2 AR CNE ee Ke GO PK : FAR à Le AC HADICRRE se 56 NE ee É ERA LE aies NÉS si sun ï 7 RAGE exe ® FICTES HE ISION OP FISHES TEA D cv Ke PIC TA NT 0 RSA SA BR È LT, 8 s à E. Ê à : RATS ; RES H hi ER PATES ES de U S, NATIONAL dev HS s 2 OEUVRES DE LACÉPÈDE. Deco QUADRUPEDES OVIPARES. L OEUVRES DU COMTE DE LACÉPÉÈDE,. COMPRENANT L HISTOIRE NATURELLE DES QUADRUPÈDES OVIPARES, DES SERPENTS, DES POISSONS ET DES CÉTACÉS ; ACCOMPAGNÈES DU PORTRAIT DE L'AUTEUR ET D'ENVIRON AOO FIGURES, EXÉCUTÉES POUR CETTE ÉDITION PAK LES MEILLEURS ARTISTES, À PARIS, CHEZ F. D. PILLOT, ÉDITEUR. RUE DE SEINE-SAINT-GERMAIN, N° A9. æetee 1822. AE EN AAA PAR LEM RE SVT E AT AS QUADRUPEÈDES OVIPARES. J. ALU MAMA MAUVE UV VV VE VV MA LU VEUVE UV MAUVE AVERTISSEMENT DE L'AUTEUR. 1788. M. LE COMTE DE BurFox travaillant dans ce moment à l’histoire des Gétacés, ainsi qu’à compléter celle des Quadrupèdes vivipares et des Oiseaux, désirant de voir terminer l'Histoire naturelle générale et par- ticulière , et sa santé ne lui permettant pas de s’'oc- cuper de tous les détails de cet ouvrage immense dont son génie a conçu le vaste ensemble d’une ma- nière si sublime, et exécuté les principales parties avec tant de gloire, il a bien voulu me charger de travailler à l’histoire naturelle des Quadrupèdes ovi- pares et des Serpents, que je publie aujourd’hui. S EXTRAIT DES REGISTRES Do 1-2 5900 70 304-220 90 33-3n #0 80 09 PE LU LPO H660D88 080-500 4-00 50 HE d07000 Le LORS PEN DST. EXTRAÏT DES REGISTRES DE L'ACADÉMIE ROYALE DES SCIENCES, Du99 MUILLET |907. Nous avons été nommés commissaires, M. Fouge- roux ; M. Broussonnet, et moi, par l'Académie, pour lui faire le rapport d'un ouvrage qui a pour titre : Histoire naturelle des Quadrupèdes ovipares , par M. le comte de Lacépède. L'auteur présente, à la tête de son ouvrage, une ta- ble méthodique de tous les quadrupèdes oviparesdont il traite : il a choisi pour la composer des caractères saillants, que les changements de température, ou divers accidents, ne peuvent faire varier, qui se trou- vent dans le mâle comme dans la femelle, dans les jeunes animaux comme dans les adultes, et qu'il a reconnus en examinant et en comparant attentive- ment un grand nombre d'individus de différentes es- pèces de quadrupèdes ovipares, et les descriptions d’un grand nombre d'auteurs. M. le comte de Lacépède a divisé l’ordre entier H + DE L'ACADÉMIE ROYALE DES SCIENCES. 9 des quadrupèdes ovipares en deux grandes classes ; il a placé dans la première tous les quadrupèdes ovi- pares qui ont une queue , el dans la seconde ceux qui n’en ont point. I a établi deux genres dans la première classe, celui des Tortues, et celui des Lézards, qui diffèrent l’un de l’autre, en ce que les premiers ont le corps couvert d’une carapace osseuse et solide, que l’on ne trouve sur aucun des seconds. Le genre des Tortues renfermant des espèces dont la conformation et les habitudes présentent des dif- férences très sensibles, et M. le comte de Lacépède donnant la description de plusieurs espèces nou- velles de ces animaux, il a cru devoir partager ce genre en deux divisions, pour lesquelles il a assigné des caractères constants, aisés à saisir, et d’après les- quels on pourra distinguer les espèces d’une division d'avec celles d’une autre , même en ne voyant que la carapace et le plastron. Dans la première division, qui comprend les tor- tues marines, sont placées six espèces, dont deux n’avoient encore été que légèrement indiquées par les voyageurs; M. de Lacépède à cru devoir les ap- peler l’'Écaille-verte , et la Nasicorne. Dans la seconde division , sont les tortues d’eau douce et de terre, au nombre de dix-huit espèces, dont quatre étoient en- core inconnues, et ont été nommées par l’auteur, la Jaune, la Chagrinée, la Roussätre et la Noitrâtre. Le genre des Lézards étant beaucoup plus nom- breux que celui des Tortues, et leur conformation, einsi que leurs habitudes, présentant plus de diffé- 10 EXTRAIT DES REGISTRES rences, l’auteur a cru devoir former huit divisions dans ce genre. La première comprend le crocodile proprement dit, le crocodile noir, le gavial ou cro- codile du Gange, qui étoit à peine connu, et dont M. de Lacépède montre les rapports de grandeur et de conformation avec les autres crocodiles, ainsi que huit autres espèces de lézards. La seconde division renferme l’iguane , le basilic, et trois autres espèces. Dans la troisième division, sont rangés le Lézard gris, le Lézard vert, et six autres espèces de lézards. Dans Ja quatrième, l’on trouve le caméléon et vingl autres espèces dont deux n'étoient point connues des natu- ralistes. M. de Lacépède leur a conservé les noms de Mabouya et de Roquet, qu’on leur a donnés en Amé- rique. L'auteur a placé dans la cinquième division trois espèces de lézards, dont une étoit encore in- connue , et a été appelée , par M. de Lacépède, Le- zard à tête plate. La sixième division comprend le seps et le chalcide. L'auteur a cru devoir donner ce dernier nom à un lézard remarquable par sa con- formation, et qui n’avoit été décrit, ni même indi- qué par aucun naturaliste. Dans la septième division est placé le dragon; et enfin les salamandres, au nombre de six, forment la huitième division. M. de Lacépède fait connoître deux espèces de ces sala- mandres, dont personne n’avoit encore parlé. M. de Lacépède passe ensuite à la seconde classe des Quadrupèdes ovipares, c’est-à-dire à ceux qui n’ont point de queue. Il les divise en trois genres, pour lesquels il assigne des caractères extérieurs, faciles à reconnoître , constants, et qu'il-a trouvés en DE L'ACADÉMIE ROYALE DES SCIENCES. 11 comparant attentivement la conformation de ces ani- maux avec ce qu'il a pu connoître de la différence de leurs habitudes. Le premier genre, uniquement composé de gre- nouilles, en contient douze espèces : le second genre, qui comprend la raine-verte d'Europe , et toutes les autres raines, présente sept espèces ; et dans le troi- sième genre, qui termine l’histoire des quadrupèdes ovipares, sont placées quatorze espèces de crapauds. L'auteur ne s’est pas contenté d’avoir observé plu- sieurs Quadrupèdes ovipares vivants, et d’avoir exa- miné avec soin plusieurs individus de a plupart des espèces dont il traite; il a recueilli les principales ob- servations des divers auteurs qui ont parlé des qua- drupèdes ovipares; il a d’ailleurs fait usage d’un grand nombre de notes manuscrites, qui lui ont été com- muniquées par plusieurs naturalistes de divers pays, et dont la plupart avoient voyagé dans les contrées où les quadrupèdes ovipares sont le plus communs. M. le comte de Lacépède fait connoître près de vingt espèces, dont aucun auteur n’avoit fait men- tion , ou qui n'avoient été ni classées, ni comparées avec soin. Îl présente en tout la description de cent treize espèces de quadrupèdes ovipares. Mais il paroît s'être attaché principalement à sim- plifier la science et à diminuer le nombre des espèces arbitraires que l’on avoit admises ; il a cherché avec soin l'influence du climat; de l’âge, du sexe et de la saison sur les diverses espèces, pour ne regarder que comme des variétés les individus dont les différences ne sont pas assez grandes, ou assez permanentes, 12 EXTRAIT DES REGISTRES pour conslituer une espèce; et il est tel article où l’auteur a rapporté à la même espèce cinq ou six in- dividus, considérés par certains naluralistes comme autant d'espèces distinctes. Chaque article comprend la liste, non seulement des noms vulgaires attribués à l’animal dans les divers pays, el par les différents voyageurs, maïs encore des noms méthodiques qui lui ont été donnés par les na- turalistes. ï On trouve ; dans l'ouvrage de M. de Lacépède, la mesure et les proportions des diverses parties du corps pour un grand nombre de quadrupèdes ovi- pares. Il a tâché de plus de joindre à la description de chaque espèce l’histoire de ses habitudes; il traite de l’endroit où on la trouve , du temps de l’accou- plement, de celui de la ponte, du nombre et de la forme des œufs, de la durée de l’accroissement, de la longueur de la vie, de la manière de se nourrir , de se défendre, etc.; et, pour faire mieux connoître les quadrupèdes ovipares , il montre les rapports de forme et d’habitudes que les diverses espèces ont les unes avec les autres, et même avec des animaux d’or- dres plus ou moins différents. Mais, pour éviter les répétitions, il ne traite d'une manière étendue que des principales espèces de chaque division, et il ne parle que des différences que les autres présentent. Ce qui concerne chaque genre est précédé de l’ex- position des traits généraux qui le caractérisent, et l'ouvrage commence par un discours, où la confor- ation extérieure , les principaux points de la con- formation intérieure, et les habitudes communes à DE L'ACADÉMIE ROYALE DES SCIENCES. 19 tous les quadrupèdes ovipares, sont présentés et com- parés avec ceux des autres animaux : c'est le résultat général des observations faites ou recueillies par M. de Lacépède, et le tableau de leurs rapports. À la suite de l’histoire des Quadrupèdes ovipares, M. de Lacépède donne la description de deux ani- maux, qu'il nomme Reptiles bipèdes, qui n’ont en effet que deux jambes, au lieu de quatre, et que l’auteur croit devoir placer entre les Quadrupèdes ovipares et les Serpents, dont il se propose de pré- senter incessamment l’histoire à l’Académie. Le pre- mier de ces deux animaux n’a encore été indiqué par aucun auteur; on l’a envoyé du Mexique; le second a été décrit par M. Pallas. M. de Lacépède fait voir qu'on ne peut pas regarder ces animaux comme des monstres, puisqu'ils sont en très grand nombre dans les pays où on les trouve. D'ailleurs l’auteur, en com- parant la conformation du reptile bipède, qu'il a reçu du Mexique, avec celle des lézards et des serpents, montre qu’il diffère par la forme de sa queue, ainsi que par l’arrangement et la figure de ses écailles, de tous les lézards, et particulièrement du Seps et du Chalcide, avec lesquels il a le plus de rapports; et par conséquent il ne croit pas devoir le regarder comme un monstre par défaut, ou comme un lézard qui auroit perdu deux de ses jambes. [1 ne croit pas non plus devoir le considérer comme un monstre par excès, Où comme un serpent qui, par une sorte de monstruosité , seroit né avec deux jambes, parce que les jambes du bipède du Mexique , ses pieds, ses doigts, les écailles qui les recouvrent, sesongles, etc., 1/ EXTRAIT DES REGISTRES présentent la symétrie la plus régulière, et parce que ce bipède diffère de tous les serpents connus par larrangement de ses écailles. M. Pallas a aussi prouvé que le bipède, dont il a donné la description dans les Mémoires de Pétersbourg, ne pouvoit être regardé ni comme un lézard, ni comme un serpent mons- trueux. M. ie comte de Lacépède fait voir, dans l’article où il traite des bipèdes, qu'excepté celui que M. Pallas a décrit, et celui qu'il a reçu du Mexique, tous les reptiles bipèdes , mentionnés jusqu’à présent par les naturalistes, ne sont que des larves de salamandres, ou des lézards, tels que le Seps et le Chalcide, nés nonstrueux, ou privés de deux pattes par quelque accident. L'auteur a joint à son ouvrage les dessin des prin- cipales espèces de chaque division, et surtout de celles qui ne sont pas encore connues, ou qui ne le sont qu'imparfaitement. Quant à l'existence des reptiles bipèdes, nous ne porterons aucun jugement à ce sujet. Nous croyons que, pour admettre ces animaux comme des espèces constantes, il faudroit avoir des observations et des preuves plus multipliées. L'ouvrage de M. le comte de Lacépède nous a paru fait avec autant de soin que d'intelligence. Il y a de la clarté et de la précision dans les descriptions ; les caractères des classes, des genres et des espèces, sont bien contrastés ; la partie historique est faite avec discernement. L'auteur n'a pas négligé de ren- dre son style agréable , pour donner quelque attrait DE L'ACADÉMIE ROYALE DES SCIENCES. 19 à des détails fastidieux, et souvent dégoûtants, par la nature de leur objet. Nous pensons que cette Histoire naturelle des Quadrupèdes ovipares mérite d’être approuvée par l’Académie, et imprimée sous son privilége. Fait au Louvre, le 25 juillet 1787. DAUBENTON, FoucEroux DE BonNDparoY , BROUSSONNET. Je certifie le présent extrait conforme à l'original, et au jugement de l’Académie. À Paris, le 29 juillet 1787. Signé : Le marquis DE Conporcer. ER UÉ | RON SENS SN CON 44 nt A NEDUOLRR ES AN PISE A MEN CU RTE PA UTC SES TUEUR HISTOIRE NATURELLE DES QUADRUPÉDES OVIPARES. 1786. MD DID 60 61DID TS ED EDIT ODIDE TER DEEP OC IT ODIE SO ODOBIDIDOBIDES ID SEIDDESSTLS DO DISCOURS SUR LA NATURE DES QUADRUPÉDES OVIPARES. ——— 9 e— Lorsqu'on jette les yeux sur le nombre immense des êtres organisés et vivants qui peuplent et animent le globe, les premiers objets qui attirent les regards, sont les diverses espèces des quadrupèdes vivipares, et des oiseaux dont les formes , les qualités et les mœurs ont été représentées par le génie dans un ouvrage immortel ; parmi les seconds objets qui ar- rêtent l'attention, se trouvent les quadrupèdes ovi- pares, qui approchent de très près des plus nobles et des premiers des animaux par leur organisation, le nombre de leurs sens, la chaleur qui les pénètre 18 HISTOIRE NATURELLE et les habitudes auxquelles ils sont soumis. Leur nom seul en indiquant que leurs petits viennent d’un œuf, désigne la propriété remarquable qui les distingue des vivipares : ils diffèrent d’ailleurs de ces derniers ence qu'ils n’ont pas de mamelles; en ce qu'au lieu d’être couverts de poils, ils sont revêtus d’une croûte osseuse , de plaques dures, d’écailles aiguës, de tu- bercules plus ou moins saillants, où d’une peau nue et enduite d'une liqueur visqueuse. Au lieu d'étendre leurs pattes comme les vivipares, ils les plient et les écartent de manière à être très peu élevés au dessus de la terre, sur laquelle elles paroissent devoir plu- tôt ramper que marcher. C'est ce qui les a fait com- prendre sous la dénomination générale de Reptiles , que nous ne leur donnerons cependant pas, et qui ne doit appartenir qu'aux serpents et aux animaux qui, presque entièrement dépouvus de pieds, ne changent de place qu’en appliquant leur corps inème à la terre. Leurs espèces ne sont pas à beaucoup près en aussi urand nombre que celles des autres quadrupèdes. Nous en counoissons à la vérité cent treize; mais MM. le comte de Buflon et Daubenton ont donné l’histoire et la description de plus de trois cent qua- drupèdes vivipares. Îl est cependant difficile de les compter toutes , et plus difficile encore de ne comp- 1. Voyez à ce sujet l'excellent Ouvrage sur les Quadrupèdes ovipares et sur les Serpents, composé par M. Daubenton, et dont ce grand naturaliste a enrichi l'Encyclopédie méthodique. Nous saisissons , avec empressement , cette première occasion de lui témoigner publiquement notre reconnoissance , pour les secours que nous avons trouvés dans ses lumières et dans son amilié. DES QUADRUPÈDES OVIPARES. 19 ter que celles qui existent réelleinent. Il n'est peut- être en effet aucune classe d'animaux à laquelle les voyageurs aient fait moins d'attention qu'à celles des quadrupèdes ovipares : c'est ordinairement d’a- près des rapports vagues, ou un coup d'œil rapide, qu'ils se sont permis de leur imposer des noms mal conçus : n'ayant presque jamais eu recours à des in- formations sûres, ils ont le plus souvent donné le même nom à divers objets, et divers noms aux mêmes animaux : et combien de fables absurdes n’ont pas été accréditées touchant ces quadrupèdes, parce qu'on les a vus presque toujours de loin, parce qu’on ne les a communément recherchés que pour des pro- priétés chimériques ou exagérées, parce qu'ils pré- sentent des qualités peu ordinaires, et parce que tous les objets rares ou éloignés passent aisément sous l'empire de l'imagination qui les embellit ou les dénature ? ! Les voyageurs ont-ils toujours reconnu d’ailleurs , les caractères particuliers et les traits principaux de chaque espèce, et n’ont-ils pas, le plus souvent négligé de réunir à une description exacte de la forme, l’énumération des qualités et l’his- toire des habitudes? Lors donc que nous avons voulu répandre quel- que jour sur l’histoire naturelle des Quadrupèdes ovipares, il ne nous a pas sufh d'examiner avec at- tention et de décrire avec soin un grand nombre d'espèces de ces quadrupèdes, qui font partie de la collection du Cabinet du Roi, ou que l’on à bien 1. On trouvera particulièrement dans Conrad Gesner , de Quadrup. ovip., lénumération de toutes les propriétés vraies ou absurdes attri- buées à ces animaux. 20 HISTOIRE NATURELLE voulu nous procurer, et dant plusieurs sont encore inconnues aux naturalistes; ce n’a pas été assez de recueillir ensuite presque toutes les observations qui ont été publiées sur ces animaux jusqu’à nos jours, et d'y joindre les observations particulières que l’on nous a communiquées, ou que nous avons été à por- tée de faire nous-mêmes sur des individus vivants, nous avons dû encore examiner les rapports de ces observations , avec la conformation de ces divers quadrupèdes, avec leurs propriétés bien reconnues, avec l'influence du climat, et surtout avec les grandes lois physiques que la nature ne révoque jamais : ce n’est que d’après cette comparaison que nous avons pu décider de la vérité de plusieurs de ces faits, et déterminer s’il falloit les regarder comme des résul- tats constants de l'organisation d’une espèce entière, ou comme des produits passagers d’un instinct indi- viduel, perfectionné ou afloibli par des causes acci- dentelles. Mais, avant de nous occuper en détail des faits particuliers aux diverses espèces, considérons sous les mêmes points de vue tous les quadrupèdes ovi- pares; représentons-nous ces climats favorisés du soleil, où les plus grands de ces animaux sont animés par toute la chaleur de l'atmosphère, qui leur est nécessaire. Jetons les yeux sur l'antique Égypte, pé- riodiquement arrosée par les eaux d’un fleuve im- mense, dont les rivages couverts au loin d’un limon humide, présentent un séjour si analogue aux habi- tudes et à la nature de ces quadrupèdes : ses arbres, ses forêts, ses monuments, tout, jusqu'à ses orgueil- leuses pyramides, nous en montreront quelques es- » DES QUABRUPÈDES OVIPARES. 21 pèces. Parcourons les côtes brûlantes de l’Afrique, les bords ardents du Sénégal, de la Gambie; les ri- vages noyés du Nouveau-Monde , ces solitudes pro- fondes, où les quadrupèdes ovipares jouissent de la chaleur, de l'humidité et de’ la paix; voyons ces belles contrées de l'Orient, que la nature paroît avoir enrichies de toutes ses productions; n’oublions aucune des îles baignées par les eaux chaudes des mers voisines de la zone torride; appelons, par la pensée, tous les quadrupèdes ovipares qui en peu- plent les diverses plages, et réunissons-les autour de nous pour les mieux connoître en les comparant. Observons d’abord les diverses espèces de tortues, comme plus semblables aux vivipares par leur organi- sation interne ; considérons celles qui habitent les bords des mers, celles qui préfèrent les eaux douces, et celles qui demeurent au milieu des bois sur les terres élevées ; voyons ensuite les énormes crocodiles qui peuplent les eaux des grands fleuves, et qui pa- roissent comme des géants démesurés à la tête des diverses légions de lézards; jetons les yeux sur les différentes espèces de ces animaux, qui réunissent tant de nuances dans leurs couleurs, à tant de diver- sités dans leurs organes, et qui présentent tous les degrés de la grandeur depuis une longueur de quel- ques pouces, jusqu’à celle de vingt-cinq ou trente pieds ; portons enfin nos regards sur des espèces plus petites ; considérons les quadrupèdes ovipares , que la nature paroît avoir confinés dans la fange des ma- rais , afin d'imprimer partout l’image du mouvement et de la vie : malgré la diversité de leur conforma- tion, tous ces quadrupèdes se ressemblent entre eux, LACÉPÈDE. 11. 2 22 HISTOIRE NATURELLE et diffèrent de tous les autres animaux par des ca- ractères et des qualités remarquables : examinons ces caractères distinctifs, et voyons d’abord quel de- gré de vie et d'activité a été départi à ces quadrupèdes. Les animaux différent des végétaux, et surtout de Ja matière brute, en proportion du nombre et de l’activité des sens dont ils ont été pourvus, et qui, en les rendant plus ou moins sensibles aux impressions des objets extérieurs , les font communiquer avec ces mêmes objets d'une manière plus ou moins intime. Pour déterminer la place qu'occupent les quadru- pèdes ovipares dans la chaîne immense des êtres, connoissons donc le nombre et la force de leurs sens. lis out tous reçu celui de la vue. Le plus grand nom- bre de ces animaux ont même des yeux assez saillants et assez gros relativement au volume de leur corps. Habitant, la plupart, les rivages des mers et les bords des fleuves de la zone torride , où le soleil n’est pres- que jamais voilé par les nuages, el où les rayons lu- mineux sont réfléchis par les lames d’eau et le sable des rives, il faut que leurs yeux soient assez forts pour n'être pas altérés et bientôt détruits par les flots de lumière qui les inondent. L’organe de la vue doit donc être assez actif dans les quadrupèdes ovipares : on observe en effet qu'ils aperçoivent les objets de très loin ; d’ailleurs nous remarquerons, dans les yeux de plusieurs de ces animaux, une conformation par- ticulière, qui annonce un organe délicat et sensible : ils ont, presque tous, les yeux garnis d’une mem- brane clignotante, comme ceux des oiseaux ; et la plupart de ces animaux, tels que les crocodiles et les autres lézards, jouissent, ainsi que les chats, de DES QUADRUPÈDES OYIPARES. 29 la faculté de contracter et de dilater leur prunelle de manière à recevoir la quantité de lumière qui leur est nécessaire, ou à empêcher celle qui leur seroit nuisible d’entrer dans leurs yeux!. Par là, ils distin- guent les objets au milieu de l'obscurité des nuits, et lorsque le soleil le plus brillant répand ses rayons : leur organe est très exercé, et d'autant plus délicat qu'il n’est jamais ébloui par une clarté trop vive. Si nous trouvions dans chacun des sens des qua- drupèdes ovipares, la même force que dans celui de la vue, nous pourrions attribuer à ces animaux une grande sensibilité ; mais celui de l’ouie doit être plus foible dans ces quadrupèdes que dans Îles vivipares et dans les oiseaux. En effet, leur oreiile intérieure n’est pas composée de toutes les parties qui servent à la perception des sons dans les animaux les mieux organisés ?; et l’on ne peut pas dire que la simplicité de cet organe est compensée par sa sensibilité, puis- qu'il est en général peu étendu et peu développé. D'ailleurs cette délicatesse pourroit-elle suppléer au défaut des conques extérieures qui ramassent les rayons sonores, comme les miroires ardents réunis- sent les rayons iumineux, et qui augmentent par là le nombre de ceux qui parviennent jusqu’au vérila- ble siége de l’ouie?? Les quadrupèdes ovipares n’ont reçu à la place de ces conques que de petites ouver- tures, qui ne peuvent donner entrée qu’à un très 1. Voyez l'Histoire naturelle et la description du chat, par MM. le comte de Buffon et Daubenton. 2. Voyez dons les Mémoires de l'Académie, de 17758, celui de M. Vicq-d’Azyr sur l'organe de l’ouie des animaux. 3. Voyez Muschenbroëck. Essais de physique. 24 HISTOIRE NATURELLE petit nombre de rayons sonores. On peut donc ima- ciner que l'organe de l’ouie est moins actif dans ces quadrupèdes que dans les vivipares : d’ailleurs la plu- part de ces animaux sont presque toujours muets , ou ne font entendre que des sons rauques, désagréa- bles et confus; il est donc à présumer qu'ils ne re- coivent pas d'impressions bien nettes des divers corps sonores; car l'habitude d'entendre distinctement donne bientôt celle de s'exprimer de même. On ne doit pas non plus regarder leur odorat comme très fin. Les animaux dans lesquels il est le plus fort, ont en général le plus de peine à supporter les odeurs très vives; et lorsqu'ils demeurent trop long-temps exposés aux impressions de ces odeurs exaltées, leur organe s’endurcit, pour ainsi dire, et perd de sa sen- sibilité. Or, le plus grand nombre de quadrupèdes ovipares vivent au milieu de l’odeur infecte des ri- vages vaseux , et des marais remplis de corps orga- nisés en putréfaction ; quelques-uns de ces quadru- pèdes répandent même une odeur, qui devient très forte lorsqu'ils sont rassemblés en troupes. Le siége de l’odorat est aussi très peur apparent dans ces ani- maux, excepté dans le crocodile ; leurs narines sont très peu ouvertes; cependant , comme elles sont les 1. On objectera peut-étre que dans le plus grand nombre de ces animaux, l'organe de la voix n'est point composé des parties qui pa- roisssent les plus nécessaires pour former des sons, et qu’il se refuse entièrement à des tons distincts el à une sorte de langage nettement prononcé; mais c’est une preuve de plus de la foiblesse de leur ouïe ; quelque sensible qu'elle pût être par elle-même, elle se ressentiroit de l'imperfection de l'organe de leur voix. Voyez à ce sujet un Mémoire de M. Vicq-d'Azyr sur la voix des animaux , inséré dans ceux de l'Aca- démie de 1779. DES QUADRUPÈDES OVIPARES. 25 parties extérieures les plus sensibles de ces animaux, et comme les nerfs qui y aboutissent sont d’une gran- deur extraordinaire dans plusieurs de ces quadru- pèdes!, nous regardons l'odorat comme le second de leurs sens. Celui du goût doit en effet être bien plus foible daus ces animaux : il est en raison de la sen- sibilité de l'organe qui en est le siége; et nous ver- rons daus les détails relatifs aux divers quadrupèdes ovipares, qu'en général leur langue est pelite ou enduite d'une humeur visqueuse, et conformée de manière à ne transmettre que difficilement les impres- sions des corps savoureux. À l'égard du toucher, on doit le regarder comme bien obtus dans ces animaux. Presque tous recouverts d’écailles dures, enveloppés dans une couverture os- seuse , ou cachés sous des boucliers solides ils doivent recevoir bien peu d'impressions distinctes par le toucher. Plusieurs ont les doigts réunis de manière à ne pouvoir être appliqués qu'avec peine à la surface des corps, et si quelques lézards ont des doigts très longs et très séparés les uns des autres, le dessous même de ces doigts est le plus souvent garni d’écailles assez épaisses pour Ôôler presque toute sensibilité à celte partie. Les quadrupèdes ovipares présentent donc, à la vérité, un aussi grand nombre de sens que les ani- maux les mieux conformés. Mais, à l'exception de celui de la vue, tous leurs sens sont si foibles, en comparaison de ceux des vivipares, qu'ils doivent recevoir un bien plus petit nombre de sensations, 1. Mémoires pour servir à l'Histoire naturelle des animaux, article de la Tortue de terre de Coromandel, 26 HISTOIRE NATURELLE communiquer moins souvent et moins parfaitement avec les objets extérieurs, être intérieurement émus avec moins de force et de fréquence; et c’est ce qui produit cette froideur d’affections, cette espèce d’a- pathie, cet instinct confus, ces intentions peu déci- dées, que l’on remarque souvent dans plusieurs de ces animaux. La foiblesse de leurs sens suffit peut-être pour mo- difier leur organisation intérieure , pour v modérer la rapidité des mouvements, pour y ralentir le cours des humeurs, pour y diminuer la force des frotte- ments, et par conséquent pour faire décroître cette chaleur interne, qui, née du mouvement et de fa vie, les entretient à son tour; peut-être au contraire cette foiblesse de leurs sens est-elle un effet du peu de chaleur qui anime ces animaux : quoi qu'il en soit, leur sang est moins chaud que celui des vivipares : on n'a pas encore fait, à la vérité, d'observations exactes sur la chaleur naturelle des crocodiles, des grandes tortues, et des autres quadrupèdes ovipares des pays éloignés ; le degré de cette chaleur doit d’ail- leurs varier suivant les espèces, puisqu'elles subsis- tent à différentes latitudes; mais on est bien assuré qu’elle est dans tous les quadrupèdes ovipares infé- rieure de beaucoup à celle des autres quadrupèdes, et surtout à celle des oiseaux; sans celails ne tomberoient point dans un état de torpeur à un degré de froid qui n'engourdit ni les oiseaux, ni les vivipares. Leur sang est d’ailleurs bien moins abondant, Il peut cir- 1. Hasselquist, qui a disséqué un crocodile au Caire en 1751, rap- porte que le sang fleuri et appauvri, ne coula pas en grande quantité de la grande artère, lorsqu'elle fut coupée. D'ailleurs, continue ca DES QUADRUPEDES OVIPARES. D} culer long-temps sans passer par les poumons, puis- qu'on a vu une tortue vivre pendant quatre jours, quoique ses poumons fussent ouverts et coupés en plusieurs endroits, et qu'on eût lié l'artère qui va du cœur à cet organe. Ces poumons paroissent d’ailleurs ne recevoir jamais d'autre sang que celui qui est né- cessaire à leur nourriture 1. Aussi celui des quadru- pèdes ovipares étant moins souvent animé, renouvelé, revivilié, pour ainsi dire, par l'air atmosphérique qui pénètre dans les poumons, il est plus épais; il ne re- çcoit et ne communique que des mouvements plus lents, et souvent presque insensibles ; et il y a long- temps qu'on a reconnu que le sangne coule pas aussi vite dans certains quadrupèdes ovipares, et par exem- ple dans les grenouilles, que dans les autres qua- drupèdes et dans les oiseaux. Les causes internes se réunissent donc aux causes externes pour diminuer l'activité intérieure des quadrupèdes ovipares. Si l’on considère d’ailleurs leur charpente osseuse, on verra qu'elle est plus simple que celle des vivi- pares; plusieurs familles de ces animaux, tels que la plupart des salamandres, ies grenouilles, les crapauds el les raines, sont dépourvues de côtes; les tortues ont, à la vérité, huit vertèbres du cou ; mais, excepté voyageur naturaliste, « les vaisscaux des poumens, ceux des muscles, x el les autres vaisseaux étoient presque vides de sang. La quantité de > ce fluide n'est donc pas en proportion aussi grande dans ie crocodile >» que danslesquadrupèdes : il en est de même dans tous les amphibies. » { Hasselquist comprend tous les quadrupèdes ovipares sous cette déno- mination.) Voyage en Palestine de Frédéric Hasseiquist, de l'Académie des Sciences de Stockholm, page 546. 1. Mémoires pour servir à l'Histoire naturelle des animaux, artiele de la Tortuc de terre de Coromandel. 20 HISTOIRE NATURELLE les crocodiles qui en ont sept, presque tous les lé- zards n’en ont jamais au dessus de quatre , et tous les quadrupèdes ovipares sans queue en sont privés , tandis que parmi les oiseaux on en compte toujours au moins one, el que l’on en trouve sept dans toutes les espèces des quadrupèdes vivipares!. Leur conduit intestinal est bien moins long, bien plus uniforme dans sa grosseur, bien moins replié sur lui-même ; leurs excréments, tant liquides que solides, aboutis- sent à une espèce de cloaque commun? ; et il est as- sez remarquable de trouver dans ces quadrupèdes ce nouveau rapport, non seulement avec les castors, qui passent une très grande partie de leur vie dans l’eau, mais encore avec les oiseaux qui s'élancent dans les airs et s'élèvent jusqu’au dessus des nuées. Le cœur est petit dans tous les quadrupèdes ovi- pares, et n'a qu'un seul ventricule, tandis que dans l'homme, dans les quadrupèdes vivipares, dans les cétacés et dans les oiseaux, il est formé de deux. Leur cerveau est très peu étendu, en comparaison de celui des vivipares : leurs mouvements d'inspira- tion et d'expiration, bien loin d’être fréquents et réguliers , sont souvent suspendus pendant très long- temps, et par des intervalles très inégaux*. Si l’on observe donc les divers principes de leur mouvement 1. Les observations que j'ai faites à ce sujet sur les squelettes de quadrupèdes ovipares , du Cabinet du Roï , s'accordent avec celles que M. Camper a bien voulu me communiquer par une lettre que ce célè- bre anatomiste m'a écrile le 29 août 1786. 2. Les lézards , les grenouilles, les crapauds, ni les raines, n’ont point de vessie proprement dite. 3. Mémoires pour servir à l'Histoire naturelle des animaux, article de la Tortue de terre de Coromandel. DES QUADRUPÈDES OVIPARES. 2ÿ vital, on trouvera une plus grande simplicité, tant dans ces premiers moteurs, que dans les effets qu'ils font naître : on verra les différents ressorts moins multipliés!; on remarquera même, à certains égards, moins de dépendance entre les différentes parties : aussi l’action desunes sur les autres est-elle moindre ; les communications sont-elles moins parfaites ; les mouvements plus lents, les frottements moins forts. Et voilà un bien grand nombre de causes pour rendre ces machines plus uniformes et moins sujettes à se déranger, c'est-à-dire pour qu'il soit plus difhicile d'arrêter dans ces animaux le mouvement vital, dont le principe répandu, en quelque sorte, dans un es- pace plus étendu , ne peut être détruit que lorsqu'il est attaqué dans plusieurs points à la fois. Cette organisation particulière des quadrupèdes ovipares, doit encore être comptée parmi les causes de leur peu de sensibilité; et cette espèce de froi- deur de tempérament n'est-elle pas augmentée par le rapport de leur substance avec l’eau? Non seule- ment, en effet, ils recherchent la lumière active du soleil, par défaut de chaleur intérieure, mais encore ils se plaisent au milieu des terrains fangeux et d’une humidité chaude par analogie de nature. Bien loin de leur être contraire, cette humidité, aidée de la chaleur, sert à leur développement; elle ajoute à leur 1. « Dans plusieurs quadrupèdes ovipares, il paroît qu’il manque » quelques parties dans les organes destinés aux sécrétions , et que ces » dernières doïvent y être opérées d’une manière plus simple. » Obser- vations anatomiques de Gérard Blasius, page 65. Voyez d’ailleurs les Mémoires pour servir à l'Histoire naturelle des animaux, articles de la Tortue de terre, au Crocodiie, du Caméléon, du Tokai (Gecko), et de la Salamandre. 20 HISTOIRE NATURELLE volume, en s'introduisant dans leur organisation, et en devenant portion de leur substance; et ce qui prouve que cette humeur aqueuse, dont ils sont pé- nétrés, n'est pas une vaine bouflissure, un gonfle- ment nuisible, et une cause de dépérissement plutôt que d’un accroissement vérilable , c'est que bien loin de perdre quelqu'une de leurs propriétés, lorsque leur substance est, pour ainsi dire, imbibée de l’hu- midité abondante dans laquelle ils sont plongés , la faculté de se reproduire paroît s’accroître dans ces animaux à mesure qu'ils sont remplis de cetié humi- dité chaude, si analogue à la nature de leur corps. Cette convenance de leur nature avec l'humidité, montre combien leur mouvement vital tient, pour ainsi dire, à plusieurs ressorts assez indépendants les uns des autres : en effet, cette surabondance d’eau est avantageuse aux êtres dans lesquels les mouvements intérieurs peuvent être ralentis sans être arrêtés, dans lesquels la mollesse des substances peut diminuer sans inconvénient la communication des forces, et dont les divers membres ont plus besoin de parties grossières et de molécules qui occupent une place, que de principes actifs et de portions délicatement organisées. Elle cause, au contraire, le dépérissement des êtres pleinement doués de vie, qui existent par une grande rapidité des mouvements intérieurs, par une grande élasticité des diverses parties, par une communicalion prompte de toutes les impressions, et qui ont moins besoin, en quelque sorte, d’être nourris que mis en mouvement, d'être remplis que d’être animés. Voilà pourquoi les espèces des ani- maux les plus nobies dégénèrent bientôt sur ces ri- o DES QUADRUPÈDES OVIPARES. 1 vages nouveaux , où d'immenses forêts arrêtent et condensent les vapeurs de l’air, où des amas énormes de plantes basses et rampantes retiennent sur une vase bourbeuse une humidité que les vents ne peu- vent dissiper, et où le soleil n’élève par sa chaleur une partie de ces vapeurs humides, que pour en imprégner davantage l'atmosphère, la répandre au loin, et en multiplier les pernicieux effets. Les in- sectes, au contraire, craignent si peu l’humidité, que c’est précisément sur les bords fangeux, à peine abandonnés par la mer et toujours plongés dans les flots de vapeurs et de brouillards épais, qu'ils acquie- rent le plus grand volume, et sont parés des couleurs les plus vives. Mais, quoique les quadrupèdes ovipares paroissent être peu favorisés à certains égards, ils sont cepen- dant bien supérieurs à de grands ordres d'animaux; et nous devons les considérer avec d'autant plus d’atten- tion, que leur nature, pour ainsi dire, mi-partie entre celle des plus hautes et des plus basses classes des êtres vivants et organisés, montre les relations d’un srand nombre de faits importants qui ne paroissoient pas analogues, et dont on pourra entrevoir la cause par cela seul qu'on rapprochera ces faits, et qu’on découvrira les rapports qui les lient. Le séjour de tous ces quadrupèdes n’est pas fixé au milieu des eaux. Plusieurs de ces animaux pré- fèrent les terrains secs et élevés; d’autres habitent dans des creux de rochers; ceux-ci vivent au milieu des bois et grimpent avec vitesse jusqu’à l'extrémité des branches les plus hautes : mais presque tous na- geut el plongent avec facilité, et c’est en partie ce 52 HISTOIRE NATURELLE qui les a fait comprendre par plusieurs naturalistes sous la dénomination générale d’Amphibies. 11 n’est cependant aucun de ces quadrupèdes qui n’ait besoin «de venir de temps en temps à la surface de l’eau, dans laquelle il aime à se tenir plongé. Tous les animaux qui ont du sang doivent respirer l'air de l’âätmosphère, et si les poissons peuvent demeurer très long-temps au fond des mers et des rivières, c’est qu'ils ont un organe particulier qui sépare de l’eau tout l'air qu’elle peut contenir. et le fait parvenir jusqu'à leurs vais- seaux sanguins. Les quadrupèdes ovipares sont donc forcés de respirer de temps en temps; l'air pénètre ainsi Jusque dans leurs poumons; il parvient jusqu’à leur sang; if le revivifie, quoique woins fréqueu:- ment que celui des quadrupèdes vivipares, ainsi que nous l'avons dit ; il diminue la trop grande épaisseur de ce fluide et entretient sa circulation. Les quadru- pèdes ovipares périssent donc faute d'air, lorsqu'ils demeurent trop de lemps sous l’eau; ce n’est que dans leur état de torpeur qu'ils paroissent pouvoir se passer pendant très long-temps de respirer, une crande fluidité n'étant pas nécessaire pour le foible mouvement que leur sang doit conserver pendant leur engourdissement. Les quadrupèdes ovipares, moins sensibles que les autres, moins animés par des passions vives, moins agités au dedans, moins agissants à l'extérieur, sont en général beaucoup plus à l’abri des dangers ; ils s’y exposent moins, parce qu'ils ont moins d’appétits violents; et d’ailleurs les accidents sont pour eux moins à craindre. [ls peuvent être privés de parties assez considérables, telles que leur queue et leurs DES QUADRUPÈDES OVIPARES. 59 pattes, sans cependant perdre la vie? ; quelques uns d'eux les recouvrent?. surtout lorsque la chaleur de l'atmosphère en favorise la reproduction; et ce qui paroîtra plus surprenant à ceux qui ne jugent que d'après ce qu'ils ont communément sous les yeux, il est des quadrupèdes ovipares qui peuvent se mou- voir long-temps après qu'on leur a enlevé la partie de leur corps qui paroît la plus nécessaire à la vie; les tortues vivent plusieurs jours après qu’on leur a coupé la tête; les grenouilles ne meurent pas tout de suite, quoiqu’on leur ait arraché le cœur; et, dès le temps d’Aristote, on savoit que quelques moments après qu'on avoit disséqué un caméléon, son cœur palpitoit encore #. Ce grand phénomène ne suffroit- il pas pour démontrer combien les différentes parties des quadrupèdes ovipares dépendent peu les unes des autres? Il prouve non seulement que leur sys- ième nerveux n’est pas aussi lié que celui des autres 1. Pline, livre [E, chap. 5. — Voyez aussi l'article des Salamandres à queue plate. L'on conserve au Cabinet du Roï un grand lézard , de l'espèce ap- pelée Dragonne, auquel il manque une patte ; il paroît qu'il l’avoit perdue par quelque accident, lorsqu'il étoit déjà assez gros; car la cicatrice qui s'est formée est considérable. C’est M. de la Borde , méde- cin du roi à Cayenne, et correspondant du Cabinet du Roi, qui l'a envoyé. Il a rencontré , dans l'Amérique méridionale, un lézard d’une autre espèce, et n'ayant également que trois pattes. Il en fait mention dans un recueil d'observations nouvelles et très intéressantes, qu'il se propose de publier sur l'Histoire naturelle de l'Amérique méridionale. 2. Voyez deux mémoires de M. Bonnet, publiés dans le Journal de Physique, l'un en novembre 1777, et l’autre en janvier 1779. 3. Voyez l’article de la Tortue, appelée la Grecque. 4. Courad Gesner, Hist. des animaux, liv, IL, des Quadrup. ovip., p. », édit. de 1554. 94 HISTOIRE NATURELLE quadrupèdes , puisqu'on peut séparer les nerfs de la tête de ceux qui prennent racine dans la moelle épi- nière, sans que l'animal meure tout de suite, ni même paroisse beaucoup souffrir dans les premiers moments; mais ne démontre-t-il pas encore que leurs vaisseaux sanguins ne communiquent pas entre eux autant que ceux des autres quadrupèdes , puisque sans cela tout le sang s’échapperoit par les endroits où les artères auroient élé coupées; et l’animal res- teroit sans mouvement et sans vie ? Ceci s'accorde très bien avec la lenteur et la froideur du sang des qua- drupèdes ovipares ; et il ne faut pas être étonné que non seulement ils ne perdent pas la vie au moment que leur tête est séparée de leur corps, mais encore qu'ils vivent plusieurs jours sans l’organe qui leur est nécessaire pour prendre leurs aliments. Ils peu- vent se passer de manger pendant un temps très long; on a vu même des tortues et des crocodiles demeurer plus d’un an privés de toute nourriture. La plupart de ces animaux sont revêtus d’écailles ou d’enveloppes osseuses, qui ne laissent passer la transpiration que dans un petit ombre de points : ayant d’ailleurs le sang plus froid , ils perdent moins de ieur substance, et par conséquent ils doivent moins la réparer. Ani- més par une moindre chaleur, ils n'éprouvent pas celle grande dessiccation, qui devient une soif ar- dente dans certains animaux ; ils n’ont pas besoin de rafraîchir, par une boisson très abondante, des vais- seaux intérieurs, qui ne sont jamais trop échauflés. Pline et les anciens avoient reconnu que les animaux 1. Voyez les articles particuliers de leur histoire. pe DES QUADRUPÈDES OVIPARES. 6) qui ne suent point, et qui ne possèdent pas une grande chaleur intérieure, mangent très peu. En effet , la perte des forces n'est-elle pas toujours pro- portionnée aux résistances? les résistances ne le sont- elles pas aux frottements ; les frottements à la rapi- dité des mouvements; et cette rapidité ne lest-elle pas toujours à la chaleur intérieure ? Mais si les quadrupèdes ovipares résistent avec fa- cilité à des coups qui ne portent que sur certains points de leur corps, à des chocs locaux, à des lé- sions particulières, ils succombent bientôt aux efforts des causes extérieures, énergiques et constantes qui les attaquent dans tout leur ensemble; ilsne peuvent point leur opposer des forces intérieures assez acti- ves : et comme la cause la plus contraire à une foible chaleur interne, est un froid extérieur plus ou moins rigoureux, il n'est pas surprenant que les quadrupè- des ovipares ne puissent résister aux effets d’une at- mosphère plutôt froide que tempérée. Voilà pourquoi on ne rencontre la plupart des tortues de mer, les crocodiles , et les autres grandes espèces de quadru- pèdes ovipares, que près des zones torrides, où du moins à des latitudes peu élevées, tant dans Pancien que dans le nouveau continent; et non seulement ces grandes espèces sont confinées aux environs de la zone torride , mais encore à mesure que les indi- vidus et les variétés d’une même espèce habitent un pays plus éloigné de l'équateur, plus élevé ou plus humide, et par conséquent plus froid, leurs dimen- sions sont beaucoup plus pelites!. Les crocodiles des :. Les plus gros crocodiles, et le plus grand nombre de ces ani- 56 HISTOIRE NATURELLE contrées les plus chandes l’emportent sur les autres par leur grandeur et par leur nombre; et si ceux qui vivent très près de la ligne, sont quelquefois moins grands que ceux que l’on trouve à des latitudes plus élevées, comme on le remarque en Amérique, c'est qu'ils sont dans des pays plus peuplés, où on leur fait une guerre plus cruelle, et où ils ne trouvent ni la paix ni la nourriture, sans lesquelles ils ne peuvent parvenir à leur entier accroissement. La chaleur de l’atmosphère est même si nécessaire aux quadrupèdes ovipares, que lorsque le retour des saisons réduit les pays voisins des zones torrides, à la froide température des contrées beaucoup plus élevées en latitude, les quadrupèdes ovipares perdent ieur activité ; leurs sens s’émoussent ; la chaleur de leur sang diminue; leurs forces s’affoiblissent , 1ls s’'empressent de gagner des retraites obscures, des antres dans les rochers, des trous dans la vase, ou des abris dans les joncs et les autres végétaux qui bor- dent les grands fleuves. Ils cherchent à y jouir d’une température moins froide, et à y conserver, pendant quelques moments, un reste de chaleur prèt à leur échapper. Mais le froid croissant toujours, et gagnant de proche en proche, se fait bieniôt sentir dans leurs retraites, qu'ils paroïissent choisir au milieu de bois écartés, ou sur des bords inaccessibles, pour se dé- réber aux recherches et à la voracité de leurs enne- mis pendant le temps de leur sopeur, où ils ne leur offriroient qu’une masse sans défense et un appât sans danger. Ils s'endorment d’un sommeil profond; ils maux , habitent la zone torride. Catesby, Histoire naturelle de la Caro- line, volume Il, page 65. DES QUADRUPÈDES OVIPARES. 07 tombent dans un état de mort apparente ; et cette torpeur est si grande qu'ils ne peuvent être réveillés par aucun bruit, par aucune secousse, ni même par des blessures : ils passent inertement la saison de l'hiver dans cette espèce d’insensibilité absolue où ils ne conservent de l’animal que la forme, et seulement assez de mouvement intérieur pour éviter la décom- position à laquelle sont soumises toutes les substances organisées réduites à un repos absolu. Ils ne donnent que quelques foibles marques du mouvement qui reste encore à leur sang, mais qui est d'autant plus lent, que souvent il n’est animé par aucune expira- tion ni inspiration. Ce qui le prouve, c’est qu’on trouve presque toujours les quadrupèdes ovipares en- gourdis dans la vase, et cachés dans des creux le long des rivages où les eaux les gagnent et les surmontent souvent, où ils sont par conséquent beaucoup de temps sans pouvoir respirer, et où ils reviennent ce- pendant à la vie dès que la chaleur du printemps se fait de nouveau ressentir. Les quadrupèdes ovipares ne sont pas les seuls animaux qui s’engourdissent pendant l'hiver aux la- titudes ua peu élevées : les serpents, les crustacées, sont également sujets à s’engourdir; des animaux bien plus parfaits tombent aussi dans une torpeur annuelle, tels que les marmottes, les loirs, les chau- ves-souris, les hérissons , etc. Mais ces derniers ani- maux ne doivent pas éprouver une sopeur aussi pro- fonde. Plus sensibles que les quadrupèdes ovipares, que les serpents et les crustacées, ils doivent conser- ver plus de vie intérieure; quelque engourdis qu'ils soient , ils ne cessent de respirer, et cette action, LACÉPEDE, II, 3 sh HISTOIRE NATURELLE quoique afloiblie, n’augmente-t-elle pas toujours leurs mouvements intérieurs ? Si, pendant l'hiver, il survient un peu de chaleur, les quadrupèdes ovipares sont plus ou moins tirés de leur état de sopeur!; et voilà pourquoi des voya- seurs, qui pendant des journées douces de l'hiver ont rencontré dans certains pays des crocodiles, et d’autres quadrupèdes ovipares, doués de presque toute leur activité ordinaire, ont assuré, quoique à tort, qu'ils ne s’y engourdissoient point. Îls peuvent aussi être préservés quelquefois de cet engourdisse- ment annuel par la nature de leurs aliments. Une nourriture plus échauffante et plus substantielle aug- mente la force de leurs solides, la quantité de leur sang, l’activité de leurs humeurs, et leur donne ainsi assez de chaleur interne pour compenser le défaut de chaleur extérieure. Îl arrive souvent que les qua- drupèdes ovipares sont dans cet état de mort appa- rente pendant près de six mois, et même davantage: ce long temps n'empêche pas que leurs facultés sus- pendues ne reprennent leur activité. Nous verrons dans l’histoire des salamandres aquatiques qu'on a quelquefois trouvé de ces animaux engourdis dans des morceaux de glace Lirés des glacières pendant l'été, et dans lesquels ils étoient enfermés depuis plusieurs mois; lorsque la glace étoit fondue, et que les salamandres étoient pénétrées d’une douce cha- leur, elles revenoient à Ia vie. Mais, comme tout a un terme dans la nature, si ie froid devenoit trop rigoureux ou duroit trop long- 1. Observations sur le crocodile de la Louisiane , par M. de la Cou- drenière. Journal de Physique , 1782. DES QUADRUPÈDES OVIPARES. 39 temps, les quadrupèdes ovipares engourdis périroient: la machine animale ne peut en effet conserver qu’un certain temps les mouvements intérieurs qui lui ont été communiqués. Non seulement une nouvelle nour- riture doit réparer la perte de la substance qui se dissipe ; mais ne faut-il pas encore que le mouvement intérieur soit renouvelé, pour ainsi dire, par des se- cousses extérieures, et que des sensations nouvelles remontent tous les ressorts ? La masse totale du corps des quadrupèdes ovipares ne perd aucune partie très sensible de substance pen- dant leur longue torpeurf: mais les portions les plus 1. « Le 7 octobre 1651, M. le chevalier Georges Ent pesa exacte- » ment une tortue terrestre, avant qu'elle ne se cachât sous terre. Son » poids étoit de quatre livres trois onces et trois drachmes. Le 8 octo- » bre 1652, ayant tiré la tortue de la terre où elle s’étoit enfouie la » veille , il trouva qu’elle pesoït quatre livres six onces et une drachmeé, » Le 16 mars 1653, la tortue sortit d'elle-même de sa retraite : elle » pesoil alors quatre livres quatre onces. Le 4 octobre 1655, la tortue, » qui avoit été quelques jours sans manger, fut retirée du trou où » elle s’étoit enterrée; son poids étoit de quatre livres cinq onces. Les » yeux, qu'elle avoit eus long-temps fermés, étoient dans ce moment » ouverts et fort humides. Le 18 mars 1654, la tortue sortit de son »trou, et mise dans la balance, pesoit quatre livres quatre onces et » deux drachmes. Le 6 octobre 1654, étant sur le peint d’hiverner, » elle pesoit quatre livres neuf onces et troïs draclimes. Le dernier » février 1655, jour auquel la tortue avoit abandonné sa retraite, son » poids étoit de quatre livres sept onces et six drachmes. Ainsi elle » avoit perdu de son ancien poids une once et cinq drachmes. Le » 2 octobre 1655, la tortue, avant de se retirer dans son trou pour » y passer l'hiver, pesoït quatre livres neuf onces. Elle avoit déjà passé » un peu de temps sans prendre de nourriture. Le 25 mars 1656, la » tortue, au sortir de son trou, pesoit quatre livres sept onces et deux » drachmes. Le 30 septembre 1656, la tortue, sur le point de se reti- » rer dans la terre, pesoitquatrelivres douze onces et quatre drachmes, » Enfin, le 5 mars 1657, la tortue, de retour sur la terre, pesoit 40 HISTOIRE NATURELLE extérieures, plus soumises à l’action desséchante du froid , et plus éloignées du centre du foible mouve- ment interne qui reste alors aux quadrupèdes ovi- pares, subissent une sorte d’altération dans la plupart de ces animaux. Lorsque cette couverture la plus extérieure de ces quadrupèdes n'est pas une partie osseuse et très solide, comme dans les tortues et dans les crocodiles, elle se dessèche, perd son orga- nisation, ne peut plus être unie avec Île reste du corps organisé , et ne parlicipe plus ni à ses mouvements internes , ni à sa nourriture. Lors donc que le prin- temps redonne le mouvement aux quadrupèdes ovi- pares, la première peau, soit nue, soit garnie d’é- cailies, ne fait plus partie en quelque sorte du corps animé; elle n’est plus pour ce corps qu’une substance étrangère; elle est repoussée, pour ainsi dire, par des mouvements intérieurs qu'elle ne partage plus. La novrriture qui en entretenoit la substance se porte cépendant comme à l'ordinaire vers la surface du corps ;-mais au lieu de réparer une peau qui n’a pres- que plus de communication avec l’intérieur , elle en forme une nouvelle qui ne cesse de s’accroitre au dessous de l’ancienne. Tous ces efforts détachent peu à peu cette vieille peau du corps de l'animal , achè- vent d’ôter toute liaison entre les parties intérieures et cette peau altérée, qui, de plus en plus privée de » quatre livres on2e onces et deux drachmes et demie. On peut juger, » par ces observations, combien cet animal, ainsi que tous ceux qui » se cachent sous terre, pour se garantir des froids de l'hiver, per- » dent peu de leur substance par la transpiration, pendant un jeûne » absolu de plusieurs mois. » (Collection académique, tome VII, pages 120 et 121.) DES QUADRUPÈDES OVIPARES. 43 toute réparation, devient plus soumise aux causes étrangères qui tendent à la décomposer. Attaquée ainsi des deux côtés, elle cède, se fend; et l’animal revêtu d’une peau nouvelle sort de cette espèce de fourreau, qui n'étoit plus pour lui qu'un corps em- barrassant. C’est ainsi que le dépouillement annuel des qua- drupèdes ovipares nous paroît devoir s’opérer; mais il n’est pas seulement produit par lengourdissement. Ils quittent également leur première peau dans les pays où une température plus chaude les garantit du sommeil de lhiver. Quelques uns la quittent aussi plusieurs fois pendant l'été des contrées tempérées ; le mème effet est produit par des causes opposées; la chaleur de l’atmosphère équivaut au froid et au dé- faut de mouvement ; elle dessèche également la peau, en dérange le tissu, et en détruit l’organisation. 1. La note suivante m'a été communiquée par M. de Touchy, écuyer, de la Société royale des Sciences de Montpellier, etc. ; elle est extraite d’un ouvrage que ce naturaliste se propose de publier, et qui sera intitulé : Mémoire pour servir à l'Histoire des fonctions de l’éco- nomie animale des oiseaux. « Je pris, le 4 maï 1785, dit M. de Touchy, » un lézard vert à taches jaunes et bleuâtres, et de dix pouces de long: > je le mis vivant dans une bouteille couverte d’une toile à jour, et » posée sur une lable de marbre dans une salle fraîche au rez-de-chaus- » sée; ce lézard vécut deux moïs dans cette espèce de prison , sans » preudre aucune nourriture. Les premiers jours, il fit des efforts » pour en sortir, mais il fut assez tranquille le reste du temps. Vers le » quarante-cinquième jour, je m’aperçus qu'il se disposoit à changer » de peau. et successivement je vis cette peau se sécher, se racor- » nir, se détacher par parties fanées et décolorées, pendant que la » nouvelle peau qui se découvroit avoit une belle couleur verte avec » des taches bien nettes. Il mourut le soixante-troisième jour, sans » avoir achevé de muer, la vieille peau étant encore attachée sur la - tête , les pattes et la queue, Pendant Le temps de la mue et celui qui 2 HISTOIRE NATURELLE Des animaux d'ordres très différents des quadru- pèdes ovipares éprouvent aussi chaque année, et même à plusieurs époques, une espèce de dépouil- lement : ils perdent quelques unes de leurs parties extérieures; on peut particulièrement le remarquer dans les serpents, dans certains animaux à poils, et dans les oiseaux; les insectes et les végétaux ne sont- ils pas sujets aussi à une sorte de mue? Dans quel- ques êtres qu'on remarque ces grands changements, on doit les rapporter à la même cause générale. fl faut toujours les attribuer au défaut d'équilibre entre les mouvements intérieurs et Îles causes externes : lorsque ces dernières sont supérieures, elles altèrent et dépouillent ; et lorsque le principe vital l'emporte, il répare et renouvelle. Mais cet équilibre peut être rompu de mille et mille manières, et les effets qui en résultent sont diversifiés suivant la nature des êtres organisés qui les éprouvent. Îl en est donc de cette propriété de se dépouiller, ainsi que de toutes les autres propriétés et de toutes les formes que la nature distribue aux différentes es- pèces, et combine de toutes les manières, comme si elle vouloit en tout épuiser toutes les modifica- » le précéda, il re fut jamais dans un état de torpeur ; il marchoit » dans sa bouteilie, lorsqu'on la prenoït dans les mains, et même » sans cela et de lui-même ; je lui vis quelquefois les yeux fermés, » mais il les rouvroit bientôt, et avec vivacité. IL étoit à demi arrondi » dans cette bouteille, dont le cul un peu relevé devoit ajouter à la » gêne de sa position. Il avoit certainement mué avant d’être pris, » comme font tous les lézards et les serpents, lorsque la chaleur du » printemps les fait sortir de leurs retraites. La fraîcheur de ses eou- » leurs et la délicatesse de sa peau me l’avoient prouvé lorsque je le » pris. » DES QUADRUPÉDES OVIPARES. 45 tions. C’est souvent parce que nos connoissances sont bornées, que l'imagination la plus bizarre nous paroît allier des qualités et des formes qui ne doivent pas se trouver ensemble, En étudiant avec soin la nature, non seulement dans ses grandes productions, mais encore dans cette foule immense de petits êtres, où il semble que la diversité des figures extérieures ou internes, et par conséquent celle des habitudes ont pu être plus facilement imprimées à des masses moins considérables, l’on trouveroit des êtres natu- rels, dont les produits de l'imagination ne seroient souvent que des copies. Îl y aura cependant toujours une grande différence entre les originaux et ces co- pies plus ou moins fidèles : l'imagination, en assem- blant des formes et des qualités disparates, ne pré- pare pas à cette réunion extraordinaire; elle n’emploie pas cette dégradation successive de nuances diversi- fiées à l’infini qui peuvent rapprocher les objets les plus éloignés, et qui en décelant la vraie puissance créatrice , sont le sceau dont la nature marque ses ouvrages durables , et les distingue des productions passagères de la vaine imagination. Lorsque les quadrupèdes ovipares quittent leurs vieilles couvertures , leur nouvelle peau est souvent encore assez molle pour les rendre plus sensibles au choc des objets extérieurs : aussi sont-iis plus timi- des, plus réservés, pour ainsi dire, dans leur dé- marche, et se tiennent-ils cachés autant qu'ils le peuvent, jusqu’à ce que cette nouvelle peau ait été fortifiée par de nouveaux sucs nourriciers et endurcie par les impressions de l’atmosphère. Les habitudes des quadrupèdes ovipares sont en â{ HISTOIRE NATURELLE général assez douces : leur caractère est sans féro- cité; si quelques-uns d'eux, comme les crocodiles, détruisent beaucoup, c’est parce qu'ils ont une grande masse à entretenir !; mais ce n’est que dans les articles particuliers de cette Histoire que nous pourrons mon- trer comment ces mœurs générales et communes à tous les quadrupèdes ovipares, sont plus ou moins diversifiées dans chaque espèce, par leur organisation particulière , et par les circonstances de leur vie. Nous verrons, par exemple, les uns se nourrir de poissons, les autres donner la chasse de préférence aux animaux qui rampent sur Ja terre, aux petits qua- drupèdes, aux oiseaux même qu'ils peuvent atteindre sur les branches des arbres ; ceux-ci se nourrir uni- quement des insectes qui bourdonnent dans l’atmo- sphère ; ceux-là ne vivre que d'herbe, et ne choisir que les plantes parfumées, tant la nature sait varier les moyens de subsistance dans toutes les classes, et tant elle les a toutes liées par un grand nombre de rapports. La chaîne presque infinie des êtres, au lieu de se prolonger d’un seul côté, et de ne suivre, pour ainsi dire, qu'une ligne droite, revient donc sans cesse sur elle-même, s'étend dans tous les sens, s’é- lève, s’abaisse, se replie, et par les différents contours qu'elle décrit, les diverses sinuosités qu'elle forme , les divers endroits où elle se réunit, ne représente-t- elle pas une sorte de solide, dont toutes les parties s'enlacent et se lient étroitement , où rien ne pour- roit être divisé sans détruire l’ensemble, où l’on ne reconnoît ni premier ni dernier chaînon , et où même y. Voyez particulièrement l'Histoire des Crocodiles. LA DES QUADRUPÈDES OVIPARES. 45 l’on n’entrevoit pas comment la nature a pu former ce tissu aussi immense que merveilleux ? Les quadrupèdes ovipares sont souvent réunis en grandes troupes; l’on ne doit cependant pas dire qu'ils forment une vraie société. Qu'est-ce en effet qui résulte de leur attroupement? aucun ouvrage, aucune chasse , aucune guerre, qui paroissent con- certés. Ils ne construisent jamais d'asile ; et lorsqu'ils en choisissent sur des rivages, dans des rochers, dans le creux des arbres, etc., ce n’est point une habitation commode qu'ils préparent pour un certain nombre d'individus réunis , et qu'ils tâchent d’appro- prier à leurs différents besoins; mais c'est une retraite purement individuelle , où ils ne veulent que se ca- cher, à laquelle ils ne changent rien, et qu'ils adop- tent également, soit qu’elle ne suffise que pour un seul animal, ou soit qu'elle ait assez d'étendue pour recéler plusieurs de ces quadrupèdes. Si quelques uns chassent ou pêchent ensemble, c'est qu'ils sont également attirés par le même appt; s'ils attaquent à la fois, c’est parce qu'ils ont la même proie à leur portée; s'ils se défendent en commun, c'est parce qu'ils sont attaqués en même temps ; et si quelqu'un d'eux a jamais pu sauver la troupe en- tière , en l’avertissant par ses cris de quelque embû- che , ce n’est point, comme on l’a dit des singes et de quelques autres quadrupèdes, parce qu'ils avoienit été, pour ainsi dire, chargés du soin de veiller à la sûreté commune, mais seulement par un effet de la crainte que l'on retrouve dans presque tous les ani- maux, et qui les rend sans cesse attentifs à leur con- servation individuelle. 46 HISTOIRE NATURELLE Quoique les quadrupèdes ovipares'paroissent moins sensibles que les autres quadrupèdes, ils n’en éprou- vent pas moins, au retour du printemps, le senti- ment impérieux de l'amour, qui, dans la plupart des animaux , donne tant de force aux plus foibles, tant d'activité aux plus lents, tant de courage aux plus lâches. Malgré le silence habituel de plusieurs de ces quadrupèdes, ils ont presque tous des sons particu- liers pour exprimer leurs désirs. Le mâle appelle sa femelle par un cri expressif, auquel elle répond par un accent semblable. L'amour n'est peut-être pour eux qu'une flamme légère, qu'ils ne ressentent ja- mais très vivement, comme si les humeurs, dont leur corps abonde, les garantissoient de cette chaleur in- térieure et productrice, qu’on a comparée avec plus de raison qu’on ne le pense à un véritable feu, et qui est de même amortie ou tempérée par tout ce qui tient au froid élément de l’eau. Il semble cependant que la nature a voulu suppléer dans le plus grand nombre de ces quadrupèdes , à l’activité intérieure qui leur manque, par une conformation des plus pro- pres aux jouissances de l'amour. Les parties sexuelles des mâles sont toujours renfermées dans l'intérieur de leur corps jusqu'au moment où ils s’accouplent avec leurs femelles! ; la chaleur interne, qui ne cesse de pénétrer les organes destinés à perpétuer leur es- pèce, doit ajouter à la vivacité des sensations qu'ils 1. C’est par l'anus que les mâles des lézards et des tortues font sor- tir et introduisent leurs parties sexuelles, et que ceux des grenouilles, des crapauds et des raines, répandent leur liqueur fécondante sur les œufs que pondent leurs femelles , ainsi que nous le verrons dans les articles particuliers de leur histoire. DES QUADRUPÈDES OVIPARES. 47 éprouvent ; et d’ailleurs ce n’est pas pendant des in- stants très courts, comme la plupart des animaux, que les tortues marines, et plusieurs autres quadru- pèdes ovipares communiquent et reçoivent la flamme qu'ils peuvent ressentir : c’est pendant plusieurs jours que dure l'union intime du mâle et de la femelle, sans qu'ils puissent être séparés par aucune crainte, ni même par des blessures profondes!. Les quadrupèdes ovipares sont aussi féconds que leur union est quelquefois prolongée. Parmi les vivi- pares , les plus petites espèces sont en général celles dont les portées sont les plus nombreuses; cette loi constante pour tous ces animaux ne s'étend pas jusque sur les quadrupèdes ovipares, dans lesquels sa force est yaincue par la nature de leur organisation. Il pa- roit même que les grandes espèces de ces derniers quadrupèdes sont quelquefois bien plus fécondes que les petites, comme on pourra le voir dans l’histoire des tortues marines, etc. Mais si les quadrupèdes ovipares semblent éprou- ver assez vivement l'amour, ils ne ressentent pas de même la tendresse paternelle. Ils abandonnent leurs œufs après Îles avoir pondus; la plupart, à la vérité, choisissent la place où ils les déposent ; quelques uns, plus attentifs, la préparent et l'arrangent ; ils creusent mème des trous où ils les renferment, et où ils les couvrent de sable et de feuillages : mais que sont tous ces soins en comparaison de l'attention vi- gilante dont les petits qui doivent éclore sont l'objet dans plusieurs espèces d'oiseaux? et l’on ne peut pas 1. Voyez l'article de la Tortue franche. 46 HISTOIRE NATURELLE dire que la conformation de la plupart de ces animaux pe leur perniet pas de transporter et de mettre en œuvre des matériaux nécessaires pour construire une espèce de nid plus parfait que les trous qu’ils creu- sent, elc. Les cinq doigts longs et séparés qu'ont la plupart des quadrupèdes ovipares, leurs quatre pieds, leur gueule et leur queue , ne leur donneroient-ils pas en effet plus de moyens pour y parvenir, que deux pattes et un bec n’en donnent aux oiseaux? La grosseur de leurs œufs varie, suivant les espèces, beaucoup plus que dans ces derniers animanx ; ceux des très petits quadrupèdes ovipares ont à peine une demi-ligne de diamètre, tandis que les œufs des plus grands ont de deux à trois pouces de longueur. Les embryons qu’ils contiennent se réunissent quelque- fois avant d’y être renfermés, de manière à produire des monstruosités, ainsi que dans les oiseaux. On trouve dans Séba la figure d’une petite tortue à deux têtes, et l’on conserve au Cabinet du Roi un très petit lézard vert qui a deux têtes et deux cous bien distincts 1. L’enveloppe des œufs des quadrupèdes ovipares n’est pas la même dans toutes les espèces; dans pres- que toutes, et particulièrement dans plusieurs tor- tues, elle est souple, molle, et semblable à du par- chemin mouillé; mais, dans les crocodiles et dans quelques grands lézards, elle est d’une substance dure et crétacée comme les œufs des oiseaux, plus mince cependant, et par conséquent plus fragile. 1. Il a été envoyé par M. le duc de La Rochefoucault, qui ne cesse de douner des preuves de ses lumières et de son zèle pour l’avance- ment des sciences. à DES QUADRUPÈDES OVIPARES. 49 Les œufs des quadrupèdes ovipares ne sont done pas couvés par la femelle. L’ardeur du soleil et de l'atmosphère les fait éclore, et l'on doit remarquer que tandis que ces quadrupèdes ont besoin pour subsister d’une plus grande chaleur que les oiseaux, leurs œufs cependant éclosent à une température plus froide que ceux de ces derniers animaux. Îl semble que les machines animales les plus composées, et, par exemple, celle des oiseaux, ne peuvent être mises en mouvement que par une chaleur extérieure très active ; mais que lorsqu'elles jouent, les frottements de leurs diverses parties produisent une chaleur in- terne, qui rend celle de l'atmosphère moins néces- saire pour la conservation de leur mouvement. Les petits des quadrupèdes ovipares ne connois- sent donc jamais leur mère ; ils n'en reçoivent jamais ni nourriture, ni soins, ni secours, ni éducation ; ils ne voient, ils n'entendent rien qu'ils puissent imiter ; le besoin ne leur arrache pas long-temps des cris, qui n’étant point entendus de leur mère, se perdroient dans les airs, et ne leur procureroient ni assistance ni nourriture; jamais la tendresse ne répond à ces cris; et jamais il ne s'établit parmi les quadrupèdes ovipares ce commencement d’une sorte de langage si bien senti dans plusieurs autres animaux ; ils sont donc privés du plus grand moyen de s’avertir de leurs différentes sensations, et d’exercer une sensibilité qui auroit pu s'accroître par une plus grande com- munication de leurs affections mutuelles. Mais si leur sensibilité ne peut être augmentée, leur naturel est souvent modifié: On est parvenu à 50 HISTOIRE NATURELLE apprivoiser les crocodiles, qui cependant sont les plus grands, les plus forts, et les plus dangereux de ces animaux; ét à l'égard des petits quadrupèdes ovi- pares, la plupart cherchent une retraite autour de nos habitations; certains de ces animaux partagent même nos demeures, où ils trouvent en plus grande abondance les insectes dont ils font leur proie; et tandis que nous recherchons les uns, tels que les petites espèces de tortues, tandis que nous les appor- tons dans nos jardins, où ils sont soignés, protégés et nourris, d'autres, tels que les lézards gris, présentent quelquefois une sorte de domesticité, moins parfaite, mais plus libre, puisqu'elle est entièrement de leur choix; plus utile, parce qu'ils détruisent plus d’in- sectes nuisibles; et, pour ainsi dire, plus noble, puisqu'ils ne reçoivent de l’homme ni nourriture pré- parée, ni retraite particulière. Presque tous les quadrupèdes ovipares répandent une odeur forte, qui ne diffère pas beaucoup de celle du musc, mais qui est moins agréable, et qui par conséquent ressemble un peu à celle qu'exhalent des animaux d'ordres bien différents, tels que les ser- pents, les fouines, les belettes , les putois, les mouf- fetes d'Amérique , plusieurs oiseaux, tels que la huppe, etc.; cette odeur plus ou moins vive est le produit de sécrétions particulières, dont l'organe est très apparent dans quelques quadrupèdes ovipares, et particulièrement dans le crocodile, ainsi que nous le verrons dans les détails de cette histoire. Les quadrupèdes ovipares vivent en général très long-temps. On ne peut guère douter, par exemple, DES QUADRUPÈDES OVIPARES. 51 que les grandes tortues de mer ne parviennent, ainsi que celles d’eau douce et de terre, à un âge très avancé; et une très longue vie ne doit pas étonner dans ces animaux, dont le sang est peu échauffé, qui transpirent à peine, qui peuvent se passer de nourriture pendant plusieurs mois, qui ont si peu d'accidents à craindre, et qui réparent si aisément les pertes qu’ils éprouvent. D'ailleurs ils vivent pen- dant un bien plus grand nombre d'années que les quadrupèdes vivipares, si l’on ne calcule l'existence que par la durée. Mais si l’on veut compter les vrais moments de leur vie, les seuls que l’on doive estimer, ceux où ils usent de leur force et font usage de leurs facultés, on verra que lorsqu'ils habitent un payséloi- gné de la ligne, leur vie est bien courte, quoiqu'elle paroisse renfermer un grand espace de temps. En- gourdis pendant près de six mois, il faut d’abord retrancher la moitié de ieurs nombreuses années; et pendant le reste de ces ans, qui paroissent leur avoir été prodigués, combien ne faut-il pas ôter de jours pour ce temps de maladie , où, dépouillés de leur pre- mière peau, ils sont obligés d'attendre dans nne re- traite qu’une nouvelle couverture les mette à labri des dangers! Combien ne faut-il pas ôter d’instants pour ce sommeil Journalier, auquel ils sont plus su- jets que plusieurs autres animaux, parce qu’ils recoi- vent moins de sensations qui les réveillent, et sur- tout parce qu'ils sont moins pressés par l’aiguillon de Ja faim! [1 ne restera donc qu'un très petit nombre d'années où les quadrupèdes oviparés soient réelle- ment sensibles et actifs, où ils emploient leurs forces, 52 HISTOIRE NATURELLE où ils usent leur machine, où ils tendent avec rapi- dité vers leur dépérissement. Pendant tout le temps de leur sopeur, inaccessibles à toute impression, froids, immobiles, et presque inanimés, ils sont en quelque sorte réduits à l’état des matières brutes, dont la durée est très longue parce que le temps n’est pour ces substances qu'une succession d'états passifs et de positions inertes sans effets productifs, et par conséquent sans causes intérieures de destruction , bien loin de pouvoir être compté par de vives jouis- sances, et par les effets féconds qui déploient mais usent tous les ressorts des êtres animés. Plusieurs voyageurs ont écrit que quelques lézards et quelques quadrupèdes ovipares sans queue ren- ferment un poison plus ou moins actif. Nous verrons dans les articles particuliers de cette histoire, que l’on ne peut regarder comme venimeux qu'un très petit nombre de ces quadrupèdes. D'un autre côté, l’on sait qu'aucun quadrupède vivipare et qu'aucun oiseau ne sont infectés de venin; ce n’est que parmi les serpents, les poissons, les vers, les insectes et les végélaux que l’on rencontre plusieurs espèces plus ou moins venimeuses. Il sembleroit donc que l’abon- dance des sucs mortels est d'autant plus grande dans les êtres vivants, que leurs humeurs sont moins échauffées, et que leur organisation intérieure est plus simple. Maintenant nous allons examiner de plus près les divers quadrupèdes ovipares dont nous avons re- marqué les qualités communes et observé les attri- buts généraux. Nous commencerons par les diverses DES QUADRUPÈDES O VIPARES. 55 espèces de tortues de mer, d’eau douce et de terre; nous considérerons ensuite les crocodiles et les dif- férents lézards, dont les espèces les plus petites , et particulièrement celles des salamandres, ont tant de rapports avec les grenouilles et les autres familles de quadrupèdes ovipares qui n’ont pas de queue, et par l'histoire desquels nous terminerons celle de tous ces animaux. Nous ne nous arrêterons cependant beau- coup qu’à ceux qui, par la singularité de leur con- formation , l'étendue de leur volume, la grandeur de leur puissance, la prééminence de leurs qualités, mérileront un plus grand intérêt et une attention plus marquée ; pour parvenir à peindre la nature, tâchons de l’imiter; et de même que les espèces distinguées paroissent avoir été les objets de sa prédilection, qu'elles soient ceux de notre attention particulière , comme réfléchissant vers nous plus de lumière, et comme en répandant davantage sur tout ce qui les environne. Et lorsqu'il s'agira de tracer les limites qui séparent les espèces les unes des autres, lorsque nous serons indécis sur la valeur des carac- tères qui se présenteront, nous aimerons mieux ne compter qu'une espèce que d'en admettre deux, bien assurés que les individus ne coûtent rien à la nature, mais que, malgré son immense fécondité, elle n’a point prodigué inutilement les espèces. Ses effets sont sans nombre, mais non pas les causes qu'elle fait agir. Nous croirons donc mal représenter l’auguste simplicité de son plan , et mal parler de sa force, en lui rapportant sans raison une vaine multiplication d'espèces ; nous pensons, au contraire, mieux révéler sa puissance, en disant que toutes ces différences qui LACÉPEDE, II, 4 54 HISTOIRE NATURELLE DES QUADRUP. OVIPARES. font la magnificence de l'univers , que toutes ces va- riétés qui l'embellissent, elle les a souvent produites en modifiant de diverses manières les espèces réel- lement distinctes. Bien loin d'enrichir la science , ne l’appauvrissons pas; ne la rabaissons pas en la sur- chargeant d’un poids inutile d'espèces arbitraires ; et n'oublions jamais que du haut du trône sublime où siége la nature, dominant sur le temps et sur l’es- pace, elle n’emploie qu’un petit nombre de puis- sances pour animer la matière , développer tous les êtres, et mouvoir tous les corps de ce vaste univers AA AA MA MAL LA VU EL LL EL ELLE LUE UE AAA AU VA AAA AV MAL LU EE L CELL ELU LES TORTUES. La nature a traité presque tous les animaux avec plus ou moins de faveur : les uns ont reçu la beauté, d’autres la force ; ceux-ci la grandeur, ou des armes meurtrières ; ceux-là des attributs d'indépendance, la faculté de nager ou celle de s'élever dans les airs. Mais exposés en naissant aux intempéries de l’atmo- sphère , les uns sont obligés de se creuser avec peine des retraites souterraines et profondes; les autres n’ont pour asile que les antres ténébreux des hautes montagnes ou des vastes forêts ; ceux-ci, plus petits, sont réduits à se tapir dans les creux des arbres et des rochers, ou à aller se réfugier jusque dans la demeure de leurs plus cruels ennemis, aux yeux desquels ni leur petitesse, ni leur ruse ne peuvent les dérober long-temps; ceux-là, plus malheureux, moins bien conformés, ou moins pourvus d’instinet , sont forcés de passer tristement leur vie sur la terre nue, et n'ont pour tout abri contre les froids rigou- reux et les tempêtes les plus violentes, que quelques branches d'arbres ét quelques roches avancées : ceux dont la demeure est la plus commode et la pius sûre, ne jouissent de la douce paix qu’elle leur procure, qu’à force de travaux et de soins ; les tortues seules 56 HISTOIRE NATURELLE ont reçu en naissant une sorte de domicile durable. Cet asile, capable de résister à de très grands efforts, n’est pas même fixé à un certain espace : lorsque la nourriture leur manque dans les endroits qu’elles pré- fèrent, elles ne sont pas contraintes d'abandonner un toit construit avec peine, de perdre tout le fruit de longs travaux, pour aller peut-être avec plus de peine encore arranger une habitation nouvelle sur des bords étrangers; elles portent partout avec elles l'abri que la nature leur a donné , et c’est avec toute vérité qu'on a dit qu'elles traînent leur maison, sous laquelle elles sont d'autant plus à couvert qu’elle ne peut pas être détruite par les efforts de leurs ennemis. La plupart des tortues retirent quand elles veulent leur tête, leurs pattes et leur queue sous l'enveloppe dure et osseuse qui les revêt par dessus el par des- sous, et dont les ouvertures sont assez étroites pour que les serres des oiseaux voraces, ou les dents des quadrupèdes carnassiers n’y pénètrent que dificile- ment. Demeurant immobiles dans cette position de défense, elles peuvent quelquefois recevoir sans crainte, comme sans danger, les attaques des ani- maux qui cherchent à en faire leur proie. Ce ne sont plus des êtres sensibles, qui opposent la force à la force, qui souffrent toujours par la résistance, et qui sont plus ou moins blessés par leur victoire même: mais ne présentant, que leur épaisse enveloppe, c’est en quelque sorte contre une couverture insensible que sont dirigées les armes de leurs ennemis; les coups qui les menacent ne tombent, pour ainsi dire, que sur la pierre, et elles sont alors aussi à l'abri sous leur bouclier naturel, qu'elles pourroient l’être DES TORTUES. 2 dans le creux profond et inaccessible d’une roche dure. Ce bouclier impénétrable qui les garantit est composé de deux espèces de tables osseuses plus ou moins arrondies et plus ou moins convexes. L'une est placée au dessus et l’autre au dessous du corps. Les côtes et l’'épine du dos font partie de la supé- rieure, que l’on appelle Cuarapace, et l'inférieure, que l’on nomme P{/astron , est réunie avec les os qui composent le Sternum. Ces deux couvertures ne se touchent et ne sont attachées ensemble que par les côtés : elles laissent deux ouvertures, l’une devant et l’autre derrière; la première donne passage à la tête et aux deux pates de devant; la seconde aux deux pattes de derrière , à la queue et à la partie du corps où est situé l'anus. Lorsque les tortues veulent ou marcher,ounager, elles sont obligées d'étendre leur tête, leur col et leurs pattes, qui paroissent alors à l’ex- térieur, et ces diversmembres, ainsi que la queue, le devant et le derrière du corps, sont couverts d’une peau qui s'attache au dessous des bords de la cara- pace et du plastron, qui forme plusieurs plis, lors- que les pattes et la tête sont retirées, qui est assez lâche pour se prêter à leurs divers mouvements d'extension, et qui est garnie de petites écailles comme celle des lézards, des serpents et des pois- sons, avec lesquels elle donne aux tortues un trait de ressemblance. La tête, dans presque toutes les espèces de ces animaux, est un peu arrondie vers le museau, à l'extrémité duquel sont situées les narines : la bouche est placée en dessous; son ouverture s'étend jusqu’au delà des oreilles. La mâchoire supérieure recouvre la mâchoire inférieure ; elles ne sont point 58 HISTOIRE NATURELLE communément garnies de dents, mais les os qui les composentsont fesitonnés, etassez durs pour queles tor- tues puissent briser aisément des substances très com- pactes. Cette position et celte conformation deleurbou- che leurdonnent beaucoup de facilité pour brouter les algues et les autres plantes dont elles se nourrissent. Dans presque toutes les tortues, la place des oreilles n’estsensible que par les plaques ou écailles particuliè- res qui les recouvrent; leurs yeuxsont gros etsaillants. Le plastron est presque toujours plus court que la carapace , qui le déborde et le recouvre par devant, et surtout par derrière ; il est aussi moins dur, et sou- vent presque plat. Ces deux boucliers sont composés de plusieurs pièces osseuses, dont les bords sont comme dentelés, et qui s'engrènent les unes dans les autres d’une manière plus ou moins sensible ; dans certaines espèces, celles du plastron peuvent se prè- ter à quelques mouvements. La couverture supé- rieure, ainsi que l'inférieure, sont garnies de lames ou écailles qui varient par leur grandeur, par leur forme et par leur nombre, non seulement suivant les espèces, mais même suivant les individus. Quel- quefois le nombre et la figure de ces écailles corres- pondent à celles des pièces osseuses qu'elles cachent. On distingue les écailles qui revêtent la circonfé- rence de la carapace d’avec celles qui en recouvrent le milieu; ce milieu est appelé Disque. Il est le plus souvent couvert de treize ou quinze lames placées en long sur trois rangs; celui du milieu est de cinq lames , et les deux des côtés sont de quatre. La bor- dure estcommunément garnie de vingt-deux ou vingt- cinq lames; le nombre de celles du plastron varie de DES TORTUES. 59 douze à quatorze dans certaines espèces , et de vingt- deux à vingt-quatre dans d’autres. Ces écailles tom- bent quelquefois par l'effet d'une grande dessiccation, ou de quelque autre accident : elles sont à demi transparentes, pliantes, élastiques ; elles présentent, dans certaines espèces, telles que le caret, etc., des couleurs assez belles pour être recherchées et servir à des objets de luxe; et ce qui les rend d’au- tant plus propres à être employées dans les arts, c’est qu’elles se ramollissent et se fondent à un feu assez doux de manière à être réunies, moulées , et à pren- dre toute sorte de figures. Les tortues sont encore distinguées des autres qua- drupèdes ovipares par plusieurs caractères intérieurs assez remarquables , et particulièrement par la gran- deur très considérable de la vessie qui manque aux lézards, ainsi qu'aux quadrupèdes ovipares sans queue. Elles en diffèrent encore par le nombre des vertèbres du cou; nous en avons compté huit dans la tortue de mer, appelée la Tortue franche , dans la Grecque et dans la tortue d’eau douce, que nous avons nom- imée la Jaune, tandis que les crocodiles n’en ont que sept, que la plupart des autres lézards n’en ont jamais au dessus de quatre, et que les quadrupèdes ovipa- res sans queue en sont entièrement privés. Tels sont les principaux traits de la conformation générale des tortues : nous connoissons vingt-quatre espèces de ces animaux; elles diffèrent toutes les unes des antres par leur grandeur, et par d’autres caractères faciles à distinguer. La carapace des gran- des tortues a depuis quatre jusqu’à cinq pieds delong, sur trois ou quatre pieds de largeur; le corps entier 6o HISTOIRE NATURELLE a quelquefois plus de quatre pieds d'épaisseur verti- cale à l'endroit du dos le plus élevé. La tête a envi- ron sept ou huit pouces de long et six ou sept pouces de large ; le cou est à peu près de la même longueur, ainsi que la queue. Le poids total de ces grandes tor- tues excède ordinairement huit cents livres, et les deux couvertures en pèsent à peu près quatre cents. Dans les plus petites espèces, au contraire, on ne compte que quelques pouces depuis l'extrémité du museau jusqu'au bout de la queue, même lorsque toutes les parties de la tortue sont étendues, et tout l’animal ne pèse pas quelquefois une livre. Les vingt-quatre espèces de tortues diffèrent aussi beaucoup les unes des autres par leurs habitudes : les unes vivent presque toujours dans la mer ; les autres, au contraire, préfèrent le séjour des eaux douces ou des terrains secs et élevés. Nous avons cru d’après cela devoir former deux divisions dans le genre des tortues. Nous plaçons dans la première six espèces de ces animaux, les plus grandes de toutes, et qui habitent la mer de préférence. Il est aisé de les distinguer d'avec les autres, en ce que leurs pieds très allongés et leurs doigts très inégaux en longueur, etréunispar une membrane, représentent des nageoi- res dont la longueur est souvent de deux pieds, et égale par conséquent plus du tiers de celle de la cara- pace. Leurs deux boucliers se touchent d’ailleurs de chaque côté dans une plus grande portion de leur circonférence : l’ouverture de devant et celle de der- rière sont par là moins étendues, et ne laissent qu’un passage, plus étroit à la griffe des oiseaux de proie et aux dents des caymans, des tigres, des couguars , et DES TORTUES. Gi des autres ennemis des tortues; mais la plupart des tortues marines ne cachent qu'à demi leur tête et leurs pattes sous leur carapace, et ne peuvent pas les y retirer en entier, comme les tortues d'eau douce ou terrestres. Les écailles qui revêtent leur plastron, au lieu d’être disposées sur deux rangs, comme celles du plastron des tortues terrestres ou d’eau douce, forment quatre rangées, et leur nombre est beau- coup plus grand. Les tortues marines représentent parmi les qua- drupèdes ovipares, la nombreuse tribu des quadru- pèdes vivipares, composée des morses, des lions marins, des lamantins et des phoques, dont les doigts sont également réunis, et qui tous ont plutôl des nageoires que des pieds : comme cette tribu, elles appartiennent bien plus à l'élément de l’eau qu’à celui de la terre, et elies lient également l’ordre dont elles font partie avec celui des poissons auxquels elles res- semblent par une partie de leurs habitudes et de leur conformation. Nous composons la seconde division de toutes les autres tortues qui habitent, tant au milieu des eaux douces que dans les bois et sur des terrains secs; nous y comprenons par conséquent la tortue de terre, nommée la grecque , qui se trouve dans presque tous les pays chauds, et la tortue d’eau douce , appelée la bourbeuse , qui est assez commune dans la France méridionale , et dans les autres contrées tempérées de l’Europe. Toutes les tortues de cette seconde divi- sion ont les pieds très ramassés , les doigts très courts et presque égaux en longueur : ces doigts, garnis d'ongles forts et crochus . ne ressemblent point à des G2 HISTOIRE NATURELLE DES TORTUES. nageoires; la carapace et le plastron ne sont réunis l’un à l’autre que dans une petite portion de leur contour; ils laissent aux différentes parties des tor- tues plus de facilité pour leurs divers mouvements ; et cette plus grande liberté leur est d'autant plus utile, qu'elles marchent bien plus souvent qu’elles ne nagent; leur couverture supérieure est d’ailleurs communément bien plus bombée ; aussi, lorsqu'elles sont renversées sur le dos, peuvent-elles la plupart se retourner et se remettre sur leurs pattes , tandis que presque toutes les tortues marines, dont la cara- pace est beaucoup plus plate, s’épuisent en efforts inutiles lorsqu'elles ont été retournées , et ne peu- vent point reprendre leur première position. SL Quadrup“Ovwip. ee « xx A NS DZ. Plorrreau jere up Ti PTE L'AN WE TR ET ÉD TETE F7 Ni ELA PaN Yet TTTTES L ER RO SU 229 12 2 re 19 MEET CRUE (5 D IS LEE ee : si d'a AAA AAA MA MU MU U MU MEUT AU VU MU AA MA AA MU MAMMA MAG MU ME PREMIÈRE DIVISION. CODDODDOD 000 0DD 000 C00CED TORTUES DE MER. LA TORTUE FRANCHE!. La ToRTUE FRANCHE ou TORTUE VERTE, Cuv. — T'es- tudo Mydas, var. b, Linn. — T'estudo viridis, Schn. — Caretta esculenta , Merrem. Üx des plus beaux présents que la nature ait faits aux habitants des contrées équatoriales , une des pro- 1. En latin, testudo marina, et mus narinus. En anglois, the green turtle. Jurucuja, au Brésil. Tartaruga, par les Portugais. Tortue Mydas. Daubenton, Encyclopédie méthodique. Testudo Mydas. Linnæus, Systema Naturæ , amphibia reptilia, edi- tio XIIT, test. Mydas, 3. Rai, Synopsis Quadrupedum , page 252. Testudo marina vulgaris. Rochefort, tortue franche. Mus. ad fr., I. p. 50 , testudo aira. Du Tertre, tortue franche. Labat, tortue franche. Seba , mus. I, tab. 79, fig. 4. 5,6. 64 HISTOIRE NATURELLE ductions les plus utiles qu’elle ait déposées sur les confins de la terre et des eaux, est la grande Tortue de mer, à laquelle on a donné le nom de tortue fran- che. L'homme emploieroit avec bien moins d’avan- tage le grand art de la navigation, si vers les rives éloignées, où ses: désirs l’appellent ; il ne trouvoit dans une nourriture aussi agréable qu’abondante, un remède assuré contre les suites funestes d’un long séjour dans un espace resserré , et au milieu de sub- stances à demi putréfiées, que la chaleur et l’humi- dité ne cessent d’altérer!. Cet aliment précieux lui est fourni par les tortues franches; et elles lui sont d'autant plus utiles qu'elles habitent surtout ces con- trées ardentes, où une chaleur plus vive accélère le développement de tous les germes de corruption. On les rencontre en effet en très grand nombre, sur The green turtle. Patrick Browne, Natural history of Jamaica, page 465. Testudo unguibus palmarum duobus, plantarum singularibus. Hans Sloane. Voyage aux îles Madère, Barbade, etc., avec l’His- toire naturelle de ces îles. Londres, 1725, vol. IL. page 331. Osbeck, it. 295. Gesner, Quadrup. ovip., page 105, testudo marina. Aldrov. Quadrup., 712, tab. 724. Olear, mus. 27, tab. 17, fig. 1. Bradl. natur. tab. 4, fig. 4. Catesby, Histoire naturelle de la Caroline, vol. II, page 38. Marcgrave. Brasil. 241. Jurucuja Brasiliensibus. Testudo viridis. Histoire naturelle des Tortues, par M. Jean Schnei- der, à Leïpsick, 1783. 1.« On fait des bouillons de tortues franches, que l’on regarde » comme excellents pour les pulmoniques, les cachectiques, les scor- » butiques, etc. La chair de cet animal renferme un suc adoucissant » et nourrissant, incisif et diaphorétique, dont j'ai éprouvé de très » bons effets. » Note communiquée par M. de La Borde, médecin du roi à Cayenne. DE LA TORTUE FRANCHE. 65 les côtes des îles et des continents situés sous la zone torride, tant dans l’ancien que dans le nouveau monde; les bas-fonds qui bordent ces îles et ces continents, sont revêtus d’une grande quantité d'algues! et d’au- tres plantes que la mer couvre de ses ondes, mais qui sont assez près de la surface des eaux pour qu'on puisse les distinguer facilement lorsque le temps est calme. C’est sur ces espèces de prairies que l’on voit les tortues franches se promener paisiblement. Elles se nourrissent de l'herbe de ces pâturages?. Elles ont quelquefois six ou sept pieds de longueur, à compter depuis le bout du museau jusqu’à l'extrémité de la queue, sur trois ou quatre de largeur et quatre pieds ou environ d'épaisseur, dans l’endroit le plus gros du corps; elles pèsent alors près de huit cents livres; elles sont en si grand nombre qu'on seroit tenté de les regarder comme une espèce de troupeau rassem- blé à dessein pour la nourriture et le soulagement des navigateurs qui abordent auprès de ces bas-fonds : et les troupeaux marins qu'elles forment le cèdent d’autant moins à ceux qui paissent l’herbe de la sur- face sèche du globe, qu'ils joignent à un goût exquis et à une chair succulente et substantielle, une vertu des plus actives et des plus salutaires. 1. Marc Catesby, Hisloire naturelle de la Caroline, de la Floride et des îles de Bahama , revue par M. Edwards. Londres, 1754, vol. I, page 58. 2. « Dans ces grandes herbes, qui se nomment Sargasses, et qui » paroiïssent en divers endroits sur la surface de la mer, maïs dont le » grand nombre est au fond de l’eau et sur les côtes, on trouve entre » plusieurs autres espèces d'animaux marins, une prodigieuse quantité » de tortues. » Description de l'ile Espagnole ; Histoire générale des voyages, partie IF, livre 5. 66 HISTOIRE NATURELLE La tortue franche se distingue facilement des autres par la forme de sa carapace. Cette couverture supé- rieure, qui a quelquefois quatre ou cinq pieds de long sur trois ou quatre de largeur , est ovale et enlou- rée d’un bord composé de lames, dont les plus gran- des sont les plus éloignées de la tête, et qui, termi- nées à l’exiérieur par des lignes courbes, font paroître ce même bord comme ondé : ie disque , ou le milieu de cette couverture supérieure, est recouvert ordi- nairement de quinze lames ou écailles, d’un roux plus ou moins sombre, qui tombent souvent ainsi que celles de la bordure, par l'effet d'une grande dessiccation ou de quelque autre accident, et dont la forme et le nombre varient d’ailleurs suivant l’âge et peut-être suivant le sexe; nous nous en sommes assurés en examinant des tortues de différentes tail- lest. Lorsque l'animal est dans l’eau, la carapace paroît d’un brun clairtachetéde jaune ?. Le plastron est moins duretpluscourtquelacarapace; ilest garni com- munément de vingt-trois ou vingt-quatre lames, dispo- sées sur quatre rangs ?; et c’est à cause des deux bou- 1.« Le nombre des lames dans les tortues franches, varie suivant » les individus; mais il paroît cependant relatif à l'âge. » Note commu- quée par M. le chevalier de Widerspech, officier au bataillon de la Guyane, et correspondant du Cabinet du Roi. 2. Mémoires manuscrits sur les tortues, rédigés par M. de Fouge- roux de Bondarcy, de l’Académie des Sciences, et que ce savant aca- démicien a bien voulu me communiquer. 5. Nous croyons devoir rapporter ici les dimensions d’une jeune tortue franche, qui n'avoit pas encore alteint tout son développe- ment, et qui est conservée au Cabinet du Roi. Dans cette tortue, ainsi que celles dont il sera question dans cet ouvrage, nous avons mesuré la longeur totale de l'animal , ainsi que DE LA TORTUE FRANCHE. 67 cliers dont la tortue franche est armée, qu'on lui a donné le nom de Soldat dans certaines contrées! Les pieds de la tortue franche sont très allongés ; les doigts en sont réunis par une membrane ; ils res- semblent beaucoup à de vraies nageoires ; aussi lui servent-ils à nager bien plus souvent qu'à marcher, et lui donnent-ils une nouvelle conformité avec les poissons et avec les phoques qui habitent comme elle au milieu des eaux. Sans cette conformation, elle abandonneroit un élément où elle auroit trop de peine à frapper l’eau avec des pieds qui, présentant une trop petite surface, n’opposeroient à ce fluide presque aucune résistance : elle habiteroit sur la terre sèche, où elle marcheroit avec facilité comme les tortues de terre que l’on trouve au milieu des bois. Dans les pieds de derrière , le premier doigt, qui est le plus court, est le seul qui soit garni d’un ongle aigu et bien apparent; le second doigt l’est d'un ongle moins grand et plus arrondi, et les trois autres n'en présentent que de membraneux et peu sensi- la longueur et la largeur de la carapace, en suivant la convexité de cette couverture supérieure. pi po. lig. Longueur, depuis le bout du museau jusqu'a l’extrémité ñ postérienre de Jacarapace. .ÿ#,..1 0,0) ee cn oo Ponsreumdelaitétes ct AR ee pt Ne une Où TAC Larreuniderhaitetes 0 . 4... 4 A tt 0 9 9 Hongueur' de la 'éarapace. 2:15, Pro) ent. a 112 6 Largeur dellaicarapacé, 21: uit Le sie out 1.10 7 Longenr des patteside devant: 41.1. &..:. Aou 15 Pongenr desipattes de iderrières. 2. 4. . OO Nous avons compté neuf côtes de chaque côté , dans cette jeune iortue. 1. Conrad Gesner, Quadrup. ovip., Zurich, 1554, page 105. 68 HISTOIRE NATURELLE bles, tandis qu'aux pieds de devant, les deux doigts intérieurs sont terminés par des ongles aigus, et les trois autres par des ongles membraneux : au reste, il se peut que la forme , le nombre et la position des ongles varient dans la tortue franche!; mais il n’y en a jamais qu'un d’aigu aux pieds de derrière , et c'est un caractère distinctif de cette espèce. La tête , les pattes et la queue sont recouvertes de petites écailles comme le corps des lézards, des ser- pents et des poissons, et de même que dans ces ani- maux, ces écailles sont un peu plus grandes sur le sommet de la tête que sur le cou et sur la queue. L'on a prétendu que , malgré la grandeur des tortues franches, leur cerveau n'étoit pas plus gros qu’une fève?; ce qui confirmeroit ce que nous avons dit de la petitesse du cerveau dans les quadrupèdes ovipa- res. La bouche, située au dessous de la partie anté- rieure de la tête, s'ouvre jusqu’au delà des oreilles; les mâchoires ne sont point armées de dents, mais elles sont très dures et très fortes ; et les os qui les composent sont garnis de pointes ou d’aspérités. C’est avec ces mâchoires puissantes que les tortues coupent l'herbe sur les tapis verts qui revêtent les bas-fonds de certaines côtes, et qu'elles peuvent briser des pierres, et écraser les coquillages dont elles se nour- rissent quelquefois. Lorsque les tortues ont brouté l’algue au fond de la mer, elles vont à l'embouchure des grands fleuves chercher l’eau douce dans laquelle elles paroissent se à. Linn., Amohib. rept. Testudo Mydas. 2. Voyez les Mémoires pour servir à l'Histoire naturelle des ani- maux, article de la Tortue de terre de Coromandel. DE LA TORTUE FRANCHE. 69 plaire, et où elles se liennent paisiblement la tête hors de l’eau, pour respirer un air dont la fraîcheur semble leur être de temps en temps nécessaire, Mais n’habitant que des côtes dangereuses pour elles, à cause du grand nombre d'ennemis qui les y atten- dent, et de chasseurs qui les y poursuivent, ce n’est qu'avec précaution qu'elles goûteut le plaisir de humer l’air frais et de se baigner au milieu d’une eau douce et courante. À peine apercçoivent-elles l'ombre de quelque objet à craindre, qu'elles plongent et vont chercher au fond de la mer une retraite plus sûre. La loriue de terre a de tous les temps passé pour le symbole de la lenteur; les tortues de mer devroient ètre regardées comme l'emblème de la prudence. Cette qualité, qui, dans les animaux, est le fruit des dangers qu'ils ont courus, ne doit pas étonner dans ces tortues, que l’on recherche d'autant plus, qu'il est peu dangereux de les chasser, et très utile de les prendre. Mais si quelques traits de leur histoire parois- sent prouver qu'elles ont une sorte de supériorité d'instinct, le plus grand nombre de ces mêmes traits ne montreront dans ces grandes tortues de mer que des propriétés passives, plutôt que des qualités acti- ves. Rencontrant une nourriture abondante sur les côtes qu'elles fréquentent, se nourrissant de peu, et se contentant de brouter l'herbe, elles ne dispu- tent point aux animaux de leur espèce un aliment qu'elles trouvent toujours en assez grande quantité ; pouvant d’ailleurs, ainsi que les autres tortues et tous les quadrupèdes ovipares , passer plusieurs mois, et même plus d’un an, sans prendre aucune nourriture, LACÉPEDE, Il. 6 79 HISTOIRE NATURELLE elles forment un troupeau tranquille; elles ne se recherchent point, mais elles se trouvent ensemble sans peine, et y demeurent sans contrainte; elles ne se réunissent pas en troupe guerrière par un instinct carnassier, pour s'emparer plus aisément d’une proie difficile à vaincre, mais conduites aux mêmes endroits par les mêmes goûts et par les mêmes habitudes, elles conservent une union paisible. Défendues par ume carapace osseuse, très forte, et si dure que des poids très-lourds ne peuvent l’écraser, garanties par cette sorte de bouclier, mais n'ayant rien pour nuire, elles ne redoulent point la société de leurs sembla- bles, qu'elles ne peuvent à leur tour troubler par aucune offense. La douceur et la force, pour résister, sont donc ce qui distingue la tortue franche, et c’est peut-être à ces qualités que les Grecs firent allusion lorsqu'ils la donnèrent pour compagne à la beauté, lorsque Phidias la placa comme un symbole aux pieds de sa Vénusi. Rien de brillant dans ses mœurs, non plus que dans les couleurs dont elle est variée : mais ses habitudes sont aussi constantes que son enveloppe a de soli- dité; plus patiente qu'agissante, elle n’éprouve pres- que jamais de désirs véhéments; plus prudente que courageuse, elle se défend rarement, mais elle cher- che à se mettre à l’abri; et elle emploie toute sa force à se cramponner , lorsque , ne pouvant briser sa cara- pace, on cherche à l’enlever avec cette couverture. La constance de ses habitudes paroît se faire sen- x, Pausanias in eliacis. DE LA TORTUE FRANCHE. GAL tir jusque dans ses amours. Non seulement le mâle recherche sa femelle avec ardeur, mais leur union la plus intime dure pendant près de neuf jours; c’est au milieu des ondes qu'ils s’'accouplent plastron con- tre plastron {. Ils s’'embrassent fortement avec leurs longues nageoires; ils voguent ensemble, toujours réunis par le plaisir, sans que les flots amortissent la chaleur qui les pénètre; on prétend mème que leur espèce de timidité naturelle les abandonne alors; ils deviennent, dit-on, comme furieux d'amour; aucun danger ne les arrête ; et le mâle serre encore étroi- tement sa femelle, lorsque poursuivie par les chas- seurs, elle est déjà blessée à mort, et répand tont son sang ?. Cependant leur attachement mutuel passe avec le besoin qui l’avoit fait naître. Les animaux n’ont point, comme l’homme, cette intelligence, qui, en coim- binant un grand nombre d'idées morales, et en les réchauffant par un sentiment actif, sait si bien pro- longer les charmes de la jouissance, et faire goûter 1. Mémoires manuscrits sur les tortues, rédigés par M. de Fouge- roux. 2, « J'ai pris des mâles dans le temps de leur union avec leurs fe- » melles ; on perce facilement le mâle, car il n’est pas sauvage. La fe- » melle, à la vue d’un canot, fait des efforts pour s'échapper ; maïs il » la retient avec ses deux nageoires ( ou pattes) de devant. Lorsqu'on » les surprend accouplés, le plus sûr est de darder la femelle : on est » sûr alors du mâle. » Dampier, tome I, page 118. M. de La Borde, médecin du roi à Cayenne, et correspondant du Cabinet d'Histoire naturelle, soupçonne que la forme des parties sexuelles du mâle contribue à ce qu'il demeure uni à sa femelle, quoi- qu'on les poursuive , les prenne ; Les blesse, etc. Note communiquée par ce naturaliste. 72 HISTOIRE NATURELLE encore des plaisirs si grands dans les heureux souve- nirs d’une tendresse touchante. La tortue mâle, après son accouplement, aban- donne bientôt la compagne qu’elle paroissoit avoir tant chérie; elle la laisse seule aller à terre, s’expo- ser à des dangers de toute espèce, pour déposer sur le sable les fruits d’une union qui sembloit devoir être moins passagère. It paroît que le temps de l’accouplement des tor- tues franches varie dans les différents pays, suivant la température, la position en deçà ou au delà de la ligue, la saison des pluies, etc. C’est vers la fin de mars où dans le commencement d'avril, qu'elles se recherchent dans la plupart des contrées chaudes de l'Amérique septentrionale; et bientôt après les femel- les commencent à pondre leurs œufs sur le rivage ; elles préfèrent les graviers, les sables dépourvus de vase et de corps marins, où la chaleur du soleil peut plus aisément faire éclore des œufs, qu’elles aban- donnent après les avoir pondusfi. Ilsemble cependantque ce n’estpaspar indifférence pour les petits qui lui devront le jour, que la mère tortue laisse ses œufs sur le sable : elle y creuse avec ses nageoires, et au dessus de l'endroit où parvien- nent les plus hautes vagues, un ou plusieurs trous d’environ un pied de largeur, et deux pieds de pro- 3. Ce fait est contraire à l'opinion d’Aristote et à celle de Pline; maïs il a été mis hors de doute par tous les voyageurs et les observa- teurs modernes; il paroît que Pline et Aristote ont eu peu de rensei- gnements exacts relativement aux quadrupèdes ovipares, dont ils ne connoissoient qu'un très petit nembre. DE LA TORTUE FRANCHE. 73 fondeur : elle y dépose ses œufs au nombre de plus de cent!; ces œufs sont ronds, de deux ou trois pou- ces de diamètre , et la membrane qui les couvre res- semble, en quelque sorte , à du parchemin mouillé?. Ils renferment du blanc qui ne se durcit point, dit- on, à quelque degré de feu qu’on l’expose, et du jaune qui se durcit comme celui des œufs de poule #. Rien ne peut distraire les tortues de leurs soins mater- nels : uniquement occupées de leurs œufs, elles ne peuvenl être troublées par aucune crainte; et comme si elles vouloient les dérober aux yeux de ceux qui les recherchent, elles les couvrent d’un peu de sable , mais cependant assez légèrement pour que la chaieur du soleil puisse les échauller et les faire éclore. Elles font plusieurs pontes, éloignées l’une de l’autre de quatorze jours ou environ, et de trois semaines dans certaines contrées 6; ordinairement elles en font trois7. L'expérience des dangers qu'elles courent, lorsque le jour éclaire les poursuites de leurs ennemis, et peut-êlre la crainte qu'elles ont de la chaleur ardente du soleil dans les contrées tor- rides , font qu’elles choisissent presque toujours le temps de la nuit pour aller déposer leurs œufs, et c’est apparemment d’après leurs petits voyages noc- 1. Mémoires manuscrits sur les tortues, rédigés par M. de Fouge- roux. 2. Rai, Synopsis animalium. . Nouveau voyage aux iles de l'Amérique, tome 1, page 504. . Catesby, Hist. natur. de la Caroline, vol. il, page 58. . Idem, ibidem. 6. Mémoires manuscrits sur les tortues , rédigés par M. de Fouge- Qt & O1 roux. 7.« Les tortues rencuvellent leur ponte : sur les côtes d'Afrique, il si HISTOIRE NATURELLE turnes, que les anciens ont pensé qu'elles couvoient pendant les ténèbres. Pour tous leurs petits soins, il leur faut un ble mobile ; elles ont une sorte d'affection marquée pour certains parages plus commodes, moins fréquen- tés, et par conséquent moins dangereux ; elles tra- versent même des espaces de mer très étendus pour y parvenir. Celles qui pondent danslesiles de Cayman ?, voisines de la côte méridionale de Cuba, où elles trou- vent l’espèce de rivage qu’elles préfèrent, y arrivent de plus de cent lieues de distance. Celles qui passent une grande partie de l’année sur les bords des îles Gallapagos, sitnées sous la ligne et dans la mer du Sud , se rendent pour leurs pontes sur les côtes occi- dentales de l'Amérique méridionale, qui en sont éloignées de plus de deux cents lieues; et les tortues qui vont déposer leurs œufs sur les bords de l’île de l’Ascension , font encore plus de chemin, puisque les terres les plus voisines de cette île sont à trois cents lieues de distanceÿ, La chaleur du soleil suffit pour faire éclore les œufs des tortues dans les contrées qu’elles habitent; vingt ou vingt-cinq jours après qu'ils ont été déposés, on » yen a qui pondent en tout jusqu'à deux cent cinquante œufs. » Labat, Afrique occidentale, vol. II, La fécondité de ces quadrupèdes ovipares est quelquefois plus grande. 1. Pline, livre IX, chapitre 12. 2. Les îles de Cayman sont si favorables aux tortues, que lors- qu’elles furent découvertes, on leur donna le nom espagnol de Las- T'ortugas, à cause du grand nombre de tortues dont leurs bords étoient couverts. Histoire générale des Voyages, ITT* partie, livre 5. Voyage de Christophe et Barthélemi Colomb. 3. Dampier, tome I. DE LA TORTUE FRANCHE. 73 voit sortir du sable les petites tortues, qui présen- tent tout au plus deux ou trois pouces de longueur, sur un peu moins de largeur, ainsi que nous nous eu sommes assurés par les mesures que nous avons prises sur des tortues franches enlevées au moment où elles venoient d’éclore; elles sont donc bien éloi- guées de la grandeur à laquelle elles peuvent parve- nir. Au reste, le temps nécessaire pour que les peti- tes tortues puissent éclore, doit varier suivant la tem- pérature. Froger assure qu'à Saint-Vincent, île du cap Vert, il ne faut que dix-sept jours pour qu’elles sortent de leurs œufs ; mais elles ont besoin de neuf jours de plus pour devenir capables de gagner la meri. L'instinct dont elles sont déjà pourvues, cu, pour mieux dire, la conformité de leur organisation avec celle de leurs père et mère, les conduisent vers les eaux voisines, où elles doivent trouver la sûreté et l’aliment de leur vie. Elles s’y traînent avec len- teur ; mais trop foibles encore pour résister au choc des vagues, elles sont rejetées par les flots sur le sable du rivage, où les grands oiseaux de mer, les croco- diles, les tigres , ou les couguars, se rassemblent pour les dévorer?. Aussi n'en échappe-t-il que très peu. L'homme en détruit d’ailleurs un grand nombre avant qu’elles ne soient développées. On recherche même dans les îles où elles abondent, les œufs qu’elles lais- sent sur le sable, et qui donnent une nourriture aussi agréable que saine. C'est depuis le mois d Anle jusqu'au mois de septem- bre, que dure la ponte des tortues franches sur les. 1. Froger, Relation d’un voyage à la mer du Sud, page 52. 2. Idem, ibidem. 0 HISTOIRE NATURELLE côtes des îles de l’Amérique, voisines du golfe du Mexique : mais le temps de leurs diverses pontes varie suivant les pays; sur la côte d’Issini, en Afrique , les tortues viennent déposer leurs œufs depuis le mois de septembre jusqu'au mois de janvier !; pendant toute la saison des pontes, l’on va non seulement à la recherche des œufs, mais encore à celle des petites tortues que l’on peut saisir avec facilité; lorsqu'on les a prises, on les renferme dans des espaces plus ou moins grands, entourés de pieux, et où la haute mer peut parvenir; et c'est dans ces espèces de parcs qu’on les laisse croître pour en avoir au besoin, sans courir les hasards d’une pêche incertaine, et sans éprouver les inconvénients qui y sont quelquefois attachés. Les pêcheurs choisissent aussi cette saison pour prendre Îles srandes tortues femelles qui leur échappent sur les rivages plus difficilement qu’à la mer, et dont la chair est plus estimée que celle des mâles, surtout dans le temps de la ponte?. Malgré les ténèbres dont les tortues franches cher- chent, pour ainsi dire, à s’envelopper lorsqu'elles vont déposer leurs œufs , elles ne peuvent se dérober à la poursuite de leurs ennemis. À l'entrée de la nuit, surtout lorsqu'il fait clair de lune, les pêcheurs, se tenant en silence sur la rive, attendent le moment où les tortues sortent de l’eau ou reviennent à la.mer après avoir pondu ; ils les assomment à coup de mas- sue?, ou ils les retournent rapidement, sans leur 1. Voyage de Loyer à fssini sur la Côte-d'Or. 2. Sloane, à l'endroit déjà cité. 5. Mémoires manuscrits sur les tortues, rédigés par M. de l'ouge- Y'OUX. DE LA TORTUE FRANCHE. 97 donner le temps de se défendre, et de les aveugler par le sable qu’elles font quelquefois rejaillir avec leurs nageoires. Lorsqu'’elles sont très grandes, il faut que plusieurs hommes se réunissent{, et quelquefois même se servent de pieux comme d'autant de leviers pour les renverser sur le dos. La tortue franche à la carapace trop plate pour pouvoir se remettre sur ses pattes, lorsqu'elle a été ainsi chavirée, suivant l’ex- pression des pêcheurs. On a voulu rendre touchant le récit de cetle manière de prendre les tortues; et l’on a dit que lorsqu'elles étoient retournées, hors d'état de se défendre, et qu’elles ne pouvoient plus que s’épuiser en vains efforts, elles jetoient des cris piaintifs et versoient un torrent de larmes?. Plusieurs tortues, tant marines que terrestres?, font entendre souvent un sifflement plus ou moins fort, et même un gémissement très distinct, lorsqu'elles éprouvent avec vivacité ou l’amour ou la crainte. Il peut donc se faire que la tortue franche jette des cris lorsqu'elle s'efforce en vain de reprendre sa position naturelle et que la frayeur commence à la saisir; mais on a exagéré sans doute les signes de sa douleur. Pour peu que les matelots soient en nombre, ils, peuvent, dans moins de trois heures, retourner qua- rante ou cinquante tortues qui renfermentune grande quantité d'œufs. Ils passent le jour à mettre en pièces celles qu'ils ont prises pendant la nuit; ils en salent la chair, et 1. Description des îles du cap Vert. Hist. générale des voyages, hvre V. 2. Rai, Synopsis animalium , page 255. 5. Voyez l’article de la Caouane. 5e HISTOIRE NATURELLE même les œufs et les intestins!. Ils retirent quelque- fois de la graisse des grandes tortues, jusqu’à trente- trois pintes d’une huile jaune ou verdâtre?, qui sert à brûler, que l’on emploie même dans les aliments lorsqu'elle est fraîche, et dont tous les os de ces ani- maux sont pénétrés, ainsi que ceux des cétacés; ou bien ils les traînent renversées sur leur carapace, jus- que dans les parcs où ils veulent les conserver. Les pêcheurs des Antilles et des îles de Bahama, qui vont sur les côtes de Cuba, sur celles des îles voi- sines, et principalement des îles de Cayman, ont achevé de charger leurs navires, ordinairement au bout de six semaines ou de deux mois; ils rapportent dans leurs îles les produits de leur pêche #; et cette chair de tortue salée , qui sert à la nourriture du peu- ple et des esclaves, n'est pas moins employée dans les colonies d'Amérique , que la morue dans les di- vers pays de l'Europe‘. On peut aussi prendre les tortues franches au mi- lieu des eaux° : on se sert d’une varre où d’une sorte de harpon, pour cette pêche, ainsi que pour celle de la baleine : on choisit une nuit calme, où lalune éclaire i. Mémoires manuscrits, rédigés et communiqués par M. de Fou- geroux de Bondaroy, de l'Académie des Sciences. 2. Mémoires manuscrits sur les tortues, rédigés par M. de Fouge- roux. 5. Voyage de Hawkins à la mer du Sud , page 29. 4. Toutes les nations qui ont des possessions en Amérique, et par- ticulièrement les Anglois, envoie de petits bâtiments sur la côte de la Nouvelle-Espagne et des îles désertes qui en sont voisines, pour y faire la pêche des tortues. Note communiquée par M. de La Borde, correspondant au Cabinet du Roï, à Cayenne. 5. Catesby, Hist. naturelle de la Caroline, tome IT, page 59. DE LA TORTUE FRANCHE. T9 une mer tranquille. Deux pêcheurs montent sur un petit canot que l’un d’eux conduit : ils reconnoissent qu'ils sont près de quelque grande tortue, à l’écume qu’elle produit lorsqu'elle monte vers la surface de l'eau; il s’en approchent avec assez de vitesse, pour que la tortue n'ait pas le temps de s'échapper : un des deux pêcheurs lui lance aussitôt son harpon avec tant de force, qu'il perce la couverture supérieure, et pénètre jusqu’à la chair : la tortue blessée se pré- cipite au fond de l’eau; mais on lui lâche une corde à laquelle tient le harpon, et, lorsqu'elle a perdu beaucoup de sang, il est aisé de la tirer dans le bateau ou sur le rivage. On a employé, dans la mer du Sud, une autre ma- nière de pècher les tortues. Un plongeur hardi se jette dans la mer, à quelque distance de l'endroit où, pendant la grande chaleur du jour, il voit les tortues endormies nager à la surface de l’eau; il se relève très près de la tortue, et saisit sa carapace vers la queue; en enfonçant ainsi le derrière de l’animal, il le réveille, l’oblige à se débattre, et ce mouvement suflit pour soutenir sur l’eau la tortue et le plongeur qui l’em- pêche de s'éloigner jusqu’à ce qu’on vienne les pè- cher 1. 1. Voyage d'Anson autour du monde. Ge fameux navigateur « ad- » mire que sur les côtes de la mer du Sud , voisines de Panama, cù » les vivres ne sont pas toujours dans la même abondance, les Espa- » guols qui les habitent, aient pu se persuader que la chair de la tor- » tue soit malsaine, et qu’ils la regardent comme une espèce de - poison. Il juge que c’est à la figure singulière de l'animal qu'il faut » attribuer ce préjugé. Les esclaves indiens et nègres qui étoient à » bord de l’escadre, élevés dans la même opinion que leurs maîtres . > parurent surpris de la hardiesse des Anglois, qu’ils voyoient manger 80 HISTOIRE NATURELLE Sur les côtes de la Guiane, on prend les tortues avec une sorte de filet, nommé la Fole; il est large de quinze à vingt pieds, sur quarante ou cinquante de long. Les maïlles ont un pied d'ouverture en carré, et le fil a une ligne et demie de grosseur. On attache de deux en deux mailles, deux flots, d’un demi-pied de longueur, faits d’une tige épineuse, que les In- diens appellent Moucou-moucou, et qui tient lieu de liége. On attache aussi au bas du filet quatre ou cinq grosses pierres, du poids de quarante ou cinquante livres, pour le tenir bien tendu. Aux deux bouts qui sont à fleur d’eau, on met des bouëées, c’est-à-dire de gros morceaux de Moucou-moucou, qui servent à marquer l’endroit où est le filet : on place ordinai- rement les Æoles fort près des îlots, parce que les tortues vont brouter des espèces de Fucus, qui crois- sent sur les rochers, dont ces petites îles sont bor- dées. Les pêcheurs visilent de temps en temps les filets. Lorsque la Fole commence à caler, suivant leur Jan- gace, c’est-à-dire lorsqu'elle s'enfonce d’un côté plus que de l’autre , on se hâte de la retirer. Les tortues ne peuvent se dégager aisément de cette sorte de rets, parce que les lames d’eau, qui sont assez fortes près des îlots, donnent aux bouts du filet un mou- vement continuel qui les étourdit ou les embarrasse. » librement de cette chair, et s’attendoient à leur en voir bientôt res- » sentir les mauvais effets; mais, reconnoïssant enfin qu'ils s’en por- » toient mieux, ils suivirent leur exemple, et se félicitèrent d’une » expérience qui les assuroiït à l'avenir de pouvoir faire, avec aussi » peu de frais que de peine, de meïlleurs repas que leurs maîtres. » Histoire générale des Voyages, page 452, vol. XLI, édit. in-12, 1795. DE LA TORTUE FRANCHE. 51 Si l’on diffère de visiter les filets, on trouve quelque- fois les tortues noyées; lorsque les requins et les espadons rencontrent des tortues prises dans la Fole, et hors d'état de fuir et de se défendre, ils les dé- vorent , et brisent le filet®. Le temps de foler la tor- tue franche est depuis janvier jusqu’en mai?. L'on se contente quelquefois d'approcher douce- ment dans un esquif des tortues franches, qui dor- ment et flottent à la surface de la mer: on les retourne, on les saisit, avant qu'elles n’aient eu le temps de se réveiller et de s'enfuir ; on les pousse ensuite de- vant soi jusqu à la rive; et c'est à peu près de cette manière que les anciens les pêchoient dans les mers de l’Indeë. Pline a écrit qu'on les entend ronfler d'assez loin , lorsqu'elles dorment en flottant à la sur- face de l’eau. Le ronflement que ce naturaliste leur attribue, pourroit venir du peu d'ouverture de leur glotte, qui est étroite, ainsi que celle des tortues de terre # ; ce qui doit ajouter à la facilité qu'ont ces ani- maux de ne point avaler l’eau äans laquelle ils sont plongés. Si les tortues demeurent quelque temps sur l’eau exposées pendant le jour à toute l’ardeur des con- trées équatoriales, lorsque la mer est presque calme et que les petits flots ne pouvant point atteindre jus- 1. Note communiquée par M. de La Borde, médecin du roi à Cayenne. 2. Histoire générale des Voyages, tome LIV, pag. 880 et suivantes, édition 1in-12. i 3. Pline, livre IX, chap. 12. 4. Mémoires pour servir à l'Histoire naturelle des animaux, article de la Tortue de Coromandel. 2 HISTOIRE NATURELLE qu'au dessus de leur carapace, cessent de le baigner, le soleil dessèche cette couverture, la rend plus lé- gère, et empêche les tortues de oser aisément, tant leur légèreté spécifique est voisine de celle de l'eau, et tant elles ont de peine à augmenter leur poids!. Les tortues peuvent en effet se rendre plus ou moins pesantes, en recevant plus ou moins d’air dans leurs poumons et en augmentant ou diminuant par là le volume de leur corps, de même que les poissons introduisent de l'air dans leur vessie aé- rienne, lorsqu'ils veulent s'élever à la surface de l’eau; mais il faut que le poids que les tortues peuvent se donner en chassant l'air de leurs poumons ne soit \ ° Un e > pas très considérable, puisqu'il ne peut balancer celui que leur fait perdre la dessiccation de leur ca- rapace, et qui n'égale jamais le seizième du poids total de l'animal, ainsi que nous nous en sommes assurés par l’expérience rapportée dans la note sui- vante ? La dessiccation de la carapace des tortues , en les empêchant de plonger, donne aux pêcheurs plus de facilité pour les prendre. Lorsqu'elles sont très près 1. Pline, livre IX, chap. 12. 2. Nous avons pesé avec soin Îa carapace d’une petite tortue frän- che : nous l’avons ensuite mise dans un grand vase rempli d’eau, où nous l'avons laissée un mois et demi; nous l'avons pesée de nouveau en la tirant de l'eau , et avant qu’elle eût perdu celle dont elle étoit pénétrée. Son poids a été augmenté par l'imbibition de -! 375: : la dessic- cation que la chaleur du soleil produit dans la couverture supérieure d'une tortue franche, qui flotte à la surface de Îa mer, ne peut donc la rendre plus légère que de : la carapace des plus grandes tortues ne pesant guère que 278 livres ou environ, l’ardeur du soleil ne doit la rendre plus légère que de 45 livres, qui sont au dessous du seizième de 800 livres, poids total des très grandes tortues; DE LA TORTUE FRANCHE. 02 du rivage où l’on veut les entraîner, elles se cram- ponnent avec tant de force, que quatre hommes ont quelquefois bien de la peine à les arracher du terrain qu’elles saisissent : et comme tous leurs doigls ne sont pas pourvus d'ongles, et que n'étant point sé- parés les uns des autres, ils ne peuvent pas embras- exr les corps, on doit supposer, dans les tortues, une force très grande, qui d’ailleurs est prouvée par la vigueur de leurs mâchoires, et par la facilité avec la- quelle elles portent sur leur dos autant d'hommes qu’il peut y en tenir!. On a même prétendu, que dans l'Océan indien, il y avoit des tortues assez fortes et assez grandes pour transporter qualorze homimes?: quelque exagéré que puisse être ce nombre, l'on doit admettre, dans la tortue franche , une puissance d'autant plus remarquable que, malgré sa force, ses habitudes sont paisibles. Lorsque au lieu de faire saler les tortues franches on veut ies manger fraiches. et ne rien perdre du bon goût de leur chair ni de leurs propriétés bienfai- santes, on leur enlève le plastron, la tête, les pattes et la queue, et on fait ensuite cuire leur chair dans la carapace, qui sert de plat. La portion la plus esti- mée est celle qui touche de plus près cette couver- ture supérieure ou le plastron. Cette chair, ainsi que es œufs de la tortue franche, sont principalement très salutaires dans les maladies auxquelles les gens de wer sont le plus sujets : on prétend même que leurs sucs ont une assez grande activité, au moins 1. Linnæus, Systema Naturæ, amphibia reptilia. Testudo Mydas, 2. Voyez ce que dit à ce sujet Raï. dans son ouvrage intitulé : Sy- nopsts animalium, page 255. 84 HISTOIRE NATURELLE dans les pays les plus chauds, pour être des remèdes très puissants dans toutes les maladies qui demandent que le sang soit épuré. Il paroît que c'est la tortue franche que quelques peuples américains regardent comme un objet sacré, et comme un présent parliculier de la Divinité; ils la nomment Poisson de Dieu , à cause de l’eflet mer- veilleux que sa chair produit, disent-ils, lorsqu'on a avalé quelque breuvage empoisonné. La chair des tortues franches est quelquefois d’un vert plus ou moins foncé ; et c'est ce qui les a fait ap- peler, par quelques voyageurs, Tortues vertes ; mais ce nom a été aussi donné à une seconde espèce de tortue marine; et d’ailleurs nous avons cru devoir d'autant moins l’adopter, que cette couleur verdâtre de la chair n'est qu'accidentelle ; elle dépend de la différence des plages fréquentées par les tortues ; elle peut provenir aussi de la diversité de la nourriture de ces animaux, et elle n'appartient pas dans les mèmes endroits à tous les individus. On trouve en effet sur les rivages des petites îles voisines du con- tinent de la Nouvelle-Espagne, et situées au midi de Cuba, des tortues franches, dont les unes ont la chair verte, d'autres noire, d’autres jaune. Séba avoit dans sa collection plusieurs concrétions semblables à des bézoards, d’un gris plus ou moins mêlé de jaune , et dont la surface étoit hérissée de petits tubercules. Il en avoit reçu une partie des grandes Indes, et l’autre d'Amérique. On les lui avoit envoyées comme des concrétions très précieuses , 1. Barrère, Essai sur l'Histoire naturelle de la France équinoxiale. 9 (e4 DE LA TORTUE FRANCHE: trouvées dans le corps de grandes tortues de mer. Les Indiens y attachoïent encore plus de vertu qu'aux bézoards orientaux, à cause de leur variété, et ils les employoient particulièrement contre la petite-vérole, peut-être parce que les tubercules, que leur surface présentoit, ressembloient aux boutons de la petite- vérole!, La vertu de ces concrétions étoit certaine- ment aussi imaginaire que celle des bézoards, tant orientaux qu'occidentaux; maïs elles auroient pu être formées dans le corps de grandes torlues marines, d’autres concrétions de même uature ayantété incon-: testablement produites dans des quadrupèdes ovipa- res, ainsi que nous le vérrons dans la suite de cette histoire. Mais si les bézoards des tortuës marines ne doivent être que des productions inutiles, il n’en est pas de même de tout ce que ces animaux peuvent fournir : non seulement on recherche leür chair et leurs œufs, mais encore leur carapace a été employée par les Indiens pour couvrir leurs maisons?; et Dio< dore de Sicile, ainsi que Pline, ont écrit que des peuples voisins de | Éthiopie et de la mer Rouge s’en servoient comme de nacelles pour naviguer près du continent ?. Dans les temps anciens, lors de l'enfance des so- ciétés, ces grandes carapaces d’une substance très compacte, et d'un diamètre de plusieurs pieds, étoient les boucliers de peuples qui n’avoient pas encore découvert l’art funeste d’armer leurs flèches d'un acier trempé plus dur que ces enveloppes os- 1. Séba, tome IT, page 142 2. Voyez Ælien ct Pline, Histoire naturelle, livre IX, chapitre 12, 3. Voyez Diodore de Sicile, et Pline à l'endroit deja cité. LACÉPEDE, IE 6 SG HISTOIRE NATURELLE seuses; et les hordes à demi sauvages qui habitent de nos jours certaines contrées équatoriales, tant de l’ancien que du nouveau monde, n’ont pas imaginé de défenses plus solides. Les diverses grandeurs des tortues franches sont renfermées dans des limites assez éloignées, puisque, de la longueur de deux ou trois pouces, elles parvien- nent quelquefois à celle de six ou sept pieds; et comme cet accroissement assez grand a lieu dans une couverture très osseuse, très compacte, très dure, et où par conséquent la matière doit être , pour ainsi dire, resserrée, pressée, et le développement plus lent , il n’est pas surprenant que ce ne soit qu'après plusieurs années que les tortues acquièrent tout leur volume. Elles n’atteignent à peu près à leur entier dévelop- pement qu’au bout de vingt ans ou environ; et l’on a pu en juger d’une manière certaine par des tortues élevées dans les espèces de parcs dont nous avons parlé. Si l’on devoit estimer la durée de la vie dans les tortues franches de ia même manière que dans les quadrupèdes vivipares, on trouveroit bientôt, d’après ces vingt ans employés à leur accroissement total, le nombre des années que la nature leur a destinées ; mais la même proportion ne peut pas être ici employée. Les tortues demeurent souvent au mi- lieu d’un fluide dont la température est plus égale que celle de l'air; elles habitent presque toujours le mème élément que les poissons; elles doivent parti- ciper à leurs propriétés, et jouir de même d’une vie fort longue. Cependant, comme tous les animaux périssent lorsque leurs os sont devenus entièrement DE LA TORTUE FRANCHE: 85 solides, et comme ceux des tortues sont bien plus durs que ceux des poissons, et par conséquent beau- coup plus près de l’état d’ossilication extrême, nous ne devons pas penser que la vie des tortues soit en proportion aussi longue que celle des poissons; mais elles ont avec ces animaux un assez grand nombre de rapports, pour que, d'après les vingt ans que leur entier développement exige , on pense qu'elles vivent un très grand nombre d'années, même plus d’un siècle, et dès lors on ne doit point être étonné que l’on manque d'observations sur un espace de temps qui surpassé beaucoup celui de la vie des ob- servateurs. Mais si l’on ne connoît pas de faits précis relati- vement à la longueur de la vie des tortues franches; on en à recueilli qui prouvent que la tortue d’eau deace, appelée la Bourbeuse, peut vivre au moins quatre-vingts ans, et qui confirment par conséquent notre opinion touchant l’âge auquel les tortues de mer peuvent parvenir. Gelie longue durée de la vie des tortues lés a fait regarder par les Japonois comme un emblème du bonheur; et c’est apparemment par une suite de cette idée, qu'ils ornent des images plus ou moins défigurées de ces quadrupèdes, les temples de leurs dieux et les palais de leurs princes!. Une tortue franche peut, chaque été, donner l’exis- tence à près de trois cents individus, dont chacun, au bout d’un assez Court espace de temps, pourroit faire naître à son tour trois cents petites tortues. On sera donc émerveillé, si l’on pense au nombre prodigieux de ces animaux, dont une seule tortue 1, Histoire générale des Voyages, tem. XL, pag. 581, édit. in-12. 88 HISTOIRE NATURELEE peut peupler une vaste plage pendant la durée totale de sa vie. Toutes les côtes des zones torrides devroient être couvertes de ces quadrupèdes, dont la multipli- cation, loin d’être nuisible, seroit certainement bien plus avantageuse que celle de tant d’autres espèces ; mais à peine un trentième de petites tortues écloses peuvent parvenir à un certain développement; un nombre immense d'œufs sont d’ailleurs enlevés, avant que les petits aient vu le jour; et parmi les tortues qui ont déjà acquis une grandeur un peu considé- rable, combien ne sont point la proie des ennemis de toute espèce qui en font la chasse, et de l’homme qui les poursuit sur la terre et sur les eaux? Malgré tous les dangers qui les environnent, les tortues fran- ches sont répandues en assez grande quantité sur toutes les plages chaudes, tant de l’ancien que du nouveau continent!, où les côtes sont basses et sa- 1. Elles sont en si grand nombre aux îles du cap Vert, que plusieurs vaisseaux viennent s’en charger tous les ans, et les salent, pour les transporter aux colonies d'Amérique *. On dit qu’elles y mangent de l'ambre gris, que l'on y rencontre queiquefois sur les côtes. Voyage de Georges Robert au cap Vert et aux îles du même nom, en 1721, etc. Auprès du cap Blanc. les tortues sont en grand nombre et d'une telle grosseur, qu’une seule suffit pour rassasier trente hommes ; leur carapace n’a pas moins de quinze pieds de circonférence. Voyage de Lemaire aux iles Canaries, etc. Dampier a vu des tortues vertes (tortues franches) sur les côtes de l'ile de Timor. Voyage de Guillaume Dampier aux terres australes. M. Cook les a trouvées en très grande quantité auprès des rivages. de la Nouvelle-Hollande. À Cayenne, on en prend environ trois cents tous les ans, pendant les mois d'avril, de maï et de juin , où elles viennent faire leur ponte sur les amas de sable. Note communiquée par M. de La Borde. * Description des îles du cap Vert, Hisioire générale des Voyages, liv. V. DE LA TORTUE FRANCHE. 89 blonneuses : on les rencontre dans l’Amérique sep- tentrionale, jusqu'aux îls de Bahama, et aux côtes voisines du cap de la Floridet. Dans toutes ces con- irées des deux mondes, distantes de l'équateur de vingt-cinq ou trente degrés tant au nord qu'au sud, on retrouve la même espèce de tortues franches, un peu modifiée seulement par la différence de la tem- pérature, et par la diversité des herbes qu'elles pais- sent, ou des coquillages dont elles se nourrissent ; et cette grande et précieuse espèce de tortue ne peut- elle pas passer facilement d’une île à une autre? Les tortues franches ne sont-elles pas en effet des habi- tants de la mer, plutôt que de la terre? pouvant de- meurer assez de temps sous l’eau, ayant plus de peine à s'enfoncer dans cet élément qu'à s’y élever, nageant avec la plus grande facilité à sa surface, ne jouissent- elles pas dans leurs migrations de tout l'air qui leur est nécessaire ? Ne trouvent-elles pas sur tous les bas- fonds, l’herbe et les coquillages quileur conviennent? ne peuvent-elles pas d’ailleurs se passer de nourriture pendant plusieurs mois? et cette possibilité de faire de grands voyages n'est-elle pas prouvée par le fait, puisqu'elles traversent plus de cent lieues de mer, pour aller déposer leurs œufs sur les rivages qu’elles préfèrent , el puisque des navigateurs ont rencontré à plus de sept cents lieues de toute terre, des tortues de mer d'une espèce peu différente de la tortue fran- che?? ils les ont même trouvées dans des régions de 1. Catesby, ouvrage déjà cité. 2. Troisième voyage du capitaine Cook, traduetion françoise , Pa- ris, 1789, page 269. Catesby rapporte qu'étant, le 20 avril 1725, à trente degrés de lati- 90 HISTOIRE NATURELLE la mer assez élevées en latitude , où elles dormoient paisiblement en flottant à la surface de l’eau. _ Les tortues franches ne sont cependant pas si fort attachées aux zones torrides, qu’on ne les rencontre quelquefois dans les mers voisines de nos côtes. Il se pourroit qu’elles habitent dans la Méditerranée , où elles fréquenteroient de préférence , sans doute, les parages les plus méridionaux, et où les Caouanes, qui leur ressemblent beaucoup, sont en très grand nombre. Elles devroient y choisir pour leur ponte les rivages bas, sablonneux, presque déserts et très chauds qui séparent l'Égypte de la Barbarie propre- ment dite, et où elles trouveroient la solitude, l'abri, la chaleur et le terrain qui leur sont nécessaires: on n’a du moins jamais vu pondre des tortues marines sur les côtes de Provence ni du Languedoc, où ce- pendant l’on en prend de temps en temps quelques unes?. Elles peuvent aussi être quelquefois jelées par: des accidents particuliers vers de plus hautes latitu- des, sans en périr : Sibbald dit tenir d’un homme di- gne de foi, qu'on prenoit quelquefois des tortues marines dans les Orcades; et l’on doit présumer que les tortues franches peuvent non seulement vivre tude , et à peu près à une distance égale des îles Açores et de celles de Bahama , il vit harponner une tortue Caouane, qui dormoït sur la surface de la mer. Histoire naturelle de la Carotine , vol. IT, page 40. M. de La Borde a vu beaucoup de tortues qui nageoïent sur l’eau, à plus de trois cents lieues de terre. Note communiquée par M. de La Borde. 1. Voyez l'article de la Caouane. 2. Note eommuniquée par M. de Touchy, de la Société royale de. Montpellier. 3. Sibbald Prodomus , Hist. naturalis, Edimburgi , 1684. DE LA TORTUE FRANCHE. 1 Ne) un certain nombre d'années à ces latitudes élevées, ais même y parvenir à tout leur développement 1. Des tempêtes ou d’autres causes puissantes font aussi quelquefois descendre vers les zones tempérées et chassent des mers glaciales, les énormes cétacés qui peuplent cet empire du froid : le hasard pourroit donc faire rencontrer ensemble les grandes tortues franches et ces immenses animaux? ; et l’on devroit voir avec intérêt sur la surface de Fantique Océan, d'un côté les tortues de mer, ces animaux accoutu- més à être plongés dans les rayons ardents du soleil souverain dominateur des contrées torrides, et de l'autre, les grands cétacés qui, relégués dans un sé- jour de glaces et de ténèbres, n'ont presque jamais reçu les douces influences du père de la lumière, et au lieu des beaux jours de la nature , n’en ont pres- que jamais connu que les tempêtes et les horreurs. On peut citer surtout à ce sujet deux exemples remarquables. En 1752, une tortue fut prise à Dieppe où elle avoit été jetée dans le port, par une tour- mente : elle pesoit de huit à neuf cents livres, et avoit 1. M. Bomare a publié, dans son Dictionnaire d'Histoire naturelle, une lettre qui lui fut adressée , en 1771, par M. de Laborie, avocat au Conseil supérieur du Cap, île Saint-Domingue , d'après laquelle il pa- reit qu'une tortue pêchée, en 1754, dans le pertuis d’Antioche, étoit la même qu'une tortue embarquée fort jeune à Saint-Domingue, en 1742, par M. de Laborie le père. Elle pesoïit alors près de vingt-cinq livres ; elle s’échappa dans ce même pertuis d’Antioche, au moment où la tempête brisa le vaisseau qui l’avoit apportée, et elle acheva de croître sur les côtes de France. Dictionnaire d'Histoire naturelle de M. Valmont de Bomare , article des Tortues de mer. 2, On a pris de grandes tortues auprès de l'embouchure de la_ Loire, et un grand nombre de cachalots ont été jetés sur les côtes de: la Bretagne , il n’y a que peu d'années. 92 HISTOIRE NATURELLE à peu près six pieds de long, sur quatre pieds de largeur : deux ans après, on pêcha, dans le pertuis d’Antioche, une tortue plus grande encore; elle avoit huit pieds de long; elle pesoit plus de huit cents li- vres, et comme ordinairement, dans les tortues, l’on doit compter le poids des couvertures pour près de la moitié du poids total! la chair de celle du pertuis d’Antioche devoit peser plus de quatre cents livres. Elle fut portée à l’abbaye de Long-Veau, près de Vannes en Bretagne; la carapace avoit cinq pieds de long. Ce n'est que sur les rivages presque déserts, et par exemple sur une partie de ceux de l'Amérique, voi- sins de la ligne , et baignés par la mer Pacifique, que les tortues franches peuvent en liberté parvenir à tout l’accroissement pour lequel la nature les a fait naître, et jouir en paix de la longue vie à laquelle elles ont été destinées. Les animaux féraces ne sont donc pas les seuls qui, dans le voisinage de l’homme, ne peuvent ni croître ni se multiplier; ce roi de la nature, qui souvent en devient le tyran, non seulement repousse dans les déserts les espèces dangereuses, mais encore son in- satiable avidité se tourne souvent contre elle-même, et relègue sur les plages éloignées, les espèces les plus utiles et les plus douces; au lieu d'augmenter ses jouissances, il les diminue, en détruisant inutilement dans des individus, privés trop tôt de la vie, la pos- térité nombreuse qui leur auroit dû le jour. On devroit tôcher d’acclimater les tortues franches 1. Note communiquée par M. le chevalier de Widerspach. DE LA TORTUE FRANCHE. 99 sur toutes les côtes tempérées où elles pourroient al- ler chercher dans les terres des endroits un peu sa- blonneux, et élevés au dessus des plus hautes vagues, pour y déposer leurs œufs, et les y faire éclore. L’ac- quisition d'une espèce aussi féconde seroit certaine- ment une des plus utiles; et cette richesse réelle, qui se conserveroit et se multiplieroit d'elle-même, n’ex- citerait pas au moins les regrets de la philosophie, comme les richesses funestes arrachées avec tant de sueurs au sein des terres équatoriales. Occupons-nous maintenant des diverses espèces de tortues qui habitent au milieu des mers comme la tortue franche, et qui lui sont assez analogues par leur forme, par leurs propriétés, et par leurs habi- tudes , pour que nous puissions nous contenter d’in- diquer les différences qui les distinguent. ——— Or —— — (op. HISTOIRE NATURELEE Goscte0tototcposs FO APE PO PA BO DITS 0.60 56H00 OUR HOUSE POT CO TALOPC EVENE, LA TORTUE ÉCAILLE-VERTE. Nous ne conservons pas à la tortue, dont ilestiei question, le nom de Tortue verte, qui lui a été donné par plusieurs voyageurs, parce qu'on l’a appliqué aussi à la tortue franche, et que nous ne saurions prendre trop de précautions pour éviter l'obscurité de la nomenclature; nous ne lui donnons pas non plus celui de tortue Amazone qu'elle porte dans une grande partie de l'Amérique méridionale , et qui lui vient du grand fleuve des Amazones dont elle fré- quente les bordsi, parce qu'il paroît que ce nom a été aussi employé pour une tortue qui n’est point de mer, et par conséquent qui est très différente de celle-ci. Mais nous la nommons Écaille-verte, à cause de la couleur de ses écailles, plus vertes en effet que celles des autres tortues ; elles sont d’ailleurs très 1. La tortue écaille-verte n’est pas la seule qui fréquente la grande rivière de l’Amazone. « Les tortues de Amazone sont fort recherchées » à Cayenne, comme les plus délicates ; ce fleuve en nourrit de di- » verses grandeurs et de diverses espèces en si grande abondance, » que, seules avec leurs œufs, elles pourroient suffire à la nourriture » des habitants de ses bords. » Histoire générale des Voyages, tome LIIL, page 458, édit. in-19. DE LA TORTUE ÉCAILLE-VERTE, 99 belles, très transparentes, très minces, et cependant propres à plusieurs ouvrages. La tête des tortues écaille-verte est petite et arrondie. Elles ressem- blent d’ailleurs aux tortues franches, par leur forme et par leurs mœurs; elles ne deviennent pas cepen- dant aussi grandes que ces dernières; et, en général, elles sont plus petites environ d’un quart!. On les rencontre en assez grand nombre dans la mer du Sud, auprès du cap Blanco, de la Nouvelle-Espagne?. Il paroi qu'on Îles trouve aussi dans le golfe du Mexi- que, et qu'elles habitent presque tous les rivages chauds du Nouveau-Monde, tant en deçà qu'au delà de la ligne; mais on ne les a pas encore reconnues dans l’ancien continent. Leur chair est un aliment aussi délicat et peut-être aussi sain que celle des tor- tues franches; et il y a même des pays où on les pré- fère à ces dernières. Leurs œufs salés et séchés au 1. Note communiquée par M. le chevalier de Widerspach, corres- pondant du Cabinet du Roi. 2. « J'ai remarqué qu’à Blanco, cap de la Nouvelle-Espagne dans la » mer du Sud, les tortues vertes (l’espèce dont parle ici Dampier est » celle que nous nommons écaille-verte ) qui sont les seules que l’on » y trouve, sont plus grosses que toutes celles de la même mer. Elles » y pèsent ordinairement deux cent quatre-vingts ou trois cents livres : » le gras en est jaune , le maigre blanc, et la chaîr extraordinairement » douce. À Bocca Toro de Varragua, elles ne sont pas si grosses ; leur » chair est moins blanche , et leur gras moins jaune. Celles des baïes » de Honduras et de Campêche sont encore plus petites; le gras en est » vert, et le maigre plus noir; cependant ur capitaine anglois en prit » une à Port-Royal, dans la baïe de Campêche, qui avoit quatre » pieds du dos au ventre, et six pieds de ventre en largeur. Le gras » produisit huit galons d'huile, qui reviennent à trenie-cinq pintes » de Paris. » Dampier, tome I, page 115. 96 HISTOIRE NATURELLE soleil, sont très bons à manger. M. de Bomare est le seul nalaraliste qui ait indiqué cette espèce de tortue que nous n'avons pas vue, et dont nous ne parlons que d’après les voyageurs et les observations de M. le chevalier Widerspach. DE LA CAOUANE. (Ve SS] se He Gab TEE ET EPID TO PI PEBIPEDAGSDAE EE SEE BE GS ED 50-20 -E 6) EEE TOI DOC EE D LA CAOUANE. La Tortue CaouanE, Cuv. — Caretta Cephalo, Merr. — Testudo Mydas, Linn., var. a. — Testudo Ca- retta, Schæpff. La plupart des naturalistes qui ont décrit cette troisième espèce de tortue de mer, lui ont donné le 1. Le Caret. M. Daubenton , Encyclopédie méthodique. Testudo Caretta, Linn. Amph. rept. ( Nous devons observer que la figure de Séba , indiquée pour cette tortue par Linnée, ne représente pas la tortue Caret de ce naturaliste, mais celle qu’il a désignée par l'épithète latine de émbricata , et qui est notre caret, Testudo Cephalo, Hist. nat. des Tortues, par M. Schneider. Raï, Synopsis Quadrupedum , page 257. Testudo marina, Gacuana dicta. The lodger head Turtle. Browne, Hist. nat. de la Jamaique, p. 465, Testudo 3, unguibus utrinque bines acutis, squamis dorst quinque gibbis. Tortue caouane, Rochefort, Hist. des Antilles, page 248. Id. Labat, page 508. Kaouane, Du Tertre , page 228. Testudo marina, Caouana dicta. Sloane, Voyage aux îles Madère, Barbade , etc., vol. I1, page 531. Catesby, Car. vol. IT, page 59. T'estudo corticata vel corticosa. Rondelét . Hist, des poissons , Lyon, 1558, page 557. Canuarñeros et Juruca, aux Antilles. Dictionnaire d’'{lisioire natu- reile, par M, Valmont de Bomare. Où HISTOIRE NATURELLE nom de Caret; mais comme ce nom est appliqué, depuis long-temps, par les voyageurs, à la tortue qui fourait les plus belles écailles, nous conserverons à celle dont il est ici question, la dénomination de Cuouane sous laquelle elle est déjà très connue, et uniquement désignée par les naturels des contrées où on la trouve. Elle surpasse en grandeur la tortue franche !, et elle en diffère d’une manière bien mar- quée par la grosseur de la tête, la grandeur de la sueule, l'allongement et la force de la mâchoire su- périeure ; le cou est épais et couvert d’une peau lâ- che, ridée et garnie de distance en distance d’écailles calleuses?; le corps est ovale; etla carapace plus large au inilieu et plus étroite par derrière, que dans les autres espèces. Les bords de cette couverture sont warnis de lames, placées de manière à les faire paroti- ire dentés comme une scie : le disque présente trois rangées longitudinales d’écailles ; les pièces de la ran- sée du milieu se relèvent en bosse et finissent par derrière en pointe; la couverture supérieure paroît d’un jaune tacheté de noir, lorsque l’animal est dans l’eaué. Le plastron se termine du côté de l'anus, paï une sorte de bande un peu arrondie par le bout : il est garni communément de vingt-deux ou vingt-qua- tre écailles. La queue est courte ; les pieds qui sont couverts d’écailles épaisses, et dont les doigts sont 1. Catesby, Histoire naturelle de la Caroline, vol. IE, page 4o. Note communiquée par M. le chevalier de Widerspach. 2. Browne, Histoire naturelle de la Jamaïque , page 465. 3. Catesby, à l'endroit déjà cité. 4. Mémoires manuscrits, rédigés et communiqués par M. Fouge: roux de Bondaroy, de l'Académie des Sciences. DE LA CAOUANE. 99 réunis par une membrane, ont une forme très allon- gée et ressemblent à des nageoires, ainsi que dans la tortue franche; ceux de devant sont plus longs, mais moins larges que ceux de derrière; et ce qui est un des caractères distinctifs de la Caouane, c’est que les pieds de derrière, ainsi que ceux de devant, sont gar- nis de deux ongles aigus. La caouane habite les contrées chaudes du nou- veau continent, comme la tortue franche; mais elle paroît se plaire un peu plus vers le nord, que cette dernière ; on la trouve moins sur les côtes de la Ja- maïque !; elle habite aussi dans l’ancien monde; on la trouve même très fréquemment dans la Méditer- ranée où on en fait des pèches abondantes, auprès de Cagliari en Sardaigne et de Castel-Sardo, vers le quarante-unième degré de latitude; elle y pèse sou- vent jusqu’à quatre cents livres (poids de Sardai- gne )}?. Rondelet, qui habitoit le Languedoc, dit en avoir nourri une chez lui pendant quelque temps, apparemment dans quelque bassin. Elle avoit été prise auprès des côtes de sa province ; elle faisoit en- tendre un petit son confus, et jetoit des espèces de soupirs semblables à ceux que l'on a attribués à la tor- tue franche ?. Les lames ou écailles de la caouane sont presque de nulle valeur, quoique plus grandes que celles du caret dont on fait dans le commerce un si grand usage ; on s’en servoit cependant autrefois pour gar- 1, Browne , à l'endroit déjà cité. 2. Histoire naturelle des amphibies et des poissons de Sardaigne, par M. François Cetti Sassari , 1777, page 15. 5. Rondelet , Histoire des poissons. Lyon , 1558, page 558. +00 HISTOIRE NATURELLE nir des miroirs et d’autres grands meubles de luxe; anais maintenant on les rebute, parce qu'elles sont presque toujours gâtées par une espèce de gale. On a vu des caouanes ! dont la carapace étoit couverte de mousse et de coquillages, et dont les plis de la peau étoient remplis de petits crustacées. La caouane a l'air plus fier que les autres tortues : étant plus grande et ayant plus de force, elie est plus hardie ; elle a besoin d’une nourriture plus substan- tielle; elle se contente moins de plantes marines; elle est même vorace; elle ose se jeter sur les jeunes cro- codiles, qu’elle mutile facilement?; on assure que, pour atlaquer avec plus d'avantage ces grands qua- drupèdes ovipares, elle les attend dans le fond des creux, situés le long des rivages, où les crocodiles se retirent et où ils entrent à reculons, parce que la lon- eueur de leur corps ne leur permettroit pas de se re- tourner; et elle les y saisit fortement par la queue, sans avoir rien à craindre de leurs dents, Comume ses aliments, tirés en plus grande abon- dance du règne animal, sont moins purs et plus su- jets à la décomposition que ceux dé la tortue fran- che, et qu’elle avale sans choix des vers de mer, des mollasses, etc. 4, sa chair s’en ressent : elle est hui- leuse, rance, filamenteuse , coriace et d’un mauvais goût de marine. L'odeur de musc, que la plupart des 1. Browne, à l'endroit déjà cité. \ 2. Mémoire de M. de la Coudrenière, Journal de Physique, no- vembre 1782. 3. Note communiquée par M. Morceau de Saïnt-Méry, procureur général au Conseil supérieur de Saint-Domingue. A 4. Browne, à l’endroit déjà cité. DE LA CAOUANE. 101 tortues répandent, est exaltée dans la caouane, au point d’être fétide. Aussi cette tortue est-elle peu re- cherchée. Des navigateurs en ont cependant mangé sans peine? et l'ont trouvée très échauffante : on la sale aussi quelquefois, dit-on, pour l'usage des Nè- ores ?, tant on s'est empressé de saisir Loutes és res- sources que la terre et la mer pouvoient offrir, pour accroître le produit des travaux de ces infortunés. L'huile qu'on retire des caouanes est fort abondante ; elle ne peut être employée pour les aliments, parce qu'elle sent très mauvais; mais elle est bonne à brû- ler; elle sert aussi à préparer les cuits, et à enduire les vaisseaux qu'elle préserve, dit-on, des vers, peut- être à cause de la mauvaise odeur qu’elle répand. La caouane n'est donc point si utile que la Lortue franche : aussi a-t-elle été moins poursuivie , a-t-elle eu moins d'ennemis à craindre , et est-elle répandue en pius yrand nombre sur certaines mers. Naturelle- ment plus vigoureuse que les autres tortues, elle voyage davantage : on l’a rencontrée à plus de huit cents lieues de terre, ainsi que nous l'avons déjà rap- porté. D'ailleurs , se nourrissant quelquefois de pois- sons, elle est moins attachée aux côtes où croissent les algues. Elle rompt avec facilité dé grandes coquil- les, dé grands buccins, pour dévorer l’animal qui y est contenu; et, suivant les pêcheurs de l'Amérique septentrionale, on trouve souvent de très grands coquillages, à demi brisés par la caouanef, 1. Note communiquée par M. le chevalier de Widerspach. 2. Browne, Histoire naturelle de ja Jamaïque, page 466. 5. Nouveaux Voyages aux îles de l'Amérique . tome 1. page 508. 4. Catesby, vol. IL, page 40. LACÉDEDE, 11. 102 HISTOIRE NATURELLE Il est quelquefois dangereux de chercher à la pren- dre. Lorsqu'on s'approche d'elle pour la retourner, elle se défend avec ses pattes et sa gueule; et il est très difficile de lui faire lâcher ce qu’elle a saisi avec ses mâchoires. Cette grande résistance qu’elle oppose à ceux qui veulent la prendre, lui a fait attribuer une sorte de méchanceté : on lui a reproché, pour ainsi dire, une juste défense : on a condamné l'usage qu'elle fait de ses armes pour sauver sa vie; mais ce n'est pas la première fois que ie plus fort a fait un crime au plus foible de ce qui a retardé ses jouissan- ces ou mêlé quelques dangers à sa poursuite. Suivant Catesby, on a donné le nom de Coffre à une torlue marine assez rare, qui devient extrême- ment grande , qui est étroite, mais fort épaisse, et dont la couverture supérieure est beaucoup plus con- vexe que celle des autres tortues marines!. C'est cer- tainement la même que la tortue dont Dampier ? fait sa première espèce, el que ce voyageur appelle Grosse-Tortue, tortue à bahut ou Coffre. Toutes deux sont plus grosses que les autres tortues de mer, ont la carapace plus relevée, sont de mauvais goût et répandent une odeur désagréable , mais fournissent une grande quantité d'huile bonne à brüler. Nous les plaçons à la suite des caouanes, auxquelles elles nous paroissent appartenir, jusqu'à ce que de nouvelles observations nous obligent à les en séparer. 1. Testudo arcuata, torluc appelée Coffre. Catesby, vol. IT, p. 40. 2. Histoire générale des Voyages , tome XLVIIT, pages 3/4 et suiv. de DE LA TORTUE NASICORNE. 109 54192929 PA8020%0 80145802 M4P0H020 II 0 ESA HO Ps D9 80 400 PAS LOS 69. 3< 60 PORTO PO B0BIH-0H008 BR E LA TORTUE NASICORNE!. Caretta nasicornis, MErr. — T'estudo Caretta , Lin. —T'estudo imbricata, Scnorprr. —T'estudoCaouana, Daup. Les naturalistes ont confondu cette espèce avec la caouane , quoiqu'il soit bien aisé de la distinguer par nn caractère assez saillant, qui manque aux vérita- bles caouanes, et dont nous avons tiré le nom que nous lui donnons ici. C’est un tubercule d’une sub- stance molle, qui s'élève au dessus du museau, et dans lequel les narines sont placées. La nasicorne se trouve dans les mers du nouveau continent, voisi- nes de l'équateur; nous manquons d'observations pour parler plus en détail de cette nouvelle espèce de tortue ; mais nous nous regardons comme très fondés à la séparer de la caouane , avec laquelle elle a même moins de rapports qu'avec la tortue franche, 1. C’est à cette tortue qu'il faut rapporter celle qui est décrite dans Gronovius , Mus. 2 , page 85, n° 69 , et que Linnée a regardée comme étant la même que sa tortue caret, qui est nôtre caouane., Cette tor- ixe de Gronovins a au dessus du museau le inbercale qui distingue la nasicorne, 104 HISTOIRE NATURELLE suivant un des correspondants du Cabinet du Roi! : on la mange comme cette dernière, tandis qu’on ne se nourrit presque point de la chair de la caouane. Nous invitons les voyageurs à s'occuper de cette tor- tue, qui pourroit être la Tortue bâtarde des pêcheurs d'Amérique, ainsi qu'à observer celles qui né sont pas encore connues; il est d'autant plus important d'examiner les diverses espèces de ces animaux, que quoiqu’elles ne soient distinguées à l’extérieur que par un très petit nombre de caractères, il paroît qu’elles ne se mêlent point ensemble, et que par con- séquent elles sont très différentes les unes des autres?. 1. M. le chevalier de Widerspach. 2. Note communiquée par M. le chevalier de Widerspach. Quadrup Ov == ÈE e Î LS # Lo RAI F > 2e aa ni / D AON = — = == — A À \ VV N.Z, Rousseau pere N 771 s ri ARE 9 ELA TO RME ROTIRE ASE DU CARET. 105 20 20RPOP SEAPESNPST LENS SITES DIDSESSET SD EDOMES ETES DD 3 ED D-0 0 8 D SDS EE EE 0E SD LE CARET. Caretta imbricata, MErr. — Testudo imbricata , LiNN., SCHOEPFF. LE philosophe mettra toujours au premier rang la tortue franche, comme celle qui fourait la nourriture 1. La Tuilée. M. Daubenton , Encyclopédie méthodique. Testudo imbricata, 2. Länn., Amph. reptilia. Tortue caret. Rochefort. Testudo imbricata, Hist. natur, des Tortues, par M. Jcan Schneider. Testudo caretta. Catesby, Histoire naturelle de la Caroline, ‘vol. IL, page 60. Gronov. Zooph. 72. Rai, Synopsis animalium quadrupedum, page 258, Testudo caretta dicta. Bont. jav. 82, T'estudo squamata ? The hawk’s-bill Turtle. Testudo 1 major, unguibus utrinque quatuor. Browne, Histoire naturelle de la Jamaïque, Londres, 1756, page 465. Séba, mus. 1, tab. 80, fig. 9. Testudo caretta, Sloane. Voyage aux îles Madère, Barbade, etc., vol. II. Caret. Du Tertre, tome IT, page 229, n° 24. Caret, Labat, page 515. Caret, Dictionnaire d'Histoire naturelle, par M. Valmont de Bo- mare. 106 HISTOIRE NATURELLE la plus agréable et la plus salutaire; mais ceux qüi ne recherchent que ce quibrille, préféreront la tor- tue à laquelle nous conservons le nom de Caret , qui lui est généralement donné dans les pays qu’elle habite; c'est principalement cette tortue que l’on voit revêtue de ces belles écailles qui, dès les siècles les plus reculés, ont décoré les palais les plus somp- tueux : effacées dans des temps plus modernes par l’éèlat de l’or et par le feu que la taille a donné aux pierres dures et transparentes, on ne les emploie presque plus qu’à orner les bijoux simples mais élé- gants de ceux dont la fortune est plus bornée, et peut-être le goût plus pur. Si elles servent quelque- fois à parer la beauté, elles sont cachées par des orne- ments plus éblouissants ou plus recherchés qu’on leur préfère, et dont elles ne sont que les supports: Mais si les écailles de la tortue caret ont perdu de leur valeur parleur comparaison avec des substances plus éclatantes, et parce que la découverte du Nou- veau-Monde en a répandu une grande quantité dans l’ancien , leur usage est devenu plus général: on s’en sert d'autant plus qu'eiles coûtent moins; combien de bijoux et de petits ouvrages ne sont point garnis de ces écailles que tout le monde connoît, et qui réunissent à une demi-transparencel'éclat de certains cristaux colorés, et une souplesse que l’on a essayé en vain de donner au verre! Il est aisé de reconnoître la tortue caret au lui- sant des écailles placées sur sa carapace, et surtout à la manière dont elles sont disposées. Elles se recou- vrent cemme les ardoises qui sont sur nos toits; elles sont d’ailleurs communément au nowbre de treize DU CARET. 107 sur le disque, et elles ÿ sont placées sur trois rangs, comme dans la tortue franche ; le bord de la cara- pace, qui est beaucoup plus étroit que dans la plu- part des tortues de mer, est garni ordinairement de vingt-cinq lames. La couverture supérieure arrondie par le haut, et pointue par le bas, a presque la forme d'un cœur : le caret est d’ailleurs distingué des autres tortues marines par sa tête et son cou, qui sont beaucoup plus longs que dans les autres espèces; la mâchoire supérieure avance assez sur l'inférieure, pour que le museau ait une sorte de ressemblance avec le bec d’un oiseau de proie; et c'est ce qui l’a fait appeler par les Anglois Bec à faucon!. Cenom a un peu servi à obscurcir l’histoire des tortues; lorsque les natura- listes ont transporté celui de Curet à la caouane, ils n’en ont point séparé le nom de Bec à faucon, qu'ils lui ont aussi appliqué?; et, en histoire naturelle, lorsque les noms sont les mèmes, on n’est que trop porté à croire que les objets se ressemblent. On ren- contre le caret, ainsi que la plupart des autres tor- iues , dans les contrées chaudes de l'Amérique; mais on la trouve aussi dans les mers de l’Asie. C’est de ces dernières qu'on apportoit sans doute les écailles fines dont se servoient les anciens, même avant le temps de Pline , et que les Romains devoient d’autant plus estimer, qu'elles étoient plus rares et venoient de plus ïioin; car il semble qu'ils n’attachoient de 1. Catesby, Histoire naturelle de la Caroline, vol, IF, pag e 5g. 2. Browne, à l'endroit se cité. 5. Suivant Dampier, on n’en voit point dans a mer du Sud. 108 HISTOIRE NATURELLE valeur qu'à ce qui étoit pour eux le signe d’une plus grande puissance et d’une domination plus étendue. Le caret n'est point aussi grand que la tortue fran- che; ses pieds ont également la forme de nageoires, et sont quelquefois garnis chacun de quatre ongles. La saison de sa ponte est communément, dans l’Amé- rique septentrionale, en mai, juin et juillet; il ne dépose pas ses œufs dans le sable, mais dans un gra- vier mêlé de petits cailloux : ces œufs sont plus déli- cats que ceux des autres espèces de tortues, mais sa chair n'est point du tout agréable ; elle a même, dit- on, une forte vertu purgative!; elle cause des vomis- sements violents; ceux qui en ont mangé sont bien- tôt couverts de petites tumeurs, et attaqués d’une fièvre violente, mais qui est une crise salutaire lors- qu'ils ont assez de vigueur pour résister à l’activité du remède. Au reste, Dampier prétend que les bonnes ou mauvaises qualités de la chair de la tortue caret dépendent de l'aliment qu'elle prend, et par consé- quent très souvent du lieu qu'elle habite. Le caret, quoique plus petit de beaucoup que la tortue franche, doit avoir plus de force, puisqu'on l’a cru plus méchant; il se défend avec plus d’avan- tage lorsqu'on cherche à le prendre , et ses morsures sont vives et douloureuses; sa couverture supérieure est plus bombée, et ses pattes de devant sont, en proportion de sa grandeur, plus longues que celles des autres tortues de mer; aussi, lorsqu'il a été ren- versé sur le dos, peut-il, en se balançant, s’incliner 1. Dampier, tome L, DU GARET. 109 assez d'un côté ou de l’autre , pour que ses pieds sai- sissent la terre, qu'il se retourne, et qu'il se remetle sur ses quatre pattes. Les belles écailles qui recou- vrent sa carapace pèsent ordinairement toutes ensem- ble de trois à quatre livres!, et quelquefois même de sept à huit?. On estime le plus celles qui sont épais- ses, claires, transparentes, d’un jaune doré, el jas- pées de rouge et de blanc, où d'un brun presque noir?. Lorsqu'on veut les façonner, on les ramollit dans de l’eau chaude, et on les met dans un moule dont on leur fait prendre aisément la forme , à l’aide d'une forte presse de fer; on les polit ensuite, et on y ajoute les ciselures d’or et d’argent , et les autres ornements étrangers avec lesquels on veut en relever les couleurs. On prétend que, dans certaines contrées, et par- ticulièrement sur les côtes orientales et humides de l'Amérique méridionale, le caret se plaît moins dans la mer que dans les terres noyées, où il trouve appa- remment une nourriture plus abondante ou plus con- venable à ses goûts 4, 1. Dampier, tome I. . Raï, Synopsis quadrupedum, page 258. 5. Mémoires manuscrils, rédigés et communiqués par M. de Fou- Le] geroux. 4. Note communiquée par M. le chevalier de Widerspach, corres- pondant du Cabinet du Roï.« On dit que les tortues caret se nour- » rissent principalement d’une espèce de fungus, que les Américains » nomment Oreille de Juif. » Gatesby, à l'endroit déjà cité. 110 HISTOIRE NATURELLE eb Pobteÿe be 36e DC ECDEL 0H 86-7000 bed Bo BAL-CASEC SU SE EE LS BU 6 EDS EE LEP BUS LE LÜTH. Sphargis mercurialis, Merr. — T'estudo coriacea , LINN., SCHEEPFF., SCHN. La plupart des tortues marines, doul nous avons parlé, ne s’éloignent pas beaucoup des régions équa- toriales ; la caouane n’est cependant pas la seule que l’on trouve dans une des mers qui baignent nos con- tirées ; on rencontre aussi dans la Méditerranée , une’ espèce de ces quadrupèdes ovipares, qui surpasse ième quelquefois par sa longueur jes plus grandes tortues franches. On la nomme le Luth; elle fré- quente de préférence, an moins dans le temps de la ponte, les rivages déserts et en partie sablonneux, qui avoisinent les États barbaresques; elle s’avance peu dans la mer Adriatique, et si elle parvient rare- 1. En latin, Lyre. Rat de mer, et tortue à clin , par les pêcheurs de plusieurs contrées. Tortue luth. M. Daubenton , Encyclopédie méthodique. Testudo coriacea. 1. Linn.. amphibia reptilia. Tortue couverte comme de cuir, ou tortue mercuriale. Rondelet, Histoire des poissons. Lyon , 1558. Testudo coriacca. Vaudell. ad Linn., Patav. 1761. 4. Tesluilo coriaceu , Hisloire naturelle des tortues, par M. Schneïder: DU LUTH. lil ment jusqu’à la mer Noire, c’est qu’elle doit craindre le froid des latitudes élevées. Elle est distinguée de toutes les autres tortues, tant marines que terrestres, en ce qu'elle n’a point de plastron apparent. Sa ca- rapace est placée sur son dos comme une sorte de srande cuirasse ; mais elle ne s'étend pas assez par devant et par derrière pour que la tortue puisse mettre sa tête, ses pattes et sa queue à couvert sous cette sorte d’arme défensive. La tortue luth paroît se rapprocher par là des crocodiles et des autres grands quadrupèdes ovipares qui peuplent les riva- ges des mers. La couverture supérieure est convexe, arrondie dans une partie de son contour, mais ter- minée par derrière en pointe si aiguë et si allongée, qu’on croiroit voir une seconde queue placée au des- sus de la véritable queue de l'animal ; le long de cette carapace s'étendent cinq arêtes assez élevées, et dont celle du milieu est surtout très saillante ; quelques naturalistes ont compté sept arêtes, parce qu'ils ont compris dans ce nombre les deux lignes qui termi- nent la carapace de chaque côté. Celte couverture supérieure n'est point garnie d’écailles comme dans les autres tortues marines ; mais cette espèce de cui- rasse, ainsi que tout le corps, la tête, les pattes et la queue, est revêlue d’une peau épaisse, qui, par sa consistance et sa couleur, ressemble à un cuir dur et noir. Aussi Linnée a-t-il appelé la tortue luth, la Tortue couverte de cuir ; et a-t-elle plus de rapport que les autres tortues marines, avec les lamantins et les phoques dont les pieds sont recouverts d’une peau noirâtre et dure; le dessous du corps est aplati; les pattes ou plutôt les nageoires de la tortue luth, 112 HISTOIRE NATURELLE sent dépourvues d'ongles, suivant la plupart des na- turalistes ; mais j'ai remarqué une membrane en forme d’ongle aux pattes de derrière de celle que l’on con: serve dans le Cabinet du Roi; la partie supérieure du museau est fendue de manière à recevoir la par- tie inférieure qui est recourbée en haut. Rondelet dit avoir vu une tortue de cette espèce prise à Fronti- gnan, sur les côtes du Languedoc , longue de cinq coudées , large de deux , et dont on retira une grande quantité de graisse ou d’huile bonne à brûler 1. M. Amoureux le fils, de la Société royale de Mont- pellier, a donné la description d'une tortue de cette espèce, pêchée au port de Cette, en Languedec, et dont la longueur totale étoit de sept pieds cinq pouces?. Celle qui a servi à notre description, et dont nous rapportons les dimensions dans la note suivante ?, est à peu près de la même grandeur. 1, Rondelet, à l'endroit cité. 2. Journal de Physique , 1778. 3. Dimensions d'une tortue Luth : pie po lig. Longeur totale. . . . . . ET NO D ER RD RMC PRET GTOSseuR. 2 2 dns de etre tee elle lee + ile MONT EVNONREE Épaisseur. . . MA dr datés ie D A Te ae ete UT ON 1 O Longueur de la carapace. . . . . . . . . . . . ALP MEN SMRS Largeur de la carapace. . . . . . . . . . . eye ete Luéridheno Longueur du cou et de la tête. . . . . . . . . . . . . 1 5 o Longueur des mâchoires. . . . . . . . . . ...... © 8 6 Grosseur du cou! 2.24 DENON SEE Re T2 NO Grand diamètre des yeux. « ... . . + . «102. VE Ho t6 Longueur des pattes de devant. . ... . . . .. ..... D: 0 Grosseur des pattes de devant.. . . . . . . . . . . .. 1 11 6 Longueur des pattes de derrière.. . . . . . . . . . .. 126 o Grosseur des pattes de derrière. . : . . . .. .. Donald at 4 Longueur de la queue. . +... 4... 1 js 2D1)au à DU LUTH. 113 Les tortues luth n’habitent pas seulement dans la M“diterranée ; on les trouve aussi sur les côtes du Pérou , du Mexique, et sur la plupart de celles d’A- frique, qui sont situées dans la zone torride! : il pa- roit qu’elles s'avancent vers les hautés latitudes de notre hémisphère, au moins pendant les grandes cha- leurs. Le 4 août de l'année 1729, on prit, à treize lieues de Nantes, au nord de l'embouchure dela Loire, une tortue qui avoit sept pieds un pouce de long, trois pieds sept pouces de large et deux pieds d’épais- seur. M. de la Font, ingénieur en chef à Nantes, en envoya une description à M. de Mairan; tous les ca- ractères qui y sont rapportés sont entièrement con- formes à ceux de la tortue luth, conservée au Cabinet du Roi; à la vérité , il y est parlé de dents, qui ne se trouvent dans aucune tortue connue ; mais il est aisé de prendre pour des dents les grandes éminences formées par les échancrures profondes des deux mû- choires de la tortue luth; d’ailleurs la forme et la position de ces éminences répondent à ceiles des pré- tendues dents de la tortue pêchée auprès de Nantes. Cette dernière tortue luth poussoit d’horribles cris , suivant M. de la Font, quand on lui cassa la tête à coups de crochet de fer; ses hurlements auroient pu étre entendus à un quart de lieue; et sa gueule écu- mante de rage, exhaloit une vapeur très puante?. En 1956, un peu après le milieu de l'été, on prit aussi une assez grand tortue luth, sur les côtes de Cornouaille , en Angleterreÿ. M. Pennant a donné, 1. Mémoires manuscrits, rédigés par M. Fougeroux. . Histoire de l'Académie des Sciences, année 1729. . Zoologie Britannique, Londres, 1776, vol. IT. 2 7 J 2 14 HISTOIRE NATURELLE DU LUTH. dans les Transactions philosophiques, la descripion et la figure d'une très pelite tortue marine de trois pouces trois lignes de long, sur un pouce et demi de large. Îl'est évident, d'après la figure et la descrip- tion, que cette très jeune tortue étoit de l'espèce du luth , et avoit été prise peu de temps après sa sortie de l'œuf, ainsi que le soupçonne M. Pennant. Ce na- turaliste avoit vu cette tortue chez un marchand de Londres, qui ignoroit d'où on l’avoit apportée. La tortue Luth est une de celles que les anciens Grecs ont le mieux connues, parce qu'elle habitoit leur patrie : tout le monde sait que dans les con- trées de la Grèce, ou dans les autres pays situés sur les bords de la Méditerranée, la carapace d’une grande tortue fut employée par les inventeurs de la musique comme un corps d'instrument, sur le- quel ils attachèrent des cordes de boyaux ou de mélal. On a écrit qu'ils choisirent la couverture d’une tortue Luth; et telle fut la première lyre gros- sière qui servit à faire goûter à des peuples peu civi- lisés encore, le charme d’un art dont ils devoient tant accroître la puissance. Aussi la tortue Luth a-t-elle été, pour ainsi dire, consacrée à Mercure, que l’on a regardé comme l'inventeur de la lyre. Les modernes l'ont mème souvent, à l'exemple des anciens, appe- lée Lyre, ainsi que Luth; et il convenoit que son nom rappelât le noble et brillant usage que l'on fit de son bouclier, dans les premiers âges des belles régions baignées par les eaux de la Méditerranée. 1. Transactions philosophiques, année 1771, vol. LXI. a ——— > —————— AA LL LA WU LE VU MAUVE ELU LEVEL V LULU VEUU LEU LEE U LT UE MU RU UV ELA LULU SECONDE DIVISION. 600000000000 000000000 (60 TORTUES D'EAU DOUCE ET DE TERRE. LA BOURBEUSE”. Testudo (Emys) lutaria, var. b. Merr., Fitz. — T'es- tudo lutaria , Daun. —Testudo europea, Scuxetn., SCHOEPFF. Les différentes tortues dont nous avans déjà écrit l’histoire, non seulement vivent au milieu des eaux salées de la mer, mais recherchent encore l’eau douce des fleuves qui s'y jettent : elles vont anssi quelque- 1. En latin, mus aquatulis. En japonois , Jogame, où Doogame, ou Doocame. La Bourbeuse. M. Daubenton, Encyclopédie méthodique. Testudo lutaria, 7. Linn., amphib. rept. Rai, Synopsis quadrupedum, page 254, Testudo aquarum dulcium, seu lutaria. PRondelet, Histoire des poissons. Lyon, 1558, seconde partie, page 170. Ù Testuda*lutaria, 9. Schneider. 116 HISTOIRE NATURELLE fois à Lerre, soit pour y déposer leurs œufs, soit pour y paître les plantes qui y croissent. On ne peut done pas les regarder comme entièrement reléguées au milieu des grandes eaux de l'Océan; de même on doit dire qu'aucune des tortues dont il nous reste à parler, n’habite exclusivement l’eau douce ou les ter- rains élevés : toutès peuvent vivre sur la terre, toutes peuvent demeurer pendant plus ou moins de temps au milieu de l’onde douce et de l’onde amère, et l’on ne doit entendre ce que nous avons dit de la demeure des tortues de mer, et ce que nous ajouterons de celles des tortues d’eau douce et des tortues de terre, que comme l'indication du séjour qu'elles préfèrent, plutôt que d'une habitation exclusive. Tout ce qu'on peut assurer relativement à ces trois familles de tor- tues , c'est que le plus souvent on trouve la première au milieu des eaux saléés, la seconde au milieu des eaux douces, la troisième sur les hauteurs où dans les bois; et leur habitation particulière a été déter- minée par leur conformation lant intérieure qu’exté- rieure, ainsi que par la différence de la nourriture qu'elles recherchent, et qu’elles ne peuvent trouver que sur la terre, dans les fleuves où dans la mer. La bourbeuse est une des tortues que l’on ren- contre le plus souvent au milieu des eaux douces; elle est beaucoup pius pelite qu'aucune tortue ma- riue , puisque sa longueur, deépais le bout du museau jusqu’à l’extrémilé de la queue, n'excède pas ordi- nairement sept ou huit pouces, et sa largeur trois ou quatre. Elle est aussi beaucoup plus petite que la tor- tue terrestre, appelée ia Grecque : communément le tour de la carapace est garni de vingt-cinq lames, DE LA BOURBEUSE. lg bordées de stries légères ; le disque l’est de treize lames striées de même, foibiement pointiilées dans le centre, et dont les cinq de la rangée du milieu se relèvent en arête longitudinale. Ceite couverture supérieure est noirâtre et plus ou moins foncée. La partie postérieure du plastron est terminée par une ligne droite ; la couleur générale de la peau de cette tortue tire sur le noir, ainsi que celle de la carapace; les doigts sont très distincts l’un de l’au- ire. mais réunis par une membrane ; il y en a cinq aux pieds de devant, et quatre aux pieds de derrière; le doigt extérieur de chaque pied de devant est com- munément sans ongle ; la queue est à peu près lon- gue comme la moitié de la couverture supérieure ; au lieu de la replier sous sa carapace, ainsi que la plu- part des tortues de terre, la bourbeuse la tient éten- due lorsqu'elle marche; et c’est de là que lui vient le nom de Rat aquatique, Mus aquatilis, que les anciens lui ont donné?; lorsqu'on la voit marcher, on croiroit avoir devant les yeux un lézard dont le corps seroit caché sous un bouclier plus ou moins étendu. Ainsi que les autres tortues, elle fait enten- dre quelquefois un sifflement entrecoupé. On la trouve non seulement dans les climats tem- pérés et chauds de l’Europe, mais encore en Asie, “ 1, Histoire naturelle des amphibies et des poissons de la Sardaigne, page 12. 2. Rondelet, à l'endroit déjà cité. 5. Elle est en très grand nombre dans toutes les rivières de la Sar- daigne. Histoire naturelle des am phibies et des poissons de ce royaume, par M. Francois Cette, À Sassari, 1777, page 12. LACÉPEDE. IE, 8 110 HISTOIRE NATURELLE au Japon, dans les grandes Indes , etc. On la ren. contre à des latitudes beaucoup plus élevées que les tortues de mer : on l’a pêchée quelquefois dans les rivières de la Silésie; mais cependant elle ne sup- porteroit que très difficilement un climat très rigou- reux, et du moins elle ne pourroit pas y multiplier. Elle s’engourdit pendant l'hiver, même dans les pays tempérés. C’est à terre qu'elle demeure pendant sa torpeur : dans le Languedoc, elle commence vers la fin de l’automne à préparer sa retraite ; elle creuse pour cela un trou, ordinairement de six pouces de profondeur; elle emploie plus d’un mois à cet ouvrage. [! arrive souvent qu’elle passe l'hiver sans être entiè- rement cachée, parce que la terre ne retombe pas toujours sur elle, lorsqu'elle s'est placée au fond de son trau. Dès les premiers jours du printemps, elle change d’asile ; elle passe alors la plus grande partie du temps dans l’eau; elle s’y tient souvent à la sur- face , et surtout lorsqu'il fait chaud, et que le soleil luit. Dans l'été, elle est presque toujours à terre. Elle multiplie beaucoup dans plusieurs endroits aqua- tiques du Languedoc, ainsi qu'auprès du Rhône, dans les marais d'Arles, et dans plusieurs endroits de la Provence?. M. le président de la Tour d’Aygue, dont les lumières et le goût pour les sciences natu- relles sont connus, a bien voulu m'apprendre qu'on trouva une si grande quantité de tortues bourbeuses 1. Histoire générale des Voyages, tome XL, page 582, édition in-12. 2. Ces faits m'ont été communiqués par M. de Touchy, de la So- ciété royale de Montpellier. DE LA BOURBEUSE. 119 dans un marais d’une demi-lieue de surface, situé dans la plaine de la Durance, que ces animaux suflirent pendant plus de trois mois à la nourriture des paysans des environs. Ce n'est qu'à terre que la bourbeuse pond ses œufs ; elle les dépose, comme les tortues de mer, dans un trou qu'elle creuse, et elle les recouvre de terre ou de sable ; la coque en est moins molle que celle des œufs des tortues franches, et leur couleur est moins uniforme. Lorsque les petites tortues sont écloses, elles n’ont quelquefois que six lignes ou envi- ron de largeur. La bourbeuse ayant les doigts des pieds plus séparés , et une charge moins pesante que la plupart des tortues, et surtout que la tortue ter- restre , appelée la Grecque, il n’est pas bien surpre- nant qu'elle marche avec bien moins de lenteur lors- qu'elle est à terre, et que le terrain est uni. Les bourbeuses, ou les tortues d’eau douce pro- prement dites, croissent pendant très long-temps ainsi que les tortues de mer; mais le temps qu'il leur faut pour atteindre à leur entier développement est moindre que celui qui est nécessaire aux tortues franches , attendu qu’elles sont plus petites : aussi ne vivent-elles pas si long-temps. On a cependant observé que lorsqu'elles n’éprouvent point d'accidents, elles parviennent jusqu’à l’âge de quatre-vingts ans et plus; et ce grand nombre d'années ne prouve-t-il pas la longue vie que nous avons cru devoir attribuer aux grandes tortues de mer? 1. Note communiquée par M. le président de la Tour d'Aygue. 120 HISTOIRE NATURELLE Le goût que la tortue d’eau douce a pour les lima- cons, pour les vers, et pour les insectes dépourvus d'ailes, qui habitent les rives qu'elle fréquenté, ou qui vivent sur la surface des eaux, l’a rendue utile dans les jardins, qu'elle délivre d’animaux nuisibles, sans y causer aucun dommage. On la recherche d'’ail- leurs à cause de l’usage qu’on en fait en médecine, ainsi que de quelques autres tortues : elle devient comme domestique; on la conserve dans des bassins pleins d’eau, sur les bords desquels on a soin de met- tre une planche qui s'étende jusqu’au fond , quand ces mêmes bords sont trop escarpés, afin qu'eile puisse sortir de sa retraite , et aller chercher sa petite proie. Lorsque l’on peut craindre qu’elle ne trouve pas une nourriture assez abondante, on y supplée par du son et de la farine. Au reste, elle peut, comme les autres quadrupèdes ovipares , vivre pendant long- temps sans prendre aucun aliment, et même quel- que temps après avoir été privée d'une des parties du corps qui paroissent le plus essentielles à la vie, après avoir eu la tête coupée {. Autant on doit la multiplier dans les jardins que l'on veut garantir des insectes voraces, autant on doit l'empêcher de pénétrer dans les étangs et dans les autres endroits habités par les poissons. Elle atta- que même, dit-on, ceux qui sont d'une certaine grosseur; elle les saisit sous le ventre; elle les y mord, et leur fait des blessures assez profondes pour qu'ils perdent leur sang et s’afloiblissent bien. . Rai, Synopsis animalium. Londres , 1693, page 254. DE LA BOURBEUSE. 121 tôt ; elle les entraîne alors au fond de l’eau, et elle les y dévore avec tant d’avidité, qu'elle n'en laisse que les arêtes et quelques parties cartilagineuses de la tête : elle rejette aussi quelquefois leur vessie aérienne , qui s'élève à la surface de l’eau , et par le moyen des vessies à air, que l’on voit nager sur les étangs, l’on peut juger que le fond est habité par des tortues bourbeuses. 122 HISTOIRE NATURELLÉ LA RONDE”. Testudo (Emÿs) lutaria, Mgr. — T'estudo europæa ; ScHNEID., SCHOEPFF. — T'estudo lutaria ; DaAuD. — T'estudo orbicularis ; LIN. C’est dans l’Europe méridionale, suivant M. Lin- ñhée, que l’on trouve cette tortue : sa carapace est presque entièrement ronde, et c’est ce qui lui a fait donner le nom d’'Orbiculaire. Les bords de cette cara- pace sont recouverts de vingt-trois lames, dans deux individus conservés au Cabinet du Roi, et le disque l’est de treize. Ces lames sont très unies, et leur cou- leur, assez claire, est semée de très petites taches rousses, plus ou moins foncées. Le plastron est échan- cré par derrière, et recouvert de douze lames. Le museau se termine par une pointe forte et aiguë, en forme de très petite corne. La queue est très courte. Les pieds sont ramassés, arrondis; et les doigts réu- nis par une membrane commune, ne sont, en quel- 1. La Ronde. M. Daubenton , Encyclopédie méthodique. Testudo orbicularis, 5, Linn., Amphib. rept. l'estudo europæa , 5. Sehneiïder. DE LA RONDE. 125 que sorte , sensibles que par des ongles assez forts et assez longs. Ces ongles sont au nombre de cinq dans les pieds de devant, et de quatre dans les pieds de derrière. La tortue ronde habite de préférence au milieu des rivières et des marais, et ses habitudes doivent ressembler plus ou moins à celles de la bour- beuse, suivant le plus ou moins d'égalité de leurs forces. On rencontre les tortues rondes, non seulement dans les pays méridionaux de l'Europe , mais encore en Prusse!: les paysans de ce royaume les prennent et les gardent dans des vaisseaux qui contiennent la pourriture destinée à leurs cochons; ils pensent que ces derniers animaux s'en porient mieux el en engrais- sent davantage ; les tortues rondes vivent quelquefois plus de deux ans dans ceite sorte d’habitalion extraor- dinaire?. Il se pourroit que la ronde parvint à une grandeur un peu considérable, malgré la petite taille des deux individus que nous avons décrits, et qui n’ont pas plus de trois pouces neuf lignes de longueur totale, sur deux pouces cinq lignes de largeur, parce que ces deux petites tortues présentent tous les signes du premier âge et d’un développement très peu avancé. Si cela étoit, nous serions tentés de la regarder comme une variété de la Terrapène , dont nous allons parler. Mais, jusqu'à ce que nous ayons recueilli un plus grand nombre d'observations, nous les séparerons l’une de l’autre. 1. Ichthyologia , cum amphibiüis regni Bornssici methodo linnæana disposita a Johan. Christoph. Wulf. 2. Wulff, ouvrage déjà cité. 12/ HISTOIRE NATURELLE Les petites tortues rondes, que nous avons exami- nées, nous ont présenté un fait intéressant : les avant- dernières pièces de leur plastron étoient séparées et Jaissoient passer la peau nue du ventre, qui formoit une espèce de poche ou de gonflement plus considé- rable dans l’une que dans l’autre, et au milieu duquel on distinguoit, dans une surtout, l’origine du cor- don ombilical. Nous invitonsles naturalistes à remar- quer si, dans les autres espèces , les très jeunes tor- tues présentent cette scissure du plastron, et cette marque d’un âge peu avancé. L'on a observé dans le crocodile et dans quelques lézards, un fait analogue que l'on retrouvera peut-être dans un très grand nombre de quadrupèdes ovipares. ts RES At n l Quadrup - Ovip NL Rousseau pere JEup. LLA TORTUE JAUNE 2-LA RONDE 8-LA SERPENTINE. DE LA TERRAPÈNE. 129 DEPOT HOPHHETEREC POSE ES EEE ER ESP EEE ID LA TERRAPENE Testudo (Emys) centrata ? Merr. — T'estudo centrata, Larr., DauD. — T'estudo concentrica, Snaw. "se Nous conservons à cette tortue de marais ou d’eau douce, le nom de T'errapène, qui lui a été donné par Browne. On la trouve aux Antilles, et particu- lièrement à la Jamaïque; elle y est très commune dans les lacs et dans les marais où elle habite parmi les plantes aquatiques qui y croissent. Son corps, dit Browne, est en général ovale et comprimé; salongueur excède quelquefois huit ou neuf pouces. Sa chair est regardée comme un mets aussi sain que délicat?. Il paroît que cette tortue est la même que celle que Dampier a cru devoir nommer Hécate. Suivant ce voyageur, cette dernière aime en effet l’eau douce; elle cherche les étangs et les lacs d’où elle va rare- ment à terre. Son poids est de douze ou quinze li- vres. Elle a les pattes courtes , les pieds plats, le cou long et menu. Sa chair est un fort bon aliment$. Tous ces caractères semblent convenir à la terrapène. 1. The Terrapin, Testudo quarta minima lacustris, unguibus palma- rum quinis, plantarum quaternis, testa depressa. Browne, Histoire na- turelle de la Jamaïque , page 466. 2. Browne, à l'endroit déjà cité. 3. Dampier, tome I°*. 126 HISTOIRE NATURELLE KV errepapepor Ep DEPATOHORAE ED TeHOROPEPEDIPER ESP LE HOGCHOPOTOS0E0 008 EC T0D0LTD0 BCE LA SERPENTINE" Testudo, (Emys) serpentina, Merr. — Tesiudo ser- pentina, SCHNEID., SCHOEPFF. IL est aisé de distinguer cette tortue de toutes les autres, par la longueur de sa queue , qui égale pres- que celle de la carapace. Cette couverture supérieure est un peu relevée en arête longitudinale, et comme t4 A °\ e e e CUIE découpée par derrière en cinq pointes aiguës. Les doigts des pieds sont peu séparés les uns des autres. La serpentine habite au milieu des eaux douces de Ja Chine. 1! paroît que ses mœurs se rapprochent de celles de la bourbeuse; et que non seulement elle détruit les insectes, mais encore qu'elle se nourrit de pois- sons. 1. La Toriue Serpentine. M. Daubenton, Encyclopédie métho- dique. Testudo serpentina , 15. Linn., Amphib, rept. Testudo serpentina, 8. Schneider. DE LA ROUGEATRE. k27 stores Soon POTLPOPETETSE CESSE CPE E EG Er CB Ed DÉS SU ET CA EE Or Er EEE 00 LA ROUGEATRE”. Testudo (Terrapene) pensylvanica, Merr.— T'estudo pensylvanica , Linn., GMEL., SCHOEPFr. Noës donnons ici la notice d’une tortue envoyée de Pensylvanie, sous le nom de tortue de marais, et décrite par M. Edwards!. Le bout de sa queue est yarni d'une pointe aiguë et cornée, comme celles de plusieurs tortues grecques et de la tortue scor- pion. Ses doigts sont réunis par une membrane. Sa couleur générale est brune, mais les lames qui gar- nissent ses côtés, et les écailles qui recouvrent le tour de ses mâchoires et de ses yeux, sont d’un jaune rougeâtre que l’on retrouve aussi sur son plastron. 1. Glanures d'Histoire naturelle, par George Edwards. Londres, 1764 , seconde partie, chap. LXXVIT, pl. 287. 128 HISTOIRE NATURELLE EPS PERTE OBEBIDETIDIDEOPOBPEGIPOR DEP DOTOS CDS DEEE CD DE CE DOTOLSOE CEST OD0E ED-C1 LA TORTUE SCOR PION*. Testudo (Chersine) scorpioides, Mer. G'EsT à Surinam qu'habite cette tortue; sa carapace est ovale, d’une couleur très foncée, et relevée sur le dos par trois arêtes longitudinales ; le disque est garni de treize lames, dont les cinq du milieu sont très allongées, et on en compte communément vingt- trois sur les bords : douze lames recouvrent le plas- tron, qui n'est presque point échancré ; la tête est couverte par devant d’une peau calleuse, qui sedi- vise en trois lobes sur le front. La tortue scorpion a cinq doigts à chaque pied ; ils sont un peu séparés, et garnis d'ongles, excepté les doigts extérieurs des pieds de derrière : maïs ce qui lui a fait imposer son nom, et ce qui sert à la faire reconnoître , c’est une arwe dure , en forme de corne ou d’ongle cro- chu , qu’elle porte au bout de la queue, et qui a une sorte de ressemblance avec l'aiguillon du scorpion. 1. La Tortue Scorpion. M. Daubenton, Encyclopédie méthodique. Testudo scorpioides , 8. Linn., Amphib, rept. Testudo fimbriaia, 12. Schneïder. DE LA TORTUE SCORPION. 129 M. Linnée a fait connoître cette tortue, dont on con- serve au Cabinet du Roi plusieurs carapaces et plas- trons. Îls ont été envoyés comme ayant appartenu à une petite tortue de marais, qui habite dans les sava- nes noyées de la Guiane, et qui ne parvient jamais à une taille plus considérable que celle qui est indiquée par les couvertures envoyées au Cabinet du Roi : les plus grandes de ces carapaces ont six ou sept pouces de longueur, sur quatre ou cinq de largeur. Voilà donc une espèce de tortue d’eau douce ou de marais, dont la queue est garnie d’une caflosité ; nous remar- querons un caractère presque semblable dans plu- sieurs tortues grecques ou tortues terrestres propre- ment dites, et particulièrement dans celles qui ont atteint leur entier développement. 190 HISTOIRE NATURELLE LA JAUNE. Testudo (Emys) lutaria, var. à, Merr. — T'estudo flava , Daun.— T'estudo europea, LarTr. Nous avons vu vivants plusieurs individus de cette espèce de tortue d’eau douce, qui n’a encore été dé- crite par aucun des naturalistes dont les ouvrages sont les plus répandus. On les avoit fait venir d’Amé- rique, dans des baquets remplis d’eau, pour les em- ployer dans divers remèdes. Cette jolie tortue par- vient ordinairement à une grandeur double de celle des tortues bourbeuses. Une carapace qui avoit ap- partenu à un individu de cette espèce, et qui fait partie de la collection du Roi, a sept pouces neuf lignes de longueur. La tortue Jaune est agréablement peinte d'un vert d'herbe un peu foncé, et d’un jaune qui imite la couleur de l'or. Ces couleurs règnent non seulement sur sa carapace, mais encore sur sa tète, ses pattes, sa queue et tout son corps. Le fond de la couleur est vert, et c’est sur ce fond agréable que sont distribuées un très grand nombre de très petites taches d’un beau jaune, placées fort près les unes des autres, se touchant en quelques endroïts, DE LA JAUNE. 191 imitant ailleurs des rayons par leur disposition, et formant partout un mélange très doux à la vue; le disque est ordinairement recouvert de treize lames, et les bords de la carapace le sont de vingt-cinq. Le plastron est garni de douze lames, et la partie posté- rieure de cette couverture est terminée par une ligne droite, comme dans la bourbeuse, avec laquelle la Jaune a beaucoup de rapports. La forme générale de la tête est agréable; les pattes sont déliées; les doigts un peu réunis par une membrane, et armés chacun d’un ongle long, aigu et crochu. La queue est meuue, et presque aussi longue que la moitié de la carapace ; lorsque la tortue marche, elle la porte droite et éten- due comme la bourbeuse. Elle se meut avec moins de lenteur que les tortües de terre, et elle est aussi agréable à voir par la nature de ses mouvements, que par la beauté de ses couleurs. Lorsqu'elle va s’accoupler, elle fait entendre un petit gémissement, un petit cri d'amour. Un individu de cette espèce a été envoyé au Cabinet du Roi, sous le nom de Tor- tue terrestre. Ce qui a pu induire en erreur, c’est que toutes les tortues d'eau douce passent une très grande partie de l'année à terre, ainsi que nous l'a- vons dit de la bourbeuse. On ne la rencontre pas seulement en Amérique; on la trouve encore dans l’île de l’Ascension, d’où il est arrivé un individu de cette espèce au Cabinet du Roi: elle habite aussi dans les eaux douces de l’Europe , et n’y varie que par ses couleurs, qui sont quelquefois moins vives. 192 HISTOIRE NATURELLE LA MOLLE. Trionyz ferox, MErr. — Trionyx georgicus, G£orr. Testudo ferox ; PENN., SCHOEPFFr., GMEL. CETTE tortue est la plus grande des tortues d’eau douce ; sa taille approche de celle des petites tortues marines. M. Pennant est le premier qui en ait parlé?; il avoit reçu cet animal de la Caroline méridionale. Le docteur Garden, à qui ont avoit apporté deux individus de cette espèce, on avoit envoyé un à M. Ellis, et l’autre à M. Pennant. Cette tortue se trouve dans les rivières du sud de la Caroline : on l’y appelle tortue à écailles molles ; mais comme elle n’a point d’écailles proprement dites, nous avons préféré de l’appeler simplement la Molle. Elle habite en grand nombre dans les rivières de Savannah et d’Alatamaha: et l’on avoit dit à M. Garden qu'elle étoit aussi très commune dans la Floride orientale. Elle parvient à une grandeur considérable, et pèse quelquefois jus- 1. Testudo cartilaginea, Petri Boddaert, epistola de testudine car- tilaginea , ex museo Joan. Albert Schlosseri. Amsterd., 1772. Testudo ferox, G. Schneider. 2. Transactions philosophiques, année 1771, vol. LXI. DR 2 vi 1 Quadrup - Ovip F NL Rousseau pére 216: DE LA MOLLE. 199 qu’à soixante-dix livres. Une de celles que M. Garden avoit chez lui, pesoit de vingt-cinq à trente livres : ce naturaliste la garda près de trois mois, pendant lesquels il ne s’aperçcut pas qu'elle eût rien mangé d’un grand nombre de choses qu'on lui avoit pré- sentées. La carapace de cet individu avoit vingt pouces de long, el quatorze de large ; la couleur générale en étoit d’un brun foncé, avec une teinte verdâtre ; le milieu de cette couverture supérieure étoit dur, fort et osseux ; mais les bords, et particulièrement la par- tie postérieure étoient cartilagineux, mous, pliants, ressemblant à un cuir tanné, cédant aux impressions dans tous les sens, mais cependant assez épais et as- sez forts, pour défendre et garantir l’animal. Cette carapace étoit couverte vers la queue de petites élé- vations unies et oblongues, et vers la tête, d’éléva- tions un peu plus grandes. Le plastron étoit d’une belle couleur blanchâtre ; il étoit plus avancé de deux à trois pouces que la carapace, de telle sorte que, lorsque l'animal retiroit sa tête , il pouvoit la reposer sur la partie antérieure, qui étoit pliante et cartilagineuse. La partie posté- rieure du plastron étoit dure, osseuse, relevée et conformée de manière à représenter, selon M. Gar- den. une selle de cheval. La tête éloit un peu triangulaire et petite, relati- vemernt à la grandeur de l'animal; elle s'élargissoit du côté du cou, qui éloil épais , iong de treize pouces et demi, et que la tortue pouvoit retirer facilement sous la carapace. Les yeux étoient placés dans la partie antérieure LACÉPEDE. Il. 9 154 HISTOIRE NATURELLE et supérieure de la tête, assez près l’un de l’autre ; les paupières étoient grandes et mobiles, la prunelle étoit petite, et l'iris entièrement rond , et d’un jaune très brillant , faisoit paroître les yeux très vifs. Cette tortue avoit une membrane clignotante , qui se fer- mait lorsqu'elle éprouvoit quelque crainte, ou qu’elle s’endormoit. La bouche étoit située dans la partie inférieure de la tête, ainsi que dans les autres tortues : chaque mâchoire étoit d’un seul os : mais un des caractères les plus particuliers à cette tortue, étoit la forme et la position de ses narines. Le dessus de la mâchoire supérieure se terminoit par une production ceartila- gineuse un peu cylindrique, longue au moins de trois quarts de pouce , ressemblant au groin d'une taupe, mais tendre, menue et un peu transparente; à l’ex- trémité de cette production étoient placées les ou- vertures des narines qui s'ouvroient aussi dans Île palais. Les pattes éloient épaisses et fortes ; celles de de- vant avoient cinq doiïists, dont'les trois premiers étoient plus forts, plus courts que les deux autres, et garnis d'ongles crochus. À la suite du cinquième doigt, étoient deux espèces de faux doigts, qui ser- voient à étendre une assez grande membrane qui les réunissoit tous. Les pattes de derrière étoient con- formées de même, excepté qu'il n’y avoit qu’un faux doigt, an lieu de deux; elles étoient, ainsi que celles de devant, recouvertes d’une peau ridée, d’une cou- leur verdâtre et sombre. La tortue molle a beaucoup de force ; et comme elle est farouche , il arrive sou- vent que lorsqu'elle est attaquée, elle se lève sur ses DE LA MOLLE. 55 pattes, s’élance avec furie contre son ennemi, et le mord avec violence. La queue de l'individu apporté à M. Garden étoit grosse , large et courte. Cette tortue étoit femelle ; elle pondit quinze œufs, et on en trouva à peu près un pareil nombre dans son corps lorsqu'elle fut morte: ces œufs étoient parfaitement ronds et à pen près d’un pouce de diamètre. La tortue molle est très bonne à manger; et l'on dit même que sa chair est plus délicate que celle de ja tortue franche. Nous présumons qu'à mesure que l’on connoîtra mieux les animaux du nouveau continent, on retrou- vera dans plusieurs rivières de l'Amérique, tant sep- tentrionale que méridionale, la tortue molle que l’on a vue dans celles de la Caroline et de la Floride. Pendant que M. le chevalier de Widersbach, cor- respondant du Cabinet du Roï, étoit sur les bords de l’Oyapock dans l'Amérique méridionale, ses nè- gres lui apportèrent la tête et plusieurs autres parties d’une tortue d’eau douce qu'ils venoient de dépecer, et qu'il a cru reconnoître depuis dans la tortue molle, dont M. Pennant a publié la description. 130 HISTOIRE NATURELLE DISOBRIIAOITEHOMEEABEPATAEEPEMITEBEPEDO D EBEHEO-MIE ET EBEHOT TE MES SG PETITS EDESTOEX Lo LA GRECQUE 4 X Q ° Testudo (Chersine) græca, Merr., Linn., ScHOpPrr. — Testudo (Chersine) marginata, Merr., Daur., SGHeEPrr.— T'estudo (Chersine) retusa, MErr. — Testudo indica , Sonnein., SCHEEPFF., GMEL. OÙ LA TORTUE DE TERRE COMMUNE. ON nomme ainsi la tortue terrestre la plus com- mune dans la Grèce, et dans plusieurs contrées tem- pérées de l’Europe. On la, pendant très long-temps, appelée simplement tortue terrestre; mais comme cette épithète ne désigne que la nature de son 1. En grec, chelonc chersata. En Languedoc, Tourtuga dè Garriga. En japonois, [sicame ou Sankt. La Grecque. M. Daubenton, Encyclopédie méthodique. Rai, Synopsis animalium , page 255, Londres, 1695. Testudo ter- resiris vulgaris. Linn., Systema naturæ, edit. XIIT, page 552. T'estudo græca pedi- bus subdigitatis, testa postice gibbu, margine laterali obtusissimo scutellis plantusculis. Testudo græca, 16. Schneïder. P125 Quadrap-Ovrp | ] True D nn IBATORTUE CRECQUE _ 2 LA TORTUE GÉOMÉTRIQUE _ 3. LATORTUE RABOTEUSE DE LA GRECQUE. 197 habitation , qui est la mème que celle de plusieurs autres espèces , nous avons préféré la dénomination adoptée par les naturalistes modernes. On la rencontre dans les bois et sur les terres élevées; il n’est per- sonne qui ne l'ait vue ou qui ne la connoisse de nom; depuis les anciens jusqu’à nous, tout ie monde a parlé de sa lenteur : le philosophe s’en est servi dans ses raisonnements, le poëte dans ses images, le peuple dans ses proverbes. La tortue grecque peut, en eflet, passer pour un des plus lents des quadrupèdes ovi- pares. Elle emploie beaucoup de temps pour par- courir le plus petit espace : mais si elle ne s’avance. que lentement, les mouvements des diverses parties de son corps sont quelquefois assez agiles; nous lui avons vu remuer la tête, les pattes et la queue, avec un peu de vivacité. Et mème ne pourroit-on pas dire que la pesanteur de son bouclier, la lourdeur du poids dont elle est chargée, et la position de ses pattes pla- cées trop à côté du corps, et trop écartées les unes des autres, produisent presque seules la lenteur de sa marche? Elle a en effet le sang aussi chaud que plu- sieurs quadrupèdes ovipares qui s’élancent avec promptitude jusqu'au sommet des arbres les plus clevés; et quoique ses doigts ne soient pas séparés , comme ceux des lézards qui courent avec vitesse, ils ne sont cependant pas conformés de manière à lui interdire une marche facile et prompte. Les tortues grecques ressemblent, à beaucoup d’égards, aux tortues d’eau douce; leur taille varie beaucoup, suivant leur âge et les pays qu'elles habi- tent; il paroît que celles qui vivent sur les monta 198 HISTOIRE NATURELLE gnes sont plus grandes que les tortues de plaine. Celle que nous avons décrite vivante, et que nous avons mesurée en suivant lacourbure de la carapace, avoit près de quatorze pouces de iongueur totale, sur près de dix de largeur. La tête avoit un pouce dix lignes de long, sur un pouce deux lignes de largeur et un pouce d'épaisseur. Le dessus en était aplati et triangulaire. Les yeux étoient garnis d'une membrane l clignotante ; la paupière inférieure étoit seule mobile, ainsi que l’a dit Pline , qui a appliqué faussement aux crocodiles et aux quadrupèdes ovipares en général à cette conformation que nous avons observée dans la tortue grecque. Les mâchoires étoient très fortes et crénelées ; et l’intérieur en éloit garni d’aspérités que l’on a prises faussement pour des dents. La peau recou- vroit les trous auditifs; la queue étoit très courte ; elle n’avoit que deux pouces de longueur. Les pattes de devant avoient trois pouces sixlignes jusqu’à l’extré- nilé des doigts; et celles de derrière deux pouces six lignes. Une peau grenue , et des écailles inégales, dures et d'une couleur plus ou moins brune, cou- vroient la tête, les pattes et la queue. Quelques unes de ces écailles qui garnissoient l'extrémité des pattes étoient assez grandes, assez détachées de la peau et assez aiguës pour être confondues au premier coup- d'œil avec des ongles. Les pieds étoient ramassés, et comme ils étoient réunis et recouverts par une mem- brane, on ne pouvait les distinguer que par les ongles qui les terminoient 1. 1. Il est bon d'observer que , d'après celte conformation, M. Linnée n'auroit pas dû employer l'expression pedes subdigitati, dont ïl s’est servi pour désigner les pieds de la grecque ; cette remarque a déjà été = DE LA GRECQUE. 150 Les ongles des tortues grecques sont communé- ment plus émoussés que ceux des tortues d’eau douce, parce que la grecque les use par un frotte- ment plus continuel, et par une pression plus forte. Lorsqu'elle marche, elle frotte les ongles des pieds de devant séparément et l’un après l’autre contre le terrain, en sorte que lorsqu'elle pose un des pieds de devant à terre, elle appuie d’abord sur l'ongle intérieur, ensuite sur celui qui vient après, et ainsi sur tous successivement jusqu'à l’ongle extérieur : son pied fait, en quelque sorte, par là l'effet d’une roue, comme si la tortue cherchoit à élever très peu ses paites, el à s’avancer par une suite de petits pas successifs, pour éprouver moins de résistance de la part du poids qu’elle traîne. Treize lames, striées dans leur contour, recouvrent la carapace; les bords sont garnis de vingt-quatre lames, toutes, et surtout celles de derrière, beaucoup plus grandes en propor- tion que dans la plupart des autres espèces de tor- tues ; et par la manière dont elles sont placées les unes relativement aux autres, elles font paroître den- telée la circonférence de la couverture supérieure. Le plastron est ordinairement revêtu de douze ou treize lames ; il y en avoit treize dans la tortue que nous avons décrite. Les lames, qui recouvrent la carapace, sont marbrées de deux couleurs, l’une plus ou moins foncée, et l’autre blanchôtre. La couverture supérieure de la grecque est très bombée ; l'individu que nous avons décrit avoit qua- tre pouces trois lignes d'épaisseur; et c’est ce qui faite par M. Francois Cette, dans son Histoire naturelle des Amphibics et des Poissons de la Sardaigne , imprimée À Sassari, en 1777, page 8. 1/0 HISTOIRE NATURELLE fait que lorsqu'elle est renversée sur le dos, elle peut reprendre sa première situation, et ne pas rester en proie à ses ennemis, comme les tortues franches. Ce n'est pas seulement à l’aide de ses pattes qu’elle s’ef- force de se retourner; elle ne peut pas assez les écar- ter pour atteindre jusqu'à terre : elle se sert unique- ment de sa tête et de son cou, avec lesquels elle s'appuie fortement contre le terrain, cherchant, pour ainsi dire, à se soulever, et se balançant à droite et à gauche jusqu'à ce qu'elle ait trouvé le côté du terrain qui est ie plus incliné, et qui lui oppose le moins de résistance. Alcrs, au lieu de faire des efforts dans les deux sens, elle ne cherche plus qu'à se renverser du côté favorable, et à se relourner assez pour rencontrer la terre avec ses pattes , else remet- tre entièrement sur ses pieds. Îl paroît qu'on peut distinguer les mâles d'avec les femelles, en ce que celles-ci ont leur plastron presque plat, au lieu que les mâles l’ont plus ou moins concave. L'élément dans lequel vivent ies tortues de mer et les tortues d’eau douce, rend leur charge plus légère, car tout le monde sait qu'un corps plongé dans l’eau perd toujours de son poids; mais celle des tortues de terre n’est pas ainsi diminuée. Le fardeau que la grecque supporte est donc une preuve de la force dout elle jouit : celte force est d’ailleurs confirmée par la grande facilité avec laquelle elle brise dans sa sueule des corps très durs; ses mâchoires sent mues par des muscles si vivaces, que l’on a remarqué dans une petite torlue, dont la tête avoit été coupée une i. Histoire naturelle des Amphibies et des Poïssons de la Sardaigne, par M. François Cette , page 10. DE LA GRECQUE. 14: demi-heure auparavant, qu'elles claquoient encore avee un bruit assez sensible; et, dès le temps d’Aris- tote , on regardoit la tortue comme l'animal qui avoit en proportion le plus de force dans les mâchoires. Mais ce fait n’est pas le seul phénomène remarqua- ble que lestoriues grecques présentent relativement à la difficulté que lon épronve lorsqu'on veut ôter la vie aux quadrupèdes ovipares. François Redi a fait, à ce sujet, en Toscane, des expériences dont nous allons rapporter les principaux résultats!, Il prit une tortue grecque au commencement du mois de novem- bre ; il fit une large ouverture dans le crâne, et en enleva la cervelle, sans en laisser aucune portion dans la cavité qui la contenoil, et qu'il nettoya, pour ainsi dire , avec soin. Dès le moment que ia cervelle fur enlevée , les yeux de fa Lortue se fermèrent pour ne plus se rouvrir: mais l'animal ayant été mis en liberté, continua de se mouvoir, et de marcher comme sil n’avoit recu aucun mal. À la vérité, il ne s'avançoit, en quelque sorte, qu'en tâtonnant, parce qu'il ne voyoit plus. Après trois jours, une nouvelle peau couvrit l'ouverture du crâne , et la tortue vécut ainsi, en exécutant tous ses mouvements ordinaires, jusqu’au milieu du mois de mai, c'est-à-dire à peu près pendant six mois. Lorsqu'elle fut morte, Redi examina la cavité du crâne d’où il avoit ôté la cer- velle, et il n’y trouva qu'un petit grumeau de sang sec et noir; il répéta cette expérience sur plusieurs iortues , tant terrestres que d’eau douce , et même de mer: ettousces divers animaux vécurent sans cer- 1. Osservazioni di Francisco Redi, intorno agli aninali viventi, che si trovano negli animali viventi. Napoli, 1687, page 126. 142 HISTOIRE NATURELLE velle pendant un nombre de jours plus ou moins con- sidérable. Redi coupa ensuite la tête à une grosse tortue grecque, et après que tout le sang qui pou- voit s'écouler des veines du cou se fut épanché , la tortue continua de vivre pendant plusieurs jours , ce dont il fut facile de s’apercevoir par les mouvements qu'elle se donnoit, et la manière dont elle remuoit les pattes de devant et celles de derrière. Ce grand physicien coupa aussi la tête à quatre autres tortues, et les ayant ouvertes douze jours après cette opéra- üon , il trouva que leur cœur palpitoit encore; que le sang qui restoit à l'animal y entroil et en sortoit, et par conséquent que la tortue étoit encore en vie. Ces expériences, qui ont été depuis répétées par plusieurs physiciens, ne prouvent-elles pas ce que nous avons dit de la nature des quadrupèdes ovipares!? La tortue grecque se nourrit d'herbes, de fruits , et même de vers, de limaçons et d'insectes : mais cornme elle n’a pas l'habitude d'attaquer des animaux jui aient du sang, et de manger des poissons comme la bourbeuse , que l’on trouve dans les fleuves et dans les marais, où la grecque ne va point, les mœurs de cette tortue de terre sont assez douces; elle est. aussi paisible que sa démarche est lente; et la tran- quillité de ses habitudes en fait aisément un animal domestique, que l’on peut nourrir avec du son et de la farine , et que l’on voit avec plaisir dans les jar- dins, où elle détruit les insectes nuisibles. Comme les autres tortues, et tous les quadrupè- des ovipares, elle peut se passer de manger pendant 1. Voyez à la lête de ce volume le discours sur la nature des Qua- drupèdes ovipares. DE LA GRECQUE. 145 très long-temps. Gérard Blasius garda chez lui une tortue de terre, qui, pendant dix mois, ne prit abso- lument aucune espèce de nourriture ni de boisson. Elle mourut au bout de ce temps ; mais elle ne périt pas faute d'aliments, puisqu'on trouva ses intestins encore remplis d’excréments, les uns noirâtres, et les autres verts el jaunes : elle succomba seulement à la rigueur du froid. Les tortues grecques vivent très long-temps : 3 M. François Cette en a vu une en Sardaigne qui pesoit quatre livres, et qui vivoit depuis soixante ans dans une maison, où on la regardoit comme un vieux domestique?. Aux latitudes un peu élevées, les grec- ques passent l'hiver dans des trous souterrains, qu'elles creusent même quelquefois , et où elles sont plus ou moins engourdies, suivant la rigueur de la saison. Elles se cachent ainsi en Sardaigne vers la fin de novembre ÿ. Elles sortent de leur retraite au printemps; et elles s’accouplent plus où moins de temps après la fin de leur terpeur, suivant la température des pays qu’elles habitent : on a écrit et répété bien des fablesé tou- chant l’accouplement de ces tortues, l’ardeur des mâles, les craintes des femelles, etc. La seule chose que l’on auroit dû dire, c'est que les mâles de cette espèce ont reçu des organes très grands pour la pro- pagation de leur espèce ; aussi paroissent-ils recher- 1. Observations anatomiques de Gérard Blasius, p. 64. 2. Histoire naturelle des Amphibies et des Poissons de la Sardaigne, page 9- 3. Idem , ibidem. 4. Conrad Gesner., 144 HISTOIRE NATURELLE cher leurs femelles avec ardeur, et ressentir l’amour avec force; on a même prétendu que, dans les con- trées de l'Afrique où elles sont en très grand nom- bre. les mâles se battent souvent pour la libre pos- session de leurs femelles ; el que dans ces combats, animés par un des sentiments les plus impérieux, ils s'avancent avec courage, quoique avec lenteur, les uns contre les autres, et s'attaquent vivement à coups de tête 1, Le temps de la ponte des tortues grecques varie avec la chaleur des contrées où on les trouve. En Sardaigne, c’est vers la fin de juin qu’elles pondent leurs œufs ; ils sont au nombre de quatre ou de cinq, et blancs comme ceux de pigeon. La femelle les dépose dans un trou qu'elle a creusé avec ses pattes de devant. et elle les recouvre de terre. La chaleur du soleil fait éclore les jeunes Lortues qui sortent de l'œuf dès le commencement de septembre, n'étant pas encore plus grosses qu'une coque de noix?. La tortue grecque ne va presque jamais à l’eau; cependant elle est conformée à l’intérieur comme les tortues de mer: si elle n’est point amphibie de fait et par ses mœurs, elle lest donc jusqu’à ur certain point par son organisation. 1. M. Linnée, à l'endroit déjà cité. 2. Histoire naturelle des Amphibies et des Poissons de la Sardaigne, page 10. 5. Gérard Blasius, en disséquant une torlue de terre, trouva son péricarde rempli d'une quantité considérable d’eau limpide *. Nous verrons dans l'article du Crocodile, que le péricarde d’un alligaior, disséqué par Sloane , éloit également rempli d’eau. “ Observations anatomiques de Gérard Blusius, page 65. DE LA GRECQUE. Wo\ On trouve la tortue grecque dans presque toutes les régions chaudes et même tempérées de l’ancien continent, dans l'Europe méridionale, en Macé- doine, en Grèce, à Amboine, dans l'ile de Ceyla dans les Indes, au Japont, dans l’île de Bourbon?, dans celle de l’Ascension, dans Îles déserts de l’Afri- que : c’est surtout en Libye et dans les Indes que Îà chair de la tortue de terre est plus délicate et plus saine que celle de plusieurs autres tortues : et l’on ne voit pas pourquoi il a pu être défendu aux Grecs modernes et aux Turcs de s’en nourrir. Ce n’est que d’après des observations qui man- quent encore, que l’on pourra déterminer si les tor- tues terrestres de l'Amérique méridionale sont difit- rentes de la grecque“; si elles y sont naturelles, où si elles y ont été portées d’ailleurs. Dans cette même partie du monde, où elles sont très communes, on les prend avec des chiens dressés à les chasser. Ils les découvrent à la piste, et lorsqu'ils les ont trouvées, ils aboient jusqu'à ce que les chasseurs soient arrivés, On les emporte en vie; elles peuvent peser de cinq à six livres et au delà. On les met dans un jardin, ou DE Q) 1. Histoire généraie des Voyages, tome XL, page 582, éditionin-12. 2. « L'ile de Bourbon abondoït autrefois en tortues de terre; maïs » Jes vaisseaux en ont tant détruit, qu'il ne s'en trouve plus aujour- » d'hui que dans la partie occidentale , où les habitants même n’ont » la permission d'en tuer que pendant le carême. » Voyage de la Bar- binaïs le Gentil autour du monde. 5 « il y a des tortues de terre qui se nomment Sabutis dans la langue » du Brésil , et que les habitants du Para préfèrent aux autres espèces. » Toutes se conservent plusieurs mois hors de l’eau sans nourriture » sensible. » Histoire générale des Voyages, tome LIL, page 488, éditer in-12. 1/40 HISTOIRE NATURELLE dans une espèce de parc; on les y nourrit avec des herbes et des fruits ; et elles y multiplient beaucoup. Leur chair, quoique un peu coriace, est d'assez bon goût; les petites torlues croissent pendant sept ou huitans; les femelless’accouplent quoiqu'elles n'aient acquis que la moitié de leur grandeur ordinaire , mais les mâles ont atteint presque tout leur développe- ment lorsqu'ils s'unissent à leurs femelles; ce qui paroîtroit prouver que, dans cette espèce, les femel- les ont plus de chaleur que les mâles, et ce qui sem- bieroit contraire à l’ardeur que les anciens ont attri- buée aux mâles, ainsi qu’à l'espèce de retenue qu'ils ont supposée dans les femelies. À l'égard de l'Amérique septentrionale et des îles qui l’avoisinent, il paroît que les tortues grecques s’y trouvent avec quelques légères différences dépen- dantes de la diversité du climat. Leur grandeur dans les contrées tempérées de l’Europe, est bien au dessous de celle qu'elles peu- vent acquérir dans les régions chaudes de l'Inde. On a apporté, de la côte de Coromandel, une tortue grecque qui étoit longue de quatre pieds et demi, depuis l'extrémité du museau jusqu’au bout de la queue, et épaisse de quatorze pouces. La tête avoit sept pouces de long sur cinq de large, le cerveau et le cervelet n’avoient en tout que seize lignes de lon- cueur sur neuf de largeur ; la langue, un pouce de longueur, quatre lignes de largeur , une ligne d’épais- seur; la couverture supérieure , trois pieds de long sur deux pieds de large. Cette tortue étoit mâle, et 1. Note communiquée par M. de La Borde. DE LA GRECQUE. 147 avoit le plastron concave ; la verge , qui étoit enfer- mée dans le rectum, avoit neuf pouces de longueur, sur un pouce et demi de diamètre : la vessie étoit d’une grandeur extraordinaire ; on y trouva dauze livres d’une urine claire et limpide. La queue étoit très grosse; elle avoit six pouces de diamètre à son origine, et quatorze pouces de long. Après la mort de l'animal, elle étoit tellement inflexible , qu’il fut impossible de la redresser ; ce qui doit faire croire que la tortue pouvoit s’en servir pour frapper avec force. Elle étoit terminée par une pointe d’une substance dure comme de la cornet, et assez semblable à celle que l’on remarque au bout de la queue de la tortue scorpion. Les grandes tor- tues de terre ont donc reçu , indépendamment de leurs boucliers, des armes offensives assez fortes : elles ont des mâchoires dures et tranchantes, une queue et des pattes qu'elles pourroient employer à attaquer ; mais comme elles n’en abusent pas, et qu’il paroît qu’elles ne s’en servent que pour se défen- dre. rien ne contredit, et au contraire tout confirme la douceur des habitudes et la tranquillité des mœurs de la grecque. L'on conserve, au Cabinet du Roi, la dépouille de deux tortues grecques, qui étoient aussi très grandes; la carapace de l’une a près de deux pieds cinq pouces de longueur, et la seconde, près de deux pieds quatre pouces. Nous avons remarqué, au bout de la queue de la première , une callosité semblable à celle de la tortue de Coromandel : nous ne croyons 1. Mémoires pour servir à l'Histoire naturelle des animaux, article de la Grande Tortue des Indes. 148 HISTOIRE NATURELLE cependant pas que cette callosité soit un attribut de la grandeur dans les tortues grecques; nous avons vu en effet une dureté semblable au bout de la queue d'une tortue vivante, qui étoit à peu près de la taille de celle que nous avons décrite au commencement de cet article : àla vérité, comme elle en différoit par la couleur verdâtre et assez claire de ses écailles, il pour- roit se faire que cet individu, sur lequel nous n’avons pu recueillir aucun renseignement particulier, con- sütuât une variété constante, dont la queue seroit garnie d’une callosité beaucoup plus tôt que dans les tortues grecques ordinaires. Le Cabinet du Roi renferme aussi une tête de tor- tue de terre apportée de l'île Rodrigue, et qui a près de cinq pouces de longueur. VARIÉTÉ DE LA TORTUE GRECQUE. M. ÂArthaud, secrétaire perpétuel du cercle des Philadelphes , a bien voulu m'envoyer de Saint-Do- mingue une grande lortue terrestre, entièrement semblable à celle que j'ai décrite sous le nom de Tortue grecque, à l'exception des écailles qui garnis- soient sa tête, ses jambes et sa queue, et dont le plus grand nombre étoit d’un rouge assez vif. 1. Voyez l'Histoire naturelle des Tortues. par M, Schaeïder, impri- mée à Leipsick en 1785, page 548, et l'observation de M. Herman . savant professeur de Strasbourg, qui y est rapportée. DE LA GÉOMÉTRIQUE. 149 FDP RODOHOIPEPEPTOPIDIPIPODETEDEPODEHIFODIDTOETSODES STORE PITOTOEBEDOD IS DO 8 CD ES LA GÉOMÉTRIQUE" Testudo (Chersine) geometricu, MErr., Scanin., Scnoœrrr., DAup. Cerre tortue terrestre a beaucoup de rapports avec la grecque; ses doigts, bien loin d'être divisés, sont réunis par une peau couverte de petites écailles’, de manière à n’être pas distingués les uns des autres, et à ne former qu'une patte épaisse et arrondie, au de- vant de laquelle leurs extrémités sont seulement in- diquées par les ongles. Ces ongles sont au nombre de cinq dans les pieds de devant et de quatre dans les pieds de derrière ; d'assez grandes écailles recou- vrent je bas des pattes, et comme elles n'y tiennent que par leur base, et qu’elles sont épaisses et quel- quefois arrondies à leur sommet, on les prendroit pour des ongles attachés à divers endroits de la peau. 1. La Géométrique. M. Daubenton, Encyclopédie méthodique. Testudo geometrica, 15. Linn., Amphib. rept. Testudo picta seu stellata, Wormius , mus. 517. xai, Synopsis Quadr., pag. 259, Testudo tessellata nunor, Testudo testa tessellata major. Grew. mus. 56, tab, 3, f Seba. mus. 1. tab. 80, fig. 5 et 8. pd ete Testudo geometrica, 13. Schneider. LACÉLEDE, II, 10 190 HISTOIRE NATURELLE L'individu que nous avons décrit avoît dix pouces de long, huit pouces de large et près de quatre pouces d'épaisseur. La couverture supérieure de la tortue géométrique est des plus convexes. Les couleurs dont elle est variée la rendent très agréable à la vue. Les lames qui revêtent les deux couvertures, et qui sont communément au nombre de treize sur le disque, de vingt-trois sur les bords de la carapace, et de douze sur le plastron, se relèvent en bosse dans leur milieu; elles sont fortement striées, séparées les unes des autres par des espèces de sillons assez profonds, et la plupart hexagones. Leur couleur est noire; leur centre présente une tache jaune à six côtés, d’où partent plusieurs rayons de la même couleur ; elles montrent ainsi une sorte de réseau de couleur jaune, formé de lignes très distinctes, dessinées sur un fond noir, et ressemblant à des figures géométriques ; et c'est de là qu’a été tiré le nom que l’on donne à l’a- nimal. On trouve cette tortue en Asie, à Madagascar, dans l’île de l'Ascension , d’où elle a été envoyée au Cabinet du Roi, et au cap de Bonne-Espérance , où elle pond depuis douze jusqu’à quinze œufs! Plu- sieurs tortues géométriques diffèrent de celle que nous venons de décrire, par le nombre et la dispo- sition des rayons jaunes que présentent les écailles, par lélévation de ces mêmes pièces, par une cou- leur jaunâtre, plus ou moins uniforme sur je plas- tron, et par le peu «le saillie des lames qui garnissent cette couverture inférieure. Nous ignorons si ces va- riétés sont constantes ; si eiles dépendent du sexe 1. Note communiquée par M. Bruyère, de la Société royale de Montpellier. DE LA GÉOMÉTRIQUE. 151 où du climat , etc. Quoi qu'il en soit, nous croyons devoir rapporter à quelqu’une de ces variétés, jus- qu'à ce que de nouvelles observations fixent les idées à ce sujet, la tortue terrestre appelée Hécate par Browne!. Cette dernière est, suivant ce voyageur, naturelle au continent de l’Amérique, inais cepen- dant très commune à la Jamaïque où on en porte fré- quemment. Sa carapace est épaisse et a souvent un pied et demi de long : la surface de cette couverture est divisée en hexagones oblongs; des lignes déliées partent de leurs circonférences et s'étendent jusqu’à leurs centres qui sont jaunes. Nous pensons aussi que cette hécate de Browne, ainsi que la géométrique, sont peut-être la même espèce que la T'errapène de Dampier. Les Terra- pènes de ce navigateur sont beaucoup moins grosses que les tortues qu’il nomme Hécates, et qui sont les terrapènes de Browne, ainsi que nous l'avons dit. Elles ont le dos plus rond, quoique d’ailleurs elles leur ressemblent beaucoup. Leur carapace est comme naturellement taillée, dit ce voyageur; elles aiment les lieux humides et marécageux. On estime leur chair; il s’en trouve beaucoup sur les côtes de l’île des Pins, qui est entre le continent de l'Amérique et celle de Cuba : elles pénètrent dans les forêts, où les chasseurs ont peu de peine à les prendre. Ils les portent à leurs cabanes; et, après leur avoir fait une marque sur la carapace, ils les laissent aller dans les bois, bien assurés de les retrouver à si peu 1. Browne, Histoire naturelle de la Jamaïque , page 466. 152 HISTOIRE NATURELLE de distance, qu'après un mois de chasse, chacun re- connoît les siennes, et les emporte à Cuba. Au reste, nous ne cesserons de le répéter, l’histoire des tortues demande encore un grand nombre d'observations pour être entièrement éclaircies nous ne pouvons qu’indiquer les places vides, montrer la manière de les remplir, et fixer les points principaux autour des- quels il sera aisé d’arranger ce qui reste à découvrir. 1. Description de la Nouvelle-Espagne. Histoire générale des Voya- ges, troisième partie, livre V. DE LA RABOTEUSE. 152 O8 BREDBDEE ECOPEHEBSETSBIE SEE HSE 80 Poe Ho 9 HO B0-E-C HO dPO LEE O0 oo BE LOUE DE So Be LA RABOTEUSE"*. Testudo ( Emys) scripta? Merr. — Testudo scripta? ScHeæprr. — T'estudc scabra, GMEL. CETTE petite espèce de tortue est terrestre, suivant Séba; son museau se termine en pointe ; les yeux, ainsi que dans les autres tortues, sont placés oblique- ment; la carapace est presque aussi large que longue; les bords en sont unis par devant et sur les côtés, mais inégalement dentelés sur le derrière : les écailles qui les garnissent sont lisses et planes, excepté celles du dos, dont le milieu est rehaussé de manière à for- mer une arête longitudinale. Leur couleur est blan- châtre, traversée en divers sens par de très petites bandes noirâtres, qui la font paroître marbrée ; le plastron est festonné par devant; le milieu en étoit 1. La Tortue Raboteuse, M. Daubenton, Encyclopédie métho- dique. Testudo scabra, Linn. Testudo pedibus palmatis, testa planiuscula, scutellis omnibus inter- mediis dorsatis, Linn., Amphib. rept. Testud. 6. Gronovius Zoophit. 74. Seba musæum, lab. 79, fig. 1, 2. Testudo terrestris Amboinensis minor , 154 HISTOIRE NATURELLE un peu concave dans l'individu que nous avons dé- crit, et qui avoit près de trois pouces de long, de- puis le bout du museau jusqu’à l'extrémité de la queue, sur près de deux pouces de largeur!. Suivant Séba , la raboteuse ne devient jamais plus grande. Cette tortue a cinq ongles aux pieds de devant, et quatre aux pieds de derrière, dont le cinquième doigt est sans ongle ; la queue est courte ; la couleur de la tête, des pattes et de la queue, ressemble beaucoup à celle de la carapace; eile est d’un blanc tirant sur le jaune, varié par des bandes et des taches brunes, mais plus larges en certains endroits, et surtout sur la tête, que celles que l’on voit sur la couverture su- périeure, C’est dans les Indes orientales, et particu- lièrement à Amboine qu'habite cette tortue, qui ap- parlient aussi au Nouveau-Monde , et y vit dans la Caroline. 1. Cet individu fait partie de la collection du Cabinet du Roi. LA DENTELÉE. 155 4122203 5080 5040 #08.0 051800 Pa HOT O Has #0 56 0.20 80 Po 000 00H09 5-00 POLE Lo FUHELO ECO CBET LA DENTELÉE" Testudo (Chersine) denticulata, MErr. — Testudo denticulata , LiNN., SCHOEPFF. CETTE tortue n’est connue que par ce qu’en a rap- porté M. Linnée; ses doigts, au nombre de cinq dans les pieds de devant , et de quatre dans ceux de der- rière, ne sont pas séparés les uns des autres; ils se réunissent de manière à former une patte ramassée et arrondie, comime ceiles de beaucoup de tortues terrestres. La couverture supérieure a un peu la forme d’un cœur; son diamètre est ordinairement d’un ou deux pouces; les bords en sont dentelés et comme déchirés. Les lames qui la couvrent sont hexagones, relevées par des points saillants, et leur couleur est d’un blane sale. On trouve cette tortue dans la Vir- ginie. 1. La Dentelée, M. Daubenton, Encyclopédie méthodique. Testudo denticulata, 9. Tänn., Amphib. reptil. Testudo denticulata , 17. Schucider. 156 HISTOIRE NATURELLE . Ge sont les plus longues que Pline appelle Canines Histoire na- turelle , livre XT, chapitre 63. DU CROCODILE. 10) les dents incisives de l’homme et de plusieurs quadru- pèdes vivipares À. La mâchoire inférieure est la seule mobile dans le crocodile , ainsi que dans les autres quadrupèdes. Ii suffit de jeter les yeux sur le squelette de ce grand lézard, pour en être convaincu , malgré tout ce qu'on a écrit à ce sujet ?. Dans la plupart des vivipares, la mâchoire infé- rieure , indépendamment du mouvement de haut en bas, a un mouvement de droite à gauche et de gau- che à droite, nécessaire pour la trituration de la nour- riture. Ce mouvement a été refusé au crocodile, qui d’ailleurs ne peut mâcher que difficilement sa proie, parce que les dents d’une mâchoire ne sont pas pla- cées de manière à rencontrer celles de l’autré : mais elles retiennent ou déchirent avec force les animaux qu'il saisit, et qu'il avale le plus souvent sans les broyer®: il a par là avec les poissons un trait de res- semblance auquel ajoutent la conformation et la posi- tion des dents de plusieurs chiens de mer, assez sem- blables à celles des dents du crocodile. Les anciensf, et même quelques modernesÿ, ont 1. Mémoires pour servir à l'Histoire naturelle des animaux , t. II, article du Crocodile. 2. Labat, vol. II, page 344. Raï, Synopsis animalium , page 262. 3. « Le crocodile avale ses aliments sans les mâcher, et sans les mé- : ler avec de la salive : il les digère cependant avec facilité, parce » qu'il a en proportion une plus grande quantité de bile et de sucs » digestifs qu'aucun autre animal. » Voyez le Voyage en Palestine , par Hasselquist , page 346. 4. Voyez Pline, livre XI, chap. 65. 5. Histoire naturelle de la Jamaïque , page 461. 186 HISTOIRE NATURELLE pensé que le crocodile n’avoit pas de langue; il en a une cependant fort large , et beaucoup plus considé- rable en proportion que celle du bœuf, mais qu'il ne peut pas allonger ni darder à l'extérieur, parce qu'elle est attachée aux deux bords de la mâchoire inférieure, par une membrane qui la couvre. Cette membrane est percée de plusieurs trous, auxquels aboutissent des conduits qui partent des glandes de la langue. Le crocodile n'a point de lèvres; aussi, lorsqu'il marche ou qu'il nage avec le plus de tranquillité, montre-t-il ses dents, comme par furie; et ce qui ajoute à l'air terrible que cette conformation lui donne, c'est que ses yeux étincelants, très rappro- chés l'un de l'autre, placés obliquement , et présen- tant une sorte de regard sinistre, sont garnis de deux paupières dures , toutes les deux mobiles?, fortement ridées, surmontées par un rebord dentelé, et, pour ainsi dire, par un sourcil menaçant. Get aspect affreux n’a pas peu contribué sans doute à la réputation de cruauté insatiable que quelques voyageurs lui ont donnée : ses yeux sont aussi, comme ceux des oiseaux, défendus par une membrane clignotante qui ajoute à leur force à. Les oreilles, situées très près et au dessus des yeux, sont recouvertes par une peau fendue et un peu relevée, de manière à représenter deux paupiè- 1. Mémoires pour servir à l'Histoire aturelle des animaux, article du Crocodile. 2. Pline a écrit que la paupière inférieure du crocodile étoit seule mobile ; mais l'observation est contraire à celte opinion. 3. Browne, Histoire naturelle de la Jamaïque, page 461. DU CROCODILE. log res fermées, et c'est ce qui a fait croire à quelques naturalistes que le crocodile n’avoit point d'oreilles, parce que plusieurs autres lézards en ont l’ouverture plus sensible. La partie supérieure de la peau qui ferme les oreilles est mobile; et lorsqu'elle est levée, elle laisse apercevoir la membrane du tambour. Cer- tains voyageurs auront apparemment pensé que cette peau, relevée en forme de paupières, recouvroit des yeux; et voilà pourquoi l'on a écrit que l’on avoit tué des crocodiles à quatre yeux. Quelque peu proé- minentes que soient ces oreilles, Hérodote dit que les habitants de Memphis atiachoient des espèces de pendants à des crocodiles privés qu'ils nourrissoient,. Le cerveau des crocodiles est très petit?. La queue est très longue ; elle est, à son origine, aussi grosse que le corps, dont elle paroît une pro- longation ; sa forme aplatie, et assez semblable à celle d’un aviron , donne au crocodile une grande facilité pour se gouverner dans l’eau, et frapper cet élément de manière à y nager avec vitesse. Indépendammeni de ce secours, les trois doigts des pieds de derrière sont réunis par des membranes, dont il peut se ser- vir comme d'espèces de nageoires : ces doigts sont au nombre de quatre; ceux des pieds de devant, au nombre de cinq; dans chaque pied, il n’y a que les doigts intérieurs qui soient garnis d'ongles, et la lon- gueur de ces ongles est ordinairement d’un ou deux pouces. La nature à pourvu à la sûreté des crocodiles, en 1. Histoire des Moluques , livre IE, p. 116. 2. Mémoires pour servir à l'Histoire naturelle des animaux, article dn Crocodile, 108 HISTOIRE NATURELLE les revêlant d’une armure presque impénétrable ; tout leur corps est couvert d'écailles, excepté le som- met de la tête, où la peau est collée immédiatement sur l'os. Celles qui couvrent les flancs, les pattes et la plus grande partie du cou, sont presque rondes, de grandeurs différentes, et distribuées irrégulière- ment. Celles qui défendent le dos et le dessus de la queue sont carrées , et forment des bandes transver- sales. Il ne faut donc pas, pour blesser le crocodile , le frapper de derrière en avant, comme si les écailles se recouvroient les unes les autres, mais dans les Jointures des bandes qui ne présentent que la peau. Plusieurs naturalistes ont écrit que le nombre de ces bandes varioit suivant les individus. Nous les avons complées avec soin sur sept crocodiles de différentes grandeurs , tant de l'Afrique que de l'Amérique : lun avoit treize pieds neuf pouces six lignes de long. depuis le bout du museau jusqu'à l'extrémité de la queue; le second , neuf pieds ; le troisième et le qua- trième , huit pieds; le cinquième , quatre; le sixième, deux ; le septième étoit mort en sortant de l'œuf. Ils avoient tous le même nombre de bandes , excepté celui de deux pieds, qui paroissoit , à la rigueur , en présenter une de plus que les autres. Ces écailles carrées ont une très grande dureté, et une flexibilité qui les empêche d’être cassantes!; 1.« Les écailles du crocodile sont à l'épreuve de la balle, à moins » que le coup ne soit tiré de très près, ou le fusil très chargé. Les » Nègres s’en font des bonnets, ou plutôt des casques , qui résistent à » [a hache. » Labat, vol. 11, page 347; Voyage d’Atkins ; Histoire gé- nérale des Voyages, livre VIL. La dureté de ces écailles doit être cependant relative à l’âge, aux individus, et peut-être au sexe. M. de La Borde assure que la croûte DU CROCODILE. 10) le milieu de ces lames présente une sorte de crête dure qui ajoute à leur solidité, et le plus souvent , elles sont à l'épreuve de la balle. L'on voit sur le milieu du cou deux rangées transversales de ces écail- les à tubercules, l’une de quatre pièces, et l’autre de deux; et de chaque côté de la queue s'étendent deux rangs d’autres tubercules, en forme de crêtes, qui la font paroître hérissée de pointes, et qui se réunis- sent à une certaine distance de son extrémité, de manière à n’y former qu'un seul rang. Les lames qui garnissent le ventre, le dessous de la tête, du cou, de la queue, des pieds et la face intérieure des pat- tes, dont le bord extérieur est le plus souvent den- telé, forment également des bandes transversales ; elles sont carrées et flexibles, comme celles du dos, mais bien moins dures et sans crêtes. C’est par ces parties plus foibles que les cétacés et les poissons voraces attaquent le crocodile ; c’est par là que le dauphin fui donne la mort, ainsi que le rapporte Pline, et lorsque le chien de mer, connu sous le nom de Poisson-scie, lui livre un combat qu'ils sou- tiennent tous deux avec furie, le poisson-scie ne pouvant percer les écailles tuberculeuses quirevêtent dont les crocodiles sont revêtus, ne peut être percée par la balle qu'au dessous des épaules. Suivant M. de la Coudrenière, on peut aussi La percer à coups de fusil sous le ventre et vers les yeux. Obser- vations sur le crocodile de la Louisiane , par M. de la Coudrenière. Journal de Physique, 1782. 1. Les crêtes voisines des flancs ne sont pas plus élevées que les autres, et ne peuvent point opposer une plus grande résistance à la balle, ainsi qu'on l'a décrit. Je m'en suis assuré par l'inspection de plusieurs crocodiles de divers pays. 190 HISTOIRE NATURELLE le dessus de son ennemi, plonge et le frappe au ventre 1. La couleur des crocodiles tire sur un jauae verdà- tre, plus ou moins nuancé d’un vert foible, par taches et par bandes, ce qui représente assez bien la couleur du bronze un peu rouillé. Le dessous du corps, de la queue et des pieds, ainsi que la face intérieure des pattes, sont d’un blanc jaunâtre : on a prétendu que le nom de ces grands animaux venoit de la ressemblance de leur couleur, avec celle du safran, en latin crocus, et en grec crocos. On a écrit aussi qu'il venoit de crocos et de deilos, qui signifie timide, parce qu'on a cru qu'ils avoient horreur du safran ?. Aristote paroît penser que les crocodiles sont noirs : il y en a en eflet de très bruns sur la rivière du Sénégal, ainsi que nous l'avons dit, mais ce grand philosophe ne devoit pas les connoître. Les crocodiles ont queiquefois cinquante- neuf VEr- tèbres; sept dans le cou, douze dans le dos, cinq dans les lombes, deux à la place de l’os sacrum , et trente-trois dans la queue; mais ie nombre de ces vertèbres est variable. Leur œsophage est très vaste, et susceptible d’une grande dilatation; ils n’ont point de vessie comme les tortues ; leurs uretères se déchar- sent dans le rectum ; l’anus est situé au dessous et à l'extrémité postérieure du corps; les parties sexuelles des mâles sont renfermées dans l’intérieur du corps, jusqu'au moment de l’accouplement, ainsi que dans 1. Histoire générale des Voyages, tome XXXIX , page 55, édition in-12, >. Gesner, de Quadrup. ovip., page 18. DU CROGODILE. 101 les autres lézards et dans les tortues; et ce n'est que par l’anus qu’ils peuvent les faire sortir. Ils ont deux glandes ou petites poches au dessous des mâchoires, et deux autres auprès de l'anus : ces quatre glandes contiennent une matière volatile, qui leur donne une odeur de muse assez forte. La taille des crocodiles varie suivant la tempéra- ture des diverses contrées dans lesquelles on Îles trouve. La longueur des plus grands ne passe guêre vingt-cinq ou vingt-six pieds dans les climats qui leur conviennent le mieux; il paroît même que, dans cer- laines contrées qui leur sont moins favorables, comme les côtes de ia Guiane, leur longueur ordi- 1, Voyez le Voyage aux iles Madère, Barbade, de la Jamaïque, etc., par Sloane , tome IL, page 552. On y trouve une description des par- ties intérieures du crocodile, que nous traduisons en partie ici, at- tendu qu'elle a été faite sur un assez grand individu, sur un alligator de seize pieds de long. « La trachée-artère étoit fléchie : elle présen- » toit une division avant d'entrer dans les poumons, qui n’étoient » que des vésicules, entremêlées de vaisseaux sanguins , et qui éloient » composés de deux grands lobes, un de chaque côté de l’épine du » dos. Le cœur étoit petit ; le péricarde renfermoit une grande quan- » lité d’eau. Le diaphragme paroïissoit membraneux, ou plutôt tendi- » neux et nerveux. Le foie étoit long et triangulaire : il y avoit une » grande vésicule du fiel, pleine d’une bile jaune et claire. Je n’ob- » servai point de rate { c'est toujours Sloane qui parle) : les reins » placés auprès de l'anus, étoient larges et attachés à l’épine..…. Ce » crocodile n’avoit point de langue ( ceci ne doit s'entendre que d’une langue libre et dégagée de toute membrane) : l'estomac, qui étoit » fort large, et garni intérieurement d’une membrane dure, conte- » noit plusieurs pierres rondes et polies, du gravier tel qu'on le » trouve sur le bord de la mer, et quelques arêtes... Les yeux étoient » sphériques et garnis tous les deux d’une forte membrane cligno- » tante : la pupille étoit allongée comme celle des chats. » On peut comparer ces détails avec ceux que donne Hasselquist, dans son voyage en Palestine , pages 544 el suiv. ÿ 192 HISTOIRE NATURELLE naire ne s'étend pas au delà de treize ou quatorze pieds!. Un individu de cette longueur , dont la peau 1. Browne prétend que les crocodiles parviennent souvent à la longueur de quatorze à vingt-quatre pieds. Histoire naturelle de la Jamaïque. page 461. Les crocodiles, ou alligators , sont très communs sur les côtes et dans les rivières profondes de la Jamaïque , où on en prit un de dix- neuf pieds de long, dont on offrit la peau comme une rareté à Sloane. Voyage aux iles Madère, Barbade, de la Jamaïque , ctc., par Sloane. volume IT, page 352. « La rivière du Sénégal abonde , auprès de Ghiam, en crocodiles, » beaucoup plus gros et plus dangereux que cenx qui se trouvent à » l'embouchure. Les laptôts du général en prirent un de vingt-cinq » pieds de longs, à la joie extrême des habitants, qui se figurèrent » que c’étoit le père de tous les autres, et que sa mort jetteroit l'effroi » parmi tous les monstres de sa race. » Second voyage du sieur Brue sur le Sénégal. Histoire générale des Voyages. Quelques voyageurs ont attribué une grandeur plus considérable au crocodile. Barbot dit qu'il s’en est trouvé dans le Sénégal et dans la Gambie, qui n’avoient pas moins de trente pieds de long : suivant Smith, ceux de Sierra-Léona ont la même longueur. Jobson parle aussi d'un crocodile de trente-lrois pieds de long ; mais comme il n’à- voit mesuré que la trace que cet animal avoit laïssée sur le sable, son témoignage ne doit pas être compté. Smith , voyage en Guinée. Voyage du cap. Jobson. Histoire générale des Voyages, livre VIT. On trouve, suivant Catesby, à la Jamaïque, et dans plusieurs en- droits du continent de l'Amérique septentrionale, des crocodiles de plus de vingt pieds de long. On peut voir dans Gesner, livre IT, article du Crocodile, tout ce que les anciens ont écrit touchant la grandeur de cet animal , auquel quelques uns d’eux ont attribué une longueur de vingt-six coudées. Hasselquist dit, dans son voyage en Palestine, page 347, que les œufs du crocodile qu'il décrit, avoient appartenu à une femelle de trente pieds. « Sur le bord d'une rivière, qui se jette dans la baïe de Saint-Au- » gustin , île de Madägascar, les gens du capitaine Keeling tuèrent à » coups de fusil un alligator, espèce de crocodile, qu'ils virent marcher » fort lentement sur la rive. Quoique mort d'un grand nombre de » coups, les mouvements convulsifs qui lui restoient encore étoient DU CROCODILE. 109 est conservée au Cabinet du Roi, a plus de quatre pieds de circonférence dans l'endroit je plus gros du corps, ce qui suppose une circonférence de huit à neuf pieds dans les plus grands crocodiles. Au reste, on pourra juger des proportions de ce grand quadru- pède ovipare , par la note suivante ! qui présente les principales dimensions de lindividu dont nous venons de parler. C’est au commencement du printemps que l’amour fait éprouver ses feux au crocodile. Cet énorme qua- drupède ovipare s’unit à sa femelle en la renversant capables d'inspirer de la frayeur. Il avoit scize pieds de long; ct sa gueule étoit si large, qu'il ne parut pas surprenant qu'elle pût en- gloutir un homme. Keeling fit transporter ce monstre jusqu'à son vaïsseau, pour en donner le spectacle à tous ses gens. On l’ouvrit : 5 » l'odeur qui s’en exhala parut fort agréable; mais quoique la chair ne le fût pas moins à la vue, les plus hardis matelots n’osèrent en » goûter. » Voyage du capitaine William Keeling à Bantam et à Banda, en 1607. pi. po. lig. ilonoueuritotale.n241)0 20e re nee s.. + 19 9 6 Éongneur dedartête.s. . 00. RIR NUR © SION AN ar 26%" Longueur depuis l’entre-deux des yeux, jusqu’au bout du museau, . . . . QUE RE PC SEE AE RE 1 6 Longueur de la mâchoire supérieure. . . . . . . . .. JL Oo 10 isongueur de la partie de la mâchoire qui est armée de deniss ir tus APR SIT AS PR ENS OR SE EN Distance destdeupiyeux. #13: 444 400. À PP EDNS EN à 0 2 o Grand diameéiretdehænen tit ie ge EP GERS Circonférence du corps à l’endroit le plus gros. . . . . 4 4 6G Largeur de la tête derrière les yeux. . . . . . .. . .. 20 20776 Largeur du museau à l'endroit le plus étroit. . . . . . M'ois8 lo Longueur des pattes de devant jusqu’au bout des doigts. 1 9 o Longueur des pattes de derrière jusqu’au bout des doigts. 2 9 53 Ponsueurde la quene 00 PAPER AIMANT MG OS Circonférence de la queue à son origine. . . .. . . .. 2 10 0 19/4 HISTOIRE NATURELLE sur le dos, ainsi que les autres lézards ; et leurs embrassements paroissent très étroits. On ignore la durée de leur union intime; mais, d’après ce que l’ou a observé touchant les lézards de nos contrées, leur accouplement, quoique bien plus court que celui des tortues, doit être plus prolongé, ou du moins plus souvent renouvelé que celui de plusieurs vivipares; et lorsqu'il a cessé, l’attention du mâle pour sa compagne ne passe pas tout-à-fait avec ses désirs , et il l’aide à se remettre sur ses pattes. On à cru, pendant long-temps, que les crocodiles ne faisoient qu'une ponte ; mais M. de La Borde nous apprend que, dans l’Amérique méridionale, la femelle fait deux et quelquefois trois pontes éloignées l’une de l’autre de peu de jours ; chaque ponte est de vingt à vingt-quatre œufs, et par conséquent il est possi- ble que le crocodile en ponde en tout soixante-douze, ce qui se rapproche de l’assertion de M. Linnée, qui a écrit que les œufs du crocodile étoient quel- quefois au nombre de cent. La femelle dépose ses œufs sur le sable, le long des rivages qu'elle fréquente ; dans certaines con- trées, comme aux environs de Cayenne et de Suri- nam ?, elle prépare assez près des eaux qu’elle habite, un petit terrain élevé, et creux dans le milieu; elle y ramasse des feuilles et des débris de plantes, au milieu desquels elle fait sa ponte ; elle recouvre ses œufs avec ces mêmes feuilles ; il s’excite une sorte de fermentation dans ces végétaux, et c'est la chaleur 1. Note communiquée par M. de La Borde, médecin da Roi à Cayenne, et correspondant du Cabinet de Sa Majesté. 2, Note communiquée par M. de La Borde, DU CROCODILE. 199 qui en provient, jointe à celle de l'atmosphère, qui fait éclore les œufs. Le temps de la ponte commence, aux environs de Cayenne , en même temps que celui de la ponte des tortues, c’est-à-dire dès le mois d'avril; mais il est plus prolongé. Ce qui est très sin- gulier, c'est que l'œuf d'où doit sortir un animal aussi grand que l’alligator, n'est guère plus gros que l'œuf d’une poule d'Inde, suivant Catesbyf. Il y a, au Cabinet du Roi, un œuf d’un crocodile de qua- torze pieds de longueur, tué dans la haute Égypte, au moment où il venoit de pondre. Îl est ovale et blanchâtre ; sa coque est d’une substance crétacée, semblable à celle des œufs de poule, mais moins dure ; la tunique intérieure qui touche à l’enveloppe crétacée , est plus épaisse et plus forte que dans la plupart des œufs d'oiseaux. Le grand diamètre n’est que de deux pouces cinq lignes, et le petit diamètre d’un pouce onze lignes. J'en ai mesuré d’autres, pon- dus par des crocodiles d'Amérique, qui étoient plus allongés, et dont le grand diamètre étoit de trois pouces sept lignes, et le petit diamètre de deux pouces. Les petits crocodiles sont repliés sur eux-mêmes dans leurs œufs; ils n’ont que six ou sept pouces de long lorsqu'ils brisent leur coque. On a observé que ce n’est pas toujours avec leur tête, mais quelque- fois avec les tubercules de leur dos qu'ils la cassent. Lorsqu'ils en sortent, ils traînent attaché au cordon ombilical, le reste du jaune de l’œuf, entouré d’une membrane, et une espèce d’arrière-faix, composé de :, Catesby, Histoire naturelle de la Caroline, vol. IL, page 63, 3100 HISTOIRE NATURELLE l'enveloppe dans laquelle ils ont été enfermés. Nous l'avons observé dans un jeune crocodile, pris en sor- tant de l’œuf, et conservé au Cabinet du Roi. Quel- que temps après qu'ils sont éclos, on remarque encore sur le bas de leur ventre l'insertion du cordon ombilicalt, qui disparoît avec le temps; et les rangs d’écailles qui étoient séparés, et formoient une fente longitudinale par où il passoit, se réunissent insen- siblement. Ce fait est analogue à ce que nous avons remarqué dans de jeunes tortues, de l'espèce appelée la Ronde, dont le plastron éloit fendu, et dont on voyoit au dehors la portion du ventre où le cordon ombilical avoit été attaché. Les crocodiles ne couvent donc pas leurs œufs ; on auroit dû le présumer, d’après leur naturel, et l’on auroit dû, indépendamment du témoignage des voyageurs , refuser de croire ce que dit Pline du cro- codile mâle, qui, suivant ce grand naturaliste, couve, ainsi que la femelle, les œufs qu’elle a pondus?. Si nous jetons en effet les yeux sur les animaux ovipares qui sont susceptibles d’affections tendres et de soins empressés; si nous observons les oiseaux , nous ver- rons que les espèces les moins ardentes en amour, sont celles où le mâle abandonne sa femelle après en avoir joui : ensuite viennent les espèces où le mâle prépare le nid avec elle, où il la soulage dans la recherche des matériaux dont elle se sert pour le construire , où il veille attentif auprès d’elie pendant qu’elle couve, où il paroiît charmer sa peine par son chant : et enfin celles qui ressentent le plus vivement 1. Séba, vol. [. pages 162 et suiv. 2. Pline, livre X. chap. 82. DU CROCODILE. 197 les feux de l'amour, sont les espèces où le mâle par- tage entièrement avec sa compagne le soin de couver les œufs. Le crocodile devroit donc être regardé commé très tendrement amoureux, si le mâle cou- voit les œufs ainsi que la femelle. Mais comment attri- buer cette vive , intime et constante tendresse, à un animal qui, par la froideur de son sang, ne peut éprouver presque jamais ni passions impétueuses, ni sentiment profond ? La chaleur seule de l’atmosphère,; ou celle d’une sorte de fermentation, fait donc éclore les œufs des crocodiles; les petits ne connaissent donc point de parents en naissant; mais la nature leur a donné assez de force, dès les premiers moments de leur vie, pour se passer de soins étrangers. Dès qu'ils sont éclos, ils courent d'eux-mêmes se jeter dans l’eau, où ils trouvent plus dé sûreté et de nour- riture?. Tant qu'ils sont encore jeunes, ilssont cepen- dant dévorés non seulement par les poissons voraces, mais encore quelquefois par les vieux crocodiles qui; tourmentés par la faim , font alors par besoin ce que d’autres animaux sanguinaires paroissent faire uni- quement par cruauté. On n’a point recueilli assez d'observations sur les crocodiles, pour savoir précisément quelle est la durée de leur vie; mais on peut conclure qu'elle est très longue , d’après l'observation suivante, que M. le vicomte de Fontange, commandant pour le Roi dans 1. Cependant, suivant M. de La Borde , à Surinam , la femelle du crocodile se tient toujours à une certaine distance de ses œufs, qu’elle garde , pour ainsi dire, et qu’elle défend avec une sorte de fureur, lorsqu'on veut y toucher. 2. Catesby, Histoire naturelle de la Caroline, etc., vol. IF, page 63. LACÉPÈVLE. IL 19 108 HISTOIRE NATURELLE l'ile Saint-Domingue, a eu la bonté de me communi- quer. M. de Fontange a pris à Saint-Domingue de jeunes crocodiles qu'il a vus sortir de l'œuf; il les a nourris , et a essayé de les amener vivants en France; le froid qu'ils ont éprouvé dans la traversée, les a fait périr. Ces animaux avoient déjà vingt-six mois, et ils n'avoient encore qu'à peu près vingt pouces de longueur. On devroit donc compter vingt-six mois d'âge pour chaque vingt pouces que l’on trouveroit dans la longueur des grands crocodiles, si leur accrois- sement se faisoit toujours suivant la même propor- tion ; mais, dans presque tous les animaux, le déve- loppement est plus considérable dans les premiers temps de leur vie. L'on peut donc croire qu'il fau- droit supposer bien plus de vingt-six mois pour cha- que vingt pouces de la longueur d’un crocodile. Ne comptons cependant que vingt-six mois, parce qu'on peurroit dire que , lorsque les animaux ne jouissent pas d’une liberté entière, leur accroissement est retardé , et nous trouverons qu’un crococile de vingt- cinq pieds n’a pu atteindre à tout son développe- ment qu’au bout de trente-deux ans et demi. Cette lenteur dans le développement du crocodile, est con- firmée par l'observation des missionnaires mathéma- ticiens que Louis XIV envoya dans l'Orient, et qui, ayant gardé un très jeune crocodile en vie pendant deux mois, remarquèrent que ses dimensions n’avoient pas augmenté, pendant ce temps, d’une manière sensiblet. Cette même lenteur a fait naître, sans doute, l'erreur d’Aristote et de Pline, qui pensoient 1. Mémoires pour servir à l'Histoire naturelle des animaux, t. II. DU CROCODILE. 109 que le crocodile croissoit jusqu’à sa mort; et elle prouve combien la vie de cet animal peut être lon- que. Le crocodile habitant en effet au milieu des eaux, presque autant que les tortues marines, n’étant pas revêtu d’une croûte plus dure qu'une carapace, et croissant pendant bien plus de temps que la tor- tue franche, qui paroît être entièrement développée après vingt ans, ne doit-il pas vivre plus long-temps que cette grande tortue, qui cependant vit plus d’un siècle? Le crocodile fréquente de préférence les rives des srands fleuves, dont les eaux surmontent souvent leurs bords, et qui, couvertes d’une vase limoneuse, offrent en plus grande abondance les testacées , les vers, les grenouilles et les lézards dont il se nourrit!. Il se plaît surtout dans l’Amérique méridionale?, au milieu des lacs marécageux, et des savanes noyées. Catesby, dans son Histoire naturelle de la Carolineÿ, nous représente les bords fangeux, baignés par les eaux salées, comme couverts de forêts épaisses d’ar- bres de banianes, parmi lesquels des crocodiles vont se cacher. Les plus petits s’enfoncent dans des buis- sons épais, où les plus grands ne peuvent pénétrer, et où ils sont à couvert de leurs dents meurtrières. 1. « Les crocodiles de l'Amérique septentrionale fréquentent non » seulement les rivières salées proche de la mer, maïs aussi le courant » des eaux douces plus avant dans les terres , et les lacs d'eaux salées » et d'eaux douces. Ils se tiennent cachés sur leurs bords, parmi les ro- > seaux, pour surprendre le bétail et les autres animaux. » Catesby, Histoire naturelle de la Caroline, vol. II, page 65. 2. Observations communiquées par M. de La Borde. : 5. Catesby, vol. IT, page 63. 200 HISTOIRE NATURELLE Ces bois aquatiques sont remplis de poissons destruc- teurs, et d’autres animaux qui se dévorent les ans les autres. On y rencontre aussi de grandes tortues ; mais elles sont le plus souvent la proie de ces pois- sons carnassiers, qui, à leur tour, servent d’aliment aux crocodiles, plus puissants qu'eux tous. Ces forêts noyées présentent les débris de cette sorte de car- nage, et l’on y voit flotter des restes de carcasses d'animaux à demi dévorés. C’est dans ces terrains fangeux que, couvert de boue, et ressemblant à un arbre renversé, il attend immobile, et avec la patience que doit lui donner la froideur de son sang, le mo- ment favorable de saisir sa proie. Sa couleur, sa forme allongée, son silence, trompent les poissons, les oiseaux de mer, les tortues, dont il est très avide. Il s’élance aussi sur les béliers, les cochons!, et même sur les bœufs : lorsqu'il nage, en suivant le cours de quelque grand fleuve, il arrive souvent qu'il n’élève au dessus de l’eau que la partie supérieure de sa tête ; dans cette attitude, qui lui laisse la liberté des yeux, il cherche à surprendre les grands animaux qui s’ap- prochent de l’une ou de l’autre rive; et lorsqu'il en voit quelqu'un qui vient pour y boire, il plonge, va jusqu’à lui en nageant entre deux eaux, le saisit par les jambes, et l’entraîne au large pour l’ÿy noyer. Si la faim le presse, il dévore aussi les hommes?, et par- ticulièrement les Nègres , sur lesquels on a écrit qu'il 1. Catesby, Histoire naturelle de la Caroline, vol. IT, page 63. 2. Dans l'Égypte supérieure, ils dévorent très souvent les femmes qui viennent puiser de l’eau dans le Nil , et les enfants qui se jouent sar ke bord du fleuve. Hasselquist. Voyage en Palestine, page 843. DU CROCODILE. 201 se jette de préférence. Les très grands crocodiles surtout, ayant besoin de plus d'aliments, pouvant être aperçus et évités plus facilement par les petits animaux, doivent éprouver plus souvent et plus vio- lemment le tourment de la faim, et par conséquent être quelquefois très dangereux, principalement dans l’eau. C’est en effet dans cet élément que le croco- dile jouit de toute sa force, et qu'il se remue avec agilité, malgré sa lourde masse, en faisant souvent entendre une espèce de murmure sourd et confus. S'il a de la peine à se tourner avec promptitude , à cause de la longueur de son corps, c’esl toujours avec la plus grande vitesse qu'il fend l’eau devant lui pour se précipiter sur sa proie; il la renverse d’un coup de sa queue raboteuse, la saisit avec ses griffes, la déchire , ou la partage en deux avec ses dents fortes et pointues, et l’engloutit dans une gueule énorme, qui s'ouvre jusqu’au delà des oreilles pour la recevoir. Lorsqu'il est à terre , il est plus embarrassé dans ses mouvements, et par conséquent moins à craindre pour les animaux qu'il poursuit; mais, quoique moins agile que dans l’eau , il avance très vite quand le che- min est droit etle terrain uni. Aussi, lorsqu'on veut lui échapper, doit-on se détourner sans cesse, On lit dans la description de la Nouvelle-Espagne?, qu'un voyageur anglois fut poursuivi avec tant de vitesse par un monstrueux crocodile sorti du lac de Nicara- gua, que si les Espagnols qui l’accompagnoient ne lui eussent crié de quitter le chemin battu, et de 1. Observations sur le crocodile de la Louisiane, par M. de la Coudrenière, Journal de Physique, 1782. 2. Histoire générale des Voyages, V® partie. 202 HISTOIRE NATURELLE marcher en tournoyant , il auroit été la proie de ce terrible animal. Dans l’Amérique méridionale, sui- vant M. de La Borde, les grands crocodiles sortent des fleuves plus rarement que les petits; l’eau des lacs qu'ils fréquentent venant quelquefois à s’évapo- rer , ils demeurent souvent pendant quelques mois à sec, sans pouvoir regagner aucune rivière, vivant de gibier, ou se passant de nourriture, et étant alors très dangereux. I y a peu d’endroits peuplés de crocodiles un peu gros, où l’on puisse tomber dans l’eau sans risquer de perdre la vief. Ils ont souvent, pendant la nuit, grimpé ou sauté dans des canots, dans lesquels on étoit en- dormi, et ils en ont dévoré tous les passagers. Il faut veiller avec soin lorsqu'on se trouve le long des rivages habités par ces animaux. M. de La Borde en a vu se dresser contre les très petits bâtiments. Au reste, en comparant les relations des voyageurs, il paroît que la voracité et la hardiesse des crocodiles augmentent, diminuent , et même passent entièrement, suivant le climat, la taille, l’âge, l’état de ces animaux, la na- ture, et surtout l’abondance de leurs aliments. La faim peut quelquefois les forcer à se nourrir d’ani- maux de leur espèce , ainsi que nous l'avons dit ; et 1. « Les crocodiles sont plus dangereux dans la grande rivière de » Macassar que dans aucune autre rivière de l'Orient : ces monstres ne » se bornant point à faire la guerre aux poissons, s’assemblent quel- » quefois en troupes , et se iennent cachés au fond de l’eau, pour at- » tendre le passage des petits bâtiments. Ils les arrêtent, et se servant » de leur queue comme d’un eroc, ils les renversent et se jettent sur » les hommes et les animaux, qu'ils entraînent dans leurs retraites. » Description de l'ile Célèbes ; ou Macassar. Histoire générale des Voya- ges . tome XXXIX, page 248 , édit. in-12. DU CROCODILE. 203 lorsqu'un extrême besoin les domine , le plus foible devient la victime du plus fort; mais, d’après tout ce que nous avons exposé, l’on ne doit point penser, avec quelques naturalistes, que la femelle du crocodite conduit à l’eau ses petits lorsqu'ils sont éclos, et que le mâle et la femelle dévorent ceux qui ne peuvent pas se traîner. Nous avons vu que la chaleur du soleil ou de l’atmosphère faisoit éclore leurs œufs; que les petits alloient d'eux-mêmes à la mer; et les croco- diles n’étant jamais cruels que pour assouvir une faim plus cruelle, ne doivent point être accusés de l'espèce de choix barbare qu'on leur a imputé. Malgré la diversité des aliments que recherche le crocodile, la facilité que la lenteur de sa marche donne à plusieurs animaux pour l’éviter, le contraint: quelquefois à demeurer beaucoup de temps et même plusieurs mois sans manger! : il avale alors de petites pierres et de petits morceaux de bois capables d’em- pêcher ses intestins de se resserrer?. Il paroît, par les récits des voyageurs, que les cro- codiles, qui vivent près de l'équateur, ne s’engour- dissent dans aucun temps de l’année ; mais ceux qui habitent vers les tropiques ou à des latitudes plus élevées, se retirent, lorsque le froid arrive, dans des antres profonds auprès des rivages, et y sont pendant 1. Browne dit que l’on a observé plusieurs fois des crocodiles qui ont vécu plusieurs mois sans prendre de nourriture, et au’on s’en est assuré , en leur liant le museau avec un fil de métal, et en les laissant ainsi liés dans des étangs , où ils veneient de temps en temps à la sur- face de l'eau pour respirer. Histoire naturelle de la Jamaïque, p. 461. 2. Browne, id., ibid. 204 H{STOIRE NATURELLE l'hiver dans un état de torpeur. Pline a écrit que les crocodiles passoient quatre mois de l’hiver dans des cavernes, et sans aourriture, ce qui suppose que les crocodiles du Nil, qui étoient les mieux connus des anciens, s’engourdissoient pendant la saison du froidf. En Amérique, à une latitude aussi élevée que celle de l'Égypte, et par conséquent sous une température moins chaude, le nouveau continent étant plus froid que l’ancien, les crocodiles sont engourdis pendant l'hiver. Ils sortent dans la Caroline de cet état de sommeil profond en faisant entendre, dit Catesby, des mugissements horribles qui retentissent au loin?. Les rivages habités par ces animaux peuvent être en- tourés d’échos qui réfléchissent les sons sourds formés par ces grands quadrupèdes ovipares, et en augmen- tent {a force de manière à justifier, jusqu’à un certain point , le récit de Catesby. D'ailleurs M. de la Cou- drenière dit que, dans la Louisiane, le cri de ces animaux n'est jamais répété plusieurs fois de suite, mais que leur voix est aussi forte que celle d’un tau- reau ÿ. Le capitaine Jobson assure aussi que les cro- codiles, qui sont en grand nombre dans la rivière de Gambie en Afrique, et que les Nègres appellent Bum- bos, y poussent des cris que l’on entend de fort loin : ce voyageur ajoute, que l’on diroit que ces cris sortent du fond d’un puits; ce qui suppose , dans la voix du 1. Pline, livre VIIL, chap. 58. L’engourdissement des erecodiles paroît encore indiqué par ce que dit Pline, livre XI, chapitre 91. 2. Catesby, Histoire naturelle de la Caroline, vol. IF, page 65. 5. Observations sur le crocodile de la Louisiane. Journal de Phy- sique ; 1782. DU CROCODILE. 203 crocodile, beaucoup de tons graves qui la rapprochent d’un mugissement bas et comme étouffé!. Et enfin le témoignage de M. de La Borde, que nous avons déjà cité, vient encore ici à l'appui de l’assertion de Ca- tesby. Si le crocodile s’engourdit à de hautes latitudes comme les autres quadrupèdes ovipares , sa couver- ture écailleuse n’est point de nature à être altérée par le froid et la disette, ainsi que la peau du plus grand nombre de ces animaux; et il ne se dépouille pas comme ces derniers. Dans tous les pays où l’homme n’est pas en assez grand nombre pour le contraindre à vivre dispersé, il va par troupes nombreuses; M. Adanson a vu, sur la grande rivière du Sénégal, des crocodiles réunis au nombre de plus de deux cents, nageant ensemble la tête hors de l’eau, et ressemblant à un grand nombre de troncs d'arbres, à une forêt que les flots entraîne- roient. Mais cet attroupement des crocodiles n’est point le résultat d'un instinct heureux : ils ne se ras- semblent pas, comme les castors, pour s’occuper en commun de travaux combinés ; leurs talents ne sont pas augmentés par l'imitation, ni leurs forces par le concert; ils ne se recherchent pas comme les phoques et les lamantins par une sorte d'affection mutuelle, mais ils Se réunissent parce que des appétits sembla- bles les attirent dans les mêmes endroits: cette habi- tude d’être ensemble est cependant une nouvelle preuve du peu de cruauté que l’on doit atiribuer aux crocodiles; et ce qui confirme qu'ils ne sont pas fé- 1. Voyage du capitaine Jobson à la rivière de Gambie. Histoire gé- nérale des Voyages, livre VII. 206 HISTOIRE NATURELLE roces, c'est la flexibilité de leur naturel. On est pat- venu à les apprivoiser. Dans l'île de Bouton, aux Mo- luques, on engraisse quelques uns de ces animaux devenus par là en quelque sorte domestiques ; dans d’autres pays, on les nourrit par ostentation. Sur la côte des Esclaves en Afrique, le roi de Saba a, par magnificence, deux étangs remplis de crocodiles. Dans la rivière de Rio-San-Domingo, également près des côtes occidentales de l'Afrique, où les habitants prennent soin de les nourrir, des enfants osent, dit- on, jouer avec ces monstrueux animaux. Les anciens connoissoient cette facilité avec laquelle le crocodile se laisse apprivoiser : Aristote a dit que, pour y par- venir, il suffisoit de lui donner une nourriture abon- dante, dont le défaut seul peut le rendre très dan- gereux?. 1. « On a remarqué, avec étonnement, dans la rivière de Rio-San- » Domingo, que les caymans, ou les crocodiles, qui sont ordinairement » des animaux si terribles, ne nuisent ici à personne. Les enfants en » font leur jouet , jusqu'à leur monter sur le dos , et les battre même » sans en recevoir aucune marque de ressentiment. Cette douceur leur » vient peut-être du soin que les habitants prennent de les nourrir et » de les bien traiter. Dans toutes les autres parties de l'Afrique, ils se » jettent indifféremment sur les hommes et sur les animaux. Cepen- » dant il se trouve des Nègres assez hardis pour les attaquer à coups » de poignard. Un laptôt du fort Saïnt-Louis s’en faisoït tous les jours » un amusement qui lui avoit long-temps réussi; mais il recut enfin » tant de blessures dans ce combat, que sans le secours de ses com- » pagnons, il auroit perdu la vie entre les dents du monstre. » Voyage du sieur Brue aux îles de Bissao, etc., Hisioire générale des Voyages. 2. M. de La Borde a vu, à Cayenne, des caymans conservés avec des tortues dans un bassin plein d’eau. Ils vivent long-temps sans faire même aucun mal aux tortues. On les nourrit avec les restes des cui- sines. Note communiquée par M. de La Borde. DU CROCODILE. 307 Mais si le crocodile n’a pas la cruauté des chiens de mer et de plusieurs autres animaux de proie, avec lesquels il a plusieurs rapports, et qui vivent comme lui au milieu des eaux, il n’a pas asssz de chaleur inté- rieure pour avoir la fierté de leur courage : aussi Pline a-t-il écrit qu'il fuit devant ceux qui le poursuivent, qu'il se laisse même gouverner par les hommes assez hardis pour se jeter sur son dos, et qu'il n’est redoutable que pour ceux qui fuient devant luit. Cela pourroit être vrai des crocodiles que Pline ne connoissoient point, qui se trouvent dans certains endroits de l'Amérique, et qui, comme tous les autres grands animaux de ces contrées nouvelles, où l’humi- dité l’emporte sur la chaleur, ont moins de courage et de force que les animaux qui les représentent dans les pays secs de l’ancien continent ?; et cette chaleur 1. Pline, Histoire naturelle, livre VIIL, chap. 58. On peut aussi voir, dans Prosper Alpin, ce qu'il raconte de la ma- nière dont les paysans d'Égypte saisissoient un crocodile, lui lioient la gueule et les pattes, le portoient à des acheteurs , le faisoient mar- cher quelque temps devant eux après lavoir délié, rattachoïent en- suite ses pattes et sa gueule, l’égorgeoïent pour le dépouiller, etc. Prosper Alpin, Histoire naturelle de l'Égypte, à Leyde, 1755, in-4°, tome I, chapitre 5. 2. « Dans l'Amérique méridionale , aux environs de Cayenne, les » Nègres prennent quelquefois de petits caymans, de cinq à six pieds » de long. Ils leur attachent les pattes, et ces animaux se laissent alors » manier et porter, même sans menacer de mordre. Les plus prudents » leur attachent les deux mâchoires , ou leur mettent une grosse lame » dans la gueule. Maïs dans certaines rivières de Saint-Domingue, où » le crocodile ou cayman est assez doux, les Nègres le poursuivent ; » l'animal cache sa tête et une partie de son corps dans un trou. On » passe un nœud coulant, fait avec une grosse corde, à une de ses > pattes de derrière ; plusieurs Nègres le tirent ensuite, et le traînent 208 HISTOIRE NATURELLE est si nécessaire aux crocodiles que non seulement ils vivent avec peine dans les climats très tempérés, inais encore que leur grandeur diminue à mesure qu'ils habitent les latitudes élevées. On les rencontre cependant dans les deux mondes à plusieurs degrés au dessus des tropiques? : l'on a même trouvé des pé- » partout jusque dans les maisons, sans qu’il témoigne la moindre » envie de se défendre. » Note communiquée par M. de Le Borde. 1. Mémoires pour servir à l'Histoire naturelle des animaux , ar- ücle du Crocodile. 2. « Les rivières de la Corée sont souvent infestées de crocodiles, ou » alligators, qui ont quelquefois dix-huit ou vingt aunes de long. » Relation de Hamel, hollandoïs, et description de la Corée. Histoire générale des Voyages, tome XXIV, page 244, in-12, 1740. Les rivages de la terre des Papous , sont aussi peuplés de crocodiles. Voyage de Fernand Mendez Pinto , Histoire générale des Voyages, se- conde partie, livre IT. Dampier a rencontré des alligators sur les côtes de l’île de Timor, Voyage de Guillaume Dampier aux terres australes. « Il y a beaucoup de crocodiles dans le continent de l'Amérique , » dix degrés plus avant vers le Nord que le tropique du Cancer, par- » ticulièrement aussi loin que la rivière Neus dans la Caroline septen- » trionale, environ au trente-troisième degré de latitude : je n’aï » jamais oui parler d'aucun de ces animaux au delà. Cette latitude ré- » pond à peu près aux parties de l'Afrique les plus septentrionales, où » on en trouve aussi. » Catesby, Histoire naturelle de la Caroline, vol. IL, page 65. « Les crocodiles sont fort communs dans tout le cours de l’Ama- ° zone, et même dans la plupart des rivières que l’Amazone recoit. » On assura M. de la Condamine qu'il s’y en trouve de vingt pieds de » long , et même de plus grands. Il en avoit déjà vu un grand nombre » de douze , quinze pieds et plus, sur la rivière de Guyaquil. Comme » ceux de l'Amazone sont moins chassés et moins poursuivis, ils crai- » gnent peu les homines. Dans les temps des inondations, ils entrent » quelquefois dans les cabanes des Indiens. » Histoire générale des Voyages, tome LIL, page 459 , édition in-12. DU CROCODILE. 209 trifications de crocodiles à plus de cinquante pieds sous terre dans les mines de Thuringe, ainsi qu'en Angleterre!; mais ce n’est pas ici le lieu d'examiner le rapport de ces ossements fossiles avec les révolu- tions qu'ont éprouvées les diverses parties du globe. Quelque redoutable que paroisse le crocodile, les Nègres des environs du Sénégal osent l’attaquer pen- dant qu'il est endormi, et tâchent de le surprendre dans des endroits où il n’a pas assez d'eau pour nager ; ils vont à lui audacieusement, le bras gauche enve- loppé dans un cuir; ils l’attaquent à coups de lance ou de zagaie; ils le percent de plusieurs coups au gosier et dans les yeux; ils lui ouvrent la gueule, la tiennent sous l’eau et l’'empêchent de se fermer en plaçant leur zagaie entre les mâchoires, jusqu’à ce que le crocodile soit sufloqué par l’eau qu’il avale en trop grande quantité?. En Égypte, on creuse sur les traces de cet animal 1. On a découvert, dans la province de Nortingam, le squelette entier d’un crocodile. Bibliothèque angloïse, tome VI, page 406. 2. Labat, vol. II, page 857. « Un de mes Nègres tua un crocodile de sept pieds delong :il l’avoit » aperçu endormi dans les broussailles, au pied d’un arbre, sur le bord » d’une rivière, Il s’en approcha assez doucement pour ne le pas éveil- » ler, et lui porta fort adroïitement un coup de couteau dans le côté » du cou , au défaut des os de la tête et des écailles, et le perça, à peu » de chose près, de part en part. L'animal , blessé à mort, se repliant » sur lui-même , quoique avec peine , frappa les jambes du Nègre d’un » coup de sa queue, qui fut si violent, qu'il le renversa par terre. » Celui-ci, sans lâcher prise, se releva dans l'instant , et, afin de n’a- » voir rien à craindre de la gueule meurtrière du crocodile, il l’enve- » loppa d’une pagne, pendant que son camarade lui retenoit la queue : » je lui montai aussi sur le corps pour l’assujettir, Alors le Nègre retira » son couteau, et Jui coupa la tête, qu'il sépara du tronc. » Voyage de M. Adanson au Sénégal, page 148. 210 HISTOIRE NATURELLE démesuré un fossé profond , que l’on couvre de bran- chages el de terre ; on effraie ensuite à grands cris le crocodile qui, reprenant pour aller à la mer le che- min qu'il avoit suivi pour s’écarter de ses bords, passe sur la fosse, y tombe, et y est assommé ou pris dans des filets. D’autres attachent une forte corde par une extrémité à un gros arbre ; ils lient à l’autre bout un crochet et un agneau, dont les cris attirent le croco- dile, qui, en voulant enlever cet appât, se prend au crochet par la gueule. À mesure qu'il s’agite, le cro- chet pénètre plus avant dans la chair : on suit tous ses mouvements en lâchant la corde, et on attend qu'il soit mort, pour le tirer du fond de l'eau. Les sauvages de la Floride ont une autre manière de le prendre; ils se réunissent au nombre de dix ou douze ; ils s’avancent au-devant du crocodile, qui cherche une proie sur le rivage ; ils portent un arbre qu'ils ont coupé par le pied; le crocodile va à eux la gueule béante ; mais en enfonçant leur arbre dans celte large gueule, ils l'ont bientôt renversé et mis à mort. On dit aussi qu'il y a des gens assez hardis pour aller en nageant jusque sous le crocodile, lui percer la peau du ventre, qui est presque le seul endroit où le fer puisse pénétrer. Mais l’homme n'est pas le seul ennemi que le cro- codile ait à craindre : les tigres en font leur proie : l'hippopotame le poursuit , et il est pour lui d’autant plus dangereux, qu'il peut le suivre avec acharne- ment jusqu’au fond de la mer. Les couguars, quoique plus foibles que les tigres, détruisent aussi un grand nombre de crocodiles ; ils attaquent les jeunes cay- DU CROCODIEE. 211 mans s ils les attendent en embuscade sur le bord des grands fleuves, les saisissent au moment qu'ils mon- trent la tête hors de l’eau, et les dévorent. Mais lorsqu'ils en rencontrent de gros et de forts, ils sont attaqués à leur tour ; en vain ils enfoncent leurs grifles dans les yeux du crocodile, cet énorme lézard, plus vigoureux qu'eux, les entraîne au fond de l’eau. Sans ce grand nombre d’ennemis, un animal aussi fécond que le crocodile seroit trop multiplié ; tous les rivages des grands fleuves des zones torrides seroient infestés par ces animaux monstrueux, qui deviendroient bientôt féroces et cruels par l'impossi- bilité où ils seroient de trouver aisément leur nour- riture. Puissants par leurs armes, plus puissants par leur multitude, ils auroient bientôt éloigné l’homme de ces terres fécondes et nouvelles que ce roi de la nature a quelquefois bien de la peine à leur disputer : car, comment résister à tout ce qui donne le pouvoir, à la grandeur, aux armes, à la force et au nombre? Prosper Alpin dit qu’en Égypte, les plus grands cro- codiles fuient le voisinage de l’homme , et se tiennent sur les rivages du Nil, au dessus de Memphis?. Mais, dans les pays moins peuplés, il ne doit pas en être de même ; ils sont si abondants dans les grandes rivières de l’Amazone et d'Oyapoc, dans la baie de Vincent Pinçon, et dans les lacs qui y communiquent, qu'ils y gênent, par leur multitude, la navigation des pi- rogues; ils suivent ces légers bâtiments, sans cepen- 1, Histoire générale des Voyages, tome LIIT, page 440, édit. in-12. 2. On y en rencontre, suivant cet auteur, de trente coudées de long. Histcire naturelle: de l'Égypte , par Prosper Alpin, tome 1, chap. 5. 212 HISTOIRE NATURELLE dant essayer de les renverser, et sans attaquer les hommes : il est quelquefois aisé de les écarter à coups de rames, lorsqu'ils ne sont pas très grands. Mais M. de La Borde raconte que naviguant dans un ca- not, le long des rivages orientaux de l'Amérique mé- ridionale , il rencontra une douzaine de gros caymans à l'embouchure d’une petite rivière dans laquelle il vouloit entrer; il leur tira plusieurs coups de fusil, sans qu’ils changeassent de place; il fut tenté de faire passer son canot par dessus ces animaux ; il fut arrêté cependant per la crainte qu’ils ne fissent chavirer son petit bâtiment, et qu'ils ne le dévorassent lorsqu'il seroit tombé dans l’eau. Îl fut obligé d'attendre près de deux heures, après lesquels les caymans s’éloi- gnèrent, et lui laissèrent le passage libre?. Heureusement un grand nombre de crocodiles sont détruits avant d’éclore. Indépendamment des enne- mis puissants dont nous avons déjà parlé, des ani- maux trop foibles pour ne pas fuir à l'aspect de ces grands lézards, cherchent leurs œufs sur les rivages où ils les déposent : la mangouste, les singes, Îles sagouins, les sapajous et plusieurs espèces d'oiseaux d’eau, s’en nourrissent avec avidité?, et en cassent même un très grand nombre, en quelque sorte, pour le plaisir de se jouer. Ces mêmes œufs, ainsi que la chair du crocodile, surtout celle de la queue et du bas-ventre, servent de 1. Note communiquée par M. le chevalier de Widerspach , corres- pondant du Cabinet de Sa Majesté. 2. Note communiquée par M. de La Borde. 3. Description de l'ile Espagnole. Histoire générale des Voyages, troisième partie , livre V. DU CROCODILE. AO nourriture aux Nègres de l'Afrique, ainsi qu'à certains peuples de l'Inde et de l'Amérique. Ils trouvent dé- licate et succulente cette chair qui est très blanche ; ais il paroît que presque tous les Européens qui ont voulu en manger, ont été rebutés par l’odeur de muse dont elle est imprégnée. M. Adanson cependant dit qu'il goûta celle d’un jeune crocodile, lué sous ses yeux au Sénégal, et qu'il ne la trouva pas mauvaise. Au reste, la saveur de cette chair doit varier beaucoup suivant l’âge, la nourriture et l’état de lanimal. On trouve quelquefois des béozards dans le corps des crocodiles , ainsi que dans celui de plusieurs autres lézards. Séba avoit dans sa coilection plu- sieurs de ces béozards qui lui avoient été envoyés d’Amboine et de Ceylan; les plus grands étoient gros comme un œuf de canard, mais un peu plus longs, et leur surface présentoit des éminences de la gros- seur des plus petits grains de poivre. Ces concrétions étoientcomposées, comme tous les béozards, de cou- ches placées au dessus les unes des autres; leur cou- leur étoit marbrée et d’un cendré obscur plus ou moins mêlé de blanc?. Les anciens Romains ont été long-temps sans con- noîlre les crocodiles par eux-mêmes : ce n’est que cinquante-huit ans avant l'ère chrétienne, que l’édile Scorus en montra cinq au peuple ÿ. Auguste lui en fit voir un grand nombre vivants, contre lesquels il fit combattre des hommes. Héliogabale en nourrissoit. Les tyrans du monde faisoient venir à grands frais 1. Catesby, Histoire naturelle de la Caroline , vol. IL, page 63. . Séba, vol. Il, page 159. . Pline, livre VIT, chap. 40. LACÉPEDE, Ii, 14 Qt & 214 HISTOIRE NATURELLE de l'Afrique, des crocodiles, des tigres, des lions : ils s'empressoient de réunir autour d’eux ce que la terre paroît nourrir de plus féroce. Les crocodiles étoient donc pour les Romains et d’autres anciens peuples, des animaux très redou- tables : ils venoient de loin : il n’est pas surprenant qu'on leur ait attribué des vertus extraordinaires. Il n'y a presque aucune partie dans les crocodiles à laquelle on n'ait attaché la vertu de guérir quelque maladie. Leurs dents! leurs écailles , leur chair, leurs intestins, tout en étoit merveilleux ?, On fit plus dans leur pays natal. Ils y inspiroiïent une grande terreur; ils y répandoient quelquefois le ravage ; la crainte dé- grada la raison, on en fit des dieux; on leur donna des prêtres ; la ville d’Arcinoë leur fut consacrées : on renfermoit religieusement leurs cadavres dans de hautes pyramides, auprès des tombeaux des rois ; et maintenant dans ce même pays, où on les adoroit il y a deux mille ans, on a mis leur tête à prix; et telle est la vicissitude des opinions humaines. 1. Pline, livre XXVIIT, chap. 8. 2. Voyez, dans le voyage en Palestine d'Hasselquist , page 547. quelles propriétés vraies ou fausses les Égyptiens et les Arabes attri- buent encore au fiel, à la graisse et aux yeux du crocodile. 3. Encyclopédie méthodique. Dictionnaire d’antiquités, par M. l'abbé Mongez l'aîné, garde du Cabinet d'antiques et d'histoire naturelle de Sainte-Geneviève, de l'Académie des Inscriptions , etc. DU CROCODILE NOIR. 249 LE CROCODILE NOIR. Crocodilus biscutatus, Guv., Merr. — Crocodilus carinatus, SCHNEID. = 9 —— CETTE seconde espèce diffère de la première en ce que sa couleur est presque noire, au lieu d’être ver- dâtre ou bronzée comme celle des crocodiles du Nil: c’est M. Adanson qui a fait connoître ces crocodiles noirs, qu’il a vus sur la grande rivière du Sénégal. Leurs mâchoires sont plus allongées que celles des al- ligators ou crocodiles proprement dits. Ils sont d’ail- leurs plus carnassiers que ces derniers, et pourroient par conséquent en différer aussi par des caractères in- térieurs, la diversité des mœurs étant très souvent fon- dée sur celle de l’organisation interne. L'on ne peut pas dire qu'ils sont de la même espèce que le croco- dile du Nil, qui auroit subi dans sa couleur, et dans quelques parties de son corps, l'influence du climat, puisque, suivant le même M. Adanson, la rivière du Sénégal nourrit aussi un grand nombre de crocodiles verts, entièrement semblables à ceux d'Égypte. Non seulement on n’a point encore observé ces crocodiles noirs dans le Nouveau-Monde, mais aucun voyageur n’en a parlé que M. Adanson, et ce savant naturaliste ne les a trouvés que sur le grand fleuve du Sénégal. 1. Voyage au Sénégal, par M. Adanson, page 75. 210 HISTOIRE NATURELLE TIFOPIPEBOTOTSEOBOBOESTIRSREROI GIE SA LE GAVIAL, 4 LE CROCODILE A MACHOIRES ALLONGÉES. Crocodilus longirostris, SeuNein. — Crocodilus gan- geticus, Cuv. — Crocodilus arctirostris, DauD. — Lucerta gangetica, GMEz. CETTE troisième espèce de crocodile se trouve dans les grandes Indes : elle y habite les bords du Gange, où on l’a nommée Gavial;: elle ressemble aux croco- diles du Nil par la couleur, et par les caractères gé- néraux et distinctifs des crocodiles. Le gavial a, comme les alligators, cinq doigts aux pieds de devant et quatre doigts aux pieds de derrière ; il n’a d’ongle qu'aux trois doigts intérieurs de chaque pied; mais il diffère des crocodiles d'Égypte par des caractères particuliers et très sensibles. Ses mächoires sont plus allongées et beaucoup plus étroites, au point de paroître comme une sorte de long bec qui contraste avec la grosseur de la tête ; les dents ne sont pas inégales en grosseur et en longueur, comme celles des crocodiles propre- ment dits;elles sont plus nombreuses, et l’on conserve, DU GAVIAL. 217 au Cabinet du Roi, un individu de cette espèce, qui a environ douze pieds de long, et qui a cinquante-huit dents à la mâchoire supérieure, et cinquante à la mâ- choire inférieure. Le nombre des bandes transversales et tubercu- leuses qui garnissent le dessus du corps, est plus considérable de plus d’un quart, dans les crocodiles du Gange que dans l’alligator ; d’ailleurs elles se tou- chent toutes, et les écailles carrées qui les composent sont plus relevées dans leurs bords sans l’être autant dans leur centre que celles du crocodile du Nil. Ces différences avec le crocodile proprement dit sont plus que suffisantes pour constituer une espèce distincte. Les crocodiles du Gange! parviennent à une gran- deur très considérable, ainsi que ceux du Nil. L'on peut voir, au Cabinet du Roi, une portion de mà- choire de ces crocodiles des grandes Indes, d’après laquelle nous avons trouvé que l’animal auquel elle 1. Dimensions d’un crocodile à tête allongée. pi. po. lig Longueur totale.. . . . . . Gi 16 4 D LCN SAT ES DOS 2 ON CE LIDR EAN S 11 10 6 Pospnsnagdelatéte. 5: detecter RS AE M hé Longueur depuis l’entre-deux des yeux jusqu’au bout du MIRE ce 00) HORDE AR ele el mad Eu 0710 Longueur de la mâchoire supérieure. . . . . . . . . .. 2 o 6 Longueur de la partie de la mâchoire qui est armée de dents. 1 6 o Distance des denxyeux:{..+. 4. et.) HA 0 5 3 Grand 'diameterdeilældn 5 ee AE Me tas 0 2 0 Circonférence du corps à l'endroit le plus gros. . . . . . 5 6o Circonférence de la tête derrière les yeux. . . . . . . .. 2 00 Circonférence du museau à l’endroit le plus étroit. . . . o 6 2 Longueur des pattes de devant jusqu’au bout des doigts. . 1 5 7 Longueur des pattes de derrière jusqu'au bout des doigts. 1 8 o Fouguearde la queué.. #77 tacle 5 10 © Circonférence de la queue à son origine. . . . . . . . . 2 8 218 HISTOIRE NATURELLE a appartenu devoit avoir trente pieds dix pouces de longueur. Au reste, noüs ne pouvons donner une idée plus nette de ces énormes animaux qu'en renvoyant à la figure et à la note précédente, où nous rapportons les principales dimensions de l'individu de près de douze pieds, dont nous venons de parler. C'est apparemment de cette espèce qu'étoient les crocodiles vus par Tavernier sur les bords du Gange, depuis Toutipour jusqu’au bourg d’Acérat, qui en est à vingt-cinq cosses. Ce voyageur aperçut un très grand nombre de ces animaux couchés sur le sable: il tira sur eux; le coup donna dans la mâchoire d’un grand crocodile, et fit couler du sang; mais l'animal se re- tira dans le fleuve. Le lendemain Tavernier, en conti- nuant de descendre le Gange , en vit un aussi grand nombre, également étendus sur le rivage ; il tira sur deux de ces animaux deux coups de fusil chargé à trois balles, au même instant ils se renversèrent sur le dos, ouvrirent la gueule, et expirèrent{. Il paroît que le gavial n’étoit point inconnu des anciens, puisqu’au rapport d'Élien, on disoit de son temps que l’on trouvoit sur les bords du Gange des crocodiles qui avoient une espèce de corne au bout du museau. Mais M. Edwards est le premier natura- liste moderne qui ait parlé du gavial ; il publia en 1756 la figure et la description d’un individu de cette es- pèce, dont il a comparé les mâchoires longues et étroites au bec du harle, et qu’il a nommé Crocodile à bec allonge?. Get individu, qui présentoit tous les 1. Voyage de Tavernier. Histoire générale des Voyages , partie IF; livre IT. 2. Transactions philosophiques , année 1756. DU GAVIAL. 219 signes d’un développement peu avancé, avoit au- dessous du ventre une poche ou bourse ouverte ; nous n'avons trouvé aucune marque d’une poche semblable dans le crocodile du Gange dont nous venons de donner les dimensions, ni dans un jeune crocodile de la même espèce, et long de deux pieds trois pouces, qui fait aussi partie de la collection du Cabinet du Roi. Peut-être cette poche s’efface-t-elle à mesure que l'animal grandit, et n'est-elle qu’un reste de l’ouverture par laquelle s’insère le cordon ombilical ; ou peut-être l'individu de M. Edwards étoit-il d’un sexe différent de ceux dont nous avons vu la dépouille. L'on conserve au Cabinet du Roi une portion de mâchoire garnie de dents, à demi pétrifiée, renfermée dans une pierre calcaire trouvée aux environs de Dax en Gascogne, et envoyée au Cabinet par M. de Borda. Elle nous a paru, d’après l'examen que nous en avons fait, avoir appartenu à un gavial. 220 HISTOIRE NATURELLE etes e LE FOUETTE-QUEUE”. CROCODILE A MUSEAU EFFILÉ OU DE SAINT-DOMINGUE, Crocodilus acutus, Cuv. ? LE nom de Fouette-queue a été employé par dif- férents naturalistes, pour désigner diverses espèces de lézards qui peuvent donner à leur queue des mou- vements semblables à ceux d’un fouet : ce nom a été particulièrement appliqué au lézard dont il est ici question, et à la dragonne dont nous parlerons dans l’article suivant : il en est résulté une obscurité d’au- tant plus grande dans les faits rapportés par les voya- geurs, relativement aux lézards, que le nom de cor- dyle a été aussi donné par plusieurs auteurs à la dra- sonne, et qu'ensuite le nom de fouette-queue a été lié avec celui de cordyle, de manière à être attribué non seulement à la drasonne, qui a réellement la 1. Le Fouctte-queue. M. Daubenton, Encyclopédie méthodique. Lacerta caudi-verbera, 2 Linn., Amphib. rept. Séba, mus. 1, tab. 106, fig. 1. Caudi-verhera peruviana. Laurenti specimen medicum, Vien. 1568, page 57. Feuillée 2 . page 519. DU FOUETTE-QUEUE. 231 propriété de faire mouvoir sa queue comme un fouet, mais encore à d’autres espèces de lézards, privées de cette faculté , et désignées également par le nom de cordyle. Nous croyons donc, pour éviter toute con- fusion, devoir conserver uniquement au lézard, dont il s'agit ici, le nom de fouette-queue. Il habite les climats chauds de l’Amérique méridio- nale, et on le trouve particulièrement au Pérou. Il a quelquefois plusieurs pieds de longueur. Son dos est couvert de plaques carrées et d’écailles ovales qui gar- missent aussi ses côtés. Sa queue, qui paroît dentelée par les bords, et qu'il a la facilité d’agiter comme un fouet, l’assimile un peu à la dragonne ; et la forme aplatie de cette même queue, ainsi que ses pieds palmés, le rapprochent du crocodile, dont il est ce- pendant bien aisé de je distinguer, parce que le cro- codile n’a que quatre doigts aux pieds de derrière, tandis que le fouette-queue en a cinq à chaque pied. C'est ce qui nous a déterminé à regarder comme un fouette-queue l'animal représenté dans la planche cent sixième du premier volume de Séba : M. Linnée l’a rapporté au crocodile; mais il a cinq doigts aux pieds de derrière, et, d’un autre côté, il ne peut pas être confondu avec la dragonne , puisque ses pieds sont palmés. D'ailleurs Séba donne l'Amérique pour patrie à ce grand lézard, ce qui s'accorde fort bien avec ce que M. Linnée lui-même a dit de celle du fouette-queue. Nous croyons devoir observer aussi quelelézard représenté dans Séba, tomel ,planche 105, fig. 2, et que M. Linnée a indiqué comme une fouette- 1. M, Linnée, à l'endroit déjà cité, 229 HISTOIRE NATURELLE queue, est une dragonne, attendu que, quoique le des:- sinateur lui ait donné des membranes aux pieds de derrière , il est dit dans le texte qu'il n’en a point. Le fouelte-queue nous paroît être , ainsi que nous l'avons déjà dit!, le lézard que Danpier regardoit comme une seconde espèce de cayman d'Amérique. Il y a dans l’île de Ceylan, un grand lézard, qui, par sa forme, ressemble beaucoup au crocodile : mais il en diffère par sa langue bleue et fourchue, qu'il al- longe d'une manière effrayante, lorsqu'il la tire pour siffler, ou seulement pour respirer. On le nomme Kobbera-Guion. I a communément six pieds de lon- gueur ; sa chair est d’un assez mauvais goût ; il plonge souvent dans l’eau , mais sa demeure ordinaire est sur la terre, où il se nourrit des oiseaux et des divers animaux qu'il peut saisir. Il craint l’homme, ét n’ose rien contre lui; mais il écarte sans peine les chiens et plusieurs des animaux qui veulent l’attaquer, en les frappant violemment de sa queue, qu'il agite et secoue comme un long fouet. Nous ignorons si les doigts de ses pieds sont réunis par des membranes : s'ils le sont , il doit être regardé comme de la même espèce que le fouette-queue du Pérou, qui peut-être aura subi l'influence d'un nouveau climat; sinon il fau- dra le considérer comme une dragonne. 1. Article des Crocodiles. LE DR UN IN 1e (EX T- ONNE Lo NO ET À UPIN À N B DE LA DRAGONNE. 229 LA DRAGONNE”. T'eius crocodilinus, Merr. — Lacerta Dracæna, Bonx:, Larr. — Dracæna guyanensis, DAub. (sous-genre DrAGonne, Cuv.). LA Dragonne ressemble beaucoup, par sa forme, au crocodile; elle a, comme lui, la gueule très large, des tubercules sur le dos, et la queue aplatie; sa grandeur égale quelquefois celle des jeunes caymans : sa couleur, d’un jaune roux foncé, et plus ou moins mëlé de verdâtre, est semblable aussi à celle de ces animaux ; c’est ce qui a fait que, sur les côtes orien- tales de l'Amérique méridionale, elle a été prise pour une petite espèce de crocodiles ou de caymans?. Mais la dragonne en diffère principalement, parce que, 1. La Dragonne. M. Daubenton, Encyclopédie méthodique. His- toire naturelle des Quadrupèdes ovipares. Lacerta Dracæna 3. Linnæus. Rai, Synopsis Quadrupedum, page 270. Lacertus indicus. Seba, locupletissimi rerum naturalium Thesauri accurata descrip- tio, tome I, planche 101, fig. 1. Lacerta maxima caudi-verbera, cor- dylus. Musæum Wormianum , chap. XXII, page 515. Lacertus indicus. >. Note communiquée par M. le chevalier de Widerspach, 224 HISTOIRE NATURELLE au lieu d’avoir les pieds palmés, ses doigts, au nombre de cinq à chaque pied, sont très séparés les uns des autres, comme ceux de presque tous les lézards. Îls sont d'ailleurs tous garnis d'ongles aigus et crochus; la tête aplatie par dessus, et comprimée par les côtés, a un peu la forme d’une pyramide à quatre faces, dont le museau seroit le sommet; elle ressemble par là à celle de plusieurs serpents, ainsi que la langue qui est fourchue, et qui, loin d’être cachée et presque immobile comme celle du crocodile, peut être dardée avec facilité. Les yeux sont gros et brillants ; l’ou- verture des oreilles est grande, et entourée d’une bordure d'écailles ; le corps épais, arrondi, couvert d’écailles dures, osseuses comme celle du crocodile, et presque toutes garnies d’une arête saillante ; plu- sieurs de celles du dos sont plus grandes que les autres, et relevées par des tubercules en forme de crêtes, dont les plus hauts sout les plus voisins de la queue, sur laquelle les lignes qu'ils forment sont pro- longées par d’autres tubercules. Ceux-ci sont plus aigus, et produisent deux dentelures semblables à celles d’une scie, et réunies en une seule vers l’ex- trémité de la queue, qui est très longue. La dragonne, ainsi que le fouette-queue, a la facilité de la remuer vivement et de l’agiter comme un fouet. Cette faculté lui a fait donner le nom de Fouette-queue, que nous avons conservé uniquement à l'espèce précédente, et que nous n’emploierons jamais en parlant de la dragonne, pour éviter toute confusion : on l’a aussi appelée Cordyle ; mais nous réservons ce nom pour un lézard différent de celui que nous décrivons, et auquel on l’a déjà donné. DE LA DRAGONNE. 2925 C’est principalement dans l'Amérique méridionale que l’on rencontre la dragonne; il y a, au Cabinet du Roi , un individu de cette espèce qui a été envoyé de Cayenne par M. de La Borde, et d’après lequel nous avons fait la description que l’on vient de lire; elle est assez conforme à ce que dit Wormius de cette espèce de grand lézard, dont il avoit un indi- vidu long de quatre pieds romains?. Clusius connois- soit aussi le même animalÿ, et Séba l’avoit dans sa collection. Wormius a parlé du nombre et de la forme des dents de la dragonne ; il a dit que ce lézard en a dix- sept de chaque côté de la mâchoire inférieure ; que celles de devant sont petites et aiguës, et celles de derrière , grosses et obtuses. Nous avons remarqué la même chose dans la dragonne du Cabinet du Roi. On a reproché à Pline de s'être trompé touchant la forme des dents du crocodile, en les distinguant en dents incisives, en canines et en molairesi. Nous avons déjà vu ce qu'entendoit ce grand naturaliste 1. Principales dimensions d’une Dragonne qui est au Cabinet du Roi, pi. po. lig. L'ongneuritatale #70 RENNES GA A CU AA LE 3 BA CEE A AE A Gontouriderlafgueuteis4t ue AMEN AN on T4 Distance des deux veux.» 24.1. -1. 440... Co) sl o Circonférence du corps à DendeoE le plus/sros. 4: 0 "0127116 Eongueur des pattes de devant jusqu'au bout des doigts. o 3 10 Longueur des pattes de derrière jusqu’au bout des doigts. o 5 6 Eongueur;de laiqueues Marta aolcrafitss kb Au16 Circonférence de la queue à son origine. . . . . . . . . 0, 5,:,8 Musæum Wormianum ; de pedestribus , cap. 22, fol, 515. Clusius, livre V, chap. 20. 4. Mémoires pour servir à l'Histoire naturelle des animaux. O1 R 226 HISTOIRE NATURELLE par les dents canines du crocodile; et à l'égard des dents molaires, il pourroit se faire que son erreur est venue de la méprise de ceux qui lui ont fourni des observations. Il se peut en effet que la dragonne habite dans les contrées orientales que les anciens connoissoient; que ses grosses dents aient été regar- dées comme des dents molaires , et que l’animal lui- même ait été pris pour un vrai crocodile. C’est ainsi que, dans des temps très récents, la confusion que plusieurs voyageurs ont faite des espèces de grands lézards, voisines de celles du crocodile, a produit plus d’une erreur, relativement à la forme et aux habitudes naturelles de ce dernier animal. La grande ressemblance de la dragonne avec le cro- codile feroit penser au premier coup d'œil que leurs mœurs sont semblables : mais ces deux lézards diffè- rent par un de ces caractères dont la présence ou l'absence a la plus grande influence sur les habitudes des animaux. M. de Buffon a montré, dans l’histoire nalurelle des oiseaux , combien la forme de leurs becs détermine l'espèce de nourriture qu'ils peuvent pren- dre , les force à habiter de préférence l'endroit où ils trouvent aisément cette subsistance, et produit ou modifie par là leurs principales habitudes. La faculté de voler qu'ils ont reçue, leur donne la plus grande facilité de changer de place, et les rend par consé- quent moins dépendants de la forme de leurs pieds : cependant nous voyons certaines classes d'oiseaux dont les habitudes sont produites par les pieds pal- més, avec lesquels ils peuvent nager aisément, ou 1. Article du Crocodile. DE LA DRAGONNE. 29 bien par les griffes aiguës et fortes qui leur servent à attaquer et à se défendre. Mais il n’en est pas de même des quadrupèdes, tant vivipares qu'ovipares; la nature de leurs aliments est non seulement déter- minée par la forme de leur gueule ou de leurs dents, mais encore par celle de leurs pieds, qui leur four- nissent des moyens plus ou moins puissants de saisir leur proie ; d’aller avec vitesse d’un endroit à un autre; d’habiter le milieu des eaux, les rivages, les plaines ou les forêts , etc. Une gueule plus ou moins fendue, quelques dents de plus ou de moins, des ongles aigus ou obtus, des doigts réunis ou divisés, en voilà plus qu'il n’en faut pour faire varier leurs mœurs souvent du tout au tout. On en peut voir des exemples dans les quadrupèdes vivipares, parmi lesquels la plupart des animaux qui ont des habitudes communes, qui habitent des lieux semblables, ou qui se nourrissent des mêmes substances, ont leurs dents, leur gueule ou leurs pieds conformés à peu près de la même nauière, quelque différents qu'ils soient d’ailleurs par la forme générale de leurs corps, par leur force et par leur grandeur. La dragonne et le crocodile en sont de nouvelies preuves : la dragonne ressemble beaucoup au crocodile; mais elle en diffère par ses doigts, qui ne sont pas palmés : dès lors elle doit avoir des habitudes différentes : elle doit nager avec plus de peine ; marcher avec plus de vitesse ; retenir les objets avec plus de facilité; grimper sur les arbres; se nourrir quelquefois des animaux des bois ; et c’est en effet ce qui est conforme aux observations que nous avons recueillies. M. de La Borde, qui a nommé cet animal Lézard-cayman, parce qu'il le regarde 228 HISTOIRE NATURELLE avec raison comme faisant la nuance entre les croco- diles et les petits lézards, dit qu'il fréquente les sava- nes noyéeés et les terrains marécageux ; mais qu'il se tient à terre, et au soleil, plus souvent que dans l’eau. Il est assez difficile à prendre, parce qu'il se ren- ferme dans des trous; il mord cruellement; il darde presque toujours sa langue comme les serpents. M. de La Borde a gardé chez lui, pendant quelque temps, une dragonne en vie; elle se tenoit des heures entiè- res dans l’eau; elle s’y cachoit lorsqu'elle avoit peur; mais elle en sortoit souvent pour aller se chauffer aux rayons du soleil. La grande différence entre les mœurs de la dra- sonne et celles du crocodile n’est cependant pas produite par un sens de plus ou de moins, maïs seu- lement par une membrane de moins et quelques ongles de plus. On remarque des effets semblables dans presque tous les autres animaux, et il en seroit de même dans l’homme , et des différences très peu sensibles dans la conformation extérieure, produi- roient une grande diversité dans ses habitudes, si l'intelligence humaine , accrue par la société, n’avoit pas inventé les arts pour compenser les défauts de nature. $ Les animaux qui attaquent le crocodile doivent aussi donner la chasse à la dragonne, qui a bien moins de force pour leur résister, et qui même est souvent dévorée parles grands caymans. Sa manière de vivre peut donner à sa chair un goût différent de celui de la chair du crocodile : il ne seroit 1. Note communiquée par M. de La Borde. DE LA DRAGONNE. 229 donc pas surprenant qu'elle fût aussi bonne à man- ger que le disent les habitants des îles Antilles, où on la regarde comme très succulente, et où on la compare à celle d’un poulet. On recherche aussi à Cayenne les œufs de ce grand lézard, qui a de nou- veaux rapports avec le crocodile par la fécondité, sa femelle pondant ordinairement plusieurs douzaines d'œufs. On trouve au Brésil, et particuliérement auprès de la rivière de Saint-François, une sorte de lézard, nommé Jgnarucu, qui ressemble beaucoup au cro- codile, grimpe facilement sur les arbres, et paroît ne différer de la dragonne que par une couleur plus fon- cée et des ongles moins forts?. Si les voyageurs ne se sont pas trompés à ce sujet, l’on ne doit regarder l’ignarucu que comme une variété de la dragonne. 1. Note communiquée par M. de La Borde. 2. Voyez. dans le Dictionnaire d'Histoire naturelle de M. Bomare, l'article Jynarueu. LACÉPEDE, 15 LL @t 290 HISTOIRE NATURELLE LE TUPINAMBIS" V'aranus elegans, Merr. — Lacerta tigrina et Moni- tor, Lin. — Stellio salvator et Saurus, Laure. — Tupinambis elegans et stellatus, Dawn. — Monrror ÉLÉGANT DE L'ARCHIPEL DES INDes, Cuv. CE lézard habite également les contrées chaudes de l’ancien et du nouveau continent. On a prétendu que sur les bords de la rivière des Amazones, auprès de Surinam et des pays voisins, le Tupinambis acqué- roit une grande taille et parvenoit jusqu’à la longueur de douze pieds : mais on aura sûrement pris des cay- mans pour des tupinambis; et l’on doit ranger cette 1. Tupinambis, en Amérique. Galtabé, au Sénégal. Cayman, guano, ligan, ligans, par certains voyageurs ; ce qui l’a fait confondre avec les iguanes , ainsi qu'avec les crocodiles. Tileuetz-Pallin , dans la Nouvelle-Espagne. Lézard moucheté. M. Daubenton , Encyclopédie méthodique. Laceria Monitor, 6. Linn., Amphib. rept. Seba , 1, tab. 94, fig. 1,2, 5; tab. 96, fig. 1, 2, 5; tab. 97, fig. 2: tab. 99, fig. 1; tab. 100, fig. 3. Seba, 2, tab. 30, fig. 2 ; tab. 49, fig. 2 ; tab. 86, fig. 2; tab. 105, fig. 1. Stellio Saurus , 89. Laureuti, specimen medicum , page 56. Stellio Salvator, 90. Laurenti, specimen medicum. DU TUPINAMBIS. 291 fable parmi tant d'autres qui ont défiguré l’histoire des quadrupèdes ovipares. Le tupinambis a tout au plus une longueur de six ou sept pieds dans les con- trées où il trouve la nourriture la plus abondante et la température la plus favorable. L'individu que nous avons décrit, et qui est au Cabinet du Roi, a trois pieds huit pouces de long en y comprenant la queue; il a été envoyé du cap de Bonne-Espérance. J'ai vu un autre individu de cette espèce, apporlé du Séné- gal, et dont la longueur totale étoit de quatre pieds dix pouces. La queue du tupinambis est aplatie et à peu près de la longueur du corps. Il a à chaque pied cinq doigts assez longs, séparés les uns des autres et tous armés d'ongles forts et crochus. La queue ne pré- sente pas de crête comme celle de la dragonne , mais le dessus et le dessous du corps, la tête, la queue et les pattes, sont garnis de petites écailles qui sufh- roient pour distinguer le tupinambis des autres grands lézards à queue plate. Elles sont ovales, dures, un peu élevées, presque toutes entourées d’un cercle de petits grains durs, placées à côté les unes des autres, et disposées en bandes circulaires et transversales. Leur grand diamètre est à peu près d’une demi-ligne dans l’individu envoyé du cap de Bonne-Espérance 1. Principales dimensions du Tupinambis. pi po. lig Dongaeuniotale RNA nt den tes AU Lie 5 8 o Contonridlela"cuenle ins LT ar, ue (AN ANS Circonférence du corps à l'endroit le plus gros. . . . . . PRE LME) Longueur des pattes de devant jusqu’au bout des doigts. o 5 9 Longueur des pattes de derrière jusqu’au bout des doigts. o 6 9 Lonpnenride/la queue. ke A de in ana eo 14,106 Circonférence de la queuc à son origine 299 HISTOIRE NATURELLE au Cabinet du Roit. La manière dont elles sont colo- rées donne au tupinambis une sorte de beauté; son corps présente de grandes taches ou bandes irrégu- lières d’un blanc assez éclatant qui le font paroître commé marbré, et forment même sur les côtés une espèce de dentelle. Mais, en le revêtant de cette parure agréable , la nature ne lui a fait qu’un présent funeste; elle l’a placé trop près du crocodile son ennemi mortel, pour lequel sa couleur doit être comme un signe qui le fait reconnoître de loin. Il a, en effet, trop peu de force pour se défendre contre les grands animaux. Îi n'attaque point l’homme; il se nourrit d'œufs d'oiseaux?, de lézards beaucoup plus petits que lui, ou de poissons qu'il va chercher au fond des eaux; mais, n'ayant pas la même grandeur, les mêmes armes, ni par conséquent la même puis- sance que le crocodile, et pouvant manquer de proie bien plus souvent, il ne doit pas être si difficile dans le choix de la nourriture; il doit d’ailieurs chasser avec d'autant plus de crainte, que le crocodile anquel il ne peut résister est en très grand nombre dans les pays qu'il habite. On rapporte même que la présence des caymans inspire une si grande frayeur au tupi- nambis, qu'il fait entendre un sifflement très fort. Ce sifflement d’effroi est une espèce d'avertissement 1. L'on peut voir, dans la collection du Cabinet du Roi, un tupi- nambis mâle, tué dans le temps de ses amours; ses parties sexuelles sont hors de l'anus ; les deux verges. très séparées l’une de l’autre, ont un pouce trois lignes de longueur. L'animal a deux pieds huit pouces de longueur totale, 9. « Mademoiselle Mérian trouva plus d’une fois un Sauve-garde » (un trpinambis) mangeant des œufs dans sa basse-cour. » Histoire générale des Voyages , tome LIV, page 450, édit. in-12, DU TUPINAMBIS. 293 pour les hommes qui se baignent dans les environs; 11 les garantit, pour ainsi dire , de la dent meurtrière du crocodile, et c’est de là qu'est venu au tupinam- bis le nom de Sauve-garde ou Sauveur , qui lui a été donné par plusieurs voyageurs et naturalistes. Il dépose ses œufs, comme les caymans, dans des trous qu’il creuse dans le sable sur le bord de quelque rivière ; le soleil les fait éclore ; ils sont assez gros et ovales, et les Indiens s’en nourrissent sans peine; la chair du tupinambis est aussi très succulente pour ces mêmes Indiens, et plusieurs Européens, qui en avoient mangé tant en Âmérique qu'en Afrique, m'ont dit l’avoir trouvée délicate. Cet animal produit des bézoards, ainsi que le cro- codile et d’autres lézards ; ces concrétions resseni- blent aux bézoards des crocodiles, quant à leur forme extérieure; elles sont de la grosseur d’un œuf de pigeon et d’une couleur cendrée claire tachetée de noir. On leur a attribué les mêmes vertus chiméri- ques qu'aux autres bézoards, et particulièrement à ceux du crocodile et de liguane?. La disette que le tupinambis éprouve fréquemment a dû altérer ses goûts, tant la faim et la misère déna- turent les habitudes. Îl se nourrit souvent de corps infects et de substances à demi pourries ; et, lorsque cet aliment abject lui manque, il le remplace par des mouches et par des fourmis. Il va chasser ces insectes au milieu des bois qu’il fréquente, ainsi que les bords des eaux : la conformation de ses pieds, dont les doigts sont très séparés les uns des autres, lui 1. Histoire générale des Voyages, tome LIY, page 490, édit. in-12. 2. Séba, vol. Il, page 140. 23/4 HISTOIRE NATURELLE donne une grande facilité de grimper sur ies arbres où il cherche des œufs dans les nids, mais où il ne peut souvent que vivre misérablement en poursui- vant avec fatigue des animaux bien plus agiles que lui. Le seul quadrupède ovipare qu’on a eru devoir appeler Sauve-garde, souffre donc une faim cruelle, ne peut se procurer qu'avec peine et inquiétude la nourriture dégoûtante à laquelle il est fréquemment réduit, et finit presque toujours par être la victime du plus fort. Le tupinambis est le même animal que le lézard du Brésil, appelé Téjuguacu et Temapara Tupinam- bis, et dont Rai, ainsi que d’autres auteurs, ont parlé!. Marcgrave en a vu un vivre sept mois sans rien manger; quelqu'un ayant marché sur la queue de ce tupinambis, et en ayant brisé une partie, elle repoussa de deux doigts : au reste, il est important de remarquer que ces noms de Téjuguacu et de Temapara ont été donnés à plusieurs lézards d’espè- ces différentes, ce qui n’a pas peu augmenté la con- fusion qui a régné dans l’histoire des quadrupèdes ovipares. 1. Raï, Synopsis animalium , page 265. DU SOURCILLEUX. 255 ah HISTOIRE NATURELLE 2280 E-H09 50 PQ 900 DO #9 HeB0513-H 40 HO HO #0 0 HO do ga SECONDE DIVISION. CO0LO0000 000000 000000000 LÉZARDS QUI ONT LA QUEUE RONDE, CINQ DOIGTS À CHAQUE PIED, ET DES ÉCAILLES ÉLEVÉES SUR LE DOS EN FORME DE CRÈTE. =— 240 L'IGUANE”. Tguana sapidissima, Merr.— Lacerta Iguana, Lixx. — Iguana tuberculata, Laur., Firz. — Jguana delicatissima, LaATr. — L'IGUANE ORDINAIRE D’AMÉ- RIQUE, GUY. Daxs ces contrées de l'Amérique méridionale , où la nature plus active fait descendre à grands flots du 1. Leguana. En anglois, the Guana. Senembi. Tamacolin, en Amérique, suivant Séba. L'Iguane. M. Daubenton, Encyclopédie méthodique. Lac. Iguana, 26. Linn., Amphibia reptilia. Rai, Synopsis Quadrupedum , page 265. Lacertus indicus Senemb et Iguana dictus. Quadrup Op — My DE! L'IGUANE. 245 sommet des hautes Cordillières, des fleuves immen- ses, dont les eaux s'étendant en liberté, inondent au loin des campagnes nouvelles, et où la main de l’homme n’a jamais opposé aucun obstacle à leur course ; sur les rives limoneuses de ces fleuves rapi- des s'élèvent de vastes et antiques forêts. L’humidité chaude et vivifiante qui les abreuve devient la source intarissable d’une verdure toujours nouvelle pour ces bois touffus, images sans cesse renaissantes d’une fécondité sans bornes , et où il semble que la nature, dans toute la vigueur de la jeunesse, se plaît à entasser les germes productifs. Les végétaux ne crois- sent pas seuls au milieu de ces vastes solitudes ; la nature a jeté sur ces grandes productions la variété, Iguana delicatissima, 71. Iguana tuberculata, 72. Vaurenti specimen medicum. Leguana. Dictionnaire d'Histoire naturelle , par Valmont de Bomare. Séba, 1. Table 95, figures 1, 2; table 96, figure 4; table 97, figure 8; table 98 , figure 1. The Guana. Browne, Histoire naturelle de la Jamaïque. Lacerta , 1. Major squamis dorst lanceolatis erectis e nucha ad extremi- tatem caudæ porrectis. Idem. Grand lézard ou Guanas. Catesby, Histoire naturelle de la Caroline , vol. II, page 64. Grand lézard, Dutertre, page 308. Gros lézard, nommé Iguane. Rochefort, page aie Gros lézard. Labat, tome [, page 314. Guana. Sloane , vol. II. Iguana. Gronov. mus. 2, page 82, n° Go. Marcgr. bras. 256, fig. 236. Senembi seu Iguana. Jonst. Quadrup., tab. 77, fig. 5. Olear. mus., tab. 6, fig. 1, Fvana. Bont. jav. 56, tab. 56. Lacerta Leguan. Nieremberg. nat, 271, tab. 271. Worm., musæum. 315. Clus, exot. 116, Fvana. LACÉPEDE, JL, 16 2406 HISTOIRE NATURELLE le mouvement et la vie. En attendant que l’homme vienne régner Au milieu de ces forêts, elles sont le domaine de plusieurs animaux, qui, les uns par Ja beauté de leurs écailles , l'éclat de leurs couleurs, ia vivacité de leurs mouvements, l’agilité de leur course; les autres, par la fraîcheur de leur plumage, l’agré- ment de leur parure, la rapidité de leur vol; tous, par la diversité de leurs formes, font, des vastes con- trées du Nouveau -Monde, un grand et magnifique tableau, une scène animée , aussi variée qu'immense. D'un côté, des ondes majestueuses roulentavec bruit ; de l’autre, des flots écumants se précipitent avec fra- cas de roches élevées; et des tourbillons de vapeurs réfléchissent au loin les rayons éblouissants du soleil : ici l'émail des fleurs se mêle au brillant de la verdure, etest effacé par l’éclat plus brillant encore du plumage varié des oiseaux ; là, des couleurs plus vives, parce qu’elles sont renvoyées par des corps plus polis, for- ment la parure de ces grands quadrupèdes ovipares , de ces gros lézards que l’on est tout étonné de voir décorer le sommet des arbres, et partager la demeure des habitants ailés. Parmi ces ornements remarquables et vivants dont on se piaît à contempler, dans ces forêts épaisses, la forme agréable et piquante, et dont on suit avec plaisir les divers mouvements au milieu des rameaux et des fleurs, ia dragonne et le tupinambis attirent l'attention ; mais le lézard dont nous traitons dans cet article, se fait distinguer bien davantage par la beauté de ses couleurs, l’éclat de ses écailles, et la singularité de sa conformation. [l'est aisé de reconuoître l’iguane à la grande poche DE LIGUANE. 2107 qu'il a au dessous du cou, et surtout à la crête dente- lée qui s'étend depuis la tête jusqu'à l'extrémité de la queue, et qui garnit aussi le devant de la gorge. La longueur de ce lézard, depuis le museau jus- qu’au bout de la queue, est assez souvent de cinq'ou six pieds; celui que nous avons décrit, et qui a été envoyé de Cayenne au Cabinet du Roi par M. Son- nini, a quatre pieds de long?. La tête est comprimée par les côtés, et aplatie par dessus ; les dents sont aiguës, et assez semblables, 1.« Pendant le séjour que Brue fit à Kayor sur le Sénégal, on lni » fit voir un Guana (Iguane) long de trois pieds, depuis le museau > jusqu'à la queue, qui devoit avoir encore deux pieds de plus. » (L'on doit croire que la queue de ce lézard avoit éprouvé quelque accident, les Iguanes ayant la queue plus longue que le corps). « Sa peau étoit » couverte de petites écailles de différentes couleurs, jaunes, vertes » et noires, si vives, qu'elles paroiïssoient colorées d’un beau vernis. » Il avoit les yeux fort grands, rouges , ouverts jusqu’au sommet de » la tête. On les auroit pris pour du feu , lorsqu'il étoit irrité : alors » sa gorge S ’enfloit aussi, comme celle d’un pigeon. » Histoire géné- rale des Voyages à livre VIi, chapitre 18. 2. Principales dimensions d'un Iguane, conservé au Cabinet du Roi. pi. po. lig. Longueur totäle. . ...,. .,. . . . CU M EAN ed SAN AN 4 o o Circonférence dans l'endroit le plus gros du corps. . . . 1 o 4 Circonférence: à l’origine de la queue. . . . . . . . 0 59. Contour de la mâchoire supérieure, . .. . . . 5 0... 3 Longueur de la plus grande écaille des côtés de la tête. 0 1 0 Longueur de la poche qui est au dessous du cou.. . . 0 95 À Hargeur dé poche men" ce Ne MANU o 1 10 Longueur des plus grandes écailles de la crête. . . . . 0 110 Eongueur dela queue. coupée - AC TU Longueur des pattes de devant jusqu'à retenir ds GES CAT ENPNEN EI CE NO NON TECH ONU Longueur des pattes de derrière. : 7: . . . : . .. .. 0 g 9 Longueur du plus grand ongle. . 4. , . . . .,. . .: o o 8 249 HISTOIRE NATURELLE par leur forme , à celles des lézards verts de nos pro- vinces méridionales. Le museau, l’entre-deux des yeux et le tour des mâchoires, sont garnis de larges écailles très colorées, très unies et très luisantes: trois écailles plus larges que les autres sont placées de chaque côté de la tête, au dessous des oreilles; la plus grande des trois est ovale, et son éclat, sembla- ble à celui des métaux polis, relève la beauté des couleurs de l’iguane ; les yeux sont gros; l’ouverture des oreilles est grande; des tubercules qui ont la forme de pointes de diainants sont placés au dessus des narines, sur le sommet de la tête el de chaque côté du cou. Une espèce de crêle, composée de grandes écailles saillantes, et qui, par leur figure, ressemblent un peu à des fers de lance, s'étend depuis la pointe de ja mâchoire inférieure, jusque sous la gorge, où elle garnit le devant d’une grande poche que l’iguane peut gonfler à son gré. De petites écailles revêtent le corps, la queue et les pattes : celles du dos sont relevées par une arête. La crête remarquable , qui s'étend, ainsi que nous l'avons dit, depuis le sommet de la tête jusqu’à l'extré- inité de la queue, est composée d'écailles très lon- sues, très aiguës, et placées verticalement; les plus hautes sont sur le dos, et leur élévation diminue insensiblement à mesure qu'elles sont plus près du bout de la queue, où on les distingue à peine. La queue est ronde, au lieu d'être aplatie comme celle des crocodiles. Les doigts sont séparés les uns des autres, au nom- bre de cinq à chaque pied, et garnis d'ongles forts et crochus; dans les pieds de devant, le premier DE L'IGUANE. 2119 doigt ou le doigt intérieur n'a qu'une phalange ; le second en a deux, le troisième trois, le quatrième quatre , et le cinquième deux. Dans les pieds de der- rière, le premier doigt n’a qu’une phalange ; le second en a deux, le troisième trois, le quatrième quatre, et le cinquième , qui est séparé comme un pouce, en a trois. Au dessous des cuisses s'étend, de chaque côté, un cordon de quinze tubercules creux et percés à leur sommet comme pour donner passage à quelques sécrétions : nous retrouverons ces tubercules dans plusieurs espèces de lézards ; il seroit intéressant d'en connoître exactement l'usage particulier. La couleur générale des iguanes est ordinairement verte, mêlée de jaune ou d’un bleu plus où moins foncé; celle du ventre, des pattes et de la queue, est quelquefois panachée; la queue de l'individu que nous avons décrit présentoit plusieurs couleurs dis- posées par bandes annulaires et assez larges ; mais les teintes de l’iguane varient suivant l’âge, le sexe et le pays. Ce lézard est très doux; ilne cherche point à nuire ; il ne se nourrit que de végétaux et d'insectes. Il n’est cependant pas surprenant que quelques voyageurs aient trouvé son aspect effrayant, lorsque agité par la colère, et animant son regard, il a fait entendre son sifflement, secoué sa longue queue, gonflé sa 1. Nous nous en sommes assurés par l'inspection d'un grand nom- bre d'individus des deux sexes de différents pays et de différents âges , et c’est ce qui explique les différences que l'on trouve dans les descrip- tions que les voyageurs et les naturalistes ont données de l’iguane, 250 HISTOIRE NATURELLE gorge, redressé ses écailles, ét relevé sa tête hérissée de callosités. La femelle de l’iguane est ordinairement plus petite que le mâle; ses couleurs sont plus agréables, ses proporlions plus sveltes; son regard est plus doux, et ses écailles présentent souvent l'éclat d’un très beau vert. Cette parure et cessortes decharmesneluiontpas été donnés en vain; on diroit que le mâle a pour elle üune passion très vive; non seulement, dès les pre- miers beaux jours de la fin de l'hiver, il la recherche avec empressement, mais il la défend avec fureur. Sa tendresse change son naturel; la douceur de ses mœurs, cette douceur si grande, qu'elle a été com- parée à la stupidité , fait place à une sorte de rage. Il s'élance avec hardiesse, lorsqu'il craint pour l’objet qu'il aime ; il saisit avec acharnement ceux qui appro- chent de sa femelle; sa morsure n’est point veni- meuse; mais, pour lui faire lâcher prise, on est obligé de le tuer ou de le frapper violemment sur les parines!1. C’est environ deux mois après la fin de l’hiver que les iguanes femelles descendent des montagnes ou sortent des bois, pour aller déposer leurs œufs sur le sable du bord de la mer. Ces œufs sont presque tou- jours en nombre impair; depuis treize jusqu’à vingt- cinq. Ils ne sont pas plus gros, mais plus longs que ceux de pigeons; la coque en est blanche et souple, comme celle des œufs des tortues marines , auxquels ils ressemblent plus qu’à ceux des crocodiles. Le 1. Catesby, Histoire naturelle de ia Caroline, vol. IE, page 64. DE L'IGUANE. 251 dedans en est blanchâtre et sans glaire. IIs donnent, disent la plupart des voyageurs qui sont allés en Amé- rique , un excellent goût à toutes les sauces, et valent mieux que ceux de pétiless L’iguane , suivant plusieurs auteurs, a de la peine à nager, quoiqu il fréquente de préférence les riva- ges de la mer ou des fleuves. Catesby rapporte que lorsqu'il est dans l’eau. il ne se conduit presque qu'avec la queue, et qu’il tient ses pattes collées con- tre son Cote Cela s'accorde fort bien avec Ja diffi- culté qu'il éprouve pour se mouvoir au milieu des flots; et cela ne montre-t-il pas combien les quadru- pèdes ovipares, dont les doigts sont divisés, nagent avec peine, ainsi que nous l'avons dit, et combien cette conformation influe sur nature de leurs habi- tudes? Dans le printemps, les iguanes mangent beaucoup de fleurs et de feuilles des arbres auxquels on a doniné le nom de Mahot, et qui croissent le long des rivières : ils se nourrissent aussi d’Anones, ainsi que de plusieu rs autres végétaux ?; et Catesby a remarqué que leur graisse prend la couleur des fruits qu'ils ont mangés les derniers ; ce qui confirme ce que j'ai dit des diverses couleurs que donne à la chair des tortues de mer l'aliment qu’elles préfèrent. Les iguanes descendent souvent des arbres pour aller cherthez des vers de terre, des mouches et d’autres insectes ?. 1. Catesby, Histoire naturelle de la Caroline. 2. Catesby, à l'endroit déjà cité. 3. Note communiquée par M. de La Borde. 252 HISTOIRE NATURELLE Quoique pourvus de fortes mâchoires , ils avalent ce qu’ils mangent presque sans le mâchert. Ils se retirent dans des creux de rochers ou dans des trous d’arbres?. On les voit s’élancer avec une agilité surprenante jusqu'au plus haut des branches, autour desquelles ils s’entortillent, de manière à ca- cher leur tête au milieu des replis de leur corps$. Lorsqu'ils sont repus, ils vont se reposer sur les ra- meaux qui avancent au dessus de l'eau. C’est ce moment que l'on choisit au Brésil pour leur donner la chasse. Leur douceur naturelle, jointe peut-être à l'espèce de torpeur à laquelle les lézards sont sujets, ainsi que les serpents, lorsqu'ils ont avalé une grande quantité de nourriture, leur donne cette sorte d’apa- thie et de tranquillité remarquée par les voyageurs, et avec laquelle ils voient approcher le danger sans chercher à le fuir, quoiqu'ils soient naturellement très agiles. On a de la peine à les tuer, même à coups de fusil : mais on les fait périr très vite en enfonçant un poincon ou seulement un tuyau de paille dans leurs naseaux { ; on en voit sortir quelques gouttes de sang, et l'animal expire. 1. Gatesby, à l'endroit déjà cité. Catesby. Histoire naturelle de la Caroline. 5.« Une espèce de jasmin d’une excellente odeur, qui croit de » toutes parts, en buisson, dans les campagnes de Surinam, est la re- » traite ordinaire des serpents et des lézards . surtout de l'iguane; c’est » une chose admirable que la manière dont ce dernier reptile s'entor- s tille au pied de cette plante, cachant sa tête au milieu de tous ses » replis. » Histoire générale des Voyages. tome LIV, page 411, édit. iu-1%. D 4. Histoire générale des Voyages, livre VI, chapitre 17. DE L'IGUANE. 239 La stupidité que l’on à reprochée aux iguanes, ou plutôt leur confiance aveugle, presque toujours le partage de ceux qui ne font point de mal, va si loin, qu'il est très facile de les saisir en vie. Dans plusieurs contrées de l’Amérique, on les chasse avec des chiens dressés à les poursuivre ; mais on peut aussi les prendre aisément au piége!, Le chasseur qui va à la recherche du lézard, porte une longue perche, au bout de la- quelle est une petite corde nouée en forme de lacs ?. Lorsqu'il découvre un iguane étendu sur des branches, et s’y pénétrant de l’ardeur du soleil, il commence à sifller : le lézard, qui semble prendre plaisir à l’en- tendre, avance la tête; peu à peu le chasseur s’ap- proche, et, en continuant de siffler, il chatouille avec le bout de sa perche les côtés et la gorge de l'iguane, qui non seulement souffre sans peine cette sorte de caresse, mais se retourne doucement, et paroît en jouir avec volupté. Le chasseur le séduit, pour ainsi dire, en sifflant et en le chatouillant, au point de l’engager à porter sa tête hors des branches, assez avant pour embarrasser son cou dans le lacs : +ussitôt 1l lui donne une violente secousse, qui le fait bmber à terre; il le saisit à l’origine de la queue, il lui met un pied sur le corps ; et ce qui prouve bien que lastupidité de l’iguane n'est pas aussi grande qu’on le dit, c'est que lorsque sa confiance est trompée, et qu'I se sent pris, il a recours à la force, dont il n'avoit pas voulu user. Il s'agite avec violence : il ouvre la guerle ; 1l roule des yeux étincelants ; il sonfle sa gorge : mais ses efforts sont inutiles ; le chasseur, en 1. Joie communiquée par M. de La Borde. 2. Vyages du Père Labat en Afrique et en Amérique, 254 HISTOIRE NATURELLE le tenant sous ses pieds, et en l’accablant du poids de tout son corps, parvientbientôt à lui attacherles pattes, et à lui lier la gueule, de manière que ce malheureux animal ne puisse ni se défendre ni s’enfuir!. Or:peut le garder plusieurs jours en vie sans lui donner aucune nourriture? ; la contrainte semble d'abord le révolter : il est fier ; it paroît méchant; mais bientôt il s’apprivoise ; il demeure dans les jar- dins; il passe même la plus grande partie du jour ans les appartements ; il court pendant la nuit, parce que ses yeux, comme ceux des chats, peuvent se dilater de manière que la plus foible lumière Jui suffise, et parce qu’il prend aisément alors les insectes dont il se nourrit. Quand il se promène, il darde sou- vent sa langue; il vit tranquille ; il devient familier*. On ne doit pas être surpris de l’acharnement avec lequel on poursuit cet animal doux et pacifique qui ne recherche que quelques feuilles inutiles ou quel- ques insectes malfaisants, qui n’a besoin pour son 1. Catesby, Histoire naturelle de la Caroline. 2. Browne dit avoir gardé chez lui un iguane adulte pendant plus d deux mois. Dans le commenceinent il étoit fier et méchant; mais su bout de quelques jours, il devint plus doux : à la fin, il passoit la plais grande partie du jour sur un lit, mais il couroit toujours pendantla nuit. « Je n'ai jamais observé, continue ce voyageur, que cet iguine » ait mangé autre chose que les particules imperceptibles qu’il lpoit » dans l'air ( ces particules étoient sûrement de très petits inseces). » Quand il se promeroit, il dardoït fréquemment sa langue, conme » le caméléon. La chair de l'iguane est recherchée par beaucoup de » gens, et lorsqu'elle est servie en fricassée. elle est préférée à celle » de la meilleure volaille. L'iguane peut être aisément apprioiïsé, » quand il est jeune : il est alors un animal aussi innocent que beau. » Histoire naturelle de la Jamaïque par Browne, Londres, 1756,9. 462. 3. Note communiquée par M. de La Borde. DE L'IGUANE:. 255 habitation que de quelques trous de rocher ou de quelques branches presque sèches, et que la nature a placé dans les grandes forêts pour en faire l’orne- ment. Sa chair est excellente à manger, surtout celle des femelles qui est plus tendre et plus grasse !; les habitants de Bahama en faisoient même une espèce de commerce; ils ie portoient en vie à la Caroline et dans d’autres contrées, ou ils le faisoient saler pour leur usage?; dans certaines îles où ils sont rares, on les réserve pour les meilleures tablesi ; et l’homme ne s'est jamais tant exercé à détruire les animaux nui- sibles, qu’à faire sa proie de ceux qui peuvent flatter son appétit. D'ailleurs on trouve quelquefois dans le corps de l’iguane, ainsi que dans les crocodiles et dans les tupinambis, des concrétions semblables aux bé- zoards des quadrupèdes vivipares, et particulièrement à ceux que l’on a nommés bézoards occidentaux. M. Dombey a apporté de l'Amérique méridionale au Cabinet du Roi, un de ces bézoards d'iguane. Cette concrétion représente assez exactementla moitié d’un ovoide un peu creux; elle est composée de couches polies, formées de petites aiguilles, et qui présentent, comme d’autres bézoards, une espèce de cristallisa- tion. Elle est convexe d’un côté et concave de l’autre ; elle ne doit cependant pas être regardée comme la moitié d'un bézoard plus considérable, les couches qui la composent étant placées les unes au dessus des autres sur les bords de la cavité, ainsi que sur la 1. On dit que la chair de l’iguane est nuisible à ceux dont le sang n'est point pur, et M. de La Borde la croit difficile à digérer. 2, Catesby, Histoire naturelle de la Caroline. 3. Note communiquée par M. de La Borde. 256 HISTOIRE NATURELLE parlie convexe. Le noyau, qui a servi à former ce bézoard, devoit donc avoir à peu près la même forme que cette concrétion. La surface de la cavité qu’elle présente n'est point polie comme celle des parties relevées qui ont pu subir un frottement plus ou moins considérable. Le grand diamètre de ce bézoard est de quinze lignes, et le petit diamètre à peu près de quatorze. Séba avoit, dans sa collection, plusieurs bézoards d'iguanes, de la grosseur d’un œuf de pigeon, et d’un jaune cendré avec des taches foncées. Ces concrétions sont appelées Beguan par les Indiens, qui les estiment plus que beaucoup d’autres bézoards!. Elles peuvent avoir été connues des anciens, l’iguane habitant dans les Indes orientales, ainsi qu’en Amérique ; et comme cet animal n’a point été particulièrement indiqué par Aristote ni par Pline, et que les anciens n’en ont vrai- semblablement parlé que sous le nom de Lézard-vert, ne pourroit-on pas croire que la pierre appelée par Pline Sauritin , à cause du mot Saurus (lézard), et que l'on regardoit, du temps de ce naturaliste, comme se trouvant dans le corps d’un lézard-vert, n’est autre chose que le bézoard de l’iguane, et qu’elle n’étoit précieuse que parce qu'on lui attribuoit les fausses propriétés des autres bézoards?? Ce qui confirme notre opinion à ce sujet, c'est que ce mot Sauritin n'a été appliqué par les anciens ni par Îes modernes à aucun autre corps, tant du règne animal que du règne minéral. 1. Séba, vol. IT, page 140. a. « Sauritin in ventre viridis lacerii arundine dissecti tradunt in- > veniri. » Pline, livre XXXVII, chapitre 67. DE L'IGUANE. 2067 Les iguanes sont très communs à Surinam, ainsi que dans les bois de la Guiane, aux environs de Cayenne, et dans la Nouvelle-Espagne. Îls sont assez rares aux Antilles, parce qu'on y en a détruit un grand nombre, à cause de la bonté de leur chair ?. On trouve aussi l’iguaue dans l’ancien continent en Afrique, ainsi qu’en Asie; il est partout confiné dans les climats chauds; ses couleurs varient suivant le sexe, l’âge et les diverses régions qu'il habite ; mais il est toujours remarquable par ses habitudes, sa forme et l'émail de ses écailles. 1. Note communiquée par M. de La Borde. 2. Idem. 5. Auprès de ia baie des Chiens marins, dans la Nouvelle-Hollande, le voyageur Dampier trouva des Guanos ou Iguanes, qui, lorsqu'on s’approchoït d'eux, s’arrêétoient ct siffloient sans prendre la fuite. Voyage de Guillaume Dampier aux terres australes, Amsterdam, 1305. 290 HISTOIRE NATURELLE LE LÉZARD CORNU. Iguana cornuta, Latr., MErR. — Lacerta cornuta, Bon. CE lézard, qui se trouve à Saint-Domingue, a les plus grands rapports avec l’Iguane ; il lui ressemble par la grandeur, par les proportions du corps, des pattes et de la queue, par la forme des écailles, par celle des grandes pièces écailleuses, qui forment sur son dos et sur la partie supérieure de sa queue, une crête semblable à celle de l’iguane. Sa tête est en- foncée comme celle de ce dernier lézard ; elle montre également sur les côtés des tubercules très gros, très saillants, et finissant en pointef. Les dents ont ieurs bords divisés en plusieurs petites pointes, comme celles des iguanes un peu gros. Mais le lézard corau diffère de l’iguane , en ce qu'il n'a pas sous la gorge une grande poche garnie d’une membrane, et d’une sorte de crête écailleuse. D'ailleurs la partie supé- rieure de sa tête présente, entre les narines et les yeux, quatre tubercules de nature écailleuse , assez gros et 1. J'ai vu deux lézards cornus; l’un de ces deux individus n’avoit pas de gros tubercules sur les côtés de la téte. DU LÉZARD CORNU. 250 placés au devant d'une corne osseuse, conique, et revêtue d’une écaille d’une seule pièce!. L’amateur distingué qui a bien voulu nous donner un lézard de cette espèce ou variété, nous a assuré qu'on le trouvoit en très grand nombre à Saint-Domingue. Nous avons nommé ce lézard le Cornu, jusqu’à ce . que de nouvelles observations aient prouvé qu'il forme une espèce distincte, ou qu'il n’est qu'une variété de l'iguane. M. l'abbé Bonnaterre, qui nous a le premier indiqué ce lézard, se propose d’en publier la figure et la description dans l'Encyclopédie méthodique. 1. L'un des deux lézards cornus que j’ai examinés et qui font main- tenant partie de la collection du Roi, a trois pieds sept pouces de lon- gueur totale, et sa corne est haute de six lignes. 260 HISTOIRE NATURELLE Gr He HOSERTOBCHOTOB TO TETOTEG ET ODO BETETE OLOLES ES ESETOL ES EE SG OT EEE SO DE TETE OU EHESS LE BASILIC*. Basilicus mitratus, Daun., MErr. — Lacerta Basilicus, Linn. — Basilicus americanus, Laur. — Iguana Basilicus, Larr. L'erreur s'est servie de ce nom de Basilic, pour dé- signer un animal terrible, qu'on a tantôt représenté comme un serpent, tantôt comme un petit dragon, et dont le regard perçant donnoit la mort. Rien de plus fabuleux que cet animal, au sujet duquel on a répandu tant de contes ridicules, qu'on a doué de tant de qua- lités merveilleuses, et dont la réputation sert encore à faire admirer entre les mains des charlatans, par un peuple ignorant et crédule, une peau de raie dessé- chée, contournée d’une manière bizarre, et que l’on décore du noi fameux de cet animal chimérique?. 1. Le Basilic. M. Daubenton, Encyclopédie méthodique. Lacerta Basilicus 25, Fäinn., Amphib. rept. Dragon d’ Amérique, amphibie qui vole, Basilic. Séba. 1, pl. 100, figure 1. Basilicus americanus, 75. Laurenli specimen medicum. 2. « Le Basilic, que les charlatans et les saltimbanques exposent » tous les jours, avec tant d'appareil, aux yeux du public, pour l’atti- » rer ct lui en imposer, n’est qu'une sorte de petite raie, qui se trouve DU BASILIC. 261 Nous ne conserverions pas ce nom de basilic, dont on a tant abusé, à l'animal réel dont nous parlons, de peur que l'existence d’un lézard appelé basilic ne pût faire croire à la vérité de quelques unes des fables attachées à ce nom, si elles n’étoient aussi absurdes que risibles, si par là nous n'étions bien rassurés sur la croyance qu'on leur accorde, et d’ailleurs si ee nom de basilic n’avoit pas été donné au lézard dont il est question dans cet article, par tousles naturalistes qui s’en sont occupés. Ù Le lézard basilic habite l'Amérique méridionale ; aucune espèce n'est aussi facile à distinguer, à cause d’une crête très exhaussée qui s'étend depuis le som- met de la tête jusqu'au bout de la queue, et qui est composée d’écailles en forme de rayons, un peu sé- parées les unes des autres. Il a d’ailleurs une sorte de capuchon qui couronne sa tête ; et c’est de là que lui vient son noin de Basilic, qui signifie petit roi. Cet animal parvient à une taille assez considérable ; il a souvent plus de trois pieds de longueur, en comp- tant ceile de la queue. Ses doigts, au nombre de cinq à chaque pied, ne sont réunis par aucune membrane. Il vit sur les arbres, comme presque tous les lézards, qui, ayant les doigts divisés, peuvent y grimper avec facilité, et en saisir aisément les branches. Non seu- lement il peut y courir assez vite, mais remplissant d'air son espèce de capuchon, déployant sa crête, augmentant son volume, et devenant par là plus léger, il saute el voltige, pour ainsi dire, avec agilité, de » dans la Méditerranée, et qu’on fait dessécher sous la bizarre confi- » guration qu'on ÿ remarque. » Dictionnaire d'Histoire naturelle, par M. Valmont de Bomare. LACÉPEDE, IL. 17 262 HISTOIRE NATURELLE branche en branche. Son séjour n’est cependant pas borné au milieu des bois ; il va à l’eau sans peine, et lorsqu'il veut nager il éille également son capuchon, et étend ses membranes. La crête qui distingue le basilic, et da peut lui servir d’une petite arme défensive, est encore pour lui un bel ornement. Bien loin de tuer par son regard, comme l'animal fabuleux dont il porte le nom, il doit être considéré avec plaisir, lorsque animant la solitude des immenses forêts de l'Amérique, il s'élance avec rapidité de branche en branche, ou bien lorsque dans une attitude de repos, et tempérant sa vivacité na- turelle , il témoigne une sorte de satisfaction à ceux qui le regardent, se pare, pour ainsi dire, de sa cou- ronne, agite mollement sa belle crête, la baisse, la relève, et par les différents reflets de ses écailles, ren- voie aux yeux de ceux qui l’examinent, de douces ondulations de lumière. DU PORTE-GRÈTE. 209 210829 52 8DITIDSGAPIDESD > DPIBIETITETEE 04 HE ED LEE A PAGE RTE SP, LE PORTE-CRÈTE" Basilicus amboinensis, Dauv., Merr., F1rz. — Lacerta amboinensis, SCHLOSSER. “ee Nous conservons à ce lézard le nom de Porte-crête, qui lui a été donné par M. Daubenton. Cet animal présente en effet une crête qui s'étend depuis la tête jusqu’à l’extrémité de la queue. Le plus souvent elle est composée sur le dos de soixante-dix petites écailles plates, longues et pointues ; et, à l'origine de la queue, elle s'élève et représente une nageoire très longue, très large, formée de quatorze ou quinze rayons cartilagi- neux, et garnie à son bord supérieur de petites écailles aiguës, penchées souvent en arrière. C’est dans Pile d'Amboine et dans l’île de Java? qu’on trouve le porte- crête. M. Schlosser est le premier naturaliste qui en 1. Bin jawacok jangur eckor, par les Malaies, suivant M. Hornstedl. Le Porte-crête. M. Daubenton, Encyclopédie méthodique. Lacerta amboinensis. Schlosser, de Lacerta amboïinensi, Amsterdam, 1778, in-4°. (L'individu , décrit par M. Schlosser, fut acheté par feu M. le baron de Géer, et appartenoït, en i585 , à l’Académie de Stock- holm., ) 2. M. Hornstedt. Mémoires de l’Académie des Sciences de Stock- holm , année 1785, irim. 2, page 150. 264 HISTOIRE NATURELLE ait parlé!. Ce lézard est dans l’Asie le représentant du basilic qui habite le nouveau continent ; il a aussi de grands rapports avec la dragonne et les autres grands lézards à queue comprimée, dont le dos paroît dentelé, en ce que sa tête est presque quadrangulaire, aplatie, revêtue de tubercules et de grandes écailles : il a les yeux grands, et les narines élevées ; les ouver- tures des oreilles laissent voir la membrane nue du tympan ; le dessous de la tête présente une sorte de poche aplatie et très plissée, à laquelle on a donné le nom de collier. La langue est épaisse, charnue et légèrement fendue ; les dents sont serrées, pointues, et d'autant plus grandes qu’elles sont plus éloignées du devant des mâchoires, où l’on en rencontre huit en haut et six en bas, arrondies, courtes, aiguës, tour- nées obliquement en dehors, et séparées par un petit intervalle, des plus grosses et des molaires?. Le porte- crête en a ainsi de deux sortes, comme la dragonne à laquelle il ressemble encore par la forme et la dis- position des doigts. Les cinq doigts de chaque pied sont garnis d’on- gles, et présentent de chaque côté un rebord aigu, dentelé comme une scie. La queue est près de trois fois plus longue que le corps. La couleur de la tête et du collier est verdâtre, avec des lignes blanches; la crête et le dos sont d’un fauve plus ou moins foncé ; le ventre est d’un gris blanchâtre , et chaque côté du corps présente des taches ou bandes blanches. qui s'étendent jusque sur les pieds; il paroît que, dans plusieurs individus, la couleur générale du porte- 1. Schlosser, ouvrage déjà cité. >. M. Hornstedt. Mémoires, à l'endroit déjà cité. DU PORTE-CRÈTE. 265 crête est verdâtre, avec des raies noires, et le ventre blanchâtre!. Le mâle diffère de la femelle par une crête beaucoup plus élevée, et par des couleurs plus vives. Ce lézard n’est pas seulement beau ; il est assez grand, puisqu'il a quelquefois trois ou quatre pieds de long; sa gueule et ses doigts sont bien armés; son dos et sa queue présentent une sorte de défense ; ses pieds, conformés de manière à lui permettre de grim- per sur les arbres, laissent moins de ressources à sa proie pour lui échapper; sa tête, tuberculeuse et garnie de grandes écailles, paroît être à l’abri des blessures ; d’après tous ces attributs, on croiroit que le porte-crête est vorace, carnassier et dangereux pour plusieurs petits animaux. Mais nous avons encore ici un exemple de la réserve avec laquelle on doit juger de l’ensemble du naturel, d’après les caractères par- ticuliers de la conformation extérieure, tant l’orga- nisation interne, et même un concours de circon- stances locales plus ou moins constantes, agissent quelquefois avec force sur les habitudes. Le porte-crête habite de préférence sur le bord des grands fleuves ; mais ce n’est point en embuscade qu'on l'y trouve : il ne fait point la guerre aux ani- maux plus foibles que lui; il se nourrit tout au plus de quelques petits vers ; il passe tranquillement sa vie sur les rives peu fréquentées ; il dépose ses œufs sur les bancs de sable et les petites îles, comme s’il cherchoit à les y mettre en sûreté; il grimpe sur les arbres qui s'élèvent au bord de l’eau, et y cherchent 1. M. Hornstedt, à l'endroit déjà cité, 266 HISTOIRE NATURELLE en paix les fruits et les graines dont il fait sa princi- pale nourriture. Il n’a donc usé presque jamais de toute sa force, qui peut-être même n’est pas très considérable : aussi s’alarme-t-il aisément. Il fuit au moindre bruit sans chercher à se défendre, comme si l'habitude de la défense tenoit le plus souvent à celle de l’attaque. Il se jette dans l’eau lorsqu'il re- doute quelque ennemi; il nage avec d’autant plus de vitesse, que la membrane élevée de sa queue lui sert à frapper l’eau avee facilité ; et il se cache à la hâte sous les roches. Les fruits dont ce lézard se nourrit lui donnent un nature] doux et paisible, et communiquent à sa chair une saveur supérieure à celle qu’elle auroit, s’il choi- sissoit un aliment moins pur. Malheureusement pour cet innocent lézard, le bon goût de sa chair, qu’on dit être préférable à celle de l’iguane, est assez connu des habitants des contrées qu'il habite, pour qu’on le poursuive jusqu’au milieu des eaux et sous les ro- ches avancées qui lui servent de dernier asile. Il s’y laisse même prendre à la main, sans jeter aucun cri, sans faire le moindre mouvement pour se défendre. Cette espèce d'abandon de sa vie ne provient peut- être que du naturel tranquille de cet animal fru- givore, qui n’a jamais essayé ses armes, ni senti tout ce qu'il peut pour sa conservalion. On a cependant donné à sa douceur le nom de stupidité ; mais com- bien de fois n’a-t-on pas désigné, par un nom de mé- pris, les qualités paisibles et peu brillantes! 7 ——— © DU GALÉOTE. 267 De #0 5060 060.50 Po #00 S010.P9 5e 0 PO PS Do Po FULO0 LE H0HO PO DIE HO EH PO PO BC EL SO Pc D POP. LE GALÉOTE* Calotes (Agama) Ophiomachus, Merr. — Lacerta Calotes, Linx. — Agama Calotes, Daur. — Le GALÉOTE cOMMUN , Cuv. CE lézard a, depuis la tête jusqu'au milieu du dos, une crête produite par des écailles séparées l’une de l’autre, grandes, minces et terminées en pointe. Quelques écailles semblables s'élèvent d’ailleurs vers. le derrière de la tête, au dessous des ouvertures des oreilles. Mais cette crête hérissée ne s'étend pas sur la gorge, et depuis le sommet de la tête jusqu’à l’extré- mité de la queue, comme dans l’iguane. Toutes les 1. Par les Grecs, Kolotes et Askalabotes. Par les Latins, Ophiomachus. Le Galéote. M. Daubenton, Encyclopédie méthodique. Galiote. Dictionnaire d'Histoire naturelle , par M. Valmont de Bo- mare. Séba , I. Tab. 89, fig. 2 ; tab. 05, fig. 2 ; tab. 05, fig. 5, 4. Tome Il, tab. 76, fig. 5. Iguana Calotes, 75. Laurenti specimen medicum. Iguana chalcidica, 69 Idem, ibidem. Lacerta Calotes, 27. Jänn., Amphib, rept. Edwards, av. 74, t ‘45. 268 HISTOIRE NATURELLE autres écailles qui revêtent le galéote présentent une arête saillante et aiguë, qui le fait paroître cou- vert d’une multitude de stries disposées dans le sens de sa longueur. La tête est aplatie, très large par derrière, et assez semblable par là à celle du caméléon; les yeux sont gros; les ouvertures des oreilles grandes; la gorge est un peu renflée, ce qui lui donne un petit trait de ressemblance avec l’iguane ; les pattes sont assez lon- gues, ainsi que les doigts qui sont très séparés les uns des autres; le dos des ongles est noir. La queue est eflilée et plus de trois fois aussi longue que le corps. L’individu que nous avons décrit, et qui est conservé au Cabinet du Roi, a trois pouces dix lignes , depuis le bout du museau jusqu’à l’anus; la queue a quatorze pouces de longueur. Quelquefois la couleur du dos est azurée , et celle du ventre blan- châtre. Le galéote se trouve dans les contrées chaudes de l'Asie, particulièrement dans l’île de Ceylan , en Ara- bie, en Espagne, etc.; il court dans les maisons et sur les toits, où il donne la chasse aux araignées : on prétend même qu'il est assez fort pour faire sa proie de petits rats, contre les dents desquels il pourroit être un peu défendu par ses écailles aiguës et par la crèle qui règne le long de son dos. Ce qui est bien certain, c’est que ses longs doigts très divisés doivent lui donner beaucoup de facilité pour se cramponner sur les toits, et y poursuivre les rats et les araignées. li se bat contre les petits serpents, ainsi que le lézard vert et plusieurs autres lézards. DE L'AGAME. 26y ssh eos02066 005060 502020 0020.5000 690 50 #06010 0-00 DE PL 60 Ho Be 300 E-0 00470054 L’'AGAME". Calotes (A gama) colonorum, Merr., Firz. — 4 gamu colonorum, Daur. — Lacerta Agama, Lin. — L'AGAME DES COLONs, Cuv. Ox trouve en Amérique un lézard qui a beaucoup de rapports avec le galéote. Le derrière de la tête et le cou sont garnis d’écailles aiguës. Celles qui cou- vrent le dessus du corps, et surtout celles qui revêtent la queue, sont relevées en carène et terminées par une épine, ce qui donne une forme anguleuse à la queue, qui d’ailleurs est menue et longue. Le dos presente, vers sa partie antérieure, une crête com- posée d’écailles droites , plates et aiguës. Le dessous de la gueule est couvert d’une peau lâche, en forme de petit fanon. Ce qui le distingue principalement 1. L’Agame. M. Daubenton , Encyclopédie méthodique. Lacerta Agama, 28. Linn., Amphib. rept. Gronov. Zooph. 15, N. 54. Séba, Tome 1, planche 107, fig. 3. Iguuna cordylina, 67; et Iguana salamandrina, 68. Laurenti spcei- men medicum, 27 HISTOIRE NATURELLE du galéote , avec lequel il est aisé de le confondre, c'est que ses couleurs paroissent plus pâles, que son ventre semble moins strié, et que les écailles qui gar- nissent le derrière de la tête sont comme renversées et tournées vers le museau. Le mâle ne diffère de la femelle qu’en ce que sa crête est composée d’écailles plus grandes, et se prolonge davantage sur le dos. D'ailleurs il n’y a point d’épines latérales sur le cou de la femelle ; mais on en voit de très petites sur les côtés du corps, et celles qui défendent la queue et les parties antérieures du dos sont plus aiguës que sur le mâle. Suivant Séba, ce lézard se plaît au milieu des eaux. Nous présumons que c’est à cette espèce qu'il faut rapporter le lézard représenté dans l’ou- vrage de Sloane, planche 275, figure 21, ainsi que celui que Browne a dit être commun à la Jamaïque, et dont il fait une cinquième espèce?. Nous croyons 1. Lacertus major e viridi cinereus, dorso crista breviort donato. Ce lézard se trouve en très grand nombre dans les bois de la Jamaïque ;: il diffère très peu du Guana (Iguane ) ; mais il est plus petit, sa couleur est plus verte, et il a, le long du dos, une crête plus courte. Il pond des œufs moins gros que les œufs de pigeon. Sloane, vol. IT, page 353. 2. Lacerta, 5 minor viridis cauda squamis erectis cristata. The Guana lizard ; and blue lizard of Edwards. Ce lézard est très commun à la Ja- maique ; il paroît en général d’un beau vert; maïs sa couleur change suivant sa position, ainsi que celle des animaux de son genre ; il sem. ble même qu'elle est plus variable que celte des autres lézards, et qu'elie prend plutôt les différentes næwances qu'elle présente, suivant l'endroit où il se trouve. Son corps est couvert d’écailles légères ; mais celles qui sont au dessus de la queue, sont relevées et forment une petite crête qui a quelques rapports avec celle du Guana (Iguane ); sa longueur excède rarement neuf ou dix pouces; il est très doux. Browne, page 463. DE L'AGAME. 271 devoir encore regarder comme un agame le lézard bleu d'Edwards!; et ces Lrois lézards ne nous parois- sent être tout au plus que des variétés de celui dont il est question dans cet article. 1. « Le lézard bleu est fort particulier, à cause de la structure de » ses doigts, qui ont de petites membranes qui s'étendent de chaque côté, non pas de la nature de celles que les oiseaux aquatiques ont ÿ aux pattes ; mais plutôt comme certaines sortes de mouches en ont, » qui agissent par voie de succion : ainsi, je conçois que ces membra- » nes leur servent à se tenir et à marcher sur la surface unie des » grandes feuilles des arbres et des plantes : il a une petite élévation » sur Le dos, en forme de sillon qui règne tout du long, jusqu'à la » queue, où elle devient dentelée : tout le dessus du corps est bleuâtre, » varié transversalement de nuances plus claires et plus foncées : le » dessous en est d’une couleur de chair pâle. » Glanures d'Histoire naturelle, par Edwards, page 74, pl. 245. Le lézard, décrit par Ed- wards, ayant été apporté dans de l’esprit-de-vin , de l'île de Nevis, dans les indes occidentales , il ne seroït pas surprenant que sa cou- leur eût été altérée, et de verte fût devenue bleue; j'ai vu souvent la couleur de plusieurs lézards conservés dans de l’esprit-de-vin, changer ainsi du vert au bleu. 272 HISTOIRE NATURELLE æe 59680 Be49 80 8-40 6088 60, 50P0D0 Do Poe Papas POPIDE Do.50E0 6000820600 HOHO SHOT EE OPI IC DCHO TROISIÈME DIVISION. 209 990 904 499 909 999 909408 LÉZARDSEe. DONT LA QUEUE EST RONDE, QUI ONT CINQ DOIGTS AUX PIEDS DE DEVANT, ET DES BANDES ÉCAILLEUSES SOUS LE VENTRE. LE LÉZARD'GREST Lacerta agilis, Linn., Cuv., Merr. — Lacerta agilis et stirpium, Daun. LE lézard gris paroît être le plus doux, le plus inno- cent et l’un des plus utiles des lézards. Ce joli petit i. Lagartija et Sargantana, en Espagne. Langrola, aux environs de Montpellier. Le lézard gris. M. Daubenton, Encyclopédie méthodique. Le lézard gris, le lézard ordinaire ou commun, Lacerta terrestris. M. Valmont de Bomare, Dictionnaire d'Histoire naturelle. Lacerta agilis, 15. Linn., Amphib. rept. George Edwards. Glanures d'Histoire naturelle, Londres, 1764. Seconde partie , chapitre XV, planche 225. The little Browne lizard. Séba , 2. Table 79, fig. 5. Pis 43 f D a . D GRIS = DIMLEZAR E OUSDELAN il OH ARD A ER L'AMBIV TE D c S DES 2 4 DU LÉZARD GRIS. 279 animal, si commun dans le pays où nous écrivons , et avec lequel tant de personnes ont joué dans leur enfance, n'a pas reçu de la nature un vêtement aussi éclatant que plusieurs autres quadrupèdes ovipares; mais elle lui a donné une parure élégante; sa petite taille est svelte ; son mouvement, agile ; sa course si prompte, qu'il échappe à l'œil aussi rapidement que l'oiseau qui vole. Il aime à recevoir la chaleur du soleil ; ayant besoin d’une température douce, il cher- che les abris; et lorsque, dans un beau jour de prin- temps, une lumière pure éclaire vivement un gazon en pente ou une muraille qui augmente la chaleur en la réfléchissant, on le voit s'étendre sur ce mur ou sur l'herbe nouvelle avec une espèce de volupté. Il se pénètre avec délices de cette chaleur bienfai- sante ; il inarque son plaisir par de molles ondulations de sa queue déliée ; il fait briller ses yeux vifs et ani- més; il se précipite comme un trait pour saisir une petite proie, ou pour trouver un abri plus commode. Bien loin de s'enfuir à l'approche de l’homme, il paroît le regarder avec complaisance : mais, au moin- dre bruit qui l’effraie , à la chute seule d’une feuille, il se roule, tombe et demeure pendant quelques instants comme étourdi par sa chute; ou bien, il s'élance, disparoît, se trouble, revient, se cache de nouveau, reparoît encore, décrit en un instant plu- sieurs circuits tortueux que l'œil a de la peine à suivre, se replie plusieurs fois sur lui-même, et se retire enfin Lacerta azylis. Ichthyologia cum amphibis regni Borussici, à Job. Christ, Wulff. Seps Argus 105, Seps muralis 106, Seps terrestris 107, Seps cœru- lescens 109. Laurenti specimen medicum. 27 / HISTOIRE NATURELLE dans quelque asile jusqu'à ce que sa crainte soit dis- sipée 1. | Sa tête est triangulaire et aplatie ; le dessus est cou- vert de grandes écailles, dont deux sont situées au dessus des yeux , de manière à représenter quelque- fois des paupières fermées. Son petit museau arrondi présente un contour gracieux; les ouvertures des oreilles sont assez grandes; les deux mâchoires égales et garnies de larges écailles ; les dents fines, un peu crochues, et tournées vers le gosier. Il a à chaque pied cinq doigts déliés et garnis d’on- oles recourbés, qui lui servent à grimper aisément sur les arbres et à courir avec agilité le long des murs; et ce qui ajoute à la vitesse avec laquelle il s'élance, même en montant, c’est que les pattes de derrière, ainsi que dans tous les lézards, sont un peu plus longues que celles de devant. Le long de l'inté- rieur des cuisses règne un petit cordon de tubercules, semblables, par leur forme, à ceux que nous avons remarqués sur l’iguane : le nombre de ces petites éminences varie, el on en compte quelquefois plus de vingt. Tout est délicat et doux à la vue dans ce petit lézard. La couleur grise que présente le dessus de son corps est variée par un grand nombre de taches blanchä- tres et par trois bandes presque noires qui parcourent la longueur du dos; celle du milieu est plus étroite que les deux autres. Son ventre est peint de vert, changeant en bleu; il n’est aucune de ses écailles dont 1. C'est principalement dans les pays chauds que le lézard gris est très agile, el qu'il exéeule les divers mouvements que nous venons de décrire. DU LÉZARD GRIS. De le reflet ne soit agréable ; et pour ajouter à cette sim- ple mais riante parure , le dessous du cou est garni d’un collier composé d’écailles, ordinairement au nombre de sept, un peu plus grandes que les voisi- nes, et qui réunissent l'éclat et la couleur de l'or. Au reste, dans ce lézard, comme dans tous les autres, les teintes et la distribution des couleurs sont sujettes à varier suivant l’âge, le sexe et le pays : mais le fond de ces couleurs reste à peu près le mêmel. Le ventre est couvert d'écailles beaucoup plus grandes que celles qui sont au dessus du corps; elles y forment des bandes transversales, ainsi que dans tous les lézards que nous avons compris dans la troisième division. Il à ordinairement cinq ou six pouces de long et un demi-pouce de large : et quelle différence entre ce petit animal et l'énorme crocodile! Aussi ce pro- digieux quadrupède ovipare n'est-il presque Jamais aperçu qu'avec effroi, tandis qu’on voit avec intérêt le petit lézard gris jouer innocemment parmi les fleurs avec ceux de son espèce, et, par la rapidité de ses agréables évolutions, mériter le nom d’agile que Linnée lui a donné. On ne craint point ce lézard doux et paisible; on l’observe de près; il échappe communément avec rapidité lorsqu'on veut le saisir ; mais lorsqu'on l’a pris, on le manie sans qu'il cher- che à mordre; les enfants en font un jouet: et, par une suite de la grande douceur de son caractère, il devient familier avec eux, On diroit qu'il cherche à leur rendre caresse pour caresse; il approche inno- 1. Nous avons décrit le I£zard gris, d’après des individus vivants, 256 HISTOIRE NATURELLE cemment sa bouche de leur bouche, il suce leur salive avec avidité; les anciens l'ont appelé l’Ami de l'homme, il auroit fallu l’appeler l’ami de l'enfance : mais cette enfance, souvent ingrate ou du moins trop inconstante, ne rend pas toujours le bien pour le bien à ce foible animal; elle le mutile; elle fui fait perdre une partie de sa queue très fragile, et dont les tendres vertèbres peuvent aisément se séparer !. Cette queue qui va toujours en diminuant de gros- seur, et qui se termine en pointe, est à peu près deux fois aussi longue que le corps: elle est tachetée de blanc et d’un noir peu foncé , et les petites écailles qui la couvrent forment des anneaux assez sensibles, souvent au nombre de quatre-vingts. Lorsqu'elle a 1.« M. Marchand a remarqué, dans les Mémoires de l’Académie » royale des Sciences , année 171$, que ces animaux avoient quelque- » fois deux queues, et c’est ce que Pline et plusieurs autres avoient » déjà observé avant lui. On en trouve quelquefois de tels en Portu- » Gal; mais comme rien n'est plus commun, dans ce pays là , que de » voir les enfants les tourmenter de toutes sortes de façons, peut-être » arrive-t-il que leur ayant fendu la queue suivant sa longueur, cha- » cune des portions s’arrondit , et devient une queue complète ; car il » est très ordinaire que si toule leur queue, ou seulement une partie » se perd par quelque accident, elle recroiïsse d'elle-même ; j'en ai vu » une infinité d'exemples: et c’est là une perte à laquelle ils sont expo- » sés tous Les jours, lors même qu'ils ne font que jouer entre eux; car L2 les petites vertèbres osseuses , qui forment leur queue , sont très fra- » giles, et se séparent aisément les unes des autres : aussi voit-on très » souvent des queues de toutes sortes de longueurs à des lézards qui » sont d’ailleurs de même taille. Au reste, M. Marchand nous apprend » qu'ayant voulu être témoin de cette production, l'expérience ne lui » a pas réussi, sans qu'il ait pu découvrir à quoi il en tenoit. Suivant » lui, cette nouvelle queue est une espèce de tendon, et n'est point » formée par des vertèbres cartilagineuses, comme la vieille. » Nou- velles observations microscopiques, par M. Needham, page 141. DU LÉZARD GRIS. 2 été brisée par quelque accident, elle repousse quel- quefois; et suivant qu'elle a été divisée en plus ou moins de parties, elle est remplacée par deux et même quelquefois par trois queues plus ou moins parfaites, dont une seule renferme des vertèbres; les autres ne contiennent qu’un tendon. Le tabac en poudre est presque toujours mortel pour le lézard gris : si l’on en met dans sa bouche, il tombe en convulsion, et le plus souvent il meurt bientôt après. Utile autant qu'agréable , il se nourrit de mouches, de grillons , de sauterelles, de vers de terre, de presque tous les insectes qui détruisent nos fruits et nos grains; aussi seroit-il très avantageux que l'espèce en fût plus multipliée : à mesure que le nombre des lézards gris s’accroîtroit, nous verrions diminuer les ennemis de nos jardins; ce seroit alors qu'on auroit raison de les regarder, ainsi que cer- tains Indiens les considèrent, comme des animaux d'heureux augure, et comme des signes assurés d’une bonne fortune. Pour saisir les insectes dont ils se nourrissent, les lézards gris dardent avec vitesse une langue rougeâ- ire, assez large , fourchue et garnie de petites aspéri.. tés à peine sensibles, mais qui suffisent pour les aider à retenir leur proie ailée?, Comme les autres qua- drupèdes ovipares, ils peuvent vivre beaucoup de temps sans manger, el on en a gardé pendant six mois dans une bouteille, sans leur donner aucune 1. Continuation de la matière médicale de Gcoffroi, tome XII, pages 78 et suiv. Mémoire de M. Marchand, dans ceux de l'Académie des Sciences , année 1718. 2. Needham, observations microscopiques. LACÉPEDE, IL, 18 278 HISTOIRE NATURELLE nourriture, mais aussi sans leur voir rendre aucun excrément 1. Plus il fait chaud, et plus les mouvements du lézard gris sont rapides: à peine les premiers beaux jours du printemps viennent-ils réchauffer l’atmosphère , que le lézard gris, sortant de la lorpeur profonde que le grand froid lui fait éprouver, et renaissant, pour ainsi dire, à la vie avec les zéphirs etles fleurs, reprend son agilité et recommence ses espèces de joutes , auxquelles il allie des jeux amoureux. Dès la Gin d'avril, il cherche sa feinelle : ils s'unissent ensem- ble par des embrassements si étroits, qu’on a peine à les distinguer l'un de l’autre; et s’il faut juger de l'amour par la vivacité de son expression, le lézard gris doit être un des plus ardents des quadrupèdes ovipares. Le femelle ne couve pas ses œufs, qui sont presque ronds, et n’ont pas quelquefois plus de cinq lignes de diamètre. Mais comme ils sont pondus dans le temps où la température commence à être très douce, ils éclosent par la seule chaleur de latimosphère, avec d'autant plus de facilité, que la femelle a le soin de les déposer dans les abris les plus chauds, et, par exemple, au pied d’une muraille tournée vers le midi. Avant de se livrer à l’amour et de chercher sa femelle, le lézard gris se dépouille comme les autres lézards ; ce n’est que revêtu d'une parure plus agréa- ble el d’une force nouvelle, qu'il va satisiaire les désirs que lui inspire le printemps. Il se dépouille aussi lorsque l'hiver arrive ; il passe tristement celte 1. Séba, vol. II, page 64. DU LÉZARD GRIS. 279 saison du froid dans des trous d'arbres ou de muraille, ou dans quelques creux sous terre : il y éprouve un engourdissement plus ou moins grand, suivant le climat qu’il habite et la rigueur de la saison ; etilne quitte communément celte retraite que lorsque le printemps ramène la chaleur. Get animal ne conserve cependant pas toujours la douceur de ses habitudes. M. Edwards rapporte , dans son Histoire naturelle, qu'il surprit un jour un lézard gris attaquant un petit oiseau qui réchauffoit dans son nid des petits nouvel- lement éclos. C’étoit contre un mur que le nid étoit placé. L'approche de M. Edwards fit cesser l'espèce - de combat que l'oiseau soutenoit pour défendre sa jeune famille ; l’oiseau s’envola ; le lézard se laissa tomber ; il auroit peut-être , dit M. Edwards, dévoré les petits, s’il avoit pu les tirer de leur nid. Mais ne nous pressons pas d'attribuer une méchanceté qui peut n'être qu'un défaut individuel, et ne dépendre que de circonstances passagères , à une espèce foible que l’on a reconnue pour innocente et douce. On a fait usage des lézards gris en médecine; on les a employés aux environs de Madrid dans des maladies graves? : la Société royale a reçu des indi- vidus de l'espèce dont se servent les médecins espa- gnols; ils ont été examinés par MM. Daubenton et Mauduit$, et un de ces lézards a été déposé au Cabi- 1. Glanures d'Hist. nat., par George Edwards, chap. XV. 2. Ona vanlé les propriétés des lézards gris, principalement contre les maladies de la peau, les cancers, les maux qui demandent que le sang soil épuré , etc. Voyez, à ce sujet , les avis et instructions publiés par Ja Société royale de Médecine de Paris. 9. Histoire de Fa Société royale de Médecine, pour Jes années 178a « Fe] et 1701: 280 HISTOIRE NATURELLE net du Roi: il ne diffère du lézard gris de nos pro-. vinces que par des nuances de couleur très légères, et qui sont la suite presque nécessaire de la diversité des climats de la France et de l'Espagne. Il paroît qu'on doit regarder comme une variété du lézard gris, un petit lézard très agile, et qui lui ressemble par la conformation générale du corps, par celle de la queue, par des écailles disposées sous la gorge en forme de collier, et par des tubercules pla- cés sur ia face intérieure des cuisses. M. Pallas l’a appelé lézard véloce dans le supplément latin du Voyage qu'il a publié en langue russe. Ce petit lézard est d’une couleur cendrée, rayée longitudinalement, semée de points roux sur le dos, et bleuâtres sur les côtés, où l’on voit aussi des taches noires. On le ren- contre parmi les pierres , auprès du lac d’Ind’erskoi, et dans les lieux les plus déserts et les plus chauds; il s’élance, suivant M. Pallas, avec la rapidité d’une flèche. ADDITION A L'ARTICLE DU LÉZARD GRIS. M. de Sept-Fontaines, que nous avons déjà cité plusieurs fois, et qui ne cesse de concourir à l’avan- cement de l’histoire naturelle, nous a communiqué l'observation suivante , relativement à la reproduction des lézards gris. Le 17 juillet 1983, il partagea un de ces animaux avec un instrument de fer; c'étoit une femelle , et à l’instant il sortit de son corps sept jeunes lézards, longs depuis onze jusqu'à treize lignes, entièrement formés, et qui coururent avec DU LÉZARD GRIS. 281 autant d’agilité que les lézards adultes. La portée étoit de douze; mais cinq petits lézards avoient été blessés par l'instrument de fer , et ne donnèrent que de légers signes de vie. M. de Sept-Fontaines avoit bien voulu joindre à sa lettre un lézard de l'espèce de la femelle sur laquelle il avoit fait son observation, et cet individu ne diffé- roit en rien des lézards gris que nous avons décrits. On peut donc croire qu'il en est des lézards gris comme des salamandres terrestres; que quelquefois les femelles pondent leurs œufs, et les déposent dans des endroits abrités, ainsi que l'ont écrit plusieurs naturalistes, et que d'autres fois les petits éclosent dans le ventre de la mère. 202 HISTOIRE NATURELLE dre EEE Sa LE LÉZARD VERT: Lacerta ocellata, MErr., Cuv. — Lacerta viridis, Bonn. — Lacerta viridis, var. À, LaTr. LA nature, en formant le lézard vert, paroît avoir suivi les mêmes proportions que pour le lézard gris ; mais elle a travaillé d’après un module plus considé- 1. Sauros Cloros, en grec. Krauthun, aux environs de Vienne en Autriche. Lagarto et Fardacho , en Espagne. Lazer, aux environs de Montpellier. Lézard Vert. Daubenton, Encyclopédie méthodique. Rai, Synopsis Animalium Quadrupedum , page 264. Lacertus viri- dis. The green lizard. Aldrov., Quadr. 654. Lacertus viridis. Lacerta agilis (varietas B). Linn.. Systema naturæ amphib. reptil. ( Linnéus ne regarde le lézard Vert que comme une variété du lézard Gris; mais, indépendamment d’autres raisons , la grande différence qui se trouve entre les dimensions de ces deux lézards, et les observa- tions que nous avons faites plusieurs fois sur ces animaux vivants, ne nous permettent pas de kes rapporter à la même espèce. Lacertus viridis. Gesner, de Quadrup. ovip., page 55. Sébä, tome IT, planche 4, fig. 4 ct 5. Lacerta viridis, Lacerta viridis punctis albis. Icihthyologia cum am- phibiis regni Borussici, a Joh. Walff. Seps varius 116, Seps viridis 311. Laurenti specimen medicum. DU LÉZARD VERT. 285 rable, Elle n'a fait, pour ainsi dire, qu'agrandir le lézard gris, et le revêtir d'une parure plus belle. C’est dans les premiers jours du printemps , que le lézard vert brille de tout son éclat, lorsque ayant quitté sa vieille peau, il expose au soleil son corps émaillé des plus vives couleurs. Les rayons qui rejaillissent de dessus ses écailles, les dorent par reflets ondoyants ; elles étincelient du feu de l’éme- raude ; et si elles ne sont pas diaphanes comme les cristaux, la réflexion d’un beau ciel qui se peint sur ces lames luisantes et polies, compense l'effet de la transparence par un nouveau jeu de lumière. L’œil ne cesse d’être réjoui par le vert qu'ofire le lézard dont nous écrivons l’histoire. Îl se remplit, pour ainsi dire , de son éclat, sans jamais en être ébloui : autant la couleur de cet animal attire la vue par la beauté de ses reflets , autant elle l’attache par leur douceur. On diroit qu’elle se répand sur l’air qui l’environne, et qu’en s’y dégradant par des nuances insensibles, elle se fond de manière à ne jamais blesser, et à tou- jours enchanter par une variété agréable ; séduisant également, soit qu'elle resplendisse avec mollesse au milieu de grands flots de lumière, ou que ne ren- voyant qu'une foible clarté, elle présente des teintes aussi suaves que délicates. Le dessus du corps de ce lézard est d’un vert pius ou moins mêlé de jaune, de gris, de brun, et même quelquelois de rouge ; le dessous est toujours plus blanchâtre. Les teintes de ce quadrupède ovipare sont sujettes à varier; elles pâlissent dans certains temps de l’année, et surtout après la mort de lani- mal ; mais c’est principalement dansles climats chauds 284 HISTOIRE NATURELLE qu'il se montre avec l'éclat de l'or et des pierre- ries ; c'est là qu'une lumière plus vive anime ses cou- leurs etles multiplie. C’est aussi dans ces pays moins éloignés de la zone torride, qu'il est plus grand, et qu'il parvient quelquefois jusqu'à la longueur d£ ireate pouces!. L’individu que nous avons décrit, et qui a été envoyé de Provence au Cabinet du Roi, à vingt pouces de longueur, en y comprenant celle de la queue qui est presque égale à celle du corps et de ia tèle ; le diamètre du corps est de deux pouces dans l’endroit le plus gros. Le dessus de la tête, comme dans le lézard gris, est couvert de grandes écailles arrangées symétriquement et placées à côté l'une de l’autre. Les bords des mâchoires sont garnis d’un double rang de grandes écailles. Les ouvertures des oreilles sont ovales ; leur grand diamètre est de quatre lignes, et elles laissent apercevoir la mem- brane du tympan. L'espèce de collier qu'a le lézard vert, ainsi que le lézard gris, est formé dans l’indi- vidu envoyé de Provence au Cabinet du Roi, par ouze grandes écailles. Celles qui couvrent le dos sont les plus petites de toutes; elles sont hexagones , mais les angles en étant peu sensibles, elles paroïissent presque rondes; les écailles qui sont sur le ventre sont grandes, hexagones, beaucoup plus allongées, et forment trente demi-anneaux ou bandes transver- sales. Treize tubercules s'étendent le long de la face intc- rieure de chaque cuisse ; ils sont creux, et nous avons 1. Note communiquée par M. de la Tour d'Aygue, président à mortier au parlement de Provence, et dont les lumières sont aussi connues que son zèle pour l'avancement des sciences. DU LÉZARD VERT. 285 vu à leur extrémité un mamelon très apparent, et qui s'élève au dessus des bords de la petite cavité du tubercule dont il paroît sortir. La fente qui forme l’anus occupe une très grande partie de la largeur du corps. La queue diminue de grosseur depuis l’origine jusqu’à la pointe; elle est couverte d’écailles plus longues que larges, plus grandes que celles du dos, et qui forment ordinairement plus de quatre-vingt- dix anneaux. La beauté du lézard vert fixe les regards de tous ceux qui l’aperçoivent ; mais il semble rendre atten- tion pour attention; il s'arrête lorsqu'il voit l’homme ; on diroit qu'il l’observe avec complaisance , et qu’au milieu des forêts qu'il habite , il a une sorte de plai- sir à faire briller à ses yeux ses couleurs dorées, comme dans nos jardins le paon étale avec orgueil l'émail de ses belles plumes. Les lézards verts jouent avec les enfants, ainsi que les gris; lorsqu'ils sont pris, et qu'on les excite les uns contre les autres, ils s’attaquent et se mordent quelquefois avec acharne- ment ?, Plus fort que le lézard gris, le vert se bat contre les serpents; 1l est rarement vainqueur; l'agitation qu'il éprouve et le bruit qu'il fait lorsqu'il en voit approcher, ne viennent que de sa crainte; mais on s’est plu à tout ennoblir dans cet être distingué par la beauté de ses couleurs; on a regardé ses mouve- ments comme une marque d'attention et d’attache- ment; et l’on a dit qu'il avertissoit l’homme de la présence des serpents qui pouvoient lui nuire. II 1. Voyez, à ce sujet , les ouvrages de M. Duvernay. 2. Gesner, Quadrup. ovipar.. page 36. 286 HISTOIRE NAFUREELE recherche les vers et les insectes ; il se jette avec une sorte d’avidité sur la salive qu'on vient de cracher, et Gesner à vu un lézard vert boire de l’urine des enfants. Il se nourrit aussi d'œufs de petits oiseaux, qu'il va chercher au haut des arbres, où il grimpe avec assez de vitesse. Quoique plus bas sur ses pattes que le lézard gris, il court cependant avec agilité , et part avec assez de promptitude pour donner un premier mouvement de surprise et d’effroi , lorsqu'il s'élance au milieu des broussailles ou des feuilles sèches. T1 saute très haut; et comme il est plus fort, il est aussi plus hardi que le lézard gris ; il se défend contre les chiens qui l’at- taquent. L'habitude de saisir par l'endroit le plus sensible , et par conséquent par les narines, les diver- ses espèces de serpents avec lesquelles il est souvent en guerre, fait qu'il se jette au museau des chiens; et il les y mord avec tant d'obstination , qu’il se laisse emporter et même tuer plutôt que de desserrer les dents ; mais il paroît qu'il ne faut point le regarder comme venimeux, au moins dans les pays tempérés, et qu’on lui a attribué faussement des blessures mor- telles ou dangereuses 1. 1. « Un lézard vert (le lézard dont parle ici M. Laurenti, et qu'il a » distingné par le mot latin de Seps varius, n’est qu'une variété du lé- » zard vert ) saisit un petit oïscau auprès de la gorge, et non seule- » ment l'y blessa, mais même faillit à l'étouffer ; l'oiseau guérit de lui- » même, et le lendemain chanta comme à l'ordinaire. » Le même animal mordit un pigeon avec beaucoup de colère ; le » sang coula de chacune des petites blessures que firent les dents du » lézard ; cependant le pigeon n’en mourut pas, quoiqu'il parût souf- » frir pendant quelques heures. » Le lendemain, il mordit le même pigeon à la cuisse, emporta la DU BÉZARD VERT. 287 Ses habitudes sont d’ailleurs assez semblables à celles du lézard gris; etses œufs sont ordinairement plus gros que ceux de ce dernier Les Africains se nourrissent de la chair des lézards vertsi; mais ce n’est pas seulement dans les pays chauds des deux continents qu’on trouve ces lézards ; ils habitent aussi les contrées très tempérées, et même un peu septentrionales, quoiqu'ils y soient moins nombreux et moins grands?. Ils ne sont point étran- gers aux parlies méridionales de la Suède, non plus qu’au Kamtschatka, où malgré leur beauté, un pré- jugé superstitieux fait qu'ils inspirent l’effroi. Les Kamtschadales les regardent comme des envoyés des puissances infernales; aussi s'empressent-ils, lors- » peau, et fit une blessure assez grande ; la plaie fat guérie et la peau » revenue au bout de peu de jours. » J'enlevai la peau de la cuisse d’un chien et d'un chat, je les fis » mordre par le même lézard à l'endroit découvert; l'animal fit péné- » trer son écume dans la blessure; le chien et le chat s’efforcoient de » s'échapper, et donnoïent des signes de douleur ; mais ils ne présen- » tèrent d’ailleurs aucune marque d’incommodlité, et leurs plaies » ayant été cousues , furent bientôt guéries. » Un lézard vert ordinaire mordit un pigeon à la cuisse droite, avec » tant de force qu'il emporta la peau: il saisit ensuile avec acharne- » ment les muscles mis à nu et ne les lâcha qu'avec peine. La peau fat » cousue , et le pigeon guérit aisément après avoir boïilé pendant un » jour. » Ce lézard vert mordit un jeune chien au bas-ventre; le sang ne 2 coula pas, et l’on ne remarqua pas d'ouverture à la peau; mais le » chien poussa d'horribles cris, et n’éprouva ancune incommodité. » Extrait des expériences faites en Autriche, au mois d’août, par M. Lau- renti, Specimen medicum. Viennæ , 1768. 1. Gesner, de Quadrup. ovip., page 57. 2. Rai, à l'endroit déjà cité. 3. M. Linnée. 288 HISTOIRE NATURELLE qu'ils en rencontrent, de les couper par morceaux !; et s'ils les laissent échapper, ils redoutent si fort le pouvoir des divinités dont ils les regardent comme ies représentants, qu’à chaque instant ils croient qu'ils vont mourir, et meurent même quelquefois, disent quelques voyageurs , à force de le craindre. On trouve, aux environs de Paris, une variété du lézard vert, distinguée par une bande qui règne depuis le sommet de la tête jusqu’à l'extrémité de la queue, et qui s'étend un peu au dessus des pattes, surtout de celles de derrière. Cette bande est d’un gris-fauve , tachetée d’un brun foncé, parsemée de points jaunâtres, et bordée d’une petite ligne blan- châtre. Nous avons examiné deux individus vivants de cette variété; ils paroïssoient jeunes, et cependant ils étoient déjà de la taille des lézards gris qui ont atteint presque tout leur développement. En Italie, on a donné au lézard vert le nom de Stellion, que l’on a aussi attribué à la salamandre ter- restre, ainsi qu'à d’autres lézards. C’est à cause des taches de couleurs plus ou moins vives, dont est par- semé le dessus du corps de ces animaux, et qui les font paroître comme étoilés, qu'on leur a transporté un nom que nous réservons uniquement avec M. Lin- née , et le plus grand nombre des naturalistes, à un lézard d'Afrique, très différent du lézard vert, et qui a toujours été appelé Stellion ?. 1. Troisième Voyage du capitaine Cook , traduit de l’anglois. Pa- ris, 1782, page 478. 2. On trouve, dans la description du muséum de Kircher, une notice et une figure relatives à un lézard pris dans un bois des Alpes, et appelé Stellion d'Italie, qui nous paroit être une variété du lézard DU LÉZARD VERT. 209 Nous plaçons ici la notice d’un lézard! que l’on rencontre en Amérique, et qui a quelques rapports avec le lézard vert. Catesby en a parlé sous le nom de lézard vert de la Caroline ; Rochefort, et après lui Rai, l'ont désigné par celui de Gobe-mouche. Ce joli petit animal n’a guère plus de cinq pouces de long?; quelques individus même de cetle espèce, et les femelles surtout, n'ont que la longueur et la gros- seur du doigt; mais, s’il est inférieur par sa taille à notre lézard vert, il ne lui cède pas en beauté. La plupart de ces gobe-mouches sont d’un vert très vif; il y en a qui paroissent éclatants d’or et d'argent; d’autres sont d’un vert doré, ou peints de diverses couleurs aussi brillantes qu’agréables. Ils deviennent très utiles en délivrant les habitations des mouches, des ravets et des autres insectes nuisibles. Rien n’ap- proche de l’industrie , de la dextérité, de l’agilité avec lesquelles ils les cherchent, les poursuivent et les saisissent. Aucun animal n'est plus patient que ces charmants petits lézards : ils demeurent quelquefois immoebiles pendant une demi-journée, en attendant leur proie ; dès qu'ils la voient , ils s’élancent comme un trait, du haut des arbres, où ils se plaisent à grim- vert. Rerum naturalium Historia, existentium in musæo Kirkeriano. Rome, 1775, page 4o. Stellion d'Italie. 1. Oulla ouna, par les Caraïbes. Rochefort, Histoire des Antilles. Gobe-mouche. Rai, Synopsis Quadrupedum, page 269. Catesby, Histoire naturelle de la Caroline, vol. IT, page 65, Lacertus »iridis carolinensis. Voyez, dans le Dictionnaire de M. de Bomare, l’article du Lézard Gobe-mouche. 2. Catesby, à l'endroit déjà cité. 200 HISTOIRE NATURÉLLE per. Les œufs qu'ils pondent sont de la grosseur d’un pois; ils les couvrent d'un peu de terre, et la chaleur du soleil les fait éclore. Ils sont si familiers, qu'ils entrent hardiment dans les appartements ; ils courent même partout silibrement, et sont si peucraintifs, qu’ilsmon- tent sur les tables pendant les repas ; et s’ils aperçoi- vent quelque insecte , ils sautent sur lui, et passent, pour l'atteindre , jusque sur les habits des convives ; mais ils sont si propres et si jolis, qu'on les voit sans peine traverser les plats et toucher les metst. Rien ne manque donc au lézard gobe-mouche pour plaire : pa- rure, beauté, agilité, utilité, patience, industrie, il a tout reçu pour chärmer l'œil et intéresser en sa faveur. Mais il est aussi délicat que richement coloré; il ne se montre que pendant l'été aux latitudes un peu éle- vées, et il y passe la saison de l'hiver dans des cre- vasses et des trous d'arbres où il s’engourdit?. Les jours chauds et sereins qui brillent quelquefois pen- dant l'hiver , le raniment au point de le faire sortir de sa retraite; mais le froid revenant tout d’un coup le rend si foible, qu'il n’a pas la force de rentrer dans sou asile, et qu'il succombe à la rigueur de la saison. Quelque agile qu’il soit, il n'échappe qu'avec beau- coup de peine à la poursuite des chats et des oiseaux de proie. Sa peau ne peut cacher entièrement Îles altérations intérieures qu'il subit; sa couleur change comme celle du caméléon, suivant l’état où il se trouve, ou, pour mieux dire, suivant la température qu'ii éprouve. Dans un jour chaud, il est d’un vert brillant; et si le lendemain il fait froiu, il paroît 1. Raï, à l'endroit déjà cité. 2. Gatesby, à l'endroit déjà cité. DU LÉZARD VERT. 201 d’ane couleur brune. Aussi, lorsqu'il est mort, l'éclat et la fraîcheur de ses couleurs disparoïssent, et sa peau devient pâle et lividef. . Les couleurs se ternissent et changent ainsi dans plusieurs autres espèces de lézards; c'est ce qui pro- duit cette grande diversité dans les descriptions des auteurs qui se sont trop attachés aux couleurs des quadrupèdes ovipares, et c’est ce qui à répandu une grande confusion dans la nomenclature de ces ani- maux. Il y a quelque ressemblance entre les habitu- des du gobe-mouche, et celles d’un autre petit lézard du Nouveau-Monde, auquel on a donné le nom d’Ano- lis, qu’on a appliqué aussi à beaucoup d’autres lézards. Nous rapportons ce dernier au goîtreux, qui vit dans les mêmes contrées?. Comme nous n’avons pas vu le sobe-mouche, nous ne savons si l’on ne devroit pas le regarder de inême, comme de la même espèce que le goîtreux, au lieu de le considérer comme une variété du lézard vert. M. François Cetti, dans son Histoire des amphibies et des poissons de la Sardaigne, parle d’un lézard vert très commun dans cette île, et qu'on y nomnie, en certains endroits, Tiliguerta et Caliscertula : ïl ne ressemble entièrement ni au lézard vert de cet ar- ticle, ni à l’améiva, dont nous allons traiter?. M. Cetti 1. Catesby, à l'endroit déjà cité. 2. Voyez l’article du Gottreux. 3. « Les habitants de la Sardaigne donnent à un même lézard le » nom de Tiliguerta et celui de-Caliscertula..….. Il paroît être une es- » pèce de lézard vert, car il est, comme ce dernier lézard, d’un vert » éclatant, mais relevé par des taches noires, et par des raies de la » même couleur, qui s'étendent le long du dos... La face intérieure » des cuisses présente une rangée de tubercules, ainsi que dans le lé- 202 HISTOIRE NATURELLE présume que ce tiliguerta est une espèce nouvelle, intermédiaire entre ces deux lézards; il nous paroît » zard vert; il a cinq doigts et cinq ongles à chaque pied. Une diffé- » rence remarquable le distingue cependant d’avec le lézard vert dé- » crit par les auteurs; ils attribuent à ce dernier lézard une queue de » la longueur du corps, mais le tiliguerta à la queue bien plus éten- » due ; elle est deux fois aussi longue que le corps de l'animal ; et c’est » ce que j'ai trouvé dans tous les lézards de cette espèce que j'ai me- » surés. À la vérité, les lézards verts ont, pour ainsi dire, une grande » vertu productrice dans leur queue; s'ils la perdent, elle se renouvelle, » et si elle est partagée par quelque accident, chaque portion devient » bientôt une queue entière. Il se pourroit donc que l'excès de la » queue du tiliguerta sur celle du lézard vert ordinaire, ne fût pas » une marque d'une diversité d'espèce, et dût être seulement attribué » à l'influence du climat de la Sardaigne. Mais, d'un autre côté, com- » ment regarder la longueur de la quene du tiliguerta comme un » attribut accidentel, puisque les naturalistes font entrer dans les ca- » ractères spécifiques des différents lézards, la diverse longueur de la » queue relativement à celle du corps ? Ceux qui ont décrit, par exem- » ple, le lézard vert d'Europe, l'ont caractérisé, ainsi que nous l’avons » vu, en disant que sa queue est aussi longue que le corps; et ceux » qui décrivent un lézard d'Amérique nommé Ameiva par Linnée , le » caractérisent par la longueur de sa queue , trois fois plus considé- » rable que celle du corps du lézard... Le tiliguerta n'est donc pas » un lézard vert, quoiqu'il lui ressemble beaucoup ; et ceux qui vou- » dront le décrire, devront le désigner par la phrase suivante, lézard » à queue menue deux fois plus longue que le corps. L’améiva a été dési- » gné par les mêmes expressions dans les Aménités académiques... » L'on pourroït done soupçonner que le tiliguerta de Sardaigne est de » la même espèce que l'améiva du Nouveau-Monde : il ne seroit pas » surprenant en effet de rencontrer, en Europe, un animal qu'on a » cru particulier au continent de l'Amérique... Maïs, outre que l’on » peut soupçonner, d’après la description de Gronovius, l’exactitude » de celle que l’on trouve dans les Aménités académiques, on ne » doit pas croire le tiliguerta de la même espèce que l’améiva , si l'on » considère le nombre des bandes écailleuses qui garnissent le ventre » de ce dernier lézard , ainsi que celui du tiliguerta. Le nombre de ces » bandes n'est pas eu effet le même dans ces deux animaux. Le üili- » guerla ressemble denc beaucoup à l’améiva , aïnsi qu'au lézard vert, DU LÉZARD VERT. 209 cependant, d’après ce qu'en dit cet habile naturaliste, qu'on pourroit le regarder comme une variété du lézard vert, s’il a au dessous du cou une espèce de demi-collier composé de grandes écailles, ou comme une variété de l’améiva, s’il n’a point ce demi-collier. » quoiqu'il ne soit ni l’un ni l’autre : c’est une espèce particulière dont » il convient d'augmenter la liste des lézards, et qu'il faut placer » parmi ceux que M. Linnée a désignés par le caractère d’avoir la » queue verticillée ( cauda verticillata ). » Le tilliguerta est aussi innocent que le lézard vert ; il habite parmi » les gazons, ainsi que sur les muraïlles que l’on trouve dans la cam- » pagne…... Il est très commun en Sardaigne; et il y est même en » beaucoup plus grand nombre que le lézard vert en Italie. » Extrait de l'Histoire naturelle des amphibies et des poissons de la Sardaigne, pär M. François Cetti. Sassari, 1777, page 15. Il est important d'observer que la longueur de la queue des lézards, sa ferme étagée ou verticillée, ainsi que le nombre des bandes écail- leuses qui recouvrent le ventre de ces animaux, sont des caractères variables ou sans précision ; nous nous en sommes convaincus par l’in- spection d’un grand nombre d'individus de plusieurs espèces; aussi n'avons-nous pas cru devoir les employer pour distinguer les divisions des lézards l’une d’avec l’autre ; nous ne nous en sommes servis pour la distinction des espèces, que lorsqu'ils ont indiqué des différences très considérables; et d’ailleurs nous n'avons jamais assigné à la rigueur telle ou telle proportion, ni tel ou tel nombre pour une marque con- stante d'une diversité d'espèce, et nous avons déterminé au contraire rigoureusement et avec précision, la forme et l’arrangement des écailles de la queue. { ÉDEDE F y LACLPEDE. TI 15 20/ HISTOIRE NATURELLE 380 30 8680 309039809950 598060 Ba 60 59606020 0D9 BOL ESF 3080 F6 80 8040 0 H0 CES HO PS DOTE. SE LE CORDYLE”. Zonurus Cordylus, Merr. — Lacerta Cordylus, Linx., Firz. — Cordylus verus, Laur. — Le Corbyze, Cuv. On trouve en Afrique et en Asie un lézard auquel Linnée a appliqué exclusivement le nom de Cordyle, qui lui a été donné par quelques voyageurs, mais dont on s’est aussi servi pour désigner la dragonne, ainsi que nous l'avons dit. Il paroît qu'il habite quel- quefois dans l’Europe méridionale, et Raï dit l'avoir rencontré auprès de Montpellier?. Nous allons le dé- crire d’aprèsles individus conservés au Cabinet du Roi. La tête est très aplatie, élargie par derrière, et trian- gulaire ; de grandes écailles en revêtent le dessus et les côtés; les deux mâchoires sont couvertes d’un double rang d’autres grandes écailles , et armées de très petites dents égales, fortes et aiguës. Les trous des narines sont petits; les ouvertures des 1. Le Cordyle. M. Daubenton , Encyclopédie méthodique. Lacerta cordylus, 9. Linn., Amph. rept. Cordylus, Gronov. mus. 2, p.79, n. 55. Rai, Synopsis Quadr., p. 263. Cordylus seu caudi-verbera. Séba, mus. L Table 84, fig. 3 ct4, et II, 62, fig, 2. Cordylus verus. Laurenti specimen medicum. 2. Rai, Synopsis Quadr., p. 263. DU CORDYLE. 209 oreilles étroites, et situées au deux bouts de la base du triangle, dont le museau est la pointe. Le corps est très aplati; le ventre est revêtu d’écailles presque carrées, et assez grandes, qui y forment des demi-anneaux ou des bandes transversales ; les écailles du dos sont aussi presque carrées; mais plus grandes; celles des côtés étant relevées en carêne, font paroître les flancs hérissés d’aiguillons. La queue est d’une longueur à peu près égale à celle du corps; les écailles qui la revêtent présentent une arête saillante, qui se termine en forme d’épine allongée et garnie des deux côtés d’un petit aiguillon : ces écailles étant longues et très relevées par le bout, . forment des anneaux très sensibles, festonnés, assez éloignés les uns des autres, et qui font paroître la queue comme étagée. Nous en avons compté dix- neuf sur un individu femelle, dont la queue étoit entière. Les écailles des pattes sont aiguës, et relevées par une arête. Il y a cinq doigts garnis d'ongles aux pieds de devant et à ceux de derrière. La couleur des écailles est bleue, et plus ou moins mêlée de châtain, par taches ou par bandes. Linnée dit que le corps du Cordyle n’est point hérissé (corpore lævigato) : cela ne doit s'entendre que du dos et du ventre, qui en effet ne le paroissent pas, lorsqu'on les compare avec les pattes, les côtés, et surtout avec la queue. Le long de l’intérieur des cuisses, règnent des tubercules comme dans l’iguane, le lézard gris, le lézard vert, etc.; une variété de cette espèce a les écailles du corps beaucoup plus petites que celles des autres cordyles. 2006 HISTOIRE NATURELLE droPIsoPBoPEEOMBE A HOPOPOBSOPOEOBOBITHGCPATOEECES L'HEXAGONE. Calotes (Agama) angulata, MErr. — Agama angu- lata , Daur. — Stellio hexagonus, LATR. LinNÉE a fait connaître ce lézard, qui habite en Amérique. Ge qui forme un des caractères distinctifs de l'Hexagone, c’est que sa queue, plus longue de moitié que le corps, est comprimée de manière à pré- senter six côtés et six arêtes très vives. Il est aussi fort reconnoissable par sa tête, qui paroît comme tron- quée par derrière, et dont la peau forme plusieurs rides, les écailles dont son corps est revêtu, sont pointues et relevées en forme de carène, excepté celles du ventre : il les redresse à volonté, et il paroît alors hérissé de petites pointes ou d’aiguillons; sous sa gueule sont deux grandes écailles rondes; sa -cou- teur tire sur le roux. Nous n'avons pas vu ce lézard, et nous pouvons seulement présumer que son ventre est couvert de bandes transversales et écailleuses : si cela n’est point, il faudra le placer parmi les lézards de la division suivante. 1. L’Exagonal. M. Daubenton , Encyclopédie méthodique. Lacerta angulata, 19. Linn., Amphib. rept. systema nat. Lacerta cauda exagona longa, squamis carinatis mucronalis. Idem, ib. DE L'AMÉIVA. 207 MÉPEHIPNOPSTEPEPEEOPOEOHISESETOGESIPIPIPEPEBPOBAERERTE HER EEE MHEPETEGETEZES CES gr: L'AMEIVA”. k 0 Teius Ameiva, Merr. — Lacerta Ameiva, LiNN. — Seps surinamensis et zeylanicus, Laur. — Lacerta graphica et gutturosa, Daup. — L’AmÉiva le plus connu, et l’Ameiva lateristriga, Ouv. — Ameiva Argus, Firz. C’est un des quadrupèdes ovipares dont l’histoire a été le plus obscurcie : premièrement, parce que 1. Améiva. M. Daubenton, Encyclopédie méthodique. Lacerta Ameiva, 14. Linu., Amph: rept. Lacerta caudu verticillata longa, scutis abdominis triginta, collari sub- tus ruga duplici. Amœn. Acad. 1, pages 127, 295. Lacerta cuuda tereti corpore duplo longiore, pedibus pentadactylis, crista nulla, scutis abdominalibus 50. Mus. Ad. Fr. 1, page 45. Lacerta eadem. Gron. mus. 2, page 80 , t. 56. Lacerta cauda tereti corpore triplo lon- giore, squamis lœvissimis, abdominalibus oblongo quadratis. Clus. exot. 115. Lacertus indicus. Edw. av. 202, t. 202, 203. Lacertus major viridis. Worm. mus. 819, f. 315. Rai. Quadr. 270. Lacertus indicus. Seb. mus, 1,t. 86,f. Aet5:t, 88, f. 1 et2. Sloan. jam. 2, page 665, t. 276, f. 5. Lacertus major cinercus macu- lalus. 208 HISTOIRE NATURELLE ce nom d'Améiva ou d’Améira a été donné à des lézards d'espèces différentes de celle dont il s’agit ici : secondement, parce que le vrai améiva a été nommé diversement en différentes contrées ; il a été appelé tantôt T'émapara , tantôt Taletec, tantôt Tamacolin , noms qui ont été en même temps attribués à des espèces différentes de l’améiva, particulièrement à l'iguane : et troisièmement enfin, parce que cet ani- mal étant très sujet à varier par ses couleurs, suivant les saisons, l’âge et le pays, divers individus de cette espèce ont été regardés comme formant autant d’es- pèces distinctes. Pour répandre de la clarté dans ce qui concerne cet animal, nous conservons unique- ment ce nom d’4{méiva à un lézard qui se trouve dans l'Amérique, tant septentrionale que méridionale, et qui à beaucoup de rapports avec les lézards gris et les lézards verts de nos contrées tempérées : on peut même, au premier coup d'œil, le confondre avec ces derniers; mais, pour peu qu'on l’examine, il est aisé de l’en distinguer. Il en diffère en ce qu'il n’a point au dessous du cou cette espèce de demi-collier, formé de grandes écailles, et qu'ont tous les lézards gris ainsi que les lézards verts; au contraire, la peau revètue de très petites écailles, y forme un ou deux plis. Ce caractère a été fort bien saisi par Linnée; mais nous devons ajouter à cette différence celles que nous avons remarquées dans les divers individus que nous avons vus, et qui sont conservés au Cabinet du Roi. Seps surinamensis , 95. Laurenti, specimen medicum. The large spotted ground lizard. Browne , page 462. DE L'AMÉIVA. 209 La tête de l’améiva est en général plus allongée et plus comprimée par les côtés, le dessus en est plus étroit, et le museau plus pointu. Secondement, la queue est ordinairement plus longue en proportion du corps. Les améivas parviennent d’ailleurs à une taille presque aussi considérable que les lézards verts de nos provinces méridionales. L’individu que nous décrivons, et qui a été envoyé de Cayenne par M. Lé- chevin, a vingt-un pouces de longueur totale, c’est- à-dire depuis le bout du museau jusqu’à l'extrémité de la queue, dont la longueur est d’un pied six lignes ; la circonférence du corps à l'endroit le plus gros, est de quatre pouces neuf lignes ; les mâchoires sont fen- dues jusque derrière les yeux, garnies d’un double rang de grandes écailles, comme dans le lézard vert, et armées d'un grand nombre de dents très fines, dont les plus petites sont placées vers le bout du mu- seau, et qui ressemblent un peu à celles de l’iguane. Le dessus de la tête est couvert de grandes lames, comme dans les lézards verts et dans les lézards gris. Le dessus du corps et des pattes est garni d’écailles à peine sensibles; mais celles qui revêtent le dessous du corps sont grandes, carrées, et rangées en bandes transversales. La queue est entourée d’anneaux com- posés d’écailles, dont la figure est celle d’un carré long. Le dessous des cuisses présente un rang de tubercules. Les doigts longs, et séparés les uns des autres, sont garnis d'ongles assez forts. La couleur de l’améiva varie beaucoup suivant le sexe, le pays, l’âge et la température de l’atmosphère, ainsiquenousl'avonsdit; maisil paroîtquelefondenest 500 HISTOIRE NATURELLE toujours vert ou grisâtre, plus ou moins diversifié par des taches ou des raies de couleurs plus vives, et qui, étant quelquefois arrondies de manière à le faire pa- roître œillé, ont fait donner le nom d’Argus à l’améiva, ainsi qu'au lézard vert. Peut-être l’améiva forme-t-il, comme les lézards de nos contrées, une petite famille, dans laquelle on devroit distinguer les gris d’avec les verts: mais on n’apoint encore fait assez d'observations pour que nous puissions rien établir à ce sujet. Rail et Rochefort? ont parlé de lézards, qu'ils ont appelés Anolis ou Anoles, qui, pendant le jour, sont dans un mouvement continuel, et se retirent pendant Ja nuit dans des creux, d’où ils font entendre une strideur plus forte et plus insupportable que celle des cigales. Comme ce nom d’Anolis ou d’Anoles a été donné à plusieurs sortes de lézards, et que Rai ni Rochefort n’ont point décrit de manière à ôter toute équivoque ceux dont ils ont fait mention, nous invi- tons les voyageurs à observer ces animaux, sur l’espèce desquels on ne peut encore rien dire. Nous devons ajouter seulement que Gronovius a décrit, sous le 1. Synopsis animalium, page 268. 2. « Les anolis sont fort communs danstoutesles habitations. Ils sont » de la grosseur et de la longueur des lézards qu'on voit en France : » mais ils ont la tête plus longuette, la peau jaunûtre , et sur le dos ils » ont des lignes rayées de bleu, de vert et de gris , qui prennent depuis » le dessus de la tête jusqu’au bout de la queue. Ils font leur retraite » dans les trous de la terre , et c’est là que, pendant la nuit, ils font » un bruit beaucoup plus pénéirant que celui des cigales. Le jour, ils » sont en perpétuelle action , et ils ne font que rôder aux environs des » cases, pour chercher de quoi se nourrir. +: Rochefort, Histoire des Antilles, tome I, page 800. DE L'AMÉIVA. 901 nom d'Anolis, un lézard de Surinam, évidemment de la même espèce que l’améiva de Cayenne, dont nous venons de donner la description. L’améiva se trouve non seulement en Amérique, mais encore dans l’ancien continent. J’ai vu un indi- vidu de cette espèce, qui avoit été apporté des grandes Indes par M. Le Cor, et dont la couleur étoit d’un très beau vert plus ou moins mêlé de jaune. 3502 HISTOIRE NATURELLE LE LION. T'eius lemniscatus, var. b, Merr. — Lacerta sex-lineata, Linn., Firz. Vorcr l'emblème de la force appliqué à la foiblesse, et le nom du roi des animaux donné à un bien petit lézard : on peut cependant le lui conserver, parce que ce nom est aussi souvent pris pour le signe de la fierté que pour celui de la puissance. Le Lézard-Lion re- dresse presque toujours sa queue en la tournant en rond; il a l’air de la hardiesse, et c'est apparemment ce qui lui a fait donner par les Anglois le surnom de Lion, que plusieurs naturalistes lui ont conservé?. Il se trouve dans la Caroline : son espèce ne diffère pas beaucoup de celle de notre lézard gris : trois lignes blanches, et autant de lignes noires, règnent de chaque côté du dos, dont le milieu est blanchâtre ; il a deux rides sous le cou; le dessous des cuisses est garni d’un rang de petits tubercules, comme dans 1. Le Lion. M. Daubenton, Encyclopédie méthodique. Lacerta sex-lineata, 18. Linn., Amph. rep. 2. Gatesby, Histoire naturelle de la Caroline , page 68. DU LION. 203 l’iguane, le lézard gris, le lézard vert, l’améiva, etc. ; la queue se termine insensiblement en pointe. Le lézard-lion n'est point dangereux; il se tient souvent dans des creux de rochers, sur le bord de la mer; ce n’est pas seulement dans la Caroline qu’on le rencontre, mais encore à Cuba, à Saint-Domingue, et dans d’autres îles voisines. Ayant les jambes allon- gées, il est très agile, comme le lézard gris, et court avec une très grande vitesse ; inais ce joli et innocent lézard n’en est pas moins la proie des grands oiseaux de mer, à la poursuite desquels la rapidité de sa course ne peut le dérober. 304 HISTOIRE NATUREÉELE LE GALONNÉ! Teius lemniscatus, var. a, Mer. — Lacerta lem- niscata , Lin. — Seps cæruleus et lemniscatus . Laur. 6 —— CE lézard habite dans l’ancien continent, où on le trouve aux Indes et en Guinée. Il est aussi en Amé- rique ; et il y a, au Cabinet du Roi, deux individus de cette espèce, qui ont été envoyés de la Martinique. C'est avec raison que Linnée assure que le Galonné a un grand nombre de rapports avec l’améiva; il est beaucoup moins grand, mais les écailles qui revêtent le dessous du corps forment également des bandes transversales dans ces deux lézards. Le dessous des cuisses est garni d'un rang de tubercules, comme dans l’iguane , le lézard gris, le lézard vert, le cordyle, l'améiva, etc. ; il a la queue menue et plus longue que le corps. Il est d’un vert plus ou moins foncé; 1. Le Galonné. M. Daubenton , Encyclopédie méthodique. Lacerta lemniscata , 59. Linn., Amph. rept. Lacerta eadem. mus. ad. fr. 1, page 47. Séba, mus. I, planche 55, fig. 9, et planche 92, fig. 4; 11, pl 0, fig. 5. Seps lemniscatus, 105. Laurenti spccimen medicum. DU GALONNÉ. 309 et le long de son dos s'étendent huit raies blan- châtres, suivant Linnée. Nous en avons compté neuf sur les deux individus qui sont au Cabinet du Roi. Les pattes sont mouchetées de blanc. Il paroît que ce lézard est sujet à varier par le nombre et la disposition des raies qui règnent le long du dos. M. d’Antic a eu la bonté de nous faire voir un petit quadrupède ovipare, qui lui a été en- voyé de Saint-Domingue, et qui est une variété du galonné. Ce lézard est d’une couleur très foncée. Il a sur le dos onze raies d’un jaune blanchâtre, qui se réunissent de manière à n’en former que sept du côté de la tête, et dix vers l’origine de la queue, sur ia- quelle ces raies se perdent insensiblement. Ce sont là les seules différences qui le distinguent du galonné. Sa longueur est de six pouces, et celle de la queue ae quatre pouces une ligne. 306 HISTOIRE NATURELLE 29904060 %080%6%0%00080%009 40 Bec Dee Bras Too Ee Doc Be Go E PIB EE DCE ECHOS LA TÈTE-ROUGE: Lacerta erythrocephala, DauD. — Lacerta viridis, Cuv. Ceres espèce de lézard se trouve dans l’île de Saint- Christophe, et c’est M. Badier qui a bien voulu nous en communiquer la description ; la Tête-Rouge a cinq doigts à chaque pied, et le dessous du ventre garni de demi-anneaux écailleux, et par conséquent elle doit être comprise dans la troisième division du genre des lézards°?. Elle est d’un vert très foncé et mêlé de brun; les côtés et une partie du dessus de la tête sont rouges, ainsi que les côtés du cou; la gorge est blan- che; la poitrine noire ; le dos présente plusieurs raies noires transversales et ondées ; sur les côtés du corps s'étend une bande longitudinale composée de plu- sieurs lignes noires transversales. Le ventre est coloré par bandes longitudinales en noir, en bleu et en blan- châtre. 1. Pilori, Téte-Rouge. Anolis de terre. Ge nom d’Anolis a été donné , en Amérique, à plu- sieurs lézards, ainsi que nous l'avons vu précédemment. 2. Voyez notre Table méthodique des Quadrupèdes ovipares. DE LA TÈTE-ROUGE. 307 Le dessus de la tête est couvert d’écailles plus gran- des que celles qui garnissent le dos ; on voit sous les cuisses une rangée de petits tubercules, comme sur le lézard gris et plusieurs autres lézards. L'individu décrit par M. Badier avoit un pouce de diamètre dans l'endroit le plus gros du corps, et un pouce onze lignes de longueur totale; la queue étoit entouré d’anneaux écailleux, et longue de sept pouces huit lignes ; les jambes de derrière, mesurées jusqu’au premier article des doigts, avoient deux pouces une ligne de longueur. Suivant M. Badier, la tête-rouge parvient à une grandeur trois fois plus considérable; elle se nourrit d'insectes. 308 HISTOIRE NATURELLE B9 60980000 POSE PO BOT PE POPE ET HIPOIBOROBIEETOPOPOBOBCHOPOBOBPOTOBSTOPOPIGOSO D QUATRIÈME DIVISION. 494999990909 009009903999 LÉZARDS QUI ONT CINQ DOIGTS AUX PIEDS DE DEVANT, SANS BANDES TRANSVERSALES SOUS LE CORPS. LE CAMÉLÉON"!. Chamaæleon calcaratus, MErr. — Lacerta Chamaæleon et africana, Linn., GEL. — Chamaæleon senegalen- sis, Daun., Firz. — Le CAMÉLÉON ORDINAIRE, Cuv. Le nom du Caméléon est fameux. On l’emploie métaphoriquement, depuis long-temps, pour dési- 1. Chamaileon, en grec. Chamæleo, en latin. Taitah où Bouiah, en Barbarie , suivant M. Shaw. Caméléon. M. Daubenton, Encyclopédie méthodique. * Conradi Gesneri, Historiæ animalium , liber secundus de Quadr. ovip. Chamaleo. Raï, Synopsis Quadrup., page 276. Chamæleo , the chameleon. Browne , page 464. Chamaæleon, en anglois, the largegrey Chame. leon. DU CAMÉLÉON. 309 gner la vile flatterie. Peu de gens savent cependant que le caméléon est un lézard; et moins de person- nes encore connoissent les traits qu'il présente, et les qualités qui le distinguent. On a dit que le camé- léon changeoit souvent de forme; qu'il n’avoit point de couleur en propre; qu'il prenoit celle de tous les objets dont il approchoit; qu'il en étoit par là une sorte de miroir fidèle; qu'il ne se nourrissoit que d'air, Les Anciens se sont plu à le répéter : ils ont cru voir, dans cet être qui n’étoit pas le caméléon, mais un animal fantastique, produit et embelli par l'erreur, une image assez ressemblante de plusieurs de ceux qui fréquentent les cours : ils s’en sont ser- vis comme d’un objet de comparaison , pour peindre ces hommes bas et rampants, qui, n’ayant jamais d'avis à eux, sachant se plier à toutes les formes, embrasser toutes les opinions, ne se repaissent que de fumée et de vains projets. Les poëtes surtout se sont emparés de toutes les images fournies par des rapports qui, n'ayant rien de réel, pouvoient être aisément étendus : ils ont paré des charmes d’une Lacerta Chamæleo, 20. Linn., Amph. rept. Séba, 1. Tab. 82, fig. 1, 2, 5, 4, 5; iab. 85, fig. 4 et 5. Chamæleo mexicanus, 59. Chamæleo parisiensium, 60. Chamæleo zey- lanicus, 61. Chameæleo africanus, 62. Chamæleo candidus, 63. Chamæ- leo Bonæ-Spei, 64. Laurenti, specimen medicum , page 56. Gron. inus. 2, page 76, n° 50. Chamaæleon. Olear. mus. 9, t. 8, £. 3. Chamælcon. Belon. itin., livre IT, chapitre 6o. Chamæleon. Valent. raus., livre IT, chapitre 51. Chameæleon. Kircher. mus. 275, t. 205, f. 44. Chamæleon. Jonst. Quadr., t. 79. Chamælcon. Ald. Quadr. 670. Chamæleon. LACÉPÈDE. IL. 510 HISTOIRE NATURELLE imagination vive, les diverses comparaisons tirées d’un animal qu'ils ont regardé comme faisant par crainte, ce que l’on dit que tant de courtisans font par goût. Ges images agréables ont été copiées, mul- tipliées, animées par les beaux génies des siècles les plus éclairés. Aucun animal ne réunit, sans doute, les propriétés imaginaires auxquelles nous devons tant d'idées riantes. Mais une fiction spirituelle ne peut qu'ajouler au charme des ouvrages où sont ré- pandues ces peintures gracieuses. Le caméléon des poëtes n’a point existé pour la nature; mais il pourra exister à jamais pour le génie et pour limagination. Lorsque cependant nous aurons écarté les qualités fabuleuses attribuées au caméléon, et lorsque nous l’aurons peint tel qu'il est, on devra le regarder en- core comme un des animaux les plus intéressants aux yeux des naturalistes, par la singulière conformation de ses diverses parties , par les habitudes remarqua- bles qui en dépendent, et même par des propriétés qui ne sont pas très différentes de celles qu'on lui a faussement attribuées 1, On trouve des caméléons de plusieurs tailles assez différentes les unes des autres. Les plus grands n'ont guère plus de quatorze pouces de longueur totale. L'individu que nous avons décrit, et qui est conservé avec beaucoup d’autres au Cabinet du Roi, à un pied deux pouces trois lignes, depuis le bout du museau 1. On peut voir dans Pline , livre XXVIIT, chapitre 29, les vertus chimériques que les anciens attribuoient au caméléon. On trouvera aussi dans Gesner, livre IL, tous les contes ridicules qu'ils ont pu. bliés au sujet de cet animal. DU CAMÉLEÉON. 511 jusqu’à l'extrémité de la queue, dont la longueur est de sept pouces. Celle des pattes, y compris les doigts, est de trois pouces. La iête aplatie par dessus, l’est aussi par les côtés ; deux arêtes élevées partent du museau, passent pres- que immédiatement au dessus des yeux, en suivent à peu près la courbure , et vont se réunir en pointe derrière la tête ; elles y rencontrent une troisième sail- lie qui part du sommet de la tête, et deux autres qui viennent des coins de la gueule; elles forment, toutes cinq ensemble, une sorte de capuchon, ou, pour mieux dire, de pyramide à cinq faces, dont la pointe est tournée en arrière. Le cou est très court. Le des- sous de la tête et la gorge sont comme gonflés, et représentent une espèce de poche, mais moins grande de beaucoup que celle de l’iguane. La peau du caméléon est parsemée de petites éminences comme le chagrin : elles sont très lisses, plus marquées sur la tête, et environnées de grains presque imperceptibles : un rang de petites pointes coniques règne en forme de dentelure sur les saillies de la tête, sur le dos, sur une partie de la queue et au dessous du corps, depuis le museau jusqu’à l'anus. Sur le bout du museau, qui est un peu arrondi, sont placées les narines qui doivent servir beaucoup à la respiration de l'animal; car il a souvent la bou- che fermée si exactement, qu’on a peine à distinguer la séparation des deux lèvres. Le cerveau est très petit, et n’a qu'une ligne ou deux de diamètre. La tête du caméléon ne présente aucune ouverture par- ticulière pour les oreilles, et MM. de l’Académie des DS. HISTOIRE NATURELLE Sciences, qui disséquèrent cet animal, crurent qu'il étoit privé de l'organe de l’ouie, qu’ils n’aperçurent point dans ce lézard, mais que M. Camper vienit d'y découvrir ?. C’est une nouvelle preuve de la foiblesse de l’ouie dans les quadrupèdes ovipares, et vraisem- blablement c’est une des causes qui concourent à produire l'espèce de stupidité que l’on a attribuée au caméléon. Les deux mâchoires sont composées d’un os den- telé qui tient lieu de véritables dentsÿ. Presque tout est particulier dans le caméléon : les lèvres sont fen- dues même au delà des mâchoires, où leur ouver- ture se prolonge en bas : les yeux sont gros et très saillants; et ce qui les distingue de ceux des autres quadrupèdes, c’est qu’au lieu d’une paupière qui puisse être levée et baissée à volonté, ils sont recou- verts par une membrane chagrinée, attachée à l'œil, et qui en suit tous les mouvements. Cette membrane est divisée par une fente horizontale, au travers de laquelle on aperçoit une prunelle vive, brillante , et comme bordée de couleur d’or. Les lézards, et tous les quadrupèdes ovipares en général, ont les yeux très bons. Le sens de la vue, ainsi que nous l'avons dit, paroît être le premier de tous dans ces animaux, de même que dans les oi- 1. Mémoires pour servir à l'Histoire naturelle des animaux, article du Caméléon. 2. Note communiquée par M. Camper. 3. Nous nous sommes assurés de l'existence de cet os dentelé, par l'inspection des squelettes de caméléon, que l’on a au Cabinet du Roi. Prosper Alpin a nié, en quelque sorte, l'existence de cet os. Voyez son Hisloire naturelle de l'Égypte , tomeÏ, chapitre 5. C2 DU CAMÉLÉON. 019 seaux. Mais les caméléons doivent jouir par excel- lence de cette vue exquise : il semble que leur sens de la vue est si fin et si délicat, que sans la mem- brane qui revêt leurs yeux, ils seroient vivement offensés par la lumière éclatante qui briile dans les climats qu'ils habitent. Cette précaution, qu'on di- roit que la nature a prise pour eux, ressemble à celle des Lapons et d’autres habitants du Nord, qui por- tent au devant de leurs yeux une petite planche de sapin fendue, pour se garantir de l'éclat éblouissant de la lumière fortement réfléchie par les neiges de leurs campagnes; ou plutôt ce n’est point pour con- server la finesse de leur vue qu'il leur a été donné des membranes, mais c’est parce qu'ils ont reçu ces membranes préservatrices, que leurs yeux, moins usés, moins vivement ébranlés, doivent avoir une force plus grande et plus durable. Non seulement le caméléon a les yeux enveloppés d’une manière qui lui est particulière, mais ils sont mobiles indépendamment l’un de l’autre; quelquefois ii les tourne de manière que l’un regarde en arrière, et l’autre en avant; ou bien de l’un il voit les objets pla- cés au dessus de lui, tandis que de l’autre il aperçoit ceux qui sont situés au dessous. Il peut par là con- sidérer à la fois un plus grand espace ; et, sans cette propriété singulière, il seroit presque privé de la vue inalgré la bonté de ses yeux, sa prunelle pouvant uniquement admettre les rayons lumineux qui pas- sent par la fente très courte et très étroite que pré- sente la membrane chagrinée. 1. Le Bruyn. Voyage au Levant. D14 HISTOIRE NATURELLE Le caméléon est donc unique dans son ordre, par plusieurs caractères très remarquables : mais ceax dont nous venons de parler ne sont pas les seuls qu'il pré- sente : sa langue, dont on a comparé la forme à celle d’un ver de terre, est ronde, longue communément de cinq ou six pouces, terminée par une sorte de gros nœud, creuse , attachée à une espèce de stylet cartilagineux qui entre dans sa cavité, et sur lequel l'animal peut la retirer, et enduite d’une sorte de vernis visqueux qui sert au caméléon à retenir les mouches, les scarabées, les sauterelles, les fourmis, et autres insectes dont il se nourrit, et qui ne peu- vent lui échapper , tant il la darde et la retire avec vitesse !. Le caméléon est plus élevé sur ses jambes que le plus grand nombre des lézards; il a moins l'air de ramper lorsqu'il marche : Aristote et Pline l’avoient remarqué. Îl a à chaque pied cinq doigts très longs, presque égaux et garnis d'ongles forts et crochus ; mais la peau des jambes s'étend jusqu'au bout des doigts, et les réunit d’une manière qui est encore particulière à ce lézard. Non seulement cette peau attache les doigts les uns aux autres, mais elle les enveloppe, et en forme comme deux paquets, l’un de trois doigts et l’autre de deux : et il y a cette dif- 1.« Quand les caméléons veulent manger, ils tirent leur langue » longue , quasi d'un demi-pied , ronde comme la langue d’un oiseau » nommé Poivert, semblable à ua ver de terre : et à l'extrémité d'icelle » ont un gros nœud spongieux , tenant comme glu , duquel ils alta- » chent les insectes savoir est sauterelles , chenilles et mouches, et les » attirent en la gueule. Ils poussent hors leurs langues , les dardant de » voideur aussi vitement qu'une arbalète ou un arc fait le traict. » Bé- lon, observations, etc., livre LE, chapitre 34. DU CAMÉLÉON. 515 férence entre les pieds de devant et ceux de derrière, que, dans les premiers, le paquet extérieur est celui qui ne contient que deux doigts, tandis que c'est l’op- posé dans les pieds de derrière 1, Nous avons vu à l’article de la Dragonne combien une membrane de moins entre les doigts influoit sur les mœurs de ce lézard , et, en lui donnant la facilité de grimper sur les arbres , rendoit ses habitudes dif- férentes de celles du crocodile, qui à les pieds pal- més. Nous avons observé, en général, qu’un léger changement dans la conformation des pieds devroit produire de très grandes dissemblances entre les mœurs des divers quadrupèdes. Si l’on considère, d'après cela, les pieds du caméléon, réunis d’une manière particulière , recouverts par une continua- tion de la peau des jambes, et divisés en deux pa- quets, où les doigts sont rapprochés et collés, pour ainsi dire, les uns contre les autres, on ne sera pas étonné de l'extrême différence qu'il y a entre les ha- bitudes naturelies du caméléon et celles de plusieurs lézards. Les pieds du caméléon ne pouvant guère lui servir de rames, ce n'est pas dans l’eau qu’il se plaît, mais les deux paquets de doigts allongés qu’ils pré- sentent sont placés de manière à pouvoir saisir aisé- ment les branches sur lesquellesil aime à se percher: il peut empoigner ces rameaux, en tenant un paquet de doigts devant et l’autre derrière, de même que 1. Quelques auteurs ont écrit qu'il y avoit des espèces de camé- Jéon . dont les cinq doigts de chaque pied étoient séparés les uns des autres; ils auront certainement pris pour des caméléons d’autres lé- zards, et, par exemple, des Tapayes, dont la tête ressemble en effet un peu à celle du caméléon. 316 HISTOIRE NATURÈLLE les pics, les coucous, les perroquets, et d’autres 'oi- seaux saisissent les branches qui les soutiennent en mettant deux doigts devant et deux derrière. Ces deux paquets de doigts, placés comme nous venons de le dire, ne fournissent pas au caméléon un point d'appui bien stable lorsqu'il marche sur la terre; c’est ce qui fait qu'il habite de préférence sur les arbres, où il à d'autant plus de facilité à grimper et à se tenir, que sa queue est longue et douée d’une assez grande force. Il la replie ainsi que les sapajous; il en en- toure les petites branches, et s’en sert comme d’une cinquième main pour s'empêcher de tomber, ou pas- ser. avec facilité d’un endroit à un autre. Bélon pré- tend que les caméléons se tiennent ainsi perchés sur les haies pour échapper aux vipères et aux cérastes, qui les avalent tout entiers lorsqu'ils peuvent les at- teindre. Mais ils ne peuvent pas se dérober de même à la mangouste, et aux oiseaux de proie qui les re- cherchent. Voilà donc le caméléon, que l’on peut regarder comme l’analogue du sapajou , dans les quadrupèdes ovipares. Mais si sa conformation lui donne une ha- bitation semblable à celle de ce léger animal, s’il passe de même sa vie au milieu des forêts et sur les som- mets des arbres, il n’en a ni l’élégante agilité, ni l’activité pétulante. On ne le voit pas s’élancer comme un trait de branche en branche , et imiter par la vi- 1.« Les haïes qui sont des jardinages auprès du Caire, sont en tous » lieux couvertes de caméléons , et principalement le long des rivages » du Nil, en sorte qu'en peu de temps nous en vimes grand nombre : » ear les vipères et les cérastes les avalent entiers, quand elles les » peuvent prendre. » Bélon, observations, etc. livre IT, chapitre 64. DU CAMÉLÉON. 97 tesse de sa course et la grandeur de ses sauts, la ra- pidité du vol des oïseaux; mais c’est toujours avec lenteur qu'il va d’un rameau à un autre, et il est plutôt dans les bois en embuscade sous les feuilles, pour retenir les insectes ailés qui peuvent tomber sur sa langue gluante, qu'en mouvement de chasse pour aller les surprendre. La facilité avec laquelle il les saisit le rend utile aux Indiens, qui voient avec grand plaisir dans leurs maisons cet innocent lézard. Il est en effet si doux, qu'on peut, suivant Alpin, lui mettre le doigt à la bouche, et l'enfoncer très avant, sans qu’il cherche à mordre?, et M. Desfontaines, savant professeur du Jardin du Roi, qui a observé les caméléons en Afri- que, et qui en à nourri chez lui, leur attribue la même douceur qu’Alpin. Soit que le caméléon grimpe le long des arbres, soit que caché sous les feuilles il y attende paisible- ment les insectes dont il se nourrit, soit enfin qu'il marche sur la terre, il paroît toujours assez Jaïid : il n'offre pour plaire à la vue, ni proportions agréables, ni taille svelte, ni mouvements rapides. Ce n’est qu’a- vec une sorte de circonspection qu'il ose se remuer. S'il ne peut pas embrasser les branches sur lesquelles il veut grimper, il s'assure, à chaque pas qu'il fait, que ses ongles sont bien entrés dans les fentes de l'écorce ; s’il est à terre il tâtonne ; il ne lève un pied que lorsqu'il est sûr du point d'appui des autres trois: 1. Hasselquist a trouvé, dans l'estomac d’un caméléon , des restes de papillons et d’autres insectes. Hasselquist, Voyage en Palestine, page 549. 2. Prosper Alpin, tome I, chapitre 5 , page 215, 518 HISTOIRE NATURELLE par Loutes ces précautions, il donne à sa démarche une sorte de gravité, pour ainsi dire ridicule, tant elle contraste avec la petitesse de sa taille et l’agilité qu'on croit trouver dans un animal assez semblable à des lézards fort lestes. Ce petit animal, dont l'enveloppe et la mobilité des ÿeux, la forme des pieds, et pres- que toute la conformation, méritent l'attention des physiciens, n’arrêteroit donc les regards de ceux qui ne jettent qu'un coup d'œil superficiel, que pour faire naître le rire et une sorte de mépris : il auroit été bien éloigné d’être l’objet chéri de tant de voya- seurs et de tant de poëtes ; son nom n’auroit pas été répété par tant de bouches; et, perdu sous les ra- neaux où il se cache, il n'auroit été connu que des naturalistes, si la faculté de présenter, suivant ses différents états, des couleurs plus ou moins variées, n’avoit attiré sur lui, depuis long-temps, une atten- tion particulière. Ces diverses teintes changent en effet avec autant de fréquence que de rapidité; elles paroissent d’ail- leurs dépendre du climat, de l’âge ou du sexe ; il est donc assez difficile d’assigner quelle est la couleur naturelle du caméléon. I! paroît cependant qu’en gé- néral ce lézard est d’un gris plus ou moins foncé, ou plus ou moins livide. Lorsqu'il est à l'ombre, et en repos depuis quel- que temps, les petits grains de sa peau sont quelque- fois d’un rouge pâle, et le dessous de ses pattes est d’un bianc un peu jaunâtre. Mais, lorsqu'il est e xposé à la lumière du soleil, sa couleur change; la partie de son corps qui est éclairée, devient souvent 1. Le Bruyn. Voyages au Levant. DU CAMÉLÉON. 919 d’un gris plus brun, et la partie sur laquelle les rayons du soleil ne tombent point directement, offrent des couleurs plus éclatantes, et des taches qui paroïssent isabelles par le mélange du jaune pâle que présen- tent alors les petites éminences , et du rouge clair du fond de la peau. Dans les intervalles des taches, les grains offrent du gris mêlé de verdâtre et de bleu, et le fond de la peau est rougeâtre. D'autres fois le caméléon est d’un beau vert tacheté de jaune; lors- qu'on le touche il paroît souvent couvert tout d’un coup de taches noirâtres assez grandes, mêlées d’un peu de vert-: lorsqu'on l’enveloppe dans un linge, ou dans une étoffe de quelque couleur qu’elle soit, il devient quelquefois plus blanc qu’à l'ordinaire ; mais il est démontré, par les observations les plus exactes, qu'il ne prend point la couleur des objets qui l’en- vironnent, que celles qu'il montre accidentellement ne sont point répandues sur tout son corps, comme le pensoit Aristote, et qu’il peut offrir la couleur blanche, ce qui est contraire à l'opinion de Plutar- que et de Solin!. Il n’a reçu presque aucune arine pour se défendre; ne marchant que très lentement, ne pouvant point échapper par la fuite à la poursuite de ses ennemis, il est la proie de presque tous les animaux qui cher- chent à le dévorer; il doit par conséquent être très timide , se troubler aisément , éprouver souvent des agitations intérieures plus ou moins considérables. On croyait, du temps de Pline, qu'aucun animal n'é- toit aussi craintif que le caméléon , et que c’étoit à 1. Mémoires pour servir à l'Histoire naturelle des animaux, article du Caméléon , pages 31 et suivantes. 320 HISTOIRE NATURELLE cause de sa crainte habituelle qu’il changeoït souvent de couleur. Ce trouble et cette crainte peuvent en effet se manifester par des taches dont il paroît tout d’un coup couvert à l'approche des objets nouveaux; sa peau n’est point revêtue d'écailles, comme celle de beaucoup d’autres lézards; elle est transparente, quoique garnie des petits grains dont nous avons parlé; elle peut aisément transmettre à l'extérieur, par des taches brunes, et par une couleur jaune ou verdâtre, l'expression des divers mouvements que la présence des objets étrangers doit imprimer au sang et aux humeurs du caméléon. Hasselquist, qui l’a observé en Égypte , et qui l’a disséqué avec soin, dit que le changement de la couleur de ce lézard pro- vient d’une sorte de maladie , d’une jaunisse, que cet animal éprouve fréquemment, surtout lorsqu'il est irrité. De là vient, suivant le même auteur, qu'il faut presque toujours que le caméléon soit en colère, pour que ses teintes changent du noïr au jaune ou au vert. Îl présente alors la couleur de sa bile, que l’on peut apercevoir aisément lorsqu'elle est très ré- pandue dans le corps, à cause de la ténuité des mus- cles, et de la transparence de la peaut. Il paroît d’ailleurs que c’est au plus ou moins de chaleur dont il est pénétré, qu'il doit les changements de couleur qu’il éprouve de temps en temps?. En général, ses couleurs sont plus vives lorsqu'il est en mouvement, 1. Hasselquist. Voyage en Palestine , page 340. 2. « Chamæleonis color verus cinereus est, sed juxla animi affectus : quandoque cum calore calorem mutat, ut et ratione calidioris vel » frigidioris aeris, non vero subjecti, ut quidam volunt. » Wormi. mus. de Pedestribus, cap. XXII, fol. 516. DU CAMÉLÉON. 921 lorsqu'on le manie, lorsqu'il est exposé à la lumière du soleil très chaud dans les climats qu'il habite : elles deviennent au contraire plus foibles lorsqu'il est à l'ombre, c’est-à-dire privé de l'influence des rayons solaires, lorsqu'il est en repos, etc. Si ces couleurs se ternissent quelquefois lorsqu'on l'enveloppe dans du linge ou quelque étoffe, c’est peut-être parce qu'il est refroidi par les linges ou par l’étoffe dans lesquels on le plie. Il pâlit toutes les nuits, parce que toutes les nuits sont plus ou moins fraîches, suriout en France, où ce phénomène a été observé par M. Per- rault. Îl blanchit enfin lorsqu'il est mort, parce qu'a- lors toute chaleur intérieure est éteinte. La crainte, la colère et la chaleur qu’éprouve le caméléon, nous paroissent donc les causes des diver- ses couleurs qu’il présente, et qui ont été le sujet de tant de fables, Il jouit, à un degré très éminent, du pouvoir d’en- fler les différentes parties de son corps, de leur don- ner par là un volume plus considérable, et d’arrondir ainsi celles qui seroient naturellement comprimées. C’est par des mouvements lents et irréguliers, et non point par des oscillalions régulières et fréquen- tes, que le caméléon se gonfle : il se remplit d’air au point de doubler son diamètre; son enflure s'étend jusque dans les pattes et dans la queue : il demeure dans cet état quelquefois pendant deux heures, se désenflant un peu de temps en temps, et se renflant de nouveau; mais sa dilatation est toujours plus sou- daine que sa compression. 1. Mémoires pour servir à l'Histoire naturelle des animaux; article du Caméléon , pages 48 et suiv. 322 HISTOIRE NATURELLE Le caméléon peut aussi demeurer très long-temps désenflé ; il paroît alors dans un état de maigreur si considérable, que l’on peut compter ses côtes, et que l'on distingue les tendons de ses pattes et toutes les parties de l’épine du dos. C'est du caméléon dans cet état, que l’on a eu raison de dire qu'il ressembloit à une peau vivante; car en effet il paroît alors n'être qu'un sac de peau, dans lequel quelques os seroient renfermés ; et c’est surtout lorsqu'il se retourne, qu'il a cette apparence. Mais il en est de cette propriété de s’enfler et de se désenfler, comine de toutes les propriétés des ani- maux, des végétaux, et même de la matière brute ; aucune qualité n’a été, à la rigueur, accordée exclu- sivement à une substance; ce n’est que faute d’ob- servalions que l’on à cru voir des animaux, des vé- gétaux où des minéraux, présenter des phénomènes que d’autres n'offroient point. Quelque propriété qu'on remarque dans un être, on doit s'attendre à la trouver dans un autre, quoique, à la vérité, à un degré plus haut ou plus bas; toutes les qualités, tous les effets se dégradent ainsi par des nuances succes- sives, s’évanouissent , ou se changent en qualités et en effets opposés. Et, pour ne parler que de la pro- priété de se gonfler, presque toutes les quadrupèdes ovipares, et particulièrement les grenouilles, ont la faculté de s’enfler et de se désenfler à volonté; mais aucun ne la possède comme le caméléon. M. Perrault paroît penser qu'elle dépend du pouvoir qu'a ce lé- zard de faire sortir de ses poumons l'air qu'il res- 3. Tertullien. DU CAMÉLÉON. 923 pire, et de le faire glisser entre les muscles et la peau. Cette propriété de filtrer ainsi l'air de l’at- mosphère au travers de ses poumons, et ce gon- flement de tout son corps, que le caméléon peut produire à volonté, doivent le rendre beaucoup plus léger, en ajoutant à son volume sans augmenter sa inasse. Il peut plus facilement, par là, s'élever sur les arbres, et y grimper de branche en branche : et ce pouvoir de faire passer de l'air dans quelques par- ties de son corps, qui lui est commun avec les oiseaux, ne doit pas avoir peu contribué à déterminer son sé- jour au milieu des forêts. Les caméléons gonflent aussi leurs poumons, qui sont composés de plusieurs vésicules, ainsi que ceux d’autres quadrupèdes ovi- pares. Cette conformation explique les contradictions des auteurs qui ont disséqué ces animaux, et qui leur ont attribué les uns de petits et d’autres de grands poumons, comme Pline et Bélon. Lorsque ces vis- cères sont flasques, plusieurs vésicules peuvent échap- per ou paroître très petites aux observateurs, et elles occupent au contraire un si grand espace, lorsqu'elles sont soufflées, qu'elles couvrent presque entièrement loutes les parties intérieures ?. Le battement du cœur du caméléon est si foible , que souvent on ne peut le sentir qu’en mettant la main au dessus de ce viscère. Cet animal, ainsi que les autres lézards, peut vivre 1. Mémoires pour servir à l'Histoire naturelle des animaux, article du Caméléon, page 30. 2. Rai, Synopsis Quadrupedum , page 280. 5. Mémoires pour servir à l'Histoire naturelle des animaux, article dn Caméléon. 32/4 HISTOIRE NATURELLE près d’un an sans manger ; et c’est vraisemblablement ce qui a fait dire qu’il ne se nourrissoit que d'air. Sa conformation ne lui permet pas de pousser de véritables cris; mais lorsqu'il est sur le point d’être surpris, il ouvre la gueule, et siffle comme plusieurs autres quadrupèdes ovipares et les serpents. Le caméléon se retire dans des trous de rochers, ou d’autres abris, où il se tient caché pendant l’hiver, au moins dans les pays un peu tempérés, et où il y a apparence qu'il s’engourdit. Ce fait étoit connu d'Aristote et de Pline. La ponte de cet animal est de neuf à douze œufs : nous en avons compté dix dans le ventre d’une femelle envoyée du Mexique au Cabinet du Roi : ils sont ovales, revêtus d’une membrane mollasse comme ceux des tortues marines, des iguanes, etc.; ils ont à peu près sept ou huit lignes dans leur plus grand diamètre. Lorsqu'on transporte le caméléon, en vie, dans les pays uu peu froids, il refuse presque toute nour- riture, il se tient immobile sur une branche, tour- nant seulement les yeux de temps er temps, et il périt bientôt?. On trouve le caméléon dans tousles climats chauds, tant de l’ancien que du nouveau continent, au Mexi- que, en Afrique, au cap de Bonne-Espérance, dans 1. Bélon. 2, Séba, vol. I, M. Bomare, article du Caméléon. 5. « Ceux qui ont l'œil bon découvrent des Taïtah, Bouiah ou ca- » méléons sur toutes les haïes. La langue du caméléon est longue de » quatre pouces , elle a la figure d’un pilon ; cet animal la lance avec DU CAMÉLÉON. 925 l'île de Ceylan, dans celle d'Amboine , etc. La desti- née de cet animal paroît avoir été d’intéresser de tou- tes les manières. Objet, dans les pays anciennement policés, de contes ridicules, de fables agréables, de superstitions absurdes et burlesques, il jouit de beau- coup de vénération sur les bords du Sénégal et de la Gambie. La religion des nègres du cap de Monté leur défend de tuer les caméléons, et les oblige à les secourir, lorsque ces petits animaux, tremblants le long des rochers dont ils cherchent à descendre, s’attachent avec peine par leurs ongles, se retiennent avec la queue, et s’'épuisent, pour ainsi dire , en vains efforts; mais quand ces animaux sont morts, ces mêmes nègres font sécher leur chair et la mangent. Il y a au Cabinet du Roï, deux caméléons, l’un du Sénégal , et l’autre du cap de Bonne-Espérance, qui n’ont pas sur le derrière de la tête cette élévation triangulaire, cette sorte de casque, qui distingue non seulement les caméléons d'Égypte et des grandes Indes, mais encore ceux du Mexique : les caméléons diffèrent aussi quelquefois les uns des autres, par le plus ou le moins de prolongation de la petite dente- lure qui s'étend le long du dos et du dessous du corps; on a, d’après cela, voulu séparer les uns des autres, comme autant d'espèces distinctes, les camé- » une rapidité surprenante, sur les mouches ou autres insectes qu'il » y accroche avec une espèce de glu qui sort à point nommé du bout » de sa langue. Les Maures et les Arabes, après en avoir séché la peau, » la portent au cou, dans la persuasion que cet amulette les garantit » contre les influences d'un œil malin, » Voyage de Shaw, dans plu- sieurs provinces de la Barbarie et du Levant, à La Haye, 1745, vo- Jume Ï, page 955. LACÉPÈDE, 11. 21 526 HISTOIRE NATURELLE léons d'Égypte , ceux d'Arabie, ceux du Mexique!, ceux de Ceylan, ceux du capde Bonne-Espérance, etc. ; mais ces légères différences, qui ne changent rien aux caractères d’après lesquels il est aisé de recon- noître les caméléons , non plus qu’à leurs habitudes, ne doivent pas nous empècher de regarder l'espèce du caméléon comme la mème dans les diverses con- irées qu’il fréquente, quoiqu'elle soit quelquefois un peu altérée par l'influence du climat, ou par d’autres circonstances, et qu'elle se montre. avec quelque variété dans sa forme ou dans sa grandeur, suivant l’âge et le sexe des individus. M. Parsons a donné dans les Transactions philo- sophiques la figure et la description d’un caméléon qui avoit été apporté à un de ses amis, parmi d’autres objets d'histoire naturelle , et dont il ignoroit le pays natal?. Cet animal re différoit d’une manière remar- quable des autres caméléons, tant de l’ancien que du Nouveau-Monde, que par la forme du casque que nous avons décrit. Cette partie saillante ne s'étendoit pas seulement sur le derrière de la tête dans le camé- léon de M. Parsons, mais elle se divisoit par devant en deux protubérances crénelées qui s’élevoient obli- quement et s’avançoient jusqu'au dessus des narines. Ce ne sera qu'après de nouvelles observations sur des individus semblables, que l’on pourra détermi- ner si le caméléon très bien décrit par M. Parsons, appartenoit à une race constante, ou ne formoit qu’une variété individuelle. 1. Voyez Belon et Jo. Faber Lynceus, dans son exposition des ani- maux de la Nouvelle-Espagne. >. Transactions philosophiques. année 1768, tome LVIIT, p. 19°. DE LA QUEUE-BLEUT. 927 LA QUEUE-BLEUE: Scincus quinquelineatus , var. b, MErr. — Lacerta fas- ciata ; Lin. — Mabuya quinquelineata , Fritz. La Queue-Bleue habite principalement Ia Caro- line. Ce lézard se retire souvent dans les creux des arbres. Il n’a qu'environ six pouces de longueur. Il est brun; son dos présente cinq raies jaunâtres ou longitudinales; et ce qui sert surtout à le distinguer, c'est la couleur bleue de sa queue menue et commu- nément plus longue que le corps. Catesby dit que plusieurs habitants de la Caroline prétendent qu'il est venimeux ; mais il assure n’avoir été Lémoin d’au- cun fait qui püt le prouver. On devroit peut-être rapporter à cette espèce un lézard du Brésil, dont Raï parle d’après Marcgrave, et qui se nomme Americima?. Suivant la description 1. La Queue-Bleue. M. Daubenton, Encyclopédie méthodique. Lacerta fasciata, 40. Linn. Amph. rcpt. Catesby, Carol. 2, t. 67. Lacerta cauda cærulea. Pet, Gaz. 1,t, 1,f. 1. Lacertus marianus min. cauda cœrulea. 2. Americima Brasiliensibus Margr. « Lacertulus 3 digitis longus » et pennam olorinam cerassus, crura et pedes senembi. Corpus fere » quadratum. Videtur totum dorsum squamis leucophæis ; latera ca- 520 HISTOIRE NATURELLE que Raï en donne, il est long de deux pouces; son dos est couvert d’écailles grises cendrées; sa tête, ses côtés, ses cuisses le sont d’écailles jaunes ; et sa queue l’est d’écailles bleues; les Brasiliens le regar- dent comme venimeux. » put, et crura fuscis, cauda vero cæruleis. Omnes americimæ splen- » dent, et ad tactum apprime sunt læves. Digit. in pedibus, instar » setarum porcinarum. Venenosum animal censetur, » Rai, Synopsis animalium, page 267. DE L'AZURÉ. 529. CRBBÉTSDTOPOPETOHITLPOPOPEPET ES D ÉESTEDERSPEEESPEREMET SE EFOPEÎEBER SE EHEHOS OSEO AR EÈ , ; 4 L’'AZURE.. Calotes (Uromastyx) azureus, Merr. — Lacerta azu- rea, Liwx. — Sftellio brevi-caudatus , LaTR. L'Azuré se trouve en Afrique; ses écailles poin- tues le font paroître hérissé de petits piquants : un caractère d'après lequel il est aisé de le reconnoître, et qui lui a fait donner le nom qu'il porte , est la cou- leur bleue dont le dessus de son corps est peint, et qui forme une espèce de manteau azuré. Sa queue est courte. 1. L’Azuré. M. Daubenton, Encyclopédie méthodique. Lacerta azurea, 12. Linn., Amph. rept. Séba, mus. 2, tab. 62, fig. 6. 530 HISTOIRE NATURELLE Legeregeresetebes Es cHopesesereses DEEE pas eZ LE GRISON". Gekko turcicus, Larr. — Lacerta turcica , Lin. IL est aisé de distinguer ce lézard, qui se trouve dans les contrées orientales, par des verrues qui sont distribuées, sans aucun ordre, sur son corps ; par sa couleur grise tachetée de roussâtre , et par sa queue à peine plus longue que le corps, et que des bandes disposées avec une sorte d'’irrégularité rendent iné- galement étagée. 1. Le Grison. M. Daubenton, Encyclopédie méthodique. Lacerta turcica, 15. Linn., Amphib. rept. Edw. av. 204, tab. 204. Lacerta minor cinerea maculata astatica. DE L'UMBRE. 331 Etes pepe Bpep TD A PAPIPIFEPOTIDOT PPT EDEBOT DOS ODEDEDSTE TO DRE IE ETES SE F-2E 0 L'UMBRE”. Calotes (Agama) Umbra, Merr. — Lacerta Umbra, Lin. — Ophryessa Umbra, Frrz. L'Umbre, qui se trouve dans plusieurs contrées chaudes de l’Amérique, a la tête très arrondie ; l’oc- ciput est chargé d’une callosité assez grande et dénuée écailles. La peau qui est sur la gorge forme un pli LA profond : la couleur du corps est nébuleuse; les LA ® 4 LA A [4 écailles étant relevées en arête, et leur sommet étant aigu , le dos paroît strié. La queue est ordinairement plus longue que le corps. 1. L’Umbre. M. Daubenton, Encyclopédie méthodique. Lacerta Umbra , 29. Linr., Amph. rept. )2 HISTOIRE NATURELLE (ea O1 LE PLISSÉ"‘ Calotes (Agama) Plica, MErr. — Lacerta Plica, Linn. — Jguana chalcidica, Laur. — Tguana Umbra et Stellio Plica, Larr. — Agama Plica et Umbra, Daun. — Ecphymotes Plica , Frrz. Em 0 LE Plissé a l’occiput calleux comme l’umbre ; mais la peau qui est sur la gorge forme deux plis au lieu d’un. Il diffère encore de l’umbre par plusieurs traits : des écailles coniques font paroître sa peau chagrinée ; le dessus des yeux est comme à demi crénelé; der- rière les oreilles sont deux verrues garnies de poin- tes. Sur la partie antérieure du dos règne une petite dentelure formée par des écailles plus grandes que les voisines, et qui lie le plissé avec le galéote et l’'agame. Une ride élevée s'étend de chaque côté du cou jusque sur les pattes de devant, et se replie sur le milieu du dos. Les doigts sont allongés, garnis d'ongles aplatis, et couverts par dessous d’écailles aiguës. La queue est ronde, et ordinairement plus longue que le corps. Le plissése trouve dans les Indes. 1. Le Plissé. M. Daubenton , Encyclopédie méthodique. Lacerta Plica, 50. Fänn.. Amphib. rept. pe DU PLISSÉ. 533 C'est à ce lézard qu'il paroît qu'on doit rapporter celui que M. Pallas a nommé Hélioscope , dans le sup- plément latin de son voyage en différentes parties de l'empire de Russie. Il habite les provinces les moins froides de ce vaste empire ; on le trouve communé- ment sur les collines dont la température est la plus chaude , exposé aux rayons du soleil, la tête élevée, et souvent tournée vers cet astre; sa course est très rapide. 35/ HISTOIRE NATURELLE MEFOPOPETEE COTES EPOPOPOTOPEGEBOPOPOT TETE EGOTERSPEBOE OBEHOE OP EP OD EEE ER SEE OS LS L'ALGIRE” Tropidosaura algira, Firz. — Scincus algirus, LATR. — Lacerta algira, Lans. IL n’est souvent que de la longueur du doigt; les écailles du dos, relevées en carêne, le font paroître un peu hérissé. Sa queue diminue de grosseur jus- qu’à l'extrémité qui se termine en pointe. Il est jaune sous le corps, et d’une couleur plus sombre sur le dos, le long duquel s'étendent quaire raies jaunes. Il n’a point sous le ventre de bandes transversales. L'espèce de l’algire n’est pas réduite à ces petites dimensions par défaut de chaleur, puisque c'est dans la Mauritanie et dans la Barbarie qu'il habite. C’est de ces contrées de l'Afrique qu'il fut envoyé par M. Brander à M. Linnée, qui l’a fait connoître; et l'on ne peut pas dire que les côtes septentrionales de l'Afrique étant plus échauffées qu'humides , l’ardente sécheresse des contrées où l’on trouve l’algire influe 1. L’Algire. M. Daubenton , Encyclopédie méthodique. Lacerta algira, 16. Linn., Amph. rept. DE L'ALGIRE. 5353 sur son volume, et qu'il n’a une très petite taille que parce qu'il manque de cette humidité si nécessaire à plusieurs quadrupèdes ovipares, puisque l'on con- serve au Cabinet du Roi un algire entièrement sem- blable aux lézards de son espèce, et qui cependant a été envoyé de la Louisiane, où l'humidité est aussi grande que la chaleur est vive. M. Shaw a écrit que l’on trouve très fréquemment en Barbarie, sur les haïes et dans les grands chemins, un lézard nommé Zermouméha ; il n'indique point la grandeur de cet animal; il dit seulement que sa queue est longue et menue; que le fond de sa cou- leur est d'un brun clair; qu'il est rayé d’un bout à l'autre, et qu'il présente particulièrement trois ou quatre raies jaunes!. Peut-être ce lézard est-il un algire. Au reste, il paroît que l’algire se trouve aussi dans les contrées méridionales de l'empire de Russie, et que l’on doit regarder comme une variété de ce lézard, celui que M. Pallas a nommé Lézard ensanglanté ou couleur de sang*, qui ressemble presque en tout à l'algire, et qui a quatre raies blanches sur le dos, mais dont la queue cendrée par dessus et blanchâtre à l'extrémité, est par dessous d’un rouge d’écarlate. 1, Voyage de M. Shaw, dans plusieurs provinces de la Barbarie et du Levant , à La Haye, 1743, vol. I, page 524. 2. Supplément au Voyage de M. Pallas. C1 CI D HISTOIRE NATURELLE LE STELLION-. Calotes { Agama) cordylex, Merr. — Lacerta Stellio , Lin. — Stellio vulgaris, Daun., Latr., Frrz. LA queue de ce lézard est communément assez courte, et diminue de grosseur jusqu'à l’extrémité. Les écailles qui la couvrent sont aiguës , et disposées par anneaux. D’autres écailles, petites et pointues, revêtent le dessus et le dessous du corps, qui d’ail- leurs est garni , ainsi que la tête, de tubercules aigus ou de piquants plus ou moins grands; bien loin d’avoir une forme agréable, le stellion ressemble un peu au crapaud ; surtout par la tête, de même que le tapaye avec lequel il a beaucoup de rapports, et dont quelques auteurs lui ont donné les divers noms. Mais 1. Stellione tarentole, en plusieurs endroïts d'Italie. Pistillont, en plusieurs autres endroits du même pays. Tapayaxin, en Afrique. Le Stellion. M. Daubenton , Encyclopédie méthodique. Lacerta Stellio, 10. Linn., Amphib. rept. Hasselquist , itin. 301. Lacerta Stellio. Tournefort, Voyag. 1, page 119, t. 120. Cossordilos. Séba, mus. 2, tab. 8, fig. 6 et 7. Cordylus Stellio, 80. Laurenti specimen medicum. DU STELLION. 937 si ses proportions déplaisent, ses couleurs charment ordinairement la vue. Il présente le plus souvent un doux mélange de blanc, de noir, de gris, et quel- quefois de vert, dont il est comme marbré. Il habite l'Afrique , et il n’y est pas confiné dans les régions les plus chaudes, puisqu'il est également au cap de Bonne-Espérance et en Égypte 1, On le ren- contre aussi dans les contrées orientales et dans les îles de l’Archipel , ainsi qu’en Judée et en Syrie, où il paroïît, d’après Belon, qu'il devient très grand?. M. François Cetti dit qu’il est assez commun en Sar- daigne, et qu'il y habite dans les maisons; on l'y nomme T'arentole , ainsi que dans plusieurs provinces d'Italie’; et c’est une nouvelle preuve de l'emploi qu'on a fait pour plusieurs espèces de lézards de ce nom de Tarentole ; donné, ainsi que nous l’avonsdit, à une variété du lézard vert. Mais c’est surtout aux environs du Nil, que les stellions sont en grand nom- bre. On en trouve beaucoup autour des pyramides et des anciens tombeaux qui subsistent encore sur l'antique terre d'Égypte. Ils s'y logent dans les inter- valles que laissent les différents lits de pierres, et ils s’y nourrissent de mouches et d'insectes ailés. On diroit que ces pyramides, ces élernels monu- ments de la puissance et de la vanité humaines, ont 1. L'individu que nous avons décrit a été apporté d'Égypte, au Cabinet du Roi. 2. « Il y a une manière de lézards noirs , nommés stellions, quasi » aussi gros qu'est une petite belette, leur ventre fort enflé et la tête » grosse , desquels le pays de Judée et de Syrie est bien garni. » Belon, Observations, etc. Édit. de Paris, 1554, livre II, chap. 79, page 159. 3. Histoire naturelle des amphibies et des poissons de la Sardaigne, Sassari, 1 777, pag * 20. 338 HISTOIRE NATURELLE été destinées à présenter des objets extraordinaires ea plus d’un genre ; c'est en effet dans ces vastes mau- solées qu’on va recueillir avec soin les excréments du petit lézard dont nous traitons dans cet article. Les anciens , qui en faisoient usage ainsi que les Orien- taux modernes, leur donnoient le nom de Croco- dilea À, apparemment parce qu'ils pensoient qu'ils venoient du crocodile?; et peut-être ces excréments n’auroient-ils pas été aussi recherchés, si l’on avoit su que l’animal quiles produit n’étoit ni le plus grand ni le plus petit des lézards, tant il est vrai que les extrèmes en imposent presque toujours à ceux dont les regards ne peuvent pas embrasser la chaîne entière des objets. Les modernes, mieux instruits, ont rapporté ces excréments au stellion , à un lézard qui n’a rien de très remarquable; mais déjà le sort de cette matière abjecte étoit décidé , et sa vaieur vraie ou fausse étoit établie. Les Turcs en ont fait une grande consom- mation , ils s’en fardoient le visage ; et il faut que les stellions aient été bien nombreux en Égypte, puisque pendant long-temps on trouvoit presque partout, et ea très grande abondance, cette matière que l’on nommoit Stercus lacerti, ainsi que Crocodilea. 1. « Nous trouvions aussi des stellions, desquels les Arabes recueil- » lent les excréments, qu'ils portent vendre au Caire, nommés en grec » Crocodilea. De là , les marchands nous les apportent vendre. » Belon. livre IL, chap. 68, page 152. 2. « Stercore fucatus crocodili. » Horace. Q1 Se DU SCINQUE. Se ep 808080808080.86 60.80.5060 be50b0b0 F0 Do BOB SIBOBOBOBOHC OC PUB EC BOBON de BCEEL HO LE SCINQUE. Scincus officinalis, Laur., Daun., MErr. — Lacertu Scincus, HasseLo., Linx. CE lézard est fameux, depuis long-temps, par la vertu remarquable qu'on lui a attribuée. On a pré- tendu que pris intérieurement, il pouvoit ranimer des forces éteintes, et rallumer les feux de l’amour maloré les glaces de l’âge et les suites funestes des excès. Aussi lui a-t-on déclaré en plusieurs endroits, et lui fait-on encore une guerre cruelle. Les paysans d'Égypte prennent un grand nombre de scinques, qu’ils portent au Caire et à Alexandrie, d’où on les 1. Scigcos ou sciggos, en grec. Scincus , en latin. Raï, Synopsis animalium, page 271. Scincus. Le Scinque. M. Daubenton, Encyclopédie méthodique. Lacerta Scincus, 22. Linn., Amphib. rept. Gron. mus. 2, 76, n° 49. Scincus. Séb. mus. 2, fol. 112, tab. 105, fig. 5. Imperat. nat., 906. Lacerta Lybia. Olear. mus. 9, tab. 8, fig. 1. Aldr. ovip., livre I, chap. 19. Lacertus cyprius Scincoides. Hasselq. itin. 509, n° 58. Scincus officinalis, 87. Laurenti specimen medicum. 3/10 HISTOIRE NATURELLE répand dans différentes contrées de l’Asie. Lorsqu'ils viennent d’être tués, on en tire une sorte de jus dont on se sert dans les maladies; et, quand ils ont été desséchés, on les réduit en poudre, qu’on emploie dans les mêmes vues que les sucs de leur chair. Ce n'est pas seulement en Asie, nais même en Europe, qu'on a eu recours à ces moyens désavoués par la nature , de suppléer par des apparences trompeuses à des forces qu'elle refuse, de hâter le dépérissement plutôt que de le retarder, et de remplacer par des Jouissances vaines, des plaisirs qui ne valent que par un sentiment que tous les secours d’un art menson- ger ne peuvent faire naître. Il n’est pas surprenant que ceux qui n’ont vu le scinque que de loin et qui l'ont aperçu sur le bord des eaux, l’aient pris pour un poisson ; il en a un peu l'apparence par sa têle qui semble tenir immédiate- wient au corps, et par ses écailles assez grandes, lisses, d'une forme semblable tant au dessus qu’au dessous du corps, et qui se recouvrent comme les ardoises sur les toits. La mâchoire de dessus est plus avancée que celle de dessous : la queue est ceurte et compri- inée par le bout. La couleur du scinque est d’un roux plus ou moins foncé, blanchâtre sous le corps, et traversée sur le dos par des bandes brunes. Mais il en est de ce lé- zard comme de tous les autres animaux dont la cou- verture est trop foible ou trop mince pour ne point 1. Hasselquist dit que l’on rapporte les scinques de l'Égypte supé- rieure et de l'Arabie à Alexandrie, d’où on les envoie à Venise et à Marseille, et de là dans les différents endroits de l’Europe. Hassel- quist, Voyage en Palestine , page 561. DU SCINQUE. 91 participer aux différentes altérations que l'intérieur de l’animal éprouve. Les couleurs du scinque se ter- nissent et blanchissent lorsqu'il est mort; et dans l’état de dessiccation et d’une sorte de salaison où on l’apporte en Europe, il paroît d’un jaune-blanchâtre et comme argenté. Au reste, les couleurs de ce lézard, ainsi que celles du plus grand nombre des animaux, sont toujours plus vives dans les pays chauds que dans les pays tempérés; et leur éclat ne doit-il pas augmen- ter en effet avec l’abondance de la lumière, la vraie et l’unique source première de toutes sortes de cou- leurs? Linnée a écrit que les scinques n’avoient point d'ongles : tous les individus que nous avons exami- nés paroissoient en avoir : mais, comme ces animaux étoient desséchés, nous ne pouvons rien assurer à ce sujet. Âu reste, notre présomption se trouve con- firmée par celle d’un bon observateur, M. François Cettit. On trouve le scinque dans presque toutes les con- trées de l'Afrique, en Égypte, en Arabie, en Lybie, où on dit qu'il est plus grand qu'ailleurs, dans les Indes, et peut-être même dans la plupart des pays très chauds de l’Europe. Non seulement son habitation de choix doit être déterminée par la chaleur du cli- mat, mais encore par l'abondance des plantes aro- matiques dont on dit qu’il se nourrit. C’est peut-être à cet aliment plus exalté, et par conséquent plus actif, qu'il doit cette vertu stimulante qu’on auroit pu sans doute employer pour soulager quelques 1. Histoire naturelle des amphibies et des poissons de la Sardaigne. LACÉPÈDE. II. 29 HISTOIRE NATURELLE N3 + maux!, mais dont il ne falloit pas se servir pour dégrader le noble feu que la nature fait naître, en s'efforçant en vain de le rallumer, lorsqu'une passion imprudente l’a éteint pour toujours. Le scinque vit dans l’eau, ainsi qu’à terre. On l’a cependant appelé Crocodile terrestre, et certainement c’est un grand abus des dénominations que l’applica- tion du nom de cet énorme animal à un petit lézard, qui n’a que sept ou huit pouces de longueur. Aussi Prosper Alpin pense-t-il que le scinque des modernes n'est pas le lézard désigné sous le nom de Crocodile terrestre par les anciens, particulièrement par Héro- dote, Pausanias, Dioscoride, et célébré pour ses ver- tus actives et stimulantes. Il croit qu’ils avoient en vue un plus grand lézard que l’on trouve, ajoute-t-il, au dessus de Memphis, dans les lieux secs, et dont il donne la figure. Mais cette figure ni le texte n’indiquant point de caractères très précis, nous ne pouvons rien déterminer au sujet de ce iézard mentionné par ÂAlpin?. Au reste, la forme et la brièveté de sa queue empêchent qu'on ne le re- garde comme de la même espèce que la dragonne, ou le tupinambis, ou l’iguane. 1. Pline dit que le scinque a été regardé comme un remède contre les blessures faites par des flèches empoisonnées, livre XXVIIT, cha- pitre 3e. 9. Prosper Alpin, tome I, chap. 5. De animalibus lacertosis in Ægypto viventibus. Pl:9 NN LEON 7 H CA SCnE — 2.1EDORH A 22 ABOUY LL] DU MABOUYA: 345 LEE LT 70 à. BHeD8S 0 86 Boo obo boot Horace Mo PE HOBo Ex oo Dobage LE MABOUYA. Mabuya dominicensis, Frrz. — Lacerta Mabouya, SHAW, Le lézard dont il est ici question a une grande ressemblance avec le scinque; il n’en diffère bien sensiblement à l'extérieur que parce que ses pattes sont plus courtes en proportion du corps, el parce que sa mâchoire supérieure ne recouvre pas la mâ- choire inférieure comme celle du scinque. Il n’est point le seul quadrupède ovipare auquel le nom de Mabouya ait été donné. Les voyageurs ont appelé de même un assez grand lézard , dont nous parlerons sous le nom de Doré, et qui a aussi beaucoup de res- semblance avec le scinque , mais qui est distingué de notre mabouya, en ce que sa queue est plus longue que le corps, tandis qu'elle est beaucoup plus courte dans ie lézard dont nous traitons. Le mabouya paroît être d’ailleurs plus petit que le 1. Sloane, vol. II, planche 275, fig. 7 et 8. Salamandra minima fusca maculis albis notata. : Dutertre. Hist. naturelle des Antilles, vol. II, page 315. Mabouya: Rochefort, page 147. Mabouya. Tiligugu et Tilingoni, en Sardaigne. 544 HISTOIRE NATURELLE doré ; leurs habitudes diffèrent à beaucoup d’égards: et comme ils habitent dans le même pays, on ne peut pas les regarder comme deux variétés dépendantes du climat ; uous les considérerons done comme deux es- pèces distinctes, jusqu’à ce que de nouvelles observa- tions détruisent notre opinion à ce sujet. Ce nom de Mabouya , tiré de la langue des Sauvages de l’Amé- rique septentrionale, désigne tout objet qui inspire du dégoût ou de l'horreur ; et à moins qu'il ne soit relatif aux habitudes du lézard dont il est ici question, ainsi qu’à celle du doré, il ne nous paroît pas devoir convenir à ces animaux, leur conformation ne pré- sentant rien qui doive rappeler des images très désa- gréables. Nous l’adoptons cependant, parce que sa vraie signification peut être regardée comme nulle, peu de gens sachant la langue des Sauvages d'où il a été tiré, et parce qu'il faut éviter avec soin de multi- plier sans nécessité les noms donnés aux animaux. Nous le conservons de préférence au lézard dont nous parions, parce qu'il n’en a jamaïs reçu d'autre, et que le grand mabouya a été nommé le Doré par Linnée et par d’autres naturalistes. La tête du mabouya paroïît tenir immédiatement au corps, dont la grosseur diminue insensiblement du côté de la tête et de celui de la queue. Il est tout couvert par dessus et par dessous d'écailles rhomboi- dales, semblables à celles des poissons ; le fond de leur couleur est d’un jaune doré ; plusieurs de celles qui garnissent le dos sont quelquefois d’une couleur très foncée, avec une petite ligne blanche au milieu. Des écailles noirâtres forment, de chaque côté du corps, une bande longitudinale ; la couleur du fond DU MABOUYA. 349 s’éclaircit le long du côté intérieur de ces deux bandes, et on y voit régner deux autres bandes presque blan- ches. Au reste, la couleur de ces écailles varie suivant l'habitation des mabouyas : ceux qui demeurent au milieu des bois pourris, dans les endroits marécageux, ainsi que dans les vallées profondes et ombragées, où les rayons du soleil ne peuvent point parvenir, sont presque noirs; et peut-être leur couleur justi- fie-t-elle alors, jusqu’à un certain point, ce qu'on a dit de leur aspect, que l’on a voulu trouver hideux ; leurs écailles paroissent enduites d'huile, ou d’une sorte de vernisi. Le museau des mabouyas est obtus; les ouvertures des creilles sont assez grandes; les ongles crochus; la queue est grosse, émoussée, et très courte. L'in- dividu conservé au Cabinet du Roi, a huit pouces de long. Les mabouyas décrits par Sloane étoient beau- coup plus petits, parce qu'ils n’avoient pas encore atteint leur entier développement. Les mabouyas grimpent sur les arbres, ainsi que sur le faîte et les chevrons des cases des Nègres et des In- diens ; mais ils se logent communément dans les cre- vasses des vieux bois pourris; ce n’est ordinairement que pendant la chaleur qu'ils en sortent. Lorsque le temps menace de la pluie, on les entend faire beau- coup de bruit, et on les voit même quelquefois quitter 1. « Tertiam spétiem Mabouyas appellat. Colore different qui in + arboribus putridis, in lacis palustribus , aut vallibus profundioribus » quo radii solares non penetrant, degunt. Nigri sunt et aspectu hor- » ridi; unde Mabouyas, id est diabolorum nomen ab indis iis impo- » situm. Pollicem circiter, aut paulo plus crassi sunt ; sex aut septem » pollices longi. Pellis velut oleo inuncta videtur. » Rai, Synopsis Quadrupedum , page 268. 340 HISTOIRE NATURELLE leurs habitations. Sloane pense que l’humidité qui règne dans l'air, aux approches de la pluie, gonfle les bois, et en diminue par conséquent les intervalles au point d’incommoder les mabouyas, et de les obliger à sortir. Indépendamment de cette raison, que rien ne force à rejeter, ne pourroit-on pas dire que ces animaux sont naturellement sensibles à l’humidité ou à la sécheresse, de même que les grenouilles, avec lesquelles la plupart des lézards ont de grands rapports; et que ce sont les impressions que les ma- bouyas reçoivent de l’état de l’atmosphère, qu'ils ex- priment par leurs mouvements et par le bruit qu'ils font? Les Américains les croient venimeux, ainsi que le Doré, avec lequel il doit être aisé, au premier coup d'œil, de les confondre ; mais cependant Sloane et Browne disent qu'ils n'ont jamais pu avoir une preuve certaine de l’existence de leur venin!. [l arrive seu- lement quelquefois qu'ils se jettent avec hardiesse sur ceux qui les irritent, et qu'ils s’y attachent assez fortement pour qu'on ait de la peine à s’en débar- rasser. | C'est principalement aux Antilles qu'on les ren- contre. Lorsqu'ils sont très petits, ils deviennent quelquefois la proie d'animaux qui ne paroissent pas au premier coup d'œil devoir être bien dangereux pour eux. Sloane prétend en avoir vu un à demi dévoré par une de ces grosses araignées, qui sont si communes dans les contrées chaudes de l’Amérique?. On trouve aussi le mabouya dans l’ancien monde : il est très commun dans l’île de Sardaigne , où il a été 1. Sloane , à l'endroit déjà cité. 2. Idem, ibid. DU MABOUYA. 347 observé par M. François Cetti, qui ne l’a désigné que par les noms sardes de T'iligugu et Tilingoni; ce na- turaliste a fort bien saisi ses traits de ressemblance et de différence avec le scinque, et comme il ne con- noissoit point le mabouyad’Amérique mentionné dans Sloane, Rochefort et Dutertre, et qui estentièrement semblable au lézard de Sardaigne, qu’il a comparé au scinque, il n’est pas surprenant qu'il ait pensé que son lézard n’avoit pas encore été indiqué par aucun auteur. M. Thunberg, savant professeur d’Upsal, vient de donner la description d'un lézard qu'il a vu dans l’île de Java, et qu'il compare avec raison au doré, ainsi qu’au scinque, en disant cependant qu'il diffère de l'un et de l’autre, et surtout du premier dont il est distingué par la grosseur et la brièveté de sa queue. Cet animal ne nous paroît être qu'une variété du mabouya, qui, dès lors, se trouve en Asie, ainsi qu'en Europe et en Amérique. L'individu vu par M. Thunberg étoit gris et cendré sur le dos, qui présentoit quatre rangs de taches noires, mèêlées de taches blanches, et de chaque côté duquel s’éten- doit une raie noire. M. Afzelius, autre savant suédois, a vu dans la collection de M. Bettiger, à Vesteras, un lézard qui ne différoit de celui que M. Thunbere a décrit, que parce qu'il n’avoit pas de taches sur le dos , et que les raies latérales étoient plus noires et plus égales?. 1. Histoire naturelle des Amphibies et des Poissons de la Sardaigne. Sassari, 1777; 21. 2. Mémoires de l’Académie de Siockholm, trimestre d'avril, de l’année 1787, page 125. Description du lézard appelé, par M, Thunberg, Lacerta latéralis. 348 HISTOIRE NATURELLE LE DORÉ: Scincus Cepedii, Merr. C’est Linnée qui a donné à ce lézard le nom que nous lui conservons ici; ce quadrupède ovipare est 1. Le Doré. M. Daubenton , Encyclopédie méthodique. Lacerte aurata, 35. Linn., Amphibia reptilia. Scincus maximus fuscus. Sloane , Histoire naturelle de la Jamaïque, vol. IL, planche 275, fig. 9. Dans la planche de Sloane , le Doré est représenté avec la queue beaucoup plus courte que le corps; si la figure est exacte, ce ne doit être qu'une variété individuelle, les auires dorés, mentionnés par les divers naturalistes, ayant lous la queue plus longue que le corps, aïnsi que les individus conservés au Cabinet du Roï, et particulièrement celui qui a servi pour la descrip- tion contenue dans cet article. Browne dit d'ailleurs positivement (page 463) que le lézard que nous nommons le Doré, a la queue plus longue qu’elle n’est généralement représentée dans les figures. A Galliwasp, en anglois (voyez Sloane, ibid. ). Dutertre, page 514. Mabouya ou Scinque de terre. Rochefort, page 149. Brochet de terre. Browne, Voyage aux Antilles, page 465. Lacerta media squamosa, curpore et cauda oblongo-subquadratis, auribus majoribus nudis. The Galiey-Wasp. Séba , tome IL, planche 10, fig. 4 et 5. Scinque marin. Le lézard représenté dans le même volume, au n° 6 de la planche 12, paroît être le doré. Séba le croyoït d'Afrique. Au reste , il est bon d'observer que le n° de Séba, indiqué à l’article du Doré, dans la treizième édi- tion de Linnée , représente un tout autre lézard. Gron. mus. 2, planche 75, n° 48. Scincus. DU DORÉ. 349 très commun en Amérique , où il a été appelé, par Rochefort, Brochet de terre, et où il a aussi été nom- mé Mabouya : mais comme le premier de ces noms présente une idée fausse, et que le second a été donne à un autre lézard dont nous avons déjà parlé, et auquel il a été attribué plus généralement, nous préférons la dénomination employée par Linnée. Le doré a beaucoup de rapports, par sa conforma- tion, avec le scinque, et surtout avecle mabouya;ila de même le cou aussi gros que le derrière de la tête ; mais il est ordinairement plus grand, et sa queue est beaucoup plus longue que le corps, au lieu qu'elle est plus courte dans le scinque et dans le mabouya : d’ailleurs la mâchoire supérieure n’est pas plus avancée que l’inférieure, comme dans le scinque ; les ouver- tures des oreilles sont très grandes et garnies à l'in- térieur de petites écailles qui les font paroître un peu festonnées. Ces caractères réunis le séparent de l’es- pèce du scinque et du mabouya; mais il leur res- semble cependant assez pour avoir été comparé à un poisson, comme ces derniers lézards, et particulière- ment pour avoir reçu le nom de Brochet de terre, ainsi que nous venons (le le dire. Il est couvert par dessus et par dessous de petites écailles arrondies, striées et brillantes : ses doigts sont armés d'ongles assez forts; la couleur de son corps est d’un gris argenté, tacheté d'orange, et qui blanchit versles côtés?. Comme celles de tout animal, la vivacité de ses couleurs s’efface lors- qu'il est mort; mais, tandis que la chaleur de la vie 1. Article du Mabouya. 2. Suivant Browne, sa couleur est souvent sale et rayée transversa- lement. Voyez l'endroit déjà cité. 350 HISTOIRE NATURELLE les anime, elles brillent d’un éclat très vif, qui donne une couleur d’or au roux dont il est peint; et c’est de là que vient son nom. Ses couleurs paroissent d'autant plus brillantes que son corps est enduit d'une humeur visqueuse qui fait l’effet d’un vernis luisant. Cette sorte de vernis, joint à la nature de son habitation, l’ont fait appeler Salamandre; mais nous ne regardons comme de vraies salamandres que les lézards qui n'ont pas plus de quatre doigts aux pieds de devant. M. Linnée a écrit qu’on le trouvoit dans l’île de Jersey, près les côtes d'Angleterre ; à la vérné, il cite, à ce sujet, Edwards (tab. 2/5), et le lézard qui y est représenté est très différent du doré. Il vit dans l’île de Chypre : mais c’est principalement en Amérique et aux Antilles qu'il est répandu. Il habite les endroits marécageux!; on le rencontre aussi dans les bois?; ses pattes sont si courtes qu'il ne s’en sert, pour ainsi dire, que pour se traîner, et qu'il rampe comme les serpents, plutôt qu'il ne marche comme les quadrupèdes?. Aussi les lézards dorés déplaisent- ils par leur démarche et par tous leurs mouvements, quoiqu'ils attirent les yeux par l'éclat de leurs écailles et la richesse de leurs couleurs. Mais on les rencontre rarement, ils ne se montrent guère que le soir, temps apparemment où ils cherchent leur proie : ils se tiennent presque toujours cachés dans le fond des cavernes et dans le creux des rochers, d’où il font entendre, pendant la nuit, une sorte de coassement plus fort et plus incommode que celui des crapauds 1. Sloane, vol. II. 2. Browne, à l'endroit déja cité. 3. Rai, Synopsis animalium Quadrupedum, page 269. = DU DORÉ. J9 1 et des grenouilles! Les plus grands ont à peu près quinze pouces de long?. Browne dit qu'il y en a de deux pieds. L'individu que nous avons décrit, et qui est conservé au Cabinet du Roi, à quinze pouces huit lignes de longueur, depuis le bout du museau jusqu’à l'extrémité de la queue, qui est longue de onze pouces une ligne. Les jambes de derrière ont un pouce onze lignes de long; celles de devant sont plus courtes, comme dans les autres lézards. Suivant Sloane, la morsure du doré est regardée comme très venimeuse, et on rapporta à ce naturaliste, que quelqu'un qui avoit été mordu par ce lézard, étoit mort le lendemain. Les habitants des Antilles dirent généralement à Browne, qu'il n’y avoit point d’ani- mal qui pût échapper à la mort, après avoir été mor- du par le doré; mais aucun fait positif, à ce sujet, ne lui fut communiqué par une personne digne de foi. Peut-être est-ce le nom de Salamandre qui a valu au doré, comme au scinque, la réputation d’être veni- meux, d'autant plus qu’il a un peu les habitudes des vraies salamandres, vivant, ainsi que ces lézards, sur terre et dans l’eau. Cette réputation l'aura fait pour- suivre avec acharnement, et c'est de la guerre qu’on lui aura faite, que sera venue la crainte qui l’oblige à fuir devant l'homme. Il paroît aimer les viandes un peu corrompues ; il recherche communément les pe- 1. Raï, Synopsis animalium Quadrupedum, page 269. 2, Rai, ibid. 5. Browne, à l'endroit déjà cité. 4. «Ces animaux, continue Browne, ont les dents courtes, égales > etimmobiles. » Ce qui lui fait penser que leur poison, si réellement ils sont venimeux, est dans leur salive, Browne, à l'endroit déjà cité. 352 HISTOIRE NATURELLE tites espèces de crabes de mer; et la dureté de la croûte qui reyêt ces crabes, ne doit pas l'empêcher de s’en nourrir, son estomac étant entièrement mus- culeux. En tout, cet animal, bien plus nuisible qu’a- vantageux, qui fatigue l'oreille par ses sons, lorsqu'il ne blesse pas les yeux par ses mouvements désagréa- bles, n’a pour lui qu'une vaine richesse de couleurs qu'il dérobe même aux regards, en se tenant dans des retraites obscures, et en ne se montrant que lorsque ie jour s'enfuit. DU TAPAYE. 595 EL Le) obd PH Poe HEBDO BOT 0 DE BOB NMDOO H0-5040 BU 4LO BE EC ES 040 B0 9 LE TAPAYE. Tapaya orbicularis, Firz. — Calotes (A gama) orbi- cularis, Merr. — Lacerta hispida et orbicularis, Lin. — Cordylus hispidus et orbicularis, LATR. — A gama orbicularis, Dawn. Nous conservons à ce lézard le nom de Tapaye que M. Daubenton lui a donné, par contraction du nom Tapayazin, par lequel on le désigne au Mexique et dans la Nouvelle-Espagne. Cet animal, qui a de grands rapports avec le stellion, est remarquable par les pointes aiguës dont son dos est hérissé : son corps, que l’on croiroit gonflé, est presque aussi large que long ; et c'est ce qui lui a fait conserver par Linnée le nom d’orbiculaire. 1| n’a point de bandes transver- 1. Le Tapaye. M. Daubenton, Encyclopédie méthodique, Lac. orbicularis, 23. Linn., Amphib. rept. Lacerta cauda tereti me- diocri, vertice trimuricato abdomine subrotundo. Rai, Synopsis Quadrupedum, page 263. Tapayaxin , seu Lacertus orbicularis. Séba, mus. 1, planche 100, fig. 6. Cordylus hispidus, 79. Laurenti specimen medicum. 554 HISTOIRE NATURELLE sales sous le ventre; la queue est courte, les doigts sont recouverts d'écailles par dessus et par dessous: le fond de la couleur est d’un gris blanc plus ou moins tacheté de brun ou de jaunêtre. Il y a dans cette espèce une variété distinguée par la forme trian- gulaire de la tête, assez semblabie à celle du caméléon, et par une sorte de bouclier qui en couvre le dessus. On a donné aussi le nom de Tapaxin au stellion qui habite en Afrique ; et comme le stellion et le tapaye ont des piquants plus ou moins grands et plus ou moins aigus, il n'est pas surprenant que des voya- eurs aient, à la première vue, donné le même nom à deux animaux assez différents cependant par leur con- formation, pour constituer deux espèces distinctes. Le tapaye n’est point agréable à voir; il a, par la grosseur et presque toutes les proportions de son corps, une assez grande ressemblance avec un cra- paud qui auroit une queue, et qui seroit armé d’ai- guillons. Aussi Séba lui en a-t-il donné le nom : mais sa douceur fait oublier sa difformité, dont l'effet est d’ailleurs diminué par la beauté de ses couleurs. Il semble n'avoir de piquants que pour se défendre; il devient familier ; on peut le manier sans qu'il cherche à mordre ; il a mème l'air de désirer les caresses ; et l'on diroit qu'il se plaît à être tourné et retourné. Il est très sensible dans certaines parties de son corps, comme vers les narines et les yeux, et les voyageurs 1.« B. Lacerta cauda tereti brevi, trunco subgloboso supra muri- cato. » Linn., Amphibia reptilia 122, 25. Séba, mus. 1, planche 85, figures 1, 2. Cordylus orbicularis, 78. Laurenii specimen medicum. DU TAPAYE. Ga assurent que, pour peu qu'on le touche dans ces endroits, on y fait couler le sang. Il habite dans les Y . ° . . ji montagnes. Cet animal, qui ne fait point de mal pen- dant sa vie, est utile après sa mort ; on l’'emploie avec succès en médecine, séché et réduit en poudre. 1. Rai, Synopsis Quadrupedum , page 265. 356 HISTOIRE NATURELLE EE HD 0 STE BEDOBED SOL PETOPOTOPOPETES OS OPETRT ES PEEIE CHE EPODES EP EEL SE EDES BIS SOLE LE STRIÉ": Mabuya quinquelineata, Fitz. — Scincus quinqueli- neatus , SCHNEID., DAUD., LATR., MERrr. LinnéE a le premier parlé de ce lézard, que l’on trouve à la Caroline, et qui lui avoit été envoyé par M. le docteur Garden. La tête de ce quadrupède ovi- pare est marquée de six raies jaunes ; deux entre les yeux, une de chaque côté sur l'œil, et une égale- ment de chaque côté au dessous. Le dos est noirâtre; cinq raies jaunes ou blanchâtres s'étendent depuis la tête jusqu'au milieu de la queue ; le ventre est garni d’écailles, qui se recouvrent comme les tuiles des toits, et forment des stries. La queue est une fois et demie plus longue que le corps, et n’est point étagée. 1. Le Strié. M. Daubenton, Encyclopédie méthodique. Lacerta quinque-lineata, 24. Linn., Systema naturæ , edit. 15. A - Led AEE / LARBRE _3 LE ROQUE = k A dE | de FA B e) [es () Ÿ « [VD] \ A H + Pl2o. DU MARBRÉ. ©Q1 DL N] Loto 08089 500040 8000800000 DE Boo oO DEEE Pod ee Lo EC EC S-ope ECS EE her LE MARBRÉ! Polychrus marmoratus, Murr., Frrz. — Lacerta mar- morata , Larr. — À gama marmorata, Dub. — Le MARBRÉ DE LA GUIANE, Cuv. Le Marbré se trouve en Espagne, en Afrique et dans les grandes Indes. Il est aussi très commun en Amérique; on l'y a nommé très souvent T'emapara, nom qui a été donné dans le même continent à plu- sieurs espèces de lézards , ainsi que nous l’avons déjà vu, et que nous ne conservons à aucune, pour ne pas obscurcir la nomenclature. Il paroît que, dans les deux continents, le voisinage de la zone torride lui est très favorable; sa tête est couverte de grandes écailles ; il a sous la gorge une rangée d’autres écailles plus petites, et relevées en forme de dents, qui s'étend jusque vers la poitrine, et forme une sorte de crête plus sensible dans le mâle que dans la femeïle. Le ventre n'est point couvert de bandes 1. Le Marbré. M. Daubenton,. Encyclopédie méthodique. Lacerta marmorata, 31. Linn., Amphib. rept. Séba, mus. planche 88, fig. 4. Temapara, et 2, planche 96. fig. 4. Edwards av., tabula 245, fig. 2. ©] O1 LACÉPEDE, II, 255 HISTOIRE NATURELLE transversales ; le dessous des cuisses est garni d'un rang de huit ou dix tubercules disposés longitudina- lement, mais moins marqués dans la femelle que dans le mâle. Le marbré a le dessus des ongles noir, ainsi que le galéote. Un de ses caractères distinetifs est d’avoir la queue beaucoup plus longue en pro- portion du corps qu'aucun autre lézard. Un individu de cette espèce, envoyé des grandes Indes au Cabi- net du Roi par M. Sonnerat, a la queue quatre fois plus longue que le corps et la tête. Les écailles dont la queue du marbré est couverte, la font paroître relevée par neuf arêtes longitudinales. La couleur du marbré est verdâtre sur la tête, gri- sâtre, et rayée transversalement de blanc et de noir sur le dessus du corps; elle devient rousse sur les cuisses et les côtés du bas-ventre, où elle est marbrée de blanc et de brun; et l'on voit sur la queue des taches évidées et roussâtres, qui la font paroître tigrée. L'on devroit peut-être rapporter au marbré le lézard d'Afrique , appelé Warral par Shaw, et Gua- ral par Léon. Suivant le premier de ces auteurs, le waral a quelquefois trente pouces de long (apparem- ment en y comprenant la queue) : sa couleur est ordi- nairement d'un rouge fort vif, avec des taches noi- râtres. Ce rouge n’est pas très différent du roux que présente le marbré; d’ailleurs la couleur de ce der- nier ressemble bien plus à celle qu'indique Shaw, que celle des autres lézards d'Afrique. Shaw dit qu'il a observé que toutes les fois que le Warral s'arrête, il frappe contre terre avec sa queue. Cette habitude peut très bien convenir au marbré, qui a la queue DU MARBRÉ. 399 extrêmement longue et déliée, et qui, par consé- quent , peut l’agiter avec facilité, Les Arabes, conti- nue Shaw, racontent fort gravement que toutes les femmes qui sont touchées par le battement de la queue du warral, deviennent stériles. Combien de merveilles n’a-t-on pas attribuées dans tous les pays aux quadrupèdes ovipares! 1. Voyage de Shaw, dans plusieurs provinces de la Barbaric et du Levant, à La Haye, 1745, vol. I, pages 325 et suivantes. 560 HISTOIRE NATURELLE 9 2e M640.#9-F9 500 HILI1ELOLSS-2H0 PIB PO RSBOLS LB BIDS tee Bresse LE ROQUET" Anolis Cepedii, Merr., Firz. — L’ANorrs DES ANTILLES ou Roquer, Cuv. Nous appelons ainsi un lézard de la Martinique qui a été envoyé au Cabinet du Roi, sous le nom d’Ano- lis et de Lézard de jardin. I n’est point le vrai anolis de Rochefort et de Raï, que nous avons cru devoir regarder comme une variété de l’améiva. Ce nom d'Anolis a été plus d'une fois attribué à des espèces différentes l’une de l’autre. Mais si le lézard dont il est question dans cet article , n’a point les caractères dis- tinctifs du véritable anolis ou de l’améiva, il a beau- coup de rapports avec ce dernier animal. Il est semblable au lézard décrit sous le nom de Roquet, par Dutertre et par Rochefort, qui connois- soient bien le vrai anolis, et qui avoient observé l’un et l’autre en vie dans leur pays natal. Nous avons donc 1. Dutertre , vol. Il, page 515. Roquet. Rochelort , Histoire des Antilles, page 147. Roquet. Rai. Synopsis Quadrupedum, page 268. Sloane , vol. Il, planche 255, fig. 4. Lacertus cinereus minor, en angloïs, the least Leght browne , or grey Eizard. DU ROQUET. 165 cru devoir adopter l'opinion de ces deux voyageurs ; et c'est ce qui nous a engagé à lui conserver le nom de Roquet, que Rai lui a aussi donne. Il se rapproche beaucoup, par sa conformation, du lézard gris ; mais il en diffère principalement, en ce que le dessous de son corps n'est point garni d’'écailles plus grandes que les autres, et disposées en bandes transversales. Il ne devient jamais fort grand ; celui qui est au Cabinet du Roi a deux pou- ces et demi de long, sans compter la queue, qui est une fois plus longue que le corps. I! est d’une cou- leur de feuille morte, tachetée de jaune et de noirâ- tre : les yeux sont brillants, et l'ouverture des narines est assez grande; il a, presque en tout, les habitu- des du lézard gris. Il vit comme lui dans les jardins; il est d'autant plus agile, que ses pattes de devant sont longues, et en élevant son corps, augmentent sa légèreté. Il a d’ailleurs les ongles longs et crochus, et par conséquent il doit grimper aisément. Îl Joint à la rapidité des mouvements, l'habitude de tenir toujours la tête haute. Cette attitude distinguée ajoute à la grâce de sa démarche, ou plutôt à l’agrément de sa course , car il ne cesse, pour ainsi dire, de s’élan- cer avec tant de promptitude, que l’on a comparé la vivacité de ses petits bonds , à la vitesse du vol des oiseaux?. Îl aime les lieux humides: on le trouve souvent parmi les pierres, où il se plaît à sauter de l’une sur l’autre $, Soit qu’il coure ou qu'il s'arrête, 1. Le Roquet que Sloane a décrit étoit beaucoup plus petit. Le corps n’avoit qu'un pouce de long , el la queue un pouce et demi. 2. Rai, Synopsis animalium , page 268. 5. Sloane, à l'endroit déjà cité. 362 HISTOIRE NATURELLE il tient sa queue presque toujours relevée au dessus de son dos, comme le lézard de la Caroline, auquel nous avons conservé le nom de Lézard-lion. Il replie même cetle queue, qui est très déliée , de manière à ce qu’elle forme une espèce de cercle. Malgré sa pétu- lance , son caractère est doux : il aime la compagnie de l’homme, comme le lézard gris et le lézard vert. Lorsque ses courses répétées l'ont fatigué, et qu'il a trop chaud, il ouvre la gueule , tire sa langue, qui est très large et fendue à l'extrémité, et demeure pendant quelque temps haletant comme les petits chiens. C’est apparemment cette habitude, qui, jointe à sa queue retroussée, et à sa tête relevée, aura déterminé les voyageurs à lui donner le nom de Lézard Roquet. I] détruit un grand nombre d’insec- tes ; il s'enfonce aisément dans les pelits trous des terrains qu'il fréquente , et lorsqu'il y rencontre de petits œufs de lézards ou de tortues, qui, n'étant revèlus que d’une membrane molle, n'opposent pas une grande résistance à sa dent, on a prétendu qu'il s’en nourrissoiti. Nous avons déjà vu quelque chose de semblable dans l'histoire du lézard gris; et si le roquet présente une plus grande avidité que ce der- nier animal, ne doit-on pas penser qu'elle vient de la vivacité de la chaleur bien plus forte aux Antilles, où il a été observé , que dans les différentes contrées de l’Europe , où l’on a étudié les mœurs du lézard gris ? 1. Voyez, dans le Dictionnaire d'Histoire naturelle de M. Bomare. l'article du Lézard-Roquet. TS —— DU ROUGE-GORGE. 309 COLA ILORIE DEEP PISER SPIP IDOPEE-APIPEP OL ETES SPOLPEPOPOS POP E DO ODOT EE SEE-0T DE ED EG-OE OP LE ROUGE-GORGE". Anolis bullaris, Meur., Frrz. — Anozis DE LA Caro- LINE, Cuv. — Zguana bullaris, Larr. — Anolis punctatus, Daun. LE Rouge-Gorge que l’on voit à la Jamaique , dans les haies et dans les bois, est ordinairement long de six pouces, et de couleur verte; il a au dessous du cou une vésicule globuleuse qu'il gonfle très souvent, particulièrement lorsqu'on l'attaque ou qu’on l’ef- fraie , et qui paroît alors rouge ou couleur de rose. Il n’a point de bandes transversales sur le ventre : la queue est ronde et longue. Sa parure est, comme l’on voit, assez jolie; et c’est avec plaisir qu'on doit regarder l’agréable mélange du beau vert du dessus de son corps avec le rose de sa gorge. 1. Le Rouge-Gorge. M. Daubenton , Encyclopédie méthodique. Lacerta bullaris , 32. Linn., Amph. rept. Catesby, Car. 2, tabula 66. Läcerta viridis jamaicensis. 564 HISTOIRE NATURELLE me EPOPTEOPESL TOGETHER TES EEESEPETES LE GOITREU X. Anolis lineatus, Daun., MErr. — ANozis RAYÉ, Cuv. LE Goîtreux, qui habite au Mexique et dans l’Amé- rique méridionale, présente de belles couleurs, mais moins agréables et moins vives que celles du Rouge- Gorge. Il est d'un gris pâle , relevé sur le corps par des taches brunes, et sur le ventre par des bandes d’un gris foncé. La queue est ronde, longue, anne- lée, d’une couleur livide et verdâtre à son origine. Il a vers la poitrine une espèce de goître dont la surface est couverte de petits grains rougeâtres, et qui s'étend en avant en s’arrondissant , et en formant une très grande bosse. Ce lézard est fort vif, très leste, et si familier, qu'il se promène sans crainte dans les appartements, sur les tables , et même sur les convives. Son attitude est gracieuse , son regard fixe ; il examine tout avec une sorte d'attention ; on croiroit qu'il écoute ce que l'on dit. Il se nourrit de mouches, d'araignées et 1. Le Goitreux. M. Daubenton, Encyclopédie méthodique. Lacerta strumosa, Linn., Amphibia reptilia. Séba, mus. 2, tabula 20, fig. 4. Salamandra mexicana strumosa. LE GOITREUX. 395 d’autres insectes, qu'il avale tout entiers. Les goi- treux grimpent aisément sur les arbres ; ils s’y battent souvent les uns contre les autres. Lorsque deux de ces animaux s'attaquent, c’est toujours avec har- diesse; ils s’avancent avec fierté: ils semblent se menacer en agitant rapidement leurs têtes; leur gorge s’eufle ; leurs yeux étincellent ; ils se saisissent ensuite avec fureur, et se battent avec acharnement. D’au- tres goîireux sont ordinairement spectateurs de leurs combats, et peut-être ces témoins de leurs efforts sont-ils les femelles qui doivent en être le prix. Le plus foible prend la fuite : son ennemi le poursuit vivement, et le dévore s’il l’atteint; mais quelquefois il ne peut le saisir que par la queue, qui se rompt dans sa gueule, et qu'il avale , ce qui donne au lézard vaincu le temps de s'échapper. On rencontre plusieurs goîtreux privés de queue ; il semble que le défaut de cette partie influe sur leur courage, et même sur leur force : ils sont timides, foibles et languissants; il paroît que la queue ne repousse pas toujours, et qu'il se forme un calus à l'endroit où elle a été coupée. Le P. Nicolson, qui a donné plusieurs détails rela- tifs à l’histoire naturelle du goîtreux , l’appelle 4no- lis, nom que l’on a donné à l’améiva et à notre roquet : mais la figure que le P. Nicolson a publiée, prouve que le lézard dont il a parlé est celui dontil est question dans cet article. 1. Essai sur l'Histoire naturelie de Saint-Domingue , par le P. Ni- colson , Paris. 1776, section 5, page 350. 2 —— 366 HISTOIRE NATURELLE 0 90H00 20.50 0 60 DEPOT HO #6 SO Po BP 0060 BE CRT | (| LE TÉGUIXIN: Teius Monitor, Merr. — Monitor Teguixin, Frrz. — Lacerta Teguixin, Lin. — Seps marmoratus . Laur. — Tupinambis Monitor, DAuD. — Le Sauve- GARDE D'AMÉRIQUE , Cuv. LA couleur de ce lézard est blanchâtre, tirant sur le bleu, diversifiée par des bandes d’un gris sombre, et semée de points blancs et ovales. Son corps pré- sente un très grand nombre de stries. La queue se termine en pointe; elle est beaucoup plus longue que le corps ; les écailles qui la couvrent forment des bandes transversales de deux sortes, placées alterna- tivement. Les unes s'étendent en arc sur la partie supérieure de la queue, que les autres bandes entou- rent en entier. Mais ce qui distingue particulièrement le Téguixin, c'est que plusieurs plis obtus et relevés règnent de chaque côté du corps, depuis la tête jus- à. Le Téguixin. M. Daubenton , Encyclopédie méthodique. Lacerta Teguixin, 54. Linn., Amphib. rept. Séba 1. tab. 98, figure 5. Linnée a indiqué la première figure de ia planche 96 du même volume , comme représentant le Téguixin : mais elle représente évidemment le Tupinambis , que l'on a aussi ap- pelé Téguixin. > DU TÉGUIXIN. 367 qu'aux cuisses : on voit aussi trois plis sous la gorge. C’est au Brésil, suivant l’article de Séba, indiqué par Linnée, qu'on trouve ce lézard, dont le nom , OMRO PEUT. , r e ° Téguixin a été donné au Tupinambis par quelques auteurs! 1. Séba, vol. I, page 150. 568 HISTOIRE NATURELLE 16 18 HO DEP PDO POD DEEE GED EDS GB OBS 0 EC EE EE PO OTEPES EE LE TRIANGULAIRE"”. V’aranus Dracæna, MErr. — V'arunus linoticus, Frrz. — Lacerta nilotica, HassecQ., Linn. — Tupinam- bis niloticus, Dawn. — Stellio Salvaguarda et tha- lassinus, Laur. (du sous-genre Monrror de M. Cuv.) C'est dans l'Égypte qu'habite le lézard à queue triangulaire : ce qui le distingue des autres, c’est la forme de pyramide à trois faces que sa longue queue présente à son extrémité. Le long de son dos s'étend une bande formée par quatre rangées d’écailles, qui diffèrent par leur figure de celles qui les avoisinent. Ces détails suffiront pour faire reconnoître ce lézard par ceux qui l’auront sous leurs yeux. Il vit dans des endroits marécageux et voisins du Nil. Îl a beaucoup de rapports dans sa conformation avec le scinque. est M. Hasselquist qui en a parlé le premier. Les Égyptiens ont imaginé un conte bien absurde à l’occasion du Triangulaire : ils ont dit que les œufs : 1. Le Triangulaire. M. Daubenton, Encyclopédie méthodique. Nilotica, 37. Linn., Amphib. rept. Hasselquist. Iüiu. 511, n° 59. DU TRIANGULAIRE. 209 du crocodile renfermoient de vrais crocodiles lors- qu'ils étoient déposés dans l’eau, et qu'ils produi- soient les petits lézards dont il est question dans cet article, lorsqu'au contraire ils étoient pondus sur un terrain sec 1. 1. Hasselquist. Voyage déjà cité. 370 HISTOIRE NATURELLE ob LA DOUBLE-RAÏE”. Scincus punctatus , Scunein., MErr. — Lacerta punc- tata, Lin. — Séellio punctatus , Laur. — Scincus bilineatus, Latr. — Lacerta bilineata, Succow. CE lézard, que l’on rencontre en Asie, est com- munément très petit; la queue est très longue, rela- tivement au corps; deux raies d’un jaune sale s’éten- dent de chaque côté du dos, qui présente d’ailleurs six rangées longitudinales de points noirâtres. Ces points sont aussi répandus sur les pieds et sur la queue, et ils forment six autres lignes sur les côtés : le corps est arrondi et épais. Séba avoit reçu de Cey- lan un individu de cette espèce : suivant cet auteur, les œufs de ce lézard sont de la grosseur d’un petit pois?. :. La Double-Rate. M. Daubenton , Encyclopédie méthodique. Lac. punctata, 38. Linn., Amphib. reptilia. Séba , tome IT, planche 2, fig. 9. Stellio punctatus, 96. Laurenti specinen medicum. 2. Séba , à l'endroit déjà cité. Fr Plax. Quedrup oi 1 LE SPUTATEUR __ 2 LE CECKO A GOUTTELETTES_3 LATRTE PLATE Se DU SPUTATEUR. 971 E 33 ab D 700080 0DEDOS0 PAPROAPEHEPIDAT PIE PETOPOTELEB SE EEE LE SPUTATEUR. Gekko Sputator, Larr., Merr. — Lacerta Sputalor, Sparm. — Séellio Sputator, Scanein. — Anolis Spu- tator, Daup. Nous avons décrit ce lézard d’après un individu envoyé de Saint-Domingue à M. d’Antic, et que ce naturaliste a bieu voulu nous communiquer. Sa lon- sueur totale est de deux pouces, et celle de la queue d’un pouce. Il n’a point de demi-anneaux sous Île corps; toutes ses écailles sont luisantes; la couleur en est blanchâtre sous le ventre, et d’un gris varié de brun foncé sur le corps. Quatre bandes transversales d’un brun presque noir règnent sur la tête et sur le dos; une autre petite bande de la même couleur borde la mâchoire supérieure, et six autres bandes semblables forment comme autant d’anneaux autour de la queue. Il n'y a pas d'ouverture apparente pour les oreilles ; la langue est plate, large et un peu fen- 1. Lucerta Sputator. M. Sparman, Mémoires de l’Académie des Sciences de Stockholm , année 1784, second trimestre, foi. 164. 952 HISTOIRE NATURELLE due à l'extrémité. Le sommet de la tête et le dessus du museau sont blanchâtres, lachetés de noir; les pattes variées de gris, de noir ei de blanc; ilvyaà chaque pied cinq doigts, qui sont garnis par dessous de petites écailles, et terminés par une espèce de pelote ou de petite plaque écailleuse , sans ongle sen- sible. M. Sparman a déjà fait connoître cette espèce de lézard, dont il a trouvé plusieurs individus dans le cabinet d’histoire naturelle de M. le baron de Géer. donné à l’Académie de Stockholm! Ces individus ne diffèrent que très légèrement les uns des autres, par la disposition de leurs taches ou de leurs bandes. Ils avoient été envoyés, en 17955, à M. de Géer par M. Acrelius, qui demeuroit à Philadelphie, et qui les avoit reçus de Saint- Eustache. M. Acrelius écrivit à M. de Géer que le sputateur habite dans les contrées chaudes de l'Amérique; on l’y rencontre dans les maisons, et parini les bois de charpente : on l’y nomme #ood-Slave. Ce lézard ne nuit à personne lorsqu'il n’est point inquiété; mais il ne faut l’observer qu'avec précaution, parce qu'on l'irrite aisément. Il court le long des murs; et si quelqu'un, en s’arrêtant pour le regarder , lui inspire quelque crainte, il s'approche autant qu'il peut de celui qu'il prend pour son ennemi, il le considère avec attention, et lance contre lui une espèce de crachat noir assez venimeux, pour qu'une petite goutte fasse enfler la partie du corps sur laquelle elle tombe. On guérit celte enflure par le moyen de les- 1. Mémoires de l’Académie de Stockholm , à l'endroit déjà cité. DU SPUTATEUR: 375 prit-de-vin ou de l'eau-de-vie avec du sucre , mélés de camphre, dont on se sert aussi en Amérique contre la piqûre des scorpions. Lorsque l'animal s'irrite, on voit quelquefois le crachat noïr se ramasser dans les coins de sa bouche. C’est de la faculté qu’a ce lézard de lancer par sa gueule une humeur veni- meuse, que M. Sparman a tiré le nom de Sputator qu'il lui a donné , et qui signifie cracheur. Nous avons cru ne devoir pas le traduire, mais le remplacer par le mot Sputateur qui le rappelle. Ce lézard ne sort ordinairement de son trou que pendant le jour. M. Sparman a fait dessiner de très petits œuis cen- drés, tachetés de brun et de noir, qu'il a regardés comme ceux du sputateur, parce qu'il les a trouvés dans le même bocal que les individus de cette espèce, qui faisoient partie de la collection de M. le baron de Géer. Nous croyons devoir parler ici d’un petit lézard semblable au sputateur par la grandeur et par la forme. Nous présumons qu'il n’en est qu’une variété, peut-être même dépendante du sexe, Nous l'avons décrit d’après un individu envoyé de Saint-Domin- gue à M. d’Antic avec le sputateur; et ce qui peut faire croire que ces deux lézards habitent presque toujours ensemble, c’est que M. Sparman l’a trouvé dans le même bocal que les sputateurs de la collec- tion de M. de Géer! : aussi ce savant naturaliste pense-t-il comme nous, qu'il n'en est peut-être qu'une variété. L'individu que nous avons décrit a deux pouces deux lignes de longueur totale, et la 1. Mémoires de l’Académie des Sciences de Stockholm, année 1784, second trimestre. LACÉPEDE. IL. 24 374 HISTOIRE NATURELLE queue quatorze lignes; il a, ainsi que le sputateur, le bout des doigts garni de pelotes écailleuses, que nous n'avons remarquées dans aucun autre lézard. Sa couleur, qui est le seul caractère par lequel il dif- fère du sputateur, est assez uniforme ; le dessous du corps est d’un gris sale, mêlé de couleur de chair, et le dessus d’un gris un peu plus foncé, varié par de très petites ondes d’un brun noirâtre, qui forment des raies longitudinales. L'individu décrit par M. Spar- man différoit de celui que nous avons vu, en ce que le bout de la queue étoit dénué d’écailles, apparem- ment par une suite de quelque accident. DU LÉZARD QUETZ-PALÉO. 3 Li 8x doper 946 etape po 4po pape ee DE po de HOQ LE LÉZARD QUETZ-PALÉO. Calotes (Uromastyx) cyclurus, Merr.— Cordylus bra- siliensis, Laur. — Stellio Quetz-Paleo, Daun. — Le FouETTE-QUEUE D'ÉcyrTe, Cuv. Tec est le nom que porte au Brésil cette espèce de lézard, dont M. l'abbé Noilin, directeur des pépi- nières du Roi, a bien voulu m'envoyer un individu. Ce quadrupède ovipare est représenté dans Séba (vol. Z, pl. 97, fig. 4) et M. Laurenti en a fait men- tion sous le nom de Cordyle du Brésil (page 52); mais nous n'avons pas voulu en parler avant d’en avoir vu un individu, et d’avoir pu déterminer nous-mêmes s’ii formoil une espèce ou une variété distincte du cordyle , avec lequel il a beaucoup de rapports, par- ticulièrement par la conformation de sa queue. Nous sommes assurés maintenant qu'il appartient à une es- pèce très différente de celle du cordyle; il n’a point le dos garni d’écailles grandes et carrées, comme le cordyle , ni le ventre couvert de demi-anneaux écail- leux ; il doit donc être compris dans la quatrième di- vision des lézards, tandis que l'espèce du cordyle fait partie de la troisième. Sa tête est aplatie par des- sus, comprimée par les côtés, d’une forme un peu 376 HISTOIRE NATURELLE triangulaire et revêtue de petites écailles! ; celles du dos et du dessus des jambes sont encore plus petites; et comme elles sont placées à côté les unes des autres, elles font paroître la peau chagrinée. Le ventre et le dessous des pattes présentent des écailles un peu plus grandes, mais placées de la même manière et assez dures. Plus de quinze tubercules percés à leur extré- mité garnissent le dessous des cuisses ; d’autres tu- bercules plus élevés, très forts, très pointus, et de grandeurs très inégales, sont répandus sur la face extérieure des jambes de derrière; on en voit aussi quelques uns très durs, mais moins hauts, le long des reins de l’animal et sur les jambes de devant auprès des pieds. La queue de ce lézard est revêlue de très grandes écailles relevées par une arête, très pointues , très piquentes, et disposées en anneaux larges et très dis- tincts les uns des autres. Cette forme, qui lui est commune avec le cordyle, jointe à celle des écailles qui revêtent le dessus et le dessous de son corps, suffisent pour le faire distinguer d'avec les autres lé- zards déja connus. L'individu que M. l'abbé Nollin m'a fait parvenir avoit plus d'un pied cinq pouces de longueur totale, et sa queue étoit longue de plus de huit pouces. Le dessus de son corps étoit gris; le dessous blanchâtre, et la queue d’un brun très foncé. 1. Les dents du Quetz-Paléo sont plus petites à mesure qu’elles sont plus près du museau; j'en ai compté plus de trente à chaque mâchoire ; elles sont assez serrées. DU GECKO. 07 I TT CINQUIÈME DIVISION. 040008 000 900 999999009479 LÉZARDS DONT LES DOIGTS SONT GARNIS PAR DESSOUS DE GRANDES ÉCAILLES, QUI SE RECOUVRENT COMME LES ARDOISES DES TOITS1. LE GECKO”. Gekko verus, Merr. — Larerta Gekko, Lin. — Gekko verticillatus etteres, LaAur.— Gekko guttatus, Du». — Lacerta guttata, HER». DE tous les quadrupèdes ovipares, dont nous publions l'histoire, voici le premier qui paroisse ren- 1. On peut voir, dans la planche qui représente le Gecko, Farran- gement de ces écailles au dessous des doigts. 2. Tockaie, par les Siamois. Le Gecko. M. Daubenton ; Encyclopédie méthodique. Lacerta Gecko, 21. Linn., Amphib. rept. Séba , 1, tab. 108 , fig. 2, 5, 8 et 9. 378 HISTOIRE NATURELLE fermer un poison mortel. Nous n'avons vu, en quel- que sorte, Jusqu'ici les animaux se développer, leurs propriétés augmenter et leurs forces s’accroître, que pour ajouter au nombre des êtres vivants, pour con- trebalancer l’action destructive des éléments et du temps; ici la nature paroît au contraire agir contre elle-même; elle exalte dans un lézard, dont l'espèce n’est que trop féconde, une liqueur corrosive au point de porter la corruption et le dépérissement dans tous les animaux que pénètre cette humeur active; au lieu de sources de reproduction et de vie, on diroit qu'elle ne prépare dans le gecko que des principes de mort et d'anéantissement. Ce lézard funeste , et qui mérite toute notre atten- tion par ses qualités dangereuses, a quelque ressem- blance avec le caméléon ; sa tête, presque triangu- laire, est grande en comparaison du corps; les yeux sont gros; la langue est plate, revêtue de petites écail- les, et le bout en est échancré. Les dents sont aiguës, et si fortes, suivant Bontius, qu'elies peuvent faire impression sur des corps très durs, et même sur l’a- cier. Le gecko est presque entièrement couvert de petites verrues plus ou moins saillantes ; le dessous des cuisses est garni d’un rang de tubercules élevés et creux, comme dans l'iguane, le lézard gris, le lézard vert, l’améiva , le cordyle, le marbré, le Gekko teres , 57. Laurenti specimen medicum. Hasselq. iter. 806. Lacerta Gecko. Gron. mus. 2, page 78, n° 55. Salamandra. Bront.”jav., lib. II, cap. 5, fol. 57. Salamandra india. Jobi Ludolphi alias Leut-Holf dicti, Historia Æthiopica, lib. 1, cap. 15, sect. d. Ejusdem commentarius , fol. 167. DU GÉCKO. 379 galonné, etc. Les pieds sont remarquables par des écailles ovales plus ou moins échancrées dans le mi- lieu, aussi larges que la surface inférieure de ces mêmes doigts, et disposées régulièrement au dessus les unes des autres comme les ardoises ou les tuiles des toits; elles revêtent le dessous des doigts, dont les côtés sont garnis d’une petite membrane , qui en augmente la largeur, sans cependant les réunir. Lin- née dit que le gecko n’a point d'ongles; mais dans tous les individus conservés au Cabinet du Roi, nous avons vu le second, le troisième, le quatrième et le: cinquième doigt de chaque pied, garnis d’un ongle très aigu, très court et très recourbé, ce qui s'accorde fort bien avec l'habitude de grimper qu'a le gecko, ainsi qu'avec la force avec laquelle il s'attache aux divers corps qu’il touche. Il en est donc des lézards comme d’autres animaux bien différents, et par exemple des oiseaux. Les uns ont les doigts des pieds entièrement divisés ; d’autres les ont réunis par une peau plus ou moins lâche; d’autres ramassés en deux paquets, et d’autres enfin ont leurs doigts libres, mais cependant garnis d’une membrane qui en augmente la surface. La queue du gecko est communément un peu plus longue que le corps; quelquefois cependant elle est plus courte : elle est ronde, menue, et couverte d’an- neaux ou bandes circulaires très sensibles; chacune de ces bandes est composée de plusieurs rangs de très petites écailles dans le nombre et dans l’arran- sement desquelles on n’observe aucune régularité, ainsi que nous nous en sommes assurés par la com- paraison de plusieurs individus ; e*est ce qui explique 380 HISTOIRE NATURELLE les différences qu'on a remarquées dans les descrip- tions des naturalistes qui avoient compté trop exac- tement dans un seul individu , les rangs et le nombre de ces très petites écailles. Suivant Bontius , la couleur du gecko est d’un vert clair, tacheté d’un rouge très éclatant. Ce même ob- servateur dit qu'on appelle Gecko le lézard dont nous nous occupons, parce que cemotimite le cri qu'iljette, lorsqu'il doit pleuvoir, surtout vers la fin du jour. On le trouve en Égypte, dans l'Inde , à Amboine , aux autres îles Moluques, etc. Il se tient de préférence dans les creux des arbres à demi pourris, ainsi que dans les endroits humides; on le rencontre aussi quel- quefois dans les maisons, où il inspire une grande frayeur, et où on s’empresse de le faire périr. Bon- tius a écrit en effet que sa morsure est venimeuse, au point que si la partie affectée n’est pas retranchée ou brûlée, on meurt avant peu d'heures. L’attouche- ment seul des pieds du gecko est même très dange- reux, et empoisonne, suivant plusieurs voyageurs, les viandes sur lesquelles il marche : l'on a cru qu'il les infectoit par son urine, que Bontius regarde comme un poison des plus corrosifs; mais ne seroit- ce pas aussi par l'humeur qui peut suinter des tuber- cules creux placés sur la face inférieure de ses cuisses? Son sang et sa salive, ou plutôt une sorte d’écume, une liqueur épaisse et jaune, qui s'épanche de sa bouche lorsqu'il est irrité, ou lorsqu'il éprouve quel- que affection violente, sont regardés de même comme des venins mortels, et Bontius, ainsi que Valentyn, rapportent que les habitants de Java s'en servoient pour empoisonner leurs flèches. DU GECKO. 581 Hasselquist assure aussi que les doigts du gecko répandent un poison; que ce lézard recherche les corps imprégnés de sel marin, el qu'en courant des- sus, il laisse après lui un venin très dangereux. Il vit, au Caire, trois femmes près de mourir pour avoir mangé du fromage récemment salé, et sur iequel un gecko avoit déposé son poison. Îl se convainquit de l’âcreté des exhalaisons des pieds du gecko, en voyant un de ces lézards courir sur la main de quelqu'un qui vouloit le prendre : toute la partie sur laquelle le gecko avoit passé, fut couverte de petites pustules, accompagnées de rougeur, de chaleur, et d’un peu de douleur, comme celles qu’on éprouve quand on a touché des orties. Ce témoignage formel vient à l'appui de ce que Bontius dit avoir vu. 1! paroît donc que , dans les contrées chaudes de l'Inde et de V'É- gypte, les geckos contiennent un poison dangereux, et souvent mortel ; il n’est donc pas surprenant qu’on fuie leur approche, qu'on ne les découvre qu'avec horreur, et qu’on s'efforce de les éloigner ou de les détruire. 1l se pourroit cependant que leurs qualités malfaisantes variassent suivant les pays, les saisons, la nourriture , la force , et l’état des individus. Le gecko, selon Hasselquist, rend un son singu- lier, qui ressemble un peu à celui de la grenouille, et qu'il est surtout facile d'entendre pendant la nuit. il est heureux que ce lézard, dont le venin est si re- doutable, ne soit pas silencieux, comme plusieurs autres quadrupèdes ovipares, et que ses cris très dis- 1. Les Indiens prétendent que la racine de Curcuma (terre mérite ou safran indien) est un très bon remède contre la morsure du Gecko. Bontius, à l'endroit déjà cité. 382 HISTOIRE NATURELLE tincts et particuliers puissent avertir de son approche, et faire éviter ses dangereux poisons. Dès qu'il a plu, il sort de sa retraite: sa démarche est assez lente : il va à la chasse des fourmis et des vers. C’est à tort que Warfbainius a prétendu, dans son livre intitulé Sa- lamandrologia , que les geckos ne pondoient point. Leurs œufs sont ovales, et communément de la gros- seur d’une noisette. On peut en voir la figure dans la planche de Séba, déjà citée. Les femelles ont soin de les couvrir d’un peu de terre, après les avoir dépo- sés; et la chaleur du soleil les fait éclore. Les mathématiciens jésuites, envoyés dansles Indes orientales par Louis XIV, ont décrit et figuré un lé- zard du royaume de Siam, nommé Tockaie, et qui est évidemment le même que le gecko. L’individu qu'ils ont examiné avoit un pied six pouces de long, depuis le bout du museau jusqu’à l'extrémité de la queue. Les Siamois appellent ce lézard Tockaie, pour imiter le cri qu’il jette ; ce qui prouve que le cri de ce quadrupède ovipare est composé de deux sons proférés durement, difhciles à rendre, et que l’on a cherché à exprimer, tantôt par Tockaie, tantôt par Gecko. 1. Mémoires pour servir à l'Histoire naturelle des animaux, t. II, article du Tockaie. DU GECKOTTE. 389 Bpotesebo Dre ES D #09 CLEFS 09 66 IBIES SDS D HEBOIBE HOT EEE HEBESG! LE GECKOTTE. Gekko Stellio, MEerr. — Laceria mauritanica, Linn. — Gekko muricatus, Laur. — Gekko fascicularis, Daup. — LE GEKKO DES MURAILLES, Cuv. — Ascu- labotes fascicularis, Frrz. Nous conservons ce nom à un lézard qui a une si grande ressemblance avec le gecko, qu'il est très diffi- cile de ne pas les confondre l’un avec l’autre, quand on nelesexamine pas de près. Les naturalistes n'ont même indiqué encore aucun des vrais caractères qui les dis- tinguent. Linnée seulement a dit que ces deux lézards ont le même port etla même forme, mais que le Gec- kotte, qu'il appelle le Mauritanique, a la queue éta- gée, et que le gecko ne l’a point. Cette différence n'est réelle que pendant la jeunesse du geckotte; lorsqu'il est un peu âgé, sa queue est au contraire beaucoup moins étagée que celle du gecko. Fr 1. Le Geckotte. M. Daubenton , Encyclopédie méthodique. Lacerta mauritanica, 11. Linn., Amphib. reptilia. Séba, mus. 1, tab. 108 , fig. 1, 5, 4, G et 7. Gecko verticillatus, 56. Gecko muricatus, 58. Laurenti specimen me- dicum. 98/ HISTOIRE NATURELLE Ces deux quadrupèdes ovipares se ressemblent sur- tout par la conformation de leurs pieds. Les doigts du gcckotte sont, comme ceux du gecko, garnis de mem- branes qui ne les réunissent pas, mais qui en élargis- sent la surface ; ils sont également revêtus par dessous d’un rang d’écailles ovales, larges, plus ou moins échancrées, et qui se recouvrent comme les ardoises des toits. Mais en examinant attentivement un grand nombre de geckos et de geckottes de divers pays, con- servés au Cabinet du Roi, nous avons vu que ces deux espèces différoient constamment l’une de l’autre par trois caractères très sensibles. Premièrement, le gec- kotte a le corps plus court et plus épais que le gecko; secondement, il n’a point au dessous des cuisses un rang de tubercules comme le gecko; et troisièmement, sa queue est plus courte et plus grosse. Tant qu'il est encore jeune, elle est recouverte d'écailles chargées chacune d’un tubercule en forme d’aiguillon, et qui, par leurs dispositions, la font paroître garnie d’an- neaux écailleux : mais à mesure que l'animal grandit, les anneaux les plus voisins de l'extrémité de la queue disparoissent ; bientôt il n’en reste plus que quelques uns près de son origine, qui s’oblitèrent enfin comme les autres, de telle sorte que quand l’animal est par- venu à peu près à son entier développement, on n’en voit plus aucun autour de la queue : elle est alors beaucoup plus grosse et plus courte en proportion que dans le premier âge ; et elle n’est plus couverte que de très petites écailles, qui ne présentent aucune apparence d’anneaux. Le geckotte est le seul lézard dans lequel on ait remarqué ce changement successif dans les écailles de la queue. Les tubercules ou aiguil- DU GECKOTTE. 209 lons qui l’a revêtent pendant qu'il est jeune, se re- trouvent sur le corps de ce lézard, ainsi que sur les pattes ; ils sont plus ou moins saillants, et sur cer- taines parties, telles que le derrière de la tête, le cou, et les côtés du corps, ils sont ronds, pointus, entou- rés de tubercules plus petits, et disposés en forme de rosette. Le geckotte habite presque les mêmes pays que le gecko, ce qui empêche de regarder ces deux ani- maux comme deux variétés de la même espèce, pro- duites par une différence de climat. On le trouve dans l'île d'Amboine, dans les Indes et en Barbarie, d'où M. Brander l’a envoyé à Linnée. L'on peut voir au Cabinet du Roi, un très petit quadrupède ovipare, qui y a été adressé sous le nom de lézard de Saint- Domingue ; c’est évidemment un geckotte ; et peut- être cette espèce se trouve-t-elle en effet dans le Nouveau-Monde. On la rencontre vers les contrées tempérées, jusque dans la partie méridionale de la Provence, où elle est très commune. On l'y appelle T'arente , nom qui a été donné au stellion, et à une variété du lézard vert, ainsi que nous l’avons vu. On le trouve dans les masures, et dans les vieilles maisons, où il fuit les endroits frais, bas et humides, et où il se tient communément sous les toits. Il se plaît à une exposition chaude; il aime le soleil : il passe l’hiver dans des fentes et des cre- vasses, sous les tuiles, sans y éprouver cependant un engourdissement parfait ; car lorsqu'on le découvre, 1. Note communiquée par M. Olivier, qui a bien voulu nous faire part des observations qu’il a faites sur les habitudes de cette espèce de lézard. 586 HISTOIRE NATURELLE DU GECKOTTE. il cherche à se sauver en marchant lourdement. Dès les premiers jours du printemps, il sort de sa retraite, et va se réchauffer au soleil; maïs il ne s’écarte pas beaucoup de son trou, et il y rentre au moindre bruit: dans les fortes chaleurs il se meut fort vite, quoiqu'il n'ait jamais l’agilité de plusieurs autres lézards. Il se nourrit principalement d'insectes. Îl se cramponne facilement par le moyen de ses ongles crochus, et des écailles qu’il a sous les pieds; aussi peut-il courir, non seulement le long des murs, mais encore au dessous des planchers, et M. Olivier, que nous ve- nons de citer, l’a vu demeurer immobile pendant très long-Lemps sous la voûte d’une église. à Il ressemble donc au gecko, par ses habitudes au- tant que par sa forme. On a dit qu'il étoit venimeux, peut-être à cause de tous ses rapports avec ce dernier quadrupède ovipare, qui, suivant un très grand nom- bre de voyageurs , répand un poison mortel. M. Oli- vier assure cependant qu'aucune observation ne le prouve, et que ce lézard cherche toujours à s’échap- per lorsqu'on le saisit. Les geckottes ne sortent point de leur trou lorsqu'il doit pleuvoir ; mais jamais ils n’annoncent la pluie par quelques cris, ainsi qu'on l’a dit des geckos ; et M. Oli- vier en a souvent pris avec des pinces, sans qu'ils fis- sent entendre aucun son. FIN DU DEUXIÈME VOLUME. TABLE DES ARTICLES CONTENUS DANS LE DEUXIÈME VOLUME. AvERTISSEMENT de l’Auteur. (1788.). . . . . . . . , . . . . Page 7 Exirait des registres de l’Académie royale des Sciences. . . . 8 HISTOIRE NATURELLE DES QUADRUPÈDES OVIPARES. Discours sur la nature des Quadrupèdes ovipares. . . . . . 17 HesTortues.:s 4 5 +15 St sue RER De tee te Teen 55 Premiere division.— Tortues DE MER.— La Tortue franche. . 63 Ea Tortue Écaille-verte. : : : : + : à à à à: à 20 bd 94 LE CAGE OS PONS en ENT is 97 Ex Tontuemasicorne:-2 014 3 44 2 215 2004 nn ns 108 Her Care Lie SR Re Det nee da M 0 ED MAP 105, Fesbuth4. 59067 -ÉDOMQ BE MIO RD AA ARGR TE RIRNSS 110 Seconde division. — TonTurs D'EAU DOUCE ET PE TERRE. — RasBourbeuse::. ; » #14 2040 eue à 0H 115 Fa Ronde mire L Lune LA AM Riu nn Mae LEMRE 122 Haÿlerrapenemar + : mie GPO CMOS EE Of oi (or: ire 129 FalSerpentine. 2: 5: “0e BR To MDN) de 126 Parhougeñtre nr Ne ren er ere 127 HaPEOHEUE SCOPDION C0 LS. no. 0 128 La Jaune. . . . . lo He Prob Porandil— #0 : 190 La Mollennd 250 19%, ARNO EST AU ee ARR OU GA 152 La Grecque ou la Tortue de terre commune. .. . . .. 166 Variété de khTorine Grecques. tem rio) EN 148 588 TABLE. LaiGéométrique. 1.0.0. ENS OT N RER . -« Page 149 La Raboteuse. . . . . . : . . .. SR A ee + DEN 155 La Dentelée 21e Mie RENE Re 155 LarBombée:kliifeun Ai En AR SNS 156 La Tortue: a/boîtes. rt" # nn 0n rat ee AUS PNA 158 LaïVermillons: vert es PRET RNe ENRREs 160 La Courte- Queue es Se RS MNT MEN 165 LatChagrinées HN RMS 165 LarRoussâtre Cl Te AM ACT ENTER 167 Ha Noiratress 2% Lim Liu AE MCE RS LR UNS AAA PAUSE EAN 168 Des GTA Se 01 ue tels venue ele ere eee ee CE 169 Première division. — Lézarvs dont Ja queue est aplatie et qui ont cinq doigts aux pieds de devant.—Les Grocodiles. . 174 Le Crocodile, ou le Grocodile proprement dit. . . . .. 179 Le’Crocodile noir: 15-50 mm ONE RU NU 215 Le Gavial ; ou le Crocodile à mâchoires allongées. . . . . 216 Le'Fouette-quene 4 "1e uen SE CAM EME ES 220 La Dragonne, : .atie sue JU: ob. sur licuees atite 225 LeTupinambis 15 4e elle ee eme lra a en an 28 236 Le Sourcilleux. . . : . . ATEN ERA ME UE ECS PT A GAL) 23D Ja. Tête-fourchue..xmesl etre de He 238 Le Tiarge-doipts: 0 nee RARE OMR ET 13e DE 240 LeiBimaculés te PR USM SDS Er Me Le MR MIE UE AE 241 He Sillonné: sn ren Men MR ee ler Ne CRE ë 248 Seconde division. — Lézanps qui ont la queue ronde, cinq doigts à chaque pied , et les écailles élevées sur le dos en forme de.crête. — L'Iguane. . ... .,.1. . . 1.1. 244 Be Dézardiconnus 4 RARE TER E RER AMEL 258 ÉeiPasilie Meet HA DE RS APTE. de RPRE 260 LeiPorte-crête. sr RU IL R Eer SPORTS C7 EU 263 Be Galéotes 52202004 00 ROME AE Re SES 267 L'Agame. 00 EM SENS UE à 269 Troisième division. — Lézaurs dont la queue est ronde, qui ont ciny doigls aux pieds de devant, et des bandes écailleuses sous le ventre. — Le Lézard gris. . . . . . . 272 Addition à l'article du Lézard gris, . . . . Mod ihe DUT PS - 280 TABLE 309 HéiDezardivent ne DT One RAT Page 282 PeGordylen trs en. PTS en SNL r es 294 L’Hexagone.. . . . . . . . . . . . . . NRA ROUTE 296 VAN Eva Ne ee es CN es SUR ARS ARR En er Rae 297 LAON EME 0e NCA NUE nAnn ras a rent 302 PelGalonnentie MU NEA DAS AS NA AN Ur 304 Habhéte-rouges one eee Ne MEN NCA NU LNt 306 Quatrième division. — Lézarrs qui ont cinq doigts aux pieds de devant, sans bandes transversales sous le corps. — erCaméléons 2200 Mae DEN Pt PR NeA en ee 308 PnQueue-bleuet M ENCRES) JEUNES 327 RATE CUS AE EPA re CM AGE LA 329 PE RGTLISO NA Se PA UNE SE AS AU AQU AG nt 330 HUM Dre Re ME ANR MPa) aa TE ANT in AUS 351 LES 1 9 HOT OR TRS PURE A A 362 ESRI FT AB PECNEEERR ARE MARIE EEE AU NA 554 PerStelion ne Re NAN ve tIN sn RATER 336 PeSCMQUeN Tee Ce eee Eee ent 939 PerMabonva ne Re RC een Ars Rare 343 Le Doré... ONCE AE SIREN AO Sn LE Nbr 348 HerRapayes AR CT NC ONE NN SA NES 55€ ILE CO ECS RS RE Re A ER EE cs EN 2€ LEMaEDre nt en OM CM en ae I RRQ Lt OR Sn te 355 PeROQUel PCR ONE SSSR ess Rte ATEe 360 ÉcRouve-rornes ARR) ANNE NRA Ress 365 HeGOtTEUX: re NE IA Di tee EAU Get ARE 264 MERRÉDUITIN 0 LEON At pen NAME ARR EL REA 366 PeDREANGUIAITe 2.2.8 ER NS NON lNel ere 368 HasDoublesraie. » 90e AU MA ei ANT EU 970 HefSputatetteee 20 20 Eos de Ale AN Are 871 Pelbézard Ouetzpaléo. |A) Sn nrenur se 979 Cinquième division. — Lézanps dont les doigts sont garnis par dessous de grandes écailles, qui se recouvrent comme les ardoïses des toits. — Le Gecko. . . . . . . . , . . 377 FetGecrottie 00 ERP near tnt ET PNNn PANNE 283 FIN DE LA TABLE. LACÉPEDE, Il, Le [Sy] À Ts 2 MU LENS : LT | Fe # AE tone: x dites sb Fequt M vit EF RE É a" L Lu x j 4 UT PR TT LT a Sr” PART UN 0 ni: à + PRET ” h + % AR Uw LR hrs: 2 a Lt Lo jar Ms 1; en ix:60b mis! HÉGAUTIRA A0 “LE 1 CUiEE) FONIMIFONTA de derge 4 @nfTte À PORTANT PRET AY DUT dt t = de 1 ” 3 "+ ne à Un SIA Ÿ … èytà Ne \ ne RME EAN JRvLS ONIAN INSTITUTION LIBRARIES = an 3 9088 00713 4976