UNIVERSITY OF TORONTO LIBRARY The Jason A.Hannah Collection in the History of Medical and Related Sciences Digitized by the Internet Archive in 2010 with funding from University of Ottawa http://www.archive.org/details/oeuvresdevicadaz02vicq ' + v . J 41 ve AL . P É AU EN \ \ Riot tr NS ad / PM TUE a (8er # tr ae CA TT \ + NI 4 LE + a LI + h | 2 LUE ne be f\ MAUR MEN” 1CQ-D'AZYR. : ÉLOGES HISTORIQUES. 4 ŒUVRES DE WICQ-D'AZYR, RECUEILLIES ET PUBLIÉES AVEC DES NOTES ET UN DISCOURS SUR SA VIE ET SES OUVRAGES, par Jaco. L. MOREAU (de la Sarthe), Docteur médecin, Sous- bibliothécaire de l’École de médecine, Membre k adjoint de la Société de cette École, membre de la Société philo- mathique, des Sociétés de médecine de Paris, de Montpellier, etc. ORNÉES D'UN VOLUME DE PLANCHES, GRAND IN-4.°, ‘ ET D'UN FRONTISPICE ALLÉGORIQUE. TOME SECOND: tt LS DE L'IMPRIMERIE DE BAUDOUIN. A PARIS, Chez L. DUPRAT-DUVERGER, rue des Grands- Augustins, N.0 24. AN XIIL. == 1809, OR ED M. 4tfie san à os late 1h) Me , M 2h ,atinMathontiôl tar 6 215048 25e FR AMI Lo à AVR OEM "ÉLOGES HISTORIQUES. SUITE DE LA SECONDE SECTION. _ POULLETIER DE LA SALLE. PES | RS - Paur - Lron PourretiER DE LA Sacte, maître desrequêtes , ancien président au grand conseil, - associé hibre de la Société de médecine , naquit, le 30 septembre 1719 , de Pierre Poulletier , intendant de la généralité de Lyon et conseiller d'état, et d'Henriette- Guillaume de la Vieux-Ville. … La ville de Lyon le tint sur les fonds de baptême, et lui donna son nom. M. Poulletier fut envoyé à Paris pour y étudier en droit. Les professeurs les plus habiles enseignoient alors la médecine dans cette capitale #sa curiosité le porta près d’eux ; son penchant l’y retint; et tandis que, pour obéir à son père, 1l donnoit quelques mo- mens à la jurisprudence qui w’avoit point d’attraits _ pourlui, toutes ses journées étoient remplies par l'étude . de notre arts Il y trouvoit la nature et l’homme liés 1 . par des rapports nécessaires , invariables, et importans à connoître pour tous ceux qui font quelque cas des recherches vraiment utiles à l'humanité. (N'A Ur. 2 1 2 ÉLOGES HISTORIQUES. à Souvent on a vu des médecins célèbres employer leur crédit pour faire obtenir à leurs fils des places distinguées dans la magistrature; ils cherchent à s'élever en agissant ainsi : M. Poulletier suivit une route contraire; il repoussa les dignités auxquelles 1l étoit conduit par sa naissance, et il ne crut point descendre en préférant de s’asseoir parmi nous. L’u- sage qu'il a fait de son temps moutre assez qu'il eut raison. ï Maintenant que le passé le justifie, on loue sa géné- rosité; mais lorsqu’au commencement de sa carrière 1l s'écarta des routes de l’ambition et de la fortune pour se livrer à un goût qui paroissoit bizarre , on accusa d’extravagance ce qu’avoit tracé la sagesse ; et chacun plaignit M. l’intendant de Lyon d’avoir un fils qui vou- loit se faire médecin. , Persécuté par ses parens et par ses amis , il fallut bien que M. Poulletier acceptât la charge de maître des requêtes qu’on lui destinoit depuis long-temps. Mais lorsqu'à peine sorti de sa première jeunesse ; on le pressa d’exercer un‘de ces grands emplois sur lesquels repose le sort de tout un peuple : «Non, dit-il, Je n'ai point assez médité sur des devoirs que je sais au-dessus de mes forces , et je n’ai point assez véCu pOur inspirer la confiance qui est nécessaire au succès ». Il se sut tou- jours gré de ce refus. Il se félicitoit de s’être conservé pur dans un âge où l’on a tant à espérenlet à craindre 5 de ce que peut la séduction. « Qu'est-ce , ajoutoit-1l, qu'un magistrat enfant , qui sait à peine balbutier les Jois, et que l’on envoie pour commander aux hommes ? > GR 27 PHYS/ETCHIM. — POULLETIER. 3 ._ et combien je serois coupable si j’avois pu contribuer k _ à donner un tel exemple ! » , Cette conduite dévoila tout-à-coup le caractère de M. Poulletier. Son père lui-même concut pour lui plus que de l'estime. « Mon fils, lui dit-il un jour, montrez- moi donc comment vous passez votre temps? et si vous m'entreprenez rien pour votre fortune, que je sois au moins dans la confidence de votre bonheur » ! « Vous gonnoîtrez , répondit le jeune philosophe, le fruit de mes économies et de mes veilles. Ici J'ai rassemblé les ora- cles du Fa nombre de siècles dont on a gardé le sou- venir: ; J'y étudie les hommes sans avoir rien à craindre d'eux, puisqu'ils ne me sont présens que par la pensée; là ÿ Free la nature par la voie de l’analyse , et tont , mr jusqu’ à son silence, y est éloquent pour moi. Plus loin ; je descends dans les replis les plus secrets des corps ani- més; je compare leurs organes avec leurs affections ; et cette science, repoussante pour la plupart parce qu’elleatteste notre néant et nos misères , a des charmes Pour moi, qui n’en suis point effrayé. Ailleurs , des L végétaux salutaires qui croissent sous mes yeux mof- frent des feuilles , des fleurs et des fruits que je con- sacre au soulagement des malades. Ainsi, toujours occupé, mais toujours libre, l'intrigue et l'envie ne peuvent me blesser | parce qu’elles ne sauroient m'at- teindre. Dites-moi, mon père, s’il est possible de mieux employer les biens que je tiens de vous, et prononcez | entre le monde et moi ? » Une autre fois, M. Poulletier rassembla le bon et ‘vertueux de Jussieu, le savant Astruc, le bonillaut za 4 ÉLOGES HISTORIQUES: Rouelle, Boulduc, Macquer, Levret, Sue, et il plaÇa sort père au milieu d’eux. Étonné de tant de savoir, ému sur-tout par ce zèle de la vérité qui brilloit dans leurs discours , et comparant ces hommes avec ceux dont 1l étoit ordinairement environné, M. l’intendant de Lyon fut touché jusqu'aux larmes. Il félicita son fils, loin de le blâmer, d’avoir fait un tel choix; et peu s’en fallut qu’il ne quittt lui-même l'administration et les affaires pour demander à être admis dans cette société près de laquelle il vint plus d’une fois chercher des consolations et des lumières. Depuis ce moment , M. Poulletier suivit librement ses goûts, et nul obs- tacle ne l’interrompit dans ses travaux. Il avoit formé le plan de plusieurs ouvrages ; qu'il ne pouvoit achever sans avoir fait l’essai de différens remèdes , et sans s'être accoutumé lui-même à la pra- tique de notre art. À ses projets d'instruction se jo1- grirent des vues de bienfaisance plus louables encore. M. Poulletier établit dans les faubourgs de Paris trois hospices où les pauvres étoient recus et traités à ses dépens. Là, sous la direction des médecins et des chirurgiens les plus habiles , 1l apprit à connoître la nature et les diverses périodes des maladies. Les jours étoient employés à la visite de ces maisons ; les nuits V’'étoient à l'étude, et tout son temps se passoit à bien faire. Il en est des formules de nos médicamens comme de celles de nos arrêts et de nos lois. Toutes portent lem- K preinte du siècle qui les dicta. Quel siècle en effet que celui où JeanDamascène et Nicolas de Salerneentassoïent | WA PHYS. ET CHIM. — POULLETIER. 5. les récettes des Arabes dans d'énormes antidotaires ? Que celui où Nicolas , prévôt de Tours , et Bauderon, prétendoient commumquer toutes les proprictés à leurs remèdes en y faisant entrer toutes les drogues. Cefut en 1542 que la première Pharmacopée parut à Nuremberg. Quarante-huit années après, la Faculté de médecine de Paris publia le premier Recueil de ses for- mules , qu’elle a corrigées plusieurs fois, et qu’elle a xendues sur-tout plus complètes en 1758. Le Collége des médecins de Londres. n’a pas apporté moins. de zèle dans la rédaction de son Dispensaire, dont l'édition, enrichie des notes du docteur Pemberton , étoit très-estimée. . Poulletier se chargea de la traduire en français, et il y ajouta un Dictionnaire de matière médicale ; avec des notes très-étendues qui servent de supplément à l'ouvrage. On ne sait ce qu’on doit le plus louer dans ce tra- vail, ou des. connoissances chimiques que l’auteur y a développées , ou de l’exactitude avec laquelle 1l y & décrit les procédés de la pharmacie, science trop étran- gère à la plupart des médecins ;, où de l’impartialité dont il y a donné des preuves. Plusieurs.articles importans avoient été oubliés, soit .dlans.le catalogue des médicamens , soit dans la mani- pulation des drogues. Quelques erreurs ayoient été commises ; d'anciennes formules très-inntiles avoient …_ été conservées : M. Poulletier a relevé et corrigé toutes ces fautes. . Les membres du Collége de médecine de Londres remarquent sur-tout , et l’on ne sauroit trop répéter 4e ÉLOGES HISTORIQUES. qu'il n’y a point de plus grand obstacle aux progrès de notre art que l'usage où l’on est de réunir un grand nombre de drogues dans ses formules. On ignore, en se conduisant ainsi , auquel des moyens le succès peut être dû ; et, faute d'isoler les faits, le jugement demeure à jamais incertain. Au reste , si, malgré les travaux des compagmies les plus savantes, nous n'avons point encore une Pharma- copée telle qne nous pourrions la désirer , 1l ne faut en accuser que la difficulté même du sujet. Déméler dans les anciennes compositions les substances vrai- ment actives , et les conserver ; chercher dans les écrits et dans la pratique des médecins les plus fameux quels remèdes ont le mienx réussi, et quel changement i seroit à propos d’y faire ; consulter l'empirisme et pro- fiter de ses hasards, en le jugeant par l'observation , sans le soumettre aux théories du moment ; rejeter les nombreux mélanges que l’on emploie sans motifs ÿ comme on les fait sans raison ; donner aux médica- mens une force constante et dont on puisse calculer les résultats ; les réduire à un état de simplicité qui ne laisse point de doute sur leurs effets, et ne s'écarter ja- mais des règles que la chimie prescrit ; c'est-à-dire , joindre à une connoissance parfaite de l’histoire de la médecine une étude profonde des sciences qui lui sont accessoires ; à un tact délhié, un esprit juste; à une prü- dence consommée, cette hardiesse sans laquelle on ne va point au but : voilà quels talens et quelles qualités doivent réunir ceux qui se chargent de rédiger nos for- mules. * % à PHYS. ET CHIM. — POULLETIER. 7 Déja les découvertes de Bergman et de Schéele ont produit dans ce genre une révolution utile. Les méde- cins de Stockholm ont donné l’exemple. Ceux de WVir- temberg , de Genève, d'Edimbourg et de Londres, l’ont suivi. La Faculté de médecine de Paris est mainte- nant occupée de la même réforme. Ne doit-on pas espé, rer que ; forcés par les progrès des lumuères, tous les colléges de médecine effaceront enfin de leurs dispen- saires ces recettes informes , assemblages monstreux de substances qui se combattent , dont les vertus se dé- trüisent , et que l'ignorance a consacrées ? Les parti- sans nômbreux de ces anciennes superstitions citeront d des siècles de succès ; ils diront que l’on détruit tou- jours sans édifier, et qu’on ne substitue rien à ce qu’on leur enlève. Vaines déclamations trop souvent répétées par les détracteurs des sciences ! Lorsque les ténèbres se dissipent, le jour, au mème instant et sans nul effort , en prend la place , et la vérité, quoi qu’on en dise, est, comme la lumière , un des plus beaux présens que l’on puisse offrir à l'humanité. Les auteurs de la Pharmacopée de Londres avoient parlé sans ménagement de Fernel, l’un des plus 1llus- tres médecins de l'Ecole française. M. Poulletier en a fait de justes plaintes , en blâmant cefte jalousie nat1o- riale qui a donné tant de torts aux Anglais envers nous, et qui sufhroit seule pour faire révoquer en doute leur prétendue supériorité. La plupart des personnes riches qu se livrent à l'étude des sciences ou des lettres semblent se plaire à commencer un grand nombre d’éerits, que le plus 8 ÉLOGES HISTORIQUES. souvent elles ne finissent jamais. C’est qu'abandonnées au plaisir de produire , elles se dispensent des soins qu’exigeroit l'achèvement de leurs ouvrages ; enfans de la pensée que l’on conçoit avec joie , mais qui ne croissent qu’au milieu des sollicitudes paternelles, et qui ne parviennent que difficilement à leur maturité. M. Poulletier a fourni un grand exemple à Pappur de cette remarque ; 1l a laissé sur toutes les parties de la médecine des manuscrits dont 1l n’y a qu'un très-petit nombre auxquels il ait mis la dernière main. Parmi ceux-là doit être compté un Essai sur les accidens qui sont causés par l’épanchement de l'air om des gaz dans les différentes cavités du corps humain. En faisant diverses expériences sur ce sujet, 1la observé que les intestins grêles sont plus irritables que les gros, et que dans ceux-ci la partie la plus élevée est celle qui jouit au plus haut degré de cette force. N Ce traité de M. Poulletier , > quoique complet à l’époque où 1l a été écrit, aura besoin d’un supplément lorsque nous le donnerons au public. La chimie#mo- derne a découvert trois gaz différens dans l’estomae et dans les intestins des animaux ; savoir, Pair fixe ou acide carbonique qui est dù à la fermentation des alimens; le gaz inflammable , et le gaz hépatique ou evtilirél On distingue encore parmi les manuserits de M. Poul- letier, dont M. Jeanroi, qui étoit son ami ; est main- tenant le dépositaire : 1.0 les procès-verbanx des expé- riences qu'il a faites avec M. Verdier et Bertrand: sur la sensibilité ; 2.9 des remarques sur la manière de dissoudre l'extrémité d’une sonde de plomb restée dans PHYS. ET CHIM. — POULLETIER. 9 la vessie, en y injectant du mercure ; 3.° une table des différentes longueurs du conduit intestinal dans les différens âges : d’où l’on tire un résultat curieux; savoir, que la longueur des intestins ; comparée avec celle dt corps, est plus grande dans les enfans quedans les adultes et dans les vieillards ; 4.0 des recherches sur l’absorp- tion des vaisseaux lymphatiques dans les gros intestins, qui démontrent la possibilité de guérir des maux très- graves par le moyen des lavemens médicamenteux ; 5.° un exposé des effets qui sont résultés de Papplica- tion de la pierre à cautère sur différentes parties des cadavres, où elle a formé des escarres entourés de cercles rouges ; 6.0 enfin des réflexions judicieuses sur les antispasmodiques, qui n’opèrent jamais plus sûre- ment qu’en augmentant une excrétion quelconque , sur-tout celle de l’insensible transpiration. Dans d’autres cahiers sont rassemblés des extraits, des anecdotes, des formules, des sommaires de tous les genres | qu’il y trouvoit au besoin. + Pour savoir ce que la mort de nos confrères doit cau- ser de regrets , il faudroit, comme nous, avoir pénétré dans leurs laboratoires , dans leurs bibliothèques ; il faudroit s’y être assis , comme nous, au milieu des écrits auxquels ils ont confié leurs dernières pensées ; il faudroit y avoir vu ce qu’ils n’ont qu’esquissé, et ce qu’ils avoient encore à dire. Combien de fois, entouré de ces débris , ai-je formé des vœux pour qu'il me fût possible de'rassembler autour de moi tous mes lecteurs et de leur communiquer en ce moment toutes mes impressions! Venez, leurauroïs-je dit; apprenez ce que ro ÉLOGES HISTORIQUES. coûte un peu de gloire, et jugez, par ce qui reste, de tout | que vous avez perdu bb, È Une remarque que j'ai faite en examinant les re- gistres et les manuscrits des savaus dont j'ai publié les éloges , c’est qu'il y en a eu peu où j'aie aperçu les traces d’une méthode qu’ils enssent adoptée ou suivie pour classer les premiers résultats de leurs travaux. Comme 1l existe un art de combiner les idées et de former les jugemens , je demande pourquoi l’on ne s’efforceroit pas aussi d’en trouver un pour ordonner ses souvenirs. Locke $avoit ; à l’aide d’une disposition; qui maintenant est très-connue, retrouver à volonté, dans ses caluers les faits et les anecdotes qu'il avoit pris soim d’y recueillir ; mais ce moyen ne peut s'ap= pliquer à tous les cas. L'homme qui lit ou qui observe, qui médite ou qui écrit, a sous les yeux une galerie de tableaux ; dont les scènes , les temps ; les liéux; et la toilé même qui les reçoit, varient à chaque instant dû jour : 1l voit fuir des images auxquelles d’autres impres+ sions succèdent. Tous les détails, toutes les nuances dont se composent ces vérités déliées ét fines qui font le charme du discours; s’effacent à mesure qu’une étude noüvellé vient à s'emparer de son esprit; et toujours ce qu’il oublie surpasse infiniment ce qu’il.a retenu. Pour établir quelque proportion entre l’instruction ét les lectures; pour assurer à l’homme la jouissance de toutes ses pensées, je demande qu’il $’accoutuine dès sa jeunesse à se rendre compte des grandes émotions que le plaisir ou la douleur lui aura fait éprouver ; qu'il ne lise aucun livre sans en tirer des résultäts; qu’il né PHYS: ET CHIM. — POULLETIER. 2: laisse échapper sans les écrire, aucune vérité 1mpor- tante, aucun fait digne d’être remarqué. Je demande que ces notes , réflexions ou extraits, soient inscrits sur des feuilles dont chacune ne contienne que des observations du même genre, et qui soient toutes séparées Les unes des autres, afin qu’elles puissent entrer dans toutés Les combinaisons dont on aura besoin. Ii faut que ces pièces soient rangées dans un ordre analytiqüe, quisera , pour ainsi dire ; l’alphabeth de la mémoire ; il faut enfin que ce répertoire , riche de tant de contributions, soit visité chaque année dans toutes ses parties par celui qui laura formé. Une seule phrase, un mot lui rappelleront de nombreuses idées ; il verra se renouer les fils de ses différens souvenirs : il retrouvera toutes ses méditations, toute sa vie, tout son être ; 1l se contemplera tout en- tier; et chaque fois qu’il fera cette revue sur lui-même , il en sortira plus exercé , plus confiant ; plus fort ; et sûr de marcher vers des succès nouveaux. Au nombre des livres que M. Poulletier préféroit étoiéent sur-tout ceux de Morgagm. Les notes et les observations qu’il a rassemblées sur les causes et le siége des maladies, suffiroient pour servir de commen- taire à une édition nouvelle des traités de cet auteur sur le même sujet. Il regardoit ce genre d’étude comme: un de ceux qui devoient le plus contribuer à l’avance- ment de notre art. Van Helmont reprochoit aux méde- cins de son temps de n’y chercher que des prétextes pour excuser leurs fautes (1). Bonnet et Morgagni, plus BI: Le oui AT 210: L abat Sauvons Sierre 2j (1) Zd inveniendum éxcusationes in peccülis. 43 ÉLOGES HISTORIQUES. généreux, ont publié les leurs; ils en ont montré les sources, et ils ont mis ceux qui les lisent dans l’heu- reuse impossibilité de les commettre. ] Les recueils de M. Poulletier sur les diverses con- gestions du cerveau sont les plus complets de tous. Il résulte de ses recherches, comme de celles de M. Walter, que ces congestions enlèvent la plus grande partie du genre humain. Presque toutes les maladies lentes et la plupart des maladies aiguës se terminent en effet par une sorte d’apoplexie , dans laquelle le cerveau , sur- chargé de sucs, perd son mouvement, s’affaisse et suc- combe. C’est cette même lymphe qui alimente la vie , dont l’épanchement cause la mort. C’est elle qui, s'échap- pant de ses vaisseaux, répand un nuage entre le monde et nos organes. Ici l'imagination s’effraie ; mais le phi- losophe, plus calme, dit, que s’il n’est pas très-doux de vivre, 1l-n’est pas non plus très-douloureux de mourir. Le temps est un des grands élémens des choses ; mais cet élément si précieux est prodigué de toutes parts, et1l semble qu’on n’en donne à l'étude que ce que le monde ne peut en dissiper. M. Poulletier , qui avoit vu au commencement du siècle les gens de lettres plus éloignés des distractions de la société, et moins occupés de leurs plaisirs que de leur gloire, se plai- gnoit sans cesse de ce désordre, qui, pour des jouis- sances éphémères, détruit l’espoir de l’avenir. Exact ob- servateur de ces principes, son temps suffisoit à peine à ses travaux lorsque le goût de la chimie se joignit à ceux. qu’il avoit montrés jusqu'alors. Il ne se contenta point de lire, 1l voulut opérer ; il étoit l’ami de M. Macquer, PHYS. ET CHIM. — POULLETIER. 13 il en devint l’émule ; et le Dictionnaire de chimie se grossit de ses recherches. . On y lit les expériences de M. Poulletier sur la soude et le varech. On y trouve son analyse de la magnésie , qu'il a combinée avec l'acide sulfurique pour former . le sel d’epsom , et ses essais sur l’eau de la mer. M. Poulletier a été le premier qui ait fait en France l'analyse de la substance osseuse, qu’il a traitée par les acides vitriolique et mitreux, et dont il a tiré l’acide phosphorique et la terre calcaire , comme Schéele et Gahn lavoient annoncé. Plus de mille expériences ré- pétées avec M. Macquer viennent à l’appui de l’opi- mion que Schéele a établie; mais 1l n’a rien dit de plus. Schéele ne se plaisoit que dans des routes inconnues ; M. Poulletier au contraire craignoit de s’y engager: plusieurs fois 1l a tenu dans ses mains des vérités im- portantes qui lui ont échappé, parce qu'il n’a pas osé y croire, où parce qu'il n’a pas eu le courage de les dire. Fidèle à l’ancien plan, il a fait plus d'efforts pour s’y renfermer, qu'il n’en auroit fallu pour en sortir. Il redoutoit les constructions nouvelles, et il travailloit avec M. Macquer à réparer et à finir l'édifice, lorsque, plus hardis, les chimistes modernes s’occu- poient à le détruire pour le recommencer. M. Poulletier a travaillé long-temps sur le sel sédatif. Les expériences qu’il a faites sur la bile, et que l’au- teur de l’Essai pour servir à l’histoire de la putréfaction a publiées, prouvent que cette humeur est de nature savonneuse ; vérité que M. Cadet a mise, quelques an- nées après, dans tout son jour. 14 ÉLOGES HISTORIQUES. Vers l’année 1758, M. Poulletier fit la découverte de la matière blanche cristalline et très-légère qui com pose en grande partie les concrétions biliaires humaines, dont elle se dégage par le moyen de l'esprit de vin. I Va vue se sublimer en fumée blanche. Il en forma avec les acides minéraux une espèce de bitume, et 1l ne le. trouva point dans les pierres biliaires du bœuf. M. de Fourcroy a retiré cette même substance en grande masse des corps humains altérés par la putréfaction , et 1l a fait voir qu’elle est analogue au blanc de baleine. C’est une des vérités que les commissaires de la Société de médecine ‘doivent à l’examen des corps ensevelis dans le terrain des Saints - Innocens, dont ils ont NE l’'exhumation. Le travail le plus complet que M. Poulletier ait exé- cuté en chimie est l’analyse de la farine : des expérien- ces de Beccari et de Keïssel Meyer qu'il a répétées et perfectionnées, il a tiré les résultats suivans qui lui ap- partiennent. Il s’est assuré que la farine délayée dans l’eau , que le pain azyme et la pâte ancienne ne four- nissent point de matière glutineuse; que l’on retire des sels ammoniacaux du gluten, en le traitant lentement avec les acides; etc., qu'il existe dans la farine une matière mucoso-sucrée qui se dissout dans l’eau lors- qu’on lave la pâte pour en séparer le gluten et l’amidon. Ces recherches, vraiment intéressantes, ont été pu- bliées avec éloge par M. Macquer , que M. Poulletier a beaucoup aidé dans ses travaux sans lui avoir toujours permis de le citer. | M. Poulletier avoit commencé en 1786 un travail , PHYS. ET CHIM. — POULLETIER. 45 qu'il faisoit en commun avec M. de Fourcroy sur l’analyse des pierres urinaires. Dès 1750 1l avoit cher- thé à découvrir le fondant de ces concrétions; mais 1] n’avoit pas réfléchi qu'il falloit en déterminer la nature avant que de travailler à les dissoudre. Il les supposoit composées de terre calcaire ; et des essais dirigés d’après cette vue ne pouvoient réussir , puisqu'un acide concret Élinsoluble en est, comme Schéele l’a démontré, le principal élément. On se souvient qu’en 1779 des voleurs ayant imaginé de mêler diverses préparations des plantes narcotiques aux alimens et sur-tout aux boissons, 1l se commit alors de nombreux empoisonnemens. M. Poulletier fut prié, conjointement avec quelques autres membres de la Socité de médecine, d'analyser les liqueurs suspectes que l’on avoit trouvées entre les mains de ces malheureux. Les magistrats fu- rent très-satisfaits de ces recherches, dont nous suppri- mons à dessein les détails. Sur un pareil sujet on ne doit rien écrire dont les méchans puissent faire quelque profit. Notre nation est d’ailleurs, en ce genre, d’une ignorance et d’une maladresse qui lui font honneur , et qu’il faudroit accroître encore, si le mal que l’on sait pouvoit être oublié, Jamais l'influence du caractère d’un auteur sur ses ouvrages ne fut plus marquée que dans les productions de M. Poulletier. 11 tenoit fortement À ses premières idées, et tout ce qui n’étoit point d’accord avec elles trouvoit difficilement grace auprès de lui. Il avoit été trompé tant de fois, que, pour ne plus l’être, il avoit 16 ÉLOGES HISTORIQUES. pris le parti d’opposer le doute à presque toutes les assertions; et ce doute se montroit dans ses gestes, comme dans les infiexions de sa voix ; 1l étoit répandu sur toute sa personne. On se blessoit peu de cette mé- fiance qui sembloit n'être que générale, quoiqu’elle fût souvent personnelle ; car tous ceux qu’ilestimoitayoient de grands droits sur lui: s'ils erroient, il erroit volon- tier avec eux, et 1l les défendoit avec courage. L'häbi- tude qu’il avoit contractée de croire difficilement ce que les autres disoient avoir vu, le portoit à croire difficile- ment aussi ce qu'il voyoit lui-même. Il craignoit tou- jours d’être égaré par quelque prestige. Tant d’inquié- tude lui Ôôtoit cette liberté d’esprit sans laquelle on ne s'élève point à de hautes conceptions : aussi ses 1m- menses travaux ont produit peu de découvertes. Il appor- doit parmi nous un grand zèle; ses doutes, ses contra- dictions y étoient souvent utiles et jamais incommodes ; parce que sans avoir rien de choquant ilsplaisoient, ils instruisoient même par leur piquante originalité : dans nos scrutins il sembloit quelquefois renoncer à son caractère, et ses avis alors n’avoient pas toute la singu- larité de ses opimons.Il nous a laissé l’exemple d’une vie remplie par le travail et par la vertu , et je crois lui rendre un hommage digne de sa probité sévère en par- lant ici le langage de la vérité. M. Poulletier ne se permit jamais qu’un seul délas- sement , l'étude de la musique. L’art de la composition ne lui étoit point étranger; 1l avoit nus en chant plu- sieurs morceaux des opéras de Quinault et de Métastase; mais son goût étoit demeuré le même : et la musique PHYS. ET CHIM. — POULLETIER. 17 a tant changé que se restreignant au plaisir d’en entendre , 1l avoit eu la sagesse de renoncer depuis long-temps à en faire. M. Poulletier a vécu célibataire sans avoir éprouvé aucun des inconvéniens auxquels cet état expose. M. et madame de Thurique , ses neveu et nièce, avec lesquels il demeuroit , ont été la consolation et l'appui de sa vieillesse ; et, graces à leurs tendres soins, ses dernières émotions ont été celles de la reconnoissance et de l’a- mitié. Dans les premiers mois de 1787, on s’aperçut que la santé de M. Poulletier se dérangeoit. Il éprouva ce qui arrive sur-tout aux personnes foiblement constituées : les forces de tous les organes diminuant en même proportion, le dépérissement se fait d’une manière in- sensible , et la mort survient sans qu'aucune affection grave ait paru la précéder. Ce fut ainsi que M. Poul- letier succomba, au mois de mars de cette année. Ses médecins, qui étoient ses amis et ses confrères, recon- nurent de bonne heure que les suites de sa maladie se- roient funestes, et ils ne firent point pour le guérir des efforts qui auroient été sans succès. Celse a établi pour principe que dans ces sortes de cas on doit s’abstenir des remèdes, pour ne pas les diffamer. Il seroit plus humain et plus vrai de dire qu’il faut cesser alors d’en faire usage, pour ne pas angmenter la souffrance des malheureux qui sont condamnés à mourir. La nouvelle de la perte de M. Poulletier a répandu la consternation dans les campagnes où il avoit des pos- sessions. Il y avoit établi des hospices où il traitoit les T. 2e 24 18 ÉLOGES HISTORIQUES. habitans lorsqu'ils étoient malades ; les autres avoient aussi part à ses bienfaits. Tous l’aimoient et tous l'ont regretté. M. Poulletier doit être proposé comme un modèle aux amateurs des sciences et des lettres, qu'il cultiva pour elles-mêmes. En s’associant à leurs travaux, il ne chercha point à faire un vain bruit ; 1l n’exigea rien, mais il obtint de nous tout ce qui pouvoit le flatter, égards, déférence , estime, amitié. Son nom sera inscrit parmi ceux des savans qui ont été les premiers et les’ principaux appuis de notre Société. PHYSICIENS ET CHIMISTES. 19 1 SCHÉELE. Lan “ss "5 "ns "à "sn L, vie de M. Schéele offre l'exemple d’un savant modeste qui , dédaignant tout éclat, eut le courage de vivre obscur; dont le zèle n’eut pas besoin d’être excité par la louange, et qui, connu des gens de l’art, mais presque ignoré de son siècle, avoit rendu son nom imimortel lorsqu'il n’avoit pas encore de célébrité. Travaillant dans le silence , il ne désiroit et ne cher- choit que l'instruction. Des découvertes importantes Vavoient enfin trahi, et 1l alloit jouir du fruit de ses veïlles lorsqu'il nous fut enlevé pour toujours. Le bruit de sa perte se répandit alors en même temps que celui -de sa renommée; on apprit à le regretter en quelque sorte avant de le connoître, et le public ne sait pas encore combien sa personne mérita d’estime et tout ce que les sciences doivent à son inépuisable fécondité. CHarces-GuILLAUME SCHÉELE , membre de l’Aca- démie des sciences de Stockholm (1), de la Société des naturalistes de Berlin (2), de l’Académie des sciences de Sardaigne (3), et associé étranger de la Société royale de médecine (4), naquit le 9 décembre 1742 à Stralsund , capitale de la Poméranie suédoise » ”l enr mans mme (1) En 1775. (3) En 1783. (2) En 1778, (4) En 1785. 26 ÉLOGES HISTORIQUES. de Chrétien Schéele (1) et de Marguerite Éléonore Varnecross. M. Schéele fut envoyé au collège publ ; mais il y profita si peu que ses parens l'en retirèrent pour lui faire apprendre un métier. M. Bauch, apothicaire à Gothebourg (2), et qui étoit l’ancien ami de sa fa- mille, offrit de s’en charger; et de lui apprendre la pharmacie. Le jeune Schéele avoit alors quatorze ans: son apprentissage dura six années , après lesquelles 1l demeura pendant deux ans encore chez M. Bauch, en qualité de garçon. De Gothebourg , il passa à Malmo, ville fortifiée de la Scanie, où 1l fut employé pendant cinq années dans le laboratoire de M. Keus- troëm, apothicaire. | Jusqu'à cette époque on n’avoit remarqué en lni que de l'intelligence et du zèle ; il avoit lu tous les livres de chimie qu’il avoit pu se procurer : le Traité de Neuman (3) avoit sur - tout fixé son attention ; mais il n’avoit témoigné ni enthousiasme, ni surprise. Calme et tranquille, 1l suivoit avec résignation le mouvement de sa destinée. | Après avoir parcouru, comme les élèves en phar- macie le font ordinairement, les différentes villes des A (1) Son père, qui étoit marchand à Stralsund, avoit onze enfans, dont M. Schéele étoit le septième. (2) Le frère aîné de M. Schéele (Jean-Martin) avoit demeuré dhez ce même apothicaire, et il étoit mort pendant son appren- tissage. 3) Le Cours de chimie de Neuman, en allemand. { Me - PHYSIC. ET CHIM. — SCHÉELE. 2» provinces , il résoulut d’aller à Stockholm et ensuite à Upsal. Il arriva en 1769 à Stockholm (1). Plusieurs membres de l’Académie des sciences de cette ville lui ouvrirent leurs bibliothèques, et Pengagèrent à faire diverses ex- périences dont il leur avoit communiqué le plan. Il se rendit à leurs conseils : mais le pharmacien chez lequel 1l demeuroit fut effrayé de ses préparatifs ; 1l craignit que les travaux de son laboratoire ne se fissent pen- dant ce temps avec moins d’activité; M. Schéele le rassura par la manière dont 1l le servit. | Dans l’année suivante , 1l miè la dernière main à une de ses plus belles productions, à son Mémoire sur le spath-fluor (2); il l’offrit à l’Académie des sciences de Stockholm (3), et il partit aussitôt après pour Upsal (4)- Dans cette ville, même amour du travail et même goût pour la retraite ; mais M. Locke, maître en phar- macie, chez lequel il fut reçu comme garçon, s’aperçut bientôt de l’étendue de ses connoissances et sur-tout de la grande habileté avec laquelle 1l dirigeoit ses essais. (x) Il y demeura trois années chez M. Scharenberg , apothicaire à l'enseigne du corbeau, place du Grand-Marché, (2) Ce travail fut annoncé avec éloges dans les journaux alle- mMands de 1771. (3) Dès 1770, M. Retzius avoit fait la mention la plus honorable de M. Schéele dans son Mémoire sur le tartre. ( Académie des sciences de Stockholm ). _ MM. Boeck, Bergius et Schultzen avoient aussi conçu la plus haute opinion des. talens de ce chimiste. (4) En 1972, 22 ÉLOGES HISTORIQUES. La ville d'Upsal, après avoir été, par les travaux de Linné, le chef-lieu de l’enseignement pour l’histoire naturelle ; étoit devenue , par ceux de Bergman, la première de toutes les écoles de chimie. Un enthou- siasme général dirigeoit tous les esprits vers l'étude de cette science, et 1l étoit impossible que M. Schéele y de- meurât plus long - temps ignoré. Vous devriez vous présenter à M. Bergman , lui disoit-on sans cesse. Mais M. Schéele eraignoit cette entrevue an moins autant qu'il la désiroit, et 1l n’osoit s’y détermuner. IL redoutoit le coup d'œil d’un grand maître ; qui devoit d’un seul regard , justifier ou anéantir ses espérances. C’étoit cependant ce jugement dont il avoit besoin , et qu'il étoit venu chercher à Upsal. Pendant qu'il dé- libère et que pour la première fois peut-être l’inquiétude de l’amour-propre lui fait éprouver quelque tourment , Bergman apprend son embarras ; 1l court à lui : quelle surprise ! Schéele, les yeux baisséset dans la contenance d’un homme qui demanderoit une, grace , lui montre, quoi ? non quelques sels surajoutés à la liste de ceux. que l’on connoît déja, mais desterres, des acides, des ré- gules nouveaux ; mais les principes d’un grand nombre d’affinités complexes , mais les élémens d'une nouvelle théorie de l’air et du feu ; 1l tremble, et ne sait pas en- core s’il ne s’est point égaré. Bergman , muet d’étonne- ment, ne comprend pas comment tant de découvertes peuvent être l’ouvrage d’un jeune homme inconnu. Quelle scène fut jamais plus touchante ! Après quel- ques momens de silence, Bergman saisit Schéele avec transport. Ce ne sont pas des applaudissemens qu'il PHYSIC. ET CHIM. — SCHÉELE. 23 lui donne, ce sont des respects qu’il lui rend; c’est le génie qui apprend au génie à s’estimer ce qu’il vaut, qui lui révèle le secret de sa destinée ; c’est un élève obscur qu’il place an rang éclatant des grands hommes, Combien est puissante la passion de la gloire qui reçoit et donne de semblables récompenses ! Dans le même temps, l’Académie des sciences de Stockholm fut tellement satisfaite du mémoire que M. Schéele lui avoit adressé , qu’elle le nomma son associé ordinaire (1), et cette distinction fut accordée, ce dont il n’y avoit jamais eu d’exemple, à un élève en pharmacie ! Ces diverses circonstances étant devenues pour lui l’occasion d’une grande perte de temps, il résolut de se retirer dans un lieu plus tranquille, On lui offrit la direction d’une pharmacie , dont le propiétaire (2) ve- noit de mourir à Koeping (3), petite ville de Suède , et qui appartenait à une veuve que l’on croyoit riche et dont on lui faisoit espérer la main. Il partit (4); mais (1) En 1975. Il communiqua cette année à l’Académie ses Remar- ques sur le sel du benjoin et sur l'acide arsenical. M. Bergman, président de cette compagnie en 1777, lui obtint, à cette époque, une pension annuelle de 600 liv., destinée à payer au moins en partie les frais de ses travaux. (2) M. Pohl, apothicaire. (3) Petite ville de Suède , bâtie sur le lac Malare. (4) M. Bergman lui fit plusieurs propositions très-avantageuses pour le retenir à Upsal ; le gouvernement lui offrit la direction de différentes manufactures. Le roi de Prusse Jui témoigna le désir de ” Vattacher à son académie. M. Schéele refusa tout pour aller à Koeping.. Les magistrats de cette ville le nommèrent apothicaire 24 ÉLOGES HISTORIQUES. il trouva la succession du maître en pharmacie de Koeping dans le plus mauvais état; il n’en fut point rebuté. Nous l’avons vu grand et modeste, Il va se montrer sensible et généreux. Après plusieurs années de travail, 1l paya les dettes de la veuve (1): heureux, disoit-1l, de pouvoir lui donner ce qu’elle-même lux avoit offert, et 1l l’épousa le 18 mai 1786 ! Mais le jour même de son mariage , 1l fut attaqué d’une fièvre aiguë dont il périt (2): condamné sans doute à ne jamais jouir du repos, ni du bonheur dont il étoit si près et qu'il méritoit si bien. La vie des grands hommes se divise naturellement en deux parts : l’une appartient aux besoins, aux con- venances, aux distractions de la société; l’autre est celle du travail, et trop souvent c’est aux dépens de la seconde que la première s'agrandit. L’éloge de M. Schéele ne présentera point ce contraste, Stérile en événemens, c’est en découvertes que sa carrière fut féconde. On apprend à son école ce que peut le talent sans dignités, sans protecteur et sans appui. On Papprend sur-tout en comparant Ja courte durée de sa vie avec le riche tableau de ses produc- tions, et les obstacles qu’il surmonta avec le peu de du bailliage ; le Collége royale de médecine, non seulement lui délivra ses lettres gratis, mais encore le dispensa du serment, Ses lettres d’apothicaire sont .datées de 1777. (1) 11 fit construire une des plus belles maisons de la ville sur la place du marché, où il demeuroit. (2) Il mourut le 22 mai 1786, âgé de 44 ans. PHYSIC. ET CHIM. — SCHÉELE. 25 ressources qu'il eut pour obtenir d’aussi nombreux succès. Pour interroger la nature avec profit par la voie de l'expérience, on a besoin des lumières de l'esprit, des secours de la fortune et d’un bon emploi du temps. M. Schéele eut sans doute plus que de l’esprit ; mais il manqua de cette première éducation qui en règle la marche et qui en hâte la maturité. Ses travaux jour- nahers l'ayant éloigné de tout enseignement, ses pro: grès durent être difficiles, parce qu'il ne put étudier que dans les livres les élémens de l’histoire naturelle et de la physique expérimentale, si nécessaires au com- plément de son instruction. M. Schéele ne reçut des leçons de personne ; il fut en quelque sorte l'élève de sa propre pensée : forcé à tout acquérir , 1} dut tout à son industrie ; aussi sa méthode est-elle quelquefois en défaut: mais s’il paroît obscur, un trait de Iumière dissipe aussitôt le nuage dont on le croit environné. Si la chaîne de son raisonnement semble se rompre, on la voit se renouer d’elle-même ; un instinct irrésis- tible le porte vers ce qui est neuf et piquant. Toutes les routes le conduisent à la vérité : c’est lorsqu'elle va lui échapper qu'il s’en saisit; non seulement 1l la trouve, mais 1l l’observe avec une attention profonde ; et ses regards pénétrans ne laissent rien à découvrir à ceux qui la verront après lui. Quant à la fortune il en eut peu, mais assez. Un revenu très-modique lui suffit pour atteindre au faîte de la gloire: de six cents livres qu’il gagnoit chaque année , 1l en employoit cinq cents à ses recherches, et 26 ÉLOGES HISTORIQUES. ce fut avec ce foible secours qu’il alluma tant de fois le feu de ses fourneaux et qu'il opéra tant de prodiges. Comme , à l’aide d’un grand savoir et d’un coup d’œil sûr , il ne tentoit qu’un petit nombre d’essais pour arriver à chaque résultat, 1l procédoit à chaque essai de la manière la plus simple, qui est presque toujours aussi la moins dispendieuse : de sorte que l’esprit d'ordre et celui d'économie se confondoient et n’en formoient qu’un seul en lui. L'expérience qu’il préféroit pou- . voit toujours décider plusieurs questions et servir à plusieurs usages. Son travail ne fut jamais sans salaire, parce qu’il n’opéra jamais sans dessein. Il eût peut- être moins fait avec plus de fortune, parce qu’en pro- diguant les dépenses 1l auroit plus attendu du hasard et moins obtenu de son talent. Pour son temps, 1l n’étoit point à lui; 1l apparte- noit au maître chez lequel 1l demeuroit, et M. Schéele étoit incapable de manquer à ses engagemens. Mais son gémie n’étoit à personne, et son activité le menoit à tout. À côté de l’appareil nécessaire pour l'opération pharmaceutique qu’il dirigeoit , 1l en plaçoit un autre qu'il conduisoit en même temps et qui servoit à ses recherches. Quelquefois le même feu, dirigéavec intelli- gence , les animoit tous deux. D'une part, fidèle à son devoir ; 1l exécutoit des procédés grossiers et pour ainsi dire mécaniques; de l’autre , entraîné par son penchant, il analysoit les corps les plus réfractaires , et 1l s’élevoit aux plus hautes conceptions : ici , seule- ment imitateur ou artisan ; là, grand observateur, imventeur même, et par - tout exact et TigOUreUX y ik PHYSIC. ET CHIM. — SCHÉELE. 27 donnoit le même temps et le même soin à la potion qu’il préparoit pour un malade et à la découverte qui devoit l’immortaliser : mélange sublime de bonheur et d’in- fortune , de grandeur et de simplicité, de savoir et de modestie ! Qui pourroit dire sil falloit plaindre ou énvier son sort ? Les heures de la nuit étoient les seules dont 1l pût disposer, et 1l savoit les employer utilement. Jamais cependant il ne paroissoit empressé; mais aussi jamais il n’étoit oisif. Silencieux sans tristesse, et ne pouvant prendre conseil que de lui-même, il méditoit long- temps avant que d’agir. Jamais on ne le surprit livré dans le même temps à un grand nombre de travaux. M. Schéele, tout entier à la solution d’un problème, ne suivoit qu’un ordre de recherches correspondant toujours à un certain ordre d'idées. Personne ne fit méiris de cas que lui du luxe des imstrumens et des machines , et ne sut mieux s'en passer : physicien vraiment habile, il s’accommodoit des moyens qui étoient à sa portée, et 1l ne dut qu’à lui seul tout le succès de ses travaux. C’est une tâche pénible que de rendre compte des ouvrages de ce savant. Épars dans les recueils de l’Aca- démie des sciences de Stockholm ; et dans les journaux allemands de M. Crell (1), ses différens mémoires n'ont aucune liaison entre eux : 1l n’appartenoit qu’à l’auteur de les rassembler en un corps de doctrine; et … (1) Voyez aussi le Journal de physique, où une partie de ces frayaux a été annoncée. 38 ÉLOGES HISTORIQUES. cependant 1l a fallu me substituer un moment à lui pour en rédiger le tableau. Une autre difficulté s’est offerte à moi dans ce travail. La chimie , telle que M. Schéele l’a traitée, est en quelque sorte une chimié transcendante , et j’aurois commis une grande faute si J'eusse osé la soumettre à ma seulé censure , ét men rapporter à mon seul jugement. MM. Lavoisier , Berthollet et de Fourcroy ont guidé mes pas. Qu'il me soit permis de m’appuyer de leurs conseils en m’ho- norant de leur amitié. Lorsque j'ai essayé de diviser en plusieurs classes les nombreuses productions de M. Schéele, j'ai vu qu’il avoit porté successivement son attention sur les acides des trois règnes, sur plusieurs régules, sur la décomposition des sels neutres , sur la préparation de certains médicamens , sur quelques procédés utiles aux arts, et je me suis apercu qu'il étoit possible de ré- duire à ces différens chefs toutes les découvertes de ce chimiste. * Dans le cercle éternel de mouvement dont Beccher a tracé l’image, dans ce combat perpétuel des substances qui s’attirent et se repoussent, c’est à l’action réciproque des fluides et des solides que doivent être rapportés Les mouvemens intestins des corps, et dans cette action les acides ont une influence dont on ne connoïît pas encore toute l'étendue. Newton l’avoit pressenti. L’a- cide, a-t:l dit, est ce qui attire fortement, et qui est fortement attiré, Mais l’art des chimistes s’étant borné long-temps à l'extraction des acides que fournissent le vitriol, le nitre, le sel marin et quelques végétaux, on PHYSIC. ET CHIM. — SCHÉELE. 29 m’avoit point compris le sens de cette grande pensée. Le champ des connoissances siest enfin accru. L’on a tiré un acide particulier de la craie, et ce nouveau fait a changé la face de la chimie. Il a dévoilé les-causes de l’effervescence , de la causticité, du méphitisme. Il a montré les substances alkalines et calcaires en plu- sieurs états, et nous avons appris à composer les eaux nérales gazeuses. En suivant la même route, on s’est élevé à des découvertes inattendues, et l’on est entré pour ainsi dire dans le pays des merveilles : des molécules incoërcibles et qui échappent à l’œil ont été dégagées et analysées ; on a trouvé dans l’air un fluide plus res- pirable que l'air lui-même, et un autre fluide qui éteint la flamme dont le premier est l'aliment. Ces deux êtres opposés dans leurs effets, réunis dans leur com- position, sont l’un, le principe des acides, l’autre , celui des alkalis. L’océan où nous sommes plongés donne et reçoit des torrens de matière élémentaire ; l’eau résulte elle - même de la combinaison de deux fluides aériformes ; et les vastes bassins de la mer où se préparent la soude, l'acide muriatique, la chaux et la magnésie; où vivent et meurent tant d'animaux et de plantes ; où se choquent et se brisent des flots sans nombre : ces bassins immenses ne sont remplis que de deux gaz condensés, auxquels se joignent accidentellement des substances étrangères à l’eau qui les dissout. Nous voyons ce fluide décomposé dans la putréfaction dont il est l’agent, et retenn dans les corps marins dont il fait partie. Ailleurs, la base de l’acide orayeux , et le gaz inflammable , absorbés par les 30 ÉLOGES HISTORIQUES. plantes , y composent le charbon et les huiles, tandis que l’air vital est versé dans l’atmosphère : la moffette se fixe dans les animaux , et la base de l’air se combine avec les substances inflammables pour former les acides; elle produit par ses combinaisons diverses la dissolution , la calcination et la réduction des diffé- rens corps; elle masque l'éclat des régules ; elle aug- mente le poids des chaux métalliques ; elle détermine enfin, par ses affinités nombreuses, celles de toutes les substances salines dont il a fallu recomposer le tableau. CU Enrichie de tant de découvertes, élevée pour ainsi dire au-dessus d’elle-même, la chimie, comme toutes les sciences très-avancées, ne peut maintenant devoir ses progrès qu’à des hommes d’un grand talent : on en jugera par les travaux de M. Schéele. La nature du spath vitreux, de la molybdène, de la ‘pierre pesante et de l’arsemic, n’étoit point connue: M. Schéele en a fait l'analyse , et 1l y a découvert un acide particulier dont personne n’avoit soupçonné l’existence dans des corps aussi compacts. C’est par l’intermède de l’acide vitriolique qu'il a dégagé l’acide du spath vitreux de sa base, qui est calcaire. Ce nouvel acide, reconriu maintenant par tous les chimistes, a la propriété de dissoudre la terre sili- ceuse, même étant dans l’état de gaz, sans qu’alors, ce qui est très-étonnant, les molécules terreuses soient visibles à l’œ1l. Son odeur est analogue à celle de l’acide marin: 1l n’agit point sur l’or, même avec l’addition de ce dermier acide ; il attaque le fer avec un prompt PHYSIC. ET CHIM. — SCHÉELE. 3 dégagement de gaz inflammable , et la plupart de ses dissolutions sont gélatineuses. * L'auteur très-recommandable d’un écrit qui a paru sous le nom de Boulanger objecta à M. Schéele que l'acide spathique n’étoit que de l’acide marin, et M. Monnet prétendit au contraire que cet acide résultoit “de la combinaison de l’acide vitriolique devenu volatil avec le spath vitreux lui-même. M. Schéele répondit à l’un que ce spath contenoit en effet un peu d’acide marin qu'il étoit possible d’en séparer entièrement ; et à l’autre, que tout l’acide vitriolique mis en usage daus ce procédé se trouvoit umi à la chaux sous la forme de sélénite , et que l’on pouvoit se passer de cet acide pour dégager l’acide spathique. C’est la seule fois peut-être que l’on se soit élevé contre les expériences de ce chimiste, qui publioit alors son premier ouvrage. Sa réplique, qui parut en 1780 (1), fut si vigoureuse et si convaincante qu’on n'osa plus l'arrêter dans le reste de sa course (2). Avant M. Schéele, on ne connoissoit point la dif- férence de la plombagine d’avec la molybdène. En calcinant cette dernière substance, 1l la vit se subli- mer en cristaux aiguillés et il la changea en un acide, qui, joint à l’acide marin, précipite l'argent et le mer- 2, (1) Académie des sciences de Stockholm. (2) Depuis que cet éloge a été lu, un auteur célèbre a publié une réponse très-ingénieuse; mais les chimistes que j'ai consultés pensent que la doctrine de M. Schéele n’en jonit pas moins de toute sa force, 32 ÉLOGES HISTORIQUES. cure de leur dissolution dans l’acide nitreux; qui , sons forme concrète, se dissout abondamment dans l’acide vitriolique, s’épaissit en se refroidissant, et prend une couleur bleue. Les naturalistes regardoient la pierre pesante comme une chaux d’étain. M. Schéele a prouvé qu’elle étoit composée de terre calcaire et d’un acide particulier ; qu'il a dégagé par l’action successive des alkalis et de l’acide nitreux, et 1l a régénéré la pierre pesante en combinant cet acide avec la chaux. En écrivant les éloges de MM. Macquer et Bergman, j'ai parlé de l’arsenic et de son acide; mais rien ne peut me dispenser de rappeler 1c1 que la découverte de cet acide appartient à M. Schéele : fécond en moyens et en ressources, presque toujours 1] indique plusieurs procédés pour obtenir le même résultat; 1c1 l’acide nitreux, et l’acide marin déphlogistiqué, lui servent également pour la préparation de l'acide arsenical qui forme des sels insolubles avec la plupart des subs- tances terreuses et calcaires. Une circonstance remar- quable, et qui n’a point échappé à M. Schéele, c’est qu'en sublimant le sel ammoniacal d’arsenic, une partie de cette combinaison reparoît sous l'aspect d’ar- senic blanc; tandis qu’il se développe un gaz qui n’est point de l’acide crayeux, comme on lavoit dit, mais de la moflette , due à la décomposition de l’alkali vo- latil, ainsi que M. Berthollet l’a prouvé. La manganèse est une substance minérale très-com- posée. M. Schéele y a découvert de la chaux de fer, de la terre siliceuse insoluble , de la terre calcaire, et ni # . PHYSIC. ET CHIM. — SCHÉELE. 33 une petite quantité d’une terre alors inconnue, que M. Bergman anommée terre pesante, et dont M. Schéele a déterminé les principales propriétés. On obtient la manganèse pure er la dissolvant dans l’acide vitriolique, et en la précipitant par l’alkali fixe. La plupart des acides lattaquent, sur-tout lorsqu'elle n’est qu’à demi- calcinée ; mais les phénomènes qu'elle présente avec Pacide marin sont tout-à-fait extraordinaires, et M. Schéele eut besoin de répéter plusieurs fois cette partie de ses recherches pour accorder sa confiance à ses propres essais. La manganèse distillée avec l'acide marin le rend propre à dissoudre tous les métaux, l’or lui-même, sans effervescence; à changer les cou- leurs des végétaux, en les jaunissant; à blanchir le papier bleu du tournesol, et à épaissir les huiles et les graisses. En offrant cette esquisse des mémoires où M. Schéele a traité les questions les plus abstraites et les plus dif- ficiles de la minéralogie, je dois avertir que je n’ai pu faire mention que d’une partie des découvertes qu'ils contiennent. La chimie tout entière y est appliquée à chaque sujet; chaque sujet y est appliqué récipro- quement à toute la chimie, et les faits y sont réunis en si grand nombre, que l'œil ne sait où s'arrêter. À quoi tient donc cette fécondité d'esprit? Y a-t-1l un petit nombre d'hommes auxquels appartienne l’art de surprendre les secrets de la nature? Est-ce à leur pénétration ou à leur destinée qu'est reservé cet ines- LU timable avantage ? Je réponds que c’est sur-tout à l’opi- Mt “miûtreté dans le travail, sans laquelle il n’y a poins Ip g. 2. 5 34 ÉLOGES HISTORIQUES. de durée dans le succès; je réponds qu’il en est des richesses de l’expérience et de la pensée, comme de celles que la terre cache en son sem; que les unes et les autres ne se trouvent qu’à de grandes profon- deurs ; qu'il faut creuser long-temps avant d’ar- river à ces veines heureuses qui sont le salaire de la peine et de l’industrie ; qu’à la surface sont semés avec profusion ces faux-brillans dont la paresse se contente et dont se pare le mauvais goût : je réponds qu'il ne suffit pas d’avoir découvert à grands frais des maté- riaux précieux; qu'il faut encore les préparer, les mettre en œuvre à l’aide de la méditation et du temps. Voilà ce que fit M. Schéele , et ce que ne peuvent se dispenser de faire tous ceux qui voudront s'immortaliser après lui. Entre les résultats des recherches de ce chimiste et sa théorie ; on remarque quelquefois une incohérence qui doit être regardée comme le garant de ses asser- tions. Elle prouve qu'il n’a pris aucune peine pour tourmenter les faits et pour les mettre d’accord entre eux. C’est ainsi qu’en réduisant tout aux affimités du phlogistique, il a consigné dans ses écrits des détails d’où naissent les argumens les plus forts contre, ce système. La plupart de ses nombreuses expériences sur les spaths, sur les bases des métaux et sur la plom- bagine, sont inexplicables dans toute autre théorie que dans celle des gaz, qu’elles confirment en sy rapportant; et M. Schéele est peut-être celui de tons les chmistes qui, sans le savoir, a fourmi le plus de. faits à l'appui de cette doctrine. On croiroit, au premier coup d'œil, que les acides PHYSIC. ET CHIM. — SCHÉELE. 35 végétaux (1) seroient plus faciles à dégager que ceux du règne minéral, puisqu'ils appartiennent à des matières moins compactes ; mais ils sont mêlés avec tant d’au- tres substances, qu’il est difficile de les obtenir dans un état de pureté ; opération sans laquelle on ne peut cependant parvenir à les connoître. M. Schéeleimagina d'ajouter de la chaux ou de la craie au fluide (2) qui les tenoit en dissolution ; 1l les sépara de ces bases par l'intermède d’un autre acide , etil les fitcristalliser : c’est ainsi qu'il a obtenu les acides du benjoin , du citron (3) etdes pommes. Il a découvert que certains sucs végétaux contenoient deux espèces d’acides ; dans le suc de gro- seille, par exemple, sont réunis l’acide des pommes et celui du citron. Un procédé très-ingénieux y a conduit M. Schéele. De l'esprit de vin versé sur le suc, réduit À consistance d'extrait, en a coagulé le muclage et la gomme; après l’évaporation de l'esprit de vin, le résidu , délayé dans l’eau, a été saturé avec de la craie: d’où il est résulté que l’acide du citron, formant avec cette base un sel presque insoluble, s’est précipité, tandis que l’autre sel est resté suspendu dans la liqueur. Après avoir reconnu plusieurs acides dans le même fruit, M. Schéele a réduit à une seule espèce les acides de plusieurs végétaux. Il a fait voir que celui du sucre étoit le même que celui de l’oseille. Il a recomposé ce dernier en versant peu à peu une liqueur (1) Sur l'acide des fruits : Académie de Stockholm, 1785. “ (2) Journal de Chimie, par M. Crell. (3) Académie de Stockholm, 1783. 36 ÉLOGES HISTORIQUES. alkaline sur une dissolution d'acide saccharin : de sorte que celui-ci, que l’on croyoit n'être que le produit de Fart, se trouve abondamment dans la nature. À peu près dans le même temps, MM. de Lassone père, et Cornette, ont fait sur les acides végétaux un travail qu'ils ont communiqué à l’Académie des sciences, et dans lequel 1ls annoncent que toutes ces combinaisons salines sont analogues à la crème de iartre, et M. Crell a changé la plupart de ces acides et l’esprit de vin lui-même en vinaigre; découvertes. qui conduiront sans doute à faire quelques change- gemens dans la nomenclature de ces substances: car, si les mots y étoient plus nombreux que les idées, il faudroit bien les réduire à leur juste valeur pour éviter l’incouvémient de parler sans rien dire, ou de dire le contraire de ce qu’on devroit exprimer. | La chimie moderne a démontré dans le règne animal lexistence de plusieurs acides qui lui sont propres. La nature de ceux du petit-lait et du sucre de lait a été déterminée par M. Schéele. La découverte d’un acide dans la pierre de la vessie est encore le fruit de ses travaux. On a cru long-tèmps et la plupart croient encore que le calcul est de nature calcaire. M. Schéelea prouvé qu'il estau contraire formé d’un acide particulier , concret, et d’une petite quantité de substance gélatineuse. Le sédiment briqueté des pier- reux est le même acide sous une autre apparence.'Foutes les pierres de la vessie, quelles que soient leur consis- tance et leur forme extérieure , se réduisent aux mêmes principes. Non seulement l’eau de chaux et les alkalis CR CRE PR SR PR PHYSIC ET CHIM. — SCHEELE. 3% eaustiquesles attaquent ; mais l’eau elle-même en grande masse et avec le secours de la chaleur les dissout entiè- rement. Ces découvertes ne sont pas les seules que l’on doive à M. Schéele sur cette partie du règne animal. I! à trouvé le sel phosphorique calcaire et l’acide phos- phorique à nu dans l’urine : il a observé que ce flude contenoit moins d’acide dans l’état de santé que dans celui de maladie; et M. Berthoiet, qui a rendu ces expériences plus complètes, en a fait l'application à la connoissance du corps humain. Arrêtons-nous un moment ici, et demandons ce qu’il faudroit penser d’un médecin qui, n'ayant aucune notion sur l'analyse de l'urine, prendroit pour du lait des substances salines blanchâtres qui se dissolvent à l’aide de la chaleur et se précipitent par le froid ; qui traitant souvent des pleurésies dues à la suppression de la sueur, me voudroit point savoir que l’acide phosphorique de ce fluide, répercuté, produit la plupart des accidens fâcheux dont on se plaint alors ; qui conseilleroit à ses malades des antilaiteux pour combattre un vice 1ima- gimaire, ou qui emploieroit des compositions propres. à fondre la pierre qu'il croiroit calcaire , tandis qu’elle seroit éminemment acide ? Ces méprises et tant d’au- tres que je pourrois accumuler ici sont celles de _ médecins qui, calomniant les sciences exactes, refu- sent leur attention à ce qu'il est de leur devoir et M même de leur intérêt d'apprendre. Elles exciteroient 1. le rire, si elles n’avoient aucune suite fâcheuse pour ANT É l'humanité. 4 (AL 38 ÉLOGES HISTORIQUES. C'est ici le lieu de le dire, notre science se compose de tontes les autres sciences, qni l’éclairent et qu’elle éclaire à son tour; et celui-là seul est digne de la confiance publique qui recueille tout ce qu'il peut trouver d'instruction et de lumières pour rendre moins difficile et moins obscure la route par laquelleil nrarche vers la vérité. Aux mémoires que M. Schéele a publiés sur les acides des trois règnes , succèdent des travaux non moins éten- dus sur la décomposition du vitriol de soude, et sur celle des sels neutres par la chaux vive et par le fer, sur le quartz et sur l’argile, dans laquelle il n’a pomt trouvé d’acide vitriolique ; sur la composition du gaz méphitique, et sur le bleu de Prusse. Les recherches de M. Schéele sur ceite dernière substance auroient suffi pour lui mériter la réputa- tion la plus distinguée. Après s'être assuré que le principe colorant du bleu : de Prusse , lorsqu'il étoit combiné avec un alkali sans l’intermède du fer, s'échappoit sous la forme de gaz; que c’étoit l’ar fixe de l'atmosphère qui le dégageoit ainsi, et que tous les acides jouissoient de cette pro- priété : 1l chercha un moyen de séparer ce principe du bleu de Prusse et de l’obtenir sans aucun mélange, et il y parvint par un procédé des plus compliqués, qu'il a exposé avec une grande précision, et dont l’ex- périence a démontré l’exactitude. Toi, des réactions nombreuses, des affinités successives sont musés en jeu : M, Schéele nous dévoile tout-à-conp une des plus belles opérations de la chimie moderne, sans dire PHYSIC. ET CHIM. — SCHÉELE. 39 quel fil l’a dirigé , quelle théorie l’a conduit, et il nous laisse dans l’étonnement, non de ce qu’il s’est élevé à une telle hauteur, mais de ce qu’en franchis- sant un aussi grand espace on ne voit aucune trace de ses efforts, aucun vestige de son passage : c’est le génie de l'invention qui se joue des obstacles, et qui ne daigne pas même se souvenir des difficultés qu’il a vaincues. La chimie des arts doit à M. Schéele la découverte d’une nouvelle couleur verte qui peut être employée à l’eau et à l’huile, et qui n’avoit pas éprouvé le plus léger changement après un intervalle de trois années. Parmi les nombreux services que M.Schéele a rendus à la pharmacie, je citerai les suivans. Il a indiqué un moyen facile pour conserver long-temps le vinaigre sans qu’il se corrompe. Il a séparé des huiles expri- mées et des graisses (1) un principe doux et sucré (2). Il à retiré de la racine de rhubarbe (3), de plusieurs autres racines officinales et de quelques écorces un sel insoluble , formé de l'acide oxalique et de la chaux. Il a fait voir que la couleur noire de la pierre infernale étoit due au cuivre, dont l'argent fin n’est pas tout-à-fait dépourvu. Ila rendu plus simple et moins dispendieuse (1) Académie de Stockholm, 1783. (2) Pour l'obtenir, il faut dissoudre une partie de litharge pul- vérisée dans deux parties d'huile ou de graisse, en y ajoutant un peu d’eau, et en tenant ce mélange en ébullition jusqu’à ce qu'il ait pris la consistance d’onguent. L'eau que l’on sépare en décantant | Contient ce principe. (a K (8) Académie de Stockholm, 1784 et 1785, 4o ÉLOGES HISTORIQUES. la préparation de la poudre d’algaroth , dont M. de Las- sone s'est servi avec succès dans la composition du tartre stibié. Le procédé que M. Schéele a conseillé pour obtenir le mercure doux étoit connu depuis long- temps en France, comme M. de Fourcroy l’a remar- qué; mais son mémoire sur l’éther contient un grand nombre d'observations nouvelles. Jamais l’action des acides et dessels métalliques sur les liqueurs spiritueuses n’avoit été soumise à tant d'épreuves. Il nous suffira d’ajouter , comme un résultat général de ces belles expé- riences, qu’une condition nécessaire pour que les acides changent l'esprit de vin en éther, est qu'ils puissent agir sur ce fluide en se dépouillant d’une partie de Pair vital qu'ils contiennent: ce qui explique pourquoi tous les acides végétaux n’ont pas cette propriété. Jusqu'ici M. Schéele s’est montré, par le nombre et l'originalité de ses découvertes, le rival de Beccher et de Stahl. Nous allons le voir se placer à côté de Boërrhaave, dans son Traité de l’air et du feu, celle de toutes ses productions qui a donné la plus grande idée de son talent. En Suède, Bergman y ajonta une sayante préface, et voulut en être l’éditeur: En France , M. le baron de Dietrick le traduisit à la sol- Lcitation de feu M. Turgot, et tous les physiciens le lurent avec avidité. En Angleterre, M. Kirwan se chargea de le publier : 1l y joignit des notes très- éten- dues, et par-tout MM. Bergman, Priestley , Crawford et Kirwan, en parlant de M. Schéele, lui prodiguent les noms de chimiste du premier ordre, de grand maître, de génie sublime : heureux , lorsque dans ce concert. ES Us A 4 a À fi PHYSIC:«ET CHIM. — SCHEELE. 42 de louanges je dois mêler ma voix à la leur, d’avoir de pareils garans de mon admiration et de la manière dont je l’a exprimée dans cet éloge! Le feu est pour les chimistes un instrument de tous les instans. M. Schéele , qui avoit le plus grand intérèt à le connoître, s’aperçut bientôt que l'air, s'il n’en- troit pas dans sa composition, servoit au moins à l’en- tretemir, et qu'il falloit s'occuper en même temps de l'examen de ces deux fluides. Aux yeux de Boërrhaave, l'air proprement dit et la matière de la chaleur avoient toujours été des êtres simples. M. Schéele alla plus loin; il connut quel- ques-uns de leurs élemens. Ayant observé que l'air atmosphérique , mis en contact avec un mélange de , soufre et de limaille de fer diminuoit constamment de volume par l'absorption d’une partie de sa masse, il découvrit dans l’atmosphère un fluide particulier dont il détermina la nature, et qu'il appela air du feu, parce qu'il sert en effet à l’ahmenter (1). Presque dans le même temps M. Priestley faisoit à Londres la découverte du même gaz, sous le nom d’air dé- phlogistiqué. M. Schéele mit le complément à ses recherches, en prouvant qu’il entroit à peu près neuf trente-troisièmes de ce fluide dans l’air atmosphérique. Cette découverte de deux grands hommes répandue dans le monde littéraire y trouva beaucoup de détrac- teurs. On s’étonna qu'il y eût un mortel assez témeé- (Q)J1 à donné le nom d'air vicié à l’autxe partie comstituante de _ l'atmosphère. 42 ÉLOGES HISTORIQUES. raire pour oser dire qu’il avoit décomposé des élémens qu’Aristote avoit déclarés inaltérables : on mia, puis on douta , puis 1l fallut croire ; marche contraire à celle que l’on tient pour le prestige et pour l’erreur. On com- mence alors par croire, puis on doute , et enfin la raison me ce que l’enthousiasme avoit admis avec transport. + Que le principe du feu se dégage de l'air qui lui doit son ressort, c’est ce dont il n’est pas maintenant per- mis de douter; mais la chaleur elle-même s’est offerte à M. Schéele (1) sous divers aspects. Tantôt ardente et sombre, elle tend à s'élever dans l'atmosphère, où elle prodnit des mouvemens vacillatoires autour du corps qu’elle a pénétré ; elle se combine avec l’air qui la touche; elle se transmet facilement d’un corps dans un autre, et elle ne se réfléchit point par les miroirs. Tantôt active et rayonnante, elle se répand à de grandes distances , en suivant des lignes droites: dans cet état elle ne se combine point avec l’air ; les miroirs métalliques la réflécissent avec chaleur dans le foyer, et sans s'échauffer eux-mêmes ; les miroirs de verre la réfléchissent , mais leur foyer n’est pas brûlant. Placé entre la flamme et le miroir de métal, le verre plan le plus mince ôte à son foyer la propriété de communiquer la chaleur, et tous ces effets sont beau- (1) Suivant ce chimiste, l'air vital est un des élemens du feu. Cette proposition n’est pas exacte. Il ne faut pas dire que ce flnide entre lui-même dans la composition du feu, mais seulement que le principe du fen se dégage de l'air lorsque celui-ci est fixé par quelque substance qui à plus d’affinité avec lui qu’il sen à avec le feu. £ PHYSIC. ET CHIM. — SCHÉELE. 43 coup plus marqués lorsque le charbon est ardent- clair, qu’au moment où la flamme brille de tout som éclat. Ce n’est donc pas à la lumière proprement dite qu'il fant attribuer ces phénomènes, mais à la matière de la chaleur, prête à se changer en lumière, comme il a vu celle-ci se convertir en chaleur rayonnante, que par d’antres modifications 1l savoit rendre ardente ou sombre. Quel homme que celui près duquel l'air, la chaleur , la flamme, l’étincelle et la lumière n’ont pu se soustraire à l’analyse ! Qui pourroit lui disputer ce beau nom de philosophe du feu , créé pour quelques chimistes et que nul ne mérita comme lui. A côté de ces belles découvertes sur le feu , se trouve, osons le dire, une théorie sans fondement et sans appui. Suivant M. Schéele , l'air se combinoit pendant la com- bustion avec le phlogistique, et 1l passoit sous forme de chaleur au travers des vaisseaux. M. de Lavoisier a détruit cette explication adoptée par Bergman, en prouvant que le poids des vaisseaux fermés, dans les- quels on fait des combustions étoit le même avant et après cette expérience, et que celui du corps brûlé augmentoit toujours en proportion de ce que l'air des vaisseaux avoit perdu. C'est un spectacle bien digne de l'attention des philosophes, que de voir deux hommes de l’ordre de MM. Bergman et Schéele, partant ici d’un faux prin- cipe, employer toutes les ressources de la physique et de la chimie, suivre un long enchaînement de consé- quences bien déduites et de faits presque tous nonveaux pour arriver à l'erreur. 44 ÉLOGES HISTORIQUES. : Cette association intime de MM. Bergman et Schéele qui s’est étendue jusqu'aux fautes qu'ils ont commuses, cette union de pensées et de travaux ne les ont pas. mis à couvert des traits de l’envie: on a reproché à l’un, : de s’être emparé des découvertes de l’autre. Quela calom- mie écoute, si cependant elle sait éconter, M. Schéele lui- même annonçant dans le journal allemand de M. Crell la mort de son illustre compatriote. « La chimie, dit- 11 (1), a perdu tout ce qu’elle peut perdre dans un seul homme. Il n’est plus ce professeur, le premier de tous. ceux que l’on à connus jusqu’à ce jour , et dontla bonté faisoit disparoître entre nous tout intervalle de connois- sances et d'âge. Que ne puis-je lui élever un monu- ment durable! Son souvenir au moins me sera toujours présent, et j'écrirai l’histoire de sa vie, car je veux, que l’on sache qu’il fut mon amu ». I] ne l’a point écrite cette histoire; c’est moi qui lai tracée, et lu- même 1l n’est plus. Leurs noms, réunis à jamais, rece- vront les mêmes hommages; et s'ils ont mérité quel- ques reproches, ils les partageront encore : c'est le triomphe de l’anutié. Nos regrets s’accroitront si nous comparons. leurs diverses qualités entre elles. L’un, formé par l'étude des sciences exactes, et sévère dans le choix des preuyes, appliqua le calcul aux détails et traita les grands sujets avec autant de méthode que d’élévation ; l’autre, aban- donné aux seules impulsions de la nature, entraîna par la conviction des faits qu'il accumula sans désordre, (1} Annales chimiques de M. Crell, À » { Es : "4 4 \ * PHYSIC. ET CHIM. — SCHÉELE. 45 et qu'il rapprocha sans les enchaîner. Le premier vous conduit à la vérité par la voie de la démonstration , et vous la découvrez avec lui; avec le second, c’est "elle qui se montre à vous et qui semble vous chercher. M. Bergman, vivant au sein d’une académie célèbre, entouré de disciples et toujours en commerce avec les savans, avoit acquis cette étendue de connoissances et cette sûreté de goût que donnent une société choisie et des relations nombreuses; M. Schéele travaillant seul, dominé par la vigueur, j'ai presque dit par la rudesse de son talent, n’avoit point appris à se défier de ses propres forces, qui le portèrent souvent au-delà du but: M. Bergmanétoit peut-être plus loin de l'erreur, et M. Schéele plus près des vérités nouvelles. Divisés, 1ls auroient eu chacun quelque souhait à former ; réunis, als possédoient tout : gémie, savoir, méthode, élégance et clarté. Que n’en ont-ils joui plus long-temps ! MM. Bergman et Schéele , car nous ne pouvons plus les séparer , étoient devenus un objet de curiosité pour les étrangers. M. le président de Virly, amateur éclairé des sciences et des arts, fit en 1782, avec M. Elluyart(1), Espagnol, le voyage de Suède, dans le dessein de les voir et de les entendre. La manière dont M. Schée le les reçut achevera de faire connoître son caractère. Arrivés à Koeping , ils se présentent chez ce savant avec une lettre (1) Frère de celui que le gouvernement d'Espagne a envoyé en | Hongrie pour apprendre la méthode de traiter les mines d'or, découverte par M. Born. Il est actuellement directeur des mines d'Espagne dans l'Amérique méridionale, 46 ÉLOGES HISTORIQUES. de M. Bergman, la meilleure recommandation qu'il fût possible d’avoir auprès de lui. Ils trouvent un jeune homme en tablier, anquel ils le demandent. Ce jeune homme est M. Schéele lui-même. Il ouvre la lettre” de son ami, la lit, et les accueille avec joie; il les fait asseoir, il converse avec eux, et il continue son travail sans leur demander excuse pour une chose qui n’en a pas besoin. Il leur parle indifféremment des découvertes des autres et des siennes propres, sans montrer ni vanité mi modestie; 1l leur expose sans réserve toutes les expériences dont 1l s’occupe; souvent il s'interrompt pour les entretenir de M. Bergman. « C’est l'honneur de la Suède », leur dit-l , sans avoir l'air de soupconner que l’on puisse en dire autant de lui. Chaque jour les voyageurs l’invitent à dîner avec eux, et chaque jour 1l accepte sans remercier et sans permettre qu’on le remercie; mais le repas fini, 1l se hâte de retourner à sa maison, où ils le suivent. Son temps étoit ce qu'il ne cédoit à personne. Ils le quittent enfin avec regret , et bien convaincus que tous ceux qui aiment vraiment l’étude doubleroient leur existence , si, comme M. Schéele, 1ls osoient secouer le joug du cérémomial et de l’importumité. Une autre singularité dans l’histoire des travaux de M. Schéele est, que nous devons à une femme la con- noissance de ses nombreux mémoires. Encouragée par M. de Morveau, l’un des savans les plus distingués de ce siècle, madame Picardet, épouse d’un magistrat de Dijon, résolut d'apprendre les langues allemande et suédoise uniquement pour transmettre dans la nôtre PHYSIC: ET CHIM. — SCHÉELE. 47 les découvertes du chimiste de Koeping; et son entre- prise eut le plus grand succès. Cet acte de dévouement et de courage suppose dans le traducteur de M. Schéele, non le bel esprit qu’on loue trop, mais le bon esprit qu’on ne loue point assez, et qui se montreroit sans doute plus souvent s’il étoit apprécié ce qu'il vaut. Si quelqu'un demande encore à quoi servent les éloges : 1ls servent, dirons-nous, à faire connoître de grands noms qui seroient demeurés dans l’oubli, à désigner les véritables sources de l'instruction et du savoir. Peut-être anssi que le spectacle d’une assem- blée nombreuse attentive à la lecture d’un éloge a quelque chose de consolant pour l’humanité. Ces lec- tures sont, dit-on, vouées à l’indulgence. Pourquoi ne laisseroit-on pas entrevoir aux hommes qu'il suffit d’avoir rendu des services réels aux sciences, aux lettres, à la patrie, pour obtenir, s'ils en ont besoin un jour, quelques graces devant elles? Vit-on jamais la satire; la critique même se renfermer dans de justes bornes? De quel droit condamneroit-on la louange seule à n’en point sortir? Les panégyristes au reste ne seroient jamais exposés à de tels reproches s'ils avoient tou- jours à louer des hommes comme M. Schéele, dont la vie frugale et pure fut consacrée tout entière à la recherche de la vérité et à la pratique de la vertu. 48 ÉLOGES HISTORIQUES. A Lt os St do TS OS AL LE SPIELMANN. AL ST, /} AcQuEs RermBorD Sr1ErMANx, docteur en médecine et professeur de chimie dans l’Université de Strasbourg, correspondant de l’Académie royale des sciences, mem- bre de celles de Nancy, de Berlin, de Pétersbourg, de Stockholm, de Turin, de Hall, de Hesse-Hambourg, associé régnicole de la Société royale de médecine, naquit à Strasbourg en avril 1722, de Jean-Jacques Spielmann, maître en pharmacie, et de Marie- Elisabeth Frédéric. Après avoir fait ses études, 1l choisit la profession dans laquelle ses parens avoient acquis de la considé- ration et de la fortune. Dès le quatorzième siècle, la famille des Spielmann étoit comptée parmi les patri- ciennes ; mais elle n’a jamais fait d'efforts pour sortir de la ciasse de la bourgeoisie, et la maison que M. Spielmann le père occupoit, et où 1l désirait de voir son fils établi, lui avoit été transmise par ses ancêtres. Dans les villes où le luxe est peu répandu, on trouve encore un petit nombre de ces familles qui ne cherchant point à s'élever au-dessus de leur état, bornent leur ambition à voir leur probité passer en héritage à leurs enfans. Le toit qu'ils tiennent de leurs pères et où sont dressés leurs ateliers est simple comme 7 ; | Ë \ PHYSIC. ET CHIM. — SPIELMANN. 49 eux, et ancien comme leur race; et leur généalogie, sans tache comme sans illustration, est écrite dans le souvenir d’un peuple nombreux qui les honore. Ce spectacle, maintenant très-rare dans nos grandes villes, est encore assez commun dans quelques-unes de celles de la Suisse et de l'Allemagne. M. Spielmann se soumit avec em pressement à un usage reçu dans sa famille. Il étudia en pharmacie, d’abord à Strasbourg, ensuite à Nuremberg, où cet art s’exerce avec une grande célébrité. La pharmacie n’occupoit point tous les momens de M. Spielmann; il cultivoit en même temps et avec une grande ardeur tous les genres de Littérature; et déja la médecine faisoit partie de ses travaux. De Nuremberg 1l passa à Leipsick, où VValther , Hebens- treit, Ludwig et Cramerenseignoient les diverses parties de l’art de guérir. Wolf et Hoffman le retinrent quelque temps à Hall; mais c'étoit à Berlin qu’il devoit faire le plus long séjour. Cette capitale, qui réunit depuis si long-temps des héros et des savans, où tous les genres de gloire sont rassemblés, où le bruit des armes prises tant de fois ne troubla jamais la paix des arts, si souvent recréés par la présence de la victoire ; cette ville étoit alors, comme aujourd’hui, célèbre par les grands maîtres qui composoient son Académie. Sproegel y professoit la médecine; Pott et Margraf, la chimie ; Ludolf, la botanique; Budæus, Cassebohm et Lie- berhunk , l’anatomie ; Fritsch , l'histoire naturelle des animaux ; et parmi ces grands noms, ceux de Frédéric Te 2. 4 5o ÉLOGES HISTORIQUES. | et de Henri, plus grands encore, fixoient déja les regards étonnés des voyageurs, comme ils arrêteront ceux de la postérité. M. Spielmann ne quitta qu’à regret une école où il avoit trouvé tant de lumières. Le fameux Henkel lui permit l'entrée de son laboratoire à Freibergs 1} suivit à Paris les lecons des Jussieu ; Reaumur et Geoffroy l’admirent dans leur intimité; et il revint à Strasbourg, riche des connoissances des peuples Les plus éclairés de l’Europe, et excité par cette émulation qui devoit illustrer sa carrière. Peu de temps après son retour il fut reeu maître en pharmacie, et successivement docteur et professeur surnuméraire en médecine. Sept années s’écoulèrent avant qu'il y eût une chaire vacante dont il pôt être titulaire, et pendant cet intervalle 1l se livra tout entier à l'étude de la chimie, de la matière médi- cale et de l’histoire naturelle, qu’il démontroit aux élèves. Ces lecons particulières acquirent une grande célébrité : les jeunes médecins venoient de toutes les parties de l’Allemagne pour les entendre, et l’Uni- versité de Strasbourg en recevoit un nouvel éclat. Empressée de lui en témoigner sa reconnoissance , elle ne craignit point de s’exposer au reproche d’avoir fait un choix bizarre en le nommant en 1756 à la place de professeur de poésie, qui vaqua cette année. On ne peut, sans être surpris, voir un chimiste chargé d’un département aussi différent du sien ; mais on sera peut-être plus surpris encore en apprenant qu'il a PHYSIC. ET CHIM. — SPIELMANN. 51 rempli les fonctions de cette chaire pendant trois années, à la grande satisfaction de ses auditeurs. Il avoit RTS les plus beaux passages des poëtes grecs et latins, dont la lecture lui étoit familière, et1l y puisoit les règles du goût; il se plaisoit à montrer combien Homère et Virgile étoient versés dans la connois- sance de la nature, dont l’étude est peut-être un peu trop négligée par les littérateurs modernes; et il ne cessoit d'inviter ceux qu’un attrait irrésistible entrat- noit vers ce genre de talent, à m'écrire qu’après avoir bien observé l’homme et ses rapports, et avoir éprouvé en eux-mêmes cette explosion d’une ame active, sans laquelle le discours est toujours incapable d’attacher et d’émouvoir. Les six livres de Lucrèce sur la nature des choses étoient ceux qu'il expliquoit et qu'il commentoit de préférence. Ce poëme, qui peut être consideré comme un traité de physique, où l’auteur expose et discute dans de beaux vers les opinions des philosophes sur les élemens des corps, sur la lumière, sur les sens et même sur les maladies, fournissoit à M. Spielmann l’occasion de tracer la marche et les progrès des sciences. On apprenoit peut-être dans ses lecons moins de poésie que d’histoire naturelle ; mais 1l avoit trouvé le moyen d’intéresser le public et de plaire en ins- truisant; ce qui doit être le but de tous ceux qui ont à parler aux hommes. En 1759, M. Spielmann abandonna une carrière qui lui étoit étrangère. Nommé professeur ordinaire 52 ÉLOGES HISTORIQUES. de chimie, 41 rentra avec joie dans son laboratoire pour n'en plis sortir; car sil est vrai que chaque chose ait besoin d’être à sa place, c’est à l’homme sur-tout qu'il est le moins permis de s’en écarter. M. Spielmann a exercé pendant vingt-quatre ans avec la plus grande distinction les fonctions de cette der- nière chaire. Il n’est point étonnant que la chimie ait excité dès son origine un enthousiasme universel. Ses recherches sont peut-être les plus piquantes de toutes celles qui s'offrent à la curiosité. La physique expérimentale pré- sente un appareil imposant; ses machines tracent les lois du mouvement et dévoilent le mécanisme des cieux; mais toutes ses opérations se passent à l’exte- rieur des corps : elle ne sait que les diviser; elle ne les décompose point. L'histoire naturelle embrasse les trois règnes : habile à comparer et à décrire, 1l n’est rien qu’elle n’observe, qu’elle ne classe; mais elle ne porte point son examen jusqu’à la structure intime de ces substances. Le chimiste, plus difficile à satisfaire, pénètre leur tissu. La dureté, la transparence, la mobi- lité , ne résistent peint à ses moyens. Des fluides légers, incoërcibles , sont dégagés , analysés et changés en des masses pesantes ; il sépare et réunit à son gréles élemens ; il semble créer de nouveaux êtres. Tant de change- mens inattendus, tant de formes données à la matière, des essais d’où naissent des espérances si vastes et des chimères si séduisantes, peuvent-ils ne pas enflam- mér l'imagination de ceux entre les mains desquels PHYSIC. ET CHIM. — SPIELMANN. 53 s’opèrent ces sortes de prodiges? M. Spielmann étoit vraiment digne de cultiver cette science. Quoique d’un caractère froid et tranquille il s’animoit dans son labo- ratoire; 1l étoit souvent assez heureux pour y res- sentir quelques-unes de ces inspirations qui donnentdes vues nouvelles et présagent des succès. Il se renfer- moït alors, et ne songeoit aux besoins de la vie qu'après avoir satisfait à ceux que l’amour du travail rendoit les plus pressans. Les recueils des thèses soutenues dans les univer- sités sont les dépôts où la plupart des savans étrangers consignent leurs recherches. Celles de M. Spielmann se trouvent parmi les Dissertations médicales de Stras- bourg , publiées à Nuremberg en quatre volumes, dont elles forment la plus grande partie. Ces mémoires, qui sont très-nombreux, peuvent être divisés en quatre ordres; plusieurs sont relatifs à la chimie et forment la première classe. L'analyse et les propriétés des eaux minérales de Niederbrun et de quelques autres sources sont exposées dans deux dissertations qui composent le second ordre; dans le troisième on peut ranger ses recherches sur l’acacia des boutiques et sur les diffé- rentes espèces de cardamome , plante cultivée par les anciens, et si mal décrite dans leurs ouvrages, qu'il est difficile d’en déterminer le genre par ce qu'ils en ont dit. Enfin deux mémoires sur des sujets relatifs à l'hygiène peuvent être rapportés à la quatrième classe. Dans l’un, il a fait connoître à ses concitoyens tous les végétanx malfaisans ou vénéneux de l'Alsace ; l’autre 54 ÉLOGES HISTORIQUES. contient l’analyse la plas exacte peut-être qui ait été faite des différentes espèces de lait considérées sous tous leurs rapports, dans des tables très-détaillées: Le but de cet ouvrage est de prouver que le lait maternel est le seul aliment que l’on doive offrir aux nouveau- nés; précepte que la nature a entouré de jouissances; et dont il est honteux qu'il faille rappeler le souvenir aux hommes. Au mérite des expériences faites avec ordre et expo- sées avec clarté, les dissertations de M. Spielmann joignent celui de l'exactitude et de l’étendue des re- cherches historiques. On voit en les lisant qu'il les a rédigées avec tout le soin dont il étoit capable; aussi n’a-t-1l point éprouvé le sort des écrivains qui, traitant légèrement le public, ne doivent pas être surpris d’en être traités de même. Les chimistes font le plus grand cas de son Mémoire sur la nature du principe salin; grande et belle question, parce qu’elle ne tient pas à nn ordre de faits isolés, mais à tous les êtres en général. Les acides des trois règnes y sont examinés successivement. Après avoir indiqué les quantités respectives de terre et d’eau qui les com- posent, 1l en conclut que l’acide vitriolique est le-prin- cipe salin le plus pur; que l’acide nitreux contient plus d’eau; que cet élement est plus abondant encore dans l'acide marin ; que dans ces deux derniers la combi- naison du principe salin proprement dit est alté- rée, et que les acides végétaux doivent à une certaine quantité d’huile inhérente des propriétés savonneuses PHYSIC. ET CHIM. — SPIELMANN. 55 qui sont utiles dans le traitement de plusieurs ma- ladies. Ailleurs 1l recherche quels sont les effets des dif. férentes préparations mercurielles sur les humeurs animales et principalement sur le sang, et 1l donne la préférence au mercure employé sous forme saline, parce qu'il est plus soluble et qu'il est plus facile d’en estimer les doses. Ce qu'il a écrit sur la nature de la bile, déterminée par des expériences exactes, sur l’argile, sur le prin- cipe de la causticité, sur l'acide imaginé par Meyer, dont il loue les travaux en rejetant son système, et sur les gaz dont il a publié l'histoire jusqu’en 1776, annonce un savant également consommé dans la pra- tique et dans l’étude de la chimie. Il a retiré de l'urine, par l'analyse, de l’eau, de l'huile, du sel marin, du sel fébrifuge de Sylvius, du sel admirable de Glauber, ur sel ammoniacal fixe, de l’alkali volatil, de l’acide phosphorique , de la sélénite et des terres vitrifiable, talcaire et alumineuse, dont 1l a fait connoître les proportions et les sources. Il regardoit le tartre comme un acide auquel se sont jointes, dans le travail de la végétation, quelques portions de terre calcaire et d’huile. On savoit depuis Stahl que tous les fluides dans les- quels l'huile, l’acide et la terre étoient réunis de mamère à produire une saveur douce ou sucrée, pou- voient fournir des esprits ardens. Quoique le lait pos- sède éminemment ces qualités, les chimistes étoient bien loin de présumer qu'il fût susceptible de la 56 ÉLOGES HISTORIQUES. fermentation vineuse : M. Spielmann lui-même en avoit long-temps douté; mais M. Oseret’s-Kowsky lui ayant assuré en 1778 qu'ilavoit vu les Tartares préparer, avecle lait de jument et sans aucune addition quelconque , une boisson spiritueuse , 1l donna le plan des expériences qui furent tentées à Strasbourg pour véxifier ces asser- tions, et 1l obtint le même résultat avec le lait devache: il ne faut que l’agiter long-temps dans un tonneau sans qu’il ait précédemment éprouvé la plus légère alté- ration. L'effet du mouvement est de s'opposer à la séparation des parties constituantes de ce fluide si légèrement umies entre elles, qui, retenues dans leur contact , fermentent ensemble et peuvent alors fourmis les principes nécessaires au produit que lon attend. M. Spielmann s’est assuré que le secours des farineux est inutile au succès de cette opération, dans laquelle les Tartares ont été nos maîtres. Ainsi le lait, cet aliment de l'embryon et de l’enfant, pent se changer en une boisson vineuse pour l’adulte, en un acide pour étancher la soif; 1l abreuve le malade d’une sérosité bienfaisante ; 1l contient une huile abondante et douce ; il fournit un sel analogue au sucre: lui seul pourroit suffire à tous les Âges et à toutes les conditions de la vie. Que de propriétés, que de vertus, que de subs- tances cachées dans un seul être! Disons avec Pascal : Combien l’homme est ingénieux et grand, puisqu'il sait démêler et créer en quelque sorte ces objets Lt son admiration et de ses besoims! Tous ces ouvrages, tous ces travaux étoient dirigés PHYSIC. ET CHIM. — SPIELMANN. 57 vers l'instruction ; et c’est principalement comme professeur que nous devons célébrer la mémoire de M. Spielmann. Deux excès doivent être évités dans ce genre, et cette extrême légèreté qui ne laisse point de questions indécises, et cette excessive réserve qui n'ose rien affirmer. Celui qui enseigne doit se consi- dérer comme un guide; si sa marche n’est point assu- rée, 1l ne peut inspirer de confiance à ses disciples. M. Spielmann avoit bien saisi ce juste milieu. Son usage étoit de rédnire à des propositions générales les résultats de ses réflexions et de ses expériences: s’il doutoit 1l en exposoit clairement les motifs ; sur-tout, il connoiïssoit le degré d’attention dont ses auditeurs étoient susceptibles, et il ne l’excédoit jamais. Ne pourroit-on pas dire qu’il en est de l’instruction comme des alimens, qui doivent être préparés avec choix et toujours proportionnés à la force des organes, que l’on affoiblit également et lorsqu'on les épuise et lorsqu'on les surcharge? Il n'appartient qu'aux grands maîtres de tracer les élémens des sciences qu'ils cultivent. Les Instituts de chimie rédigés par M. Spielmann justifient les éloges que nous avons donnés à la méthode de l’auteur. Il a suivi l’ordre des grandes opérations chimiques et non celui des règnes. Déja Geber et Vogel avoient adopté cette marche. Elle tient de plus près et mène _ plus directement à la pratique; et tous ceux que leur _ état engage à s’y livrer liront avec fruit cet ouvrage | écrit par une main que le travail a formée. Ils y remar- 58 ÉLOGES HISTORIQUES. queront sur-tout, ce qui ne se trouve point ælleurs, un exposé des progrès de la chimie, et des procédés des anciens comparés avec ceux des modernes. Ces Insti- tuts ont été traduits dans presque toutes les langues de l'Europe; et ils servent encore aujourd’hui de livre classique dans plusieurs universités; mais 1l ne faut point confondre avec les autres éditions celle que M. Cadet de Vaux a publiée à Paris en 1770. Revu par l’auteur lui-même, cet ouvrage est compté dans le petit nombre de ceux qui sont sortis des mains du tra- ducteur plus parfaits qu'ils n’étoient auparavant. La matière médicale, plus composée encore que la chimie, résulte d’un concours de connoissances qu'il “est très-difficile de réunir. Le Traité de M. Spielmann sur ce sujet, dont les grandes classes de médicamens forment les principales divisions , est digne de la répu- tation de ce professeur : 1l est écrit avec précision et:1l ne mérite point le reproche que l’on peut faire à tant d’autres. À en juger par leur étendue, on croïroit que. nos ressources en médecine seroient immenses : 1] semble que les auteurs de ces volumineuses productions aient voulu imiter ces ruses de guerre dans lesquelles on ajoute des armes simulées aux véritables pour tromper et inspirer plus de confiance par un appareil imposant. M. Spielmann a déterminé dans un autre onvrageles doses des divers médicamens. Enfin, dans sa Phar- macopée générale, à des procédés chimiques qui sont très-exacts, et à nne histoire complète des drogues, il a joint toutes les formules des plus célèbres méde- -PHYSIC. ET CHIM. — SPIELMANN. 59 cins connus , et sous tous ces rapports peu d'hommes ont travaillé dans ce siècle aussi utilement et avec autant de zèle pour l’avancement de notre art. Lawvigilance de M. Spielmann s’est étendue jusqu’au jardin de botanique de Strasbourg. Lorsque ce terrain lui fut confié, il n'y avoit ni serres, ni école ; aucuns fonds n’étoient destinés à son entretien. M. Spielmann en sollicita et en obtint; et ce jardin, qu'il distribua suivant un nouveau plan, est maintenant un des mieux tenus et des plus riches que l’on connoisse. M. Gérard, préteur de Strasbourg , l’a embelli en y déposant une collection des plantes les plus curieuses de l'Amérique septentrionale, qu'il a rapportées lui-même des environs de Philadelphie. Soignés avec une sorte de respect par M. Spielmann, acclimatés sous un ciel ami du leur et propice à leur culture, ces végétaux y rappelleront long-temps ce que peuvent l'alliance et les armes du monarque français. La Société royale nomma M. Spielmann son associé régnicole en 1777, et depuis cette époque 1l nous a fait parvenir, chaque année, le résultat de ses travaux. Si l’on en croit le témoignage des fils de M. Spiel- mann et celui de M. Lorenz, recteur de l'Umiversité de Strasbourg, auteur d’un éloge de ce médecin célèbre, nulle rivalité, nulle jalousie , nul chagrin, ne mêla son amertume à ses succès. Livré à des travaux qui fai- soient ses délices, comblé d’honneurs au sein même de sa patrie, entouré de disciples qui l’admiroient, d’une famille nombreuse qui le chérissoit, marié deux 6o ÉLOG. HIST. PHYS., etc. — SPIELMANN. fois sans avoir eu sujet de s’en repentir, jamais on ne courut avec plus de bonheur tous les hazards de la vie. En septembre 1783, 1l fut attaqué d’une maladie peu douloureuse, et la mort la plus douce termina sa carrière. Telle est l’histoire simple, mais rare, d’un citoyen qui vécut heureux et tranquille, quoiqu'il fût illustre par son savoir et recommandable par sa vertu. ne LT MR D EE id eg n ÉLOGES HISTORIQUES. TROISIÈME SECTION. ÉLOGES i DE WATELET ET DE VERGENNES; ET MÉLANCES DE LITTÉRATURE. ont one on on ot AVERTISSEMENT. L Société royale de médecine, que Vicq-d’Azyr avoit formée et qui fut constamment animée de l'esprit de son fondateur, considéra la médecine dans le point de vue le plus vaste et dans ses rapports avec toutes les sciences physiques et morales, auxquelles elle peut offrir ou demander un tribut de connoissances et de lumières. Cette illustre Société, qui fut pendant lons- temps obligée de combattre les ennemis les plus dangereux, ceux de la raison et de tout chan- gement utile, se trouva dans la nécessité de chercher souvent un appui dans le crédit de 62 :AWERTISSEME N'E. | quelques amis puissans, et d'inscrire sur la liste de ses membres les noms de plusieurs hommes que leur profession et leurs études habituelles rendoient entièrement étrangers à la médecine. Tels furent principalement WaATezET et DE VERGENNES, qui s’intéressèrent à l’établisse- ment de la Société royale, et que les membres de cette illustre académie placèrent par recon- noissance sur la liste de leurs associés libres. Nous avons cru devoir ranger sous un titre particulier les éloges de ces deux bienfaiteurs de la Société de médecine, et nous avons rap- « porté au même titre quelques mélanges littéraires de Vicq-d’Azyr, qu’il nous eût été impossible de placer dans une autre section. Ces articles, entièrement relatifs à la philoso- phie et à la littérature, prouvent d’ailleurs avec quelle supériorité l’esprit flexible de Vicq-d’Azyr savoit s'appliquer aux objets les plus éloignés du genre de ses études habituelles. Ces articles sont, 1.° une Notice historique sur les académies ; 2.° des Réflexions générales sur les sciences, en réponse au Discours de Rousseau ; 3.° un Discours lu à l’ouverture de la séance du 26 octobre 1784, à laquelle le prince Henri de Prusse assista. ÉLOGES HISTORIQUES. 63 ve oo os on Sd ot dt Sd tt os WATELET. ns on ns nt so nt Came le nom de M. Watelet, qui a consacré sa vie entière à la poésie et aux arts, s'est-il trouvé inscrit sur notre liste ? Je me hâte de répondre à une question que le public a sans doute le droit de nous faire. Lorsqu'en 1776 feu M. Turgot et M. de Malesherbes obtinrent la sanction royale au plan de notre institu- tion ; M. VVatelet contribua beaucoup à ce succès par son crédit et par ses conseils ; et des circonstances par- ticulières lui confièrent en partie l’examen de nos pre- miers règlemens. Ce furent donc la reconnoissance et l'amitié qui le placèrent parmi nous ; c’est d’elles aussi que sa mémoire attend le tribut de nos regrets, et c’est en leur nom que je sollicite l’indulgence de l’audi- toire. Chargé , pour obéir à nos lois, de lire dans cette séance l’éloge de M. VVatelet, et ne pouvant le louer que par ses œuvres , je demande la permission de par- ler ic1 des belles lettres et des beaux arts. Craune-Henr: VVarezer, receveur général des finances, l’un des quarante de l’Académie française, … des académies de Berlin , della Crusca, de Cortone, de ù l'Institut de Bologne, honoraire des Académies royales … de peinture et d’architecture , associé libre de la Société { VA 2%, 64 ÉLOGES HISTORIQUES. : royale de médecine, naquit à Paris le 28 août 171: ; de Henri VVatelet, receveur général des finances de l’Orléanois , et de Marguerite de Beaufort, fille de M. de Beaufort , fermier général. Hl fit ses humamités au collége d'Harcourt. On remarqua de bonne heure en lui un goût très-vif pour le dessin et pour la musique, et ses parens ne mirent aucun obstacle à ces dispositions, Il n’est point en effet d'étude qui convienne mieux à la mobilité de l’enfance et à l’activité de la jeunesse que l’étude des arts. Considérez jusqu’à quel point tous les organes sont alors impatiens de jouir : 1l n’est rien que l'enfant ne voie, qu'il ne touche, qu'il n’entende, qu'il ne répète , qu'il n’imite. Voulez-vous accélérer le développement de ses facultés ? appelez à votre secours les beaux arts, si mal-à-propos exclus des collèges, et qu'ils soient admis parmi ses jeux : que son oreille soit frappée de l'harmonie des sons , et vous le verrez régler ses mouvemens sur leurs mesures. Dessinez en sa pré- sence les objets qui l’auront le plus intéressé , et vous arrachant le crayon, 1l vous forcera de hui apprendre à s’en servir. Ouvrez-lui ces ateliers daus lesquels Par- gile prend sous la main de l’artiste des formes divines ou humaines, et l'enfant qui voudra la paîtrir acquerra des idées exactes des grandeurs et des contours ; 1l se plaît à représenter par des constructions bizarres des temples et des autels. Qu'il joue avec des colonnes de tous les ordres , qu’il les combine de mulle ma- nières ; et sa curiosité vous interrogera bientôt sur leurs ; WATELET. 65 attributs et surleurs rapports. Ainsi vous n'aurez parlé qu’à ses sens et vous l’aurez instruit ; sans l’attrister vous aurez obtenu son attention et fixé son inconstance ; en un mot , 1l sera subjugué, mais il n’aura point cessé d’être libre , parce que vous lui aurez montré la nature avec tous ses charmes , et qu’il se sera lui-même ‘soumis à l’observation de ses lois. Presque tous les détails de ce tableau peuvent s’appli- quer à l’enfance et à la Jeunesse de M. Watelet. Sa santé , foible et chancelante, avoit besoin des ménage- mens d’une éducation facile , de l'exercice modéré que donne la pratique des arts + et sur-tout de ces émotions douces qui développent dans les organes la sensibilité, le mouvement et l'énergie, On jugea qu’un voyage contribueroit à le fortifier ; et son père, qui l’aimoit tendrement , le fit partir pour l'Allemagne, qu'il parcourut accompagné de M. Leroi de Saint-Agnan , médecin , et homme aimable autant qu'éclairé. À Vienne il fut témoin des fêtes qui eurent lieu à l’occasion du mariage de la feue impératrice reine Marie-Thérèse ; 11 passa en Italie par le Tyrol ; à Na- ples il fut attaqué de la petite-vérole; à Rome , 1l fut plus heureux ; sa santé y devint meilleure et il y acquit un ami. M. Pierres, actuellement premier peintre du roi 4 y résidoit alors. Ils se lièrent intimement ensemble, ÿl TA , . A ! Mème respect pour l'antique, même pureté de goût , même amour du vrai , les ont toujours caractérisés l’un T. 2. e] Le TR TR Ts 66 ÉLOGES HISTORIQUES. et l’autre. Devenu en quelque sorte un des élèves de l'É- cole françoise à Rome, M. YYatelet s'associa à leurs travaux. Il visita avec eux les monumens répandus dans cette capitale des arts , où il prolongea son séjour. Pour savoir jusqu’à quel point ce spectacle devoit l'intéresser, que l’on jette un regard sur le tableau de sa vie. On le verra recueillant dans les ouvrages de Michel-Ange et de Raphaël les principes des proportions et de l’ensemble ; on le verra; joignant le talent de la poésie à celui des arts, peindre en vers français , d’après le Tasse, la prudence consommée de Godefroi, la bra- voure souvent indocile de Renaud ; l'amour furieux dans Armide, passionné, mais doux et tendre dans Her- minie ; on le verra parmi les féeries de l’Arioste es- sayer de transmettre dans notre langage la gaieté la richesse et la variété de ces tableaux. Il crayon- nera les exploits du terrible Roland , les aventures du sensible Roger ; pénétrant avec lui dans le palais de l'enchanteresse Alcine, il nous la montrera si tou- chante, que nous n’apercevrons en elle d'autre pouvoir que celui de ses yeux ; d'autre magie que celle de sa beauté : et si l’on se rappelle qu'âgé de dix-neuf ans 1l habitoit la patrie des grands hommes qui ont donné ces chefs-d'œuvres au monde ; que ce fut alors qu'il traça d’une main libre et hardie le plan auquel il a soumis toute sa carrière , qu'il se voua pour toujours à l'étude des lettres et des arts : on jugera sans peine 4 de l'énergie de son zèle et du bonheur de ses premières | années. 1e ze re WATELET. 67 Mais il fallut quitter ces climats où les jours cou- loient si promptement pour lui : 1l revint en France ; où la renommée avoit publié ses succès. Sa tête étoit pleine d'images ; les illusions de la Fable, embellies par le pinceau des grands artistes , s’offroient en foule à sa mémoire ; en un mot, il étoit devenu poëte à l’'E- cole de Rome , parmi les peintres ; à Paris 1l se distin- gua comme peintre et comme poëte , et ileut des succès dans ces deux genres. Bientôt les sociétés les plus brillantes le recherchè- rent. À une amabilité naturelle, il en joignoit une, ac- quise, qui plaisoit peut-être davantage ; il faisoit avec facilité des chansons , des fables, des drames , des opé- “ ras; il raisonnoit sur les divers genres de poésie , de peinture , de musique, sur les antiquités ; 1l sembloit avoir plusieurs formes, comme il avoit plusieurs talens ; et on le fêtoit dans des cercles dont les goûts étoient opposés : chez Mesdames de Tencin, de Pompadour, et Geoffrin, chez MM. de Maurepas, de Caylus et d’Argenson. Il étoit sans doute à craindre que ce succès rapide, récompense dangereuse d’un talent naïssant , ne nuisît à sa maturité. Peut-être aussi pourroit-on dire que M. VVatelet ne se défia pas toujours assez de ce pen- chant qui entraîne l’homme de lettres vers le torrent “du monde, où il est applaudi. Là manquent deux grands moyens sans lesquels nul m’attemt à la perfection: la éditation et le temps ; mais sil fut quelquefois séduit, _ilnese laissa jamais aveugler. Il distingua toujours, L \ 68 ÉLOGES HISTORIQUES. ‘ parmi ses écrits ceux qu'il destinoit au public , d'avec ceux qu'il accordoit aux diverses circonstances de la société ; et si cette dernière part a été la plus forte, pourquoi le blimerions-nous d’avoir sacrifié sa gloire À son bonheur , et l'amour-propre à l'amitié? Celle de ses occupations qu'il préféroit et à laquelle il revint toujours , fut l'étude des arts. S'il en est un dont les principes méritent d’être re- cueilliset ornéspar la main des poëtes n'est-ce pas l’art de peindre ? Déja Dufresnoy (1) et Marsy (2) en avoient tracé les élémens dans des vers latins , aussi bons peut- être qu'il soit possible d’en faire à présent; mais la langue française, qui compte maintenant plus d’un succès dans ce genre (3), ne s'y étoit point encore essayée lorsque M. VYatelet résolut de s’y livrer ; il ne se dissimula point les difficultés de son entreprise. Composer un poëme sur la peinture n’est-ce pas en effet s’astreindre à montrer ses rapports avec tous les arts, avec tous les événemens , avec toutes les passions ? n'est-ce pas em- brasser la nature entière , les dieux et leur puissance; le cielet ses merveilles, la terre avec tous ses sites et ses Yinir 6 çe EM (1) Pictura, carmen; auctore Francisco Maria Marsy. (2) De arte graphica liber ; auciore C. A. DuFREsNOY. (3) Voyez La Peinture, poëme en trois chants, par M. LEMIÈRE; | in-4.0, à Paris, chez Lejay, libraire, rue Saint-Jacques, au-dessus des Mathurins, au grand Corneille, 1769- de On trouve dans ce poëme, écrit avec enthousiasme, un grand nombre de tableaux élégamment et fortement dessinés. HN WATELET. 69 _ tableaux , ses plaines et leurs moissons ; ses montagnes et leurs volcans , ses forèts et leurs ombrages ; ses mers, leur calme et leurs tempètes ; le temps et ses époques, l’histoire et ses lecons , la Fable et ses mensonges, l'homme lui-même , enfin , avec sa grandeur et sa mui- sère ? Toutes ces images se présentent en foule au poëte étonné , que l’ascendant de son génie peut seul élever à la hauteur d’un aussi grand sujet. Averti par cette pensée, M. VWVatelet connut ses forces ; et déterminant la marche et les limites de son projet, 1l sut les mesurer avec celles de son talent. Le dessin , la couleur et l’invention forment la divi- sion de son poëme (1) : 1l dit dans ses vers quelles sont les proportions des différentes parties du corps, com- ment on en exprime les attitudes et les contours ; com- ment doivent être dirigées les lignes de la perspective , de quelle substance l'artiste doit se servir pour colorer ses pinceaux : et ces détails ont tous reçu les formes de la poésie ; et lorsqu'il traite de l'élégance et du goût, [I (1) L'Art de peindre, poëme, avec des réflexions sur les diffé- rentes parties de la peinture ; par M. Watelet, associé libre de l'Académie royale de peinture et de sculpture : nouvelle édition, augmentée de deux poëmes sur l'Art de peindre , de M. C. A. Dutresnoy et de M. l'abbé de Marsy. À Amsterdam , aux dépens de la compagnie, 1761. * Ce poëme avoit été publié précédemment in-4.0 grand papier, Paris, 1760. Il y a aussi une édition in-8.® de la même année. . Ce poëme a essuyé plusieurs critiques : voyez, entr'autres!, la tire à M***, contenant quelques observations sur le poëme de L'Art de peindre. 70 ELOGES HISTORIQUES. il ne manque jamais de donner à la fois le précepte et l'exemple. ( Que l’on ne croie pas cependant que tout le mérite de ce poëme didactique se borne à l’enseignement et à l'exposition. Qu'on jette les yeux sur la belle descrip- tion des couleurs du prisme ; qu’on lise les adieux d’An- dromaque et d’Hector , et le tableau du vainqueur de Porus , et les attributs des héros d’Homère : et l’on né pourra refuser à M. VWVatelet le double laurier qu’il a mérité comme peintre, et comme poëte en chantant les beaux arts. | Les réflexions qu’il a publiées à la suite de ce poëme ont réuni tous les suffrages ; leur distribution est yrai- menti pittoresque. En tête de chaque article est le por- trait du peintre le plus célèbre dans le genre qui en est le sujet; de sorte que ce n’est pas l’auteur, mais le peintre lui-même qui parle et qui enseigne. On ne lit point un livre; on assiste aux leçons des grands ar- tistes, et on s’instruit à leur école. Avec eux, on recherche , dans l’examen des statues antiques, comment de la réunion des parties proportion- nées d’un corps naît son ensemble ; on compare le jeune Faune avec lAntinoïüs , celui-ci avec le Gladia- teur , et l'Hercule avec le Laocoon (1); et parcourant (1) Les artistes qui veulent donner une idée complète de la douleur doivent, s'ils suivent les conseils de M. Waletet, avoir sans cesse sous les yeux le Laocoon : on voit les affections déchi- rantes s'étendre jusqu'aux extrémités, à raison du grand nombre d'articulations et de cordes qui s’y trouvent dans un pétit espace: y «2 d WATELET. 2 ainsi dans ces chefs-d’œuvres des arts le cercle des di- vers âges et des différentes conditions de la vie, on y découvre ces règles précises , ces dimensions exactes d’où résulte la beauté des formes, dont elles sont la me- sure, et qu’une étude profonde a retrouvée et fait revivre parmi nous. Des proportions (1) et de l'ensemble naissent l'équilibre et le mouvement ; et c’est Léonard de Vinci que M. Watelet interroge sur cette partie de son art. C’est par son organe qu'il expose comment les efforts et l'appui, mal combinés entreeux, donnent de la gène à la figure et de la fatigue au spectateur. Vous aimez à voir Hercule tenant le géant Anthée suspendu dans ses bras nerveux et prêt à l’étouffer sur son sein : c’est que les lois de l'équilibre, com- plétement observées dans ce groupe, vous rendant en quelque sorte témoins de l’action, vous applau- En effet, chaque doigt éprouve une portion de la douleur qui agit sur tous les muscles; il semble que les affections, portées jusqu'aux extrémités, redoublent de violence, parce qu’elles ne peuvent s'étendre plus loin. (1) 11 paroît naturel de croire, dit M. Watelet, qu’un objet , par exemple, une figure d'homme ou de femme, représentée dans sa grandeur et dans les proportions naturelles, a quelque avantage relativement à l'illusion dans la conformité des dimensions. Il est une infinité de circonstances où cet avantage est sensible. Ainsi la représentation de la servante de Rembrant, dont ce peintre …. exposa le portrait à sa fenêtre , w’auroit pu tromper les passans “si limitation avoit été plus grande ou plus petite de proportion . que la nature. 0 Mais il faut observer que plus on s'appuieroit sur cette base, … moins l'illusion appartiendroit au Hibéral de Part. 72 ÉLOGES HISTORIQUES. dissez à la défaite du monstre impie vaincu par le demi -dieu. Qui peut mieux,que le Titien donner des leçons sur l’harmonie des couleurs ? Qui dira mieux que luicom- ment les rayons, dirigés du centre Inmineux vers les divers points de l’objet, y portent le jour et sont ter- minés par les ombres; quelles sont les lois de leur in- cidence et de leurs reflets ; quelles sont celles de la dé- gradation des couleurs et de leurs sympathies ; jusqu’à quel point les organes de l’artiste influent sur le ton de ses tableaux, et sur-tout avec quel soin on doit évi- ter le faux-brillant qui, dans la peinture comme dans la poésie et dans toutes les productions de l’esprit , di- minue l'effet au lieu de l’augmenter. De ces nuances bien senties résultent la grace (1} et la beauté , dégagées de toutes les fantaisies de la mode et de la contrainte des mamières , telles enfin qu’on les voit quelquefois sortir des mainsde la nature , ou telles qu’on les a vu naître sous les pinceaux du Corrège et de l’Albane. Ne fant-l pas encore que l’expression anime et varie les tableaux? [ci le Dominiquain et le Brun se réunissent (1) La grace, dit M. Watelet, naît du juste accord des sentimens de l'ame avec l’action du corps : le peintre, pour la représenter, doit donc apprendre à bien connoître, par l’observation et par la méditation , cette marche corrélative des affections et des mou- » vemens ; marche quelquetois parfaitement correspondante, maïs NU. trop souvent inégale, soit que l'expression éprouve de la gêne, où. que le sentiment soit contraint. LE AE? fi An NWATELET. 73 pour dévoiler les secrets de l’ame affectée par les passions, et pour apprendre l’art d’en saisir extérieu- rement les caractères ; mais où trouver des sujets pro pres à ce genre d'imitation ? Seroit-ce dans les villes, où les gestes et la physionomie obéissent à la convention dès l'enfance ? Seroit-ce près des villes , où tont ce qui les environne , les champs , les animaux , et les arbres ‘eux-mêmes, portent le sceau de la contrainte et de lumiformité sociale? Seroit-ce loin des villes, où les or- ganes, fatignés et grossiers, ne reçoivent qu'un petit nombre d’impressions qu'ils savent aussi dissimuler ? Parmi tant de causes propres à masquer la nature, le seul modèle des arts, qui retrouvera la trace des émotions du cœur humain, si ce n’est l'observation guidée par l’en- seignement des grands maîtres dans les académies, où l’on garde un souvenir profond de ce que homme fut autrefois , et de ce qu'il a perdu , dans les grandes asso- ciations , de force, de franchise et de simplicité ? Est-il donc une étude plus grande et plus belle que celle de l’art de peindre ainsi considéré? Comme il s’unit à la philosophie par le tableau des sensations ; à la morale, par celui des vertus et des vices ; à l’his- toire naturelle , par celui des attitudes et des gestes ; à la science de l'équilibre , par les lois de la pondération des figures ; à l'optique , par les illusions de la pers- » pective ; à l'anatomie , par le dessin des masses et des marticulations ; enfin, à la chimie, par la fabrication et e mélange des couleurs ! En lisant cet ouvrage, on est étonné du grand 4 ÉLOGES HISTORIQUES. nombre de pensées et de vues resserrées par l’auteur dans aussi peu d'espace. Ces réflexions ne sont en effet que le sommaire d’un grand traité auquel M. Watelet à consacré sa vie, qu’il a enfin rédigé sous la forme de dictionnaire , et dont le public jouira bientôt. Tout ce qui concerne l’art de peindre y est discuté sans lon- gueur et sans ennui ; le précepte ne s’y montre jamais isolé ; on voit toujours d’où 1l naît et ce qu’il doit pro- duire. L’enthousiasme et le goût (1) sont assujétis à quelques règles ; elles y sont tracées. Nul n’y puisera sans doute ni cette vive émotion d’où l’ame tire sa vigueur, mi ce tact exquis d’un sens intime qui la di- rige dans ses jugemens; mais ceux qui en sont pour- vus y trouveront des conseils dont ils sauront profiter. (1) 11 faut distinguer, suivant M. Watelet, le goût qui jouit, du goût qui opère : non qu’ils soient essentiellemeut différens, mais parce que l’un agit avec promptitude, et l’autre avec réflexion. Du reste, tous deux ont également pour base ce sentiment délicat qui se décide d’après les convenances ou d’après les conventions. Le goût, appuyé sur les convenances , a plus de perfection et de stabilité. En effet , les convenances naissent de la nature même des hommes, c’est-à-dire de ce qu’ils sont essentiellement et de ce qu'ils doivent être les uns à l’égard des autres dans l’ordre général. Le goût, appuyé sur les conventions, est plus restreint, parce que les conventions n’embrassent ni les choses ni les hommes en général, et ne s’établissent le plus ordinairement que parmi un certain nombre d'hommes. Aussi les conventions diffèrent entre elles dans les différens climats, dans les temps divers , dans les sociétés, et jusque dans les plus petites portions des sociétés. C'est par ces raisons que le goût qui nait des conventions peut À être établi sur tant de bases qu’on doit le regarder comme > arbis. À traire. WATELET. 75 L’art de peindre reconnoît deux origines ; l’une natu- relle, l’autre historique. Ce bel art exerce son domaine sur deux mondes, dont l’un est réel et l’autre imagi- naire ; il représente deux espèces de beautés , dont l’une est vraie et l’autre seulement idéale. Tantôt 1l montre la vérité dans tout son jour , tantôt 1l la cache sous le voile des symboles. S'agit-il de ses genres? Ils sont assez variés pour suffire à tout ce que l’esprit peut concevoir d'images et de tableaux. S'agit-il de ses procédés et de ses effets ? Les uns sont aussi minutieux que les autres sont sublimes. S'agit-il enfin de la poétique de cet art? Elle se compose de tout ce que l'imagination a de moyens et d'énergie. On lit dans le Dictionnaire de M. Watelet (1) un grand nombre d'articles , ou plutôt de traités sur ces différentes matières. :. S'il falloit indiquer quelqne rapprochement entre nos travaux et les siens, nous le trouverions dans les mots ANATOMIE et FIGURE qu'il a rédigés, soit pour l’ancienne édition de l'Encyclopédie , soit pour le Dictionnaire qui fera partie de la nouvelle ; et nous prouverions que plusieurs de nos connoissances ne lui étoient point étrangères , en faisant voir combien ce qu'il a dit du squelette et des muscles est exact et précis. . (1) Dictionnaire de peinture, destiné à faire partie de l’'Encyclo- pédie méthodique. On trouve en tête des notions préliminaires sur la peinture , et un tableau des principales parties qui consti- uent cet art. J'ai entre les mains les premières feuilles de ce lictionnnaire jusqu'au mot Conrowur ; en tout 126 pages in-4.° en _ deux colonnes. 76 ÉLOGES HISTORIQUES. Veut-on maintenant avoir une juste idée de ce que fut M. Watelet, à quitant de rapports étoient connus? Que l’on se représente un homme également versé dans toutes les parties des sciences et des lettres qui intéres- sent les beaux arts; se servant avec le même succès de. la plume , du burin et du pinceau ; placé pour ainsi dire entre les poëtes ; les philosophes et les artistes , et rendant communes à tous les richesses propres à chacun d’eux ; souvent consulté, parce qu’il joignoit à Paffabi- lité une vue qui s’étendoit au loin, et un tactqui s’ap- pliquoit à tout; consultant plus souvent encore , parce nul ne rechercha de meilleure fo1 l'instruction et les lumières ; applaudissant avec transport au talent ; habile à consoler et à faire renaître le courage dans les revers; accueillant les élèves, sur-tout lorsqu'ils avoient plus besoin de ses secours que de ses avis; les recevant dans sa maison , les traitant en père ou en ami, et jamais en protecteur ; en un mot, amant les arts sans faste et les artistes pour eux-mêmes , et formant des vœux qui étoient tout entiers pour leurs progrès et pour leur gloire : tel fut M. VVatelet aux yeux de ses contempo- rains , et tel il doit paroître à ceux de la postérité. Jusqu'ici je l’ai présenté comme livré seulement à l’art de peindre : 1l a traité, dans un autre ouvrage (1), de l’origine et de la destination des beaux arts , consi- (i:) De l’origine et de la destination des arts libéraux; in-8.°, 1779. La première partie est depuis ce temps prête à paroîtreÿ je ne sais pourquoi elle n’a pas encore été rendue publique. nil it à, ri ts ist à 3 | WATELET. 77 dérés en généralet sous leurs différens rapports. J ’ajou- terai même qu'il n'a montré nulle part autant de pro- fondeur. Cet écrit ; dont la première partie est impri- mée , étant point connu , j'ai cru que l’on me sauroit gré d’en publier une esquisse (1). Î Interroge-t-on la nature? dit M. Watelet: on est sur la route des sciences. Cherche-t-on à l’imiter ? on est sur celle des arts. Ceux-ci fixent-ils votre attention, et demandez-vous quelle est leur origine? Semblables (1) TaëzeaAu des principales parties qui constituent l’art de la peinture. 11 faut considérer dans l’art de la peinture, SON ORIGINE EE 2" 2 © A) —… plus nobles des institutions qui du slétablissent dans les sociétés ; je veux dire les systèmes de re= NATURELLE. L'origine naturelle de la pein- ture a pour fondement un besoin et un penchant universel qui portent l’homme à exprimer ce qu’il sent, et à imiter. Ce besoin et ce penchant, qui font partie de la nature de l’homme, lui rendent les arts libéraux indis- +pensables ; et ces arts, au nom- bre desquels est la peinture, deviennent des langages intel- lectuels , attachés sur-tout aux ligion , d'héroïsme et de patrio- tisme. HISTORIQUE. L'origine historique de la pein- ture a pour base les monumens de l'antiquité ; mais ces monu- mens offrent peu de faits cer- tains. On trouve dans les an- ciens auteurs qui ont traité de l'histoire des arts quelques cir- constances et quelques détails qui intéressent la curiosité. Ils ne sont la plupart ni essentielle- ment nécessaires, ni infiniment utiles aux progrès des artistes. 78 ÉLOGES HISTORIQUES. aux races illustres , leur génération se confond avec celle des hommes. Leur principe commun est l’imita- tion. Avant M. Watelet , l'abbé le Batteux l’avoit dit, et 1l avoit trouvé le germe de cette idée dans Aristote. Que l’on observe l’homme dans tous les temps de sa vie, à et on le verra pressé par le désir d'exprimer ce qu'il Suite du tableau sur l’art de la peinture. SON USAGE, EE © UTILE Aux sciences et insti- tutions en général par la représentation des objets dont elles s’oc- cupent, et des moyens qu’elles emploient ; A histoire, par la représentation des faits, par la conservation fi- dèle des objets, des monumens , des ressem- blances, et des usages en particulier ; À la morale, par la représentation des ac- tions Jlouables; et enfin, Auxinstitutions, parce que la peinture les rend sensibles, en mettant sous les yeux les faits qui appartiennent à ces institutions , et les allé- gories qui leur sont pro- pres. UTILE ET AGRÉABLE .Aux arts libéraux, par les rapports que la peinture qui en fait partie a avec eux. Aux arts mécani- ques, en facilitant l'intelligence , l’exé- cution et l’imitation de tout ce qu’invente l'industrie humaine ; car l’art de la pein- ture est à cet égard une langue univer- selle. + AGRÉABLE, Comme objet de délassement et de plaisir, soit par la satis- faction particu- lière que la pein- ture faitéprouver dans les imita- tions qu’elle pro- duit ; | Soit à titre de monumens et d'ouvrages pa- triotiques ; Soit encore à titre de propriété et de jouissance personnelle. WATELET. 79 sent, et d’imiter ce qu'il voit. Qu'on le suive avec le secours de l’histoire dans l'étude progressive des arts, *t l’on apercevra qu'en imitant 1l a mis en usage des moyens de divers ordres ; que ses représentations ont é A \ . d’abord été simples , et qu’elles sont ensuite devenues é 7 UN E , \ . : f. complexes ; c’est-à-dire qu'après avoir rendu les formes par des formes plus habiles à tromper , 1l a enfin repré- senté les reliefs par des traits et par des couleurs. Suite du tableau sur l’art de la peinture. SA PERFECTIBILITÉ me" PAR LA THÉORIE, .! Au moyen de len- chainement des princi- pes nécessaires à Part; Par les secours qu’elle tire des parties de dif- férentes sciences, telles que l’anatomie , qui dé- montre au peintre l’os- téologie et la myologie ; Par les mathémati- ques, qui seules peuvent donner des lois précises de la perspective et de la pondération ; Par l’histoire et la fable, où se trouvent | consignés les faits inté- ressans et le costume … des peuples, ainsi que _ les allégories. Au moyen des observations sur les formes des corps ; Leurs couleurs; Les effets de la lumière ; Les effets des passions ; Les mouve- mens apparens des corps ani- méÉs ; Les accidens de toute espèce auxquels la na- ture visible est sujette. PAR LA PRATIQUE, Qui comprend : L'exercice habituel de l’art, d’où résul- tent la liberté et la facilité d'opérer ; Le choix des meil- leurs moyens et de tous les secours que peut employer l’art; Le perfectionne- ment des ustensiles et des matières, de la préparation de ces matières , et la par- faite connoissance de l'emploi qu’on peut et qu'on doit en faire. 80 ÉLOGES HISTORIQUES. Recherche-t-on quelles sont les liaisons des beaux arts avec nos besoins? M. Watelet répond qu'ils doivent être considérés comme autant de langages (1). Le plus simple. (i) Taszeau des six arts ou langages libéraux, avec la diffé- rence qui distingue trois d’entre eux des trois autres, d’après M. Watelet, Arts ou langages dont les productions sont transitoires ou instantanées. Art de la Pantomime . . . . Langage d’action. Art de la Parole . . . . . .« Tangage des sons articulés. Art de la Musique ... . . . Langage des sons modulés. Arts ou langages dont les productions sont fixes et durables. Langage par l’imitation des for- Art de la Sculpture. . . . . mes de tous les objets visibles et palpables. Langage par le moyen des dispo- A Me A r-ébiiééinre A ir + ingénieuses et RES tives dont les constructions sont susceptibles. Langage par le moyen des cou- leurs , disposées et appliquées avec intelligence et intention | sur des surfaces unies. : Art de la Peinture... . . La différence ci-dessus indiquée consiste, d’une part, dans l’ins- tantanéité d'existence | De la Pantomime, De la Parole, Et de la Musique. ” De l’autre part, dans la fxité et la durée fe , De la Sculpture, à De lArchitecture, | 1 Et de la Peinture. WATELET. 84 et le plus ancienest le langage d’action ou la pantomime, Celui des sons articulés ou la parole lui a succédé. Celui des sons modulés, plus tardif, dut à la joie ses pre- miers accens ; etces trois moyens d'expressions, images de la pensée ,» Sont aussi prompts et aussi peu durables qu’elle. Ils ont cessé, et leur trace n’est déja plus. La peinture , la sculpture et l'architecture constituent trois autres langages dont les produits, au contraire, sont permanens , et peuvent en quelque sorte parler à plu- sieurs siècles. | Tous ces moyens d'expressions ont donc un principe d'existence bien déterminé dans l'exercice des facultés intellectuelles. Essayons de montrer comment ils sont parvenus, dans les grandes sociétés ; au plus haut point de perfection et de gloire. Ne cherchons cet exem- ple ni dans les climats où l'excès du froid ralentit le feu de la vie , ni dans les pays brûlés par une chaleur ar- dente , où l’inaction est un besoin. Fuyons encore les lieux habités par des esclaves , et disons: S'il a existé une nation brave et polie, qui, sous une tempéra- ture donce et modérée , ait possédé une langue harmo- nieuse et riche ; qui , reconnoissant autant de puissan- ces dans le ciel qu'il y a de vertus et de passions dans le cœur humain , leur ait rendu un culte aussi magni- fique dans sa pompe , qu'ingémieux et délicat dans ses allégories ; qui ait placé la victoire et la liberté sur les autels ; qui passionnée, pour les actions d’éclat les ait récompensées par des apothéoses ; qui se soit ho- : norée elle-même en se croyant en partie composée de UN re, 2, 6 82 ÉLOGES HISTORIQUES. demi-dieux : si cette nation a existé , ca été sans doute au milieu d'elle qu'ont fleuri les beaux arts. Qui ne retrouve pas l’ancienne Grèce dans cette esquisse ? Là s'établirent trois cultes trèés-distincts | quoique liés ensemble de la manière la plus étroite : le culte des dieux , le culte des grands hommes et celui de la pa- trie. Là furent célébrés des fêtes et des triomphes ; là furent élevés des statues et des temples ; là enfin le ciseau des arts , exercé par tant de glorieux travaux , s'immortalisa dans ces monumens consacrés au gémie des héros et des peuples avec lesquels 11 devoit partager un jour l’admiration de l’univers (1). Dans la suite de ces mémoires , que l’on quitte à regret , l’auteur offre comme très-probable une conjec- ture ingénieuse. [l présume que le dessin, dont les élémens sont des lignes droites et courbes de toute (1) J’ajouterai au tableau de cet ouvrage un résultat qui sufhroit pour en faire sentir toute l'importance , c’est qu'en considérant les trois institutions ou cultes portés si loin dans l’ancienne Grèce comme la cause princivale de l’avancement des beaux arts, soit que l’on parcoure l’histoire , soit qu’on jette un coup d'œil sur l’état actuel de l’Europe, on trouve par-tout une liaison si intime entre leurs progrès et ces grands mobiles de l'esprit des nations, qu’on peut toujours juger des uns par les autres ; vu la juste proportion M qu'ils conservent entre eux. Il semble, a dit un philosophe moderne , que l’amour- propre des princes soit encore plus intéressé à protéger les beaux arts. que les sciences mêmes : car lorsqu’en parle de celles-ci, on dit le siècle d’Aristote, de Newton; et lorsqu'on parle des arts, on dit ; le siècle d'Alexandre , de Léon X, des Médicis, et de Louis XIV" e Re SE, ep WATELET. 83 espèce, peut n’avoir été dans son principe qu’une imi- tation de la pantomime , par laquelle sont tracées des lignes semblables dans le vague de l’air. IL expose par quelles nuances ces signes durables des gestes ont pu conduire à ceux des idées: enfin, comment, en les fixant par des caractères , l’homme est parvenu à join- dre le passé au présent, et , soutenu sur cette base , à s’élancer vers l’avenir. - Après avoir fait une étude aussi longue et aussi réflé- … chie des arts, il étoit naturel que M.VWVatelet désirât de revoir l'Italie. Des personnes de sa société intime et qui avoient les mêmes goûts l’accompagnèrent. Il mit - surtout un grand soin à comparer ses sensations avec * celles de sa jeunesse , et 1l jugea mieux parce qu'il fut | moins séduit. M. Watelet reçut dans toutes les capitales où il sé- journa des témoignages de la considération publique. Le roi de Sardaigne et le pape Rezzonico l’accueillirent d’une manière distinguée. Il rentra avec joie dans l'E- cole française à Rome: 1l s’y étoit assis parmi les élèves, il y fut fêté comme un des maîtres de l’art. Il devint l’ami du cardinal Albani, lun des plus grands littéra- teurs et des plus aimables hommes de l'Italie ; il se lia avec les PP. Lesueur et Jacquier, que leur attachement - { réciproque avoit rendus célèbres, et dont les cœurs sen- sibles ne s’approchoient pas sans émotion; et il revint à is avec des connoissances et des affections nouvelles. Quelques années auparavant, M. Watelet avoit par- la Hollande et les Pays-Bas autrichiens dans le 84 ÉLOGES HISTORIQUES. dessin de connoître les tableaux sortis de l’école de Hubert et de van Dick. Ses délassemens, parmi tant de travaux consacrés aux arts, étoient la traduction en vers français de la. Jérusalem délivrée et de Roland le furieux , et la com- position de quelques autres ouvrages en vers , tels que des comédies et des fables. Pour mieux entendre les chefs-d’œuvres du Tasse et de l’Arioste, et pour ne laisser échapper aucune de leurs beautés , M. WVatelet avoit commencé par en 4 faire une version en prose, dont il traduisit une partie | en vers. Mais ces premiers essais ne satisfirent ni M. VVatelet , ni ceux de ses amis auxquels il s’en rap- : LL porta. On sait avec quelle abondance les fictions les plus ingénieuses sont répandues dans ces deux poëmes ; avec quelle profusion, mais avec quel art les ornemens de toute espèce y sont distribués ; on sait aussi jusqu’à quel point la langue du Tasse est féconde dans ses nuan- ces , et sur-tout combien les poëtes italiens du seizième siècle étoient hardis dans leurs inversions. Ces difficul- tés nombreuses cachées au lecteur par l'agrément de la 1 composition , se montrèrent tout-à-coup à M. VVatelet lorsqu'il fallut traduire en poëte. Il vit qu'il devenoit diffus lorsqu'il souloit être exact ; que les formes des images étoient si délicates et si légères , que le moindre changement en altéroit la grâce , et qu’en touchant alors au coloris il en détruisoit la fraîcheur 3 et il résolut alors de publier, non une traduction, maïs. seulement une imitation de ces deux épopées. Lorsque WATELET. 85 ces ouvrages paroîtront (1), l’auteur, qui n’est plus, sera jugé sans doute avec impartialité. On y trouvera plusieurs morceaux dignes de sa réputation et de ses modèles , et l’on répétera ceque M. de Marmontel à dit (2) en citant la traduction d’nn épisode du Dante par M. Watelet, que « nul homme de lettre ne fut plus » exercé dans l'étude des poëtes italiens, n’en sentit » mieux les beautés et ne sut mieux les rendre. » . Il faut le louer sur-tout d’avoir bien connu ce qu’il *. “devoit au public, à ses amis et à lui-même. De toutes les pièces qu’il avoit écrites pour différens théâtres , aucune n’avoit encore été imprimée en 1764. Ce fut alors que, jugeant dans le silence de la solitude ces ou- vrages de sa jeunesse , quelques-uns trouvèrent grâce devant lui ; il les réunit dans un volume (3), et l’ac- cueil qu'ils reçurent du public justifia son choix. On y remarque sur-tout une comédie intitulée les mt (1) Imitation du poëme de lArioste, en vers français. J'ai entre les mains les quatre premiers chants imprimés et le commencement du cinquième : en tout 112 pages. (2) Poëtique française, 2 vol. in-8.°, pag. 44. C’est le tableau du comte Ugolin dévorant dans les enfers Ia tête de l'archevêque Roger. M, de la Harpe, tome VI de ses œuvres , in-8.° 1778 , pag. 362, parle aussi avec éloge de la traduction du même morceau du Dante par M. Watelet, … Le témoignage de ces deux grands littérateurs est si honorable 4 la mémoire de M. Watelet, que j'aurois cru manquer à mon oir en oubliant d'en faire mention ici. (3) Recueil de quelques ouvrages de M. Watelet, de l'Académie 86 ÉLOGES HISTORIQUES. Veuves, dans laquelle M. VVatelet a mis en action le conte de la Matrone d'Éphèse (1); plusieurs drames, tels que les Statuaires d'Athènes, Phaon, et Délie, où l’on trouve des tableaux pleins de grâce et de finesse, présentés ailleurs sous d’autres formes ; et la char- mante comédie de Zénéide (2) , dont la fable est simple, ingénieuse et très-morale. Au reste , ces pièces, dont (3) la plupart n’ont point été jouées, sont dignes au moins d’être lues: différentes en cela de plusieurs aux- + À française et de celle de peinture : à Paris, chez Prault, impri- meur du roi, quai des Augustins, in-8.°, 1784. Les pièces contenues dans ce recueil sont : SizviE , roman imité de l'AminTe du Tasse, ZÉNÉIDE. . Les STATUAIRES D'ATHÈNES. Les Veuves, ou la Matrone d’Ephèse. Mizox , intermède pastoral. ne DeEucaziox et PrrrHA, opéra. Dér1s. PHa0ox. (1) Avec cette différence qu'il a substitué un corsaire au soldat, et que le mari, qui n’est pas mort, mais qui a feint de l'être pour éprouver Astérie, termine la pièce par une moralité sur le bonheur, que l’on détruit souvent en l’examinant de trop près. (2) Un homme de lettres à qui M. Watelet avoit confié le manus- crit de cette comédie, l’a mise en vers, et le public la voit tou- jours avec plaisir. (3) Milon, drame lyrique ; et Deucalion et Pyrrha, sujets riches. de tous les contrastes que peuvent produire la fureur des homm et la colère des dieux, ont les mêmes beautés et les mêmes défauts; on y trouve des vers faciles et des tableaux bien dessinés, maïs dans lesquels on désireroit plus de chaleur, plus de couleur, et. ko WATELET. ia quelles on a accordé la première distinction, sans qu’elles aient encore obtenu la seconde. M. Watelet fut recu en 1761 membre de l’Académie française (1), où il succéda à M. de Mirabeau. La carrière des lettres fut pour lui sans orage. Comme il étoit dénué de toute prétention, il n’y chercha point d'énergie. Les drames intitulés les Statuaires d'Athènes, et Délie, ont quelques rapports dans leur principale situation. Dans le premier, deux élèves de Phydias offrent aux Athéniens réunis dans . ART temple de Vénus pour adjuger le prix de sculpture, l’unÿ une jeune fille sous la forme de cette déesse; l’autre, un jeune homme, À son amant, sous celle d'Adonis. Tous les yeux sont trompés, mais la tendresse paternelle ne sauroit l’être ; les entrailles des deux pères sont émues , et le mystère est découvert. Dans le second, Anacréon croit rendre hommage au portrait de we Délie, et c’est à Délie elle-même que s'adressent ses vœux ; elle les reçoit et le couronne. Des auteurs très - estimables ont employé avec succès sur nos théâtres des moyens du même genre. (a) Discours prononcés dans l’Académie française le lundi 19 janvier 1761, à la réception de M. Watelet. À Paris , au Palais, chez la veuve Brunet, imprimeur de l'Académie française. M. Watelet y succéda à M. de Mirabeau; connu par sa traduc- tion du Tasse et de l’Arioste , dont M. Watelet s’est aussi occupé. La réponse à M. Watelet fut faite par M. le comte de Buffon. Ce grand homme avoit bien jugé l’académieien qui est le sujet de nos regrets ; il s'exprime à son égard de la manière suivante. « Vous venez, dit-il, d'enrichir les arts et notre langue d’un ouvrage qui suppose avec la perfection du goût tant de connoissances diffé- …. rentes, que vous seul peut-être en possédez les rapports et l’en- semble ; vous seul avez osé tenter de représenter par des vers “harmonieux les effets des couleurs; vous avez essayé de faire pour peinture ce qu'Horace fit pour la poésie, un monument plus durable que le bronze. Rien ne garantira des outrages du temps Cie 88 EÉLOGES HISTORIQUES. ” d’admirateurs et il y trouva des amis. Que l’on me per- mette, sa cendre n’y sera point insensible , de rassem- bler ici leurs noms autour du sien. Tels furent, parmi ceux qui comme lui ne sont déja plus, MM. de Fonce- magne , de Château-Brun , le comte de Caylus , l abbé de Condillac, Turgot, d’Alembert, Thomas, l’anbé Copette , auxquels il a donné tant de regrets ; et parmi ceux qui lui survivent, MM. le duc de Nivernois , le comte d’Angivillier , de Saint-Lambert, Pierres, le ducde la Rochefoucauld , le marquis de Condorcet, de Keralio, Daubenton , Mauduyt, Dusaulx, qui Pont tant regretté. J’oserai ajouter mon nom à une liste aussi honorable ; en l’oubliant , j’offenserois à la fois l’'amour-propre et l'amitié. Plusieurs de ceux que j’ainommés ont reçu de M.WVa- telet une marque particuhière d'affection. TI a Iui-mêème dessiné et gravé leurs portraits. Cette manière de s’oc- cuper de ses amis en se pénétrant de leur image, a quelque chose de tendre ‘qu’il n’appartient qu'aux ames délicates et pures d’inspirer ou de ressentir. ces tableaux précieux des Raphaël , des Titien, des Corrège ; nos arrière-neveux regretteront ces chefs-d’œuvres comme nous regret- tons nous - mêmes ceux des Zeuxis et des Appelle. Si vos leçons savantes sont d’un si grand prix pour nos jeunes artistes , que re vous devront pas, dans les siècles futurs, l'art lui-même et ceux qui le cultiveront! Au feu de vos lumières, ils pourront ré- 2 chauffer leur génie , ils retrouveront au moins dans la fécondité de vos principes et dans la sagesse de vos préceptes une partie des secours qu'ils auroient tirés de ces modèles sublimes qui ne subsisteront plus que par la renommée, » m4 WATELET. 89 N'est-ce pas ici le lieu de parler de l’'Essai sur les Jardins (1), ouvrage que dictèrent à M. WVatelet les plus agréables souvenirs? À des vues très-philosophiques sur les progrès des arts, l’auteur a joint dans cet écrit des préceptes ingénieux sur la décoration des jardins de toute espèce ; mais ce que l’on y remarque avec le plus d'intérêt , c'est le tableau de sa vie dans l'asile cham- pêtre où 1l devoit à ses amis le bonheur et l'hospitalité ; asile devenu fameux par les beautés de son site et de ses dispositions , et où la nature fut toujours respectée ; asile visité par les grands , habité par les Muses , cé- Jébré par le chantre aimable des Jardins (2), et qui fut … la retraite d’un sage. Le cours et la limpidité des eaux, la fraîcheur et le silence des grottes , des fleurs éparses …_ sur des terrains incultes , et l’aspect de quelques ruines (1) Essai sur les jardins, par M. Watelet, de l’Académie fran- çaise, et honoraire de l’Académie royale de peinture et de sculpture, etc. Fortunatus et ille, deos qui novit agrestes. Georg., lib. If. À Paris, chez Prault, imprimeur du roi, quai des Augustins, 1774. {2) Tel est, cher Watelet, mon cœur me le rappelle, Tel est le simple asile où, suspendant son cours, Pure comme tes mœurs , libre comme tes jours, En canaux ombragés la Seine se partage, Et visite en secret la retraite d’un sage. Ton art la seconda ; non cet art imposteur , Des lieux qu’il croit orner hardi profanateur. Digne de voir, d'aimer, de sentir la nature, Tu traitas sa beauté comme une vierge pure, Qui rougit d’être nue et craint les ornemens. ( Les Jarpins, poême, par M. l'abbé Delille, chant TI.) e | 90 ÉLOGES HISTORIQUES. accompagnées d'inscriptions en vers harmonieux et doux, y rappeloient ce que valent dans le sein de l’ami- tié la liberté, le repos et le temps. Se pouvoit-il que les jours de M. Watelet continuas- sent jusqu’à leur terme d’être heureux et sereins ? Un événement imprévu troubla cecalme en leprivant d’une grande partie de sa fortuue. Le bon usage qu'il enavoit su faire rendit ses regrets légitimes et touchans. Les à jeunes artistes dont il prévenoit les besoins , et les mal- heureux qu'il soulageoit , y perdirent au reste moins que lui. Ce fut sur la part qu’il s’étoit réservée qu'il £t 4 le plus de retranchemens. L’estime publique ne l’aban- donna point dans ce revers; des amis puissans lui donnèrent des preuves de leur zèle : un entre autres, que ses bienfaits désigneront assez, lui prodigua toutes les consolations d’une ame affectueuse et tendre, aux- quelles il joignit des secours qu'il est rare que les hommes de son rang donnent à ceux de l’état de M. VYatelet. C’est sur-tout dans les tempéramens foibles et sen- sibles que le chagrin appelle la souffrance, à laquelle succèdent la langueur et le dépérissement. M. VVatelet s'aperçut pendant ses dernières années que le travail des lettres le fatiguoit beaucoup; 11 y substitua celui des arts. Tantôt il dessinoit, tantôt 1l gravoit à la ma- nière de Rembrant , dont il se flattoit d’avoir découvert le procédé, dont au moins il savoit rendre quelques effets. S’étant affoibli davantage , 1l se contenta de | modeler en cire; plus foible encore , 1l parcouroit ses | WATELET. 91 “porte-feuilles (1), il conversoit avec de jeunes artistes …_ dont le feu le ranimoit ; et proportionnant toujours ces nuances de plaisir à l’état de ses forces , 1l ne cessa d’en goûter les charmes qu'au moment où ses sens re- fusèrent de lui en transmettre les impressions. Il s’é- teigmit ainsi d’une manière insensible au milieu de ses jouissances , et 1l expira sans douleur , en croyant s'endormir, le 12 janvier 1786 (2). Sa mort fut donc aussi douce que sa vie avoit été pue. k % tranquille (3). Tous ceux qui l’ont connu savent que sa \ (1) Voyez le catalogue des tableaux, dessins montés et en feuilles, il pastels, émail du célèbre Petitot ; bustes, figures et gaînes de “ marbre, tables de porphyre, instrumens de physique et de géomé- à trie, estampes d’après les plus grands maitres, différens œuvres » de Rembrant, Rubens, Labelle, Hollar, Callot, ect.; planches à gravées par Rembränt, M. Watelet et autres. Le tout provenant du, cabinet de feu M. Watelet ; par A. J. Paillet, in-8.° 1786. (2) Voyez, dans le Journal de Paris du 28 janvier 1786, un article très-bien fait sur la vie et les ouvrages de M. Watelet. (3) On a trouvé parmi les papiers de feu M. Wateiet les manuscrits suivans : 1.9 La traduction on imitation en vers français des poëmes du Taïse et de l’Arioste. Ces manuscrits sont en bon état. 2.° Un recueil de cinquante fables, ayec une épitre dédicatoire à M. L.C., un prologue et un épilogue. Ce manuscrit est en bon état. 3.° Un carton contenant des vers relatifs an Moulin Joli. C’est de ce recueil que M: Watelet a extrait les inscriptions en vers | publiées dans son Essai sur les jardins. 4h . 4° Un volume contenant des vers, intitulé Bouquet, etc., à Madame ... _ 5% Imitation libre de la première élégie de Tibuille. 92 ÉLOGES HISTORIQUES. modération étoit grande; mais on ne sait pas assez que cette modération fut moins un présent de la ma- ture, dont 1l reçut une ame très-active , que l'ouvrage d’une raison sévère qui en avoitde bonne heure réprimé 6.° Plan d’un poëme sur les différentes parties du jour. 7% Fragment de la traduction d’un poëme italien intitulé : Grenade conquise. 8°. Un grand nombre d’articles destinés à former le Dictionnaire de peinture pour PEncyclopédie méthodique. 9.° Plan d’un Traité de la peinture , à l'usage des poëtes; et De la poësie, à l'usage des peintres ; avec un supplément sur les divers costumes. 10.9 Plan d’un essai sur le sentiment de la nature. 11. Quelques matériaux pour un traité des monumens. 12.° Plan d'un ouvrage dans le genre du Spectateur. ‘ 13.° Plan de conversations sur divers sujets moraux. 14° Traduction des Méditations sur le bonheur ; ouvrage italien du comte Verri: Meditazioni sulla felicita. Si l’on est curieux de voir cette question traitée sous différens rapports, on comparera cet ouvrage avec les Réflexions de Fontenelle sur le même sujet ;, et avec l'Essai sur le borheur, par Fergusson. (Histoire de la société civile.) On en trouve dans le Mercure de France , juin 1774 , page 190, une traduction dont l’auteur est une femme aussi respectable par ses rares vertus qu’elle est recommandable par l'étendue de son savoir. Sa modestie me feroit un crime de la nommer. ” 15.2 M. Watelet avoit formé le projet de répandre l'instruction parmi le peuple des villes et des campagnes : il avoit commencé Ja rédaction de divers écrits intitulés Feuilles morales, Feuilles cita- dines, Feuilles paysannes ou campagnardes. à 16.° Notes sur plusieurs voyages en Allemagne, en Hollande, & en Italie et sur l’ile de Caprée. ru : es Plusieurs de ces manuscrits ont été remis à M. Dusa é dd membre de l’Académie des inscriptions, qui doit en être l'éditeur. ie \ WATELET. 93 les mouvemens. Cette surveillance s’appliqua successi- vement à toutes ses passions, dont il redoutoit les trans- ports, et auxquelles 1l sembloit qu’il craignît de s’aban- donner. Il s’étoit interdit tout projet de fortune, d’ambi- * tionetdegloire ; aussi ne chercha-t-1l dans l'étude que des plaisirs et non des succès. Son amour-propre n’offensa jamais ceiui desautres ; il ne troubla l'amitié par aucun sentiment inquiet. On aimoit à s’entretenir avec hu, parce qu’il savoit écouter, et sur-tout parce qu’en ré- pandant un grand intérêt 1l ne songeoit point à s’em- parer des suffrages. Ses observations ne déplaisoient point, parce qu'il étoit indulgent et juste; toujours calme , jamais indifférent, quoiqu'il eût l'air de s’ou- blier lui-même , son plus grand bonheur étoit de croire que ses amis ne l’oublieroient jamais ; et ce caractère m'étoit point'un masque dont il se couvrit. M. WVate- let étoit le même dans tous les lieux et pour tous les hommes. Plus on le voyoit, plus on sentoit le prix de cette longue habitude de se vaincre , qui mène infail- liblement à la vertu ; de cette constance dans les goûts, de cette simplicité dans les mœurs qu’expriment si bien les vers suivans , où 1l s’est peint lui-même , et par les- quels je terminera cet éloge : Consacrer dans l'obscurité Ses loisirs à l’étude, à l'amitié sa vie : Voilà les jours dignes d’envie. Être chéri vaut mieux qu'être vanté (1). (1) Essai sur les jardins, page 154. 94 ÉLOGES HISTORIQUES. VERGENNES. F LS on LS LS Cnarrxs Gravrer DE VERGENNES, ministre et secré- taire d'état au département des affaires étrangères, commandeur des ordres du roi, chef du conseil royal des finances , conseiller d’état d’épée, associé libre de la Société royale de médecine, naquit le 28 décembre 1719, à Dijon, de Charles Gravier de Vergennes, maître des comptes de Bourgogne , et de Charlotte Chevignard de Charodon, fille de Jean C heyignaïrd , premier président du bureau des finances de la même ville. "1 La famille de Vergennes est divisée en plusieurs branches établies dans le Berri, dans le Poitou, dans l’Agénois et dans le Charollois : celle-c1, dont M. de . EE À Vergennes est issu, fut long-temps agitée par lesguerres | de religion, fléau dont le souvenir effraie encore les ? descendans de ceux qu’il a frappés, et qu’une loi de q ppes; et quu clémence et de justice a enfin éloigné pour toujours des habitans de ces climats. Lorsque la Société royale de médecine fut établie elle dut, conformément aux vues de son Séstitu 0 | se ménager des correspondances multipliées avec les % divers colléges et académies et avec les médecins les plus célèbres des pays étrangers. La confiance dont M. de Vergennes jouissoit dans toutes les cours nous VERGENNES. 95 fournit de grandes facilités pour exécuter ce projet; et ses services furent ses titres auprès de nous. Jusqu'ici la reconnoissance a tout fait, et celui qui en est l'organe rempliroit un ministère facile et doux, sl pouvoit se borner à ces premiers épanchemens de son cœur. Mais es devoirs d’une grande place ont fixé sur M. de Vergennes Ct qui est inacces- sible aux traits de l'envie. La Société royale de médecine , instituée d’abord par un arrêt du conseil de 1776 , ensuite par lettres- ‘patentes de 1778 et 1760, est chargée de recueillir les observations faites par les médecins des provinces , de veiller au traitement des épidémies, et d’en publier l’histoire ; ce qu’elle a déja fait dans cinq volumes in-4.° de ses Mémoires. Il y a donc maintenant une académie de médecine en France. Déja il en existoit une à Édimbourg depuis 1733 , dont les mémoires ont été publiés en sept vo- lumesin-12, et traduits en français par Demours. Une autre société du même genre avoit commencé ses séances à Londres en 1755 : elle avoit publié cinq vo- lumes in-6.0, avec le titre de Medical observations and inquiries , etc. ; et sa correspondance très - étendue avoit réuni une ample moisson de faits qu’elle se pro- posoit de faire connoître dans de nouveaux recueils. Les médecins du Collége de Londres, de Copenhague, ._ de Berlin, de Breslaw , ont fait paroître, il y a long- temps , de semblables mémoires. Madrid, Modène et Amsterdam , possèdent des sociétés de médecine , établies sur le même plan que celle de Paris, et qui veulent bien communiquer à cette dernière le fruit de 150 NOTICE HISTORIQUE leurs recherches. C’est ainsi qu’on a établi de tontes parts des rapports utiles aux sciences en général , et à la médecine en particulier | dont le champ ne peut s’accroître que par la connoissance de ce qui se passe à de grandes distances , relativement à la santé, par des essais , par des expériences sagement concertées , dont la chaîne non interrompue doit être l'ouvrage de plusieurs générations. à Les sciences sont liées , dans les académies, avec les siècles à venir. Dans les écoles elles tiennent aux siècles passés ; on ne doit s’y occuper que de ce qm l est fait, et non de ce qui reste à faire ; mais il est né- cessaire que l’enseignement suive les progrès des tra- vaux académiques ; tout ce qui est connu et publié est de son ressort ; son but est manqué s’il ne montre que d'anciennes erreurs : mais le mal est à son comble quand il combat des vérités nouvelles. On fait souvent ces reproches aux écoles. Sans examiner s’ils sont fon- dés, disons que rien n’est aussi important que l’en- seignement , parce que de lui dépend l'instruction des générations futures ; disons qu’il n’y a rien d’aussi négligé ; que l’on devroit en écarter ces cérémomies gothiques , si propres à rgndre la science difféile et repoussante ; qu'il est temps de porter l’esprit de ré- forme dans les corps chargés de l'éducation de la jeu- nesse ; que cette révolution prochaine illustrera la main dont elle sera l’ouvrage. Ajoutons qu'aucune des sciences physiques n'étant actuellement dans un état stationnaire , celui qui professe doit toujours étu: . SUR LES ACADÉMIES. 151 dier lui-même , pour être en état d’enseigner ; qu'il ne peut pins y avoir de repos dans la carrière de l’es- prit, tant elle est rapide et précipitée; que la pédan- terie et l’ignorance qui sont si analogues , le faux et le demi-savoir qui se rapprochent de tant de manières, doivent être bannis des écoles avec plus de soin encore que des académies , parce que dans ces dernières ces qualités vicieuses sont toujours corrigées où réprimées ; au moins par le bon esprit de certaines personnes : au lieu que le pédant des écoles, élevé dans sa chaire, et dominant sur tout, n’a rien qui larrête , et que, livré tout entier à son penchant , il ne peut que se fortifier et se complaire de plus en plus dans ses habitudes. Observons qu’à force de rendre les langues latine et grecque difficiles on en éloigne un grand nombre de personnes ; ce qui est un grand malheur , parce qu’on ne peut s’en écarter sans perdre de vue les véritables modèles du bon goût; et finissons en faisant des vœux pour qu’au milieu d’une nation active , mais dont l'esprit facile s’effraie par la fatigue et l'étendue d’un travail ingrat , on rende l’instruction aisée ; pour qu’on en varie les objets, et sur-tout pour qu’on ne néglige point cette belle langue d'Homère et de Pindare , d'Hip- pocrate et d’Arétée ; cette belle langue d’un peuple dont on a tant de fois comparé le caractère avec celui des Français : rapprochement honorable dont ils cesse- roient d’être dignes s'ils ignoroient un moment leur enthousiasme pour tout ce qui est grand et beau. Ce w’est pas parce que les Grecs sont anciens qu’il faut les 152 NOTICE HISTORIQUE, etc. louer , les admirer, et s’efforcer de marcher sur leurs traces : c’est parce que leurs arts ont été les premiers de tous les arts; parce que leurs orateurs , animiés par de grands intérêts, avoient souvent à opposer leur éloquence à la force des armes , aux menaces des rois puissans , et sur-tout lorsqu'on parle à des médecins ; parce que c’est parmi eux qu'ont fleuri ces beaux gé- nies qui, prenant la nature pour guide dès les pre- miers pas de la science, nous ont tracé une route dont on ne s’est jamais écarté sans commettre des fautes et sans rendre sa marche plus pémible et plus longue, RÉFLEXIONS SUR LA SOCIABILITÉ DE L'HOMME, ET SUR L'INFLUENCE DES LETTRES ET DES ARTS, En réponse aux Objections tirées des écrits de J. J. Rousseau. ne sn ns 0 2 22 e | EE a dit: « On voit au peu de soin qu’a pris » la nature de rapprocher les hommes par des besoins »Mmutuels , et de leur faciliter l’usage de la parole, » combien elle a peu préparé leur sociabilité (1). Si » elle a couvert ses opérations d’un voile épais, ça » été pour leur en dérober la connoissance, et cepen- » dant ils n’ont point profité de cette leçon (2): nés » de l’oisiveté , les sciences et Les arts l’entretiennent ; » ils sont incompatibles avec la vertu; la dépravation » des mœurs est leur ouvrage ; 1ls ont préparé la ruine » d'Athènes et de Rome. Les hommes n’étoient done » pas destinés à se réunir, n1 à cultiver leur esprit (3) », Ainsi a parlé Rousseau, Celui qui étudiera l’homme (1) Discours sur l’origine et les fondemens de l'inégalité parmi les homnes , par J. J. Rousseau, in-8.° : Amsterd. , 1755, p. 60. . (2) Discours couronné en 1750 par l’Académie royale des sciences et des belles lettres de Dijon sur cette question : « Si le rétablisse- «ment des arts et des sciences a contribué à épurer les mœurs » ? in-8.°, 1752. (3) Ibid. [ane 154 . RÉFLEXIONS tel que les historiens l’on peint, et tel que les voya- geurs l’ont observé , dira au contraire : « Les plus an- » D » » » » » » » » D » » » » » » » » » » » ciennes de toutes les traditions montrent les habi- tans du globe soumis à des lois et bâtissant des cités. Le premier qui pénétra dans le Nouvéau-Monde y trouva des temples , des palais, des villes et des empires. Cook a vu par-tout les hommes rassemblés en familles. Par-tout et toujours, l’intérêt de quelque jouissance et le sentiment de la jalousie excitèrent leurs passions et firent naître leurs querelles. Sont- ils en petit nombre : la force du corps est la pre- mière de toutes les distinctions, comme elle est la plus utile des qualités. Forment-ils un peuple : LS l'énergie de l'ame qui l'emporte et qui commande. Mais dans tous les cas ils tendent vers la société, qui tend elle-meme à se perfectionner et à s’agrandir. Comment, lorsque ces institutions portent le sceau dé l'antiquité la plus reculée , lorsque nulle trace ne s'aperçoit au-delà, ose-t-on avancer qu’elles sont contraires au plan de la nature ? N'est-ce pas à la constance de ses opérations qu’il appartient de mani- fester ses vues? Quelle terre ent jamais des habitans sans expression et sans langage ? Pourquoi la socia- bilité des hommes ne seroit-elle pas, comme celle de tous les animaux , une question de fait que l’ob- servation seule peut résoudre ? et puisqu'on les a tou- jours vus rassemblés ne s’ensuit-il pas qu’ils devoient l'être ? » | Les hommes dont parle l’histoire sont, dira-t-on , NEA SUR LES SCIENCES. 155 bien loin eux-mêmes de cet état de nature tant regretté par Rousseau. De quels hommes , de quel état s'agit-il donc? Voudroit-on remonter à ces époques dont il ne reste aucun souvenir ? La même volonté qui forma les castors et les abeilles jeta sans doute aussi les fonde- mens de nos sociétés. Mais qui pourroit dire comment les premiers indivrdus se sont réunis? Nos réflexions ne doivent donc avoir pour objet que les habitans des terres incultes, ceux des pays nouvellement ajoutés à nôtre géographie , ceux des montagnes ou des forêts ; A que ces homines vulgairement connus sous le nom en sauvages. Or ils ne vivent point isolés ; 1l n’y en à point qui soient tout-à-fait dépourvus de l’industrie des arts. Ils abusent de leur force, comme d’autres abusent de leur esprit ; et comment croire à la perfection de leur bonheur lorsqu'on les voit agités par des haines implacables et souvent tourmentés par leurs besoins ? « La liberté et la perfectibilité de l’homme sont, dit » Rousseau (1), deux attributs sur lesquels on ne » peut élever de contestation ». Pourquoi en éleveroit- on davantage sur sa sociabilité, puisqu'elle est éga- lement dans sa nature, et que ce troisième attribut résulte nécessairement des deux autres ? Les nécessités physiques sé sont liées avec lés néces- Sités morales, comme les arts mécaniques avec les (1) Discours sur l'origine et les fondemens de l'inégalité parmi Jes hommes, par J. J. Rousseau, in-8.°: Amsterdam, 1755; pag. 32 et 33; et dans les notes, pag. 229. 156 RÉFLEXIONS arts libéraux, et dans cette chaîne d'essais et de pro- cédés , l’homme s’est montré d’autant plus sociable qu’il a été plus perfectible. On est le maître sans doute de rechercher si c’est un mal que les choses soient ainsi; mais c’est demander si l’homme a été bien ou mal eréé (1). Voilà ma réponse. « Les ames , ajoute Rousseau, se sont toujours cor- » rompues, à mesure que les sciences et les arts ont » fait des progrès (2) ». A la vérité, les mœurs se dé- pravent à la même époque où les arts fleurissent , et cette identité de circonstances est la source de l’erreur commise par Rousseau. Il n’a point vu que ces deux effets , sans se rapporter à la même cause, pouvoient et devoient même être souvent réunis. L’un et l’autre supposent un grand concours de peuples , d’efforts et de mouvemens. Mais tandis que d’une part, l’abus des jouissances affoiblit et dégrade, de l’autre les arts don- nent aux plaisirs et aux jeux de la noblessee ou de la grace ; ils soutiennent le courage en lui préparant des trophées ; ils excitent l'imagination , dont ils sont les interprètes. Considérés à cette époque comme modé- rateurs du bon goût, 1ls préservent dela corruption dont (1) « Ce qui est arrivé, sans doute, a dû arriver... Il n’est » pas temps de refaire le monde »; a dit ingénieusement l’au- teur du Discours sur les avantages ou les désavantages de la découverte de l'Amérique ; in-8.°, pag. 7. (2) Discours couronné à Dijon en 1750, in-8.0, sur cette ques- tion : « Si le rétablissement des sciences et des arts a contribué à épurer les mœurs? » SUR LES SCIENCES. 159 on les avoit mal à propos fait naître, et l’état en recoit toujours des services proportionnés à leur culture. Il est donc contraire à toute vraisemblance que les arts aient été funestes aux anciennes républiques de la Grèce et de l’Italie. Couverte des lauriers de Mara- thon et de Platée, riche des conseils de Thémistocle, d’Aristide et de Cimon, Athènes étoit florissante lors- qu’elle remit à Périclès les rènes de son gouvernement. On reproche à ce grand homme d’avoir contribué à la chute de l’état en donnant trop d’attention aux arts. Qu'on lui reproche plutôt d’avoir acheté les suffrages du peuple par de coupables profusions ; d’avoir épuisé, dans les mêmes vues , le trésor public par des fêtes, par des constrnctions , par des dépenses de toute espèce ; d’avoir affoibli la puissance de l’Aréopage pour ajouter à celle de la multitude qu’il avoit séduite ; d’avoir enfin rendu nécessaire cette guerre du Péloponèse qui coûta si cher à la Grèce. Voilà quels ontété les torts de Périclès. S'il n’avoit aimé que les arts 1l n’auroit pas commis de telles fautes. Athènes ent à s’en plaindre, non parce qu’il lP'avoitembellie, mais parce qu'il vouloit luicommander. Cherche-t-on l'exemple d’une république fameuse par la sagesse de ses lois et par l’austérité de ses mœurs, dont la corruption ne sauroit être attribuée à l’in- fluence des beaux arts, qui ny pénétrèrent jamais: que Von se rappelle comment Lysandre changea la cons- ütution de Sparte en faisant briller l’or aux yeux de ses fiers habitans. L’ambition et les richesses, voilà les » grands corrupteurs des nations. 158 - RÉFLÉXIONS ) _ On n'a pas craint d’accuser les arts et les lettres de la décadence de l'empire romain : comme si ç'avoit été l'amour des arts qui conduisit Marius et Sylla; comme si ç’avoit été pour servir les lettres que ce der- nier ruina la discipline militaire en Asie, et qu’entrant dans Rome à main armée , 1l y donna l'exemple affreux. des proscriptions ! Lorsque les triumvirs se perdirent en perdant l’état, quelle part les sciences et les arts eurent-ils dans ces grandes et funestes entreprises ? Pendant long-temps tout citoyen romain fut soldat : rassemblés loin de leurs foyers, sous des chefs sédi- tieux , les soldats de Rome cessèrent d’être citoyens, et l’on ne voit pas encore comment la culture des arts put contribuer à cet oubli, qui fut la source des plus grands maux. Tout étoit déja perdu lorsqu'Auguste s'empara de la dictature ; et ce beau siècle littéraire , formé des débris de la grandeur romaine , n’ent au- cune influence sur les affaires publiques , si ce n’est peut-être que la présence de tant de grands hommes dont l’empereur ambitionnoit les suffrages dût quel- quefois le modérer dans ses desseins, et mettre un frein à son audace. J’ai dit que les progrès des arts n’ont porté aucune atteinte à la puissance des républiques de la Grèce et de l’Italie : j'ajoute qu’elles en ont reçu de grands ser- vices. Quels hommes que Lycurgue, Solon et Numa, législateurs de ces peuples illustres; que Xénophon, Thucydide et César, héros et historiens tout à la fois; que Périclès et Phocion aussi éloquens dans la tribune qu’intrépides dans les armées ! Quels hommes que Dé- mosthène et Cicéron; que cette foule de consuls et d’empereurs, tout aussi recommandables par l’éten- due de leurs connoissances et la profondeur de leur génie ; que par leurs vertus républicaines ou par leurs qualités guerrières ! N’est-1l pas évident que l’étude des lettres, loin de nuire à leurs succès , les a rendus plus rapides , et que les mains les plus courageuses , si elles m'avoient pas été guidées par le savoir, n’auroient jamais opéré tant de prodiges ? + Rapprochons-nous des temps qni nous sont mieux connus. C’est après les troubles de la Ligue, après les guerres civiles de la minorité de Louis XIII et de Louis XIV, que les lettres et les sciences ont fait de si grands progrès. En Angleterre , les secousses données par Cromwel agitèrent les esprits et imprimèrent nn mouvement d’où naquirent l’ordre et la fécondité. Qui oseroit comparer en France le règne de Louis XIV à ceux de Henri IT et de Henri IIL, eten Angleterre ceux de Charles et de Jacques IT aux règnes des Édouard et des Henri ? : IL n’en est pas de l’état actuel de l’Europe comme il en étoit du gouvernement des Grecs et des Romains. Ceux-ci fixent tous les regards de la postérité dans l’in- tervalle qu’ils ont rempli de leur gloire ; il semble qu'alors ils fussent seuls au monde: ils périrent, et les beaux arts disparurent avec eux. Les diverses puis- sances modernes sont au contraire balancées par une sorte d'équilibre qui se dérange quelquefois ; mais 160 RÉFLEXIONS qui se rétablit bientôt et qui paroît devoir durer long temps. Les sciences et les lettres y sont en vigueur , et l’on diroïit que des peuples qui les cultivent se com- pose une grande nation que ses qualités distinguent et mettent au-dessus de toutes les autres. Ceux qui cher- chent dans la nuit des temps quelques témoignages contre les beaux arts ne sont point frappés de cette objection qu’ils ont sous les yeux, ou ils se la dissimu- lent , faute de savoir y répondre. En deux mots, les beaux arts sont enfans de l’opu- lence et du goût. Ils ne peuvent fleurir qu’au milieu d’un peuple riche , C'est-à-dire déja corrompu. Mais on se rassurera sur leurs effets , en réfléchissant qu’il n’est rien d’aussi barbare que le luxe desnations qui en sont dépourvues , comme rien n’est aussi féroce que leurs combats. » | Je ne prétends pas dire que l’on n’a jamais abusé et que l’on n’abusera point des lettres et des arts. De quoi n’abuse-t-on pas ? Mais je demande que l’on n’accuse point les arts et les lettres des excès que commettent les ambitieux , les usurpateurs et les despotes ; excès que l'influence des lumières rend toujours plus rares ou moins fâcheux , loin de les aggraver. Il ne sera point inutile, pour montrer jusqu’à quel point Rousseau étoit prévenu contre les sciences et les arts, de rappeler ici quelques-unes des propositions exa- gérées qui se trouvent dans ses discours. En parlant des habitans de l’Orénoque, dont Pusage est de comprimer la tête de leurs enfans en appliquant SUR LES SCIENCES. 161 des ais sur les tempes , « Ne pourroit-on pas dire, » ajoute-t-il, qu'ils leur assurent au moins par cette » manœuvre une partie de leur imbécillité et de leur » bonheur originel (1) »? Combien 1l faut être aveuglé pour attacher quelque idée de bonheur à ce monstrueux attentat de l'ignorance contre la foiblesse ! Dans un autre article, il s'adresse aux Romains : « Abjurez , leur dit-1l, ces vains talens. Le seul » talent digne de Rome est celui de conquérir le monde » et d’y faire régner la vertu (2) ». C'est-à-dire , ; monde, et prouvez aux peuples , en faisant la plus redevenez durs, grossiers et barbares ; ravagez le malhonnète de toutes les actions , qu'ils doivent être modérés et justes. Quels professeurs de vertu que de pareils conquérans ! et quelle contradiction entre le philosophe de Genève, apôtre de ces croisades d’un nouveau genre, et Rousseau écrivant ailleurs avec tant d’énergie contré l'injustice et les malheurs des guerres ! & L'art de l’imprimerieest, dit-11plus loin, un grand » mal,un désordre affreux que les princes repousseront » bientôt de leurs Etats (3). » Tel est l’ascendant de l’éloquence et de l’attrait (1) Discours sur les fondemens de l'inégalité parmi les hommes. Ædit. supra citat., p. 34. (2) Discours sur la question, « Savoir si le rétablissement des sciences et des arts a contribué à épurer les mœurs. » (3) Zbid., dans une note, mm. 2. 11 162 RÉFLEXIONS, etc. avec lesquels il a soutenu des paradoxes, que , ma l'autorité des faits, et toute la force des raisons q i m'appuient , je suis obligé de solliciter l’indulgence d 1 lecteur , auprès duquel je ne puis avoir d’autre mérite que celui d’avoir osé prendre avec de foibles armes la défense de li vérité. | 2° DISCOURS Lu à Mae de la séance du 26 octobre 1784 , à laquelle le prince Hexrr de Prusse assista. DR I on Li communication établie entre les peuples des di- verses contrées est un des moyens les plus efficaces pour accélérer ledéveloppement de leurs connoissances. Il se fait ainsi un heureux échange d'instruction et de lunuéres. Ce commerce, le moins coûteux, comme il est le plus utile, est devenu presque universel. Ce ne sont pas seulement aujourd’hui les savans qui travail- lent à ses progrès dans leurs voyages. Les souverains, les conquérans eux-mêmes se sont chargés de cette ho- norable fonction, et jamais il n’y eut moins d’inter- valle eutre les trônes et les beaux arts. Que l’on se rappelle comment les chevaliers les plus illustres par leurs faits d'armes parcouroient autrefois le monde. On les fêtoit dans les joûtes, dans les tour- nois: 1ls ne se montroient que brillans dans leur pa- rure, suivis de leurs trophées et toujours prêts aux com- bats. Aujourd’hui dépouillés du faste de leur Tang , oubliant l'éclat de leur gloire, n'ayant pour tout cor- tége que leur renommée, à laquelle ils ne peuvent se soustraire , 1ls s'arrêtent dans les ateliers, dans les de- meures consacrées aux arts, dans les agadémies ; ils recherchent l'entretien des philosophes et des grands … Jiüttérateurs : c’est que Vart de gouverner et celui de combattre sont devenus des sciences qui tiennent ätoutes les autres, qui se sont perfectionnées en même-temps, 164 DISCOURS PRONONCE dans les mêmes lieux, et quelquefois par les travaux des mêmes hommes. Après avoir visité l'académie qui veille à la pureté de notre langue, celle qui travaille avec tant de succès à l'avancement des connoiïssances physiques, celle qui consacre avec le burin de l’histoire les exploits des grands capitaines, l'étranger illustre que nous recevons aujourd’hui n’a pas voulu nous priver de l’encourage- ment que donnent ses regards et son accueil. Il n'a point oublié une académie naïssante , qui n'aura pas | contemplé sans profit un aussi parfait modèle de cou- rage. Le zèle de nos coopérateurs est grand: combien | 1l va s’accroître encore lorsqu'ils apprendront qu'un héros s’est assis parmi leurs confrères, qu’il s’y est occupé de leurs recherches , et que nous avons vu les” lauriers académiques ennoblis par la présence de ceux que moiïssonna la victoire ! 4 La conservation des hommes est sans doute une | des branches principales de l'administration. Veiller | au traitement des épidémies, en écrire l’histoire, re- | cueillir par une correspondance étendue les observa- tions nouvelles, les publier en un corps de doctrime, et prévenir les abus de l’empirisme, telles sont les vues de notre institution. Nous les retracer devant un té- moin aussi auguste, c’est prendre de nouveaux enga- gemens pour les remplir. Lorsque nous avons cherché quels pouvoient être nos modèles dans la carrière qui s'ouvroit à nous, les à sociétés médicales d'Edimbourg et de Londres nous ont offert un plan dont nous avons profité. Mais néon A LEE EE DEVANT LE PRINCE HENRI. 165 avouons, et nous aurons du plaisir à le dire anjour- d’hui, qu'il existe des traces plus anciennes d’établisse- mens semblables. Dès 1722 on publioit à Berlin, par décades, les observations réunies des médecins sur la température de l’air et sur les maladies régnantes (1). D’autres rappelleront au Prince qui nous honore de sa présence les guerriers fameux dans l’histoire de son pays, où il sera plus fameux encore: nous nous con- tenterons de rendre un hommage public à la mémoire des grands maîtres de notre art qui s’y sont illustrés , à celle d'Hoffman (2), si étonnant par son érudition , et si digne des faveurs dont il fut comblé par le roi de Prusse Frédéric-Guillaume , etsur-tout ä celle de Stahl, un des plus beaux génies qui aient paru depuis le re- nouvellement des lettres, qui, restaurateur de la chi- mie et législateur en médecine, mérita d’habiter une _ cour aussi féconde en grands hommes. La gloire nationale acquise par des actions d’éclat se communique à toutes les ames ; elle reproduit dans les divers ordres de la société les diverses sortes de ;;loire. Ainsi les arts et Les sciences fleurissent et sont pretégés par Frédéric ; ainsi la médecine est honorée et se per- fectionne dans un pays agrandi par ses conquêtes. C’est elle qui veille à la santé des armées, qui sait en écarter les fléaux épidémiques ; c’est elle qui apprend à con- server les hommes, instrumens si dociles et s1 sûrs entre des mains habiles à les diriger dans les combats. (1) Acta medicorum berolinensium, (2) Frédéric Hoffman, 166 DISCOURS, etc. Ces détails intéressans, ces soins affectueux pouvoierit- ils échapper an général qu’une longue expérience a formé ; à celini dont le juge le plus respectable a dit ce qu'on ne peut appliquer à nul antre capitaine, qu'il n’a pas commis la faute la plus légère dans ses longs et glorieux exploits (1)? Le guerrier le plus sage pourroit- il n'être pas aussi le plus humain? La plupart croient avoir tout fait lorsqu'ils ont battu leurs ennemis; 1ls ne voient rien au-delà des honneurs du triomphe. Com- bien est plus grand celui qui, couvert de lauriers, se trouble à l’aspect de tant de victimes immolées dans um seul jour , s’afflige à la vue des hôpitaux (2), et dont le cœur généreux et sensible s'aperçoit alors qu'il manque quelque chose au bonheur de la victoire! 0 (1) On sait que le roi de Prusse a rendu ce témoïgnage écla- tant de son estime aux grands talens et à la prudence consommée de son illustre frère. (2) En complimentant le prince Henri sur le gain d’une bataïlle: « Est-il, lui disoit-on, un bonheur comparable : à celui d’un général » qui vient de remporter une victoire » ? — « Ce bonheur est, grand, » répond le prince ; mais il y a, le lendemain, la visite de l’hè- » pital. » ÉLOGES HISTORIQUES. QUATRIÈME SECTION. PHYSIOLOGISTES :r MÉDECINS. ENV ee 0 0 7 AVERTISSEMENT. Ex désignant cette quatrième section des Éloges historiques de Vrce-n’Azyer, sous le titre de .Mépscins et de PnysrozoctrsTes, nous pa- roissons établir une distinction entre les savans qui s'occupent des lois vitales et ceux qui, fai- sant de ces lois une application éclairée et utile à l’état de l’homme souffrant, méritent le titre de médecin, trop souvent usurpé par l'ignorance et le charlatanisme. En effet, nous admettons cette distinction ; et quoique la médecine et la physiologie s’éclairent réciproquement, quoique l’on ne puisse même exercer l’art de guérir qu'après de longues mé- ditations sur les phénomènes de l’organisation et de la vie : cependant la médecine proprement dite et la physiologie sont deux parties bien dis- tinctes de la philosophie naturelle ; et quelques physiciens, tels que Spallanzani, Fontana, 168 AVERTISSEMENT. Duhamel, Lavoisier, etc., ont été physiologistes sans être médecins. La physiologiene doit donc pas être regardée, dans l’état actuel des connoiïssances , comme une simple division de la médecine. On pourroit même dire que la physiologie, ou plutôt les sciences physiologiques, la philosophie de la nature vi- vante, forment, dans le tableau général des connoissances humaines, une division princi- pale, un point de ralliement auquel plusieurs divisions secondaires doivent être rapportées. Ces sciences physiologiques, qu’il importe de considérer sous ce point de vue général et phi- losophique , peuvent être divisées, comme les mathématiques, en deux grandes sections ; savoir, 1.° les sciences physiologiques pures ; 2.° les sciences physiologiques mixtes et appliquées. Les sciences physiologiques pures embras- sent toute la nature organisée, ou s’occupent plus particulièrement de quelques-unes de ses parties, et présentent en conséquence plusieurs sous- divisions, telles que la physiologie géné- . rale ou philosophie de la nature vivante propre- ment dite (1), la physique végétale, l'anatomie (1) Dans cette énumération des différentes parties des sciences physiologiques, nous procédons à Ja manière de Bacon; et parmi les connoissances acquises nous plaçons des sciences qui sont net rase" AVERTISSEMENT. 169 et la physiologie comparée , l'anatomie et la physiologie humaines. Les sciences physiologiques mixtes où appli- quées offrent aussi plusieurs branches; savoir, 1.0 L'agriculture ; 2.0 et 3.° L’hygsiène et lamédecine vétérinaires; 4.° L’hygiène de l’homme ; 5.0 La médecine proprement dite, qui a plu- sieurs sous- divisions, telles que l’histoire des maladies (nosographie), la matière médicale et la chirurgie ; 6.° La médecine légale, ou l'application des sciences physiologiques et médicales à la législa- tion et à la jurisprudence ; 7.0 La physiologie à l’usage des philosophes, ou la connoissance des rapports du physique et du moral de l’homme ; 8.0 L’anatomie et la physiologie à l’usage des peintres et des artistes en général. En observant dans tous ses détails et sous une foule de points de vue différens l’organisation de l’homme, qui est la plus parfaite, et dont les phénomènes sont si variés, les médecins ont dù s’élever par un grand nombre de faits à des “plutôt entrevues que formées; des sciences à suppléer, suivant l'expression de l’illustre chancelier, et sur la formation ou le per- fectionnement desquelles il importe d'appeler toutes les études et les méditations. 170 AVERTISSEMENT. idées générales sur les lois de la vie, en mieux connoître l’essence, et démêler ces principes et ces vérités, que l’on peut regarder comme l’ori- gine des sciences physiologiques. Parmi les médecins dont Vicq-d’Azyr a fait l'éloge historique, on doit distinguer toutefois, sous le rapport de la physiologie, Haller, Hunter, Lorry, Maret, Lamure, dont plusieurs travaux ont plus particulièrement contribué aux progrès de l'étude des lois vitales. Les autres, tels que Le Roi, Pringle, Serrao, Sanches, ont donné une autre direction à leurs recherches, et le résultat de leurs travaux ne peut être con- sidéré que relativement à la médecine propre- ment dite, que ces savans ont enrichie par d’im- portantes observations : différence que nous avons cherché à indiquer en désignant cette quatrième section sous le titre de Ménecixs et de PHYSs10LOGISTES. , Cette section est beaucoup plus étendue que les précédentes, qui attestent d’ailleurs que la Société royale et son illustre secrétaire ne méconnois- sant pas les rapports de Part de guérir avec les autres genres de savoir, s’étoient approprié em quelque sorte, par d’heureuses associations , les hommes et les sciences qui pouvoient répandre le plus de lumières sur les différentes parties de la médecine. ÉLOGES HISTORIQUES. 171 PL PTS RSS RS PR RS ARNAUD DE NOBLEVILLE. QT TS Le 0 en 7 Lévis-Dawrer ArwauD pr Nortrevirre, doyen dun collége de médecine d'Orléans, naquit dans cette ville le 24 décembre 1701. Après y avoir suivi le cours ordinaire des études , son père , qui le destinoit au commerce ; l’envoya à Nantes chez un négociant de ses amis. Il y séjourna pendant deux années et il revint ensuite à Orléans, où il aida son père dans le travail d’une manufac- ture (1) que ce dernier ÿ avoit établie. M. de Nobleville ‘étoit né sans ambition ; 1l parta- geoit ainsi son temps entre cette occupation et l'étude des lettres. Content d’une heureuse obscurité , 1l savoit que tout état dont l’exercice peut être utile aux hommes est honorable pour un citoyen. Il donnoit aux mathématiques tout le temps dont il pouvoit disposer : 1l prit bientôt pour cette science le goût le plus vif. C’est en effet l'étude qui convient le mieux au petit nombre de personnes qui recherchent la vérité pour elle-même et sans aucun autre intérêt que _ celui de la connoître et de l’aimer. M. de Nobleville, | pressé par ses amis, vint à Paris pour se livrer avec plus de succès à son penchant ; et il fut reçu chez (1) C'étoit une raffinerie de sucre, 172 ÉLOGES HISTORIQUES. M. Clairaut , père du célèbre académicien de ce nom, où il trouva tout ce qui pouvoit exciter son émulation et perfectionner ses connoissances. Il suivit en 1732 un cours de chimie, dont M. Ié- meri étoit alors professeur au Jardin du roi : 1l fut très-assidu pendant la même année aux leçons de bo- tanique de MM. de Jussieu , dont le nom étoit alors, comme il l’est encore aujourd’hui , l’honneur de la botanique française ; 1l devint même leur ami. Une suite de cette louable curiosité qui lui faisoit désirer de s’instruire dans toutes les sciences naturelles , le porta ‘à entendre M. Ferrein , qui enseignoit alors l’anatomie avec célébrité. Ainsi M. de Noblevillé , très-versé dans toutes les branches de la physique rela- tives à la médecine , se trouva, sinon malgré lui, au moins sans en avoir fait le projet, conduit à l'étude de cette science. Il s’y livra enfin avec un avantage d'autant plus grand , qu'ayant l'esprit formé par les connoissances exactes de la géométrie , 1l devoit être très-éloigné de ce goût systématique qui a retardé s1 long-temps les progrès de notre art. M. de Nobleville étudia la médecine pendant, onze années dans les amphithéâtres, dans les bibliothèques et dans les hôpitaux , moins comme un homme qui vouloit la pratiquer , que comme ayant un grand désir de l’apprendre. Son dessein étoit même de se contenter des connoissances profondes qu'il y avoit acquises, sans en rechercher les titres; mais ses parens l’engagèrent à prendre celui de docteur : il se présenta en 1743, alors âgé de quarante-deux ans, à la Faculté PHYS$SIOL. ET MÉD. — ARNAUD. 173 de Reims, qui n’avoit pas coutume de recevoir des can- didats de cet âge. Il y fut bien accueilli, et l’année suivante les médecins d'Orléans l’agrégèrent à leur collége. Sa réputation l’avoit devancé dans cette ville. M. Pa- jot, alors intendant, le pria d’accepter la place de mé- decin de sa généralité , dont les devoirs effrayoient la modestie de M. de Nobleville. La bienfaisance est la vertu des ames douces et sen- sibles ; elle devoit donc être celle de notre académicien ; elle avoit même sur lui toute la force que les passions prennent ordinairement sur les hommes. Il s’annonca à Orléans comme le médecin des pauvres. « Que mes » confrères, disoit-1l, se chargent du traitement des » personnes opulentes , je me dévoue entièrement à » celles qui sont dans l’indigence , et on ne me dispu- » tera point cette part que je me suis faite ». Plusieurs citoyens aisés se plaignirent amèrement de cette pré- férence , soit parce que le mérite de M. de Nobleville étoit connu des gens du monde, soit parce que pour l'ordinaire 1ls désirent vivement tout ce qui paroît s'éloigner d’eux , et qu'ils ont beaucoup de peine à obtenir. Mais M. de Nobleville savoit que les pauvres ont besoin qu’on les nourrisse avant de les traiter ; il s’épui- soit en charités. C’auroit été peu pour lui de consommer ainsi pen- dant chaque année un revenu assez considérable, et de rendre aux indigens des services dont sa mort auroit êté le terme ; il voulut que ses bienfaits lui survécussent, 174 ÉLOGES HISTORIQUES. et 1l les perpétua en achetant une maison grande et commode qu'il destina aux assemblées du Collége de médecine , et sur-tout aux consultations gratuites que les membres de cette compagnie y donnent chaque semaine , depuis cette époque, en faveur des pauvres , à l'exemple de la Faculté de médecine de Paris. Une des conditions de cette institution est que, si le Collége de médecine d'Orléans cesse on néglige ces consulta- tions , la maison appartiendra à l’hôpital général de la ville. Cette clause paroîtra dure à ceux que esprit de corps domine et aveugle; mais M. de Nobleville n'ignoroit pas qu'il étoit citoyen avant d’être médecin, et que les devoirs de l'humanité sont toujours les pre- miers que l’on ait à remplir. M. de Nobleville prit sur-tout en considération les asiles dans lesquels , quoique tout appartienne aux pauvres et qu'ils en soient en quelque sorte les pro- priétaires , ce sont cependant eux que l’on traite ordi- nairement le plus mal. Il fut nommé administrateur de l’hôtel-dieu d'Orléans, et 1l établit dans cette maison une économie qui ne pouvoit être que le fruit de l’ac- tivité la plus grande et du zèle le plus éclairé, Il vivoit avec une sœur respectable qui veilloit à l'exécution de ses volontés, et qui en assuroit le succès par ses soins. Nous avons loué d’abord dans M. de Nobleville le bon citoyen et l’homme charitable , parce que le pre- mier hommage appartient à la vertu : considérons maintenant ses travaux littéraires. Le premier ouvrage qu'il a publié en 1747, de PHYSIOL. ET MÉD. — ARNAUD. 195 concert avec le Collége de médecine d'Orléans, a pour titre : Manuel des Dames de charité, ou Formules de médecines faciles à préparer. La quatrième édition de ce recueil a été faite à Paris en 1768, et 1l a été traduit en italien et en hollandois. L'auteur y a joint un petit Traité de la saignée. On a trouvé ce précis si bien fait, que c’est le premier, et quelquefois même le seul livre que l’on mette entre les mains des élèves en ch1i- rurgie dans les provinces. Ce manuel devoit servir de base aux consultations gratuites du Collége de médecine d'Orléans, et l’on peut le regarder comme le fruit du zèle de M. de Nobleville pour le soulagement des pau- vres. Ce médecin s’étoit proposé de mettre chaque citoyen en état de leur donner des secours dans leurs maladies ; 1l espéroit , comme le titre de l’ouvrage l'indique , pouvoir communiquer des lumières suffi- santes à ce sexe compatissant , qui, par sa sensibilité et la douceur de son caräctère , paroît plutôt destiné à consoler les indigens qu’à les guérir. On ne peut qu'applaudir aux intentions de M. de Nobleville et à celles de tous les auteurs qui ont fait des efforts pour mettre ainsi la médecine à la portée de tout le monde ; mais une entreprise de ce genre ne peut avoir de succès. Comment en effet ne voit-on pas que de semblables trai- tés, outre l’inconvémient qu'ils ont de multiplier cette classe d'hommes très-dangereuse , sur-tout en méde- L x * cine, qui se croient savans sans étude, ne renferment ( n “que la moindre partie de ce qu'ils devroient contenir pour remplir leur but ? Quel avantage peut-on retirer = LÉ de Pexposition des médicamens lorsque l’on ignore 176 ÉLOGES HISTORIQUES. les circonstances dans lesquelles on doit les prescrire ? Sans cette connoissance , la première est non seule- ment inutile ; elle est encore d’autant plus dangereuse, qu’elle donne moins de ressources aux citoyens hon- nètes pour bien mériter des hommes, qu’elle n’en fournit aux ignorans pour les tromper. L'Académie royale des sciences avoitalors à Orléans pour correspondant M. de Salerne , médecin habile et ami de M. de Nobleville : ils se réumirent pour l’exé- cution d’un projet difficile, on pourroit peut-être dire ingrat. Feu M. Geoffroy faisoit depuis plusieurs années des leçons très-suivies sur les propriétés des médica- mens , et 1l travailloit à un cours très-étendu de ma- tière médicale. Ses cahiers sur les minéraux et sur une partie des végétaux étoient également estimés par les élèves et par les savans. La mort de l’auteur inter- rompit cet important ouvrage ; 1l seroit peut - être resté incomplet, et nos deséendans l’auroient regardé comme un monument honorable pour la mémoire de M. Geoffroy , et en même temps comme une occasion de reproche pour ses contemporains , ss MM. de No- bleville et de Salerne n’avoient pas eu le courage de justifier à ce sujet notre siècle vis-à-vis de la postérité. Ils ne se sont point flattés d’égaler en habileté la main hardie qui a tracé le plan de lédifice; et il y a peut- être plus de mérite qu’on ne pense à vaincre ainsi SON amour-propre, en travaillant d’après un modèle qu’on est certain de ne pas égaler. La suite des végétaux parut en 1756,en trois volumes in-12; et six ans après l'Histoire naturelle des animaux t PHYSIOL. ET MÉD. — ARNAUD. 177 fut publiée en six volumes de même formät, auxquels un écrivain habile (1) a ajouté deux tables de tout l’ou- vrage , dont l’ensemble est sans contredit le recueil le plus complet que nous ayons sur la matière mé- dicale. MM. de Nobleville et de Salerne n’ont pas seulement indiqué les propriétés des substances animales ; ils ont encore donné sur l’anatomie des quadrupèdes des détails intéressans et des observations exactes. Ils ont évité une faute que M. Gcoffroy n’auroit pas commise si les progrès de la chimie avoient été plus avancés. Les pre- “. miers volumes de sa Matière médicale sont surchargés PA ' | d'analyses , presque toutes faites au feu, et qui ne jet- tent aucun jour sur les vertus des médicamens. Les continuateurs en ont senti l’inutilité ; et ils ont été très-circonspects à ce sujet. Un dénos plus beaux génies a menacé les métaphy- siciens et les gens à systèmes de renfermer dans un petit nombre de pages toutes les vérités connues. Il semble que Lommnuus ait exécuté ce projet, relative- ment à cette partie de la médecine qui traite des symp- tômes des maladies et du jugement que l’on doit en porter. Son ouvrage est écrit en latin, et il en avoit déja paru une traduction en français , dont le public m’avoit pas été satisfait. En 1760 le libraire en promit une plus exacte, et il en chargea l'abbé Mascrier. Heu- M (1) M. Goulin, docteur en médecine, auteur de plusieurs ou- xrages estimés. T. 2. 12 178 ÉLOGES HISTORIQUES. pouvoit être bien fait que par un médecin habile. La seconde édition du Tableau des maladies , de Lom- mius, soignée par M. de Nobleville , fut très-accuéillie. On sait que M. Ferrein a enseigné long-temps la médecine pratique de la manière la plus brillante, soit au Collége royal , soit dans son amphithéâtre parti- culier. Quelques-uns de ses élèves avoient recueilli ses préceptes, et 1ls conservoient avec soin ce trésor litté- raire, qui étoit peu répandu, mais très-recherché : M. de Nobleville ayant appris que M. Ferrein ne songeoit point à le rendre public , s’empressa d’y suppléer en 1769. Ce cours de médecine fut imprimé en trois vo- lumes in-12. M. de Nobleville , alors âgé de soixante- huit ans , avoit pour le succès de cette production tout le zèle que peut inspirer l’ouvrage d’un maître que l’on respecte. M. Ferrein lui en témoigna sa reconnois- sance. Nous ne dissimulerons point que ce traité n’a pas répondu tout-à -fait à la réputation “de l'auteur. Des principes clairs et une grande méthode le rendent recommandable pour les commençans. Les leçons de M. Ferrein étoient en quelque sorte un commentaire de la doctrine de Boërrahaave , que l’on admuroitalors avec enthousiasme. Ce savant a fait en médecine à peu près la même révolution que Descartes en physique. Tous les deux ont pris avec chaleur les intérêts de la vérité, mais on s’est aperçu qu'il leurest aussi souvent arrivé de substituer une erreur nouvelle et brillante 4 une erreur trop ancienne et dont on étoit ennuyé. L'influence du sol et des saisonS sur les maladies, dont nos correspondans s'occupent avec tant de zèle, PHYSIOL. ET MÉD. — ARNAUD. 199 m’avoit point échappé à M. de Nobleville ; il fit en 1744 un travail dans ce genre, relatif à la ville d'Orléans ù et il le communiqua à l’Académie royale des sciences, qui lui donna son approbation. # Pour se livrer à tant de travaux, M. de Nobleville avoit besoin de tout son temps, et il vivoit loin de toute société : mais ce n’étoit point un de ces hommes qui fiient le commerce du monde pour ne s'occuper que d’eux-mêmes ; 1l ne méditoit au contraire dans sa … solitude que sur les moyens de se rendre utile: il avoit … toujours conservé cette gaieté douce que donne la vraie philosophie : grand amateur de la musique , il avoit … poussé trés-loin ses cormoissances dans cet artagréable, qui lui servoit quelquefois de délassement. | Ce fut sans doute par une suite de te goût qu'il s’ap- pliqua dans sa retraite à élever et à observer l’espèce d’oiseau que les naturalistes et les poëtes appellent de concert Le chantre de la nature. Tout ce qui concerne la chasse , la nourriture , les amours , la ponte et l’édu- cation du rossignol , est exposé dans un ouvrage écrit avec élégance , et rempli d'observations fines et déli- cates, qu'il a publié à ce sujet en 1773. En cherchant à rendre le rossignol intéressant, M. de Nobleville n’a « pas dédaigné de songer au sort de son captif, etila ) indiqué le moyen de le faire chanter souvent et long- les procédés simples et ingénieux pour le guérir , où au moins pour diminuer ses maux. 180 ÉLOGES HISTORIQUES. M. de Nobleville a passé ses dernières années dans une maison située presque hors de la ville et près d’un jardin où il cultivoit quelques plantes étrangères. Sa vie a toujours étéun modèle de bienfaisance et de vertu. La sagesse et l'exactitude de son régime avoient fait espérer qu’elle auroit été prolongée plus long-temps. 11 fut frappé d’apoplexie le 29 janvier 1778. Cette mort imprévue , mais à laquelle il étoit préparé par une piété solide et vraiment chrétienne, l’enleva, étant âgé de soixante-douze ans, à ses concitoyens , auxquels le- souvenir de ses services rendoit sa vieillesse précieuse et respectable , et sur-tout aux pauvres , dont les larmes et les regrets auroient été le seul éloge désiré par M. de Nobleville , si sa modestie lui avoit laissé entrevoir D qu’il en méritoit ua. PHYSIOLOGISTES ET MÉDECINS. 18: LL TS TT BARBEU DUBOURG. Le “es ‘ls 0 0 70.7 Jicours Barseu Dusourc, docteur-régent de la Faculté de médecine de Paris, membre de la Société royale des sciences de Montpellier, de la Société mé- dicale de Londres, de l’Académie des sciences de Stockholm et de la Société philosophique de Phila- delphie, naquit à Mayenne le 15 février 1709. Un esprit prompt et mobile auquel un seul genre d'occupation n’a jamais suffi, une mémoire heureuse, une ame facile à enflammer, un penchant naturel pour tout ce qui portoit le caractère de la grandeur, et sur- tout un cœur droit, telles sont les qualités que l’on a toujours reconnues dans le savant dont l’éloge m'est confié. Ses premières études furent très-rapides. Ayant fini à quinze ans son cours de philosophie, il toucha peut- être trop tôt à cette époque dans laquelle un jeune homme incertain , sans expérience, subjugué néces- sairement par l’imitation, ne connoissant mi les lois qui gouvernent les différens ordres de l’état, n1 celles que sa propre constitution lui prescrit, ose cependant faire un choix, duquel dépend son existence et souvent Je bonheur de ceux dont il est environné. Ainsi deux £. ‘à À L ut des frères de M. Dubourg, auxquels il étoit tendrement … attaché, s'étant voués à l’état ecclésiastique , l'amitié 182 ELOGES HISTORIQUES. fit naître en lui le mème penchant , etil crut être népour suivre le même parti. Bientôt l'étude de la théologie fut la seule dont il s’occupa; il remonta même aux sources les plus anciennes et les plus pures de cette science sacrée, en apprenant la langue hébraïque, et il y fit de si grands progrès qu’il a été souvent consulté sur l’interprétation des passages les plus difficiles. Tant qu’il ne fallut que de la piété, des mœurs et de l’application, M. Dubourg se regarda comme vrai- ment appelé au sacerdoce ; mais il fut éclairé sur sa vocation lorsqu'on exigea de lui le serment irrévocable qui lie pour toujours le prêtre à l’autel, et que l’on ne prononce jamais sans s’exposer à être sacrilège, si l’on n’a pas le courage de s'élever au-dessus de soï- même à mesure qu’on $e rapproche de la divinité, M. Dubourg ne put se déterminer à prendre de tels engagemens, et 1l quitta à regret un état dont il ne se crut pas digne. Cette méprise le rendit plus circonspect sur le choix . qu'il avoit à faire, et qu'il résolut de différer. La litté- rature lui offrit un champ vaste, agréable à cultiver, et d'autant plus conforme à son penchant, qu'il favo- risoit l'indépendance qui a toujours été la base de son caractère. Il donna sur-tout beaucoup de temps à la lecture des poëtes et des historiens; 1l prit enfin du ût pour l'étude de la physique et de la médecine; mais il ne se présenta qu’à l’âge de trente-huit ans à la Faculté de médecine de Paris, qui le reçut en 1748: Il prouva dans les thèses qu'il soutint qu'il ne man- quoit ni de cette force qui est nécessaire pour coms w { . PHYSIOL. ET MED. — DUBOURG. 183: battre les préjugés, n1 de cette adresse qui sait orner un système et qui se propose moins de convaincre que de persuader (1). On reconnoît la première dans sa thèse sur le peu de danger des années climatériques; - la seconde brille dans la manière ingénieuse avec la- quelle l’auteur a essayé de prouver que les organes destinés aux fonctions vitales sont sujets à une sorte de repos ou de sommeil. Avant d'entrer en licence, M. Dubourg avoit donné des preuves non équivoques de son attachement pour la Faculté de médecine, en prenant sa défense contre le Collège de chirurgie (2). Heureusement cette dis- cussion et tous les mémoires qu’elle a occasionnés sont oubliés du public impartial et judicieux , qui sait toujours distinguer les intérêts des savans d’avec ceux de la science. Quelque louables qu’aient été les inten- tions et le zèle de M. Dubourg, nous nous garderons bien d’insister sur ces détails et de faire renaître des impressions relatives à des circonstances passées, qui ont dû nécessairement disparoître avec elles et dont le temps a profondément effacé la trace. (1) Les thèses que M. Dubourg a soutenues sont les suivantes : 1.° Daturne etiam vitalium organorum sommus ? aff. 1746. 2.° Utrüm anni climaterici cœæteris periculosiores ? neg. 174y. 3.° An variolarum morbus absque eruptione ? aff. 1747. 4° An trachæotomiæ nunc scalpellum, nunc trigonus mucro ? … affirmat. 1748. … (2) Lettre, etc., à l'abbé Desfontaines , au sujet de la maîtrise- Deux lettres à une dame au sujet d'une expérience de chirurgie à | qu …_ faite à la Charité le 22 juin 1744; in-8.°, Paris. 184 ÉLOGES HISTORIQUES. Sa réception dans la Faculté de médecine n'in- terrompit point ses travaux littéraires. La corres- pondance qu’il entretenoit avec les savans les plus distingués d'Angleterre et d’Italie l’avoit mis dans la nécessité d'apprendre les langues propres à ces con- trées. Le célebre vicomte Bolingbroke, dont il a été l'ami, Ini avoit inspiré le goût de la littérature anglaise. Les Lettres de ce lord sur l’histoire offrent un grand nombre de traits hardis, de vues neuves et originales, d’assertions fortes et piquantes, qu’un style négligé fait ressortir d’une manière plus marquée. Un ou- vrage de ce genre devoit plaire à M. Dubourg, qui le traduisit avec succès d’après l'édition que M. Pope en avoit donnée en 1738 (1). Il joignit à la fin de ce recueil la traduction d’une lettre très-ingénieuse et très-philosophique écrite par le lord Bathurst, sur les avantages de la retraite, qui nous rend à nous-mêmes en nous livrant aux doux loisirs de la méditation ; sur l'utilité de l'étude qui, en nous donnant plus de. moyens pour devenir bons et heureux, nous apprend en même temps à bien mériter des hommes et à nous en passer autant qu'il est possible, et sur l'exil, éga- lement profitable au sage comme à l’insensé, puisque lun y trouve toujours son repos, et l’autre très-souvent sa raison. L'homme, qui n’occupe qu’un pointetquineséjourne qu'un instant dans l’univers, a su, par Son industrie (3) Lettres sur l’histoire , traduites de Bolingbroke ; 2 vol. in-12; 1752. \ (708 À. | PHYSIOL. ET MÉD. — DUBOURG. 185 et par son infatigable curiosité, connoître les rapports des parties qui le composent et déterminer les é époques des changemens qu elles ont éprouvés. Deux sciences appelées, l’une la géographie , l’autre la chronologie, ont été le résultat de ces recherches. C’est sur elles que la connoissance de l’histoire est fondée; toute V’étendue du globe n’est, dans le sens de la première, qu'un espace circonscrit qu’elle mesure avec précision suivant les dimensions de sa longueur et de sa largeur, sur lequel l’immensité des mers, le cours des fleuves et l’enchaînement des montagnes s’aperçoivent en un instant, et qui présente én un seul tableau tous les climats connus, rangés suivant la proportion de leurs distances. La seconde retrace la suite des événemens : moins composée que la géographie, les objets dont elle traite n’ont, comme le temps, qu’une seule dimen- sion , celle de leur durée. La chronologie n’avoit cepen- dant pas encore été réduite en tables. M. Dubourg a eu le mérite de concevoir et d’exécuter cette entreprise en trente-cinq planches, précédées d’un discours ins- tructif (1), et qui, étant réunies et roulées sur deux cylindres, imitent la révolution des siècles et com- posent un tableau chronologique qui s'étend jusques à l’année 1753, dans laquelle l’auteur écrivoit. Dieu qui est antérieur à tous les temps, se trouve placé avant eux. L'origine et l’antantissement des 10) Chronographie, ou Description des temps, contenant la suite des souverains de l'univers, etc. À Paris, chez Mlle Bihéron , 1753. 186 ÉLOGES HISTORIQUES. empires, la succession des souverains, le développe- ment et l’accroissement de l’espèce humaine dans le sein de la paix et de l’abondance, ses émigrations , son dépérissement sous un ciel peu favorable, sa des- truction dans les horreurs des siéges et des combats, le souvenir des belles actions, les monumens élevés par les grands hommes, le petit nombre de ceux que la reconnoissance a consacrés à leur mémoire, les temps où ils ont vécu, tont y est distribué avec ordre et frappe successivement les yeux de l'observateur. Trois époques principales, la création du monde, la fondation de Rome, et la naissance de Jésus-Christ, font la division de ce tableau. En le parcourant on s'arrête avec complaisance sur tout ce qui tient aux princes vertueux et bienfaisans , et l’on voit que la durée des empires est, ainsi que celle de la vie humaine; prolongée par un régime égal et par des travaux modé- rés, et que rien m'est plus propre à l’abréger que l’indolence qui engourdit tous les ressorts, ou la trop grande activité qui épuise les forces. L'auteur trouva beaucoup de difficultés dans lexé- cution de ce projet. Outre un nombre infini de dates qu'il fut obligé de vérifier , 1l fallut qu’il créât en quel- que sorte un nouvel alphabet pour désigner par dés signes convenus les bonnes ou mauvaises actions , le genre d’occupations et le sort des personnages les plus importans dont il devoit parler. Ainsi, lorsqu'on sait quelle est la valeur de ses caractères, on reconnoît au premier coup d’œil, parmi les hommes qui ont gou verné leurs semblables, ceux qui méritent des hom- La Doi PHYSIOL. ET MÉD. — DUBOURG. 187 mages ou du mépris. Puussent les grands de la terre ne jamais oublier qu’outre le témoignage de leur cons- cience qui les juge, et l'autorité de l'Etre suprême qui les récompense ou les punit, ils ont encore à craindre le tribunal de la postérité, qui transmettra d’âge en âge leurs vertus ou leurs vices! On ne sera pas sur- pris sans doute de la liberté avec laquelle nous nous expliquons à ce sujet: il est des vérités qui ne peuvent être dites que sous le règne des bons rois ; elles sont léloge le plus digne de leur délicatesse et de leur justice. Les productions de M. Dubourg étoient variées comme ses goûts. Ayant passé plusieurs années à classer les grands hommes suivant les époques aux- quelles ils ont vécu; s'étant fatigué dans la profondeur de l'antiquité la plus reculée, il falloit du repos à son esprit, qui cependant ne pouvoit rester oisif. Ce fut sans doute pour se procurer ce délassement qu'après avoir été l'historien de toutes les nations et de tous les siècles , il devint Le rédacteur d’un journal de mé- decine, intitulé Gazette d’Epidaure. Cet ouvrage (1) périodique , qui a paru pendant trois années, et dans lequel on trouve par-tout de la décence et souvent de la gaieté, a servi à répandre des préceptes utiles et à recueillir des observations intéressantes. Bientôt un sujet plus important occupaM. Dubourg. Une question médico-légale sur la durée de la gros- sesse et sur le terme de l’accouchement divisoit les … (1) Gazette d’Épidaure, ou Recueil hebdomadaire des nouvelles de médecine, etc., 4 vol. in-8.° : Paris, 1761-63, 188 ÉLOGES HISTORIQUES. médecins et les chirurgiens les plus célèbres de la capi- tale. On se souvient que plusieurs montrèrent alors plus de chaleur que l’on n’en met ordmairement lorsqu'on est conduit par les seuls intérêts de la vérité. Notre académicien réunit en 1765 toutes les pièces relatives à cette discussion dans un mémoire très- détaillé (1). Les éclaircissemens que le raisonnement , l’observation et l’analogie peuvent fournir, sont pré- sentés avec méthode dans trois sections différentes. La formation des graines et la germination dans les végétaux, le développement des œufs dans les in- sectes et dans les oiseaux, le terme de la portée dans les quadrupèdes, enfin la durée de la grossesse dans l'espèce humaine, étant, quel que soit d’ailleurs le vœu de la nature, susceptibles de variations dont l'existence est démontrée, mais dont l’observation n’a point encore déterminé l'étendue , M. Dubourg pen- soit avec raison que les connoissances physiologiques étoient trop peu avancées pour qu'il fût possible de décider une question aussi importante. L’on a dans ces recherches deux écueils à éviter, celui de prodi- guer à un enfant étranger des biens dont il ne doit pas avoir la jouissance, et celui de priver un enfant légitime du nom et de la fortune de ses ancêtres, en couvrant celle qui lui a donné le jour d’un opprobre ineffaçable. Quel homme sera assez téméraire pour fixer des limites entre deux points, au sujet desquels (1) Recherches sur la durée de la grossesse et le terme de l’ac- couchement. Amsterdam, 1765. | _ PHYSIOL. ET MÉD. — DUBOURCG. 189 l'expérience est elle-même environnée de tant d’incer- titude ? En attendant que la physique exacte ait fourni une base solide sur laquelle la rigueur de la loi puisse établir un jugement certain, ne doit-on. pas prendre le parti le plus doux et le plus honorable:p: ve lPhu- manité ; et n’est-1l pas consolant pour nous de croire que l’on se trompera moins en traitant toutes les mères comme fidèles aux devoirs sacrés de la tendresse et de la vertu, qu’en les soupconnant toutes de vol et d’adultère ? Cet ouvrage très-estimable seroit absolument exempt de reproches, si l’auteur en avoit supprimé quelques notes, dans lesquelles il n’a pas traité un de ses confrères avec tons les égards qui lui étoient dus. Comment M. Dubourg pouvoit-il ignorer que la cri- tique amère est une arme absolument inutile pour la conviction, et qui est presque toujours plus dange- reuse pour celui qui s’en sert, que pour ceux contre lesquels elle est dirigée ? La botanique tenoit le premier rang parmi les tra- vaux auxquels M. Dubourg se livroit; mais il l’envi- sageoit sous l’aspect le plus utile : son projet étoit d’en répandre le goût et les connoissances parmi les gens du monde, et sur-tout dans cette classe de citoyens qui recueillent et conservent les végétaux dont on a coutume de faire usage en médecine. Son jardin, où 1l cultivoit les plantes usuelles, étoit ouvert - aux étudians , aux amateurs et aux herboristes, que ; M. Dubourg se proposoit principalement de for- mer. Tandis que les botanistes du premier ordre cher- ‘ 190 ÉLOGES HISTORIQUES. choiïent à rétablir l’ancienne nomenclature grecque, M. Dubourg, plus modeste, conservoit avec soin les noms français, et il en créoit même lorsqu'il n’y en avoit point d’adoptés. Le traité (1) dans lequel cette nouvelle méthode est consignée parut en 1767 : l’au- téur le dédia à sa femme. « Le public, dit-il dans » l'épitre dédicatoire, n’a pas plus de foi aux époux » heureux, que de commusération pour les époux > malheureux ». Son dessein n’étoit pas de combattre cette opinion, mais seulement d’offrir à la personne qu'il aimoit le ‘plus celui de ses ouvrages auquel à étoit le plus attache. Le second volume de ce traité renferme plusieurs lettres curieuses sur le choix des bons remèdes, qui sont, suivant l’expression de WVVedelius, ainsi que les vrais amis, en très-petit nombre; sur la nature de certaines maladies qui ne requièrent aucun traitement, et sur la nécessité d’inspecter les boutiques des her- boristes. La Faculté de médecine de Paris a rempli les vues de M. Dubourg, en donnant à la réception de ces artistes toute l’attention qu’elle étend aux ob- jets utiles dont l’admimistration leur est confiée. De même qu'il y a des productions végétales et animales communes à tous les pays, il ya aussi des principes généraux que la raison dicte à tous les hommes pour éclairer leur conduite et assurer leur (1) Le Botaniste français, comprenant toutes les plantes com- munes et usuelles, disposées suivant une nouyelle méthode, et décrites en langage vulgaire ; 2 vol, in-12+ PHYSIOL. ÊT MÉD. — DUBOURG. 192 bonheur. M. Dubourg essaya de les rassembler dans un ouvrage particulier (1). Parmi les détails que ce traité renferme, il est de notre devoir de ne nous ar- rêter qu'aux idées de l’auteur sur le commerce ma- ritime. M. Dubourg expose comment chaque peuple est fondé, pour protéger son industrie, à s'approprier une partie de la mer qui baigne ses ports; mais il fait sentir combien 1l est essentiel et conforme à la nature que la mer reste libre, -et combien 1l y a d’orguneil et d’extravagance à se dire les rois d’un élément aussi F qui ne reconnoît que la loi de la gravi- tat1 jamais imprimé la trace de sa domination, qui com- umverselle, auquel la main de l’homme n’a mande plutôt qu'il n’obéit aux vaisseaux qui le sil- lonnent, et sur lequel les succès sont aussi inconstans que les flots dont il est agité. L'époque la plus mémorable de la vie de M. Du- bourg a été sa liaison avec ce philosophe qui semble être né pour allumer le flambeau des sciences en Amé- rique, pour y transporter les arts et l’industrie de l’ancien monde, et sur-tout pour briser les premiers anneaux de ces chaînes que le despotisme d’un peuple libre s’efforçoit d'étendre au-delà des mers et d’appe- santir sur sa patrie. Les progrès des arts et des sciences n’étoient Jamais oubliés dans la correspondance de M. Dubourg avec “son respectable ami. L’électricité positive on négative (1) Petit Code de la raison humaine, ou Exposition succincte de ce que la raison dicte à tous les hommes, etc. 1773. 192 ÉLOGES HISTORIQUES. substituée au système des affluences et des effluences; son application au corps humain pour le traitement des maladies ; la distinction de deux espèces de para- lysies, l’une accompagnée de contraction et l’autre de relâchement, cette dernière étant plus curable par l'électricité ; des réflexions sur la diversité que la diffé- rente nature des verres apporte dans les expériences électriques, un grain de sable, ou tout autre corps étranger , recevant dans la charge un certaine quantité de fluide qui peut se dégager subitement et briser le verre dans les parois duquel il étoit renfermé; la description d’un paratonnerre construit d’après les principes de M. Franklin; des recherches sur les moyens de rappeler à la vie les personnes suffoquées par la foudre, ou des animaux tués par l’étincelle élec- trique ; des remarques sur la population et sur les ma- nufactures des Etats-Unis de l'Amérique comparées avec celles de l’Europe; des considérations qu'il avoit déja communiquées à la Faculté de médecine de Paris. sur l’inoculation en général; les détaïls des succès de cette méthode pratiquée à Boston, la proportion des guéris et des morts étant de 800 à 6; des expériences sur l’art de nager; des réflexions sur la construction de l’harmonica et sur la manière To tirer des sons: tel est le tableau du commerce littéraire que M. Du- bourg a entretenu avec M. Franklin. Connoissant, les lumières et la complaisance de ce savant, 1l ne, craignoit pas de lui proposer les questions les plus difficiles ; il étoit bien assuré de recevoir toujours les f réponses les plus satisfaisantes. Ces lettres , jointes aux PHYSIOL. ET MÉD. — DUBOURG. 193 autres mémoires de M. Franklin, composent le re- cueil intéressant dont M. Dubourg a donné en 1773 une traduction française (1) beaucoup plus complète que édition anglaise antécédente. Ce travail resserra encore les liens qui existoient déja entre ces deux phy- siciens. Semblable à deux corps qui se rencontrant avec une vitesse inégale, la partagent entre eux pour se mouvoir ensuite umformément , les ames des deux amis se choquent et se pénètrent, de sorte que celle qui a le plus d'énergie s'empare de l’autre pour lui communiquer son impulsion. Ainsi le génie de M. Franklin anima M. Dubourg, qui comptoit parmi ses plaisirs et ses chagrins les plus vivement sentis les succès ou les malheurs de la patrie, si chère LS, SG \ à son ami, et qui se glorifioit d’avoir été en France le premier allié des Américains. _ La dernière production de M. Dubourg a été dictée par sa tendresse pour M. l'Air de la Motte, son neveu, dont il guidoit les pas dans la carrière de la médecine, et auquel il en a exposé les principes sous la forme d’aphorismes (2), qui ont été lus dans nos séances. M. Dubourg avoit commencé l’éducation de son neveu em Ctablissant, relativement aux connois- sances médicales, des limites déterminées entre ce qui est bien connu, ce qui n’est que probable, ce qui est douteux et incertain. Ce genre d'instruction seroit D ———@——— \ QG) OEuvres de M. FranCKkz1N, traduites de l'anglais, avec s additions , 1 vol. in- on 194 ÉLOGES HISTORIQUES. 1 moins séduisant, mais plus solide que celui ” est généralement adopté. Il apprendroit aux étudians à faire usage de leur raison, et sur-tout à se défiep de . leur esprit et de celui des autres. | Un goût très-vif pour tout ce qui pouvoit piquer la curiosité des physiciens avoit engagé M. Dubourg à faire des expériences difficiles, longues et très-coûteu- ses, sur la nature du sol le plus propre à produire des grains de difiérentes espèces, et sur la construction des fours à poulets. A la vérité ces travaux ne l’ont pas conduit aux résultats qu’il cherchoït ; mais il a eu la bonne foi de l’avouer : et si l’on doit les plus erthds éloges à l’homme habile qui exécute de la manière la * plus complète un projet utilement conçu , 1l seroit in- juste d’en refuser à l’homme modeste qui, après avoir pris beaucoup de peine et fait de grandes dépenses ; aime mieux convenir qu'il s'est trompé, que de s’ex- poser à tromper les autres, et qui ne craint rien j tant que de faire tourner au profit de l’erreur des expériences et des travaux uniquement consacrés à la … recherche de la vérité. 7° 1 M. Dubourg, par la sensibilité de son ame; par la douceur de son caractère, et par sa tolérance dans les affaires d’opimion , étoit bien digne d’être recherché et d’avoir des amis. Il se montra toujours très-délicat dans ce choix. « J’aimerois mieux, répétoit-1l souvent, » avoir un honnète homme pour ennemi, qu'unfripon M » pour ami. » | k 4 Nous ne passerons point sous silence les circons- { ni tances qui ont accompagné sa réception dans la So- LL PHYSIOL. ET MÉD. — DUBOURG. 195 * * ciété. l n’a demandé une place d’associé ordinaire qu'après avoir été pendant quelque temps très-exact à nos'assemblées. La Compagnie le comptoit au nom- bre de ses coopérateurs avant de l'avoir reçu parmi ses membres, et sa nomination a été de notre part et de la sienne un gage réciproque d’estime et d’at- tachement. . IL avoit long-temps pratiqué la médecine avec au- tant de zèle que de désintéressement. Il renonça pen- . dant les' dernières années de sa vie à cette pénible occupation ; et 1l ne s’écartoit de cette règle qu’il s’é- toit prescrite, qu’en faveur des pauvres et de ses ‘anus : les uns et les autres ont toujours eu un droit - égal aux secours qu’il étoit en son pouvoir de leur _ procurer. Son ardeur pour l'étude étoit tempérée par une gaieté douce (1), qui lui offroit toujours après le tra- vail un délassement assuré. Il s’est livré avec empres- sement à toutes les recherches dont la Société l’a chargé, et la mort l’a surpris au milieu d’une com- mission très-fatigante, dont 1l remplissoit les devoirs avec rigueur. Il fut attaqué, le premier décembre 1770, _ d’une fièvre maligne, à laquelle il a succombé le trei- … sième jour de cette maladie, alors âgé de soixante- ix ans et neuf mois. M. Dubourg ne recut point en naissant ces rares spositions qui sont la source du génie: mais il les dut 196 ÉLOGES HISTORIQUES. à la nature de talens que le travail a cultivés et rendus fructueux. Son nom sera inscrit parmi ceux des ci- toyens utiles et des littérateurs les plus zélés (1): hé avec celui de M. Franklin, 1l attirera les regards de la postérité qui n’oubliera point l'ami de ce grand homme. à 4 D G) M. Dubourg a publié, 1°. des Objections à M. Basselin sur la quadrature du cercle ; 2.° une Lettre à Mile **#* sur les vents. Enfin on trouve dans sa bibliothèque une édition de l'Esprit des lois, de Montesquieu, Sur laquelle on lit des réflexions très- judicieuses® PHYSIOLOGISTES ET MÉDECINS. 197 ST BOUILLET. 4 ee "se" se 7 PR Jzax Bourrzer , docteur en médecine de l’'Univer- sité de Montpellier , le plus ancien des correspondans de l’Académie royale des sciences, professeur de mathé- ; matiques et secrétaire de l’Académie de Béziers, naquit Ni '2 Servian , près de cette ville , le 6 mars 1690, de Jean Bouillet, cultivateur, et de Catherine Louneau , fille __ du juge royal du lieu. Il comptoit parmi ses parens un | grand nombre de ces hommes estimables qui bornent » toute leur ambition à une abondante récolte ; et en re- montant des lieux où sa réputation l’a fait connoître jusqu’à celui de sa naissance , on y trouve son nom également chéri par ses concitoyens à Béziers, et à Ser- vian par un peuple de laboureurs qui ne savent esti- mer que des vertus. Le curé de ce village, qui étoit un des amus de son père, se chargea de sa première éducation , et bientôt après 1l fut envoyé au collége de Béziers , où il se dis- tingua par son application à l'étude et par ses succès. Que l’on ne croie pas cependant que nous regardions ces avantages comme une preuve réelle de sa préémi- —… nence sur ses condisçiples : les couronnes académiques été ceint des lauriers des écoles. Un jugement droit, ne bonne mémoire, et de l’opimitreté au travail, 198 ÉLOGES HISTORIQUES. suffisent ordinairement pour sy distinguer : on admira de bonne heure ces qualités dans M. Bouillet , que nons n'annonçons pas comme un homme de gémie, mais comme un savant modeste, et versé dans plusieurs genres de connoissances. Ses parens l’avoient destiné dès sôn enfance à l'érude des lois : un penchant anquel ils furent obligés de cé- der le conduisit à celle de la médecine, dont il recut les premitres leçons en 1707, dans la célèbre Université de Montpellier. | Le froiû de l'hiver de 1709 sera à jamais BRL 1 par sa rigueur : les circonstances qui l’accompagnèrent le rendirent funeste pour toutes les productions végé: tales, et sur-tout pour les oliviers, qui sont la source d’une grande richesse dans le Languedoc. Le père de M. Bouillet , ainsi privé d’une partie de sa fortune, vit avec regret le doctorat de son fils différé. jusqu’en 1711. ‘ Pourquoi le vrai mérite ne pent-1l pas toujours ob- tenir un titre qui devroit en être la récompense et le caractère , tandis qu'il reste si souvent à l'ignorance des ressources pour s’en pourvoir ? di Après avoir été reçu docteur, M. Bouillet se retira à Servian , son lieu natal , et s’y fixa jusqu'en 1915. Là, éloigné de tout commerce importun , il se hyra entiè- rement à l'étude de la médecine , sur laquelle il voulut réfléchir profondément et long-temps. Il aimoït assez ses concitoyens pour ne pas se permettre de faire sur eux l’essai d’une pratique trop précipitée. Lorsqu'il eut puisé pendant plusieurs années dans les bons auteurs W PHYSIOL. ET MÉD. — BOUILLET. 299 les connoissances nécessaires qu'une théorie sage peut seule fournir , qui servent comme de base à notre expé- rence, sans lesquelles elle n’est qu'un tissu de hasards et auxquelles la routine et l’'empirisme ne suppléeront jamais, 1l vint s'établir à Béziers, persuadé que ses confrères obronmt de leurs conseils dans les cas dou- teux. Il suivit en cela une conduite bien opposée à celle que quelques anciens règlemens prescrivent aux médecins dans plusieurs grandes villes du royaume. Tls doivent pratiquer pendant quelques années dans les … campagnes voisines, où ils sont isolés et absolument … livrés à leur inexpérience : il semble qu’ils aient la per- mission tacite de s’y exercer aux dépens de la partie la plus saine et la plus précieuse de l’état , et que la mé- decine ait besoin , pour être pratiquée avecintelligence, de pareils expédiens, qui sont aussi flétrissans pour elle qu'ils sont insultans pour l'humanité. M. Bouillet avoit alors vingt-cinq ans : des circons- tances heureuses le lièrent avec M. de Mairan. L’ami- tié d’un grand homme, dit un philosophe moderne , est un bienfait des dieux ; elle élève l’ame en lin don- . nant une impulsion noble et hardie ; elle excite l’ému- | Jation en faisant apercevoir la carrière immense qu'il faut parcourir pour arriver à la célébrité; elle est tout à la fois un plaisir bien délicat pour celui qui en est digne , et un aiïguillon très-puissant pour celui qui est capable d’en profiter, M. Bouillet éprouva ces dif- | W ; érentes 1 impressions, et 1l aimoit à répéter souvent que, sans les 1 1 En EN et l'exemple donnés par son “illustre ami, il n’auroit jamais osé entreprendre les 4 200 ÉLOGES HISTORIQUES. Se r. travaux nombreux dont nous allons offrir un tableau + succinct. Son premier essai fut un mémoire sur la communi- cation des fermens , qu’il présenta en 1715 à l’Acadé- mie de Bordeaux pour concourir au prix qu’elle avoit proposé cette année. Quoique cette dissertation ait été préférée par l'académie , sans doute parce qu’elle ren- ferme des explications ingénieuses , nous devons à la vérité de ne point dissimuler combien les assertions qui en font la base sont dénuées de fondement. On ytrouve la théorie de Descartes appliquée à tous les phénomè- nes de la fermentation ; et on sera surpris, dans quel- ques siècles, si cet ouvrage est connu de la postérité ; que M. Bouillet ait si peu profité de ceux de Beccher et de Stahi (1). En 1720 (2), l'Académie de Bordeaux ayant proposé pour sujet d’un prix de déterminer quelle est la cause de la pesanteur, M. Bouillet, encouragé par les hon- neurs d’un premier triomphe , osa en désirer un second. pe 1, 0 NET Se RENTE (1) Le premier a suivi une marche bien différente de celle de M. Bouillet, Plus fécond peut-être que tous ceux qui ont écrit sur cette matière lorsqu'il expose très au long et avec une abon- dance singulière les phénomènes de Ja fermentation, il n’ose pas même se permettre des conjectures sur leurs causes: Le second développe et explique avec toute la vraisemblance possible le choc des élémens dans une masse en fermentation, leur désunion et leur réunion pour former de nouveaux composés. (2) En 1713, il communiqua à l'Académie de Montpellier un } Mémoire sur la digestion. Cette compagnie lui en a témoigné sa. satisfaction, en le receyant, la même année; au nombre de ses associés. FA PHYSIOL. ET MÉD. — BOUILLET. 201 Il l’obtint de la manière la plus complète (1); ce fut encore à l'hypothèse de Descartes qu'il eut recours pour expliquer un problème dont on avoit déja trouvé la so- lution dans les principes de l'attraction newtonienne. Il est vrai qu’en 1720 elle n’avoit presque aucun par- tisan en France; les tourbillons faisoient encore Vadmiration des écoles , et chaque physicien s’efforçoit de leur donner une impulsion relative à son système. Notre académicien , en se livrant alors à ses conjec- _tures (2), suivit donc le torrent, dont il n'appartient (1) Son mémoire sur la cause de la pesanteur fut d’abord imprimé . à Bordeaux et ensuite à Béziers. fs . (2) La pesanteur est, suivant M. Bouillet, le mouvement des dy corps vers le centre de leur tourbillon, ou l'effort qu'ils font, lors- qu'ils sont retenus, pour se mouvoir dans ce sens. M. Bouillet établit comme un principe que l'impulsion d’un autre corps peut seule les déterminer à se déplacer ainsi. Il ne s’étoit point aperçu que cette supposition ne fait que reculer la difficulté, et qu'il doit y avoir un terme au-delà duquel le mouvement ne peut être l’effet d’une impulsion mécanique. M. Bouillet supposoit un corps placé dans un des torrens des petits tourbillons : il est impossible, disoit-il, qu'il n’en diminue pas le mouvement et la résistance. » Les couches placées au-dessous jouissant alors d’une force rela- » tivement plus grande, doivent réagir, se porter au-dessus de ce corps et le précipiter. M. Bouillet trouvoit dans la première des couches les plus élevées, qu’il supposoit plus forte, la raison … pour laquelle le corps ne monte pas au lieu de descendre; car tel Res le sort des explications systématiques , que l'imagination , après en avoir disposé l’ensemble, produit volontiers une fiction nouvelle, si elle devient nécessaire pour en étayer les fondemens. M. Bouillet mauroit pas montré tant de chaleur pour cette opinion, s’il avoit réfléchi que la matière appelée subtile, ayant toujours été sup- osée capable de pénétrer tous les corps, n’est nullement propre NT à leur donner l'impulsion de la pesanteur, D'ailleurs la descente des 202 ÉLOGES HISTORIQUES. qu'aux opinions des hommes de gémie d’être la source et dont eux seuls peuvent s’écarter. e Des objets plus pressans l’occupèrent bientôt. En 1720 et dans le commencement de 1721, la peste de la Provence et du Gévaudan menacoit le Languedoc. Déja les administrateurs des différens cantons de cette province s’étoient concertés pour prendre des mesures communes contre ce fléau. M. Bowillet fut consulté : il publia à cet effet en 1721 un mémoire instructif dans lequel on trouve, en plusieurs endroits, l'expres- sion que donne l’amour de la patrie. Plaignons-le de ce qu'avec des intentions aussi louables 1l s’est sie sur les moyens. M. Chirac avoit député, par ordre du gouvernement, des médecins à Marseille pour secourir les pestiférés. Avant leur dépañt , il leur avoit répété plusieurs fois que la maladie qu’ils alloient combattre n’étoit pas con- tagieuse. Il avoit ajouté que leur devoir étoit sur-tout de détruire ce préjugé et de ramener le calme. On ne voyoit pas que ce calme perfide augmenteroit nécessai- rement le nombre des victimes en multiphant les sour- ces de la contagion! En vain elle faisoit de tous côtés des progrès rapides ; en vain les galères et plusieurs graves devroit être, d’après ces principes, d'autant plus prompte qu’ils auroient moins de masse sous un même volume. Enfin l’ob- jection que M. d’Alembert a faite aux Cartésiens dans son Traité nl des fluides, jouit ici de toute sa force; elle consiste à prouver ‘1 que dans ces différentes suppositions les çorps descendroiïent vers À Vaxe et non vers le centre de la terre, en tombant sous les ral-. lèles à l'équateur. FM 1 PHYSIOL. ET MÉD. — BOUILLET. 203 maisons religieuses s'étoient préservées de ses atteintes par des précautions sages ; inutilement le célèbre As- truc disoit à toute l’Europe que, quand bien même la contagion n’existeroit pas , 1l seroit prudent de la sup- poser : l'erreur et le préju gé triomphèrent , et leur con- tagion fut cette fois plus forte que celle de l’affreuse maladie qui ravageoit Marseille. Au milieu de la déso- lation , lorsqu'un virus destructeur avoit infecté pres- que toutes les sources de la vie, on osoit encore en nier l'existence ! Est-il étonnant que M. Bouillet ait été trompé par des assertions aussi hardies? Mais la peste w'ayant pas pénétré jusqu'à Béziers, l’opinion qu'il avoit adoptée n'eut aucune suite fâcheuse , et ce ne fnt qu’un tribut payé à l'autorité de M. Clurac, alors pre- mier médecin. | Que les temps sont changés ! et combien ceux de nos confrères qui occupent ces places importantes oppo- sent de bienfaits à tant de fautes et d’abus commis avant eux ! En 1925, M. Bouillet adressa une lettre au docteur Penna |, médecin consultant du prince Monaco , dans laquelle 11 indiqua les remèdes qui peuvent être subs- ttués à la rhubarbe , dont le prix étoit excessif et que l’on trouvoit , d’ailleurs, presque par-tout de mau- ÿ. aise qualité. Notre auteur fit alors connoître plusieurs substances amères et purgatives qui peuvent la sup- \ Deer. En effet , on ne manque point de purgatifs ; mais, comme l’a très-bien remarqué M. de Fontenelle, 1manque bien plutôt d’une conduite qui en prévienne Jebesoin trop fréquent. 204 ÉLOGES HISTORIQUES. ! Déja M. Bouillet s’étoit rendu digne de plusieurs titres littéraires. La Société royale des sciences de Montpellier lui avoit conféré celui de son associé en 1719, et celle de Bordeaux en 1720. L'Académie royale des sciences l’avoit choisi en 1722 pour un de ses cor- respondans ; et dans la même année il avoit été nommé par le roi secrétaire de l’académie de Béziers , place dont il a rempli les fonctions avec distinction pendant cinquante-cinq ans. Comment n’auroit-il pas mis tout son zèle et toute sa gloire à être l’organe d’un corps dont l'institution étoit en partie son ouvrage? M. de Mairan l’avoit aidé de son crédit dans cette entreprise utile , et tous les deux s’étoient réunis pour rendre à la ville de Béziers un service inestimable : celui d’y répandre les connoissances littéraires et d’y établir un tribunal redoutable pour l'ignorance et les préjugés , fléaux d’autant plus funestes , que le peuple est souvent assez aveugle pour les chérir et pour les regarder comme essentiels à son bonheur. M. Bouillet, depuis cette époque si honorable pour sa mémoire, ne cessa de diriger ses travaux vers le salut public, soit en donnant en 1733 une instruction sur la manière de traiter la petite-vérole et sur les dan- gers du régime échauffant , qui étoit alors fort en usage; soit en faisant en 1735 la description d’un ca- tarre connu sous le nom de coup de vent(1), qui règne (x) En 1738 une maladie à peu près du même genre se déclara à à Béziers. Le fameux P. Bridaine y préchoit alors une mission. Le Le peuple se rassembloit en foule pour l’entendre, et on ne manquoit, PHYSIOL. ET MÉD. — BOUILLET. 205 souvent à Béziers, et qu'il attribua à la rapidité avec laquelle les vents chauds et froids se succèdent dans ce pays ; soit en publiant ses observations sur une fièvre vermineuse qui fit des ravages à Béziers en 1736 et dont il fut lui-même atteint ; soit enfin en assurant, d’après ses observations en 1730, que le quinquina peut être donné avec succès dans le traitement de plu- sieurs fièvres rémittentes ; pratique qui étoit alors très- peu répandue (1). A jamais, dit M. Bouillet, d'être attaqué du catarre en sortant à de sorte que, ajoute-t-il, ceux-là furent principalement exempts de l'épidémie qui n’avoient pas été fort assidus aux sermons. On trouve dans l’histoire plusieurs faits analogues à celui-ci. Nous nous contenterons de rapporter les suivans. Paquier nous apprend qu’en 1403 le rhume qui régnoit alors affligea tellement MM. les conseillers au parlement, à cause du froid dont ils étoient saisis en sortant de l'audience , que , le 26 avril, le greffier ne pouvoit conclure ant on toussoit. En 1427, vers la Saint-Remi, d’après le même auteur , une épidémie catarrale, appelée le ladendo, étoit accom- pagnée d’une toux si violente, qu’étant à l’église (ce sont les pro- pres expressions de l'auteur), 07 ne pouvoit entendre ce que le sermonneur disoit, par la grande noise des tousseurs ; le nez et la bouche étoient enflés , chacun avoit une grosse irogrte; et le peuple, en sortant, s’entrèmocquoit l’un de l’autre. (1) En 1751, il donna avec succès le kermès minéral dans le trai- Ni tement de certains maux de gorge épidémiques, accompagnés mn d'abcès aux amygdales. Déja Helvétius avoit suivi une méthode Semblable. En 1732 et 1733, en faisant appliquer des vésicatoires et en donnant de la thériaque, il guérit beaucoup de malades attaqués d’une péripneumonie peu inflammatoire et pour laquelle h on avoit mal à propos multiplié les saignées. Voyez une thèse soutenue en 1737 par M. Bernard de Jussieu ; ce traitement, connu de Vallériola, y est prescrit. à Une épidémie régna à Béziers en 1740 : le froid de cet hiver 206 ÉLOGES HISTORIQUES. : L'Académie des sciences et belles lettres de Béziers avoit eu assez de temps pour recueillir un certain nombre de mémoires, que M. Bouillet publia, en ! qua- lité de secrétaire , en 1736. Quelques années après, en 1744, il réunit dans le premier volume de ses Élémens de médecine pratiqué plusieurs dissertations qu'il avoit lues dans les séances de l’Académie de Béziers, et il y joignit une descrip- tion des maladies qui avoient régné dans cette ville depuis 1730. Ces mémoires intéressans sont précédés par différens morceaux d’Hippocrate, de Baillou, de Lomnius et de Sthal , qui y sont rangés suivant l’ordre élémentaire. Son intention étoit de suppléer à la biblio- thèque pratique (1) de Manget par un ouvrage moins étendu ; mais il ne vouloit point s’exposer au reproche d’avoir dénaturé les auteurs qu’il proposoit pour mo- dèles. Aussi nous regardons cet ouvrage comme très- supérieur à ces compilations trop communes mainte- nant , dans lesquelles les plagiats sont distribués avec fût très-vif, et l’on remarqua que pendant sa. plus grande rigueur ù périssoit plus de monde qu'auparavant. Une observation de cette nature a té faite en Russie lorsque la dernière peste y régnoït, et dans nos provinces méridionales lorsqu'elles étoient dévastées par l’épizootie. Il publia en 1744 une instruction sur le traitement de la rage: ce sont les frictions mercurielles et le remède de Paulmier quil \ : conseille. (1) On lit dans cet ouvrage quelques explications physiologiques qui n'ont actuellement aucun partisan. Suivant M. Bouillet, l’eau, et la pituite peuvent passer du cerveau dans les narines par, cer M tains trous de la base du crâne. nd rs PHYSIOL. ET MÉD. — BOUILLET. 207 un titre fastueux suivant l’odre de l'alphabet ou de la chronologie : comme si, pour réduire en petit un tableau dont l’ensemble est bien présenté , sans lui faire perdre de son expression , il ne falloit pas être soi-même un grand maître ! Lorsque le remède de mademoiselle Stephens fixa pour la première fois l’attention des médecins en France , M. Bouillet , persuadé avec raison que la goutte et certaines espèces d’asthme dépendent dans quelques sujets d’une cause analogue à celle du calcul, essaya de . donner ce remède pour le traitement de ces deux mala- . dies ; et 1l réussit. Il employa aussi avec le plus grand » succès le savon umi au miel. MM. Ferrein et Bernard | de Jussieu x qui furent nommés ses commissaires par . P'Académie, assurèrent que des tentatives faites d’après » ses vues avoient surpassé leur attente. L’explication que M. Bouuillet a donnée de ces diffé- rens phénomènes mérite quelque attention. On sait que le docteur Halès est un des premiers qui aient eu des idées justes sur l’air considéré comme principe. M. Bouillet avoit bien médité ses ouvrages, et, sui- want lui, si les substances alkalines et calcaires agis- sent sur le calcul, c’est en se chargeant de l'air, qui y est, suivant : SARA dont il s’est servi, fité ou mouillé. Une théorie aussi sage et qui avoit alors très- “peu de partisans annonce des connoissances très-pré- .cises et une grande justesse d’esprit. £, Les champignons de mauvaise qualité sont d'autant fl plus à craindre que l’on n’a point encore fait connoître Men eurs caractères d’une mamière positive. Un objet aussi $ 208 ÉLOGES HISTORIQUES. utile ne pouvoit échapper aux recherches de M. Bouil- let: sa curiosité le conduisit à des expériences sur le suc des champignons , qu’il se contenta de mêler avec les acides et avec l'esprit de vin ; mais il n’a point essayé de les dépouiller de leur partie vireuse par la voie des dissolvans et d’en faire prendre le suc à différens ani- maux. C’est ce que M. Paulet, membre de la Société, a entrepris et exécuté dans un ouvrage que le public désire depuis long-temps (1). M. Bouillet auroit dû se contenter de prouver par un grand nombre de recherches utiles combien la médecine peut rendre de services réels à l'humanité , sans se donner la peine d’en démontrer les avantages dans un discourstrès savant, qui a été publigen tête de ses Elémens de médecine. Aucune des anecdotes hono- rables pour cette science n'y est oubliée; tout ce qui a été dit et écrit contre elle y est discuté avec rigueur. Il revint à peu près au même sujet en 1745 , dans un dis- cours qu'il prononça publiquement à l’Académie de Béziers pour démontrer que la médecine est fondée sur des principes certains. Rempli de la dignité de son état , il s’éleva avecforce A (1) Outre que M. Paulet a divisé les champignons en trois classes, | dont il a démontré les genres et les espèces avec plus d’exactitude qu’on ne l’a fait avant lui, il résulte de ses expériences que tous les champien bulbeux sont suspects, et que lusieurs de ceux qui pins P ; q | sont rAngés dans cettefamille contiennent une partie gommo- résineuse que l’on peut leur enlever par différens procédés, qui est meurtrière pour les animaux auxquels on en fait avaler, et dont. l’antidote est l’éther vitriolique. AE | t PHYSIOL. ET MÉD. — BOUILLET. 209 contre ses détracteurs. Cet excès de sensibilité étoit … L'effet d’un caractère sérieux et de l’estime que M. Bouil- let avoit pour lui-mème ; sentiment sans lequel on ne mérite jamais celle de sa nation. Au reste , en soutenant peut-être avec trop de cha- leur que l’on reproche mal à propos à la médecine d’être simplement conjecturale , 11 étoit fondé sur des raisons dont la force ne peut être sentie que par ceux qui sont vraiment en état de la connoître et de l’'appré- cier. Il est vrai que les autres sciences n’ont pu l’attein- dre et l’ont rarement éclairée; mais parce qu’elle ne s’est jamais perfectionnée qu’en se livrant à elle-même, en a-t-elle moins des principes qui lui sont propres et des vérités établies par l'expérience? Les lois des corps animés qu'elle considère ne sont-elles pas très-diffe- rentes de celles des corps inorganiques avec lesquelles on les a trop long-temps confondues ; et l'observation enfin l’a-t-elle moins enrichie que les autres branches de la physique ? Si quelqu'un révoque endoute ce que nons avançons, qu'il consulte les fastes de notre art : il y tronvera les descriptions d’un grandnombre de maladies, faites avec tant de vérité , que depuis vingt-deux siècles leur mar- che et leur traitement n’ont point offert de différences l frappantes. Sont-ce là de simples conjectures ? Que l’on cesse donc d’imputer à la médecine des fautes dont on à se rend soi-même coupable lorsque l’on fait assez peu M de cas de sa santé pour accorder à l'intrigue , à la re- to jommandation, et même quelquefois à l'importunité, ne confiance qui n’est due qu'aux hommes vraiment Le De 14 Le 210 ÉLOGES HISTORIQUES. savans et vertueux : et où peut-on en trouver un plus grand nombre que dans cette capitale, où une Faculté, respectable par son antiquité , recommandable par la pureté de sa doctrine, célèbre par les grands médecins qu’elle a produits, et par ceux qu’elle possède aujour- d’hui dans son sein , continue de s'occuper avec la plus w grande activité du soin de former des sujets dignes W d’une école aussi illustre ? k En 1752 M. Bouillet trouva occasion de donner une uouvelle preuve de son zèle. Le village de Gabian, situé à quelques lieues de Béziers , est connu par ses eaux minérales et par le pétrole qu'il fourmit abon- damment. M. Beausset de Roquefort , alors évêque de Béziers , en ayant fait réparer la source, M. Bouillet se chargea avec empressement d’annoncer cet acte de bienfaisance dans un mémoire qu'il publia vers la fin de la même année (1). M. Bouillet consignoit dans un journal tenu très- (1) En 1717, un médecin nommé Rivière donna à Ja Société royale des sciences de Montpellier la description de la source de Gabian. Elle fournissoit alors chaque année trente-six quintaux d'huile minérale. En 1752 celle n’en fournissoit que trois à quatre quintaux , et maintenant la quantité qui en coule est encore moïndre ; mais ce pétrole a toujours conservé sa force, et il diffère en cela de celui du mont Gibbus, dans le duché de Modène, sur lequel M Francois Arioste a publié une lettre en 1460, et qui, au rapport de Ramazzini, avoit beaucoup perdu de sa force lorsque cet auteur écrivoit. M. Boulet s’étoit assuré par l'expérience de l'efficacité du pétrole de Gabian pour guérir les maladies cutanées, pour - fondre les tumeurs froides et pour détruire les vers ; sa vapeur est aussi regardée comme un remède antiseptique. PHYSIOL. ET MÉD. — BOUILLET. 212 exactement toutes les observations curieuses qu'il aveit occasion de faire. En 17635 , étant alors âgé de 75 ans, il publia celles qui sont relatives à l’infiltration de la peau. Dans un ouvrage imprimé en même temps et en tête duquel sont les noms de MM. Bouillet père et fils, on trouve une observation importante sur la cure de l'hydropisie de poitrine. Lorsque plusieurs signes font présumer: l'existence d’un épanchement aqueux dans cette cavité , 11 n'ya, suivant leur doctrine , ancun * danger à faire la ponction du thorax, si heureusement pratiquée par feu M. Morand. En effet, en se servant avec précaution du trocar , sur-tout si on estime l’é- paisseur des parois de la poitrine, le plus grand mal qui puisse arriver, c’est d’effleurer le poumon ; ce qui n’expose à aucun inconvénient notable , puisqu’aucun vaisseau sanguin considérable ne peut être ouvert : qu'est-ce qu’un danger de cette nature , auprès de celui dont le malade est menacé ? En 1970, M.Bouillet prit connoissance des ouvrages de MM. Cantwel , le Camus, et sur-tout de ceux de M. Paulet, qui, après avoir réuni des preuves pour dé- montrer que la petite-vérole se propage par le seul con- tact des corps imprégnés de son virus, propose un plan d’admimistration qu'il croit capable de détruire ce fléau. M. Bouillet sentit tous les avantages de ce projet utile ; al publia mème à ce sujet un mémoire et 1l se servit de tout le crédit que son grand âge et une longue expé- rience lui donnoient sur l’esprit des magistrats de Bé- Wi #% æiers , pour obtenir les ordres nécessaires au succès de “ son entreprise. Bientôt les habitans de cette ville furent + 212 ÉLOGES HISTORIQUES. instruits du nom et de la demeure de ceux qui étoiènt attaqués de la petite-vérole: et il fut défendu à toute personne ayant encore des pustules ou croûtes de pa- roître en public. Ainsi M. Bouillet avoit encore à l’âge de quatre-vingts ans assez de vigueur pour en commu- niquer aux autres, assez d’impartialité pour adopter des vérités nouvelles, et assez de zèle pour échauffer les magistrats de Béziers sur un projet dont il n’étoit pas l’auteur. Au reste, cette espèce de réparation étoit né- cessaire pour faire oublier qu’à trente-deux ans ilavoit nié la contagion de la peste. Au milieu de tant d’occupations, M. Bowillet avoit trouvé le temps de fournir quelques articles qui sont insérés dans le sixième volume de l'Encyclopédie. Jusqu'ici nous ne l’avons considéré que commemé- M decin (1); présentons-le maintenant comme géomètre et comme astronome. Ses premières années avoient été consacrées à l’étude de la physique. La chaire de ma- thématiques qu’il occupa pendant long-temps le rame- noit nécessairement à ce travail qu'il chérissoit. En (1) Parmi les ouvrages de M. Bouillet , il yen a deux auxquels nous désirerions bien qu’il n’eût point participé. Le premier est l'examen de plusieurs cas de conscience tendant à prouver que l'on ne peut, sans commettre un péché, appeler un chirurgien pour faire la médecine, ou un médecin pour exercer la chirurgie. Le second est une réplique contre les maîtres en chirurgie de Béziers, dans laquelle il auroit peut-être eu raison, si l’on pouvoit Pavoir dans une discussion pareille. Il n’avoit pas réfléchi que le public , qui n’aime pas à faire les fonctions pénibles de juge austère et impartial, se contente de saisir les ridicules de part et d'autre, de sorte que souvent lorsque l’on croit se venger, on s’humilie. PHYSIOL. ET MED. — BOUILLET. 213 1722 il fit sur l'immersion de Saturne une observation très-curieuse , et depuis 1l communiqua à l’Académie royale des sciences plusieurstravaux astronomiques dont il est fait mention dans les Mém. des savans étrangers. Legrand attachement de M. Bouillet pour l’Académie de Béziers étoit le motif puissant qui lanimoit dans tous ses travaux. Les derniers momens de sa vie ont été consacrés à lui en donner des preuves. Il choisit lui-même parmu ses livres, quelques jours avant de mourir, deux cents volumes des plus précieux , qu'il la pria d’accep- ter, et 1l partagea ainsi sa bibliothèque entre ses enfans, au nombre desquels l’Académie devoit être comptée. Chaque année de sa vie a donc été marquée par des bienfaits ; la circonstance dans laquelle 1l à été atta- qué de la maladie qui l’a fait périr, offre mème le trait le plus frappant de son éloge. S’étant levé de très-grand matin pendant les premiers jours d'août pour faire | une observation d’astronomie très-intéressante , 1l fut attaqué d’un catarre que de nouvelles imprudences dans le mème genre augmentèrent; 1l consentit enfin à rester chez lui , seulement à condition que messieurs ses fils suivroient l’observation qu’il avoit commencée et lui en rendroient compte; ce qui fut exécuté: mais la maladie ayant fait des progrès , il s’empressa de remplir de la manière la plus édifiante les devoirs de la 1, religion , et1l mourut victime de son zèle pour l’astro- “nomie, le 13 août 1777, âgé de quatre-vingt-quatre ans. … Il s’étoit marié le 25 août 1724. IL a eu deux fils et trois filles. Un de ses fils le remplace à Béziers, où il jouit de la réputation la mieux méritée. "ÿ % n4 : ÉLOGES HISTORIQUES. M. Bouillet avoit eu onze frères ou sœurs. Neuf sont morts après avoir atteint la quatre-vingtième année , et des deux qui survivent, l’un a quatre-vmgt-quatre ans et l’autre quatre-vingt-quatorze. On a eu plusieurs fois occasion d’observer qu'il y a des races d'hommes très-vivaces : c’est un bonheur pour l'humanité lors- que cette propriété singulière sert à perpétuer la science et la vertu. | Indépendamment de plusieurs faits de médecine pratique que M. Bouuillet a communiqués à la Société, 11 lui a aussi envoyé la suite de ses observations sur la constitution des différentes années depuis 1746 jusques à 1769 ; ouvrage d’autant plus précieux, qu'il fait suite avec le premier et le second volume de ses Elémens de médecine pratique. La Société s’applaudit de ce que son premier hom- mage a été rendu à un observateur infatigable, et sur- tout à un homme qui a bien mérité de sa patrie. Le génie ne manque jamais d’éloge ; mais il est rare qu'une vie simple, active , sans éclat, et consacrée, loin de la capitale , à la recherche de la vérité, ne soit pas oubliée. Nous nous estimerons heureux toutes les fois que nous pourrons faire connoître les services rendus par des citoyens vertueux et modestes ; etnous le ferons d'autant plus volontiers , que leur éloge devant être w simple comme eux, ne requiert, pour être fait digne- ment et pour être écouté avec indulgence , qu’une ame honnète et des auditeurs sensibles à l’attrait de la vertn. PHYSIOLOGISTES ET MÉDECINS. 215 dt TS RS ST TS FOTHERGILL. Le “es "ne “se “se 0 0 P. Forercizz, agrégé au Collège des méde- cins de Londres, membre honoraire de celui d’Edim- bourg, de la Société royale de Londres , président de la Société de médecine de la même ville, membre de celle de Philadelphie , associé étranger de la Société royale de médecine , naquit le 8 mars 1712 à Carrend, près de Richemont dans le comté d’Yorck, de Jean Fother- gill et deMarguerite Hougt. Son enfance fut confiée aux soins de son grand-père, riche habitant du Cheshire, et il fit ses premières études à Sedberg, dans une mai- son dirigée par les quakers. Il est facile de juger par les premiers penchans quelle sera la trempe du caractère. Si l'enfant que vous ob- servez s’émeut au récit des belles actions ; si ses yeux se baignent de pleurs auprès des malheureux ; si la peine ou la joie de ses proches s'étendent jusqu’à lui, n’en doutez point, son ame éprouvera cette réaction , cette sympathie, si propres à diminuer le poids de nos cha- . gnns, qui s’affoiblissent en se partageant, et à multi- plier nos plaisirs, qui s’accroissent au contraire par la . communication. * M. Fothergill fit voir dès l’âge le plus tendre que la bienveillance seroit le mobile de sa vie entière. Une sensibilité profonde lui rendoit communes les impres- 216 ÉLOGES HISTORIQUES. sions dont il étoit environné ; il n’avoit de jomssance que celles de ses jeunes amis, il n’étoit heureux que de leur bonheur. Ces qualités morales peuvent seules donner au mé- decin toute l'élévation et l'énergie dont il est suscepti- ble. M. Fothergill choisit cet état comme celui où 1l auroit le plus d’occasions de se rendre utile à l’huma- nité. Cette passion , car c’en étoitune en lui, ne permet point à ceux qui en connoissent les charmes de rester dans l’inaction. Ce n’est pas assez pour eux de n'être point frappés par le spectacle de la misère ; encore moins a-t-on à leur reprocher de le fuir; stratagème inhumain qui ne convient qu’à la dureté lorsqu'elle n’est pas encore sûre d’elle-même : il leur suffit de savoir qu'il y a des infortunés, pour qu'ils sentent le besoin de les secourir ; et après le plaisir extrême que leur causeroit la destruction entière des fléaux dont l'humanité est affligée, le plus grand , le plus pur qu'ils puissent éprouver est celui de les adoucir par la conso- lation et les bienfaits. M. Fothergill a été pendant trente années le méde- cin le plus célèbre de la ville de Londres ; et om sait avec quelle libéralité les médecins sont récompensés dans un pays où le peuple, suivant qu'il est affecté , recherche avec la même impatience et la vie et la mort. Pendant tout ce temps, on a vu M. Fothergill distri- buer aux indigens des sommes prodiguées par les xi- ches : elles lui étoient données ; etil les recevoit d’autant: plus volontiers , qu’il n’en étoit en quelque sorte que le dépositaire. Il ne cessa de remplir les devoirs d’une PHYS. ET MED. — FOTHERGILL. 219 médiation aussi noble qu’utile entre deux ordres pour lesquels il ne peut y avoir d’autre rapprochement que celui de ces hommes rares qui tiennent entre eux un juste milieu , puisque , comblés de biens, soit par la fortune, soit par leurs talens, et dépoillés par leur générosité , ils passent successivement de l’une de ces classes dans l’autre pour les honorer et les servir tontes les deux. Les docteurs Thompson, Elliot, Hird et Lettsom (1), qui ont eu part à son amitié, etdont la voix s’est élevée pour célébrer sa mémoire, ne se sont pas contentés de , nous offrir cette idée de son caractère; ils ont donné, “par le développement de sa conduite, la preuve la plus . complète de leurs assertions. Aussitôt que M. Fothergill eut pris la résolution d’é- tudier en médecine, ses parens le mirent en pension chez M. Benjamin Barthelett, apotlhicaire fameux à (1) Voyez An affectionate to tribute the memory of the late d.' Jonh Fothergill: by W. Hird, in-4.°, London 1781. The life and chartcter of d.' Fothergill : by Gilbert Thompson. London , in-8.° 1782. The life of the autor by d." Elliot, pour être mis en tête des ouvrages de M. Fothergill. Æt d " Letsom’s Memoirs of the late d.' Jonh Fothergill, etc. MM. Elliot et Lettsom ont projeté des éditions complètes des mémoires et observations de feu M. Fothergill. Celle de M. Lettsom a paru. Ce dernier étoit le digne ami et le disciple de cet illustre médecin. Il a publié de plus un catalogue raisonné des plantes du jardin d'Upton. Æortus uptonensis or a Catalogue of Stove and Green-House plants, in d.r FothergilPs garden at Upton at the time of decease 1781. Je dois à M. Lettsom la plus grande partie des ren- seignemens que j'ai reçus sur la vie de M. Fothergill. 218 . ÉLOGES HISTORIQUES. Bradfort , dans le comté d’Yorck, et duquel les docteurs Hillary et Choley avoient déja recu avec succès les pre- mières notions de notre art. M. Barthelett (1) lim fit connoître la nature et les diverses préparationsdes subs- tances médicamenteuses, et 1l lui apprit à faire lw- même le mélange et la combinaison des différentes dro- gues ; détails sans lesquels les praticiens les plus célè- bres d’ailleurs sont quelquefois privés des ressources les plus importantes ; détails peut-être un peu trop négli- gés dans un moment où les jeunes médecins, entière- ment abandonnés aux grandes théories chimiques, da1- gnent à peine songer aux procédés de Ja pharmacie (2). M. Fothergill passa ensuite plusieurs années à. Edimbourg, dont l'Université partageoit alors avec celle de Leyde la célébrité de l’enseignement. Les docteurs Monro, Alston, Rhuterford, Sinclair et Plummer, qui se glorifioient d’avoir été disciples de Boërrhaave , lui transmirent tout ce qui peut en médecine être com- muniqué par des préceptes. IL prit auprès d’eux cet essor que donne une grande émulation ; car l’avantage le plus marqué des leçons d’un illustre professeur ne a ————————_————— (1) Et non Barclay, comme on l’a écrit dans un éloge de M: Fother- gill. Il y entra à l’âge de 16 ans, et il y fit son apprentissage avec le même soin que s’il s’étoit destiné à la pharmacie. (2) Si jamais on fait une réforme dans l’éducation médicale, il faudra sans doute exiger des élèves qu'ils passent un certain temps dans le laboratoire des pharmaciens et dans les hôpitaux, afin que, cultivant une science de faits, ils s'accoutument à recueillir ceux qui doivent servir de base à une pratique éclairée et sans lesquels il ne peut y avoir de véritable instruction. À 1 PHYS: ET MÉD. — FOTHERGILL. 219 se borne pas aux paroles qu'il profère. Rien n’inspire tant l'amour de l'étude et de la gloire que la fréquen- tation des grands hommes; et ce n'est pas lorsque l’é- lève sait tout ce qui a été l’objet de l’enseignement, qu'l est le plus près d’en tirer un grand parti, mais lorsqu'il aperçoit combien son maître est lui-même supérieur à ses propres leçons , et combien :l est diffi- cile de franchir cet espace et de s’élever à cette hauteur. Le germe des talens qui devoient un jour illustrer M. Fothergill n’échappa point à la sagacité du doc- teur Monro, qui lui dévoila en quelque sorte le secret de sa destinée. Il bornoit tous ses projets à pratiquer la médecine dans une petite ville du comté d'Yorck ; mais ce professeur li fit concevoir de plus hautes espéran- ces. M. Fotheroill dut à cette impulsion ses premiers pas dans ume carrière que, sans cet encouragement ; 1l n’auroit jamais parcourue, Excité par le docteur Mon- ro, il prolongea le temps de ses études à Edimbourg , où il fut reçu docteur en 1736 , après avoir soutenu , sur l’action des émétiques, une thèse estimée (1), que M. Smellie a insérée dans sa Collection. Les livres d'Hippocrate , d’Arétée et de Celse étoient ceux auxquels il revenoit et où il trouvoit toujours de nouvelles instructions. Il aimoit à comparer les faits recueillis par ces anciens maîtres avec ceux dont les . modernes ont été les témoins. Cette grande uniformité dans les opérations de la nature, qu'un intervalle de Pt "Ù 4 » (1) Dissertatio inauguralis de emcticorum usu in variis morbis tractandis. Edimb. 1736. 220 ÉLOGES HISTORIQUES. tant de siècles n’a point altérée, lui apprenoit à côn- noître la valeur des bonnes observations. Il vint à Lon- . dres en 1750 ; il y suivit la pratique des médecins dans hôpital de Saint-Thomas , et il partit peu de temps après pour l’Allemagne qu’il parcourut dans toute son étendue. Il communiqua à ses amis, dans une lettre latine (1) écrite avec beaucoup de finesse , ses réflexions politiques sur l’administration de ce pays, et sur le caractère de ses habitans ; elles ne furent point à leur avantage. Un jeune républicain qui voyage dans les diverses parties de l’Allemagne , doit y être souvent choqué par l’exces- sive dépendance des vassaux. Occupé de grands pro- jets pour l’avancement des connoissances, M. Fother- gill crut s’apercevoir qu’on s’y livroit avec trop de patience et de soin à des recherches qu'il regardoit comme minutieuses et peu utiles; et 1l reprochoit à la plupart des physiciens et des littérateurs de ces contrées de s’appesantir trop sur les détails ; mais l'édifice des sciences, qui s'élève de toutes parts, ne peut être achevé sans des travaux de tous les genres: les peuples ny. contribuent pas toujours en raison de leurs talens na- turels ; leurs productions portent , ainsi que leur carac- tère, l'empreinte des différentes puissances qui les gou- vernent; et la reconnoissance qui leur appartient ne doit pas être seulement mesurée sur ce qui résulte de : (1) Cette lettre a été adressée par M. Fothergill, le 7 sep- tembre 1740, à son ami M. Cuming, médecin à Dorchester, Elle: m'a été communiquée par M. Lettsom qui l’a publiée. PHYS:ET MED. — FOTHERGILL. 221 leurs efforts, mais sur ces efforts eux-mêmes et sur le courage avec lequel ils surmontent les obstacles qu’on oppose à leur activité. M. Fothergiil passa quelque temps en France, et retourna à Londres où 1l se fixa. Quelqu'instruit que soit un jeune médecin , 1l re- doute toujours l'instant où il doit agir pour la pre- muère fois ; où, après avoir écouté et lu, il faut juger et choisir. Scrupuleux observateur des règles de Part, et . craignant de se tromper dans leur application , 1l exa- mine avec le plus grand soin et ne prononce qu'avec effroi : 1l a sans cesse devant les yeux les obstacles qui - naissent de la complication des accidens, et les obli- -gations que son devoir lui impose. Il emploie peu de remèdes par timidité, comme le médecin expérimenté en conseille peu par choix. L’un épie la nature et agit rarement, parce qu'il ne se croit pas assez éclairé sur ses besoins; l’autre connoît ses efforts et se borne à seconder ses mouvemens ; 1l agit rarement aussi parce qu'il craint de les troubler : tous les deux ont une grande réserve, parce qu'ils ont les mêmes principes et qu’ils tendent au même but. L’ignorant au contraire commence avec hardiesse et finit avec audace. M. Fothergill prit un parti très-sage : 1l étudia d’a- bord la nature et les effets des maladies les plus aignës, y dont les progrès rapides donnent le moins de temps à la réflexion : 11 les observa de préférence dans les hôpi- taux; et lorsqu'il se livra à la pratique de la médecine, il avoit prévu les cas les plus embarrassans et aplani mnerdes plus grandes difficultés qui s’y rencontrent. 222 ÉLOGES HISTORIQUES. Cette sagesse tourna au profit des pauvres ; au soula- gement desquels M. Fothergill s’étoit entièrement dé; voué : les soins qu'il leur donnoit n’étoieut pas pour lui un moyen de parvenir ; c’étoit une occupation chère à son cœur. Si les fonctions de médecin sont belles, c’est moins en effet dans les palais et parmi les gran- deurs, où les motifs, soit apparens, soit réels de l’in- térêt, ne laissent aucune place à ceux de l’humanité que dans la demeure étroite et malsaine du pauvre. Là point de protecteur, point de cupidité ; la renommée n’approche point de ces asiles ; tout s’y tait, hormis la douleur qui les fait si souvent retentir de ses sanglots : les victimes de la misère, celles de la maladie et de la mort, entassées , confondues , y offrent un tableau dé- chirant et terrible: c’est-là qu'il est possible de faire le bien, où l’homme peut secourir l’homme, sans con- cours et même sans témoins; c’est là que se plaisent la générosité, la vraie bienfaisance, la tendre pitié ; c’est là que l’on est sûr de trouver des larmes à essuyer, des infortunés à plaindre. Disons-le à la louange des mé- decins : quel autre ordre de citoyens remplit ces devoirs augustes avec autant de zèle et de courage ? Quel antre peut se dire aussi souvent à la fin de la journée? « J’ai » fait tous mes efforts pour défendre la pauvreté contre » la misère et la donleur ; le repos que je vais goûter » sera doux, puisque j'ai répandu le calme dans le sein » des malheureux». Ces travaux, ces plaisirs sont ceux de presque tous les ministres de santé; 1ls ne peuvent trouver les premières lecons de l'expérience que dans la classe la plus indigente du peuple, qui leur en donne | ” PHYS. ET MÉD. — FOTHERCILL. 203 en même temps de bienfaisance et de vertu. MgFother- all, tout entier à ses fonctions , ne désiroit pas un meilleur sort; ses vœux se bornoient à voir se succéder dés jours aussi utilement tissus. Son grand zèle le trahit enfin , en lui donnant de la célébrité ; mais 1l n’eut pas lingratitude trop ordinaire d’oublier le pauvre, auquel il devoit son instruction et la partie la plus pure de son bonheur. Un mal de gorge gangréneux, après avoir fait périr quelques enfans à Londres en 1739 et 1740 , reparut en 1742 et devint épidémique en 1746 (1): un virus Âcre et putride en constituoit la nature ; son cours étoit rapide , et la gangrène survenoit en très-peu de temps. Les ravages de cette épidémie commencçoient à inspirer de l’effroi, parce qu’on n’avoit pas encore déterminé les remèdes convenables à son traitement. La même maladie avoit été observé à Naples (2) par Severinus, (1) L’épidémie continua pendant les deux années suivantes, (2) Le mal de gorge gangréneux avoit régné en Espagne pour la première fois en 1610. IL avoit paru à Naples en 1618; il ÿ avoit été très-répandu pendant plus de vingt années; il avoit été bien décrit par les médecins contemporains. Dans les îles de l’Ar- chipel, on employoit avec succès , dans son traitement , des moyens qui avoient beaucoup de rapport avec ceux que M. Fothergili et autres ont mis heureusement saignée : on relevoit les force sage. On ne pratiquoit aucune lonnant des esprits volatils et — de la thériaque ; on touchoit l’arrière-bouche avec une dissolution de styrax. Il n’y a pas loin de cette méthode à celle qui a été … macée par les médecins modernes. Les lecteurs sont invités à com- parer Les observations de Forestus et de Severinus avec ce que Boyer et Astruc en ont écrit, et ce qu’en ont dit ces derniers avec 224 ÉLOGES HISTORIQUES. et elle ayoit sur-tout été bien décrite par les médecins espagnols. M. Fothergill remarqua que la saignée ac- céléroit ses progrès, que les purgatifs augmentoient la fluxion et que les rafraîchissans diminuoient les forces vitales déja trop affoiblies. Il fit de nouveaux essais qui le conduisirent à une méthode heureuse. Les vomitifs donnés avec ménagement, une petite quantité de vin ajoutée aux boissons, les acides minéraux, qu'il pré- féra dans ce cas aux acides tirés des végétaux, et les amers, furent les moyens qu'il substitua aux premiers, et il guérit presque tous les malades confiés à ses soins. Bientôt le public l’arracha à son obscurité, à son indé- pendance ; il fut appelé de toutes parts: on le cher- choit d’autant plus qu'il étoit plus difficile de l'avoir. Depuis ce moment jusqu’à l’époque de sa dernière ma- ladie , la foule conserva la même impulsion et ses bien- faits furent l’origine de sa célébrité. Ce seroit une recherche curiense et utile que l’exa- men des grandes réputations et de leurs causes. Tel fleuve roule avec fracas des eaux impures; un autre s'enorgueillit de celles qui lui sont étrangères : voilà quel est l'emblème des réputations usurpées. M. Fothergill publia en 1748 ses réflexions QG) sur | un. ms pere ipat proue, à CR En M a 41 1e Ga ESSOR ce qui a été publié par M. Fotherpill : ils verront que des raison- ! it écarté les médecins pendant nemens théoriques très-vicieu ’expérience, el que la méthode long-temps de la route tracée p de M. Fothergill a eu principalement le mérite de les rappeler al cette route qu'ils n’auroient jamais dû quitter. (1) An account of the putride sorethroat. Cet ouvrage a été waduir en français par M. de la Chapelle. 4 PHYS. ET MÉD. — FOTHERGILL. 225 la nature et le traitement du mal de gorge gangréneux. Cet ouvrage fut traduiten français et bien recu à Paris : où la méthode de M. Boyer (1) n’avoit pas eu de succès (2). (1) M. Marteau, médecin français, a publié peu de temps après un ouvrage dans lequel on trouve les réflexions les plus sages sur le mal de gorge gangréneux, On a aussi vu une épidémie de cette nature régner à diverses reprises pri les bestianx. Elle est très-funeste, et les principes de*son traitement sont les mêmes que ceux de l’angina maligna, qui atraëue les hommes. (2) Il est de notre justice"à" ajouter que, suivant l'opinion de plusieurs savans, et sur-tout de M. Elliot (voyez l’Éloge de M. Fothergill par ce dernier), ce fut le feu d.r ieathetahd qui indiqua le véritable traitement du mal de gorge épidémique. M. Elliot assure que ce médecin ne voulut point être cité dans l'ouvrage de M. Fothergill, qui lui fit inutilement les plus vives instances pour en obtenir la permission, et qui dans les dernières éditions de ce traité, lui a rendu la plus grande justice. On trouve les détails suivans dans le Treatise on the disease called a cold , in-8.° , 1761; par le docteur Chandeler : j'ai cru devoig les traduire et les rapporter ici. « En janvier 1740, un enfant confié à mes soins étant mort de » cette maladie (le mal de gorge gangréneux) dans l'espace de » quelques heures, malgré les apparences les plus flatteuses ; et un » autre enfant de la même famille en ayant été attaqué immédia- » tement après, je priai les parens de permettre que j'appellasse » en consultation quelque habile médecin, leur répétant ce que » j'avois déja déclaré, que j’étois absolument hors d'état de rendre » raison de la mort du premier et qu’il y avoit dans cette maladie » quelque chose d’entièrement nouveau et inconnu pour moi. Nous » choisimes le docteur Leatherland comme consultant. Ce savant » médecin, sur le récit que je lui fis de tout ce qui s'étoit passé » dans le cas du premier enfant et de la manière dont le second » avoit été atteint, porta le même pronostic pour celui-ci; pré- » diction qui s’accomplit dans toutes ses circonstances. Le docteur 2. 15 226 ÉLOGES HISTORIQUES. Encouragé par cet accueil, M. Fothergill continua, de donner chaque mois au public un tableau comparé de l’état de l’atmosphèreet des maladies régnantes (5) Cet ouvrage, commencé en 1751, fut interrompu en 1756. Sa bienfaisance et son habileté connues dans toute la ville lui méritèrent bientôt une considération géné- w rale. Il est impossible que le caractère des hommes pu- blics reste long-temps ignoré : MAUTr observés par des personnes qui sont intéres ées es bien voir, en vain ils voudroient se cacher ou feindre. Un médecin très-employé ne peut sur-tont se dérober à la pénétra- tion de ses malades; ils découvrent bientôt s’il est doux, généreux ; compatissarit, ou s’il est sévère, dur, opi- niâtre. Ce n’est pas que cette connoissance influe beau- * coup sur le choix que l’on a fait; on sait au moins sl EEE PES LU 1 LOU: » Leatherland, comme il me le dit alors à l’occasion de la maladie » et de la mort de deux fils de feu très-honorable Henri Pelham » qui étoit arrivée à la fin de l'année précédente 1739, n’avoit » épargné ni soins, ni peines, en parcourant les écrivains anciens » et modernes pour voir s’il n'y découvriroit point quelques traces » de cette remarquable et terrible maladie; et, après de longues » recherches, il avoit eu le bonheur de trouver qu’elle étoit exac- » tement décrite dans les écrivains espagnols, et celui de nous en » indiquer le traitement. » (Gi) M. Fothergill publia ces observations dans le Gentleman’s - magazine. L'auteur vit avec peine que le but de son entreprise étoit manqué ; il avoit espéré que les médecins les plus habiles des différens pays suivroient son exemple et qu’il en résulteroïit un w recueil de faits très-précieux pour l'art de guérir. M. Fothergill A y mit le courage de plusieurs années, et il cessa enfin un travañl utile pour lequel il w’avoit point trouvé de coopérateurs.. Le Let 7 : Be PRES PHYS. ET MÉD. — FOTHERCGILL,. 227 fautpâlir ou se rassurer, parler ou se taire, en présence de celui que l’on a fait l’arbitre de ses jours: on ap- prend à s’égayer avec lui s’il est aimable, ou à prévenir son humeur, sil est un de ces hommes sinistres qu, ajoutant la peur , le plus grand de tous les maux , aux infirmités dont l'espèce humaine est assaillie, semblent ignorer qu'’effrayer un moribond est, de toutes les ac- tions , la plus lâche et la plus barbare. M. Fotheraill, dit M. Tompson, auteur d’un éloge de ce médecin , prononcé devant la Société médicale de Londres , prenoit un véritable intérêt à la santé de ses malades. Sa contenance noble et assurée, son langage doux etaffable inspiroient du courage dans ces momens terribles où tous les liens de l’existence semblent se res- serrer par un dermier effort, où l’ami que l’on va per- dre, devenu le centre de toutes les douleurs , éprouve lui seul le chagrin de tous les assistans avec le sien propre, qui doit les surpasser tous. Peu d'hommes savent mourir, à dit la Bruyère: ne pourroit-on pas ajouter qu’il y en a moins encore qui sachent comment la mort doit être traitée dans leurs semblables ? Ces pleurs que l’on verse avec une sorte d’empressement , ces sanglots que l’on étouffe avec bruit; tout cet appa- reil que présente-t-1l? sinon le tableau d’une mort ‘prochaine , mis sous les yeux de celui qui en est me- macé. Ne semble-t-il pas que l’on cherche des applau- dissemens pour prix de ses larmes ; sans songer com- bien elles sont amères à celui qui en est le sujet? Dans “cemoment, comme dans tant d’autres, nousne deman- dons qu’à être trompés pour être moins malheureux. 228 ÉLOGES HISTORIQUES. Observez ce malade: ses yeux suivent les vôtres pour y trouver de l'espérance. Pansez ses blessures avec le même soin que sl pouvoit être guéri; soyez assez adroit pour qu'il devienne lui-même votre consolateur, et que le dernier regard de votre ami soit calme etsans effroi. C’est au médecin sensible et courageux ; témoin de ces scènes déchirantes ; à en diminuer les impressions par la sagesse de ses conseils. Celui que nous regret- tons possédoit ce talent , et il en a toujours faitun heu- reux usage. 1 Si l’on réfléchit à l'élévation de ce caractère, on ne sera point étonné de l’estime que le peuple de Londres ” a toujours témoignée à M. Fothergill. Cette granderé- putation devint bientôt pour lui une source d’inquié- À tude ; 1l craignit même qu’elle n’eût diminué le plaisir ‘4 qu'il goûtoit à faire le bien. « Avant que mon nom fût » connu, disoit-il, j'éprouvois en soulageant les mal- » heureux une jouissance plus pure : en faisant les » mêmes choses je n'ai plus le même mérite, parce \ » qu’il me semble toujours que j’obéis à l’amour-pro- » pre». Les-vertus ont en effet avec l'intérêt, soit par- ticulier , soit public, des liaisons si intimes et sinéces- gaires, qu'il est difficile d'établir dans ses propres ac- ! tions des limites entre ce que l'amour du bien y apporte et ce qui tient à l’amour de soi-même: mais cette re- M cherche n'est-elle pas superflue ; puisque l'intérêt bien M entendu conduit l’homme à la bienfaisance , à la pro- “ bité, tandis qu’il y est entraîné par un penchant irré- \ sistible? Heureux celui qui, comme M. Fothergill, PHYS. ET MÉD. — FOTHERGILL. 9 avant sa célébrité, se plaît à répandre le bonheur sans avoir jamais été troublé par l’examen de ses motifs, et sans avoir altéré son plaisir en cherchant en quelque sorte à le décomposer. M. Fothergill obtint en 1746 le grade de licen- cié (1) dans le Collége royal des médecinsde Londres. Il fut recu membre de la Société royale de la même ville , et huit années après le Collége des médecins d’E- dimbourg l’agsrégea comme honoraire. | Il existoit depuis quelque temps à Londres, sous le nom de Société médicale , une compagnie différente du Collége royalde médecine de ceite ville : il étoit impor- tant pour une académie de ce genre de compter parmi ses membres le médecin le plus célèbre de la capitale. M. Fothergill se rendit, en 1763, à l'invitation qui lui fut faite; il y accepta une place et devint le plus zélé de ses membres. Les hommesillustres, en s'imposant le fardeau du travail académique , se montrent recon- noiïssans envers les sciences et les lettres dont 1ls tien- nent tout leur éclat ; ils leur rendent une partie des se- cours qu’ils en ont reçus ; se refuser à leurs progrès, ce seroit de leur part un acte d’ingratitude ; s’y opposer, c’en seroit un d’injustice. M. Fothergill ne voulut pas même qu’on pèt lui re- procher de l'indifférence sur le sort d’un établissement aussi utile : au milieu de ses nombreuses occupations, (1) Après la mort du baronnet sir Guillaume Duncan, les licenciés le choïisirent unanimement pour leur président ;. et il a conservé cette place jusqu’à sa mort. 230 ÉLOGES HISTORIQUES. il trouvoit le temps d'assister à ses assemblées. Il répé. toit souvent que toute entreprise contraire aux intérêts des sciences est un attentat contre l'humanité: A cette intégrité qui constitue l’honnête citoyen et qui ne suffit pas à l’homme public, 1l joigioit cette probité active et éclairée qui ne laisse jamais échapper la moindre occasion de faire le bien. Parmi les services qu’il rendit à la Société médicale de Londres, aucun ne mérita plus de reconnoïssance de sa part que la communication de ses mémoires, qui se trouvent en très-grand nombre dans les cinq volumes publiés par cette compagnie. On peut les diviser en deux classes: les uns étoient l'ouvrage de ses corres- pondans , qu’il présenioit à la Société et qu’il rédigeoit souvent avant d’en faire la lecture; les autres étoient le sien propre. Nous parcourrons successivement et brièvement ces deux ordres (1). (1) Les mémoires et observations que M. Fothergill à lus dans les assemblées de la Société de médecine de Londres , et qui ont été insérés dans les cinq volumes publiés par cette compagnie sous le titre de Medical observations and inquiries, etc., contiennent des réflexions si judicieuses et des vérités si utiles, qu’on ne sauroit trop les faire connoîïtre, É M. Fothergill donne dans le premier volume, d’après le docteur Russel, la description de la plante dite scammonée. Il assure qu’il en a semé des graines en Angleterre, et que la plante qui en est résultée a produit les mêmes effets que la scammonée qui croît aux environs d'Alep. On a fait la même observation dans les colonies anglaises. M. Fothergill a traité avec succès de la manière suivante un enfant nouveau-né attaqué du tétanos. Il lui a fait prendre une infusion de rhubarbe à laquelle il avoit ajouté quelques grains de PHYS. ET MÉD. — FOTHERGILL. 23» M. lothergill a employé avec succès la décoction de quinquina pour la guérison des ophthalmies scrophu- leuses, et des gonflemens de la parotide qui survien- muse et une petite quantité d'huile de tartre par défaillance : on donnoïit en même temps des layemens préparés avec une infusion de camomille et un peu de savon. On trouve dans le premier volume un mémoire très-étendu de M. Fothergill sur l’usage du quinquina dans le traitement des scrophules. En 1744 on lui présenta un enfant de quatorze mois, attaqué d’une ophthalmie scrophuleuse , et qui avoit en même temps les glandes du cou engorgées. M. Fothergill lui fit prendre trois fois le jour une cuillerée de décoction de quinquina, à la- quelle on ajoutoit six ou dix gouttes de baume polychreste, dans Pintention de relâcher le ventre : de deux nuits l’une, il faisoit prendre une pilule d’un grain de calomélas. Le mal céda assez promptement ; il reparut quelques mois après : il fut traité de la même manière, et il ny eut plus de récidive. De plusieurs autres observations, M. Fothergill conclut que le quinquina employé dans le traitement des écreuelles suspend presque toujours les progrès du mal; qu'il donne du ressort à des malades affoiblis et dont la fibre est plus ou moins relâchée; qu’en rendant ainsi du ton, il favorise l'effet des autres remèdes, et qu’'ainsi il fournit un point d'appui utile et souvent nécessaire dans le trai- tement. I1 donnoït ordinairement le quinquina sous la forme suivante. Recipe pulv. cort. per unc. j. coque in aq. puræ lib. ij ad lib. j sub finem adde rad. glycyrr. incis semi- unc. colaturæ adde ag. nuc, unc. ij M. capiat. coch. ij, iij. vel iv cum, tinct guaiac, vol. gutt. æ, zx, ad lx usque, bis terve quotidie. ” M. Fothergill n’employoit point le quinquina dans tous les cas de maladies scrophuleuses où les os étoient affectés, ni lorsqu'il y avoit des tumeurs profondément situées sous les muscles ou dans les articles; il le regardoit alors comme inutile. ! Le second volume ne contient que des lettres et des observa- tions qui ne sont point particulières à M. Fothergill; il les a 232 ÉLOGES HISTORIQUES. nent aux écrouelleux : 1l y a joint l’usage du calomelas et celui du soufre doré d’antimoine. Dans ces deux cas; tout annonce que l’inertie des fibres est compliquée seulement reçues de ses correspondans, et communiquées à la Société de médecine. Dans le troisième volume (des Observations et recherches par une Société de médecins de Londres), on lit deux mémoires de M. Fothergill: le premier a rapport au traitement de la coque- luche ou toux convulsive. Le médicament que l’auteur recommande, et que plusieurs autres médecias ont employé à sa recommandation avec un très-grand succès, est une préparation antimoniale selon la formule suivante. Prenez de poudre d’yeux d’écrevisses, un Cemi-gros ; de tartre émétique deux grains ; mêlez exactement. à Chaque grain de cette poudre contient un dix-huitième de grain de tartre stibié. Si on a besoin d’une dose moins forte de cette dernière préparation, on augmente la dose de la poudre absor- bante; de sorte que, par ce mélange, on peut diviser l’émétique en doses aussi petites que l’on veut. On donne un grain et demi ou deux grcins de ce mélange, auquel on ajouie cinq à six grains de poudre absorbante, à un enfant âgé d'un an; on lui fait prendre ce remède dans la matinée entre le déjeûner et le diner dans une petite cuillerée de lait ou d’eau. On augmente la dose selon que l’âge est plus avancé. Pendant la nuit, si la fièvre est considérable, on donnera la moitié de la dose de la poudre ci-dessus, en y ajoutant quelques grains de nitre ou de poudre de contrayerva. L'effet qui en résulte est une douce moitenr. Après quelques jours de l’usage de ce remède, l'enfant éprouve moins de gêne dans la respiration, les accès de toux sont moins fréquens et la fièvre moins forte : on diminue alors le nombre des prises , et ce qu’on donnoit en un jour sertpour deux : on Continue ainsi jusqu’à parfaite guérison. J'ai plusieurs fois employé ce mélange avec succès, non seulement dans létraitement de la coqueluche, mais encore dans les cas où le ventre des enfansscommençoit à s’abstruer : le tartre stibié à très-petites doses a produit alors les PHYS. ET MÉD. — FOTHERGILI. 233 avec l’épaississement des humeurs. C’est, dit-1l, sur les premières qu'il faut porter l’action des médicamens: en leur donnant du ressort, on dissipe l’engorgement meilleurs effets. M. Fothergill a remarqué que cette préparation, donnée de la manière qu’il a indiquée, l’emportoit sur l’oxymel scyllitique et l’ipécacuanha : cependant il observe que sa méthode n’est pas applicable dans tous les cas et qu’elle n’exclut point les autres remèdes, tels que l'application des cantharides , l'usage du quinquina, du musc et du castoréum, selon les indications qui se présentent. Le second article offre des observations sur l'usage de la ciguë. Quoïque M. Fothergill ne soit jamais parvenu à guérir un cancer par le moyen de la ciguë; cependant il assure que son usage a souvent diminué les douleurs, empêché les progrès de l’ulcère et rendu la suppuration meilleure , eu égard à la couleur, à la consis« tance et à l’odeur. L'auteur cite plusieurs observations tant sur les ulcères cancéreux, que sur ceux qui sont scrophuleux, sur les rhumatismes et la phthisie. Dans tous ces cas, il en a obtenu de très-bons effets. Il remarque que l'extrait de ciguë couvient rarement aux enfans et aux adultes, qui ont le genre nerveux très- sensible ; que, pour avoir un extrait plus actif de cette plante, il faut la cueillir lorsqu'elle est dans toute sa vigueur et que sa fleur commence à se faner; que la meilleure manière d’en faire l'exträit est d'employer le moins de chaleur possible, et de la faire bouillir le moins que l’on peut; enfin qu’il faut commencer par une petite dose qu’on augmente graduellement. Le quatrième volume contient plusieurs mémoires intéressans. . Les principaux symptômes de l’hydrocépale interne sont rapportés dans l'éloge de M. Fothergill, tels que ce médecin les a tracés. Ses remarques sont en général conformes à celles que Robert Whytt a faites sur ce genre de maladie; il en a seulement tiré sous quel- ques rapports des conclusions différentes. 11 regarde les vers comme une des causes occasionnelles les plus ordinaires de l’hydrocéphale. Quoiqu'il se manifeste, selon lui, le plus souvent depuis cinq ans jusqu'à dix, il l’a cependant observé deux fois dans des sujets de dix-sept à dix-neuf ans; les restes de la petite-vérole mal jugée 234 ÉLOGES HISTORIQUES. que de légers évacuans peuvent diminuer d’ailleurs à mesure que les fibres reviennent sur elles-mêmes. lui ont paru souvent y conduire. Suivant le docteur Whytt, ce mal se forme lentement et il est au moins plusieurs moïs à se développer. M. Fothergill l’a vu enlever en quatorze jours des malades qui jouissoient auparavant de la meilleure santé. La tête est presque toujours la dernière partie dont ils se plaignent. La nuque, les épaules, et quelquefois les jambes, sont pendant un certain temps le siége de la douleur : des maux de tête se font sentir vers la fin, en traversant principalement les tempes et en partant souvent du front. Les malades poussent quelque fois des cris aigus, et plusieurs sont assoupis dans les intervalles des douleurs. Le pouls s'accélère; la respiration est laborieuse; le sommeil est court et troublé ; les pupilles sont dilatées; les excrémens sortent enfin involontairement, tandis que, dans les premiers temps, la consti- pation a été opiniâtre. Cette maladie atraque souvent les enfans dans l’époque de la plus belle santé , et les plus pétulans sont ceux qui y sont les plus sujets, Les calomélas, le tartre stibié, la teinture de rhubarbe, les synapismes, les vésicatoires, étoient en général les remèdes qu'il employoit dans le traitement de cette maladie. Il est important de tenir le ventre libre. En général il se conduisoït comme s’il y avoit eu complication avec des Yers, ou comme si une autre cause avoit exigé les remèdes nécessaires pour produire des évacuations. Parmi les observations de M. Fothergill sur le traitement de la sciatique , une est sur-tout intéressante, et j'en rapporterai l'extrait. Une personne tourmentée par une maladie de ce genre, cruelle et opiniâtre , avoit inutilement employé tous les remèdes en usage: elle étoit réduite à prendre de l’opium pour calmer les douleurs vives qu’elle ressentoit. M. Fothergill lui fit donner chaque nuit une des pilules suivantes. Recipe calomel. levig. grana decem, terebent. de Chio, quant. ‘suff., fiant piiulæ decem non deaurandæ. Les évacuations alvines que M. Fothergill se proposoit d’exciter » meurent point lieu. Il se détermina alors à faire prendre deux grains | Me calomélas pendant une nuit, et un seulement pendant la nuit w | PHYS. ET MÉD. — FOTHERGILL. 235 Il est très-difficile de reconnoître par les symptômes particuliers la maladie que Robert WVitth à nommée suivante : le mal diminua un peu. M. Fothergill poussa la dose du calomélas jusqu’à six grains par jour, trois grains le matin ét trois la nuit ; maïs il n’y eut aucune augmentation dans la quan- tité des selles , ni dans celle desurines : cependant la douleur diminua d’une manière très-marquée, les forces revinrent , l'appétit se réta- blit, le malade put sortir , et il n’a éprouvé depuis aucun accident de cette nature. M. Fothergill n'en conclut pas qu’on puisse impu- | nément donner chaque jour six grains de calomélas à tous les | malades qui sont dans ce cas; mais il croit qu'il est utile d’aug- menter par doses graduées, jusqu'à ce que l'on ait trouvé celle qui convient aux malades. | Il a employé avec succès une préparation de même genre dars | le traitement du lumbago et dans celui des affections vermi- neuses des enfans. Au lieu de la térébenthine, c'étoit souvent la conserve de roses qu’il ajoutoit au calomélas, et il faisoit quelque- fois boire par-dessus le mélange suivant. _Recipe ag. alexit. simp. semi-unc. alexit. spir. semi-drach. vin. antimon. gutt. xxx. tinct. thebaic. zæxv syr. simp. una drach. m. Il supprimoit l’antimoine et les anodins lorsque la douleur avoit beaucoup diminué. Ilest sans doute très-important, lorsqu'on donne long-temps le calomélas à un malade, de prévenir les accidens de la salivation. , Dans ses remarques sur le traitement de l’hydropisie , M. Fother- gill se plaint avec raison que l'opération de la ponction est presque toujours trop retardée. Lorsqu’après avoir employé les préparations de scille, les sels alkalins, le baume de térébenthine et les pur- gatifs corroborans et drastiques, M. Fothergill n'obtenoit aucun succès marqué, il ne différoit point à faire pratiquer la ponction, après laquelle il faisoit prendre des remèdes toniques ou des cor- * diaux pour fortifier les vaisseaux absorbans , et il ne refusoit point de boisson aux malades que la soif tourmentoit. M. Fothergill avoit traité un grand nombre de personnes atta- quées de la consomption. 11 s'élève avec autant de force que de 236 ÉLOGES HISTORIQUES. hydrocéphale interne ou hydropisie des ventricules du cerveau. M. Fothergill, qui l’avoit observée plusieurs raison contre l'abus que l’on fait des substances basalmiques dans le traitement de cette maladie. Les suites de la rougeole et des maux de gorge en général, celles de toutes les maladies éruptives et vireuses, celles des maladies inflammatoires de la poitrine et les suppressions d’éva- cuations quelconques, sont les causes qui produisent le plus souvent la phthisie pulmonaire. Toutes les fluxions catarrhales prolongées qui la précédent sont accompagnées d’une toux plus ou moins forte qui mérite la plas grande attention de la part du médecin. Les rafraichissans , les petites saignées, la diète la plus sévère, et sur-tout l’abstinence totale de la viande, sont absolument indispen- sables. Les semences fraiches de pavot blanc, dans la proportion d’une demi-once sur une pinte d’eau, font une émulsion que M. Fotherpill a employée dans ce cas avec le plus grand succès; mais il est rare qu’on veuille prendre des précautions aussi rigou- reuses pour une toux qui, négligée, ne dégénère que trop souvent en phthisie. Les maux de jambes sont fréquens et assez graves dans plusieurs cantons de l'Angleterre: le meilleur procédé pour les guérir consiste, suivant M. Fothergill, après avoir diminué l’inflammation par les émolliens , à étendre sur l’ulcère un linge très-fin, trempé dans l’eau végéto-minérale de Goulard, à placer ensuite une plaque de plomb mince soutenue par un bandage. On agit en même temps, s’ilest nécessaire, sur les humeurs par l’intermède ées dépuratifs et on applique un cautère, si les ulcères étoient anciens et opimiätres. L'emploi du bandage dans ce cas n’est pas nouveau: Wisman, célèbre chirurgien anglais, en a recommandé l'usage dans son deuxième livre de chirurgie, et il a décrit un brodequin qu’il employoit dans les mêmes vues. Le cinquième et dernier volume des Mémoires de la Société de médecine de Londres en contient plusieurs de M. Fothergill, non seulement sur la médecine pratique, mais encore sur plusieurs ebjets intéressans d’histoire naturelle. Ce médecin n’a rien laissé à désirer sur tout ce qui concerne la M PHYS. ET MÉD. — FOTHERGILL. 237 fois dans les adultes, en a développé le caractère. Ses ravages sont souvent très-prompts: une douleur qui . description, l'analyse et les propriétés médicales du cortex winte- ranus. Cette substance qui est envoyée du détroit de Magellan doit être distinguée de celle appelée canella alba, qui est une production de la Jamaïque et des autres îles occidentales. On peus voir, page 48 du cinquième volume, l'exposition des caractères botaniques de l’arbre auquel cette écorce appartient ; et, page 56, tout ce qui concerne sa nature et ses propriétés chimiques. Il résulte des expériences du docteur Morris que le corteæ winteranus est une substance astringente et qui peut être em- ployée non seulement en médecine, maïs encore dans certaines manufactures. L'eau, même salée, comme dissolvant, en tire une matière extractive abondante. Les parties gommeuses et résineuses y sont méêlées ensemble. L’infusion et la décoction de cette écorce sont d'un goût agréable, et elle peut être substituée à la graine de cardamome, pour masquer le mauvais goût de l’infusion de séné; elle peut aussi être employée dans la préparation de la teinture de rhubarbe. M. Fothergill a donné des renseignemens aussi curieux qu’exacts sur la substance appelée terra japonica ou cachot. Il a exposé tous les caractères botaniques de la plante de laquelle on retire cet extrait. Cette plante est une mimosa de Linnæus. L'opération employée par les naturels du pays pour obtenir cette substance est détaillée avec le plus grand soin par M. Fothergill. Elle se fait dans l’Indoustan, province du Bahara, sur la côte occidentale du Bengale : on y emploie l'extrait dont il s’agit dans les tein- tures et en médecine. Ils le regardent comme un calmant ; ils en donnent même jusqu’à la dose de deux onces chaque jour aux .chevaux vicieux pour les domter, et elle est le principal ingrédient d’un onguent très-célèbre dans ce pays pour le traitement des -plaies et ulcères : il est composé de quatre gros de vitriol bleu, de quatre onces de terra japonica, de neuf gros d’alun, et de quatre onces de résine blanche, le tout réduit en poudre; on y ajoute dix onces d'huile d'olive et une suffisante quantité d'eau pour la coctiou. M, Fothergill a fait, dans le cinquième volume, 238 ELOGES HISTORIQUES. _arrache quelquefois des cris s'étend du front vers les tempes ; les batternens du pouls sont accélérés ; la cha- leur augmente sur-tout à la tête ; l'inspiration est pro- fonde et irrégulière; les membres deviennent souffrans l’histoire d’une maladie qu’il a décrite sous le nom d’angina pectoris. Ses principaux symptômes sont énoncés dans l’article de l’éloge où il en est question : ils consistent principalement dans une grande difficulté de respirer, qui, pendant les derniers temps, est augmentée par le plus léger mouvement, et dans un penchant irrésistible au sommeil. A l’ouverture du corps de ceux qui succombent à cette maladie, on trouve un amas très-considérable de graisse dans la poitrine et aux environs du péricarde. Dans ce cas, comme dans tous ceux où l'abondance excessive de la graisse menaçoit de quelque danger, M. Fothergill conseilloit la diète végétale seule, l'usage des eaux minérales légèrement ferrugineuses, et les martiaux à des doses modérées. Il est important que les personnes attaquées de ce vice ne boivent jamais aucune liqueur fermentée , et soient 1 | | | en garde contre la colère et autres passions violentes, qui peuvent : leur être funestes. Les mémoires du même auteur sur les précautions qu’il convient de prendre pour conserver la santé des femmes, considérées daris l'âge appelé critique; sur lutilité des légers calmans, des petites saignées du bras et des purgatifs employés dans ces circonstances; et sur les maladies des peintres qui emploient des couleurs pré- parées à l’eau, sont aussi très-intéressans , et composent la plus grande partie du cinquième volume de la Société de médecine de Londres, auquel nous renvoyons pour les détails. J'ai pensé que M. le docteur Fothergill ayant écrit ses ouvrages en anglais, ceux auxquels cette langue n’est pas familière me sau- roienf gré de leur en avoir offert un extrait. En 1744 M. Fothergill publia dans les Transactions philosophi- ques un essai sur l’origine de l’ambre et des observations sur la manne : Observations on the manna persicum. En 1745, il y inséra une lettre au docteur Mead, et des observations sur le traite- ment de diverses asphyxies, | | » PHYS. ET MÉD. — FOTHERGILL. 239 pendant le sommeil , qui (1) est court et troublé ; les yeux ne sont pas tout-à-fait recouverts par les pau- pières ; les prunelles sont dilatées , et la sensation opé- rée par la lumière est quelquefois douloureuse. La posi- tion horizontale est celle que les malades souffrent le plus volontiers. Les forces enfin s'épuisent et les pau- pières deviennent paralytiques. Tel est l'analyse d’un des tableaux les plus finis que l’on ait jamais tracés em médecine. C’est en suivant une marche semblable que cette science se perfectionnera , et c’est sous cet aspect que doivent être jugés ceux qui lui consacrent leurs veilles. On répète qu’elle ne fait point de progrès ; et quelques médecins ignorans, jugeant de l’état actuel de notre art par celui de leurs lumières, se joignent à la multitude pourdui faire ce reproche. Mais que l’on ré- fléchisse sur: le nombre des maladies qui nous attaquent de toutes parts ; il n’y en a aucune dont les variations et les symptômes n'aient été décrits avec la plus scru- puleuse exactitude, et dont un médecin attentif ne puisse reconnoître les caractères et les nuances les plus délicates. Au mérite de ces observations exactes et mul- tipliées, que l’on ajoute celui des essais nombreux, faits. dans le traitement de ces différentes maladies avec leurs résultats, et l’on sera étonné de l’immensité des faits dont la médecine s’est enrichie depuis Hippocrate. C’est eur-tout la méthode de ce grand homme qu’il faut pré- … (1) Plusieurs de ces symptômes sont communs aux maladies ver- mineuses; mais la douleur des membres et le mal de tête continuel doivent sur-tout fixer l'attention du médecin. ko . ÉLOGES HISTORIQUES. férer à toutes les autres : 1l n’a pas tout fait; maïs il a k indiqué les moyens de tout faire ; etceux qui sont d’une opimion différente, ou ne savent pas quels sontsesécrits, * où n’ont pas lu ceux qui ont été publiés après lui, ou, ce qui est le plus probable, ne connoissent mi L uns. ni les autres (1). | La consomption ; qui est une véritable phthisie, étant très-commune à Londres, M. Fothergill n’a eu que trop souvent occasion de la traiter. Il a fait les réflexions les plus judicieuses sur les remèdes employés pour la combattre. Quoique les fièvres hectiques aient | un retour marqué , et que sous ce rapport elles soient analogues aux intermittentes; le quinquina, loin de. soulager ceux qui en sont atteints, aggrave les acci- dens. L'événement est le même lorsque la toux est sèche, et lorsque des douleurs aiguës et passagères se font ressentir dans la poitrine , lorsque le pouls devient plus fréquent , et que la difficulté de la respirationaug- mente. L'usage de ce médicament convient au con-. traire dans les cas où une déperdition quelconque de substance ayant précédé, le malade étant affoibli , et la fièvre n’existant point ou étant légère, on craint un affaissement qui pourroit devenir mortel. (1) Fothergill a très-bien décrit, dans les Mémoires de la Société de médecine de Londres, le rhumatisme fébrile de la face; il! en a fait connoître les accidens et les variétés. On lira aussi avec profit ses réflexions sur les effets sédatifs de l'extrait de ciguë, et sur le traitement de la rage pour la guérison de laquelle les bains de mer, suivant lui, n’ont aucune efficacité; tandis que les calmans, la lotion de la plaie et la destruction de ses bords par le moyen des caustiques, sont très-utiles. A PHYS. ET MÉD. — FOTHERGILL. 241 L'art d'observer exige moins une pénétration , une . sagacité particulières , comme plusieurs ledisent, qu’un esprit actif , impartial, des yeux attentifs etune grande patience. C’est la distraction qui rend le plus souvent ce travail incomplet ; elle tient à la paresse , si naturelle à l’homme, et que l’on peut regarder comme le plus grand ennemi des succès daus tous les genres. Rien ne prouve mieux combien M. Fothergill apportoit de soin dans le traitement de ses malades, que l'exactitude avec laquelle il a remarqué des circonstances nouvelles dans plusieurs lésions déja très-connues. C’est ainsi qu'il a observé et décrit, sous le nom d’anpina pecforis, une sorte d’étouffement ou de suffocation (1) accompagnée de spasmes, dans laquelle on éprouve le même sentiment que si la poitrine étoit serrée par une ligature, et dont une surabondance de graisse accumulée dans les vis- cères de la poitrine, et sur-tout hors du péricarde, est la principale cause (2). (1) Les malades ne peuvent marcher que lentement ; il leur est sur-tout impossible de hâter le pas lorsque le terrain est inégal et un peu montueux : la plus légère agitation leur cause une syncope. M, Fothergill a communiqué à diverses reprises des obser- yations sur cette maladie à la Société médicale de Londres. Case of angina pectoris with remarks.—Farther account of the angina pectoris, tom. V des Medical observations, etc. (2) M. Fothergill partageoit ses travaux entre les compagnies — auxquelles il appartenoit, La Société d'Edimbourg a recu de lui des observations sur les sels neutres des plantes, Elle les a pu- bliées dans son cinquième volume, M. Fothergill donnoit la terre Moliée comme un remède altérant, jusqu'à deux ou même trois gros; et comme purgatif, depuis trois jusqu’à six gros. ds 2. 16 242 ÉLOGES HISTORIQUES. L'art salutaire de rappeler les noyés à la vie doit ses PR principes aux savans français. M. Fothergill s’en est occupé très-utilement en Angleterre. Il est peut: être le premier qui ait fait connoître les avantages de l’insufflation de l’air dans les poumons des personnes suffoquées , et 1l a eu la satisfaction de voir ses conseils adoptés en même temps par le gouvernement et par le peuple. EA Sa vigilance s’est étendue à tous les objets d’adminis- tration relatifs à la médecine. Il a écrit sur la nécessité de transporter les sépultures hors des villes (1). Ayant été chargé, en 1774, par la chambre des communes de travailler à la réforme des prisons, 1l à rétabli la salubrité dans ces asiles, où la santé du citoyen ren- fermé sous la protection des lois est un dépôt qui leur est confié et dont elles répondent. La Compagme a vu avec plaisir ces heureux changemens opérés à Paris comme à Londres par un de ses assosiés (2). La grande réputation de M. Fothergill et son affa- bilité faisoient rechercher sa correspondance par les médecins et les chirurgiens les plus habiles de PAngle- terre. Il recevoit leurs mémoires et les communiquoit à la Société médicale, qui les publioit dans ses volumes. On y remarque sur-tont des réflexions de M. Iionel - (1) M. Fothergill a publié deux lettres anonymes sur les pré- M cautions à prendre pour rendre les incendies moins fréquens à Londres. (2) On se souviendra toujours avec reconnoissance des services que M. Colombier, l’un de nos associés ordinaires , a rendus dans cette partie de l'administration médicale en France. CE, À | PHYS. ET MÉD. — FOTHERGILI. 243 Chalmers , de Charles-Town, sur la guérison de plu- sieurs nouveau-nés attaqués du tétanos , et les tables de M. Percival, médecin, et notre associé à Manchester, _ contenant la liste comparée des personnes mortes de la petite-vérole et de la rougeole dans les différens âges de la vie. Les conséquences en sont aussi curieu- ses qu'intéressantes. Il en résulte qu'il ne meurt point d’enfans de la petite-vérole au-dessous de trois mois. M. Monro en a inoculé douze dans les premiers quinze jours après leur naissance ; aucun n’a été atteint … de ce mal. Pendant les dix-huit mois suivans, la na- . ture prépare la dentition ; le danger de l’ioculation est alors très-grand , et 1l diminue vers la fin de cette épo- ln que: de sorte que le temps le plus favorable pour la pratiquer est l’intervalle compris entre la seconde et la quatrième année pour les enfans robustes , et depuis la troisième jusqu’à la sixième pour ceux qui sont plus délicats. Les trois cinquièmes dé ceux qui meurent de la petite-vérole périssent avant la troisième année ; et, parmi les personnes attaquées de la rougeole , cette pro- portion est la moitié. Il meurt plus d'hommes que de femmes de la rougeole , et c’est le contraire pour la pe- » tite-vérole (1). Enfin, le nombre des victimes de la ÿ rougeole est, dans la patrie de l’auteur, à ceux qui . meurent de la petite-vérole, comme un à cinq et huit \ dixièmes. bi: Mure dix années est à celui des morts occasionnées par d’autres . (1) Le nombre des personnes mortes de la petite-vérole à Londres HA malaies , comme un a neuf; et, dans une paroisse de campagne FL . “du comté d'Yorck, cette proportion a été d'un à dix-neuf. 244 ÉLOGES HISTORIQUES. L’utilité des tables dans lesquelles on fait mention des causes de mort ne se borne pas à cet usage. On peut, en les compulsant , savoir combien les épidémies la phthisie, le scorbut et les autres maladies gravesen- lèvent de personnes ; dans quelles saisons et dans quel âge ces différens maux sont les plus funestes. Nous - voyons avec regret la France privée de cet avantage dont on jouit en Angleterre et en Hollande. On compte à peine plus d’un siècle depuis que les époques de la naissance et de la mort des citoyens sont constatées d’une manière authentiqueet légale. Les ministres de la | religion , à laquelle toute notre existence est dévouée , À veillent plus particulièrement sur les deux extrémités de notre carrière. On ne croit pas trop attendre de leur | zèle en leur proposant et à Padministration, d'ajouter M sur leurs registres les noms des maladies regardées : comme des causes de mort. Il n° yen a qu’ un petit nombre que les famillss croient avoir intérêt de cacher, et l'exécution de ce projet ; quelque parti que l’on prit à cet égard, ne pourroit en souffrir. De quel droit au | reste s’efforceroit-on de voiler celui de tons nos instans 4 qui est le moins à nous? De mème que l’homme en | société ne naît pas, 1l ne meurt pas non plus pour lui. à] seul. S'il périt victime du désordre, pourquoi tondroit - à Ë on en dérober la connoissance au législateur , qui ne. peut se déterminer à répr imer les abus qu ’apr ès en avoir ; | vu tous les effets, et au public auquel il sufliroit peut être de les dénoncer pour les rendre plus odieux et plus. rares ? 4 PHYS. ET MÉD. — FOTHERGILL. 245 V’'Anpleterre ; 11 l’étendoit à toutes les parties du globe. Le docteur Russel lui envoya d'Alep la description de la plante qui fournit la scammonée ; 1l reçut d'Afrique la gomme rouge astringente de Gambo , dont l’usage est recommandé dans le traitement de la diarrhée. Les renseignemens qu'il prit sur l’écorcede Winter lemirent à portée d’en publier une histoire exacte, soit comme naturaliste , soit comme médecin. Ce fut en 1577 que le capitaine Jean VVinter (1) fit connoître cette écorce, sur laquelle on reçut en 1692 de nouveaux renseigne- mens dont les botanistes ne furent point satisfaits. . Wallis ayant rapporté en 1768 des échantillons plus complets de l'écorce dont il s’agit , et les ayant remis à M. Fothergill, feu M. Solander voulut bien, d’après son invitation, décrire l'arbre, les fleurs et le fruit, et le docteur Moris en fit l'analyse chimique. Ces reclier- : ches, réunies par M. Fothergill, composent un mié- moire très-curieux qui se trouve dans le cinquième volume de la Société médicale de Londres. On y 2p- prend que la canelle blanche qui nous est apportée de la Jamaïque et des autres îles occidentales diffère es- sentiellement de l'écorce de Winter , et que cette der- mière est un astringent non seulement utile en médecine, 1) Il en rapporta des échantillons qui ont été décrits par Clusins.: PP q P Il en fut fait mention de nouveau dans une relation de la décou- … verte de la Virginie (Relation d'Amadas et de Barlou) : mais, avant 1691, on n’avoit encore aucune description botanique de cette écorce. À cette époque, George Handonsand en rapporta plusieurs mor- ceaux du détroit de Magellan, et il les remit à la Société royale de Londres , qui publia tous les détails fournis par ce voyageur. 246 ÉLOGES HISTORIQUES. mais qui pourroit encore être employé dans les arts. qui P p'0oy Enfin on doit à son zèle ei à sa correspondance des connoissances exactes sur l’origine jusqu'alors ignorée de la substance appelée £rra japonica ou cachou. Cette substance est un extrait de la partie lignense la’ plus solide d’un arbre du genre des mimosa de Linnæus. L’au- teur, après en avoir déterminé les caractères botami- ques et en avoir indiqué les vertus , ajoute que les gué- risseurs de ce pays font de grands et inutiles raisonne- mens sur l’action et la nature des remèdes, qu’ils di- visent, comme les maladies, en froids et en chauds. Les médecins nègres ont donc aussi leurs systèmes; et ce qui est bien glorieux pour eux, mais très-humiliant pour nous, c’est que ces systèmes aient tant de res- semblance avec les nôtres. : M. Fothergill avoit toujours en ou cru avoir beau- coup d'amis. Pourquoi se refuseroit-on au plaisir de penser qu'il y en a de véritables? Que les personnes auxquelles ce sentiment n’est pas nécessaire ne Penlè- vent pas au moins à ceux qui le chérissent : les cœurs durs et froids se plaignent à tort de n’en point trouver de sensibles. Ces derniers se resserrent à leur approche et ne s’épanouissent qu'auprès de ceux qui leur res- semblent : en s’attirant mutuellement, 1ls sont mus par une force qui n’agit et ne se mamifeste que pour eux. M. Fothergill ayant survécu à deux de ses amis, les docteurs Russel et Collinson, s’empressa de leur rendre un dernier devoir en écrivant leur éloge (1). Les (1) Voyez Some account of late Peter Collinson, etc., in a letter + PHYS. ET MÉD. — FOTHERGILI. #47 auteurs de ces sortes d’écrits, très-communs en Angle- terre , s'étendent peu sur les ouvrages de celui-ci qu’ils ont perdu: c’est l'ami et non l’homme de lettres qu’ils regrettent , et c’est par conséquent son caractère et non son esprit qu'ils ont à louer. Z On lit dans celui de Russel une anecdote que nous croyons digne de irouver place ici. Ce médecin célèbre jouissoit à Alep de toute la considération que donnent le savoir et la probité. Le pacha le traitoit de la ma- uière la plus distinguée ; 1l usoit même, pour lui té- moigner son estime, d’un moyen également honora- ble pour tous deux : il ne manquoit jamais , lorsqu'il accordoit une grace et qu’il avoit occasion de faire un heureux , d'inviter M. Russel à se rendre à son palais pour en être témoin. Ce gouverneur mettoit un grand prix à l’amitié du philosophe ; elle lui tenoit lieu de Popinion publique dans un pays où 1l n’est pas permis au public d’en avoir une , et 1l croyoit ne pouvoir mieux faire pour l'obtenir que de se parer en quelque sorte to a friend. London, 1770, in-4.°— An essai on the character of the late Alexander Russel, etc. London, 1770. Dans l'éloge de Collinson on trouve deux remarques bien im- portantes, l’une sur la manière de conduire les troupeaux, qui doit être en Angleterre le contraire de ce qu’elle est en Espagne; c'est-à-dire que dans la Grande-Bretagne, dont les laines sont -très-humides pendant l'hiver, les moutons doivent passer cette saison sur les montagnes, L’autre réflexion concerne le vin que l’on prépare en Amérique avec des raisins qui croissent naturel- lement dans les bois. M. Fothergill s’est joint à Collinson pour inviter les habitans à cultiver la vigne suivant la méthode des pays chauds, en la faisant monter aux arbres, 248 ÉLOGES HISTORIQUES. de ses bienfaits , seul genre de séduction et de galante- rie qu'il soit permis aux grands d'employer et aux sages d’applaudir. | Le goût dominant de M. Fothergill, après celui de la médecine, étoit l'étude de la botanique. Quoiqu'il ne négligeât point la connoissance des caractères et l’e- xamen des différentes parties des plantes , c’étoit la cul- ture dont il s’occupoit le plus. Le premier travail ne peut en effet être regardé comme un délassement; le second offre des plaisirs purs et variés ; 1l tient à l’agri- culture, cette première source de nos Jotssances, cet art si ancien , sihonoré dans nos écrits et si peu encou- ragé dans nos campagnes. M. Fothergill acheta en 1762 un champ très-vaste à Upton en Essex, où il exécuta P P , le grand projet qu'il avoit conçu depuis plusieurs années. | Quelques plantes croissent indifféremment dans tous les pays, et chaque climat en nourrit qui lui sont pro- pres. Attachées par des liens fixes au sol qui les a vu naître , elles sembloient devoir lui appartenir exclusive- ment et n'être pas destinées à végéter dans des régions lointaines. Tel paroissoit être au moins le premier plan de la nature ; maiselle avoit fait l’homme curieux , im- patient, mobile. Cette mobilité.s’est étendue sur toutes les parties du globe, et les richesses des deux mondes ont été surprises de se voir confondues. Au milieu de ce désordre, dont l'intérêt est le moteur, desêtres bien- faisans ont cherché quel avantage réel on pourroit re- rer de ces grands débris. Notre Europe est privée de plusienrs plantes et d’ar- + PHYS. ET MÉD. — FOTHERGILI. 249 bres très-importans à la médecine et aux arts : ce seroit un grand bien de les y introduire et de les y acclima- ter. M. Fothergill s’étoit proposé ce but désirable; et pour le remplir 1l avoit établi un des plus magnifiques jardins qui aient jamais existé, d’où 1l distribuoit cha- que année dans les trois royaumes et dans les colomies augloises un grand nombre de plantes utiles. Sans la guerre actuelle il auroit élevé et peut-être donné à l'Eu- rope deux arbres fameux, le fruit à pain et le man- goustan. Il récompensoit magnifiquement les person- nes qui lui procuroient des végétaux rares ; il faisoit même voyager des botanistes à ses dépens , et Le célèbre M. Banks, qui est garant de ces détails, a écrit qu’à l’époque de la mort de M. Fothergill 1l y avoit encore _ un de ces naturalistes en Afrique. Jusqu'ici ces grands traits de générosité avoient été réservés pour honorer l'histoire des souverains (1). Tels étoient les délassemens de ce citoyen estima- ble. On ne sait qui méritoit le plus d’éloge de son acti- vité ou de ses loisirs. Il ne bornoit pas là son zèle: la peine qu'il prenoit à cultiver ces plantes auroit été perdue s'il n’en avoit pas conservé les dessins. Il choisit pour ce travail les plus habiles artistes de Lon- dres; et, lorsque la mort l’a surpris, il avoit déja plus de douze cents planches peintes sur vélin. Elles sont “ maintenant conservées dans les cabinets de limpéra- (Q . . » « 4 (Gi) En 1781, un botaniste voyageoit en Afrique aux dépens de 4 MM. Fothergill et Banks. 4 ( tx 250 ÉLOGES HISTORIQUES. autres savans, sont sur-tout précieux dans un pays où les lettres n’ont point encore jeté des racines profon- | des. Tout ce qui vient des grands hommes est une sorte de ferment qui tend à reproduire le géme ; et | comment les sciences ne fleuriroient-elles pas dans un royaume dont on a vu la souveraine recueillir avec respect ces bibliothèques célèbres (1), auxquelles il sem- ble que les ombres de leurs illustres possesseurs soient encore attachées et qui seront à jamais un foyer d’ému- lation et de Inmières. Heureux les savans près de cette source de bienfaits, qui sans doute ne se répand au loin qu'après avoir fécondé ses bords ! Les mêmes soins qui avoient réuni dans le jardin d'Upton des plantes rares, enrichirent le cabinet de M. Fothergill des productions des autres règnes : on y voyoit sur-tout les minéraux, les coquillages , les cora- lines, les insectes les plus curieux. Cette collection (2) | étoit, au rapport de M. Solander, une des plus com- | plètes qu'il y eût à Londres. Que l’on ne croie pas au reste que le seul mérite de | M. Fothergill en histoire naturelle ait été de suffire # F (1) On sait que l’impératrice de toutes les Russies a acheté les | bibliothèques de Voltaire et de Haller, et que plusieurs années | auparavant elle avoit pris les mesures les plus généreuses pour s'assurer celle d’un de nos plus illustres littérateurs. (2) M. Fothergill a inséré dans son testament un article par)| lequel il a offert à M. Hunter cette collection à 500 guinées au- dessous du prix qu’elle seroit estimée, Son intention étoit de conserver ce cabinet aux savans, et de donner à son ami, qui a accepté cette clause, un témoignage de son souvenir, sans’ PHYS. ET MÉD. — FOTHERGILI. 251 ‘par ses libéralités aux dépenses énormes que son cabi- net et son jardin exigeoient. On sait en Angleterre- combien Ellis (1) a dû à ses conseils dans la rédaction de son histoire des coralines. Les planches destinées au grand Traité de Jean Miller (2) sur la botanique ont été dessinées sous les yeux de M. Fothergill, et “peuvent être regardées en partie comme son ouvrage. . Lorsqu'il pouvoit dérober quelques momens à la “pratique de la médecine, 1l Is passoit dans son jardin d’Upton au milieu des végéiaux étrangers (3) dont il avoit formé de nombreus+s colonies, et parmi des fleurs qu'un art industrieux lui offroit dans tous les temps de l’année. La belle saison , qui semble faire le tour du globe, est comme fixée dans nos serres; mais à côté de sa riante image sont les tristes dépouilles de cependant soustraire à sa succession une somme considérable qu’il ayoit destinée à des vues d'utilité publique. M. Fothergill avoit réuni dans un cabinet une superbe collection de morceaux destinés à l'étude de la matière médicale; il en a fait présent au Collége de médecine d'Edimbourg , où elle doit servir à l’enseignement. (1) On consultera aussi la préface que M. Fothergill a mise à la tête du voyage de Sydney Perkinson aux mers du Sud. Voyez aussi lÆistoria plantarum Siberiæ de Gmelin. Perp. 1747. Voyez An account of some observations and experiments made in Siberia …extracted from the preface tho the Flora siberica. (2) Ce traité devoit être fait suivant la méthode de Linnæns, qui en avoit agréé le plan et approuvé plusieurs morceaux qu’on 1 lui avoit communiqués. { — (5) C'est aux soins du docteur Russel et de M. Fothergill que 11) les Anglais ont l'obligation de voir la culture et la préparation dé la rhubarbe perfectionnée dans leur climat. 52 ÉLOGES HISTORIQUES. l'hiver : l’homme s'aperçoit aisément que ses moyens sont très-bornés, et qu’il n'appartient qu’à la nature de faire un printemps dont les beautés soient pures et grandes sans effort comme sans mélange. Plusieurs années se passèrent dans cette activité. Une carrière aussi rempliene paroîtra sans doute à quelques- uns qu'un enchaînement de fatigues ; mais le désœu- vrement et l'ennui ne sont-ils pas deux des plus grands malheurs auxquels nous puissions être livrés ? L’em- ploi continuel des facultés , l'exercice non interrompu des forces ne donnent-ils pas à l’ame un sentiment de vigueur que l’on doit regarder commeun bonheur réel? D'ailleurs, quel rapport y a-t-l entre les amusemens des hommes oisifs et ceux de ce petit nombre d'êtres dont l’ame conserve, acquiert même de l'énergie an milieu des occupations nombreuses qui les pressent de toutes parts sans jamais les surcharger ? Le plaisir est pour ceux-ci un éelair qui lesfrappe d’une étincelle vive et brillante ; pour les premiers, c’est un jour obscur k dans lequel ils se fatiguent à chercher une lueur qui les fuit. M. Fothergill vit que ses forces diminuoient : il quitta le centre de la ville pour se loger dans un fau- bourg ; et il résolut, en 1765, de suspendre chaque année ses occupations pendant deux mois, et de passer ce temps à Lée-Hall où il loua une terre. Ce fut pour lui un moyen d'étendre la culture des plantes et des arbres exotiques. Ce pays lui offroit encore d’autres . charmes ; 1l avoit été son berceau. L'homme retourne volontiers au foyer de ses pères ; à mesure qu'il avance PHYS. ET MÉD. — FOTHERCGILL. 253 dans sa carrière, il décrit une ligne dont on le voit quelquefois renouer avec plaisir les deux extrémités. Arrivé au point d’où 1l étoit parti, 1l embrasse tout l’espace de sa durée: ces mêmes lieux témoins de la foiblesse de son enfance, le deviennent de sa caducité et semblent lui demander compte de ses années de vi- gueur : quels que soient sa fortune, son rang ou sa cé- lébrité, 1l ne lui reste que des remords ou sa vertu. M. Fothergill jouissoit dans cette retraite du repos des ames honnêtes, et ses amis ont toujours remarqué qu'il en revenoit chaque année mieux portant et plus gai (1). (1) En 1766, M. Fothergill éprouva un chagrin très-vif. Le nommé Samuel Leeds, quaker, qui avoit passé toute sa jeunesse comme ouvrier dans la boutique d’un marchand de brosses, fut recu docteur en médecine en Ecosse, et nommé- médecin d'un des hôpitaux de Londres ; ce que M, Fothergill vit avec peine, Leeds donna bientôt des preuves d’ignorance et fut privé de son emploi ; il fut même réglé que dorénavant aucun médecin ne pra- tiqueroit dans les hôpitaux de Londres sans avoir subi un examen devant le Collége des médecins de cette ville. Tout le monde applaudit à cetie sage disposition; mais Leeds prit M. Fothergill a parti : il l’accusa devant la Société des quakers de lavoir des- servi et de n’avoir point fait, pour empêcher sa disgrace, des efforts qui n’auroient pas été sans succès. M. Fothergill , auquel l’impéritie ._ de Leeds étoit connue, déclara qu'il approuroit la conduite des administrateurs de l'hôpital, et qu’il n’avoit pu, sans frémir, voir le soin des malades confié à un médecin de la sorte. L’intrigue de Leeds l’emporta, et M. Fothergill fut condamné par les quakers à une amende très-forte, que, sans l’appui du lord Mainsfield , il . auroit été obligé de payer à Leeds, Cette anecdote nous prouve quen Angleterre comme en France on reçoit des docteurs bica ignorans , qui trouvent, çomme ici, de puissans protecteurs. j : 254 ÉLOGES HISTORIQUES." Il trouvoit à son retour toute sa réputation; ce qui étonnera ceux auxquels la dépendance de notre état est connue: la moindre absence est souvent pumie par pe l'oubli. M. Fothergill n’éprouva point un pareil sort, peut-être parce qu’on savoit qu'il étoit trop au-dessus è de cette infortune. Il nous reste à le faire connoître dans ses rapports “3 avec la religion. Au milieu d’un peuple libre il s’est élevé une secte plus jalouse encore de sa liberté, dont les partisans ont osé dire que tous les hommes sont égaux: suivant eux, c’est s’avilir que de faire un ser-. ment ; on doit avoir en horreur les désastres affreux | des guerres et les dissensions rnineuses des procès; toute politesse doit être bannie du langage, comme étant un commerce de mensonge ou de frivolité; l’homme sur-tout ne se courbera jamais devant son semblable , pas même devant les rois ; son front, élevé vers le ciel, ne doit s’abaisser que devant Dieu. Tous ceux qui re- connoissent son existence sont traités par eux comme des frères ; ils plaignent seulement les peuples pour w | lesquels la divimité est enveloppée de trop épaisses té-0 nèbres : 1ls l’adorent dans des temples; mais, ivres de leur indépendance ,1lsn°y ont admis m prêtres n1 mimis- tres , et chacun se croit digne de présenter son offrande et de recevoir immédiatement l'inspiration sacrée. On juge bien que M. Fotheraill étoitquaker sans être trembleur. Ce futlui qui fitau roi le compliment d'usage lors de son avénement au trône ; il le rédigea avec un style autant orné que sa fonction le permettoit , » et il en éloigua cette sévérité , cette rudesse qui avoient M LA PHYS. ET MED. — FOTHERGILL. 255 . jusque-là caractérisé les productions des quakers (1). Il se trouvoit cependant quelquefois fort embarrassé _ par la bizarrerie des coutumes auxquelles il s’étoit as- treint. Appelé par des personnes de la plus grande qua- lité et ne/pouvant Ôter son chapeau n1 s’incliner devant ceux qu’il visitoit , il devoit , sur-tout lorsqu'ils étoient étrangers, être souvent accusé de manquer aux égards établis dans le monde. Il y suppléoit par une grande affabilité, qui marquoit assez d'intérêt pour tenir lieu de la révérence ordinaire. Il s’approchoit du malade avec tant d’empressement, qu'il paroissoit à plusieurs avoir seulement oublié de faire le salut ; en un mot, il avoit trouvé le moyen d’être affectueux sans être poli : bien différent de tant d’antres qui, malgré leur poli- tesse, sont très-éloigués d’être affectueux. Deux conditious devoient sur-tout l’attacher au parti des quakers, parce qu’elles étoient absolument conformes à son caractère : il admettoit avec eux la tolérance la plus entière , et il s’'abandonnoit aux mou- vemens de la charité la plus étendue. Le seul récit de quelques-unes de ses actions étonne et paroît surpasser toute croyance. Tantôt il encourage les instituteurs ; 11 fait un essai dont le succès l’engage à fonder à Ack- wortz, dans le comté d’Yorck, une maison d'éducation À gratuite pour les enfans des pauvres quakers ; 1l est lui- “même l'éditeur des livres destinés à leur instruction : \ Le 7 … (1) La dernière lettre circulaire qu’il fut chargé d’écrire dans Vassemblée générale des quakers à Whit-Suntide, fut vivemens …_ attaquée dans le Gentleman’s magazine. No à 256 ÉLOGES HISTORIQUES. tantôt 1l faitimprimer à ses frais la nouvelle traduction de l’Ancien et du Nouveau Testament par Antoine Pur- wer (1), si estimé dans son ordre. Le malheureux » Knight gémit dans l’infortune ; M. Fothergill, après“ { . . . n nl à 4e , L lui avoir prodigué tous les secours. pécuniaires , y ajoute les consolations de la sensibilité ; 1l le visite souvent 5% 1l se renferme et pleure avec lui. Le geriame «5° vit long-temps de ses largesses, et c est la veuve de cew militaire qui le publie. Un terrain situé à l’abri du nord, près de Thames, lui paroît propre à la culture de I i ques arbres étrangers ; 11 l’achète: mais pour en pren- dre possession 1l faut en chasser une famille indigenteM accoutumée à y trouver sa subsistance. Son marché est fait, 1l y tient, et ce n’est que pour faire le bonheur * de cette famulle, en lui assurant la jouissance d’un champ qu'un autre acquéreur moins délicat auroit pu” lui ravir. Mes vœux sont à leur comble, s’écrie-t-1l;" au lieu de végétaux que j’aurois plantés, ce sont des hommes que je nourris. Enfin les malheurs de la guerre H fixent son attention sur la détresse des quakers de la. Pensylvanie ; 1l leur fait parvenir des sommes considé-. rables, et prend toutes sortes de précautions pour leué® cacher la main qui les soulage. (1) Henri Purwer, quaker célèbre, avoit exercé pendant long- 4 temps un métier à Londres, et il étoit déja avancé en âge lors- qu'il apprit les langues orientales, le latin et le grec, dans Île dessein de connoïître également le sens littéral de PAncien et du Nouveau Testament. Le succès le plus brillant a couronné son entreprise : la traduction qu’il en a faite est très-estimée. Elle à été imprimée en 1765, en deux yolumes in-folio, et aux dépees de M. Fothergill. PHYS. ET MÉD. — FOTHERGILL. 257 Combien il a gémi de fois sur cette guerre contre nature (1) ! Ces expressions sont littéralement traduites des Mémoires sur la vie de M. Fothergill. Quel spec- tacle en effet ! Tandis qu’un peuple républicain s'efforce d’étendre au-delà des mers les chaînes de sa dépendance, c'est un monarque qui fonde et protège la liberté dans le Nouveau-Monde. Lorsqu’enfin cette liberté sera con- solidée, lorsqué le bruit des armes aura cessé (2), vou- dra-t-on entendre le vœu général? Il tend à une paix durable entre deux nations qui ont le même amour de | la gloire, les mêmes lettres, la même philosophie. L'une, plus calme, rend justice à sa rivale, qu’elle voit toujours sans jalousie et souvent avec admiration. L'autre, pleine d’ardeur et di apatience, est toujours - agitée par un sentiment d'inquiétude , et peut-être d’ini- mitié,; il semble que la paix n’ait jamais été que dans * sesengagemens etpoint dans son cœur. Ce peuple, qui, comme tous les autres, n’est dirigé dans ses opinions que par ceux qui pensent et qui l’éclairent , seroit bien- tôt désabusé si les gens de lettres, si les hommes ins- truits , faits pour lui donner l’impulsion , étoient eux-mêmes pénétrés des sentimens de confiance que nous ne manquons jamais de leur témoigner : ils voient | avec quelle franchise nous partageons leurs regrets, en . Jouant les vertus de leurs grands hommes ; puissions- … (1) Unnatural war. Voyez la vie de M. Fothergill, par le docteur Elliot. va (2) Le lecteur voudra bien se souvenir que cet éloge a été lu | en 1782. T. 2. 17 qi ‘44 2 258 ÉLOGES HISTORIQUES. nous en avoir une de plus à célébrer en eux: cette im : partialité qui, sans aucune acception de lieux, de gou- vernement et de circenstance, recherche, estime, ho- nt nore l'esprit et les talens ; qui ne se renferme pointdans Ê ï la sphère de la propriété, et qui après avoir payé à l’'amour-propre national un tribut légitime, fait de 1 chacun l’éloge qui lui est dû! dE Quelques services que M. Fothergill ait rendus, 1l Er n’a exécuté que la plus petite partie des projets utiles % qu'il avoit formés. Parmi ses entreprises qui n’ont point | eu de succès, aucune ne méritoit plus d'en avoir et ne à Le lui a causé plus de regrets que celle dont le but étoit la 4) | proscripüon de la traite des nègres. Ce trafic honteux et coupable réduit les hommes à la condition des brutes M en les faisant esclaves ; il les réunit en vils troupeaux # que d’autres hommes ne rougissent pas d’accabler de É: fers, et de traîner ainsi d’un continent à l’autre. La w cupidité, qui calcule leurs travaux et leurs souffrances, À à! les attache à une terre ingrate qui n’enrichit que leurs … oppresseurs, à un sol qui ne les a point vu naître et . qui ne peut à leur gré les voir assez tôt mourir. Ce grand crime des peuples commerçans ne peut être dé-. truit que par les souverains. M. Fothergill avoit pensé | qu'il seroit plus facile de le faire cesser en prouvant que les mêmes vues peuvent être remplies sans y avoir recolirs. 4 La canne à sucre, pour la culture de laquelle on | emploie ces violences, est peut-être originaire d'Asie ñ et d'Afrique; au moins elle y croît de temps 1immémo- rial: c’est de là qu’elle a été transportée en Espagne," nl PHYS. ET MED. — FOTHERGILI. 259 aux îles Canaries, et enfin en Amérique ; de sorte que, par une combinaison de circonstances singulières , l’a- vidité européenne a transporté à grands frais des végé- taux et des colons étrangers dans le nouveau continent, au lieu d'employer les uns et les autres dans celui qui leur étoit propre. M. Fothergill avoit proposé de rétablir cet ordre en faisant cultiver la canne à sucre en Afrique (1); ce qui coûteroit moins d'efforts à l’art, en épargnant de grandes contrariétés à la nature. De riches négocians s’étoient joints à lui pour en faire un essai (2) digne . d’une seconde tentative. Cette classe d’infortunés qui, couverte des chaînes de l'intérêt, est bien éloignée de (1) Plusieurs négocians anglais ont formé le même projet; ils ont même envoyé des voyageurs, chargés de prendre des rensei- ‘gnemens sur tout ce qui y est relatif. Il est bien à désirer qu’on s'en occupe efficacement. (2) M. Lettsom , auteur d’un éloge de ce savant, nous a transmis le détail de l'événement qui donna lieu à ce projet. Il est peu connu en France, et nous le rapporterons, persuadé qu’on ne peut être trop long lorsqu'on plaide la cause de lhumanité. Un des plus puissans princes de la Guinée, roi d’Akonie, après avoir fait, en 1727, la conquête du royaume de Whida, députa un de ses principaux sujets pour aller à Londres proposer au gouver- nement la culture de la canne à sucre, comne un objet de com- | ‘merce qui n’avoit besoin que du crédit PSN puissances de l'Europe. On apyrit, quelques années après, que l’envoyé, comblé de richesses | pour ce voyage, s’étoit retiré dans les Barbades sans avoir rempli (la belle commission dont il avoït été chargé. Né esclave, il n’avoit \ point compris les desseins de son maître. Pour assurer sa liberté, il avoit sacrifié celle de ses frères; car ce sentiment est le pre- mier des besoins, et il n’y a point d'amour de la gloire dans une W ame flétrie par la dépendance et la captivité. l 260 ÉLOGES HISTORIQUES. croire qu’il puisse y avoir des êtres généreux au monde, doit donc aussi de la reconnoissance à M. Fothergill: C’est à nous d’acquitter cette dette en attendant qu’une d 1470 A main plus heureuse leur rende le sentiment avec la M liberté. M. Fothergill ne s’est point marié. Quelle affection! quelle fortune auroit1l pu réserver à une épouse, à SR des enfans , lui qui s’étoit voué tout entier au soula- gement de l'humanité pauvre et souffrante ? Une maladie de vessie, après avoir duré pendant ; plusieurs années ; le fit périr le 26 décembre 1780 (1). Les pleurs des indigens, la consternation de ceux dont . ÿl avoit eu la confiance, et ils étoient en très-grand ! nombre; des éloges écrits, publiés de toutes parts et" gravés dans tous les cœurs, tout annonça à l’Angle- « terre qu’elle avoit perdu un de ses meilleurs citoyens. . Ses funérailles furent honorées d’une pompe publique , : distinction qu'un cri général d'admiration et d’enthou- \ siasme peut seul décerner, et que la bienfaisance partage avec le génie (2). L'épitaphe mise sur son tombeau . .,2 est simple et sans aucune autre éloquence que celle qu naît du souvenir des bonnes œuvres : CIGIT LE DOCTEUR FornErGILL, QUI DÉPENSA DEUX CENT MILLE GUINÉES : POUR LE SOULAGEMENT DES MALHEUREUX (3). À (1) Il étoit alors âgé de 69 ans. (2) Son corps a été inhumé à Winchmore-Hüll. (3) Après avoir pourvu à Ja subsistance d'une sœur qu'il ché- sissoit tendrement, il a donné, de concert avec elle, tout son bien aux pauvres : il a fait des legs considérables aux colléges. des Williamsbourg , de New-Yorck et de Philadelphie. PHYS. ET MÉD. — FOTHERGILL. 26» M. Fothergill étoit très-attaché à la Société: en lui adressant ses ouvrages, 1l lui a plusieurs fois commu- niqué des réflexions utiles sur ses travaux. Au défaut de ses conseils dont sa perte nous prive, nous avons recueilli ses actions : elles inspirent également l'amour de l'étude et celui de la vertu. La place d’associé étranger, vacante par la mort de M. F othergill ë est maintenant remplie par M. van . Swinden, physicien à Groningue, qui l’occupe au nom de la Société médicale de la Haye. 262 ÉLOGES HISTORIQUES. Lo oo nd no GAUBIUS. un, > J; £RômME-Davir Gausrus » professeur en médecine et ancien recteur de l'Université de Leyde , membre de la Société royale de Londres (1), de celle de Zé- . lande (2), de Roterdam (3) et d'Édimbourg (4), agrégé au Collége royal des médecins de la même ville (5), M des Académies de Harlem (6), de Pétersbourg (7) et de Manheim (8), associé étranger de la Société royale w de médecine (9), naquit à Heidelberg, ancienne capi- | tale du Bas-Palatinat, le 24 février 1705. Avant d'entrer dans les détails de sa vie et de ses À ouvrages , il est indispensable de tracer les malheurs | de ses parens et ceux de sa patrie. L (1) Il y f°t reçu en 1766. s (2) 11 fut admis en 1769 dans la Société établie à Wlissingen en Zélande, il (3) En 1771, dans la Société de philosophie expérimentale établie F à Roterdam. (9) En 1776. (5) En 1773. (6) En 1752, dans l'Académie des sciences de Harlem. (7) En 1750. (8) En 1776, dans l’Académie électorale palatine des sciences et belles-lettres de Mannheim. 4 (o) En 1777, il fut nommé, par le roi, associé étranger de la Société royale de médecine de Paris. | + pHYSIOL. ET MÉD. — GAUBIUS. 263 La ville d'Heidelberg avoit été embellie par les élec- teurs palatins ; ils y avoient établi une Université, et fondé une bibliothèque célèbre (1) par le choix des livres et manuscrits que Maximilien , duc de Bavière , enleva et fit transporter à Rome, où elle fut déposée dans celle du Vatican. L’incertitude des religions que les souverains y firent dominer successivement , et les désastres des guerres, achevèrent de ruiner cette ville, qui fut presque ent'èrement détruite en 1693. Elle n’avoit point, pour se défendre contre la bar- barie, ces ressources multipliées et presque indestruc- tibles dont jouissent les grands et anciens établisse- mens , où le champ des sciences est si bien cultivé qu’elles résistent à tontes les entraves qu’on leur op- pose , et dans lesquels l'existence des beaux arts a je ne sais quoi d’immortel qu'aucun effort humain ne peut anéantir. Jean-Gaspard Gaube , grand-père de celni auquel cet éloge est consacré ; étoit colonel de cavalerie. I laissa quatre enfans , avec une pension très-modique qu’ils perdirent à la mort de l'électeur Charles. Christophe Gaube, le plus jeune, se joignit à plu- sieurs de ses concitoyens ; et réunis ils osèrent entre- prendre de réparer les fautes de leurs princes, en ra- menant les arts et le commerce au milieu des débris … dont ils étoient environnés : car l'artisan industrieux —————————————- (x) Cet événement eut lieu pendant les guerres élevées pour Ma succession de la Bohême. Le duc Maximilien fit présent de cette bibliothèque au Saint-Père. 264 ÉLOGES HISTORIQUES. est dans les villes ce qu'est le cultivateur infatigable | dans les campagnes : ce sont eux dont les grands font. toujours les objets de leur persécution ou les instru- mens de leur amour-propre ; et lorsque le calme est rétabli, on voit ce peuple, renaissant de ses propres | cendres, courir à ses travaux, et préparer de nouvelles \ dépouilles à de nouveaux ravisseurs. Christophe Gaube se livra à son goût pour les arts ; | il établit à Heidelberg plusieurs manufactures , et il « y trouva une aisance qu’il n’auroit dû tenir que derses M ancêtres. Ce citoyen courageux étoit le père de M. Jé-. rôme-David Gaubius. Quoique zélé protestant , ilconfia 4 l'éducation de son fils aux Jésuites, qui, toujours 4 empressés d'agrandir leur domaine, n’avoient pas man- qué d'établir un collége dans la nouvelle ville d'Hei- \ delberg. La douceur et l’affabilité étoient des moyens K que ces pères savoient employer à propos; ils s’en ser-, virent dans ceite occasion avec le plus grand succès ; } leur collége fut bientôt rempli des jeunes gens les plus distingués de la ville et des environs. Aucun ne montra i plus de dispositions et de talent que M. Jérôme-David 4 Gaubius, et aucun ne fut autant accueilli de ses maîtres.” Les égards que ses pères avoient pour lui, la satis- faction du jeune homme, tout parut saspect awpère de M. Gaubius ; il craignit qu'ils n’eussent formé le. projet de lui faire abjurer sa religion , et il résolut de \ ne pas le laisser plus long-temps à leur école, A la même époque, le fameux Franke , poussé par un zèle qui tenoit de l’enthousiasme pour l’ins- truction de la jeunesse protestante, avoit établi à Halle PHYSIOL. ET MÉD. — GAUBIUS. 265 un grand collége sous le nom de Pedagogium où Orpha- notrophium , dans lequel il traitoit les enfans avec toute la rigueur de l'intolérance. Il existe sans doute des rapports entre les différens âges de la vie, et il est sage de prendre des précautions pour que le premier contribue au bonheur de tous les autres : mais vouloir le sacrifier entièrement à cette vne ; enchaîner la mo- bilité de l’enfance; substituer la lenteur et la mélan- colie de l’âge mûr à la saillie et aux élans des premières sensations , l’accablement à la gaieté la plus franche et la plus naïve ; imposer silence à des organes qui s’es- _Saïent et qui sont comme les touches d’une mémoire vraiment active ; affliger enfin, tourmenter un être , qui, s’ilsurvit, portera toujours l’empreinte du malheur et de la dureté dont on aura flétri son existence : c’est le propre de la pédanterie renforcée par l'ignorance et le fanatisme. L'école de Franke méritoit quelques-uns de ces repro- ches ; sa sévérité étoit aussi capable de rassurer les protestans inquiets sur l’éducation religieuse de leurs enfans , que faite pour inspirer à ceux-ci de la crainte et de l’effroi. M. Gaubius, que son père y avoit envoyé, se souvenoit trop de la manière douce et obligeante avec laquelle ses premiers maîtres l’avoient accueilli, pour n'être pas vivement affligé des procédés de son . nouvel instituteur. Rival des Jésuites , il s’efforçoit de les surpasser par des pratiques austères ; mais ses idées m'étoient que sombres et tristes, au lieu d’être pro- fondes et étendues , €t M. Gaubius ne fit que s’ennuyer à son école. Franke prit, comme il arrive souvent, 7 266 ÉLOGES HISTORIQUES. cette déplaisance pour de l’incapacité , et il consentit … volontiers à ce que le jeune homme retournât à Heï-. delberg. Ils se quittèrent peu satisfaits l’un de l’autre. M. Gaubius toutefois avoit bien jugé son maître, par lequel il n’avoit point été apprécié. 4 Sa famille, persuadée, d’après le rapport de Franke , F qu il métoit point propre aux travauxpour lesquels 1l falloit de l'étude et de l'application, . fit tous ses efforts \ pour le déterminer à prendre le parti du commerce, 1 comme un genre d'occupation qui exige moins de talent * et d'esprit. Cette opinion très-répandue est-elle fondée , " et la science du négociant est-elle donc si facile? La | connoissance des différens sols , de leurs productions, M des goûts et des habitudes des peuples ; Part d’appli- « quer le calcul aux hasards , ne supposent-1ls pas tou- M jours une précision dans le jugement, une sagesse dans . les entreprises , et une force de tête qui , appliquée à d’autres objets, embrasseroit peut-être une surface | beaucoup plus étendue qu’on ne pense? M. Gaubius | résista à toutes les instances de son père, qui l’envoya * à Amsterdam pour y continuer ses études, 4 Il ÿ fut reçu par un de ses oncles, Jean Gaube, qui f y exerçoit la médecine avec distinction (1) : c’étoit ce parent qui avoit ajonté au nom de sa fanulle la finale SES 0 Li £ 20) HAINE: 1: 0 MU RARNINESSSSSSSSREE (1) M. Jean Gaubius a joui de la plus grande réputation à Ams- terdam, où il a pratiqué la médecine pendant près de cinquante | années. On a de lui trois lettres latines, écrites au célèbre Ruysch, qui se trouvent dans la collection des ouvrages de cet ao avec le titre suivant : Johannis Gaubii Fpistola probe 1.* 24109." PHYSIOL. ET MÉD. — GAUBIUS. 267 en ws,silong-temps adoptée ; même en France , lorsque le goût des langues anciennes ÿ dominoit assez pour que l’on n’osût avoir de l'esprit que sous des formes et avec des tournures latines. Les érudits affectoient alors de tenir au moins par la terminaison de leurs nows à l’ancienne Rome. On a de bonne heure secoué ce joug “en France , et cette indépendance littéraire dont on y a donné le premier exemple est d'autant plus remar- quable , que notre langue, peu nombreuse et peu so- nore.en elle-même , ne peut devoir qu’au génie de la nation ses richesses et sa célébrité. M. Gaubius prit bientôt auprès de son oncle le goût de la médecine ; il passa d’abord une année à Harde- rowic, où il snivit les leçons du célèbre de Moor, professeur très-habile. Boërrhaaves remplissoit alors tonte l'Europe de sa renommée : l’école de Leyde , où 1l enseignoit ,; étoit devenue celle de tous les étrangers. M. Gaubius dési- roit vivement d’y être admis. Sa famille y ayant cou- senti il s’y rendit aussitôt. Dans la foule qui se presse autour d’un grand homme , il est facile de distinguer ceux qui offrent à ses talens un hommage éclairé , d’avec les ignorans et les flatteurs qui lPenvironnent comme un être rare , et qui, semblables aux idolâtres, ne connoissent que les apparences extérieures du dieu qu'ils encensent avec enthousiasme. Boërrhaave remar- due M. Gaubius; il aimoit à parler avec lui, à lui donner des explications particulières ; il voyoit sans © doute avec plaisir se développer dans son disciple ces qualités qui devoient un jour le placer au premier rang. 268 ÉLOGES HISTORIQUES. Deux grands hommes se présentent mutuellement ur objet de surprise et souvent même de jalousie ; maisles succès des élèves appartiennent à leurs maîtres. Ceux- ci aiment à les couvrir de leur propre gloire ; 1ls sont flattés de rencontrer ces dispositions heureuses ; cette énergie qui établit entre les esprits d’un mr po rieur des rapports et une sorte d° intelligence , et c’est pour eux une grande satisfaction de pouvoir confier avec fruit ces idées chéries, dont la suite et l’enchaîne- ment supposent dans ceux qui les écoutent , de la finesse , de la pénétration et même de la docilité. Tel étoit M. Gaubius à l’égard de Boërrhaave, qui lui témoignoit l’affection la plus distinguée. Il prit sous ses yeux le grade de docteur en 1725 (Gi), etil publia alors une Dissertation sur les parties solides du corps humain (2). On entrevoit dans uvrage que l’auteur étoit déja disposé à s'éloigner du système des mécaniciens , et à considérer la nature avec les yeux d’un observateur exact et sans prévention. M. Gaubius quitta ensuite la Hollande pour voyager en France, où il passa une année ; 1l y entendit les plus habiles professeurs (3) en anatomie et en chirurgie; 1l étudia particulièrement l’art des accouchemens ; il fut très-assidu aux hôpitaux , et 1l conserva pendant tonte do nt (1) Le 24 août. 4 (2) Specimen inaugurale, exhibens ideam generalem solidarum éorporis humani partium. (3) 11 conserva des lraisons intimes avec le célèbre Vaillant et j avec feu M. Morand, | PHYSIOL. ET MÉD. — GAUBIUS. 269 . sa vie beaucoup de reconnoissance pour ceux dont il y avoit suivi les leçons. Ainsi un disciple , un ami de Boërrhaave crut devoir séjourner à Paris pour y per- fectionner ses connoissances en médecine. En rendant à un savant hollandois le tribut d’éloges qu’il mérite, ne craignons pas de dire que de tous les arts auxquels les Français sont propres , il n’en est aucun dans le- quel ils excellent autant que dans celui de l'enseigne» ment , soit de vive voix , soit par écrit. La justesse des idées , le choix et la clarté des expres- sions , la méthode de l'exposition, sont en effet les qua- lités qui caractérisent les lecons et les ouvrages de nos grands maîtres. Ce désir de plaire que l’on a tant de fois reproché À notre nation, et qui après tout ne peut être blâmé que dans ceux qui manquent de moyens ou de succès en, ce genre, a été heureusement appliqué aux sciences elles-mêmes ; et la manière de les rendre aimables et faciles n’est connue nulle part comme dans cette capitale. Les cours particuliers y ont toujours été recommandables ; l’instruction que l’on y trouve nest fondée que sur l’observation ; c’est la science des faits que l’on vient y étudier ; le professeur y est dé- pouillé de tout appareil étranger à l’art qu'il enseigne, pour n'être que l’homme de l’expérience et de la raison ; on ose l’interoger |, même le contredire ; en un mot, il n’a de supériorité que celle de ses connoissances , avouée par des auditeurs qui l'ont choisi librement. M. Gaubius fut très-satisfait de cette espèce d’enseigne- ment; et 1l retourna à Heidelberg, après avoir passé quelque temps à Strasbourg. 270 ÉLOGES HISTORIQUES. | Il fut accueilli par sa famille avec une joie qui devoit être bientôt troublée par son départ. Son goût pour les sciences , et plus encore les intérêts de son cœur j ne lui permettoient pas d’être long-temps éloigné de la Hollande. M. Jean Gaubius d'Amsterdam avoit une fille aimable et vertueuse , à laquelle il ne manquoit qu'un époux digne d’elle pour réunir tout ce que Von peut souhaiter à la beauté. Ce parent généreux désiroit que son neveu , dont il connoissoit les excellentes qua- liés , fûtaimé de sa fille; mais il se garda bien de leur - à faire connoître son projet. Il savoit que l’amour est un sentiment absolument indépendant > qui ne veut È subsister que par lui-même ; qui se plaît à cacher son origine et ses progrès, et que l’on détruit quelquefois en voulant le favoriser. M. Jean Gaubius se contenta de leur donner, sans affectation, la permission de se voir. Leur penchant fit le reste; et, grâces aux soins de cet homme estimable , ils trouvèrent le bonheur le plus touchant dans une passion qui, mal dirigée, ne fait que des malheureux. Les parens et les instituteurs ne devroient-ils pas la regarder comme une sorte de maladie morale, comparable, sons quelques rapports , à ces maux physiques dont on ne prévient le danger qu’en s’y soumettant avec art et précaution ? Leur contagion est également répandue et presque inévi- table ; les funestes impressions de la première nuisent autant à la paix et à la pureté de l'ame, que celle de la seconde à l'élégance et à la beauté des formes extérieures : l’une et l’autre dégénèrent souvent en des vices opiniâtres , qui, s’accroissant avec l’âge, ne PHYSIOL. ET MÉD. — GAUBIUS. 2m font de la vie entière qu’un tissu de souffrances et de douleurs. M. Gaubius évita tous ces écueils ; il dut à la sage prévoyance de son oncle et son état et la tranquillité de sa vie. IL épousa Mademoiselle Gau- bius (1), dont il étoit tendrement aim ; et au bonheur de la posséder long-temps il a joint celui de ne pas lui survivre. Revenu à Amsterdam , il continua de se livrer à l'étude de la chimie , de l’histoire naturelle et de l’ana- tomie, tandis que M. Jean Gaubius lui fourmissoit l’oc- casion de s'exercer dans la pratique. Peu de temps après, 1l fut nommé médecin de la ville de Deventer en Over- Yssel, où il se rendit après en avoir informé Boërrhaave, qui promit de ne le jamais perdre de vue dans quel- que pays qu'il fût fixé , et qui lui tint en effet parole. Pendant son séjour à Deventer , il s’occupa princi-' palement de l’étude de la pharmacie. Une circonstance malheureuse le rappela à Amsterdam en 1727. Des fièvres bilieuses et putrides y faisoient alors des ravages très-menrtriers ; il vola aussitôt au secoursdeshabitans ; et , quelque précieuse que fût sa vie à la fille de l'oncle respectable qui lui tenoit lien de père, il ne se lassa point de la prodiguer dans le traitement de cette épidémie , dont la durée s’étendit jusqu’en 1729. Sans cesse aux | prises avec cet ennemi, 1l ne se donna pendant ces (1) Il épousa en 1735 sa cousine germaine mademoiselle Cons- tance Gaubius, qui lui a survécu; il a eu six enfans, dont il n’a “conservé que mademoiselle Marie-Amélie Gaubius, qui a épousé N M. Henri Tyent, docteur en droit, conseiller, écheyin de la ville de Leyde. 272 ÉLOGES HISTORIQUES. hi deux années aucun repos. Il renonça à étude et atout travail autre que celui dont le désastre public lui faisoit une loi. Pendant tout ce temps, il n’éprouva que de légères indispositions. C’est une sorte de miracle que de voir les médecins placés dans le foyer de la conta- 1 gion ; tout couverts ; pénétrés même de ses miasmes, échapper souvent à ses coups. Ces différens virus étant … du nombre de ceux qui agissent sur les nerfs , n est-il | pas vraisemblable que ces organes raffermis par le cou- rage , et fortifiés par un bon régime, s'accoutument peu à peu à leurs impressions de inanière à pouvoir enfin les braver ? ou, si cette raison ne paroît pas 4 suffisante , pourquoi se refuseroit-on à croire que la M Providence couvre de son égide une classe d'hommes qui on les matinée: de sa He au rer ï les ministres de la santé pa ne se laissent point ! atteindre Pa la frayeur, que leurs secours soient offerts | par une main inir épide , et qu'ils ressentent en eux- mêmes cette force réelle et expansive que donne la fer- î meté , et qui, se répandant du centre vers la circon- L férence , est toujours prête à repousser la contagion ” dont elle est environnée. La vieillesse commençoit à s’appesantir sur Boërrhaave: cet illustre profésseur s’en aperçut un des premiers, et il résolut aussitôt de mettre de la proportion entre ù les forces qui lui restoient et le fardeau qu’elles avoient » À soutenir. Pour s’observer ainsi soi-même, et pour ; être en quelque sorte témoin de sa propre décadence , ” il faut autant de raison que d’impar tialité, Boërrhaaves] } \ “ E: y PHYSIOL. ET MÉD. — GAUBIUS. 273 qui enseignoit alors toutes les parties de la médecine ÿ excepté l'anatomie, renonça aux chaires de bota- nique et de chimie. M. Gaubius lui succéda dans les fonctions de celle-ci (1). Il est d’usage à Leyde de ne point nommer des étrangers aux places de l'Univer- sité. On fit une exception en faveur de M. Gaubius , que Boërrhaave avoit présenté , et qui, dans le traite- ment de la longue et fâcheuse épidémied’Amsterdam , avoit d’ailleurs montré tant de zèle, qu’il méritoit bien d’être traité comme un des citoyens de la république. Ses succès justifièrent le choix des curateurs de l’Uni- versité, qui, trois années après, lui conférèrent la place de professeur en médecine (2). 11 devint alors le col- lègue de son maître , qui survécut quatre ans à cette nomination , et qui jouit du plaisir d’avoir formé lui- même un successeur digne de la chaire qu’il avoit ren- due si honorable, mais si difficile à occuper. La Faculté de Leyde n’étoit alors composée que de cinq professeurs , Boërrhaave , Albinus, Gaubius (3) (1) Il en prit possession le premier maï 1731, en qualité de lecteur de chimie. M, Adrien van Royen fut nommé lecteur de botanique, à la place de Boërrhaave. M. Gaubius publia alors un discours d'inauguration, ayant le titre suivant : Æ. Gaubii Oratio inau- guralis, qué ostenditur chemiam artibus academicis esse inseren- | dam, L. B. 1731. (2) Il fut nommé, le 20 septembre 1734, professeur ordinaire de médecine et de chimie; et il prononça en cette qualité, le . 16 octobre suivant , son discours d’inauguration, intitulé De vanä -vitæ longæ à chemicis promissæ expectatione, L. B. 1734. æ CES = (3) Outre les lecons publiques dont M, Gaubius étoit chargé, Te 2 18 274 ELOGES HISTORIQUES. Osterdyk et van Royen ; elle n’étonnoit point par la longueur de sa liste , mais par le grand nombre de ses élèves et par la multiplicité des secours qu’elle ne ces- soit de leur offrir. | Trois ouvrages ont établi solidement la réputation A de M. Gaubius. Le premier est un traité dans lequel M PU 14 il a donné des préceptes très-sages et très-sayans sur M l’art de prescrire les formules des médicamens (1). La médecine est sous cet aspect la science des petites choses , dont aucune ne peut être impunément négli- gée. Réunir des substances dont le rapprochement fait par l’art ne soit point contraire aux lois de la nature ; avoir toujours présentes les observations des plus célè- bres praticiens sur les effets des préparations médici- nales tirées des trois règnes ; déterminer , en les con- seillant, jusqu’à l'instant où il convient d’en faire usage ; veiller enfin à ce qu’elles soient présentées sous la forme la moins propre à dégoûter le malade : telles sont les précautions que l’on à droit d’attendre d’un médecin instruit. Les formules étant l’arme journa- lière qu’il emploie dans le traitement des maladies, c'est par sa manière de s’en servir que l’on peut recon- noître son expérience et son habileté, DS I1 faut éviter sur-tout deux extrêmes dans ce genre. Le premier , et le plus condamnable sans doute, est il fit pendant plusieurs années des cours particuliers de médecine- pratique, qui étoient très-suivis par les étudians. (Gi) Voyez l'ouvrage intitulé, ÆAethodus concinnandi formulas M medicamentorum. La troisième édition de cet ouvrage a paru à Leyde en 1767. PHYSIOL. ET MED. — GAUBIUS. 275 cette hardiesse qui n’est pas même troublée par la con- noïissance intime des dangers qu’elle fait courir ; le second tient à une ignorance timide, qui reste dans le repos lorsqu'il faudroit agir , et dont toute l'adresse consisté à s'emparer des succès de la nature. Le véri- table médecin , dit M. Gaubius , toujours attentif à l’état des forces vitales , est aussi réservé lorsqu'elles n'ont pas besoin de son secours, qu’il est actif lors- qu’il faut les soutenir ou les modérer : l’igncrant, au contraire , ne sachant où il faut qu'il s'arrête, cache son insufhisance sous le voile d’une prudence affectée : ou sous les dehors d’une fausse sécurité. L'autre but très-utile que M. Gaubius s’est proposé dans la rédaction de cet ouvrage a été de rendre les formules plus simples. La multiplicité des substances | dont une seule préparation étoit composée empêchoit de savoir à quelle drogue ou à quelle combinaison ses propriétés pouvoient être dues ; 1l n’y avoit pas jus- qu'aux pierres précieuses et à l'or, que l’on avoit placés au nombre des médicamens , comme s'il avoit été arrêté que ces objets de luxe dussent être la canse de tous les délires possibles. Déja Stahl , Boërrhaave et Geoffroy avoient fait dans la matière médicale des réformes utiles : ne peut-on pas espérer que cette science, en se perfectionnant , deviendra plus simple et plus active, et que l’on effacera de nos pharmacopées ces formules … monstrueuses qu'il est facile de reconnoître , ne füt-ce À que par l'espèce de culte qu’on leur rend pour des erreurs très-anciennement accréditées ? … Lorsqu'on lit la plupart des traités de médecine des- | 276 ÉLOGES HISTORIQUES. tinés à l’enseignement, même ceux de Rivière et d’As- truc , on n’y trouve que des distinctions subtiles , des divisions sans fin : les causes sont ce que ces auteurs ont traité le plus longuement; et cette profusion de paroles est bien étonnante sur un article qui, étant le moins connu , doit être le plus court dans tous les livres. M. Gaubius commenta pendant long -temps dans ses lecons les Instituts de Boërrhaave, qui s’éloi- gnoient déja beaucoup de la forme adoptée dans les écoles. Après un intervalle de vingt années, il publia enfin son Traité de pathologie (1), qui est maintenant adopté dans plusieurs Facultés , et dont on peut dire, ce qui convient à si peu d’autres ouvrages , que les dé- couvertes nouvelles ajouteront à sa doctrine et la mo- difieront sans la détruire. M. Gaubius crut ce délai nécessaire pour se justifier d’avoir osé contredire Boërrhaave dans quelques points : il en différoit sur-tout en ce que, n’expliquant point toutes les fonctions des animaux par les lois de la mé- canique , il admettoit en eux cet agent, ce principe vivifiant (2) qui anime la plus belle partie de la nature, (1) Voyez l'ouvrage intitulé, Jnstitutiones pathologiæ medici- nalis, Lugd. Batav. 1758. La seconde édition, revue et corrigée, est de 1775. La troisième, dans laquelle il y a quelques chan- gemens et des additions, étoit presque achevée lorsqu'il mourut. Elle sera bientôt publiée par le célèbre M. Hahn, neveu de feu M. Gaubius, et son digne successeur dans les chaires de médecine et de chimie. M. Habn a ajouté à cette édition une introduction nouvelle qu’il m’a envoyée. (2) Voyez, dans la Pathologie de M. Gaubius, l’article intitulé, Morbi solidi vivi, pag. 53, 54, 55, n.°% 169, 175, 179, 160, etc. PHYSIOL. ET MÉD. — GAUBIUS. 277 dont les mouvemens spontanés sont soumis à des lois qui lui sont propres , et sans lequel tous les êtres muets , sourds , insensibles, inanimés , obéiroient en silence à l'impulsion umiforme et immuable de la gra- vitation umverselle. Van Helmont et Stahl avoient ouvert cette belle car- rière; mais Boërrhaave s’étoit opposé de toutes ses forces à l'extension de leur système. M. Gaubius, plus mo- déré que Stahl, plus impartial que son maître, a rap- porté plusieurs effets au principe constituant de la vie, sans en approfondir la nature , et sans le confondre avec d’autres agens aussi peu connus que lui. Le troisième ouvrage dans lequel M. Gaubius a mon- tré les connoissances les plus étendues et les plus va- riées en physique et en médecine , est le recueil qu'il a publié en 1771 sous le nom d’Adversaria (1). Les richesses qu’il contient sont si nombreuses , qu'il est également difficile , dans la mention que je dois en faire, et d’en dire assez , et de n’en pas dire trop. On y trouve une analyse bien faite des eaux de la mer qui baigne les côtes septentrivnales de la Hollande. Chaque livre de ces eaux contient trois gros dix-sept grains de sel marin, dix gros d’un sel séléniteux (2), + Hœc consideranti obscurum esse nequit Quanti momenti cùm in sanitale, cm in morbis, ex principio vitali profluant. Nititur ed magna pars virium natur®@ humanœæ conservatricium , destructiciumn , ! | médicatricium , etc. Vif (:) H. D. Gaubii ÆAdversariorum varii argumenti, lib. unus, imprimé à Leyde en 1771, in-4.° , 2. édit. en 779. | (2) IL n’en a pas désigné la terre avec assez d’exactitude. 278 ÉLOGES HISTORIQUES. même quantité d’un sel qu’il a nommé a/umineux mu: riatique (1), et dont les cristaux ressemblent à ceux du 4 borax brut ou #incal, et vingt-quatre grains de sel admi- table de glauber. M. Gaubius n’y a point découvert 1 de substance bitumineuse , et 1l attribue l’amertume de ces eaux aux sels qu’elles dissolvent (2). | Lorsqu'on réfléchit sur leur efficacité dans le traite- 1 ment de certaines obstructions , des scrophules et de plusieurs maladies cutanées , on ne peut s’empècher d’être surpris qu’une aussi légère dose de sels produise des effets si marqués. Combien de fois les médecins qui habitent les plages maritimes n’ont-ls pas eu Te cours à l’art pour composer des boissons moins effi- » caces que celles dont le bassin immense de l'Océan leur offroit abondamment les secours ! M. Gaubius ; qui a confirmé les observations de Russel (5), leur en a fait connoître l’usage, et 1l a donné en même temps une belle théorie sur l’action des apéritifs pris dans cette classe. | M. Pringle ayant démontré que l’eau qui contient | moins de quinze grains de sel par once est septique; celle de la mer doit, suivant M. Gaubius , être regar- dée comme jouissant de cette propriété ; elle agit sur les humeurs animales épaissies , en leur faisant éprou- (1) C’est ainsi qu’il a appelé ce sel. (2) Cet auteur a spécialement recommandé l'usage de l’eau de mer dans le traitement des scrophules et de plusieurs autres maladies. (3) M. Gaubius dit expressément, dans cet article, de ses Ædver- » saria, que ces expériences , tentées en Hollande, sont d'accord M avec celles de M. Poissonnier, faites en France sur le même sujet, PHYSIOL. ET MÉD.— GAUBIUS. 279 ver un mouvement de fermentation qui les rend plus fluides, plus mobiles en mème temps, et susceptibles d’être plus facilement évacuées (1). On lit dans un autre article des recherches sur la nature des cristaux salins , observés par M. Slare dans la très-ancienne huile de canelle (2), et que M.Gaubius croyoit être du camphre. L’huile essentielle d’orange lui a présenté un phénomène analogue ; 1l a trouvé au fond d’un flacon rempli de cette huile (3) depuis plus de douze ans un sel formé de petites écailles cas- santes, aromatiques , sans âcreté , solubles dans l’eau et dans l'esprit de vin, fusibles à une douce chaleur , volatiles sans être inflammables, mais augmentant la flamme des corps en combustion exposés à leurs vapeurs. Ce sel est particulier à l'huile essentielle d'orange. L'analyse végétale doit encore à M. Gaubius d’au- tres découvertes. Lies noix muscades , concassées avant d’être soumises à la distillation (4), apres avoir laissé échapper leur huile essentielle | fournissent une subs- tance formée de petites lames blanches, concrètes , (1) M. Gaubius ajoute que, par cette même raison, les eaux de la mer ne sont point infectées par le grand nombre d'animaux et de plantes qui s'y décomposent, parce que la septicité de ces eaux accélérant la putréfaction des corps, la matière volatile se — dégage et se dissipe avec beaucoup de rapidité. (2) Trans. philos, abridg. vol. III. pag. 362. … (3) Il a souvent donné ayec succès aux personnes attaquées de colique venteuse quelques gouttes d'huile essentielle d'orange mêlées avec du sucre. (4) Distillées entières, elles ne donnent point d'huile essentielles 280 ÉLOGES HISTORIQUES. insolubles dans l’eau , solubles dans l’ésprit de vin, fusibles, et qui sont un véritable beurre volatil, Après la distillation 1l en reste une autre solide , jau- nâtre , et qui diffère beaucoup de celui que l’on tire par expression. L’auteur a terminé ces détails par une division méthodique des sucs huileux végétaux en sept genres (1), à raison de leur forme et de leur con- sistance. L'analyse du poivre a donné à M. Gaubius des ré- sultats intéressans. La saveur de cette substance est due à une partie résineuse que l'esprit de vin dissout facilement : le poivre ainsi épuisé fournit , lorsqu'on le traite avec l’eau , un extrait insipide et inodore ; et 1l faut plus de quarante-trois distillations pour lui enlever toute sa partie âcre, lorsqu’iln’a point éprouvé auparavant l’action de l'esprit de vin (2). On sait que Neumann (3) a retiré du camphre de (1) Sa division est la suivante : 1.° les huiles fétides; 2°. les baumes natifs fluides et visqueux; 3°. les poix ou sucs épaissis et tenaces ; 4°. les beurres ou sucs mous et sans ténacité ; 5.° les cires solides, sèches et cassantes, et devenant molles par le tact; 6.° les camphres gras et cristallins; 7.0 les résines fragiles à la manière du verre. (2) La combustion de ses cendres, après qu’il a subi l'action de l’eau seule, ne fournit point de sels: on y trouve au contraire un peu d’alkali minéral et de sel marin, lorsqu'il a été traité avec les spiritueux. On a assuré à M. Gaubius que, dans le transport, on l’arrose avec de l’eau de mer; ce qui pourroit bien être la cause du sel marin qu’on y découvre. La partie résineuse com- pose la septième partie de son poids. (3) Miscell. Berol. tom. III, p. 70. Voyez aussi ce que M. Mar- graaf a écrit sur le même sujet. PHYSIOL. ET MÉD. — GAUBIUS. 281 l'huile de thym. M. Gaubius en a trouvé par l’analyse dans la menthe poivrée. La plus récente en fournit moins , de même que les vieux camphriers sont les plus féconds. Parmi les productions apportées des Indes orientales en Hollande , M. Gaubius remarqua une racine, dite de Jean Lopez, qui y est usitée dans le traitement de la diarrhée et de la dyssenterie. Les essais qu'il en fit furent très-heureux (1): son usage ayant réussi dans des cas où le simarouba et le colombo avoient été inu- tilement employés , 1l se détermina à en faire con- - noître les doses et la préparation (2). Cette racine (35) n’a par elle-même ni saveur, ni odeur. L’extrait aqueux en est noirâtre ; fade et un peu amer. La sa- veur de l'extrait spiritueux a quelques rapports avec celle de l’opium (4) : malheureusement l'arbre qui la fournit est très - éloigné de nos climats, et cette substance augmente le nombre des remèdes exotiques contre lesquels s'élèvent quelques physiciens , préten- —— ————— — (1) Plusieurs médecins de différentes villes de la Hollande, engagés par M. Gaubius à s’en servir, en obtinrent également des effets satisfaisans. M dilutum propinetur. Ædvers. pag. 87. ” 262 ELOGES HISTORIQUES. . dant que la nature a placé dans tous les paysles produe- tions nécessaires au traitement des maladies que l’on y observe. Non seulement l'expérience n’a point con: firmé cette assertion , mais encore il est très-probable + que les plantes les plus éloignées doivent avoir le plus d'efficacité , parce que leur nature étant plus diffé- rente de la nôtre, doit exercer sur elle une action plus énergique. La navigation et le mélange des hommes m’ont-ils pas fait d’ailleurs un même peuple de tous les habitans du globe ? et puisque les deux continens se sont corrompus par leurs richesses, n’est-1l pas sage de recueillir avec empressement le peu de secours qu'ls se présentent, ne füt-ce que pour balancer au moins une partie des maux qu’ils se seront faits ? Personne n’étoit plus convaincu que M. Gaubius , de l’utilité de ces recherches. Il avoit établi entre Leyde et Batavia une correspondance qui y étoit relative , et il ne cessoit d’exhorter les médecins et les chirurgiens qui partoient, pour les Indes à prendre des renseigne- mens sur les remèdes qui y étoient le plus umiversel- lement et le plus anciennement employés. Qu’y a-t- 1] en effet de plus précieux que les résultats de l'expé- { d) rience de plusieurs siècles et de plusieurs générations? Et n'est-ce pas en‘réumissant ainsi les vérités éparses ; que l’on peut travailler avec fruit aux progrès d’une science dont la marche a tant de fois été retardée par l’abus des méthodes scientifiques ? L'homme aban- donné à lui-même a reçu de la nature une industrie. qui le porte à essayer , lorsqu'il est malade ; différens moyens de guérison; et ces observations primitives; M NW A LA CAL À PHYSIOL. ET MÉD. — GAUBIUS. 283 qui servent d’élémens et de base à la science lorsqu'elle se développe, en deviennent les débris lorsqu'elle s’anéantit. Elles semblent être l'apanage de l’huma- nité souffrante , à laquelle nulle révolution ne peut les enlever ; elles sont comme inhérentes au sol qui les a produites , et l’esclave est souvent celui qui s’en souvient le mieux et qui est le plus versé dans leur application. Ce sont des faits de cette nature qu’Hip- pocrate a rassemblés en Grèce, et qu'il est 1mpor- tant de recueillir dans tous les pays habités par les hommes. Cette source est pure , et l’on peut presque toujours y puiser sans crainte. Îl en est une autre dans laquelle, au milieu des dangers et des mensonges, on découvre quelquefois des combinaisons heureuses et des moyens efficaces : c’est le charlatanisme , espèce de monstre; contre lequel tont le monde crie en général, mais que chacun accueille en particulier ; et qui trouve si facile- ment des prôneurs. M. Gaubius , qui ne négligeoit rien de ce qui pouvoit contribuer À l'avancement de la mé- decine, observa avec surprise les heureux effets d’une poudre qu’un empirique appelé Zudman distribuoit (1) comme antispasmodique, sous le nom de lure firée. M. Gaubius la reconnut aisément pour des fleurs de ainc : il en fit diverses épreuves, et il s’aperçut qu'à la dose d’un grain elle faisoit vomir les personnes dé- …licates , etque, donnée à un demi ou à un quart de grain une ou plusieurs fois dans la journée, elle étoit Re LE nd (1) À Amsterdam. 284 ÉLOGES HISTORIQUES. calmante , sur-tout dans le traitement des convulsions auxquelles les enfans sont sujets. | Nous regrettons de ne pouvoir suivre l’auteur dans les autres articles de ses Ædversaria , sur la distilla- tion de l'huile de vitriol, sur le borax , sur le sel am- à moniac , et sur l’usage d’un instrument (1) propre à À introduire la fumée de tabac dans les intestins. M. Gaubius a prononcé plusieurs discours dans l'Université de Leyde, qui lui ont mérité de justes ap- plaudissemens. 4 Dans l’un , intitulé De regimine mentis quod medi- corum est, il a traité un sujet très - philosophique. F | L'homme y est considéré comme un être mixte, com-. | posé de deux principes très-distincts , mais qui s'ac- compagnent et se pénètrent si intimement , qu’il n’y a aucune partie du corps humain où l’esprit et la ma- » tière ne mamifestent leurs impressions et leur influence réciproque. Ces deux agens sont liés par les lois qui constituent la vie , et chaque molécule organique semble être animée par une force qui tient à tous. F les deux. * M. Gaubius soumet ensuite à l’analyse la plus »i- goureuse les différentes expressions et les sentimens adoptés pour expliquer l’union de l’ame avec le corps. Celui-ci doit-il être regardé comme une prison où elle soit retenue et comme enchaînée ? étrange prison que (1) L'auteur a pris toutes les précautions nécessaires pour pré À venir les inconvéniens auxquels la plupart de ces machines sonèu exposées. PHYSIOL. ET MED. — GAUBIUS. 285 l’on aime souvent beaucoup trop , et que l’on quitte avec tant de regret ! Le corps seroit-il seulement la demeure de l’ame ? singulier domicile , dont le plus léger dérangement enlève ou rend à son hôte la sagesse et la raison ! Le principe immatériel commanderoit-il à toutes les fonctions , comme Stahl l’a voulu ? ou seroit-1l disposé par une harmonie primitive pour suivre , dans ses affections et ses volontés, les mouve- mens de la machine à laquelle il est attaché, comme un philosophe célèbre l’a, je ne dirai pas pensé , mais écrit? La première de ces deux opinions est démentie par les actes organiques et involontaires ; la seconde est plus compliquée que la chose même qu’elle explique. Ne nous suffit-1l pas de savoir, a dit M. Gaubius, qu’une main toute-puissante a joint l’ame au corps , et que ces deux principes se contrebalançant mutuelle- ment , l'ame est elle-même du ressort de la médecine, puisqu'il est possible d’agir sur elle par le moyen des organes , avec lesquels elle a des rapports déterminés? La Meitrie, qui ne voyoit dans les animaux que des machines, et dans la plupart des physiciens que des ma- térialistes, ne manqua pas de ranger M. Gaubius dans une classe où , quel que fût son entêtement , 1l lui ré- pugnoit de rester seul. M. Gaubius se plaignit amè- rement de cette témérité , et il crut devoir se justi- … fier de cette imputation dans Qu second discours ‘sur … la même matière , qu’il prononca plusieurs années à après (1). (1) M. Gaubius prononça son premier discours De regimine 286 ÉLOGES HISTORIQUES. Ces dissertations de M. Gaubius joignent le mérite de l'expression à celui de la pensée; elles sont écrites avec précision et pureté. Il dut sans doute à son élo- quence et à sa grande réputation l’honneur d’avoir été élevé trois fois au rectorat. Chef d’un peuple ardent et docile , maître d’un empire qui s'étend sur le plus bel âge de la vie, et auquel les premières années de tout homme instruit ont appartenu, celui qui occupe cette place jouit de droits et de priviléges que l’on peut re- garder comme un hommage rendu par la nation en- tière au gémie des sciences et de la liberté. Ce feu divin que l’homme a reçu du ciel est un dépôt confié par . le souverain aux corps enselgnans ; et les honneurs qu’on leur rend sont l’expression de la reconnoissance publique, en mème temps qu'ils servent d’encourage- ment pour l'étude. Ce w’étoit point assez que les lettres et les beaux arts eussent un berceau , il falloit qu’on leur élevât des temples. Du sein des universités les plus anciennes et les plus célèbres , on a vu sortir des colonies sa- vantes, qui , sous le nom d’académies , en ont répandu le goût, et ont travaillé à leurs progrès. Dans celles: ci, la simplicité des usages annonce que des hommes d’un âge mûr se sont réunis pour se livrer en commun mentis quod medicorum est, le 8 février 1747; en quittant pour la première fois le rectorat; il prononça son second discours sur la même matière, De regimine mentis, etc. dans le mois de février 1763, à la fin de son second rectorat. Ces deux discours, réim+ % primés en 1769, ont été depuis traduits en plusieurs langues. Ilé contiennent les vrais principes de la psycologie médicale, RSR tn Lin CT PHYSIOL. ET MÉD.— GAUBIUS. 287 à la recherche de la vérité : dans les autres, on recon- noît, par la pompe qui accompagne toutes les céré- momies , que l’on s’est proposé de fixer l’attention d’une jeunesse distraite et mobile , et de lui en imposer même par cet appareil. . L'Université de Leÿde est une de celles dont les fêtes ontle plus de magnificence, soit par le soin qu’on ÿ apporte , soit par l’intérèt que le peuple y prend. A la fin de chaque siècle depuis son institution ; elle ouvre un jubilé. On appelle de ce nom une fête établie pour célébrer son origine et ses travaux. M. Gaubius fut chargé en 1775 , à la fin de son troisième rectorat , de prononcer un discours dans cette solennité (1). IL exposa avec force les époques les plus honorables à la nation et à la compagnie dont il étoit l'organe. Ce savant a communiqué plusieurs mémoires à l’Aca- démie de Harlem, qui les a publiés dans son recueil. Il y a, entr’autres , consigné les détails d’une inocula- tion dont il s’en étoit peu fallu que les suites n’eussent été funestes. Elles l’avoient tellement frappé, qu'il m'a jamais osé, depuis cet événement, pratiquer lui- même l’'inoculation , qu'il conseilloit toutefois, en indiquant les précautions nécessaires pour son succès. On doit compter parmi les travaux littéraires de . (1) Le discours qu'il prononça alors le 8 février 1775, jour du second grand jubilé de l'Université de Leyde, est intitulé : Oratio | panegyrica in auspicium tertii sœculi Æcademiæ batavæ, quæ Ni Leydæ est autoritate public, etc. recitata ïin-fol. Il contient des recherches historiques très-curieuses sur les progrès des sciences … et des lettres en Hollande. 288 ÉLOGES HISTORIQUES. M. Gaubius les éditions de divers ouvrages. Tels sont le fameux traité de Prosper Alpin sur les pronostics (1};, la Docimasie de Cramer (2), la Bible de la nature de Swammerdam , à la traduction de laquelle M. eus bius a eu la plus grande part. Sa réputation s’étoit étendue dans les pays les plus éloignés : la feue impératrice Élisabeth lui avoit fait M les offres les plus avantageuses pour l’engager à se fixer 1 en Russie avec la qualité de son premier médecin, et. il avoit reçu depuis les marques de la considération la M plus distinguée de la part de l’impératrice actuellement régnante. On sait avec quel empressement cette souve- yaine recherche tont ce qui porte l’empreinte de la . science et de la valeur. Persuadée que l'ignorance est également contraire aux intérêts bien entendus des. À rois et des sujets, elle appelle de toutes parts les lettres M et la philosophie, qu’elle emploie comme un grand À moyen de civiliser les hommes ; et elle continue de la … manière la plus heureuse une grande expérience po- litique , dont le résultat est que le germe des sciences, transporté avec précaution , conservé avec Soin ; croît) | se fortifie, et répand déja la plus douce influence dans (1) Pr. Alpini de præsagiendä vité et morte ægrotantium libri Vi; cum præfatione H. Boerrhaave; editio altera leydensis, cujus textum recensuit, passim emendavit, supplevit, citata y Prec loca ac- curavit Hier. Day. Gaubius. Lugd. Bat. 1733. La (2) Joan. Andr. Crameri Elementa artis buttons Vas , duobus : tomis comprehensa , quorum prior theoriam , posterior praxim exhibet, \ L. B. 1749, et deinde ed. II, 1749. M. Gaubius a beaucoup travaillé. À avec l’auteur de cet ouvrage, à la rédaction duquel il a contribué, — mer. PHYSIOL. ET MÉD. — GAUBIUS. 289 des pays stériles et glacés, tandis qu’il se dessèche , languit et meurt, faute de culture, dans ces climats riants et féconds , où le beau génie des Grecs, attesté seulement par des inscriptions et des ruines , offre en- core à la barbarie elle-même un objet de respect et de vénération publique. Nous n’avons loué jusqu'ici dans M. Gaubius que les talens accessoires à celui qu'il possédoit an plus haut degré : c'étoit sur-tout dans la pratique de notre artqu'ilexcelloit. Il y portoit cette fécondité de moyens que donne une vaste érudition, avec cette sagesse sans laquelle la science ne produit quelquefois que de la té- mérité. La place de premier médecin de Guillaume V, prince d'Orange , alors mineur , étoit vacante en 1760 : c’étoit aux États-Généraux à y nommer. On sait combien sont imposantes ces assemblées dans lesquelles les dé- putés d’une nation se réunissent pour travailler au bonheur de tous. Il s’agissoit de choisir un médecin auquel pussent être confiés les jours précieux d’un jeune prince , dont l’âge tendre exigeoit de leur part un surcroît d'attention et de soins. M. Gaubius réunit tous Les suffrages , et on remit entre ses mains l’enfant si cher à tous les ordres de létat. Fut-il jamais un premier médecin nommé d’une manière aussi au guste ? Ce moment le plus beau de sa vie , loin d’exciter son . amour-propre ; ne fit que donner une nouvelle énergie à sa reconnoissance et à sa sensibilité, Il bénit cent fois la mémoire de Boërrhaave , au souvenir duquel il rap- T. 2. 19 299 ÉLOGES HISTORIQUES. portoit toujours les bienfaits qu'il recevoit de la répu- blique. | Malgré cette nouvelle faveur , 1l continua ses leçons … à l'Université (1). Ce zèle fut remarqué par Le prince, M qui ne put connoître un homme aussi estimable sans ‘À s’y attacher particulièrement. M. Gaubius saisit une M occasion qui se présenta pour lui en témoigner sa re- M connoissance. Le prince étant parvenu en 1768 à la 4 majorité , honora de sa présence les fêtes que l’Uni- versité de Leyde donna à cette occasion, M. Gaubius, alors âgé de 61 ans, se sonvint que dans sa jeunesse 1l avoit composé des vers latins avec quelques succès, et “ | il osa former le projet d’un nouveau poëme sur la ma- M Jorité de Guillaume V , commandant une nation riche F sans luxe et libre sans ivresse : il espéra quê l'intérêt le plus vif, inspiré par la circonstance, l'esprit patrio- 1 tique, et l’amour de la liberté , suppléeroient au feu des premiers ans , et qu'un sujet de cette nature se défen- | droit assez contre les premières impressions de la vieil- " lesse. 11 ne fut pas trompé dans son attente. Son M poëme , publié à la suite d’un discours de M. Veiss, professeur en droit public, qui aroit été prononcé f, dans la même fête , fut bien accueilli; on y trouva de la noblesse , de l'harmonie et même de la sensibilité. Déja les amateurs de la poésie latine avoient porté le jugement le plus avantageux sur des vers qu'il avoit M 48 (1) I continua ses fonctions de professeur jusqu’à l’âge de 70 ans, À et il fut déclaré émérite au mois de septembre 1775. | PHYSIOL. ET MÉD. — GAUBIUS. 291 composés dans un moment d'enthousiasme pour l’his- toire naturelle, et qu’on lit en tète du premier volume de Seba. Cette science; qu'il a toujours beaucoup aimée , lui servoit de délassement au milieu d’occupa- tions plus sérieuses. Il avoit fait dans tous les genres , et sur-tout en minéralogie, une des plus riches collec- tions connues (1). Il se plaisoit à la faire voir aux étrangers , pour lesquels ce cabinet , quelqu’intéres- Sant qu'il fût, auroit perdu une grande partie de sa _ valeur , sans les explications de M. Gaubius, bien différent de tant d’autres, qui ne sont que des moyens assurés pour annoncer à grands frais lignorance de leurs propriétaires. Ce savant a compté parmi ses ennemis des hommes d’un mérite distingué : heureusement nous ignorons les motifs et l’origine de ces divisions. La distance des lieux produit à peu près le même effet que celle des temps, par laquelle ces petits intérêts sont anéantis, Qu'il nous suffise de plaindre l'humanité, toujours agitée par des orages qu’elle excite , et dont le néant est assez démontré par le peu de cas que l’on en fait, et par le peu de souvenir que l’on en garde. . M. Gaubius a survécu à tous ses collègues dans la Faculté de Leyde, dont 1l a vu toutes les chaires occu- pées par ses disciples. Les autres professeurs des Fa- cultés de la Hollande et de l'Allemagne s’étoient éga- ———————————————_—_——__—— — * (1) I y avoit joint des discriptions abrégées fondées sur l'analyse chimique, 202 ÉLOGES HISTORIQUES. lement formés à son école; 1l n’y avoit pas un médecin qui ne se félicitât d’avoir suivi ses lesçons ; ils le con- sultoient de toutes parts ; ils ne s’en rapportoient qu’à ses avis dans les cas les plus difficiles ; et M. Gaubius réunissoit toutes les jouissances d’une vieillesse robuste, savante et respectée. "1 Il est donc dans les différens âges de la vie des con- } solations et des récompenses pour ces hommes coura- geux qui se dévouent tout entiers au travailet à l’étude ! L’ardente jeunesse se presse de vivre; elle prodigue des années pour quelques momens de gloire , et jamais elle ne se plaint lorsqu'elle a frappé ce but. Dans l’âge mûr on commence à jouir du passé , on connoît mieux la valeur du présent , et l’on espère encore de l’avenir. Dans la vieillesse , à mesure que l’existence physique s'éteint , l’homme illustré par ses talens voit s’ac- croître la vaste carrière de la célébrité : le court avenir qui lui reste se confond aisément avec celui que la postérité lui prépare , et s'agrandit par cette compen- sation heureuse ; tout l'invite à se rappeler avec dé- lices les époques les plus brillantes de son histoire, et ï peut-être l’habitude que l’on a de vivre , jointe à cette” | douce illusion , est-elle plus que suffisante dans ces derniers momens pour détourner l’idée importune et fatigante d’une mort prochaine. La santé de M. Gaubius ne s’altéra point sensible- w ment jusqu’à l’âge de 7o ans. Quelques accès de goutte , qui se terminoient par un flux hémorroïdal , le tourmentèrent alors à diverses reprises. Il fut atta- PHYSIOL. ET MÉD. — GAUBIUS. 293 qué dans le mois de novembre 1780 ; au retour de la Haye , d’une fièvre maligne avec des redoublemens en tierce, qu'il prit pour une maladie de ce dernier genre, mais simple. M. Gaubius ne pouvoit faire une méprise aussi grave que sur lui-même. Les soins les plus assidus et les Plus éclairés de ses confrères ne purent lui conserver la vie; 1l mourut le 29 novembre de la même année , âgé de 75 ans. M. Gaubius a laissé une très-grande fortune à une fille unique. En ce point comme en plusieurs autres , son sort a ressemblé à celui de son maître Boërrhaave. Plus heureux que lui toutefois , il a vu sa fille ma- riée, et il a embrassé ses petits-fils. Son gendre, M. Henri Twent , docteur en droit et échevin de la ville de Leyde, y jouit de la considération la plus distinguée. La mort de M. Gaubius a été un sujet d’affliction pour toute la Hollande ; il a été pleuré par une famille nombreuse dont 1l étoit le protecteur et l’appui. Les liens de tendresse qui s’étendoient à son épouse et à à tous les siens avoient fait naître entre eux cette douce intimité que l’union des chefs produit toujours, et qui ne peut subsister sans elle. Parmi les larmes que sa mort a fait répandre, on a remarqué avec atten- drissement celles des pauvres, sur lesquels il avoit abondamment versé ses bienfaits. “ Les sciences ont fait depuis quelques années de grandes pertes : nous citerons > pour nous renfermer ‘dans notre sujet, Morgagni, van Swieten, Albinus, 294 ÉLOGES HISTORIQUES. Haller, Linnæus, de Jussieu , Pringle |, Gaubius : quel noms et quels regrets ! Si on ajoute à cette liste celle des hommes illustres récemment enlevés aux lettres et à la philosophie , on prendra de notre siècle une idée bien différente de celle que veulent en donner. É certains D À qui, jaloux de sa gloire , à la jusqu’à lui , font des efforts inutiles pour le rabaisser M et le mettre à leur niveau. MEDECINS ET PHYSIOLOGISTES. 295 TS rt ot RS GIROD. ns "se es 0 0 7 Si quelqu'un a des droits à un éloge public, n'est-ce pas le citoyen modeste qu’une province entière désigne comme son bienfaiteur; qui méprisa la fortune et ne chercha point la gloire; auquel une utile témérité fit braver mille fois la mort; qui concentrant dans sa patrie ses travaux et ses vertus, ne vécut que pour elle et mourut en la servant ? Tel fut Jean-Frawçors-Xavier Giron, citoyen de Besançon, docteur en médecine, inspecteur pour le _ traitement des maladies épidémiques de la Franche- Comté , associé régnicole de la Société royale de médecine. Son nom n’a point été répété par les cent bouches de la Renommée; mais il n’y a pas dans sa province un seul cultivateur qui l’ignore et qui le prononce sans attendrissement. Ses succès, quoique très-importans pour l’état, n’ont point été vantés par ces enthou- siastes qui jugent les talens et créent des réputations; mais 1l n’y a pas dans la Franche-Comté de village où sa mémoire ne soit honorée, et où sa mort n’ait causé . des regrets. Son père, qui étoit médecin, résidoità Mignovillard, village situé près de Salins où 1l naquit en 1735. Après avoir été reçu docteur en médecine dans l’Uni- 296 ÉLOGES HISTORIQUES. versité de Besançon, et y avoir fréquenté les hôpitaux, 1l se refusa aux instances de son père qui avoit formé le projet de l’envoyer à Paris. Ce voyage auroit exigé des sacrifices onéreux à ses frères ; M. Girod ne voulut jamais y consentir. Il se retira à Mignovillard, où il partageoit son temps entre l’étude de la médecine et celle des mathématiques. Heureux dans cette retraite, il faisoit le bien et cherchoit la vérité. Il n’achetoit et ne lisoit qu'un petit nombre de livres. Il avoit peu d'amis, peu de fortune et peu de besoins. Cette simplicité, cette exactitude qui l’avoient accou- tumé à ne donner aux choses que leur juste valeur, lui faisoient préférer le séjour des champs à celui des villes. Plus elles étoient peuplées, plus 1l avoit de répu- gnance à les habiter. Pressés dans leur enceinte, les 4 hommes lui paroissoient devoir plutôtéprouver le besoin de se fuir, que le désir de se rapprocher : sentiment que chacun partage dans les campagnes et qui dispose à la bienfaisance , à la compassion et à l'humanité. Heureusement M. France, médecin en chef des épidémies de la province, lui ouvrit une carrière digne de ses talens et de son zèle. Il lui offrit et lui obtint sa place ;et M. Girod partit pour Besançon, après aWoir laissé son patrimoine à ses frères. | Les secours peuvent être administrés aux Éibns des campagnes attaqués d’épidémies , ou par des méde- cins résidens ayant chacun un arrondissement déter- miné, ou par des médecins chargés spécialement de A cet objet, et stipendiés pour s'y livrer uniquement, M Ce dernier plan fut préféré par M. Girod, comme 7} PHYSIOL. ET MÉD. — GIROD. 297 Je plus utile : on est plus sûr, en le suivant, de faire - un bon choix. Des médecins formés dans ce genre sont plus éclairés sur l’usage des moyens, et plus devoués au traitement des malades. Pour remplir ces vues, M. de Lacoré, intendant de la province, chargea quatre médecins de veiller, conjointement avec l'inspecteur, au traitement des épidemies de la généralité, qui est devenu depuis cette époque moins coûteux, plus uniforme, et qui mérite d’être proposé comme un modèle aux admimstrateurs des autres provinces du royaume. Nommé médecin en chef des épidémies en 1763, M. Girod en a rempli les devoirs jusqu’en 1783; et pendant ces vingt années il a vécu dans un combat perpétuel avec deux des plus grands fléaux qui puissent affliger le peuple, la contagion et la misère. Les habitans des campagnes affligées se rassem- bloient autour de lui, et 1ls l’écoutoient comme un oracle. Ils le consultoient avec hardiesse, parce que son extérieur étoit modeste et simple; ils exécutoient rigoureusement ses avis , parce qu’ils connoissoient son habileté, parce qu’il ne les trompoit jamais et sur-tout parce qu'il restoit avec eux, qu'il s’associoit à leurs fatigues, à leurs dangers, à leurs malheurs. La Société royale de médecine, en inscrivant le nom de M. Girod sur ses registres, désira de connoître le résultat de ses nombreuses observations; il nous ré- pondit par un mémoire très-détaillé , dans lequel 1l insistoit principalement sur les maux que produisent les purgatifs donnés avant la crise des fièvres , qu'il a 298 ÉLOGES HISTORIQUES. vue le plus souvent arriver du quatorze au vingt- unmième jour. Il a réduit, par un terme moyen, les pertes qu'il a faites dans le traitement des épidémies, à un quatorzième. Il a observé que les vieillards couroient les plus grands risques ; que les personnes âgées de qua- rante à cinquante ans en couroient de moyens. Il a évalué à un deux-centième ceux qui concernoient l’âge de quinze à vingt-cinq ans. Ils étoient presque nuls pour les enfans de cinq à six ans; et les enfans à la mamelle n’étoient même jamais atteints de la conta- gion. M. Girod a remarqué que les femmes grosses atta- quées de ces fièvres, soit qu’elles avortassent ou non dans le cours de la maladie, n’en périssoient jamais; sorte de privilége qu’il a vu s'étendre aux nourrices de deux ou de trois mois. Est-ce à l’humeur laiteuse dont sont imprégnés les fluides des enfans , des nour- rices et des femmes grosses , que l’on doit cet étonnant résultat? Telle étoit la conjecture de ce médecin, qui avoit déja commencé des essais propres à fixer son opinion sur cette matière lorsque la mort l’a enlevé. Voyageant sans cesse dans sa province, et la con- fiance publique le suivant par-tout, il en profitoit pour éclairer les peuples sur leurs premiers besoins. Il com battoit les préjugés; 1l détruisoit les erreurs ; 1l faisoit fuirdevantlin ces troupes de charlatans maladroits; qui, n'ayant pas assez d'esprit pour tromper les habitans des villes, inondent les campagnes et vendent au laboureur crédule de l’espérance et des poisons. Toujours modéré, toujours de sang-froid , comme il n’avoit que des vérités à répandre, il ne recouroit point aux prestiges de ln. * PHYSIOL. ET MÉD. — GIROD. 299 léloquence , n1à la chaleur de l'enthousiasme. M. Girod étoit un de ces hommes rares qui joignent un grand zèle à une grande simplicité, et tels que la vraie phi- losophie pourroit les choisir pour en faire les apôtres de la raison. Parmi les grands services qu'il a rendus, on doit sur-tout compter l'établissement de l’inoculation dans sa patrie. Un des enfans de M. le marquis de la Perrière étoit mort en 1765 à Besançon de la petite- vérole artificielle ; et un second avoit été sur le point d'en périr. Ce fut sous de pareils auspices que M. Girod eut la hardiesse de pratiquer et le bonheur de faire adopter cette méthode. Il inocula avec le plus grand succès douze enfans à Mignovillard. Déja la fâchense impression produite par la mort du fils de M. de la Perrière étoit effacée : 1l fut assez adroit pour mettre dans ses intérêts, c’est-à-dire dans ceux du public et de la vérité, les curés, les seigneurs des paroïsses, les médecins des villes et les chirurgiens des villages, qui devinrent ses plus zélés coopérateurs. Bientôt les habitans des campagnes, dont il avoit et méritoit la confiance, loin de mettre obstacle à ses vues, lui amenèrent en foule leurs enfans. Puisque M. Girod le veut, disoient ces bonnes gens, les voilà; qu'il en soit le maître et qu’il en dispose. Aïnsi, tandis que les savans se disputoient; tandis que le législateur balançoit entre deux partis opposés ; tandis que dans les villes les plus célèbres par les progrès des sciences un petit nombre de citoyens se décidoit à peine pour une pratique dont tant de faits démon- 300 ÉLOGES HISTORIQUES. trent l’utilité, un seul homme avoit persuadé une province entière, établi sur des fondemens inébran- lables et mis à la portée de tout le monde une vérité des plus importantes au salut du genre humain. Plus de vingt-cinq mille personnes inoculées en Franche- Comté depuis 1765 jnsqu’en 1782, c'est-à-dire plu- sieurs milliers d'hommes forts, robustes, utiles, un peuple de laboureurs conservés par ses soins, et qui le bénissoient dans leurs foyers : voilà quels sont les droits de M. Girod à la reconnoissance publique. Une nation juste et qui sentiroit le prix d’un tel bienfait ne manqueroit pas d'élever un monument on de consa- crer une médaille au médecin qui a le premier répandu l’inoculation dans les campagnes. M. Girod, loin de dissimuler les Hague auxquels la contagion de la petite-vérole artificielle expose dans les villes, en a traité très au long dans un mémoire qu'il nous a lu sur ce sujet. Il conseilloit sur-tout d’y recourir dans un canton lorsque la petite-vérole natu- relle commençoit à y régner épidémiquement, ou lors- qu'on étoit menacé par la proximité de son foyer. Employée de cette manière , l’inoculation diminue les dangers et la durée de l’épidemie. Il la pratiqua d’abord par incision et bientôt après par piqüres, dont ul porta successivement le nombre jusqu’à quatre, ayant observé que l’éruption étoit alors moins abondante, et les accidens plus rares. L'inoculation a suivi dans la Franche-Comté une marche digne d’être remarquée. Elle s’est étendue des campagnes aux villes et des artisans aux gens riches. PHYSIOL. ET MÉD. — GIROD. 3o1 ou aisés. Lorsque ceux-ci réclamoient les soins de M. Girod pour leurs enfans , il ne les refusoit point ; mais il n’acceptoit jamais d'honoraires. Il conservoit ainsi toute sa liberté et ne s’astreignoit point à la gène de ces attentions minutieuses qui l’auroient enlevé à ses plus chères occupations. M. Girod étoit le mé- decin du peuple, dont les grands et les riches ne lui paroïssoient former que la plus petite partie, parce qu'il ne considéroit que le nombre, et que ne voulant par- ticiper n1 à leur crédit, ni à leur fortune, ils n’étoient pour lui que des hommes ordinaires, tandis qu’il devoit leur paroître un homme bien rare et bien singulier. Il est facile de juger qu’un médecin aussi vrai, aussi scrupuleux, n’avoit de secret pour personne : il ne faisoit prendre aucune poudre mystérieuse à ses ino- culés ; il ne préparoit point ceux qui se portoient bien, parce qu'il ne croyoit pas qu'il pût y avoir un état pré- férable à celui d’une santé parfaite; en un mot, il étoit inoculateur sans être charlatan. On avoit publié qu’il résultoit des calculs faits en Angleterre que la vie moyenne des personnes inocu- lées étoit plus courte que celle des autres hommes, et cette nouvelle avoit été accréditée par les ennemis toujours nombreux des nouveautés utiles ; M. Girod crut qu'il étoit de son devoir de vérifier ce fait. IL partit aussitôt pour Londres, et il en revint avec des preuves évidentes de la fausseté de cette assertion. Le croiroit-on? tant et de si grands services étoient 2 iguorés hors de la province à laquelle ils avoient été 302 ÉLOGES HISTORIQUES. rendus, et 1ls le seroient peut-être encore, si la Société royale de médecine ne les avoit pas fait connoître, en adjugeant à M. Girod deux de ses prix d’encou- . ragement. Il les a reçus dans cette même salle où mous sommes assemblés, au milieu des applaudisse- mens publics dont il étoit digne depuis si long-temps et qu'il entendoit pour la premmère fois. La Société doit prendre à la gloire de ce médecin un intérèt d'autant plus vif, que lui-même y en met- toit peu ; il n’a fait que la mériter; et en nous läissant le soin de l’obtemir, 1l nous a confié un emploi hono- rable et facile, puisqu'il nous a suffi de le montrer tel qu’il étoit, et que d’ailleurs le savoir et le bienfait qui se cachent sont sur-tout ceux qu'il faut louer et placer au premuer rang. Ce citoyen estimable a eu la satisfaction de voir la fin de sa carrière honorée par les différens ordres de l’état. Le roi lui accorda en 1783 des lettresde noblesse, et la ville de Besancon, dans le territoire de laquelle il avoit traité plusieurs épidémies, lui conféra le titre de citoyen : en lui assignant une place parmi ceux qu’il avoit utilement servis, elle lui offrit une des récom- peuses si propres à être le salaire des belles actions et à remplir une grande ame, parce qu’elles suppo- sent un concours de suffrages, de sentimens, et de vœux qui sont le but de la véritable gloire et qu'il n'appartient qu’à elle de réunir. Ces diverses circonstances exigèrent qu'il fit un voyage à Paris. 11 y inocula très-heureusement plu- cé Pa D Fe 4 Pers PHYSIOL. ET MÉD. — GIROD: 303 sieurs pesonnes de marque, qui s’efforcèrent en vain de le retenir : les honneurs dont il avoit été comblé n’avoient fait qu’enflammer son zèle. A peine de rétour dans la Franche-Comté, où il arriva en juillet 1763 , 1l apprend qu'une épidémie de fièvres intermittentes pernicieuses régnoit à Chatenoy, bailliage de Dôle : il vole aussitôt au secours des mala- des. Attaqué lui-même de cette fièvre après six semaines de fatigues, il vit par la marche des accidens qu’elle hu seroit funeste ; et 1l l’annonça à M. France son ami , entre les bras duquel il mourut à la fin du sep- tième accès, ainsi qu'il l’avoit prévu. Dans la rémission qui précéda cet accès, M. France essaya de lui offrir un rayon d'espoir. « Ne nous y trompons point, mon ami, lui dit M. Girod : le glaive qui n’est que sus- pendu va frapper; mais ne me plains point, je meurs sur le champ de bataille. S1 les cordiaux que tu me donnes prolongent ma vie de quelques instans, je les chérirai, puisque je dois les passer avec toi. » Une plus belle fin ne pouvoit terminer une aussi belle carrière. On peut dire de lui ce qui convient à si peu de personnes, que sa vie et sa mort ont été dignes l’une de l’autre. Qu'il nous soit permis de remarquer ici que la suite des éloges Ins dans nos séances offre déja plusieurs exemples d’un dévouement semblable. Osons prédire que celui-ci ne sera pas le dermier. 304 ÉLOGES HISTORIQUES. ns SSSR St Sr Sn so ot ot ot TS HALLER. Le ne Lt ot ot ot on ot À LeERT DEHarrer, seigneur deGoumouens-le-Jux et d'Eucaglens, conseiller d'état, premier médecin du roi de la Grande-Bretagne à Gottingue, chevalier de l'étoile polaire, membre du conseil souverain à Berne ; un des huit associés étrangers de l’Académie royale des sciences, président de la Société économique de Berne et de la Société royale des sciences de Gottingue, et membre de presque toutes les autres académies de l’Eu- rope (1), naquit à Berne, le 16 octobre 1708, de Nicolas- (1) Il fut reçu membre de l’Académie d’Upsal en 1734, de la Société allemande de Leïipsick en 1739, de la Société royale de Londres en 1743 , de celle de Stockholm en 1747. En 1749, le roi de Prusse lui donna une place dans l’Académie de Berlin, et lui en offrit la présidence. En 1750, les chirurgiens ayant été réunis en corps, il en fut nommé président. En 1751, il fut reçu à l’Aca- démie des curieux de la nature et à l’Institut de Bologne. En 17524 il fut agrégé à l’Académie royale de chirurgie de Paris, et à la Société physico-médicale de Bàle. En 1754, il fut choisi pourêtre un des huit associés étrangers de l’Académie des sciences de Paris. En 1755, on lui offrit la place de chancelier de l'Université de Gottingue, vacante par la mort de Mosheim ; mais äl la refusa, de même que celle de chancelier et de curateur de l'Université de Halle. Il entra la même année dans le Conseil de santé de la république de Berne, et il fut nommé membre des Arcades , sous le nom d’Jsicrate Emireo. Il fut reçu en 1759 membre de lAca- démie botanique de Florence et de celle de Baxière. Il entra en RETE" IE Re PHYSIOL. ET MED. — HALLER. 305 Emmanuel Haller, avocat et chancelier du comté de Baden, etd’Anne-Marie Engel , fille de Matthieu Engel, membre du conseil souverain, et qui a long-temps oc- cupé à Unter la place d’avoyer, une des plus considé- rables de la Suisse. En rapportant ici ces titres, nous ne croyons pas ajouter à la gloire de M. de Haller, puis- que , si sa naissance eût été moins distinguée , il seroit peut-être moins surprenant à nos yeux. La famille des Haller, comptée depuis long-temps parmi les patriciennes, s’est toujours distinguée par son zèle pour la religion. Ces impressions, qui se perpétuent si facilement, avoient conservé toute leur force sur l'esprit du père de M. de Haller. Il avoit quatre enfans, _. dont celui auquel cet éloge est consacré étoit le plus jeune. Il confia leur éducation à un précepteur nommé Abraham Baillodz, homme sombre, mélancolique , sévère à l'excès, mais fort savant en matière de religion et très-versé dans la connoissance des langnes. M. de Haller étant le plus jeune et sans doute Le plus sensible, étoit aussi le plus timide et le plus malheureux. Malgré l’état de souffrance et de douleur que des organes foi- bles et délicats doivent ressentir lorsqu'ils sont livrés à 1764 dans la Société économique de Zurich, et dans celle de Harlem et de Zell en 1765; en 1772, dans le Collége des méde- cins d'Édimbourg. En 1773, il fut agrégé dans les Académies de Padoue et de Copenhague. En 1775, il fut fait président de la . Société économique de Berne. En 1776, il fut reçu dans la Société des médecins d'Édimbourg , dans la Société économique de Carin- thie, et dans la Société royale de médecine de Paris. En 1777, il fut admis dans l'Académie de Pétersbourg et dans la Société patriotique de Hesse-Hombourg. | T. 2. 20 306 ÉLOGES HISTORIQUES. des mains dures et mercenaires, son enfance fut uu prodige ; nous n’oserions pas même en annoncer les détails , si la Suisse entière n’étoit notre garant. Aussitôt qu'il sut écrire, 1l rangea par ordre alpha- bétique tous les mots qu'il apprenoit et dont on lui faisoit l'explication. Il composa ainsi une espèce de vocabulaire chaldaïque, hébreu et grec, auquel il a souvent eu recours dans un âge plus avancé. . À dix ans il composa des vers latins et allemands qui étonnèrent ses maîtres ; 11 se vengea aussi de la du- reté de son précepteur, en peignant dans une satire la- tine tout le ridicule de son pédantisme. A douze ans il avoit extrait des dictionnaires de Moréri, et sur- tout de celui de Bayle, l’histoire des hommes les plus ctlèbres dans les sciences. Ainsi le tableau du premier âge , qui dans les hommes ordinaires ne présente qu’un tissu de foiblesses , offre dans M. de Haller les premiers élans d’une ame forte et vigoureuse et le développement du génie. Son père, qui tenoit tout son bien de ses places, mourut peu de temps après, et le laissa à l’âge de treize ans presque sans fortune. Ces événemens sont com: muns dans les états républicains, où la considération. étant personnelle , les fils, qui n’héritent presque jamais des places de leurs pères, sont réduits à les mériter par de nouveaux services. Le jeune de Haller, que ses pa- rens destinoient à l’état ecclésiastique, fut obligé d’ache- ver ses études avec les enfans du peuple dans lecollége. Le trait suivant lui attira l'attention de ses professeurs et l'admiration de ses condisciples. On lui avoit donné PHYSIOL. ET MÉD.— HALLER. 307 une lecon à traduire en latin; 1l la rapporta traduite en grec avec la plus grande pureté. Ayant fini ses classes à quatorze ans, M. de Hiller obtint de sa famille la permission d'aller passer quel- que temps à Bienne chez le docteur Neuhams, sa- vant médecin, et père d’un de ses jeunes amis. Le besoin d'acquérir de nouvelles connoissances lui fit désirer de faire ce voyage ; mais M. Neuhams s'étant contenté de lui expliquer la philosophie de Descartes, et ce genre d'instruction ne lui ayant pas offert assez d’attraits pour le distraire de ses occupations favorites , 1l conti- _ nua de se livrer à l’étude des langues et aux charmes de la poésie. Puisque sa naïssance avoit été favorisée par les Muses , 1l leur devoit au moins l'hommage de ses premières années. Il éprouva à Bienne un malheur imprévu. Le feu ayant pris à la maison dans laquelle il demeuroit, il n'eut que le temps de se sauver avec ce qu’il avoit de plus précieux, c’est-à-dire ses poésies. Relisant quel- que temps après les vers qu'il avoit ainsi dérobés aux flammes et sur-tout plusieurs satires, genre pour le- quel il avoit le goût le plus vif et le talent le plus décidé, il se détermina à les y livrer de nouveau, et il fut assez courageux pour faire ce sacrifice à la bonté de son » cœur. Il en excepta seulement quelques pièces, qui trans- mettront sans tache et sans reproche son nom à la pos- térité. Ses parens exigèrent bientôt qu'il choisit un état. 11 dut être d'autant plus embarrassé dans ce choix, que ses connoissances acquises , la justesse et l’activité de 308 ÉLOGES HISTORIQUES. son esprit le rendoient également propre à tout. Un penchant naturel, et dont le docteur Neuhams avoit augmenté les dispositions , le détermina pour cette science qui présente La nature sous l'aspect le plus varié, le plus frappant et le plus utile. Il résolut donic d’étu- dier en médecine, et il partit dans ce dessein pour Tubinge en 1725. Alexandre Camerarius et George Duvyernoi y enseignoient alors avec célébrité. Ce fut d’eux qu’il reçut les premières lecons d'anatomie et de médecine. | En 1724 George-Daniel Coschwitz, professeur dans la Faculté de Halle en Saxe, avoit cru découvrir un « conduit salivaire derrière la langue. Duvernoi se joigmit " à son disciple pour démontrer que ce prétendu conduit n'existe ni dans l’homme ni dans les quadrupèdes (1). Il arriva à M. de Haller, étant à Tubinge, une aventure qui a fait époque dans sa vie et qui mérite … par conséquent de trouver ici sa place. Il fut entraîné dans une de ces parties où la jeunesse, après s’être livrée M à l’excès du vin, poursuit tumultuensement des plaisirs M qu’elle n’est plus en état de goûter. M. de Haller fut d’abord un des acteurs les plus animés de cette scène dont il devint bientôt simplement le témoin. Il wit avec honte et avec douleur dans ses amis et dans lui- même les sens troublés et la raison anéantie. Ce spec- tacle lui fit horreur ; 1l résolut de ne plus boire de vin et il s’en priva pour toujours. D (1) Peu de temps après, Walther et Heïster confrmèrent son opinion au sujet du conduit de Coschwritz. PHYSIOL. ET MÉD. — HALLER. 3o9 Duvernoi se servoit des Instituts de Boërrhaave ponr faire la base de ses leçons. Ce fut un trait de lumière pour M. de Haller, qui résolut aussitôt d’aller à Leyde. Il brûloit d'entendre l’auteur d’un ouvragé qui lavoit étonné, et que l’on pôuvoit en effet regarder alors comme le meilleur traité de physiologie qui eût paru depuis le renouvellement des sciences. Arrivé à Leyde il s’empressa de suivre les leçons de Boërrhaave : le maître et le disciple se virent et s’ap- précièrent en un instant. En même temps que Boërrhaave enseignoit la méde- cine et la botanique à Leyde, Albinus y démontroit déja l'anatomie. Ces deux savans donnèrent à M. de Haller des marques particulières de leur bienveillance , qui firent naître en lui l’émulation la plus vive. Mais ce qui lui inspira sur-tout le goût de l’anatomie et la passion du travail, ce fut la vue du superbe cabinet de Ruysch où , au milieu de tant d'organes préparés d’une manière surprenante , au milieu de sujets qui y avoient en quelque sorte recouvré une nouvelle vie, 1l aperçut un vieillard nonagénaire , desséché par les ans, mais toujours laborieux et actif, qui, paroïssant comme un enchanteur au milieu de ces merveilles , sembleit avoir joint au secret de les conserver eelui de s’immortaliser Iui-même, Animé par de si beaux modèles, M. de Haller tra- vailla avec tant d’ardeur que sa santé en fut dérangée. Un voyage fait dans la basse Allemagne avec deux de ses compatriotes la rétablit, et peu de temps après son retour à Leyde le grade de docteur li fut conféré à 310 ÉLOGES HISTORIQUES. l’âge de dix-neuf ans. Quoique dans une école beaucoup plus brillante que celle de Duvernoi, les intérèts de son premier maître lui furent toujours présens. Il choi- sit pour sujet de sa thèse celui qu’il avoit déja discuté à Tubinge et qu'il traita dans une plus grande éten- due. Il fit voir dans des planches très-exactes la veine qui avoit été prise pour un conduit excréteur. Ainsi le premier pas qu'il fit dans l’anatomie fut la proscription d’une découverte imaginaire. N'est-ce pas en effet un des plus grands services que l’on puisse rendre aux sciences, et l'hommage le plus pur qu'il soit possible d'offrir à la vérité , que de diminuer le nombre des er- reurs avec lesquelles elle est si souvent confondue ? Après avoir été reçu docteur, M. de Haller quitta la Hollande, où 1l fut regretté par tous les gens de lettres, pour voyager en Angleterre. Hans-Sloane occupoit alors la place de président de la Société royale, dont Douglass et Cheselden étoient des membres distingués : il se lia intimement avec eux pendant son séjour à Londres. Il passa ensuite quelqne temps à Oxford , et de là il vint en France où il connut particulièrement MM. Geoffroy, Antoine et Bernard de Jussieu, Jean: Louis Petit et Ledran. Il assista sur-tout aux lecons du célèbre WVinslow, dont il aimoit à se dire l’élève (1). Se (1) Il a fait lui-même, dans le second volume de sa Biblio- thèque anatomique, le récit des difficultés qu’il éprouva , étant à Paris, dans ses recherches sur le corps humain. Il s ’occupoit à la dissection avec un prosecteur nommé Lagarde lorsqu'un particu- lier, voisin de son appartement, eut la témérité de faire une ou- verture au mur de séparation, Ne voyant que de l'horreur et de OR SR 2 PHYSIOL. ET MÉD. — HALLER. 31 Il ne parloit qu'avec vénération d’un homme qui a eu le courage de consacrer sa vie entière à l’étude et À l’enseignement de l'anatomie, sans qu’on puisse luire- prochér d’avoir été l’auteur d’un seul système. M. de Haller proposoit souvent à ses disciples cette retenue pour modèle, et il en a lui-même fourni l'exemple , autant cependant que la force et l'étendue de son 1ma- gination, contre laquelle il devoit avoir toujours à lutter , le lui ont permis. Avant de retourner à Berne, le projetde M. de Haller étoit d’aller en Italie: la foiblesse de sa santé l'ayant empêché de faire ce voyage, 1l partit pour la Suisse où il passa quelque temps auprès du célèbre Jean Ber- nowlli, professeur de mathématiques à Bâle, Dans cette école , il ne s’occupa que de la géométrie. Son ame’, avide devérités, se livra entièrement à ce nouveau genre d'étude , et bientôt il auroit oublié celle de la médecine si Jean Bernoulli, en la rappelant à $a me- moire, ne nous l’eût rendu (1). un ne Cuie el aude DUaN Dogs © À l'effroi dans un spectacle qui n’est en effet intéressant que pour les personnes vraiment instruites , il poursuivit M. de Haller en justice, etil le contraignit de rester caché pendant long-temps. M. de Haller n’a point oublié ce trait; il n’en a jamais parlé sans té- moigner toute la peine qu'il en ressentit. Il s'exprime à ce sujet de la manière suivante : Maligna curiositas operarii turbavit qui. nomen meum... detulit, ut graves pœnas, ipsos fortè triremes , effu- gerem.… Biblioth. anat., tom. II, p. 186. (1) M. de Haller ne consentit cependant à le quitter que lors- qu'il se crut assez instruit pour rédiger lui-même les lecons de son illustre maitre ; ce qu'il fit dans un manuscrit précieux, au- quel il joignit des réflexions sur l’analyse des infiniment petits du | 312 ÉLOGES HISTORIQUES. Aucun physicien n’a tiré plus de parti que lui de ses connoissances en mathématiques pour l’économie ami- male ; il s'en est sur-tout servi pour réfuter les calculs établis par plusieurs auteurs sur de fausses suppositions. Car les sciences exactes , lorsqu'on en abuse, au lieu de mener à la vérité , conduisent à l’erreur , et le font d’une manière d’autant plus dangereuse qu’on se flatte d’avoir démontré rigoureusement les faux résultats que l’on annonce (1). De retour à Berne en 1729, M. de Haller se livra à l'exercice de la médecine avec toute l’activité qui lui étoit naturelle et avec Le succès qui l’accompagnoit par- tout (2). Les ignorans, qui sont ordinairement jaloux et qui n'aiment pas à louer plusieurs talens dans la mème personne, l’accusèrent d’avoir donné trop de temps à la théorie: comme si la médecine étoit une science sans principes et comme si c'étoit un devoir de les ignorer ou un crime de les apprendre! Ces propos dont on se sert si souvent pour tromper le public, pro- duisirent tout l'effet que leurs auteurs devoient en at- tendre: on refusa à M. de Haller la place de médecin marquis de l'Hôpital, et qu'il a communiquées depuis à plusieurs savans. (1) Pendant son séjour à Päle, en 1728, le docteur Mieg, qui y professoit l'anatomie, étant devenu malade, pria M: de Haller de le remplacer pendant quelque temps ; ce qu'il fit avec tant de succès, que les étudians ne purent s'empêcher de le re. gretter lorsque le docteur Mieg fut guéri. (2) IL écrivoit exactement l’histoire des cas rares qui se présen- toient à lui. Ce recueil forme un cahier considérable que l’on conserve encore dans sa bibliothèque. PHYSIOL. ET MÉD. — HALLER. 313 d’un hôpital qu'il sollicita en 1734 (1). Une injustice de ce genre n’a rien qui doive étonner ceux qui sont accontumés au spectacle des choses humaines, mais on sera sans doute plus surpris d'apprendre que les adminis- trateurs qui l’avoient commise eurent le courage de la réparer peu de temps après , en lui donnant cette même place, qu’il remplit avec distinction jusqu’en 1736. Ses talens pour l’anatomie étoient trop marqués pour que la république de Berne ne fût pas tentée de les mettre à profit. Elle fit construire en 1734 un amphi- théâtre pour les démonstrations d’anatomie dont il fut nommé professeur (2). Il prononcça cette mème année, dans un concours pour une chaire de belles lettres, un discours dans le- quel il traita de la prééminence des anciens sur les mo- dernes, sujet qui a été si vivement discuté par nos lit- térateurs français. Il employa en faveur de son opi- mion des armes bien propres à la combattre, puisqu'il se montra pour le moins le rival de ceux auxquels 1l s’efforçoit d'accorder la palme (3j. Ce fut à peu près à cette époque que M. de Haller (4) (1) En 1733 il publia un programme, dans lequel il insista sur la résistance que les côtes offrent en s’élevant au diaphragme , qui se contracte dans le même temps. (2) 11 composa, à la même époque, un ouvrage allemand fort recherché , sur les dangers de l'esprit. (3) L'Académie d’Upsal le nomma son associé en 1735. Cette compagnie a joui pendant quarante - quatre ans du plaisir de le compter parmi ses membres. (4) Depuis 1732 jusqu'à 1740, il se livra beaucoup à la poésie, 314 ÉLOGES HISTORIQUES. publia son recueil d’odes et d’épîtres en vers allemands, qui ont été traduits depuis dans presque toutes les lan- gues de l’Europe. On y trouve les traits qui le caracté- risèrent toujours, une grande sensibilité, de la no- blesse, de l’élévation et de la philosophie. On diroit qu'il a dédaigné ces ornemens frivoles ou empruntés que l'esprit s’efforce en vain de mettre à la place du génie. Tantôt 11 peint la douce fraîcheur du matin (1) et l’aspect riant que les campagnes lui ont tant de fois offert lorsqu'il se levoit dès la pointe du jour pour les parcourir. Ailleurs il exprime dans les termes les plus touchans l’ennni qu'il a éprouvé loin de sa patrie, dans ses voyages (2). Que l’on ne regarde pas ces regrets comme l'effet physique de l’influence des climats, au- quel l’homme le plus insensible ne peut quelquefois se dérober. M. de Haller aimoit son pays avec transport; | et 1l a dû jouir d’un plaisir bien délicat, puisqu'il n’a pu se dissimuler qu’il en étoit l’ornement. Plus loin, 1l soumet la gloire et la renomméeà l’exe- \ L'auteur d'un éloge de M. de Haller, imprimé à Genève, et qui étoit un de ses amis, dit qu'il ne s’étoit occupé de ce genre de travail que pour diéeibhe l'ennui que donne une mauvaise santé, et pour se consoler des peines que l'envie lui suscitoit sans cesse. On attribua d’abord ses poésies, qui parurent sans nom; à Mu- ralt | poëte allemand très-célèbre ; et les littérateurs allemands de la plus grande réputation portèrent sur cette production le jugement le plus avantageux. (1) Traduction française, édition de 1775, page 1- ÿ On a fait en différentes langues vingt-deux éditions des poésies de Haller. (2) Traduction française, édition de 1775, page 5. PHYSIOL. ET MÉD. — HALLER, 315 men le plus impartial et le plus rigoureux (1). Com- blé de leurs faveurs, qu'il avoit méritées et obtenues pour ainsi dire dès l’âge le plus tendre, personne ne pouvoit mieux que lui les apprécier. Presque toutes ses poésies sont dédiées à un ami. «Si mes chants étoient dignes de la postérité , dit-il au cé- lèbre Gesner (2), je te proposerois avec Sthelin et moi commeunmodèle de l'union la plus parfaite». Combien des hommes semblables sont au-dessus de ces littéra- teurs, qui, en ne s’occupant que du soin de dévoiler mutuellement leurs défants , forcent enfin le public à mesurer l’estime qu’il leur doit sur celle qu’ils ont ré- ciproquement les uns pour les autres. Dans un poëme en trois chants (3), il recherche quelle est l’origine du bien et du mal, et il prouve que notre perfection tient à cette sensibilité qui est la source de nos plaisirs et de nos peines. L’homme instruit y aperçoiten plusieurs endroits la connoissance la plus exacte du corps humain, cachée sous les traits de la poésie la plus élevée. On peut dire que M. de Haller est le premier qui aît fait marcher d’un pas égal les ta- lens du poëte avec ceux de l’anatomiste. Mais le morceau le plus achevé de tous ceux que M. de Haller a publiés est sans contredit celui dans lequel il a décrit les Alpes et les mœurs de leurs habi- tans. Plus un sujet étoit grand , plus il convenoit à la (1) Même édition, page 9. (2) Zbid., page 141. (3) Zbid., page 149. 316 - ELOGES HISTORIQUES. force et à la vigueur de son génie, et plus 1l lui étoit facile de l’égaler. : Un assemblage majestuenx de rochers, de collines et de lacs, dont des forêts sombres terminent les con- tours, compose le spectacle que les Alpesoffrent à l’œ1l étonné de l’observateur. Ici une montagne présente ses flancs stériles ; les glaçons qui y sont accumulés sont peut-être aussi anciens que le sommet qu’ils recouvrent ; là il semble que la terre soit en contact avec le ciel ; un mont escarpé s'élève au-delà des nuages; ailleurs , du haut d’un roc perpendiculaire, un torrent se précipite à travers mille écueils ; des fleuves qui vont au loin tracer les limites des empires y prennent leur source ; l'or le plus pur se mêle avec le limon qu’ils déposent; le berger des Alpes le sait et ne daigne pas le recueillir. Près a là, sur une montagne fertile, on voit une chaîne de coteaux agréables et la température y est M douce et féconde. Ici croissent les plantes du Nord; là se trouvent celles du Midi; et des climats aussi variés 1 ne sont séparés que par une Colline ou par un vallon. étroit. Ce fut de la cime de ces montagnes que M. de Haller observa la nature, qu’il la vit sous ces différens aspects, et qu’il aperçut la futilité des systèmes publiés sur la structure du globe par des hommes ingénieux et hardis, qui connoissent à peine le point d’où leur ima- gination s’est élancée. À des talens aussi décidés peur Le poésie, M. de Haller joignoit des connoissances très-étendues dans la biographie et dans l’histoire. Il eut occasion de les dé- velopper en 1735. Ayant été nommé alors chef de la PHYSIOL. ET MÉD. — HALLER. 319 bibliothèque publique de Berne , il dressa un catalogue raisonné de tous les livres que cette collection renferme, et il rangea suivant un nouvel ordre plus de cinq mille médailles anciennes dont 1l fit une table chranolo- gique. | En 1736, la régence de Hanovre lui offrit une chaire d'anatomie , de botanique et (1) de chirurgie à Gottin- :gue. La promesse qu’on lui fit de fournir à toutes les dépenses nécessaires pour l’exécution des grands pro- jets qu'il avoit formés , l’engagea à accepter ces trois places (2). Il célébra alors dans une ode (3) l'inauguration de l’Université de cette ville, établie et comblée de faveur par le feu roi d'Angleterre, qu’il peignit comme le res- taurateur des sciences dans l'électorat de Hanovre et comme un prince jaloux de porter leur influence jus- que dans ses dominations les plus éloignées. En effet, tandis que Haller, appelé par ses bienfaits, établissoit une académie à Gottingue, Franklin éclairoit déja le Nouveau-Monde, etil étoit alors permis à l'Angleterre de s’en glorifier. M. de Haller commentoit et expliquoit tous les ans à ses élèves les Instituts de Boërrhaave: ces lecons (1) Il sacrifia une partie de la maison qui lui étoit destinée pour l’agrandissement du jardin de botanique. (2) IL y eut pour collègues des professeurs célèbres, parmi lesquels on compte les docteurs Richter, Sesnerus et Brandelius. Vid. Orat. D. Baldinger, in laudes meritorum Halleri, Gotting. 1778; pag. 19. (3) Édition française, 1775, pag. 220. 318 . ÉLOGES HISTORIQUES. eurent le plus grand succès, et en 1739 il se détermita à les publier en six volumes in-12 (1). On y trouve le développement de la doctrine du savant professeur de M Leyde , quelquefois obscur dans ses Instituts, et on y découvre le germe des grandes vues de M. de Haller sur sa Physique du corps humain. Il avoit déja oublié ses talens pour la poésie 3 1l sem- ble même qu’il n’ait pas daigné en conserver les moin- dres agrémens. Au lieu d’un style noble et fécond , 1l a employé dans ses ouvrages sur les sciences une latinité sèche, quelquefois embarrassée et à laquelle il faut même être accoutumé pour l’entendre. Mais on estbien dédommagé de cette légère peine par la profondeur des idées , par l’enchaînement des réflexions et par l’im- mensité de l’érudition dont ses productions sont rem- plies. L'étude de la botanique semble être faite moins que toute autre pour inspirer de l'enthousiasme; cependant plusieurs de ceux qui se sont distingués dans cette science l’ont cultivée avec passion. M. de Haller étoit de ce nombre. Il est en effet difficile d’être voisin des (1) M. de Haller avoit fait lui-même, étant à Leyde, un Abrégé des principes que Boërrhaave ÿ exposoit chaque année. Le doc- teur Screiber et le professeur Jean Gesner avoient confié leurs cahiers également écrits à Leyde ; et le docteur Feldmann, qui avoit réuni des extraits des leçons de Boërrhaave, rédigés en 1710, 1712, 1731 et 1732, en avoit fait part à M. de Haller, qu'il avoit par-là mis dans le cas de connoître toute la perfection que l’âge et l’expérience avoient apportée aux opinions de leur maître com{ mun. Le cinquième tome est presque tout entier de Boërrhaaye, suivant M. de Haller lui-même. PHYSIOL. ET MED. — HALLER. 319 Alpes, où la nature est si belle, sans devenir un de ses admirateurs (1): les herborisations (2) étoient pour lui un délassement aussi agréable qu’il lui étoit nécessaire, Son ami , M. Gesner , l’accompagnoit souvent dans ses voyages. Parmi les anecdotes auxquelles 1ls ont donné lieu , nous en citerons une qui fera connoître l'intimité de leur union et l’énergie de leur caractère. Un jour, après avoir épuisé leurs forces dans une herborisation très-pénible , M. Gesner tomba de fatigue et s'endormit au milieu d’une atmosphère glacée. M. de Haller vit avec inquiétude son ami livré à un sommeil que le froid auroit pu rendre funeste. Il chercha comment il pourroit le dérober à ce danger: bientôt ce moyen se présenta à sa pensée ou plutôt à son cœur. Il se dé- pouilla de ses vêtemens, il en couvrit Gesner; et le regardant avec complaisance 1l jouit de ce spectacle sans se permettre aucun mouvement , dans la crainte d’en interrompre la durée. Que ceux qui connoiïssent les charmes de l’amitié se peignent le réveil de Gesner, sa surprise et leurs embrassemens ; que l’on se repré- (1) Il commença en 1724 ses voyages dans les Alpes, et il forma lui-même un herbier très-complet, duquel il a extrait les plantes qu'il a décrites. (2) Enumeratio stirpium helveticarum. On trouve dans la pré- face , page 3 et suivantes, la description topographique de la Suisse. « Ce pays réunit, dit-il, à de très-petites distances les végétaux et les me Norwege et ceux de l’Italie ». Poux rendre son ouvrage plus | de tout ce qui a été écrit sur les plantes des Alpes, depuis Otho Brunfelzius jusqu’à lui. nplet, il y a joint un exposé historique 320 ÉLOGES HISTORIQUES. sente enfin au milieu d’un désert cette scène touchante et si digne d’avoir des admirateurs. En 1742, M. de Haller fit paroître le fruit de ses voyages en deux volumes in-folio, ornés d’un grand w nombre de superbes planches. L'absence ou la présence 1 des étamines du calice, de la corole et des graines , le nombre des étamines comparées avec celui des pétales, M le nombre des cotylédons, celui des graines et leur « nudité, sont les principaux caractères dont il s’est servi (1). Il publia , l’année suivante, le système de botanique du jardin de Gottingue, dont la disposi-, tion étoit son ouvrage (7). Déja en 1736, il avoit donné une méthode pour étudier la botanique , « dans laquelle il a recommandé l’ordre naturel (3) ; À (1) M. de Haller, afin de rendre sa méthode plus naturelle, a rapproché les sections de chaque classe ; maïs en voulant se pro- curer cet avantage, il a perdu celui de la clarté et de la préci- sion. Ce reproche est sans doute bien fondé , puisque deux bota- aistes célèbres, feu M. Linnæus et M. Adanson ne sont pas d’ac- cord sur le nombre des classes que M. de Haller a établies, l’un en trouvant quinze, et l’autre treize seulement. ( Familles des u plantes, par M. Adanson, préf., pag. 52. ) M. de Haller s'exprime , au sujet de son ouvrage, de la manière suivante: ÆEgomet universalem stirpium historiam non molior; non tenebar perfectam dare generum distributionem. Sufficere credidi si familiam quamlibet in duas familias disponerem, à quibus proximè distat et difficilits dignoscitur. Enumerat, stirp. helv. præfat. : (2) Enumeratio plantarum horti gotting. 1743, Gotting. En 1754 il fit imprimer un catalogue 24° complet, avec la des- … cription de quelques plantes nouvelles, | (3) En 1736 il publia à Gottingue une méthode pour étudier la botanique. De methodo studii botanici. à PHYSIOL. ET MÉD. — HALLER. 321 enfin il à réuni en 1749 ses observations isolées sur | divers genres et espèces de plantes et sur leur fruc- tification, dans un volume intitulé : Opuscula botanica. Ce qui étonne le plus en examinant les productions très-nombreuses de M. de Haller , c’est le passage ra- pide d’un objet à un autre. Profond et sublime dans plusieurs genres, il est par-tout au niveau des plus grands maîtres , et quelquefois il les surpasse. Ayant pris soin de faire dessiner et graver les pièces d'anatomie les mieux préparées qui avoient servi à ses leçons, il en est résulté une belle suite de planches qu'il a publiée, depuis 1743 jusqu’en 1753, en huit cahiers, avec des explications très- détaillées et des notes très-savantes (1). Tous les anatomistes conviennent que cet ouvrage est au moins aussi achevé que celui de Cowper, qu'il surpasse d’ailleurs par les détails, et 1l ne le cède en rien aux planches peut-être un peu trop célèbres d’Albinus. M. de Haller est le premier qui ait fait apercevoir toute l’imperfection et l’insuffisance des figures qui ne représentent qu’un genre de parties isolées. IL pense avec raison qu'il faut en indiquer les rapports et les connexions : de sorte qu’en se proposant de faire dessiner principalement les artères dans ses Fasciculi, il a été obligé de représenter en même temps la situation et la forme de tous les viscères du corps humain (2). On ne | peut faire qu'un reproche à cet ouvrage, c’est qu'il (1) Fasciculi anatomici, de 1743 à 1753. (2) Dans le premier cahier on remarque une belle planche du T. 2e 21 22 ÉLOGES HISTORIQUES. me consiste qu’ en notes explicatives; ; ce qui FH8e beaucoup le lecteur. La nature, dans tous les règnes, semble s’être prescrit M LE] 4 des formes sous lesquelles elle fait constamment paroître M ses productions. Cependant elle s’en écarte quelquefois, et il eu résulte ce que l’on appelle des monstruosités. M Les physiciens sont divisés àce sujet en deux partis : les uns, avec Harvey, Lemery, Hebenstreit et Bonnet, \ regardent les monstres comme étant toujours le déran- gement d’un corps bien organisé dans son principe ; les autres, avec Duverney , Méry, Littre et VVinslow, M admettent des germes primitivement défectueux. M. de M Haller a réuni ses observations et ses vues sur ces écarts ; x de la nature dans un ouvrage qui a été imprimé à b: Gottingue en 1745 (1), et dans lequel 1l s’est déclaré. partisan de l’opinion de VWinslow , qu'il a fortifiée par de nouvelles preuves. < diaphragme et de la moelle épinière, à laquelle le docteur Hubert a eu la plus grande part; dans le second, une image exacte de toutes. M les branches du tronc maxillaire, jusqu'alors peu connu; dans le troisième , les ramifications nombreuses des artères de la face et « celles des artères bronchiques et œsophagines , dont personne avant lui n’avoit parlé ayec tant d’exactitude ; dans le quatrième enfin, l'exposition de toutes les artères de la moelle épinière et de l'œil, dont Winslow et Heister avoient oublié des rameaux essentiels à connoitre. à (1) 11 y a beaucoup de méthode dans cet ouvrage. On y trouve, dans des sections différentes, l'exposition des monstres qui ont des parties surajoutées, et de ceux auxquels il paroît en manquer quelques-unes. En 1735 il avoit déja publié un programme intitulé : M De Fœtibus monstruosis, et en 1742 il avoit eu occasion de dissés #4 quer plusieurs autres fœtus monstrueux, ESS ER 2e e *<. > PHYSIOL. ET MÉD. — HALLER. 33 Ce futen 1746 qu'il annonça ses expériences sur la respiration. Il prouva alors par des faits très-nombreux que la première côte est beaucoup moins mobile que les autres; que les espaces intercostaux diminuent dans l'inspiration ; que les deux plans de muscles qui portent le même nom sont également destinés à relever les côtes, et qu'enfin ces divers mouyemens ne deviennent bien sensibles qu'après que l’on a fait une ouverture à la poitrine de l’animal (1). Ce seroit 1c1 le lieu de parler des disputes qui se sont élevées entre les docteurs Hamberger, van Swieten, de Haën, Albimus, la Mettrie et de Haller : mais pourquoi faire ainsi survivge les personnalités aux personnes ? l’animosité doit-elle se prolonger au-delà du tombeau? Ne mêlons aucune amertume au récit de la vie de M. de Haller. N’avons-nous pas une moisson assez ample, sans être obligés, pour augmenter sa gloire, de diminuer celle de ses adversaires (2) ? Il est entré avec MM. Whytt, Lamure, Lorry et le Cat, dans un autre genre de discussions littéraires, (1) Il résulte encore de ses expériences que les dernières fausses côtes s'élèvent aussi dans linspiration ; que toutes les côtes se rap- prochent alors dans le milieu ; que , dans les fortes inspirations, les cartilages s'abaissent, et que c’est auprès du sternum seulement que les espaces paroïissent quelque fois augmenter. Lorsqu'il fit réimprimer les pièces qu'il avoit publiées contre Hamberger , il en supprima tout ce qui sortoit des bornes de la modération. Hamberger lui-même fut sensible à ce procédé. Albinus le traita plusieurs fois avec peu de ménagement; M. de Haller ne Jui répondit qu’à regret et toujours d’une manière honnête, comme on peut le voir dans plusieurs de ses préfaces. 324 ÉLOGES HISTORIQUES. dont l’amour de la vérité a été le motif de part et d’autre, et où l’on trouve d’ailleurs ces égards et cette retenue que tous les hommes, et sur-tout les savans se doivent réciproquement. M. de Haller, après s'être servi pendant vingt ans des Instituts de Boërrhaave dans ses leçons, publia en 1747 une physiologie de sa composition , sous le titre modeste de Primæ lineæ physiologiæ. Tout est exact et concis dans cet ouvrage ; l’auteur est très-réservé sur tout ce qui a quelque rapport aux systèmes. Peut- être mème seroit-1l à souhaiter qu'il en eût parlé quel- quefois, ne fût-ce que pour les réfuter. Les élèves à l'instruction desquels €es élémens sont destinés sou- tiennent difficilement la lecture d’un traité où tout est serré, précis et rigoureux : car tel est la nature de l'esprit humain, que la vérité même a besoin de quel- ques ornemens pour lui plaire. On doit savoir beaucoup de gré à ceux qui mettent À une partie de leur gloire à augmenter celle des'autres, w soit en traduisant des ouvrages qu'il est bon de faire | connoître, soit en réunissant des mémoires dont la collection intéresse les progrès des sciences ou des lettres, soit en faisant revivre des découvertes oubliées. Ce D" moins brillant qu'il n’est utile, a été un de ceux auxquels M. de Haller s’est livré le plus wo- lontiers. Les bornes de cet éloge ne nous permettent pas même de rappeler ici le grand nombre de vo- lumes dont il a été l'éditeur (1). (1) Pendant son séjour à Gottingue en 1744, il donna une édition, LA PHYSIOL. ET MÉD. — HALLER. 325 Dans les préfaces qu'il a mises à la tête, soit de ses propres ouvrages , soit de ceux qui ont été publiés par ses soins, et qu'il a réunies dans un volume par- ticulier, intitulé : Opuscules allemands , on trouve toujours des expressions choisies, des vues neuves et des idées plus riantes que dans ses autres productions. Il semble que ce travail, court et facile pour un homme qui joint de l’esprit à une érudition profonde, lui offrit quelque chose d’amusant et de récréatif. Parmi ses préfaces on doit sur-tout en distinguer très-augmentée d’un ouvrage de Rupp fort estimé, et intitulé : Flora jennensis. Dans la même année il a publié un recueil de Consultations données par Boërrhaave. En 1745 il a veillé à l’édi- tion d’un ouvrage allemand, dans lequel on a réuni tout ce qui est relatif à l’histoire des dessins et planches de botanique, et aux artistes qui s’en sont occupés en Allemagne. En 1746 le Traité de Boërrhaave sur les maladies des yeux, et l'excellente collection de Breslaw ont été réimprimés par ses soins. En 1747 il a donné üne édition des nouveaux journaux de Gottingue, et il a mis en tête un discours qui contient des réflexions très-sages sur la censure des livres. Il a aussi été l'éditeur en 1749 des poésies de Werlhofzs en 1750 de la traduction en allemand de Phistoire naturelle de M. le comte de Buffon ; d’un ouvrage de Formey, intitulé : Triom- phe de l'évidence; et d’une Collection de voyages , dent il a déve- Jloppé les vues politiques dans une préface en langue allemande. Nous ajouterons ici, afin de ne plus revenir sur ce genre de travaux dont les détails nombreux font naître dans ceux qui en prennent connoissance une partie de cette fatigue que l’auteur de tant d'ou- vrages a dû éprouver, les éditions du bel ouvrage de Roesel en 1758, celle du Dictionnaire d'histoire naturelle par M. Valmont de Bomare en 1768; celles d'Hippocrate, d’Aretée, d'Alexander Trallianus et de Celse, qui ont paru en 1768, 1771, 1772 et 1973 ; et enfin celle de l’ouvrage du baron de Sind sur l'art vétérinaire, faite en 1774 à Gottingue. 326 ÉLOGES HISTORIQUES. une (1) dans laquelle il s’entretient avec M. Guettard ; son ami, sur les rapports qui se trouvent entre la tem- pérature de la Suisse et celle du Canada. | L’art difficile de l’enseignement étoit celui que Boërr- haave possédoit au plus haut degré : on l’a peut-être égalé dans les autres genres, disoit M. de Haller ; mais personne ne communiquoit ses idées avec autant d’élé- gance et de netteté. Ce jugement doit nous rendre bien précieux les pré- ceptes de ce grand professeur sur la manière d'étudier les différentes parties de la médecine. L'ouvrage dans lequel ils sont consignés a été beaucoup augmenté par M. de Haller. On trouve dans l’édition qu'il en a donnée en deux volumes in-4.0 en 1751, un nombre: prodigieux d'auteurs à consulter sur chaque matière. L'absence ou la présence d’une ou de plusieurs étoiles désigne le degré d'approbation que mérite chaque ou- vrage. M. de Haller auroit peut-être mieux fait de garder le silence sur les auteurs vivans, parmi lesquels plusieurs ont été choqués de ce que l’étoile ne s’est pas arrêtée sur eux. Des jugemens semblables sont en effet trop précipités, etceuxqui lesportent , quels qu’ils soient, méritent des reproches, en ce qu'ls anticipent sur les droits de la postérité. Un des projets les plus utiles que M. de Haller ait formés a été celui de réunir en un corps d'ouvrage les dissertations que chaque Faculté publie, et dont (1) Celle qui précède l'édition allemande de l'Histoire naturelle de M. le comte de Buffon mérite aussi d’être remarquée; elle a été elle-même publiée en français. \f | PR PHYSIOL. ET MÉD. — HALLER. 327 peu de personnes profitoient auparavant. Il fit 1m- primer celles qui sont relatives à l'anatomie, en huit volumes , celles qui concernent la chirurgie en cinq vol. in-4.° , et celles dont la médecine pratique est le but principal, et qu'il ne trouva pas en aussi grand nombre qu'il l’avoit imaginé, en sept volumes: ce travail l’occupa pendant dix années, depuis 1747 jus- qu’en 1756. ; Deux propriétés particulières aux fibres animales , la sensibilité et l'irritabilité, sont tellement confondues entre elles qu’il étoit très-difficile de les distinguer et de déterminer leur étendue respective. Depuis long- temps M. de Haller méditoit sur cet objet important lorsqu'il publia, étant à Gottingue en 1751, ses premiers aperçus à ce sujet, auxquels il a donné tout le développement nécessaire en 1755 et en 1759. La famille nombreuse des polypes lui avoit offert des phénomènes d’une irritabilité portée au plus haut de- gré, sans que l’on y trouve ni cerveau ni nerfs. Les vers, très-contractiles, dans lesquels les nerfs sont d’une ténuité excessive, lui avoient présenté une nuance de plus dans leur structure ; il avoit remarqué que les parties qui se meuvent le plus souvent et avec le plus de force, telles que le cœur, reçoivent peu de nerfs, et sont peu sensibles. Des expériences très-multipliées lui avoient appris que la contraction, soit naturelle, soit excitée par des stimulans mécaniques ; et la sensi- bilité, sont distribuées inégalement , et que leurs pro- portions sont très-différentes dans les corps organi- ques. Il avoit poussé l’exactitude jusqu’à en détermi- Le 1 {| Ë 328 ÉLOGES HISTORIQUES . ner l’ordre et les variétés dans tousles organes; il s’étoit assuré que les nerfs, qui sont le siége immédiat de la j sensibilité, ne se resserrent par aucun stimulant connu; enfin l'effet de certaines maladies étant ou de ‘détruire le mouvement dans une partie sans qu’elle cesse d’être sensible, ou la sensibilité sans que le mouvement en souffre, 1l s’étoit convaincu de plus en plus que ces deux modifications de la matière doi- vent être distinguées avec soin l’une de l’autre. M. de Haller avoit conclu de ces différentes expé- riences et observations que la fibre sensible et la fibre irritable diffèrent entre elles autant que la sensation diffère du mouvement, et qu’il existe dans les animaux une force particulière, qu’il a désignée sous le nom d’'IRRITABILITÉ. % Ce principe est devenn fécond entre ses mains; il lui a servi pour expliquer de la manière la plus natu- relle les mouvemens alternatifs des cavités du cœur, et les ondulations péristaltiques des intestins. L’envie a fait des efforts inutiles pour lui enlever la gloire de cette découverte. Le mérite de son travail consiste dans l’exactitude , dans le nombre et dans la concordance des expériences qu'il a tentées. Il n’a ja- mais prétendu avoir dit le premier que le cœur et les intestins se contractent lorsqu'ils sont irrités, non plus que Newton n’a point découvert les premiers effets de la gravitation; mais ces deux grands hommes ont | aperçu des lois générales, et ils ont classé des phéno. mènes dont les rapports étoient inconnus avant eux, … | Observons ici qu’il y a plusieurs espèces de découvertes: à PHYSIOL. ET MÉD. — HALLER. 329 les unes sont dues au hasard ou à l'adresse; les autres sont le fruit du gémie : il est facile de voir dans quel ordre celle de M. Haller doit être rangée. Indépendamment de ces grands travaux qui l’ont ] occupé pendant son séjour à Gottingue, c’est-à-dire depuis 1736 jusqu’en 1753, il a publié plusieurs autres dissertations qui auroïent suffi pour lui mériter la réputation la plus brillante. Il a donné des détails très- intéressans sur la manière dont le sang circule dans la propre substance du cœur, sur la forme de la val- vule d'Eustache, considérée dans les différens âges ; sur la membrane moyenne du fœtus, et sur l’espèce de tissu qui réunit le chorion avec l'utérus ; sur les prin- cipales racines du réservoir du chyle; sur la membrane pupillaire découverte par Wachendorff, et qui bouche Vouverture de la prumelle de l’œil du fœtus avant le sixième mois; sur l’origine du nerf intercostal, qui ne communique point avec lenerf ophthalmique; sur certaines productions de l’épiploon voisines du cœcum ; sur la sensibilité respective du cerveau et du cervelet ; et sur le mouvement découvert par Schliting , que la respiration communique à ces deux organes. Au milieu de ces occupations M. de Haller trouva le temps de former plusieurs établissemens qui man- quoient à Gottingue. Il obtint en 1751 que les chirur- . giens qui n’étoient point réunis en corps fussent érigés en collége, et il en fut nommé président. I le fut aussi - de la Société de Gottingue, dont il rédigea les règle- mens. On dut à son crédit l’établissement d’un hôpital destiné aux acconchemens, dans lequel on enseigne 330 ÉLOGES HISTORIQUES. cet art si important pour l'humanité ; 1l réunit den un cabinet des préparations d'anatomie très-curieuses | * et dont plusieurs étoient son ouvr age. Enfin il fonda une école pour des artistes destinés à peindre ou à des- siner des plantes et des animaux ; institution dont il , n’y a jamais eu d'exemples, et qui prouve combien il avoit mis l’anatomie et la botanique en vigueur à Gottingue. Des travaux aussi multipliés et aussi utiles ac- quirent à M.de Haller une très-grande célébrité. Presque toutes les académies de l’Europe s'empressèrent de se Passocier. Il reçut aussi de sa patrie une marque de considération à laquelle il fut très-sensible: en 1745 la république de Berne lui conféra une place dans le conseil souverain. Georges IT, alors roi d'Angleterre, prenoit la plus grande part aux succès de M. de Haller. Étant à Got- timgue 1l le combla de ses bontés : déja en 1739 il l’avoit nommé son premier médecin dans l'électorat | de Hanovre ; 1l lui donna le titre de conseiller aulique M et demanda pour lui à l’empereur des lettres de no- blesse qui furent expédiées de la manière la plus ho: norable le 29 avril 1749. M. de Haller savoit sans doute que l'estime et la considération publique/sont des titres supérieurs à ceux que donne la convenance ; mais 1l respecta les intentions de son bienfaïteur, et il n'eut pas assez d'amour-propre pour s’y refuser. Il est cependant une qualité qu'il n’a jamais pu se résoudre à accepter, quoiqu'elle Jui ait été prodiguée : 1 tant de fois: c’est celle de baron. On ne peut qu'ap- # PHYSIOL. ET MÉD. — HALLER. 331 plaudir à cette modestie. En effet, outre que le nom _des savans se répète trop souvent pour être ainsi sur- chargé d’épithètes et de longueurs, quel titre, dans un pareilassemblage , n’est pas effacé par le nom d’un ÿ grand homme ? MM. ses fils ont eu la même délica- tesse. Le nom de Haller est pour eux un bien qu'ils ne veulent altérer par aucun mélange. Différentes universités envièrent à celle de Gottingue la gloire de posséder M. de Haller: Le célèbre Dille- mius le désigna en 1747 pour être son successeur dans la chaïre de Botanique à Oxford. L’année suivante il fut vivement sollicité pour se fixer à Utrecht en qua- lité de chancelier de l’Université, et peu de temps après un prince qui cultive les lettres et qui aime les savans lui proposa les conditions les plus avanta- tageuses, et la présidence de l’Académie de Berlin; mais 1l fut inébranlable. Il n’y avoit qu’un seul pays que M. de Haller püt préférer à Gottingue, c'étoit sa patrie. Il y retourna en 1753 lorsqu'il s’aperçut que ses forces ne pouvoient plus suffire aux travaux dont il été surchargé (1). Son retour à Berne y répandit la joie la plus vive; peu de temps après, comme membre du conseil sou- verain , il obtint par le sort la place de gouverneur de la maison de ville: de sorte que le hasard sembla * oonspirer cette fois ayec le vœu de la nation pour ré- . compenser ce grand homme. (1) Les trois chaires qu’il occupoit à Gottingue ne lui laissoient ‘point assez de temps pour exécuter les grands projets qu’il avoit formés. 832 : ÉLOGES HISTORIQUES. Tout autre que M. de Haller se seroit reposé après tant de fatigues. C’étoit beaucoup à la vérité d’avoir abandonné les fonctions de professeur et les travaux de la dissection. Le gouvernement de Berne , glorieux d’avoir recouvré un citoyen illustre, et dont les talens devoient lui appartenir, lemploya pendant plusieurs années à faire des voyages utiles en même temps au public et à sa santé (1). Mais il reprit bientôt la suite de ses occupations littéraires. Un an après son retour à Berne il publia un recueil d'observations de médecine pratique, intitulé : Opuscula pathologica, dans lequel il a consigné des faits très-curieux et très- dignes d’être conservés (2). Nous insisterons princi- (1) En 1753 et en 1754 il parcourut plusieurs cantons de la Suisse , et sur-tout les montagnes du gouvernement de Laigle , pour y chercher de nouvelles sources d’eau salée : celles qu'il y trouva lui parurent trop foibles pour mériter l’attention de la république. En 1957 il fut député avec M. Bonsteller à Lausanne pour donner de nouveaux règlemens à l'académie de cette ville. En 1758 il fut envoyé à Kulm pour examiner des morceaux antiques très-curieux qui y avoient été trouvés, et dont M. Schmidt a donné depuis une description intéressante. (2) Le cervelet, trouvé squirreux dans un sujet dont les fonc- tions animales avoient peu souffert; les sinus du cerveau, remplis de chaque côté d’un fluide de nature différente; le poumon tout gorgé de sang épanché dans les bronches à la suite d’une péri- pneumonie très-aiguë ; ce viscère adhérent dans presque tous ses points avec la plèvre, sans qu'il en ait résulté une grande gêne pour la respiration ; une hydropisie enkistée de la plèvre; l’obli- tération entière d’une des artères carotides internes, et d'une veine jugulaire ; la description des hernies de naissance; des expérien- ces qui prouvent que tous les calculs de la vésicule du fiel ne sont pas inflami:ables; une concrétion calcaire sortie du sein ; une Le rie El +: LE PHYSIOL. ET MÉD. — HAIIER. 332 palement sur la description d’une épidémie contagieuse qui parut en 1762 aux environs de Berne, dans le diocèse d’Etives et dans le canton de Gruyères. Cette maladie se masquoit sous les apparences d’une pleu- résie bilieuse, à la guérison de laquelle les saignées étoient très-contraires. M. de Haller établit une mé- thode de traitement qui eut le plus graud succès. Ce trait de sa vie nous est d’autant plus précieux qu'il le rapproche davantage de nos occupations. L’électricité médicale, rendue maintenant si in- téressante par M. Mauduyt, qui, après avoir douté long-temps de ses succès, a été forcé de les reconnoître, fixa aussi l’attention de M. de Haller (1). Il essaya de guérir la surdité d’un de ses parens en lui tirant des étincelles et en lui faisant recevoir des commotions ; ce qui fut continué pendant vingt jours. Quoiqu'il se soit découragé trop tôt, on s’aperçoit par son récit que la surdité du malade diminuoit sensiblement. Pour cette fois M. de Haller ne mit point dans son travail toute la patience et la circonspection qui lui ont si souvent réussi, et 1] porta un jugement trop espèce de calcul trouvé dans une des cavités du cœur; le sang yu à la suite d’une inflammation, absolument hors des vaisseaux et répandu dans le tissu cellulaire sous la forme d’herborisation, et un tableau de comparaison entre les symptômes de la petite- verole inoculée, et de celle qui régna en 1735 à Berne, sont des observations de la plus grande importance, dont nous laissons aux gens de l'art à tirer les résultats. (1) L'expérience par laquelle Daniel Bernouilli avoit assuré qu’en tirant des étincelles des oiseaux noyés on peut les rappe- lex à la vie, ne lui réussit point. 3344 ÉLOGES HISTORIQUES. précipité contre l'électricité médicale qu'il n “avoit pas assez suivie. Éloigné de l’amphithéâtre d'anatomie et du santé de botanique de Gottingue, on seroit tenté de croire qu'il avoit renoncé à ces deux genres d'étude. Mais il trouva des plantes dans la campagne, des amphi- bies et des poissons dans les étangs, des quadrupèdes dans les parcs, et il fut amplement dédommagé. Alors il recommenca ses herborisations et ses dissections anatomiques, et 1l fit sur la circulation, vue au microscope (1), sur l'accroissement des os (2), sur la (1) Ses expériences, faites avec le microscope sur la circulation, prouvent que les globules rouges sont en grand nombre dans les animaux robustes et bien portans; qu’ils sont quelquefois séparés les uns des autres par un fluide transparent et concrescible ; que ces globules sont de forme ronde ,#et qu’ils ne jouissent d'aucun mouvement de rotation; qu’ils se moulent sur la grandeur des vaisseaux qu’ils parcourent; qu’ils se précipitent vers le: lieu où l’on a fait une ouverture; que tous les courans s’ÿ dirigent; que les vaisseaux paroissent quelquefois n’être pas tout-à-fait remplis ; que l'épaisseur des parois surpasse dans certains cas l'étendue du calibre; que la circulation peut se faire et s’entretenir avec 4 un fluide tout-à-fait séreux , et substitué au sang; et qu'enfin le sang veineux et le sang artériel diffèrent bien peu l’un de l'autre. #0 (2) Dethlef, alors élève de M. de Haller, fut ne chargé de suivre ces expériences. La structure du périoste est suivant Jui très-différente de celle des os. Cette membrane mwa point d'usage plus important que toutes les autres expansions mem- braneuses du corps humain. Le premier noyau d’ossification qu'un cercle vasculaire environne est toujours placé au milieu d’un cartilage, sans que le périoste y participe. Enfin la couleur que la garance donne aux os ne se borne point à la surface ; mais elle PHYSIOL. ET MÉD. — HALLER. 335 génération (1), sur le cerveau et sur les yeux des poissons et des oiseaux (2), des observations qu'il pu- blia depuis 1756jusqu’en 1765. Lors même que M. de Haller étoit retenu chez lui 4 il y tronvoit encore des objets dignes de tonte sa cu- riosité; son activité savoit tout mettre à profit. Alors il cherchoit dans l’œuf la structure fine et délicate de ses membranes, leur circulation , leurs duplicatures , & om pénètre tout leur tissu. Tels sont les résultats de leurs travaux, qui, comme on le sait, ne sont pas d’accord avec ceux que l’illus- tre M. Duhamel a obtenus en 1739, 1741, 1743 et 1746. (:) Les expériences de M. de Haller sur la génération ont été faites en grand comme celles d’Aristote et de Harvée : c’est la troisième suite que nous ayons de faits recueillis sur cet objet important. M. de Haller a sacrifié des brebis, des chèvres, des vaches qui ont été disséquées à différentes époques depuis le moment où elles avoient été couvertes. Ces recherches nous ont appris que les vésicules des ovaires , qui se trouvent même dans les vierges, ne sont point des œufs; que la liqueur qui en sort, et qui prend ensuite de la consistance, paroît plutôt en tenir lieu ; que le corps jaune se forme des débris de la vésicule rompue , et que les trompes ont un mouvement de contraction très-consi- dérable. (2) M. de Haller n’a point trouvé de circonvolutions, ni de corps calleux, ni de tubercules quadrijunaux dans le cerveau des oiseaux: leur cervelet est très-petit, et les couches optiques sont très- grandes. Il y a beaucoup de poissons dans lesquels on ne trouve point de glande pinéale : dans ces derniers la glande pituitaire fournit des nerfs, et les couches optiques sont excavées. On ob- serve dans leurs yeux un muscle annulaire ; la rétine y est divi- sée en trois lames, et le corps vitré est entouré d’un cercle xasculaire. Mémoires de l’Académie royale des sciences, apnée 1762. 1 336 ÉLOGES HISTORIQUES. leurs rapports avec le germe et les développemens de ce dernier; qu'il a beaucoupmieux connus que Malpigli, et qu’il a démontrés en 1757 d’une manière nouvelle: Si ces découvertes en ce genre sont un jour consta- tées, on pourra dire avec le savant M. Bonnet qu'il étoit réservé à M. de Haller de trouver dans un œuf la solution du grand problème de la génération. Il a ajouté les observations suivantes à ce qui a été dit avant lui surle développement du poulet (1) dans l’œuf. Lorsque le poulet commence à paroître aux yeux de l'observateur , ses viscères sont très-écartés les uns des autres, et c’est dans leur rapprochement que con- sistent les premiers progrès de sa formation. Il est alors comme composé de deux corps distincts, dont l’un est formé par les extrémités, par la tête, 1a poitrine et le ventre ; l’autre résulte de l'union des intestins, qui font une saillie très-remarquable avec la membrane ombilicale et le jaune. Leurs vaisseaux sont communs; le pharinx , estomac, lesintestins du poulet et le jaune de l’œuf sont absolument continus: d’où 1l conclud, en étendant ces considérations aux autres animaux, que le fœtus appartient entièrement à la femelle, et qu’elle a par conséquent la plus grande part à la RS (i) Aristote a vu le premier les mouvemens que le cœur du poulet exécute lorsque, tout étant encore transparent, ils paroissent comme un éclair qui fait son explosion au milieu d’un fluide. C'est ce qu'on désigne sous le nom de punctum saliens. Aldovrande a décrit les membranes de l'œuf. Harvée a vu les différentes périodes de la formation du cœur ; le cercle vasculaire du jaune a été décrit par Nicolas Stenon, et en 1669 Malpighi a donné une descrip- tion plus suivie de l’œuf et du poulet. ÿ + 1 PHYSIOL. ET MED. — HALLER. 337 reproduction de l’espèce. Ce système plaira sans doute au sexe qui nous prodigue dans l’âge le plus tendre tant de caresses et de soins, et auquel nous devons un juste tribut d'amour et de reconnoissance, Les travaux nombreux dont nous avons rendu compte ne devoient pas rester isolés : c’étoient autant de matériaux destinés à former un vaste édifice dont M. de Haller avoit tracé le plan, dix ans auparavant, dans son Abrégé de physiologie. Il commença l’exé- _ cution de ce projet en 1757, et elle fut terminée en 1766. Huit volumes in-4.° lui suffirent à peine pour exposer ses connoissances sur le mécanisme du corps humain. Dans cet ouvrage, le plus complet sans doute que nous ayons sur cette matière, et que l’on peut regarder comme un modèle pour tous les genres, il règne par-tout un ordre étonnant. Les détails des phé- nomènes, les descriptions anatomiques, l’histoire des découvertes, celle des erreurs de l'esprit humain célé- brées sous le nom de systèmes, tout y est méthodi- que, tout y est complet. Une révolution heureuse et presque universelle s’est opérée dans la physiologie lorsque ce traité a paru. On a abandonné ces vaines suppositions dont l'ignorance ou l'habitude ont pro- longé si long-temps la durée, et l’on a vu la partie élémentaire de notre art changer absolument de face en se dépouillant des richesses imaginaires dont elle _ étoit surchargée, pour ne recueillir que des faits, et . pour jeter avec lenteur, mais avec sûreté, les fonde- mens d’une sage théorie. Ce fut pour se délasser de ces grands travaux que T. 2e 22 338 ÉLOGES HISTORIQUES. M. de Haller s’amusa en 1772, 19773 (1) et 1774 à rédiger ses réflexions sur la meilleure forme possible des trois principaux gouvernemens. Il les publia en trois volumes, qu'il appela ses Romans (2). Ceux qui, trompés par ce titre, y chercheroïent des frivolités, seroient bien surpris de n’y trouver que des vues d’ad- ministration très-sages, des vérités politiques qu'il a osé dire sous ce déguisement, et sur-tout la morale et les lois en action. Peu de temps après, il a rédigé plusieurs articles pour le Supplément du Dictionnaire encyclopédique. Ou en trouve dans les journaux allemands de "Got- tingue plus de quinze cents dont il est l’auteur. Les dermers ouvrages qu'il a fait paroître sont ses | Bibliothèques de botanique, d'anatomie, de chirurgie et de médecine pratique, en huit volumes in-4.0, depuis 1772 jusqu’en 1777. Un de ces volumes sur N (1) En 1773 M. de Haller consigna parmi les Mémoires de la Société économique de Berne des réflexions très-sages sur la nature w de l’épizootie qui a fait depuis quelques années tant de ravages en Europe, Il prouva qu'après s'être donné beaucoup de peine pou la détruire en Suisse, la contagion y étoit toujours apportée des frontières de la France, où l’on n’avoit pas encore pris des mesures assez efficaces pour en prévenir la reproduction; et il établit la nécessité des moyens que la Hongrie, les Pays-Bas autrichiens , le Brabant, la Suisse et la France emploient actuellement de concert. (2) Ces romans sont Usong, Alfred, et Fabius et Caton. Les deux j premiers ont été traduits en français, et ils donnent la plus haute idée des connoissances de M. de Haller dans l'histoire et dans [4 4 politique. | PHYSIOL. ET MÉD. — HALLER. 33 la chirurgie est dédié à M. de Lassone, président de cette compagnie, pour lequel 1l avoit beaucoup d’ami- tié. Possesseur d’une immense collection de livres choisis en tout genre, dont il ne pouvoit se flatter de faire un long usage, il vouloit jouir du plaisir de les parcourir encore une fois : il voulut rendre aux sciences un dernier hommage, et aux savans un der- mier service , en indiquant les sources où il avoit puisé avec tant de succès. La république de Berne donna en différens temps à M. de Haller plusieurs places dans ses tribunaux, et des emplois dont il s’est toujours acquitté avec le plus grand zèle (1). La direction de la province de Roche (2) lui fut donnée en 1758; en 1762 il fut nommé gouverneur du canton de l’Aigle (3), auquel '& 1l rendit des services importans. La rédaction äu code des lois de cette république fut achevée par ses soins, et il détermina par des essais faits en grand, qu'il communiqua en 1764 à l'académie royale des scien- ces, la meilleure manière de préparer le sel par éva- poration. C'étoit un singulier spectacle que de voir l’admi- mistration des salines et du sel en Suisse confiée à un savant qui ne s’occupoit que du soin de simplifier les (1) En 1766 il fut nommé membre du conseil des appellations. (2) Cette direction vaut 15,000 liv. argent de France; il faisoit alors imprimer sa grande Physiologie; il y passa six ans, (3) La description que M. de Haller a faite des salines de l’Aigle, a été traduite en français par M. de Leuze, 340 ÉLOGES HISTORIQUES. opérations par lesquelles on l’obtient, d’en augmenter l’äbondance et la pureté, et de le rendre moins coù- teux au peuple. On peut dire que M. de Haller a fourni un bel exemple à ceux qui sont chargés de ce dépar- tement dans les autres royaumes de l’Europe (1). Les orphelins devant être regardés comme les enfans de la patrie, M. de Haller donna en 1757 le projet (2) d’une maison d’éducation destinée à les recevoir, et dans laquelle les enfans des citoyens pauvres devoient aussi être admis. Il en a été directeur pendant plusieurs années. La république de Berne a de plus établi, d’après son projet, une école où la jeunesse patricienne est instruite dans tous les genres aux dépens du gou- vernement, et il a désiré qu’un de ses fils, qui est le plus jeune, y reçût son éducation. Il eut une autre … occasion de se montrer juste et bienfaisant, Le clergé du pays de Vaud étoit réduit depuis long-temps à une détresse extrême : M. de Haller, qui fut nommé com- missaire pour en prendre connoissance, obtint du gouvernement une pension extraordinaire en faveur (x) Les troubles de la république de Genève et l'établissement de Versoy avoient répandu des inquiétudes en Suisse. On forma à ce sujet un conseil secret composé de quatre personnes. Outre que M. de Haller fut un de ces commissaires , il rédigea tous les mémoires, et il fut chargé d'aller à Soleure pour s’aboucher avec l'ambassadeur de France. Déja en 1758 étant à Roche, il avoit terminé plusieurs différens qui s’étoient élevés au sujetdes confins entre le gouvernement de Berne et la république du Valais. (2) Il publia un Recueil de mémoires relatifs à cet établissement en 1758. C’est un des projets dont l'exécution lui a été le plus M agréable. \ PHYSIOL. ET MÉD. — HALLER. 34: de ce clergé (1). El savoit que les ministres des autels doivent être sur-tout riches de leurs vertus, respecta- bles par la pureté de leurs mœurs et chéris par leurs bienfaits ; il savoit que la pauvreté leur sied encore mieux que le luxe et l’opulence : aussi ne vouloit-il pas les enrichir. Son but étoit seulement de pourvoir ._ à leur subsistance, et de les mettre à portée de four- mir à celle des pauvres, qui ne peuvent attendre des secours que de ceux qui en connoissent la nécessité. Le vide que M. de Haller avoit laissé à Gottingue fit désirer vivement son retour dans cette ville. Le roi d'Angleterre lui offrit à diverses reprises les eon- ditions les plus avantageuses, et, afin de le déterminer plus facilement, il écrivit à la république de Berne pour l’engager à faire ce sacrifice. L’impératrice. de Russie fit aussi tous ses efforts pour attirer à Péters- bourg. Cette princesse se souvenoit sans doute que le czar Pierre avoit consulté Leibnitz sur la constitu- ton de ce nouvel empire; elle étoit bien sûre de trou- ver dans M. de Haller un savant et en même temps un homme d’état. Mais quelle yjouissance peut sup- pléer à celle qu'un citoyen éprouve dans le sein de sa patrie lorsqu'il en est estimé, et sur-tont lorsqu'il a . le bonheur de lui être utile? M. de Haller resta donc attaché à la république de Berne, qui lui en marqua sa reconnoissance en lui faisantune pension extraordinaire. En 1776 le roi de Suède le nomma chevalier de (1) La république lui accorda un fonds d’un million argent de France. 342 ÉLOGES HISTORIQUES. l'étoile polaire, premier ordre de ce royaume, maïs qu’un particulier peut obtenir lorsqu'il a lés talens de Linnæus ou de Haller. L'empereur, qui connoît tout le prix des scien- ces, et qui recherche avec tant d’empressement Îles grands hommes, se détourna, dans son dernier voyage pour rendre une visite à M. de Haller et pour s’entretenir avec lui. Il le trouva accablé d’'infirmnui- « tés, et pour ainsi dire au lit de la mort. Le prince et le philosophe furent également émus par cette sitna- tion. L’entrevue fut longue, et ils se quittèrent avec un sentiment profond de satisfaction et d’estime. L’em- pereur, peu de temps après son retour à Vienne, en- w voya à M. de Haller plusieurs bouteilles d’un vin très- précieux, et une certaine quantité d’excellent quin- quina qu’il prévoyoit pouvoir être utilement employé dans le traitement de sa maladie; mais 1l m’étoit plus temps : M. de Haller étoit mort quelques jours avant l’arrivée de cet envoi. Il fut ainsi privé du plaisir de recevoir de la part d’un souverain un présent sans faste, et qui, au lieu de porter l'empreinte de la gran- deur , n’offroit que celle de la bienfaisance et de l’hu- mamité. L'empereur a appris avec beaucoup de peine la mort du savant que nous regrettons, et, jaloux d’en recueillir les restes, 1l a ordonné que sa bibliothèque seroit achetée à ses frais, et transportée à Milan. La santé de M. de Haller avoit été très-foible jus- qu'à vingt ans (1): à vingt-huit ans, :l devint très. M (1) Il étoit si foible dans son enfance qu'il n'avoit pas assez de q } PHYSIOL. ET MÉD. — HALLER. 343 robuste; il fut cependant toujours sujet à de fortes migraines. En 1776, l'humeur goutteuse dont il avoit essuyé les attaques les plus violentes dans le pays d’Aigle et à Bex, se porta sur sa vessie, et lui fit éprouver plusieurs incommodités qui l’obligèrent à res- ter absolument chez lui. L’opium, dont il abusa, fut le seul remède capable de calmer les douleurs qu'il ressentoit : toujours observateur, aucun des effets de ce remède n’a échappé à son exactitude ; il en a consigné les détails, ainsi que ceux de la maladie qu'il a éprouvée, parmi les mémoires de la société de Got- timgue. Dans un corps épuisé son ame conservoit toute sa vigueur. Îl projeta alors, et 1l acheva même au milieu de ses douleurs , la seconde édition de sa grande Physiologie, sous le nom de Functiones corporis humani, de sorte qu’il n’a presque rien laissé d’incomplet. IL semble que la mort, qui n’épargne pas les grands hommes, mais qui n’a aucune prise sur leurs ouvrages, ait respecté ceux de M. de Haller en lui donnant le le temps d'y mettre la dernière main (1). Voyant ses forces diminuer de jour en jour, et force pour se livrer aux jeux et aux amusemens de son âge. Pen- dant son séjour à Gottingue il éprouva plusieurs fièvres putrides que l'odeur des cadavres occasionna. En 1953 il fut attaqué d’une fièvre miliaire qu'il contracta auprès d’un ami dont il prenoit soin. En 1775 une maladie de poitrine le réduisit à l’état le plus fâcheux ; il continua cependant de présider aux séances de la Société économique de Berne. (1) Sa Bibliothèque de médecine pratique n’est pasentièrementache- vée, et il se proposoit de publier aussi une Bibliothèque de physique. 344 ÉLOGES HISTORIQUES. l'écoulement d’une plaie qui s’étoit ouverte à une de ses jambes augmenter considérablement, 1l s’aperçnt bien qu'il falloit succomber à tant de maux. Désirant en connoître le terme , 11 conjura le docteur Rosselet, médecin célèbre de Berne, et son ami, de lui parler à Ge sujet sans déguisement. Comment cacher la vérité à un homme qui a toujours eu tant de passion pour elle? L’ami qu'ilavoit consulté répondit à sa confiance et fixa cette époque à la fin de l’automne : M. de Haller l’entendit, lui serra la main, et continua de partager ses momens entre des occupations littéraires et des exercices de piété qui lui avoient toujours été très- familiers. Un moment avant d’expirer ayant voulu savoir par lui-même quel étoit l’état de son pouls, 11 dit à M. Rosselet : « Mon ami, l'artère ne bat plus ». Il aperçut ainsi le moment où il alloit cesser de vivre, etil mourut, le 12 décembre 1777, âgé de soixante- neuf ans. Il s’étoit marié trois fois : 1l épousa en 1731 made- moiselle Marianne VVys, fille du seigneur de Mathod, et 1l la perdit en 1736, quelques mois après son arri- vée à Gottingue. C’est elle qu'il a célébrée dans ses poésies sous les noms de Doris et de Marianne (1). En 1738 ses amis l’engagèrent à épouser mademoï= selle Elisabeth Buiher, fille de M. Buiher, conseiller (1) Il est impossible de ressentir un amour plus délicat et plus pur que celui qu'il éprouva pour elle; et l’on ne peut avoir le cœur déchiré par des regrets plns vifs que ceux qu'il a exprimés dans son ode surla mort de cette épouse chérie. SAS ms = ” PA Etre < SRE, Lee PHYSIOL. ET MÉD. — HALLER: 345 d'état, et banneret à Berne ; elle mourut peu de temps après. Enfin en 1741 il se maria avec mademoiselle Sophie-Amélie Teichmeyer, fille du docteur Teich- _meyer, conseiller aulique et professeur de médecine à Yena. Ces trois mariages se sont succédés rapide- ment, et les deux odes sur la mort de ses deux femmes, placées à la suite l’une de l’autre dans ses poésies, offrent une contradiction apparente. Mais un savant qui se renferme dans sa bibliothèque, loin de toute société, peut-il se passer d’une compagne qui rende sa solitude aimable? N’ayons pas au reste l’air de le justifier d’une suite d’actions honnètes : cette délica- tesse rigoureuse que trois mariages semblent offen ser, a souvent elle-même besoin d’indulgence. M. de Haller étoit père d’une nombreuse famille. Il a eu onze enfans, vingt petits-fils, deux arrière- petits-fils , auxquels il a laissé avec son héritage son nom et son exemple. L'un de ses fils est membre du conseil souverain et lieutenant civil et criminel à Berne; le second, qui jouit d’une estime générale, est à la tête d’une des principales banques de Paris avec M. Girardot ; le troisième est officier dans le régiment d’Erlac, actuel- lement en France; le quatrième se destine à l'étude des lois, et tous ses gendres occupent en Suisse des places importantes (1). (1) M. de Haller auroit pu acquérir une grande fortune ; il a vécu riche de ses travaux et des bienfaits de sa patrie. Deux seigneu- vies peu considérables et sa bibliothèque sont la plus grande nn 346 ÉLOGES HISTORIQUES. M. de Haller a rempli rigoureusement les devoirs de sa religion, qui étoit la réformée; 1l &publié plu- sieurs traités pour la défendre; on lui doit même une bonne édition de la Bible. En 1747, La Méthrie ayant voulu lui dédier un ouvrage intitulé L'homme machine, non seulement il refusa cette dédicace, mais 1l déclara, dans le Journal des Savans et dans la Bibliothèque raisonnée , qu l ne reconnoissoit point pour son ami l’auteur de semblables assertions (1). partie du bien qu'il a laissé à ses enfans. Les places qui lui fur-nt conférées , et dont plusieurs étoient très-lucratives, le mirent dans le cas de faire ces acquisitions. Si la mort l’avoit enlevé à son retour de Gotiingue, étant alors âgé de près de cinquante ans, ilauroit laissé ses enfans absolument sans fortune et à la charge de la ré- publique, à laquelle il n’avoit encore rendu presque aucun service. Cette idée ne se présenta jamais à lui sans Îui arracher des larmes. Le roi d'Angleterre lui faisoit une pension dont la république lui permit de jouir; car en Suisse un citgyen ne peut accepter aucun bienfait d’une puissance étrangère sans la permission du sénat. Parmi les amis qui lui ont toujours été tendrement attachés MM. Werlhof, Ponret, Stælin, Gesner, Rosen, Tissot et Her- renschwand ont tenu le premier rang. À Ses élèves les plus chéris ont été MM. Zimmermann , actuelle- ment à Hanovre, où il remplace feu M. Werlhof; Zin, Meckel, Hubert , le baron d'Asch, Langhans, Dethlef et Sproëgel, parmi lesquels il n’y en a aucun qui ne se soit montré digne d’unpareil maitre ,et qui n’ait fait ses preuves. (1) M. de Haller a toujours vécu de la manière la plus bre et la plus frugale. Il mangeoit peu de viande et ne buvoit que de l’eau; aussi, daus son Poëme sur les Alpes, loin de plaindre les habitans de ces montagnes de ce que la vigne ne croit point dans leur climat, il regarde cette privation comme un bienfait de la nature. Dar PHYSIOL. ET MÉD. — HALLER. 347 M. de Haller écrivoit et parloit l’allemand avec beaucoup d'élégance et de pureté. Le docteur Heyne, célèbre professeur d’éloquence à Gottingue, assure même qu’il a perfectionné et simplifié les tours de cette langue, et qu’il l’a enrichie de plusieurs expressions nouvelles. Il savoit aussi le français, l’anglais, l’ita- lien, le danois, le hollandais et ke suédois, et il écri- voit dans toutes ces langues aux savans de ces divers pays (1). On convenoit unanimement*à Berne que personne ne connoissoit mieux que lui la constitution politique de l’Europe, et sur-tout celle de la république. Cepen- dant il ne fut point admis dans le sénat ou petit conseil. Si cetoubli l’affligea pendant quelques années, il ne faut pas pour cela, comme quelques-uns l'ont fait, l’accuser d’orgueil et d’ambition : un pareil re- proche doit être réservé pour ceux qui regrettent des places dont ils ne sont pas dignes. Au reste, M. de Haller ne s’en plaignit jamais. En continuant d’être utile, 1l remplit les devoirs d’un bon citoyen, qui sont de contribuer de toutes ses forces au bien public, dans quelque ordre que l’on soit placé, et de ne pas se (1) Sa mémoire, qui étoit prodigieuse, ne laissoit échapper aucun des faits qu’il avoit lus ou entendus. Il lui est arrivé une fois, en présence de M. Tissot, de rappeler avec la plus grande exac- titude à un officier de Charles XIT, roi de Suède, qui faisoit le récit de ses campagnes, tous les noms relatifs au local, qu'il avoit oubliés : ce qu’il fit avec tant de précision que le vieux militaire resta persuadé que M. de Haller avoit parcouru le pays dont il avoit une idée si positive. » 348 ÉLOGES HISTORIQUES. croire dispensé d’être juste, parce que l’on a éprouvé des injustices. : Les talens distingués de M. de Haller en plusieurs genres ne peuvent être révoqués en doute, puisqu'ils sont reconnus (1) par tous les gens de lettres; 1l ne doit donc pas être confondu avec ces hommes super- ficiels qui, désavonés par toutes les classes de savans, et réduits à leur juste valeur, n’ont à eux qu’une masse de systèmes que l'imagination enfante, que le style embellit, et qui, en multiplant et en répandant les erreurs, retardent singulièrement les progrès des sciences. «14e Pour suffire à tant d'ouvrages la vie de M. de Haller a dù être très-occupée : la lecture des livres nouveaux qui lui étoient envoyés de toutes parts étoit le seul délassement qu'il se permit. Il couchoït dans sa bi- bliothèque , et quelquefois 1l y passoit plusieurs mois sans en sortir (1) :1l y prenoit toujours ses repas, et , £ à lorsque sa famille s | rendoit pour les partager avec. lui, il réunissoit tout ce qu'il avoit de plus cher au monde. | Nous rapporterons l’anecdote suivante pour donner. une idée de son activité. Peu de temps après son retour de Gottingue à Berne, en montant l'escalier de l’hôtel- de-ville il tomba et se cassa le bras droit. Le traïte- ment en fut confié à un chirurgien habile. M. de Hal- w (1) M. de Haller a toujours regretté de ne s'être point assez appliqué au dessin, dont il a tant de fois senti lamécessité dans ses travaux d'anatomie et de botanique. él ne, PE A Le br PHYSIOL. ET MÉD. — HALLER. 349 ler l’oublia bientôt pour ne s'occuper que des moyens d'y suppléer. Il en vint aisément à bout; et dès le lendemain son chirurgien le trouva au milieu de ses livres, écrivant facilement avec la main gauche; il eut même beaucoup de peine à obtenir le temps né- cessaire pour le pansement du bras blessé, que M. de Haller ne regardoit plus que comme un instrument inutile à ses travaux. Son amour excessif pour l'étude avoit inflné, non seulement sur son caractère mais encore sur tout ce qui l’environnoit; sa maison étoit devenue le sanc- tuaire des sciences; tout y étoit consacré à leur culte. Des élèves qui travailloient en grand nombre sous ses yeux dans sa bibliothèque et dans son amphithéâtre , ses enfans, madame Haller elle-même, qui avoit ap- pris à dessiner et à peindre, afin de se rendre utile; ses amis et ses concitoyens, se faisoient un devoir de contribuer à ses travaux. Cette impulsion s’étoit com- muniquée de proche en proche; lui seul recueilloit tout, suffisoit à tout et animoit tout. Placé dans ce centre, toubaussi réagiéoit sur lui. Son imagination ne cessoit de lui offrir des couleurs vives et soutenues ; sa sensibilité, qui étoit extrême, ne laissoit pour lui rien d’indifférent. Il conservoit long-temps les impres- (1) M. de Haller avoit coutume de faire des extraits de tout ce qu'il lisoit : ces extraits étoient rangés par ordre de matières, et il s’en servoit dans le besoin. Ceux qui travailloïent sous ses yeux Suivoient la même marche. C’est ainsi qu'il a acquis cette érudition incroyable dont tous ses ouyrages sont remplis. LL 1 359 ÉLOGES HISTORIQUES. sions dont il avoit été affecté , et les bienfaits, ainsi que les offenses , s’effaçoient difficilement de son sou- venir (1). Il montra dans quelques occasions à ses enfans une volonté absolue , et il exigea d’eux plusieurs sacrifices. Son humeur devint de plus en plus austère vers les dernières années de sa vie. Accablé d’infirmités, comblé d’ailleurs de dignités et de faveurs, n’ayant pas même la ressource de former de nouveaux désirs, unique- ment abandonné à la passion de l’étude, qui m’étoit plus contrebalancée par aucune autre; tout ce qui n’étoit pas lié avec elle ne pouvoit l’émouvoir : ce n’étoit plus le même homme, et l’on ne retrouvoit plus en lui le fidèle ami de Gesner et le en Marianne. M. de Haller étoit d’une taille au-dessus de*l’or- dinaire ; 1l avoit, suivant le rapport de ceux qui l’ont connu, beaucoup de vivacité dans les yeux, de no- blesse et d’expression dans la physionomie, etl joignoit une grande force à une prodigieuse activité ; en un mot, la nature l’avoit traité avec cé soin qu’elle ne prend que pour quelques hommes rares dont cha- Le) (1) Quoiqu'il fût sérieux et réfléchi, cependant la vivacité de ses sensations et la variété de ses connoissances ne permettoient à son caractère d’être toujours le même, Il éprouvoit rapidement les alternatives de la peine et du plaisir. Cette inégalifé le rendoit quelquefois aimable. dans la société, à laquelle il se livroit rare- ment; mais sa conversation étoit toujours savante, el il portoit, jusque dans l'examen des plus petits objets de l'applicatiomet de la profondeur. F PHYSIOL. ET MÉD. — HALLER. 351 que siècle s’honore , et dont nous voyons dans le nôtre le nombre diminuer avec tant de regret. Nous prévenons le public que nous n’avons pas annoncé dans cet éloge, à beaucoup près, tous les ouvrages de M. de Haller. C’est peut-être le savant qui a le plus écrit depuis Galien. On peut lui repro- cher d’avoir été quelquefois obscur; mais ses énigmes . méritent d’être méditées. Ce qui prouve sur-tout la ë solidité de sa doctrine, c’est que tout est lié dans ses nombreuses productions, et que l’on y trouve par-tout le même esprit, les mêmes vues et la même mé- thode. M. de Haller a envoyé à la Société divers extraits des registres du bureau de santé de Berne, la descrip- tion d’une petite-vérole qui a régné en 1776, et des réflexions sur les moyens de détruire l’épizootie. La place d’associé étranger, vacante par la mort de M. de Haller, a été remplie par M. le docteur Zimmermann , premier médecin du roi d'Angleterre, et médecin de la ville à Hanovre, et l’un des plus illustres élèves du savant que l'Europe a perdu. 352 ÉLOGES HISTORIQUES. dt nn "s LL 7 HUNTER (eurcraumes) Pt ont ot nd on nn. Crau Huxrer , agrégé au Collège royal de mé- decine de Londres, médecin extraordinaire de la reine | d'Angleterre ; médecin consultant de l'hôpital des femmes en couche , professeur d'anatomie de l’Acadé- mie royale des arts (1), membre de la Société royale (2) et de celle des antiquaires , président de la Société de médecine de Londres (3), associé étranger de l’Académie royale des sciences (4), et de la Société royale de méde- cine de Paris (5), naquit , le 23 mai 1718, à Kilbridk, dans la comté de Lanerk , de Jean et d’'Agnès Hunter. Son père résidoit dans une petite terre appelée Long- Caldervood, qui appartenoit depuis long-temps à sa famille. Riche dans sa médiocrité par son économie, ce père généreux avoit dix enfans auxquels 1l donna l'éducation la plus soignée. Heureusement pour eux, l’état de sa fortune ne lui permit pas de confier à un autre aucun de ces détails; et tandis que des champs cultivés et transmis par ses ancêtres fourmissoient à. ie (1) En 1776. Cette académie comprend la peinture et la sculpture. (2) En 1767. (3) En janvier 1781, à la place de M. Fothergill. (4) En 1782. (5) En 1780. PHYSIOL. ET MÉD. — HUNTER. 353 leur subsistance, sa tendresse éclairée et active suffisoit 2 à tout ce que l'instruction de dix enfans avoit de pé- mible; mais 1l goûtoiten mème temps ce qu’elle offroit d'agrément et de douceur. M. Hunter étoit un des plus jeunes (1). Il fut mis à quatorze ans au collége de Glascow où il passa cinq années. Son père qui le destinoit à l’état ecclésias- | tique , dans lequel on lui promettoit les succès les plus …. prompts et Les plus assurés, lui en fit connoître en vain tous les avantages. M. Hunter refusa de se soumettre à un joug qui auroit pesé sur sa vie entière, et qui, dans des circonstances semblables , ne peut devenir léger que pour ceux sur lesquels les sermens et la reconnois- sance n’ont aucun droit. Son esprit , libre et indé- pendant, avoit d’ailleurs besoin de s’exercer dans une carrière où 1l fût permis de douter, et où l’on cher- chât la vérité par la voie de l'expérience. M. Cullen , maintenant le Nestor de la médecine, pratiquoit alors à Hamilton. Il inspira bientôt à M. Hunter, qu’un heureux hasard avoit amené près de lui , le goût d’une science dans laquelle il excelloit déja. Le zèle du jeune homme intéressa si vivement M. Cullen , que, devenu son maître et son ami, il le _ reçut chez lui, où 1l passa les trois plus heureuses | années de sa vie. C’étoit au moins, ainsi que M. Hun- ter en pont , lorsque, jetant un coup d'œil sur le } | passé » 1l n’apercevoit point de véritable bonheur dans les époques marquées par la réputation et la for- (1) Il étoit le sixième de ces dix enfans. We: 2. 23 t 0 À 354. ÉLOGES HISTORIQUES. tune, mais bien dans celle dont la confiance et la tendre amitié lui rappeloient le souvenir sans aucun mélange de trouble ni d’amertume. Instruit par les savantes conversations de M. Cullen, prévenu par ses sages conseils contre l’attrait dangereux des systèmes, M. Hunter n’avoit rien à redouter de la médecine scolastique qu’il étudia à Édimbourg en 1740. H s’y appliqua sur-tout à l'étude de l’anatomie , et 1l suivit les leçons du célèbre Alexandre Monro qu’il atou- jours appelé depuis son ancien , son respectable maître. Les deux amis s’étoient promis de se réunir à Ha- milton , et d’y passer dans le silence des jours tran- quilles. Ils étoient réservés pour un sort, je ne dirai pas meilleur , mais plus brillant, Ils devoient acquérir, lun à Lo l’autre à Édimboursg , une grande cé- lébrité , et par conséquent éprouver les chagrins et les dégoûts qui se trouvent toujours sur le chemin de la gloire. M. Hunter vint à Londres en 17/1 sans aucun autre secours qu’un grand zèle et de l’espérance. Cette dernière fut justifiée par les services du docteur Dou- glass , célèbre accoucheur , et grand anatomiste. Ce, | médecin étoit si passionné pour les beautés d'Horace gont il ne se lassoit point de lire et de réciter les vers, qu’il avoit résolu d’en recueillir toutes lessédi- tions (1). M. Foulis, libraire de Glascow ,.quidlui en avoit fourni un grand nombre, lui écrivit ume lettre des QG) M. Watson, dans le premier volume de son édition d'Horace, | a parlé avec éloge de celles que M. Douglass avoit recueillies avec tant de soins et de péines. PA PHYSIOL. ET MÉD. — HUNTER. 355 plus pressantes en faveur de M. Hunter , auquel cette recommandation obtint l’accueil le plus distingué, M. Hunter s’empressa de relire un poëte sous les aus- pices duquel 1l avoit été si bien reçu. Soit par confor- nté de goût, soit par un juste retour , il partagea l’enthousiasme de son bienfaiteur , qu’il remercioit sou- vent , en lui adressant quelques-uns de ces beaux vers composés pour Mécène , et qui w’étoient dans la bouche de M. Hunter que les interprètes de l'amitié. Le docteur Douglass faisoit sur l'anatomie des os des recherches qu’il n’a pas eu le temps d’achever : il fut si content des dispositions de M. Hunter qu'il lui proposa de s'attacher à son travail, et lui offrit sa maison. Mais il falloit obtenir le consentement du père de M. Hunter : et ce vieillard regardoit le retour de son _ fils comme une consolation due à ses soins , et néces- saire à son grand Âge. Si les liens du sang, que l’on ré- clame et que l’on viole si souvent, sont sacrés, c’est sur- tout parce qu'ils supposent une bienfaisance active, des secours continuels et de toute espèce , des yeux toujours L | ouverts ; des entrailles toujours émues ; c’est parce que la tendresse paternelle est vraiment la source de la | piété filiale. Le père de M. Hunter avoit acquis par son dévouement les droits les plus respectables à l’obéis- ‘sance de son fils : il les exposa dans une lettre. Le | jeune homme fit des représentations et l’emporta; car il n’est point de sacrifice qu’un père généreux ne soit œapable de faire à ses enfans. 2:37 usque-là les circonstances ne lui avoient offert que 356 ÉLOCES HISTORIQUES. des événemens heureux ; mais il paya bientôt un tri- but à l’infortune. Son père et son bienfaiteur mou- rurent à peu de distance l’un de l’autre. Rs a appui , il éprouva une de ces secousses , qui, rompant * tous les liens de la vie, semblent isoler celui qu’elles À affligent , et le laisser seul avec sa douleur. La veuve de M. Douglass fut touchée de la position | de M. Hunter ; elle lui offrit les mêmes secours, et il continua de veiller à l'éducation du &ls de son protec- teux, En Les instructions de Monro et de Nichols, et lexem- ple de Douglass avoient enflammé son zèle : il s’étoit M accoutumé avec eux aux recherches les plus difficiles ; et ses premiers travaux prouvèrent qu'il, avoit bien profité de leurs leçons. On avoit toujours regardé les D ie qui recou- vrent les extrémités des os comme formés par des lames concentriques appliquées les unes sur les autres: M. Hunter a démontré que leurs filets, semblables à ceux du velours , s'élèvent de l’os comme les poils de 4 cette étoffe sortent de la chaîne ; qu'ils sont courts, à peu-près parallèles, très-rapprochés, et placés verticale- ment sur les extrémités osseuses, auxquelles ils adhè- rent. Les observations de M. Hunter , faites en 1743, ont été confirmées peu de temps après par M. de Las- one, qui, dans son second mémoire sur la structure des os, a démontré (1), parle moyen de la calcination, -(1) En 1752. Voyez les Mémoires de l'Académie royale des sciences pour cette année. PHYSIOL. ET MÉD. — HUNTER. 359 les filets perpendiculaires des mêmes cartilages , qu’il a comparés à ceux de l'émail des dents (1). La Société royale de Londres approuva le mémoire de M. Hun- ter , et le publia dans son Recueil. Il avoit alors vingt-quatre ans, et les succès ont à cet âge, un charme qu’on ne peut exprimer , soit parce qu’on les sent d’une manière plus vive ou qu'il est plus rare de les obtenir à cette époque ; soit parce que joi1- gnant l'illusion de l'espérance au bonheur d’une jouis- sance prématurée , l'imagination embellit le présent par la promesse d’uu avenir encore plus brillant, vers lequel notre impatience ne manque jamais de s’élancer. M. Hunter avoit formé le projet d’enseigner l’ana- tomie , et d'établir une salle publique de dissection. Le célèbre Samuel Sharp le mit bientôt en état d’exé- cuter ce plan , en le choisissant en 1746 (1) pour son successeur , et en lui cédant son amphithéâtre. Quelque honorable que lui parussent la confiance de M. Sharp et des fonctions qu'il désiroit depuis long- temps, son embarras fut extrème lorsqu'il fallut les remplir. Ce n’étoit pas que les talens nécessaires ln manquassent : ceux qui font de semblables entreprises, sans en avoir, ne se trouvent jamais embarrassés ; mais 1] s’agissoit d'occuper la place d’un grand homme ; il falloit enseigner tous les détails d’une science sur (1) M. Hunter a comparé leur disposition à celles des fleurs _ corymbiféres. # (2) M: Sharp n’enseignoit que la chirurgie. M. Hunter fit aussi des leçons d'anatomie qui eurent un grand succès. 358 : ÉLOGES HISTORIQUES. laquelle 1l lui restoit, malgré ses nombreux travaux, beaucoup de recherches à faire ; et le vrai savant est rarement satisfait de ses propres connoissances. Soit qu il se compare aux grands maîtres de son art : et sous cet aspect il est difficile qu'il se juge favorable- ment ; soit qu’il considère sa supériorité sur cés hommes médiocres et présomptueux qui se font une renommée comme tant d’autres acquièrent des richesses : tout l'invite À la modestie , tout lui retrace le néant de l’or- gueil. A la vérité, la ruse de ces derniers , leurs argu- mens subtils et faux, leur marche incertaine et cachée, le bruit qu'ils font et celui qu'ils font faire, sont pro- pres à récréer l’homme instruit et honnête qui en est le. témoin : mais si le spectacle de leurs manœuvres l’'amuse un moment, bientôt celui de leurs succès le décou- rage et l’afflige. M. Hunter eut de bonne heure à com- battre ces ennemis communs de la science et de la pro- bité sous le masque desquelles on les reconnoît, en ce qu'ils préfèrent toujours le profit à l'honneur lorsqu'ils ont à choisir entre eux. M. Hunter fit avec le plus grand éclat ses premiers cours d'anatomie. Il disoit souveut qu’il n’avoit jamais parlé en public sans avoir éprouvé un violent serrement de cœur. Le public Pen dédommageoit par des applau- dissemens , et Lui tenoit compte de sa timidité ; qua= lité estimable lors même qu’elle se trouve avec l’igno- rance , parce qu’elle annonce de la pudeur et de la bonne foi qui ne l’accompagnent pas toujours. Les chirurgiens de la marine s'étant réunis en très- grand nombre pour suivre les leçons de M. Hunter , PHYSIOL. ET MÉD. — HUNTER. 359 ses honoraires montèrent à une somme considérable. Jamais il n’avoit été aussi riche. Entouré de jeunes amis , la plupart sans fortune, 1l pensa que cette somme suflroit à leurs besoins et aux siens ; mais sa généro- sité et son inexpérience la dissipèrent plus prompte- ment qu'il ne l’avoit acquise. Cet état de détresse lui fit faire les plus sérieuses réflexions , et, depuis ce mo- ment , il mit dans ses affaires un ordre que plusieurs ont pris pour de l’avarice. Si ce récit ne le justifie pas assez, la suite de cet éloge ne laissera aucun donte sur Pinjustice du reproche. Nous verrons M. Hunter tra- vailler sans relâche et tout sacrifier pour sa gloire ; passion qui ne peut exister dans un cœur avih par la soif de l’or. En 1747 il fut en état de faire la dépense qu’exige Vagrégation au corps des chirurgiens de Londres, et de suffire aux frais d’un voyage coûteux, dans lequel Jean Douglass , fils de son protecteur, l’accompagna. Ils séjournèrent pendant quelques mois à Paris et à Leyde. M. Hunter fut transporté d’admiration à la vue des injections d’Albinus : celle de la membrane pupillaire lui parut si belle, qu'il la citoit comme ce qu'il avoit vu de plus parfait dans ce genre. Il con- çut dès ce moment le projet de faire tous ses efforts pour égaler ce grand anatomiste ; projet qu'il ne com- müniqua qu'après s'être assuré qu'il ne le cédoit à per- sonne dans l’art d’injecter les vaisseaux : ainsi la sa- gesse ne consiste pas à contraindre son émulation et à s’interdire de grandes vues , mais à se défier assez de soi-même et des autres pour ne montrer que ses tra- 360 ÉLOGES HISTORIQUES. vaux, sans indiquer le but où 1ls tendent, et pour dis- simuler une fin qui, plus elle est éloignée, plus elle doit être un secret pour tout le monde. M. Douglass joignoit aux connoïissances anatomi- ques une expérience consommée dans l’art des accou- Chemens. M. Hunter suivit ce double exemple, et il mérita, dans un âge peu avancé , la réputation d’un des plus habiles accoucheurs de Londres : car, dans cette ville comme à Paris, on n’exige plus qu'ils aient vieilli pour leur accorder de la confiance ; et ce change- ment dans l'opinion publique n’est point une de ces révolutions que la mode amène quelquefois; 1l est pro- duit par les progrès de l’art lui-même , dont les prin- cipes sont plus clairement et plus solidement établis , les manœuvres plus simples et mieux détermunées , et par conséquent l’exptrience plus rapidement et plus sûrement acquise, M. Hunter fut reçu en 1748 un des chirurgiens de l’hôpital de Midlesex, et l’année suivante un de ceux de l'hôpital des femmes en couche. Smellie pra- tiquoit alors à Londres; et tandis que par ses leçons et par ses écrits son nom étoit fameux dans toute l'Eu- ta F rope, l’austérité de ses mœurs et la rudesse de ses” manières avoient rendu son succès incomplet en An- gleterre. À cet extérieur sauvage, il ne joignoit au- cune qualité piquante , pas même un peu de méchan- ceté : simple et bon en même temps qu’il étoit sévère , il n’avoit aucun moyen de plaire dans le monde; aussi Pappeloit-on le plus tard et le moins qu'il étoit pos- sible , et on sembloit n’attendre qu’un homme de iné- ÿ, RSS FR PHYSIOL. ET MÉD. — HUNTER. 361 rite pour lui donner la préférence. M. Hunier l’obtint aisément, mais 1l en jouit avec modestie, et en ren- dant, toutes les fois qu’il en trouva l’occasion , des hommages empressés aux talens du docteur Smellie. Richard Manningham':et le docteur Sandys , très- célèbres dans l’art des accouchemens , cessèrent aussi de pratiquer à cette époque (1), et M. Hunter se trouva le premier dans cette partie importante et très-lucra- tive de l’art de guérir. Il continua de pratiquer la chirurgie jusqu’en 1750; il fut alors recu docteur en médecine. Ce n’étoit point un vain titre qu’il vouloit ajouter à ses autres qualités , mais un droit qu’il avoit besoin d’acquérir pour exer- ‘cer sans trouble le nouvel état auquel il devoit se livrer tout entier. * Le docteur Cullen professoit et pratiquoit la méde- cine dans l’Université de Glascow lorsque M. Hun- ter s’y présenta. Ces deux amis s'embrassèrent étroite- ménht et se félicitèrent sur leurs succès mutuels. Leur union n'étoit pas seulement fondée sur ce que deux hommes également heureux, ou plongés dans lamème infortune et qu'un même sort rapproche, ont un inté- rêt commun à ne point se séparer. Les deux amis étoient sûrs de leurs sentimens réciproques ; 1ls avoient subi l'épreuve rigoureuse de l'inégalité des condi- tions : l’un avoit reçu de l’autre des services impor- (1) Le premier mourut peu de temps après, et le second se re- tira à la campagne. 362 ÉLOGES HISTORIQUES. tans, et la reconnoissance resserroit entre eux les liens de l’amutié. | Avant de quitter l'Écosse , il ne pi résister au désir de visiter sa famille et de retourner à Longaldervood. Ses entrailles furent émues lorsqu'il revit la maison pa- ternelle; 1l en sortit baigné de ces larmes qu’une mère ne manque jamais de répandre sur son fils lorsqu'elle croit l’embrasser pour la dernière fois; mais elles cou- lèrent avec douceur, parce qu’elle le retrouvoit tendre, respectueux , honoré de l’estime publique et comblé des biens de la fortune. Arrivé à Londres , il succéda au docteur Layard (1) dans la place d’un des médecins de l’hôpital des femmes en couche, où 1l avoit rempli pendant plusieurs an- nées les fonctions de chirurgien; mais on ne suivit point dans son élection les formalités d'usage : 11 fut nommé par acclamation , et on porta sur les registres que les ädministrateurs remercioient M. Hunter des soins qu’il avoit déja donnés et de ceux qu'il offroit encore aux malades de la maison. Nous ne parlerions oint de cette anecdote, si elle n’annoncoit'que de l’ha- P ) GRR j bileté; la réputatiorf de M. Hunter n’a pas besoin de cette preuve : mais elle nous le représente comme x homme généreux, attentif aux besoins du pauvres elle nous dévoile sa bienfaisance ; sa sensibilité , qualités qu’il est si beau de réunir au savoir, et sans lesquelles (1) En 1955. (2) En 1756, le 30 septembre. EEE ur: PHYSIOL. ET MÉD. — HUNTER. 363 un médecin ne contribue jamais que foiblement au soulagement de l'humanité. Le Collége royal de médecine l’admit à peu près dans le même temps à la licence (1), la Société de mé- decine de Londres le reçut parmi ses membres. Cette académie alors naissante avoit besoin que ses associés eussent plus que du talent ; 1l leur falloit du courage pour vaincre les difficultés. M. Hunter se réunit au docteur Fothergill et à plusieurs autres médecins cé- lèbres ; ils firent paroître un Recueil d'observations que le public agréa, et leurs efforts furent couronnés par le succès : car les bons ouvrages sont la seule ré- ponse que les corps de cette nature doivent opposer à leurs détracteurs ; tonte autre, avec ou sans celle-là, seroit également superflue. . (1) Les Mémoires de la Société médicale de Londres contiennent un grand nombre de faits et d'observations analogues. Voyez 1,° The history of an anevrisma of the aorta with some remarcks on anevrism in general, by W. Hunter. — Medical obs. and inqui- ries, tom, I, p. 323. s 2.° Farther observat.upon a particular of anevrism, by W. Hunter. Ibid. tom. Il, p. 390. 3.° An anevrism..…. . perfectly curated by the operations, etc. by M. Burchall communicated, to W. Hunter Jbid., tom. III. P: 106. 4° The cas of an anevrismal varix related and descripted in two letters from G. Cleghorn to W. Hunter. Zbid. tom. III, p. 110. 5.° À Letter from M. Th. Armiger, surgeon to W. Hunter, L'or the varicos anevrism. Zbid. tom. IV, p. 382. 11 6.° Aposcript. to te preceding case of the varicos anevrism, by W. Hunter. Zbid. tom. IV, p. 388. 7.0 Two letters on the varicos anevrism from M. W. Whytt #0 W. Hunter, Zhid, tom. IV. 364 ÉLOGES HISTORIQUES. Le premier volume des Mémoires de la Société royale de Londres contient les observations de M. Hunter sur la nature et le traitement des anévrismes (1). L'espèce sur laquelle il a fait les remarques les plus neuves est celle que M. Cleghorn , célèbre anatomiste de Dublin, et un de nos associés, a désignée sous le nom d’anévrisme va- riqueux. Dans ce dernier , l'instrument qui perce les deux parois opposées de la veine et de l’artère leur fait des blessures exactement correspondantes et établit entre ces deux vaisseaux une commumication facile : de sorte que le sang artériel coule dans les veines du bras(1), qu'il gonfle sans se répandre dans le tissu cel- lulaire. Cette maladie que l’on a confondue avec l’ané- vrisme faux , exige plutôt du ménagement et des soins que les secours d’une chirurgie vraiment active. Elle offre un de ces cas plus communs qu’on ne pense, dans lesquels , pour être utile au malade, il faut l’aban- donner à lui-même , et sous ce rapport il étoit impor- tant d’en conserver l’histoire ; car de tous les reproches c’est celui de l’inaction que les médecins ignorans re- doutent le plus sans doute, parce qu'aux yeux des spec- n #L à 4: * # (1) En y passant il produit un son que l’on entend lorsque l’on prête une oreille attentive. Son jet frappe immédiatement Ja ci- catrice de la veine avant de se distribuer dans ses rameaux, M. Hunter s’en est assuré en appliquant une ligature pour com- primer les veines au-dessous de l'endroit piqué, et en pressant fortement l'artère au-dessus : alors l'espace intermédiaire reste vide ; et si l’on cesse brusquement la compression faite sur l'artère, le sang est lancé rapidement et avec bruit par l'ouverture qui établit entre les branches artérielles et veineuses un libre passage. x PHYSIOL. ET MÉD. — HUNTER. 365 tateurs plus ignorans encore , c’est le seul dont ils ne peuvent se justifier en limputant à la nature. Unie pratique très-étendue fournissoit à M. Hunter des occasions fréquentes d’observer, dont le nombre, quelque grand qu’il soit, ne contient le germe des vé- rités nouvelles que pour ceux qui sont propres à les connoître et à les bien juger. Semblables à ces hommes qui croient n'avoir besoiu que de mémoire lorsque l'esprit est sur-tout en défaut , la plupart se persua- derit que pour obtenir des succès dans l’exercice de la médecine 11 ne leur manque que des moyens capables de remplir les vues qu'ils se proposent; et ces vues | sont Présque toujours ce qu’il y a de plus défectueux. | rés par cette erreur , 1ls ne s’occupent qu’? à cher- me. des procédés nouveaux lorsqu'ils devroient plutôt se livrer à l'étude des maladies et à l'examen de leurs complications pour en déterminer avec précision les espèces. M. Hunter excelloit sur-tout dans ce genre de recherches , sans lequel notre art ne pent se per- fectionner. Nous en trouvons une nouvelle preuve dans la maladie qu’il a appelée zerroversio uteri , et qui est très-différente du renversement de cet organe. C’est vers le troisième où quatrième mois de la grossesse qu’elle arrive le plus souvent (1). Les femmes dont les os du (G:) La matrice , en se développant et en prenant son accroissement ordinaire , réagit plus ou moins sur les parties voisines, et l’urètre étant comprimé il en résulte, soit une dysurie, soit une suppres- sion d’urine qui précède la maladie dont il s’agit. La rétroversion de l'utérus n'est pas toujours complète, M. Hunter en a exposé les nuances. On rétablit la matrice dans sa place par des moyens 366 ELOGES HISTORIQUES. bassin forment une cavité bien développée vers le bas, mais trop resserrée dans le détroit supérieur , y sont le plus sujettes. Le conduiturinaire étant comprimé > la vessie se dilate peu à peu et s’étend dans le ventre ; elle entraîne avec elle le col de l’utérus et ses annexes; le fond de ce viscère se précipite en bas et en arrière; l’orifice remonte derrière la symphyse du pubis; l’'urime ne peut couler ; et tous les organes que le bassin con- tient sont dans un état de gêne qui peut devenir fu- neste. Plusieurs femmes en ayant été les victimes sous les yeux de M. Hunter (1), il en chercha et il fut assez heureux pour en trouver la cause et le traitement (2). dont la pratique est en général assez facile, et tous les accidens cessent par cette manœuvre. Voyez : 1.0 The history of a fatal inversion of the uterus "+. rupture of the bladder, by M. Lynn communicated, by W. Hunter, etc. et an appendix to the preceding article, by W. Hunter. — Obs. med. and inquiries, tom. IV , p. 388 et 340. .? An account of a retroversio uteri by M. Bird communicated Le W. Hunter. Ibid, tom. V, pag. 110. 3. The cases of a retroversio uteri by M. Hopper, communica- ted by d.' Fothergill. Zbid. tom. V, p. 104. 4.0 Two cases of the retroversio uteri by M. Grathshore com= municated by W. Hunter. Zbid. tom. VI, p. 381. — Summary remarks on the retroversio uteri, by W. Hunter. Ibid. tom. W, p- 388. (1) Dans l'hôpital des femmes en couche, dont il a été lechirur- gien, et ensuite le médecin, (2) Il fit voir que pour prévenir cet accident dès le principe il suffisoit, lorsqu'une femme en étoit menacée , d'empêcher par l’in- troduction de la sonde, l’urine de s’accumiuler dans la vessie. Il exposa dans ses leçons et dans ses écrits les procédés que l’on j {1 hs PHYSIOL. ET MÉD. — HUNTER. 367 Nous ne dirons pas de lui qu’il a découvert une ma- ladie nouvelle, ce qui seroit affligeant pour l'humanité ; mais qu’il a le premier fait connoître une lésion con- fondue jusqu'alors parmi les autres maux auxquels les femmes enceintes sont exposées, qui a souvent été meurtrière, parce qu’on en 1gnoroit la nature, et dont 1l a si bien indiqué les circonstances que les moyens curatifs naissent sans effort de la description , et se présentent d'eux-mêmes à sa lecture. Tous les faits que M. Hunter a consignés dans les Mémoires de la Société de médecine, dans ceux de la Société royale de Londres et dans ses propres écrits , méritent également d’être connus du public ; il n’en a recueilli qu’un petit nombre , parce qu'il étoit très- difficile dans le choix , et qu’il regardoit comme su- perflu , tout exposé , tout discours qui ne détruit au- cun préjugé , ou ne fournit aucune instruction nou- velle : lecon utile, et qu’on ne sauroit trop répéter à ceux qui croient tout ce qu'ils ont vu digne d’être inscrit dans les fastes de la médecine ; heureux encore s’ils nécrivoient que ce qu’ils ont vu! L’exactitude n’étoit pasle seul mérite des productions devoit suivre pour replacer l’utérus dans sa véritable position (*). Cette observation, dont nul auteur w’avoit parlé, fut bientôt * confirmée par les médecins et les accoucheurs les plus célèbres, qui lui en témoignèrent leur satisfaction et leur reconnoissance, . (#) Il est important de mettre alors les femmes dans une situation qui favorise la réduction de la matrice. Quelques-unes des obliquités de l’utérus décrites par Deventer ne semblent-elles pas se rapporter au geure de maladie observé par M. G. Hunter À 368 ÉLOCGES HISTORIQUES. de M. Hunter. On y trouve cette érudition, cette réunion de connoiïssances qui rend l'objet plus intéressant en le présentant sous plusieurs faces. Ainsi, en parlant de M l’anasarque, dans le traitement de laquelle il préféroit , d’après des expériences comparatives, les petites pi- qûres aux grandes incisions , il a exposé son opi- nion sur la structure du tissu cellulaire. Suivant lui, tout ce que nos yeux peuvent apercevoir dans cette toile est vasculaire: l’on n’y voit rien qui soit inorga- 4 nique , comme Haller l’a pensé. Les cavités cellu- M laires où la graisse s’accumule ne lui paroïssent pas être les mêmes que celles où les eaux des hydropiques (1} sont épanchées. En décrivant une maladie du tibia , » affecté dans toute son épaisseur , il a prouvé que le cal ne pouvoit se former et conserver à la jambe sa lon- gueur naturelle sans que l’ancien os eût été séparé par exfoliation. L’emphysème (2), l’hydropisie de lovaire, les maladies du cœur, celle de estomac (3) ; l’incer- titude des signes que l’on croit propres à faire recon- noître le meurtre des enfans nouveau -nés, et les luxa- tions (4) , ont été successivement le sujet de ses remar- ques , quoiqu'il regardât , avec Haller , la dure-mère , (2) Dans l’anasarque et les infiltrations. ) (e) Il a guéri un emphysème par le moyen des scarifications, recommandées par Ambroise Paré. (3) Ces observations devoient faire partie du sixième volume des Medic. observ. and inquiries. , (4) I1 pensoit que , dans tous les cas où la luxation $e faisoit avec violence dans l’état de santé, le ligament capsulaire étoit déchiré: Voyez aussi Kirklard, on fractures. J PHYSIOL. ET MÉD.— HUNTER. 369 le périoste et les tendons (1), comme insensible dans l’état de santé , et qu'il eût enseigné depuis long-temps cette doctrine dans ses leçons , il insistoit cependant sur le danger de leurs blessures, à la suite desquelles un gonflement inflammatoire produit presque tou- jours de la douleur ; et il traitoit ces différentes ques- tions théoriques comme un physicien exercé dans la pratique de notre art, dont on ne sait pas assez que les connoissances et les lumières peuvent éclairer la physiologie, sans lui faire courir aucun des dangers auxquels elle a tant de fois exposé la médecine. Parmi les maux auxquels l’homme est sujet , quel- ques-uns naissent et ne finissent qu'avec lui : de ce nombre est l'espèce de hernie inguinale dans laquelle l'intestin n'étant point recouvert par un sac , est con- tenu dans la tunique vaginale (2) elle-même. Sharp en avoit parlé comme d'un déplacement açcompagné de rupture du péritoine. Haller avoit porté ses vues plus loin : il avoit observé dans le ventre du fœtus l'ouverture qui , si elle ne se ferme pas de bonne heure , favorise la sortie de- l'intestin et la formation de la hernie appelée de naissance (3). M. Hunter avoit traité plusieurs malades qui en étoient atteints, et ce fut à RQ re mm (1) Dans le quatrième tome des Medical observ., il rapporte une observation qui confirme son opinion et celle de Haller sur l'insensibilité des tendons. (2) Cette tunique sert d’enveloppe an testicule. (3) IL en avoit parlé dans une dissertation en 1749, et ensuite en 1754. T4 PE 24 370 ÉLOGES HIST ORIQUES. sa sollicitation que le célèbre M. Jean Hunter son frère, et aussi notre associé, commença ces belles recherches sur la situation respective des testicules dans le fœtus, qui lui ont mérité les suffrages de tous les savans (1). Ainsi, réunis pendant plusieurs années , on les a vus travailler de concert , multiplier les expériences , re- cueillir des faits , les examiner avec scrupule et les exposer avec une précision et une vérité malheureuse- ment trop rares parmi les écrivains ; car le nombre des mauvais raisonnemens contre lesquels on s'élève avec tant de force , est peut-être moins grand que cel des observations défectueuses ; et les erreurs que ces dernières repandent sont les plus dangereuses , parce 4 qu'elles sont les plus difficiles à déraciner. (1) Voyez Medical commentaries, by W. Hunter, in-4.° » part. 1, pag: 70 of the rupture in which the testis is’ in contact with the intestine. En 1748 M. Sharp dit à M. Hunter qu’il avoit vu trois fois dans des hernies l'intestin en contact avec le testicule. Voyez ce que M. Sharp en a écrit, Critical inquiry. London 1750, pag- 3. M. Hunter, qui le crut avec peine, w’en fut bien convaincu qu'a- « près avoir disséqué un sujet dans lequel cette espèce de hernie M avoit lieu des deux côtés. M. Cheselden en parla d’après M. Hunter dans les remarques ajoutées à la traduction des opérations ‘de Ledran, pag. 363, 1749. M. Haller en avoit traité d'une manière bien précise avant que M. Pott eût rien publié à ce sujet dans ses Opusc. pathol. ; enfin M. Jean Hunter #’a presque rien laissé à désirer sur le développement et les diverses positions du testicule du fœtus, depuis le quatrième mois de la conception jusqu'au terme de l’accouchement. Voyez Obserr. on the state of the testis in the fœtus and on the hernies congente, by John Hunter, in Medical comment. p. 75. J’ai publié dans le Recueil de l’Aca- démie royale des sciences des observations sur le même sujet, M qui font suite à celles de M. Jean Hunter. PHYSIOL. ET MÉD. — HUNTER. 391 M. Hunter a eu le malheur d’entrer dans quelques discussions littéraires qui l’ont sans doute mené plus loin qu’il ne l’avoit prévu. Aïgri, irrité par les obs- tacles , son caractère n’étoit plus le même. Ses meil- leurs amis nous l’ont peint à cette époque comme un homme impatient, et ne pouvant supporter la contradiction, quoiqu'il lui arrivât souvent de contre- dire. L'ouvrage qu’il a écrit avec le plus de soin est celui dans lequel il a rendu compte de sa querelle avec M. Monro. On y trouve de la saillie , du trait, et cette plaisanterie fine et déliée ; si nécessaire pour répandre quelque intérêt sur les détails arides et minutieux dont les auteurs surchargent toujours ces sortes d’écrits. Malheureusement dans cette carrière , que tout homme honnête et délicat devroit s’interdire pour toujours, il faut être ou un peu satirique, ou très-ennuyeux ; et celui qui prend la plume a bientôt fait son choix. Il s’agis- Soit de savoir qui de MM. Huntér ou Monro avoit parlé le premier de l’origine et du véritable usage des vaisseaux lymphatiques ; des injections de lépidi- dyme (1)et des conduits excrétoires de la glande lacry- male. Déja Harder avoit observé ces derniers dans le daim , Stenon et Duverney dans le bœuf, Santorini et VVinslow dans l’homme ; mais ils avoient échappé aux recherches de Morgagni, de Haller et de Zinn ; et 1l est permis de se glorifier d’un succès que ces grands anatomistes n’avoient point obtenu (1). Dès l’année (1) Il s’agissoit des vaisseaux de l'épididyme, et de ceux du corps du testicule. (2) M. Monro a fait connoître en 1753 un procédé pour rendre 372 * ÉLOGES HISTORIQUES. 1745, Haller avoit rempli de mercure les vaisseaux de l’épididyme et ceux du testicule; ce qui diminue le prix attaché par MM. Hunter et Monro à cette prétendue découverte (1). Lorsque M. Hunter commença à enseigner l’ana- tomie, on regardoit les vaisseaux lymphatiques comme un prolongement d’un ordre particulier d’artères con- nues sous le même nom, et on pensoit qu’elles for- moient ensemble un système de circulation propre à la lymphe , et comparable à celui du sang dans les artères rouges. MM. Hunter et Monro prouvèrent que tous les vaisseaux lymphatiques , semblables aux lac- tées , étoient veineux et absorbans, et qu’ils s’ouvroient dans les cavités , et sur toutes les surfaces internes ou externes du corps humain. Ils trouvèrent des preuves de cette assertion dans les effets des venins et de plusieurs contagions dont les progrès suivent les traces des vaisseaux et des glandes lymphatiques. La facilité avec laquelle l'injection y pénètre lorsqu'elle est épanchée ‘dans le tissu cellu- laire est une autre démonstration de cette doctrine. Su1- vant eux, les veines sanguines sont incapables de NUE, gr Ie M SR leur préparation facile; et M. Hunter a prouvé qu'il les avoit dé- montrés en 1747. Voyez Observations anatomical and physiological wherein d." Hunter, etc. 1758; et les Medical commentaries de M. Hunter. London 1762. (1) Des témoignages authentiques ne permettent pas de douter que MM. Hunter ne les aient injectées en 1752 (a). Les observa- (a) Voyez le cap. I des Medical commeat. de M. G. Hunter, 1762 PHYSIOL. ET MÉD. — HUNTER. 35 tonte absorption , et tous les vaisseaux qui contien- nent de la lymphe se réunissent par eux-mêmes , ou par leurs communications ; au conduit thora- chique (1). Cette opinion , qui est maintenant la plus générale- ment répandue , appartient-elle à M. Hunter ou à M. Monro ? Celui-ci l’a publiée dans une dissertation en 1755, et deux ans après (2) il en a traité plus en détail dans un ouvrage très-curieux sur l’origine de ces vaisseaux. M. Hunter avoit exposé la même théorie dans ses leçons dès l’année 1746, et, parmi les té- moins qu'il cite pour garans de cette réclamation, on distingue les noms de MM. Cullen, Black (3), VVat- son (4). Mais M. Monro en avoit-1il eu connois- sance ? .... Gardons-nous de répéter ce qu'ils se sont dit mutuellement dans la chaleur d’une dispute dont nous désirerions pouvoir effacer le souvenir. Pourquoi tions de M. Monro sur le même sujet ont été publiées en 1765 (a) et 1755 (b) : mais ce dernier ne s’est point borné à l'injection de ces corps glanduleux; il les a décrits dans plusieurs animaux, et l’on peut dire, à sa louange, qu’en le lisant on oublie le sujet de la dis- pute pour ne s'occuper que du mérite même de ses recherches. (1) Meckel ne pensoit pas sur tous ces objets comme MM. Hunter et Monro. (2) De venis lymphaticis et‘ de earum origine. Edimb. 1757. (3) Medical comment., p. 22. (4) Zbid. p. 9. (a) Dans les Essais de médecine d’Edimbourg. (b) Dans une dissertation intitulée : Dissertalio inauguralis de testibus e# semine in varits animalibus, &dimb. 1755. 374 ÉLOGES HISTORIQUES. faut-il que l’histoire des sciences, qui n’est destinée qu’à éclairer les hommes , soit souillée de leurs haines ! N'est-ce pas donner trop d'importance à des querelles d’un moment .que de vouloir en instruire la postérité ? Et ceux qui se font, de semblables procès ne s’épar- gneroïent-1ls pas la peine de l’imformation , s'ils réflé- chissoient que dans une affaire de ce genre , comme dans tant d’autres , les juges prononcent quelqnefois sans avoir lu les pièces ? L’honneur d’avoir fait connoître l’origine des vais- seaux lymphatiques n'appartient , au reste; mi à M. Hunter n1 à M. Monro : le docteur Nouguez, dans un ouvrage publié en 1726, à la tête duquel il a pris le titre de démonstrateur d'histoire naturelle an Jardin du roi à Paris , a clairement exposé la fonction absor- bante de ces vaisseaux, leur origine des différentes cavités et surfaces du corps humain , et même les usages des artères blanches , avec lesquelles 1l m’ignoroit pas que les veines lymphatiques n’avoient aucune con- nexion. , N'oublions pas de dire qu’en rendant cette justice au docteur Nouguez , nous ne faisons que traduire less expressions de M. Simmons, savant médecin anglais(1), et un de nos plus célèbres associés , qui, dans un éloge de M. Hunter , a eu le courage d’enlever à deux de ses compatriotes une découverte que l'opinion pu- blique leur attribue, pour la rendre à un anatomuste (1) M. Simmons est aussi très-recommandable par ses connoïs- w sances anatomiques, +° ; | PHYSIOL. ET MÉD. — HUNTER. 395 français, son véritable auteur. Puisse cet exemple d’impartialité , également honorable pour les deux nations , avoir beaucoup d’imitateurs ! Et montrons- nous aussi justes que M. Simmons en avouant que si le docteur Nouguez a connu l’origine et les fonctions des vaisseaux lymphatiques avant MM. Hunter et Monro, ceux-ci l’ont surpassé, ainsi que la plupart des modernes , dans l'exposition anatomique de ces mêmes vaisseaux ; et ajoutons que M. Hewson (1), digne élève de M. Hunter , en a démontré le système dans l’homme et dans plusieurs animaux , avec une précision qui n’est point assez connue des médecins. Les découvertes , les inventions , sont de toutes les propriétés celles que l’homme acquiert et qu'il possède le plus légitimement ; ce sont aussi celles qu’il par- tage le moins, et qu'il défend avec le plus d’opimà- trété ; sans doute parce qu’étant le fruit de ses idées , de ses combinaisons , leur existence se confond avec la sienne ; et que les lui enlever ce seroit lui ravir une partie de lui-même. M. Hunter étoit du nombre de ceux auxquels cette privation auroit le plus coûté. M. Jean Hunter son frère lut en 1780 , à la Société royale de Londres, un mémoire sur la structure et les vaisseaux du placenta , et sur sa connexion avec l'utérus. M. Guillaume Hunter réclama l’antériorité . (1) M. Simmons, dans An account of theand writingsof the life late W. Hunter, p. 39, a publié des détails intéressans sur la vie de M. Hewson. On en trouve aussi dans la Traduction latine des Observations de cet anatomiste par M. Hahn, 376 ÉLOGES HISTORIQUES. avec chaleur (1), et l'intérêt de la gloire a deux frères , dont aucun motif n’avoit encore altéré l’union. M. Hunter s’étoit sans doute apercu qu'il poussoit trop loin cette inquiétude ; il est au moins permis de le soupconner, en lisant son supplément à la pre- mière partie de ses Commentaires, où il semble vou- loir s’excuser lorsqu'il dit que l’on ne peut ressentir lentes qui seul accélère le progrès des sciences, s’en tenir fortement à l’honneur d’y avoir contribué , et qu'il n’y a point de grand anatomiste qui n’ait été engagé dans quelque grande querelle. On peut assurer qu'il n’a rien manqué à M. Hunter, même sous ce dernier rapport, pour être mis au premier rang. L'homme est pour lui-même une énigme d’autant : plus inexplicable, qu’il se considère plus près de son origine ou de sa fin ; et l’agent par lequel sa fibre com- mence ou cesse de palniter ,.les premiers et les derniers battemens de son cœur sont également soustraits à ses connoissances et à ses recherches: mais s'il ne peut s'élever jusqu’à la source de son être, il peut au moins jeter un regard curieux sur son développement et ob- server sa décadence. s M. Hunter a rempli le premier de ces deux objets en publiant son ouvrage sur l'utérus, considéré dans l’état de grossesse. La beauté , l'exactitude et le nombre des planches dans lesquelles cet organe et le fœtus sont représentés en grandeur naturelle et à toutes les époques (1) Le mémoire que M. G. Hunter a lu à ce sujet dans les as- semblées de la Société royale n’a point été publié. A a PHYSIOL. ET MED. — HUNTER. 377 | de leur accroissement, rendent ce traité précieux à l’a- 4 natomie et à la médecine (1). L’embryon, recouvert de ses enveloppes , adhère à la face interne de l’utérus par un tissu cotonneux et vasculaire, dont l'expansion forme une membrane qui se réfléchit sur le corps de l'enfant, et que M. Hunter a désignée sous le nom de decidua (2). C’est dans l'épaisseur de cette membrane que se développe le placenta, qui pendant les premières semaines n'offre qu’une vésicule appelée ombilicale, et dans lequel M. Hunter a distingué deux portions: l’une, que l’on injecte en poussant le fluide dans les vais- seaux de l'utérus, auquel elle appartient ; l’autre, qui sans doute est l'épanouissement de la vésicule ombili- cale et qui reçoit le sang du cordon. Moins l’accroisse- ment de l'enfant est avancé , plus la membrane coton- neuse, décrite par M. Hunter, adhère à l’utérus, et plus létendue respective du placenta est considérable. De la théorie de M. Hunter , ou plutôt de son expo- sition anatomique (3), se déduit l’explication d’un grand nombre de phénomènes , tels que les douleurs et les dangers de l'avortement, la sortie du fœtus dans l’acconchement naturel et la circulation du sang dans des vaisseaux , soutenus par une substance pulpeuse qui () Il est intitulé : Ænatomia uteri gravidi tabulis illustrata. L'auteur l'a commencé en 1751, et publié en 1774. (2) En 1739 et 1740 Haller en avoit parlé sous le titre de Membrana media. (3) Voyez, dans le tom. I, p. 351 des Mémoires de la Soc. royale, un abrégé de la doctrine de M. Hunter que j'y ai inséré, en rapportant des observations qui me sont particulières sur le même sujet. 378 ÉLOGES HISTORIQUES. s'attache étroitement à l'utérus, croît, se développe avec lui et peut s’en séparer sans qu'il se fasse aucune rupture dans ses fibres : admirable prévoyance de la nature, dont les lois si souvent contredites par les hommes , en ordonnant les rapports des êtres, ont tou- jours mesuré l'intimité de leur connexion sur ce qu’exigent leurs besoins, c’est-à-dire, leur conserva- tion ou leurs plaisirs. Les belles planches de M. Hunter seroient encore plus utiles, si les explications qu'il y a jointes étoient accompagnées d’un texte ou description des organes qu'il a, si bien représentés. C’étoit aussi son projet; 1l en avoit même commencé l'exécution. M. Simmons, en nous transmettant le plan de cet ouvrage, tel qu'l a été écrit de la main de M. Hunter, ajouteque ce savant avoit fait les recherches les plus multiphiés sur la na- ture , la forme et l’accroissement des concrétions de toute espèce qui se forment dans le corps humain ; qu'il les avoit fait dessiner avec beaucoup de soin; et que tous ses travaux sont restés incomplets (1). (1) Au milieu des éloges mérités que nous dofinons 4 M. Hunter, qu'il nous soit permis de soumettre à une juste critique quelques- unes de ses productions. Dans l’une, il s’est élevé contre la section de la symphyse du pubis. Cet écrit contient plutôt l'opinion de M. Hunter que ses motifs, qui n’y sont que sommairement exposés. Quand bien même les recherches et expériences de M. Sigault sur cette opé- ration se réduiroient à prouver que l’on a coupé impunément la substance qui unit les os pubis; que cette division a été faite sans qu'aucun organe important ait été déchiré; qu'il s’y est formé une cicatrice solide, et que l’écartement qui en est résulté, PHYS$SIOL. ET MÉD. — HUNTER. 379 ‘ I n’y a point de connoissance positive qui n’ait dé- ‘truit quelque fable: toute la force et la hauteur des géants n’ont pu tenir contre les lumières de l’anatomie comparée. Les os énormes du fameux Teutobochus, quelle qu’ait été son étendue, a rendu facile un accouchement qui offroit de grands obstacles : ces résultats, qui ont tout le mérite de la nouveauté, auroient dù mériter à l'inventeur plus d’égards que M. Hunter ne lui en a témoigné dans sa réfuta- tion. Ses réflexions sur l'usage du forceps dans la pratique des accouchemens annoncent d’aillenrs un médecin sage. Il mettoit toute sa gloire et son adresse à s’en passer, loin de les faire consister comme tant d’autres, à s’en servir. Nous sommes encore de son avis lorsqu'il expose combien il est important en médecine de ne publier des procédés qu'après leur avoir donné un certain degré de per- fection : tant on doit redouter, soit la stupide crédulité des malades subjugués par la mode , et livrés sans réserve aux remèdes nouveaux , soit la hardiesse coupable des empiriques, qui, prompts à expé- rimenter, multiplient en même temps les essais et les victimes. Il faut que les hommes soient malheureux et infirmes depuis bien long-temps, puisque l'histoire de leurs calamités et de leurs souffrances se perd dans l'obscurité des siècles les plus reculés. La plupart des auteurs avoient pensé que le mal vénérien étoit le pro - duit d’une contagion communiquée à l'Ancien Monde par le Nouveau, et répandue depuis l’époque de sa découverte. Cette origine a été niée par quelques écrivains, au nombre desquels M. Hunter s'étoit rangé. Il avoit principalement insisté dans son mémoire, ln en 177£ à la Société royale de Londres, sur l'autorité de Pierre Martyr, que le feu docteur Musgrave lui avoit ensuite rendue suspecte; mais il navoit point cité M. Sanchez dans l’ouvrage duquel le témoignage de Pierre Martyr est non seulement apprécié, mais qui s’est en- core efforcé d'établir que parmi les injustices faites aux habitans du Nouveau Monde on doit compter linculpation qui les accuse de nous avoir fait ce funeste présent. M. Simmons assure que M. Hunter n’a point publié sa disser- 380 ÉLOGES HISTORIQUES. ceux des Mamas ou Mamuies des Ostiaques , ceux que Delisle apporta de Sibérie » et le baron de Longueil (+) des bords de POhyo en Amérique, ont été reconnus pour des os d’éléphant. M. Daubenton (2) les a comparés avec le squelette de celui de la ménagerie royale, dissé- qué par Duverney, et il n’a observé entre eux que des différences accessoires relatives à la largeur, à la lon- gueur où à la courbure, et si légères d’ailleurs, que les os de plusienrs squelettes humains, considérés sui- vantles mêmes proportions, qui lui ont paru différer plus entre eux que ceux de ces animaux. Il a trouvé dans les défenses ces plans de fibres qui se coupent et forment des arcades ; caractère que l’on sait être celui de li- voire, et qui est particulier à éléphant. Il lui étoit donc permis de rapporter à cette espèce les grands os- semens qu'il avoit examinés; car il falloit qu'ils eussent appartenu à un éléphant ou à nn autre animal qui eût plusieurs de ces caractères individuels, et tels qu’on 5 tation, parce que le docteur Musgrave lui avoit prouvé que plusieurs lettres de Pierre Martyr n’avoient été écrites que long-temps après leur date. Voyez ce que M. Sanchez a dit à ce sujet dans ses. Recherches sur l'apparition du mal vénérien. Nous renvoyons aussi le lecteur à l’article de l'Eloge de M. Sanchez, dans lequel cet objet est traité. . () Il a rapporté des os et des défenses qui ressemblent à ceux des éléphans , et des dents qui sont analogues avec celles de l'hip- popotame, C’est ce mélange qui rend les comparaisons difficiles. (2) Voyez tom. XI de l'Histoire naturelle, et les Mémoires de l'Académie royale des sciences, 1762. PHYSIOL. ET MÉD. — HUNTER. 38 n’en connoît aucun. Ce dernier sentiment a cependant été adopté par M. Hunter, qui a rejeté celui de M. Dau- benton, dans un mémoire publié parmi ceux de la So- ciété royale de Londres ; mais 1l offre une difficulté de plus que les autres systèmes, celle d’un quadrupède de la plus grande talle , que l’on ne retrouve plus ; etil ne donne pas une meilleure exphication des changemens qui doivent être arrivés, puisque cet animal , quel qu'il soit, a disparu des contrées du Nord, où l’on n’en ren- contre plus qne les restes. Content d’en observer la disposition et d’en comparer la forme avec celle des objets qui lui sont analogues, l’anatomiste, qui s'élève rarement au-dessus de l’objet qu'il considère ; doit laisser au gémie la gloire de rechercher et de nous dire si ces climats qu'un froid continuel resserre ont été, dans un autre ordre de choses, brûlés par Les ardeurs du midi; si là où végète la mousse rampante on a vu croître le lis superbe ; si le même sol doit nourrir suc- cessivement l’hippopotame et l'ours blanc , ou s’il n’est pas possible que certaines races d'animaux acclimatés à force de soins aient été détruites par des circons- tances particulières dans un pays très-éloigné de celui qui leur étoit destiné par la nature. La célébrité littéraire nuit moins à Londres que par-tout ailleurs à celle que donne la pratique de la médecine. L'une et l’autre se réunirent en faveur de M. Hunter, et portèrent sa réputation et sa fortune au plus haut comble: jugeons-le par l'usage qu'il fit de .ses. richesses. IL aimoit l’anatomie avec passion; il € 382 ÉLOGES HISTORIQUES. cultivoit ensemble toutes les branches de l’histoire na- turelle ; personne n’étoit plus sensible aux beautés de l’ancienne littérature grecque et latine , et dès sa plus tendre jeunesse il avoit recueilli quelques médailles. Auquelde ces goûts se livra-t-11? A tous, parce que tous, parce que son courage, son activité et ses moyens peu= vent y suffire ; mais 1l commencera par celui qu’il sera le plus sage , le plus utile de satisfaire. Il ne perd point de temps à faire des essais en petit, à réunir des échantillons. Son premier projet est grand: et digne, soit de la hardiesse de ses vues, soit des saeri- fices qu’il se propose de faire àtleurs succès. Il achète: un terrain, 1l y élève à grands frais un monument qu'il consacre à lanatomie et à l’histoire naturelle. Dans cet édifice où le luxe est permis, parce qu'il le destine à des usages publics, un bel amphithéâtre doit servir à l’ : et dans un superbe cabinet oùtout, jusqu'à la lumière, est disposé avec art, seront classés les morceaux de différens genres qu’il rassemble de toutes parts, les pièces anatomiques qu'il fait prépa- rer, auxquelles il travaille lui-même. Bientôt 1l y ajoute. les riches collections de Sandys, de Hewson ; de Blac- kall, de Flaconar ; anatomistes célèbres: les organes du tissu le plus pulpeux, le plus délicat , disséqués, injectés par ces grands maîtres, sont rangés suivant l’ordre de leurs usages ; l’on y voit les instrumens des différentes fonctions, pris dans toute l'étendue du règne animal, former des séries croissantes et décroissantes , : ‘4 ? 22 E ] s suivant qu on s'éloigne ou qu on se rapproche de | PHYSIOL. ET MÉD. — HUNTER. 383 Phomme , qui est le premier modèle. Les artères et les veines remplies d’un fluide étranger; la lymphe remplacée par le mercure, dont l'éclat brille an travers des membranes ; des milliers de ramifications dégagées de leur parenchyme; des viscères plongés dans des fluides où ils conservent leur souplesse ; les ressorts de la vie et des mouvemens développés aux yeux avides des spectateurs; les véritables formes ménagées: la putréfaction suspendue ; l’appareil imposant de tant de corps, dont le silence et l’immobilité parlent élo- quemment à la pensée: tout, au milieu de ces mer- veilles, annonce à l’homme la grandeur et les bornes de son industrie. Ce tableau ne comprend qu’une partie du cabinet anatomique de M. Hunter. Auprès des organes consi- dérés dans l’état de santé se trouvent ceux que les maladies de différentes espèces ont dénaturés ; et ces foyers de tant de douleurs et de tant de morts étoient des énigmes pour tout autre que pour M. Hunter , qui seul en savoit le mot et pouvoit les expliquer. C’étoit dans ce musée qu'il faisoit ses leçons d’ana- tomie, de médecine et d’accouchement : ne parlant que de ce qu’il connoissoit bien , ayant autour de lui les preuves de ses assertions , et toujours prêt à les dé- montrer, ses paroles sembloient être autant d’oracles. De là cet empressement avec lequel on a suivi , sur-tont pendant les dernières années de sa vie, les leçons qu’il faisoit en petit nombre , et dans lesquelles il avoit con- centré tous ses principes et sa doctrine. Il avoit, comme AT , | L 384 ÉLOGES HISTORIQUES. Ruysch, de la véhémence : il s’écrioit souvent avec ce grand homme: Venez et voyez (1): et il pouvoit en effet parler aux yeux. Devenu sévère dans sa critique autant que dans ses mœurs, 1l ne faisoit et ne vouloit point qu’on lui fit de grace. Il regardoit la foiblesse dans le caractère comme un des plus grands défauts , parce qu’elle n’ose faire le bien ni s'opposer au mal. M. Hunter étoit en médecine et parmi ses confrères une sorte de censeur pour lequel on n’avoit pas au- tant d'amitié que d'estime. Ce dernier sentiment, dont il étoit digne, lui suffisoit, et il y avoit peu de personnes dont 1l en attendîtun autre: mais ce ressort, cette énergie , dont ilaimoit tant à donner des preuves, sont opposés au désir de plaire, à l'amabilité, qualités douces , affectueuses, aussi sûres d'obtenir que promp- tes à montrer de l’indulgence, et qui répandent sur les imperfections des hommes un voile dont lillusion les rend plus supportables. Sans doute 1l auroit mieux valu qu'il eût réuni la douceur de lesprit à la vivacité de la pensée, la modération dans les actions à la har- diesse dans les desseins , l’impartialité du jugement à | la chaleur de l'imagination: mais ce degré de perfec- tion est-1l possible ? Peut-on reprocher aux hommes vifs et bouillans une impétuosité qui tend d’elle-même 2 \ P s%, vers le bien et sans laquelle la scène du monde ennuie- roit peut-être par son uniformité ? (1) Veniet vide. C'étoit le mot de Ruysch. + NA PHYSIOL. ET MED. — HUNTER. 385 Une belle suite de coraux etde coralines recueillis et mis en ordre par Ellis, les coquilles et les litophytes conservés par Fotheraill , furent, dans un autre temps, ajoutés à la collection de M. Hunter. Il ne mit pas moins de choix et de magnificence dans la disposition des médailles et des livres qui ornoient son cabinet. Les premières ont été décrites par M. de Combe son ami , dans un bel ouvrage (1) que M. Hunter a dédié à la reme d'Angleterre. Parmi ces livres, plusieurs originaux précieux ont été cités par le docteur Har- wood(2);et M. Hunter a fait lui-même sur une édition de Théocrite qui a paru en 1495 (3) à Venise, des re- marques curieuses qui avoient échappé à tous les bi- bliographes. Il étoit trop exact pour annoncer publi- quement un goût dans lequel il n’auroit pas excellé;- et ses connoissances, quelqu'étrangères qu’elles pa- roïssent à la médecine, lui furent d’un grand secours, soit comme un délassement au milieu de ses travaux, soit pour en imposer à ces esprits forts qui n'estiment un médecin qu'autant qu'ils trouvent en lui un mérite indépendant de son état ; soit pour son propre bonheur, sur-tout dans quelqu'un de ces instans où l’homme ins- truit a besoin des consolations de l’amour-propre. (1) Voyez la préface de la première édition des Auteurs classiques grecs et latins, par le docteur Harwood. (2) Nummorum veterum populorum et urbium qui in museo Guil- Zelmi Hunter asservantur descriptio, figuris illustrata oper& et studio Caroli Combe. in-4.°. Lond. 1783. (3) Grand in-fol. Venise, 1495. 7e 2. 25 386 ÉLOGES HISTORIQUES. LE Sans cesse appelé auprès des grands, nommé Mmé- decin de la reine d'Angleterre, ily parut toujours avec ce caractère d’assurance et de fierté qui s’ennoblit lors- qu’on a la hardiesse de le porter à la cour. Se, | Il a toujours, et sur-tout vers la fin de sa vie, donné de grandes marques de courage et de fermeté. Quoique … les attaques de goutte auxquelles il étoit sujet fussent | devenues plus fréquentes et plus irrégulières (1); 1l n’interrompit point ses travaux ; et; treize jours avant | de succomber aux atteintes de ce mal, il voulut faire 1 une leçon de chirurgie qu'il avoit annoncée. Elle tou- . choit à sa fin lorsque, abattu par la douleur, il perdit … la parole et s'évanouit au milieu d’un auditoire cons- ÿ terné. Pendant les jours suivans le mal ne fit que s’ac- W croître, mais son ame conserva toute sa force. «Je vou- À drois, disoit-il à M. de Combe son ami, qu’il me fût possible de tenir la plume, j'écrirois combien il est facile et doux de mourir (2)». Ce dernier trait, digne du stoïcisme le plus sévère, nous peint assez le caractère de M. Hunter. Il est des vertus dont le charme attendrit, parce qu'on trouve en soi quelques-uns des sentimens qui les produisent ; il en est d’autres qui causent plus À de surprise que d'intérêt, parce qu’elles sont étrangères au plus grand nombre : couverts de chaînes de toute ed (1) En 1783. (2) 11 est mort le 30 mars 1783. M. Simmons, pag- 51 et 52 de la vie de M. Hunter, nous apprend que l'on a trouvé parmi | . , . . . # les papiers de cet anatomiste; 1.2 des leçons qui Servorent din- troduction à ses cours; 2.° des observations sur l'art des accouche MENSe # SEE PHYSIOL. ET MÉD. — HUNTER: 387 espèce, comment la plupart des hommes ne mour- roiéhit-ils pas en esclaves? Mais parmi ces chaînes il en est de si douces , de si respectables, qu'il sera toujours plus facile d'admirer que d’imiter ceux qui, comme M. Hunter, meurent sans regret, parce qu'ils ont vécu sans dépendance. Lorsque M. Hunter fut nommé notre associé étran- ger, 1l nous adressa une lettre remarquable par la ma- mère dont il y parloit de sa reconnoissance et de nos travaux. « Parmi les marques de considération que » j'ai reçues, celles que mes confrères m'ont données , » nous écrivoit-il , m'ont toujours paru les plus agréa- » bles, parce qu’elles sont les mieux senties et les plus » difficiles à obtenir. On m'a dit, ajoutoitl, que vos » travaux étoient pénibles, mais n’en soyez ni surpris » mi découragés ; car le peu de bien que j’ai fait est ce > qui m'a coûté le plus de peine et ce qui a rencontré » le plus d'obstacles. » Le cabinet de M. Hunter doit, conformément à ses . dernières volontés, rester pendant trente ans à Lon- dres, d’où 1l sera transporté à Glascow; mais il a perdu la plus grande partie de son mérite. Les mor- ceaux précieux et rares qu’on y admire n’ont pas été disposés seulement pour plaire aux yeux: chacune des parties de ce bel ensemble étoit, sous la main de M. Hun- ter, un foyer d'instruction et de lumières ; et leur rén- mon devoit être considérée comme un dépôt où sa mé- moire retrouvoit le tableau de toutes ses idées, le précis _ de toutes ses observations. Au milieu de son cabinet j M. Hunter étoit plus savant ; et sa collection prenoit METRE DE térèt. Maintenant la chaîne de voiries Gen 388 ES HISTORIQI elle-même une nouvelle face et inspiroit un AS AMEUAN débris EPP encore des on ; en j nos A) à y ‘ « A L') A L x ble rx FA DCE ER (AN “ ne 5 S ê 7 PHYSIOL. ET MÉD. — LAMURE. 389 on on or St ds Tr LAMURE (C:). Le ns 0 se 0 07 Faancors De Boureurcxon Bussière De Lamurr, seigneur de Lamure, doyen des professeurs royaux de l'Université de médecine de Montpellier, membre de la Socrété royale des sciences de la même ville, affilié régnicole de la Société royale de médecine | naquit le 11 juin 1717, au fort Saint-Pierre de la Martinique, de François de Lamure, commandant du quartier de Macouba dans la mème île (1), et de Marianne Ferry. La famille de M. de Lamure est originaire de Pro- _ vence, et des titres authentiques font remonter sa noblesse jusqu’au quinzième siècle. Il reçut sa première éducation 4 ‘Nantes (2); il fit ses humamités à la Flèche (3) d’où 1l repassa'à la Mar- tinique. Revenu en France par Marseille (4), ce fut en 1737 qu'il prit ses premières inscriptions dans l'Université de médecine de Montpellier, où trois années après (5) 1l reçut le grade de docteur. (1) Il étoit chevalier de l’ordre royal et militaire de St.-Louis, (2) Il y fut envoyé en 1724. | (3) Il y demeura jusqu’à la fin de FPannée 1733 (4) En 1736. (5) En 1740, 390 ÉLOGES HISTORIQUES. La guerre ayant interrompu tonte commumication entre l’Amérique et la France, M. de Lamure se trouva dépourvu des secours de sa famille. Les jeunes gens qui se disposent à paroître sur la scène du monde ont pour l’ordinaire à combattre la bonne ou la mauvaise fortune, et de ces deux ennemis le dernier n’est pas toujours le plus à re- douter. M. de Lamure, recu docteur à vingt-trois ans, ne trouva ni malades à traiter, ni place à remplir. Les routes nombreuses de l’intrigue répugnoient toutes à sa délicatesse ; 1l ne connoissoit d’ailleurs que les senls étudians en médecine, et 1l n’étoit connu que d'eux : il ne les quitta point. Il ouvrit des conférences dans lesquelles il leur expliquoit les Instituts et les Apho- risines de Boërrhaave ; le modique honoraire qu'il en retiroit lui servoit pour sa subsistance, et l’estime qu'il avoit inspirée suffsoit à son ambition; sentiment toujours foible lorsque les premiers besoins ne sont pas satisfaits. En essayant ainsi ses forces, on découvrit et ils’aper- çut qu’elles étoient grandes. Une mémoire des plus heureuses et un esprit juste, une élocution facile, une manière agréable, du talent avec de la gaieté et du dé- sintéressement sans fortune, étoient les qualités que l’on remarquoit en lui. I] commença un cours d’ana- tomie et de physiologie, qui eut un grand succès ; et les étudians, dont jusqu’à cette époque il avoit été l'ami, le reconnurent alors pour leur maître. Ainsi croissoit sa renommée : 1l fréquentoit les hôpi- PHYSIOL. ET MÉD. — LAMURE. 394 taux ; il méditoit sur l’art de guérir; tout ce que l’étude, l'expérience et la réflexion lui montroient d’utile et de vrai, 1l s’'empressoit de le transmettre à ses nombreux élèves. Une émulation commune les animoit tous et les faisoit marcher rapidement, eux vers l'instruction et lui vers la célébrité. . C’est un bel art que celui de l’enseignement! ©” Quand en effet l’homme offrit-il à l’homme le témoi- gnage le plus flatteur de son respect? Ce fut sans doute lorsqu'il se tut pour éconter son semblable, pour recueillir ses paroles, pour se pénétrer de son esprit. Comme M. de Lamure s’exprimoit avec clarté et que son discours avoit du mouvement, on l’en- tendoit ei intéressoit toujours. Pour agir sur l’ima- gination, "il n’avoit pas besoin de la tromper. Il a En portant plus de quarante années, et l'on w’auroit pas à lui reprocher un seul système. Aux leçons d'anatomie et de physiologie , il ajouta successivement celles de matière médicale et de mé- decine pratique. Les étudians y trouvoient des connois- sances positives; avec lui ils fixoient leurs idées et ils arrêtoient leur jugement, condition sans laquelle on ne peut faire de progrès dans une étude quelconque : car on se fatigue de beaucoup apprendre sans rien savoir, et de rassembler des faits sans s’en servir. M. de Lamure étoit bien loin de croire que ses leçons pussent tenir lieu de toute autre étude 3 il pre- - noit au contraire beaucoup de peines pour diriger les lectures de ses élèves, et pour leur indiquer le meil-, leur usage à faire d’une grande collection de livres. 302 ÉLOGES HISTORIQUES. : Parmi les diverses combinaisons dont les livres sont susceptibles , une des plus curieuses , et, quoique bizarre, une des plus utiles, seroit pent-être de Les distribuer , à la manière des naturalistes, en classes, ordres, genres, et espèces, de sorte que les originaux, mis en tête de leurs dérivés, dominassent sur tous ceux que l’on jugeroit avoir emprunté leur style, leurs for- mes , leur marche ou leurs sujets. On verroit alors un petit nombre de grandes idées et de principes féconds marquer les premières places ; à des onvrages d’un petit volume, mais d’un grand sens, se rapporter les flia-. tions les plus étendues : on verroit les grands modèles, suivis au loin du servile troupeau des traducteurs, des imitatenrs et des copistes, tenir seuls et säms cortége la route de l’immortahité; et l'œil distingiine sans peine dans cette foule immense les auteurs (1) d'avec les écrivains, on ne consumeroit point, à chercher les sources de l'esprit et du savoir, un temps toujours perdu lorsqu'on est éloigné d'elles. Malgré sa réputation et ses talens reconnus, peut- être même à cause de sa réputation et de ses-talens, M. de Lamure ent beaucoup de peine à obtenir une place parmi les professeurs royaux de l'Université de médecine de Montpellier. M. Fitz-Gérald étant mort. en 1748, personne ne douta qu'il ne fût nommé son successeur. Il se présenta en effet au concours (2); (1) Autor vel auctor , ab augendo. (2) MM. Gourraigne, Fitz-Maurice, Farjon, Petiot, Serane et Imbert, concoururent avec lui, / PHYSIOL. ET MÉD. — LAMURE. 303 mais son nom ne fut pas même inscrit parmi ceux des trois sujets qu’il est d’usage de présenter au roi. Le public et les étudians en gémirent, et M. de Lamure en fut tellement découragé qu'il cessa tout travail : mais comme il avoit du caractère, 1l ne s’abandonna point à de vains regrets; 1l partit et 1l vint discuter ses intérêts devant le chancelier d’Aguesseau. L’injus- tice étoit consommée : M. de Lamure n’en fut pas moins écouté ; personne ne parloit aussi bien que lui de la médecine. Séduit par ses discours , M. d'Aguesseaun voulut être convaincu par l’examen de ses écrits (1). Toutes les autorités s'étant réunies en sa faveur, 1l reçut (2) la promesse de la première place vacante parmi les professeurs royaux de l'Université de médecine de Montpellier, et il partit pour cette ville, je ne dirai pas triomphant, il avoit trop d'esprit pour s’énor- gueillir d’un petit succès; mais content de voir se renouer la chaîne de ses travaux et d'espérer qu’il receyroit un jour la récompense à laquelle il avoit borné tous ses vœux. Pendant son séjour à Paris, M. Hilaire Mercier, l'un de ses plus anciens amis, le retrouva, l’appuya de son crédit et le força d’accepter une somme dont FRA ee + : 1l n’avoit pas prévu qu'il pourroit avoir besoin. Non (:) Queæstiones medicæ 12 pro cathedra vacante, anno 1749. M. de Lamure publia aussi alors, 1.° Pathologicarum de febre et palpitatione lectionum vindiciæ et examen responsionis d."* Serane ad scriptum præcedens. 2° Examen animadversionum d. Petiot än parergon de anevrismate conscriptumn, 2) À la fin de l’année 1749 394 ÉLOGES HISTORIQUES. seulement M. de Lamure ne l’oublia point, mais il rendit sa reconnoissance publique en lui dédiant son meilleur ouvrage. « Tu savois, lui dit-il (1), que ma » situation exigeroit d’autres secours que des conseils; » tu m'as cherché, et tu m'as découvert; plus tu as » pris soin de cacher ce service, plus il est indispen- » sable qe je le publie. Souvent, ajonte-t-il, l’adver- » sité m'a fait connoître qu’il ui doux d’être heureux » parmes amis; tu tiens , mon cher Mercier, le premier » rang parmi eux; mais permets-leur de croire que » tu ne le dois qu’à l'ancienneté de notre liaison ». Ami délicat 1l craïgnoit d’offenser ceux (2) qu’il avoit laissés loin de lui, et ce souvenir obligeant ne pouvoit déplaire à M. Mercier , dont il avoit accepté le bien- fait et que tant d’autres motifs plaçoïent le plus près de son cœur. Plus on avance dans l’histoire de M. de Lamure, je ne dirai pas plus on l’admire, je dirai plus on l'aime. Cet homme vertueux et sensible, au sort du- quel il est impossible de ne pas s'attacher, reprità Montpellier ses premières habitudes de travail et d'enseignement. M. Rideux, doyen des, professeurs RER RER ER (1) Epiître dédicatoire de l’ouvrage intitulé : Recherches sur la cause de la pulsation des artères, sur les mouvemens du cerveau et sur la couenne du sang, par M. de Lamure, à Montpellier, in-8.° , 1769. à (2) MM. de Castillon, procureur-général du parlement de Pro- vence, Venel, Moulton de Genève, Daumont et Lebrun, ont aussi été ses amis intimes. C'est le dernier qui m’a fourni les renseigne» mens dont je me suis servi pour écrire cet Éloge a ps, AN PHYSIOL. ET MÉD. — LAMURE. 395 royaux, mourut en 1750, et 1l lui succéda. Toute la ville applaudit à ce choix; les étudians allumè- rent des feux : quelques précautions qu'il eût prises pour contenir leur joie, elle éclata , et 1l vit se mul- tiplier de toutes parts les marques de l’allégresse publique. Ses leçons à l’Université ne l’empêchèrent pas d’en faire aussi de particulières en faveur des étudians : il tenta de nouveau diverses expériences sur des animaux; sa pratique s’accrut. Les jeunes médecins formés à son école le consultoient de toutes parts; 1l travailloit à la rédaction de plusieurs ouvrages, et son temps suffisoit à peine à tant d’occupations. Pourquoi, dit froidement la critique, faire tant de choses à la fois? Mais est-on le maître de fixer sur un seul point l’activité d’un esprit qui s'applique à tout? Qui sait s’il ne fant pas que plusieurs efforts concourent en même temps à l'agrandir; si cet état violent n’est pas indispensable pour que les grandes combinaisons s’opèrent? Et pourquoi voudroit-on que la jeunesse et la vigueur de l’âme obéissent à des lois que nul n’a droit de leur dicter ? Animé par ce zèle qui produit les grands ouvrages et qui mène aux grandes réputations, M. de Lamure composoit alors un Traité de médecine dont il a publié des sommaires (1) très-recherchés , une physio- (1) Tels sont les ouvrages suivans : 1.° Primæ lineæ pathologicæ. 2.° Primæ lineæ therapeuticæ. 3.° Positiones semetoticæ. 396 ÉLOGES HISTORIQUES. logie dont on connoît le compendium, qu'il dictoït à ses élèves (1), et un ouvrage sur la matière médi= cale auquel 1l n’a pas mis la dernière main; et que l’on a imprimé avec tant d’imperfectiôns (2) qu'il n’a pu se dispenser d’en faire un désaveu public. M. Fises, praticien célèbre, étant mort en 1769, NL de Lamure, plus occupé que jamais de l'exercice de la médecine, fut alors enlevé pour toujours à ses travaux littéraires. Cependant il continua de remplir ses fonctions à l'Université; et lorsqu'on le félicitoit sur le plaisir qu'il faisoit toujours à ses auditeurs, c’étoit dans ma jeunesse, disoit-1l, qu'il falloit m’en- tendre ! Réponse très-remarquable, soit parce que cette sorte de modestie se trouve rarement dans les vieil- lards, soit parce qu’il disoit alors une vérité que Pon n’a point assez sentie. Combien en eflet cette jeunesse dont on se méfie tant n’a-t-elle pas opéré de prodiges! Combien est féconde cette chaleur qu’elle met à tout! Infatigable et généreuse, elle ne recueille que pour répandre. S'agit-il d'enseignement : par combien de moyens le jeune homme que de grands talens y appellent, frappe Pr 4.° Positiones medico-chirurgicæ de suppuratione. 43 5. Positiones ex phystologia genercli corporis humani \de- promptæ. En 1781. (1) Il dictoit à ses élèves un Compendium anatomico-physiolo- gicum qui n’a point été imprimé. (2) Nouveaux élémens dé matière médicale, extraits des leçons de M. de Lamure. À Amsterdam et à Montpellier 1784. le D 7 me PHYSIOL. ET MÉD. — LAMURE. 397 à la fois l'attention de son auditoire! Comme on aime . le contraste de son savoir avec son âge, et celui de son ardeur avec sa modestie! Sa mémoire est riche en images, que son imagination embellit; son discours est plein d’enthousiasme; 1l ne récite pas, mais il peint : avec quelle perfection 1l expose l’enchaïuement des connoïssances acquises! Avec quelle force il pour- suit l'erreur! Avec quel respect 11 prononce les grands noms, même ceux de ses contemporains ! L’envie n’a point encore pénétré dans son cœur; celui qu’une longue expérience a formé l'emporte sans doute par la précision des idées; il a rassemblé plus de faits, et la vérité lui est mieux connue; on y parvient plus difficilement avec l’autre, mais on la désire plus vive- ment, et 1l sait mieux la faire aimer. L'un, élevé au faîte de la gloire, ne voit que du repos dans l’ensei- gnement; son langage est froid et sérieux : pourquoi s’agiteroit-1l? Il n’a plus de souhait à former. L’autre est loin du but ; 1l se hâte de l’atteindre, l’on marche et l’on avance avec lui. Ne semble-t-1l pas que tous deux rempliroient leur tâche , l’un en fixant les règles de l’art dans des écrits, l’autre en les développant dans des leçons. Disons plutôt que , dans les grandes écoles, comme dans celles de Montpellier , il importe que la vérité soit annoncée par des savans de divers âges, afin que les élèves en connoissent tous les tons, qu'ils y trouvent des modèles de tous les genres, et que pre- nant des conseils de sagesse et de courage, ils sachent ce qu'ils doivent espérer ou craindre dans la carrière où ils sont entrés. 398 ELOGES HISTORIQUES. Cette facilité d'expression, cette douceur, cette sagas cité, qui lui avoient concilié tous les suffrages dans l’enseignement, lui furent aussi d’un grand secours dans la pratique de la médecine. La confiance qu'il avoit inspirée étoit générale ; ses talens étoient recon- nus par tous les partis, par les étrangers comme par les nationaux; et c’étoit à Montpellier même, parmi les étudians qui se succédèrent en se transmettant tou-. jours les mêmes sentimens de tendresse pour ce maître chéri; dans cette même école, où des bancs 1l avoit passé ‘dans la chaire; où du plus jeune des élèves 1l étoit devenn le doyen des professeurs : c’étoit dans cette ville qu’il regardoit comme sa patrie, où, sans fatigue et sans efforts , 1l s’'étoit environné de bonheur, d'estime et de gloire. Son secret avoit toujours été de ne vouloir de cette dernière qu’autant qu'il en falloit pour ne pas trouver les deux autres. Il réumissoit, disent ceux qui m’ont communiqué des mémoires sur sa vie, les qualités du médecin dont parle Baglwi; puissant par ses conseils, puissant par ses discours , medicus sermone potens : et du fond de l'Allemagne, de Haën écrivoit : Pourquoi vous adresser si loin? Con- sultez Lamure; c’est un médecin guérisseur. ! Lorsqu'on FE à se rendre compte des motifs de cette grande célébrité, on trouve qu’elle étoit due au caprice de la mode, pour laquelle il ne fit rien, et qui ne fit aussi rien pour lui; non à l’enthousiasme de la nouveauté; content de la place qu'il occupoit, il n’en chercha point d'autre; mais à une instruction profonde, à un esprit vraiment philosophique, à um PHYSIOL. ET MÉD. — LAMURE. 399 petit nombre décrits, qui décèlent un talent rare et qui attesteront à jamais que leur auteur fut un grand homme. Ses travaux sur quelques points de physiologie ne le cèdent point à ceux de Haller. Deux questions im- portantes sur la pulsation des artères et sur les mou- vemens du cerveau étoient encore indécises : M. de Lamure les a résolues, et il a attaché son nom à cette partie de notre histoire. On sera peut-être étonné d’apprendre que le méca- nisme du pouls, si souvent consulté par les médecins, leur ait été aussi long-temps inconnu. Jusqu'à VVeit- brecht, c’étoit seulement à la dilatation des vaisseaux que l’on en avoit attribué la cause, sans la nier tout- à-fait: cet anatomiste déclara qu'il la regardoit comme insuffisante pour expliquer le battement des artères, qui, suivant lui, ne frappent le doigt qu’en se soulevant et en se déplaçant dans le sens de leur longueur. C’est ce travail que M. de Lamure a suivi et per- fectionné : ses nombreuses expériences en ont éclairé toutes les parties. IL s’est assuré d’abord que toutes les branches artérielles battent ensemble, à moins que le ressort de quelques-unes ne soit affoibli. Son second résultat a été, comme M. VVeitbrecht l’avoit dit, qu’elles battent en se déplaçant ; 1l a vu l'aorte se soulever par secousses le long de la colonne verté- brale; il a vu les artères des intestins et celles des espaces intercostaux se mouvoir de même ; sur-tont il a prouvé que les pulsations des artères correspon- doïent aux contractious des veutriçules du cœur, et 400 ÉLOGES HISTORIQUES. | ila dit : Lecœur conserve encore ses mouvemens lors: qu'il est séparé des artères qui sont privées des leurss dès qu’elles ne communiquent plus avec lui. D'ailleurs la pointe de cet organe se porte en devant et frappe les côtes, non lorsqu'il se dilate, mais lorsqu'il se resserre. De même, ce n’est point la dilatation , mais le déplacement des artères qui produit le pouls, et c’est l'impulsion donnée au sang par le cœur, et modi- fiée dans les flexuosités des canaux où (1) il circule, qui les anime et qui les soulève. Pour le démontrer, 1l a fait sur l’artère crurale d’un chien vivant deux ligatures, entre lesquelles, toutes les fois qu'il a eu soin d'y comprendre une assez grande quantité de sang, le battement, sans être. à beaucoup près aussi fort (2), a continué de se faire sentir (3). (1) Ferrein appeloit ces sortes de déplacemens des mouyemens de conversion. (2) J'ajoute cette circonstance qui s’est toujours offerte à mot äans mes expériences. M. de Lamure n’a pas fait la même restric- tion. On lit dans Galien qu'ayant introduit un tube dans la cavité d’une artère, et ayant lié l'artère sur ce tube, il avoit toujours vu les battemens cesser au-dessous de la ligature. Harvey et Vieussens ont répété cette expérience avec un résultat contraire. On ne peut donc l'opposer aux partisans de l'explication donnée par M. de Lamure. (3j Pour démontrer le soulèvement de l'artère, il a placé un doigt sous l'artère et un autre dessus : le premier n’a pas ressenti la pulsation que l’autre a éprouvée. On a contesté à M. de Lamure le résultat de cette expérience u’il faudra répéter avant que P » 4 P &e de prononcer définitivement sur ce sujet. ‘ PHYSIOL. ET MÉD. — LAMURE. 4o1 M. de Lamure a bien distingué ce mouvement du vaisseau d’avec le pouls produit par la pression du doigt, qui ne peut, selon la remarque de M. Jadelot, changer la forme ronde de l'artère sans rendre sa cavité plus étroite, et sans opposer un obstacle à la circulation dont ce canal est l’instrument. Malgré la précision de ces idées et l'exactitude de ces preuves, M. de Lamure paroît avoir trop négligé la force inhérente aux conduits artériels qui sont mus- culaires (1), et trop diminué les effets de la pression latérale, que d’autres nient absolument (2). J'ai vu, comme Haller, des artères se renfler lorsqu'elles bat- toient; et dans plusieurs quadrupèdes ovipares cette dilatation est telle qu’on ne peut la révoquer en doute, On sait que les efforts , tels que les cris, le rire, la toux, le vomissement et l’éternuement, poussent le sang vers la tête. Riolan avoit vu le cerveau , décou- vert à la suite d’une carie de l’os pariétal s'élever et s’abaisser. Schliting s’étoit aperçu que lélévation de ce viscère dans les animaux trépanés correspon- doit à leur expiration; il avoit senti des pulsations artérielles autour de son doigt introduit dans la subs- (1) On trouve des fibres musculaires très-marquées dans les grosses artères des jeunes, animaux. Les ossifications circulaires de cer- taines parties du tube artériel n’empêchent pas les battemens da s'étendre au loin; ce qui est favorable à l'opinion de M. de Lamure. . (2) MM. Jadelot et Artaud sont de ce nombre. Voyez ce qu'ils ont écrit sur ce sujet, et la lettre de M. Coulomb sur un cours de pyhsique expérimentale fait par M. Portal'en 1771. T. 2, 26 402 ÉLOGES HISTORIQUES. tance cérébrale des animaux vivans, et il avoit ter- miné ses recherches en demandant si c’étoit l’air ou M. de Lamure a répondu de la manière la plus le sang qui se portoient ainsi vers cet organe. précise à cette question intéressante. La section des nerfs vague et grand sympathique de Ja trachée-artère et de l’œsophage, ayant apporté aucun changement dans la correspondance des mou- vemens des poumons et du cerveau, M. de Lamure dirigea ses vues du côté des vaisseaux sanguins. L’ar- tère carotide et les veines jugulaires furent liées , et le cerveau continua de se mouvoir. Il comprima for- tement la poitrine de ces animaux et même, après leur mort, le cerveau s'éleva par ce procédé; 1l pressa la veine cave de bas en haut, et l'effet fut le même; 1l ouvrit les veines jugulaires, et ce mouvement s’affoiblit et cessa s1l ouvrit à lafoisles veines jugulaires etlesvertébra- les , et le cerveau devint aussitôt immobile. La veine cave ou les sinus de la tête ayant été largement incisés , le gerveau perdit encore tout son mouvement. Pour que ce viscère s'élève comme dans les expériences précé- dentes, 1l sufit qu'après avoir dilaté les poumons on oppose, en fermant la glotte, un obstacle invin- cible aux causes qui tendent à l’affaisser. Dans tous ces cas, les parois mobiles de la poitrme pressent les poumons ; par lesquels sont comprimées les veines de cette cavité. Le sans est repoussé dans les veines jugu- laires et dans les vertébrales; 1l gonfle les sinus de la base de la tôte sur lesquels est soutenu le cerveau | f a PHYSIOL, ET MÉD. — LAMURE. 403 qu'il soulève, et des sinus il passe dans les veines de cet organe, qu'il distend : ce qui explique toutes les circonstances du fait observé par Schliting. Haller avoit parlé des mouvemens du cervean et de leurs rapports avec ceux de la poitrine dans un article de sa Dissertation sur les parties irritables (1); il réclama avec humeur. «Je ne veux pas, dit-il, que Pon m’impute un plagiat »; mais il vouloit bien que M. de Lamure en fût accusé (2). Les voilà donc ces grands observateurs de la nature se disputant, par un calcul de date, le noble patrimoine de la gloire! Les voilà comptant les jours (3), j’ai presque dit les heures, dont l’un avoit devancé l’autre! La dissertation de Haller avoit été lue à la Société des sciences de Gottingue, (1) Dissertation de M. Haller sur les parties irritables , etc. p. 92. (2) En lisant attentivement leurs ouvrages, on voit que plusieurs de leurs opinions sur les phénomènes dont il s’agit différent essen- tiellement entre elles. Suivant Haller , le sang stagne dans les vei- nes jugulaires et dans les vertébrales pendant l'expiration; suivant M. de Lamure, il y est repoussé des veines caves, et c’est un vé- ritable refoulement : ce qui arrive en effet dans tous les efforts un peu considérables. M. de Lamure admettoit avec Schliting un espace vide entre la dure et la pie-mère, et ils pensoient que, dans l'état naturel, le cerveau s’élevoit toutes les fois que l'air sortoit des poumons : ce que Haller a nié avec raison. (3) Voyez 1.° la lettre de M. de Lamure, etc. à M. Danmont, professeur royal en médecine à Valence, dans laquelle il fait voir qu’on ne peut pas le soupçonner d’avoir copié M. de Haller au sujet de l'explication des mouvemens du cerveau qui paroissent dans l’homme et dans les animaux trépanés. À Lyon 1756, in-8.°. 2° Recherches sur la cause de la pulsation des artères, sur 404 ÉLOGES HISTORIQUES. le 22 avril 17523 le Mémoire de M. de Lamure l’avoit été, à l’Académie des sciences de Paris, le 2 août de la même année; mais Haller ignoroit que ce mémoire avoit été présenté à la Société des sciences de Mont- APTE 0 le 4 mai (1); ce qui réduit la différence à quelques jours (2). Au reste, en repoussant les coups de son adver- saire, M. de Lamure s’abstint toujours d’en porter, et il se montra dans cette défense si généreux et si fort, qu’enfin Haller lui rendit justice en publiant que c’étoit (3) à M. de Lamure qu'appartenoit l’hon- neur d’avoir fait connoître par de nombreuses expé- riences la cause de l'élévation et de l’abaissement du cerveau (4). les mouvemens du cerveau dans l’homme et dans les animaux tré: panés , et sur la couenne du sang, par M. de Lamure , in-8.°, 1769, pag: 197; 199 et 205. (1) De la même année 1752. (2) Haller écrivit à ce sujet une lettre à Sauvages, qui la reçut au commencement de l’année 1752, et sur laquelle il fondoit en partie sa réclamation. Dans cette lettre, il annonçoit la stagnation du sang dans les veines du cou comme la cause du soulèvement du cerveau. M. de Lamure n’a point laissé ignorer cette circons- . tance en parlant, dans son Mémoire, de la vraie cause de ce sou lèvement. M. de Haller, dit-il, l'a indiquée. (3) V’erèm omnino uberius hæc cum experimentis conjunæit Fran- ciscus Lamure, et etiam mea experimenta non sinunt dubitare quin vera phenomeni causam aperuerit. Halleri Phys. tom. I, lib. IV, sect. IV, et pag. 241 des Recherches publiées par M: de Punnre en 176). (4) Il s’agit toujours ici des animaux trépanés, PHYSIOL. ET MÉD. — LAMURE. 405 Dans une autre Dissertation (1) physiologique sur la respiration, M. de Lamure traita des mouvemens : des côtes : on y trouve une expérience de laquelle il suit que pendant l'inspiration les espaces inter- costaux augmentent. Dans l’état naturel cet accrois- sement est peu sensible; mais lorsqu'on a fait une ouverture à la poitrine la gêne de la respiration devient plus grande, et les côtes s’écartent davantage. Cette expérience très-remarquable fut faite en 1752 par M. de Lamure en présence de Sauvages (2). La thèse qu'il a redigée pour M. Salmon, alors étudiant en médecine à Montpellier (3), contient une observation curieuse. Ayant plusieurs fois fait peser des personnes du sexe immédiatement avant et après la menstruation , il vit que le poids du corps étoit le même à ces deux époques. Il fut encore attaqué sur . cette expérience et on le força de prouver (4) qu'il n’avoit point profité dans cet écrit des idées de Simpson, médecin anglais, au nom duquel M. Fitz-Gerald, l’un des professeurs royaux de l’Université de Mont- (1) Dissertatio physiologica de respiratione, respond. Joanne Capdevielle. Præsid. Francisc. de Lamure, in-8.°. Montpellier, 1752. (2) Page 24. (3) Dissertatio physiologica de fluxw menstruo respond. Nicol. Salmon. Autore de Lamure. Montpellier, 1745, pag. 11, VI. é (4) Voyez Francisci Lamure, etc. ÆEpistola ad D... doctorem medicum, quê suam de fluxu menstruo dissertationem à plagii accu- satione vindicat. In-8.0 , 1745. 406 ÉLOGES HISTORIQUES. pellier, le poursuivoit avec chaleur. Trois sortes de personnes trouvent toujours des défenseurs zélés dans la carrière des lettres, les étrangers, les morts et les vieillards. On leur prodigue la louange, sorte de tribut que l’on aime à répandre au loin, mais que de près on paie avec regret, et que l’on refuse à ceux qui sont le plus dignes de l’obtenir. Dans une Dissertation sur les sécrétions (1), 1l a indiqué la pesanteur spécifique des humeurs animales, et 1l a essayé de faire voir que la force d’impulsion de leurs molécules étoit proportionnelle à la résistance des fibres des divers organes. Ici M. de Lamure à fait preuve d’habileté dans la science de la mécanique et dans celle du calcul. On peut en dire autant de ses réflexions sur l’in- flammation (2). Dans ses écrits sur la fièvre (3), il adopta plusieurs (1) Dissertatio physiologica de secretionum in humano corpore mechanismo. Resp. Claudio de Chavane, in-8.°. Montpellier , 1748: Jusqu'à ce que la chimie animale ait fait des progrès sufisans , nous ne saurons rien de certain sur les sécrétions. (2) Theoria inflammationis , in-8.®, 1743. (3) Voyez 1.° sa thèse intitulée : T'heoria febris; 2.° Quæstiones medicæ , 1749 ; 3.° Pathologicarum de febre et palpitatione lectionum vindiciæ. 1748. C'est une réponse à une critique de M. Serane. Celui-ci répliqua par l’écrit suivant. Responsio Caroli Serane ad scriplum Francisci Lamure, cui titulus est : Pathologicarum de febre palpitatione lectionum vindiciæ, M. de Lamure répondit une seconde fois à M. Serane par un écrit intitulé : Examen responsionis Caroli Serane ad scriptum, PHYSIOL. ET MÉD. — LAMURE. 4oÿ idées de Stahl, et 11 s’unit à Sauvages pour combattre les systèmes de Boërrhaave sur la phlogose et sur l’obstruction (1). Il pensoit que les palpitations opiniâtres avoient souvent pour cause la dilatation des sinus du cœur (2). Francisci Lamure, cui titulus est : Pathologicarum de febre, et pal- pitatione lectionum vindiciæ, 1749. M. de Lamure a fait preuve dans cet écrit d’une grande étendue de connoïssances en mathématiques. Il s'exprime comme il suit, sur la fièvre. Febris dici potest morbus ën quo vis cordis ad vim constantem musculorum voluntati sub- ditorum ratio major est, quàm in statu sanitatis : et il ajoute : Nam mathematicé loquendo magnitudo pulsus est ut quadratorum dyastoles et systoles diametrorum differentia, quæ quadrata cum medicum latcant, eorum diametrorum simplicem differentiam ut pote veritati physicè prorimam digito subjectam , indigitare sufficit. (1) M. Garnier , médecin, qui pratique avec célébrité à Neuf- Château en Lorraine, soutint à peu près dans le même temps, sous la présidence de Sauvages, une thèse très-connue et très- estimée , intitulée : Pathologia methodica, 1739, dans laquelle il dé- fendit la théorie de Stahl. é (2) Francisci Lamure pathologicarum de febre et palpitatione lectionum vindiciæ. 1748. Cet ouvrage est terminé par un article inti- tulé : Parergon de anevrismate. En 1749 parut la critique de M. Petiot, intitulée : Z1 Clar. Lamure parergon de anevrismate animadversio: nes honorati Petiot, in-4.° 1749. M. de Lamure y répondit par l'écrit suivant : Æramen animadversionum clarissimi Petiot, in parergon de anevrismate conscriptum à Francisco Lamure. Il y sou- tint l'opinion de Monro sur les tuniques des artères. Willis avoit indiqué la même cause des anévrismes, et M. de Lamure nous apprend que Ferrein avoit fait plusieurs observations dans le même genre. M. de Lamure a peint avec les couleurs les plus vraies les 408 ELOGES HISTORIQUES On connoît, sous les noms de conenne ou de croûte inflammatoire, une concrétion blanchâtre ou citrine de forme irrégulière, dont l’épaisseur varie, et qui se. trouve quelquefois à la surface de la partie solide du sang refroidi. Les anciens n’en ont point parlé (1); et Sydenham est un des premiers qui l’aient décrite avec soin (2). Lorsque M. de Lamure voulut fixer ses idées sur .ce sujet, il consulta les livres et 1l y trouva une prodigieuse variété d'opinions sur la nature de cette substance. et sur le pronostic que l’on doit en tirer (3). Ce que Sydenham a transmis, comme le résultat de ses observations a été nié par Triller. Celui-ci s’est assuré que la couenne recouvroit quelquefois le sang qui avoit coulé lentement le long du bras, aussi bien que celui qui étoit sorti par un jet rapide ; et van Swieten a vu le caillot du sang des personnes saines devenir couenneux comme celui des pleurétiques et des femmes symptômes effrayans qui accompagnent l’inflammation de l’esto- mac : Dissertatio medica de inflammatione ventriculi, resp. Lu- dovico Francisco du Cair. Præs. Francisco de Lamure. in-4.°, Montpellier, 1759. t (1) A moins qu'ils ne laient désigné par les noms de sang cru et pituiteux dans les maladies aiguës. (2) Tom. I de Pleuritide. (3) On l’a regardée successivement comme le produit du chyle (Baglivi), du pus (Triller), de la partie rouge du sang altérée (Schwenke) , et de la sérosité (Hoffman, Haller, Bordeu et Sau- vages lui-même, suivant lequel la croûte inflammatoire étoit formée de la sérosité avec un miasme particulier), PHYSIOL. ET MÉD. — LAMURE. 4o9 _ grosses. De ces variations que M. de Lamure rencontra À près des malades comme dans ses lectures, il conclut qu'il n’y avoit aucune induction certaine à tirer de l'existence, n1 des différentes formes de cette couenne (1), et qu’en général son examen m'étoit qu'un objet de théorie rationnelle jusqu’à ce moment peu utile à la pratique de notre art (2). Cet exposé de ses écrits prouve qu’en médecine 1l ne jugeoit que d’après l'observation, comme en phy- siologie il ne raisonnoit que d’après l'expérience. Il en avoit tellement répandu le goût que la plupart des thèses soutenues à cette époque dans l’Université de Montpellier contiennent des essais physiques sur quek qués points de doctrine. On peut réduire les dissertations que l’on publie dans les différentes écoles de médecine à trois classes. Les unes sont consacrées à des recherches d’érudition, les autres à des spéculations systématiques, dans les- quelles on range et on interprète les faits suivant le besoin qu’on en a; dans celles de la troisième classe, (1) Recherches sur la couenne du sang, publiées in-8.°, avec les recherches sur la pulsation des artères, et sur les mouvemens du cerveau, par M. de Lamure. Montpellier, 1769. (2) C'est, on n’en saurcit douter, par la nature et l'intensité des symptômes fébriles et inflammatoires que nous devons étre dirigés en pareil cas; mais aussi nous pouvons croire que les con- clusions de M, de Lamure auroient été moins rigoureuses si, à l'époque où il a écrit son mémoire sur la couenne du sang, on ayoit su que cette croûte n’est qu'une partie de la substance albu- 4io ÉLOGES HISTORIQUES. on rend compte, non de ce que les autres ont dit; mais de ce que l’on a fait et de ce que l’on a vu. De ces trois procédés, le dernier seul est utile; et, soit pour hâter les progrès des sciences, soit pour traceraux étudians une marche sûre, 1l seroit à souhaiter qu’ils fussent astreints à ne s’en écarter jamais. Pourquoiles professeurs, au commencement de chaque année, ne. publieroient-ils pas un tableau d’expériences, de dis- sections ou d'analyses, que les étudians seroïent tenus de faire et dont ils discuteroient les résultats dans leurs thèses? Ainsi toutes les questions sur lesquelles il resteroit des doutes ponrroient être éclaircies, et les actes publics, au lieu de consister dans de vaines déclamations, seroient un nouveau champ ouvert à la recherche de la vérité. Pour remplir ces vues il faudroit que chaque Faculté eût deux laboratoires, l’un d’anatomie, l’antre de chimie, un jardin de botanique et un hôpital , à peu près comme on le voyoit en Espagne lorsque les arts y florissoient sous le gouvernement des Sarrasins , ow mineuse que la sérosité tient en dissolution ; qu'il est possible, par la seule évaporation du sérum , de préparer une couenne artificielle, et que c’est toujours l'excès de la chaleur qui dispose à sa formas tion. Lorsqu'on se propose de dessécher la conenne du sang pour la conserver, il faut qu’elle soit mince, sans quoi elle se pourtit avant que l'opération soit achevée : souvent elle se boursoufle parce qu'il s'échappe un gaz qui distend les parties entre lesquelles ül est épanché. PHYSIOT. ET MÉD. — LAMURE. 41 à Bagdad sous les califes (1). Là, près des mosquées s’'élevoient toujours un hôpital et un collége de mé- decine, dont la réunion avec ces temples offroit trois grandes idées bien propres à naître l’une de l’autre et à s'accompagner par-tout; celles de la science, de la bienfaisance et de la divinité. L’auroit-on pensé que l’histoire de ces peuples nous et fourni des modèles , et que l'Europe, toute savante qu'elle est, eût pu y irouver des leçons? Lorsque la médecine quitta ces asiles de l'humanité souffrante pour prendre sa place parmi les autres corps litté- raires , séduite par l'éclat de ces institutions, elle oublia toute sa simplicité : au lieu d’observer, elle disserta. Qu'on la reporte aux lienx qu’elle a quittés ; que son enseignement se fasse au sein des hôpitaux; les malades et les convalescens, les mourans et les morts y seront pour elle un sujet de méditation et d'étude. L’anatomiste ne se bornera point à décrire des organes; toutes les circonstances des maladies lui étant connues il en recherchera les effets et les causes ; il sera facile et peu coûteux d’y joindre aux instru- mens de pharmacie ceux de chimie et de physique, dont on aura besoin dans les démonstrations ; les végé- taux salutaires que la médecine emploie, cultivés au- tour de ces demeures, y serviront à l’instruction des . (1) Voyez page 10 de la Préface des Mémoires pour servir 4 l'histoire de la Faculté de médecine de Montpellier, par M. Astruc; revus et publiés par M. Lorry, in-4.°, Paris 1767 412 ÉLOGES HISTORIQUES: élèves; les pauvres en y entrant les contempleront avec espoir, et ils les béniront en sortant de ces hos: pices pour retourner à leurs travaux. " La pratique de M. de Lamure étoit simple et rare- ment active; jamais 1l n’entreprit de faire ce qu'il pouvoit attendre de la nature. C’est en effet avoir assez -de part à ses efforts et à ses succès que de les con- noître et de ne pas les troubler. Quelques-uns con- clurent de cette grande circonspection qu’il ne croyoit point à la médecine. Il faut lire ses écrits pour savoir à quelle médecine il croyoit. Quant à la modération qu'il apportoit dans sa conduite, elle tenoit à celle de son caractère. Ce seroit une assez bonne manière de juger les médecins que de les considérer sous ce rap- port. Mais tons les hommes ne sont pas assez sages pour le sentir. Tant de réserve déplaît à plusieurs: il en est qui veulent que leur médecin brusque la nature, comme ils brusquent eux-mêmes ceux dont ils sont environnés , et quelques-uns se persuadent que l’on peut jouer sur la santé comme sur tous les autres biens de la vie. > La juste célébrité de l’école de Montpellier et L beauté du climat y attirent de toutes parts des étran- gers qui viennent y chercher des remèdes à leurs souf- frances : M. de Lamure jouit long-temps de la con- fiance de ces malades. Lorsque l’empereur voyagea dans le Langnedoc, sous le nom de comte de Fal- kenstein, il voulut remercier M. de Lamure des soins qu’il avoit donnés à M. le baron de Lassy, président PT. PHYSIOL. ET MÉD. — LAMURE. 413 du conseil de guerre de sa majesté impériale. Vous mavez rendu, lui dit-:l, un des hommes qui me sont le plus utiles et le plus chers. En vérité, M. le comte, répondit M. de Lamure, je suis pour bien peu de chose dans cette cure: c’est le climat de Montpellier qui a tout fait. M. de Lamure éprouva un accident des plus fâcheux pendant ses dernières années : sa vue s’affoiblit ; mais il ne la perdit pas tout à-fait, comme quelques-uns s’'empressèrent de le répandre. Les médecins ont besoin de tous leurs sens, et, pour eux, cesser de voir, c’est presque être forcé de cesser d’agir. M. de Lamure, mé- nacé depuis long-temps de ce malheur, fut atteint d’une tristesse profonde ; 1l n’étoit plus le même, et sa santé dépérissoit. Peu de temps avant sa mort, un bouton gangréneux parut sur sa joue, et 1l en connut tout le danger. Il ne dissimula point qu'il regrettoit beaucoup la vie (1). Ceux qui savent, comme M. de Lamure, se la rendre agréable et douce doivent, comme lui, craindre de la quitter. Heureux par ses goûts et sur- tout par les soins de son épouse, les liens les plus attachans le retenoient; 1l laissa couler des larmes qu’il devoit à la tendresse et à l'amitié, Plus de résolution se trouve sans doute dans ceux en qui de fortes pas- sions se sont éteintes : ils ne tiennent au monde que par des souvenirs; ou dans ceux, qui, célèbres depuis long-temps, voient enfin se fermer pour eux la car- (1) ILest mort le 18 mars 1787, âgé de soixante-dix ans, 414 ÉLOGES HISTORIQUES. rière de la gloire. Ils doivent peu s’effrayer de l’avenir pour lequel ils ont vécu; ce n’ést pas auprès d’eux, c’est près des hommes modestes et sensibles qu'il faut apprendre à mourir. On loue et on admire les uns ; on regrette et on pleure les autres. M. de Lamure mérita ces divers tributs d’estime et d’attachement. Son nom sera long-temps cher à ses amis et à ses conci- toyens ; 1l écrivit peu, mais assez pour le transmettre à la postérité. PHYSI0LOGISTES ET MÉDECINS. 353 nd Sos do or os oo ot Sd on et on oo ot og LEFEVRE DESHAYES. tn C'zsr dans les colonies anglaises que, pour la pre- mière fois, l'Amérique a vu des savans réunis en corps former une académie. Le Cercle des Phila- delphes, établi au Cap -Français à Saint-Domingue , est la seconde institution de ce genre dont puisse se glorifier le Nouveau-Monde. M. le chevalier Lefevre Deshayes étoit un des membres les plus distingués de cette compagnie , à laquelle il a communiqué des mé- moires sur l’histoire naturelle et sur l’économie rurale, Ce physicien s’est fait connoître à la Société par un ouvrage qui a remporté l’un de nos prix sur la topographie médicale du Cap, et principalement sur les Albinos ou nègres blancs. On appelle du nom d’Albinos des hommes à peau blanche et blafarde, dont la chevelure est blonde, dont les yeux soutiennent difficilement l’éclat de la lumière, et qui sont nés d’un père et d’une mère de l'espèce nègre. M. Deshayes ajoute que les Indiens de l’Amé- rique et les Caraïbes des Antilles, dont la peau est de la couleur du cuivre; que les Banbaras, dont la peau est rougeûtre, et que les blancs eux-mêmes, pourvu qu'il n’y ait aucun mélange d’une autre couleur, 416 ÉLOGES HISTORIQUES. produisent aussi des Albinos. L'auteur de la Philoso- phie de la nature, l’abbé Richard, et plusieurs autres avec lui s’étoient trompés en écrivant que ces indi- vidus composoient un peuple particulier , soit au Séné- gal, soit au royaume de Loango:ilsn offrent par- -tout au contraire que des variétés accidentelles et rares, dont M. Lefevre Deshayes a fait connoître les difté- rences et les rapports. Chaque écrivain semble avoir pris à tâche aptes un trait de plus au tableau de leur difformité. Suivant M. de Paw, leur aspect effraie, leur taille est celle des Lapens; leur teint est d’un blanc de lait, sans aucun mélange d’incarnat ; souvent même, ajoute l’un des auteurs de Encyclopédie , il est livide et cada- véreux. Leur chevelure est soyeuse, ou plutôt ils sont chauves; les poils de leurs cils et de leurs sonrcils ont été comparés au duvet du cygne : on les peint enfoncés dans des cavernes, et fuyant le jour dont do: tn blesse leurs organes ; on répète qu'ils ne voient qu’au clair de la lune, et que leurs paupières sont toujours très-rapprochées l’une de l’autre. M. de Paw regarde comme certain que le muscle releveur de ces organes manque dans les Albinos. Plusieurs leur refusent toute intelligence, comme aux Crétins. Ils sont, dit-on, foibles , timides ,sourds, presque aveugles; imberbes , imbécilles et impuissans. Leurs mains, si l’on en croit Maupertuis, sont des espèces de pattes, et Vossius les croyoit atteints de la lèpre. Ce récit montre combien la vérité s’altère sous la D A et 0 rte A PHYSIOL. ET MED. — LEFEVRE. 4iy plume des meilleurs écrivains lorsqu'ils parlent de ce qu’ils n’ont point vu ou de ce qu'ils n’ont pas assez vu. M. Deshayes traite dans un grand détail les arti- cles dont je ne rapporte ici que les sommaires. Il assure que l’aspect des Albinos n’a rien de repous- . sant ; ils conservent, dit-il, avec une peau blanchâtre les traits de leurs pères. Leur teint, pendant la jeu- nesse est coloré d’un rouge pâle et quelquefois assez vif. Ils sont d’une taille médiocre. M. Deshayes n’en a point rencontré dont le corps eut moins de cinq pieds de hauteur. Plusieurs ont les cheveux crépus et même assez rudes. Il n’ÿ en à peut-être aucun qui, dans un âge avancé, soit tout-à-fait dépourvu de barbe. Quoique leurs yeux soient en général plus délicats que ceux des autres hommes, il ne faut pas croire qu'ils vivent cachés dans des antres. Une femme ainsi confor- mée cousoit en plein jour , elle entendoit très-distinc- tement à voix basse. Une autre travailloit à la moisson pendant les plus fortes chaleurs; et M. Deshayes a vu des Albinos tuer des ramiers sur la cime des arbres les plus élevés ; d’ailleurs, cette constitution m'est par- ticulière à aucun des parallèles du globe. On voit des Albinos à Ceylan, à Java, à Congo, à Panama, à Borneo, Madagascar, dans la nouvelle Guinée, dans l'ile de Bourbon, à la Guiane, à la Jamaïque, à Sant-Donmingue, à la Louisiane, et dans quelques contrées encore plus septentrionales de l’Amérique. Quoiqu'ils soient moins robustes que les autres habi- tans de ces climats, la plupart:se liyrent aux mêmes Sa. 27 418 ÉLOGES HISTORIQUES. travaux, et M. Deshayes ne s’est point aperçu qu'ils leur fussent inférieurs en intelligence. L'île de Saint-Domingue possède plusieurs sources d'eaux minérales ; celles de Port-à-Piment et de Mir- balais dans la partie française, et de Banic dans la partie espagnole de cette île, ont été décrites et ana- lysées; mais on avoit gardé le plus profond silence sur les eaux thermales de la grande Anse. M. Deshayes nous a fait parvenir un mémoire qui contient des recherches très-étendues sur leur nature. Ainsi, quoi- qu’il ne fût pas médecin , 1l travailloit aux progrès de notre science; et la Compagnie, qui ne juge pas ses coopérateurs par leurs titres, mais par les services qu’elle en reçoit, l’admit au nombre de ses corres- pondans. M. Deshayes a décrit l’art de tirer en grand une liqueur spiritueuse des baies du café ; procédé qui pourra devenir utile aux habitans des Mornes , dans les temps de guerre. Enfin il a recueilli des observations sur les vers marins, que M. l’abbé Diquemarre a publiées dans le Journal de physique ; et il a fait sur les oïseaux des recherches qu’il a envoyées à M. le comte de Buffon, dont il a reçu, comme une récompense de son zèle, le titre de correspondant du cabinet. M. Deshayes étoit né à Saint-Malo en 1732. Son père avoit été nommé commandant de quartier à Saint-Domingue où 1l étoit mort avec peu de fortune. M. Deshayes fut placé d’abord chez un procureur PHYSIOL. ET MÉD. — LEFEVRE.. 419 de la juridiction des Cayes, pour ÿ apprendre ce que peut l’usage ou l’abus des formes dans le dédale des procédures. Il y conserva toute la droiture de son esprit et toute la pureté de son cœur. Il eut bientôt une autre épreuve à subir; 1l fut nommé curateur aux vacances. Dans un pays où presque tous les fonds appar- tiennent à des propriétaires qu’une grande distance en sépare , 1l faut bien qu’il y ait un homme public chargé du som de représenter les absens, qui recoive les dé- pôts, qui prévienne les dégradations, qui préside aux recouvremens , qui recueille les héritages , qui devienne au besoin le parent on l’ami de tous ceux qui n’en ont point au-delà des mers Comme une magistrature aussi belle est au-dessus de tont salaire, il faudroit aussi qu’une vie longue et éprouvée mit ceux qui l’exercent au-dessus de tout soupçon; et on devroit y attacher tant de gloire que le citoyen vertueux, quelque fatigué qu'il fût de ses utiles travaux, recherchât encore un emploi dont les fonctions paternelles répandroient sur les siens et sur lui les bénédictions du peuple, seul prix que l’on puisse attendre pour tant de générosité. M. Deshayes étoit jeune lorsqu'il fut placé dans ce poste hasardeux. Il y montra autant d’intégrité que de zèle, et 1l s’'empressa de le quitter lorsque son éco- none l’eut mis à portée de vivre loin du tourbillon des affaires. Il se forma dans les déserts de Plymouth une habitation où il porta toute l’activité de son 420 ÉLOGES HISTORIQUES. industrie , et il a joui du plaisir d’avoir pour ainsi dire créé les champs auxquels il confioit ses moissons. M. Deshayes passa plusieurs années dans cette soli- tude: heureux au milieu de ses travaux, et entouré de quelques nègres qui étoient plutôt ses compagnons que ses esclaves. Une maladie de langueur le força de venir au Cap demander des secours qu’il n’y trouva point. Il y mourut en 1786, après avoir légué ses livres et ses manuscrits au Cercle des Philadelphes, et son corps aux médecins, pour qu’ils y cherchassent la cause du mal dont ils ne l’avoient point guéri. | MÉDECINS ET PHYSIOLOGISTES. 421 ot sd CS TT PT So LE ROY. ES C HARLES LE Roy, docteur et professeur émérite de l'Université de médecine de Montpellier , docteur de la Faculté de médecine de Paris, ancien correspondant de l’Académie royale des sciences, de la Société royale de Londres , de celle des sciences de Montpellier , des _ Académies de Toulouse et de Nîmes, associé ordi- naire de la Société royale de médecine, naquit à Paris, le 12 janvier 1726, de Julien le Roy, si célèbre par la révolution qu’il a opérée dans l'horlogerie , et de Jeanne Delafonds , d’une ancienne famille du Poitou : son grand-père , qui jouissoit à Tours , où 1l demeuroit, de la plus grande considération , avoit déja rendu son nom recommandable dans le même genre. Un art vraiment utile est sans doute celui qui, par une suite de mouvemens réguliers et non interrompus ; fixe en quelque sorte la marche rapide du temps, em divise les intervalles , et montre aux hommes ce que vaut chaque instant de la journée. M. Julien le Roy, qui avoit consacré sa vie à ce travail, connoissoit et faisoit connoître à ses enfans tout le prix du temps qu’il mesu- roit si bien. Très-versé dans les sciences accessoires à cet artutile , 1l jeta les premiers fondemens de leur édu- cation ; il leur expliqua, dès leur plns tendre enfance , les élémens de la mécanique ; il leur inspira le goùt 422 ÉLOGES HISTORIQUES. des sciences exactes , et il fit naître en eux cette ardeur pour le travail qui les a conduits à une célébrité mé- ritée dans les différentes branches de la physique , dela littérature et des arts : ainsi les talens du fils ayant eu _ leur première source dans ceux du père , nous devions offrir à sa mémoire le premier hommage de notre re- connoissance. | M. Charles le Roy étoit le plus jeune de quatre fils . de cet artiste illustre. Né avec une constitution très- délicate, la foiblesse de sa santé ne retarda point le développement de son esprit, mais elle rendit son caractère plus sérieux ; et dans un âge où les idées incohérentes se multiplient sans qu’on cherche à en connoître les rapports, où les tableaux se dessinent en foule et se succèdent rapidement, où l’ame incer- taine , neuve pour ainsi dire dans ses fonctions , et affectée de toutes parts , se répand au-dehors sans réagir sur elle-même, il avoit l’air de méditer ses réponses ; la raison paroïssoit diriger ses actions; il fuyoit les plaisirs bruyans de l’enfance, dont il n’avoit ni les goûts , ni la légèreté ; et ses parens le voyant avec surprise tranquille au milieu des jeux de ses frères , avoient coutume de l'appeler leur petit phi- losophe. Après avoir fait ses premières études au collége de Mazarin , 1l suivit au collége d'Harcourt les leçons de: philosophie du célèbre M. le Monnier de l’Académie royale des sciences , qui professoit encore ; et 1l ent l’ävantage alors très-rare dans les écoles, d’y rêce- voir les principes de cette doctrine que les académies PHYSIOL. ET MÉD. — LE ROY. 423 ont répandue dans le monde savant , et qui apprend à ne respecter dans les anciens que ce qui est vrai- ment digne de l’attention de la postérité. M. le Roy n’eut point à délibérer long-temps sur le choix de son état. La médecme convenoit à son goût pour le travail et pour la méditation , et 1l se détermina sans balancer. Dans quelle étude faut-il en effet appor- ter plus de réflexion , plus de recueillement et de cou- rage que dans celle de la médecine ? C’est au milieu des symptômes effrayans que présentent les maladies les plus funestes, c’est parmi les horreurs de la mort, c’est dans le sein même des cadavres qu’il faut en chercher les élémens. M. le Roy savoit que le plus coupable de tous les hommes est celui qui ;, sans avoir pris la peine de s’instruire dans cet art difficile , ose s’'annoncer comme capable de secourir la nature souf- frante lorsqu’il ne peut qu'augmenter ses entraves, et qui, se jouant de la vie de ses semblables , offre le tableau humiliant et terrible de l'humanité soulevée contre elle-même. Il savoit que , dans l’exercice de la médecine , le moindre abus, le plus léger oubli est un crime ; et plus il se livroit à ces réflexions ; plus il sentoit la nécessité de se mettre , par son applica- tion , en état de ne mériter aucun reproche. Une connoissance aussi réfléchie de toute l’étendue de ses devoirs fit naître en lui le plus grand désir de les remplir. Donnant à l’étude une partie du temps qui devoit être destiné au repos et à la réparation des forces , 1l fut bientôt obligé d'interrompre absolument des travaux aussi pénibles. Mais un esprit actif peut- 424 ÉLOGES HISTORIQUES. 1l jamais être dans l’oisiveté ? M. le Roy ne troutæ point de véritable délassement dans cette inaction: On lui conseilla de changer de climat, et de faire à Montpellier un nouvel essai de ses forces. Peu de temps après son arrivée dans cette ville, ik . éprouva le sentiment d’une sorte de révolution inté- rieure , dont il aimoit à parler comme de l’époque à laquelle 11 s’étoit senti animé par une force jusqu'alors inconnue. Il profita de ce changement heureux pour suivre les leçons de YUniversité de Montpellier ; maïs, loin de marquer pour le doctorat cet empressement qui est si souvent le caractère de la médiocrité , 1l différa: le moment où ce grade devoit lui être conféré, et ak résolut de faire auparavant un voyage en Itahe. M. le Roy tint un journal exact de tout ce qu'il remarqua dans ce pays intéressant , où, parmi les débris de la grandeur romaine , les observateurs trou- vent à chaque pas des sujets d’étonnement et d’amira- tion ; Où, tandis que l'artiste contemple les restes pré- cieux de l’ancienne architecture , tandis que le litté-, rateur cherche les monumens qui lui rappellent la mémoire des grands hommes dont l'Italie a été le berceau , le physicien ose parcourir ces mionts. brûülans dont l'éruption a été funeste à un des plus grands. naturalistes de l'antiquité ; 1l pénètre avec respect er attendrissement dans ces cités malheureuses qui on disparu au milieu des abimes de la terre ébranlée , et que notre curiosité rend à la Inmière ; 1l compare enfin avec les observations des anciens l’état actuel PHYSIOT. ET MÉD. — LE ROY. 425 d’un climat où la nature semble s'être épuisée après avoir produit les maîtres du monde. M. le Roy n’oublia point de visiter la fameuse grotte du Chien dans le royaume de Naples , et d’en sou- mettre la vapeur méphitique à différentesépreuves (22 Il revint par mer d'Italie à Marseille. Le calme qui régnoit , et la beauté des nuits lengagèrent à rester presque toujours sur le pont du vaisseau, où, tandis que personne ne songeoit à s'occuper , 1l cherchoit des objets capables d’exercer l’activité de son esprit : il fut bientôt satisfait en observant que la proue, contre laquelle: les flots venoient se briser , lançoit de petits grains brillans dans le jour, et lumineux pendant la nuit, qui, après avoir retombé, paroissoient rou- ler sur la surface de l’eau pendant deux ou trois secondes. L'eau de mer , puisée ; et exposée à l’air pendant un ou deux jours , perd sa qualité phos- phorique ; elle en est également privée après avoir subi l’action du feu; elle la conserve plus long- temps , si l’on bouche le vase qui la contient : l'esprit de vin, mêlé avec l’eau de mer récente, y produit dans l’obscurité un grand nombre d’étincelles: enfin, si on la filtre, les corps brillans restent sur le tamis , qu’une légère secousse rend liminenx. M. le Roy les regar- doit comme étant de nature huileuse ou bitumineuse (1) 11 a donné à l'Académie royale des sciences les détails des ac cidens que cette vapeur fit éprouver sous ses yeux à divers ani- maux : ce sont ceux auxquels le méphitisme expose. M. le Roy partit pour l'Italie en 1750, et il communiqua en 1751 ses observa- tions à l'Académie, qui le nomma son correspondant, 426 ÉLOGES HISTORIQUES. et comme ne pouvant se dissoudre dans l’eau ; puis- qu’ils ne passoient point au travers du filtre. L’opi- nion de M. Vianelli, admise par M. l'abbé Nollet, qui attribuoïit ces phénomènes à de petits vers luisans, est maintenant généralement adoptée. M. Griselmini a publié en 1762 un ouvrage où 1l a établi le même sen- timent. MM. Mauduyt et Fougeroux ont observé ces animalcules sur les côtes de Venise ; et M. Rigaud, correspondant de l’Académie royale des sciences , les a vus sur celles de France (1). La santé de M. le Roy s’étoit encore fortifiée pen- dant ce voyage ; il n’avoit cependant point cessé de faire des recherches : mais l'esprit, livré successive- ment à divers travaux, éprouve plus de plaisir que de fatigue; et ce genre de délassement est le seul propre aux personnes qui ont une véritable passion pouf l’étude. (1) L'été et l'automne sont les saisons dans lesquelles cette lumière a le plus d'intensité. Boyle l’a observée sur les côtes d'Angleterre; M. le chevalier de Godeheu aux environs des îles Maldivesy M. Séer dans la mer Baltique, et un autre physicien près de Cadix. Suivant M. le Roy, cette propriété est commune à toutes les mers. Les grains qu’il avoit vus à la loupe lui avoient paru égaler en volume la tête d’une grosse épingle. Il assuroit n’y avoir remarqué aucun des caractères des vers luisans. Certains phénomènes lumi- neux produits en pleine mer, très-loin des côtes, semblent tenir à l'électricité. Des physiciens habiles ne sont pas éloïgnés d'admettre plusieurs causes capables de rendre les eaux de la mer lumineuses , et ils mettent en question si les vers luisans de MM. Vianelli, Nollet, Rigaud, etc. ne doivent pas leur lumière aux molécules observées par M. le Roy, dont ils seroient plus ou moins im- prégnés. PHYSIOL. ET MÉD. — LE ROY. 427 Il se rendit avec empressement à Paris pour y jouir des embrassemens de son père , et pour offrir à l’Aca- démie royale des sciences les observations qu’il avoit recueillies , dont il eut la sagesse de supprimer tout ce qui étoit connu. Il retourna ensuite à Montpellier , où il fut reçu docteur en 1752, et nommé professeur en 17959. On sait que cette place doit être le prix du mérite couronné dans un concours où tous ceux qui se pré- sentent sont admis. On trouve dans les réponses aux douze questions qui furent proposées à M. le Roy (1) des détails curieux sur la nature et les propriétés de l’éther nitreux (2), alors nouvellement découvert par M. Navier; sur les huiles animales ; sur la manière de prévenir les inconvéniens du sublimé corrosif dans le traitement des maladies pour lesquelles il est ordinairement employé ; et sur plusieurs autres ques- tions (3) importantes , relatives à la pratique de la médecine. Il se distingua dans les fonctions de sa chaire par l'étendue et la variété de ses connoïissances, par sa complaisance et par son zèle. Uniquement occupé du (1) Queæstiones chemicæ duodecim. Monspelüi, apud Rochard, 1759, in-{.°. (2) Mémoires de l'Académie royale des sciences, 1742. (3) Sur l'utilité des remèdes spécifiques, sur les substances pro- pres à fondre les concrétious biliaires, sur l’usage des sels essen- tiels préparés à la manière de M. de la Garaye, et sur les avan- tages que l’on peut retirer du soufre doré d’antimoine, dans le traitement des affections dartreuses de la peau. 428 ÉLOGES HISTORIQUES. soin de former ses élèves , et ne songeant jamais à sa propre gloire , il ne mêloit dans.ses instructions rien d’étranger , rien qui fût capable de distraire ; 1l en écartoit sur-tout cette érudition si difficile à acquérir, mais si facile à feindre , dont le faste est toujours dé- placé dans l’enseignement, et 1l ne présentoit aux étu- dians que ce qu'ils pouvoient et ce qu'ils devoient apprendre. Ses leçons étoient autant de traités simples et élémentaires que les jeunes médecins écoutoient avec avidité , qu'ils écrivoient et qu'ils se transmet- toient avec empressement. Celles qu’il faisoit sur les fièvres , que l’on savoit avoir été pendant long-temps l’objet de ses méditations , étoient principalement recherchées. Il lui est un jour arrivé, ne pouvant s'ouvrir un passage au milieu des élèves nombreux dont l’école étoit remplie , d’être porté sur leurs. épaules jusqu’à la chaire , qu’ils entouroient et dont aucun ne vouloit courir les risques de s’écarter. Ses collègues lui rendoiïent justice à cet égard. « En sor- » tant de mes lecons, disoit le célèbre M. Venel, les » étudians sont surpris de toute la chimie qu'ils ont » entendue ; en sortant.de celles de M. le Roy, ils sont » étonnés de tout ce qu'ils ont compris et retenu. » On doit attribuer une partie de ses succès dans ce genre à ce qu'il enseignoit en français : la méthode contraire a l'inconvénient d’être moins imtelhgible ; et de servir , soit par des contours harmonieux, à flatter l'oreille, sans ajouter au sens , et quelquefois même sans rien dire à la pensée , soit par des tournures insi- dieuses et consacrées au sophisme , à donner de la PHYSIOL. ET MÉD. — LE ROY. 429 vraisemblance à l’erreur : de sorte que souvent il suffiroit de traduire la lecon du latin en français pour en faire sentir toute la médiocrité. M. le Roy a toujours mis dans son étude beaucoup de sagesse et d'économie. Ne perdant jamais de vue le but qu'il s’étoit proposé , il faisoit servir au succès de son entreprise toutes les parties de son travail. La pratique de la médecine étoit le point vers lequel 1l dirigeoit tous ses efforts , et 1l ne se hvroit aux sciences accessoires qu’autant qu’elles pouvoient lui servir de guide dans la route difficile où il se proposoit de mar- cher. Le tableau de ses ouvrages, en justifiant cette partie de son éloge, et en donnant au public une idée de ce qu’il est indispensable de faire pour mériter sa confiance , offrira peut-être le plan le mieux entendu qu’un médecin puisse concevoir de sa propre éduca- tion. Nous trouverons successivement en lui un phy- sicien sage, un anatomiste instruit, un chimiste ha- bile , et un praticien éclairé , qu’une santé délicate a souvent troublé dans ses recherches , qu’un caractère froid et sérieux a plus d’une fois arrêté dans ses succès, et que la cruelle envie n’a point épargné , quoique sa réputation ait presque toujoursété inférieure à ses talens. La physique peut seule faire connoître Les rapports qui existent entre la température des saisons et la na- ture des maladies. M. le Roy, en s’occupant de cette recherche utile, a fait, sur la suspension de l’eau dans l'atmosphère (1), des expériences qui l'ont con- (1) Musschenbroeck , art. 1456, n.° 3 de son Essai; Bouillet, 30 ÉLOGES HISTORIQUES. duit à une explication très -ingénieuse de ce phéno- mène. Tous les physiciens savent qu'un vase rempli de glace se couvre extérieurement de petites gouttes d’eau dans le temps le plus chaud et le plus sec. Un ballon rempli d’air et bouché exactement se mouille en dedans lorsqu'on l’expose à une température plus froide ; si on l’échauffe , l'humidité disparoît. M. le Roy conclut de ces faits que l’air de l’atmosphère est tou- jours chargé de molécules d’eau , sans que sa trans- parence en soit troublée ; que cette eau est vraiment combinée , et qu’à un certain degré lair ne pou- vant en dissoudre une quantité nouvelle, ce point est celui d’une saturation parfaite ; que l’eau dissoute dans l’atmosphère devient visible en se précipitant, lorsque la variation des vents (1), ou quelque autre Mémoires de l’Académie, 1741; et M. Barberet dans le Mer- cure de novembre 1752, ont parlé de la dissolution de l’eau dans l'air; mais ils n’ont rien dit de plus. M. le Roy en a développé le mécanisme. (1) Lorsque le vent du nord souffle, l'air contient moins d’eau en dissolution que dans le temps où le vent du nord-ouest do- mine. Dans un beau jour d’été, l'air en contient plus que peri- dant l'hiver ; les couches les plus élevées sont plus froïdes et en contiennent moins. La dissolution des molécules aqueuses dans l'air, se faisant souvent d’une manière inégale, et les couches de l'atmosphère n’en étant pas autant chargées les unes que les autres , il doit s’ensuivre, sur-tout auprès des mers, une agita- tion dans ce fluide; aussi, sur les côtes de la Méditerranée, il s'élève pendant le jour un vent qui finit vers le soir. La théorie ce la suspension de l’eau dans l'atmosphère avoit conduit M. le Roy à celle de la formation de la rosée. Il en a distingué de trois espèces. L’une est due au refroidissement | de PHYSIOL. ET MED. — LE ROY. 43: circonsconstance font changer le point de saturation ; et que , pour donner à cette théorie toute l'étendue dont elle est susceptible, de même que l’eau , lorsqu'on l’échauffe , dissout plus de sel, l'air, lorsque la li- queur du thermomètre est plus élevée, dissout aussi une plus grande quantité d’eau. Le mémoire dans lequel M. le Roy a exposé ces principes a réuni les suffrages de tous les physiciens de l’Europe (1). Occupé des phénomènes relatifs aux différentes températures de l’atmosphère , il n’a peut- être pas fait assez d’attention à la densité de l’air, regar- dée par plusieurs physiciens comme une des causes qui ajoutent à sa propriété dissolvante , puisque l’on voit l'air, qui, perdant aux approches de la nuit une partie de sa propriété dissolvante, rend à la terre l'eau qu'il lui a enlevée pen- dant le jour; l’autre est une vapeur épaisse qui s'élève à la hauteur de quelques pieds au-dessus du sol, et dont l'air ne peut se charger, son degré de saturation ayant baissé : la troisième est l'effet de l'humidité locale de certains endroits où l’eau est plus abondante. Des plantes arrachées ont été couvertes de rosée, et les observations de M. le Roy sur la première espèce ayant été faites à des hauteurs très-considérables, il étoit fondé à con- clure, contre Musschenbroeck et Dufay, que toute la rosée ne s'élève point de la terre ou des plantes. Il a vu l’eau répandue avec un arrosoir sur ces dernières se rassembler en gouttelettes aux extrémités de leurs feuilles : il ne faut donc pas, a:t-il dit, inférer de cette disposition que la rosée est toujours le produit de la transpiration végétale. (1) M. Franklin a adopté les principes de M. le Roy dans les Tran sactions philosophiques, année 1757. Un professeur de Dublin a publié la même théorie plusieurs années après, sans citer M. le Roy. 432 ÉLOGES HISTORIQUES. chaque même jour l’une et l’autre croître et diminuer en proportion. Un savant moderne pense que l’air ne peut acquérir le moindre degré de chaleur sans aban- donner une partie de l’eau avec laquelle 1l est com- biné ; mais ce physicien (1), dont on attend l’ouvrage avec impatience, a reconnu la vérité des faits avancés par M. le Roy. Il se contente de les interpréter d’une manière analogue à ses propres observations. Le mécanisme par lequel l’œ1l s’accommode aux dif- férentes distances des objets exerce depuis long-temps , la sagacité des physiciens. Le sentiment de M. de la Hire qui, rejetant l’allongement de l’œil et les mouve- mens du cristallin, faisoit tout dépendre de l’ouverture de la prunelle , n’avoit plus de partisans; et les objec- tions de M. de Porterfeld paroissoient sans réplique lorsque M. le Roy entreprit d’y répondre dans deux mémoires. IL a comparé l’œ1l à une chambre obscure dans laquelle , si l’image n’est pas bien terminée, parce que l’objet est placé trop près, 1l suffit, pour détruire la confusion , de mettre devant le verre len- ticulaire un carton percé d’un trou fort étroit : ainsi la prunelle , suivant qu’elle se rétrécit ou qu’elle se dilate, accommode Pæil à toutes les distances. Si le sentiment de M. de la Hire pouvoit être sou- tenu , ce seroit sans doute par les moyens sur lesquels M. le Roy s’est appuyé : mais comment se dissimuler sa (1) M. le chevalier de la Marck, de l’Académie royale des sciences, qui à bien voulu me communiquer se Mémoires sur ce sujet. PHYSIOL. ET MÉD. — LE ROY. 433 foiblesse lorsqu'on réfléchit qu’un diaphragme placé devant le verre lenticulaire d’une chambre obscure retrécit l’image, et qu'il rend la confusion moins sensible sans la détruire; que l’objet étant placé très- près de l'œil, les rayons lumineux se réunissent tou- jours au-delà de la rétine; et que si l’on aperçoit double ou triple un objet vu de trop près , par deux ou trois fentes rapprochées dans un espace qui n'excède point celui de la prunelle , on ne doit Pattribuer qu’à ce que les rayons qui passent par chaque ouverture , et qui tendent à se réunir au-delà de la rétine, en sont empêchés par cette expansion dont ils affectent plu- sieurs points dans lesquels ils multiplient les images et les sensations (1) ? (1) La trop grande ouverture de la prunelle rend la vision con- fuse lorsque l’objet est très-près de l’œil, Dans ce cas, les rayons de lumière qui partent de l’objet et qui tombent sur la circonfé- rence de la prunelle, se brisent en entrant dans l'œil; mais ils ne se brisent pas assez pour que le point de réunion puisse tom- ber sur la rétine : ce point se trouve au-delà, et le cône intérieur de lumière est coupé par la rétine même, entre le sommet et la prunelle : la section qui en résulte est large, et la peinture du point visible, au lieu d’être un point unique, occupe un espace trop étendu. On prévient cet inconvénient en diminuant artificiel- lement l'ouverture de la prunelle, c’est-à dire en regardant l’objet au travers d’un petit trou percé dans une carte, parce qu’alors la base du cône que les rayons de lumière forment en entrant dans l’œil étant très-petite, la section de ce cône par la rétine est encore plus petite, et est prise pour un point unique , quoique cette section ne soit pas faite au sommet; mais la clarté de la vision est beaucoup diminuée, à cause du petit nombre de rayons qui, dans ce cas, agissent sur la rétine, Lors donc que l'on regarde à nu un point placé très-près de l'œil, Tia. 26 434 ÉLOGES HISTORIQUES. Deux Mémoires lus à l’Académie royale des sciences en 17951, sur la respiration de la tortue et sur la struc- son image est amplifiée et mal terminée ; maïs si l’on place- au- devant de l'œil, et très-près, un petit obstacle moindre que le diamètre de la prunelle, ou, ce qui revient au même, si on re- garde le même objet au travers de deux fentes très-rapprochées l'une de l’autre, pratiquées dans une carte, la bande intermédiaire intercepte les rayons de lumière qui tomberoiïent sur le milieu de la prunelle : les faisceaux qui passent par les deux fentes tendent» après leur entrée dans l'œil, à se réunir au même point que si obstacle n’y étoit pas, c’est-à-dire au-delà de la rétine, et chaque faisceau rencontrant cette membrane dans un point particulier , il en résulte deux peintures, et par conséquent la même sensation que s’il y avoit deux points. De plus chacune de ces peintures est nette, parce que chacune est dans le cas énoncé plus haut; et la clarté est moindre pour chaque image qu’elle ne le seroit pour l'image confuse si l’œil regardoit à nu, Si au lieu de deux fentes on en pratique trois dans une carte, mais de manière que les trois fentes et leurs intervalles n’occupent pas une largeur plus grande que l'ouverture de la prunelle, et qu’on regarde au travers de ces trois fentes un point placé très- près de l'œil, on verra, par la même raison, trois images assez distinctes. En général, si on fait un nombre quelconque de fentes , pourvu que l’espace total qu’elles occupent en largeur ne soit pas plus grand que l'ouverture de la prunelle, on verra autant d'images qu’il y aura de fentes, en regardant un point très-proche au tra- vers de toutes les fentes; mais chacune de ces images sera d'autant moins vive et moins claire, que la fente correspondante sera plus étroite, c’est-à-dire qu'il y aura moins de rayons de lumière em- ployés à la peindre sur la rétine. Lorsqu'un objet est placé à la portée de la vision distincte, tous les rayons de lumière qui partent de chaque point et qui tombent sur la prunelle, se réfractent, et vont se réunir sur un point de la rétine, où ils forment une peinture très-nette, parce qu'elle n’a aucune largeur. Si on regarde cet objet à la méme distance, au travers de deux fentes pratiquées dans une çarte, PHYSIOL. ET MÉD.— LE ROY. 435 ture de l’organe de l’ouïe, annoncent les progrès que M. le Roy avoit faits dans l'étude de l'anatomie hu- maine et comparée. on ne voit qu'une image, parce que les rayons de lumière qui tra- versent l’une et l'autre fente se réunissent tous sur un même point de la rétine, comme ils le feroient si l’œil regardoit libre- ment et à nu. Les choses étant dans cet état, lorsqu'on place à peu près sur la même direction un second objet très-visible et très-petit, mais beaucoup plus loin, et que l’on fixe toujours le premier objet, on voit deux images du second , parce que les rayons de lumière qui viennent du second objet étant moins éloignés du parallélisme que ne le sont ceux du premier, sont plus brisés en entrant dans l'œil ; leur point de réunion est alors compris entre la rétine et la prunelle ; ils se croisent là et se prolongent jusqu’à ce qu’ils ren- contrent la rétine, ce qui se fait en deux points distincts : ceux qui viennent de la fente qui est à gauche rencontrent la rétine à droite, et réciproquement. Si, sans changer de place, on fixe le second point, ces deux images se confondront; il n’y en aura plus qu’une qui sera dis- iincte; mais on en verra deux du premier. Or il est évident que dans ce cas tout est le Bdtne pour la prunelle que dans le précédent ; sa largeur artificielle est constante, puisque c’est toujours par les mêmes fentes que passent les rayons de lumière, dont les routes sont les mêmes, soit avant d’arriver à l'œil, soit après avoir traversé la prunelle dans l’un et l’autre cas. Si les impressions sur la rétine sont différentes, il faut donc que cette membrane ait changé de position par rapport aux rayons de lumière. . Dans le second cas , le second point ne peut être vu distincte- ment que la rétine ne se soit portée vers la prunelle pour se pla- cer dans l'intersection des rayons qui viennent de ce second point; mais ceux du premier sont rencontrés par la rétine entre le som- met et la prunelle : il doit donc arriver le même phénomène dont on a déja parlé, c’est-à-dire que les deux faisceaux qui viennent 436 ÉLOGES HISTORIQUES. C’est à l’analyse des eaux minérales qu'il a princi- palement appliqué ses connoissances en chimie. Dans un précis très-bien fait (1) , 11 les divise en salines mar- tiales et sulfureuses. Il expose et discute ce que les auteurs en ont écrit, et 1l détermine leur nature et leurs effets d’après l'expérience et l'observation. Ce traité, d’abord uniquement destiné aux étudians , est maintenant regardé comme un des meilleurs ouvrages qui aient paru sur cette matière. Les eaux de Balaruc étant peu éloignées de Mokt. pellier , M. le Roy s’en est Deceten occupé (2). Outre l’analyse qu’il en a faite, et qui est plus exacte que celle de Régis, Deiïdier (3) , et même que celle de des deux fentes doivent être coupés par la rétine en des points différens. Il résulte de ces réflexions que, par une diminution naturelle ou artificielle de l'ouverture de la prunelle, on peut, aux dépens de la clarté, rendre la vision moins confuse, mais que cette di- minution ne peut pas seule détruire la confusion. (1) De aquarum mineralium natura et usu, Monsp. apud Rochard, 1758, in-%.°, en français : Précis sur les eaux minérales : dans les Mélanges de physique , de chimie et de médecine. (2) M. le Roy a indiqué les précautions qu'il est indispensable de prendre relativement à la chaleur extrême du bain de source, qui est de 41 à 42 degrés, à la manière de la modifier dans le bain de cuve et dans l’étuve, et aux remèdes auxiliaires. Ces ob- servations utiles sont contenues dans deux Mémoires sur les eaux de Balaruc, dont M. le Roy attribue l'efficacité à la grande quan- tité de sel marin qu’elles contiennent, et à la chaleur dont elles sont pénétrées. , (3) Académie des sciences, 1699. PHYSIOL. ET MÉD. — LE ROY. 437 Bolduc (1), il en a déterminé les vertus avec une sa- gesse et une modération malheureusement trop rares parmi ceux qui écrivent sur les eaux minérales, dont l'intérêt et l'enthousiasme exagèrent si souvent les avantages. En cherchant à composer des eaux minérales arti- ficielles , il est un des premiers qui aient essayé tous les moyens que la chimie fournit pour y suspendre le soufre ; aucun ne lui a paru aussi propre à cet usage que la magnésie ou base du sel d’epsom. C’est d’après ce principe que sont dictées les formules utiles qu'il a publiées dans un mémoire particulier sur la manière d’imiter les eaux minérales sulfureuses. Quel médecin étôit plus digne que M. le Roy de succéder à M. Venel dans le travail important que le gouvernement a ordonné sur les eaux minérales de France ? Quel médecin réumissoit à un plus haut degré les connoissances nécessaires au succès de cette entre- prise? M. le Roy , malgré ses nombreuses occupations, a mis les observations de M. Venel en ordre ; ily a ajouté des réflexions ; et nous avons lieu d’espérer que cet ouvrage, commencé par deux médecins eélèbres , et confié maintenant à un chinuste habile (2) , ac- querra enfin le degré de perfection dont les progrès de la chimie le rendent susceptible. Il étoit temps que M. le Roy fit l'application de ses (1) Voyez différentes analyses de Bolduc, Académ. des sciences, 1726 et 1729. (2). M. Touvyenel, associé régnicole de la Société royale. 438 ÉLOGES HISTORIQUES. travaux à la pratique de la médecine. Lorsqu'il essaya de se rendre compte à lui-même des connoissances qu'il avoit acquises, 1l s’'aperçut que la nature de cer- taines maladies , telles que la petite-vérole , la rou- geole, la pleurésie, les fièvres intermittentes sim- ples , etc. étoit exactement déterminée; mais il vit avec peine que les auteurs les plus recommandables étoient d’une opinion différente sur la division et la nomenclature des fièvres ; que Boërrhaave a souvent donné le nom d’ardentes aux fièvres appelées malignes par d’autres médecins ; que VVillis, Morton et Fizes ne sont point d'accord sur l’idée qu’on doit avoir de la fièvre putride, regardée par Willis comme n’ayant point de redonblemens , et par Morton comme étant rémittente. L’incertitude de ces opinions engagea M. le Roy à se faire une méthode particulière , fondée sur l’obser- vation des fièvres dans le climat qu'il babitoit. Il avoit remarqué que tous ceux qui ont écrit sans établir leurs travaux sur une base semblable ont avancé beaucoup de propositions vagues , et dessiné des tableaux sans mo- dèle et sans ressemblance. Il ne reconnoïssoit que deux classes de fièvres, qu'il distinguoit, suivant le dan- ger dont les jours du malade sont menacés, en bénignes. et malignes (1), et qu'il subdivisoit chacune en quatre: espèces (2). La fièvre accompagnée d’un érysipèle à —_—— G) Cette première division paroît un peu vague; mais, considé- rée dans ses détails, elle est exacte. Voyez le Mémoire de M. le Roy sur les fièvres. (2) Celles de la première classe sont 1.° la fièvre continue , bémi- PHYSIOL. ET MED. — LE RO Y. 439 la face, qu'il rangeoit dans la première classe; la fièvre soporeuse des vieillards et la fièvre charbon- neuse qu'il rapportoit à la seconde , sont des maladies assez fréquentes dans le Languedoc : il les a décrites d’une manière nouvelle, et ilen a tracé la méthode curative d’après les indications les mieux présentées. On ne doit point confondre les maladies populaires avec les épidémiques. Les premières ne doivent être regardées que comme une extension de celles qui sont propres à un climat dans lequel des circonstances par- ticulières en augmentent le nombre et l'intensité. Les secondes se propagent dans un pays où elles sont étran- gères , et où elles ont été apportées d’une antre région qui est leur berceau. Ainsi la fièvre miliaire et la ca- tarrhale maligne, dont Hoffman a donné la descrip- tion , sont propres à plusieurs provinces de l’Alle- # gne ; 2.° la fièvre quotidienne; 3.° la fièvre tierce dégénérée en continue; 4.° la fièvre accompagnée d'un érysipèle à la face... Celles de la seconde classe sont 1.° la fièvre maligne des vieil- lards; 2.° la fièvre maligne des jeunes gens; 3.° la fièvre maligne charbonneuse , endémique en Languedoc; 4.° la fièvre maligne des accouchées. Dans quelques fièvres malignes, M. le Roy a observé que le pouls ne battoit que quarante à cinquante fois par minute. Ces fièvres n’étoient pas les plus dangereuses. Il est en général plus facile d’exciter la nature trop lente, que de la modérer lorsque ses mouvemens se font avec trop d'énergie. Voyez Mémoires et observations de médecine, I.'° partie, contenant deux mémoires sur les fièvres aiguës : à Montpellier 1766, in-8.° ; Mélanges de physique, de chimie et de médecine : à Paris, chez Cavelier, 1771, in-8.° ; et Mélanges de médecine, I.° partie, etc. chez Didot , 1776 in-8°, 440 ÉLOGES HISTORIQUES. magne ; les fièvres pétéchiales règnent presque sans interruption dans la basse Hongrie ; les fièvres inter- mittentes semblent appartenir aux lieux humides, va- seux , et dans lesquels il y a des débris de végétaux en fermentation. La fièvre jaune que M. Lind a vue quelquefois épidémique dans les ports d'Angleterre , y est toujours répandue par les vaisseaux venant d’Amé- rique , où la petite-vérole étoit inconnue avant la con- quête ou plutôt l'invasion de cette partie du monde. Enfin , quelques contrées du Levant sont assez malheu- reuses pour être le foyer du plus terrible des fléaux : le commerce à réumi les individus les plus éloignés ; le Nord et le Midi se sont communiqué leurs maladies : productions funestes que l’homme semble cultiver par ses excès ; et les peuples ont vu s’accroître en même temps leurs besoins et leurs malheurs. Cette distinction des maladies populaires et épidé- miques a conduit M. le Roy à une réflexion aussi utile qu’elle est simple et vraie. La connoïssance de la nature et du traitement des maladies propres à chaque contrée doit nécessairement apprendre dans un aütre pays où elles sont répandues et épidémiques, à en déterminer la nature et le traitement : d’où il résulte que le moyen le plus sûr pour avoir un tableau de toutes les épidémies proprement dites, soit existantes , soit même possibles , seroit de se procurer, par une correspondance exacte et très-étendue , ainsi que la Société l’a projeté, la description des maladies populaires particulières à chaque contrée. Et en effet l'illustre ; PHYSIOL. ET MÉD. — LE ROY. 44: Sydenham auroit-il méconnu la fièvre miliaire en 1684 s’il avoit été instruit de son apparition à Leip- sick ; plus de trente années auparavant, en 1652? On donne le nom de crise aux efforts organiques qui tendent à faire sortir les substances irritantes dont la maladie est la cause ou l'effet. Séduits peut-être, comme Celse l’a présumé , par l'harmonie des nom- bres , les anciens ont admis des jours divisés par sep- tenaires et demi-septenaires , lesquels étoient , selon eux ; destinés aux crises : d’autres imdiquoient leurs approches , et un petit nombre permettoit l'usage des médicamens. M. le Roy parle de cette disposition avec érudition et impartialité. Outre que Galien , Archigène et Dioclès différent sur plusieurs points importans de cette doctrine (1), 1l y a beaucoup de circonstances dans lesquelles les premières nuances de la maladie se confondent tellement avec l’état de santé, qu'il est presque impossible d'indiquer le jour qui doit être le premier dans l’ordre de ce calcul (1). L'existence et l'utilité des crises n’en sont pas moins démontrées ; elles sont indiquées par des redoublemens , par des efforts , qu’un médecin instruit et exercé sait recon- noître et qu'il ne trouble jamais. C’est donc plutôt aux mouvemens qui les annoncent, qu’aux jours qui les précèdent , que l’on doit donner son attention. (1) Les uns regardoient le 20; les autres le 21, comme critiques. Queilques-uns accordoiïent à ces deux jours les mêmes préroga- tives. (2) On éprouve, sur-tout dans les fièvres des femmes en couche cette difficulté pour le compte des jours, 442 ÉLOGES HISTORIQUES. L'art du pronostic est fondé sur la connoissance de ce qui s’est passé, de l’état actuel du malade , et de toutes les circonstances qui l’environnent. Hippocrate ayant jeté les fondemens de cette science , M. le Roy a réumi (1) tous les jugemens épars dans les ouvrages de ce médecin illustre ; il les à rapprochés, analysés et comparés avec les observations des modernes ; maïs en mème temps qu'il a donné cette preuve de son res- pect pour la mémoire et de sa confiance dans les écrits d’Hippocrate , il s’est élevé avec force contre la sou- mission aveugle de certains auteurs à la doctrine des anciens. [l a montré de quelles erreurs une admira- tion aussi peu éclairée a été la sourcé , et combien elle a prolongé ces siècles d’ignorance ; dans lesquels les écrivains de l’antiquité étoient révérés comme des dieux dont on se permettoit quelquefois d'interpréter les oracles ,; mois que l’on n’osoit jamais contredire. M. le Roy a au contraire établi que , dans une science de faits, l'autorité la plus respectable peut et doit même toujours être tradmite au tribunal de lexpé- rience (2). | Une suite de travaux aussi utiles lui acquit la répu- tation la mieux méritée ; 1l la vit bientôt s'étendre (1) Du pronostic dans les maladies aiguës, dans les Mélanges de médecine, I[.® partie, chez Didot, in-8.°. (2) On lira aussi avec plaisir, 1.° un Mémoire de M. le Roysur le scorbut , dans lequel cette maladie est considérée comme acciden- telle et comme constitutionnelle. On y trouve, sur ce dernier genre de scorbut, des réflexions très-jndicieuses; 2.° une Dissertation la- tine de Purgantibus, auctore d.'° le Roy. Monsp. 1759, in-4.°. PHYSIOL. ET MÉD. — LE ROY. 443 vers la capitale , qu’il n’avoit quittée qu’à regret; 1l manquoit à une famille dans laquelle les talens sem- bloient être héréditaires, et qui, possédant quatre frères également célèbres en divers genres (1), devoit être empressée de les voir réumis, et d’offrir à la capitale un phénomène littéraire aussi rare qu'il étoit intéres- sant. Le plaisir de vivre dans sa patrie, et la solli- (1) M. Pierre le Roy l'aîné parcourt avec succès la carrière il- lustrée par son père. Il s’est fait connoître en 1748 par un échap- pement d’une nouvelle invention. En 1755, il a présenté à l’Aca. démie royale des sciences une pendule d’une construction très- ingénieuse, en ce qu’elle n’a pas besoin de rouage, et que de petits grains de plomb qui tombent d’un réservoir dans des augets donnent à la machine l'impulsion qui lui est nécessaire, En 1769 et 1771 il a remporté les deux prix proposés par l'Académie royale des sciences sur les montres marines. M. Jean-Baptiste le Roy, le se- cond des quatre frères, est compté parmi les membres les plus distingués de l'Académie royale des sciences. On lui doit, sur la mécanique , sur la physique, et principalement sur l'électricité, des mémoires très-intéressans. M. Julien-David, le troisième, après avoir voyagé dans la Grèce, et y avoir contemplé les mo- numens qui ont échappé à la barbarie, en a décrit les ruines dans un bel ouvrage. Il a succédé au célèbre Blondel, dont il est élève, dans sa place de professeur à l’Académie d'architecture. Celle des inscriptions et belles- lettres l’a associé à ses travaux; il a communiqué à cette Compagnie des mémoires très-curieux sur la marine des anciens peuples, expliquée et considérée par rapport aux lumières qu’on peut en tirer pour perfectionner la marine moderne. M. Charles le Roy, auquel cet éloge est consacré , étoit le plus jeune des quatre frères. Tant de connoissances et de talens réunis dans une même famille doivent être regardés comme le fruit d’une éducation dirigée par un père que le bruit de sa propre renommée n’a point détourné du plus sacré de tous les devoirs, celui de former le cœur et l'esprit de ses enfans. 444 ÉLOGES HISTORIQUES. | citation des personnes les plus distinguées , invitoient depuis long-temps M. le Roy à y revenir : il céda enfin, et 1l se fixa à Paris dans le mois de février 1777. Quel changement ! une ville immense à parcourir chaque jour ; un grand nombre de concurrens à balan- cer; tout le monde à la fois à satisfaire ; répondre à la foule des curieux, dont l’amour de la nouveauté dirige la confiance et les goûts; résister au torrent des importuns ; déconcerter la critique ; braver l'envie : telle est la tâche pénible qu’un médecin s'impose lorsque , appelé dans la capitale , ses talens le portent aussitôt au faîte de la célébrité, sans qu'il ait eu la peine d’en parcourir les routes et les détours. M. le Roy n’avoit pour se soutenir dans un rôle aussi difficile que sa probité et son expérience en médecine. On ne trouvoit en lui ni cette agréable urbanité qui, en don- nant des graces aux talens , semble alléger le poids des infirmités , et sait répandre à propos quelques fleurs sur la fin de notre carrière ; n1 cette assurance qui persuade , entraîne et porte la conviction dans les esprits; encore moins cette adresse qui connoît l’art de subjuguer le public avec une force dont on sait varier les nuances suivant le besoin et la trempe des esprits. On reprochoit à M. le Roy une froideur , quelquefois même une taciturnité bien excusables sans doute , puisque, produite par l'attention profonde qu'il donnoit à l'état de ses malades, elles ne pouvoient que tourner à leur profit. Nous ne devons pas oublier de donner une preuve de sa délicatesse , en rapportant les moyens qu'il a choisis PHYSOIL. ET MÉD. — LE ROY. 445 pour acquérir le droit de pratiquer la médecine à Paris. Il lui auroit été en même temps facile et commode d'obtenir une place qui lui en auroit donné le privi- lége ; mais il aima mieux se présenter à la Faculté de médecine ; et, après avoir professé pendant vingt années , s’exposer au désagrément et à l'ennui d’un examen et d’une thèse, persuadé qu’un médecin ne peut offrir à cette illustre Compagnie trop de témoi- gnages de son dévouement , et au public trop de titres pour mériter sa confiance. Les occupations fatigantes auxquelles 1l se livroit sans réserve épuisèrent bientôt ses forces; elles s’affoi- blirent sensiblement dès le milieu de l’année 1778. Dans les premiers mois de l’année suivante , 1l com- mença à vomir après ses repas ; 1l eut néanmoins le courage de continuer son travail avec la même ardeur, jusqu’à la fin du mois de septembre de la même année. A cette époque , ses douleursäevinrent plus vives, et ses vomissemens se rapprochèrent. M. le Roy vit sans éton- nement les progrès d’un mal dont il soupconnoit de- puis long-temps la nature et le siége. Son art ne lui fournissant aucune ressource pour éloigner une mort inévitable , son courage lui donna la force nécessaire pour n’en être point effrayé. Il ne fatigua point ses confrères, en leur demandant des avis qui auroient été inutiles. Il s’empressa de mettre en ordre les cahiers de feu M. Venel qui lni avoient été confiés ; 1l pria M. Lorry de déposer au bureau de la Société les mé- moires dont il avoit été nommé commussaire ; et 1l attendit daus les bras de ses frères , et an milieu de Dir Le à mn 446 ÉLOGES HISTORIQUES. ses amis, l'instant où il devoit cesser de souffrir et de vivre. Il mourut des suites d’un squirre au pylore , le 10 du mois de décembre 1779 ; âgé de cinquante- quatre ans moins quelques jours. Avec moins d'amour pour l'étude et pour la céléé brité qui en est la récompense , M. le Roy auroit peut- être passé des jours plus longs et plus paisibles ; maïs le bonheur tient-1l de si près à cette tranquillité dont quelques-uns se font une froide idole ? et ne doit-on pas plutôt l’estimer, en raison des jouissances qu’un homme instruit et vertueux sait se procurer ? Quel état en réunit plus dans ce genre que celui d’un pro- fessenr habile, qui répand et fait circuler les vérités parmi les hommes, et d’un médecin savant , qui, sans cesse occupé de leur conservation ; est assez heureux pour diminuer la somme des maux qui les accablent ? M. le Roy a eu le plaisir d’être utile sous ce double aspect, et il a jou du véritable bonheur dont la foible humanité est susceptible : on ne doit donc ni le blä- mer, ni le plaindre, mais faire ses efforts pour limiter. FIN DU DEUXIÈME VOLUME. TABLE DES ÉLOGES HISTORIQUES CONTENUS DANS CE VOLUME. ! | LSPPR de Poulletier de la Salle, page 1 —— de Schéele. 19 —— de Spielmann. 48 —— de Wareler. 61 —— de Vergennes. 94 Notice historique sur les principales Académies. 141 Réflexions sur les sciences. 153 Discours prononcé devant le prince Henri de Prusse. 163 Éloge d’ Arnaud de. Nobleville. 171 de Barbeu Dubourg. 181 —— de Bourllet. 197 —— de Fothergrll. 215 —— de Gaubius. 262 —— de Girod, 295 —— de Haller. 304 —— de Hunter ( Guillaume). 352 —— de Lamure (de). 389 —— de Lefévre Deshayes. 415 —— de Le Roy. 421 “ * ALI Aer e ARLES TRE à S 7 À & . FR pre \ + g L (5 fi T0 FINE Le ë tt EUR) 41) (f { TS N m4 ! : ! ME 11 dx { | TE: À Pa k ï 1, l in M ' ‘ ” heu: AU Fe ; AE (l AU ' LE 4 fe l | l (1 { He L pe À a rit ? 1 id ï "+ * LE à ' L} + 4 L ) F2 ‘ Ent , 2 ps dr ' LA (Ph is / | M ' fl n ! 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