevée que celle de l'atmosphère extérieure. L'air ne pénétrait pas dans cette partie vide, au fur et à mesure qu'elle se produisait par l'effet de l'évaporation et de lhumectation du bois, à cause de la tension du gaz acide carbonique intérieur. C'est là un autre effet des premiers soutirages. Non-seulement ils mettent le vin en contact avec l'air, ce qui amène une oxy- dation subséquente des divers principes, mais ils font dégager une quantité considérable de gaz acide carbonique. Ce gaz, en restant dans le vin, peut s'opposer à l'introduction de Fair par les pores du bois, à cause de sa tension intérieure, qui augmente au fur et à mesure que la température du vin s'é- lève. Voyons maintenant ce qui arrive lorsque le vin est exposé librement au contact de l'air. Le 30 septembre 1864, on place dans un cristallisoir trois litres de vin de la récolte de 1862, que l'on vient de tirer à un grand foudre. Au bout de vingt-quatre heures, le gaz con- tenu dans le vin est analysé, et il renferme 25 p. o/o de gaz oxygène après l'absorption de l'acide carbonique. Ce dernier gaz était, du reste, en très-petite quantité. Un litre du vin ren- cc fermait à très-peu près 21° de gaz carbonique, 18° de gaz azote et 6 de gaz oxygène !. ! J'ai déjà parlé de l'évent et de la disparition de ses effets lorsque le vin est remis en bouteilles pleines. Nous voyons, par l'expérience que je relate, que le OXYGÈNE DE L'AIR DANS LA VINIFICATION. 100 Le vin dissout donc l'oxygène et l'azote de l'air avec une grande facilité. Mais, chose remarquable, dès que les fleurs du mycoderma vint apparaissent à la surface du vin, même par taches isolées, le vin, quoique exposé au contact de l'air, ne tient plus du tout d'oxygène en dissolution. Le 30 septembre 1863, j'abandonne plusieurs litres de vin au contact de l'air dans un cristallisoir simplement recouvert d'une lame de verre. Cinq jours après, il s'est développé, par taches assez éloignées les unes des autres, une petite quantité de mycoderma vini sans mélange de mycoderma aceti. La sur- face totale du vin n'eût pas été recouverte au dixième si lon eût rassemblé toutes les taches du mycoderme. Or un litre de ce vin n'a fourni que 0,2 de gaz oxygène. L'oxygène dis- paraît donc dès que le mycoderma vint commence à se déve- lopper. Il résulte, ce me semble, de ces faits, une conséquence assez singulière relativement à la pratique de louillage. Celle-ci consiste dans le soin que lon met à supprimer la vi- dange qui se fait naturellement dans les tonneaux par évapo- ration. Ces tonneaux, remplis complétement au moment du soutirage, sont entretenus pleins par le vin qu'on y ajoute tous les mois. Mais j'ai fait observer qu'il y avait des vignobles où lon conserve systématiquement la vidange. D'une part, les tonneaux ne sont pas remplis à l'époque des soutirages , et, de l'autre, on ne les ouille pas ultérieurement. Ne semble-t-il pas dès lors que l'ouillage correspond à la non aération du vin et vin exposé à l'air renferme du gaz oxygène en dissolution. Or il m'est avis qu'il doit y avoir une grande différence d'action physiologique sur les nerfs de la langue et du palais entre deux liquides identiques par leur composition, mais dont l'un contient du gaz oxygène libre en dissolution, tandis que l’autre en est absolument privé. 110 ÉTUDES SUR LE VIN. la pratique inverse à l'aération facile? Je suis porté à croire tout le contraire, à cause de l'intervention du mycoderma vini. En effet, si l'on n'ouille pas, on peut être assuré que le vin se couvrira de fleurs. Et il est bien entendu que je parle des cas où cette fleur est du mycoderma vini pur, car j'ai déjà dit que le vin se perd toutes les fois que, par sa nature, il donne lieu à un mélange de mycoderma vini et de mycoderma aceti, et à plus forte raison de mycoderma aceti pur. Le vin non ouillé étant recouvert de mycoderma vint, il faut en conclure, d'a- près le fait que j'ai cité tout à l'heure, que l'oxygène qui pe- nètre dans le tonneau, au fur et à mesure qu'il se vide par évaporation, est enlevé par la plante. Cet oxygène ne peut se dissoudre dans le vin, et, comme il pénètre très-lentement dans le tonneau, nul doute qu'il ne soit utilisé principalement pour la vie du mycoderme, qui ne peut en être privé. Avec la pratique de l’ouillage les choses se passent bien différemment. Tout l'oxygène qui pénètre dans le tonneau peut se dissoudre dans le vin, et entre en combinaison avec ses principes oxy- dables. Cette pratique de l'ouillage correspond donc bien plus que la pratique opposée à une introduction lente d'oxygène dans ie vin. En résumant les points principaux déjà traités dans ce cha- pitre, nous voyons que le moût du raisin et le vin sont des liquides fort remarquables lorsqu'on les envisage dans leurs rapports avec le gaz oxygène. Ils sont toujours privés d'oxy- gène libre parce qu'ils sont très-oxydables, et toujours prêts par conséquent à enlever à l'air une certaine proportion de ce gaz. [1 est impossible de les exposer au contact de l'air sans qu'ils dissolvent de l'oxygène, qui bientôt disparaît, de telle sorte que la dissolution et l'oxydation peuvent recommencer OXYGÈNE DE L'AIR DANS LA VINIFICATION. 111 sans cesse. Dès lors, si cette oxydation du vin méritait une attention sérieuse au point de vue de sa qualité, nous devrions conclure qu'il y a un grand intérêt à ne négliger aucune des circonstances, quelque fugitives qu'elles puissent paraître, dans lesquelles le vin peut recevoir un peu plus où un peu moins de gaz oxygène. Nous reconnaîtrons bientôt en eflet toute l'importance de l'oxydation du vin. Il est donc indispensable d'envisager les pratiques de la vinification sous le rapport de la quantité d'oxygène qu'elles peuvent donner au vin. Or il n'en est aucune, pour ainsi dire, qui n'ait plus ou moins pour ellet d'aërer le vin ou la vendange. Mais de tous les usages, le plus considérable sous ce point de vue, est sans contredit celui qui consiste à placer le vin dans des tonneaux de bois de chène. Les parois d'un tonneau de bois donnent lieu à une évaporation active, variable avec l'épaisseur des douves, avec l'état du tonneau, avec la nature du vin et enfin avec la cave, son exposition, sa température et Ja distribution de ses courants d'air. Le vide intérieur qui provient de cette évaporation à la surface du bois est nécessairement rempli par de l'air dont l'oxygène disparaît au contact du vin. Nous pou- vons donc avoir, par la mesure de l’ouillage, une première idée de la quantité de gaz oxygène que le vin absorbe en ton- neau, même parfaitement bondé, et abstraction faite de toute exposition à l'air par les soutirages. Prenons comme exemple les grands vins de Bourgoyne. On sait que dans ce vignoble, lorsque la fermentation est terminée dans les cuves, le vin, mélangé avec une partie du vin de pressoir, est réuni dans des futailles où se continue la fermentation. Ces futailles sont des foudres, ou plus ordinai- 112 ÉTUDES SUR LE VIN. rement des pièces de 228 litres, toujours de bois neuf. Le vin est soutiré trois fois la première année, en mars, mai et sep- tembre, et deux fois les autres années, en juin et en octobre. Il reste en moyenne quatre ans en tonneau. Cette durée est très-variable, selon les années, les crus, et aussi selon la ca- pacité des tonneaux où le vin est conservé. Le Clos-Vougeot ne reste pas en moyenne moins de six ans en tonneau. Le Chambertin, la Romanée, le Volnay, ie Pomard sont mis en bouteille au bout de trois ou quatre ans. Or la vidange qui s'établit naturellement dans un tonneau de 228 litres n'est pas moindre de 3/4 de litre tous les vingt- cinq jours dans les caves de la Bourgogne. Je parle ici de vin d'une année, car dans la première année la vidange est plus considérable, parce que le bois du tonneau est neuf et que ses pores donnent lieu à une imbibition et à une évaporation plus actives. C’est aussi pour un motif semblable qu'après deux années la vidange n'est plus que de 1/2 litre au lieu de 3/4 de litre par vingt-cinq jours. Ainsi donc une pièce de 228 litres donne près de 10,5 de vidange par année !. Si la durée de la conservation du vin est de trois ans, cela ne fait pas moins de 35!,5; cela équivaut à plus de 30° de gaz oxygène par ! Ces nombres, sur la vidange d'un tonneau de 228 litres, ont été recueillis par moi en Bourgogne auprès du tonnelier chef du Clos-Vougeot. Les suivants ont été déterminés, sous mes yeux et à ma demande, par M. E. Vuillaume, pro- priétaire à Arbois. Deux tonneaux de vin blanc de 1857, de 150 litres chacun, avaient été ouillés à la fin de juillet 1862 , ainsi que cela était constaté par une étiquette apposée sur les tonneaux. Le 26 novembre 1863, c'est-à-dire après seize mois d'évaporation dans une très-bonne cave voûtée et profonde, la vidange a été exactement de 7 litres pour chaque tonneau. 7 litres en seize mois pour un tonneau de 150 litres, c'est, en douze mois, 5!,250. Trois autres tonneaux de 150 litres du même vin blanc avaient été ouilles le OXYGÈNE DE L'AIR DANS LA VINIFICATION. 115 litre de vin pour les trois années, auxquels il faudrait ajouter celui qui a été amené par les soutirages, bien qu'en Bour- gogne le soutirage se fasse, autant que possible, à l'abri de l'air. Le vin est donc soumis constamment à l'action lente de l'oxygène, circonstance qui n’a point été assez remarquée, car il ne me paraît pas possible de douter, d'après les faits que j'exposerai tout à l'heure, que ce ne soit cette oxydation lente qui fasse vieillir le vin, qui lui enlève ses principes acerbes et provoque en grande partie les dépôts des tonneaux et des bouteilles. Le fait bien connu de l'évent, l’acétification par le contact de l'air, la formation des fleurs par la vidange, sont autant de circonstances qui ont fait admettre que l'air était l'ennemi du vin, et qui ont empêché de reconnaître ses bons eflets. Pour moi, je considère que les faits les plus utiles et les plus nouveaux de mon travail se résument dans la connais- sance de l'action malfaisante des cryptogames sur le vin, et de l’action bienfaisante de l'oxygène de l'air, lorsqu'il est em- ployé avec ménagement. 23 novembre 1861. Le 26 novembre 1863, la vidange, mesurée à ma demande, a. été de 9 litres pour chaque tonneau. Cela fait 4',500 par an. Un tonneau de vin rouge de 500 litres avait été ouillé en juillet 1863.11 y avait une vidange de 5 litres le 26 novembre 1863; cela équivaut, pour ce tonneau de 500 litres, seulement à 12 litres par an. Le tonneau était placé dans une cave profonde n'ayant qu'une ouverture au nord. Enfin j'apprends de MM. Gallier et Charrière, à Arbois, qu'ils ont eu, en cinq ans, 130 à 150 litres de vidange dans un tonneau de 18 hectolitres rempli de vin Jaune. La vidange par évaporation est donc d'autant moindre que les tonneaux ont plus de capacité, que le bois est plus épais. La nature des caves n'influe pas moins. Les caves sont plus profondes , par exemple , dans le Jura qu'en Bourgogne. Aussi voyons-nous dans ce qui précède une vidange bien plus considérable en Bourgogne , toutes choses égales. 114 ÉTUDES SUR LE VIN. Je démontrerai, en premier lieu, que le vin ne vieïllit pas lorsqu'il est conservé à l'abri de l'air. J'ai dit précé- demment qu'en novembre 1864 j'avais recueilli huit sortes de vins d'Arbois de diverses qualités, encore sous marc, et de facon qu'il n'y eût pas le moindre contact du vin avec Fair atmosphérique. Il y avait de chaque sorte dix flacons de litre. En ce moment il reste encore plusieurs flacons de ces diverses espèces de vin dans l’état même où je les ai reçus en 1864. Or ces vins de plus d'une année ont présentement la méme couleur de vin nouveau qu'à l'origine, la méme saveur de vin vert et acerbe, et jusqu'à l'odeur et le goût assez sensibles de levüre. Enfin il me paraît qu'ils n’ont pas éprouvé le moindre vieil- lissement. Ils ont été conservés dans une cave dont la tempé- rature varie de 5 à 6° en hiver, à 16 ou 17° en éte. Jai voulu savoir ce que deviendraient ces vins soumis à l'ardeur du soleil. Dans les idées actuelles cette exposition au- rait dû les faire vieillir plus vite. J'ai rempli à peu près com- plétement des tubes de verre blanc, de la capacité de 100" environ, en ne laissant de libre que l’espace nécessaire pour que le vin ne fit pas éclater les tubes par dilatation au mo- ment où ce vin serait exposé au soleil, puis, aussitôt après le remplissage, j'ai fermé les tubes à la lampe. Le contact du vin avec l'air est d'autant moins sensible dans ce transvasement que le vin, sursaturé de gaz acide carbonique, se couvre d'une atmosphère de ce gaz dans le tube de verre au fur et à me- sure que celui-ci se remplit. Les tubes ont été préparés le 30 mai 1865, puis exposés au soleil sur une table devant une fenêtre placée au midi. On sait combien ont été chauds des mois de juin et juillet 1865. Le 18 juillet j’examine ces tubes et je déguste comparativement les vins qu'ils renferment avec OXYGÈNE DE L'AIR DANS LA VINIFICATION. 115 le même vin, mais conservé à la cave, et qui aujourd'hui, c'est-à-dire en janvier 1866, est encore du vin nouveau tel que le donne la fermentation qui suit la vendange. Or il est très-diMficile de trouver, entre le vin de la cave et celui qui a été six semaines exposé au soleil, une différence quelconque. C'est _ la même couleur et le même goût. Chose remarquable, le vin exposé au soleil n'offre pas le moindre dépôt, et il est aussi vert.et aussi àpre que le vin nouveau. Assurément, d'après ce que nous savons des réactions qui se passent entre les acides et l'alcool, réactions étudiées avec tant de persévérance dans ces dernières années par MM. Berthelot et Péan de Saint- Gilles, il a dû se former, et dans le vin de la cave et surtout dans le vin exposé au soleil, de petites quantités de produits éthérés nouveaux, dont la proportion pourra bien augmenter avec le temps; mais on voit, par ce qui précède, qu'à l'époque où les vins ont été examinés, ces changements intestins, aux- quels on attribuait autrefois toutes les modifications que l'âge apporte dans les vins, n'étaient pas encore appréciables; et, tandis que ces mêmes vins, traités par l'art à la façon ordi- naire dans des caves à basse température, avaient changé de couleur, avaient déposé sensiblement , et avaient pris dejà en partie les propriétés des vins vieux, ceux des tubes étaient restés ce qu'ils étaient le jour où on les avait tirés de dessous le marc après la vendange et la fermentation normale origi- nelle. Or il n'y a qu'une circonstance qui n'ait pas été com- mune aux vins en tubes ou en flacons et aux mêmes vins mani- pulés dans la cave du vendeur suivant les pratiques ordinaires : cest le contact de l'air, qui a existé dans ce dernier cas et qui à ! Là ! - été évité avec les plus grands soins dans le premier. La con- séquence obligée de ces comparaisons, c'est que les change- 8. 116 ÉTUDES SUR LE VIN. ments qui correspondent au fait exprimé par les mots de vieil- lissement du vin doivent être attribués principalement à l'ab- sorption de l'oxygène de lair et au dégagement de la plus grande partie du gaz acide carbonique dont le vin est sursa- turé au moment du premier soutirage. L'usage des tonneaux de bois, usage qui entraîne, comme je l'ai indiqué tout à l'heure, une aération lente et sensible du vin, est nécessité bien plus par les conditions du vieillissement du vin que par la commodité que peut présenter cette nature de vases pour le conserver. Des vases imperméables de verre ou de terre cuite ne con- viendraient pas. Le vin y resterait vert à moins de très-fré- quents soutirages !. C'est pourquoi tout importe dans le choix d'un tonneau, sa capacité, l'épaisseur de ses douves, son état de plus ou moins grande incrustation par le tartre, sa position dans la cave, son exposition aux courants d'air, sa température. J'ai vu au Clos- Vougeot des foudres peints extérieurement afin, m'a-t-on dit, de mieux conserver le bois et les cercles en fer. Mais il faut que l'on sache bien que cette peinture a pour eflet de con- server au vin plus de vivacité et plus de verdeur, et, par exemple, je prétends que le vin conservé dans de tels füts de- vrait être mis en bouteilles plus tard d'une année ou deux peut-être, toutes choses égales d'ailleurs, que le même vin conservé dans des fûts ordinaires. J'ai oui dire que le commerce recherchait dans le Midi les vins verts, d'un caractère très- Ù L'usage des tonneaux dans l’art de faire le vin est des plus anciens. On lit dans Pline : «Les méthodes pour garder le vin sont très-différentes; auprès des Alpes, on le met dans des fûts de bois, que l'on cercle... Dans les contrées plus lempérées, on le met dans des vases de terre, qu'on enfonce dans le sol en tout ou en partie, suivant la température du lieu. » OXYGÈNE DE L'AIR DANS LA VINIFICATION. 117 jeune. Il faut dès lors soutirer le moins possible au contact de l'air et conserver le vin dans des füts d'une grande capa- cité. La grande abondance du vin dans cette partie de la France force d’ailleurs à agir ainsi. Par contre, si l'on veut, en Bourgogne et ailleurs, vieillir le vin plus vite, il faut le dis- tribuer dans des füts de petites dimensions. Je crois savoir que ces conséquences des idées théoriques que j'expose sont en parfaite harmonie avec les opinions des propriétaires les plus éclairés. I y a dans l'art de faire le vin une pratique qui est encore directement en rapport avec l'influence de l'oxygène de Fair sur le vin, je veux parler de la mise en bouteille. I faut aérer le vin lentement pour le vieillir, mais il ne faut pas que l'oxy- dation qui en résulte soit poussée trop loin. Elle affaiblirait trop le vin, elle l'userait, et elle enlèverait au vin rouge presque toute sa couleur. Aussi existe-t-il une époque, variable pour chaque sorte de vin et pour une même sorte avec l'année, à laquelle le vin doit passer d'un vase perméable dans un vase à peu près imperméable. Mais il était nécessaire de confirmer le plus possible par des faits positifs les déductions auxquelles je suis conduit. C'est ce que j'ai tenté de faire par l'exposition directe au contact de l'air des vins dont j'ai parlé et en suivant les effets qui en résultaient. À côté des tubes scellés à la lampe, remplis de vin, J'avais placé des tubes de même capacité, mais non rem- plis et également scellés à la lampe, puis conservés soit dans une cave, à l'obscurité, soit au soleil. Les effets de l'air sont très-différents , surtout par leur intensité après le même temps, suivant que les observations ont lieu à la lumière dif fuse ou solaire ou dans l'obscurité. 118 ÉTUDES SUR LE VIN. Pour obtenir les mêmes résultats, il faut bien plus de temps à l'obscurité qu'à la lumière, et les effets, dans ces deux cir- constances, ne sont pas toujours de même nature, principa- lement au début des expériences. Mais, dans tous les cas, l'ac- tion de l'air est considérable et elle se manifeste dès les pre- miers jours de l'expérience en s'accusant ensuite de plus en plus. Je suppose, bien entendu, que le vin n’est soumis dans ces essais qu'à l'action de Fair, et que les tubes dans lesquels il se développerait des mycodermes ou d’autres parasites ne font point partie des comparaisons établies. C'est là une dif- ficulté de ce genre d'expérience, car on sait que le vin s'al- ière en vidange. Cette difficulté peut ne pas exister pour les tubes exposés au soleil par des motifs que j'indiquerai ulté- rieurement et, dans tous les cas, on peut opérer sur des vins auxquels on a fait subir le procédé de conservation que je dé- crirai dans la troisième partie de cet ouvrage. Les figures 28 et 29 donnent une idée des résultats obte- nus. Dans les tubes pleins, conservation à peu près intégrale de la couleur du vin}, rouge ou blanc, et, comme je l'ai dit tout à l'heure, pas de changement appréciable de sa saveur; le vin conserve son goût de vin nouveau, et ne prend aucun bouquet particulier. Au contraire, le vin soumis à l'action de l'air donne lieu à un dépôt considérable. La teinte du vin blanc se fonce, celle du vin rouge s'éclaircit ét finit par n'être plus que d'un brun rouge très-faible. Enfin le vin perd sa sa- ! Un œil exercé constate une légère différence de teinte entre les vins des tubes pleins qui ont été maintenus à l'obscurité ou au soleil. C’est ce que j'ai essayé de rendre par la figure 30. On voit que dans le vin du tube qui a été exposé constam- ment à la lumière et au soleil la teinte est un peu moins rosée et un peu plus jaune brun que dans le vin du tube gardé daus l'obscurité complète. Mais la diffé- rence est très-faible, ACTION DE L'OXYGÈNE DE L'AIR SUR LES VINS ROUGES. Fig. 28. P. Lackerbauer, ad nat. pinx Imprimerie Impériale, DE L'AIR [1] el Z _ _ = un Z — > a = _ = —_ am Fig. 29. RE Imprimerie Impériale. P. Lackerbauer, ad nat pinx. (or Là : Vin rouge conservé en tube plein dans l’obseurité. _ E. Lackerbauer, ad net. pinx. Fig. 30. Vin rouge conservé en tube plein au soleil. Imprimerie Impériale. OXYGÈNE DE L'AIR DANS LA VINIFICATION. 119 veur originelle, vieillit outre mesure, et prend au plus haut degré le goût des vins de Rancio, sil s'agit du vin rouge, et le goût de Madère s'il s'agit du vin blanc. Dans les premiers temps de l'expérience, le vin n'est qu'é- venté, souvent fort désagréable. Le bourgogne prend de Fa- mertume, perd son bouquet, sa couleur notrcit. Mais ces eflets sont passagers, et dans tous les cas, pour bien apprécier l'in- fluence de l'air, il faut ensuite conserver le vin pendant un mois ou deux en vases clos et remplis, parce qu'il s'opère alors des changements considérables, généralement favorables à la qualité du vin. Ce serait une grande erreur de croire que l'effet de l'oxygène se complète tout de suite. La première in- fluence du gaz oxygène n'est pas l'influence durable, ce n'est pas celle qui sera constatée après un certain temps si le vin est conservé à l'abri d'une oxydation nouvelle. Et c'est certai- nement ce qui explique la nécessité de laisser reposer un vin qui vient d'être mis en bouteilles avant qu'on puisse juger de sa qualité. Le vin qui absorbe de l'oxygène, qui en tient en dissolution et qui est éventé, ne l'est plus à beaucoup près au même degré lorsque l'oxygène libre, présentement dans ce vin, est combiné chimiquement avec ceux des principes qui sont en état de le retenir ensuite indéfiniment, et que les dé- pôts dus à l'oxydation sont effectués. Aussi lorsque j'aflirme que les vins, rouges ou blancs, exposés mème au soleil, en vases clos et remplis, ne déposent pas du tout et n'éprouvent pas de changement de teinte sensible, Jentends parler, soit de vins qui ont été privés d'air absolument, tels que les vins nouveaux, soit de vins qui ont séjourné assez longtemps à l'abri de l'air. Un vin que l'on viendrait d'éventer et que l'on enfermerait en vases clos et remplis, déposerait et changerait 120 ÉTUDES SUR LE VIN. de teinte, mais ce serait sous l'influence de l'oxygène de Fair qu'il aurait absorbé antérieurement et dont l'effet sur le vin n'était pas encore accompli. C’est ainsi que les dépôts des vins en bouteilles ne sont pas toujours produits par loxy- gène que le bouchon laisse pénétrer, mais bien par l'oxygène absorbé par le vin au moment du soutirage ou pendant qu'il était encore en tonneau. Mais par le fait, que j'ai signalé, de l'absence absolue de dépôt dans un vin nouveau enfermé limpide en vases clos avant d’avoir reçu le contact de Fair, joint à celui du dépôt inévitable qui prend naissance dans le vin toutes les fois qu'il a absorbé de lair, je me crois en droit de conclure rigoureusement, 1° Que tous les dépôts qui s'effectuent dans le vin non malade sont produits exclusivement par loxygène de l'air. Je reviendrai sur les dépôts de tartre. 2° Que le vin ne changerait jamais de couleur s'il n'était pas soumis à cette même influence de loxygène. Enfin je conclus des changements si considérables de goût et de qualité qui accompagnent l'absorption du gaz oxygène de l'air par le vin et des dépôts qui en sont la suite, change- ments qui sont tous de l’ordre de ceux que l'on attendrait d'un vieillissement prolongé pendant une longue suite d'années dans les conditions ordinaires, et qui dans loxydation directe s'effectuent en quelques semaines, je conclus, dis-je, que le vieillissement et le développement des bouquets que l'on y re- cherche sont également et à peu près exclusivement produits par l'oxygène de Pair. [ y a dans les vins des bouquets naturels et des bouquets acquis. Le bouquet des grands vins de Bourgogne existe sans doute dans le raisin de pinot lui-même, et il passe directe- OXYGÈNE DE L'AIR DANS LA VINIFICATION. 121 ment dans le vin, probablement même sans modification par la fermentation. Mais il y a des bouquets introduits par les procédés mêmes de la vinification. Tel est celui de ce vin de garde connu dans le Jura sous le nom de vin de Château Châlons; tel est celui des vins qui servent à Cette à faire les vins dits vins d'imitation. Or le bouquet des vins de Château- Châlons est si bien un eflet d'oxydation dépendant du mode particulier de leur fabrication, que je suis arrivé à développer en quelques semaines, dans le vin blanc qui sert de base au vin de Château-Châlons, le bouquet de ce dernier vin. Quelques semaines d'exposition à l'air et à la lumière pro- duisent l'action de dix et vingt années de tonneau. Que le vin vieilli et rendu odorant avec cette rapidité d'action n'ait pas exactement les qualités requises par les dégustateurs pour les meilleurs vins de garde dont je parle et qui ont vingt et trente années de tonneau, c'est ce que je n'examine pas en ce mo- ment. [1 ne s'agit pas ici de nuances de goût, mais de ces grands effets de précipitation de matières, de changements de couleur, de développements de bouquets sui generis, et de cet ensemble de propriétés qui font dire qu'un vin est parfaite- ment dépouillé, inaltérable, incapable de déposer encore, et d'un âge très-avancé. Je le répète, toutes ces modifications si profondes, que l'on met dix et vingt années à obtenir dans le Jura, et deux et trois années à Cette, on peut les détermi- ner en quelques semaines par l'effect direct de l'oxygène de l'air. La combinaison de l'oxygène avec le vin, tel est donc, ce me semble, l'acte essentiel du vieillissement du vin. J'ai dit qu'il y avait une grande différence dans l'intensité de l'action de l'oxygène de Fair sur les vins, suivant qu'elle 122 ÉTUDES SUR LE VIN. s'effectuait à la lumière ou dans l'obscurité. Rien de plus sen- sible à l'aspect seul des tubes qui ont servi aux expériences; ainsi la figure 31 représente le même vin (vin de la figure 30) exposé à l'action d'un volume d'air égal au volume du vin; mais l'un des tubes a été conservé dans l'obscurité, et l'autre à la lumière et au soleil. L'analyse de l'air des tubes démontre ce fait avec plus d'évi- dence. Le 29 mars 1865, j'ai placé au soleil et dans une demi- obscurité des tubes de verre blanc remplis à moitié de vins de Bourgogne {pinot) de 1858 et de 1864. Un mois après en- viron, le 25 avril, j'ai analysé le gaz des tubes : Vin de 1858. — Lumière diffuse un peu obscure, 10,4 P- o/0 de gaz carbonique, et dans l'air restant après l'absorp- tion de ce gaz carbonique, 17,9 p. o/o d'oxygène. Vin de 1858. — Le même exposé au soleil, 10,4 p. 0/0 de gaz carbonique, et dans l'air restant après l'absorption de ce 0AZ, 12 o/o d'oxygène gaz, 12,7 P. y5ene. Vin de 1864. — Lumière diffuse un peu obscure, 10,9 p- o/o de gaz carbonique, et dans l'air restant après l'absorp- tion de ce gaz, 17,6 p. 0/0 d'oxygène. Vin de 1864. — Le même exposé au soleil, 15,0 p. 0/0 de gaz carbonique, et dans l'air restant après l'absorption de ce gaz, 12,4 p. 0/0 d'oxygène. Les résultats suivants montreront mieux encore toute la différence des phénomènes, et surtout la lenteur de l'absorp- tion de l'oxygène dans l'obscurité complète. Le 1% juin 1865, jai rempli à moitie des tubes de verre J Ï Fig, 31. ES PENSER Vin rouge Vin rouge (le même) soumis à l’action de l’air soumis à l’action de l'air dans l’obseurité. au soleil. P. 192-193. P Lackerbauer, ad nat. pinx Imprimerie Impériale Qu ACTION DE L'OXYGÈNE DE L'AIR SUR LE VIN w Fig. | Maintenu à l'obscurité. Maintenu au soleil. Mainteou à l’obseurñé. P. 192-153. OXYGÈNE DE L'AIR DANS LA VINIFICATION. 123 blanc avec du vin d’Arbois n° 3, dont il a été question, pour la première fois, page 40. Quelques-uns de ces tubes ont été maintenus dans une obscurité absolue, et d’autres en pleine lumière et recevant le soleil toutes les fois qu'il se montrait. Ce sont les tubes de la figure 31. Le 9 janvier 1866, j'ai analysé le gaz des tubes. Vin n° 3. — Exposé au soleil, 49,1 p. o/o de gaz acide car- bonique. Le gaz restant après l'absorption de l'acide carbonique est de l'azote pur, sans trace d'oxygène. dE Vin n° 3. — Le même conservé dans l'obscurité, 44,1 p. 0/0 de gaz acide carbonique. L'air restant après l'absorption de l'acide carbonique renferme encore 12,4 p. o/o d'oxy- gène. Ainsi dans une obscurité complète les principes du vin se combinent très-lentement avec le gaz oxygène. L'abondance des dépôts, l'intensité de la couleur, sont liées de la manière la plus directe avec l'absorption du gaz oxygène. J'ai essayé de représenter dans la figure 32 les rapports des teintes que prend un même vin lorsqu'il s'est combiné avec des quantités plus ou moins grandes de gaz oxygène. C'est le vin de la figure 30, figure qui le représente dans sa teinte na- turelle. Ainsi, en règle générale, un vin rouge est d'autant plus dé- coloré qu'il a plus absorbé d'oxygène. Néanmoins je m'em- presse de faire remarquer que les vins rouges d’Arbois expo- sés à l'air et dans l'obscurité ont commencé à prendre une nuance plus vive et plus foncée, mais c'était avant qu'un dé- pôt bien sensible fût formé. Cet effet est quelquefois très- 124 ÉTUDES SUR LE VIN. marqué. La couleur, généralement faible, des vins rouges d'Arbois prend alors quelque chose de la teinte bien plus foncée des vins de Bourgogne. Quant aux vins blancs, l'oxydation, surtout dans lobscu- rité, et alors même qu'il y a des dépôts abondants formés, a pour effet de donner plus de vivacité à la teinte, qui se dore et Jaunit sensiblement. Bien que la matière colorante des vins rouges et qu'une matière analogue dans les vins blancs éprouvent de la part du gaz oxygène les eflets les plus sensibles, il ne faudrait pas croire que l'oxygène de fair ne porte pas encore son action sur d’autres principes. Le phénomène est des plus compli- qués. J'ai reconnu, par des épreuves répétées plusieurs fois, qu'une partie des acides était comme brülée. Ainsi le vin d'Arbois n° 5, exposé à la lumière avec son volume d'air, a perdu du mois de juin au mois de novembre 12 p. o/o de son acidité totale. La proportion de sucre du vin est difhcile à évaluer très-exactement, mais il n'est pas douteux qu'elle ne soit sensiblement réduite par le fait de l'oxydation. I y a des études intéressantes à faire dans cette direction. Le vin blanc m'a offert des résultats du même ordre. Quant à la nature des dépôts qui prennent naissance dans les vins à la suite de l'absorption du gaz oxygène dans les expériences dont je viens de parler, il n'y a nul doute qu’elle ne soit la même que celle des dépôts que l'on trouve dans les tonneaux ou dans les bouteilles. H y a plus, on constate dans ces dépôts des deux origines les mêmes variétés de structure physique. L'importance de la considération des dépôts qui se forment dans les vins m'engage à entrer ici dans quelques dé- veloppements. PP CP OXYGÈNE DE L'AIR DANS LA VINIFICATION. 125 J'ai examiné avec attention les dépôts des vins. Je crois qu'il en existe de trois sortes seulement. Une première sorte, bien connue, est due à des cristaux de bitartrate de potasse, de tartrate neutre de chaux ou d'un mélange de ces deux sels. On trouve plusieurs des formes des cristaux de tartrate neutre de chaux et de bitartrate de potasse dans quelques-unes des figures de cet ouvrage. Ces dépôts n'adhèrent pas aux parois des bouteilles, et sont assez lourds pour se rassembler sous un petit volume, par un repos de quelques minutes. Ce n'est que dans des cas exceptionnels, très-peu fréquents, que le bitartrate de potasse est en cristaux légers et soyeux, très-ténus, dont le dépôt exige un temps un peu plus long. Considérés sous le point de vue physique, ces dépôts de tartre sont peu gênants. Au point de vue chimique, leur influence sur la composition et les qualités du vin n'a pour ainsi dire aucune importance, tant elle est peu sensible. Une deuxième sorte de dépôts, souvent confondue avec la précédente, mais qui en est tout à fait distincte, est due à ces matières de couleur brune ou violet foncé qui couvrent les parois des bouteilles, particulièrement dans la moitié qui regarde le sol, lorsque les bouteilles reposent couchées hori- zontalement. Ces dépôts sont constitués par de la matière colo- rante primitivement dissoute, et qui, peu à peu, est devenue insoluble par un effet d'oxydation. Elle se montre au micros- cope, suivant les cas, sous trois états physiques bien dis- tincts : 1° Elle est en feuillets translucides, colorés en jaune brun plus ou moins foncé, quelquefois avec une nuance violette. 2° D'autres fois, la matière colorante se dépose en granu- lations, en petits amas amorphes, presses les uns contre les 126 ÉTUDES SUR LE VIN. autres, et formant une couche adhésive d'un rouge brun ou violet. 3° Ces granulations prennent souvent une structure si ré- gulière que lon croirait avoir sous les yeux des cellules or- ganisées, tant leur sphéricité est parfaite. Aussi diverses personnes qui ont essayé de reconnaître au microscope les ferments des maladies des vins ont été trompées par cette structure et ont pris ces globules pour des corps vivants. La figure 33 représente un dépôt formé dans du vin rouge de Beaujolais de 1839 (commune de Villié) et observé en 1865, où l'on reconnaît l'existence de ces trois manières d’être de la matière colorante, car ces trois états physiques se trou- vent fréquemment réunis. Les feuillets translucides sont ordi- nairement recouverts, au moins par places, des granulations amorphes ou de celles d'apparence organisée. Ces deux der- niers états de la matière colorante sont souvent aussi associés l'un à l'autre en proportions variables. Les dépôts dont je parle, quel que soit leur état, sont le plus ordinairement adhérents aux parois des vases, circons- tance importante, parce qu'elle permet de tirer le vin clair jusqu'aux dernières gouttes. Sous le rapport physique, cette deuxième sorte de dépôts est également peu gênante. Quant au changement de compo- sition qui en résulte pour le vin, on peut dire que sa présence correspond généralement à une phase d'amélioration gra- duelle, bien qu'elle soit accompagnée d'une diminution pro- oressive de la couleur, effet sans inconvénient, si ce dépôt n'est pas trop prononcé. La troisième sorte de dépôts des vins est constituée par les . ! ) 14 cryptogames parasites que nous avons étudiés dans la première DÉPÔT DE MATIÈRE COLORANTE EN FEUILLETS OÙ EN PETITS MAMELONS, Cette nature de dépôts correspond généralement à un vieillissement très-sain B. Leckerbauer, ad nat. de! . Imprimerie Impériale AOO/1 P. 126-127 DL gA " pe PF. Lackerbauer, ad net. Ge. Imprimerie Impériale hAoo/1 P. 126-1927. DÉPÔT, PAR OXYDATION, DE LA MATIÈRE COLORANTE. Dépôt dans un vin qui es resté six mois en vidange, sans fleurs ni maladie quelconque. D 14 Fig. J9. P. Lacxertauer, ad nat del Imprir hoo/: P. 196-127. É Le ’Ai t ” ’ x+ -# LL } - L2 tunx, + ‘ - ñ F 7 « 25 sas * à a ï ‘ 2 re y L 4 , | 2 ME 54 - ie L ° . … e » Le, N ++ = ne [ 4 CN ns + EE A \ " ’ 5 à » . à . L « 1 v ‘ $ é % : : L ‘ x ni : i È , à à J a pe j a rar L : « $ 4 x CT: PS CA ; ; : 2 » ‘ “ ss EU * \ à pr À Ù ) ; fe À K Lu “ -» # | ’ « . C w > \ - Pl LA | Ac ” - ="; ns ! < Lu A 4 l r a f * br, # ! L È per : . > à à < A. a ù 0 " ne . \ LS - pe | v { J ) LT + 7 ee V4 É { Û i “ pe ‘ ( 2 # 2 ï L * £ ù ÿ : > , ù ; à * 4 à . . “ , y : < E CR A : : ï à ; - : } à C FLE APE z En un y ! L À ñ ' à «=. " : > _ ” Au . - . Le r. , Fe « RC - be » 2 > - or 0! Cn \ A ; À L . UT ET L \ r< L ou à , " “ ww nl : 1 ” cl 4 “ : 4 LA ot - mn 0 + Y à * Le : : k s'HUA F j a C1 4 ' [l 1 pe à ; h Dr o de _ il . à À. x Fi : 7e) - n : $ = ; y “ à % à nl J ”- 1 i = - n F » k æ F “ e é : : ù / " % " \ - h À û n © A. RE k * r NUE "a - Q Le e PE" Le Con æ = : ro ‘ " TS | n us ñ LS = : - l ï 1 nr, ’ # J Ce ? j D th at" " ? 4 ; - \ a" és \ \ 4 : GC ue Re , : ie Le l + | + < \ +0 “ D . ‘ M 1 ï \ * s - : L N'a rt + | Lu à » D Q . ." # . S ï “ L--# ù ? - ë FU 4 r: “ 1 * P 1 * . * - 1 ’ - i + ? ! er L. 0 % » - $ - ic “à p i ü , “ 0 OXYGÈNE DE L'AIR DANS LA VINIFICATION. 127 partie de cet ouvrage. Ces dépôts sont très-gênants, physi- quement parlant, puisqu'ils occasionnent de grandes pertes au moment des soutirages ou lors des transvasements des bou- teilles. Ils sont encore plus dangereux que gènants tant par les principes qu'ils transforment que par les substances nouvelles qu'ils développent, d'où résulte la suppression des meilleures qualités des vins. Cela posé, si l'on étudie les dépôts qui prennent naissance par l'action directe de l'air, dans les expériences avec les tubes dont j'ai parlé , on trouve qu'ils sont pareils à ceux de la deuxième sorte et qu'ils en reproduisent fidèlement les trois variétés : les granulations amorphes ou mamelonnées en couche adhésive contre les parois, les feuillets translucides unis ou chargés par places de petits amas mamelonnés, enfin ces petites boules sphé- riques ressemblant à des cellules vivantes. La figure 3/4 représente, à un grossissement de 400 diamè- tres, un de ces dépôts dus à l’action directe de l'oxygène dans un vin rouge du Jura. La figure 35, sur laquelle je reviendrai, représente aussi un de ces dépôts en feuillets colorés adhérents aux parois et que l'oxygène de l'air a seul déterminé. En comparant les figures 34 et 35 aux figures qui représentent des dépôts for- més dans des vins naturels en bouteilles, il est facile de recon- naître que tous ces dépôts sont de même nature. Ce sont eux que l'on confond si souvent avec les dépôts de tartre, mais qui n'en contiennent pas le plus ordinairement, et que l'on retrouve en plus ou moins d'abondance dans toutes les bou- teilles de vin vieux. M. Batilliat, ancien pharmacien à Mâcon, a publié en 1846 un traité sur les vins de France, dans lequel il insiste particu- 128 ÉTUDES SUR LE VIN. lièrement sur les matières colorantes du vin. Ses observations sont intéressantes. Malheureusement il a ignoré l'influence de l'oxygène sur ces matières, et il n’est pas possible de les étu- dier convenablement si l'on ne tient compte de cette circons- tance qui en modifie sans cesse les propriétés. Quoi qu'il en soit, je trouve dans cet auteur un passage fort exact au sujet des dépôts qui se forment dans le vin conservé en bouteilles. «Assez souvent, dit-il, il se forme dans les bouteilles con- tenant du vin rouge un dépôt, même en couches assez épaisses, que l’on désigne sous le nom de tartre. Cette lie contient quel- quelois des cristaux de tartre, mais le plus fréquemment ce n'est presque que de la pourprite, qui tend sans cesse à se sé- parer du vin.» L'auteur appelle du nom de pourprite et de rosite deux ma- tières colorantes qu'il croit avoir isolées du vin rouge. Je ne partage pas du tout son opinion sur ce point. «Si, lorsque après avoir vidé ces bouteilles, on y introduit de l’esprit-de-vin, celui-ci en opère sur le champ la dissolu- tion. Cette teinture est d’une belle couleur, mais plus ou moins foncée selon l’âge des vins : dans le plus vieux elle est moins pourprée. Gette dissolution est de la pourprite presque pure lorsqu'elle est filtrée , attendu que l'alcool ne dissout nile tartre ni les pellicules qui peuvent l'accompagner. «Si lon veut recueillir la pourprite déposée dans les bou- teilles, il faut le faire immédiatement après en avoir té le vin, parce que, lorsqu'elle s'y dessèche, l'alcool n’en dissout qu'une partie, et l'eau ne peut plus la détacher. C'est ce qui rend si difficile le nettoyage des bouteilles. On doit donc les faire la- ver tout de suite. » Ces observations de M. Batilliat sont fort exactes. J'ajouterai OXYGÈNE DE L'AIR DANS LA VINIFICATEION. 129 seulement que cette matière rouge violacé, déposée sur les pa- rois des bouteilles, ne peut pas être considérée comme une matière colorante pure. Ce n'est point un principe immédiat que l'on puisse regarder comme défini, mais une matière co- lorante plus ou moins oxydée, et dont les propriétés de colo- ration, de solubilité et de composition chimique, varient pro- gressivement avec l'intensité variable de l'oxydation. Ainsi son insolubilité dans l'alcool après un certain temps n'est pas un effet de dessiccation, comme le dit l'auteur que je viens de ci- ter, mais un effet d'oxydation. Plus la matière soxyde, plus elle devient difficilement soluble dans l'eau, dans l'alcool et dans les acides; plus également elle perd de sa coloration. Elle peut arriver ainsi progressivement au brun jaunâtre pâle. Les expériences dans les tubes dont j'ai parlé précédemment per- mettent de suivre toutes ces transformations progressives. On peut encore les étudier comparativement en faisant bouillir et évaporer du vin à l'abri et au contact de l'air. À l'abri de l'air, la matière colorante reste en dissolution, et par le refroi- dissement on n'a qu'un dépôt de crème de tartre. Au contact de l'air, au contraire, la matière colorante s'oxyde, et par le refroidissement il se fait, principalement avec les vins riches en matière colorante et peu acides , une cristallisation de crème de tartre associée à un volumineux dépôt de matière colorante devenue insoluble dans l'eau et dans les acides faibles. Je ne quitterai pas ce qui est relatif à l'action de Foxygène de l'air sur le vin et aux causes de son vieillissement, sans par- ler des qualités particulières qu'acquièrent les vins qui ont voyagé, principalement dans les pays chauds. Je suis persuadé que les changements que l'on constate doivent être attribués bien plus à l'action de l'oxygène de F'air qu'à l'élévation de la 9 130 ÉTUDES SUR LE VIN. température. Deux circonstances favorisent l'introduction de l'oxygène durant le voyage aux Indes ou en Amérique : une évaporation plus rapide à la surface des douves, et surtout les chocs du liquide contre les parois, agissant non comme agita- tion, mais comme cause de variations brusques et sans cesse répétées de la pression intérieure, d’où résultent une sortie des gaz azote et acide carbonique et une rentrée d'air à travers les pores du bois, bien plus actives que dans le cas où le vin est abandonné en repos dans une cave froide. L'expérience serait facile à faire : du vin renfermé dans des vases hermétiquement clos ne se modifierait pas sensiblement, ne prendrait pas le goût de cuit propre à ces vins et ne déposerait pas; et dans des bouteilles, l'effet serait beaucoup moins marqué que dans des tonneaux. J'ajoute que les vins portés à une température de 60, 70 ou 80°, ne prennent pas le goût de cuit etne déposent pas. La limpidité du vin est au contraire accrue par cette opé- ration, excepté pour quelques vins très-jeunes, encore en fer- mentation et mélés à de la levüre alcoolique. TROISIÈME PARTIE. NOUVEAU PROCÉDÉ DE CONSERVATION DES VINS. Si les observations consignées dans la première et dans la seconde partie de cet ouvrage sont exactes, elles démontrent que les maladies des vins sont corrélatives de la multiplication de végétations parasites, et qu'en l'absence de ces cryptogames le vin vieillit sans altération, sil est soumis lentement et pro- gressivement à l'influence de l'oxygène de Fair. H faut considé- ver le vin comme une infusion organique d'une composition particulière. Toutes les infusions donnent asile à des êtres organisés microscopiques. Le vin se comporte de la même fa- con. Telle est l'origine des altérations spontanées auxquelles il est sujet. Les maladies des vins devaient être et ont été en effet reconnues dès la plus haute antiquité, et l'empirisme à tout tenté pour essayer de les prévenir !. Ses efforts sont loin d'a- !« Certains vins, au lever de la canicule, tournent dans les celliers, puis se ré- tablissent. La navigation les fait tourner; mais les vins qui résistent à l'agitation de la mer paraissent une fois plus vieux qu'ils ne le sont réellement.» (Pline, & E, P. 537, collection Nisard.) «On reconnait que le vin tourne lorsqu'une lame de plomb qu'on y plonge change de couleur. Parmi les liquides, le vin offre la particularité de s’éventer ou de se changer en vinaigre ; il y a des volumes sur les moyens d'y remédier. » ( Pline, Hli.ps 539.) « I faut écarter les fumiers, les racines d'arbre, tout ce qui donne de l'odeur, laquelle passe très-facilement au vin... mettre des intervalles entre les pièces, de 0 132 ÉTUDES SUR LE VIN. voir été stériles. Sans rappeler ici l'usage si fréquent de la poix résine et des aromates chez les Grecs et les Romains, pour donner de la durée à leurs vins, on obtient de très-bons effets de conservation par l'emploi du sucre, c'est le cas des vins li- quoreux dont la conservation est si facile; par l'emploi de l'alcool, c'est le vinage, pratiqué avec succès, soit par addi- tion de sucre à la vendange comme en Bourgogne, soit par addition directe d'alcool au vin comme dans le Midi; enfin par le gaz acide sulfureux. Le méchage des fûts est une des plus anciennes pratiques de l'art de faire le vin. Je laisserai de côté la pratique non moins ancienne du plâtrage, fort suivie encore dans le Midi, pour donner de la stabilité et de la limpidité au vin. I n'est pas difficile de démontrer que ces trois modes de conservation du vin ne sont efficaces que parce que tous trois ont pour effet de gêner considérablement le développement des parasites du vin. Pour la conservation des vins de table, on ne peut songer à l'emploi du sucre. L'action de l'acide sulfureux offre des in- convénients, et son effet n'a qu'une durée limitée. Le vinage est un des meilleurs procédés de conservation. Malheureuse- ment les propriétés hygiéniques du vin, on ne saurait se le dissimuler, sont altérées par une augmentation un peu forte de peur que les altérations ne se communiquent de l'une à l’autre, sorte de contagion qui est toujours très-prompte. » { Pline, t. I, p. 540.) « On redoute aussi de voir les vases s’échauffer ou les couvercles suer.» (Pline, t. I, p. 540.) En effet, ces caractères physiques annonçaient que la fleur du vin était formée par le mycoderma aceti, qui, par l'active combustion qu'il détermine, échauffait les couches supérieures du vin, d’où résultait une évaporation et par suite une humectation intérieure des parois au delà du niveau du liquide , et surtout du large couvercle de terre cuite qui recouvrait l'orifice des espèces de cylindres plus oi moins coniques dans lesquels on renfermait le vin. CONSERVATION DES VINS. 133 son élément alcoolique. Plus un vin est riche en alcool, plus il s'éloigne des qualités que l'on recherche dans les vins de table, et plus en est restreinte la consommation. Il y aurait donc un grand intérêt pour l'extension du commerce des vins de France à pouvoir les exporter sans les viner. La connaissance des causes des maladies des vins nous donne des vues très-nettes sur les conditions à remplir pour leur con- servation. Tout le problème se réduit à s'opposer au dévelop- pement des parasites. Mes premières tentatives ont eu pour objet l'addition au vin de substances sans odeur, inoffensives, et, ayant à la manière de Facide sulfureux, des propriétés désoxydantes énergiques. Les inductions sur lesquelles je m’appuyais dans le choix de telles substances sont peut-être contestables, et je ne m'étonne pas que leur emploi ne m'ait guère reussi. J'ai obtenu, au contraire, d'excellents effets d'une pratique aussi simple que peu dispendieuse, et qui offre le grand avan- tage de ne nécessiter l'addition d'aucune substance étrangère. Pour détruire toute vitalité dans les germes des parasites du vin, il suffit de porter le vin pendant quelques instants à une température de 50 à 60°. J'ai reconnu, en outre, que le vin n'était jamais altéré par cette opération préalable, et, comme rien n'empêche qu'il subisse ensuite l'action graduelle de l'oxygène de l'air, source à peu près exclusive, selon moi, de son amélioration avec le temps, ainsi que je l'ai exposé dans la seconde partie de cet ouvrage, il est sensible que ce procédé réunit les conditions les plus avantageuses. Il me reste à démontrer les diverses propositions que je viens d'énoncer. Le 15 mars 1865, Je recois de M. de Vergnette-Lamotte, 134 ÉTUDES SUR LE VIN: 25 bouteilles comprenant des échantillons des vins sui- vants : N° 12.— Vin de pinot (Beaune 1858), non transvasé avant l'envoi. N° 16. — Vin de pinot (Pomard 1858), non transvase avant l'envoi. N° 19. — Vin de pinot {Pomard 1862), transvasé avant l'envoi. N° 091. — Vin de pinot (Pomard 1863). transvasé avant l'envoi. Après avoir laissé en repos les bouteilles pendant 48 heures, je décante le vin avec un grand soin, à l'aide d'un siphon qui débite peu, et en laissant dans chacune des bouteilles seule- ment 1 ou 2 centimètres cubes de liquide. J'agite alors la bou- teille de façon à délayer, dans le peu de liquide qui y est reste, le faible dépôt que l'on trouve presque toujours au fond d’une bouteille de vin bien reposée. L'examen microscopique me montre dans tous les dépôts les flaments dont il a été question dans la première partie, plus où moins nombreux suivant la nature du vin, mais présents partout. Cette observation prouve que les vins dont il s'agit renferment dans leur intérieur des germes de maladie. Je chauffe alors sans la déboucher une bou- teille de chaque sorte de vin, vers 60°, puis, après le refroidis- sement, je place ces bouteilles à côté d'autres bouteilles non chauflées du même vin , et je les abandonne dans une cave dont la temperature varie en été de 13 à 1 7°. L'examen des bouteilles était fait tous les 15 jours, sans les déboucher, en élevant la bouteille et regardant dans la gouttière du fond placée entre l'œil et la lumiere, afin de constater s'il se formait un dépot. MALADIE DE L'AMERTUME ( Vin DE BEauNE. 1858 de Fig. 36. 900/1 de …” ' 0 ñ . 3 d _ # * | je D. * 1 r 4 4 = : ' s à ! eo ï F h 1 e j . 4 “ l RL à [ " L - _ “ Va o 1 , - 1 ' L . « s . + * 2 _ sd 0 LCA SAN” = A ( _ - e PE ' J PET , Fa ‘ = = - x : ee." ‘ È i — É à > : € . « : , Li « h £ (Mai 1 = + se hé É r ne A " d . . - x - ' « ‘ ' ; x \ en = . PEL Û : , . 1 a , 1 £ . 1 : nn _ “ se Va CR % ‘ % | : p + n CRE LD * Le. Î - . : ‘ “ 2 ti ÿ » i \ à « r ‘ . ñ 1 Fe ü ’ , 1} È F [ nel LL r , d x “ r A t "4 . n É { NT j el ù = ’ "pr x ‘1 L x ’ \ . & ï À A . + / n u +” 2 né L =" > a Ms RARE . ï AZ [ . Q . . à E ’ ‘ x - æ LD l . . 7 EP MD é LAS D = - NT us D CO TL ee CONSERVATION DES VINS. 159 En moins de six semaines, particulièrement pour le n° 21, il était visible qu'un dépôt flottant commencait à se former, et il a augmenté progressivement, Mais ce dépôt, aujourd'hui si abondant dans toutes les bouteilles qui n'ont pas été chauflées est absolument absent dans toutes celles qui ont été portées à une température de 65° environ. À l'heure où j'écris ces lignes, les bouteilles qui n'ont pas été chauflées, et pour les quatre sortes de vins, offrent un dépôt si considérable, qu'il s'élève à plus de 0,02 et 0o",03 en hauteur dans la gouttière des bou- teilles, et si l'on agite le vin il est trouble dans toute sa masse. Enfin le vin est très-sensiblement malade, amer, bien moins agréable à boire que le même vin qui a été chauflé, et qui n'a pas éprouvé du tout de dépréciation. Si l'on examine les dépôts au microscope, on reconnaît qu'ils sont organisés, avec mélange, dans certains cas, d'un peu de matière colorante ou colorable oxydée et devenue insoluble par le fait mème de cette oxydation. La figure 19 représente le dépôt du vin n° 21, et la figure 36 le dépôt du vin du n° 1 2. Voici d'autres preuves qui s'appliquent particulièrement au développement des mycoderma vini et acetr. Le 1° mars 1865, je fais chauffer vingt bouteilles bien bou- chées d’un vin nouveau du Jura, à une température de To 7»el après refroidissement je les laisse debout à côté de vingt autres bouteilles du même vin non chauflé préalablement. Quinze Jours après, il y a dans les goulots de toutes les bouteilles non chauflées, à la surface du vin, des fleurs de mycoderma vint. Aujourd'hui encore, les bouteilles qui avaient été chauflées et qui sont restées debout depuis le mois de mars, n'ont pas la moindre trace de fleurs. Mais, bien plus, on peut mettre en vidange les bouteilles de vin chauffé et les abandonner à elles- 136 ÉTUDES SUR LE VIN. mêmes, rebouchées avec le même bouchon, à moitié pleines, sans que le plus souvent elles se couvrent de fleurs. Je n'ai jamais vu de vin de table, grand vin ou vin commun, qui, dans de telles conditions, ne se couvrit de fleurs et ne s'altérât. I n’y a de différence entre les divers vins que dans l'époque plus ou moins tardive de l'apparition des fleurs, et dans l'es- pèce des fleurs qui prennent naissance, parce que la facilité plus ou moins grande du développement des mycodermes et leur nature dépendent beaucoup de la composition du vin. J'en ai donné des exemples et j'en ajouterai d'autres tout à l'heure. On peut également consulter à cet égard les faits que j'ai con- signés dans le mémoire que j'ai inséré dans les Annales scienti- Jiques de l'École normale, relatifs à la fermentation acétique. J'ai fait suivre ces études d'autres études analogues, dans lesquelles j'ai reconnu qu'alors même qu'une maladie est en pleine activité dans un vin, l'application de la chaleur l'arrête au point où elle est arrivée. Enfin, je m'appliquai à rechercher, sur un grand nombre de sortes de vins, si la chaleur ne faisait pas subir au vin, comme on le croyait généralement, des modifications particulières; en d'autres termes, si la couleur du vin, sa limpidité, sa saveur, son bouquet, ne recevraient pas, du fait du chauffage préa- lable, une atteinte qui restreindrait singulièrement l'utilité de la pratique que j'entrevoyais. Après bien des épreuves favorables à la pratique du chaulf- fage, et dans lesquelles j'avais provoqué le jugement de per- sonnes du monde, j'ai pensé que je devais avoir recours à des courtiers et à des négociants, très-exercés à saisir dans les vins les moindres nuances de qualités. M. Hemmet, syndic de la Compagnie des courtiers de Pa- CONSERVATION DES VINS. 137 ris, et M. Teissonnière, membre du Gonseil municipal de Pa- ris, qui dirige un commerce de vins considérable, ont mis à me servir dans cette circonstance une obligeance dont je m'em- presse de les remercier publiquement. Le 26 octobre 1865, ils ont bien voulu, à ma demande, déguster les cinq sortes de vins suivants : IL Vin d'Arbois, bon ordinaire de 1863 : bouteilles chauf- lées à 75°, le 5 avril 1865 ; bouteilles du même vin non chauf- fées. IL. Vin de coupage acheté à l'entrepôt de Paris : bouteilles chauflées, le 1 1 juin 1865, à 65°; bouteilles du même vin non chauffées. IL. Vin du Cher, vieux, acheté à l'entrepôt de Paris: bou- teilles chauffées, le 11 juin 1865, à 65°; bouteilles du même vin non chauflées. IV. Vin de Pomard de 1863, livré par M. Marey-Monge : bouteilles chauffées à 60°, fin juillet; bouteilles du même vin non chauffées. V. Vin de Gevrey-Chambertin de 1859, acheté chez le propriétaire au prix de à francs la bouteille : bouteilles chauflées, le 16 mai, à 65°; bouteilles du même vin non chauffées. Voici l'appréciation écrite et textuelle de ces messieurs : Vin d'Arbois. — Le chaullé est supérieur au non chauffé. Pas de différence sensible dans la couleur. Elle est plus vive dans le vin chauffé, Pas de dépôt sensible ni dans lun ni dans l'autre. 138 ÉTUDES SUR LE VIN. Vin de coupage. — Le chauffé est supérieur au non chauflé. Même nuance de couleur, mais plus vive dans le chauffé. Déjà dépôt faible, mais sensible dans le vin non chauffé. Pas du tout de dépôt dans le vin chauffé. La bouteille, retournée et agitée, offre le vin aussi limpide qu'auparavant. Vin du Cher. — Le chauflé est supérieur au non chauffé. Même nuance de couleur dans tous deux, mais elle est plus vive et plus agréable dans le chauflé. Pas du tout de dépôt dans le chauffé. H commence dans le non chauflé, assez pour troubler légèrement le vin lorsqu'on retourne et qu'on agite la bouteille. Vin de Pomard.— Le chauffé est supérieur au non chauffe. La couleur est la mème, mais toujours plus vive dans le chauffé. La limpidité du vin chauffé est parfaite; pas encore de dépot du tout. Le non chauflé offre un dépôt considérable et flot- tant, qui, examiné au microscope, montre des fils très-longs, d'autres très-petits ,et enfin des granulations sphériques. [l a un goût d'amertume qui ne se retrouve que très-faiblement dans le vin chauffé. Vin de Chambertin. — Limpidité.très-grande et même cou- leur dans les deux cas. Autant de finesse et de bon goût dans le chauffé que dans le non chauflé, avec légère maigreur de plus dans le chaufté. Ces mêmes vins seront dégustes dans les années suivantes, autant que cela sera possible par les mêmes personnes, et je , . , » A 1 m'empresserai d'en faire connaître le résultat. MM. Hemmet et Teissonnière, frappés de l'importance des resultats qu'ils venaient de constater, voulurent bien me don- CONSERVATION DES VINS. 150 ner le conseil de les faire juger de façon qu'ils pussent être portés ultérieurement à la connaissance du public sous le cou- vert d'une plus grande autorité de la part des juges. Je m'em- pressai de suivre ce conseil, aussi modeste de la part des per- sonnes qui me le donnaient, qu'il était obligeant pour moi. En conséquence j'adressai, le 28 octobre 1865, la lettre suivante à M. Lanquetin, président de la Commission repre- sentative du commerce des vins en gros de Paris : Monsieur LE PRESIDENT, «Depuis plus de deux ans je m'occupe de l'étude des mala- dies des vins, de leurs causes. et des moyens de les prévenir. Mes recherches m'ont conduit à un procédé simple et pra- tique de conservation que je serais heureux de faire juger par les personnes les plus compétentes en cette matière. L'a- vis le plus autorisé que je puisse solliciter est sans contredit celui de la Commission préposée aux intérêts du commerce des vins dans Paris, que vous avez honneur de présider. «Ge procédé, que je désirerais faire apprécier d'abord et exclusivement pour les vins en bouteilles, consiste à élever la température du vin à l'abri de l'air jusqu'à un degré qui peut varier avec les diverses natures de vins, mais qui est compris entre les limites de 50 à 65° environ. «Si vous approuvez ma demande, Monsieur le Président, je vous serai obligé de provoquer immédiatement les travaux de la Commission. » Le lendemain, je reçus une réponse très-obligeante, qui m'informait de la nomination prochaine d'une Sous-Commis- sion ayant pour mandat de se mettre en communication avec 140 ÉTUDES SUR LE VIN. moi, et de faire un premier rapport qui serait soumis à la Commission représentative. Les jeudis 16 et 23 novembre, la Sous-Commission procéda à la dégustation de vingt et une sortes de vins de diverses ori- gines, conservés dans une cave très-saine, dont la température varie pendant l'été de 13° à 1 7° environ. Les bouteilles chauf- fées et non chauffées avaient toujours été dans les mêmes con- ditions et placées les unes à côté des autres soigneusement étiquetées. Voici le rapport de la Sous-Commission, composée de MM. Taissonnière, membre du Conseil municipal de Paris, vice-président de la Commission représentative; Brazier jeune, négociant en vins; L. CÉLERIER, négociant en vins; CHERRIER, négociant en vins; DecaLeu, négociant en vins. CONSERVATION DES VINS. [A1 RAPPORT DE LA SOUS-COMMISSION CHARGÉE DE CONSTATER LES RÉSULTATS DES EXPÉRIENCES DE M. PASTEUR, SUR LA CONSERVATION DES VINS. Par suite de votre décision, la Sous-Commission que vous avez nommée sur le désir exprimé par M. Pasteur, membre de l'Institut, dans sa lettre du 28 octobre 1865, s'est rendue, les 16 et 23 novembre à l'École Normale, à l'effet de constater par la dégustation les résultats obtenus par ce savant, qui s'oc- cupe d'une manière toute spéciale des maladies des vins et de leurs causes. APPRÉCIATION, PAR LA DÉGUSTATION, DES ÉCHANTILLONS SOUMIS A LA SOUS-COMMISSION. 1. — VIN ROUGE EN VIDANGE (1/2 DE LA BOUTEILLE) DEPUIS CINQ MOIS. (Coupage de vin au litre vendu dans Paris.) Le vin non chauffé est couvert de fleurs, trouble, d'un goût défectueux. Le vin chauffé est limpide, d'une couleur brique, a un goût de rancio très-avancé, mais n'est pas aigre. II y a à sa surface une pellicule légère formée par la matière colorante, mais pas de fleurs, et sur les parois un abondant dépôt adhérent. 142 ÉTUDES SUR LE VIN. IL — Vix DE LA VENTE AU LITRE DANS PARIS. {Bouteilles debout depuis le mois de mars. Le vin chauffé ne dépose pas, est parfaitement conservé. Le chauffage a développé un très-léger goût de rancio. Le vin non chauffé est couvert de fleurs. H a déposé sans que cependant son goût ait subi d’alteration sensible. LE = Von DE IE (Bouteilles debout depuis le 11 juin.) Le vin non chauffé est supérieur en goût. Sa couleur est plus vive. Le dépôt plus apparent au fond de la bouteille. Le vin chauffé a un goût de chauflé très-léger, une teinte plus vieille. C'est un vin plus avancé. Le dépôt au fond de la bouteille est insignifiant. IV. — Vin DE CHixo, 1864. Bouteilles debout depuis le 11 juin. Le vin chauffé est parfaitement conservé. Sa limpidité est parfaite. Le goût n'a subi aucune variation par l'action de la chaleur. Résultat excellent. Le vin non chauffé est presque décompose. Il y a un grand dépôt au fond de la bouteille. Le goût du vin est fermenté et amer. V. — Vin pv CHER, 18063, Bouteilles debout depuis le 11 juin.) Même resultat que pour le précédent. Le vin chaufle a ga- gné en couleur. Son goût s'est aminci, mais il est bon. Le vin est resté limpide. Il n'ya pas de dépôt au fond de la bou- teille. CONSERVATION DES VINS. 145 Le vin non chauffé à perdu de la couleur. Son goût malade est resté le même qu'au moment de la mise en bouteille, Il \ a un fort dépôt. VI. — Vix Gris. VIN FAÇON Taver. (Bouteilles debout.) I n'y a pas de fleurs, ni sur le vin chauffé, ni sur le vin non chauffé. Le vin chauffé est trouble, mais sans dépôt au fond de la bouteille. Son goût est défectueux. Le vin non chauflé est très-limpide. H a légèrement déposé. H est bon de goût. Nora. Cette sorte de vin ayant déja subi une préparation, et sa cou- leur n'étant pas entièrement naturelle, il n'y a peut-être pas lieu de s'étonner du résultat. {Note de la Commission.) VII. — Vix DE MONTAGNE, 1864. {Bouteilles debout.) Le vin chauffé est supérieur. I a plus de couleur et de lim- pidité, la bouteille non remuée. Il est plus trouble lorsque la bouteille a été agitée. I est bon de goût, a gagné en qua- lité. Le vin non chaullé est trouble, il s'est altéré et a déposé beaucoup. Ce vin, agité, est un peu moins trouble que l'autre. VIII. — Vix DE MONTAGNE, 1864. {Bouteilles debout, } Dépôt similaire dans le vin chauflé et non chaufle. Le vin chauffé est légèrement trouble. Il a vieilli au goût 144 ÉTUDES SUR LE VIN. sans que sa couleur rouge soit détériorée; il est un peu plus maigre au goût. Le vin non chauffé a des fleurs, mais il est bon de goût. Il est supérieur à l'autre malgré les fleurs. IX. — Vix D'ARBois, 1863. (Chauffé le 19 mai. — Bouteilles couchées.) I n'y a aucun dépôt dans les bouteilles. Les deux vins sont également bien conservés comme limpidite. Le vin non chauffé est supérieur. Il a conservé son goût. Le vin chauffé a séché et a perdu de sa finesse. X. — Vix D ARBoIS, 1890. (Chauffé le 27 avril. — Bouteilles couchées. ) Il n'y a aucun dépôt ni dans le vin chauffé ni dans celui qui ne l'a pas été. Le résultat est le même que le précédent. Le vin non chauffé est supérieur. Le vin chauffé est plus sec; il a une tendance légère à l'amertume. XL — Pouarp, 1863, Marey-MOoxGe. (Chauffé fin juillet.) Le vin non chauffé qui était debout est décomposé. IH est mauvais. I y a un grand dépôt flottant au fond de la bouteille. La fleur a formé cordon autour du goulot, et le vin est louche et a la couleur brique. | Le vin chauffé qui était debout comme le précédent est très-limpide. TI a une jolie couleur de vin vieux. Son goût est bon, mais il a perdu de son velouté. CONSERVATION DES VINS. 145 Le vin non chaullé qui est resté couché a beaucoup déposé; teint pas bon. Il a la couleur brique et est louche. Le vin chauffé qui est resté couché est très-limpide. I a une jolie couleur. C'est un vin très-sain. I a le goût plein, velouté, et n'a subi aucune altération. XIE. — Pouar», 1848, Marey-MoxGr. {Bouteilles couchées.) Le vin non chauffé est légèrement trouble et amer. H a beau- coup déposé. C'est un vin malade. Le vin chauffé a légèrement déposé. H a le goût vieux, très- vieux, mais sans amertume. [ est très-limpide et très-bon com- parativement au précédent. XIIL. — Pouarp, 1858, VERGNETTE-LAMOTTE. {Chauffé le 27 avril. — Bouteilles couchées.) Le vin non chauflé est assez bon, a un grand dépôt, et il est plus léger en couleur que le vin chauffé. Vin malade. Le vin chauffé est excellent, incomparablement meilleur que le précédent, n’a pas du tout déposé, et donne une idée du vin lorsqu'il est le meilleur. XIV. — Vorxay, 1898, PREMIÈRE CUVÉE. (Chauffé le 9 mai. — Bouteilles couchées.) À la comparaison du vin chauffé avec celui qui ne Fa pas été, les opinions sont d'abord partagées. Le vin non chaullé est cependant trouvé supérieur, parce qu'on trouve au vin chauffé un goût de cuit. H n'y a aucun dé- pôt dans les bouteilles. Nora. Il est essentiel de noter que, pour toutes les dégustations pré- cédentes , les dégustateurs savaient à l'avance qu'ils avaient affaire à du 10 146 ÉTUDES SUR LE VIN. vin chauflé ou à du vin non chauflé. Pour toutes les dégustations sui- vantes, ils l'ont ignoré; M. Pasteur écrivait au fur et à mesure, et avant la dégustation, la nature du vin, sur un papier qui a été ensuite con- fronté avec les résultats des dégustations. Celles-ci étaient également consignées par écrit au fur et à mesure qu'elles avaient lieu. (Note de la Commission.) XV. — VIN DE LA VENTE AU LITRE DANS PARIS (CACHET JAUNE). (Chauffé le 14 mars. — Bouteilles couchées.) Le vin non chauffé est aigre et amer. [l y a au fond de la bouteille un fort dépôt. Il a perdu un peu en couleur. Le vin chauffé est bon, sans dépôt au fond de la bouteïlle, et il a conservé sa couleur. XVI. — Vix pe BOURGOGNE (SANS AUTRE INDICATION D'ORIGINE). Chauffé depuis plusieurs mois. — Bouteilles couchées. pu; Trois dégustateurs contre un trouvent au vin non chaufle une supériorité incontestable sous le rapport du développe- ment du bouquet. Le vin est limpide. I a le goût de vin très- vieux, quil est en effet. Les trois dégustateurs trouvent le vin chauffé inférieur en ce sens que le bouquet se dégage moins. Ce vin est également très-limpide. I paraît plus sec. XVII. — Vix pe Nurts, 1861, PREMIÈRE CUVÉE. (Chauffé le 22 mai. — Bouteilles couchées.) Le vin chauflé a une nuance de plus que le non chauffé. Il est parfaitement conservé, incontestablement supérieur au non chauflé, qui a une tendance assez prononcée à l'amertume. Fort dépôt dans le vin non chauffé, pas du tout dans le vin chauffe. CONSERVATION DES VINS. 147 XVII. — Vin D'ArBois, 1859 (c'ESr LE vix n° X). (Chauffé le 27 avril. Bouteilles conchées.) Les avis sur la supériorité sont partagés. Le vin chaufté est légèrement moins nuancé que le vin non chauffé. XIX. — VIN DE MONTAGNE. (Chauffé dans les premiers jours de juin. — Bouteilles debout. ) Différence imperceptible pour le goût entre le vin chauffé et le vin non chauffé. Le vin chauffé a une teinte légèrement plus foncée. Limpidité parfaite dans les deux vins. Pas de dé- pôt sensible ni dans l'un ni dans l’autre. XX. — Vin De Nuits, 1858, Gama. Le vin chauflé est supérieur. Îl est beaucoup meilleur et a une teinte légèrement moins prononcée. XXI. —— VIN DE COUPAGE. (Chauffé en mai. — Bouteilles couchées.) Le vin non chauffé est inférieur, quoique bien conserve. Trois dégustateurs contre un préfèrent le vin chauffé. Tous les vins chauffés dont il est question ci-dessus ont été portés à des températures qui, pour les diverses sortes de vins, ont varié de 50 à 70 ou 75°. Le compte rendu des dégustations qui précèdent a démon- tré à la Commission que le procédé de M. Pasteur a pour ré- sultat de maintenir limpide le vin qui s'y trouve soumis , et de lui conserver généralement son goût et sa couleur. Toutefois 10 148 ÉTUDES SUR LE VIN. la Commission a remarqué que l'opération du chaullage pro- duisait sur les vins communs provenant de mélanges un léger amaigrissement et un faible goût de cuit !, qui se reproduit dans quelques vins de montagne. En résulte-t-il que l'on puisse dire à ia dégustation, sans que l'on fasse immédiatement la comparaison du vin chauflé avec celui qui ne la pas été, que le premier a été chauffé? Nous ne le croyons pas, parce qu'il n'y a qu'une nuance de goût imperceptible. En résumé, et tout en réservant leur opinion sur l'influence que le temps pourra avoir sur les qualités relatives des vins qu'ils ont comparés, les membres de la Commission ont cons- taté que cette opération prévient surtout les maladies qui sont les causes de laltération des vins, et qu'elle peut même les guérir. En ce qui concerne les différences de goût qui ont été remarquées dans les comparaisons des vins chauffés avec les mêmes vins qui ne l'avaient pas été, et qui étaient restés sains, il faut convenir qu'elles sont si faibles qu'elles échapperaient aux neuf dixièmes des consommateurs, que le temps pourrait peut-être les faire disparaître, qu'assurément l'imagination n’est pas sans avoir une très-grande influence sur la dégusta- tion, puisqu'ils s'y sont trompés eux-mêmes. La Commission pense que, pour apprécier d'une manière définitive le système employé par M. Pasteur, il y aura lieu, ainsi qu'il en a exprimé le désir à la Commission, de procéder ! La Commission croit utile de faire remarquer que le mot cuit, dont elle s’est servi pour exprimer le goût particulier qu'elle a signalé sur quelques vins chauf- fés ne rend peut-être pas d'une façon bien précise l'idée qu'elle a voulu expri- mer, Il aurait peut-être mieux valu dire le gout de chauffé, mais en excluant toute- fois l'idée du goût de fumée ou de brûlé , qu'entraîne avec lui le mot de chauffé. CONSERVATION DES VINS. 149 à la dégustation ultérieure des vins précédents, qui n'ont en core que quelques mois depuis l'époque du chauffage. Nous ne saurions trop faire l'éloge du procédé de M. Pasteur. Il nous parait pratique en ce qui concerne son application aux vins en bouteilles, car il est peu coûteux, et il le serait d'au tant moins qu'il sappliquerait à de plus grandes quantités. Les membres de la Sous-Commission , Signé TeissoNNIËRE, CÉLERIER , BRAZIER , CHERRIER , DELALEU. OBSERVATIONS AU SUJET DU RAPPORT PRÉCÉDENT. Il me reste à compléter ce rapport par des observations sur la nature des vins qui ont été examinés par la Commission et sur la véritable signification des jugements qu'elle a formules. Je ferai remarquer, en premier lieu, que j'ai soumis à la Commission tous les vins que j'avais mis à l'épreuve, au moins tous ceux dont il me restait des échantillons, sans distinction des conditions plus ou moins favorables de la pratique de l'opération. Ainsi, à l'origine, je chauffais le vin jusqu'à 79°. Peu à peu j'ai diminué la température en massurant, par o exemple, que lon pouvait même descendre à 5o ou 55°, et peut-être un peu au-dessous de 50°. Or il n'est pas douteux que, si la température de 50 à 55° est suflisante pour tuer les germes des parasites, elle sera moins capable d'altérer le vin, son bouquet, sa couleur; etc... …. qu'une temperature de 150 ÉTUDES SUR LE VIN. 70 à 70°. D'ailleurs la question d'économie conseille l'emploi de la température la plus basse possible !. A l'origine également j'ai fait chauffer des vins pris sans précaution dans une cave quelconque, et je m'inquiétais peu du remplissage plus ou moins parfait des bouteilles. Mais j'ai reconnu qu'il est préfé- rable d'opérer sur des bouteilles pleines ou presque pleines. Si donc je n'avais soumis à la Commission que des vins traités, si je puis m'exprimer ainsi, dans les conditions du procédé définitif, son jugement aurait pu être encore plus favorable. 1 Les lignes qui précèdent étaient écrites lorsque j'ai lu, dans les Comptes ren- dus de l'Académie des sciences (séance du 12 mars 1866), une note de M. de Vergnette-Lamotte, dont la partialité et les erreurs m'ont surpris. Je ne relèverai r qu'un détail. Il est dit dans cette note que, depuis le 1°° mai 1865, je me suis rapproché du procédé proposé par cet œnologue pour améliorer les vins, parce que, après avoir chauffé le vin à 70° et 75°, j'ai cherché si une température de 6o°, de 55°, et même inférieure, pourrait être assez élevée pour tuer les germes des parasites du vin. Je rappellerai que ce procédé de M. de Vergnette , du 1° mai 1865, est ainsi résumé par lui, Comptes rendus de l'Académie , t. LX, p. 898 : «On mettra les vins en bouteille au mois de juillet, en ne choisissant jamais que des vins âgés de deux ans au moins, les füts qui les contenaient étant jusqu'à ce moment restés dans la cave. « Après le tirage, les bouteilles seront transportées et empilées au grenier. Elles y resteront deux mois, et les vins seront ensuite descendus en cave pour y être conservés, comme de coutume, jusqu à ce qu'on les livre à la consommation. » Quoi de plus naturellement indiqué que de rechercher si une température de 60°, de 55°, et même inférieure, suflirait pour tuer les germes des parasites du vin, après que j'avais constaté que la température de 70° avait cette vertu ? H n'y a pas de rapport entre ces expériences et celles qui consistent à porter le vin de Bourgogne au grenier pendant deux mois, en juillet et en août. Je pense même que ce dernier procédé serait très-propre à rendre malade le vin de Bourgogne. J'ai la conviction que des bouteilles empilées dans un grenier en Bourgogne ne pren- nent jamais une température supérieure à trente et quelques degrés. M. de Ver- gnette a mal imité, selon moi, une pratique de plusieurs départements du Midi, où quelques personnes exposent le vin au grenier pendant un mois ou deux; mais c'est sur les tuiles qu'elles le placent et non dans le grenier. M. de Vergnette était plus dans le vrai lorsqu'il signalait sa note du 1°° mai 1865 comme inspirée par les résultats de mes recherches sur les maladies des vins. CONSERVATION DES VINS. 191 Tel qu'il est, ce jugement est très-satisfaisant. En effet, 1° dans aucun cas le vin chauffé n'est devenu ma- lade et n'a oflert le moindre dépôt de mauvaise nature ; 2° En laissant de côté le vin L, qui était un vin en vidange (et sur lequel je reviendrai), le rapport constate que, sur les vingt sortes de vins restants, dix sortes parmi les non chauffés ont commencé à s'altérer, dont cinq sortes en vins communs et cinq en vins des grands crus de Bourgogne. Ces dix sortes où les échantillons non chaullés sont altérés sont comprises sous les chiffres I, IV, V, VII, XI, XII, XIII, XV, XVII, XX. 3° Pour les dix sortes restantes le rapport de la Commission est fort curieux et très-instructif si on le rapproche des re- marques dont je vais l'accompagner. Je ferai d'abord observer que, pour les vins HE, VE, VIH, IX, X, XIV, les membres de la Commission ont donné la pré- férence aux échantillons non chauffés. Mais je m'empresse de dire que l'on se tromperait singulièrement si l'on pensait que la différence constatée entre les couples d'échantillons de ces six sortes de vins est de même ordre que celle des neuf sortes dont j'ai parlé antérieurement. Pour ces neuf sortes de vins dans lesquelles il y a une altération du vin non chauffé, la dif- férence de qualité est considérable entre les échantillons chauf- fés et ceux qui ne l'ont pas été. Quelquefois même le vin non chauffé était si malade qu'on avait de la répugnance à le boire, et, dans tous les cas, après agitation de la bouteille, c’est-à-dire lorsqu'on avait disséminé le dépôt flottant dans toute la masse, le vin était très-sensiblement trouble. Au contraire, la diflé- rence des échantillons dans les six sortes dont je viens de par- ler était si faible, qu'en ce qui me concerne il m'était impos- sible de l'apprécier, et que beaucoup de personnes donnaient 152 ÉTUDES SUR LE VIN. la préférence aux échantillons chaulffés, contrairement à l'avis des membres de la Commission. D'ailleurs il faut prendre lex- pression des différences constatées par le rapport dans le ré- sumeé général qui le termine. «En résulte-tl, lit-on dans le rapport, que lon puisse dire à la dégustation, sans que l'on fasse immédiatement la com- paraison du vin chauffé avec celui qui ne l'a pas été, que le premier a été chauffé? Nous ne le croyons pas, parce qu'il n'y a qu'une nuance de goût imperceptible. » Et plus loin : «Æn ce qui concerne les différences de goût qui ont été re- marquées dans les comparaisons des vins chauflés avec les mêmes vins qui ne l'avaient pas été et qui étaient restés sains, il faut convenir qu'elles sont si faibles qu'elles échapperaient aux neuf dixièmes des consommateurs , que le temps pourrait peut-être les faire disparaître, qu'assurément l'imagination n'est pas sans avoir une très-grande influence sur la dégusta- tion, puisqu'ils (les membres de la Commission) s'y sont trom- pés eux-mêmes. » Mais voici une circonstance bien plus démonstrative de cette influence de l'imagination sur la dégustation. J'ai dit en com- mençant que la Commission avait procédé à la dégustation des vins que je lui ai soumis, les jeudis 16 et 23 novembre 18065. Or, habitué que j'étais à faire déguster les échantillons des vins chauflés et non chauflés par des personnes du monde, et de recueillir des indications presque toujours plus favorables au vin chauffé qu'au vin non chauflé, je fus surpris de voir que les membres de la Commission avaient donné plusieurs fois, dans leur première réunion, une préférence au vin non CONSERVATION DES VINS. 105 chauffé, dans les cas, bien entendu, où le vin non chauflé ne s'était pas altéré du tout, et avait vieilli à la manière des vins qui vieillissent en s'améliorant progressivement. Dès lors, je pensai qu'il avait pu exister à priort dans l'esprit du plus grand nombre des membres de la Commission une certaine préven- tion contre l'opération du chauffage, prévention de laquelle serait résultée la préférence dont je parle le jour de leur pre- mière réunion. Je proposai done à la Commission, au commencement de sa deuxième séance du 23 novembre, de vouloir bien me per- mettre de ne plus lui indiquer par avance, comme je l'avais fait dans la première séance, la nature des deux échantillons placés en même temps entre les mains de chacun de ses membres. La Commission, qui n'avait comme moi que le désir de con- naître la vérité, sempressa de se ranger à cet avis. Or nous voyons par les termes du rapport que, dans la seconde séance, dans tous les cas où les vins non chaullés ne se sont pas alte- rés, il y a eu incertitude chez les membres de la Commission sur la préférence à donner aux vins chauflés ou non chauflés. Les avis ont été partagés pour les vins XVI, XVIII, XIX et XXI. Mais il y a plus. Il est à remarquer que le vin XVIIT était précisément le vin X de la première séance. Or, dans cette première séance, la Commission avait jugé le non chauflé su- périeur. Enfin je dois dire que c’est ce mème vin d’Arbois qui avait été dégusté le 26 octobre par MM. Hemmet et Teisson- nière, et pour lequel la préférence avait été donnée au con- traire, ce jour-là, à l'échantillon chauffé. Enfin, voulant m'assurer par une épreuve péremptoire de 154 ÉTUDES SUR LE VIN. l'influence de l'imagination sur la constatation de ces nuances de goût dont nous parlons entre des vins de qualités presque identiques, jai usé, à l'égard de la Commission, d'une petite supercherie qu'elle a bien voulu me pardonner, et à laquelle elle a pris soin elle-même de faire allusion dans son rapport. La Commission venait d'être habituée à constater des diffé- rences, petites ou grandes, entre les deux échantillons que joffrais simultanément à chacun de ses membres. I était dès lors facile de prévoir que si, à son insu, je la priais de déguster comparativement deux échantillons tout à fait identiques, mais | qu'elle croirait différents, parce qu'elle ne serait pas avertie et quelle venait de prendre l'habitude de juger toujours des choses distinctes, elle se laisserait aller par erreur d'imagina- ion à croire encore à des différences réelles. En conséquence, sans avoir rien dit ni rien fait qui püt éveiller des soupçons, je remis entre les mains de chacun des membres de la Commission, dans des verres séparés, le méme vin, sortant immédiatement de la méme bouteille. Or chacun des membres accusa une différence entre les deux échantillons soumis à son appréciation. Êt néanmoins, je puis assurer que tous les membres de la Commission avaient une sûreté d'ap- préciation que lon a peine à admettre lorsqu'on n'en a pas soi-même constaté les effets. J'en juge par l'impossibilité où Jétais d'apprécier des différences que je savais devoir être réelles, et sur lesquelles tous les membres de la Commission n'hésitaient pas à se prononcer dans le même sens, alors même que chacun d'eux était tenu de consigner son opinion par écrit, et que le Jugement fût donné en quelque sorte au scrutin secret. Le vin n°! du rapport mérite une mention spéciale. H s'agit PI 8 CONSERVATION DES VINS. 155 d'un vin rouge très-ordinaire, d'un de ces vins appelés vins de coupage du commerce de vins en détail dans Paris. Le 3 juin 1865 jai mis en vidange des bouteilles de ce vin et d'autres vins analogues, les uns non chauflés et les autres qui avaient été chauflés préalablement de 5o à 55°, et plusieurs même un peu au-dessous de 50°. La vidange était à moitié de la bouteille. Or, le 16 novembre 1865, j'ai pu soumettre à la Commission une série de couples de bouteilles dont les chauf- fées n'offraient pas la moindre altération. Bien entendu, le vin de toutes les autres bouteilles qui n'avaient pas été chaulfées était couvert de fleurs, généralement en couche épaisse, parce que les vins communs donnent naissance de préférence au mycoderma vint. Le vin y était pour ainsi dire non potable et décomposé. Au contraire, comme le constate le rapport, les échantillons qui avaient été chauffés et qui s'étaient conservés n'avaient pas de fleurs, n'étaient pas aigres, étaient très-lim- pides, d'une belle couleur brique, et avaient un goût de ran- cio très-appréciable. La matière colorante, devenue insoluble par l'oxygène de l'air, s'était déposée sur les parois en couche adhérente , que l'on pouvait détacher en larges feuillets de cou- leur brune plus ou moins foncée, absolument comme il arrive pour les vins en bouteilles très-âgés et bien conservés. I au- rait peut-être fallu quinze et vingt années d'âge à ce même vin pour prendre en bouteille l'état de vin vieux qu'il avait con- tracté ici dans l'intervalle de cinq à six mois. Ainsi le vin qui a été porté à la température de 50 à 60° est devenu si robuste, qu'il se montre le plus souvent inaltérable, bien qu'il soit mis en vidange. J'ai multiplié à l'infini ce genre d'expériences. Je n'en rapporte point les résultats, parce qu'ils sont absolument du même ordre que celui que Je viens de rappeler avec Fauto- 156 ÉTUDES SUR LE VIN. rité que lui donne d'ailleurs le rapport des membres de la Commission du commerce des vins dans Paris. Si l'on veut se rendre compte des diverses circonstances que présentent les ex périences dont je parle il faut se reporter à celles que j'ai faites pour montrer linanité des observations invoquées à l'appui de la doctrine des générations spontanées. Les germes des végétations propres à linfusion organique acide qui constitue le vin étant détruits par la chaleur, le vin exposé à un volume limité d'air, comme il arrive lorsqu'on met en vidange une bouteille de vin, ne peut plus s'altérer que par la propagation des germes tenus en suspension dans ce vo- lume d'air, et si ce volume d'air n'en contient pas de la nature de ceux qui peuvent se développer dans le vin, ce liquide res- tera absolument intact et soumis seulement à l'action chimique directe de l'oxygène de fair. C'est précisément ce qui arrive, et, neuf fois sur dix au moins, le vin qui a été chauffé, mis ensuite en vidange, n'éprouve pas la moindre acidification , alors même qu'on l'expose pendant des mois entiers dans une étuve de 30 à 35°. La nature de ce genre d'expériences et l'intérêt qu'elles pré- sentent dans l'étude du vin n'échapperont à personne. On n'a- vait pas eu encore l’occasion de voir du vin exposé au contact de l'air pendant un temps très-long sans qu'il éprouvât d'altéra- tion. Les expériences dont je viens de parler réalisent ces condi- tions toutes particulières, et elles sont très-instructives, parce qu'elles nous apprennent que le vin vieillit alors outre mesure en très-peu de temps, et qu'il prend, autant que sa composi- tion le lui permet, les qualités des vins estimés du midi de la France et de l'Espagne. J'espère que la connaissance de ee fait deviendra la source d'applications utiles. F ERNT de ". t— ef er TT MALADIE DES VINS TOURNÉS, MONTEÉS, ETC. ( Vin pu Cuer.) P. Lackerbauer, ad nat. del hoo/1 P. 156-157. ! r A r Fr « » = . ELA i ne Sr Li e = WT Dirt rn s Fe . En (= L « 4: : À PACE : LE d + CHE : CN À \ É. è . 1" .. Û (PUS L 1 ri : ER L 4 1 » ? æ » , j ’ 1 ls CU \ ï 5 : ; 1 LCI = God … Î + ñ l Fa NX 2 20 i , , # “ k L? Ê EE 2- ‘ ue. à cd « MALADIE DE L’'AMERTUME ( Vin ne Pomano. 1863.) n Le D] 110. 90 Fig. )0. E. Lackerbauer, aa net. del. imp 100 P. 156-157. CONSERVATION DES VINS. 157 Il me reste à faire connaître la nature des dépôts qui se sont formés dans les vins dont il est question dans le rapport de la Commission. | La figure 55 représente le dépôt adhérent de l'échantillon de vin chauffé n°1, conservé en vidange sans autre modifica- tion que celle qu'a déterminée l'oxygène de Fair, On voit que ce dépôt est en feuillets translucides ou en mamelons plus ou moins régulièrement sphériques, mamelons isolés où réunis sur les feuillets, comme il arrive lorsque le vin dépose et vieillit sans éprouver d’altération. La figure 37 représente le dépôt du vin n° V, non chauflé. Vin du Cher. Ce vin avait été mis en bouteilles le 10 juin 1865. Le 11 juin, moitié avait été chauflée. Toutes les bouteilles chauffées s'étaient bien conservées, et n'avaient pas donné le moindre dépôt, tandis que toutes celles qui n'avaient pas été chauflées offraient, le 16 novembre, un dépôt considérable de o",01 de hauteur environ, dépôt flottant et presque en- tièrement organisé, comme l'indique la figure. Ge dépôt était formé de filaments de deux diamètres, tous très-longs, res- semblant à des paquets de filasse. Il paraissait muqueux, se tirait en fils gluants du fond de la bouteille, effet que l'on remarque assez souvent dans les dépôts des vins tournés, parce que tous les fils sont enchevêtrés les uns dans Îles autres et forment des amas qui se tiennent. Les gros filaments étaient-ils le parasite de la maladie de l'amer? Je lignore. Le dépôt du vin de Chinon, n° IV, était pareil à celui-ci. La figure 38 représente le dépôt d'une des bouteilles non chauffées du vin de Pomard, Marey-Monge, de 1863, n° XL. Ce vin m'a été envoyé à la fin de juillet de 1865. I avait été mis en bouteilles à Pomard, dans les caves de M. Marey- 158 ÉTUDES SUR LE VIN. Monge , et était, à son arrivée à Paris, d'une limpidité par- faite. I y en avait 200 bouteilles. Cent ont été chauffées, les cent autres ont été laissées telles qu'elles avaient été expédiées de Pomard. Peu à peu un dépôt flottant s'est développé dans toutes les bouteilles non chauffées. Présentement (janvier 1866) il n'en est pas une seule qui ne renferme plus de 50 à 60 centi- mètres cubes d'un tel dépôt, et le vin est sensiblement altéré. Or il n'y a pas une seule des bouteilles chauffées qui montre le moindre dépôt flottant, et le vin me parait être meilleur qu'au moment où je l'ai reçu. Il a donc vieilli dans de bonnes conditions depuis cinq ou six mois, ainsi que le constate d’ail- leurs le rapport même des experts. Parmi les bouteilles chauflées et non chauffées, plusieurs des deux sortes ont été laissées debout et bien bouchées. Dans l'intervalle de quelques semaines le mycoderma aceti, sans mé- lange de mycoderma vini, s'était montré à la surface du vin dans le goulot de toutes les bouteilles non chauflées, de telle sorte que le vin de ces bouteilles a éprouvé deux maladies simulta- nément, celle de l'acescence et celle de lamertume. Aussi les experts ont-ils trouvé que ce vin des bouteilles debout non chauflées était décomposé. H faut remarquer ici que le ferment de l'amer s'est multiplié, dans ces bouteilles debout, avec la même facilité que danses bouteilles couchées. Or il est évident, si lon se reporte aux résultats des expériences de mon mémoire sur la fermentation acétique, que tout l'oxygène qui pénétrait dans les bouteilles à travers les pores des bouchons et qui venait alimenter le mycoderma aceti était absorbé par ce parasite, et que le fer- ment de l'amer, développé au fond de la bouteille, a véeu absolument à l'abri du contact du gaz oxygène. Ceci confirme, CONSERVATION DES VINS. 159 et par une preuve sans réplique, ce que j'ai déjà dit sur la vie de quelques-uns des parasites du vin. Aussi me trompai-je, lorsqu'à l'origine de mes recherches sur les moyens de pré- venir les maladies des vins, j'eus l'idée de recourir à l'emploi de substances avides d'oxygène pour m'opposer au développe. ment des germes de ces parasites. Je suis très-porté à croire que l'acide sulfureux agit de deux manières sur le développe- ment des êtres inférieurs, non-seulement comme substance désoxydante, mais aussi comme substance anti-septique odo- rante. Je ne vois pas bien à quoi correspond chimiquement et physiologiquement pour la vie d'un être inférieur la qua- lité de substance odorante; mais il est certain qu'il ÿ a très- souvent dans le fait d'avoir de l'odeur une vertu antiseptique propre. En d’autres termes, si l'acide sulfureux, sans rien perdre de son affinité pour l'oxygène, était privé tout à coup de vola- tilité, je crois qu'il n'aurait plus, à beaucoup près, les mêmes qualités antiseptiques !. Je ferai remarquer en terminant, pour ce qui concerne la figure 38, que le dépôt de la bouteille qui a servi à faire le dessin de cette figure n'était pas formé par le parasite de l'amer tout à fait pur. I était associé à un autre ferment en petits grains sphériques, sur la nature duquel je ne pourrais me prononcer. Les quelques autres bouteilles dont j'ai examiné les dépôts au microscope ne m'ont paru offrir que le ferment de lamertume. La figure 18 représente le dépôt du vin n° XIT, vin de 1 M. Victor Jodin a communiqué récemment à l'Académie des expériences in- téressantes sur l'acide formique , desquelles 1l résulterait que cet acide ne peut ser- vir d'aliment carboné aux moisissures. Je suis porté à croire que cet acide est un antiseptique , non par nature, mais parce qu'il est odorant. Je donne cette appré- ciation pour faire mieux comprendre ma pensée au sujet des propriétés de l'acide sulfureux. 160 ÉTUDES SUR LE VIN. Pomard, 1848, Marey-Monge. Il en a été déjà question ail- leurs. Je n'y reviendrai pas. La figure 39 représente le dépôt du vin non chauffé n° XVI, vin de Nuits, 1° cuvée de 1861. Ce vin a été mis généreuse- ment à ma disposition par M. le maire de Nuits. Il était accom- pagné de la note suivante, à la date du 17 mai 1865 : «Ce vin est bon et d'un premier cru, mais d'une année qui ne pré- sente pas grande chance de conservation. » On voit en effet que du mois de mai au mois de novembre 1865, c'est-à-dire dans l'intervalle de six mois seulement, un dépôt notable s'est formé dans les bouteilles non chauflées, avec tendance prononcée à lamertume, tandis que le même vin qui a été chauffé s'est très-bien conservé, et se trouve aujourd'hui très- supérieur au non chaullé, et sans dépôt flottant. En présence de tant de résultats si probants et que je pour- rais multiplier, je ne doute pas que tous les propriétaires des grands crus de la Bourgogne n'adoptent le procédé de conser- vation que je propose, procédé si facile à appliquer et si peu dispendieux. Tous les négociants qui font le commerce du vin au litre dans les grandes villes ne devraient pas être moins empressés. Je regrette de n'avoir pas eu l'occasion d'opérer plus souvent sur les vins de Bordeaux. Mes relations avec ce centre de pro- duction ont été fort restreintes. Cependant je puis assurer, par quatre ou cinq essais sur des vins de divers âges et qualités, que le résultat est tout aussi favorable que sur les vins de l'est et du midi de la France. J'espère d'ailleurs que les essais tentés en ce moment par divers producteurs de ce pays, sur les in- dications qu'ils m'ont demandées, suppléeront bientôt à l'in- suflisance de mes propres recherches. MALADIE DE L'AMERTUME ( Van pe Nuurs , 1° cuvée. 1861.) ‘, 2 Fig. DATE P Lackerbauer, ad nat. del. hoo/1 P. 160-161. CONSERVATION DES VINS. 161 L'ellet du procédé, en ce qui concerne les vins du Midi, peut être apprécié par les faits que le rapport constate au sujet des vins de montagne, de coupage, ete. J'ai d'ailleurs obtenu de très-bons résultats en opérant sur des vins du Midi purs, non mélangés à d’autres vins. Il me reste à faire connaître les moyens de chauffage et la disposition que j'ai adoptée pour le vin en bouteilles. Je les donne à titre de renseignement, car l'industrie saurait mieux faire. I ne s'agissait pour moi que d'essais sur une bien petite échelle, et de la constatation de résultats scientifiques. CHAUFFAGE DU VIN EN BOUTEILLES. Le chauffage du vin en bouteilles se fait avec une grande fa- cilité et à très-peu de frais. On peut le pratiquer sur le vin que l’on vient de mettre en bouteilles, ou sur le vin qui est en bouteilles depuis longtemps, qu'il soit sain ou malade. Seule- ment, lorsqu'on opère sur le vin qui est depuis longtemps en bouteilles, il est bon de séparer les dépôts en transvasant le vin dans de nouvelles bouteilles, après avoir relevé les an- ciennes et les avoir laissées debout quarante-huit heures pour donner aux dépôts flottants le temps de se rassembler. Je suppose donc que du vin vienne d'être mis en bouteilles. On a bouché à l'aiguille ou autrement, à la mécanique ou non. On ficelle chaque bouteille, puis on les porte dans un bain- marie. La figure 4o reproduit celui qui m'a servi. Afin de ma- nier plus facilement les bouteilles, elles étaient placées dans un panier à bouteilles en fer. L'eau doit s'élever jusqu'à la cordeline. Il ne m'est pas arrivé de noyer complétement les bouteilles. Je ne crois pas quil y aurait inconvénient à Île 162 ÉTUDES SUR LE VIN. faire, pourvu qu'il n'y eüt pas de temps d'arrêt ni de refroidis- sement partiel pendant le chauffage, qui exposerait à faire entrer un peu d'eau dans les bouteilles. Parini les bouteilles on en place une pleine d’eau, à la par- tie inférieure de laquelle plonge la boule d'un thermomètre. Quand celui-ci marque le degré voulu, par exemple 60°, on retire le panier. I ne faut pas en remettre un autre tout de I | | ST —— _ N N : Ë es > NNN suite : l'eau trop chaude pourrait faire briser les bouteilles froides. On retire une portion de Feau chaude et lon abaisse un peu le degré de celle qui reste en ajoutant de l'eau froide. Mieux encore, on a commencé par chauffer les bouteilles du deuxième panier, afin de pouvoir les placer sans retard dans l'eau chaude qui vient de servir, et ainsi de suite. La dilatation du vin pendant son échauflement tend à faire sortir le bouchon, mais la ficelle (ou le fil de fer) le retient, CONSERVATION DES VINS. 163 et le vin suinte entre le bouchon et les parois intérieures du goulot. Pendant le refroidissement des bouteilles, le volume du vin diminue, on frappe sur les bouchons pour les renfon- cer, on Ôte la ficelle et l'on met le vin en cave, ou dans un cel- lier quelconque, au rez-de-chaussée ou au premier étage, à l'ombre ou au soleil. Il n'y a pas à craindre que ces diverses manières de le conserver le rendent malade; elles n'auront d'influence que sur son mode de vieillissement, sur sa cou- leur, etc. Il sera toujours utile de conserver quelques bouteilles du même vin non chauflé, afin de pouvoir les comparer à longs intervalles, si on le désire, avec le vin des bouteilles qui au- ront été chauflées. Les bouteilles pourront être conservées debout, jamais il ne s'y formera de fleurs; mais peut-être le vin perd-il un peu de sa finesse dans ces conditions si le bouchon se dessèche et laisse trop facilement pénétrer fair extérieur. | Comment pourrait-on opérer dans l'industrie sur une grande quantité de bouteilles? Le bain-marie que représente la figure peut être agrandi, mais je crois que le meilleur système, s'il n'offrait pas d'incon- vénients cachés (et je n’en soupçonne pas), consisterait dans l'emploi d'une grande cuve à étages de planches percées de trous pour laisser circuler l'eau facilement entre les bouteilles. Celles-ci seraient réunies sur ces planches et noyées entière- ment dans l'eau de la cuve, que l’on échaufferait progressive- ment avec de la vapeur d’eau arrivant directement dans la cuve ou circulant dans des serpentins. Je répète que je ne vois pas d'inconvénient à noyer les bouteilles complétement Sil y a constamment pression de dedans au dehors, effet ine- 11. 164 ÉTUDES SUR LE VIN. vitable avec une élévation progressive de la température de l'eau de la cuve. Pourtant c'est à l'expérience de prononcer. Un autre système consisterait à chauffer les bouteilles empi- lées dans un cabinet-étuve , où l’on ferait arriver de la vapeur d’eau, ou de Fair chaud, ou des tuyaux remplis d’eau chaude qui échaufferaient l'air et qu'on distribuerait après des essais préalables de façon à obtenir en tous les points de l'étuve la température nécessaire. Celle-ci serait toujours indiquée par des bouteilles remplies d'eau avec thermomètres dans l'inté- rieur et graduations visibles au dehors. Dans mes premiers essais, je me suis servi d'une étuve à air chaud. C'était une caisse en bois à trois ou quatre étages : une plaque de tôle était placée à la partie inférieure et chauffée en dessous par Île gaz. J'ai voulu agrandir cette étuve et lui donner la forme qu'in- dique la figure 41. Celle-ci, pouvant contenir 200 bouteilles, ma encore rendu des services, mais elle avait le désavan- tage de donner des températures inégales en divers points d'un même plateau. Tandis que certaines bouteilles sont por- tées à bo°, d’autres le sont à 55 ou 56°. La différence de température à divers étages n'a pas beaucoup d'inconvénients dès quon s'est assuré du degré que lon atteint pour une pression déterminée d'arrivée de gaz. Comme, pour la facilité de la charge des plateaux, ceux-ci étaient portés par un arbre central et vertical pouvant tourner, on remédiait à la différence de température en divers points d’un même plateau en faisant tourner le système des plateaux d'un certain angle de demi- heure en demi-heure. Dans le Midi, on pourrait, je pense, se servir d'une étuve chauflée par les rayons du soleil. On sait qu'avec une double CONSERVATION DES VINS. 169 Fig. 41. Dee RER | —r A mayE 166 ETUDES SUR LE VIN. ou triple enveloppe vitrée on peut facilement porter l'air inté- rieur à plus de 100°. Le chauffage du vin après la mise en bouteille est si facile, si peu dispendieux, et rend un tel service à la conservation du vin, que je ne comprendrais pas qu'il ne füt pas généralement appliqué par les négociants ou les propriétaires au moment où ils expédient ce vin. À combien de difficultés, d'ennuis, de réclamations de toutes sortes ne s'exposent-ils pas? Com bien de dépenses de main-d'œuvre, et de pertes n'éviteraient ils pas à eux et à leurs clients? Le commerce des vins en bou- teilles acquerrait une süreté et une facilité extrèmes. Qu'on veuille bien relire les extraits que j'ai rapportés des lettres de MM. de Vergnette-Lamotte, Marey-Monge, Boillot, et j'aurais pu multiplier beaucoup ce genre d'informations, qu'on veuille bien méditer particulièrement le rapport de la Commission du commerce des vins dans Paris, qui a constaté la détériora- tion, après quelques mois seulement, de dix sur vingt sortes de vins que j'avais mis à l'épreuve, et l'on se convaincra de l'immense avantage de la pratique que je préconise en ce mo- ment. J'ai la conviction qu'elle peut donner des millions à la France, pour me servir des expressions que j'ai déjà rappe- lées d’une des personnes les plus autorisées dans ces matières, M. de Vergnette. CHAUFFAGE DU VIN EN FÜT. J'ai pratiqué le chauffage des vins en fût en suivant la disposition qu'indique la figure 42. Le tonneau est placé dans un bain-marie. Le niveau de l’eau est distant de quelques cen- timètres de la bonde, qui est simplement posée sur son ou- CONSERVATION DES VINS. 107 verture sans être serrée. L'eau du bain est portée à 80°. L'ébul lition donnerait trop de vapeur d’eau et une perte inutile de chaleur. Lorsqu'on juge que le vin peut être près de la tempé rature de 55 à 6o°, on ôte la bonde et on plonge un thermo- mètre, que l'on retire aussitôt après pour continuer s’il yalieu. Le vin de dilatation s'écoule par le trou de la bonde, puisque la bonde n'est pas serrée. Il serait facile de disposer les choses pour ne pas perdre ce vin. {Ill | | ll Il | / Pour un tonneau de 30 litres, l'eau du bain-marie étant à 70 ou 80°, il fallait de 5 à 6 heures pour que le vin arrivât à la température de 60°. Lorsqu'on avait atteint la température voulue, on retrait le tonneau, on frappait la bonde, et on portait le tonneau à la cave ou dans un local quelconque. Le résultat a été excellent comme conservation. J'ai aban- 168 ÉTUDES SUR LE VIN. donné du mois d'avril au mois de décembre, en plein air, sur une terrasse, du côté du nord, des tonneaux de vins rouge et blanc ainsi préparés; dans aucun d'eux il n'y a eu la moindre acétification, ni fleurs, ni maladies quelconques. Le vin reste très-limpide et dépose de la matière colorante amorphe sui- vant les principes que j'ai exposés; mais il est inutile d'opérer des soutirages. Ce genre de dépôt ne nuit pas au vin ?. Lorsqu'on veut déguster le vin et savoir s'il est propre à la consommation , il suffit de pratiquer un fausset. Dans les cas où ce vin chauffé en fût a été mis en bou- teilles, celles-ci ne m'ont pas paru avoir besoin d’être chauffées de nouveau pour que le vin s'y conserve sans altération. Ce- pendant il faut qu'elles soient couchées. En les laissant de- bout, bon nombre prennent des fleurs, dont elles reçoivent le germe au moment de la mise en bouteilles; ce germe peut se trouver aussi sur les parois des bouteilles ou sur les bouchons. Mais je n'ai pas vu se former les parasites filiformes, sans doute parce que les germes de ces derniers ferments sont moins répandus que ceux des mycodermes et se trouvent principa- lement dans le vin naturel. Dans tous les cas, s'il y avait alté- ration, elle ne serait pas générale et ne s'appliquerait qu'à quelques bouteilles isolées. Cependant, je n'oserais pas encore porter un jugement définitif sur la non nécessité d'un nou- veau chauffage du vin après la mise en bouteilles, lorsqu'il a été chauffé en fût. L'expérience prononcera. Celle qui m'est personnelle n'a peut-être pas une durée suffisante. ? Le seul inconvénient que j'aie remarqué dans mes essais , et qu'il serait facile, je pense, d'éviter, c'est que le vin a pris plusieurs fois un léger goût de bois. Il aurait fallu laisser séjourner de l'eau chaude dans les tonneaux , avant de les chauf- fer pleins de vin. CONSERVATION DES VINS. 169 Une ou deux fois, dans mes essais, le vin que j'avais chauflé en fût est devenu louche, parce que les tonneaux dont je m'é- tais servi étaient en mauvais état, et que le vin avait éprouvé, pendant son refroidissement et par une fissure, l'action directe et brusque de l'oxygène de l'air. L'action directe de l'air, pour une certaine proportion d'air, amène fréquemment ce résultat sur les vins rouges. Cet effet s'accompagne en outre d'une amertume du vin assez sensible. Il est facile d'éviter cet in- convénient. D'ailleurs le chauffage en füt pratiqué dans des bains-marie, comme je viens de le dire, ne me paraît pas être du tout le mode à adopter définitivement. I] faut un procédé qui puisse s'appliquer facilement à des quantités considérables de vin. Les essais dont je viens de parler ont été faits sur de petits fûts de 30 litres, et n'avaient d'autre but que de donner de premières indications. Je crois que le mieux serait de chaut- fer le vin, à l'abri de l'air, dans de grandes cuves, par la va- peur d'eau circulant dans des serpentins, à la manière de MM. Privas et Thomas {voir à l'Appendice de cet ouvrage ma lettre au Moniteur vinicole); puis, lorsque le vin serait chaud et porté par exemple à 60 ou 65°, on en remplirait les pièces, où il se refroidirait; mais la température à laquelle le vin aurait été porté en cuve serait telle qu'après le remplissage des pièces le vin y aurait encore une température maximum su- périeure à 50°, ou mieux supérieure à la température mini- mum suffisante pour détruire la vitalité des germes que ces tonneaux pourraient contenir. Ce mode d'opérer me paraîtrait réunir divers avantages ”. ! Plusieurs personnes ont bien voulu me communiquer leurs idées sur des pro- cédés divers. Je les prie de recevoir mes remerciments et mes excuses si le temps , r , = Pni ma manque pour répondre à toutes les lettres qui me sont parvenues. Je crois 170 ÉTUDES SUR LE VIN. Il me reste à faire connaître un mode de chauffage et d’aé- ration des vins blancs et rouges qui rendra peut-être de grands services au commerce des vins de France et d'Algérie dans la fabrication des vins d'imitation. Dans des bonbonnes de verre, placez le vin naturel, ou viné à un degré voulu, et additionné, s'il est nécessaire, de vin doux ou de sucre, en proportion convenable, pour que le vin ait ultérieurement le degré de douceur que l'on peut désirer, s'il s'agit d'obtenir des vins plus ou moins liquoreux. Les bon- bonnes ne sont pas remplies, afin que l'oxygène de fair qui y sera laissé oxyde le vin, le fasse déposer et lui communique les bouquets et saveurs dont j'ai parlé précédemment, à l'oc- casion des expériences en tubes. Voici ce qui se passe lorsque les bonbonnes sont exposées à toute l'ardeur du soleil, très-bien bouchées. La température, surtout dans l'air de ces bonbonnes, est portée à plus de 50°, parce que la chaleur des rayons obscurs s'y accumule rapide- ment. Il en résulte que les germes des mycodermes sont tués, de telle sorte que le vin devient inaltérable. TH n'y a pas d'acé- üfication possible. En outre, en quelques semaines, il a ab- sorbé Toxygène et s'est dépouillé complétement. Alors on débouche le vase sans le remuer, et l'on met le vin qui y est contenu en bouteilles à l'aide d'un siphon. Le vin, très-limpide, a pris les principaux caractères d'un vin très-vieux, et se trouve madérisé à un degré marqué. I est devenu, en outre, pour ainsi que chacun fera bien de mettre à l'épreuve le dispositif qu'il aura imaginé , afin que l'expérience juge en dernier ressort. M. H. Marès, surtout, m'a communiqué ré- cemment des idées qui me paraissent pratiques. J'ai hâte de voir les vins naturels du Midi, non vinés, transportés sur tous les marchés. La France, grâce au pro- cédé de conservation par le chauffage préalable, pourrait alimenter de vin Île monde entier. CONSERVATION DES VINS. 171 dire inaltérable et incapable de donner lieu au moindre dé pôt. J'ai la confiance qu'en suivant ces indications, que l'ex périence pourra modifier sur quelques points, on arrivera à abréger considérablement la fabrication de Cette, en évitant toute déperdition par consume où vidange naturelle des ton- neaux, et toute détérioration des vases servant à exposer le vin au soleil, deux circonstances qui conduisent à de grandes pertes avec les procédés de fabrication qui sont suivis à Cette et dans d'autres villes. Cependant c’est à l'expérience de prononcer définitivement sur la valeur de ces nouvelles pra- tiques. Pour moi, j'ai préparé en un mois, sans la moindre dépense, du vin jaune, facon Château-Chälons, que lon aurait mis bien des années à obtenir tel par les procédés qui sont en usage dans le Jura. En terminant l'exposé de mes recherches sur le nouveau procédé de conservation auquel j'ai été conduit par une déduc- tion logique de mes études sur les causes des maladies des vins, je ne dois pas omettre de relater les faits antérieurs qui pouvaient mettre sur la voie d'un tel procédé, ainsi que ceux qui pouvaient en éloigner. De tout temps l'emploi de la chaleur, sous diverses formes, a été mêlé aux pratiques de la vinification. On trouve dans les agronomes latins les procédés de conservation et de pré- paration utilisés par les Romains et les Grecs. Columelle, le plus exact d'entre eux , nous apprend que, pour donner au vin de la durée, on ajoutait à la vendange des proportions, varia- bles suivant sa qualité, de moût cuit réduit à la moitié ou aux deux tiers, dans lequel, à la fin de sa cuisson, on avait fait infuser de l'iris, de la myrrhe, de la cannelle, de la poix ré- sine et d'autres ingrédients analogues. C'était, pour le dire en 172 ÉTUDES SUR LE VIN. passant, un véritable vinage à la cuve, joint à une conservation par antiseptiques. Columelle reconnaît d'ailleurs que le vin de première qualité est celui qui n'a pas besoin d'être frelaté, c'est-à-dire additionné des substances précédentes, pour durer longtemps; et il ajoute : « Nous croyons qu'il ne faut absolu- ment y mettre aucune mixtion qui puisse en altérer le goût naturel, parce que ce qui peut plaire sans le secours de l'art est supérieur à tout. » Entre autres procédés pour conserver le moût de raisin, Columelle donne le suivant : « Dans les terroirs où le vin a cou- tume de s'aigrir , il faut, dès qu'on aura cueïlli et foulé le rai- sin, et avant d'en porter le marc au pressoir, avoir soin de verser le moût dans un panier, et d'y ajouter un dixième d'eau douce tirée d’un puits creusé dans le terroir même, enfin de le cuire jusqu'à ce qu'il soit diminué d'une quantité pareille à celle de l'eau qu'on y a ajoutée; ensuite, lorsqu'il sera refroidi, on le versera dans des vases que l’on recouvrira et que lon bouchera; à l'aide de ces soins il se conservera plus longtemps sans s'altérer en aucune facon. » Fabroni rapporte que, dans quelques endroits de l'Espagne, on cuit encore la totalité du moût qu'on veut changer en vin !. L'abbé Rozier rapporte, mais je n'ai pu trouver la source de ce qu'il avance, que les vins de Crète étaient portés à la température de l'ébullition lorsqu'ils devaient passer la mer. La chaleur du soleil intervenait aussi assez fréquemment dans les pratiques de la vinification. «En Grèce, dit Pline, le vin qu'on nomme Géos (vie), et qui s'emploie dans plusieurs maladies, est très-célèbre à juste ! Fabroni, Art de faire le vin, p. 146. CONSERVATION DES VINS. 173 titre. Il se prépare de la façon suivante : le raisin, cueilli un peu avant la maturité, est séché à un soleil vif; on le tourne trois fois par jour pendant trois jours, le quatrième on le presse; on met le vin dans des pièces, et on le laisse vieillir au soleil !. » Caton a enseigné le moyen de faire du vin de Cos avec du vin d'Italie : il faut, outre la préparation indiquée (cette pré- paration consistait essentiellement dans une forte addition d'eau de mer au vin), le laisser se faire pendant quatre ans au soleil. Enfin on trouve dans Pline ce passage remarquable, qui prouve que la fabrication suivie à Cette pour vieillir le vin est bien ancienne : «En Campanie, dit-il, on expose les meilleurs vins en plein air, on regarde comme très-avantageux que les vaisseaux qui les renferment soient frappés du soleil, de la lune, de la pluie et des vents. » Le vinaigre est trop voisin du vin pour que je ne rappelle pas ici le procédé proposé par l'illustre Scheele pour conser- ver sûrement ce liquide. «A suffit, dit Scheele, de jeter le vinaigre dans une mar- mite bien étamée, de le faire bouillir sur un feu vif un quart de minute, et d'en remplir ensuite des bouteilles avec pré- caution. Si l'on pensait que l'étamage fût dangereux pour la santé, on pourrait mettre le vinaigre dans une ou plusieurs bouteilles, et placer ces bouteilles dans une chaudière pleine d’eau sur le feu; quand l'eau aurait bouilli un petit moment, on retirerait les bouteilles. « Le vinaigre ainsi cuit se conserve plusieurs années, sans se ! Pline, collection Nisard, t. [, p. 531 et 540. 174 ÉTUDES SUR LE VIN. troubler ni se corrompre, aussi bien à l'air libre que dans des bouteilles à demi pleines. » C'est la méthode qu'Appert a mise plus tard en pratique avec tant de succès pour la conservation d’une foule de subs- tances alimentaires, méthode que l'on trouve également en germe dans les expériences de Needham et de Spallanzani au sujet des générations dites spontances, ainsi que je lai fait re- marquer ailleurs !. : Lorsque j'ai publié les premiers résultats de mes expériences sur la conservation possible du vin par le chauffage préalable, il était évident que je ne faisais que donner une application nouvelle de la méthode d'Appert, mais j'ignorais absolument qu'Appert eût songé longtemps avant moi à cette même appli- cation. C'est en me livrant à des recherches historiques à l'oc- casion de l'ouvrage que je publie aujourd'hui que j'ai rencon- tré accidentellement les observations d'Appert. Elles étaient restées si complétement dans l'oubli jusqu'au jour où je mem pressai de les faire connaître dans une note insérée aux Comptes rendus de l'Académie des sciences (décembre 1865) qu'ayant eu à soutenir un débat de priorité avec diverses personnes au sujet de mes propres recherches, il ne vint à l'esprit d'aucune d’entre elles de m'opposer la publication d'Appert. C'est nean- moins cet habile industriel qui, le premier, a nettement indi- qué la possibilité de conserver le vin par l'application préa- lable de la chaleur. Pourtant il est juste de faire remarquer que le fait sur lequel Appert s'appuyait ne prouvait pas du tout que sa méthode füt réellement bonne pour le vin. Les ! Pasteur, Mémoire sur les corpuscules organisés qui existent en suspension dans l'atmosphère, etc. (Annales de chimie et de physique, 3° série, t. LXIV, p. 12, 1862.) CONSERVATION DES VINS. 175 affirmations d'Appert ont dû paraître très-exagérées, et telle est, sans doute, la cause de l'oubli dans lequel elles sont tom- bées. En effet, Appert raconte qu'ayant envoyé à Saint-Domingue quelques bouteilles de vin de Beaune préalablement chaullées au bain-marie à 70°, deux seulement revinrent en France, et que, les ayant comparées alors, 1° avec une bouteille du même vin restée au Havre; 2° avec une autre bouteille du même vin également restée dans sa cave, et toutes deux n'ayant pas subi l'opération du chauffage, le vin de la bouteille con- servée chez lui avait un goût de vert très-marqué; que le vin renvoyé du Havre s'était fait, et conservait son arome, mais que la supériorité de celui qui était revenu de Saint-Domingue était considérable; que rien n'égalait sa finesse, son bouquet; que la délicatesse de son goût lui prêtait deux feuilles de plus que celui du Havre, et trois années au moins de plus que eelui de sa cave !. En réalité, Appert ne signalait pas du tout comme vin altére ou malade le vin des deux bouteilles restées en France. Tout lecteur a dû faire la remarque qu'il n'y avait pas à s'étonner que le vin qui avait été à Saint-Domingue et qui était revenu d'un si long voyage, dût avoir plus de qualité que le même vin resté en France, puisqu'il est bien avéré depuis longtemps que les voyages améliorent beaucoup le vin toutes les fois qu'ils ne sont pas une cause d'altération. L'assertion d'Appert sur la conservation du vin par le chaut- fage préalable devait donc être attribuée bien plus à la con- fiance qu'il avait dans la généralité des applications de sa mé- ! Voir dans l'Appendice, p. 244, le texte même d'Appert 176 ÉTUDES SUR LE VIN. thode qu'a la rigueur de ses observations, qui étaient en effet bien insuffisantes. Pour moi, le seul mérite que je doive ré- clamer ici est d’avoir démontré la vertu très-réelle de la mé- thode d'Appert appliquée au vin, méthode que lon a eu le tort, à mon avis, de négliger jusqu’à ce jour, parce qu'elle est susceptible, si je ne m'abuse, de rendre de très-grands services à l'industrie et au commerce des vins. L'historique que je trace en ce moment serait incomplet si je ne résumais un mémoire intéressant de M. de Vergnette- Lamotte dans lequel cet habile viticulteur a fait précisément des essais semblables à ceux d'Appert, mais dont il n'a point saisi la véritable signification, ce qui a dû contribuer encore à cet oubli, que je regrettais tout à l'heure, dans lequel on a laissé la méthode proposée par Appert !. Le mémoire auquel je fais allusion est inséré au Recueil des travaux de la société d'Agriculture de Paris pour l'année 1850. En voici textuellement les conclusions : «En résumé, nous n'admettons pas que les vins doivent, ! Dans la note que j'ai déjà citée (voir p. 150), adressée à l’Académie dans la séance du 12 mars 1866, M. de Vergnette dit avoir eu connaissance des essais d'Appert dès l'année 1840, et 1 me blâme de les avoir ignorés. Je tiens à faire observer que j'ai été induit en erreur précisément par M. de Vergnette lui-même , qui s'exprime ainsi dans son travail de 1850 : «J'ai observé, il y a quelques années, un fait assez important. Souvent obligé, dans le moment de la récolte, de conserver, par la méthode Appert, des moûts destinés à des expériences qui ne pouvaient être faites que plus tard, j'ai aussi appliqué ce procédé à des vins de différentes qualités. » Tel est le passage qui m'a fait dire, dans ma lettre au Moniteur vinicole, que M. de Vergneite était la personne qui avait pour la première fois appliqué la cha- leur au vin {voir l'Appendice). J'ai reconnu depuis cette mexactitude par quelques lignes insérées aux Comptes rendus de l’Académie du 4 decembre 1865, et M. de Vergnelte n'a fait que confirmer ma rectification dans sa note postérieure du 12 mars 1800, CONSERVATION DES VINS. 177 pour être expédiés au dehors, subir aucun conditionnement qui entraîne avec lui l'addition de substances étrangères. «Pour nous, il n'est qu'une manière rationnelle d'améliorer les vins qui doivent faire de longs voyages, c'est de les con- centrer par la congélation. «Ce procédé n'altère en rien leurs qualités. «Soit au moyen de l'exposition des vins à l'air dans les hi- vers rigoureux, soit au moyen des mélanges frigorifiques, on sera toujours maître de congeler les vins au degré conve- nable. «Les vins qui ont voyagé dans les pays chauds présentent tous les caractères des vins que l’on soumet artificiellement, dans les limites de 60 à 70° centésimaux, à la chaleur d'un four ou à celle d’un bain-marie. Si, après avoir soumis à cette épreuve quelques échantillons des vins que l'on veut expor- ter, on reconnait quils y ont résisté, on pourra, en toute sécurité, les expédier; dans le cas contraire, on devra s'en abstenir. » M. de Vergnette attribuait, comme on le voit, à la chaleur, une action maladive dans tous les cas où le vin n'était pas assez robuste de sa nature. Le chauffage, selon lui, pouvait indiquer surtout si un vin est propre à l'exportation. Il y est propre, st la chaleur ne l'altère pas. IL ressort clairement, de la lecture attentive du travail de M. de Vergnette, que cet œænologue ne rapportait pas la con- servation du vin, après qu'il avait été chauflé, à l'opération même du chauffage, mais à la composition du vin, à son état robuste, à sa bonne constitution. Ces principes sont tout à fait en contradiction avec l'expé- rience. Jamais un vin ne s'altère par l'application de la chaleur 12 178 ÉTUDES SUR LE VIN. dans les conditions indiquées par Appert, et c'est précisément lorsqu'il est d'une santé douteuse qu'il faut lui faire subir lo- pération du chauffage, car elle ne l'altère pas plus que s'il était d'une santé robuste, et, d'autre part, elle l'empêche de s'altérer ultérieurement. En d'autres termes, j'ai démontré clairement qu'il faut rapporter exclusivement la conservation du vin à l'opération du chauffage, et nullement à sa constitution. C'est ce qui m'a permis de fonder sur l'opération du chauf- fage un procédé pratique de conservation bien différent de celui de la congélation , auquel M. de Vergnette s'était arrête ?, et de démontrer l'excellence de la méthode d'Appert. u reste, le véritable état uestion a conservation D tel table état de la question de 1 servat des vins, notamment des vins de Bourgogne, au moment où J'ai abordé mes études, ne saurait être mieux exposé que par la lettre déja citée de M, de Vergnette, qu'il m'a fait l'honneur de m'écrire à la date du 27 avril 1864 et que l'on trouvera dans l'Appendice de cet ouvrage. M. de Vergnette signale avec force toute l'importance qu'aurait pour la France la décou- verte d'un moyen pratique et sûr de conservation des grands vins de la Côte-d'Or ou des autres vignobles. Dans cette lettre, comme dans son mémoire de 1850, M. de Vergnette s'arrête ! Le procédé de conservation des vins par la congélation préalable est connu depuis fort longtemps, mais M. de Vergnette a le mérite de lavoir amené à un état pratique. I s'en faut qu'il l'ait toujours été. Par exemple Fabroni, dans son traité de L'art de faire le vin, s'exprime ainsi : « Des auteurs ultramontains ont conseillé de remédier à l'excès de l’eau dans le vin en le concentrant par la gelée; mais Bucquet observe à ce sujet qu’alors on ne peut pas le conserver longtemps, et qu'il se convertit promptement en vi- naigre. » ( L'art de faire le vin, p. 144.) I est bien vrai que ce moyen de conservation du vin est loin d'être infaïllible. Je possède une série de bouteilles de vin de Beaune qui, après avoir été concentré par la gelée, a été expédié à San-Francisco, et en a été renvoyé parce qu'il avait contracté pendant le voyage la maladie de l'amer. CONSERVATION DES VINS. 179 à la pratique de la congélation ou à celle du méchage, et ne fait aucune allusion à la méthode d'Appert. Je reproduis également, parmi les documents placés à la fin de cet ouvrage, une lettre que j'ai adressée au Moniteur vini- cole à l'occasion de divers articles où la question du chauffage des vins avait été présentée sans être bien comprise des per- sonnes qui en avaient parlé. Je n'ai rien à changer à cette lettre, sinon qu'Appert ne doit pas être cité seulement pour la découverte d'une méthode dont mon procédé n'était qu'une extension, mais comme étant la personne qui, la première, a signalé de bons effets de la chaleur comme moyen de conser- vation du vin. CA 1 nn , | L b n f! 28% Esh Ce ET LIRE L] « : : À, | D ;. LMÉHPUNUE. ( aisé aséolious EL F0 nadadh CUDSOUTIE ra #1 DRE nul brtince \ ai F- ù : f DURE ttét ME TETE M d' ” f e 152.841 VEN IIt on! : MT) LES ” ji >. ë LL 1 ‘ À \ , N . < L2 * L ‘ = . € APPENDICE, NOTES ET DOCUMENTS. On a réuni dans les notes suivantes quelques documents qui ser- viront de complément utile à diverses questions traitées précé- demment. DOSAGE DE L’ACIDITÉ TOTALE DU MOÛT DE RAISIN. Je me suis servi d'eau de chaux titrée à l’aide d’une solution normale d'acide sulfurique ou d'acide oxalique. L'eau de chaux est un peu plus chargée en hiver qu’en été. Il en faut environ 27 cen- timètres cubes pour saturer 08",06125 d'acide sulfurique, lesquels équivalent à 0%,0750 d'acide acétique, à 05,09375 d'acide tar- trique, à 08",2350 de bitartrate de potasse. On prélève 10* de moût avec une pipette graduée; on les place dans un verre à pied sans addition de teinture de tournesol. Le moût le plus incolore, provenant des raisins rouges ou blancs, ren- ferme toujours des matières colorables sous l'influence de la plus minime quantité d’alcali ajoutée en excès. On verse alors l'eau de chaux à l’aide d’une burette décime que lon tient de la main gauche pendant qu'on agite avec la main droite, jusqu'au chan- sement de teinte de la couleur, ou jusqu’à l'apparition d’une teinte jaune verdâtre, si le liquide était primitivement incolore. I faut aller rapidement sans tâtonner jusqu'à la nouvelle coloration, et 182 ÉTUDES SUR LE VIN. retrancher une ou deux gouttes du chiffre marqué par la burette. Au moment du changement de teinte, il ne se fait pas de dépôt, ni floconneux, ni cristallin. Ce n’est qu’au bout de quelques mi- nutes, ou mieux d’une demi-heure à une heure, que la liqueur se trouble en laissant déposer des cristaux grenus de tartrate neutre de chaux, ou plus rarement de tartromalate de chaux, sel formé d’une combinaison de 1 équivalent de tartrate de chaux avec 1 équiva- lent de malate de cette base, unis à 16 équivalents d’eau. Le mi- croscope permet de distinguer très- nettement ces deux genres de sels. Si, pendant l'addition même de l’eau de chaux, la liqueur se troublait par la précipitation de petits cristaux de tartrate de chaux, l'essai acidimétrique n’en serait pas moins exact. Il ne faudrait don- ner aucune attention à ce dépôt. Souvent la coloration du liquide ne s’en aperçoit que mieux. Mais ce cas est rare si l'essai ne traîne pas en longueur. Le papier de tournesol rouge est un réactif infidèle pour assi- gner la fin de l'essai. En effet, il arrive constamment que le papier, qu’il faut dans tous les cas choisir très-sensible, commence à bleuir et à donner par conséquent des signes d’alcalinité bien avant qu'il y ait un excès réel d’eau de chaux accusé par la coloration du li- quide. Cela tient à ce que les solutions des tartrate et malate de chaux ont, comme l’acétate de cette base, une réaction alcaline. J'ai supposé que le moût avait été filtré à clair. Si on devait l’em- ployer à l'état brut et trouble , on pourrait être embarrassé d’assi- gner le moment où l'épreuve est achevée. Dans ce cas, il faut ajou- ter une quantité d’eau de chaux insuffisante pour la saturation, en allant, par exemple, jusqu'a ce que la liqueur manifeste un premier commencement d’alcalinité au papier rouge sensible. Puis on filtre et on prélève 10% de la liqueur claire , auxquels on ajoute goutte par goutte de l’eau de chaux jusqu’au changement de teinte. Une proportion indique facilement ce que l’on aurait du ajouter au APPENDICE. 183 volume total de la liqueur. Exemple : 10 centimètres cubes d'acide sulfurique Péligot au dixième exigent 27*,5 eau de chaux. Il en résulte que 27,5 de cette eau de chaux équivalent à 0,09375 d’a- cide tartrique C$H4010,2 (HO). J'essaye avec cette eau de chaux un moût trouble; après addition de 22%,8 eau de chaux, soupçon éloigné d’alcalinité. Pour 24%,3 lalcalinité est très-sensible. Je filtre et je prélève 10 centimètres cubes pour lesquels il faut ajouter 8 gouttes d’eau de chaux afin de faire virer la teinte. Pour le vo- lume total de la liqueur, en tenant compte du volume des gouttes, il eùt fallu ajouter 1,2 d’eau de chaux. 10 centimètres cubes de ce moût exigeaient donc 25%,5 d'eau de chaux pour leur sa- turation ; 1 litre de ce moût renfermait par suite l'équivalent de 0,09375,100 27,5 thétiquement que tout l'acide du moût est de l'acide tartrique. . 25,5 — 8%,69 d'acide tartrique, en supposant hypoa- Lorsqu'on opère sur du moùt préalablement filtré, comme on va d’un trait jusqu'au changement de teinte, la lecture sur la bu- rette donne immédiatement le volume de l’eau de chaux nécessaire à la saturation de 10 centimètres cubes de moût. Ce volume, mul- tiplié par le rapport =, indique l'équivalent au litre d'acide tar- trique. Le nombre 27,5 change d’ailleurs avec le titre de leau de chaux. C’est le nombre de centimètres cubes d'eau de chaux nécessaire pour saturer 08",06123 d'acide sulfurique de formule SO* HO. DOSAGE DE L’ACIDITÉ TOTALE DU VIN. La détermination du titre acide du vin se fait de la même ma nière; seulement il est impossible, du moins très-incertain, de 1 . . \ « pe : . sen rapporter ici à un changement de teinte, surtout lorsqu'il , . . 5 L à sagit de vin rouge. On peut commettre d'assez graves erreurs, . RO ME ’ parce que le changement de teinte précède de beaucoup lalca linité. El est surtout très-sensible au moment de cette première 184 ÉTUDES SUR LE VIN. : alcalinité de la liqueur qui ne correspond encore qu'aux sels de chaux dissous et déja en partie formés à l’état neutre. Le véritable terme de l'essai, celui qui correspond au premier excès d’eau de chaux, est accusé invariablement, quel que soit le vin, par un trouble floconneux qui se rassemble très-vite en flocons de couleur foncée nageant dans toute la liqueur. Tant qu'on n’a pas atteint cette li- mite, on peut être assuré que tous les acides ne sont pas saturés. Les moûts ne donnent pas lieu à un pareil dépôt. Il arrive très-rarement qu'il se forme des précipités de sels de chaux pendant l'essai, avant l'apparition des flocons. Si cette cir- constance se présente, on peut presque toujours, quand on a l’ha- bitude de ces sortes d'essais, reconnaître auquel des deux préci- pités l'on a affaire. En tout cas, on pourrait filtrer et chercher, comme il a été dit tout à l'heure, le nombre de gouttes nécessaire pour saturer un volume déterminé du liquide filtré. Dans cette liqueur filtrée, les flocons amorphes apparaîtront avant qu'un nouveau précipité cristallin de sel de chaux se montre. J'ai insisté un peu longuement sur ces essais acidimétriques, parce que je n’ai point vu dans les auteurs des indications pré- cises à ce sujet, et que, si lon n’a pas soin de suivre celles qui précédent, on peut commettre des erreurs sensibles. D'ailleurs, dans l'étude des changements qui peuvent survenir spontanément dans un vin, il est souvent indispensable de déterminer avec une grande précision son équivalent acide. Une dernière précaution qu'il est bon de ne pas omettre con- siste, après avoir mesuré les 10 centimètres cubes de vin sur les- quels on veut opérer, à placer le verre qui les contient dans le vide de la machine pneumatique, afin de chasser la presque totalité du gaz acide carbonique. Cela est surtout utile quand il s’agit des vins nouveaux et également des vins montés, qui sont toujours plus ou moins chargés de gaz acide carbonique, principalement dans les cas où la maladie est actuelle ou récente. APPENDICE. 185 DOSAGE DU SUCRE DU MOÛT DE RAISIN. Le dosage du sucre dans le moût se fait assez exactement à l’aide de la liqueur cuivrique alcaline. l’une des meilleures re- cettes pour préparer cette liqueur est celle qui a été indiquée par M. Fehling : SUATe de CHAVNES.. srutetita deb aetchers FE diet : ho RAA 00 pose... ............,.. ; 160 SOUDE AAICHAUL ce see « see ee TEE 190 le nn nee baie nierele die sole de oo e EN A 760 On place 10 ou 20 centimètres cubes de cette liqueur dans un petit ballon de 100 centimètres cubes environ, en ajoutant 1 ou 2 centimètres cubes de potasse assez concentrée pour rendre plus rapide la décomposition ultérieure du sucre. Puis, après avoir porté à l'ébullition ce liquide sur la flamme d’une lampe à alcool, on ajoute peu à peu la liqueur sucrée à l’aide d’une burette dé- cime placée dans la main droite, tandis qu'on tient dans la main gauche le ballon par les branches d’une pince de bois munie de bouchons échancrés, serrant bien le ballon par son col afin qu'il ne puisse obéir à de faux mouvements. Après chaque addition nouvelle du liquide sucré on examine la teinte de da liqueur éclaircie en regardant sur ses bords par trans- mission une feuille de papier blanc. Il faut aller jusqu’à la déco- loration et s'arrêter au moment où l'addition d’une ou deux gouttes nouvelles fait virer à une teinte jaune. Il faut se défier de la ré- flexion de la couleur bleu de ciel, qui, se mêlant à une couleur un peu Jjaunâtre de la liqueur, fait souvent prolonger l'opération au delà de sa vraie limite. La liqueur de cuivre a été titrée préalablement au moyen d'une solution normale de sucre préparée avec 10,000% de sucre candi 186 ÉTUDES SUR LE VIN. dissous dans un litre d’eau après interversion par l'acide chlorhy- drique. J'ai essayé à diverses reprises si le moût de raisin renfermait du sucre cristallisable, non interverti. J'ai toujours trouvé le même titre avant et après l’interversion par les acides, avec une très- légère différence en plus après l’interversion, différence qui ne 5 P 1 100° dépasse pas Lorsque l’on opère sur du moût de raisin, il faut l’étendre beau- coup avant de le faire agir sur la liqueur cupropotassique. Il serait trop chargé de sucre comparativement à la proportion de cuivre dissous. Le mieux est de porter 10 centimètres cubes de moût à 200 centimètres cubes par addition d’eau ordinaire. C’est ce moût au -— qui est mis dans la burette décime. NOUVEAU PROCÉDÉ DE DOSAGE DE L’ACIDE TARTRIQUE. On peut doser assez approximativement la crème de tartre con- tenue dans un vin, en réduisant à bo® environ un litre de vin, ou mieux jusqu'à formation de pellicule cristalline à la surface du liquide chaud, et laissant cristalliser pendant 24 ou 48 heures. On décante alors l’eau mère et on lave les cristaux à deux ou trois re- prises avec une eau saturée de bitartrate de potasse. On dessèche les cristaux dans leur capsule, qui a été tarée à l'avance. On n’a ainsi qu'une approximation de la quantité de crème de tartre que le vin peut fournir, mais il ne faut pas négliger de recourir à cet essai comme contrôle d’autres essais, bien que ces derniers parussent plus précis. MM. Berthelot et de Fleurieu ont publié récemment un mé- moire étendu sur le dosage de l’acide tartrique et de la potasse dans le vin !. J'y renvoie le lecteur pour une foule de détails intéres- sants, et pour lapplication du procédé de dosage qui leur est ! Berthelot et de Fleurieu, Annal. de chimie et de physique, 4° série, 1, V, p. 197. APPENDICE, 187 propre, lequel consiste essentiellement dans la précipitation de la crème de tartre par un mélange d'alcool et d’éther à volumes égaux. Après 24 ou 48 heures, la crème de tartre, qui s’est préci- pitée, est recueillie, et son titre acide, déterminé à l’aide d’une so- lution dosée d’eau de baryte. Le dosage du bitartrate de potasse effectué par le procédé de MM. Berthelot et de Fleurieu est une épreuve utile. Mais je dois dire, après l'avoir essayée sur une foule d'échantillons, qu’elle me paraît très-défectueuse , en ce sens qu’elle conduit à un résultat le plus souvent de beaucoup plus faible que le dosage direct par cristallisation de la crème de tartre, après éva- poration d’un litre de vin. La différence s'élève au quart, au tiers, à la moitié, et même davantage, du poids le plus élevé. Je ne saurais assigner avec précision quelles sont les causes d’er- reur du procédé de MM. Berthelot et de Fleurieu. Je crois cepen- dant que l’une des plus sensibles est la suivante. Lorsqu'on préci- pite le bitartrate de potasse du vin par un mélange d'alcool et d’éther, il se dépose en même temps une proportion variable, suivant les cas, de tartrate de chaux, parce que tous les vins ren- ferment de la chaux. Cette précipitation de sels de chaux n'a pas lieu du tout, excepté dans des cas tout à fait exceptionnels (pour les vins plâtrés, par exemple), lorsqu'on fait cristalliser la crème de tartre par évaporation d’un litre de vin. La crème de tartre n’est accompagnée que de matière colorante en précipité léger, facile à éloigner par le lavage. Le tartrate de chaux qui pourrait se former est relativement très-soluble dans l’eau mère acide du vin évaporé. Il y est bien plus soluble que le bitartrate de potasse, de telle sorte que, s’il y a excès de potasse dans l'eau mère, par rapport à la quantité d'acide tartrique total pouvant passer à l’état de bitartrate, c’est à l’état de bitartrate seulement que se déposera l'acide tartrique. Au contraire, le tartrate de chaux est peut-être plus insoluble que le bitartrate de potasse dans une liqueur éthéro-alcoolique. M. Berthelot signale en passant dans son 188 ÉTUDES SUR LE VIN. mémoire la cause d'erreur que j'indique; mais 1l n'y insiste pas autant qu'elle le mérite. J'avais besoin, dans mes recherches, d’un procédé de dosage qui permit une comparaison délicate des quantités d'acide tar- trique renfermées dans un vin à deux époques de son existence en quelque sorte, dans un vin altéré, par exemple, comparé au même vin non altéré. Voici comment j'opère : à 20 centimètres cubes de vin j'ajoute une quantité d’acide tartrique gauche cor- respondant, par exemple, à 3 grammes de bitartrate de potasse droit ordinaire 1. Puis j'ajoute la quantité d’eau de chaux néces- saire pour saturer les 20 centimètres cubes de vin, quantité qui a été déterminée par un essai acidimétrique préalable. I se précipite du racémate de chaux. Si la quantité d’eau de chaux ajoutée ne suffisait pas pour précipiter tout le racémate possible, il faudrait y joindre quelques gouttes de chlorure de calcium. Après quelques minutes d'attente, je filtre, et je prélève deux portions séparées à peu près égales, 15 centimètres cubes envi- ron, de la liqueur toujours très-limpide qui a passé au filtre. Dans une des portions, que j'appellerai le verre de droite, j'ajoute 1 100 2 gouttes d’une solution de tartrate droit d’ammonraque au (1 gramme dans 100 centimètres cubes d’eau distillée), et, dans le verre de gauche, j'ajoute deux gouttes d’une solution de tartrate gauche d’ammoniaque également au ——. Trois cas peuvent se pré- senter. Après un quart d'heure, une heure, et même davantage, 1 Je me sers d’une solution renfermant 10 grammes de tartrate gauche d’ammo- niaque par litre. Il est facile de calculer le volume de cette liqueur nécessaire pour transformer en racémate tout l'acide tartrique contenu dans 20° de vin. 2%,0 de bitartrate de potasse par litre exigent 3*, 9 de la liqueur gauche. DEN ES D PR D no 4,89 DROLE CES Guimet ARC 5°,87 LD AC ie ter rm À © 6,85 OA MESSE 0 Lea at RÉ 7,83 188. soit 1 — 258, V — 5,48. el pour une quantité t de bitartrate V — 2 t. APPENDICE. 189 car il est toujours utile de conserver les verres un temps assez long, il se fait un précipité dans le verre de droite, ou dans le verre de gauche, où pas du tout de précipité ni à droite ni à gauche. H n'arrive pas que le précipité se fasse à droite et à gauche, à moins que quelque circonstance accidentelle ne se présente, S'il y a pré- cipité à droite, c'est que la liqueur qui a passé au filtre renferme du tartrate gauche. Il n’y a donc pas dans le vin en acide tar- trique l'équivalent de 3 grammes de bitartrate de potasse. Si le précipité s’est formé à gauche, il ÿ a du tartrate droit dans la liqueur filtrée, et lon conclut que le vin renferme en acide tar- trique l'équivalent de plus de 3 grammes de bitartrate de potasse. Enfin, s’il n’y a pas de précipité ni à droite ni à gauche, c’est que le vin renferme à très-peu près l'équivalent de 3 grammes de bi- tartrate par litre. Supposons que le deuxième cas se soit présenté, c’est-à-dire que la liqueur qui passe au filtre renferme du tartrate droit; on procé- dera à un nouvel essai tout semblable, avec cette seule différence que l’on ajoutera aux 20 centimètres cubes de vin l'équivalent en acide tartrique gauche, de 38",5 de bitartrate de potasse par litre. Mêmes essais ultérieurs, conclusion analogue... et l'on arrivera ainsi beaucoup plus vite qu’on ne pourrait l’imaginer au premier abord, en moins d’une heure, par exemple, à resserrer suflisam- ment les limites. entre lesquelles se trouve comprise la quantité to- tale d'acide tartrique de la liqueur, de façon à la connaître facile- ment à moins d’un décigramme ou de cinq centigrammes par litre. Le grand avantage de cette méthode est de pouvoir comparer dans l'intervalle d’une heure au plus, et avec rigueur, deux bou- teilles d’un même vin, dont l'une est restée saine, tandis que l'autre est suspecte d’altération, de les comparer, dis-je, sous le rapport de la proportion de l'acide tartrique qu’elles renferment. On peut s'assurer de cette manière si le ferment propre à la ma- ladie dont il s'agit a porté son action sur l'acide tartrique. 190 ÉTUDES SUR LE VIN. Je vais en donner un exemple pour le vin de Pomard de 1863, de M. Marey-Monge, portant le n° XI dans le rapport de la Commission du commerce des vins, et dont la figure 10 représente le dépôt pour la portion, non chauffée, en voie d’altération. J'ai dit que 100 bouteilles de ce vin avaient été chauffées de 50 à 6o° à la fin de juillet 1865; que les 100 autres bouteilles sont restées telles que je les avais reçues, placées dans la même cave que les premières; que celles-ci ont donné asile au parasite de l'a- mertume des grands vins de Bourgogne, qu’enfin , aujourd'hui, en janvier 1866, un dépôt considérable, qui n’est pas moindre, à la décantation, du dixième du contenu de la bouteille, se réunit au fond de chaque bouteille lorsqu'on les redresse. Le vin qui a été chauffé n'offre pas de dépôt, et il n’a fait que s'améliorer, tandis que le vin non chauflé a perdu considérablement de sa valeur. L’aliération chimique des principes du vin n’est pas moins évi- dente. J'ai déterminé comparativement l'acidité des deux vins. 10% de vin chauffé exigent pour la saturation 16,7 eau de chaux, dont 29° saturent 05,073 d'acide acétique. 10% de vin non chauffé en exigent 20°,5. La différence est de 3,8, ce qui correspond à une augmenta- tion d’acidité totale, par le fait du parasite, égale à 08,98, évalua- tion faite en équivalent d'acide acétique. J'ai déterminé ensuite la proportion relative des acides volatils de ces deux vins, en suivant les indications que j'ai données ailleurs et qui consistent à distiller un litre de vin, à recueillir exactement 900 de liquide, puis 400% (A), puis encore 4oo% (B), après avoir ajouté dans la cornue 400® d’eau pure. On cherche ensuite les quantités d’eau de chaux qui sont nécessaires pour saturer les différentes portions que l’on a recueillies. J'ai trouvé ainsi : e ; \ Les 500°° ont exigé 108 eau de chaux dont 27° saturaient Vin chauffé . .... Ë +. 0%",079 acide acétique. APPENDICE,. 191 Les 400% (A) ont exigé 157" eau de chaux dont 27° satu- Ni chaufté . . raient 0%",079 acide acétique. Les 400 (B) en ont exigé 64°. Les 500" ont exigé 133°° eau de chaux dont 27° saturaient 0f",075 acide acétique. Vin non chauflé. , 1 Les 400" (A) en ont exigé 233". | Les 400 (B) en ont exigé go". Si l’on se reporte à ce que J'ai dit page 49, on verra que l'on peut admettre assez approximativement qu'un litre de vin chauffé renfermait une quantité totale d'acide acétique égale à celle que satureraient 108% + 17° + 64° + 64% — 393" eau de chaux, ce qui correspond à 14,1 d'acide acétique, et qu'au contraire un litre de vin non chauffé renfermait une quantité totale d'acide acé- tique égale à celle que satureraient 133° + 233° + 90° + 90"— 546 eau de chaux, volume qui correspond à 15,5 d'acide acé- tique. La différence dans les proportions des acides volatils étant de o8",4 d'acide acétique et celle de l'acidité totale étant égale à 0%",98, on voit que le parasite de l’'amertume développe des acides fixes aussi bien que des acides volatils. Étudions maintenant les proportions de l'acide tartrique du vin sain et du vin altéré, afin de voir si l’altération a porté sur ce prin- cipe. Pour 5,5 de liqueur gauche correspondant à 2,8 de bit. par litre trouble dans le verre de gauche. Vin chauffé ..... | Pour 5,9 de liqueur gauche correspondant à 3“,0 de bit. par litre, trouble dans le verre de droite. . s Pour 5,5 et 5°,9 je trouve exactement les mêmes indica- Vin non chauffé. . 3 La tons. En conséquence, les deux vins renferment chacun la même 192 ÉTUDES SUR LE VIN. quantité d'acide tartrique, égale 25,9 de bitartrate, à moins de 05,1 par litre. | Le ferment de l'amertume n’a donc pas porté son action, au moins dans cette circonstance, sur l'acide tartrique, mais sur quelque autre produit, puisque l’altération a été telle qu'il s’est formé environ 1 gramme d'acide par litre dans le vin malade, du mois de juillet 1865 au mois de janvier 1666. Ce résultat est d'autant plus digne d’attention qu’un habile chi- miste de Lyon, M. Glénard, ayant eu l’occasion d'étudier en 1862 un vin malade de 1859, tourné à l’amer, suivant l'expression des dégustateurs, n’y a plus trouvé de tartre, tandis que le vin qui commençait à s’altérer en renfermait 28,7 par litre. M. Glénard a retiré de ce vin malade des quantités considé- rables d'acide acétique, fait conforme, dit-il, à celui qui a été ob- servé depuis longtemps par M. Nôllner dans la fermentation de l'acide tartrique !. On sait, depuis les recherches exactes de M. Nicklès, que l'acide de Nôllner n’était point de l'acide acé- tique, mais un isomère de cet acide. Comment concilier mes observations avec celles de M. Glé- nard? Je l'ignore. Il se peut que les dégustateurs aient mal carac- térisé la maladie dont se trouvait affecté le vin étudié par ce chi- miste, que ce vin ait été tourné et non amer. On a depuis longtemps reconnu dans le Midi que les parois intérieures des tonneaux se nettoient, c’est-à-dire que le tartre disparaît, lorsque le vin tourne. Ce fait a été confirmé expérimentalement par M. Béchamp, qui a bien reconnu en outre que l'acide volatil formé n'était point de l'acide acétique. Si les conjectures que j'émets au sujet de la différence des résultats obtenus par M. Glénard et par moi étaient fondées, il y aurait là une preuve nouvelle de la différence spé- cifique des ferments des maladies du tourné et de l'amer. ! Glénard, Annales de la Société d'agriculture de Lyon, t. VE. 1862. = APPENDICE. 193 Quelle serait donc la substance , ou mieux l’une des substances qui joueraient le rôle de matières fermentescibles, lorsqu'un vin passe à l’amertume? En comparant les quantités de glycérine dans des vins de Bourgogne amers et dans les mêmes vins non amers, j'ai trouvé sensiblement moins de glycérine dans le vin amer. Ce- pendant la différence ne suflisait pas pour rendre compte de la différence d’acidité des vins malades et des vins bien portants. J'ai repris le dosage de l'acide tartrique dans ce vin {qui ren- fermait un peu plus de potasse qu'il n’en fallait pour faire du bitar- trate de potasse avec tout l'acide tartrique) par le procédé de MM. Berthelot et de Fleurieu, et j'ai trouvé : Sans addition de potasse.....,....,. RP LT ete 15,8 Avec addition de potasse ....,.,...+.....ees 1 0! Il faut ajouter 0f',1 pour la cause d'erreur que signalent les au- teurs au sujet de la solubilité de la crème de tartre dans la liqueur éthéro-alcoolique, soit donc 18,9 de bitartrate de potasse par litre. La différence est de 18,0 sur 25,9, plus de 30 pour 100. Le résultat du dosage par l'acide tartrique gauche est générale- ment le même que celui que donne l’évaporation directe d’un litre de vin. Cependant je dois dire que, si l’on pouvait tenir compte exactement de la quantité de bitartrate qui reste dans l’eau mère, on trouverait un peu plus de bitartrate par l'évaporation que par 1 Cet essai a été fait en suivant exactement les prescriptions du mémoire de MM. Berthelot et de Fleurieu, à la page 190, sous la rubrique Deuxième essai (essai principal), c'est-à-dire que j'ai saturé 10 cent. cubes de vin par la potasse en solution concentrée, puis j'ai ajouté 4o cent. cubes de vin, et J'ai prélevé sur les 50 cent. cubes 12,5, auxquels j'ai ajouté 25° du mélange d'alcool et d'éther. Dans l'essai sans addition de potasse, j'ai ajouté à 20° de vin, 100% du mélange d'alcool et d’éther. Dans un troisième essai fait avec 10° de vin et 20° seulement du mélange ho éthéro-alcoolique, je n'ai obtenu que les + de 1#°,8 de bitartrate de potasse par litre. 194 ÉTUDES SUR LE VIN. autre moyen, ce qui me fait penser que, dans le procédé par l'acide tartrique gauche, j'obtiens un minimum de la quantité, ce qui éloigne encore plus de la vérité les résultats du dosage par le mélange d'alcool et d’éther. Je dois ajouter en terminant que MM. Berthelot et de Fleurieu ont signalé, comme une des causes de la différence entre les quan- tités de bitartrate fournies par leur procédé et l’évaporation di- recte, la présence dans le vin de proportions plus ou moins grandes d'acide éthyltartrique que la chaleur décomposerait. Mais, doit-on admettre qu'un vin dans lequel il y a plus de potasse qu'il n’en faut pour transformer en bitartrate tout l'acide tartrique donne lieu, avec le temps, à de lacide éthyltartrique? N’est-1l pas vrai- semblable que cette formation d’un produit éthéré doit s'appliquer plutôt aux autres acides? Enfin, comment le procédé de dosage par le tartrate gauche donnerait-il lieu à une décomposition de l'acide éthyltartrique du même ordre que celle qu'occasionne lé- bullition ? Comment expliquer, si cette décomposition n’a pas lieu dans lemploi du tartrate gauche, l'accord sensible qui existe entre le procédé de dosage par ce tartrate et celui par évapora- ton directe? DE L'INFLUENCE DE L’AÉRATION SUR LA FERMENTATION DES MOÛTS. J'ai constaté que, lorsque le moût est exposé au contact de Pair en grande surface pendant plusieurs heures , ou agité avec de l'air, opération facile à pratiquer à l’aide d’un soufflet dont la douille est munie d’un tube qui plonge dans la cuve ou dans le tonneau, ou par tout autre moyen, la fermentation du moüût est incompa- rablement plus active que celle du même moût non aéré, et la différence varie avec l'intensité de l’aération. Il est digne d’atten- tion, en outre, que l’aération peut produire des effets aussi sen- APPENDICE. 195 sibles , alors même qu'on l'effectue pendant la fermentation, lorsque le liquide est déjà chargé d'acide carbonique et de levre alcoo- lique. Les expériences suivantes ne laisseront pas de doute à ce sujet, mais elles montreront, d'autre part, que l'activité plus grande de la fermentation pendant les premiers jours n’est pas durable, qu'elle fait bientôt place à un ralentissement très-marqué, et que, si l’on n'aère pas de nouveau, le moût primitivement non aéré finit quelquefois par prendre le dessus. Le 29 septembre 1864, j'ai rempli de moût de ploussard deux bouteilles de 2 litres. Ce moût, extrait la veille et renfermé après l'action du pressoir dans les bouteilles, contenait l'équivalent de 95,3 d'acide tartrique par litre et 2008',4 de sucre. Une des bouteilles fut aérée le 29, en insufflant de l'air avec un soufflet muni d’un tube de verre courbé à angle droit, et dont l'extrémité plongeait dans le moût. L’aération dura une heure. On adapta ensuite des tubes abducteurs aux bouteilles. Le 30 septembre, commencement de fermentation dans la bou- teille aérée. Rien d’apparent dans l’autre. Le 1° octobre, la fermentation commence dans la bouteille non aérée. J’appellerai À la bouteille aérée, B, l'autre. Voici le tableau comparatif du nombre des bulles de gaz acide carbonique par minute : 1 octobre, 2 heures, À 9 bulles de gaz par minute. g ù —— #1: F ro 1 | | MONS LE EP RE EN ere 0.4 Hociobre ar heures A M5 Aa LLC Er : 15 — 12 BE AE ee 1.29 octobre. -S'heures, A AUTANT M EN 2/ à — 6 BATEAU NEC R ITS ! GRR 0 Heures, À" 40.57 MR Te ho ; == l ECO NN MRTEREENE AURAS 10 196 ÉTUDES SUR LE VIN. On détermine les quantités de sucre. À ne renferme plus que 1695,3 de sucre par litre, et B en contient encore 1965,4. Il en a donc fermenté 318,1 dans la première, et seulement 4£,0 dans l’autre. 5 octobre, 1 heure, A 28 bulles par minute....... 28 : = 1. BORD serre potes MEN 5E 109 9 Gtoctobre, 8 1heuress A 20.0. eme eee 20,5 rS — 1,7 LRU RER en nn 16.5 7 octobre, 9 heures, A ASP ER CCC ERRE 17 —— — 1.30 BEL DOUTE CPE CCE 13 Sroctobre, 1orheures AMD EE AS rt 15 —— —= 1.36 2 RUE ES Le ste OUTRE oioctobre;stoheures A DEEE -AOEe SEE Le 1) = = 1, B'1022%: 24 RALE te 10 1o'octobre;1n1heures ANTON D: MINE ro ; —= 1. BST OS LAAUE HRLHMAREN 7 L'EVOCLDDrES DD HEURES, A AT eee etes eee ET 11.0 — 1.93 BAR Er enr e re CT 7-9 Il résulte de ces comparaisons qu’encore bien que le moût aéré fermente plus vite que celui qui n’est pas aéré, la différence, qui est considérable à l'origine, va diminuant peu à peu, et, dans d'autres cas, J'ai constaté même que le moût non aéré reprend le dessus. Le 13 octobre j'ai déterminé de nouveau l'acidité des deux mots. À renfermait 9,7 en équivalent d'acide tartrique par litre, et B, 9f,9, au lieu de 95°,3 qu’il contenait à l'origine. Ainsi, d’une part, l'acidité des moûts a augmenté pendant la fermentation, et, d'autre part, le moùt qui avait été aéré a moins gagné en acidité par la fermentation que le moût non aéré. Ces APPENDICE. 197 résultats sont dignes d'attention, et tous deux n'ont paru cons tants d'après d’autres essais analogues. A l’aération du moût cor respondrait donc un moyen d'apporter quelque changement dans les proportions des principes résultant de la fermentation. H y a lieu de penser, puisque la fermentation du moût aéré fournit moins d'acide que celle du moût non aéré, qu’elle introduit éga- lement moins de glycérine; car il résulte des expériences consi- gnées dans mon mémoire sur la fermentation alcoolique (Annales de chimie, 1860) que la proportion de glycérine augmente ou di- minue avec celle de l'acide succinique. H ne faudrait pas croire, d'ailleurs, que ces différences tiennent au poids de gaz oxygène que l’aération peut fixer sur les principes du moût. C’est à une constitution propre de la levüre qui prend naissance qu'il faut les attribuer. La levüre formée dans un liquide où il y à de l'oxygène, en dissolution ou en combinaison instable et assimilable par elle, est fort différente par ses propriétés physiologiques de celle qui se multiplie dès l'origine à l'abri de l'oxygène, bien que, sous le rapport de l’aspect au microscope, il ne soit pas toujours facile de les distinguer. Si le lecteur veut bien se reporter à une communication que J'ai faite à l’Académie en 1861, intitulée Expériences et vues nou- velles sur la nature des fermentations, il pourra se convaincre que, lorsque le moût de raisin est exposé au contact de Pair, le ferment se multiplie avec une grande rapidité, et que, si on le considère en lui-même, abstraction faite du poids qui s’en est formé pour un poids donné de sucre décomposé durant sa production, c’est un ferment des plus énergiques, lorsqu'on le fait agir ensuite sur le sucre à l'abri de l'air. Mais nous venons de reconnaitre que lac tivité de ce ferment ne dure pas, qu’elle s’épuise très-vite. Il résulte de ces faits que l’on peut modifier considérablement une variété déterminée d’un ferment alcoolique, changer ses pro priétés physiologiques par le seul fait d’un changement dans les 198 ÉTUDES SUR LE VIN. conditions de son développement. Les différences sont telles que l'on pourrait croire à des espèces distinctes. I faut donc être très- sobre de déductions sur la nature spécifique des ferments, alors même que l’on constate des modifications importantes dans leur manière d'agir. Je crois qu'il serait fort utile de mettre en rapport, avec les con- ditions de l’aération des moûts, les particularités de la fermenta- tion des bières par les levüres dites supérieure ou inférieure, et que l'on éclairerait beaucoup la fabrication des deux sortes de produits que ces levüres permettent d'obtenir. APPLICATION À LA PRODUCTION DE LA MOUSSE DANS LE VIN DE CHAMPAGNE. Je fus consulté un jour par deux fabricants de vin de Cham- pagne sur la production de la mousse dans ce vin, sur les diffi- cultés de sa fermentation, de sa rapidité ou de sa lenteur, etc. Je donnai à ces fabricants le conseil d’activer la fermentation par l’aération préalable. Quelques mois après ils m'adressèrent, à la date du 16 octobre 1865, une lettre dont j'extrais le passage suivant : «Nous avons l'honneur de venir vous donner le résultat d’un essai que nous avons fait, d’après votre conseil, lorsque nous avons mis en bouteilles notre vin de 1864. « L'expérience consistait à aérer le vin avant la mise en bouteilles, ce que nous avons fait, sur vos indications, en roulant pendant une demi-heure une pièce de vin à demi pleine. Le résultat a confirmé complétement vos prévisions ; le vin, traité de la sorte, est devenu grand-mousseux en huit jours, tandis qu'il a fallu trois semaines à du vin mis en bouteilles sans cette opération, pour arriver à une bonne mousse ordinaire. Au bout de quinze jours, une bouteille de chaque sorte, débouchée sans explosion, a donné les résultats sui- APPENDICE. 199 vants : vin aéré, la bouteille se vide aux trois quarts, et c'est une des plus grandes mousses possibles; vin ordinaire, la bouteille se vide à 8 centilitres seulement. « La mousse du vin aéré est aussi restée jusqu'à présent sensi- blement plus forte que celle de l'autre. Le dépôt est sec et se détache bien. » Voilà un exemple frappant de l'influence de l'oxygène de Pair sur le développement de la levüre alcoolique, et dont les fa- bricants de vins de Champagne pourront tirer d'autant plus de profit que la proportion de ferment développé, lorsqu'il y a aéra- tion , étant plus grande, le vin doit se mieux dépouiller et être moins sujet, je pense, à une fermentation ultérieure : cependant il faut que la pratique décide !. Mais il ne faudrait pas croire que l’aération des mouts se borne à modilier les conditions de la fermentation. Elle influe sur ia qualité ultérieure du vin, et, ce qui confirme tout à fait les prin- cipes que j'ai exposés sur la cause du vieillissement des vins, elle a pour résultat de le vieillir. J'ai démontré, dans la seconde partie de cet ouvrage , que l'agent essentiel du vieillissement du vin est l'oxygène de l'air. Or il est remarquable que le vieillissement par aération peut précéder en quelque sorte la fabrication du vin. Le 5 octobre 1864, j'ai étendu sur le bac à refroidir d’une brasserie 335 litres de ven- dange égrappée, arrivant de la vigne, et l’y ai laissée trois jours, en renouvelant matin et soir les surfaces à l’aide d’un rateau. Puis 1 Puisque l'occasion m'est offerte de parler du vin de Champagne, je ferai remarquer que l'on pourrait conserver avec la plus grande facilité, par le pro- cédé du chauffage préalable à 50 degrés, le vin encore sucré des bonnes années qui doit servir à élever le degré des vins de moindre qualité des années suivantes. Le chauffage s'oppose à la fermentation alcoolique ultérieure des moûts éclair- cis à la suite d'un commencement de fermentation. La conservation d'un moût sucré au degré que l'on désire peut devenir une source nouvelle d'applications pour la préparation des vins de liqueur. 200 ÉTUDES SUR LE VIN. cette vendange a été mise en tonneau. Une autre portion de 4oo litres de la même vendange a été mise à fermenter dans un tonneau voisin, sans aération préalable. Les deux vins que ces vendanges ont fournis différaient notablement : celui de la vendange aérée était du vin déjà fait, comparé à l'autre. I n'avait point la verdeur de ce dernier. Enfin, abstraction faite de l'acide carbonique, ce n’était pas du vin nouveau : il était, dès l’enton- naison, bon à boire. C'est ici le lieu de rappeler une méthode très-curieuse de faire le vin, usitée en Lorraine, peu répandue aujourd’hui, mais qui a été remise en honneur en 1836 devant la Société d’œnologie de Nancy, par son président M. Henrion-Barbezan, et, en 1863, par M. Nicklès, dans un article inséré dans le Journal de chimie et de pharmacie. On ne sait à quelle époque elle remonte. Elle consiste essentiellement dans un brassage de la vendange, sans interrup- tion pendant quarante-huit heures, avec des pelles, puis on fait fermenter, et le reste des opérations de la vinification comme à l'ordinaire. Or, M. Henrion-Barbezan assure que, toutes les fois qu'il a fait brasser une partie de sa vendange, le vin résultant a été et plus alcoolique et plus agréable que le vin de la vendange non brassée ou non pellée; car on appelle ce vin, en Lorraine, vin de pelle. Sans doute cette pratique du brassage, si elle a la valeur qui lui est attribuée par M. Henrion-Barbezan , ne s’est point répandue à cause de l'impossibilité qu'il y aurait, en temps de vendange surtout, de faire brasser, pendant quarante-huit heures, à quatre ouvriers par bouge, comme le recommande ce cultivateur éclairé. Mais, d’après les essais que j'ai rapportés dans cette note, il n'ya pas à douter que ce brassage de la vendange n'est qu'un moyen d'aération, et qu'en conséquence on pourrait le remplacer par une insufflation d'air à l’aide de procédés plus simples et plus économiques. DRE APPENDICE. 201 En résumé, je ne saurais trop répéter ici que tout importe dans les pratiques de la vinification lorsqu'elles ont pour conséquence de modifier en quoi que ce soit l’aération de la vendange ou du vin. Et il faut bien remarquer qu'il y a une foule de circonstances auxquelles on ne donne aucune attention à l'ordinaire, dans les- quelles néanmoins il y a intervention de l'oxygène de l'air. Par exemple, le vin est apporté dans les cuveries et versé tout de suite dans les cuves de fermentation, ou bien il est cylindré, c’est-à-dire écrasé au-dessus de la cuve à l'aide de deux cylindres cannelés, desquels le moût s'écoule par minces filets. Il est de toute évidence que, dans le second cas, le moût s'aère bien plus que dans le premier. À coup sûr, selon moi, le vin du propriétaire qui aura suivi cette dernière pratique de l’écrasement de tous les grains au contact de l'air différera de celui du propriétaire qui aura cuvé sans cylindrer, toutes choses égales d’ailleurs. Le premier vin sera plus fait, moins vert, moins vif. Il n’y a pas jusqu'à la distance des cylindres à la cuve qui n’aurait une importance sen- sible, surtout s’il s’agit de vins très-délicats. Ce que je dis ici de cylindres broyeurs, je puis le répéter en ce qui concerne une autre pratique que j'ai vu appliquer au Clos- Vougeot, et qui consiste à placer les raisins sur le tablier du pres- soir et à les faire piétiner par des hommes avant de les mettre dans la cuve de fermentation. Cette opération doit appeler toule l'attention de ceux qui l’adoptent. Il faut qu'ils étudient la durée qu’elle doit avoir, la température extérieure pendant laquelle on la pratique, l’écrasement plus ou moins achevé, etc. parce que l'oxygène de l'air est présent et agit. Je crois même qu'il faudrait la mettre en rapport avec l'état de maturité des raisins, avec la nature des cépages, et même avec les exigences du commerce des vins. Enfin, pour citer une dernière circonstance, insignifiante en apparence, mais où l’action de l'air intervient encore nécessaire- 202 ÉTUDES SUR LE VIN. ment, je signalerai le filet de mouût qui s'écoule du pressoir. Il n’est pas du tout indifférent que le moût soit reçu dans une cuve lar- sement ouverte, où il séjournera plus ou moins de temps, ou qu'il soit conduit immédiatement par des tubes à l'abri de l'air dans des tonneaux. Bref, tout le travail de la vinification doit être étudié dans ses rapports avec l'air atmosphérique. Je ne fais d’ailleurs que signaler un principe sans dire comment il faut l'appliquer. Le sujet est trop complexe, et ce qui est bon pour un vin peut être mauvais pour un autre. C’est à la propriété et au commerce qu'il appar- tient de déterminer la mesure dans laquelle il faut suivre les indications de la science. Je désire ne pas tomber dans cette faute assez commune, dont les traités sur les vins offrent tant d’exem- ples, qui consiste à établir des opinions définitives ou des pra- tiques nouvelles sur la foi d'observations isolées et incomplètes. NOTE SUR LE CÉPAGE APPELÉ ENFARINE. SINGULARITÉ DE SA MATURATION. Le plant enfariné est propre au vignoble du Jura et particulie- rement au vignoble d’Arbois. C’est un des cépages qui renferment le plus d'acide et le moins de sucre. On l'estime néanmoins à cause de l'abondance de son produit et de sa force de résistance contre l’intempérie des saisons. Au point de vue scientifique il mérite quelque attention, parce que l'acidité de ce cépage ne diminue pas toujours avec sa ma- turité, et que le sucre n’augmente pas non plus nécessairement! avec elle !. - Voici des mesures que j'ai prises en 1863 et en 1864. ! Je tiens, de M. Ladrey, que M. Fleurot, habile pharmacien de Dijon, a déjà constaté des faits analogues sur un cépage de la Bourgogne. APPENDICE. 203 ANNÉE 1863. RECOLTE DU 16 SEPTEMBRE. On choisit les grappes les plus müres. Elles paraissent être aussi mûres que ce cépage peut les donner. RÉCOLTE DU 10 SEPTEMBRE. On fait trois lots, 1° Grains les plus mûrs choisis parmi les plus noirs : Modt n°1... .....\) 2° Grains rouges sans apparence de noir : 51 TC ACIER nn nee eee et de 23,4 AE 2. .....:. 3 SUCRES Arr TN Es . 190:0 3° Grains intermédiaires, chacun des grains en partie noir, en le] partie rouge : DA RRS A ededl SOC ER R CNLE 128,9 ANNÉE 1864. RECOLTE DU 27 SEPTEMBRE. On fait trois lots, 1° Grains noirs les plus mürs : { ACIAE MN PT rs fes 21,4 AQU = ao « 204 ÉTUDES SUR LE VIN. 2° Grains rouges commençant à noircir : Mout into ere ra Re RÉCOLTE DU 28 SEPTEMBRE. On fait quatre lots, 1° Grappes les plus noires dont on éloigne tous les grains avec apparence de rouge mêlé; cest le maximum de maturité pour le 28 septembre, à en juger d’après la couleur : l'ACIdé Se ee ARCS 21,4 Moutrisenrte mes [SUCER ee RS DEEE 196,7 2° Grains sans mélange de noir, tous d’un rouge violacé; pas de vert dans la teinte : Moutmasr-ere 3° Grains intermédiaires, c'est-à-dire les noirs non très-noirs el les rouge-noir : ENTER ONN El | ACITE: 2 4. mate ce CRE 21,8 l: Suéres sas à 07e COEER 146,4 4° Grains tout verts et ceux d’un vert qui commence à rougir : Moût n° l UC RE JT UT Le) | PANIERS RECOLTE DU 30 SEPTEMBRE. On fait trois lots, APPENDICE. 205 1° Grains à surface noire, près de la queue comme à l'opposé : NT CT TR PE AE AE À 18,3 Lin tete DEEE 167,7 2° Grains rouges près de la queue et noirs à l'opposé : MODS - 2e ce 3° Grains rouge-violacé, sans apparence sensible de noir à l'opposé de la queue : M1. NON E date man ee Mie 24,5 Sucre RTL AMORANE 102,3 En jetant les yeux sur ces tableaux, nous constatons ce résultat, très-digne d'attention , offert par les récoltes du 19 septembre 1863 et du 27 septembre 1664, que l'acidité du grain rouge et du grain partiellement rouge et noir est moindre que celle du grain noir. Pendant la maturation, l'acidité augmente donc au lieu de dimi- nuer, du moins à un certain moment de la maturation. Ce fait n'est peut-être pas d'accord, au moins dans l’état actuel de nos connaissances, avec l’idée qui attribuerait l’origine du sucre à une transformation des acides tartrique et malique. Les récoltes du 28 et du 30 septembre 1864 ne présentent pas ce résultat, mais cela a tenu peut-être au mode de triage. Quoi qu'il en soit, toutes les récoltes nous montrent le fait curieux de la faible variation de l'acidité comparée à celle des quantités de sucre. La récolte du 28 septembre offre un autre résultat très-singulier et qui ne correspond pas du tout à une erreur de mesure, ainsi que je m'en suis assuré au moment même où Je l'ai constaté. Le n° 2 de cette récolte à grains rouges renferme moins de sucre que le n° 4, qui correspond aux grains beaucoup moins avancés, puisqu'ils étaient verts, ou d’un vert teinté de rouge. Il semble 206 ÉTUDES SUR LE VIN. done qu'il y ait eu ici diminution du sucre par la maturité, comme tout à l'heure il y avait augmentation de lacidité. Les grains rouges, n° 2, de la récolte du 19 septembre ont offert bien plus de sucre que les rouges n° 2 du 30 septembre. Ils étaient un peu plus avancés et d’une autre vigne. Enfin nous pouvons déduire de notre tableau cette autre obser- vation que l’enfariné mür de 1863 était plus acide et un peu moins sucré que celui de 1864. On est conduit à se demander s'il n'y aurait pas dans l’en/a- riné deux minima pour l'acidité. Les grains verts en mürissant deviendraient moins acides, puis, en mürissant davantage, ils prendraient plus d'acide, et en mürissant davantage encore, Paci- dité diminuerait de nouveau. Tout ceci demande des recherches plus approfondies. Je ne veux qu'éveiller l’attention des jeunes chimistes qui désireraient s’en occuper. INDICATION D’UNE MÉTHODE POUR ÉTUDIER LES PRINCIPAUX ACIDES DU VIN. I serait bien utile également de rechercher les variations des quantités des deux acides tartrique et malique pendant la matu- ration du raisin. Il n’est pas difficile d'extraire tous les acides contenus dans le moût de raisin par le moyen suivant : le moût, réduit d’abord par évaporalion au cinquième de son volume, est agité, avec un mé- lange d'alcool et d’éther, à diverses reprises, puis on laisse reposer et l’on décante le liquide alcoolique éthéré. On ajoute de celui-ci une nouvelle portion, que l’on décante à son tour, au bout de vingt-quatre heures, et ainsi de suite jusqu'à ce que le moût ne cède plus d'acides. I ne contient plus alors que du bitartrate de potasse, du tartrate neutre de chaux et des sels alcalins neutres. Tous les liquides alcooliques sont évaporés. Les premiers peuvent APPENDICE. 207 l'être séparément. Ils renferment très-peu de sucre. Après l'éva poration on sature par l’eau de chaux et l'on évapore de nouveau. La première cristallisation est ordinairement du tartrate de chaux pur en petite quantité, puis, après une nouvelle évaporation, on a une cristallisation abondante de tartromalate de chaux, sel hy- draté, formé d’un équivalent de tartrate neutre et d’un équiva- lent de malate neutre de chaux. Il est quelquefois en fines aiguilles groupées en houppes, mais, plus souvent, il est grenu en lames rhombiques. Enfin, la troisième cristallisation est du malate neutre de chaux pur. L'eau mère renferme les mêmes sels, avec un autre sel de chaux en petite quantité, que je n'ai pas étudié encore suf- fisamment. Pour séparer ces sels de chaux du sirop sucré qui les empêche de cristalliser, on étend d’eau et l’on fait fermenter le sucre rapidement par une addition suffisante de levüre de bière. Le vin est évaporé et les sels de chaux cristallisent. Je réduis 5 litres de moût d’enfariné à 1 litre par lévaporation. L’acidité du moût déterminée à l'avance avait indiqué que les 5 litres exigeaient 27,650 d’eau de chaux représentant 335,08 de chaux pour leur saturation. Le résidu des deux premiers traitements par le mélange d'alcool et d'éther à volumes égaux a exigé pour sa saturation 14%!,925 d’eau de chaux représentant 17%,412 de chaux caustique. Une première cristallisation a fourni après vingt-quatre heures 65,550 de tartrate neutre de chaux pur. Par évaporation il s’est formé une nou- velle cristallisation de tartromalate de chaux pur pesant 165,750. Une nouvelle évaporation a fourni 65,42 du même sel, dont une portion était en mamelons aiguillés. Enfin une nouvelle cristal- lisation , formée cette fois par évaporation au bain-marie, était for- mée de malate neutre de chaux pur pesant 214,89. L'eau mère était sirupeuse, peu abondante, ressemblant à de la mélasse. En l'étendant d’eau jusqu’au volume de 250 cent. cubes environ, el en la mélant à deux fois son volume d'alcool à 90°, on obtient un 208 ÉTUDES SUR LE VIN. précipité amorphe très-abondant, qui est formé en majeure partie de malate de chaux : son poids s'élevait à 65,15. Le liquide alcoo- lique total renfermait seulement 05,715 de chaux, probablement à l’état de malate de chaux. Mais dans le précipité par l'alcool se trouvait une petite quantité de sel de chaux insoluble dans Peau chaude, où il se rassemblait en masse poisseuse, devenant très- dure par le refroidissement. C’est l'acide de ce sel de chaux qui devrait être étudié, afin de savoir s’il a déjà été signalé dans le vin. En résumé, nous pouvons reconnaitre dès à présent que le moût de raisin, au moins ce moût d’enfariné, ne contient guère que des acides tartrique et malique, et vraisemblablement pas d'acide lactique, puisque l’eau mère alcoolique, qui devrait tenir en dis- solution la plus grande partie de l'acide lactique à l'état de lactate de chaux, ne renferme qu’une petite quantité de cette base. En réunissant toute la chaux des différentes cristallisations ob- tenues et y joignant celle qui reste dissoute dans l'eau mère alcoo- lique, il est facile de s'assurer que l’on retrouve à très-peu près les 17%,412 de chaux que renfermaient les 14,925 employés à la saturation des acides. Je n’ai pas isolé avec le même soin les sels de chaux fournis par les troisième, quatrième, cinquième traitements, à l’aide du mé- lange d'alcool et d’éther, mais j'ai lieu de croire qu’ils ne m'au- raient offert que ceux dont je viens de parler. J'ai voulu plutôt indiquer un procédé d'extraction des principaux acides du vin par la préparation plus facile de ceux du moût que faire connaître exactement ces acides et leurs proportions, si variables d’ailleurs avec les cépages et la maturité. J'ai obtenu des résultats de même ordre avec le moût de plous- sard. Les acides principaux sont encore le tartrique et le malique. APPENDICE. 209 NOTE SUR LE CÉPAGE APPELÉ PLOUSSARD. Le plant de ploussard est un des plus estimés du vignoble d'Arbois. J'ai suivi sa maturité en 1863 et en 1864 par le dosage . des quantités d'acide et de sucre; on verra par le tableau suivant combien elles diffèrent de celles du plant enfariné. ANNÉE 1863. RECOLTE DU 7 SEPTEMBRE. La récolte est partagée en grains les plus muürs, grains lie de vin {c’est-à-dire rouges ou rouges avec noir commençant), et grains verts commençant à devenir rouges. Poids des grains les plus mürs, 9",433. MODEL. 6 ser 3 Acide re pogiataniaun 8,5 Poids des grains verts rougissant, 0,200. Merle. (FAGIdeR FAMP ET NN ” MÈME RECOLTE. On avait mis à part quelques grappes, les plus müres, que l'on a pressées séparément. Elles pesaient 0,300. # Acide sie same à 6,3 MORIN 2. 5 ; ci SUCT ETS ES M Er mes 200,9 210 ÉTUDES SUR LE VIN. RECOLTE DU 16 SEPTEMBRE. On met à part: Les grains les plus muürs choisis un à un comme étant les plus noirs dans les grappes très-müres. Motte ee: 0 Les intermédiaires entre le rouge et le noir de la maturité, c’est- à-dire qu'on éloigne d’un certain nombre de grappes tous les grains verts, rouges et noirs, pour ne garder que ceux qui sont à moitié murs. Montres cer. ? Les grains rouges, dits ici grains lie de vin, sont des grains bien rouges, où l'on ne voit plus de teinte verte et pas encore de teinte noire. NOUS PE RCE Les grains verts commençant à offrir une teinte rose. ACIDE : eee 20 U US ON ITREE 20,6 Moutmines Sucre AE LEE 84,9 RÉCOLTE DU 18 SEPTEMBRE. Grains les plus mürs choisis un à un comme étant les plus noirs dans les grappes les plus mures. SOLE AL 20 den 0 M as PROC DEEE 210,9 APPENDICE, 211 ANNÉE 1864. RECOLTE DU 27 SEPTEMBRE. Grains les plus murs choisis un à un comme étant les plus noirs dans les grappes les plus müres. RÉCOLTE DU 28 SEPTEMBRE. Même essai, en prenant la précaution d'aller récolter les grappes les plus müres dans la localité qui passe dans le pays pour donner le meilleur vin et la plus grande maturité. Même triage. NES ans RE RO NE TE ne 8,3 Sucre Pour la récolte du 16 septembre 1863, il manque un terme de comparaison, celui des grains mürs, non choisis parmi les plus mürs, c'est-à-dire le terme correspondant au n° 1 de la récolte du 7 septembre. Il aurait donné sensiblement 8 grammes d’acide et 200 de sucre par litre. Je supposerai ce terme intercalé parmi ceux de la récolte du 16 septembre. En rapprochant les n° 4, 3 et 2 de cette récolte du 16 sep- tembre, on voit qu'en 1863 la maturation de ce cépage consis- tait principalement, pour les grains verts et rouges, à prendre du sucre. Mais pour les grains plus avancés, la maturation s'accuse au contraire par une diminution de l'acidité. C'est très-sensible quand on passe de la première maturité à une maturité plus grande; en effet, en passant du n° 4 au n° 3, c’est-à-dire lorsque le raisin vert à peine rosé devient rouge, pour une diminution d’a- 14. 212 ÉTUDES SUR LE VIN. cide représentée par 2 grammes, le gain en sucre est de plus de 60 grammes par litre. D'autre part, le grain rouge, en devenant en partie noir, n’a perdu qu'une quantité insignifiante d'acide en gagnant près de 20 grammes de sucre. Ce dernier résultat a ce- pendant quelque chose d’un peu exceptionnel. En général on trouve plus de différence que cela dans l'acidité pour des sortes de grains compris dans les dénominations des n° 2 et 3. Nous voyons, au contraire, que le grain déjà noir en partie, aux trois quarts mür, perd beaucoup d'acide en devenant noir sans que la quantité de sucre augmente en proportion. Pour une diminution d'acide représentée par 10 grammes environ, il y a augmentation de 35 grammes de sucre. Et si l'on passe des grains noirs aux grains choisis parmi les plus noirs, ou, ce qui revient au même, des grains noirs, et qui viennent d'atteindre cette matu- rité, aux grains déja depuis longtemps noirs, on trouve que le sucre augmente très-peu et que l'acide diminue sensiblement. C’est ce qui résulte surtout de la comparaison du n° 1 et du n° 4 de la récolte du 7 septembre, et aussi de celle du n° 1 du 7 sep- tembre avec celle du n° 1 du 16 septembre. Il y a en quelque sorte deux espèces de maturation; l'une qui se traduit de préférence par une production de sucre, et l’autre par une diminution d’acidité. La maturation par augmentation de sucre serait propre au grain tant qu'il n’est pas noir; plus tard, ce serait le tour de la maturation par diminution de Pacidité. Elle correspondrait à une maturité plus avancée. Il est facile de reconnaître en outre par les nombres du tableau que la maturité du ploussard offre, ou du moins a offert, en 1863, une sorte de limite qu’elle avait peine à dépasser. Il paraïtrait donc que les grains, après avoir atteint cette maturité, peuvent rester sur le cep sans amélioration sensible. Gagnent-ils sous d’autres rapports, d’autres principes sont-ils modifiés? C’est ce qu'il est dif- cile de savoir, mais pourtant c'est probable. APPENDICE. 215 Si nous comparons maintenant les récoltes de 1864 avec celles de 1863, nous voyons qu'en 1864, en opérant le triage le plus soigné de façon à retirer des grappes les plus müres leurs grains les plus noirs, on n'a pu arriver à une acidité aussi faible qu’en 18063. En 1864, le grain de ploussard, pris à la limite extrême de sa maturité, était beaucoup plus acide qu’en 1863, et cependant ce- lui qui a fait l’objet des essais en 1864 avait quinze et vingt jours de plus d'age, et à une époque où se fait de préférence la matu- rité du fruit. En revanche, le ploussard de 1864 avait un peu plus de sucre que celui de 1863, SUR LA PRÉSENCE DE LA GOMME DANS LE VIN. J'ai reconnu la présence dans tous les vins d’une proportion variable, mais toujours très-sensible, d’une substance combinée à du phosphate de chaux et ayant toutes les propriétés générales des gommes, notamment celle de fournir par l'action de lacide nitrique une assez grande quantité d'acide mucique identique avec l'acide mucique dérivé de la gomme arabique et du sucre de lait, Pour isoler la gomme du vin, réduisez ce vin au quinzième environ de son volume, laissez cristalliser le tartrate acide de po- tasse pendant 24 heures, et ajoutez à l’eau mére, plus ou moins visqueuse selon la proportion plus ou moins forte de la gomme, 3 à 4 fois son volume d'alcool à 90°. Le précipité s'offre sous deux états : tantôt il se rassemble et s'agrége promptement en dimi- nuant beaucoup de volume. On peut renverser le vase sans qu'il se détache des parois. Tantôt il reste sous forme de précipité flo- conneux. C’est que, dans ce dernier cas, la gomme est associée à des sels de chaux, principalement à du tartrate neutre. Le préci- CP: LA , e. "7 . . pité lavé à l'alcool par décantation est purifié par dissolution dans 214 ÉTUDES SUR LE VIN. l'eau, filtration et précipitation nouvelle par l'alcool. On a sou- vent beaucoup de peine à le débarrasser des sels de chaux aux- quels il est associé, L'oxydation de la gomme du vin par l'acide nitrique fournit du Jour au lendemain une cristallisation assez abondante d’acide mur- cique recouvrant toutes les parois du vase qui a servi à l’opéra- tion. La plus petite quantité de gomme du vin permet de cons- tater ce caractère. Dans la liste des principes immédiats du moût de raisin que l’on trouve dans les auteurs classiques, l'existence d’une matière gommeuse est souvent indiquée. Cependant je n'ai pas trouvé de travail qui constate rigoureusement (par exemple, comme je le fais ici par le caractère de l'acide mucique) le fait de la présence de la gomme dans le vin, mais Fabroni, dans son traité sur L’art de faire le vin, dit que «dans les vésicules qui constituent la pulpe centrale du grain réside un suc plus gommeux que le suc des autres parties du grain. » Serait-ce là l'origine de l'indication de quelques auteurs au su- jet de la présence de la gomme dans le moût ou dans le vin? Je l’ignore. Quoi qu'il en soit, voilà un nouveau principe immédiat du vin, qu'il serait bien utile d'étudier avec plus d'attention qu'on ne l'a fait jusqu'à présent. ORIGINE DE LA GLYCÉRINE ET DE L’ACIDE SUCCINIQUE DANS LE VIN. On sait aujourd'hui, par les résultats du mémoire que j'ai pu- blié en 1860 sur la fermentation alcoolique, que ce phénomène chimique n’est pas tout à fait aussi simple que Lavoisier et Gay- Lussac l'avaient cru. Le sucre, en se décomposant sous l'influence du ferment, ne donne pas seulement naissance à de l'acide car- bonique et à de l'alcool; 11 fournit en outre de la glycérine, de APPENDICE. 215 l'acide succinique, de la cellulose, des matières grasses, et pro- bablement de petites quantités de beaucoup d’autres principes. C'est que l'acte de la fermentation alcoolique est aussi compliqué qu'un acte vital. Loin que le ferment se multiplie sans rien em- prunter au sucre, et agisse par sa seule présence, il n'éprouve au contraire aucune modification importante qui soit indépendante de la matière fermentescible. On peut effectuer la fermentation al- coolique dans de telles conditions que l'on soit assuré que pas une cellule de ferment ne se forme sans que le sucre lui ait fourni tout son carbone, Il résulte de ces faits, qu'en calculant la proportion d'alcool que peut fournir un poids déterminé de sucre par l'équation théo- rique bien connue CÉHÉOP= A4, (GO?):4- 2 (CH OP), on commet une erreur variable, mais toujours très-sensible. Elle est variable parce que les proportions de glycérine et d'acide suc- cinique différent beaucoup suivant les conditions dans lesquelles se fait la fermentation. S'il s’agit de la bière, la proportion de gly- cérine est d'autant plus élevée que la fermentation a été plus lente, et que le développement du ferment a été plus pénible. Dans la fermentation du mouût de raisin, les choses paraissent différer sen- siblement. Rien de plus facile ni de plus rapide que cette fer- mentation. Le ferment semble se trouver dans les conditions les plus favorables à son développement, et néanmoins l'équation théorique de Gay-Lussac est fort en défaut. J'ai trouvé en effet dans le vin des proportions notables de gly- cérine, 6, 7 et 8 grammes par litre. Et je crois qu'il existe des vins, il est vrai de nature particulière, qui ont éprouvé une grande évaporation par un long séjour dans les tonneaux, tels que les vins de Chäteau-Chälons, qui renferment jusqu'à 10 et 12 grammes de glycérine par litre. 216 ÉTUDES SUR LE VIN. En étudiant la différence entre l'équation théorique et l’équa- tion réelle par la comparaison de la quantité de sucre du moût avec la quantité d'alcool du vin qu’il fournit, on reconnait que l’é- quation théorique de la fermentation est encore plus en défaut qu'on n'aurait pu s’y attendre. I. Le 14 octobre 1864, j'ai étudié une vendange de ploussard pur récoltée la veille. Moût { Acidité évaluée en acide tartrique.. . .. 8,9 acide tartrique. dedayendange, ASuEre. He A EE MRERE RER 221,4 par litre. Grains Aciditéreese. ets ds pre a fes 7,2 acide tartrique, de la vendange.| Sucre..... De mile ee OS EU 226,5 par litre. Le 13 novembre j'ai étudié le vin provenant de cette ven- dange. A'cidité. AU ELU TUE. MP MHRONEIRENEE- ANNE AE 8,0 acide tartrique IMCO0LÉL RE es, DE EC VE CEE 12,5 alcool, En calculant théoriquement l'alcool d’après l'équation de La- voisier et de Gay-Lussac, au taux de 221,4 de sucre par litre, on devrait trouver 14,2 p. 0/0 d'alcool. La perte serait donc dans cette hypothèse de 14,2 — 12,5 — 1,70, soit 11,3 p. 0/0. En calculant, au contraire, l'alcool théorique au taux de 226,5 grammes de sucre par litre, on devrait trouver 15,9 p. 0/0 de sucre. La perte, dans cette hypothèse, serait de15,5=31935— 3,0, soit 19,3 p. 0/0. La perte réelle est donc comprise entre 11,5 el 9). IT, Le 15 octobre, étude d'une vendange de tous plants. A'cidrté Loan le te tt COM OISE ER RAS 12,3 acide tartrique. CUT RE ER Rs 188,9 APPENDICE. 217 Le vin de cette vendange ne contenait que 10,3 d'alcool p. 0/0; on aurait dù trouver théoriquement 12, 15, perte 15,2 p. 0/0. Acidité du vin, évaluée en acide lartrique, 12,44. IL. Le 16 octobre, étude d’une vendange de ploussard pur. RE A pre UOMITUEE EU, 1 RO 9,9 acide tartrique. SUCrer ts. ES. M baton hdi. te à 190,4 » Acidité du moût des grains................ 8,9 acide tartrique. ere Reel Eater shit 248 196,4 Le vin de cette vendange renfermait : Acidité totale évaluée en acide tartrique. . .... 9,9 DEL. 2 EN A 2 10,9 p. 0/0. Théoriquement on aurait dû trouver... ...... 12,6 p. 0/0 d'alcool. Halles e MR NERRNRE n tL 13,9 p. 0/0. IV. Étude d’une vendange de trousseau pur et du vin qui en est résulté — 13,1 p. 0/0 de perte en alcool. L’acidité du vin était un peu supérieure à celle de la ven- dange. V. Étude d'une vendange de ploussard pur et du vin qui eu est résulté — 11,7 p. 0/0 de perte en alcool. L'acidité du vin était un peu supérieure à celle de la ven- dange. En résumé : il est évident, d’après l’ensemble de ces résultats, qu'une portion considérable du sucre contenu dans le moût n’est point du tout utilisée à faire de l'alcool. Pourtant je ne saurais affirmer que les pertes d'alcool que je viens de constater doivent être attribuées intégralement à une déviation de la fermentation prise du point de vue de l'équation théorique de Lavoisier et de Gay-Lussac. Il m'a paru que le marc condensait une forte pro- portion d'alcool. 218 ÉTUDES SUR LE VIN. Les faits qui précèdent, tout en rendant compte de la grande quantité de glycérine que l’on trouve dans les vins, font vivement désirer une étude suivie et nouvelle de la fermentation du raisin. Des travaux, poursuivis sur divers points de la France, devraient ètre entrepris. Dans les exemples que je viens de citer, l'acidité du vin a été trouvée supérieure à celle de la vendange. MM. Berthelot et de Fleurieu, dans une note insérée aux Comptes rendus de lAca- démie en avril 1864, ont conclu à la disparition d’une portion notable des acides du moût autres que l'acide tartrique pen- dant la fermentation qui produit le vin. Il y a donc de nouvelles recherches à faire pour expliquer ces apparentes contradictions. Certainement le fait signalé par ces savants est très-loin d’être général, et, dans la pluralité des cas, il ÿ a augmentation de laci- dité par la fermentation, si j'en juge par les résultats que j'ai ob- tenus. Tout récemment M. Boussingault a bien voulu me confier quelques-uns des résultats encore inédits d’un travail très-soigné entrepris par son fils sur la fermentation des fruits à noyau. Ce jeune chimiste a constaté également une augmentation de l'acidité du moût de raisin par la fermentation. SUR LE PROCÉDÉ DE CONSERVATION DES VINS PAR LE CHAUFFAGE PRÉALABLE. LETTRE DE M. PASTEUR AU MONITEUR VINICOLE. Paris, 11 octobre 1865. Monsieur le Rédacteur, Je lis dans votre estimable journal plusieurs lettres ou articles de quelques-uns de vos correspondants, qui tendent directement ou indirectement à diminuer, voire même à supprimer tout à fait APPENDICE. 219 la nouveauté du procédé de conservation des vins que j'ai publié récemment |. Permettez-moi d'y répondre, bien plus cependant avec l’inten- tion d’instruire vos lecteurs qu'avec celle de faire de la polémique. J'ai une répugnance instinctive pour les discussions stériles. La plus grande satisfaction du savant est celle que lui procure la découverte de faits nouveaux, de lois inconnues avant lui. Il n’est pas moins heureux lorsqu'il entrevoit dans les résultats de ses recherches quelques applications aux arts, au commerce, à l'industrie. Aussi ne doit-on pas s'étonner que ces sentiments fassent place chez lui à des regrets, lorsque, arrivé près du terme de recherches longues et consciencieuses, 11 se voit contraint de dire, avec Lavoisier, « qu’il ÿ a toujours dans les sciences des per- sonnes disposées à trouver que ce qui est nouveau n'est pas vrai, ou que ce qui est vrai n’est pas neuf. » À peine avais-je appelé l'attention de l'Académie des sciences sur l'utilité possible du chauffage préalable des vins comme moyen de conservation, que ce procédé fut déclaré, par les uns, déjà an- cien et appliqué sur une grande échelle, et par les autres, mau- vais et pouvant amener la ruine de ceux qui l’adopteraient. Cette lettre, Monsieur le Rédacteur, a pour objet d'établir, non . par des assertions sans preuves, mais par un examen scrupuleux des faits, que le procédé dont il s’agit, abstraction faite de tout jugement sur son efficacité, est entièrement nouveau, que per- sonne ne l’a jamais appliqué dans le Midi ou ailleurs, et qu'il serait impossible à un membre quelconque d’une Société de vili- culture de produire authentiquement sur le bureau de cette Société un litre de vin qui ait été conservé par mon procédé avant le jour de ma première communication à l'Académie, le 1° mai 1865. ! On trouvera tout ce que Jai publié antérieurement sur les vins dans les Comptes rendus de l'Académie des sciences. Séances des 7 décembre 1863, 18 jan- vier 1864, 1° ma, 20 mai et 14 août 1865. 290 ÉTUDES SUR LE VIN. Je demande seulement que l'on veuille bien lire attentivement ce que j'ai écrit sur le vin, et que l’on ne m'attribue pas des idées et des prétentions que je n’ai jamais eues. Il est très-vrai que quelques négociants, dans le Midi, ont chauffé et chauffent encore du vin, — je dirai tout à l'heure com- ment, — mais c’est uniquement dans le but de faire changer en quelques jours la couleur rouge violacé du vin nouveau en cou- leur rouge pelure d'oignon; c’est-à-dire dans le but de faire pa- raître vieux un vin qui est très-jeune. Jamais un négociant du Midi n'a fait chauffer du vin dans le but de le conserver. Tout à l'inverse de ceci, j'ai donné le moyen de conserver le vin sans toucher à sa couleur, bien que le vieillissement du vin, dans des conditions nouvelles, soit un effet ultérieur de l'application de mon procédé. Je n’ai point la prétention de vieillir le vin en quelques jours, mais d’avoir indiqué un moyen de rendre le vin inaltérable. Entre un procédé pour changer la couleur du vin en quelques jours, de facon à faire croire qu’il a deux ou trois années d’àage au lieu de six mois, et un procédé pour le rendre inaltérable pendant une suite indéfinie d'années, il y a une différence qui n'aurait pas dû être méconnue, alors même que, dans les deux cas, la chaleur serait employée pour obtenir ces deux résultats distincts. La famille de M. Privas (de Mèze) paraïît être la première qui ait employé la chaleur pour donner au vin la couleur du vin vieux. Elle a appliqué ce procédé pendant plus de cinquante ans, et c'est d'Espagne qu’elle laurait tiré. Aujourd’hui elle la tout à fait abandonné, mais les cuves où se pratiquait l'opération existent encore. Je les visitai le 27 juin dernier, en compagnie de M. Mars, et conduit par M. Privas lui-même, qui y mit la plus grande obli- geance. Nous allämes ensuite visiter tous trois les immenses chais de M. Thomas, où des essais de chauffage par le procédé Privas ont été tout récemment installés. APPENDICE,. 221 « Dans ces cuves en pierre de taille de Beaucaire, recouvertes d’une couche de peinture, nous dit M. Privas, et dont celle-ci Jauge environ mille hectolitres, j'entreposais le vin tel qu'il m'ar- rivait de chez les propriétaires après la vendange et la fermenta on. Dans un petit couloir placé sous nos pieds et que je vais vous faire voir tout à l'heure, il y avait une chaudière, de laquelle partaient des tubes de cuivre entrant dans la cuve. Le vin était chauffé par la vapeur circulant dans les tubes pendant vingt à vingt-cinq jours, à la température de 25 à 30°, afin d'achever la fermentation, parce que le vin nouveau contient toujours dans le Midi un peu de sucre. Puis, à la fin, nous chauffions jusqu'à 75°, afin d’avoir la teinte du vin vieux. » J'ai écrit ces paroles le soir en rentrant à Montpellier, et, comme je viens de le dire, elles ont eu pour témoin auriculaire l'éminent agriculteur du Midi M. Marès. L’exactitude scrupuleuse des faits est d'autant plus précieuse ici que la pratique dont je parle n’a jamais été publiée, à ma connaissance. Le système est exactement le même chez M. Thomas, avec cette seule différence que la cuve est beaucoup moins vaste, et qu’elle est debout et de bois de chène. À quelle température chauffez-vous, demandai-je à M. Thomas, et combien de temps? « Je ne sais, nous répondit-il, à quelle tem- pérature je chauffe. Cela dure cinq, six jours ou davantage, jus- qu'à ce que je juge que la couleur est bonne, c’est-à-dire celle du vin vieux. Je n’emploie pas de thermomètre, c'est le changement de couleur qui me guide. Mais le vin prend un goût particulier que l’on n'aime pas, et qui oblige à le couper avec du vin nouveau. » Ce fait et cet usage sont immédiatement confirmés par M. Privas. Tel est le procédé de chauffage pratiqué par de rares négociants dans le Midi, et abandonné même par le chef actuel de la fa- mille qui l'aurait importé en France. Reportez-vous un instant, Monsieur le Rédacteur, aux faits nou- 299 ÉTUDES SUR LE VIN. veaux que j'ai constatés dans l'étude du vin, de ses propriétés et des causes de ses altérations; ayez, d'autre part, sous les yeux, l'indication du procédé que j'ai fait connaitre, et vous compren- drez la différence absolue qui existe entre ce procédé de conser- vation et le procédé de vieillissement artificiel employé à Mèze. 1°°Le vin est chauffé à Mèze pour lui donner la teinte de vin vieux ! a. Je le chauffe sans que la nuance de sa teinte soit le moins du monde changée. Ce n’est pas là le but que je me propose, et, bien plus, je serais en contradiction avec mes principes si j'y ten- dais par l'opération du chauffage. 2° Le vin est chauffé à Mèze pendant une ou plusieurs se- maines ! b. Je le chaulle juste le temps nécessaire pour qu'il arrive à la température de 50 à 66°, et une minute suflirait si l'on pouvait atteindre cette température en une minute dans toute la masse, parce que je n'ai qu'un but en chauffant le vin, c'est de cuire en quelque sorte les germes des parasites qu'il renferme, germes qui l'altèrent s'ils viennent à se multiplier. 3° Le vin est chauffé à Mèze au contact de l'air ! c. Je le chauffe à l'abri de l'air. 4° Le vin chauffé à Mèze prend un goût sui generis, en même temps qu'il change de teinte ! d, Je le chauffe dans des conditions telles qu’en le faisant dé- guster après refroidissement par un courtier expert, celui-ci a de la peine à lui reconnaitre une différence de goût sensible relative- ment au même vin non chauffé, \APPENDICL, 293 ét 5° Le vin chauffé à Mèze est mêlé ensuite avec du vin nou- veau ! e. Mes recherches démontrent que le vin nouveau apportera avec lui et introduira dans toute la masse les germes des maladies qui altéreront le mélange, tout comme si une portion n'avait pas été chauffée. On ignore donc absolument à Mèze ce que l’on fait en chauffant le vin, sinon qu'on change sa teinte en teinte de vin vieux. 6° Le vin est chauffé à Mèze dans des cuves, puis placé dans des tonneaux et manipulé sans précaution à la manière de tous les vins ! L7 f. Mes recherches prouvent qu'il pourra trouver dans Pair ou dans ces tonneaux, et même qu'il trouvera loujours dans ceux qui ont déjà servi, les germes des ferments parasites que j'ai reconnus être la cause exclusive des maladies des vins. Ce qui précède montre jusqu'à l'évidence que les personnes qui ont prétendu que le procédé de conservation du vin que j'ai fait connaître était ancien et appliqué dans le Midi ont fait preuve à leur insu d’une grande ignorance, soit de ce qui se pratique et s'est pratiqué à Mèze, soit de mes travaux. Elles n'ont vu qu'une chose, — M. Pasteur chauffe le vin. On le chaufle aussi à Meze. Donc le procédé de M. Pasteur est ancien. — L'histoire de la science et les progrès de ses applications exigent plus de circonspection et une connaissance plus exacte de ce dont on parle. Lorsqu'on se donne, comme publiciste à un titre quelconque, la mission élevée d'éclairer l'opinion publique, il serait convenable de ne point juger des choses sous leurs apparences, surtout lorsque l'expres- sion và droit à diminuer le mérite d'autrui. La vérité devait être d'autant plus recherchée ici qu'aucun des ouvrages sur Part de la 294 ÉTUDES SUR LE VIN. vinificalion, même les plus récents, ceux de MM. Ladrey, Mau- mené et Béchamp, ne disent un mot des pratiques de Mèze. Je parle, bien entendu, des éditions qui auront précédé ma première nole à l’Académie en mai 1865. Il y a ici un enseignement. On voit clairement qu'il faut se défier des on dit sur un procédé industriel non publié, principalement lorsque le progrès de la science vient éclairer la théorie, jusque-là inconnue, de ce procédé. Les on dit changent alors de nature, et il devient facile, par la confusion des idées de la veille et de celles du lendemain, d’altérer la vérité. La théorie du procédé de conservation des vins par chauffage préalable est des plus simples. Je la reproduis brièvement, Les maladies des vins sont dues à des ferments 6rganisés, ou végélations parasites, dont j'ai fait connaître les caractères, et tous les vins renferment les germes de ces ferments vivants. Cela élant, et personne, que je sache, ne conteste cette première base de mes études, j'ai recherché s'il ne serait pas possible de priver ces germes de leur vitalité par la chaleur, sans altérer le vin, de facon à s'opposer au développement de ses maladies. L'expérience a confirmé ces déductions logiques. Ainsi est né le procédé de conservation dont il s’agit, procédé très-rationnel, comme on le voit. Quant à la pratique de Mèze, pour changer la couleur du vin nouveau en couleur de vin plus vieux, elle est tout empirique. Mais les personnes qui ont lu avec attention ce que j'ai écrit sur le vin, et qui se sont familiarisées avec les résultats de mes expt- riences, comprendront facilement la théorie que je vais en donner. Le vin chauffé à Mèze change de couleur, uniquement parce que la cuve est exposée au contact de l'air. C’est l'oxygène de l'air qui produit le changement de couleur du vin. La chaleur ne fait qu'activer l'oxydation, comme elle active en général toutes Îles actions chimiques. Pourquoi chauffe-t-on le vin pendant très- APPENDICE. 225 longtemps? C’est précisément pour permettre à l'oxygène de l'air de pénétrer en quantité suflisante, d'autant plus que, ne connais- sant pas du tout la théorie du procédé qu'ils pratiquent, et ne se doutant point que l'oxygène de l'air fût pour quelque chose dans le changement de couleur recherché, MM. Privas et Thomas ferment leur cuve {autant.qu'elle peut l'être, toutefois, quand on chauffe un liquide qui se dilate) dans le but de conserver le plus possible les vapeurs alcooliques. Moins on facilitera l'accès de l'air dans la cuve, plus il faudra de jours pour produire la teinte dé- sirée. De là, et suivant la nature du vin, les tàätonnements et le peu d'utilité d’un thermomètre. M. Thomas à bien raison de dire qu'il se guide sur la couleur seule, et je ne sais si M. Privas avait un souvenir bien exact du maximum de température, lorsqu'il nous dit qu'il allait à la fin de l'opération à 75°. C'était, en tous cas, pure perte de calorique. Il vaudrait mieux rester à basse température et employer quelques jours de plus. L’oxygène de l'air ne peut agir tout d'un coup. Il lui faut du temps, et, d'autre part, un degré de chaleur élevé ne peut rien sans une proportion suffisante d'oxygène. Toutefois je n’insiste pas, parce que je ne juge pas en ce moment la valeur de tels ou tels procédés. Je me borne à exposer leur but, leur mode d'application et leur théorie. Considérons maintenant, Monsieur le Rédacteur, les procédés de vieillissement de Cette. Les personnes qui ont prétendu que mon procédé de conser- vation du vin n'était pas nouveau ont mis en avant les pratiques de Cette, où l’on expose le vin en plein soleil. J'ai visité Cette, ayant toujours la bonne fortune de la compagnie de M. Marès, et J'ai vu ces magasins où gisent sur le sol les tonneaux de vin. C'était le 28 juin dernier. — À Cette, on expose le vin au soleil. M. Pasteur le tite directement: il a même, lui aussi, proposé l'emploi de la chaleur solaire. Son système n'a donc rien de nou- Peau Les personnes qui tiennent ce langage ne comprennent 1) 296 ÉTUDES SUR LE VIN. pas du tout les pratiques fort curieuses de Cette et moins encore celles que J'ai préconisées. Grâce aux recherches que j'ai faites sur le vin, je puis donner ici la théorie de l'exposition des vins au soleil, et J'espère qu'elle pourra servir de guide aux négociants de Cette, et peut-être transformer radicalement leur mode de fa- brication. Les tonneaux que l’on expose au soleil y restent un an, dix- huit mois, deux ans et plus, soumis à toutes les intempéries des saisons. Notre visite, disais-je, a eu lieu le 28 juin. C'était par un soleil ardent, et qui durait depuis longtemps. Or M. Marès, qui avait eu la précaution de se munir d’un thermomètre centi- grade, reconnut que la température du vin d’une des pièces était de 29°. Certes nous voilà bien loin du degré qu’il faut atteindre pour tuer les germes des ferments des maladies des vins, et, d'autre part, une exposition au soleil qui dure deux et trois ans ne res- semble guère à un chauffage de quelques heures, et que l’on pourrait réduire à la rigueur, comme je le disais tout à l'heure, à quelques minutes. Que recherche le négociant de Cette, tout à fait à son insu? Quelle est, en d’autres termes, l'influence du soleil ? Les résultats publiés de mes études sur les vins prouvent, d'une manière pé- remptoire, selon moi, que le soleil n’agit, dans les magasins de Cette, que comme moyen indirect d'oxydation lente du vin, parce que, au soleil, les parois des tonneaux donnent lieu à une éva- poration bien plus rapide que dans la cave ou dans le cellier. On ne chauffe pas le vin à Cette, on l’aère. Vous me demanderez, sans doute, Monsieur le Rédacteur, pourquoi un vin blanc, exposé à l'air et au soleil pendant plu- sieurs années, ne s'altère pas, ne s’acétifie pas. N’allez pas croire, je le répète, que c'est parce que le soleil l'échauffe, comme fait la chaleur dans mes expériences. Non-seulement on n’atteint pas APPENDICE. 227 le degré voulu pour tuer les germes du mycoderma aceli et autres, je viens de vous le prouver par l'observation thermométrique dans un des jours les plus chauds de cette année, mais j'affirme que l'exposition du vin au soleil, telle qu'elle est pratiquée à Cette, serait le moyen le plus efficace à employer pour perdre le vin et le transformer en vinaigre, si l’on n'y joignait un usage indispen- sable, à mon sens, et qui consiste dans le vinage du vin à diverses reprises pendant la durée de son exposition au soleil. J'ai la con- viction que c’est par l'alcool principalement que le vin se conserve à Cette, et le fabricant dont le vin ne serait pas suffisamment alcoolisé, s’exposerait à le faire tourner ou à l’aigrir, malgré la chaleur du soleil, ou mieux à cause de la chaleur du soleil. Ce n'est pas le tout que de chauffer du vin, il faut le faire à un degré convenable, sinon on se place tout juste dans les meilleures con- ditions pour le perdre. Voici la preuve irréfutable de ce que j'avance : qu'un fabricant de Cette prenne le soin d'exposer du vin dans.ses magasins, au soleil, non plus dans les tonneaux à parois de bois, mais dans des vases à parois de verre, remplis, bien bouchés ! j'aflirme que son vin blanc conservera sa couleur originelle, ne déposera pas, et ne prendra pas de bouquet sensible. Vous trouverez, Monsieur le Rédacteur, ces résultats indiqués dans mes notes à l’Académie des 29 mai et 14 août 1865. Dans l'intervalle de quelques semaines, au contraire, s’il a la précaution de laisser de l'air dans les vases de verre, une moitié, par exemple, ou un tiers du vase, et surtout si le verre n’est pas coloré, le vin prendra une belle couleur un peu ambrée, un bouquet très-pro- noncé, et il aura fait tous ses dépôts possibles, à tel point que jamais il ne déposera plus, quel que soit son âge. J'ai donc bien raison d'affirmer que c'est l'air qui est l'agent essentiel de la fa- brication de Cette. Jai recommandé, depuis plusieurs mois, à M. Marès ainsi qu'à 1). 298 ÉTUDES SUR LE VIN. M. Blouquier, habile négociant de Cette, de vouloir bien faire ces essais, afin de rechercher si le vin qu’on met présentement deux et trois ans à vieillir ne pourrait être vieilli en quelques semaines. Pourquoi, me direz-vous, l'emploi de bonbonnes de verre? C'est alin d'utiliser non pas seulement la qualité calorifique des rayons du soleil, mais leur qualité chimique, laquelle est perdue si les rayons solaires frappent des parois de bois. Le soleil, avec emploi des tonneaux de bois, est un agent d'évaporation, voilà tout ; il deviendra un agent chimique propre à activer considéra- blement l'action de l'oxygène de l’air, dans le cas où l'on se ser- vira de bonbonnes de verre à moitié pleines. En outre, la bon- bonne de verre n'étant pas pleine, l'air intérieur s'y échauffera à plus de 5o et 60°, ce qui n'aura jamais lieu dans les tonneaux, et les germes du mycoderma aceti seront tués à la surface du liquide, et le vin, cette fois, même sans vinage ni chauffage direct, se con- servera sans s’acétifier el sans tourner. Je disais en commençant cette lettre que je n'avais jamais eu la prétention de vieillir le vin par le procédé du chauffage, mais javais, dans mes communications à l'Académie, fait connaître les principaux résultats que je viens de rappeler sur l'emploi simul- tané de l’oxygène, de la chaleur solaire et des vases de verre pour vieillir le vin en quelques semaines, et ce sont tous ces faits et tous ces procédés que l’on a confondus et réunis dans un pêle-mêle in- forme avec les pratiques de Cette et de Meèze. Toutefois, je me hâte de le dire, il faut craindre qu'en faisant du vin vieux en quelques semaines, par le moyen que je viens d'indiquer, le vin ne soit faible, sans corps, comme me le disait M. Marès en se servant d’un mot très-vague, mais auquel on finit par donner un sens assez précis lorsqu'on étudie beaucoup le vin. Avec l'emploi des tonneaux dans le procédé d'exposition au soleil, l'oxygène de l'air agit avec d'autant plus de lenteur que le vin dégage pendant longtemps du gaz acide carbonique, parce que APPENDICE. 229 le vin arrive sucré et muté des celliers des propriélaires, et qu'il fermente encore pendant longtemps. Quoi qu'il en soit, si les essais que J'indique ne conduisent pas à modifier les procédés de Cette et à abréger considérable- ment leur durée, ce que l'expérience seule peut décider, ils con- vaincront du moins ceux qui les tenteront de l'exactitude de la théorie que je viens de donner de la plupart des changements de couleur, de goût et de bouquet des vins exposés au soleil dans les magasins de Cette, et de la différence radicale qui existe entre les procédés de cette ville et celui que j'ai proposé. Ils diffèrent comme le jour de la nuit. Considérez, par exemple, Monsieur le Rédacteur, le passage de ma dernière note à l'Aca- démie qui se rapproche le plus des pratiques de Cette par les apparences : c’est celui où je demande l'essai de hangars vitrés à double enveloppe de verre exposés au soleil, dans le Midi. Quel était mon but? Celui de savoir si, en profitant de la propriété des rayons de chaleur obscurs de traverser difficilement le verre {vous savez que, dans des caisses noircies, on peut aller facilement à 90, 100° et plus), il ne serait pas possible d'élever le vin en quel- ques heures à 50 ou 60°; en quelques heures, notez-le bien, pour atteindre le degré voulu qui tue les germes des maladies. Et le lendemain, dans ce même hangar, qui peut être de très-petite dimension, on recommencera sur une autre portion de vin, et le surlendemain, et ainsi de suite, tant que le soleil le permettra. Je le demande, y a-t-il là le moindre rapport avec l'exposition du vin au soleil telle que Cette la pratique ? Quels seront la nature des vases, leur capacité, le dispositif des hangars? Ce moyen même n'est-il pas plus défectueux que d’au- tres modes de chauffage plus coûteux en apparence ? Je n'en sais absolument rien. Il ne faut pas demander au savant de tout faire et de tout essayer. C’est le devoir de l'industrie, lorsque des voies nouvelles lui sont indiquées, de se mettre en mesure, pat 230 ÉTUDES SUR LE VIN. des essais intelligents et peu coûteux, de rechercher si elles sont praticables avec profit. J'arrive maintenant, Monsieur le Rédacteur, à une partie de ma tâche beaucoup plus agréable, parce qu’il me reste à nommer la personne qui a le plus approché du procédé de conservation que j'ai fait connaître !. Cette personne est M. de Vergnette-Lamotte. Je ne fais pas ici allusion à la note de M. de Vergnette du 1% mai 1865, qui a provoqué ma première communication ce même jour à l'Académie des sciences. Relativement à cette note et au point de vue de priorité de mon procédé, le doute n’est pas permis, puisque j'avais pris date trois semaines auparavant (11 avril 1865) par un brevet d'invention, dans le but de pouvoir suivre à mon aise toutes mes expériences et correspondre avec un grand nombre de personnes, sans craindre que l’on me devançät par quelque publication ou brevet. Je dois seulement faire remarquer, en passant, que le procédé proposé par M. de Vergnette le 1° mai 1865 n’a que des analogies avec le mien. Il consiste, en effet, à faire séjourner le vin dans un grenier chaud durant deux mois, les mois de juillet et d'août, par exemple, ou dans une étuve à la température d’un tel grenier chaud, toujours pendant deux mois. Ici encore, je dois faire observer que le but de ma lettre n'est pas de juger l'efficacité des procédés dont je parle; car je serais obligé de déclarer que je ne crois guère à celle du séjour des vins fins de la Bourgogne pendant deux mois au grenier, et j'aurais même lieu de penser que souvent ce serait là le moyen de déve- ! J'ai indiqué précédemment les recufications que comportent les détails his- toriques que je donne ici. Lorsque j'ai adressé cette lettre au Moniteur vinicole, Jignorais complétement les expériences d’Appert que je rapporte plus loin tex- tuellement, et que j'ai tirées de l'oubli, où on les avait laissées depuis leur publi- cation, par une note insérée aux Comptes rendus de l'Académie des sciences, au mois de décembre 1865. APPENDICE. 231 lopper plutôt que de prévenir les maladies des vins. Si l'on songe que dans les grandes cuves du Midi, au moment de la fermenta tion de la vendange, la température s'élève à 40° et peut-être da vantage, on comprendra qu'il faille aller au delà de cette tempé- rature pour priver les germes des maladies des vins de leur vitalité. J'ai dit que je croyais pouvoir indiquer un minimum de 45°, mais mes expériences se poursuivent, et présentement je n’oserais pas, pour une conservation délinitive, descendre au-dessous de 50° au moins. Je sais qu'à la Guadeloupe, ainsi que me la écrit dans une lettre très-obligeante M. Vollmer, caissier central du trésor de la couronne, les caves sont inconnues, et que tout le vin est conservé dans des bouteilles empilées sous les toits des maisons. Mais il s’agit de vin de Bordeaux et du soleil des tropiques. Je ne crois pas qu'en Bourgogne, dans les jours les plus chauds d’une année chaude, on atteigne dans un grenier plus de 35°. C'est un hangar vitré, doublement vitré, qu'il faudrait. Enfin, il faut se placer dans les conditions dont je parlais tout à l'heure, et éviter un séjour prolongé à la chaleur. Je ferai une remarque, précieuse pour les résultats de mes recherches, au sujet de la note de M. de Vergnette du 1% mai 1865 : c'est que les principes sur lesquels elle repose sont préci- sément ceux que:j'ai fait connaître à l'égard des maladies des vins. Ces principes, comme le dit fort bien M. de Vergnette, ont pu seuls expliquer les effets que la chaleur avait produits sur le vin dans certaines circonstances mal étudiées. Mais, je le répète, ce n'est point de la note de M. de Vergnette du 1* mai 1865 que je veux parler. Ce qui intéresse particu- lièrement la question que je traite en ce moment, c’est que M. de Vergnette avait autrefois appliqué la chaleur au vin et en avail remarqué certains effets comme conservation ,ainsique je l'ai appris pour la première fois par le numéro du Journal de Beaune du 13 mai 1865. M. de Vergnette a publié ses résultats dans un mé- 232 ÉTUDES SUR LE VIN. moire intéressant quise trouve inséré au recueil des travaux de la Société d'agriculture de Paris pour l'année 1850. I est intitulé : De l'exportation des vins de Bourgogne dans les pays chauds. Ce travail, pour être compris, doit être lu en entier et non par phrases déta- chées. Dans le cours de ce travail, et comme moyen de reconnaitre si un vin de qualité pourra supporter les longs voyages, M. de Ver- gnette conseille d'essayer, sur une petite portion, s'il ne s’altère pas par une élévation de température dans les limites de 60 à 70°. Si le vin s’altère étant chauffé, il s’altérera pendant le voyage; s’il se conserve sans altération immédiate par le chauffage, il pourra voyager. Je ne juge pas, je rapporte les principes qui guidaient M. de Vergnette. M. de Vergnette a donc observé, avant moi, que du vin chauffé au bain-marie par le procédé d’Appert peut se conserver ensuite; mais M. de Vergnette, et c'est ici que reparaît toute la nouveauté de mon procédé, n’a rien déduit du fait qu'il avait observé qu'un moyen de savoir si le vin à expédier pouvait supporter les longs voyages. En d’autres termes, voici du vin de Pomard ou de Vol- nay, que vous voulez envoyer au loin. S’altérera-t-il durant le trajet? M. de Vergnette vous dit : « Prenez-en une bouteille, faites-la chauffer au bain-marie, et si le vin ne s’altère pas, séance tenante en quelque sorte, vous pourrez expédier la totalité de votre vin en toute sécurité tel qu'il est. » Je n’ai pas besoin de dire, si l'on con- sulte ce que j'ai écrit sur le vin, combien cet essai serait illusoire et défectueux, car j'ai démontré qu'il n’y a pas un seul vin qui s'altère à la chaleur de 60 à 70°. À ce compte, tous pourraient donc voyager. Il n'en est pas moins vrai que M. de Vergnette est la personne qui a le plus approché du procédé de conservation que j'ai fait connaitre, et c’est son travail, ainsi que la méthode d’Appert, et non les pratiques de Mèze et de Cette, que la vérité historique doit placer avant le mien. émséatiné at hum APPENDICE. 233 M. de Vergnette avait si peu compris, parce que la science n'était pas alors assez avancée, la signification de ses essais de chauffage à 60 ou 70°, que son mémoire, qui n'a d'autre but que de trouver le moyen de faire voyager les vins sans qu'ils se dété- riorent , a pour conclusion que la congélation préalable est ce moyen et le seul qu'il faille mettre en pratique. Voici textuellement la fin du mémoire de M. de Vergnette : « En résumé, nous n'admettons pas que les vins doivent, pour être expédiés au dehors, subir aucun conditionnement qui entraine avec lui l'addition de substances étrangères. « Pour nous, il n'est qu'une manière rationnelle d'améliorer les vins qui doivent faire de longs voyages, c’est de les concentrer par la congélation. « Ce procédé n’altère en rien leurs qualités. « Soit au moyen de l'exposition des vins à l'air dans les hivers rigoureux, soit au moyen des mélanges frigorifiques, on sera tou- jours maïître de congeler les vins au degré convenable. « Les vins qui ont voyagé dans les pays chauds présentent tous les caractères des vins que l’on soumet artificiellement dans les li- mites de 60 à 70° centésimaux, à la chaleur d’un four ou à celle d’un bain-marie. Si, après avoir soumis à cette épreuve quelques échantillons des vins que l’on veut exporter, on reconnait qu'ils y ont résisté, on pourra, en toute sécurité, les expédier; dans le cas contraire , on devra s'en abstenir. » La nouveauté du procédé que j'ai proposé ne peut donc être l'objet d’un doute pour personne. Il serait bien à désirer que tous les brevets d'invention eussent, à ce point de vue, la même valeur. Cette lettre, Monsieur le Rédacteur, laisse entière, Je le répète de nouveau, la question d'efficacité et de valeur industrielle de mon procédé. Je crois avoir conduit assez loin les expériences et les travaux de longue haleine qui lui servent de base, pour oser À | le proposer avec confiance, Sans doute, j'aurais désiré étudier 234 ÉTUDES SUR LE VIN. encore de plus près avant de le faire connaître. « Mais, comme dit Lavoisier, c’est le tort de tous ceux qui s'occupent de recher-, ches chimiques d’apercevoir un nouveau pas à faire sitôt qu'ils en ont fait un premier, et ils ne donneraient jamais rien au pu- blic s'ils attendaient qu'ils eussent atteint le bout de la carrière qui se présente successivement à eux et qui parait s'étendre à mesure qu'ils avancent pour la parcourir. » C’est à la propriété et au commerce qu'il appartient de juger en dernier ressort la valeur industrielle du procédé dont il s’agit. Dans les questions d'application, les forces du savant sont souvent très-limitées. Il est sensible, pour moi tout le premier, que l'étude du vin poursuivie à Paris est chose difficile. Combien de fois, dans le cours de mes recherches de ces dernières années sur les maladies des vins, n’ai-je pas regretté de ne pouvoir transporter mon laboratoire à Beaune ou à Bordeaux, au centre d’une grande production! Mais n’est pas maître qui veut des exigences maté- rielles de la vie. Dans mon procédé il y a deux choses à considérer, celle de la conservation et celle du vieillissement ultérieur du vin. En ce qui concerne l'inaltérabilité absolue du vin, lorsqu'il a été porté, ne fût-ce qu'un instant, de 50 à 6o°, et c’est là la question capitale, je ne puis croire que le temps vienne apporter quelque restriction à ma conviction. Mes essais ont eu pour objet plus de 1,200 bou- teilles des vins les plus variés, et jusqu'a présent je n'ai pas en- core vu une seule bouteille du vin qui avait été chauffé s’altérer, tandis que bon nombre de ces mêmes sortes de vins non chauffés et placés dans les mêmes conditions sont déjà profondément mo- difiés et montrent des dépôts flottants de cryptogames en abon- dance. Au point de vue du vieillissement, j'ai la plus grande con- fiance dans un résultat favorable, parce que mes recherches m'ont conduit à cette opinion, que l'oxygène de l'air est l'agent = — APPENDICE,. 255 essentiel du vieillissement du vin, soit en tonneaux, soit en bou- teilles, et que Je n'empêche en rien l’action lente de l'oxygène de l'air après le chauffage. Néanmoins, il n’est pas douteux que le jugement des années vaudra mieux que celui que je porte en ce moment. La composition du vin est si peu connue, qu'il se pour- rait qu'un principe mal déterminé encore, et que la chaleur mo- difierait, n’éprouvàt plus par l'effet de l'oxygène de l'air des chan- gements identiques avec ceux qu'il éprouverait dans les conditions ordinaires. C’est précisément par des craintes de cette nature que je cherche à connaître, comme on l'a vu par ma dernière note à l'Académie, la température minima qu'il suffirait d'atteindre pour être sûr de la conservation ultérieure. Moins on élèvera la tempé- rature sans nuire au résultat désiré, plus on sera voisin du vin naturel, et meilleur sans doute sera le procédé, sans compter la question de la plus grande économie. La nature du vin n’est pas non plus à dédaigner. Toutes les sortes de vins peuvent recevoir l'application du procédé, parce que J'ai reconnu qu'il n’en est pas qui se troublent ou que la chaleur altère. J'estime cependant qu’une longue pratique et les besoins du commerce pourront indiquer que certains d’entre eux seront chauffés avec plus de profit que d’autres. Je suis donc bien éloigné, en définitive, de donner le con- seil d'élever des usines et des ateliers, et que l’on s’adonne d’em- blée au commerce du vin préalablement chauffé. Ce serait être souverainement imprudent; mais, d’un autre côté, ce serait être à mon sens fort routinier, que de ne pas tenter des essais afin de juger la valeur du procédé, industriellement parlant, pour la lo- calité où l’on se trouve. La question des débouchés des vins de France, du Midi en particulier, est liée encore de la façon la plus directe, suivant moi, à l'étude commerciale de ce procédé. On dit volontiers que les Anglais exigent des vins très-alcooliques, et nous leur envoyons 236 ÉTUDES SUR LE VIN. des vins vinés. Mais ils sont vinés, avant toute autre considération, parce que, s'ils ne l'étaient pas, ils s’altéreraient, et que bientôt le commerce n'en voudrait plus. Et cependant, il m'est avis que sous un certain point de vue le vinage peut devenir un obstacle au développement du commerce des vins. Je m'explique : le vin que nous envoyons en Angleterre ne paraît que sur la table du riche, et il y figure, par exemple, comme le madère sur la nôtre. Or le vin a deux vertus qui sont fort distinctes : c’est ur excitant et c'est un aliment. Si le madère et le vin de Cette, vinés à 18 et 22 p. 1vo d'alcool, sont très-bons pour nous aussi bien que pour les Anglais, c'est cependant à la condition que l’on en boira un ou deux petits verres par repas, parce que dans ces vins la qualité excitante pré- domine. L’Anglais en supportera un peu plus que le Français, je le veux bien, par raison de race et de climat, mais il n’en fera pas sa boisson habituelle. Ce qu'il faut tenter, c'est de porter à bas prix sur la table de l’ouvrier, comme sur la table du lord d’An- gleterre, le vin de France aliment, c’est-à-dire le vin naturel, celui dont Dieu a largement gratifié le beau pays de France. Alors les débouchés seront immenses. Quelle est la condition expresse de cette extension du commerce des virs français? C’est qu'ils puissent voyager sans tourner, sans s’aigrir, sans devenir amers ou Jilants, alors même qu'ils ne seront pas vinés. Jusqu'à preuve du contraire, je crois avoir indiqué l’une des solutions de ce problème important. Vous voudrez bien excuser, Monsieur le Rédacteur, la longueur de cette lettre. Je m'aperçois què j'aurais encore bien des ques- tions de détail à traiter. Jen suis averti par les lettres qui me parviennent et les questions que l’on m'adresse. Ainsi je reçois, à l'instant où j'écris ces dernières lignes, une lettre où je trouve les trois questions suivantes : 1° Quel est le degré de chaleur {minima) auquel doit être sou- mis le vin en bouteilles? APPENDICE. 237 2° Combien de temps faut-il chauffer le vin? 3° Cette opération peut-elle être exercée sur des vins en bou- teilles depuis deux ou trois ans, et dans lesquelles les dépôts flot- tants et les parasites commencent à se montrer? Peut-on espérer arrêter la maladie et la guérir sans retour par le chauffage ? Voici mes réponses à chacune de ces questions : I. Chauffez de 50 à Go°. Pour connaître la température du vin, placez parmi les bouteilles, bien bouchées et ficelées, une ou plusieurs bouteilles pleines d'eau avec thermomètre, dont la boule plonge dans l’eau de ces bouteilles. La température du thermo- mètre sera la température du vin. Retirez les bouteilles; frappez sur les bouchons pour les renfoncer, après que le refroidissement et la contraction du liquide seront suffisants; enlevez la ficelle ; mastiquez ou ne mastiquez pas, comme bon vous semble. Les bou- teilles peuvent être conservées debout. Jamais les bouteilles ne se brisent, lors mêmes qu'elles sont remplies de vin jusqu'au bouchon. IL. 11 n’y a pas à se préoccuper du temps pendant lequel il faut chauffer le vin. Le temps n'entre pour rien dans le procédé. I suffit que le vin atteigne le degré voulu de température, ne füt-ce qu'une minute. Si l'on opère avec une étuve à air chaud, il faudra, pour atteindre ce degré, d'autant plus de temps qu'il y aura plus de bouteilles à chauffer. Si l’on opère au bain-marie, dès que l’eau du bain qui entoure les bouteilles, et qui s'élève jusqu'à la cordeline , a atteint 80 ou 90°, il ne faut guère qu’une demi-heure ou une heure pour que toutes les bouteilles soient convenablement chauffées. IL. L'opération réussit sur tous les vins en bouteilles; mais il n’est pas très-convenable de la pratiquer lorsqu'il y a déjà des dé- 238 ÉTUDES SUR LE VIN. pôts. Il vaut mieux commencer par dépoter le vin, et pratiquer le chauffage sur les nouvelles bouteilles. Si le vin est malade, la maladie s'arrêtera au point où elle est, sans plus jamais reparaitre ; mais le vin ne sera pas guéri. Le pro- cédé prévient les maladies, il ne les guérit pas. Néanmoins, lors- que je l'ai pratiqué sur des vins déja malades, ils ont toujours été meilleurs après le chauffage. Les vins malades sont généralement saturés de gaz acide carbonique, dont la plus grande partie s’é- chappe par l'élévation de température. Une autre lettre me demande si les vins communs peuvent su- bir avec profit le chauffage préalable. J'ai répondu indirectement tout à l’heure à cette question. Mais je dois ajouter que le com- merce des vins en bouteilles dans les grandes villes, telles que Paris, pourrait très-utilement pratiquer cette opération. Il ne faut pas plus de deux ou trois Jours, en été, pour que les petits vins de coupage de Paris se couvrent de fleurs. Le chauffage les rend inal- térables, non-seulement dans les bouteilles pleines, que l’on peut garder indéfiniment dans un appartement et debout, mais ils ne s’altèrent que très-rarement en vidange. Le commerce de détail chez les marchands de vins de Paris pour- rait sans doute tirer un parti utile de ce même procédé. Pendant les chaleurs de l'été, le vin tiré par portions au tonneau s’aigrit sou- vent, ‘pour peu que la totalité du vin du tonneau ne soit pas dé- bitée en deux ou trois jours. Si le vin a été chauffé, il ne s’altérera pas. est facile de donner de l'air à un tonneau, sans craindre d'y introduire les germes du mycoderma aceti. Voici un moyen simple dont je me suis servi. On dirige un trait de flamme près de la bonde, on enfonce un poinçon dans la flamme à l'endroit chauffé, puis dans le trou fait par le poinçon, on introduit un tampon d'amiante qui a passé dans le jet de flamme. De cette manière, c’est de l'air brülé qui rentre dans le tonneau au moment où l'on APPENDICE. 239 fait un trou dans la douve, et ultérieurement l'amiante arrête les poussières qui sont en suspension dans l'air, du moins en pres- que totalité. Veuillez agréer, Monsieur le Rédacteur, l'assurance de ma con- sidération la plus distinguée. L. PasrTeur. Membre de l'Académie des Sciences. é Post-Scriptam. — Le 26 octobre 1865, j'ai reçu la visite de deux personnes, dont la compétence en matière de vins est très- connue de tous les principaux négociants de Paris !. Elles ont bien voulu, à ma demande, déguster les cinq sortes de vins suivants ? : I. Vin d'Arbois, bon ordinaire de 1863: bouteilles chauffées à 75° le 5 avril 1865; bouteilles du même vin non chauffées. IL. Vin de coupage acheté à l’entrepôt de Paris : bouteilles chauffées, le 11 juin 1865, à 65°; bouteilles du même vin non chauffées. HI. Vin du Cher, vieux, acheté à l’entrepôt de Paris : bouteilles chauffées, le 11 juin 1865, à 65°; bouteilles du même vin non chauffées. IV. Vin de Pomard de 1863, livré par M. Marey- Monge bouteilles chauffées à 60°, fin juillet; bouteilles du même vin non chauffées. V. Vin de Gevrey-Chambertin de 1859, acheté chez le pro- 1 MM. Hemmet et Teissonnière. ( Voir le rapport de la Commission du commerce des vins en gros de Paris.) ? Ce sont les vins dont il a été déjà question à la page 137. 240 ÉTUDES SUR LE VIN. priétaire au prix de 5 francs la bouteille : bouteilles chauffées le 16 mai à 65°; bouteilles du même vin non chauffées. Voici l'appréciation des experts : Vin d’Arbois. — Le chauffé est supérieur au non chauffé. Pas de différence sensible dans la couleur. Elle est plus vive dans le vin chauffé. Pas de dépôt sensible ni dans l’un ni dans l’autre. ‘Vin de coupage. — Le chauffé est supérieur au non chauffé. Même nuance de couleur, mais plus vive dans le chauffé. Déjà dé- pôt faible, mais sensible dans le vin non chauffé. Pas du tout de dépôt dans le chauffé. La bouteille, retournée et agitée, offre le vin aussi limpide qu'auparavant. Vin du Cher. — Le chauffé est supérieur au non chauffé. Même nuance de couleur dans tous deux, mais elle est plus vive et plus agréable dans le chauffé. Pas du tout de dépôt dans le chauffé. I commence dans le non chauffé assez pour troubler légèrement le vin lorsqu'on retourne et qu'on agite la bouteille. Vin de Pomard. — Le chauffé est supérieur au non chauffé. La couleur est la même, mais toujours plus vive dans le chauffé. La limpidité du vin chauffé est parfaite, pas encore de dépôt du tout. Le non chauffé offre un dépôt considérable et flottant qui, examiné au microscope, montre des fils très-longs, d’autres très-petits, et enfin des granulations sphériques. Il a un goût L . A . . d’amertume qui ne se retrouve que très-faiblement dans le vin chauffé. Vin de Chambertin. — Limpidité très-grande et même couleur dans les deux cas. Autant de finesse et autant de bon goût dans le chauffé que dans le non chauffé, avec légère maigreur de plus dans le chauffé, APPENDICE. 241 Ces mêmes vins seront dégustés dans les années suivantes, au- tant que cela sera possible par les mêmes personnes, et je m'em- presserai de faire connaître le résultat. Ces vins étaient tous en bouteilles, L'outillage pour le chauffage en fûts m'aurait entrainé à de grandes dépenses; aussi n'ai-je fait encore qu'un petit nombre d'expériences afin de me convaincre que l’on pouvait chauffer au bain-marie les tonneaux cerclés en fer, sans les détériorer. Quant à la manière dont le vin se com- portera et à la rapidité plus ou moins grande de l'oxydation des principes du vin, d'où résulte, selon moi, son vieillissement, je n'ai que des inductions tirées de ce qui se passe pour le vin en bouteilles. Or, nous venons de voir que des vins, ordinaires ou grands vins, qui ont déjà cinq ou six mois de séjour en bouteilles après l'opération du chauffage, ont été jugés meilleurs que les mêmes vins qui n'avaient pas été chauflés. Le vin, du moins dans les six premiers mois après le chauf- fage, a donc vieilli sûrement en bouteilles. Bien qu'en füts le vieillissement doive être beaucoup plus rapide qu'en bouteilles, d’après les principes que j'ai posés, il est vraisemblable que l'amé- lioration du vin y sera graduelle également. J'ai fait déguster par les mêmes personnes les vins blancs vieillis en moins d’un mois par l’action directe de l'oxygène et du soleil, auxquels j'ai fait allusion dans ma lettre, et le résultat a dépassé mon attente. Car ces vins, qui étaient de la récolte de 1864, ont été jugés avoir plusieurs années d'âge, un goût et un bouquet de madère très-sensibles, et, de mon côté, par des expériences par- ticulières, j'ai reconnu l'impossibilité en quelque sorte de faire altérer ces vins. Dans certains cas, pour les vins rouges sucrés notamment, c'est le goût des vins de Rancio qui se développe. J'ai préparé, par ces nouveaux procédés, des vins de liqueur qui m'ont paru avoir les meilleures qualités et qui sont tout à fait 16 242 ÉTUDES SUR LE VIN. inaltérables. L'étude des produits d'oxydation qui se forme dans les circonstances dont je parle sera fort intéressante. Je l'ai com- mencée, et déjà Je me suis assuré qu'outre la matière colorante les acides et le sucre prennent part au phénomène dans une pro- portion très-sensible. Enfin, J'ai fait constater, par les mêmes experts, que tous les vins non chauflés dont j'avais maintenu les bouteilles debout étaent couverts de fleurs, et que pas une seule des bouteilles des mêmes vins qui avaient été chauffés, il y a plusieurs mois déjà, n'avait la moindre pellicule dans le goulot. Dans mes communi- cations à l’Académie, j'ai insisté sur la résistance remarquable des vins chauffés à l’altération, même par la vidange. Prenez dix bou- teilles de vin chauffé, videz-les à moitié, replacez leurs bouchons et abandonnez-les à elles-mêmes; la plupart ne se couvriront pas de fleurs et ne s'aigriront pas. Les germes du mycoderma vini et du mycoderma aceti (voir mes publications antérieures sur les effets de ces fleurs) ne sont pas assez répandus dans l'air pour que l'expérience dont je viens de parler n’ait pas le résultat que j'in- dique; mais le fait de non altération n'est pas général, et il y aurait danger dans certains cas à exposer sans précautions au con- tact de l'air le vin qui a été chauffé. Les germes des autres mala- dies des vins doivent être plus rares encore dans l'atmosphère, et, partant il ne serait pas impossible qu'avec quelques soins con- venables on püt utiliser des modes de chauffage dans des chau- dières ou dans des cuves, et transporter le vin, après le chauf- fage, dans des tonneaux préparés pour le recevoir. L'industrie pourrait tenter, par exemple, de transformer l'outillage des pra- tiques du vieillissement de Mèze en outillage pour procédé de conservation. J'ai la satisfaction d'ajouter, en terminant, qu'une Commission va s'occuper, à ma demande, d'étudier et de reproduire, avec un soin tout particulier, mes expériences et leurs résultats. La com- ; APPENDICE. 243 pétence et l’honorabilité de cette Commission seront reconnues et acceptées par tout le monde dès que les noms et la qualité de ses membres seront divulgués. Il est inutile de les faire connaître présentement !. EXTRAITS DE LA 1° ET DE LA D° EDITION DU TRAITÉ DES CONSERVES, DE M. APPERT. Dans la première édition de son Traité des conserves alimen- taires, Appert ne cite aucune expérience faite en vue de conserver les vins par l'application de sa méthode. Il ne parle que de la conservation des moûts de raisin et de la possibilité de préparer avec ce moût, en toute saison, des vins mousseux. Cependant, lorsqu'il énumère, à la fin de sa brochure, tous les avantages de son procédé, sa confiance est si grande qu'il ajoute : «..... 6° Cette méthode facilitera l'exportation des vins de plusieurs vignobles. En effet, des vins qui peuvent à peine sup- porter un an, et encore sans déplacement, pourront être envoyés à l'étranger et se conserveront plusieurs années. » Dans une des éditions subséquentes de son Traité, il ne se borne plus à une assertion sans preuves, il rapporte en ces termes une expérience faite sur du vin de Beaune : « Une maison de Beaune, avec laquelle j'entretenais des rela- tions, me pria de chercher les moyens de conserver les vins de ce cru pendant les longs cours, et elle eut soin d'accompagner sa prière d’un panier de bouteilles consacrées aux expériences. Animé du noble désir d’être utile à mon pays, et toujours plein de confiance dans les effets du calorique, je me mis au travail, et ne tardai pas à trouver la solution du problème. Voici comment je l'obtins : « Les bouteilles que l’on m'avait envoyées étaient mal bouchées ! Je faisais ici allusion à la Commission du commerce des vins en gros de Paris, dont on a lu précédemment le rapport. 244 ÉTUDES SUR LE VIN. et trop pleines, j'en retirai un peu de vin, de manière à laisser un vide de trois centimètres {un pouce) dans le goulot; je les re- bouchai hermétiquement et les ficelai de deux fils de fer croisés. Après quoi je les mis dans le bain-marie, dont je n’élevai la cha- leur que jusqu'a 70 degrés, dans la crainte d’altérer la couleur. « Quinze jours après, j'envoyai à un de mes commettants du Havre douze bouteilles de ce vin, avec l'invitation d’en confier à plusieurs capitaines de navires pour qu'ils leur fissent essayer le long cours et me les rapportassent ensuite pour en faire la dégus- tation. « Afin de les comparer au retour, j'eus le soin de conserver par devers moi une certaine quantité de bouteilles auxquelles j'avais fait subir la même opération qu’à celles que je faisais embarquer, el, pour second terme de comparaison, j'en mis de côté quelques- unes, telles que je les avais reçues de Beaune. «J’attendis plus de deux ans le retour de mes bouteilles; de six que mon commettant avait expédiées au long cours, deux seules revinrent de Saint-Domingue. Très-curieux, comme on se l’ima- gine bien, de connaitre le résultat d’une expérience aussi impor- tante, je m'empressai de soumettre une de ces bouteilles à la dé- gustation d’un habile connaisseur. Il la compara aux deux autres, savoir, une qui était restée dans la cave de mon correspondant du Havre, et qu'il venait de me renvoyer récemment; et une autre, de celles que j'avais conservées intactes. Le résultat de cette triple comparaison fut extraordinaire : il démontra que ce vin, originai- rement le même, présentait trois qualités essentiellement diffé- rentes. « La bouteille conservée chez moi, et qui n’avait pas subi la pré- paration, avait un gout de vert très-marqué; le vin renvoyé du Havre s'était fait et conservait son arome; mais la supériorité de celui revenu de Saint-Domingue était infinie, rien n'égalait sa finesse et son bouquet; la délicatesse de son goût lui prêtait deux \PPENDICE. 245 feuilles de plus qu'a celui du Havre, et au moins trois de plus qu'au mien. Un an après j'eus la satisfaction de réitérer cette ex périence avec le même succès. » J'ai déjà fait remarquer qu'Appert ne prouve pas ce qu'il avance. Les deux bouteilles demeurées en France ne s'étant pas altérées, aux termes mêmes de sa relation, et n'ayant fait que rester inférieures en qualité à celles qui avaient subi le voyage de Saint-Domingue, on a dù attribuer à l'influence du voyage les différences qu'il avait constatées. Ce doit être la cause de oubli dans lequel ont été laissés les essais d'Appert. SUR LA MALADIE DE L’AMERTUME DES GRANDS VINS DE BOURGOGNE, LETTRE DE M. DE VERGNETTE-LAMOTTE À M. PASTEUR. Beaune, 27 avril 1864. Monsieur, J'ai lu avec un vif intérêt les deux études sur les vins que vous venez de publier !, et vous voudrez bien me permettre de vous adresser à ce sujet quelques observations. Dans votre travail sur les maladies des vins, vous décrivez celle qu’on désigne sous le nom d'amertume ou goût de vieux, et vous donnez les formes qu'affecte le ferment particulier que vous avez découvert dans les vins amers. Les vins que vous avez surtout observés sont les vins du Jura. Dans la Côte-d'Or, nous récoltons deux sortes de vins; on ob- lient les uns avec le pinot; ce sont eux qui ont valu à la Bour- gogne la haute réputation de ses produits; les autres sont faits 1 M. de Vergnette fait ici allusion à mes communications à l'Académie des sciences du 7 décembre 1 $63 et du 18 janvier 1 864. 246 ÉTUDES SUR LE VIN. avec les raisins du gamaï, et entrent comme vins ordinaires dans la consommation. Si je donne ces détails, c’est que je trouve, Monsieur, que vous avez parfaitement raison de commencer le compte rendu de vos travaux par la description des vins sur lesquels vous avez opéré, et ici il sera bien entendu que ce que je dirai s’'appliquera seule- ment aux vins de pinot de la Côte-d'Or. Voyons quels sont les caractères que présentent les vins qui menacent de tourner à l'amer. D'abord, nous distinguerons deux sortes d’amertume dans les vins : la première, celle qui les atteint de la deuxième à la troi- sième année de leur âge, et l’autre, que l’on rencontre dans les vins très-vieux; cette dernière maladie à laquelle on peut plus spé- cialement donner le nom de goût de vieux, est loin de présenter autant de gravité que la première, en ce sens que les vins qu'elle atteint ont été et sont restés bons pendant de longues années, tan- dis que l’amertume proprement dite altère et détruit même com- plétement le vin dans ses premières années. Au début du mal, le vin commence par présenter une odeur sui generis; sa couleur est moins vive; au goût on le trouve fade; nos tonneliers disent que le vin doucine; la saveur amère n’est pas encore prononcée, mais elle est imminente si l’on n’y prend garde : tous ces caractères ne tardent pas à augmenter rapidement; bientôt le vin devient amer, et on reconnait à la dégustation un léger goût de fermenta- tion dù à la présence de quelques traces d'acide carbonique. En- fin, la maladie peut s’aggraver encore, la matière colorante s'al- tère complétement, le tartre est décomposé, et le vin n'est plus buvable. Il n’est pas nécessaire que les symptômes du mal soient aussi avancés que nous venons de le dire pour que nos vins perdent une grande partie de leur valeur. Que le bouquet soit altéré, que la franchise ne soit pas entière, et voilà un vin qui valait APPENDICE. 247 500 francs la pièce, et qui n'en vaut plus que 100; et une bou teille de Romanée qui, payée 15 francs, vaudra à peine 1 franc, L'amertume des vins est donc la maladie qui fait le plus de tort aux grands crus de la Bourgogne, où mieux aux vins rouges de pinot de la Bourgogne et de la Champagne. L'amertume est pour nous la maladie organique des vins de pinot. C'est, du reste, la seule qu'ils aient à redouter. Nous ne connaissons ni la fermenta- tion acéteuse des vins du Midi, ou de la côte du Rhône, ni la sécheresse acide des vins de Bordeaux, ni la graisse des vins mous- seux de la Champagne. Quelles peuvent être les causes de cette maladie? Qu'a-t-on fait jusqu'à présent pour la prévenir? Quels moyens emploie-t-on pour guérir les vins malades? Comme on l’a dernièrement constaté pour les vins de Beaujo laisen 1839, la Bourgogne à eu des récoltes qui ont eté, on peut dire, presque en entier perdues par cette maladie. Si nous remontons jusqu'en 1822, nous trouvons que, dans les années 1822-1833-1838-1008-1861, quelques vins ont tourné à l’'amer; mais c’est surtout sur les 1840 et les 18/42 que la mala- die a le plus sévi. On remarque que les vins de 1825-1832-1814- 1846-1847-1849-1854-1856-1862, vins durs et très-chargés de tartre et de tanin, n’ont jamais souffert; que des vins au-dessous du médiocre, comme les 1860, se sont toujours conservés — mau vais il est vrai; — qu'il en a été de même des 1845, des 1853, etc. vins très-acides au gout. La richesse alcoolique du Vin ne semble pas avoir une grande importance dansla question. Lorsqu'on essaye un vin ,on recherche sa teneur en alcool, le poids de la matière extractive, le poids des cendres; nous dosons encore au moyen de liqueurs titrées la quan- tité d'acide libre que contient le vin; enfin on note si le vin esl très-coloré ou s'il l'est peu. Je parlerai encore ici d'un autre genre d'observation qu'on ne 248 ÉTUDES SUR LE VIN. saurait passer sous silence dans la question. J'attache une très- grande importance aux faits que je vais signaler, parce que pour noi ils décident du moment de la vendange. Chaque année je note avec soin sur mes livres quel est l’état du raisin le jour où je le récolte; dans les jours qui précèdent, j'examine avec atten- tion quelle est la maturation du fruit, s’il est sain, figué, dessé- ché, pourri, si les baies sont ouvertes par la grêle ou les insectes, si le cep est ou non privé de ses feuilles, si ces feuilles ont eu ou n'ont pas eu le rougeot, etc. C’est surtout le matin, un peu avant le lever du soleil, que l’on peut reconnaître aisément les altéra- tions que le grain peut présenter; enfin, chaque jour à midi, je prends dans la vigne la densité du moût. Eh bien! si, nous servant de ces observations, nous recherchons si l'état du raisin au moment de la récolte à pu être pour quel- que chose dans la durée du vin qu'il a produit, nous reconnais- sons que l’amertume n’a pas attaqué les vins dont les raisins ont été récoltés très-sains. Au contraire, la grêle en 1840, la pluie en 1842, avaient ouvert une grande partie des baies du fruit. En 1861, les ceps, à la vendange, étaient entièrement privés de leurs feuilles; enfin, généralement les vins les plus menacés sont ceux qui ont été récoltés après un été à la fois très-chaud et très- sec, suivi d’un automne pluvieux. Nous avons encore trouvé que, dans certaines conditions, les vins très-colorés ou très-riches en matières extractives sont plus disposés que d’autres à tourner à lamer. Ainsi, si le vin est à la fois coloré et dur (vins de 1844), il possède une santé à toute épreuve; s’il est coloré et fin {vin de 1842), c'est tout le contraire qui arrive. Enfin, des vins riches à la fois en matière extractive, en matière colorante et même en alcool (comme les 1858), ont pu quelquefois devenir malades, mais cela tient alors, comme nous l'expliquerons, à l'oubli des premiers principes de l'hygiène des vins. APPENDICE. 249 Dans la première phase du mal, l'alcool, le tartre et la matière extractive ne paraisssent pas subir d’altération, la couleur seule est sensiblement changée. Nous devons encore remarquer que les vins blancs ne tournent jamais à l'amer. . = Peut-on, par la discussion de ces données, découvrir dans quelle proportion le vin doit, pour qu'il puisse se conserver, ren- fermer les divers éléments dont il se compose? Recherchons enfin quel est celui de ces éléments qui s’altère le premier dans la ma- ladie de l'amertume. Dans un des mémoires que j'ai publiés sur l'œnologie, j'ai sup- posé qu'au point de vue de sa coloration le vin se comportait comme les matières textiles. On y trouve en effet le mordant (qui est le tartre), la matière colorante, et le corps à colorer, qui est l'eau alcoolisée. J'ai reconnu depuis longtemps que, toutes les fois que la malière colorante n'était pas en proportion avec le mor- dant, pour les vins comme pour les matières textiles, la couleur ne tenait pas. Je relaterai maintenant l'expérience que voici : lorsque, après avoir pressé un certain nombre de grains de raisin rouge, de ma- niére à expulser au dehors toute la partie charnue de la baie ainsi que les pepins, et les avoir lavés à plusieurs reprises à leau froide, on fait digérer dans l'alcool les pellicules de ces grains, on obtient une solution d’un beau rouge rubis vineux; en laissant cette solution alcoolique exposée à la lumière diffuse, elle ne tarde pas à se décolorer. L'alcool conserve une légère nuance jaune, et au fond du flacon se trouve une substance d'un blanc grisàtre qui résulte de l’altération de la matière colorante. C'est à la suite de ces données, et fort de toutes ces observa- tions, que j'ai depuis longtemps considéré le premier degré de l'amertume des vins {le seul qui intéresse la Bourgogne) comme le résultat de l'oxydation de la matière colorante, et vous allez 250 ÉTUDES SUR LE VIN. voir, Monsieur, comment un raisonnement que Je crois vrai m'a conduit à indiquer comme moyens préservatifs du mal, et comme remèdes, des procédés qui se trouvent aujourd’hui peu d’accord avec votre théorie de l'emploi de l'oxygène dans la vinification et le traitement des vins. L'oxydation de la matière colorante du vin étant la cause pre- mière de amertume, j'ai demandé que le vin fût méché à chaque soutirage, que les caves fussent fermées aussi hermétiquement que possible; on doit y pénétrer peu souvent, et nos tonneliers y brûlent du soufre avant de les fermer; mais tous les éléments de la question n'étaient pas là, vous l’avez démontré. Il se trouve dans nos vins menacés un infiniment petit avec lequel je n'avais pas compté, c’est ce ferment (fig. n° 7 de votre mémoire) qui, lors- qu'il prend vie, donne naissance à des produits nouveaux, dont lun, l'acide carbonique, se forme aux dépens du carbone de la matière colorante et de l'oxygène de. du tartre, peut-être ! ? J'étais plus dans le vrai lorsque je recommandais les remplis- sages et soutirages répétés; cependant comme, soit pour ce der- nier motif, soit pour d'autres, j'ai depuis longtemps, mais grâce à une grande surveillance, il faut l'avouer, réussi à soustraire mes vins aux atteintes de la maladie qui nous occupe, je donnerai un rapide exposé des procédés de vinification que j'emploie et des soins que les vins reçoivent dans mes caves. Lorsqu'à la vendange le raisin est sain, que la baie n'est pas ouverte, qu'il n'y a ni grains pourris, ni grains brülés, lorsqu'on trouve dans les fruits de la vigne, comme le voulaient nos pères, pour faire du grand vin, du figué, du mür et du vert, le vin que l'on obtient de sa récolte est dans les meilleures conditions pour faire du vin de conserve; cependant, comme quelquefois, dans ce ! J'avais bien, depuis longtemps, reconnu ce fait de fermentations secondaires {mémoires publiés en 1845 , p. 100, 141,142, 143), mais vous en avez donné une cause qui en explique mieux tous les phénomènes. — Note de M. de Vergnette. APPENDICE. 251 cas (années 1834, 1842, 1846, 1858, 1839), il renferme une grande proportion de matière extractive, on ne devra pas le tirer en bouteilles aussitôt que des vins moins mürs, et il faudra s'as- surer, avant le tirage, qu'il ne fait plus dans le fût qu'un dépôt insensible. Lorsqu'il s’agit de vins très-chargés de tartre, comme les 1854, ou très-verts, comme les 1860, on n'aura point de craintes à con- cevoir sur l'avenir de ces vins. Mais si les raisins ont été mouillés à la vendange, s'ils ont souf- fert pendant l'été, si les baies ont été ouvertes par la grêle, etc. oh! alors, nous savons par une longue expérience qu'un vrai danger peut menacer notre récolte. Alors on peut prolonger la durée du cuvage; quelques œnologues conseillent le vinage. L'ad- dition par pièce de vin de 3 à 4 litres d'eau-de-vie blanche de Cognac à 65° leur a toujours réussi. Depuis longtemps, comme moyens préventifs, nous avons em- ployé la congélation artificielle. Ce procédé nous a toujours donné d'excellents résultats, et jamais nous n'avons vu tourner à l'amer des vins qui avaient été gelés avec les soins convenables. C'est un fait aujourd’hui si généralement reconnu en Bourgogne, que l'usage de mes appareils est très-répandu, et cet hiver, une seule de nos maisons de commerce de la Côte-d'Or a fait geler, en les employant, plus de 1,500 hectolitres des plus grands vins de notre côte. Le principe de conservation que les vins acquièrent par la gelée est tel qu'à Lyon, par exemple, où les vins de Bour- gogne se conservaient mal dans les caves, on peut en boire d'ex- cellents qui ont passé des étés et des hivers dans des meubles de salle à manger. M. Boussingault et M. Chevreul ont bien voulu, à la Société impériale d'Agriculture, prendre la défense de mes procédés, qui, évidemment, sont les plus permis, puisqu'ils n’en- traînent l'introduction dans le vin d'aucune substance étrangère. Sans entrer dans l'examen des changements organiques que la 252 ÉTUDES SUR LE VIN. congélation détermine dans les vins, nous dirons que ce travail leur enlève de l'eau, et qu’en définitive ils présentent une grande limpidité et contiennent plus de tartre, d'alcool et de tanin. Je vous ai dit, Monsieur, que j'avais aussi employé ke cuvage prolongé comme moyen préventif de lamertume, et voyez com- bien il faut, dans cette question si complexe des vins, se rendre compte des moindres changements apportés dans la manière de les faire. M'e Gervais avait recommandé le cuvage en vases clos, en indiquant qu'on arrivait ainsi à empêcher une grande déper- dition dans le bouquet et l'alcool. On reconnut bien vite que Pap- pareil Gervais ne servait à rien à cet endroit, et on l’abandonna. Je fis comme tout le monde, et cependant, plus tard, je suis re- venu au cuvage en vases clos, mais cette fois parce que je recon- nus qu'avec ce procédé le chapeau n'était jamais altéré, et aussi que ce procédé me permettait de prolonger de beaucoup la durée du cuvage. M. Ladrey dit avec raison qu'on a trouvé de grands inconvénients dans le Jura et ailleurs aux longs cuvages; il n’en serait pas de même si l’on eùt opéré en vases clos. Il y a deux manières de faire cuver les vins en vases clos, ou en laissant une partie des fruits tels qu'ils sortent de la vigne, et alors il se produit là un fait de maturation reconnu depuis long- temps par M. Sampayo, ou bien encore en écrasant tous les rai- sins avant l’'encuvage; dans le second cas, si le vin est moins riche en alcool, il l’est davantage en tanin : cela se conçoit aisément. On devra encore très-fréquemment séparer les vins de leurs dépôts. En Bourgogne, les vins nouveaux sont soutirés trois fois dans la première année; la première fois au mois de mars, la se- conde au mois de mai ou de juin, et la troisième à la fin d'août. Ce dernier soutirage n’avait lieu jadis qu'au mois de septembre ou d'octobre. J'ai contribué à en faire devancer l’époque, parce que j'ai reconnu que les vins étaient souvent en septembre atteints d’une fermentation secondaire qui pouvait altérer leur goût. Ja- \PPENDICE. 2953 jouterai encore que les vins de pinot (année 1861) qui ont été mélangés avec un quart de vin de syrral, où un quart de vin de gamai 1858, ont parfaitement résisté à l'action du ferment de l’amer. Plus tard, nos vins, jusqu'au moment où on les met en bou- teilles, reçoivent encore deux soutirages par an, ceux de mai et d'août. J'ai déjà dit que je conseillais de ne mettre les vins en bouteilles que lorsqu'ils faisaient peu de dépôt dans le fût. Le mois que je préfère pour la mise en bouteilles est le mois de juillet. L'usage de boucher plein et à l'aiguille se généralise; c'est un grand progrès. Enfin, Monsieur, nous avons, lorsque le vin est en bouteilles, à étudier la forme qu'affecte le dépôt qu'il y fait. Si au bout d’un an ce dépôt est à peine sensible, s'il est fixé, s'il a la forme d’une lentille, et si des deux extrémités de cette lentille partent des lignes se rendant, lune au fond, l’autre au col de la bouteille, et si, en même temps, la bouteille se masque lé- gerement, on peut être assuré que le vin est dans de bonnes con- ditions, et l’on peut lui prédire une brillante longévité. Mais si le dépôt prend d’autres formes, celle, par exemple, que nos tonne- liers appellent cul de poule, si le dépôt est abondant, gras et peu fixe, dans ce cas on doit faire la plus grande attention à ce vin; sa santé est très-sérieusement menacée. Un dépotage fait avec soin, et le bouchage à l’aiguille suffisent quelquefois pour rétablir le vin; d'autres fois 1l faut le remettre en füts. Je ne puis, Monsieur, dans cette lettre déjà trop longue, vous dire tous les soins que réclame la direction de nos caves, cepen- dant vous saurez encore que chaque mois on remplit nos grands vins; le déchet annuel peut être de 9 à 10 litres par pièce de 228 litres. I se fait un vide sous la bonde; les gaz qui s’y réunis- sent sont rarement en équilibre avec la pression atmosphérique. Dans les vins vieux, la pression intérieure est plus faible que la pression atmosphérique, c’est le contraire dans les vins nouveaux. 254 ÉTUDES SUR LE VIN. Les gaz du tonneau contiennent de l'azote et de l'acide carbonique; la proportion de ces gaz varie avec l'age et la santé du vin. Je vous ai dit que je faisais brûler du soufre dans mes caves. À ce sujet, je citerai un fait d’endosmose très-remarquable. Ayant fait une fois brüler des réchauds de charbon de bois dans une cave très-bien close, l'acide carbonique, absorbé par le vin, lui donna un goût particulier {celui des vins qui ont séjourné dans une outre), et ce goût se retrouva même dans quelques bouteilles. Nous savons d’ailleurs que, si l’on conserve dans une même cave des légumes, des choux, par exemple, et des vins, la franchise du vin est promptement altérée. Un autre fait très-curieux et du même ordre est celui-ci : ayant un cellier qui se trouve placé sous de vastes magasins à fourrages, j'ai souvent remarqué qu'au moment de la récolte des foins il s’établissait un mouvement de fermen- tation très-sensible dans les vins communs que j'y conservais. Si, avec les soins que je viens d'indiquer rapidement, Je suis arrivé à préserver mes vins de la maladie de amer, il faut encore dire quels sont les moyens que je conseille pour guérir les vins qui en sont atteints. Si le mal est profond, un coupage avec des vins plus communs permet d'utiliser les vins amers, mais toute- fois après les avoir déclassés. Si la maladie est récente et dans sa première période, on peut la guérir en mélangeant le vin malade avec un vin plus jeune et plus dur; ce coupage devra d’ailleurs être suivi de l'emploi de la congélation artificielle. Vous voyez, Monsieur, que tous les moyens que j'indique pour le traitement des vins menacés où malades sont des moyens em- piriques qui ne sont en rien basés sur les causes connues du mal. Il ne pouvait en être autrement. Ces causes, Monsieur, vous les avez trouvées, et, permettez-moi de vous le dire, vous devez à la France viticole un travail sur le ferment de l'amer aussi complet que celui que vous avez publié sur la fermentation alcoolique. Je viens de relire ce remarquable travail et vous ne sauriez APPENDICE. 255 croire, Monsieur, combien pour la fermentation des cuves vous nous dévoilez de faits dont l'explication nous échappait. Ainsi, pour n'en citer qu'un, depuis vingt ans j'avais remarqué que jamais l'alcool du vin ne correspondait à la quantité de sucre, soit organique , soit additionné, que contenait le moût. Vous avez trouvé dans le vin la glycérine et l'acide succinique; maintenant la glycérine ne nous donnera-t-elle pas plus tard de l'acide buty- rique et ne trouverons-nous pas là l'explication de ce goût rance que présentent certains vins vieux ? Je vous envoie avec cette lettre des photographies obtenues en 1858 par Bertch; ne trouvant pas que l'analyse des vins nous ap- prit souvent grand’chose sur eux, puisque des vins qui contiennent à peu près les mêmes sels ont une grande différence de valeur, je les étudie depuis longtemps au microscope, et, en 1858, J'eus l'idée de faire photographier les préparations microscopiques de mes vins. Vous verrez dans le n° 3 des traces de vos ferments !; mais je ne me préoccupais que des formes cristallines des sels. Ces traces de végétation microscopique que j'avais signalées de- puis 1845 (mémoire sur la vinification, page 112) ne me parais- saient pas mériter l'importance que vous leur avez reconnue. Vous avez trouvé là les causes premières de toutes les modifications qu'éprouvent ces liquides, qui, comme vous le dites si bien, sont toujours en mouvement; ce qu'il nous faut aujourd’hui, c'est d'être guidés par le raisonnement seul dans toutes les opérations que demande le traitement des vins dans les caves. Alors plus de vins malades, et vous aurez donné des millions à la France. ! I n'en est rien. J'ai fait voir depuis à M. de Vergnette au microscope les fer- ments des maladies des vins, et il a reconnu que ce qui lui paraissait être un in- dice de la présence des ferments était un amas de granulation de matière cole- rante. M. de Vergnette faisait ses essais en laissant évaporer une goutte de vin sur une lame de verre, et en examinant ensuite le dépôt formé. Celui-ci ne pouvait contenir que des cristaux de tartrates et de la matière colorante. C’est en effet ce que montrent les photographies dont parle M. de Vergnette. 256 ÉTUDES SUR LE VIN. . Si cette lettre peut avoir quelque intérêt pour vous, je vous de- manderai la permission de vous entretenir une autre fois de l’ac- uon de l'air atmosphérique sur les vins, et de la disposition que nous devons adopter pour nos caves, et aussi, Monsieur, s'il pou- vait vous être agréable d'étudier les dépôts des vins gelés, je serais tout à votre disposition pour vous en adresser des échantillons. J'en dis autant pour les autres spécimens de nos vins que vous pourriez vouloir étudier. COMITÉ CENTRAL AGRICOLE DE SOLOGNE !. SEANCE DU 10 MAI. AU CHÂTEAU IMPERIAL DE LAMOTTE - BEUVRON. On sait que le comité central de Sologne, dans sa séance d’au- tomne de 1864, avait, sur la proposition de son président, M. le sénateur Boinvilliers, voté une médaille d’or de 1,000 francs «à l'inventeur d'un procédé qui serait rendu public, et qui permet- trait aux vins de France les transports de terre et de mer, et le sé- jour prolongé, en tout pays, sans que leur goût ou leur parfum en füt altéré. » Une commission, sur le rapport de laquelle le prix devait être décerné, avait été désignée par le président : elle se composait de MM. le maréchal Vaillant, président; Dumas, rapporteur; Bron- gniart et Moll. Le comité s'étant réuni le 10 mai, au château impérial de La- motte-Beuvron, la première partie de la séance a été consacrée à la lecture du rapport de M. Dumas, que nous reproduisons en en- lier à cause de son importance pour l'avenir de la viticulture en France. l Extrait du Moniteur universel du / juillet 1866. APPENDICE 257 RAPPORT DE M. DUMAS. La question proposée n'intéresse pas seulement les vignobles de la France, mais le pays tout entier; elle touche d'aussi près la po- pulation des départements consommateurs que celle des départe- ments producteurs. Le comité nous a chargés, M. le maréchal Vaillant, MM. Bron- gniart, Moll et moi, d'examiner si, parmi les expérimentateurs actuels, il en était dont les recherches eussent conduit au but. Votre commission n'hésite pas à déclarer que les travaux de M. Pasteur, membre de l’Académie des sciences, sont dans ce cas; qu'ils ont porté la plus vive lumière sur les causes qui determinent les altérations des vins, ainsi que sur les moyens qui permettent de les combattre, pratiquement, avec certitude et avec succès; qu'en conséquence il y a lieu de lui décerner la médaille promise par le comité. En effet, M. Pasteur, à l’aide d'une série d'expériences dirigées avec le sentiment profond des lois de la nature et la connaissance exquise des moyens que la science possède pour les mettre en évi- dence, est parvenu à rendre incontestables les cinq propositions suivantes : 1° Les altérations dangereuses des vins tiennent à des causes qui se confondent avec celles auxquelles on attribue les fermenta- tions. 2° H suffit de chauffer les vins ordinaires à bo° pour faire périr les végétaux microscopiques ou ferments qui les produisent. Les fermentations et toutes les altérations dangereuses des vins, dues à ces causes, sont ainsi arrêtées ou prévenus. 258 ÉTUDES SUR LE VIN. 3° L'application de la chaleur, dans ces limites, ne modifie ni la couleur, ni le gout des vins; elle en assure la limpidité. 4° Les vins qui ont été soumis à l’action de cette température paraissent capables de se conserver indéfiniment, sans altération, en vases clos. 5° Exposés à l'air, ces vins peuvent, il est vrai, v reprendre la propriété de s’altérer, après quelque temps, mais c’est parce que l’air leur apporte de nouveaux germes vivants de ces ferments qu'ils avaient perdus par l'action de la chaleur. M. Pasteur a étudié les diverses maladies des vins; nous resu- mons les résultats de ses études : 1° Vins acides, piqués ou aigres. — Cette maladie est due à la présence du mycoderma aceti, qu'il ne faut pas confondre avec le mycoderma vini, lequel n’altère pas les vins, tandis que son con- génère y développe du vinaigre, avec le concours de l'air, et les tourne plus ou moins vite à l’acescence. 2° Vins tournés, montés, poussés. — Ils doivent leur altération à des filaments d’une extrême ténuité, qui se rapprochent ou même parfois se confondent avec les filaments du ferment lactique. Aussi M. Pasteur, d'accord avec M. Balard , a-t-il trouvé des vins altérés par la présence de l'acide lactique; mais le fait n’est pas général. Quoique ces filaments ressemblent toujours à ceux qui constituent le ferment lactique et soient composés, comme lui, de chapelets d'articles analogues à la tige du blé ou à celle des bambous, on Y reconnaît en réalité, au moyen du microscope, les signes de plu- sieurs maladies distinctes du vin, qu'on a confondues sous les mêmes noms, et qui n’ont de commun cependant que d'être pro- duites par des végétanx microscopiques analogues. APPENDICE. 299 3° Vins gras, huileux, filants. — Is doivent encore leur altéra- üon à des filaments, mais ceux-ci sont formés de chapelets de grains et non de chapelets d'articles. 4° Vins amers, vins qui ont pris le goût de vieux. — Is pré- sentent aussi un ferment. Il ressemble même sous beaucoup de rapports à celui qu'on observe dans les vins tournés, mais ses fila- ments sont plus gros et ses articulations plus sensibles. On sait que les vins sujets à tourner ne sont pas les mêmes que ceux qui passent à l’amer. Tous ces végétaux parasitaires et leurs analogues, qui n'auraient pas encore été reconnus ou distingués scientifiquement, périssent à la température de 65° ou même de 50°. En élevant le vin qu'on veut conserver à une température comprise entre 50° et 65°, on a donc la certitude que toute altération ultérieure de la liqueur, due à l’action et à la présence des végétaux vivants, devient impossible tant qu'on n'y à pas semé de nouveaux germes, soit par l'interven- tion des poussières de lair, soit par le mélange du vin ainsi préparé avec des liquides qui n'auraient pas été convenablement chauffés eux-mêmes. La température nécessaire pour faire périr les germes dans les liquides aqueux est de 100° environ pour la plupart d’entre eux; elle a même quelquefois besoin d'être élevée un peu au-dessus de ce terme quand il s’agit de liquides tres-altérables. Mais, à l'égard des vins, l'alcool qu'ils renferment favorisant par sa présence l’ac- ion purilicatrice de la chaleur, une température très-inférieure à 100° sufhit. M. Pasteur, qui avait jugé d’abord nécessaire une température de 75° a peu à peu abaissé le chiffre à 65 et à 50. Il pense qu'on pourra le descendre encore et s'arrêter vers 45°. Cette circonstance est d’un grand intérêt, car il est très-facile, au moyen des rayons solaires seuls, tombant dans une chambre fermée, contenant les 260 ÉTUDES SUR LE VIN. bouteilles, d'obtenir sans dépense une élévation semblable de tem- pérature dans toutes les parties de la France, et surtout dans le Midi. M. Pasteur s’est assuré que l'air ne joue aucun rôle dans les fer- mentations qui alterent les vins, la fermentation acétique exceptée. Mais il résulte de ses expériences que l'air agit sur les vins privés de tout ferment et que, sous l'influence de la lumière, il les dé- colore et leur communique le goût des vins de Madère. La lumière solaire directe n’agit pas sur les vins mis à l'abri de l'air. Une commission nommée par la chambre syndicale du com- merce des vins de Paris a examiné, avec la plus scrupuleuse atten- tion, les résultats obtenus par ce savant, et les a sanctionnés de son entière et concluante approbation. M. Marès, correspondant de l’Académie des sciences, vient de mettre en usage, de son côté, le procédé de M. Pasteur pour ces vins de l'Hérault, altérables, qu’on ne peut garder qu'au moyen d’additions successives d'alcool; il a constaté qu'ils se conservent très-bien, dès qu'ils ont été chauffés à 60°. Le vinage pourrait ainsi devenir une opération inutile. Le procédé de M. Pasteur promet donc aux vignerons qui cul- üvent les 2 millions d'hectares de vignes que la France possède un meilleur placement des 50 millions d'hectolitres de vin qu'ils pro- duisent. Tous ces vins peuvent, à son aide, être convertis en vins de garde ; ils deviennent propres à voyager sans altération; ils restent en vidange pendant plusieurs jours sans se troubler ou s’aigrir. Le nord et le nord-ouest de la France recevront ainsi des vins à bas prix et cependant stables. La France pourra expédier au nord du continent des vins qu'elle a dù jusqu'ici consommer elle-même sur les lieux de production. L'Angleterre surtout, recevant des vins a. APPENDICE,. 201 qui n'auront plus besoin d’être spécialement soignés, pour lesquels le séjour en cave sera moins nécessaire, et qui pourront demeurer en vidange dans l'appartement sans s’altérer, nous offrira un marché plus élastique. Toutes les personnes qui ont visité l'Angleterre ont pu s'assurer, en effet, que l'installation des habitations et les pratiques de la vie domestique auraient besoin d'être modifiées, pour que l'usage des vins légers de France , qui réclament des soins particuliers, püt s’y généraliser. Le procédé de M. Pasteur, qui rend ces soins inutiles, est donc de nature à exercer l'influence la plus heureuse pour l'extension de ce débouché. La science pure, ses méthodes les plus délicates, ses découvertes les plus stériles en apparence, inspirent aujourd'hui confiance et respect. Il n'est pas inutile pourtant de constater ici que ce pro- blème, jugé presque inaccessible, M. Pasteur, pour le résoudre, n’a rien demandé au hasard. Il a tout obtenu du raisonnement, contrôlé par une suite d'expériences indiquées par la logique et rendues décisives par leur précision. Les vues par lesquelles il éclaire si vivement lune des plus belles questions économiques, il les avait solidement établies d’a- bord dans le domaine de la théorie. Il a donc rendu, non-seulement un service positif inappréciable à l’agriculture, mais, une fois de plus, il a montré quelle est la méthode qui permet à la science de résoudre ces problèmes im- portants et complexes que l’économie rurale pose si souvent, et de- vant lesquels, livrée à elle-même, la pratique est ordinairement impuissante. Si le comité central de la Sologne décerne la médaille d'or à M. Pasteur, ce savant éminent y verra une première preuve de la reconnaissance du pays. Quand le service rendu par son génie aura atteint, par une large exploitation, les proportions d'un bienfait national, la France saura lui trouver une récompense ; mais la mé- 262 ÉTUDES SUR LE VIN. daille que vous lui votez aujourd'hui rappellera que vous aviez si- gnalé ce problème et que.vous proclamez les premiers son heu- reuse solution. A la suite du rapport, et après une discussion à laquelle ont pris part M. de Béhague, M. Guillaumin, député, M. Moll, M. le préfet du Cher et M..le président Boinvilliers, le conseil a, par un vote unanime, décerné la médaille d’or à M. Pasteur, membre de l'Institut. NOTE ADDITIONNELLE. MOYEN PRATIQUE ET ÉCONOMIQUE DE CHAUFFER LE VIN EN FÔTS. , Beaucoup de personnes me demandent d'indiquer le moyen qui me paraîtrait le plus pratique pour l'application en grand du procédé de conservation que j'ai déduit de mes éludes sur les causes des maladies des vins, consistant dans une élévation préalable de la température à 5o degrés environ. J'ai déja dit que c'était à l’industrie et au commerce de faire cette recherche. Pour moi, si J'avais à Eire des essais sur une grande échelle, voici le mode de chauffage que je . voudrais tenter tout d'abord : soit un gé nérateur de vapeur, grand ou pelit, suivant les besoins ; que l'on visse ou que l’on adapte, par un moyen quelconque, sur Je tube de sorte de la vapeur, un tube serpentin avec branche de retour pareil à celui de la figure. Il serait en Cuivre, où mieux en cuivre argenté extérieurement. Introduisez ce tube dans le tonneau, par l'ouverture de la bonde, et faites glisser le bouchon a b de façon à couvrir lorifice sans le fermer herméti- quement pour que le vin de dilatation puisse s'échapper. La vapeur, en circulant dans le serpentin, échauffera le vin, et elle sortira par l'orilice 0, d’où elle pourra se rendre dans un autre serpentin pa- reil, placé dans un tonneau voisin, et ainsi de suite: ou bien elle viendra échauffer l'eau d'ane caisse en tôle, formant bain-marie, pour le chauffage du vin en bouteilles. Que l'on imagine dans une filature les bassines à dévider les co- cons remplacées par des tonneaux, et le tube à robinet d'admission de la vapeur communiquant avec les serpentins dont je parle, et l'on comprendra toute la facilité de l'opération du chauffage. Sans doute il ne faut pas que la vapeur se condense directement dans le vin. Pourtant il ne faudrait pas rejeter @ priori un tel pro- cédé, Il est possible que pour les vins communs ce soil la plus simple et la plus économique des méthodes, car je ne pense pas que l'on puisse nuire ainsi sensiblement à la qualité de tels vins, tant id faudrait un faible poids de vapeur pour atteindre la tempéralure voulue. Æ TABLE DES MATIÈRES. AVERTISSEMENT « se «ee eus eco à « SR TE pt Le PRE PAC QUE ES ER er US Lino oi 4 8 SCOR PO LE Opinion ancienne sur les causes des MalaUles ES VINS ce. Opinion nouvelle sur les causes des MALADIES ESNINSe re Maladie de l'acescence du vin. — Vins acides, etc................... Maladie des vins lournés, montés, CC: 21... +0, o one à de 0 0 otae es 0 0 0 Maladie de la graisse. — Vins filants, etc... ....................... Maladie de l'amertume. — Goût de vieux, etc...................,... DEUXIÈME PARTIE. De l'influence de l'oxygène de l'air dans la vinification............... Étude de la nature des gaz contenus dans le vin et dans le moût de raisin. TROISIÈME PARTIE. Nouveau procédé de conservation des vins ...... M A TS St arereis Rapport de la Commission du commerce des vins en gros dans Paris. . .. Observations au sujet du rapport précédent... ................... D... Chauffage du vin en bouteilles ......... ie PS PORTE re do vin en MS. 6 ne 2 00e 0 Ne res eane APPENDICE. NOTES ET DOCUMENTS. Dosage de l'acidité totale du moût DRASS EU cn outss se cer Dosage de l'acidité totale du vin.........,....................... Pages. 91 180 183 264 TABLE DES MATIÈRES. Pages Dosage du sucre du moût de raisin. ..... LL EL Ce AR 189 Nouveau procédé du dosage de l'acide tartrique . ........ Re 186 De influence de l'aération sur la fermentation des moûts. ............ 194 Application à la production de la mousse dans le vin de Champagne.... 198 Note sur le cépage appelé enfariné. — Singularité de sa maturation. .... 202 Indication d’une méthode pour étudier les principaux acides du vin..... 206 Note sur le cépage appelé ploussard. ......................... “252 1000 Sur la présence de la gomme dans le vin.................. 1319 Origine de la glycérine et de l'acide succinique dans le vin............ “214 Sur le procédé de conservation des vins par le chauffage préalable. Lettre au Moniteur vinicole. .......... rte RE a 0 0 CL EEELES 218 Extraits de la 1° et de la 5° édition du Traité des conserves, d'Appert. TE Sur la maladie de l'amertume des grands vins de Bourgogne. — Lettre de M. de Vergnette-Lamotte.. ...............-.... er Comité central agricole de Sologne. — Rapport de M:'Dumas: 2222 256 PAL. + + . or e 2 2 RE a gn “4 +