DIVISION OF FISHES «0 La US. NATIONAL MUSEUM AN Le + OEUVRES DE LACÉPÉÈDE. Leo apose CÉTACÉS. Jeyelho < 47 2 LS L Mas arel. 7 F { OEUVRES DE LACÉPÈDE. L'HISTOIRE NATURELLE DES QUADRUPÈDES OVIPARES DES SERPENTS, DES POISSONS ET DES CÉTACÉS ; ACCOMPAGNÉES DU PORTRAIT DE L'AUTEUR ET D'ENVIRON 40 FIGURES, EXÉCUTÉS SUR ACIER POUR CETTE ÉÉTTrON PAR LES MEILLEURS ARTS ES # £ i gx ANT EEE Deer y E 1 Hi x “Phde Ë # À PARIS. CHEZUE DÉPIELON ÉDIFEUR: RUE DE SEINE-SAINT-GERMAIN, N° 49 ; SALMON, LIBRAIRE, RUE CHRISTINE, N° Be PRÈS CELLE DAUPMHINE, oo 1830. LACÉPEÈDE, ls 1 fr 104 DÉDICACE. À ANNE-CAROLINE LACÉPÈDE: 1, Voyez, dans cette Histoire ; 14 fin du Discours intitulé : Wue géné- rale des Cétacés. AAA MMA AU AU AU VU MU ME VAL AAA VU MAY MU VU UMA AY md AVERTISSEMENT DE L'AUTEUR. Carrr Histoire, destinée à remplacer celle que Buf- fon s’étoit réservé d'écrire, lorsqu'il m'engagea à con- tinuer l’Histoire naturelle, doit être placée à la suite de celle des Quadrupèdes, et par conséquent avant l'histoire des Oiseaux. Le professeur Gwnelin, dans la treizième édition du Système de la nature de Linné, a décrit quinze es- pèces de cétacés, distribuées dans quatre genres. Le professeur Bonnaterre , dans la description des planches de l'Encyclopédie méthodique, à traité de vingt-cinq espèces de cétacés, réparties dans quatre genres. On trouvera dans l’ouvrage que nous publions, l'histoire de trente-quatre espèces de cétacés, placées dans dix genres différents. * AU ON e sta DEN ur ni 8 HISTOIRE NATURELLE DES CÉTACÉS. PO POCHE ECHO EQ Da VUE GÉNÉRALE DES CÉTACÉS. Or notre imagination nous transporte à une grande élévation au dessus du globe. La terre tourne au dessous de nous : le vaste océan enceint les continents et les îles; seul il nous paroît animé. À la distance où nous sommes placés, les êtres vivants qui peuplent la surface sèche du globe ont disparu à nos yeux; nous n’apercevons plus ni les rhinocéros, ni les hippopotames, ni les éléphants, ni les crocodiles, ni les serpents démesurés : mais, sur la surface de la mer, nous voyons encore des trou- pes nombreuses d'êtres animés en parcourir avec ra- pidité l’immense étendue, et se jouer avec les mon- 12 VUE GÉNÉRALE tagnes d'eau soulevées par les tempêtes. Ces êtres que de la hauteur où notre pensée nous a élevés, nous serions tentés de croire les seuls habitants de la terre , sont les cétacés. Leurs dimensions sont telles, qu'on peut saisir sans peine le rapport de leur lon- gueur avec la plus grande des mesures terrestres. On peut croire que de vieilles baleines ont eu une lon- gueur égale au cent millième du quart d’un méri- dien. Rapprochons-nous d'eux ; et avec quelle curiosité ne devons-nous pas chercher à les connoître! Ils vi- vent comme les poissons au milieu des mers; et ce- pendant ils respirent comme les espèces terrestres. Îls habitent le‘froid élément de l’eau ; et leur sang est chaud, leur sensibilité très vive, leur affection pour leurs semblables très grande , leur attachement pour leurs petits très ardent et très courageux. Leurs fe- melles nourrissent du lait que fournissent leurs ma- melles, les jeunes cétacés qu’elles ont portés dans leurs flancs, et qui viennent tout formés à la lumière, comme l’homme et tous les quadrupèdes. Ils sont immenses, ils se meuvent avec une grande vitesse ; et cependant ils sont dénués de pieds propre- ment dits, ils n’ont que des bras. Mais leur séjour a été fixé au milieu d’un fluide assez dense pour les soutenir par sa pesanteur, assez susceptible de résis- tance pour donner à leurs mouvements des points d'appui, pour ainsi dire, solides, assez mobile pour s'ouvrir devant eux et n’opposer qu'un léger obstacle à leur course. Élevés dans le sein de l’atmosphère, comme le condor, ou placés sur la surface sèche de la terre, comme l'éléphant, ils n’auroient pu soutenir DSI DES CÉTACÉS. 19 ou mouvoir leur énorme masse que par des forces trop supérieures à celles qui leur ont été accordées pour qu’elles puissent être réunies dans un être vi- vant. Combien de vérités importantes ne peut donc pas éclairer ou découvrir ia considération attentive des divers phénomènes qu'ils pen De tous les animaux, aucun n’a reçu un aussi grand domaine : non seulement la surface des mers je ap- partient, mais les abîmes de l'océan sont des provin- ces de leur empire. Si l'atmosphère a été départie à l'aigle, s’il peut s'élever dans les airs à des hauteurs égales aux profondeurs des mers dans lesquelles les cétacés se précipitent avec facilité, il ne parvient à ces régions éthérées qu'en luttant contre les vents impétueux, et contre les rigueurs d’un froid assez in- tense pour devenir bientôt mortel. La température de l'océan est, au contraire, assez douce, et presque uniforme dans toutes les parties de cette mer universelle un peu éloignées de la sur- face de l’eau et par conséquent de l'atmosphère. Les couches voisines de cette surface marine, sur laquelle repose, pour ainsi dire , l’atmosphère aérienne, sont, à la vérité, soumises à un froid très âpre, et endur- cies par la congélation dans les cercles polaires et aux environs de ces cercles arctique ou antarctique :-mais même au dessous de ces vastes calottes gelées et des montagnes de glace qui s’y pressent, s’y entassent, s’y consolident, et accroissent le froid dont elles sont l'ouvrage , les cétacés trouvent dans les profondeurs de la mer un asile d'autant plus tempéré, que, sui- vant les remarques d’un physicien aussi éclairé qu'in- trépide voyageur, l’eau de l'océan est plus froide de 14 VUE GÉNÉRALE deux, trois ou quatre degrés, sur tous les bas-fonds, que dans les profondeurs voisines, Et comme d’ailleurs il est des cétacés qui remon- tent dans les fleuves?, on voit que, même sans en excepter l’homme aidé de la puissance de ses arts, aucune famille vivante sur la terre n'a régné sur un domaine aussi étendu que celui des cétacés. Et comme, d'un autre côté, on peut croire que les grands cétacés ont vécu plus de mille ans, disons que le temps leur appartient comme l’espace ; et ne soyons pas étonnés que le génie de l’allégorie ait voulu les regarder comme les emblèmes de la durée, aussi bien que de l'étendue, et par conséquent comme les symboles de la puissance éternelle et créatrice. Mais si les grands cétacés ont pu vivre tant de siè- cles et dominer sur de si grands espaces, ils ont dû éprouver toutes les vicissitudes des temps, comme celles des lieux; et les voilà encore , pour la morale et la philosophie , des images imposantes qui rappellent les catastrophes du pouvoir et de la grandeur. Ici les extrèmes se touchent. La rose et l’éphémère sont aussi les emblèmes de l'instabilité. Et quelle dif- férence entre la durée de la baleine et celle de la rose ! L'homme même, comparé à la baleine , ne vit qu'âge de rose. Il paroît à peine occuper un point dans la durée, pendant qu’un très petit nombre de sénérations de cétacés remonte jusqu'aux époques terribles des grandes et dernières révolutions du 1. Lettre de M. de Humboldt à M. Lalande, datée de Caraccas en Amérique, le 15 décembre 1799. 2. Voyez, dans cette Histoire, l’article des Bélugas. 3. Consultez l'article des Baleines franches. DES GÉTACÉES. 15 globe. Les grandes espèces de cétacés sont contem- poraines de ces catastrophes épouvantables qui ont bouleversé la surface de la terre; elles restent seules de ces premiers âges du monde ; elles en sont, pour ainsi dire , les ruines vivantes; et si le voyageur éclairé et sensible contemple avec ravissement, au milieu des sables brülants et des montagnes nues de la haute : Égypte, ces monuments gigantesques de l’art, ces colonnes , ces statues, ces temples à demi détruits, qui lui présentent l’histoire consacrée des premiers temps de l’espèce humaine , avec quel noble enthou- siasme le naturaliste qui brave les tempêtes de l’o- céan pour augmenter le dépôt sacré des connoissan- ces humaines , ne doit-il pas contempler, auprès des montagnes de glace que le froid entasse vers les pô- les, ces colosses vivants, ces monuments de la na- ture, qui rappellent les anciennes époques des mé- tamorphoses de la terre! À ces époques reculées, les immenses cétacés ré- gnoient sans trouble sur l’antique océan. Parvenus à une grandeur bien supérieure à celle qu’ils montrent de nos jours, ils voyoient les siècles s’écouler en paix. Le génie de l’homme ne lui avoit pas encore donné la domination sur les mers; l’art ne les avoit pas disputées à la nature. Les cétacés pouvoient se livrer, sans inquiétude, à cette affection que l’on observe encore entre les individus de la même troupe, entre le mâle et la fe- melle, entre la femelle et le petit qu’elleallaite, au- quel elle prodigue les soins les plus touchants, qu’elle élèye, pour ainsi dire, avec tant d'attention, qu’elle 16 VUE GÉNÉRALE protége avec tant de sollicitude, qu’elle défend avec tant de courage. Tous ces actes, produits par une sensibilité très vive , l’entretiennent, l’accroissent, l’animent. L'’ins- tinct, résultat nécessaire de l'expérience et de la sen- sibilité, se développe, s'étend, se perfectionne. Cette habitude d’être ensemble, de partager les jouissan- ces, les craintes et les dangers, qui lie par-des liens si étroits, et les cétacés de la même bande, et sur- tout le mâle et la femelle, la femelle et le fruit de son union avec le mâle, a dû ajouter encore à cet instinct que nous reconnoîtrons dans ces animaux, ennoblir en quelque sorte sa nature , le métamorpho- ser en intelligence. Et si nous cherchons en vain dans les actions des cétacés, des effets de cette industrie que l’on croiroit devoir regarder comme la compagne nécessaire de l'intelligence et de la sensibilité, c’est que les cétacés n’ont pas besoin , par exemple, comme les castors, de construire des digues pour arrêter des courants d’eau trop fugitifs, d'élever des huttes pour s’y garantir des rigueurs du froid, de rassembler dans des habitations destinées pour l'hiver une nourriture qu'ils ne pourroient se procurer avec facilité que pen- dant la belle saison : l'océan leur fournit à chaque in- stant, dans ses profondeurs, les asiles qu'ils peuvent désirer contre les intempéries des saisons, et, dans les poissons et les mollusques dont il est peuplé, une proie aussi abondante qu'analogue à leur nature. Cette habitude, ce besoin de se réunir en troupes nombreuses, a dû naître particulièrement de la grande sensibilité des femelles. Leur affection pour les petits DES CÉTACÉES. y) auxquels elles ont donné le jour ne leur permet pas de les perdre de vue, tant qu'ils ont besoin de leurs soins, de leurs secours, de leur protection. Les jeunes cétacés ne peuvent se passer d’une association qui leur a été et si utile et si douce : ils ne s’éloignent ni de leur mère, ni de leur père qui n’abandonne pas sa compagne. Lorsqu'ils forment des unions plus particulières, pour donner eux-mêmes l'existence à de nouveaux individus, ils n’en conservent pas moins l'association générale ; et les générations successives , rassemblées et liées par le sentiment, ainsi que par une habitude constante , forment bientôt ces bandes nombreuses que les navigateurs rencontrent sur les mers, surtout sur celles qui sont encore peu fréquen- tées. Ces troupes remarquables présentent souvent, ou les jeux de la paix, ou le tumulte de la guerre. On les voit, ou se livrer, comme les bélugas, les dauphins vulgaires et les marsouins, à des mouvements rapides, à des élans subits, à des évolutions variées, et, pour ainsi dire, non interrompues; ou, rassemblés en ban- des de combattants, comme les cachalots et les dau- phins gladiateurs, ils concertent leurs attaques, se précipitent contre les ennemis les plus redoutables, se battent avec acharnement , et ensanglantent la sur- face de la mer. Il est aisé de voir , d’après la longueur de la vie des plus grands cétacés, que, par exemple, deux balei- nes franches, l’une mâle et l’autre femelle, peuvent, avant de périr, voir se réunir autour d'elles soixante- douze mille millions de baleines auxquelles elles au- ront donné le jour, ou dont elles seront la souche. La durée de la vie des cétacés, en multipliant, 10 VUE GÉNÉRALE jusqu'à un terme qui effraie l’imagination , les causes du grand nombre d'individus qui peuvent être ras- semblés dans la même bande, et former, pour ainsi dire , la même association, n’accroît-elle pas beaucoup aussi celles qui concourent au développement de la sensibilité , de l'instinct et de l'intelligence ? La vivacité de cette sensibilité et de cette intelli- sence est d’ailleurs prouvée par la force de l’odorat des cétacés. Les quadrupèdes qui montrent le plus d’instinct, et qui éprouvent l'attachement le plus vif et le plus durable, sont en effet ceux qui ont un odo- rat exquis, tels que le chien et l'éléphant. Or, les cétacés reconnoissent de très loin et distinguent avec netteté les diverses impressions des substances odo- rantes ; et si l’on ne voit pas dans ces animaux des narines entièrement analogues à celles de la plupart des quadrupèdes, d’habiles anatomistes, et particu- lièrement Hunter et Albert, ont découvert ou re- connu dans les baleines un labyrinthe de feuillets osseux , auquel aboutit le nerf olfactif, et qui res- semble à celui qu'on trouve dans les narines des qua- drupèdes. Nous exposerons dans divers articles de cette his- toire, et notamment en traitant de la baleine franche, comment les cétacés ont reçu l'organe de la vue le mieux adapté au fluide aqueux et salé, et à l’atmo- sphère humide, brumeuse et épaisse, au travers des-- quels ils doivent apercevoir les objets; et ils peuvent l'exercer d'autant plus, et par conséquent le rendre successivement sensible à un degré d’autant plus re- marquable , qu’en élevantleur tête au dessus de l’eau, ils peuvent la placer de manière à étendre sur une DES GÉTACÉS. 19 calotte immense, formée par la surface d’une mer tranquille, leur vue, qui n’est alors arrêtée par au- cune inégalité semblable à celles de la surface sèche du globe, et qui ne reçoit de limite que de la peti- tesse des objets, ou de la courbure de la terre. À la vérité, ils n’ont pas d’organe particulier con- formé de manière à leur procurer un toucher bien sûr et bien délicat. Leurs doigts, en effet, quoique divisés en plusieurs osselets, et présentant, par exem- ple , jusqu’à sept articulations dans l'espèce du phy- sétère orthodon, sont tellement rapprochés, réunis et recouverts par une sorte de gant formé d’une peau dare et épaisse, qu'ils ne peuvent pas être mus indé- pendamment lun de l'autre, pour palper, saisir et embrasser un objet, et qu’ils ne composent que l’ex- trémité d’une rame solide, plutôt qu’une véritable main. Mais cette même rame est aussi ur bras, par le moyen duquel ils peuvent retenir et presser contre leur corps les différents objets; et il est trés peu de parties de leur surface où la peau, quelque épaisse qu'elle soit, ne puisse être assez déprimée, et en quelque sorte fléchie, pour leur donner, par le tact, des sensations assez nettes de plusieurs qualités des objets extérieurs. On peut donc croire qu'ils ne sont pas plus mal partagés relativement au toucher, que plusieurs mammifères, et, par exemple, plusieurs phoques, qui paroiïssent jouir d’une intelligence peu commune dans les animaux, et de beaucoup de sen- sibilité. L'organe de l’ouie, qui leur a été accordé, est ren- fermé dans un os qui, au lieu de faire partie de la ‘boîte osseuse , laquelle enveloppe le cerveau , est at- 20 VUE GÉNÉRALE taché à cette boîte osseuse par des ligaments, et comme suspendu dans une sorte de cavité. Cette es- pèce d'isolement de l'oreille , au milieu de substances molles qui amortissent les sons qu’elles transmettent, «contribue peut-être à la netteté des impressions so- nores, qui, sans ces intermédiaires , arriveroient trop multipliées, trop fortes et trop confuses à un organe presque toujours placé au dessous de la surface de l'océan, et par conséquent au milieu d’un fluide im- mense, fréquemment agité, et bien moins rare que celui de l'atmosphère. Remarquons aussi que le con- duit auditif se termine à l'extérieur par un orifice presque imperceptible, et que, par la très petite dimension de ce passage , la membrane du tympan est garantie des effets assourdissants que produiroient sur cette membrane tendue le contact et le mouve- ment de l’eau de la mer. Mais, comme l’histoire des animaux est celle de leurs facultés, de même que l’histoire de l’homme est celle de son génie, tâchons de mieux juger des facultés des cétacés; essayons de mieux connoître le caractère particulier de leur sensibilité, la nature de leurinstinct, le degré de leur intelligence ; cherchons les liaisons qui, dans ces mêmes cétacés, réunissent un sens avec un autre, et par conséquent augmen- tent la force de ces organes et multiplient leurs ré- sultats. Comparons ces liaisons avec les rapports analogues observés dans les autres mammifères; et nous trouverons que l’odorat et le goût sont très rap- prochés, et, pour ainsi dire, réunis dans tous les mammifères; que l’odorat, le goût et le toucher sont, . en quelque sorte, exercés par le même organe dans DES CÉTACÉS. 21 l'éléphant, et que l’odorat et l’ouie sont très rap- prochés dans les cétacés. Nous exposerons ce dernier rapport, en faisant l’histoire du dauphin vulgaire. Mais observons déjà qu'une liaison analogue existe entre l’ouie et l’odorat des poissons, lesquels vivent dans l’eau, comme les cétacés ; et de plus, consideé- rons que les deux sens que l’on voit, en quelque sorte, réunis dans les cétacés, sont tous les deux pro- pres à recevoir les impressions d'objets très éloignés ; tandis que, dans la réunion de l’odorat avec le goût et avec le toucher, nous trouvons le toucher et le soût qui ne peuvent être ébranlés que par les objets avec lesquels leurs organes sont en contact. Le rap- prochement de l’ouie et de l’odorat donne à l'animal qui présente ce rapport , des sensations moins pré- cises et des comparaisons moins sûres, que la liai- son de l’odorat avec le goût et avec le toucher ; mais il en fait naître de plus fréquentes , de plus nombreu- ses et de plus variées. Ces impressions, plus diversi- fiées et renouvelées plus souvent, doivent ajouter au penchant qu'ont les cétacés pour les évolutions très répétées, pour les longues natations , pour les voya- ges Jointains ; et c’est par une suite du même prin- cipe que la supériorité de la vue et la finesse de l’ouïe donnent aux oiseaux une tendance très forte à se mouvoir fréquemment, à franchir de grandes dis- tances, à chercher au milieu des airs la terre et le climat qui leur conviennent le mieux. Maintenant si, après avoir examiné rapidement les sens des cétacés, nous portons nos regards sur les dimensions des organes de ces sens, nous serons étonnés de trouver que celui de l’ouie , et surtout ce- LACÉPEDE. 1. 2 29 VUE GÉNÉRALE lui de la vue, ne sont guère plus grands dans des cé- tacés longs de quarante ou cinquante mètres, que dans des mammifères de deux ou trois mètres de lon- gueur. Observons iei une vérité importante. Les organes de l’odorat, de la vue et de l’ouie, sont pour ainsi dire, des instruments ajoutés au corps proprement dit d’un animal; ils n’en font pas une partie essen- tielle : leurs proportions et leurs dimensions ne doi- vent avoir de rapport qu'avec la nature, la force et le nombre des sensations qu'ils doivent recevoir et transmetire au syslème nerveux, el par conséquent au cerveau de l'animal; il n’est pas nécessaire qu'ils aient une analogie de grandeur avec le corps propre- ment dit. Étendus même au delà de certaines dimen- sions ou resserrés en decà de ces limites, ils cesse- roient de remplir leurs fonctions propres; ils ne concenireroient plus les impressions qui leur par- viennent; ils les transmettroient trop isolées; ils ne seroient plus un instrument particulier; ïls ne fe- roient plus éprouver des odeurs; ils ne formeroient plus des inages; ils ne feroient plus entendre des sons; ils se rapprocheroient des autres parties du corps de l’animal, au point de n’être plus qu'un or- gane du toucher plus ou moins imparfait, de'ne plus communiquer que des impressions relatives au taci, et de ne plus annoncer la présence d’objets éloignés. Il n’en est pas ainsi des organes du mouvement, de la digestion, de la circulation, de la respiration : ieurs dimensions doivent avoir un tel rapport avec la grandeur de l'animal, qu'ils croissent avec son corps DES CÉTACÉS. 29 proprement dit, dont ils composent des parties inté- grantes, dont ils forment des portions essentielles, à l'existence duquel! ils sont nécessaires; et ils s’agran- dissent même dans des proportions presque toujours très rapprochées de celles du corps proprement dit, et souvent entièrement semblables à ces dernières. Mais l’ouie des cétacés est-elle aussi souvent exercée que leur vue et leur odorat? Peuvent-ils faire enten- dre des bruissements ou des bruits plus ou moins forts, et même proférer de véritables sons, et avoir une véritable voix ? On verra dans l’histoire de la baleine franche, dans celle de la jubarte, dans celle du cachalot macrocé- phale, dans celle du dauphin vulgäire, que ces ani- maux produisent de véritables sons. Une troupe nombreuse de dauphins férès attaquée en 1787, dans la Méditerranée, auprès de Saint-Tro- pès, ft entendre des sifflements aigus, lorsqu'elle commença à ressentir la douleur que lui firent éprou- ver des blessures cruelles. Ces sifflements avoient été précédés de mugissements effrayants et profonds. Un butskopf, combattu et blessé auprès de Hon- fleur, en 1788, mugit comme un taureau, suivant les expressions d'observateurs dignes de foi. Dès le temps de Rondelet on connoissoit les mugis- sements par lesquels les cétacés des environs de Terre- Neuve exprimoient leur crainte, lorsque attaqués par une orque audacieuse, ils se précipitoient vers la côte, pleins de trouble et d’effroi. Lors du combat livré aux dauphins f£rès vus en 1787 auprès de Saint-Tropès, on les entendit aussi jeter des cris très forts et très distincts. 24 VUE GÉNÉRAEE Un physétère mular a pu faire entendre un cri ter- rible, dont le retentissement s’est prolongé au loin, comme un immense frémissement. L'organe de la voix des cétacés ne paroît pas ce- pendant, au premier coup d'œil, conformé de manière à composer un instrument bien sonore etbien parfait : mais on verra, dans l’histoire que nous publions, que le larynx de plusieurs cétacés non seulement s'élève comme une sorte de pyramide dans la partie inférieure des évents, maïs que l’orifice peut en être diminué à leur volonté par le voile du palais qui l'entoure et qui est garni d’un sphincter ou muscle circulaire. La ca- vilé de la bouche et celle des évents sont très grandes. La trachée-artère, mesurée depuis le larynx jusqu’à son entrée dans les poumons, avoit un mètre de lon- gueur, et un tiers de mètre de diamètre, dans une baleine néanmoins très jeune, prise sur la côte d’Is- lande, en 1763 !. Or il seroit aisé de prouver à tous les musiciens qui connoissent la théorie de leur art, et particulièrement celle des instruments auxquels la musique peut avoir recours, que la réunion des trois conditions que nous venons d'exposer, suffit pour faire considérer l’ensemble de l'organe vocal des cétacés, comme propre à produire de véritables sons, des sons très distincts, et des sons variés, non seulement par leur intensité, mais encore par leur durée et par le de- gré de leur élevation ou de leur gravité. On pourroit même supposer dans les cris des céta- 2. Voyage en Islande , fait par ordre de Sa Majesté Danoïse, par MM. Olafsen, Islandais, et Povelsen, premier médecin d'Islande; ré- digé sous la direction de l’Académie des Sciences de Copenhague, et traduit en françois par M. Gauthier dela Peyronie; volume V, page 260. DES CÉTACÉS. 25 cés, des différences assez sensibles pour que le besoin et l'habitude aient rendu pour ces animaux plusieurs de ces cris, des signes constants el faciles à recon- noître, d'un certain nombre de leurs sensations. De véritables cris d'appel, de véritables signes de détresse, ont été employés par les dauphins férès réunis auprès de Saint-Tropès. Le physétère mular qui fit entendre ce son terrible, dont nous venons de parler, étoit le plus grand, comme le conducteur ou plutôt le défenseur d’une troupe nombreuse de phy- sétères de son espèce; et le cri qu'il proféra fut pour ses compagnons comme un signal d'alarme, et un avertissement de la nécessité d’une fuite précipitée. Les cétacés pourroient donc, à la rigueur, être considérés comme ayant recu du temps et de la so- ciété avec leurs semblables, ainsi que de l'effet irré- sistible de sensations violentes, d’impressions souvent renouvelées et d’affections durables, un rudiment bien imparfait, et néanmoins assez clair, d'un lan- gage proprement dit. Mais les actes auxquels ce langage les détermine, que leur sensibilité commande, que leur intelligence dirige , par quel ressort puissant sont-ils principale- ment produits ? Par leur queue longue, grosse, forte, flexible , ra- pide dans ses mouvements, et agrandie à son extré- mité par une large nageoire placée horizontalement. Ils l’agitent, et la vibrent, pour ainsi dire, avec d'autant plus de facilité et d'énergie, qu'ils ont un grand nombre de vertèbres lombaires, sacrées et cau- dales; que les apophyses des vertèbres lombaires 26 VUE GÉNÉRALE sont très hautes ; et que par conséquent ces apophyses donnent un point App des plus favorables aux grands muscles qui s’y attachent, et qui meuvent la queue qu'ils composent. C'est celte queue, si puissante dans leur natation, si redoutable dans leurs combats, qui remplace les extrémités postérieures, lesquelles manquent absolu- ment aux cétacés. Ces animaux sont de véritables bi- pèdes; ou plutôt ils sont sans pieds, et n’ont que deux bras, dont ils se servent pour ramer, se battre et soigner leurs petits. Dans plusieurs mammifères, les extrémités anté- rieures sont plus grandes que les postérieures. La différence entre ces deux sortes d’extrémités aug- mente dans le même sens, à mesure que l’on par- court les diverses espèces de phoques, de dugons, de morses et de lamantins, qui vivent sur la surface des eaux; et elle devient enfin la plus grande possible, c'est-à-dire que l’on ne voit plus d’extrémités posté- rieures lorsqu'on est arrivé aux tribus des cétacés, qui non seulement passent leur vie au milieu des flots, comme les phoques, les dugons, les morses et les lamantins, mais encore n'’essaient pas de se trai- ner, comme les phoques, sur les rochers ou sur le sable des rivages des mers. Si, au lieu de s’avancer vers les mammifères na- seurs, lesquels ont tant de rapports avec les poissons, on va vers les animaux qui volent; si l’on examine les familles des oiseaux, on voit les extrémités anté- rieures déformées, étendues, modifiées, métamor- phosées et recouvertes de manière à former une aile DES CÉTACÉS. 2 légère , agile, d'une grande surface, et propre à sou- tenir et faire mouvoir un corps assez lourd dans un fluide très rare. Et remarquons que dans les animaux qui volent, comme dans ceux qui nagent, il y a une double réu- nion de ressorts, un appareil antérieur composé des deux bras, et un appareil postérieur formé par la queue : mais, dans les animaux qui fendent l’air, ce fluide subtil et léger de l’atmosphère, l’appareille plus énergique est celui de devant; et dans ceux qui tra- versent l’eau, ce fluide bien plus dense et bien plus pesant des fleuves et des mers, l’appareil de derrière est le plus puissant. Dans l'animal qui nage, la imasse est poussée en avant; dans l’animal qui vole, elle est entraînée. Au reste, les cétacés se servent de leurs bras et de leur queue avec d'autant plus d'avantage, pour exé- cuter, au milieu de l'océan, leurs mouvements de contentement ou de crainte, de recherche ou de fuite, d'affection ou d’antipathie, de chasse ou de combat, que toutes les parties de leur corps sont im- prégnées d’une substance huileuse, que plusieurs de ces portions sont placées sous une couche très épaisse d’une graisse légère, qui les gonfle, pour ainsi dire, et que celte substance oléagineuse se trouve dans les os et dans les cadavres des cétacés les plus dépouillés, en apparence, de lard ou de graisse, et s’y dénote par une phosphorescence très sensible. Ainsi tous les animaux qui doivent se soutenir et se mouvoir au milieu d’un fluide, ont reçu une légè- reté particulière, que les habitants de latmosphère. tiennent de l'air et des gaz qui remplissent plusieurs 56 VUE GÉNÉRALE de leurs cavités et circulent jusque dans leurs os, et que les habitants des mers et des rivières doivent à l'huile qui pénètre jusque dans le tissu le plus com- pacte de leurs parties solides. On a cru que les cétacés conservoient, après leur naissance, le trou ovale qui est ouvert dans les mam- mifères avant qu’ils ne voient le jour, et par le moyen duquel le sang peut passer d’une partie du cœur dans une autre , sans circuler par les poumons. Cette opi- nion est contraire à la vérité. Le trou ovale se ferme dansles cétacéscomme dans lesautresmammifères. Ils ne peuvent se tenir entièrement sous l’eau que pen- dant un temps assez court : ils sont forcés de venir fréquemment à la surface des mers pour respirer l'air de l'atmosphère; et s’ils ne sont obligés de tenir hors de l’eau qu'une très petite portion de leur tête, c'est parce que l'orifice des évents ; ou tuyaux par lesquels ils peuvent recevoir l'air atmosphérique, est situé dans la partie supérieure de leur tête, que leur larynx forme une sorte de pyramide qui s’élève dans l'évent, et que le voile de leur palais, entièrement circulaire et pourvu d’un sphincter, peut serrer étroitement ce larynx, de manière à leur donner la faculté de respi- rer, d’avaler une assezgrande quantité d'aliments, et de se servir de leurs dents ou de leurs fanons, sans qu’au- cune substance ni même une goutte d’eau pénètrent dans leurs poumons ou dans leur trachée-artère.. Mais cette substance huileuse, ces fanons, ces dents, les longues défenses que quelques cétacés ont re- cuesi, cette matière blanche que nous nommerons 2. Voyez l’histoire des Narwals. DES GÉTACÉS. 29) adipocire avec Fourcroy!, et qui est si abondante dans plusieurs de leurs espèces, l’ambre gris qu'ils produisent ?, et jusqu’à la peau dont ils sont revêtus, tous ces dons de la nature sont devenus des présents bien funestes, lorsque l’art de la navigation a com- mencé de se perfectionner, et que la boussole a pu diriger les marins parmi les écueils des mers les plus lointaines et les ténèbres des nuits les plus obscures. Lomme, attiré par les trésors que pouvoit lui li- vrer la victoire sur les cétacés, a troublé la paix de leurs immenses solitudes, a violé leur retraite , a im- molé tous ceux que les déserts glacés et aborde bles ds pôles n'ont pas dérobéstà ses coups; et il leur a hit une guerre d'autant plus cruelle, qu'il a vu que desgrandes pêches dépendoient la prospérité de son commerce, l’activité de son industrie , le nombre de ses mitelots, la hardiesse de ses navigateurs , l’ex- périence de ses pilotes, la force de sa marine, la grandeur le sa puissance. C'est aii que les géants des géants sont tombés sous ses arhes; et comme son génie est immortel, et que sa scieice est maintenant impérissable, parce qu'il a pu multiplier sans limites les exemplaires de sa pensée, ilsne cesseront d’être les victimes de son intérêt, que losque ces énormes espèces auront cessé d'exister. C’esten vain qu’elles fuient devant lui : son art le transjorte aux extrémités de la terre ; elles n’ent plus d’asiléque dans le néant. Avancons vers es êtres dont on peut encore écriré Article du Cachalownacrocéphale. 2. Iderr. 90 VUE GÉNÉRALE DES CÉTACÉS. l'histoire, et dont nous venons d’esquisser quelques traits généraux. Ah! pour les peindre, il faudroit le pinceau de Buffon. Lorsqu'il m'associa à ses travaux, il s’étoit réservé d'exposer l’image de ces cétacés, auxquess la nature paroissoit avoir destiné un meilleur sort que celui qui les opprime : mais la mort l’a surpris avant qu’il n’ait pu commencer son ouvrage ; mais Dauben- ton et Montbelliard ne sont plus; et c’est sansle se- cours de mes maîtres, sans le secours de mesillus- tres amis, que j'ai travaillé au monument qui maiquoit encore pour compléter l'ouvrage immense léépour la postérité par Buffon, par Dauben{on, par Mont- belliard, et dont j'ai tâché de poser le faitelen 1ece ininant il y a un an l’histoire des poissons!, Lorsqu’à cette dernière époque j'ai cemnencé de publier l'Histoire des cétacés, que j’avois »ntreprise pour remplir les honorables obligations œntractées avec Buflon, le malheur avoit déjà frappé ma tête et déchiré mon cœur; j'avois déjà perdu um compagne adorée. La douleur sans espoir, la recomoissance, la vénération, ont inscrit le nom de ma Caroline à la tète de l'Histoire des poissons; elles hi dédient ce nouvel ouvrage; elles lui consacreronttous ceux que je pourrai tenter jusqu’à la fin de non exil affreux. Son nom, cher à toutes les âmes vatueuses et sen- sibles, recommandera mes foibles elorts aux amis de Ja nature, Le 5 janvier 1804. 1. Voyez dans l'Histoire naturelle des Poisons , le Discoursintitulé : Sur la pêche, sur la connotssance des poissas fossiles, et sur quelques attributs généraux des poissons. ALMA MA EL VEUVE LE VU VEUVE EU UV VEUVE = VEUVE VU LU LE LU Ve vu VU AU VUE ET UER LL TABLEAU DES ORDRES, GENRES ET ESPÈCES. DE CÉTACÉS. Beppobospororco CÉTACÉS. LE SANG ROUGE ET CHAUD; DEUX VENTRICULES ET DEUX OREILLEITTES AU COEUR; DES VERTÈBRES ; DES POUMONS ; DES MANELLES ; DES ÉVENTS; POINT D'EXTRÉMITÉS POS TÉRIEURIS. PREMIER ORDRE, Point de dents. PREMIER GENRE. Les Bireines. ( Balænæ. ) La mâchoire supérietre garnie de fanons ou lames de corne; les orifices àes évents séparés, et placés vers le milieu de la partie supérieure de la tête: point de nageoire dorsale. 52 TABLE AU PREMIER SOUS-GENRE. Point de bosse sur le AE ESPÈCES. CARACTÈRES. DR DL EE | Le corps gros et court; la queue courte. (Balæna mysticetus. ) La mâchoire inférieure très arrondie, très a. LA BALEINE NORDCAPER. e À = UMR ï haute et très large; Le corps allongé ; la ( Balœæna Nordcaper. ) queue allongée. SECOND SOUS-GENRE. Une ou plusieurs bosses sur le dos. ESPÈCES. CARACTÈRES. fie bosse sur le dos: les nageoires pecto- rales blanches. (Cinq ou six bosses sur le dos; les fanons 3. La BALEINE NOUEUSE. ( Balæna nodosa. ) 4. La BALEINE BOSSUE. { Balæna gibbosa.) L blancs. SECOND GENRE. Lrs Bazeinorrères. ( Balænopieræ”. ) La mâchoire supérieure garnie de fanns ou lames de corne; les orifices des évents séparë , et placés vers le milieu de la partie supérieure di la tête; une na- geoire lorsale. PREMIER SOUS-GLNRE. Point de plis sous la gorge ni ious le ventre. ESPÈCES. LARACTÈRES. lobe A à (Les mâchoire pointues et également avan- GIBBAR. : ées ; nons courts. (Balænoptera Gibbar.) (cé Je po * Baleinoptère signifie baleine à nageoires ; le mot #ec pleron veut dire nageoire. C1 DES ORDRES, GENRES ET ESPÈCES. FE SECOND SOUS-GENRE. Des plis longitudinaux sous la gorge et sous le ventre. La nuque élevée et arrondie; le museau 9. La BALEINOPTÈRE avancé, large et un peu arrondi; des tu- JUBARTE. bérosités presque demi-sphériques au de- ( Bulænoptera Jubartes.) vant des évents; la dorsale courbée en arrière. , La mâchoire inférieure arrondie, plus avan- ; \ cée et beaucoup pluslarge que celle d’en- Bal Doi ME | haut; la tête courte, à preportion du one Ron et corps et de la queue. 3. La BALEINOPTERE A. La BALEINOPTERE MUSEAU-POINTU. ( Balænoptera acuto-ros- trata. ) ( {Les deux mâchoires pointues; celle d’en- haut plus courte et beaucoup plus étroite | que celle d’en-bas. SECOND ORDRE, Des dents. TROISIÈME GENRE. Les Nanrwazs. ( Narwali. } " Une ou deux défenses très longues et droites à la mà- choire supérieure ; point de dents à la mächoire d’en- bas; les orifices des évents réunis, et situés au plus haut de la partie postérieure de la tête; point de na- geoire dorsale. ESPÈCES. CARACTÈRES. / La forme générale ovoiïde ; 1a longueur de 2. Le NarwaL VULGAIRE. la tête, égale au quart ou à peu près de ( Narwalus vulgaris. ) la longueur totale ; les défenses sillonnées \ en spirale. 54 TABLEAU ÉSPÈCES. CARACTÈRES, Le corps et la queuc très allongés ; la forme 2. Le NARWAL MICRO- générale presque conique; la longueur de CÉPHALE. la tête égale au dixième ou à peu près de (Narwalusmicrocephalus.) | la longueur totale; les défenses sillon- nées en spirale. 9. Lx NaRWAL ANDER- SONIEN. Les défenses unies et sans spirale ni sil- ( Narwalus anderso- lons. nianus.) QUATRIÈME GENRE. LEs ÂANAarNaKks. ( Anarnaci. ) Une ou deux dents petites et recourbées à la mâchoire supérieure; point de dents à la mâchoire d’en-bas ; une nageoire sur le dos. ESPÈCES. CARACTÈRES. 1. L’ANARNAK GROEN- LANDOIS. {Le corps allongé. ( Anarnak groenlandicus.) CINQUIÈME GENRE. Les CacHALors. { Catodontes. ) La longueur de la tête égale à la moïtié ou au tiers de la longueur totale du cétacé; la mâchoire supérieure large, élevée, sans dents, ou garnie de dents courtes et cachées presque entièrement par la gencive; la mà- choire inférieure étroite, et armée de dents grosses et coniques; les orifices des évents réunis, et situés au bout de lu partie supérieure du museau; point de nageoire dorsale. \ QT DES ORDRES, GENRES ET ESPÈCES. 3 PREMIER SOUS-GENRE. Une ou plusieurs éminences sur le dos. ESPÈCES. CARACTÈRES. 1. L5 Cacnacor macro- La queue très étroite ct conique; une émi- CÉPHALE. nence longitudinale, ou fausse nageoire, (Catodon macrocephalus.) | au dessus de l'anus. / La tête plus longue que le corps; les dents 2. Lx Cacmaror rruupo.| droites et pointues ; le corps et la queue (Gaiodon Trumpo, ) ( allongés ; une éminence arrondie un peu au delà de l’origine de la queue. _ Les dents courbées, arrondies, et souvent 3. Le CACHALOT SVINEVAL. | : SLT A À plates à leur extrémité; une callosité ra- (Catodon Svineval.) | boteuse sur le dos. SEGOND SOUS-GENRE. Point d’éminence sur le dos. ESPÈCES. CARACTÈRES. h. LE CACHALOT BLAN- | se ; { Les dents comprimées, courbées et arron- re | dies à leur extrémité ( Catodon albicanus.) ; SIXIÈME GENRE. Les Puysares. ( Physali. ) La longueur de la tête égale à la moitié ou au tiers de la longueur totale du cétace ; la mâchoire superieure large, élevée, sans dents, ou garnie de dents courtes et cachées presque entièrement par la gencive ; la md- choire inférieure étroite, et armée de dents grosses et coniques ; les orifices des évents réunis et situés sur le museau, à une petite distance de son extrémité ; point de nageoire dorsale. ESPECES. 1. LE PHYSALE cYLIN- DRIQUE. (Physalus cylindricus.) SEPTIÈME TABLEAU CARACTÈRES. ue bosse sur le dos. GENRE. Les PHYSÉTÈRES. ( Plryseteri. ) La longueur de la tête égale à la inoitié ou au tiers de la longueur totale du cétacé; la mâchoire supérieure large, élevée, sans dents, ou garnie de dents petites et cachées par la gencive; la mâchoire inférieure étroite, et armée de dents grosses et coniques; les orifices des events réunis et situés au bout ou près du bout de la partie supérieure du museau ; une nageoire dorsale. ESPÈCES. 1. LE PaysétTÈRE mi- CROPS. ( Physeter microps.) 2, Le PuysétTÈre or- . THODON. (Pkyseter orthodon.) 3. Le Puysérère MuLAR. (Physeter Mular.) CARACTÈRES. Les dents courbées en forme de faux: la na- geoire du dos grande, droite et- pointue. Les dents droites et aiguës; une bosse au devant de la nageoire du dos. sommet obtus; la dle droite, pointue et très haute; deux ou trois Dosses sur le Les dents pen courbées, et terminées par un dos, au delà de la nageoire dorsale. DES ORDRES, GENRES ET ESPÈCES. 5 DS | HUITIÈME GENRE. Les DELPHINAPTÈRES. ( Delphinapteri!. ) Les deux mächoires garnies d’une rangée de dents très fortes; les orifices des deux évents réunis et situés très près du sommet de la tête; point de nageotre dor- sale. ESPÈCES. CARACTÈRES. 1. Le DELPHINAPTÈRE |: : : (L ouverture de la gueule petite; les dents BÉLUGA. btuses à leur 2 ({ Delplunapterus Beluga. )\ DAUSENEERe SOMMES 2. Le DeELPHINAPTERE. } SÉNEDETTE. L'ouverture de la gueule grande; les dents ( Delphinapterus ( aiguës à leur sommet. Senedetta. ) NEUVIÈME GENRE. : Les DauPuins. ( Delphini. }) Les deux mâchoires garnies d’une rangée de dents très fortes; les orifices des deux évents réunis et situés très près du sommet de la tête; une nageoire dorsale. ESPÈCES. CARACTÈRES. /Le corps et la queue allongés: le museau très dislinct, très aplati, très avancé, et 1. LE DAUPHIN VULGAIRE. en forme de portion d’ovale; les dents (Delphinus vulgaris.) pointues ; la dorsale échancrée du côté de la caudale, et recourbée vers cette na- geoire. PR PA AE ELA UNS (ee corps et la queue allongés: le museau £ arrondi et court; les dents pointues; la (Delphinus Phocænu. ) ( . : dé dorsale presque triangulaire et rectiligne. 1. Delphinaptére signifie dauphin sans nageoire, où sans nageoire dorsale; le mot grec opleros signifie sans nageoire. LACÉPEÉDE. 1. 3 58 TABLEAU ESPÈCES. CARACEÈRES. /Le corps et la queue allongés; le crâne très peu convexe ; le museau arrondi et très court; la mâchoire supérieure un peu plus avancée que celle d’en-bas; l'infé- rieure renflée dans sa partie inférieure, et plus large que celle d’en-baut; les dents inégales, mousses, coniques et recour- bées à leur sommet; la hauteur de la dor- sale, supérieure au dixième de a longueur totale du cétacé; celte nageoïre placée vers le milieu de la longueur du corps proprement dit. . Le DaupuiN ORQUE. D iinus Orca. ) Le corps et la queue allongés ; le dessus de | la lête très convexe : le museau très ar- rondi et très court ; les deux mâchoires A. Le DauPuin GraApr4- ue k Se également avancées; les dents aiguës et recourbées ; la dorsale placée très près de la nuque, #t supérieure , par sa hauteur, au cinquième de la longueur totale du cétacé. TEUR, (Delplinus gladiator.) la tête très convexe ; le museau allongé et très aplali; la mâchoire inférieure plus avancée que celle d’en-haut ; les dents presque cylindriques , droites et irès émoussées; la parlie antérieure du dos très relevée ; la dorsale courbée , échan- crée, et placée très près de la queue. 5, Le Daupain Nisar- NACK. (Delphinus Nesarnack. ) . corps et la queue allongés; le dessus de (he corps et la queue coniques et allongés; le dessus de la tête convexe : le museau al- 6. Le DaupniN propox. longé et très aplati ; la mâchoire d’en-bas a diodon. ) ne présentant que deux dents pointues, placées à sou extrémité ; la dorsale lan- céolée , et située très près de la queue. inférieure sans renflement, et aussi avan- cée que eclle d'en-haut; le ventre très ». 1 x \ 1 gros ; la dorsale située très près de l’ori- gine de la quene , assez basse et assez lon- gue pour former un triangle rectangle. Le DaAuPaiN vENTRu. Dire ventricosus. =| e museau très court et arrondi ; la mâchoire 8. Le Daupnin FÉRÈS. Ê inégales, ovoïdes, bilobées ct arrondies ( Delphinus feres.) Du , # museau très court et arrondi : les dents dans leur sommet, DES ORDRES, GENRES ET ESPÈCES. 50 ESPÈCES. CARACTÈRES. Le corps el la queue irès allongés ; les dents longues; l'orifice des évents très large ; l'œil placé presque au dessous de la pec- torale ; la dorsale située presque au des- sus de l'anus; la mâchoire inférieure, la gorge et le ventre, blancs. 9. Le DavPain DE DunameL. ( Delphinus Duhamelit. ) Le dos d’an bleu noirâtre; le ventre, les Ag x , 2 20e côtés, le bout du museau à l'extrémité des nageoires et de la queue, d'un blanc très éclatant. 10. LE DavuPaiN DE P£Érox. (Delphinus Peronu.) 11. Le Daupmin DE Le dos et presque toute la surface de l’ani- Commersox. mal, d’un blanc d'argent; les extrémités (Delphinus Commersont.)\ noirâtres. DIXIÈME GENRE. Lis HyPéroopons. ( Hyperoondontes. }) Le palais hérissé de petites dents ; une nageoire dorsale. ESPÈCES. CARACTÈRES. 1. L'HrPéno0pON e. museau arrondi et aplati ; la dorsale re: BUTSKOPF. ; courbée, (Hyperoodon Butskopf.) see LR TN FT PSN 1 RAS on LE ones re ATRTO ES) MA ANUEN ù NL La C'etaces BE Pauquet S culp TE, FRANCETEN. N BADET HISTOIRE NATURELLE DES CÉTACÉS. LES BALEINES". LA BALEINE FRANCHE. Balæna Mysticetus, Linx., Bonx., Lacgr., Cuv. ?. a Ex traitant de la baleine, nous ne voulons parler qu'à la raison ; et cependant l'imagination sera émue par l’immensité des objets que nous exposerons. Nous aurons sous les yeux le plus grand des ani- 1. Voyez à la tête de ce volume , le Tableau des ordres, genres et espèces de cétacés. 2. Voyez la planche I. Baleine de grande baie. Walfiisch, par les Allemands. W hallvisch, par les Hollandoïs. Stichteback, par les Danois. Sandhual , idem. Hyalfisk, par les Suédois. Hvafisk, par les Norwégiens. Sietback, idem. 42 HISTOIRE NATURELLE maux. La masse et la vitesse concourent à sa force : Focéan lui a été donné pour empire; et en le créant, Vatushalr, par les Islandoïs. Arbék, par les Groenlandoiïs. Arbavirksoak, idem. W hale, par les Anglois. Vallena, par les Espagnols. Tkakæ, par les Hottentots. Serbio, par les Japonoïs. Balæna Mysticetus. Linné, édition de Gmelin. Baleine franche, Bonnaterre, planches de l'Encyclopédie méthe- dique. Idem. R. R. Castel, édit. de Bloch. / Tauna suecic., 49. Balæna naribus flexuosis, ete. Artedi, gen. 76, spec. 106, syn. 106. Balæna major, laminas corneas in superiore maxilla habens, fistula donata, bipinnis. Sibbald. Id. vel balæna vulgaris edentula, dorso non pinnato. Raï. p.6 et 16. Baleine vulgaire. Rondelet, Histoire des poissons, première partie, Liv. 16, chap. 7 (édition de Lyon, 1558). Balæna vulgo dicta, sive Mysticetus Aristotelis, Musculus Plinii. Gesner, pag. 114. © Balæna vulgts Aldrov. Cel., cap. 8, pag. 688, t. 762. Id., Jonston, pag. 216. Balæna vulgaris. Charleton, pag. 167. Balæna. Schoneveld, pag. 24. ! Balæna. Rond. Willugbby, pag. 35. Balæna Spitzbergensis. Martens, Spitzb., pag. 98, tab. Q, fig. a. 6. Balæna vulgo dicta, et Musculus mysticelos, etc. Gesner, Aquat., pag. 152, et (germ.) fol. 99. 6. Balæna Groenlandica. Mus. Ad. Frider., 1, pag. 51. Balæna dorso impinni, fistula in medio capite, etc: Gronov. Zooph.159. Balæna ( vulgaris : Groenlandica ) bipinnis,. etc. Brisson, Regn. anim., pag. 947, n. 1. Balæna vera Zorgdrageri. Klein, Miss. pisc. 2, pag. 11. Balæna vulgi. Mus. Wormi., 281. Hvalfisk, Eggede, Groenl., pag. 48. Der rechte Groenlandische walfisch. Andexson, Isl., pag. 212. Baleine franche, Vaimont-Bomare, Dictionnaire d'histoire naturelle. NX DES BALEINES. 43 la nature paroît avoir épuisé sa puissance merveilleuse. Nous devons, en eflet, rejeter parmi les fables l'existence de ce monstre hyperboréen , de ce redou- table habitant des mers, que des pêcheurs: effrayés ont nommé Kraken, et qui, long de plusieurs mil- liers de mètres, étendu comme un banc de sable, semblable à un amas de roches, colorant l’eau salée, attirant sa proie par le liquide abondant que répan- doit ses pores, s’agitant en polype gigantesque, et relevant des bras nombreux comme autant de mâts démesurés, agissoit de même qu’un volcan sous-ma- rin, et entr’ouvroit, disoit-on, son large dos, pour engloutir, ainsi que dans un abîme, des légions de poissons et de mollusques. Mais à la place de cette chimère, la baleine fran- che montre sur la surface des mers son énorme vo- lume. Lorsque le temps ne manque pas à son dévelop- pement, ses dimensions étonnent. On ne peut guère douter qu'on ne lait vue, à certaines époques et dans certaines mers, longue de près de cent mètres; et dès lors, pour avoir une idée distincte de sa grandeur, nous ne devons plus la comparer avec les plus colos- saux des animaux terrestres. L'hippopotame, le rhi- nocéros, l’éléphant, ne peuvent pas nous servir de terme de comparaison. Nous ne trouvons pas non plus cette mesure dans ces arbres antiques dont nous admirons les cimes élevées: cette échelle est encore trop courte. Îl faut que nous ayons recours à ces flèches élancées dans les airs, au dessus de quelques temples gothiques; ou plutôt il faut que nous com- parions la longueur de la baleine entièrement déve- 44 HISTOIRE NATURELLE loppée, à la hauteur de ces monts qui forment les rives de tant de fleuves, lorsqu'ils ne coulent plus qu’à une petite distance de l'océan, et particulière- ment à celle des montagnes qui bordent les rivages de la Seine. En vain, par exemple , placerions-nous par la pensée une grande baleine auprès d’une des tours du principal temple de Paris; en vain la dres- serions-nous contre ce monument : un tiers de l’ani- mal s’élèveroit au dessus du sommet de la tour. Long-temps ce géant des géants a exercé sur son vaste empire une domination non combattue. Sans rival redoutable , sans besoins difficiles à sa- tisfaire, sans appétits cruels, il régnoit paisiblement sur la surface des mers dont les vents ne boulever- soient pas les flots, ou trouvoit aisément, dans les baies entourées de rivages escarpés, un abri sûr contre les fureurs des tempêtes. . Mais le pouvoir de l’homme a tout changé pour la baleine. L’art de la navigation a détruit la sécurité, diminué le domaine , altéré la destinée du plus grand des animaux. L'homme a su lui opposer un volume égal au sien, une force égale à la sienne. Il a con- struit, pour ainsi dire, une montagne flottante; il l’a animée, en quelque sorte, par son génie;il lui a donné la résistance des bois les plus compactes ; il lui a imprimé la vitesse des vents, qu’il a su maîtriser par ses voiles; et, la conduisant contre le colosse de l’o- céan, il l’a contraint à fuir jusque vers les extrémités du monde. C’est malgré lui néanmoins que l’homme a ainsi re- légué la baleine. Il ne l’a pas attaquée pour l’éloigner DES BALEINES. 45 de sa demeure, comme il en a écarté le tigre , le con- dor, le crocodile, et le serpent devin: il l’a combattue pour la conquérir. Mais pour la vaincre il ne s’est pas contenté d'entreprises isolées et de combats partiels : il a médité de grands préparatifs, réuni de grands moyens, concerté de grands mouvements, combiné de grandes manœuvres; il a fait à la baleine une véri- table guerre navale ; et la poursuivant avec ses flottes jusqu’au milieu des glaces polaires, il a ensanglanté cet empire du froid, comme il avoit ensanglanté le reste de la terre ; elles cris du carnage ontretenti dans ces montagnes flottantes, dans ces solitudes profon- des, dans ces asiles redoutables des brumes, du si- lence et de la nuit. Cependant, avant de décrire ces terribles expédi- tions, connoissons mieux cetle énorme baleine. Les individus de cette espèce, que l’on rencontre à une assez grande distance du pôle arctique, ont de- puis vingt jusqu’à quarante mètres de longueur. Leur circonférence, dans l'endroit le plus gros de leur tête, de leur corps ou de leur queue, n'est pas toujours dans la même proportion avec leur longueur totale. La plus grande circonférence surpassoit en effet la moitié de la longueur dans un individu de seize mè- tres de long; elle n’égaloit pas cette même longueur totale dans d’autres individus longs de plus de trente mètres. Le poids total de ces derniers individus surpassoit cent cinquante mille kilogrammes. On a écrit que kes femelles étoient plus grosses que les mâles. Cette différence, que Buffon a fait obser- 46 HISTOIRE NATURELLE ver dans les oiseaux de proie, et que nous avons in- diquée pour le plus grand nombre de poissons, les- quels viennent d’un œuf comme les oiseaux, seroit remarquable dans des animaux qui ont des mamelles , et qui mettent au jour des petits tout formés. Quoi qu’il en soit de cette supériorité de la baleine femelle sur la baleine mâle , l’une et l’autre, vues de Join, paroissent une masse informe. On diroit que tout ce qui s'éloigne des autres êtres par un attribut très frappant, tel que celui de la grandeur, s’en écarte aussi par le plus grand nombre de ses autres propriétés ; et l’on croiroit que lorsque la nature fa- conne plus de matière , produit un plus grand-volume , anime des organes plus étendus, elle est forcée, pour ainsi dire, d'employer des précautions particulières, de réunir des proportions peu communes, de forti- fier les ressorts en les rapprochant, de consolider l’en- semble par la juxta-position d’un très grand nombre de parties, et d’exclure ainsi ces rapports entre les dimensions, que nous considérons comme les élé- ments de la beauté des formes, parce que nous les trouvons dans les objets les plus analogues à nos sens, à nos qualités, à nos modifications, et avec lesquels nous communiquons le plus fréquemment. En s’approchant néanmoins de cette masse in- forme , on la voit en quelque sorte se changer en un tout mieux ordonné.On peut comparer ce gigantesque ensemble à une espèce de cylindre immense et irré- sulier, dont le diamètre est égal, où à peu près, au tiers de la longueur. La tête forme la partie antérieure de ce cylindre DES BALEINES. 47 démesuré; son volume égale le quart et quelquefois le tiers du volume total de la baleine. Elle est con- vexe par dessus , de manière à représenter une portion d’une large sphère. Vers le milieu de cette grande voûte et un peu sur le derrière, s'élève une bosse, sur laquelle sont placés les orifices des deux évents. On donne ce nom d’évents à deux canaux qui par- tent du fond de la bouche, parcourent obliquement, et en se courbant , l’intérieur de la tête, et aboutis- sent vers le milieu de sa partie supérieure. Le diame- ire de leur orifice extérieur est ordinairement le centième, ou environ, de la longueur totale de l'in- dividu. Ils servent à rejeter l’eau qui pénètre dans linté- rieur de la gueule de la baleine franche, ou a intro- duire jusqu’à son larynx, et par conséquent jusqu’à ses poumons , l'air nécessaire à la respiration de ce cétacé, lorsque ce grand mammifère nage à la surface de la mer, mais que sa tête est assez enfoncée dans l'eau pour qu'il ne puisse aspirer l’air par la bouche sans aspirer en même Lemps une trop grande quantité de fluide aqueux. La baleine fait sortir par ces évents un assez grand volume d’eau pour qu’un canot puisse en être bientôt rempli. Elle lance ce fluide avec tant de rapidité, particulièrement quand elle est animée par des affec- üous vives, tourinentée par des blessures et _irritée par la douleur, que le bruit de Peau qui s'élève et retombe en colonne ou se disperse en gouttes, effraie presque tous ceux qui l’entendent pour la première fois, etpeutretentir fort loin, si la mer est très calme. On a comparé ce bruit, ainsi que celui que produit 48 HISTOIRE NATURELLE l'aspiration de la baleine, au bruissement sourd et terrible d'un orage éloigné. On a écrit qu’on le dis- tinguoit d'aussi loin que le coup d’un gros canon. On a prétendu d’ailleurs que cette aspiration de l'air at- mosphérique et ce double jet d’eau communiquoient à la surface de la mer un mouvement que l’on aper- cevoit à une distance de plus de deux mille mètres : et comment ces elfets seroient-ils surprenants, s’il est vrai, comme on l’a assuré, que la baleine franche fait monter l’eau qui jaillit de ses évents jusqu’à plus de treize mètres de hauteur? Il paroît que cette baleine a reçu un organe parti- culier pour lancer ainsi l’eau au dessus de sa tête. On sait du moins que d’autres cétacés présentent cet or- gane, dont on peut voir la description dans les Leçons d’anatomie comparée de notre savant collègue , M. Cu- vier (tome IT, page 672); et il existe vraisemblable- ment dans tous les cétacés, avec quelques modifica- tions relatives à leur genre et à leur espèce. Cet organe consiste dans deux poches grandes et membraneuses, formées d’une peau noirâtre et mu- queuse, ridées lorsqu'elles sont vides, ovoides lors- qu’elles sont gonflées. Ces deux poches sont couchées sous la peau, au devant des évents, avec la partie su- périeure desquels elles communiquent. Des fibres charnues très fortes partent de la circonférence du crâne , se réunissent au dessus de ces poches ou bour- ses, et les compriment violemment à la volonté de l’animal. Lors donc que le cétacé veut faire jaillir une cer- taine quantité d’eau contenue dans sa bouche, il donne à sa langue et à ses mâchoires le mouvement DES BALEINES. 49 nécessaire pour avaler cette eau : mais comme il ferme en même temps son pharynx, il force ce fluide à remonter dans les évents ; il lui imprime un mouve- ment assez rapide pour que cette eau très pressée soulève une valvule charnue placée dans l’évent vers son extrémité supérieure, et au dessous des poches ; l’eau pénètre dans les poches; la valvule se referme ; l'animal comprime ses bourses ; l’eau en sort avec vio- lence; la valvule , qui ne peut s'ouvrir que de bas en haut, résiste à son effort; et ce liquide, au lieu de rentrer dans la bouche, sort par l’orifice supérieur de ’évent, et s'élève dans l'air à une hauteur propor- tionnée à la force de la compression des bourses. L'ouverture de la bourse de la baleine franche est très grande; elle se prolonge jusqu’au dessous des orifices supérieurs des évents; elle s'étend même vers la base de la nageoire pectorale; et l’on pourroit dire par conséquent qu’elle va presque jusqu’à l'épaule. Si l’on regarde l'animal par côté, on voit le bord supé- rieur et le bord inférieur de cette ouverture présen- ter, depuis le bout du museau jusqu’auprès de l’œil, une courbe très semblable à la lettre S placée hori- zontalement. Les deux mâchoiïres sont à peu près aussi avancées l’une que l’autre. Celle de dessous est très large, sur- tout vers le milieu de sa longueur. L'intérieur de la gueule est si vaste dans la baleine franche, que dans un individu de cette espèce, qui n’étoit encore parvenu qu'à vingt-quatre mètres de longueur , et qui fut pris en 1726, au cap de Hourdel, dans la baie de la Somme, la capacité de la bouche 30 HISTOIRE NATURELLE étoit assez grande pour que deux hommes aient pu y entrer sans se baisser 1. La langue est molle, spongieuse, arrondie par de- vant, blanche , tachetée de noir sur les côtés, adhé- rente à la mâchoire inférieure, mais susceptible de quelques mouvements. Sa longueur surpasse souvent neuf mètres ; sa largeur est de trois ou quatre. Elle peut donner plus de six tonneaux d'huile ; et Duha- mel assure que lorsqu'elle est salée, elle peut être recherchée comme un mets délicat. La baleine franche n’a pas de dents; mais tout le dessous de la mâchoire supérieure, ou, pour mieux dire , toute la voûte du palais est garnie de lames que l’on désigne par le nom de fanons. Donnons une idée nette de leur contexture, de leur forme, de leur grandeur , de leur couleur, de leur position, de leur nombre, de leur mobilité, de leur développement, de l’usage auquel la nature les a destinés, et de ceux auxquels l’art a su les faire servir. La surface d’un fanon est unie, polie, et semblable à celle de la corne. [l'est composé de poils, ou plutôt de crins, placés à côté les uns des autres dans le sens de sa longueur, très rapprochés, réunis et comme collés par une substance gélatineuse, qui, lorsqu'elle est sèche, lui donne presque toutes les propriétés de la corne, dont il a l'apparence. Chacun de ces fanons est d'ailleurs très, aplati, allongé, et très semblable, par sa forme générale, à 1. Mémoires envoyés au savant et respectable Duhamel du Mon- ceau. ) DES BALEINES. 51 la lame d’une faux. Il se courbe un peu dans sa lon- gueur comme cette lame, diminue graduellement de hauteur et d'épaisseur, se termine en pointe, et montre sur son bord inférieur ou concave un tran- chant analogue à celui de la faux. Ce bord concave ou iuférieur est garni presque depuis son origine jus- qu’à la pointe du fanon, de crins qu'aucune sub- stance gélatineuse ne réunit, et qui représentent, le long de ce bord tranchant et aminci, une sorte de frange d'autant plus longue et d'autant plus touffue qu’elle est plus près de la pointe ou de l'extrémité du fanon. La couleur de cette lame cornée est ordinairement noire, et marbrée de nuances moins foncées; mais le fanon est souvent caché sous une espèce d’épiderme dont la teinte est grisâtre. Maintenant disons comment les fanons sont placés. Le palais présente un os qui s'étend depuis le bout du museau jusqu'à l'entrée du gosier. Cet os est re- couvert d’une substance blanche et ferme, à laquelle on a donné le nom de gencive de la baleine. C’est le long et de chaque côté de cet os, que les fanons sont distribués et situés transversalement. En se supposant dans l’intérieur d’une baleine fran- che, on voit donc au dessus de sa lête deux rangées de lames parallèles et transversales. Ces lames, pres- que verticales, ne sont que très foiblement inclinées en arrière. Le bout de chaque fanon, opposé à sa pointe, entre dans la gencive, la traverse , et pénètre jusqu à l'os longitudinal. Le bord convexe de la lame s'applique contre le palais, s’insère même dans sa substance. Les franges de crin attachées au bord con- 52 HISTOIRE NATURELLE cave de chaque fanon font paroître le palais comme hérissé de poils très gros et très durs ; et sortant vers la pointe de chaque lame au delà des lèvres, elles forment le long de ces lèvres une autre frange exté- rieure, ou une sorte de barbe, qui a fait donner le nom de barbes aux fanons des baleines. Le palais étant un peu ovale, il est évident que les lames transversales sont d’autant plus longues qu’elles sont situées plus près du plus grand diamètre trans- versal de cet ovale , lequel se trouve vers le milieu de la longueur du palais. Les fanons les plus courts sont vers l’entrée du gosier, ou vers le bout du museau. Il n’est pas rare de mesurer des fanons de cinq mètres de longueur. Ils ont alors, au bout qui pénètre dans la gencive, quatre ou cinq décimètres de hau- teur , et deux ou trois centimètres d'épaisseur; et l’on compte fréquemment trois où quatre cents de ces lames cornées, grandes ou petites, de chaque côté de l'os longitudinal. Mais , indépendamment de ces lames en forme de faux, on trouve des fanons très petits, couchés l’un au dessus de l’autre, comme les tuiles qui recouvrent les toits, et placés dans une gouttière longitudinale, que l’on voit au dessous de l’extrémité de l'os longi- tudinal du palais. Ces fanons particuliers empêchent que cette extrémité, quelque mince, et, par consé- quent, quelque tranchante qu'elle puisse être, ne blesse la lèvre inférieure. Cependant, comment se développent ces fanons ? Le savant anatomiste de Londres, M. Hunter, à fait voir que ces productions se développoient d’une manière très analogue à celle dont croissent les che- DES BALEINES. 55 veux de l’homme et la corne des animaux ruminants. C'est une nouvelle preuve de l'identité de nature que nous avons tâché de faire reconnoître entre les che- veux, les poils, les crins, la corne , les plumes, les écailles, les tubercules, les piquants et les aiguillons!. Mais, quoi qu'il en soit , le fanon tire sa nourriture , et en quelque sorte le ressort de son extension gra- duelle , de la substance blanche à laquelle on a donné le nom de gencive. Il est accompagné, pour ainsi dire, dans son développement, par des lames qu'on a nommé tntermédiaires, parce qu'elles le séparent du fanon le plus voisin, et qui, posées sur la même base, produites dans la même substance, formées dans le même temps, ne faisant qu'un seul corps avec le fanon, le renforçant , le maintenant à sa place, croissant dans la même proportion, et s'étendant jus- qu'à la lèvre supérieure, s’y altèrent , s’y ramollissent, s’y délaient et s’y dissolvent comme un épiderme trop long-temps plongé dans l’eau. L'auteur de l'Histoire hollandoise des pèches dans la mer du Nord?rapporte qu'on trouve souvent, au milieu de beaux fanons, des fanons plus petits, que l’on regarde comme ayant poussé à la place de lames plus grandes , déracinées et arrachées par quelque accident. On assure que lorsque la baleine franche ferme en- tièrement la gueule , ou dans quelque autre circon- stance, les fanons peuvent se rapprocher un peu l’un 1. Voyez, au commencement de l'Histoire naturelle des Poissons, notre Discours sur la-nature de ces animaux. 2. Histoire des pêches, des découvertes et des établissements des Hollandois dans les mers du Nord ; ouvrage traduit du hollandois, par M. Bernard Dereste, etc. LACÉPÈDE. I. 4 54 HISTOIRE NATURELLE le 4 de l’autre, et se disposer dewmanière à être un peu plus inclinés que dans leur position ordinaire. Après la mort de la baleine , l'épiderme glutineux qui recouvre les fanons, se sèche, et les colle les uns aux autres. Si l’on veut les préparer pour le com- merce et les arts, on commence donc par les séparer avec un coin; on les fend ensuite dans le sens de leur longueur avec des couperets bien aiguisés; on divise ainsi les différentes couches dont ils sont composés, et qui étoient retenues l’une contre l’autre par des fila- ments entrelacés et par une substance gélatineuse; on les met dans de l’eau froide, ou quelquefois dans de l'eau chaude ; onles attendrit souvent dansl’huile que la baleine a fournie; on les ratisse au bout de quelques heures; on les brosse; on les place, un à un, sur une planche bien polie; on les racle de nouveau; on en coupe les extrémités; on les expose à l’air pendant quelques heures, et on les dispose de maière qu'ils puissent continuer de sécher sans s’altérer et se cor- rompre À. C’est après avoir eu recours à ces procédés, qu’on se sert ou qu’on s’est servi de ces fanons pour plusieurs ouvrages, et particulièrement pour fortifier des cor- sets, soutenir des paniers, former des parapluies, monter des lunettes?, garnir des éventails, composer des baguettes, et faire des cannes flexibles et légères. On à pensé aussi qu'on pourroit en dégager les crins 1. Histoire des pêches, des découvertes et des établissements des Hollandois dans les mers du Nord, tome I, page 154. 2. Depuis 1787, à Songeons, près de Beauvais, département de l'Oise, on monte les lunettes en fanon , au lieu de les monter en cuir ou en métal. Ce changement a beaucoup augmenté la fabrique. On y DES BALEINES. 55 de manière à s’en servir pour faire des cordes, de la ficelle , et même une sorte de grosse étoffe 1. Mais quel est l'organe de la baleine qui ne mérite pas une attention particulière ? Examinons ses veux, et reconnoissons les rapports de leur structure avec la nature de son séjour. L'œil est placé immédiatement au dessus de la commissure des lèvres, et par conséquent très près de l'épaule de la baleine. Presque également éloigné du monticule des évents et de l’extrémité du museau, très rapproché du bord inférieur de l'animal, très écarté de l’œil opposé, il ne paroît destiné qu’à voir les objets auxquels la baleine présente son immense côté ; et il ne faut pas négliger d'observer que voilà un rapport frappant entre la baleine franche , qui parcourt avec tant de vitesse la surface de l'Océan et plonge dans ses abîmes, et plusieurs des oiseaux pri- vilégiés qui traversent avec tant de rapidité les vastes champs de l'air et s’élancent au plus haut de l’atmo- sphère. L’œil de la baleine est cependant placé sur une espèce de petite convexité qui, s’élevant au dessus de la surface des lèvres, lui permet de se diriger de telle sorte, que lorsque l’animal considère un objet un peu éloigné, il peut le voir de ses deux yeux à la fois, rectifier les résultats de ses sensations, et mieux ju- ger de la distance. voit à présent des femmes, ct même des enfants de dix à douze ans, monter des lunettes avec adresse et habileté. (Description du dépar- tement de l'Oise, par M. de Cambri ; ouvrage digne d’un administra- teur habile et d’un ami très-éclairé de sa patrie, des sciences et des arts. ) 1. Histoire des péches des Hollandoïs, ete. : tome L, pag. 69. 10 HISTOIRE NATURELLE Mais ce qui étonne dans le premier moment de l'examen, c'est que l'œil de la baleine soit si petit, qu’on a peine quelquefois à le découvrir. Son dia- mètre n’est souvent que la cent quatre-vingt-dou- zième partie de la longueur totale du cétacé. Il est garni de paupières , comme l'œil des autres mamumi- fères : mais ces paupières sont si gonflées par la graisse huileuse qui en occupe l’intérieur, qu’elles n'ont presque aucune mobilité; elles sont d’ailleurs dénuées de cils, et l’on ne voit aucun vestige de celte troisième paupière que l’on peut apercevoir dans l’homme , que l’on remarque dans les quadru- pèdes, et qui est si développée dans les oiseaux. La baleine paroît donc privée de presque tous les moyens de garantir l'intérieur de son œil des im- pressions douloureuses de la lumière très vive que répandent autour d'elle, pendant les longs jours de l'été, la surface des mers qu'elle fréquente, ou les montagnes de glace dont elle est entourée. Mais, avant la fin de cet article, nous remarquerons com- bien les effets de la conformation particulière de cet organe peuvent suppléer au nombre et à la mobilité des paupières. L'œil de la baleine , considéré dans son ensemble, est assez aplati par devant pour que son axe longi- tudinal ne soit quelquefois à son axe transverse , que dans le rapport de 6 à 11. Mais il n’en est pas de même du cristallin : conformé comme celui des pois- sons, des phoques, de plusieurs quadrupèdes ovi- pares qui marchent ou nagent souvent au dessous de l’eau, et des cormorans, ainsi que de quelques autres oiseaux plongeurs , le cristallin de la baleine DES BALEINES. 07 franche est assez convexe par devant et par derrière pour ressembler à une sphère , au lieu de représenter une lentille, de même que celui des quadrupèdes , et surtout celui des oiseaux. Il paroît du moins que le rapport de l’axe longitudinal du cristallin à son diamètre transverse, est, dans la baleine franche, comme celui de 15 à 15, lors même que ce diamètre et cet axe sont le plus différents l'un de l’autre !. La forme générale de l’œil est maintenue , en très grande partie, dans la baleine franche , comme dans les animaux dont l'œil n’est pas sphérique, par l’en- veloppe à laquelle on a donné le nom de sc{érotique, et qui environne tout l'organe de la vue, excepté dans l’endroit où la cornée est située. Ce nom de sclérotique venant de sclerotes, qui, en grec , signifie dureté, convient bien mieux à l'enveloppe de loœil de la baleine franche dans laquelle elle est très dure, qu'à celle de l'œil de l’homme et de l'œil des qua- drupèdes, dans lesquels, ainsi que dans l’homme, elle est remarquable par sa mollesse. Mais la scléro- tique de la baleine franche n’a pas dans toute son étendue une égale dureté : elle est beaucoup plus dure dans ses parties latérales que dans le fond de l'œil, quoiqu'elle soit très fréquemment, dans ce mème fond , épaisse de plus de trente-six millimètres , pendant que l'épaisseur des parties latérales n'en ex- cède guère vingt-quatre. Cette différence vient de ce que les mailles que l’on voit dans la substance fibreuse , et en apparence tendineuse, de la scléro- tique, sont plus grandes dans le fond que sur les côtés 1. Cuvier, Lecons d'anatomie comparée, vol. Il, pag. 376. 55 HISTOIRE NATURELLE de l'œil, et qu’au lieu de contenir une matière fon- gueuse et flexible, comme sur ces mêmes côtés, elles sont remplies, vers le fond de l'œil, d’une huile proprement dite. Au reste, cette portion moins dure de la scléro- tique de la baleine est traversée par un canal dans lequel passe l'extrémité du nerf optique : les parois de ce canal sont formées par la dure-mère ; et c’est de la face externe de cette dure-mère que se dé- tachent, comme par un épanouissement , les fibres qui composent la sclérotique. On distingue d'autant plus ces fibres, que leur couleur est blanche, et que la substance renfermée dans les mailles qu’elles entourent , est d’une nuance brune. Nous entrons avec plaisir dans les détails en appa- rence les plus minutieux, parce que tout intéresse dans un colosse tel que la baleine franche , et que nous découvrons facilement dans ses organes très dé- veloppés, ce que notre vue, même aidée par la loupe et par le microscope, ne peut pas toujours distinguer dans les organes analogues des autres animaux. La baleine franche est, pour ainsi dire, un grand exem- plaire de l'être organisé , vivant et sensible, dont aucun caractère ne peut échapper à l'examen. C’est ainsi, par exemple, qu'on voit dans la ba- leine, encore mieux que dans les rhinocéros ou dans d’autres énormes quadrupèdes, la manière dont la sclérotique se réunit souvent à la cornée. Au lieu d’être simplement attachée à cette cornée par une cellulosité, elle pénètre fréquemment dans sa sub- stance; et l’on aperçoit facilement les fibres blanches DES BALLINES. 39 de la sclérotique de la baleine, qui entrent dans l’é- paisseur de sa cornée, en filaments très déliés, mais assez longs. C'est encore ainsi que , dans la choroïde ou seconde enveloppe de l'œil de la baleine, on peut distinguer sans aucune loupe des ouvertures des vaisseaux, de même que la membrane intérieure que l'on connoît sous le nom de Ruyschienne ; et que l’on compte, pour ainsi dire, les fibres rayonnantes qui, semblables à des cercles, entourent le cristallin sphérique. Coptinuons cependant. Lorsque la prunelle de la baleine franche est ré- trécie par la dilatation de l'iris , elle devient une ou- verture allongée transversalement. L'ensemble de l’œil est d’ailleurs mû dans ce cé- tacé par quatre muscles droits ; par un autre muscle droit, nommé suspenseur, et divisé en quatre ; et par deux muscles obliques, l’un supérieur et l’autre inférieur. Remarquons encore que la baleine , comme la plupart des animaux qui vivent dans leau, n’a pas de points lacrymaux, ni de glandes destinées à répan- dre sur le devant de l'œil une liqueur propre à le tenir dans l’état de propreté et de souplesse nécessaire ; mais que l’on trouve sous la paupière supérieure des sortes de lacunes d’où s'écoule une humeur épaisse et mucilagineuse. Passons maintenant à l'examen de l'organe de Pouie. La baleine a dans cet organe , comme tous les cé- tacés, un labyrinthe, trois canaux memibraneux et Go HISTOIRE NATURELLE demi-circulaire, un limaçon, un orifice cochléaire , un vestibule , un orifice vestibulaire !, une cavité appelée caisse du tympan, une membrane du tym- pan, des osselets articulés et placés dans cette caisse depuis cette membrane du tympan jusqu’à l’orifice vestibulaire , une trompe nommée trompe d’'Eustache?, et un canal qui, de la membrane du tympan, aboutit et s'ouvre à l'extérieur. Le limaçon de la baleine est même fort grand ; toutes ses parties sont bien développées. L’orifice ou la fenêtre cochléaire qui fait communiquer ce limaçon avec la caisse du tympan, offre une grande étendue. Le marteau, un des osselets de la caisse du tympan, et qui communique immédiatement avec la membrane du même nom, présente aussi des dimensions très remarquables par leur grandeur. Mais la spirale du limaçon ne fait qu’un tour et demi, et ne s'élève pas à mesure qu’elle enveloppe son axe. Il est si difficile d’apercevoir les canaux demi- circulaires, qu’un très grand anatomiste , Pierre Cam- per, en a nié l'existence , et qu'on croiroit peut-être encore qu'ils manquent à l'oreille de la baleine, malgré les indications de l’analogie , sans les recher- ches éclairées de notre confrère Cuvier. Le marteau n’a point cette appendice que l’on connoît sous le nom 1. Nous préférons les épithètes de cochléaire et de vestibulaire, pro- posées par notre collègue Cuvier, à celles de ronde et d’ovale, qui ne peuvent être employées avec exactitude qu’en parlant de l'organe de l’ouie de l’homme et d’un petit nombre d'animaux. : :2. Le tube dont nous parlons, et tous les tubes analogues que peut présenter l'organe de l’ouïe de l’homme ou des animaux, ont été appe- lés trompe d’Eustache, parce que celui de l'oreille de l'homme a été découvert par Eustache, habile anatomiste du seizième siècle. 4 DES BALEINES. 6: de manche; le tympan a la forme d’un entonnoir allongé, dont la pointe est fixée au bas du col du marteau. Le méat, ou conduit extérieur, n’est os- seux dans aucune de ses portions ; c’est un canal car- tilagineux et très mince, qui part du tympan, ser- pente dans la couche graissense, parvient jusqu’à la surface de la peau, s'ouvre à l'extérieur par un trou très petit, et n’est terminé par aucun vestige de conque , de pavillon membraneux ou cartilagineux, d'oreille externe plus ou moins large ou plus ou moins longue. Ce défaut d'oreille extérieure qui lie la baleine franche avec tous les autres cétacés, avec les laman- üns, les dugons, les morses , et le plus grand nombre de phoques, les éloigne de tous les autres mammi- fères, et pourroit presque être compté parmi les ca- ractères distinctifs des animaux qui passent la plus grande partie de leur vie dans l’eau douce ou salée. L'oreille des cétacés présente cependant des par- ticularités plus dignes d'attention que celles que nous venons d'indiquer. L'étrier , l’un des osselets de la caisse du tympan, n’a, au lieu des deux branches qu'il offre dans la plupart des mammifères, qu’un corps conique, com- primé, et percé d’un très petit trou. La partie de l’os temporal à laquelle on a donné le nom de rocher, et dans l’intérieur de laquelle sont creusées les cavités de l'oreille des mammifères, est, dans la baleine , d’une substance plus dure que dans aucune autre espèce d'animal vertébré. Mais voici un fait plus extraordinaire et plus curieux. Le rocher de la baleine franche n’est point articulé 62 HISTOIRE NATURELLE avec les autres parties osseuses de la tête ; il est sus- pendu par des ligaments, et placé à côté de la base du crâne, sous une sorte de voûte formée en grande par- tie par l'os occipital. Ce rocher, ainsi isolé et suspendu, présente, vers le bord interne de sa face supérieure, une proémi- nence demi-circulaire, qui contient le limacon.: On voit sur cette même proéminence un orifice qui ap- partient au méat ou conduit auditif interne , et qui répond à un trou de la base du crâne. Au dessous du labyrinthe que renferme ce rocher, est la caisse du tympan. Cette caisse est fermée par une lame osseuse, que l’on croiroit roulée sur elle-même, et dont le côté interne est beaucoup plus épais que le côté extérieur. L'ouverture extérieure de cette caisse, sur laquelle est tendue la membrane du tympan, n'est pas limi- tée par un cadre osseux et régulier comme dans plu- sieurs mammifères, mais rendue très irrégulière par trois apophyses placées sur sa circonférence. Cette même caisse du tympan adhère aux autres portions du rocher par son extrémité postérieure, et par une apophyse de la partie antérieure, de son bord le plus mince. De l'extrémité antérieure de la caisse, par la trompe, analogue à la trompe d’Eustache de l’homme. Ce tube est membraneux ,;sperce l'os maxillaire supérieur, et aboutit à la partie supérieure de lévent par un orifice qu’une valvule rend impénétrable à l'eau lancée par ce même évent, même avec toute la vitesse que l’ani- mal peut imprimer à ce fluide. Mais après avoir jeté un coup d'œil sur le corps de DES BALEINES. 65 la baleine franche , après avoir considéré sa tête et les principaux organes que contient cette tête si extraor- dinaire et si vaste, que devons-nous d’abord examiner? La queue de ce cétacé. Cette partie de la baleine à la figure d’un cône, dont la base s’applique au corps proprement dit. Les muscles qui la composent sont très vigoureux. Une saillie longitudinale s'étend dans sa partie supérieure, depuis le milieu de sa longueur jusqu’à son extrémité. Elle est terminée par une grande nageoire, dont ja posilion est remarquable. Cette nageoire est horizon- tale, au lieu d’être verticale comme la nageoire de la queue des poissons; et cette situation, qui est aussi celle de la caudale de tous les autres cétacés, sufüroil seule pour faire distinguer toutes les espèces de cette famille d’aves tous les animaux vertébrés et à sang rouge. Cette nageoire horizontale est composée de deux lobes ovales, dont la réunion produit un croissant éckancré dans trois endroits de son intérieur, et dont chacun peut offrir un mouvement très rapide, un jeu très varié , et une action indépendante. Dans une baleine franche, qui n’avoit que vingt- quatre mètres de longueur, et qui échoua en 1726 au cap de Hourdel, il y avoit un espace de quatre mètres entre les deux pointes du croissant formé par les deux lobes de la caudale., et par conséquent une distance égale au sixième de la longueur totale. Dans une baleine plus petite encore, et qui n’étoit longue que de seize mètres, cette distance entre les deux poinies du croissant surpassoit le tiers de la plus grande longueur de l'animal, 64 HISTOIRE NATURELLE Ce grand instrument de natation est le plus puis- sant de ceux que la baleine a reçus ; mais il n’est pas le seul. Ses deux bras peuvent être comparés aux deux nageoires pectorales des poissons : au lieu d’être composés, ainsi que ces nageoires, de rayons sou- tenus et liés par une membrane, ils sont formés, sans doute, d'os que nous décrirons bientôt, de muscles , et de chair tendineuse, recouverts par une peau épaisse; mais l’ensemble que chacun de ces bras présente consiste dans une sorte de sac aplati, arrondi dans la plus grande partie de sa circonfé- rence, terminé en pointe, ayant une surface assez étendue pour que sa longueur surpasse le sixième de la longueur totale du cétacé, et que sa largeur égale le plus souvent la moitié de sa longueur, réunissant enfin tous les caractères d’une rame agile et forte. Cependant, si la présence de ces trois rames ou nageoires donne à la baleine un nouveau trait de con- formité avec les autres habitants des eaux, et l’éloigne des quadrupèdes, elle se rapproche de ces mammi- fères par une partie essentielle de sa conformation, par les organes qui lui servent à perpétuer son espèce. Le mâle a recu un balénas long de trois mètres ou environ, large de deux décimètres à sa base, envi- ronné d’ane peau double qui lui donne quelque res- semblance avec un cylindre renfermé dans une gaîne, composé dans son intérieur de branches, d’un corps caverneux, d’une substance spongieuse , d’un urètre, de muscles érecteurs, de muscles accélérateurs, et placé auprès de deux testicules que l’on peut voir à côté l’un de l’autre au dessus des muscles abdomi- naux. DES BALEINES. 65 De chaque côté de la vulve, qui a son clitoris, son méat urinaire et son vagin, l’on peut distinguer dans la femelle , à une petite distance de l'anus, une mamelle placée dans un sillon longitudinal et plissé, aplatie et peu apparente, excepté dans le temps où la baleine nourrit et où cette mamelle s'étend et s’al- longe au point d’avoir quelquefois une longueur et un diamètre égaux au cinquantième où à peu près de la longueur totale. La peau du sillon longitudinal , qui garantit la ma- melle , est moins serrée et moins dure que celle qui revêt le reste de la surface de la baleine. Cette dernière peau est très forte, quoique percée de grands pores. Son épaisseur surpasse deux décimè- tres. Elle n’est pas garnie de poils comme celle de la plupart des mammifères. L’épiderme qui la recouvre est très lisse, très po- reux, composé de plusieurs couches, dont la plus in- térieure a le plus d'épaisseur et de dureté, luisant, et pénétré d’une humeur muqueuse ainsi que d’une sorte d'huile qui diminue sa rigidité , et le préserve des altérations que feroit subir à cette surpeau le sé- jour alternatif de la baleine dans l’eau et à la surface des mers. | Cette huile et cette substance visqueuse rendent même l’épiderme si brillant, que lorsque la baleine franche est exposée aux rayons du soleil, sa surface est resplendissante comme celle da métal poli. Le tissu muqueux qui sépare l’épiderme de la peau, est plus épais que dans tous les autres mammifères. La couleur de ce tissu, ou ce qui est la même chose, la couleur de la baleine , varie beaucoup suivant la 66 HISTOIRE NATURELLE nourriture, l’âge, le sexe, et peut-être suivant la température du séjour habituel de ce cétacé. Elle est quelquefois d’un noir très pur, très foncé, et sans mélange ; d’autres fois d’un noir nuancé ou mêlé de gris. Plusieurs baleines sont moitié blanches et moi- tié brunes. On en trouve d’autres jaspées ou rayées de noir et de jaunâtre. Souvent le dessous de la tête et du corps présente une blancheur éclatante. On a vu dans les mers du Japon, et, ce qui est moins sur- prenant, au Spitzberg, et par conséquent à dix de- grés du pôle boréal, des baleines entièrement blan- ches ; et l’on peut rencontrer fréquemment de ces cétacés marqués de blanc sur un fond noir, ou gris, ou jaspé, etc., parce que la cicatrice des blessures de ces animaux produit presque toujours une tache blanche. La chair qui est au dessous de l’épiderme et de la peau, estrougeâtre, grossière, dure et sèche, excepté celle de la queue, quiest moins coriace et plus succu- lente, quoique peu agréable à un goût délicat, sur- tout dans certaines circonstances où elle répand une odeur rebutante. Les Japonois cependant, et parti- culièrement ceux qui sont obligés de supporter des travaux pénibles, l'ont préférée à plusieurs autres ali- ments ; ils l'ont trouvée très bonne, très fortifiante et très salubre. Entre cette chair et la peau, est un lard épais, dont une partie de la graisse est si liquide, qu’elle s'écoule et forme une huile, même sans être exprimée. il est possible que cette huile très fluide passe au travers des intervalles des tissus et des pores des membranes, qu’elle parvienne jusque dans l'intérieur DES BALEINES. 65 de la gueule, qu'elle soit rejetée par les évents avec l’eau de lamer, qu'elle nage sur l’eau salée , et qu’elle soit avidement recherchée par des oiseaux de mer, ainsi que Duhamel la rapporté. Le lard a moins d'épaisseur autour de la queue qu’autour du corps proprement dit; mais il en a une irès grande au dessous de la mâchoire inférieure, où cette épaisseur est quelquefois de plus d’un mètre, Lorsqu'on le fait bouillir, on en retire deux sortes d'huile : l'une pure et légère ; l’autre un peu mêlée, onctueuse , gluante, d’une fluidité que le froid dimi- nue beaucoup, moins légère que la première, mais cependant moins pesante que l’eau.Ïl n'est pas rare qu'une seule baleine franche donne jusqu’à quatre- vingt-dix tonneaux de ces différentes huiles. Lorsqu'on a sous les yeux le cadavre d'une baleine franche, et qu'on a enlevé son épiderme, son tissu muqueux , sa peau, son lard et sa chair, que décou- vre-t-on ? sa charpente osseuse. Quelles particularités présentent les os de la tête ? pendant que l’animal est encore très jeune, les parié- taux se soudent avec les temporaux et avec l'occipitai, et ces cinq os réunis forment une voûte de plusieurs mètres de long, sur une largeur égale à plus de la moitié de la longueur. Le sphénoïde reste divisé en plusieurs pièces pen- dant toute la vie de la baleine. Les sutures que l'animal présente lorsqu'il est un peu avancé en âge, sont telles que les deux pièces 1. Histoire des pêches des Hollandois dans les mers du Nord, tra- duction françoise de M. Dereste, tom. I, pag. 76. 68 HISTOIRE NATURELLE qui se réunissent, amincies dans leurs bords et taillées en biseau à l'endroit de leur jonction, représentent chacune une bande ou face inclinée, et s'appliquent, dans cette portion de leur surface, l’une au dessus de l’autre, comme les écailles de plusieurs poissons. Si l’on ouvre le crâne, on voit que l’intérieur de sa base est presque de niveau. On ne découvre ni fosse ethmoïdale , ni lame criblée, ni aucune protubé- rance semblable à ces quatre crochets, ou apophy- ses clinoides , qui s'élèvent sur le fond du crâne de l’homme et d’un si grand nombre de mammifères. Que remarque-t-on cependant de particulier à la baleine franche, lorsqu'on regarde le dehors de ce crâne ? Les deux ouvertures que l’on nomme trous orbitai- res internes antérieures , et qui font communiquer la cavité de l'orbite de l'œil, ou la fosse orbitaire, avec le creux auquel on a donné le nom de fosse nasale, sont, dans la baleine franche , très petits et recou- verts par des lames osseuses. Ce cétacé n’a pas ce trou qu'on appelle incisif, et que montre , dans tant de mammifères , la partie des os intermaxillaires qui suit l'extrémité de la mâchoire. Mais au lieu d’un seul orifice comme dans l’homme, trois ou quatre trous servent à la communication de la cavité de l'orbite avec l’intérieur de l’os maxillaire supérieur. Les deux os de la mâchoire inférieure forment par leur réunion une portion de cercle ou d’ellipse qui a communément plus de huit ou neuf mètres d’éten- due, et que les pêcheurs ont fréquemment employée DES BALEINES. 69 comme un trophée, et dressée sur le tillac, pour an- noncer la prise d’une baleine et la grandeur de leur conquête. L'une des galeries du Muséum d'histoire naturelle renferme trois os maxillaires d’une baleine : la lon- gueur de ces os est de neuf mètres ou environ. L’occiput est arrondi. Il s'articule avec l’épine dor- sale à son extrémité postérieure, et par de larges con- dyles ou faces saillantes. On compte sept vertèbres du cou, comme dans l'homme et presque tous les mammifères. La pre- mière de ces vertèbres, qu'on appelle l’atlas, est sou- dée avec la seconde, qui a reçu le nom d’axis. Dans la baleine de vingt-quatre mètres de lon- gueur, qui échoua en 1726 au cap de Hourdel, lé- pine dorsale avoit auprès de la caudale un demi-mètre de diamètre , et par conséquent a été comparée avec raison à une grosse poutre de quatorze ou quinze mètres de longueur. On a écrit que sa couleur et sa contexture paroissoient, au premier coup d'œil, sem- blables à celles d’un grès grisâtre; on auroit pu ajou- ter, et enduit d’une substance huileuse. Presque tous les os de la baleine franche réunissent en effet à une compacité et à un tissu particuliers, une sorte d’appa- rence onctueuse qu'ils doivent à l’huile dont ils sont pénétrés pendant qu'ils sont encore frais. Dans une baleine échouée, en 1763, sur un des rivages d'Islande, on compta en tout soixante-trois vertèbres, suivant MM. Olafsen et Povelsen. Il paroît que la baleine dont nous écrivons l’his- toire à quinze côtes de chaque côté de l’épine du dos, et que chacune de ces côtes a très souvent plus LACÉPÈDE. 1. 5 T0 HISTOIRE NATURELLE de sept mètres de longueur, sur un demi-mètre de circonférence. 4 Le sternum , avec lequel les premières de ces côtes s’articulent, est large, mais peu épais, surtout dans sa partie intérieure. Les clavicules que l’on trouve dans ceux des mam- mifères qui font un très grand usage de leurs bras, soit pour grimper sur les arbres, soit pour attaquer et se défendre, soit pour saisir et porter à leur bou- che l'aliment qu'ils préfèrent, n’ont point d’analogues dans la baleine franche. On peut voir dans l’une des galeries du Muséum national d'histoire naturelle, une omoplate qui ap- partenoit à une baleine, et dont la longueur est de trois mètres. L'os du bras proprement dit, ou l'Aumérus, est très court, arrondi vers le haut, et comme marqué par une petite tubérosité. Le cubitus et le radius, ou les deux os de l’avant- bras, sont très comprimés ou aplatis latéralement. On ne compte que cinq os dans le carpe ou dans la main proprement dite. Ils forment deux rangées, l’une de trois, l’autre de deux pièces ; ils sont très aplatis, réunis de manière à présenter l’image d’une sorte de pavé, et presque tous hexagones. Les os du métacarpe sont aussi très aplatis, et sou- dés jies uns aux autres. Le nombre des phalanges n’est pas le même dans les cinq doigts. Tous ces os du bras, de l’avant-bras, du carpe, du métacarpe et des doigts, non seulement sont articu- és de manière qu’ils ne peuvent se mouvoir les uns DES BALEINES. pi sur lesautres, comme les os des extrémités antérieures de l’homme et de plusieurs mammifères, mais encore sont réunis par des cartilages très longs, qui recou- vrent quelquefois la moitié des os qu'ils joignent l’un à l’autre, et ne laissent qu'un peu de souplesse à l’en- semble qu'ils contribuent à former. Il n’y a d’ailleurs aucun muscle propre à tourner l’avant-bras de teile sorte que la paume de la main devienne alternative- ment supérieure ou inférieure à la face qui lui est op- posée ; ou, ce qui est la même chose, il n’y a ni supi- nateur, ni pronateur. Des rudiments aponévrotiques de muscles sont étendus sur toute la surface des os, et en consolident les articulations. Tout concourt donc pour que l'extrémité antérieure de la baleine franche soit une véritable rame élasti- que et puissante, plutôt qu'un organe propre à saisir, retenir et palper les objets extérieurs. Cette élasticité et cette vigueur doivent d'autant moins étonner, que la nageoire pectorale ou l'extré- mité antérieure de la baleine est très charnue; que lorsqu'on dépèce ce cétacé, on enlève de cette na- geoire de grandes portions de muscles ; et que l’irri- tabilité de ces parties musculaires est si vive, qu'elles bondissent long-temps après avoir été détachées du corps de l'animal. Mais qu'avons-nous à dire du fluide qui nourrit ces muscles et entretient ces qualités ? La quantité de sang qui circule dans la baleine est plus grande à proportion que celle qui coule dans les quadrupèdes. Le diamètre de l’aorte surpasse sou- vent quatre décimètres. Le cœur est large et aplati. On a écrit que le trou botal, par lequel le sang des 72 HISTOIRE NATURELLE mammifères qui ne sont pas encore nés, peut par- courir les cavités du cœur, aller des veines dans les artères, et circuler dans la totalité du système vascu- laire sans passer par les poumons, restoit ouvert daus la baleine franche pendant toute sa vie, et qu'elle devoit à cette particularité la facilité de vivre long- temps sous l’eau. On pourroit croire que cette ouver- ture du trou botal est en effet maintenue par l’habi- tude que la jeune baleine contracte en naissant de passer un temps assez long dans le fond de la mer, et par conséquent sans gonfler ses poumons par des inspirations de Pair atmosphérique , et sans donner accès dans leurs vaisseaux au sang apporté par les vei- nes, qui alors est forcé de couler par le trou botal pour pénétrer jusqu’à l'aorte. Quoi qu'il en soit ce- pendant de la durée de cette ouverture, la baleine franche est obligée de venir fréquemment à la surface de la mer, pour respirer l’air de l'atmosphère, et introduire dans ses poumons le fluide réparateur sans lequel le sang auroit bientôt perdu les qualités les plus nécessaires à la vie; mais comme ses poumons sont très volumineux, elle a moins besoin de renou- veler souvent les inspirations qui les remplissent de fluide atmosphérique. Le gosier de la baleine est très étroit, et beaucoup plus qu’on ne le croiroit lorsqu'on voit toute l’éten- due de la gueule de cet animal démesuré. L'æsophage est beaucoup plus grand à proportion, long de plus de trois mètres, et revêtu à l'intérieur d’une membrane très dense, glanduleuse et plissée. Le célèbre Hunter nous a appris que la baleine, ainsi que tous les autres cétacés, présentoit dans son DES BALEINES. 75 estomac une conformation bien remarquable, dans un habitant des mers, qui vit de substance animale. Cet organe a de très grands rapports avec l’estomac des animaux ruminants. Il est partagé en plusieurs ca- vités très distinctes; et il en offre même cinq, au heu de n'en montrer que quatre, comme ces ruminants. Ces cinq portions, ou, si on l'aime mieux, ces cinq estomacs sont renfermés dans une enveloppe com- mune ; et voici les formes particulières qui leur sont propres. Le premier est un ovoïde imparfait, sillonné à l'intérieur de rides grandes et irrégulières. Le se- cond, très grand, et plus kong que le premier, a sur sa surface intérieure des plis nombreux et inégaux ; il communique avec le troisième par un orifice rond et étroit, mais qu'aucune valvule ne ferme. Le troisième ne paroît, à cause de sa petitesse, qu’un passage du secend au quatrième. Les parois intérieures de ce dernier sont garnies d’appendices menues et déliées, que l’on a comparées à des poils ; il aboutit au cin- quième par une ouverture ronde, plus étroite que l'orifice par lequel les aliments entrent du troisième estomac dans cette quatrième poche ; et enfin, le cin- quième est lisse, et se réunit par le pylore avec les intestins proprement dits, dont la longueur est sou- vent de plus de cent vingt mètres. La baleine franche x un véritable cæœcum , un foie très volumineux, une rate peu étendue, un pancréas très long , une vessie ordinairement allongée et de grandeur médiocre. Mais ne devons-nous pas maintenant remarquer quels sont les effets des divers organes que nous ve- nons de décrire, quel usage la baleine peut en faire ; 74 HISTOIRE NATURELLE et avant cette recherche, quels caractères particuliers appartiennent aux centres d'action qui produisent ou modifient les sensations de la baleine, ses mouve- ments et ses habitudes ? Le cerveau de la baleine non seulement ne ren- ferme pas cette cavité digitale et ce lobe postérieur qui n'appartiennent qu’à l’homme et à des espèces de la famille des singes, mais encore est très petit: relativement à la masse de ce cétacé. IL est des ba- leines franches dans lesquelles le poids du cerveau n’est que le vingt-cinq millième du poids total de l'animal, pendant que dans l’homme il est au dessus du quarantième ; dans tous les quadrupèdes dont on a pu connoître exactement l’intérieur de la tête, et particulièrement dans l'éléphant, au dessus du cinq- centième; dans le serin, au dessus du vingtième ; dans le coq et le moineau , au dessus du trentième ; dans l'aigle, au dessus du deux-centième; dans l'oie, au desus du quatre-centième ; dans la grenouille, au dessus du deux-centième ; dans la couleuvre à collier, au dessus du huit-centième ; et dansle cyprin carpe, au dessus du six-centième. A la vérité, il n’est guère que du six-millième du poids total de l'individu dans la tortue marine, du quatorze-centième dans l’ésoce brochet, du deux- millième dans le silure glanis, du deux-mille-cinq- centième dans le squale requin, et du trente-huit- millième dans le scombre thon. Le diaphragme de la baleine franche est doué d’une grande vigueur. Les muscles abdominaux, qui sont très puissants et composés d’un mélange de fibres mus- culaires et de fibres tendineuses, l’attachent par de- DES BALEINES. 79 vant. La baleine a, par cette organisation, la force nécessaire pour contre-balancer la résistance du fluide aqueux qui l’entoure, lorsqu'elle a besoin d’inspirer un grand volume d'air; et d’ailleurs, la position du diaphragme, qui , au lieu d’être verticale, est inclinée en arrière, rend pius facile cette grande inspiration, parce qu'elle permet aux poumons de s'étendre le long de l’épine du dos, et de se développer dans un plus grand espace. Mais animons le colosse dont nous étudions les propriétés :.nous avons vu la structure des organes de ses sens : quels en sont les résultats? quelle est la délicatesse de ces sens ? quel est, par exemple, la fi- nesse du toucher? La baleine a deux bras; elle peut les appliquer à des objets étrangers ; elle peut placer ces objets eatre son corps et l’un de ses bras, les retenir dans cette position , toucher à la fois plus d’une de leurs surfaces. Mais ce bras ne se plie pas comme celui de l’homme, et la main qui le termine ne se courbe pas, et ne se divise pas en doigts déliés et flexibles, pour s’appli- quer à tous les contours, pénétrer dans les cavités, saisir toutes les formes. La peau de la baleine, dé- nuée d’écailles et de tubercules, n'arrête pas les im- pressions ; elle ne les intercepte pas, si elle les amor- tit par son épaisseur et les diminue par sa densité ; elle les laisse pénétrer jusqu'aux houppes nerveuses, répandues auprès de presque tous les points de la surface extérieure de l'animal. Mais quelle couche de graisse ne trouve-t-on pas au dessous de cette peau ? et tout le monde sait que les animaux dans lesquels Ja peau recouvre une très grande quantité de graisse, 76 HISTOIRE NATURELLE ont à proportion beaucoup moins de sensibilité dans cette même peau. : La grandeur, la mollesse, et la mobilité de la lan gue, ne permettent pas de douter que le sens du goût n'ait une sorte de finesse dans la baleine fran- che. La voilà donc beaucoup plus favorisée que les poissons pour le goût et pour le toucher, quoique moins bien traitée pour ces deux sens que la plupart des mammifères. Mais quel degré de force a, dans cet animal extraordinaire, le sens de l’odorat, si éton- nant dans plusieurs quadrupèdes, si puissant dans presque tous les poissons? Ce cétacé a-t-il reçu un odorat exquis, que semblent lui assurer, d’un côté, sa qualité de mammifère , et de l’autre, celle d’habi- tant des eaux? Au premier coup d'œil, non seulement on consi- déreroit l’odorat de la baleine comme très foible, mais même on pourroit croire qu'elle est entièrement privée d’odorat ; et dès lors combien l’analogie seroit trompeuse relativement à ce cétacé! En effet, la baleine franche manque de cette paire de nerfs qui appartient aux quadrupèdes, aux oi- seaux, aux quadrupèdes ovipares , aux serpents et aux poissons , que l’on a nommée la première paire à cause de la portion du cerveau de laquelle elle sort, et de sa direction vers la partie la plus avancée du mu- seau, et qui a reçu aussi le nom de paire de nerfs ol- factifs, parce qu'elle communique au cerveau les impressions des substances odorantes. De plus, les longs tuyaux que l’on nomme évents, et que l’on a aussi appelés narines, ne présentent ni cryptes ou cavités, ni follicules muqueux, ni lames DES BALEINES. sp saillantes, ne communiquent avec aucun sinus, ne montrent aucun appareil propre à donner ou fortifier les sensations de l’odorat, et ne sont revêtus à l’inté- rieur que d’une peau sèche, peu sensible , et capable de résister, sans en être offensée, aux courants si souvent renouvelés d’une eau salée, rejetée avec vio- lence. Mais apprenons de notre savant confrère M. Cuvier, que la baleine franche doit avoir, comme les autres cétacés, un organe particulier, qui est dans ces ani- maux celui de l’odorat, et qu’il a vu dans le dauphin vulgaire, ainsi que dans le marsouin. Nous avons dit, en parlant de la conformation de l'oreille, que le tuyau auquel on a donné le nom de trompe. d’Eustache, et qui fait communiquer linté- rieur de la caisse du tympan avec la bouche, remon- toit vers le haut de l’évent, dans la cavité duquel il abcutissoit. La partie de ce tuyau qui est voisine de l'oreille, montre à sa face interne un trou assez large, qui donne dans un espace vide. Ce creux est grand, situé profondément, placé entre l'œil, l'oreille et le crâne , et entouré d’une cellulosité très ferme, qui en maintient les parois. Ce creux se prolonge en diffé- rents sinus, terminés par des membranes collées con- tre les os. Ces sinus et cette cavité sont tapissés d’une membrane noirâtre, muqueuse et tendre. Ils com- muniquent avec les sinus frontaux par un‘canal qui va en montant, et qui passe au devant de l'orbite. On voit donc que les émanations odorantes, ap- portées par l’eau de Ïa mer ou par l’air de l’atmo- sphère, pénètrent facilement jusqu’à ce creux et à ces sinus par l’orifice de l’évent ou l’ouverture de la TÈ HISTOIRE NATURELLE bouche, par l’évent, et par la trompe d’Eustache. On doit y supposer le siége de l’odorat. À la vérité, on ne trouve dans ces sinus ni dans cette cavité que des ramifcations de la cinquième paire de nerfs; et c’est la première paire qui, dans presque.tous les animaux, reçoit et transmet les im- pressions des corps odorants. Mais qu'on ait sans cesse présente une importante vérité : les nerfs qui se distribuent dans les divers organes des sens, sont tous de même nature; ils ne diffèrent que par leurs divisions plus ou moins gran- des : ils feroient naître les mêmes sensations s'ils étoient également déliés, et placés dé manière à être également ébranlés par la présence des corps exté- rieurs. Nous ne voyons par l'œil et n’entendons par l'oreille, au lieu de voir par l’oreille et d'entendre par l'œil, que parce que le nerf optique est placé au fond d'une sorte de lunette qui écarte les rayons in- utiles, réunit ceux qui forment l’image de l’objet, proportionne la vivacité de la lumière à la délicatesse des rameaux nerveux, et parce que le nerf acoustique se développe dans un appareil qui donne aux vibra- tions sonores le degré de netteté et de force le plus analogue à la ténuité des expansions de ce même nerf. Plusieurs fois, enfin, des coups violents, ou d’autres impressions que l’on n’éprouvoit que par un véritable toucher, soit à l'extérieur, soit à l’intérieur, ont donné la sensation du son ou celle de la lumière. Quoi qu’il en soit cependant du véritable organe de l’odorat dans la baleine, les observations prouvent, indépendamment de toute analogie, qu'elle sent les corpuscules odorants, et même qu'elle distingue de DES BALEINES. 79 loin les nuances ou les diverses qualités des odeurs. Nous préférons de rapporter à ce sujet un fait que nous trouvons dans les notes manuscrites qui nous ont été remises par notre vénérable collègue le séna- ieur Pléville-le-Peley, vice-amiral et ancien ministre de la marine. Ce respectable homme d'état, l’un des plus braves militaires, des plus intrépides navigateurs et des plus habiles marins, dit dans une de ses notes, que nous transcrivons avec d'autant plus d’empresse- ment qu'elle peut être très utile à ceux qui s'occu- pent de la grande pêche de la morue : « La baleine » poursuivant à la côte de Terre-Neuve la morue, le » capelan, le maquereau, inquiète souvent les ba- » teaux pêcheurs : elle les oblige quelquefois à quit- » ter le fond dans le fort de la pêche, et leur fait per- » dre la journée. » J'étois un jour avec mes pêcheurs : des baleines > parurent sur l’horizon; je me préparai à leur céder » la place : mais la quantité de morue qui étoit dans » le bateau, y avoit répandu beaucoup d’eau qui s’é- » toit pourrie; pour porter la voile nécessaire, j'or- » donnai qu'on jetât à la mer cette eau qui empoison- » noit; peu après je vis les baleines s'éloigner, et mes » bateaux continuèrent de pêcher. » Je réfléchis sur ce qui venoit de se passer, et » jJ'admis pour un moment la possibilité que cette eau » infecte avoit fait fuir les baleines. » Quelques jours après, J'ordonnai à tous mes ba- » teaux de conserver celte même eau et de la jeter à » la mer tous ensemble, si les baleines approchoient, » sauf à couper leurs câbles et à fuir, si ces monstres » continuoient d'avancer. 80 HISTOIRE NATURELLE » Ce second essai réussit à merveille : il fut répété » deux ou trois fois, et toujours avec succès; et de- » puis Je me suis intimement persuadé que la mau- » vaise odeur de cette eau pourrie est sentie de loin » par la baleine, et qu'elle lui déplaît. » Cette découverte est fort utile à toutes les pêches » faites par bateaux, etc. » Les baleines franches sont donc averties fortement et de loin de la présence des corps odorants. Elles entendent aussi, à de grandes distances, des sons ou des bruits même assez foibles. Et d’abord, pour percevoir les vibrations du fluide atmosphérique , elles ont reçu un canal déférent très large, leur trompe d’Eustache ayant un grand dia- mètre. Mais de plus, dans le temps même où elles nagent à la surface de l’Océar, leur oreille est pres- que toujours plongée à deux ou trois mètres au des- sous du niveau de la mer. C’est donc par le moyen de Veau que les vibrations sonores parviennent à leur organe acoustique; et tout le monde sait que l’eau est un des meilleurs conducteurs de ces vibrations ; que les sons les plus foibles suivent des courants ou des masses d’eau jusqu’à des distances bien supérieu- res à l’espace que leur fait parcourir le fluide atmo- sphérique : et combien de fois, assis sur les rives d’un grand fleuve , n’ai-je pas dans ma patrie! entendu, de près de vingt myriamètres , des bruits, et particuliè- rement des coups de canon, que je n’aurois peut- être pas distingués de quatre ou cinq myriamètres, s'ils ne m’avoient été transmis que par l’air de l’atmo- sphère? 1. Près d'Agen. DES BALEINES. 81 Voici d'ailleurs une raison forte pour supposer dans l'oreille de la baleine franche un assez haut degré de délicatesse. Ceux qui se sont occupés d’acoustique ont pu remarquer depuis long-temps, comme moi, que les personnes dont l'organe de l’ouie estle plussensible, et qui reconnoissent dans un son les plus foibles nuances d’élévation, d'intensité ou de toute autre modification, ne reçoivent cependant des corps so- nores que les impressions les plus confuses, lors- qu'un bruit violent, tel que celui du tambour ou d’une grosse cloche, retentit auprès d'elles. On. les croiroit alors très sourdes : elles ne s’aperçoivent même, dans ces moments d’ébranlement extraordi- naire, d'aucun autre effet soncre que celui qui agite leur organe auditif, très facile à émouvoir. D'un autre côté, les pêcheurs qui poursuivent la baleine franche savent que lorsqu'elle rejette par ses évents une très grande quantité d’eau, le bruit du fluide qui s'élève en gerbes, et retombe en pluie sur la surface de l’O- céan, l'empêche si fort de distinguer d’autres effets sonores, que, dans cette circonstance, des bâtiments peuvent souvent s'approcher d'elle sans qu’elle en soit avertie, et qu'on choisit presque toujours ce temps d'étourdissement pour l’atteindre avec plus de facilité, l’attaquer de plus près, et la harponner plus sûrement, La vue des baleines franches doit être néanmoins aussi bonne, et peut-être meilleure, que leur ouie. En effet, nous avons dit que leur cristallin étoit presque sphérique. Il a souvent une densité supé- rieure à celle du cristallin des quadrupèdes et des au- tres animaux qui vivent toujours dans l'air de l’atmo- 02 HISTOIRE NATURELLE sphère. Il présente même une seconde qualité plus remarquable encore : imprégné de substance hui- leuse , il est plus inflammable que le cristallin des animaux terrestres. Aucun physicien n’ignore que plus les rayons lumi- neux tombent obliquement sur la surface d’un corps diaphane , et plus en le traversant ils sont réfractés, c’est-à-dire, détournés de leur première direction, et réunis dans un foyer à une plus petite distance de la substance transparente. La réfraction des rayons de la lumière est donc plus grande au travers d’une sphère que d’une lentille aplatie. Elle est aussi proportionnée à la densité du corps diaphane ; et Newton a appris qu’elle est égale- ment d'autant plus forte que la substance traversée par les rayons lumineux exerce , par sa nature inflam- mable, une attraction plus puissante sur ces mêmes rayons. Trois causes très actives donnent donc au cristallin des baleines, comme à celui des phoques et des pois- sons, une réfraction des plus fortes. H Quel est cependant le fluide que traverse la lumière pour arriver à l'organe de la vue des baleines fran- ches? Leur œil, placé auprès de la commissure des ièvres, est presque toujours situé à plusieurs mètres au dessous du niveau de la mer, lors même qu’elles nagent à la surface de l'océan : les rayons lumineux ne parviennent.donc à l'œil des baleines qu’en passant au travers de l’eau. La densité de l’eau est très supé- rieure à celle de Fair, et beaucoup plus rapprochée de la densité du cristallin des baleines. La réfraction des rayons lumineux est d'autant plus foible, que la DES BALEINLS. 85 densité du fluide qu'ils traversent est moins différente de celle du corps diaphane qui doit les réfracter. La lu- mière passant de l’eau dans l'œil et dans le cristallin des baleines, seroit donc très peu réfractée ; le foyer où les rayonsseréuniroient seroit très éloigné de ce cris- tallin ; les rayons ne seroiïent pas rassemblés au de- gré convenable lorsqu'ils tomberoïient sur la rétine, et il n’y auroit pas de vision distincte, si cette cause d’une grande foiblesse dans la réfraction n’étoit con- tre-balancée par les trois causes puissantes et contrai- res que nous venons d'indiquer. Le cristallin des baleines franches présente un de- uré de sphéricité, de densité et d’inflammabilité, ou, en un seul mot, un degré de force réfringente très propre à compenser le défaut de réfraction que pro- duit la densité de l’eau. Ces cétacés ont donc un or- vane optique très adapté au fluide dans lequel ils vi- vent : la lame d’eau qui couvre leur œil, et au travers de laquelle ils aperçoivent les corps étrangers, est. pour eux comme un instrument de dioptrique , comme un verre artificiel, comme une lunette capable de rendre leur vue nette et distincte, avec cette diffé- rence qu'ici c’est l’organisation de l'œil qui corrige les effets d’un verre qu'ils ne peuvent quitter, et que les lunettes de l’homme compensent au contraire les dé- fauts d’un œil déformé, altéré ou affoibli, auquel on ne peut rendre ni sa force, ni sa pureté, ni sa forme. Ajoutons une nouvelle considération. Les rivages couverts d’une neige brillante , et les montagnes de glaces polies et éclatantes, dont les ba- leines franches sont souvent très près, blesseroient d'autant plus leurs yeux que ces organes ne sont pas 84 HISTOIRE NATURELLE garantis par des paupières mobiles, comme ceux des quadrupèdes, et que, pendant plusieurs mois de suite, ces mers hyperboréennes et gelées réfléchis- sent les rayons du soleil. Mais la lame d’eau qui re- couvre l'œil de ces cétacés, est comme un voile qui intercepte une grande quantité de rayons de lumière ; l'animal peut l’épaissir facilement et avec prompti- tude, en s’enfonçant de quelques mètres de plus au dessous de la surface de la mer ; et si, dans quelques circonstances très rares et pendant des moments très courts, l'œil de la baleine est tout-à-fait hors de l’eau, on va comprendre aisément ce qui remplace le voile aqueux qui ne le garantit plus d’une lumière trop vive. La réfraction que le cristallin produit est si fort augmentée par le peu de densité de l'air qui a pris alors la place de l’eau, et qui aboutit jusqu’à la cor- née, que le foyer des rayons lumineux, plus rappro- ché du cristallin, ne tombe plus sur la rétine, n’agit plus sur les houppes nerveuses qui composent la vé- ritable partie sensible de l'organe, et ne peut plus éblouir le cétacé. Les baleines franches ont donc recu dé grandes sources de sensibilité , d'instinct et d’ telnet , de srands principes de mouvement, de grandes causes d'action. Voyons agir ces animaux, dont tous les attributs sont des sujets d’admiration et d'étude. Suivons-les sur les mers. Le printemps leur donne une force nouvelle; une chaleur secrète pénètre dans tous leurs organes; la vie s’y ranime ; ils agitent leur masse énorme ; cédant DES BALEINES. 553 au besoin impérieux qui les consume, le mâle se rap- proche plus que jamais de sa femelle ; ils cherchent dans une baie, dans le fond d’un golfe, dans une grande rivière, une sorte de retraite et d'asile; et brûlant l’un pour l’autre d’une ardeur que ne peuvent calmer, ni l’eau qui les arrose , ni le souffle des vents, ni les glaces qui flottent encore autour d'eux, ils se livrent à cette union intime qui seule peut l’apaiser. En comparant et en pesant les témoignages des pêcheurs et des observateurs, on doit croire que, lors de leur accouplement , le mâle et la femelle se dressent, pour ainsi dire, l’un contre l’autre, enfon- cent leur queue, relèvent la partie antérieure de leur corps, portent leur tête au dessus de l’eau, et se maintiennent dans cette situation verticale, en s’em- brassant et se serrant étroitement avec leurs nageoi- res pectorales!, Comment pourroient-ils, dans toute autre position , respirer l'air de l'atmosphère, qui leur est alors d'autant plus nécessaire, qu'ils ont besoin de tempérer l’ardeur qui les anime? D'ailleurs, in- dépendamment des relations uniformes que font à ce sujet les pêcheurs du Groenland, nous avons en faveur de notre opinion une autorité irrécusable. No- tre célèbre confrère M. de Saint-Pierre, membre de l’Institut national , assure avoir vu plusieurs fois, dans son voyage à l’île de France, des baleines accouplées dans la situation que nous venons d’indiquer. Ceux qui ont lu l’histoire de la tortue franche n’ont pas besoin que nous fassions remarquer la ressem- blance qu'il y a entre cette situation et celle dans la- 1. Bonalerre, Cétologie. Planches de l'Encyclopédie méthodique. LACÉPEDE, I. 6 S6 HISTOIRE NATURELLE quelle nagent les tortues franches lorsqu'elles sont accouplées. On ne doit pas cependant retrouver la même analogie dans la durée de l’accouplement. Nous ignorons pendant quei temps se prolonge celui des baleines franches; mais d’après les rapports qui leslient aux autres mammifères, nous devons le croire très court, au lieu de le supposer très long, comme celui des tortues marines Il n'en est pas de mème de ia durée de l’attache- ment du mâle pour sa femelle. On leur a attribué une grande constance; et on à cru reconnoître pendant plusieurs années le même mâle assidu auprès de la même femelle, partager son repos et ses jeux, la sui- vre avec fidélité dans ses voyages, la défendre avec courage, et ne l’abandonner qu'à la mort. On dit que la mère porte son fœtus pendant dix mois ou environ ; que pendant la gestation elle est plus grasse qu'auparavant, surtout lorsqu'elle approche du temps où elle doit mettre bas. Quoi qu'il en soit, elle ne donne ordinairement le jour qu’à un baleineau à la fois, et jamais la même portée n'en a renfermé plus dé deux. Le baleineau a presque toujours plus de sept ou huit mètres en ve- nant à la lumière. Les pêcheurs du Groenland, qui ont eu tant d'occasions d'examiner les habitudes de la baleine franche, ont exposé la manière dont la ba- leine mère allaite son baleineau. Lorsqu'elle veut lui donner à téter, elle s'approche de la surface de la mer, se retourne à demi, nage ou flotte sur:un côté, et, par de légères mais fréquentes oscillations; se place tantôt au dessous, tantôt au dessus de son ba- leineau, de mawmière que l'un et l'autre puissent al- DES 4L EINES. 87 ternativement rejeter par leurs évents l’eau salée trop abondante dans leur gueule, et recevoir le nouvel air atmosphérique nécessaire à leur respiration. Le lait ressemble beaucoup à celui de la vache, mais contient plus de crême et de substance nutri- tive. Le baleineau tette au moins pendant un an; les Anglois l’appellent alors Shortead. À est très gros, et peut donnerenviron cinquante tonneaux de graisse. Au bout de deux ans, il reçoit le nom de S$tant, paroît, dit-on, comme hébété, et ne fournit qu’une tren- taine de tonneaux de substance huileuse. On le nomme eusuite $Sculfish, et l’on ne connoît plus son âge que par la longueur des barbes ou extrémités de fanons qui bordent ses mâchoires. Ce baleineau est, pendant le temps qui suit immé- diatement sa naissance, l’objet d’une grande ten- dresse, et d’une sollicitude qu'aucun obstacle ne lasse, qu'aucun danger n'intimide. La mère le soigne mème quelquefois pendant trois ou quatre ans, suivant l’as- sertion des premiers navigateurs qui sont allés à la pêche de la baleine, et suivant l'opinion d’Albert, ainsi que de quelques autres écrivains qui sont venus après lui. Elle ne le perd pas un inslant de vue. S'il ne nage encore qu'avec peine, elle le précède, lui ouvre la route au milieu des flots agités, ne souffre pas qu'il reste trop long-temps sous l’eau, l’instruit par son exemple, l’encourage, pour ainsi dire, par son attention, le soulage dans sa fatigue, le soutient lorsqu'il ne feroit plus que de vains efforts, le prend entre sa nageoire pectorale et son corps, l’embrasse avec tendresse, le serre avec précaution , le met 88 HISTOIRE NATURELLE quelquefois sur son dos , l'emporte avec elle, modère ses mouvements pour ne pas laisser échapper son doux fardeau , pare les coups qui pourroient l’attein- dre, attaque l’ennemi qui voudroit le lui ravir, et, lors même qu'elle trouveroit aisément son salut dans la fuite, combat avec acharnement, brave les dou- leurs les plus vives, renverse et annéantit ce qui s’op- pose à sa force, ou répand tout son sang et meurt plutôt que d'abandonner l'être qu’elle chérit plus que sa vie. Affection mutuelle et touchante du mâle, de la fe- melle, et de l'individu qui leur doit le jour, pre- mière source du bonheur pour tout être sensible, la surface entière du globe ne peut donc vous offrir un asile !! Ces immenses iners, ces vastes solitudes, ces déserts reculés des pôles, ne peuvent donc vous don- ner une retraite inviolable! En vain vous vous êtes conüée à la grandeur de la distance , à la rigueur des frimas, à la violence des tempêtes : ce besoin impé- rieux de jouissances sans cesse renouvelées, que la société humaine a fait naître, vous poursuit au travers de l’espace. des orages et des glaces; il vous treuble au bout du monde, comme au sein des cités qu’il a élevées; et, fils ingrat de la nature , il ne tend qu’à l'attrister et l’asservir ! Cependant quel temps est nécessaire pour que ce baleineau si chéri, si soigné , si protégé, si défendu, parvienne au terme de son accroissement ? On l’ignore. On ne connoît pas la durée du déve- 1. Voyez particulièrement une lettre de M. de l2 Courtaudière, adressée de Saint-Jean-de-Luz à Duhamel, et publiée par ce dernier dans son Traité des pêches. DES BALEINES. 59 loppement des baleines : nous savons seulement qu'il s’opère avec une grande lenteur. 11 y à plus de cinq ou six siècles qu'on donne la chasse à ces animaux; et néanmoins, depuisle premier carnage que l’homme en a fait, aucun de ces cétacés ne paroît avoir encore eu le temps nécessaire pour acquérir le volume qu'ils présentoient lors des premières navigations et des premières pèches dans les mers polaires. La vie de la baleine peut donc être de bien des siècles; et lorsque Buffon a dit, Une baleine peut bien vivre mille ans, puisqu'une carpe en vit plus de deux cents, il n’a rien dit d’exagéré. Quel nouveau sujet de ré- flexions! Voilà, dans le même objet, l'exemple de la plus longue durée, en même temps que de la plus grande masse; et cet être si supérieur est un des habitants de l’antique océan. Mais quelle quantité d'aliments et quelle nourri- ture particulière doivent développer un volume si énorme, et conserver pendant tant de siècles le souffle qui l’anime, et les ressorts qui le font mouvoir ? Quelques auteurs ont pensé que la baleine franche se nourrissoit de poissons, et particulièrement de sades, de scombres et de clupées; ils ont même in- diqué les espèces de ces osseux qu’elle préféroit : mais il paroît qu'ils ont attribué à la baleine franche ce qui appartient au Vordcaper et à quelques autres baleines. La franche n’a vraisemblablement pour ali- ments que des crabes et des mollusques, tels que des actinis et des clios. Ces animaux, dont elle fait sa proie, sont bien petits; mais leur nombre compense le peu de substance que présente chacun de ces mol- 96 HISTOIRE NATURELLE lusques ou insectes. Îls sont si multipliés dans les mers fréquentées par la baleine franche , que ce cétacé n’a souvent qu’à ouvrir la gueule pour en prendre plu- sieurs milliers à la fois. Elle les aspire, pour ainsi dire, avec l’eau de la mer qui les entraîne, et qrelle rejette ensuite par ses évents; et comme cette eau salée est quelquefois chargée de vase, et charrie des algues et des débris de ces plantes marines, il ne se- roit pas surprenant qu'on eût trouvé dans l’estomac de quelques baleines franches, des sédiments de li- mon et des fragments de végétaux marins, quoique l'aliment qui convient au cétacé dont nous écrivons l’histoire , ne soit composé que de substances vérita- blement animales. Une nouvelle preuve du besoin qu'ont les baleines franches de se nourrir de mollusques et de crabes, est l’état de maigreur auquel elles sont réduites, lors- qu’elles séjournent dans des mers où ces mollusques et ces crabes sont en très petit nombre. Le capitaine Jacques Colnett a vu et pris de ces baleines dénuées de graisse, à seize degrés treize minutes de latitude boréale, dans le grand Océan équinoxiai, auprès de Guatimala, et par conséquent dans la zone torride. Elles étoient si maigres, qu'elles avoient à peine assez d’huile pour flotter; et lorsqu'elles furent dépecées, leurs carcasses coulèrent à fond comme des pierres pesantes. Les qualités des aliments de la baleine franche donnent à ses excréments un peu de solidité, et une 1. À Voyage to the south Atlantic, for the purpose of exterding the spermaceti whale fisheries, etc., by captain James Colnett. Loudon, 1798. DES BALEINES. 1 couleur ordinairement voisine de eelile du sairan, mais qui , dans certaines circonstances, offre des nuan- ces rougeâtres, et peut fournir, suivant l'opinion de certains auteurs, une teinture assez belle et durable. Cette dernière propriété s’accorderoit avec ce que nous avons dit dans plus d’un endroit de l'Histoire des poissons. Nous y avons fait observer que les moi- lusques non seulement élaboroient cette substance, qui, en se durcissant autour d'eux, devenoit une na- cre brillante ou une coquille ornée des plus vives couleurs, mais encore paroissoient fournir aux pois- sons dont ils étoient la proie, la matière argentine qui se rassembloit en écailles resplendissantes du feu des diamants et des pierres précieuses. La chair et les sucs de ces mollusques, décomposés et remaniés, pour ainsi dire, dans les organes de la baleine fran- che , ne produisent ni nacre, ni coquille, ni écailles vivement colorées, mais transmettroient à un des résultats de la digestion de ce cétacé, des éléments de couleur plus ou moins nombreux et plus ou moins actifs. Au reste, à quelque distance que la baleine fran- che doive allier chercher l'aliment qui lui convient, elle peut la franchir avec une grande facilité; sa vi- tesse est si grande, que ce cétacé laisse derrière lui une voie large et profonde , comme célle d’un vais- seau qui vogue à pleines voiles. Elle parcourt onze mètres par seconde. Elle va plus vite que les vents alizés ; deux fois plus prompte, elle dépasseroit les vents les plus impétueux; trente fois plus rapide , elle auroit franchi l’espace aussitôt que le son. En sup- posant que douze heures de repos lui suffisent par 02 HISTOIRE NATURELLE jour, il ne jui faudroit que quarante-sept jours ou environ pour faire le tour du monde en suivant l’é- quateur, et vingt-quatre jours pour aller d’un pôle à l'autre , le long d’un méridien. Comment se donne-t-elle cette vitesse prodigieuse ? par sa Caudale, mais surtout par sa queue. Ses muscles étant non seulement très puissants, mais très souples, ses mouvements sont faciles et sou- dains. L’éclair n’est pas plus prompt qu'un coup de sa caudale. Cette nageoire, dont la surface est quelque- fois de neuf ou dix mètres carrés, et qui est horizon- tale, frappe l’eau avec violence, de haut en bas, où de bas en haut, lorsque l’animal a besoin, pour s’é- lever, d'éprouver de la résistance dans le fluide au dessus duquel sa queue se trouve, ou que, tendant à s’enfoncer dans l'océan, il cherche un obstacle dans la couche acqueuse qui recouvre sa queue. Cepen- dant , lorsque la baleine part des profondeurs de l’o- céan pour monter jusqu'à la surface de la mer, et que sa caudale agit plusieurs fois de haut en bas, il est évident qu’elle est obligée, à chaque coup, de rele- ver sa caudale, pour la rabaisser ensuite. Elle ne la porte cependant vers le haut qu'avec lenteur, au lieu que c'est avec rapidité qu'elle la ramène vers le bas jusqu’à la ligne horizontale et même au delà. Par une suite de cette différence, l’action que le cétacé peut exercer de bas en haut, et qui l'empè- cheroit de s'élever, est presque nulle relativement à celle qu'il exerce de haut en bas; et ne perdant presque aucune partie de la grande force qu'il em- ploie pour son ascension, il monte avec une vitesse extraordinaire. DES BALEINES. 99 Mais, lorsqu'au lieu de monter ou de descendre, la baleine veut s’avancer horizontalement, elle frappe vers le haut et vers le bas avec une égale vitesse; elle agit dans les deux sens avec une force égale; elle trouve une égale résistance ; elle éprouve une égale réaction. La caudale néanmoins, en se portant vers le bas et vers le haut, et en se relevant ou se rabais- sant ensuite comme un ressort puissant, est hors de la ligne horizontale; elle est pliée sur l’extrémité de la queue , à laquelle elle est attachée ; elle forme avec cette queue un angle plus ou moins ouvert et tourné alternativement vers le fond de l’océan et vers l’at- mosphère ; elle présente donc aux couches d’eau su- périeures et aux couches inférieures une surface in- clinée; elle reçoit, pour ainsi dire, leur réaction sur un plan incliné. Quelles sont les deux directions dans lesquelles elle est repoussée ? Lorsque. après avoir été relevée, et descendant vers la ligne horizontale, elle frappe la couche d’eau inférieure , il est clair qu’elle est repoussée dans une ligne dirigée de bas en haut, mais inclinée en avant. Lorsqu'au contraire, après avoir été rabaissée, elle se relève vers la ligne horizontale pour agir contre la couche d’eau supérieure, la réaction qu’elle recoit est dans le sens d’une ligne dirigée de haut en bas, et néanmoins inclinée en avant. L’impulsion supérieure et l'impulsion inférieure se succédant avec tant de rapidité, que leurs effets doivent être considérés comme simultanés, la caudale est donc poussée en mème temps dans deux directions qui tendent l’une vers le haut, et l’autre vers le bas. Mais ces deux di- 94 HISTOIRE NATURELLE rections sont cbliques ; mais elles partent en quelque sorte du même point; mais elles forment an angle; mais elles peuvent être regardées comme les deux côtés contigus d’un parallélogramme. La caudale, et par conséquent la baleine , dont tout le corps partage le mouvement de cette nageoire , doivent donc suivre la diagonale de ce parallélogramme, et par conséquent se mouvoir en avant. La baleine parcourt une ligne horizontale, si la répulsion supérieure et la répulsion inférieure sont égales : elle s’avance en s’élevant, si la réaction qui vient d'en-bas l'emporte sur l'autre; elle s’avance en s’abaissant, si la répulsion produite par les couches supérieures est la plus forte; et la diagonale qu’elle décrit est d'autant plus longue dans un temps donné ; ou, ce qui est la même chose, sa vitesse est d'autant plus grande, que Îles couches d’eau ont été frappées avec plus de vigueur, que les deux réactions sont plus puissantes, et que l’angle formé par les directions de ces deux forces est plus aigu. Ce que nous venons de dire explique pourquoi, dans les moments où la baleine veut monter vertica- lement, elle est obligée, après avoir relévé sa caudale, et à l’instant où elle veut frapper l’éau, non seule- ment de ramener cette nageoire jusqu’à la ligne ho- rizontale, comme lorsqu'elle ne veut que :s’avancer horizontalement, mais même de la lui faire dépasser vers le bas. En effet, sans cette précaution, la cau- dale, en se mouvant sur son articulation , en tour- nant sur l'extrémité de la queue comme sur une char- nière, el en ne retombant cependant que jusqu’à la ligne horizontale, seroit repoussée de bas en haut sans doute, mais dans une ligne inclinée en avant, DES BALEINES. 99 parce qu’elle auroit agi elle-même par un plan incliné sur la couche d’eau inférieure. Ge n’est qu'après avoir dépassé la ligne horizontale, qu'elle reçoit de la cou- che inférieure une impulsion qui tend à la porter de bas en haut, et en même temps en arrière, et qui, se combinant avec la première répulsion, faqueile est dirigée vers le haut et obliquement en avant, peut déterminer la caudale à parcourir une diagonale qui se trouve la ligne verticale, et par conséquent forcer la baleine à monter verticalement. Un raisonnement semblable démontreroit pourquoi la baleine qui veut descendre dans une ligne verticale, est obligée, après avoir rabaissé sa caudale, de la rele- ver contre les couches supérieures, non seulement jusqu’à la ligne horizontale , mais même au dessus de cette ligne. Au reste, on comprendra encore mieux les effets que nous venons d'exposer, lorsqu'on saura de quelle manière la baleine franche est plongée dans l’eau, même lorsqu'elle nage à la surface de la mer. On peut commencer d'en avoir une idée nette, en jetant les yeux sur les dessins que sir Joseph Banks, mon illus- tre confrère, a bien voulu m'envoyer, que j’ai fait gra- ver, et qui représentent la baleine no:d caper. Qu'on regarde ensuite le dessin qui représente la baleine franche, et que l’on sache que lorsqu'elle nage même au plus haut des eaux, elle est assez enfoncée dans le fluide qui la soutient, pour qu’on n’aperçoive que le sommet de sa tête et celui de son dos. Ces deux som- mités s'élèvent seules au dessus de la surface de la mer. Elles paroissent comme deux portions de sphère séparées ; car l’enfoncement compris entre le dos et mn 00 HISTOIRE NATURELLE la tête est recouvert par l’eau ; et du haut de la som- milé antérieure, mais très près de la surface des flots, jaillissent ies deux colonnes aqueuses que la baleine franche lance par ses évents. La caudale est donc placée à une distance de la sur- face de l'océan, égale au sixième ou à peu près de la longueur totale du cétacé ; et par conséquent, il est des baleines où cette nageoire est surmonté par une couche d’eau épaisse de six où sept mètres. La caudale cependant n’est pas pour la baleine le plus puissant instrument de natation. La queue de ce cétacé exécute, vers la droite ou vers la gauche, à la volonté de l'animal! , des mouve- ments analogues à ceux qu'il imprime à sa caudale ; et dès lors cette queue doit lui servir, nen seulement à changer de direction et à tourner vers la gauche ou vers la droite, mais encore à s’avancer horizontale- ment. Quelle différence cependantentre les effets que la caudale peut produire, et la vitesse que la baleine peut recevoir de sa queue qui, mue avec agilité comme la caudale , présente des dimensions si supérieures à celles de cette nageoire ! C’est dans cette queue que réside la véritable puissance de la baleine franche; c'est le grand ressort de sa vitesse; c’est le grand levier avec lequel elle ébranle, fracasse etanéantit; ou plutôt toute la force du cétacé réside dans l’ensemble formé par sa queue et par la nageoire qui la termine. Ses bras, ou , si on l’aime mieux, ses nageoires pectorales, peu- vent bien ajouter à la facilité avec laquelle la baleine change l'intensité ou la direction de ses mouvements, repousse ses ennemis ou leur donne la mort; mais, nous le répétons, eile a reçu ses rames proprement DES BALEINES. 97 dites, son gouvernail, ses armes, sa lourde massue , lorsque la nature a donné à sa queue et à la nageoire qui y est attachée , la figure , la disposition , le volume , la masse , la mobilité , la souplesse , la vigueur qu'elles montrent, et par le moyen desquelles elle a pu tant de fois briser ou renverser et submerger de grandes embarcations. Ajoutons que la facilité avec laquelle la baleine franche agite non seulement ses deux bras, inais en- core les deux lobes de sa caudale , indépendamment l’un de l’autre , est pour elle un moyen bien utile de varier ses mouvements, de fléchir sa route, de chan- ser sa position, et particulièrement de se coucher sur le côté, de se renverser sur le dos , et de tourner à volonté sur l’axe que l’on peut supposer dans le sens de sa plus grande longueur. S'il est vrai que la baleine franche a au dessous de la gorge un vaste réservoir qu’elle gonfle en y intro- duisant de l'air de fatmosphère, et qui ressemble plus ou moins à celui que nous ferons reconnoiître dans d’autres énormes cétacés !, elle est aidée dans plusieurs circonstances de ses mouvements, de ses voyages, de ses combats, par une nouvelle et grande cause d’agilité et de succès. Mais quoi qu'il en soit, comment pourroit-on être étonné des effets terribles qu'une baleine franche peut: produire , si l’on réfléchit au calcul suivant ? Une baleine franche peut peser plus de cent cin- quante mille kilogrammes. Sa masse est donc égale à 1. Voyez, dans l’article de la baleinoptère museau-pointu (baleine à bec), la description d'un réservoir d'air que l’on trouve au dessous du cou de cette baleinoptère. Go HISTOIRE NATURELLE ceile de cent rhinocéros, ou de cent hippopotames, ou de cent éléphants; elle est égale à celle de cent quinze millions de quelques uns des quadrupèdes qui appartiennent à la famille des rongeurs et au genre des musaraignes. Îl faut multiplier les nombres qui représentent cette masse, par ceux qui désignent une vitesse suffisante pour faire parcourir à la baleine onze inètres par seconde. Îl est évident que voilà une me- sure de la force de la baleine. Quel choc ce cétacé doit produire ! Un boulet de quarante-huit a sans doute une vitesse cent fois plus grande; mais comme sa masse est au moins six mille fois plus petite , sa force n’est que ie soixantième de celle de la baleine. Le choc de ce'cé- tacé est donc égal à celui de soixante boulets de qua- rante-huit. Quelle terrible batterie! et cependant, lorsqu'elle agite une grande partie de sa masse , lors- qu'elle fait vibrer sa queue, qu'elle lui imprime un mouvement bien supérieur à celui qui fait parcourir ouze mètres par seconde, qu'elle lui donne, pour ainsi dire, la rapidité de l'éclair, quel violent coup de foudre elle doit frapper ! Est-on surpris maintenant, que lorsque des bâti- ments l’assiégent dans une baie, elle n'ait besoin que de plonger et de se relever avec violence au dessous de ces vaisseaux , pour les soulever, les culbuter, les couler à fond, disperser cette foible barrière, et cin- geler en vainqueur sur le vaste océan 1? À la force individuelle les baleines franches peu- 1. On peut voir, dans l'ouvrage du savant professeur Schneider sur la Synonymie des poissons et des cétacés «écrits par Artédi , Le passage d'Albert, qu'il cite page 163. DES BALEINES. 09 veni réunir la puissance que donne le nombre. Quei- que iroublées qu’elles soient maintenant dans leurs retraites boréales , elles vont encore souvent par trou- pes. Ne se disputant pas une nourriture qu'eiles trou- vent ordinairement en très grande abondance, et n'étant pas habituellement agitées par des passions violentes, elles sont naturellement pacifiques, douces, et entraînées les unes vers les autres par unesorte d’af- fection quelquefois assez vive et même assez con- stante. Mais si elles n’ont pas besoin de se défendre les unes contre les autres, elles peuvent être contraintes d'employer leur puissance pour repousser des ennemis dangereux, ou d’avoir recours à quelques manœuvres pour se délivrer d'attaques importunes, se débarrasser d’un concours fatiguant, et faire cesser des douleurs trop prolongées. Un insecte de Ia famille des crustacés , et auquel on à donné le nom de Pou de baleine, tourmente beaucoup la baleine franche. Il s'attache si fortement à la peau de ce cétacé, qu'on la déchire plutôt que de l’en arracher. Il se cramponne particulièrement à la commissure des nageoires, aux lèvres, aux par- ties de la génération, aux endroits les plus sensibles, et où la baleine ne peut pas, en se froitant, se dé- Bvrer de cet ennemi dont les morsures sont très dou- Joureuses et très vives, surtout pendant le temps des chaleurs. D'autres insectes pullulent aussi sur son corps. Très souvent l'épaisseur de ses téguments la préserve de leur piqûre, el même du sentiment de leur pré- sence: mais, dans quelques circonstances, ils doi- 4 100 HISTOIRE NATURELLE vent l’agiter, comme la mouche du désert rend fu- rieux le lion et la panthère, au moins, s'il est vrai, ainsi qu'on l’a écrit, qu'ils se multiplient quelquefois sur la langue de ce cétacé, la rongent et la dévorent, au point de la détruire presque en entier , et de don- ner la mort à la baleine. Ces insectes et ces crustacés attirent fréquemment sur le dos de la baleine franche un grand nombre d'oiseaux de mer qui aiment à se nourrir de ces crus- tacés et de ces insectes, les cherchent sans crainte sur ce large dos, et débarrassent le cétacé de ces animaux incommodes, comme le pique-bœuf délivre les bœufs qui habitent les plaines brülantes de l’A- frique , des larves de taons ou d’autres insectes fati- gants et funestes. Aussi n'avons-nous pas été surpris de lire dans le Voyage du capitaine Colnett autour du cap de Horn et dans le grand Océan, que depuis l’ile Grande de l'Océan atlantique , jusqu’auprès des côtes de la Cali- fornie, il avoit vu des troupes de Pétrels bleus accom- pagaer les baleines franches 1, Mais voici trois ennemis de la baleine , remarqua- bles par leur grandeur, leur agilité, leurs forces et leurs armes. Ils la suivent avec acharnement, ils la combattent avec fureur; et cependant reconnoissons de nouveau la puissance de la baleine franche : leur audace s’évanouit devant elle, s'ils ne peuvent pas, réunis plusieurs ensemble, concerter différentes at- 1. À Voyage to the south Atlantic, for the purpose of extending the spermaceti whale fisheries, etc., by capitain James Colnett. Lon- don, 1798. DES BALEINES. 101 taques simultanées, combiner les efforts successifs de divers combattants, et si elle n’est pas encore trop jeune pour présenter tous les attributs de l'espèce. Ces trois ennemis sont le squale scie, le cétacé auquel nous donnons le nom de Dauphin gladiateur , et le squale requin. Le squale scie, que les pêcheurs nomment souvent V'ivelle, rencontre-t-il une baleine franche dont l’âge soit encore très peu avancé et la vigueur peu déve- loppée; il ose, si la faim Je dévore, se jeter sur ce cétacé. La jeune baleine, pour le repousser, enfonce sa tête dans l’eau, relève sa queue, l’agite et frappe des deux côtés. Si elle atteint son ennemi , ‘elle l’accable , le tue, l’écrase d’un seul coup. Mais ie squale se précipite en arrière, l’évite, bondit, tourne et retourne autour de son adversaire, change à chaque instant son atta- que, saisit le moment le plus favorable, s’élance sur la baleine, enfonce dans son dos la lame longue, osseuse et dentelée, dont son museau est garni, la retire avec violence, blesse profondément le jeune cétacé, le déchire, le suit dans les profondeurs de l'océan, le force à remonter vers la surface de la mer, recommence un combat terrible, et, s’il ne peut lui donner la mort, expire en frémissant. Les dauphins gladiateurs se réunissent, forment une grande troupe, s’avancent tous ensemble vers la baleine franche , l’attaquent de toutes parts, la mor- dent , la harcèlent, la fatiguent , la contraignent à ou- vrir sa gueule, et, se jetant sur sa langue, dont on dit qu'ils sont très avides, la mettant en pièces, et LACÉPEDE. 1. 7 102 HISTOIRE NATURELLE l’arrachant par lambeaux, causent des douleurs in- supportables au cétacé vaincu par le nombre, et l’en- sanglantent par des blessures mortelles. Les énormes requins du Nord, que quelques na- vigateurs ont nommé Ours de mer à cause de leur voracité, combattent 4a baleine sous l’eau : ils ne therchent pas à se jeter sur sa langue; mais ils par- viennent à enfoncer dans son ventre les quintuples rangs de leurs dents pointues et dentelées, et lui enlèvent d'énormes morceaux de téguments et de muscles. Cependant un mugissement sourd exprime , a-t-on dit, et les tourments et la rage de la baleine. Une sueur abondante manifeste l’excès de sa lassi- tude et le commencement de son épuisement. Elle montre par là un nouveau rapport avec les quadru- pèdes, et particulièrement avec le cheval. Mais cette jranspiration a un caractère particulier : elle est, au moins en grande partie , le produit de cette substance graisseuse que nous avons vue distribuée au dessous de ses téguments, et que des mouvements forcés et une extrême lassitude font suinter par les pores de la peau. Üne agitation violente et une natation très ra- pide peuvent donc, en se prolongeant trop long-temps, ou en revenant très fréquemment, maigrir la baleine franche, comme le défaut d’une nourriture assez eo- pieuse et assez substantielle, Au reste, cette sueur, qui annonce la diminution de ses forces, n'étant qu'une transpiration huileuse ou graisseuse très échauffée, il n’est pas surprenant qu’elle répande une odeur souvent très fétide; et cette émanation infecte est une nouvelle cause qui DES BALEINES. 109 attire les oiseaux de mer autour des troupes de ba- leines franches, dont elle peut leur indiquer de loin la présence. | Cependant la baleine blessée, privée de presque tout son sang, harassée, excédée , accablée par ses propres efforts, n’a plus qu'un foible reste de sa vi- oueur et de sa puissance. L'Ours blanc, ou plutôt l'Ours maritime , ce vorace et redoutable animal que la faim rend si souvent plus terrible encore, quitte alors les bancs de glace ou les rives gelées sur les- quels ils se tient en embuscade, se jette à la nage, arrive jusqu'à ce cétacé, ose l’attaquer. Mais, quoique expirante, elle montre encore qu'elle est le‘ plus grand des animaux; elle ranime ses forces défaillantes; et peu d'instants même avant sa mort, un coup de sa queue immole l'ennemi trop audacieux qui a cru ne trouver en elle qu'une victime sans défense. Elle peut d'autant plus faire ce dernier effort, que ses muscles sont très susceptibles d’une excitation soudaine. Ils conservent une grande irritabilité long-temps après la mort du cétacé : ils sont par conséquent très propres à montrer les phénomènes électriques auxquels on a donné le nom de galvanisme; et un physicien at- tentif ne manquera pas d'observer que la baleine franche non seulement vit au milieu des eaux comme la Raie Forpille, le Gymnote engourdissant , le Malap- tcérure électrique, etc., mais encore est imprégnée, comme ces poissons, d'une grande quantité de sub- stance huileuse et idioélectrique. Le cadavre de la baleine flotte sur la mer. L’ours marilime , les squales, fes oiseaux de mer, se préci- 104 HISTOIRE NATURELLE pitent alors sur cette proie facile , la déchirent et la dévorent. Mais cet ours maritime n’insulte ainsi, pour ainsi dire, aux derniers moments de la jeune baleine , que dans les parages polaires, les seuls qu'il infeste; et la baleine franche habite dans tous les climats. Elle ap- partient aux deux hémisphères; ou plutôt les mers australes et les mers boréales lui appartiennent. Disons maintenant quels sont les endroits qu’elle paroît préférer. Quels sont les rivages, les continents et les îles auprès desquels on l’a vue, ou lesmers dans lesquelles on l’a rencontrée? Le Spitzherg, vers le quatre-vingtième degré de latitude ; le nouveau Groenland ; l'Islande ; le vieux Groenland ; le détroit de Davis; le Canada; Terre- Neuve; la Caroline; cette partie de l'Océan atlanti- que austral qui est située au quarantième degré de latitude et vers le trente-sixième degré de longitude occidentale , à compter du méridien de Paris; l’île Mocha, placée également au quarantième degré de latitude, et voisine des côtes du Chili, dans le grand Océan méridional; Guatimala; le golfe de Panama ; les îles Gallapago, et les rivages occidentaux du Mexi- que, dans la zone torride ; le Japon; la Corée; les ‘Philippines; le cap de Galles, à la pointe de l’île de (Ceylan ; les environs du golfe Persique ; l'île de So- c otara, près de l'Arabie heureuse; la côte orientale 4 ‘Afrique ; Madagascar; la baie de Sainte-Hélène ; la C ‘uinée; la Corse, dans la Méditerranée ; le golfe de G ascogne ; la Baltique; la Norwége. DES BALEINES. | 109 Nous venons, par la pensée, de faire le tour du monde ; et dans tous les climats, dans toutes les zo- nes, dans toutes les parties de l’océan, nous voyons que la baleine franche s’y est montrée. Maïs nous avons trois considérations importantes à présenter à ce sujet. Premièrement, on peut croire qu'à toutes les lati- tudes , on a vu les baleines franches réunies plusieurs ensemble , pourvu qu'on les rencontrât dans l'océan; et ce n'est presque jamais que dans de petiles mers, dans des mers intérieures et très fréquentées comme la Méditerranée , que ces cétacés, tels que la baleine franche prise près de l’île de Corse en 1620, ont paru isolés, après avoir été apparemment rejetés de leur route, entraînés et égarés par quelque grande agi- tation des eaux. Secondement , les anciens Grecs, et surtout Aris- tote, ses contemporains, et ceux qui sont venus après lui, ont pu avoir des notions très multipliées sur les baleines franches, non seulement parce que plusieurs de ces baleines ont pu entrer accidentelle ment dans la Méditerranée, dont ils habitoient les bords, mais encore à cause des relations que la guerre et le commerce avaient données à la Grèce avec la mer d'Arabie, celle de Perse, et les golfes du Sinde et du Gange, que fréquentoient les cétacés dont nous parlons, et où ces baleines franches devoient être plus nombreuses que de nos jours. Troisièmement, les géographes apprendront avec intérêt que pendant long-temps on a vu tous les ans près des côtés de la Corée, entre le Japon et la Chine, des baleines dont le dos étoit encore chargé de har- 106 HISTOIRE NATURELLE pons lancés par les pècheurs européens près des ri- vages du Spitzberg ou du Groenland 1. Îl est donc au moins une saison de l’année où la mer est assez dégagée de glaces pour livrer un passage qui conduise de l'Océan atlantique septentrional dans le grand Océan boréal , au travers de l'Océan glacial arctique. Les baleines harponnées dans le nord de l’Europe 4 et retrouvées dans le nord de l'Asie , ont dû passer au nord de la Nouvelle-Zemble, s'approcher très près du pêle, suivre presque un diamètre du cercle polaire, pénétrer dans le grand Océan par le détroit de Beh- g, traverser le bassin du même nom, voguer le long du Kamtschatka, des îles Kuriles, de l’île de Jéso, et parvenir jusque vers le trentième degré de latitude boréale, près de l'embouchure du fleuve qui baigne les murs. de Nankin, Elles ont dû, pendant ce long trajet, parcourir une ligne au moins de quatre-vingts degrés, ou de mille myriamètres : mais, d’après ce que nous avons déjà dit , il est possible que, pour ce grand voyage, elles n'aient eu besoin que”de dix ou onze jours. Et quel obstacle la température de l’air pourroit- elle opposer à la baleine franche ? Danses zones brü- ring lantes, elle trouve aisément au fond des eaux un abri ou un soulagement contre les effets de la chaleur de l'atmosphère. Lorsqu'elle nage à la surface de l'Océan équinoxial, elle ne craint pas que l’ardeur du soleil de la zone torride dessèche sa peau d’une manière funeste, comme les rayons de cet astre dessèchent, 1, Duhamel, Traité des pêches ; pêche de la baleine , etc. DES BALEINES. 107 dans quelques circonstances, la peau de l’éléphant et des autres pachydermes; les téguments qui revè- tent son dos, continuellement arrosés par les vagues, ou submergés à sa volonté lorsqu'elle sillonne pen- dant le calme la surface unie de la mer, ne cessent .de conserver toute la souplesse qui lui est nécessaire : et lorsqu'elle s'approche du pôle, n'est-elle pas ga- rantie des effets nuisibles du froid par fa couche épaisse de graisse qui la recouvre? Si elle abandonne certains parages, c’est donc prin- cipalement ou pour se procurer une nourriture plus abondante, ou pour chercher à se dérober à la pour- suite de l’homme. Dans le douzième, le treizième et le quatorzième siècle , les baleines franches étoient si répandues au- près des rivages françois, que la pêche de ces ani- maux y étoit très lucrative; mais, harcelées avec acharnement, elles se retirèrent vers des latitudes plus septentrionales. L'historien des pèches des Hollandois dans les mers du Nord dit que les baleines franches trouvant une nourriture abondante et un repos très peu troublé auprès des côtes du Groenland , de l’île de J. Mayen, et du Spitzberg, y étoient très multipliées; mais que les pêcheurs des différentes nations arrivant dans ces parages, se les partageant comme leur domaine, et ne cessant d'y atlaquer ces grands cétacés, les baleines franches, devenues farouches, abandonnèrent des mers où un combat succédoit sans cesse à un autre combat, se réfugièrent vers les glaces du pôle, et conserverent cet asile jusqu’à l’époque où, pour- suivies au milieu de ces glaces les plus septentriona- 108 HISTOIRE NATURELLE les, elles reviendront vers les côtes du Spitzherg et les baies du Groenland, qu’elles habitoient paisible- ment avant l’arrivée des premiers navigateurs. Voilà pourquoi plus on approche du pôle, plus on trouve de bancs de glace, et plus les baleines que l’on rencontre sont grosses, chargées de, graisse hui- leuse, familières, pour ainsi dire, et faciles à prendre. Et voilà pourquoi encore les grandes baleines fran- ches que l’on voit en decà du soixantième degré de latitude, vers le Labrador, par exemple, et vers le Ca- nada, paroissent presque toutes blessées par des har- pons lancés dans les parages polaires. On assure néanmoins que pendant l'hiver les ba- leines disparoissent d’auprès des rivages envahis par les glaces, quittent le voisinage du pôle, et s’avancent dans la zone tempérée, jusqu’au retour du printemps. Mais, dans cette migration périodique, elles ne doi- vent pas fuir un froid qu'elles peuvent supporter; elles n’évitent pas les effets directs d’une température rigoureuse ; elles ne s’éloignent que de ces croûtes de glace, ou de ces masses congelées, durcies, immo- biles et profondes, qui ne leur permettroient ni de chercher leur nourriture sur les bas-fonds, ni de ve- nir à la surface de l'océan respirer l'air de l’atmo- sphère, sans lequel elles ne peuvent vivre. Lorsqu'on réfléchit aux troupes nombreuses de baleines franches qui dans des temps très reculés habitoient toutes les mers, à lénormité de leurs os, à la nature de ces parties osseuses, à la facilité avec laquelie ces portions compactes et huileuses peuvent résister aux effets de l'humidité, on n’est pas surpris qu'on ait trouvé des fragments de squelette de ba- DES BALLINES. 109 leine dans plusieurs contrées du globe , sous des cou- ches plus où moins épaisses; ces fragments ne sont que de nouvelles preuves du séjour de l’océan au des- sus de toutes les portions de la terre qui sont main- tenant plus élevées que le niveau des mers. Et cependant, comment le nombre de ces cétacés ne seroit-il pas très diminué? Il y a plus de deux où trois siècles, que les Basques, ces marins intrépides, les premiers qui aient osé af- fronter les dangers de l'Océan glacial et voguer vers le pôle arctique, animés par le succès avec lequel ils avoient pêché la baleine franche dans le golfe de Gas- cogne, s’avancèrent en haute mer, parvinrent, après différentes tentatives, jusqu'aux côtes d'Islande et à celles du Groenland, développérent toutes les res- sources d’un peuple entreprenant et laborieux, équi- pèrent des flottes de cinquante ou soixante navires, et, aidés par les Islandois, trouvèrent dans une pêche abondante le dédommagement de leurs peines et la récompense de leurs efforts. Dès la fin du seizième siècle, en 1598, sous le rè- gne d'Élisabeth, les Anglois, qui avoient été obligés jusqu’à cette époque de se servir des Basques pour la pêche de la baleine, l'extraction de l'huile, et même, suivant MM. Pennant et Hackluyts, pour le radoub des tonneaux, envoyèrent dans le Groenland des navires destinés à cette même pêche. Dès 1608, ils s’avancèrent jusqu'au quatre-ving- tième degré de latitude septentrionale, et prirent pos- session de l'ile de J. Mayen, et du Spitzberg, que les Hollandois avoient découvert en 1596. On vit dès 1612 ces mêmes Hollandois, aidés par 110 HISTOIRE NATURELLE les Basques, qui composoient une partie de leurs équipages et dirigeoient leurs tentatives, se montrer sur les côtes du Spitzherg, sur celles du Groenland , dans le détroit de Davis, résister avec constance aux efforts que les Anglois ne cessèrent de renouveler afin de leur interdire les parages fréquentés par les ba- leines franches, et faire construire avec soin dans leur patrie les magasins, les ateliers et les fourneaux né- cessaires pour tirer le parti le plus avantageux des produits de la prise de ces cétacés. D'autres peuples, encouragés par les succès des Angloiset des Hollandois, les Brémois, les Hambour- geois, les Danois, arrivèrent dans les mers du Nord : tout concourut à la destruction de la baleine; leurs rivalités se turent; ils partagèrent les rivages les plus favorables à leur entreprise ; ils élevèrent paisible- ment leurs fourneaux sur les côtes et dans le fond des baies qu'ils avoient choisies ou qu'on leur avoit cédées. : Les Hollandois particulièrement, réunis en com- pagnies, formèrent de grands établissements sur les rivages du Spitzherg, de l’île de J. Mayen, de PIs- lande, du Groenland, et du détroit de Davis, dont les golfes et les anses étoient encore peuplés d’un grand nombre de cétacés. Ils fondèrent dans l’île d'Amsterdam le village de Smeerenbourg (bourg de la fonte); ils y bâtirent des boulangeries, des entrepôts, des boutiques de di- verses marchandises , des cabarets, des auberges; ils y envoyèrent, à la suite de leurs escadres pêcheuses, des navires chargés de vin, d’eau-de-vie, de tabac. de différents comestibles. DES BALEINES. ALL On fondit dans cessétablissements, ainsi que dans les fourneaux des autres nations, presque tout Île lard des baleines dont on s’étoit rendu maître; on y prépara l'huile que donnait cette fonte ; un égal nom- bre de vaisseaux put rapporter le produil d’un plus grand nombre de ces animaux. Les baleines franches étoient encore sans méfiance; une expérience crüelle ne leur avoit pas appris à re- connoître les piéges de l’homme et à redouter l'arri- vée de ses flottes : loin de les fuir, elles nageoiïent avec assürance le long des côtes et dans les baies les plus voisines ; elles se montroient avec sécurité à la surface de la mer; elles environnoient en foule les navires; se jouant autour de ces bâtiments , elles se livroient, pour ainsi dire, à l’avidité des pècheurs, et les escadres les plus nombreuses ne pouvoienrt em- porter la dépouille que d’une petite partie de celles ui se présentoient d’elles-mêmes au harpon. En 1672, le gouvernement anglois encouragea par une prime la pêche de la baleine: En 1695, la compagnie angloise formée pour eette même pêche étoit soutenue par des souscriptions dont la valeur montoit à 82,000 livres sterling. Le capitaine hollandois Zorgdrager, qui comman- doit le vaisseau nommé {es Quatre-Frères, rapporte qu'en 1697 il se trouva dans une baie du Groenland, avec quinze navires brémois qui avoient pris cent quatre-vingt-dix baleines; cinquante bâtiments de Hambourg, qui en avoient harponné cinq cent quinze; et cent vingt-un vaisseaux hollandois, qui en avoient pris douze cent cinquante-deux. Pendant près d’un siècle, on n’a pas eu besoin, 112 HISTOIRE NATURELLE pour trouver de grandes troupes de ces cétacés, de | toucher aux plages de glace : on se contentoit de faire voile vers le Spitzberg et les autres îles du Nord; et l’on fondoit dans les fourneaux de ces contrées boréa- les une si grande quantité d'huile de baleine , que les navires pêcheurs ne suflisoient pas pour la rapporter, et qu'on étoit obligé d'envoyer chercher une partie considérable de cette huile par d'autres bâtiments. Lorque ensuite les baleines franches furent deve- nues si farouches dans les environs de Smeerenbourg et des autres endroits fréquentés par les pêcheurs, qu'on ne pouvoit plus ni les approcher, ni les sur- prendre, ni les tromper et les retenir par des appâts, on redoubla de patience et d'efforts. On ne cessa de les suivre dans leurs retraites successives. On put d’au- tant plus aisément ne pas s’écarter de leurs traces, que ces animaux paroissoient n’abandonner qu’à re- gret les plages où ils avoient pendant tant de temps vogué en liberté, et les bancs de sable qui leur avoient fourni l’aliment qu'ils préfèrent. Leur migration fut lente et progressive : elles ne s’éloignèrent d’abord qu'à de petites distances; et lorsque, voulant, pour ainsi dire, le repos par dessus tout, elles quittèrent une-patrie trop fréquemment troublée, abandonnè- rent pour toujours les côtes , les baies, les bancs au- près desquels elles étoient nées, et allèrent au loin se réfugier sur les bords des glaces, elles virent arriver leurs ennemis d'autant plus acharnés contre elles, que pour les atteindre ils avoient été forcés de braver les tempêtes et la mort. En vain un brouillard, une brume, un orage, un vent impétueux, empêchoient souvent qu'on ne pour: DES BALEINES. 119 suivit celles que le harpon avoit percées; en vain ces cétacés blessés s’'échappoient quelquefois à de si gran- des distances, que l'équipage du canot pêcheur étoit obligé de couper la ligne attachée au harpon, et qui, l’entrainant avec vitesse , l’auroit bientôt assez éloigné des vaisseaux pour qu'il fût perdu sur la surface des mers; en vain les baleines que la lance avoit*ensan- glantées, avertissoient par leur fuite précipitée celles que l’on n’avoit pas encore découvertes, de l’appro- che de l’ennemi : le courage ou plutôt l'audace des pêcheurs surmontoit tous les obstacles. [ls montoient au haut des mâts pour apercevoir de loin les cétacés qu'ils cherchoient ; ils affrontoient Îles glaçons flot- tants, et, voulant trouver leur salut dans le danger même , ils amarroient leurs bâtiments aux extrémités des glaces mouvantes. Les baleines, fatiguées enfin d’une guerre si lon- gue et si opiniâtre, disparurent de nouveau, s’enfon- cèrent sous les glaces fixes, et choisirent particulière- ment leur asile sous cette croûte immense et congelée que les Bataves avoient nommée Westys (la glace de l’ouest ). , Les pêcheurs allèrent jusqu’à ces glaces immobi- les ,au travers de glaçons mouvants, de montagnes flottantes, et par conséquent de tous les périls ; ils les investirent ; et s’approchant dans leurs chaloupes de ces bords glacés, ils épièrent avec une constance mer- veilleuse les moments où les baleines étoient con- iraintes de sortir de dessous leur voûte gelée et pro- tectrice, pour respirer l'air de l'atmosphère. Immédiatement avant la guerre de 1744, les Bas- ques se livroient encore à ces nobles et périlleuses 14 HISTOIRE NATURELLE entreprises, dont ils avoient les premiers donné le: glorieux exemple. ‘ Bientôt après, les Anglois donnèrent de nouveaux encouragements à la pèche de la baleine, par la for- mation d'une société respectable, par l’assurance d'un intérêt avantageux, par une prime tres forte, par de grandes récompenses distribuées à ceux dont la pèche avoit été la plus abondante, par des in- demnités égales aux pertes éprouvées dans les pre- mières tentalives, par une exemption de droits sur les objets d'approvisionnement, par la liberié la plus il- limitée accordée pour la formation des équipages que dans aucune circonstance une levée forcée de mate- lo‘s ne pouvoit atteindre ni AUieteR Avant la révolution qui a créé les États-Unis, les habitants du continent de l'Amérique septentrionale avoient obtenu , dans la pêche de la baleine, des sue- cès qui présageoient ceux qui leur étoient réservés. Dès 1565, Anticost, Rhode-fsland, et d’autres villes américaines, avoient armé un grand nombre de na- vires. Deux ans après, les Bataves envoyèrent cent trente-deux navires pêcheurs sur les côtes du Groen- land, et trente-deux au détroit de Davis. En 1568, le grand Frédéric, dont les vues politiques éloient aussi admirables que les talents militaires, ordonna quela ville d'Embden équipât plusieurs navires pour la pè- che des baleines franches. En 1774, une compagnie suédoise, très favorisée, fut établie à Gothembourg , pour envoyer pècher dans le détroit de Davis et près des rivages du Groenland. En 19795, le roi de Dane- mark donna des bâtiments de l'État à une compagnie établie à Berghem pour le même objet. Le parlement DES BALEINES. 115 d'Angleterre augmenta, en 1770, les faveurs dont jouissoient ceux qui prenoient part à la pêche de la baleine. Le gouvernement françois ordonna, en 1784, qu’on armât à ses frais six bâtiments pour la même pêche, et engagea plusieurs familles de l’île de Nan- tuckett, très habiles et très exercées dans l’art de la pêche, à venir s'établir à Dunkerque. Les Hambour- geois ont encore envoyé, en 1709, trente-deux navi- res au Groenland, ou au détroit de Davis. Et com- ment un peuple navigateur et éclairé n’auroit-il pas: cherché à commencer, conserver ou perfectionner des entreprises qui procurent une si grande quantité d’ob- jets de commerce nécessaires ou précieux, emploient tant de constructeurs, donnent des bénéfices consi- dérables à tant de fournisseurs d’agrès, d’apparaux ou de vivres, font mouvoir tant de bras, et forment les matelots les plus sobres, les plus robustes, les plus expérimentés, les plus intrépides ? En considérant un si grand nombre de résultats importants, pourrait-on être étonné de lattention, des soins, des précautions multipliées, par lesquels on tâche d’assurer ou d'accroître les succès de la pêche de la baleine ? Les navires qu'on emploie à cette pêche ont ordi- nairement de trente-cinq à quarante mètres de lon- sueur. On les double d’un bordage de chêne assez épais et assez fort pour résister au choc des glaces. On leur donne à chacun depuis six jusqu’à huit ou neuf chaloupes, d'un peu plus de huit mètres de lon- sueur, de deux mètres ou environ de largeur, et d’un mètre de profondeur, depuis le plat-bord jusqu’à la quille. Un ou deux barponneurs sont destinés pour 110 HISTOIRE NATURELLE chacune de ces chaloupes pêcheuses. On les choisit assez adroits pour percer la baleine, encore éloignée, dans l’endroit le plus convenable ; assez habiles pour diriger la chaïcupe suivant la route de la baleine fran- che, même lorsqu'elle nage entre deux eaux; et assez expérimentés pour juger de l’endroit où ce cétacé élèvera le sommet de sa tête au dessus de la surface de la mer, afin de respirer par ses évents l’air de l’at- mosphère. Le harpon qu'ils lancent est un dard un peu pesant et triangulaire, dont le fer, long de près d'un mètre, doit être doux, bien corroyé, très affilé au bout, tran- chant des deux côtés, et barbelé sur ses bords. Ce fer, ou le dard proprement dit, se termine.par une douille de près d’un mètre de longueur, et dans la- quelle on fait entrer un manche très gros, et long de deux ou trois mètres. On attache au dard même, ou à sa douille , la ligne, qui est faite du plus beau chan- vre, et que l’on ne goudronne pas, pour qu'elle con- serve sa flexibilité, malgré le froid extrême que l’on éprouve dans les parages où l’on fait la pêche de la baleine. La lance dont on se sert pour cette pêche diffère du harpon, en ce.que le fer n’a-pas d'ailes ou oreilles qui empêchent qu'on ne la retire facilement du corps de la baleine, et qu'on n’en porte plusieurs coups de suite avec force et rapidité. Elle a souvent cinq mètres de long , et la longueur du fer est à peu près le tiers de la longueur totale de cet instrument. Le printemps est la saison la plus favorable pour la pêche des baleines franches, aux degrés très voisins du pôle. L'été l’est beaucoup moins. En effet, la cha- DES BALEINES. 117 ieur du soleil, après le solstice, fondant la glace en différents endroits, produit des ouvertures très larges dans les PORÈRE de plages congelées où la croûte étoit le moins épaisse. Les bABIUES quittent alors les bords des immenses banes de glace, même lorsqu'elles ne sont pas poursuivies. Elles parcourent de très grandes distances au dessous de ces champs vastes et endurcis, parce qu'elles respirent facilement dans cette vaste retraite, en nageant d'ouverture en ou- verture ; et les pêcheurs peuvent d'autant moins les suivre dans ces espaces ouverts ; que les glaçons dé- tachés qui y flottent briseroient ou arrêteroient les canots que l’on voudroit y faire voguer. D'ailleurs, pendant le printemps les baleines trou- vent, en avant des champs immobiles de glace, une nourriture abondante et convenable. Il est sans doute des années et des parages où l’on ne peut que pendant l'été ou pendant l'automne sur- prendre les baleines, où se rencontrer avec leur passage; mais on a souvent vu, dans le mois d'avril ou de mai, un si grand nombre de baleines franches réunies entre le soixante-dix-septième et le soixante- dix-neuvième degré de latitude nord, que l’eau lan- cée par leurs évents, et retombart en pluie plus où moins divisée, représentoit de loin la fumée qui s’é- lève au dessus d’une immense capitale. Néanmoins les pêcheurs qui, par exemple, dans le détroit de Davis, ou vers le Spitzberg, pénètrent très avant au milieu des glaces, doivent commencer leurs tentatives plus tard et les finir plus tôt, pour ne pas s’exposer à des dégels imprévus ou à des gelées subites, dont les effets pourroient leur être funestes. LACÉPEDE. I. Fe) 119 HISTOIRE NATURELLE Au reste, les glaces des mers polaires se présentent aux pêcheurs de baleines dans quatre états différents. Premièrement, ces glaces sont contiguës; secon- dement, elles sont divisées en grandes plages immo- biles; troisièmement , elles consistent dans des bancs de glaçons accumulés; quatrièmement enfin, ces bancs ou montagnes d’eau gelée sont mouvants, et les courants, ainsi que les vents, les entraînent. Les pêcheurs hollandois ont donné le nom de champs de glace aux espaces glacés de plus de deux milles de diamètres; de bancs de glace, aux espaces gelés dont le diamètre a moins de deux milles, mais plus d’un demi-mille; et de grands glaçons, aux es- paces glacés qui n’ont pas plus d’un demi-mille de diamètre. On rencontre vers le Spitzherg de grands bancs de glace qui ont quatre ou cinq myriamètres de circon- férence. Comme les intervalles qui les séparent for- ment une sorte de port naturel, dans lequel la mer est presque toujours tranquille, les pêcheurs s’y éta- blissent sans crainte; mais ils redoutent de se placer entre les petits bancs qui n’ont que deux ou trois cents mètres de tour, et que la moindre agitation de l'océan peut rapprocher les uns des autres. Ils peu- vent bien, avec des ga/jfes ou d’autres instruments, détourner de petits glaçons. [ls ont aussi employé souvent avec succès, pour amortir le choc des glaçons plus étendus et plus rapides, le. corps d’une baleine dépouillée de son lard, et placé sur le côté et en de- hors du bâtiment. Mais que servent ces précautions ou d’autres semblables contre ces masses durcies et mobiles qui ont plus de cinquante mètres d’élévation? DES BALEINES. 119 ce n’est que lorsque ces glaçons £tendus et flottants sont très éloignés l’un de l’autre qu'on ose pêcher la baleine dans les vides qui les séparent. On cherche un banc qui ait au moins trois ou quatre brasses de profondeur au dessous de la surface de l’eau, et qui soit assez fort par son volume , et assez stable par sa masse, pour retenir le navire qu'on y amarre. Il est très rare que l'équipage d’un seul navire puisse poursuivre en même temps deux baleines au milieu des glaces mouvantes. On ne hasarde une seconde attaque que lorsque la baleine franche, harponnée et suivie, est entièrement épuisée et près d’expirer. Mais dans quelque parage que l’on pèche, dès que le matelot guetteur , qui est placé dans un point élevé du bâtiment, d’où sa vue peut s'étendre au loin, apercoit une baleine’, il donne le signal convenu; les chaloupes partent ; et à force rames, on s’avance en silence vers l’endroit où on l’a vue. Le pêcheur le plus hardi et le plus vigoureux est debout sur l’avant de sa chaloupe, tenant le harpon de la main droite. Les Basques sont fameux par leur habileté à lancer cet instrument de mort. Dans les premiers temps de la pêche de la baleine, on approchoit le plus possible de cet animal, avant de lui donner le premier coup de harpon. Quelquefois même le harponneur ne l’attaquoit que lorsque la chaloupe étoit arrivée sur le dos de ce cétacé. Mais le plus souvent, dès que la chaloupe est par- venue à dix mètres de la baleine franche , le harpon- neur Jette avec force le harpon contre l’un des endroits les plus sensibles de l’animal , comme le dos, le dessous du ventre , les deux masses de chair mollasse qui sont 120 HISTOIRE NATURELLE à côté des évents. Le plus grand poids de l'instrument étant dans le fer triangulaire, de quelque manière qu'il soit lancé sa pointe tombe et frappe la première. Une ligne de äeuze brasses ou environ est attachée à ce fer, et prolongée par d’autres cordages. Albert rapporte que de son temps des pêcheurs, au lieu de jeter le harpon avec la main, le lancoient par le moyen d’une baliste; et le savant Schneider fait observer que les Anglois, voulant atteindre la ba- leine à une distance bien supérieure à celle de dix mètres, ont renouvelé ce dernier moyen, en rem- plaçant la baliste par une arme à feu, et en substi- tuant le harpon à la balle de cette arme , dans le canon de laquelle ïls font entrer le manche de cet instru- ment !. Les Hollandois ont employé, comme les An- glois, une sorte de mousquet pour lancer le harpon avec moins de danger et avec plus de force et de fa- cilité ?. À l'instant où la baleine se sent blessée, elle s’é- chappe avec vitesse. Sa fuite est si rapide, que si la corde, formée par toutes les lignes qu’elle entraîne, lui résistoit un instant, la chaloupe chavireroit et cou- leroit à fond : aussi a-t-on le plusgrand soin d'empêcher que cette corde ou ligne générale ne s'accroche ; et de plus, on ne cesse de la mouiller, afin que son frot- tement contre le bord de la chaloupe ne l’enflamme pas et n’allume pas le bois. Cependant l'équipage, resté à bord du vaisseau, 1. Petri Artedi Synonymia piscium, etc., auctore J. G. Schnei- der, etc., pag. 163. 2. Histoire des pêches des Hollandois dans les mers du Nord, tra- duction françoïise de M. Dereste, tome Ï, pag. 91. DES BALCINES. 123 observe de loin les manœuvres de la chaloupe. Lors- qu'il croit que la baleine s’est assez éloignée pour avoir obligé de filer la plus grande partie des cordages, une seconde chaloupe force de rames vers la pre- nière, et attache successivement ses lignes à celles qu’emporte le cétacé. Le secours se fait-il attendre? les matelots de la chaloupe l’appellent à grands cris. Îls se servent de orands porte-voix ; ils font entendre leurs trompes ou cornets de détresse. [ls ont recours aux deux Hi- unes qu’ils nomment lignes de réserve ; ils font deux tours de la dernière qui leur reste; ils l’attachent au bord de leur nacelle; ils se laissent remorquer par l'énorme animal; ils relèvent de temps en temps la chaloupe qui s'enfonce presque jusqu’à fleur d’eau, en laissant couler peu à peu cette seconde ligne de réserve, leur dernière ressource ; et enfin, s'ils ne voient pas la corde extrèmement longue et violem- ment tendue se casser avec effort, ou le harpon se détacher de la baleine en déchirant les chairs du cé- tace, ils sont forcés de couper eux -mêmes cette corde, et d'abandonner leur proie , le harpon et leurs lignes, pour éviter d’être précipités sous les glaces, ou en- gloutis dans les abîmes de l'océan. Mais lorsque le service se fait avec exactitude, la seconde chaloupe arrive au moment convenable; les autres la suivent, etse placent autour de la première, à la distance d’une portée canon l’une de l’autre, pour veiller sur un plus grand chämp. Un pavillon par- ticuhier nommé gaillardet , etélevé sur le vaisseau, in- dique ce que l’on reconnoît, du haut des mâts, de la route du céiacé. La baleine , tourmentée par la dou- 122 HISTOIRE NATURELLE leur que lui cause sa large blessure, fait les plus grands efforts pour se délivrer du harpon qui la déchire ; elle s’agite, se fatigue, s’'échauffe ; elle vient à la surface de la mer chercher un air qui la rafraîchisse et lui donne des forces nouvelles. Toutes les chaloupes vo- guent alors vers elle; le harponneur du second de ces bâtiments lui lance un second harpon; on l’atta- que avec la lance. L'animal plonge, et fuit de nouveau avec vitesse; on le poursuit avec courage; on le suit avec précaution. Si la corde attachée au second har- pon se relâche, et surtout si elle flotte sur l’eau, on est sûr que le cétacé est très afloibli, et peut-être déjà mort; on la ramène à soi; on la retire, en la disposant en cercles ou plutôt en spirales, afin de pouvoir la filer de nouveauavec facilité, si le cétacé, par un dernier effort, s'enfuit une troisième fois. Mais quel- ques forces que la baleine conserve après la seconde attaque , elle reparoît à la surface de l'océan beaucoup plus tôt qu'après sa première blessure. Si quelque coup de lance a pénétré jusqu’à ses poumons, le sang sort en abondance par ses deux évents. On ose alors s'approcher de plus près du colosse ; on le perce avec la lance; on le frappe à coups redoublés; on tâche de faire pénétrer l’arme meurtrière au défaut des côtes. La baleine, blessée mortellement, se ré- fugie quelquefois sous des glaces voisines : mais la dou- leur insupportable que ses plaies profondes lui font éprouver, les harpons d#élle emporte, qu'elle se- coue , et dont le mouvement agrandit ses blessures, sa fatigue extrême, son affoiblissement que chaque instant accroît, tout l’oblige à sortir de cet asile. Elle ne suit plus dans sa fuite de direction détermi- DES BALEINES. 129 née. Bientôt elle s'arrête ; et réduite aux abois, elle ne peut plus que soulever son énorme masse, et chercher à parer avec ses nageoires les coups qu'on lui porte encore. Redoutable cependant lors même qu’elle expire, ses derniers moments sont ceux du plus grand des animaux. Tant qu'elle combat encore contre la mort, on évite avec effroi sa terrible queue, dont un seul coup feroit voler la chaloupe en éclats; on ne manœuvre que pour l'empêcher d'aller termi- ner sa cruelle agonie dans des profondeurs recou- vertes par des banes de glace, qui ne permettroient d’en retirer son cadavre qu'avec beaucoup de peine. Les Groenlandois, par un usage semblable à celui qu'Oppien attribue à ceux qui pèchoient de son temps dans la mer Atlantique, attachent aux harpons qu'ils lancent , avec autant d'adresse que d’intrépidité, con- tre la baleine, des espèces d’outres faites avec de la peau de phoque, et pleines d’air atmosphérique. Ces outres très légères, non seulement font que les har- pons qui se détachent flottent et ne sont pas perdus, mais encore empêchent le cétacé blessé de plonger dans la mer , et de disparoître aux yeux des pècheurs. Elles augmentent assez la légèreté spécifique de la- nimal, dans un moment où l’affoiblissement de ses forces ne permet à ses nageoires el à sa queue de lutter contre cette légèreté qu'avec beaucoup de dés- avantage , pour que la petite différence qui existe or- dinairement entre cette légèreté et celle de l’eau salée s'évanouisse, et que la baleine ne puisse pas s’en- foncer, Les habitants de plusieurs îles voisines du Kamts- chatka vont, pendant l’automne, à la recherche des 124 HISTOIRE NATURELLE baleines franches, qui abondent alors près de leurs côtes. Lorsqu'ils en trouvent d’endormies, ils sem approchent sans bruit, et les percent avec des dards empoisonnés. La blessure, d’abord légère, fait bien- tôt éprouver à l'animal des tourments insupportables: il pousse, a-t-on écrit, des mugissements horribles, s'enfle et périt. Duhamel dit, dans son Traité des pêches, que plu- sieurs témoins oculaires, dignes de foi, ont assuré les faits suivants. Dans l'Amérique septentrionale, près des rivages de la Floride, des sauvages, aussi exercés à plonger qu'à nager, etaussi audacieux qu’adroits, ont pris des baleines franches, en se jetant sur leur tête, enfon- çant dans un de leurs évents un long cône de bois, se cramponnant à ce cône, se laissant entraîner sous l'eau, reparoïssant avec l'animal, faisant entrer un autre cône dans le second évent, réduisant ainsi les baleines à ne respirer que par l’ouverture de leur gueule, et les forçant à se jeter sur la côte, ou à échouer sur des bas-fonds, pour tenir leur bouche ouverte sans avaler un fluide qu’elles ne pourroient plus rejeter par des évents entièrement bouchés. Les pêcheurs de quelques contrées sont quelque- fois parvenus à fermer, avec des filets très forts, len- trée très étroite d’anses dans lesquelles des baleines avoient pénétré pendant la haute mer, et où, laissées à sec par la retraite de la marée, que les filets les ont empêchées de suivre, elles se sont trouvées livrées sans défense aux lances et aux harpons. Lorsqu'on s’est'assuré quela baleine est morte, ou si affoiblie. au’onn’a plus à craindre qu'une blessurenou- DES BALEINES. 195 velle lui redonne un accès de rage dont les pêcheurs seroient à l'instant les victimes, on la remetgdans sa position naturelle, par le moyen de cordages fixés à deux chaloupes qui s’éloignent en sens contraire, si elle s’étoit tournée sur un de ses côtés ou sur son dos. On passe un nœud coulant par dessus la nageoire de Ja queue, ou on perce celte queue pour y attacher une corde; on fait passer ensuite un Funin au travers des deux nageoires pectorales qu’on a percées, on Îles ramène sur le ventre de l'animal ; on les serre avec force, afin qu’elles n’opposent aucun obstacle aux rameurs pendant la remorque de la baleine; et les chaloupes se préparent à l’entraîner vers le navire ou vers le rivage où l’on doit la dépecer. Si l’on tardoit trop d’attacher une corde à l'animal expiré, son cadavre dériveroit, et. entraîné par des courants ou par l'agitation des vagues, pourroit échap- per aux matelots, ou, dénué d’une assez grande quantité de matière huileuse et légère, s’enfonceroit, et ne remonteroit que lorsque Îa putréfaction des organes intérieurs l’auroit gonflé au point d'aug- menter beaucoup son volume. L'auteur de l’Histoire des pêches des Hollandois dans les mers du Nord fait observer avec soin que, si l’on remorquoit la baleine franche par la tête, la gueule énorme de ce cétacé, qui est toujours ouverte après la mort de l'animal, parce que la mâchoire inférieure n’est plus maintenue contre celle d’en-haut, seroit comme une sorte de gouffre, qui agiroit sur un im- mense volume d’eau, et feroit éprouver aux rameurs une résistance souvent insurmontable. Lorsqu'on à amarré le cadavre d’une baleine franche 120 HISTOIRE NATURELLE au navire, et que son volume n’est pas trop g orand rela- tivement aux dimensions du vaisseau, les chaloupes vont souvent à la recherche d’autres individus, avant qu'on ne s'occupe de dépecer la première baleine. Mais enfin on prépare deux Palans, l'un pour tourner le cétacé, et l’autre pour tenir sa gueule élevée au dessus de l’eau, de manière qu’elle ne puisse pas se remplir. Les dépeceurs garnissent leurs bottes de crampons, afin de se tenir fermes ou de marcher en sûreté sur la baleine; et les opérations du dépé- cement commencent. Elles se font communément à bâbord. Avant tout, on tourne un peu f’animal sur lui-même par le moyen d’un Palan fixé par un bout au mâtde misaine, et atta- ché par l’autre à la queue de la baleine. Cette manœu- vre fait que la tête du cétacé, laquelle se trouve du côté de la poupe, s'enfonce un peu dans l’eau. On la relève, etun funin serre assez fortement une mâchoire contre l’autre , pour que les dépeceurs puissent mar- cher sur la mâchoire inférieure sans courir le danger de tomber dans la mer, entraînés par le mouvement de cette mâchoire d’en-bas. Deux dépeceurs se pla- cent sur la tête et sur le cou de la baleine; deux h arponneurs se mettent sur son dos; et des aides, distribués dans deux chaloupes, dont l’une est à l’a- vant et l’autre à l’arrière de l'animal, éloignent du ca- davre les oiseaux d’eau, qui se précipiteroient hardi- mentet en grand nombre surla chair et sur le lard du cétacé. Cette occupation a fait donner à ces aides le nom de Cormorans. Leur fonction est aussi de four- nir aux travailleurs les instruments dont ces derniers peuvent avoir besoin. Les principaux de ces instru- DES BALEINES. 127 ments consistent dans des couteaux de bon acier, nommés T'ranchants, dont la longueur est de deux tiers de mètre, et dont le manche a deux mètres de long; dans d’autres couteaux, dans des mains de fer, dans des crochets, etc. Le dépécement commence derrière la tête, très près de l’œil. La pièce de lard qu’on enlève, et que l’on nomme pièce de revirement, a deux tiers de mè- tre de largeur; on la lève dans toute la longueur de la baleine. On donne communément un demi-mètre de large aux autres bandes, qu'on coupe ensuite, et qu’on lève toujours de la tête à la queue, dans toute l'épaisseur de ce lard huileux. On tire ces différentes bandes dessus le navire, par le moyen de crochets; on les traîne sur le tillac, et on les fait tomber dans la cale, où on les arrange. On continue alors de tour- ner la baleine , afin de metire entièrement à découvert le côté par lequel on a commencé le dépécement , et de dépouiller la partie inférieure de ce même côté, sur jaquelle on enlève les bandes huileuses avec plus de facilité que sur le dos, parce que le lard y est moins épais. Quaud cette dernière opération est terminée, on travaille au dépouillement de la tête. On coupe la langue très profondément, et avec d'autant plus de soin , que celle d’une baleine franche ordinaire donne communément six tonneaux d'huile. Plusieurs pè- cheurs cependant ne cherchent à extraire cette huile que lorsque Îa pêche n’a pas été abondante: on a prétendu qu'elle étoit plus sèche que les huiles pro- venues des autres parties de la baleine; qu’elle étoit assez Corrosive pour altérer les chaudières dans les- 120 HISTOIRE NATURELLE quelles on la faisoit couler ; et que c’étoit principale- ment cette huile extraite de la langue que les ouvriers employés x découper le lard prenoient garde de laisser rejaillir sur leurs mains ou sur leurs bras, pour ne pas être incommodés au point de courir le danger de devenir perclus. Pour enlever plus facilement les fanons, on soulève la tête avec une Æmure fixée au pied de Ÿ Artimon ; et trois crochets attachés aux Palans dont nous avons parlé, et enfoncés dans la partie supérieure du mu- seau, font ouvrir la gueule au point que les dépeceurs peuvent couper les racines des fanons. On s'occupe ensuite du dépécement du second côté de la baleine franche. On achève de faire tourner Île cétacé sur son axe longitudinal; et on enlève le dard du second côté, comme on a enlevé celui du premier. Mais comme, dans le revirement de l’animal, la partie inférieure du second côté est celle qui se présente la première, la dernière bande dont ce même côté est dépouillé est la grande pièce dite de revirement. Cette grande bande a ordinairement dix mètres de longueur, lors même que le cétacé ne fournit que deux cent cinquante myriagramines d'huile, et cent myriagram- mes de fanons. | Ii est aisé d'imaginer les différences que l’on intro- duit dans les opérations que nous venons d'indiquer. si on dépouille la baleine sur la côte ou près du ri- vage, au lieu de la dépecer auprès du vaisseau. Lorsqu'on a fini d'enlever le jard , la langue et les fanons, on repousse et laisse aller à la dérive la car- casse gigantesque de la baleine franche. Les oiseaux d’eau s’attroupent sur ces restes immenses, quoiqu'ils DES BALEINES. 120 soient moins attirés par ces débris que par un cadavre qui n’est pas encore dénué de graisse. Les ours mari- times s’assemblent aussi autour de cette masse flot- tante, et en font curée avec avidité. Veut-on cependant arranger le lard dans les ton- neaux ? On le sépare de la couenne. On le coupe par morceaux de trois décimètres carrés de surface ou environ, et on entasse ces morceaux dans les tonnes. Veut-on le faire fandre, soit à bord du navire, comme les Basques le préféroient; soit dans un atelier établi à terre, comme on le fait dans plusieurs con- trées, et comme les Hollandois l'ont pratiqué pendant long-temps à Smeerenbourg dans le Spitzberg? On se sert de chaudières de cuivre rouge, ou de fer fondu. Ces chaudières sont très grandes : ordinai- rement elles contiennent chacune environ cinq ton- neaux de graisse huileuse. On les pose sur un four- neau de cuivre ; et on les y maçonne pour éviter que la chaudière, en se renversant sur le feu, n’allume un incendie dangereux. On met de l’eau dans la chaudière avant d’y jeter le lard, afin que cette graisse ne s'attache pas au fond de ce vaste récipient, et ne s’y grille pas sans se fondre. On le remue d’ailleurs avec soin, dès qu'il commence à s’échauffer. Trois heures après le commencement de l'opération, on puise l’huile toute bouillante, avec de grandes cuil- lers de cuivre; on Îa verse sur une grille qui recouvre un grand baquet de bois : la grille purifie Fhuile, en retenant les morceaux, pour ainsi dire, infusibies, que l’on nomme Lardons!. 1. On remet ces lardons dans la chaudière, pour en tirer une colle i90 HISTOIRE NATURELLE L'huile, encore bouillante, coule du premier ba- quet dans un second, que l’on a rempli aux deux tiers d’eau froide, et auquel on a donné communément un mètre de profondeur, deux de large, et cinq ou six de long. L'huile surnage dans ce second baquet, se refroidit, et continue de se purifier en se séparant des matières étrangères qui tombent au fond du ré- servoir. On la fait passer du second baquet dans un troisième, et du troisième dans un quatrième. Ces deux derniers sont remplis, comme le second, d’eau froide, jusqu'aux deux tiers; l’huile achève de s’y . perfectionner ; et du dernier baquet on la fait entrer, par une longue gouttière, dans les tonneaux destinés à la conserver ou à la transporter au loin. Au reste, moins le temps pendant lequel on garde le lard dans les tonnes est long, et plus l'huile qu’on en retire doit être recherchée. L'huile et les fanons de la baleine franche ne sont pas les seules parties utiles de cet animal. Les Groen- landois , et d’autres habitants des contrées du Nord, trouvent la peau et les nageoires de ce cétacé très agréables au goût. Sa chair fraîche ou salée a souvent servi à la nourriture des équipages basques. Le capi- taine Colnett rapporte que le cœur d’une jeune ba- leine qui n’avoit encore que cinq mètres de longueur, et que ses matelots prirent au mois d'août 1793, près de Guatimala, dans le grand Océan équinoxial, parut un mets exquis à son équipage. Les intestins de la baleine franche servent à remplacer le verre des fe- nètres ; les tendons fournissent des fils propres à faire qui sert à différents usages; et après l'extraction de cette colle, on em- ploie à nourrir des chiens le marc épais qui reste au fond de la .uve. DES BALEINES. 135 des filets ; on fait de très bonnes lignes avec les poils qui terminent les fanons ; et on emploie dans plu- sieurs pays les côtes et les grands os des mâchoires pour composer la charpente des cabanes, ou pour mieux enclore des jardins et des champs. Les avantages que l’on retire de la pêche des ba- leines franches ont facilement engagé dans nos temps modernes les peuples entreprenants et déjà familia-: risés avec les navigations lointaines à chercher ces cétacés partout où ils ont espéré de les trouver, On les poursuitmaintenant dans l'hémisphère austral comme dans l’hémisphère arctique, et dans le grand Océan boréal comme dans l'Océan atlantique septentrional: on les y pêche même, au moins très souvent, avec plus de facilité, avec moins de danger, avec moins de peine. On lies atteint à une assez grande distance du cercle polaire, pour n'avoir pas besoin de braver les rigueurs du froid , ni les écueils de glace. Le ‘capi- taine Colnett trouva, par exemple, un grand nombre de ces animaux vers le quarantième degré de lati- tude australe , auprès de l’île Mocha et des côtes oc- cidentales du Chili; et à la même latitude , ainsi que: dans le même hémisphère, et vers le trente-septième degré de longitude occidentale du méridien de Pa- ris, il avoit vu, peu de temps auparavant , de si grandes troupes de ces baleines, qu'il les crut assez nombreu- ses pour fournir toute l'huile que pourroit emporter la moitié des vaisseaux baleiniers de Londres, Cette multitude de baleines disparoîtra cependant dans l'hémisphère austral de même que dans le boréal. 1. Voyage du capitaine Jacques Colnett , déjà cité. 192 HISTOIRE NATURELLE La plus grande des espèces s'éteindra comme tant d’autres. Découverte dans ses retraites les plus ca- chées , atteinte dans ses asiles les plus reculés, vain- cue par la force irrésistible de l'intelligence humaine, elle disparoîtra de dessus le globe ; il ne restera pas même l'espérance de la retrouver dans quelque partie de la terre non encore visitée par des voyageurs civi- lisés, comme on peut avoir celle de découvrir dans les immenses solitudes du nouveeu continent l’Éle- phant de l'Ohio et le Mégathérium®. Quelle portion de l'Océan n’aura pas été en effet traversée dans tous les sens? quel rivage n’aura pas été reconnu ? de 1. M. Jefferson, l'illustre président des États-Unis, m'écrit, dans une lettre du 24 février 1805, qu'ainsi que je l’avois prévu et annoncé dans le Discours d'ouverture de mon Cours de zoologie de l'an IX, ïl va faire faire un voyage pour reconnoître les sources du Missouri, et pour découvrir une rivière qui, prenant son origine très près de ces sources, ait son embouchure dans le grand Océan boréal. « Ge voyage, » dit M. Jefferson, accroîtra nos connoissances sur la géographie de » notre continent, en nous donnant de nouvelles lumières sur cette » intéressante ligne de communication au travers de l'Amérique sep- » tentrionale, el nous procurera une vue générale de sa population, » de son histoire naturelle, de ses productions, de son sol et de son » climat. Il n’est pas improbable, ajoute ce respectable et savant pre- » mier magistrat, que ce voyage de découverte ne nous fasse ayoir » des informalions ultérieures sur le Mammoth (l'éléphant de l'Ohio) » et sur le Mégathérium dont vous parlez. Vous avez vraisemblablement » vu, dans nos Transactions philosophiques, qu'avant de connoître la » notice que M. Cuvier à donnée de ce mégathérium, nous avions » trouvé ici des restes d’un énorme animal inconnu, que nous avons » nommé Mégalonyx, à cause de la longueur disproportionnée de ses » ougles, et qui est probablement le même animal que le mégathé- » rium ; et qu'il y avoit ici des traces de son existence récente et même » présente. La route que nous allons découvrir nous mettra peut-être » à même de n’avoir plus aucun doute à ce sujet. Le voyage sera ter- miné dans deux étés. » & DES BALEINES, 193 quelles plages gelées les deux zones glaciales auront- elles pu dérober les tristes bords? On ne verra plus que quelques restes de cette espèce gigantesque : ses débris deviendront une poussière que les vents dis- perseront , et elle ne subsistera que dans le souvenir des hommes et dans les tableaux du génie. Tout di- mninue et dépérit donc sur le globe. Quelle révolu- tion en remontera les ressorts? La nature n’est im- mortelle que dans son ensemble ; et si l’art de l’homme embellit et ranime quelques uns de ses ouvrages, combien d’autres qu’il dégrade, mutile et anéantit ! LACÉPEDE, I. 9 154 HISTOIRE NATURELLE LA BALEINE NORDCAPER. Balæna glacialis, KreiN., Linn., Bonn. , Cuv.?. CE cétacé vit dans la partie de l'Océan atlantique septentrional située entre le Spitzhberg, la Norwége 1. Voyez les planches IT et III. 2. Sarde. Baleine de Sarde. Nordkaper, par les Allemands. Idem, en Norwége. Sildqual, ibid. Lilie-hual, ibid. Gr US Nordkapper, dans le Groenland. Balæna mysticetus, var. B. Linné, édition de Gmelin. Balæna islandica, bipinnis ex nigro candicans, dorso lævi. Briss. Regn. anim., pag. 850, n° 2. Balæna glactalis. Klein, Miss., pisc. 2, pag. 12. Autre espèce, qu'on appelle Nordkapper. Eggede, Groenland. p. 53. Nordcaper. Anders. Island., pag. 219. Idem, Cranz, Groenland., pag. 145. Baleine Nordcaper. Bonnaterre , planches de l'Encyclopédie métho- dique. Horrebows, Description d'Isiande, pag. 309. Rai. Pisc., pag. 17. Nordcaper. Édition de Bloch, donnée par R. R. Castel, ete. Nordeaper. Valmont-Bomare, Dictionnaire d'histoire naturelle. C’est avec beaucoup d'empressement que nous engageons nos lec- teurs à consulter les articles relatifs aux cétacés qu'ils trouveront dans l'Encyclopédie méthodique, et dans les Dictionnaires d'histoire natu: Cetace s DES BALEINES. 155 et l'Islande. Il habite aussi dans les mers du Groen- land , où un individu de cette espèce a été dessiné, en 1779, par M. Bachstrom, dont le travail, remis dans le temps à sir Joseph Banks, m'a été envoyé il y a trois mois par cet illustre président de la société royale de Londres. Il paroît qu'on l’a trouvé d’ailleurs dans les eaux du Japon, et par conséquent dans le grand Océan boréal, vers le quarantième degré de la- titude. à Son corps est plus allongé que celui de la baleine franche. La mâchoire inférieure est au contraire très arron- die, très haute, et plus large, à proportion de celle d’en-haut, que dans le plus grand des cétacés. La forme générale de la tête, vue par dessus et par des- sous, est celle d’un ovale tronqué par derrière, et un peu échancré à l’extrémité du museau. Parmi les des- sins de M. Bachstrom, que nous avons fait graver, il en est un qui montre d'une manière particulière cette forme ovale présentée et maintenue par les deux os de la mâchoire inférieure. Ces deux os, réunis sur le devant par un cartilage qui en lie les extrémités poin- tues, et terminés par deux apophyses, dont l’une s’ar- ticule avec l’humerus, forment comme le cadre d’un ovale presque parfait. L'ensemble de la tête et les fanons sont cependant relle, ainsi que dans les différentes éditions de Buffon que l’on vient de publier, ou dont la publication n’est pas encore terminée. Les au- teurs de ces Dictionnaires, et des additions importantes que ces éditions renferment, sont trop célèbres pour que nous devions les indiquer aux ainis des sciences naturelles. 136 HISTOIRE NATURELLE plus petits dans le nordcaper que dans la baleine fran- che, proportionnellement à la longueur totale. Les dimensions du nordcaper sont, d’ailleurs , très inférieures à ceiies de la baleine franche ; et comme il est aussi moins chargé de graisse , même à propor- tion de sa grandeur, il n’est pas surprenant qu'il ne donne souvent que trente tonnes d'huile. Les deux évents représentent deux petits croissants, un peu séparés l’un de l’autre , et dont les convexités sont opposées. L'œil est très petit; et son diamètre le moins court, placé obliquement. Le bord des fanons, qui touche la langue , est garni de crins noirs, qui la préservent d’être blessée par un tranchant trop aigu. La partie de ces mêmes fanons qui rencontre la lèvre inférieure est unie et douce, mais dénuée de crins ou filaments. La longueur de chaque uageoire pectorale excède le cinquième de la longueur totale, et ces deux bras sont situés au delà du premier tiers de cette même longueur. La queue est déliée, très menue à son extrémité, terminée par une nageoire non seulement échancrée, mais un peu festonnée par derrière, et dont les lobes sont si longs, que, du bout extérieur de l’un au bout extérieur de l’autre, il y aune distance égale aux trois septièmes ou environ de la longueur totale du cétacé. On voit sur le ventre du mâle une fente longitudi- nale, dont la longueur est égale au sixième de la lon- gneur de l’animal, et dont les bords se séparent pour laisser sortir le Balenas. DES BALEINES. 197 L’anus est une petite ouverture ronde, située, dans le mâle, au delà de cette fente longitudinale. La couleur du nordcaper est ordinairement d’un gris plus ou moins clair ; ses nuances sont assez uni- formes; et souvent le dessous de la tête paroît un grand ovale d’un blanc très éclatant , au centre et à la circonférence duquel on voit des taches grises ou noirâtres , irrégulières, confuses et nuageuses. Quelque étonnante que soit la vitesse de la baleine franche, celle du nordcaper est encore plus grande. Sa queue, beaucoup plus déliée, et par conséquent beaucoup plus mobile ; sa nageoire caudale, plus éten- due à proportion de son corps ; l’extrémité de sa queue, à laquelle cette nageoire est attachée, plus étroite et plus flexible, lui donnent une rame bien plus large , bien plus vivement agitée , bien plus puis- sante ; et la force avec laquelle il tend à se mouvoir doit en effet être bien considérable, puisqu'il échappe à la poursuite, et, pour ainsi dire, à l'œil, avec la rapidité d’un trait, et que cependant il déplace un très grand volume d’eau. Lors même que le nordcaper nage à la surface de l'océan, il ne montre au dessns de la mer qu’une petite partie de sa tête et de son corps. On peut remarquer aisément sur un des des- sins de M. Bachstrom que la ligne du niveau de l’eau est alors au dessus de la partie la plus haute de l’ou- verture de la gueule ; que la queue, toutes les na- geoires, l'œil, et les deux mâchoires, sont sous l’eau; que le cétacé ne laisse voir que la sommité du dos et celle du crâne ; et qu'il ne tient dans l’atmosphère que ce qu'il ne pourroit enfoncer dans l’eau sans y plonger en même temps les orifices supérieurs de ses évents. 150 HISTOIRE NATURELLE Cette rapidité dans la natation est d'autant plus utile au nordcaper, qu'il ne se nourrit pas unique- ment, comme la baleine franche, de mollusques, de crabes, ou d’autres animaux privés de mouvement progressif, où réduits à ne changer de place qu'avec plus ou moins de difficulté et de lenteur. Sa proie a reçu une grande vitesse. Il préfère, en elfet, les clu- pées, les scombres, les gades, et particulièrement les harenss, les maquereaux, les thons et les morues. Lorsqu'il en a atteint les troupes ou les bancs, il frappe l’eau avec sa queue, et la fait bouillonner si vivement, que les poissons qu'il veut dévorer, étour- dis, saisis et comme paralysés, n’opposent à sa vora- cité ni la fuite, ni l’agnité , ni la ruse. Il en peut ava- ler un si grand nombre, que Willughby compta une trentaine de gades dans l’intérieur d’un nordcaper; que, suivant Martens , un autre nordcaper, pris au- près de Hitland, avoit dans son estomac plus d’une tonne de harengs; et que, selon Horrebows, des pècheurs islandoiïs trouvèrent six cents gades morues encore palpitants, et une grande quantité de clupées sardines, dans un autre individu de la même espèce, qui s’éloit jeté sur le rivage en poursuivant des pois- sons avec trop d’acharnement. Ces clupées, ces scombres et ces gades trouvent quelquefois leur vengeur dans le squale scie. Ennemi audacieux de la baleine franche , il attaque avec encore plus de hardiesse le nordcaper, qui, mal- gré la prestesse de ses mouvements et l’agilité avec laquelle il remue ses armes, lui oppose souvent moins de force, parce qu'il lui présente moins de masse. Martens raconte qu'il fut témoin d’un combat san- DES BALEINES. 139 glant entre un nordcaper et un squale scie. 1l n’osa pas faire approcher son bâtiment du lieu où ces deux terribles rivaux cherchoient à se donner la mort; mais il les vit pendant long-temps se poursuivre, se préci- piter Jun sur l’autre, et se porter des coups si vio- lents, que l’eau de la mer Jjaillissoit très haut autour d’eux, et retomboit en brouillard. Mais le nordcaper n’est pas seulement vif et agile; il est encore farouche : aussi est-il très difficile de l’at- teindre. Néanmoins, lorsque la pèche de la baleine franche n’a pas réussi, on cherche à s’en dédomma- ger par celle du nordcaper. On est souvent obligé d'employer, pour le prendre, un plus grand nombre de chaloupes, et des matelots ou harponneurs plus vifs et plus alertes que pour la pêche de la grande baleine, afin de lui couper plus aisément la retraite. La femelle, dans cette espèce, est atteinte plus faci- lement que le mâle lorsqu'elle a un petit : elle l’aime trop pour vouloir l’abandonner. Cependant, lorsqu'on est parvenu auprès du nord- caper, il faut redoubler de précautions. Il se tourne et retourne avec une force extrême, bondit, élève sa nageoire caudale, devient furieux par le danger, atta- que la chaloupe la plus avancée, et d’un seui coup de queue la fait voler en éclats, ou, cédant à des ef- forts supérieurs, contraint de fuir, emportant le har- pon qui l’a blessé, entraîne jusqu'a mille brasses de corde, et, malgré ce poids aussi embarrassant que lourd, nage avec une telle rapidité, que les matelots, qu’il remorque, pour ainsi dire, peuvent à peine se soutenir, et se sentent suffoquer. Les habitants dela Norwége ont moins de dangers 1/40 HISTOIRE NATURELLE à courir pour se saisir du nordcaper, lorsque cette baleine s'engage dans des anses qui aboutissent à un grand lac de leurs rivages : ils ferment la sortie du lac avec des filets composés de cordes d’écorce d’ar- bre, et donnent ensuite la mort au cétacé, sans être forcés de combattre. Duhamel a écrit qu’on lui avoit assuré que la graisse ou le lard du nordcaper n’avoit pas les qualités mal- faisantes qu'on a attribuées à la graisse de la baleine franche. Au reste, Klein a distingué dans cette espèce deux variétés : l’une, qu'il a nommée ÜVordcaper austral, et dont le dos est très aplati; et l’autre, dont le dos est moins plat, et à laquelle il a donné le nom de Nordcaper occidental. De nouvelles observations ap- prendront si ces variétés existent encore, si elles sont constantes, et si on doit les rapporter au sexe, à l’âge, ou à quelque autre cause. DES BALEINES. 141 LA BALEINE BOSSUE. Balæna gibbosa. Boxx., Lacgr. 1 Carre baleine a sur le dos cinq ou six bosses ou éminences. Ses fanons sont blancs, et, dit-on, plus difficiles à fendre que ceux de la baleine franche. Elle a d’ailleurs de très grands rapports avec ce dernier cétacé. On l’a particulièrement observée dans la mer voisine de la Nouvelle-Angleterre. 1. Baleine à bosses. Baleine a six bosses. Scras whale, par les Anglois. Knobbel-visch, par les Hollandois. Knabbel-visch, ibid. Knoten-fisch, par les Allemands. Balæna gibbosa. Linnée, édit. de Gmelin. Balæna + épinnis, gibbis dorsalibus sex. Brisson, Regn. anim, pag. 951, n° 4. Baleine à bosses. Bonnaterre, planches de l'Encyclopédie métho- dique. Idem. Édition de Bloch, publiée par R. R, Castel. Erxleben, Mammal., pag. 610, n° 5. Balæna gibbis vel nodis sex, balæna macra. Klein, Miss. pisc. 2, pag. 15. Knotenfisch, oder knobbelfisch. Anders, Isl., pag. 225. Idem. Cranz, Groenland., pag. 146. Houttuyn, Nat. Hist. 5, pag. 458. Müller, Nat. 1, pag. 493. Transact. philosoph., n° 387, pag. 258, Li D HISTOIRE NATURELLE rapopagape por pop Para POpHE Papa HoogEPoBopar LA BALEINE NOUEUSE: Balæna nodosa, Bonn., Lacer. CE cétacé a sur le dos, et près de la queue, une bosse un peu penchée en arrière, souventirrégulière, mais dont la hauteur est presque toujours d’un tiers de mètre. Ce trait de conformation est un de ces ca ractères dont les séries lient, par des nuances plus ou moins sensibles, non seulement les familles voi- sines, mais encore des tribus très éloignées. Cette bosse est un commencement de cette nageoire qui 1. Bunch whale, par les Anglois. Humpback whale, idem. : Penvisch, par les Hollandois. Pflock fisck, par les Allemands. Balæna gibbosa, var. B. (Novæ Angliæ). Linnée, édition de Gmelin. Brisson , Regn. anim., pag. 551, n° 5. Balæna gibbo unico prope caudam. Klein, Miss. pisc. 2, pag. 12. Pflokfisch. Anderson , Isl., pag. 224. Cranz, Groenl., pag. 146... Dudley, Transact. philosoph. n° 587, pag. 256, art. 2. Houttuyn, Nat. Hist. 5, p. 488. Baleine tampon. Bonnaterre, planches de l'Encyclopédie métho- dique. Idem. Édition de Bloch, publiée bé R. R. Castel. Alull. Natur. 1, pag. 495. DES BALEINES. 143 manque à plusieurs cétacés, mais qu'on trouve sur beaucoup d’autres, et qui établit un rapport de plus entre les mammifères qui en sont dénués, et quel- ques quadrupèdes ovipares et les poissons qui en sont pourvus. Les nageoires pectorales de la baleine noueuse sont très longues, assez éloignées du bout du museau , et d’un blanc ordinairement très pur. On l’a vue dans la mer qui baigne la Nouvelle-An- gleterre, dont quelques naturalistes lui ont donné le nom : mais il paroît qu’elle habite aussi auprès des côtes de l’Islande, ainsi que dans la Méditerranée d'Amérique, entre l’ancien Groenland et le Labra- dor ; et peut-être faut-il rapporter à cette espèce quel- ques uns des cétacés vus par le capitaine Colnett dans le grand Océan boréal, auprès de la Californie, La baleine noueuse est peu recherchée par les pè- cheurs. 1. Voyage du capitaine Colnett. Londres, 1798. DRE SEE PU UE PRRRENTES DAAU LA UMA LULU MEL EU EU MU UT VUE UV MA MU LU VU MU VU MU VU LES BALEINOPTÈRES". LA BALEINOPTÈRE GIBBAR. Balæna physalus, Lin., Bonn. — Balæna gibbar, Lacer. ?. Le gibbar habite dans l'Océan glacial arctique, par- ticulièrement auprès du Groenland. On le trouve 1. Voyez, à la tête de ce volume, le tableau des ordres, genres et espèces de cétacés, et l’article qui le précède, et qui est intitulé : ue générale des cétacés. 2. Voyez la planche IV, fig. 1. -_ Baleine américaine. Finnfisch, par les Allemands. Vinvisch, par les Hollandoïs. Finnfisk, par les Suédois. Reider, en Laponie. Ror-hual, en Norwége. Finne-fisk, ibid. Tue qual, ibid. Stor-hval, ibid. Hunfubaks, en Islande. Hunfubaks, ibid. (par opposition avec le nom de slettbakr, donné à la baleine franche, qui n’a pas de nageoïre sur le dos). Skidis fiskar, nom donné en Islande aux cétacés qui ont des fanons, #1 le ventre sans plis. 146 HISTOIRE NATUREFLE aussi dans l'Océan atlantique septentrional. I! s’a- vance même vers la ligne, dans cet Océan atlantique, au moins jusque près du trentième degré, puisque le gibbar est peut-être ce Physétère des anciens, dont Pline parle dans le chapitre 6 de son neuvième livre, et dont il dit qu'il pénètre dans la Méditerranée, et puisque Martens l’a réellement vu dans le détroit de Gibraltar en 1675. L'auteur de l'Histoire des pêches des Hollandois dit aussi que le gibbar entre dans la mer Méditerranée. Mais il paroît que , dans le grand Océan, moins effrayé par les navigateurs et moins tourmenté par les pêcheurs, il vogue jusque dans la zone torride. On peut croire, en effet, qu'on doit rapporter au gibbar la baleine Finback ou à nageoire sur le dos, que le capitaine Colnett a vue, non seule- ment auprès des côtes de Californie , mais encore au- Tunomlik, en Groenland. Kepolak, ibid. Kepokarsoac, ibid. Fin-fish, par les Anglois. Balæna Physalus. Linnée, édit. de Gmelin. Baleine Gibbar. Bonnaterre, planches de l'Encyclopédie métho- dique. Idem, Edit. de Bloch, publiée par R. R. Castel. Balæna fistula duplici in medio anteriore capite, dorso extremo pinna adiposa. F'aun. Suecic. 5o. Balæna, Tistula in medio capite, tubero pinniformi in extremo dorso. Artedi, gen. 77, syn. 107. Balæna edentula, corpore stricliore, derso pinnato. Raï, pag. 9- Vraie Baleine, Gibbar. Rondelet, Histoire des poissons, première parle, livre 16, chapitre 8 , édition de Lyon, 1558. Balæna tripinnis, venire lævi. Brisson, Regn. anim. pag. 552, n°5. Klein, Miss. pis. 2, pag. 15. Sibb. Scot. an., pag: 25. Otk. Fabric. Faun. Groenlard., pag. 55. DES BALEINOPTÈRES. 147 près du golfe de Panama, et par conséquent de l’é- quateur. Ge fait s'accorderoit d’ailleurs très bien avec ce que nous avons dit de relatif à l'habitation des très srands cétacés, en traitant de la baleine franche, et avec ce que des auteurs ont écrit du séjour du gibbar dans les mers qui baignent les côtes de l'Inde. Le gibbar peut égaler la baleine franche par sa lon- gueur, mais non par sa grosseur. Son volume et sa masse sont très inférieurs à ceux du plus grand des cétacés. D'ailleurs, M. Olafsen, et M. Povelsen, premier médecin d'Islande, disent que le gibbar a quatre- vingts aunes danoises, ou plus de cinquante mètres, de longueur ; mais que la baleine franche est longue de plus de cent aunes danoises, ou de pius de soixante- trois mètres !, Le dessous de sa tête est d’un blanc éclatant: sa poitrine et son ventre présentent la même couleur; le reste de sa surface est d’un brun que le poli et le luisant de la peau rendent assez brillant. L'ensemble de la tête représente une sorte de cône dont la longueur égale le tiers de la longueur totale. La nuque est marquée par une dépression bien moins sensible que dans la baleine franche; la langue n’a pas une très grande étendue; l'œil est situé très près de l'angle formé par la réunion des deux mâchoires. Cha- que pectorale est ovale, attachée assez près de l'œil, 1. Voyage en Islande, par MM. Ofafsen et Povelsen, rédigé par ordre du roi de Danemarck, sous la direction de l’Académie des Sciences de Copenhague, et traduit par M. Gauthier de La Peyronie, tome III, pag. 260. 148 HISTOIRE NATURELLE et aussi longue quelquefois que le huitième ou le neuvième de la longueur du cétacé. Les fanons sont si courts, que souvent leur longueur ne surpasse pas leur hauteur. Les crins qui les ter- minent sont longs, et comme tordus les uns autour des autres. On a écrit, avec raison, que ces fanons sont bleuâtres; mais on auroit dû ajouter, avec l’au- teur de l'Histoire des pêches des Hollandois , que leur couleur change avec l’âge, et qu'ils deviennent bruns et bordés de jaune. Vers l'extrémité postérieure du dos s'élève cette nageoire que l'on retrouve sur toutes les baleinoptères, et qui rapproche la nature des cétacés, de celle des poissons dont ils partagent le séjour. Cette nageoïre dorsale doit être particulièrement remarquée sur le gibbar : elle est triangulaire, courbée en arrière à son sommet, et haute du quinzième ou environ de la longueur totale. ; Le gibbar se nourrit de poissons assez grands, sur- tout de ceux qui vivent en troupes très nombreuses. Il préfère les gades, les scombres, les salmones, les clupées, et particulièrement les maquereaux, les sal- mones arctiques et les harengs. Il les atteint, les agite, les trouble, et les englou- | tit d'autant plus aisément, que, plus mince et plus délié que la baleine franche, il est plus agile et nage avec une rapidité plus grande. [l lance aussi avec plus de violence , et élève à une plus grande hauteur l’eau qu'il rejette par ses évents, et qui, retombant de plus haut, est entendue de plus loin. Ces mouvements plus fréquents, plus prompts et DES BALEINOPTÈRES. 14 plus animés, paroissent influer sur ses affections ha- bituelles, en rendant ses sensations plus variées, plus nombreuses et plus vives. Il semble que, dans cette espèce, la femelle chérit davantage son petit, le soi- gne plus attentivement, le soutient plus constamment avec ses bras, le protége, pour ainsi dire, et contre ses ennemis et contre les flots, avec plus de sollici- tude , le défend avec plus de courage. Ces différences dans la forme, dans les attributs, dans la nourriture, montrent pourquoi le gibbar ne paroît pas toujours dans les mêmes parages, aux mê- mes époques que la baleine franche. Elles peuvent aussi faire soupçonner pourquoi ce cétacé a un lard moins épais, une graisse moins abon- dante. C’est cette petite quantité de substance huileuse qui fait que les pêcheurs ne cherchent pas beaucoup à prendre le gibbar. Sa très grande vitesse le rend d’ailleurs très diflicile à atteindre. Ïl est même plus dangereux de l’attaquer que de combattre la baleine franche : il s'irrite davantage; les coups qu’il donne alors avec ses nageoires et sa queue sont terribles. Avant que les Basques, redoutant la masse du plus crand des cétacés, osassent affronter la baleine fran- che, ils s’attachoient à la pêche du gibbar : mais l’ex- périence leur apprit qu'il étoit et plus difficile de pour- suivre et plus hasardeux de harponner ce cétacé que la première des baleines. Martens rapporte que des matelots d’une chaloupe pêcheuse ayant lancé leur harpon sur un gibbar, l'animal, fuyant avec une vé- jocité extrême, les surprit, les troubla, les effraya au point de les empêcher de songer à couper la corde LAGÉPÉDE. Ia 10 150 HISTOIRE NATURELLE fatale qui attachait la nacelle au harpon, et les en- traîna sous un vaste banc de glaçons entassés, où ils perdirent la vie. Cependant on assure que la chair du gibbar a le goût de celle de l’acipensère esturgeon ; et dans quel- ques contrées, comme dans le Groenland, on fait ser- vir à plusieurs usages domestiques les nageoires, la peau, les tendons et les as de ce cétacé.. DES BALEINOPTÈRES. 191 223080208095 050859506950$050.F050H069 16H00 OH T0 H0P0LOHIFOLSHPOHC be HPO SO EE PQ LPO PO PO PO LA BALEINOPTÈRE JUBARTE. Balæna Boops, Lann., Bonn. — Balæna Jubartes, Lacep.i. LA jubarte se plaît dans les mers du Groenland; on la trouve surtout entre cette contrée et l'Islande : mais on l’a vue dans plusieurs autres mers de l’un et de l’autre hémisphère. 11 paroît qu'elle passe l'hiver en pleine mer, et qu’elle ne s'approche des côtes, et n’entre dars les anses, que pendant l'été ou pendant l'automne, Elle a ordinairement dix-sept ou dix-huit mètres 1. Voyez planche VIE, fig. 1. Vraisemblablement Sulphur bottom, sur les côtes occidentales de l'Amérique septentrionale. Eeporkak, en Groenland. Hrafu-reydus, en Islande. Hrafu-reydur, ibid. Hrefna , ibid. Rengis fiskur, nom donné par les Islandoiïs aux cétacés qui ont des fanons, et qui de plus ont des plis sous le ventre. Balæna Boops. Linnée, édition de Gmelin. Balæna fistula duplici in rostro, dorso extremo protuberantia cor- nea. Art. gén. 77, Sÿn. 107. Balæna tripinnis, ventre rugoso, rostro acuto. Brisson, Regn. anum, ao. 45% (ÿ— pag. 699, n° 7. 19.2 HISTOIRE NATURELLE de longueur. Dans un Jeune individu de cette espèce, décrit par Sibbald, et qui étoit long de quinze mè- tres et un tiers, la circonférence auprès des bras étoit de sept mètres; la largeur de la mâchoire inférieure, vers le mitieu de sa longueur, d’un mètre et demi; la longueur de l'ouverture de la gueule, de trois mètres et deux tiers; la longueur de la langue, de deux mè- tres ou environ; la distance du bout du museau aux orifices des évents, de plus de deux mètres; la lon- gueur des pectorales, d'un mètre et deux tiers; la lar- geur de ces nageoires, d’un demi-mètre; la distance de la nageoire du dos à la caudale, de près de trois mètres ; la largeur de la caudale, de plus de trois mètres ; la distance de l’anus à l'extrémité de cette . \ L A nagcoire de la queue, de près de cinq mètres; et la longueur du balénas, de deux tiers de mètre. Le corps, très épais vers les nageoires pectorales, se rétrécit ensuite, et prend la forme d’un cône très allongé, continué par la queue, dont la largeur, à son extrémité, n’est, dans plusieurs individus, que d'un demi-mètre. Les orifices des deux évents sont rapprochés lun Baleine Jubarte. Bonnaterre, planches de l'Encyclopédie métho- dique. Idem. Édition de Bloch, publiée par R. R. Castel. Jubartes. Klein, Miss. pisc. 2, pag. 15. Jupiterfisch. Anderson, Island., pag. 220. Cranz, Groenland, pag. 146. Eggede, 41. Strom., 298. Otho Fabric., 56. Adel., 384. Muller, Zoolog. Dan. Prodroin., pag. 8. Raï. Pise., pag. 16. DES BALEINOPTÈRES. 109 de l’autre, au point de paroître ne former qu'une seule ouverture. Au devant de ces orifices, on vait trois rangées de petites protubérances très arrondies. La mâchoire inférieure est un peu plus courte et plus étroite que celle d’'en-baut. L'œil est situé au dessus et très près de l'angle formé par la réunion des deux lèvres; l’iris paroît blanc ou blanchâtre. Au delà de l'œil, est un trou presque imperceptible : c’est l’o- rifice du conduit auditif. Les fanons sont noirs, et si courts, qu'ils n'ont sou- vent qu'un tiers de mètre de longueur. La langue est grasse, spongieuse, et quelquelois hérissée d’aspérités. Elle est de plus recouverte, vers sa racine, d’une peau lâche qui se porte vers le go- sier, et paroîtroit pouvoir en fermer l'ouverture, comme une sorte d'opercule. {uelquefois la jubarte est toute blanche. Ordinai- rement cependant la partie supérieure de ce cétacé est noire ou noirâtre; le dessous de la tête et des bras, très blanc ; le dessous du ventre et de la queue, marbré de blanc et ne noir. La peau, qui est très lisse , recouvre une couche de graisse assez mince. Mais ce qu'il faut remarquer, c’est que, depuis le dessous de la gorge jusque vers l'anus, la peau présente de longs plis longitudinaux, qui, le plus souvent, se réunissent deux à deux vers leurs extrémités, et qui donnent au cétacé la faculté de dilater ce tégument assez profondément sillonné. Le dos de ces longs sil- lons est marbré de noir et de blanc : mais les inter- valles qui les séparent sont d’un beau rouge qui eon- traste, d’une manière très vive et très agréable à la vue, avec le noir de l'extrémité des fanons, et avec le Die 154 HISTOIRE NATURELLE éclatant du dessous de la gueule, lorsque l'animal gonfle sa peau, que les plis s’effacent ,*et que les in- tervalles de ces plis se relèvent et paroissent. On a écrit que la jubarte tendoit cette peau , ordinairement lâche et plissée , dans les moments où, saisissant les animaux dont elle veut se nourrir, elle ouvre une large gueule , et avale une grande quantité d’eau, en même temps qu'elle engloutit ses victimes. Mais nous ver- rons, à l’article de la Baleinoptère museau-pointu, quel organe particulier ont reçu les cétacés dont la peau du ventre , ainsi sillonnée, peut se prêter à une grande extension. On a remarqué que la jubarte lançoit l’eau par ses évents avec moins de violence que les cétacés qu'elle égale en grandeur : elle ne paroît cependant leur cé- der ni en force ni agilité, au moins relativement àses dimensions. Vive et pétulante, gaie même et folâtre, elle aime à se jouer avec les flots. Impatiente, pour ainsi dire, de changer de place, elle disparoît souvent sous les ondes, et s'enfonce à des profondeurs d’au- tant plus considérables, qu’en plongeant elle baisse sa tête et relève sa caudale au point de se précipiter, en quelque sorte, dans une situation verticale. Si la mer est calme, elle flotte endormie sur la surface de l’océan ; mais bientôt elle se réveille, s’anime, se livre à toute sa vivacité, exécute avec une rapidité éton- nante des évolutions très variées, nage sur un côté , se couche sur son dos, se retourne, frappe l’eau avec force, bondit, s’élance au dessus de la surface de la mer, pirouette, retombe, et disparoît comme l'éclair. Elle aime beaucoup son petit, qui ne l’abandonne que lorsqu'elle a donné le jour à un nouveau cétacé. DES BALEINOPTÈRES. 159 On l’a vue s’exposer à échouer sur des bas-fonds , pour l'empècher de se heurter contre les roches. Naturelle- ment douce et presque familière, elle devient néan- moins furieuse si elle craint pour lui : elle se jette contre la chaloupe qui le poursuit, larenverse, et em- porte sous un de ses bras la jeune jubarte qui lui est si chère. La plus petite blessure suffit quelquefois pour la faire périr, parce que ses plaies deviennent facilement gangréneuses; mais alors la jubarte va très fréquem- ment expirer bien loin de l’endroit où elle a reçu le coup mortel. Pour lui donner une mort plus prompte, on cherche à la frapper avec une lance derrière la na- geoire pectorale : on a observé que, si l’arme pénètre assez avant pour percer le canal intestinal, le cétacé s'enfonce très promptement sous les eaux. Le mâle et la femelle de cette espèce paroissent unis l’un à l’autre par une affection très forte. Duha- mel rapporte qu'on prit en 1723 deux jubartes qui voguoient ensemble, et qui vraisemblablement étoient mâle et femelle. La première qui fut blessée jeta des cris de douleur, alla droit à la chaloupe, et d’un seul coup de queue meurtrit et précipita trois hommes dans la mer. Elles ne voulurent jamais se quitter; et quand l’une fut tuée, l’autre s’étendit sur elle et poussa des gémissements terribles et lamentables. Ceux qui auront lu l’histoire de la jubarte ne seront donc pas étonnés que les Islandois ne la harponnent presque jamais : ils la regardent comme l’amie de l’homme; et mêlant avec leurs idées superstitieuses les inspirations du sentiment et les résultats de lob- servation , ilsse sont persuadés que la Divinité l’a créée 196 HISTOIRE NATURELLE pour défendre leurs frèles embarcations contre les cé- tacés féroces et dangereux. Ils se plaisent à raconter que, lorsque leurs bateaux sont entourés de ces ani- maux énormes et carnassiers, la jubarte s'approche d'eux au point qu'on peut la toucher, s’élance sous leurs rames, passe sous la quille de leurs bâtiments, et, bien loin de leur nuire, cherche à éloigner les cé- tacés ennemis, et les accompagne jusqu’au moment où, arrivés près du rivage, ils sont à l'abri de tout danger {. Au reste, la jubarte doit souvent redouter le phy- sétère microps. Elle se nourrit non seulement du testacé nommé Planorbe boréal, mais encore de l’'Ammodyte Appât, du Salmone arctique, et de plusieurs autres poissons. 1. Voyage en Islande, par M. Olafsen et M. Povelsen, premier mé- decin , etc., traduit par M. Gauthier de La Peyronie, t. IT, p. 265. Pauquet soulp . 1.BALEHINOPTERE ROR( . LE NARWAL VULGAIRE . 9 UAL ® < DES BALEINOPTÈRES. 107 LA BALEINOPTÈRE RORQUAL. Balæna Musculus, Linx., Bonn. — Balænoptera Ror- qual, Lacep. — Balæna Boops, Cuv. !. L’HABITATION ordinaire du Rorqual est beaucoup plus rapprochée des contrées tempérées de l’Europe que celle de plusieurs autres grands cétacés. Il vit dans la partie de l'Océan atlantique septentrional 1. Voyez pl. IV, fig. 1; pl. Vetpl. VI. Rorqual à ventre cannelé. Souffleur. Capidolio, par les Italiens. Steype-reydus, par les Islandois. Steipe-reydur, ibid. Rengis-fiskar, nom donné par les Islandoiïs aux cétacés qui ont des fanons, et dont le dessous du ventre présente des plis. Rorqual, par les Norwégiens. Idem, par les Groenlandoïis. Belæna Musculus. Linnée, édit. de Gmelin. Balæna fistuia duplici in fronte, maxilla inferiore multo latiore. Artedi, gen. 78, syn., 107. Balænatripinnis, maxillam inferiorem nid etsuperiore multo latiorem habens. Sibbald. Balæna tripinnis, ventre rugoso, rostro rotundo. Brisson, Regn. anirn., pag. 353, n° 6. Raï. Syn., pise., pag. 17. Phalaina, Balæna , etc. Italis Capidolio. Bellon, Aquat., pag. 46. Balæna Bellonïi. Aldrovand. Pise., pag. 676. 155 HISTOIRE NATURELLE qui baigne l'Écosse, et par conséquent en deçà du soixantième degré de latitude boréale; d’ailleurs, il s’'avance Jusque vers le trente-cinquième, puisqu'il entre par le détroit de Gibraltar dans la Méditerranée. Il aime à se nourrir de clupées, et particulièrement de harengs et de sardines, dont on doit croire qu'il suit les nombreuses légions dans leurs divers voyages, se montrant très souvent avec ces bancs immenses de clupées , et disparoïissant lorsqu'ils disparoissent. Il est noir ou d’une couleur noirâtre dans sa partie supérieure, et blanc dans sa partie inférieure. Sa lon- gueur peut aller au moins jusqu’à vingt-six mètres, et sa circonférence à onze ou douze, dans l’endroit le plus gros de son corps !. Une femelle, dont parle As- cagne , avoit vingt-deux mètres de longueur. La note suivante donnera quelques unes des dimensions les plus remarquables d'un rorqual de vingt-six mètres de long ?. Baleine Rorqual, Bonnaterre, planche de l'Encyclopédie métho- dique. Idem. Édition de Bloch, publiée par R. R. Castel. Oùh. Fabric.. Faun. Groenland., pag. 59. Adel. 594. Mull. Prodrom. Zoolog. Dan. 49. Rorqual. Ascagne, pl. d'hist. natur., cab. HIT, pag. 4, pl. 26. 1. MM. Olafsen et Povelsen disent, dans la relation de leur voyage en Islande (tomellT, page 251 de la traduction françoise) que le ror- qual est le plus grand des cétacés, el a une longueur de plus de cent vingt aunes danoïses, ou plus de quatre-vingts mètres. Mais c’est à la baleine franche qu'il faut rapporter cette dimension, qui n’a été attri- buée au rorqual que par erreur. 2. Longueur de la mâchoire inférieure, quatre mètres et demi ow environ. Longueur de la langue, un peu plus de cinq mètres. DES BALEINOPTÈRES. 199 La mâchoire inférieure du cétacé que nous décri- vons, au lieu de se terminer en pointe, comme celle de la jubarte, forme une portion de cercle quelque- fois foiblement festonnée; celle d’en-haut, moins Jongue et beaucoup moins large , s'emrboîte dans celle d’en-bas. | La langue est#molle, spongieuse, et recouverte d'une peau mince. La base de cet organe présente de chaque côté un muscle rouge et arrondi, qui rétrécit l'entrée du gosier, au point que des poissons un peu gros ne pourroient pas y passer. Mais si cet orifice est très étroit, la capacité de la bouche est immense : elle s'ouvre à un tel degré, dans plusieurs individus de l’espèce du rorqual, que quatorze hommes peu- vent se tenir debout dans son intérieur, et que, sui- vant Sibbald, on a vu une chaloupe et son équipage entrer dans la gueule ouverte d’un rorqual échoué sur le rivage de l’océan. On pourra avoir une idée très juste de la forme et de la grandeur de cette bouche énorme, en jetant les yeux sur les dessins que nous avons fait graver, et qui Largeur de la langue, cinq mètres. Distance du bout du museau à l’œil, quatre mètres un tiers ou à peu près. Longueur des nageoires pectorales, trois mètres un tiers. Plus grande largeur de ces nageoires, cinq sixièmes de mètre. Distance de la base de la pectorale à l'angle formé par la réunion des deux mâchoires, un peu plus de deux mètres. Longueur de la nageoïre du dos, un mètre. Hauteur de cette nageoïre, deux tiers de mètre. Distance qui sépare les deux pointes de Ja caudale, un peu plus de siz mètres. Longueur du balénas, un mètre deux tiers. Distance de l'insertion du balénas à l'anus, un mètre deux tiers, 160 HISTOIRE NATURELLE représentent la tête d’un rorqual pris sur les côtes de la Méditerranée, et dont nous allons reparler dans un moment. Ces mêmes dessins montrent la conformation des fanons de cette espèce de Baleinoptere. Ces fanons sont noirs et si courts, que le plus sou- vent on n'en voit pas qui aient plus d’un mètre de longueur, et plus d’un tiers de mètre de hauteur. On en trouve même auprès du gosier qui n’ont que seize ou dix-sept centimètres de longueur, et dont la hau- teur n'est que de trois centimètres ; mais ces fanons sont bordés ou terminés par des crins allongés , touf- fus, noirs et inégaux. L'œil est situé au dessus et très près de l’angle que forment les deux lèvres en se réunissant; et comme la mâchoire inférieure est très haute, que la courbure des deux mâchoires relève presque toujours l’angle des deux lèvres un peu plus haut que le bout du mu- seau, et que le dessus de la tête, mème auprès de l'extrémité du museau, est presque de niveau avec la nuque, l'œil se trouve placé si près du sommet de la tête, qu'il doit paroître très souventau dessus de l’eau, lorsque le rorqual nage à la surface de l'Océan. Ce cé- tacé doit donc apercevoir très fréquemment les objets situés dans l’atmosphère, sans que les rayons réflé- chis par ces objets traversent la plus petite couche aqueuse, pour arriver jusqu'à son œil, pendant que ces mêmes rayons passent presque toujours au travers d’une couche d’eau très épaisse pour parvenir jusqu’à l'œil de la baleine franche, du nordcaper, du gib- bar, etc. L’œil du rorqual admet donc des rayons qui n’ont pas subi de réfraction, pendant que celui du DES BALEINOPTÈRES. 161 cibbar, du nordcaper, de la baleine franche, n’en recoit que de très réfractés. On pourroit donc croire, d’après ce que nous avons dit en traitant de l'organe de la vue de la baleine franche, que la conformation de l'œil n’est pas la même dans le rorqual que dans la baleine franche, le nordcaper, le gibbar ; on pourroit donc supposer, par exemple, que le cristallin du ror- qual est moins sphérique que celui des autres cétacés que nous venons de citer : mais l’observation ne nous a encore rien montré de précis à cet égard; tout ce que nous pouvors dire, c’est que l'œil du rorqual est plus grand à proportion que celui de la baleine fran- che, du gibbar et du nordcaper. D'après la position de l'œil du rorqual, il n’est pas surprenant que les orifices des évents soient, dans je cétacé que nous décrivons, très près de l'organe de la vue. Ces orifices sont placés dans une sorte de pro- tubérance pyramidale. Le corps est très gros derrière la nuque; et comme, à partir de la sommité du dos, on descend d’un côté jusqu'à l'extrémité de la queue, et de l’autre jusqu’au bout du museau, par une courbe qu'aucune grande saillie ou aucune échancrure n'interrompt, on ne doit apercevoir qu'une vaste calotte au dessus de l'Océan, lorsque le rorqual nage à la surface de la mer, au lieu d'en voir d'eux, comme lorsque la baleine franche sillonne la surface de ce même Océan. L'ensemble du rorqual paroît donc composé de deux cônes réunis par leur base, et dont celui de der- rière est plus allongé que celui de devant. Les nageoires pectorales sont lancéolées, assez éloi- gnées de l'ouverture de la gueule , et attachées à une 162 HISTOIRE NATURELLE hauteur qui égale presque celle de l'angle des lèvres. Nous n’avons pas besoin de faire voir comment cette position peut influer sur certaines évolutions du cé- tacé !. La dorsale commence au dessus de l’ouverture de lPanus. Elle est un peu échancrée, et se prolonge sou- vent par une petite saillie jusqu’à la caudale. Cette dernière nageoire se divise en deux lobes, et chaque lobe est échancré par derrière. La couche de graisse qui enveloppe le rorqual a communément plus de trois décimètres d'épaisseur sur la tête et sur le cou ; mais quelquefois elle n'est épaisse que d’un décimètre sur les côtés du cétacé. Un seul rorqual peut donner plus de cinquante ton- nes d'huile. Lorsqu'un individu de cette espèce s’en- gage dans quelque golfe de la Norwége dont l'entrée est très étroite, on s’empresse, suivant Ascagne, de la fermer avec de gros filets, de manière que le cé- tacé ne puisse pas s'échapper dans l'Océan, ni se dé- rober aux coups de lance et de harpon dont il est alors assailli, et sous lesquels il est bientôt forcé de saccomber. Tout le dessous de la tête et du corps, jusqu’au nombril, présente des plis longitudinaux, dont la largeur est ordinairement de cinq ou six centimètres, et qui sont séparés l’un de l’autre par un intervalle égal, ou presque égal, à la largeur d’un de ces sillons. On voit l’ensemble formé par ces plis longitudinaux remonter de chaque côté, pour s'étendre jusqu’à la base de la nageoïire pectorale. Ces sillons annoncent 1. Rappelez ce que nous avons dit de la natation de la baleine franche. DES BALEINOPTÈRES. 163 l'organe remarquable que nous avons indiqué en par- lant de la jubarte, et dont nous allons nous occuper de nouveau dans l’article de la baleinoptère museau- pointu. En septembre de l’année 1692, un rorqual long de vingt-six mètres échoua près du château d’Aber- corn. Depuis vingt ans, les pêcheurs de harengs, qui le reconnoissoient à un trou qu'une balle avait fait dans sa nageoire dorsale, le voyoient souvent pour- suivre les légions des clupées. Le 20 mars 1708, un cétacé de vingt mètres de longueur fut pris dans la Méditerranée sur la côte occidentale de l’île Sainte-Marguerite, municipalité de Cannes, département du Var. Les marins le nommaient Souffleur. M. Jacques Quine, archi- tecte de Grasse, en fit un dessin, que le prési- dent de l’administration centrale du département du Var envoya au Directoire exécutif de la République. Mon confrère M. Révellière-Lépaux, membre de l'Institut national, et alors membre du Directoire, eut la bonté de me donner ce dessin, que j'ai fait graver; et bientôt après, les fanons, les os de la tête et quelques autres os de cet animal ayant été apportés à Paris, je reconnus aisément que ce cétacé apparte- noit à l'espèce du rorqual. C’est à cette même espèce, qui pénètre dans la Méditerranée, qu'il faut rapporter une partie de ce qu'Aristote et d’autres anciens naturalistes ont dit de leur Mysticetus et de leur Baleine. 11 sembleroit qu’à beaucoup d’égards le Mysticetus et la Baleine des an- ciens auteurs sont des êtres idéaux, formés par la réunion de plusieurs traits, dont les uns appartiennent 2 164 HISTOIRE NATURELLE à notre baleine franche , et les autres au gibbar, ou au rorqual, ou à notre cachalot macrocéphale. Daléchamp , savant médecin et naturaliste, mort à Lyon en 1588, parle, dans une de ses notes sur Pline!, d'un cétacé qu'il avoit vu, et qui avoit été jeté sur le rivage de la Méditerranée, auprès de Mont- pellier. Il donne le nom d’Orque à ce cétacé ; mais il paroît que c’est un rorqual qu'il avoit observé. 1. Balænaram plana et levis cutis est, oncaRuM canaliculaiim striata, qualem vidimus in litus ejectam, prope Monspesulum. (Note de Dalé- champ sur le chapitre 6 du liv. IX de Pline, édit. de Lyon, 1606.) DES BALEINOPTÈRES. 165 LA BALEINOPTÈRE MUSEAU-POINTU. Balæna rostrata, Hunrter., FaBr., BONN. — Balæna Boops, Cuv. — Balæna acuto-rostrata , Lace». 1. DE toutes les espèces de Baleines ou de Baleinop- ières que nous connoissons, celle que nous allons dé- erire est la moins grande. Il paroît qu'elle ne parvient qu'à une longueur de huit ou neuf mètres. Un jeune 1. Pike headed whale , par les Anglois. Andarna fia, par les Islandois. Rengis fiskar, nom donné par les Islandoïs aux cétacés qui ont des fanons, et doni ie dessous du ventre présente des plis. Rebbe hual, par les Norwégiens. Dogling, par les habitants de l'ile de Feroé. Balæna rostrata. Linnée , édit. de Gmelin. Baleine à bec. Bonaterre, planches de l'Encyclopédie méthodique. Idem. Édition de Bloch, publiée par R. R. Castel. Balæna rostrata, minima, rostro longissimo et acutissimo. Muller, Zoolog. Dan., Prodrom., pag. 7, n° 48. | Balæna ore rostrato, balæna tripinnis edentula minor, rostro parvo. Klein, Miss. pisc. 2, pag. 15. Otho Fabricius, Faun. Groenland, pag. 40. Hunter, Transact. philosoph., 1787. LACÉPÈDE. I. 1H 166 HISTOIRE NATURELLE individu pris aux environs de la rade de Cherbourg n’avoit que quatre mètres deux tiers de longueur !. Sa circonférence à l’enaroit le plus gros da corps étoit à peine de trois mètres. La mâchoire supérieure étoit longue de près d'un mètre, et celle d’en-bas, d’un mètre et un septième ou environ; ce qui s'accorde avec ce qu'on a écrit des dimensions ordinaires de la tète. Dans l'individu de cette espèce disséqué par le célèbre Hunter, la longueur de la tête égaloit en effet le quart ou à peu près de la longueur totale. Si l’on considère la baleinoptère museau-pointu flottant sur son dos, on voit l’ensemble formé par le corps et la queue présenter une figure ovale très allongée. D'un côté cet ovale se termine par un cône très étroit, relevé longitudinalement en arête, et s’é- largissant à son extrémité pour former la nageoire de la queue; de l’autre côté, et vers l’endroit où sont placés les bras, il est interrompu et se lie avec un autre ovale moins allongé, irrégulier, et que compose le dessous de la tête. Les deux mâchoires sont pointues ; et c’est de cette forme que vient le nom de museau-poiñtu donné à l'espèce dont nous nous occupons. La mâchoire su- périeure est non seulement moins avancée que celle d’en-bas, mais beaucoup moins large : elle est très allongée; et l’on peut avoir une idée très exacte de sa véritable forme, en examinant une des planches sur lesquelles nous avons fait graver les dessins précieux que sir Joseph Banks a bien voulu nous envoyer. La pointe qui termine par devant la mâchoire d’en- 1. Note manuscrite adressée à M. de Lacépède, par M. Geoffroy de Valognes, observateur très éclairé. DES BALEINOPTÈRES. 107 bas est l'extrémité d’une arête longitudinale et très courte, que l’on voit sur la surface inférieure de cette mâchoire. Le gosier a très peu de largeur. Les nageoires pectorales sont situées vers le milieu de la hauteur du corps; elles paroiïssent au dessus ou au dessous de ce point, suivant que le grand réservoir dont nous allons parler est plus ou moins gonflé par l'animal ; et voilà d’où vient la différence que l'on peut trouver à cet égard entre les deux figures que nous avons fait graver, l’une d’après M. Hunter, et l’autre d’après les dessins que sir Joseph Banks a bien voulu nous faire parvenir. La dorsale s'élève au dessus de l’anus ou à peu près; elle est triangulaire, un peu échancrée par derrière , et inclinée vers la nageoire de la queue. Cette dernière nageoire se divise en deux lobes, dont le côté postérieur est concave, et qui sont séparés l’un de l’autre par une échancrure étroite, mais un peu profonde. Les naturalistes ont appris du célèbre Hunter que la baleinoptère museau-pointu, dans laquelle on trouve quarante-six vertébres, a un large œsophage et cinq estomacs ; que le second de ces estomacs est très grand et plus long que le premier; que le troi- sième est le moins volumineux des cinq; que le qua- trième est aplati et moins grand que les deux pre- miers ; que le cinquième est rond et se termine par le pylore; que les intestins grêles ont cinq fois la lon- gueur entière du cétacé ; que la baleïnoptère museau- pointu a un cœcum comrmie la baleine franche, et 168 HISTOIRE NATURELLE que la longueur de ce cæcum et celle du coton réunies surpassent la moitié de la longueur totale. Les fanons sont d’une couleur blanchâtre ; ils ont d’ailleurs très peu de longueur. Le milieu du palais représente une sorte de bande longitudinale très re- levée dans son axe, un peu échancrée de chaque côté, mais assez large , même vers le museau , pour que le plus grand des fanons qui sont disposés un peu obli- quement sur les deux côtés de cette sorte de bande surpasse de très peu par sa longueur le tiers de la lar- seur de la mâchoire d’en-haut, Au reste, ces fanons sont triangulaires , et hérissés, sur leur bord inférieur, de crins blanchâtres et très longs ; ils ne sont séparés l’un de l’autre que par un très petit intervalle : leur nombre peut aller, de cha- que côté, à deux cents, suivant M. Geoffroy de Va- lognes ?. La langue , épaisse et charnue , non seulement re- couvre toute la mâchoire inférieure, mais, dans plu- sieurs circonstances, se soulève , se gonfle, pour ainsi dire, s'étend et dépasse le bout du museau. Le dessous de la tête et de la partie antérieure du corps est revêtu d’une peau plissée ; les plis sont lon- gitudinaux , parallèles, et l’on en voit dans toute la largeur du corps, depuis une pectorale jusqu'à l’autre. Ces plis disparoissent lorsque la peau est tendue, et la peau en se tendant laisse l'intervalle nécessaire pour le développement de l’organe particulier que 1. Voyez les planches que nous avons fait graver d’après les des- sins envoyés par sir Joseph Barks. 2. Note communiquée à M. de Lacépède par M. Geoffroy. DES BALEINOPTÈRES. 169 nous avons annoncé. Cet organe est une grande po- che ou vessie (en anglois, bladder }, placée en par- tie dans l’intérieur des deux branches de la mâchoire inférieure, et qui s'étend au dessous du corps. On peut juger de sa position, de sa figure et de son étendue, engetant les yeux sur une des gravures que j'ai fait faire d’après les dessins envoyés par sir Joseph Banks. Cette poche, qui se termine par un angle ob- tus, à au moins une largeur égale à celle du corps. Sa longueur, à compter du gosier, égale la distance qui sépare ce même gosier du bout de la mâchoire supérieure. Suivant une note écrite sur un des dessins que nous venons de citer, le cétacé peut gonfler cette poche au point de lui donner un diamètre de près de trois mètres et demi, lorsque la longueur totale de la baleïnoptère est cependant encore peu consi- dérable, L'air atmosphérique que l’animal reçoit par ses évents, après que ces mêmes évents lui ont servi à rejeter l’eau surabondante de sa gueule, doit péné- trer dans cette grande poche et la développer. Cet organe établit un nouveau rapport entré les poissons et les cétacés. On doit le considérer comme une sorte de vessie natatoire qui donne une grande lé- gèreté à la baleinoptère, et particulièrement à sa partie antérieure, que les os et la grosseur de la tête rendent plus pesante que les autres portions de l'animal. Peut-être cepéndant cet organe a-t-il quelque autre usage : Car on a écrit qu'on avoit trouvé des poissons dans le réservoir à air des cétacés; ce qui né devroit s'entendre que de la poche gutturale de la baleino- 170 HISTOIRE NATURELLE ptère museau-pointu , du rorqual, de ia jubarte, etc. Au reste, la place et la nature de cet organe peu- vent servir à expliquer le phénomène rapporté par Hunter, lorsque cet habile anatomiste dit que dans un individu de l'espèce que nous examinons, pris sur le Dogger-banck, et long de près de six mètres, les mâchoires se tuméfiérent par un accident dont on ignoroit la cause, au point que la tête, devenue plus légère qu’un pareil volume d’eau, ne pouvoit plus s’enfoncer. Cette supériorité de légèreté que la baleinoptère museau-pointu peut donner à sa tête rend raison en partie de la vitesse avec laquelle elle nage. On a ob- servé en effet qu’elle voguoit avec une rapidité extraor- dinaire. Elle poursuit avec tant de célérité les salmo- nes arctiques ctles autres poissons dont elle se nourrit, que, pressés par ce cétacé, et leur fuite n'étant pas assez prompte pour les dérober au colosse dont la gueule s'ouvre pour les engloutir, ils sautent et s’é- lancent au dessus de la surface des mers; et cepen- dant sa pesanteur spécifique est peu diminuée par sa graisse. Son lard est très compacte, et fournit peu de substance huileuse. Les plis qui annoncent la présence de cette utile vessie nalatoire sont rouges, ainsi qu'une portion de la lèvre supérieure, et quelques taches nuageuses, mèêlées comme autant de nuances très agréables au blanc de la partie inférieure du cétacé. La partie su- périeure est d’un noir foncé. Les pectorales sont blan- ches vers le milieu de leur longueur, et noires à leur base, ainsi qu’à leur extrémité. DES BALEINOPTÈRES. pa Les Groenlandois, pour lesquels la chair de ce cé- tacé peut être un mets délicats, lui donnent souvent la chasse : mais sa vitesse les empêche le plus souvent de l’approcher assez pour pouvoir le harponner; ils l’attaquent et parviennent à le tuer en lui lançant des dards. On le rencontre non seulemeut auprès des côtes du Groenland et de l'Islande, mais encore auprès de celles de Norwége; on l’a vu aussi dans des mers beau- coup moins éloignées du tropique. Il entre dans le golfe britannique. Il pénètre dans le canal de France et d'Angleterre. Un jeune individu de cette espèce échoua, en avril 1791, aux environs de la rade de Cherbourg!; et mon célèbre confrère M. Rochon, de l’Institut, m’annonce qu'on vient de prendre à Brest un individu de la même espèce. Au milieu de plusieurs des mers qu’elle fréquente, la baleinoptère museau-pointu a un ennemi redou- table dans le physétère microps qui s’élance sur elle et la déchire, Mais elle peut l’apercevoir de plus loin, et l’éviter avec plus de facilité que plusieurs autres cétacés ; elle a la vue très perçante. L’œil, ovale , et situé à peu de distance de l’angle de réunion des deux mâchoires, avoit près d’un décimètre de lon- sueur, dans l'individu de cinq mètres ou environ ob- servé et décrit par M. Geoffroy de Valognes. MM. Olafsen et Povelsen assurent que l'huile des baleinoptères museau-pointu que l’on prend dans la mer d'Islande est très fine , s’insinue facilement au 1. Note manuscrite de M. Geoffroy de Valognes. 172 HISTOIRE NATURELLE. travers des pores de plusieurs vaisseaux de bois où même d'autre matière plus compacte , et produit des effets très salutaires dans les enflures, les tumeurs et les inflammations. 1. Voyage en Islande, traduit par M. Gauthier de La Peyronie; tome IIT, page 254. AMAR AA AAA AAA AAA AAA AAA AAA A MMA AAA AAA MAMAN LES NARWALS-. LE NARWAL VULGAIRE. Monodon Narwhal,Fasr.—Monodon monoceros;Linx., - 9 Boxx. — Narwhalus vulgaris, Lacer.*. Our intérêt ne doit pas inspirer l’image du Narwal? elle exerce le jugement, élève la pensée, et satis- 1. Voyez la table méthodique placée au commencement de cette Histoire. 2. Narhwal. Voyez pl. IX, fig. 1. Narwal. ù Licorne de mer. Narhval, en Norwége. Ligival, ibid. Narhval, en Islande. Nar-hoal, ibid. Nac-hval,, ibid. Tausar, en Groenland. Killlluak, ibid. Kerrektok, ibid. Tugalik, ibid. Monodon monoceros. Linrée , édition de Gmelin. Monolon. Artedi, gen. 78, spec. 108. Id. Feun. Suec., 48. Id. Mus. Ad. Fr. 1, pag. 52. Id. Maller, Zoolog. Dan. Prodrom., pag. 6, n° 44. 1 HISTOIRE NATURLELE fait le génie, par les formes colossales qu’elle mon- ire, la puissance qu’elle annonce, les phénomènes qu'elle indique ou rappelle ; elle excite la curiosité, elle fait naître une sorte d'inquiétude ; elle touche le cœur, en entraînant l'attention vers les contrées loin- taines, vers les montagnes de glaces flottantes, vers les tempêtes épouvantables qui soumettent d’infortu- nés navigateurs à tous les maux de l'absence, à toutes les horreurs des frimas, à tous les dangers de la mer en courroux; elle agit enfin sur l'imagination, lui plaît, l'anime et l’étonne, en réveillant toutes les idées attachées à cet être fantastique et merveilleux que les anciens ont nemmé Licorne , ou plutôt en retra- çant cet être admirable et réel, ce premier des qua- drupèdes, ce dominateur redoutable et paisible ces rivages et des forêts humides de la zone torride, cet éléphant si remarquable par sa forme , ses dimen- sions, ses organes, ses armes, sa force, son industrie et son instinct. Le narwal est, à beaucoup d’égards, l'éléphant de Narhwal, cder Einhorn. Anders. Island., pag. 225. Id. Cranz. Groenland., pag. 146. Einhorn. Mart. Spitzb., pag. 94. Eenhtorning. Eggede, Groent., pag. 56. Monodon Narhwal. Bonnaterre, planches de l'Encyclopédie métha- dique. Id. Édition de Bloch, publiée par R. R. Castel. Oth. Fabric., Faun. Grocnland., 29. Unicornu marinum. Mus. Wormi., pag. 282-265. Raï. Pisc., pag. 11. us Licorne de mer. Valmont de Bomare. Dictionnaire d'histoire naiu- relle. Narhwal. Id.. ibid. Klein, Miss. pisc. 2, pag. 18, tab. 2. fig. c. DES NARWALS. Lo 9 la mer. Parmi tousles animaux que nous connoissons, eux seuls ont reçu ces dents si longues, si dures, si pointues , si propres à la défense et à l’attaque. Tous deux ontune grande masse, un grand volume, des muscles vigoureux, une peau épaisse, Mais les résul- tats de leur conformation sont bien différents : l’un, irès doux par caractère , n’use de ses armes que pour se défendre, ne repousse que ceux qui le provoquent, ne perce que ceux qui l’attaquent , n’écrase que ceux qui lui résistent, ne poursuit et n'immole que ceux qui l’irritent; l’autre, impatient, pour ainsi dire, de toute supériorité, se précipite sur tout ce qui lui fait ombrage, se jette en furieux contre l'obstacle le plus insensible, affronte la puissance, brave le danger, re- cherche le carnage, attaque sans provocation, com- bat sans rivalité, et tue sans besoin. Et ce qui est très remarquable, c’est que l'éléphant vit au milieu d’une atmosphère perpétuellement em- brasée par les rayons ardents du soleil des tropiques, et que le narwal habite au milieu des glaces de l'O- céan polaire, dans cet empire éternel du frcid, que la moitié de l’année voit envahi par les ténèbres. Mais l'éléphant ne peut se nourrir que de végétaux ; le narwal a besoin d’une proie; et dès lors tout est expliqué. On n’a compté jusqu’à présent qu’une ou deux es- pèces de ces narwals munis de défenses comparables à celles de l’éléphant; mais nous croyons devoir en distinguer trois. Deux surtout sont séparées l’une de l’autre par de grandes diversités dans les formes, dans les dimensions, dans les habitudes. Nous'exposerons successivement les caractères de ces trois espèces, 17 HISTOIRE NATURELLE dont les traits distinctifs sont présentés dans notre tableau général des cétacés. Occupons-nous d’abord du narwal auquel se rapporte le plus grand nombre d'observations déjà publiées, auquel nous pourrions donner le nom particulier de Macrocéphale®, pour dé- signer la grandeur relative de sa tête, lun des rap- ports les plus frappants de sa conformation avec celle des baleines, et notamment de la baleine franche, mais auquel nous préférons de conserver l’épithète spécifique de vulgaire. De la mâchoire supérieure de ce narwal sort une dent très longue , étroite, conique dans sa forme gé- nérale, et terminée en pointe : cette dent, séparée de la mâchoire, a été conservée pendant long-temps, dans les collections des curieux, sous le nom de corne ou de défense de licorne. On la regardoit comme le reste de l’arme placée au milieu du front de cet ani- mal fabuleux, symbole d’une puissance irrésistible, auquel on a voulu que le cheval et le cerf ressemblas- sent beaucoup, dont les anciens ne se sont pas con- tentés de nous transmettre la chimérique histoire, dont on retrouve l’image sur plusieurs des monuments qu’ils nous ont laissés, et dont la figure, adoptée par la chevalerie du moyen âge, a décoré si souvent les trophées des fêtes militaires, rappelle encore de hauts faits d’armes à ceux qui visitent de vieux donjons go- thiques, et orne les écussons consérvés dans une par- tie de l’Europe. ji Il n’est donc pas surprenant qu’à une époque déjà un peu reculée, elle ait été vendue très cher. 1. Macrocéphale, signifie grande téte. DES NARWALS. 77 Cette dent est cannelée en spirale. On ne sait pas encore si la courbe produite par cette cannelure va, dans tous les individus, de gauche à droite, ou de droite à gauche; mais on sait que les pas de vis for- més par cette spirale sont très nombreux, et que le plus souvent on en compte plus de seize. La nature de cette dent se rapproche beaucoup de celle de l’ivoire. Cette défense est creuse à la base comme celle de l'éléphant; elle est cependant plus dure. Ses fibres plus déliées ne forment pas des arcs croisés, comme les fibres de l’ivoire ; mais elle sont plus étroitement liées, plus ténues; elles ont plus de surface, à proportion de leur masse ; elles exercent les unes sur les autres une force d’affinité plus grande ; elles sont réunies par une cohérence plus difhicile à vaincre : la défense est plus compacte, plus pesante, moins altérable, moins sujette à perdre, en jaunis- sant, l’éclat et la couleur blanche qui lui sont propres. Si nous considérons la longueur de cette dent, re- lativement à la longueur totale de l’animal , nous trou- verons qu'elle en est quelquefois le quart ou à peu près! Ii ne faut donc pas être étonné qu'on ait trouvé des défenses de narwal de plus de trois mètres, et même de quatre mètres et deux tiers. Lorsqu'on rencontre un narwalavec une seule dent, on ne voit pas cette défense placée au milieu du front, ainsi qu'on le pensoit encore du temps d’Albert? ; mais elle est située au côté droit ou au côté gauche 1. Suivant Wormius, et d’après les renseignements qu'un évêque d'Islande lui avoit fait parvenir, la longueur de la dent du narwal est à la longueur totale de ce cétacé comme 7 est à 30. j 2, Albertus, XXIV, pag. 244, a. 170 HISTOIRE NATURELLE de la mâchoire supérieure. Plusieurs naturalistes cé- lèbres ont écrit qu'on la trouvoit beaucoup plus sou- vent à gauche qu'à droite. Elle perce la lèvre supé- rieure, qui entoure entièrement sa base et forme ordinairement autour de cetie arme une sorte de bourrelet en anneau, assez large et un peu convexe. Le diamètre de la défense est le plus souvent, à cette même base, d’un trentième de la longueur de cette dent, et la profondeur de l’alvéole qui la recoit et la maintient peut égaler le septième de cette même lon- gueur. Mais cette dent placée sur le côté gauche ou sur le côté droit , est-elle l’unique défense du narwal? ce cétacé est-il un véritable unicorne ou licorne de mer ? On ne peut plus conserver cette opinion. Toutes les analogies devoient faire croire que la dent du nar- wal n'étant pas placée sur la ligne du milieu de la tète, mais s'insérant dans un des côtés de cette partie, n'est pas unique par une suite de la conformation naturelle de l’animal; mais les faits connus ne laissent aucun doute à ce sujet. - Lorqu'on a pris un narwal avec une seule défense, on a trouvé fréquemment, du côté opposé à celui de la dent, un alvéole recouvert par la peau, mais qui renfermoit le rudiment d’une seconde défense arrê- iée dans son développement. Des capitaines de bâti- ments pècheurs ont attesté à Anderson que plusieurs individus de l'espèce que nous décrivons ont, du côté droit de la mâchoire supérieure, une seconde dent semblable à la première, quoique plus courte et moins pointue ; et pour ne pas allonger cet article sans né- cessité , et ne citer maintenant qu’un seul fait, le ca- DES NARWALS. 179 pitaine Dirck-Petersen, commandant le vaisseau le Lion d’or, apporta à Hambourg, en 1689, Les os de la tête d’un narwal femelle, dans lesquels deux dé- fenses étoient insérées. La figure gravée de cette tête a été publiée dans plusieurs ouvrages, et récemment dans la partie de l'Encyclopédie méthodique que nous devons au professeur Bonnaterre. Ces deux dents n’é- toient éloignées l’une de l’autre, à leur sortie du crâne, que de six centimètres; mais leurs directions s’écar- toient de manière qu'il y àvoit cinquante centimètres de distance entre leurs extrémités celle : de gauche avoit près de deux mètres et demi de long, et celle de droite étoit moins longue de treize centimètres et demi. D'après ces faits, et indépendamment d’autres rai- sons, on n'a pas besoin de réfuter les idées des pre- miers pêcheurs, qui ont cra que la femelle du narwal étoit privée de défenses, comme la biche est privée de cornes, et qui, par je ne sais quelle suite de consé- quences, ont pensé que le cétacé nommé Warsouin étoit la femelle du narwal vulgaire. Anderson assure, d'après un témoin oculaire, pê- cheur expérimenté et observateur instruit, qu’on avoit pris un narwal femelle dans le ventre de laquelle on avoit trouvé un fœtus qui ne présentoit aucun com- mencement de dent. Nous ignorôns à quel âge pa- roissent les défenses; mais il nous semble que lon doit croire, avec le professeur Gmelin et d’autres ha- biles naturalistes, que les narwals ont deux dents pendant leur première jeunesse. Notre illustre confrère Blumenbach, de la Société des Sciences de Gottingue, etc., a eu occasion de voir 180 HISTOIRE NATURELLE un jeune narwal dont la défense gauche excédoit déjà la lèvre d’un tiers dé mètre ou environ, et dont la défense droite étoit encore cachée dans son al- véole ! Siles cétacés de l'espèce que nous décrivons n’ont qu'une défense lorsqu'ils sont devenus adultes, c’est parce que des chocs violents ou d’autres causes acci- dentelles, comme les efforts qu'ils font pour casser les blocs de glace dans lesquels ils se trouvent en- gagés, ont brisé une défense encore trop fragile, comprimé, déformé, désorganisé l'alvéole au point d'y tarir les sources de la production de la dent. Sou- vent alors la matière osseuse, qui n’éprouve plus d’obstacle, ou qui a été déviée, obstrue cet alvéole ; et la lèvre supérieure s'étendant sur une ouverture dont rien ne la repousse , la voile et la dérobe tout-à - fait à la vue. Nous avons une preuve de ces faits dans un phé- nomène analogue, présenté par un individu de l’es- pèce de l'éléphant. dont les défenses ont tant de rapports avec celles du narwal. On peut voir dans la riche collection d'anatomie comparée du Muséum d'histoire naturelle, le squelette d’un éléphant mâle, mort il y a deux ans dans ce Muséum. Que l’on exa- mine cette belle préparation que nous devons, ainsi que tant d’autres, aux soins de mon savant collègue, M. Cuvier; on ne verra de défense que du côté gau- che de la mâchoire supérieure, et l’alvéole de la dé- fense droite est oblitéré. Cependant, non seulement tout le monde sait que les éléphants ont deux dé- 1. Abbildungen naturhistorischer gegenstande .…. von J. Fr. Blu- menbach; Gottingen, n° 44. DES NARWALS. 181 fenses, mais encore l'individu mort dans la ménage- rie du Muséum en avoit deux lorsqu'on l’a fait partir du château de Loco en Hollande, pour l’'amener à Paris. C’est pendant son voyage, .et en s'eflorçant de sortir d’une grande et forte caisse de bois dans laquelle on l’avoit fait entrer pour le transporter, qu'il cassa sa défense droite. Il avoit alors près de quatorze ans, et il n’a vécu que cinq ans depuis cet accident. Quoi qu’il en soit, quelle arme qu'une défense très dure , très pointue, et de cinq mètres de longueur! quelles blessures ne doit-eile pas faire, lorsqu'elle est mise en mouvement par un narwal irrité ! Ce cétacé nage en effet avec une si grande vitesse, que le plus souvent il échappe à toute poursuite; et voilà pourquoi il est si rare de prendre un individu de cette espèce, quoïqu'elle soit assez nombreuse. Cette rapidité extraordinaire n’a pas été toujours reconnue, puisque Albert, et d’autres auteurs de son temps ou plus anciens, ont au contraire fait une mention ex- presse de la lenteur qu'on attribuoit au narwal. On la retrouve néanmoins non seulement dans la fuite de ce cétacé, mais encore dans ses mouvements parti- culiers et dans ses diverses évolutions ; et quoique ses nageoires pectorales soient courtes et étroites, il s’en sert avec tant d'agilité, qu'il se tourne et retourne avec une célérité surprenante. Il n’est qu’un petit nombre de circonstances où les narwals n’usent pas de cette faculté remarquable. On ne les voit ordinairement s’avancer avec un peu de lenteur que lorsqu'ils for- ment une grande troupe ; dans presque tous les’ au- ires moments, leur vélocité est d'autant plus ef- frayante qu'elle anime une grande masse. Ils ont LACÉPEDE. J, 12 102 HISTOIRE NATURELLE depuis quatorze jusqu'à vingt mètres de longueur, et une épaisseur de plus de quatre mètres dans l'endroit le plus gros de leur corps : aussi a-t-on écrit! depuis long-temps qu'ils pouvoient se précipiter, par exem- ple, contre une chaloupe, l'écarter, la briser, la faire voler en éclats, percer le bord des navires avec leur défense, les détruire ou les couler à fond. On a trouvé de leurs longues dents enfoncées très avant dans la carène d’un vaisseau par la violence du choc, qui les avoit ensuite cassées plus ou moins près de leur base. Ces mêmes armes on été également vues profondé- ment plantées dans le corps de baleines franches. Ce n'est pas que nous pensions, avec quelques natura- listes, que les narwals aient une sorte de haine natu- relle contre ces baleines : mais on a écrit qu'ils étoient très avides de la langue de ces cétacés, comme les dauphins gladiateurs ; qu'ils la dévoroient avec avi- dité, lorsque la mort ou la foiblesse de ces baleines leur permettoient de l’arracher sans danger. Et d’ail- leurs, tant de causes peuvent allumer une ardeur passagère et une fureur aveugle contre toute espèce d'obstacles, même contre le plus irrésistible et contre l'animal le plus dangereux, dans un être moins grand, moins fort sans doute que Ia baleine franche, mais très vif, très agile, et armé d’une pique meurtrière ! Comment cette lance si pointue, si longue, si droite, si dure, n’entreroit-elle pas assez avant dans le corps de la baleine pour y rester fortement attachée? 1. Auctor de natura rerum, apud Vincentium, XVII, cap. 120. Albertus, XXIV, pag. 244, a. Voyez l'ouvrage du savant Schneïder qui a pour titre, Petri Artedi Synonymia , etc. Lipsiæ, 1789. DES NARWALS. 109 Et dès lors, quel habitant des mers pourroit ne pas craindre le narwal? Non seulement avec ses dents il fait des blessures mortelles, mais il atteint son an- nemi d'assez loin pour n'avoir point à redouter ses armes. Îl fait pénétrer l'extrémité de sa défense jus- qu’au cœur de cet ennemi, pendant que sa tête en est encore éloignée de trois ou quatre mètres. Îl re- double ses coups; il le perce, ille déchire, il lui ar- rache la vie , toujours hors de portée, toujours pré- servé de touteatteinte, toujours garanti par la distance. D'ailleurs, au lieu d’être réduit à frapper ses victimes, il en est qu'il écarte, soulève , enlève , lance avec ses dents, comme le bœuf avec ses cornes, le cerf avec ses bois, l'éléphant avec ses défenses. Mais ordinairement , au lieu d’assouvir sa rage ou sa vengeance, au lieu de défendre sa vie contre les requins , les autres grands squales et les divers tyrans des mers, le narwal, ne cédant qu’au besoin de la fan , ne cherche qu'une proie facile : il aime, parmi les mollusques , ceux que l’on a nommés Planorbes ; il paroît préférer, parmi les poissons, les Pleuronectes pôles. On trouve dans Willughby, dans Worm, dans Klein, et dans quelques autres auteurs qui ont re- cueilli diverses opinions relatives à ce cétacé, qu'il n'est pas rebuté par les cadavres des habitants des mers, que ces restes peuvent lui convenir, qu'il les recherche comme aliments, et que le mot VNarwhal vient de }f'hal, qui veut dire Baleine, et de Nar, qui , dans plusieurs langues du Nord, signifie cadavre. Il jui arrive souvent de percer avec sa défense les poissons, les mollusques et les fragments d'animaux dont il veut se nourrir. Il les enfile, les ramène jus- 104 HISTOIRE NATURELLE qu’auprès de sa bouche, et, les saisissant avec ses lèvres et ses mâchoires, les dépèce, les réduit en lambeaux, les détache de sa dent, et les avale. Il trouve aisément, dans les mers qu'il fréquente, la nourriture la plus analogue à ses organes et à ses appétits. Il vit vers le quatre-vingtième degré de latitude, dans l’Océan glacial arctique. Îl s'approche cependant des latitudes moins élevées. Au mois de février 1756, Anderson vit à Hambourg un narwal qui avoit re- monté l’Elbe , poussé, pour ainsi dire , par une marée très forte. Tous les individus de l'espèce à laquelle cet article est consacré, n’ont pas les mêmes couleurs : les uns sont noirs, les autres gris, les autres nuantés de noir et de blanc!. Le plus grand nombre est d’un blanc quelquefois éclatant et quelquefois un peu grisâtre , parsemé de taches noires, petites, inégales, irrégu- lières. Presque tous ont le ventre blanc, luisant et doux au toucher; et comme dans le narwal ni le ven- tre ni la gorge ne présentent de rides ou de plis, au- cun trait saïllant de la conformation extérieure n'in- dique l'existence d'une grande poche natatoire auprès de la mâchoire inférieure de ce cétacé, comme dans la jubarte, le rorqual et la baleincptère museau- pointu. Sa forme générale est celle d’un ovoide. Il a le dos- convexe et large; la tête est très grosse, et assez vo- lumineuse pour que sa longueur soit égale au quart ou à peu près de la longueur totale. La mâchoire su- 1. Histoire des pêches des Hollandoïs dans les mers du Nord, tome L. page 182. DES NARWALS. 185 périeure est recouverle par une lèvre plus épaisse, et avance plus que celle d’en-bas. L'ouverture de la bouche est très petite ; l'œil, assez éloigné de cette ouverture, forme un triangle presque équilatéral avec le bout du museau et l’orifice des évents. Les nageoi- res pectorales sont très courtes et très étroites ; les deux lobes de la caudale ont leurs extrémités arron- dies; une sorte de crête ou de saillie longitudinale, plus ou moins sensible, s'étend depuis les évents jus- que vers la nageoire de la queue, et diminue de hau- teur à mesure qu'elle est plus voisine de cette na- geoire. Les deux évents sont réunis de manière qu'ils n’ont qu'un seul orifice. Cette ouverture est située sur la partie postérieure et la plus élevée de la tête : lani- mal la ferme à volonté, par le moyen d’un opercule {rangé et mobile , comme sur une charnière; et c’est à une assez grande hauteur que s'élève l’eau qu'il re- jette par cet orifice. On ne prendroit les narwals que très difficilement , s'ils ne se rassembloient pas en troupes très nom- breuses dans les anses libres de glacons, ou si on ne les rencontroit pas dans la haute mer, réunis en gran- des bandes. Rapprochés les uns des autres, lorsqu'ils forment une sorte de légion au milieu du vaste océan, ils ne nagent alors qu'avec lenteur, ainsi que nous l’a- vons déjà dit, On s'approche avec précauticn de leurs longues files. Ils serrent leurs rangs et se pressent tellement, que les défenses de plusieurs de ces cé- tacés portent sur le dos de ceux qui les précèdent. Embarrassés les uns par les autres, au point d’avoir les mouvements de leurs nageoires presque entière- 186 HISTOIRE NATÜRELLE ment suspendus , ils ne peuvent ni se retourner, ni avancer, ni échapper, ni combattre, ni plonger qu’a- vec peine; et les plus voisins des chaloupes périssent sans défense sous les coups des pêcheurs. Au reste, on retire des narwals une huile qu’on a préférée à celle de la baleine franche. Les Groenlan- dois aiment beaucoup la chair de ces cétacés, qu'ils font sécher en l’exposant à la fumée. [ls regardent les intestins de ces animaux comme un mets délicieux. Les tendons du narwal leur servent à faire de petites cordes très fortes; et lon a écrit que de plus ils re- tiroient de son gosier plusieurs vessies utiles pour la pêche; ce qui pourroit faire croire que ce cétacé a sous la gorge , comme la baleinoptère museau-pointu, le rorqual et la jubarte, une grande poche très sou- ple, un grand réservoir d'air, une large vessie nata- toire, quoique aucun pli de la peau n'annonce l’exis- tence de cet organe. On emploie la défense, ou, si on l’aime mieux, l’ivoire du narwal. aux mêmes usages que l’ivoire de l'éléphant, et même avec plus d'avantage , parce que, plus dur et plus compacte, il reçoit un plus beau poli, et ne jaunit pas aussi promptement. Les Groenlan- dois en font des flèches pour leurs chasses, et des pieux pour leurs cabanes. Les rois de Danemarck ont eu, dit-on, et ont peut-être encore, dans le château de Rosenberg, un trône composé de défenses de narwals. Quant aux prétendues propriétés de cet ivoire contre les poisons et les maladies pestilentielles, on ne trou- vera que trop de détails à ce sujet dans Bartholin, 1. Voyez le Traité des pêches de Duhamel. DES NARWALS. 107 dans Wormius, dans Tulpius, etc. Mais comment n’auroit-on pas attribué des qualités extraordinaires à des défenses rares, d’une forme singulière, d’une substance assez belle, qu'on apportoit de très loin, que l’on n’obtenoit qu’en bravant de grands dangers, et qu'on avoit pendant long-temps regardées comme l'arme toute-puissante d’un animal aussi merveilleux que la fameuse Licorne ? En écartant cependant toutes ces erreurs, quel ré- sultat général peut-ontirer de la considération des organes et des habitudes du narwal? Cet éléphant de la mer, si supérieur à celui de la terre par sa masse, sa vitesse , sa force, et son égal par ses armes, lui est-il comparable par son industrie et son instinet? Non : il n’a pas reçu cette trompe longue et flexible ; cette main souple, déliée et délicate ; ce siége unique de deux sens exquis, de l’odorat qui donne des sensa- tions si vives, et du toucher qui les rectifie; cet in- strument d'adresse et de puissance, cet organe de sentiment et d'intelligence. 11 faudroit bien plutôt le comparer au rhinocéros ou à l'hippopotame. Il est ce que seroit l'éléphant, si la nature le privoit de sa trompe. 108 HISTOIRE NATURELLE PODOPeBATOHOEHOPEBOPErHODEPOPOS HET EE C1 LE NARWAL MICROCÉPHALE. Narwhalus microcephalus, Lacrp. 1. Cerre espèce est très différente de celle du narwal vulgaire ; nous pouvons en indiquer facilement les caractères, d’après un dessin très exact fait dans la mer de Boston, au mois-de février 1800, par M. W. Brand, et que sir Joseph Banks a eu la bonté de nous envoyer. Nous nommons ce narwal le Microcéphale, parce que sa tête est en effet très petite, relativement à celle du narwal vulgaire. Dans ce dernier cétacé, la longueur de la tête est le quart, ou à peu près, de la longueur totale : dans le microcéphale, elle n’en est que le dixième. La tête de ce microcéphale est d’ailleurs dis- tincte du corps, au dessus de la surface duquel elle s'élève un peu en bosse. L'ensemble de ce narwal, au lieu de représenter un ovoide, est très allongé, et forme un cône très long, dont une extrémité se réunit à Ja caudale, et dont la partie opposée est grossie irrégulièrement par le ventre. | Ce cétacé ne parvient qu’à des dimensions bien in- 1. Voyez pl. IX, fig. 2 et 5. DES NARWALS: 165 férieures à celles du narwal vulgaire. C’est à cette es- pèce qu'il faut rapporter la plupart des narwals dont on n’a trouvé la longueur que de sept au huit mètres! L'individu pris auprès de Boston n'avoit pas tout-à- fait huit mètres de long; et nous avons dit, dans l’ar- ücle précédent, qu’un narwal vulgaire avoit souvent plus de vingt mètres de longueur. Malgré cette infériorité du microcéphale, ses dé- fenses ont quelquefois une longueur presque égale au tiers de la longueur entière de l’animal, pendant que celles du narwal vulgaire n’atteignent que le quart de cette longueur totale. Cette proportion dans les dimensions des défenses rend la petitesse de la tête du microcéphale encore plus sensible, et peut con- tribuer à le faire reconnoître. Dans l'individu dessiné par M. Brand, et dont nous avons fait graver ja fi- gure, on ne voyoit qu'une défense : cette arme étoit placée sur le côté gauche de la mâchoire supérieure ; la spirale formée par les stries assez profondes de cette dent alloit de droite à gauche. La longueur de cette défense étoit de huit vingt-cinquièmes de la longueur du cétacé; mais nous trouvons une défense plus grande encore à proportion dans un narwal dont Tul- pius a fait mention ?, qui vraisemblablement étoit de l'espèce que nous décrivons, et dont le cadavre fut trouvé, en juin 1648, flottant sur la mer, près de l'île Maja. La longueur de ce cétacé n’étoit que de 1. Voyez l'édition de Linnée, donnée par le professeur Gmelin, article du Monodon monoceros, la description des planches de l’Ency- clopédie méthodique, par le professeur Bonnaterre, article du Mo- aodon narwal; et Artedi, genre 49, page 78. 2. Tulpius, Observ. medic., cap. 59. 100 HISTOIRE NATURELLE sept mètres et un tiers; et sa défense avoit trois mè- tres de longueur, en y comprenant la partie renfer- mée dans l’alvéole, et qui avoit un demi-mètre de long. Au reste, cette défense, décrite par Tulpius, étoit dure , très polie, très blanche, striée profon- dément, et placée sur le côté droit. Le microcéphale étant beaucoup plus délié que le narwal vulgaire, sa vitesse doit être plus grande que celle de ce cétacé, quelque étonnante que soit la rapidité avec laquelle nage ce dernier narwal. Sa force seroit donc plus redoutable, si sa masse ne le cédoit à celle du narwal vulgaire, encore plus que la vivacité de ses mouvements ne doit l'emporter sur celle des mouvements du narwal à grande tête. Nous venons de voir qu’on a pris un microcéphale auprès de Boston, et par conséquent vers le quaran- tième degré de latitude. D'un autre côté, il paroît qu'on doit rapporter à cette espèce les narwals vus dans le détroit de Davis, et desquels Anderson avoit appris par des capitaines de vaisseau , qu'ils avoient le corps très allongé, qu'ils ressembloient par leurs for- mes à l’acipensère esturgeon , mais qu’ils n’avoient pas la tête aussi pointue que ce cartilagineux. | L'individu pris dans la mer qui baigne les rivages de Boston, étoit d’un blanc varié par des taches très petites, nuageuses, bleuâtres, plus nombreuses et plus foncées sur la tête, au bout du museau , sur la partie la plus élevée du dos, sur les nageoires pectorales, et sur la nageoiïre de la queue. Le museau du microcéphale est très arrondi; la tête, vue par devant, ressemble à une boule. La mä- choire supérieure est un peu plus avancée que celle DES NARWALS. 191 d’en-bas. L'ouverture de la bouche n’a qu'un petit diamètre. L’œil, très petit, est un peu éloigné de l’angle que forme la réunion des deux mâchoires, et à peu près aussi bas que cet angle. Les pectoraies sont à une distance du bout du museau, égale à trois fois ou environ la longueur de la tête. La saillie lon- situdinele que l’on remarque sur le dos, et qui s’é- tend jusqu à la nageoire de la queue, s'élève assez vers le milieu de la longueur totale et auprès de la cau- dale, pour imiter dans ces deux endroits un commen- cement de fausse nageoïire. La caudale se divise en deux lobes arrondis et recourbés vers le corps, de manière à représenter une ancre. L'ouverture des évents est un croissant dont les pointes sont tournées vers la têle, 192 HISTOIRE NATURELLE. LE NARWAL ANDERSON. Nariwhalus andersonianus, LAcer. ANDERSON a vu à Hambourg des défenses de narwal qui n’étoient ni striées ni cannelées, mais dont la surface étoit absolument unie, et dont la longueur étoit considérable. D’autres observateurs en ont exa- miné de semblablet. On ne peut pas regarder ces dents comme des produits d’une désorganisation in- dividuelle; on ne peut pas les considérer non plus comme l’attribut de l’âge, le signe du sexe, ou la mar- que de l'influence du climat, puisqu'on a vu Îles nar- wals vulgaires, ou les microcéphales, de tout âge, des deux sexes et des différentes mers, présenter des défenses de même nature, de même forme, égale- ment striées en spirale, et profondément sillonnées. Nous devons donc rapporter ces défenses unies à une troisième espèce de narwal; et nous lui donnons le nom de l’observateur auquel on doit la connois- sance de ces grandes dents à surface entièrement lisse. 1. Willughby (livre Il, page 45 de son Ichthyologie) dit que les défenses du narwal qui ne présentent ni spirales ni stries sont rares; nais il donne la figure de trois de ces défenses lisses et coniques, planche À 2. AV AU MU AT EU MU LED LULU VU EU UD LU MU VU VU VEUT MU VU MU UE US LES ANARNAKS. L’'ANARNAK GROENLANDOLS. Anarnak groenlandicus, Lacer. — Monodon spurius, Fasr., Bonn. — Delphinus Anarnak?. LA brièveté des dents, la courbure de leur extré- mité, et la nageoire du dos, distinguent le genre des Anarnaks de celui des Narwals, qui n’ont pas de nageoire dorsale, et dont les défenses sont très lon- gues et très droites dans toute leur longueur. Otho Fabricius a fait connoître la seule espèce de cétacé que nous puissions inscrire dans ce genre. Les Groen- landois ont donné à cette espèce le nom d’Anarnak, que nous lui conservons comme dénomination géné- rique. Ce nom désigne la qualité violemment purga- tive des chairs et de la graisse de ce cétacé. Il vit dans la mer qui baigne les côtes groenlandoises; il s’appro- che rarement du rivage. Son corps est allongé , et sa couleur noirâtre. 1. Voyez les caractères du-genre des Anarnaks dans la table métho- dique qui est à la tête de cette Histoire. 2. Anarnak, dans le Groenland. Oth. Fabricius, Fauna Groenlandica, 51. Monodon spurius. Bonnaterre, planche de l'Encyclopédie méthe- dique. y ———— FERRÉ DETAILS RS ps * “og Su D'RCE + Ware Li CE nés à ige Srtite À x L sas HÉGAS, ï SE 0 pa 6 otottdet S ÉnOS » aivalé ‘ De tu ou ue A PA RS SS S Ÿ EE ——— P auquet s culp PPHAILEX ‘ 1 CROIC M CACHAEOM (e) A TERE -JUBARTE ) 1. BALEINK RAA WU VV MW MEL AAA AAA A AU AA AA AU NV AAA AA AAA AAA) LES CACHALOTS. LE CACHALOT MACROCÉPHALE. Physeter macrocephalus, Linx., Bonn., Snaw., Cuv. — Catodon macrocephalus, Lacer. ?. HA colosse nous avons encore sous les yeux! Nous voyons un des géants de la mer, des dominateurs de 1. Voyez les caractères du geare des Gachalots dans la table métho- dique qui est à la tête de cette Histoire. 2. Voyez les planches X . XI et XII, fig. 1 et 2. Cachelot. Potvisch, par les Hollandoïs. Kaizilot, ibid. Pottfisch, par les Aliemands. Caschelott, ibid. Kaskelot, en Norwége. Potfisk, ibid. Trold-hual, ibid. Huns-hval, ibid. Sue-hval, ibid. Buur-hval, ibid. Bardhvalir, ibid. 3 Rod-kammen ( peigne rouge), par les Islandois. [il-hvel, nom donné par les Islandois aux cétacés dont les mâchoires sont armées de dents, et qui sont carnassiers et dangereux. 190 HISTOIRE NATURELLE l'Océan, des rivaux de la baleine franche. Moins fort que le premier des cétacés, il a reçu des armes for- midables, que la nature n’a pas données à la baleine. Des dents terribles par leur force et par leur nombre! garnissent les deux côtés de sa mâchoire inférieure. Son organisation intérieure, un peu différente de celle Sperma ceti, par les Anglois. Fianfiro ? au Japon. Mokos ? ibid. Physeter microcephalus. Linnée, édition de Gmelin. Grand cachalot ; Physeter macrocephalus. Bonnaterre, planches de l'Encyclopédie méthodique. Id. Édition de Bloch, publiée par R. R. Castel. Catodon fistula in cervice. Faun. Suecic. 53. Id. Artedi, gen. 78, syn. 108. Cetus bipinnis supra niger, infra albicans, fistula in cervice. Bris- son, Regn. animal., pag. 357, n Cetepot walfish Batavis maris accolis dictum, et balæna major, in inferiore tantum maxilla, dentata, macrocephala, bipinnis Sibb. Raï. Pisc., pag. 11. A whirle-pool , — pot walfish , — Cete Clusio, etc. Willughby, liv. 2, pag. 41. Balæna. Id. pl. A z, fig. 5. Cetus dentatus. Mus. Worm., pag. 280 Id. Jonston. Pise., pag. 215, fig. 41-42. Cete Clusu. Klein, Miss. pisc. 2, pag. 14. Aliud cete adnurabile. Clus. Exot., pag. 151. Eggede, Groenland., pag. 54. Anders. Isl:. pag. 252. Cranz, Croenland... pag. 148. Nous n’avons pas besoïn de prévenir nos lecteurs qu’en citant dans la synonymie de cet article; ou dans celle des autres articles de cette Histoire, les ouvrages-des naturalistes anciens ou modernes, nous avons été souvent bien éloignés di les descriptions < qu'ils ont données des cétacés dont ils ont parlé. Ne 1. Suivant Anderson, le nom de: occidentales de la France méridionale, au eétacé que nous décrivons, et signifie animal à dents. Se. Gachalot set $ É donné, sur les rives DES CACHALOTS. 197 de la baleine, lui impose d’ailleurs le besoin d’une nourriture plus substantielle, que des légions d’ani- maux assez grands peuvent seules lui fournir. Aussi ne règne-t-il pas sur les ondes en vainqueur pacifique, comme la baleine ; il y exerce un empire redouté : il ne se contente pas de repousser l'ennemi qui l’atta- que , de briser l'obstacle qui l’arrête, d’immoler l’au- dacieux qui le blesse ; il cherche sa proie, il pour- suit ses victimes , il provoque au combat ; et s’il n’est pas aussi avide de sang et de carnage que plusieurs animaux féroces, s’il n'est pas le tigre de la mer, du moins n'est-il pas l'éléphant de l'Océan. Sa tête est une des plus volumiueuses, si elle n’est pas la plus grande de toutes celles que l’on connoît, Sa longueur surpasse presque toujours le tiers de la longueur totale du cétacé. Elle paroît comme une grosse masse tronquée par devant, presque cubique, et terminée par conséquent à l'extrémité du museau par une surface très étendue , presque carrée, et pres- que verticale. C’est dans la surface inférieure de ce cube immense, mais imparfait, que l’on voit l’ou- verture de la bouche, étroite, longue, un peu plus reculée que le bout du museau, et fermée à la vo- lonté du cachalot par la mâchoire d’en-bas, comme par un vaste couvercle renversé. Cette mâchoire d’en-bas est donc évidemment plus courte que celle d’en-haut. Nous avons dans ie Mu- séum d'histoire naturelle Îles deux mâchoires d’un ca- chalot macrocéphale. La supérieure a cinq mètres quatre-vingt-douze centimètres de longueur ; l’infé- rieure n’est longue que de quatre mètres quatre-vingt- six centimètres. LACÉPEDE. I. 19 108 HISTOIRE NATURELLE Mais la mâchoire d’en-haut du macrocéphale l’em- porte encore plus par sa largeur que par sa longueur sur celle d’en-bas, qu’elle entoure, et qui s’'éemboîte entre ses deux branches. Celle du cachalot que nous venons d'indiquer, a un mètre soixante-deux centi- mètres de large : l’inférieure n’a, vers le bout du mu- seau, que trente-deux centimètres de largeur; et ses deux branches, en s’écartant , ne forment qu’un angle de quarante degrési. Chaque branche de la mâchoire d’en-bas a quel- quefois cependant un tiers de mètre d'épaisseur. La chair des gencives est ordinairement très blanche, dure comme de la corne, revêtue d’une sorte d’é- corce profondément ridée, et ne peut être détachée de los qu'après avoir éprouvé pendant plusieurs heu- res une ébullition des plus fortes. Le nombre des dents qui garnissent de chaque côté la mâchoire d’en-bas est de vingt-trois, suivant le pro- fesseur Gmelin ; il étoit de vingt-quatre dans lindi- vidu dont une partie de la charpente osseuse est con- servée dans le Âfuséum d'histoire naturelle ; il étoit de vingt-cinq dans un autre individu examiné par An- derson ; el selon plusieurs écrivains, il varie depuis vingt-trois jusqu’à trente. On ne peut plus douter que ce nombre ne dépende de l’âge du cétacé, et ne croisse avec cet âge : mais nous devons remarquer avec le savant Hunter, que, dans les cétacés, la dent paroît toute formée dans Falvéole; elle ne s’allonge qu’en pénétrant dans la gencive. La mâchoire s’ac- 1. La figure de cette mâchoire inférieure a été gravée dans les planches de l'Encyclopédie méthodique, sous Ja direction de M. Bon- paterre, Célologie, pl. 6, fig. 5. DES CACGHALOTS. 199 croît en se prolongeant par son bout postérieur. C’est vers le zosier qu’il paroît de nouvelles dents à mesure que l'animal se développe; et de là vient que dans les cétacés, et particulièrement dans le macrocéphale, les alvéoles de la mâchoire supérieure sont d’autant plus profonds qu'ils sont plus près du bout du mu- seau. Ces dents sont fortes, coniques, un peu recour- bées vers l'intérieur de la gueule. Les deux premiè- res et les quatre dernières de chaque rangée sont quelquefois moins grosses et plus pointues que les au- tres. Elles ont à l'extérieur la couleur et la dureté de l'ivoire ; mais elles sont, à l'intérieur, plus tendres et plus grises. On a écrit qu'elles devenoient plus lon- gues, plus grosses et plus recourbées, à mesure que le cétacé vieillit. Lorsqu'elles n’ont encore qu’un sixième de mètre de longueur, leur circonférence est d’un douzième de mètre à l’endroit où elles ont le plus de grosseur. La mâchoire supérieure présente autant d’alvéoles qu'il y a de dents à la mâchoire d’en- bas. Ces alvéoles reçoivent, lorsque la bouche: se ferme , la partie de ces dents qui dépasse les’ genci- ves ; et presque à la suite de chacune de ces'cavités, on découvre une dent petite, pointue à son: extré- mité, située horizontalement, et dont on voit à peine, au dessus de la chair, une surface plane, unie et oblique. La langue est charnue, un peu mobile , d’un rouge livide, et remplit presque tout le fond de la gueule. L’œil est situé plus haut que dans plusieurs grands cétacés. On le voit au dessus de l’espace qui sépare l'ouverture de !a gueule de la base de la pectorale, 200 HISTOIRE NATURELLE et à une distance presque égale de cet espace et du sommet de la tête. Il est noirâtre, entouré de poils très ras et très difficiles à découvrir. Cet organe n’a d’ailleurs qu’un très petit diamètre ; et Anderson as- sure que , dans un individu de cette espèce, poussé dans l’Elbe par une forte tempête en décembre 1720, et qui avoit plus de vingt-trois mètres de longueur, le cristallin n’étoit que de la grosseur d’une balle de fusil. Au reste, nous devons faire remarquer avec soin que l'œil du macrocéphale est placé au sommet d’une sorte d’'éminence ou de bosse, peu sensible à la vé- rité, mais qui cependant s'élève au dessus de la sur- face de la tête, pour que le museau n'empêche pas cet organe de recevoir les rayons lumineux réfléchis par les objets placés devant le cétacé , pourvu que ces objets soient un peu éloignés. Aussi le capitaine Col- nett dit-il, dans la relation de son voyage, que le ca- chalot poursuit sa proie sans être obligé d’incliner le orand axe de sa tête et de son corps sur la ligne le long de laquelle il s’avance. On a peine à distinguer l’orifice du conduit auditif. Il est cependant situé sur une sorte d’excroissance de la peau, entre l'œil et le bras ou la nageoire pecto- rale. Les deux évents aboutissent à une même ouverture, dont la largeur est souvent d’un sixième de mètre. L'animal lance avec force , et à une assez grande hau- teur, Peau qu’il fait jaillir par cet orifice. Mais ce fluide , au lieu de s'élever verticalement, décrit une courbe dirigée en avant, et par conséquent, au lieu de retomber sur les évents, lorsque le cachalot est en DES CACIALOTS. 204 repos, retombe dans la mer, à une distance plus ou moins grande de l'extrémité du museau. Cet effet vient de la direction des évents, et de la position de leur orifice. Ces tuyaux forment une diagonale qui part du fond du palais , traverse l’intérieur de la tête, et se rend à l'extrémité supérieure du bout du mu- seau, où elle se termine par une ouverture inclinée à l'horizon. L'eau lancée par cette ouverture et par ces tuyaux inclinés tend à s'élever dans l'atmosphère dans la même directions et sa pesanteur, qui la ramène sans cesse vers la surface de la mer, doit alors lui faire décrire une parabole en avant du tube dont elle est partie. Le macrocéphale n'est pas obligé de se servir d’é- vents pour respirer, aussi souvent que la baleine fran- che : il reste beaucoup plus long-temps sous l’eau; et l'on doit croire, d’après le capitaine Colnett, que plus il est grand, et moins, tout égal d’ailleurs, il vient fréquemment à la surface de l'Océan. La nuque est indiquée dans ce cétacé par une lé- gère dépression , qui s'étend de chaque côté jusqu’à la nageoïire pectorale. Vers les deux tiers de la longueur du dos, s'élève insensiblement une sorte de callosité longitudinale, que l’on croiroit tronquée par derrière, et qui pré- sente la figure d’un triangle rectangle très allongé. Le ventre est gros et arrondi. La queue, dont la longueur est souvent inférieure à celle de la tête, est conique, d’un très petit diamètre vers la caudale, et par conséquent très mobile. Une gaîne enveloppe la verge du mâle; et c'est dans une cavité longitudinale de près d’un demi-mètre 202 HISTOIRE NÂTURELLE de longueur, que chacune des deux mamelles de Ja femelle est cachée et placée comme dans une sorte d’abri. La mamelle ct le mamelon n’ont ensemble qu'une longueur d'un sixième de mètre ou à peu près; mais ils s’allongent, et la mamelle devient pendante, lorsque la mère allaite son petit. La graisse ou le lard que l’on trouve au que de la peau, à près de deux décimètres d'épaisseur. La chair est d’un rouge pâle. On a écrit que le diamètre de l’aorte du macrocé- phale étoit souvent d’un tiers de mètre , et qu’à cha- que systole il sort du cœur de ce cétacé près de cin- quante litres de sang. Les sept vertèbres du cou, ou du moins les six der- nières, sont soudées ensemble ; elles sent réunies par une sorte d’ankilose, qui cependant n'empêche pas de les distinguer toutes, et de voir que les cinq in- termédiaires sont très minces. Cette particularité contribue à montrer pourquoi le cachalot ne remue pas la tête sans mouvoir le corps. On ignore encore le nombre des vertèbres dorsales et caudales du macrocéphale ; mais on conserve, dans les galeries d'anatomie comparée du Muséum d’his- toire naturelle , trente-trois de ces vertèbres, dont la hauteur est de dix-huit centimètres, et la largeur de vingt-un. Anderson ayant examiné le bout de la queue du cachalot macrocéphale de vingt-trois mètres de lon- gueur, pris dans l'Elbe, et abat. nous avons déjà paie trouva que les vertèbres qui la soutenoient, réunies 1. Leçons d'anatomie comparée de G. Cuvicr, rédigées par C. Du- méril, etc., tome I, pag. 154 et 165. DES CACHALOTS. 209 les unes aux autres par des cartilages souples, de- voient avoir été très mobiles. On peut voir aussi, dans les galeries du Muséum, deux vraies côtes du cachalot que nous tâchons de bien connoître. Elles sontcomprimées, courbées dans un Liers de leur longueur, terminées par deux extré- mités dont la distance mesurée en ligne droite est de cent treize centimètres, et articulées de manière qu’elles forment, avec celles du côté opposé, un angle de quatre-vingt-dix degrés ou environ. M. Chappuis de Quimper écrivit dans le temps à mon savant collègue Faujas de Saint-Fond, que des cachalots macrocéphales, échoués sur la côte de Bre- tagne, n’avoient que huit côtes de chaque côté, et que la longueur de ces côtes étoit de cent soixante- cinq centimètres. L’os du front, très étroit de devant en arrière, res- semble , dans le cachalot, comme dans tous les céta- cés, à une bande transversale qui s'étend de chaque côté jusqu’à l'orbite, dont il compose le plafond, mais il descend moins bas dans le macrocéphale que dans plusieurs autres de ces mammifères, parce que l’œil y est plus élevé, ainsi que nous venons de le voir. Si nous considérons le bras, nous trouverons que les deux os de l’avant-bras, le cubitus et le radius, sont aplatis, et articulés avec l’humerus et avec le carpe, de manière à n'avoir pas de mouvements parti- culiers, au moins très sensibles; que les phalanges des doigts sont également aplaties ; et que toutes les parties qui composent le bras sont réunies et recou- vertes de manière à former une véritable nageoire un 204 HISTOIRE NATURELLE peu ovale , ordinairement longue de plus d’un mètre ; et épaisse de plus d’un décimètre. La nageoire de la queue se divise en deux lobes dont chacun est échancré en forme de faux. Le bout d’un de ces lobes est souvent éloigné de l'extrémité de l’autre, de près de cinq mètres. Le dos du macrocéphale est noir ou noirâtre, quel- quefois mêlé de reflets verdâtres ou de nuances gri- ses ; on à vu aussi la partie supérieure d'individus de cette espèce, teinte d’un bleu d’ardoise, et tachetée de blanc: Le ventre du macrocéphale est blanchâtre. Sa peau a la douceur de la soie. Nous avons déjà dit que sa longueur pouvoit être de plus de vingt-trois mètres : sa circonférence, à l'endroit le plus gros de son corps, est alors au moins de dix-sept mètres ; sa plus grande hauteur est même quelquefois supérieure ou du moins égale au tiers de sa longueur totale. Mais nous ne pouvons terminer la description de ce cétacé, qu'après avoir parlé de deux substances remarquables qu'on trouve dans son intérieur, ainsi que dans celui de presque tous les autres cachalots. L'une de ces deux substances est celle qui est connue dans le commerce sous le nom impropre de Blanc de baleine ; et l’autre est l'Ambre gris. Que la première soit d’abord l’objet de notre exa- men. La tête du cachalot macrocéphale, cette tête si grande, si grosse, si élevée, même dans celle de ses portions qui saille le plus en avant, renferme dans sa DES CACHALOTS. 209 partie supérieure une cavité très vaste et très distincte de celle qui contient le cerveau, et qui est très pe- tite. Le capitaine Colnett nous dit, dans la relation de son voyage, que, dans un macrocéphale pris au- près de la côte occidentale du Mexique, en août 1705, cette cavité occupoit près du quart de la tota- lité de la tête. Elle étoit inclinée en avant, s’avançoit d'un côté jusqu’au bout du museau, et de l’autre, s’étendoit jusqu’au delà des yeux. On peut voir la po- sition , la forme et la grandeur de cette cavité, dans la tête du macrocéphale , qui a près de six mètres de long, que l’on conserve dans le Muséum d'histoire naturelle, que nous avons fait graver, et dont l'os frontal a été scié de manière à laisser apercévoir cet énorme vide. Cetle cavité est recouverte par plusieurs tégu- ments, par la peau du cétacé, par une couche de graisse ou de lard d’un décimètre au moins d’épais- seur, et par une membrane dont le capitaine Colnett dit que la couleur est noire! et dans laquelle on voit de très gros nerfs. La calotte solide que l’on découvre quand on a en- levé ces téguments, est plus ou moins dure, suivant l’âge du cétacé; mais il paroît que, tout égal d’ail- leurs, elle est toujours plus dure dans le macrocé- phale que dans d’autres espèces de cachalots qui pro- duisent du blanc, et dont nous parlerons bientôt. La cavité est divisée en deux grandes portions par une membrane parsemée de nerfs et étendue hori- zontalement., Ces deux portions sont traversées obli- t. Voyage to the south Atlantic, etc. 200 HISTOIRE NATURELLE quement par les évents : elles sont d’ailleurs inégales. La supérieure est la moins grande : l'inférieure, qui est située au dessus du palais, a quelquefois plus de deux mètres et demi de hauteur. Il n’est donc pas sur- prenant qu'on retire souvent de ces deux cavités, les- quelles ont été comparées à des cavernes , plus de dix- huit ou même vingt tonneaux de blanc liquide. Mais cette substance fluide n’est pas contenue uniquement dans ces deux grands espaces. Chacune de ces vastes cavernes est séparée en plusieurs compartiments, for- més par des membranes verticales, dont on a consi- déré la nature comme semblable à celle de la pellicule intérieure d’un œuf d'oiseau, et c’est dans ces com- partimeñts qu’on trouve le blanc. Cette matière est liquide pendant la vie de l’animal; elle est encore fluide lorsqu'on l'extrait peu de temps après la mort du cétacé. À mesure néanmoins qu’elle se refroidit, elle se coagule : si elle est mêlée avec une certaine quantité d'huile, il faut un refroidissement plus con- sidtrable pour la fixer; et lorsqu'elle a perdu sa flui- dité, elle ressemble, suivant M. Hunter, à la pulpe intérieure du melon d’eau. Elle est très blanche : on a cependant écrit que ses nuances étoient quelquefois altérées par le climat, vraisemblablement par la nour- rilure et l’état de l'individu. Devenue concrète, elle: est cristalline et brillante. C’est une matière huileuse, que l’on trouve autour du cerveau, mais qui est très différente, par sa nature, de la substance médullaire. Le blanc que l’on retire de la portion supérieure de la grande cavité, est très souvent moins pur que celui de la portion inférieure ; mais on amène l’un et l’autre à un très haut degré de pureté, en le séparant, à DES CACHALOTS. 207 l'aide de la presse, d’une certaine quantité d'huile qui l’altère, et en le soumettant à plusieurs fusions, cristallisations et pressions successives. Îi est alors cristallisé en lames blanches, brillantes et argentines. Ïl a une odeur particulière et fade, très facile à dis- tinguer de celle que donne la rancidité. Lorsqu'on l'écrase, il se change en une poussière blanche, en- core lamelleuse et brillante , mais onctueuse et grasse. On le fond à une température plus basse que la cire, mais à une température plus élevée que la graisse or- dinaire, Mis en contact avec un corps incandescent , il s’enflamme, brûle sans pétillement, répand une flamme vive et claire, et peut être employé avec d’au- tant plus d'avantage à faire des bougies, que lorsqu'il est en fusion, il ne tache pas les étoffes sur lesquelles il tombe, mais s’en sépare par le froltement, sous la forme d’une poussière. Un canal, que l’on a nommé très improprement veine spermatique, communique avec la cavité qui contient le blanc du cachalot. Très gros du côté de cette cavité, il s’en éloigne avec la moelle épinière, et se divise en un très grand nombre de petits vais- seaux, qui, s'étendant jusqu'aux extrémités du cé- tacé, distribuent dans toutes les parties de l’animal la substance blanche et liquide que nous examinons. Ce canal se vide dans la cavité de la tête , à mesure qu'on retire le blanc de cette cavité; et la substance fluide qui sort de ce gros vaisseau , remplace, pendant quel- ques moments, celui qu’on puise dans la tête. On trouve aussi, dans la graisse du macrocéphale, de petits intervalles remplis de blanc. Lorsqu'on a vidé une de ces loges particulières, elle se remplit 200 HISTOIRE NATURELLE bientôt de celui des loges voisines ; et, de proche en proche, tous ces interstices reçoivent un nouveau fluide, qui provient du grand canal dont la moelle épinière est accompagnée dans toute sa longueur. Il y a donc dans le cachalot, à l’histoire duquel cet article est consacré, un système général de vais- seaux propres à contenir et à transmettre le blanc, lequel système a beaucoup de rapport, dans sa com- position, dans sa distribution, dans son étendue et dans la place qu'il occupe, avec l’ensemble formé par le cerveau, la moelle épinière et les nerfs propre- ment dits. Il ne faut donc pas être étonné qu’on retire du corps et de la queue du macrocéphale une quantité de blanc égale, ou à peu près, à celle que l’on trouve dans sa tête, et que cette substance soit d’un égal degré de pureté dans les différentes parties du cétacé. Pour empêcher que ce blanc ne s’altère et n’ac- quière une teinte jaune, on le conserve dans des vases férmés avec soin. Des commerçants infidèles l'ont quelquefois mêlé avec de la cire; mais én le fai- sant fondre on s'aperçoit aisément de la falsification de cette substance. Pour achever de la faire connoître, nous ne pou- vons mieux faire que de présenter une partie de l’a- nalyse qu’on en peut voir dans le grand et bel ou- vrage de notre célèbre et savant collègue Fourcroyi. « Quand on distille le blanc à la cornue, on ne le » décompose qu'avec beaucoup de difficulté : lorsqu'il » est fondu et bouillant, il passe presque tout entier :. Système des connoissances chimiques, tome X, pag. 299 et suiv. Ÿ DES CACHALOTS. 200 et sans altération dans le récipient; il ne donne ni eau, ni acide sébacique; ses produits n’ont pas l’o- deur forte de ceux des graisses. Cependant une par- tie de ce corps graisseux est déjà dénaturée , puis- qu'elle est à l’état d’huile liquide; et si on le distille > plusieurs fois de suite, on parvient à l'obtenir com- plètement huileux, liquide et mconcrescible. Mal- gré l'espèce d’altération qu'il éprouve dans ces dis- tillations répétées, le blanc n’a point acquis encore plus de volatilité qu'il n’en avoit; et il faut, suivant M. Thouvenel, le même degré de chaleur pour le volatiliser que dans la première opération. L'huile dans laquelle il se convertit n’a pas non plus l'odeur vive et pénétrante de celles qu’on retire des autres matières animales traitées de la même manière. La distillation du blanc avec l’eau bouillante, d’après le chimiste déjà cité, n'offre rien de remarquable. L'eau de cette espèce de décoction est un peu lou- che; filtrée et évaporée, elle donne un peu de ma- tière muqueuse et amère pour résidu. Le blanc, » traité par ébullition dans l’eau, devient plus solide et plus soluble dans l’alcool, qu'il ne l’est dans son état naturel, » Exposé à l'air, le blanc devient jaune et sensible- ment rance. Quoique sa rancidité soit plus lente que celle des graisses proprement dites, et quoique son odeur soit alors moins sensible que dans ces der- nières , en raison de celle qu’il a dans son état frais, ce phénomène y est cependant assez marqué pour que les médecins aient fait observer qu’il falloit en » rejeter alors l'emploi. Il se combine avec le phos- 210 HISTOIRE NATURELLE ? » ÿ » » phore et le soufre par la fusion ; il n’agit pas sur les substances métalliques. » Les acides nitrique et muriatique n'ont aucune action sur lui. L’acide sulfurique concentré le dis- sout en modifiant sa couleur, et l’eau le sépare de cette dissolution, comme elle précipite le camphre de l'acide nitrique; l’acide sulfureux le décolore et le blanchit; l'acide muriatique oxigéné le Jaunit, et ne le décolore pas quand il a pris naturellement cette nuance. » Les lessives d’alcalis fixes s'unissent au blanc li- quéfié, en le mettant à l’état savonneux : cetle es- pèce de savon se sèche et devient friable; sa disso- lution dans l’eau est plus louche et moins homogène que celle des savons communs. » Bouilli dans l'eau avec l’oxide rouge de plomb, le blanc forme une masse emplastique, dure et cassante. » Les huiles fixes se combinent promptement avec cette substance graisseuse, à l’aide d’une douce chaleur; onne peut pas plus la séparer de ces com- ; binaisons, que les graisses et la cire. Les huiles vo- latiles dissolvent également le blanc , et mieux même qu'elles ne font les graisses proprement dites. L’al- cool le dissout en le faisant chauffer: il s’en sépare une grande partie par le réfroidissement ; et lorsque celui-ci est lent, le blanc se cristallise en se préci- pitant. L'éther en opère la dissolution encore plus promptementet plus facilement que l’alcool ; il l’en- lève même à celui-ci, et il en retient une plus grande quantité. On peut aussi faire cristalliser très réguliè- DES CACHALOTS. 211 » rement le blanc, si, après l’avoir dissous dans l’éther » à l’aide de la chaleur douce que la main lui com- » munique, on le laisse refroidir et s’évaporer à l'air. » La forme qu'il prend alors est celle d’écailles blan- » ches, brillantes et argentées comme l'acide bora- » cique, tandis que le suif et le beurre du cacao, » traités de même, ne donnent que des espèces de » mamelons opaques et groupés, ou des masses gre- » nues irrégulières. » Comment ne pas penser maintenant, avec notre collègue Fourcroy, que le blanc du cachalot est une substance très particulière , et qu'il peut être regardé comme ayant avec les huiles fixes les mêmes rapports que le camphre avec les huiles volatiles, tandis que la cire paroît être à ces mêmes huiles fixes ce que la résine est à ces huiles volatiles? Mais nous avons dit souvent qu'il n’existoit pas dans la nature de phénomène entièrement isolé. Aucune qualité n’a été attribuée à un être d’une ma- nière exclusive. Les causes s’enchaînent comme les effets; elles sont rapprochées et liées de manière à former des séries non interrompues de nuances suc- cessives. À la vérité, la lumière de la science r’éclaire pas encore toutes ces gradations. Ce que nous ne pouvons pas apercevoir esi pour nous comme sil n'existoit pas, et voilà pourquoi nous croyons voir des vides autour des phénomènes; voilà pourquoi nous sommes portés à supposer des faits isolés, des facul- tés uniques, des propriétés exclusives, des forces cir- conscrites. Mais toutes ces démarcations ne sont que des illusions que le grand jour de la science dissipera; elles n'existent que dans nos fausses manières de voir, 212 HISTOIRE NATURELLE Nous ne devons donc pas penser qu’une substance particulière n’appartienne qu'à quelques être isolés. Quelque limitée qu'une matière nous paroisse, nous devons être sûrs que ses bornes fantastiques dispa- roîtront à mesure que nos erreurs se dissiperont. On la retrouvera plus ou moins abondante, ou plus ou moins modifiée, dans des êtres voisins ou éloignés des premiers qui l’auront présentée. Nous en avons une preuve frappante dans le blanc du cachalot : pen- dant long-temps on l’a cru un produit particulier de l’organisation du macrocéphale. Mais continuons d’é- couter Fourcroy, et nous ne douterons plus que cette substance ne soit très abondante dans la nature. Une des sources les plus remarquables de cette matière, est dans le corps et particulièrement dans da tête du cachalot macrocéphale; mais nous verrons bientôt que d’autres cétacés le produisent aussi. Ilest même tenu en dissolution dans la graisse huilease de tous les cétacés. L'huile de la baleine franche ou d’autres baleines, à laquelle on a donné dans ie commerce le nom impropre d'huile de poisson, dépose dans les vaisseaux où on la conserve, une quantité plus ou moins grande de blanc, entièrement semblable à celui du cachalot. La véritable huile de poisson , celle qu'on extrait du foie et de quelques autres parties des vrais poissons, donne le même blanc, qui s’en précipite lorsque l'huile a été pendant long-temps en repos, et qui se cristallise en se séparant de cette huile. Les habitants des mers, soit ceux qui ont reçu des pou- mons et des mamelles, soit ceux qui montrent des branchies et des ovaires, produisent done ce blanc dont nous recherchons l’origine. DES CAGHALOTS. 2193 Mais continuons. Foureroy nous dit encore qu'il a trouvé une sub- stance analogue au blanc dans les calculs biliaires, dans les déjections bilieuses de plusieurs malades, dans le parenchyme du foie exposé pendant long- temps à l’air et desséché, dansles muscles qui se sont putréhiés sous une couche d’eau ou de terre humide, dans les cerveaux conservés au milieu de l’alcool, et dans plusieurs autres organes plus ou moins décom- posés. Il n’hésite pas à déclarer que le blanc dont nous étudions les propriétés, est un des produits les plus constants et les plus ordinaires des composés animaux altérés. Observons cependant que cette substance blanche et remarquable, que les animaux terrestres ne pro- duisent que lorsque leurs organes ou leurs fluides sont viciés, est le résultat habituel de l’organisation ordinaire des animaux marins, le signe de leur force constante, et la preuve de leur santé accoutumée, plutôt que la marque d’un dérangement accidentel, ou d’une altération passagère. Observons encore, en rappelant et en réunissant dans notre pensée toutes les propriétés que l'analyse a fait découvrir dans le blanc du cachalot, que cette matière participe aux qualités des substances animales et à celles des substances végétales. C’est un exemple de plus de ces liens secrets qui unissent tous les corps organisés, et qui n'ont jamais échappé aux esprits attentifs. Combien de raisons n’avons-nous pas, par consé- quent , pour rejeter les dénominations si erronées de Blanc de baleine, de substance médullaire de cétace , LACÉPÈDE. I. 14 214 HISTOIRE NATURELLE de substance cervicale, de Sperma ceti (sperme de cé- tacé), etc. , et d'adopter pour le blanc le nom d’4- dipocire , proposé par Fourcroy À, et qui montre que ce blanc, différent de la graisse et de la cire, tient cependant le milieu entre ces deux substances, dont l’une est animale, et l’autre végétale ? En adoptant la dénomination que nous devons à Fourcroy, nous changerons celle dont on s’est servi pour désigner le canal longitudinal quai accompagne la moelle épinière du macrocéphale , et qui aboutit à la grande cavité de la tête de ce cachalot. Au lieu de l'expression si fausse de eine spermatique, nous emploierons celle de Canal adipocireux. On a beaucoup vanté les vertus de cette 4dipocire pour la guérison de plusieurs maux internes et exté- rieurs. M. Chappuis de Douarnenez , que nous avons déjà cilé au sujet des trente-un cachalots échoués sur les côtes de la ci-devant Bretagne en 1784, a écrit dansie tempsau professeur Bonnaterre : «Le blanc, etc. » estun onguent souverain pour les plaies récentes ; » plusieurs ouvriers occupés à dépecer les cachalots » échoués dans la baie d’Audierne, en ont éprouvé » l'efficacité, malgré la profondeur de leurs bles- » sures. » Mais rapportons encore les paroles de notre collè- gue Fourcroy. « L'usage médicinal de cette substance » (lAdipocire) ne mérite pas les éloges qu'on lui » prodiguoit autrefois dans les affections catarrhales, » les ulcères des poumons, des reins, les péripneu- » monies, elc. : à plus forte raison est-il ridicule de le 1. Système des connoïssances chimiques, t. X, p. 502, édit. in-8°. DES CACIHALOTS. 219 » compter parmi les vulnéraires, les balsamiques, les » détersifs, les consolidants, vertus qui d’ailleurs sont » elles-mêmes le produit de l'imagination. M. Thou- » venel en a examiné avec soin les effets dans les ca- » tarrhes, les-rhumes, les rhumatismes soutteux , les » toux gutturales, où on l’a beaucoup vanté; et il n’a » rien vu qui pût autoriser l'opinion avantageuse » qu'on en avoit conçue. Î1 n’en a pas vu davantage » dans les coliques néphrétiques, les tranchées de » femmes en couche, dans lesquelles on l’avoit beau- » coup recommandé. Î] l’a cependant observé sur lui- » même, en prenant ce médicament à la fin de deux » rhumes violents, à une dose presque décup'e de » celle qu’on a coutume d’en prescrire; il a eu con- » stamment une accélération du pouls et une moiteur » sensible. Il faut observer qu’en restant dans le lit, » cette seule circonstance, jointe au dégoût que ce » médicament inspire, à pu influer sur l’effet qu'il » annonce. Aussi plusieurs personnes, à quiil l’a donné » à forte dose, ont-elles eu des pesanteurs d'estomac » et des vomissements, quoiqu'il ait eu le soin de » faire mêler le blanc de baleine (l’4dipocire) fondu » dans l’huile, avec le jaune d'œuf et le sirop, en le » réduisant ainsi à l’état d’une espèce de crème. Il n’a » Jamais retrouvé ce corps dans les excréments ; ce » qui prouve qu'il étoit absorbé par les vaisseaux iac- » tés, et qu'il s’en faisoit une véritable digestion. » Ajoutons à tout ce qu’on vient de lire au sujet de PAdipocire, que cette substance est si distincte du cerveau, que si l’on perce Île dessus de la tête du ma- croctphale, et qu’on parvienne jusqu’à ce blanc, le célacé ne donne souvent aucun signe de sensibilité, 216 HISTOIRE NATURELLE au lieu qu'il expire lorsqu'on atteint la substance cé- rébrale 1 Le macrocéphale produit cependant, ainsi que nous l’avons dit, une seconde substance recherchée par le commerce : cette seconde substance est l’ÆAmbre gris. Elle est bien plus connue que l’adipocire, parce qu'elle a été consacrée au luxe, adoptée par la sen- sualité , célébrée par la mode, pendant que ladipos cire n’a été regardée que comme utile. L’ambre gris est un corps opaque et solide. Sa con- sistance varie suivant qu'il a été exposé à un air plus chaud ou plus froid. Ordinairement néanmoins il est assez dur pour être cassant. À la vérité, il n’est pas susceptible de recevoir un beau poli, comme l’ambre jaune ou le succin; mais lorsqu'on le frotte, sa ru- desse se détruit, et sa surface devient aussi lisse que celle d’un savon très compacte, ou même de la stéa- tite. Si on le racle avec un couteau, iladhère, comme la cire, au tranchant de la lame. Il conserve aussi, comme la cire, l'impression des ongles ou des dents. Une chaleur modérée le ramollit, le rend onctueux, le fait fondre en huile épaisse et noirâtre, fumer, et se volatiser par degrés, en entier, et sans produire du charbon, mais en laissant à sa place une tache noire, lorsqu'il se volatilise sur du métal. Si ce métal est rouge, l’ambrese fond , s’enflamme, se boursoufle, fume, et s’évapore avec rapidité sans former aucun résidu , sans laisser aucune trace de sa combustion. Approché d’une bougie allumée, cet ambre prend 1. Recherches du docteur Swediawer, publiées dans les Transac- tions philosophiques, et traduites en françois par M. Vigarous, doc- teur en médecine. — Journal de physique, octobre 1784. DES CACHALOTS. 2 feu et se consume en répandant une flamme vive. Une aiguille rougie le pénètre, le fait couler en huile noirâtre , et paroît, lorsqu'elle est retirée, comme si on avoit trempée dans de la cire fondue. L’humidité, ou du moins l’eau de la mer, peut ra- mollir l’ambre gris, comme la chaleur. En effet, on peut voir dans le Journal de physique, du mois de mars 1700, que M. Donadeï, capitaine au régiment de Champagne, et observateur très instruit, avoit trouvé sur le rivage de l'Océan alantique, dans le fond du golfe de Gascogne, un morceau d’ambre gris, du poids de près d’un hectogramme, et qui, mou et vis- queux, acquit bientôt de la solidité et de la dureté. L’ambre dont nous nous occupons est communé- ment d’une couleur grise, ainsi que son nom l’an- nonce ; il est d’ailleurs parsemé de taches noirâtres, jaunâtres ou blanchâtres. On trouve aussi quelquefois de l’ambre d’une seule couleur , soit blanchâtre, soit grise, soit jaune , soit brune , soit noirûtre. Peut-être devroit-on croire, d’après plusieurs ob- servations, que ses nuances varient avec sa consis- tance. Son goût est fade; mais son odeur est forte, facile à reconnoître, agréable à certaines personnes, dés- agréable, et même nuisible et insupportable à d’autres. Cette odeur se perfectionne, et, pour ainsi dire, se purifie, à mesure que l’ambre gris vieillit, se dessèche et se durcit; elle devient plus pénétrante et cepen- dant plus suave, lorsqu'on frotte et lorsqu'on chauffe le morceau qui la répand; elle s’exalte par le mélange de l’ambre avec d’autres aromates; elle s’altère et se vicie par la réunion de cette même substance avec 218 HISTOIRE NATURELLE d’autres corps; et c'est ainsi qu'on pourroit expliquer l'odeur d’alcali volatil que répandoit l’ambre gris trouvé sur les bords du golfe de Gascogne par M. Do- nadei, et qui se dissipe quelque temps . que ce Pen l’eut ramassé. L’ambre gris est si léger , qu’il flotte non seulement sur la mer, mais encore sur l’eau douce. Il se présente en boules irrégulières : les unes mon- trent dans leur cassure un tissu grenu; d’autres sont formées de couches presque concentriques de diffé- rentes épaisseurs, et qui se brisent en écailles. Le grand diamètre de ces boules varie ordinaire- ment depuis un douzième jusqu’à un liers de mètre; et leur poids, depuis un jusqu'à quinze kilogrammes. Mais on a vu des morceaux d’ambre d’une grosseur bien supérieure. La compagnie des Indes de France exposa à la vente de l'Orient, en 1755, une boule d’ambre qui pesoit soixante-deux kilogrammes. Un pêcheur américain d’Antioga a trouvé dans le ventre d'un cétacé, à seize myriamètres au sud-est des îles du Vent, un morceau d’ambre pesant soixante-cinq kilograwmes, et qu’il a vendu 50o livres sterling. La compagnie des Indes orientales de Hollande a donné onze mille rixdalers à un roi de Tidor pour une masse d’ambre gris, du poids de quatre-vingt-onze kilo- srammes. Nous devons dire cependant que rien ne prouve que ces masses n'aient pas été produites arti- ficiellement par la fusion , la réunion et le refroidisse- ment gradué de plusieurs boules ou morceaux natu- rels. Mais, quoi qu'il en soit, l’état de mollesse et de liquidité que plusieurs causes peuvent donner àl’an- bre gris, et qui doit être son élat primitif, explique DES CACHALOTS. 219 comment ce corps odorant peut se trouver mêlé avec plusieurs substances très différentes de cet aromate, telles que des fragments de végétaux, des débris de coquilles, dés arêtes ou d’autres parties de poisson. Mais indépendamment de cette introduction acci- dentelle et extraordinaire de corps étrangers dans l’ambre gris, cette substance renferme presque tou- jours des becs ou plutôt des mâchoires du mollusque auquel Linné a donné le nom de Sepia octopodia , et que mon savant collègue M. Lamarck a placé dans un senre auquel il a donné le nom d’'Octopode. Ge sont ces mâchoires, ou leurs fragments, qui produisent ces taches jaunâtres, noirâtres ou blanchâtres, si nom- breuses sur l’ambre gris. On a publié différentes opinions sur la production de cet aromate. Plusieurs naturalistes l’ont regardé cemme un bitume, comme une huile minérale, comme une sorte de pétrole. Épaissi par la chaleur du soleil et durci par un long séjour au milieu de l’eau salée, avalé par le cachalot macrocéphale ou par d’autres cétacés, el soumis aux forces ainsi qu'aux sucs digestifs de son estomac, il éprouveroit dans l'in- térieur de ces animaux une altération plus ou moins grande. D’habiles chimistes, tels que Geolfroy, Neu- mann, Grim et Brow, ont adopté cette opinion, parce qu'ils ont retiré de lambre gris quelques pro- duits analogues à ceux des bitumes. Gette substance leur a donné, par l'analyse, une liqueur acide, un sel acide concret, de l'huile et un résidu charbon- neux. Mais, comme l’observe notre collègue Four- eroy, ces produits appartiennent à beaucoup d’autres 2920 HISTOIRE NATURELLE substances qu'à des bitumes. De plus, l’ambre gris est dissoluble en grande partie dans l'alcool et dans l'éther ; sa dissolution est précipitée par l’eau comme celle des résines, et les bitumes sont presqué inso- lubles dans ces liquides. D’autres naturalistes, prenant les fragments de mâchoires de mollusques disséminés dans l’ambre gris pour des portions de becs d’oiseaux, ont pensé que cette substance provenoit d’excréments d'oiseaux qui avoient mangé des herbes odoriférantes. Quelques physiciens n’ont considéré l’ambre gris que comme le produit d’une sorte d’écume rendue par des phoques, ou un excrément de crocodile. Pomet, Lémery, et Formey de Berlin, ont cru que ce corps n’étoit qu’un mélange de cire et de miel, modifié par le soleil et par les eaux de la mer, de ma- nière à répandre une odeur très suave. Dans ces dernières hypothèses, des cétacés au- roient avalé des morceaux d’ambre gris entraînés par les vagues et flottant sur la surface de l'océan; et cet aromate , résultat d’un bitume, ou composé de cire et de miel, ou d’écume de phoque, ou de fiente d'oiseau , ou d’excréments de crocodile, roulé par les flots et transporté de rivage en rivage pendant son état de moilesse, auroit pu rencontrer, retenir et s’at- tacher plusieurs substances étrangères, et particuliè- rement des dépouilles d'oiseaux, de poissons, de mollusques, de testacés. Des physiciens plus rapprochés de la vérité ont dit, avec Clusius, que l’ambre gris étoit une substance animale produite dans l'estomac d’un cétacé, comme DES CACHALOTS. 221 une sorte de bézoard. Dudley a écrit, dans les Trans- actions philosophiques , tome XXIIT, que l’ambre étoit une production semblable au Musc où au Cus- toreum, et qui se formoit dans un sac particulier, placé au dessus des testicules d’un cachalot; que ce sac éloit plein d’une liqueur analogue par sa consis- tance à de l’huile, d’une couleur d'orange foncée, et d’une odeur très peu différente de celle des morceaux d’ambre qui nagevient dans ce fluide huileux; que l’ambre sortoit de ce sac par un conduit situé le iong du pénis, et queles cétacés mâles pouvoient seuls le contenir. D’autres auteurs ont avancé que ce sac n'’étoit que la vessie de l’urine, et que les boules d’ambre étoient des concrétions analogues aux pierres que l’on trouve dans la vessie de l’homme et de tant d'animaux : mais le savant docteur Swédiawer a fait remarquer avec raison , dans l'excellent travail qu'il a publié sur l’am- bre gris !, que l’on trouve des morceaux de cet aro- mate dans les cachalots femellescomme dansles mâles, et que les boules qu'elles renferment sont seulement moins grosses et souvent moins recherchées. Il à montré que la formation de l’ambre dans la vessie, et l’existence d’un sac particulier, étoit entièrement contraire aux résultats de l’observation; il a fait voir que ce prétendu sac n’est autre chose que le cœcum du macrocéphale, lequel cœcum a plus d’un mètre de longueur; et après avoir rappelé que, suivant Kæmopfer, l’ambre gris, nommé par les Japonois ex- crément de baleine (kusura *o fu), étoit en effet un excrémént de ce cétacé, il a exposé la véritable ori- 1. Transactions philosophiques. 222 HISTOIRE NATUREELE gine de cetle substance singulière, telle que la dé- montrent des faits bien constatés. L’ambre gris se trouve dans le canal intestinal du macrocéphale, à une distance de l'anus, qui varie entre un et plusieurs mètres. Il est parsemé de frag- ments de mâchoires du mollusque nommé Seiche, parce que le cachalot macrocéphale se nourrit prin- cipalement de ce moilusque, et que ces mâchoires sont d’une substance de corne qui ne peut pas être digérée. Il n’est qu'un produit des excréments du cachalot; mais ce résullat n'a lieu que dans certaines circon- stances, et ne se trouve pas par conséquent dans tous les individus. Îl faut, pour qu'il existe, qu'une cause quelconque donne au cétacé une maladie assez grave, une constipation forte, qui se dénote par un afloi- blissement extraordinaire, par une sorte d’engour- dissement et de lorpeur, se termine quelquefois d’une manière funeste à l'animal par un abcès à l’ab- domen , altère les excréments, et les retient pendant un temps assez long pour qu'une partie de ces sub- stances se ramasse, se coagule , se modifie, se con- solide, et présente enfin les propriétés de l’ambre gris. L'odeur de cet ambre ne doit pas étonner. En effet, les déjections de plusieurs mammifères, tels que les bœufs, les pores, etc., répandent, lorsqu'elles sont gardées pendant quelque temps, une odeur semblable à celle de l’ambre gris. D'ailleurs, on peut observer, avec Romé de Lisle!, que les mollusques 1. Journal de physique, novembre 1784. DES CACHALOTS. 229 dont se nourrit le macrocéphale, et dont la substance fait la base des excréments de ce cétacé, répandent pendant leur vie, el même après qu'ils ontété dessé- chés, des émanations odorantes très peu différentes de celles de l’ambre, et que ces émanations sont très remarquables dans l'espèce de ces moliusques qui a reçu , soit des Grecs anciens, soit des Grecs moder- nes , les noms de Æledone, Bolitaine, Osmylos, Os- mylios et Moschites, parce qu’elle sent le muse. L'ambre gris est donc une portion des excréments du cachalot macrocéphale ou d’autres cétacés, en- durcie par les suites d’une maladie, et mêlée avec quelques parties d'aliments non digérés. Il est ré- pandu dans le canal intestinal en boules ou mor- ceaux irréguliers, dont le nombre est quelquefois de quatre ou de cinq. Les pêcheurs exercés connoissent si le cachalot qu'ils ont sous les yeux contient de l’ambre gris. Lorsqu'après l'avoir harponné ils le voient rejeter tout ce qu'il a dans l'estomac, et se débarrasser très promptement de toutes ses matières fécales, ils assu- rent qu'ils ne trouveront pas d’ambre gris dans son corps : mais lorsqu'il leur présente des signes d’en- gourdissement et de maladie, qu'il est maigre, qu'il ne rend pas d'excréments, et que le milieu de son ventre forme une grosse protubérance, ils sont sûrs que ses intestins contiennent l’ambre qu'ils cherchent. Le capitaine Colnett dit, dans la relation de son voyage, que, dans certaines circonstances, l’on coupe la queue et une partie du corps du cachalot, de ma- 1. Rondelet, Histoire des poissons, première partie, liv. 17, chap.6. — Troisième espèce de Poulpe. 224 HISTOIRE NATURELLE nière à découvrir la cavité du ventre, et qu’on s’assure alors facilement de Ïa présence de l’ambre gris, en sondant les intestins avec une longue perche. Mais de quelque manière qu'on ait reconnu l’exis- tence de cet ambre dans l'individu harponné, ou trouvé mort et flottant sur la surface de la mer, on lui ouvre le ventre, en commençant par l'anus, et-en continuant jusqu'à ce qu'on ait atteint l’objet de sa recherche. Quelle est donc la puissance du luxe, de la vanité, de l'intérêt, de l’imitation et de l’usage ! Quels voya- ges on entreprend, quels dangers on brave, à quelle cruauté on se condamne, pour obtenir une matière vile, un objet dégoütant, mais que le caprice et le désir des jouissances privilégiées ont su métamor- phoser en aromate précieux ! L'’ambre contenu dans le canal intestinal du macro- céphale n’a pas le même degré de dureté que celui qui flotte sur l'océan, ou que les vagues ont rejeté sur le rivage : dans l'instant où on le retire du corps du cétacé, il a même encore la couleur et l’odeur des véritables excréments de l'animal à un si haut degré, qu'il n’en est distingué que par un peu moins de mollesse; mais exposé à l'air, il acquiert bientôt la consistance et l'odeur forte et suave qui le caracté- risent. On a vu de ces morceaux d’ambre entraînés, par les mouvements de l'Océan, sur les côtes du Japon, de la mer de Chine, des Moluques, de la Nouvelle- Hollande occidentaie !, du grand golfe de l'Inde, 1. Auprès de la rivière des Cygnes. (Journal manuserit du natura- DES CACHALOTS. 295 des Maldives, de Madagascar, de l’Afrique orien- tale et occidentale, du Mexique occidental, des îles Gallapagos, du Brésil, des îles Bahama, de l'île de la Providence, et même à des latitudes plus éloignées de la ligne, dans le fond du golfe de Gas- cogne, entre l'embouchure de l’Adour et celle de la Gironde, où M. Donadei a reconnu cet aromate, et où, dix ans auparavant , la mer en avoit rejeté une masse du poids de quarante kilogrammes. Ces mor- ceaux d’ambre délaissés sur le rivage sont, pour les pêcheurs, des indices presque toujours assurés du grand nombre des cachalots qui fréquententles mers voisines, Et en effet, le golfe de Gascogne, ainsi que l’a remarqué M. Donadei, termine cette portion de l'Océan atlantique septentrional qui baigne les bancs de Terre-Neuve, autour desquels naviguent beau- coup de cachalots, et qu'agitent si souvent des vents qui soufflent de l’est et poussent les flots contre jes rivages de France. D'un autre côté, M. Levilain a vu non seulement une grande quantité d’ossements de cétacés gisants sur les bords de la Nouvelle-Hollande, auprès de morceaux d’ambre gris, mais encore la mer voisine peuplée d’un grand nombre de cétacés, et bouleversée pendant l’hiver par des tempêtes horri- bles, qui précipitent sans cesse vers la côte les vagues amoncelées ; et c'est d’après cette certitude de trouver beaucoup de cachalots auprès des rives où l’on avoit vu des morceaux d’ambre, que la pêche particulière du macrocéphale et d’autres cétacés, auprès de Ma- dagascar , a été dansle temps proposée en Angleterre. liste Levilain , embarqué avec le capitaine Baudin , pour une expédi- tion de découvertes. ) ï 320 HISTOIRE NATURELLE L'ambre gris, gardé pendant plusieurs mois, se couvre , comme le chocolat, d’une poussière grisâtre. Mais, indépendamment de cetie décomposition na- turelle, on ne peut souvent se le procurer par le commerce, qu'altéré par la fraude. On le falsifie com- munément en le mêlant avec des fleurs de riz, du styrax où d’autres résines !. Il peut aussi être modifié parles sucsdigestifs de plusieurs oiseaux d’eau qui l’a- valent, et le rendent sans beaucoup changer ses pro- priélés ; et M. Donadei a écrit que les habitants de la côte qui borde le golfe de Gascogne appeloient renardé Vambre dont la nuance étoit noire; que, sui- vant eux, On ne trouvoit cet ambre noir que dans des forêts voisines du rivage, mais élevées au dessus de la portée des plus hautes vagues; et que cette variété d'ambre tenoit sa couleur particulière des forces intérieures des renards, qui éloient très avides d’ambre gris, n’en altéroient que foiblement les fragments, et cependant ne les rendoiïent qu'aprèsen avoir changé la couleur. L’ambre gris a été autrefois très recommandé en médecine. On l’a donné en substance ou en teinture alcoolique. On s’en est servi pour l'essence d’Hofmann, pour la teinture royale du codex de Paris, pour des trochisques de la pharmacopée de Wirtemberg, etc. On l’a regardé comme stomachique, cordial, anti- spasmodique. On a cité des effets surprenants de celte substance dans les maladies convuisives les plus dan- sereuses, telles que le tétanos et l’hydrophobie. Le docteur Swediawer rapporte que cet aromale a été 1. Mémoire du docteur Sweaiawer, déjà cité. DES CACHALOTS. Doi très purgatif pour un marin qui en avoit pris un dé- cagramme et demi après lavoir fait fondre au feu. Dans plusieurs contrées de l’Asie et de l’Afrique, on en fait un grand usage dans la cuisine, suivant le doc- teur Swediawer. Les pélerins de là Mecque en achè- tent une grande quantité, pour l'offrir à la place de l’encens. Les Turcs ontrecours à cet aromate, comme à un aphrodisiaque. Mais il est principalement recherché pour les par- fums : il en est une des bases les plus fréquemment employées. On le mêle avec le musc, qu'il atténue, et dont il tempère les effets au point d’en rendre l’o- deur plus douce et plus agréable. Et c’est enfin une des substances les plus divisibles, puisque la plus petite quantité d’ambre suffit pour parfumer pendant un temps très long un espace très étendu, Ne cessons cependant pas de parler de l’ambre gris sans faire observer que l’altération qui produit cet aromate n’a lieu que dans les cétacés dont la tête, le corps et la queue, organisés d’une manière particu- lière, renferment de grandes masses d’adipocire; et il semble que l’on à voulu indiquer cette analogie en donnant à l’adipocire le nom d’Ambre blanc, sous le- quel cette matière blanche a été connue dans plu- sieurs pays. Nous venons d'examiner les deux substances singu- 1. Lorsque le docteur Swediawer a pablié son travail, lambre gris se vendoit à Londres une livre sterling les trois décagrammes; et, sui- vant M. Donadei, l’'ambre gris, trouvé sur les côtes du golfe de Gas- cogne, éloit vendu, en 1790, à peu près le même prix dans le com- merce, où on leregardoit comme apporté des grandes Indes, quoique les pêcheurs n’en vendissent le même poids à Bayonne ou à Bordeaux que cinq ou six francs. 2928 HISTOIRE NATURELLE lières que produit le cachalot macrocéphale; conti- nuous de rechercher les attributs et les habitudes de cette espèce de cétacé. Il nage avec beaucoup de vitesse. Plus vif que plu- sieurs baleines, et même que le nordcaper, ne le cédant par sa masse qu’à la baleine franche, il n’est pés surprenant qu'il réunisse une grande force aux armes terribles qu'il a reçues. Il s’élance au dessus de la surface de l'Océan avec plus de rapidité que les baleines, et par un élan plus élevé. Un cachalot que l'on prit en 1715 auprès des côtes de Sardaigne, et qui n’avoit encore que seize mètres de longueur, rompit d’un coup de queue une grosse corde, avec laquelle on l’avoit attaché à une barque ; et lorsqu'on eut doublé la corde, il ne la coupa pas, mais il en- traîna la barque en arrière, quoiqu'elle fût poussée par un vent favorable. Il est vraisemblable qu'il étoit de l'espèce du ma- crocéphale. Ce cétacé en effet n’est pas étranger à la Méditerranée. Les anciens n’en ont pas eu cependant une idée nette. Il paroît même que, sans en excepter Pline ni Aristote, ils n’ont pas bien distingué les for- mes ni les habitudes des grands cétacés, malgré la présence de plusieurs de ces énormes animaux dans la Méditerranée, et malgré lesrenseignements que leurs relations commerciales avec les Indes pouvoient leur procurer sur plusieurs autres. Non seulement ils ont appliqué à leur Mysticetus des organes, des qualités ou des gestes du rorqual, aussi bien que de la ba- leine franche, mais encore ils ont attribué à leur ba- leine des formes ou des propriétés du gibbar, du rorqual et du cachalot macrocéphale ; et ils ont com- DES CACHALOTS. 229 posé leur Physolus, des traits de ce mème macrocé- phals mêlés avec ceux du gibbar. Au reste, on ne peut mieux faire, pour connoître les opinions des an- ciens au sujet des cétacés, que de consulter l’excel- lent ouvrage du savant professeur Schneider sur les synonymes des cétacés et des poissons, recueillis par Artédi. Mais la Méditerranée n'est pas la seule mer inté- rieure dans laquelle pénètre le macrocéphale : il ap- partient même à presque toutes les mers. On l'a re- connu dans les parages du Spitzherg; auprès du cap Nord et des côtes de Finmarck; dans les mers du Groenland; dans le détroit de Davis; dans la plus grande partie de l'Océan atlantique septentrional ; dans le golfe britannique, auprès de l'embouchure de l’Elbe, dans lequel un macrocéphale fut poussé par une violente tempête, échoua et périt, en dé- cembre 1720; auprès de Terre-Neuve ; aux environs de Bayonne; non loin du cap de Bonne-Espérance ; près du canal de Mosambique, de Madagascar et de l'ile de France; dans la mer qui baigne les rivages occidentaux de la Nouvelle-Hollande , où il doit avoir figuré parmi ces troupes d'innombrables et grands cétacés que le naturaliste Levilain a vu attirer des pétrels!, lutter contre les vagues furieuses, bondir, s'élancer avec force, poursuivre des poissons, et se presser auprès de la terre de Lewin, de la rivière des Cygnes , et de la baie des Chiens-Marins, au point de gèner la navigation; vers les côtes de la Nouvelle- 1. Voyez, dans l’article de la baleine franche, ce que nous avons dit, d’après le capitaine angloïs Colnett, des troupes de pétrels qui accompagnent celles des plus grands cétacés. LACÉPÈDE. I. 15 290 HISTOIRE NATUREÈLLE Zélande; près du cap de Corientes du golfe de la Ca- lifornie; à peu de distance de Guatimala, où le capi- taine Colnett rencontra une légion d'individus de cette espèce; autour des îles Gallapagos; à la vue de l’île Mocha et du Chili, où, suivant le même voyageur, la mer paroissoit couverte de cachalots; dans la mer du Brésil; et enfin auprès de notre Finistère. En 1584. trente-deux macrocéphales échouëèrent sur la côte occidentale d’Audierne, sur la grève nommée Très-Couarem. Le professeur Bonnaterre a publié dans l'Encyclopédie méthodique, au sujet de ces cétacés, des détails intéressants, qu'il devoit à MM. Bastard, Chappuisle fils et Derrien, et à M. Le- coz, mon ancien collègue à la première assemblée législative de France, et maintenant archevêque de Besançon. Le i3 mars, on vit avec surprise une mul- litude de poissons se jeter à la côte, et un grand nombre de marsouins entrer dans le port d’Audierne. Le 1/4, à six heures du matin, la mer étoit fort grosse, et les vents souffloient du sud-ouest avec violence. On entendit vers le cap Estain des mugissements ex- traordinaires , qui retentissoient dans les terres à plus de quatre kilomètres. Deux hommes, qui côtoyoient alors le rivage, furent saisis de frayeur, surtout lors- qu'ils aperçurent un peu au large des animaux énor- mes, qui s’agitoient avec violence, s’eflorçcoient de ré- sister aux vagues écumantes qui les rouloient et les précipitoient vers fa côte , battoient bruyamment les flots soulevés, à coups redoublés de leur large queue, et rejetaient avec vivacité par leurs évents une eau 1 Letire du capitaine Baudin à mon collègue Jussieu. DES CACHALOTS. 291 bouillonnante , qui s’élançoit en sifflant. L’effroi des spectateurs augmenta lorsque les premiers de ces cé- iacés, n’opposant plus à la mer qu'une lutte inutile, furent jetés’sur le sable ; ilredoubla encore lorsqu'ils les virent suivis d’un très grand nombre d’autres co- losses vivants. Les macrocéphales ét6ient cependant encore jeunes; les moins grands n’avoient guère plus de douze mètres de longueur, etles plus grands n’en avoient pas plus de quinze ou seize. [ls vécurent sur le sable vingt-quatre heures ou environ. I! ne faut pas être étonné que des milliers de pois- sons , troublés et effrayés, aient précédé l’arrivée de ces cétacés. et fui rapidement devant eux. En effet, le macrocéphale ne se nourrit pas seulement du mol- lusque Seiche, que quelques marins anglois appellent Squild ou Squill, qui est très commun dansles parages qu’il fréquente, qui est très répandu particulière- ment auprès des côtes d'Afrique et sur celles du Pé- rou, et qui y parvient à une grandeur si considérable, que son diamètre y est quelquefois de plus d’un tiers de mètre. Il n’ajoute pas seulement d’autres mol- lusques à cette nourriture ; il est aussi très avide de poissons, notamment de cycloptères, On peut voir dans Duhamel qu'on a trouvé des poissons de deux mètres de longueur dans l’estomac du macrocéphale. Mais voici des ennemis bien autrement redoutables, dont ce cétacé fait ses victimes. Î! poursuit les pho- ques, les baleinoptères à bec, les Dauphins vulgaires, 1. Observations faites par M. Starbuc, capitaine de vaisseau des États-Unis, et communiquées à M. de Lacépède par M. Joseph Dour- len, de Dunkerque, en décembre de l’année 1795. 292 HISTOIRE NATURELLE Il chasse lesrequins avecacharnement ; et ces squales, si dangereux pour tant d’autres animaux, sont, sui- vant Otho Fabricius, saisis d’une telle frayeur à la vue du terrible macrocéphale, qu'ils s'empressent de se ca- cher sousle sable ou souslavase, qu'ils se précipitent au travers des écueils, qu'ils se jettent contre les rochers avec assez de violence pour se donner la mort, et qu’ils n’osent pas même approcher de son cadavre, malgré l’avidité avec laquelle ils dévorent les restes des autres cétacés. D’après la relation du voyage en Islande de MM. Olafsen et Povelsen , on ne doit pas douter que le macrocéphale ne soit assez vorace pour saisir un bateau pècheur , le briser dans sa gueule, et engloutir les hommes qui le montent : aussiles pècheurs islan- dois redoutent-ils son approche. Leurs idées super- stitieuses ajoutent à leur crainte, au point de ne pas leur permettre de prononcer en haute mer le véri- table nom du macrocéphale; et ne négligeant rien pour l’éloigner, ils jettent dans la mer, lorsqu'ils aper- coivent ce féroce cétacé, du soufre, des rameaux de genévrier, des noix muscades, de la fiente de bœuf récente, ou tâchent de le détourner par un grand bruit et par des cris perçants. Le macrocéphale cependant rencontre dans de grands individus, ou dans d’autres habitants des mers que ceux dont il veut faire sa proie, des rivaux con- tre lesquels sa puissance est vaine. Une troupe nom- breuse de macrocéphales peut même être forcée de combattre contre une autre troupe de cétacés redou- tables par leur force ou par leurs armes. Le sang coule alors à grands flots sur la surface de l'Océan, comme DES CACHALOTS. 299 lorsque des milliers de harponneurs attaquent plu- sieurs baleines; et la mer se teint en rouge sur un espace de plusieurs kilomètres 1. Au reste, n'oublions pas de faire faire attention à ces mugissements qu'ont fait entendre les cachalots échoués dans la baie d’Audierne, et de rappeler ce que nous avons dit des sons produits par les cétacés, dans l’article de la Baleine franche et dans celui de la Baleinoptère jubarte. La contrainte, la douleur, le danger, la rage, n’ar- rachent peut-être pas seuls des sons plus ou moins forts et plus ou moins expressifs aux cétacés, et par- ticulièrement au cachalot macrocéphale. Peut-être le sentiment le plus vif de tous ceux que les animaux peuvent éprouver leur inspire-t-il aussi des sons par- ticuliers qui l’annoncent au loin. Les macrocéphales du moins doivent rechercher leur femelle avec une sorte de fureur. Ils s’accouplent comme la baleine franche; et pour se livrer à leurs amours avec moins d'inquiétude ou de trouble, ils se rassemblent, dans le temps de leur union la plus intime avec leur fe- 1. Traduction du Voyage en Islande de MM. Olafsen et Povelsen. tome IV, page 450. ; Le P. Feuillée dit, dans Le recueil des observations qu'il avoit faites en Amérique (tome I, page 595), qu'auprès de la côte du Pérou il vit l'eau de la mer mêlée avec un sang fétide; que, selon les Indiens, ce phénomène avoit lieu tous les mois, et que ce sang provenoit , suivant ces mêmes Indiens, d’une évacuation à laquelle les baleines femelles étoieut sujettes chaque mois, et lorsqu'elles étoient en chaleur. Les combats que se livrent les cétacés, et le nombre de ceux qui périssent sous les coups des pécheurs, suffisent pour expliquer le fait observé par le P. Feuillée, sans qu'on ait besoin d’avoir recours aux idées des Indiens. 234 HISTOIRE NATURELLE melle, auprès des rivages les moins fréquentés. Le ea- pitaine Colnett dit, dans la relation de son voyage, que les environs des îles Gallapagos sont dans le prin- temps le rendez-vous de tous les cachalots macrocé- phales ( Sperma ceti). des côtes du Mexique, de celles du Pérou, et du golfe de Panama; qu'ils s’y accou- plent; et qu'on y voit de Jeunes cachalots qui n’ont pas deux mètres de longueur. On a écrit que le temps de la gestation est de neuf ou dix mois, comme pour la baleine franche; que la inère ne donne le jour qu’à un petit et tout au plus à deux. Mon ancien collègue, M. l'archevêque de Be- sançon, et M. Chappuis, que j'ai déjà cités, ont communiqué dans le temps au professeur Bonna- terre, qui l’a publiée, une observation bien précieuse à ce sujet. Les trente-un cachalots échoués en 1784 auprès d'Audierne étoient presque tous femelles. L'’équi- noxe du printemps approchoit : deux de ces femelles mirent bas sur le rivage. Cet événement, hâté peut- être par tous les efforts qu’elles avoient faits pour se soutenir en pleine mer et par la violence avec la- quelle les flots les avoient poussées sur le sable, fut précédé par des explosions bruyantes. L'une donna deux petits, et l’autre un seul. Deux furent enlevés par les vagues : le troisième, qui resta sur la côte, étoit bien conformé, n'avoit pas encore de dents, et sa longueur étoit de trois mètres et demi; ce qui pourroit faire croire que les jeunes cachalots vus par M. Colnett auprès des îles Gallapagos lui ont paru moins longs qu'un double mètre, à cause de la dis- tance à laquelle il a dû être de ces jeunes cétacés, DES CACHALOTS. 259 et de la difficulté de les observer au milieu des flots qui devoient souvent les cacher en partie. La mère montre pour son petit une affection plus vrande encore que dans presque toutes Îes autres es- pèces de cétacés. C’est peut-être à un macrocéphale femelle qu’il faut rapporter le fait suivant, que l’on trouve dans la relation du voyage de Fr. Pyrardi. Cet auteur raconte que dans la mer du.Brésil, un grand cétacé, voyant son petit pris par des pêcheurs, se jeta avec une telle furie contre leur barque , qu'il la renversa, et précipita dans la mer son petit, qui par là fut délivré, et les pêcheurs, qui ne se sauvè- rent qu'avec peine. Ce sentiment de la mère pour le jeune cétacé au- quel elle a donné le jour se retrouve même dans presque tous les macrocéphales pour les cachalots avec lesquels ils ont l'habitude de vivre. Nous lisons dans la relation du voyage du capitaine Colnett, que, lorsqu'on attaque une troupe de macrocéphales, ceux qui sont déjà pris sont bien moins à craindre pourles pêcheurs que leurs compagnons encore libres, les- quels, au lieu de plonger dans la mer ou de prendre la fuite, vont avec audace couper les cordes qui re- tiennent les premiers, repousser ou immoler leurs vainqueurs, et leur rendre la liberté. Mais les efforts des macrocéphales sont aussi vains que ceux de la baleine franche. Le génie de l’homme dominera toujours l'intelligence des animaux, et son art enchaînera la force des plus redoutables. On pè- che avec succès les macrocéphales, non seulement 1. Seconde parlie, page 208. 236 HISTOIRE NATURELLE dans notre hémisphère , mais dans l'hémisphère aus- tral ; et à mesure que d'illustres exemples et de gran- des lecons apprennent aux navigateurs à faire avec fa- cilté ce qui naguère éloit réservé à l’audace éclairé des Magellan, des Bougainville et des Cook, les sta- tions et le nombre des pècheurs de cachalots, ainsi que d’autres grands cétacés dont on recherche l'huile, les fanons, l’ambre ou l’adipocire, se multiplient dans les deux océans. Ces pêcheries ouvrent de nouvelles sources de richesses, et créent de nouvelles pépi- nières de marins pour les Anglois, et pour les Amé- ricains des États-Unis, ce peuple que la nature, la liberté et la philosophie appellent aux plus belles destinées, et qui l’emporte déjà sur tant d’autres nations par l’habileté et la hardiesse avec laquelle il parcourt la mer comme ses belles contrées, et re- cueille les trésors de l'Océan aussi facilement que les moissons de ses campagnes À. 0 Les macrocéphales résistent plus long-temps que beaucoup d’autres cétacés aux blessures que leur font la lance et le harpon des pêcheurs. On ne leur arra- che que difficilement la vie; et on assure qu'on a vu de ces cachalots respirer encore, quoique privés de parties considérables de leurs corps, que le fer avoit désorganisées au point de les faire tomber en putré- faction. Il faut observer que cette force avec laquelle les organes du cachalot retiennent, pour ainsi dire, la vie, quoique étroitement liés avec d’autres organes lésés, altérés et presque détruits, appartient à une 1. M. Cossigny a parlé de ces pêcheries australes dans l'intéressant ouvrage qu'il a publié sur les colonies. DES CACHALOTS. 23" espèce de cétacé qui a moins besoin que les autres animaux de sa famille de venir respirer à la surface des mers le fluide de l’atmosphère, et qui par conséquent peut vivre sous l’eau pendant plus de temps 1, La peau, le lard, la chair, les intestins et les ten- dons du cachalot macrocéphale sont employés dans plusieurs contrées septentrionales aux mêmes usages que ceux du narwal vulgaire. Ses dents et plusieurs de ses os y servent à faire des instruments ou de pèche ou de chasse. Sa langue cuite y est recherchée comme un très bon mets. Son huile, suivant plusieurs auteurs, donne une flamme claire, sans exhaler de mauvaise odeur; et l’on peut faire une colle excellente avec les fibres de ses muscles. Réunissez à ces produits l’adi- pocire et l’ambre gris, et vous verrez combien de motifs peuvent inspirer à l’homme entreprenant et avide le désir de chercher le macrocéphale au milieu des frimas et des tempêtes, et de le pod jus- qu'au bout du monde. 1. On peut voir ce que nous avons dit sur des phénomènes analo- gues, dans le Discours qui est à la tête de l'Histoire naturelle des qua- drupèdes ovipares. 298 HISTOIRE NATURELLE Fcepobo oops po fe Bob HOPo Bebe popopeoporc Hop or HpobpetoHeBCbouLa bo porc HoHomo Her LE CACHALOT TRUMPO. Physeter macrocephalus, Var. g, Lin, — Physeter Trumpo, Bonn. — Catodon Trumpo, Lacr. 1. Que l’on jette les yeux sur la figure du trumpo, et nous n’aurons pas besoin de faire observer combien sa tête est colossale. La longueur de cette tête énorme peut surpasser la moitié de la longueur totale du cé- tacé; et cependant le trumpo, entièrement déve- 1. Voyez pl. xin, fig. 1. Cachalot de la Nouvelle-Angleterre. Trumpo, par les habitants des Bermudes. Sperma ceti whale, par les Anglois. Catodon macrocephalus (var. gamma). Linnée, édition de Gmelin. Cachalot trumpo. Bonnaterre, planches de l'Encyclopédie métho- dique. Dudley , Philosoph. Fransact., n° 557. Cetus (Novæ-Angliæ ) bipinis, fistula in cervice, dorso gibboso. Bris- son, Regn. pag. 660, n° 5. Dudleyi Balæna. Klein, Miss. pise. 2, pag. 19. Mémoires de l’Académie des Sciences, année 1741, 26. Robertson , Philosoph. Transact., vol. LX. Blund headed, Pennant, Zoolog. britann., vol. IF, pag. 61. Cachalot trump o. Édition de Bloch. publiée R.R. Castel. Cachalot trumpo. Histoire des pêches des Hollandoïs dans les iners du Nord, traduite du hollandoiïs en françois par M. Bernard Dereste, lome Ï, pag. 165. DÉS CACHALOTS. 25G loppé, a plus de vingt-trois mètres de long. La tête de ce cachalot est donc longue de douze mètres. Quel réservoir d’adipocire La mâchoire supérieure, beaucoup plus longue et beaucoup plus large que l’inférieure, reçoit dans des alvéoles les dents qui garnissent la mâchoire d’en-bas. La partie antérieure de la tète, convexe dans pres- que tous les sens, représente une grande portion d’un immense ellipsoide, tronqué par devant de manière à y montrer très en grand l’image d'un mufle de tau- reau gigantesque. Les dents dont la mâchoire inférieure est armée ne sont, le plus souvent, qu'au nombre de dix-huit de chaque côté. Chacune de ces dents est droite, grosse, pointue, blanche comme le plus bel ivoire, et longue de près de deux décimètres. IBx il est petit, placé au delà de l'ouverture de la bouche, et plus élevé que cette ouverture. On voit, à l'extrémité supérieure du museau, une bosse dont la sommité présente. l’orifice des évents , lequel a très souvent plus d’un tiers de mètre de lar- geur. Au delà de cette sommité, le dessus de la tête forme une grande convexité, séparée de celle du dos, qui est plus large, plus longue et plus élevée, par un enfoncement très sensible, que l’on seroit tenté de prendre pour la nuque. Mais au lieu de trou- ver cet enfoncement au delà de la tête et au dessus du cou, on le voit avec étonnement correspondre au milieu de la mâchoire inférieure, et n'être pas moins éloigné de l'œil que de l’éminence des évents; et c’est à l'endroit où finit la Lête et où le corps commence 240 HISTOIRE NATURELLE que le cétacé montre sa plus grande grosseur, et que sa circonférence est, par exemple, de quatorze mè- tres, lorsqu'il en a vingt-quatre de longueur. La bosse dorsale ressemble beaucoup à la sommité des évents; mais elle est plus haute et plus large à sa base. Elle correspond à l'intervalle qui sépare la- nus des parties sexuelles. Les bras ou nageoires pectorales sont extrêmement courts. La peau est douce au toucher, et d’un gris noirâtre sur presque toute la surface du trumpo. La graisse que cette peau recouvre fournit une huile qui, dit-on, est moins âcre et plus claire que l'huile de la baleine franche !. De plus , un trumpo mâle qui échoua en avril 1741 près de la barre de Bayonne et de l’embouchure de la rivière de l’Adour, donna dix tonneaux d’adipo- cire? d'une qualité supérieure à celui du macrocé- phale, et qu'on retira de la cavité antérieure de sa tèteÿ. On trouva aussi dans son intérieur une boule 1. Histoire des pêches hollandoiïses , traduction de M. Bernard De- reste, tome I, pag. 165. ’ 2. Voyez, dans l’article du cachalot macrocéphale, ce que nous avons dit sur l’adipocire ou blanc de cachalot, si improprement appelé Blanc de baleinc, et sur la nature de l’ambre gris. 5. Ce trumpo avoit plus de seize mètres de longueur totale. Sa cir- conférence , à l'endroit le plus gros du corps, étoit de neuf mètres; le diamètre de l’orifice des évents, d’un tiers de mètre; la distance de l'extrémité dela caudale à l’anus, de près de cinq mètres; la longueur de l’anus, d’un tiers de mètre; la largeur de cette ouverture, d’un sixième de mètre ; la distance de l’anus à la verge, de deux mètres ; la longueur de la gaïîne qui entoure la verge, d’un demi-mètre ; le diamètre de cette gaîne, d’un tiers de mètre; la longueur de la verge, d’un mètre et un tiers; et la hauteur de la bosse du dos, d’un tiers de mètre. DES CACHALOTS. 241 d'ambre gris, du poidsde soïxante-cinqhectogrammes, On a cru que, tout égal d’ailleurs, le trumpo étoit plus agile, plus audacieux et plus redoutable que les autres cachalots: maisilparoît qu'ila plus de confiance dans la force de ses mâchoires, la grandeur et le nom- bre de ses dents, que dans la masse et la vitesse de sa queue; car on assure que, lorsqu'il est blessé , il se retourne de manière à se défendre avec sa gueule. Le trumpo se plait dans la mer qui baigne la Nou- velle-Angleterre, et auprès des Bermudes : mais on l’a vu aussi dans les eaux du Groenland, dans le golfe Britannique, dans celui de Gascogne , et je ne serois pas éloigné de croire qu'il étoit parmi les cachalots nommés Sperma ceti, et que le capitaine Baudin a observés récemment auprès des côtes de la Nouvelle- Zélande !. 1. Lettre du capitaine Baudin à notre collègue Jussieu. 249 HISTOIRE NATURELLE Pope pes LE CACHALOT SVINEVAL. Physeter Catodon, Lin. — Physeter Catodon, Bon. — Catodon Svineval, Lacrp. !. Nous n'appelons pas ce cétacé le petit Cachalot , parce que nous allons en décrire un qui lui est infé- rieur par ses dimensions; d’ailleurs cette épithèle petit ne peut le plus souvent former qu'un mauvais nom spécifique. Nous conservons au cachalot dont nous nous occupons dans cet article le nom de Svi- nehval qu'on lui donne en Norwége et dans plusieurs autres contrées du Nord; ou plutôt, de cette déno- mination de Svinehval nous avons tiré celle de So:- neval, plus aisée à prononcer. 1 Voyez pl.xnx, fig..2. Petit cachalot. Svinehval, en Norwége. Kegutilik, en Groenland. Physeter Catodon. Linnée , édition de Gmelin. Catodon fistula in rostro. Artedi, gen. 78, syn. 108. Petit cachalot. Bonnaterre , planches de l'Encyclopédie méthodique. Cetus (minor) bipinnis, fistuka in rostro. Brisson, Regn. anim., pag. 561, n° 4. Sibbald, Phal. nov. pag. 24. Balæna minor, in inferiore maxilla tantum dentata , sine pinna aut spina in dorso. Sibb. Raï. Pisc., pag. 15. Otho Fabricius, Faun. Groenland. 44. DES CACHALOTS. 245 Ce cétacé a la tête arrondie; l'ouverture de Ja bouche petite; la mâchoire inférieure plus étroite que celle d’en-haut, et garnie, des deux côtés, de dents qui correspondent à des alvéoles creusés dans la mâ- choire supérieure. ù On a trouvé souvent ces dents usées au point de se terminer dans le haut par une surface plate, presque circulaire, et sur laquelle on voyoit plusieurs lignes concentriques qui marquoient les différentes couches de la dent. Ces dents, diminuées dans leur longueur par le frottement, avoient à peine deux centimètres de hauteur au dessus de la gencive. L'orifice des évents, situé à l'extrémité de la par- tie supérieure du museau, a été pris, par quelques observateurs, pour une ouverture de narines; et c’est ce qui a pu faire croire que le Sinensl n'avoit pas d'évents proprement dits. Üne éminence raboteuse et calleuse est placée sur le dos. Les svinevals vivent en troupes dans les mers sep- tentrionales. Vers la fin du dernier siècle, cent deux de ces cachalots échouèrent dans l’une des Orcades : les plus grands n’avoient que huit mètres de longueur. Il est présumable que le svineval fournit une quantité plus ou moins abondante d’adipocire, et que, dans® certaines circonstances, il produit de l’ambre gris, comme les cachalots dont nous venons de parler 1. 1. On peut voir, dans l’article du Macrocéphale, ce que l’on doit penser de la nature de l’adipocire et de celle de l'ambre gris, 24/4 HISTOIRE NATURELLE epareperopmeoropeBoTeHIPIBIPOANABPOTE METEO BAT OMIHOMEMIMEMEDEBEMEHE HE DE HEanepe LE CACHALOT BLANCHATRE. Catodon albicans, Lacer. — Delphinus Leucas, Cuv. 1. CE cétacé paroît de loin avoir beaucoup de rap- ports avec la baleine franche; mais on distingue aisé- ment cependant la forme de sa tête, plus allongée que celle de cette baleine, et la figure du museau, moins arrondi que celui du premier des cétacés, Ses dents sont fortes, mais émousstes à leur ex- trémité ; elles sont d’ailleurs comprimées et courbées. Sa couleur est d’un blane mêlé de teintes jaunes. Sa longueur n'excède pas souvent cinq ou six mè- tres : il est donc bien inférieur, par ses dimensions et par sa force , aux cachalots dont nous venons de # 1. Sperma ceti. Catodon macrocephalus , var. b. Linnée, édition de Gmelin. Cetus albicans, bipinnis, ex albo flavescens..… dorso lævi. Brisson, Regn. anim., pag. 559, n° 2. W'eisfisch. Martens , Spitzb., pag. 94. Balæna albieans, weïsfisch Martensii et Zorgdrageri. Klein, Miss. pis. 2, pag. 12. Poisson blanc : hviüdfiske. Eggede. Groenland., pag. 55. Albus piscis cetaceus. Raï, Pisc., pag. 13. DES CACHALOTS. 245 parler. On l’a rencontré dans le détroit de Davis. On ne peut guère douter que ce cétacé ne fournisse de l’adipocire; et peut-être donne-t-il aussi de l’ambre gris 1 1. Voyez, dans l’article du Macrocéphale, ce que nous avons dit de ces deux substances. LACEPEUE., 1 Cetaces 2,LE DAUPHIN VENTRU,. RAR AAA LUE LA AAA AAA AU AU AURA AU AL AU MU LE LU EU MU LRU UE AU LES PIHYSALES. LE PHYSALE CYLINDRIQUE. Physeter cylindricus, Bons. — Physalus cylindricus, Lacer. — Physeter macrocephalus, Guy. ?. Prvsrurs naturalistes ont confondu ce cétacé avec le Microps dont nous parlerons bientôt; mais il est même d’un genre différent de celui qui doit com- prendre ce dernier animal. Îl n'appartient pas non plus à la famille des Cachalots proprement dits : la position de ses évents auroit suffi pour nous obliger à l’en séparer. Nous avons donc considéré cette es- 1. Voyez, au commencement de cette histoire, l’article intitulé Nomenclature des cétacés , et le tableau général des ordres, genres et espèces de ces animaux. Lacér. 2. Voyez pl. xiv. W alvischvangst, par les Hollandois. : Cachalot cylindrique. Bonnaterre, planches de l'Encyclopédie mé- thodique. Anderson, Histoire du Groenland, 148. 3 Cachalot, pris aux environs du cap Nord. Histoire naturelle des pé- ches des Hollandoïs dans les mers du Nord, traduite en françois par M. Bernard Dereste, tome I, pag. 157, ph; fig. €. 249 HISTOIRE NATURELLE pèce remarquable, hors des deux groupes que nous avons formés de tous les autres cétacés auxquels on avoit donné jusqu'à nous le même nom générique, celui de Cachalot en françois, et de Physeter en latin ; et nous avons cru devoir distinguer le genre particu- lier qu'elle forme, par la dénomination de Physalus, dont on s’est déjà servi pour désigner la force avec laquelle tous les cétacés qu’on a nommés Cachalotsfont jaillir l’eau par leurs évents, etqu’on n’avoit pasencore adoptée pour un genre ni même pour une espèce par- ticulière de ces cétacés énormes et armés de dents. De tous les grands animaux, le physale cylindrique est celui dont les formes ont le plus de cette régula- rité que la géométrie imprime aux productions de l'art, et qui, vu de loin , ressemble peut-être le moins à un être animé. La forme cylindrique qu’il présente dans la plus grande partie de sa longueur, le feroit prendre pour un immense tronc d'arbre, si on con- noissoit un arbre assez gros pour lui être comparé, ou pour une de ces tours antiques que des commotions violentes ont précipitées dans la mer dont elles bor- doient le rivage, si on ne le vayoit pas flotter sur la surface de l'Océan. Sa tête surtout ressemble d'autant plus à un cylindre colossal, que la mâchoire inférieure disparoît, pour ainsi dire , au milieu de celle d’en-haut, qui l’encadre exactement, et que le museau, qui paroît comme tronqué, se termine par une surface énorme, verti- cale, presque plane et presque circulaire. Que l’on se suppose placé au devant de ce disque gigantesque, et l’on verra que la hauteur de cette sur- face verticale peut égaler celle d’un de ces remparts DES PHYSALES. 2/9 très eleves qui ceignent les anciennes forteresses. En effet, la tète du physale cylindrique peut être aussi icngue que la moitié du cétacé, et sa hauteur peut égaler une très grande partie de sa longueur. La mâchoire inférieure est un peu plus courte que celle d’en-haut, et d’ailleurs plus étroite. L'ouverture de la bouche, qui est égale à la surface de cette mâ- choire inférieure, est donc beaucoup plus longue que large ; et cependant elle est effrayante : elle épou- vante d'autant plus, que lorsque le cétacé abaisse sa longue mâchoire inférieure, on voit cette mâchoire hérissée, sur ses deux bords, d’un rang de dents pointues, très recourbées, el d'autant plus grosses qu'elles sont plus près de l'extrémité du museau, au bout duquel on en compte quelquefois une impaire. Ces dents sont au nombre de vingt-quatre ou de vingt-cinq de chaque côté. Lorsque l'animal relève sa mâchoire, elles entrent dans des cavités creusées dans la mâchoire supérieure. Et quelle victime, per- cée par ces cinquante pointes dures et aiguës, résis- teroit d’ailleurs à l'effort épouvantable des deux mâ- choires, qui, comme deux leviers longs et puissants, se raprochent violemment, et se touchent dans toute leur étendue ? On a écrit que les plus grandes de ces dents d’en- bas présentoient un peu la forme et les dimensions d’un gros concombre. On a écrit aussi que lon trou- voit trois ou quatre dents à la mâchoire supérieure. Ces dernières ressemblent sans doute à ces dents très courtes , à surface plane, et presque entièrement cachées dans là gencive, qui appartiennent à la mâ- choire d’en-haut du cachalot macrocéphale. 250 HISTOIRE NATURELLE La langue est mobile, au moins latéralement, mais étroite et très courte. L'œsophage, au lieu d’être resserré comme celui de la baleine franche, est assez large pour que, suivant quelques auteurs, un bœuf entier puisse y passer. L'estomac avoit plus de vingt-trois décimètres de long dans un individu dont une description très étendue fut communiquée dans le temps à Anderson; et cet estomac renfermoit des arêtes, des os et des animaux à demi dévorés. On voit l’orifice des évents situé à une assez grande distance de l'extrémité supérieure du museau, pour répondre au milieu de la longueur de la mâchoire d’en-bas. L'œil est placé un peu plus loin encore du bout du museau que l’ouverture des évents; mais il n’en est pas aussi éloigné que l’angle formé par la réunion des deux lèvres. Au reste, il est très près de la lèvre su- périeure , et n'a qu'un très petit diamètre. Un marin hollandois et habile, cité par Anderson, disséqua avec soin la tête d’un physale cylindrique pris aux environs du cap Nord. Ayant commencé son examen par la partie supérieure, il trouva au des- sous de la peau une couche de graisse d’un sixième de mètre d'épaisseur. Cette couche graisseuse recou- vroit un cartilage que l’on auroit pris pour un tissu de tendons fortement attachés les uns aux autres. Au dessous de cette calotte vaste et cartilagineuse, étoit une grande cavité pleine d’adipocire !. Une mem- brane cartilagineuse, comme la calotte, divisoit cette 1. On peut voir, dans l’article du Cachalot macrocéphale, ce que nous avons dit de l'adipocire. DES PHYSALLS. 251 cavité en deux portions sit iées l’une au dessus de l’au- tre. La portion supérieure, nommée par le marin hollandois £latpmutz, étoit séparée en plusieurs com- partiments par des cloisons verticales, visqueuses et un peu transparentes. Elle fournit trois cent cinquante kilogrammes d’une substance huileuse, fluide, très fine, très claire et très blanche. Cette substance, à laquelle nous donnons, avee notre collègue Fourcroy, le nom d’adipocire, se coaguloit et formoit de pe- tites masses rondes, dès qu’on la versoit dans de l’eau froide. La portion inférieure de la grande cavité avoit deux mètres et demi de profondeur. Les compartiments dans lesquels elle étoit divisée, lui donnoïent l’appa- rence d’une immense ruche garnie de ses rayons et ouverte. Îls étoient formés par des cloisons plus épaisses que celles des compartiments supérieurs; et la substance de ces cloisons parut à l'observateur hol- landois analogue à celle qui compose la coque des œufs d'oiseau. Les compartiments de la portion inférieure conte- noient un adipocire d’une qualité inférieure à celui de la première portion. Lorsqu'ils furent vidés, le marin hollandois les vit se remplir d’une liqueur semblable à celle qu'il venoit d’en retirer. Cette li- queur y couloit par l’orifice d’un canal qui se pro- longeoit Le long de la colonne vertébrale jusqu’à l’ex- trémité de la queue. Ce canal diminuoit graduellement de grosseur, de telle sorte qu'ayant auprès de son orifice une largeur de près d’un décimètre, il n’étoit pas large de deux centimètres à son extrémité oppo- sée. Un nombre prodigieux de petits tuyaux abou- 250 HISTOIRE NATURELLE tissoit à ce canal, de toutes les parties du corps de l’animal, dont les chairs, la graisse, et même l'huile, étoient mêlées avec de l’adipocire. Le canal versa dans la portion inférieure de la grande cavité de la tête cinq cent cinquante kilogrammes d’un adipocire qui, mis dans de l’eau froide, y prenoit la forme de flo- cons de neige, mais qui étoit d’une qualité bien infé- rieure à celui de la cavité supérieure; ce qui paroî- troit indiquer que l’adipocire s’élabore, s’épure et se perfectionne dans cette grande et double cavité de la tête à laquelle le canal OUHE La cavité de l’adipocire doit être plus g aratile, tout égal d’ailleurs, dans le physale cylindrique , que dans les cachalots, à cause de l’élévation de la partie an- térieure du museau. Le corps du physale que nous décrivons, est cy- lindrique du côté de la tête, et conique du côté de la queue. Sa partie antérieure ressemble d'autant plus à une continuation du cylindre formé par la tête, que la nuque n’est marquée que par un enfoncement presque insensible. C’est vers la fin de ce long cy- lindre que l’on voit une bosse, dont la hauteur est or- dinairement d’un demi-mètre, lorsque sa base, qui est très prolongée à proportion de sa grosseur, est longue d’un mètre et un tiers. La queue, qui commence au delà de cette bosse, est grosse, conique, mais très courte à proportion de la grandeur du physale; ce qui donne à cet animal une rame et un gouvernail beaucoup moins étendus que ceux de plusieurs autres cétacés, et par consé- quent doit, tout égal d’ailleurs, rendre sa natation moins rapide et moins facile. DES PIHYSALES. 259 Cependant la caudale a très souvent plus de quatre mètres de largeur, depuis l'extrémité d’un lobe jus- qu’à l’extrémité de l’autre. Chacun de ces lobes est échancré de manière que la caudale paroît en pré- senter quatre. La base de chaque pectorale est très près de l'œil, presque à la même hauteur que cet organe et par conséquent plus haut que l’ouverture de la bouche. Cette nageoire latérale est d’ailleurs ovale, et si peu étendue, que très fréquemment elle n’a guère plus d'un mètre de longueur. Le ventre est un peu arrondi. La verge du mâle a près de deux mètres de jion- gueur, et un demi-mètre de circonférence à sa base. L’anus n’est pas éloigné de cette base ; mais comme la queue est très courte, il se trouve près de la cau- dale. La chair a une assez grande dureté pour résister aux lames tranchantes, au harpon et aux lances que de grands efforts ne mettent pas en mouvement. La couleur du cylindrique est noirâtre, et presque du même ton sur toute la surface de ce physale. On a rencontré ce cétacé dans l'Océan glacial arc- tique, et dans la partie boréale de l’Océan atlanti- que septentrional. 2 AAA MAMMA VE US RS VAE VU VU MB AAA RU AUS ELU VEUVU UV MEL L ELLE VEUT LES PHYSÉTÈRES". LE PHYSÉTÉRE MICROPS. Physeter microps, Bonx., Lacer. ?. Lx microps est un des plus grands, des plus cruels et des plus dangereux habitants de la mer. Réunis- sant à des armes redoutables les deux éléments de la force, la masse et la vitesse, avide de carnage, en- nemi audacieux, combattant intrépide, quelle plage de l'Océan n'ensanglante-t-il pas? On diroit que les 1. On trouvera au commencement de cette Histoire le tableau gé- néral des ordres, genres et espèces des cétacés. Fiac. 2. Gachalot à denis en faucille. Staur-himing , en Norwége. Kobbe-herre, ibid. Tikagusik, en Groenland. WW eisfisch, ibid. Physeter micropsaLinnée, édition de Gmnelin. Cachalot microps. Bonnaterre, planches de l'Encyclopédie métho- dique. Physeter microps. R. R. Castel, nouvelle édition de Bloch. Physeter dorso pinna longa, maxilla superriore longiore. Artedi, gen. 74; Syn. 104. Balæna major ia inferiore tantum maxill{a dentata, dentibus arcuatis 250 HISTOIRE NATURELLE anciens mythologues Favoient sous les yeux, lors- qu'ils ont créé le monstre marin dont Persée délivra la belle Andromède qu'il alloit dévorer, et celui dont l'aspect horrible épouvanta les coursiers du malheu- reux Hippolyte. On croiroit aussi que l’image ef- frayante de ce cétacé a inspiré au génie poétique de l’Arioste cette admirable description de l’Orque, dont Angélique, enchaïînée sur un rocher, alloit être la proie près des rivages de la Bretagne. Lorsqu'il nous montre cette masse énorme qui s’agite, cette tête dé- mesurée qu'arment des dents terribles, il semble retracer les prineipaux traits du Microps. Mais dé- tournons nos yeux des images enchanteresses et fan- tastiques dont les savantes allégories des philosophes, les conceptions sublimes des anciens poëtes, et la divine imagination des poëtes récents, ont voulu, pour ainsi dire, couvrir la nature entière; écartons ces voiles dont la fable a orné la vérité. Contemplons ces tableaux impérissables que nous a laissés le grand peintre qui fit l’ornement du siècle de Vespasien. Ne serons-nous pas tentés de retrouver les physétères tue nous allons décrire, dans ces Orques! que Pline falciformibus, pinnam seu spinam in dorso habens. Sibbaldi Phalan. Idem. Raï. Synops. pisc., pag. 15. Idem. Klein, Miss. pisc. 2, pag. 15. Drilte species der Cachelotte. Anders. Isi., pag. 248. Muller, Zoolog. Danic. Prodrom., n° 55. . Strom. — 1, 298. Act. Nidros. 4, 112. Oth. Fabricius, Faun. Groenland. 44. Zorgdrager, Groenlandsche vischery, pag. 162. 1. Nous avons vu à l’article de la Baleinoptère Rorqual que la note de Dalécamp sur le sixième chapitre du neuvième livre de Pline se DES PHYSÉTÈRES. 297 nous représente comme ennemies mortelles du pre- mier des cétacés, desquelles il nous dit qu'on ne peut s’en faire une image qu’en se figurant une masse immense animée et hérissée de dents, et qui, pour- suivant les baleines jusque dans les golfes les plus écar- tés, dans leurs retraites les plus secrètes, dans leurs asiles les plus sûrs, attaquent, déchirent et percent de leurs dents aiguës, et les baleineaux, etles femelles qui n’ont pas encore donné le jour à leurs petits? Ces ba- leines encore pleines, continue le naturaliste romain, chargées du poids de leurbaleineau,embarrasséesdans leurs mouvements, découragées dans leur défense, affoiblies par les douleurs et les fatigues de leur état, paroiïssent ne connoître d'autre moyen d'échapper à la fareur des orques qu’en fuyant dans la haute mer, et en tâchant de mettre tout l'Océan entre elles et leurs ennemis. Vains efforts! les orques leur ferment le passage, s'opposent à leur fuite, les attaquent dans leurs détroits , les pressent sur les bas-fonds, les ser- rent contre les roches. Et cependant, quoique au- cun vent ne souffle dans les airs, la mer est agitée par les mouvements rapides et les coups redoublés de ces énormes animaux ; les flots sont soulevés comme par un violent tourbillon. Une de ces orques parut dans le port d’Ostie pendant que l’empereur Claude étoit occupé à y faire faire des constructions nouvelles. Elle y étoit entrée à la suite du naufrage de bâtiments arrivés de la Gaule, et entraînée par les peaux d’a- nimaux dont ces bâtiments avoient été chargés ; elle s'étoit creusé dans le sable une espèce de vaste sil- rapportloit à cette Balcinoptère ; mais l’Orque du naturaliste de Rome ne peut pas être ce même cétacé. 250 HISTOIRE NATURELLE lon , et, poussée par les flots vers le rivage, elle éle- voit au dessus de l’eau un dos semblable à la carène d’un vaisseau renversé. Claude l’attaqua à la tête des cohortes prétoriennes, montées sur des bâtiments qui environnèrent le géant cétacé, et dont un fut sub- mergé par l'eau que les évents de l’orque avoient lancée. Les Romains du temps de Claude combatti- rent donc sur les eaux un énorme tyran des mers, comme leurs pères avoient combattu dans les champs de l'Afrique un immense serpent devin, un sangui- naire dominateur des déserts et des sables brûülants !. Examinons le type de ces orques de Pline. Le microps a la tête si démesurée, que sa longueur égale, suivant Artédi, la moitié de la longueur du cétacé lorsqu'on lui a coupé la nageoïire de la queue, et que sa grosseur l'emporte sur celle de toute autre partie du corps de ce physétère. La bouche s'ouvre au dessous de cette tête remar- quable. La mâchoire supérieure, quoique moins avan- cée que le museau proprement dit, l’est cependant un peu plus que la mâchoire d’en-bas. Elle présente des cavités propres à recevoir les dents de cette mâ- choire inférieure ; et nous croyons devoir faire obser- ver de nouveau que, par une suite de cette confor- mation, les deux mâchoires s'appliquent mieux l’une contre l’autre, et ferment la bouche plus exactement. Les dents qui garnissent la mâchoire d’en-bas sont coniques, courbées, creuses vers leurs racines, et enfoncées dans l’os de la mâchoire jusqu'aux deux. tiers de leur longueur. La partie de la dent qui est 1. Article du Serpent devin, dans notre Histoire naturelle des Serpents. l (| \ | || \ \\ \ Rousseau fils Sculp. 1 LECACHALGOMN MARUMEPO- 2 'LEFABELUCA. DES PHYSÉTÈRES. 299 cachée dans l’alvéole est comprimée de devant en ar- rière, cannelée du côté du gosier, et rétrécie vers la racine, qui est petite. La partie extérieure est blanche comme de l'ivoire, et son sommet aigu et recourbé vers le gosier se flé- chit un peu en dehors. Cette partie extérieure n'a communément qu'un décimètre de longueur. Lorsque l’animal est vieux, le sommet de la dent est quelquefois usé et parsemé de petites éminences aiguës ou tranchantes; et c’est ce qui a fait croire que le microps avoit des dents molaires. On a beaucoup varié sur le nombre des dents qui hérissent la mâchoire inférieure du microps. Les uns ont écrit qu’il n’y en avoit que huït de chaque côté; d’autres n’en ont compté que onze à droite et onze à sauche. Peut-être ces auteurs n'avoient-ils vu que des microps très jeunes, ou si vieux, que plusieurs de leurs dents étoient tombées, et que plusieurs de leurs alvéoles s’étoient oblitérés. Mais, quoi qu'il en soit, Artédi, Gmelin et d’autres habiles naturalistes disent positivement qu'il y a quarante-deux dents à la mâchoire inférieure du microps. Les Groenlandois assurent que l’on trouve aussi des dents à la mâchoire supérieure de ce cétacé. S'ils y en ont vu en effet, elles sont courtes, cachées presque en entier dans la gencive, et plus ou moins aplaties, comme celles que l’on peut découvrir dans la mâchoire supérieure du cachalot macrocéphale. L'orifñice commun des deux évents est situé à une petite distance de l’extrémité du museau. Artédi a écrit que l'œil du microps étoit aussi petit 266 HISTOIRE NATURELLE que celui d’un poisson qui ne présente que très ra- rement la longueur d’un mètre, et auquel nous avons conservé le nom de Gade æglefin!. C’est la petitesse de cet organe qui a fait donner au physétère que nous décrivons, le nom de Microps, lequel signifie petit œil. Chaque pectorale a plus d’un mètre de longueur. La nageoire du dos est droite, haute, et assez poin- tue pour avoir été assimilée à un long aiguillon. La cavité située dans la partie antérieure et supé- rieure de la tête, et qui contient plusieurs tonneaux d’adipocire, a été comparée à un vaste four ?. On a souvent remarqué la blancheur de la graisse. La chair est un mets délicieux pour les Groenlan- dois et d’autres habitants du nord de l’Europe ou de l'Amérique. La peau n’a peut-être pas autant d'épaisseur, à pro- portion de la grandeur de l'animal, que dans la plu- part des autres cétacés. Elle est d’ailleurs très unie ; très douce au toucher, et d’un brun noirâtre. Il se peut cependant que l’âge, ou quelque autre cause, lui donne d’autres nuances, et que quelques indivi- dus soient d’un blanc jaunâtre, ainsi qu’on l’a écrit. La longueur du microps est ordinairement de plus de vingt-trois ou vingt-quatre mètres, lorsqu'il est parvenu à son entier développement. Est-il donc surprenant qu'il lui faille une si grande quantité de nourriture, et qu'il donne la chasse aux 1. Histoire naturelle des Poissons. 2. L'article du Gachalot macrocéphale contient l'exposition de la nature de l’adipocire ou blanc de cétacé, improprement appelé blanc de baleine. DES PHYSÉTÈRES. 261 bélugas et aux marsouins qu'il poursuit jusque sur le rivage où il les force à s'échouer, et aux phoques qui cherchent en vain un asile sur d'énormes glacons? Le microps a bientôt brisé cette masse congelée, qui, malgré sa dureté, se disperse en éclats, se dissipe en poussière cristalline , et lui livre la proie qu'il veut dévorer. Son audace s’enflamme lorsqu'il voit des jubartes ou des baleinoptères à museau pointu; il ose s’élan- cer sur ces grands cétacés, et les déchire avec ses dents recourbées, si fortes et si nombreuses. On dit même que la baleine franche, lorsqu'elle est encore jeune, ne peut résister aux armes terribles de ce féroce et sanguinaire ennemi; et quelques pè- cheurs ont ajouté que la rencontre des microps an- nonçoit l'approche des plus grandes baleines, que, dans leur sorte de rage aveugle, ils osent chercher sur l'océan, attaquer et combattre. La pêche du microps est donc accompagnée de beaucoup de dangers. Elle présente d’ailleurs des dif- ficultés particulières : la peau de ce physétère est trop peu épaisse, et sa graisse ramollit trop sa chair, pour que le harpon soit facilement retenu. Ce cétacé habite dans les mers voisines du cercle polaire. En décembre 17923, dix-sept microps furent pous- sés, par une tempête violente, dans l'embouchure de l’Elbe. Les vagues amoncelées les jetèrent sur des bas-fonds ; etcomme nous ne devons négliger aucune comparaison propre à répandre quelque Fumière sur les sujets que nous étudions, que l’on rappelle ce que nous avons écrit des macrocéphales précipités par la LACÉPEDE, I, 17 262 HISTOIRE NATURELLE mer en courroux contre la côte voisine d’Audierne. Les pêcheurs de Cuxbaven, sur le bord de l’Elbe, crurent voir dix-sept bâtiments hollandois amarrés au rivage. Îls gouvernerent vers ces bâtiments; et ce fut avec un grand étonnement qu'ils trouvèrent à la place de ces vaisseaux dix-sept cétacés que la tem- pête avoit jetés sur le sable, et que la marée, en se retirant avec d'autant plus de vitesse qu'elle étoit poussée par un vent d'est, avoit abandonnés sur la grève. Les moins grands de ces dix-sept microps étoient longs de treize ou quatorze mètres, et les plus grands avoient près de vingt-quatre mètres de longueur. Les barques de pêcheurs amarrées à côté de ces physétères paroïissoient comme les chaloupes des navires que ces cétacés représentoient. Îls étoient tous tournés vers le nord, parce qu'ils avoient suc- combé sous la même puissance, tous couchés sur le côté, morts, mais non pas encore froids : et ce que “ous ne devons pas passer sous silence, et ce qui re- trace ce que nous avons dit de la sensibilité des céta- cés, cette troupe de microps renfermoit huit femelles et neuf mâles; huit mâles avoit chacun auprés de lui sa femelle, avec laquelle il avoit expiré. ne) Où © DES PHYSÉTÈRES. SOLDE BSESSOTSTO-DIHOMIRNPIPEBOTONSPÉEERH DPIPOE DEAR DE EHEPELAME CE OP ODETOPEEDEMEOLOB-OHOE LE PHYSÉTÈRE ORTHODON,. Physeter orthodon, Lacer.—Physeter microps, Var. b, Lin. , Guer.—Physeter Trumpo, Var. À, Bonn. 1. LA tête de l’Orthodon, conformée à peu près comme celle des autres physétères, a une longueur presque égale à la moitié de la longueur du cétacé. L'orifice commun des deux évents est placé au dessus de la partie antérieure du museau. L'œil paroît aussi petit que celui de la baleine franche; mais sa cou- leur est jaunâtre, et il brille d’un éclat très vif. La mâchoire inférieure, plus étroite et plus courte que celle d’en-haut, a cependant près de six mètres de longueur, lorsque le cétacé est long de vingt- quatre mètres. Elle forme un angle dans sa partie an- térieure. 1. Physeter microps, var. b. Lianée, édition de Gmelin. Cetus tripinnis, dentibus acabs, rectis. Brisson, Regn. anim., pag. 662, n° 9. Zweyte species der Cachelotte. Anderson, Island., page 246. Variété À du Cachalot Trumpo. Bonnaterre, planches de lEncyclo: pédie méthodique. Balæna macrocephala in inferiore tantum maxilla dentata, denti- Bus acutis, humauis non prorsus absimilibus , pinnam in dorso ha- bens, — Plusieurs auteurs du Nord. 26 HISTOIRE NATURELLE Elle est garnie de cinquante-deux dents fortes, droites, aiguës, pesant chacune plus d’un kilo- gramme, et dont la forme nous a suggéré le nom spécifique d’orthodon!, par lequel nous avons cru devoir distinguer le cétacé que nous décrivons. Chacune de ces dents est reçue dans un alvéole de la mâchoire supérieure ; et comme on peut l’imagi- ner aisément, il en résulte une aplication si exacte des deux mâchoires l'une contre l’autre, que lorsque la bouche est fermée, il est très difficile de distinguer séparation des lèvres. = La gueule n'est pas aussi grande à proportion que celle de la baleine franche. La langue, que sa cou- leur d’un rouge très vif fait aisément apercevoir, est courte et pointue; mais le gosier est si large, qu’on a trouvé dans l'estomac de l’orthodon, des squales re-: quins tout entiers et de plus de quatre mètres de longueur. Ce physétère vaincroit sans peine des en- nemis plus puissants. Sa longueur, voisine de celle de plusieurs baleines franches, peut s'étendre, en effet, à plus de trente-trois mètres. Ses pectorales néanmoins sont beaucoup plus pe- tites que celles du microps : elles n’ont souvent qu'un demi-mètre de longueur. On a compté sept articula- tions ou phalanges au doigt le plus long des cinq qui composent l'extrémité de ces nageoires. Une bosse très haute s'élève sur la partie antérieure du dos, à une certaine distance de la nageoire deor- sale. La peau, très mince, n’a pas quelquefois deux 1. Orthos, en grec, siguifie droit; odous signifie dent, ctc. DES PHYSÉTÈRES. 265 centimètres d'épaisseur; mais la chair est si com- pacte, qu'elle présente au harpon une très grande résistance, et rend l’orthodon presque invulnérable dans la plus grande partie de sa surface. Ce physétère est ordinairement noirâtre; mais une nuance blanchâtre règne sur une grande partie de sa surface inférieure. Par combien de différences n’est-il pas distingué du microps! Sa couleur, ses dents, sa bosse dorsale, la briéveté de ses pectorales, ses di- mensions et la nature de ses muscles, l’en éloignent. Il en est séparé, et par des traits extérieurs, et par sa conformation intérieure. | On a vu un orthodon dont la grande cavité de la tête contenoit plus de cinquante myriagrammes de blanc ou d’adipocire!. On l’avoit pris dans l'Océan glacial arctique, vers le soixante-dix-septièm degré et demi de latitude ?. 1. Consullez, au sujet de l’adipocire , l’article du Gachalot macro- céphale. 2. Anderson; et Histoire des pêches des Hollandoïs dans les mers du Nord, traduite par M. Dereste, tome L, pag. 175. 266 HISTOIRE NATURELLE LE PHYSÉTERE MULAR. Physeter Tursio, Lixx. — Physeter Mular, Bonx., Lacer. 1. LA nageoire qui s'élève sur le dos de ce physétère est si droite, si pointue et si longue, que Sibbald et d’autres auteurs l’ont comparée à un mât de navire, et ont dit qu’elle paroissoit au dessus du corps du mu- lar, comme un mât de misaine au dessus d’un vais- seau. Cette comparaison est sans doute exagérée ; mais elle prouve la grande hauteur de cet organe, qui seule a pu en faire naître l’idée. Mais, indépendamment de cette nageoire si élevée, - on voit sur le dos et au delà de cette éminence, trois bosses dont la première a souvent un demi-mètre de 1. Physeter tursio, Linnée, édit. Gmelin. Cachalot Mular. Bonnaterre, planches de l'Encyclopédie métho- dique. Physeter dorsi pinna altissima, apice dentium plano. Artedi, gen. 74, syn. 104. Cetus tripinnis, dentibus in planum desinentibus. Brisson, Regn. anim., pag. 064, n° 7. Balæna macrocephaia tripinnis, quæ in mandibula inferiore dentes habet minus inflexos et in planum desinentes. Sibbald. Idem. Raï. Pisc., pag. 16. Mular Nierembergii. Klein, Misc. pisc. 2, pag. 15. Anderson, Histoire d'Islande, etc. 2. pag. 118. Le Mular, R. R. Castel, nouvelle édition de Blech. e? DES PHYSÉTÈRES. 207 hauteur, la seconde près de deux décimètres, et la troisième un décimètre. Ces traits seuls feroient distinguer facilement .le mular du microps et de l’orthodon ; mais d’ailleurs les dents du mular ont une forme différente de celles de l’orthodon et de celles du microps. Elles ne sont pas irès courbées, comme les dents du microps, ni droites, comme celles de l’orthodon ; et leur sommet, au lieu d’être aigu, est très émoussé ou presque plat. De plus, les dents du mular sont inégales : les plus grandes sont placées vers le bout du museau; elles peuvent avoir vingt-un centimètres de longueur, sur vingt-quatre de circonférence, à l'endroit où elles ont le plus de grosseur : les moins grandes ne sont longues alors que de seize centimètres. Toutes ces dents ne renferment pas une cavité. On découvre une dent très aplatie dans plusieurs des intervalles qui séparent l’un de l’autre les alvéoles de la mâchoire supérieure. Les deux évents aboutissent à un seul orifice. Les mulars vont par troupes très nombreuses. Le plus grand et le plus fort de ces physétères réunis leur donne, pour ainsi dire, l’exemple de l'audace ou de la prudence, de l'attaque ou de la retraite, Il pa- roît, d’après les relations des marins, comme le con- ducteur de la légion, et, suivant un navigateur cité par Anderson, il lui donne, par un cri terrible, et dont la surface de ia mer propage au loin le frémissement, le signal de la victoire ou d’une fuite précipitée. On a vu des mulars si énormes, que leur longueur étoit de plus de trente-trois mètres, On ne leur donne 268 HISTOIRE NATURELLE. cependant la chasse que très rarement, parce que leur caractère farouche et sauvage rend leur rencon- tre peu fréquente , et leur approche pénible ou dan- gereuse. D'ailleurs, on ne peut faire pénétrer aisément le harpon dans leur corps, qu’en le lançant dans un petit espace que l’on voit au dessus du bras; et leur graisse fournit très peu d'huile. On a reconnu néanmoins que la cavité située dans la partie antérieure de leur tête contenoit beaucoup d’adipocire ; que cette cavité étoit divisée en vingt-huit cellules remplies de cette substance blanche; que presque toute la graisse du physétère étoit mêlée avec cet adipocire; et qu’on découvroit plusieurs dépôts particuliers de ce blanc dans différentes parties du corps de ce cétacé. Nous pouvons donc assurer maintenant que cet adipocire se trouve en très grande quantité, distin- gué par les mêmes qualités et disséminé de la même manière, dans toutes les espèces connues du genre des cachalots, de celui des physales et de celui des physétères!. On a écrit que, lorsque le mular vouloit plonger dans la mer, il commençoit par se coucher sur le côte droit; et les mêmes auteurs ont ajouté que ce cétacé pouvoit rester sous l’eau pendant plus de temps que la baleine franche. On l’a rencontré dans l'Océan atlantique septen- trional, ainsi que dans l'Océan glacial arctique, et particulièrement dans la mer du Groenland, dans les environs du cap Nord, et auprès des îles Orcades. 1, Voyez l’article du Cachaloi macrocéphale. ——— "4 9 — RAA PARA AAA AAA AA AAA ER ME A UE VA EE LR LES DELPHINAPTÈRES. LE DELPHINAPTÈRE BÉLUGA. Delphinus albicans, Fasr.. Box. — Delphinus Leucas, Linn., Saw. — Delphinapterus Beluga, Lace». *. Cx cétacé a porté pendant long-temps le nom de petite Baleine et de Baleine blanche. M à été l’objet de la recherche des premiers navigateurs basques et hol- 1. Consultez l’article intitulé Nomenclature des cétacés, et le Ta- bleau général des ordres, genres et espèces de ces animaux. 2. Marsouin blanc. W itfisch. Balæna albicans. Delphinus Leucas. Linnée, édit. de Gmelin. Delphinus rostro conico obtuso, deorsum inclinalo , pinna dorsali nulla Pallas, It. 5, pag. 84, tab. 4. Duuphin Béluga. Bonnaterre, planches de l'Encyclopédie métho- dique. Delphinus pinna in dorso nulla. Brisson, Regn. anim., pag. 574, n° 5. Béluga. Pennant , Quadr., pag. 557. Bieluga. Steller, Kamtschatka, pag. 106. W itfisch oder weissfisch. Anderson , Island., pag. 251. W eisfisch. Cranz, Groenland., pag. 150. Mull. Prodrom. Zoolog. Dan., pag. 50. Oth. Fabric, Faun. Groenland, pag. 50. 25 HISTOIRE NATURELLE landois qui osèrent se hasarder au milieu des mon- tagnes flottantes de glaces et des tempêtes horribles de l'Océan arctique, et qui, effrayés par la masse énorme , les mouvements rapides et la force irrésis- tible des baleines franches, plus audacieux contre les éléments conjurés que contre ces colosses, ne bra- voient encore que très rarement leurs armes et leur puissance. On a trouvé que le béluga avoit quelques rapports avec ces baleines, par le défaut de nageoiïre dorsale et par la présence d’une saillie peu sensible, longi- tudinale , à demi calleuse , et placée sur sa partie su- périeure ; mais par combien d’autres traits n’en est-il pas séparé! Il ne parvient que très rarement à une longueur de plus de six ou sept mètres. Sa tête ne forme pas le tiers ou la moitié de l’ensemble du cétacé, comme celle de la baleine franche, des cachalots, des phy- sales, des physétères : elle est petite et ailongée. La partie antérieure du corps représente un cône, dont la base, située vers les pectorales , est appuyée contre celle d’un autre cône beaucoup plus long, et que composent le reste du corps et la queue. Les nageoires pectorales sont larges, épaisses et ovales; et les plus longs des doigts cachés sous leur enveloppe ont cinq articulations. Le museau s’allonge et s’arrondit par devices L'œil est petit, Dr saillant et bleuâtre. Le dessus de la partie antérieure de la tête pro- prement dite montre une protubérance au milieu de laquelle on voit l’orifice commun des deux évents; et la direction de cet orifice est telle, suivant quelques DES DELPHINAPTÈRES. 91 / observateurs, que l’eau de la mer, rejetée par Îles évents, au lieu d’être lancée en avant, comme par les cachalots, ou verticalement, comme par plusieurs autres cétacés, est chassée un peu en arrière. On découvre derrière l'œil l’orifice extérieur du canal auditif; mais il est presque imperceptible. L'ouverture de la gueule paroît petite à proportion de la longueur du delphinaptère : elle n’est pas située au dessous de la tête, comme dans les cachalots, les physales et les physétères, mais à l'extrémité du mu- seau. La mâchoire inférieure avance presque autant que celle d’en-haut. Chaque côté de cette mâchoire est garni de dents au nombre de neuf, petites, émous- sées à leur sommet, éloignées les unes des autres, inégales, et d'autant plus courtes qu cles sont plus près du bout du museau. Neuf dents un peu moins obtuses, un peu recour- bées, mais d’ailleurs semblables à celles que nous venons de décrire, garnissent chaque côté de la mâ- chaire supérieure. La langue est attachée à la mâchoire d’en-bas. Le béluga se nourrit de pleuronectes soles, d’ho- locentres norwégiens , de plusieurs gades, Dabiealie rement d'ésiefins et de morues. Il les cherche avec constance, les poursuit avec ardeur, les avale avec avidité; et comme son gosier est très étroit, il court souvent le danger d’être suffoqué par une proie trop volumineuse ou trop abondante. Ces aliments substantiels et copieux donnent à sa chair une teinte vermeille et rougeûtre. La graisse qui la recouvre a près d’un décimètre m2 HISTOIRE NATURELLE d'épaisseur; mais elle est si molle, que souvent elle ne peut pas retenir le harpon. La peau, qui est très douce , très unie, est d’ailleurs déchirée facilement par cet instrument, quoique onctueuse, et épaisse quelquefois de deux ou trois centimètres. Aussi ne cherche-t-on presque plus à prendre des bélugas ; mais on les voit avec joie paroître sur la surface des mers, parce que quelques pêcheurs, ou- bliant que la nourriture de ces cétacés est très diffé- rente de celle des baleines franches, ont accrédité l'opinion que ces baleines et ces delphinaptères fré- quentent les mêmes parages dans les mêmes saisons, pour trouver les mêmes aliments, et par conséquent annoncent l’approche les uns des autres. Au reste, comment, au milieu des ennuis d’une longue navigation, ne verroit-on pas avec plaisir les vastes solitudes de l'océan animées par l'apparition de cétacés remarquables dansleurs dimensions, sveltes dans leurs proportions, agiles dans leurs mouvements, rapides dans leur natation, réunis en grandes trou- pes, montrant de l'attachement pour leurs sembla- bles, familiers même avec les pêcheurs, s’approchant avec confiance des vaisseaux, leur composant une sorte de cortége , se jouant avec confiance autour de leurs chaloupes , et se livrant presque sans cesse et sans aucune crainte à de vives évolutions, à des com- bats simulés, à de joyeux ébats ? Leurs nuances sont d’ailleurs si agréables ! Leur couleur est blanchâtre ; des taches brunes et d’autres taches bleuâtres sont répandues sur ce fond gracieux, pendant que les bélugas ne sont pas très âgés. Plus jeunes encore, its offrent un plus grand DES DELPHINAPTÈRES. 265 nombre de teintes foncées ou mêlées de bleu ; et l’on a écrit que, très peu de temps après leur naissance, presque toute leur surface est bleuâtre. Des fœtus arrachés du ventre de leur mère ont paru d'une couleur verte. La femelle ne porte ordinairement qu'un petit à la fois. Ce delphinaptère, parvenu à la lumière, ne quitte sa mère que très tard. Il nage bientôt à ses côtés, plonge avec elle, revient avec elle respirer l'air de l’atmosphère, suit tous ses mouvements, imite toutes ses aclions, et suce un lait très blanc de deux ma- melles très voisines de l’organe de la génération. On a joui de ce spectacle agréable et touchant d’un attachement muiuel, d’une affection vive et d’une tendresse attentive, dans l'Océan glacial arctique et dans l’Océan atlantique septentrional, particulière- ment dans le détroit de Davis. On a écrit que, pendant les hivers rigoureux, les bélugas quittent la haute mer et les plages gelées, pour chercher des baies que les glaces n’aient pas envahies ; mais ce qui est plus digne d’attention , c’est qu'on a vu de ces delphinaptères remonter dans des fleuves. Notre célèbre confrère M. Pallas, qui a répandu de si grandes lumières sur toutesles branches de l’his- toire naturelle, est un des savants qui nous ont le plus éclairés au sujet du béluga. N 1] Fe HISTOIRE NATURELLE. LE DELPHINAPTÈRE SÉNEDETTE. Delphinapterus Senedetta, Laczr. 1, st > —— CE cétacé devient très grand, suivant Rondelet. Sa gueule est vaste : ses dents sont aiguës ; on en voit neuf de chaque côté de la mâchoire supérieure ; et chacun des côtés de la mâchoire d’en-bas, qui est presque aussi avancée que celle d’en-haut, en pré- sente au moins huit. La langue est grande et charnue. L’orifice auquel aboutissent les deux évents , est situé presque au dessus des yeux, mais un peu plus près du museau, qui est allongé et pointu. Cet orifice a plus de largeur que celui de plusieurs autres cétacés ; et le sénedette fait jaillir par cette ou- verture une grande quantité d'eau. Le corps et la queue forment un cône très long. Les pectorales sont larges, et leur longueur égale: celle de l’ouverture de la bouche. Il paroît que le sénedette a été vu dans l'Océan et dans la Méditerranée. 1. Mular. — Souffleur. Peis Mular, dans les départements méridionaux de France. Sénedette, dans plusieurs autres départements. Capidolio, en Italie. — Physeter, par les Grecs, suivant Rondelet. Mular ou Sénedette. Rondelet ; Histoire des Poissons, première par- te, liv. 16, chap. 10, édition de Lyon, 1558. 2 <——— CA AE Ve pu PME Pa) Cetaces Pl 7e sculp. IT AD EU ETEN Re TUE Rousse au fils OUEN ES UPHIN MARS DA RER AAA AAA AU AU AAA AU EU AA AA VA AU LU VU MAL VEUT AU LES DAUPHINS:. LE DAUPHIN VULGAIRE. Delphinus Delphis, Linxx., Bonx., Lacer., Cuv. ?. Quer objet a dü frapper l'imagination plus que le Dauphin? Lorsque l'homme parcourt le vaste do- 1. Jetez les yeux sur l’articie de cet ouvrage qui est intitulé, No:- menclature des cétacés, et sur le tableau des ordres, des genres et des espèces de ces animaux, qui est à la tête de cette Histoire. 2. Voyez planche 16, fig. 1. Bec d’oie. Simon. € Camus. Delfino, en Italie. Tumberello, par les Italiens. Delphin, en Ailemagne, Meerschwein , ibid. Tummler, ibid. Delphin, en Pologne. Marsoin , en Danemarck. Springen, en Norwége. Huyser, en Islande. Hofrung, ibid. Leipter, ibid. Dolphin-tuymebaar, es Hollande. 2716 HISTOIRE NATURELLE maine que son génie a conquis, il trouve le dauphin sur la surface de toutes les mers; il le rencontre et Delphin, en Angleterre. Grampus, ibid. Porpeisse, ibid. Delphinus Delphis. Linnée, édition de Gmelin. Le Dauphin. Bonnaterre, planches de l'Encyclopédie méthodique. Delphinus cerpore oblongo subtereti, rostro attenuato aculo. Ar- tedi, gen. 76, syn. 105. Delphis. Schneïder, Petri Artedi Synonymia..…. græca et latina, emendata, aucta atque illustrata, etc., pag. 149. O Delphis. Arist., lib. 1, cap. 5; lib. 2, cap.15; lib. 5, cap. 1, 7: lib.4, cap. 8, 9 et 10; lib. 5, cap. 5 ; lib. 8, cap. 2, 15; lib. 9, cap. 48; elpart. lib. 4, cap. 15. Idem. Athen., lib. 7, pag. 282: et lib. 8, pag. 553. Delphin. Ælian., Bb. 1, cap. 18 ; lib. 2. cap. 6; lib. 6, cap. 15; lib.8, cap. 3; lib. 10, cap. 8; lib. 11, cap. 12: et lib. 12, cap. 6, 45. Delphis Delphinos. Oppiarn., lib. 1, pag. 15, 22, 25; et lib. ». Delphinus. Plin., lib. 9, cap. 7, 8; lib. 11, cap. 57: et lib. 52, cap. 11. Idem. Wotton, lib. 8, cap. 104. fol. 171, b. Jdem. Gesner, pag. 519; et (germ. ) fol. 92, 95, a. Idem. Jonston., lib. 5, cap. 2, a 4, pag. 218, tab. 45, fig. 2, 5,4; Thaumat., pag. 414. Delphinus prior. Aldrovand. Cet., cap. 7, pag. 701, 705, 704. Delphinus antiquorum. Raï, pag. 12. Idem. Wiflughby, pag. 28, tab. À 1, fig. Delphin. Solin. Polyhistor, cap. 18. Idem. Ambros. Hexam., lib. 5, cap. 2, 3. Idem. C. Figul., fol. 5, a-b. Delphinus pinna in dorso una , dentibus acutis, rostro lungo aculo. Brisson, Regn. anim., pag. 569, n° 1. Delphinus. Belon. Aquatil., pag. 7. Dauphin. Rondelet, première partie, liv. 16, chap. 5 ( édition de Lyon, 1558). Delphinus. Mus. Wormian., pag. 288. Idem. Charlet. Exerc. pise., pag. 47. Delphinus. Rzaczyns. Pol. auct., pag. 258. Idem. Klein, Miss. pisc. 2, pag. 24, tab. 5, fig. A. DES DAUPHINS. a dans les climats heureux des zones tempérées, et sous le ciel brûlant des mers équatoriales, et dans les horribles vallées qui séparent ces énormes mon- tagnes de glace que le temps élève sur la surface de l'Océan polaire comme autant de monuments funé- raires de la nature qui y expire : partout il le voit , lé- ser dans ses mouvements, rapide dans sa natation, étonnant dans ses bonds, se plaire autour de lui, char- mer par ses évolutions vives et folâtres l'ennui des calmes prolongés, animer les immenses solitudes de l'Océan, disparoître comme l'éclair, s'échapper comme l'oiseau qui fend l'air, reparoître, s'enfuir, se mon- trer de nouveau, se jouer avec les flots agités, braver les tempêtes, et ne redouter ni les éléments, ni la distance, ni les tyrans des mers. Revenu dans ces retraites paisibles que son goût s’est plu à orner, il jouit encore de l’image du dau- phin que la main des arts a tracée sur les chefs-d'œu- vre qu'elle a créés, il en parcourt la touchante his- toire dans les productions immortelles que le génie de la poésie présente à son esprit et à son cœur; et lorsque, dans le silence d’une nuit paisible, dans ces Porcus marinus. Sibbald, Scot. an., pag. 25. Delphin. Anderson, Isl., pag. 254. Idem. Cranz, Groenl., pag. 152. Oth. Fabric. Faun. Groenland., pag. 4. Mall. Zoolog. Dan. Prodrom., pag. 7, n° 55. Dauphin proprement dit. R. R. Castel, édition de Bloch. Dauphin. Valmont de Bomare, Dictionnaire d'histoire naturelle. Delphinus corpore tereli conico elongato, rostro styloide. Commer- son, manuscrits adressés à Buffon, qui nous les remit lorsqu'il nous engagea à continuer l'Histoire näturelle, et cités dans l'Histoire des Poissons. LACÉPEDE. I. 18 278 HISTOIRE NATURELLE moments de calme et de mélancolie où la médita- tion et de tendres souvenirs donnent tant de force à tout ce que son âme éprouve, il laisse errer sa pensée de la terre vers le ciel, et qu'il lève les yeux vers la voûte éthérée, il voit encore cette même image du dauphin briller parmi les étoiles. Cet objet cependant, si propre à séduire l’imagi- nation de l’homme, est en partie l'ouvrage de cette imagination : elle l’a créé pour les arts et pour le fir- mament. Mais ce n’est pas la terreur qui lui a donné un nouvel être, comme elle a enfanté le redoutable dragon, la terrible chimère , et tant de monstres fan- tastiques, l’effroi de l'enfance, de la foiblesse et de : la crédulité; c’est la reconnoiïssance qui lui a donné une nouvelle vie. Aussi n’a-t-elle fait que d'embellir, le rendre plus aimable, le diviniser pour des bien- faits, et montrer dans toute sa force et dans toute sa pureté l'influence de cet esprit des Grecs, pour les- quels ta nature étoit si riante, pour lesquels et la terre et les airs, et la mer et les fleuves, et les monts cou- verts de bois, et les vallons fleuris, se peuploient de jeux voluptueux, de plaisirs variés , de divinités indul- gentes, d’'amours inspirateurs. Le génie d'Odin ou ce- Jui d’Ossian ne l’ont pas conçu au milieu des noirs fri- mas des contrées polaires; et si le dauphin de la nature appartient à tous les climats , celui des poëtes n'appartient qu’à la Grèce. Mais, avant de nous transporter sur ces rivages fortunés, et de rappeler les traits de ce dauphin poé- tique, voyons de près celui des navigateurs : la fable a des charmes bien doux; mais quels attraits sont au dessus de ceux de la vérité? DES DAUPHINS. 270 Les formes générales du dauphin vulgaire sont plus agréables à la vue que celles de presque tous les au- tres cétacés : ses proportions sont moins éloignées de celles que nous regardons comme le type de la beauté. Sa tête, par exemple, montre, avec les au- tres parties de ce cétacé, des rapports de dimension beaucoup plus analogues à ceux qui nous ont charmés dans les animaux que nous croyons les plus favorisés par la nature. Son ensemble est comme composé de deux cônes allongés presque égaux , et dont les bases sont appliquées l’une contre l’autre. La tête forme l'extrémité da cône antérieur; aucun enfoncement ne la sépare du corps proprement dit, et ne sert à la faire reconnoître : mais elle se termine par un museau très distinct du crâne, très avancé, très aplati de haut en bas, arrondi dans son contour de manière à pré- senter l’image d’une portion d'ovale, marqué à son origine par une sorte de pli . et comparé par plusieurs auteurs à un énorme bec d’oie ou de cygne, dont ils lui ont même donné le nom. Les’ deux mâchoires composent ce museau; et comme elles sont aussi avancées ou presque aussi avancées l’une que l’autre, il est évident que l’ouver- ture de la bouche n’est pas placée au dessous de la tête, comme dans les cachalots, les physales et les physétères. Cette ouverture a, d’ailleurs, une lon- sueur égale au neuvième ou même au huitième de la longueur totale du dauphin. On voit à chaque mâ- choire une rangée de dents un peu renflées, poin- tues, et placées de manière que lorsque la bouche se ferme, celles d’en-bas entrent dans les interstices qui séparent celles d’en-haut, qu’elles recoivent dans 280 HISTOIRE NATURELLE leurs intervalles; et la gueule est close très exacte- ment. Le nombre de ces dents peut varier, suivant l’âge ou suivant le sexe. Des naturalistes n’en ont compté que quarante-deux à la mâchoire d’en-haut, et trente- huit à celle d’en-bas. Le professeur Bonnaterre en à trouvé quarante-sept à chaque mâchoire d’un indi- vidu placé dans le cabinet de l’école vétérinaire d’Al- fort. Klein a écrit qu'un dauphin observé par lui en avoit quatre-vingt-seize à la mâchoire supérieure , et quatre-vingt-douze à l’inférieure. La langue du dauphin, un peu plus mobile que celle de quelques autres cétacés, est charnue, bonne à manger, et, suivant Rondelet, assez agréable au goût. Elle ne présente aucune de ces papilles qu’on a nommées coniques, et qu'on trouve sur celle de l'homme et de presque tous les mammifères; mais elle est parsemée, surtout vers le gosier, d’éminences très pelites, percées chacune d’un petit trou. À sa base sont quatre fentes, placées à peu près comme le sont les glandes à calice que l’on voit sur la langue du plus grand nombre de maminifères, ainsi que sur celle de l’homme. Sa pointe est découpée en lanières très étroites, très courtes et obtusest. Les évents, dont il paroît que Rondelet connois- soit déjà la forme , la valvule intérieure et la véritable position, se réunissent dans une seule ouverture , si- tuée à peu près au dessus des yeux, et qui présente un croissant dont les pointes sont tournées vers le 1. Voyez les excellentes Leçons d’analomie comparée de mon célè- bre confrère Cuvier, publiées par l’habile professeur Duméril, tome IF, page 690. . DES DAUPHINS. 201 museau. L’œil n’est guère plus élevé que la comimis- sure des lèvres, et n’en est séparé que par un petit intervalle ; la forme de la pupille ressemble un peu à celle d’un cœur; et si l’on examine l’intérieur de l’or- gane de la vue, on est frappé par l'éclat que répand le fond de cette membrane à laquelle on a donné le noin de ruyschienne. Ce fond est revêtu d’une sorte de couche d’un jaune doré, comme dans l'ours, le chat et liont. Peut-être devroit-on remarquer que celte contexture particulière qui dore ainsi la-ruys- chienne, se trouve et dans le dauphin, dont Fœil, placé le plus souvent au dessous de la surface de la mer, ne reçoit la lumière qu’au travers du voile formé par une couche d’eau salée plus où moins trouble et plus ou moins épaisse, et dans les quadrupèdes dont l'organe de la vue, extrêmement délicat, ne s'ouvre que très peu lorsqu'ils sont exposés à des rayons lu- mineux très nombreux ou très vifs?. Le canal auditif, cartilagineux, tortueux et mince, se termine à l'extérieur par un orifice des plus étroits. Le rocher, suspendu par des ligaments, comme dans les autres cétacés, au dessous d’une voûte for- mée en grande partie par une extension de l'os occi- pital, contient un tympan dont la forme est celle d’un entonnoir allongé; un marteau dénué de manche, mais garni d'une apophyse antérieure , longue et ar- quée ; un étrier qui, au lieu de deux branches, pré- sente un cône solide, comprimé et percé d’un très petit Lrou ; un labyrinthe situé au dessus de la caisse 1. Même cuvrage, tome IT, pag. 402. 2. Consultez ce que nous avons écril au sujet de la vue de a baleine franche, dans l'œticle de ce célacé. 282 HISTOIRE NATURELLE du tympan; une lame contournée en spirale pour former le limacon, et qu'une fente très étroite et gar- nie d’une membrane sépare , dans toute sa longueur, en deux parties dont la plus voisine de l’axe est trois fois plus large que l’autre; un petit canal, dont la coupe est ronde, dont les paroïs sont très minces, qui suit la courbure spirale de la lame osseuse, atta- chée à l’axe du limaçon, qui augmente de diamètre à mesure que celui des lames diminue, et auquel on trouve un canal analogue dans les ruminants!; et en- fin, l’origine de deux larges conduits, nommés im- proprement 4 quéducs, et qui, de même que des ca- naux semblables que l’on voit dans tous les mammi- fères, font communiquer le labyrinthe de l'oreille avec l’intérieur du crâne, indépendamment des con- duits par lesquels passent les nerfs. Lorsqu'on a jeté les yeux sur tous les détails de l'oreille du dauphin, pourroit-on être surpris de la finesse de son ouiïe? et comme les animaux doivent d'autant plus aimer à exercer leurs sens, que les or- ganes en sont plus propres à donner des impressions vives ou multipliées, le dauphin doit se plaire et se plaît en effet à entendre différents corps sonores. Les tons variés des instruments de musique ne sont pas mème les seuls qui attirent son attention; on diroit qu'il éprouve aussi quelque plaisir à écouter les sons régulièrement périodiques, quoique monotones et quelquefois même très désagréables à l'oreille déli- cale: d’un musicien habile, que produit le jeu des pompes et d’autres machines hydrauliques. Un bruit 1. Lecons d'anatomie comparée de M. Cuvier, tome jf, pag. 476. DES DAUPHINS. 283 violent et soudain l’effraie cependant. Aristote nous apprend que de son temps les pêcheurs de dauphins entouroient dans leurs barques une troupe de ces cé- tacés, et produisoient tout d’un coup un grand bruit, qui, rendu plus insupportable pour l'oreille de ces animaux par l'intermédiaire de l’eau salée qui le trans- mettoit et qui étoit bien plus dense que l’air, leur in- spiroit une frayeur si forte, qu'ils se précipitoient vers le rivage et s’'échouoient sur la grève, victimes de leur surprise, de leur étourdissement et de leur terreur imprévue et subite. Cette organisation de l'oreille des dauphins fait aussi qu'ils entendent de loin les sons que peuvent proférer les individus de leur espèce. À la vérité, on a comparé leur voix à une sorte de gémissement sourd : mais ce mugissement se fortifie par les ré- flexions qu'il recoit des rivages de l'Océan et de Îa surface même de Îa mer, se propage facilement, comme tout effet sonore, par cette immense masse de fluide aqueux, et doit, ainsi qu’Aristote l’avoit ob- servé, une nouvelle intensité à ce même fiquide, dont au moins les couches supérieures le transmet tent à l'organe de l’ouie du dauphin. D'ailleurs les poumons, d’où sort le fluitie produc- teur des sons que le dauphin fait entendre, offrent un grand volume. ; La boîte osseuse dans laquelle sont renfermés les cvents, l'orbite de l'œil et la cavité plus reculée et un peu plus élevée que cette orbite, au milieu de la- queile on trouve l'oreille suspendue, est très petite relativement à la longueur du dauphin. Le crâne est très convexe. 26/ HISTOIRE NATURELLE Les différentes parties de l’épine dorsale qui s’ar- ticule avec cette boîte osseuse, présentent des dimen- sions telles, que le dos proprement dit n’en forme que le cinquième ou à peu près, et que le cou n’en compose pas le trentième. Ce cou est donc extrêmement court. Il comprend cependant sept verlèbres, comme celui des autres mammifères ; mais de ces sept vertèbres, la seconde ou l’Aæis est très mince, et très souvent les cinq der- nières n’ont pas un millimètre d'épaisseur. Une si grande brièveté dans le cou expliqueroit seule pourquoi le dauphin ne peut pas imprimer à sa tête des mouvements bien sensibles, indépendants de ceux du corps ; et ce qui ajoute à cette immobilité relative de la tête, c'est que la seconde vertèbre du cou est soudée avec la première ou l’atlas. Les vertèbres dorsales proprement dites sont au nombre de treize, comme dans plusieurs autres mam- mifères, et notamment dans le lion, ie tigre, le chat, le chien, le renard, l'ours maritime, un grand nom- bre de rongeurs, le cerf, lPantilope, la chèvre, la bre- bis et le bœuf. ; Les autres vertèbres qui représentent les lombai- res , les sacrées et les coccygiennes ou vertèbres de la queue, sont ordinairement au nombre de cinquante- trois : le professeur Bonnaterre en a compté cepen- dant soixante-trois dans un squelette de dauphin qui faisoit partie de la collection d’Alfort. Aucun mammi- fère étranger à la grande tribu des cétacés n’en pré- sente un aussi grand nombre : les quadrupèdes dans lesquels on a reconnu le plus de ces vertèbres lom- baires , sadgrées et caudales, sont le grand fourmilier, DES DAUPHINS. 285 qui néanmoins n'en a que quarante-six, et le phata- gin , qui n’en a que cinquante-deux; et c'est un grand rapport que présentent les cétacés avec les poissons, dontils partagent le séjour et la manière de se mouvoir. Les apophyses supérieures des vertèbres dorsales sont d'autant plus hautes, qu'elles sont plus éloignées du cou; et celle des vertèbres lombaires, sacrées et caudales, sont, au contraire, d'autant plus basses, qu'on les trouve plus près de l'extrémité de la queue, dont les trois dernières vertèbres sont entièrement dénuées de ces apophyses supérieures : mais les apo- physes des vertèbres qui représentent les lombaires, sont les plus élevées, parce qu'elles servent de point d'appui à d'énormes muscles qui s’y attachent , et qui donnent le mouvement à la queue. Remarquens encore que les douze vertèbres cau- dales qui précèdent les trois dernières, ont non seu- lement des apophyses supérieures, mais des apophy- ses inférieures, auxquelles s’attachent plusieurs des muscles qui meuvent la nageoiïre de la queue, et les- quelles ajoutent par conséquent à la force et à la ra- pidité des mouvements de cette rame puissante. Les vertèbres dorsales soutiennent les côtes, dont le nombre est.égal de chaque côté à celui de ces vertebres, et par conséquent de treize. Le stersum, auquel aboutissent les côtes sterno- vertébrales, improprement appelées vraies côtes, est composé de plusieurs pièces articulées ensemble, et se réunit avec les extrémités des côtes par le moyen de petits os particuliers, très bien observés par le professeur Bonnaterre. À une distance assez grande du sternum et de cha- 286 HISTOIRE NATURELLE que côté de l'anus, on découvre dans les chairs un os peu étendu, plat et mince, qui, avec son analo- gue , forme les seuls os du bassin qu’ait le dauphin vulgaire. C'est un foible trait de parenté avec les mammifères qui ne sont pas dénués, comme les cé- tacés, d’extrémités postérieures ; et ces deux petites lames osseuses ont quelque rapport, par leur inser- tion, avec ces petits os nommés ailerons, et qui sou- tiennent. au devant de l’anus, les nageoires inférieu- res des poissons abdominaux. Auprès de ce même sternum, on trouve le dia- phragme. Ce muscle, qui sépare la poitrine du ventre, n’é- tant pas tout-à-fait vertical, mais un peu incliné en arrière , agrandit par sa position la cavité de la poi- trine , du côté de la colonne vertébrale , et laisse plus de place aux poumons volumineux dont nous avons parlé. Organisé de manière à être très fort, et étant attaché aux muscles abdominaux, qui ont aussi beau- coup de force, parce que plusieurs de leurs fibres sont tendineuses, il facilite les mouvements par les- quels le dauphin inspire ‘d'air de l'atmosphère, et l’aide à vaincre la résistance qu'oppose à la dilatation de la poitrine et des poumons l’eau de la mer, bien plus dense que le fluide atmosphérique dans lequel sont uniquement piongés la plupart des mammifères. Au delà du diaphragme est un foie volumineux, comme dans presque tous les habitants des eaux. Les reins sont composés, comme ceux de presque tous les célacés, d’un très grand nombre de petites glandes de diverse figure, que Rondelet a comparées aux grains de raisin qui composent une grappe. DES DAUPHINS. 387 La chair est dure, et le plus souvent exhale une odeur désagréable et forte. La graisse qui la recouvre contribue à donner de la mollesse à la peau , qui ce- pendant est épaisse. mais dont la surface est luisante et très unie. La pectorale de chaque côté est ovale, placée très bas, et séparée de l’œii par un espace à peu près égal à ceiui qui est entre l'organe de !a vue et le bout du museau. Les os de cette nageoire , ou, pour mieux dire, de ce bras, s’articulent avec une omoplate dont le bord spinal est arrondi et fort grand. Lépine ou éminence longitudinale de cet os de l'épaule est continuée au dessus de langle huméral par une lame saillante , qui semble tenir lieu d’acromion. Le muscle releveur de cette omoplate s'attache à l’apophyse transverse de la première vertèbre, et s’é- panouil par son tendon sur toute la surface extérieure de cette même omoplate. Celui qui répond au grand dentelé où scapulo-costien des quadrupèdes, et dont l’action tend à mouvoir ou à maintenir l'épaule, n’est pas fixé par des digitations aux vertèbres du cou, comme dans les animaux qui se servent de leurs bras pour marcher. Le dauphin manque, de même que les carnivores et plusieurs animaux à sabots, du muscle nommé pe- tit pectoral, ou dentele antérieur, ou costocoracoidien; mais il présente à la place un muscle qui, par une digitation, s’insère sur le sternum, vers l'extrémité antérieure de ce plastron osseux. Le muscle trapèze, ou cuculaire, ou dorsosusacra- 286 HISTOIRE NATURELLE mien, qui s'attache à l’arcade occipitale, ainsi qu’à l’apophyse supérieure de toutes les vertèbres du cou et du dos, couvre toute l’omoplate, mais est très minee, pendant que le sterno-mastoidien est très épais, très gros, et accompagné d’un second muscle, qui, de l’apophyse mastoïide, va s’insérer sous la tête de l’hu- mérus. En tout, les muscles paroissent conformés, pro- portionnés et attachés de manière à donner à l’épaule de la solidité, ainsi que cela convient à un animal na- geur. Par cette organisation , les bras, ou nageoires, ou rames latérales du dauphin, ont un point d'appui plus fixe, et agissent sur l’eau avec plus d'avantage. Mais si, parmi les muscies qui meuvent l’humerus ou le bras proprement dit, le grand dorsal ou lombo- humérien des quadrupèdes est remplacé, dans le dau- phin, par un petit musele qui s'attache aux côtes par des digitatiohs, et qui est recouvert par la portion dorsale de celui qu'on appelle pannicule charnu ou cutano-humeérien, les muscles sur-épineux (sur-scapulo- trochitérien), le sous-épineux (sous-scapulo-trochi- térien ), le grand-rond ( scapulo-humérien }, et le petit-rond , sont peu distincis et comme oblitérés. D'ailleurs, cet humérus, les deux os ‘de Flavant- bras qui sont lrès comprimés, ceux du carpe dont l'aplatissement est très grand, les os du métacarpe très déprimés et soudés ensemble, les deux phalan- ges très aplaties du pouce cet du dernier doigt , les huit phalanges semblables du second doigt, les six du troi- sième et les trois du quatrième, paroissent unis de manière à ne former qu’un seul tout, dont les parties DES DAUPHINS. 289 sont presque immobiles les unes relativement aux autres. Cependant les muscles qui mettent ce tout en mou- vement ont une forme, des dimensions et une posi- tion telles, que la nageoïire qu'il compose peut frap- per l'eau avec rapidité, et par conséquent avec force. Mais l'espèce d’inflexibilité de la pectorale, en la rendant un très bon organe de natation, n'y laisse qu'un toucher bien imparfait. Le dauphin n’a aucun organe qu'il puisse appliquer aux objets extérieurs, de manière à les embrasser, les palper, les peser, sentir leur poids, leur dureté, les inégalités de leur surface, recevoir enfin des im- pressions très distinctes de leur figure et de leurs di- verses qualités. Il peut cependant, dans certaines circonstances, éprouver une partie de ces sensations , en plaçant l’ob- jet qu’il veut toucher entre son corps et la pectorale, en le soutenant sous son bras. D'ailleurs, toute sa surface est couverte d’une peau épaisse, à la vérité, mais molle, et qui, cédant aux impressions des objets, peuttransmettre ces impressions aux organesintérieurs de l'animal. Sa queue, très flexible , peut s’appliquer à une grande partie de la surface de plusieurs de ces objets. On pourroit donc supposer dans le dauphin un toucher assez étendu pour qu'on ne fût pas forcé, par la considération de ce sens, à refuser à ce cétacé l'intelligence que plusieurs auteurs anciens et moder- nes lui ont attribuée. D'ailleurs, le rapport du poids du cerveau à celui du corps est de 1 à 25 dans quelques dauphins, comme 200 HISTOIRE NATURELLE dans plusieurs individus de l’espèce hnmaine, dans quelques guenons, dans quelques sapajous ; pendant que dans le castor il est quelquefois de 1 à 290, et, dans l'éléphant, de 1 à 5oo!. De plus, les célèbres anatomistes et physiologistes M.Soemmering et M. Ébel ont fait voir qu’en général, et tout égal d’ailleurs, plus le diamètre du cerveau, mesuré dans sa plus grande largeur, l'emporte sur celui de la moelle allongée, mesurée à sa base, et plus on doit supposer de prééminence dans lorgane de la réflexion sur celui des sens extérieurs, ou, ce qui est la même chose, attribuer à l’animal une intel- ligence relevée. Or le diamètre du cerveau est à celui de la moelle ailongée dans l’homme comme 182 est à 263 dans la guenon nommée Bonnet chinois, comme 182 est à 45; dans le chien, comme 182 est à 69, et dans le dauphin, comme 182 est à 14 ?. Ajoutons que le cerveau du dauphin présente des circonvolutions nombreuses, et presque aussi profon- des que celles du cerveau de l’homme * ; et pour ache- ver de donner une idée suffisante de cet organe, di- sons qu'il a des hémisphères fort épais ; qu’il couvre le cervelet ; qu'il est arrondi de tous les côtés, et presque deux fois plus large que long; que les éminences ou tubercules nommés T'estes sont trois fois plus volumi- neux que ceux auxquels on a donné le nom de Vates, et que l’on voit presque toujours plus petits que les T'estes dans les animaux qui vivent de proie“; et enfin 1. Lecons d'anatomie comparée de M. Cuvier. 2. Ibid. — 5. Ibid. A. Lecons d'anatomie comparée de M. Cuvier. DÉS DAUPHINS. 291 qu il ressemble au cerveau de l’homme, plus que ce- lui de la plupart des quadrupèdes. Mais les dimensions et la forme du cerveau du dau- phin ne doivent pas seulement rendre plus vraisem- blables quelques unes des conjectures que l’on a for- mées au sujet de l'intelligence de ce cétacé; elles paroissent prouver aussi une partie de cellesauxquelles on s’est livré sur la sensibilité de cet animal. On peut, d'un autre côté, confirmer ces mêmes conjectures par la force de l’odorat du dauphin. Les mammifères les plus sensibles, et particulièrement le chien, jouis- sent toujours en effet d’un odorat des plus faciles à ébranler ; et malgré la nature et la position particu- lière du siége de l’odorat dans les cétacés !, on savoit dès le temps d’Aristote que le dauphin distinguoit promptement et de très loin les impressions des corps odorants?. Sa chair répand une odeur assez sensible, comme celle du crocodile, de plusieurs autres qua- drupèdes ovipares, et de plusieurs autres habitants des eaux ou des rivages, dont l’odorat est très fin ; et cependant toute odeur trop forte, ou étrangère à celles auxquelles il peut être accoutumé, agit si vive- ment sur ses nerfs, qu'ilen est bientôt fatigué, tour- menté et même quelquefois fortement incommodé ; et Pline rapporte qu'un proconsul d'Afrique ayant essayé de faire parfumer un dauphin qui venoit sou- vent près du rivage et s’approchoit familièrement des marins , ce cétacé fut pendant quelque temps comme assoupi et privé de ses sens, s'éloigna promptement 1. Article de la Baleine franche. 2. Aristot., Hist. anim., IV, 8. 202 HISTOIRE NATURELLE ensuite, etne reparut qu’au bout de plusieurs jours !. Faisons encore observer que la sensibilité d’un ani- mal s’accroît par le nombre des sensations qu'il reçoit, et que ce nombre est, tout égal d’ailleurs, d'autant plus grand, que l'animal change plus souvent de place, el reçoit par conséquent les impressions d’un nombre plus considérable d'objets étrangers. Or le dauphin nage très fréquemment et avec beaucoup de rapidité. L'instrument qui lui donne cette grande vitesse se compose de sa queue et de la nageoïre qui latermine. Cette nageoire est divisée en deux lobes, dont cha- cun n’est que peu échancré, et dont la longueur est telle, que la largeur de cette caudale égale ordinai- rement deux neuvièmes de la longueur totale du cé- tacé. Cette nageoire et la queue elle-même peuvent être mues avec d'autant plus de vigueur, que les mus- cles puissants qui leur impriment leurs mouvements variés s’attachent à de hautes apophyses des vertèbres lombaires; et l’on avoit une si grande idée de leur force prodigieuse, que, suivant Rondelet, un pro- verbe comparoit ceux qui se tourmentent pour faire une chose impossible, à ceux qui veulent lier un dau- phin par la queue. C’est en agitant cette rame rapide que le dauphin cingle avec tant de célérité, que les marins l'ont nominé la flèche de la mer. Mon savant et éloquent confrère M. de Saint-Pierre, membre de l’institut, dit, dans la relation de son voyage à l'Ile-de-France ( page 52 ), qu'il vitun dauphin caracoler autour du 1. Pline, Histoire du monde, livre IX, chap. 8. DES DAUPHINS. 203 vaisseau, pendant que le bâtiment faisoit un myria- mètre par heure, et Pline a écrit que le dauphin alloit plus vite qu'un oiseau et qu'un trait lancé par une machine puissante. La dorsale de ce cétacé n’ajoute pas à sa vitesse ; mais elle peut l’aider à diriger ses mouvements !. La hauteur de cette nageoire, mesurée le long de sa courbure, est communément d’un sixième de la lon- sueur totale du dauphin, et sa longueur d’un neu- vième. Elle présente une échancrure à son bord pos- térieur , et une inflexion en arrière à son sommet, Elle est située au dessus des seize vertèbres qui viennent immédiatement après les vertèbres dorsales ; et l’on trouve dans sa base une rangée longitudinale de petits os allongés, plus gros par le bas que par le haut, un peu courbés en arrière, cachés dans les muscles, et dont chacun, répondant à une vertèbre saas y être altaché, représente un de ces osselets où ailerons auxquels nous avons vu que tenoient les rayons des nageoires des poissons ?. Mais il ne suffit pas de faire observer la célérité de la natation du dauphin, remarquons encore la fré- quence de ses évolutions. Elles sont séparées par des intervalles si courts, qu’on penseroit que le repos lui est absolument inconnu; et les différentes impulsions qu'il se donne se succèdent avec tant de rapidité et produisent une si grande accélération de mouvement, que, d’après Aristote, Pline, Rondelet, et d’autres 1. Que l’on veuille bien se rappeler ce que nous avons dit dans l’ar- ticle de la Baleine franche, au sujet de la natation de ce cétacé. 3. Histoire naturelle des Poissons. — Discours sur la nature de ces animaux. LACÉPEDE. 1. 19 294 HISTOIRE NATURELLE auteurs , il s’élance quelquefois assez haut au dessus de la surface de la mer pour sauter par dessus les mâts des petits bâtiments. Aristote parle même de la ma- nière dont ils courbent avec force leur corps, bandent, pour ainsi dire, leur queue comme un arc très grand et très puissant, et, la détendant ensuite contre les couches d'eau inférieures avec la promptitude de l’é- clair, jallissent en quelque sorte comme la flèche de cet arc, et nous présentent un emploi de moyens et des effets semblables à ceux que nous ont offerts les saumons et d’autres poissons qui franchissent , en re- montant dans les fleuves, des digues très élevées 1. C’est par un mécanisme semblable que le dauphin se précipite sur le rivage, lorsque, poursuivant une proie qui lui échappe, il se livre à des élans trop im- pétueux qui l'emportent au delà du but, ou lorsque, tourmenté par des insectes ? qui pénètrent dans les replis de sa peau et sy attachent aux endroits les plus sensibles, il devient furieux, comme le lion sur lequel s’acharne la mouche du désert, et, aveuglé par sa pro- pre rage, se tourne , se retourne , bondit et se préci- pite au hasard. Lorsqu'il s’est jeté sur le rivage à une trop grande distance de l’eau pour que ses.efforts puissent l’y ra- mener , il meurt au bout d’un temps plus ou moins long, comme les autres cétacés repoussés de la mer, et lancés sur la côte par la tempête ou par toute autre puissance. L’impossibilité de pourvoir à leur nourri- ture, les contusions et les blessures produites par la 1. Histoire naturelle des Poissons. — Histoire du Salmone Saumon. 2. Rondelet, article du Dauphin. DES DAUPHINS. 295 force du choc qu'ils éprouvent en tombant violemment sur le rivage, un desséchement subit dans plusieurs de leurs organes, et plusieurs autres causes, concou- rent alors à terminer leur vie; mais ii ne faut pas croire, avec les anciens naturalistes, que laltération de leurs évents, dont l’orifice se dessèche, se resserre et se ferme, leur donne seule la mort, puisqu'its peuvent, lorsqu'ils sont hors de l’eau, respirer très librement par l’ouverture de leur gueule. Le dauphin est d'autant moins gèné dans ses bonds et dans ses circonvolutions, que son plus grand dia- mètre n’est que le cinquième ou à peu près de sa lon- sueur totale, et n'en est très souvent que le sixième pendant la jeunesse de l'animal. Au reste, cette longueur totale n'excède guère trois mètres et un liers. Vers le milieu de cette longueur, entre le nombril et l'anus, ést placée la verge du mâle, qui est aplatie, et dont on n’apercçoit ordinairement à l'extérieur que l'extrémité du gland. Il paroît que lorsqu'il s’accouple avec sa femelle, ils se tiennent dans une position plus ou moins voisine de la verticale, et tournés l’un vers l'autre. La durée de la gestation est de dix mois, suivant Aristote : le plus souvent la femelle met bas pendant l'été; ce qui prouve que l’accouplement a lieu an com- mencement de l’automne, lorsque les dauphins ont recu toute l'influence de la saison vivifiante. La femelle ne donne le jour qu’à un ou deux petits; elle les allaite avec soin, les porte sous ses bras pen- dant qu'ils sont encore languissants où foibles, les exerce à nager, joue avec eux, les défend avec cou- 206 HISTOIRE NATURELLE rage, ne sen sépare pas même lorsqu'ils n'ont plus besoin de son secours, se plaît à leur côté, les accom- pagne par affection , et les suit avec constance, quoi- que déjà leur développement soit très avancé. Leur croissance est prompte : à dix ans, ils ont souvent atteint toute leur longueur. Il ne faut pas croire cependant que trente ans soient le terme de leur vie, comme plusieurs auteurs l'ont répété d’après Aristote. Si l’on se rappelle ce que nous avons dit de la longueur de la vie de la baleine franche, on pensera facilement avec d’autres auteurs que le dauphin doit vivre très long-temps, et vraisemblablement plus d’un siècle. Mais ce n’est pas seulement la mère et les dauphins auxquels elle a donné le jour, qui paroissent réunis par les liens d’une affection mutuelle et durable : le mâle passe, dit-on, la plus grande partie de sa vie auprès de sa femelle ; il en est le gardien constant et le défenseur fidèle. On a mème toujours pensé que tous les dauphins en général étoient retenus par un sentiment assez vif auprès de leurs compagnons. On raconte, dit Âristote, qu'un dauphin ayant été pris sur un rivage de la Carie, un grand nombre de cé- tacés de la même espèce s'approchèrent du port, et ne regagnèrent la pleine mer que lorsqu'on eut dé- livré le captif qu’on leur avoit ravi. Lorsque les dauphins nagent en troupe nombreuse, ils présentent souvent une sorte d'ordre : ils for- ment des rangs réguliers; ils s’'avancent quelquefois sur une ligne , comme disposés en ordre de bataille; et si quelqu'un d'eux lemporte sur les autres par sa force ou par son audace, il précède ses compagnons, DES DAUPHINS. 297 parce qu'il nage avec moins de précaution et plus de vitesse ; il paroît comme leur chef ou leur conducteur, et fréquemment il en reçoit le nom des pêcheurs ou des autres marins. Mais les animaux de leur espèce ne sont pas lies seuls être sensibles pour lesquels ils paroiïissent con- cevoir de l'affection ; ils se familiarisent du moins avec l’homme. Pline a écrit qu'en Barbarie , auprès de Ja ville de Zippo Dyarrhite, un dauphin s’avançoit sans crainte vers le rivage, venoit recevoir sa nourriture de la main de celui qui vouloit la lui donner, s’appro- choit de ceux qui se baignoient, se livroit autour d'eux à divers mouvements d’une gaieté très vive, scuffroit qu'ils montassent sur son dos, se laissoit même diriger avec docilité, et obéissoit avec autant de célérité que de précision !. Quelque exagération qu’il y ait dans ces faits, et quand même on ne de- vroit supposer, dans le penchant qui entraîne souvent les dauphins autour des vaisseaux, que le désir d’a- paiser avec plus de facilité une faim quelquefois très pressante, 9n ne peut pas douter qu’ils ne se rassem- blent autour des bâtiments , et qu'avec tousles signes de la confiance et d’une sorte de satisfaction, ils ne s’agitent, se courbent, se replient, s'élancent au dessus de l’eau , pirouettent, retombent, bondissent t s'élancent de nouveau pour pirouetter, tomber, bondir et s'élever encore. Cette succession , ou plutôt cette perpétuité de mouvements, vient de la bonne proportion de leurs muscles et de l'activité de leur système nerveux. 1. Pline, div. IX, chap. 48. 290 HISTOIRE NATURELLE Ne perdons jamais de vue une grande vérité. Lors- que Îles animaux, qui ne sont pas retenus, comme l’homme, par des idées morales, ne sont pas arrêtés par la crainte, ils font tout ce qu’ils peuvent faire, et ils agissent aussi long-temps qu'ils peuvent agir. Aucune force n’est inerte dans la nature. Toutes les causes y tendent sans cesse à produire, dans toute leur étendue, tous les effets qu’elles peuvent faire naître. Cette sorte d’eflort perpétuel, qui se confond avec l'attraction universelle , est la base du principe suivant. Un effet est toujours le plus grand qui puisse dépendre de sa cause, ou, ce qui estla même chose, la cause d'un phénomène est toujours la plus foible possible ; et cette expression n'est que la traduction de celle par laquelle notre illustre collègue et ami Lagrange à fait connoître son admirable principe de ja plus petite action. Au reste, ces mouvements si souvent renouvelés que présentent les dauphins, ces bonds, ces sauts, ces circonvolutions, ces manœuvres, ces signes de force, de légèreté, et de l'adresse que la répétition des mêrmes actes donne nécessairement, forment une sorte de spectacle d’autant plus agréable pour des navigateurs fatigués depuis long-temps de l’immense solitude et de la triste uniformité des mers, que la couleur des dauphins vulgaires est agréable à la vue. Cette couleur est ordinairement bleuâtre ou noirâtre, tant que l’animal est en vie et dans l’eau; mais elle est souvent relevée par la blancheur du ventre et celle de la poitrine. Achevons cependant de montrer toutes les nuances que lon a cru remarquer dans les affections de ces ani- DES DAUPHINS. 209 maux. Les anciens ont prétendu que la familiarité de ces célacés étoit plus grande avec les enfants qu'avec l'homme avancé en âge. Mécénas-Fabius et Flavius- Alfius ont écrit dans leurs chroniques, suivant Pline, qu'un dauphin qui avoit pénétré dans le lac Lucrin re- cevoit tous les jours du pain quelui donnoit un jeune enfant, qu'il accouroit à sa voix, qu'il le portoit sur son dos, et que l'enfant ayant péri, le dauphin, qui ne revit plus son jeune ami, mourut bientôt de cha- orin. Le naturaliste romain ajoute des faits semblables arrivés sous Alexandre de Macédoine , ou racontés par Évésidème et par Théophraste. Les anciens enfin n'ont pas balancé à supposer dans les dauphins pour les jeunes gens, avec lesquels ils pouvoient jouer plus facilement qu'avec des hommes faits, une sensibilité, une affection et une constance presque semblables à celles dont le chien nous donne des exemples si tou- chants. Ces cétacés, que l’on a voulu représenter comme susceptibles d’un attachement si vif et si durable, sont néanmoins des animaux carnassiers. Mais n'oublions pas que le chien, ce compagnon de l’homme, si ten- dre, si fidèle et si dévoué, est aussi un animal de proie ; et qu'entre le loup féroce et le doux épagneul, il n'y à d'autre différence que les effets de l’art et de la domesticité. Les dauphins se nourrissent donc de substances animales : ils recherchent particulièrement les pois- sons; ils préfèrent les morues, les églefins, les persè- ques, les pleuronectes ; ils poursuivent les troupes nombreuses de muges jusqu’auprès des filets des pè- cheurs, et, à cause de cette sorte de familiarité hardie, 300 HISTOIRE NATURELLE ils ont été considérés comme les auxiliaires de ces marins, dont ils ne vouloient cependant qu'enlever ou partager la proie. Pline et queiques autres auteurs anciens ont cru que les dauphins ne pouvoient rien saisir avec leur gueule À qu'en se retournant et se renversant presque sur leur dos; mais ils n'ont eu cette opinion que parce qu'ils ont souvent confondu ces cétacés avec des squales, des acipensères ou quelques autres grands poissons. Les dauphins peuvent chercher la nourriture qui leur est nécessaire plus facilement que plusieurs au- tres habitants des mers. Aucun climat ne leur est contraire. On les a vus non seulement dans l'Océan atlanti- que septentrional, mais encore dans le grand Océan équinoxial, auprès des côtes de la Chine, près des rivages de l'Amérique méridionale, dans les mers qui baignent l'Afrique, dans toutes les grandes méditer- ranées, dans celle particulièrement qui arrose et l’A- frique et l'Asie et l'Europe. Il est des saisons où ils paroissent préférer la pleine mer au voisinage des côtes. On a remarqué! qu'or- dinairement ils voguoient contre le vent; et cette ha- bitude, si elle étoit bien constatée, ne previendroit- elle pas du besoin et du désir qu'ont ces animaux d’être avertis plus facilement, par les émanations odorantes que le vent rapporte à l’organe de leur odorat , de la présence des objets qu'ils redoutent ou qu'ils recherchent? 1. Dom Pernetty, Histoire d’un voyage aux iles Malouines, tome T, pag. 97 et suiv. DES DAUPHINS. 501 On a dit qu'ils bondissoient sur ja surface de ja mer avec plus de force, de fréquence et d’agilité , lorsque la tempête menaçoit, et même lorsque le vent devoit succéder au calme *. Plus on fera de progrès dans la physique, et plus on s’apercevra que l’élec- tricité de l'air est une des plus grandes causes de tous les changements que l’atmosphère éprouve. Or tout ce que nous avons déjà dit de l’organisation et des habitudes des dauphins doit nous faire présumer qu’ils doivent être très sensibles aux variations de l’élec- tricité atmosphérique. Nous voyons dans Oppien et dans Élien que les habitants de Byzance et de Thrace poursuivoient les dauphins avec des tridents attachés à de longues cordes, comme les harpons dont on est armé main- tenant pour la pèche des baleines franches et de ces mêmes dauphins. Îl est des parages où ces derniers cétacés sont assez nombreux pour qu'une grande quantité d'huile soit le produit des recherches diri- sées contre ces animaux. On a écrit qu'il failoit comp- ter parmi ces parages les environs des rivages de la Cochinchine. Les dauphins n’ayant pas besoin d’eau pour res- pirer, et ne pouvant même respirer que dans l'air, il n’est pas surprenant qu'on puisse les conserver très long-temps hors de l’eau , sans leur faire perdre la vie. Ces cétacés ayant pu être facilement observés, et ayant toujours excité la curiosité vulgaire, l'intérêt des marins, l'attention de l'observateur, on a re- 1. Voyez le Voyage à l'Ile-de-France de mon célèbre confrère M. de Saint-Pierre. 302 HISTOIRE NATURELLE marqué facilement toutes leurs propriétés , tous leurs attributs, tous leurs traits distinctifs; et voilà pourquoi piusieurs naturalistes ont cru devoir compter dans l'espèce que nous décrivons des variétés plus on moins constantes. On a distingué les dauphins d’un brun livide !; ceux qui ont le dos noirâtre, avec les côtés et le ventre d’un gris de perle moucheté de noir; ceux dont la couleur est d’un gris plus ou moins foncé; et enfin ceux dont la surface est d’un blanc éclatant comme celui de la neige. Mais nous venons de voir le dauphin de la nature ; voyons celui des poëtes. Suspendons un moment l'histoire de la puissance qui crée, et jetons les yeux sur les arts qui embellissent Nous voici dans l'empire de l'imagination ; la raison éclairée, qu’elle charme, mais qu’elle n’aveugle ni ne séduit, saura distinguer, dans le tableau que nous allons essayer de présenter, la vérité parée des voiles brillants àe la fable. Les anciens habitants des rives fortunées de la Grèce connoissoient bien le dauphin +: mais la vivacité de leur génie poétique ne leur a pas permis de le peindre tel qu'il est; leur morale religieuse a eu be- soin de le métamorphoser et d’en faire un de sestypes. Et d’ailleurs, la conception d’objeis chimériques leur étoit aussi nécessaire que le mouvement l’est au dau- phin. L'esprit, comme le corps, use de toutes ses forces, lorsqu'aucun obstacle ne l’arrête; et les ima- ginations ardentes n’ont pas besoin des sentiments 3. Notes manuscrites de Commerson, remises à Buffon, qui dans le temps a bien voulu me les communiquer. DES DAUPHINS. 309 profonds ni des idées lugubres que fait naître un climat horrible, pour inventer des causes fantasti- ques, pour produire des êtres surnaturels, pour en- fanter des dieux. Le plus beau ciel a ses orages; le rivage le plus riant a sa mélancolie. Les champs thes- saliens, ceux de l’Attique et du Peloponèse, n'ont point inspiré cette terreur sacrée, ces noirs pressen- timents, ces tristes souvenirs qui ont élevé le trône d’une sombre mythologie au milieu de palais de nuages et de fantômes vaporeux, au dessus des pro- montoires menaçants, des lacs brumeux et des froides forêts de la valeureuse Calédonie, ou de l’héroïque Hibernie : mais la vallée de Tempé, les pentes fleuries de l’'Hymète, les rives de l’Eurotas, les bois mystérieux de Delphes, et les heureuses Cyclades, ont ému la sensibilité des Grecs par tout ce que la nature peut offrir de contrastes pittoresques, de paysages roman- tiques, de tableaux majestueux, de scènes gracieuses, de monts verdoyants, de retraites fortunées, d'i- mages attendrissantes, d'objets touchants, tristes, funèbres même , et cependant remplis de douceur et de charme. Les bosquets de l’Arcadie ombrageoient des tombeaux; et les tombeaux étoient cachés sous des tiges de roses. La mythologie grecque , variée et immense comme la belle nature dont elle a recu le jour, a dû sou- mettre tous les êtres à sa puissance. Auroit-elle pu dès lorsne pas étendre son influence magique jusque sur le dauphin? Mais si elle a changé ses qualités, elle n’a pas aitéré ses formes. Ce n’est pas la mythologie qui a dénaturé ses traits; ils ont été métamorphosés par l’art de la sculpture encore dans 904 HISTOIRE NATURELLE son enfance, bientôt après la fin de ces temps fa- meux auxquels la Grèce a donné le nom d’héroïques. J’adopte à cet égard l'opinion de mon illustre con- frère Visconti, de l’Institut ; et voici ce que pense à ce sujet ce savant interprète de l’antiquité 1. On adoroit Apollon à Delphes, non seulement sous le nom de Delphique et de Pythien, mais encore sous celui de Delphinien ( Delphinios). On racontoit, pour rendre raison de ce titre, que le dieu s’étoit montré sous la forme d’un dauphin aux Crétois qu’il avoit obligés d'aborder sur le rivage de Delphes, et qui y avoient fondé l’oracle le plus révéré du monde connu des Grecs. Cette fable n’a eu peut-être d’autre origine que la ressemblance du nom de Delphes avec celui du dauphin ( Delphin); mais elle est de la plus haute antiquité, et on en lit les détails dans l’hymne à l'honneur d’Apollon, que l'on attribue à Homère. M. Visconti regarde comme certain que l’ Apollon delphinius adoré à Delphes avoit des dauphins pour symboles. Des figures de dauphins devoient orner son temple ; et comme les décorations de ce sanc- tuaire remontoient aux siècles les plus reculés, elles devoient porter l'empreinte de l'enfance de l’art. Ces figures inexactes, imparfaites, grossières, et si peu semblables à la nature, ont été cependant consacrées par le temps et par la sainteté de l’oracle. Les artistes habiles qui sont venus à l’époque où la sculpture avoit déjà fait des progrès, n'ont pas osé corriger ces figu- res d’après des modèles vivants ; ils se sont contentés d'en embellir le caractère, d’en agrandir les traits, :. Lettre de M. Visconti à M. de Lacépède. DES DAUPHINS. 505 d'en adoucir les contours. La forme bizarre des dau- phins delphiques a passé sur les monuments des an- ciens, s’est perpétuée sur les productions des peuples modernes; et si aucun des auteurs qui ont décrit le temple de Delphes n’a parlé de ces dauphins sculptés par le ciseau des plus anciens artistes grecs, c'est que ce temple d’Apoilon a été pillé plusieurs fois , et que, du temps de Pausanias , il ne restait aucun des an- ciens ornements du sanctuaire. Les peintres et les sculpteurs modernes ont donc représenté le dauphin, comme les artistes grecs du temps d'Homère , avec la queue relevée, la tête très grosse, la gueule très grande, etc. Mais sous quelques traits qu'il ait été vu, les historiens l’ont célébré , les poëtes l'ont chanté, les peuples lont consacré à la divinité qu'ils adoroient. On l’a respecté comme cher, non seulement à Apollon et à Bacchus, mais encore à Neptune , qu'il avoit aidé, suivant une tradition reli- gieuse rapportée par Oppien, à découvrir son Am- phitrite, lorsque, voulant conserver sa virginité, elle s’étoitenfuie jusque dans l’Atlantide. Ce même Oppien l’a nommé le Ministre du Jupiter marin; et le titre de Hieros ichthys (poisson sacré) lui a été dônné dans la Grèce. On a répété avec sensibilité l’histoire de Phalante sauvé par un dauphin, après avoir fait naufrage près des côtes de l'Italie. On a honoré le dauphin comme un bienfaiteur de l’homme. On a conservé comme une allégorie touchante, comme un souvenir conso- lateur pour le génie malheureux, l’aventure d’Arion, qui, menacé de la mort par les féroces matelots du navire sur lequel ïl étoit monté, se précipita dans la 306 HISTOIRE NATURELLE mer, fut accueilli par un dauphin que le doux son de sa lyre avoit attiré, et fut porté jusqu’au port voisin par cet animal attentif, sensible et reconnoissant. On a nommé barbares et cruels les Thraces et les autres peuples qui donnoient la mort au dauphin. Toujours en mouvement , il a paru parmi les habi- tants de l’océan, non seulement le plus rapide , mais le plus ennemi du repos; on l’a cru l’emblème du génie qui crée, développe et conserve, parce que son activité soumet le temps, comme son immensité domine sur l’espace ; on l’a proclamé {e roide la mer. L’attention se portant de plus en plus vers lui, il a partagé avec le cygne ! honneur d’avoir suggéré la forme des premiers navires, par les proportions déliées de sên corps si propre à fendre l’eau, et par la posi- tion ainsi que par la figure de ses rames si célères et si puissantes. Son intelligence et sa sensibilité devenant chaque jour l’objet d’une admiration plus vive, on a voulu leur attribuer une origine merveilleuse : les dauphins ont été des kommes punis par la vengeance céleste, déchus de leur pre état, mais conservant des traits de lêûr première essence. Bientôt on a rappelé avec plus de force qu'Apollon avoit pris la figure d’un dauphin pour conduire vers les rives de Delphes sa colonie chérie. Neptune, disoit-on, s’étoit changé en dauphin pour enlever Mélantho , comme Jupiter s’étoit métamorphosé en taureau pour enlever Europe. On se représentoit la beauté craintive, mais animée par l'amour, parcourant la surface paisible des mers 1. Voyez l’article du Cygne par Buffon. DES DAUPHINS. 507 obéissantes , sur le dos du dauphin dieu qu’elle avoit soumis à ses charmes. Neptune a été adoré à Sunium, sous la forme de ce dauphin si cher à son amante. Le dauphin a été plus que consacré : il a été divinisé. Sa place a été marquée au rang des dieux; et on à vu le dauphin céleste briller parmi les constellations. Ces opinions pures ou altérées ayant régné avec plus ou moins de force dans les différentes contrées dont les fleuves roulent leurs eaux versle grand bassin de la Méditerranée, est-il surprenant que le dauphin ait été pour tant de peuples le symbole de la mer; qu'on ait représenté l'Amour un dauphin dans use main et des fleurs dans l’autre, pour montrer qué son empire s'étend sur la terre et sur l'onde; que le dau- phin entortillé autour d’un trident ait indiqué la li- berté du commerce; que, placé autour d’un trépied, il ait désigné le collége de quinze prêtres qui desser- voit à Rome le temple d’Apollon ; que, caressé par Neptune, il ait été ie signe de la tranquillité des flots, et du salut des navigateurs ; que, disposé autour d’une ancre, ou mis au dessus d’un bœuf à face humaine, il ait été le signe hiéroglyphique de ce mélange de vi- tesse et de lenteur dans lequel on a fait consister la prudence , et qu'il ait exprimé cette maxime favorite d’Auguste, Häte-toi lentement, que cet empereur employoit comme devise, même dans ses lettres fa- milières; que les chefs des Gaulois aient eu le dau- phin pour emblème ; que son nom ait été donné à un grand pays et à des dignités éminentes ; qu’on le voie sur les antiques médailles de Tarente, sur celles de Pæstum dont plusieurs le montrent-avec un enfant 208 HISTOIRE NATURELLE ailé ou non ailé sur le dos, sur les médailles de Co- rinthe qui donnent à sa tête ses véritables traits! , et sur celles d’Ægium en Achaiïe, d'Eubée, de Nisyros, de Byzantium, de Brindes, de Larinum, de Lipari, de Syracuse, de Théra, de Vélia, de Cartéjà en Es- pagne, d'Alexandre , de Néron, de Vitellius, de Ves- pasien , de Tite; que le bouclier d'Ulysse, son anneau et son épée, en aient offert l’image; qu’on ait élevé sa figure dans les cirques, et qu'on l’ait consacré à la beauté céleste, en le mettant aux pieds de cette Vénus si parfaite, que l’on admire dans le Musée ? 1. Je m'en suis assuré en examinant , avec feu mon respectable ami l'illustre auteur du Voyage d’Anacharsis, la précieuse collection des médailles qui appartiennent à la nation françoise. DES DAUPHINS. 309 LE DAUPHIN. MARSOUIN. Delphinus Phocæna, Linx., Bonx., Cuv., Lace». 1. LE marsouin ressemble beaucoup au dauphin vul- gaire; il présente presque les mêmes traits; il est doué des mêmes qualités; il offre les mêmes attributs; 1. Voyez pl. 16, fig. 2, et pl. 17. Marsouin franc. Maris sus. T'ursie. Marsopa, en Espagne. Porpus, en Angleterre. Porpesse ou Porpoisse, ibid. Bruinvisch, en Hollande. ‘ Tonyn, ibid. Zee-vark, ibid. Meerschwein, en Allemagne. Braunfisch, ibid. Swinia-morska, en Pologne. Morskaja-swinja, en Russie. Marswin, en Suède. Trumblare, ibid. Marswin, en Danemarck. T'umler, ibid. Nise, en Norwége. Nisa, en Groenland. Brunskop, en Islande, Hundfiskur, ibid, Delphinus Phocæna. Linnée , édition de Gmelin. Dauphin Marsouin. Bonn., planches de l'Encyclopédie cé ob ve, LACÉPEDE. I, 20 310 HISTOIRE NATURELLE. il éprouve les mêmes affections : et cependant, quelle différence dans leur fortune ! le dauphin a été divinisé, et le marsouin porte le nom de Pourceau de la mer. Mais le marsouin a reçu son nom de marins et de pè- cheurs grossiers : le dauphin a dû sa destinée au génie poétique de la Grèce si spirituelle ; et iles Muses, qui seules accordent la gloire à l’homme, donnent seules de l'éclat aux autres ouvrages de la nature. Marsouin. Ménagerie du Muséum d'histoire naturelle ( Cuvier ). Faun. Suecic. 51. Delphinus corpore fere coniformi, dorso lato , rostro subacuto. Ar- tedi, gen. 74, syn. 104. Parvus Delphinus, vel Delphin Septentrionalium aut Orientalium. Schoneveld , pag. 77. E Phocaina. Aristot., lib. 6, cap. 12 ; et lib. 8, cap. 13. Marsouin, Tursio. Belon, Aquat., pag. 16. Idem. Rondelet, liv. 16, chap. 6, édition de Lyon, 1558. Phocæna. Wotton, lib. 8, cap. 194, fol. 172, a. Idem. Jonston, lib. 5, cap. 2, a. 5, pag. 220, tab. 41. Idem. Willughby, pisc., pag. 81, tab. A. 1, fig. 2. Idem. Raï., Pisc. pag. 15. Phocæna sive Tursio. Gesner, Aquat., pag. 837; et (germ.) fol. 96, b. Phocæna. Aldrovand., Pisc., pag. 719, fig. 7, pag. 720. DelphinusPhocæna, pinna in dorso una, dentibus acutis, rostro brevi obstuso. Brisson, Regn. anim., pag. 761, n° 2. Marsouin. ( Delphinus Phocæna}). Bloch, Histoire des poissons, pl. 92. Klein, Miss. pisc. 1, pag. 24, et 2, pag. 26, tab. 2 À, B, 5 B. Phocæna. Sibbald. Scot. an., pag. 25. Rzacz., Pol. Auct., pag. 245. Meerschwein, oder Tunin. Mart. Spitzb., pag. 92. Idem. Anderson. Island., pag. 253. Idem. Crantz, Groenland., pag 151. Niser ou le Marsouin. Eggede, Groenland., pag. 66. Delphin, oder Nisen. Gunner, Act. Nideos. 2, pag. 257, tab. 4. Oth. Fabric. Faun. Groenland., pag. 46. DES DAUPHINS. SA L'ensemble formé par le corps et la queue du marsouin représente un cône très allongé. Ce cône n’est cependant pas assez régulier pour que le dos ne soit pas large et légèrement aplati. Vers les deux tiers de la longueur du dos, s'élève une nageoire assez peu échancrée par derrière , et assez peu courbée dans le baut, pour paroître de loin former un triangle rec- tangle. La tête, un peu renflée au dessus des yeux, res- semble d’ailleurs à un cône très court, à sommet obtus, et dont la base seroit opposée à celle du cône allongé que forment le corps et la queue. Les deux mâchoires, presque aussi avancées l’une que l’autre, sont dénuées de lèvres proprement dites, et garnies chacune de dents petites, un peu aplaties, tranchantes, et dont le nombre varie depuis quarante jusqu’à cinquante. La langue, presque semblable à celle du dauphin vulgaire , est molle , large, plate, et comme dentelée sur ses bords. La pyramide du larynx est formée par lépiglotte et par les cartillages arythénoïdes , qui sont joints en- semble de manière qu'il ne reste qu'une petite ou- verture située vers le haut. De très habiles anatomistes ont conclu de cette conformation, que le marsouin ne pouvoit faire en: tendre qu’une sorte de frémissement ou de bruis- sement sourd. Cependant, en réfléchissant sur les qualités essentielles du son, sur les différentes causes qui peuvent le produire , sur les divers instruments sonores que l’on a imaginés ou que la nature a for- més , on verra, Je crois, ainsi que je cherchera à le nioftrer dans un ouvrage différent de celui-ci, que 312 HISTOIRE NATURELLE l'appareil le plus simple et en apparence le moins sc- nore peut faire naître de véritables sons, très faciles. à distinguer du bruissement, du frémissement, ou du bruit proprement dit, et entièrement semblables à ceux que l’homme profère. D'ailleurs, que l’on se rappelle ce que nous avons dit dans les articles de la Baleine franche, de la Jubarte, du Cachalot macro- céphale, et qu'on le rapproche de ce qu’Aristote et plusieurs autres auteurs ont écrit d’une espèce de gé- missement que le marsouin fait entendre. L’orifice des évents est placé au dessus de l’espace qui sépare l'œil de louverture de la bouche. Il re- présente un croissant; et sa concavité est tournée vers le museau. Les yeux sont petits, et situés à la même hauteur que les lèvres. Une humeur muqueuse enduit la sur- face intérieure des paupières, qui sont très peu mo- biles. L'iris est jaunâtre, et la prunelle paroît souvent triangulaire. Au delà de l'œil, très près de cet organe et à la même hauteur, est l’orifice presque imperceptible du canal auditif. La nageoire pectorale répond au milieu de l’espace qui sépare l'œil de la dorsale; mais ce bras est si- tué très bas; ce qui rabaisse le centre d'action et le centre de gravité du marsouin , et donne à ce cétacé la faculté de se maintenir, en nageant, dans la posi- tion la plus convenable. Un peu au delà de la fossette ombilicale, on décou- vre une fente longitudinale, par laquelle sort la verge du mâle , qui, cylindrique près de sa racine , se coude ensuite, devient conique, et se termine en pointe, DES DAUPHINS. 919 Les testicules sont cachés; le canal déférent est replié avant d'entrer dans l’urètre. Le marsouin n’a pas de vésicule séminale, mais une prostale d’un très grand volume. Les muscles des corps caverneux s’attachent aux petits os du bassin. Le vagin de la femelle est ridé transversalement. L’anus est presque aussi éloigné des partiessexuelles que de la caudale , dont les deux lobes sont échancrés, et du milieu de laquelle part une petite saillie longi- tudinale, qui s’étend le long du dos, jusqu’auprès de Ja dorsale. Un bleu très foncé ou un noir luisant règne sur la partie supérieure du marsouin, et une teinte blan- châtre sur sa partie inférieure. Un épiderme très doux au toucher, mais qui se détache facilement, et une peau très lisse, recou- vrent une couche assez épaisse d’une graisse très blanche. Le premier estomac, auquel conduit l’œsophage qui a des plis longitudinaux très profonds, est ovale, très grand, très ridé en dedans, et revêtu à l’intérieur d'une membrane velouté très épaisse. Le pylore-de cet estomac est garni de rides très saillantes et fortes, qui ne peuvent laisser passer que des corps très peu volumineux, interdisent aux aliments tout retour vers l'æsophage , et par conséquent empêchent toute véritable rumination. Un petit sac, ou, si l’on veut, un second estomac conduit dans un troisième, qui est rond, et presque aussi grand que le premier. Les parois de ce troisième estomac sont très épaisses, composées d’une sorte de pulpe, assez homogène, et d’une membrane veloutée, 214 HISTOIRE NATURELLE lisse et fine; et les rides longitudinales qu’elles présen- tent se ramilient, pour ainsi dire , en rides obliques. Un nouveau sac très petit conduit à un quatrième estomac membraneux, criblé de pores, conformé comme un tuyau, et contourné en deux sens opposés. Le cinquième, ridé et arrondi, aboutit à un canal in- testinal, qui, plissé longitudinalement et très pro- fondément, n'offre pas de cœcum, va, en dimi- nuant de diamètre, jusqu’à l'anus, est très mince auprès de cet orifice, et peut avoir, suivant Major, une longueur égale à douze fois la longueur du cé- tacé !. Les reins ne présentent pas de bassinet, et sont partagés en plusieurs lobes. Le foie n’en a que deux; ces deux lobes sont très peu divisés : il n’y a pas de vésicule du fiel. Le canal hépatique aboutit au dernier estomac; et c'est dans cette même cavité que se rend le canal pancréatique. é On compte jusqu’à sept rates inégales en volume, dont la plus grande a la grosseur d’une châtaigne, et la plus petite celle d’un pois. Le cerveau est très grand à proportion du volume total de l'animal , et si l’on excepte les singes et quel- ques autres quadrumanes, il ressemble à celui de l'homme, plus que le cerveau d'aucun quadrupède, notamment par sa largeur, sa convexité, le nombre de ses circonvolutions, leur profondeur, et sa saillie au dessus du cervelet. 3 1. On doit consulter le savant et intéressant article publié par mon confrère Cuvier, sur le Marsouin . dans la Ménagerie du Muséum d’his- toire naturelle. DES DAUPHINS. 315 Les vertèbres du cou sont au nombre de sept, et les dorsales de treize. Mais le nombre des vertèbres lombaires , sacrées etcoccygiennes , paroît varier : or= dinairement cependant il est de quarante-cinq ou qua- rante-six ; ces trois sortes de vertèbres occupent alors trente-sept cinquantièmes de la longueur totale de la colonne vertébrale ; et les vertèbres du cou n’en oc- cupent pas deux. Au reste, les apophyses transversales des vertèbres lombaires sont très grandes; ce qui sert à expliquer la force que le marsouin a dans sa queue. Ce cétacé a de chaque côté treize côtes, dont six seulement aboutissent au sternum, qui est un peu re- courbé et comme divisé en deux branches. Mais considérons de nouveau l’ensemble du mar- souin. Nous verrons que saælongueur totale peut aller jus- qu'à plus de trois mètres, et son poids à plus de dix myriagrammes. La distance qui sépare l’orifice des évents, de l’ex- trémité du museau, est ordinairement égale aux trois vingt-sixièmes de la longueur de l’animal; la lon- gueur de la nageoiïre pectorale égale cette distance ; et la largeur de la nageoïre de la queue atteint pres- que le quart de la longueur totale du cétacé. Cette grande largeur de la caudale, cette étendue de la rame principale du marsouin, ne contribuent pas peu à cette vitesse étonnante que les navigateurs ont remarquée dans la natation de ce dauphin, et à cette vivacité de mouvements, qu'aucune fatigue ne paroît suspendre, et que l'œil a de la peine à suivre. 316 HISTOIRE NATURELLE Le marsouin, devant lequel les flots s'ouvrent, pour ainsi dire , avec tant de docilité , paroît se plaire à surmonter l’action des courants et la violence des vagues que les grandes marées poussent vers les côtes ou ramènent vers la haute mer. Lorsque la tempête bouleverse l’Océan, il en par- court la surface avec facilité, non seulement parce que la puissance électrique, qui, pendant les orages, règne sur la mer comme dans l'atmosphère, le maî- trise, l’anime , agite , mais encor2 parce que la force de ses muscles peut aisément contre-balancer la ré- sistance des ondes soulevées. Il joue avec la mer furieuse. Pourroit-on être étonné qu'il s’ébatte sur l’Océan paisible, et qu'il se livre pendant le calme à tant de bonds, d’évolutions et de manœuvres ? Ces mouvements, ces Jeux, ces élans, sont d’au- tant plus variés, que l’imitation, cette force qui a tant d'empire sur les êtres sensibles, les multiplie et les modifie. Les marsouins en effet vont presque toujours en troupes. Îls se rassemblent surtout dans le temps de leurs amours : il n’est pas rare alors de voir.un grand nombre de mâles poursuivre la même femelle; et ces mâles éprouvent dans ces moments de trouble une ardeur si grande , que, violemment agités, transpor- tés, et ne distinguant plus que l’objet de leur vive re- cherche, ils se précipitent contre les rochers des rivages, ou s'élancent sur les vaisseaux, et s’y laissent prendre avec assez de facilité pour qu'on pense en Islande qu'ils sont, au milieu de cette sorte de délire, entièrement privés de la faculté de voir. . HNADES DAUPHINS 19 Ce temps d’aveuglement et de sensations si impé- rieuses se rencontre ordinairement avec la fin de l'été. La femelle reçoit le mâle favorisé en se renversant sur le dos, en le pressant avec ses pectorales, ou, ce qui est la même chose, en le serrant dans ses bras. Le temps de la gestation est, suivant Anderson et quelques autres observateurs, de six mois; :l est de dix mois lunaires, suivant Aristote et d’autres auteurs anciens ou modernes; et cette dernière opinion paroît la seule conforme à l'observation, puisque commu nément les jeunes marsouins viennent au jour vers l’équinoxe d'été. La portée n'est le plus souvent que d’un petit, qui est déjà parvenu à une grosseur considérable lorsqu'il voit la lumière, puisqu’un embryon tiré du ventre d'une femelle, et mesuré par Klein, avoit près de six décimètres de longueur. Le marsouin nouveau-né ne cesse d’être auprès de sa mère, pendant tout le temps où il a besoin de téter; et ce temps est d’une année, dit Otho Fabricius. Il se nourrit ensuite, comme ses père et mère, de poissons qu'il saisit avec autant d'adresse qu'il les poursuit avec rapidité. On trouve les marsouins dans la Baltique; près des côtes du Groenland et du Labrador; dans le golfe Saint-Laurent; daus presque tout l'Océan atlantique; dans le grand Océan; auprès des îles Gallapagos, et du golfe de Panama, où le capitaine Colnett en a vu une quantité innombrable ; non loin des rivages occi- dentaux du Mexique et de Ia Californie : ils appar- tiennent à presque toutes les mers. Les anciens les 3518 HISTOIRE NATURBELE ont vus dans la mer Noire, maïs on croiroit qu'ils les ont très peu observés dans la Méditerranée. Ces cé- tacés paroissent plus fréquemment en hiver qu’en été dans certains parages ; et dans d’autres , au contraire, ils se montrent pendant l'été plus que pendant l'hiver. Leurs courses ni leurs jeux ne sont pas toujours paisibles. Plusieurs des tyrans de l'Océan sont assez forts pour troubler leur tranquillité ; et ils ont parti- culièrement tout à craindre du physétère microps, qui peut si aisément Îles poursuivre, les atteindre, les déchirer etles dévorer. Ils ont d’ailleurs pourennemis un grand nombre de pêcheurs , des coups desquels ils ne peuvent se pré- server, malgré la promptitude avec laquelle ils dispa- roissent sous l’eau pour éviter les traits, les harpons ou les balles. Les Hollandois, les Danois, et la plupart des ma- rins de l’Europe, ne recherchent les marsouins que pour l'huile de ces cétacés; mais les Lapons et les Groenlandois se nourrissent de ces animaux. Les Groenlandois, par exemple, en font bouillir ou rôtir la chair, après l’avoir laissée se corrompre en partie el perdre sa dureté ; ils en mangent aussiles entrailles, la graisse et même la peau. D’autres salent ou font fumer la chair des marsouins. Les navigateurs hollandois ont distingué dans l’es- pèce du marsouin, une variété qui ne diffère des marsouins ordinaires que par sa petitesse; ils l'ont nommée Quette. DES DAUPHINS. 319 SHOBEHPIEDEBADETP IEEE LE DAUPHIN ORQUE. Delphinus Orca, Linx., Bowx., Cuv., Lacer. — Del- phinus Gladiator, Linx., Bonn. —Delphinus Gram- pus, Hunter 1. CE nom d’Orque nous rappelle plusieurs de ces fictions enchanteresses que nous devons au génie de 1. Voyez la planche 18, fig. 1 et 2. Épaulard. Oudre. Dorque, dans plusieurs départements méridionaux de France. Grampus, en Angleterre (voyez, au sujet de ce nom Gr'ampus, l'ou- vrage du savant Schneïder sur la Synonymie d’Ariédi, pag. 155). Fann-fiskar-hnydengen, en Islande. Spekhugger, en Norwége. Hval-hund, ibid. Springer, ibid. Orc-svin, en Danemarck. Tandthoye, ibid. Opare, en Suède. Kosatky, en Russie. Delphinus Orca. Linnée, édit. de Gmelin. Épauiard où Oudre. Bloch, édition de Castel. Le Dauphin Épaulard. Bonnaterre, planches de l'Encyclopédie mé- thodique. Delphinus rostro sursum repando, etc. Mantissa, M. 2, p. 523. Id. Artedi, gen. 76,syn. 106, Faun. Suecic. 52. Gunn. Act. Nidros. 4, pag. 110. 320 HISTOIRE NATURELLE la poésie. Il retrace aux imaginations vives, il réveille dans les cœurs sensibles, les noms fameux et les aventures touchantes, et d’Andromède et de Persée, et d’Angélique et de Roland; il porte notre pensée vers l’immortel Arioste couronné au milieu des grands poëtes de l'antiquité. Ne repoussons jamais ces heureux souvenirs : ne rejetons pas les fleurs di jeune âge des peuples; elles peuvent embellir l’autel de la nature, sans voiler son image auguste. Disons cependant, pour ne rien dérober à la vérité, que l'orque des naturalistes modernes n’est pas le tyran des mers qui a pu servir de type pour les tableaux de l’ancienne mythologie, ou de la féerie qui l’a rem- placée. Nous avons vu en écrivant l’histoire du physé- tère microps , que ce cétacé auroit pu être ce modèle. L’orque néanmoins jouit d’une grande puissance; elle exerce un empire redoutable sur plusieurs habi- tants de l'Océan. Sa longueur est souvent de plus de huit inètres, et quelquefois de plus de dix; sa cir- conférence, dans l'endroit le plus gros de son corps, peut aller jusqu'à cinq mètres; et même, suivant quelques auteurs, sa largeur égale plus de la moitié de sa longueur. On la trouve dans l'Océan atlantique, où on l’a vue, auprès du pôle boréal , dans le détroit de Davis, vers Balænea minor, utraque maxilla dentata, Sibbaldi. Raï. p. 15. Delphinus (Orca) pinna in dorso una, dentibus obtusis. Briss. Regn: anim., p. 970, n° 4. Orca. Belon. Aquat. p. 16, fig. p. 18. Espaular. Rondelet, première partie, liv. 16, chap. 0: Muller, Zoclog. Dan. Prodrom., p. 8, n° 57. Oth. Fabric. Faun. Groenland. 46. Hunter, Transact, philos., année 1587. DES DAUPHINS. 921 l'embouchure de la Tamise, ainsi qu'aux environs du pôle antarctique ; et elle a été observée par le capi- taine Colnett dans le grand Océan, auprès du golfe de Panama. Le voisinage de l'équateur et celui des cercles polaires peuvent donc lui convenir; elle peut donc appartenir à tous ies climats. La couleur générale de ce cétacé est noirâtre; la gorge, la poitrine , le ventre et une partie du dessous de la queue , sont blancs ; et l’on voit souvent derrière l'œil une grande tache blanche. La nageoïire de la queue se divise en deux lobes, dont chacun est échancré par derrière ; la dorsale, placée de manière à correspondre au milieu du ventre, a quelquefois près d’un mètre et demi de hauteur. La tête se termine par un museau très court et ar- rondi : elle est d’ailleurs très peu bombée ; et même, lorsqu'on l’a dépouillée de ses téguments, le crâne paroît non seulement très aplati, mais encore un peu concave dans sa partie supérieure ?, La mâchoire d’en-haut est un peu plus longue que celle d’en bas : mais cette dernière est beaucoup plus large que la supérieure; elle présente de plus, dans sa partie inférieure , une sorte de renflement. Les dents sont inégales , coniques, mousses et re- courbées à leur sommet; leur nombre doit beaucoup varier surtout avec l’âge, puisque Artédi dit qu'il y en 1. À Voyage to the south Atlantic for the purpose of extending the sperma ceti whale fisheries, ele. by captain James Colnett. London, 1708. 2. On peut s’en assurer en examinant le crâne d’une Orque , qui est conservé dans les galeries d'anatomie comparée du Muséum d'histoire naturelle. 222 HISTOIRE NATURELLE a quarante à la mâchoire d’en-bas, et que dans la tête osseuse d’une jeune orque, qui fait partie de la collection du Muséum, on n’en compte que vingt- deux à chaque mâchoire. L'œil est silué très près de la commissure des lè- vres, mais un peu plus haut. Les pectorales, larges et presque ovale, sont deux rames assez puissantes. La verge du mâle a fréquemment plus d’un mètre de longueur. Les orques n’ont pas d'intestin cæœcum. Elles se nourrissent de poissons, particulièrement de pleuronectes ; mais elles dévorent aussi les pho- ques : elles sont même si voraces, si hardies et si fé- roces, que lorsqu'elles sont réunis en troupes, elles osent attaquer un grand cétacé, se jettent sur une baleine, la déchirent avec leurs dents recourbées, opposent l’agilité à la masse , le nombre au volume, l’adresse à ” puissance, data la force , agitent, tourmentent, couvrent de blessures et de sang leur monstrueux ennemi, qui, pour éviter la mort ou des douleurs cruelles, est quelquefois obligé de se déro- ber par la fuite à leurs attaques meurtrières, et qui, troublé par leurs mouvements rapides et par leurs manœuvres multipliées, se précipite vers les rivages, où il trouve dans les harpons des pècheurs, des ar- mes bien plus funestes. DES DAUPHINS. 323 LE DAUPHIN GLADIATEUR. Delphinus Gladiator, Linn., Bonx., Lacer. 1. CE cétacé ressemble beaucoup à l’orque; mais ses armes réelles sont plus puissantes, et ses armes appa- rentes sont plus grandes. Sa dorsale, qu’on à compa- rée à un sabre, est beaucoup plus haute que celle de l’orque. D'ailleurs , cette nageoire est située très près 1. Voyez la planche 18, fig. 2. Grampus, par des Angloïs. Haa-hirningur, en Islande. Killer-trasher, sur les côtes des États-Unis. Delphinus Orca, var. B. Linnée, édition de Gmelin. Dauphin Épée-de-mer. Bonnaterre, planches de l'Encyclopédie mé- thodique. Id. Bloch, édition de R. R. Castel. Delphinus pinna in dorso una gladii recurvi æmula, dentibus acu- tis, rostro quasi truncato. Brisson , Regn. anim., p. 572, n° 5. Delphinus dorsi pinna altissima, dentibus subconicis parum incur- vis. Muller, Zoolog. Dar. Prodrom., p. 8, n° 57. Schwerdt-fisch., Anderson, Island., p. 255. Craniz, Groenland., p. 152. Noch ein ander art grosse fische. Mart. Spitzb., p. 94. Poisson à sabre, Voyage de Pagès vers le pôle du Nord, tome II, p: 142. Delphinus ( maximus ) pinna majori acuminata, haa-hirningur. Voyage en Islande, par Olafsen et Povelsen. 324 HISTOIRE NATURELLE de la tête, et presque sur la nuque. Sa hauteur sur- passe le cinquième de la longueur totale du cétacé, et ce cinquième est souvent de üeux mètres. Cette dorsale est recourbée en arrière, un peu arrondie à son extrémité, assez allongée pour ressembler à la lame du sabre d’un géant; et cependant à sa base elle a quelquefois trois quarts de mètre de largeur. La peau du dos s'étend au dessus de cette proéminence, et la couvre en entier. Le museau est très court, et sa surface antérieure est assez peu courbée pour que de loin il paroisse comme tronqueé. Les mâchoires sont aussi avancées l’une que l’autre. Les denis sont aiguës. L'œil, beaucoup plus élevé que l'ouverture de la bouche, est presque aussi rapproché du bout du mu- seau que la commissure des lèvres. La pectorale est très grande, très aplatie, élargie en forme d’une énorme spatule, et compose une rame dont la longueur peut être de deux mètres, et la plus grande largeur de plus d’un mètre. La caudale est aussi très grande : elle se divise en deux lobes dont chacun à la figure d’un croissant et présente sa concavilé du côté du museau. La largeur de cette caudale est de près de trois mètres. Voilà donc deux grandes causes de vitesse dans la natation et de rapidité dans les mouvements, que nous présente le gladiateur ; et cet attribut est con- firmé par ce que nous trouvons dans des notes ma- nuscrites dont nous devons la connoissance à sir Jo- seph Banks. Mon illustre confrère m'a fait parvenir ces notes, avec un dessin d’un gladiateur mâle pris DES DAUPHINS. e 525 dans la Tamise le 10 juin 1795. Ge cétacé, après avoir été percé de trois harpons, remorqua le bateau dans lequel étoientles quatre personnes qui l’avoient blessé, l’entraîna deux fois depuis Blackwall jusqu'à Green- wich, et une fois jusqu’à Deptfort, malgré une forte marée qui parcouroit huit milles dans une heure, et sans être arrêté par les coups de lance qu'on lui por- toit toutes les fois qu'il paroissoit sur l’eau. Il expira devant l’hôpital de Greenwich. Ce gladiateur, dont nous avons fait graver la figure, avoit trente-un pieds anglois de longueur, et douze pieds de circonférence dans l’endroit le plus gros de son corps. Pendant qu'il respiroit encore, aucun bateau n’osa en approcher, tant on redoutoit les effets terribles de sa grande masse et de ses derniers efforts. La force de ce dauphin gladiateur rappelle celle d’un autre individu de la même espèce, qui arrêta le cadavre d’une baleine que plusieurs chaloupes re- morquoient, et l’entraina au fond de ja mer. Les gladiateurs vont par troupes : lors même qu’ils ne sont réunis qu'au nombre de cinq ou six, ils osent attaquer la baleine franche encore jeune ; ils se préei- pitent sur elle, comme des dogues exercés et furieux se jettent sur un jeune taureau. Les uns cherchent à saisir sa queue, pour en arrêter les redoutables mou- vements; les autres l’attaquent vers la tête. La jeune baleine , tourmentée , harassée, forcée quelquefois de succomber sous le nombre, ouvre sa vaste gueule; et à l'instant les gladiateurs affamés et audacieux déchi- rent ses lèvres, font pénétrer leur museau ensan- glanté jusqu’à sa langue, et en dévorent les lambeaux avec avidité. Le voyageur de Pagès dit avoir vu une LACEPEDE, I, 2L 526 HISTOIRE NATURELLE jeune baleine fuir devant une troupe cruelle de ces voraces et hardis gladiateurs, montrer de larges biessures, et porter ainsi l'empreinte des se meur- trières de ces féroces dauphins. Mais ces cétacés ne parviennent pas toujours à ren- contrer, combattre, vaincre et immoler de jeunes baleines : les poissons forment leur proie ordinaire. Je lis dans les notes manuscrites dont je dois la connoissance à sir Joseph Banks, que pendant une quinzaine de jours, où six dauphins gladiateurs furent vus dans la Tamise, sans qu'on püût les prendre, les aloses et les carrelets furent extraordinairement rares. On 2 trouvé les cétacés dont nous parlons dans le détroit de Davis et dans la Méditerranée d'Amérique, ainsi qu'auprès du Spitzherg. Ils peuvent fournir de l'huile assez bonne Dons être recherchée. Toute leur partie supérieure est d’un brun presque noir, et leur partie inférieure d’un beau blanc. Cette couleur blanche est relevée par une tache noirâtre, très longue, très étroite et pointue, qui s'étend de chaque côté de la queue en bande longitudinale , et s’avance vers la pectorale, comme une appendice du manteau brun ou noirâtre de l'animal. On peut voir aussi, entre l'œil et la dorsale, un croissant blanc qui contraste fortement avec les nuances foncées du des- sus de la tête. JE = — =—— A hovVTVYT]T]T]Y]|]|]|])D)D EEE RE ST }) RE ——_— — — —" —] —]———] ]— — — ———] ——— — À | EE — — _— ©" ;{ = À D — A Jusse cup. ÿ l.LE DAUPHIN NESARNACK 9, LE DAUPHIN DE UMDENTSE DES DAUPHINS. 352 LE DAUPHIN NÉSARNACK. Delphinus Tursio, Bonnx., Cuv.—Delphinus Nesarnack, Lacer. 1. CE cétacé a le corps et la queue très allongés. Sa plus grande épaisseur est entre les bras et la dorsale : aussi, dans cetie partie, son dos présente-t-il une grande convexité. La tête proprement dite est arron- die; mais le museau, qu'on en distingue très facile- ment, est aplati, et un peu semblable à un bec d’oie ou de canard, comme celui du dauphin vulgaire. La mâchoire inférieure avance plus que celle d’en-haut : l’une et l’autre sont garnies de quarante ou quarante- deux dentspresque cylindriques, droites et très émous- sées au sommet, même lorsque l'animal est jeune. L’évent est situé au dessus de l'œil, maïs un peu plus près du bout du museau que l'organe de la vue. Les pectorales sont placées très Las, et par consé- . Voyez pl. 20, fig. 1. D Ne SES Bonnaterre, planches de l’ Encyclopédie métho- dique. Muiler, Prodrom. Zoolog. Dan. 56. Act. Nidro. 4, 3. M. Oth. Fabric. Fauna Groenland., p. 49. 328 HISTOIRE NATURELLE quent d’une maniere très favorable à la natation du nésarnack, mais petites, et de plus échancrées; ce qui diminue la surface de cette rame. La dorsale, peu étendue, échancrée et recourbée, s'élève à l'extrémité du dos la plus voisine de la queue, et se prolonge vers la caudale par une saillie longitu- dinale, dont la plus grande hauteur est quelquefois un vingt-deuxième de fa longueur totale du cétacé. Les deux lobes qui composent la caudale sont échan- crés, et leurs extrémités courbées en arrière. La couleur générale du nésarnack est noïrâtre; quelques bandes transversales, d'une nuance plus fon- cée, la relèvent souvent sur le dos ; une teinte blan- châtre paroît sur le ventre et quelquefois sur le bas des côtés de ce dauphin. Ce cétacé a soixante vertèbres, et n’a pas de cœcum. Sa longueur totale est de plus de trois mètres. La caudale a plus d’un demi-mètre de largeur. On le prend difficilement, parce qu'il s'approche peu des rivages. [l est cependant des contrées où l’on se nourrit de sa chair, de son lard, et même de ses entrailles. On a écrit que la femelle mettoit bas pendant l’hi- ver. Son lait est gras et nourrissant. Le nésarnack vit dans l'Océan atlantique septentrio- nal. DES DAUPHINS. 329 Haomecpopenepepopoaropoppopepo EPP PP BHO PE PO HOTOTOEHOGOPOBIAGE LE DAUPHIN DIODON. Delphinus diodon, Bonx., Lacer. 1. C£ dauphin parvient à une longueur qui égale celle de quelques physétères et de quelques cachalots. Un diodon, pris auprès de Londres en 1785, avoit sept mètres de longueur ; et le savant anatomiste Hunter, qui en a publié la première description dans les Trans- actions de la Société royale, a eu dans sa collection le crâne d'un dauphin de la même espèce, qui devoit être long de plus de treize mètres. Ce cétacé a le museau aplati et allongé, comme celui du dauphin vulgaire et comme celui du nésar- nack ; mais sa mâchoire inférieure ne présente que deux dents, lesquelles sont aiguës et situées à l’extré- mité de cette mâchoire d’en-bas. Le front est convexe. La plus grande grosseur de ce diodon est auprès des pectorales, qui sont petites, ovales, et situées sur Îa même ligne horizontale que les commissures des lè- vres. La dorsale, très voisine de l’origine de la queue, 1. Voyez pl. 20, fig. 2. Hunter, Transact. philosoph., année 1787. Dauphin à deux dents. Bonnaterre, planches de l'Encyclopédie mé- thodique. 330 HISTOIRE NATURELLE. est conformée comme un fer de lance, pointue et in- clinée en arrière. La caudale montre deux lobes échan- crés. La couleur générale du cétacé est d’un brun noirâtre, qui s'éclaircit sur le ventre. DES DAUPHINS. J91 ep LE DAUPHIN VENTRU. Delphinus Orca, var. a, BONN.—Delphinus ventricosus, Lace». 1 CE cétacé ressemble beaucoup à l’orque : il a de même le museau très court et arrondi; mais sa mâ- choire inférieure n’est pas renflée comme celle de l’or- que. Au lieu du gonflement que l’on ne voit pas dans sa mâchoire d’en-bas, son ventre, ou, pour mieux dire, presque toute la partie inférieure de son corps, offre un volume si considérable, que la queue paroît très mince. On croit cette queue proprement dite d'autant plus étroite, que sa largeur est inférieure, à proportion, à celle de la queue de presque tous les autres cétacés ; elle a même ce petit diamètre trans- versal dès son origine, et sa forme ÉRoAIe est pres- que “indie Très près de cette même queue s'élève la doboate dont la figure est celle d’un triangle rectangle, et qui par conséquent est plus longue et moins haute que celle de plusieurs autres dauphins. 1. Voyez pl. 18, fig. 3. Hunter, Transact. philosoph., année 1787. Épæalard ventru. Bonnaterre, planches de l'Encyclopédie métho- dique. 3532 HISTOIRE NATURELLE Des teintes noirâtres sont mêlées avec le blanc de la partie inférieure de l’animal. Cette espèce, dont les naturalistes doivent la connoissance à Hunter, par- vient au moins à la longueur de six mètres. DES DAUPHINS. 333 LE DAUPHIN FÉRÈS. Delphinus F'eres, Bonx., Lacer. 1. CE cétacé, dont ie professeur Bonnaterre a le pre- nier publié la description , a le dessus de la tête élevé et convexe, et le museau arrondi et très court. Une mâchoire r’avance pas plus que l’autre. On compte à celle d’en-haut, ainsi qu’à celle d’en-bas, vingt dents inégales en grandeur, et dont dix sont plus grosses que les autres, mais qui sont toutes semblables par leur figure. La partie de chaque dent que l’alvéole renferme, est égale à celle qui sort des gencives, et représente un cône recourbé et un peu aplati : l’au- tre partie est arrondie à son sommet, ovoide, et divi- sée en deux lobes par une rainure longitudinale. La peau qui recouvre le férès est fine et noirâtre. Ce dauphin parvient à une longueur de près de cinq mè- tres. Celle de l’os du crâne est le septième ou à peu près de la longueur totale du cétacé. Le 22 juin ent un bâtiment qui venoit de Malte, ayant mouillé dans une petite plage de la Méditer- ranée, voisine de Saint-Tropès, du département du 1. Dauphin Férès. Bonnaterre, planches de l'Encyclopédie métho- dique. 334 HISTOIRE NATURELLE Var, fut bientôt environné d’une troupe nombreuse de férès, suivant une relation adressée par M. Lam- bert, habitant de Saint-Tropès, à M. l’abbé Turles, chanoine de Fréjus, et envoyée par ce dernier au professeur Bonnaterre . Le capitaine du bâtiment descendit dans sa chaloupe, attaqua un de ces dau- phins, et le perça d’un trident. Le cétacé, blessé et cherchant à fuir, auroit entraîné la chaloupe, si l’é- quipage n’avoit redoublé d'efforts pour la retenir. Le férès lutta avec une nouvelle violence ; le trident se détacha, mais enleva une large portion de muscles : le dauphin poussa quelques cris; tous les autres cé tacés se rassemblèrent autour de leur compagnon; ils firent entendre des mugissements profonds, qui ef- frayèrent le capitaine et ses matelots , et ils voguèrent vers le golfe de Grimeau , où ils rencontrèrent, dans un grand nombre de pêcheurs, de nouveaux ennemis. On les assaillit à coups de hache ; leurs blessures et leur rage leur arrachoïent des siflements aigus. On tua, dit-on, près de cent de ces férès; la mer étoit teinte de sang dans ce lieu de carnage. On trouvales individus immolés remplis de graisse; et leur chair parut rougeâtre comme celle du bœuf. | .1. Bonnaterre, planches de l'Encyclopédie méthodique. DES DAUPHINS. 5935 LE DAUPHIN DE DUHAMEL. Delphinus Duhameli, Lace. Nous consacrons à la mémoire du savant et respec- table Duhamel ce cétacé qu’il a fait connoître!, et dont la description et un dessin lui avoient été en- voyés de Vannes par M. Desforges-Maillard. Un in- dividu de cette espèce avoit été pris auprès de l’em- bouchure de la Loire. Il y avoit passé les mois de mai, juin et juillet, blessé dans sa nageoire dorsale, se tenant entre deux petites îles, s’y nourrissant facile- ment de poissons qui y abondent, et y poursuivant les marsouins avec une sorte de fureur. Il avoit plus de six mètres de longueur, et son plus grand diamètre transversal n’étoit que d'un mètre ou environ. $es dents, au nombre de vingt-quatre à chaque mâ- choire, étoient longues, et indiquoient la jeunesse de l’animal. L’orifice des évents avoit beaucoup de largeur. La distance entre cette ouverture et le bout du museau n’égaloit pas le tiers de l'intervalle com- pris entre l'œil et cette même extrémité. L'œil étoit ovale et placé presque au dessus de la pectorale, 1. Trafé des pêches. 330 HISTOIRE NATURELLE qui avoit un mètre de long et un demi-mètre de large. On voyoit la dorsale presque au dessus de l’anus. La mâchoire inférieure, la gorge et le ventre présen- toientune couleur blanche que faisoit ressortir le noir des nageoires et de la partie supérieure du cétacé. La peau étoit très douce au toucher. DES DAUPHINS. 997 LE DAUPHIN DE PÉRON. Delphinus Peronii, Lacær. 1. Nous donnons à ce dauphin le nom du naturaliste plein de zèle qui l’a observé, et qui, dans le mo- ment où j'écris, brave encore les dangers d’une na- vigation lointaine, pour accroître le domaine des sciences naturelles. Les cétacés de l’espèce du Dau- phin de Péron ont la forme et les proportions du mar- souin. Leur dos est d’un bleu noirâtre , qui contraste d’une manière très agréable avec le blanc éclatant du ventre et des côtés, et avec celui que l’on voit au bout de la queue , à l’extréinité du museau et à celle des nageoires. Ils voguent en troupes dans le grand Océan austral. M. Péron en a rencontré des bandes nombreuses, nageant avec une rapidité extraordinaire, dans les environs du cap sud de la terre de Diémen, et par conséquent vers le quarante-quatrième degré de la- titude australe. 1. Delphinus leucoramphus. Manuscrits envoyés au Muséum d’his- toire naturelle, par M. Péron, l’un des naturalistes de l’expédition de découvertes commandée par le capitaine Baudin. 398 HISTOIRE NATURELLE LE DAUPHIN DE COMMERSON. Delphinus Commersonii, Lacgr. !. Les trois grandes parties du monde, l'Amérique, l'Afrique et l'Asie, dont on peut regarder la Nou- velle-Hollande comme une prolongation, se terminent dans l’hémisphère austral par trois promontoires fa- meux, le cap de Horn, le cap de Bonne-Espérance et celui de Diémen. De ces trois promontoires, les deux plus avancés vers le pôle antarctique sont le cap de Diémen et le cap de Horn. Nous avons vu des troupes nombreuses de dauphins remarquables par leur vélocité et par l'éclat du blanc et du noir qu'ils présentent , animer les environs du cap de Diémen, où le naturaliste Péron les a observés : nous allons voir les environs du cap de Horn montrer des bandes considérables d’autres dauphins également dignes de l'attention du voyageur par le blanc resplendissant et le noir luisant de leur parure , ainsi que par la rapi- dité de leurs mouvements. Ces derniers ont été décrits par le célèbre Commerson, qui les a trouvés auprès 1. Le Jacobite. Le Marsouin Jacobite. Tursio corpore argenteo, extromitatibus nigricantibus. Commerson, manuscrits adressés à Buffon , el remis par Buffon à M. de Lacépède. DES DAUPHINS. 339 de la terre de Feu et dans le détroit de Magellan , lors du célèbre voyage autour du monde de notre Bou- gainville. Mais le blanc et le noir sont distribués bien différemment sur les dauphins de Péron et sur ceux de Commerson : sur les premiers, le dos est noir, et l'extrémité du museau, de la queue et des nageoires, offre un très beau blanc; sur les seconds, le noir ne paroît qu'aux extrémités, et tout le reste reluit comine une surface polie, blanche, et, pour ainsi dire, ar- gentée. C’est pendant l'été de l’hémisphère austral, et un peu avant le solstice, que Commerson a vu ces dauphins argentés, dont les brillantes couleurs ont fait dire à ce grand observateur qu'il falloit distin- guer ces cétacés même parmi les plus beaux habitants des mers. Ils jouoient autour du vaisseau de Com- merson , et se faisoient considérer avec plaisir par leur facilité à l'emporter de vitesse sur ce bâtiment, qu'ils dépassoient avec promptitude , et qu'ils enveloppoient avec célérité au milieu de leurs manœuvres et de leurs évolutions. Ils étoient moins grands que des marsouins. Si, contre nos conjectures, les dauphins de Commer-. son et ceux de Péron n’avoient pas de nageoire dor- sale, nous n'avons pas besoin de dire qu’il faudroit les placer dans le genre des Delphinaptères, avec les Bélugas et les Seénedettes. Qu sue jà RAA LE LU UV ME LULU VE VU URL LE VU VUVU VEVU LV WU VU LULU VELU VE VU EUVEV VALE VEVU LUE EL UV LES HYPÉROODONS": L'HYPÉROODON BUTSKOPF. Delphinus Buiskopf, Bons. — Hyperoodon Butskopf, Lacer. ?. Lx corps et la queue du butskopf sont très allon- LA L LA {/ . ï gés. Leur forme générale est conique; la base du cône qu'ils forment se trouve vers l’endroit où sont 1. On trouvera au commencement de cette Histoire Le tableau des ordres, des genres et des espèces de cétacés. 2. Grand souffleur à bec d’oie. Butskopff. Delphinus Orca ( Butskopf}). Linnée, édition de Gmelin. Butskopf. Mart. Spitzb., p. 95. Id. Anderson, Isl., p. 252. Id. Crantz, Groenland., pag. 151. Buis-kopper. Eggede, Groenland., pag. 56. Le Dauphin Butskopf. Bonnaterre, planche de l'Encyclopédie mé- thodique. » Botte-head, or Slounders-head. Dale, Harwich, 4, 11, tab. 14. Nebbe haul, or beaked whale. Pontoppid- Norw., 1, 125. Beaked. Pennant, Zoolog. Britann., p. 59, n° 10. Observations sur la physique, l’histoire naturelle et les arts; mars, 1789. LACÉPEDE. I. 22 Ge HISTOIRE NATURELLE placées les nageoires pectorales. La tête a près d’une fois plus de hauteur que de largeur ; mais sa longueur est égale, ou presque égale, à sa hauteur. Au des- sous du front, qui est très convexe, on voit un mu- seau très aplati. On n’a trouvé que deux dents à la mâchoire d’en-bas; ces deux dents sont situées à l’ex- trémité de cette mâchoire, coniques et pointues : mais il y a sur le contour de la mâchoire supérieure , et, ce qui est bien remarquable, sur la surface du palais, des dents très petites, inégales, dures et ai- guës. Cette distribution de dents sur le palais est le véritable caractère distinctif du genre dont nous nous occupons, et celui qui nous a suggéré le nom, que nous avons donné à ce groupe. Nous devons faire d'autant plus d'attention à cette particularité, que plusieurs espèces de poissons ont leur palais hérissé de petites dents, et que par conséquent la disposi- tion des dents du butskopf est un nouveau trait qui lie la grande tribu des cétacés avec les autres ha- bitants de la mer, lesquels , ne respirant que par des branchies, sont forcés de vivre au milieu des eaux. D'un autre côté, non seulement le butskopf est le seul cétacé qui ait le palais garni de dents, mais on ne connoît encore aucun mammifère qui ait des dents attachées à la surface du palais. À la vérité, on a dé- couvert depuis peu , dans la Nouvelle-Holiande , des quadrupèdes revêtus de poils, qu'on a nommés Or- nithorhynques à cause de la ressemblance de leur mu- seau avec un bec aplati, qui vivent dans les marais, et qui ont des dents sur le palais : mais ces quadru- 1. Hyperoon, en grec, signifie palais; et odos signifie tlent. DES HYPÉROCDONS. 245 pèdes ne sont couverts que de poils aplatis , et, pour ainsi dire, épineux; ils n’ont pas de mamelles; et, par tous les principaux traits de leur conformation , ils sont bien plus rapprochés des quadrupèdes ovi- pares que des mamunifères. Au reste, les deux mäâchoires du putskopf sont aussi avancées l’une que l’autre. La langue est rude et comme dentelée dans sa cir- conférence ; elle adhère à la mâchoire inférieure, et sa substance ressemble beaucoup à celle de la langue d’un jeune bœuf. L’oriice commun des deux évents a la forme d’un croissant; mais les pointes de.ce croissant, au lieu d’être tournées vers le bout du museau , comme dans les autres cétacés, sont dirigées vers la queue. L’ori- fice cependant et les tuyaux qu'il termine sont incli- nés de telle sorte , que le fluide Jancé par cette ou- verture est jeté un peu en avant : il a un diamètre assez grand pour que, dans un jeune butskopf qui n’avoit encore que quatre mètres ou environ de lon- sueur, le bras d’un enfant ait pu pénétrer par cette ouverture jusqu'aux valvules intérieures des évents. Les parois de la partie des évents inférieure aux val- vules sont composées de fibres assez dures, et sont recouvertes, ainsi que la face intérieure de ces mêmes soupapes, d’une peau brune, un peu épaisse, mais très douce au toucher. L’æœil est situé vers le milieu de la hauteur de la tête, et plus élevé que l'ouverture de la bouche. Les pectorales sont placées très bas, et presque aussi éloignées des yeux que ces derniers organes le sont du bout du museau. Leur longueur égale te 5hA NWISTOIRE NATURELLE douzième de la longueur totale du cétacé ; et leur plus grande largeur est un peu supérieure à à la moitié de leur longueur. La A beaucoup moins éloignée de la na- geoire de la queue que de l'extrémité des mâchoires, se recourbe en arrière, et ne s'élève qu’au dix-hui- tième ou environ de la longueur totale du butskopf. Les deux lobes de la de sont échancrés ; et la largeur de cette nageoire peut égaler le quart de la longueur de l'animal. La couleur générale du butskopf est brune ou noi- râtre ; son ventre présente des teintes blanchâtres ; et toute la surface du cétacé montre , dans quelques in- dividus , des taches ou des places d’une nuance diffé- rente de la couleur du fond. La peau qui offre ces teintes esl mince, et recou- vre une graisse jaunâtre , au dessous de laquelle on trouve une'chair très rouge. Le butskopf parvient à plus de huit mètres de lon- eueur : il a alors cinq mètres de circonférence dans. l'endroit le plus gros du corps. La portion osseuse de la tête peut peser plus de dix myriagrammes. Elle offre, dans sa partie supérieure, deux éminences séparées par une grande dépression. L’extrémité antérieure des os de la mâchoire d’en- haut présente une cavité que remplit un cartilage, et le bout du museau est cartilagineux. Ces os, ainsi que ceux de la mâchoire inférieure, sont arqués dans leur longueur, et forment une courbe irrégulière, dont la convexité est tournée vers le bas. La partie inférieure de l'apophyse molaire, et les anples inférieurs de l'Os de la pommette, sont arrondis. DES HYPÉROODONS. 545 Les poumons sont allongés et se Lerminent en pointe. Le cœur a deux tiers de mètre et plus de longueur et de largeur. On n’a trouvé qu'une eau blanchâtre dans les es- tomacs d’un jeune butskopf, qui cependant étoit déjà long de quatre mètres! Cet individu étoit fe- melle ; et ses mamelonsn'étoient pas encore sensibles. Il avoit paru en septembre 1586, auprès de Hon- fleur, avec sa mère. Des pêcheurs les aperçurent de loin ; ils les virent lutter contre la marée et se débat- tre sur la grève : ils s’en approcherent. La plus jeune de ces femelles étoit échouée : la mère cherchoit à la remettre à flot ; mais bientôt elle échoua elle-même. On s’empara d’abord de la jeune femelle; on l’en- toura de cordes, et, à force de bras, on la traîna sur le rivage jusqu’au dessus des plus hautes eaux. On revint alors à la mère; on l’attaqua avec audace ; on la perca de plusieurs coups sur la tête et sur le dos; on lui fit dans le ventre une large blessure. L’ani- mal furieux mugit comme un taureau, agita sa queue d’une manière terrible, éloigna les assaillants. Mais on-recommenca bientôt le combat; on parvint à faire passer un câble autour de la queue du cétacé ; on fit entrer la patte d’une ancre dans un de ses évents; la malheureuse mère fit des efforts si violents, qu’elle cassa le câble, s’échappa vers la haute mer, et, lan- çant par son évent un jet d’eau et de sang à plus de quatre mètres de hauteur, alla mourir, à la distance d’un ou deux myriamètres, où le lendemain on trouva son cadavre flottant. 1. Journal de physique , mars 1789: Mémoire de M. Baussard. 346 HISTOIRE NATURELLE. Pendant que M. Baussard, auquel on a dû la des- cription de ce butskopf, disséquoit ce cétacé, une odeur insupportable s’exhaloit de la tête ; cette éma- nation occasiona des inflammations aux narines et à la gorge de M. Baussard : l’âcreté de l'huile que l’en retiroit de cette même tête, altéra et corroda, pour ainsi dire , la peau de ses mains; et une lueur phos- phorique s’échappoit de l’intérieur du cadavre ,comme elle s'échappe de plusieurs corps marins et très hui- leux lorsqu'ils commencent à se corrompre. Le butskopf a été vu dans une grande partie de l'Océan atlantique septentrional et de l’Océan glacial arctique. RAA LA EU ELU ER VU M EVU VER LEE LLEU VEUX ARS VU AU LULU UE V LULU LU LVL VUUL ELU LUVE LRU NOTE SUR LES CÉTACÉS DES MERS VOISINES DU JAPON: Lue à l'Académie royale des Sciences, le 21 septembre 1818, Par M. ze Coure DE LACÉPÈDE. Ts tous les animaux que la nature a répandus sur la surface du globe, les quadrupèdes vivipares et les au- tres mammifères ont été les premiers les objets des observations de l’homine et les sujets de ses recher- ches et de ses soins. Il a repoussé les uns et asservi les autres. Il a multiplié ou recherché ceux qui Jui four- nissoient une nourriture abondante, ou des substan- ces utiles, ou dans lesquels il trouvoit des compa- gnons et des aides pour ses plaisirs, ses travaux, ses fatigues et ses dangers. Il a été si intéressé à les con- noître , et la plupart de ces animaux présentent de si srandes dimensions, qu’il en a bientôt distingué le plus grand nombre ; et dans ces temps modernes où les naturalistes sont si exercés à reconnoître les divers traits de la conformation de ces mammifères, tous les efforts des voyageurs les plus courageux et les plus éclairés, toutes les investigations les plus hardies et les plus attentives des Humboldt , toutes les recher- 548 NOTE SUR LES CÉTACES ches failes par les savants zoologues du nouveau con- ünent, n’ont ajouté qu'un petit nombre d'espèces aux catalogues déjà dressés par les amis des sciences na- turelles. C’est donc une chose assez curieuse que de rencontrer plusieurs espèces non encore connues des naturalistes, parmi ces mammifères, et particulière- ment parmi Ceux auxquels on a donné le nom de cétacés, et qui, par la nature et éloignement de leurs retraites, se dérobent si souvent aux observa- tions. _ Lorsque nous avons essayé d'écrire l’histoire de ces cétacés, nous avons tâché de montrer combien ils méritoient l'attention du naturaliste, du philosophe et de l’homme d'état, par leur grandeur qui surpasse celle de tous les animaux connus, par leur instinct, par leur intelligence, par leurs mœurs que l'influence de l’homme n’a point altérées , par leur conformation qui les oblige à vivre sur la surface des mers, par la longueur de leur vie, par l'étendue de leurs migra- tions, par l’huile, les fanons, l’adipocire , l’ambre gris, et les autres substances précieuses qu’ils fournis- sent au commerce, et par la nature de leur pêche à laquelle on doit tant de marins accouiumés à braver les écueils, ies intempéries , les tempêtes et les dan- sers d’un combat inégal. Depuis long-temps, dans l'Océan atlantique, les grands cétacés sont relégués vers les mers voisines des cercles polaires, dont d’é- normes montagnes de glace rendent l'entrée si diffi- cile aux navigateurs. Les Européens et les habitants de l'Amérique les poursuivent maintenant jusque dans le grand Océan; et c’est dans la partie de ce grand Océan qui avoisine le Japon, qu'on pourra DES MERS VOISINES DU JAPON. 549 trouver les espèces que nous allons décrire, et qui doivent être, depuis plusieurs années, l’objet de la recherche des Japonois. Avant ja publication de mon Histoire naturelle des cétacés, on ne connoissoit encore que vingt-cinq es- pèces de ces animaux, distribuées dans quatre gen- res. J'en décrivis trente-quatre pour lesquelles je crus _ devoir distinguer dix genres différents. Les espèces ajoutées à ces trente-quatre, par M. le chevalier Cu- vier, M. de Blainville, et d’autres habiles naturalistes ou observateurs, sont en petit nombre. J’en décris aujourd’hui huit de plus. Deux appartiennent aux ba- leines proprement dites; quatre au genre des balei- noptères que j'ai établi dans le temps; une au genre des physétères, et une à celui des dauphins. Les dessins coloriés, d’après lesquels J'ai décrit ces huit espèces de cétacés japonois, ont été communi- qués au Muséum royal d'histoire naturelle, par M. Abel de Rémusat, membre de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. Ils présentent pour les caractères distinctifs une grande netteté, et tous ces signes de l'authenticité et de l’exactitude que les zoologistes sont maintenant si accoutumés à reconnoître; et voici les traits particuliers de ces huit espèces. Le tableau placé à la suite de cette note , rappellera les caractères des cétacés, et ceux des ordres et des senres auxquels appartiennent ces huit mammifères. Les deux baleines du Japon sont du premier sous- genre ; c'est-à-dire qu'elles n’ont pas de bosses sur le dos. Dans ces deux cétacés, la longueur de la iête est égale au quart de la longueur totale. 396 NOTE SUR LES CÉTACÉS Dans la première , que je nomme Baleine japonoise, l’évent est placé un peu au devant des yeux; la na- geoire caudale est grande ; on voit sur le museau trois bosses garnies de tubérosités, et placées longitudina- lement; la couleur générale est noire; le ventre est d’un blanc éclatant, et celte grande place blanche est comme festonnée profondément dans son contour; les mâchoires, les bras ou nageoires pectorales, et la caudale, sont bordés de blanc; des lignes courbes, noires et très fines relèvent le blanc qui est autour des yeux et de la base des pectorales ; on distingue des groupes de petites taches blanches sur la mâchoire inférieure, et d’autres petites taches de la même cou- leur sont répandues sur le museau. J’ai donné le nom de lunulee à la seconde baleine dont l'évent est placé un peu en arrière des veux, et dont les deux mâchoires sont hérissées à l’extérieur de poils ou petits piquants noirs. La couleur générale est verdâtre, et on voit sur la tête, le corps et les na- seoires, un grand nombre de petits croissants blancs. Les baleinoptères diffèrent des baleines propre- ment dites en ce qu’elles ont une nageoire sur le dos. lai donné aux quatre que je vais décrire rapide- ment les noms de mouchetée, de noire, de bleuâtre, et de tachetée. Elles présentent des plis ou sillons longitudinaux sur la gorge ou sous le ventre, comme toutes celles qui appartiennent au second sous-genre ; et dans ces quatre cétacés, la longueur de la tête est presque égale au quart de la longueur totale. Dans la mouchetée, la nageoire dorsale est petite, et située à une distance égale des pectorales et de la DES MERS VOISINES DU JAPON. 291 caudale ; cinq ou six bosses sont placées longitudina- lement sur le museau; la tête, le corps et les pectora- les sont mouchetés de blanc sur un fond noir; et les lèvres, les sillons longitudinaux et le tour des yeux sont blanes. Dans la baleinoptère noire , la mâchoire supérieure est étroite , et le contour de cette mâchoire se relève au devant de l'œil, presque verticalement; on voit sur le museau ou sur le front quatre bosses placées longitudinalement ; la couleur générale est noire; les nageoires et la mâchoire sont bordées de blanc. La bleuâtre a la mâchoire supérieure conformée comme la noire ; sa dorsale est petite et plus rappro- chée de la caudale que l'anus; on voit plus de douze plis ou sillons inclinés de chaque côté de la mâchoire inférieure, et la couleur générale est d’un gris-bleuâtre. La tachetée a la mâchoire inférieure plus avancée que la supérieure ; les orifices des évents sont un peu en arrière des yeux qui sont près de la commissure ; la dorsale est à une distance presque égale des bras et de la nageoire de la queue : la couleur noirâtre règne sur la partie supérieure de l’animal ; le dessous de la tête et du corps est blanchâtre; quelques taches très blanches, presque rondes et inégales, sont pla- cées irrégulièrement sur les côtés de ce cétacé. 1! nous reste à décrire un physétère et un dauphin. Les physétères diffèrent des baleines et des balei- noptères par les dents qui garnissent leurs mâchoi- res, et leur nageoire dorsale les distingue des cacha- lots et des physales qui n’ont pas de nageoire sur le dos. Le physétère du Japon, auquel nous donnons le 352 NOTE SUR LES CÉTACGÉES. nom de sillonné, a de chaque côté de la mâchoire in- férieure six,plis ou sillons inclinés; la longueur de la tête égale le tiers de sa longueur totale ; l’évent est placé au dessus de l’extrémité de l’ouverture de la bouche ; la nageoire dorsale conique est recourbée en arrière, s élève au dessus des pectorales qu’elle égale presque en longueur; des dents pointues et droites garnissent l'extrémité de la mâchoire infé- rieure ; la couleur générale est noire. Les mâchoires et les nageoires sont bordées de blanc. Le dauphin que nous désignons sous le nom de noir a le museau très aplati et très allongé, plus de douze dents de chaque côté des deux mâchoires ; la dorsale très petite est plus voisine de la nageoire de la queue que des pectorales; la couleur générale noire, et les commissures, ainsi que le bord des pec- torales et d’une partie de la caudale, sont d’un blanc plus où moins éclatant. AAA AAA AAA VAR AM WA LAN VB EMULE VEN UE VE EVE VU VUE VA WELL EUR AMAR AATS SUPPLÉMENT AU TABLEAU DES CÉTACÉS. roro pxpopopros CÉTACÉS. LE SANG ROUGE ET CHAUD; DEUX VENTRICULES ET DEUX OREILLETTES AU C@ŒEUR ; DES VERTÈBRES ; DES MAMELLES: f 1 DES ÉVENTS; POINT D'EXTRÉMITÉS POSTÉRIEURES. PREMIER ORDRE. Point de dents. PREMIER GENRE. Les Bareines. ( Balænæ. ) La mâchoire supérieure garnie de fanons ou lames de corne ; les orifices des évents séparés, et placés vers le milieu de la partie supérieure de la tête; point de nageotre dorsale. 354 SUPPLÉMENT AU TABLEAU PREMIER SOUS-GENRE. Point de bosse sur, le dos. ( Après la Baleine Nordcaper. ) ESPÈCES. CARACTÈRES. 1. La Barene sapowoïse. ( Trois bosses garnies de tubérosités, et pla- { Balæna japonica.) | cées longitudinalement sur lé museau. Les deux mâchoires hérissées à l'extérieur de poils ou petits piquants noirs; un grand nombre de taches blanches et en forme de croissant, sur la tête, le corps et les nageoires. 2. LA BALEINE LUNULÉE. ( Balæna lunulata. ) SECOND GENRE. Les BarriNorrÈères. ( Balænopteræ. ) La mâchoire supérieure garnie de fanons ou lames de corne; les orifices des évents séparés, et placés. vers le milieu de la partie supérieure de la. tête; une na- geoire dorsale. SECOND SOUS-GENRE. Des plis longitudinaux sous la gorge et sous le ventre. (Après la Baleinoptère Jubarte.) ESPÈCES. CARACIÈRES. Cinq ou six bosses placées longitudinale- ment sur le museau ; la dorsale petite; la tête, le corps et les pectorales noirs et mouchetés de blanc. ‘Quaire bosses placéeslongitudinalement sur le museau ou le front; la mâchoire supé- rieure élroite, son contour se relevant au- devant de l'œil, presque verticalement ; la couleur générale noire; les nageoires et les mâchoires bordées de blanc. 1. La BALEINOPTÈRE \ MOUCHETÉE. ( Balænoptera punctulata.) 2. LA BALEINOPTÈRE NOIRE. ( Balænoptera nigra. ) DES ORDRES, GENRES ET ESPÈCES. 355 ESPÈCES. CARACTÈRES. /La mâchoire supérieure étroite, son contour se relevant au devant de l'œil, presque 5. La BALEINOPTERE * verticalement; plus de douze sillons , in- BLEUATRE. clinés de chaque côté de la mâchoire infé- (Balænopteracwralscens.) rieure; la dorsale petite et plus rappro- | chée de la caudale que l’anus: la couleur générale d’un gris-bleuâtre. /La machoire cure plus avancée que la supérieure : l'extrémité des mâchoires ar- rondie ; les évents un peu en arrière des yeux qui sont près de la commissure; la } dorsale à une distance presque égale des pectorales et de la nageoire de la queue: la couleur générale noirâtre; quelques taches très blanches, presque rondes, in- égales, et placées irrégutièrement sur les côtés de l’animal. 4. La BALENOPTERE TACHETÉE. (Balænoptera maculata.) SECOND ORDRE, Des dents. SEPTIÈME GENRE. Les PHysÉTÈRES. ( Physeteri. ) La longueur de la tête égale à la moitié ou au tiers de la longueur totale; la mâchoire supérieure large, élevée, sans dents, ou garnie de dents petites et ca- chées par la gencive; la mâchoire inférieure étroite et armée de dents grosses et coniques; les orifices des évents réunis et situés au bout ou auprès du bout de la partie supérieure du museau; une nageoire dor - sule. 556 SUPPLÉMENT AU TABLEAU, etc. ESPÈCE. CARACTÈRES. La dorsale conique recourbée en arriere et | placée au dessus des pectorales qu’elle LE PnysÉTERE SILLONNÉ. égale presque en longueur; les dents (Physeterus sulcatus.) pointues et droites à la mâchoire infé- | rieure: des sillons inclinés de chaque côté de cette mâchoire. \ NEUVIÈME GENRE. LEs Daupuins. (Delphini. ) Les deux mâchoires garnies d’une rangée de dents très fortes; les orifices des deux évents réunis et situés très près du sommet de la tête ; une nageoire dorsale. ESPÈCE. CARACTÈRES. [Le museau très aplati et très allongé; plus de douze dents de chaque côté des deux mâchoires : la dorsale très petite et plus Le DaupniN Non. rapprochée de la caudale que des pecto- (Delphinus niger.) rales ; la couleur générale noire; les com- missures blanches, ainsi que lé bord des pectorales et celui d’une partie de la na- geoire de la queue. : RAA D AAA UMA MU MU VU LE LU VU VEUVE LULU EU LU ELU UV MUVU MU LU MM DISCOURS SUR LA DURÉE DES ESPÈCES. 1800. La naiure comprend l’espace, le temps et la matière. L'espace et le temps sont deux immensités sans bornes, deux infinis que l’imagination la plus élevée ne peut entrevoir, parce qu'ils ne lui présentent ni commencement ni fin. La matière les soumet à l’em- pire de l'intelligence. Elle a une forme; elle circon- scrit donc l’espace. Elle se meut; elle limite donc le temps. La pensée mesure l'étendue ; l'attention compte les intervalles de la durée, et la science commence. Mais si la matière en mouvement nous apprend à connoître le temps, que la durée nous dévoile la suite des mouvements de la matière ; qu'elle nous révèle ses changements; qu’elle nous montre surtout les modifications successives de la matière organisée, vi- vante, animée et sensible; qu’elle en éclaire les admi- rables métamorphoses; que le passé nous serve à compléter l'idée du présent. Tel étoit le noble objet de la méditation des sages, dans ces contrées fameuses dont le nom seul réveille tant de brillants souvenirs, dans cette Grèce poétique, LACÉPÈDE. T 23 358 DISCOURS l’heureuse patriede l'imagination, du talentet du génie. Lorsque l'automne n’exerçoit plus qu’une douce influence, que des zéphirs légers balançotient seuls une atmosphère qui n’étoit plus embrasée par les feux dévorants du midi, et que les fleurs tardives n’em- bellissoient que pour peu de temps la verdure, qui _ bientôt devoit aussi cesser de revêtir la terre , ils al- loient, sur le sommet d’un promontoire écarté, jouir du calme de la solitude, du charme de la contempla- ton, et de l’heureuse et cependant mélancolique puissance d’une saison encore belle, près de la fin de son règne enchanteur, | Le soleil étoit déjà descendu dans l'onde ; ses rayons ne doroient plus que le sommet des montagnes; le jour alloit finir; les vagues de la mer, mollement agi- tées, venoient expirer doucement sur la rive ; les dé- pouiiles des forêts, paisiblement entraînées par un souffle presque insensible, tomboient silencieuse- ment sur le sable du rivage : au milieu d’une rêverie touchante et religieuse, l’image d’un grand homme que l’on avoit perdu, le souvenir d’un ami que l’on! avoit chéri, vivifioient le sentiment, arimoient la pensée, échaufloient l'imagination; et la raison elle- même, cédant à ces inspirations célestes, se plongeoit dans le passé, et remontoit vers l’origine des êtres. Quelles lumières ils puisoient dans ces considéra- tions sublimes ! Quelles hautes conceptions peut nous donner une vue même rapide des grands objets qui enchaïînoient leurs réflexions et charmoient leurs esprits ! À leur exemple, étendons nos regards sur le temps qui s’avance, aussi bien que sur le temps qui fuit. Sa- SUR LA DURÉE DES ESPÈCES. 3959 chons voir ce qui sera, dans ce qui a été; et, par une pensée hardie, créons, pour ainsi dire, l'avenir, en portant le passé au delà du point où nous sommes. Dans cette admirable et immense suite d’événe- ments, quelle considération générale nous frappe la première? Les êtres commencent, s’accroissent, décroissent et finissent. L'augmentation et la diminution de leur masse , de leurs formes, de leurs qualités, composent seules leur durée particulière. Elles se succèdent sans intervalle. Autant la nature est constante dans ses lois, autant elle est variable dans les effets qui en découlent. L’instabilité est de l’essence de la durée particulière des êtres ; et le néant en est le terme, comme.il en a été le principe. Le néant! C’est donc à cet abîme qu’aboutissent et ce que nos sens nous découvrent dans le présent, et ce que la mémoire nous montre dans le passé, et ce que la pensée nous indique dans l'avenir. Tout s’'eface , tout s'évanouit. Et ces dons si recherchés, la santé, la beauté, la force; et ces produits de l’in- dustrie humaine , dont se composent les richesses, la supériorité, la puissance; et ces chefs-d’œuvre de Vart, que l'admiration reconnoissante a, pour ainsi dire, divinisés; et ces monuments superbes que le génie a voulu élever contre les eflorts des siècles sur l'Asie, l’Afrique et l'Europe étonnées ; et ces pyrami- des que nous nommons antiques, parce que nous isnorons combien de millions de générations ont dis- paru depuis que leur hauteur rivalise avec celle des montagnes; et ces résultats du besoin ou de la pré- voyance du philosophe , les lois qui constituent les 360 DISCOURS peuples, les institutions qui les protégent , les usages qui les régissent, les mœurs qui les défendent, la lan- gue qui les distingue; et les nations elles-mêmes se répandant au dessus des vastes ruines des empires écroulés les uns sur les autres ; et les ouvrages en ap- parence si durables de la nature, les forêts touffues, les andes sourcilleuses, les fleuves rapides, les îles nombreuses , les continents, les mers, bien plus près de cesser d’être que la gloire du grand homme qui les illustre ; et cette gloire elle-même; et le théâtre de toute renommée , le globe que nous habitons; et les sphères qui se meuvent dans les espaces célestes; et les soleils qui resplendissent dans l’immensité; tout passe , tout disparoît, tout cesse d'exister. Mais tout s’efface par des nuances variées comme les différents êtres ; tout tombe dans le gouffre de la non-existence , mais par des degrés très inégaux; et les divers êtres ne s’y engloutissent qu'après des du- rées inégales. Ce sont ces durées particulières, si diversifiées et par leur étendue et par leur graduation, que l’on doit chercher à connoître. Qu'il est important d'essayer d'en déterminer les époques ! Consacrons donc maintenant nos efforts à nous former quelque idée de celle des espèces qui vivent sur le globe. Quelle lumière plus propre à nous montrer leurs véritables traits, que celle que nous pourrions faire | briller en traçant leurs annales ! Mais pour que nos tentatives puissent engager les amis de la science à conquérir cette belle partie de SUR LA DURÉE DES RSPÈCES. 201 l'empire de la nature, non seulement n’étendons d’a- berd nos recherches que vers la durée des espèces qui ont recu le sentiment avec la vie, mais ne consi- dérons en quelque sorte aujourd’hui que celle des es- pèces d'animaux pour lesquelles nous sommes aidés par le plus grand nombre de monuments déposés par le temps dans les premières couches de la terre, et faciles à découvrir , à décrire et à comparer. Que l’objet principal de notre examen soit donc, dans ce moment, la durée de quelques unes des es- pèces dont nous avons entrepris d'écrire l’histoire : en rapprochant les uns des &utres les résultats de nos efforts particuliers, en découvrant les ressemblances de ces résultats, en tenant compte de leurs différences, en réunissant les produits de ces diverses comparai- sons , en soumettani ces produits généraux à de nou- veaux rapprochements, et en parcourant ainsi succes- sivement différents ordres d'idées, nous tâcherons de parvenir à quelques points de vue élevés d’où nous pourrons indiquer , avec un peu de précision, les différentes routes qui conduisent aux divers côtés du grand objet dont nous allons essayer de com- templer une des faces. Le temps nous échappe plus facilement encore que l'espace. L'optique nous a soumis Punivers : nous ne pouvons saisir le temps qu’en réunissant par la pensée les traces de ses produits et de ses ravages, en dé- couvrant l’ordre dans lequel ils se sont succédés, en comptant les mouvements semblables par lesquels ou pendant lesquels ils ont été opérés. Mais pour employer avec plus d'avantage ce moyen de le conquérir, méditons un instant sur îes deux 562 DISCOURS grandes idées dont se compose notre sujet, durée des espèces ; tâchons de ne pas laisser de voile au devant de ces deux objets de notre réflexion; déterminons avec précision notre pensée; et d'abord, distinguons avec soin la durée de l’espèce d'avec celle des individus que l’espèce renferme. C’est un beau point de vue que celui d’où l’on com- pareroit la rapidité des dégradations d’une espèce qui s’avance vers la fin de son existence, avec la brièveté des instants qui séparent la naissance des individus, du terme de leur vie. Nous le recommandons, ce nouveau point de vue, à l'attention des naturalistes. En effet, niles raisonnements d’une théorie éclairée, ni les conséquences de l’examen des monuments, ne laissent encore entrevoir aucun rapport nécessaire entre la longueur de la vie des individus et la per- manence de l'espèce. Les générations des individus paroïissent pouvoir être moissonnées avec plus ou moins de vitesse, sans que l'espèce ait recu plus ou moins de force pour résister aux causes qui l’altèrent, aux puissances qui l’entraînent vers le dernier mo- ment de sa durée. Un individu cesse de vivre quand ses organes perdent leurs formes, leurs qualités ou leurs liaisons; une espèce cesse d'exister, lorsque l'effet de ses modifications successives fait évanouir ses attributs distinctifs : mais les formes et les proprié- tés dont l’ensemble constitue la vie d’un individu, peuvent être détruites ou séparées dans cet être con- sidéré comme isolé, sans que les causes qui les dés- unissent ou les anéantissent, agissent sur les autres individus, qui dès lors prolongent l'espèce jusqu’au moment où ils sont frappés à leur tour. D'ailleurs ces SUR LA DURÉE DES ESPÈCES. 3503 mêmes causes peuvent diminuer l'intensité de ces qualités et altérer les effets de ces formes, sans les modifier dans ce qui compose l'essence de l'espèce; et ces modifications qui dénaturent l'espèce, peuvent aussi se succéder, sans que les organes cessent de jouer avec assez de liberté et de force pour conserver le feu de la vie des individus. Quels sont donc les caractères distinctifs des espè- ces? ou pour mieux dire, qu'est-ce qu’une espèce ? Tous ceux qui cultivent la science de la nature, emploient à chaque instant ce mot espèce, comme une expression très précise. Îls disent que tel animal ap- partient à telle espèce, ou qu'il en est une variété passagère ou constante, ou qu'il ne peut pas en faire partie; cependant combien peu de naturalistes ont une notion distincte du sens qu'ils attachent à ce mot, même lorsqu'ils ont donné des règles pour parvenir à l’appliquer! Quelques auteurs lont défini; mais si on déterminoit les limites des espèces d’après leurs principes, combien ne réuniroit-on pas d'êtres plus différents les uns des autres que ceux que l’on tien- droit séparés | Que la lumière du métaphysicien conduise donc ici l'ami de la nature. Les individus composent l'espèce; les espèces, le venre ; les genres, l’ordre; les ordres , la classe; les classes, le règne; les règnes, la nature. Nous aurons fait un grand pas vers la détermina- tion de ce mot espèce, si nous indiquons les différen- ces qui se trouvent entre les rapports des individus avec l'espèce, et ceux des espèces avec le genre. Tous lesindividus d’une espèce peuvent se ressem- 36/4 DISCOURS bler dans toutes leurs parties, et de manière qu'on ne puisse les distinguer les uns des autres qu’en les voyant à la fois; les espèces d’un genre doivent diffé- rer les unes des autres par un trait assez marqué pour que chacune de ces espèces, considérée même sépa- rément, ne puisse être confondue avec une des au-. tres dans aucune circonstance. à L'idée de l'individu amène nécessairement l’idée de l'espèce : on ne peut pas concevoir l’un sans l’autre. Une espèce existeroit donc, quoiqu’elle ne présentât qu'un seul individu, et quand bien même on la sup- poseroit seule. On ne peut imaginer un genre avecune seule espèce, qu’autant qu'on le fait contraster avec un autre genre. \ On doit donc rapporter à la même espèce deux individus qui se ressemblent en tout, Mais lorsque deux individus présentent des différences qui les dis- tinguent, d’après quel principe faudra-t-il se diriger pour les comprendre ou ne pas les renfermer dans la même espèce? De quelle nature doivent être ces dis- semblances offertes par deux êtres organisés, du même âge et du même sexe, pour qu'on les considère comme de deux espèces différentes? Quel doit être le nombre de ces différences ? Quelle doit être la constance de ces signes distinctifs? ou, pour mieux dire, quelles doivent être la combinaison ou la compensation de la nature, du nombre et de la permanence de ces mar- ques caractéristiques ? En un mot, de quelle manière en doit-on tracer l'échelle? Et lorsque cette mesure générale aura été graduée, par combien de degrés faudra-t-il que deux êtres soient séparés, pour n'être pas regardés comme de la même espèce? SUR LA DURÉE DES ESPÈCES. 365 Il y a long-temps que nous avons tâché de faire sentir la nécessité de la solution de ces problèmes. Plusieurs habiles naturalistes partagent maintenantno- tre opinion à ce sujet. Nous pouvons donc concevoir l'espérance de voir réaliser le grand travail que nous désirons à cet égard. Les principes généraux, fondés sur l'observation, dirigeront la composition et la graduation de l’échelle que nous proposons, et dont il faudra peut-être au- tant de modifications qu'il y ade grandes classes d'êtres organisés. Mais, nous sommes obligés de l'avouer, la détermination du nombre de degrés qui constituera la diversité d'espèce, ne pourra être constante et ré- gulière qu’autant qu'elle sera l'effet d’une sorte de convention entre ceux qui cultivent la science. Et pourquoi ne pas proclamer une vérité importante? Il en est de l'espèce comme du genre, de l’ordre et de la classe; elle n'est au fond qu’une abstraction de l'esprit, qu’une idée collective, nécessaire pour con- cevoir, pour comparer, pour connoître, pourinstruire. La nature n'a créé que des êtres qui se ressemblent, et des êtres qui diffèrent. Si nous ne voulions inscrire dans une espèce que les individus qui se ressemblent en tout, nous pourrions dire que l'espèce existe vé- ritablement dans la nature et par la nature. Mais les produits de la même portée ou de la même ponte sont évidemment de la même espèce; et cependant combien de différences au moins superficielles ne présentent-ils pas très fréquemment! Dès l'instant que nous sommes obligés d'appliquer ce mot espèce à des individus qui ne se ressemblent pas dans toutes leurs parties, nous ne nous arrêtons à un nombre de dis- 366 DISCOURS semblances plutôt qu'à un autre, que par une vue de l'esprit fondée sur des probabilités plus ou moins grandes; nous sommes dirigés par des observations comparées plus ou moins convenablement : mais nous ne trouvons dans la nature aucune base de notre choix, solide, immuable, indépendante de toute volonté arbitraire. x En attendant que les naturalistes aient établi sur la détermination de l’espèce la convention la plus rai- sounable, nous suivrons cette sorte de définition vague, ce résultat tacite d’une longue habitude d’ob- server, ce tact particulier, fruit de nombreuses expé- riences, qui à guidé jusqu'ici les naturalistes les plus recommandables par la variété de leurs connoissan- ces el la rectitude de leur esprit. Et afin que cet emploi forcé d’une méthode, imparfaite à quelques égards, ne puisse Jeter aucune défaveur sur les con- séquences que nous allons présenter, nous restrein- drons toujours daus des limites si étroites l’étendue de l'espèce, qu'aucune manière plus parfaite de la considérer ne pourra à l'avenir nous obliger à rappro- cher davantage ces bornes, ni par conséquent à nous faire regarder comme appartenant à deux espèces distinctes, deux individus que nous aurons considé- rés comme faisant partie de la même. Une espèce peut s'éteindre de deux manières. Elle peut périr tout entière, et dans un temps très court, lorsqu'une catastrophe violente bouleverse la portion de la surface du globe sur laquelle elle vivoit, et que l'étendue ainsi que la rapidité du mouvement qui soulève, renverse, transporte, brise et écrase, ne permettent à aucun individu d'échapper à la destruc- SUR EA DURÉE DES ESPÈCES. 367 ton. Ces phénomènes funestes sont des événements que l’on peut considérer relativement à la durée or- dinaire des individus, et même des espèces, comme extraordinaires dans leurs effets, et irréguliers dans leurs époques. Nous ne devons donc pas nous servir de la comparaison de leurs résultats pour tâcher de parcourir la route que nous nous sommes tracée, Mais indépendamment de ces grands coups que la nature frappe rarement et avec éclat, une espèce dis- paroît par une longue suite de nuances insensibles et d’altérations successives. Trois causes principales peuvent l’entrainer ainsi de dégradation en dégrada- tion. Premièrement, les organes qu'elle présente peu- vent perdre de leur figure, de leur volume, de leur souplesse, de leur élasticité, de leur irritabilité , au point de ne pouvoir plus produire, transmettre où faciliter les mouvements nécessaires à l'existence. 2 Secondement, l’activité de ces mêmes organes peut s’accroître à un si haut degré, que tous les ressorts tendus avec trop de force, où mis en jeu avec trop de rapidité, et ne pouvant pas résister à une action trop vive ni à des efforts trop fréquents, soient dé- rangés, déformés et brisés. Troisièmement, l'espèce peut subir un si grand nombre de modifications dans ses formes et dans ses qualités, que, sans rien perdre de son aptitude au mouvement vital, elle se trouve, par sa dernière con- formation et par ses dernières propriétés, plus éloi- gnée de son premier état que d’une espèce étrangère: elle est alors métamorphosée en une espèce nouvelle. Les éléments dont elle est composée dans sa seconde 568 DISCOURS manière d’être, sont de même nature qu'auparavant ; mais leur combinaison a changé : c’est véritablement une seconde espèce qui succède à l’ancienne; une nouvelle époque commence : la première durée à cessé pour être remplacée par une autre; etil faut compter les instants d’une seconde existence. Maintenant si nous voulons savoir dans quel erdre s'opèrent ces diminutions, ces accroïssements, ces changements de la conformation de l'espèce, de ses propriétés, de ses attributs, si nous voulons chercher quelle est la série naturelle de ces altérations, et re- connoître la succession dans laquelle ces dégrada- tions paroissent le plus liées les unes aux autres, nous trouverons que l'espèce descend vers la fin de sa durée par une échelle composée de douze degrés principaux. Nous verrons au prémier de ces degrés les modif: cations qu'éprouvent les téguments dans leur con- texture et dans les ramifications des vaisseaux qui les arrosent, au point d’influer sur la faculté de réfléchir ou d’absorber la lumière, et de changer par consé- quent le ton ou la disposition des couleurs. Ces modifications peuvent être plus grandes; et alors les téguments variant, non seulement dans les nuances dont ils sont peints, mais encore dans leur nature, offrent le second degré de la dégénération de l'espèce. Le changement de la grandeur et celui des pro- portions offertes par les dimensions, constituent le troisième et le quatrième degré de l'échelle. Au cinquième degré nous plaçons les altérations des formes extérieures ; au sixième, celles des orga- SUR LA DURÉE DES ESPÈCES. 369 nes intérieurs; el nous trouvons au septième l’affoi- blissement ou l’exaltation de la sensibilité dans les êtres qui en sont doués. Nous y découvrons par con- séquent toutes les nuances de perfection ou d’hébé- tation que peuvent montrer le tact ei le goût , ces deux sens nécessaires à tout êlre animé; et nous y voyons de plus toutes les variétés qui résultent de la présence ou de l'absence de l’odorat, de la vue et de l’ouie, et de toutes les diversités d'intensité que peu- vent offrir ces trois sens moins essentiels à l’existence de l’animal. Les qualités qui proviennent de ces grandeurs, de ces dimensions, de ces formes, de ces combinaisons de sens plus ou moins actifs et plus ou moins nom- breux, appartiennent au huitième degré; la force et la puissance que ces qualités font naître, constituent par leurs variations le neuvième degré de l'échelle des altérations que nous voulons étudier; et lorsque l'espèce parcourt, pour ainsi dire, le dixième, le on- zième et le douzième degré de sa durée, élle offre des modifications successives d’abord dans ses habi- tudes, ensuite dans les mœurs, qui se composent de l'influence des habitudes les unes sur les autres, et enfin dans l'étendue et la nature de son séjour sur le: globe. Lorsque les causes qui produisent cette série na- turelle de pas faits par l'espèce vers sa disparition, agissent dans un ordre différent de celui qu’elles ob- servent ordinairement, elles dérangent la succession que nous venons d'exposer : les changements subis par l’espèce sont les mêmes; mais les époques où ils 970 DISCOURS se manifestent ne sont plus coordonnées de la même manière. La dépendance mutuelle de ces époques est encore ‘plus troublée, lorsque l’art se joint à la nature pour altérer une espèce et en abréger la durée. L'art, en effet, dont un des caractères distinctifs est d’avoir un but limité, pendant que la nature a toujours des points de vue immenses, franchit tout intervalle inutile au succès particulier qu’il désire, et auquel il sacrifie tout autre avantage. Il est; pour . ainsi dire, de l'essence de l’art, de tyranniser! par des efforts violents les êtres que la nature régit par des forces insensibles : et l’on s’en convaincra d'autant plus qu’on réfléchira avec quelque constance sur les différences que nous allons faire remarquer entre la manière dont la nature fait succéder. une espèce à une autre, et les moyens que l’art emploie pour alté- rer celle sur laquelle il agit; ce qu'il appelle la per- fectionner, et ce qui ne consiste cependant qu’à la rendre plus propre à satisfaire ses besoins. … d Lorsque la nature crée, dans les espèces, des rouages trop compliqués qui s'arrêtent , ou trop sim= ples qui se dérangent; des ressorts trop foibles qu se débandent, ou trop tendus qui se rompent#des organes extérieurs trop disproportionnés par leur nombre, leur division, ou leur étendue, aux fonc- tions qu'ils doivent remplir; des muscles trop inertes, ou trop irritables; des nerfs trop peu sensibles, ou trop faciles à émouvoir; des sens soustraits par leur place et par leurs dimensions à une assez grande quantité d’impressions, ou trop exposés par leur épa- & SUR LA DURÉE DES ESPÈCES. 571 nouissement à des ébranlements violents et fréquem- ment répétés; et enfin, des mouvements trop lents ou trop rapides; elle agit par des forces foiblement sraduées, par des opérations très prolongées, par des changements insensibles. L'art, au contraire, lorsqu'il parvient à faire naître des altérations analogues, les produit avec rapidité, et par une suite d'actions très distinctes et peu nom- breuses. La nature étend son pouvoir sur tous les indivi- dus; elle les modifie en même temps et de la même manière ; elle change véritablement l'espèce. L'art, ne pouvant soumettre à ses procédés qu'une partie de ces individus, donne le jour à une espèce nouvelle, sans détruire l’ancienne : il n’altère pas, à proprement parler, l'espèce; il la double. Il ne dispose pas, comme la nature, de l'influence du climat. Îl ne détermine ni les éléments du fluide dans lequel l'espèce est destinée à vivre, ni sa den- sité 1, ni sa profondeur ?, ni la chaleur dont les rayons solaires ou les émanations terrestres peuvent le péné- trer, ni son humidité ou sa sécheresse; en un mot, aucune des qualités qui, augmentant ou diminuant l’aralogie de ce fluide avec les organes de la respira- tion , le rendent plus ou moins prepre à donner aux 1. Tout égal d'ailleurs, un fluide reçoit et perd la chaleur avec d'autant plus de facilité que sa densité est moindre. 2. Le savant et habile physicien baron de Humboïdt a trouvé que Veau de la mer a, sur tous les bas-fonds , une température plus froide de deux, treis ou quatre degrés, qu’au dessus des profondeurs voi- sines. Cette observation est consignée dans une lettre adressée par ce célèbre voyageur, de Caracas en Amérique, à mon confrère Lalande, et que cet astronome a bien voulu me communiquer. 392 DISCOURS sucs nourriciers le‘ mouvement vivifiant et répara- teur 1. Lorsque la nature fixe le séjour d’une espèce au- près d’un aliment particulier, la quantité que les in- dividus en consomment n'est déterminée que par les besoins qu'ils éprouvent. L'art, en altérant les individus par la nourriture, contraint leur appétit, les soumet à des privations, ou les force à s’assimiler une trop grande quantité de substances alimentaires. La nature ne commande que la qualité de ces mêmes aliments; l’art en ordonne jusqu'à la masse, Ce n'est qu'à des époques incertaines et éloignées, et par l'effet de circonstances que le hasard seul pa- roît réunir, que la nature rapproche des êtres qui, remarquables par un commencement d’altération dans leur couleur, dans leurs formes ou dans leurs quali- 2. Nous avons montré, dans un de nos Discours et dans plusieurs articles particuliers de l'Histoire des Poissons, comment un fluide très chaud, très sec, ou composé de tel ou tel principe, pouvoit donner la . mort aux animaux forcés de le respirer par un organe peu approprié, et par conséquent comment, lorsque l’action de ce fluide n’étoit pas encore aussi funeste , elle pouvoit cependant altérer les facultés, di- minuer les forces, vicier les formes des individus, modifier l'espèce, en changer Les caractères, en abréger la durée, Au reste, nous sommes bien aises de faire remarquer que l'opinion que nous avons émise en appliquant ces principes à la mort des poïssons retenus hors de l’eau, est conforme aux idées de physique adoptées dans la Grèce et dans l’Asie-Mineure dès Le temps d’Homère, et recueillies dans l’ur des deux immortels ouvrages de ce beau génie. Ce père de la poésie européenne compare en effet, dans le vingt-deuxième livre de son Odyssée, les poursuivants de Pénélope, défaits par Ulysse, à des poissons entassés sur un sable aride, regrettant les ondes qu'ils viennent de quitter, et palpitant par l'effet de la chaleur et de la sécheresse de l'air, qui bientôb leur ôtent la vie. AS. 62 SUR LA DURÉE DES ESPÈCES. 379 iés, se perpétuent par des générations, dans la suite desquelles ces traits particuliers, que de nouveaux hasards maintiennent, fortifient et accroissent, peu- vent constituer une espèce nouvelle. La réunion des individus dans lesquels on aperçoit les premiers linéaments de la nouvelle espèce que l'on désire de voir paroître, leur reproduction forcée, et le rapprochement des produits de leur mélange, qui offrent le plus nettement les caractères de cette même espèce, sont au contraire un moyen puissant, prompt et assuré, que l’art emploie fréquemment pour altérer les espèces, et, par conséquent, pour en diminuer la durée. La nature change ou détruit les espèces en multi- pliant au delà des preniières proportions d’autres es- pèces prépondérantes, en propageant, par exemple, l'espèce humaine, qui donne la mort aux êtres qu’elle redoute et ne peut asservir, et relègue du moins dans le fond des déserts, dans les profondeurs des forêts ou dans les abîmes des mers, les animaux dangereux qu'elle ne peut ni enchaîner ni immoler. L'art seconde sans doute cet acte terrible de la na- ture, en armant la main de l’homme de traits plus meurtriers ou de rets plus inévitables : mais d’ailleurs il attire, au lieu de repousser ; il séduit, au lieu d’ef- frayer ; il trompe, au lieu de combaitre ; il hâte par la ruse les effets d’une force qui n'acquerroit toute sa supériorité que par une longue suite de générations trop lentes à son gré; il s'adresse aux besoins des espèces sur lesquelles il veut régner; if achète leur indépendance en satisfaisant leurs appétits; il affecte leur sensibilité; :l en fait des voisins constants, ou LACÉPEDE. I, o/ DL 254 DISCOURS des cohabitants assidus, ou des serviteurs affectionnés et volontaires, ou des esclaves contraints et retenus par des fers; el, dans tous les degrés de son empire, il modifie avec promptitude les formes par l'aliment, et les qualités par l’imitation, par l’attachement ou par la crainte. Mais, pour mieux juger de tous les objets que nous venons d'exposer, pour mieux déterminer les chan- gements dans les qualités qui entraînent des modifi- cations dans les habitudes, pour mieux reconnoître les variétés successives que peuvent présenter les for- mes, pour mieux voir la dépendance mutuelle des formes, des qualités et des mœurs, il faut considérer avec soin la nature de l'influence des diverses confor- mations. 5 Premièrement, il faut rechercher si la nouvelle conformation que l’on reconnoît, peut accroître ou diminuer d’une manière un peu remarquable les fa- cultés de l'animal; si elle peut modifier sensiblement ses instruments, ses armes, sa vitesse, ses vaisseaux, ses sucs digestifs, ses aliments, sa respiration, sa sen- sibilité, etc. Par exemple, un de nos plus habiles anatomistes modernes, mon confrère Cuvier, a dé- montré qu'il existoit entre les éléphants d’Asie, ceux d'Afrique, et ceux dont les ossements fossiles ont été entassés en tant d’endroits de l’Asie ou de l’Europe boréale, des différences de conformation assez gran- des pour qu'ils doivent être considérés comme ap- partenant à trois espèces distinctes; et cependant des naturalistes ne pourroient pas se servir de cette belle - observation pour contester à des géologues la ressem- blance des habitudes et des besoins de l'éléphant * SUR LA DURÉE DES ESPÈCES. 69 d'Asie avec ceux que devoit offrir l'éléphant de Si- bérie, puisque ce même éléphant d'Asie et l'éléphant d'Afrique présentent les mêmes facultés et les mêmes mœurs, quoique leurs formes soient pour le moins aussi dissemblables que celles des éléphants asiati- ques et des éléphants sibériens. Secondement , une forme particulière qui donne à an être une faculté nouvelle, doit être soigneusement distinguée d’une forme qui retrancheroit au contraire une ancienne faculté. La première peut n'interrom- pre aucune habitude ; la seconde altère nécessaire- ment la manière de vivre de l’animal. On sera con- vaincu de cettevérité, si l’on réfléchit que, parexemple, la conformation qui doueroit une espèce du pouvoir de nager, ne la confineroit pas au milieu des eaux, tandis que celle qui la priveroit de cette faculté, lui interdiroit un grand nombre de ses actes antérieurs. Ajoutons à cette considération importante, que la même conformalion qui accroît une qualité essen- tielle dans certaines circonstances, peut l’affoiblir dans d’autres; et, pour préférer de citer les faits les plus analogues à l'objet général de cet ouvrage, ne ver- roit-on pas aisément que les espèces aquatiques peu- vent recevoir d’une tête allongée, d’un museau pointu, d’une appendice antérieure très déliée, en un mot, d’un avant de très peu de résistance, une natation plus rapide , lorsque j’animal ne s’en sert qu’au milieu de lacs paisibles, de fleuves peu impétueux, de mers peu agitées; mais que cette même conformation , en sur- chargeant leur partie antérieure, en gênant leurs mouvements, en éloignant du centre de leurs forces le bout du lévier qui doit contre-balancer l’action des 376 DISCOURS flots, peut diminuer beaucoup la célérité de leur pour- suite, ainsi que la promptitude de leurs évolutions, au milieu de l'Océan bouleversé par la tempête? Tâchons maintenant d’éclaircir cetque nous venons de dire, en particularisant nos idées, en appliquant quelques uns des principes que nous avons posés, en réalisant quelques unes des vues que nous avons proposées. L'espèce humaine, ce grand et premier objet des recherches les plus importantes, ne doit cependant pas Ôtre dans ce moment celui de notre eEXAMENMpPAT- ticulier. L'homme a créé l’art par son intelligence; et, Dia vant avec succès, par les secours 4 son industrie, presque toutes les attaques de la nature, contre-ba- lançant sa puissance, combattant avec avantage le froid, le chaud, l’humidilé, la sécheresse, tous ses agents les plus puissants , parvenu à se garantir des impressions physiques, en même temps qu'il s'est li= vré aux sensations morales, il a gagné autant de sta- bilité dans les attributs des êtres vivants et animés, que de mobilité dans ceux qui font naître le senti- ment, l'imagination et la pensée. D'ailleurs, que savons-nous de l’histoire de cette espèce privilégiée? Avons-nous découvert dans le sein de la terre quelques restes échappés aux ravages des siècles reculés, et qui puissent nous instruire de son état primitif La nature nous a-t-elle laissé quelques monuments qui nous révèlent les formes et les qua- 1. Consultez particulièrement à ce sujet un mémoire très judicieux et très important que le savant Fortis vient de publier dans le Journal de physique de floréai an VII. SUR LA DURÉE DES ESPÈCES. 217 lités qui distinguoient cette espèce supérieure dans les temps voisins de son origine? A-t-elle transmis elle-même quelques documents de ces âges antiques témoins de sa première existence? À-t-elle pu élever quelque colonne milliaire sur la route du temps, avant que plusieurs siècles n’eussent déjà donné à son intelligence tout son développement , à ses attributs toute leur supériorité, à son pouvoir toute sa préémi- nence ? Si nous jetons les yeux sur l’une ou l’autre des trois races principales que nous avons cru devoir admettre dans l’espèce humaine !, que direns-nous d’abord des modifications successives de la race nègre, de cette race africaine dont nous connoissons à peine les traits actuels , les facultés, le génie, les habitudes, le sé- jour? Parlerons-nous de cette race mongole qui oc- cupe, depuis le commencement des temps histori- ques, la plus belle et la plus étendue partie de l'Asie, maïs qui, depuis des milliers d’années, constante dans ses affections , persévérante dans ses idées, immueble dans ses lois, dans son culte, dans ses sciences, dans ses’ arts, dans ses mœurs, ne nous montre l'espèce humaine que comme stationnaire, et, ne nous pré- sentant aucun changement actuel, ne nous laisse soupconner aucune modification passée ? Si nous considérons enfin la race arabe ou euro- péenne, celle que nous pouvons le mieux connoître, parce qu'elle a le plus exercé ses facultés, cultivé son talent, développé son génie, entrepris de travaux, 1. J'ai exposé mes idées sur le uombre et les caractères distinctifs des différentes races et variétés de l'espèce humaine , dans le Discours d'ouverture du cours de zoologie que j’ai donné en l'an VI (1798). 378 DISCOURS transmis de pensées, tracé de récits, effacé les dis- tances des temps et des lieux par l'emploi des signes de la parole ou de l'expression du sentiment, parce qu'elle nous entoure de tous les côtés, parce que nous en faisons partie, quelle différence spécifique trouvons-nous , par exemple, entre les Grecs des siè- cles héroïques et les Européens modernes? L'homme d'aujourd'hui possède plus de connoissances que l'homme de ces siècles fameux : mais il raisonne comme celui des premiers jours de la Grèce; mais il sent comme l’homme du temps d'Homère; et voilà pourquoi aucun poëte ne surpassera Jamais Homère, et voilà pourquoi aucun statuaire ne l’emportera sur l’auteur de l’Apollon pythien, pendant que le trésor des sciences recevant à chaque instant des faits nou- veaux, il n’est point de savant du jour qui ne puisse être plus instruit que le Newton de la veille; et voilà pourquoi encore les progrès des arts, pouvant être renfermés dans des limites déterminées comme les combinaisons des sentiments !, les chefs-d’œuvre qu'ils produisent peuvent parvenir à la postérité avec 1. Il faut faire une exception relativement aux arts, tels: que Ja peinture, la musique, etc., dont les procédés, en se perfeclionnant chaque jour, multiplient les moyens d'exécution, et par conséquent le nombre des créations possibles. Il est d’ailleurs évident que cette détermination de limites n’a point, lieu par les arts, lorsqu’en appliquant leur puissance à de nouveaux objets, en combinant leurs produits, et en leur donnant, pour ainsi dire, pour ces opérations, la nature des sciences, le génie les rend pro- pres à exprimer un plus grand nombre de sentiments, à peindre des sujets plus variés ou plus nombreux, à présenter de plus vastes ta- bleaux, à toucher par conséquent avec plus de force, et à faire naître des impressions plus durables. Voyez ce que nous avons dit, à cet égard, dans la Poétique de la musique, imprimée en 1785. SUR LA DURÉE DES BSPÈCES. 979 la gloire de leurs auteurs, pendant que, les progrès des sciences devant être sans limites, comme les com- binaisons des faits et des pensées, les découvertes sont impérissables, ainsi que la renommée des hom- mes de génie auxquels on les doit ; mais les ouvrages mêmes de ces hommes fameux passent presque tous, et sont remplacés par d’autres, à moins que le style qui les a tracés, et qui appartient à l’art, ne les sauve de cette destinée et ne leur donne l’immortalité. Les animaux qui ressemblent le plus à l'homme, les mammifères, les oiseaux, les quadrupèdes ovipares et les serpents, ne seront pas non plus les sujets des réflexions par lesquelles nous terminerons ce discours : nous préférerons d'appliquer les idées que nous ve- nons d'émettre, à ceux qui, dans la progression de simplicité des êtres, suivent ces animaux, lesquels, de même que l’homme, respirent par des poumons. En nous arrêtant aux poissons pour les considérations qu'il nous reste à présenter, nous attacherons notre atten- tion à des animaux dont non seulement cet ouvrage est destiné à faire connoître l'histoire, mais encore qui vivent dans un fluide particulier, où ils sont ex- posés à moins de circonstances perturbatrices, de va- riations subites et funestes, d'accidents extraordinai- res, et qui, d’ailleurs, par une suite de [a nature de leur séjour , de la date de leur origine , de la contex- ture solide et résistante du plus grand nombre de leurs parties, et de la propriété qu'ont ces mêmes portions de se conserver dans le sein de la terre au moins pen- dent un temps assez long pour y former une empreinte durable, ont dû laisser, et ont laissé en effet, des monuments de leur existence passée, bien plus nom- 580 DISCOURS breux et bien plus faciles à reconnoître, que pres- que toutes les autres classes des êtres vivants et sen- sibles. Nous avons compté douze modifications principales par lesquelles une espèce peut passer de dégradation en dégradation, jusqu’à la perte totale de ses carac- tères distinctifs, de son essence, et par conséquent de l’existence proprement dite. Parcourons ces modifications. Nous avons chaque jour sous les yeux des exemples d'espèces de poissons qui, transportées dans des eaux plus troubles ou plus claires, plus lentes ou plus ra- pides, plus chaudes ou plus froides, non seulement se montrent avec des couleurs nouvelles, mais éprou- vant encore des changements plus marqués dans leurs téguments, baignées, attaquées et pénétrées par un fluide différent de celui qui les arrosoit, présentent des écailles, des verrues, des tubercules, des aiguillons très peu semblables par leur figure, leur dureté, leur nombre ou leur position, à ceux dont ils éloient re- vêtus. Il est évident que ces modifications produites dans le même temps et dans un lieu différent, ont pu et dà paître dans un temps différent et dans le même lieu , et contribuer par conséquent, dans la suite des siècles, à diminuer la durée de l'espèce, aussi bien qu'à restreindre les limites de son habitation lors d'une époque déterminée. Si l’on se rappelle ce que nous avons dit dans les ar- ücles particuliers du Requin et du Squale roussette, sur la grandeur de ces espèces à une époque un peu reculée, on les verra nous offrir deux exemples bien frappants de la cinquième modificalion qu’une espèce SUR LA DURÉE DES ESPÈCES. 291 peut subir, c’est-à-dire de la diminution de grandeur qu’elle peut éprouver. En effet, on doit en conclure que les requins dont on a conservé des restes , et dont nous avons mesuré des dents trouvées dans le sein de la terre, l’emportoient sur les requins actuels par leur grandeur proprement dite, c’est-à-dire par leur masse, par l’ensemble de leurs dimensions, dans le rapport de 543 à 27. Leur grandeur a donc été ré- duite au douzième au moins de son état primitif. Une réduction plus frappante encore a été opérée dans l'espèce de la roussette, puisque nous avons donné les moyens de voir que des dents de ce squale, dé- couvértes dans des couches plus ou moins profondes du globe, devoient avoir appartenu à des individus d’un volume dix-neuf cent cinquante-trois fois plus grand que celui des roussettes qui infestent main- tenant les rivages de l’Europe. Et relativement à ces deux exemples des altérations dans les dimen- sions que peuvent offrir les espèces d’animaux, nous avons deux considérations à proposer. Premièrement, la diminution subie par la roussette a été à proportion 166 fois plus grande que celle du requin, et cepen- dant, au point où cette dégradation a commencé, le volume du requin n'étoit pas trois fois plus considé- rable que celui de la roussette: Il est à présumer que si, à cette époque, il avoit été six ou huit fois supé- rieur, la modification imposée à la roussette auroit été plus grande encore, proportionnellement à celle du requin. En général, on ne sauroit faire trop d’at- tention à un principe très important, que nous ne cesserons de rappeler : les forces de la nature, celles qui détruisent comme celles qui produisent, celles 582 DISCOURS qui troublent comme celles qui maintiennent, agis- sent très souvent, et tout égal d’ailleurs, en raison des surfaces, soit extérieures, soit intérieures, des corps qu'elles attaquent ou régissent; mais tout le monde sait que plus les corps sont pelits, et plus à proportion leurs surfaces sont étendues. Il ne faut donc pas être étonné de voir les grands volumes op- poser une résistance bien plus longue proportionnel- lement que celle des petits, aux causes qui tendent à restreindre leurs dimensions dans des limites plus rapprochées. Secondement, il est curieux d'observer que les deux espèces qui ont perdu, l’une les onze douzièmes, et l’autre une portion bien plus done encore de ses dimensions primitives, sont des es l marines, et par conséquent ont dû être exposées à un nombre de causes altérantes d'autant moins grand, que la température et la nature des eaux des fleuves sont bien plus variables que celles de l'Océan, et que, s’il faut admettre les conjectures les plus générale- ment adoptées, toutes les espèces de poissons ayant commencé par appartenir à la mer, les fluviätiles"ont été exposées à une sorte de crise assez forte et à des changements très marqués, lorsqu'elles ont aban- donné les éaux salées pour aller ue au milieu des eaux douces. Les exemples des proportions changées et des Fa mes altérées, soustraites ou tro dans une es- pèce, à mesure qu'elle se dégrade et s’avance vers le terme de sa durée, peuvent être saisis avec facilité dans les diverses empreintes qu'ont laissées des indi- vidus de différents genres, enfouis par des catastro- phes subites. = #8 SUR LA DURÉE DES ESPÈCES. 503 Il n’en est pas de même de la sixième et de la septième modification générale : des hasards très rares peuvent seuls conserver des individus dans un tel état d'intrégrité, où de destruction commencé et de dissection naturelle, qu’on puisse reconnoître la forme de leurs organes intérieurs, et celle des parties de leur corps dans lesquelles résidoient les sens dontils avoient été doués. Il est encore plus difficile de remonter à la connois- sance des qualités, de la force, des habitudes, des mœurs qui distinguoient une espèce à une époque plus ou moins enfoncée dans les âges écoulés. Ces propriétés ne sont que des résultats dont l’existence peut sans doute être l’objet de conjectures plus ou moins vraisemblables, inspirées par l'inspection des formes qui les ont produits, mais sur la nature des- quels nous n'avons cependant de notions précises que lorsque des observateurs habiles ont recueilli cesno- tions et les ont transmises avec fidélité. La détermination des endroits dans lesquels habi- toit une espèce dans lestemps anciens, est au contraire plus facile que celle de toutes les modifications dont nous venons de parler. Les traces que des individus laissent de leur existence, doivent être distinctes jus- qu’à un certain degré, pour qu’on puisse, en Îles exa- minant, reconnoOître dans leurs détails les dimensions et les formes de ces individus; mais un très foible ves- tige suffit pour constater la place où ils ont péri, et par conséquent celle où ils avoient vécu. Cette douzième modification des espèces, celle li- mitation de leur séjour à telle ou telle portion de la D8/ DISCOURS surface ‘de la terre, peut être liée avec une ou plu- sieurs des autres altéralions dont noùs avons ché d'exposer l’ordre ; et elle peut en êlre indépendante. Il en résulte premièrement des espèces altérées dans leurs qualités, dans leurs formes ou dansleurs dimen- sions , et reléguées dans telle ou telle contrée ; secon- dement des espèces modifiées trop peu profondément dans leur conformation, pour que leurs propriétés aient éprouvé un changement sensible, nonaltérées même dans leurs formes ou dans leurs dimensions, et cependant confinées sous tel ou tel climat; et troi- sièmement, des espèces dégradées dans leurs quali- tés, ou tculéioent dans ee formes, mais habitant encore dans les mêmes parties du globe qu'avant le temps où leur mé stamorphose n’avoit pas commencé. Nous avons assez pue de ces dernières. Quant aux autres espèces, combien ne pourrions- nous pas en citer! Ici les exemples nous environnent. Le seul mon volcanique de Bolca, auprès de Vérone, a déjà montré, sur ses couches entr'ouvertes, des fragments très bien conservés et très reconnoissables d’une ou deux raies, de deux gobies, et de plusieurs autres poissons qui ne vivent aujourd’hui que dans les mers de l’Asie, de l’Afrique, ou de l'Amérique méridionale, dont plusieurs traits sont altérés, et qui cependant offrent les caractères qui constituoient» leur espèce , lorsque, réunis en troupes nombreuses vers le fond de la mer Adriatique, une grande cata= strophe les surprit au milieu de leurs courses, de leurs poursuites, de leurs combats, et leur donnant la mort la plus prompte, les ensevelit au dessous de SUR LA DURÉE DES ESPÈCES. 285 produits volcaniques, de substances préservatrices, et de matières propres à les garantir des effets de l’hu- midité ou de tout autre principe corrupteur ! De plus, parmi les espèces qui n’ontsubi, au moins en apparence, aucune modification dans leurs formes, ni dans leurs proportions, ni dans leur grandeur, ni dans leurs téguments, nous complons une fistulaire du Japon ou de l'Amérique équaloriale , enfouie sous des couches schisteuses du centre de Europe; un pégase de l'Inde, deux ou trois chétodons de l'Inde ou du Brésil, et des individus de plus de trente autres espèces de l'Asie, de l'Afrique, ou des rivages les plus chauds de l'Amérique, saisis entre les lits solidi- frés de ce même mont Bolca, si digne d'attirer notre attention. Nous venons de porter rapidement nos regards, premièrement, sur les espèces altérées dans leurs or- ganés , ét repoussées loin du séjour qu’elles avoient autrefois préféré; secondement, sur les espèces non altérées, mais reléguées; troisièmement, sur les es-. pèces allérées, et non confinées dans une portion du slobe différente de celle qu’elles avoient occupée : il 1. M. le comte de Gazola a commencé de donner au publicun grand ouvrage sur les Poissons pétrifiés, conservés ou einpreinis dans les couches du mont Bolca. Si ce savant recommandable , auquel je suis heureux de pouvoir témoigner souyent mon estime, ne termine pas son importante entreprise, Je tâcherai d’arranger mes travaux de ma- nière à le suppléer en partie, en publiant la figure, la description et la comparaison des poissons fossiles, ou des empreïntes de poissons, trouvés dans ce même mont Bolca, recueillis à Vérone avee un soin très éclairé, apportés au Muséum d’histoîre naturelle de Paris, et formant aujourd’hui une des parties les plus précieuses de nos riches collections. 380 DISCOURS nous reste à considérer un instant celles qui n'ont été ni dégradées, ni chassées de leur ancienne patrie, dont nous trouvons des individus , ou des fragments; ou des empreintes très reconnoissables, au dessous des mêmes couches terrestres que l’une des dernières catastrophes du globe a étendues au dessus des es- pèces que nous avons déjà indiquées, et qui, par conséquent, ont résisté avec plus de facilité que ces dernières, aux diverses causes qui modifient les es- pèces et en précipitent la durée. : Contentons-nous cependant, pour ne pas entrer dans des discussions particulières, que les bornes de ce discours nous interdisent, et sur lesquelles nous reviendrons un jonr, de jeter les yeux sur deux de ces endroits remarquables du globe qui ont fourni à l'étude du naturaliste les e cHBnen tes les plus nettes ou les restes les mieux conservés d’un grand nombre d'espèces de poissons. Ne citons que les environs du Bolca Véronois, et ceux d'OEningen auRIÉS du lac de Constance 1. Nous trouvons dans les carrières d'OEningen ou de. 1. Voyez ce que le célèbre Saussure à écrit au sujet de la carrière d'OEninger, et des poissons dont l'intérieur de cette carrière renferme les restes ou les images ; on trouvera la description qu’en donne cet habile nataraliste, au paragraphe 1533 du tome III de son Voyage dans les Alpes. Le nom de ce grand géologue rappelle à mon ame affligée les travaux, la gloire et Les malheurs de son illustre ani, de son savant émule, mon collègue Dolomieu, qui, depuis dix-huit mois, lutte avec une constance héroïque contre une affreuse captivité, que n’ont . pu faire cesser encore les pressantes réclamations de notre patrie qu'il honore, de noire gouvernement qui l'estime, de plusieurs puissances étrangères qui partagent pour lui lintérêt des François, du roi d'Es- pagne, qui manifeste ses sentiments à cet égard de la manière la plus digne de la nation qu l gouverne, et d'un si grand nombre de ceux SUR LA DURÉE DES ESPÈCES. 207 Bolca le pétromyzon pricka, le squale requin, la mu- rène anguille, le scombre thon, le caranx trachure, le cotte chabot, la trigle malarmat, la trigle milan, le pleuronecte carrelet, le cobite loche, le cobité barbotte, le saämone fario, l’ésoce brochet, l’ésoce bélone , la clupée alose, la clapée hareng, le cyprin carpe , le cyprin goujon, le cyprin tanche, et douze autres cyprins , l’amburge. le céphale, le vaudois, la dobule, le grislagine, le spirlin , le bouvier, Fable, la brème, le véron , le roux et le nez. Tous ces poissons vivent encore dans les diverses mers européennes qui entourent, pour ainsi dire , et le lac de Constance et le territoire vénitien ; et la com- paraison la plus exacte ne feroit remarquer entre les individus que l’en pêcheroit dans ces mers européen- nes, et ceux qui sont encore gisants sous les couches d’OEningen ou du Bolca, aucune différence plus grande que celles qui séparent souvent des produits de la même ponte. La limite de toutes les altérations que nous venons de décrire est l’anéantissement de l'espèce. Pendant que nous avons sous les yeux un si grand nombre de poissons qui ont résisté aux causes pertur- batrices de leurs formes , de leurs qualités et de leurs habitudes, n'avons-nous pas aussi à considérer des exemples de leurs extrêmes, c’est-à-dire d'espèces qui, par une suite de dégradations , se sont entière- ment éteintes? Il paroît qu'on peut citer quelques unes de ces es- pèces perdues. Les voyageurs, les naturalistes, les qui , en Europe, chérissent et font vénérer l'antique loyauté, les ver- tus et les grands talents, 558 DISCOURS pêcheurs ne retrouvent, du moins dans aucune mer, ni dans aucune rivière, ni dans aucun lac, quelques poissons dont le corps presque tout entier a frappé les regards des observateurs qui ont examiné avec at= tention les pierres extraites des environs du Bolca, ou d’autres contrées du globe. Il semble qu’on doit particulièrement indiquer deux espèces décrites par le savant Gazola, dans le bel ouvrage qu'il a com- mencé de publier sur les poissons pétrifiés du Véro- nois, et dont nous avons déjà eu occasion de faire mention. Ces deux espèces sont, premièrement, celle qu'il nomme Uranoscope rateau (Uranoscopus ras- trum), et secondement, celle qu’il désigne par la dé- nomination de Kurte porte-voile (Kurtus velifer), Après les avoir examinées avec beaucoup de soin, j'ai même cru qu’elles difléroient assez des espèces connues et actuellement vivantes, pour qu'on ne düût les rap= porter à aucun de leurs genres; et en conséquence ce rateau et ce porte-voile ne sont à mes yeux ni un véritable Uranoscope, ni un véritable Kurte. Je ne balanceroiïs pas non plus à regarder comme espèces éteintes, celles de quelques autres animaux conservés dans l'intérieur des pièces de la coliection ichthyolithologique de Vérone, qui ont été adressées au Muséum d'Histoire naturelle de France, et notam- ment un chétodon (à filament dorsal, double et très long) dont j'ai vu plusieurs exemplaires conservés d’une manière très curieuse. Cependant ce n’est qu'avec une grande réserve que nous devons dire qu’une espèce a terminé sa durée : nous ne connoissons pas assez la surface du globe, ni les mers qui l’environnent, pour prononcer for- SUR LA DURÉE DES ESPÈCES. 98 mellement qu’on ne trouvera dans aucune eau douce, ni dans aucun parage, des analogues très ressemblants des individus fossiles que nous n'avons pu encore in- scrire dans aucune espèce décrite et vivante. En effet, il nous reste à découvrir d’immerses con- trées situées à des distances plus ou moins grandes de la ligne, dans l’un et l’autre hémisphère, et no- tamment l’intérieur de la Nouvelle-Hoïlande et de la terre de Diémen, celui de la Nouvelle-Guinée et de la Louisiade , le vaste plateau du milieu de l'Afrique, compris entre le tropique du capricorne et le dixième degré de latitude boréale, et cette longue bande qui s'étend dans la partie occidentale de l'Amérique sep- tentrionale, au nord du Nouveau-Mexique, com- mence près du quarantième degré de latitude, s’a- vance pendant un grand nombre de degrés vers le nord, et règne sur une largeur de plus de soixante- dix myriamètres entre la lisière encore très peu con- nue qui touche le rivage de la mer, et cette chaîne de montagnes irès élevées, nommées maintenant Stony mountains, dont nous avions coujecturé l’existence, la position, la direction et la hauteuri, et qui vont de- puis Cattana Howes, où le voyageur anglois M. Fidler est parvenu en 1792, jusqu'au bord occidental de l'embouchure dans l'Océan glacial arctique, de la ri- vière vue par M. Kensie le 12 juillet 1789 ?. 1. Dans un mémoire sur les parties du globe encore inconnues, que je lus dans la séance publique de la société philotechnique, le 0 floréal de la même année, et que mon célèbre collègue, le citoyen Fourcroy. voulut bien lire quelques jours après dans une séance pu- blique du Lycée républicain de Paris. 2. Consultez une carte très intéressante d’une grande partie de LACÉPÈDE. 1. 25 990 DISCOËRS Mais n’avons-nous pas encore à reeonnoître pres- que toute la côte occidentale et une partie de la côte du nord de la Nouvelle-Hollande, plusieurs rivages du nord-est de l’Asie et des îles qui en sont voisines, presque tous les points de la côte orientale et de la côte occidentale de l'Afrique, depuis une distance assez petite du cap de Bonne-Espérance jusque au- près de la ligne équinoxiale, et par conséquent dans une étendue de plis de sept cents myriamètres ? Combien de fleuves, combien de lacs, combien de parages inconnus! Combien ces habitations qui se sont jusqu’à présent dérobées à nos recherches peu- vent renfermer d'espèces plus ou moins analogues à celles dont des individus vivants ou des restes fossiles, ont été l’objet de nos descriptions! Cependant élevons-nous encore plus au dessus des objets que nous venons de contempler. = Avons-nous quelque moyen de juger l’ancienneté des modifications dont uous venons d’examiner les caractères et d'indiquer la succession? Ne pouvons- nous pas du moins déterminer quelques époques pen- dant lesqueiles subsistoient encore ou existoient déjà une ou plusieurs de ces modifications ? L'espèce hu- maine, trop récente sur le globe, n’a pas pu observer les durées des diverses nuances de ces altérations, et compter pendant le cours de ces durées le nombre des périodes lunaires ou solaires qui se sontsuccédées. Mais la nature n’a-t-elle pas gravé sur le globe quel- ques ères auxquelles nous pourrions au moins rap- YAmérique septentrionale, présentée à la compagnie angloïse d'Hud- son, par M. Arrowsmith, et dont la guerre nous a empéchés d'avoir connoïssance avant l’année dernière. SUR LA DURÉE DES ESPÈCES. 501 porter une partie de ces manières d’être des espèces? Nous ne mesurerons pas le temps par le retour d’un corps céleste au même point du ciel, mais par ces bouleversements terribles qui ont agi sur notre pla- nète plus ou moins profondément. Nous n’appliquerons pas l'existence des dégrada- tions des espèces à des temps réguliers et déterminés comme les années ou les siècles; mais nous verrons leur concordance avec les événements dont on con- noit déjà les relations des époques, en attendant qu’on ait dévoilé leur ancienneté absolue. Icile flambeau de la géologie nous aide à répandre quelque clarté au milieu de la nuit des temps. Elle nous montre comment, en pénétrant dans les couches du globe, et en examinant l'essence, ainsi que le gisement des minéraux qui les composent, nous pouvons savoir si nous avons sous les yeux des monuments de l’une ou de l’autre des trois époques que l’on doit distinguer dans la-suile des catastrophes les moins anciennes de notre terre, les seules qu’il nous soit permis de reconnoître de loin. La moins récente de ces révolutions est le dernier bouleversement général que notre globe a éprouvé, et qui a laissé de profondes empreintes sur l’univer- salité de la surface de la terre. Après cette catastrophe universelle, il faut placer dans l’ordre des temps les bouleversements moins étendus, qui n'ont répandu leurs ravages que sur une grande partie du globe. L'on ne peut pas, dans l’état actuel des connois- sances humaines, déterminer les rapports des dates de ces événements particuliers; on ne peut que les 292 DISCOURS attacher tous à ia seconde époque, sans leur assigner à chacun une place fixée avec précision sur la route du temps. À la troisième époque, nous mettons les boulever- sements circonscrits comme les seconds, et qui de plus présentent les caractères distinctifs de l’action terrible et destructive des volcans, des feux souter- rains, des foudres et des ébranlements électriques de l’intérieur du globe. Maintenant si nous voulons appliquer un moment ces principes, nous reconnoîtrons que nous ne pou- vons encore rapporter à une de ces époques qu’un petit nombre des modifications par lesquelles les es- pèces tombent, de dégradation en dégradation, jus- qu’à la non-existence. Nous pouvons dire que le temps où, par exemple, le genre des squales présentoit une grandeur si supé- rieure à celle des squales observés de nos jours, et où le volume de l’une de leurs espèces l’'emportoit près de deux mille fois sur le volume qu'elle offre maintenant, appartient à la seconde des époques que nous venons d'indiquer, et a touché celui où le globe a éprouvé le dernier des bouleversements non uni- versels et non volcaniques qui aient altéré sa surface auprès de la chaîne des Pyrénées, dont les environs nous ont montré les-restes de ces grandes espèces marines, si réduites maintenant dans leurs dimen- sione. \ Nous pouvons assurer également que, lors des con- vulsions de la terre, des éruptions volcaniques, des vastes incendies et des orages souterrains, dont les effets redoutables se montrent encore si facilement à SUR LA DURÉE DES ESPÈCES. 999 des yeux exercés et attentifs, auprès de Venise et de l’extrémité de la mer Adriatique, plusieurs espèces, dont les flancs du mont Bolca recèlent les empreintes ou la dépouille, n’avoient pas éprouvé les dégrada- tions dont nous pouvons compter toutes les nuances, ou n’avoient pas encore été reléguées dans les mers chaudes de l’Asie, de l'Afrique et de l’Amérique mé- ridionale, où se montroient déjà avec tous les traits qu’elles présentent, ainsi que dans les contrées qu'elles habitent aujourd'hui; et enfin, que celles que l’on seroit tenté de considérer comme éteintes, et que du moins on n’a encore retrouvées dans aucun fleuve, dans aucun lac, dans aucune mer; figuroient encore dans l’ensemble des êtres sortis des mains de la puis- ‘sance créatrice. | Lorsque la science aura étendu son domaine, que de nouveaux observateurs auront parcouru dans tous les sens les terres et les mers, que le génie aura con- quit le monde, qu'il aura découvert, compté, décrit et comparé et les êtres qui vivent et les fragments de ceux dont il ne reste que des dépouilles, qu'il con- noîtra et ce qui est et une partie de ce qui a été, qu’au milieu des monts escarpés, sur les rivages de l’Océan, dans le fond des mines et des cavernes sou- terraines , il interrogera la nature au nom du temps, et le temps au nom de la nature, quelles comparai- sons fécondes ne naîtrons pas de toutes parts! quels admirables résultats! quelles vérités sublimes! quels inmenses tableaux! quel nouveau jour se lèvera sur l'état primitif des espèces, sur les rapports qui les lioient dans ces âges si éloignés du nôtre, sur leur nombre plus petit à cette époque antique, sur leurs 994 DISCOURS SUR LA DURÉE DES ESPÈCES. grandeurs plus rapprochées, sur leurs traits différents, sur leurs habitudes plus dissemblables, sur leurs al- liances plus difficiles, sur leurs durées plus longues! O heureuse postérité ! à combien de jouissances n’es-tu pas réservée, si les passions funestes, l'ambition déli- rante, la vile cupidité, le dédain de la gloire, l'igno- rance présomptueuse , et la fausse science, plus redou- table encore, n’enchaînent tes nobles destinées! FIN DU PREMIER VOLUME. TABLE DES ARTICLES CONTENUS DANS LE PREMIER VOLUME. Dépicace À ANNE-CAROLINE LacÉpEDE. Page 7 AVERTISSEMENTIDE SDANUTEUR- Le Me © eee 20e Ne ÿ VurcenÉRALENdes GétACES EME ENT MN EAN 11 Tasreau des ordres, genres et espèces de cétacés. . . . . . . 5t Les Barres. — La baleine franche. . . . . . . . : . . . At NOT AC AD EE M MAR ee à à à 2e ee 0 (ee Ne llaUs 194 > — GÉNES 00 0! 0 do 10 MO ONE 1 142 —_ noueuse: st. MTL EE ST an : 142 Les Bazemoprères. — La baleinoptère gibbar... . . . . . . . 145 me JUD ARTE. Eee elle ee SCIE 351 OU Al ee 7 elle Mel eee | à 10 le EN 1957 ——— museau-pointu. . . . 165 Les Narwacs. — Le rarwal vulgaire: . . . . . . . . . . : . . 179 ——— inicrocéphale. . . . . . .. AVE RME | à 188 Se AN eTSOR AN Dee eee LUS 192 Les Avarnars. — L’anarnak groenlandoïs. . . . : . .. 199 Les Cacwarors. — Le cachalot macrocéphale. 195 — RTL DOM UE 0 Uloho oui oi 6 OMR ele à 298 BV OVA br de Ne Oo MS QE UE ee A ON OR RE ANE 242 = blanchâtre. 0. MMS Fois 244 Les Paysarrs. — Le physale cylindrique. .: . . . . .. 247 Les Puyséreres. — Le physétère microps.. : . . . . . . . . 205 —===: FIN DE LA TABLE. FAX SUR. AVE, FRS G a & à nS 0 ; A D tes > eÿ] CAL 3 9088 00713 4968