UNIVERSITY OF TORONTO LIBRARY The _ Jason A.Hannah Collection in the History of Medical and Related Sciences Digitized by the Internet Archive in 2010 with funding from University of Ottawa http://www.archive.org/details/oeuvresdevicadaz03vicq OŒUVRES DE VICQ-D'AZYR, RECUEFILLIES ET PUBLIÉES AVEC DES NOTES ET UN DISCOURS SUR SA VIE ET SES OUVRAGES; par Jaco. L. MOREAU (de la Sarthe), Docteur médecin, Sous- bibliothécaire de l'École de médecine, Membre adjoint de la Société de cette École, membre de la Société philo- mathique, des Sociétés de médecine de Paris, de Montpellier, etc. ORNÉES D'UN VOLUME DE PLANCHES, GRAND IN-4.% ET D'UN FRONTISPICE ALLÉGORIQUE. TOME TROISIÈME: tt St ot DE L'IMPRIMERIE DE BAUDOUIN. A PARIS, Chez L. DUPRAT-DUVERGER, rue des Grands Augustins, N.0 24. AN XIIH = 1009. ee rFrr2P2LeSS LS ” ÉLOGES HISTORIQUES. _ SUITE DE LA TROISIÈME SECTION. LIEUTAUD. Sr C'esr un singulier spectacle que de voir les hommes formant des projets qu'il n’est pas souvent en leur pouvoir d'exécuter , frapper presque toujours un but différent de celui qu'ils veulent atteindre. Les uns se donnent une peine inutile pour sortir de la sphère dans laquelle ils sont circonscrits ; les autres, aban- donnés au tourbillon qui les entraîne, et n'étant plus les maîtres de l'impulsion qu'ils ont reçue, se trouvent portés vers des objets qui n'étoient pas ceux de leurs premières recherches; quelques-uns même chérissent en vain le repos et la tranquillité; en vain ils sont attachés au sol qui les a vu naître. Des circonstances qu'ils n’ont point ménagées rompent toutes leurs me- sures; et celui qui vouloit vivre oublié, conduit par des événemens imprévus, se trouve loin de sa patrie, revêtu de dignités qui sont venues s'offrir d’elles- mêmes. Tel a été Joseph Laéutaud, conseiller d'état, pre- 5: 3. 1 2 ÉLOGES HISTORIQUES. mier médecin du roi, de Monsieur, frère du roi, de monseigneur comte d'Artois, ancien professeur de médecine en l’université d’Aix, docteur-régent de la Faculté de médecine de Paris, de l’Académie royale des sciences, membre de la Société royale de Londres, président de la Société royale de Médecine. Ce savant naquit à Aix en Provence, le 21 juin 1703, de Jean- Baptiste Lientaud, avocat au parlement d’Aix, et de Louise Garidel. Écrire son histoire c’est montrer com- ment un homme modeste et sans ambition est parvenu à la première place de son état, c’est tracer une route peu suivie, quoiqu’elle soit la plus honorable, sans cependant être la plus sûre. M. Lieutaud étoit le plus jeune et le plus foible de douze enfans; il ne tarda pas à les surpasser en consi- dération et en fortune : étrange effet de l’ordre social , dans lequel les forces physiques sont ordinairement le moindre de tous les avantages, tandis que dans l’ordre naturel elles occupent le premier rang ! Déja sa fanulle avoit fourni des hommes utiles à son pays et à l’état, tels que des ecclésiastiques, des militaires, des magistrats distingués et des savans, parmi lesquels on compte Garidel, médecin et bota- niste célèbre, qui a décrit dans un ouvrage estimé les plantes de la Provence. De tous les genres de travaux et de célébrité dont ses ancêtres lui offroient des modèles, ce dermier fut le seul qui excita son émulation. La délicatesse de son tempérament s’opposa long -temps à l'exécution de son dessein. Il est assez d’usage que le chef d’une PHYSIOL. ET MÉD. — LIEUTAUD. 3 famille nombreuse consacre quelqu'un de ses enfans à l'autel, et qu’il se charge lui-mème du soin de le choisir. Les parens de M. Läientaud le regardoient commé celui des leurs qui étoit le moins propre à réussir dans le monde, et que ses mœurs et son esprit rendoient le plus capable, sinon d'obtenir, au moins de mériter des distinctions dans l’état ecclésiastique ; mais les engagemens qu’il devoit contracter l’effrayè- rent lorsqu'il en connut toute l'étendue. Il pensoit trop délicatement pour mettre de la contradiction entre sa conduite et ses devoirs , et ses parens furent obligés de renoncer à leur projet. Plus d’une fois cependant M. lieutaud hésita dans le choix pour lequel il s’est déterminé. Il ‘craignoit que la difformité de sa taille et la froideur de son ca- ractère ne fussent un obstacle à ses succès dans la prati- que de la médecine. Il se seroit épargné cette inquiétude s’il avoit réfléchi que pour obtenir la confiance du public il s’agit moins de lui plaire que de fixer son attention, et que l’homme qui le traite avec le plus de rigueur n’est pas toujours celui qui en recoit le moins de caresses. Chaque trempe d’esprit a ses besoins : les uns veulent trouver dans la figure, dans le maintien, dans le ca- ractère de leur médecin . de la douceur et de la conso- lation ; les autres aiment à rencontrer dans le leur un . hommé sévère et menaçant : s’il les gronde pour les fautes qu'ils ont commises dans le régime, ils lui savent gré de ses reproches et même de sa dureté, qui leur paroît être l’effet de l’intérêt qu'il prend à leur conservation ; il en est enfin qui, regardant la méde- 4 ÉLOGES HISTORIQUES. cine comme une sorte de magistrature, désirent que leur juge soit un homme froid, impartial , indifté- rent : classe à laquelle M. Lieutaud devoit être rap- porté. nd Ses premiers goûts furent le fruit de l’exemple. Élevé sous les yeux de Garidel, l’étude de la botanique devint la principale occupation de sa jeunesse (1); les voyages fréquens qu’elle lui fit entreprendre fortifièrent son tempérament. Cette science , féconde en plaisirs, et dans la pratique de laquelle chaque’instant a sa récom- pense , est en effet un moyen très-favorable à la santé de ceux qui ont besoin d’être toujours occupés, et qui ne savent se distraire qu’en changeant de travail. Elle consume utilement une partie de cette activité qu'il est si facile d'employer, même dans la carrière des, sciences , d’une manière préjudiciable à notre conser- vation. Après avoir été reçu docteur en la Faculté d’Aix, il fut envoyé à Montpellier. Le neveu de Garidel, (1) M. Lieutaud joignoit à l’étude de la botanique celle de la minéralogie; il s’étoit formé dans ce dernier genre un cabinet très-curicux. LU Il avoit beaucoup cultivé le dessin. Voyez , à la fin de son Ana- tomie, plusieurs figures qu'il a dessinées lui-même. Presque toutes les connoissances physiques lni étoient familières, Il avoit beaucoup étudié l'astronomie. Je lui ai entendu dire qu'une raucité qu’il a conservée toute sa vie étoit due à ce qu’il avoit démontré le ciel à sestélèves pendant plusieurs nuits très-froides. Deux globes, l’un terrestre, l’autre céleste, qui ornoïent son ca- binet, étoient son ouvrage. PE ET Se Me ET ae is v s VAN ETS À Lui SE. x PHYSIOL. ET MÉD. — LIEUTAUD. 5 qui avoit déja lui-même acquis de la célébrité, y de- vint bientôt le chef des herborisations dont les Pyré- nées et les Cévènes étoient le théâtre le plus ordi- maire. M. Lieutaud en rapporta plus d’une fois des plantes dont on ne soupçonnoit pas même l'existence dans ces contrées, et qui avoient échappé aux recher- ches de Tournefort et de Nissole. M. Chicoyneau, alors chancelier de l’université, remarqua son zèle, et 1l le fortifia par des encouragements auquel le jeune Lieutaud fut très-sensible ; car le mérite naissant a sur- tout besoin d’être accueilli. La Faculté d’Aix s’empressa de s'attacher un méde- cin qui donnoit d’aussi grandes espérances, en lui ac- cordant la survivance des chaires occupées par Garidel. 11 fut donc chargé d’enseigner l'anatomie, la physiolo- gie et la botanique. Quelqu’étendues que soient les con- noissances d’un professeur , peuvent-elles jamais l’être autant que ces trois sciences à la fois ? et chacune ne demande-t-elle pas un homme toutentier (1)? M. Lieu- taud les enseigna d’une manière utile. Mais lorsque 8 (1} Il existe, dira-t-on, tant de bons livres élémentaires; est-il donc si difficile de les expliquer dans les écoles? Mais celui qui enseigne une science ne doit-il pas y exceller? S'il ne la possède pas dans tous ses détails, pourra-t-il en extraire les principes et les offrir à ses élèves sous l’aspect le plus facile à saisir ? Com- ment en inspirera-t-il le goût s’il n’en a pas l'enthousiasme? Et l’on ne se passionne point pour ce que l’on ignore. Enfin, que doit- on attendre d’un professeur qui, plus écolier que ses disciples, et moins savant que le livre dont il commente les passages, se trouve réduit à faire connoître sa médiocrité, ou à la cacher sous - le voile d’une latinit obscure et d’une pédanterie révoltante ? 6 ELOGES HISTORIQUES. le succès d’une école dépend de la réunion de tant de lumières , peut-on espérer de voir souvent des fonc- tions aussi importantes convenablement remplies par un seul homme? et n’est-1l pas à désirer que le pro- grès des lumières , auquel on doit un comen de réforme dans l’éducation privée , influe bientôt sur l’enseignement public , qui a besoin d’une révolution générale pour être mis au niveau des connoissances acquises ? Comme professeur de botanique , et comme chargé de continuer la description de l’histoire naturelle de la Provence , commencée par Garidel , M. Lieutaud y faisoit avec ses élèves de fréquens voyages. Il s’en fallut peu qu'il ne fût un jour la victime de son zèle. Il cher- choit depuis long-temps une belle plante appelée echium flore albo ; il la vit à une distance considérable sur le penchant d’un coteau qui étoit comme suspendu au- dessus d’une carrière très-profonde. Emporté par son ardeur , il y courut, et s’aperçut du danger seule- meut après avoir cueilh la fleur qui étoit l’objet de ses désirs. Il n’osa faire aucun mouvement sur un terrain rapide et glissant ; la moindre tentative pouvoit le précipiter. On trouva dans les environs une corde usée à laquelle il fut obligé de confier sa vie , et 1l gagna ainsi le sommet , au milieu des acclamations de ses élèves qu'il avoit eu beaucoup de peine à empêcher de s’exposer aux mêmes risques en volant à son secours. Jusque-là M. Lieutaud avoit suivi la route tracée par son oncle ; mais il est rare que les hommes se lais- sent long-temps gouverner par des goûts qui ne sont PHYSIOL. ET MED. — LIEUTAUD. 7 pas les leurs. Il semble qu'ils aiment à user de leur liberté , en faisant un choix qu’on ne puisse attribuer à aucun autre motif. L’anatomie devint l’objet prin- cipal de ses travaux. Ayant été nommé médecin de l’hôtel-dieu de la ville d’Aix , 1l sentit combien ce genre de recherches lui devenoit nécessaire : il ne pensoit pas comme ceux qui prétendent que l’on peut être un très-habile mé- decin , quoique l’on n'ait pas pris la peine de s’instruire en anatomie. La chimie et la physique se trouvant en- veloppées dans la même proscription , n'est-ce pas comme s1 l’on assuroit que l’on peut guérir des ma- lades sans connoître le siége et la nature des organes affectés ; qu'il est possibie de préparer convenablement les médicamens , quoique l’on ignore les lois de leurs combinaisons ; et, que pour régler le régime et ladiète, il est inutile de savoir quelles sont les quahtés des ali- mens , de l’air et des eaux? Telles sont cependant les conséquences absurdes et dangereuses des assertions que l'ignorance et l'envie répandent et font croire à la multitude. Les fauteurs de ces principes se vengent de ceux dont ils redoutent les talens , en se servant de leurs propres travaux pour opposer un obstacle à leurs succès. Ils leur accordent volontiers la supériorité des connoissances., en se réservant celles de l’habileté : comme si les premières n’étoient pas nécessairement la base de la seconde ! Chacum d’eux croit on dit en savoir assez ; mais la précision et l’enchaînement que ces sciences exigent étant incompatibles avec la mé- diocrité , de pareilles restrictions ne servent qu'à prou- 8 ÉLOGES HISTORIQUES. ver l’igncrance de ceux qui les réclament. M. Lieutaud se rangea dans la classe des médecins qui s’exposent , par leur amour pour l'étude, à fournir contre eux des armes à l’envie , et cependant il fut assez heureux pour n'avoir pas à s’en plamdre. L'hôpital qui lui fut confié le mit à portée de se livrer aux travaux de l'anatomie ; 1l y éprouva d’abord des difficultés assez grandes. Un ecclésiastique , admi- nistrateur de cet hôpital ; s’opposa à ce que la dissec- üon y fût permise, M. Lieutaud , qui cherchoit à s’em- parer de sa confiance , remarqua qu’il parloit quelque fois avec éloge de la géométrie; 11 profita de ce pen- chant pour le ramener à son but. Comme 1l en savoit assez pour lui en donner des leçons, 1l devint son maître ; et bientôt le disciple plus docile, avec un juge- ment plus droit, permit non seulement ce qu'il avoit proscrit ,; mais il devint encore un des plus zélés par- tisans de l’anatomie. Si M. Lieutaud avoit mis moins d'adresse dans cette négociation , la médecine auroit sans doute été privée des observations qu’elle doit à ses travaux ; l’ecclésiastique auroit continué d’être igno- rant et entèté, ce qui est presque inséparable , et la dissection seroit peut-être encore défendue dans l’hô- pital de la ville d’Aix. Ses succès dans l’enseignement de l’anatomie dé- terminèrent le parlement à lui accorder les corps des suppliciés, sur lesquels il a plusieurs fois démontré les vaisseaux du chyle et les vésicules spermatiques. M. Lientaud profita de cette circonstance pour don- ner à ses élèves une instruction qu'il n’auroit pu, leux PHYSIOL. ET MÉD. — LIEUTAUD. 9 procurer par une autre voie. Mais ce ne dut pas être sans répugance ; €t comment n’en coûteroit-il pas à un homme sensible pour s'exercer sur des corps qui , tout défigurés par les marques d’une flétrissure humi- lianté, passent de l’échafand dans un amphithéâtre , où 1ls semblent être abandonnés au dernier instru- ment de la vengeance ordonnée par les lois ? Long- temps l'anatomie fut restreinte à ces tristes moyens: et quelle ardeur , quel amour de la vérité ne devons- nous pas supposer à ceux qui ont puisé dans les en- trailles des suppliciés les découvertes dont nous jouis- sons avec tant de sécurité ! Les connoissances acquises sont un bienfait dont la trace est perdue, un héri- tage dont nous usons sans reconnoissance. Il semble même que nous ignorions combien cette masse de lumières dont notre siècle s’honore , et qui promet dans l’avenir un si beau jour , a coûté de soins et de peines à ceux qui nous les ont transmises. M. Lieutaud goûtoit alors tout le plaisir que l’on éprouve lorsqu’en aimant le travail on a le bonheur d’être livré à celui que l’on préfère. Il étoit dans cette époque moyenne de la vie où , après s'être donné beau- coup de peine , on commence à jomir, et où l’on a l'espérance bien fondée d'obtenir des succès dont la perspective est sonvent plus agréable que la possession ;- la première surpassant autant la seconde qne l’appa- rence et l'illusion sont au-dessus de la réalité. Il se concentra long-temps dans l'hôpital d’Aix ; et ce ne fut qu'après y avoir mari ses idées qu'il osa se mesurer ayec les médecins de cette ville , qu’une 9 4 1 de 10 ÉLOGES HISTORIQUES. longue expérience avoit rendus célèbres. On ne le vit point imiter ces guérisseurs, qui, tout couverts de la poussière des écoles ; se tourmentent pour avoir l’air d’être occupés, et qui, peu différens des empiriques, dont l’art consiste à se montrer sur les places pour attirer la foule autour d’eux, ne cessent de se faire voir dans les différens quartiers de la ville, où ils fei- gnent d’être appelés pour en imposer à la multitude. Ce n’est pas sans doute pour les vrais médecins que l’on a cru devoir placer ici ces réflexions ; c’est en faveur du public, qui seroit moins souvent induit en erreur sl avoit les yeux plus ouverts sur les moyens que l’on emploie pour le séduire , et s’il savoit que rien ne peut suppléer à l'application et à l’étude ; que l'expérience n’instruit point celui qui n’est pas en état d’en profiter ; que la routine est souvent la source des méprises les plus funestes; et que si les gens du monde se montroient plus difficiles dans le choix des per- sonnes auxquelles ils donnent leur confiance , et s’il étoit plus aisé de la mériter que de la surprendre, on verroit les. vrais talens plus honorés, la science faire plus de progrès , et la nature moins accablée par des maux que l’on aggrave , et par des remèdes que l’on accumule sans indication et sans besoin , comme sans succès. M. Lieutaud choisissoit parmi les faits qu'il obser- voit ceux qui méritoient le plus d’attention , et il les communiquoit à l’Académie royale des sciences, qui, satisfaite de ses travaux , le nomma son correspondant en 1735, sur le rapport de VViuslow. De ce nombre PHYSIOL. ET MÉD. — LIEUTAUD. 11 sont les observations qu'il a faites sur la vésicule du fiel, dont il a fait voir que le conduit (1) sert tantôt à recevoir la bile qui remonte du canal cholédoque , tantôt à porter vers l'intestin ce même fluide lorsqu'il a acquis une énergie plus grande (2): sur le mécanisme du vomissement (3) , dont il a prouvé que les forces même de l’estomac sont l’agent immédiat; et sur l'usage de la rate (4). Il a fait voir quel’on peut regarder la pression de l’estomac distendu comme la cause qui la détermine à se vider pendant la digestion , et à four- (1) Observations sur la vésicule du fiel, Académie des sciences, 1735. Le col de la vésicule du fiel dont il a parlé étoit bouché par un calcul qui empéchoit la bile hépatique d'y arriver. (2) Il a aussi communiqué à l’Académie les observations sui vantes : 1.° sur une quantité très-considérable de pus, dont les sinus frontaux, sphénoïdaux et maxillaires étoient le foyer, dans un cas où l’on croyoit mal à propos la poitrine affectée, 1735 : 2.° sur deux livres au moins de sérosité très-claire trouvée dans les ven- tricules du cerveau : 1735; 3.° sur un corps osseux , de forme très- irrégulière, observé dans le côté droit du cervelet d’un épilepti- que : 1737. (3) Relation d’une maladie de l’estomac, avec quelques obser- vations concernant le mécanisme du vomissement et l’usage de la rate, Académie royale des sciences, 1752. Il est prouvé par l’ex- périence que l'estomac se suffit à lui-même pour l'expulsion des matières qu’il renferme, et que les forces des muscles abdominaux seules sont incapables de produire cet effet. (4) La rate est en général d’autant plus gonflée qne l'estomac l'est moins : dans les personnes mortes de faim, on a toujours trouvé son volume très-considérable. Voyez les observations de M. Lieu- taud sur la grosseur naturelle de la rate : Acad, royale des sciences» 1738. $ > 12 ÉLOGES HISTORIQUES. mir au foie une grande quantité de sang déja disposé à prendre la nature de la bile. Il publia pendant son séjour à Aix deux ouvrages plus considérables , l’un sur l'anatomie , l’autre sur la physiologie. Le premier, sous le titre modeste d’Essais (1), contient une description exacte et abré- gée du corps bumain : on y remarque sur-tout un tableau méthodique des articulations , une description bien soignée de l’œilet du cerveau , et une exposition claire et succincte des muscles de la face (2), du pha- rynx et du dos: l’auteur y a joint des avis très-utales sur la manière de disséquer et de préparer les différens organes du corps humain. La méthode est l’instru- ment le plus nécessaire aux savans : en montrant com- ment on arrive aux résultats connus, elle indique la route qui conduit aux vérités nouvelles. M. Lieutaud a fait , dans ce traité , peu d'usage de ce qui avoit été publié avant lui par les autres anato- mistes. IL regardoit les détails poussés un peu loin comme propres à surcharger la science , et il étoit vraiment affligé lorsqu'il paroissoit un ouvrage de ce genre. Mais s'il existe une portion de matière qu'il nous importe de connoître , c’est sans doute celle qui (1) Éssais anatomiques, Paris, in-8.0 1742; 2.° édition; 1766; 3.€ édition, avec des notes et supplémens par M. Portal, 1776, tom. I, et 1777, tom. II, in-8.° x (2) Il a donné une description nouvelle d’un muscle de la face qu’il a appelé la houppe du menton. Je crois pouvoir assurer ; d’après mes observatiéhs, que ce muscle se confond avec les incisifs inférieurs, LL a! PHYSIOL. ET MÉD. — LIEUTAUD. 13 est organisée , et que le feu vital anime. Chaque molé- cule a sa forme, ses rapports , ses connexions et ses usages déterminés par le Créateur : pourquoi dédai- guerions-nous d'examiner ce qui a été l’objet de ses décrets? Cet art de bien voir les petites choses a sou vent donné l'explication des plus grands phénomènes, et l’attention scrupuleuse qu'il exige est la première qualité d’un bon observateur. Qui sait d’ailleurs st, dans la suite des connoissances que l’homme est ca- pable d'acquérir , les anneaux les plus grands ne sont pas réumis par les chaïnons les plus déliés? M. Lieu- tand a prouvé, par l’exactitude de ses recherches parti- culières, qu'il ne lui manquoit que la volonté pour réussir dans ce genre, et qu'en n’usant point de ce talent il renoncoit à un des dons qu'il tenoit de la nature. Le nombre des cadavres disséqués par cet anato- miste , et dont il a parlé soit dans cet ouvrage, soit dans son Histoire des maladies, est si grand , que, d’après le calcul de ses ennemis , ce travail auroit à peine été possible dans l’espace de cent années. Ceux qui s'occupent à faire de pareilles &ritiques ne savent pas avec quelle facilité le temps se multiplie pour ceux qui l’emploient à faire le bien. Lorsque M. Lieutaud écrivoit sur la physiologie , cette partie de la médecine étoit encore séparée de celle qui apprend à connoître la structure du corps humain. Haller n’avoit point alors démontré combien cette seconde science est nécessaire à la première ; et des hommes d’un vrai mérite se permettoient de publier sur 14 ELOGES HISTORIQUES. l’économie animale des systèmes qui n’avoient besoin, pour être admis, que d’être ingénieux. M. Lieutaud sentit qu’un ouvrage de cette nature , qu’il se proposois d'écrire en latin , devoit être enrichi de toutes les beau- tés dont cette langue est susceptible parmi nous. On y lit beaucoup de ces périodes sonores et d’un sens gé- néral qui peuvent trouver place dans toutes les dis- sertations relatives, soit aux progrès , soit. à l’étude de la médecine ou de la physique. M. Lieutand ayant appris qu’on avoit copié dans un discours du même genre une partie du sien, ne s’en fàcha point , bien persuadé sans doute que personne n’a droit de s’oppo- ser à cette circulation de phrases , dont la propriété remonte aux auteurs latins mis à contribution ; telle- ment que, de ces lambeaux épars et réunis , 1l résulte un ensemble harmonieux , agréable à l’oreille , plus consulté dans ces sortes de cas que l'esprit, et que l’on peut comparer à ces pièces médiocres dont on n’en- tend le poëme qu’en faveur de la musique. A cette époque , un médecin qui occupoit la première place de son état à la cour venoit de faire paroître un ouvrage sur lequel WT. Lientaud composa des réflexions critiques , qu’il envoya , dans le dessein de les publier , à un libraire de la capitale, avec permission de les communiquer à celui qu’elles intéressoient. Ce der- nier comprit qu'il étoit de sa prudence et de son devoir d’en profiter, et de se montrer reconnoissant envers M. Lieutaud , auquel il apprit l’agréable nouvelle d’une place qu’il lui avoit aussitôt obtenue à Versailles. M. Senac l’avoit fait nommer médecin de l’infirmerie 3 PHYSIOL. ET MÉD. — LIEUTAUD. 15 royale , faveur que plusieurs attribuèrent à un ména- gement dicté par l’'amour-propre. Tous les deux firent alors ce qu'ils se devoient , et ils en retirèrent les avantages qui sont l’effet nécessaire d’une justice réci- proque. Il n’est pas permis de soupçonner les inten- tions des hommes qui se font mutuellement du bien. M. Lieutaud avoit les plus fortes raisons pour se plaire à Aix. Il y pratiquoit la médecine avec dis- tinction , il y enseignoit d’une manière brillante ; ses lecons attiroient un concours d'amateurs, parmi lesquels on compta long - temps le fameux marquis d’Argens ; ses ouvrages lui avoient mérité une consi- dération universelle ; les hommes les plus instruits se réumssoient chez lui chaque semaine dans un jour marqué : les charmes des arts agréables se joignoient souvent à ceux des sciences et des lettres pour inté- resser l’assemblée ; et celui qui en étoit l’ame et le centre y comptoit de véritables amis. Les faveurs de la fortune sont donc d’un grand prix, même pour les hommes les plus sages , puisque M. Lieutaud en pré- féra les inquiétudes à un sort aussi doux, aussi tran- quille, aussi sûrement et aussi paisiblement heureux! Il quitta cet asile de paix en 1750 pour se rendre à Versailles, alors Âgé de quarante-sept ans. Arrivé à sa destimation , 1l se renferma dans l’hospice dont il avoit été nommé le médecin. Tous les mo- mens de sa vie furent consacrés à celle des malades confiés à ses soins ; 1l habitoit parmi eux , 1l ne les quittoit jamais , rien ne pouvoit le distraire; et dans un pays où la ruse et la force se combattent sans 16 ÉLOGES HISTORIQUES. cesse, où le feu des révolutions s’allume par le choc des prétentions et des projets, .d’où partent et où se concentrent tous les efforts d’un gouvernement très- étendu ; M. Tieutaud , sourd à ce bruit, insensible à la variété et à la mobilité de ce spectacle, ne vit que des hommes affoiblis par les souffrances ou exaltés par les illusions du débre : il vit la nature en convulsion et dans des états extrêmes , des crises violentes se pré- parer, des guérisons inattendues se faire, des morts unprévies arriver , et cette chaîne de maux et de biens se succéder rapidement et sans interruption sous ses LA eux. 11 n’eut pas même le temps d’apercevoir com à 4 P P P bien ce tableau a de rapport avec les mouvemens con- tinuels et les intrigues des cours, et sous combien d’aspects celui qui gouverne les hommes ressemble à celui qui les guérit. | L'Académie royale des sciences continua d’être dé- positaire de.ses Observations (1) : les momens que la pratique de la médecine lui laissoit, étoient , comme auparavant , consacrés à l’étude de l'anatomie. Ce fut à cette époque qu'il acheva ses recherches, consignées dans les savans mémoires qui lui méritèrent, en 1952, (1) 1.9 Observation sur un écu de six liv. avalé, retenu dans l'œsophage, et poussé dans l’estomac par le moyen d’une bougie: Académie royale des sciences, 1752; 2.° Observation sur une maladie singulière, occasionnée par des chagrins, et guérie par le bruit inattendu d’un coup de fusil : Académie royale des sciences, 1752; 3.° Observation sur les suites d’une suppress on, et sur des hydatides formées dans la glande thyroïde, ibid. 1754; 4. Observation sur un polype en forme de grappe, situé immé- diatement au-dessous du larynx, ébid,, 1754. BP < : PHYSIOL. ET MÉD. — LIEUTAUD. 17 une place parmi les membres de l’Académie royale des Sciences. Il faut que le cœur humain soit bien difficile à con- noître, tant au moral qu’au physique, puisque ce sujet sur lequel on a tant écrit n’est point encore épuisé. Quoique sa structure doive être ‘plus facile à développer que ses mouvemens et ses affections, on est bien éloigné d’en avoir exposé tous les détails. L'ordre des fibres très-déliées qui le forment , et la disposition de leurs couches, n’ont pas encore été convenable- ment observées. Déja un grand nombre d’auteurs, parmi lesquels on doit sur-tout nommer M. Senac, avoient publié des ouvrages très-volumineux sur l’ana- tome de cet organe , lorsque M. Lieutaud en recom- mença l'examen dans trois mémoires imprimés parmi ceux de l’Académie royale des sciences (1). Une des- cription exacte du péricarde , une exposition fidèle de la structure des oreillettes , de celle des valvules , et une division très-ingémieuse de chaque ventricule en deux régions , dont l’une appartient à l'oreillette et l’autre à l'artère , sont les objets qu'il a le mieux traités (2). (1) 1.° Observations anatomiques sur le cœur, premier mémoire, Académie royale des sciences, 1752 ; 2.° Observations anatomiques, ou second Mémoire sur le cœur, ibid, 1752; 3.° Observations ana- tomiques sur le cœur, contenant la description particulière des oreillettes, du trou ovale et du canal artériel. (2) Il en a principalement conclu que la contraction des oreil- lettes et celle des ventricules se faisant alternativement, le vo- Jume, dans un des cas, compense celui de l’autre; que le péri- no T. de 2 18 ÉLOGES HISTORIQUES. Quoique la vessie urinaire eût été observée très-an- ciennement , sa structure m’étoit cependant pas bien connue avant M. Lieutaud. Ce que l’on avoit dit de son sphincter, de sa forme comparée avec celle d’une bouteille, et des différentes couches de ses fibres , n’étoit pas exact. La membrane interne de cette poche est, suivant cet anatomiste (1) » la seule qui soit ca- pable de contenir l'urine. Au lieu d’une membrane charnue , on n’y trouve que des trousseaux muscu- laires diversement entrelacés , et qui sont comme jetés au hasard ; et un corps spongieux de figure triangu- laire, qu’il a nommé trigone , s’étend depuis les ure- tères jusqu’auprès du veru-montanum. Les productions de l’esprit portent ordinairement l'empreinte de l’âge dans lequel elles sont écrites. IL s’étoit glissé quelques systèmes dans les premiers essais de M. Licutaud: il a eu le courage et la bonne-foi de les proscrire lui-même comme un reste d'esprit pro- fessorial : ce sont ses expressions. Ceux dont les ou- vrages contiennent des faits intéressans renoncent faci- lement aux hypothèses qui les déparent ; 1l n’y a que les auteurs dont ces dernières sont toute la richesse, qui ne peuvent se déterminer à en faire le sacrifice. Tant de travaux et de zèle attirèrent sur lui les re- carde est également rempli dans ces deux instans , ét que les ven- tricules, en se resserrant, poussent le sang dans deux directions, une partie de ce fluide étant refoulée vers l'oreillette par la cloi- son valvulaire, tandis que l’autre est lancée dans le tube artériel, (:) Voyez les Observations anatomiques de M. Lieutaud sur la etructure de la vessie, Académie royale des sciences, 1793. 1 PHYSIOL. ET MÉD. — LIEUTAUD. 19 gards du feu roi. On sait combien les qualités d’un bon père avoient d'énergie dans lame de ce prince. Il cherchoit un médecin non seulement habile, mais en- core doux, affectueux , prudent , auquel il püût confier le dépôt le plus cher de l’état, la santé de ses augustes enfans. M. Lieutaud fut choisi pour occuper cette place importante : il s’en montra digne dans la mala- die de feu monseigneur le duc de Bourgogne. Déja les médecins s’étoient réunis plusieurs fois sans avoir rien arrêté de positif sur sa nature : les uns ignoroient, les autres n’osoient dire quelle en étoit la cause. Cepen- dant la santé du prince s’affoiblissoit chaque jour. Que les enfans des rois sont à plaindre ! La vérité semble les fuir dans tous les états de la vie ; c’est dans ses der- niers instans seulement qu’elle s'empare d’eux pour ne les plus quitter , et la mort qui l’accompagne rend terribles des oracles qui, entendus plus tôt, auroient été une source de bonheur et de prospérité. Le feu roi, peu satisfait des résultats de plusienurs-consultations déja convoquées au sujet de la maladie du prince , en ordonna une nouvelle , et voulut que chaque médecin et chirurgien donnât son avis par écrit. M. Lieutaud fut précis et vrai : « La maladie de monseigneur est , » dit-il, une luxation de la cuisse , opérée par la con- » tusion des cartilages , du ligament et des glandes » articulaires de la cavité cotyloïde»; énoncé qui fixa l’attention de toute la famille royale. Mais cette vérité vint trop tard , comme c’est l’ordinaire dans les palais ‘des rois : il n’étoit plus temps d’en profiter. ; F P P M. Lieutaud quitta l’infirmerie royale pour se fixer 20 ÉLOGES HISTORIQUES. à la cour auprès des jeunes princes. Transportés dans ce tourbillon , les hommes simples et droits y sont tou- jours étrangers. On pourroit les comparer à.ces rochers qui, couverts par les eaux d’une mer orageuse | voient tont se renouveler et changer autour d’eux sans se mou- voir , et qui se trouvent au milieu de la tempête sans en partager l'agitation ni l’épouvante. Toujours à la même hauteur , on les remarque comme des écueils contre lesquels se brisent les flots de l'intrigue. M. Lieu- taud étoit un de ces hommes rares dont il se trouve un petit nombre dams les cours ; il resta. toujours le même , et il ne fut jamais que médecin et anato- miste. Occupé depuis ‘long-temps dans un hôpital consi- dérable, soit à Aix , soit à Versailles , sa nouvelle place lui offrit une sorte de retraite et de solitude; 1l y éprouva un calme dont 1l n’avoit pas joui depuis plu- sieurs années , et il ne vécut jamais plus seul qu’au milieu de la cour la plus brillante de l'Europe. L'art de s’isoler dans ce sens n’appartient point à l’égoïsme. Celui-ci ne détruit pas toutes les liaisons ; 1l en con- serve autant qu'il a de besoins , soit réels , soit ima- ginaires. M. Lieutaud n’avoit respecté que celles de ses devoirs. Cette excessive sévérité dans les mœurs est plus féconde-en plaisirs qu'on ne le pense commu- - mément., parce quäl n’y a point de Sacrifice raison- » P q YaP nable qui ne porte avec lui son attrait et sa conso- Jation. T1 profita de ce loisir pour mettre la dernière main à plusieurs ouvrages commencés depuis long-tempss en CÉÉEP de.-7 PHYSIOL. ET MÉD. — LIEUTAUD. 1 Le premier est un Précis de médecine pratique (1), dans lequel les définitions , les symptômes et le trai- tement de chaque maladie sont exposés avec soin. Le second (2) est un Traité de matière médicale, auquel il a joint un supplément sur les alimens et les diffé- rentes espèces de boissons. Il est divisé en plusieurs classes , dont les limites sont presque impossibles à déterminer ; on n’y trouve aucune notion de chimie, et les propriétés attribuées aux différentes substances sont vagues et trop nombreuses. Quoique cette pro- duction ne réponde pas au mérite de son auteur , elle a cependant été la plus achetée, la plus réimprimée et la plus répandue ; sans doute parce que , contenant une suite de formules annoncées pour-tous les cas qui peuvent se présenter , elle fournit à ces hommes qui pratiquent la médecine sans la savoir , des ressources propres à cacher leur impéritie et à favoriser un com- merce des plus coupables , dans lequel le trésor inap- préciable de la vie est nais en balance avec celui de la cupidité, (1) Précis de médecine pratique, Paris, 1760, 1 vol. in-8.°, Le même, augmenté, Paris, 1766, 2 vol. Le même, 1769 et 1776. Voyez aussi Synopsis universæ medicinæ practicæ, Amst. 1765, 2 vol. in-4.°,. Æ£adem aucta cum libro de cibo et potu, Parisüs, 1770 , 2 vol. in-4.°. Cet ouvrage a été réimprimé à Padoue, et plusieurs de ses chapitres ont été traduits et employés dans l’édition de l'Encyclo- pédie d'Yverdun. (2) Précis de la matière médicale , traduction de la seconde par- tie du Précis de la médecine pratique publiée en latin, avec un Traité des alimens et des boissons, 2 vol. in-8.°, 1770. 22 ÉLOGES HISTORIQUES. Bonnet , Valsalva et Morgagni avoient publié divers traités sur le siège des maladies, si souvent caché par la profondeur des organes ou par les sympathies ner- veuses, lorsque M. Licutaud fut engagé par M. Senac à réunir les faits les plus intéressans dans ce genre (1). Les lésions du ventre, de la poitrine, de la tête et de la surface du corps , sont décrites successivement dans ce recueil. On ne peut s’empêcher de regretter que chaque observation n’y ait pas été rapportée plus au long. La plupart ne sont que des résultats dans les- quels on trouve à la vérité l’exposition des principaux symptômes de la maladie ; mais l’ordre et la succession des accidens qui peuvent seuls en former le tableau ayant été supprimés , le lecteur ne peut que rarement en reconnoître les caractères. Cet ouvrage ressemble aux abrégés d’histoires , dans lesquels les faits rappro- chés satisfont la curiosité par la succession rapide des événemens, mais que l’on a rendus moins instructifs, en retranchant les détails qui dévoilent le véritable esprit des révolutions et le génie des peuples dont on écrit l’histoire. Si M. Lieutaud avoit été un de ces hommes mé- diocres , dont la vie présente à peine quelques cir- constances remarquables, nous nous serions expliqués (1) C’est ce qu’il a exécuté dans un ouvrage intitulé : Æistoria anatomico-medica , sistens numerosa cadaverum humanorum exti= piscia , quibus in apricum venit genuina morborum sedes , etc. 2 vol. in-4.° , 1767. M. Portal en a été l'éditeur, et y a joint ses propres observations. PHYSIOL. ET MÉD. — LIEUTAUD. 23 avec moins de liberté sur ses productions ; mais il s’est acquis assez de véritable gloire pour ne pas re- douter le jugement ; la critique la plus sévère. Le pa- négyriste , placé en quelque sorte entre son siècle et la postérité, doit se souvenir qu'il parle d’un homme qui n'existe plus , à des générations qui existeronttoujours, et vis-à-vis desquelles il se rendroit coupable, en affoi- blissant la vérité qui doit être la base de son discours. Après la mort de M. Senac , premier médecin du feu roi , tous les droits et priviléges de cette place furent conférés à une commission. Content de son sort pen- dant tout cet intervalle, M. Lieutaud avoit été bien éloigné d’en désirer un meilleur; mais un grand évé- nement devoit le porter au premier rang. Une conta- gion affreuse frappe le roi. Louis XVI monte sur le trône ; ce jeune prince appelle à lui le Nestor de la France ; 1l s’entoure de ministres éclairés. Après avoir jeté les fondemens d’une admimisiration sage et bien- faisante , il se montre juste dans le choix des officiers de sa maison. La place de premier médecin ne restera point vacante : M. Lieutaud se présente ; 1l est aussi- tôt désigné pour la remplir , et c’est à la reconnois- sance qu'il doit cette faveur. Tout le monde applaudit à un choix qui l'élève sans rien changer en lui, ni autour de lui. Quelle joie pour ce vieillard de voir ces mains si foibles, si délicates lorsqu'elles lui furent confiées, temr un aussi beau sceptre ! de contempler cette tête si chère à tous les Français, mais qui devoit lui être encore plus précieuse qu’à tout autre, envi- ronnée de la majesté royale , et de pouvoir dire : « Je 24 ÉLOGES HISTORIQUES. » mourrai donc à l'ombre de cette plante que j’ai eul- » tivée en silence, et dont j’ai vu les rameaux croître, » s'étendre et couvrir les deux mondes »! M. Lieutaud fut à peine nommé premier médecin , qu'il lui fallut donner me preuve éclatante de sa pru- dence et de son zèle. Lé deuil avoit étendu son crêpe sur les rejetons de nos rois. De vertueuses princesses , en se dévouant à la tendresse filiale , avoient contracté le germe d’une maladie désastreuse ; et la France, qui trembloit pour les jours de son nouveau maître , avoit les yeux fixés sur son premier médecin. Celui-ci se joint à M. de Lassone ; et, sourds aux cris de la prévention , ils conseillent au roi d'employer les moyens que l’art fournit pour diminuer les dangers d’un mal presque inévitable. En médecine comme en politique , lorsqu'on a un ennémi nécessaire à combattre , il vaut mieux se disposer prudemment à l’attaque , que de l’attendre dans une fausse sécurité. Le roi et une partie de la famulle royale farent inoculés avec succès, et la nation vit ses inquiétudes calmées par la sagesse de ceux qui veilloient à la conservation de leur santé. La place de premier médecin des rois ou des empe- reurs a toujours été regardée comme très-Importanté dans leurs cours. Connu sous le nom d’archiatre (1), (1) Il paroît que ce titre a passé de l'empire d'Orient à la cour des empereurs romains; on l’a donné, dans plusieurs ouvrages ; à Andromachus, médecin de Néron, et à Démétrius, médecin d’Antonin, mais il n’est pas bien prouvé qu'ils aient réellement possédé ce titre, qui semble avoir commencé sous Constantin , dont Théodore étoit archiatre, Dès-lors il y eut à la cour des empereurs PHYSIOL. ET MÉD. — LIEUTAUD. 25 il présidoit à tout ce qui concernoit la santé publique. Cette dignité ne perdit rien de son éclat dans le com- mencement de notre monarchie ; le premier médecin fut même décoré , sous le règne de Henri IT , du titre de comte, qu’il a conservé depuis cette époque. Lesuni- versités lui ayant enlevé les droits de réception et d’exa- men ; 1l lui restoit encore des priviléges dont une partie est attribuée à la Société royale. Ainsi les progrès des connoiïssances , qui favorisent toujours cenx de la li- berté, ont en quelque sorte changé la nature de cette place : l’archiatre a cessé d’être le chef des médecins : fiers de leur indépendance qu’ils préfèrent à tout , 1ls ne veulent point de maître , mais ils ont besoin d’un appui. La science qu'ils cultivent tient à toutes les un collége d’archiatres, dont le président étoit appelé comte. Vindi- cianus, un des médecins de Valentinien, s’est ainsi qualifié. Il y avoit deux sortes d’archiatres : les uns pratiquoient dans le palais, les autres dans les villes; ils étoient stipendiés par le prince, et ne recevoient pas d'honoraires des particuliers. Il y avoit parmi ces derniers deux classes distinctes : lapremière étoit composée de ceux qui étoient réellement en fonction, et la seconde l’étoit de ceux qui n’exerçoient pas encore, et auxquels on avoit accordé une simple agrégation: ils étoient appelés archiatri novi. Il est certain que les archiatres parvenoïent à la comitive, soit du second, soit même du premier rang. Vindicien, dont saint Augus- tin a parlé; Théophile, comte et médecin, dont saint Chryÿsos- tôme a fait mention; Jule Auzone de Bazas, préfet d’Illyrie; et saint Césaire, receveur de Bithynié ; etc. ont joui de ces honneurs. Lorsque les rois goths eurent des archiatres, il paroït que la juridiction de la médecine ne leur fut pas accordée d’abord comme elle l’avoit été à ceux qui avoient occupé cette place dans d’autres gouvernemens; mais on la leur attribua dans la suite avec la qualité de comte, 26 ELOGES HISTORIQUES. autres : lente dans sa marche , difficile dans ses re- cherches, compliquée dans ses rapports , elle languit sans la protection du gouvernement. Distribués dans les provinces , les officiers de santé doivent y jouir des prérogatives attachées à leur état et des récompenses dues à leurs services ; en un mot il est de leur intérêt de ne faire qu’un grand corps, dont l’ame doit être l'amour du travail et l’honneur. Telles sont les vues qu’un premier médecin doit se proposer , parce que lui seul peut les remplir ; telle est la gloire qu'il doit faire rejaillir , non sur ses inférieurs, mais sur ses égaux. Il faut donc, s’il ne veut pas ajonier un nom inutile à tant d’autres dont les fastes de notre art sont sur- chargés, qu’il joigne aux connoissances de son état les talens d’un administrateur actif, et ce zèle des promoteurs des sciences que la persécution ne peut ralentir. Si l’on juge d’après ces principes ceux qui ont occupé cette place , un très-petit nombre sans doute aura des droits au souvenir de la postérité. Foible de constitution , courbé sous le poids &:s années, M. Lieu- taud ne se crut pas assez fort pour de semblables en- treprises : on trouvoit en lui la délicatesse de la vertu sans y rencontrer toute son énergie ; et lon pent dire que s’il n’a pas fait tout le bien qui étoit en sa puis- sance, au moins 1l n’a jamais fait que le bien : éloge vrai, et qui, tout simple qu'il est, ne conviendroit pas à tous ses prédécesseurs. | La Faculté de médecine de Paris qui connoissoit depuis long-temps le mérite profond et modeste de PHYSIOL. ET MÉD. — LIEUTAUD. 27 M. Lieutaud , lui donna une marque de son estime en plaçant son nom parmi ceux de ses docteurs-régens ; et la Société royale, non moins jalouse de lui prouver sa déférence , nomma des commissaires pour lui offrir le titre de président, qu’il accepta, et qu'il a conservé jusqu’à sa mort. Tout entier aux jouissances de la vie privée, M. Lieu- taud trouvoit les plus douces consolationsdans sa biblio- thèque. Il semble même qu'il y ait eu dans ce goût - quelque contradiction, qu’il est facile de justifier. IL faisoit peu de cas de l’érudition ; et personne ne pas- soit plus de temps que lui dans son cabinet. Il blä- moit ceux qu'il voyoit uniquement occupés à entasser des volumes , et cependant il en avoit lui-même une riche collection (1). La lecture lui tenoit lieu d’amu- sement ; mais 1l n’y mettoit pas plus de prétention qu'on a coutume d’en apporter dans ses plaisirs. N’est- ce pas au reste celui qui possède un grand nombre de volumes qui sait le mieux combien il faut de temps, de lumières et de patience pour recueillir ce qui est bon et vrai dans cette immensité de futilités et de men- songes dont nos bibliothèques sont remplies. Le seul livre de la nature est ouvert et intelligible pour tout le (1) Il suffira, pour en faire l'éloge, de dire qu’elle a mérité lat- tention d’un prince qui aime les lettres, non seulement parce qu’il sait combien elles sont utiles à l’état, mais encore parce qu'il en connoît lui-même l'agrément et la douceur. Monsieur, frère du roi, en mettant un prix considérable à cette collection, dont il a laissé la jouissance à M. Lieutaud, a fait admirer en même temps son goût éclairé pour la littérature, son discernement et sa générosité. 28 ÉLOGES HISTORIQUES. monde ; tous les autres n’en sont que des copies trop souvent infidèles , et lui seul n’est pas assez lu. « Que » m'importe , disoit M. Lientaud , quel a été Pauteur » d’une découverte , pourvu que je n’en ignore point » les détails »? Avec cette indifférence pour les re- cherches d’érudition ,| M. Lieutaud ne concevoit pas comment 1l existe des hommes qui, négligeant tout ce qui les entoure et ne songeant qu’à ce qui les a pré- cédés , sont au milieu de nous comme dans un autre siècle, L’excès contraire n’est pas moins condamnable. Le passé , le présent et l’avenir sont tellement liés entre eux ; qu'en ne s’occupant que d’une de ces époques , on manque nécessairement de sagesse ou de prévoyance. M. Lieutaud , sans avoir tout-à-fait mérité ces re- proches , y avoit cependant donné lieu par le peu de citations répandues dans ses ouvrages. M. Senac, qui avoit entrepris de le corriger de ce défaut , lui présenta un jour , sans l’en prévenir , une description des oreil- lettes du cœur extraite de Galien. M. Lieutaud qui la trouva très-exacte , convint volontiers , lorsqu'il em connut l’auteur , que la lecture des anciens pouvoit quelquefois être très-utile; mais il auroit préféré la dé- couverte la moins importante au trait historique le plus curieux : tant il étoit éloigné de cette espèce d'industrie ennemie de la nouveauté , qui s'exerce à trouver dans les anciens ce qui a été vu par les modernes, et qui sert si souvent la méchanceté des hommes en même temps qu’elle semble n'être que linstrument de lèur justice ! PHYSIOL. ET MÉD. — LIÉUTAUD. 29 Les succès des charlatans dans tous les genres sont principalement fondés sur l'ignorance de la multitude, et sur le désir immodéré que l’homme à de prolonger son existence. M. Lieutaud fit toujours ses efforts pour les repousser. Il se présenta devant le feu roi un jon- gleur qui prétendoit avoir la propriété singulière de vomir à volonté des crapauds ou des grenouilles. M. Lieutaud, qui fut chargé de l’examiner, le fit ren- fermer dans une chambre où 1l fut bien nourri, mais bien observé. Il rendit en effet par la bouche quel- ques-uns de ces animaux , de petite taille. La sourceen ayant été bientôt tarie , le prestige fut découvert. Ce miracle étoit du nombre de ceux qui ne peuvent réussir devant des témoins éclairés. Lorsque les assertions de Vempirisme ne sont que ridicules ou absurdes , sans être dangereuses , le moyen le plus propre à en arrêter les progrès est sars doute de l’abandonner à lui-même. Le silence de la renommée succède à son enthousiasme : l’artifice, vu de trop près , paroît enfin grossier ; et 1l ne reste au charlatan que la ressource d’aller dans un autre climat faire de nouvelles dupes. Ces réflexions seront peut-être utiles dans un moment où, environné d'hommes merveilleux et d'hommes crédules , celui qui sait douter a l’air de se refuser à l'évidence. Heureusement le nombre excessif de leurs prétentions et de leurs promesses apprend au public à les juger. Car le propre des erreurs est de se détruire Pune l’autre , tandis que les vérités se servent mu- tuellement d'appui. La dissimulation est un rôle pémible, tonjours com- 30 ÉLOGES HISTORIQUES. mandé par l'intérêt, et dont on se dépouille le plus souvent qu'il est possible. M. Lieutaud n'étant que simple spectateur à la cour, et ne se mêlant que de ses affaires , on se cachoit peu devant lui : de sorte que, sans en avoir formé le projet , il connoissoit assez bien ceux dont il étoit entouré. La franchise de son carac- tère , jointe à une sorte de gaieté qui lui étoit parti- culière , donnoit quelquefois à ses réponses une ori- ginalité piquante et agréable. Le roi lui ayant demandé son avis sur un médecin que l’on avoit loué outre me- sure en sa présence : « Sire , lui dit M. Tieutaud, cet » homme n’est rien de ce que l’on a dit à votre ma- » jesté; mais c’est souvent avec cette monnoie que » les grands paient leur médecin. » | M. Lieutaud aimoit encore à raconter l’anecdote suivante. Un de ces fourbes qui se servent avec adresse du masque de la probité lui disoit un jour : « Que » nous sommes à plaindre vous et moi d’habiter un » pays tel que celui-ci, où l’on ne trouve sur ses pas » que des intrigans ! — Vous avez raison, lui répon- » dit M. Lieutaud ; mais apprenez - moi donc à les » distinguer , ils m'ont tous jusqu'ici tenu le même » langage que vous ». Le courtisan s’aperçut que son secret étoit découvert : il applaudit par un sourire à la sagacité de M. Lieutaud, et il ne s’en ficha point; car ces hommes sans pudeur ne tiennent à Jeur déguise- ment que vis-à-vis de ceux qu'ils ont intérêt de trom- per ou de séduire. M. Lientaud avoit vu sa fortune s’accroître sans augmenter sa dépense ; ç’auroit été pour lui un sur- PHYSIOL. ET MÉD. — LIEUTAUD. 3: croît d’embarras. Il en est des richesses comme de l'autorité : ce sont les deux choses qu’on désire le plus; ce sont aussi celles dont il est le plus difficile de faire un bon usage , et dont chacun connoît le moins la mesure qui lui convient. La plupart en abusent. On n’eut point ce reproche à faire à M. Lieutaud. Après avoir pourvu aux frais de sa maison , à ceux de sa bibliothèque et au soulagement de plusieurs malheu- reux, 1l oublioit en quelque sorte l'excédent de ses revenus qui restoit sans emploi , parce que lui-même étoit sans besoins. IL s’éleva encore un grief contre lui ; 1l fut soup- eonné de ne pas croire à la médecine. Il savoit sans doute combien sont dangereux ces hommes qui, pré- tendant être en état de commander à la nature et de suppléer aux crises, expliquent tout et connoissent tout , excepté l'erreur dans laquelle ils sont plongés. Il avoit dit dans ses ouvrages qu'il n’y a point de remède contre l'intempérance, et qu’une vie longue et saine est le prix de la sagesse et de la sobriété ; mais il étoit trop instruit pour ignorer les grands principes de la médecine , ses découvertes fondées sur l’observa- tion , et ses règles de conduite, qui, sans être toujours certaines , ne sont jamais dangereuses entre les mains d’un médecin prudent. Ainsi , restreindre notre art dans ses justes limites , c’est pour plusieurs ne pas y croire 3 comme on accuse d'irréligion ceux qui se persuadent que l’on peut avoir une piété vraiment chrétienne en repoussant les prestiges de la superstition et du fanatisme. 32 ÉLOGES HISTORIQUES. Malgré la foiblesse de ses organes ; M, Lieutaud à joui long-temps d’une bonne santé , qu'il devoit à sa modération et à l'exactitude de son régime. Il fut atta- qué le 6 décembre 1780 d’une fluxion de poitrine gan- gréneuse , à laquelle il succomba le cinquième jour de cette maladie. Il en connut tout le danger ; 1l vit bien qu’il ne lui restoit aucune espérance de guérison, et il refusa tous les remèdes qui lui furent présentés. « Laissez-moi, disoit-1l à ceux qui l’entouroient et » qui le pressoient d’en faire usage, je mourrai bien » sans tout cela ». Lorsque la médecine cesse d’être utile à un malade , elle doit en effet cesser aussi de lui être importune. On respecta les derniers momens de M. Lieutaud, qui furent consacrés à la distribution de ses bienfaits ; et sa mort fut aussi paisible que sa vie l’avoit été (1). Il ne reste de la famille de cet illustre médecin qu’une sœur âgée de quatre-vingt-six ans ; plusieurs petits-neveux , et un frère qui se distingue dans l’ordre des Cordeliers par ses talens pour la chaire. M. Lieutaud tenoit à la Société royale, parce qu'il en avoit accepté la présidence, qui lui fut ensuite conférée par le roi en 1778. Les lettres-patentes qui ont établi cette compagnie lui avoient rendu la surin- tendance des eaux minérales du royaume, place dont les fonctions sont liées intimement avec les nôtres , et dont il avoit agréé le titre et les honoraires. Toutes (1) Son corps a été inhumé, par ordre du roi, dans l’église de Notre-Dame de Versailles. PHYSIOL. ET MÉD. — LIEUTAUD. 33 les fois que la Société lui a fait des demandes relatives à cette admimstration, elle l’a toujours trouvé prêt à remplir ses vues. Il à plusieurs fois présenté au roi, en qualité de président, les cahiers d'observations sur la température de l'atmosphère et sur les maladies ré- gnantes , qui sont remis chaque semaine à sa majesté. Nous n’ignorons pas qu’il a été compté par plusieurs au nombre de ceux qui ont fait des efforts pour nuire à la Société royale : s’il en étoit ainsi, ce qu’elle ne croit pas, en consacrant à sa mémoire un témoignage authentique de ses sentimens , elle montreroit com- ment elle traite ses ennemis lorsqu'elle les estime. Que font à la postérité les haines de quelques particuliers ? Mais ce qu'il importe de lui apprendre , c’est que , parmi nous, le mérite etla vertu ne restent jamais sans éloge et sans récompense. O3 34 ÉLOGES HISTORIQUES. + on Tr or oo LOBSTEIN. dd on dt Lt os RS Sd Jeas-Frénéric Lossrrix, ancien recteur de l'Université, professeur d'anatomie et de chirurgie dela Faculté de Strasbourg (1), et notre correspondant près de cette compagnie, naquit en 1746 à Lampethem, village d'Alsace (2), d'Antoine Lobstein , chirurgien, et de Marie-Ursule Eckel (3). | Si l’on en croit M. le docteur Schurer ; qui a écrit son éloge (4), M. Lobstein montra de très-bonne heure le penchant le plus décidé pour l’anatomie. On le voyoit, à peme au sortir de l’enfance, essayer de préparer des os et de faire des squelettes : de sorte qu'il n’eut point à délibérer sur son état, et qu’en se livrant à l’étude du corps humain il ne fit qu’obéir (1) Il étoit aussi chanoïne de l’église Saint-Thomas. (2) Ce village est éloigné de deux lieues de la ville de Stras- bourg. La Ü (3) Elle étoit originaire de Strasbourg. # (4) Memoriam wiri nobilissimi amplissimi, experientissimi J. F. Lobstenii,ect. die xx octobr. mpccxxxiv piè defuncti Universitas argentoratensis civibus et exteris confmendat. Rector Universatis J. L. Schurerus, philosophiæ et medicinæ professor publicus, etc. Lectoribus, in-fol ruaj. 1785. PHYSIOL. ET MÉD. — LOBSTEIN. 35 au vœu de la nature. Sans rechercher si cette impul- sion fut aussi précoce, on juge qu’elle a été grande lorsqu'on voit avec quel zèle il a rempli sa carrière ; comme on pardonne à quelques auteurs d’avoir avancé que linspiration d’un génie détermina Galien à étu- dier en médecine, lorsqu'on a sous les yeux les pro- ductions de ce grand homme. Le père de M. Lobstem, avant de céder au désir de son fils, voulut savoir si sa capacité répondoit à son ardeur, et 1l le confia à M. Lindern, médecin célèbre de Strasbourg, dont le suffrage fut favorable au jeune homme, et qui lui donna lui-même les pre- mières leçons de son art. M. Lobstein apprit l’anatomie et la chirurgie de MM. Fisemann, Boeckler et le Riche. Le docteur Lindern étant mort, 1l acheta la biblio- thèque de ce médecin : cette collection s’accrut chaque jour entre ses mains; mais les livres de son premier maître lui furent toujours plus précieux et plus chers que les autres. Je ne puis, disoit-il, les ouvrir sans ressentir un trouble involontaire. Il éprouvoit alors l'émotion que le souvenir des bienfaits produit dans les cœurs reconnoissans. M. Lobstein ne s’étoit d’abord occupé que de l’étude de la chirurgie, M. Boeckler l’engagea à y joindre celle de la médecine. Il fut reçu docteur en 1760, après avoir publié une savante dissertation sur le nerf acces- soire , dans laquelle l’origine de ce nerf singulier, sa route , ses connexions avec la huitième paire, et toutes 86 ÉLOGES HISTORIQUES. ses distributions sont décrites avec plus de soin qu’on nel’avoit fait encore (1). Il partit peu de temps après pour visiter les écoles les plus fameuses de l'Europe, où ce premier travail avoit donné l’idée la plus avantageuse de ses talens. A Leyde, Albinus lui témoigna tant de confiance, qu'il le pria de diriger, pendant son séjour dans cette ville, les travaux anatomiques de ses élèves, et il reçut à Paris l'accueil le plus distingué de la part des professeurs qui y enseignoient alors. Revenu à Strasbourg, la Faculté de médecine lui permit d'ouvrir des cours de chirurgie et de patholo- gie (2), et en 1768 il succéda à M. Isemann dans la chaire de professeur ordinaire d'anatomie et de chi- rurgie. Les élèves vinrent à ses lecons avec une telle af- fluence , que l’excédant des fonds résultant des sommes annuelles payées par chacun d’eux a suffi pour faire à la bibliothèque publique de grandes augmentations. Ce qui rendoit les leçons de M. Lobstein très-inté- ressantes , c’est qu'il possédoit au même degré les connoissances physiques, médicales et chirurgicales. Après avoir décrit la structure d’une partie, et en k (1) Dissertatio inauguralis de nervo spinali ad par Vagum ac+ : cessorio. Die xvr julii 1760. " (2) En 1764 il fut nommé premier démonstrateur public d'ana- tomie, avec des appointemens assignés par la ville. En 1768 il fut élevé au grade de professeur extraordinaire, et dans la même année la chaire de M. Eisemann ayant vaqué, elle lui fut ac- cordée. CT CNT rh del ou PHYSIOL. ET MÉD. — LOBSTEIN. 3; avoir expliqué le mécanisme, il exécutoit toutes les opérations dont elle étoit susceptible. La théorie et la pratique de ces opérations étoient elles-mêmes pré- cédées de l’histoire des maladies, soit internes, soit externes, dont les accidens y avoient quelques rap- ports. Ainsi les notions que l’on trouvoit épañses ail- leurs, M. Lobstein les réumissoit : comme l’ensei- gnement devenoit par-là plus complet, l'instruction étoit en même temps plus attrayante et plus simple, et on avoit raison de la préférer à toutes les autres ; car, s'il existoit un homme auquel la chaîne de toutes les vérités fût connue, il lui seroit plus facile d’en montrer l’ensemble qu'il ne Pest à nos professeurs d’en exposer quelques fragmens dans les écoles. Sur-tout, que l’on ne dise point que cet accord des connoissances que donnent la physique , la médecine et la chirurgie, doit être regardé’, dans tous les cas, comme un phénomène rare, puisqu'il peut résulter sans peine d’une éducation mieux dirigée. Que les écoles de médecine soient établies dans les grandes villes, près des hôpitaux, on mème qu’elles en fassent partie ; que les étudians y soient reçus près du lit des malades ; que le même amphithéâtre serve aux démonstrations anatomiques et chirurgicales ; que les corps de tous ceux qui succomberont y soient exa- minés ; que l’on y remarque chaque jour les variations de l’atmosphère ; que toutes ces observations soient publiées par les professeurs, après avoir été recueillies par les disciples ; en un mot, que l’on réumisse ce qui ne doit point être séparé , la théorie et la pratique; 38 ÉLOGES HISTORIQUES. le médecin et le malade, la médecine et là chirurgie, et l’on verra que les étudians feront alors des progrès rapides dans toutes les parties de notre art , et qu’une seule école clinique ainsi dirigée répandra plus de lumières que cette foule de professeurs qui décrivent longuement et obscurément des objets dont l’image, sans le secours des yeux, ne parvient jamais nettement à l'esprit. M. Lobstein n’a point fait de découvertes" propre- ment dites en anatomie, mérite devenu très-rare de- puis que tant de mains ont moissonné ce champ, fatigué maintenant à force de culture ; mais 1l a per- fectionné la description des organes déja connus. Il n’a point publié de traité complet sur -cette science; mais un grand nombre de dissertations contiennent sa doctrine , et peuvent au moins en partie nous en dédommager. , En 1771, il a publié des observations sur Ja valvule d’'Eustache (1) et sur le fluide séreux du labyrinthe (2). Il a fait sur la rate des recherches très-étendues : l’histoire des opinions accréditées en différens temps sur ce viscère sufhiroit pour faire voir combien l’es- prit humain a de penchant à s’égarer. Tandis que divers physiologistes attribuoient à la rate des usages contradictoires , quelques-uns prétendoient qu’elle étoit inutile, et ni les uns ni les autres ne connoissoient (1) De valvula Eustachi. Præs. J. F.Lobstein.. Deff. J. M, Dio- boldt, die 5 junii 1771. (2) De aqua labyrinthi auris , 1771. PHYSIOL. ET MED. — LOBSTEIN. 39 sa structure. Il suit des travaux de M. Lobstein que la rate (1) est toute vasculaire, que ses veines ne sont point percées par des pores ou trous latéraux, que le sang ne s’y dépose point dans des cellules, et qu'il n’y a ni conduit excréteur ni parenchyme proprement dit dans cet organe. La lecture de ces dissertations est instrnctive, parce que l’auteur joint à l'exposition des parties celle des procédés qu'il a mis en usage, et qu'il n’est aucun de ses essais que l’on ne puisse facilement répéter après lui. Ainsi lorsqu'il recherche si la dure-mère reçoit quelques nerfs (1), il examine chacun de ceux qui naissent de la base du cerveau, depuis leur origine jusqu’à leur sortie du crâne ; 1l répond aux objections de de Haën ; 1l sépare la dure-mère en feuillets , et 1l conclut que, semblable à plusieurs ligamens et à plu- sieurs aponévroses , elle est tout-à-fait insensible (2). Les nerfs étant les instrumens par l’intermède des- quels l’ame est avertie de la présence des corps et réagit sur eux, c’est une grande et belle recherche en anato- (1) De Liene Præs. J. F. Lobstein. Deff. J, J. Busch, 1774. Voyez, à ce sujet, les savantes recherches de M. de Lassone, qui a donné la description de la structure interne de la rate : Acadé- mie des sciences, année 1754, pag. 187. (2) De nervis duræ matris. Præsid, J. F. Lobstein. Deff. Beyckert, 1772. (3) Quel anatomiste est assez sûr de l’exactitude de ses recherches sur une aussi grande surface que celle de la dure-mère pour oser affirmer qu’elle ne reçoit aucun rameau nerveux? Contentons- nous de dire que cette membrane est très-peu sensible. é 4o ÉLOGES HISTORIQUES. mue que celle de leur structure. M. Lobstein a publié en 1762 (1) les observations qu’il a faites à ce sujet. Jonston avoit pensé que les entrelacemens et les gan- glions nerveux avoient pour usage de soustraire les nerfs qui en sortoient à l'empire de la volonté; maïs les objections de Haller contre ce système ingénieux avoient paru sans réplique, ou au moins personne w’avoit répliqué. M. Lobstein y répondit, après s'être assuré par la dissection que les ganglions ophthalmique et sphéno-palatin ne fournissoient immédiatement aucun rameau aux parties musculaires, et en mon- trant d’ailleurs comment de légères exceptions à la loi établie par Jonston ne suffiroient pas pour la détruire, M. Lobstein n’est pas moins exact lorsqu'il déve- loppe la structure des ganglions, dans lesquels il n’a trouvé que des filets (2) divisés, ramollis et contournés de mille manières, sans se confondre, et où le mou- vement nerveux, quelle que soit sa nature, est ralenti et interrompu. M. Lobstein réumissoit donc les qualités d’un grand anatomuste à celles d’un grand professeur, c’est-à-dire qu’à une instruction très-étendue 1l joignoit un esprit aussi sage qu'éclairé. Remarquons sur-tout que lon —— ——— x (i) De structura nervorum. Def. J. Pfeffinger, 1782. Voyez, à ce sujet, 1,° Ænnotationes anatomicæ : Scarpa, lib. I. De nervorum gangliis et plexibus, 1779, par le même. 2.° le Traité des nerfs, par M. Tissot, tom. II, part. Il, p. 22 et suiv. 1780+ 3.2 G. Prochaska, Ædnot. acad. fascicul. 3.us, cap. III, 6. 2? 2 et 3, 1784. | (2) Voyez les ouvrages cités ci-dessus. PHYSIOL. ET MÉD. — LOBSTEIN. #41 ne trouve dans les nombreux écrits sortis de son école (1) aucune trace de cette métaphysique obscure que l’on s'efforce en vain d'introduire dans la théorie de notre art, et qui ne s’est montrée jusqu'ici que dans des ouvrages tout-à-fait étrangers à ses progrès. M. Lobstein pratiquoit la chirurgie à Strasbourg avec un grand succès. On s’adressoit à lui de toutes parts pour les opérations de la lithotomie et de la ca- taracte (2); et de savantes dissertations sur le bubo- nocèle (3), sur les hernies de naissance (4), sur les (1) Les plus remarquables des Dissertations anatomiques sorties de son école, outre celles que j'ai citées ci-dessus, sont les sui- vantes : De aeris in sanguinem actione. Deffend. P. H. Busch, 1780. De conceptione tubaria. Deffend. F. A. Fritze, 1779. De linguæ involucris. Deff. J. À. Rinder, 1778. De foramine ovali. Deff. J. M. Dioboldt, 1771. De situ testiculorum alieno. Deft. J. F. Rheinlænder, 1782, De pyloro. Deff. H. P. Leveling, 1764. De structura renum. Deff. A. Schumlansky, 1782. De calculis biliariis. Deff. B. J. B. Fels, 1764. De calculis biliariis. Deff. C. H. Vilckens, 1777. De labyrinthi auris contentis. Deff. P. F. Meckel, 1777. De wi vitali arteriarum. Deff. G. Kramp, 1784. De valvula Eustachi, 1771. (2) De suffusione secundaria rariori , 17709. M. Lobstein a imaginé un instrument propre à lopération de la cataracte, qui a été décrit par M. Henkel, et dont les avan- tages sont détaillés dans une thèse sontenue par M. Jung. (3) De bubonoceles evitandi methodo, 1773. Ileon lethale à concretione præternaturali intestinorum eum utero, 1779. (4) De hernid congenita. Præs. J. F. Lobstein. Deff. J. Non- nenmann, 42 ÉLOGES HISTORIQUES. pierres enkistées (1), sur les tumeurs et sur les fistules de différentes espèces (2), annoncent combien il étoit instruit dans la pratique et dans l’histoire de son art (3). (1) De calculis vesciæ urinariæ. Præs. Lobstein. Deff, J.G. Psæh-_ ler, 1774. (2) De tumoribus capitis. Deff, C.B. Will, 1774. De fistula ani. Deff. J. Meyer , 1771. De fistula lacrymali. Deff. G. Schulze, 1780. De viarum lacrymalium morbis. Déff. J. F. Licht, 1776. (3) Les dissertations médicales et chirurgicales suivantes sont sorties de l’école de M. Lobstein, et elles ont été publiées par ses disciples. En les lisant on y trouve presque par - tout ses idées et ses principes. De uteri hœmorragia. Deff. J. C. Beyer, 1782. De pressione cranii. Deff. J. H. Cropp, 1781. De fonticulorum usu in sanandis morbis. Deff. G. P. Ham, 1764. : De gonorrhea virulenta. Deff. M. Pibault, 1779. De probatissima extrahendi calculum methodo. Deff. Z. Leriche, 1799. De stœatomate. Deff. G.'T. Buser, 1768. De hernia scrotali. Deff. P. J. Beyckert, 1773. De ischuria vesicali et væsicæ paracentesi. Deff, J. W. Wagner, 1770. De strangulationibus intestinorum in cavo æbdominis. Deffend. J. R. Meyer, 1776. De hernia crurali incarcerata. Deff. F. C. Mezler, 1779. Casus hydrocelis. Deff. J. N. Spach, 1761. Casus ischuriæ. Deff. P. H. G. Petersen, 1772. De læsionibus capitis. Deff, P. Kees, 1770. De carie ossium. Deff. D. Perrier, 1770. De labio leporino. Deff. G. Bidermann , 1770. De osœna maxillari, etc. Deff. F. L. Weyland, 1771. De dysuria. Deff. A. Weglin, 1779. De hernia cerebri. Resp. J.C. Salleneuve, 1781. TS Is SN TS ere PHYSIOL. ET MÉD. — LOBSTEIN. 43 - Comment, avec un tel mérite, M. Lobstein étoit-il aussi connu? C’est que ses écrits ne peuvent être lus que par des personnes très-versées dans l'étude du corps humain, et on sait combien il y en a peu; c’est que d’ailleurs la renommée a besoim d’être avertie par une sorte d'éclat et de bruit qui l’étounffoit toujours, loin de l’accroître ; c'est qu’enfin il craignoit vrai- ment les embarras de la célébrité. Content de la jus- tice que Haller, Albinus, Gaubius et Ferrein avoient rendue à ses travaux, la louange des hommes éclairés étoit la seule à laquelle il attachât quelque prix : c’étoit de la confiance et non de l’admiration qu’il cherchoit à inspirer. La seule chose qu'il ne pardonna point à ses lecteurs, c’étoit d'élever quelques doutes sur ses observations; 1l étoit, comme Ruysch, très-intolérant sur cet article, parce qu'il étoit, comme lui, patient dans ses recherches et scrupuleux dans ses écrits: par la même raison, il rejetoit sans ménagement tout ce qui ne lui paroïssoit pas avoir l’expérience pour appui. Cette justice sévère déplaisoit à plusieurs, et lui donnoit l’air de la dureté. « Je sais, disoit-l avec oo) De hydrocele. Deff. J. F. Bonhceffer, 1777. Casus nephritidis calculosæ ; etc. Deff. G. A. Frank, 1763. Circa generationem puris. Deff. J. C. Petri, 1775. De ischuria. Deff. F. J. Haas, 1783. De partu difficili. Deff. F. Engelhard, 1770. De partu difficili. Deff. C. G. Reuss, 1777. De anchylosi. Deff. C. A. Paul, 1777. De non necessaria funiculi ombilicalis deligatione. Deffend. G. L. Schweickhard, 1769. 44 ÉLOGES HISTORIQUES. » humeur, lorsqu'on lui faisoit ce reproche, qu'it » anatomiste doit être exact et vrai; maïs 1] n’est pas » aussi nécessaire qu'il soit doux et poli; et lorsque » je prends la peine de l’être, ce n’est jamais pour » des menteurs. » Les relations de 11, Lobstein avec l'Allemagne étant, par la position de la ville qu'il habitoit, plus nom- brenses qu'avec la Fxance , ses talens y étoient aussi mieux appréciés. Le roi de Prusse , l'électeur de Saxe, l'Université de Gœættingue et la ville de Hanovre lui offrirent des chaires à occuper et des places de clu- rurgien à remplir avec des honoraires considérables : mais 1l préféra son repos à ces fonctions brillantes , et nous n’aurons point à le suivre dans d’autres chi- mats. Qu'est-ce en effet que la gloire et la fortune lorsqu'on ne les obtient qu’en renonçant à ses amis? Les habitudes ne sont-elles pas comme les racines de l'arbre? Et quel sera le soutien de celui que lon em aura privé? Les hommes sages , lorsqu'ils ont parcouru la moitié de leur carrière , demeurent attachés au sol qui les porte et qui les nourrit. M. Lobstein fut dédommagé de ses sacrifices par les honneurs que lui rendirent l’Université de Strasbourg, dont 1l fut nommé deux fois recteur, et la Faculté de médecine qui le choisit dix fois pour la présider en qualité de doyen. La simplicité de ses mœurs plaisoit sur-tout aux élèves, au milieu desquels il passoit une grande partie de ses journées. Il les employoit utilement pour eux et pour lui-même ; plusieurs en out reçu des soins vrais Tr 0 mtiCattéonie tr nb ><" toi PHYSIOL. ET MÉD. — LOBSTEIN. 45 ment affectueux : tels sont MM. Dubold, Busch, Ampodick, Metzger, et M. Meckel privé trop tôt d’un père illustre. M. Lobstein éprouva une fächeuse révolution dans sa santé vers sa trente-sixième année. Il acquit un embonpoint qui devint excessif. On lui conseilla de voyager pour en diminuer les progrès. Ce fut alors que nous le vimes assister à plusieurs de nos assemblées, où 1l nous communiqua une observation très-curieuse sur un utérus double. En 1762, la Faculté de Strashourg l’engagea à re- noncer à ses leçons d'anatomie, et à ne professer que la médecine pratique. Mais, en faisant le tableau des souffrances des autres, 1l étoit nécessairement ramené vers les siennes , et ce retour ajoutoit beaucoup à son ennui. Ses maux ayant redoublé, il mourut le 11 octobre 1784, âgé de quarante-huut ans, et avec lui périrent deux ouvrages dont il s’occupoit depuis long-temps sur l’anatomie et la physiologie (1). Sa perte est une des plus grandes que ces deux sciences aient faites dans notre siècle , et une des plus difficiles à réparer. (1) Ces ouvrages, dont il lisoit souvent des morceaux à ses élèves, devoient avoir pour titre : Ænatomicæ institutiones et commentarii physiologici. 46 ÉLOGES HISTORIQUES. Po PT TS TS ST Se LORR Y. Le "s "à “0 "à "à 7 Aus ce Lorry ; docteur-régent de la Faculté de médecine de Paris , et associé ordinaire de la Société royale de médecine , naquit à Crosne, le 10 octobre 1726 , de François Lorry , professeur de la Fa- culté de droit en l’Université de Paris, et de Made- leine Lafosse. On sera peut-être surpris qu'un homme aussi juste- ment célèbre ne fut décoré d’aucun de ces titres qui annoncent la faveur des grands et les distinctions aca- démiques. Dévoué de très-bonne heure , et tout entier à son état, averti säns doute par cet instinct qui ne trompe guères, et de ses forces , et de sa supériorité , il sentit qu’il n’avoit besoin d’aucun moyen étranger pour arriver à son but, et il mit peut-être autant d’or- gueil à s'en passer > que d’autres en mettent à s’en servir. M. Lorry eut le bonheur d'être élevé au sein d’une famille également passionnée pour les beaux arts , les lettres et la philosophie. Son père avoit publié un ou- vrage sur les Instituts de Justinien. Son frère aîné suivoit avec éclat la même carrière où 1l s’est aussi dis- tingué par ses écrits. l’Argilitre et Lafosse, peintres fameux de l'Ecole française , et Lafosse, auteur de Maxwrius, étoient ses parens du côté maternel. Féli- PHYSIOL. ET MÉD. — LORRY. 47 éitons l’enfant qui naît parmi les Muses , dont les yeux en s’ouvrant à la lumière seront frappés par les modèles de la perfection et du goût. Tel fut le sort de l’homme aimable et vertueux dont la mort cause nos regrets. Le célèbre Rollin prit plaisir à diriger lui - même les études de M. Lorry. Ses succès au collése fu- rent du petit nombre de ceux qui en promettent de réels dans un âge plus avancé ; 1ls m’étoient pas seule- ment le fruit d’une mémoire facile, ou d’un travail opimäâtre ; l'imagination et le goût y avoient la plus grande part. Il s’est toujours souvenu , et ses amis lui rappeloient souvent l’anecdote suivante : Il s’agissoit de peindre en vers latins, pour un concours, les em- barras du premier jour de l’année , dans lequel le peuple agité par les convulsions de l’empressement et de la politesse , se mêle, s'approche, se fuit avec une préci- pitation égale. Ce tablean fut tracé par M. Lorry dans les deux vers suivans que l’on jugea dignes du prix. Hæc est illa dies quà plebs vesana furensque _ Se fugiendo petit , seque petendo fugit. Nous quittons à regret cet âge heureux où les plaisirs sont si vifs, les chagrins si rapides, les succès si mé- rités et si bien sentis, pour suivre M. Lorry dans la carrière de la médecine, où la nature et l’importance du sujet, la difficulté des recherches, et la jalousie des compétiteurs, préparent tant de soucis à ceux qui ont le courage de s’y livrer. Ce n’est plus ce jeune homme terant successivement 48 ÉLOGES HISTORIQUES. la plume et le pinceau, récitant Horace , jouant avec Ovide et s'amusant de cette belle Mythologie grecque qui peuple le ciel au gré d’une imagination brillante , fournit des dieux à la poésie et aux arts , et reproduit sous toutes sortes de formes les emblèmes des passions et de la sensibilité. Ces doux passe-temps ne sont plus ceux de M. Lorry. Astruc et Ferrein sont devenus ses maitres. Déja ses jours sont partagés entre l’étude du corps humain dans les amphithéâtres , et celle des maladies dans les hôpitaux. Oh combien le silence morne et sombre qui règne dans ces asiles, cette dou- leur muette et que rien ne distrait , ces gémissemens auxquels ne répond point la voix compatissante de la tendresse ou de la pitié , ces regards inquiets, ces yeux desséchés par la souffrance ÿ où se peignent la douleur ou l’ennui, et qui n’attendent que la présence de l’amitié pour verser un torrent de pleurs; oh combien ce spectacle dut lui paroître déchirant et péruble ! M. Lorry devenoit le consolateur de ces malheureux , qui , la plupart sans parens , sans amis , sont disposés à prendre la curiosité même pour de l'intérêt lorsque la commisération l’accompagne. Iln’oublia jamais ces impressions vives et profondes. Vous ne savez pas ; disoit-1l quelquefois aux gens du monde , combien 1 nous en coûte pour vous devenir utiles, et dans quelles sources amères nous puisons les connoiïssances dont vous usez si nonchalamment. Il lui restoit encore quelques années pendant les- quelles il pouvoit jouir de lui-même , et suivre son goût pour les lettres: c’étoit le temps de sa licence, ERP TT) EP nn ee ER RE |, F PHYSIOL. ET MÉD. — LORRY. 49 époque qui est la dernière où les médecins puissent se permettre cette gaieté franche qui ne convient qu’à la jeunesse. Pour les plus instruits , cette carrière est f6- conde en jouissances. Des examens où l’on peut faire preuve d’érudition ; des discours où l’on peut mou- trer de l’esprit , même de l’éloquence ; un auditoire toujours composé de juges éclairés ; des collègues par lesquels on est apprécié : tout assure à Pamour-propre de ceux qui méritent les premières places, une récom- pense par laquelle les plus grands efforts sont toujours bien payés des applaudissemens et des éloges. C’est sur-tout dans la Faculté de médecine de Paris que la langue de Cicéron et de Virgile a conservé une partie de son éloquence et de sa beauté. Cette réputa- tion si bien fondée par Fernel et Sylvius , et sontenue avec éclat par Astruc, avoit besoin d’un nouvel organe , la Faculté le trouva dans M. Lorry. Il n’y a aucun de ses discours latins où il n’ait montré cette richesse : cette abpndance de style que donne l'étude des grands modèles. Il avoit toujours l’adresse de choisir des sujets très-susceptibles d’être embellis. Une mémoire étendue, uneimagimation brillante lui retracçoient et distribuoient avec art ces ornemens, ces tours ingénieux que l’on ad- .mire dans les productions du siècle d’Auguste ; et jamais la longueur et l’aridité des recherches n’ont altéré dans ses écrits la pureté de l’expression ou la fraîcheur de la pensée. Ses lectures journalières n’étoient pas moins propres à lui former le goût qu’à développer sa raison. A côté des ouvrages immortels d'Hippocrate et d’Arétée , il D. 3. 4 50 ÉLOGES HISTORIQUES. plaçoit ceux d’Homère et de Pindare. Il ne quittoit Pline et Celse que pour Virgile et Gallus. Consultant ainsi successivement le gémie froid et sérieux de l’ob- servation , et le génie fécond et léger de la poésie et des graces; comme 1ls présidoient à ses études , ils favo- risoient aussi ses compositions. Leur réunion cache les difficultés au lecteur , comme elle les a diminuées pour l'écrivain, et ceux qui lui reprochent d’avoir semé . trop de fleurs dans les sentiers pénibles où l’on se plaît tant avec lui, seroient plus indulgens sans doute, s'ils se souvenoient que tant d’autres , en suivant une mé- thode contraire dans leurs volumineunses productions , fatiguent encore plus qu'ils n’instruisent, et répandent moins de lumières que d’ennui. M. Lorry consacra les premières années au suivi- rent sa licence à des recherches théoriques. Les phy- siciens étoient alors occupés à déterminer les différences etles rapports de l’irritabilité et de la sensibilité. I] parut avec avantage dans cette carrière. Il est un des premiers qui aient soumis toutes les régions du cerveau àdes ex- périences rigoureuses propres à faire connoître l’étendue de leur influence réciproque. Il a démontré dans un mémoire très-curieux , publié par l’Académie ‘roÿale des sciences, que le cervelet étoit la seule des parties contenues dans le crâne , dont la compression produisit aussitôt le sommeil, et que la piqûre "4 la moelle é épl- nière, entre la seconde et la troisième vertèbre cervi- cale, étoit sivie de la mort la plus prompte. Les détails de ces expériences sur la sensibilité ont été consignés dans le Journal de médecine. Il a soumis TE, th ver PHYSIOL. ET MED. — LORRY. 51 tous les organes des corps animés à des stimulans de plusieurs genres dont il a déterminé les effets. Toutes ces recherches avoient des liaisons intimes avec la pratique de notre art. Personne n’a mieux senti combien 1l est nécessaire de séparer ce qui est prouvé par l'expérience , de ce que l’on croit sur parole , et que l’on fait par routine , et d’appliquer à l’étude du corps humain considéré dans l’état de maladie cette méthode exacte que les autres sciences physiques suivent maintenant avec tant de succès, et qui manque à plu- sieurs de nos observations. M. Lorry fut présenté par son digne ami M. Lemon- nier au feu maréchal de Noailles : bientôt après M. le maréchal de Richelieu le choisit pour son médecin, et l’on sait avec quelle constance ces deux maisonsillustres lui ont voué leur confiance et leur amitié. M. le duc de Fronsac fut attaqué d’une maladie grave à Ver- sailles , et 1l fut guéri par les soins de M. Lorry alors âgé de vingt-huit ans. Consulté peu de temps après pour Mademoiselle de Charolois, son avis fut diffé. rent de “celui du médecin ordinaire , et l'événement confirma le pronostic de M. Lorry. Ces circonstances heureuses lui furent plus utiles que tous ses travaux ; elles le firent connoître parmi les grands, et bientôt après dans le public ; progression qui est beaucoup plus rapide que celle qui s'étend du public aux grands. Sylva ne vivoit plus , et Dumoulin, qui jouissoit de la première réputation, tenoit , sal est permis de s’ex- primer ainsi, Le sceptre de la médecine dans la capi- 5a ÉLOGES HISTORIQUES. tale lorsque M. Lorry commença à l’y exercer. Cette grande confiance fut partagée après sa mort entre plusieurs médecins , au nombre desquels M. Lorry ne tarda pas à être admis. Une étude profonde de son art le rendoit vraiment digne de ses succès , et ses qualités morales lui conci- loient l'amitié de tous ceux par lesquels il étoit appelé : hamain, compatissant, 1l plaisoit sans efforts. Il n’a- voit pas besoin, pour paroître affable , d’étudier ses gestes , de donner à un corps robuste des attitudes con- traintes , d’adoucir l'éclat de sa voix , de réprimer la fougue de sa pensée, de cacher les impulsions d’une volonté absolue : la nature l’avoit fait aimable, c’est- à-dire qu’en lui donnant de la saillie , de la finesse et de la gaieté, elle y avoit joint cette sensibilité , cette douceur , sans lesquelles l'esprit est presque toujours incommode pour celui qui s’en sert, et daugereux#pour ceux contre lesquels 1l est dirigé. Son aménité se peignoit dans ses manières, dans ses discours, dans ses conseils, elle étoit anprès de ses malades le premier | de tous les moyens qu'il employoit, celui qui dimi- nuoit le dégoût de tous les autres, qui tempéroit la sévérité du régime , qui s’étendoit jusqu’à Pame Ja soulageoit en la rendant plus forte, ou moins attentive à ses douleurs. "42 Ce caractère devoit sur-tout plaire aux femmes. Donées d’une sensibilité exquise , et exposées à un, grand nombre de souffrances , elles sont sur-tout inté- ressées à chercher un consolateur dans leur médecin. M. Lorry eut la plus grande part à leur confiance, et PHYSIOL. ET MÉD. — LORRY. 53 * ses détracteurs ne manquèrent pas d’en tirer des induc- tions contre lui ; mais s’il ne devoit cet accueil qu'aux impressions d’une ame douce et compatissante, à cette pénétration , à celte sagacité particulières qui font de- viner aux uns ce que les autres n’apprennent que par de longs discours , à cet art d’interroger la nature sans soulever le voile de la décence , et sans alarmer la pudeur , combien ces considérations ajouteroient à notre estime pour M. Lorry ! N’avons-nous pas pour garans de ces motifs l'intégrité de ses mœurs, et la confiance non interrompue des femmes les plus res- pectables, les meilleurs juges en pareille matière ; parce qu’elles connoissent le degré d’attention que mé- ritent les qualités aimables , et qu’elles savent en même temps quel est le prix de la délicatesse, et ce qu’on doit à la vertu ? Je parle d’un homme connu de tout l’auditoire, et je ne craindrois point de répéter 1c1 les reproches qui lui ont été faits. On l’accusoit de ne point tenir assez à somavis , et de céder trop facilement à celui de ses confrères. D’autres n’y cèdent jamais; et si j’avois à choisir eñtre ces deux défauts, je préférerois celui qui me laisseroit la liberté de travailler à mon instruction et d’abjurer mes erreurs... Il poussoit trop loin l’in- dulgence , ajoute-t-en...:. Klleest si souvent nécessaire, et tant de gens en ont besoin ! D'ailleurs , 1l n’en montra jamais pour les méchans. Conduit par un cœur droit et généreux , 1l ne citoit ses confrères dans ses ouvrages que pour leur rendre un tribut d'estime ou d’admiration. Les jeunes médecins trouvoient dans 54 ÉLOGES HISTORIQUES. ses avis, dans sa bibliothèque, dans sa fortune , tous les secoursqu’il pouvoit leur offrir : quelques-uns même de ceux que le sang ou l’amitié Ini rendoit plus chers ont contracté envers lui des obligations plus intimes ; il leur a communiqué les fruits de son expérience , en leur donnant, près du lit des malades, des leçons inappréciables , soit par leur importance, soit par leur rareté; car 1l n’est point d'usage parnu les médecins de se rendre réciproquement les services que, dans les professions les moins honorées , les élèves reçoivent toujours de leurs maîtres. Ces derniers ne se contentent pas de remettre à ceux qu’ils instruisent les instrumens de leurs arts ; 1l se trouve toujours une maïn qui di- rige leurs premiers travaux , tandis qu’à la sortie, Soit des écoles où l’on n’apprend rien d’exact , soit des hôpitaux où le nombre des malades , la rapidité des visites, l'incertitude des traitemens et l'ignorance des motifs qui les ont déterminés, ne présentent au spec- tateur qu’une longue suite d’énigmes à deviner , les jeunes médecins restent sans véritable instruction et sans guide, lorsqu'ils font le premier essai de leurs forces. M. Lorry croyoit remplir un devoir sacré, en leur donnant des secours qu’il n’avoit lui-même reçus de personne. k La célébrité des savans qui n’ont point publié d’ou- vrages se prolonge rarement au-delà de leur trée » la postérité, à laquelle ils n’ont rien transmis , croit ne leur rien devoir. M. Lorry n’éprouvera point un pareil sort. Ce qui caractérise ses productions, c’est sur-tout une érudition agréable , et une connoissance profonde _ « 2 Lun she s ; Lu 2 jee de 2e né de doter mt _ Éd nd SO SS- PHYSIOL. ET MED. — LORRY. 55 des anciens et de l’histoire de notre art. Lire ses ou- vrages , c’est lire ceux d'Hippocrate ;, d’Aretée , de Galien , de Celse. Un fil adroitement tendu se dirige depuis les temps les plus reculés jusqu'aux époques les plus récentes. Soit qu’il observe ou qu'il décrive , 1l montre par-tout la même exactitude , la même fécon- dité. Quelquefois on y desireroit plus de précision ; plus de méthode , et des résultats plus clairement ex- posés; mais ce reproche dont tant d’antres qualités adoucissent la rigueur, perd beaucoup de sa force lors- qu’on réfléchit combien 1l faut d’attention pour faire régner l’ordre et l’économie au sein de la richesse et de l'abondance. On connoîtra la marche de son esprit en considérant la suite de ses ouvrages et comment ils se sont succédés. Le premier de tous a été son Traité des alimens, des- tiné à servir de commentaire aux livres diététiques d'Hippocrate. Le fameux chancelier Bacon , tonte la classe des adeptes, et un grand nombre de philo- sophes , ont donné des conseils sur la manière de pro- longer la durée de la vie. M. Lorry les a réunis, commentés et réduits à leur juste valeur dans plusieurs articles de cet ouvrage. L 1ygiène, sur laquelle il a st bien écrit, ne peut-elle pas être comparée sous beau- coup de rapports avec la morale ? Dans l’une comme dans l’autre, ceux qui pèchent contre les préceptes s’abusent rarement eux-mêmes; et ils montrent assez qu'ils connoissent leurs fautes, par la peine qu’ils se donnent pour les dissimuler 11 faut convenir que ces conseils de modération et de réserve , qui supposent 56 ÉLOGES HISTORIQUES. une ame forte et un corps docile, ne seront jamais bien exécutés que par des hommes sages et vertueux : admurable providence de la nature! Et périsse à jamais l’art qui enseigneroïit à créer des jours longs et heu- reux pour des méchans ou des ingrats ! Dansson Traité de la mélancolie , M. Lorry a publié les recherches les plus instructives sur l'humeur ap- pelée du nom d’atrabile par les anciens , qui la regar- doient comme le foyer d’un grand nombre de mala- dies opiniâtres, telles que la fièvre quarte, la mamie, quelques maladies de la peau, et diverses constitutions automnales. Une remarque curieuse , c’est que les expressions employées par eux pour désigner l’atrabile, ou bale noire , et ses diverses affections , l’ont été dans plu- sieurs circonstances par les poëtes de la plus haute antiquité, par Homère lui-même : c’est ainsi qu'ils ont peint les emportemens d’Achille contre Agamemnon ; et les fureurs d’Oreste. Des actions violentes et pen réfléchies, une ame ardente et passionnée ; des yeux caves , un teint livide, étoient les traits dont ils char- gcoient ces tableaux. Platon, s’est quelquefois servi de ces mêmes figures dans son Timée. Le fléau dont Lycaon se croyoit frappé ; la maladie des filles de Prætus , et les divers genres de folie de ceux qui se re- gardoient comme inspirés par les dieux où punis par les démons , n’étoient pour les sagès qui vivoient alors que des maladies plus on moins graves , qu'ils com- battoient avec l'herbe fameuse d’Anticyre. Notre savant confrère a trouvé dans plusieurs rôles PHYSIOL. ET MÉD. — LORRY. 57 de valets que Plaute a mis sur la scène un exposé fidèle des effets que l’ellébore produit, et sur-tout du trouble général et du resserrement douloureux de la gorge qu'il fait toujours éprouver. L'histoire lui a fourni des preuves de l'efficacité de l’ellébore employé dans les mêmes cas. Il rapporte qu’un abbé de l’église de Saint-Nicolas de Venise, fa- tigué d’exorciser en vain des maniaques qui se disoient et que l’on croyoit possédés du démon, les avoit guéris par ce remède, dont M. Lorry a fait lui-même des essais heureux. Il est un autre état moins grave , mais plus fré- quent que le premier ; et dont M. Lorry a parlé en bon observateur : c’est celui que l’on appelle du nom de vapeurs ou de maux de nerfs, dans lequel le délire, s’il est permis d'employer ici cette expression avec Boërrahaave , se borne à un petit nombre d'idées qu'il exalte ou qu'ilaffoiblit. L'âge, lesexe, les circonstances, l'habitude , donnent à quelques organes une énergie dont les autres sont privés. La sensibilité s'accroît , et chaque point des réseaux où les nerfs s’'épanouissent devient un foyer de vibrations irrégulières , rapides et précipitées : de-là cette mobilité dans les perceptions et dans les jugemens , cette inquittude que finient le repos et le bonheur ; cet ennui du présent ; cetle exa- gération du passé; cette crainte des maux à venir ; cette indifférence pour ce qui est simple, sérieux et réfléchi ; ce penchant pour le fanatisme en divers genres, pour tout ce qui produit des ébranlemens inattendus ; cette disposition à imiter les mouvemens auxquels l'ame 58 ÉLOGES HISTORIQUES. étonnée reste long-temps attentive; de-là, en un mot, tous ces prodiges de l’imagimation , sources de tant de biens et de tant de maux ; instrument de tant de ré- volutions ; arme si chère à l’imposture , si souvent victorieuse dans les entreprises de l’erreur contre la vé- rité, si puissante sur la multitude, et si funeste aux progrès de la raison. Les maladies des nerfs doivent être considérées , sur-tont dans leur principe ; comme dépendantes de l'ame, qui réagit sur eux et leur commande ; c’est elle sur-tout qu'il faut traiter , suivant M. Lorry , pour en obtenir la cure. Ce sont des habitudes à changer , des idées dont il faut éloigner le tableau, des goûts qu'il faut combattre par d'autres penchans; c’est un ordre de mouvemens que l’on doit interrompre et tou- jours sans paroître s’en occuper : mais combien ne faut-il pas d’adresse pour mouvoir de pareils ressorts ! Les personnes atteintes de ces sortes d’affections dési- rent qu’on les croie très-souffrantes ; elles demandent qu'on les traite, et ne consentent presque jamais à être guéries ; elles mettent tout leur esprit à se tour- menter , et c’est un combat de ruse et de finesse entre le médecin et les malades, qui semblent réumir toutes leurs facultés pour conspirer à leur perte. Après avoir étudié l’homme jusque dans les replis les plus cachés de son économie , M. Lorry s’est dé- lassé, pour ainsi dire, en se livrant à des recherches plus faciles sur les expériences statiques de Sanctorius dont 1l a commenté l’ouvrage. I semble qu'il y ait dans les sciences un certain CET PHYSIOL. ET MÉD. — LORRY. 59 nombre d'idées qui naissent immédiatement et sans effort de la nature et de nos besoins. Ce ne sont ce- pendant pas ces idées qui se présentent les premières à l'esprit ; elles ne peuvent être aperçues que par des hommes qui , simples comme elles , fuient le mer- veilleux et ne cherchent que la vérité. Depuis long- temps l'intérêt avoit imaginé et perfectionné des ma- chines propres à faire connoître le poids des subs- tances qui servent à nos usages; l’homme avoit tout mesuré, tout examiné dans ce genre , hors lui-même. Il parut enfin dans le seizième siècle un physicien qui répara cet oubli. La médecine devoit sans doute se promettre des ré- sultats utiles et curieux de la comparaison du poids du corps avec celui des boissons, des alimens et des pro- duits des différentes excrétions ; mais il falloit, pour les obtenir , se dévouer à une étude dont la gêne devoit s'étendre à tous les instans de la journée ; la vie entière devoit être échangée en une suite non interrompue d'observations et d’essais ; il falloit tenir registre de ses actions les plus indifférentes, tout écrire, tout peser, tout soumettre à la balance. Sanctorius eut ce courage ; et tel fut l’ascendant de l'expérience qu’un seul homme décida sans appel un grand nombre de questions les plus importantes , vaguement agitées et non encore résolues depuis lorigine de notre art. Onconnutalorsavec précision l’influence du sommeil et de la veille , celle de l’exercice et du repos , celle de la digestion et des passions sur les organes excrétoires; on apprit à distinguer les effets de la sueur d’avec ceux 60 ÉLOGES HISTORIQUES. de la transpiration insensible ; de justes limites furent établies entre les divers états dans lesquels le témoi- gnage de la balance est en contradiction avec celui de la force intérieure et active qui, pénétrant le tissu des viscères , en soutient la masse, et nous dérobe le sen- timent de leur pesanteur. Les belles expériences de Sanctorius furent répétées par Keill, à Northampthon ; par Dodart, à Paris ; à Dublin, par Bryan et Robertson; à Corck en Irlande, par Rye;et par Linmings dans la Caroline méridionale, M. Lorry a rassemblé ces observations; 1l les a com- parées avec celles de Sanctorius ; et 1l y a jomt des notes très-instructives. L'édition grecque et latine des Aphorismes d'Hippo- crate par le docteur Jansson ; d’Almeloveen , étoit celle que M. Lorry regardoit comme la plus exacte et et la plus commode pour les jeunes médecins. Il a rapporté dans une édition nouvelle la suite des diffé- rens aphorismes dont van Swieten a fait usage en écri- vant ses Commentaires, et 1l a placé des notes à la fin de chaque section. Il nya point d'ouvrage qui ait été plus souvent réim- primé que les Aphorismes d’'Hippocrate : chaque siècle les a vu reparoître plusieurs fois surchargés d’expli- cations dans lesquelles on les cite toujours à l'appui de l’opinion dominante. Ce livre, pour lequel nous avons une sorte de culte, est en médecine ce que sont les livres sacrés en matière de religion ; chacun des partis ladmet et l’interprète à sa mamère. M. Lorry étoit bien loin de regarder, avec Suidas, cet auteur TS PT TN SE ER TE VE at | | | | [ | | | PHYSIOL. ET MÉD. — LORRY. 64: comre infaillible. A force de soins et de veilles, disoit- il, jy ai trouvé quelques erreurs dont j’ai montré les sources , et que l’on w’avoit point aperçues ; mais en revanche je crois y avoir découvert des beautés que l’on w’avoit point senties. Le goût très-vif qu'il avoit pour les anciens ne l’a point empêché de s'occuper de plusieurs objets dont on cucontie à peine quelques traces dans leurs écrits. Telles sont les maladies cutanées, sur lesquelles 1l a composé en latin un savant ouvrage ; une introduc- tion sur la structure anatomique de la peau, et sur l’'étiologie de ses lésions considérées en général ; une division méthodique et une description exacte de cha- cune de ces maladies : une synonymie complète; le chaos des écrits des Arabes débrouillé dans ce qui con- cerne ces affections : un style élégant, simple, assigne à ce Traité une des premières places parmi ceux qui ont le plus illustré notre art. Il paroît que les anciens habitans de la Grèce étoient exempts de ces maladies,si répandues maintenant parmi le peuple. Homère n’en a point parlé dans son Odyssée où il a peint la plupart des maux auxquels les gens du commun étoient sujets. Hésiode n’en à fait aucune mention, Hérodote Thucydide ; Diodore de Sicile , les regardoient comme des fléaux réservés aux Barbares, comme les fruits impurs du luxe asiatique. Les seuls esclaves en étoient atteints dans l’ancienne Rome. La corruption des mœurs entraînant enfin celle de la santé, la peau se couvrit des stygmates du libertinage 2? P : d a D 62 ÉLOGES HISTORIQUES. et de la débauche ; et l’art de la cosmétique, contre lequel Galien s’est tant élevé, fut un nouveau mal ajouté à ceux qu’il ne faisoit qu'irriter en les palliant. Comme instrument du contact, c’est la peau que la contagion et l’impureté menacent de toutes parts, et qu'elles attaquent toujours la première. Comme placée à la surface , et comme étant liée avec tous les viscères par une grande quantité de nerfs dont elle n’est que l'expansion , c’est toujours vers elle que la force inté- rieure et active tend à porter les diverses sortes d’acri- monies qui provoquent la fièvre en excitant des mou- vemens oscillatoires. M. Lorry a fait les remarques les plus judicieuses sur l’importance et l’ancienneté de Vusage où l’on est, pour diriger ces humeurs vers la peau, d’enflammer ou d’ouvrir le tissu de cet organe ;. c’est-à-dire , d'acheter la fraîcheur et la santé du corps par le sacrifice volontaire de celles d’une de ses parties, triste et malheureuse condition , dans laquelle l’homme, si souvent réduit à cette dure extrémité, semble n’avoir à choisir que parmi les maux qui l’environnent et se mêlent à toutes ses jouissances ! On doit au confrère que nous regrettons une édi- tion des OEuvres de Méad , dont il a traduit une partie de l'anglais en latin. L'ouvrage de Barker sur la confirmité de la méde- cine ancienne avec la moderne a été réimprimé en 1768 par ses soins. Îl résulte de cette lecture, bien propre à donner une grande idée de notre art, que >. - médecine est plus indépendante qu’on ne le croit des PHYSIOL. ET MÉD.— LORRY. 63 autres scieuces physiques, et que, mobile dans sa théo- rie , elle s’est presque toujours montrée uniforme dans ses indications curatives. L'auteur et l’éditeur de ce Traité ont eu le même projet, qu'ils ont annoncé dès les premières pages : en faisant connoître l'esprit et les principes de la vraie médecine , ils s’étoient proposé d'ouvrir les yeux du public sur l’incohérence des assertions , et sur l’incerti- tude des promesses faites par les empiriques; mais cet ouvrage , quoique fortement et ingémeusement écrit , seroit peut-être insuffisant aujourd’hui pour remplir ces vues. Le charlatanisme est poussé parmi nous à un degré de perfection qu'il auroit été difficile de prévoir : l’art d’en imposer aux hommes a fait ,° comme tous les autres arts 4 de grands progrès , et s’il est permis à l’amour-propre d’en conclure que nous sommes de- venus plus difficiles à tromper , la raison n’en est pas moins affligée, en voyant qu’on nous trompe toujours, et que, reproduite sous toutes sortes de formes, l'erreur et l’imposture ne cessent de subjuguer le genre humain. Par des circonstances dont nous ignorons les détails , M. Lorry devint, à la mort de M. Astruc , le déposi- taire des papiers de ce grand homme. On ne pouvoit les confier à un savant plus digne de cette honorable commission. Il y trouva les matériaux d’une Histoire de la Faculté de médecine de Montpel- lier , dont les deux premiers livres ayoient été mis en ordre par M. Astruc ; mais les trois derniers n’étoient qu'ébauchés. M. Lorry réunit les différentes pièces qui devoient les composer , et 1l y mitla dernière main. 64 ÉLOGES HISTORIQUES. Ces trois livres contiennent l’histoire de plusieurs médecins célèbres de la Faculté de Montpellier, tels que Gordon, qui, dans le commencement du quator- zième siècle, renouvela la doctrine des crises; Gui de Chauliac, le restaurateur de la chirurgie française ; Rondelet , s1 fameux en médecine , et sur-tout en his- toire naturelle ; Laurent Joubert que l’on persécuta parce qu'il avoit combattu les préjugés, si redoutables alors, comme ils le sont encore aujourd’hui ; du Laurent Rivière ; ce Nostradamus , ou Notre - Dame, auquel des talens distingués et des services rendus dans le traitement de deux pestes auroient assuré une gloire immortelle, si, préférant l'argent à l'honneur, s’as- sociant et se dévouant au charlatanisme de l’astrologie judiciaire , et poussant à l'excès ce genre de délire qui étoit alors le plus répandu, il n’avoit imprimé à son nom une tache que nulle puissance ne sauroit effacer ; enfin, cet homme extraordinaire qui, nourri par des moines, le devint lui-même, et cessa bientôt de l'être, qui, après avoir composé et joué des farces devant la Faculté de Montpellier , fut honoré comme son res- taurateur ; qui commenta Hippocrate et Galien, écrivit sur la religion , suivit un ambassadeur à Rome, com- posa un ouvrage où, sous le voile d’une plaisanterie basse et grossière ; 11 cacha des vérités hardies , une critique sévère, une satire dans laquelle 1l n’épargna personne ; qui désarma ses juges en les faisant rire , fut le bouffon et l’idole de son siècle, et mourut curé de Meudon; Rabelais, en un mot. M. Lorry a donné à l'édition de ces divers mémoires une attention et ” PHYSIOL. ET MÉD. — LORRY. 65 des soins qu’il n’a pas toujours pris pour ses propres ouvrages. | Mais dans quel temps un médecin qui consacroit ses journées entières à la visite des malades a-t:1l pu se livrer à tant de recherches ? Il ne lui restoit que la nuit, et il en employoit une grande partie à l’étude. Il a parlé, dans son Traité de la mélancolie, d’un homme qui dormoit très-peu et se couchoït rarement , c’étoit lui-même. A la manière dont 1l vivoit, on auroit dit que son temps et sa santé n’étoient point à lui; chacun pouvoit en disposer : l'heure étoit indifférente , on le trouvoit toujours prêt. Le soir , on le voyoit entouré de personnes inquiètes ou malades qui lui demandoient des consolations ou des avis. Il abandonnoit sans mur- murer des heures perdues pour son travail, qu’il devoit reprendre dans la nuit. Lorsque enfin il étoit seul , 1l écrivoit ses observations , et les réflexions que les dir- constances lui avoient fait naître pendant la journée. Il se défendoit contre le sommeil par des lectures agréables ; 1l se livroit ensuite à de plus sérieuses : 1l s’abusoit ainsi en croyant avoir trompé la nature, et 1l se flattoit d’avoir doublé son existence lorsqu'il n’avoit fait que se hâter de vivre, et se fatiguer en précipitant sa course. Il a été souvent appelé à la cour , il ne s’y est ja- mais trouvé sans inquiétude. Au milieu du trouble que æépand la maladie du souverain ou celle des premiers de l’état, tous les intérêts sont suspendus ; on cesse d'agir pour observer. Semblable à ces flots accumulés et grossis qui restent un moment incertains entre les T. 3. 5 + 66 ÉLOGÉS HISTORIQUES. puissances qui les agitent , le tourbillon des courtisans s'arrête, et le silence qui règne est celui de l'incertitude et de l’effroi. Le malade et ses médecins sont le sujet de toutes les conversations ; et parmi ces derniers , que l’on juge impitoyablement , il est rare que le plus mo- deste ait une grande part au succès. M. Lorry avoit tant de fois éprouvé cette injustice dans le monde, qu’il redoutoit de paroître à la cour , où cependant 1l reeut toujours l’accueil le plus flatteur. Le feu roi le choisit, et Le fit appeler lui-même lors- qu’il fut atteint de la petite-vérole à laquelle il suc- comba. Sa majesté, pendant tout le cours de cette ma- ladie , ne laissa échapper aucune occasion de lui donner des marques particulières de son estime et de sa bonté, M. Lorry tenoit un papier près du lit du roi, qui s’en aperçut , et lui demanda ce que c'étoit : Sire, c’est , répondit-il, une lettre de ma famille qui s’informe de l’état de votre majesté. Que je suis fâché , dit le roi, que ce ne soit pas plutôt un mémoire pour me de- mander une grace ! que j’aurois de plaisir à vous l’ac- corder! Il n’en sollicita et n’en reçut aucune. Une autre fois le roi voulut savoir le nom de baptême de M. Lorry, et ce nom fut aussitôt le mot de Pordre donné par le Roi au capitaine de ses gardes. Ce pro- cédé noble et délicat parut à M. Lorry la plus belle des récompenses. Mais toute cette partie de son éloge est en quelque sorte étrangère à la Société royale : sa mémoire attend un autre tribut que nous seuls pouvons lui payer. La Société se croit fondée à le regarder comme lui PHYSIOL. ET MÉD. — LORRY. 67 ayant appartenu presque sans partage depuis l’époque de son établissement, qui a eu lieu en 1776. Elle lui doit des services de tous les genres, et sa reconnois- sance ne sauroit être m trop publique mi trop étendue. Une académie naissante ne peut jeter aucun éclat sur ceux qui la composent : c’est de leurs efforts et de leur célébrité que doit résulter sa gloire. Elle a sur-tout besoin de bons conseils et de bons exemples. Appelé parmi ceux qui ont jeté les premiers fondemens de nos travaux, M. Lorry ne se contenta pas de les en- courager et d'y applaudir , il s’y associa, il y contribua lui-même ; en nous indiquant les sources , il nous apprit à y puiser. Dans nos séances , auxquelles 1l étoit très-assidu , son érudition se développoit avec une abondance qui nous étonnoit toujours, et l’on goûtoit d'autant plus de plaisir à l’entendre , qu’il paroissoit en éprouver lui-même en exposant avec grace et sou- vent avec gaieté les fruits de ses longues et pémibles études. Loin de ressembler à ces savans qui mettent de la réserve dans tous leurs discours, en parlant avec mystère de ce qu’ils connoissent le mieux , 1l usoit de l'esprit comme les hommes sages font des richesses ; il fuyoit les embarras, il s’en servoit toujours sans gène comme sans affectation. Mais ces obligations ; quelque grandes qu’elles soient, ne sont pas encore les plus importantes que la Société royale ait contractées envers M. Lorry. Qu'elle nous permette de lui rappeler le moment où en 1778 elle fit des pertes imprévues , et qui eausèrent ses regrets. Le souvenir des obstacles que l’on a sur- 66 ELOGES HISTORIQUES. montés porte avec lui quelque chose de doux et de eon- solant; et quand :1l seroit encore pénible parmi nous , la Société n’en devroit pas moins publier que M. Lorry fut un de ses principaux appuis. Cet homme vertueux et bon que l’on avoit tant accusé de manquer de ca- ractère, se montra ferme et inébranlable dans ses prin- cipes comme dans sa conduite. Il excita le zèle par son exemple ; il lut plusieurs mémoires ; 1l proposa divers plans de travaux qui furent exécutés, et bientôt la Compagme publia des volumes qu'il avoit enrichis de ses observations. Il éteit naturel que M. Lorry fût le soutien d’un édifice qui s’élevoit en partie par ses soins. Que l’on ne croie pas cependant que cette affection fût le seul motif de son attachement pour la Société royale. Un examen approfondi l’avoit convaincu que cette Compagnie, comme tribunal, n’exercoit que des droits ci-devant attribuésau premier médecin , et qui n’avoient jamais appartenu qu’à lui ; que sa correspondance w’avoitété m projetée n1 exécutée par aucun autre corps; que les recherches et expériences auxquelles elle se livroit d’ailleurs comme académie, étoient un champ ouvert à tout le monde , et dans lequel on ne devoit chercher à se vaincre qu'avec les armes de l’émulation. Il trouva parmi nous l’indépendance et l'égalité con- solidées par nos règlemens ; il vit que, maîtres de l’é- lection de tous nos chefs, et forcés à les renouveler souvent, nous étions autant libres qu'il est possible de l'être sous la tutelle des lois. Notre constitution lui parut d'accord avec la dignité de notre état , à laquelle 1l tenoit plus que personne ; et ces raisons qui le fixèrent ny ES ne ne D JR EE PT. hd" de HE PHYSIOL. ET MÉD. — LORRY. 6 irrévocablement dans le parti qu'il avoit embrassé , nous les consignons dans son éloge comme un monu- ment de son courage et de son zèle pour les progrès de la médecine. Que ne pouvons-nous y dévoiler tout entière l’ame du confrère estimable que nous avons perdu ! La nouvelle carrière dontil nous reste à rendrecompte suffiroit pour illustrer un savant des plus laborieux. Nos volumes sont remplis de ses productions : on y trouve la constitution médicale observée et décrite par M. Lorry depuis année 1775 jusqu’à l’année 1777, et divisée à la manière des anciens, en semestre vernal et automnal. Dans un savant Mémoire sur les maladies de la graisse , 1l a fait connoître ses diverses altérations, ses rapports avec la bile , les suites de sa fonte , les dangers de son mélange avec la matière purulente ; et il a dé- veloppé, dans tous ses détails, un sujet qui n’avoit point encore été convenablement traité par les observateurs. Dès l’année 1753 , M. Lorry avoit publié des expé- riences sur les effets de l’opium donné à des animaux. En 1779 1l compléta ses recherches qu’il a publiées dans le troisième volume de nos Mémoires. On sait avec quel art les Turcs et la plupart des habitans de Asie prolongent jusque dans le sommeil les illusions de la volupté. M. Lorry avoit recu de Constantimople de _ l'opium préparé , et quelques-unes de ces liqueurs eni- vrantes dont on raconte tant de merveilles ; 1l est ré- sulté de ses essais que , malgré tous les déguisemens connus, l’opium produit tonjours deux effets très- 70 ÉLOGES HISTORIQUES. distincts, qu'il endort et qu'il donne en même temps aux fibres une disposition au spasme , qui dure long- temps après que la première impression a cessé d’avoir lieu. Les extrémités postérieures des animaux se sont affoiblies les premières dans ses expériences. Il a retiré, par la distillation de l’opium qui avoit fermenté , une liqueur calmante et peu narcotique ; et parmi tous les mélanges que M. Lorry a tentés de cette substance avec celles qui sont le plus employées en médecine, c’est en la combinant avec le camphre, l’ail, la salle ou le musc, qu’il en a obtenu les effets les plus remar- quables. é Ce n’est pas seulement par la nature et la variété des sujets que la lecture de ces mémoires est attrayante; c’est sur-tout par les vues qu'ils annoncent, et par un mélange piquant d’érudition et de philosophie. Chaque fait y est environné de détails curieux, de rapports inattendus; chaque vérité y est placée de manière à en faire pressentir un grand nombre d’autres : enfin , ces productions sont du petit nombre de celles qui offrent par-tout le germe de la réflexion et de la pensée. La société conserve cinq autres mémoires de M.Lorry, qui ont été lus dans ses séances, et parmi lesquels qüatre sont relatifs à la pratique de notre art. Ils contiennent des observations sur les efforts critiques qui se font sans que la fièvre survienne ; sur la nature-et les effets du frisson , considéré comme un symptôme général des fièvres ; sur les aphthes , tels qu’on les observe à Paris, comparés avec ceux que Boërrhaave a décrits en Hollande, et Ketlaër en Zélande ; enfin sur les açoi- PHYSIOL. ET MÉD, — LORRY. 1 dens qui précèdent, accompagnent et suivent le sommeil dans les maladies aiguës. Le seul délassement que M. Lorry se soit permis au* mülieu de tant de fatigues a été la culture de deux terrains qu’il avoit achetés près de Paris. Il n’y a que ceux dont l’ame est douce et tranquille qui se plaisent aux champs : l’avare , ambitieux , l’homme subjugué par ses passions, ne s’aperçoivent point si la nature est riche et féconde , si le ciel est pur, si les fleurs répandent leur parfum. Ces premières jouissances étoient celles que M. Lorry sentoit le plus vivement. Tous les végétaux utiles aux arts et à la médecine ont trouvé place dans ses jardins. Parmi les observations curieuses qu'il y a faites, nous citerons celles dont les parties volatiles des plantes, et les odeurs ont été le sujet. Il les a divisées en cinq grandes classes. Il a donné à la première le nom de camphrée. Son principe est très-étendu et s'envole facilement , mais sans se dénaturer. M. Lorry rapporte à cet ordre les labiées , les lauriers , les myrtes et les térébenthines. La seconde classe comprend les odeurs vireuses, analogues à celles de l’opium ; la troisième , celles qu’il a comparées à odeur de l’éther ; la quatrième et la cinquième , celles qui se rapprochent des acides ou des alkalis volatils. Haller , en traitant des molécules odorantes, a désiré qu’un physicien instruit en fitune division méthodique. Notre confrère a rempli au moins une partie du vœu formé par ce grand homme. La Société royale est dans l’usage de publier des avis sur le traitement des maladies épidémiques ou 72 ELOGES HISTORIQUES. constitutionnelles des saisons, lorsqu’elles sont assez graves pour mériter son attention. Une dyssenterie cruelle se répandit, et fit de grands ravages dans plu- sieurs de nos provinces en 1779. Des fièvres bilieuses à peu près semblables à celles qu'Hippocrate a obser- vées à Thase à la suite d’un été sec et brûlant , régnèrent en 1781 à Paris et dans tout le royaume. La Société fut consultée l’année suivante par les états de Lan- guedoc sur une maladie accompagnée de sueurs opi- mâtres , qui étoit épidémique dans une partie de cette province. Des instructions publiées à ces différentes époques ont rempli les vues du gouvernement. M. Lorry qui les avoit rédigées ne voulut point que son nom y fût cité. Nous nous empressons de rendre à Pauteur de ces utiles productions le tribut qui lui appartient , et dont il est d’antant plus digne qu’il a fait tous ses efforts pour se dérober à la reconnoissance publique. Parmi les rapports dont M. Lorry a été chargé sur différens sujets, et qui sont contenus .dans nos re- gistres, un sur-tout mérite d’être remarqué. M. Viel, amateur éclairé d’architecture , avoit demandé à la Société s1 les plantes dont on reconnoît des parties sur les monumens des anciens, sont de la classe de celles que l’on regarde comme salutaires ? Quoique la Société ne se livre point ordinairement à des travaux de cette nature , M. Lorry promit de communiquer ses ré- flexions sur cette question qu'il prit plaisir à traiter. Il seroit en effet difficile de trouver un sujet, plus piquant parmi tous ceux qui tiennent à l'histoire de noire art. L'auteur commence par jeter un coup-. | 2 l PHYSIOL. ET MED. — LORRY. 73 d'œil sur les végétaux consacrés aux dieux, et que l’on multiplioit aux environs de leurs temples. C’étoit dans une forêt de chênes antiques que Jupiter rendoit ses oracles ; Appollon se plaisoit au milien des lauriers ; Bacchus se couronnoit de lierre et de pampre; de blonds épisornoïent la chevelure deCérès ; la sage Minerve avoit préféré l'olivier, le seul des arbres sacrés dont, suivant la remarque de Phèdre , les fruits fussent utiles ; des couronnes de peuplier couvroient la tête de ceux qui sacrifioient à Hercule. Les divinités qui présidoient aux vendanges , celles des champs, étoient représentées tenant des cyprès dans leurs mains. Ainsi chaque ordre de végétaux , chaque classe d’êtres avoit un protecteur assis parmi les dieux. L’imagination avoit tout animé, tout embelli , tout lié avec le ciel. Les feuilles , les fleurs , les fruits , tissus en guirlandes, entrelacés dans des couronnes, étoient suspendus autour des autels , et servoient de festons à l’entrée des temples ou d’or- nemens aux victimes. Les athlètes, les guerriers , les vainqueurs , les amans, les buveurs, tous participoient à ce culte , et portoient chacun les symboles de leur divinité. Ils les représentoient sur les colonnes, sur les murs des édifices publics ou des maisons particulières. L'art préféra sans doute, pour ces emblèmes, les vé- gétaux dont le port étoit le plus noble, et qui devoient être regardés par cette raison comme plus agréables aux dieux. Bientôt on s’efforca de donner aux fleurs et aux feuilles des contours plus élégans. La nymphée, le molacanthe furent tellement défigurés qu'ils ne ressemblèrent plus à la nature ; on sacrifia tout aux 7 ÉLOGES HISTORIQUES. formes, et rien n’annonce qu'au milieu de ce beau délire d’où naquirent tous les arts, on ait spéciale- ment choisi les plantes salutaires pour servir d’orne- mens à l'architecture, qui semble plutôt les devoir aux brillantes inspirations de la poésie qu'aux sages conseils de la raison. M. Lorry s’étoit livré depuis long-temps à des re- cherches qui lui furent d’un grand secours pour résou- dre la question proposée par M. Viel. Très-versé dans la lecture des anciens , 1l avoit résolu d’extraire de leurs ouvrages tout ce qu’il jugeoit avoir quelque rapport avec l’art de guérir. Il avoit commencé par Hérodote, le père de l’his- toire. Il avoit ensuite passé à Thucydide et à Xéno- phon. La description de la Grèce par Pausanias, les seize livres de Strabon , le plus ancien des géograplhies, et ceux de Diodore de Sicile, lui avoient fourni de grandes richesses. Déja il avoit étendu ses travaux jus- qu'aux poëtes ; 1l avoit recueilli dans Hésiode et dans Homère tout ce qui pouvoit entrer dans son plan. Ces recherches composent un manuscrit précieux que M. Hallé notre confrère , digne héritier des vertus et du savoir d’un oncle illustre, ne manquera pas de publier. M. Lorry y a traité très au long de la peste d’A- thènes, si bien décrite par Thucydide, fléau qu'aucun remède ne put adoucir , dont les médecins furent les premières victimes, et dont l’histoire doit être à jamais un objet de terreur pour la postérité. Cette contagion transportée de l'Ethiopie en Egypte, et dans l’île de PHYSIOL. ET MED. — LORRY. 95 Lemnos , pénétra jusque dans l’Attique , où les Pélo- ponésiens , qui la ravageoïent alors et dont on fuyoit les approches , furent exempts , comme les Juifs l'ont été à Rome, dans la constitution pestilentielle décrite par le cardinal Gastaldi. M. Lorry a comparé la maladie cruelle que Thu- cydide a décrite , avec les autres fléaux analogues ; et il a prouvé que, semblable à la peste traitée par Sydenham à Londres , et par les médecins français à Marseille , sa cause ne résidoit point dans les vices de la tempé- rature, qui n’avoit jamais été ni plus belle ni plus salu- taire sous tous les autres rapports : bien différente de celle dont les Grecs furent frappés au siége de Troie ; de celle de Thèbes, décrite par Sophocle dans son OEdipe , ou de celle dont Hippocrate a parlé, et qui paroissoit dépendre de l’influence des saisons , s'étendre aux divers animaux, même aux végétaux , sur-tout aux fruits , et menacer ainsi tous les êtres d’une des- trüction prochaine. Les Grecs avoient sur la cause de la peste , sur celle des morts subites et de l’épilepsie, une opinion singu- lhière qui étoit adoptée par les médecins eux-mêmes. Ils croyoient y reconnoître le sceau de la puissance divine, qui vouloit punir ou éprouver les hommes , ou, dans quelques-uns de leurs revers, leur faire de la mort un funeste présent. Ces idées n’ont pas la précision des nôtres , mais elles sont nobles et élevées, et 1l n’appar- tenoit qu'aux Grecs d'imprimer à toutes leurs fables le caractère de la grandeur et de la sublimité. On employoit dans l’ancienne Grèce les eaux ther- 76 ÉLOGES HISTORIQUES. males pour le traitement de plusieurs maladies. Héro- dote , Pausanias , Strabon et Diodore de Sicile en ont fait une mention expresse , ainsi que de plusieurs mof- fettes. La préparation etles vertus du castoréum étoient connus d'Hérodote, et le baume de Judée l’étoit de Strabon. M. Lorry a trouvé dans ce dernier des détails exacts sur les anticyres et sur les ellébores d’Oëta et de la Phocide, sur l'espèce de chêne qui produisoit le gland seb que Polybe assure avoir été un Dhyet de commerce pour l'Espagne ; sur le lotus ou nym- phæa considéré comme aliment, et sur l'efficacité de certaines eaux minérales dans le traitement du calcul. Pausanias a parlé de l’acanthe , du byssus, du liège qui étoit alors en usage, et de la renoncule au ris sar- donique ; Hésiode , des mauves que l’on comptoit alors parmi les plantes potagères ; Xénophon, des palmiers et de leurs fruits, et sur-tout de l’orge comme servant à la préparation d’une espèce de bière dont on usgit dans les villages d'Arménie. Enfin Diodore de Sicile 11’a laissé aucun doute sur l’usage que l’on faisoit alors des cantharides comme vésicatoires. ! On a dit souvent que les hommes avoient dégénéré de leurs ancêtres , qu’ils étoient moins robustes , moins spirituels , et qu’ils vivoient moins long-temps. Ce reproche que chaque siècle s’est peut-être fait à lui- même , sera réduit à sa juste valeur en lisant Héro- dote sur la vie moyenne et sur la taille des anciens Grecs, qui ne différoient point de celle des Grecs mo- dernes , ni mème de celle que l’on observe dans nos climats. ténidbenm: PHYSIOL. ET MÉD. — LORRY. 97 Ceux qui se plaisent à embrasser une vaste étendue , à parcourir une grande surface , trouveront dans ces recherches de M. Lorry, un beau champ ouvert à leur curiosité. Ils compareront ce que Xénophon et Tournefort ont dit de la Colchide ; ils trouveront avec plaisir ce dernier d'accord avec Strabon , dans teut ce qui concerne le Levant ; ils chercheront pourquoi Hérodete et Prosper Alpin ne l’ont pas été de même sur la salubrité de l'Egypte ; le premier ayant parcouru ce pays lorsqu'il étoit florissant et habité par des hommes versés dans les sciences , et fameux par des vic- toires ; l’autre ayant vu cette nation subjuguée, esclave, avilie. Mais craignons de nous arrêter trop long-temps sur des détails agréables , que M. Lorry quittoit lui-même avec peine lorsqu'il s’y étoit abandonné. Une biblio- thèque nombreuse , riche sur-tout en livres grecs, fai- soit ses délices. Il n’y rentroit jamais sans éprouver le plaisir le plus vif, et la voix impérieuse du devoir pouvoit seule l’en arracher ; mais 1l n’en sortoit point sans emporter avec lui quelques-uns des ouvrages qui devoient être l’objet de ses méditations ; et tandis que livré à ses occupations journalières , il faisoit partie de ce tourbillon bruyant et confus que meut la soif de l'or ou du plaisir, concentré dans son étude il ne vouloit, ne cherchoit que des vérités , et ne formoit des vœux que pour la gnérison de ses malades. Quelque bien accueilli qu'il fût dans le grand monde, ce m’étoit que dans sa famille qu'il goûtoit de véritables douceurs. Entouré des enfans de son frère, le pro- 78 ÉLOGES HISTORIQUES. fesseur en droit qu’une mort prématurée avoit enlevé , il leur prodiguoit ses soins , sa fortune et sur-tout sa tendresse. Il vécut célibataire ; mais la bienfaisance avoit réuni sous ses yeux et placé dans son cœur toutes lesjouissances paternelles. Combien il fut heureux pendant ses dernières années de s’être préparé d’agréa- bles souvenirs, d’avoir inspiré à ses pupilles de la recon- noissance et del’amitié ! Lorsque des attaques de goutte réitérées , et la paralysie dont il fut atteint en 1782, l’eurent réduit à un repos forcé; lorsqu’à des veilles utiles, à des occupations de tous les instans, succéda le vide d’une longue journée tout entière sans affaire, sans travail , sans but déterminé : ce fut alors que M. Lorry vécut entièrement de ses propres bienfaits ; ce fut alors que ses aimables nièces lui rendirent peut-être plus qu’elles n’en avoient reçu ; leurs maine ne cessoient de le servir , leurs yeux étoient ouverts lorsqu'il som- meilloit, et leur vive sensibilité devint l’aliment de la sienne. Son frère, ses sœurs , son neveu, des confrères, des amis nombreux se dévouèrent à ses besoins, Leurs empressemens, leur assiduité l’occupèrent , le rani- mèrent , prolongèrent peut-être ses jours. Sait-on ce que peuvent sur nos organes les douces affections de l'ame, et les batitemens d’un cœur satisfait ? Mais ceux qui connoissoient la générosité de M. Lorry savoient qu’il avoit reçu avec épargne et donné sans mesure. Ils craignirent qu'il n’eñt pas dans ses infir- mités toute l’aisance dont il avoit besoin, et que ses derniers momens ne fussent troublés par la crainte de la détresse : ils firent parvenir leurs inquiétudes au “ PHYSIOL. ET MED. — LORRY. 79 roi, et sa majesté, qui met autant de justice dans son économie que dans ses bienfaits , accorda une pension à M. Lorry , et y ajouta même une somme destinée aux dépenses de son voyage à Bourbonne , en expri- mant combien elle désiroit que ce citoyen utile y retrouvât la santé. Un vœu aussi honorable , formé par le père du peuple, fit renaître un rayon de courage à M. Lorry , il partit en effet pour Bourbonne ; mais le voyage fut pénible , les accidens augmentèrent , et 1l mourut peu de jours après son arrivée , entre les bras de MM. Hallé son neveu, et Tessier notre confrère , qui l’avoient accompagné. Cette nouvelle ne nous étonna point, mais elle nous affligea beaucoup. La Société royale avoit nommé successivement M. Lorry son di- recteur et son vice-président. Lorsque la mort l’a enlevé, il étoit rentré depuis quelque temps dans la classe des associés ordinaires , où 1l avoit repris sa place avec joie! car sa modestie étoit sincère, et 1l aimoit sur- tout le repos et l'égalité. Tant de services, et un si bel exemple perpétueront sa mémoire parmi nous. Tout ce qui nous rappellera son zèle et ses travaux, tout ce qui lui a appartenu nous sera cher. Nous nous entretiendrons souvent de celles de ses productions qui n’ont point encore vu le jour. Déja, depuis que nous l’avons perdu , M. Hallé a fait paroître un de ses ou- vrages, dans lequel, en se proposant à peu près le même but que Roderic à Castro , 1l a fait connoître tous les changemens et les divers genres de métastases qui sur- viennent dans les maladies. Un traité de ce genre devoit avoir pour base des observations multipliées. 80 ÉLOGES HISTORIQUES. M. Lorry avoit toujours différé de le rendre public , afin d'augmenter le nombre des faits qui devoient en être l'appui. Ce dernier trait étoit digne d’être ajouté au tableau quernous avons tracé de son caractère ; tableau dans lequel , loin d’avoir mis de l’exagération , nous sommes certains d’être souvent restés au-dessous de ce qu'il y avoit à dire. Si nous en avons parlé trop longuement pourra-t-on nous refuser de l’indulgence , en se souve- nant que sa mort enlève à la capitale un de ses médecins les plus illustres ; à notre art, un de ses écrivains les plus féconds; à la Société royale , un de ses fondateurs ; et à chacun de nous, un ami. 1 4 À 4 [ MÉDECINS ET PHYSIOLOGISTES. 81 D + 0. à. MACBRIDE. D 'e nn ne + ns 1 PS Lg on AS Pinu: les routes différentes qui conduisent à l’im- mortalité, les unes sont rapides, mais escarpées ; les autres exigent une marche longue et une suite de re- cherches dont peu de personnes sont capables : quel- ques-unes sont tracées par le hasard, qui semble les offrir à ceux qu'il favorise. Il en est d’autres qu’un travail neuf et facile ouvre à quelques savans, dont l'histoire se trouve liée avec celle de leur siècle, sans qu'ils se soient donné la peine dont cette distinction est ordinairement le fruit. Tel a été le sort de M. Macbride, docteur en méde- cine et chirurgien à Dublin. Doué d’un caractère pai- sible , 1l cultiva les lettres et les sciences avec modé- ration , parce qu'il les aima plutôt pour elles-mêmes que pour ses propres intérêts. Il devint célèbre sans en avoir formé le projet, et une époque brillante fixa sa réputation sans troubler le bonheur de sa vie. Ce physicien naquit, le 26 avril 1726, à Ballymoni dans le comté d’Antrim en Irlande, de Robert Mac- bride (1), ministre d’une congrégation de presbyté- (1) La famille des Macbride est originaire de la province de Gal- loway en Écosse, où elle est ancienne et considérée. Jean Macbride, T. 3. G té nt 82 ÉLOGES HISTORIQUES. L riens , et de la fille de M. Boyde d'Hillaghei, de la province de Down. M. Mecbride apprit les élémens des langues grecque et latine dans l’école publique de Ballymom (1), et ensuite dans l’Université de Glascow. Ayant témoigné du goût pour la chirurgie, M. Beere, chirurgien en chef d’un hôpital en Angleterre et son parent, lap- pela auprès de lui ; 11 ÿ resta plusieurs années, et il y acquit la base des connoissances dont 1l à fait depuis un si bon usage. Ce n’est en effet que dans les asiles où une admi- nistration sage prodigue des secours à l'humanité pauvre et souffrante, que les jeunes médecins et les chirurgiens trouvent des leçons utiles : c’est là que, parmi des moribonds, des malades et des convalescens , ils ap- prennent à connoître les différentes nuances de la vie et les horreurs même de la mort: c’est là que la na- ture se présente avec tous les A que notre frêle constitution peut permettre ; c’est là que l’on re- cherche sans obstacle dans les différens organes les causes de leurs maladies, et que la main incertaine de l'élève peut s’'essayer sur des corps inanimés; c’est là que le chirurgien s’accoutume à sacrifier une partie + F #:: aieul de M. David Macbride, s’étoit acquis une grande réputation par son savoir et par sa piété. Il fut appelé, vers la fin du dernier siècle, à Bedfort paï une congrégation de ‘presbytériens , pour être LA leur ministre. (1) Sous la direction du docteur Duffin. (2) M. Thompson, chirurgien à Ballymoni, lui en donna les pre- miers principes. PHYSIOL. ET MÉD. — MACBRIDE. 83 de cette sensibilité, qui, si elle existe tont entière, L ga le rend tremblant et timide , et qui, si elle est tout- à-fait détruite, le change en un homme dur et même cruel ; c’est là enfin que l’on s’exerce à lire dans les yeux, dans les traits du visage, dans les gestes, dans le maintien des malades, et à y distinguer ces signes que l’observateur aperçoit sans pouvoir les décrire , que l’on cherche en vain dans les livres, et sur les- quels il est si important de ne pas se tromper. M. Macbride ne sortit de cette école que pour occu- per, pendant la guerre qui précéda la paix d’Aix-la- Chapelle, une place de chirurgien à bord du Royal Nary. Dirons-nous que pendant cette campagne 1l donna des preuves fréquentes de son courage, et qu'il aimoit à se mêler parmi les combattans? Celui qui a le bon- heur d’être dévoué par son état à conserver les hommes doit-il jamais se permettre de contribuer à leur des- truction? Ce trait, que plusieurs de ses compatriotes nous ont communiqué avec enthousiasme , nous peint M. Macbride , à cette époque, comme un jeune homme bouillant , intrépide, et digne, à cet égard, plutôt de notre _ <'dm que de nos éloges. La campagne étant finie , M. Macbride , qui se des- tinoit sur-tout à la lé des bee: suivit pendant quelque temps les leçons de l'illustre Smellie à et il se fixa à Dublin en 1749. Depuis ce moment jusqu'à l’année 1764, sa vie n’a rien offert de remarquable. Le goût exquis qu’il avoit pour la peinture, et en général pour les arts agréables, 4 84 ÉLOGES HISTORIQUES. ralentit même beaucoup ses progrès dans la confiance du public , qui, à Dublin comme par-tout ailleurs , ne souffre pas que ceux qu'il charge du soin de sa santé s’occupent d'autre chose ; qui semble regarder comme impossible le mélange de leurs fonctions avec des plaisirs quelconques, et qui, après les avoir mis par cette opinion dans la nécessité de paroître plus sérieux et plus composés, est quelquefois assez injuste pour leur en faire un reproche. M. Macbride n'eut aucun égard à ce préjugé : il se montra peut-être un peu trop distrait, et un oubli de plusieurs années le punit de cette faute. Il profita pour se faire connoître de ces instans dans lesquels l'ignorance et la routine se trouvant en défaut , rendent au vrai mérite, sous quelque forme qu’il se présente, l'hommage qui lui est dû; et le public ne put enfin lui refuser la considération la plus grande dans la pratique de la médecine, et sur-tout dans cette partie de la chirurgie, qui, en présidant à la naissance des hommes, mérite le premier tribut de leur reconnois- sance; art d'autant plus avantageux à ceux qui le pratiquent, que presque toutes les circonstances les placent comme des bienfaiteurs auprès d’une mère inquiète et d’une famille attendrie, et que d’ailleurs des succès le plus souvent faciles et préparés par une heureuse conformation, sont toujours attribués à l’art, tandis que les fautes de ce dernier sont aisément reje- tées sur la nature. Outre les occupations de son état, M. Macbride se lvroit encore à des travaux d’anatomie et de chimie; rx PHYSIOL. ET MÉD. — MACBRIDE. 85 il assistoit même souvent aux lecons de MM. Cleg- horn (1) et Hut-Kenson (2). Cet excès de modestie lui fit trouver grace auprès de ceux qui étoient le plus disposés à le critiquer ; et au milieu même de sa célébrité peu de voix s ’élevèrent contre lui. ALU À: fixa principalement son attention sur les pro- priétés respectives des différentes substances qui peuvent accélérer ou retarder les progrès de la putréfaction, et sur la nature et la combinaison des vapeurs qui s’en élèvent. Essayons de donner une idée convenable des belles expériences qui ont assigné à M. Macbride une place distimguée parmi les physiciens modernes. Paracelse et van Helmont ont presque entièrement ignoré l'influence de l’air sur la putréfaction. Beccher est un des premiers qui en aient développé les mouve- mens intérieurs. Il a sur-tout établi qu’elle ne peut exister sans le concours de l’air, de la chaleur et de la fluidité (3). Boyle a prouvé qu’elle n’a pas lieu dans le vide, et qu'il se dégage beaucoup d’air des substances soumises à son action. Le docteur Hales a fait voir, par une suite de faits très-intéressans , que ce fluide donne aux élémens des corps toute la cohésion dont ils ont besoin (4) : vérité que Newton (1) Célèbre professeur d'anatomie à Dublin, associé étranger de la Société royale de médecine. (2) Professeur de chimie aussi très-célèbre, (3) Stahl n’a rien ajouté d’important aux observations de Bec- cher sur la putréfaction. (4) Suivant le docteur Hales, les substances animales les plus Là 86 : ELOGES HISTORIQUES, ; avoit annoncée. En exposant divers mélanges dans des vaisseaux ouverts (1), M. Pringle a observé les différens états de la putréfaction. Dans le même temps à peu près le docteur Black, professeur de chimie à Glascow , faisoit sur la magné- sie des travaux qui sont devenus depuis si célèbres. Il a démontré que cette terre ne devoit sa causticité qu'à la privation d’un principe aériforme , et qu’en le lui rendant elle devenoit effervescente et insoluble (2). M. Macbride résolut d'appliquer ces découvertes à l’économie animale , et il publia en 1764 le résultat de ses expériences, auxquelles 1l fit, trois années après, des additions importantes (3). TT À OÙ € VS dures sont celles qui contiennent le plus d’air. Cet auteur a même conseillé, pour le purifier, de le faire passer au travers d’un filtre imprégné d'huile de tartre. (1) Ces tentatives ont conduit M. Pringle à la recherche des meilleurs antiseptiques, parmi lesquels il a rangé les astringens en général, les gommo-résineux, et sur-tout le camphre. Les ex- périences de M. Pringle ont été répétées à Montpellier par M. Coulas» et à Paris par madame d’Arconville, avec les mêmes résultats. Ce dernier auteur pense que l’art de prévenir la putréfaction con- siste à éloigner le contact de l'air. Le docteur Gaber a démon- tré à Turin que la putréfaction des substances animales est tou- % (2) Cette doctrine a sur celle de Meyer, chimiste à Osnabruck, l'avantage de la démonstration physique, puisque l'existence du causticum n’est point établie sur des faits; tandis que l'air fixé est une substance que l’on dégage, que l’on renferme, et que l’on soumet à diverses épreuves. jours accompagnée de la production de l’alkali volatil. Voyez Experimental essays on medical and philosophical subjects; in-8.®, London, 1764 : corrected et enlarged, 1767; traduit en } PHYSIOL. ET MÉD. — MACBRIDE. 87 . On peut conclure de ses nombreux essais que la digestion est une espèce particuhère de fermentation dont le chyle est le produit; que les vapeurs qui s’é- lèvent des différens mélanges alimentaires ou des effervescences des acides avec les alkalis, dirigées vers le poumon d’un animal, le suffoquent en peu de temps; que cependant des viandes putrides exposées à leur action perdent leur mauvaise odeur et acquè- rent de la fermeté ; que toutes les substances qui se pourrissent laissent échapper une plus ou moins grande quantité d’air fixé, qui rend l’alkah volatil caustique effervescent, et qui précipite la chaux sous la forme d’une terre calcaire , jouissant de la même propriété ; que tout ce qui en favorise le dégagement accélère la putréfaction, et que, parmi les organes du corps hu- main, les uns absorbent ce fluide, et les autres, au contraire, le laissent échapper. De ces differens prin- cipes naissent les considérations les plus utiles sur les effets de l'humidité appliquée au corps humain, sur la nature des sucs qui servent à la digestion, sur l'usage des vapeurs aériformes dégagées des ali- mens, et introduites avec le chyle dans les vaisseaux lactés, sur la vertu des remèdes propres à rendre aux humeurs la consistance qu'elles ont perdue, sur les propriétés médicales des alkalis (1) et de l’eau de allemand par M. Rabn, à Zurich en 1765; et en français par M. Abbadie, à Paris , en 1766. L'auteur a ajouté beaucoup d’obser- yations dans l'édition anglaise de 1767. (1) Les alkalis agissent en ramollissant la chair, les acides la D dl 83 ÉLOGES HISTORIQUES. .chaux (1) et sur la nature et le traitement du calcul et desconcrétions goutteuses (2). Le caractère acide de l’air fixé n’a point échappé à lasagacité de M. Macbride ; il a été sur le point d’en donner toutes les preuves (3) ; enfin il semble qu'il ait pressenti les découvertes des modernes sur le mélange des différentes vapeurs aéri- formes, en avançant que cette espèce de gaz qui pré- cipite la chaux, et qui est incapable de servir à la res- piration, existe cependant dans l’atmosphère, puisque les alkalis deviennent doux à l’air. À Une des plus heureuses applications de la théorie de M. Macbride a été l’emploi de la drèche pour prévenir ou guérir le scorbut des gens de mer. Il a démontré que l’orge germée est éminemment antiputride, et on a attribné une grande partie des succès de M. Cook, durcissent, les sels neutres ont peu d'effet, et le quinquina four- nit, en fermentant, beaucoup d’air fixé, qui est le moyen le plus sûr d’arrêter la putréfaction. (1) La chaux ayant la propriété de rendre les résines solubles dans l’eau , il conseille, pour le traitement de certaines maladies, de les faire prendre dissoutes dans de Peau de chaux. Cette der- nière étant troublée par l'air fixé , il recommande de ne pas la boire aux repas: comme l'urine la précipite également, on doit, suivant lui, préférer, dans le traitement de la goutte ou du calcul, l'usage des alkalis fixes caustiques étendus dans une liqueur adoucis- sante, (2) Suivant ses principes, la goutte n’est que l'effet d’un gaz aériforme surabondant, qui précipite la terre des os dans les ar- ticulations, (3) Le seul motif qui rendoit cette acidité douteuse pour M. Mac- bride, étoit qu’il n’ayoit pas vu l’air fixé faire effervescence. PHYSIOL. ET MÉD. — MACBRIDE. 89 dans le fameux voyage dont il a donné la relation, à l’usage que les matelots ont fait de cette substance. Ces essais, dont la lecture séduit et persuade par l’ensemble et par l’unité des idées, recurent le plus grand accueil de la part de tous les physiciens. La Faculté de Glascow, qui se glorifioit d’avoir eu M. Macbride parmi ses élèves, voulut aussi le compter au nombre de ses docteurs, et elle lui en conféra le titre. Depuis cette époque, il joignit à la qualité de chirur- gien celle de docteur en médecine, d’autant plus ho- norable pour Ini, qu'il ne l’avoit point demandée. Cette circonstance le distingue de la foule de ceux dans lesquels on ne seroit point étonné de voir ces qualités réumies , si l’on tronvoit en eux les connois- sances dont la loi a voulu qu'elles soient les carac- tères. M. Macbride, qui aimoit et cultivoit un grand nombre d’arts utiles , tira de ses expériences chimiques un moyen de rendre les procédés de la tannerie plus courts et moins dispendieux. La méthode qu’il a fait connoître (1) est principalement établie sur ce que (1) Account of a new method of tanning, 1769. Instructions to tanners; for carring ou the new method of tanning; c’est-à-dire : Instruction adressée aux tanneurs, sur la nouvelle méthode de tanner les cuirs, inventée par le docteur Macbride de Dublin ; du premier mai 1777. Le principe sur lequel cette nouvelle méthode est fondé est que l’eau de chaux extrait plus puissamment que l’eau pure la partie de l'écorce de chêne qui est nécessaire à la conservation des cuirs. L'auteur de l'instruction donne le détail d’une manière de pré- 9° ÉLOGES HISTORIQUES. l’eau de chaux , appliquée d’une manière qu'il indique, extrait plus puissamment et plus promptement que l’eau pure la partie de l'écorce de chêne qui est néces- saire à la préparation des cuirs. Les eaux acides végé- tales ne pouvant point être employées lorsqu'on suit ce procédé , 1l a conseillé d’y substituer l’acide vitrio- lique affoibl. Un artiste habile, de Dublin, a essayé en grand et avec succès ce nouveau moyen, qui abrège au moins d’un an le travail dont un cuir fort est susceptible avant d’être livré au commerce. Les sociétés des arts d'Angleterre et d'Irlandé"ont assigné parer l’eau de chaux en grand. Il faut, dit-il, qu’elle soit claire comme de l’eau de roche pour être employée : alors on en fait précisément le même usage qu’on faisoit de l’eau pure dans lan: cienne méthode. Pour les cuirs qu’on n’est pas dans l'usage d’attendrir par le moyen d'une eau acide avant de les tanner, il n’ya rien de plus à dire. Quant à ceux-ci, l’auteur observe que les eaux acides qu'on est dans l’usage d'employer sont tirées des grains, comme le riz, etc. et qu’elles ne conviennent plus dans la nouvelle méthode. IL faut y substituer de l’acide vitriolique affoibli. Les propor- tons d'huile de vitriol et d’eau sont d’une pinte d’huile de vi- triol sur cinquante gallons d’eau pure. (Le gallon contient environ quatre pintes de Paris.) L'auteur s'efforce de détruire les préjugés des tanneurs. contre l'emploi de l'acide vitriolique. Il dit que dans les blanchisseries de toiles on a eu long-temps le même préjugé, et que l’expé- rience en a désabusé. Il prétend que les expériences déja faites sur les cuirs prouvent que l'acide vitriolique leur donne une qua- lité supérieure et n’a aucun inconyénient, tandis que les eaux acides tirées du riz, etc. en ont beaucoup. Cette préparation par l'acide vitriolique une fois faite , le reste du procédé est le même que pour les cuirs qui n’en ont pas besoin. ts PHYSIOL. ET MÉD. — MACBRIDE. 91 différentes médailles à l’auteur de cette découverte , que l’on ne connoît point encore en France, M. Macbride n’a publié que deux observations re- latives à l’art des accouchemens (1). Le plus consi- dérable de ses ouvrages est une Introduction (2) à la médecine théorique et pratique, en deux volumes in-8: elle est écrite ayec méthode et pureté. Après avoir divisé le corps humain en trois ‘systèmes , les vais- seaux, les nerfs et “e issu cellulaire , l'auteur donne une analyse 1 signes principaux qui caractérisent les différentes maladies, qu’il décrit ensuite, et 1l finit en exposant les moyens qué l’on peut employer pour les combattre. Cette dernière production prouve que M. Macbride possédoit tout ce qui étoit connu en médecine ; mais la première a fait voir qu'il étoit ca- pable d’y ajouter et d’en reculer les limites. Quoiqu'il fût très-considéré à Dublin avant qu'il eût publié ces différens ouvrages , cependant on n’avoit pas pour ses talens le degré d'estime qui leur étoit dû. La grande réputation que ses travaux et ses décou- (1) An account of tew extraordinary cases artes delivrey. Tom. V des Medical observ. inquiries, M. Macbride a aussi publié le mémoire suivant : An account of the reviviscence of some mails, preserved many years in M. Simons cabinet, Ce mémoire se trouve dans les Transactions philosophiques, tom. LXIV, en 1774; il est adressé au célèbre M. Walsh. à (2) Methodical instruction to the theory and practice of the arte of medecine, 1772; enlarged and corrected , 1777. Get ouvrage a été traduit en latin et en hollandais en 1774 par M. Closs. Tra- jecti ad Rhenum, 92 ÉLOGES HISTORIQUES. vertes lui méritèrent dans toute l’Europe apprit à ses concitoyens à l’apprécier : car la voix de la renommée a quélquefois besoin d’être réfléchie des extrémités du monde littéraire vers le lieu d’où elle est partie, pour y produisg tout l'effet que l’on doit en attendre. A l’état de médecin M. Macbride joignoit les fonc- tions pénibles ’accoucheur : sa douce et son affa- bilité lui gagnoient Vamitié de toutes les personnes qui avoient recours à ses avis. L'homme souffrant a souvent autant besoin de consolation que de remèdes ; et 1l y a des maux que l’on ne soulage que lorsqu'on sait les partager. M. Macbride employoit ces différens moyens d’une manière qui annonçoit en même temps la bonté de son cœur et la profondeur de ses con- noissances. Il réunit bientôt la confiance générale. Son zèle auroit suffi à ses occupations, ” ses forces l’eussent permis; mais il ne put résister à tant de fa- tigues. Il fut attaqué, dans le mois d’octobre dernier, d’un rhume opiniâtre, qui, ayant été négligé, dégé- néra en une fièvre catarrhale , dont 1l mourut le 28 décembre 1778, âgé de cinquante-trois ans (1). Sa perte, dans un âge aussi peu avancé, fut suivie d’une consternation umiverselle. Il étoit devenu un de ces hommes dont une nation s’honore , et toute l’Ir- lande prenoïit part à sa conservation. (1) Il s’étoit marié deux fois ; il avoit eu plusieurs enfans, dont aucun ne lui a survécu. Il ne reste de sa famille que M. Jeen Macbride son frère, un des plus braves officiers de la flotte anglaise, et capitaine à bord du Bienfaisant, vaisseau de 64 canons. hé | 2h Se” PHYSIOL. ET MÉD. — MACBRIDE. 93 Nées pour la peine autant que pour le plaisir, dé- vouées en quelque sorte à l’éducation et au bonheur des hommes, destinées à leur fournir le premier ali- ment et à leur prodiguer les premiers soins, exposées à un grand nombre d’infirmutés et de maladies dont cette noble fonction est la source, les femmes ont toujours eu l'intérêt le plus vif à s'occuper de leur santé et à choisir un médecin habile. Celui dont elles ont jugé la sensibilité et les connoissances proportion- nées à leur tempérament et à leur caractère; celui auquel elles ont révélé les secrets d’une constitution foible et délicate; celui qu’elles ont en même temps chargé de la conservation de leurs enfans, et des mains duquel elles les ont reçus, est devenu pour ainsi dire nécessaire à leur existence ; le perdre est un malheur qu’elles ressentent vivement : que l’on juge, d’après cette réflexion , des regrets que la mort de M. Macbride excita parmi les dames les plus respectables de Dublin, dont il étoit le médecin et l’accoucheur. Les mères de familles ont répandu des larmes sur son tombeau ; les poëtes y ont jeté des fleurs (1); ses (1) Voyez 1.° An elegy on the death of doctor Macbride. By doctor Houlton, en 14 strophes. 2.° Ode on the death of doctor Macbride. Dame-street. Jan. 4. autore Edw. Nolan, en 10 strophes. 8.° To doctor Houlton, on bis very elegant elegy on the deat of doctor Macbride.... Sappho. 4° Doctor Houlton, to Sappho. 5.2 On the deat of David Macbride, Esq. M. D. By a lady. Jan. 6, 1779. 64 ÉLOGES HISTORIQUES. concitoyens lui ont consacré des éloges : 1l manquoit à sa gloire d’être loué par ses confrères au milieu des armes et au-delà des mers qui divisent les empires, sans mettre d’autre éloignement entre les savans que celui de la distance dont leur génie et leurs travaux franchissent aisément l'intervalle. ,# _ PHYSIOLOGISTES ET MÉDECINS. 93 DRASS no ee tn D 5e D 0e "9 eo sn "0 "0 "0 "ne "ne To ss nn nn MARET. Lo se "ns “0 "0 27 M. Manrer, docteur en médecine de l’Université de Montpellier, membre du Collége de médecine, et secrétaire perpétuel de l’Académie de Dijon, censeur royal, médecin des épidémies de la généralité, corres- pondant de l’Académie royale des sciences de Paris, membre de presque toutes les académies du royaume et de plusieurs académies étrangères, associé régnicole de la Société royale de médecine (1), naquit à Dijon, le 6 octobre 1726, de Hugues Maret, chirurgien-major de l'hôpital général, et de Claudine Courtois. La chirurgie ayant été pratiquée depuis plus d’un siècle dans sa famille, il étoit naturel qu'il se livrât d’abord à l'étude de cette partie de notre art; 1l y joi- gnit dans la suite celle de la médecine, et il eut à s’ap- (1) M. Hugues Maret étoit censeur royal, médecin des états de Bourgogne, inspectéur des eaux minérales, associé honoraire du Collége royal de médecine de Nancy, l’un dés professeurs du Cours de chimie ét professeur de matière médicale de l'Académié de Dijon, membre des Académies et Sociétés littéraires de Cler- mont-Ferrand, Bordeaux, Caen, Besançon, Lyon, Chälons-sur- Marne et Nimes, des Sociétés patriotiques de Hesse - Hombourg et de Stockholm, de la Société électorale palatine météorologique dé Manheim, de celle des antiquités de Cassel et de celle d'ému- lation de Bourg en Bresse. 96 ÉLOGES HISTORIQUES. plaudir de s’être long-temps exercé dans la connois- sance des maladies externes (1). Après avoir été reçu docteur en médecine à Mont- pellier et avoir passé trois années à Paris, il revinten Bourgogne en 1749. ’ Les médecins de Dijon l’agrésèrent en 1753 à leur collége , et trois années après l’Académie de cette ville l’admit au nombre de ses asssciés (2). Le jour de sa réception, 1l lut un mémoire très- savant sur les maladies hypocondriaques et vaporeuses, dont il prouva que le siége étoit dans les nerfs trop excités ou trop affoiblis : mais ce que l’on ne sauroit assez répéter , c’est qu'il faut presque toujours en cher- cher la première cause dans l’état de l’ame troublée par l'inquiétude ou abattue par le malheur ; c’est que l'imagination tourmentée par les chimères de tous les âges ; les longues habitudes de sentir, tout-à-coup (1) C’est en effet la chirurgie qui nous apprend, par la théorie du phlegmon, quelles sont la nature et la marche des inflamma- tions et des suppurations internes. Celui qui sait comment la gan- grène se déclare à l'extérieur, quels sont ses principaux accidens, et comment elle s'arrête , comprendra seul de quels ravagesce mal est la source, lorsque, caché dans les viscères, il attaque les organes essentiels à la vie. C’est encore à l'extérieur qu’il faut prendre des leçons sur les blessures des nerfs, sur les convulsions des muscles et sur la compression des vaisseaux : les jeunes médecins commettent donc une grande faute, en réservant l'étude de la chirurgie pour la dernière, tandis qu'elle doit être le sujet de leurs premiers travaux. (2) Le 9 janvier 1756. Le 9 décembre 1763, il fut élu pension- naire de cette académie. » > PHYSIOL. ET MÉD. — MARET. 57 arrêtées on suspendues, produisent en nous des se- cousses toujours dangereuses et souvent mortelles ; c'est que le mal venant du dehors, ce n'est pas seu- lement à l’intérieur qu’il faut en combattre les effets: c'est aussi dans ce qui nous entoure que l’on doit en chercher le principe, comme c’est dans le changement de ces circonstances que l’on en trouvera le remède ; en un mot, c’est que retenus par des liens de toute espèce, la plupart des hommes malades ressemblent à des esclaves qui demandent la liberté, sans avoir le courage de rien entreprendre pour l'obtenir ; ils veu- lent qu’on les guérisse au milieu de leurs excès et sans les astreindre à suivre les conseils de la raison. De 1756 à 1762, M. Maret lut à l’Académie de Dijon un grand nombre de mémoires dans lesquels on remarqua des observations sur la phthisie pulmo- naire, sur l'utilité des vésicatoires dans le traitement des pleurésies , pour lesquelles on prodignoit les sai- gnées , et sur l’inoculation de la petite-vérole. Il résolut alors de séjourner quelque temps à Genève où cette opération étoit fort en usage, et, de retour à Dijon, 1l inocula ses enfans. On l’accusa de témé- rité. : 1l réussit; on attribua ce succès au hasard. 11 fit d’autres inoculations, et il y réussit encore; on dit qu'il étoit heureux : et comme cette réputation de bonheur que l’on accorde plus volontiers que celle d'habileté est la meilleure dont un médecin puisse jouir , M. Maret la vit croître sans peine, et. chaque jour il eut à s’en féliciter. nr3. 7 98 ÉLOGES HISTORIQUES. L'Académie de Dijon, satisfaite de ses travaux, Îe nomma son secrétaire en 1764. M. Maret sentit la nécessité de communiquer une impulsion nouvelle au corps dont il étoit l'organe. Il reprit l'étude de quelques parties des sciences et des lettres, qu’il n’avoit pas assez cultivées, et on le vit presque dans le même temps s'occuper de mathé- matique et d'astronomie ; analyser les eaux salines de Montmorot, répéter les expériences de M. Franklin sur l'électricité, et, le dirai-je? s'exercer à composer des vers français. En révélant ce secret qu'il a tenu caché pendant toute sa vie, Je ne le loue pas sans doute d’avoir fait des vers médiocres, mais de les avoir jugés tels en les condamnant à l'oubli; leçon utile et rare, dont je n’ai pas cru qu'il me fût permis de soustraire la connoissance au public. L'Académie de Dijon (1) s’étoit assemblée depuis 1741 (2) jusqu’en 1769 (5), sans que le public eût joui du fruit de ses travaux. Le premier plan de son ins- titution avoit été mal conçu. Cinq magistrats (4) et a (i) Les letires-patentes qui l’ont établie ont été expédiées en juin 1740, et enregistrées au parlement le 30 du même mois. (2) L'ouverture de cette académie se fit le 13 janvier 1741 par une séance publique. (3) Le tome premier des anciens Mémoires de cette académie a été publié en 17609. (4) Histoire de l'Académie de Dijon, tom. I. de ses Mémoires, P: 17: PHYSIOL. ET MÉD. — MARET. 99 six honoraires (1) avoient été chargés, en qualité de directeurs (2), de proposer et de distribuer des prix pour lesquels les associés pensionnaires devoient con- courir (3); ce qui avoit le double inconvénient d’éta- blir deux classes très-inégales, et par conséquent opposées entre elles, et de soumettre les productions des plus instruits au jugement de ceux qui l’étoient le moins. De plus, le secrétaire n’étoit point choisi parmi les membres de l’Académie (4). Les registres furent tenus d’abord par un procureur au parlement, et dans la suite par deux commis au grelfe de la cour (5). Des querelles et des désertions (6) furent les effets de ce mauvais régime. On comprit enfin qu'il falloit Le chan- ger. La première réforme, désirée depuis long-temps, fut celle du concours pour les prix , et M. Michaut (1), l’un des académiciens, fut nommé secrétaire (8). M. Maret, qui lui succéda , ne manqua pas de repré- |, (1) Histoire de l’Académie de Dijon, tom. I. deses Mémoires, p.17 (2) Ibid. (3) Mémoires de l'Académie de Dijon, tom. I. P- 20. (4) Dans ce temps-là cette compagnie n’avoit pas un acadé- micien Pour secrétaire. Sa plume étoit au premier qui osoit s’en servir. Histoire de l'Académie de Dijon, 1769, p. 28. (5) Ibid., p. 19 et 28. (6) Ibid., p. 23. (7) Avant M. Michault, MM. Chardenon et Fromageot, acadé- miciens, furent chargés pendant quelque temps des fonctions de secrétaires sans en avoir le titre. Zbid., p. 29. (8) Zbid., p. 33. 100 ÉLOGES HISTORIQUES. senter à l’Académie qu'instituée pour s'occuper de morale, de physique et de médecine (1), les belles lettres, qui n’entroient pas dans le plan de sa création, avoicnt jusqu'alors rempli tonus ses momens , et 1l lui montra combien elle gagneroit à diriger ses vues du côté des sciences; 1l établit une correspondance avec les physiciens et les médecins les plus célèbres. IL rédigea les programmes des prix dans la même inten- tion ; il lut et il engagea ses amis à lire des mémoires qu fussent relatifs aux diverses branches de la physi- que ; il rassembla les observations qui avoient été com- muniquées dans les séances et il en publia le recueil. On vit alors des magistrats distingués se livrer avec zèle aux travaux de l’Académie : tandis que M. de Vi, dans ses voyages, augmentoit la correspondance et les relations de cette Société, M. de Morveau lui consa- croit ses veilles et l’enrichissoit de ses découvertes. IL joignit ses efforts À ceux de M. Maret; des confrères habiles les secondèrent, tous les savans de l’Europe répondirent à leur invitation : l’Académie de Dijon, ainsi renouvelée, devint la rivale et l’amie de celle d'Upsal. Par elle nous connûmes Bergman et A (1) Les extraits suivans du testament du fondateur et des lettres- patentes de création le prouveront sans réplique. Extrait du testament de M. Pouffier, fondateur, du premier octobre 1725. © « ArT. Il. (a) La Faculté des arts comprend les humanités et Ia » philosophie : les humanités embrassent l’art de parler ou la con- (a) Page 15 de limprimé. PHYSIOL. ET MÉD. — MARET. 101 Schéele; et cette compagnie prit enfin sa place parmi * celle où les sciences sont traitées avec le plus d'éclat. noissance des langues, l’art de persuader, la poésie, et les autres connoïssances comprises sous le nom de belles lettres, » Plusieurs académies du royaume ont pris les humanités pour le » sujet de leurs occupations, et leur progrès a été principalement » confié à l’Académie française de Paris, dont l'excellence » rendroit inutile le travail des autres sur de pareilles matières. » C'est donc dans la philosophie la principale partie de cette » Faculté des arts qu'on peut tromver le sujet de ces conférences, » désirant que leurs objets soient moins l’artifice des paroles que » la connoïssance des choses, sans négliger pourtant les règles de » l’art de parler. » Il n’y a point de sciences, etc. » La physique (a) étant la connoïssance de tons les corps natu- » rels doit être en partie l’objet de ces conférences. » La conduite des mœurs doit être aussi un des sujets de ces con- » férences, etc. » Quant à la Faculté de médecine , elle comprend plusieurs par- > C2 ties , dont les unes lni sont propres, et les autres qui lui servent » de principes, sont empruntées de la physique ; car l’on ne peut 1 2 raisonner sûrement sur la connoissance da corps humaïn si l’on » en ignore les premiers élémens. » Ces conférences (b) ne s’étendront point sur toutes les parties » de cette Faculté, mais sur celles seulement qui dépendent de Ja » physique, qui sont la physiologie , la chimie , l'anatomie et la bota- tanique , etc. LA 2 C2 ÆEzxtrait des lettres-patentes du mois de juin 1740, portant établis- ” sement d’une Académie dans la ville de Dijon. « Louis, par la grace de Dieu, etc. » ART. IX (c). Parmi les pensionnaires, quatre seront versés (a) Page 16 de l’imprimé. (b) Page 17. (c) Page 7. 102. ÉLOGES HISTORIQUES. Les recueils de l’Académie de Dijon, qui ont tous été rédigés par M. Maret, ont paru sous deux formes et à deux époques différentes. Les derniers, divisés par semestres (1), contiennent des mémoires sur la phy- sique, sur l’anatomie , sur la chimie et sur la médecine, dont la distribution est à peu près la même que celle des ouvrages de ce genre publiés par les Académies de Paris, de Londres et de Berlin; mais ce ne fut pas sans peine que l’on parvint à se conformer à ces modèles. On en jugera par le premier volume, qui fut imprimé au nom de l’Académie en 1769. Pour obéir au vœu de la Classe de belles-lettres , 1l fallut y insérer des vers français. À côté des chapitres où les règles de la perspective et la calcination des mé- faux sont traitées par des physiciens habiles ; où l'appareil effrayant de la taille, et le tableau de ses souffrances sont tracés froidement par un chirurgien fameux, un poëte aimable chante le réveil indiscret de Célimène, et sa surprise, et son lit de fleurs, et le silence des bois ct le murmure de l’onde. L'esprit » dans les matières de physique; quatre dans celles de la morale » concernant les devoirs de l’homme par rapport à lui-même et » à Ja société; et quatre dans les parties de la médecine qui » dépendent de la physique, telles que la physiologie, la chimie, » l'anatomie et la botanique. » Art. X. Des associés, deux s’appliqueront à la physique; » deux à la morale, et les deux autres à la médecine, de la » manière àont elle est expliquée dans l’article précédent. » (x) Voyez les nouveaux Mémoires de l’Académie de Dijon pour la partie des sciences et arts. Premier semestre 1784 et les suivans. PHYSIOL. ET MÉD.— MARET. 103 ne se prête point à de tels contrastes. Les hommes doués de talens aussi opposés entre eux sont les uns pour les autres un sujet d’étonnement; leurs écrits, dans nos bibliothèques, ont besoin d’être séparés par de grands intervalles, et comment lorsque leurs pro- ductions se repoussent, peut on les confondre en les pressant sous la mème enveloppe et en les forçant de s’offrir ensemble aux regards de la postérité? M. Maret et ses savans confrères furent, comme nous , frappés de cette opposition. Le volume de 1774 ne contient point de vers (x), et les recueils par semes- tres sont entièrement voués aux sciences. J’oserai dire mon avis sur ce mélange de sciences et de belles-lettres si commun dans les Académies de nos provinces, et par-tout si contraire aux véritables intérêts de ces corps. Pourquoi vouloir réunir des hommes parmi lesquels la rivalité ne sera point celle de l’émulation et qui ne pouvant, nt s’apprècier, ni même s'entendre, ne combattront qu'avec les armes de la prétention et de l’orguerl? Les sciences recon- noissent des lois qui règlent la marche des idées, et dans ce genre un bon esprit peut toujours savoir s’il a bien fait. Dans les lettres au contraire , outre les lois écrites, 1} existe un tribunal sans appel au sein des grands sociétés. Ce tribunal sent plutôt qu'il ne juge, ou, bien sentir, pour lui, c’est juger ; son coup-d’œil est (1} Plusieurs pièces de vers lues à l’Académie de Dijon furent insérées dans l’Almanach des muses, années 1773 et 1774; Histoire de l'Académie, 1774, p. 53 et 54. 104 . ÉLOGES HISTORIQUES. rapide ; il est prompt à rendre ses décrets; ce qu'il voit , 1l se hâte de l’exprimer ; ce qu'il a décidé chacun le répète et croit le décider avec lui; le bon goût commande et l’opinion règne : mais ce tribunal est un; 1l ne peut mi se diviser, ni se multiplier, mi transmettre ses droits à un autre. Dans les sciences, il en est autrement. Depuis le géme qui embrasse toute la nature, jusqu’à l'observateur qui ne s'occupe que d’un seul fait, on voit s'étendre uxie chaîne de travaux qui sont tous nécessaires. Les savans élèvent un édifice pour lequel on a besoin de l’architecte habile et de l'artisan modeste. Dans les lettres, au contraire, l'homme médiocre est nul. Qu’à ces corps dont les divisions intestines montrent assez combien leur cons- titution est vicieuse, l’on substitue des académies où l'on ne s'occupe que des sciences et de leur applica- üon à l’agriculture ou au commerce, de l'étude des productions naturelles du sol où de l’histoire même de la province (1); que l’on réserve à la capitale, c'est-à-dire au petit nombre des grands hommes dont elle reçoit le mouvement, le soin de faire fleurir les lettres-et les beaux arts; sur-tout que la jeunesse qu les cultive connoisse le danger des succès faciles et des jouissances précoces, et l’on verra renaître cet accord de l'esprit, de la raison et du goût, qui peut SR SR En nd (1) Dans tous les cas, les corps savans doivent être séparés de ceux qui ne sont que littéraires , et s'ils forment une seule académie, il faut au moins qu'ils s'assemblent à des heures ou dans des salles différentes, et qu'ils ne se réunissent que dans les séances publiques PHYSIOL. ET MÉD. — MARET. 105 Seul imprimer aux nations et aux siècles le sceau de la véritable grandeur. L'histoire de l’Académie de Dijon, placée en tête du volume de 1769, ne se borne point à ce qui con- cerne l'établissement de cette compagnie; on y lit un abrégé des travaux qui ont illustré la Bourgogne depuis le règne de Phihippe le bon et celui de Charles, son successeur et le dernier de ses ducs (1), jusqu’à nos jours. Papillon (2) et Perard (3), poëtes estimés au commencement du seizième siècle; Martin, Godran et Odebert (4), fondateurs des plus anciens colléges de la ville de Dijon, y reçoivent les premiers hom- mages offerts aux grands hommes de la patrie: mais, dans des temps plus modernes, quels hommes que Bossuet, la Monnoye , Crébillon , Bouhier (5), Rameau et-Piron, dont elle se glorifie d’avoir été le berceau! Quels hommes que Vauban , Saumaïse, Bussy Rabu- tin (6), Marriote, Lacurne de Sainte-Palaye; que M. de Buffon et Daubenton, tous nés dans son terri- toire ou près de ses murs! Quel noble concours de talens divers! Quels modèles et quels aïeux pour les jeunes littérateurs de la Bourgogne qui ne liront pas (1) Histoire de l’Académie de Dijon, année 1769, p. 2. (2) Né en 1487. (3) Mort en 1558. (4) Histoire de l'Académie de Dijon, année 1769, pag. 3 et 4; (5) M. le président Desbrasses est aussi né à Dijon. (6) Il faut encore ajouter madame de Sévigné à ka liste des auteurs célèbres qui sont nés en Bourgogne. 106 ÉLOGES HISTORIQUES. sans fruit ce morceau d'histoire écrit par M. Maret ! L'Académie de Dijon n’ayant publié aucun mémoire avant l’année 1769, M. Maret y supplée par quelques détails sur ce qui s’est passé dans ses assemblées depuis 1741 jusqu'à cette époque. Je me permettrai de faire un reproche à cette partie de son histoire. En parlant de la fameuse question sur le rétablissement et l’in- fluence des sciences et des arts, traitée en 1750 d’une manière aussi sublime qu’inattendue par le philosophe de Genève, auquel le prix fut décerné, il s'efforce de justifier l'académie de ce jugement, dont il rejette la faute sur quelques-uns de ses membres qui ne sont plus (1). Que ne la justifioit-il plutôt de ce qu’elle n’a pas couronné le second discours du même auteur, qui n’est que la suite et le complément du premier (2)! On y trouve à la vérité des paradoxes dont la religion tontefois et le gouvernement ne se sont point offensés ; (:) Geux qui liront cette histoire (dit M. Maret, histoire de l'Académie de Dijon, 1769, p. 28), ne se permettront pas de rejeter le blâme de ce jugement sur l'Académie entière, et n’au- ront pas l'injustice de reprocher encore aujourd’hui cette espèce d'erreur à une société qui, dans ce moment-ci, ne compte plus pour ses membres aucun de ceux qui concoururent par leurs suf- frages à couronner M. Rousseau. (2) Lorsque l’Académie de Dijon couronna le premier discours dans lequel Rousseau prétendoit démontrer le danger des sciences et des arts, personne ne soupçonna cette compagnie d’avoir adopté l'opinion du philosophe de Genève : on vit bien qu’elle n’avoit eu. égard qu’à l’éloquence et au style: de pareils chefs-d’œuvres doivent ètre exceptés de toute règle, et sous ce rapport le second discours méritoit bien d’être traité comme le premier. PHYSIOL. ET MÉD. — MARET. 107 mais aussi que de pensées rendues plus piquantes par leur contraste avec des opinions bizarres! Comme :1l peint le brigandage de l’opulence , l’orgueil et le néant du savoir! avec quel soin, en dépouillant l’homme de tout ce qu'il croit étranger à sa nature, 1l le revêt d'innocence et de bonté, et combien on aime à se rapprocher de son cœur lorsqu'on s'éloigne le plus de son esprit! Est-1l des palmes qui soient au-dessus d’un ouvrage que le géme consacre à la vertu? L'Académie de Dijon a eu tant de part aux affec- tions de M. Maret qu’elle devoit tenir une place dis- tinguée dans son éloge. Il faut encore que je dise com- ment cette compagnie, qui dans l’année 1764 n’avoit qu’un logement étroit et un revenu très-modique , lors- qu’elle perdit M. Maret étoit en possession d’un grand hôtel, d’un jardin de botanique , d’un mobilier considérable et d’un revenu suffisant pour ses dépenses annuelles ; bienfaits qu'il avoit, on préparés par son économie, ou obtenus par les pressantes sollicitations de son travail et de son zèle. Il faut que je dise com- ment les états de la province accordèrent, à sa demande et à celle de son illustre ami M. de Morveau, les fonds nécessaires pour l'établissement d’un cours de chimie, qui fut annexé à l’Académie de Dijon; com- ment, dans l'exécution de ce nouveau plan, il se chargea des leçons relatives aux eaux minérales et aux substances tirées des animaux : il faut que je dise comment 1l y joignit un cours très-étendu de matière médicale, et comment enfin il continua ses leçans jusques en 1784 sans autre salaire que la reconnois- 108 ÉLOGES HISTORIQUES. sance publique et la bienveillance des états, auxquels on doit cette institution utile. Gloire aux admimis- trations des provinces qui ont déja donné des marques éclatantes de leur amour pour les lettres à celles qui, - pour régénérer l’état, ne manqueront pas de répandre l'instruction et les lumières ! honneur à tous ceux par qui le domaine de la vérité s ’agrandit. v Pendant que M. Maret sembloit donner tous ses soins à l’Académie de Dijon, son activité s’étendoit au loin, et 1l concouroit pour les prix de plusieurs nie) dont 1l recevoit les couronnes. En 1767 1 PÉMROEIR le prix de l’Académie de Bois deaux sur la manière d’agir des bains d’eau douce et de mer (1). Son discours est un traité complet de cette partie de l'hygiène et de la thérapeutique. Il y a exposé dans le plus bel ordre la doctrine des anciens et celles des modernes ; et sur ce point les anciens en savoient plus que nous. Les bains étoient parmi eux, comme ils le sont encoreaujourd’hui dans l'Afrique et en Asie, (1) Mémoire sur la manière d’agir des bains d’eau douce et de mer et sur leur usage, qui a remporté le prix en 1767 a jugement de lAcadémie royale de Bordeaux; par M. Maret. In-8.°, 1760. Voyez un abregé de cet ouvrage au mot sains de l’ancienné Encyclopédie. Voyez aussi le traité théorique et pratique des bains d’eau simple et d’eau de mer, avec un mémoire sur la douche; par M. Marteau. In-8.°, Amiens, 1770, Un second prix fut accordé par l’Académie de Bordeaux! 4 l'anteur de cet ouvrage. PHYSIOL. ET MÉD.— MARET. 109 mn objet de luxe et d'utilité publique. De superbes édifices étoient destinés à leur usage, et leur admi- nistration étoit si compliquée, que, malgré les recher- ches de Vitruve et les commentaires de Baccius (1), il reste encore de grandes incertitudes sur les pré- cautions avec lesquelles ils passoient du bain froid au bain chaud, et de l’étuve au bain froid (2), et sur Part d’oindre le corps d'huile, de baumes et de par- fums. On ne voit pas sans étonnement la précision et la sûreté de leurs conseils sur quelques accidens des fièvres aiguës qu'ils guérissoient par les bains, sur la manière de préparer ainsi les malades à l’usage de l’ellébore et sur l'utilité du bain froid dans le traite- ment de certains rhumatismes et catarrhes, tels que celui dont Musa guérit Auguste. Ce qui distingue l'ouvrage de M. Maret, c'est qu'il a établi ses assertions sur des expériences. IL a déter- miné l’action de l’eau sur divers fragmens du corps humain (3), et il a comparé Les résultats de ces épreuves avec les observations connues sur les effets du bain appliqué aux différentes parties des corps vivans. On remarque dans cet écrit des idées exactes sur la combinaison de la matière de la chaleur avec l’eau (4) (1) Baccius, de Thermis veterum, chap. XXV, et Gal. Meth. med., p. 445. (2) Le bâtiment destiné aux bains étoit divisé en sept pièces. F'itruv. (5) Pag. 48 et suir. (4) Pag. 98. 110 ÉLOGES HISTORIQUES. sur l'absorption (1) et sur le spasme (2), qu'il ne re- gardoïit pas seulement comme produits par la tension des fibres, mais comme un état combiné de relâche- ment et de tension dans les divers points du même, organe (3). L'Académie d'Amiens demanda en 1770 quelle avoit été l’influence des mœurs des Français sur leur santé, et M. Maret remporta encore ce prix (4). On lit, dans son discours, par quelles révolutions une nation gros- sière est devenue le peuple le plus poli ; il montre nos superstitieux ancêtres errans dans les vastes forêts des Gaules; il les suit dans les villes, où ils se renferment d’abord sans police et presque sans lois: ardens dans leurs entreprises, déja mobiles dans leurs projets, leurs mœurs étoient simples, leurs corps robustes, leurs plaisirs bruyans, et leurs amours fidèles. Leurs habitations étoient malsaines; les exhalaisons des marais infectoient l'atmosphère; la lèpre s’étoit répan- due des plages maritimes vers le centre du royaume; (1) Pag. 40. (2) Pag. 20. (3) On irouve des idées analogues dans le discours de M. Godard sur les antispasmodiques, couronné par l’Académie de Dijon en 1764. (4) Mémoire dans lequel on cherche à déterminer quelle in- fluence les mœurs des Français ont sur la santé et qui a remporté le prix au jugement de l’Académie d'Amiens en l’année 1771; par M. Maret. À Amiens, chez la veuve Godard 1772. Voyez le compte qui en a été rendu dans la Gazette salutaire, année 1772, n.°° 44 et 45. ; PHYSIOL. ET MÉD. — MARET. 114 des fièvres rebelles dévoroient les habitans des cam- pagnes et des villes; plus de cent pestes dans l’espace de quatre siècles avoient anéanti la population et l’in- dustrie, et la nation dépérissoit faute de savoir com- ment 1l falloit s’alimenter , se loger et se vêtir. Elle l’apprit enfin après de longues infortunes. François I.er appela les dames à sa cour; sous le ministère de Richelieu, le peuple, moins effrayé, respira ; il aima plus la vie et il craignit moins de la communiquer; ses efforts s’étendirent aux sols ingrats qu'il bonifia, aux terrains malfaisans dont 1l changea la nature. Les marais devinrent des prairies fertiles; des cananx creusés reçurent les eaux, auxquelles on rendit le mou- vement; le luxe orna les villes; une police habile en éloigna la contagion, et la peste fut relégnée dans ces climats où le Janissaire et le Mammelouck protè gent l'ignorance et prèchent la fatalité. Mais, comme si la succession des siècles ne devoit être qu’un enchaï- nement de muisères, la création du commerce et le développement des facultés intellectuelles produisirent d’autres maux. L'auteur peint les hommes des diverses contrées se transmettant leurs richesses et leurs souf- frances ; il les peint attirés par l'intérêt commun et repoussés par l’égoisme. La sensibilité trop exercée fatigua les organes, et de ces désordres naquirent les spasmes, l’atrabile, et le dégoût de la vie, plus fâcheux lui seul que tous les autres chagrins dont elle est em- poisonnée. Peut-être auroit-1l fallu dans ce discours ne passe bor- mer aux détails historiques qui composent presque tout 112 ÉLOGES HISTORIQUES. l'ouvrage, et, pour le rendre plus complet, considérer la question en général et sous les rapports des différens sols et des divers gouvernemens. Alors on auroit vu, dans l’état le plus voisin de la nature, la santé rece- voir toute l'influence du climat et des saisons et la communiquer aux mœurs. On auroit vu dans les grandes sociétés un ordre inverse s'établir; le sol changé par la culture, les organes soustraits aux im- pressions de l’atmosphère par les inventions des arts, les mœurs assujéties aux usages et aux lois, et la santé réciproquement modifiée par les mœurs : les mœurs et la santé des peuples sont donc, ainsi que leur for- tune entre les mains de leurs chefs, qui en répondent : vérité que l’on a déja dite, mais qu'il faudra redire encore jusqu'à ce qu’elle soit devenue familière au petit nombre d'hommes par qui le monde est gouverné. En 1772 M. Maret concourut au prix proposé par là Faculté demmédecine de Paris sur la possibilité de prévenir le retour des maladies épidémiqués(1). Cette compagnie fit la mention la plus honorable de ses recherches, et en 1784 la Société royale de médecine lui décerna un des prix qu'elle avoit à distribuer sur lanalyse des eaux mintrales (2). 1 MER: M. Maret gagne beaucoup à être jugé par l’en- semble de ses productions. S'agit-il de donner aux magistrats un avis motivé sur les questions les plus RE RE RON MERE 2 ER Er EEE (1) Il remporta l’Accessit, (2) Le mémoire couronné a pour objet l'Analyse des eaux miné- rales de Sainte-Reine. PHYSIOL. ET MÉD.— MARET. 113 difficiles de la médecine légale (1)? S’agit-1l de pres- crire le traitement des maladies produites par le mau- vais état des grains (2); d’éloigner des foyers de contagion ; de rappeler à la vie les personnes asphy- xiées (3); de déterminer l’emplacement d’un cimetière ou la meilleure forme d’un hôpital : il expose les dan- gers, 1l indique les précautions, 1l marque le but, et sa prévoyance n'étonne pas moins que son activité. Il est un des premiers qui aient écrit sur les dan- gers des inhumations dans les églises et dans l’enceinte des villes Le mémoire de M. Haguenot (4) sur plu- sieurs accidens arrivés en 1744 à Montpellier par la même cause étoit presque oublié lorsque celui de M. Maret parut. L'arrêt rendu en 1765 (5) par le (1) Consultations médico-légales sur une grossesse prématurée, Sur la survie d'un enfant à sa mère. Sur une imbécillité, 1772. (2) Mémoire sur le traitement qu'il convient de faire dans les maladies qui suivent l’usage du seigle ergoté; par M. Maret. Dijon, 1771. (3) Mémoire sur les moyens à employer pour rappeler à la vie les personnes que les vapeurs du charbon, le froid excessif, ou la submersion, ont réduites dans l’état de mort apparente: Dijon, 1776. Gazette de santé, 1776, p. 70. (4) Lu dans la séance publique de la Société royale des sciences de Montpellier, année 1746; imprimé en 1747; réimprimé dans les Mélanges curieux et intéressans , etc., à Avignon, in-8.°, chez Roberty, 1769. (5) Le 25 mai. M3. 8 114 ÉLOGES HISTORIQUES. parlement de Paris pour ordonner et régler les sépul- tures hors de cette capitale, quoique dicté par la justice la plus éclairée et accompagné d’un plan très- sage, étoit resté sans exécution. M. Maret, consulté par les officiers municipaux de la ville de Dion sur le cimetière de la maison de force, traita de nouveau la question dans toute son étendue. Il prouva par des faits nombreux que les exhalaisons des corps ense- velis dans l’enceinte des villes avoient été souvent funestes à leurs habitans ; il insista beaucoup sur l’évé- nement arrivé dans l’église de Saulieu (1), où un cercueil s'étant ouvert, l’odeur très-fétide qui se ré- pandit frappa un grand nombre de personnes , parmi lesquelles plus de cent furent très-incommodées et dix-huit périrent (2). M. Maret rappela ensuite les diverses circonstances relatives à l'infection de la cathé- drale et de l’église de Saint-Médard de Dijon; à ces témoignages 1l ajouta l'autorité de la religion et celle des lois, et sa conclusion fut que par-tout les sépul- tures devoient être éloignées des villes. a ————————————————————— (1) En 1973. Lettre sur la maladie épidémique de Saulieu, attri- buée à des inhumations dans l’église paroissiale de cette wille; par M. Maret: Gazette de santé, 1775, n.° 6. Mémoire de M. Maret, p. 32. Voyez aussi, 1.° dans le Journal encyclopédique, septembre 1773, et dans le Mercure de France , même année, une lettre de M. Maret sur les dangers des inhumations dans Îes églises ; 2.° le rapport sur plusieurs questions proposées par l’ordre de Malte à la Société royale de médecine, concernant lPouverture des cayeaux d’une église, in-4.°, 1781, p. 7, 8 €t 9- } 4 PHYSIOL. ET MÉD. = MARET. 115 ‘Cet ouvrage parut en 1773, et deux années après (1) monseigneur l'archevêque de Toulouse exécuta dans cette ville ce que l’on n’avoit que projeté dans les autres. Il s’agissoit de rétablir dans le lieu saint cette pureté qui doit être le caractère de tout ce que l’on y voit, de tout ce qu’on y entend, de l'air même qu'on y respire; 1l s’agissoit d'empêcher qu’on ne continuât de vendre aux riches le droit d’infecter les temples. Monseigneur l'archevêque de Toulouse ne prit point, dans le mandement (x) qu'il publia pour faire revivre les anciens usages, le ton menaçant d’un prophète, mais la voix douce et persuasive d’un pasteur. L’excès des précautions, disoitil, étoit justifié par l'excès des abus. Il renonçoit lui-même au droit d’être enterré _ dans une église: et n'est-ce pas, ajoutoit-t-1l, au moins dans le tombeau que la loi doit être la même pour tous les hommes? Aïnsi préparée, cette réforme s'étendit à tout le diocèse , et chacun reconnnt dans son anteur la conduite et les talens d’un homme d'état en qui Part de bien dire ne fut jamais qu'un accessoire à PA € D [te à (1) En 1775. (2) Ordonnance de monseigneur l’archevêque de Toulouse, con- cernant les sépultures , du 23 mars 1775. Arrêt du parlement de Toulouse pour l'homologation du man- dement et ordonnance de monseigneur l'archevêque de Toulouse, rendue le 23 mars 1775. J'ai recueilli et publié ces deux pièces intéressantes dans PEssai sur les lieux ‘et les dangers des sépultures : Discours préliminaire, P. 83 et 90. 116 ÉLOGES HISTORIQUES. celui de bien faire , et qui pensa toujours que la modé- ration, la douceur et l’exemple étoient les armes les plus fortes que pût employer la raison. Une partie de la question proposée par les officiers municipaux à M. Maret consistoit à déterminer quels devoient être la profondeur et l’intervalle des fosses, et l'étendue du cimetière relativement au nombre des habitans de la paroisse. Un corps déposé dans le sein de la terre étoit regardé par M. Maret comme un foyer d’où s’élevoient des molécules fétides sous la forme de rayons: mais ce qu’il a dit de la réfraction de ces rayons, de leur croisement et de leur étendue n’est fondé sur aucune expériençe et manque de soli- dité (1). M. Maret paroît aussi s'être trompé dans l'estimation de la durée du temps nécessaire pour la décomposition entière des corps : ce temps varie sans doute suivant la nature du terrain; mais il est très- rare que l’espace de trois ou quatre années, indiqué par M. Maret, suffise à cette opération de la nature. Au reste, la plupart de ces questions sont éclaircies depuis que les commissaires de la Société royale ont fut l'examen du cimetière des Saints-Innocens. Ils n’ont point visité sans profit ce réceptacle de tant de morts. Des montagnes d’ossemens s’élevoient dans ses parvis ; une population plus forte que celle de la capi- (:) Voyez l'ouvrage italien dont j'ai publié la traduction, Essai M sur les lieux et les dangers des sépultures, in-8.°, 1778: Discours préliminaire, p. 32 et 34. > PPT SR PE" DR at. PHYSIOL. ET MÉD. — MARET. 217 tale entière s’étoit plusieurs fois engloutie dans son enceinte; des générations nombreuses ne s’y distin- guoient que par les nuances de leur destruction; de plus nombreuses encore n’y laissoient aucune trace de leur existence passée, et les restes de tant de corps n’ayoient soulevé le sol que de qüelques pieds! Guidés par les ministres de la religion qui présidoient à leurs travaux, les commissaires de la Société royale ont parcouru tous les points de cet espace. Une immensité de cercueils et de débris amoncelés, une terre rassasiée de funérailles et qui mal affermie s’ébranloit au loin sous leurs pas, tous les agens de la corruption réunis les ont forcés de dire qu'il falloit changer au plus tôt la surface de ce sol infect, l’exposer à l’action la plus libre de l'air et la couvrir de pavés épais. Bientôt on la verra servir à d’autres usages, et le public devra ce bienfait au prélat qui gouverne avec tant de vigi- lence le diocèse de Paris, au mimistre (1) de qui l’on peut dire sans flatterie, qu'il s’est montré le père des pauvres, l’ami des lettres, et le fléau des charlatans, et au magistrat vertueux et sage qu'aucun obstacle w’arrête lorsqu'il s’agit de faire le bien. On a trouvé sur-tout à de grandes profondeurs des corps conservés en entier après un intervalle de quinze, vingt et même plus de vingt-cinq années ; plusieurs étoient dans l’état de momies. On a remarqué que les (1) M. le baron de Breteuil, (2) M, de Crosne, lieutenant-général de police. 118 ÉLOGES HISTORIQUES. viscères qui se corrompoient les premiers étoient ceux du ventre, ensuite ceux de la poitriue , et on sera sur- pris d'apprendre que c’est le cerveau qui a paru résister le plus à l’action des causes septiques; il s’affaise, se rétrécit et demeure long-temps intact. C’est dans le tissu même de la péau que commence la métamor- phose singulière des parties organiques en une subs- tance graisseuse, observée pour la première fois par Les commissaires 4 la Société royale de médecine. Elle se continue dans les muscles, dans les glandes, dans les viscères, dans l’intérieur même des os. Tout, excepté leur tissu, se change en une masse blanchâtreet savon- neuse où l’on trouve l’alkali volatil uni à une huile très- abondante et dont les propriétés sont analogues à celles du blanc de baleine. Ce qui concerne la formation et l'analyse de cette substance sera consigné dans le rapport des commissaires de la Société royale. Long-temps avant que la réforme et la construction des hôpitaux fussent devenus l’objet de la sollicitude publique, M. Maret avoit médité sur les améliorations dont elles étoient susceptibles, et 1l avoit publié le plan d’une infirmerie (1) qui avoit obtenu l'approbation de feu M. Soufflot. De quel plaisir il auroit joui, sil eût été témoin de l’empressement avec lequel le roi, ses ministres, et les divers ordres de citoyens, concou- rent à la formation des asiles que la bienfaisance pu- —————— ——————…—…—"—_—_—_—_——————— (1) Voyez le premier semestre de l'Académie de Dijon, 1782, p. 25 et 45. PHYSIOL. ET MÉD.— MARET. «19 blique doit consacrer à l'humanité souffrante. Au reste, quelque bonne que soit cette action, c’est la justice et non la générosité qu’il faut louer en elle. Ce n’est pas un présent que la nation fait aux pauvres, mais un oubli qu’elle répare , une dette sacrée qu’elle paie: car, de même qu’on doit à l’indigent un salaire ponr son travail, on lui doit au moins un lit où il se repose lorsqu'il succombe à la fatigue, ou lorsqu'il est prèt de terminer une vie dont le riche seul a profité. M. Maret publia en 1780 un traité sur la petite- vérole (1), dans lequel il se proposa de faire voir que linoculation, répandue et généralement adoptée, étoitle seul moyen d’arrèêter les progrès de ce mal. M. Maret étoit très-opposé au système ingénieux de quelques médecins célèbres (2) qui pensent qu'il seroit pos- (1) Mémoire sur les moyens à employer pour s'opposer aux ravages de la variole, adressé à ses concitoyens; par M. Maret, in-8.0, 17680. Voyez aussi le mémoire dans lequel on prouve l'impossibilité d’anéantir la petite-vérole, etc.; par M. Gardane, in-8.0, 1778. (2) Voyez 1° Mémoire pour servir à l’histoire de la petite- vérole, dans lequel on démontre la possibilité et la facilité de préserver un peuple entier de cette maladie; par M. Paulet, in-8.°, 1768. ‘ 2.° Le seul Préservatif de la petite-vérole , ou nouveaux faits et observations qui prouvent qu’un peuple entier, un village, une ville, une province, un royaume, peuvent également se préserver de cette maladie en Europe; par M. Paulet, 1776. 3.° Examen du Mémoire sur les moyens à employer pour s’op- poser aux ravages de la variole; par M. Maret, etc. Extrait des. numéros 24 et 26 de la Gazette de sauté, en 1780. 120 ÉLOGES HISTORIQUES. sible de détruire tout-à-fait ce fléau en le traitant comme la peste; c’est-à-dire en prenant des mesures très-rigou- reuses qu’ils ontindiquées contre sa contagion (1). Dirai- je que les journaux de la capitale et de la province de Bourgogne ont été le théâtre de plusieurs querelles qui se sont élevées entre M. Maret et différentes personnes de l’art sur les avantages qui résultent de la fomen- tation (2) et de l’incision des boutons varioleüx pour diminuer la profondeur des cicatrices, sur la propriété apéritive dm jaune d’œuf (3), sur l'utilité des gaz (à) Sans chercher à résoudre ici ce problème , on ne peut s’em- pêcher de convenir avec les partisans de la dernière opinion que Von ne se donne point assez de soins pour arrêter les progrès de ce mal. La chambre de police de la ville de Dijon (ordonnance de la chambre de commerce et de police de la ville de Dijon, du 25 septembre 1779, qui ordonne les précautions à prendre contre la contagion de la petite-vérole) avoit publié en 1779 un règle- ment dans cette vue. M. Maret n’en a point parlé, et l’on a eu raison de lui reprocher ce silence. Peut-être encore auroiït-il dû s’ex- pliquer plus clairement lorsqu'il a dit ce que plusieurs ont répété, que la petite-vérole inoculée étoit moins contagieuse que la petite-vérole naturelle ; différence qui dépend, non de ce qu’elle est d’une autre nature, mais de ce qu’étant moins abondante et devant toujours être pratiquée hors des villes, le foyer de ses miasmes a, pour ces deux raisons, moins de force et comporte moins de dangers. En avançant qu'il west pas bien démontré que la petite-vérole n’ait pas d'autre cause que la contagion, etc. (Mémoire sur les moyens à employer pour s'opposer anx progrès de la variole etc. : Avertissement, p. 5), il a encore donné prise à la critique. Sa doctrine sur cette maladie et sur l’inoculation en général mérite d’ailleurs des éloges. (2) Gazette salutaire, 8 juin 21786. (3) Sur les bons effets des œufs frais crus, délayés dans l’eam froide, contre la jaunisse: Gazette de santé, 1774. 2 — PHYSIOL. ET MÉD. — MARET. 121 dans le traitement externe du cancer et sur les sépul- tures? Je n’entrerai dans aucun détail sur ces discus: sions; mais en le plaignant de ce qu'il les à crues nécessaires, je remarquerai qu'elles ont fait le tour- ment de sa vie, et sur-tout le malheur de ses der- nières années. Les gens de lettres et tous ceux qui montrent aïnsi le spectacle de leurs haines ne sauront- ils donc jamais que dans ces sortes de combats, comme dans tous les autres , 1l est presque impossible que l’on frappe sans être frappé; que le vainqueur lui-même est quelquefois atteint de blessures profondes , et que d’ailleurs c’est s’agiter en vain, puisque, si l’on en excepte les disputes des rois et quelques persécu- tions que de grands hommes se sont suscitées entre eux, tous les autres troubles de nos sociétés demeurerorit à jamais dans l’oubli. M. Maret étoit auteur de plusieurs articles très- étendus del’ancienne Encyclopédie(1). Lesélogeshisto- riques de M. le Goux de Gerland , l’un des bienfai- teurs de l’Académie ; de Rameau, l’un de ses membres; et de Jean Philibert Maret, son oncle, sont de toute x IL à aussi écrit une lettre à l’autenr du Journal de Bourgogne : Dijon, 1786. Gazette salutaire, 1786, n.° 23. Journal encyclopé- dique, 1786, p. 204. (1) Tels sont les mots ATONIE DE LA MATRICE, BAINS; CIME- TIÈRES, DÉPOTS LAITEUX, LOCHIES, MÉRIDIENNE. Dans l'Encyclopédie méthodique, il a rédigé:le mot 1CcIDE mé- vw#iTiQuEe du Dictionnaire de chimie et de pharmacie , et il devoit être auteur de tous les articles de pharmacie de ce diction- maire. 22 ÉLOGES HISTORIQUES. les productions littéraires (1) de M. Maret celles que le public a le mieux accueillies. ANNÉES. ÉPOQUES DES LECT. 1756, 9 janvier et 26 mars. 17 décembre. 1757, 14 janvier. 17959 , 6 avril, 6 juillet et12aoùr. 1760, 22 février et 7 mars. 1761, 30 avril. 26 juin, 1762, 29 janvier et » février. 12 février. 12 mars. 39 avril, 30 juillet , 6 et 17 août, (1) Notice chronologique des mémoires, obser- vations, etc., de M. Maret, avec la date de leur lecture dans les séances de l'Aca- démie de Dijon. : Discours sur la passion hypocondriaque ou maladie vaporeuse. Sur l’inoculation. Anciens Mémoires , 1 769. Dissertation sur la saline de Montmorot. Traduction de plusieurs morceaux de phy- sique expérimentale tirés des Actes de l'Académie de Copenhague. Sur ia petite-vérole. Anciens Mémoires, 1769. Suite de cette dissertation. Cbservations sur la maladie singulière d’une fille qui a craché plusieurs portions de poumons et de membranes. Observations sur l'emploi des vésicatoires dans les pleurésies et dans les péripneu- monies. Anc. Mém. 1769. Essais sur les maladies épidémiques de 1760 et 1761. Anc. Mém. 1769. Tableau delafièvre pétéchiale épidémique, ob- servée en divers endroits. Anc. Mém., 1769. Observations sur l'effet d’un cataplasme épi- pastique dans la goutte anowale. Exposition d’une maladie de poitrine sin- gulière par ses accidens. Discours sur les avantages de la méridienne; réflexions et réponses à des objections contre cette dissertation. Anciens Mémoi- res, tome Il, 1774. PHYSIOL. ET MÉD. — MARET. 123 L'étude de la chimie, dont il ne s’occupa que dans un âge avancé ;, ajoutera un nouvel intérêt à son ANNÉES. a ————— 1763, 8 juillet. 1764, 5 janvier. 30 mars. 6 avril. 23 novembre. Idem. Idem. 9 décembre. 1765, 29 mars, 7 juin et 19 juillet, 22 juin. 1767, 7 août. 1768, 5 février. Observation sur une aiguille trouvée dans le cœur d’une jeune brebis. Anciens Mé- moires, 1769. Observations météorologiques et médicales pour l’année 1762. Quatrain pour mettre au bas d’un tableau allégorique, en l’honneur de son À. S. Mgr. le prince de Condé. Observation d’une éclipse de soleil. Observation sur une hydrophobie spontanée, causée à une jeune fille par une violente résistance auxtentatives d’un jeune homme. Anc. Mém., 1760. Suite de l’observation sur la maladie d’une fille qui a été guérie après avoir rendu divers fragmens de poumons, etc. Sur la fécondité de différentes espèces de blé. Anc. Mém., 1769. Histoire littéraire de l’Académie depuis l'année 1764, Lettre au sujet des inoculations faites à Besancon. Observation sur la rage , donnée par le baiser d’un chien enragé. Lettres sur l’usage de la saignée du bras pour les femmes, quoiqu’elles se trouvent dans un temps critique. Histoire de la fièvre scarlatine de 1764 et 1765. 124 ÉLOGES HISTORIQUES. histoire. Il avoit toujours pensé que cette science pou- voit être très-utile à la médecine non seulement, comme ANNÉES. 26 mars. ‘18 novembre. 1769, 14 juillet. Idem. 29 décembre. 1770, 6 avril. 1771, 4 janvier. 18 janvier. 15 mars. 14 juin. 19 juillet. 2 août, Projet d’un mémoire sur l'air et sur la ma- mière d'entretenir la salubrité dans les lieux que l’on habite. Consultation médico -légale sur une gros- sesse prématurée. Lettre à M. de la Condamine, au sujet des inoculations faites à Dijon. Lettre sur un maçon qui est demeuré vivant sous quarante-cinq degrés de décombres dans un puits, à Chenove près de Dijon. Consultation médico-légale sur la survie d’un enfant à sa mère. Réflexions concernant l'avis au public sur son plus grand intérêt; par M. Paulet. Réflexions au sujet du canal projeté en Bourgogne. Expériences faites pour connoître la qualité des farines du meunier du moulin d'Ouche. Histoire de la maladie de madame la pré- sidente de**#+#. Description d’une vessie avec des appen- dices borgnes ayant la forme d’un doigt. Remarques sur le blé ergoté, et observa- tions critiques sur une disserlation de M. Schleger , qui prétend que l’ergot n’est pas nuisible à la santé. Mémoire sur le traitement de la maladie occa- sionnée par le blé ergoté. PHYSIOL. ET MÉD. — MARET. 125 le croit le vulgaire, pour diriger la manipulation des drogues, mais encore en ajoutant aux connoissancesg ANNÉES. 3772), 31 janvier. 21 février. 15 mai. 22 mai et 16 août. 1773, 15 janvier. 29 janvier et 2a fev. 5 mars. 2 juillet. 16 juillet. 13 août. 12 novembre. 1774, 23 avril. 11juin. Consultation médico-légale sur uneimbécillité. Rapport de l'ouverture du cadavre de M. de Fontette. Réflexions sur les observations contenues dans un ouvrage de M. l'abbé Sans sur l'électricité , considérée comme remède de la paralysie. Mémoire sur la population de la Bourgogne. Mémoire sur le cimetière de Notre-Dame. Mémoire sur les épidémies. Lettre au sujet de l'infection de la cathé- drale de Dijon. Discours pour l'ouverture du cours de bota- nique. Lettre sur l'événement occasionné par l’ou- verture d’une fosse à Saulieu. Observation sur une espèce de manje guérie par le stramonium, Mémoire sur l'abus des enterremens dans les églises. Effet antiseptique de volatil. l'acide sulfureux Histoire de l’Académie, pour être placée à la tête du second volume des Mémoires. Dissertation sur la méridiegne ; par M. Maret. Anc, Mém. de l'Académie de Dijon, 1774. 126 . ÉLOGES HISTORIQUES. fondamentales sur les causes premières des maladies, sur la nature des diverses matières morbifiques et sur ANNÉES. 1774, 17 novembre, 1775 , 17 juin. 20 juillet. 1776 , 15 février. 21 février, 14 mars. a.°T aout, 1777, 16 janvier. 23 janvier. 20 février. 27 février. 20 mars. 17 juillet, 31 juillet. Mémoire pour servir au traitement d’une fièvre maligne épidémique. Mémoire ou réponse à une lettre de MM. les administrateurs de l’hôpital d’Aix. Consultation concernant les enfans- trouvés nés avec la maladie vénérienne. Consultation au sujet de la maladie épidé- mique de Poisseuil-la-Ville. Mémoire sur les moyens de rappeler à la vie les asphyxiés. Histoire du traitement de l'épidémie de Pois- seuil. Nouvelle consultation sur cette maladie, et observation sur l’effet du vinaigre donné à forte dose. Observation d’une éclipse de lune, con- jointement avec M. Trullard. Histoire de la maladie de Brasey. Analyse de l’eau de Saint-Jean, près de Pont-de-Vesle. Observation sur l'usage interne du sublimé . corrosif. Observation d’un météore lumineux. Consultation sur l'épidémie ce Montoillot. Mémoire sur le lait alkalisé. Nouveau procédé pour faire l’éthiops mar- tial. PHYSIOL. ET MED. — MARET. 127 l'action des médicamens. L'occasion avoit manqué à M. Maret pour s'exercer dans ce genre de recherches : ANNÉES. 1777, 31 juillet. 1778, 8 janvier. 12 février, AS Tu 29 février. 12 mars. 16 juillet. 23 juillet. 12 août, 1779, 22 ayril. 12 août. 25 novembre, 30 décembre. 1780 , 13 avril. 27 avril. 22 juin. to août. Observation sur l'efficacité de la noix de galle, et sur celle de l’eau froide donnée en layement. Observation sur lalkali yolatil et le jaune d'œuf. Analyse d’une nouvelle eau de Plombières- les-Bains. Nouvelle expérience relative à l’alkali volatil, Histoire nosologique de 1777. Observation sur une tumeur carcinomateuse, Lettre sur la contagion de la phthisie, Observations météorologiques pour l’année 1777: Observations des bons effets des purgatifs actifs réitérés dans les dépôts laiteux, aigus et chroniques. Mémoire sur les moyens de s'opposer aux ravages de la yariole. Mémoire sur une dyssenterie épidémique. Observations sur des varioles confluentes, Nouvelles remarques sur l’éthiops martial. Description topographique, physique et mé- dicale de la ville de Dijon. Mémoire sur les ravages de la variole en 1779. Lettre écrite à M. Castellani, médecin a Mantoue, sur la contagion de la pulmo- nie, 128 . ELOGES HISTORIQUES. : elle se présenta, et il la saisit lorsque les états de Bourgogne fondèrent en 1775 le cours de chimie de ANNÉES. D ————— 1781 , 11 janvier. 28 juin. 1782, 18 avril. Premier semestre. Second semestre. 1783, 3 juillet. 4 décembre. Premier semestre, Discours sur l'utilité de la chimie en mé- decine. Histoire d’une fièvre maligne qui a régné à Norges. Analyse des eaux de Saïnte-Reine. Mémoire sur une nouvelle manière de com- poser le mercure doux. Mémoire sur l'air dégagé de la crême de chaux et du minium. Mémoire sur la construction d’un hôpital, dans lequel on détermine quelest le meil- leur moyen à employer pour entretenir dans les infirmcries un air pur et salubre. Histoire météorologique de 1782. Analyse des eaux de Prémeaux. Observation sur une colique causée par des calculs biliaires, et guérie par le mélange d'éther et d'huile de térébenthine. Extrait des registres météorologiques. Suite de l'histoire météoro-nosologique de 1782. Mémoire sur la réalité de la contagion de l’air. Addition au catéchisme des asphyxies, de M. Gardane. Expériences sur des combinaisons du mer- cure et de l'acide muriatique par affinité simple. 20) PHYSIOL. ET MÉD. — MARET. 129 l’Académie de Dijon. Alors il eut le courage de se ranger au nombre des disciples; bientôt il fut assez ANNÉES. Deuxième semestre. 1784, si semestre. Deuxième semestre. 1785, 1.°* semestre. Description d'un météoré observé à la Chartreuse de Dijon le 20 juillet 1779. Essai sur la durée et les probabilités de la vie, calculées paur la ville de Dijon d’après les registres mortuaires. Histoire météorologique de 1783. Mémoire sur le tremblement dé terre arrivé le 6 juillet 1783. Suite de l’histoire météoro - nosologique de 1783. Observation sur la guérison d’une épilepsie. Histoire noso-météorologique pour l'année 1784, Mémoire sur la qualité contagieuse de quel- ques espèces de fluxions de poitrine. Mémoire sur le brouillard qui a régné en juin et en juillet 1783. Analyse de l’eau du lac de Cherchiaïo, près de Monte-Rotundo en Toscane. Suite de l’histoire météoro-nosologique de 1784. Mémoire dans lequel on examine si la mine d'antimoine, les éthiops antimoniaux et les mercuriels, pris intétieurement, peu- vent être dangereux par leur décompo- sition dans les premières voies. 9 130 ÉLOGES HISTORIQUES. . instruit pour conduire les travaux du laboratoire, et je ferai voir qu’il fut même assez heureux pour y faire . plusieurs expériences fines et délicates que nul chimiste n’avoit tentées avant lui. Schéele n’avoit point publié ses observations sur le gaz qui ‘se développe dans la destruction de lalkali volatil, et M. Berthollet ne nous avoit point encore appris à faire l’analyse de cette substance, que l’on regardoit comme un être simple. M. Maret fut bien près d’en connoître la formation. ANNÉES. Analyse de la pierre de Manlay en com- mun avec MM. de Morveau et Chaussier. Notes historiques, p. 2. Histoire météorologique ,nosologique et éco- nomique pour l’année 1785; par M. Maret et par M. Picardet, prieur de Neuilly. 1599 , 2.° semestre. Mémoire sur la maladie de Saint-Jean de Pontailler. Réflexions sur les inductions que l’on tire * de la mort d’un homme, arrivée dans l'es. pace des quarante jours qui ont suivi le le moment où il a été blessé. Mémoire sur les maladies épidémiques obser- N vées en Bourgogne dans le printemps de 1785. Suite de l’histoire météoro-nosologique de 1799. PHYSIOL. ET MÉD.— MARET. :3 En répétant une expérience de Boërrhaave (1), il avoit inutilement essayé de retirer ce principe du lait par tous les procédés de la voie humide; enfin il le dégagea par l’intermède de la potasse caustique : mais il n’osa prononcer , et 1l laissa l'honneur de cette belle découverte au chimiste habile qui l’a montrée sous tous ses rapports. Les avis n’étoient point encore arrêtés sur la nature de l’alkahi volatil dégagé par la crème de chaux et par le muuum. M. Maret prouva que la crème de chaux très-pure produisoit de l’alkali non caustique ; il s’as- sura que la seule action du feu séparoit du minium un principe gazeux (2), et 1l reconnut que le minium perdoit alors sa couleur et s'approchoit de l’état de _ plomb réduit. On ne savoit pas encore quelle étoit la raison de ce phénomène ; mais des expériences exactes n’ont-elles pas une valeur assurée? Schéele à tout expliqué par le phlogistique, et ses découvertes sont- elles aujourd’hui moins importantes, parce qu’on les a fait entrer dans un édifice élevé sur les ruines de ce système ? - {1) Sur le mélange de l’alkali caustique et du lait. . (2) Académie de Dijon, 1782. Premier semestre, et Annales chimiques de M. Crell, 1786, part. 9. ; " M. Maret a rédigé, dans les Elemens de chimie de l’Académie de Dijon, tous les articles relatifs aux alkalis, aux substances tirées des animaux et aux eaux minérales. Elémens de chimie théorique et pratique, rédigés par MM. de Morveau, Maret et Durande. Dijon, 1777, 1778, in-12, 3 vol. 132 ÉLOGES HISTORIQUES. : M. Maret a déterminé les circonstances dans Îes- quelles l’alkali volatil précipite le fer dissous par l’acide nitreux, sous la forme d’éthiops attirable à l’aimant. C’étoit, comme l’on pent s’en convaincre en lisant les mémoires de M. Fourcroy sur le même sujet, le pre- mier pas vers la solution des plus intéressans pro- blèmes (1). La découverte de l'acide phosphorique dans la substance ossense avoit fait sonpçonner qu’il existoit aussi dans les autres parties des animaux; mais ce n’étoit qu'un soupcon. M. Maret retira du verre phos- phorique de la chair du bœuf, et la question fut décidée (2). Lorsque M. Kosegarten annonça qu'il avoit obtenu . un nouvel acide en distillant plusieurs fois de l’acide ; nitreux sur du camphre, on révoqua cette assertion en doute. M. Maret fit voir que la simple combustion de cette substance lui donnoit une acidité remarquable w en y fixant la base de Pair vital (3). 1 M. Maret tenta'et obtint en 1783, avec un appareil W très-simple, la combinaison immédiate de l’acide marin, avec le mercure en les faisant rencontrer en vapeurs (4). 4 l'attention scrupuleuse qu'il apporta dans l'examen | (1) Histoire de la Société JE de médecine, année 17763 q p- 324, 325 et 326. 4 Voyez aussi les deux mémoires lus par M. de Fourcroy à l'Aca- 1 démie royale des sciences sur les précipités martiaux. ; (2) Nouvelles de la république des lettres. (3) Nouvelles de la république des lettres. (4) Académie de Dijon, 1783, premier semestre. PHYSIOL. ET MÉD. — MARET. 133 des produits de cette opération lui fit apercevoir une surcomposition saline qui n’étoit pas connue et dans laquelle un sel neutre tenoit du mercure en dis- solution. Il regardoit ce nouveau sel, qu'il appela le muriate de potasse mercuriel , comme devant être utile dans le traitement de plusieurs maladies. Armé de tous les instrumens que lui fournissoit la chimie des gaz, il recommencça l’examen d’un grand nombre d'eaux minérales, dont il forma un tableau très-instructif pour ses leçons (1). Il a successivement soumis à ces nouvelles recherches les eaux de Pré- meaux (2), celles de Sainte-Reine (3), de Pont-de- Vesle (4), et celles du lac Cherchiaïo près de Monte- Rotundo en Italie (5), dont l'analyse, faite par M. Maret, en confirmant l’observation jusqu'alors unique de (1) Ce tableau indique la température et la pesanteur &e plus de quarante sortes d’eaux minérales, la nature et les doses de leurs principes. _ M. Maret s’est aussi beaucoup occupé de la préparation des eaux minérales artificielles. Pour conserver les eaux minérales dans les bureaux de distri- bution, il vouloit que l’on tint les flacons renvèrsés sur leurs bou- chons, afin d'empêcher la dissipation des principes gazeux, sur- tout en été. (2) Académie de Dijon, année 1782, second semestre. (3) Cette analyse a été communiquée à la Société royale de médecine, dont elle a mérité un des prix à M. Maret, M. Maret a publié séparément l'analyse de l’eau d’une sourc& du Mâäconnois. (4) Analyse de l’eau de Pont-de-Vesle, Dijon, 1779. (5} Académie de Dijon, 1784, premier semestre, 134 ÉLOGES HISTORIQUES. M. Hoefer, a demontré l'existence de l'acide libre du borax dans notre continent (1). Les mêmes vertus qui avoient formé la trame de sa vie en marquèrent aussi la fin. Depuis l’année 1760 il avoit dirigé le traitement des épidémies de la Bour- gogne, les fièvres pétéchiales de 1761 et 1762 (2), les miliaires de 1761, les scarlatines de 1764 et de 1765, les fièvres anomales de 1775, les fièvres malignes des environs de Dijon en 1774 et en 1775, celles de Pois- seuil en 1776, celles de Montoilloten 1777, la dyssen- terie et la petite-vérole épidémique de 1779, les fièvres malignes de Norges de 1781, enfin celles de Fresne- | Saint-Mametz, dont 1l est mort : tels sont les fléaux | qu'il a combattus. Leur histoire est consignée dans les | registres de l’Académie de Dijon, et la description de plusieurs de ces épidémies (3) a été publiée séparément. (1) Ces connoïissances chimiques ne furent point stériles entre M les mains de M. Maret. On avoit introduit en Bourgogne des bouteilles dites façon de Sainte-Menéhould, qui gâtoient le vin: w M. Maret publia un procédé pour les reconnoïitre sur-le-champ. Une autre fois, il fit proscrire une espèce de faïence dans laquelle le vernis de plomb étoit si abondant et si à nu, que le vinaïgre y formoit à froid de l’acétite de plomb. (2) Tableau de la fièvre pétéchiale maligne, observée à Halle » | en 1699; à Breslaw en 1699; à Plymouth en 1734, et à Dijon en e| 1761 et 1762, par M. Maret. Mémoires de l’Académie de Dijon, M tome I, p. 125 et 176. (3) Mémoire pour servir au traitement d’une fièvre épidémique, 1 fait et imprimé par ordre du gouvernement; par M. Maret, in-8.°, | 1775. Mémoire pour servir au traitement de la dyssenterie. Dijon, « 1779 ; et Gazette salutaire, 1780, n.° 6. PHYSIOL. ET MED. — MARET. 2135 Tout ce qui concerne celles de Fresne-Saint-Mameiz nous a été envoyé par M. Maret lui-même pour avoir notre avis. Il le reçut étant au lit de mort, et nous ayons appris qu’au milieu de ses souffrances les témoignages de notre satisfaction avoient eu pour lui quelques douceurs. Il étoit parti pour Fresne-Saint-Mametz, affoibli par de grandes fatigues; dès son arrivée l'épidémie le frappa, mais elle fut long-temps à l’abattre; il con- tinua pendant plusieurs jours d'exercer ses fonctions : -c’étoit alors un malade courageux qui visitoit les autres et qui s’efforçoit de les rappeler à la vie, que lui-même alloit quitter. Enfin il s’arrêta. Dans son délire, 1l ne parloit que des infortunés habitans de Saint-Mametz; il les interrogeoit sur leurs maux, 1l croyoit entendre leurs plaintes. La vue et les pleurs de ses enfans dis- sipèrent ces 1llusions et le rendirent pour nn moment à lui. Peut-être alors s’aperçut-il de toute l’étendne du sacrifice qui étoit près de s’accomplir; peut-être aussi se souvint-il qu'il avoit été citoyen avant d’être père : et quel autre sentiment que celui de ses devoirs, quelle autre force que celle d’une grande pensée peuvent servir d'appui dans ces instans (1) de dé- périssement et d'angoisse , où les derniers souvenirs qui subsistent doivent être ceux du bien et du mal que l’on a fait? A ne considérer les diverses professions de la société — {1) Il est mort le 11 juin 1786, dans la cinquante-neuvième année de son âge. 136 ÉLOGES HISTORIQUES. que sous le rapport du dévouement avec lequel on les exerce, je demande sil en est une où l’on trouve un aussi parfait oubli de soi-même que dans celle de mé- decin; s’il en est une où d'intérêt, d'accord avec tous les motifs de considération ou de gloire, exige nn aussi 2rand empressement à servir les hommes? Qu’'y : 4 a-t-1l de plus beau qu’un ministère dont tous les devoirs se confondent avec ceux de la plus délicaté amitié? Le premier besoin des malhenreux est d’épancher leur ‘ame; le médecin prête une oreille attentive au long récit de leur$ souffrances ; auprès d’eux, rien ne le rebute : c’est par lui qu'ils seront soulagés, C’est au moins par Ini qu'ils espèrent ; et, réduit aux simples fonctions de consolateur, 1l seroit encore le plus géné- reux des mortels. S'il veille, ce tableau de douleur le suit par-tout; s’il dort, il le retrouve dans ses songes, et son sommeil ne dure qu'autant que les autres n’ont pas besoin de le troubler. Dans les épidémies, 11 par- tage tous les dangers; des vapeurs malfaisantes se mêlent à l'air qu’il respire ; de tous côtés la contagion l’environne ; elle l’atteint , il meurt, et on l’oublie. Si nous en croyons les renseignemens que mous avons reçus, la mémoire de M. Maret n’éprouvera point un pareil sort. Toutes les classes de citoyens ont gémi sur sa perte; son portrait sera placé dans la salle de l’Académie, comme un monument de la recon- | noissance publique, et ses ennemis eux-mêmes ont mêlé leur voix à ce concert de louanges et de regrets. Ici finiroit ce discours, si, pour notre propre ins- M truction , il ne me restoit pas à montrer de quel point \ PHYSIOL. ET MED. — MARET. 137 M. Maret est parti et comment il s’est perfectionné par l'étude. Que l’on consulte les deux premiers volu- mes de l’Académie dont il étoit secrétaire , c’étoit alors par l’érudition qu’il se faisoit remarquer ; qu’on y lise son mémoire sur la méridienne (1): il s'agit de savoir s'il est sain de dormir après diner. Il établit d’abord que la digestion se fait très-bien pendant le sommeil, parce que la chaleur s'accroît, et que les forces de l’estomac augmentent; et l’on est étonné du grand nombre de citations qu'il rapporte à l'appui de cette doctrine. On y voit que les héros d’Homère faisoient la méridienne ; que les Grecs et les Romaius dormoient après leurs repas ; que les religieux de l’ordre de St.-Benoît sont depuis six cents ans dans cet usage et qu'il s’en sont toujours très-bien trouvés; que Dumoulin et Renard, médecins célèbres, qui sont morts très-âgés, faisoient aussi la méridienne, dont M. Maret s’efforçoit de prouver ainsi les avantages, et qu'il recommandoit comme un moyen capable de prolonger la vie. Dans les Mémoires que l’Agadémie de Dijon a publiés par semestres, il suit une autre marche. Ce sont des faits et non des témoignages qu'il invoque; son langage est devenu précis, et l’on reconnoît en lui un médecin formé par l'étude des sciences exactes. Au lieu d'idées vagues et de preuves confuses et in- certaines, comme on n’en trouve que trop dans les ; ] P (1) Anciens Mémoires de l'Académie de Dijon, tom. IT, p. 1. 138 ÉLOGES HISTORIQUES. traités de médecine , ce sont des expériences qu’il dis- cute, ce sont des problèmes qu'il résout. Peut-être aussi ces dermiers écrits ne sont-ils pas eux-mêmes tout-à-fait sans reproches. Les tableaux qui ne doivent être employés qu’à la suite des grands ouvrages ou réservés pour certains genres de recher- ches, y sont prodigués outre mesure (1). Ces sortes de sommaires sont très-utiles à celui qui compose ; mais 1l faut, lorsqu'il s’en est servi, qu'il cache ses instrumens de gêne pour ne laisser voir que des idées faciles et des résultats étendus. En lisant dans nos séances quelques-uns des écrits de M. Maret, nous avons encore été frappés de la distribution numérique, qui, s'étendant du commen- cement jusqu'à la fin , les sépare en un grand nombre de petits articles ainsi liés entre eux. Cette forme, qui ne convient qu'aux aphorismes, a l'inconvénient de prescrire à l’esprit une marche forcée , de fatiguer l’at- tention par des renvois nombreux, et de produire l'ennui par une trop grande uniformité. Les bons écri- vains n’ont pas besoingde se faire tant de violence pour enchaîner leurs idées, et M. Maret étoit du nombre de ceux qui peuvent se dispenser de recourir à de tels Im OY eri1s. (Gi) Voyez Mémoires de l'Académie de Dijon, tom. I, p. 176; le tableau de la fièvre maligne, etc., et le mémoire sur la ma- nière d'agir des bains, etc., 1769: il est composé en grande partie de tableaux. PHYSIOL. ET MÉD. — MARET. 139 Il étoit partisan zélé de la nouvelle nomenclature dont quelques savans illustres ont enrichi la chimie; il a lui-même essayé d'introduire des expressions nou- velles dans le langage de la médecine : il a donné, dans ses ouvrages, à la petite-vérole le nom de variole (1), que plusieurs écrivains ont adopté. Sur- tout en ne cessant de travailler à son instruction, il a montré un bel exemple à ceux qui passent la der- nière moitié de leur vie à ne rien faire, à louer ce qu'ils ont fait et à blâmer ce que les autres font ; sorte de manie très-incommode dans la société et très- ficheuse pour ceux qui en sont atteints : car la vieil- lesse est peut-être celle de toutes les saisons de la vie où l’étude offre les jouissances les plus douces et les plus nécessaires; où l’on a le plus besoin d’entretenir autour de soi le bruit de la renommée; celle ‘enfin où 1l est le moins permis de repousser ses semblables, dont les secours, les respects, les affections et les éloges composent tout l’apanage qui reste alors à l'humanité. (1) Du mot latin variolæ. 140 ÉLOGES HISTORIQUES. . NAVIER. ns 4 + ne 6 0 0 01 Pda baneuatee Navier, docteur en méde- cine de Reims , médecin du roi pour le traitement des maladies épidémiques , correspondant de l’Académie royale des sciences de Paris , membre de celle de Chà- lons-sur-Marne , et associé régnicole de la Sociétéroyale de médecine , naquit le 1.er novembre 1712 , à Saint- Dizier en Champagne , de Pierre Navier et de Fran- çoise Lesur. La nature semble jeter les hommes sur la surface du globe , comme elle y répand les germes au hasard, L'esprit le “plus fait pour les grandes choses a besoin qu'on le cultive ; et, pour former un savant utile à sa patrie, 1l faut surmonter tant de difficultés, qu’en y réfléchissant , on est moins étonné du petit nombre de ceux qui parviennent à mériter ce titre. On doit sur-tont compter parmi ces obstacles les faveurs excessives de la fortune et son excessive mé- diocrité. Les unes, en accélérant le progrès des pas- sions, nuisent à celui des idées ; elles apprennent plutôt à sentir qu’à penser ; elles offrent aux sens le prestige du plaisir , et l’ame séduite n’ose plus se livrer à la réflexion ni au travail. L'autre arrête la: marche de l'esprit ; elle en dessèche le germe , en le privant PHYSIOL. ET MÉD. — NAVIER. ai4 des sucs sans lesquels il ne peut n1 s’accroître , ni se {ortifier ; elle étouffe ces heureuses dispositions que les hommes reçoivent plus souvent qu’ils n’en profi- tent. Tel auroit été le sort de M. Navier , sans le se- cours d’un de ses oncles, chanoine à Châlons-sur- Marne. Ce parent généreux forma le dessein de l’arra- cher à l’obscurité ; et 1l destina à la dépense de ses études un revenu qui n’est pas toujours employé d’une mamière aussi recommandable. Après avoir achevé ses humanités dans le collège de Châlons-sur-Marne , M. Navier fut envoyé par son oncle à Paris, où il étudia en philosophie au collége d'Harcourt. La médecine ayant ensuite fixé son choix, il suivit les lecons des professeurs les plus distingués de la capitale ; et le titre de docteur lui fut conféré en 1741, à Reims d’où il partit pour se rendre à Châlons- sur-Marne , où il se fixa. * Les hommes qui n’ont été que célèbres peuvent être loués par-tout avec un succès égal; quelquefois même , plus le panégyriste est éloigné de leurs foyers, plus il est libre sur le choix des couleurs, et plus son discours peut causer de surprise : mais l'éloge des hommes dont la bienfaisance a formé Le caractère a besoin , pour produire son cffet , d’être prononcé dans le lieu même où ils ont vécu et en présence de ceux qui ont été témoins de leurs actions : il est alors moins difficile d’être éloquent ; c’est au cœur et non à l'esprit qu’il faut parler : l’un est bien plus indulgent que l'autre. Le premier s'élance en quelque sorte au devant de Porateur ; le second attend qu'on le frappe, et se refuse 142 ÉLOGES HISTORIQUES. à tout ce qui ne l’ébranle pas avec la plus grande force. L’un semble offrir ses applaudissemens : 1l faut les arracher à l’autre. Enfin, le cœur aime qu’on le touche , il se plaît à être persuadé. L'esprit au contraire se laisse difficilement convaincre; et, rival de celui qui cherche à le captiver , il ne se détermine qu'avec la plus grande réserve à en suivre les impressions. Combien 1l seroit donc à souhaiter pour moi d’avoir à lire cet éloge de M. Navier au milieu de ses concitoyens ! Remplis du sujet dont j'aurois à les entretenir , 1ls ne s’aperce- vroient pas des fautes que je pourrois commettre en leur parlant d’un homme dont la mémoire leur est si chère. Ceux qui m'ont communiqué les détails de sa vie ont principalement insisté sur le plaisir qu'il avoit à faire le bien. « N'oubliez pas , m’ont-ils écrit, que, pendant une pratique heureuse de trente années , 1l a mille fois exposé sa vie dans le traitement des maladies populaires ; dites que son ouvrage chéri étoit son Traité des contre-poisons , parce qu'il le regardoit comme devant être d’une utilité générale ». Fidèle interprète de leurs sentimens , j’ai commenté cet éloge en faisant connoître les vœux et les regrets de sa patrie : si l'homme bienfaisant a des droits à la reconnoissance de tous les hommes , celui qui écrit l’histoire n’en at-il pas quelques-uns à leur indulgence ? M. Navier se livra pendant son séjour à Paris à ‘étude de la chimie et de l’anatomie. MM. Geoffroy , Hellot et Bolduc lui apprirent les élémens de la pre- mière de ces deux sciences, dont :l s’est occupé depuis 76 à. RE nn LÉ 2 PE TTL Lt “mn PHYSIOL. ET MÉD. — NAVIER. 143 avec tant de succès. Ils lui enseignèrent non seulement l’art difficile de bien observer, mais on pourroit dire l’art encore plus difficile de faire des découvertes : il prit dans leurs leçons et dans leur entretien cet esprit d'invention qui, s'écartant de la route déja tracée , sait s’en frayer à propos une nouvelle. Le célèbre M. Ferrein l’admit aussi dans son amphithéâtre , et lui inspira le goût le plus vif pour l’anatomie. Ce dernier genre de travail lui suscita une querelle littéraire dont il s’est trop occnpé pour son repos. Le péritoine, sur les insertions et les duplicatures duquel les opinions ont été si long-temps partagées , en fut le sujet. M. Navier avoit avancé dans une lettre publiée en 1751 que cette expansion enveloppe immédiatement les intestins. Un médecin critiqua très-amèrement cette assertion , et à plusieurs argumens dont la réfu- tation étoit facile il ajouta les inculpations les plus graves : 1l ne craignit pas même de discuter la con- duite de M. Navier vis-à-vis de ses malades; et 1l l’ac- cusa d’avoir commis des fautes qui, ne relevant d’au- cun autre tribunal que de celui de la conscience intime, et ne pouvant être citées devant aucun juge , ne don- nent par conséquent aucune prise au dénonciateur. M. Navier donna à cet écrit plus d'attention qu'il n’en méritoit; et 1l prouva , en y répondant longue- ment (1), et peut-être avec trop de chaleur, qu’il ÿ (1) Réplique à la critique ou libelle de M... imprimé en 1752 à Paris, 1 vol. in-12. “ 144 ÉLOGES HISTORIQUES. avoit été tres-sensible. Nous aurions nous-mêmes con- tribué par notre silence à laisser cette réplique dans l'oubli, si elle n’avoit pas été pour le savant que nous regrettons la source d’un chagrin de plusieurs années. La voix de la postérité peut-elle d’ailleurs se faire trop tôt entendre contre ces tyrans de l’opimion publique, qui, ne s’élevant que sur des ruines, et ne respectantrien dans leurs rivaux , n’ont souvent d’autre avantage que d’être les seuls qui osent employer de pareilles armes ? Ceux qui travaillent avec courage à l'édifice des sciences peuvent-ils donc ignorer qu'il y a une classe d'hommes uniquement occupés à détruire, qui mettent toute leur gloire à troubler celle des autres, toute leur jouissance à les affliger , toute leur adresse à les distraire , dont on est sùr de triompher en n’engageant point le com- bat, et avec lesquels toute la victoire compromettro1t celui qui ne craindroit pas de souiller ses mains en cueillant de semblables lauriers ? Une observation sur une dilatation des gros intes- tins , communiquée en 1750 à l’Académie royale des sciences ; des réflexions sur la cause du ramollisse- ment des os (1), publiées en 1751 , sont de nouvelles preuves des progrès de M. Navier dans l'étude de l'anatomie. Cette science , aux travaux de laquelle les préjugés ont toujours apporté tant d'obstacles , ne peut sur-tout (1) Observations théoriques et pratiques sur le ramollissement des os en général, et en particulier sur celui qui a été observé sur la W dame Supiot, 1755, à Paris, in-12. 4 1 4 N'AL PHYSIOL. ET MÉD. — NAVIER. 145 être cultivée avec fruit dans les provinces : il fant presque y commettre un crimé, 1l faut y affronter l’opi- nion publique, pour s’en procurer les moyens. Le pauvre, au-delà du malheur de succomber dans les hô- pitaux , voit encore celui d’y être livré , après sa mort, au scalpel de l’anatomuste ; et ce n’est pas cette frayeur dont il est le moins occupé. Le riche met une partie de son luxe à défendre , autant qu'il est en lui, ses dépouilles des ravages du temps; et 1l croit faire beau- coup lorsqu’'en employant toutes les ressources de l’art 1l suspend pour quelques momens une décom- position nécessaire à la reproduction des êtres. Ainsi l’homme , couvert pendant sa vie du manteau de la feinte, enveloppé après sa mort dans la nuit d’un tombeau où 1l est défendu de pénétrer, semble être voué pour toujours à s’ignorer lui-même ; et l’anato- mie , dont on célèbre tant l’utihité sans en favoriser les découvertes, paroît être condamnée à ne faire des progrès qu’au milieu des grandes villes ; où les abus étant plus multiphiés , 1l est plus facile de se dérober aux lois qui s'opposent à son avancement. Combien de fois M. Navier a fait des vœux inutiles pour qu'il lui fût permis de suivre à Châlons-sur-Marne ce genre de travaux ! L’impossibilité de s’y livrer l’engagea à 4 parcourir une autre carrière, dans laquelle il a bien + mérité de sa patrie. : 0 Indépendamment des causes qui affectent la santé de . chaque imdividu , il y en a de générales, dont l’in- " fluence s'étend sur tous les habitans d’une contrée, où elles multiplient des maladies du même genre, Mir. 3. 10 7 TRE. 146 ÉLOGES HISTORIQUES. dont la source est souvent cachée, le caractère dou- d teux et le traitement incertain. Celui qui se propose de donner des soins utiles dans ces circonstances fàs cheuses ‘doit joindre l'instruction à la prudence ef à la fermeté. Ce n’est pas assez qu'il possède les con- noissances que requiert la pratique ordinaire de notre arts il faut qu'il soit en état de rechercher dans les qualités de lair et des eaux , dans la nature des ali- mens, dans la situation du climat, dans l’examen scru- puleux de tout ce qui a précédé l’origine du mal dont il vent arrêter les progrès ; il faut qu’il remonte à sa première invasion ; qu'il en suive la marche, qu'il RE RE Sn Sr men 2 4 en découvre les communications, qu'il mette des LES bornes à la contagion lorsqu'il en a déterminé l’exis- 25 ” Dre tence , qu'il s'élève en quelque sorte au-dessus de la condition humaine , an secours de laquelle il vole ; DD pee et qu'après avoir oublié tous les dangers qui l’entou- rent, il rassure , il console, 1l porte par-tout le calme, SR = en même temps qu'il rétablit la santé. Tel a été M. Navier, tant que ses forces lui ont per- mis de parcourir les campagnes dont les habitans avoient recours à ses lumières ; tel on l’a vu, en 1748, au Mesnil près des Vertus, et à Herpon près de Sainte- Menéthould ; en 1754 à Nuisemont (1), en 1757 à Suippe et aux Grandes-Loges , en 1772 à Grauve (2), en 1773 à Barhonne (3), où il a traité de la manière ln ut UN un vis) + LEP (1) La même maladie régna à Ecurie, à quelques lieues de Châlons, (2) Près d'Epernai. (3) Près de Sesanne. PHYSIOL. ET MÉD. — NAVIER. 147 la plus heureuse un grand nombre de malades atta- qués de différentes épidémies (1). Les divers cantons de la Champagne frappés de ces fléaux ont été pendant plus de trente années témoins de ses succès. Il n’y a régné aucune maladie fâcheuse coritre laquelle ce médecin n'ait signalé son zèle. Il n’a désiré pour toute faveur qu’un brevet honorable , dans lequel le roi l’a décoré du titre d’inspecteur pour les épidémies de la province (2); c’est-à-dire que sa majesté lui a donné , pour prix de ses peines ; le droit honorable de courir de nouveaux dangers en rendant de nou- veaux services. Accoutumé à multiplier ses bienfaits , et à les répan- dre dans une classe de citoyens dont la plupart ne pou- voient lui offrir que leur sensibilité, M. Navier n’avoit jamais songé à les faire valoir auprès de l’administra- tion. Quelques gratifications lui fournirent un encou- ragement dans ses travaux ; mais elles ne lui enleve- rent pas la douce satisfaction de croire que l’état lux (1) En 1795 il a soigné les malades attaqués d’une épidémie très- grave à Suippe. De plus, il a dirigé le traitement des maladies qui ont régné en 1758, en janvier, à Orvilliers ; en 1773, en avril, à la … Lobbe; et en août, à Gisancourt, près de Sainte-Menéhould ; en :2775, en janvier, à Ville-en-Tardenois ; en mai, à Smide, près de … Réthel ; et en juillet, à Langres; en 1776, en mai et juin, à Che- mizé, près de Vaucouleurs , et à Bannogne , ainsi qu'à Recouvrance, près de Réthel. (2) Ce brevet de médecin du roi pour les maladies épidémiques de la Champagne a été expédié le 20 décembre 1774, et registré au greffe de la subdélégation le 10 février 1773. L 148 ÉLOGES HISTORIQUES. devoit plusieurs de ces services pour lesquels on reçoit ordinairement peu de récompenses : sans doute parce qu’il est impossible d'en donner assez, parce qu’on laisse à la reconnoissance publique le soin de les acquit- ter dignement. M. Navier tenoit un registre exact de ses observa- 1 tions ; et ce cahier renfermoit l’histoire de toutes les épidémies au traitement desquelles - 1l avoit été em- ployé dans la généralité de Champagne : : ilen a extrait des réflexions sur une dyssenterie épidémique , Sur la. petite-vérole , la rougeole ,. la fièvre pourprée et la co- queluche, qui ont été imprimées en 1755, et sur la ma- ladie terrible qui a enlevé tant de bétail depuis 1744 Ê: jusqu’en 1745. Sa droiture et son amour pour lu vérité étorent con- aus et respectés dans toute sa province. MM. de Beau- pré, de Saint-Contest et Rouillé d’Orfeuil , qui se sont . succédés dans l’intendance de la Champagne , lui ont » donné les mêmes marques de confiance. Jamais il n’a sollicité des secours que pour des maux réels ; mais à aussi il n’en a jamais vu detels, sans en demander À et sans en obtenir. Aucun administrateur n’auroit osé } rejeter sa prière : c’auroit été refuser le père du peuple; à et, quelle que soit la dureté des hommes, la voix d’un père qui demande pour ses enfans trouve toujours ® quelqu'un qui l’écoute. Soit que M. Navier parcourût les campagnes , soitk L' qu’il exercât la médecine à Ch: Alons-sur-Marne, estime | publique le suivoit par-tont ; et cette estime appartenoit M autant à sa personne qu'à ses’ talens. Ce n’étoit point À PHYSIOL. ET MÉD. — NAVIER. 149 un de ces hommes dans lesquels on trouve un méde- cin sans y rencontrer un ami , que l’on ne consulte, comme l’oracle, qu’en tremblant, et aux conseils -des- quels on obéit pi qu'on n'y défère : il étoit doux , affable ;: ; jamais il n’a porté l’effroi dans une ame déja cad par. la maladie : il savoit sur-tout. ‘inspirer cette confiance : que l’on peut regarder comme un des : plus grands bienfaits de la médecine, puisqu'elle peut, dans tous les cas, donner quelque espérance aux ma- lades les plus affoiblis , et que c’est apporter un soula- gement réels à leurs maux , que de leur en faire entre- voir la possibilité: | Une dissertation sur les affections scorbutiques , qui a été publiée’ en 1753 ; des réflexions sur les remèdes propres à fondre les pierresurinaires (1 ; des recherches sur quelques vertus particulières du baume de Co- pahu (2), et sur les effets de la teinture de pavots. rouges (3) donnée intérieurement , sont autant d’ou- (:) Dissertation sur les lithontriptiques , communiquée à l’Aca- démie de Châlons en 1754. ’ (2) Gazette de médecine, n.° 25, avril 1762. Il publia aussi dans la même année des remarqnes qui prouvent combien il est * utile, dans le traitement des maladies, de connoîïtre l’action du » petit-lait sur les sels de saignette et végétal, ibid, n.° 31, in-8.°, … 1762. " (3) Mémoire concernant l’effet singulier de la teinture de pa- |vots rouges sur le corps humain, etc. présenté à l'Académie des Sciences en 1757, et imprimé dans le Journal de médecine, tom. VIT, p. 333. Cette teinture avoit coloré les parois des intestins, telle- ment qu'on avoit mal-à-propos regardé ces taches comme leffet | 150 ÉLOGES HISTORIQUES. vrages utiles, dus aux observations que M. Navier avoit faites en pratiquant la médecine. Attentif à tout ce qui pouvoit intéresser la santé , il veilloit sur les fautes que l’on commet si souvent et avec si peu de scrupule dans le régime. Comme 1] désiroit que ses conseils fussent suivis , 1l se gardoit bien d’être trop exigeant : 1l savoit que les lois trop rigoureuses sont rarement exécutées lorsqu'elles sont d’unusage journalier , et qu’en modifiant ses habitudes l’homme fait tout ce que l’on doit en attendre. D’après ces principes ; M. Navier ne grossit point le nombre de ceux qui ont écrit de longues et inutiles disserta- tions contre l’usage du tabac ; mais 1l indiqua les moyens de le préparer d’une manière capable d’en pré- venir les fâcheux effets, sans diminuer son agré- ment (1). Le cacao et le chocolat furent aussi le sujet d’un ouvrage dans lequel il rassembla tout ce qui est relatif à l'analyse et à l'emploi de ces substances. Par- tout 1l a fait de louables efforts pour concilier la santé de ceux dont 1l avoit la confiance avec leurs goûts et leur plaisirs ; 1l s’est toujours souvenu qu'il traitoit avec ses semblables : ilm’a pas oublié qu'il n’en est pas d’un médecin qui donne aux gens du monde des avis sur leur régime , comme de celui qui soigne un ma- d’un poison. Cette observation et tant d'autres prouvent que l'on doit être bien réservé dans les jugemens que l'on porte sur ces sortes de matières. (1) Observations sur les bons et les mauvais effets du tabac, et sur les moyens de lui donner une qualité bienfaisante et agréable. Gazette de médecine, n.° 5, juillet 1762. PHYSIOL. ET MÉD.— NAVIER. 151 lade. Le premier ne peut être écouté qu’en prescrivant une conduite facile , et en présentant successivement les différens points de la réforme qu'il projette : le second doit être plus sévère ; on lui feroit même un crime de sa complaisance. Sans ces précautions , on multiphie des conseils qui ne sont point suivis, et on inanque son but, faute de s'être appliqué à con- noître Les hommes avant d’avoir songé à les guérir. Environné de substances capables de porter le trouble dans ses organes , privé, ou au moins dépourvu dans l’état actuel, de l'instinct qui conduit la brute, et pos- sédant l’art funeste de déguiser les poisons , l’homme estcontinuellement exposé à leur atteinte. Cette science qui apprend à distinguer les végétaux vénéneux d’avec ceux qui sont bienfaisans et alimentaires , est une arme de plus qu'il a tournée contre lui-même ; et comme il a plus à se défier de la méchanceté de ses semblables , que de ses propres méprises , 1l seroit peut-être à sou- haiter que, moins éclairé sur la nature des dangers qu'il court , 1l n’eût rien à craindre que de son igno- rance. Une de ces plantes que l’on n’ose nommer et que l’on n’auroit jamais dû faire connoître au peuple, de l’espèce de celles qui substituent un délire furieux à la raison la plus saine , et qui , après avoir agité le corps par des convulsions violentes, le laissent dans un affais- sement mortel , avoit été mangée en salade par plu- sieurs personnes , qui étoient dans l’état le plus fâcheux lorsque M. Navier fut appelé : 1l leur fit prendre des acides , et il excita le vomissement avec l’oxymel scil- litique , dont il conseilla l'usage, dans le Journal de ñ 152 ÉLOGES HISTORIQUES. médecine (1), lorsqu’en pareil cas l’estomac a besoin d’être évacué. Quelques précautions que l’on prenne contre les ra- vages des poisons , les secours les mieux administrés sont presque toujours moins sûrs que les coups de l'ennemi dont on cherche à trrompher. S'il étoit pos- Sible d'essayer leurs effets sur quelques-uns de ceux qui ont la cruauté de les répandre , et de les soumettre ensuite aux divers traitemens , parmi lesquels 1l est important de choisir le meilleur , on acquerroit sans doute des instructions très-précieuses. Le citoyen bar- bare qui auroit osé former le projet de tuer ses frères seroit rappelé à son premier devoir par l'expérience dans laquelle il leur deviendroit utile; sa vie seroit moins exposée que celle de ses malheureuses victimes , puisque , connoissant la nature du poison qu'il auroit pris, on y apporteroit plus facilement un remède con- venable ; et il feroit le genre de réparation le plus digne de l'humanité offensée , puisqu'il seroit en mème temps le plus doux pour le coupable , et le plus profitable pour elle. Cette observation n’étoit que le prélude des travaux que M. Navier projetoit sur les contre-poisons. Sans cesse occupé des dangers qui assiégent l’homme , il lui a fait connoître tous les risques qu'il court, soit en se nourrissant avec des substances que la moindre négli- gence de la part de celui qui les assaisonne ; ou la (G) Tom. IV, p. 113. Il préfère, dans ces cas, les émétiques végétaux aux antimoniaux. Ra — > PHYSIOL. ET MÉD. — NAVIER. 153 mature des vaisseaux dans lesquels on les prépare, rendent suspects, soit en usant de boissons que la cu- pidité a dénaturées. Le lait , le plus doux des alimens, devient lui-même vénéneux lorsqu'il a séjourné long- temps dans des vases de cuivre. L'âge le plus tendre n'est point exempt de ces craintes. La nourriture li- , , 0 \ ! . ! quide quel on emploie à cette époque peuts altérer assez dans des poëlons de même métal pour donner aux en- fans des douleurs de colique dont on attribue souvent la cause à des circonstances très-éloignées. Les cou- vertes de vernis coloré , faites avec la chaux de plomb dont les casseroles de terre sont enduites , nuisent à la santé du pauvre qui se sert de ces vases simples pour apprèter des mets grossiers. Par - tout la vie est aux prises avec la mort : vérité terrible que nous n’aurions osé prononcer , si l'ouvrage dans lequel M. Navier en a donné le développement , n’indiquoit pas des moyens faciles et certains pour prévenir ces différens abus qu’une police sage et éclairée a déja éloignés en partie de la capitale. d Mais ce qui jetoit dans son ame douce et bienfaisante de l’amertume et de l’effroi, c'étoit le tableau des malheurs occasionnés par les poisons ; c’étoit cette suite … d’horreurs dont nos histoires sont remplies, et qui ne _ se renouvellent que trop souvent ; c’étoit cette scéléra- tesse réfléchie , habile à tendre des piéges qu’on ne _ peut ni éviter n1 connoître , qui présente en caressant - un breuvage funeste, et qui, sachant infecter les sources les plus pures de notre existence, et cacher les semences de la mort sous les apparences mêmes de la vie, prend & 154 ÉLOGES HISTORIQUES. encore des mesures pour faire soupçonner des mains innocentes. Cet attentat tient le premier rang parmiles crimes, comme l'hypocrisie parmi les vices : 1l ne sup- pose pas mème dans celui qui le commet la hardiesse d’en paroître l’auteur ; 1l exclut jusqu’à cette audace qui, en rendant l’assassin intrépide , lui donne au moins une sorte de courage, et 1l semble être le propre de lame la plus méchante , la plus perfide et la plus abjecte. Affligé par ces réflexions humiliantes pour l'humanité, M. Navier avoit résolu de lutter autant qu'il seroit en lui , non contre ces trames qu’il ne lui étoit pas possible d'empêcher, mais contre leurs effets, en cherchant dans la chimie des remèdes capables de s'opposer à leurs ravages. Transportons-nous au moment où 1l conçut le plan de ses recherches ; considérons -le lorsqu'il en com- mença l'exécution : nous le verrons éloigné de la ca- pitale et des troubles qui l’agitent , isolé parmi ses con- citoyens, parce qu'il ne trouvoit qu’en lui-même les ressources nécessaires pour diriger et varier des expé- L riences aussi délicates , concentré tout entier dans son projet , interrogeant la nature avec cette inquiétude que donnent le désir de la jouissance et l'incertitude du succès. Déja 1l est entouré des poisons les plus péné- trans et les plus corrosifs ; 1l frémit à lPaspect de ces fléaux réunis dans un petit espace ; il contemple avec indignation ces armes terribles de la trahison et de la perfidie. Nouvel enchanteur , il va chercher à en suspendre l’activité : il les analyse , il les mêle avec | d’autres agens...+. Mais quelle douleur le pénètre 7-2 PHYSIOL. ET MÉD. — NAVIER. 155 au milieu de ses travaux!.... Il s'aperçoit qu'il est plus facile d’exalter que d’affoiblir l'énergie de ces substances , et qu'il en coûte moins de peine et de soims pour détruire que pour réparer. Rien , au reste, ne peut arrêter son zèle : chaque jour voit recommencer de nouvelles tentatives. Au milieu des difficultés qui retardent sa marche , un rayon d’espoir vient l’en- courager : 1l emploie le secours des doubles affinités chimiques. Enfin 1l parvient à dénaturer les poisons ; il les décompose , 1l les change en des substances moins malfaisantes. ... Qui pourra peindre toute l’étendue êt la pureté du plaisir qu’il ressent? Son cœur, jus- qu’alors serré , se dilate ; il est heureux , parce qu’il a su se rendre utile à ses semblables ; 1l s'empresse de leur offrir l’ouvrage qu’il leur destinoit depuis long- temps ; 1l publie ses découvertes ; mais 1l le fait sans faste et sans ostentation : son langage est celui de la modestie et de la vérité, comme son travail a été celui de la bienfaisance et de la vertu (1). Tel a été le spectacle que M. Navier a présenté pen- dant plusieurs années à un petit nombre d’amis ; il a je ne sais quoi de doux et de consolant pour les ames affligéés par la présence des crimes dont nos grandes villes sont remplies ; et plus l’auteur s’est efforcé de le dérober aux regards du public, plus je l’ai cru digne de sa reconnoissance et de sa sensibilité. . (1) Contre-poisons de l’arsenic, du sublimé corrosif, du vert-de- gris et du plomb, suivis de trois dissertations , etc. , par Pierre-Tous< saint Navier, etc., 2 vol in-12, à Paris, 1778. 156 ÉLOGES HISTORIQUES. Il ÿ a deux manières de remédier aux effets des poisons chimiques ou corrosifs. La première, qui est générale, et qui consiste dans l’usage des délayans (1), des adou- cissans et des évacuans, a été souvent utile ; elle est propre à calmer les symptômes de l’irritation , mais elle n’attaque point la cause , et elle annonce l'imper- fection de l’art qui ne peut l’offrir que comme un très- foible SCORE La seconde méthode consiste Ph À l'emploi de diffé- rens remèdes dont l’utilité est immédiate. En portant leur action sur les substances vénéneuses mêmes , ils peuvent changer leur nature , et leur enlever la pro- priété corrosive et rongeante. Cette classe de moyens existoit à peine avant M. Navier ; il l’a créée en quelque sorte par ses expériences et per ses recherches. C’est à une pratique sage à en apprécier les avantages, à en perfectionner les moyens, et à en déterminer les appli- cations. La qualité malfaisante de plusieurs minéraux ne dé- pend que de la combinaison de leurs principes, qu'al suffit de désunir pour en prévenir les ficheux effets. Quelquefois un de ces principes séparés est encore dan- gereux ; il faut alors le faire entrer dans une combinai- son nouvelle qui soit incapable de nuire à la santé. Enfin, si les principes unis ou désunis ne deviennent malfaisans qu’à raison de leur solubilité dans les hu- (1) Les molécules délétères, étendues dans une grande quantité de fluide, ou enveloppées d'un mucilage, perdent nécessairement. une partie de leur activité. Lorsqu'il est possible de les évacuer ou de les dénaturer, on diminue le mal encore plus sûrement. PHYSIOL. ET MED. — NAVIER. 15 meurs animales , il est indispensable de s’opposer à ce mélange. En partant de ces notions , et après s'être assuré de la nature des différentes substances vénéneuses , M.Na- vier les a traitées avec des agens capables de les priver de leur acrimonie; et 1l a pris les mesures nécessaires pour donner intérieurement , sans danger , et avec le moins de dégoût possible , les substances propres à opé- rer ces décompositions. L’arsenic , le sublimé corrosif , le vert-de-gris et les préparations de plomb , sont les poisons chimiques qui se présentent le plus souvent à l’homme. Le premier peut se combiner par la voie humide avec le soufre, avec les alkalis et les matières calcaires. Lorsqu'on verse du foie de soufre en liqueur sur une dissolu- tion d’arsenic faite par l’eau , 1l se forme une espèce d’orpin beaucoup moins nusible, parce qu'il est plus surchargé de soufre que le réalgar ordinaire, avec lequel M. Navier ne l’a point confondu. Il a principa- lement insisté sur les inconvéniens de ce dernier, en parlant des maux auxquels les peintres s’exposent lors- qu'ils portent imprudemment à leur bouche des pin- ceaux chargés de couleur jaune à l’orpiment. La grande affinité du fer avec larsenic a donné à M. Na- vier un autre moyen de s’en emparer. En mêlant du foie de soufre martial avec ce minéral dissous dans l'eau , celui-ci se précipite , et il se joint au soufre et au fer (1). (1) Il est faux que l’arsenic coagule le lait, dans lequel il est 158 ÉLOGES HISTORIQUES. Les différens foies de soufre agissent aussi sur le sublimé corrosif; ils forment, en le décomposant , un sel neutre non caustique par la combinaison de l’acide avec l’alkali , tandis que le soufre se dégage et s’unit au mercure. La partie métallique du vert-de-gris précipitée par les alkalis sous la forme de chaux, ou dissoute pareux, peut pénétrer dans les vaisseaux , et se mêler aux hu- meurs. Le foie de soufre martial , en dégageant le cuivre qui s’unit au soufre, s'oppose à cette intro- duction , qui pourroit avoir des suites fâchenses. Un baume préparé avec l’huile d'olive et une petite dose de soufre et de savon remplit les mêmes vues, et convient sur-tout pour précipiter le sel cuivreux dis- sous dans les graisses, et pris intérieurement avec les alimens (1). Enfin, ces mêmes remèdes , donnés à plus petite dose et plus long-temps, pourroient , sui- vant M. Navier , être substitués à l’usage de ceux que l’on emploie dans le traitement des coliques de plomb. Les principes que nous venons d’exposer sont la très-soluble. Le foie de soufre martial en précipite les molécules lors mème qu’elles sont suspendues dans ce fluide. Le lait est donc préférable aux huiles, qui ne dissolvent point ce minéral. Une eau légèrement alkaline, une dissolution de fer dans du vinaigre, où même de l'encre très-délayée, si l’on manque d’autres secours, peuvent encore lui donner des entraves utiles. Enfin l’usage des eaux minérales sulfureuses est très-propre à terminer la cure , et à dissiper les accidens qui sont les plus opiniâtres. (1) Quelques boissons acidules, en dissolvant complétement ce sel, le disposent à être plus facilement décomposé par le foie ce soufre. ”_— PHYSIOL. ET MÉD. — NAVIER. 159 base des conseils qu’il a donnés, et du plan de con- duite qu’il a tracé pour combattre chaque sorte de poison. Le médecin est alors appelé dans deux cas très-diffé- rens l’un de l’autre , soit dans le moment même où le poison vient d’être pris , soit quelque temps après qu’il a été avalé. Les secours que M. Navier a proposés sont principalement utiles dans le premier cas (1). Dans le second , il y a deux indications à remplir. La pre- mière , qui est fournie par les érosions et les douleurs, exige les adoucissans et les délayans, dont M. Navier a prouvé que l’on ne devoit point user indistincte- ment. Il a conseillé le lait pour remédier aux effets de l’arsenic qu’il dissout ; l’eau pure , bue abondam- ment , pour diminuer ceux du sublimé corrosif ; et la décoction de graine de lin très - légèrement -alkalisée lorsque l’empoisonnement a été fait par le vert-de-gris. La seconde indication , lorsque les premiers accidens sont calmés, tend à changer la nature du poison, soit que ses molécules aient pénétré dans les vaisseaux, soit qu'il en reste encore quelques-unes dans les intestins. Les différens foies de soufre et le banme savonneux , donnés à petite dose , et combinés avec les remèdes généraux , produisent ce double avantage, puisqu’en se mêlant facilement avec les humeurs , ils … peuvent agir même sur les portions de la substance (1) Une portion de la matière vénéneuse séjournant encore dans Vestomac, ils agiront sur elle d'une manière plus sûer et moins dangereuse pour les organes. 160 ÉLOGES HISTORIQUES. : vénéneuse qui ont été absorbées par les extrémités des veines sanguines et lymphatiques. Ils doivent donc être regardés comme altérans ; et, considérés sous cet aspect, ils auront quelquefois un avantage marqué sur les sudorifiques et sur les remèdes spiritueux et éthérés, que des médecins très-célèbres ont employés avec succès : ils fournissent au moins un secours de plus dans ces circonstances malheureuses. I] étoit juste qu’un travail entrepris pour le public lui fût offert. Le Gouvernement en sentit l’utilité ; et M. Navier eut la satisfaction de voir son ouvrage, extrait par deux de ses fils (1), répandu dans les pro- vinces , qui ont jamais reçu un présent plus digne de la bienfaisance du prince , des lumières du siècle, et de la reconnoissance de la nation. Lorsque M. Navier fit paroître son Traité des contre- poisons , il étoit déja connu comme chimiste ; et l’Aca- démie royale des sciences l’avoit inscrit au nombre de sescorrespondans. Il avoit présenté à cetteCompagnie, en 1741 (2), un procédé pour la préparation d’une espèce d’éther jusqu'alors inconnue , qu'il obtint en mêlant et en agitant de l'esprit de vin avec de l’acide (1) Précis des moyens de secourir les personnes empoisonnées parles poisons corrosifs, extrait de l’ouvrage des contre-poisons, etc. par MM. Navier fils, etc., de l’imprimerie royale, 55 pages. (2) Mémoire contenant la découverte de l’éther nitreux, pré- senté à l’Académie royale des sciences en 1741. Nouvelles observations sur l’éther nitreux provenant de diffé- rentes solutions métalliques nitreuses, etc., commuxiquées à l’Aca- démie des sciences en 1771. PHYSIOL. ET MÉD. — NAVIER. 161 nitreux. Cette découverte, qui est consignée dans tous les livres de chimie , auroit seule transmis son nom à la postérité , quand même cette science ne lui auroit pas eu d’autres obligations. Un fait nouveau est un pas de plus vers la vérité ; et cette route, qui conduit à une célébrité durable , étoit la seule qui fût digne des vœux du savant que nous avons perdu. Jamais il n’a fatigué la voix de la renommée, qui fait quelquefois succéder un silence éternel à des faveurs d’un moment. Ce médecin a plutôt éprouvé un sort contraire. Long- temps ignoré , il n’avoit ni rivaux, ni admirateurs. Ses recherches ayant enfin fixé l’attention du public, on accorda, sans prévention comme sans enthou- siasme , des applaudissemens à ses travaux ; mais sa réputation ne fut jamais égale à ses talens , parce qu’il s’étoit reposé sur les autres du soin de les faire con- noître , et qu’il ne savoit peut-être pas lui-même ce qu'ils valoient. . M. Navier ne s’est pas contente d’avoir obtenu une nouvelle espèce d’éther. Ayant employé dans cette pré- paration différentes solutions métalliques nitreuses , il a observé que plusieurs de ces substances lui restoient umies , et il a indiqué celles qui se sont refusées à cette combinaison (1). Ces expériences ont été jugées (a) Ces recherches l’ont conduit à la préparation d’un éther d’or , analogue aux gouttes du général la Motte. En mêlant une dissolution nitreuse mercurielle avec de l’espit de vin, il se forme des cristaux soyeux, comme ceux qui résultent de l'union de l'acide végétal avec le mercure. L’acide nitreux est alors tellement ädouci qu'il paroit avoir changé de nature. La base avec laquelle T. d. LL 162 ÉLOGES HISTORIQUES. très-favorablement par l’Académie royale des sciences, Elle a rendu la même justice à deux mémoires du même auteur sur différens moyens de dissoudre le mercure par l'acide végétal et par quelques sels neutres, et sur une nouvelle méthode de le rendre soluble dans l’eau sans le secours d’aucune espèce d’acide, avec des réflexions sur les avantages que la médecine peut retirer de ces préparations (1). Ayant mis en usage la méthode indiquée par Hom- berg , et pratiquée par Boërrhaave , pour réduire le mercure en une poudre fine par le seul secours du mouvement long-temps continué (2), M. Navier est parvenu à le rendre soluble dans l’acide végétal (3). Le sel ammoniac et le sel acéteux mercuriel , dont il est uni semble être plutôt une terre extraite du mercure que le mercure lui-même. (1) En employant le mercure précipité de l'acide nitreux par lalkali fixe, M. Navier l’a rendu soluble dans l'acide de la crême de tartre et dans celui du petit-lait; il Va également combiné avec l'alun et le sel ammoniac, soit par la voie sèche, soit par la voie humide : en le triturant avec ce dernier sel il en résulte une poudre grise, qui, exposée dans un matras au bain de sable, se sublime en cristaux blancs fort légers, lesquels, fondus dans l'eau, y occasionnent un froid très-considérable , et laissent préci- piter une poudre blanche, qui, sublimée une seconde fois, forme des feuillets très-luisans , d’une grande blancheur, et aussi légers que le sel sédatif. (2) M. Navier suspendit une bouteille presque remplie de mer- cure, à l'extrémité d’un pieu qui étoit mis en mouvement par la roue d’un moulin. (3) Il en résulte un sel neigeux mercuriel, PHYSIOL. ET MÉD. — NAVIER. 163 il a publié les procédés , sont sur-tout très-utiles dans la pratique de la médecine. L'un est plus doux que la panacée ; l’autre a moins d'activité que les sels de la même nature préparés avec les acides minéraux. Lors- que M. Navier commença ses belles expériences , leur composition étoit tenue secrète par les sieurs Keyser et Mollée , qui les vendoient à leur profit. M. Navier * en les faisant connoître , rendit un double service; il dévoila, par la même opération , deux des plus impor- tans mystères de l’empirisme, et 1l offrit à la méde- cine deux moyens de guérison qui lui manquoient. La réunion du fer et du mercure a été long-temps l’objet des vœux de plusieurs chimistes. M. Navier l’a obtenue par dix procédés différens (1), qui se réduisent à mêler ensemble une dissolution de fer et une dissolu- tion de mercure , faites l’une et l’autre par le vinaigre ou par l’acide vitriolique. Le précipité salin , composé de ces deux substances métalliques , paroît sous la forme d’une neige cristalline brillante, et semblable , quant à l’extérieur , au sel sédatif. Une autre découverte de cet académicien est la dis- (1) Mémoire sur la manière d’unir le mercure au fer sous une - forme salino-androgine; sur les moyens de rendre le mercure soluble dans l’eau sans le secours d'aucun acide, In à l’Académie des sciences le 8 août 1764; sur la manière de dissoudre le mer- cure par l'acide végétal, par l'acide même animal, présenté à l’Aca- démie des sciences en 1760; sur les moyens d'obtenir, par l'union du mercure à l'acide du vinaigre, un sel soyeux d’une grande uti- lité dans le traitement de plusieurs maladies, présenté à la même Académie en décembre 1774, 164 ÉLOGES HISTORIQUES. solution du mercure dans le foie de soufre, que per- sonne n’avoit tentée avant lui, et qui lui a fourni un remède fondant très-utile dans le traitement des ma- dies scrophuleuses et de plusieurs maladies cutanées. Ces expériences, exposées dans l’ouvrage même, sont accompagnées d’un grand nombre de circonstances nouvelles, d’observations fines , de détails intéressans, qui annoncent dans leur auteur ce tact et ce coup d'œil que la nature semble ne donner qu’à ceux aux- quels elle veut bien révéler quelques-uns de ses secrets. M. Navier n’a pas seulement voué sa vie entière à l'étude des sciences; 1l a encore eu la gloire de leur élever un monument durable, en contribuant avec MM. Dupré , Delaunei, Beschefer et Hoguelin, à l'établissement d’une académie des sciences et belles- lettres à Châlons-sur-Marne. Les noms de ces citoyens estimables méritent d’être consignés dans notre histoire avec celui de M. Navier ; ils l’ont aidé de leur zèle et de leurs lumières dans une entreprise difficile. Il est juste qu’il soit auprès de la postérité le garant de leurs services. Ce fut en 1752 qu'il jeta les fondemens de cette académie. Depuis cette époque jusqu’au moment où la mort l’a enlevé, il en a été l’ornement ; ila vu l’émulation se répandre dans sa patrie, l’esprit d'observation y faire des progrès, et la province entière en éprouver les avantages : lui-même en a recueilh les fruits, et il a assez vécu pour jouir paisiblement de ses snccés. Nous croyons devoir rappeler ici que plusieurs villes ont à des médecins célèbres la même obligation que x PRESS ER ER US UT VU à Rare PHYSIOL. ET MÉD.— NAVIER. 1:65 eelle de Châlons-sur Marne a contractée envers M. Na- vier. Déja , en rendant un tribut d’éloge à la mémoire de quelques-uns des confrères que nous avons perdus , nous les ayons présentés comme ayant, par la fonda- tion de différentes académies, des droits à la recon- noissance publique. Ce sont en effet autant d’asiles consacrés au culte de la vérité : en les multipliant, on est sûr d’augmen- ter et d’affermir sou empire. S'il en estloin des grandes villes ; dans lesquelles on ne l’interroge pas d’une ma- mière assez pressante pour lui faire rendre souvent de nouveaux oracles , les habitans de ces contrées n’en sont pas moins disposés à la recevoir et à l'entendre : on n’y voit plus , comme autrefois , des hommes cons- titués en dignité se glorifier de leur impéritie ; ils rougiroient de se montrer aujourd’hui tels qu’ils étoient dans la nuit épaisse des préjugés et de Ferreur. Qu'il nous soit permis de faire des vœux pour que, nourries dans le sein des universités, épurées dans celui des aca- démies , soutenues par l'accord de ces deux genres d’ins- titutions si bien faites pour fleurir ensemble , et pour orner les différentes époques de la vie, les sciences et les lettres subjuguent de proche en proche toute la surface du globe pour qu’elles forcent ses habitans à devenir meil- leurs, et sur-tout pour qu’elles préviennent, en répan- dant leur douce clarté , ces grands crimes de l’igno- rance et de la superstition qui retiennent encore tant de peuples dans leurs chaînes, et qui ont fait quelque- fois la honte et le malheur de plusieurs siècles. Lo plus grand bien que l’on puisse attendre des. 4% 166 ÉLOGES HISTORIQUES. corps académiques répandus dans les provinces, lors . que les circonstances ne les mettent pas à portée de se livrer aux recherches de la physique transcendante , c’est d'exposer fidèlement ce que les provinces dans lesquelles ils sont établis présentent d’intéressant et de défectueux; c’est de chercher à leur procurer les res- sources que la nature leur a refusées ; c’est de remédier aux abus qui s’y sont introduits. D’après la lecture de plusieurs écrits publiés par M. Navier , et lus dans les séances de l’Académie de Châlons-sur-Marne, 1l est facile de voir que ee plan étoit celui qu’il avoit conçu : il fit en 1756 des recherches chimiques sur la nature des différentes sortes de terres de la Champagne , et ! sur les moyens de les améliorer (1). Dans l’année sui- vante, 1l commumiqua l’analyse d’une eau minérale de la source de Rouay (2). Enfin , on doit attribuer aux mêmes motifs son ouvrage sur les dangers des exhu- mations précipitées et sur les inconvéniens des inhuma- tions dans les églises, publié en 1775. Plusieurs acci- dens arrivés à Châlons-sur-Marne donnèrent lieu à ce travail. M. Navier ajouta à ces exemples un précis des malheurs occasionnés par ces abus, et 1l répondit aux objections qui avoient été faites contre le projet de les réformer. (1) Mémoire contenant des recherches économiques sur la ma- nière d'augmenter la production et la végétation des grains dans les terres arides de la Champagne, lu à l'Académie de Chälons en juin 1756. (2) Mémoire sur l'examen et l'analyse de l’eau minérale de à: PHYSIOL. ET MÉD. — NAVIER. 167 Déja un prélat aussi respectable qu’éloquent (1) avoit prévenu les inquiétudes que la piété alarmée auroit pu se permettre sur ces changemens. Déja plusieurs cours souyeraines avoient ordonné la proscription de ces usages. Plusieurs auteurs estimables avoient donné des projets qui concilioient les différentes opinions. On avoit traité avec tout le ménagement possible les prétentions mêmes de l’orgueil et de la vanité , qui sont ce qui meurt le dernier dans l’homme : on leur avoit assigné un espace de terre tout-à-fait séparé, où leur faste auroit aisément suppléé au luxe des tom- beaux élevés dans nos temples. Malgré tous ces efforts et ces précautions, il n’y a qu’un très-petit nombre de villes hors de l’enceinte desquelles on ait porté les sépultures. Si jamais cette révolution se fait d’une ma- mière aussi complète qu’elle est nécessaire , M. Navier devra être compte au nombre de ceux qui ÿ auront contribué. La Faculté de médecine de Paris avoit proposé en 1774 un prix sur la nature et le traitement de la peste. M. Navier y concourut , et auroit même été couronné, si cette illustre Compagnie n’avoit pas remarqué dans un des mémoires envoyés des observations faites par un médecin habile (2) qui avoit traité des pestiférés à Rouay, située à trois lieues de Reims, lu à la même Académie en 1757. (1) Monseigneur l’Archevêque de Toulouse. (2) M. Päris, médecin à Berre près d'Arles, correspondant de la Société. 168 ÉLOGES HISTORIQUES. Constantimople. Ce dernier travail fut préféré, et M. Navier obtint l’accessir. | Tant d’écrits estimés , une célébrité justement ac- quise, ne firent point désirer à ce médecin de paroître sur le grand théâtre de la capitale : et qui auroit pu lui rendre l'attachement , la déférence de ses conci- toyens , et cette considération personnelle qu’il ché- rissoit plus que sa réputation ? Quelle jouissance peut suppléer à celle du cœur pour les hommes’ qui ont le bonheur d’en connoître tout le prix 2:11 resta donc au milieu de sa famille ; et 1l vit s’écouler paisible- ment des jours qu’une rivalité jalouse auroit remplis d’amertume, si l'ambition l’avoit éloigné du foyer de ses pères. Il se contenta de former dans sa retraite deux de ses fils qu’il destinoit à vivre loin de lui ; dans le sein de deux écoles célèbres : ils jowissent, l’un à Paris, l’autre à Reims, de la confiance publique et de l'estime de leurs confrères. . La Société , dans le moment de sa première insti- tution, plaçga M. Navier à la tète de ses adjoints, titre qui a été changé en celui d’associé par les lettres- patentes de 1778. Nous avons reçu de lui un exposé des maladies qui ont régné depuis 1744, avec le tableau des épidémies dont il a dirigé le traitement , et par conséquent celui des dangers qu'il a courus. Ainsi, un militaire rappelle ses services en nommant les batailles où il s’est trouvé : l’un et l’autre méritent w È ; des hommages : nous prions seulement que l’on se souvienue qu'un médecin tel que M. Navier est le sol- : dat de tous les jours , de toutes les circonstances , de» PHYSIOL. ET MÉD. — NAVIER. 169 tous les pays ; que pour lui le champ de bataille est toujours ouvert, et qu'il combat, non les rivaux de notre gloire, mais les ennemis de notre existence ; et les fléaux de l'humanité. A l’âge de soixante-un ans , M. Navier commença à éprouver des douleurs dans la région de la vessie. Cette maladie fit des progrès , et le tourmenta à diffé- rentes époques pendant l’espace de six années. Ses forces s’affoiblirent , et il succomba à ses souffrances le 16 juillet 1779 , étant alors directeur de l’Académie de Châlons-sur-Marne , et âgé de soixante-sept ans. Jamais on ne fut animé par un plus grand désir d’être utile : à une qualité aussi précieuse , 1l joignoit une modestie si vraie , que cet éloge , quoique fort au- dessous de ses talens , paroîtra peut-être exagéré à ceux qui ne l’ont pas connu. On pourra dire. de lui ce qui ne conviendroit pas à tous les hommes célèbres, qu'il n’a jamais été plus recommandable pour personne que pour celui qui a été chargé d'écrire son histoire. J’ai rempli un devoir sacré en faisant de foibles efforts pour rétablir dans tous ses droits la mémoire d’un confrère qui n’a jamais rien sollicité que par ses ouvrages et par ses services. Les expériences de Navier avec l’hépar alkalin, caleaire et martial (sulfures hidrogénés de potasse, de chaux et de fer,) prouvent qu’à une basse température ces trois sulfures ont une action manifeste sur l'acide arsénieux (arsenic) dans l’état liquide, et qu'au moment du mélange il se forme un précipité : et ce ré- sultat ne suffit pas pour prononcer sur l'efficacité de ces antidotes. La question n'est traitée que sous le rapport chimique, et il fal- 170 ÉLOGES HISTORIQUES. loit également la considérer sons le rapport physiologique, et chercher à connoître, par le moyen d’expériences sur les animaux vivans, les effets des sulfures hidrogénés dont ïl s’agit au mi- lieu des humeurs gastriques et de la réaction des forces vitales. On doit remarquer en outre que Navier n’a opéré que sur l'acide arsénieux dissous dans l’eau, et que le résultat de ses expériences m'est pas applicable au même acide dans l’état solide , état que l’on observe presque toujours dans les empoisonnemens. M. Casimir Renaut à qui nous empruntons ces remarques, à repris les expériences de Navier, et les suivant en chimiste et en physiologiste, a obtenu plusieurs résulats très-importans , sa- voir, 1.° que ce que Navier appelle hépar martial (sulfure de fer) est un sulfate de fer qui n’agit que foiblement sur l’arsenic; 2.° que les hépars alkalins et calcaires ne sont pas des contre- poisons de l’arsenic ; 3.° que l’hidrogène-sulphuré est un contre- poison de l’arsenic dans l’état liquide seulement; que l’arsenic, dans l’état métallique, n’est pas un poison; 4.0 que la poudre aux mouches, dont on use avec trop peu de circonspection, est de l'oxide noir d’arsenic, qui a une grande activité vénéneuse ; 5.° que les divers sulfures d’arsenic diffèrent beaucoup entre eux sous le rapport de leur propriété vénéneuse ; 6.° que le vo- missement et les calmans sont les moyens qu’il faut employer le plus ordinairement lors des empoisonnemens par l’arsenic ; 7.° enfin que les applications extérieures de l’arsenic sont très-dangereuses. Voyez la dissertation de M. Renaut, publiée sous le titre de Nouvelles expériences sur les contre-poisons de l’arsenic : Paris, chez Croullebois, rue des Mathurins. ( Note de l’Éditeur. ) PHYSIOLOGISTES ET MÉDECINS. 171 sd sd Sd or dd St tr TS PRINGLE. Le + "ne n° ne" Que QuE soit le genre de gloire auquel on aspire , on n’y parvient jamais sans avoir surmonté de grands obstacles ; et l’histoire des hommes célèbres n’est que celle de leurs travaux , de leurs fatigues et de leurs malheurs. Aux difficultés qui naissent de la rivalité _ des concurrens, de la perfidie des envieux , et de l’i- nertie de la multitude, 1l faut ajouter celles que pro- duisent les chimères de imagination et les tourmens de l’amour-propre. C’est lorsque les grands hommes ont cessé de vivre, et que tenant pour ainsi dire les ressorts de leurs passions et de leurs mouvemens , on compare l’immensité de leurs efforts avec la petitesse de leurs succès: c’est alors qu’on ne peut s'empêcher de les plaindre. Les détails de la vie de M. Pringle n’excitent point de semblables regrets : 1l semble que la nature ait fait une exception en sa faveur , et qu’elle l’ait soustrait aux rigueurs de la renommée. Sila occupé de grandes places, il ne s’est pas donné de grandes peines pour les obtenir, et illes a quittées avant qu’il y eût de la disproportion entre ses forces et ses devoirs. Au milieu de ses nombreuses occupations, il a toujours ménagé des instans pour la réflexion. 172 ÉLOGES HISTORIQUES. | Son perichant pour l'étude ne lui a point fait oublier les douceurs de l’amitié. Il n’a publié qu’un petit nombre d'ouvrages , parmi lesquels 1l n’en est aucun qui n'ait contribué à sa gloire et à celle de notre art. Au-dessus de tout préjugé vulgaire , quoique très- attaché aux libertés et aux privilèges de son pays , il n’a jamais prétendu que les peuples de l'Angleterre dussent enchaîner ceux de l'Amérique ; et quoique Anglais, enfin, les Français ont reçu de lui, dans tous les temps, et dans toutes les circonstances, l’accueil le plus favorable et le plus distingué. Ce savant médecin naquit à Stichel-Houze , dans le comté de Roxbourg , de sir Jean Pringle de Stichel, baronnet , et de Madeleine Elliot, sœur de sir Gilbert Elliot de Stobs, baronnet. Quoique ces deux familles | fussent des plus estimées et des plus anciennes du nord de l’Ecosse , M. Pringle en retira peu d’ayantages. Son frère aîné hérita du titre et de la plus grande partie des biens; le second servit le roi dans les armées britanniques ; le troisième occupa une place de magis- trature , et fut schériff dans le comté de Roxbourg. M. Pringle, comme le plus jeune, eut le lot le plus | | incertain ,; 1l fut réservé pour la carrière des lettres qui , suivant les dispositions que l’on y apporte; devient toujours la première ou la dernière de toutes. Après avoir passé quelque temps dans la maison paternelle , sous fa direction d’un instituteur particu- culier , il fut envoyé au collége de Saint-André : 1l s’y livra sur-tout à l’étude de la langue grecque, qui réunit tant de grâce à tant d'énergie. Cette langue, M PHYSIOL. ET MÉD. — PRINCLE. 173 nous croyons devoir le dire, est trop négligée dans la plupart des éducations modernes. Plus un siècle est éclairé , moins il lui est permis de s'éloigner des pre- mières sources du bon goût et de la véritable philoso- phie. Les monumens échappés aux ruines d'Athènes et de Rome sont des modèles nécessaires aux progrès des artset des lettres parmi nous. On peut les regarder, si l’expression est permise , comme les titres de noblesse de lesprit humain , comme des fastes qui attestent sa supériorité et l'ancienneté de sa perfection ; enfin comme les seuls préservatifs que l’on puisse opposer à l'ignorance et à la tyrannie , toujours prêtes à sub- juguer les hommes et à les avilir. M. Pringle fit ses premières études en médecine à Edimbourg , dont l’école étoit déja célèbre , mais il y resta peu : Boërrhaave , alors très-âgé , enseignoit à Leyde ; M. Pringle qui craignoit de perdre en diffé- rant , l’occasion de l’entendre, partit aussitôt pour la Hollande. Confondu dans la foule des auditeurs de ce grand homme , 1l éprouva de bonne heure les heureux effets de l’émulation , sentiment noble et généreux, qui sans étouffer le plaisir que donne le spectacle des belles actions , fait naître le désir de les surpasser. Il se lia sur-tout avec van Swieten qui étoit alors à Leyde, et 1l le choisit pour son médecin dans le traitement d’une fièvre intermittente dont 1l fut attaqué ; mais 1l ne fut pas assez heureux pour devoir son rétablissement à son ami. Van Swieten refusa de lui donner le quin- 174 ÉLOGES HISTORIQUES. quina à une dose assez forte; un autre le lui fit prendre et le guérit. M. Pringle rapportoit souvent cette anec- dote à ceux qui montroient trop de timidité dans lu- sage de ce remède. Il fut recu docteur le 20 juillet 1730 , après avoirs. publié une dissertation intitulée : De marcore senili. | M. Pringle a exposé dans cet ouvrage comment les corps animés se dénaturent en vieillissant ; par quel mécanisme ils se dessèchent, s’endurcissent, se cour- bent, et devenus enfin plus pesans 1ls restent immo- biles sur un point de cette terre qui doit les engloutir. 11 revint à Edimbourg avec le projet d’y exercer « la médecine ; mais l'incertitude du succès dans ce genre , et la médiocrité de sa fortune le détournèrent pour quelque temps de cette route , vers laquelle son penchant le ramenoit toujours. Le docteur Scot avoit demandé un adjoint pour l'aider dans les fonctions de sa chaire de philosophie morale et pneumatique, mot que la physique moderne semble avoir enlevé à la mé- taphysique pour en faire un meilleur usage. M. Pringle fut nommé son adjoint, et il le suppléa jusqu’en 1742. Il commentoit dans ses lecons de morale le Traité de Pufendorff sur les devoirs respectifs de l’homme et du citoyen, devoirs inséparables, qui sont ceux de tous les pays , de toutes les conditions , de tous les instans , que l’on doit regarder comme la base des lois, comme le fondement de toute dépendance légitime, et sans lesquels 11 n’y a que des usurpateurs et des esclaves. M. Pringle recommandoit sur-tout à ses élèves la PHYSIOL. ET MÉD. — PRINGLE. 195 lecture d’un ouvrage intitulé : Le Nouvel organe des sciencés , par le chancelier Bacon, philosophe pénétrant et sublime, dont les écrits paroissent contenir le germe de toutes les vérités ; qui dans un temps où la physique toit encore envelopée de ténèbres ; osa prédire de quelles révolutions elle étoit susceptible, traça la route qu'ilfalloit suivre pour les opérer, et indiqua un grand nombre d’expériences et de découvertes faites depuis par les modernes , à l’invention desquelles il semble avoir eu quelque part, puisqu'il les a pressenties , et dont il n’auroit abandonné la gloire à personne, si, trop supérieur à son siècle, 1l n’avoit pas manqué des instrumens et des moyens nécessaires à l’exécution des projets formés par son génie. M. Pringle faisoit aussi des leçons très-recherchées sur la métaphysique , et principalement sur la nature et Les fonctions de l’ame (1); matière qui a donné lieu à des disputes interminables , parce que la raison, qui juge tout en dernier ressort , s’égarant dans le dédale de ces vaines subtilités, chacun conserve et défend son système avec les armes que fournit Pimagination ou le fanatisme : d’ailleurs il ne s’agit point dans ces sortes de discussions , de savoir qui des deux a tort , mais lequel a le plus d'esprit, genre de triomphe auquel :l est bien rare que l’on veuille renoncer. Heureusement le lord comte deStair qui commandoit . alors l’armée britannique enleva M. Pringle à ce genre (1) Cette matière étoit alors le sujet des disputes les plus vives en Ecosse. 176 ÉLOGES HISTORIQUES. d'occupation , en lui donnant sa confiance , # le rendit à la médecine (1). M. Pringle fut successivement nommé médecin de l'hôpital de Flandre (2), médecin en chef des hôpi- taux (3), et premier médecin des armées (4). Il servit, depuis 1742 jusqu’en 1745 , en Flandre, et depuis 1746 jusqu’en 1749 en Angleterre, et pendant tout ce temps 1l se lhivra sans relâche à l’observation.. Il éprouva dans cette carrière le plaisir que donne à l'ame l’entier développement de ses facultés; senti- ment qui tient à l’amour-propre satisfait , et dont la privation produit sans doute l'inquiétude et l'ennui attachés aux travaux pour lesqusls on ne trouve en soi ni le penchant ni les dispositions nécessaires au succès. Lorsqu'il visita les hôpitaux, 1l s’aperçut que, pour les mettre en sûreté contre les poursuites de l’ennemi, on les ayoit placés à une distance du camp dont l’é- loignement rendoit le service très-pénible et insuffi- fisant. Il fit à ce sujet les représentations les plus fortes, (1) M. Pringle dut cette faveur au docteur Stevenson son ami et celui du comte de Stair. (2) Cette nomination fut faite, le 24 août 1742, par le comte de Stair. (3) Cette nomination eut lieu le 11 mars 1744, et il la dut au 4 duc de Cumberland. (4) M. Pringle conserva sa place de professeur de pneumatique et de morale à Edimbourg, jusqu’en 1744. MM. Muirhead et . Cleghorn furent désignés pour enseigner en son absence. Voyez l'ouvrage de M. le docteur Kippis, intitulé : The life of sir Jonh M Pringle Bart. PHYSIOL. ET MÉD. — PRINGLE. 177 desquelles il résulta un traité entre le maréchal de Noailles et le comte de Stair : ils arrêtèrent que les hôpitaux des deux armées seroient établis sans aucune gêne dans les lieux les plus commodes et les plus propres à la guérison des malades. Le maréchal de Noailles fut assez heureux après la bataille d’'Ettingue , pour avoir le premier occasion de se conformer à cette Loi (1) ; 1l s'empressa de la mettre en vigueur , en donnant à un hôpital anglais établi au village de Feckenhein, vers lequel il faisoit marcher ses troupes, des marques éclatantes de sa protection. Les dispositions de douceur et de générosité dont ces deux généraux donnèrent alors un exemple si re- marquable, sont maintenant celle de tous les guerriers comme des administrateurs. Les vaisseaux destinés à des expéditions savantes n’ont plus, quel que soit l’état politique de l’Europe , d’autres ennemis à craindre que la tempête et les orages ; toutes les inventions des arts , toutes les découvertes des sciences sont appli- quées à l’utilité générale. On consacre des monumens à la vertu ; on prodigue des secours à l’indigence : les hommes, s'ils ne sont pas meilleurs , font au moins plus de bien; et quoi qu’en disent les détracteurs du siècle, jamais on ne montra plus de patriotisme et d'humanité. Ce service important rendit le nom de M. Pringle cher à tous les militaires. Des circonstances d’un autre A M. Pringle rapporte lui-même cette anecdote dans la Pré- face de ses Observations on the diseases of the army. Te. Je 12 178 ÉLOGES HISTORIQUES. ‘genre augmentèrent leur attachement pour lui. Un médecin instruit est sans doute un dieu tutélaire pour une armée; mais un médecin qui joindroit des preuves d’intrépidité à celles de savoir, deviendroit l’idole de tous. Tel fut M. Pringle, 1l courut à la bataille d’Et- tingue le plus grand danger avec le lord Carteret ; la voiture dans laquelle ils étoient fut surprise, et resta pendant presque toute l’action entre le feu de la ligne de front et une batterie française. M. Pringle se con- duisit avec un sang-froid qui est peut-être la marque la plus certaine du véritable courage. De toutes les conditions humaines , aucune n’a plus besoin des secours de la médecine que celle du soldat. Ce que la fougue de la jeunesse , la rigueur des saisons, les qualités vicieuses des alimens et les blessures les plus meurtrières peuvent produire de maux, est ras- semblé sur sa tête. Le choix des vêtemens , du régime, d’une habitation convenable, suffit pour lui conserver toute sa vigueur ; et par conséquent son courage, qui ne peut exister sans elle; car une armée né doit point se traîner au combat : 1l faut qu’elle y vole, et son succès dépend de son impulsion , qui est toujours en raison de ses forces. Ces gnerriers qui ne craignent point de périr les armes à la main, sont-1ls menacés d’une mort obscure ; une contagion épidémique commence-t-ellé à infecter leur camp, qui fera renaître cette sécurité sans laquelle le bras est mal affermi? Un médecin dont la réputation est fondée sur des succès peut seul répandre ce calnif 81 salutaire. C’est alors que ses fonctions , toujours utiles à # # ne PHYSIOL. ET MED. — PRINGLE. 179 et recommandables, prennent un caractère de noblesse et de grandeur. Tandis que l’on s'apprête au combat il établit des hospices , il prépare des appareils contre tous les genres de blessures ; lui seul remplit un mi- nistère de paix et d'humanité. Tout lui retrace la dignité de ses devoirs. Il ne s’agit point de développer toutes les ressources de son art en faveur de ce riche fainéant qui demande à prolonger son inutile exis- tence , mi de faire de grands efforts pour ajouter quelques momens à la durée de ces hommes qui veulent conti- nuer d’être après avoir trop vécu. C’est la santé d’une armée entière , la richesse , l’élite de la nation qui sont remises à sa prudence. Un seul de ses avis peut con- server des milliers d'hommes. Ses yeux sont toujours ouverts sur leurs besoins ; rien n’échappe à sa pénétra- tion , et c’est souvent dans les plus petits détails qu'il trouve l’origine des plus grands désordres. T'el à été M. Pringle pendant les campagnes de Flandre et d’Ecosse. Les armées des anciens peuples n’étoient point exemptes de maladies désastreuses ; 1l paroît même, suivant le rapport de Xénophon (1 à de Plutarque (2), de Tite-Live (3) et de Diodore de Sicile (4) , qu’elles (1) Dans la retraite des dix mille, l’armée fut attaquée de plu- sieurs maladies dont la disette et le froid furent les principales causes. ù (2) Dans la dernière expédition de Démétrius. (3) En Sicile , dans les armées des Romains et des Carthaginoïs. (4) Une dyssenterie très-meurtrière régna au siége de Syracuse. 180 ÉLOGES HISTORIQUES. y ont fait à différentes époques de grands ravages ; mais ces détails ne nous ont été transmis que par les his: toriens (1). Avant Langius (2), qui vivoit dans le seizième siècle , aucun médecin n’avoit écrit sur les maladies des armées (3); VVillius (4) et Gloxin (5), vers la fin du dernier siècle; Kramer (6), Scrincius (7) et Bruchner (8) dans le commencement du nôtre, avoient publié des ouvrages utiles sur le même sujet : mais aucun ne l’avoit traité avec la même étendue que M. Pringle , et nul ne l’avoit fait avec le même succès (9). (1) Végèce est peut-être le seul qui ait fait une mention expresse des médecins employés dans les expéditions militaires. (2) Medicinalium epistolarum miscellanea , in-4.°, 1535. (3) Encore la fièvre de Hongrie observée par cet auteur étoit- elle devenue presque générale en Europe après la campagne de Maximilien II en Hongrie contre les Turcs. Elle a aussi été décrite par Jordan en 1576; par Codronch , en 1595; par Ruland, en 1600; et par Rhumel, en 1624. (4) En 16576. (5) En 1680. Voyez aussi Daniel Ludovic, en 1700, et Ramaz- zini, à peu près à la même époque. (6) nas. (7) 1743. (8) 1748. (9) Ce fut vers l’époque de son mariage, en 1752, que M. Pringle, publia son Traité sur les maladies des armées, qui parut seul alors, ae” Er RS Il fut réimprimé l’année suivante avec quelques additions, et l’auteur répondit aux objections de MM. de Haën et Gaber, dans # x un appendice qui a été ajouté à la troisième édition de cet M ouvrage , à laquelle M. Pringle a fait plusieurs changemens re M PHYSIOL. ET MÉD. — PRINGLE. 181 L'armée dont il étoit premier médecin , ayant habité des climats d’une température différente , ayant été divisée en quartiers et réunie dans des camps; les cam- . pagnes ayant commencé et fini à des époques plus ou moins avancées, et M. Pringle l'ayant toujours suivie avec le même zèle , 1l est résulté de son recueil des ins- tructions pour tous les cas où un corps de troupes peut se trouver. Il désiroit que chaque médecin ou chi- rurgien , que chaque officier même eût un exemplaire de ce Traité, afin d'apprécier ses réflexions , et d’y ajouter les siennes. Son vœu a été rempli , et c’est assez en faire l'éloge. On sait combien parmi les livres dont nos bibliothèques médicales sont surchargées , il y en a peu qui soient dignes de trouver place dans l’é- quipage d’un homme de guerre. Après avoir donné le plan topographique des pays qu’il a parcourus , etexposé les causes des maladies les plus ordinaires à une armée (1), il a principalement insisté sur les moyens préservatifs. Cette partie de son travail intéresse sur-tout ceux auxquels le commande- ment des troupes est confié ; c’est elle dont le général marquables. La traduction française de ce Traité, qui a déja été réimprimée elle-même, a été faite sur la septième édition anglaise. 11 fut aussi traduit en allemand et en italien. Haller, en annonçant, s’est exprimé dans les termes suivans sur M. Pringle : Vir illustris de omnibus bonis artibus benè meritus. Bibïoth. anatom. (1) Ces causes sont le défaut dans le régime ; l'humidité, les exhalaisons putrides, l'excès du mouvement ou du repos, du chaud ou du froid. Il a divisé ces maladies en celles des camps où d'été, et celles des quartiers ou d'hiver. 182 ÉLOGES HISTORIQUES. Melville, qui joignoit autant qu'il est possible l'esprit philosophique aux talens militaires, faisoit un si grand cas, et qu'il a siutilementemployée dans les îles neutres d'Amérique, dont il étoit gouverneur (1). " Dans les pays marécageux , tels qu’une partie de la Flandre et la Zélande, les chaleurs excessives élèvent beaucoup de vapeurs dans l’atmosphère , et y entre- tiennent une humidité presque continuelle (2). Jes fièvres rémittentes et intermittentes, le choléra morbus et la dyssenterie, sont les effets de cette constitution (5), dans laquelle les fibres sont relâchées , tandis'qu’un principe pourrissant se répand de toutes parts. Les maladies d’hiver ou de quartier participent tou- jours plus où moins du caractère inflammatoire (4). ee (1) 11 logeoit les soldats dans des salles vastes, sèches, bien aérées, ct il changeoït promptement leurs quartiers, en les trans- portant , autant qu’il étoit possible, des contrées basses, humides, marécageuses, sur des terrains secs et élevés. (2) Les pluies au contraire précipitent ces émanations et détrem- pent les eaux croupissantes, qui, étant renouvelées, sont pendant quelque temps moins dangereuses. (3) Cette constitutionest souvent celle des camps, qui , dans presque tous les cas, sont exposés à la plupart des inconvéniens des pays bas et marécageux. (4) M. Pringle employoit très-heureusement les vésicatoires dans la cure des maladies inflammatoires locales. Ses conseils sur l'usage du quinquina vers la fin des fièvres rémittentes et dans les mala- dies putrides, annoncent un médecin sage, auquel on ne peut re- procher ni témérité, ni prévention : le quinquina réussit alors comme tonique et comme antiseptique; sa propriété astringente ne porte ni chaleur ni irritation proprement dites. Cette subs- PHYSIOL. ET MÉD. — PRINGLÉ. 183 Le printemps est la saison (1) la plus salubre pour une armée, la température chaude et sèche n’occa- EN Jar aucune lésion, si les soldats ne sont d’ail La dyssenterie est la plus redoutable des maladies de rs exposés n1 à la fraîcheur m1 à l'humidité (2). l'automne. M. Pringle a sur-tout démontré que les fruits acides , loin d’en être la cause , en étoient quel- _ quefois le remède , et quelle étoit de nature conta- gieuse ; observation qui avoit échappé à Sydenham , et qu'il étoit bien important d'établir , puisqu'elle a servi de base aux précautions nécessaires pour en arrèter les progrès (3). M. Pringle a décrit, dans une lettre adressée au docteur Mead , une autre maladie connue sous le nom de fièvre de prison ou d’hopit al (4). Elle est toujours produite par des vapeurs dégagées , soit des animaux tance convient dans tous les cas cù la fibre étant lâche et les sucs dénaturés, on auroit à craindre un état plus funeste encore si l’on donnoit des remèdes vraiment échautfans, soit spiritueux, soit résineux ou aromatiques. M. Pringle a prescrit les limites dans lesquelles on doit s'arrêter. (1) C’est en juillet sur -tout que les accidens bilieux se mani- festent ; et, vers l'automne, les points de côtés, les douleurs, les rhumatismes , se joignent aux autres symptômes fébriles. (2) Le moyen le plus sùr et le plus facile pour entretenir Ja transpiration est de leur faire souvent laver les pieds et les mains. (2) Les matières évacuées étoient le foyer de cette contagion, et on mettoit tout en œuvre pour soustraire les soldats à leurs funestes impressions, Voyez ces détails dans l'ouvrage même. (4) Cette description, qui a paru en 1750, a été insérée dans le Traité des maladies des armées 184 ÉLOGES HISTORIQUES. réumisen trop grand nombre dans un espace trop étroit, soit de leurs corps en putréfaction (1). Deux grands malheurs ont fixé l’attention des médecins Ne | sur cette maladie : les assises d'Oxford en 1577, et les ses- sions d’Old-Bayley en 1750, répandirent dans la ville la fièvre de prison dont quelques - uns des coupables étoient atteints. Ce fut à l’occasion de cette dernière que M. Pringle s’empressa (2) de publier ses observations sur les maladies du même genre qu’il avoit traitées dans les hôpitaux, et que Huxham avoit aussi vu régner parmi les prisonniers français à Plymouth (3). Une remarque importante de M. Pringle, qui démontre combien il est nécessaire que l’air circule librement dans les hôpitaux , c’est que les malades traités dans des maisons dont les portes et fenêtres étoient en très- mauvais état ont été guéris plus promptement et en . (1) Ces émanations agissent en même temps sur la, fibre sen- sible, sur les humeurs, dont elles tendent ä opérer la décomposition ; influence qui est d'autant plus à craindre , que leurs rapports avec elles sont plus étendus et plus prochains. (2) Ce fut en 1750 que parut la lettre de: M. Pringle sur la fièvre des prisons : il la rédigea d’abord avec un peu de précipi- tation; il la retoucha depuis. (3) De la comparaison que l’on peut faire de cette maladie avec celles qui ont été traitées à Delft par Forestus en 1757; à Bâle, par Félix Plater; et en Danemarck, par Thomas Bartholin, il résulte qu’elle est .analogue aux fièvres pestilentielles et puncti- culaires, qui sont presque toutes accompagnées des mêmes cir- constances, et qui reconnoissent la même cause. M. Pringle a remarqué que la contagion de cette maladie se répandoit avec une sorte de lenteur, et qu’elle n'infectoit guère que ceux qui y étoient long-temps exposés. : 1 PHYSIOL. ET MÉD. — PRINGLE. 185 plus grand nombre qne ceux qui habitoient des appar- temens bien fermés. Il est donc prouvé par ces faits quelles hommes trop rapprochés les uns des autres se nuisent et s’infectent réciproquement; vérité qui n’est pas seulement physique, et dont il seroit facile de faire l'application au moral. Il est cependant certain, et M. Pringle l’a observé, que plusieurs grandes capitales, tels que Paris et Londres, sont depuis très-long-temps exemptes d’épidémies pro- prement dites. En consultant leur histoire , on voit qu’elles ont cessé de payer nn tribut aux maladies pes- tilentielles | depuis que les terrains environnans ont été desséchés , et que l’on a senti l'utilité d’ime police éclairée et active (1). S1 l’on veut savoir combien ces heureux changemens ont produit d'avantages, que l’on compare l’adminis- tration de ces villes avec celle des grandes capitales d'Asie, dans lesquelles les hommes les plus forts, les mieux faits , et peut-être les plus ingénieux que la na- ture ait formés , sont réduits à un tel degré destupi- dité et d’indolence , qu'ils regardent la peste et la ser- vitude , les deux plus grands fléaux sans doute dont l'humanité puisse être affligée , comme nécessaires et (1) M. Pringle attribue en partie l’heureusé révolution qui'a eu lieu dans la salubrité de la ville de Londres à ce que les habitans de cette capitale mangent beaucoup plus de légumes qu'autrefois. M. Miller a fait des recherches à ce sujet, et a prouvé qu’on y cultive une étendue de jardins beaucoup plus grande qu’on ne faisoit dans le dernier siècle, 186 ÉLOGES HISTORIQUES. inhérens à leur climat, tandis qu’il leur seroit facile de les en écarter pour toujours. Quoique la plupart de nos cités et quelques-unes de nos provinces doivent leur salubrité à la sagesse de l'administration , il ne faut pas croire qu’elle ait fait dans ce genre tout le bien que les peuples attendent de ses soins paternels. Il existe encore parmi nous des pays étendus et nombreux , dans lesquels les douces chaleurs du printemps, qui semblent destinées à rani- mer , à vivifer la nature , loin d’être bienfaisantes , répandent au loin le germe des maladies. Les habitans de ces plages humides (1), à peine échappés aux rigueurs de l’hiver, à peine réveillés de la léthargie qui accompagne , respirent un air chargé de vapeurs malsaines , que les premiers rayons du soleil élèvent dans l’atmosphère , éprouvent les secousses des fièvres les plus opimitres , et ne voient qu'avec inquiétude le retour d’une saison que par-tout ailleurs on attend comme une source d’abondance et de joie. En faisant dresser un état de ces contrées malheureuses, en or+ donnant qu’on en dessèche le sol , et qu’on rende pro- fitable cet excès d'humidité qui leur est si funeste, le - roi pacificateur qui nous gouverne feroit une opération digne de sa bienfaisance et de sa justice ; ce seroit en quelque sorte se signaler par une conquête au sein de ses états que d’en éloigner des maladies aussi désas- (1) Plusieurs cantons de la Bresse et de la Sologne sont dans ce cas. PHYSIOL: ET MÉD. — PRINGLE. 18 treuses : al ajouteroit à la force de son royaume , sans ajouter à son étendue, et il assureroit aux babitans de ces provinces la jouissance des deux plus grands de tous les biens, la richesse et la santé. Lorsque M. Pringle s'informoit , en voyageant , de l'état de la médecine dans un pays, 1l faisoit sur-tout attention à la nature et aux effets des substances mé- dicamenteuses qui étoient en usage. Il demandoit, non quelle méthode on y suivoit, mais quels remèdes on y employoit dans le traitement des maladies ; car ce qu’on appelle méthode en médecine , n'est souvent qu'un assemblage très-peu méthodique de systèmes et de vaines applications. L’empirisme lui paroissoit le moyen le plus efficace pour lavancement de cette science. Qu'il soit au moins raisonné cet empirisme , lui disoit un de ses confrères auquel 1l faisoit part de son opinion : le moins qu’il se pourra , répondit M. Pringle, car c’est en raisonnant que nous avons tout gâté. Il s'établit à Londres en 1749 (1), avec le titre de médecin du duc de Cumberland. Sa réputation l'y avoit devance : il y fut accueilli par les personnes instruites ; avec les égards que méritoient ses ta- lens , et par la multitude avec cet enthousiasme que toutes les nouveautés bonnes ou mauvaises inspi- rent. Mais il se montra si simple, si peu occupé de lui - même ; si peu sensible au bruit de sa célé- (1) Il y revint en 1748 dans l'automne, après la conclusion du Tfaité d’Aix-la-Chapelle. 188 ÉLOGES HISTORIQUES... brité, que le public li tint compte de sa modestie, en lui accordant ce qu’il refuse si souvent, une estime soutenue , et cette considération que le vrai mérite est toujours sûr d'obtenir ; car 1l mw’appartient qu'aux grands hommes d’avoir et de conserver une grande renommée. M. Pringle consacra les premières années de son séjour à Londres à la rédaction de son ouvrage sur les: maladies des armées ; mais 1l ne forma le projet de le publier qu'après avoir rassemblé tous les faits que l’ex- périence pouvoit lui fournir, et il observa long-temps avant d'écrire ; bien différent de ces médecins qui commençant leur carrière par où quelques - uns des plus habiles se permettent quelquefois de la finir, dé- butent par un ouvrage où ils ont l'air de s’être prin- cipalement livrés au traitement d’une maladie, quoi- qu'ils n’aient encore eu le temps d’en observer aucune. A l’aide de ce stratagème maintenant assez en usage , leur nom circule avec le volume , et après leur audace rien ne doit autant étonner que leur succès. M. Pringle n’avoit jusqu’à ce moment pratiqué la médecine que dans les hôpitaux militaires , où chacun obéissant à une discipline rigoureuse , ses ordonnances étoient fidèlement et compléiement exécutées : 1l fut très-étonné lorsqu'il parut dans le monde où il ne donnoit jamais son avis sans être arrêté par une ob- jection. On y exige de la part des médecins de la con- descendance et des égards dans leurs conseils , comme Es s’il dépendoit d’eux de changer quelque chose danste … pa Li PHYSIOL. ET MÉD. — PRINGLE. 189 que la nature du malexige. Il s’accoutuma difficilement à cette contradiction dont il eut cependant moins à se plaindre que tout autre, parce que son exactitude et sa sagesse avoient inspiré une confiance qu’il seroit plus facile d'obtenir si ces qualités précieuses étoient plus communes. L'esprit humain sortoit à peine de cette longue tu- telle dont le fanatisme et la tyrannie ont tant prolongé la durée, et l’on commençoit au milieu des guerres élevées par Cromwel à chercher de l'instruction ; mais les pas que l’on faisoit étoient chancelans , les efforts mal assurés, et la plus légère secousse auroit sufñ pour éteindre cette lueur naissante. Les premiers fondemens de la Société royale de Londres furent jetés alors, et bientôt l’Académie royale des sciences fut établie à Paris. La physique , appuyée sur ces denx bases, prit chaque jour de nouveaux accroissemens , et l’on vit un spectacle auquel les yeux n’étoient point accoutumés, deux corps destinés, dans les deux plus belles capitales du monde, à la recherche, à la défense de la vérité, contre laquelle toutes les compagnies s’étoient liguées jusqu'alors, et que les hommes puissans avoient cru qu'il étoit de leur intérèt d’a- néantir. S'il est important que cette lutte contre les protecteurs trop nombreux encore de l’ignorauce et des préjugés , ne soit point interrompue , et si les promoteurs des sciences ont des droits à la reconnoissance, publique , M. Pringle a mérité d’y avoir la plus grande part. 190 ÉLOGES HISTORIQUES. Couronné par la Société royale de Londres (1), recu au nombre de ses membres (2), appelé plusieurs fois à ses comités, il en a enfin occupé la première place pendant plusieurs années. | La présidence de cette Société est sa en ÂAn- gleterre comme la dignité la plus éclatante dont un homme de lettres puisse être revêtu (3). Celui qu’un corps de cette nature reconnoît pour son chef, et auquel il remet le soin de sa gloire, doit réunir les suffrages de sa nation ; il doit joindre la douceur à la fermeté , la connoissance des hommes à celle de la nature ; il faut que ses confrères aient pour lui plus que de l’estime, parce qu'il ne suffit pas qu’il ait des lumières et de la probité. Personne ne possédoit à un plus haut degré que M. Pringle les qualités qui peuvent concilier au chef d’une compagnie composée d'hommes égaux et libres de la déférence et de l’amitié. Il succéda dans cette présidence à sir James WVest, qui lui-même avoit remplacé nulord Morton, tous (1) En 1952, la Société royale de Londres adjugea a M. Pringle la médaille de Copley, au sujet de ses expériences sur les anti septiques. (2) Eu 1745, il fut reçu membre de la Société royale de Londres; le 30 octobre de la même année, il fut rappelé en Ecosse pour le service de l’armée contre les rebelles : il y passa encore une partie de l’année suivante, 1746, avec le duc de Cumberland, IL étoit premier médecin de l’armée anglaise à la bataille de Culloden. (3) Il fut éln membre du comité de la Société royale en 1753, 1763, 1770, 1772. PHYSIOL. ET MÉD. — PRINGLE. 191 deux illustrés par une haute naissance et par un grand zèle pour le progrès des arts et de la philosophie. A la vérité le nom de M. Pringle qui étoit d’origine noble et très-ancienne, pouvoit être prononcé après ceux-là ; mais que l’on ne croie pas que ce motif ait influé sur son choix : on n'eut en vue que son propre mérite , et non celui de ses ancêtres dont il ne parloit jamais, et dont il n’avoit pas besoin. Ses amis assurent qu'il en apprit la nouvelle avec cette espèce de joie que le sentiment de ses devoirs rend profonde et silencieuse. Il vit dans cette distinc- tion moins des honneurs que des engagemens à rem- plir , et dès ce moment il s’y dévoua tout entier. Plusieurs compagnies savantes se l’étoient déjaassocié; les diplômes académiques lui furent alors prodigués de toutes parts : 1l les reçut comme un hommage rendu à la compagnie dont ilétoit président. Il avoit toujours vu avéc pitié la foiblesse de ces hommes vains qui, mendiant en quelque sorte la célébrité, se tourmentent pour rassembler des titres au milieu desquels leur nom obscur est comme enseveli. On pent les comparer à ceux qui paient fort cher pour se faire inscrire parmi les nobles. Comment peuvent-ils ignorer que semblables à ces signes qui dans le calcul doivent toute leur valeur à ceux dont ils sont précédés, les honneurs et les pré- rogatives quelconques ne peuvent aussi tenir la leur que du mérite de ceux qui les possèdent. Avant de … rendre à la Société royale des services par la sagesse de son admimistration , 1l l’avoit enrichie de ses observa- tions et de ses découvertes. 192 ÉLOGES HISTORIQUES. En 1753 (1), ïl présenta à cette compagnie L nouvelles réflexions sur la fièvre des prisons (2). Les propriétés du savon employé dans le traitement / du calcul furent le sujet d’un second mémoire (3). ‘Ses observations sur une maladie des os devenus flexibles (4) ; sur plusieurs tremblemens de terre, et sur quelques météores, méritèrent de trouver place dans les Transactions philosophiques. Il envoya à la Société de médecine d’Edimbourg des recherches sur les propriétés et l’usage du verre ciré d’antimoine (5); mais de tous ces mémoires académiques, ceux sur les substances septiques et antiseptiques (6) ont été et devoient être les mieux accueillis. (1) En 1750, il avoit déja publié une lettre au docteur Mead sur la même maladie. (2) Cette fièvre, après avoir attaqué quelques ouvriers à New- gate, s’étoit communiquée à leur famille, Account of* several persons seize with the gaol fever by working on Newgate and 1 of the manner by which communicated to one entire family. | Ge mémoire , lu à la Société royale de Londres, est très-curieux: le docteur ÉPN Hales le fit insérer dal le Gentleman’s EME vol. 23, p.71 et 74 et Philosoph. Trans. vol. 68, part. T, p. 42—54. (3) Ces expériences furent faites d’après les vues de M. Mathieu Simpson. ; (4) Volume L des Transactions philosophiques, p. 205, 209, 215, 221. (5) Edimbourg, Essays, vol. 5. (6) Experiments upon septic and antisepti substances, with 1e remarks relating to their use in the theory of medicine in several (M papers, read before the royal Society. Phil. Trans. for 17951. « PHYSIOL. ET MÉD. — PRINGLE. 193 Ce fut d’après un projet du chancelier Bacon que M. Pringle essaya d’appliquer les connoissances rela- tives à la putréfaction au traitement des maladies et à l’usage des médicamens. Déja Stahl avoit remarqué et répété en plusieurs endroits de ses ouvrages que la conservation des corps organiques , dont la décom- position est si prompte lorsqu'ils ont cessé de vivre, étoit une sorte de miracle auquel nos yeux étoient accoutumés , mais dont il nous étoit impossible de donner une raison satisfaisante. Cette force inhérente à la santé s’affoiblit lorsqu'elle est souffrante, et l’on observe dans ces dispositions une tendance à la putri- dité. M. Pringle s’est proposé dans ses travaux de faire connoître, par de nombreuses expériences, lés moyens les plus propres à rappeler les substances animales déja altérées , à leur premier état. Les acides , les amers, les astringens, le suc, les alkalis eux-mêmes, les végétaux en général , et le sel marin à grande dose lui ont paru jouir de cette propriété, que les sels (1} neutres (2) possèdent à un moindre degré. La salive Voyez aussi son Traité des maladies des armées, où ces mémoires se trouvent. Ce fut en 1750, 51 et 52, qu’il lut à la Société royale ses mé- moires sur les antiseptiques. Il n’y a eu que les trois premières qui aient été imprimées dans les Transactions philosophiques. Q \ (x) Le nitre est celui qui est le plus antiseptique. = (2) Les principaux résultats tirés par M. Pringle de ses expé- ences sont les suivans. Il en a conclu : » 1.0 Que c’est le halitus des corps en putréfaction qni en est %. 3. 13 194 ÉLOGES HISTORIQUES. retarde le mouvement des corps en putréfaction ; dont les émanations sont le ferment le plus propre à la ré- m6 CU TU le ferment, et qu'il est très-dangereux pour l’économie animale. 2.° Que les alkalis sont antiseptiques. 3.° Que les absorbans terreux, les yeux d’écrevisse, la craie, sont au contraire septiques. 4.° Que les sels neutres sont très-foiblement antiseptiques. 5.2 Que la myrrhe, le camphre, la serpentaire de Virginie, sont plus antiseptiques que les sels neutres. On doit dire la mênfe chose de la camomille, du poivre, du gingembre, du safran, du contrayerva, de la noix de galle, de la rhubarbe, des roses , de l’ab- sinthe , etc. 6.2 Que tous ces antiseptiques ont en même temps la propriété de comiger et de rétablir les substances dont la putréfaction est commencée, dans leur premier état. 7.° Que le quinquina ne guérit les fièvres intermittentes qu’en t sur les humeurs qui commencent à s’altérer; de même + agissan dans les fièvres pestilentielles et dans la gangrène. 8.° Que les astringens sont toujours antiseptiques. 9.° Que les antiscorbutiques sont antiseptiques, et que c’est ainsi qu'ils guérissent. 10.2 Que le sel marin à petites doses accélère la putréfaction, tandis qu'il la retarde à fortes doses. 11. Que le sucre est antiseptique, et que c’est à son grand usage que l lentielles. 12.9 Que toutes les substances animales putrides sont capables d’exciter la putréfaction. 13.2 Que la salive retarde la putréfaction, et prévient les vices et l'acidité des alimens dans la digestion. 14.2 Que les matières animales putréfiées font naître un acide eustère dans les substances végétales, 15.° Que les végétaux mêlés avec les arrêtent leur fermentation par l’acide qu’ils produisent. 16.9 Que dans nn sang inflammatoire la croûle ou couenne Se substances animales on doit peut-être la diminution des maladies pesti- 1 PHYSIOL. ET MÉD. — PRINGLE. 195 pandre. Les absorbans terreux, la craie et les yeux d’écrevisse, peuvent aussi en accélérer les progrès. Ainsi, dans le traitement du scorbut , des fièvres pu- à à CU pourrit la première, la partie rouge ensuite, et la sérosité la dernière. 17.0 Que les acides versés sur des matières animales corrom- pues en dégagent une odeur extrêmement fétide, sans les ré- tablir. 18.° Que le coagulum putride du sang, versé dans l’urine frai- che, la rend rouge, comme il arrive dans les fièvres, dans le scorbut, dans le cas d’ulcères, etc. | 19.° Qu'il n’y a qu’une seule espèce de scorbut, dans laquelle le sang tend plus ou moins à la putridité, et que tous les anti- Scorbutiques sont des antiputrides. M. Pringle paroît n'avoir pas fait d'attention à l’activité vitale, le plus grand de tous les antiseptiques. De la chair putride est rétablie dans l’estomac des hommes vigoureux. Le poisson presque pourri nourrit les Kamtzchadales, et ils ne sont point sujets aux maladies putrides. L'action des antiseptiques est tou- jours subordonnée à la vie, à la sensibilité et à Pirritabilité. Les véritables antiseptiques ne corrigent la putréfaction que dans les premières voies , au moins, d’une manière comparable aux expériences de M. Pringle. Dans les maladies putrides des secondes voies, les antiseptiques guérissent, sur-tout en fortifiant l'estomac, en agissant sur les nerfs, et en augmentant l’action vitale, Les acides ne passent point comme tels dans les secondes voies ; loin de guérir, ils tueroient. Si Les antiscorbutiques guérissoient lle scorbut en dénaturant les humeurs et en s’y mêlant, cette cure | seroit toujours constante et très-prompte ; mais c’est une bonne “ digestion, c'est l'accroissement du ton des bres et de l'irritabitité qui opèrent la guérison. À Heureusement pour la doctrine des antiseptiques que beaucoup de maladies putrides ont leur foyer dans les premières voies, et que ce foyer est véritablement corrigé par ces remèdes, qui s’y _ combinent. ’ 196 ÉLOGES HISTORIQUES. trides , même des intermittentes , tout l’art consiste " suivant l’auteur , à faire un usage bien entendu des antiseptiques. On lui reproche avec raison d’avoir trop négligé l'effet tonique de ces substances (1) qui, agissant sur les membranes musculaires, sur les nerfs de l’estomac et des intestins , et sur les plexus abdo- \ minaux, donnent aux glandes une force suffisante pour » 4 expulser les matières qui les engorgent, et raniment ainsi l’action vitale, prête à succomber. M. Pringle se distingua sur-tout dans un des devoirs M qu'il eut à remplir comme président de la Société p royale. Cette Académie décerne chaque année à l’auteur f du meilleur mémoire sur la physique expérimentale une médaille d’or du poids de six guinéesseulement (2), à mais dont l'opinion publique a tellement rehaussé le prix ; que la äécouverte la plus brillante est EN dpi assez payée par cette récompense , et ne l’est jamais assez sans elle. M. Martin Folkes est le premier des . 4 présidens qui ait introduit l’usage de prononcer un dis- 4 cours sur le sujet du mémoire couronné ; mais aucune M de ces dissertations n’avoit été publiée avant la prési- à dence de M. Pringle. On trouva dans celle qu'il Jut L: un tableau savamment tracé (5) des progrès de la phy- sique moderne, et la Société royale en fut si satisfaite , qu’elle en ordonna l'impression. QE RU (1) Voyez l'ouvrage de M. Milman sur le scorbut. (2) Elle a été fondée par sir Godefroy Copeley. (3) Il est à souhaiter que lon continue ce recueil, qui devien- . | droit un monument utile pour lhistoire des sciences. 1 PHYSIOL. ET MÉD. — PRINGLE. :97 Dans son premier discours 1l exposa les belles expé- riences de M. Priestley , auquel le prix fut adjugé en 1773, sur l'air nitreux, sur l'air inflammable , sur Pair infecté par la respiration des animaux : il montra combien on devoit espérer des appareils ingénieux au moyen desquels on agit sur des fluides invisibles que l’on sait extraire, mêler ou séparer à volonté, décom- poser même ; fluides qui étoient encore, au mieu de ce siècle, Le rebut de la chimue; et dont, loin d’en faire l'analyse , on cherchoit à se débarrasser de manière à ne point troubler l'opération dans laquelle 1ls se déga- geoient (1). La torpille, que les Grecs ont connue et décrite, dont Galien conseilloit l'application dans le traitement de plusieurs maladies, dont on a successivement attribué la propriété stupéfante à des particules frigorifiques (2), et à des muscles très-irritables (3), offroit encore, il y a quelques années, une énigme aux physiciens. Quoique les savans français eussent fait des recherches très-curieuses sur ce sujet, on étoit bien loin de croire que le même fluide qui fait jaillir l'éclair du sein de la nue , rendoit La torpille redoutable sous le limon des (1) Ce fut le premier tome des Expériences de M. Priestley qui mérita ce prix ;.il est intitulé: Observation on differents kainds of air. Les recherches sur l'air dépholgistiqué ont été faites depuis cette époque. (2) Borelli et Réaumur admettoient des molécules d’un autre … genre, des émanations qui agissoient, suivant eux, sur les corps envirommans, à} (3) Ge sont les muscles falciformes de Lorenzini: 198 ÉLOGES HISTORIQUES. eaux (1), et que cet animal non seulement en étoit pénétré, mais qu'il pouvoit encore en diriger à volonté l'impulsion et les efforts (2). Tels sont cependant les étonnans résultats qui ont mérité à M. WValsh le prix de la Société royale. Ce physicien, quifit ses expériences à la Rochelle où il vint enlever en quelque sorte cette découverte aux savans français, a démontré que la tor- pille , semblable à la bouteille de Leyde, a ses deux sur- faces électrisées d’une manière inverse (3), et que le choc se communique en rétablissant l'équilibre entre elles. Il a aussi expliqué pourquoi certains phéno- mènes (4), tels que la scintillationet l'attraction ou ré- pulsion des corps légers ne se présentent point dans ce genre d'électricité , qui est toujours très-foible (5). (1) Elle habite le plus souvent le limon et la boue, où les an- ciens disoient qu’elle se cachoït pour surprendre sa proie. (2) La torpille n’est pas le seul animal qui présente des phé- nomènes électriques. L’anguille de Surinam, et plusieurs espèces de gymnotes sont dans ce cas. (3) L'une en plus, l’autre en moins. (4) La torpille ne donne point d’étincelle; les corps légers me sont point attirés ni repoussés par elle. Si l’on étend une petite quantité de fluide électrique dans de grandes jarres, et si on Ja soumet aux différentes expériences connues, on obtient des effets analogues à ceux de la torpille. (5) En touchant la torpille avec du verre ou un bâton de cire d'Espagne, on méprouve point de commotion, qui est très-forte avec une barre de fer, par exemple, ou avec d’autres corps de même pature. M. Schilling a fait des expériences sur une petite torpille vi- vante, très-vigoureuse, longue de six pouces, et d'un pouce d'é- M PHYSIOL. ET MED. — PRINGLE. 199 M. Pringle, en publiant dans un second discours en 1774 la délibération de la Société royale a rapproché paisseur. Ayant approché de l’animal placé sur une table dans un bocal plein d’eau un aimant naturel qui pouvoit soutenir quatre onces, on a vu aussitôt le poisson se mouvoir vivement et fuir de toutes ses forces. Ayant approché davantage l’aimant, sans ce: pendant toucher l'animal, le poisson a continué de s’agiter près dune demi-heure ; il s’est approché peu à peu de l’aimant qu’on tenoit suspendu sur l’eau contenue dans le vase, et il a fini par y rester adhérent comme le fer: on l'en a séparé avec une ba- guette de bois, à laquelle il sembloit résister; il a paru languis- sant quand il en a été arraché. Il a recouvré sa vigueur lorsqu'il en a eté plus éloigné. Déja un des spectateurs le touchoit sans éprouver aucune sensation, Le poisson s’est rapproché bientôt une seconde fois de l’aimant comme par attraction, et y est resté collé près d’une demi-heure, après lequel temps il a quitté de lui-même laimant, encore plus foible et plus languissant que la première fois, quoiqu'il ne cessät pas de se mouvoir. Alors on pouvoit le toucher impunément. L'auteur le plaça dans un vase plein d’eau, avec du sable, et des vers pour sa nourriture. Il reprit sa vivacité; mais on le toucha impunément pendant huit jours. M. Schilling ayant mis de la limaille de fer dans son eau, il éprouva, deux jours après, un choc violent dans les doigts en touchänt le poisson, sans pourtant que la commotion passàt jus- qu’au pli du bras, comme avant de soumettre l'animal à l’épreuve de l’aimant. A cette dernière époque il adhéra de nouveau à Vaimant comme auparavant; mais il n’y resta pas long-temps attaché, et ne frappa point notablement la main qui le touchoit. M. Schilling a répété cette expérience sur d’autres torpilles à peu près de la même grandeur, et à peu près avec le même résultat ; mais, sur une torpille épaisse d’un pied environ, et longue de quatre, la tentative ne lui a pas réussi. Minores torpedines, dit-il, semper magis obsequiosas deprehendi, ita ut appropinquante magnete fortius commoverentur et citiùs attraherentur. L'auteur a fait ces expériences en tenant l’aimant suspendu sur l’eau, Voyez son ouvrage intitulé: Godefr, #Vich. Schilling, 200 ÉLOGES HISTORIQUES. d’une manière très-ingémeuse les expériences de M. VWYalsh (1), des observations anatomiques de M. Jean Hunter notre confrère, qui a découvert dans ces ani- maux un organe nerveux où la matière électrique se. rassemble et qui, s’'épuisant après leur mort, démontre, ce qu'il est très-important de remarquer , que cette pro- priété surprenante est une des modifications de la vie, puisqu'elle s’exhale et périt avec elle. Dans une autre circonstance (2) M. Pringle a dé- veloppé un des phénomènes les plus remarquables de la gravitation universelle. Il suivoit des découvertes de Newton que les corps graves, suspendus à un fil près d’unemontagne, devoients’en approcher, et M. Bouguer l’avoit prouvé par ses observations faites près des Cor- dillières au Pérou. M. Maskeline eut les mêmes ré- sultats long-tempsaprès dansles montagnes de l’Ecosse, dont il calcula la densité et l’attraction moyennes. C’est en prenant des deux côtés de la montagne la hauteur medicinæœ doctoris , Diatribe de morbo in Europa penè ignoto, qguem Americani vocant Jaws. Adjecta est decas casuum rariorum in praxi medica observa'orum, necnon observatio physica de torpedine. Trajecti ad Rhenum , 1770, in-8.°: (1) Depuis cette époque on a fait à Londres des expériences sur l’anguille tremblante : on y a vu l’éteincelle; et son organe nerveux a été décrit par M. Jean Hunter. La torpille et l’anguille de Surinam n’attirent point les corps légers, parce qu’elles ne sont électriques qu'au moment où elles se chargent; et comme le fluide accumulé est aussitôt consumé, et que la décharge suit promptement la charge, il ne peut y avoir ni attraction ni répulsion des corps légers, (2) En 1775. PHYSIOL. ET MÉD. — PRINGLE. 201 d’une étoile , que l’on peut calculer la déviation du fil à plomb; de sorte que ce phénomène, lié avec tous ceux du système céleste, ne peut être aperçu sans leur secours. Cette réflexion annonce qu’il y a des 1llusions presque inévitables et des découvertes (1) bien difficiles à faire ; mais elle encourage en montrant que la chaîne des vérités s’étend à des distances immenses, qu’elle lie entre eux les objets les plus éloignés, et qu’elle conduit souvent le physicien, du fait le plus indifférent , à l’ob- servation la plus curieuse et la plus intéressante. Qui fut jamais plus digne que M. Cook du prix de la Société royale? Il lui fut adjugé en son absence , et M. Pringle célébra cet événement dans un quatrième discours (2). 11 peignit ce capitaine comme le plus grand des navigateurs. Ce que les autres avoient déja vu, il l’a mieux observé, mieux décrit : scrupuleux dans ces récits, 1l n’a point parlé d’une terre s'il n’en a parcouru les bords et l’intérieur : portant son attention sur tous les objets, 1l a fait trois fois le tour du monde ; et soit que son vaisseau sillonnât des mers brûlantes ou glacées , 1l a toujours conservé dans son équipage la santé la plus constante par les moyens les plus sim- . (1) Gelle dont il s’agit ici avoit été pressentie par Newton. L'observation a été plus marquée en Écosse qu'au Pérou, et M. Bou- guer avoit soupçonné que les Cordillières étoient en partie creu- ses. M. Maskeline a trouvé les montagnes d’Ecosse plus denses, et les phénomènes de l’attraction y ont été, toutes choses d’ailleurs égales , plus fortement exprimés. (2) En 1776. : 202 ÉLOGES HISTORIQUES. les (1). A ce succès dont il n’y avoit jamais eu d’exem. ples;il a joint la gloire d’avoir décidéles questions les plus curieuses, et en même temps les plus importantes pout la navigation. Il à déterminé les bornes de l’océan na: vigable dans l'hémisphère austral. On admettoit dans ces parages , d’après Quiros et Gonneville, un con- tinent dont il a détruit l'illusion. On cherchoit un passage par le détroit du nord dans la mer glaciale : il a prouvé que cette communication existe ; mais que les glaces la rendent impraticable , et 1l n’a pas laissé plus d’espérance sur le passage de la baie d'Hudson dansla mer du sud. Mille autres projets non moins utiles s’étoient présentés à cet homme infatigable. M. Pringle, en les annonçant, ne prévoyoit pas que pro- tégé par toutes les puissances , connu et respecté sur toutes les mers , si habile à éviter les écneils, ce voya- geur illustre ne jouiroit jamais du prix qui lun étoit dé- cerné , et qu'il tomberoit sous les coups dessauvages (2), (1) M. Poissonnier Desperrieres, membre de la Société royale de médecine, auteur de plusieurs ouvrages très-estimés sur le même sujet, avoit indiqué dans ses mémoires les moyens con- seillés par M. Pringle dans le discours dont il s’agit, et ces moyens avoient été démontrés utiles par une expérience pu- bliée long-temps avant l’époque de ce discours. M. Desperrieres a eu raison de se plaindre de ce que M. Pringle ne l'avoit point cité, En comparant, article par article, ce que ces deux médecins ont écrit à ce sujet, on ne peut s’empêcher de prononcer que l’an- M tériorité appartient à M. Desperrieres. Voyez Observations sur le . discours de M. Pringle, qui termine la Relation du voyage de À M. Cook; par M. Desperrières, 1778, in-8.°. (2) En février 1779. PHYSIOL. ET MÉD. — PRINGLE. 203 auxquels 1l auroit pu se soustraire : car il ne s’agis- soit point de s'emparer d’un pays , mais de le parcourir ; de combattre ses habitans, mais de les connoître. Le navigateur dont le but est de recueillir des vérités utiles, doit se conduire non en conquérant, mais en philo- sophe , qui par-tout où 1l trouve des hommes les traite avec douceur , n’en attend de la modération qu'après en avoir donné l'exemple , et ne cherche point à les punir, mais à les éclairer lorsqu'ils ont eu le malheur d'adopter des coutumes opposées aux lois de la nature. M. Mudge, chirurgien de Plymouth , ayant fait connoître des procédés nouveanx pour préparer des miroirs paraboliques (1) applicables au télescope de réflexion , la Société royale lui décerna son prix an- nuel , et M. Pringle indiqua dans son discours toutes les époques auxquelles les physiciens ont perfectionné cet instrument si surprenant dans lequel la lumiere dont l’homme a su se rendre maitre , brisée, rompue de mille manières différentes , et revenant à l’œ1l sous des angles plus ouverts , fait disparoître les distances , agrandit les objets, et nous dévoile le mécanisme des cieux. Avec quel plaisir M. Pringle applaudit depuis cette époque aux travaux de son illustre compatriote M. Hers- chel (2); dont l’heureuse industrie a laissé si loin de (1) Newton avoit prévu que l’on trouveroit des procédés pour exécuter des miroirs paraboliques. On ne voit pas cependant que jusqu'ici le moyen de M. Mudge ait été adopté par les artistes, (2) M. Herschel a écrit à M. Messier qu’il se servoit d’un mi- 204 ÉLOGES HISTORIQUES. lui tous ceux qui se sont exercés dans cette même car- rière , et qui s’est préparé, nous ne dirons pas seule- ment une gloire immortelle, mais une sorte d’apo- théose ; puisqu’en ajoutant une nouvelle planète aux sept déja connues , il a pour ainsi dire associé son nom à ceux des divinités qui les président ! La Société royale ayant couronné en 1779 le mé- moire de M. Hutton (1), sur divers procédés tendant w à perfectionner l’art du canonnier ; M. Pringle traça dans son dernier discours l’histoire des projectiles, et il s’attacha sur-tont à mettre en évidence ce principe si consolant pour ceux qui ont vu comme li, de près et long-temps, les désastres de la guerre, que plus cet art terrible approche de sa perfection ; moins il est fu- neste ; que les moyens de destruction les plus effrayans en apparence sont cependant ceux qu'il faut préférer, parce qu'ils rendent les avantages ou les pertes plus rapides , les campagnes moins longues, les actions moins meurtrières, et que, frappant de loin , 1ls s’op- posent aux horreurs de la mêlée ; tant 1l est vrai que dans tous les cas possibles le désordre est le plus grand de tous les maux ! M. Pringle ne quitta le service de lParmée qu’en roir parabolique. C’est depuis que M. Pringle a quitté la prési- dence que M. Herschel a fait connoître ses belles observations et ses moyens. (à) The force of fired gun-povder and the initial velocity of çannon-balls. PHYSIOL. ET MÉD. — PRINGLE. 205 1758 (1), époque à laquelle le Collége de médecine de Londres l’inscrivit au nombre de ses membres (2). Les places de médecin de la reine, de la princesse douairière de Galles et du roi, lui furent conférées suc- cessivement (3) ; et S. M. voulant lui donner une marque publique de son estime qui fût proportionnée à ses services, le uomma baronnet, titre (4) déja hé- réditaire dans Les deux branches de sa famille, et qui par conséquent ne lui fut conféré que pour lui seul. La présidence de la Société royale , ses voyages et sur-tout la douceur de son caractère lui ayoient donné des relations très-nombreuses. Les étrangers instruits ne manquoient jamais de le visiter. Il les recevoit dans certains jours de la semaine où des hommes de lettres de tous les ordres passoient chez lui la soirée. Dans ces sortes de cercles, on est l’un pour l’autre un objet de curiosité ; n'étant ni du même état ni du même pays, on se dépouille de ses préjugés par amour-propre , et ce sacrifice momentané suffit pour que l’on soit tel que l’on deyroit toujours être, tolérant et modéré. Des ob- (1) Pendant les dernières années il demeura à Londres, et il faisoit quelquefois des voyages pour le service de l’armée. (2) Le 5 juin 1958. , (3) En 1751 il fut nommé médecin de la maison de la reine ; en 1763 il fut nommé médecin extraordinaire du roi, et méde- cin ordinaire en 1764; en 1768 la princesse douairière de Galles le choisit pour son médecin ordinaire. (4) Ce titre, de la création de Jacques premier, tient le milieu entre celui de chevalier et de lord; mais il est fort au-dessus de çelui de chevalier. 306 ÉLOGES HISTORIQUES. servations intéressantes sur les progrès de la physique et des arts, des remarques fines, des discussions utiles, des anecdotes piquantes, sont le fruit de ces conversa- tions dans lesquelles l'esprit et la science répandent toujours plus d'agrément qu'ils y apportent de gêne, À parce qu’on n’y traite aucun sujet à fond, et qu’on entre point dans les détails, qui sont toujours la source des querelles et de l’ennui. Ces assemblées ont un autre avantage ; elles accoutument les savans et les Lttéra- teurs à vivre ensemble , elles leur donnent plus de force en les rapprochant ; elles servent à faire circuler des vérités utiles; en un mot, elles ne peuvent dé- plaire qu’à deux sortes de personnes, ou à celles qui les blâment , parce qu’elles n’y sont point admises, où aux ennemis de la vérité qui, donnant le nom d’in- trigue à tout ce que l’on entreprend pour ses intérêts, voudroient qu'il ne fût permis qu’à eux seuls de se réunir , afin d’agir plus efficacement contre elle, Depuis quelques années , les devoirs attachés à la présidence de la Société royale fatiguoient beaucoup M. Pringle : une chute trés-grave altéra beaucoup sa santé. Dans le même temps la Société royale étoit agitée par des opinions différentes sur la préférence à donner dans la constructi®n des paratonnerres aux con- ducteurs mousses ou aigus (1). M. Franklin s’étoit Et | PER SN NANN (1) Au mois de juin 1772, le département de l'artillerie écrivit à la Société royale de Londres pour la consulter sur la manière la plus sûre de préserver des effets du tonnerre les magasins à poutre de Puffect, situés à quelque distance de la ville de PHYSIOL. ET MED. — PRINGLE. 207 déclaré pour les derniers, et l’on présume que son opinion dut alors trouver des contradicteurs. M. Pringle LUN CON RNONTIMET AR NSSINSEERRRNE ES: PARU RONCICSEERE RER Londres. M. le chevalier Pringle étoit alors président de la So- ciété royale, qui nomma MM. Franklin, Watson, Wilson, Henley, Delaval membres du comité pour aviser aux meilleurs moyens de préserver les magasins. On convint sans difficulté qu’il falloit les armer de conducteurs ; mais il n’en fut pas de même lorsqu'on délibéra sur la forme et sur la hauteur qu’on leur donneroit. MM. Franklin et Watson préférèrent les conducteurs pointus , et qui deyoient s'élever à une certaine hauteur au-dessus de ces iuagasins. MM. Wilson et Delaval prétendirent au contraire qu’il y auroit du danger à les élever ainsi au-dessus de Pédifice et à leur don- ner une forme aiguë : ils ajoutèrent qu’ils devoient être terminés par une extrémité mousse, ou figurée en globe, qu’ils ne de- voient pas déborder Le toit, et que même il seroit peut-être con- venable de placer ces globes au-dessous des toits, seulement comme préservatifs en cas que la foudre y tombât, On écrivit de part et d’autre. Enfin l'opinion de M. Franklin prévalut, et les magasins de Pufileet furent armés de conducteurs pointus qui s’élevoient au-dessus du toit. Voyez le soixante-troi- sième volume des Transactions philosophiques. M. le Roy, de l’Académie des sciences, a lu à cette compa- gnie un savant Mémoire dans lequel il adopté et défend d’une manière victorieuse le système des conducteurs pointus. Ce phy- sicien a fait voir combien il est différent de tirer le fluide élec- trique ou la matière fulminante des nuages, et de la faire étinceler ou éclater. Malgré les précautions qui avoient été prises en plaçant des conducteurs pointus sur les magasins de Puffleet, une partie de ce bâtiment fut foudroyée au mois de mai 1777. Le département de l'artillerie écrivit alors à la Société royale pour l'inviter à exa- miner les lieux foudroyés, et à en rechercher la cause. IL est facile d'imaginer que cet événement fit beaucoup de bruit. M. Wil- son, qui avoit toujours été à la tête de ceux qui s'étoient oppo- Î 208 ÉLOGES HISTORIQUES. vit avec chagrin les efforts que l’on fit et tont Le crédit que l’on employa contre une vérité physique qui fut enfin reconnue par le plus grand nombre. Toutes ces circonstances le déterminèrent à prier la Société royale M d'accepter sa démission, qu’elle recut avec le plus grand regret en 1776 (1). IL continua, lorsque sa santé le lui permit, d’as- M sister à ses séances ; mais ses infirmités ayant ang- menté , il espéra qu’un voyage à Edimbourg pourroit rétablir ses forces , et il partit en 1780 pour cette ville où 1l résolut de se fixer. Il y avoit passé sa jeunesse, et tout ce qui en rappelle le souvenir est précieux dans un Âge avancé. Il y acheta une maison et il vendit celle qu'il avoit à Londres (2). Mais il s’aperçut bientôt sés auf conducteurs pointus, fit avec appareil un grand nombre d'expériences dans le Pantheum, auxquelles le roi assista. Il pré- tendit prouver que les pointes avoient été la cause du foudroie- ment; mais le comité , qui fut chargé de faire des recherches sur cet objet, après avoir pris connoissance des expériences, trouva qu'elles ne prouvoient rien contre le sentiment qui établit l'avan- . tage des pointes conductrices. On arrêta qu'il en falloit placer M quelques - unes de plus, et mettre toutes les parties de la cou- verture de cet édifice dans la communication métallique la plus exacte avec les conducteurs ou barres de transmission qui s’éten- doient en bas dans les puits. Depuis ce temps on est resté tran- quille. M. Pringle étoit encore président pendant cette année, et continna de l’être pendant l’année suivante. (1) M. le chevalier Banks fut élu unanimement pour lui suc- « céder. Ce savant est connu par son zèle infatigable pour les progrès des sciences utiles, auxquelles il est entièrement dés voué. (2) Sa maison du Pall- Mall à Londres fut vendue en 1781, fs, 4 PHYSIOL. ET MÉD. — PRINGLE. 209 que la scène étoit changée. Pendant le long intervalle de son absence , presque tous ceux qu'il avoit connus intimement étoient morts. À la vérité leurs fils lui rendirent les hommages les plus empressés , et il fut accueilli par-tout avec les témoignages de la plus grande considération ; mais ce‘sentiment ne suffit pas à ceux qui ont vécu dans le sein de la confiance et de l’a- mitié. Soit que M. Pringle fût privé de ces douceurs à Edim- bourg , soit que le climat ne convînt point à son tem- pérament (1), 1l revint à Londres vers la fin de l’année 1781. Il ÿ reprit ses habitudes; 1l retrouva avec joie ses anciens amis , et ses soirées recommencèrent. Les hommes auxquels de longs travaux ont donné un grand fonds d'idées , et qui se plaisent à discuter , ont besoin d’être contredits au moins quelquefois ; et comme tout le monde n’en a pas le droit, il ne faut pas qu'ils s’éloignent de ceux qui l’ont acquis. C’est peut-être un des plus grands malheurs dont les vieillards soient menacés , que celui de survivre à leurs contem- porains, de n’entendre que le langage froid et mono- tone du respect, de n’être environnés que de personnes d’un autre âge, avec lesquelles la conversation est vide et dépourvue d’intérêt , et de voir ainsi s’accroître le nuage qui les sépare du reste des vivans. Accoutumé à passer des jours dont toutes les heures (:) M. Pringle dit alors que le climat d'Edimbourg étoit trop froid pour lui. 9. 14 210 ÉLOGES HISTORIQUES. étoient remplies par une activité douce et modérée ÿ M. Pringle s’étoit trompé en rompant des liens que l'habitude lui avoit rendus nécessaires,eten se condam- nant à une inaction qui devint bientôt une source d’en- nu. À Edimbourg même , ilassistoit aux assemblées du Collége de médecine (1) , auquel il fit remettre, avant son départ , un manuscrit en dix volumes, contenant ses observations et remarques sur la physique et sur la médecine. Il étoit aussi membre de la Société des antiquaires Ed’dimbourg, etil prenoit la plus grande partaux succès de cette académie, dont le but est de rechercher et de réunir les débris-des monumens qui peuvent servir à l’histoire de l’Ecosse ; monumens que la politique d'Edouard I.er a mutilés, et que ce conquérant avoit formé le projet d’anéantir. Il croyoit rendre le joug de sa domination plus supportable et plus assuré , en effaçant ainsi jusqu’aux traces de l’ancienne indépen- dance, comme s'il étoit au pouvoir des rois d'imposer silence à l’histoire , et comme si cette destruction, qui est un vol fait à la postérité , ne déposoit pas à jamais contre l'oppresseur de la liberté publique. | Les forces de M. Pringle s’affoiblirent de plus en plus depuis son retour à Londres : le 14 janvier 1782, (1) Le docteur Hope fut chargé par M. Pringle de remettre ces manuscrits au Collége aux conditions suivantes : 1.° qu'ils ne seroient point publiés, parce qu'il ne les croyoit pas en état de voir le jour; 2.° qu'ils ne seroient jamais emportés hors de le M bibliothèque, sous quelque prétexte que ce fût. PHYSIOL. ET MÉD: — PRINGLE. o11 il fut attaqué d’une paralysie (1), aux suites de laquelle il succomba le 18 du même mois, âgé de 75 ans. Les membres du Collège de médecine d'Edimbourg voulant témoigner leur respect pour sa mémoire, pa- rurent en deuil dans la première assemblée qui suivit la nouvelle de sa mort. Les dispositions de son testament ont été dictées par la justice , la reconnoissance et l’amitié , et aucune plainte n’a troublé les larmes que sa mort a fait ré- pandre. Pendant les dernières années de sa vie il s’étoit occupé de recherches théologiques et il avoit profondément étudié quelques passages des Livres saints. Son ame douce et sensible y cherchoit des paroles de paix, ety trouvoit toujours de la consolation. S’ils n’avoient été lus que dans cet esprit , combien les hommes se seroient épargné de désastres et de malheurs ! La correspondance de M. Pringle avec le savant pro- fesseur Michaëlis de Gottingue sur une des prophéties de Daniel avoit paru si intéressante, qu’elle avoit été publiée en 1773 (2). Gi) M. le docteur Saunders, son ami, lui donna ses soins dans cette maladie. (2) Joannis Davidis Michaëlis, prof. ordin. philos. et soc. reg. scient. gottengensis, collegæ cpistolæ de LXX hebdomadibus Daniëélis, ad Joannem Pringle, baronettum, primd privatim manuscr, nunc verd utriusque consensu piblicé editæ in-8.°, Nichols’s 212 ÉLOGES HISTORIQUES. IL étoit versé dans la connoissance de plusieurs langues ; la française lui étoit sur-tout très-familière. Il assuroit que jamais aucune lecture ne lui avoit fait biographical and litterary anecdotes of Williams Bowyer, p. 446 : 447. Ibid. p. 6o1. J'ai cru devoir ajouter ici le tableau suivant des ouvrages de M. Pringjle. 1.® Dissertatio inauguralis de marcore senili, in-4.o Lugd. Bat. 2.° Several accounts of the success of the vitrum ceratum an- timonii. Edin. Med. essays, vol. V. 3.° Observations on the nature and cure of hospital and goal fevers , in a letter d.' Mead, in-8.2, London 1750, 1755. 4° Experiments upon septic and antiseptic substances, with remarks relating to tüeir use in the theori of medicine, in se- veral papers read before the royal Society. Phil. Trans. for, 1751, and since republished: in an appendix to the observations on the diseases of the army. ÿ 5.° Observations on the diseases of the Army; in-8.°. London, 4752 ;in-4.°, ibid. 1765, and sixth edition, in-8.°, corrected, 1768. 6.8 An account of the case of the late right Hon. Horace lord Licie Phil. Trans. vol. IV, part. I ° A Discourse on the different kinds of air, in-4.®. London. à 8. À Discourse on the torpedo, in-4.°. London, 1774. 9.® À Discourse on the attraction ofmountains , in-{.°. London, 2779 ° À Discourse upon some late improvements of the means of preserving the mealth of mariners, in-4.°. London, 17576. 11.9 À Discourse on the theori of gunnery, in-4.°. London, 1779. M. Kippis a fait réimprimer en 1783 les dix discours pro- | (2 noncés par M. Pringle dans les séances de la Société royale de. 4 Londres. | PHYSIOL. ET MED. — PRINGLE. 213 plus de plaisir que celle des OEuvres de Voltaire, et 1l n’avoit point pour Shakespear cetenthousiasme aveugle qui fait louer jusqu'à ses défauts. Un savant anglais qui a publié ces détails dans un éloge de M. Pringle , après lui avoir accordé toutes les qualités qui forment un littérateur profond , ajoute que son compatriote ne se conmoissoit point en poésie. Ici l’intérêt national a prévalu en faveur de Shakespear. Il nous seroit sans doute permus et facile de défendre le parti contraire ; mais ne doit-on pas regarder comme frivoles et dé- placées ces discussions dans lesquelles on compare entre eux les hommes du premier ordre qui ont tous un caractère propre , un mérite particulier, dont les nuances ne sont point soumises à une mesure com- mune ? Qui oseroit au moins se flatter de les connoître, lorsqu'il s’agit de juger deux auteurs placés dans des climats très-différens , et aux deux extrémités de la même carrière , dont l’un qui l’a ouverte s’est montré dans ses ouvrages neuf, grand, mais bizarre et inégal; tandis que l’autre, formé par les leçons des plus grands maîtres , génie facile et fécond , riche des productions du plus beau siècle de notre Littérature , a brillé par toutes les graces réunies de l’expression et de la pensée ? Il seroit trop long de rapporter ici les noms de tous ceux qui ont eu avec M. Pringle des liaisons in- times (1), et qui s’honoroient d’être au nombre de ses amis. On comptoit parmi eux des hommes du pre- gp À (1) M. Ingen-Houze a dédié à M. Pringle ses expériences sur les végétaux. 214 ÉLOGES HISTORIQUES. muier rang , soit par leur naissance , soit par Mb places (1), et 1l étoit au niveau de tous par la dignité de son caractère. Sur-tont il n’attendoit pas que ses confrères eussent besoin de ces services pour les leur offrir. Ce n’est qu'avec ces égards et à ces conditions que les gens de lettres peuvent pardonner à quelques- uns d’entre eux de jouir d’une grande fortune. Son affabilité n’étoit point affectée; elle paroissoit être l'effet d’un naturel doux, obligeant, et qui se hvroit volontiers. Pendant la guerre on s’adressoit toujours à lui pour réclamer les morceaux d’histoire naturelle qui avoient été pris sur les vaisseaux français; comme s’il eût été comptable de tous ces objets , 1l de- venoit l’agent de ceux qui faisoient des plaintes, et 1l leur obtenoit souvent une prompte restitution. Cette politesse, cette bienfaisance , en le rendant agréable, tant aux nationaux qu'aux étrangers, avoient multiplié les rapports qui l’attachoient à la vie. Ses amis observèrent qu’il témoigna beaucoup de regret lorsqu'il fallut Ja quitter. Il est mort entouré de ceux qui la lui avoient rendue chère. ; On lui prépare sons leurs yeux (2) et par leurs soins, RE RER LR RE EE ST RP ben ae Gi) Sir Alexandre Dick a conservé une suite de lettres de sir Jan Pringle, au nombre de quarante-sept. Elles offrent dans tout son jour l'excellence de son caractère , et-montrent la chaleur et la constance de son amitié. Elles contiennent aussi plusieurs articles précieux de médecine et de physique. (2) C’est principalement aux dépens de son neveu et héritier que ce monument a été élevé. M. Kippis m'a envoyé l’épitaphe suivante, qui a été proposée [0 in PHYSIOL. ET MÉD. — PRINGLE. 215 un monument qui sera placé parmi ceux que la recon- noissance publique a consacrés à la mémoire des grands hommes dans l’abbaye de Westminster ; où le nom 1l- EEE nn pour être inscrite sur le tombeau de M. Pringle, et que l’on at- tribue à M. Georges Baker, M. Ss. Viri egregii Joannis Pringle, baronetti; Quem exercitus britannicus, Celsissima Walliæ principessa , Regina serenissima , Ipsius denique regis majestas , Medicum sibi comprobavit Experientissimum , sagacem, strenuum ; Quem studiis academicis florentem, Edimburgenses olim sui In cathedra disciplinæ ethicæ dicata Adhuc juvenem collocàrunt : Quem posteà ætate ac scientià provectum, Primüm perhonorifico ornavit proemio , Deinde ad summam apud se dignitatem evexit Societas regia londinensis. Qualis fuerit medendi artifex , Qualis rerum comprehensione præditus , Materiam suam multiplicem Quam scienter explicuerit et illustraverit, Scripta viri doctissimi testentur Per Europam omnem disseminata, Nec foris minüs quam domi nota. Quà autem fide et integritate fuerit, Quäm veri tenax et inimicus fraudi, Quäm constans supremi numinis cultor, li quibuscum vixit, Testes sunto. Excessit è vitä, etc. K 216 ÉLOGES HISTORIQUES. lustre de Newton se lit entre ceux de Milton et de Sha- kespear. Elevé près des bustes de Halés, de Freind , de Mead , cemonument rappellera à ses concitoyens un sa- vant modeste et zélé pour la gloire littéraire de sa patrie, et à la postérité un physicien sage , un médecin célèbre, dont les observations, qui portent l'empreinte de la vé- rité, dureront autant que l'édifice des sciences dont elles font partie. La place d’associé étranger vacante par la mort de M. Pringle est maintenant remplie par M. Black, professeur de chimie à Edimbourg. TRE On + en ge RP RENE ET PHYSIOLOGISTES ET MÉDECINS. 217 SSL dd So LS nd ot te Sd td TS St eo os ot ie St dt ot LS - SANCHEZ (mrBrtRo), RS U: homme d’une constitution foible ét délicate, presque toujours souffrant, d’un caractère timide et doux, qui, plein d’ardeur pour l'étude, n’a aucun désir de la célébrité, qui ne fait nul cas des ri- chesses, et qui sur-tout est très-éloigné de tout esprit d’affaires et d’intrigues : cet homme entre dans une carrière dont 1l ne connoît ni les fatigues ni les dan- gers ; 1l parcourt les climats glacés du Nord, y est témoin des guerres les plus sanglantes, s’y dis- tingue par ses services dans le traitement des épidé- mues les plus désastreuses, est porté par ses succès à une des cours les plus brillantes de l'Europe, y est comblé d’honneurs; et compromis enfin dans la que- relle de rois y perd tout au milieu de la tempête ; il tremble mème pour ses jours: mais la fortune , qui veut plutôt l’instruire que l’affliger, luirend le calme, dont ses revers lui font sentir tout le prix. Pour cette fois les leçons de l'expérience et du malheur ne sont point perdues. Cet homme estimable, à l’abri de | toute secousse , vit tranquille , réunit ses observations, les écrit ou les publie, et ne meurt qu'après avoir été long-temps un modèle de bienfaisance et de vertu. Tel est le précis de l’histoire que je dois tracer au- jourd’hui. 218 ÉLOGES HISTORIQUES. Antoine Nuxès Riserro Sancuez, docteur en mé- « decine de l’Université de Salamanque , conseiller d’état de la cour, et ancien premier médecin de l’impératrice de toutes les Russies, ancien premier médecin de ses armées et du corps des cadets, ancien correspondant de l’Académie royale des sciences de Paris, associé honoraire de l’Académie de Saint-Pétersbourg, mem- bre de celle de Lisbonne, associé étranger de la So- ciété royale de médecine, naquit à Pegna Macor en Portugal, le 7 mars 1699, de Simon Nunès et d'Anne Nunès Ribeiro. Sa famille, d’origine noble, descend de la maison des Nunès, qui vivoient à Rome dans le dernier siècle (1). Son père, quoique principalement occupé du com- merce, et demeurant à l'extrémité d’une des provinces portugaises, faisoit ses délices de l'étude des lettres. La lecture des meilleurs écrivains lui étoit familière, et M. Sanchez s’est toujours sorivenu avec reconnois- (1) Le marquis Nunès a fait à Rome quelques fondations reli- gieuses. Antoine Ribeiro, médecin et théolegien célèbre, qui vi: voit à Rome, étoit aussi son parent. Baccius nous apprend (De natur, vinor. histor, lib. IV, part. II) que cet Antoine Ribeiro étoit son ami, et qu’ils étoient tous les deux de la Société du cardinal de Colonne. Francois Sanchez, fils d’un médecin de Bordeaux, et qui a pro fessé à Toulouse, étoit aussi parent de M. Sanchez. Ce François Sanchez se glorifie d'avoir introduit le premier dans la Guienne et le Languedoc l'nsage des saignées faites à la dose de huit onces de sang. Avant lui on ne tiroit tout au plus que six onces de sang dans une saignée. Voyez Francis. Sanchez opera, observ. in praxi, p. 366. Tolos., 1635, in-4.°. PHYSIOL. ET MÉD.— SANCHEZ. 19 sance, non des efforts qu'il avoit faits pour lui laisser de grañdes richesses, mais de ce qu’il lui avoit appris à s’en passer. Plutarque et Montaigne furent les deux auteurs dont il lui recommanda sur-tout de méditer les ouvrages. La morale, réduite dans l’un en pré- ceptes , et mise en action dans l’autre , où chaque prin- cipeest fortifié par un exemple , se grava profondément dans sa mémoire. Lorsqu'il avoit besoin de consolation dans ses malheurs, Plutarque lui rappeloit toujours le souvenir de quelque personnage illustre dont les cha- grins avoient surpassé les siens. Montaigne l’accoutu- moit à voir dans l’adversité moins une source d’ennuis qu’une lecon de vertu ; et il bénissoit son père de lui avoir fait connoître combien les trésors de la philoso- phie valoient mieux que ceux de la fortune. Son enfance et sa jeunesse furent sujettes à plusieurs infirmités. Attaqué d’une fièvre quarte très-opimiâtre , et persuadé qu’on le traitoit mal , il éprouva vivement. le regret de n'avoir point les connoissances nécessaires pour se conduire lmi-même, et il forma le projet d’étu- dier en médecine (1). Un de ses oncles, jurisconsulte À Pegna Macor , résolut de l’en détourner : 1l lui offrit la survivance de sa place, et lui permit même d'espérer la main de sa fille. Le jeune Sanchez , alors âgé de = (1) Boërrhaave étant très-jeune se guérit lui-même d’un ulcère par des remèdes fort simples : circonstance analogue à celle que nous avons rapportée relativement à M. Sanchez, et qui détermina également Boërrhaave à l'étude de la médecine. Ce fait est indi- qué dans l'Orat. in memor. kerm. Boërrhave, par Albert Schul- tens. 220 ÉLOGES HISTORIQUES. dix-huit ans, qui la trouvoit aimable, oubliason premier dessein près de son oncle, ou plutôt près de sa cousine. Les personnes sévères lui pardonneront sans doute une distraction qui fut courte ; et les personnes sensibles s’étonneront peut-être qu’elle n’ait pas duré plus long- temps. Il se croyoit entièrement voué à la magistra- ture, et 1l se regardoit déja comme le magistrat de Pegna Macor , lorsque les Aphorismes d’Hippocrate , qu'il trouva par hasard sous sa main, lui rappelèrent sa première résolution. Il parcourut avec avidité cet étonnant recueil, où les vérités, serrées les unes contre les antres , et présentées avec énergie, paroissent encore plus respectables par leur ancienneté. Ï1 fut sur- tout frappé par le premier de ses aphorismes (1): « L’art est long , la vie est courte » , dit le père de la Médecine. M. Sanchez s’appliqua aussitôt cet adage : 1l se reprocha les momens consacrés à de doux loisirs ; il vit que, pour se dérober à sa chaîne , 1l falloit la rompre brusquement. 11 s’arracha donc aux charmes qui le retenoient , et il s'échappa de la maison de son oncle. Il n’y avoit qu'un médecin qui püt lui tenir compte de ce sacrifice : ce fut anssi entre les bras de don Diego Nunès Ribeiro, son oncle maternel, et médecin célèbre à Lisbonne , qu’il se réfugia. Soutenu par son crédit, il étudia la médecine à Coimbre. Il suivit dans sa pra- tique le docteur Bernard Lopez de Pinho, médecin fameux, qu’il accompagnoit près de ses malades ; car DUAL 7 1 A A AN INR NN 6e | MONS (1) Fita brevis, ars longa, etc. PHYSIOL. ET MÈD. — SANCHEZ. a21 Îl est d’usage en Portugal , comme il devroit l’être par- tout , que les jeunes médecins ne restent point sans guide et sans appui dans le commencement de leur car- rière, et que chacun d’eux compte au moins un pro- tecteur parmi ses anciens maîtres. Après avoir été reçu docteur en médecine dans l’'Uni- versité de Salamanque en 1742 (1), il fut nommé , à l’âge de 25 ans (2), médecin de la ville de Benaventi en Portugal (3). Ses fonctions étoient de visiter les pauvres attaqués de maladies. Il y consacroit tout letemps néces- saire à l'examen de leur état et à son instruction; et leur reconnoissance étoit pour lui le plus doux salaire ; car le pauvre sait gré de tous les instans que l’on passe près de lui : le médecin qui réfléchit beaucoup avant d’agir lui paroît un ange consolateur , uniquement occupé du soin de sa conservation ; au lieu que près: des riches on ne peut m1 délibérer sans paroître indécis , ni demeurer long-temps sans avoir l’air d’être oisif. M. Sanchez s’aperçut bientôt qu'il m’avoit pris à (1) Il y avoit étudié en philosophie dans les années 1717 et 1718. (2) Le docteur Fonseca Henriquez, célèbre médecin de Lisbonne, connut de bonne heure tout le mérite de M. Sanchez. Il en a parlè très-honorablement dans son Traité sur les eaux minérales de Pena Garcia. Vid. Æqui leg. medicinal. cap. I. Lisb. 1726. (3) En Portugal chaque ville pensionne un médecin pour veiller à la santé des pauvres. Il règne souvent à Salya Terra et à Benaventi des fièvres pu- trides, que M. Sanchez attribuoit à la stagnation et à la corrup- tion des caux du Tage, qui, se mélant avec celles de la mer, géjournvient dans des inarais.: 292 ÉLOGES HISTORIQUES. Coimbre et même à Salamanque que des connoissances incomplètes : il n’y avoit point trouvé cet enseigne ment dont la précision peut seule satisfaire un esprit juste. Les sciences accessoires à la médecine , telles que la chimie, l'anatomie, l’histoire naturelle, y étoient sur-tout très-négligées : mais on y savoit tout ce que les Grecs, les Latins et les Arabes ontécrit sur ces divers sujets ; et si l’on avoit connu la nature aussi bien que les livres , M. Sanchez n’auroit pas cherché ailleurs les principes qui lui manquoient. Comment peut-on en- core ignorer quelque part que les recherches les plus profondes , la lecture la plus assidue ne sont que des moyens d'instruction dont l’application seule fait le mérite , et que se tourmenter pour devenir érudit sans avoir d’autre talent et sans se proposer d’autres vues , c’est passer sa vie à aiguiser une arme dont on ne doit jamais se servir ? Semblables aux vieillards qui racon- tent avec enthousiasme ce qu’ils ont vu dans leur jeu- nesse et qui refusent d'apprendre ce que les modernes ont découvert, la plupart des anciens corps enseignans prodiguent des éloges aux âges qui les ont précédés, et se traînent pémiblement après le leur. Est-1l donc im- possible de prévenir cette décadence , qui est un pro- duit lent, mais assuré , du temps, et dont l’homme semble communiquer le germe à tout ce qui sort de ses mains ? Observons la nature: toujours jeune , parce qu’elle renouvelle toujours ses productions ; ne semble- t-elle pas nous dire : « Mortels , renouvelez aussi les vôtres, si vous voulez qu’elles conservent leur gloire avec leurexistence»? Les fondateursde plusieurs républiques OR Ve CORTE NT Ie 2 PHYSIOL. ET MÉD. — SANCHEZ. 223 onteu raison d’exiger qu’elles revissent , à certaines épo- ques, leur code de législation , et qu’elles y fissent les changemens prescrits par les circonstances. Il devroit en être de même de l’enseignement; et cependant , d’un bout de l’Europe à l’autre, notre enfance est gouver- née par de vieux usages , et par des lois surannées qui ont été faites pour d’autres hommes et pour un autre siècle. Ces réflexions , qui s’offroient alors à M. Sanchez , lui firent pressentir l'utilité d’un ouvrage qu’il a publié long-temps après sur la manière de perfectionner l’en- seignement de la médecine , et dès ce moment il se détermina à quitter Benaventi pour voyager dans les villes de l’Europe où les sciences étoient le mieux cul- tivées. Le voilà donc encore une fois soustrait à une vie douce et heureuse. Il se rendit à Gênes (1), d’où il partit pour Londres (2) : 1l y séjourna pendant deux années. Il vint ensuiteen France , où il visita les écoles. de Paris et de Montpellier. Nos provinces méridionales , lorsqu'il y voyagea (3), étoient encore effrayées par le souvenir de la peste qui avoit dévasté les villes de Marseille et de Toulon et menacé toute la France. Il voulut parcourir le théâtre de ces funestes scènes. Ici, lui disoit-on , le fléau ‘a (1) I ne put aller à Rome, parce qu’à cette époque le roi de Portugal avoit défendu à tous ses sujets de séjourner dans ceite ville, et ordonné à ceux qui y étoient den sortir au plus tôt. (2) A Londres il suivit les leçons d'anatomie de Douplass. (3) 1! vint à Montpellier en 1728. 224 ÉLOGES HISTORIQUES. commencé ces ravages ; et 1l suivoit des yeux les traces de son débordement. Dans cette maison , dont on avoit fermé les avenues , et que la contagion a respectée ;, les magistrats , frappés de la terreur commune , ren- doient au peuple une justice qui ne fut jamais mi aussi entière ni aussi prompte. Sur cette place, ajoutoit-on, les cadavres amoncelés et restés sans sépulture ré- pandoient des vapeurs meurtrières, lorsqu'un citoyen généreux anima, par son courage, une jeunesse bouil- lante et aétruisit ce foyer de mort. Muet au récit de ces grands événemens , M. Sanchez visitoit les hos- pices , les lazarets. Le cœur encore serré par le tableau de tant de misères, il fut conduit près d’un des habi- tans de Marseille , qui, depuis le désastre de cette ville , avoit continué d’être l’objet de la vénération publique ; non qu'il fût puissant par son opulence , ou illustre par son extraction : quelle valeur peuvent avoir les titres que donnent la naissance ou la fortune lorsque les sources de toutes les richesses sont empoi- sonnées , et la vie menacée de toutes parts? Cet homme estimable étoit le docteur Bertrand. Sa bienfaisance et son courage, dont lui seul n’étoit point étonné , l’avoient rendu cher à tous ses compatriotes, qui, réumis , hono- roient ses vertus. Tant que la contagion affligea la ville , on le vit chaque jour courir tous les dangers; 1l parcouroit les hôpitaux , les prisons : tout le monde le désiroit, et il alloit chez tout. le monde. II y portoit l'œil d’un observateur attentif, les conseils d’un mé- decin expérimenté , lesentrailles d’un citoyen sensible : trois fois 11 éprouva l’atteinte du fléau qu'il sembloit PHYSIOL. ET MÉD. — SANCHÉZ. 225 braver ; et trois fois sa maladie fut un surcroît de ca- lamité pour le peuple. Tantôt il le haranguoit, en lui prouvant par des exemples la nécessité des précautions qu'il avoit indiquées une autrefois ; il le rassuroit en lui montrant ses cicatrices. Lorsque la peste eut cessé ses ravages", et que le calme fut rétabli , il ne parut que plus grand an milieu des ruines. La reconnoissance des habitans sembloit le désigner aux voyageurs ; et nul étranger ne passoit par Marseille sans avoir vu cet homme , devenu plus grand que les autres » parce qu'il avoit fait consister tout son bonheur à les se- courir (1). e Quelle joie pour M. Sanchez de se trouver près d’un médecin aussi recommandable par ses connoïissances et par ses vertus ! Il l’approcha avec respect ; il l’inter- rogea, et il recueillit ses réponses sur la nature et les causes de la fièvre pestilentielle (2). (1) Voyez, page 360, les observations de M. Bertrand sur les maladies contagieuses de Marseille. — Traité de la peste, par Chicoyneau. (2) Il étoit d'autant plus empressé de l'entendre qu’il avoit déja été témoin des ravages faits à Lisbonne en 1723 par une épidé- mie très-meurtrière, que le docteur Bertrand, consulté par or- dre du roi de Portugal, avoit trouvée différente @e celle de Mar- seille. Des vomissemens noirs étoient le symptôme le plus effrayant de l'épidémie de Lisbonne, et un suintement de sang par le nez étoit un des accidens les plus fàächeux de celle de Marseille, d’après le rapport que le docteur Bertrand en fit à M. Sanchez. Ce dernier avoit fait une remarque curieuse en 1723 à Lisbonne : l'épidémie qui y régnoit alors attaquoit peu de femmes, et épargnoit absolument tous les nègres de l’un et de T. 3. 15 226 ELOGES HISTORIQUES. Les services du docteur Bertrand ne se bornèrent pas À ces renseignemens; il fit connoître à M. Sanchez les aphorismes de Boërrhaave , dont les ouvrages n’étoient point encore parvenus à Coimbre , ni à Salamanque (1). M. Sanchez crut, en les lisant, que l’auteur étoit un de ces grands hommes qui appartiennent à l’antiquité , et que l’on n’aperçoit que dans l'éloignement de plusieurs EEE TS l'autre sexe. La même chose est arrivée à la Caroline et à la baie de Tous-les-Saints. | Suivant le docteur Bertrand, la fièvre pestilentielle de Marseille r’étoit point le produit d’une contagion apportée du Levant : ce médecin la regardoït comme une maladie locale qui s’étoit dé- veloppée dans le territoire de Marseille, et dont le levain, com- muniqué d’un individu à un autre, corrompoit les humeurs et les infectoit par son acrimonie. Il étoit faux, disoit-il, que les commis de la douane eussent péri à l’ouverture de ballots pé- nétrés de miasmes contagieux; et la plupart des quarantaines auxquelles on assujettit les vaisseaux qui arrivent des pays sus- pects lui paroissoient avoir le double inconvénient d’être presque toujours inutiles et le plus souvent mal administrées. Déja M. In- gram avoit annoncé cette opinion en 1755, et M. Sanchez la pu- blia en 1774. Mais sait-on combien il faut de temps pour dissiper ou dénaturer les molécules contagieuses dont ils reconnoïssent unanimement l'existence? Existe-t-il des expériences qui le cons- tatent avec précision ? Quand même on supposeroïit la question in décise, qui oseroit courir les risques d’exposer, par une omis- sion coupable, À ville, une province, un royaume, au plus affreux de tous les fléaux; et eomment ne voit-on pas que dans des circonstances de cette nature un excès de prudence est le seul que l’on puisse ne pas se reprocher ? (1) Le docteur Alvarez, savant médecin portugais et ami de feu M. Sanchez, nous a écrit que l’on ne connoissoit point encore ces ouvrages en Portugal ni en Espagne, lorsque M. Sanchez arriva dans les provinces méridionales de la France. PHYSIOL. ET MÉD. — SANCHEZ. 227 siècles. Mais le docteur Bertrand l'ayant détrompé : « Quoi, Boërrhaave est vivant , s’écria-t-il, et je ne suis point son disciple ! » Aussitôt 11 vole à Leyde : il trouva celui qu’il cher- choit, entouré d’une foule d'élèves et de malades venus de toutes les parties du monde pour lui demander des leçons ou des avis ; et Boërrhaave jouissant dans sa patrie de tous les avantages de sa renommée lui offrit un spectacle aussi touchant qu'il étoit sublime : car les peuples de la Hollande , véritablement éclairés sur leurs intérêts , savent ce qu’on paroît ignorer ailleurs , qu’un grand homme est de toutes les productions la plus rare , celle dont la culture mérite le plus de soin, et qui est la plus honorable et en même temps la plus utile pour le pays qui l’a vu naître. M.Sanchez passa trois années auprès de Boërhaave( 1), qui le pressant de se faire recevoir docteur , apprit enfin que ce grade lui avoit été conféré à Salamanque, et qu'il avoit même pratiqué la médecime à Benaventi. Le professeur , étonné de la modestie de M. Sanchez, qui restant confondu parmi ses disciples lui avoit rendu l’hommage le plus flatteur, voulut lui donner à son tour une preuve de sa générosité. Il força M. Sanchez à reprendre les honoraires qu’il lui avoit payés comme étudiant : ces deux hommes , si dignes (1) M. Sanchez avoit une mémoire prodigieuse, Il étoit le seul À LU … . . 0 qui n’écrivit point les leçons de Boërrhaave; et il n’a jamais rien oublié de ce que ce grand professeur lui avoit appris. 228 ELOGES HISTORIQUES. de s’estimer l’un l’autre , sembloient vouloir se vaincre: à force de vertus. En même temps que Boërhaave enseignoit avec une abondance égale presque toutes les parties de la mé- decine , Sgravesande , Albinus, Gaubius , van Swieten, Osterdick , van Royen , Burman , répandoient sur l’école de Leyde un éclat dont l’Europe littéraire étoit jalouse. Enflamimée par la présence de tant de grands hommes, toute la jeunesse ne respiroit que pour l’instruction et pour la gloire. Ce fut dans leur entretien que M, San- chez puisa cet enthousiasme du bien, cet amour de la vérité qui ne s’affoiblirent jamais en li, et qui ont été les seules passions qu’il ait jamais ressenties. Nous touchons à l’époque de sa fortune et de som malheur , deux modifications de la vie humaine qui ne s’accompagnent que trop souvent. L’impératrice de toutes les Russies, Anne Ivanowna , pria Boëerhaave de choisir parmi ses élèves trois médecins auxquels elle destinoit des emplois honorables dans ses états. M: Sanchez fut désigné le premier ; et 1l partit aussi- tôt (1). Il fut d'abord placé à Moscow avec le titre de premier médecin de la ville (2) : il y pratiqua pendant deux _ (1) Il préféra cette place à celle qu'on lui avoit proposée à la Guadeloupe ou à la Martinique. ( Note fournie par M. Alvarez. } (2) Il avoit le droit d'examiner tous les médecins et chirurgiens qui se présentoient pour exercer dans la ville. PHYSIOL. ET MÉD. — SANCHEZ. 229 années , après lesquelles il fut appelé à Pétersbourg (1). Le docteur Rieger, alors premier médecin, le fit nom- mer membre (2) de la Chancellerie de médecine et mé- decin des armées impériales (3). Il parcourut en cette qualité une partie de la Pologne, où les armes de la Russie faisoient des progrès si rapides, qu'il avoit à peine le temps d'écrire ce qu'il croyoit digne d’atten- tion. En 1735, 1736 et 1737 , il fit, sous les ordres du maréchal Munich son ami, toutes les campagnes contre les Turcs et les Tartares. Il traversa l'Ukraine ; 11 suivit les bords du Don jusqu’à la mer de Zabache : les déserts de la Crimée et de Bachmut , tout le pays qui s'étend du Cuban aux plaines d’Azof furent com- pris dans ses voyages. Il examina les Kalmouks , les plus difformes de tous les hommes, dont les yeux très- écartés l’un de l’autre sont le caractère très-distinctif ; les Tartares de Nogai, qui conservent leur liberté, parce que , toujourserrans, ils n’ont point de demeure fixe à laquelle puisse s’attacher la chaîne de la dépen- dance ; ceux du Cuban dont le teint est basané ; enfin les Tartares de Kergissi, dont le visage est effrayant par sa largeur. Il compara entre elles ces différentes races d'hommes, dont les organes resserrés par nne tempé- rature froide , privés, sous un ciel ingrat , d’alimens dont la digestion soit facile , ne se développent n1 en. (5) En 1735. (2) En 1734 le docteur Rieger étoit président de cette chan- cellerie. (3) En 1735. 230 ÉLOGES HISTORIQUES. entier , n1 avec toutes leurs proportions : semblables à ces végétaux dont un souffle glacé endurcit l’écorce , épaissit les sucs , engourdit et détériore jusqu’au centre de leurs folioles les germes qui doivent en perpétuer l'espèce. M. Sanchez vit avec surprise au milieu de ces Tar- tares des hommes et des femmes qui ne leur ressem- bloient point (1). Le sang de Circassie et de Georgie ; allié avec celui des naturels du pays , dans les sérails , y produit des dégradations qui offrent toutes les nuances et les contrastes de la disproportion et de l’élégance des formes , de la laideur et de la beauté (2). Enfin M. Sanchez observa comment en se mêlant avec les Russes orientaux et les Chinois , les Tartares ont influé sur ces deux peuples , dont le dernier ne paroît différer que par de simples modifications. Ces résultats intéressans sont consignés dans le troi- sième volume de l'Histoire naturelle de M. le comte de Buffon , qui les a reçus de l’auteur, auquel il a offert un juste tribut d’éloge. L'usage que M. Sanchez en à fait est une nouvelle preuve de sa modestie. Tont annonce qu'il observoit pour son plaisir et non pour sa gloire. On ne pouvoit être plus empressé de parcourir le (1) Le teint de ces habitans est aussi blanc que celui des Russes, parmi lesquels les Tartares enlèvent quelquefois des esclaves. (2) Dans quelques parties de ces climats, à Kabarda, par exem- À ple, on trouve un peuple entier composé d'hommes dont la taille M est hante, dont la figure réunit l'agrément à la noblesse, et que w M. Sanchez présumoit y avoir été transporté, il y a à peu près \ 150 ans, de l'Ukraine. a en tn PT RTS EST ST U Ur a 7, Cf PHYSIOL. ET MED. — SANCHEZ. 231 monde et plus éloigné de s’ÿ donner en spectacle : 1l faisoit consister son bonheur à voir sans être vu. L’h1s- toire de ses voyages auroit sans doute été très-curieuse , et ceux auxquels il en a fait le récit regretteront tou+ jours qu'il ne les ait point publiés : mais accoutumé au. silence lors même qu'il avoit le plus de choses à dire; et à mûrir ses pensées au lieu de les répandre , il a mérité des reproches contraires à ceux auxquels s’ex- posent ces voyageurs malheureusement trop nom- breux qui ne peuvent traverser une province sans remplir un volume du long et fastidieux tableau de tout ce qui s’est offert à eux ; tableau que l’on voit, ainsi qu’ils le présentent , sans intérêt comme sans ins- truction. Le siége d’Azof fut remarquable par le grand nom- bre de maladies qui affligèrent les assiégeans et les assiégés. Il y observa la fièvre de prison et d’hôpital long-temps avant que sesillustres condisciples, Huxhanx et Pringle, en eussent parlé dans leurs ouvrages; et 1l prouva , par des faits nombreux, qu'il étoit utile de multiplier les hôpitaux et d’y entretenir une libre cir- culation d’air (1). Ayant comparé la marche des ma- (1) Comme il y avoit un grand nombre de blessés au siége d'Azof on fut obligé d’en envoyer quatre-vingts à deux lieues du quartier général, dans un endroit très-aéré ; ils furent tous guéris. Cette circonstance lui ouvrit les yeux sur le danger de l’infec- tion répandue dans les hôpitaux, et sur la nature de la fièvre de prison. Il fit encore une remarque, c’est que les troupes russes furent atta- quées en 1735 et 1736, pendant l'automne, d’une dyssenterie très-meut- 232 ÉLOGES HISTORIQUES. ladies et leurs crises dans ces climats très-froids avec ce que ses observati ons lui avoient appris en Portugal à il n’y trouva aucune différence notable. Cette cons- tance dans les opérations de la nature étoit déja connue par un petit nombre de médecins, qui avoient fait, dans les pays septentrionaux , les mêmes remar- ques qu'Hippocrate en Grèce. ) M. Sanchez portoit chaque jour ses observations sur un journal , dont une circonstance fâächeuse le priva au grand détriment de notre art. Il étoit lui-même atteint de l’épidémie qui régnoit devant les murs d’Azof lorsqu'on lui enleva une malle où étoient ses papiers. Cette perte l’affligea autant que la possession dut en paroître indifférente au voleur russe qui s’en étoit emparé. Nous devons les regretter ; parce qu'ils nous auroient fait connoître les rapports des maladies obser- vées dans nos camps avec le petit nombre de celles qui attaquent ces soldats fortifiés par le froid et la fatigue, dont l’estomac digère sans peine les alimens les plus grossiers , qui, dans les combats , songeant plutôt à obéir qu'à vaincre, ne se découragent point , ne mur- murent jamais , et qui forment des armées si redou- tables, parce qu'il n’y a point de climat où elles ne puissent se porter , m1 de saison dont elles ne bravent la rigueur. trière losqu’elles marchoïent sur les bords du Nieper et du Nies- ter jusqu’à la mer Noire; et cependant elles wavoient pas mangé de fruits: M. Sanchez à donc établi, il y a long-temps, que les fruits ne sont point la cause de la dyssenterie des armées, < PHYSIOL. ET MÉD. — SANCHEZ. 233 M. Sanchez revint à Pétersbourg avec toute la con- sidération que donnent des talens et des services. L’impératrice , voulant le récompenser , lenomma mé- decin du noble corps des cadets et se l’attacha ensuite à elle-même. La confiance de la princesse et de toute là cour n’étoit point l’effet de l’enthousiasme. Sem- blables à ces édifices brillans que l’on élève à la hâte, les réputations précoces manquent toujours de solidité. On avoit mis M. Sanchez à portée de faire ses preuves, et sa célébrité ne pouvoit déchoir, parce qu’elle étoit ‘ fondée sur des succès , et bien établie par le temps. L’impératrice étoit attaquée depuis huit ans d’une maladie dont la cause étoit mconnue. M. Sanchez an- nonça l’existence d’une pierre dans le rein. La prin- cesse mourut : son corps fut ouvert et le pronostic justifié. | Le prince Iwan avoit été déclaré l'héritier de la cou- ronne ; et Biren qui devoit à la foiblesse de la feue im- pératrice le duché de Courlande, et la régence même du royaume , avoit osé s’asseoir sur le trône à côté de ce malheureux enfant. Le duc de Courlande qui, comme tous les usurpateurs adroits , affectoit des égards pour les personnes protégées par l’estime publique , témoi- gna de la déférence à M. Sanchez : mais le duc ne tarda pas à être précipité du faîte de la grandeur , et toute l'Europe se réjouit de sa chute. La princesse de Brunswick s’empara de la régence (1) et de la garde de son fils. M. Sanchez fut nommé son premier médecin, (1) Elle prit le titre de grande-duchesse. 234 ÉLOGES HISTORIQUES. et celui du prince Iwan régnant , et il jura de veiller à leur conservation. C’est à ceux qui ont connu M. San- chez à dire combien un serment étoit sacré pour lui, et à ceux auxquels l'histoire de la Russie est familière à nous apprendre combien dans ces temps difficiles il étoit dangereux de se montrer fidèle à un pareil ser- ment. Qu'il est pénible lorsqu'on écrit l’histoire d’un homme vertueux et modeste d’avoir à parler de la perfidie des cours et des horreurs des proscriptions ! Le calme pouvoit-il durer dans un pays où la succes- sion à la couronne étoit devenue incertaine par la loi de Pierre I.er (1)? Un nouveau pas se forme ; la prin- cesse Élisabeth consent à se mettre à la tête du la révo- lution. Heureux les rois dont l’enfance se passe loim du tumulte des cours! et plaignons Iwan de ce que le trône fnt son berceau. On lui arrache un sceptre toujours mal assuré entre les mains de l’enfance , et la régente est traitée en criminelle d’état. M. Sanchez, honoré de sa confiance intime , ami du maréchal Mu- nich , accusé de liaisons avec madame Gloxin, qui a plusieurs torts apparens auprès de la princesse Élisa- beth, en joignoit un réel, celui d’être trop célèbre par sa beauté : M. Sanchez avoit plusieurs raisons pour se croire au nombre des proscrits. Depuis ce moment, point de repos , point de sommeil : il croyoit toujours (:) Elle introduisit un usage adopté par Auguste et par Tibère 3 Pierre I1.* devoit faire naître les troubles qui ont tant agité leur empire. PHYSIOL. ET MÉD. — SANCHEZ. 235 - voir un glaive arrêté sur sa tête. M. Sanchez étoit na- turellement foible; non de cette foiblesse qui se prête aux impressions du vice , et qui fait oublier la vertu, mais de celle qui se laisse accabler par le malheur , et qui reste sans force au milieu de l’infortune. Ses craintes étoient sur-tout augmentées par le caractère inquiet et jaloux d'un certain Lestocq , chirurgien , qui avoit été un des instramens de la révolution. M. Sanchez lui abandonna les places qu’il occupoit. Lestocq, par une suite du bouleversement général , devint premier mé- decin de l’impératrice ; et dans l’ivresse de sa bonne fortune , qui fut aussi courte que peu méritée , 1l épar- gna l’homme de bien dont il n’avoit rien à craindre. Il savoit que M. Sanchez étoit imcapable de fomenter une sédition , et 1l m’étoit pour eux qu’un témoin im- portun. Renfermé dans la plus étroite solitude, 1l pa- roissoit rarement en public : on finit par n’y plus penser ; et cet oubli, qui étoit l’objet de tous ses vœux, lui parut mille fois préférable aux distinctions dont il n’avoit jou que pour en connoître l’inconstance et le danger. La cour pouvoit oublier M. Sanchez, mais il étoit impossible à M. Sanchez d’oublier la cour : il man- quoit à son repos de fuir loin d’un pays qui lui avoit été s1 funeste. Les troubles étoient à peine appaisés lorsque le duc de Holstein fut attaqué d’une maladie des plus graves. Il fallut bien recourir à M. Sanchez , qui le guérit. Une place de conseiller d’état fut sa ré- compense : mais 1l en désiroit une autre ; c’étoit sa _ retraite. Il osa enfin la demander, et on lui accordä&lla _ 236 ÉLOGES HISTORIQUES, permission de faire un voyage en France. Le plaisir que ressent un laboureur en voyant se dissiper un orage prèt à inonder ses champs et à détruire ses mois- sons; celui qu'éprouve un convalescent lorsque , rendu à la vie, 1l jouit pour la première fois du beau spec- tacle de la nature ; ce bonheur n’approche point de la joie avec laquelle M. Sanchez apprit cette agréable nouvelle (1). Pendant son séjour en Russie , il m’avoit laissé échapper aucune occasion de contribuer aux progrès de la médecine et des sciences qui lui sont accessoires. M. Cook , premier chirurgien des armées russes, de- vant voyager jusqu'aux frontières de la Perse , M. San- chez le pria de lui envoyer les productions les plus intéressantes de ce pays. Il en reçut de la manne que Gmelin trouva différente de celle du commerce, et un sel que l’on regardoit comme un borax natif (2), et que Baron jugea n’être que du borax ordinaire mêlé avec la base du sel marin. La caravane qui part de la Russie pour Pekin fut un moyen dont il profita pour établir une correspon- (1) Il différa son départ jusqu’à ce qu’il eût obtenu par son crédit un établissement avantageux à deux neveux de Boërrhaave, que la famille de ce grand homme lui avoit adressés ; et ce délai, nul autre motif que son respect pour la mémoire de son maître . n’auroit pu l'obtenir. 11 partit ensuite avec le dessein de se fixer en France au milieu des beaux - arts et des lettres , si nécessaires a sa consolation. 2) On l'obtient en faisant évaporer l’eau de puits dans la- elle il est dissous. | #31 PHYSIOL. ET MÉD. — SANCHEZ. 237 dance utile avec les missionnaires établis à la cour de l’empereur de la Chine. Il faisoit avec eux des échanges, et 1l en recevoit des morceaux curieux, qu'il offroit volontiers aux savans : pour y avoir part, 1l suffsoit d’en savoir faire un bon usage. Il se ménageoit ainsi le plaisir d’obliger , qui seroit , sans doute, regardé comme le premier de tous, si son attrait étoit mieux connu des hommes. M. Sanchez fut long-temps un des associés les plus assidus de l’Académie impériale de Saint-Pétersbourg. Ami du grand Euler , ils contribuèrent ensemble à la gloire d’un corps qui, chargé du soin de faire fleurir les sciences dans les temps de trouble, avoit besoin que quelques-uns de ses membres les cultivassent pour elles-mêmes , sans se laisser distraire dans leurs tra- vaux. Plus d’une fois 1l avoit répondu d’une manière satis- faisante aux questions qui lui avoient été faites sur dif- férens sujets par les membres de l’Académie royale des sciences de Paris , à laquelle M. Mairanle proposa, et le fit agréer en qualité de correspondant. Ce titre, re- cherché parmi tons les peuples qui honorent les lettres, parut sur-tout très-recommandable en Russie, où l’on n’oubliera jamais que le restaurateur de ce vaste empire, Pierre Ier, se fit gloire d'occuper , sur la liste de cette * Académie , une place à câté de Newton et de montrer ainsi que , non content de figurer parmi les souve- rans, Pierre fut le premier czar, et en même temps le premier Russe digne d’être inscrit parmi les grands hommes. 238 ÉLOGES HISTORIQUES. Ici finit la vie publique de M. Sanchez. Paris fut le lieu au’il choisit pour sa retraite. C’est en effet la ville q P où 1l est le plus facile de s'offrir on de se soustraire aux regards de la multitude. Il y arriva en 1747, etilya vécu jusqu’en 1783 , c’est-à-dire 36 ans , non ignoré il ne pouvoit pas l'être ; mais éloigné de toute société bruyante , renfermé dans le cercle étroit de l'amitié , . livré à ses goûts , jouissant de lui-même, et, comme tous ceux qui ont vu de grandes choses , occupé de grands souvenirs. La révolution de 1741 avoit divisé sa vie en deux parties presque égales , dont l’emploi a été bien diffé- 4 rent. L'une s’est consumée en travaux , en efforts , et lui a obtenu des honneurs et des succès : l’autre s’est passée tout entière à les éviter. Autant le spectacle de la première est mobile et piquant par sa variété, au- tant celui de la seconde est uniforme et doux. Aucune catastrophe , aucun événement n’en ont interrompu le cours; chaque année lui ramenoit des jouissances aussi constantes que les saisons ; chaque instant du jour étoit rempli par des travaux agréables , par des re- cherches amusantes, et, n'oublions pas de le dire , par des actions de bienfaisance et d’humamité. On peut essayer de peindre un moment d'ivresse ; maïs qui pourroit tracer les détails d’une vie constamment heu- reuse ? Ce bonheur inséparable de la vertu ; sans la- L'état” quelle il ne peut subsister, n'est-il pas comme elle L | au-dessus de toute expression ; et comment le faire con- | noître à ceux qui ne sont pas dignes de l’éprouver ? Le premier savant que M. Sanchez connut à Paris, w PHYSIOL. ET MÉD. — SANCHEZ. 239 fut M. Falconnet, si célèbre par son érudition, et si recommandable par la bonté de son cœur. M. Sanchez trouva danssa bibliothèque tous les secours dont il avoii besoin , et bientôt il forma lui-même une belle collec- tion de livres (1). Sachant toutes les langues, et con- noissant tous les savans de l’Europe , il pouvoit lire leurs ouvrages et jouir en même temps du plaisir de comparer l’auteur avec ses productions ; parallèle qui ajoute beaucoup à l’attrait de la lecture. Il fut ainsi le premier instruit en France de l’usage et des propriétés des fleurs de zinc employées par Gaubius ; de la teinture de cantarides recommandée sous la forme de fric- tions en Écosse (2); de la racine de Colombo, de celle de Jean Lopez , de Pinheiro (3), et de la terre de Maffra (4). M. Payen, médecin célèbre de la Faculté de Paris, et quelques autres membres de cette 1llustre compagnie , étoient liés avec M.Sanchez, et ils se char- geoient de faire les essais des méthodes nouvelles dont il étoit instruit par ses correspondans ; car 1l avoit renoncé à toute fonction publique. Je suis mort, ré- (1) Des circonstances particulières et l'éloignement l’aveient em- pêché de faire transporter en France les livres qu’il avoit réun!s de toutes parts, et avec tant de peine, en Russie, . (2) Elle est connue à Edimbourg sous le nom de Tüinctura anti+ spasmodica. (3) On les emploie dans le traitement des diarrhées, et dans les cas où l’on a besoin d’amers ou d’astringens. On la trouve en Portugal dans les interstices d’un marbre noi- râtre, et on la vante comme topique dans le traitement des cancers. Employée à Paris, cette terre n’a eu aucun succès. 240 : ÉLOGES HISTORIQUES. pondoit-1l avec humeur , lorsqu'on le pressoit pour l’engager à voir un malade. Il y avoit cependant des cas extraordinaires dans lesquels 1l ne refusoit point son avis; et l’on se souvient de plusieurs succès brillans qu’il a obtenus par des moyens hardis, et sur-tout de la certitude avec laquelle une longue expérience et un coup d’œil des plus justes lui avoient appris à juger. Renfermé dans son cabinet, il y faisoit usage de cette liberté qu’il avoit recouvrée et qu'il préféroit à tout. Il changeoiïit de travail aussitôt que le sujet cessoit de lui plaire. Il commençoit ainsi un grand nombre d'ouvrages, et il en fimissoit peu. Agitant dans le silence et sans contrainte les questions les plus délicates, 1l se garda bien de publier le résultat de ses méditations, dont le recueil forme .vingt-sept volumes rédigés avec cet abandon et cette vérité qu’on se permet lorsqu'on est sûr de n’écrire , comme on ne pense, que pour soi seul. Religion, morale, politique, histoire , physique, médecine , rien ne lui étoit étranger: iln’y a aucun de ces sujets sur lesquels 1l n’ait profon- dément réfléchi , et quine soittraité dans ses manuscrits. On y voit combien il s’étoit occupé des intérêts du Portugal et de la Russie. Il importe au premuer de conserver ses colonies; M. Sanchez en a recherché les moyens (1). L'autre, immense dans son étendue, a besoin de liaisons qui rapprochent les habitans de ces grandes provinces si distantes du centre , avec lequel (1) Dès son séjour en Hollande, il s’étoit occupé de cet objet avec M. de Cunha, alors ambassadeur de Portugal, résident a la Haye. L PHYSIOL. ET MÉD. 2 SANCHEZ. 241 on ne sauroit trop multiplier leurs rapports (1); mais une opération sans laquelle celle-ci ne peut avoir lieu lui paroissoit devoir être la diminution des charges dont les cultivateurs sont accablés en Russie, et l’éta- blissement d’une législation qui détrmise la servitude en créant un peuple : car on ne, peut appeler de ce . nom une multitude toujours prète à rompre et à reprendre des chaînes dont le fardeau s’allège en se partageant, mais qui, réunies dans la main de celui qui gouverne , pèsent sur elle, lui échappent souvent et déviennent une cause de sédition, jusqu’à ce qu’un bras plus robuste ou plus adroïit s’en soit emparé. Dans «un de ses manuscrits, 1l expose l’origine de la persécution des Juifs et la manière de la faire cesser. On l’avoit plusieurs fois accusé lui-même d’être juif; mais, quelle que fût sa croyance , il avoit raison de vou- loir qu’on ne persécutât personne. Les arts libéraux avoient pour lui le plus grand charme. Il en a démontré les avantages dans une dis- sertation. Il lui étoit facile de faire voir combien ils peuvent être utiles aux peuples qui commencent à se civi- liser', en les açgcoutumant à sentir des nuances nulles au- paravant pour eux, et en donnant aux organes, qui ‘sont les instrumens des idées, un degré de dévelop- pement nécessaire aux progrès de l’esprit humain (2). @) M. Sanchez pensoit que le seul moyen de remplir ces vues étoit d'accorder des droits aux provinces conquises, et de les lier à l'empire, en imitant ce qu'Auguste a fait de semblable à Rome. (2) Il a laissé le plan d’une école d’acriculture et celui d'un D Me 16 L 242 ÉLOGES HISTORIQUES. M. Sanchez gardoit un ressentiment profond contre l’Inquisition , dont quelques-uns de ses parens et de ses amis avoient été les victimes. Un de ses manus- crits est intitulé : Pensées sur l’Inquisition, pour mon usage. Sans ce motif, 1] auroit retourné à Lisbonne, an lien de se fixer à Paris, qui doit se glorifier sans donte d’avoir été plusieurs fois l'asile de ceux que ce tiüibunal a poursuivis. | En têté de ses Réflexions sur les troubles qui ont mis lé scéptre entre les mains de l’impératrice Elisabeth , ot lit cette devise de VValsingham, secrétaire de la reine Elisabeth d’Angleterre : Wideo et taceo, je vois et je garde le silence : paroles qu'il ne se rappela jamais sans ressentir une partie de l’effroi qui les avoit inspirées. Ces manuscrits (1), dont le seul énoncé montre une cours de morale, qu’il auroit voulu introduire dans l'éducation publique. (1) Les mianuserits de M. Sanchez, remis à M. Andry, sontintitulés comme 1l suit : 1.° Pensées sur les effets de l’inoculation faite avec le poison de la petite - vérole, en différentes maladies, et particulièrement dans la maladié vénérienne. 2.0 Remarques sur l’ouyrage intitulé : Parallèle des différentes méthodes de traiter la maladie vénérienne. 3.2 Réflexions sur les maladies vénériennes. 4% De cura variolarum vaporarii ope apud Ruthenos omni me- morid antiquiori usu recepti. 5.2 De l’origine des hôpitaux, 1722. 6.° Du mariage des prêtres. 7.° Dissertation sur les passions de lame (en portugais), 1793. po PHYSIOL. ET MÉD. — SANCIIEZ. 243 ame active et grande, et une connoissance profonde du cœur humain; ce tableau de ses pensées, à qui — 8.° Dissertation sur les beaux arts, leur utilité, leurs incon- véniens , leurs avantages, 1765. 9.° Lettre adressée à l'Université de Moscow sur la méthode d'apprendre et d’enseigner la médecine. 10.° Instruction pour le professeur qui enseignera la chirur- gie dans lés deux hôpitaux de Saint - Pétersbourg. 11. Plan pour l'éducation d'un jeune seigneur. 12.9 Lettre sur les moyens de faire entrer un cours de morale dans l'éducation publique. 13.0 Origine de la dénomination de CHRÉTIEN ANCIEN et de CHRÉ- TIEN NOUVEAU dans le royaume de Portugal, et de; causes de la continuation de ces dénominations, ainsi que de la persécution des Juifs, avec les moyens de faire cesser en peu de temps cette distinction entre les sujets d’un même état, ainsi que la persé- cution des Juifs : le tout pour la propagation de la religion ca- tholique et l'utilité de l’état. (En portugais.) 14.° Dissertations sur les moyens propres à conserver les con- quêtes et les colonies de Portugal. (En portugais.) 15.0 Plan sur la manière de nourrir et élever les enfans - trouvés dans l’hopital de Moscow, 1764. 16.° Traité sur le commerce de l'empire de Russie, 1770. 17.9 Moyens pour conserver le commerce déja établi en Russie , et pour le faire fleurir à perpétuité, 1776. 15.° Moyens pour lier et attacher de plus en plus les provinces conquises à l'empire de Russie, de la même manière que le fig Auguste par rapport aux provinces de son empire, 1766. ‘ 19.0 Traité sur le rapport que les sciences doivent avoir ayec l'état civil et politique, appliqué à l'état présent de l'empire de Russie, 1765. 20.° Réflexions sur l’économie politique des états, appliquées particulièrement à l'empire de Russie , 1767. 21.° Réflexions sur l’état désavantageux des Jaboureurs de Russie, des esclaves des domaines et des seigneurs, lesquels souffrent les plus grandes charges de l'état, de manière qu'ils 244 ÉLOGES HISTORIQUES. M. Sanchez les remettra-t-11? À l’homime qu'il estime le plus, à son meilleur ami. C’est à ce titre que diminuent tous les jours en nombre, et font languir l’agriculture et les arts de première nécessité, avec des moyens propres à pouvoir recruter les armées de terre et de mer, sans y employer les labourcurs , et à récompenser les soldats et les officiers qui ont servi pendant vingt ans. 22.9 Projet pour l'établissement d’une école d'agriculture. 23.° Traité sur les moyens propres à augmenter le commerce de la Russie. 24.9 Traité dans lequel on prouve que l'introduction d'une sheils leure administration de la justice contribue à l’amélioration de la société. L 25.% Dissertation dans laquelle on examine-si la ville appelée par les Romains Pez-Augusta est celle de Beja en Portugal, ou celle de Bedajoz en, Castille. 26.° Une suite d'observations sur toutes les parties de la mé- decine, et principalement sur la pratique. Plusieurs de ces obser- vations sont particulières à M. Sanchez. 27.0 Moyens propres pour l'établissement d’un tribunal et d’un collége de médecine, afin que cette science soit toujours utile au royaume de Portugal et aux provinces qui en dépendent. (En portugais.) 28.0 PenséeS sur le gouvernement des Universités de médecine, et des médecins. 1754. En 1752 la Faculté de médecine de Strasbourg le consulta sur un cours de chirurgie pathologique qu’elle vouloit introduire dans ses écoles. M. Sanchez lui adressa un mémoire snr cet objet: Son plan fut adopté, et la Faculté lui ft écrire par M. Schocpflin que M. Boecler correspondroit directement avec lui. Elle le pria en même temps d'accepter comme une marque d'estime et de dé- férence les planches anatomiques d’un utérus double qu’elle venoit de faire graver. L En 1761 il envoya plusieurs mémoires aux premiers médecins des cours d'Espagne et de Portugal pour la réforme des Universités de Salamauque et de Coïmbre. LT PHYSIOL. ET MÉD. — SANCHEZ. 245 M. Andry, notre confrère, en a‘reçu le dépôt. En lui faisant ce don, M. Sanchez lui a légné une partie de lui-même. Pénétré de reconnoissance et de vénération pour la mémoire de cet ami respectable, M. Andry lui a consacré un éloge (1) dicté tout entier par le sentiment, et dont chaque phrase m'a laissé le regret de ne pouvoir m’exprimer comme lui en ne parlant que d’après lui. Une partie des manuscrits de M. Sanchez contient ses réflexions et observations de médecine. Dans sa pratique, comme dans sa manière de philosopher , 1l s’éloignoit toujours des sentiers frayés par la routine, IL étoit de ce petit nombre d'hommes qui prennent conseil d'eux-mêmes avant d’agir : aussi n’y a-t-1l aucun de ses ouvrages où l’on ne trouve quelques- unes de ces idées originales et neuves qui tendent à l’avancement des connoïssances, en nous portant hors du cercle de nos habitudes. Telle est la Dissertation sur les bains russes, qu’il offrit à la Société comme son tribut lorsqu'elle lui conféra le titre d’associé étranger. Que l’on ne croie pas qu'il se soit borné à décrire la forme de ces bains et l'usage qu’en font les nationaux. Il y a joint l’his- toire des gymnases et bains publics bâtis avec tant de magmificence par les Grecs, adoptés par les Romains, portés au plus haut degré de perfection par Auguste, abandonnés lorsque Rome devint chrétienne sous (1) Précis historique sur la vie de M. Sanchez, par M. Andry, en tête du catalogue de ses livres, in-8.°, 1788. 2.46 ÉLOGES HISTORIQUES. Constantin , et rétablis (1) après plusieurs siècles d’oubli, mais d’une manière imparfaite, à Constan- timople, dans quelques contrées de l'Allemagne et en Russie. M. Sanchez, après avoir décrit les procédés que l’on emploie pour dégager la vapeur de l’ean en la jetant sur des cailloux rougis, et les effets de cetté vapeur sur le corps humain, fait connoître combien est utile pour la guérison de plusieurs maladies la coutume de se plonger, à la sortie de ces bains, soit dans la neige, soit dans l’eau froide, afin de vaincre; par cette secousse, les dispositions au spasme ou aux obstructions, et d’accontumer les corps à des tempé- ratures opposées. Ces détails curieux sont suivis des regrets de l’auteur sur ce que, parmi tant d’établis- semens consacrés dans un siècle de lumières à Pagré- ment et à l'instruction des hommes, aucun n’a pour butde développer leurs forces , d'accroître leur vigueur, objet regardé comme important par les anciens, et dont l’histoire fait si bien connoître la liaison avec la gloire et les mœurs publiques. Car 1l n’y a qu'un peuple robuste qui puisse concevoir de grands desseins et les exécuter avec le courage et la constance néces- saires à leur succès. M. Sanchez, auquel un chirurgien avoit rapporté (1) Suivant M. Sanchez les bains russes tiennent le milieu entre Jes bains turcs et ceux des Romains ; il expose quelles sont les maladies dans le traitement desquelles les bains russes peuvent être utiles seuls, ou combinés avec d’autres remèdes. Voyez p. 233 des Mémoires de la Société royale de médecine, année 1779. L . PHYSIOL. ET MED. — SANCHEZ. 247 que le sublimé corrosif étoit employé à grandes doses en Sibérie dans le traitement des maladies vénériennes, l’essaya (1) plusieurs années avant que van Swieten eût publié ses réflexions à ce sujet (2). Il ft mème une obsèrvation importante : 1l remarqua que ce re- mède réussissoit plus sûrement et n’exposoit à aucune suite fâcheuse lorsqu'on soumettoit en même temps les malades à l’action des bains des vapeurs, qui, ramollissant le tissu nerveux de la peau, rendent les effets du sublimé .corrosif plus doux, en même temps que son énergie se déploie d’une manière plus com- plète et plus étendue. Les recherches de M. Sanchez sur l’origine du mal vénérien montrent encore combien il étoit éloigné d'adopter facilement les idées des autres, et combien il tenoit aux siennes. La déconverte de l'Amérique par Colomb, et la première apparition de la maladie vénérienne en Europe , étant des événemens très- remarquables , dont les époques coïncident à peu près, (1) M. Sanchez avoit fait des essais infructueux du remède antivénérien du docteur Barry, décrit volume IV , art. 4 des Medical essays, etc., comme Scroeber nous l’apprend dans ses Observa- tions, Æt cogitat, de peste quæ ann. 1638, 1739, in Ukrania grassata est, propos. VIT, exper. 7. M. le docteur Alvarez, célèbre médecin portugais, et ami de M. Sanchez, nous a donné sur cette partie de l’histoire de ce médecin les renseiguemens et les détails les plus exacts et les plus sûrs. (2) M. Sthelin, savant distingué fixé à Pétersbourg, et ami de M. Sanchez, nous a aussi communiqué des détails précieux sur la vie de cet illustre médecin. 248 ÉLOGES HISTORIQUES. il ne seroit point étonnant qu’on les eût fait dépendre Pun de l’autre, quand même il n’y auroit point ew de liaison entre eux. Telle étoit lopinion adoptée par M. Sanchez , et qu'il a soutenue contre l’avis du savant Astruc, et contre van Swieten, qui en avoit pris la défense. Nous nous contenterons d’exposer les auto- rités et les motifs sur lesquels M. Sanchez a établi des doutes que nul n’avoit élevés avant lui. Christophe Colomb a fait trois voyages en Amé- rique. On. convient de part et d'autre que le premier de ces voyages ne donna lien à aucun événement fâcheux ; mais il n’en fut pas de même du second, commencé en septembre (1) 1493, et terminé en juin (2) 1496 (5). L’équipage de Colomb revint (4); si l’on en croit Oviedo, infecté du “vice vénérien, et plusieurs Espagnols qui passèrent en Italie avec Par- mée que Cordova menoit au secours dn roi de Naples le répandirent dans ce royaume, où :3l fut contracté par les Français (5). Tel est le récit d'Oviedo, qui (à) -Le 25. (2) Le 8. (3) M. Astruc s’est trompé , suivant M. Sanchez, lorsqu'il a dit que Je voyage de Colomb a fini en 1494. En consultant les ori- ginaux on peut s'en assurer. (4) Il revenoit de l'Isle espagnole actuellement Saint-Domingue, (5) A la rigueur il seroit possible que Pierre Marguerit on An- toine Torés, qui partirent de l'Isle espagnole avant Colomb, eussent rapporté le germe du mal vénérien en 1495; mais les époques indiquées par Pinto et Delphini comme celles de son ori- PHYSIOL. ET MÉD. — SANCHEZ. 249 me l’a écrit qu’en 1535; mais Pierre Pinto, espagnol et médecin du pape Alexandre VI, dont les ouvrages ont été publiés en 1499 et en 1500, assure que la maladie connue sous le nom de morbus gallicus, à paru à Rome dès l’année 1493; qu’elle y a fait de grands ravages jusqu’en 1494, et qu’on employoit avec succès un topique mercuriel (1) dans son trai- tement. Pierre Delphini qui écrivoit en 1494, et Pierre Martyr, son contemporain, sont du mème avis que Pinto (2), et leurs témoignages peuvent, sans doute, être opposés à celui d'Oviedo. Charles VIII n’arriva à Rome qu’à la fin de décembre en 1494, et la flotte de Cordova ne mouilla devant Messine que le 24 mai 1495. Il est donc impossible que l’armée espagnole ait com- muniqué le mal vénérien en Italie, où 1l régnoit avant ‘la fin du second voyage de Colomb. M. Sanchez insiste avec raison sur ce que Ferdinand Colomb , dans l’his- toire de Christophe Colomb, son père, et Antoine Galli , membre alors du conseil des Indes, et qui a écrit d’après les mémoires mêmes du célèbre amiral, ont gardé le plus profond silence sur l’existence du mal vénérien à Saint-Domingue, (5) aux époques indi- gine sont antérieures, et les matelots de Marguerit ou de Torès ! CAN PE. n'ont pu se mêler avec l’armée de Cordova, qui étoit en marche -dès le commencement le la même année 1495. (1) Un onguent dont M. Sanchez a fait connaitre la compositiowr. (2) Baptiste Fulgose et Gaspard Torella fixent à l’année 1494 l’ap- -parition du mal vénérien en Italie et en Auvergne. (3) On l’appeloit alors l'Isle espagnole, 250 ÉLOGES HISTORIQUES. quées, et n’ont parlé que de maladies causées par la famine et la misère. M. Sanchez regardoit, avec Fracastor, le vice véné- rien comme une maladie qui, épidémique dans sa naissance en Jtalie vers l’an 1493 (1), s’est ensuite affoiblie en devenant plus ancienne et plus répandue. IL est impossible de réunir plus de connoissances et de faits en faveur d’une opinion, qu’on en tronve dans cet ouvrage de M. Sanchez (2) : on y reconnoît par- tout, non celle espèce d’érudition que l’on pourroit appeler parasite, parce qu’elle ne s’alimente que des passages cités et publiés par les autres, mais celle qui, riche de son propre fonds, est aussi féconde en moyens qu’elle est éclairée dans son choix. Une réflexion se présente d’elle-inême. On ne peut douter que la maladie vénérienne ne fût très-répandue à Saint-Domingue en 1498, époque du troisième (1) Elle se manifestoit alors, suivant les écrivains cités ci-dessus, par des éruptions au visage et sur la peau, et par des bubons, comme les maladies pestilentielles. ; (2) Voyez 1.° Dissertation sur l’origine de la maladie vénérienne, dans laquelle en prouve qu’elle n’a point été apportée d'Amérique, mais qu’elle a commencé en Europe par une épidémie : Paris, 1750, in-8.° ; et avec un nouveau titre, Didot, 1765, Cet ouvrage a été traduit en anglais par M. Castro, médecin de Londres. 2.9 L'Examen historique sur l'apparition de La maladie yéné- rienne en Europe, et sur la nature de cette épidémie, Lisbonne, 1774, in-8.°, Ces deux dissertations ont été réunies en un volume in-8.° en 1777, Leyde. M. le professeur Gaubius, qui a été l’auteur de cette édition, y a ajouté une préface, dans laquelle il paroît incliner pour l'opinion de son ami, PHYSIOT. ET MÉD. — SANCHEZ. 251 voyage de Colomb, qui en a fait dans ses mémoires une mention expresse : d’où M. Sanchez se croit fondé à conclure que cette maladie, inconnue dans l’Amé- rique avant l’arrivée des Espagnols, loin d’y avoir pris naissance, y a été portée par eux. S'il en étoit ainsi, de combien de maux les Européens auroiïent affligé les habitans du Nouveau -Monde! La petite- vérole, la rougeole, la rage, le mal vénérien, et, ce qui les surpasse tous, la soif de l’or et la servitude: tels sont les fléaux dont le grand intervalle des mers n'a pu les garantir. Osons espérer qu’une navigation plus heureuse leur portera enfin ces lumières que les sciences et les lettres seules répandent, dont un rayon éclaire déja le nord du nouveau continent, et qui ne peuvent apprendre à l’homme à se connoître sans lui inspirer le plus grand éloignement pour tont ce qui peut le dégrader et l’aviir! Ce que M. Sanchez a dit, dans le Dictionnaire encyclopédique , du mal vénérien , qu’il appelle chro- nique , est effrayant. Presque toutes les éruptions dar- treuses , les douleurs vagues, les engorgemens des glandes, le rachitis (1), ne lui paroissent être que les effets lents et funestes de ce vice affoibli ou dégé- néré : de sorte que, dans une grande ville telle que Paris, nul ne pouvoit, selon lui, se flatter d’en être (1) Il regardoit l’épaississement de la bile et plusieurs de ses maladies comme un effet le plus souyent produit par le vice vénérien. 252 ÉLOGES HISTORIQUES. tout-à-fait exempt. C’étoit sous ce point de vue quil traitoit les maladies les plus rebelles anx remèdes ordi- naires; mais, dans ce cas, il ne confioit son secret à personne. Le mercure, caché lui-même , modifié dans sa formule, opéroit sans être connu la guérison d’un mal également ignoré. IL évitoit ainsi, et les dif- ficultés que ne manquent jamais de faire ceux que le plus léger soupçon offense, et les objections de ces grands raisonneurs, qu'il est plus facile de guérir d’un mal, qu'il ne l’est de leur persuader qu'ils en sont atteints. La cour de Portugal, qui connoissoit l’attachement de M. Sanchez pour sa patrie, le consulta sur la ma- nière d'y faire fleurir les sciences, et sur toutes les pré- cautions relatives à la santé publique. Deux ouvrages écrits en langue portugaise (1) furent sa réponse. (1) Ces ouvrages, les plus étendus qu'il ait publiés, ont paru avec les titres suivans : 1.° Tratado da conservaçao da sande dos povos, etc., com hum appendix consideraçions sobre os terre motos, com 2 no- ticia dos mais considerandis deque fas mençao a historia, e duos ultimos que se sentirao na Europa desde o 1 de novembre 1755. In-4.°, 1756. ; HU Le 2.° Methodo para apprender a estudar e medicina illustrado , com os apontamentos para estabelecerre huma Univercidade real na qual deviam apprender -se as sciencias humanas de qua ne- cessita o estado civil à politico, in-8.0 , 1763. Les Considérations sur les tremblemens de terre ont été tra- duites du Portugais en italien en 1783 par M. Marcello Sanchez, frère de l’auteur. M. Sanchez avoit remarqué que le séjour de PHYSIOL. ET MÉD. — SANCHEZ. 253 7 Dans lun, en exposant les moyens propres à con- server la santé des peuples, il a fait parler aux lois le langage de la saine physique; dans l’autre, il a tracé le plan d’une umiversité royale où toutes les sciences modernes devoient être enseignées. Il vouloit qu'un hôpital annexé à cet établissement servit a l'instruction des élèves sous la conduite d’un profes- seur de médecine expérimentale. La chirurgie devoit être réumie à ce corps, et il proposoit l'institution d’une correspondance de médecine, à pen près sem- blable à celle que la Société royale est chargée d'en- tretenir; projet auquel nous devons sans doute l’em- pressement avec lequel il applandit à nos premiers efforts et le zèle qu’il mit à les seconder. M. Sanchez fut long-temps réduit à une fortune très- médiocre. La cour de Russie, dont il avoit si bien mérité, l’abandonna seize ans sans secours et sans recompense; triste effet des révolutions et des trou- bles, qui ne laissant subsister qne les droits de la - force, détruisent jusqu’à la trace du bienfait et de la reconnoissance. Il étoit réservé à l’impératrice actuel- lement régnante de réparer les torts de ses prédéces- senrs. Elle se souvint du médecin portugais qui avoit gnérie, dans sa première jeunesse, d’une maladie très- 4 grave, et elle Ini assigna une pension annuelle de _ mille roubles. Cette marque de souvenir combla de Lisbonne étoit devenu plus sain depuis l’époque du tremblement de terre de 1755. 254 : ÉLOGES HISTORIQUES. joie M. Sanchez, qui, malgré ses malheurs, avoit conservé un grand attachement pour la Russie. Il remplissoit à Paris les fonctions de correspondant de l’Académie impériale de Saint-Pétersbourg, à la- quelle il étoit chargé de donner des renseignemens sur les découvertes dont les sciences et les arts s’enrichis- sent chaque jour. Il mettoit dans cette commission un zèle et un choix qui la rendoient vraiment importante. Habile à distinguer les inventions que le caprice et la mode accréditoient, d’avec celles moins vantées, dont les avantages assuroient l’existence , 1l ne s’exposa point au reproche d’avoir fait connoître à Pétersbourg aucune de ces futilités scientifiques pour lesquelles le public montre successivement tant d’indulgence et dé mépris, et dont l'enthousiasme , quelque grand qu’il soit, peut être comparé à.ces épidémies légères, mais irès-répandues, qui ne portant à la tête qu’un trouble passager, ne laissent aucune trace de leur invasion dans les lieux qu’elles ont quittés. Plaignons seulement M. Sanchez de ce qu’il n’a pas assez vécu pour être témoin de ces belles expériences par lesquelles l’homme a si rapidement agrandi la sphère de son activité ; 1l a vu pendant ses dernières années les ridicules pré- tentions de l’empirisme si bien accueillies dans cette capitale, qu’il ne falloit pas moins que la sublime invention de MM. de Montgolfier, pour effacer ces torts aux yeux des peuples rivaux de nos talens et de notre gloire. | La santé de M. Sanchez avoit toujours été chan- PHYSIOL. ET MÉD. — SANCHEZ. 255 celante; des infirmités de plusieurs genres l’avoient tellement affoiblie, qu'il fut obligé pendant trente années de vivre dé régime , en faisant de ses connois- sances l’usage le plus difficile pour un médecin, celui de les appliquer à sa propre conservation (1). Déja ses forces étoient épuisées lorsque le grand-duç de Russie vint à Paris sous le nom de comte du Nord. Ayant appris que ce prince devoit l’honorer d’une visite, 1l s’empressa de le prévenir. Le grand-dune étoit à table lorsque M. Sanchez lui fut annoncé. Il l’accucillit avec distinction, et le fit asseoir à côté de lui. Le vieillard que la Russie avoit traité si bien et si mal se rappela dans un moment tout le passé; $a mémoire lui retraça ses succès et ses revers; il regarda avec attendrissement l'héritier d’un trône autour duquel il avoit vu tant d’orages, et il répandit avec profusion des larmes qui dirent au prince tout ce que sa bouche ne pouvoit exprimer. kRentré chez lui, M. Sanchez n’en sortit plus; et nous dirons avec M. Andry que ce fut la Russie qui, dans la personne du comte du Nord, reçut ses derniers adieux. Ses forces ren de jour en jour : bientôt il cessa de lire ; il éprouva même que la pensée devenoit | fatigante pour lui, et il succomba , le 14 octobre 1785, aux suites d’une fièvre rémittente , âgé de 84 ans. Malgré le soin extrême avec lequel M. Sanchez QE (1) Ses digestions étoient pénibles, et le foie étoit en, mauvais état. M. Sanchez a fait avec succès un usage long-temps continué de la rhubarbe, qu'il prenoit sous différentes formes. 256 : ÉLOGES HISTORIQUES. cachoit sa bienfaisance, 1l n’a pu la dérober tout entière à ceux dont il étoit environné. Les deux anec- dotes suivantes nous ont paru dignes d’être connues du public. me Une femme très-pauvre quivenoit le consulter, amena sonenfantavec elle. M. Sanchez, pour qui la naïve sim- plicité de cetâgeavoittoujonrs eu beancoup d’attraits, fit à cet enfant des caresses sans doute bien affectueuses , puisque , malgré tout l'appareil de la vieillesse et des infirmités, l'enfant se jetta dans ses bras, et poussa des cris aigus lorsqu'il fallut s’en séparer. Touché par ses pleurs, et sur-tout pressé par le désir de faire une bonne action, M. Sanchez demanda, comme une grace, la permission de le garder près de lui. Chaque jour il le voyoit heureux par ses soins, et le spec- tacle de ses jeux étoit pour M. Sanchez le délassement. le plus doux au milieu de ses travaux. Il lui a légué une somme considérable par son testament. I avoit un frère , aussi médecin, attaché aux troupes du roi de Naples, et dont la fortune a été long-temps très-bornée. Sollicité de nous envoyer des détails sur la vie privée de M. Sanchez : « Il y a très-long-temps, » a-t-1l répondu (1), que j'ai le malheur d’être séparé » de mon frère. Il ne m'a jamais parlé dans ses, lettres F : ke ; » que de son inquiétude sur mon sort, et 1l m'a tou- q , » jours fourni les secours les plus abondans. Sa géné- » rosité, ajoute-t-1l, m'a poursuivi jusqu'au fond de ! » la Sicile, et il a plusieurs fois trouvé le moyen de | (1) Dans une lettre du aa novembre 1583, adressée à M. Andry. PHYSIOL. ET MÉD. — SANCHEZ. 257 > me faire parvenir ses bienfaits dans des lieux d’où » je ne savois moi-même par quelle voie Je pourrois » lui offrir les témoignages de ma reconnoissance. » Celui qui a fait une fois le bien de cette manière a dû le pratiquer pendant toute sa vie. On ne reçoit que pour donner, disoit-1l. Ce fut sans doute pour conserver à la postérité le souvenir de ses rares vertus, long-temps admirées à la cour de Russie, que les armes de M. Sanchez furent décorées, par les ordres de l’impératrice, de cette légende si honorable pour sa mémoire et si propre à peindre un homme qui s’est toujours oublié lui-même pour ne s'occuper que du bonheur des autres : Non sibi, sed toti genitum se credere mundo. La place d’associé étranger , vacante par la mort de M. Sanchez, est maintenant remplie par M. Black, professeur de chimie à Edimbourg. T. 92: 17 258 ÉLOGES HISTORIQUES. PA LS LS ST PR Sd Sn S . SERRAO. «LD en ns 7 Fiiscoe S£eRRAO, premier médecin du roi de Naples , remier professeur de médecine pratique , doyen de 1 P P prauque, doy a Faculté, et ancien secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences de la même ville , associé étranger de la , 5 Société royale de médecine, naquit en octobre (:) 1702, à Saint-Cyprien , village de la Campanie (2) dans le royaume de Naples, de Paul Serrao et d'Hippolyte Furnia (3). Plusieurs éloges de M. Serrao ont été prononcés à Naples , et sa patrie a été juste à son égard, M. Fasano , l’un de ses confrères , a scrupuleusement recneilli tous les événements de sa vie dans un ouvrage latin (4), dont le style est élégant et pur , mais dont nous blämerions y 5 9 l'étendue s’il w’avoit pas été dicté par l'amitié (5). (1) x1 Kaz. (2) A quatre milles d’Aversa et à douze milles de Naples. .” (3) De la ville d’Aversa. (4) De vita, muniis et scriptis Francisci Serrai, philosophi et me- dici neapolitani clarissimi, Commentarius : Neapoli , 1784 : ex typo- graphia simoniana publicä& auctoritatc. Précédé du portrait de M. Serfao, dont l’épigraphe étoit : Vivere est benè agere. (5) L'auteur, en parlant de M. Serrao, rend compte de ses PHYSIOÏ. ÊT MÉD. = SERRAO. 2659 Ce recueil de M. Fasano nous à fourni des résuitats intéressans ; il montre M. Serrao respectueux et tendre envers ses parens , fidèle observateur des devoirs que la reconnoissance impose , humain et généreux , qua- lités sans lesquelles il n’est point de vertu. Il oubla tout pour sa mère qui mourut entre ses bras ; 1l ext deux amis qui n’étoient pas riches et qui ne firent rien pour le devenir, parce qu’il l’étoit assez pour eux et pour lui; il conserva dans l’opulence un grand res- pect pour la famille nombreuse des indigens , dont il avoit lui-même fait partie ; il se jugea toujours bien, parce qu'il compara toujours ses premiers efforts avec ses derniers succès. Il passa du lit des pauvres à celui des grands, et du lit des grands à celui des rois ; c’est- à-dire qu'il connut tous les genres de misère : mais'il se souvint qu'il avoit puisé son instruction chez les pauvres , et qu'il leur devoit cette expérience qui , parmi nous, constitue le véritable savoir. A Naples, tout le monde connoissoit M. Serrao ; 1l étoit sur-tout l'idole de cette multitude oisive et indisciplinée que l’on y voit répandue sur les ports et dans les places, et que l’on croiroit tout-à-fait avilie, si elle ne censervoit actions les plus indifférentes. C’est une erreur de croire honorer la mémoire des grands hommes en publiant de longs commentaires sur leur vie et sur leurs ouvrages. L'histoire ainsi présentée seroit, de tous les monumens, le plus périssable. Ne pourroit-on pas dite qu'il en est de tous les écrits que l’on destine à la postérité comme de ceux que l’on envoie à de grandes distances? S'ils sont trop volumineux, on doit craindre qu'ils n'arrivent pas à leur adresse, 260 ÉLOGES HISTORIQUES. . un sentiment profond de sa liberté. Plus d’une fois ces hommes qu'il avoit secourus l’environnèrent à son passage , et le forcèrent de s'entendre bénir par eux. l'élicitons-nous d’avoir à loner l'esprit et les travaux d’un savant qui {ut un bon citoyen, et dont la perte a fut couler les larmes du peuple en même temps qu’elle j - a excité les regrets de l’Académie. M. Serrao se fit remarquer de bonne heure par une grande ardeur pour l'étude , et ses parens réumirent leurs épargnes pour subvenir aux frais de son éduca- tion. Il fut envoyé au collége d’Aversa , et ensuite à Naples. Lorsqu'il ent fini ses bumanités (1) , des personnes puissantes l’engagèrent à embrasser la profession d’avo- cat; mais 1l fut effrayé par le grand nombre de lois et de décrets qu'il falloit connoître , et par la contra- diction des textes qu’il falloit interpréter. La médecine lui parut indépendante de ces entraves : celui qui la pratique ne trouve point entre son devoir et sa raison la barrière de l'autorité , n1 les réclamations de la coutume; c’est toujours avec la nature qu'il traite, ce sont toujours ses lois qu'il observe ; et lorsqu'il cesse de voir , 1l peut toujours cesser d’agir. M. Serrao se livra donc à l’étude de notre art. Il étoit alors âgé de vingt ans. La philosophie de (1) Pendant les vacances il revenoit chez ses parens. Il ÿy com- mença des recherches curieuses, qu’il compléta dans la suite, sur les noms et la forme des instrumens aratoires décrits par Virgile dans ses Géorgiques, et comparés à ceux que l’on emploie ac- tuellement ER Le DR R PHYSIOL. ET MÉD. — SERRAO. 265 tère ; c'estaussi pour ceux qu'il traite et auxquels il faut souvent qu'il sache la communiquer. Peu de temps après, M. Serrao composa un second discours , pour lequel il obtint l'approbation des censeurs;, et, lorsqu'il fut pro- noncé , 1lleur fit voir qu'il contencit les mêmes prin- - cipes que le premier, et qu'il ne méritoit pas plus d’indulgence. Depuis cetie époque on craignit de se compromettre en l’aitaquant , et 1l conserva sa liberté , parce qu'il avoit eu , ce qui est assez rare , la hardiesse de la défendre. Les connoissances de M. Serrao dans la critique et dans l’histoire avoient inspiré tant de confiance aux gens de lettres , que la plupart le consultoient sur leurs recherches. C’est ce que fit le célèbre Mazocchi lors- qu'il publia sa fameuse Dissertation sur la hache, considérée comme symbole dans les monumens anti- ques (1). M. Serrao lui écrivit à ce sujet une lettre remplie d'observations curieuses et de remarques origi- nales, que Mazocchi fit paroître avec son ouvrage. NE. Serrao n’oublia point ce trait, qu'il appeloit de la générosité , quoique ce ne fût que de la justice. Après la mort de Mazocchi, 1l rassembla tout ce qui pouvoit honorer sa mémoire ; il recueillit un grand nombre de circonstances jusqu'alors peu connues de ses tra- vaux ; 1l publia les recherches de ce savant sur les ins- criptions des anciens temples de la Campanie, et il dédia cet ouvrage au marquis de Polemi, qui réunis- soit le goûs des antiquités à celui des mathématiques. (1) De dedicatione sub ascia. 17,8. 266 ÉLOGES HISTORIQUES. Cependant il se préparoit une révolution utile aux progrès des sciences et des lettres. L’archevêque de Thessalonique jetoit à Naples les fondemens d’une académie dont M. Cyrillo devoit être nommé président, et dans laquelle M. Serrao devoit exercer les fonctions de secrétaire. On remarque dans les Mémoires de cette académie , dont il a été le rédacteur , des observations sur l’aberra- tion des étoiles fixes , et sur l’explication que Bradley a donnée des phénomènes célestes ; des recherches sur le mouvement en général et sur la manière dont Leibnitz en estimoit la quantité. On y trouve l’analyse d’un grand nombre d’eaux minérales chargées de foie de soufreet de bitume, dont abonde le royaume de Naples, soutenu tout entier sur des volcans. Depuis sept années le Vésuve brûloit d’un feu tran- quille lorsqu’en 1737 une éruption des plus violentes produisit des phénomènes inattendus. Le roi Charles, | pour qui ce spectacle étoit nouveau , chargea son Aca- démie des sciences d’en publier l’histoire , et M. Serrao fut choisi pour rédiger en un corps d'ouvrage les faits que l’on pourroit recueillir. Ce traité ; écrit en italien , a été regardé long-temps comme le plns exact qua eût paru sur cette matière. M.Serrao avoit pris pour modèle la description d'un des incendies de l’A£thna par Borrelh. Après avoir jeté un coup d'œil général sur les divers produits des volcans , sur les effets de leurs secousses , sur leurs rapportsavec l’émigration de certains peuples , et sur les monumens qu’ils transmettent à Piustoire , PHYSIOL. ET MÉD. — SERRAO. 267 il considère les principales variétés, et les circonstances les plus frappantes de leurs éruptions. Il remarque que Pline n’a point parlé de ces fleuves de matières embrasées qui coulent quelquefois des flancs de la montagne , et dont, jusques au temps de Cassiodore , nul auteur n’a fait mention. En 1631, une calamité nouvelle alors se joignit à celles dont jusqu'à cette époque le Vésuve avoit été le foyer. La terre s’ébranla au loin : on entendit des mugissemens profonds quise répétoient par intervalles. Le cratère vomit des flots d’étincelles et de fumée ; l’air s’obscurcit, fut sillonné d’éclairs; les éclats de la foudre se mélèrent au bruit du volcan et au sifflement des corps qui s’élançoient de ses abîmes. Tout-à-coup l’at- mosphère entière sembla se fondre en eau ; des torrens coulèrent de toutes parts , et la campagne fut ravagée. Ses malheureux colons , frappés d’une frayeur mor- telle, crurent que les eaux de la mer, pompées et répandues par le volcan, produiroient un déluge dans lequel ils périroient tous. Cette terreur s'étant renou- velée plusieurs fois dans ce siècle |, M. Serrao fit voir que la mer n’avoit aucune part à ces inondations, et que des pluies abondantes , versées sur un sol bitumi- neux, étoient la seule cause de ces désordres. L'éruption de 1507 produisit d’autres effets. Des pierres calcinées , des roches brisées et noircies furent rejetées avec fracas par le volcan ; des nuages épais de poussière et de cendre en sortirent ; le soleil en fut yoilé , la terre en fut couverte. Tantôt onctuense, tantôt sèche et friable, cette pluie d'un nouveau genre 268 ÉLOGES HISTORIQUES. incrusta les arbres et les fruits, écrasa les plantes, suf- foqua les animaux ; combla les vallées , changea le Bt des rivières ; poussée par des vents impétueux, elle porta l’étonnement et l’effroi jusque dans l'Égypte ; et les habitans de la Campanie se virent sur le point d'être ensevelis vivans sous ces ruines de la nature. Mais le volcan s’appaisa, le ciel reprit sa clarté ; de fortes rosées mélèrent la cendre avec la glèbe ; des sels utiles en furent extraits ; et le cultivateur , toujours content lorsque son champ est fertile , oublia ses cha- grins et reprit sa gaieté parnu les travaux d’une récolte abondante. En 1737, la montagne s’échauffa successivement de proche en proche ; elle s’embrasa enfin tonte entière , et sa masse énorme, étincelant de toutes parts, offrit à la cour de Naples et à la multitude assemblée le spectacle pyrrhique le plus imposant que lPoœ1l eût jamais aperçu. | A ces détails est jointe une table exacte du poids et de la chaleur de l'air, de l’état des vents, des mé- téores aqueux , et des divers autres phénomènes atmos- phériques qui ont accompagné l’éruption de 1757. On y trouve des recherches curieuses sur les mofettes , sur les laves , sur leurs différences , sur leur boursoufle- ment et leur cristallisation , sur leur décomposition et leur mélange , sur leur dureté et sur leur pesanteur, comparées à celles des laves de la Sicile. Enfin M. Serrao a décrit l’état du Vésuve avant et après cet incendie , qui fut le vingt-deuxième depuis l’an 79 de notre ère, époque de cet embrasement mémorable où périrent PE", Le pe > PE LE en GPS nee PR ETES D nt gp, PHYSIOL. ET MÉD. = SERRAO. 269 deux cités (à) et un grand homme (2) : trois malheurs qui seront à jamais présens au souvenir de la postérité. De l’abus que l’on a fait de la religion, de la mé- decine et de l'astronomie , ont résulté trois grandes sources de maux ; le fanatisme , le charlatanisme et la superstition. Le moyen le plus efficace que l’on puisse opposer à ces égaremens de l’esprit, c’est d’en faire connoître l’origine, les causes etles dangers, en les dénonçant au tribunal de la raison. Telle a été la con- duite de M. Serrao lorsqu'il a publié, sur les accidens mal à propos attribués à la morsure de la tarentule , des recherches où est consignée l’histoire d’une des plus singulières erreurs qui aient subjugué non seu- lement le peuple, mais les savans eux-mêmes. Je demande la permission d’entrer ici dans quelques dé- tails sur ce genre de prestige qui conserve encore des partisans dans les pays où l'ouvrage de M. Serrao n’est point connu. On donne le nom de tarentule à une des plus grosses araignées de l'Europe (3) qui se trouve dans la partie (1) Herculanum et Pompeïa. (2) Pline. (3) Parmi les araignées-loups. (_Zraneæ-lupi.) Araignées vagabondes qui ne filent point de toile, et qui attra- pent leur proie à la course. Araionée-Tarentule. (Zranea tarantula.) Aranea-Tarantula subtus atra , pedibus subtus atro-fasciatis. Lix. Syst. nat. 1035. 35.— Fas. Syst. ent. 438. 34. Sp. ins. 1. 545. 45. — Azsinus, Hist. ins. pl. 38, Baczrvi. Les yeux de cette araignée sont au nombre de huit, dont quatre petits, placés antérieurement suraune ligne transyersale, et 270 ÉLOGES HISTORIQUES. méridionale de la Provence, en Sardaigne , en Sicile ; dans le royaume de Naples, et sur-tout dans la Pouille ; quatre plus gros, formant un carré au-dessus de la tête vers le corcelet. Lorsque l’insecte est vivant ces derniers paroïssent rou< geàtres. Ses tenailles sont très-fortes; elles sont terminées par une pointe noire très-dure. Le corcelet est grand et convexe; il est d’une couleur obscure dans son milieu, et ses bords sont dun gris nébulenx, L’abdomen est ovale et de grosseur moyenne; ilest, comme le corcelet, d’un gris nébuleux, avec quelques taches obscures de forme triangulaire, qui s'étendent de la base sur le dos ; et jusque vers la pointe. Les premières sont d’une couleur plus obscure ; elles sont contignës, tandis que les autres sont séparées ; et d’une couleur moins foncée. La poitrine, le ventre et la pre- mière pièce des pattes sont d’un très-beau noir. Le noir du ventre est bordé de fauve. Les pattes, à leur partie supérieure, sont dun gris nébuleux , et couvertes de quelques poils roides; elles sont d’un gris plus clair en dessous avec des bandes noïres. On la trouve dans presque toute l'Italie, dans le royaume de Naples ; en Sicile, en Sardaigne , en Corse, et dans la partie méridionale de la Provence. Cette araignée ne file point sa toile : elle creuse dans un terrain sec et inculte un trou cylindrique de 4, 6, 8 et 10 lignes de diamètre; de 3,4, 5 et 6 pouces de profondeur. Elle en consolide les parois avec quelques fils qu’elle tire de sa partie postérieure, et qui servent seulement à empêcher l'éboulement de la terre; c'est là le nid ou l'habitation de la tarentule. La grandeur de ce tou est toujours proportionnée à la grosseur de l’araignée ; äl est étroit et peu profond lorsqu'elle est encore petite ; elie l’agrandità me- sure qu'elle grossit. L’araignée se place ordinairement à l’ouver- ture de son nid, et , lorsqu'elle aperçoit un insecte, elle court et s’élance dessus avec une vitesse prodigieuse; elle le saisit avec ses tenailles, l'emporte dans son habitation, et le dévore presqu’en- tièrement, ne laissant que les parties les plus dures, comme les pattes et les ailes. Elle va souvent courir dans les champs et y chercher sa proie ; mais elle revient toujours à son nid. L’accouplement de la tarentule, semblable à celui des autres PHYSIOL. ET MÉD. — SEPRRAO. 271 près de la ville de Tarente. Cette araignée se creuse dans la terre nn trou perpendiculaire et cylindrique dont elle tapisse les parois de quelques fils. Ses tenailles sont très-grosses et terminées par pointes très-fortes. Dans le mois de juillet le mâle cherche la femelle. C'est alors sur-tout que l’on rencontre ces insectes et espèces , n’a lieu que lorsque , parvenue à tout son accroissement, elle s’est dépouillée de sa peau pour la troisième fois. C’est dans le temps des plus fortes chaleurs de lété, c’est-à-dire dans le mois de juillet, que l’on aperçoit le mâle autour du nid de la femelle. Peu de temps après l’accouplement celle-ci pond un grand nombre d'œufs, de la forme et de la grosseur des graines de pavot blanc. Elle les place dans une coque de soie blanche, qu’elle attache à sa partie postérieure et qu’elle porte toujours avec elle. Lorsque les petits sont prêts à éclore, elle la déchire elle-même pour qu’ils puissent en sortir. Elle les porte ensuite sur le dos jusqu’à ce qu’ils soient assez forts pour se creuser un nid et pourvoir eux-mêmes à leur nourriture. La tärentule est très-cruelle ; elle attaque non seulement les autres insectes dont elle se nourrit, mais elle n’épargne pas seu- lement sa propre éspèce. Lorsque deux de ces araïgnées se ren. contrent, si elles sont à peu près d’égale grosseur elles s’attaquent avec fureur; le combat est long et opiniètre, il ne finit que par la mort de la plus foible , que l’autre dévore à l'instant : mais il arrive souvent que celle qui succombe a blessé son ennemie au point qu'elle ne lui survit que peu de temps. Lorsqu’eiles sont de grosseur inégale, et par conséquent d’inégale force, la plus foiblé prend la fuite, et l’autre ne Ha poursuit jamais. On ne rencontre point la tarentule dans les champs pendant l'hiver; elle passe cette saison dans son nid, après l’avoir bouché avec soin pour se garantir du froid et de l’eau. Elle y est dans une espèce d’engourdissement, d’où elle ne sort que lorsque la chaleur du printemps a ranimé la nature. (Note rédigée d’après les observations de M. Mauduyt.) 272 ÉLOGES HISTORIQUES. qu'ils sont le plus disposés à mordre ; mais 1ls ne sont pas bien à redouter , leur morsure produisant tout au plus quelques taches érésypélateuses, et des crampes légères. Voilà le vrai. L’on a exagéré et l’on a dit : La bouche de la tarentule est armée de douze crochets toujours agilés et toujours menaçans ; son poison détruit le sentiment et la vie ; la musique et la danse (1) peuvent seules prévenir des suites aussi fà- cheuses; quelquefois, a-t-on ajouté , le mal se repro- duit après la révolution d’une année : on a recours alors au mème remède avec le même succès, et rien de ce qui se passe dans le paroxisme ne reste présent à la mémoire du blessé. Une circonstance incroyable (2) 4 mais que personne 1’osoit révoquer en doute , étoit que le vein de la ta- rentule produisoit dans ceux qu’elle avoit mordus une répugnance invincible pour les couleurs noire et bleue, et qu'il leur donnoit un penchant décidé pour le blanc, le rouge et le vert. Un docteur qui avoit observé ces in- sectes de plus près, disoit-1l, qu’on ne l’avoit fait avant : lui, prétendit s'être assuré qu'ils aimoient beaucoup la (1) Il y a un air consacré à ces danses, auquel on a donné le nom de Tarantella, Ermuzzer. (2) Facit hoc animal (tarantulla) mirabilia symptomata...…. unum verd dicunt, præcipuum facere, qudd quando momordit aliquem, in eo statu et opere, in quo invenit, semper eum con- servat usquequo venenum è corpore pulsum sit; ita ut si mors . deat aliquem ambulantem, semper ille ambulet; si tripudiantem, semper tripudiet ; si ridentem, semper rideat, etc. Jer. Mercur., Lb. 11, cap. VI, et della Tarantola, per Serra0, p. 176. PHYSIOL. ET MÉD. — SERRAO. 273 sique , et 1l s'empressa de publier cette découverte. On alla plus loin encore : un autre écrivit qu'il avoit sur- pris des tarentules dansant en mesure | comme les ma- lades eux-mêmes, au son des instrumens ; et ces fables trouvèrent des protecteurs. On l’avoit vu, disoit-on : 1l falloit bien le croire. F Ce que le peuple racontoit , les physiciens s’effor- çoient de l'expliquer. Suivant Mead, le premier effet de ce venin se portoit sur le sang; suivant Geoffroy (1), il agissoit sur les nerfs : ainsi l’aveuglement étoit gé- néral , et la maladie que l’on appela tarentisme trouva place dans tous les Traités de médecine. Mais , d’après les recherches de M. Serrao, nul au- teur n’en a fait mention avant le quinzième siècle de notre ère. Il n’en existe pas la moindre trace dans les ouvrages de Strabon, de Pomponius Méla, de Tite- Live, de Florus , de Trogus Pompée , de Tacite. Com- ment Pline et Varron, qui ont décrit les diverses produc- tions et vanté les sites de ces campagnes, auroient-ils gardé le silence sur les tarentules , si on les avoit redou- tées alors? etsur-tout, comment Horace, qui parcourut cette province avec Mécène pendant une des négocia- tions d'Antointe et d’Octave , auroient-ils pu dire d’une terre jonchée d'insectes venimeux : Je me retirerai dans ce pays que le Galèse arrose de ses eaux himpides, où les troupeaux sont couverts de riches toisons, où (1) Mead, Geoffroy, Grube et Schuchzer n’ont écrit que d’après Baglivi, qui ne pratiquoit point à Tarente, et qui lui-même n’avoit pas pris la peine de s’assurer du fait qu'il vouloit expliquer. PE 19 274 ÉLOGES HISTORIQUES. coule un miel délicieux : c’est là, mon cher Septimius, où tu pleureras sur la cendre de ton ami (1). On conçoit bien que le génie et les mœurs des Ta- rentins ont dû éprouver de grandes variations , et que les habitans de ces contrées n’ont rien de commun ni avec les Lacédémoniens qu'y conduisit Phalante, ni avec les sages et heureux contemporains de Pythagore et d’Archytas, ni avec ces hommes efféminés que Tite- Live a peints célébrant les fètes de Plutus. Mais les insectes de ces climats n’ont pas dû changer , et s'ils n’étoient pas venimeux alors , comment le seroient-ils aujourd’hui ? A ces témoignages tirés de l’histoire, j'ajouterai les faits suivans que M. Serrao nous a transmis. Déja le docteur Épiphane Ferdinandi , médecin habile, avoit assuré que la morsure de la tarentule m’étoit point mortelle, et qu'il avoit vu plusieurs personnes y sur- vivre sans le secours de la danse ni de la musique (2) ; (:) Unde, si Parcæ prohibent iniquæ, Dulce pellitis ovibus Galesi Flumen, et regnata petam Laconi Rura Phalanto. Ille terrarum mihi præter omnes Angulus ridet, ubi non Hymetto Mella decedunt, viridique certat Bacca Venafro : RATE RETENETS ... . ibi tu calentem Debità sparges lacrymà favillam Vatis amici. HorarT. Lib, II, ode 1v. (2) Multarum experientiarum teslimonio conyincitur, phalangia 4 PHYSIOL. ET MÉD. — SERRAO. 275 mais l’impulsion étoit donnée , et l’on aimoit mieux s’en rapporter aux écrits du célèbre Baglivi , partisan gélé de cette erreur, qu'aux observations simples et vraies d’un médecin peu connu. Heureusement une dispute des plus vives s'étant élevée à ce sujet entre les docteurs Sangineti et Claritio, celui-ci provoqua son adversaire à une expérience publique. Il ne craignit point de se faire mordre par des tarentules dans la saison des plus grandes chaleurs ; 1l ne s’ensuivit au- cun accident fâcheux , et le courage d’un seul homme triompha d’un préjugé de trois siècles. M. Serrao multiplia ses essais; il les publia dans un ouvrage italien, écrit avec élégance (1) : on le lutet on se détrompa. Il y a donné la description exacte des spasmes violens, des convulsions et de l’angoisse qu’é- prouvoient les malheureux dont l'esprit étoit agité par la crainte de la mort. Il y a dévoilé l’art trompeur des histrions qui simuloient ces désordres pour offrir à TEE ET D Tete pare pnenge taematnr ne eue apula à plerisque curiosis homnibus , ut rei peric ilum facerent , carnibus plurimorum admota, ïllas quidem morsu Wforcipibus arripuisse , absque eo quod à phalangio ictos sese animadverterent ; nec tamen postea ad Saltus prosiliisse, aut illa fecisse quæ fieri conspiciuntur à nostris tarantatis. Imo nonnullos honestos, dignosque : fide homines testatum facientes audivi, sæpius nocte in medio arearum se quieti dedisse; et, somno excusso, circumquaque à phalangiüs, vestibus et carnibus inhærentibus , obsitos sese compe- » risse ; nec abillis omnino læsos : aut si morsibus appetitos, ad saltus mon prosilüsse, ( Valetta et della tarantola per Serrao , page 152, ) (1) Della tarantola osia falangio di puglia lezioni academiche di Francesco Serrao, professore di medicina nella regia Univer= sita. in-4.0, Napoli, 1742. 276 ÉLOGES HISTORIQUES. volonté le spectacle du tarentisme aux voyageurs. On y trouve une image fidèle des fourberies renouvelées tant de fois, et dont le souvenir est encore si récent parmi nous ; On y apprend à se défier des grands noms trop souvent attachés à de petites choses ; on y voit l’imposture et la crédulité préparer leur ruine par la rapidité même de leurs progrès ; l'imagination s’y montre avec tout son empire, d'autant plus à craindre qu'elle commande lorsqu'elle paroît obéir : sa force se compose de notre foiblesse, et c’est sur-tout , en trom- pant les yeux , qu’elle sait égarer la raison. On demande comment, lorsque l'esprit se distingue par tant de conquêtes et de travaux , les illusions les plus grossières peuvent se placer à côté des découvertes les plus importantes , et partager avec elles l’attention et la confiance publiques. C’est que du surprenant au merveilleux il n’y a qu’un pas pour le peuple, qui n’en connoît point les limites , et que tout paroît pos- sible à l'ignorant dont quelque phénomène imposant a excité l'enthousiasme et subjugué l'imagination. De grandes erreurs peuvent donc trouver des partisans dans des siècles de lumières ; mais c’est alors que leur faux éclat s'anéantit pour toujours : on fait leur procès par écrit; l'opinion publique les condamne à un opprobre éternel , et, tant qu'on saura lire, elles ne reparoîtront point parmi nous. L'ouvrage de M. Serrao sur la tarentule lui donna de la célébrité comme écrivain ; on s’aperçut qu'l avoit en même temps une plume élégante et une tête forte. On reconnut en lui cette haine des préjugés, : : » PHYSIOL. ET MÉD. — SERRAO. 277 cette liberté d’esprit , si redoutables à ceux qui vivent des erreurs publiques, et on s’efforça de le rendre sus- pect à la multitude qui l’admiroit; mais le roi ne par- tagéa point ces impressions , et il continua de lui don- ner des marques de sa confiance en le chargeant de plusieurs travaux. Le grand-seigneur ayant fait présent en 1742 au roi de Naples d’un éléphant de la plus grande taille, sa majesté désira que M. Serrao l’observât et qu'il en décrivit les habitndes et les mœurs. M. Serrao y joi- gnit un extrait de tout ce que les anciens ont écrit de plus remarquable sur cet animal , et il en résulta un ouvrage .que l’on peut regarder comme le recueil le plus complet qui ait paru sur les éléphans dans l'état de domesticité. En 1744 1l disséqua le corps d’un lion , mort dans la ménagerie royale , et on trouve dans la description de ce quadrupède par M. Serrao des observations qui ont échappé à Bartholin, à Olaüs Borrichius , et à Peranlt lui-même. A peu près dans le même temps (1), 1l examina , par ordre du roi, les viscères de divers animaux, et sur-tout des sangliers de certaines contrées humides et malsaines , et 1l remarqua dans leur bas-ventre des engorgemens environnés de vésicules nombreuses. N’est-1l pas permis de présumer , dit-il, avec Vitruve que les anciens , en consultant les entrailles des victimes , avant de fonder des villes ou d’établit (1) En 1742. 278 ÉLOGES HISTORIQUES. des colomies, n’y cherchoient autre chose que des ren- seignemens sur la salubrité des lieux qu'ils parcou- roient? Nous nous donnons peut-être autant de peme pour montrer nos connoissances qu’ils en prenoient pour cacher les leurs; et un des avantages que nous avons sur eux est sans doute de croire que les lumières ne sauroient être trop répandues , et que l'ignorance seule comporte quelque danger. à Peu de temps après (1) l'établissement de VAS royale des sciences de Naples, M. Serrao fit une grande perte par la mort du docteur Cyrillo , son maître, son protecteur et son ami. La douleur de M. Serrao ne se consuma point en vains regrets ; 1l recueilhit (2) les consultations de ce médecin célèbre, qui furent publiées en trois volumes (3), et il y ajouta une savante préface avec la réfutation des critiques dirigées contre quelques- nns de ces écrits. Il répondit avec force au rédacteur des Actes de Leipsick (4), qui avoit attaqué le docteur Cyrillo sur son édition d'Etmuller , et au fils d'Etmul- ier lui-même , qui s’étoit plaint avec amertume de quel- ques retranchemens faits par l'éditeur, auquel on ué pouvoit reprocher que d’avoir donné trop de temps à (1) En 1734. - (2) Conjointement avec le docteur Sanctus Cyrillus, neveu du docteur Cyrillo dont il s’agit ici. (3) In-4.° (4) Pro Nicolao Cyrillo Vindiciæ adversüs Lipsiensium respon- siouem ad virum amplissimum Antonium Leprottum, intimum cu- bicularium atque archiatrum pontificium. Nicokeï Cyrilli Consiliæ medica, 3 vol. in-4.°. PHYSIOL. ET MÉD. — SERRAO. 239 cette entreprise. Enfin, après avoir réduit au silence les ennemis de son maître (1), M. Serrao lui éleva un monument digne de tons les deux, en publiant sa vie. Il regardoit ces sortes d’écrits comme devant être très- utiles à l'instruction de la jeunesse et servir d'intro- duction à l'étude de l’histoire. Combien en effet doivent déplaire à ceux qui en re- çoivent les premières leçons, ces abrégés stériles où les hommes sont peints sans caractère et les révolutions sans énérgie ; qui n’inspirent aucun intérêt , parce que les acteurs , qu’on ne voit qu'un moment, disparoissent sans être connus + €t presque toujours sans qu’on s’ert souvienne ; qui n’excitent pas même la curiosité, l’es- prit ne pouvant se plaire à la vue d’une multitude d’évé- nemens qui le fatiguent? Représentez plutôt à l'enfant la succession des siècles sous l'emblème d’un tablean divisé en grandes époques ; faites naître en lui le désir de connoître les grandes cités et les nations qui ne sont plus ; animez alors votre récit , en lui parlant des législateurs ; des philosophes et des héros qui les ont illustrées : il n’y a rien de grand dans les fastes du monde qui ne leur ait appartenu , et que votre élève ne puisse trouver dans leur histoire ; celle d’un peuple est trop abstraite pour sa pensée; la vie d’un grand homme a quelque chose de merveilleux qui fixera son attei- tion ; 1l le verra se mouvoir, pour ainsi dire , en sa (1) Post ejus fatum et mihi tuenda ejus viri jura, quasi om- mis , eo sublato, in me summa negotiorum ejus reciderit. (Epist. Serrai ad Leprottum.) 280 ÉLOGES HISTORIQUES. résence : son ame ardente s’attachera toute entière à P ; sa fortune. in vous servant ainsi de l'imagination. ; pour imprimer des traces profondes dans la mémoire , la curiosité de votre élève croîtra en même temps que ses connoissances deviendront plus étendues; en l’exer- çant vous aurez rendu sa tête active ; les abrégés d’his- toire , qui l’auroient rebuté d’abord , lui deviendront nécessaires pour classer les faits nombreux qu'il aura recueillis, et le sentiment de sa force , ainsi ménagé , le préparera à de nouvelles entreprises en lui promet- tant de nouveaux succès. Parmi les ouvrages publiés par M. Serrao sur la mé- decine , on compte une traduction en italien du Traité de Pringle (1) sur les maladies des armées , des recher- ches sur la manière de rappeler à la vie les personnes noyées (2), et une lettre latine , écrite en 1752 au doc- teur Bruno, médecin maltois, sur la phthisie pulmo- naire , tres-redoutée dans les pays chauds. Le but de cette lettre étoit de faire connoître les abus qui résul- toient de la loi par laquelle on devoit brûler tous les meubles , linges et hardes qui pouvoient être 1mpré- nés de miasmes contagieux , et d'indiquer des procé- 3 8 » q P dés que l’on pût substituer à des ordres dont l’exécution étoit ruineuse pour les familles. Le roi adopta les mo- (Gi) Le célèbre Mazocchi a porté sur la traduction italienne des Observations de Pringle par M. Serrao, le jugement suivant : « Quod ïta factum à viro dissertissimo fuit, ut id opus non ex » aliena lingua transmissum, sed planè genuinum, et nunc primüm » in Italia felicissimo in solo prognatum credas. » (2) En 1767. à re 2 L 7 fa ke RES dE PHYSIOL. ET MÉD. — SERRAO. 282 difications proposées par M. Serraes, et 1l abolit une coutume barbare sans doute | puisqu'elle ajoutoit aux horreurs de la mort celle de l’exaction et du pillage, et bien inutile en même temps, puisque la défiance des uns et la cupidité des autres laissoient presque toujours subsister le foyer de la contagion. On sait que Chirac et Chycoineau s’étoient réunis pour soutenir un grand paradoxe en médecine. Sui- vanteux ; la peste de Marseille ne se communiquoit point par le contact , et n’étoit point contagieuse. Fremd et Mead s’élevèrent contre cette assertion , et M. Serrao adressa (1), sur le même sujet , une sayante lettre au docteur Leprotti, premier médecin du pape, dans laquelle il ne lui fut pas difficile de prouver que Chirac et Chycoineau s’étoient trompés. Mais si cette erreur a été commise par deux médecins de l’École française , ce sont aussi des médecins de cette école qui l’ont combattue avec le plus de force et de succès. Qu'on lise les ouvrages d’Astruc et de Deidier , et l’on verra que les étrangers n’ont rien écrit d’aussi con- vaincant, et qu'ils n’ont aucun reproche à nous faire à cet égard. En 1744, M. Serrao publia ses réflexions sur l’épi- zootie cruelle qui ravagcoit alors toute l’Europe , et qui étoit de la même nature que celle dont Lancisi et Ramazzini avoient écrit l’histoire un demi-siècle aupa- ravant. (Ga) En a74t. 282 ÉLOGES HISTORIQUES. On doitencore #[. Serrao la description du catarrhe épidémique des années 1742 et 43, qui, se renouve- lant en 1972, se répandit en Europe du nord au le- vant , et se manifesta même en Amérique. M. Serrao croyoit s'être assuré par un grand nombre de faits que ce rhume étoit contagieux ; opinion qui fut alors an- noncée et débattue dans les journaux anglais. On voit par ces détails qu'il ne s’est passé pendant une longue suite d'années aucun événement remar- quable en médecine, qui n’ait été le sujet de ses médi- tations et de ses écrits. Veut-on avoir nue preuve authentique et irrévocable de la grande confiance dont 1l jouissoit en Europe? on la trouvera dans la lettre que la Faculté de médecine de Paris lui écrivit en 1748 pour lui demander des renseignemens sur l’état de la médecine dans le royaume de Naples. L'opinion de cette 1llustre Faculté est d’un si grand poids , et son suffrage est si flatteur , que je n'ai pas dû manquer d’en faire mention 1C1. En 1758 M. Serrao fut nommé premuer médecin de la reine de Naples, et 1l reçnt du célèbre van Swieten ; alors premier médecin de la cour impériale à Vienne , une lettre très-détaillée sur la santé de cette princesse ; pèu de temps après, le roi le choisit pour son premier médecin, et il a joui long-temps de toute la confiance de leurs majestés. Parmi les marques de son dévouement" à leur per- sonne ; on doit sur-tout compter la dernière circons- tance de sa vie. La reine étoit dangereusement malade à W Ka 4 PHYSIOL. ET MÉD. — SERRAO. 283 d’une suite de couche ; M. Serrao (1) s'étantlevé pendant la nuit pour aller à son secours , oublia de se couvrir de son manteau : le froid le saisit, et il mourut, quel- ques jours après (2), âgé de quatre-vingt-un ans, des suites d’une péripneumonie dont ce refroidissement avoit été la cause. Ce sacrifice au moins ne fut pas inutile ; il apprit que la reine, en suivant ses conseils, avoit été rappelée à la vie, qu’alors il quitta sans regret. M. Fasano, qui l’avoit accompagné long-temps près des malades , nous a transmis les principes généraux d’après lesquels ce médecin célèbre (3) se conduisoit dans sa pratique (4). (1) I fut long-temps tourmenté par une maladie de gosier, que M. Fasane décrit comme il suit : Respirabat quidem liberrimè in quolibet corporis situ et æque in vigilia ac somno ; loquebatur etiam expeditè ; esculenta deplatiebat, potulenta verd perdifñ- culter ; sic ut, si affatim celeriterque biberet, suffocaretur. (De vita Serraï, p. 124.) (2) En 1738, il s’étoit marié vers l’âge de 50 ans, et il avoit eu de ce mariage une fille appelée Hippolyta. (3) Trois qualités sont nécessaires au médecin, disoit M. Serrao ,. prima est scientia, secunda facundia, tertia comitas. (4) En 1764 il dirigea le traitement d’un grand nombre de ma- lades attaqués d’une fièvre putride épidémique , compliquée de pros- tration de forces et de mouvemens convulsifs : au lieu de les entasser dans des hôpitaux, il les fit placer sous des hangards construits en plein air. Les acides, l’eau froide, même à la glace, et le musc, furent le moyen qu'il opposa heureusement aux progrès du mal. M. Ser- xao admettoit trois causes des maladies nouvelles. Universim novos morbos ab una ex tribus causis proficisci statuebat : nimirùm ex 284 ÉLOGES HISTORIQUES. Au sujet du quinquina , M. Serrao avoit coutume de dire, ce qui seroit vrai, même ici, qu'il meurt plus de personnes , faute d’en avoir pris , que pour en avr trop usé. Avare d’opium , 1l prodiguoit les cautères et les vé- sicatoires, très-utiles dans un climat où les affections cutanées (1) sont très-répandues. Les maladies de nerfs y sont aussi très-fréquentes. Il résultoit, disoit-1l , de ses observations , que les sys- tèmes nerveux et irritable étoient toujours dans un état réciproque de monvement et d’inaction : hypothèse ingémieuse qui explique d’une manière simple les effets de l'exercice et du repos. Trois considérations étoient la base de son pronos- tic ; l’Ctat du visage, celui de la respiration et celui des forces (2). Il fut long-temps le partisan zélé de l’inoculation = immutata qualitate victûs , ex totius vitæ ratione mutata, ex com- mercio et commistione contagioneque dissimilium dissitarumque na- tionum. (De vita Serraï, p. 149.) (1) Salsedo, salsitudo de Pline. (2) En général il redoutoit l’émétique et la saignée : on se. souviendra qu'il pratiquoit à Naples. Il faisoit un cas infini des écrits d’'Hippocrate. Tantd autem Hippocratis studio ducebatur, ut Galenum non alià causà pluris faceret, quäm qudd Hippocratis doctrinæ assertor et vindex fuisset. Impensèque laudabat Boërrhavium, quôd is ora tionem DE COMMENDANDO STUD10 H1PPOCRATICO publicè habuisset patrio lyceo. Hippocratis lectionem eïs verbis auditoribus com- mendabat quibus eloquentiæ studiosis Ciceronis lectionem Quincti- - Bianus, ( Fasano, De vita Serraï, p. 157.) PHYSIOL. ET MÉD. — SERRAO. 285 mais ayant perdu l’aîné de ses petits-fils de la petite- vérole artificielle , il changea d’avis. Il n’ignoroit pas cependant qu’il étoit possible d’en mourir ; mais cette objection, à laquelle il avoit ré- pondu tant de fois, lui parut sans réplique lorsque le sentiment ent troublé sa pensée , et qu'il vit dans son calcul un fils à la place d’un citoyen. On a trouvé dans ses papiers, après sa mort, des vers latins et italiens (1) adressés, les uns, à Mazoc- chi qui lui avoit dédié son poëme latin sur la pierre infernale (2), les autres au feu docteur Vaxallo, son amu le plus tendre , auquel il eut le malheur de sur- vivre. Îls s’étoient promis de réumir leurs cendres dans le mème tombeau : M. Serrao s'empressa de remplir ce vœu de son cœur, en faisant élever dans l’église de Sainte-Marie-les-Vierges un monument où le corps de son ami fut déposé et où il se ménagea pour lui- même un dernier asile. Le sacrifice est maintenant accompli , et la mort, qui d'ordinaire rompt tous les liens , les a réunis pour toujours. (1) Extant ejus latina et etrusca, tum seria, tum lepida, carmina perpulchra , partim edita, partim inedita ; et seria optimis sententiis referta; et ludicra, quamvis leporis plena , nihil tamen quod in mores xel minimüm peccet , redolentia. Extant quoque orationes, epistols, et carmina latina, quæ, vel alieno nomine vulsata, vel ab aliis recitata fuerunt; quæ nimirüm rogantibus litterariæ gloriæ cupi- dis, sed illeteratis ‘amicis scripsit, quæque postmodüm ipsins fuisse (quamquäm ipse cum nemine communicasset) stylus declara- vit. ( Fasano, De vita Serraï, p. 134.) (2) Lapis INFERNALIS , ad Frauciscum Serraum, Elego-epos, par Magocchi. 286 ÉLOGES HISTORIQUES. M. Serrao a joui, jusqu’à l’âge de quatre-vingts ans, de sa sensibilité et de sa raison. On legcitoitencore dans sa vieillesse comme un modèle de tolérance et de cou- rage. Témoin éclairé des progrès des sciences , 1l suivit toujours Je mouvement de son siècle , et la chaîne des vérités physiques ne se rompit à ses yeux qu’au mo- ment où 1ls se fermèrent à la lumière. Il ne calommia point les dernières années de sa vie, et il se félicita d’avoir assez vécu pour voir les hommes plus instruits qu'ils ne l’étoient auparavant. Ces qualités aimablesle rendoient cher à tous. Qu’est- ce en effet qu’un médecin célèbre qui se repose après soixante ans de travaux ? C’est un vieil ami de ses con- citoyens. Sa bienfaisance s’est étendue à plusieurs gé- nérations ; 1la vu de près leurs maux et leurs foiblesses; le masque de l’hypocrisie , le voile même de la pudeur sont tombés en sa présence. Le vice et la vertu se sont montrés nus à ses regards, et cette parfaite connois- sance du cœur humain , ces lecons , ces secrets , ces exemples , concentrés dans son ame , seront ensevelis avec lui dans la tombe , où l’attendent les regrets de. son siècle et l’estime de la postérité. Tel a été M. Serrao : la voix de la reconnoissance publique a retenti jusqu’à nous, et nous a dicté cet éloge. On dira de lin : Comme citoyen, c’est en conso- lant, c’est en soulageant les malheureux qu'il a bien mérité de sa patrie ; comme philosophe, c’est en dé- Ÿ æ 3 . . LJ [2 truisant des erreurs qu'il a servi la vérité. MEDECINS ET PHYSIOLOGISTES. 287 sg nt ot ot ot on tt St ot So Tr on ot ot ot ot dt Se ot SE STOLL. nd or 1 1 VOIES Strozz, docteur en médecine et pro- fesseur ordinaire de médecine pratique à Vienne en Autriche, correspondant de la Société royale, naquit en 1742, le 12 octobre , à Erzingen, village de la seigneurie de Kettgau en Souabe, de Pierre Stoll , maître en chirurgie. L’école de médecine de Vienne tient un des premiers rangs parmi celles de l’Europe savante , et c’est à la protection éclairée de l’impératrice Marie-Thérèse , qu’elle doit tout son lustre. Le premier service que cette auguste princesse lui a rendu a été de lui donner pour président le disciple chéri de Boërrhaave, van Swieten, qu’elle avoit appelé à sa cour, où 1l est mort comblé de ses bienfaits. Bientôt Storck, de Haën, Mertens , Quarin et Stoll, se firent connoître par leurs ouvrages ; et tandis que la chirurgie languissoit à Vienne, la médecine y faisoit des progrès rapides, qui occuperont une place distinguée dans l’histoire Lt- téraire du siècle où nous vivons. M. Stoll commença par exercer à Erzingen , sous les yeux de son père, les fonctions d'élève en chi- rurgie. On remarque dans ceux qui se livrent à l'étude des arts deux sortes de dispositions, qui , réunies, portent 288 ÉLOGES HISTORIQUES. le talent à son comble. L'une consiste dans une flexi- bilité d'organes qui rend toute imitation facile; l’autre dépend d’une force de tête qui perfectionne et qui in- vente. La prenuère de ces qualités manquoit à M. Stoll; mais son ardeur pour.le travail étoit éxtrème, et il 8 trouva dans le collége des Jésuites de Rotweil, où 1l passa une partie de sa jeunesse , de fréquentes occasions de faire pressentir ce qu'il deviendroit un jour. Avec de grands talens , sans fortune , comment au- roit-1l échappé aux adroites insinuations de ses maîtres ? Il entra dans leur Société en 1761. Il acheva ses études à Ingolstadt , et bientôt après il fut nommé professeur des humanités dans l’université de Hall en Tyrol. Les Jésuites avoient établi dans leurs colléges que les professeurs enseigneroient successivement dans toutes les classes : ce qui joignoit à l'avantage d’éloigner la médiocrité celui de former de savans lttérateurs. C’étoit une manière de recommencer ses études et de s’affermir dans la connoissance des bons modèles. M. Stoll se fit remarquer dans cette carrière en em- ployantune méthodenouvelle pourenseigner les langues grecque et latine; mais cette innovation, quoique bien reçue du public , et peut-être parce qu’elle en avoit été trop bien accueillie, déplut aux supérieurs de M.Stoll , qui le punirent de ses succès en le reléguant à Eichstad, ville dont le collége avoit beaucoup moins de célébrité que celui de Hall, d’où il eut ordre de sortir. M. Stoll avoit formé le projet d’écrire un traité de l'éducation publique : j’oserai hasarder 1c1 quelques ré- flexions analogues aux vues de ce savant , dont un de PHYSIOL. ET MÉD. — STOLL. 289 ses disciples, qui m'en a fait part, a gardé le souvenir. On dit que les enfans passent trop de temps dans les colléges ; mais ce temps ne seroit pas trop long , si l’enseignement des sciences exactes y étoit joint à celui des lettres. Peut-être faudroit-il , comme un de nos philosophes l’a conseillé, se contenter, pendant le cours des premières années , d'exercer la mémoire , en laissant mûrir la raison ; car ce sont des idées, et non des préceptes , qu'ilimporte aux enfans de recueillir. Peut-être faudroit-il commencer par ne fixer leur atten- tion que sur les temps les plus simples des verbes, et se borner long - temps à les faire traduire, sans leur proposer aucune composition dans une langue dont les tours ne leur sont point assez conuus; peut-être que les procédés de certains arts et quelques expériences de physique , dénués d’abord de tout raisonnement , se- roient pour eux un spectacle attrayant et un amuse- ment utile. À leurs questions nombreuses, on ne feroit que de courtes réponses ; leur curiosité seroit ainsi plutôt excitée que satisfaite ; et le temps étant enfin arrivé , toutes leurs idées, toutes leurs observations seroient liées par une théorie simple et facile. Les prin- cipes de la grammaire générale ; appuyés par des exemples, leur dévoileroient le mécanisme du discours : on leur donneroit alors pour composer , la traduction . des ouvrages les plus purement écrits, et la lecture des originaux leur montreroit en quoi la convenänce et le goût auroient été respectés on blessés par eux; on les engageroit, dans de certains jours on à de certaines heures, à ne parler que la langue q ui seroit l’objet de ES 19 290 ÉLOGES HISTORIQUES. leur étude ; les élémens des sciences physiques feroïent disparoître le merveilleux des phénomènes dont ils auroient d’abord été frappés ; le calcul et la géométrie, appliqués à propos, leur offriroient la solution des plus piquans problèmes ; les chaînes des montagnes , les ri- vages des mers, les sillons que décrivent les fleuves , leur traceroient les limites naturelles des empires ; la destinée des grands peuples leur marqueroit des époques dans la durée des siècles; dans les substances des trois règnes , avec les couleurs les plus riches, 1ls tronva- roient les formes les plus variées et les plus belles. Parmi tant d’objets agréables, les délassemens des arts seroient pour eux de nouveaux encouragemens au tra- vail. Le crayon, le pinceau, la plume, les armes ; maniés successivement , les mouvemens de la danse excitéset mesurés par les sons de la musique, la course, la lutte elles-mêmes ; tant d'exercices et de jeux mêlés à l'étude, ne laisseroient dans une éducation bien soignée anicuns instans qui ne fussent voués à l’instruc- tion et au plaisir. C’est l'ennui sur-tout qu'il faut bannir des lieux habités par la jeunesse ; il flétrit ; dessèche les premiers germes de l'esprit : près de ces êtres , dont l’ame active tend à s'épanouir sans cesse ; on ne doit rien admettre qui la resserre ou qui la glace ; car c'est au sein du mouvement que l’homme croît et se développe, comme c’est dans l’inaction qu'il perd bien le plus réel, la force, sans laquelle 1l n’est pour lui ni bonheur ni liberté. M. Stoll quitta ,en 1767, l’ordre dans lequel il étoit entré. Il y fut déterminé par un entretien qu’il eut PHYSIOL. ET MÉD. — STOLL. 291 avec un jésuite de ses amis qui, étant à l’article de la mort , ui révéla, sur la constitution de cette Société à diverses circonstances secrètes, par lesquelles il se crut obligé de n’y pas rester attaché plus long-temps. Après avoir suivi pendant une année, à Strasbourg, les leçons de la Faculté de médecine , la réputation du célèbre de Haën l’attira à Vienne où il fut recu docteur en 1772. Le gouvernement l’envoya aussitôt en Hon- grie où des maladies épidémiques faisoient de grands ravages. C’est dans les pays malsains, tels que cer- taines provinces de la Hongrie , où le règne des épi- démies est très-marqué ; c’est là que l’influence de la température se montre par des effets très-sensibles , et que toutes les fièvres portent évidemment l'empreinte de la maladie dominante de la saison. Environné de ces tristes objets de son étude > Ulut les œuvres de Sydenham, et il reconnut dans la nature les grands traits des tableaux tracés par ce médecin ré illustre ; il lut ensuite les autres traités écrits sur le même sujet; mais il revint toujours À celui de Syden- ham qu'il regardoit comme le premier des observateurs modernes , et qu’il se proposa toujours pour modèle dans ses travaux. Ce sont sur-tont les. fièvres internittentes et rémit- tentes de mauvais caractère qui affligent les diverses contrées de la Hongrie. M. Stoll apprit à leurs habitans à faire usage du quinquina pour.se guérir, et quel- quefois aussi pour se préserver ; mais il ne pouvoit “ivre au milieu d’eux sans courir les mêmes dangers , 202 ÉLOGES HISTORIQUES. et 1l acquit une partie de son savoir aux dépens de sa santé. î Ce seroit une assez bonne manière de choisir un mé- decin que de préférer celui qui auroit éprouvé la mala- die dont on seroit atteint. On ne pourroit douter au moins qu'il n’eût médité long-temps sur les moyens de la traiter. M. Stoll avoit si profondément étudié les épidémies , dont le climat de Hongrie est le foyer, qu'il en prévoyoit le retour par l’état du ciel , et qu'il en reconnoissoit l'existence par des symptômes pré- curseurs que l’on n’avoit point observés avant li, et qu’il auroit sans doute ignorés, comme les autres, s'il ne les eût pas remarqués sur lui-même. Epuisé par les attaques réitérées de ces maux cruels, 1l fut obligé de quitter un pays où il s'étoit rendu si utile, mais qui lui étoit devenu si contraire. IL vint à Vienne où, après quelques mois de repos, M. Storck qui connoissoit son mérite le chargea de suppléer M. de Haëen, alors malade, dans les fonctions de sa chaire de médecine clinique , dont M. Stoll est devenu le titulaire , et où 11 s’est acquis tant de gloire. Ne négligeons point de fixer l'attention publique sur un genre d'établissement des plus importans , et qui manque à la France. Dans une école climique ; le pro- fesseur enseigne la médecine près des malades ; il ap- prend aux élèves qui l'entourent à reconnoître l’espèce d'affection qui se présente , et à prévoir les crises qua doivent la terminer ; il calcule avec eux les forces de la vie, et comme ils ont dans leurs mains le fl qui le PHYSIOL. ET MÉD.— STOLI. 293 conduit , ils jugent en mème temps et la nature et son -mimistre ; tout, jusqu'aux fautes de leur maître, peut servir à les éclairer. Sur un registre qui demeure attaché au lit du malade, sont consignées la série des accidens et celle des remèdes par lesquels on les a combattus ; le journal de la convalescence , ou , si la mort a ter- muiné la scène, la description des ravages intérieurs que le mal a produits achève le tableau. Ces divers états réumis composent l’histoire de l’hospice, où le souvenir de tont ce qui intéresse l'avancement de la médecine est conservé. C’est par les élèves que les registres sont tenus, que les dissections sont faites, que les phéno- mènes de atmosphère sontrecueillis ; c’est par eux que les observations physiques et médicales sont rassem- blées ; et ces diverses fonctions, décernées aux plus habiles , sont le prix de leur exactitude et de leur zèle. Chaque jour, après sa visite, le professeur les entre- tient des cas rares qui se sont offerts , et 1l expose les détails dans lesquels la présence des malades ne lui a pas permus d’entrer: car 1l n’oublie point qu'il exerce un ministère de bienfaisance, et qu’il ne doit porter que des paroles de paix. C’est là que les opinions sont discutées, que les jugemens sont approfondis, et que les élèves sont rappelés sans cesse aux véritables sources de l’érudition et du savoir. Ainsi , non seulement on les instruit, mais on les accoutume encore à la pré- cision dans les recherches ; on les force à se rendre compte de ce qu'ils ont remarqué , et en traitant avec eux la médecine, comme une branche de la physique, on leur donne une impulsion utile d’où l’on verra 204 ÉLOGES HISTORIQUES. naître, non quelques découvertes isolées , telles que le hasard les livre à l’empirisme, mais un enchaînement de connoissances nouvelles , comme une étude assidue les trouve toujours dans les sentiers de l'expérience et de la raison. Voilà quels fruits produiroit l’établisse- ment d’une chaire de médecine pratique en France. Les maladies que M. Stoll a le plus souvent observées dans le climat de Vienne sont celles que produit l’al- tération de la bile , les fièvres lentes nerveuses , les pé- ripneumonies , les catarrhes, la dyssenterie et les rhu- matismes. Les anciens appeloient du nom de bilieuses les ma- ladies dans lesquelles le sang que l’on avoit tiré se cou- vroit d’une croûte jaune et dure. Suivant l’acception des modernes, dans les maladies bilieuses, l'estomac et les intestins sont remplis de sucs amers, dont l’âcreté ou l'abondance excite la nausée. Comme cette matière n'a ni la même mobilité n1 la même consistance dans toutes les saisons , dans tous les âges, dans tous les tempéramens , comme les qualités des alimens influent sur sa nature et sur les changemens dont elle est sus- ceptible, on voit combien ce sujet est vaste, et com- bien il faut d'expérience et de savoir pour le traiter. Les nombreux ravages que cette matière exerce ; soit par son séjour dans le lieu de son foyer , soit au loin par la réaction des nerfs que sa présence a blessés , soit par son absorption dans les vaisseaux lymphati- ques, les resserremens, les inflammations des divers organes , les éruptions cutanées des différens genres ; l'espèce de pléthore que produit l’excès de la bile dans À PHYSIOL. ET MÉD. — STOLI. 295 an corps qui en est comme pénétré, la complication des accidens aigus et chroniques, primitifs ou secon- daires qui en sont la suite , et les indications qui en naissent forment un enchaînement de maux et de re- mèdes , dont nul auteur avant M. Stoll n’avoit offert l’ensemble, et dans l'exposition desquels aucun n’avoit mis autant d’exactitude et de clarté. Il est une autre humeur, celle de l’insensible trans- piration, qui est plus abondante , plus ténue, plus fa- cile encore à mouvoir que la bile, qui, tantôt fluide , tantôt sous la forme de vapeur , et souvent repoussée d’un organe vers un autre, produit par son altération et par ses déplacemens des accidens fâcheux. Les affec- tions catarrhales, les rhumatismes, divers gonflemens douloureux ;, des inflammations , des spasmes , des éruptions en sont aussi les effets, qu’il importe de ne pas confondre avec les symptômes analogues des ma- ladies bilieuses. Le traitement qui leur convient n'étant pas le même , le moyen de les reconnoître , que M. Stoll a établi par un grand nombre de faits, ne sauroit être indifférent. Lorsqu'on lit ces recueils d'observations qui ont toutes été faites sur des hommes indigens et malheu- reux , et qu’on voit avec quelle exactitude leurs maux on$ été suivis, avec quelle précaution leurs moindres accidens ont été remarqués, on ne peut refuser som hommage à cet amour de la gloire qui seul peut sup- pléer toutes les vertus , et par qui sont ici prodigués des soins que l’on n’obtiendroit qu’à peine de la pitié la plus généreuse et du zèle le plus ardent de l'humanité. 296 ÉLOGES HISTORIQUES. M. Stoll parle des remèdes avec une précision qui ne laisse rien à désirer m1 sur leurs effets , n1 sur leurs doses. On reconnoît par-tout l'homme que l'expérience a formé. Dans le traitement des pleurésies rhumatis- males , il recommandoit l’application des vésicatoires dès Le principe; dans le traitement des pleurésies et des péripneumomies biheuses,il faisoit précéder lesévacuans. 11 a été un des premiers qui aient déterminé les cas où, dans le pansement des vésicatoires, 1l convient de ne point enlever l’épiderme. Il a guéri les sciatiques les plus opiniâtres, à la mamière de M. Cotunni, c’est-à- dire en placant un vésicatoire vers la tête du péroné. 11 a décrit une espèce de rhumatisme bilieux qui cède aux émétiques. Il a fait prendre avec succès le Zlichen islandicus et le polygala aux personnes dont les pou- mons étoient engorgés d’une mucosité gluante ; il prouvé que dans les cas analogues l’exereice du cheval est utile, et qu'il nuit à ceux qui sont attaqués d’un ulcère avec phlogose au poumon. Il regardoit l’arnica comme le quinquina des pauvres, et 1l l'employoit dans le traitement de toutes les diarrhées qui dépendoient de l’affoiblissement des intestins, et pour remédier à la stupeur des organes des sens. Le remède mervin qu'il préféroit étoit un mélange de poudre de pe- tite valériane, de fer et de quinquina. Ses observations sur l'efficacité des extraits d’aconit, de bella-dona et de stramoninm ; donnés aux malades attaqués d’an- ciens rhumatismes, ou de l’épilepsie , ont fixé l’atten- tion de tous les médecins; enfin, dans le traitement des dyssenteries les plus rebelles , 1l à fait appliquer ET = CPL nn En PHYSIOL. ET MÉD. — STOLL. 297 avec succès des vésicatoires on des sinapismes sur la région du bas-ventre; et ces différens secours, donnés à propos et presque tonjours sous une forme nouvelle ; sont autant de richesses pour notre art, qui, cultivé de cette manière et se liant de toutes parts avec les sciences exactes , deviendra comme elles, scrupuleux dans ses essais et dans ses preuves, et clair dans ses résultats. Avant M. Stoll, M. de Haën avoit constaté, dans le même hôpital les propriétés médicales de l’eau de chaux, de l’anozis et de l’uva ursi dans le traite- ment des calculeux, et celles des feuilles d'oranger , dont l’usage est maintenant si répandu pour cal- mer les spasmes. L'un et l’autre ont prescrit les médicamens dans les formules les plus simples, pré- caution sans laquelle ils n’auroient pu retirer aucun fruit de leurs travaux ; l’un et l’autre ont tenu le plus juste milieu entre Pempirisme de l’observation dont Pringle faisoit le plus de cas, et la théorie de la méde- cine rationnelle à laquelle Hoffinann et Boërrhaave ont tont rapporté. Mais 1l est difficile d'expliquer comment deux médecins habiles, conduits par des principes à peu près semblables, habitant le même climat , et pratiquant dans le même hospice ; ont eu des opi- mions différentes sur quelques-uns des points les plus essentiels de notre art. M. Stoll faisoit un grand usage de l’émétique au commencement des maladies aiguës , et M. de Haën se vantoit de ne l’employer jamais. Celui-ci prodiguoit le quinquina ; M. Stoll le conseilloit avec plus de mesure, et il regardoit même l’abus de ce rémède comme capable de provoquer la goutte. La 298 ÉLOGES HISTORIQUES. malignité paroissoit à M. de Haën n’ètre qu'un acci- dent produit, comme les fièvres exanthématiques , par un régime défectueux ou par nn traitement erroné : M. Stoll, au contraire , a décrit des fièvres essentiel- lement malignes ; il en a déterminé le caractère, et 1l a prouvé que le foyer des exanthèmes résidoit souvent dans les humeurs dont les premières voies étoient rem- plies. MM. de Haën et Stoll ont tous les deux été re- marquables par cette originalité qui est propre aux in- venteurs ; ils se sont tous les deux éloignés des sentiers battus ; mais M. de Haën s’est peut-être trop pressé d’en sortir. Il règne dans ses entreprises une hardiesse, dans ses jugemens une rigueur , et dans ses opinions une singularité qui n’ont fait que s’accroître avec l’âge, et qui ont conduit ce savant médecin à terminer sa carrière par un écrit sur les miracles dont il s’est dé- claré le fauteur. Plus réservé, M. Stoll ne croyoit qu'aux merveilles de la nature. N'oublions pas, disoit- il lorsqu'il étoit contraint de s'arrêter dans ses leçons sur les fautes que M. de Haën avoit commises ; que cet illustre professeur a publié sur le tétanos , sur les hémorroïdes, sur la colique des peintres , et sur les jours critiques, de savantes dissertations dont notre siècle s’honore. M. Stoll l’avoit vu périr victime.de sa confiance aveugle dans ses propres lumières. Atteint d’une fausse inflammation de poitrine , il aggrava son mal par des saignées dont les suites furent mortelles. Ainsi M. Stoll avoit appris, par les leçons de son maître, ce qu’il devoit savoir ; par son exemple, ce.qu'il devoit faire; et par ses erreurs , ce qu’il devoit éviter. - ES SZ EU Sa Entre _ , PHYSIOL. ET MÉD. — STOLI. 299 Les Aphorismes d'Hippocrate et ceux de Boërrhaave sont deux des plus belles productions de l'esprit hu- main. Ces grands hommes semblent n'avoir laissé aux médecins qui sont venus après eux, d’antre gloire que celle d’être leurs disciples et leurs commentateurs. On admire’sur-tout dans les Aphorismes d'Hippocrate ces grandes vues, ces vérités générales que le philosophe grec a exprimées avec toute la précision et la vigueur de la poésie. Boërrhaave , plus circonscrit , s’est moins écarté de son sujet. Ce fut pour servir de texte à ses leçons qu'il rédigea ses Aphorismes. Les mêmes in- tentions ont suggéré à M. Stoll le même projet; et re- marquant que la connoissance des diverses sortes de fièvres est maintenant beaucoup plus avancée qu’elle ne l’étoit du temps de Boërrhaave, et que ce médecin illustre n’avoit parlé n1 des épidémies, ni des maladies constitutionnelles des années, il se proposa , dans ses nouveaux Aphorismes , de suppléer à cet oubli. Lorsqu'on étudie la marche des maladies fébriles dont les habitans d’nn grand pays sont atteints , on observe que plusieurs d’entre elles varient comme les saisons, M. Stoll les désigne par le nom d’annuelles. En por- tant plus loin ses regards , 1l trouve qu'il existe des révolutions de plusieurs années pendant lesquelles cer- taines fièvres conservent leurs caractères, et décroissent ensuite pour faire place à des constitutions nouvelles. Celles-ci sont appelées dn nom de starionnaïres. On s’est assuré qu’elles influent sur les fièvres annuelles, qui se prolongent quelquefois assez pour se substituer aux premières , et l’on présume que diverses périodes ra- 300 ÉLOGES HISTORIQUES. mènent ces maladies dans un ordre que des observa- tions exactes sur la température et sur les balancemens de l'atmosphère détermineront peut-être un jour. Cons- tamment appuyé sur la théorie de Sydenham , dont il s’est écarté dams quelques points , M. Stoll a discuté ces grandes questions avec nn savoir et une philosophie qui suffroient pour illustrer sa mémoire. Son dernier résultat est que nul médecin ne peut donner des conseils utiles s’il ne connoît pas la marche et la nature des fièvres stationnaires et annuelles dominantes , les re- mèdes qui leur conviennent , et leurs rapports avec les maladies qu'il doit traiter ; réflexion qui montre pour quelle raison l’étude de la médecine est si difficileet sx longue ef pourquoi , dans le nombre de ceux que le public appelle , il en est si peu qui soient capables d'exercer cet art et de contribuer à ses progrès. Quelquefois le médecin demeure indécis sur la na- ture d’un mal dont les signes sont équivoques , où dont les accidens sont compliqués. M. Stoll a tracé la méthode générale , indirecte et symptomatique ;, qu'il convient de suivre en pareil cas; 1l indique jus- qu’où l’on peut aller et où il faut que l’on s’arrète..Il montre combien est coupable celui que des suppositions dirigent dans le choix des médicamens qu'il prescrit ; à quel ridicule , à quel danger mème il s'expose lorsqu'il s'arme d’un secours puissant contre um mal léger; combien , toutes les fois qu'il doute, son devoir et son intérêt lui commandent de rester dans l’imaction , et d'observer en silence; enfin, par quelles voies, par quelles tentatives sagement concertées il peut parvenir PHYSIOL. ET MED: — STOLL. 3o1 à connoître la direction et les besoins de ce principe conservateur qui peut beaucoup sans le secours de l’art, mais sans lequel l’art ne peut rien: M. Stoll étoit simple dans sa théorie ; il n’admettoit point ces virus nombreux que lon a multipliés pour expliquer origine des maladies dont les causes sont inconnues. [1 ne voyoit dans le rachitis qu'un affoi- blissement général dont tous les moyens fortifians sont le remède. 11 regardoit la fièvre puerpérale comme une fièvre gastrique, le plus souvent pntride, que les saisons modifient, et dans le traitement de laquelle les évacnans, et sur-tout les vomitifs sont indiqués , comme dans la cure de toutes les maladies dont les accidens sont semblables ; la fièvre pestilentielle ne lui paroissoit être qu’une nuance intermédiaire entre la fièvre maligne et la peste proprement dite, qui peut , suivant li, naître et se développer dans un sujet où toutes les causes de la malignité sont portées à leur comble. 11 a décrit une fièvre lente-nerveuse qui a régné épidémiquement en 1777, et dont la marche étoit différente dans les hommes et dans les femmes. Enfin il a établi que parmi les maladies très-aiguës , telies que l’apoplexie, plusieurs sont des accidens d’une fièvre intermittente ou rémittente cachée, dont les premiers coups sont quelquefois mortels. Je m’arrête à regret, la plupart des articles que Lens) n'ayant pas moins de valeur que ceux dont j'ai fait mention ici. On doit encore à M. Stoll d’avoir été l’éditeur A OEvres posthumes de van Swieten: Cet illustre médecin étoit dans l'usage d'écrire chaque soir les résultats de 302 ELOGES HISTORIQUES. ses observations de la journée, et c’est ce recueil de vingt-trois années que M. Stoll a rendu public. Ceux qui méditent sur les périodes et sur les crises des mala- dies y trouveront uné ample moisson de faits dont ils pourront se servir dans leur étude. C’est sur - tout en lisant cet ouvrage, qu’ils apprendront quels étoient les principes de van Swieten dans l’exercice de la mé- decine , et qu'ils sauront se rendre compte de quelques circonstances particulières aux opinions qu'il avoit adoptées. Lorsqu'on voit combien il a peu fait vomir au commencement des fièvres putrides , on comprend , par exemple , pourquoi les aphthes ont été l’un des principaux symptômes de ces maladies. On remarque encore que ; dans le traitement des fièvres putrides malignes , 1l n’a point employé le quinquina, qu'il remplaçoit par la serpentaire de Virginie et par le vin du Rhin , et que, dans le traitement des pleurésies , il n’a point conseillé l'application des vésicatoires sur le lieu de la douleur. C’étoit presque toujours la méde- cine expectante qu'il préféroit. En général, ceux qui observent avec attention et qui pratiquent avec ré- serve, sont les seuls qui permettent de publier leurs journaux. Les autres n’oseroient écrire tout ce qu'ais osent tenter ; ils rougiroient en lisant l’histoire de tant de remèdes accumulés en vain , et qui, s'ils n’ont pas avancé le dernier terme, ont au moins rendu plus amères les souffrances des malheureux qui avoient à mourir. Les yeux de M. Soll étoient fermés à peine, que ses ouvrages avoient des commentateurs. Jaloux de con- RS LT Di TR Re LT des = RES fa ds ne. - >" Ep taire der Zn nr its PRES GR ET QE +4 PHYSIOL. ET MÉD. — STOLL. 303 server toute sa gloire , ses disciples ont recueilli ses leçons dont ils ont fait servir les extraits à lexplica- tion de ses Aphorismes. M. Eyrel a publié les disser- tations où la base de sa doctrine est consignée ; on doit sur-tout lui savoir gré de nous avoir conservé les discours que M. Stoll prononçoit chaque année à l’ou- verture de son école de médecine pratiqne. Ce n’est plus , disoit-1l aux ékves assemblés, ce n’est plus dans les écrits des hommes , c’est au sein même de la na- ture quil vous faut prendre des leçons. Approchez de ces lits de douleur où des malheureux gémissent , et interrogez-les. Ici les symptômes ne se montrent pas comme dans les livres ; leur marche est souvent tumultueuse, rompue , cachée par mille accidens di- vers. O vous! ajouta-til, à l’instruction desquels je me dévoue tont entier, jugez, par mon inquiétude , de celle que vous éprouverez un jour. Eloignez de votre ame le tourment du remords, et , je vous en conjure par ce qui vous touche et vous émeut davantage, ou livrez-vous sans réserve à une étude de laquelle dépend la vie de vos semblables , ou , s’il ne pent en être ainsi, fuyez, sortez de cet asile, et quittez un état où vous ne seriez jamais que le fléau de l'humanité. M. Stoll a joui de bonne heure d’une confiance umi- verselle. On se rendoit de toutes parts à Vienne pour y étudier la médecine sous ses yeux, et de toutes parts aussi les étrangers venoient lui demander des conseils sur leur santé. Pendant qu'il languissoit abattu par sa dernière maladie , 1l reçut la visite de l’empereur , qui vint le consoler au nulieu de sæ souffrances; nou 304 ÉLOGES HISTORIQUES. que M Stoll fût attaché à la cour , mi que S. M. I. en eût recu des services personnels, mais sans doute parce qu’elle se regardoit comme chargée de payer à un citoyen qui avoit honoré sa patrie, la dette sacrée de l’estime et de la reconnoissance publiques. Ce savant confrère est mort le 22 mars 1788. De combien de regrets ne doit pas être suivie la perte d’un homme qui avant sa quarante - cinquième année s’étoit montré le rival de Pringle et d'Huxham dans ses Constitutions, l’'émule de Boërrhaave dans ses Apho- rismes, et qui, s'il eût vécu plus long-temps, auroit fourni sans doute une des plus brillantes carrières dont l'histoire de notre art conserve le souvenir. Stoll est justement regardé comme l’un des médecins qui se sont le plus illustrés dans Part si difficile de l’observation : on l’a com- paré à Sydenhäm; mais il lui est bien supérieur, du moins dans les détails de ses tableaux et dans l’expression d’une foule de nuan- ces saisies et décrites avec autant d’exactitude que de sagacité. Mon excellent et illustre maître Corvisart est d’ailleurs celui de tous les médecins français qui a le mieux apprécié Stoll : il a répandu en grande partie son Rario mEDEND: dans le cours de médecine clinique, dont on peut dire qu’il a été le fondateur en France; et ce trait est sans doute un de ceux qui honorent le plus la mémoire du célèbre professeur de Vienne, et qui méritoit d’ètre rappelé dans son éloge. ( Note de l'éditeur. ) ne TEE ns es + PT ED es GRR LS PHYSIOLOGISTES ET MÉDECINS. 305 + 2. 04 TARGIONT So os Lt nt nt tn ot or on ne Lo Jzeas TsReroxr Tozerrr, docteur en médecine, professeur de botanique et d’histoire naturelle, et professeur honoraire dans l’Université de Pise, mé- decin et bibliothécaire du grand-duc de Toscane, membre des Académies de botanique, des Géorgo- philes, des Apathistes et della Crusca de Florence, des Etrusques et des Botanophiles de Crotone, des Sepolti de Volterre, de la Société d'agriculture d'Udine et de l’Académie royale des sciences et belles lettres de Naples ; associé étranger de la Société royale de médecine, naquit à Florence le 11 septembre 1712, de Léonard Targioni, médecin cëlèbre. Ses parens l’envoyèrent à Pise où 1l se fit connoître par une savante dissertation sur les propriétés médi- cales des plantes. Il ÿ reçut à vingt-deux ans le grade de docteur en médecine; et l’Université, frappée de ses heureuses dispositions et de ses talens prématurés, lui conféra en mème temps le titre de professeur extra- ordinaire. À une imagination vive, à une curiosité infatigable , il joignoit une grande sécurité. Jamais il n’étoit plus serein et plus calme que dans les exa- mens et dans les actes publics ; il se jonoit des ques- tions, et son assurance en imposa plus d’une fois à cenx qui se proposoient de l’intimider, T. 3. 2Q 306 ÉLOGES HISTORIQUES. M. Targioni revint dans sa patrie, où 1l cultiva. d’abord la botanique , qui fournissoit un vaste champ À sa mémoire. À cette époque, le célèbre Michel y avoit répandu le goût de cette science, dans laquelle il excelloit. IL y avoit fondé une académie uniquement destinée à cette étude ; il avoit embelli le jardin, dont il étoit directeur ; 1l parcouroit les campagnes entouré d’une foule d'élèves qui se pressoient sur ses pas; et le jeune Targioni l’accompagnoit, plein de cet enthou- siasme qui fait qu’en suivant un grand homme on croit déja marcher à l’immortalité. 1 es végétaux du jardin de botanique lui furent bientôt connus. Il réunit avec beaucoup de peine et de recherches tous ceux de la Toscane : mais, trop précipité dans ce travail, 1l négligea les soins néces- saires soit pour les conserver , soit pour s’en rappeler les noms, et il fallut recommencer. Semblable au burin que l’on passe plusièurs fois sur le même trait, une étude réitérée pent seule imprimer des traces durables et profondes. Bientôt de nouveaux efforts produisirent une moisson nouvelle, plus complète que la première, et rangée dans un meilleur ordre. Ce grand herbier subsiste : mais le principal avantage des collections de ce genre est pour celui qui les a formées. Chaque pièce lui rappelle toutes les circonstances de l’obser- vation dont elle n’est que la plus petite partie; et, dans ce dédale , 1l faut avoir tendu le fil soi-même pour n’y être pas égaré. Micheli récompensa le zèle de son disciple en l’agré- geant, à l’âge de vingt-deux ans, à la Société des bota- k F | À | | À 1 PHYSIOL. ET MÉD. — TARGIONI 307 nistes de Florence. Quatre années après, ce savant mourut , ayant légué sa bibliothèque , son herbier, son cabinet, ses manuscrits, et laissé tous ses titres litté- rares à M. Targioni. Le public et les sciencesrr’ont que trop souvent à gémir de voir les dépouilles des grands hommes profanées par l'ignorance de ceux qui leur succèdent; mais l'héritier des places de Micheli l’étoit aussi de ses talens. Nommé à vingt cinq ans directeur du jardin de botanique de Florence, environné de tous les secours nécessaires aux progrès de ses tra- vaux, M. Targioni jouissoit , avec la sensibilité propre à la jeunesse, des faveurs réunies de la nature et de la fortune. Jamais on n’alla plus vite dans la carrière des sciences, et jamais on n’arriva plus heureusement. Nous le verrons toujours également pressé dans sa marche, toujours quittant le but qu'il avoit atteint pour s’en Proposer un autre qu 711 atteignoit exiCOrE , et fatiguant ainsi l'historien qui le suit dans sa course. Ce n’étoit point l'ambition qui lagitoit ainsi, mais un besoin de se mouvoir et de s’instruire, qu'il étoit forcé de satisfaire. Ses yeux ne se fatiguoient point de dominé par ses goûts, 1l ne cessoit de chercher par- tout de l'aliment à sa curiosité; belle et singulière prérogative de l’entendement humain dont l'exercice et le travail perfectionnent les facultés, bien différent des instrumens des arts, qui ne font que s'affoiblir et voir, ni sa mémoire de retenir ce qu'il avoit vu s’émousser dans nos mains. -Micheli avoit laissé imparfait un catalogue rai- 308 ÉLOGES HISTORIQUES. sonné, dans lequel toutes les plantes du beau jardin de Florence étoient décrites. M. Targiomi regarda comme un devoir sacré d’y mettre la dernière main. Il le publia avec des additions et des notes, dans les- quelles sont réumies et souvent confondues les obser- vations de deux amis dont les noms iront ensemble à la postérité. Peu de temps après avoir confié à M. Targiomi la direction du jardin de botanique, le grand-duc Jean- Gaston y ajouta une nouvelle faveur, ou plutôt une nouvelle justice : ce prince, le dernier des Médicis, tourmenté par le chagrin de voir s’éteindre en lui cette maison illustre, se mêloit peu des affaires de son état. Le monde va de lui-même, disoit-1l, sans avoir besoin qu’on le gouverne; sorte de maxime qui, si elle n’a pas le mérite de l’exactitude, est plus conso- lante au moins et plus douce que la plupart de celles par lesquelles il est gouverné. Malgré son indiffé- rence pour les détails de l’administration, le grand- duc continua de prendre intérêt aux lettres, protégées si efficacement , cultivées même parses ancêtres , Côme et Laurent de Médicis. Il vécut familièrement avec les savans, sur-tout avec M. Targioni, qu’il nomma professeur de Botanique dans le collége de Florence. Cette ville fameuse à tant de titres, et par la beauté du ciel qui l’éclaire, et par la fécondité de son sol, et par son amour pour les lettres et pour la libertés cette ville si souvent victorieuse, tant de fois anéantie par des ennemis nombreux, et renaissant toujours de sa cendre; la patrie du Dante, de Machiavel, de ” PHYSIOL. ET MÉD. — TARGIONI. 309 Galilée, d'Améric Vespuce, où se ralluma pour la première fois le flambeau des sciences, depuis long- temps éteint pour toute la terre; où l’on a vu renaître le bon goût avec les beaux arts, où furent fondées les premières académies : cette ville conserve un profond souvenir de sa gloire, et plusieurs sociétés littéraires y jouissent encore d’une grande célébrité. Deux de ces académies s’associèerent M. Targiont. L'une est l’Académie des apathistes de Florence, dont le plan embrasse toute l'étendue des sciences et des arts. Il se distingua sur-tout pendant sa jeunesse dans le sibyllone qui termine chaque assemblée. On appelle de ce nom un jeu d’esprit qui consiste à im- proviser, et dans lequel, après avoir proposé une ques- tion quelconque, on demande à un très-jeune enfant un seul mot dit au hasard, dont on doit se servir pour résoudre le problème annoncé. Il faut sans doute beaucoup d'esprit, ou au moins de subtilité pour vaincre tous les ôbstacles réunis dans un pareil con- cours. Quoique cétte manière de tourmenter les mots soit essentiellement contraire au bon goût, les Italiens montrent dans ces exercices tant de grace, d’abon- dance et de facilité, qu'ils en font disparoître presque toute la contrainte. Au reste, ces combats de paroles qu'une coutume ancienne a consacrés; ces singuliers emblèmes, adoptés par les sociétés académiques , très- nombreuses dans chacune des villes d'Italie ; ces noms. bizarres donnés à leurs membres, et que nul d’entre eux ne voudroit mériter : toutes ces allégories ont acquis de grands droits, je ne dirai pas seulement à 310 ÉLOGES HISTORIQUES. l’indulsence, mais encore à la reconnoissance des hommes, en préparant la renaissance des lettres, dont leurs jeux ont entouré le berceau. La seconde académie, purement littéraire, à laquelle M. Targioni se glorifioit d’appartemir, étoit celle della Crusca. Chargée en 1582 de veiller à la perfec- tion et à la pureté de la langue italienne; instituée dans un temps où il n’existoit aucun établissement de ce genre, cette Société s’est rendue recommandable par un dictionnaire fameux, où le précepte est par- tout joint à l'exemple. M. Targioni a contribué sur- tout à rectifier un 5 dans la nomenclature des sciences, auxquelles il im- rand nombre d’erreurs commises porte plus qu’on ne pense d’appliquer le grand art d'écrire. Cet art ne consiste pas seulement dans la consonnance des mots, dans l’ornement et dans l’ar- rondissement des périodes, comme le croient ceux qui n’en connoissent que la parure, et.qui n’ont point réfléchi sur son mécanisme : 1l É, PR à l’art de bien voir, de bien définir et de bien juger, à celui de comparer les sensations, d’enchaîner les idées et d’en faire l'analyse à l’aide d’une sorte de formule, qui est le discours; il tient à la méthode, qui peut seule trouver les résultats des faits; il tient à l’ordre, à la précision, à la clarté, qui sont la base du raisonne- ment et sans lesquels il n’est point de véritable élo- quence. M. Targioni eut occasion de rendre un grand ser- vice aux lettres. Le célèbre Magliabecchi avoit réuni dans sa bibliothèque plus de quarante mille volumes Re US DE pe ne DORE © 2 Le Tue La ee” RS ER OR - art PHYSIOL. ET MÉD. — TARGIONI. 311 et plus de onze cents manuscrits : il mourut après les avoir légués au public; mais ce présent exigeoit, pour être mis en valeur, des soins dont peu de per- sonnes étoient capables. Magliabecch1 avoit toujours vécu au milieu de ses livres, qui étoient en désordre pour tout autre que pour lui:1l lui suffisoit de les connoître et de pouvoir les trouver; sa mémoire sup- pléoit au défaut de catalogue, dont il n’avoit pas besoin: mais 1l fallut en dresser un, et classer des volumes écrits dans toutes les langues et sur toutes sortes de sujets : MM. Targ'oni et Cocclu furent et pouvoient seuls être chargés de ce travail, qu'ils terminèrent en 1739 , et dont la récompense fut pour M. Targioni la placede bibliothécaire du grand-duc. Voulantne rien laisser à désirer dans cette commission , il publia en cinq volumes les lettres écrites et reçues par Magliabecchi, : c’est-à-dire une correspondance de plus de trente années , entretenue avec les savans les plus distingués de l'Europe, sur divers sujets d’érudition et MÉSctire. Il est convenu plusieurs fois que , de toutes les fonc- tions qu'il avoit remplies, celle de bibliothécaire lui avoit paru la plus attrayante, sans doute parce qu’elle lui offroit toujours un nouveau spectacle dans les pro- ductions des divers siècles et de tous les ordres de littérature, et que se reproduisant sous toutes sortes de formes, elle ne portoit jamais aucune atteinte à l’activité et à la mobilité de son esprit. Il lui étoit difficile, pour ne pas dire impossible, de suffire à tant de devoirs. Il remit en 1749 sa place de directeur du jardin de botanique au docteur 312 ÉLOGES HISTORIQUES. FO Xavier Manetti, l’un de nos correspondans, pour ne plus s'occuper qne des recherches relatives à la con- noissance du territoire de la Toscane et à la pratique de notre art : encore ne conçoit-on pas comment :l remplissoit des fonctions en apparence aussi opposées. Il fut successivement médecin des deux régens et du grand-duc Pierre-Léopold. Des observations sur le trai- tement de plusieurs maladies, publiées dans ce recueil de M. Jean-Louis Targioni, son parent ; des mémoires estimés sur la constitution médicale de l’année 19752, sur la récolte et sur les grains des années 1756 et 1766, sur des farines envoyées de Virginie ; des expériences ingénieuses sur des grains qui avoient été conservés, enfouis pendant l’espace de treize années, et des avis utiles et répandus par ordre du grand-duc sur les remèdes convenables aux personnées noyées ou asphy- xiées, prouvent qu'il joignoit des connoissances très- étendues à une prodigieuse activité. M. Targioni fut assez heureux pour voir se per- fectionner et s’agrandir par ses soins un établissement d'un genre nouveau, celui d’une Faculté de médecine annexée à un hôpital. Déja on avoit institué à Vienne et dans quelques autres villes des chaires de médecine expérimentale et clinique; mais 1l étoit réservé au grand-duc régnant de lier étroitement la théorie et la pratique de notre art, en faisant enseigner l’une et l’autre dans l'hôpital de Sainte-Marie, à Florence. Ainsi réunies, elles se surveilleront réciproquement; les vains systèmes n'approcheront point de ce sanc- tuaire où la voix de l’humauité souffrante s’élèvera Sat 72 = ER 7 PHYSIOL. ET MÉD. — TARGIONI. 313 sans cesse contre leurs entreprises; la mort elle-même y donnera des leçons qu’elle offre toujours et dont on profite si peu, et les élèves y apprendront de bonne heure à chercher dans les entrailles de ses vic- times, et les causes des maladies, et la confirmation des pronostics de leurs maîtres. Rendons hommage au grand-duc , fondateur de plu- sieurs établissemens utiles. C’est sur-tout aux souve- rains des petits états qu'est imposée l’heureuse obli- gation de se concilier l'amour des peuples. Sontenus par l'équilibre des grandes nations qui les environ- nent, 1ls n’ont à exercer que des fonctions de paix: chefs d’une famille qu’ils connoissent , et dont ils sont connus, l’ascendant de leur pouvoir se confond avec celui de leur bienveillance paternelle. C’est sous leur égide que demandent à paroître ces vérités tant com- battues qui ont besoin de toute la faveur d’un sou- verain aimé pour être accueillies. C’est sous leur tutelle que devroïent se faire ces essais de réforme et d’admi- mistration que l’on craint d'introduire brusquement dans les grands états. C’est d'eux, en un mot, que l'univers attend des modèles d’ordre et de bonheur public. M. Targioni étoit médecin du fisc et commissaire du bureau de santé. Il propagea l’inoculation de la _ petite-vérole; il veilla au traitement des épidémies, au desséchement des marais, à la recherche des subs- tances végétales propres à être changées en pain, sur- tout à la fabrication de celui que lon prépare avec les châtaignes, et aux moyens de rendre plus rares les 314 ÉLOGES HISTORIQUES. inondations de l’Arno, dont plusieurs parties de Ia Toscane éprouvent souvent les fâcheux effets. Ainsi, pendant son séjour à Florence, M. Targiom montroit les talens d’un médecin habile : dans ses voyages, il développoit ceux d’un grand naturaliste et d’un savant amateur de l'antiquité. Toutes les parties de l’espace qui s'étend depuis l’exirémité orientale de la Toscane jusqu’à la mer de Livourne, et dans une autre direction depuis Modène et Lucques jusqu’à la Romagne, furent successive- ment le sujet de ses recherches. Monumens, urnes, tableaux, plantes, mines, couches de terre , bains; et sources minérales, tout fut examiné, tout fut décrit; et Le recueil en douze volumes, où ces faits sont consi- gnés, a réumi tous les suffrages. On ne sauroit trop louer en effet la marche sage et mesurée de M. Targioni : son impatience et sa curiosité ne l’ont point conduit dans des pays loiu- tains ; 1l les a concentrées et utilement exercées dans sa patrie. Sans doute 1l faut être très-instruit pour voir tant de choses dans un pays aussi peu étendu; mais si ce territoire est circonscrit dans d’étroites limi- ‘os, ii s'agrandit aux yeux du naturaliste qui eu étudie les productions , aux yeux de l’historien qui recherche Les traces des événemens, et sur-tout à ceux du. phi- losophe qui, dans un pays couvert autrefois des légions | 11! » A A, de César, ne peut faire un pas sans étre arrete par les restes des anciens palais, des aquéducs, des am- plithéâires, témoins d’une magnificence passée; ou ; [re s° s'il s'écarte des villes et des plaines, par les débris des ER Eee LA Te © Re CR PHYSIOL. ET MED. — TARGIONI. 315 montagnes volcaniques , image imposante de la gran- deur de Rome, qui s’est anéantie comme elle, après avoir répandu l’embrasement et le ravage, et s’ètre consumée par ses propres feux. Le charme que l’on trouve dans les relations des voyages tient sans doute à la variété des tableaux qui se renouvellent sans cesse, et à l'espèce de liberté dont jouit le lecteur, qui, n'étant astreint à aucun plan, semble errer comime le voyageur lui-même et partager son indépendance et son plaisir. Cette ré- flexion s'applique à l’ouvrage dans lequel M. Targioni a décrit toutes les curiosités naturelles et littéraires de la Toscane. On n’y est jamais occupé lony-temps du même sujet; toujours on est surpris par quelque récit inattendu. 11 examine en même temps les insectes et les plantes sur lesquelles ils vivent, dont ils roulent les feuilles et dont ils pénètrent le parenchyme. Il visite dans le territoire de Pise les bains d’Acqua, qui sont le sujet de remarques historiques et médi- cales très-savantes ; 1l n’oublie point une production végétale, verdâtre, membraneuse , dépourvue de toute espèce de filamens , dont une chaleur assez forte ne détruit point l’organisation, qui répand , lorsqu'on la brûle, une odeur animale et qu'il rapporte aux tremella de: Dillenius. Cesalpin a fait mention de ces bains dans son ouvrage. M. Targioni discute l’opi- nion de cet auteur; 1l veut savoir ce qu’étoit cet éta- blissement dans les temps reculés. Il montre que l’épo- que de sa splendeur étoit aussi celle de la liberté de 316 ÉLOGES HISTORIQUES. . Pise ; et ce résultat est le même pour toute la Toscane À divisée alors en plusieurs républiques qui s’excitoient , se repoussoient mutuellement par les talens et par le courage, et qui se faisoient remarquer par leur popu- lation, par leur commerce et par leur industrie. Il s'arrête dans les cantons de Lupeita et de Sancta-Paolo à Pugnano. Deux églises bâties dans le onzième siècle y attirent ses regards : il y voit des monumens qui intéressent l’histoire; il découvre que des oppresseurs vieux et riches les ont consacrées à la rémission de leurs fautes, et il dit de quelles fautes. L’amphithéâtre de Vetulonia et l’aquéduc de Cal- daccioh donnent lieu à une discussion savante sur les spectacles et sur la police des Romains. Il déter- mine la position, l'étendue et les lois de l’ancienne ville de Lumi, dont il fait aimer et regretter les mœurs. Un autre tableau s'offre à lui : des flammes s'élèvent de terre à Pietra-Mala; il s'assure qu’elles ne sont point volcaniques; 1l voit que les crevasses qui en sont le foyer ont servi de sépulture à des cadavres entassés, et il y trouve des médailles qu'il rapporte aux règnes des premiers empereurs. Ælles étoient, ajoute-t-1l, le denier destiné au paiement de la barque, et 1l dis- serte sur cette fable. Il décrit dans les lieux qul par- court les tombeaux de ces hommes puissans, de ces guerriers redoutables, qui en ont été la gloire et le fléau. Il indique les ouvrages des savans et des artistes qui s’y sont illustrés. Son recueil est un dépôt N : grandes maisons retrouvent leur généalogie. En exa- Li rares . PHYSIOL. ET MÉD. — TARGIONL 317 minant diverses inscriptions, et en lisant d’anciens manuscrits, 1l remarque dans la manière de figurer les chiffres arabes des différences qu’il réunit dans un tableau; 1l est conduit par leur comparaison à les regarder comme des lettres grecques altérées dans leurs formes, et il rapporte à l'an 1202 l’époque à laquelle l’art ingénieux de leurs combinaisons fut introduit en Toscane. Il visite les côtes de Livourne et le port de Pise; il recherche quel étoit l’état de ce dernier avant le dixième siècle; 1l décrit les plantes et les animaux propres à ces parages: mais le commerce de ces villes et celui de Florence sont en même temps considérés sous leurs différens rapports. Montesquieu, en trai- tant des lettres-de-change , en attribue l'invention aux Juifs chassés de France sous le règne de Philippe Auguste. M. Targioni prouve qu’elles étoient en usage àune époque antérieure dans la Toscane. Dès l'an 1162 les négocians de Pise faisoient en latin des billets qui représentoient les espèces dans leur commerce avec Messine et Constantinople. Ces citations, prises au hasard dans les douze volu- mes, n’ont pour but que de faire connoître combien ce recueil est riche en faits de tous les genres. Je ter- minerai cette esquisse par le récit d’une anecdote que M. ‘Targioni a rappportée avec une franchise dont on trouve trop peu d’exemples. Il voyageoit dans les pays de Camugliano, dont les habitans se nourrissent avec du pain de mullet. Un des fermiers du marquis de 318 ÉLOGES HISTORIQUES. Niccolini lui montra dans ses greniers plusieurs tas d’ivraie, en lui assurant que l’on en mêloit toujours un sixième au pain pour le rendre plus agréable. M. Targioni ne s’aperçut point que l'intention de cet homme étoit de l’induire en erreur, dans la seule vue de tromper un savant et de s’en moquer. Il eût la foiblesse de croire et de publier ce prétendu fait comme très-surprenant ; mais ayant reconnu la super- cherie, il prit le seul parti digne des personnes sages qui ont été les dupes de quelque imposture , celui d’en dévoiler l’auteur, auquel seul appartient et doit rester toute la honte. M. Targioni alla même jusqu'à de- mander pardon de cette méprise. Et fasse le ciel, ajouta-t-1l avec candeur, que ce soit la dernière ! E Dio faccia che sia l’ ultima! Parmi tant d'observations, celles qui concernent la minéralogie méritent sur-tout notre attention. M. Targioni eut le bonheur d'être dirigé par deux grands hommes, Stenon et Michel, et d’avoir la Toscane pour théâtre de ses travaux. On chercheroit en vainin pays plus propre à l’ins- truction d’un naturaliste et à l’étude du globe. Les massifs que de grandes distances séparent dans les autres climats y sont rapprochés ; leurs situations res- pectives en désignent les limites, en montrent les superpositions, en présentent les époques successives des opérations de la nature. En suivant M. Targioni des sommets de l’Apennin jusqu'à la Méditerranée on observe ces rochers de première formation, cette | | 4 ñ PHYSIOL. ET MÉD. — TARGIONI. 319 terre homogène et sans couches, plus ancienne qué les grandes révolutions du globe, et par conséquent que toutes nos histoires, et dont les phénomènes se perdent dans la nuit des siècles passés; on mesure Vétendue et les angles de ces grands bassins, où des Lits horizontaux forment des plaines que la charrue sillonne, sur lesquelles sont dispersés les hameaux, d’où s'élèvent les cités, et que couvrirent autrefois les eaux de l'Océan, dont le limon encroûte la terre et sert de sol aux empires. Entre cette enveloppe exté* rieure et l’ancienne surface, M. Targioni décrit des couches inclinées, qu'il appelle filons, dans lesquelles les formes du règne vivant sont à peine reconnois- sables, qui par leurs sommets s'élèvent toujours au- dessus du niveau des plaines de formation nouvelle, dont les débris composent une grande partie des col- lines et qui servoient de bords à la mer, dont elles ont ‘ reçu leur première modification. Sous un autre aspect, le revers occidental de l’A- pennin offre une pente qui dirige et favorise la chute des eaux sur un grand nombre de plans diversement inclinés. C’est là que l’on étudie avec profit leurs mou- vemens, la résistance et les effets des obstacles qui les retardent, les sillons, les coupures, les escarpe- mens qui résultent de leur action non interrompue ; c’est là que l’Arno , le Serchio , l'Ombrone , le Cecina, que l’œil du naturaliste voit naître, serpenter et gros- sir, éprouvent et fournissent des entraves de tous les genres ; c’est là que les vallées de différens ordres qui 320 ÉLOGES HISTORIQUES. | y affluent montrent des éboulemens , des excavations , des dépôts secondaires , et des filons dont l’écorce est dégradée ou amincie; c’est là enfin que l’on remarque les démolitions opérées dans les produits des grandes inondations, et, par un contraste frappant, les eaux courantes et nouvelles, attaquer, détruire et déplacer les anciens dépôts des eaux tranquilles. Qu'elle est grande et sublime cette science qui ap- prend à voir les traces des temps empreintes depuis la cime des montagnes jusqu’au fond des abîmes, soit dans les amas de végétaux minéralisés, soit dans les couches riches des dépouilles de tant d'animaux dont les générations innombrables ont été la proie de la mort; soit dans ces mines profondes , dans ces cristallisations régulières, ouvrage de la force qui meut et pénètre tout, qui crée, détruit et recompose, et qui peut seule, au milieu de tant d’êtres périssables, donner l’idée de l'éternité et de la toute-puissance ! Ce fut un événement important pour l’histoire naturelle qui fixa les regards de M. Targioni sur ces grands sujets de méditation. Il accompagnoit Micheli lorsqu’en 1733 œæ célèbre botaniste reconnut les vol- cans éteints de Santa-Fiora et de Radico en Toscane, les premiers qui aient été décrits. Témoin de cette découverte, qu'il a publiée dans l'Histoire de ses voya- ges, M. Targioni concçut en mage temps, et le projet de suivre avec zèle la même carrière, et l'espoir de s’y distinguer. Micheli ne se contenta pas de l’exciter par un grand exemple, il l'éclaira par ses conseils. PT me LE nie — PHYSIOL. ET MÉD. — TARGIONI. 31 Lisez Stenon, lui dit-il; et ces paroles n’ont jamais sorti de sa mémoire. Ce Stenon, soixante années auparavant , avoit par- couru la Toscane, et l’avoit examinée dans le plus grand détail. L'analyse la plus sévère des faits qu'il avoit recueillis lui avoit offert nn grand nombre de vérités nouvelles; mais l’ouvrage dans lequel il devoit les développer avec étendue n'ayant point été fini, elles ne furent qu’énoncées dans une sorte d’intro- duction que M. ‘Targioni lut et relut. Il y trouva des conséquences dénuées de leurs prémisses , et des résul- tats d'observations dont 1l ne restoit aucune trace. Stenon étoit un de ces hommes qui savent beaucoup et qui parlent peu, qui prennent tant de plaisir à voir qu'il ne leur reste point de temps pour écrire , et qui, à force de s’être livrés à la contemplation de la nature, deviennent, comme elle, silencieux, pro- fonds, et ne dévoilent leurs connoissances , comme elle ne révèle ses secrets, qu’à ceux qui s'en sont rendus dignes par l'application et par l’étude. Pénétré de ces lectures, élevé par ces pensées, M. Targioni eut le courage de chercher et le bonheur de réumir presque tous les matériaux de l'ouvrage de Stenon, épars sur tous les points de la Toscane. Il rassembla les preuves de ses assertions, et il mit toute sa gloire à faire briller celle d’un homme dont ilne pouvoit être l'interprète sans être en mème temps l'organe de la vérité. Tel est l’ascendant des grands observateurs ; leur renommée va toujours en croissant : s " T. 9. 21 D. 322 ÉLOGES HISTORIQUES. ‘\ comme les grands fleuves s'emparent des eaux coulent près d’eux, les faits accessoires appartiennent à la découverte principale, et tous les hommages se rapportent à son auteur. ; Pendant que M. Targioni appliquoit à toutes les parties de la Toscane les principes de Stenon, auquel on doit la distinction importante des montagnes pri- mitives et des collines, Rouelle déterminoit à Paris les propriétés et les formes de l’ancienne et de la nouvelle terre, dont M. Desmarets a fait connoître avec tant de soin les différens massifs en France. N'oublions pas d’ajouter qne ce savant naturaliste a parcouru la Toscane, le livre de M. Targioni à la main, et qu'ilen a facilement vérifié les observations. En nous fondant sur un témoignage d’un arrssi grand poids, et en ne parlant que d’après lui, nons rendons un tribut flatteur à la mémoire de notre con- frère et nous assurons sa célébrité. M. le duc de la Rochefoucauld accompagnoit M. Des- marets dans cet intéressant voyage. Je le prie de per- mettre que je dévoile ici un de ses bienfaits, non de “ceux dont l’indigence secourne garde un profond sou- veuir , sa modestie ne le permettroit pas, maïs de ceux que lui doivent les sciences. M. Targioni avoit employé dans sa collection et dans son catalogue des noms propres auxcantons où chaque substance avoit été recueillies; les. Ttaliens avoient adopté cette nomen- -clature, et il étoit impossible de lire avec fruit leurs ouvrages. M. le duc de la Rochefoucauld a fait venir 4 à 7. | ” +. PHYSIOL. ET MÉD. — TARGIONL. 323 de Florence une suite complète des minéraux et des fos- | siles de la Toscane » classés et étiquetés par M. Targioni, L’inspection en a facilement déterminé la nature, et il existe maintenant une langue commune entre les mi- néralogistes d’Itahe et ceux de France, Depuis 1770 jusqu’en 17980, M. Targioni ne s’oc- cupa que de médecine pratique. À cette époque il termina sa carrière littéraire par un savant ouvrage dont il n’a paru que quatre volumes, sur les progrès des sciences physiques dans la Toscane. Ainsi Haller consacra ses dernières années à la rédaction de ses Bibliothèques de médecine, d’anatomi: et de chirurgie. C’est sur-tout lorsqu'on n’est plus en état de contri- buer par ses efforts à l’avancement des connoissance que l’on se plaît à en écrire ou à en parcourir ne toire. Le jeune homme mesure des yeux la carrière où il va s’élancer ; 1l vit tout entier dans l'avenir : celui qui sort de la lice fatigué par les années, la voit encore avec intérêt en la quittant; mais fonte sa gloire est dans le passé, dont il aime à rassem- bler les débris : 1l s’enivroit d’espérance ; alors il se : repaît de souvenirs; et ces deux âges, qui sont impatiens de s’atteindre , ne laissent pas dans une vie utilement occupée un seul instant qui ne soit rempli par le désir de bien faire, ou par la jouissance du bien que l’on a fait. Dans l’année 1782, M. Targioni éprouva un dépé- | rissement dont les progrès furent lents et auqnel il succomba le 7 janvier 1763. 324 ÉLOGES HISTORIQUES. M. Octave Targioni, son fils unique, lui a succédé dans les places de directeür du jardin et de professeur de botanique dans l'Hpaiul de Sainte-Marie. Riche de plusieurs successions littéraires que son père lui a transmises, 1l réunit la belle suite de tous les bois de l’île d'Amboine, préparés par Rumphius, les z00- phites et l’herbier de Micheli à la nombreuse collec- tion de plantes et de minéraux, et à la bibliothèque de M. Targioni lui-même, sur les traces duquel tout l'invite à marcher. Les monumens que l’on élève aux grands hommes, les honneurs qu’on leur rend, les soins que l’on se donne pour rassembler et louer dignement leurs tra- vaux, ne sauroient intéresser une cendre insensible: ils appartiennent tout entiers à l’amour-propre des vivans, auxquels ils montrent dans l'avenir l’espé- rance d’un grand nom et les hommages de la posté- | ! ( * M M 4 L rité. Puisque c’est pour notre seul instruction que nous écrivons leur histoire, ne faut-il pas toujours essayer d’en extraire quelque leçon utile ? Ici nous avons été témoins d’une grande activité. Un esprit orné, des recherches très-étendues, un savoir profond , ont mérité à M. Targioni des places hono- rables et une grande considération dans sa patrie; | mais remarquons qu'après avoir réuni un nombre immense de matériaux, il a laissé le plus souvent à un autre le soin de construire l’édifice, et que recueil- ÿ lant toujours et ne jouissant jamais du fruit de ses M veilles, il a aussi négligé d’en rendre la jouissance M PHYSIOL. ET MÉD. — TARGIONI. 325 facile au public, qui ne connoissoit point assez son nom et ses ouvrages. Ceux qui cultivent les sciences et qui aiment la gloire doivent donc se souvenir que le zèle a besoin d’être secondé par la méthode, et que dans cette car- rière, comme dans toutes les autres, on est vraiment riche, non par ce que l’on acquiert, mais par ce que l’on sait mettre à profit, 326 ÉLOGES HISTORIQUES. o 1 on TS rt ot ot Sd RL VAN DOEVREN. ne # é CG UALTERUS VAN Dorvrex, ancien professeur se) , ; or C us d'anatomie et de chirurgie à Groningue ; professeur de médecine théorique et pratique, et président du Col- lége de chirurgie à Leyde ; premier médecin de S. A.S. le Stathouder ; membre de la Société d'agriculture d'Amsterdam, de celle des sciences et arts d’'Utrecht, de l’Académie de Harlem , de Rotterdam, de Fles- singue ; de celle des Curieux de la nature ; de la Société de médecine d’'Edimbourg ; associé étranger de la So- ciété royale de médecine , naquit le 16 novembre 1730 à Phihppine dans la Flandre hollandaise, d'Antoine van Doevren , inspecteur des digues et directeur des travaux qui se font sur les bords de la mer; fonctions importantes dans nn état quia tout à espérer et à craindre de cet élément. M. van Doevren étudia la physique et les différentes branches de la médecine à Leyde où il recut les leçons de Muschenbroeck , des deux Albinus, de Gaubius, de van Royen et de Winter qui succédotent immédia- tement à l’école de Boërrhaave et de Ruysch : à Paris, Nollet, Ferrein , Astruc, Petit et Levret furent ses maîtres. Revenu en 1753 dans sa patrie, M. van Doevren fut reçu docteur en médecine à Leyde, et 1l publia à D te PT 2 PHYSIOL. ET MÉD.— VAN DOEVREN. 327 cette occasion un ouvrage sur les vers des intestins de l’homme, qui a été traduit en français en 1764. Le tæmia est presque endémique en Hollande ; il est très- fréquent dans les pays marécageux, près des lacs et le long des plages maritimes ; d’où M. van Doevren a conclu que ce ver et Le strongle devoient être regardés comme étrangers au corps humain, et comme vivant origimairement dans les eaux. Son ouvrage est recom- mandable sur-tout parce qu'il y a rassemblé les con- noissances acquises jusqu’à cette époque sur le traite- ment des maladies occasionnées par la présence des vers de toute espèce. Des observations récentes ont appris que la coralie de Corse , et en général toutes les plantes maritimes , sont efficaces dans le traitement des affections vermineuses ; M. van Doevren a prouvé que les eaux de la mer jouissent elles-mêmes de cette pro- priété. La fougère, à haute dose, chasse le tænia ; mais tons les amers , les astringens et les antiseptiques ont produit des effets analogues. L’huile de ricin est em- ployée avec succès dans cette circonstance ; mais des huiles plus ou moins âcres y avoient également réussi, d’où 1l résulte que nos moyens, quoique nouveaux et plus sûrs, ont été pris dans la classe de ceux qui étoient déja connus et que les indications primitives avoient été bien établies, puisque, pour mieux faire, on n’aen qu'à suivre la ronte déja tracée par l’expérience. La réputation de M. van Dotvren fut fixée par ces re- cherches. Ce qui le caractérisoit c’étoit de la sagacité dans l’esprit, de la justesse dans les idées, et une grande méthode dans son travail. Tous les résultats de 328 ÉLOGES HISTORIQUES. ses observations étoient classés sur des tablettes dont l’ordre étoit le même que celui de sa mémoire; et comme il avoit l'habitude de remonter des dernières proposi- tions aux premières, il pouvoit jouir à volonté de tous les objets de son étude. Ses amis lui communiquoient souvent des faits ou des réflexions dont ils craignoient de perdre le souvenir, bien assurés que M. van Doevren joindroit ces richesses aux siennes , et qu'il pourroit les leur représenter au besoin. Cette manière l’avoit rendu nécessairement un censeur redoutable; car que penser d’un livre qui n’avoit rien fourni à ses tablettes ? C’étoit souvent la seule question qu’on lui faisoit, et souvent aussi c’étoit sa seule réponse. Marchant avec autant de réflexion et de sureté dans la carrière de la médecine théorique, il sentit combien il resteroit pour lui de questions indécises, tant qu’elles ne seroient pas résolues par l'observation , et il se livra de bonne heure à la pratique de notre art. Ceux qui le consultoient oublioient facilement son âge , parce que la sagesse se montroit dans ses actions , la vérité dans ses discours , et que les bons avis présentés avec réserve sont toujours les fruits assurés de la maturité de l'esprit. È Parmi ces circonstances heureuses il rencontra des obstacles dans la rivalité de quelques médecins, qu'il embarrassoit par sa précision près des malades, pour lesquels on l’appeloit a*ec eux. Fatigué de leur voir confondre les effets avec les causes, les aperçus avec les preuves, et sur-tont le savoir avec l’ancienneté , il ge résolut de dénoncer &u public ces grandes et dang PHYSIOL. ET MÉD.— VAN DOEVREN. 329 reuses méprises : c’est ce qu'il fit dans un discours qu'il prononça pour l'inauguration de sa chaire d’a- natomie et de chirurgie à Groningue où 1l a eu pour successeur M. Camper , un de nos plus illustres associés. Après avoir imsisté dans ce discours sur la préémi- nence de la médecine dogmatique , 1l dit à combien d’erreurs est exposé celui qui cherche des règles de con- duite , soit dans l’observation des autres , soit dans la sienne propre ; il ouvre les fastes de notre art , et il voit que tous ses procédés , quels qu’ils soient , sem- blent avoir reçu la sanction de l'expérience ; que toute pratique a ses faits, comme toute croyance a ses martyrs ; que Sylvius et De-Le-Boé, en cherchant à neutraliser des acides imaginaires ; Paracelse, en van- tant les sudorifiques et en proscrivant la saignée ; Chirac et Sylva, en versant au contraire le sang à grands flots; Fizes , en prodiguant les purgatifs dès le principe des fièvres, se sont appuyés sur des observa- tions ou mal faites ou mal appréciées. Il remonte à l’époque où Baglivi s’est trompé sur la cause des mou- vemens alternatifs du cerveau, et où toute l’école d’I- talie s’est égarée avec lui. Il suit le génie de Boërhaave dans ses systèmes sur l’inflammation et sur les diverses altérations des fluides. Par-tout où est l’erreur 1l dé- couvre que de fausses inductions tirées des faits en sont la source ; 1l la surprend dans la bouche même du vieillard qui abuse de la théorie en déclamant contre elle ; 1l prouve que l’on est novice dans la science des faits, tant que l’on n’a pas assez de lumières pour 330 ÉLOGES HISTORIQUES. les bien voir , ou assez de méthode pour les bien juger; il appelle l'observation au tribunal de la philosophie ; énfin il montre que si la médecine est fille du temps, Pempirisme n’a que trop prolongé son enfance, et qu’elle ne peut devoir ses progrès qu'aux seuls conseils de la raison. Dans un discours prononcé pendant son premier rectorat à Groningue, M. van Doevren offre au public et à ses confrères des réflexions consolantes. IL s’étoit élevé souvent et avec force contre les erreurs des mé- decins : cette fois 1l fait voir que leurs fautes ont quel- quefois conduit À des résultats heureux et inattendus ; que, par exemple, le cristallin échappé par l'ouverture de la prunelle dans la chambre antérieure de Pœil , lorsque Daviel ‘s’efforcoit de l’abaisser , a fonrm l’idée de l’opération de la cataracte par extraction ; que des doses excessives de mercure, de quinquina , de camphre, d’opium, de cloportes , données contre tontes les règles de l’art, ont appris à se servir de ces substances avec un nouveau succès. À ces remarques utiles, 1l jommt le tablean des grandes entreprises faites contre la santé des hommes , comme l’histoire offre celles que l’on a multiphées contre leur repos : sous le voile des erreurs, sous le bandeau des préjugés qu'il soulève , il trouve toujours des vérités captives, et 1l les affranchit en les mettant au grand jour ; 1l trace la route en marquant les écueils; il décrit les essais meurtriers , les méthodes systématiques , les pratiques hasardées , les longues habitudes de la rontine, comme des expériences mé- 1 4 4 PHYSIOL. ET MÉD.— VAN DOEVREN. 33: morables, faites aux dépens du genre humain et dont il est important que l’on se souvienne pour n’y plus revenir. Nommé pour la seconde fois en 1770 recteur de l'U- miversité de Groningue , il prononca un discours sur la situation , l’air et les eaux de cette ville , et sur la santé de ses habitans. On sait combien la plupart des mémoires écrits sur la topographie médicale sont sté- riles et dénués de faits. Ce sujet est un de ceux que la foule des écrivains croit faciles , parce qu’ils sont vastes, parce que nulles Hmites déterminéesn’en bornent l’éten- due, parce qu'ils se prêtent à tout ce qu’un observateur ingémieux veut y placer, mais dans lesquels la médio- crité du talent se décèle par le vide immense qu’elle ne sauroit remplir. La topographie médicale est pour nous ce que sont en histoire naturelle les voyages mminéra- logiques , maintenant si communs , et dont la plupart sont si fastidieux. Dans ces sortes de iravaux, c’est perdre sa peine que de grossir un volume de menus détails, de faits isolés, de petites descriptions, lors- qu’on ne sait pas en former un ensemble, et qu’au lieu de voir des masses on n’aperçoit que des points sur la surface que l’on parcourt. La description topogra- phique de Groningue par M. van Doevren ne mé- rite auc#n de ces reproches ; la Société pourroit même la proposer pour modèle si elle avoit besoin d’en cher- cher ailleurs que dans ses volumes, où plusieurs mé- moires de ses membres ne laissent rien à désirer à cet égard. M. van Doevyren publia pendant son séjour dans 332 ÉLOGES HISTORIQUES. cette ville un autre ouvrage sur l’art des accouchemens, qu'il pratiquoit et qu'il démontroit avec célébrité. Tant de talens fixèrent l'attention des admimis- trateurs de l’Université de Leyde, par lesquels 11 fut nommé professeur ordinaire de médecine théorique et pratique. Le discours d’inauguration qu’il prononça en cette qualité reçut le même accueil que ceux dont j’ai déja rendu compte : 1] y traita un sujet digne de toute son érudition. Après avoir fait un savant tableau de la mé- decine ancienne , des phases et des progrès de notre art, 1l prouva que toutes ses parties se sont accrues par les travaux des modernes. Il étoit assis dans la chaire d’où Boërrhaave s’étoit fait entendre à son siècle et à la postérité. Ce fut aussi le génie de ce grand homme qu’il invoqua dès son début. Il salua le tombeau d’Albinus dont la perte étort récente, 1l rappela la mé- moire de Ruysch ; et, s’enfonçant daus les ténèbres de l'antiquité , 11 montra la médecine cultivée et honorée par les Grecs comme la première de toutes les sciences; 1l loua sur-tout leur sagacité dans l’observation, leur sagesse dans la marche générale du traitement, et leurs vues sur les grands phénomènes des maladies. Il s’é- tonna qu'avec aussi peu de moyens ils eussent pu s’é- lever aussi haut;l'imperfection nième de leur amwatomie, de leur matière médicale, de leur pathologie, adroite- ment présentée par M. van Doevren, sembla contri- buer pour quelque chose à leur éloge : mais enfin cette imperfection étoit réelle ; leur théorie toute entière étoit vicieuse ; les secours les plus efficaces dont nous PSS en Ps SP PHYSIOL. ET MÉD.— VAN DOEVREN. 333 usons leur étoient inconnus : et, sans nous écarter des temps les plus modernes, que l’on compare la physio- logie de Haller avec celle de Senac , la Pathologie de Gaubius avec celle d’Astruc, les Matières médicales de Cartheuser et de Vogel avec celle de Boëcler et d’Her- man , le Traité des fièvres de Torti et de VVerlhof avec celui de Chirac, la précision et la sûreté du diagnostic, dont Sauvages a réumi les principes dans sa Nosologie, avec toutes les séméiotiques qui l'ont précédée ; enfin les Elémens de médecine du célèbre praticien d'Edim- bourg avec les fameux Commentaires de van Swieten : et l’on verra combieri nous avons acquis depuis un demi-siècle, et l’on ne doutera plus que la médecine ne marche, comme les autres sciences, vers la per- fection. Quelcontraste! ajouterons-nous avec M.van Doevren. Tous en parlent , et peu la connoissent , plusieurs la pratiqueut sans l’avoir étudiée. Souvent on la loue de ce qu’elle n’a point fait; rarement on lui tient compte de ce qu’elle opère ;, et on lui contestejusqu’à ses progrès. A entendre le plus grand nombre, on diroit qu’il ne s’agit que de trouver une herbe, un spécifique propre à la guérison de chaque maladie : chimère qui trompe l'ignorance en alimentant le charlatanisme. Ses nom- breux protecteurs n’apprendront-ils donc jamais que la puissance suprème dévoileroit en vain aux yeux des hommes la connoissance de tous les remèdes, si elle n’y joignoit pas en même temps celle de toutes les ma- ladies? que les différens degrés et le mélange des diverses affections sont ce qu'il importe le plus de déterminer? 334 ÉLOGES HISTORIQUES. qu'avant de rédiger des formules il faut établir des mé- thodes ; et qu’en médecine comme en physique on ne ‘sait rien lorsqu'on ne s’est pas imposé la loi de s’ins- truire avant de voir et de réfléchir après que l’on a vu? En écrivant l’histoire des travaux littéraires de Gau- bius , j'ai fait mention de plusieurs discours prononcés par ce savant médecin sur des sujets propres à répandre l'instruction et à détruire les préjugés. Ruysch et van Royen en ont aussi publié de semblables. Plus sages que beaucoup d’autres , les orateurs de ces peuples éco- nomes semblent mettre à profit tous les instans : ils en- tretiennent leur assemblée ,| mbms de ce qui pourroit lui être agréable , que de ce qui doit lui être utile; ils ne font point d'efforts pour plaire , mais 1ls plaisent souvent et toujours sans en avoir formé le projet, parce que la véritable éloquence naît presque sans culture d’un fonds riche en pensées et en faits , et qu’en parlant de ce qu'ils savent le mieux, de ce qui les touche le plus, de ce qui a été l’objet de toutes leurs médita- tions , de ce qui Les émeut, en un mot, ils sont eux- mêmes plus sûrs d’affecter et d’émonvoir. Quelque temps après avoir fixé son séjour à Leyde, M. van Doevren publia un traité sur les maladies des femmes. 81 cet ouvrage d’un petit volume, mais d’un grand sens, est devenu célèbre, on doit l’attri- buer à la clarté de l'exposition et aux vues morales qu'il renferme. Deux époques divisent la vie entière des femmes en trois grands intervalles. C’est pour elles sur-tout que la nature a tracé des limites certaines entre lesdivers ocs, entre les temps d’action et ceux de repos. PHYSIOL. ET MÉD.— VAN DOEVREN. 335 Des révolutions déterminées marquent les instans de leurs jouissances. Leurs organes, d’un tissu frèle et peu robuste , se prêtent aux changemens les plus prompts et les plus étendus : malgré la mobilité de leurs fibres, leurs principaux mouvemens sont soumis à des pé- riodes : parcourant un espace dont les devoirs , les besoins et les souffrances occupent une grande partie, elles sont en quelque sorte forcées à se presser de vivre, et c’est cette rapidité dans leur course , cette souplesse et cette 1rritabilité dans leurs fibres ; ce sont ces nuances de foiblesse et de force , toutes dépendantes de la sen- sibilité; ce sont ces impressions alternatives, j’ai presque dit simultanées, du plaisir et de la douleur, qui modi- ‘ fient le caractère et le tempérament des femmes. M. van Doevren , qui jouissoit de toute leur confiance , les a considérées sous ces diflérens rapports ; et l’on s’a- perçoit, en lisant son ouvrage, qu'il en a parlé comme 1l les avoit étudiées , avec finesse ; et pourquoi crain- drions-nous d'ajouter , avec plaisir ? + Parmi les thèses soutenues sous sa présidence , on a distingué celles qui ont été publiées en 1781 sur l’anus imperforé des nouveau-nés , et sur la section de la sym- physe du pubis. M. van Doevrenu pratiquoit avec succès l’inoculation de la petite-vérole, et dans plusieurs de ses discours il avoit célébré cette méthode comme une des plus belles découvertes de la médecine moderne. Il fut chargé d’inoculer les enfans du Stathouder, et nommé ensuite médecin des jeunes princes. Mais le cours de ces prospérités fut interrompu par 336 ÉLOGES HISTORIQUES.. un malheur qui en détruisit tout le charme. Il avoit épousé une femme qu'il aimoit tendrement; 1l la perdit, et le reste de sa carrière demeura sans intérêt et sans but.Qu’est-ce que la fortune et ses faveurs pour l’homme sensible qui ne peut plus en jouir dans le sein de Lac mitié ? A la mort de M. Gaubius , M. van Doevren fut nommé premier médecin du Stathouder , faveur qui lui auroit été bien chère dane le temps où son ame étoit accessible an bonheur, c’est-à-dire où 1l pou- voit le partager. Au reste 1l survécut peu à la com- pagne qu'il avoit tant regrettée : les accès de goutte auxquels il étoit irès sujet devinrent plus fréquens; ils se portèrent à la tête, et 1l mourut d’apoplexie le 31 décembre 17835 , âgé de 53 ans. Sa perte a excité les regrets de l’Université de la ville et même ceux de la cour. Chacun de ses élèves et de ses malades croyoit avoir et avoit en effet part à son atta- chement. Une tristesse involontaire se mêloit quelque- fois à sa sensibilité , parce qu'il étoit mélancolique, et peut-être parce qu’il est impossible de voir d’aussi près la scène du monde sans être souvent affligé par ce spec- tacle. Une longue suite de maux avoit assiégé son en- fance et affoibli sa constitution. 11 avoit reçu de la na- ture une ame active dans un corps frêle et délicat. Ebranlés par la souffrance, ses organes lui transmet- toient souvent des commotions trop vives. Avec un tel caractère, il dut avoir des amis et des ennemis. Parmi les premiersil compta long-temps un confrère dont nous honorons la mémoire autant que nous ché-- rissons sa personne. MM. Lorry et van Doevren PHYSIOL. ET MÉD.— VAN DOEVREN. 337 avoient les mêmes goûts ; ils cultivoient les mêmes études ; ils s’étoient communiqué par lettres la chaîne de leurs affections ; ils se consoloient, ils s’encou- rageoient l’un l’autre : ce qu'ils n'osoient dire à per- sonne , 1ls se. l’écrivoient quelquefois , et leur corres- pondance étoit comme l'entretien de deux amis , sou- vent sans but , mais jamais sans épanchement et sans abandon , aussi variée que les diverses circonstances de la vie dont elle recevoit l'empreinte, et toujours dictée par le sentiment plutôt que par l'esprit. Parmi les ennemis de M. van Doevren étoient , nous a-t-on dit, des personnes puissantes par leurs places, et des savans d’une grande réputation: mais que sont les querelles obscures des particuliers aux yeux de la postérité, quise souvient à peine de celles des empires ? Remarquons seulement ici que l'envie dont on se plaint tant contribue plus qu’on ne croit aux progrès des lettres , puisque sans l’aiguillon dont elle presse les hommes, nul ne se détermineroit peut-être à marcher constamment vers la perfection par les longs et pénibles sentiers du travail et de l'étude. M. van Doevren aimoit , comme les Hollandais riches , le luxe des sciences et des arts. Sa bibliothèque étoit nombreuse et bien choisie ; sa belle collection de minéraux et de préparations anatomiques, qui fait maintenant partie du cabinet de l'Université de Leyde, excitoit la curiosité des voyageurs, auxquels la méthode de sa distribution plaisoit sur-tout parce qu’elle étoit dirigée vers l’enseignement. IL est sorti de son école des disciples dignes de sa re- [S) 2 Nn T. 9. 338 ÉLOGES HISTORIQUES. nommée , tels que M. Munnicks , professeur en mé- decine à Groningue , l’un de nos correspondans , et qui a remporté un de nos prix; M. Michell, cou- ronné deux fois dans nos séances publiques, et aussi notre correspondant ; et MM. Verschuir, van Geuns, Papendorf et Forsten. Plusieurs d’entre eux nous ont transmis les témoi- gnages de leur respect pour un maître chéri; ils le regrettent encore plus que nous ; parce qu'ils l’ont connu davantage. Toutes les personnes qui ont entendu M. van Doe- yrén ou qui ont lu ses ouvrages auroient désiré qu'il en eût publié un plus grand nombre. Celui qui occupe la chaire de Boërrhaave, disoit-il, doit être plus sévère à l'égard de ses productions, et veiller plus que tout autre sur lui-même. Comme tout ce qui tient aux grands hommes est sacré ! comme leur patrie s'énor- gueillit de leurs talens et brille de leur éclat! Toute la terre est pleine de leur nom; mais c’est dans le lieu de leur naissance qu'il s'établit un culte vraiment reli- gieux envers leur mémoire. Heureux, lorsque , dans la foule de leurs admirateurs, on distingue un petit nombre d'hommes dignes , comme M. van Doevren ; de leur offrir un hommage pur, et d’avoir, comme eux, Un jour quelque part au souvenir de la postérité ! 1 } SUPPLÉMENT. ÉLOGE DE MONTIGNY, SUIVI DE QUELQUES NOTICES Sur plusieurs correspondans de la Société de médecine. h Le. AL... 0 $ I MONTIGNY. | FRAME Mrexor ne Mowrieny, chevalier, conseiller du roi, trésorier de France, grand voyer (1) de la généralité de Paris, commissaire du conseil au dépar- tement des ponts et chaussées, membre de l’Académie royale des sciences de Paris et de celle de Berlin, as- socié libre de la Société royale de médecine, naquit (à) 11 étoit aussi directeur général du pavé de la ville , faubourgs et banlieue de Paris. 340 | ÉLOGE à Paris le 15 décembre 1714, de Jean-François Mi- gnot de Montigny, trésorier de France, et de Louise Gaillard. Son père eut la sagesse de ne point le contraindre par les entraves d'une éducation précipitée : 11 voulut connoître ses goûts naturels, et il se contenta, pen- dant ses premières années, d’observer son penchant. Le jeune de Montigny s'amusoit à tracer des triangles, des carrés ; 1l décomposoit ces figures pour en con- noître les élémens; et l'harmonie des nombres eut pour lui des attraits avant qu'il sût le nom de la science qui en expose les combinaisons et les rapports. , A dix-huit ans 1l se cassa une jambe, et, retenu dans son lit par cet accident, on le trouva entouré de toutes les pièces de sa montre, qu'il avoit séparées avec adresse et qu'il coiléroit avec avidité. Je cherche son ame, dit-il à celui qui le surprit dans cet examen. Il cherchoit en effet le principe de son mouvement. Son père augura bien de cette curiosité, qu’il loua beaucoup, et qu'il excita de tout son pouvoir; elle est le plus puissant ressort qui pousse l'homme vers l’ex- périence et l’observation. Active, infatigable, la vérité seule peut la satisfaire : bien différente de ce. faux zèle dont se parent ceux pour qui la carrière des lettres west en quelque sorte qu'une terre étrangère, sur laquelle ils passent pour arriver à la fortune. : Les parens de M. de Montigny s'étant assurés de Ja préférence qu’il donnoit à l’étude des sciences exactes, ne s’occupèrent plus que du soin de favoriser ces dis- positions. Il fut heureux d’être conduit par un père M DE MONTIGNY. 341 aussi éclairé : la plupart, avec d’aussi bonnes inten- tions et moins de lumières, suivent une route opposée. Ils n’ont qu'un seul procédé : l'enfant est entouré de pédans qui l’ennuient, et d'hommes agréables qui le corrompent. Ses sens sont assaillis à la fois par les prestiges de tous les arts. Surchargé de leçons et de préceptes , son esprit ne conserve point la vigueur nécessaire à la réflexion. Au milieu de ce tumulte, il repousse souvent le genre d’occupation pour lequel il avoit le plus d'aptitude, et la liberté qu’on lui laisse sur le choix de son état peut devenir un présent fu- neste, puisqu'il ne sat quels travaux sont propor- tionnés à ses forces, ui sur quels sujets 1l exercera le plus utilement sa sensibilité. Les Jésuites furent chargés de la première éducation de M. de Montigny. Ils trouvèrent en lui des talens qu'ils jugèrent pouvoir être utiles à leur ordre, et ils résolurent de faire tous leurs efforts pour l’y attacher. Le père Tournemine, qui s’étcit chargé de ce soin, flattoit son goût pour l'étude : plus ce goût étoit vif, plus le jeune prosélyte lui savoit gré de sa complai- sance, et plus il étoit docile à la main qui le condui- soit. L’adroit Jésuite n’ignoroit pas que c’est toujours sur les passions qu’il faut appuyer les léviers dont on se sert pour mouvoir les hommes. Le père de M. de Montigny voyant qu’une correspondance secrète ren- doit inutiles toutes les mesures qu’il prenoit pour soustraire son fils au danger de cette liaison, résolut de l'emmener dans une de ses terres, loin de la ca- _ pitale, où, subjugué par les soins et la tendresse de " 342 -ÉLOGE : : sa famille, le jeune homme comprit enfin que les chaînes les plus douces étoient celles de la maison paternelle. Sous le voile que ses yeux venoient de percer , 1l trouva des liens qui l’attachoient fortement au monde; et1l sentit tellement le prix de ù on qu'il se rebées par la suite à tout engagement qui auroit pu lui porter la plus légère atteinte. Il bénit cent fois la main secourable qui lui avoit rendu ce service, lorsqu'un coup imprévu frappa la compagnie dont il avoit tant désiré d’être membre ; et 1l vécut toujours loin des sectes de tonte espèce 2. dont il avoit reconnu que le grand inconvénient est ul d'attaquer la liberté jusque dans l’opimion et dans la pensée, et de ne voir dans le monde entier que deux partis; l’un, pour lequel on ose tout, et le partr op- posé, contre lequel on se permet tont. M. de Montigny se lia avec MM. Fontaines et de Buffon, dont le nom étoit déja célèbre dans la car- rière des sciences. Son ame s’échauffa au feu de leur génie ; 1l s’isola au milien d’un monde qu'il aimoit et dont il étoit aimé. Il fit ce sacrifice à son éduca- M tion, et il ne s’occupa pendant plusieurs années que de ses travaux. Lorsqu'on ne vit point avec soi-même on n’a rien à soi: c'est dans le calme qu’un esprit actif réunit ses idées, les juge, et en tire des induc- tions nouvelles. Sans le silence, la réflexion n’a point de profondeur, et ç’a toujours été de la solitude que s’est élevée la voix de l'éloquence et de la philosophie. Ainsi, dans le grand tableau de la nature, les chocs, les effervescences, les embrasemens ; n’ont jamais MONTIGNY. 343 produit que des masses informes , des désastres, des malheurs : tandis que le repos, ami de l’ordre et de l'harmonie, donne aux cristaux la beauté des formes ; aux pierres précieuses, la transparence et la pureté; aux êtres animés, la paix, la douceur et l’abondance. L'abbé de Ventadour fut appelé à Rome auprès du cardinal de Rohan son oncle pour lui servir de conclaviste à l'élection du pape futur, Benoît XIV, dont la douceur et la prudence ont rendu la mémoire si recommandable, et qui a été si considéré par ceux même qui n'ont vu en lui que le souverain d’une portion de l'Italie. Il pensa qu'il s'instruiroit agréa- blement dans ce voyage, en recevant des leçons de la bouche d’un savant aumable, et il pria M. de Mon- tgny de l'accompagner. Un grand respect pour tout ce qui tenoit aux Romains , une étude suivie de leur histoire, un désir très-vif d'observer les hommes dans un pays où le génie des arts s’est établi sur les ruines de la liberté, tous ces motifs rendirent cette propo- sition d'autant plus intéressante pour M. de Montigny, qu’elle lui présentoit en quelque sorte le complément de ses travaux. Après avoir été témoin des cérémomies du conclave, les voyageurs donnèrent toute leur attention aux objets que ce pays renferme. Du sein de l’ancienne Rome, 1l s’est élevé une ville nouvelle que l’on peut regarder, suivant l’expression de Montaigne, comme le sépulcre de la première. Là, nu sol exhaussé soutient des maisons qui sont fondées sux d'immenses débris. Ici, un palais, un temple, 344 NOTICES, ont résisté aux efforts des barbares. La hardiesse et la beauté de leur structure, leur solidité, leur masse, ont étonné nos aïeux ; elles surprendront encore notre postérité. Ailleurs on distingue les monumens érigés par la république d’avec ceux qui sont l'ouvrage des empereurs : ces derniers montrent, par leur super- fluité, le luxe de leurs fondateurs ; les autres offrent une magnificence utile; tout rappelle le souvemir et retrace l’image de ces héros qui se sont disputé l’em- pire du monde, et dont les cendres sont réunies dans ce vaste tombeau. Quel mélange de grandeur et de décadence ! Où l’homme a-t il montré plus de courage et de vigueur? où a-1l opposé an temps et à la des- truction de plus fortes barrières? et cependant chaque jour porte une atteinte funeste à ces restes précieux. Encore quelques siècles, et le Tibre, tant de fois en- sanglanté par le meurtre et le carnage, coulera pur et tranquille sur une terre où le nom des Romains sera peut-être tout-à-fait oublié. Les voyageurs ne visitèrent pas avec moins d'intérêt le reste de l'Italie. Revenus à Paris, l’un fut élevé aux premières dignités de l’église; 1l devint dans peu car- dinal (1) : l’autre rentra dans le sein de l’Académie , qui se l’étoit associé à l’âge de vingt-six ans (2). Il est difficile que deux personnes voyagent long- temps ensemble sans lire réciproquement dans leur pensée. L’ame, en s’occupant toujours d’objets nou- {1) Il a été connu sous le nom de cardinal de Soubise. (2) Cette compagnie le reçut en 1740 adjoint en mécanique. DE MONTIGNY. 345 veaux, s'agrandit en quelque sorte, et doit répugner davantage à la contrainte; il y a d’ailleurs tant de momens qui ne peuvent être remplis que par la con- versation, tant de circonstances où 1l faut dire son avis sans délai, que l’homme le plus dissimulé ne pourroit résister à ceite épreuve. Le cardinal et l’aca- démicien s’apprécièrent donc, et ils restèrent umis par les liens de l’amitié la plus sincère. Une Académie est un corps dont tous les mouvemens doïvent tendre vers un centre commun, qui est la vérité, dont tons les membres recherchent la même récompense, qui est la gloire ; mais dans lequel tous les emplois ne sont pas également imgportans. Les uns, placés en quelque sorte à l’extérieur, répandent de l'éclat sur ceux qui les remplissent avec succès ; les autres, concentrés dans les fonctions les plus in- times , ne sont pas les moins utiles; mais ils exigent des travaux assidus et journaliers , dont la renommée ne tient aucun compte, et dont la connoissance ne parvient pas même jusqu’au public, pour le bonheur duquel 1ls sont entrepris : ainsi dans le corps humain les ressorts les plus cachés ne sont pas les moins né- cessaires. M. de Montigny a bien mérité de l’Acadé- mie par des travaux de ce genre : ses lumières , comme son zèle, s’étendoient à tout; chimie, physique, mé- canique , géométrie , tout étoit de son ressort lorsqu'il falloit, non se rendre célèbre, 1l n’en a jamais formé le projet, mais se montrer utile. Il excelloit sur-tout dans l’art de faire des rapports ; art délicat et difficile, parce qu’il suppose une attention soutenue sur des 346 ÉLOGE objets qui intéressent plus l'académie que l’académi- cien, parce qu'il faut toujours être en garde contre la fraude, et que ces recherches demandent un temps perdu pour l’amour-propre , qui pourroit facilement l’employer à son profit. Dès 1726, M. de Montigny avoit CrÉsE à l'Aca- démie deux machines, qu’elle avoit jugées dignes de son approbation (1). En 1741, 1l lui donna une nou- velle preuve de ses connoissances en mécanique, dans un mémoire où il résolut le problème (2) des trajec- toires par le calcul intégral et différenciel, le seul qui pütattemdre à de semblables questions. M. d’Alem- bert n’avoit point encore publié sa Méthode générale, dont l’application se fait d'une manière plus commode PP et plus prompte aux cas de diverse nature. PRE EN ER ER EE RE (1) M. de Montigny a présenté à l’Académie royale des sciences , en 1728, trois machines : la première pour élever des fardeaux, décrite dans l’histoire de cette année, page 109, et, dans le tome nr 22m Flle a été regardée comme devant être plus commode sur les vais- seaux que le cabestan qui y est en usage. La seconde pour pren- dre hauteur en mer, décrite, même année et même page dans l'Histoire de Pacadémie, et tome V des Machines, page 57, n.° 324. L'Académie l’a jugée propre à servir principalement dans les V des Machines approuvées par l'Académie, page 55, temps de brume, La troisième, pour suspendre les instrumens en mer, décrite page 59 des Machines, approuvées par l'Aca- démie. | (2) La solution de ce problème de dynamique, dans lequel l’au- teur a déterminé les trajectoires et les vitesses d’une infinité de corps mis en mouvement autour d’un centre immobile , se trouve dans le volume de l’Académie royale des sciences pour l’année 1741, page 143 de l'Histoire, et 280 des Mémoires. - Pr Pr RE Re | DE MONTIGNY. 347 Quelques années après 1l fit, avec M. Guettard (1), des recherches sur les ardoisières d'Angers, et en 1774 (2) 1l partagea avec MM. Macquer, Brisson, Cadet et de Lavoisier, les travaux auxquels la lentille de M. Trudaine a donné lieu. L'histoire littéraire de M. de Montigny ne se borne point à ces détails ; 1l a des droits plus étendus à nos éloges. Sa liaison avec M. Trudaine, dont le nom sera toujours si cher aux arts, lui fournit l’occasion de rendre les plus grands services à sa patrie, en con- tribuant efficacement à leurs progrès. Il n’en est pas des nations comme des particuliers, Parmi ceux-c1, plusieurs sont et peuvent continuer d’être opulens, quoiqu'ils soient paresseux, ignorans et maladroits : les peuples, au contraire, quelque bien traités qu’ils soient par la nature, n’ont jamais de véritable richesse que celle de Jenr industrie. Plu- sieurs manufactures languissoient en France : le Gou- vernement chargea M. de Montigny de les remettre en activité. Sa première observation fut qu’elles man- quoient presque toutes des procédés nécessaires à leurs succès , et que la main-d'œuvre y étoit très-défectueuse, Il n'y avoit qu'un seul moyen pour leur donner promptement la perfection qui leur manquoit : c’étoit d'appeler en France les ouvriers les plus exercés dans (1) Le mémoire sur les ardoisières d'Angers, publié parmi ceux de l'Académie royale des sciences, année 1757, page 62, con- tient des remarques très-sayantes sur les empreintes. (2) Mémoires de l’Académie, 1774, page 62. 348 ÉLOGE | ces différens genres. Bientôt des Levantins, très-ha- biles dans l’art de l’étamage, furent fixés à Lyon ; des Flamands dirigèrent les travauxdes tapisseries à Beau- vais; des ouvriers anglais apportèrent des instrumens et des moyens nouveaux pour la fabrique des bijou- teries. On apprit à se servir des calandres à cylindres et autres, propres à imiter les apprêts d'Angleterre, qui n’avoient jamais été employées parmi nons ayant l’année 1750 (1). On fit, pour la prenuère fois en France, des velours de coton, des cannelés. La fa- brication des gazes et des mousselines, l’art de teindre le coton en couleurs pleines et solides, furent mieux cultivés et plus répandus; et les villes de Lyon, Rouen, Nîmes, la Charité-sur-Loire, Toul, Samnt- Etienne (2), éprouvèrent les effets de cette protection éclairée. MM. Trudaine et de Montigny furent les promo- teurs de ces opérations utiles ; maïs leurs succès doï- vent être principalement rapportés au ministre qui en ordonna l'exécution. M. de Machault , alors contrôleur général des finances, offrit aux artistes tous les encouragemens dont ils avoient besoin + et il les favorisa avec ce zèle du bien qu'l a toujours montré dans ses différens emplois. On le compte (1) Avant cette époque les calandres et les divers apprêts donnoïent aux étoffes d'Angleterre une grande supériorité sur les nôtres. (2) Aubusson et Feuilletin reçurent les mêmes encouragemens : M. de Montigny leur procura de meilleurs modèles ; et les dessins des tapisseries furent faits par les plus grands maitres, aux dépens du roi. DE MONTIGNY. 349 parmi ce petit nombre d'hommes d'état qui ont, dans leur retraite, deux grands motifs de consolation, l'estime du peuple etleurs vertus. Le public est, pour les ministres qui survivent à leurs fonctions, un juge sévère, mais équitable, qui leur prononce d'avance l'arrêt de la postérité; c’est pour eux sur-tout que la louange est permise, parce qu’elle n’est point intéressée. M. de Machault avoit donné à M. de Montigny un coopérateur qui a eu la plus grande part à la ré- volution dont nous avons fait le tablean. M. Olker, officier anglais , avoit été fait prisonnier à la bataille de Culloden, où il combattoit pour le malheureux prince Édouard. Il fut renfermé dans la tour de Londres avec son ami M. Mach, où ils attendoient une mort qu’une partie de l'Angleterre auroit regar: dée comme ignomimieuse. Ils trouvèrent le moyen de percer le mur de leur prison ; et M. Mach sortit le premier ; mais l’ouverture étant trop étroite pour son ami, il osa s’y introduire de nouveau pour lui aider à l’agrandir : tous les deux se dérobèrent enfin au danger pressant qui les menaçoit ; et cette fois l’in- nocence ne fut point sacrifiée. Ils vinrent en France, où ils reçurent l’accueil le plus favorable ; et M. Olker se vengea de ses persécuteurs en révélant les secrets de leurs arts, dans lesquels 1l étoit très-versé. Les répandre parmi nous, n’étoit-ce pas en quelque sorte en faire présent à l'humanité, puisque les sa- vans français (1) ont formé le grand projet d’écrire (1) Voyez l’'Hist. des arts, publiée par l'Acad. royale des sciençes. 350 ÉLOGE l’histoire de tons les procédés des arts, et de ne se réserver, après en avoir dévoilé l’état actuel, d’autre avantage que celui de travailler en commun à leurs progrès? Que l’on ne croïe pas que ce beau monu- ment puisse jamais faire aucun tort réel au peuple dont il aura été l’ouvrage. Celui qui déchire le voile dont une cupidité grossière et superstitieuse couvroit les arts, amis du grand jour et de la hberté ; qui substitue le véritable mobile des talens , l’intérêt gé- néral, à cette multitude de ressorts cachés et presque toujours en opposition, que dirige l'intérêt paticu- lier: ce peuple ne doit rien craindre , mais tout es- pérer de son désintéressement et de son industrie. MM. de Montigny et Olker se sont toujours con- duits d’après ces principes. Une de leurs fonctions les plus sacrées étoit la distribution des secours dont le gouvernement les avoit chargés de disposer. On ne les a point vus élever des bâtimens superbes pour | y dresser des ateliers, et, par une méprise impardon- nable , placer l’économie active des arts dans des lieux dont le faste annonce la splendeur d’une opulence oisive. Les administrateurs éclairés n'ignorent pas que le luxe, compagnon fidèle de la mchesse des grands, est l'ennemi de celle des peuples, sans la- quelle 1l n’y a point de véritable abondance. Ils savent que cette dermière ne peut être que le fruit des efforts les mieux dirigés; et pour celui qui connoît et chérit les intérêts bien entendus de l’état, rien ne pent 1 ' £ w égaler le spectacle que présentent quelques unes de nos villes, où, sans compter les grandes manufac- » de DE MONTIGNY. M "| tures , dans lesquelles tant de mains sont occupées du bonheur de tous, chaque maison est un atelier, chaque citoyen un fabricant; où l'enfant qui essaie ses forces, comme le vieillard qui les a perdues, tien- nent également les instrumens de la prospérité com- mune, le premier par une espèce d’instinct ou par imitation, le second par habitude , et, pour ainsi dire, par reconnoissance ; où enfin l’économie et l'ac- tivité sont des lois fondamentales auxquelles tout le monde obéit. Lorsque MM. de Montigny et Olker trouvoient des hommes distingués par leur zèle et par leur industrie, ils ne manquoient pas de leur fure obtenir des en- couragemens. Des sommes modiques, des distinctions, des louanges même, données à propos, produisoient de grands effeis, auxquels le gouvernement ne con- tribuoit que par sa protection et des avis : c’est à lui d’exciter, de récompenser, et non d'entreprendre des travaux qui ne sont jamais bien exécutés que par le peuple. Non seulement MM. de Montigny et Olker ont per- fectionné d’anciennes manufactures, ils en ont encore établi de nouvelles, relatives à différentes branches de commerce et d'industrie peu cultivées avant eux (1). Ce genre d'administration exige une grande étendue de lumières et beaucoup de sagacité. Connoître jus- v (1) On doit compter dans ce nombre les fabriques de velours et draps de coton, des cannelés et d’un grand nombre d’étoffes légères, dont le trayail étoit auparavant inconuu en France. 352 ÉLOGE que dans ses plus petits détails le mécanisme des fa- briques, choisir le climat où l'opération coûtera le moins, et d’où le transport sera le plus prompt et le plus facile, et concilier ainsi l’économie avec la perfection du travail : telles sont les conditions que MM. de Montigny et Olker ont remplies, et sans lesquelles on doit toujours craindre de voir les avan- tages d’un établissement effacés par la somme des: frais, ou détournés par la concurrence. Par une bizarrerie presque inconcevable, les hommes qui s'exposent aux plus grands dangers pour le succès d’une entreprise sont presque toujours ceux qui ont P presq j q le moins d'intérêt à ce qu’elle réussisse. Ainsi, de . “À tous les habitans du globe, ce sont les ouvriers qui 8 ; q creusent les mines auxquels ces travaux font le plus de mal et le moins de bien. Enfoncés à des profon- deurs où la nature n’a pas voulu que des êtres vivans habitassent, ils sont menacés d’une prochaine des- truction s'ils y portent des flambeaux, dont le contact embrase lair qu'ils respirent. Puuisqu'il nest pas possible de fermer à jamais ces abîmes, il faut au moins veiller à la conservation de ceux qui se dé- vouent d’une manière aussi inconsidérée, et diminuer la somme des manx qu'ils osent braveries vapeurs inflammables remplissoient les mines de charbon de terre de Briançon. M. de Montigny publia, conjoin- tement avec MM. Hellot et Duhamel, un savant mémoire (1) sur les moyens propres à rendre l’air de a (1) Mémoire sur les vapeurs inflammables qui se trouvent dans DE MONTIGNY. 353 ces souterrains plus pur, en le faisant circuler par le moyen de puits creusés à différens intervalles , et de ventilateurs. _ Les propriétaires des futaies situées près de Mont- morot en Franche-Comté souffroient impatiemment que leur bois füt taxé par ordre du roi, et réservé pour l'exploitation des salines qui y sont établies. N'osant former des plaintes sur le véritable sujet de leur mécontentement , ils cherchèrent des prétextes qui leur permissent de donner un libre cours à leurs mur- mures : c’est ce qui arrive presque toujours lorsque le plus foible croit avoir à se plaindre du plus fort. IL craindroit de l’irriter en lui montrant sa blessure; mais ne pouvant tout-à-fait cacher sa douleur , 1l accusé de ses maux tout , excepté ce qui les a produits. On avoit publié que les sources salées de Montmorot contenoient de l’arsenic et de l’orpiment, que ce sel empoisonnoit les bestiaux et corrompoit les fromages. Le parlement de la province avoit préparé des remon- trances et la réclamation étoit générale. La question les mines de charbon de terre de Briançon, par MM. Duhamel, Hellot et de Montigny, rédigé par le dernier, année 1763, p. 235. Une vapeur inflammable s'amassoit au fond des travaux, dès qu'on avoit été un jour sans y entrer, et la lumière des ouvriers l'enflammoit. Le feu-brisou des mines de charbon du Haïinault est de la même uature. On est dans l’usage d'y creuser des puits à diverses distances, et on y emploie des ventilateurs mus par l’action du feu. Robert Kook a fait le récit de quelques phéno- mènes du même genre, qui ont été observés dans les mines de Sommerset. Plusieurs ouvriers y ont été jetés, par l'explosion de la vapeur, du fond des travaux jusqu’à l'ouverture du souterrain. ne. 23 354 | ÉLOGE ne pouvoit être décidée que par un chimiste habile, M. de Montigny, chargé de cet examen (1), ne trouva, par l’analyse, aucun principe dangereux dans ces eaux; mais le sel qu’on en retiroit étoit amer et ter- reux (2), parce que les cuites étoient mal gouvernées. M. de Montigny le fit cristalliser lentement, le des- sécha dans des étuves , et parvint à le rendre aussi pur que le sel de Salins. Comme physicien, il avoit établi des vérités ; al lui restoit à les faire valoir comme admimistrateur. Des essais authentiques et multipliés (1) rétablirent la con- fiance, non seulement en Franche-Comté, mais en- core parmi les habitans du pays de Vaud, auxquels la France, en exécution de ses traités, fournit une grande quantité de sel. Il parcourut ensuite les can- tons de Berne, de Zurich, de Fribourg; 1l admira ces beaux paysages de la Suisse où l’on trouve encore quelques traces d'égalité parmi les hommes, et dans s e . (1) Voyez le Mémoire sur les salines de Franche-Comté, sur le défaut des sels en pain qu'on ÿ débite, et sur les moyens de les corriger. Mémoires de l’Académie royale des sciences, année 1762 , p. 59 de l'Histoire ; p. 102 des Mémoires. (2) L'amertume et le mauvais goût du sel tenoient au vice de la préparation. Des pains de sel marin mêlés avec le sel d’epsom, pétris avec des eaux grasses qui renfermoient et des sels marins à base terreuse, et des matières susceptibles de putréfaction, des- séchées enfin sans précaution, de manière à permettre la forma- tion de quelques parties de foie de soufre, étoient la cause réelle des plaintes formées par le peuple. (3) Il ft donner une assez grande quantité de ce sel à des bestiaux, qui n’en fureut point incommodés, = A DE MONTIGNY. 355 lesquels les montagnes, les défilés, les forêts, sont germe de l'indépendance et de la liberté. En revenant , il des asiles si propres à conserver long-temps le visita Voltaire (1), plus étonnant peut-être Ini seul que tout ce qu'il avoit vu dans son voyage. Ce grand homme lui peignit avec les couleurs les plus vives le malheur des habitans du pays de Gex >. pour lequel 1l sollicitoit depuis long-temps la permis: sion de racheter par un impôt dont la perception fût facile des droits aussi onéreux à ce peuple qu'ils étoient peu profitables pour le roi. MM. de Voltaire et de Montigny se réunmirent, et demandèrent cette grace , qui leur fut accordée en 1775. Jamais Voltaire n’apprit une nouvelle avec autant de plaisir; car de toutes les jouissances de l’amour-propre, les seules qui répandent dans l’ame un véritable bonheur, sont celles qui naissent du souvenir du bien que l’on a fait. En 1763 , la perception des droits sur les eaux-de-vie douna lieu à des discussions et à des procès. Les fer- miers généraux et les commissaires s’en rapportèrent à la décision de M. de Montigny, qui proposa un nouvel aréomètre réglé avec des poids, et propre à mesurer les degrés de force des liqueurs spiritueuses, c’est-à-dire , la proportion des mélanges d’eau et d’es- prit de vin, dont les rapports sont marqués par lins- (1) La sœur de Voltaire avoit épousé son oncle paternel, 359 : ELOGE : trument (1), et doivent indiquer les diverses taxes de l'impôt. Une épizootie désastrense ravageoit en 1755 les provinces méridionales de la France. M. de Montigny rédigea et présenta à l’Académie royale des sciences un recueil d'observations (2) relatives à cette maladie, et depuis cette époque 1l a lu nn mémoire sur le même sujet dans une des séances de la Société. Les fonctions de commissaire du conseil au dépar- tement du commerce (3) exigent de celui qui les exerce, que, placé entre l'artiste et le magistrat, entre l’Académie et le gouvernement, 1l soit pour l’un et l’autre un interprète aussi éclairé qu’équitable, et qu'il concilie les lois de l'administration avec celles de la physique, accord si long-temps négligé et si important à établir. M. de Montigny, dont les con- Le (1) Voyez le Mémoire sur la construction des aréomètres de comparaison, applicables au commerce des liqueurs spiritueu- ses, et à la perception des droits imposés sur ces liqueurs, par M. de Montigny , année 1768, et non 1765, comme l’indiquent les tables de M. Demours. Voyez le Dictionnaire de physique de M. Brisson, tome I, p. 144; et un mémoire sur les inconvéniens qui résultent de la perception des droits imposés sur les eaux-de-vie, déterminées par les différens degrés de l'ancien aréomètre, et sur les moyens d'établir une perception plus avantageuse, etmoïins oné- reuse au commerce et aux consommateurs. (2) Instructions et avis aux habitans des provinces méridio- nales, etc. sur la maladie qui désole le bétail, etc., 1775, in-4.°, (3) Gette place a été créée en 1775, en faveur de M. Dufay. RTS ST A 2 tt se CE CS CU DE MONTIGNY. 357 noïssances étoient très-variées, remplit cette commis- sion avec un grand succès, ainsi que celle qui lui fut conférée relativement. aux recherches à faire sur le travail de la porcelaine de Sèvre (1). M. de Montigny occupa’ jusqu’à sa mort la place de trésorier de France , que son père lui avoit trans- mise. Avec de la fortune, des talens et du crédit, 1l lui auroit sans doute été facile de s'élever à d’autres emplois, et de parvenir à quelqu’une de ces dignités orande 8 autorité et peu de lumières ; 1l aima mieux avoir importantes dans lesqrrelles on a souvent une beaucoup de lumières et peu d’autorité ; 1l aima mieux passer sa vie à éclairer les hommes en place que de s'exposer à partager leurs inquiétudes. Sans cette ferme résolution, auroit-il pu dire ce qu’il se plaisoit tant à répéter, et ce qu'il a écrit vers la fin de sa vie? « Je ne crois pas avoir jamais fait de mal à personne, » ni avoir aucune injustice à me reprocher. » Son caractère étoit doux et tranquille ; il avoit ce- pendant de la fermeté, parce qu’il avoit réfléchi sur ses devoirs et qu'il chérissoit la vertu. Entouré de ses amis, pendant sa maladie, il ne lui a pas échappé une seule plainte qui fût capable d’alarmer leur sen- sibilité. Il disoit souvent à mesdames de Mellet et de Sabran ses nièces , lorsqu'elles le quittoient le soir: (1) Il partageoït cette commission avec M. Macquer. Ils ont fait des expériences aussi curieuses qu’utiles sur les émaux, sur les fondans, et sur les différens procédés à employer pour assu- rer aux couleurs des porcelaines le brillant, le poli et la solidité nécessaires, 358 ÉLOGE « Voilà encore une bonne journée de passée, grâces » à vos soins». Dans ses derniers momens, il | exigea : d'elles qu'elles sortissent de son appartement : « Re- » cevez mes derniers adieux, leur dit:l avec plus » d'expression qu’à l'ordinaire; je sens qu'il estdheure | » pour tout ie monde de se retirer ». Il mourut peu de temps apres (1), des suites d’une hydropisie umi- ; verselle. Le mal dont il étoit atteint contribuoit, par sa na- ture, à rendre ses souffrances plus supportables. Dans les personnes dont les sensations sont vives et le sang allumé, le flambeau de la vie s'éteint en s’agitant et en se consumant d'une manière violente et précipitée: dans ceux, au contraire, d’une constitution ns 4 dont les fibres relâchées se pénétrent de sucs et s ’en- gorgent, sa flamme, comme suffoquée par les eaux qui l'environnent, perd à chaque instant une partie de sa clarté, et disparoît enfin après avoir passé par toutes les nuances qui peuvent exister entre la vie et la mort. M. de Montigny ne s’est point marié : une vie active a occupé sa jeunesse ; et dans l’âge où l’on a besoin des consolations de l’amitié, mesdames de Mellet et de Sabran lui en ont fait goûter les charmes. 1] jouissoit sans inquiétude de leur tendre attache- ment; son ame calme et pure n’avoit point éprouvé le choc violent des passions; elles ne lui avoïent laissé ni cette apathie qui leur succède , ni ces liaisons im- \ portunes qu’il est si difficile de rompre, m ces sou- CR (1) Il est mort le 9 mai 1782. DE MONTIGNY. 359 venirs cruels et déchirans si profondément gravés dans la mémoire, toujours trop lente à nous rappeler nos plaisirs ; et 1l pouvoit, à la fin de sa carrière, s’en retracer les différentes époques sans trouble et sang amertinme. Son testament (1) n’est point un de ces écrits où, après avoir passé sa vie dans le désœuvrement ou dans l'erreur, on consigne des regrets ou des remords : on y trouve un tableau curieux de ses travaux et de ceux de M. Olker pour l’avancement des arts. Il y a parlé du soin avec lequel il avoit réglé ses affaires et satis- fait au paiement de ses dettes, comme d’un de ces devoirs sacrés qui tiennent au besoin du pauvre, et sur lequel le public ne fait presque jamais de grace, parce qu'il y a pen de cas où celui qui sacrifie sa fortune à des caprices, ait assez de raison et de déli- catesse pour respecter celles des autres. Les pauvres artisans de sa paroisse ont eu part à sa générosité (2). L’Acadéinie royale des sciences a reçu de lui une somme, destinée à la fondation d’un prix sur une question de chimie immédiatement applicable à la pratique des arts. Parmi ses amis, 1l a distingué MM. d’Alembert et de Condorcet, en léguant à l’un sa pendule , à l’autre sa montre, digne emblème de son (i) I a laissé pour héritières deux nièces, filles de deux de ses sœurs : l’une est mariée à M. le comte de Mellet, maréchal des camps et armées du roi; l’autre à M. le comte de Sabran. (2) La somme qu'il leur légua ne devoit point leur être distri- buce en espèces, mais en instrumens ou matériaux propres à leurs différentes professions. 360 ÉLOGE DE MONTIGNY. attachement pour ces savans illustres. N'est-ce pas comme s'il leur eût dit? « Lorsque ces instrumens » vous seront remis, 1ls auront marqué ma dernière » heure. Puissent-ils mesurer près de vous une car- » rière longue (1) et heureuse, et vous rappeler sou- » vent l’ani que vous aurez perdu! » Son dernier vœu a donc été celui d’un homme sensible et modeste, qui bornoit toute son ambition, au souvenir de ses confrères sans prétendre à celui de la postérité. La place d’associé libre, vacante par la mort de M. Montigny, est maintenant remplie par M. de La- voisier. , (1) Depuis ce temps les sciences, les lettres et la philosophie ont perdu M. d’Alembert. 11 est mort le 29 octobre 1785. 361 \ LL LL LS Sd So nt en at NOTICES. on oo on nt » S II. Norrce sur la vie et les Ouvrages de MM. BONAFOS et BERNARD, associés régnicoles ; et PLANCHON, correspondant de la Société. Nos avons cru devoir réunir dans le même article les noms de trois médecins qui se sont rendus recom- mandables auprès de leurs concitoyens par leurs services, et dont le zèle a mérité notre reconnoïissance. Leur vie n'offre aucune anecdote piquante , leurs ouvrages ne con- tiennent point de découvertes. Concentrés, soit par leur modestie , soit par les circonstances, dans le cercle de leurs devoirs , ils n’ont pensé qu’à se rendre utiles, sans songer à la célébrité; ils ont consacré leur temps et leurs soins à l'humanité , à l’amitié , à la nature. Ces qualités douces, simples , affectueuses , portent avec elles leur récompense, et sont beaucoup au-dessus de la reuommée. Elles répan- dent dans les ames assez sages pour s’y abandonser un calme , une tranquillité absolument inconnues dans la car- rière de l’ambition et des honneurs : avec elles la marche du temps est moins rapide; chaque jour ramène l’ordre et la sérénité; en un mot, on passe sa vie dans le port, loin de la tempête et des orages. Les trois confrères que nous regrettons habitoient la province. On y a en général plus de loisir et moins de 362 NOTICES. ressources pour cultiver les sciences; on n’y est point agité par ce tourbillon, qui, dans la capitale, communique ses impulsions aux personnes les plus paisibles, et qui précipite les heures sans que l’on sache en jouir. Loin du tumulte et des clameurs , ces hommes estimables ont pro- fité de tous leurs momens pour servir leurs semblables et pour travailler aux progrès de notre art. Nous avons à les louer de ce que ne consultant ni leurs intérêts, ni leur amour-propre, ils se sont livrés sans ré- serve à des recherches pénibles et peu atirayantes que la Société leur avoit proposées, et de ce qu’ils y. ont apporté ce courage qu’on ne montre ordinairement que pour le succès de ses propres entreprises. Il entre dans le plan de la société de recueillir une suite non interrompue d’observations sur l’état de latmos- phère, sur la constitution des saisons, sur la nature des épidémies régnantes, et sur les maladies particulières à certains climats. Des médecins et des physiciens habiles lui donnent sur ces objets les renseignemens dont elle a besoin, et cette correspondance, très-utile en elle-même, mérite d'autant plus d’éloges à ceux qui l’entretiennent, qu’elle suppose une attention continuelle, une exactitude scrupuleuse, et une patience à toute épreuve : car il en est de l’histoire en médecine comme en politique. Dans l’une comme dans l’autre, il faut long-temps écrire et conserver des journaux, avant que l’on puisse, en rappro- chant les circonstances analogues, apercevoir la chaine des événemens, et porter un jugement sur leurs causes. MM. Bonafos, Bernard et Planchon, ‘avoient senti l’uti- lité de ce projet : ses difficultés et ses longueurs me les avoient point découragés ; ils ont contribué de toutes leurs forces à son exécution. 4 NOTICES. 363 M. Joseph Bonafos étoit doyen et professeur de la Faculté de médecine et médecin consultant des armées du roi à Perpignan , où il naquit en 1725. Son père, qui y exerçoit la médecine avec célébrité, l’engagea à prendre le même parti. M. Bonafos suivit la route qui lui avoit été si utilement tracée; il fut recu docteur en médecine à Perpignan en 1746. Dix années après il se distingua et il réunit les suffrages dans la dispute qui eut lieu pour une chaire alors vacante, à laquelle il fut nommé. M. Bonafos étoit en même temps médecin de l’hôpital “général , de l’hôtel-dieu, et de l’hôpital militaire de Perpignan : ainsi la plus grande partie de ses journées se passoit à consoler les pauvres, adoucissement qui est peut- soûter au milieu des 5 tristes occupations qui le surchargent. Au mérite de ces être le seul qu’un médecin puisse soins tendres et touchans, il joignoit celui de remplir presque gratuitement les deux premières de ces fonctions ; car les honoraires des médecins des hôpitaux sont si modi- ques, qu’ils semblent ne les accepter que par excès de délicatesse , et pour diminuer, autant qu’il est en eux, le poids de la reconnoissance due si légitimement à leurs ser- vices. La bienfaisance est un sentiment gravé par la nature dans le cœur de tous les hommes ; elle devient nécessai- rement une habitude pour le médecin compatissant et sen- sible, qui, honoré de la confiance du peuple , et ne perdant jamais de vue le tableau déchirant des misères humaines, goûte chaque jour le plaisir d’essuyer des larmes et de soulager des malheureux , dont les maux physiques ne ‘sont pas toujours la plus grande infortune. Les devoirs multipliés d’une pra tique très-étendue n’ont point empêché M. Bonafos de rédiger des observations qui ont rendu sa correspondance précieuse pour la Société. 364 NOTICES.: Nous lui devons deux mémoires, l’un sur la nature et les propriétés des eaux minérales de la Preste, l’autre sur le traitement d’une maladie épidémique observée dans l'hôpital militaire. Il avoit publié auparavant deux disser- tations, la première sur le sang humain, et la seconde sur les qualités de l’air et des eaux; et sur le tempérament de la ville de Perpignan. La médecine, considérée en général et d’une manière abstraite, n’existe que dans les livress lorsque l’on aura recueilli des instructions sur la topogra- phie médicale de toutes les provinces , comme M. Bonafos en a donné sur le Roussillon , les jeunes médecins y trou- à + veront des règles capables de les diriger dans l’application de leurs principes, à des cas particuliers et déterminés. M. Bonafos s’est occupé long-temps à rédiger un traité complet de médecine pratique, qu’il n’a point publié, peut- être parce qu’il a senti la difficulté de cette entreprise. Il est mort en 1779 d’une fièvre putride , âgé de cinquante- trois ans. M. Jean Bervarp, docteur en médecine, membre de la Société royale de Londres, résident à Douai, joignoit aussi la place de doyen à celle de professeur. Ses succès dans ses premières études, qu'il fit à Nantes, où il naquit en 1702, l’engagèrent à cultiver pendant quelques années la littérature latine. Il se présenta en 1734, dans l'intention de s’y perfectionner, à la compagnie de l’Oratoire, qui le nomma professeur d’humanités à Saumur. Le moyen le plus sûr pour acquérir des connoïssances exactes et complètes dans une science est en effet de l’enseigner. On est alors obligé d'en étudier également tous les détails et de n’oublier aucun des points de son étendue. Lorsque M. Bernard crut avoir donné assez de temps à cette étude, il s’occypa de celle de la médecine. Revétu DUO CNT OP Te cn ed en, 0 LL. sara, PP LP NO D PS SCRRESS Gi NOTICES. 365 en 1732 du titre de docteur de l'Université de Montpel- lier, il pratiqua pendant quelques années à la Rochelle. Il vint ensuite à Paris, où il prit du goût pour l’anatomie; et de là il se rendit à Nantes , avec le dessein de se faire agréger à la Faculté de cette ville. À peine avoit-il com- mencé ses actes, qu’il résolut de les interrompre. Il se plaignit de quelques difficultés qui se présentèrent; la Faculté fut mécontente , et tous les deux y perdirent, l’une l’avantage de posséder un médecin savant; l’autre , le plaisir de vivre dans sa patrie, au sein de sa famille, et avec des , confrères qu'il estimoit. IL revint alors à Paris, où il reprit ses travaux anatomiques sous les yeux de M. Ferrein; et il mérita l’amitié de plusieurs littérateurs distingués. M. le chancelier d’Aguesseau devint son protecteur. Ce ministre avoit formé le projet d’une réforme utile dans l’en- seignement de la médecine. La Faculté de Douai résidoit alors toute entière dans la personne d’un professeur. M. d’Aguesseau créa une seconde chaire, à laquelle il nomma M. Bernard, bien persuadé que ce médecin y mettroit. le zèle et l’exactitude nécessaires au succès des nouveaux établissemens. L’espérance de M. le chancelier fut remplie. M. Bernard étoit très - exercé dans l’art de la dissection; il transporta à Douai plusieurs pièces d’ana- tomie , qui, réunies dans un cabinet, devinrent un objet de curiosité pour la ville, et même pour les étrangers; il y enseigna la physiologie avec distinction ; et la Faculté de Douai, maintenant très-estimée , acquit une considération qu’elle a conservée depuis. La doctrine physiologique de M. Bernard se trouve exposée dans sept dissertations latines qu’il a publiées en ifférens temps. La finesse des vues, l’érudition, la pureté du style, tout annonce que ce physicien est resté beau- 366 NOTICES. coup au-dessous de ce qu’il auroit pu étre ; et qu’il avoit, ce qui est fort rare, moins d’ardeur que de moyens pour arriver à la célébrité. Les mémoires dont il est auteur, ont pour objet la structure du tissu cellulaire, la nature du chyle, du lait, de la graisse , l’irritabilité des fibres, et la différence qui existe entre les organes du mouvement soumis à la wolonté, et ceux dont l’action, nécessaire à notre existence, se passe en nous sans qu’il nous soit possible de l’arrêter ou de la suspendre : de sorte que l’homme, si puissant sur tout ce qui l’environne, ne peut rien sur les agens immédiats» de la vitalité : distrait par ses besoins, occupé de ses plai- sirs, quel temps auroit-il pu donner à des soins de tous les instans, et trop précieux pour lui être confiés? Dans une autre dissertation il a essayé de déterminer la vitesse du sang, et sa quantité respective dans les dif- férentes parties du corps humain. Il dut à ces recherches son admission parmi les membres de la Société royale de 1 4 Londres. ; M. Bernard cessa bientôt de pratiquer la médecine : sa grande sensibilité lui servit de motif ou de prétexte; car celui qui ne suit que son goût, en convient rarement eë À veut qu’on le croie toujours gouverné par sa raison. Le caractère de M. Bernard, hors de son cabinet, étoit l’enjouement et la plaisanterie. II lui étoit quelquefois dif- ficile de conserver dans les cérémonies scolastiques le sérieux et la gravité qu’elles exigent, mais il se montroit sévère dans les examens; il y mettoit autant de rigueur que de probité. Il regardoit les autres actes comme inu- tiles. Si on l’avoit cru, tout appareil auroit été me ge 4 et les candidats, pour lier plus intimement l’idée de le science avec celle du dectorat, auroient été déclarés pourvus NOTICES. 367 de cette dignité , sans aucun intervalle, et au moment même où la Faculté les auroit jugés publiquement dignes de l'obtenir. Sa vieillesse fut aussi calme que sa jeunesse avoit été active. Il mourut des suites d’une hernie étranglée en 1781, âgé de quatre - vingts ans. Peu d’hommes ont eu l'esprit plus délié et la tête plus philosophique, comme il seroit facile de le prouver s’il nous étoit permis d'entretenir plus long-temps le public d’un savant peu connu, parce qu’il n’a pas regardé la gloire comme le plus grand bonheur de la vie. MM. Bonafos et Bernard, outre qu’ils étoient nos asso- ciés régnicoles, avoient été chargés par leurs compagnies, dont ils étoient doyens, d’entretenir avec la Société la cor- respondance qu’elle a établie avec les Facultés et Colléges de médecine du royaume. Cette considération a été pour nous une nouvelle source de regrets, et une raison de plus pour nous engager à célébrer publiquement leur mé- moire. M.Jeax-Bapristre-Luc PLANcHoN , médecin consultant de feu monseigneur Charles, duc de Lorraine, licencié en édecine de la Faculté de Louvain , membre de l’Aca- démie de Dijon, naquit à Renaix, dans le Pays-Bas, comté de Flandre, en 1734. Son père, qui exerça pendant quelque temps la médecine à Leuze, petite ville du Hainaut autrichien , fut ruiné par l’incendie qui la consuma presque toute entière en 1742; et il se trouva dans l'impossibilité de donner à son fils la première éducation, sans laquelle ü est difficile que l'esprit se développe. Le jeune Pianchon annoncoit beaucoup de disposition et de vivacité. Un cha- noîne dont on nous a laissé ignorer le nom, quoiqu'il soit bien digne d’être connu, lui donna les premiers 368 NOTICES. principes de la langue latine, et obtint avec beaucoup de peine la permission de l’envoyer au collége des prêtres de la ville d’Ath, où il fit ses humanités. Son père craignoit qu'après l’avoir fait sortir pour un moment de l’état fâcheux où son infortune l’avoit réduit, on ne l’y laissât retomber, malheur qui auroit été beaucoup plus grand que le premier, et qu'il vouloit au moins éloigner de son fils. Il se rendit cependant aux sollicitations et aux promesses de l’ecclé- siastique qui destinoit à un emploi aussi honorable la plus grande partie de son revenu. Nous croyons devoir rappeler ici que nous avons déja eu occasion de louer un chanoine de Chälons-sur-Marne pour un bienfait de la même nature. M. Planchon counut de bonne heure la détresse de son père et la générosité de son protecteur. En ne donnant pas toute son attention aux instructions qu’on lui offroit, il auroit manqué de reconnoissance, et il en étoit inca- pable. Son goût naturel pour le travail fut augmenté par la circonstance , qui lui fit sentir le pressant aiguillon du besoin; et son ardeur pour l'étude devint telle, qu’on ne douta plus qu’avec une passion aussi forte il ne püt acquérir les connoissances les plus difficiles et les plus abstraites. Da la carrière des sciences comme dans celle des arts, ceux qui ont le plus de facilités, et que le hasard a placés le plus près du but, sont presque toujours les derniers à y arri- ver; tandis qu’en partant de plus loin, outre qu’on met tous les instans à profit, on marche avec une witesse d'autant plus grande, que les impulsions s’accélèrent et s’accroissent en se succédant mutuellement. Un obstacle fut à peine surmonté qu’il s’en présenta un autre. M. Planchon avoit un goût décidé pour l'étude de la médecine ; mais son père, dont l’ame étoit irritée par oditneer re" NOTICES. 371 le malheur, parce qu’il n’avoit ni assez de force pour le vaincre , ni assez de foiblesse pour en être abattu, s’op- posa constamment à l'exécution de ce projet : il ne voulut pas consentir à ce que son fils se destinât à un état qui ne l’avoit pas défendu des rigueurs de la pauvreté. M. Planchon, devenu libre dans son choix par la mort de son père, se rendit à Louvain, où il fut admis à la licence en 1758 ; car, dans cette Faculté, le titre de docteur est une dignité si importante , que les professeurs la réservent pour eux et ne l’accordent que rarement aux étrangers. M. Planchon pratiqua la médecine à Leuze, ensuite à Pernwelz; et de là il vint à Tournai, où il étoit désiré depuis long-temps. Il y éprouva toutes les inquiétudes qui sont inséparables même des succès, et qui se multiplient sur-tout lorsqu'un homme à talens jette avec beaucoup de peine les premiers fondemens de sa réputation et de sa fortune. Il se distingua sur-tout dans les concours acadé- miques : genre pénible, en ce qu’il offre souvent des pro- blèmes très-difficiles à résoudre, et dont le sens, quel- quefois énigmatique , exige autant de sagacité que de courage de la part de ceux qui se livrent à ces travaux. Couronné par plusieurs académies et par la Faculté de médecine de Paris, il s’étoit rendu célèbre et redoutable dans cette carrière. La suette de Picardie, qui est une véritable miliaire, ayant fait depuis 1718, à diverses époques, des ravages très-étendus dans cette province, l’Aradémie d'Amiens proposa, pour sujet d’un prix qu’elle a distribué en 1770) des Recherches à faire sur la nature et le traitement de cette maladie. M. Planchon obtint l’accessit, et il publia sa dissertation. Après avoir discuté ce que David Hamilton, PME À 24 372 NOTICES. | Sydenham et Hoffmann ont écrit sur la miliaire, il eri a fait remonter l’origine à des époques très-reculées à il a même soupçonné qu'Hippocrate l’avoitobservée sur Silène ; et il croyoit en avoir rencontré des traces dans Aétius et dans Hali. L’éruption miliaire symptomatique a été en effet très-anciennement observée ; mais la miliaire essen- tielle est nouvellement connue dans nos provinces : quel- quefois elle se manifeste dès l'invasion; souvent elle paroït au milieu du régime le plus rafraichissant , et ses symp- tômes forment un tableau dont tous les traits sont déter- minés. On ne peut donc croire, ni avec M. de Haën, que son éruption est toujours produite par l’abus des remèdes échauffans, ni avec M. Planchon, qu’elle a été vue par les anciens, qui, s’il en avoit été ainsi, n’auroient pas manqué d’en faire une description exacte. Notre académicien a donné des détails curieux sur une espèce de miliaire chronique dont Hoffmann avoit parlé; il a bien établi que c’est à un effort critique que la nature doit l’expulsion de ce virus. Nous désirerions pouvoir faire connoître toutes les vues et les réflexions judicieuses qui se trouvent dans cet ouvrage. Nous ne dissimulerons point cependant que le choix des différentes autorités pour- roit, dans quelques passages, être fait avec plus de dis- cernement. M. Planchon a traité à peu près la même question dans un mémoire sur la miliaire des femmes en couche, que la Faculté de médecine de Paris a jugé digne de l’ac- cessit en 1778. Tandis qu’il méritoit les encouragemens de l'Académie d'Amiens en 1770, celle de Dijon applaudissoit au mémoire qu’il avoit envoyé pour concourir , dans la même année, à un de ses prix, Sur l’usage qu’il convient de faire.en AS : NOTICES. 373 médecine de la méthode échauffante et de la rafrai- chissante. | ; Cette même académie désira en 1776 de fixer l’atten- tion des médecins sur une question à laquelle on ne sau- roit les ramener trop souvent : elle leur demanda quelles étoient les maladies dans le traitement desquelles la mé- thode expectante étoit préférable à l’agissante. Pour dé- terminer ces différens cas, il faut se rappeler qu’il existe en nous une force qui réagit contre tout ce qui la blesse: c'est une sorte d’irritabilité que tout stimulant excite. Soit qu’un virus se mêle avec les humeurs, soit qu’une sensibilité excessive porte le resserrement dans un organes soit que l’abondance des fluides gonfle et distende les vaisseaux, soit enfin que le tissu des fibres se relâche, s’engorge ou s’imbibe de sucs qui deviennent pour elles un fardeau : dans tous ces cas, les nerfs, ébranlés par l’action des molécules malfaisantes où par la surcharge des viscères, portent le trouble dans les organes contrac- tils avec lesquels ils ont des liaisons; et de cette aug- mentation d'activité suit la dépuration des humeurs ou le rétablissement des mouvemens nécessaires à l’entretien des fonctions. La puissance qui donne la première im pulsion aux fluides épaissis ou stagnans, et qui développe à la fin des maladies lentes une mobilité sans laquelle la coction ne peut se faire , est inhérente aux corps animés. C'est beauconp de connoître son existence; mais il faut de plus savoir quelle est son énergie, avant de déterminer les secours qui lui conviennent : elle a une marche qu'il n’est pas permis d'ignorer lorsqu'on entreprend de diriger ses efforts, et c’est toujours selon son penchant qu’il faut agir lorsqu'on se propose d’alléger son travail. Ces grands principes ont été bien exposés par M. Plan- 374 NOTICES. chon ;'qui partagea avec M. Voullonne , médecin d'Avignon, le prix proposé par l’Académie: son traité étonne par l’éru- dition et par Pétendue des connoïissances; mais il est un peu diffus, et il manque quelquefois de méthode. En voulant tout dire et discuter tous les cas, on s’appe- santit sur les détails, lorsqu'il faudroit frapper par l’en- semble , et l’on trace avec peine une multitude de portraits isolés lorsqu'une main exercée et hardie devroit tout ordon- uer dans un seul tablean. Les états du Brabant, instruits du succès de M. Plan- chon, crurent devoir lui en témoigner leur satisfaction , on pourroit même dire leur reconnoissance; car la gloire litté- raire, après avoir honoré celui qui s’en est rendu digne, ‘rejaillit sur sa patrie, et ses concitoyens ont. raison de s’en féliciter. La feue impératrice, voulant récompenser le zèle de M.: Planchon et les services qu’il avoit rendus dans le traitement des épidémies, chargea M. Storck, son premier médecin, de lui écrire une lettre honorable et de lui faire parvenir une médaille d’or. Huit jours après , il en recut une seconde dont le coin réunissoitrles portraits de Marie-Thèrese et de Joseph IT. L’empereur se montra jaloux de participer à ce bienfait;-et cette noble sollicitude est d'autant plus importante à remarquer, que son objet, sans faste et sans éclat, ne pouvant intéresser l’amour-propre du prince, m’étoit que le mouvement natu- rel de sa justice et l'impulsion de cet amour du bonheur et de la gloire nationale, qui doit être la première et peut- être la seule passion des rois. M. Planchon a consigné dans le Journal de médecine un grand nombre d’observations sur une’ fièvre double= tierce avec constipation opiniâtre, qui fut guérie par la seule ouverture des veines hémorroïdales, sur les mala- NOTICES. 375 dies laiteuses , sur le traitement de plusieurs épanchemens séreux par l’oxymel colchique, sur les accidens occa- sionnés par des semences de jusquiame prises intérieure- ment, enfin sur la nature et les propriétés des eaux minérales du Saulchoir. La Société a reçu de lui plusiéurs observations et une suite de tableaux contenant l’état des saisons et des maladies régnantes depuis 1776. M. Planchon fut attaqué de la fièvre miliaire en 1781 : il mourut de cette maladie , qu’il avoit toujours redoutée et sur laquelle il avoit si savamment écrit, le 6 novembre, âgé de 47 ans. Nos regrets seront augmentés en réfléchissant qu’il étoit dans cette époque de la vie la plus propre aux sciences d’observation , où l’on connoît mieux la valeur de ce que Von voit et même celle de ce que l’on a vu, où l’on apprécie l’expérience des autres par la sienne propre, et où se perfectionne ce tact particulier, qui, trop facile à s’irriter dans la jeunesse , ne transmet alors que des sen- sations exagérées , mais qui, travaillé, müûri par l’usage, devient enfin un sens exquis, habile à démêler le vrai d’avec le faux dans les matières douteuses, et si néces- saire à ceux qui ont des hommes à gouverner ou à conduire. | Les grands noms que toutes les voix répètent avec admi- ration sont ceux qui ont le moins besoin de nos éloges; leur place est marquée dans l’histoire des sciences : mais, indépendamment du génie qui préside à leur développement ét qui en opère les révolutions, ne doit-on pas un tribut de reconnoissance à ces hommes laborieux qui s’occupent des détails, et sans l’activité desquels l'édifice ne s’élè- veroit jamais? Les académies, suivant certains critiques , prodiguent trop les éloges. Quand ce reproche seroit fondé 376 NOTICES. j à quelques égards, ne devroit-on pas facilement excuser un excès, qu’elles ne porteront jamais assez loin pour compenser celui de l’envie et de la méchanceté, dont les hommes qui cultivent les sciences et les lettres ne sont que trop souvent les instrumens ou les victimes? NOTICES. 3977 TS TT $S III. Norrce sur la vie et les ouvrages de MM. HanmanT, Burer ef VETILLART Du RiBerT, correspondans de la Société (à). | ee correspondans de la Société forment un corps nom- breux, dont les yeux sont toujours ouverts sur ce qui concerne la santé publique dans les différentes parties du royaume. Nous devons à leur zèle cette collection de faits qui forme l’histoire médicale de chaque année. Lorsque la mort enlève quelqu’un de ces hommes esti- mables, nous le regrettons comme un confrère qui nous étoit cher par sa liaison avec la Compagnie, précieux par ses travaux, et dont la perte laisse dans nos recueils un vide presque toujours très-difficile à remplir. Les trois coopérateurs dont la Société royale m’a chargé de recueillir et de lui rappeler les services ont consacré leur vie entière au soulagement de l’humanité. Quoique placés loin du foyer d’où s’élèvent toutes les voix de la renommée, chacun d’eux s’est fait connoître par des pro- ductions utiles; productions dont le sort a été le même que celui de leurs auteurs ; c’est-à-dire que leur mérite n’est parvenu que lentement et à force de temps jusqu’à la capitale, d’où l’on répand avec profusion un si grand nombre d’ouvrages médiocres, tandis que les écrivains qui en sont éloignés ne lui adressent qu’en tremblant le fruit de leurs veilles. M. Dominique -Benorr HarmManT étoit président du . (4) Mémoires de la Société, années 1780 et 81. 358 NOTICES. Collège royal de médecine et médecin en chef de l'hôpital de Saint-Stanislas à Nancy, où il naquit en 1723. Son père, qui y exerçoit la même profession , fut chargé du traitement d’une épidémie : il guérit presque tous les ma- lades confiés à ses soins; mais en ayant été lui-même atteint, il mourut, et laissa à son fils une petite fortune et un grand exemple. Le jeune Harmant n’eut pas plutôt achevé ses études à Nancy et à Pont-à-Mousson, qu’il partit pour Mont- pellier. Il ne balança point sur le choix de son état : il sembloit qu’il eût à venger la mort de celui dont il tenoit le jour. Il voulut au moins, en bravant les mêmes dan- gers, se signaler par le même courage. lé De retour à Nancy, il se présenta devant les magistrats : il les conjura de lui ouvrir la carrière qui avoit été si courte, mais si honorable pour son père ; et il fat nommé médecin des pauvres de la ville, place qu’il a remplie pen- dant trente-deux années avec la plus grande exactitude, et sans avoir jamais vu, dans son exercice, un moyen de parvenir à la confiance du riche, ou un degré pour s’élever à la fortune. En 1750, le roi Stanislas fonda un grand hôpital à Nancy. Quel médecin étoit plus digne que M. Harmant d’y être employé en chef? Il ne se borna pas aux seules fonctions de son état : chaque malade trouva en lui un cousolateur, et ses avis étoient exécutés avec un empres- sement qui en assuroit le succès. Aïnsi, dans tous les hospices ouverts aux citoyens pau- vres et souffrans, le premier de tous les devoirs à remplir par la charité publique est d’y placer des médecins dont les talens et la sagesse inspirent une confiance générale. On doit sur-tout en écarter ces téméraires qui, gouvernés nc NOTICES. 339 par leur imagination ; et variant leurs essais comme leurs systèmes , tantôt répandent le sang à grands flots, tantôt prodiguent des remèdes incendiaires; une autre fois restent dans l’inaction la plus absolue, et qui, contens de leurs expériences, écrivent froidement sur leurs registres le bien et le mal qu’ils ont fait, et en tirent des résultats qu'ils appellent leurs découvertes. De pareils hommes sont l’effroi de l’indigent : il redoute plus leurs décrets que le mal dont il est atteint; et cette première source de bien- faits étant empoisonnée, il n’en sort rien que d’amer et de funeste à la santé. En même temps que le roi Stanislas jetoit les fondemens d’un hôpital, il établissoit une académie, et ce prince bien- faisant sembloit montrer par-là que l’amour des sciences doit toujours être joint à celui de l'humanité. M. Harmant y occupa une des premières places; et il lut plusieurs mémoires dans ses séances. Sa Dissertation sur les dangereux effets du charbon allumé a réuni tous les suffrages. Ce travail eut encore pour objet le soulagement du peuple, parmi lequel ces accidens sont très-communs. Ce que M. Harmant a écrit sur le traitement de cette espèce d’asphyxie est appuyé sur la théorie la plus saine, et prouvé par l’observation la plus décisive. La peau du visage étant fine et très-sensible, les ébran- lemens qui s’y font se communiquent facilement à tout le système. nerveux : ainsi l’eau froide , même glacée, jetée de loin sur cette région, doit produire une secousse utile, ranimer les fibres engourdies. Mais les succès rapportés dans son ouvrage ne pouvoient être obtenus que par un homme aussi ardent à bien faire, et aussi constant dans son dessein, Il a fallu quelquefois plus d’une heure de 380 NOTICES: persévérance pour exciter cette constriction, ce frémisse- ment si désirés, qui sont le premier effort de la nature affoiblie; et quoique le moyen principal de cette cure, c’est-à-dire la projection de l’eau froide, eût été prati- qué par Boerhaave, ce que M. Harmant ignoroit, ce der- nier en a exposé les accessoires et en a déterminé les cir- constances d’une manière si complète et si neuve, qu’il se l’est rendu propre , et qu’il en a fait oublier l'inventeur. Il existe à Nancy un collége royal de médecine, qui est encore l’ouvrage de Stanislas. Ce prince, malgré ses mal- heurs , ne fut point à plaindre pendant ses dernières années, puisqu'il conserva le pouvoir de faire le bien , le seul des privilèges de la royauté qui eût été vraiment digne de ses regrets. Il accorda en 1752 une place dans ce collége à M. Harmant, qui en devint président en 1780. Ce fut cette dignité qui lui donna des droits parmi nous, la Société se félicitant d’être liée par une association de correspondance avec le (Collége royal de médecine de Nancy. Pendant sa présidence, il a montré le plus grand zèle pour la gloire de ce corps célèbre. Il est mort le 27 sep- tembre 1782, âgé de 59 ans. On a trouvé quelques manuscrits dans sa bibliothèque. 11 est à souhaiter qu’on mette dans leur révision autant de sévérité qu'il y en auroit apporté lui-même, C'est manquer à la mémoire des hommes qui ont bien mérité de la patrie, c’est en quelque sorte leur désobéir, que de publier des ouvrages auxquels ils n’ont pas donné leur sanction; ou, pour en user autrement, äl faut au moins être sûr d’ajouter à nos connoissances et à leur gloire. M. François Burrer, chirurgien en chef de l’hôtel- NOTICES. 381 dieu d’Étampes, et associé de l’Académie royale de chi- rurgie, naquit, en avril 1725, dans le bourg d’Arrou, près de Châteaudun, de parens dont la fortune étoit très- bornée. 11 auroit été perdu pour les sciences, si un de ses frères, maintenant curé dans la Beauce , ne lui avoit donné cette première éducation, sans laquelle lesprit est pour jamais inhabile à la recherche de la vérité. Après avoir achevé ses humanités, toujours sous les auspices de son frère, il prit le grade de maïître-ès-arts, et reçut la tonsure. Le sentiment profond de la reconnois- sance dont il étoit pénétré ne lui avoit pas permis de songer à un autre état qu’à celui de son bienfaiteur: mais ses yeux s'étant ouverts, il osa renoncer à un projet vers lequel toute son instruction avoit été dirigée. Le digne ecclésiastique qui y avoit présidé vit sans peine ses soins tourner au profit de la chirurgie, que M. Buttet étudia à Orléans et ensuite à Paris; et, en continuant de lui donner des secours, il montra qu’il n’avoit mis, ce qui est fort rare, aucune condition à ses bienfaits. L'établissement de l’Académie royale de chirurgie venoït de donner à tous ceux qui cultivoient cette science une impulsion que les étudians avoient ressentie, ‘et l’ému- lation avoit suivi cette marche, qui produit toujours de grands effets en se répandant des maitres parmi les dis- ciples. M. Buttet, ardent au travail, facile à enflammer, conçut dès ce moment le désir d’être an jour membre de cette académie, et il fit consister tout son bonheur dans l'exécution de ce dessein. Ses ressources et celles de son bienfaiteur étant épui- sées, il fut non seulement obligé de quitter la capitale beaucoup plus tôt qu’il n’avoit projeté; mais il fallut encore qu'il se résolñt à se faire recevoir pour la campagne, sa 382 NOTICES. fortune ne lui permettant pas de prétendre à l’agrégation des communautés établies dans les villes voisines. Combien une semblable coutume est injuste et bizarre ! La santé du laboureur n'est-elle donc pas assez importante pour mériter les soins d’un chirurgien habile? Y a-t-il un milieu entre savoir et ignorer son art, et ne sont-ce pas des citoyens que l’on a par-tout à traiter? Cette faute, que l’on peut aussi reprocher à la médecine sous d’autres rapports, n’est d’ailleurs celle d’aucun corps en particulier : elle appartient à d’anciennes lois que lon devroit abolir, parce qu’elles ont.été faites dans des temps où l’on paroissoit ignorer encore quels étoient les droits et les privilèges de l'humanité. Ce fut à la communauté des chirurgiens d'Etampes qu'il se présenta. Ils furent étonnés, j’ai presque dit effrayés du mérite du récipiendaire. Mais quoiqu'il eût excité leur admiration, ils ne lui accordèrent cependant que le droit de pratiquer dans le bourg d’Angerville, où il exerça pen- dant trois années les fonctions de chirurgien de campagne; fonctions très-honorables, sans doute, lorsqu'elles sont confiées à un homme aussi instruit, puisqu'elles consistent à faire beaucoup de bien pour un très-petit salaire. Il y avoit loin de cet état obscur et ignoré à celui de membre de l’Académie royale de chirurgie, qui n’avoit point cessé d’être l’objet de ses vœux. Ceite espérance le soutint: au milieu des obstacles qui s’opposoient de toutes parts à son avancement. Dans les grandes entreprises on a besoin d’un motif qui, toujours présent à la pensée, donne le courage de chaque instant : ce motif, cette chi- mère que l’on poursuit en secret, sont les causes cachées de toutes les révolutions. L'homme, concentré dans le présent , resteroit immobile : ce n’est qu’en s’élançant vers l'avenir qu’il connoît ses forces , qu’il acquiert de l'énergie, ’ . NOTICES, 383 et que son imagination le console des maux essentiellement attachés à son existence. Que l’on se représente M. Buttet, formé par une bonne éducation , très-versé dans les différentes parties de l’art de guérir, avide de connoissances et de gloire; qu'on se le peigne loin de tout commerce littéraire, environné d'hommes grossiers, dont aucun ne pouvoit ni apprécier son mérite, ni même lui savoir gré de ses travaux. Ce qui: l’affligeoit le plus, c'étoit l'ignorance et la témérité des chirurgiens répandus dans les campagnes, avec lesquels il avoit à soutenir une concurrence humiliante. Il prit le parti de les instruire. Il leur proposa des conférences qu’ils acceptèrent ; le mot de leçons les auroit épouvantés. Reconnu pour leur maître, il en imposa bientôt à tous par l'ascendant de ses lumières, et il devint dans son village le chirurgien le plus célèbre et le plus consulté de la province. Appelé par la voix publique à Etampes , il réunit les places de chirurgien en chef de Phôtel-dieu, et celle de lieutenant de M. le premier chirurgien du roi. Il établit une correspondance avec les grands maitres de Part, et il communiqua ses observations à l’Académie royale de chirurgie. Cette compagnie a inséré dans le quatrième tome de son Recueil un mémoire de M. Buttet sur la luxation des . côtes. Aucun auteur n’avoit parlé de cétte espèce de dépla- cement , dans lequel la tête de l’os du rayon s’écarte en dehors de celui du coude, et de la facette radiale de l’humérus qui lui correspond. Elle est fort rare, parce qu’elle ne peut être produite que par la combinaison de circonstances très-difficiles à réunir, M. Buttet l’observa 384 NOTICES. sur un malade. Ce nouveau fait, bien présenté à l’Aca- démie royale de chirurgie, parut si intéressant, qu’elle chargea deux de ses plus illustres membres, MM. Louis et Sabatier, de se transporter à Etampes pour le vérifier. On peut juger, par les talens distingués des deux com- missaires, de l’importance que l’académie atrachoit à cette observation. A cette époque, elle nomma M. Buttet son associé régni- cole, Il vit alors ses plus chères espérances remplies, et il fut comblé de joie. Parmi les pièces qui nous ont été remises de la part de sa famille, et qui nous ont appris à le connoître, une nous a sur-tout inspiré le plus grand respect pour sa mémoire : c’est un très-gros volume où il consignoit chaque jour ses observations sur l’art des accouchemens , dans lequel il excelloit. Il s’y rend compte à lui-même de ses manœuvres, et il les juge avec sévérité. Ici, ül recherche ce qu’il auroit dû faire dans quelques circons- tances : ailleurs, il expose les procédés et le succès des opérations délicates dont ses concitoyens ne lui tenoient aucun compte; et l’on voit avec plaisir l’homme de bien content de sa propre estime, et soutenu, dans les cas les plus difficiles, par le seul témoignage de sa cons ience. En parcourant ce recueil, on y aperçoit une lacune depuis le mois de décembre 1762 jusqu’à celui d’avril 1763; et on lit au bas de la page l'explication suivante, bien honorable pour celui qui la donnée. « Ayant commis » une faute dans la pratique d’un accouchement difficile, » j'ai passé ces trois mois à Paris pour y consulter les » maîtres de l’art et profiter de leurs leçons. » Le cahier dans lequel, en dévoilant ainsi son ame toute entière , il a donné des preuves de sa délicatesse, NOTICES: 365 . en contient aussi de sa générosité. Jamais on n’attacha moins de prix aux plus grands services : dans la plupart des cas qui y sont exposés, les malades étoient des indi= gens auxquels il prodiguoit des secours de toute espèce, Il n’avoit point prévu que les secrets de la bienfaisance seroient ainsi révélés au public, et qu’un œil curieux par- courroit ce recueil de ses actions et de ses pensées : en les écrivant, il prolongeoït sa jouissance , il s’en assuroit le souvenir , et il élevoit, sans s’en douter, un monument à sa gloire. Cet homme si bon, si honnête, a été persécuté, parce qu'il a eu des succès, et il a été malheureux, parce qu’il étoit très-sensible. Sa rupture avec M. Levret lui donna sur-tout beaucoup de chagrin. Personne ne respecta jamais plus que M. Buttet les talens de ce chirurgien illustre dont il étoit disciple. Il osa, en 1772, proposer quelques corrections à faire au forceps courbe de M. Levret. Celui-ci avoit conseillé, pour la ligature des polypes utérins, un instrument composé de deux cylindres creux et réunis : en 1774 il en changea la forme. M. Buttet lui écrivit qu’il préféroit les premiers cylindres non réunis et disposés sui- vant un plan dont il lui envoya le modèle. Cette lettre, qui devoit être particulière, se trouva publiée dans le Journal de médecine, et critiquée sans que M. Buttet en fût prévenu. Il réclama , et tous les deux sont morts sans que la difficulté fût terminée. Mais ces petites discus- sions, faites pout grossir les journaux, doivent être éla- guées de l’histoire des sciences, car il y a des querelles que l’on perpétue en voulant les juger. : Il est mort victime de son zèle. Ayant voyagé pendant la nuii pour un malade, il fut saisi de froid; la fièvre sur- wint, et il succomba à ses suites en mars 1782. 386 NOTICES. Son histoire offre le spectacle d’un homme de bien luttant sans cesse avec la fortune, et l’emportant toujours: Tant d’autres ont vu leur vie entière se consumer en efforts inutiles, parce que de vaines formalités, des coutu- mes barbares, les ont éloignés des circonstances où ils auroient pu servir utilement la patrie! Ce que nous avons à dire de M. Norr-PATRICE Verizrarr pu RiserT, sera court, parce que, comme médecin , il n’a fait qu’une seule chose dans toute sa wie, partager les dangers de la contagion et des épidémies de sa province, en se livrant tout entier à leur traitement. Après avoir achevé ses humanités au Mans, et avoir été recu docteur en médecine à Reims, il revint dans sa patrie, où il fut agrégé au collége de médecine en 1755. Une péripneumonie maligne régnoit alors épidémique- ment dans la ville du Mans : M. du Ribert ne laissa point échapper cette occasion de signaler son zèle. 11 eut des succès ; mais il fut lui-même atteint de l’épidémie. L’in- térêt qu’il inspira ayant été général, il n’oublia jamais que le public avoit pris part à son sort; et ce souvenir ne lui laissa voir, dans le dévouement le plus absolu ; dans les fonctions les plus périlleuses de son état, qu’un tribut de reconnoissance envers ceux qui avoient encouragé sa jeunesse. “ La vie de M. du Ribert a été, depuis cette époque, un long sacrifice à ses concitoyens et à l’humanité: La voix du peuple l’appeloit dès que lPalarme commençoit à se répandre, et sa présence rassuroit aussitôt les esprits. Plus d’une fois, frappé d’un mal contagieux, il l’a com- muniqué à sa famille, à ses enfans. De même qu’il avoit tous les fléaux à redouter, il avoit aussi tous les dangers « : NOTICES. 387 à craindre. Comme père, comme époux, son ame étoit ouverte de toutes parts à l’inquiétude; mais son courage ne Jui montroit, lorsqu'il falloit agir, que son devoir pour mobile , et la gloire pour récompense. Que l’on ne croie pas que ce tableau soit exagéré : la Société royale a eu sous les yeux les témoignages de considération que plusieurs villes du Maine, et différentes communautés , se sont empressées de rendre à M. du Ribert. Pour écrire exactement son histoire , il faudroit rassem- bler tous les cas où, depuis vingt-huit années , la santé des habitans de sa province a eu besoin d’être secourue. I1 nous suffira d'indiquer les épidémies dont le traitement lui a présenté le plus d'obstacles , et de rappeler quelques- uns de ses bienfaits, persuadés qu’il ne nous en a été révélé que la moïndre partie, et que, dans la carrière d’un homme de bien, dans une vie toute tissue de bonnes œuvres, ce que l’on ignore, ce qui fait la jouissance intime, le secret d’un cœur généreux et pur, est toujours ce qu’il y a de plus digne de notre admiration et de nos hommages. Une péripneumonie putride et gangréneuse, semblable à celle qui avoit régné au Mans en 1755, fit, en 1761, de grands ravages dans la ville de Beaumont-le-Vicomte : M. Percheron, médecin habile, y avoit succombé. M. du Ribert le remplaça, et y établit la véritable mé- thode de traitement. En 1765, il rendit le même service à la ville de Bonne- table , où il régnoit une fièvre putride contagieuse, et sa santé fut long-temps affoiblie par des furoncles très-doulou- reux , auxquels le contact des malades avoit donné lieu. IL avoit à peine repris ses forces , lorsque les habitans de la ville de Mamers , affligés d’une dyssenterie cruelle , CAE À 25 ro 388 NOTICES. eurent récours à ses avis. Il a publié la description de cette maladie dans un mémoire qui contient l’exposé de moyens utilement employés pour la combattre. Il donnoiïit à ces honorables commissions tout le temps qu’elles exigeoient. Il n’imitoit point ces médecins qui, livrés à une pratique lucrative et nombreuse, se contentent de jeter un coup-d’œil rapide sur les malades attaqués d’épidémies , les abandonnent à des subalternes, et s’em- pressent de retourner à leurs affaires, comme s’il pouvoit ÿ en avoir de plus importantes que la santé de tout un peuple confié à leurs soins. M. du Ribert se fixoit dans le lieu où ses conseils pouvoient être utiles; il se nour- rissoit des mêmes alimens , il respiroit le même air que ses malades; il les observoit dans tous les instans du jour. Il persuadoit aisément le peuple, dont il étoit aimé, et il subsistuoit ainsi des pratiques utiles à des coutumes dangereuses ; car il est important, lorsqu'on a des vérités nouvelles à répandre dans les campagnes, de bien choisir celui qui doit les annoncer. Trop souvent trompés, les culti- vateurs n’accordent leur estime qu’à ceux qui l’ont méritée par des services : ils ont fait tant de bien aux habitans des villes, et ils en ont reçu tant de mal, qu’ils n’ac- cordent que difficilement une déférence entière à leurs avis. Les préjugés qu’ils tiennent de leurs pères, et qu’on leur reproche tant, sont mille fois préférables aux erreurs que la prévention des enthousiastes et la ruse des char- latans leur offrent de toutes ‘parts. Et comment ne leur pardonneroit-on pas leur incrédulité, leur méfiance; lors- qu’on réfléchit qu’elles sont les seules armes que ces hommes laborieux et simples puissent opposer aux enne- mis dont ils sont environnés? Les plantes graminées qui fournissent l’aliment le plus Fu NOTICES. 389 sain, produisent, lorsqu'elles sont altérées par certaines maladies , un poison brûlant, et capable de porter la mort la plus prompte dans les membres jusqu'alors réparés par leurs sucs. La société d'agriculture du Mans, à laquelle les funestes effets du seigle ergoté étoient connus , s’ap- perçut, em 1770, que ce vice étoit très-commun parmi les blés de la province. M. du Ribert fut chargé de publier un mémoire sur ses dangers, et sur les remèdes de la gangrène dont il pouvoit être la cause. Cette instruction, imprimée par ordre du roi, fut distribuée dans tout le royaume. En 1971 et1772, les prisons de la ville du Mans furent infectées par cette fièvre si contagieuse et si meurtrière , que Huxham et Pringle ont décrite dans leurs ouvrages. Déja un ecclésiastique et le geolier y avoient succombé. M. du Rübert prit des mesures si sages, qu’il ’empêcha de pénétrer dans la ville; mais il en fut gravement atta- qué, et elle s’étendit à un de ses enfans. Production funeste de l’oppression ou de la misère, ce fléau n’auroit point paru dans le monde, si les hôpitaux avoient tou- jours été traités comme les asyles du peuple, les prisons comme celui de innocence , et si une autorité peu éclairée, ou une charité mal entendue, n’avoient jamais entassé les hommes dans des demeures trop étroites, du sein des- quelles la mort, frappant à la fois les gardiens et les vic- times, et rompant toutes les barrières, semble exercer _uxe sorte de vengeance contre les instrumens de ces maux. M. du Ribert passa l’année 1773 dans les paroisses de Lucé, Villaines, Challé et Volnay , où des fièvres rémit- tentes exigeoient sa présence. Pendant l’année 1774, une épidémie très-meurtrière se répandit à la Ferté-Bernard. M. Hachard, médecin, en 390 NOTICES. mourut. Resté seul, M. du Ribert suffit à tout; maïs immédiatement après son retour au Mans, ilen fut atteint,» et il la communiqua à son épouse. Vous voyez , lui disoit-il dans sa convalescence , que la Providence nous conserve au milieu de tous ces dangers. Ainsi ce qui auroit affoibli, détruit le courage d’un autre , élevoit Âe sien, et le pré- paroïit à de nouvelles entreprises. La dyssenterie , qui affligea en 1779 presque toutes les provinces du royaume, fut très-opiniâtre dans plusieurs cantons du Maine, sur-tout à Lucé. M. du Ribert la traita en médecin habile, et il publia ses observations. dans un ouvrage imprimé sous le privilége de la Société royale. Quelques mois après, étant à cheval pour le service des épidémies, il fut terrassé par un coup de sang, et celui qui avoit consacré sa vie à secourir les autres, resta lui-même sans secours. Le sang sortit abondamment par, le nez, et il fut conservé : mais ses forces s’affoiblirent toujours depuis ce moment jusqu’en 1782, où il mourut épuisé, vieilli par ses travaux, quoiqu'il ne fût âgé que, de 53 ans. Plusieurs années avant sa mort, le Gouvernement lui. avoit accordé une pension de 800 livres, et il en avoit été content, non qu’il se regardàt comme payé de ses. peines, mais il préféroit cette modique récompense à un de ces traitemens qui sont assez forts pour faire oublier le souvenir des bienfaits. De quatorze enfans qu’il avoit eus, il lui en étoit resté neuf. Il ne sentit combien il leur étoit nécessaire qu'au moment où il alloit leur manquer. Il versa des larmes sur leur sort; et peu de temps avant de mourir, il nous adressa une lettre dans laquelle sa main tremblante avoit tracé, NOTICES. 394 ces mots : « J’expire victime de mon zèle et de mon » devoir. Je vous recommande, mes chers confrères, des » enfans et une veuve que je laisse presque sans fortune : » faites-les jouir du fruit de mes travaux; car, lorsque » vous lirez cette lettre, je ne serai plus. » La Société a obtenu pour eux la moitié de la pension qui lui avoit été accordée. Jamais om@ ne porta plus loin que M. du Rüibert cet enthousiasme du bien public, cet entier oubli de soi-même, qui font que l’on ne vit que pour la patrie. Nous avons pensé qu’il seroit agréable pour elle et honorable pour nous de tracer un semblable caractère , et de conserver un aussi parfait modèle de désintéressement et de vertu. 392 NOTICES: CE Se nn en en Le ee nn ln Don on on © S IV. Norrce sur la vie et les ouvrages de MAT, AxExANDRE, DiannyÈre, Desmery, Rose et Darruc, associés régnicoles et cor- respondans de la Société. % d + . Cis confrères ne se sont point illustrés par de rares in- ventions ou par d’immortels ouvrages ; aussi nous ne leur décernons point un éloge. C’est moins leurs noms, que leur dévouement et leurs vertus, qu’il importe de faire connoître ; et ce n’est point pour la postérité, mais pour nos concitoyens et pour nous-mêmes, que nous en tra- cerons le tableau. Modestes dans nos regrets, autant qu'ils l'ont été dans leur conduite, nous dirors en peu de mots comment, par un zèle sans bornes, par une probité sans tache, par un sacrifice entier d'eux-mêmes, et par des travaux de plus de quarante années, ils ont mérité la confiance et l’estime de leur pays. a MM. Alexandre, médecin à Nantes, Dai vole à Mou- lins, et Desmery à Amiens, ont été long-temps les chefs des corps de médecine qui y sont établis : ils ont préparé nos liaisons avec ces compagnies; et quand nous n’en aurions reçu que ce seul service, ils auroient des droits sacrés à notre reconnoissance. M. Arexanpre, doyen de la Faculté de médecine de Nantes, étoit âgé de quatre-vingt-trois ans , lorsque son nom fut inscrit sur notre liste. « L’exécution de votre utile projet, nous écrivit-il » alors, loin de trouver ici des obstacles, sera favorisée » par tous mes confrères. Nous avons lu les lettres- NOTICES. 393 » patentes qui établissent votre compagnie, ajoutoit-il, » et nous y avons vu que la société ne peut donner à ses » membres aucun droit pour enseigner ou pratiquer la » médecine ; qu’elle ne forme qu’un corps académique, » et qu’elle ne peut avoir d'influence que par des travaux » littéraires auxquels nous nous ferons un devoir de » contribuer. » M. Alexandre naquit à Nantes en 1694, et il y a pra- tiqué la médecine avec une grande célébrité pendant plus de 60 années. L'université lui conféra plusieurs fois les honneurs du rectorat, et on s’y souvient encore des dis- cours qu'il prononça en celte qualité, et qui furent re- marqués par l'élégance et la pureté de la diction. Mais ce qui honore le plus sa mémoire ;, ce que sur-tout je ne dois pas oublier ici, ce sont les soins assidus et tendres qu’il ne cessa de donner aux pauvres, depuis 1737, époque à laquelle il fut nommé médecin des épidémies. M. Alexandre me remit jamais à des subalternes les fonctions de cet emploi. Il secouroit les habitans des campagnes par sa présence et par ses conseils. On ne lui reprochera point de les ir traités de loin et par écrit, à la manière de ceux qui, du sein des villes et sans quitter leurs affaires, se contentent de répandre des feuilles où ils prescrivent des méthodes et dictent des formules, Dans les grandes calamités, ce ne sont pas de vains papiers, mais des hommes habiles et courageux qu’il faut opposer à l’in- fortune d’un peuple consterné : ce ne sont pas des pen- sées écrites dont on a besoin alors; il faut de ces ames actives et fécondes, qui brûlent de amour du bien, dont l'inquiétude s'étend à tout, dont les ressources varient comme les souffrances des malheureux, en un mot, à qui rien n’est impossible, telle enfin que celle du confrère 394 NOTICES. que nous regrettons. C’étoit au moins l’idée qu’en avoient les habitans de la Bretagne. Lorsqu'il fut appesanti par les années, il abandonna des fonctions devenues trop pénibles; mais les habitans des campagnes, accoutumés à ses conseils, ne pouvoient y renoncer ; ils venoient le consulter de toutes parts, et cette multitude servoit de cortège à sa vieillesse. Ce fut: au milieu de ce culte, et à l’âge de 87 ans, qu’il termina une carrière toute remplie de bienfaits. M. Dranwvere, doyen du Collége de médecine de Moulins, ville près de laquelle il naquit en 1711 , nous offre en tout le même caractère que M. Alexandre: il pratiqua les mêmes vertus, et il jouit de la même confiance , de la même estime, ei sans doute aussi du. même bonheur; car celui qui fait du bien aux hommes, et auquel on en tient compte, ne sauroït manquer d’être heureux. M. Diannyère dut son éducation à un oncle auquel il fit le sacrifice de plusieurs places, pour se fixer à Moulins près de ce généreux parent. ÿ Là, sa vie fut uniforme; ses jours furent ‘également occupés, également tissus de bonnes œuvres. Il étoit le médecin des prisons, où il a fait des changemens utiles, et celui des pauvres, en faveur desquels il avoit rédigé une suite de formules simples et peu dispendieuses, dont il se servoit, et dont il leur avoit appris à faire usage avec un grand succès. Il est inutile d’ajouter qu'il leur prodiguoit des secours avec des conseils : se plairoït-on à visiter les indigens, si ce n’étoit pour les plaindre, les soulager, et diminuer le poids de leurs maux ? Pendant ses dernières années, une maladie de langueur . , l; à) avoit rendu tous ses mouvemens pénibles. Lorsqu'il sor- NOTICES. 395 toit, conduit et soutenu par ses enfans , les acclamations, les bénédictions du pauvre, que ses confrères ont fait parvenir jusqu’à nous, le suivoient partout. Le peuple est libre au moins de manifester son respect et son amour; sentimens qu’il aime à répandre, et qu’il est bien doux de lui inspirer. Les uns le remercioient de ses bienfaits; les autres se lamentoient sur sa perte prochaine : il les entendoit , et il les consoloit encore en les rassurant sur son état. M: Diannyère a consigné dans le journal de méde- cine, des observations intéressantes sur la meilleure ma- nière d'employer les vermifuges , et sur le traitement d’une colique périodique. Il a publié, en 1746, une analyse des eaux minérales de Bardon , dont il étoit intendant ; et nous en avons reçu des observations qui annoncent autant de talens qu’il nous a montré de zèle. Un de ses fils s’est fait connoitre dans la carrière des lettres, par un éloge de Gresset. M. Desmery, doyen du Collége de médecine d'Amiens, où il naquit en 1705, et où il est mort octogénaire , étoit le medecin Le plus célèbre de toute la province qu’il habi- toit. À ces connoissances étendues et variées , il joignoit un esprit fin et beaucoup de philosophie. Ses premiers pas dans la carrière furent marqués par une de ces circonstances qui contribuent quelquefois plus que le mérite, à jeter les fondemens d’une grande réputation. Etant à Saint-Quentin , il vit par hasard un chanoine de la cathédrale , dans lequel il remarqua quelques-uns des symptômes de plénitude, qui sont les avant-coureurs de Vapoplexie ; il en prédit une attaque, si on n’y opposoit les remèdes les plus prompts. On n’eut aucun égard à 396 NOTICES. cet avis; le chanoine fut frappé d’apoplexie , et il mourut dans la journée. La nouvelle de cet évènement prévint le retour du jeune docteur dans la ville d'Amiens. Le chapitre, les abbayes, les monastères, et toutes les personnes considérables , à leur exemple, s’empressèrent de le choisir pour médecin. Le pronostic est la partie la plus difficile de notre art: c’est celle qui demande le plus d’étude, de précaution et de sagacité ; elle attire sur-tout l'attention du commun des hommes , parce qu’elle s’exerce sur l’avenir, et qu’elle semble tenir du merveiileux. M. Desmery, content de son premier succès, se garda bien de s’exposer à perdre, par une imprudence , le fruit de la combinaison heureuse qui lui avoit si bien réussi. IL savoit apparemment, ce que la plupart ignorent , que l’enthousiasme est inconstant et versatile , et que le public, en prodiguant son admiration, exige que l’on s'en rende digne au moins après lavoir obtenue, condition sans laquelle il s’en venge par le ridi- cule ou par l’oubli. F M. Chaubelin , alors intendant d'Amiens, y avoit établi en 1740 une Société académique, dont M. Desmery fut un des premiers membres. Il y apporta ce zèle propre aux fondateurs, qui; comme le courage, s'irrite par les obstacles et s'accroît à mesure que les difficultés augmen- tent. Il professa long -temps la botanique dans le jardin des plantes de l’académie , dont elle l’avoit nommé direc- teur , et il s’est passé peu de séances publiques où il n’ait lu des mémoires. Les uns contiennent des recherches sur Fernel et Guy-Patin; d’autres , des réflexions sur les dis- positions organiques considérées relativement à l'esprit, sur l’étude des langues anciennes, sur la nécessité des lettres: dans les principales professions de la société; quelques: POP. PT SVT CE NOTICES. 397 uns, des observations sur les tempéramens, sur linocu- lation \ qu'il a pratiquée le premier à Amiens, et sur l’apoplexie. Un évènement singulier avoit fixé sur M. Desmery Vattention du public dès son entrée dans le monde : une catastrophe non moins extraordinaire hâta sa fin. La mort d’un fils unique l’avoit plongé dans la plus affreuse mé- lancolie : le cœur plein de son image, il rencontra un jeune homme dont la démarche et la physionomie lui offrirent quelque ressemblance avec celle de ce fils l’objet de ses regrets. « Le voilà, s’écria-t-il, mon fils, mon cher fils! L'erreur de ses yeux étoit devenue celle de sa pensée. Il se précipite vers le jeune homme qui le reçoit entre ses bras, s’attendrit et pleure avec lui. Épuisé par cette scène déchirante , l’infortuné vieillard s’évanouit et mourut quel- jours après, à la suite d’un délire dans lequel l'ombre de son fils sembloit se présenter sans cesse et lui échapper toujours. Toute la ville d'Amiens prit part à ce malheur; et le nom de M. Desmery y sera à jamais compié parmi ceux des bons citoyens et des bons pères. M. Rose, chirurgien, correspondant de l’Académie royale de chirurgie, et dela Société royale de médecine, naquit en 1724 à Gy, bourg de l'élection de Montar- gis. Un de ses parens, chirurgien à Chätillon-sur-Loin, lui enseigna les premiers principes de son art. À Paris, il suivit les [eçons de Winslow et Ferrein; il fut élève de Foubert et de Bassuel, et il devint l’ami in- time de Quesnay, un des plus savans et des meilleurs hommes dont notre siècle puisse s’honorer. 398 NOTICES. M. Rose se fixa à Nemours, où il a joui de la réputa- tion la plus distinguée. Il possédoit deux genres de con- noissances bien difficiles à réunir, celles de la médecine et de la chirurgie; et il a recu, dans cette double car- rière , des honneurs académiques mérités et justifiés par de grands travaux. L'établissement de l’Académie royale de chirurgie étoit encore récent, et une émulation générale s’étoit répandue dans tout le royaume parmi les gens de Part. M. Rose, témoin pendant son séjour à Paris des succès de cette Académie, partit pour la province, avec le desir le plus vif de s’y associer un jour, et d’obtenir quelques-unes des palmes qu’elle offroit aux talens.. Malheur à celui qui commence sa carrière sans être animé par la passion de la gloire! cet instinct des cœurs généreux, ce senti- ment d’où l’ame tire sa vigueur, sans lequel l’œil,s’abaisse et la pensée languit; ce sentiment sur-tout nécéssaire à ceux dont l'opinion publique règle le sort, et qui, dé- daignant de la surprendre, osent vouloir la subjuguer. Avide de voir et de recueillir, habile à enchainer les faits entre eux, M. Rose fut bientôt en état d’entretenir une correspondance avec l’Académie. Une contusion violente des tégumens de la tête êt du péricrâne exigea que M. Rose y fit une large ingision, et qu’il ruginât l'os pariétal. Cette opération découvrits, le quatrième jour, une félure dans le lieu frappé; mais comme aucun des symptômes qui annoncent la compres- sion, ou même une forte commotion , ne se montroït dans ce malade, il n’eut pas recours au trépan. On recon- noît ici la marche de la chirurgie rationnelle, qui n’opère jamais sans une indication précise. Ce fait offre d’ailleurs NOTICES. 399 Pexemple très-rare d’une fracture de la table externe, qui ne s’est point communiqué à la table interne des os du crâne. Des circonstances particulières ayant empêché M. Rose de pratiquer la gastroraphie dans les premiers jours qui suivirent une grande plaie du ventre, cette opération fut faite avec succès , quoiqu’elle eût été très-différée. M. Rose expose à ce sujet les dangers qui naissent de l’usage des tentes. Dans une autre observation , il démontra que les symp- tômes annoncés par J. L. Petit, comme les signes de la luxation , ou plutôt de la fracture des vertèbres , avoient été l’effet d’une commotion violente de la moëlle épinière , et que par conséquent le diagnostic de J. L. Petit étoit vicieux. Plusieurs dépôts s’étoient formés au bras très-tuméfié d’un malade; ils furent ouverts par M. Rose, qui observa _ que toutes les lames externes de la partie supérieure de l'os, ayant la forme d’une virole, étoient séparées jus- qu’à une grande profondeur d'avec les couches internes : il coupa cette pièce circulaire suivant toute sa longueur , et il l’enleva sans porter aucune atteinte aux mouvemens de l'extrémité. L’académie royale de chirurgie adjugea à Pauteur de ces observations un de ses prix. Elle y remarqua sans doute cette exposition simple et vraie, qui tient moins au talent de bien écrire qu’à celui de bien voir; cette sureté dans lé conseil que l'instruction ne donne qu'aux bons esprits, et sur-tout cette méthode qui, dans le récit des faits extraordinaires , les unit par tous leurs rapports avec ceux qui sont déja connus , tandis que le propre de l’igno- à NOTICES. rance est de les montrer incohérens, invraisemblables et merveilleux. : Peu de temps après il communiqua à la même acadé- mie deux mémoires: lun sur le traitement du charbon, l’autre sur celui de la rage. Dans ces deux maladies, le vice commence par être local, et c’est dans son foyer seulement qu’il est possible de l’attaquer avec avantage. Une théorie mal entendue avoit fait oublier ces vérités importantes , dont l’empirisme, moins dangereux que l'esprit de système , avoit au moins conservé quelques traces. M. Rose prouva, dans une sa- vante dissertation, où la nature des inflammations malignes et gangréneuses est bien développée, que le sommet des tumeurs charbonneuses devoit être recouvert par un caus- tique. Il fondoit aussi toute son espérance sur la cautérisa- tion dans le traitement de la rage, pour lequel il étoit appelé de toutes parts. La préférence qu’il donnoit aux caustiques sur le feu, n’étoit pas aussi bien établie. Il craignoit que l’escarre formée par ce dernier moyen ne retint la suppuration ou ne la rendit incomplète; mais il s’agit moins, dans cette opération, de dégorger la partie mordue, que de brûler, de détruire sa surface , d’anéan- tire en même temps et le levain dont on la suppose péné- trée, et les extrémités des nerfs qui pourroiïent être bles- sés par sa présence, et les bouches des vaisseaux lym- phatiques propres à en absorber les molécules. L'Académie royale de chirurgie décerna deux médailles à l’auteur de ces Mémoites, en le priant de ne plus con- courir à ces sortes de prix, et de laisser à d’autres les honneurs d’un triomphe qui lui étoit devenu trop facile. NOTICES. 4o1 M. Rose, placé dans une ville où il n’y avoit point de médecin , étoit souvent requis pour en faire les fonc- tions, qui devinrent même son occupation principale; il y donna toute son attention, et il en fit une étude pro- fonde : il différoit donc peu des médecins instruits, puis- que c’étoit le titre et non la science qui lui manquoit ; et jamais il ne dut être compté dans la classe trop nom breuse de ceux qui exercent notre art sans avoir ni l’un ni l'autre. Depuis l’âge de vingt-cinq ans, il avoit été chargé par MM. les intendans de la province du traitement des épidémies de l'élection de Nemours. Les années 1752; 1753, 1758, 1765, 1775, 1778 et 1781, sont les prin- cipales époques de leur histoire, dont il nous a transmis les détails. Il a prouvé dans les mémoires qu’il nous a adressés sur la topographie médicale de Nemours, de Château-Landon et de Cheroy , qu’il connoïssoit les causes dont l'influence pouvoit produire ou aggraver les maladies populaires, et il y a joint un tableau chronologique des inondations dont la ville de, Nemours a été afiligée. On pourroit distinguer deux sortes de chirurgie. L’une a les grandes opérations pour objet; l’autre s’occupe des soins relatifs aux maladies internes dont nous dirigeons le traitement. Moins brillante que la première, celle-ci a l’avantage d’être plus souvent utile. M. Rose avoit donné une grande attention à cette espèce de chirurgie, comme il nous l’a prouvé par de savantes et judicieuses réflexions sur l'application et le pansement des diverses sortes de vésicatoires. Tout annonce dans cet écrit un praticien habile, et sur-tout entièrement dévoué à ceux qui l’ap- peloient; circonstante importante pour leur conservation ; car, dans toutes les conditions de la vie, l’homme dépend 4o2 NOTICES. moins des grandes secousses qu’il reçoit que des causes habituelles qui le gouvernent; et le sort de celui dont la fièvre enchaîne les mouvemens et trouble la raison étant tout entier dans les mains des gardes qui le soignent et des proches qui s’en emparent, ce n’est pas toujours le malade qu’il faut surveiller le plus. Tant de services rendus dans le traitement des épidé- mies, tant de preuves de talent et de zèle, engagèrent la Société royale à inscrire le nom de M. Rose parmi ceux de ses correspondans; et nous ne dissimulerons point ici que ses connoissances en médecine furent alors le motif qui nous détermina. C’est un grand malheur sans doute que l'exercice de cette science soit confié de toutes parts à des chirurgiens peu instruits ; mais n’est-ce pas une raison de plus pour rendre justice à celui qui n’a point mérité ce reproche? Dailleurs, pour qu’il ne restât aucun prétexte aux personnes qui pratiquent notre art sans le savoir, il seroit généreux , et peut-être juste de leur offrir tous les moyens de l’apprendre; et l’émulation ainsi ré- pandue, remédieroit plus surement que des lois coactives aux grands abus dont on se plaint. En attendant que l’enseignement soit dirigé d’après ces principes , nous fai- sons des vœux pour que la Société royale ait souvent à encourager des chirurgiens aussi sayans en médecine que l’étoit M. Rose. Il mourut en 1785 des suites d’une fièvre putride. M. Rose a laissé un fils que la Faculté de ifédecine de Paris compte parmi ses docteurs, et qui jouit de l’es- time de tous ses confrères. Mrcurz Daruc, professeur de botanique à Aix, asso- cié régnicole de la Société royale de médecine, naqutt à NOTICES. . 403 Fréjus en 1717. Il fit ses études à Marseille dans le collège tenu par les pères de l’Oratoire, au nombre des- quels il désira d’être admis. IL avoit éprouvé dans leur école tout le pouvoir de lattrait qui porte les jeunes gens à une entière imitation de leurs maîtres, dont la condi- tion devroit toujours être libre, pour ne montrer à ceux qui les approchent d’autre penchant que celui de l'étude, d’autre chaine que celle des lois, d’autre amour que celui de la vertu. Un goût très-vif pour les voyages, favorisé par des circonstances heureuses , arracha M. Darluc à la congréga- tion dans laquelle il venoit d’être recu. IL demeura pen- dant trois années en Italie; il parcourut l’Allemagne; il passa en Corse, où il occupa, pendant quelque temps, la place de secrétaire intime du roi Théodore, et il revint en France après avoir visité les principales villes d’Es- pagne, et sur-tout Barcelone, où il suivit des lecons de médecine. Il continua d’étudier cette science à Aix, où feu M. Lieutaud enseignoit alors l’anatomie et la bota- nique ; et son dernier voyage fut celui de Paris, où la célébrité de Pécole de Rouelle l’attira. Il se fixa ensuite à Caillan en Provence. Ce fut là qu’il écrivit un grand nombre d'observations , qu’il publia dans le Journal de médecine, et parmi les- quelles plusieurs sont relatives aux épidémies. On remarque souvent, dans les mémoires publiés sur ces maladies, des défauts que nous croyons devoir dé- noncer ici. Non seulement les auteurs de ces descriptions oublient quelquefois de dire avec précision quelle a été la température des années précédentes, quelles sont la situation du local et la constitution des peuples ; mais encore N T. 3. 26 404 NOTICES. les détails de l’épidémie sont souvent aussi incomplets que sa nomenclature est vague et indéterminée. On se tait sur la nature, l’ordre et la correspondance des redoublemens; on suit des divisions imaginaires ; on parcourt des époques que l’on croit voir, et on néglige cette suite de révolu- tions fébriles , dont la succession compose la maladie prin- cipale , et forme ses véritables temps qu’on ne voit pas: ainsi, en parlant trop, on n’en dit point assez; au lieu d’un journal on écrit un discours, et un roman au lieu d’une histoire. M. Darluc, en traitant des épidémies qui ont régné dans les territoires de Caïllan, de Grimaud et de Saint-Tropez, depuis 1748 jusqu’en 1761, a presque toujours évité de commettre ces fautes. Une constitution chaude et humide avoit précédé l'épi- démie qui régna, en 1748, à Grimaud, et qui se prolon- gea depuis le printemps jusqu’à l’automne. Considérée dans cette dernière saison, la fièvre double-tierce se dé- masqua tout-à-fait; mais la marche de lasconstitution ver- nale-n’est pas décrite avec assez de soin. Tout annonce que cette fièvre étoit alors une tierce continue. L’épidémie qui parut à Saint-Césaïre en 1755, étoit évidemment une tritæophie automnale. M. Darluc en a bien observé les redoublemens, et il a fait, dans son traitement, un usage heureux des toniques et du cam- phre. : Les marais de Villepey et de la Napoule sont un foyer d'infection pour tous ceux qui en habitent les bords. Leurs exhalaisons produisirent, en 1761, une fièvre épidémique très-désastreuse, qu’il a désignée sous le nom de rémit- tente, et dont les symptômes étoient ceux d’une tritæo- . ROTICE LL 408 phie semblable à celle que Lancisi et Pringle ont observée dans des pays marécageux. En 1750, l'été fut pluvieux à Caillan et aux environs; les feuilles des arbres jaunirent avant l’automne; la rouille couvrit les tiges des bleds, et les plantes et les hommes participèrent à ce vice de l’air, par un érysipèle épidé- mique qui se manifestoit à la tête, et dont M. Darluc a fait une savante description. J'en dirai autant de son Mémoire sur la constitution froideet très-humide de l’hiver observée en 1751 à Roque- brune , pendant laquelle une péripneumonie gangréneuse fut épidémique. On doit à M. Darluc des observations curieuses sur les différentes circonstances du traitement de la gangrène par le quinquina ; sur les bons effets de la belladona et des stupéfians en général, dans la cure des tumeurs squirrheuses. des intestins, et sur les propriétés de l’alkali volatil joint aux frictions mercurielles dans le traitement de la rage > méthode qui ne doit pas faire perdre de vue la cautéri- sation dela plaie. Il a fait connoître dans quelles espèces de coliques on guérit en relevant le ton des fibres intes- tinales ; il a décrit une sorte d’hydropisie dont le siége étoit le tissu cellulaire externe du péritoine; il a publié l’analyse des eaux minérales de Greoux; et c’est encore le Journal de médecine où ces différens faits sont consi- gnés. M. Darluc a été dans la Provence un des premiers fau- teurs de l’inoculation. Sans doute il auroit dû se contenter de l’appuyer par ses écrits, et de la répandre par ses. conseils , sans s’exposer aux risques de la célébrer dans un poëme. Le succès de quelques vers publiés dans sa jeu- 436 NOTICES. esse, et accueillis par Voltaire, lui avoit fait espérer que cette entreprise ne seroit pas au-dessus de ses forces. L’ou- vrage parut, et l’auteur fut bientôt désabusé. On vit avec indulgence son enthousiasme pour une méthode qu’il pra- tiquoit mieux qu'il ne l’avoit chantée; mais il ne se par- donna jamais de s'être trompé sur son talent; et si une. critique sévère et juste inscrit son nom dans la classe des poëtes médiocres , il faudra le compter au moins dans le très-petit nombre de ceux qui se seront fait justice, en se montrant repentans et confus. ‘ 0 Les habitans de Caillan jouissoient sans pa re de M. Darluc, qui ne songeoit point à d’autres destinées : mais la voix de M. de Monclar se fit entendre, et lui imposa de nouveaux devoirs. Ce magistrat, alors pro- cureur-général du parlement de Provence, avoit acquis sur tous les citoyens l’empire que donne la supériorité des talens et des vertus. Jamais on n’entendit mieux les inté- rêts du roi, c’est-à-dire, ceux de l’état; jamais on ne résista et on ne se soumit avec plus de respect : il ne chercha point, mais il saisit toutes les occasions de se montrer inébranlable dans le chemin de la justice et de l'honneur : il ne brava point, mais il ne craignit par l’in- fortune. Son courage soutenoit celui de tous; son ame fut active , sa plume éloquente et son cœur pur. Lorsqu'un homme de cette trempe occupe une grande place, il doit être le maïtre de toutes les volontés. M. de Monelar, plein de zèle. pour les progrès de l’enseignement dans VPUniversité , vit que M. Darluc y étoit nécessaire ; il le fit nommer, à son insu, professeur de botanique ;, et l’un des médecins de l’hôtel-dieu de la ville d'Aix; et il fallut bien remplirles vues du magistrat qui l’appeloit dans cette capitale. NOTICES. 437 M. Darluc s’étoit souvent occupé, dans ses nombreux voyages , de l’histoire naturelle et de la botanique, dont l’étude est une de celles que l’on cultive le plus à Aix; et comment n’aimeroit-on pas cette science dans une ville où naquirent Tournefort et Garidel? Heureux le climat qu’honore la naissance d’un grand homme! son souvenir est un germe qui reproduit à jamais l’émulation et le savoir. « Ce lieu, dit-on, fut l’asyle de son enfance; » cette école fut le théâtre de ses premiers exercices; là » s’ouvrit la route qui le conduisit à l’immortalité ». C’est ainsi qu’une ardente jeunesse s’excite au travail, et qu’ivre d'espoir, elle n’est point effrayée par l’immensité d’une carrière dont elle ne voit jamais que le commencement et la fin. L’espérance de M. de Monclar ne fut point trompée. M. Darluc mit le plus grand zèle dans l’enseignement qui lui étoit confié. Les administrateurs de la ville achetèrent, à sa sollicitation, un terrain où il fonda une ecole de botanique qu’il entretenoit à ses dépens, et où il cultivoit un grand nombre de plantes étrangères. M. Darluc méditoit depuis long-temps un grand ouvrage; depuis long-temps il réunissoit des mémoires sur ?/ Hïs- toire naturelle de la Provence; et il n’avoit épargné mi dépenses, ni voyages, pour rendre ce travail complet. La Société royale en a reçu successivement la première et la. seconde partie, dont chacune a mérité à son auteur un des prix que nous décernons dans nos séances publiques. Il a résulté de ces recherches un recueil en trois volumes, dans lesquels la topographie médicale de toutes les villes de la Provence est tracée avec soin. Les nombreuses pro= ductions de ses différens sols y sont exposées et analy- Ca s 26 # 138 NOTICES. sées : la profondeur et la nature des carrières et des mines y l'élévation des montagnes, soit de celles dont les sommets glacés dominent sur des plaines brûlantes, soit de celles que couvrent des débris volcaniques, les contours et l’éten+ due des étangs, des golfes, des plages maritimes , tout y est décrit; quelquefois même l’auteur s’anime à la vue de certains objets : il ne parle point sans émotion de la fon: taine de Vaucluse; il dessine avec graces les danses légères des Tarasconoïises ; il peint avec des couleurs plus sombres les mœurs presque sauvages des montagnards, et par-tout il s'efforce d'offrir un discours varié comme son sujet. En 1782 , sa vue s’affoiblit par l’effet d’une cataracte dont l'opération, quoique bien faite, fut sans succès, parce qu’une fluxion inflammatoire, survenue peu de temps après, obs- curcit les membranes de l'œil. Néanmoins il continua ses lecons de botanique pendant l’année suivante. Les organes de l’odorat et du tact suppléoient en partie à celui de la vue, et sa mémoire faisoit le reste. Il apporta le même zèle dans ses autres occupations ; il épuisa ainsi ses forces, et il mourut des suites d’une hémoptysie vers la fin de 1783. Le Le public est maintenant en état de juger si ces hommes infatigables méritoient une mention dans notre histoire. On loue trop, disent quelques Aristarques ; ils ont raison, s’ils entendent parler de cette fastidieuse complaisance avec laquelle on célèbre tout ce que font, écrivent, annoncent ou pensent certaines personnes; de ce-vil trafic d’éloges que des gens intéressés se prêtent et se rendent detoutes parts : dans ces cas et dans tant d’autres, on loue tropisans | doute; mais , s’il s’agit de l'écrivain modeste et laborieux ;, dont le zèle qui s'éteint a besoin qu’on le ranime, de NOTICES. 439 l'observateur qui se dévoue à des recherches utiles, loin des puissances qui distribuent l’or et la gloire ; je dis qu’on ne loue pas assez; je Le dis sur-tout, et la Société royale le dit avec moi, lorsqu'elle voit dispersés dans les pro- vinces des médecins et des chirurgiens habiles, qui lui consacrent tous les fruits de leurs veilles, sans savoir si on leur en tiendra quelque compte, et même sans le de- mander; qui vivant et mourant pour leur pays, croient ne faire que leur devoir, et sont bien éloignés de penser qu’il subsistera quelques traces de ce grand sacrifice : je dis qu’on ne loue point assez et qu’on ne sauroit trop louer cette espèce d’héroïsme inconnu dans nos capitales, où il est juste ah moins de lui rendre hommage, si on n’a pas la force de l’imiter. LS Lo ot do it ot At TL Lo TS té Norrce sur MM. Lenoux et BourDotspr LA MorTueE. | Société choisit dans les villes des provinces, et même dans les campagnes, des coopérateurs avec lesquels elle entretient une correspondance sur divers objets de salubrité. À leur mort elle recueille tout ce qui peut honorer leur mémoire. Ce n’est point par leurs écrits, ce n’est point par quelques-unes de leurs actions, c’est par leur vie entière -qu’ils ont des droits à nos éloges. Leur réputation se fonde autant sur leur vertu que sur leur savoir; hors les temps de calamité pendant lesquels leur zèle n’a point de bornes, toutes leurs journées se ressemblent, et l’on peut dire d’eux comme des hommes simples et bons au milieu des- quels ils sont placés, « Naïître, faire le bien et mourir ;, » voilà toute leur histoire, » 840 NOTICES. Tels ont été MM. Lenoux et Bourpots DE LA Morxe. M. Lehoux a passé la moitié de sa vie à traiter gratuite- ment les pauvres de la ville et de la campagne. Il avoit commencé un ouvrage dont il n’a laissé que quelques fragmens, sur la comparaison de la médecine ancienne avec la moderne. Il étoit très-versé dans la lecture des médecins grecs, dont il citoit à propos les passages. Cette érudition main- tenant trop rare, peut devenir très-utile à ceux qui la possèdent. Les jeunes médecins doivent s’en servir, sans trop la faire valoir; mais elle sied aux vieillards, par qui ces oracles de l’expérience et du temps gagnent beau- coup à être prononcés. Lorsque la Société composa, en 1778 , le tableau de ses membres, elle divisa les médecins les plus connus de la France en deux classes; les plus célèbres sous le nom d’Associés , formèrent la première , daus laquelle M. Bour- dois de la Mothe fut compris. Ce médecin , qui naquit en 1720 à Joigny en Champa- gne, étoit auteur d’une observation dont le sujet avoit ex- cité la curiosité publique. Par une combinaison de circons- tances rares, une femme avoit porté pendant vingt-deux ans un enfant mort dans son sein, où il s’étoit desséché et endurci. M. Bourdois de la Mothe envoya cet enfant à l’Académie des sciences, avec l'exposé de tout ce qui con- cernoit la mère. L’histoire de l’enfant de Joignw fut rap- portée dans tous les journaux, et le nom de M. Bourdois de la Mothe, répété souvent, devint célèbre. On dira peut-être que ces sortes de succès ne coûtent guère; maïs il y a si peu de personnes qui examinent ce qu’elles voient, il y en a si peu qui décrivent ce qu’elle ont examiné, et le hasard fait chaque jour tant d’avances dont on ne tire fs NOTICES. 441 aucun parti, qu’il faut remercier beaucoup l’homme exact qui recueille avec soin un fait important. M. Bourdois de la Mothe avoit d’ailleurs tant de titres à estime publique , qu’il ne pouvoit manquer de Vobtenir. IL a fait, près de Joigny, l’examen des eaux minérales “des Echarlis, qui sont analogues à celles de Spa, et de celles de Neuilly, qui sont à peu près de la nature des eaux de Forges. Les premières avoient été très-fréquen- tées sous le règne de Louis VI, dit le Gros, qui y venoit presque tous les ans. Ce prince, en mémoire du soulage- ment qu’il en avoit retiré, y avoit fait des fondations pieuses, dont les Bernardins des Echarlis jouissoient en paix, tandis que la source du bienfait. demeuroit dans Voubli. M. Bourdois de la Mothe lui rendit toute sa va- leur. Il ft connoître ces eaux; il détermina les cas où elles devoient être employées, et les médecins de la Cham- pagne eurent un moyen de plus à mettre en usage dans le traitement des maladies. La ville de Joigny possède un hôtel-dieu : il en fut nommé médecin , ilen fut même administrateur; et par ses soins, lés lits y ont été augmentés d’un tiers. Deux hô- pitaux sont établis, l’un à Brienon, l'autre à Villeneuve- le-Roi ; il en accepta la direction , et il y faisoit de fréquens voyages. Il conservoit la description de cent quarante épidémies dont il avoit ordonné le traitement. Trois fois il en avoit été gravement atteint. Une fièvre quarte dont il fut attaqué, en 1783, dans un pays humide où il don- noit ses soins à des malades, l’affoiblit tellement, qu’il y succomba peu de temps après. Il ne se plaignit point; tout son étonnement, disoit-il, étoit que la mort qu’il avoit brayvée tant de fois, l’eût épargné si long-temps. 442 NOTIGES. Le trait suivant fera voir jusqu’à quel pointil étoit conne et honoré de tout le monde. Ses nombreuses occupations le forcoient à voyager souvent. Deux voleurs layant at- taqué pendant la nuit : Arrétez; c’est moi, leur dit-il avec. courage. C’est M. de la Mothe , s’écrièrent-ils. Leurs . mains s’ouvrirent : ils reculèrent, et ils s’enfuirent effrayés de l’ascendant qu’avoit sur eux le cri de la vertu. : Le seul ouvrage que M. Bourdois de la Mothe ait pu- blié est un Mémoire sur la topographie médicale de Joigny, et sur une épidémie qui se manifesta en 1782 parmi les habitans de cette ville, et parmi ceux de Brienon et d’Avrolles. On a trouvé dans ses papiers un registre sur lequelil écrivoit ses observations cliniques, et qu’il ap- peloit sa justification. M. de la Mothe étoit du petit riom- bre de ceux que le trouble de leur conscience ne détourne pas de l’examen de leurs actions; car l’homme ne descend point en lui-même s’il n’est sûr d’y trouver quelque sen- timent qui lui serve de consolation et d’appui. M. Bourdois de la Mothe a laissé un fils qui est mem- bre de la Faculté de médecine de Paris , où il jouit de l’es- time de ses confrères et de la confiance publique. Fix DU TROISIÈME VOLUME. TABLE DES MATIÈRES CONTENUES DANS CE VOLUME. 0 Fous de Lieutaud , page 1 de Lobstein. 34 —— de Lorry. 46 —— de Macbride. 81 —— de Maret. 95 —— de Navier. 140 —— de Pringle. 171 —— de Sanchez (Ribeiro) 217 —— de Serrao. 258 —— de Stoll, 267 —— de Targioni. 305 —— de van Doevren. 326 SUPPLÉMENT. ÉLocr pe Monrienx. 339 Norrce sur la vie et les ouvrages de MM. Bonafos et Bernard, associés régnicoles ; et Planchon , corres- pondant de la Société. 362 444 TABLE. à | Norrce sur la vie et les ouvrages de MM. Harmant, Butet et Vetillart du Ribert, correspondans de la - Société. 397 —— sur la vie et les ouvrages de MM. Alexandre Dianyère, Desmery, Rose et Darluc, associés ré- gnicoles et correspondans de la Société. 392 —— sur MI. Lehoux et Bourdois de la Mothe. 439 APT NUS | Ni} aient ER ; AL he Le DEA à { li trasurrren FA RS u k PAPERS IVN,8 "A Fr CR JEUN DANS RE Ta | POLAR UE TE An