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BOOK 208. 1.L1 19 V.8 c 1 LACORDAIRE # OEUVRES DU R P H D LACORDAIRE
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ŒUVRES
DU
H.-D. LACORDAIRE
TOME VIll
XOTÏCES ET PAXÉGYRÏOUES
PARIS LIBRAIRIE V^^ CH. POUSSIELGUE
RUE CASSETTE, 15
ŒUVRES
DU
P. HENRIDOMLMQUE LACORDAIRE
DE L ORDRE DES FRERES PRECHEURS
TOME YIII
PROPRIETE D K
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C^
ŒUVRES COIYIPLETES DU P. LACORDAIRE
Précédées d'une notice sur sa vie.
!i vol. iu-S" : oii Ir. — Les nuMiies, 9 vol. in-12 : 30 fr.
On vinl séparément :
Vie de saint Doniiniquo. hi-12, avec portrait tome I-"- des Œuvres) 3 »
Conférences prèchées à paris (ISoo-i85l) et à Toulouse. .5 vol. in-12
(tomes 11 à VI des Œuvres'' 20 »
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IVotices et Panéa'yrl([ue.S. Iu-12 (tome VUl des Œuvres). . . . 3 »
Mélang-es. ln-L2 i lome IX des Œ.u\res) 3 »
Notice sur le P. Lacordaire. 1q-12 0 30
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in-32 encadré 1 2.5
Sainte 3Iarie-Madeleine. Joli volume ia-32 encadré i 25
Pensées choisies, extraites des œuvres et publiées sous la direction du
P. Chocarne. 10' édit. 2 volumes in-32 encadré 3 »
Lectures choisies : L'Éslise — Jésus-Christ — Les Vertus. — 3 volumes
in-o2 allongé, tex'e encadré. Chacun 2 »
OEUVRES POSTHUxVIES
Lettres à M^Ma baronne de Prailly. hi 8» 7 »
Le même ocvk.age. In-12 3 73
Lettres à Th. Foisset. 2 volumes in-8« 12 30
Lettres inédites. In-S» 7 »
Sermons, Instructions et Allocutions, Notices, Textes, Fragments, Analyses.
Tome I". Sermons (182.5-1849). hi-S» 7 »
Tome II. Sermons 1830-1856) Instructions données à l'école de Sorèze
(1854-1861!. In-8» . ■ 7 »
Tome m. Allocutions, ln-8" 6 »
Le même ouvrage. Tome {". 4" édition, ln-12 3 73
Tome 11. 4*= étUtion. In-i2 3 73
Tome III. Allocutions et écrits divers. S» édition. In-i2 .... 3 75
Conférences de Nancy (1842-1843) publiées par le P. Tripier
2 A^olumes in-12 .' 6 fr.
NOTICES
ET
PANÉGYRIQUES
13?
t,^
PAR
LE P. HENRI-DOMLMQUE LAGORDAIRE
DES FRÈRES PRÊCHEURS MEMBRE DE l'aCADÉMIE FRANÇAISE
PARIS
LIBRAIRIE V^« GH. POUSSIELGUE
RUE CASSETTE, 15
1905
NOTICE FUNEBRE
MARC-RENÉ COMTE DE MONTALEiMBEUT
VIU. — i
NOTICE FUNEBRE
MARC- RENÉ COMTE DE MONTALEMBERT
La foule des hommes de ce temps se partage en deux classes : les esclaves du pouvoir et ceux de la popularité. Les uns ont dit à la couronne : N'etes- vous pas Dieu? Les autres ont dit au peuple : C'est *oi qui es le maître. Et quand les adorateurs de ce double symbole de la servitude se retirent des af- faires publiques par ordre de la mort, ils s'en vont avec un peu de bruit que fait sur leur cercueil la faveur populaire ou celle des cours. Mais s'il est par hasard un citoyen qui ait été indépendant des partis dans sa carrière politique , celui-là meurt sans éloge après avoir vécu sans honte, et ses restes s'en vont en si- lence attendre la seule justice qui ne manque jamais. Tel fui un homme dont lescathoHques ne pourraient sans ingratitude abandonner la mémoire, puisqu'il a le premier défendu leur cause à la tribune , en la
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mêlant à celle de la liberté. Les catholiques doivenf trop à deux générations de cette race , pour ne pas désirer connaître le chevalier chrétien qui vint tout à coup, après que le trône se fut séparé d'eux , prê- ter une voix courageuse à leurs droits , et qui voulait plus que jamais leur consacrer sa vie lorsque Dieu le rappela. J'acquitterai, si je peux, la délie des ca- IhoUques.
Marc-René-Anne-Marie, comte de Montalembert, pair de France, colonel d'infanlerie, né à Paris en 1777, était issu d'une ancienne et illustre maison du Poitou. C'était d'un de ses ancêtres, célèbre par l'hé- roïque défense de Landrecies et de Thérouanne , que François l^^ disait : « Nous sommes quatre gentils- hommes de la Guienne qui combatlons en lice contre tous allants et venants de la France : moi , Sansac, Montalembert et laChâtaigneraye. » L'éclat de cette maison s'éteignit à l'avènement des Bourbons au trône, lorsque la noblesse, achevant de perdre la place qu'elle avait occupée dans la monarchie, se divisa en deux parts : l'une qui vint chercher à la cour l'illustration de la faveur, l'autre qui préféra vivre obscure dans les provinces, et y conserver, par l'indépendance des mœurs privées , une image des temps passés. La famille de Montalembert fut de celles qui aimèrent mieux confier l'honneur de lei»r nom au toit paternel qu'aux antichambres des rois, étant plus propre, comme on l'avait dit d'André de Montalembert, nomir^i premier gentilhomme de la chambre par François P"", à donner la camisade à l'ennemi qu'une chemise au roi.
Sous Louis XIV, cependant, les Montalembert eurent une occasion d'élever leur fortune aussi haut que leur nom. M°^^ de Maintenon avait eu pour aïeule Louise de Montalembert, Glle de Jean de Mon- talembert, tué à la bataille de Coutras, en 1587. On sait que M"^ de Maintenon désirait ardemment in- troduire à la cour quelqu'un de sa famille qui pût l'honorer plus que ne le faisait son frère le marquis d'Aubigné. Elle songea à la maison de Montalem- bert, et offrit à celui qui en était alors le chef de venir à Versailles, où elle se chargeait de sa fortune. L'offre ne fut pas acceptée , et ce sang généreux con- tinua à couler pour le pays dans des grades obscurs. Il reprit de lui-même son éclat par les services mili- taires et diplomatiques que le marquis de Monta- lembert, oncle de celui que nous regrettons, rendit à la France pendant la guerre de Sept ans, et par l'invention du nouveau système de la fortiflcaiion perpendiculaire. Il était, en 1802, année de sa mort, le doyen de l'Académie des sciences et des généraux français.
La famille de Montalembert n'avait quitté que très-tard le sol de la France, à l'époque de la révo- lution; elle ne consentit à ce funeste adieu qu'en 1792. Le jeune René, dont nous esquissons la vie, avait alors quinze ans. Il suivit sa famille, sans savoir ce qu'on perd en s'éloignant de la patrie, si injuste qu'elle soit, et combien sont longs les chemin?: qui y ramènent, surtout quand on la fuit à un âge ou le cœur ne discerne pas bien encore ce que c'est qu'un ciel étranger. Il devait en voir beaucoup avant
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de se reposer sous celui de la France. Des arrêts de mort lui fermèrent le retour pendant plusieurs an- nées, et, lorsque la gloire impériale rouvrit les portes de la France, il ne voulut point passer par ces fourches caudines de l'exil. Son départ avait été in- nocent ; mais puisque le sort de sa famille en avait fait un banni, il était bien de ne pas accepter de mi- séricorde, et de prendre au mot la fortune de ses pères. Il faut savoir dans le monde, et surtout dans les temps de révolution, ramasser le gant qui tombe à nos pieds; il n'en est pas qui ne puisse être relevé avec honneur. Si vous êtes banni, soyez banni, et que Dieu vous garde!
René de Montalembert commença par être capi- taine dans la légion d'émigrés que commandait son père, dont elle portait le nom. Elle fut licenciée en 1799. 11 obtint alors du service dans l'armée anglaise, où les connaissances militaires qu'il avait acquises sous le général français Jarry le firent promptement distinguer. Attaché à l'élat-major de son régiment, il fut envoyé avec lui en Egypte, et plus tard aux grandes Indes, en 1804. Là du moins il ne trouva pas la gloire de son pays écrite sur le sable et sur des pyramides, pour lui rappeler à tout moment quelle patrie il avait perdue. Après quatre années de séjour dans les Indes, il revint en Europe. Il fut em- ployé dans l'état-major du duc de Wellington, pen- dant les campagnes de 1808 et de 1809 , en Portugal et en Espagne. 11 prit part aussi à l'expédition de Walcheren, comme chef d'état- major d'une di- vision.
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Vingt-deux ans s'étaient écoulés dans ces fortunes diverses, mais où l'exil se retrouvait toujours, lors- que M. de Montalembert alla, de la part du prince régent, annoncer dans Hartwell, à Louis XVIII, son rétablissement sur le trône de France. C'était finir heureusement une longue émigration, que de recou- vrer en un même jour une patrie, et de porter une couronne à l'ancienne famille de ses rois. M. de Mon- talembert , revenu en France après vingt-deux ans de séjour chez les nations étrangères, se trouva aussi à l'aise dans l'air de son pays que s'il l'eût toujours respiré. Il y entra sans haine, sans y retrouver le moindre débris du patrimoine de ses aïeux, et, quoi- qu'il semblât que son rôle naturel fut d'y combattre la liberté, il ne sortit jamais de sa bouche, dès qu'il put l'ouvrir à la tribune, une parole dont la liberté eût à se plaindre, et qui ne fût celle d'un homme ini- tié par l'expérience et par un cœur droit dans une science où les victimes des révolutions profitent ra- rement. Sa carrière se ressentit decette indépendance, qui alla croissant jusqu'à la fin, et qu'on ne devait pas attendre d'un émigré si opiniâtre, d'un soldat qui s'était trouvé dans des rangs ennemis de la France. Mais il était de ce sang qui n'avait pu sup- porter le joug des cours, et, avec la môme franchise qu'il avait mené la vie d'un proscrit qui ne connaît plus que Dieu et son épée , il accepta de toute son âme les devoirs d'un citoyen, dès qu'il en eut repris les droits. Louis XVIII lui donna le grade de colonel dans l'armée française, la croix de Saint-Louis, celle d'officier delà Légion d'honneur, et le nomma se-
cond secrétaire d'ambassade à Londres. A Tépoque des Cent-Jours , il fut envoyé deux fois à Bordeaux : la première, pour veiller au départ de M™® la du- chesse d'Angoulême; la seconde fois, avec trois fré- gates et plusieurs transports, pour aider à soumettre les restes du parti de Napoléon dans le Midi. C'é- taient de nouveaux liens envers une famille destinée à mettre encore à l'épreuve de l'infortune ses servi- teurs. M. de Montalembert retourna à Londres en qua- lité de premier secrétaire d'ambassade. Louis XVIII, qui connaissait son attachement et qui aimait ses opinions constitutionnelles, le fit, au mois de juil- let 1816, son ministre plénipotentiaire près la cour de Stuttgard , et l'éleva, le 5 mars 1819, à la dignité de pair de France. Nous allons le voir dans cette carrière de la pairie, où il a siégé douze ans au milieu des vicissitudes de l'opinion , sans cesser un seul jour d'honorer les siennes, quoiqu'il soit difficile, en de si grands changements, de rester toujours su- périeur à la séduction de tout ce qui se passe autour de nous.
Le début de M. de Montalembert à la Chambre fut aussi noble qu'heureux. C'était en 1820. Il avait été nommé ministre plénipotentiaire près la cour de, Danemark, et se disposait à partir pour Copenhague. Des lois d'exception gouvernaient alors la France , à cause du meurtre récent de l'infortuné duc de Berri, triste épitaphe qu'on avait gravée là sur sa tombe pour y être un signe de salut, comme si la société se sauvait par un prétendu bannissement de six mois imposé au mal. On pensait ainsi dans ce temps-là.
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M. de Monlalembert ne partageait pas ces pensées frivoles, et, étant monté à la tribune pour défendre les prérogatives de la pairie à l'égard de la contrainte par corps, il termina ainsi son discours : « Dans peu de jours je quitterai la France, peut-être pour plu- sieurs années. Qu'il me soit permis, avant de des- cendre de cette tribune , de former un vœu, celui de retrouver à mon retour la pairie intacte dans sa di- gnité comme dans son honneur, et la France délivrée des lois d'exception, jouissant enfin de la plénitude de ses libertés conslitutionnelles (1). » Après ce vœu, M. de Montalembert descendit de la tribune, où il avait paru pour la première fois; mais il ne quitta point la France. Rayé de la liste des ambassadeurs par le ministère de MM. de Richelieu et Pasquier , il demeura six années sans emploi : ce sont ces six années qui forment la première partie de sa carrière législative.
Nous remarquons principalement les discours qu'il prononça, dans cet intervalle, sur les questions de la guerre d'Espagne, de la septennalité, de l'indem- nité et des substitutions.
Il considéra la. guerre d'Espagne comme nécessaire pour rétablir la prépondérance de la monarchie fran- çaise , en ralliant autour de la victoire tous nos vieux soldats, et nous créant sur le Rhin, pour la sécurité des Pyrénées, une force capable d'arrêter l'am.bition du Nord. « Qui vous assure, s'écriait-il , que le suc- cesseur d'Alexandre héritera de sa modération comme
(1) Séance de la Chambre des pairs, du 10 juillet 1820.
-io- de sa puissance, de ses vues pacifiques comme de son empire? Qui vous dit que son génie, au contraire, ses goûts, ses inclinations, ne le pousseront pas vers les conquêtes? Qui vous dit surtout que ces huit cent mille soldats dont nous a parlé M. le ministre des affaires étrangères, cessant d'être comprimés par une main également ferme et prudente, ne deman- deront pas à grands cris et du soleil et des mers , bienfaits que la nature a refusés à leurs vastes soli- tudes, et sans lesquels il n'est pas de jouissances pour une nation civilisée? Qui pourra alors s'opposer à ce torrent dévastateur? Sera-ce l'Autriche? la Prusse? la Confédération germanique? Vain espoir/ Prenez la carte de l'Europe : voyez le bastion me- naçant que forme la Pologne. Les Russes, dans leur première attaque , couperont l'Allemagne par le centre, et ils s'établiront sur le Rhin avant la fin de la première campagne. Qui pourra donc les arrêter (1)? » Ce devait être ce bastion menaçant de la Pologne qui effrayait M. de Montalembert. Il est devenu, en effet, le bastion de l'Europe contre la Russie, et si la Providence ne l'eût jeté tout à coup entre le succes- seur d'Alexandre et le successeur de Charles X, entre la barbarie et la liberté, ce n'est pas sur le Rhin que la Russie eût rencontré sa perte, malgré la voix élo- quente qui nous invitait naguère à prendre un baptême de gloire dans le fleuve qui baigne la for- teresse de Mayence (2). Le point de vue de politique
(1) Séance de la Chambre des pairs , du 18 mars 1823. {2} Discours de M. de Montalembert, le 29 mars 1831.
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générale où s'élait placé le noble comte pour envisa- ger la guerre d'Espagne, fut trouvé froid par l'esprit de parti, quoiqu'il se fût plaint que le ministère n'eût pas levé une armée assez formidable pour l'accom- plissement de ses projets, et qu'il eût dit : « Puisque nous avons passé les Pyrénées, il faut pouvoir aller jusqu'aux colonnes d'Hercule; quand la France tire l'épée, elle doit la tirer tout entière (1).» Ce mot peint le caractère du noble comte ; il ne fut jamais à demi ce qu'il était, ni gentilhomme, ni émigré, ni pair de France , et quand le sentiment de la foi , qu'il n'avait perdu en aucun temps, se fut réchauffé une fois dans son cœur par le spectacle de la religion abandonnée des rois, et par de douces sympathies de famille, il devint si fervent catholique, qu'on l'eût pris pour un de ses ancêtres ressuscité d'un tombeau des croi- sades.
Il vota pour le renouvellement septennal de la Chambre des députés, parce qu'il était persuadé, d'une part, que les trois pouvoirs avaient le droit de changer un article de la Charte, et qu'il croyait, d'une autre part, la septennalité nécessaire pour in- vestir la seconde Chambre législative d'une autorité plus stable, moins sujette aux variations produites par les intrigues électorales. Et veut -on savoir ce qu'il entendait par les intrigues électorales? Qu'on écoute ce fier langage tenu en 1824, au temps de la toute- puissance de M. de Villèle : « Je veux parler des manœuvres odieuses pratiquées par des agents
(i) Séance de la Chambre des pairs, du 30 avril 1823
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subalternes du pouvoir; manœuvres dont tout le monde a connaissance , et dont l'opinion a déjà fait justice. Encore deux ou trois élections influencées d'une pareille manière , et les fonctionnaires publics tombent dans la dégradation, et le gouvernement re- présentatif devient une véritable dérision. Ah ! dans ces jours de dépendance universelle, et de tendance générale vers la servilité; dans ces jours où l'égoïsme, la vanité, le besoin de jouissances nous portent sans cesse à sacrifier les droits les plus nobles, et à déshé- riter notre postérité des biens les plus précieux, car en peut-il exister de plus inappréciables que les droits politiques, éloignons, Messieurs, éloignons les époques de nos élections; donnons -nous le temps de former quelque indépendance héréditaire dans les idées comme dans les fortunes de nos fa- milles. Laissons passer cette soif de distinctions éphémères, cette manie de cordons de toutes les couleurs et de tous les pays : triste héritage du der- nier gouvernement (1)! » Je ne sais si je me trompe, mais ce vote me paraît plus honorable que s'il eût été plus conforme à la Charte. Il y avait là une triple indépendance : l'indépendance de la popu- larité, du pouvoir et des idées. Ajoutons que M. de Montalembert voulait abaisser de dix ans l'âge des éligibles, et qu'il regardait cette mesure comme essentiellement liée à celle de la septenna- lité (2).
(1) Séance de la Chambre des pairs, du 4 mai 1824. {2j Discours de M. de Montalembert, du 30 mars 182a
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M. de Montalembert vota encore en faveur de la loi tendant à indemniser les anciens propriétaires de biens -fonds confisqués et vendus au profit de l'Etat pendant la révolution. Il la jugea propre à éteindre les haines, et à faire disparaître la distinc- tion fâcheuse que l'opinion s'obstinait à maintenir entre les propriétés patrimoniales et nationales. Il y était d'ailleurs personnellement désintéressé. Si un amendement qu'il proposa eût été admis, les héritiers du sang eussent seuls joui du bénéfice de l'indemnité, et les lois imprescriptibles du droit na- turel eussent triomphé des règles étroites du droit civil.
Mais, parmi les projets de loi que soutint le noble pair, il n'en est aucun qui fut accueilli avec plus de marques d'impopularité que le projet sur le droit de primogéniture et les substitutions, et il n'en est au- cun sur lequel il ait développé des vues plus géné- rales, plus élevées, avec une mesure aussi supérieure à l'esprit de parti , qu'il obligea de respecter sa pa- role, tant elle eut l'accent de la conscience, et sem- blait inspirée parla hberté. Il établit que nos lois sur les successions n'étaient compatibles qu'avec le régime républicain et le régime absolu, et que la monarchie constitutionnelle périrait si elle n'était appuyée sur le droit de primogéniture uni au droit limité des substitutions. « Je ne vois, disait-il, et ne puis voir dans le morcellement illimité du sol, et dans ses désastreuses conséquences , que des élé- ments de servilité ou d'anarchie, de despotisme ou de républicanisme ; et certes , Messieurs , ce ne sera
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point avec de tels éléments que nous pourrons nous flatter de transmettre à nos enfants les nobles et pré- cieuses institutions que nous devons au plus sage des rois. Nous tomberons dans la servitude ou dans le chaos révolutionnaire; la chute est inévitable. Chose incompréhensible! nous voulons des libertés, des institutions, des garanties, des limites au pouvoir ministériel, et nous conservons bien soigneusement une législation qui établit parmi nous une quantité de petits propriétaires, bien indigents, bien exclu- sivement occupés de leurs nécessités domestiques. Nous voulons être forts contre l'arbitraire, et nous chérissons cette désespérante subdivision du sol qui, pour me servir de la pensée d'un orateur de l'autre Chambre (M. Royer-GoUard) , relègue tristement chacun de nous au fond de sa faiblesse indivi- duelle. Ignorons- nous donc qu'un peuple courbé sous les exigences du morcellement illimité , dissé- miné, éparpillé sur des morceaux de terre, n'est et ne peut être que la propriété des agents du fisc et des fonctionnaires salariés? Si ce peuple a des droits, s'il a des institutions, ce sont des simulacres; car il ne peut ni exercer les uns ni conserver les autres. Remarquez, Messieurs, une étrange et bi- garre inconséquence. De toutes parts on entend les partisans du partage à l'infini de la propriété fon- cière s'élever en même temps contre la centralisa- tion; demander, comme l'a fait un noble pair (M. le comte de Mole), l'organisation des communes, une loi municipale. Mais un morr.ent de réflexion ne de- vrait-il pas suffire pour leur démontrer que la cen-
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iralisation, ce fléau du gouvernement représentatif, est la conséquence inévitable du morcellement de le propriété foncière, de la disparition du patrimoine des familles? Dans un pays où on ne trouve que des individus sans consistance politique, des fortunes temporaires, accidentelles, des existences éphé- mères et sans influence locale; je le demande , dans |un tel pays, comment espérer autre chose qu'un 'système de centralisation et de bureaucratie (1)? » iNous aimons mieux citer ces paroles que de les tra- iduire; elles initient le lecteur dans le secret d'une Ivie politique qui n'a été que trop promptement ter- lOiinée, mais qui, en laissant des regrets, n'a laissé e souvenir d'aucune contradiction. Il est facile de voir où le noble comte a puisé les élans vigou- reux et les principes indépendants qui l'ont re- commandé à l'attention publique pendant le cours de la dernière session , lorsque la publicité des séances de la Chambre des pairs, qu'il avait tou- jours réclamée , permit au pays d'entendre sa voix.
Un amour si persévérant de la liberté, un langage si ferme et sincère, ne plurent pas au pouvoir. M. dft Montalembert s'aperçut souvent qu'on ne se souve- nait plus de ses services ni de son long exil , et il laissa un jour s'échapper cette douleur de son âme, avec l'accent d'une résignation touchante : « Émi- gré, rentré en France à l'époque delà Restauration, ayant perdu père et mère dans l'exil, il me semblait pouvoir espérer que mes opinions politiques seraient
(1} Séance de la Chambre des pairs, du 30 mars 1826.
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à l'abri de fausses interprétalions; rexpérience m'a démontré le contraire. Nous vivons dans un temps où les antécédents comptent pour peu de chose. Ce que les passions demandent avant tout , et elles ont encore un grand empire parmi nous . c'est une abné- gation complète de son indépendance, une soumis- sion aveugle aux idées dominantes du moment, dussent -elles nous pveeipitcr dans Vabnne (1). » Hélas 1 Tabîme s'est ouvert. Celui qui avait annoncé à Louis XV 111 son rétablissement sur le trône de ses aïeux a vu tomber ce trône antique encore une fois, et, descendu bientôt lui-même au lieu où tous les exilés se retrouvent , il n'a point porté d'heu-^ reuses nouvelles à la famille de saint Louis.
Soit que ce^i plaintes eussent été entendues, que le pouvoir de M. de Villèle penchât vers chute, en iS26 le comte de Montalembert ren dans la carrière diplomatique par sa nominatio au poste de ministre plénipotentiaire à Stockholm 11 s'y rendit en 1S27. Un cruel malheur le ramena sur la terre de France, au mois d'octobre 1829 ; il n'y revit plus sa tille. 11 lui avait donné, sous le cie du nord . un baiser que son front ne devait plus re- cevoir, quoique ce front n'eût encore que quinze ans. C^e coup accabla le malheureux père. Son âme accoutumée à prendre tout avec énergie , prit ainsi la mort dès qu'il l'eut rencontrée sur son chemin, & il ne sortit du tombeau de sa fille que pour entre dans le sien. Un changement total s'opéra dans sj
il] SétBC» de îa Clïambre des p*irs. du 14 avril l^S.
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vie : la musique, le dessin, les arts, le monde, tout ce qu'il avait aimé et qui le rendait d'un commerce infiniment aimable, ne fut plus qu'une distraction importune jetée çà et là entre lui et sa fille bien- \ aimée. Il se retira de la société pour ne plus vivr \ qu'auprès de sa femme et de ses deux fils, avec la [pensée profonde de la relidon et de la mort: et quand éclata, comme un coup de foudre, la chute i d'un trône dont il avait partagé vingt- deux ans la i longue misère, il sentit ce je ne sais quoi d'un homme I de forte trempe dont Dieu brise les liens, qui accepte 1 le défi, et se prépare à remplir sans peur la dernière ! part de sa mission. Que les jugements de la foule ' sont insensés! Quand envoyait naguère à la tribune î cet homme indépendant jeter ses paroles comme elles lui venaient, hardies, accentuées, toujours I généreuses, mais avec quelque chose de sauvage ou d'inculte, avouant sans détour qu'il ne pensait plus comme il avait pensé autrefois, quoiqu'il y eût au fond de ses idées politiques une rare harmonie, on ne savait qu'accuser en lui. ou l'imprudence, ou l'habileté de l'orateur, moins grande que son âme. Hélas ! c'étaient les derniers sons de cette âme qui se sentait brisée avant le temps , et qui , éclairée d'une lumière nouvelle sur le cercueil de sa fille et sur les ruines de cinquante ans , parlait sans tenir compte des hommes , disait la vérité avec une sorte de désespoir, avec la crainte douloureuse que la pa- trie ne rendît pas justice aux efforts d'un homme dont elle n'avait pas connu la jeunesse , et dont la mort allait lui cacher les dernières intentions. Il ne
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découvrit qu'au bout de sa carrière le parti auquel il avait appartenu toute sa vie. Solitaire jusque-là dans ses opinions, il ne savait pas se dire à lui-même dans quelle classe politique il fallait le ranger, lors- que la bannière de la liberté se leva à côté de celle de Dieu en Belgique , en France et en Pologne. Il com,prit alors ce qu'il était, il jugea son existence tout entière, et s'expliqua le destin des rois. Je n'ai pas vu vivant l'homme dont je raconte les pensées aux catholiques. Mais , quoique je ne l'aie pas connu, je puis raconter ses pensées : je les ai lues dans une âme qui ne trompa jamais ni Dieu ni les hommes.
La monarchie avait donc failli : la terre foulée par tant de rois puissants avait manqué sous les pieds de leurs pelits-fils. M. de Montalembert, qui n'était en France qu'en vertu d'un congé, fut révoqué de ses fonctions d'ambassadeur. Il prêta serment au nouveau chef de l'État , le 10 août 1830, sans dire d'autres paroles que celles-ci : « Je le jure. » Depuis ce moment il ne cessa de paraître à la tribune pour y défendre par l'énergie de sa parole tous les droits de la France, ses libertés, son honneur, sa gloire, tout ce qui était juste et grand. [1 ne laissa passer! aucune parole honteuse sans la relever, aucune loi illibérale sans la combattre, aucune réclamation constitutionnelle sans la soutenir. Il était toujours là; il parla plusieurs fois seul sur les affaires enle- vées aux délibérations par la rapidité des scrutins. Seul il éleva la voix en faveur de la Pologne; il n'est descendu de la tribune des pairs sur ce malheureux
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pays d'autres encouragements que ceux qui tom- bèrent de sa bouche. Les interruptions fréquentes qu'il éprouvait, les soulèvements de la Chambre ne le découragèrent jamais; il reparaissait le lende- main plus fort que la veille. Tous les organes de l'opinion s'étonnaient de tant d'activité et de con- stance dans un homme qui ne s'était montré jusque- là que de loin en loin à la tribune, et ils ne com- prenaient pas quel était le ressort secret de cette subite exaltation. Quoique le souvenir de ses der- niers travaux soit encore présent à tous les esprits, du moins à l'esprit des catholiques , qu'il nous soit permis de rappeler brièvement les plus re- marquables. L'ordre chronologique n'est pas ce- lui de l'éloquence , mais c'est quelquefois celui du cœur.
I Le 11 août 1830, la Chambre s'occupait de Ta- Idresse au roi. M. de Montalembert, tandis que tout tremblait encore devant le peuple, demanda qu'on ine parlât au roi de la France qu'en ces termes : La \France monarchique et cunstitutyomielle.
Le 18 septembre, il faisait l'éloge de la loi qui lattribuait au jury la connaissance des délits de la presse, et rappelait la constance de ses attaques contre la censure.
Le 29 décembre , il prononçait un excellent dis- jcours contre la confiscation du fonds commun de ll'indemnité , et demandait la suspension de cette mesure jusqu'au moment de la guerre.
Le 24 février 1831 , il voulait que les colonels et lieutenants - colonoU de la garde nationale fussent
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nommés par l'élection, et non par le roi. Il attribuait la chute de tous les gouvernements passés à la non- intervention du peuple dans ses affaires.
Le i^^ mars, discours contre la formation d'une légion étrangère à l'intérieur, dans la crainte qu'elle ne favorisât le despotisme. — Éloge intrépide de la conquête d'Alger, reproches énergiques au gouver- nement sur son ingratitude à l'égard des vainqueurs; de l'Afrique.
Le 2 mars, M. de Montalembert s'oppose à ce qu'on discute en séance secrète l'adresse au roi sur les lamentables événements de février.
Le 3 mars, il attaque seul l'ensemble de la loi municipale et la centralisation, demande le suffrage universel et l'élection des maires, a C'est surtout,, dit -il, dans l'organisation de la commune que l'in- tervention des masses doit avoir lieu. C'est là où il faut se hâter de l'établir. C'est là où il faut planter non l'arbre de la liberté, mais le principe de l'élec- tion dans toute sa plénitude. » — Le même jour, il flétrissait les traités de 1815, et parlait pour la pre- mière fois de la Pologne.
Le 8 mars , il défend la pétition de V Agence gé- nérale en faveur de la liberté d'enseignement, et termine ainsi son discours : « Comme Français et catholiques, nous demandons, nous exigeons même, puisque tel est notre droit , la hberté de l'enseigne- ment pour tous. Cette liberté est indispensable au bonheur de nos familles, au maintien de l'autorité paternelle, et, pour ma part, je ne cesserai de la réclamer aussi longtemps que j'aurai un siège et
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ine voix dans cette enceinte. » L'infortuné ne s'as- siéra plus sur ce siège, et sa voix ne s'élèvera plus in faveur des catholiques ; mais les catholiques n'ou- Dheront jamais celui qui fut Jeur défenseur, et se léclara hautement leur frère.
Le 22 mars , à propos de la loi sur les crédits extraordinaires, le noble comte examine la politique lu ministère à l'extérieur, qui se réduisait depuis >ix mois à être fort avec les faibles, et faible avec es forts. Il s'indigne contre les traités de 1815, les Drotocoles de Londres, la lâcheté ministérielle à 'égard de la Pologne , et s'écrie : « La Pologne sanglante, abandonnée, mourante dans les convul- dons d'une longue agonie, apparaît à mon imagi- lation... La France connaît ceux qui ont paralysé >on bras; elle connaît ceux qui ont étouffé la mani- éstation de ses vœux pour un peuple de guerriers }ui a partagé toutes ses gloires et toutes ses infor- unes. Oui, elle les connaît, et elle ne leur pardon- lera jamais. Je n'hésite point à le dire, la plus grande faute du cabinet français a été l'abandon de a Pologne ; faute immense dans ses conséquences , rréparable dans ses résultats. En effet, le rétablis- sement de la Pologne a été reconnu par tous les partis, par toutes les opinions, comme une des grandes nécessités de l'époque. Eh bien 1 Dieu lui- nême relève cette barrière ! Dieu relève cette grande et généreuse nation polonaise, comme pour doubler nos forces et protéger l'Europe, et nous l'abandonnons 1 Et nous ne voyons pas que sa ruine servira d'un pont de sang pour arriver jusqu'à nous ! »
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Le 29 mars , il s'élève avec énergie contre la loi sur la procédure des délits de la presse qui enlève aux prévenus la garantie d'une instruction préa- lable, contre le système général du gouvernement, et contre la spoliation des lorêLs en particulier.
Le 30 mars, M. de Montalembert discute la loi électorale, réclame le suffrage universel, et provi- soirement l'abaissement du cens à cinquante francs, qui eût au moins donné quinze cent mille électeurs pour un peuple de trente millions d'hommes.
Le 18 avril, le noble pair parla pour l'avant-der- nière fois. Son discours roula sur la position géné- rale delà France en Europe, sur les moyens qu'on eût pu employer pour obtenir une glorieuse paix, au lieu de sacrifier l'honneur à la crainte d'une guerre devenue inévitable, parce qu'on n'arrête pas ia guerre avec la lâcheté. Le maréchal Mortier, qui se trouvait au pied de la tribune, lui ayant reproché d'être trop passionné: « Oui, je le suis, répondit-il, je suis passionné pour la gloire et l'honneur de mon pays. » Il ne savait pas encore quelle funèbre preuve il donnerait bientôt de la sincérité et de l'ardeur de cette passion.
Le lendemain, il prit encore la parole : ce fut pour- faire écarter la proposition de mettre hors la loi française la branche aînée des Bourbons. Après avoir rendu ce témoignage d'un ancien amour à des princes malheureux , terminant ainsi sa carrière comme il l'avait commencée , il tomba bientôt ma- lade, et ne se releva plus. Sa maladie était, d'après l'opinion unanime des médecins, le produit d'un
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travail excessif et d'une application trop étrangère à la vie précédente de l'orateur. La complication de ses ailaires domestiques vint ajouter à toutes ces agitations. La pensée de l'humiliation de son pays le dévorait aussi. Son organisation , quelque forte qu'elle fût, ne put résistera de si rudes épreuves; la sève de la vie fut épuisée par ce dévouement sans relâche et sans fruit.
Soit que la mort de sa fille bien- aimée lui eût ré- vélé la sienne , soit que Dieu éclaire ses serviteurs aux approches de leur fin, M. de Montalembert an- nonça, dès le premier jour, que sa maladie était mortelle, et toute sa pensée se tourna vers l'éter- nité. 11 ne la ramenait du ciel que pour entretenir sa famille du sort qu'il lui laissait, se fiant à la Providence du soin de le remplacer, interrogeant son fils d'une voix chaque jour plus faible et plus rare sur les affaires des catholiques; et quand l'es- pérance de la vie le reprenait, ce qui arriva surtout quand il n'y avait plus d'espérance , il disait des choses infiniment touchantes sur la vie chrétienne qu'il voulait mener avec son fils. Il communia avec la plus fervente piété. La mort étant proche, il fai- sait un effort pour demander encore une fois le pain ie la vie , qu'il ne pouvait déjà plus porter, et un léger égarement se mêlant à sa pensée, qui errait parmi tout ce qu'il avait aimé, il priait son fils de venir communier avec lui. Son âme luttait tous les jours entre le souvenir de sa fille enlevée à quinze ans, et famour infini qu'il portait aux débris de sa famille. Cet amour l'eût sauvé s'il avait pu fêlre.
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Mais la voix de sa fille fut plus puissante au fond de sa tombe que la parole de ceux qui étaient restés; il s'en alla, par une pente naturelle, vers le cer- cueil : il y avait bientôt deux ans qu'il n'avait em- brassé sa fille. Pourtant depuis trois jours on avait conçu un plus grand espoir, la maladie avait sus- pendu son activité, lorsque le 20 juin, à trois heures de l'après-midi, une crise violente se manifesta. Le malade repoussa doucement les remèdes, en di- sant : (( Je mourrai ce soir par l'ordre de Dieu. » Sur le soir, il reçut le dernier sacrement des chré- tiens, et quand l'aurore du lendemain se leva, ses yeux ne pouvaient plus voir que la lumière de l'é- ternité. 11 avait vu celle du monde cinquante- trois ans.
Telle a été la vie du comte René de Montalem- bert. Longtemps étranger à la France, inconnu du peuple , ignorant les cours , la solitude aurait envi- ronné d'un peu d'amertume la fin de sa carrière, si le malheur et la religion n'avaient élevé son âme bien au - dessus des illusions de la faveur. Il re- cueillit en secret, dans les derniers temps, des té- moignages d'estime dont la vérité touchante l'eût consolé, s'il avait eu regret aux sympathies éphé- mères des partis. Un grand nombre de bons citoyens qui lui étaient inconnus lui adressèrent, des divers points de la France , des félicitations que sa famille conservera parmi ses titres de noblesse. Les catho- liques encouragèrent aussi ses généreux combats pour leur cause. Ce n'est pas qu'il partageât toutes nos opinions : il avait conservé pour une famille
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exilée un inlérêL encore plus tendre que le nôtre, soil à cause de notre âge plus jeune, soit parce que la foi nous retirait davantage des hommes. Il était aussi profondément attaché aux ruines de l'aristo- cratie ; il les regardait comme sacrées, comme les reliques des siècles anciens protégeant les siècles nouveaux, et il n'avait vu qu'avec peine nos attaques contre la Chambre des pairs , dont il avait toujours défendu l'honneur. Si la Chambre avait suivi ses conseils et imité ses exemples, peut-être aujourd'hui elle aurait une autre part dans toutes les destinées de la France. Mais je dois ici m'arrêter, me souve- nant que j'écris la vie du premier pair catholique de l'ère nouvelle : c'est le nom que nous lui garde- rons dans notre mémoire , si nous ne sommes pas ingrats envers lui ; il renferme l'idée de tout ce qu'il aima, la religion, la liberté et l'honneur héré- ditaire.
Avant de quitter sa tombe, je la regarderai encore une fois, je veux voir l'écusson du chevalier chré- -ien. C'est la croix des croisades. Longtemps elle ivait été sans légende, ayant assez de gloire pour :e taire, jusqu'au jour où, dans l'exil, une noble modestie y grava ces mots : Cecidi, sed surgam. Ilette double prophétie commence à s'accomplir : a croix se relève, et le nom de l'exilé a désormais, lans le souvenir des catholiques, une durable gran- leur.
PANEGYRIQUE
DU
B. FOURIER
PRONONCÉ DANS L'ÉGLISE DE MATTAINGOURT LE 7 JUILLET 1853
PANÉGYRIQUE
OU
B. FOURIER
Lumen ad revelationem gentium. Une grande lumière pour la révéla- tion des peuples (1).
Éminence (2) , Messeigneurs (3) , Mes Frères,
Lorsqu'on ouvre pour la première fois l'histoire du bienheureux Fourier, l'esprit éprouve une sorte d'incertitude et de travail. Il ne discerne pas tout d'abord le véritable caractère de cette belle figure ; il se demande ce que fut l'homme dont les traits
(1) Saint Luc, chap. ii, vers. 32.
(2) S. E. le cardinal archevêque de Besançon.
(3] Nosseigneurs les Évêques de Saint-Dié, de Langres, dd Nancy, de Metz, de Strasbourg et de Verdun.
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passent devant lui. Car Fourier a touché à tout dans les choses de Dieu. Pasteur d âmes, fondateur d'un ordre , réformateur d'un autre , mêlé aux con- seils de son prince et de son pays, il a rassemblé dans sa personne des souvenirs qui suffiraient à plusieurs vies illustres, et l'on ne sait entre tant d'œuvres et tant de vertus comment distinguer le dessein principal de la Providence sur lui. Toute- fois , à mesure que l'on avance dans la contempla- tion de cette physionomie féconde , on reconnaît où gît le mystère de son unité. Fourier n'appartient pas à la rare lignée des grands fondateurs d'ordre ; demeuré au-dessous de saint Benoît, de saint Dominique, de saint François d'Assise, il n'égale pas non plus saint Bernard dans la renaissance d'un institut tombé : sa prédestination plus vaste ne lui permit pas de fonder ni de réformer comme eux , et sa gloire plus disséminée apparaît moins splen- dide dans le point où se concentre la leur. Que fut -il donc? De quel nom propre l'appeler? Quelle couronne déposer sur ce front qui en porta plu- sieurs ?
Si je ne me trompe, mes frères, Fourier fut un saint prêtre : c'est là le mot qui résume sa vie, qui en explique la variété et en forme l'unité. Il fut un j saint prêtre, et lorsque la Providence marqua ici son tombeau , près des âmes dont il avait été qua- rante ans le pasteur, plutôt qu'en des lieux magni- fiques, où il eût reposé sous la garde d'autres prières et d'une autre admiration, elle nous révéla, ce semble, le vrai caractère de son serviteur. Pour- '
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tant ce prêtre modeste, caché tant d'années au pres- bytère d'un pauvre village, fut initié aux plus hautiî secrets de son temps; il connut le cœur des princes, et décida par ses conseils des destinées de son pays. On le vit même souffrir des maux qui ne sont ré- servés qu'aux grands de la terre, et mourant dans l'exil après avoir vécu sous le chaume, on put le prendre pour un de ces vieux Romains qui pas- saient de la charrue au consulat, et du commande- ment à l'adversité. Nous ne saurions , mes frères , négliger ce point singulier de sa vie : Fourier fut à la fois un saint prêtre et un grand citoyen. C'est sous ce double aspect qu'il nous faut le considérer, voir d'abord en lui le don de Dieu par excellence, le sacerdoce, puis de là redescendre peut-être, mais sans que l'homme ni sa vertu s'abaissent avec les choses, tous deux, le sacerdoce et la patrie, le prêtre et le citoyen , se prêtant au sein de Dieu le secours réciproque, quoique divers, de leur majesté. Il est difficile d'être un saint, mais il est difficile aussi de les louer. Je prie Dieu , qui nous a réunis sur cette tombe , de bénir mes paroles , de les rendre dignes de l'homme dont nous céJébrons la mémoire, dignes de cette assemblée et des princes de l'Églis') qui sont venus la présider.
Si nous voulons savoir ce que c'est que le sacer- doce dont nous allons étudier un si remarquable
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exemplaire , il importe que nous en recherchions la source ; car on ne connaît bien une chose qu'en pé- nétrant jusqu'au principe d'où elle tire son être et son cours. Or Dieu seul, qui est le principe de tout, l'est aussi du sacerdoce : mais en quelle manière , à quelle heure, dans quel but? Le sacerdoce est-il un mystère des temps ou de l'éternité? Est -il ne de ce premier acte par lequel Dieu s'est donné dans son propre sein un Fils inséparable de lui ? Non : car, en se donnant un Fils, Dieu est devenu père et le principe de toute paternité , mais non pas prêtre. Est-ce dans cet autre acte par lequel, pos- sédant déjà son Fils, il évoqua au fond de sa sub- stance l'expression vivante et distincte de l'amour qui les unit l'un à l'autre? Non : car, en produisant au dedans de lui-même le Saint-Esprit, Dieu devint inspirateur et le père de toute inspiration, mais non pas prêtre. Est-ce enfin dans ce troisième acte, lors- que, satisfait de son intime et éternelle fécondité, il lui plut de la répandre au dehors, dans l'espace et le temps? Non; car, par la création. Dieu devint Seigneur et le principe de toute seigneurie ou domination, mais non pas prêtre. Je vois donc se révéler dans les trois premiers actes divins le père et le principe de toute paternité, l'inspirateur et le principe de toute inspiration , le Seigneur et le principe de toute domination : mais c'est en vaii) que j'y cherche l'origine de cette autre chose mystérieuse et sacrée que nous appelons le sa- cerdoce. Or David ouvre ainsi l'un de ses psaumes : Le
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Seigneur a dit à mon Seigneur (1). — 0 Prophète, •ju'est-ce que le Seigneur a dit à ton Seigneur? — Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Assieds-loi à ma droite y jusqu'à ce que je fasse de tes ennemis r escabeau de tes pieds.,. Le Seigneur Va juré, et il ne s'en repentira jamais (2). — 0 Prophète, qu'est- ce que le Seigneur a juré, et à qui a-t-il juré? Pour- quoi cette solennelle allocution, et d'où vient ce ser- ment, le premier de tous, ce serment tombé delà bouche de Dieu lui-même? Le Prophète nous l'ap- prend : c'est à son propre Fils que Dieu parle, à son Fils engendré de son sein avant V aurore (3) ; c'est à lui qu'il jure, et ce qu'il lui jure, écoutez -le : Tu es Sacerdos in œternum : — Tu es Prêtre éternelle- ment (4). Voilà le commencement du sacerdoce, la première goutte de ce fleuve d'où devait sortir le bienheureux Fourier, et si vous me demandez com- ment s'ouvrit ce mystère entre Dieu et son Fils , quelle en fut la cause, David nous le dira encore; il nous dira la parole qui précéda dans le Fils la pa- role et le serment du Père. Écoutez celle-ci après avoir écouté celle-là : Holocaulomala pro peccato non tihi placuerunt , tune dixi : Ecce venio : — Les holocaustes offerts par l'homme pour expier S07i crime ne vous ont pas plu, alors j'ai dit : Me voici, je viens (5). Le sacerdoce est né de cette parole du
(1) Psaume cix, vers. 1.
(2) Ibid., vers. 1 et 4.
(3) Ibid., vers. 3.
(4) Ibid., vers. 4.
(5) Saint Paul aux Hébreux, chap. x, vers. 6 et 7.
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Fils acceptée par le Père; il est né d'un sacrifice commencé dsins le ciel , achevé dans le monde , per- pétué en tous ceux qui veulent devenir une portion de la victime pour obtenir une part dans la puissance de l'holocauste.
Oui, le sacerdoce est une immolation de l'homme njoutée à celle de Dieu, et celui-là y est appelé qui sent dans son cœur le prix et la beauté des âmes. Quiconque, ici -bas, sous l'enveloppe douloureuse qui nous presse et nous obscurcit, reconnaît l'image immortelle de Dieu; quiconque y discerne, malgré lo péché, la ruine et la désolation, un tel et si cher f objet d'amour qu'il en voudrait mourir, celui-là porte ' clans un vase fragile un grand trésor. Il est du sang qui se verse pour le salut; il entend quelque part, plus haut que toute chose, cette douce et pénétrante parole : Tu es sacerdos in œternum : — Tu es prêtre élernellement.
Il n'y a pas d'âge exclu de cet appel des forts ; ve- nant de l'éternité, l'éternité supplée ce qui manque à l'enfant pour l'entendre, au vieillard pour y ré- pondre : mais si aucun âge n'est exclu , il en est un qui est préféré. La jeunesse plus qu'aucun autre est sensible à la voix de Dieu ; comme sur une fron- tière où tout se rencontre , les passions y touchent aux vertus , et l'abîme du sacrifice y naît souvent , comme en Augustin , de l'abîme des voluptés. Il arrive même que la jeunesse s'épanouit dans l'in- nocence, et qu'une chair sans tache s'y unit à la vir- ginité d'une foi qui n'a pas connu d'ombre et d'é- preuve. L'œil seul de Dieu sait ce qu'il aime le
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mieux , du jeune homme qui n'a jamais failli ou du jeune homme qui a retrouvé l'honneur et l'amour dans l'expérience du mal.
Né en Lorraine, vers le milieu du xvi^ siècle, en un temps de discordes civiles et religieuses, Fouricr fut de ceux dont la jeunesse est un holocauste pré- maturé. 11 ne connut de l'enfance que le honheur d'ignorer ce qu'il est douloureux de savoir, et dès que lâge, sans ôter à son front la beauté de l'ado- lescent, lui eut apporté la certitude de ne point agir avec précipitation, il annonça son dessein de consa- crer sa vie à Dieu dans le sacerdoce.
Mais il ne suffit pas d'être appelé, ni même de ré- pondre : il faut se rendre digne. Toute grandeur suppose une préparation initiatrice, et, bien que chaque année de Fourier, soit dans les langes de la famille , soit dans la hberté des écoles, eût été mar- quée d'un progrès qui le conduisait sûrement au seuil de sa prédestination; cependant, parvenu à ce vestibule redouté, il s'arrêta pour entrer dans le sanctuaire avec plus de crainte de lui-même et plus ide respect pour Dieu. La première épreuve fut de son choix. 11 pouvait s'ouvrir le chemin du sacer- doce par la voie ordinaire, c'est-à-dire en s'attachant au clergé de son diocèse naturel; il ne le voulut pas. La vie commune lui apparut dans l'Église comme la grande route des vertus sacerdotales, de même qu'elle est dans la société humaine, par la famille, la grande route des vertus de l'homme et du citoyen. L'isolement nous livre à la merci de nos idées, de aos goûts, de nos faiblesses; il nous ôte l'occasion de
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Fourier, qui avait eu de bonne heure le génie de la vertu autant qu'il en avait le courage, aspira donc à la vie commune dès qu'il eut aspiré au sacerdoce. Mais où chercher, où prendre cette vie? Des ordres nouveaux illustraient alors l'Église , et il semblait j naturel qu'un jeune homme ardent se précipitât de ce côte : il ne le fit point. Il choisit, à l'étonnementl général, une congrégalion ancienne déshonorée pari son relâchement. Fut-ce simplicité d'une âme qui nci soupçonne pas le mal, ou bien l'erreur d'un dévoue-
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ment qui se sacrifiait à une institution perdue? Nous croyons que Fourier obéiL à un mouvement qui n'é- tait ni celui de l'ignorance ni celui d'un projet anti- cipé de réformation : il entra chez les chanoines ré- guliers de Saint-Augustin, parce que c'était un corps voué de sa nature au ministère des âmes, et qui lui représentait le mieux, sous le nom et la règle d'un grand évêque, la vie du clergé primitif. Il y avait hardiesse peut-être à confier une vertu de vingt ans entre des mains qui ne lui promettaient qu'un joug 'sans énergie; mais l'homme de bonne volonté, sous june règle sainte par elle-même, trouve toujours 'plus d'appui que dans la solitude et la liberté de :Son propre cœur.
Après que le noviciat eut révélé aux supérieurs du jeune Fourier le trésor qui s'était donné à eux, il fui envoyé à l'université de Pont- à -Mousson pour s'y livrer à l'étude de la science divine, seconde prépa- ration nécessaire au prêtre, qui est le dépositaire et 'organe des oracles de Dieu. Fourier retrouvait à Pont-à- Mousson les souvenirs de sa jeunesse , ce emps écoulé où les lettres l'avaient initié aux beau- és de la pensée, où il avait appris de l'histoire à îonnaître les hommes et la Providence, et où sa aison , mûrie dans les spéculations de la haute sa- gesse, se délassait ensuite en interrogeant la nature )our lui dérober ses lois. Il retrouvait encore à Pont- -Mousson des maîtres et des amis , restes précieux les beaux jours de la vie, d'autant plus chers à l'âme [u'on les a mieux mérités. Mais le passé, si pur qu'il ût , descendait en présence de l'avenir. Fourier s'é-
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tait séparé du monde : les lettres, l'histoire, la phi- losophie, l'amitié même, quoique toujours divine, n'étaient plus que les degrés de cette ascension mystérieuse qui l'avait porté jusqu'au sommet de la croix pour y être , avec le Sauveur des hommes , victime et rédempteur. Tout devenait grand et grave : la science de Dieu connu par sa parole rem- plaçait toute autre science, et demandait au dis- ciple de plus hautes méditations dans de plus aus- tères années. Fourier ne s'y méprit pas. Il n'estima point que son éducation fût accomplie, et que la foi, '^suffisante au salut du chrétien, fût suffisante au prêtre qui doit enseigner le salut. Il connut que le prêtre n'est jamais trop puissant théologien, et il s'attacha, pour le devenir, à deux livres : la Bible, qui contient la parole de Dieu, et la Somme de saint Thomas d'Aquin, qui est la plus profonde expres- sion du génie théologique de l'Église. Il puisait dans la Bible l'onction intérieure de la vérité qu'au- cun autre livre ne peut communiquer aussi ardem- ment, et la Somme, qui le trouvait embrasé des feux du Saint-Esprit, lui ouvrait ensuite ces vastes perspectives où la raison et la foi conjurées lui expliquaient tout l'ordre des choses divines. C'étai là qu'il revenait toujours; car le temps manque à l'homme , et il a besoin de rencontrer quelque part une flamme qui l'éclairé et ne s'éteigne plus, une moisson qui le nourrisse et ne se sèche jamais Fourier rentra dans le cloître au sortir de Pont-à- Mousson, venant au-devant de la troisième épreuve qui devait achever en lui l'initiation sacerdotale e
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mettre à sa vertu le dernier sceau. Jusque-là on l'avait aimé. Dans sa famille, au banc de l'école, il avait obtenu l'affection qu'une jeunesse aimable appelle naturellement. Mais parvenu à la virilité de l'âge et du bien, son exemple effraya ceux qu'il avait choisis pour collègues de sa vie : ils ne purent supporter la splendeur d'une régularité qui accu- sait leur dissolution. Fourier devint un ennemi. Il connut l'envie, la haine, la fureur, d'autant plus puissantes qu'elles sont davantage contre nature et qu'elles sortent de cœurs où la charité doit le plus impérieusement régner. La persécution est presque toujours le signe d'une grandeur à venir ou le com- imencement d'une grandeur passée. Elle prépare ou consomme; elle est à la vie morale ce que la poésie [est au style. La poésie, en resserrant l'expression de la pensée dans un champ exact et mesuré , la fait ijailUr jusqu'aux extrêmes limites du beau ; la per- sécution, en tombant sur une âme forte, la détache du monde sans la briser, et la porte vers Dieu.
Fourier avait trente-deux ans, dont près de douze s'étaient écoulés depuis son entrée aux chanoines réguliers de Saint -Augustin. Il avait reçu, chemin faisant, l'onction sacerdotale : il était prêt. C'est une grande heure que celle où un homme est prêt. Des âmes inconnues de Fourier attendaient la sienne : la sienne était prête pour la leur.
Je dis des âmes : car à la différence du Fils de Dieu qui vint pour toutes les âmes, nul après lui ne vient que pour un certain nombre , marquées aux pages secrètes d'une réciproque prédestination.
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On offrit le choix à Fourier entre trois béné- fices : c'était le langage du temps. Le monde croyait peut-être que par ces bénéfices on entendait l'a- vantage extérieur attaché à la possession d'une église, et j'ignore s'il en était ainsi ; mais, devant Dieu, le bénéfice, ce sont les âmes. Tant qu'il y aura des âmes données à une autre âme pour les i bénir et les gouverner dans la vie de Dieu , il y i aura des bénéfices, et on ne saurait en imaginer j de plus grands. Les rois de la terre reçoivent des : empires, ils ne reçoivent pas des âmes; leur béné- | fice n est rien devant celui du plus pauvre curé de | village.
On offrit donc à Fourier trois bénéfices , deux ;; riches de domaines et d'honneurs , le troisième pauvre, obscur, au fond d'une campagne dont les j habitants étaient infectés d'hérésie ou plongés dans cette indifférence qui emprunte des conditions infé- rieures de l'esprit un caractère aussi obstiné que: douloureux. Ce troisième bénéfice, vous le devinez, mes Frères, c'était l'église même où je vous parle, c'était Mattaincourt, lieu voisin de celui où Fourier avait reçu la vie, et dont il connaissait à fond la mi--J sère spirituelle. Il l'accepta de préférence aux deux autres, parce que c'était un séjour modeste en même temps qu'une paroisse désolée; il ne crut pas que trente -deux ans de préparation dans la science et la vertu fussent de trop pour cette petite part des âmes que Dieu lui donnait, et il en prit possession avec une joie que tempérait l'humiUté. Dans ce vaste] empire dont Jésus- Christ est le chef, il avait un
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royaume, petit, il est vrai, mais plus grand encore qu'il ne convient à un homme; et lorsque du haut des collines de sa chère paroisse, il en regardait les toits et les champs, son cœur s'exhalait en tendresse el en reconnaissance d'avoir élé jugé digne de parler de Dieu à des âmes. Il les épousait au fond de la sienne, leur promeltant à voix basse la fidélité, et de ne plus rien chercher en ce monde qu'elles seules, elles seules suffisant aux biens et aux maux de sa vie. 0 beau jour des fiançailles sacerdotales ! Heu- reux le prêtre qui vous a sincèrement connu ! Heu- reux le prêtre qui comme Saiil, quand il était petit à ses propres yeux, comme David paissant les trou- peaux de son père , comme Rulh ramassant les épis sous les pieds de Booz, s'est dit avec joie, en consi- dérant son troupeau : Hœc sors tua joarsque men- surœ tuœ : — Ceci est ton sort et ton fartage en Israël pour jamais<»[\) !
Mais une fois passé ce premier moment de ravis- sement, commence pour le prêtre la douloureuse :ache de purifier les âmes, de les éclairer, de les élever, de les tirer de la foi au monde pour leur lonner celle de Dieu par Jésus-Christ. Tâche pleine IJl'angoisses et de retours, qui tantôt faisait dire à haint Paul , qu'il se sentait pris du dégoût de nvre (2), tantôt le contraignait d'avouer que la coU' olalion abondait en lui (3), tantôt enfin que la joie
(1) Jérémie, chap. xiii, vers. 25
(2) IP Épître aux Corinthiens, ciiap. i, vers. 8.
(3) Ibid., vers. 5.
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et la tribulation se surpassaient Vune Vautre dans son cœur (1). C'est que de tous les travaux de l'homme, si même c'est un travail de l'homme, le plus accablant pour ses forces est de convertir les âmes : les âmes! ce double abîme où les élévations de l'orgueil appellent les abaissements de la volupté, où l'esprit se console de la révolte des sens en se ré- voltant lui-même contre Dieu. Vous jugez bien, mes Frères, qu'un pauvre prêtre ne peut entrer en lutte contre une telle puissance sans être armé lui- même d'une puissance supérieure. Mais quelle sera t-elle? Il n'y a ici -bas que deux puissances, la vi et la mort : la vie, parce qu'elle est le principe d toute activité ; la mort , parce qu'elle brave la vie , et qu'acceptée volontairement, elle est dans l'ordre ; moral l'extrême point de la grandeur. Aussi est-ce une loi du monde , que ceux qui veulent mourir j sont les maîtres de ceux qui veulent vivre. Pour- \ tant il se rencontre aussi dans la m.ort une infirmité, c'est qu'au moment où elle devient maîtresse de la vie par l'héroïsme, elle demeure, pour me servir d'une expression fameuse, comme ensevelie dans son triomphe. Si donc il était possible d'unir en- semble la vie et la mort, la puissance de l'une à la puissance de l'autre, l'activité qui fait à la mort qui défait, on arriverait par là sans doute à une incom- parable puissance , devant laquelle toute autre flé- chirait. Or ce miracle s'est accompli. Jésus - Christ , Dieu
(1} Épîlre aux Corinlhions, chap. vu, vers. 4.
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et homme, le maître cle la vie et de la mort, qui déposait son âme parce qu'il le v aidait , et non par nécessité (l), Jésus-Christ a laissé à son Église une chose fameuse sous un nom nouveau : il lui a laissé le glaive sanglant et pacifique de la mortification. Il a dit à nous tous par saint Paul , mais surtout à ses prêtres, les héritiers les plus directs de sa croix : Morfifîcate memhra vestra quœ sunt super terrain : — Mortifiez vos membres qui sont sur la ferre (2). Et mieux encore : Semper mortifîcationem Jesu in corpore nostro circumferentes , ut et vita Jesu manifestetur in corporibus ndstris : — Por- tons, ne cessons de porter dans notre corps la mor^ lification de Jésus , afin que la vie de Jésus se ma- nifeste dans notre corps (3). La mortification est donc une mort qui ne tue pas la vie, mais qui la manifeste; elle est la réduction de la chair sous la loi de l'esprit, le sacrifice des sens à la raison, l'es- clavage du corps pour que l'âme soit libre, enfin le signe éclatant d'un homme immolé aux hommes et à Dieu.
Il y en eut même quelque ombre dans l'anti- quité. On ne fut pas sans y connaître le secret de puissance que la mortification contient ; l'athlète s'exerçait aux abstinences pour fortifier son corps ; le philosophe, pour fortifier s:n esprit. On vit même dans le destin général des peuples se révéler
(1) Saint Jean, chap. x, vers. 18.
(2) Épître aux Colossiens, chap. m, vers. 5.
(3) Ils Épitre aux Corinthiens, chap. iv, vers. 10.
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cette loi, et Rome, en ses beaux jours, ne devint la maîtresse du monde que pour avoir plus qu'une autre assujetti ses citoyens et ses soldats au dur ré- gime d'une rigoureuse pauvreté. Aussi était-ce avec justice , quoique avec orgueil , que son poëte lui disait :
Tu regere imperio populos , Romane . mémento.
Fourier n'avait pas attendu l'heure du combat pour soumettre sa chair à l'esprit; il avait eu tout jeune un instinct de la mortification , et y avait puisé le courage d'une chasteté inébranlable avec l'ardeur d'un amour surhumain. Mais quand il eut un peu- ple, quand son âme eut des âmes, et qu'il ne fallut plus seulement lutter contre les illusions de sa propre jeunesse, mais convaincre des hérétiques ou des in- différents de la vérité de Dieu et de Jésus -Christ, alors il s'arma contre ses sens d'un tel empire, qu'il, ne leur laissa pas même la consolation des vaincus,,! qui est d'exister. Il les détruisit plutôt qu'il ne les assujettit. '
Fourier habitait au presbytère de Mattaincourtl] une chambre sans ornement, qui renfermait une^i table, deux ou trois chaises de paille, un banc, une; façon de lit dont il ne se servait jamais, et qui était i là pour faire croire qu'il y couchait. En quelque? saison que ce fût, on n'y allumait du feu. Il n'avait L qu'un vêtement, celui-là même qui couvrait som corps, et qu'il ne quittait ni jour ni nuit, à moins: que quelque maladie ne l'y forçât; c'était l'occasion i
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que l'on attendait pour lui en donner un autre, lorsque l'ancien n'était plus guère qu'un débris. II ne mangeait qu'une fois par jour, vers le soir, ne voulant pas accorder, de nourriture à son corps avant qu'il l'eût gagnée par ses sueurs, ni surchar- ger son esprit avant qu'il eût accompli en pleine liberté sa tâche de la journée. Du pain, de l'eau, des légumes composaient son unique repas. Il ne but un peu de vin que dans une grande vieillesse. Son sommeil était court , de trois heures à peu près chaque nuit; il le prenait assis dans une chaise d'o- sier sans bras, et lorsque sa fatigue était extrême, il se permettait de s'étendre sur un banc, regret- ilant cette posture qu'il estimait plus convenable à un animal qu'à un homme, l'homme seul sur la terre ayant reçu de Dieu la gloire de se tenir de- jbout devant lui. Tous ses voyages, et ils devinrent jfréquents lorsqu'il eut établi la congrégation de Notre-Dame, se faisaient à pied; vieux el nommé général des Chanoines réguliers de Saint-Augustin, il se servit d'une voiture couverte en osier, ne vou- lant pas qu'un pauvre paysan pût lui reprocher d'a- voir un équipage plus magnifique que le sien, et în toute chose, que le plus misérable de sa paroisse DÛt se dire en lui-même : Mon curé vit mieux que noi.
A ces mortifications de chaque jour et de chaque instant il en joignait d'autres plus mystérieuses, raitant son corps à la manière des esclaves , afin l'imiter autant qu'il était en lui la passion du Sau- veur des hommes, et de revêtir quelque peu ces sa-
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crés stigmates dont saint Paul disait : Que personne ne songe à me molester, car je porte en moi les stig- mates du Seigneur Jésus (1).
Celte vie austère, ou plutôt cette mort vivante, Fourier la mena quarante ans. Pendant quarante ans il offrit à sa paroisse le spectacle d'un homme détaché de tout, supérieur à tout, ne gardant du corps humain que la faculté de souffrir, et puisant dans la souffrance des délices que la paix de son vi- sage révélait à tous les regards : victime véritable de l'amour, holocauste fumant devant Dieu , relique de la première croix, qu'on ne pouvait voir sans que la réalité et la divinité de Jésus -Christ apparût aux yeux involontairement. En vain l'hérésie ou l'incrédulité détournait le visage de ce spectacle; il leur venait au-devant malgré elles, et une larme de Fourier , versée tout à coup , leur apprenait qu'il n'avait qu'une douleur ici -bas, celle de ren- contrer quelque âme insensible au bonheur d'aimer Dieu.
Mais Jésus - Christ n'est pas venu seulement en puissance, il n'est pas venu seulement avec le mi- racle, le martyre et la mortification ; s'il a dit: Toute puissance m'a été donnée au ciel et sur la terre (2), il a dit aussi : Je suis la lumière du monde (3). La puissance toute seule étonne et abat; il faut qu'entre elle et l'homme intervienne un élément plus doux,
(1) Epître aux Galales, chap. vi, vers. 17.
(2) Sainl Matttiieu, cliap. xxviii, vers. 18. {3} Saint Jean, chap. viii, vers. 12,
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plus persuasif, qui dise ce qu'est la puissance elle- même , d'où elle vient et ce qu'elle veut. Cet élément c'est la lumière, et la lumière à son plus haut point de splendeur, ici -bas du moins, c'est la parole de Dieu. Mais la parole de Dieu est ensevelie dans ce magnifique sépulcre que nous appelons les saintes Écritures; Jésus-Christ, en sortant du tombeau, l'y a laissée sous la garde de son Église, authentique et muette, scellée et attendant que, comme au jour de la résurrection, un ange brise les sceaux et en- lève la pierre qui la retient en silence et en capti- vité. Cet ange, ô mes Frères, cet ange de la parole divine ressuscitant glorieuse, c'est l'éloquence du prêtre : le prêtre est un homme éloquent. Car il doit rendre la vie sur ses lèvres à la parole de Dieu, et l'éloquence n'est pas autre chose que la parole qui vit. Deux tombeaux sont entre les mains du prêtre, le livre des Écritures et le tabernacle de l'autel, tous les deux renfermant sous des signes inanimés l'éternelle vie, tous les deux attendant qu'on les ouvre et qu'on les jette palpitants à la multitude affamée du pain de la parole et du pain de la grâce. Ah! comment le prêtre, possesseur de ce double trésor et y croyant du fond du cœur, pourrait-il ne pas être éloquent? Tous les saints l'ont été; ils l'ont été sans génie, parce que si le génie est nécessaire à l'éloquence humaine, il ne l'est pas à l'élcqucnce divine. La foi et l'amour n'ont pas besoin de génie : ils parlent , et toute la terre les reconnaît. Heureux l'homme qui a en- tendu la voix des saints ! Heureux le peuple qui a
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entendu l'éloquence rachetée par le sang de Jésus- Christ !
Fourier la fît entendre à son peuple. C'était un pauvre peuple dans un bien obscur village; mais il n'y a pas de petite assemblée parmi les âmes : une âme est à elle seule un grand peuple. Aussi Fourier attachait-il au ministère de la parole un intérêt sou- verain. Rien ne lui coûtait pour ravir ses ouailles. Il ne se disait pas : A quoi bon y penser d'avance? ce sont des paysans. Semblable à ces Pères de l'É- glise qui songeaient toute la semaine à ce qu'ils diraient le dimanche, et qu'on trouvait dans leur chambre immobiles sous le poids de cette médita- tion, Fourier traitait la parole divine comme un sa- crement, mais comme un sacrement où le prêtre a plus d'efficacité personnelle que dans les autres, et qui exige de sa part un plus grand travail dans un aussi grand respect. Il savait que si l'homme sans lettres n'est pas capable de discerner dans les œu- vres d'art le point où gît la beauté, il la sent d'une manière générale, et que surtout il a reçu de Dieu le don d'être ému -par un verbe éloquent. Au pied de l'agora d'Athènes comme au pied de la tribune de Rome, le peuple écoutait la voix de ses orateurs, et ses applaudissements avec son silence témoi- gnaient du goût qui rattache toute âme humaine au plus simple comme au plus profond des arts. Com- bien davantage, en des vérités qui le touchent de si près, le peuple doit-il être sensible à une parole qu'inspire la foi et qu'anime la charité! Aussi ve- nait-il entendre Fourier, et après quarante ans
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qu'il se fut accoutumé à sa voix , il la trouvait encore nouvelle et la préférait à toute autre. C'est qu'il n'y a rien de plus inépuisable et de plus charmant que l'âme d'un père , et l'on peut dire du père selon la grâce ce que le poëte a dit du père selon la nature .
On remplace un enfant, une sœur, une épouse; Mais un père qu'on aime est un bien précieux Qu'on n'obtient qu'une fois de la bonté des cieux.
Néanmoins Fourier ne se fiait pas à sa seule pa- role du soin d'évangéliser son peuple ; il eût craint de donner trop peu à ce besoin sans cesse renais- sant d'être éclairé et attendri, et, avec une modestie digne d'un si grand cœur, il appelait souvent à son secours des voix qu'il estimait plus puissantes que la sienne. Il chercha même dans les enfants une éloquence qui pût séduire leurs pères, et élevant dans son église une sorte de théâtre pieux et ingénu , il y amenait devant toute sa paroisse des prédica- teurs de dix à douze ans qui charmaient la foule par la grâce de l'enfance unie à la grâce de la vérité.
Enfin il poursuivait jusque dans leurs maisons les plus rebelles ou ceux qui avaient besoin d'instruc- tions particulières. Il entrait avec eux dans des conférences réglées, répondant à leurs difficultés et élevant la conversation, trop souvent frivole, à la dignité d'un grand ministère, telle qu'on la lui voit dans l'Évangile, lorsque Notre - Seigneur s'entretenait avec les siens ou avec une âme familiè- rement.
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Il restait cependant toujours des cœurs endurcis ; car il n'a été accordé à personne sur la terre d'exer- cer une puissance sans limites ni dans le bien ni dans le mal. Fourier les appelait sa bande perdue. Quelque chagrin qu'elle lui causât, il la traitait avec beaucoup de douceur, se souvenant de cette parole de l'apôtre saint Paul : Reprenez avec modestie ceux qui résistent à la vérité, de peur que Dieu ne les y ramène un jour (1) : parole divine qui écarte l'in- jure par l'espérance. Il arrivait toutefois que Fourier ne pouvait surmonter sa douleur de sentir à côté de lui une àmQ perdue. On le vit, dans ces occasions, se précipiter comme hors de lui-même dans son église , monter à lautel, ouvrir le tabernacle d'une main haletante, puis, se prosternant à terre, y crier vers Dieu avec une impétuosité et des sanglots qui accu- saient une sainte démence, lui dire de reprendre sa vie ou de lui donner cette âme , et mille choses d'une tendresse et d'une amertume où la foi le disputait à la charité.
En recherchant les causes de cet endurcissement des coeurs, Fourier remonta tout le chemin de l'homme et vint heurter au seuil même de la vie , lorsque l'enfant se connaît à peine, et cependant puise déjà sur le sein de sa mère des germes de sa- lut ou d'égarement. Il vit de bonne heure l'enfant abandonné au hasard, l'oisiveté, le jeu, les ren- contres , agir sur ces frêles natures et y graver de funestes leçons; il comprit que Dieu parvenait trop
(1) II* Épître à Timothée, chap. ii, vers. 23.
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tard à l'homme, et que de même que le temple à im vestibule, le prêtre devait avoir un précurseur. L'É- glise sans doute n'avait pas avant lui méconnu l'im- portance des écoles; mais si dans ses cathédrales et ses cloîtres , dans les universités , plus tard , elle avait magnifiquement pourvu à l'enseignement des géné- rations, ce bienfait ne s'était pas étendu au peuple des campagnes avec la même providence et la même précocité. Les filles surtout semblaient délaissées à la merci de leur jeune âge, comme si la mère toute seule, la mère pauvre et ignorante, eût suffi à ce grand devoir de préparer des chrétiennes pour la vie du monde et la vie de Dieu. Fourier résolut d'obvier dans sa paroisse à ce défaut des institutions pu- bliques telles qu'elles étaient alors, et comme l'âme des saints est féconde en saints, il rencontra de bonne heure quelques filles pieuses de sa paroisse qui saisirent sa pensée et se dévouèrent à lui pour l'exécuter. Ainsi commença la congrégation de Notre-Dame, destinée d'abord aux enfants d'un village, et qui depuis , par la bénédiction de Dieu et sous l'œil de Fourier, se répandit en Lorraine, en France, en Allemagne, et dans presque toute la chrétienté, où elle possède encore aujourd'hui de flo- rissantes maisons.
Je me hâte, mes frères , et j'arrive au dernier trait qui vous montrera dans Fourier le prêtre par excel- lence , je veux dire la bonté. De même que la lumière couronne la puissance, la bonté est l'auréole qui ter- mine la lumière et déifie son éclat.
La bonté est le don gratuit de soi-même, et je
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pourrais m'arrêter à ce seul mot : car tout ce que vous avez entendu vous a fait voir Fourier se don- nant chaque jour de sa vie, donnant son corps, son temps, son repos, son esprit, son âme, et ne se ré- servant rien que de soulïrir. Mais il y a, dans la bonté, outre le don de soi-même, une manière de se donner, un charme qui déguise le bienfait, une transparence qui permet de voir le cœur et de l'ai- mer, je ne sais quoi de simple, de doux et de préve- nant qui attire tout l'homme et qui fait préférer au spectacle même du génie celui de la bonté. Or Fou- rier mêlait à l'austérité surhumaine de sa vie une incomparable grâce, et l'on n'eût jamais deviné à son sourire le supphce continu qu'il s'infligeait; son corps vaincu et souillé par la pénitence laissait l'âme maîtresse, et celle-ci, arrivante ses lèvres ei à ses yeux sans rencontrer d'obstacle, y brillai l comme un astre pur dans un ciel serein. Le pauvre venait à lui naturellement; il ne le refusait jamais. Car n'y eût -il rien, il y avait encore Fourier. Dans les grandes fêtes de l'année, et tandis que les riches s'environnaient de leurs amis, lui songeait à ses pauvres et leur préparait un petit festin qui leur rappelât avec la joie le mystère du jour. Si quelque noce avait lieu dans sa paroisse, il allait y chercher la part de ceux qui n'ont plus de noces ici-bas , et il les faisait entrer par leurs bénédictions dans la fa- mille nouvelle que lui-même avait bénie le matin. Il avait coutume de se tenir chaque jour au-devant do sa porte pendant quelques heures, si grand froid qu'il fît, afin qu'on l'abordât sans peine et que les
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plus timides ne vinssent pas à craindre de le déran- ger. Quoi qu'on voulût de lui, sauf le mal , il était prêt et riant.
Cette bonté l'avait tellement uni à sa paroisse, que ses besoins et sa maison étaient les besoins et la maison de tous. Quoique vide, parce qu'il n'y lais- sait rien, elle se remplissait par enchantement dès que l'occasion survenait. Savait- on, par exemple, que des étrangers venaient d'entrer chez le bon Père, c'était le nom qu'on lui donnait, à l'instant chacun apportait de quoi faire honneur aux hôtes , du linge , du vin, des viandes, des fruits, et l'on ne dînait ja- mais mieux que chez ce pauvre de Jésus-Christ qui avait tout donné.
Un homme seul est bien faible contre les maux de l'humanité. Fourier s'en était aperçu souvent. Il avait compris que la charité, quelque puissante qu'elle soit, répare plus qu'elle ne prévient, et en- core ne répare que des brèches dans un mur qu? tombe toujours. Il avait été conduit à la pensée d'institutions durables qui arrêteraient dans leur source deux des fléaux qui dévorent les campagnes: l'usure et les procès. Contre l'usure il imagina une sorte d'assurance mutuelle qu'il appela Bourse de saint Evre, et qui, composée de dons volontaires, d'amendes et de legs pieux, devait prêter sans inté- rêt, à la seule condition pour l'emprunteur de resti- tuer le capital dès qu'il le pourrait. Cette bourse dura longtemps, et rendit de grands services à d'hon- nêtes laboureurs ruinés par une mauvaise année et à de petits marchands gênés dans leurs affaires par
les accidents inévitables du commerce. Quant aux procès, il avait dressé les plans d'une association dont les membres devaient terminer à l'amiable tous leurs différends; que si l'une des parties refusait l'ar- bitrage, un fonds commun devait fournir à l'autre les moyens de suivre l'affaire devant les tribunaux. Les malheurs qui fondirent sur la Lorraine ne laissèrent à Fourier que le mérite d'avoir conçu et préparé une belle institution.
La renommée de Fourier, vous le sentez bien, mes frères, ne s'arrêta pas entre les collines qui bornent Mattaincourt; elle déborda de ce vase modeste, et se répandit à son insu dans la cour des princes et dans le cœur des peuples de la Lorraine. Le curé de village vit grandir le bruit de ses vertus et l'influence de son nom; Rome approuva la congrégation de Notre- Dame qu'il avait fondée; elle sanctionna la réforme des chanoines réguliers de Saint-Augu stin dont il avait été l'instrument , et qui le choisit pour géné- ral. Les ducs de Lorraine vinrent le cl! ercher sous le chaume de son presbytère et lui den iander con- seil. L'âge et la gloire s'unirent de coî .cert sur ce front qui ne les avait point appelés, et aul homme en son siècle ne jeta d'un lieu plus étï oit une plus éclatante ni plus durable lumière. Il semblait alors que, plein d'oeuvres et d'années, il n'avait plus qu'à mou- rir en paix au miheu de son peuple, entre les bras de ses frères de Saint-Augustin , proche de ses filles de Notre-Dame, au sein de sa patrie du temps et de l'éternité, patriarche comblé de Dieu et s'éteignant comme Jacob après avoir vu Joseph. Qui pouvait
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troubler dans ses derniers jours ce vieillard modeste? Quelle main lui présenterait, au moment suprême, un calice douloureux? Il vint pourtant, il lui fut pré- senté : Dieu, dans ses impénétrables conseils, avait décid-é que son serviteur mourrait dans l'exil et la misère, séparé des siens, poursuivi, objet de tris- tesse et de compassion. Vous l'allez voir sur ce nou- veau théâtre, et, après le saint prêtre, admirer en lui le grand citoyen.
II
En 1631, dans le temps que Fourier marchait vers sa soixante et dixième année, l'Europe s'apprêtait à décider la plus haute question politique et religieuse qui, depuis Charlemagne, eût été soumise à ses armes et à ses délibérations. Charlemagne avait fondé en Europe la république chrétienne, c'est-à-dire un corps de nations unanimement dévouées à la foi ca- tholique, acceptant la loi de l'Église comme loi de l'État, punissant l'hérésie , reconnaissant enfin à la papauté constituée comme pouvoir féodal un certain droit sur l a transmission de la couronne dans le saint- empire romain. Cet ordre d'idées régna jusqu'au xvi^ siècle, de Charlemagne à Charles- Quint , du premier au dernier empereur couronné par le succes- seur de saip* Pierre. Au xvi^ siècle, Luther, succes- seur d'Aiius et de Photius, et formant avec eux dans l'Église le grand triumvirat de l'erreur , Luther brisa l'unité de la république chrétienne; sous son inspi-
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ration, une partie de l'Allemagne, la Suède, le Danemark, l'Angleterre et la Hollande, se séparèrent du siège apostolique, et perdirent volontairement la pierre qui est ici-bas le fondement de la cité de Dieu. La scission était un fait politique et religieux ; elle entraîna des guerres où l'Europe se divisa en deux partis : le parti catholique et le parti protestant. Les nations que j'ai nommées tout à l'heure formaient lo parti protestant; la maison d'Autriche, réunissant sous son sceptre la Bohême, la Hongrie, les Pays- Bas, l'Espagne, la Sicile, Naples et Milan, était à la tête du parti catholique : la France, incertaine de sa foi , et plus encore de ses résolutions , combattait le protestantisme dans son sein , et néanmoins s'op- posait à la maison d'Autriche, dont elle redoutait l'aspiration constante à la domination du monde. Cette circonstance sauva les protestants et leur permit de conquérir en Europe un droit national.
Cependant, à l'ouverture du xvii® siècle, la for- tune sembla prendre un autre cours, et le protestan- tisme se vit à la veille de sa ruine. La France avait décidément rejeté l'hérésie et triomphé d'elle par l'abjuration de Henri IV; l'avènement des Stuarts en Angleterre l'y menaçait d'un pareil sort; en même temps la maison d'Autriche, dont la Franco s'était rapprochée sous la minorité de Louis XIII, reprenait l'ascendant en Allemagne , et douze années de victoires permettaient à l'empereur Ferdinand II d'y écraser les restes du parti que ses pères avaient si longtemps combattu. Les catholiques se tenaient assurés de la restauration religieuse de l'Occident,
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A ce moment même , un homme changea les des- tinées du monde. 11 s'appelait Richelieu, et je ne vous dirai de lui que son nom. Appelé à gouverner la France sous un roi faible, Richelieu regarda l'Eu- rope et se consulta. Chrétien sincère, prêtre régu- lier, cardinal de la sainte Église romaine, ennenii par tempérament comme par principe de toute li- berté, on eût cru qu'il allait tendre la main à lEm- pire et aux Stuarts, et consommer le retour de l'unité en Europe : il fit le contraire. Comme une jeune fille avait été choisie de Dieu , deux siècles aupara- vant, pour chasser les Anglais du trône et de la terre de France, ce fut un cardinal que la Providence laissa venir au secours du protestantisme aux abois, et dont l'implacable génie prépara la signature du premier traité d'où devait sortir l'Europe moderne. Quelle en fut la cause dans un esprit aussi domina- teur, et dans une âme aussi dévouée qu'était la sienne à la vraie foi?
Si la maison d'Autriche eijt été fidèle à sa mis- sion; si, depuis un siècle qu'elle disposait du plus magnifique empire que le soleil eût encore éclairé, elle eût apporté dans les affaires de l'Église et de l'Europe un désintéressement égal à sa grandeur; si les trésors du nouveau monde, que Christophe Colomb lui avait amenés dans ses ports , eussent servi, en augmentant sa puissance, à augmenter sa droiture; si elle n'eût pas en Amérique exterminé les Indiens, arrachée l'Espagne les franchises que cet héroïque peuple avait gagnées par huit cents ans de courage et de patience , livré Rome à la brutalité
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d'une soldatesque impie et fait payer au pape prison- nier sa rançon; si elle n'eût pas profité des maux de la France pour y accroître l'anarchie au nom de la religion; si enfin la maison d'Autriche eût été juste, honnête , généreuse , produisant des saints comme toutes les maisons souveraines de l'Europe , au lieu de produire Charles-Quint et Philippe II, Richelieu n'eût pas écrit en arrivant au ministère : a Le roi a changé de ministre, et le gouvernement de maxime;» le traité de Westphalie n'eût pas été signé, et l'Eu- rope peut-être serait un seul troupeau sous un seul pasteur.
RicheUeu ne voulut pas être dupe, ni la France avec lui. Par le même mouvenrtent qui nous fait pré- férer aujourd'hui la cause des Turcs à celle des Russes, la cause des infidèles à la cause des chré- tiens, Richelieu préféra la cause protestante à celle qui avait pour chef la maison d'Autriche, la maison qui avait pris pour devise ces fameuses initiales : A. E. I. 0. U. , qui signifiaient : Austriœ est impe- rare orbi universo. Il a plu à Dieu, dans sa souve- raine bonté, de diviser le pouvoir nécessaire à la paix et au progrès du genre humain entre plusieurs nations qui se font équilibre, et qui, parla disposi- tion diverse de leur esprit et de leurs mœurs, assur- rent au monde, assurent à l'Église, que leur liberté aura toujours quelque part un asile sûr et puissant. Voilà le suprême intérêt des peuples chrétiens. In- térêt si grand aux yeux de Dieu, que Daniel et saint Jean ont associé aux prophéties du triomphe de l'Église la prophétie de la chute de Rome et de la
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division du monde romain entre un certain nombre de principautés. C'a été là le salut de l'Occident, comme la rume morale et religieuse de l'Orient est venue d'un seul malheur, du malheur irréparable de n'avoir pu, à côté de Constantinople, élever d'autres métropoles et d'autres nations. C'est pourquoi tout prince ou peuple, toute maison ou dynastie, qui as- pire à un pouvoir prépondérant et absolu, est par ce seul fait le plus grand ennemi du monde et de l'É- glise, quel que soit d'ailleurs le prétexte qui colore son inhumaine ambition. Et Dieu, sauf peut-être à la fm des temps, ne permettra jamais le triomphe de cette convoitise babylonienne; il suscitera tou- jours à rencontre, et quelquefois du point le plus inattendu , un obstacle qui arrêtera et brisera l'ef- fort du géant. Nous en avons eu des exemples sous les yeux; l'avenir en apportera d'autres à notre pos- térité.
En 1631 , le cardinal de Richelieu fut l'homme qui devait rétablir l'équilibre chrétien compromis depuis un siècle par l'agrandissement démesuré de la mai- son de Habsbourg. Il avisa sur le trône de Suède un jeune homme qui méprisait l'Autriche ; pressen- tant en lui l'âme et la fortune d'un héros, il l'ap- pela sur les champs de bataille de l'Allemagne, et bientôt, tout mort qu'il fût dans sa victoire de Lutzen , Gustave - Adolphe laissa de son pas- sage une trace que Richelieu cultiva , et dont il fit au cœur de l'Autriche une irrémédiable bles- sure.
C'est à ce moment que la Lorraine, patrie de Fou-
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Malheureusement Richelieu rencontra sur le trône ducal de Lorraine un prince moins accompli que ceux qui l'avaient précédé et que ceux qui devaient le suivre encore. Charles IV était bon, courageux,
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habile dans la guerre, sincèrement religieux , mais léger dans ses mœurs et inconstant dans ses conseils. Richelieu voulait la coopération de la Lorraine contre l'Empire, et l'Empire faisait à Charles IV les offres les plus brillantes pour Taltirer à son parti. Leduc, incertain, consulta Fourier, qu'il aimait, et aux prières duquel il se croyait redevable de la vie. Fourier ne lui opposa point son ignorance ou son inaptitude en des matières de si haute portée. Il ne lui présenta point la maison d'Autriche comme un drapeau que tout prince fidèle dût suivre nécessai- rement , ni la France comme ayant une cause assez pure pour qu'il fût de son devoir de l'embrasser : il lui conseilla de garder la neutralité, et d'ôter ainsi tout prétexte plausible aux deux partis contre son peuple et sa maison. Que s'il n'évitait pas tous les périls de la guerre , du moins il n'en aurait pas de- vant Dieu la responsabilité.
Charles IV, malgré la confiance qu'il avait en Fourier, se prononça pour l'Empire. Richelieu le souhaitait peut-être , il arriva comme la foudre. Des traités suivis de ruptures amenèrent le duc au plus profond découragement, et, se livrant lui-même à son ennemi qui le trompait , il fut lâchement retenu dans une derni-captivité. L'abîme était profond. Il ne restait de celte grande maison de Lorraine qu'un prince vaincu qui n'avait point d'enfants , le cardi- nal son frère , évêque de Toul , et une princesse du nom de Claude , fille de Henri IL Le duc consulta de nouveau Fourier. C'était durant l'hiver de 1634. Us demeurèrent enfermés ensemble durant sept
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heures. Au sortir de ce long entretien , Charles I\ abdiqua la couronne ducale en faveur de son frère le cardinal Nicolas-François , et se retira en Franche Comté , d'où il gagna l'Allemagne : prince infortune qui ne revit la Lorraine que pour la perdre encore j et qui ne recueillit de la maison d'Autriche , poui prix de victoires qui ne le concernaient plus, que l'ingratitude et l'oubli. Son abdication ne fut pas même reconnue de la France, qui prétendit que la couronne appartenait à la princesse Claude, du chef de son père Henri II , et se proposa de l'unir à un prince français, qui deviendrait par ce mariage le souverain naturel et légitime du duché de Lor- raine.
Le péril était pressant. Si le plan de Richelieu venait à réussir, c'en était fait de la Lorraine, de sa dynastie , de sa gloire , de sa nationalité. Le car- dinal de Lorraine , demeuré seul libre et présent à cause de sa dignité de prince de l'Église, n'eut pas de peine à le sentir , et il accourut vers Fourier. Singulière destinée qui amenait à un pauvre curé de village tous les malheurs de son pays , comme à la dernière providence qu'il eût encore, comme au dernier cœur généreux qui pût en conjurer la chute!
Le cardinal de Lorraine dépeignit à Fourier la situation , et lui fit part d'une pensée bien hasar- deuse , qui était d'abdiquer le cardinalat , et en épou- sant la princesse Claude, sa cousine, de la ravir à la France , impuissante désormais à diviser les droits de leur maison pour les usurper. Le cardinal, il est
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|vrai, n'avait pas reçu les ordres sacrés; mais il ne I pouvait abdiquer la pourpre sans le consentement du souverain pontife, ni se marier avec sa cousine j sans une dispense canonique préalablement obte- |nue; et d'une autre part, recourir à Rome, c'était j tout perdre : Richelieu ne saurait manquer d'être instruit , de faire enlever la princesse, et de consom- mer ses projets. Fourier connut du même coup d'oeil !e devoir du cardinal, le sien propre, et l'abîme qu'il allait creuser sous ses pas. Compromis déjà pour avoir conseillé l'abdication du duc Charles IV contre 'es intérêts de la France , il ne put douter du sort qui 'attendait en prêtant son concours à un acte qui allait désoler la politique de Richelieu , cet homme à qui un seul génie avait manqué, celui du par- don. Que deviendrait la congrégation de Notre- Dame, celle de Saint-Augustin? Un mot du terrible ministre, surtout dans un pays de conquête, ne suffirait -il pas pour ruiner des établissements qui avaient tant coûté? Et puis Fourier était si vieux !
Quand un homme est parvenu au terme d'une longue carrière , qu'il a surmonté les écueils dont ioule vie humaine est semée , et qu'il n'a plus qu'à QQOurir dans la gloire de ses vertus et l'affection des siens , c'est une épreuve où succombent les meil- eurs, que d'avoir à se perdre dans un dernier de- voir. On aime mieux sacrifier à la prudence , et les aisons s'offrent d'elles-mêmes qui persuadent de soigner sa mort, au lieu de la livrer à la merci d'une îhance de ruine. Ils sont rares, parmi les plus grands,
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ceux qui retrouvent alors dans leurs os consumés une flamme de jeunesse, et qui consentent à périr comme on le fait à vingt ans pour une heure de joie dans une heure d'enthousiasme. Fourier avait des excuses honorables pour se soustraire aux empressements du cardinal de Lorraine; il pouvait le conseiller au point de vue du scrupule, et rejeter sur Rome une décision délicate qui lui appartenait d'ailleurs : mais le cardinal était son souverain, la dernière espérance de son pays, l'étincelle survivante d'une race géné- reuse qui était aux prises avec la violence et l'ini- quité. Était-ce l'heure de se souvenir de soi-même? Fourier connaissait trop ce qu'un chrétien doit à sa patrie. Il savait par l'Évangile que Jésus-Christ n'a pleuré que deux fois sur la terre : la première fois au tombeau de Lazare, quand il le ressuscita; la se- conde fois , au seuil de sa propre mort, lorsqu'il s'ar- rêta sur les collines qui font face à Jérusalem , et que, prévoyant les maux qui l'accableraient en punition de son déicide, il fut pris d'un attendrisse- ment dont il est écrit : Et videns civitatem , flevit super eam : — Et voyant la ville, il pleura sur elle (1). Larmes sacrées qui ne furent pas répandues pour notre salut, mais sur les blessures de la patrie! Larmes de patriotisme et d'amitié, qui devaient apprendre à tous les siècles que le Fils de Dieu est aussi le fils de l'homme , et que les vertus qui ornent la terre sont sœurs des vertus qui peuplent le ciel!
(1) Saint Luc, chap. xix, vers. 41.
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Il n'en est pas d'ailleurs du patriotisme chrétien comme du patriotisme antique. Celui-ci ne connais- sait que la cité, murs étroits où le Grec et le Romain renfermaient l'univers, et auxquels dans leur cœur ils sacrifiaient le genre humain. Jésus-Christ a toul élevé et agrandi en même temps qu'il a tout purifié. Il a fait des peuples ce qu'il a fait des hommes , les coopérateurs de ses desseins de justice, des instru- ments plus vastes et plus puissants de la vérité , des apôtres , des pontifes , des docteurs , des martyrs ; cl c'est pourquoi il est écrit en David du Fils de Dieu venant parmi nous : Demande-moi, et je te donnerai les nations pour héritage, et les frontières de leur territoire pour possession (1). Le chrétien aime Jésus- Christ dans sa patrie; il y aime la paix de l'Évangile, la grâce des sacrements, les temples où il prie , les œuvres et les reliques des saints qui y vécurent ou qui y vivent encore avec lui , l'histoire des choses passées et l'espérance des choses à venir, enfin un membre vivant de l'Église , et la prédesti- nation de Dieu qui appelle les peuples et fait leur destin dans leur devoir.
Or, qui plus que la Lorraine était digne d'être aimée par le cœur d'un saint prêtre? En quelle terre l'héroïsme des fortes vertus avait -il mieux pris ra- cine et donné ses fruits? Quel royaume avait reçu de Dieu une dynastie plus imperturbablement féconde en princes justes, bienveillants, hospitaliers, mer- veilleux dans la guerre et faisant mieux de la paix
(1) Psaume ii, vers. 8.
— 66 — le repos magnifique d'une nation? Que si l'heure était venue où Tépée des forts n'avait plus de contre- poids dans le souvenir des services et l'immortalité des droits , du moins fallait-il descendre avec hon- neur du rang des nations , et laisser à la postérité un de ces tombeaux où elle vient et où elle admire ce qui se peut pour la gloire quand rien ne se peut pour le salut.
Fourier répondit au cardinal de Lorraine qu'il de- vait à son pays et à sa maison de rentrer dans la vie civile, qu'il pouvait abdiquer l'épiscopat et le cardinalat sans attendre le consentement du Pontife romain , et épouser sa cousine , la princesse Claude , en se dispensant lui-même, comme évêque de Toul , de l'empêchement de parenté. Allant plus loin en- core, il donna l'ordre à l'un de ses religieux, qui était à la fois prieur et curé de Luné ville, de bénir le ma- riage du cardinal.
En vertu de cette consultation , le 17 février 1634 , avant l'aube du jour , le cardinal Nicolas-François , duc de Lorraine , descendit dans la chapelle du châ- teau de Lunéville , dépouilla la pourpre cardinalice , ceignit l'épée , prit dans sa main droite la main de la princesse Claude , et , lui promettant une immor- telle fidélité, il y suscita une étincelle de ce sang inépuisé qui , en deux générations successives , de- vait donner à la Lorraine ses deux derniers ducs : Charles V, le sauveur de Vienne avec Sobieski, le vainqueur de Barkany, de Gran, de Mohacs, le gé- néralissime de la chrétienté dans la croisade qui porta le coup suprême à la puissance ottomane ; et
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Léopold, prince plus qu'excellent, le seul des princes du xviii^ qui ait excité en Europe l'enthousiasme et l'amour; l'un et l'autre dignes de terminer l'histoire d'une grande race et d'un noble pays, l'un et l'autic dignes de ce nom que le maréchal de Berwick avait dit de l'un d'eux, que c'était le meilleur des grands hommes. Dieu voulut bénir ainsi le dévouement de son vieux serviteur Fourier, et mêler à jamais sa mémoire à la mémoire des beaux jours réservés en- core à son pays. La politique de Richelieu était vaincue, la Lorraine sauvée pour un siècle, sa mai- son, presque tarie, renouvelée et destinée de Dieu à s'asseoir un jour sur le trône de l'Empire , où puisse t-elle inspirer et échauffer les restes du sang de Hapsbourg! Fourier ne vit pas ce résultat de son pa- Iriolisme : il eut une consolation plus digne encore de lui, la consolation d'avoir accompli son devoir en lui sacrifiant la paix de ses derniers jours et toutes les œuvres de sa vie. Ah ! pardonnez si je m'émeus î Quand au milieu des lamentables récits de l'histoire, ce riche trésor des déshonneurs de l'homme , on ren- contre enfin une fois la magnanimité, l'àme s'enivre et se trouble, inaccoutumée qu'elle est au bonheur de pouvoir admirer. Enfin, que Dieu soit loué! il se trouva qu'un curé de village avait l'âme d'un consul romain.
Mais il y a de l'héroïsme un immanquable châti- ment. L'héroïsme même ne porte ce nom que parce qu'il méprise un abîme. Fourier avait trop blessé la France et son ministre pour ne pas être sérieuse- ment menac^ dans son repos; il erra quelque temps
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de l'une à l'aulre de ses maisons, plus ou moins poursuivi selon les commandants et les ordres, jus- qu'à ce que ses enfants de Saint- Augustin, cédant à leurs alarmes , obtinrent qu'il se retirât d'une terre où il était entouré d'ennemis. 11 franchit les Vosges, accompagné de quelques-uns des siens. Une troupe suédoise, envoyée à sa recherche, l'attendit tout un jour entre Vesoul et Gray. Le saint vieillard, comme s'il en eût reçu l'avis du ciel, s'arrêta vingt-quatre heures à Vesoul sans vouloir avancer ni donner au- cun motif de sa résolution : les Suédois se retirèrent, et il passa le lendemain.
L'exil est dur même dans la jeunesse, quand l'es- pérance adoucit tout et que le cœur a une puissance pour se créer de nouveaux liens; mais dans un vieillard épuisé de vie, dont la seule consolation est de jouir du passé, l'exil est un supplice dont l'amer- tume n'a pas d'adoucissement. Celui do Fourier, qui dura quatre années jusqu'à sa mort, emprunta de beaucoup d'autres douleurs le caractère d'une agonie. Séparé de son ancienne paroisse , poursuivi parla pensée de ses monastères de Notre-Dame et de Saint- Augustin, qu'il ne devait plus revoir, il ne put même se les représenter comme des asiles où lui seul manquait : la guerre, la peste et la famine, ces trois grands fléaux de la race humaine, désolaient son propre pays et n'avaient pas épargné ses en- fants. Chaque lettre qu'il ouvrait d'une main trem- blante lui apportait, comme à Job, la nouvelle de quelque désastre : la mort avait choisi parmi les siens quelque tête chérie et nécessaire ; une troupe
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furieuse avait envahi l'un des sainfs manoirs qu'il avait édifiés, et n'y avait laissé que des ruines; sa paroisse manquait de pain , lui qui en avait toujours eu pour elle. Et que sais -je? Et que dirais -je? Hélas! le malheur, une fois que Dieu le laisse faire, est plus ingénieux à frapper qu'aucune bouche à le raconter. Toutes ces chères pénitences de quarante ans s'obscurcissaient devant les terribles réalités de la malédiction divine, et la croix véritable, la croix sortie du monde par un effet de ses passions, dressait à Fourier un calvaire aussi grand que ses vertus.
Un autre exilé , le duc Charles IV, qui promenait aux quatre coins de l'Europe la vaillance dépos- sédée de Lorraine, vint une fois visiter le vieil ami de sa maison. Le saint et le prince s'attendrirent l'un sur l'autre, vicfimes tous les deux des revers inouïs de leur patrie. Charles avait le cœur de sa race : il fit passer plusieurs fois des secours au saint vieillard , et lui écrivit de sa main des lignes qui eussent désarmé l'infortune, si l'infortune n'avait pour mission que de punir les fautes des hommes et des rois.
Enfin le sacrifice s'acheva, et Fourier apparut à ceux qui l'aimaient dans la paix de la mort et du temps, la mort qui commence l'histoire, le temps qui l'achève. A peine expiré, son corps devint une relique que Gray, la ville hospitalière, voulut rete- nir au nom de la Providence qui lui avait confié les derniers jours de son serviteur. Il fallut un ordre de la cour d'Espagne sollicité par le duc Charles IV,
— 70 — pour ouvrir à ces restes précieux les roules bien- aimées de la Lorraine. Fourier y rentra conduit par ses enfants les chanoines réformés de Saint- Augus- tin , et dans cette pensée qu'il reposerait près d'eux à Pont-à- Mousson, au chef- lieu de leur ordre, là où deux fois sa jeunesse s'était essayée aux préludes de la sainteté. Ils ne savaient pas que leur père avait été par -dessus tout un saint prêtre, l'immortel exemplaire du pasteur des champs, et que c'était dans l'enclos de sa modeste église, sous les pieds de ses chers villageois, qu'il devait passer l'inter- règne de sa mort à la résurrection. Par quel mys- tère ce corps si disputé, et qu'une prudence déli- bérée acheminait sur la route d'Épinal et de Nancy , vint-il heurter le seuil du lieu où nous le vénérons aujourd'hui, on l'ignora toujours. Il vint, quelle qu'en fût la cause , il vint au lieu de son amour cl de sa modestie; il toucha mort la terre qui l'avait possédé vivant , et quand on voulut le conduire au delà, comme si ce n'était qu'un adieu qu'il avait voulu dire à ces amis de la vallée, il s'éleva de toutes ses âmes une tempête et un courage qui ne permirent jamais à aucune force humaine de Tarra- cher de son vrai tombeau. Ce tombeau pourtant esL vide ; une parole de l'Église romaine a transporte le père du pavé sur l'autel, et sa mémoire plus divine, sans être plus chère, reçoit aujourd'hui du temple que vous lui consacrez, Messeigneurs, un hommage digne du prêtre et digne du peuple, du prêtre qui fit le bien, et du peuple qui aima le prêtre.
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Pour moi, pèlerin à mon tour à ce sanctuaire, j'y ai apporté la louange et l'admiration. Mais la prière aussi n'aura-t-elle pas son heure? Aucune plainte, aucun gémissement ne s'élèvera- 1 -il de mon sein vers cette source de grâce et de bénédiction? Oh I non, je prierai, je dirai au Père: Père bienheu- reux, vous connaissez nos maux, car vous avez vécu comme nous dans un siècle plein de troubles et de vicissitudes; mais, plus heureux que nous, vous vîtes de grands saints et de grands citoyens, dont vous faisiez vous-même partie, travailler au réta- blissement de la cité de Dieu. Obtenez à notre âge, dans les mêmes ruines, les mêmes dons du ciel. De- mandez-lui pour nous, par vos mérites, la force, la lumière, la bonté, de grands saints et de grands citoyens.
ELOGE FUNEBRE
DE MONSEIGNEUR DE FORBIN - JANSON
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ÉLOGE FUNEBRE
DE MONSEIGNEUR DE FORBIN-JANSON (1)
Monseigneur (2),
Messieurs ,
Parmi les hommes que la Providence de Dieu a donnés à l'Église de France depuis quarante ans, il en est peu qui aient attiré l'attention de leurs contem- porains au même degré que Mgr Charles-Auguste de Forbin-Janson, évêque de Nancy et de Toul , primat de Lorraine, maintenant retourné à Dieu. Il en est peu surtout qui, avec des qualités de cœur aussi remarquables , avec les dons d'une intelligence aussi vive, aient moins triomphé des obstacles de leur
(1) Cet éloge a été lu, dans la cathédrale de Nancy, le 28 août 1844.
(2) Mer Menjaud, évêque de Nancy et de Toul.
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vie, et moins placé leur personne et leur mémoire à l'abri des sentiments contraires. Sur les rivages de l'Asie , aux bords plus lointains des fleuves de l'Amé- rique, il a vu des populations s'attacher à ses pas, s'enivrer de sa parole, l'appeler tout haut des noms les plus chers à l'homme : il en a vu d'autres le re- pousser de leur sein, et il est mort loin de son siège épiscopal , après quatorze années d'exil , dans un âge prématuré. Moins heureux qu'un autre évêque de son temps dont le palais fut détruit deux fois par la tempête, il n'a pu mourir au milieu de son trou- peau , et recevoir dans son cercueil cette dernière visite des peuples qui leur inspire, quand tout est fini, un sentiment plus modéré de leur puissance et une équité plus calme dans leurs jugements. Je viens, Messieurs, parler sur cette tombe que vous n'avez pas vue, et que vous ne verrez jamais; j'y viens parce que la vie de Ms^ de Janson mérite d'être étudiée dans ses succès et dans ses revers, parce' qu'elle peut profiter à plusieurs, parce que l'Église de France lui doit un souvenir : mais j'y viens aussi par un sentiment qui m'est personnel. Chose singu- lière ! les deux évêques de France que la foudre de ce siècle a le plus frappés sont les deux évêques qui m'ont aimé davantage. Je n'ai pu rendre à l'un les derniers devoirs de la piété filiale , je viens les rendre à celui-ci.
Ne croyez pas toutefois que j'abuserai des droits de la mort ; si la mort favorise la justice, elle ne doit point favoriser la flatterie; elle m'avertit, au con- traire , en reportant ma pensée vers les sévères ju-
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gements de Dieu, qu'en nulle occasion je ne dois me sentir plus fort de mon ministère pour remplir en- vers toute créature les obligations sacrées de la vérité et de la sincérité. Je serai vrai, Messieurs, je serai juste; je serai surtout chrétien, c'est-à-dire que j'honorerai la justice et la vérité par un accent qui ne blessera le cœur de personne.
Dois-je, Messieurs, vous entretenir des ancêtres de Mgr de Janson? C'est un penchant naturel à l'homme de rechercher son origine, de démêler dans la suite innombrable des générations les canaux par où lui est arrivée celte goutte de vie qu'il possède, goutte amère et précieuse , qui a traversé les siècles pour venir de Dieu à lui, et qui doit sans doute son originalité propre à toutes les vicissitudes d'un si extraordinaire chemin. Comme un navigateur échoué, dans des contrées inconnues , à l'embouchure d'un fleuve, en remonte le cours, et s'avance de campe- ments en campements vers les montagnes mysté- rieuses qui en contiennent la source, ainsi l'homme voyageur, déposé par l'éternité dans un point du •temps et de l'espace , se tourne vers sa source , et se cherche lui-même dans des âges où il n'était pas 'encore. Mais, hélas! les nations elles-mêmes ne Connaissent pas leur origine; elles se rencontrent tout à coup dans l'histoire, le lendemain d'un com- bat, et c'est en vain qu'elles veulent passer plus haut, pour arracher à l'antiquité le secret de leur destin primitif. Comment un simple homme pour- rait-il obtenir du temps ce que les grands peuples l'ont jamais obtenu de lui? Aussi les plus illustres
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familles n'aspirent- elles qu'à des aïeux récents, et par delà ce terme où commence si près de nous leur hércdilé constante, elles se perdent avec le reste de l'humanité dans une commune ignorance de ce qu'elles furent jadis. Mais si peu loin qu'un homme puisse atteindre ses pères, c'est toujours pour lui une consolation d'en regarder le visage, et nous , spectateurs des vies célèbres , nous som- mes volontiers curieux de la question de leurs ancêtres.
Quels étaient donc les ancêtres de Mgr de Jan- son? Jusqu'où son regard plongeait-il dans le passé, lorsque, jeune encore, il cherchait à se deviner lui- même? Ne fût-ce que pour apprécier le cours de ses idées et la valeur de ses sacrifices, nous avons besoin de connaître le sang qu'il trouva dans ses veines. Or, Messieurs, il eut, dans un siècle plé- béien, l'incomparable malheur de naître d'une race historique. A toutes les époques , une grande nais- sance est un fardeau; mais n'ai -je pas le droit de l'appeler un malheur lorsqu'elle ne rencontre plus rien autour d'elle qui lui réponde, et que l'élévation qui en résulte encore n'attire que la défiance, n'ob- tient que l'exclusion, ne crée que l'impossibilité? Ah! ceux-là sont heureux qui naissent à la mesure de leur temps, patriciens dans un siècle patricien, plébéiens dans un siècle plébéien! Ceux-là sont heureux, et la moindre justice qu'ils doivent à ceux qui n'ont pas la môme fortune, c'est de comprendre combien est dure leur position. L'homme n'est fort que par sa correspondance au mouvement
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réel de l'humanité , et toutes les fois qu'il reste en dehors de ce mouvement ou qu'il lutte contre lui , il est semblable au passager laissé dans un désert par le vaisseau qui le portait, et dont il suit de l'œil sur les flots l'irréparable fuite. En vous parlant des ancêtres de Mgr de Janson, Messieurs, je vous parle donc de son premier malheur, et plus je vous ferai voir qu'ils étaient grands, plus vous aurez à conclure que le mérite de leur héritier, s'il en a eu quelqu'un , a été un rare et difficile mérite.
Le xii^ siècle avait déjà ouï le nom des Forbin; l'Angleterre et l'Italie le lui avaient répété. Au XIII*' siècle, Charles P"" d'Anjou, comte de Pro- vence, les appela dans ses États et les combla d'honneurs et de bienfaits. Ils s'allièrent même par des mariages à cette famille souveraine. Plus tard , au XV® siècle , le comte Charles IV étant menacé de mourir sans héritiers, ce fut Palamède de For- bin, surnommé le Grand, qui le disposa à faire son testament en faveur de Louis XI, et qui mé- nagea ainsi la réunion du comté de Provence à la couronne. Louis XI le récompensa de cet éminent service, qui ralliait la France à l'Italie, en lui délé- guant l'autorité souveraine sur la Provence, et en lui donnant cette devise, qui est encore celle des Forbin : J'ai fait le roi comte y et le CDmte m'a fait roi. Ainsi devint purement française la maison de Forbin , en apportant à la France une de ses plus riches et de ses plus ingénieuses provinces, et de- puis elle ne cessa d'honorer ce premier titre de sa
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gloire en produisant dans les armes , dans le gouver- nement, la n^agistrature et l'Eglise, des hommes d'un haut talent. Je remarque dans le nombre deux figures historiques : d'abord Toussaint de Forbin , cardinal de Janson, évêque de Digne, de Marseille et de Beauvais, grand aumônier de France, et am- bassadeur de Louis XIV en Toscane, en Pologne et à Rome. Ce fut lui qui, à la diète de Pologne de 1674, fît élire pour roi le fameux Jean Sobieski , sauveur de la chrétienté sous les murs de Vienne, et qui conclut , sous Innocent XII , la réconciliation de la France et du saint- siège, dont la bonne harmonie avait été troublée depuis longtemps par la déclaration de l'assemblée du clergé en 1682. L'autre personnage que je tenais à vous nommer est le comte de Forbin, grand amiral du roi de Siam à la fin du xvii^ siècle, revenu depuis en France, et l'un des officiers qui honorèrent le plus notre marine sous la vieillesse de Louis XIV. Dans la seule année de 1707, il battit cinq fois les flottes anglaises , et rapporta une valeur de six à sept millions , fruit de ses expéditions na- vales.
Telle était, Messieurs, la maison de Forbin, divi- sée en plusieurs branches, qui avaient pour aînée celle de Forbin- Janson. La Providence ne laissa guère au jeune Charles- Auguste , dont nous vous exposons la vie, le temps de s'enorgueillir de sa naissance. Il n'avait pas encore atteint l'âge du dis- cernement, que déjà grondait dans sa force l'orage qui devait abaisser la majesté des rois , ravir la puis- sance aux familles antiques , appeler tous les en-'
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fants de la France aux mêmes devoirs et aux mêmes droits, et créer dans le court espace de vingt-cinq ans, sur des ruines colossales, une histoire, une gloire et une nation toutes nouvelles. Je ne dirai rien davantage de ce moment, auquel nulle autre époque du monde ne saurait être comparée, sinon qu'il convient à nous, générations présentes, de con- sidérer quelle blessure nous avons faite au passé, et d'admettre au moins qu'il a pu rester à d'autres des souvenirs, des regards, quelque chose qui n'est ni étranger ni ennemi, mais qui seulement n'est pas aussi jeune que nous. Si les soldats de Clovis ou les paladins de Charlemagne ressuscitaient de leur tombe, leur stupeur, en nous voyant, n'accuserait pas leur patriotisme; elle n'accuserait que le temps et cette difficulté de l'esprit à suivre assez vile l'effroyable précipitation des choses humaines. Et si nous-mêmes, nous avions reçu dans nos veines le lait du passé , si un quart d'heure seulement nous avions respiré un air plus vieux que le nôtre, nous connaîtrions combien les révolutions de l'es- prit sont plus lentes que les révolutions des em- pires , et nous jugerions avec plus d'indulgence cette immutabilité des idées et des mœurs qui nous semble un obstacle dans les autres , et qui un jour nous paraîtra dans nous-mêmes fermeté et vertu.
Charles -Auguste fut emporté en Allemagne par ses parents qui fuyaient devant la tempête. 11 n'y resta que peu; sa famille le ramena en France dès que la société nouvelle commença de surgir à tra-
l-l'kTJ^Z
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vers les débris de l'ancienne. Ce fut en France qu'il accomplit le premier acte solennel de la vie, je veux parler de la première communion. C'était plus que jamais alors pour les chrétiens un acte doux et mé- morable. Ils avaient vu leurs autels profanés, leurs églises abattues ou fermées, leurs prêtres meurtris et dispersés; une puissance gigantesque s'était dé- clarée leur ennemie, et en même temps qu'elle por- tait aux frontières de la patrie une glorieuse terreur, elle rapportait au dedans ses triomphes , pour s'en faire contre Dieu un invincible trophée : mais voilà qu'encore une fois la parole divine s'était accomplie, et les chrétiens répétaient, dans la langue de David, ces chants prophétiques qui, depuis trois mille ans, accusent d'impuissance leurs persécuteurs : Pour- quoi les nations ont-elles frémi, et les peuples out- ils médité des choses vaines? Les dominations de la terre se sont assemblées contre le Seigneur et contre son Christ; elles ont dit: Rompons leur joug, et je- tons-le par-dessus nos têtes ! Mais Celui qui habite dans les deux se rira de leur dessein, et le Seigneur s'en moquera (1). La joie des chrétiens était d'aulant plus pure, que le retour de leur liberté s'était fait par le dedans, et non par le dehors ; il n'y avait pas eu émigration de la foi; la foi était demeurée dans la patrie aux jours des revers comme aux jours de la prospérité; elle avait embrassé er. pleurant et en espérant la terre de Clovis et de saint Rémi, el.j cette terre, fidèle à elle-même aussi bien qu'à Dieu,
(1) Psaume ii, vers. 1,2,3,4.
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avait, par une germination insensible, relevé vers le ciel ses tiges un moment abaissées. Charles- Auguste s'assit donc pour la première fois à la table sainte en portant dans son cœur et sur son front plusieurs joies ensemble : la joie de sa jeunesse, la joie de sa patrie retrouvée, la joie du christia- nisme renaissant, la joie des anges qui étaient des- cendus pour le visiter. L'onction de ce jour -là demeura dans son âme comme une blessure qui ne se ferma plus; encore que sa physionomie ressor- tît entre des lignes fortement accentuées , comme celles de toutes les vieilles races, il revêtit, par- dessus leur énergie native, une grâce pieuse qui lui obtint la première conquête qu'il ait faite pour Dieu.
D'ordinaire, c'est l'âge mûr qui conduit l'enfance à Dieu. Il a sur elle le triple empire de l'expérience , de la raison et de l'autorité, et cet empire ne lui fut donné sans doute que pour inspirer le bien et la vé- rité à l'intelligence ignorante et docile de l'enfant. C'est surtout la plus sacrée fonction du père. Mais pour donner Dieu, qui renferme seul tout bien et toute vérité, il faut le posséder soi-même; il faut le connaître, l'aimer et le servir. Or le père du jeune Forbin appartenait au siècle qui venait de s'achever; son oreille était pleine encore du rire ingénieux et illustre qui, depuis cinquante ans, poursuivait en Europe l'ouvrage du Fils de Dieu sur la terre. Il est vrai que, depuis, le sang et les larmes du monde avaient fait assez de bruit pour distraire de la mo- querie les esprits les plus légers ; mais s'il y avait
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stupeur, il n'y avait pas conversion. On s'étonnait qu'une catastrophe aussi terrible fût sortie de doc- trines aussi gracieuses; on regrettait le siècle passé comme un modèle d'esprit, d'élégance, de mœurs heureuses, d'une société accomplie, et l'on s'en pre- nait à tout de sa chute, excepté à Dieu et à soi. Tant il est difficile à l'aveuglement des hommes de discerner la révélation divine jusque dans les évé- nements où elle éclate le plus ! Quand Balthasar, les vases du temple de Jérusalem à la main , re- gardait sur la muraille le doigt de Dieu qui écrivait son arrêt, l'infortuné tremblait bien de tous ses membres , mais il ne comprenait pas encore son crime.
Le marquis de Janson dut à son fils la lumière que ne lui avaient point donnée les ruines d'une société corrompue. Il ne pouvait le voir à l'église sans attendrissement; la paix de ses traits, l'élé- vation de son âme qui montait doucement jusqu'à son visage pour l'illuminer, la joie sereine qui en- veloppait toute sa personne, ce spectacle du plus chaste bonheur, renouvelé sans cesse sous les yeux du père, le plongeait dans une sorte de contempla- tion en lui faisant de son fils même une apparition de la vérité. Enfin, un jour il vit Dieu clairement; l'âme du père et du fils se rencontrèrent dans les inébranlables certitudes de la foi; ils adorèrent, ils prièrent, ils aimèrent ensemble, et tel fut, Messieurs, le premier apostolat de M^ de Janson.
Il y avait alors sur le trône de France un homme supérieur à tous ses contemporains, non-seulement
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par le génie de la guerre et de la législation , mais surtout par la profondeur de ses instincts religieux. Aussi grand par la conquête que Cyrus, Alexandre, César et Charlemagne, il avait eu le mérite de re- porter sa nation vers Dieu , et, bravant jusque dans ses généraux les derniers sifflements de l'incroyance populaire, on l'avait vu saisir d'une main coura- geuse , et tenir ensemble dans un même faisceau l'épée, le sceptre et la croix de Jésus -Christ. Ce grand homme n'avait de haine contre rien : ni contre Dieu , parce que lui-même était puissant et le créa- teur d'un monde nouveau ; ni contre la noblesse , parce que lui-même descendait en droite ligne de tous les vieux héros; ni contre le peuple, parce que lui-même il en était l'enfant; ni contre le passé et l'avenir, parce qu'il se croyait aussi fort qu'eux. Homme social , il embrassait dans sa large poitrine toutes les pensées honnêtes de l'humanité, et n'y proscrivait rien que la bassesse et l'incapacité. Son armée, ses palais, ses conseils, sa main s'étaient ouverts à tous les débris épars de la société fran- çaise , et l'on rencontrait chez lui le marquis de l'ancien régime à côté du baron de l'empire, l'homme de la Convention à la gauche de l'émi- gré, le soldat de la dernière victoire avec un abbé de Saint- Sulpice. Napoléon, Messieurs, discerna le jeune Forbin, et le nomma auditeur au conseil d'État (i).
(1) Napoléon, sans doute, commit de grandes fautes contre la religion et contre les libertés publiques; mais un catho-
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C'était pour un jeune homme de vingt-deux ans, liéritier d'un grand nom et d'une grande fortune, vif, aimable, prompt d'esprit, c'était, dis-je, une préparation naturelle aux emplois les plus élevés de l'ordre administratif. Charles de Forbin n'avait plus qu'à suivre la pente facile du temps et de sa situation. Mais d'autres pensées roulaient au fond de son âme. Napoléon avait fait beaucoup pour la religion en lui rendant de la liberté, une partie de ses monuments, et en lui assurant une dotation publique en échange de ses anciennes possessions; mais alors même qu'il eût fait davantage , il n'eût apporté à la religion qu'un secours humain, utile sans être nécessaire , digne de reconnaissance , mais incapable de lui donner la vie. Dieu seul est la vie de la religion en la communiquant aux âmes, et il la communique aux âmes par d'autres âmes qui s'y dévouent, qui en deviennent l'expression par leur sainteté, l'organe par leur dévouement, la preuve vivante et populaire par leur autorité. Donner des âmes à la rehgion, voilà ce que les conquérants et les hommes d'État ne sauraient faire, et ce que fait tous les jours un pauvre prêtre en mettant les mains sur son cœur pour le sevrer des vaines joies du monde, et en les reportant purifiées sur le cœur des autres hommes, après les avoir levées en gé- missant vers Dieu. De saints prêtres ! tel est dans
lique ne saurait oublier qu'il lira la France du chaos, signa le concordat, se fit sacrer par le Pape, et mourut dans les bras do l'Église.
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tous les temps le cri de la religion ; mais en quels temps devait-elle le pousser plus haut qu'au com- mencement de ce siècle? La mort et l'exil avaient tari la lignée de ce vieux clergé français qui, par une tradition ininterrompue de savoir et de vertus, remontait jusqu'au double et sacré berceau du chris- tianisme et de la monarchie ; une foule d'églises abandonnées, beaucoup d'autres dirigées par de tout jeunes hommes attestaient la misère profonde de l'Église de France. Les temples étaient rouverts ; mais les pierres des temples, froides et muettes, ne répondaient point à la voix des peuples qui venaient y redemander Dieu.
C'est le propre des grands cœurs, Messieurs, de découvrir le principal besoin des temps où ils vi- vent , et de s'y consacrer. Or le premier besoin de l'empire dans les brillantes années qui l'avaient inauguré, c'était assurément de relever la religion en repeuplant le sanctuaire d'âmes choisies. Déjà, en dehors de l'enceinte sacrée, Dieu avait suscité d'illustres esprits qui étonnaient la France par la nouveauté de leur style et de leurs idées, et qui com- mençaient sur les hauteurs du monde, à travers l'encens de la poésie , la réédification imprévue de la cité de Dieu. Ne fallait- il pas que le sanctuaire s'unît à ce mouvement , et qu'ainsi concourût à la régénération sociale le triple génie du gouverne- ment, de la pensée et de la sainteté? Charles de Forbin se consumait intérieurement dans cette in- spiration de sa foi. Déjà il s'était uni à plusieurs jeunes gens de son âge pour s'exercer avec eux aux
œuvres de la charité et aux pratiques d'une piété plus ardente, et ce fut, dans Paris, les prémices de cette jeunesse chrétienne qui trente ans plus tard , au bruit de nouvelles révolutions , devait fonder la société de Saint-Vincent-de-Paul. Le troupeau de ces jeunes gens était petit alors; il avait pour direc- teur un prêtre dont le nom n'est pas venu jusqu'à vous, Messieurs, parce que la modestie quelquefois est plus puissante que le talent, mais qui a laissé dans le cœur de tous ceux qui l'ont entendu ce lien immortel que produit l'éloquence entre l'orateur et son auditoire. Il s'appelait Delpuits; j'ai plaisir à le nommer. D'autres ont acquis plus de gloire dans leurs rapports avec la jeunesse de France ; aucun ne l'a méritée davantage.
Cependant, quel que fijt le zèle de Charles de Forbin, il n'était pas sans trouver en lui-même des obstacles à son dessein. Il avait beaucoup à sacri- fier; son nom, sa fortune, son âge, ses succès dans le monde, son goût pour tous les exercices du corps, lui suscitaient à l'envi des raisons de rester ce qu'il était. Sa mère, issue des princes de Galéan, conspi- rait aussi contre sa vocation, soit qu'elle considérât l'abaissement extérieur où était tombé le clergé de France , soit par cette tendresse inexplicable dans une femme chrétienne, qui se persuade qu'elle per- dra quelque chose de son fils s'il devient un homme de Dieu. Elle employa toutes les ruses du génie ma- ternel pour le détourner de sa résolution; elle es- saya de l'arrêter en nouant son cœur par ces liens purs, mais forts, où la jeunesse s'éprend avec un
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abandon si digne d'être récompensé : elle ne put y parvenir.
Le jeune homme de vingt-quatre ans triompha de son cœur comme déjà il avait triomphé des illu- sions du rang, de la richesse et de l'ambition. L'heure finale du sacriOce était venue; en 1809, Charles de Forbin entra au séminaire de Saint- Sulpice, sous la direction du célèbre et vertueux Émery. Ses contemporains se rappellent encore la ferveur qu'il y apporta, et qui s'y manifestait par une sévérité envers lui-même qu'on n'eût pas at- tendue d'un adolescent élevé dans les délicatesses du grand monde. Quelque soin qu'il prît à cacher ses pratiques, ses condisciples en découvrirent quel- ques-unes; on remarqua qu'en plein hiver il lais- sait ses fenêtres ouvertes pendant la nuit, afin que son sommeil, devenu aussi léger que possible, ne durât que le temps nécessaire à la réparation du corps. Il préludait de la sorte à l'infatigable ardeur de son apostolat, sachant que la soumission du corps à l'âme est la seule voie que Dieu ait ouverte aux grandes ambitions morales, et que sans l'austérité extérieure, c'est en vain qu'on aspire à la sainteté ou au génie.
L'année 1811 fut pour l'abbé de Janson l'année sacerdotale. Il eût dû en recevoir l'onction des mains du cardinal Maury; mais le cardinal avait accepté le siège archiépiscopal de Paris malgré la volonté du Souverain Pontife prisonnier, et bien qu'il eût reçu des vicaires généraux légitimes les pouvoirs nécessaires à l'ordination, l'abbé de Jan-
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son ne voulut point lui devoir une grâce aussi pré- cieuse que celle du sacerdoce. Il prit ses mesures pour être ordonné à Gliambéry des mains de l'é- vêque de cette ville, qui le nomma son vicaire général.
Cette situation dura peu. Les fonctions adminis- tratives s'adaptaient péniblement au génie de l'abbé de Janson. Il revint à Paris et s'adonna à l'instruc- tion des enfants dans la paroisse de Saint-Sulpice. Vous remarquerez , Messieurs , cette brusque transi- lion: de la direction d'un diocèse, l'abbé de Janson passe subitement à l'humble ministère du caté- chiste; l'apostolat, qui est sa vraie, son unique vo- cation, le tourmente et l'emporte dès les premiers jours de son sacerdoce. Déjà il ne se contenait plus dans Paris; il jetait des yeux avides sur des contrées lointaines où le christianisme opprimé réclame à toute heure la parole et le sang apostoliques; il er- rait en esprit de l'Amérique à la Chine, de la Chine aux bords du Gange et de l'Euphrate; la main de Dieu l'avait saisi, et le promenait d'aspiration en aspiration, à travers tous les lieux désolés de la terre , pour choisir un poste où son dévouement ne fût pas à l'étroit.
Tout à coup, au sein même de la patrie, un cri prodigieux s'élève : le descendant de Cyrus et de César, le maître du monde avait fui devant ses en- nemis; les aigles de l'empire, ramenées à plein vol des bords sanglants du Dnieper et de la Vis- tule, se repliaient sur leur terre natale, pour la dé- fendre, et s'étonnaient de ne plus ramasser dans
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leurs serres puissantes que des victoires blessées à moH. Dieu, mais Dieu seul , avait vaincu la France commandée jusqu'à la fin par le génie, et triom- phante encore au quart d'heure même qui signa- lait sa chute. Je ne dirai point les causes de cette catastrophe; outre qu'elles ne sont pas de mon sujet, il répugne au fils de la patrie de creuser trop avant dans les douleurs nationales, et il laisse volontiers au temps tout le soin d'éclaircir les leçons renfermées par Dieu même au fond des re- vers.
Une position nouvelle était sortie pour tout le monde de la révolution qui venait de s'accomplir; les desseins de l'abbé de Janson en reçurent néces- sairement le contre-coup. La France lui apparut sous un aspect qu'elle n'avait pas eu d'abord à ses yeux. Il crut que le mouvement d'ascension reli- gieuse commencé sous l'empire allait continuer son développement avec une force plus décisive, et il chercha dans son zèle les moyens d'y concourir et de le hâter. Il comprit très-bien que l'empire n'a- vait constitué que la partie administrative et pasto- rale de l'Église de France, et qu'il manquait à ce corps tout jeune l'arme de l'apostolat, c'est-à-dire le service actif et dévoué de la parole. La religion est une pensée, et la parole est le soleil qui rend la pensée visible, vivante et communicable : comme le soleil fait chaque jour le tour du monde pour éclairer les corps, ainsi la parole, fille aînée de Dieu, doit chaque jour faire le tour du monde pour éclai- rer les esprits. Son premier mot, à l'origine des
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choses, avait été celui-ci : Fiat lux : — Que la lu- mière soit faite (1). C'est encore sa devise et sa fonc- tion; ce sera l'une et l'autre jusqu'au siècle futur où le Verbe de Dieu lui-même illuminera directe- ment l'assemblée des esprits dans la Jérusalem éter- nelle. Et jusque-là le ministère de la parole restera le premier ministère du monde , le ministère de la vérité, de la sainteté, de la justice, de l'ordre, de la création, de la résurrection, de la vie et de la mort. Parlez, ne vous taisez pas; ne vous taisez ni devant le glaive qui vous menace, ni devant la ma- jesté qui vous regarde, ni devant votre sœur qui vous conjure, ni devant votre mère qui se met à ge- noux pour vous supplier, ni devant les peuples qui vous crient : Silence ! ni devant les flots de la mer qui s'émeuvent pour étouffer votre voix. Parlez î Tel avait été l'ordre de Jésus -Christ à ses apôtres, et l'un d'eux, saint Paul, écrivait joyeusement : Je travaille pour l'Evangile jusqu'à porter des chaînes comme un malfaiteur ; mais la parole de Dieu n'est point enchaînée: — Laboro usque ad vincula, quasi maie operans; sed verbumDei non est alligatum (2). Tout, en effet, importe peu à l'Église, pourvu qu'elle parle; mais alors même qu'elle est libre, elle n'exerce pas toujours et partout cette puissance de la parole en la même manière ni au même degré. Il est des temps et des lieux où , tranquille maîtresse des esprits , n'ayant à combattre que des désordres ,
(Ij Genèse, chap. i, vers. 3.
(2) 11° Épître à Timolhée , chap. ir, vers. 9.
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suite naturelle de l'infirmilé de notre cœur, elle se borne à une parole d'édification qu'on pourrait appeler la prédication intérieure et pastorale. Il en est d'autres où elle trouve des intelligences re- belles , soit parmi les peuples qui n'ont pas encore reçu le mystère de la vérité, soit parmi ceux-là mêmes qui en furent éclairés, mais qui, dégoûtés de la lumière patrimoniale , en détournent les yeux pour se faire des astres de leur choix. Alors l'É- glise appelle à son secours une parole qu'il serait difficile de définir par des caractères constants , à cause de la variété des erreurs qu'elle doit com- battre et des âmes qu'elle veut vaincre , mais qu'on peut appeler la prédication extérieure ou apostolique.
M. de Janson crut que l'état des esprits en France appelait un grand déploiement de la pré- dication apostolique. 11 le crut avec d'autant plus de raison qu'il ne s'agissait pas seulement de lutter contre l'affaiblissement de la foi produit par les controverses philosophiques du dernier siècle, mais encore de se tenir au niveau d'un temps où la li- berté de la parole humaine, étant consacrée par les institutions publiques , exigeait pour contre- poids toute l'activité de la parole divine. C'était là , Messieurs, une pensée juste, élevée, hbérale. La parole humaine avait -elle droit de se plaindre si la parole divine cherchait un lit plus large et plus profond pour y couler? N'était-ce pas la parole divine qui, en conquérant sa liberté propre, avait fini par alïranchir la parole humaine? Ne pou-
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vaienl- elles vivre ensemble sur le terrain commun du droil nouveau , soit qu'elles dussent s'y com- batlre, soit qu'elles eussent le désir de s'y récon- cilier?
Il est vrai que, pour juger une pensée, il ne suffit pas de la considérer dans sa conception in- time, mais qu'il faut encore en voir la réalisation. Eh bien ! dira-t-on , qu'élait-il résulté de la pensée de M. de Janson? Tout à coup une nuée de mis- sionnaires s'était précipitée du nord au midi dans les grandes villes du royaume, appelant le peuple à des cérémonies étranges , inconnues de la tradi- tion catholique , à des chants qui n'exprimaient pas seulement les espérances de l'éternité , mais encore celles de la politique profane, à des pré- dications où l'excès du sentiment suppléait à la faiblesse de la doctrine, où l'on s'attaquait moins au cœur qu'à l'imagination , au risque de ne pro- duire qu'un ébranlement passager à la place d'une solide conversion. Était-ce là une œuvre sainte, une œuvre digne? Suffisait- il pour la justifier de l'entraînement des populations, et, sans parler des désordres qui protestèrent contre elle dans plu- sieurs nobles cités, ne faut-il pas tenir compte de la répulsion profonde qu'inspirait à une partie de la nation le peu de gravité de ce prosélytisme re- ligieux? Ah! ce n'était pas ainsi que les apôtres avaient conquis le monde; ce n'était pas ainsi que saint Paul s'était présente dans Athènes et dans Corinthe; ce n'était pas môme ainsi que les missionnaires modernes avaient charmé les peu-
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pladcs sauvages des deux Amériques. Fallait-il, après que le monde, élevé et fortifié par le chris- tianisme , avait acquis plus de délicatesse et de profondeur, le traiter avec si peu de respect dans les efforts d'une conquête plus difficile que la pre- mière?
Ces reproches, Messieurs, ont été dans la bouche d'un grand nombre de nos contemporains. Était-ce justice ? Je dirai ce que répondaient les partisans du nouvel apostolat.
C'était une erreur d'attribuer à M. de Janson la création des missions de France. Elles existaient depuis deux siècles , et avaient eu pour premier auteur l'un des hommes de France dont le nom est demeuré le plus populaire ; je veux dire saint Vin- cent de Paul. C'est lui qui , en 1626 , avait posé à Paris les fondements d'une société religieuse des- tinée à donner des missions dans l'intérieur môme du pays, société qui fut approuvée, en 1632, par une bulle du pape Urbain VIII , sous le nom de Congrégation des Prêlres de la Mission. Depuis, soit en France, soit en d'autres contrées catho- liques, des instituts semblables s'étaient formés; les missionnaires , conduits par leur zèle et leur expérience , avaient imaginé de joindre à la pré- dication des chants et des cérémonies qu'ils ju- geaient propres à exciter dans les fidèles la foi , le repentir et tous les sentiments chrétiens. Une tradition s'en était formée peu à peu, et, à la fin du dernier siècle, la voix puissante et célèbre du Père Brydaine donnait encore à ces règles une
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glorieuse confirmation. M. de Janson n'avait fait que ressusciter une pensée qui commençait à saint Vincent de Paul, et qui finissait à Brydaine. Il est vrai que la prédication des missionnaires an- ciens et nouveaux était souvent moins savante que populaire; mais était-ce donc un sujet de plainte dans un temps de démocratie? Ne pouvait -on, au XIX® siècle, travailler pour le peuple? Si le lan- gage des missionnaires déplaisait aux hommes de savoir et de goût, qui les contraignait de venir l'écouter? Ou plutôt, sous ces plaintes du goût blessé, ne se cachait -il pas la peur que le chris- tianisme ne reprît de l'ascendant sur une grande partie de la société? Ceux qui poursuivaient les missionnaires n'étaient-ils pas les mêmes qui pour- suivaient les Frères des Écoles chrétiennes, et la ré- volution de 1830 n'a-t-elle pas réhabilité et couronné les Frères des Écoles chrétiennes par la voix de ses ministres , de ses philosophes , de ses orateurs , et par la voix plus significative encore du peuple, lui-même?
Je n'irai pas plus loin, Messieurs; il me suffit de: vous avoir montré que la question avait deux faces : sérieuses, et quand une question a deux faces sé- rieuses, un homme de bien peut, le devoir et l'hon-- neur étant saufs, choisir l'une ou l'autre. C'est votre^ droit. Messieurs, c'est le mien; c'est aussi le droite de M. de Janson.
Je n'entrerai pas dans le détail de ses travaux, apostoliques. Au milieu même de leur cours, il était, naturellement ramené à la pensée de missions plus '
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lointaines, et il voulut du moins visiter la terre qui avait été le point de départ de tous les apôtres. En 1817, il partit pour l'Orient, évangélisadansSmyrne plusieurs nations ensemble, et s'étant ainsi préparé à voir Jérusalem , il y chercha pieusement les traces du Maître qu'il devait servir avec plus d'ardeur que jamais.
Tout autre que M. de Janson, Messieurs, n'eût recueilli de ce voyage que de doux souvenirs per- sonnels. Pour lui, le cœur tout plein des émotions qu'il en avait reçues, il conçut le dessein d'en faire jouir ses frères, non par un récit plus ou moins im- parfait, mais par une image vivante de la réalité. A. l'occident de Paris, sur une hauteur embrassée le trois côtés par les replis de la Seine, et d'où l'œil regardait tranquillement un immense horizon , M. de Janson possédait, avec un simple manoir, lune chapelle ornée de quelques tombeaux de fa- nille. Il était venu là souvent comme en un lieu domestique et solitaire; il y avait réfléchi sur lui- nême et sur toutes les grandeurs dont le théâtre se développait à ses pieds. Quelque route qu'il prît, 1.1 arrivait à des lieux célèbres. Un sentier le condui- jîait à Nantcrre, berceau de sainte Geneviève; un imtre à la Malmaison, séjour illustré par la fortune le Napoléon et la disgrâce de Joséphine; plus loin, nais tout proche encore, c'était Marly, où Louis XIV /enait se reposer de Versailles; sur le revers opposé, )n touchait à la forêt de Saint- Cloud et aux îles ombragées de Neuilly; aux exlrémilés de la plaine, ipparaissent Saint-Germain, Saint-Denis, et Paris.
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Il était impossible de s'asseoir là sans que l'âme y fût visitée par de bonnes visions, tant la nature y était belle, l'espace sublime, les souvenirs ra- dieux. M. de Janson résolut de donner ce lieu désert à un million d'hommes en y plantant une croix. Il se rappelait que le Sauveur du monde avait dit : Quand f aurai été élevé de terre, f attirerai tout à moi (1). Sa parole était-elle si fort glacée par l'âge, qu'elle ne pût s'accomplir à la face de Paris? La croix fut plantée; les fondements d'un hospice et d'une église se montrèrent de loin au-dessus du sol : la solitude cessa. On vit chaque année des pèlerins sans nombre, étrangers et citoyens, se presser aux portes de Paris , passer le fleuve sur des ponts et des barques , et gravir joyeux les pentes escarpées ou sinueuses de la montagne, attirés par cette croix qui, depuis dix- huit siècles, tient le monde sus- pendu à ses bras. Sainte montagne, comment vous aurais-je oubliée dans mon récit? Ne vous ai-je pas visitée quand ma jeunesse était florissante, et que la vérité commençait de se révéler à moi? N'ai-je pas connu tous vos détours? Ne me suis-je pas assis sur vos pierres pour y parler de Dieu à l'ombre brillante du soleil couchant? Et plus tard, après vous avoir vue dans vos jours de fête, je vous ai revue dans vos jours de désolation; comme un ami fidèle, qui survit à la fortune, j'ai suiv^ vos sentiers abandonnés, j'ai mangé à la table du vieux manoir demeurée hospitalière dans le
(1) Évangile de saint Jean, chap. xii, vers. 32.
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malheur, j'ai regardé de pieuses mains enlever de ^'oire cimetière des os précieux qu'elles n'osaient plus vous laisser. Tout était changé pour vous, hor- (nis le cœur de ceux à qui vous avez fait du bien , 3t en qui vous revivez par l'immortalité de leur sou- v^enir.
Nous voici, Messieurs, en l'année 1824. M. de Janson était dans la force de sa gloire et de sa ma- :urité. Il avait fondé une société religieuse qui ^emplissait la France de l'éclat de ses œuvres, et îlevé, à la vue de Paris , un monument qui attestait 'énergie toujours subsistante du christianisme. Sa /oix, d'une éloquence vive et naturelle, s'était fait intendre aux principales villes du royaume; Bor- leaux, Tours, Poitiers, Fontainebleau, Avignon, vlarseille, Toulon, Nantes honoraient ses prédica- ions d'un souvenir reconnaissant. Il y avait laissé ion- seulement la mémoire de son esprit, mais la némoire plus précieuse du zèle et de la charité. On 'avait vu passer ses journées et une partie de ses luits à entendre des communications de conscience ; m l'avait trouvé plus d'une fois dans sa chambre, itendu par terre, vaincu par le sommeil auquel il l'avait pas voulu se livrer. On savait que son cœur l^ït sa bourse étaient ouverts aux pauvres , et qu'il eur donnait jusqu'à ses vêtements les plus néces- ^' aires. Il existe un billet de sa mère qui est ainsi onçu : « Je vous envoie, Monsieur, deux dou- zaines de chemises pour mon fils ; mais je vous prie de ne pas les lui remettre toutes à la fois , car il n'en garderait que deux , et donnerait tout
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({ de suite le reste aux pauvres. » Une si belle car- rière, parvenue comme d'un seul jet à son midi, semblait présager un soir paisible , une vieillesse entourée d'hommages unanimes. Il n'en a pas été ainsi : le terme des succès était arrivé pour M. de Janson ; il allait descendre avec amertume la seconde pente de la vie.
Le roi lui offrit, en 1824 , l'évêché de Nancy et de Toul. Jusque-là les honneurs du commandement ne l'avaient point tenté; lorsque les missions de France furent fondées, il en avait refusé le gouver- nement, et avait appelé les suffrages sur M. l'abbé Rauzan , qu'il estimait supérieur à lui par son âge , son talent et son expérience ; il avait pareillement repoussé les offres du cardinal de Périgord, grand aumônier de France, qui, à l'époque du concordat passé entre le saint-siége et le roi Louis XVIII, lui avait proposé tel siège épiscopal qu'il lui plairait de choisir parmi ceux qu'on venait d'ériger. M. dCj Janson, dans ces deux rencontres, n'avait point cédé aux instances de ceux qui l'aimaient et qui le vénéraient; en 1824, il jugea convenable de leur obéir.
C'était un dévouement, Messieurs, mais un dé-- vouement qu'une amitié tendre et sévère eût pui appeler une faute. Car la Providence et la nature? sont tout ensemble prodigues et avares de leurs- dons ; quand elles ont accordé à un homme des= qualités extraordinaires, presque toujours elles: lui refusent certains avantages médiocres , dont': l'absence doit l'avertir des bornes d^ rbumanité. !
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M. de Janson avait reçu de Dieu, dans l'ordre na- turel, les dons magnifiques de la naissance, de la fortune et de l'esprit; il en avait reçu, dans l'ordre surnaturel, les dons plus précieux encore de l'a- postolat et de la charité : c'était une dotation trop riche pour qu'elle n'eût pas, quelque part dans sa personne, un utile contre -poids. TantqueM.de Janson n'avait pas commandé, tant qu'il avait pu dire :
Je ne suis qu'un soldat, et je n'ai que du zèle,
la partie moins lumineuse de sa nature était de- meurée comme ensevelie dans l'auréole de ses rares mérites. Mais le commandement exige , avec quel- que chose de très-haut dans l'intelligence et dans le cœur, certaines habitudes domestiques qui n'ont point d'éclat , et qui néanmoins, tombant goutte à goutte dans le commerce de la vie , adoucissent les relations, diminuent les difficultés, répandent sur les affaires une heureuse onction. Je nommerai l'exac- titude, pour me faire comprendre. Qu'est-ce que l'exactitude'^ N'est-ce pas une vertu du dernier degré? Ne connaissons -nous pas tous des hommes sans portée qui sont parfaitement exacts? Et pour- tant l'exactitude est tellement nécessaire dans ceux qui commandent, qu'on a dit d'elle, avec autant de justesse que de grâce, qu'elle est la politesse des rois.
M. de Janson, Messieurs, n'avait jamais eu l'oc- casion d'acquérir tous ces ornements de détail qui
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achèvent la structure morale d'un homme, et ajou- tent aux grandes lignes de sa physionomie l'expres- sion d'un travail flni. Il n'avait jamais gouverné ni souffert; il avait été libre et heureux depuis qu'il était au monde; il arrivait à quarante ans face à face d'un diocèse, avec la stricte obligation d'y vivre et d'y mourir, lui qui avait eu jusque-là le monde entier pour horizon, et qui encore s'y trouvait comme à l'étroit. N'ai-je pas le droit de penser que c'était mettre son dévouement à une trop forte épreuve? Je remarque aussi qu'il allait avoir à traiter direc- tement avec la société moderne, et je doute si sa naissance et son éducation l'avaient suffisamment initié à l'esprit de cette société. Mais vous me de- manderez peut-être : Qu'est-ce que l'esprit de la société moderne? Bien qu'il soit difficile de parler de son siècle, et qu'on soit à son égard dans la même position qu'un sujet vis-à-vis de son souverain, c'est- à-dire entre la crainte de l'insolence et celle de la llatterie, je vous en parlerai pourtant, afin de ne fuir aucun des périls de ma situation, et que, tout autre mérite m'échappant , celui de la franchise me reste.
La société moderne est fondée sur deux idées ca- pitales, qui peuvent bien, si on ne les regarde qu'à certains moments et dans certaines occasions, s'obscurcir aux yeux du spectateur, et même dis- paraître, mais qui remontent toujours à la surface , comme ces plantes enracinées au fond d'un fleuve, nourries de ses eaux et de son limon, et qui , bles- sées quelquefois par la force du courant, baissent
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un moment la tête, mais finissent toujours par ramener au-dessus des flots leur tige et leur cou- ronne. La première de ces idées , c'est qu'il n'existe entre les hommes d'autre distinction sérieuse que la distinction du mérite personnel, et que ni la nais- sance, ni la fortune, ni les emplois publics ne font rien pour élever un homme, s'il ne s'élève lui-même par sa capacité, ses services et sa vertu. La seconde, c'est qu'il existe au-dessus de tous, même au-dessus de la souveraineté, et en faveur de tous, des droits qui ne peuvent être ni retirés, ni méprisés, ni pres- crits , et qui ne sont pas seulement protégés par la force idéale de la nature et de la religion , mais en- core par la force sociale des lois, des mœurs et de l'opinion publique. Les limites de ces deux idées varient dans les esprits ; les uns en étendent le cercle, les autres le rétrécissent ; mais tous, à part un petit nombre d'hommes, les vénèrent comme l'arche sacrée du siècle présent. Ce n'est pas que les adver- saires de ces principes ne disent rien à leur sujet qui mérite d'être considéré; ils disent, au contraire, des choses remarquables, entre autres celles-ci : Que réduire l'homme à son mérite personnel, l'isoler dans l'ordre de la gloire, tandis qu'il n'est isolé ni par le sang, qui se transmet, ni par la fortune, qui se trans- met aussi, ni par la mémoire, qui le rattache invin- ciblement à ce qui l'a précédé , c'est violer l'instinct le plus fort de la nature , attaquer l'esprit de famille et de tradition, et ne faire plus de l'humanité qu'un tourbillon de poussière , sans lien et sans nom. Ils disent que la sohdarité dans le mérite , loin de nuire
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au développement du mérile personnel , en est le plus vif aiguillon , et que de même qu'un père est excité par la pensée de ses enfants à augmenter son patrimoine, il l'est pareillement à acc;oîlre la di- gnilé de son nom, comme aussi les enfants, parle souvenir de leur père , sont portés à ne pas dégéné- rer de son rang dans l'opinion des hommes. Ils disent aussi qu'élever le droit des peuples par-dessus la souveraineté qui régit l'ensemble du corps social, c'est élever la liberté plus haut que l'autorité , et les mettre dans un conflit perpétuel, où, nul n'étant ar- bitre du débat, chacun sera le maître de couvrir la tyrannie du nom de l'ordre, et la révolte du nom de la justice; que, du reste, il suffit de regarder le monde moderne pour connaître la vanité des idées sur lesquelles il est assis, puisqu'on ne peut rien voir à la fois de plus misérable et de plus chance- lant : la possession de l'or devenue le seul titre à l'exercice de tous les droits civiques, l'ambition vendant et achetant les consciences à ciel ouvert, le commerce déshonoré par une banqueroute qui n'a plus même la pudeur pour frein et la honte pour châtiment, l'obéissance sans amour, le pouvoir sans paternité , des mœurs qui ont l'hypocrisie de l'égalité et de la liberté plutôt qu'elles n'en ont le culte, et, par-dessous ce triste spectacle, le bruit d'une terre qui se remue, qui soupire et qui attend.
Je n'ai point à répondre, Messieurs, j'ai voulu seulement vous indiquer comment de nol^lcs esprits peuvent rester en dehors de la société moderne, et
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prolester contre ses principes , ses voies et son ave- nir. Le temps décidera entre eux et nous , et peut- être est-il écrit, dans une région plus haute, que la victoire ne sera ni pour nous ni pour eux, mais pour Dieu seul. Peut-ê(re sera-t-il établi, par l'inévitable révélation des choses, que la vieille société a péri parce que Dieu en avait été chassé , et que la nou- velle est souffrante parce que Dieu n'y est pas suffi- samment entré.
Maintenant, Messieurs, je n'ai plus qu'un mol à dire : la révolution de 1830 sépara Mg'' de Jan- son de son troupeau et anéantit tous ses travaux antérieurs; des millions d'hommes se levèrent et écrasèrent les pensées et les œuvres d'un homme.
Mgï^ de Janson avait quarante-cinq ans. C'est l'âge de la plénitude, l'âge où tout ce que l'on a semé dans sa vie lève autour de l'homme ses branches chargées d'ombres et de fruits, et cet âge-là même était celui où Mgr de Janson venait de perdre son passé, et voyait sa vie gisante devant lui comme un arbre coupé jusqu'à la racine. Il est difficile à ceux qui ne l'ont pas éprouvée de connaître à fond la dou- leur de cette situation , et quel courage il faut pour n'y pas succomber. M?'' de Janson n'y succomba point. Il ne vit pas sa disgrâce sans émotion ni sans regret; mais il trouva dans son cœur des ressources pour la supporter devant Dieu, pour l'honorer de- vant les hommes et pour la faire servir au bien de ses frères. Sa fortune devint plus que jamais le pa- trimoine des pauvres; il prenait part à toutes les bonnes œuvres de la capitale, et secourait une foule
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de misères sans nom qui s'y cachent même à la cha- rité ; il ouvrait sa main avec la joie d'un évêque et la libéralité d'un prince. 11 donnait jusqu'à ses vête- ments pontificaux. Un jour qu'il demandait quelque ornement dont il avait besoin pour officier , on vint lui dire qu'on n'en trouvait aucun ; il s'en était dé- pouillé peu de jours auparavant en faveur d'un pauvre évêque de l'Océanie.
Neuf années s'écoulèrent dans ces occupations charitables , dont Dieu seul a tout le secret , et qui , de la veille au lendemain , ne laissaient aucune trace dans le cœur même qui en faisait son aliment. Mais le nombre des jours mesurés par la Providence à Mgr de Janson approchait de son terme, et comme ces lampes qui, avant de s'éteindre, jettent un der- nier éclat, il sentit renaître en lui les visions loin- taines de sa première jeunesse. En 1839, il partit pour l'Amérique, seul, sans serviteurs, accompagné de quelques missionnaires qu'il établit d'une ma- nière fixe à la Louisiane, et pour lui , choisissant le Canada, qui est une terre française, pour le théâtre principal de ses courses apostoliques , il y déploya pendant dix-huit mois une infatigable activité. Nous n'avons pas l'idée des triomphes de la parole dans ces contrées transatlantiques, et du spectacle qu'y présentent les populations , lorsqu'elles accourent se suspendre aux lèvres d'un missionnaire. Mg^ de Janson prêchait souvent en plein air à des auditoires de dix et de vingt mille hommes ; le sommet des montagnes, le bord des fleuves et des lacs lui ser- vaient de basiliques , à défaut des églises , devenues
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trop étroites; il donna ainsi coup sur coup plus de soixante missions dans les campagnes, sans parler de ses travaux à la Nouvelle-Orléans , à Montréal, à Québec , à New- York , et de ses excursions parmi les tribus sauvages , qui le reçurent avec une naïve admiration. Les évêques des États-Unis l'appe- lèrent au concile de leur Église ; il en signa les actes, ainsi que la lettre adressée par eux aux arche- vêques de Cologne et de Posen, pour les féliciter d'avoir opposé un inébranlable courage aux per- sécutions de la puissance civile. Revenu en Europe sur la fin de 1841 , Mgr de Janson alla solliciter de la reine d'Angleterre la grâce de six cents Canadiens exilés de leur pays par suite de troubles politiques : peu de temps après, les bannis furent rappelés.
Ce n'était là que le prélude des desseins de Mgr de Janson. Une fois rentré dans la vie apostolique, il reconnut son élément naturel, et sa jeunesse s'y ral- luma tout entière. Quand on jette un regard sur les conquêtes du christianisme dans le monde , on le voit maître de l'Europe et des Amériques, possesseur d'une grande partie des côtes africaines, s'étendant par le septentrion de l'Asie jusqu'aux murailles de la Chine, touchant à la Perse, dominant dans l'Inde, protecteur ou souverain des îles de toutes les mers , et n'ayant plus devant lui, comme point d'arrêt, depuis la chute de la puissance ottomane, qu'un seul grand empire, qui est l'empire chinois. Séparé de nous par de vastes terres sans civilisation et par plusieurs océans, cet empire a bravé jusqu'ici notre
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le roi et la reine des Belges avaient donné à leurs enfants le protectorat de l'œuvre dans leurs États; une multitude d'enfants de toutes les conditions s'y étaient inscrits sur les listes ; un grand nombre d'évêques avaient promis leur coopération. Rentré à Paris pour y passer l'hiver et s'y reposer de ses voyages , Mgr de Janson y continuait , par ses cor- respondances et dans des réunions publiques , l'exécution de son vaste dessein. C'est là que nous le vîmes atteint du mal qui devait le ravir à l'Église; courbé sous la fatigue, oppressé, presque sans voix, il nous surprit par la sérénité de son visage et l'ardeur de son entretien. Depuis quatorze ans que nous approchions de sa personne, nous l'avions toujours trouvé spirituel, aimable, bienveillant, laissant dans le cœur une impression qui ramenait vers lui; mais, pour la première fois, il nous toucha et nous parut vénérable. La disproportion de ses forces avec sa pensée était si manifeste , son air de sécurité contrastait si fort avec le ravage de la maladie, que nous crûmes voir un enfant ou un saint se jouer des atfaires et de la mort.
Non qu'il s'aveuglât sur sa situation ; il en avait conscience depuis longtemps , et dès la fin de son séjour en Amérique, quoique l'exaltation de son zèle voulût lui cacher les ruines prématurées d'un corps qu'il avait usé pour Dieu, et auquel il venait de por- ter le dernier coup, il écrivait ces lignes touchantes : « Quelquefois il me vient en pensée que je ne résis- « terai point à cette maladie d'épuisement, et que
YIII. - 4
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a je vous enverrai seulement à Nancy quelques (( restes de moi, ce pauvre cœur, par exemple, qui « n'a guère été bien connu que de vous et de quel- « ques amis et enfants dans notre ville épiscopale. « Je présume cependant que notre cathédrale lui « accordera bien un dernier lieu de repos et de « paix. Que la très-sainte volonté de Dieu s'accom- « plisse (I) ! »
Pourquoi tairais -je comment je vis pour la der- nière fois Mgr de Janson? J'allais quitter Paris; quelques jeunes gens m'entouraient dans ma chambre des cordiales démonstrations de leur pieuse amitié; le bruit d'une voiture se fit entendre; un moment après la porte s'ouvrit, et nous vîmes le vieil évêque de Nancy , le cœur et les mains toutes jeunes, s'avancer vers nous, en tirant de sa poi- trine affaissée quelques sons imparfaits, mais si sincères et si bons, qu'ils nous allèrent au fond de l'âme.
Cinq mois après, le 11 juillet 1844, aux portes de Marseille, Ms^ de Janson rendait à Dieu son âme immortelle.
Ainsi, Monseigneur, disparaissaient tour à tour par un appel de Dieu trop rapide, les hommes d- foi qui les premiers ont reconstruit sur le sol renou vêlé de la France notre antique Église. Aucun, parmi ces pères de notre âge, n'a porté sur les ruine du sanctuaire unu main plus illustre que votre pré décesseur immédiat ; aucun , une main plus dévouée :
Jdû (1) Lettre du 16 août 1841 , à Us^ iMeujaud. m
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plus active, et plus meurtrie. Renversé par une tem- pête qui a déraciné des rois , il a laissé d'un côté de sa vie des œuvres détruites, et de l'autre côté des œuvres inachevées, mais aussi et d'autant plus le souvenir d'une âme apostolique que le rang et la fortune ne détournèrent point de sa vocation , que le travail ne rebuta jamais, que le malheur éprouva sans l'abattre ni l'aigrir. Vous vivrez longtemps, Monseigneur, sur ce siège que vous tenez de son choix, et où votre présence nous rappellera son 3sprit de discernement; vous y vivrez pour faire aimer et bénir la religion, qui est le premier bien ies hommes, leur force et leur gloire, et qui pour- tant reçoit aussi d'eux, parles vertus mêmes qu'elle [eur donne, la puissance et l'honneur. Et vous, mes ifrères dans le sacerdoce de Jésus-Christ, qui avez ideux fois perdu, par l'absence et par la mort, un iiévêque qui vous était si cher, nous tous, en voyant .omber si vite les appuis que Dieu avait suscités à îson Église, nous connaîtrons davantage nos devoirs Jtît la brièveté du temps qui nous est dispensé pour es accomplir; nous ferons sur nous-mêmes de plus jîérieux retours , et nous nous hâterons de cultiver c:es courtes années qui ont été commises à notre ■ Idélité. Plus riches que nos prédécesseurs, nous possédons le fruit de leur travail, l'exemple de [leurs vertus, et un siècle qui a mûri lui-même sous î- a lumière miséricordieuse des plus grands événe- jir.ents. Ferons - nous pourtant mieux et plus que jios pères? Héritiers de Zorobabel, qui releva les ruines du temple, rebâtirons- nous , comme Néhé-
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■ ! mias, les murs et les tours de la sainte cité? Dicuj
seul, qui lit au plus loinlian des âges, Dieu le'
sait. Mais si cette gloire nous est refusée, si la'
truelle et l'épée tombent de nos mains avant d'avoir^
achevé l'enceinte de Jérusalem, puissions-nous duj
moins laisser aux enfants de la captivité une mé--
moire de nous qui les fortifie, un parfum qui s'élève
de notre tombe, et qui porte à leur cœur, avec de
bonnes nouvelles du passé , un présage heureux de :
l'avenir 1
ÉLOGE FUNEBRE
DU
y r
GENERAL DROUOT
ELOGE FUNEBRE
DU
GÉNÉRAL DROIJOT
Monseigneur (l), Messieurs,
La France venait d'être visitée parles plus grands revers de son histoire. Tandis que les flols empor- taient loin d'elle l'homme qui lui avait ouvert dix fois les capitales du monde, ses propres chemins lui ramenaient de tous côtés les débris vaincus de ses légions. On vit alors un jeune général, qui avait en vain défendu la patrie jusqu'au dernier quart •d'heure, abdiquer le service militaire et rentrer vo- lontairement sous le toit de sa famille, où ne le con-
(IJ Mgr Menjaud, évêque de Nancy et de Tout.
— dl6 — 'viaient ni les jouissances de la fortune ni les gran- deurs du sang. Il rapportait aux siens vingt années de guerre, des grades obtenus lentement l'un après l'autre, des titres qui n'effaçaient point l'éclat de son mérite personnel, un nom connu de la France et respecté de l'armée. Mais si belle que fût cette part d'un soldat, elle ne l'avait point conduit au premier degré de l'illustration. Il n'avait pas, comme d'autres, présidé au sort des batailles, dirigé des sièges, conquis et gouverné des royaumes; il avait toujours eu devant sa gloire une gloire plus haute que la sienne. Une fois rentré dans la vie domes- tique, il ne la quitta plus; insensible aux occa- sions qui venaient tenter sa solitude, il laissa ses compagnons d'armes poursuivre dans des sentiers nouveaux une carrière qui n'était point achevée , et pour lui, plus modeste que fatigué, il se crut au terme de tout ce qui pouvait lui donner encore de l'empire et du renom. L'âge et les maux du corps semblèrent correspondre à ses pensées de retraite, et, sans lui ôter jamais la pieuse activité des de-i voirs obscurs, achevèrent de jeter sur son existence un voile de plus en plus profond, jusqu'à ce qu'en- fin, rassasié de jours, mais prêt encore à vivre, il entendit cette voix qui vient d'en haut , et qui appelle tout homme, quel qu'il soit, au tribunal de Dieu.
- La France avait eu le temps d'oublier ce vieux serviteur. Trente-deux années pleines d'événements la séparaient de l'époque où il avait cessé de corn--: battre pour elle, et le bruit de sa fin ne devait, ce^
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- uble, éveiller dans les nouvelles générations qu'un souvenir affaibli et une louange sans caractère. Il n'en fut pas de la sorte. La mort le ressuscita tel que les premiers jours du siècle l'avaient vu aux champs de Wagram, de la Moskowa, de Lulzen et de Bautzen , de Dresde et de Hanau ; elle le montra tirant dans Waterloo le dernier coup de canon de la France; elle fit revivre des mots fameux qui avaient été dits de lui ; elle amena la France tout entière visiter son jardin, sa maison, et regarder son visage encore une fois. La piété publique lui composa de royales funérailles, et l'opinion, voulant exprimer la pensée commune , rencontra pour parler de lui des expressions qui venaient du cœur de tous. Quel était donc cet homme? Qu'avait-il fait? Quelle avait été sa vie? Pourquoi, parmi de plus illustres, était-il plus cher et plus admiré? Je viens vous le dire, Messieurs, quoique vous le sachiez tous; je viens, en vous entretenant de cette belle carrière, rendre au héros que nous avons perdu un honneur reli- gieux, donner à votre âme une consolation qu'elle recherche, et peut-être aussi à nos contemporains des enseignements qui les toucheront , puisqu'ils sortiront d'une vie honorée de tant d'amour et con- sacrée par tant de respects. C'est avec cette triple intention , et sous la garde de Dieu , que je com- mencerai l'éloge du très-bon , très-grand , très-mé- morable soldat et citoyen Antoine Drouot, général d'artillerie, gouverneur de l'île d'Elbe, commandant de la garde impériale, grand'croix de la Légion d'honneur, comte de l'Empire et pair de France.
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L'homme qui devait un jour porter tous ces titres et mêler son nom aux plus célèbres événements de l'histoire moderne, était né à Nancy, le 11 jan- vier 1774, d'une famille plébéienne et pauvre, qui vivait honnêtement dans cette ville du rude métier de la boulangerie. Dieu leur avait donné douze en- fants; Antoine Drouol était le troisième des douze. Issu du peuple par des parents chrétiens, il vit de bonne heure dans la maison paternelle un spectacle qui ne lui permit de connaître ni l'envie d'un autre sort, ni le regret d'une plus haute naissance; il y vit l'ordre, la paix, le contentement, une bonté qui sa- vait partager avec de plus pauvres, une foi qui en rapportant tout à Dieu élevait tout jusqu'à lui, la sim.plicité, la générosité, la noblesse de l'âme, et il apprit de la joie qu'il goûta lui-même au sein d'une position estimée si vulgaire, que tout devient bon pour l'homme quand il demande sa vie au tra- vail et sa grandeur à la religion. Jamais le souvenir de ces premiers temps de son âge ne s'effaça de la pensée du général Drouot; dans la glorieuse fumée des batailles, aux côtés mêmes de l'homme qui te- nait toute l'Europe attentive, il revenait par une vue de cœur et un sentiment d'action de grâces à l'humble maison qui avaitabrité, avec les vertus de son père et de sa mère, la féhcité de sa propre enfance. Peu avant de mourir, comparant ensemble toutes les phases de sa carrière, il écrivait : « J'ai connu le (( véritable bonheur dans l'obscurité, l'innocence et « la pauvreté de mes premières années. » Puisque tel était le charme qui rappelait le héros vers les
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commencements de lui-même, approchons - en de plus près, et cherchons dans quelques vestiges sub- sistants ce qu'il y avait donc de si aimable en cette enfance demeurée si chère.
Le jeune Drouot s'était senti poussé à l'étude des lettres par un très-précoce instinct. Agé de trois ans, il allait frapper à la porte des frères des Écoles chrétiennes, et, comme on lui en refusait l'entrée parce qu'il était encore trop jeune, il pleurait beau- coup. On le reçut enfin. Ses parents, témoins de son application toute volontaire , lui permirent , avec l'âge, de fréquenter des leçons plus élevées, mais sans lui rien épargner des devoirs et des gènes de leur maison. Rentré de l'école ou du collège, il lui fallait porter le pain chez les clients, se tenir dans la chambre publique avec tous les siens , et subir dans ses oreilles et son esprit les inconvénients d'une perpétuelle distraction. Le soir, on éteignait la lumière de bonne heure par économie, et le pauvre écolier devenait ce qu'il pouvait, heureux lorsque la lune favorisait par un éclat plus ^^f la prolongation de sa veillée. On le voyait profiter ardemment de ces rares occasions. Dès les deux heures du matin, quelquefois plus tôt, il était debout; c'était le temps où le travail domestique recommençait à la lueur d'une seule et mauvaise lampe. 11 reprenait aussi le sien; mais la lampe infidèle, éteinte avant le jour, ne tardait point de lui manquer de nou\Tau; alors il s'approchait du four ouvorl et enflammé, et conti- nuait, à ce rude soleil, la lecture de Ti;e-Live ou de César.
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Telle est cette enfance dont la mémoire poursui- vait le général Drouot jusque dans les splendeurs des Tuileries. Vous vous en étonnerez peut-être; vous vous demanderez quel charme il y avait à cela. 11 vous l'a dit lui-même : c'était le charme de l'obs- curité, de l'innocence et de la pauvreté. 11 croissait sous la triple garde de ces fortes vertus; il croissait comme un enfant de Sparte et de Rome, ou, pour mieux dire encore et pour dire plus vrai, il croissait comme un enfant chrétien en qui la beauté du natu- rel et l'effusion de la grâce divine forment une fête mystérieuse que le cœur qui l'a connue ne peut ou- blier jamais. Drouot l'avait connue. 11 avait puisé dans cette expérience de sa jeunesse la souveraine persuasion qu'il ne faut à l'homme, pour être heu- reux, ni richesses ni dignités, mais que le strict nécessaire suffit à la joie du corps, la culture désin- téressée des lettres à la joie de l'esprit, l'accomphs- sement du devoir à la joie de la conscience, l'amour de Dieu et des hommes à la joie surabondante de lame tout entière. 11 croyait à cela, il y croyait de toutes les forces de son être; il faisait plus qu'y croire, il en avait là démonstration, le sentiment, le goût, la réalité vivante, au dedans de lui. Chaque mouvement de son cœur prenait sa source dans cette invincible et stoïque certitude. Ou plutôt, elle n'était pas stoïque, elle ne lui coûtait nul effort. Elle était devenue sa nature même, et lui avait donné cette modestie surhumaine de désirs qu'on lisait dans tous ses traits comme dans toutes ses actions.
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Il s'en fallut peu que le Ciel ne cachât à la terre le trésor qu'elle possédait. A seize ou dix- sept ans, Drouot songeait à revêtir l'habit de Chartreux. Mais le cours des siècles et de la Providence avait amené sur le monde une heure célèbre : l'éternité nomma 1792, la France se leva, et avec la destinée des rois et des nations la destinée de Drouot fut elle-même changée.
J'ai tort de dire qu'elle fut changée; car elle ne le fut qu'extérieurement, et non pas dans son fond. Tel qu'il eût été dans les cloîtres de Saint-Bruno, calme, simple, vivant du devoir, méprisant la mort et la pauvreté, tel il le fut dans les camps, sous le feu de l'ennemi. De toutes les analogies morales, nulle n'est plus frappante que l'analogie du reli- gieux et du soldat. C'est la même discipline et le même dévouement. Mais chez Drouot, à cause de l'extrême pureté de son âme, la ressemblance était plus vive et plus remarquable encore. Quoi qu'il en soit, la France avait besoin de soldats pour dé- fendre son indépendance contre les conjurations de l'étranger. Sans alliés au dehors , bouleversée au dedans par la ruine subite de toutes ses traditions sociales, privée de la plus grande partie de son ancienne noblesse militaire, elle avait besoin de trouver dans les générations plébéiennes le talent, le courage, la confiance et l'héroïque fortune qui pouvaient seuls la sauver. Elle les trouva; elle les trouva non pas une fois et dans une heure d'exalta- tion, mais pendant vingt-cinq ans. Soit qu'elle pré- vînt ou qu'elle attendît les desseins de l'Europe,
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jamais, durant un quart de siècle, elle ne fut au- dessous de la tâche d'un peuple qui se défend contre tous. Il fallut que la nature s'armât contre elle en moissonnant d'un seul coup toutes ses vieilles ban- des, et encore n'eût-elle pas succombé, si les circon- stances intérieures de sa vie lui eussent laissé la même foi et la même ardeur qu'au commencement de cette gigantesque lutte. Drouot fut un des hommes que la Providence lui donna pour en soutenir l'ef- fort; il parut au premier coup de canon, il tira le dernier.
C'était durant l'été de 1793. Une nombreuse et florissante jeunesse se pressait à Ghâlons-sur-Marne dans une des salles de l'école d'artillerie. Le célèbre la Place y faisait, au nom du gouvernement, l'exa- men de cent quatre-vingts candidats au grade d'élève sous-Heutenant. La porte s'ouvre. On voit entrer une sorte de paysan, petit de taille, l'air in- génu , de gros souliers aux pieds et un bâton à la main. Un rire universel accueille le nouveau venu. L'examinateur lui fait remarquer ce qu'il croit être une méprise, et sur sa réponse qu'il vient pour subir l'examen, il lui permet de s'asseoir. On attendait avec impatience le tour du petit paysan. Il vient enfin. Dès les premières questions, la Place recon- naît une fermeté d'esprit qui le surprend. Il pousse l'examen au delà de ses limites naturelles; il va jusqu'à l'entrée du calcul infinitésimal : les ré- ponses sont toujours claires, précises, marquées au coin d'une intelligence qui sait et qui sent. La Place est touché; il embrasse le jeune homme et lui an-
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nonce qu'il est le premier de la promotion. L'école se lève tout entière, et accompagne en triomphe dans la ville le fils du boulanger de Nancy. Vingt ans après, la Place disait à l'Empereur: « Un des « plus beaux examens que j'aie vu passer dans ma
vie est celui de voire aide de camp le général
Drouot. »
Vous ne m'eussiez point pardonné , Messieurs, si, sous le prétexte d'une certaine dignité de la parole, j'avais tenu hors de vos regards ces premiers pas de votre concitoyen dans la vie publique. Vous l'allez voir paraître sur les champs de bataille; mais quel- que gloire qu'il doive y acquérir, le triomphe de Châlons- sur- Marne est un péristyle où vous aurez aimé à le reconnaître et à le saluer.
Un décret de la Convention nationale qui appe- lait au service les dix premiers élèves de la promo- tion où il avait été compris, ne tarda pas d'envoyer Drouot à l'armée du Nord en qualité de second lieu- tenant au premier régiment d'artillerie à pied. L'ar- mée du Nord avait à sauver Dunkerque assiégé par les Anglais et les Hollandais sous le comman- dement du duc d'York. Successivement chassé de toutes ses positions, l'ennemi s'était retranché au pied de la petite ville d'Hondtschoote, par où il cou- vrait encore les places de Bergues, de Furnes et de Dunkerque. Il s'agissait de l'arracher de ce poste, qui était son dernier point d'appui. L'armée fran- çaise s'y porta deux fois sans réussir dans son at- taque, à cause de l'artillerie qui la foudroyait. Dans une troisième tentative , Drouot , qui commandait
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la quatorzième compagnie de son régiment en l'ab- sence du capitaine et du premier lieutenant, établit de lui-même une batterie qui assura le succès du mouvement et le gain de la bataille par la prise de. la redoute d'Hondtschoote. Un représentant du peuple vint lui adresser des félicitations. Drouot remarquant qu'on ne poursuivait pas les Anglais, dont la retraite était fort périlleuse , on lui fit en- tendre que les troupes étaient fatiguées : « Des troupes victorieuses, répondit- il, n'ont pas besoin de repos. »
Le service que rendit Drouot à la bataille d'Hondtschoote, il le rendit cent fois dans le cours de sa vie militaire. Mais tant qu'il occupa des grades inférieurs, la renommée n'en apprit que peu de chose. à la France. Doué d'un coup d'œil sûr, d'une intrépidité égale à sa présence d'esprit, il possédait l'art d'obtenir du canon dans un moment donné un effet décisif. C'est ainsi que sur les bords de la Trebia , en 1799, il couvrit la retraite du général Macdonald, qui, avec les restes de l'armée de Naples, avait en vain tenté dans un combat san- glant de se faire jour à travers les forces russes et autrichiennes pour rejoindre Moreau dans le Pié- mont. Le général Macdonald , élevé aux premiers honneurs de la guerre, n'oublia point l'officier de la Trebia. Il le retrouva dans une occasion mémorable où Drouot avait à disputer contre une accusation capitale sa vie et son honneur, et il lui rendit un témoignage digne de tous les deux. Ce fut la source d'une amitié qui s'épancha de longues an-
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nées dans une correspondance d'un intérêt tou- chant. On n'eût pu croire que tant de délicatesse ,ingénieuse et tendre sortît de l'âme de deux vieux soldats.
Laissez- moi suivre rapidement, Messieurs, ces commencements militaires de Drouot.
Avant d'être envoyé à l'armée de Naples, il avait passé de l'armée du Nord à celle de Sambre-et- Meuse, et pris part à cette grande bataille de Fleu- rus qui nous livra la Belgique et la Hollande. De l'Italie il court au Rhin, sous le commandement de Moreau, et il assiste à cette autre fameuse bataille de Hohenlinden qui eut pour couronnement la paix de Lunéville. Moreau remarque le jeune capitaine. L'apercevant un jour à sa table, il se prit à dire à ses officiers : « Une des plus belles compagnies d'ar- « tillerie que j'aie jamais vues , est la quatorzième (( du premier régiment. Elle était alors commandée « par un enfant, et cet enfant, ajouta-t-il, c'est le « capitaine Drouot que vous voyez là. »
Une expédition navale destinée aux Antilles se préparait en 1804 dans le port de Toulon. Drouot partit sur l'escadre comme directeur de l'artillerie de débarquement. Il souffrait beaucoup en mer, et sans aucune relâche, si ce n'est quand, à la ren- contre de vaisseaux ennemis, il entendait le bruit du canon : alors, reprenant ses sens et sa force morale comme par enchantement, il paraissait debout sur le pont, animé et maître de lui, jus- qu'à ce que le combat étant fini et le péril passé ,
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le mal reprenait son empire avec une nouvelle' énergie.
Dans la campagne de 1808, il assiste à l'attaque et à la prise de Madrid en qualité de major de l'ar- lillerie à pied de la garde impériale. L'année sui- vante, il est à Wagram, et, dans un moment d'hé- sitation de l'armée, il forme et porte en avant une batterie qui jette le trouble au j lus fort des batail- lons autrichiens. Plusieurs fois depuis, l'empereur manifesta le regret de n'avoir pas rendu à cette manœuvre toute la part qui lui appartenait dans le succès de celte grande journée. Il commençait ce- pendant à connaître Drouot, que le général Lari- boissière mourant lui légua plus tard comme le pluj beau présent qu'il pût lui faire. Il le nomma officier de la Légion d'honneur sur le champ de bataille, et peu après baron de l'empire.
La campagne de Russie s'ouvrit. Drouot se trouva aux principales affaires avec la garde impériale. Il fut nommé commandant de la Légion d'honneur à la Moskowa, où son artillerie se signala de nou- veau. Un genre de mérite plus haut et plus rare allait achever de le rendre cher à l'empereur. Les éléments s'étaient déclarés contre la France. Ces héroïques bandes qui, de Lisbonne à Moscou , des Pyramides à Berlin , n'avaient pu rencontrer de vainqueurs, s'étonnaient à la fin de sentir leur poi- trine oppressée et leurs bras hésitants. La Provi- dence avait fait un signe à la nature, et le cœur de ces hommes, hardis tant de fois à rencontre de toutes les fortunes, se voyait pris de faiblesse pour i
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la première fois. La science ni le courage militaire ne suffisaient plus à les sauver; il y fallait une autre science, un autre courage. Pardonnez, Drouol, si nous parlons sur votre tombe des désastres de la pairie; vous vivant, nous n'eussions osé vous en rappeler le souvenir, ni pour vous plaindre ni pour vous louer. Votre âme en souffrait encore après trente ans; elle en comptait chaque année les dou- loureux anniversaires, et vous n'eussiez pas cru possible qu'on tirât de nos malheurs quoi que ce soit qui pût aller à votre gloire et la grandir. Pardonnoz si tous nos respects vous survivent, excepté celui qui nous empêcherait de vous reconnaître tout en- tier I Il fallait, disais-je, aux victorieux fugitifs de Moscou une autre science et un autre courage que ceux du soldat; il leur fallait la science de la force morale, le courage de souffrir et d'espérer toujour-î. Drouot les avait. Il eût pu croire sans trahison qu'il les avait pour lui seul, et qu'il ne devait pas prodi- guer cet incomparable et si opportun trésor. Mais il n'était pas capable d'une telle avarice de vertu. Sans s'inquiéter s'il en aurait assez pour tous, il résolut de la communiquer à ses compagnons d'armes, à ceux du moins qui lui étaient particulièrement con- fiés, et qui allaient partager avec lui le sort de celte formidable aventure. Chaque matin donc , en plein air, comme s'il eût été sous le ciel de Naples, il ôtait son uniforme, ouvrait le col de sa chemise, appen- dait un miroir à l'affût d'un canon, se faisait la barbe et se lavait le visage devant toute sa troupe. Il n'y I manqua pas un seul jour, à quelque degré doulou-
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reux que la température descendît. La Providence récompensa son dévouement. Il ramena jusqu'en Pologne toutes ses batteries, sans avoir perdu un seul canon. C'est vous dire assez qu'il n'avait pas seulement sauvé le matériel, mais qu'il avait eu le bonheur de sauver aussi la plus grande partie de ses enfants.
L'empereur le nomma immédiatement général de brigade d'artillerie, et l'attacha à sa personne comme aide de camp. C'était en janvier 1813.
Tant que la France avait été victorieuse, c'est-à- dire pendant vingt ans, Drouot, malgré ses services, était demeuré dans un rang inférieur et comme à l'arrière -garde de la gloire. 11 avait vu se former dans les batailles tous nos capitaines renommés, les Jourdan, les Hoche, les Marceau , génération primi- tive d'où avait fleuri le rameau plus fécond encore de l'empire, les Victor, les Macdonald , les Duroc, les Lannes, les Bessières, et tant d'autres à qui le discours, pour obéir aux lois de la sobriété , fait bien plus défaut que la mémoire. Tous, vivants ou morts, étaient parvenus avant nos revers au comble de la réputation et des honneurs. Drouot seul était en re- tard de son immortalité. Comme une plante modeste et peu hâtive, il s'était caché à l'ombre des grands noms, et Dieu, se servant de sa vertu même pour en suspendre l'éclat, l'avait réservé à nos jours de malheur. La France fut étonnée d'apprendre, au bruit des campagnes de 1813 et de 1814, qu'elle possédait depuis longtemps le premier officier d'ar- tillerie de l'Europe. Elle sut que le coup décisif des
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batailles de Liitzen, de Baulzen, de Watchau, avait été porté par ces immenses batteries de cent et cent- cinquante bouches à feu, que le général Drouot ras- semblait et conduisait avec une dextérité fabuleuse , et qui suppléaient par leur soudaine action à l'in- fériorité numérique de nos armées. Elle admira un mérite si lent à se produire; elle en aima l'à-propos touchant; elle considéra Drouot comme le dernier rejeton de cette généreuse lignée qui avait commencé à Jemmapes , et qui devait fmir à Waterloo. Elle rattacha son souvenir au souvenir éloquent de ces combats où la victoire elle-même était mélancolique et découragée , parce qu'elle donnait la gloire sans donner le salut. L'empereur en jugea comme la France. 11 discerna dans son aide de camp un génie et une intrépidité militaires qui lui faisaient dire à Sainte -Hélène « qu'il n'existait pas deux officiers « dans le monde pareils à Murât pour la cavalerie, « et à Drouot pour l'artillerie ». 11 le reconnut supé- rieur à un grand nombre de ses maréchaux, et ca- pable de commander cent mille hommes, ainsi qu'il l'affirmait encore dans ses entretiens de l'exil. Mais ce qu'il y remarqua surtout, c'était la simplicité, le désintéressement, la religion, une trempe d'âme en- fin qui était comme la résurrection des physiono- mies les plus pures de l'antiquité. Il l'appela le Sage de la grande armée. Et à mesure que dé- croissait sa fortune, voyant croître le dévouement de Drouot, il sentait mieux le prix de ce dernier et suprême présent que le Ciel avait fait à sa des- tinée.
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On était à l'automne de 1813. L'armée française, réduite à quatre-vingt mille hommes par la déroute de Lcipsick, s'avançait sur le défilé de Hanau pour s'ouvrir la route de Mayence. Mais un corps de soixante mille Bavarois l'avait prévenue, et battait avec une artillerie formidable l'issue du défilé. Le moment était solennel ; il fallait gagner le Rhin ou périr. L'empereur dit à Drouot : « Allez voir ce qu'il y a à faire. » Drouot pousse son cheval , et voit l'a- vant-garde française rejelée en désordre par le feu et par la cavalerie de l'ennemi. 11 marque de l'œil un terrain qu'il croit propice, et retourne chercher l'ordre de faire avancer cinquante pièces de canon. L'empereur veut juger par lui-même du lieu et de l'instant. Mais les boulets sillonnent la terre et bri- sent les arbres autour de lui. Drouot le fait retirer, et met en position deux pièces qui sont immédia- tement démontées. Il persiste; il en établit dix autres, puis cinquante, et ouvre un feu terrible. A ce moment, la cavalerie bavaroise arrive à toute bride sur nos batteries. Drouot, qui était à pied au milieu de ses canonniers, suspend le feu, attend l'ennemi, et écrase à propos, par une décharge simultanée, ces escadrons lancés à pleine course. Cependant ceux qu'épargne le hasard de la mort se précipitent de tout leur poids sur nos batteries ; un officier bavarois lève l'épée sur le général, et tombe lui-même avant d'avoir frappé. L'armée française était maîtresse du passage, et l'empereur couche à Francfort le lendemain.
Hélas! l'héroïsme donnait encore de l'espérance
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au jour et au défilé de Honau; il n'en donna bientôt plus. C'est pourquoi je ne dirai rien de vous, jour- nées de 1814, où Drouot garda si bien à côté de son maître la place qu'il y avait conquise, journées de Vauchamps, de Mormant, deCraone, de Laon! Les décrets de la Providence avaient décidé que des journées plus fameuses encore, que Champaubert et Montmirail ne sauveraient pas l'empire. Mais quand tout est perdu, c'est l'heure des grandes âmes. Si l'empire eût élé plus fort que ses fautes et que ses ennemis, nous eussions vu le général Drouot porter le bâton de maréchal, siéger au sénat, et gouverner comme ministre le département de la guerre. C'était la pensée favorite de Napoléon pour le Fabricius moderne; il lui disait quelquefois avec une affec- tueuse prévision : a Vous serez un jour mon ministre de la guerre. » Mais si haute qu'eût été cette fortune pour le fils d'un artisan , elle eût pourtant trouvé à côté d'elle le souvenir et l'exemple d'une égale élé- vation. La ruine de l'empire, en mettant le général Drouot aux prises avec le malheur, lui prépara une illustration qui n'a laissé autour de sa mémoire rien de semblable à lui. Il aimait l'empereur et l'empire avec une passion toute chevaleresque : l'empire, parce qu'il l'estimait le plus haut point de gloire où la France fût parvenue depuis Charlemagne; l'em- pereur, parce qu'il avait vécu avec lui pendant deux années de souffrances et de revers, et qu'il avait senti le cœur de l'homme à travers l'éclat du prince et l'orgueil du conquérant. La chute de ces deux géants, l'empereur et l'empire, fut pour lui un coup
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dont nous ne pouvons nous faire aucune idée, nous déjà si loin de ces événements, et qui n'y avons pris d'autre part que d'en lire sur un papier froid et sou- vent ingrat le pâle récit. Mais ceux qui avaient mis dans ce prodigieux édifice vingt années de leurs fatigues et de leur sang, ceux qui avaient vieilli sur les champs de bataille entre la gloire et la mort à tout moment présentes et confondues , et qui dans l'élévation de la France croyaient avoir servi une cause patriotique et juste , ceux-là devaient éprou- ver, le jour où tomba cet ouvrage, une angoisse d'âme que nous aurions vainement l'espoir de pein- dre ou de ressentir. Drouot l'éprouva d'autant plus dans son âpre et généreuse amertume, que seul entre tous il ne perdait rien. L'empereur, si élevé de caractère que nous le supposions, ne pouvait échap- per au sentiment profond de sa ruine personnelle; d'autres avaient à s'inquiéter de leur part dans le nouveau règne qui s'inaugurait : pour Drouot, s'il n'eût regardé que lui-même, la fin de l'empire était une délivrance depuis longtemps souhaitée; il y avait déjà bien des jours qu'il aspirait à quitter la vie publique, et qu'interrogé par l'empereur sur ses projets intimes , il avait répondu : a Sire, je ne désire « qu'une chose, c'est de me retirer dans ma ville « natale et d'habiter sur la paroisse où j'ai été bap- « lise. » L'homme qui disait cela , et qui a prouvé qu'il disait vrai , était assurément désintéressé quant à lui-même dans la catastrophe de son prince et de son pays. Elle ne le touchait que comme un simple soldat, et c'est pourquoi il en reçut le coup tout entier.
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Il y eut à Fontainebleau un dernier lever. L'em- pereur ne fut pas surpris d'y voir Drouot. Quand il monta en voiture, après avoir dit adieu aux restes de la vieille garde, Drouot était encore avec lui. L'aide de camp du souverain avait résolu de par- tager la fortune de l'exilé. Vous attendiez cette conduite, Messieurs, vous en étiez certains, et pour- tant le sacrifice était plus grand pour votre conci- toyen que pour aucun autre. Dans un homme qui aimait tant sa patrie, et qui avait toujours caressé l'espérance de briser sa carrière pour retourner au milieu de vous comme le plus obscur des Lorrains , il avait dû se passer un bien dur combat entre le pen- chant de la nature et l'appel de la fidélité. Le combat n'était pas entre l'égoïsme et le dévouement, mais entre deux héroïsmes. La balance pencha du côté du malheur. Dans les tristes jours qui précédèrent le départ, Napoléon demanda au général quelle était sa fortune, et, sur sa réponse qu'elle s'élevait à deux mille cinq cents francs de rente environ, il lui dit : « C'est trop peu , on ne sait pas ce qui peut m'ar- « river; je ne veux pas qu'après moi vous vous troa- « viez dans le besoin, je vais vous donner deux cent « mille francs. » Drouot refusa, et voyant l'empe- reur peiné, il lui dit : « Si Votre Majesté me donnait (( de l'argent à l'heure qu'il est, on dirait que l'em- « pereur Napoléon , dans l'adversité , n'a trouvé des a amis qu'à prix d'or, et on dirait de moi que j'ai « suivi Votre Majesté parce que j'étais payé pour « cela. »
Les dernières grâces reçues par Drouot avant la
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chute de son maître étaient sa promotion au titre de comte de l'empire et au grade de général de divi- sion. 11 fut nommé gouverneur de l'île d'Elbe. En cette qualité, il dut présenter, à la fin de 1814, le budget des dépenses militaires pour l'année sui- vante. L'empereur lui fit remarquer qu'il s'était oublié sur la liste des traitements, et lui en demanda la raison. « Sire, répondit Drouot, Votre Majesté me <( loge, elle me nourrit, elle me fait donner un che- (( val de son écurie, lorsque j'ai l'honneur de l'ac- (( compagner dans ses promenades. Mes dépenses (( se réduisent donc à mon entretien , à un faible « traitement pour mon secrétaire et aux gages d'un « serviteur, et mon revenu , qui est connu de Votre (( Majesté, est plus que suffisant pour répondre à « ces besoins. » Le budget lui ayant été rendu deux jours après, il s'y trouva porté pour une somme annuelle de six mille francs. C'est au souvenir do pareils traits que Napoléon disait de lui à Sainte- Hélène : « Drouot est un homme qui vivrait aussi « satisfait, pour ce qui le concerne personnellement, « avec quarante sous par jour qu'avec les revenus « d'un souverain. Plein de charité et de rehgion , sa ({ morale, sa probité et sa simplicité lui eussent fait « honneur dans les beaux jours de la république « romaine. »
Le général Drouot, Messieurs, touchait au mo- ment le plus difficile de sa carrière. En suivant: Napoléon dans l'exil , il avait cru n'accepter qu'un sacrifice, celui de vivre loin de sa patrie et hors de la retraite qu'il s'était de tout temps préparée dans son i
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cœur. Il ne se doutait pas qu'il serait appelé à la terrible complicité d'un acte qui devait amener sur la France de nouveaux malheurs et de plus grands abaissements. Huit jours avant de quitter l'île d'Elbe, Napoléon s'ouvrit à son fidèle serviteur, en lui fai- sant entendre que la nation le rappelait et qu'il ren- contrerait de l'appui même à l'étranger. Malgré ces assurances, Drouot éprouva un sentiment de cons- ternation, et n'omit rien de ce qui pouvait fléchir l'homme inébranlable auquel il s'était dévoué. Tout fut inutile. Drouot, l'âme candide s'il en fut jamais, l'âme pour qui le devoir avait toujours été plus que la vertu et que le bonheur ensemble, parce qu'il avait été l'essence même de sa vie , Drouot se trouva en proie à la plus douloureuse des perplexités. Ren- trer en France les armes à la main comme un aven- turier, si ce n'était comme un traître, appeler sur son pays une seconde invasion, sacrifier à l'intérêt d'un homme l'intérêt de trente millions d'hommes, c'était là l'un des côtés de la question : mais, d'une autre part, abandonner l'empereur, son souverain, son ami, un héros malheureux, un homme seul contre l'Europe , l'abandonner au moment de l'en- treprise la plus périlleuse , quand un coup de fusil peut-être allait lui faire un tombeau que vingt ba- tailles et cent combats ne lui avaient pas fait : quelle lâcheté ! quel oubli des lois de l'honneur et de l'ami- tié ! Le Sage de la grande armée roulait encore de tristes pressentiments dans son cœur quand les brises embaumées de la France accueillirent l'esquif de l'île d'Elbe , et enflèrent ce drapeau qui devait voler de
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clocher en clocher jusqu'aux tours de Noire-Dame. Drouot s'était décidé par l'idée du serment qu'il avait prêté à l'empereur comme son nouveau sujet, son sujet de l'exil. Ce n'était pas à lui déjuger les actions de son souverain, il obéissait en soldat, c'é- tait son devoir , le devoir de la reconnaissance et de la fidélité.
Nous ne comprenons plus guère aujourd'hui. Mes- sieurs, ce pieux et chevaleresque empire de la fidé- lité. Nous voyons dans nos princes les hommes de la nation , commis par elle au règlement de ses desti- nées , et nous estimons qu'il est des cas où le droit du chef doit succomber devant le droit du peuple, plus général et plus profond. Il ne semble pas que cette pensée , contenue dans de certaines bornes , soit contraire aux notions de la justice et de la sou- veraineté. Élever un homme si haut qu'aucun évé- nement ne doive le précipiter jamais du pouvoir de commander, c'est une sorte d'idolâtrie qui perd le prince lui-même en l'exposant à ne plus connaître de bornes parce qu'il ne connaît plus de péril. Mais il n'en est pas moins vrai que la fidélité est un des sentiments les plus généreux de notre nature, un de ceux à qui le raisonnement pardonne même en le combattant. Figurez-vous que vous avez vécu dans l'amitié d'un prince, qu'il a dépouillé pour vous la plupart des rayons de la majesté , que vous avez tou- ché sa main, mangé à sa table, vu dans son cœur; qu'il a été votre compagnon d'armes, et que, côte à côte avec lui, vous avez cheminé dans les hasards de la vie. Supposez qu'il ait conquis votre admiration
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par des qualités que ia grandeur n'aura pas détruites en lui, et que même, par une exception du sort com- mun des rois , il ait appelé sur sa tête une couronne de gloire plus belle que la couronne de sa naissance. Ajoutez qu'il soit devenu malheureux, que vous n'ayez plus rien à espérer de lui que des dangers, et qu'il réclame enfin votre foi comme le dernier asile de sa fortune périe. Rassemblez ces traits dans votre esprit : c'était la position du général Drouot, l'invincible prestige qui pesait, au retour de lîle d'Elbe, sur son cœur si pur et si droit. Le mal , s'il y en avait, était pour lui l'honneur même. Et si plu- sieurs s'étonnent du soin que je prends de le justi- fier, c'est qu'ils ne savent point tout ce que lui coûta cette cruelle position , et que d'en être sorti plus vénéré de tous, comme il en est sorti, est un des grands triomphes que l'âme d'un honnête homme ait jamais remportés sur les jugements du monde.
Faut-il maintenant vous peindre et même vous nommer, jour de Waterloo! Vous trompâtes jus- qu'au dernier moment le cœur des braves. La vic- toire se faisait un reproche et une douleur de les abandonner , elle qui s'était accoutumée à les servir jusque dans leurs revers. La veille, l'avant-veille, le matin même, le soir encore, elle était avec eux; l'Anglais et le Prussien, séparés par d'habiles manœuvres, allaient l'un après l'autre nous ouvrir sur leurs débris le chemin de Bruxelles. Tout a coup Dieu retira sa main. C'est en vain que, sous les ordres de l'empereur, Drouot multiplie son
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infatigable intrépidité, tout est perdu. Napoléon, enseveli dans des réflexions profondes , relève la tête, et dit encore une fois cette parole qu'il avait si souvent prononcée : « Où est Drouot? )> Il ne devait plus la dire. L'air emporta cet adieu avec les dernières fumées du champ de bataille.
Quelques jours après, le général Drouot, qui avait été créé pair de France par un décret antérieur , pa- rut à la tribune; il essaya, quoique l'empereur eût abdiqué l'avant-veille, de ranimer le patriotisme pu- blic en exposant à la Chambre toutes les ressources qui restaient pour préserver la France d'un second envahissement de l'étranger. Sa voix se perdit dans le trouble et le découragement universels. Le gou- vernement provisoire le nomma commandant de la garde impériale, qui venait d'arriver sous les murs de Paris, espérant que mieux que personne, par l'ascendant de son caractère, il y maintiendrait la discipline et l'obéissance aux nécessités du nioment. Ce moment était critique. Soixante-dix mille hommes de l'armée française étaient ralliés entre Paris et Laon; d'autres troupes s'avançaient pour les soute- nir: une partie de la garde était devant Paris même; Paris contenait cinq cents pièces de canon de cam- pagne. Il ne s'agissait plus des destinées d'un homme, mais de l'honneur national. La pensée devoir encore une fois , après une seule bataille, l'étranger maître de Paris, agitait jusqu'au fond le cœur du soldat. Il no fallait qu'une heure et qu'un hasard pour qu'un mouvement militaire éclatât, et que personne ne fût plus maître de gouverner les événements. Le gêné-
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rai Drouol comprit tout le péril, et que c'était un péril sans issue favorable pour les intérêts de la France. Un mouvement national sans cloute eût re- poussé l'étranger; il l'avait dit lui-même à la tri- bune, en invoquant l'exemple de Rome après la défaite de Cannes. Mais ce mouvement national n'existait pas, et nul n'était capable de le créer. Le commandant de la garde impériale n'avait donc qu'un devoir à remplir, qui était de maintenir l'ordre, de calmer les esprits, de leur inspirer la résignation aux volontés du Ciel, manifestées par des événements plus forts que tout le courage des hommes et que tout leur dévouement. Il y réussit. Le soldat reconnut et respecta la voix de l'homme qui, après avoir aimé Napoléon jusqu'à l'exil, et ne l'avoir pas quitté un seul jour depuis 1813 , avait lui-même entendu la voix de la patrie lui deman- dant le sacrifice d'une fidélité qui ne pouvait alors que la desservir. La garde se laissa conduire sur les bords de la Loire, et entraîna par son exemple le reste de l'armée. Là Drouot prit sous ses yeux la co- carde blanche, et signa le premier l'acte de soumis- sion au roi.
Il en est, Messieurs, qui regretteront peut-être de voir ce signe au front de Drouot. Ils auraient mieux aimé ne lui voir jamais d'autres couleurs que les couleurs de l'empire. Pour nous, qui avons étudié sa vie, il est peu d'instants où il nous ait paru plus digne de ce nom de Sa je que Napoléon lui avait donné. Il montra là sous une nouvelle face ce dis- cernement et ce courage du devoir qui, en arrachant
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à l'homme le sacrifice de ses instincts les plus spé- cieux, rélèvent à toute la gloire de l'homme de bien.
Drouot était encore à la tête de la garde lorsqu'il connut une ordonnance du roi dans laquelle il étail proscrit avec d'autres comme coupable de haute trahison. Rien ne lui était plus facile que de fuir. C'est le conseil de la prudence dans les moments où les passions politiques ne laissent pas aux hommes les meilleurs le sang-froid de l'équité. Mais Drouot n'était pas capable de vivre un quart d'heure sous le poids d'une accusation qui touchait à l'intégrité de sa conscience. Il quitta le jour même le comman- dement de la garde, et vint se présentera Paris, aux portes de la prison de l'Abbaye. On ne voulut pas le recevoir. Il lui fallut faire plusieurs dé- marches pour obtenir son incarcération. Sur quoi il racontait plus tard avec une grâce parfaite qu'il n'avait sollicité que deux places dans sa vie, lesquelles lui avaient d'abord été refusées toutes deux, l'une chez les frères des Écoles chré- tiennes étant tout enfant, et l'autre à la prison de l'Abbaye.
L'instruction de son procès fut longue. Il demanda plusieurs fois la grâce d'être enfin jugé. Il ne l'ob- tint qu'après une attente et une captivité de huit mois. Un puissant intérêt l'avait suivi dans sa pri- son, et l'accompagna devant le conseil de guerre qui allait prononcer sur son sort. Il établit toute sa défense sur ce point, que l'empereur Napoléon était souverain véritable de l'île d'Elbe, sans aucune
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Cette défense, si simple et si généreuse qu'elle fût, avait pourtant quelque chose d'inouï. Une rai- son froide et impartiale pouvait y rechercher des défauts; les passions politiques le pouvaient bien davantage encore. Mais la vie de Drouot s'était as- sise avec lui au siège de l'accusé; il prouvait son innocence bien moins par le raisonnement que par l'impossibilité où l'on était de le croire coupable. L'esprit résistait peut-être; l'âme était persuadée que le général Drouot ne s'était pas trompé sur une question de devoir et d'honneur. Une émotion vi- fiible gagna les juges et l'assemblée lorsqu'à la fin a'un discours simple et ferme comme son cœur, i'accusé prononça ces paroles : « Telle a été ma
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« conduite dans les dernières circonstances; je n*ai « été guidé que par l'honneur et les obligations qui « m'étaient imposées. Tant que la reconnaissance, « la fidélité aux serments , l'obéissance et l'attache- (( ment au souverain seront des vertus parmi les « hommes, ma conduite sera justifiée aux yeux des « gens de bien. Quelques-uns trouveront peut-être « que j'ai mal apprécié ma position, que je me suis « exagéré les obligations qu'elle m'imposait ; mais « j'ai suivi la ligne que j'ai crue tracée par l'hon- « neur, et je serais coupable si je m'en étais écarté. « Quoique je fasse le plus grand cas de l'opinion « des hommes , je tiens encore davar.îage au témoi- « gnage de ma conscience, et mourir plutôt mille « fois que de résister à ses impulsions. J'attends, « Messieurs, avec une respectueuse confiance, le « jugement que vous allez prononcer. Si vous « croyez que mon sang soit nécessaire pour as- « surer la trancuillité de la France, mes der- « niers moments auront encore été utiles à mon « pays. ))
Tout autre que Drouot eût succombé. Lui-même ne fut absous qu'à la minorité de trois voix contre quatre, et après six heures de délibération. Il dor- mait d'un sommeil paisible dans sa cellule de l'Ab- baye lorsqu'on vint lui apporter la nouvelle de son acquittement. C'était déjà beaucoup. Mais Dieu pré- parait à son serviteur , au soldat chrétien de la ré- publique et de l'empire, un triomphe plus complet et digne de sa vertu. Le lendemain, vers le soir, une voiture vint le prendre à l'Abbaye par les ordres
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du roi , et le conduisit au château , où il fut intro- duit près de Louis XVI II. Le roi le reçut avec bonté, lui parla de l'attachement qu'il avait monUé pour Napoléon, loua la reconnaissance comme la religion des grandes âmes , et ajouta qu'il comptait désormais sur sa fidélité. Le proscrit de la veille s'inclina respectueusement. Le roi, en le congé- diant, lui dit que des ordres étaient donnés pour qu'il n'y eût point d'appel de la sentence du conseil de guerre, et que dès ce moment il était libre. Drouot traversa les appartements des Tuileries, qu'il ne devait plus revoir ; il descendit cet escalier par où il avait vu monter tant de grandeurs éva- nouies, et lui-même, débris de ces grandeurs, lils d'un temps qui n'était plus, il prit sans regret et pour toujours le chemin de la solitude et de l'obs- curité.
Ici, Messieurs, je devrais m'arrêter peut-être. Ce serait à vous, Lorrains, de vous lever maintenant, et de raconter au monde les trente années de paix qui ont achevé sous vos yeux cette vie sublime et modeste. Tant de qualités rares mais simples, tant de faits glorieux mais cachés, en composent le tissu, que la parole s'effraie d'avoir à dire ce que le cœur de tout le monde sent avec une éloquence qui lui coûte si peu.
Rien n'est plus difficile , même aux hommes su- périeurs, que de supporter le repos. Quand fàme et le corps se sont habitués au travail solennel des grands événements, ils ne peuvent plus souffrir la simple et pacifique succession des jours. Cette paix
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froide leur est un tombeau. Ils regrettent le bruit , l'agilalion, les alternatives des revers avec les suc- cès, et toute cette tragédie des choses humaines où ils avaient naguère leur part et leur action. L'hi^s- toire ne compte qu'un très- petit nombre d'hommes qui aient passé de la vie publique à la vie privée en conservant, avec la tranquille possession d'eux- mêmes , la plénitude de leur grandeur. La plupart se consument dans un ennui vulgaire; d'autres de- mandent aux passions des sens l'oubli d'eux-mêmes et de leur dignité ; les plus élevés succombent au poison mystérieux du chagrin. A regarder les vicis- situdes qui avaient enlevé le jeune Drouot de la boutique de son père pour le porter au pied d'un trône et aux côtés d'un conquérant, il semble que nul plus que lui n'aurait dû éprouver, dans l'alTais- sement subit de sa destinée, le désespoir des souve- nirs et l'impuissance de vivre avec soi. Qui avait vu davantage et plus vite? Qui avait passé en moins de temps par plus de contrastes et d'émotions ? Il est vrai; mais cette âme était plus grande encore que les événements dont la Providence lui avait donné le spectacle; elle revenait, fortifiée et non pas abattue, donner elle-même au monde un spec- tacle capable de l'instruire et de le consoler. V'ous en avez été, Messieurs, les heureux, les plus pro-' ches témoins, et la France vous rend cette justice' que vous en avez mérité l'honneur et connu tout le prix.
Vous avez vu pendant trente années le général Drouot, volontairement descendu des hautes char-
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g-es, oublier lui seul ce qu'il avait cHé, n'en parler jamais qu'avec l'alarme d'une exquise pudeur, ne se souvenir enfin du passé que pour élever les services des autres et honorer la mémoire du héros dont il avait été le serviteur et l'ami. Vous l'avez vu , con- tent d'une maison dans un faubourg de votre ville, réduire ses besoins avec l'austérité d'un Spartiate et le calcul d'un chrétien qui aime les pauvres avec la pauvreté. Vous l'avez vu, pénétré d'une foi sincère, rapporter à Dieu tout le cours de sa vie, et donner de la vérité de sa religion, par la sainteté de ses mœurs, une preuve que les camps eux-mêmes n'a- vaient point affaiblie. Vous l'avez vu se suffire à lui-même dans une solitude presque constante, non par éloignement des hommes, mais par une certaine force intérieure qui lui faisait de la retraite un be- 1 soin et comme un devoir. Vous l'avez vu pendant ; vingt ans assiégé d'infirmités douloureuses, totale- jment aveugle les quatorze dernières années de sa jvie, et néanmoins toujours calme et serein, ne par- liant de son sort que pour le bénir et l'estimer, plus I heureux qu'aux jours de sa jeunesse et de sa pros- périté. On n'approchait de sa maison que comme d'un sanctuaire, pour y chercher les plus saintes leçons de la vie; on n'y entendit jamais que des ac- tions de grâces et des louanges pour Dieu. Un par- fum d'honneur, de sincérité, de justice, de droiture, de piété et de joie s'en exhalait à toute heure, et y appelait une gloire que le temps ne diminuait pas. Vous savez si je dis vrai, xMessieurs, vous savez si j'abuse de la parole et de l'assentiment de votre cœur.
Vin. - 5
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On ne cessa de vous envier le trésor que vous pos- sédiez. La Restauration voulut rappeler votre con- citoyen dans les rangs de l'armée avec son grade de lieutenant général, et en lui restituant les arrérages de sa solde, qui s'élevaient à plus de quarante-cinq mille francs. 11 refusa l'une et l'auLre faveur, ne voulant pas, comme il l'a dit lui-même, se rappro- cher des honneurs et des emplois penda7it que son bienfaiteur gémissait dans les fers sur un rocher de V Atlantique. Louis XVIII ne put s'empêcher de dire : « Je chercherais vainement dans mon royaume un second Drouot. » Il refusa pareillement de con- sentir au vœu de M. le duc d'Orléans, aujourd'hui roi des Français, qui lui offrait la charge de gouver- neur des princes ses fils.
Ce n'étaient pas seulement les rois heureux qui réclamaient ses services. L'exil se souvenait de lui. Le prisonnier de Sainte-Hélène ne parlait de Drouot qu'avec tendresse et vénération. Peu avant de mou- rir, il le désigna pour être demandé de sa part au gouvernement français. Drouot s'y était préparé dans la plus intime espérance de son cœur. Arraché en 1815 des côtés de son maître par le commande- ment imprévu de la garde impériale et par une cap- tivité de huit mois , il avait toujours conservé la volonté active de le revoir et de se dévouer à lui. En apprenant sa mort, il tomba dans une sorte d'anéantissement qui dura plusieurs heures sans lui permettre de prononcer un seul mot. Heureux les princes tombés qui conservent de tels amis! Heu- reux les camps où se forment ces admirations et ces
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allachements contre quoi ne peuvent rien les injures de la politique et du sort !
Les événements de 1830 vinrent tenter sous une autre forme l'abnégation du général Drouot. Appelé coup sur coup au commandement des troisième et cinquième divisions militaires, au gouvernement de l'École polytechnique et à la pairie, il déclina sans faste ces retours de la fortune et ces preuves d'une estime qui venaient le chercher avec une si glo- rieuse opiniâtreté. Mais s'agissait - il de' rendre à l'État un service impérieusement réclamé par des circonstances critiques, sa modestie et ses infirmités ne l'arrêtaient plus. Vous le vîtes bien, Messieurs, à cette même époque de 1830, lorsqu'il parut dans votre hôtel de ville, et y siégea deux jours et deux nuits, malgré de vives douleurs, et maintint le bon ordre par l'ascendant de sa présence et de ses con- seils. Metz le vit aussi dans les mêmes jours, et ad- mira ce que peut sur un vaste peuple la vertu d'un seul homme.
Si donc le général Drouot vécut trente années dans le silence et la retraite; si, à l'âge de quarante- deux ans à peine accompUs , il disparut de la scène du monde, c'est qu'il le voulut fermement, par un acte de souveraine élection. Pourquoi le voulut- il, et quel était le mystérieux aliment de cette vie aupa- ravant si agitée, tout à coup si calme? C'est, Mes^ sieurs, le secret que je dois vous dire, sous peine de ne vous avoir montré que le dehors de ce grand homme, et de trahir à la fois, avec votre admiration, votre juste et sainte curiosité. Ouvrons donc, il en
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csL Icmps, ouvrons ce cœur dont nous venons de suivre pendant un demi-siècle les actes magnanimes et jamais démentis; pénétrons jusqu'au sanctuaire, et cherchons -y la flamme où s'alluma toute cette généreuse vie. Vous l'avez deviné ou pressenti, un triple amour en était Tincorruplible et immortel foyer : l'amour des lettres , l'amour des hommes , l'amour de Dieu.
L'amour des lettres! Oh! faut-il que je surprenne par là peut-être quelqu'un de mes auditeurs? Sommes -nous si loin déjà du temps où la culture des lettres pour elles-mêmes était une passion dis- linctive de toutes les natures noblement trempées? Le nombre va-t-il diminuant des esprits délicats et sérieux pour qui les lettres sont autre chose qu'une vague réminiscence de la jeunesse ou un vulgaire métier? Je n'ose le croire; je ne me persuade pas, malgré des signes affligeants, que nous penchions vers la décadence, et que le bataillon sacré des in- telligences d'élite soit chaque jour éclairci par des pertes qui ne se réparent point. Le général Drouot avait appris dans les laborieuses études de sa jeu- nesse cet amour antique des lettres humaines. Un chef-d'œuvre était pour lui un être vivant avec le- quel il conversait, un ami du soir qu'on admet aux plus familiers épanchemenli. Penser en lisant un vrai livre, le prendre, le poser sur la table, s'eni- vrer de son parfum, en aspirer la substance, c'était pour lui, comme pour toutes les âmes initiées aux jouissances de cet ordre, une naïve et pure volupté. Le temps coule dans ces charmants entretiens de la
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pensée avec une pensée supérieure; les larmes vien- nent aux yeux; on remercie Dieu, qui a élé assez puissant et assez bon pour donner aux rapides effu- sions de l'esprit la durée de l'airain et la vie de la vérité. Ne vous demandez plus ce qui animait la solitude du vétéran de la grande armée, et lui en- levait les heures que le cours de son âge lui appor- tait. Tandis que nous vivions dans le présent, il vivait dans tous les siècles; tandis que nous vivions dans la région des intérêts, il vivait dans la sphère du beau. Vie rare et excellente, parce que le goût n'y suffit pas, mais qu'il y faut le cœur et la vertu. Ce n'est pas sans raison que les anciens l'appe- laient du nom de culte, et comme on dit la religion de l'honneur, on pouvait dire aussi la religion des lettres.
Ce premier amour se liait naturellement dans le général Drouot à un autre amour plus grave et plus efficace encore : il aimait sincèrement les hommes. Né et nourri dans la pauvreté, elle ne lui avait pas été une occasion de jeter des yeux d'envie sur les hauts rangs du monde. 11 les acceptait sans colère, sans mépris, sans orgueil, avec une parfaite cordia- lité. Content de son sort, il n'estimait pas qu'il y en eût de plus heureux, et il a dit quelquefois, dans les ouvertures qu'il faisait de son âme , qu'il devait à Dieu la grâce de n'avoir jamais rien envié. Mais si la pauvreté ne lui avait point appris la haine des riches et des grands , elle lui avait profondément inculqué l'amour des petits. Il redescendait vers eux comme vers sa source, et dès que la fortune com-
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« a garde qui ont suivi mon bienfaiteur à l'île « d'Elbe, et qui lui ont donné tant de preuves de « leur amour et de leur dévouement. »
Le général Drouot n'était point marié. Il s'était soumis volontairement à cette grande loi du célibat religieux et militaire qui est un des premiers be- soins de l'humanité , et sans laquelle l'esprit de sa- crifice ne peut prendre qu'un essor beaucoup trop restreint. Il s'était senti capable d'en porter le far- deau , non comme une lâche abdication des devoirs de la famille qui se dédommage dans la licence, mais comme une sainte condition de son noble mé- tier de soldat , et , l'expérience lui en ayant révélé tout le fruit et tout l'honneur, il n'avait plus voulu ôter de son front cette magnanime couronne du cé- libat pur et dévoué. Libre ainsi d'entraves, la bonté de son cœur s'exerçait à l'aise à l'égard des siens et des infortunes d'autrui. Il aimait tendrement ses frères et ses neveux, et leur en donna des preuves touchantes jusqu'à la fin de sa vie. Mais cet attache- ment naturel ne diminuait point ses entrailles pour les malheureux. Il les assistait bien souvent au delà de ses forces , et il écrivait un jour : « Lorsque « mes ressources seront entièrement épuisées, ou « bien qu'elles viendront à me manquer, je me « présenterai à l'hospice Saint - Juhen pour oc- « cuper moi-même un des lits que j'y ai fondés « en faveur des vieux soldats. Si ce moment arrive, 0 il ne sera certainement pas le moins doux de ma « vie. »
Quelques mois avant sa mort, n'ayant plus rien à
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donner, il se souvint d'un grand uniforme qu'il con- servait comme une sorte de relique de ses anciens jours. Il en fit découper et vendre les galons. Un de ses neveux lui en témoigna du regret, disant qu'il aurait eu du plaisir à le transmettre à ses enfants. « Mon neveu, répondit le général, je vous l'aurais « donné volontiers; mais j'aurais craint que vos en- ce fants, en voyant l'uniforme de leur oncle, ne fus- « sent tentés d'oublier une chose qu'ils doivent se « rappeler toujours, c'est qu'ils senties petits-fils « d'un boulanger. »
Sans doute , Messieurs , la nature du général Drouot était une nature admirablement douée. Mais si droite, si bonne, si grande qu'elle fût de son fonds , elle n'aurait point atteint le degré de perfec- tion où elle est parvenue sans un principe supérieur aux pensées et aux affections de la terre. Lui-même a confessé hautement qu'il devait tout à Dieu , non pas au Dieu abstrait de la raison, mais au Dieu des chrétiens manifesté dans toute l'histoire par un commerce positif avec le genre humain. La vie en- tière de l'homme est une révélation de ce Dieu bon et puissant qui n'a pas voulu nous donner d'autre fin que lui- même, et qui nous attire incessamment au propre centre de sa lumière et de sa félicité. Nous n'entendons pas tous du premier coup cette voix supérieure qui parle à notre conscience et l'ap- pelle par tous les événements dont nous sommes les témoins et les acteurs. Longtemps nous lui résis- sistons; longtemps nous prenons l'ombre des choses pour leur corps, et l'éternelle réalité pour une chi-
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mère. Quelquefois la mort seule déchire le bandeau qui couvre nos yeux, el nous fait apparaître, au der- nier moment de noire liberté, les rivages que nous avons fuis. Le général Drouot avait été plus heu- reux. Quoique enfant d'un siècle léger, et avant d'avoir vu la grande révolution qui en illumina la fin , il avait sucé avec le lait de sa mère une foi qui avait été confirmée par la forte éducation du travail et de la pauvreté. Cette foi ne chancela pas un seul jour, et ne se cacha pas une seule fois. Sous la tente du soldat comme dans l'orgueil des palais, Drouot fut publiquement chrétien. Il lisait la Bible appuyé sur un canon; il la relisait aux Tuileries dans l'em- brasure d'une fenêtre. Cette lecture fortifiait son ame contre les dangers ae la guerre et contre les faiblesses des cours. Quand Napoléon, sans détour- ner la tête, prononçait cette brève parole : « Drouot ! » l'aide de camp recommandait son âme à Dieu, par- tait à toute bride, et quelques minutes après on le voyait précipiter au galop cinquante ou cent bouches à feu, qui, sans paraître s'arrêter, vomissaient la mort dans les rangs ennemis. Ou bien descendant de cheval à côté des artilleurs inexpérimentés de .1813 et de 1814, il leur enseignait froidement la manœuvre à travers une grêle de boulets qui pleuvaienl tout autour de l'héroïque leçon. Mais aussi , quand l'heure des hasards était passée, Drouot se retrou- vait dans la parole ce qu'il avait été dans l'action, plein de mépris pour le mensonge comme il l'avait clé pour la mort; après s'être montré l'enfant du Dieu des batailles, il se montrait l'enfant du Dieu de
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la vériLé. Il prenait hardiment l'intérêt du soldat, trop souvent sacrifié; il méritait que l'empereur l'ap- pelât le tril)un du soldat aussi justement qu'il l'avait appelé le Sage de la grande armée.
Ne vous persuadez même pas, Messieurs, que la foi du général Drouot fût une foi qui ne s'élevât point jusqu'aux pratiques vulgaires de la religion. Il croyait à tout, et il accomplissait tout. Vous l'avez entendu dire à l'empereur qu'il ne désirait qu'une chose, qui était d'habiter sur la paroisse où il avait été baptisé. L'idée de son baptême, par lequel il avait été fait enfant de Dieu, pénétrait son cœur d'un pieux souvenir, et Téglise où il avait reçu ce sacrement de la vie véritable formait pour lui , avec tout son territoire, une patrie spirituelle qui ne lui était pas moins chère que la patrie temporelle. Il disait souvent qu'il eût préféré une cabane dans ce coin sacré de la terre natale à un palais bâti partout ailleurs. Il y acheta, en effet, la modeste habitation où il a passé les vingt dernières années de sa vie , et où vous l'avez vu mourir. Il ne manquait pas de faire offrir le sacrifice du corps et du sang de Jésus- Christ aux jours commémoratifs de la mort de son père, de sa mère, et de l'empereur Napoléon. Il communiait plusieurs fois dans l'aanée, et on ne saurait dire avec quel respect militaire et filial il recevait dans sa solitude le Dieu qui avait réjoui sa jeunesse, protégé sa vie de soldat, et qui répandait sur la fin de ses jours une inénarrable consolation. La prière jaiUissait de son cœur avec une onction dont le secret a été plus d'une fois surpris. Un jeune
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artiste introduit furtivement dans sa chambre pour recueillir ses traits vit l'illustre aveugle, qui se croyait seul avec Dieu , lever à plusieurs reprises ses mains vers le ciel dans un épanchement reli- gieux attesté sur sa noble figure par l'illumination d'une pure et divine joie. Aussi, à la mort du sage, le peuple ne s'est pas trompé, il est venu vénérer bien moins le héros que le chrétien, bien moins la vertu qui donne la gloire du monde que la vertu qui révèle et qui donne la gloire de Dieu.
0 mon Dieu 1 Dieu de Charlemagne et de Gode- froy de Bouillon , Dieu des grands capitaines qui ont fondé ou défendu l'Europe, nous vous remercions d'avoir montré à notre âge, et surtout à la France, un exemplaire incontesté de l'homme , du soldat et du citoyen, tels qu'ils se forment sous l'inspiration de votre grâce et dans l'imitation de votre Filsl Nous acceptons ce gage de vos desseins sur nous; nous y saluons moins une relique qu'un avant-cou- reur de vos dons , et une certitude de vous voir jusqu'aux derniers jours du monde fécond et admi- rable dans vos serviteurs.
Et maintenant, Messieurs , que nous avons achevé l'éloge du général Drouot en rendant grâces à Dieu qui nous l'avait donné, que reste-t-il, sinon de lui dire cette parole suprême, par où doivent se clore ici -bas toute vie, toute amitié, toute admiration? Ivecevez-la, général; recevez ce second adieu que nous avons voulu vous faire en présence des autels du Dieu véritable , devant les images et les réalités
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d'une foi qui vous fui commune avec nous. 11 nous eût été facile d'appeler autour de voire tombeau les mânes chrétiens de vos anciens frères d'armes, et de mêler votre gloire avec la leur dans un spec- tacle solennel. Môme nous eussions appelé le héros dont vous fûtes l'ami; il n'eût pas dédaigné de ve- nir à vos funérailles comme vous étiez venu à ses malheurs. Mais tant de pompe eût alarmé la chaste modestie de votre âme; vous nous eussiez reproché de troubler pour vous la paix des morts et des grands souvenirs. Nous ne le ferons pas; nous vou- lons obéir à vos vertus jusque dans la tombe qui les recouvre, et nous ne laisserons approcher de vous, dans cette heure sacrée, que les pauvres qui sur- vivent à vos bienfaits, el que nous-mêmes qui sur- vivons aux leçons de votre vie. Puissent ces leçons nous servir! Puisse notre génération, incertaine en- core dans ses voies, apprendre de vous la simplicité, la pauvreté, le désintéressement! Puisse-t-elle, sur vos traces, demander très- peu au monde pour son bonheur, et beaucoup à Dieu ! Et vous qui avez nourri ce grand homme , vieille terre de France et de Lorraine, conservez- en avec respect tout ce que l'éternité n'a pu vous ravir encore, jusqu'au jour où votre poudre, sanctifiée par la sienne, entendra la voix de Dieu, et où le général Drouot nous appa- raîtra tel que nous le connûmes, soldat sans tache, capitaine habile et intrépide, ami fidèle de son prince, serviteur ardent et désintéressé de la pa- trie, solitaire stoïque, chrétien sincère, humble, chaste, aimant les pauvres jusqu'à se faire pauvre
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lui-même; l'homme enfin le plus rare, sinon le plus accompli, que le xix^ siècle ait présenté au monde dans la première moitié de son âge et de sa vocation.
ELOGE FUNEBRE
DANIEL O'CONNELL
ELOGE FUNEBRE
DANIEL OXONNELL
Beati qui esuriunt et sithint justîtiam, quoniam ipsi saturabuntur.
Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, parce qu'ils seront rassasiés.
( S. Matthieu , chap. v, vers. 6.)
Monseigneur (1),
Messieurs,
Je ne vous dirai rien des paroles que vous venez d'entendre, et qui ont été prononcées pour la pre- mière fois par Celui qui a mis au monde tant de paroles nouvelles. Je ne vous en dirai rien , parce qu'elles retentiront dans toute la trame de mon dis- cours, et qu'à chaque mot, à chaque phrase, à chaque mouvement, vous vous direz à vous-mêmes,
(1) Mgr l'évêque de Saint-Flour.
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sons que j'aie besoin de vous le redire : Bienheureux ceux qui ont faiin et soif de la justice, parce qu'ils seront rassasiés/ Et déjà, cette foule, cette attente, cette solennelle préoccupation des cœurs, qu'est-ce autre chose que la justice qui vient, qui descend du ciel sur un homme dont la vie agitée n'espérait pas si vite l'unanime reconnaissance des temps présents, ni même des temps futurs ? Et cet homme, maître d'une postérité à peine née sur sa tombe, quel est- il? Par quel charme a-t-il si prématurément com- mandé à la justice? Est-ce un roi qui s'est couché le long de ses ancêtres, après avoir glorieusement gouverné son peuple? Est-ce un conquérant qui a porté jusqu'aux extrémités de la terre la puissance de ses armes? Est-ce un législateur qui a fondé quelque nation dans le chaos des commencements ou des ruines? Non, non, ce n'est rien de tout cela, et c'est plus que cela : c'est un homme qui n'a été ni prince, ni capitaine, ni fondateur d'empire, et qui, simple citoyen, a plus gouverné que les rois, plus gagné de batailles que les conquérants, plus fait que tous ceux qui ont reçu d'ordinaire la mis- sion de détruire ou d'édifier. Sa patrie lui a donné le nom de Libérateur, et à ne prendre ce titre que dans une acception bornée, il serait encore assez beau pour justifier les honneurs inaccoutumés que nous lui rendons, pour nous exphquer d'où vient que Rome, la maîtresse des gloires augustes, lui a ouvert ses basiliques, et pourquoi, tout étranger qu'il était à notre pays, ces voûtes sacrées et patrio- tiques de Notre-Dame couvrent, à cette heure , i'ad-
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miration qui est demeurée vivante sur son tombeau. Ce serait assez, dis-je, qu'il eût été le libérateur d'un pays opprimé pour justifier tout ce que Rome, la France et le monde pensent de sa mémoire, et font pour l'exalter. Mais ce n'est point à ce point de vue que je m'arrête; il est trop étroit pour lui , pour vous, pour votre attente, pour les pensées qui assiègent mon cœur. Je veux vous faire voir que cet homme a marqué sa place parmi les plus grands libérateurs de l'Église et de l'humanité. Je laisse donc à part , s'il est permis de le faire , les idées de la patrie, qui ne vont pas assez loin ni assez haut pour notre sujet. J'ouvre le plus vaste théâtre où une mémoire humaine puisse être posée, le théâtre de l'Église et de l'humanité tout entière.
0 mon Dieu, père de la justice, je vous rends grâces de ce qu'en ces temps témoins de trop de mystères d'iniquité , vous permettez à mes lèvres de faire ici l'éloge d'un homme de justice, dont la lon- gue et agitée carrière n'a pas coûté une goutte de sang, ni même une larme, et qui, après avoir remué plus d'hommes et plus de peuples que nous ne le trouvons marqué en aucune histoire, est descendu au tombeau pur de tout reproche, sans craindre que jamais âme qui vive puisse soulever sa pierre sépul- crale pour lui demander compte, dans les cinquante ans de sa vie publique, je ne dis pas d'une action coupable, mais d'un malheur. Je vous rends grâces, ô mon Dieu , que ce soit là l'objet de cette assem- blée, et grâces aussi de cette justice que vous avez
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promise à lous les hommes , et que je vois rendre en votre Rom et au nom de la chrclienlé à la mémoire de Daniel O'Connell.
Dès les premiers jours du monde, il y a eu dans le monde une lumière divine, une charité divine, une autorité divine, une société divine. Des champs primitifs de l'Éden au sommet de l'Ararat, del'Ara- rat au rocher du Sinaï, du Sinaï à la montagne de Sion et du Calvaire, du Calvaire à la colline du Va- tican , jamais Dieu n'a cessé d'agir et d'être présent sur la terre. Et il semble que ce règne de la lumière, de la charité, de l'autorité venue d'en haut, que cette union des âmes par Dieu et en Dieu, notre père à tous, eût dû, s'il était possible, obtenir ici-bas l'una- nimité, ou du moins ne pas rencontrer d'ennemis et de combat. Mais nous sommes ici dans la terre du combat, et Dieu s'y est soumis le premier; il a con- senti à nous livrer sa vie, en tant qu'elle est mêlée à la nôtre; à être jugé par nous, et par conséquent à être accepté des uns et repoussé des autres. Cette guerre sacrée est aussi ancienne que le monde : elle j durera autant que lui. Mais dans ses vicissitudes on j remarque deux moments et deux missions fastiques j entre tous les autres : le moment de la persécution 1 et le moment de la délivrance; la mission des per- j sécuteurs et la mission des libérateurs. Lorsque le ■ monde est plus que de coutume fatigué de Dieu , qu'il s'ennuie d'en entendre parler ou qu'il l'estime puissant outre mesure, il fait un effort contre lui, et, trop faible de raison pour le chasser par les seules îorces de l'âme, il recourt aux brutalités de l'ordre
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matériel. Il renverse, il brûle, il tue tout ce qui porte le çigne divin, jusqu'à ce que, satisfait du silence et du désert qu'il a créés , il juge que, à tout le moin? s'il n'a pas vaincu, il a conquis pourtant quelques jours de trêve et de triomphe. Mais Dieu n'est jamais plus puissant qu'en ces jours -là; il sort des ruines par une germination que personne ne s'ex- plique, ou plutôt l'humanité, tourmentée de son ab- sence, retourne vers lui comme un enfant rappelle son père au foyer domestique dont il l'a banni. La justice, la vérité, l'ordre éternel, reprennent le des- sus dans la conscience du genre humain, et le siècle de la délivrance succède au siècle de la persécution. Alors apparaît quelqu'un de ces hommes tels que la Providence en a préparé de loin dans le secret tout -puissant de ses conseils ; ce sera Moïse tirant le peuple de Dieu des mains de l'Egypte, Cyrus le ramenant de Babylone aux champs de la patrie, Judas Machabée défendant son indépendance contre les successeurs d'Alexandre, et plus tard les Con- stantin , les Charlemagne , les Grégoire VII : Con- stantin, qui donne aux chrétiens la liberté de conscience ; Charlemagne , qui assure contre les empereurs grecs et les rois barbares et l'avenir lui- même l'indépendance du Vicaire de Dieu ; Gré- goire VII, qui arrache l'Église aux étreintes mor- telles de la féodalité : noms illustres, les plus rares et les plus grands de l'histoire! Et peut-être vous semblera- t-il qu'en les prononçant j'use de peu d'habileté, et que je m'expose à faire pâlir le nom même de celui que je dois glorifier. Pour moi, Mes-
— -IGG — sieurs, je n'en ai pas peur, et vous allez juger si je me trompe.
Ouvrez la carte du monde, et considérez à ses deux extrémités ces deux groupes d'îles , les îles du Japon et les îles Britanniques. Suivez la trace des peuples sur cette ligne de trois mille lieues; nom- brez le Japon, la Chine, la Russie, la Suède, la Prusse, le Danemark, le Hanovre, l'Angleterre, l'Irlande. Vous comptez en vain; dans ce grand nombre de royaumes, il n'en est pas un seul où l'Église de Dieu jouisse de ses inaliénables libertés, où sa parole, ses sacrements et ses assemblées ne soient humiliés et captifs. Quoi! tant de peuples à la fois dépouillés de la sainte indépendance des en- fants de Dieu! Quoi! parmi ces deux cents millions d'hommes, il ne s'est pas rencontré des cœurs assez forts pour maintenir quelque part les droits de la conscience et la dignité du chrétien! Ah! détrompez-- vous, Messieurs, Dieu n'a jamais laissé la vérité sans martyrs, c'est-à-dire sans témoins qui la ser-: vent jusqu'au sang; et comme ici le scandale de l'oppression était au comble par son étendue, sa. durée et sa rigueur. Dieu, de son côté, a fait aussii un miracle nouveau dans l'histoire du martyre. On^ avait vu des hommes et des familles mourir pour leur foi , et ne laisser après eux de ce grand spec- tacle que leurs restes mutilés et leur mémoire incor- • ruptible. Mais un peuple tout entier vivant dans un martyre continu, des générations d'âmes liées entre elles par une même patrie terrestre, se transmet-, tant l'héritage de la foi dans un supplice hérédi-
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taire aussi, on ne l'avait pas vu. Dieu l'a voulu , et l'a fait; il l'a voulu de notre temps, et l'a fait de notre temps. Parmi ces nations que je montrais tout à l'heure enchaînées l'une à l'autre dans l'espace et dans la servitude spirituelle , il en est une qui n'a point accepté le joug, qui, esclave matériellement, est demeurée libre par l'âme. Une des plus fières puissances du monde s'est prise corps à corps avec elle pour l'entraîner dans l'abîme du schisme et de l'apostasie. Vouée à une guerre d'extermination , elle a succombé sans trahir ni le courage des com- bats ni le courage de la fidélité à Dieu. Spoliée de sa terre natale par des confiscations gigantesques , elle a cultivé pour ses vainqueurs le champ de ses aïeux , et trouvé dans ses sueurs le pain qui lui suf- fisait pour vivre avec honneur et pour mourir avec foi. La famine lui a disputé ce morceau de pain , elle a levé vers la Providence des yeux qui ne l'ac- cusaient pas. Ni la guerre, ni la spoliation, ni la famine n'ont réussi à la faire périr ni à la faire apostasier; ses oppresseurs, si puissants qu'ils fus- sent, n'ont pu épuiser la vie dans ses entrailles, et le devoir dans son cœur. Enfin , comme le glaive le plus hardi et le plus lâche ne saurait luer tou- jours, la tyrannie a cherché quelque chose de plus constant que le fer, et l'on a vu se vérifier dans cette nation victime cette prophétie de la révélation de saint Jean , qu'il viendra des temps où Von ne pourra ni vendre ni acheter sans avoir dans la main ou sur le front le signe de la bête, c'est-à-dire de l'apostasie.
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On a donc enlevé à ce peuple d'un seul coup tous ses droits politiques et civils. Tout être qui naît, naît avec un droit. La pierre même inanimée ap- porte avec elle au monde une loi qui la protège et l'ennoblit; elle est sous la garde de la loi mathéma- tique, loi éternelle, ne faisant qu'une même chose avec l'essence de Dieu, et qui ne vous permet pas de toucher, ne fût-ce qu'un atome, sans le respect de sa force et de son droit. Tout être naît ainsi, aussi faible qu'il soit, avec une part de la puissance et de l'éternité de Dieu, et à plus forte raison l'homme, créature qui pense et qui veut, fils aîné de l'intelli- gence et de la volonté divines; en sorte qu'ôter à un homme son droit natal , c'est un crime si grand , que la pierre même , si on pouvait lui ôter le sien , accu- serait le ravisseur de parricide et de sacrilège. Que sera-ce donc d'enlever le droit d'un peuple? Eh bien! c'est ce qu'on a fait à ce peuple héroïque dont je vous dépeins le supplice et la fermeté! On a fait plus. Messieurs : ce rapt du droit, ce meurtre légal d'une nation, on ne l'a pas établi d'une manière ab- solue, mais d'une manière conditionnelle, en sorte qu'il fût toujours possible à la nation et à chacun de ses membres de se racheter de la mort pubhque et civile par l'apostasie. La loi leur disait : Vous n'êtes rien; apostasiez, et vous serez quelque chose. Vous êtes esclaves; apostasiez, et vous serez libres. Vous mourez de faim ; apostasiez , et vous serez riches. Quelle tentation, Messieurs, et que le calcul était profond, si la conscience n'était pas plus profonde encore que l'enfer! Ne craignez rien pour le peuple
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martyr; voilà deux siècles qu'il est plus grand que cette réduction, et qu'il lève vers Dieu ses mains tranquilles, en disant dans son cœur . u Dieu les voit, « et il nous voit aussi; ils auront leur récompense, « et nous la nôtre. »
Je ne le nommerai pas, Messieurs, ce peuple cher et sacré , ce peuple plus fort que la mort : nos lèvres ne sont pas assez pures et assez ardentes pour le nommer; mais le ciel le connaît, la terre le bénit, tous les cœurs généreux lui ont fait une patrie, un amour, un asile... 0 ciel qui voyez, ô terre qui savez , ô vous tous , meilleurs et plus dignes que moi, nommez -le, nommez -le, dites : L'Irlande!
L'Irlande, Messieurs, tel était son sort lorsque le xix'' siècle s'ouvrit et s'inaugura sous la main de Dieu par deux coups de tonnerre : l'un avait retenti dans le nouveau monde , sur des plages encore mal connues; l'autre, au sein de notre propre patrie. Ces deux éclats de la Providence avertirent les oppres- seurs de l'Irlande; ils leur firent soupçonner qu'un règne de justice et de liberté se préparait dans la conscience des hommes par de si mémorables cata- strophes, et soit peur, soit commencement de com- passion, ils dénouèrent un peu les liens qui enchaî- naient la vie de leur victime. Entre les droits qu'ils lui rendirent alors, était un droit en apparence bien peu considérable : celui de défendre des intérêts privés devant les tribunaux de la juridiction ordi-^ naire. Certes, Messieurs, la concession semblait de ".égère importance et de peu d'avenir; mais l'Angle-
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terre n'avait pas réfléchi que c'était délivrer la pa- role, et que délivrer la parole c'est délivrer Dieu : car la parole, sur des lèvres inspirées par la foi, est vérité, charité, autorité. La parole enseigne, la pa- role fortifie, la parole commande, la parole combat, la parole est la vraie libératrice des consciences, et quand les oppresseurs lui ouvrent le champ, on peut croire, sans leur manquer de respect, qu'ils ne sa- vent pas ce qu'ils font. La parole était donc libre en Irlande, et dès son premier jour, à l'heure même où elle était encore étonnée de n'avoir plus d'en- traves , elle tomba dans le cœur et sur les lèvres d'un jeune homme de vingt-cinq ans, et il se trouva que ces lèvres étaient éloquentes et que ce cœur était grand.
Tout à coup les lacs d'Irlande retinrent sur leurs flots les souffles qui les agitaient; ses forêts demeu- rèrent tremblantes et immobiles; ses montagnes firent comme un effort d'attention : l'Irlande enten- dait une parole libre et chrétienne, une parole pleine de Dieu et de la patrie, habile à soutenir le droit des faibles, demandant compte des abus de l'autorité , ayant conscience de sa force, et la donnant à tout le peuple. Certes, c'est un jour heureux que celui où une femme met au monde son premier- né; c'est un autre jour heureux que celui où le prisonnier revoit l'ample lumière du ciel; c'est encore un jour heureux que celui où l'exilé rentre dans sa patrie : mais aucun de ces bonheurs, les plus grands de rhomme, ne produit et n'égale le tressaillement d'un peuple qui, après de longs siècles, enlend
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pour la première fois la parole humaine et la pa- role divine dans la plénitude de leur liberté , et cette inénarrable joie, l'Irlande la devait à ce jeune homme de vingt -cinq ans, qui s'appelait Daniel O'Connell.
En moins de dix ans , O'Connell entrevit qu'il se- rait un jour le maître de ses concitoyens, et il son- gea dès lors au plan qu'il devait suivre pour prépa- rer leur affranchissement. Par où commencer? Quel était l'anneau de cette lourde chaîne à briser le pre- mier? Il estima que les droits de la conscience pas- saient avant tous les autres; que là, dans cette ser- vitude de l'âme, était le centre et le point d'appui de toute tyrannie, et que par conséquent il y fallait por- ter le premier coup. L'émancipation des catholiques d'Irlande et d'Angleterre devint la préoccupation de tous ses jours, le rêve constant de son génie. Je ne vous en raconterai pas toutes les tentatives et toutes les déceptions. Les unes comme les autres furent innombrables. Dix années nouvelles s'écou- lèrent dans ces infructueux essais. Ni l'homme ni le temps n'étaient mûrs; la Providence est lente, et une patience égale à la sienne est le don qu'elle accorde aux hommes dignes de lui servir d'instru- ment. Enfm l'heure sonna où O'Connell put se flat- ter d'être le chef moral de sa nation, d'avoir dans sa main tous les esprits et tous les cœurs , toutes les idées et tous les intérêts de l'Irlande, et que pas un mouvement ne s'opérerait que sous sa souveraine direction. Il lui en avait coûté vingt années de tra- vaux pour arriver à ce jour mémorable où il put
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se dire sans orgueil : Maintenant je suis le roi de l'Irlande.
C'est beaucoup, Messieurs, de se faire chef de parti. Quand un honime a le droit de se dire qu'il gouverne un parti , il a de quoi satisfaire la plus immodérée des ambitions : tant il est difficile d'a- mener à l'obéissance ceux-là mêmes qui partagent toutes nos pensées et tous nos desseins ! C'est un chef-d'œuvre d'habileté et de force que de créer un parti , et pourtant le chef de parti n'est rien en \ comparaison de l'homme qui est devenu le chef moral d'une nation tout entière, et qui la main- tient sous ses lois, sans armée, sans police, sans tribunaux, sans autre ressource que son génie et son dévouement. Le règne d'O'Connell commença en 1823. Il établit en cette année-là par toute l'Ir- ] lande une association qu'il appela l'association ca- i tholique, et comme aucune association n'a de puis- j sance sans un revenu constant, O'Connell fonda la rente de l'émancipation, qu'il fixa à deux sous par mois.
Gardons- nous de sourire. Messieurs; il y avait dans ces deux sous par mois un gran<^. calcul d& finances et un plus grand calcul du cœur. L'Irlande était pauvre, et un peuple pauvre n'a qu'un moyen de devenir riche, c'est que chaque main donne à la patrie du peu qu'elle a. Le sou de l'émancipat conviait tout enfant d'Erin à prendre part au glo rieux travail de l'affranchissement; la misère, profonde qu'elle fût, n'ôtait à aucun l'espéran
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d'être assez riche au bout du mois pour faire une insulle à l'or de l'Angleterre.
L'association catholique et la rente de l'émanci- pation eurent un succès inouï, et élevèrent l'action d'O'Connell à la puissance et à la dignité d'un gou- vernement.
Trois ans après, en 1826, lors des élections géné- rales de l'empire britannique, on fut étonné de voir les Irlandais, qui n'avaient apporté jusque-là dans les scrutins qu'un vote honteux et acquis d'avance à leurs oppresseurs, on fut, dis-je, étonné de les voir déposer dans l'urne des noms qui protestaient de leurs droits et de l'intention où ils étaient de les dé- fendre désormais.
Ce n'élait rien encore : bientôt O'Gonnell parut devant les électeurs de Clare, et se porta lui-même comme candidat au Parlement d'Angleterre. 11 fut élu , malgré le serment qui mettait entre lui et la lé- gislature la barrière de l'apostasie; et il osa se pré- senter, son élection à la main, sa foi dans son cœur, dans ces murs de Westminster, qui frémirent en voyant un catholique violer leur majesté et leur in- tolérance séculaires par l'inouïe prétention de siéger et de faire siéger dans la personne d'un proscrit, d'un catholique, d'un Irlandais, la personne même de tout un peuple.
L'opinion publique était ébranlée jusque dans ses fondements; toute l'Irlande était debout, fière et obéissante, agitée et pacifique; des vœux, des accla- malions, des secours lui venaient de tous les points de l'Europe, des rivages de l'Amérique et de l'An-
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glelerre elle-même, sensible enfin, dans une partie des siens, au cri d'une justice si éloquemment ré-| clamée. Ni le ministère anglais ni le roi de la Grande-Bretagne ne voulaient l'émancipation des catholiques ; d'ardents préjugés vivaient encore au sein des deux chambres, qui avaient plusieurs fois repoussé depuis trente ans des projets de cette na- ture, quoique adoucis pour l'orgueil protestant par de dures conditions. Mais c'était en vain que les restes des passions anciennes opposaient une digue au sentiment de l'équité générale; le monde était à une de ces heures magiques où il ne fait pas ce qu'il veut. Le 13 avril 1829 , l'émancipation des catholiques fut proclamée par un bill émané du ministère, accepté de la législature, et signé parle roi.
Arrêtons -nous un moment, Messieurs, pour ré- fléchir aux causes d'un si mémorable événement; car vous comprenez bien qu'un seul homme, quel que fût son génie, n'eût pas été capable d'opérer cette révolution si elle n'avait été préparée de loin et amenée à sa maturité par la force même des temps. Il faut le reconnaître, sous peine d'excéder dans la louange la plus juste, et de faire de l'admi- ration un sentiment aveugle encore plus que géné- reux. Ce fut parmi nous..., car je ne perds jamais l'occasion de rentrer dans ma patrie, ce fut parmi nous, en France, au xviii^ siècle, que le principe des la liberté de conscience retrouva son cours depuis longtemps affaibU et détourné. La philosophie de^ cet âge, quoique ennemie du christianisme, lui em--;
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prunta le dogme de la liberté des âmes , et le soutint avec un zèle qui ne faillit jamais, moins sans doute par amour de la justice et de la vérité qu'avec le dessein d'ébranler le règne de Jésus -Christ. Mais, quelle que fût sa pensée, elle fondait dans les esprits le retour d'une tolérance équitable, et préparait pour les siècles à venir l'affranchissement de tant de peu- ples chrétiens opprimés par la main de fer du des- potisme et de l'hérésie. Ainsi Dieu a-t-il coutume de tirer le bien du mal, et il ne se produit rien dans le monde, même contre la vérité et la justice, qui ne doive, tôt ou tard, par une divine transformation, servir la cause de la justice et de la vérité. Cette idée française de la liberté de conscience avait passé en Angleterre et aux États - Unis d'Amérique , et O'Connell, qui la rencontra sur sa glorieuse route , la fit servir sans peine à l'accomplissement de son œuvre. C'est pourquoi. Messieurs, avant d'insister sur la reconnaissance que nous lui devons, il est juste que je vous convie à honorer d'une acclamation sincère et unanime tous ceux qui ont aidé cette grande œuvre de l'émancipation des catholiques. C'est la première fois que dans une assemblée française, au pied des autels, sous les regards de Dieu et des hommes, nous avons l'occasion de payer un tribut de recon- naissance aux coopérateurs de l'affranchissement de nos frères d'Irlande et d'Angleterre, aux instru- ments divers , éloignés ou prochains , de ce grand acte du 13 avril 1829, que tant de cœurs appelaient, , que tant de souverains pontifes, dans les mysté- rieuses veilles du Vatican, avaient ardemment im-
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ploré, et qui restera à tout jamais dans l'histoire comme un monument d'une des plus belles heures que Dieu ait accordées à la conscience du genre humain. Unissez-vous donc à moi, ô mes frères, unissez- vous tous à moi du fond du cœur, et, les mains levées vers Dieu, disons ensemble : Louange, honneur, gloire et reconnaissance éternels à sir Robert Peel et à Sa Grâce le duc de Wellington, qui ont présenté au Parlement anglais le bill d'émanci- pation des catholiques ! Louange , honneur, gloire et reconnaissance éternels à la Chambre des Com- munes et à la Chambre des Pairs d'Angleterre, qui ont accepté le bill d'émancipation des catholiques ! Louange, honneur, gloire et reconnaissance éter- nels à Sa Majesté le roi Georges IV, qui a signé et sanctionné le bill d'émancipation des catholiques 1 Louange, honneur, gloire et reconnaissance éternels à ces protestants d'Angleterre et d'Irlande, qui, avec la magnanimité d'un esprit vraiment patriotique et chrétien, ont favorisé la présentation, la discussion, l'adoption du bill qui a émancipé les catholiques I Mais aussi et par -dessus tout, louange, honneur, gloire et reconnaissance éternels à l'homme qui a rassemblé dans sa puissante main les éléments épars de la justice et de la délivrance, et qui, les poussant au terme avec une patience vigoureuse que trente ans n'ont pas lassée , a fait luire enfin sur sa patrie le jour inespéré de la liberté de conscience, et a ainsi mérité non pas seulement le titre de hbérateur de son pays, mais le titre œcuménique de libérateur de l'Église I
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Car, n'y eût-il que l'Irlande à qui Témancipation âût profité, quel est l'homme dans l'Église, après Constantin , qui ait affranchi d'un seul coup sept millions d'âmes? Rappelez vos souvenirs; cherchez dans l'histoire, depuis le premier et fameux édit qui accorda aux chrétiens la liberté de conscience , et voyez s'il s'y rencontrera beaucoup d'actes comparables par l'étendue des effets à l'acte d'é- mancipation? Voilà sept millions d'âmes libres de servir et d'aimer Dieu jusqu'à la consommation des temps, et chaque fois que ce peuple, avançant dans sa vie et dans sa liberté , reportera en arrière le regard de l'homme qui étudie le secret de ses voies , il rencontrera le nom d'O'Connell à la fm de sa servitude et au commencement de sa renais- sance.
Mais l'acte d'émancipation n'a pas atteint la seule Irlande; il embrassait dans sa plénitude tout l'em- pire britannique, c'est-à-dire, outre l'Irlande, l'Ecosse et la Grande-Bretagne, ces îles, ces pénin- sules et ces continents où l'Angleterre étendait au- trefois , avec sa domination , l'intolérance de ses lois. Voilà donc cent millions d'hommes , voilà les rivages baignés par vingt mers et les mers elles- mêmes délivrés du joug spirituel. Les vaisseaux de l'Angleterre voguent désormais sous le pavillon de la liberté de conscience, et les innombrables peuples qu'ils touchent de leur proue ne peuvent plus séparer dans leur pensée la puissance, la civilisation, la li- berté de Tamo, ces trois choses nées du Christ et laissées comme son héritage terrestre aux nations qui
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embrassent le mystère libérateur de sa croix. Quelles conséquences, Messieurs, d'un seul acte! quel hori- zon sans mesure ouvert aux espérances de lÉglise! Ai -je besoin d'en dire davantage pour que vous ne regrettiez pas la hardiesse avec laquelle je pronon- çais le nom d'O'Connell après les noms de Moïse , de Cyrus, de Judas Machabée, de Constantin, de Char- lemagne et de Grégoire VII, tous agissant avec la force de la souveraineté régulière, tandis qu'O'Con- nell n'avait que la force du citoyen et la souveraineté du génie?
Et pourtant je n'ai pas tout dit. Il est un péril que court la société moderne, le plus grand de tous, je veux dire l'alliance de la servitude spirituelle avec la liberté civile. Des circonstances qu'il serait trop long de déduire poussent sur cette pente funeste les destinées de plus d'un peuple, et l'Angleterre était là pour les encourager de son exemple, ayant d'une part des institutions libérales qu'elle garde avec une suprême jalousie, et de l'autre accablant une portion de ses sujets sous le sceptre d'un fana- tisme autocratique et intolérant. O'Connell a brisé cet enseignement terrible donné par l'Angleterre au continent européen. Les peuples jeunes encore dans la liberté civile ne verront plus leur frère aîné les pousser dans la voie de la servitude religieuse par le spectacle d'une adultère contradiction. Dé- sormais toutes les libertés sont sœurs ; elles ent^re- ront ou elles sortiront le même jour toutes ensemble, famille, en effet, inséparable et sacrée, dont nul membre ne peut mourir sans la mort de tous.
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Enfin , considérez ceci : que le principe de la liberté de conscience, d'où dépend l'avenir de la vérité dans le monde, était déjà appuyé en Europe par la puissance de l'opinion et par la puissance du catholicisme; car partout où l'opinion peut s'ex- primer, elle demande la liberté de conscience, et dans la plupart des grands États catholiques elle est établie déjà de droit et de fait. Le protestan- tisme seul n'avait pas encore donné sa voix à ce solennel traité des âmes; malgré son principe en apparence libéral, il gardait au fond l'intolérance native de l'hérésie. Grâce à O'Connell , l'opinion , le catholicisme et le protestantisme, c'est-à-dire toutes les forces intellectuelles et religieuses de l'Europe, sont d'avis de poser le travail de l'a- venir sur l'équitable transaction de la hberté de conscience.
Et lorsque les résultats en seront acquis au monde, lorsque nous aurons vu, non pas nous, mais nos descendants, toutes les erreurs religieuses vaincues par le développement pacifique du christia- nisme; lorsque l'islamisme, déjà mourant, se sera éteint sans retour; que le brahmanisme et le boud- dhisme, déjà menacés, auront accompli leur cycle transitoire; qu'il ne restera plus en présence que l'affirmation totale de la vérité et le néant total de Terreur, et qu'ainsi le débat des inteUigences tou- chera au moment suprême de sa consommation, alors la postérité connaîtra O'Connell tout entier ; elle jugera quelle était la mission et quelle a été la vie de l'homme qui a su afi'ranchir, dans le sanc-
luaire du for intérieur, tous les royaumes de l'An- gleterre, ses colonies, ses flottes, sa puissance, et les mettre par tout l'univers, d'une manière directe ou indirecte, au service de la cause de Dieu, de son Christ et de son Église. Elle jugera s'il n'a pas mérité , dans le sens chrétien et universel , ce titre deUbérateur que nous lui décernons dès aujour- d'hui.
Mais il l'a été encore d'une autre manière , qu'il me reste à vous dire.
Ce n'est pas seulement l'Église qui est persécutée ici-bas, l'humanité l'est aussi. L'humanité, comme l'Église, est tour à tour persécutée et délivrée, et par la même raison. L'Église est persécutée parce qu'elle possède des droits et qu'elle impose des devoirs; l'humanité l'est parce qu'elle a aussi dans son domaine des devoirs et des droits. La justice nous pèse, n'importe sur quelle tête elle réside, et nous cherchons à lui échapper, non-seulement au détriment de Dieu, mais au détriment de l'homme. Nous nions les droits de l'homme comme nous nions les droits de Dieu; et c'est une grande erreur de croire qu'il n'y a ici-bas qu'un combat, et que, l'Église ayant sacrifié ses intérêts éternels, il ne resterait pas d'autres intérêts pour lesquels il faudrait tirer l'épée. Non, Messieurs, détrompons- nous, les droits de Dieu et les droits de l'humanité sont conjoinis; les devoirs envers Dieu et les devoirs envers l'humanité ont été confondus dans la loi de l'Évangile aussi bien que dans la loi du Sinaï ; tout v^ qui se fait pour ou contre Dieu se fait pour ou
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contre l'homme. Comme Dieu est persécuté, nous le sommes aussi; comme Dieu est délivré, nous le sommes pareillement. L^hisloire du monde, aussi bien que l'histoire de l'Église , a ses persécuteurs et ses libérateurs : je pourrais vous en dresser des tables; mais le temps nous presse, laissons le passé, et venons de nouveau à ce cher et glorieux O'Connell, pour le voir fils de l'homme après l'avoir vu fils de Dieu.
11 avait cinquante-quatre ans le jour où fut con- quis le bill d'émancipation des catholiques. Cin- quante-quatre ans, Messieurs, c'est un âge ter- rible, non parce qu'il approche delà vieillesse, mais ! parce qu'il possède assez de force pour être ambi- tieux, avec assez de lassitude pour être content du passé et songer au repos de la gloire. 11 est peu d'hommes qui, ayant obtenu par trente années de travaux un triomphe éclatant, et surtout un triomphe auguste comme celui de l'acte d'émancipation, aient assez de courage pour commencer une se- conde carrière, et pour exposer leur renommée aux coups de la fortune, tandis qu'ils peuvent jouir d'une vieillesse heureuse et toute couronnée. D'au- tres se laissent aller au piège d'une vulgaire ambi- tion. On voit ces tribuns du peuple, après avoir servi dans leur premier âge la cause de la justice et de la liberté , se détacher d'elles sous quelque cou- leur de devoir , se persuader qu'il y a deux manières de les servir, et, trompés par l'inconstance, faire de la seconde part de leur vie une insulte à la pre- mière.
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O'Connell, Messieurs, sut éviter l'un et l'autre j écueil; il demeura jeune et ignorant des années jusqu'à la fin de sa vie. J'aperçois des jeunes gens dans cet auditoire : O'Connell , Messieurs , fut de votre âge tant qu'il n'eut pas disparu du milieu de nous; il a vécu, il est mort dans la sincérité d'une inaltérable jeunesse. A peine s'était -il donné le temps devoir son triomphe, à peine avait-il forcé par une seconde élection les portes du Parlement, qu'il se leva de son siège, et que , à Tétonnement de toute l'Angleterre, il courut en Irlande. Qu'y va-l-il chercher? 11 va dire à sa chère Erin que ce n'est pas assez d'avoir affranchi la conscience , que Dieu et l'homme sont inséparables, et qu'après avoir servi la patrie du ciel, s'il reste quelque chose àj faire pour la patrie de la terre, c'est n'avoir accom-' pli que le premier commandement, mais non pas le second, et que, tous les deux n'en faisant qu'un, n'avoir pas accompli le second , ce n'est pas même avoir accompli le premier. Il lui confesse, vieux et| comblé de gloire, que son intention est de recom-j mencer sa vie, et de ne pas se reposer un seul jour j tant qu'il n'aura pas obtenu l'égalité des droits! entre l'Angleterre et l'Irlande. Car tel était , en cet qui concerne le droit humain, l'état des deux pays, que l'un paraissait à peine le satellite de l'autre L'Angleterre avait diminué la propriété, le com- merce, l'industrie, tous les droits de l'Irlande, pour augmenter les siens; et cette odieuse lactique pla- çait l'Irlande dans un état d'infériorité qui allait jusqu'à l'impuissance de vivre. Tel est le despo-
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tismc, Messieurs, et nous en sommes tous cou- pables à un certain degré; tous, plus ou moins, nous diminuons les droits d'autrui pour augmenter les nôtres, et l'homme qui est exempt de cette tache, si opiniâtre dans notre espèce, peut croire qu'il est arrivé au dernier point de perfection de la nature humaine.
O'Gonnell a tenu parole; il n'a pas manqué un seul jour de réclamer l'égalité des droits entre l'An- gleterre et l'Irlande, et il a usé dans ce second tra- vail les dix-sept dernières années de sa vie. 11 obtint que le ministère présentât plusieurs bills dans le sens de l'égalité des droits; le Parlement les repoussa constamment. Le libérateur ne se rebuta point; il eut le plaisir de voir tomber sous ses coups les mu- nicipalités d'Irlande exclusivement composées de prolestants, et, le premier catholique depuis deux siècles , il vit sur sa poitrine les insignes de lord-maire de Dublin.
Cette constance à revendiquer les droits humains de sa patrie, sans jamais se laisser abattre ni par l'âge ni par l'insuccès, eussent sufO, Messieurs, pour marquer la place d'O'Gonnell parmi les libérateurs de l'humanité; car quiconque sert son pays dans le sens général des droits de tous n'est pas l'homme d'un temps ni d'un lieu ; il parle pour les peuples présents et à venir, il leur donne l'exemple et le courage, il jette dans le monde une semence que le genre humain moissonnera tôt ou tard. Nous juge- rons mieux encore l'action civile d'O'Gonnell si nous examinons les bases où il la plaça, et la doctrine
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qu'il nous a léguée au sujet de la résistance à l'op- pression.
Réclamer le droit, tel fut pour O'Connell le prin- cipe de la force contre la tyrannie. Il y a, en effet, dans le droit, comme dans tout ce qui est vrai, une puissance propre, éternelle et indestructible, qui ne peut disparaître que lorsque le droit n'est plus i même nommé. La tyrannie serait invincible si elle réussissait à anéantir l'idée du droit avec son nom, à créer sur la terre le silence du droit. Elle tâche du moins d'approcher de ce terme absolu, et de diminuer par tous les moyens de violence et de cor- ruption la bouche de la justice. Tant qu'il reste une âme juste avec des lèvres hardies , le despotisme est inquiet, il s'agite, il se doute que l'éternité conspire contre lui. Le reste lui est indifférent, ou du moins ne l'effraye que peu. En appelez-vous aux armes? c'est l'affaire d'une bataille. A l'émeute? c'est l'af- faire de quelques agents de police. La violence est du temps, le droit est du ciel. Quelle dignité, quelle force dans le droit qui parle avec calme, avec hon- nêteté, avec sincérité, par le cœur d'un homme de bien! Sa nature est contagieuse; dès qu'on l'entend, l'âme le reconnaît et l'étreint; il suffît quelque- fois d'un moment pour que tout un peuple le pro- clame et soit à ses genoux. On oppose, il est vrai, que la réclamation du droit n'est pas toujours possible, et qu'il est des temps et des lieux où l'oppression est déjà si invétérée que la parole du droit y est aussi chimérique que sa réalité. 11 en peut être ainsi ; mais ce n'était point la posi-
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tion d'O'Connell et de sa patrie. O'Connell et l'Irlande pouvaient parler, écrire, pétitionner, s'as- socier, élire des magistrats et des députés. Le droit de l'Irlande était méconnu , mais non pas désarmé, et, dans cet état de choses, la doctrine d'O'Connell était celle du christianisme et de la raison. La liberté est une œuvre de vertu , une œuvre sainte, et par conséquent une œuvre de l'esprit.
Mais la réclamation du droit doit être persévé- ranie. L'affranchissement d'un peuple n'est pas l'af- faire d'un jour; il rencontre infailliblement dans les idées, les passions, les intérêts et l'entrelacement toujours profond des choses humaines, mille obsta- cles accumulés par le temps et que le temps seul est capable de soulever, pourvu qu'on aide son cours par une action parallèle et ininterrompue. Il ne faut pas, disait O'Connell, parler aujourd'hui et demain, écrire, pétitionner, s'associer aujourd'hui et de- main; il faut parler toujours, écrire toujours, pé- titionner toujours, s'associer toujours, jusqu'à ce que le but soit atteint et le droit satisfait. Il faut lasser la patience de l'injustice, et forcer la main de la Providence. Vous l'entendez , Messieurs , ce n'est point ici l'école des désirs vains et sans vertu , c'est l'école des âmes trempées pour le bien , qui en sa- vent le prix et ne s'étonnent pas qu'il soit grand. O'Connell, du reste, a donné à ses leçons la sanc- tion de ses exemples; ce qu'il disait , il le faisait , et nulle vie n'a été jusqu'au dernier moment plus infa- tigable et mieux remplie que la sienne. Il travaillait
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devant l'avenir avec la certitude qu'inspire le pré- sent, il n'était jamais surpris ni mécontent de n'être pas au terme; il savait qu'il ne l'atteindrait pas de son vivant , il en doutait du moins , et on eût dit , à la ferveur de ses actes , qu'il n'avait plus qu'un pas et qu'un jour à franchir. Qui comptera le nombre des assemblées où il a porté la parole et présidé , les pétitions qu'il a dictées, ses voyages, ses démarches, ses triomphes populaires, et cet inexprimable arse- nal d'idées et de faits qui composent le tissu fabu- leux de ses soixante-douze ans? C'était l'Hercule de la liberté.
A la persévérance dans la réclamation du droit, il ajoutait une condition qui lui parut toujours d'une souveraine importance, c'était d'en être un irréprochable organe, et, à expliquer cette maxime par sa conduite, on voit d'abord qu'il entendait que tout serviteur de la liberté la voulût également et efficacement pour tous, non pas seulement pour son parti, mais pour le parti adverse; non pas seu~ lement pour sa religion, mais pour toutes; non pas seulement pour son pays , mais pour le monde en- tier. L'humanité est une, et ses droits sont les mêmes partout, encore que leur exercice diffère selon l'état des mœurs et des esprits. Quiconque excepte un seul homme dans la réclamation du droit, quiconque consent à la servitude d'un seul homme, blanc ou noir, ne fût-ce même que par un cheveu de sa tête injustement lié , celui-là n'est pas un homme sin- cère, et ne mérite pas de combattre pour la cause sacrée du genre humain. La conscience publique
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repoussera toujours l'homme qui demande une li- berté exclusive ou même insouciante du droit d'au- trui; caria liberté exclusive n'est plus qu'un privi- lège, et la liberté insouciante des autres n'est plus qu'une trahison. L'on voit tel peuple arrivé à un certain développement de ses institutions sociales s'arrêter tout court, ou même retourner en arrière. Ne vous demandez pas pourquoi. Vous pouvez êlre sûrs qu'il se passe au sein de ce peuple quel- que sacritice occulte du droit, et que les défen- seurs apparents de sa liberté, incapables de la vouloir pour d'autres que pour eux, ont perdu le prestige qui la conquiert et qui la sauve , qui la conserve et qui l'étend. Fils dégénérés des saints j combats, leur parole énervée roule dans un cercle j vicieux où il suffit de les écouter pour leur avoir déjî répondu.
Il n'en fut jamais ainsi d'O'Connell ; jamais , en cinquante ans, sa parole ne perdit une seule fois le charme invincible de la sincérité. Elle vibrait pour jle droit de son ennemi comme pour le sien. On l'en- tendait flétrir l'oppression de quelque part qu'ell^ vînt et sur quelque tête qu'elle tombât; aussi atti |rait-il à sa cause , à la cause de l'Irlande, des âme éloignées de la sienne par l'abîme des dissentiments les plus profonds; des mains fraternelles cherchaient sa main de tous les points les plus éloignés du monde. C'est qu'il y a dans le cœur de l'homme honnête qui parle pour tous, et qui, en parlant pour tous, semble même quelquefois parler contre lui; il j a là, dis-je, une toute-puissance de supériorité logique
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Oui, catholiques , entendez-le bien , si vous vou- lez la liberté pour vous, il vous faut la vouloir pour tous les hommes et sous tous les cieux. Si vous ne la demandez que pour vous, on ne vous l'accordera ja- mais; donnez-la où vous êtes les maîtres, afin qu'on vous la donne où vous êtes esclaves.
O'Connell entendait encore en un autre sens cette maxime, qu'il fallait être irréprochable dans la ré- clamation du droit. Il voulait qu'on portât à l'auto- rité, et à la loi qui en est la plus haute expression, un respect sincère et religieux. Car l'autorité est aussi une liberté , et quiconque voulant défendre celle-ci attaque celle-là ne sait ni ce qu'il dit, ni ce qu'il fait. L'autorité est une partie intégrante de la liberté, comme le devoir rentre dans le droit par une corrélation manifeste , puisque le droit d'un homme entraîne nécessairement le devoir d'un autre. C'est pourquoi les chartes civiles, aussi bien que la grande charte évangélique, consacrent en même temps le droit et le devoir, la liberté et l'au- torité. Toute main qui les sépare les anéantit, et jamais un peuple qui ne les vénère pas au même titre ne sera capable de devenir un peuple libre. O'Connell poussait jusqu'à la superstition le respect de la loi; il se permettait tout jusqu'à la limite où il rencontrait une loi évidemment en vigueur. Et pourtant nul homme n'a fait sous des lois, même persécutrices , un plus surprenant usage de l'espace qu'elles laissaient à sa disposition. Sa profonde
— 189 — connaissance du droit servait admirablement la magie de ses démarches et de ses contre-marches , et il a eu l'honneur de mourir, après quarante- sept ans de luttes civiles , sans avoir encouru une seule condamnation judiciaire définitive. Une fois, lors de cette fameuse assemblée de Clontarf, il eui peur d'avoir été pris dans un piège où il n'au- rait pas laissé sans tache la robe baptismale de son tribunat populaire et chrétien. La veille de l'assemblée, à quatre heures du soir, au moment où Dublin et l'Irlande regorgeaient de troupes britanniques , le vice-roi fît proclamer une ordon- nance d'interdiction. Les cheveux se dressèrent sur la tête d'O'Çonnell par la pensée d'une collision inévitable entre le peuple et l'armée. On le vit pâle et agité expédier toute la nuit avertissements sur avertissements, courriers sur courriers; et enfin à l'aube du jour, après une nuit affreuse, il eut le bonheur que pas une âme ne se trouvât sur ce champ de Clontarf qui en attendait cinq cent mille.
Ce fut l'occasion de son dernier triomphe. Vous savez comment l'Angleterre voulut lui faire expier une fois cette agitation demi -séculaire où il avait tenu toute une partie de l'empire ; comment il fut cité, condamné, emprisonné, et enfin, la sentence portée devant la Chambre des Pairs d'Angleterre par l'appel de l'homme qui devait y compter tant d'ennemis. Moment célèbre où toute l'Irlande vint visiter dans sa prison le libérateur captif, où les évèquos assemblés émirent une prière à Dieu pour
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que l'homme d'Erin fût conforté dans la tribulation et en sortît victorieux! Cette prière de tout le peuple fut exaucée, et après un magnanime arrêt qui dé- clara qu'O'Connell n'avait point failli , l'Irlande eut encore une fois l'orgueil et la consolation de porter son vieux père dans toute la gloire qu'elle lui avait faite, et qui semblait ne pouvoir plus ni croître ni finir.
Selon les pensées des hommes , O'Connell eût dû mourir ce jour-là. Mais l'Arbitre des destinées et le Juge des cœurs en avait autrement décidé. O'Connell était chrétien; la foi et l'amour de Dieu avaient été les principes vivifiants de toute son existence : toutefois, si vrai fidèle qu'il eût été, il avait pu n'être pas insensible au magnifique en- chaînement de ses jours. La gloire est un poison subtil qui pénètre l'airain des cœurs les mieux trempés ; O'Connell méritait que Dieu le purifiât vivement, et mît sur sa tête, après tant de cou- ronnes qui ne s'y étaient jamais flétries , cette couronne suprême de l'adversité sans laquelle au- cune gloire n'est parfaite ni sur la terre ni dans le ciel.
O'Connell vit une partie des siens se détacher de lui; son âme fut blessée dans l'orgueil et dans l'a- mitié; elle le fut aussi dans le peuple, qu'il avait si tendrement et si efficacement servi. Une famine horrible moissonna sous ses yeux les enfants d'Erin ; il vit des maux contre lesquels l'éloquence et le génie ne pouvaient rien, et sentit jusqu'au fond toute l'impuissance de la gloire. Mais, pendant
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qu'il était en proie a cette douloureuse agonie , tout à coup, sur les rives sacrées du Tibre, une voix fut entendue qui fit tressaillir le monde et la chré- tienté. L'une et l'autre attendaient un père qui ressentît les besoins des siècles nouveaux , qui les prît dans sa main pontificale et pacifique, e*^^ les éle- vât de terre jusqu'à la hauteur môme de la religion. Cette attente et ces vœux étaient exaucés : O'Gonnell pouvait mourir, Pie ÏX était au monde; O'Gonnell pouvait se taire, Pie IX parlait; O'Gonnell pouvait descendre dans les langes du tombeau, Pie IX était debout sur la chaire de saint Pierre. Le vieil et mourant athlète de l'Église et de l'humanité ne s'y trompa point ; la force et la faiblesse de sa vie lui furent révélées, il connut qu'il n'avait été que le précurseur d'un plus grand libérateur que lui, et comme Jean- Baptiste alla visiter dans le désert l'envoyé qu'il attendait, et dont il ne se croyait pas digne de délier la chaussure, O'Gonnell tourna les yeux vers Rome, et, faisant un dernier effort sur rage et sur le malheur, il partit dans la simplicité et dans la joie du pèlerin. Mais il était trop lard; le souffle lui manqua sur les bords de la Méditerra- née , lorsqu'il entrevoyait déjà les coupoles et l'ho- rizon de Rome. Tout Rome l'attendait , et lui prépa- rait des arcs de triomphe. Son cœur seul arriva dans la ville, où Pie IX le reçut. Le pontife, posant les mains sur le fils d'O'Gonnell , lui dit ces mots : « Puisque je suis privé du bonheur, si longtemps désiré, d'embrasser le héros de la chrétienté, que j*aie du moins la consolation d'embrasser son fils! »
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Ne cherchons pas ailleurs, Messieurs, le tombeau d'O'Connell ; il n'esl point en Irlande, si digne qu'elle fût de le posséder éternellement : le tombeau d'O'Gonnell est dans les bras et dans l'âme de Pie IX. C'est là qu'il nous faut le regarder pour dire au libé- rateur la parole suprême, la parole et la prière de l'adieu.
Recueillons-nous un moment.
Messieurs, les intérêts de l'Église sont ceux de l'humanité, et les intérêts de l'humanité sont ceux de l'Église. Le christianisme, dont l'Église est le corps vivant, n'est parvenu à un si haut degré de puissance qu'à cause de la fusion profonde qui existe entre lui et l'humanité. Or la société moderne est l'expression des besoins de l'humanité , et par conséquent elle est aussi l'expression des besoins de l'Église ; et ce peu de mots vous donne la signifi- cation intime de la vie d'O'Gonnell. O'Connell a été. dans notre âge de divisions, le premier médiateur entre l'Église et la société moderne; ce qui revient à dire qu'il a été, dans le même âge, le premier médiateur entre l'Église et l'humanité. 11 faut le suivre , Messieurs , si nous voulons servir Dieu et les hommes. Sans doute, c'est le monde qui s'est séparé de nous, qui a voulu vivre et se gouverner sans nous; mais qu'importe d'où soit venu le mal, et en qui ait été l'orgueil de la séparation? Nous sentons aujourd'hui le besoin que nous avons les uns des autres; allons au-devant du monde, qui lui-même nous recherche et nous attend. Cette ad- miration qu'il verse sur la mémoire d'O'Gonnell, ces
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cris d'amour qu'il élève autour de Pie ÏX, c'est un vœu qu'il épanche à la face du ciel, et une preuve qu'il n'est pas insensible envers qui comprend ses maux et ses besoins. Comprenez -les, Messieurs, marchons de loin, mais avec foi, sur les traces glorieuses que nous venons de parcourir; et si déjà vous en sentez le vouloir, si les vaines ombres du passé diminuent dans votre esprit, si la force vous vient , et avec elle un pressentiment que vous ne serez pas inutiles à la cause de l'Église et de l'humanité, ah! n'en cherchez point la cause, dites-vous que Dieu vous a parlé une fois par l'âme d'O'GonneU.
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FREDERIC OZANAM
FRÉDÉRIC OZANAM
Tacite commence ainsi la \ie d'Agricola : « C'est « un antique usage de transmettre à la postérité les « actes et les mœurs des hommes illustres, et notre « âge lui-même, quoique peu curieux de ses propres « gloires, n'a pas failli pourtant à cet exemple, « toutes les fois qu'une vertu mémorable a su y « vaincre le défaut habituel aux plus grandes « comme aux plus médiocres cités, qui est l'igno- « rance et l'envie du beau. Mais chez nos pères, de (( même qu'on était porté à accomplir des choses « dignes de mémoire, on l'était aussi à les rendre (( célèbres , sans autre ambition que de satisfaire « dans sa conscience le goût du bien. Même on im- « putait à une noble assurance, plutôt qu'à l'orgueil, tt d'écrire sa propre vie, et ni Rutilius, ni Scaurus, « en publiant la leur, n'encoururent le blâme de leur « siècle ou ne lui inspirèrent une moindre foi, tant (t il est facile d'apprécier la vertu dans les temps qui
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« sont faciles à la produire. Pour moi, prêt à ra- « conter la vie d'un homme mort, j'ai dû prendre « soin de m'en justifier. »
Gomme Tacite, fallût-il m'en justifier, je veux dire quelque chose de la vie d'un homme mort, d'un homme qui eut avec Agricola cette ressemblance , d'acquérir une gloire qui en présageait une plus grande, et de s'éteindre tout à coup, sans tache et inachevé, au seuil d'une commune admiration. Sol- dats tous les deux, l'un dans les camps de Rome, l'autre dans les camps du Christ, leur jeunesse fut sérieuse, leurs services précoces, leur renommée pure, leur fin prématurée et cependant opportune, leur mémoire touchante, et ces traits vivants sous la plume de Tacite me faisaient venir involontaire- ment à l'esprit que nous avions perdu dans Frédéric Ozanam l'Agricola chrétien. Perte plus cruelle objet d'une louange autrement affectueuse et du- rable, puisque la foi, ce lien souverain des âmes, élait le principe des vertus et des amitiés que nous regrettons dans notre Agricola. N'y eût-il eu entre nous que l'éclat de son dévouement à la cause de Dieu, c'en serait assez pour que je ressentisse l'en- vie généreuse dont parle Tacite, et que je fusse porté vers sa gloire sans autre ambition, en la célé- brant, que le plaisir de ma conscience. Mais Ozanam, qui était pour nous tous un chrétien éminent, était pour moi davantage. Sa main s'était approchée de la mienne, et son esprit, durant vingt années, avait été l'hôte fidèle des régions qu'habitait le mien. Nous vivions dans la même vérité, mais aussi dans
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le même siècle, dans les mêmes pressentiments et les mêmes aspirations, et, en descendant des devoirs et des sommets éternels, nous nous rencontrions encore au-dessous, là où les ombres commencent, où les doutes sont possibles, et où la foi elle-même ne suffit plus pour tenir les cœurs étroitement em- brassés.
Je ne suis pas d'ailleurs le seul sensible à cette destinée si promptement éteinte. Une génération d'hommes, jeunes alors, aujourd'hui plus mûrs, avait entendu la voix d'Ozanam et lu ses écrits ; il était pour elle un guide éloquent, un apôtre sympa- thique. En parlant de lui, je parlerai d'elle; j'ac- quitterai sa dette avec la mienne, et peut-être élève- rons-nous ensemble un monument qui rappellera de beaux jours et soutiendra plus d'une vertu.
Il me faut traverser bien des années pour retrou- ver l'heure où je vis Ozanam pour la première fois. Je n'avais pas encore inauguré l'enseignement qui bientôt après me donna des disciples et des amis. Frappé de la foudre à l'entrée de ma vie publique , séparé d'un homme illustre en qui j'avais cru trouver le génie de la conduite avec celui de la pen- sée, j'errais au dedans de moi dans des incertitudes douloureuses et de terribles prévisions. De ce peu de renommée que j'avais acquise en combattant trop
tôt, jaillissaient des amertumes qui eussent brisé mon existence, si des affections généreuses et à ja- mais fidèles n'eussent pris leurs racines dans la soli- tude même où m'avait rejeté la disgrâce. Ozanam ne fut pas de ces amis premiers que le souvenir du malheur rend si chers; mais il vint à cette heure-là, comme l'avant-garde de la jeunesse qui devait bien- tôt , en entourant ma chaire , me relever de mes afflictions.
Que me voulait-il? Ce n'était pas la lumière de la foi qu'il avait à me demander. Le souffle d'un doute réel n'avait en aucun temps terni la clarté de son âme. Enfant de la France par le sang qu'il avait reçu, il l'était aussi de l'Italie par son berceau, et ce n'était pas en vain que la ville de saint Ambroise et celle de saint Irénée avaient uni, pour le baptiser, les grâces de leurs traditions. Il avait en lui l'in- fluence de deux ciels et de deux sanctuaires. Lyon lui avait donné l'onction d'une piété grave , Milan quelque chose d'une flamme plus vive, et ces deux sources d'ardeur, loin de s'affaiblir avec l'âge, s'é- taient grossies en chemin de la sève d'une forte édu- cation. Ozanam avait eu ce bonheur, de rencontrer au terme de ses études littéraires un maître capable d'éveiller sa raison. Une philosophie élevée, en lui ouvrant sur l'homme les mêmes points de vue que la foi, avait produit dans son intelligence cet accord tout -puissant des révélations et des facultés, qui agrandit et fortifle les unes par les autres, fait du chrétien un sage, du sage une créature qui ne s'en- orgueillit ni de la science ni de la vertu. Tel était
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Ozanam lorsqu'il entra dans ma chambre et s'assi/ près de mon feu pour la première fois. C'était dans l'hiver qui liait 1833 à 1834. Il devait avoir vingt ans.
Je ne me rappelle rien qui m'ait frappé dans sa personne. Il n'avait pas la beauté de la jeunesse. Pale comme les Lyonnais, d'une taille médiocre et sans élégance, sa physionomie jetait des éclairs par les yeux, et gardait néanmoins dans le reste une expression de douceur. Il portait, sur un front qui ne manquait pas de noblesse, une chevelure noire, épaisse et longue, qui lui donnait cet air un peu sauvage que les Latins rendaient, si je ne me trompe, par le mot d'incompius. Sa parole ne m'a point laissé de souvenir. Mais, soit qu'on me l'eût fait remarquer comme un jeune homme d'espérance, soit que la renommée ait depuis ranimé ma mémoire, je le vois très -bien au lieu où il était , et tel qu'il était.
Que me voulait-il donc? C'est une grande chose pour un jeune homme que ses premières visites à des hommes qui ne sont pas de son âge, qui l'ont précédé dans la vie, et dont il espère, sans qu'il sache bien pourquoi, un accueil bienveillant. Jus- que-là il n'a vécu que des caresses de sa famille et des familiarités de ses camarades ; il n'a pas vu l'homme, il n'a pas abordé cette plage douloureuse où tant de flots déposent des plantes amères et creu- sent d'âpres sillons. Il ignore, et il croit. Ozanam ignorait aussi, et il croyait. Je n'étais pas d'ail- leurs un homme pour lui, j'étais un prêtre. L'en-
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fant qui s'est ouvert au prêtre en conserve un in- stinct de rapprochement, et ce que la femme est pour le cœur qu'agitent les passions, le prêtre l'est pour le cœur qui travaille à devenir pur. Ozanam venait donc à moi parce qu'il était chrétien et parce que j'étais un ministre et un représentant de sa foi. dont il avait ouï parler. Mais il y venait aussi, peut- être, par une sympathie d'un autre ordre, sympa- thie qui se liait dans son esprit à tout ce qu'il avait de plus cher au monde, sa foi, sa patrie, la vérité, le bien, l'avenir du christianisme et l'avenir de la vérité.
II
Rien sans doute ici-bas ne marche de pair avec Jésus-Christ et son Église. Les empires se transfor- ment, les races changent, les opinions s'usent après un certain cours, et celui qui veut asservir les desti- nées de l'Évangile à des choses humaines, si saintes et sacrées qu'elles soient, est semblable au naviga- teur qui, rencontrant une île assise sur le roc dans les profondeurs de l'Océan, voudrait l'attacher à son navire et l'amener de rivage en rivage sous un ciel nouveau. Mais si la grâce est supérieure à la nature, elle ne lui est pas étrangère, et la nature elle-même a des lois qui viennent de Dieu et participent de son immutabilité. Il ne faut donc pas, à cause que Jésus- Christ est Dieu et que l'Église est son ouvrage, se
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persuader que le monde n'est rien : car le monde aussi a Dieu pour auteur, il repose aussi sur des principes éternels, et c'est du mouvem.ent coordonné de l'un et de l'autre, du monde et de l'Église, que résultent la paix de tous les deux, l'harmonie de la création et de la rédemption, enfin la beauté de l'œuvre qu'éclairent ensemble la lumière du jour et la lumière du Christ. Le chrétien donc , sachant ces choses , s'il met la grâce au -dessus de la nature , l'Église au-dessus du monde, ne les sépare point dans ses pensées et ses travaux ; ou , s'il paraît les séparer dans une certaine mesure et en un certain sens, c'est encore pour mieux les unir en leur épar- gnant des chocs dangereux. Ainsi , quand l'empire romain penchait vers sa ruine, les papes, qui n'igno- raient pas la caducité des choses humaines , s'em- ployaient pourtant à sauver ce grand corps, et ils souffraient des coups qui lui étaient portés, parce qu'ils voyaient en lui un principe d'ordre , quoique corrompu, un abri tutélaire, quoique vieilli. D'au- tres, tels que Salvien, persuadés que la régénéra- tion de l'empire était impossible, et qu'il n'était plus qu'un cadavre attaché aux flancs de l'Église, appe- laient de leurs vœux les enfants du Nord, race bar- bare, il est vrai, mais toute neuve, et qui permet- trait au christianisme de fonder avec eux une société rajeunie dans ses deux sources , la virilité humaine et l'efficacité divine. L'avenir a justifié Salvien. Car, en ces matières , où le temps se projette sur l'éter- nité, l'Église n'a plus la même assurance pour se soutenir dans une inébranlable conduite , et d'un
— 204 — pape à l'autre, d'un siècle à un autre siècle, l'aspect des choses peut apparaître diversement. Le temps révèle les choses du temps , comme l'éternité révèle les choses de l'éternité. Mais, malgré la différence des deux ordres, ils n'en sont pas moins liés entre eux. Tout ce qui intéresse la société humaine inté- resse la société divine, et tout ce qui intéresse la so- ciété divine intéresse aussi la société humaine, l'une et l'autre étant composées d'hommes, et des mêmes hommes.
Quand donc Ozanam entra dans le monde , plein d'ardeur et de foi, il y rencontra, comme ses pères de tous les âges , une question temporelle à côté de la question éternelle. S'il fût né deux cents ans plus tôt, il eût eu à choisir d'être pour la Ligue ou pour le roi; de suivre le mouvement populaire qui re- poussait un prince hérétique, ou de s'unir à la presque totalité des évoques de France , qui de- meurait fidèle à l'hérédité du sang. Venu plus tard, il lui fallait choisir aussi. Une révolution avait changé le monde , et changé dans le monde la si- tuation de l'Église. Dépouillée de ses biens, bannie des affaires publiques , privée du bras humain pour soutenir ses dogmes et ses lois, l'Éghse se voyait encore refuser des libertés de l'âme et de l'intel- hgence, tandis que le monde, en la répudiant et en l'opprimant, proclamait pour lui le règne de la liberté la plus étendue dans l'égalité la plus par- faite. C'était là le crime du temps où vivait Ozanam. Son enfance avait grandi sous le poids de cette san- glante contradiction, et il arrivait à l'âge d'homme,
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à l'âge de la parole et de l'épée, en ayant devant lui la perversité d'un mensonge public et persévé- rant contre Dieu. Il n'y avait pas de chrétiens qui ne le ressentissent, d'autant plus à plaindre tous, que la gloire des catacombes ne les relevait pas de la servitude, et qu'un ordre apparent, régulier, couvrait d'un linceul blanchi cette effroyable sub- version.
Mais si Ton était d'accord sur le mal, on ne l'était pas sur le remède.
Les uns pensaient que la société nouvelle, issue d'une révolution qui avait elle-même pour père un siècle corrompu, portait dans ses flancs un principe de mort irréconciliable avec la vérité ; que , quoi qu'e-Ue fît, malgré elle, par les nécessités de son ori- gine , elle refuserait éternellement justice à Dieu , à l'Évangile, à l'Église, à Jésus-Christ; que d'ail- leurs , outre sa haine native contre toute institution de l'ordre divin, elle reposait elle-même sur des fon- dements caducs, la liberté politique et l'égalité civile n'étant que l'anarchie cachée sous des rêves déce- vants. Ils concluaient de là qu'il fallait à tout prix rétablir l'ancienne société, et que, si cette espérance était chimérique, il n'y avait qu'à se voiler la tête et à attendre avec résignation les derniers coups de Tabîme.
D'autres, plus jeunes, trop confiants peut-être en des événements qu'ils n'avaient pas vus de près , se laissaient aller à de moins tristes et de moins extrêmes prévisions. Nés dans les ruines, s'ils ne les aimaient pas, ils les comprenaient mieux. La
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révolution, disaient- ils, fut sans doute un châti- ment, mais le châtiment n'exclut pas le bienfait. Beaucoup de choses devaient périr, parce que beau- coup de choses avaient péché. Quand les tombes de Saint- Denis furent ouvertes et que les os des rois parurent dans la main des enfants, l'histoire, sans justifier le crime, pouvait l'expliquer, et Dieu, qui pèse les rois sur leurs trônes , les pèse aussi dans leurs tombeaux. Levons les yeux vers lui , et sa- chons avec lui tirer le bien du mal, et la vie de la mort. Pourquoi le xix® siècle hériterait- il à jamais des passions et des erreurs du siècle précédent? Dieu n'a^t-il pas fait guérissables les nations de la terre? Est-il même assuré que le xviii^ siècle ait enfanté le nôtre? Le nôtre veut l'égalité civile, la liberté politique et la liberté religieuse : sont -ce là des pensées et des volontés absolument inconcilia- bles avec le christianisme? N'est-ce pas le christia- nisme qui a révélé aux hommes leur égalité devant Dieu, et y a-t-il si loin de l'égalité devant Dieu à l'égalité devant la loi? La liberté politique, si elle n'est pas d'origine chrétienne, puisque les anciens la connaissaient, n'est pourtant pas étrangère à la chrétienté : le moyen âge l'avait ressuscitée sous une forme qu'ignorait l'antiquité , et de cette forme étaient sortis les peuples modernes, avec la monar- chie tempérée qui faisait leur force et leur honneur. Quant à la liberté religieuse, elle était le fruit na- turel et inévitable de la dissidence entre les com- munions chrétiennes. Du jour où le christianisme s'était partagé en plusieurs rameaux , il avait fallu |
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choisir entre une persécution réciproque, dangereuse pour tous , tôt ou tard odieuse à tous, et une liberté honorable aux forts et aux faibles, leur laissant, aux uns comme aux autres , le prosélytisme de l'intel- ligence et de la vertu. Ces faits, ajoutait -on , sont accomplis dans le monde; ils sont le nœud de ce siècle, et si TÉglise n'en a pas encore profité pour sa rédemption, c'est-à-dire pour son affranchissement personnel, c'est que, tardive à se prononcer, enne- mie des ruines les plus nécessaires, elle attend de l'expérience une révélation digne de sa profonde et patiente sagesse. Pour nous, ses enfants, qui de- vons une moindre prudence à une moindre respon- sabilité, que tardons -nous à revendiquer notre li- berté propre au nom de la liberté de tous? Une société, quelle qu'elle soit, ne peut traiter en amis ceux qui se font ses ennemis. 11 ne faut jamais, à la vérité, transiger avec le mal; mais ici le mal n'est pas dans les principes , il est dans leur fausse ap- plication. Le jour où l'Église aura sa part de la li- berté et de l'égalité communes, elle leur apportera sa mesure avec sa force , et le cours des esprits prendra tout ensemble et plus de justesse et plus de gravité. Ozanam , en entrant dans le monde , avait en- tendu ce langage. Ce langage était contredit; il n'a- ,vait pas toujours eu pour interprètes des esprits assez sobres, et il était d'ailleurs contre le courant général. Assurément le choix était difficile pour un jeune homme. En ce qui est des vérités abso- lues, l'évidence nous entraîne; en ce qui est de la foi,, une immense autorité nous guide : mais quand
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l'intelligence est en face d'une lumière mêlée d'om- bres, où les faits s'entrelacent aux idées, soit pour les combattre, soit pour les soutenir, il reste une ter- reur jusque dans la conviction, et il faut du temps, de l'expérience, de grandes lectures dans le passé, de grandes leçons dans le présent, pour arriver à des opinions qui honorent et commandent la vie. La jeunesse devrait donc s'abstenir, et ne pas préparer à sa pensée des retours pénibles ou des persévé- rances trompeuses : mais la nature lui a refusé cette prudence, et peut-être heureusement ; car, si la ma- turité seule prononçait , les glaces du scepticisme remplaceraient aisément la fougue de l'enthou- siasme, et le monde y perdrait en conscience aussi bien qu'en grandeur C'est dans le cœur du jeune homme que se creusent et s'assoient les forteresses de l'âge mûr, et celui qui a trop craint les périls de l'erreur ne craindra jamais assez les périls de l'in- différence.
Je ne puis dire s'il y avait dans la tradition do- mestique d'Ozanam quelque chose qui l'inclinât plutôt d'un côté que de l'autre. 11 descendait origi- nairement d'une famille juive de la Bresse , con- vertie par saint Didier, l'an 600 de l'ère chrétienne. Un de ses ancêtres, Jacques Ozanam, dont Fonte- nelle a écrit l'éloge, était au xvii° siècle un mathé- maticien remarquable et un chrétien fort droit. On a retenu ce mot que lui avaient inspiré les querelles théologiques de son temps : « Il appartient aux doc- « teurs de Sorbonne de disputer, au pape de pro- j <( noncer, et aux mathématiciens d'aller en paradis '
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« parla perpendiculaire. » Le père d'Ozanam, dans une vie trop tôt tranchée par un accident, fruit de sa charité, avait connu des situations bien diverses : tour à tour soldat, négociant, exilé volontaire en Italie, puis étudiant et médecin; mais autant sa car- rière avait éprouvé de vicissitudes , autant la foi chrétienne était demeurée l'ancre immuable où s'ap- puyait la constance de ses vertus. 11 avait abdiqué la guerre au moment où elle lui promettait, dans nos campagnes .d'Italie, le prix du sang qu'il avait déjà versé pour la France. Lyon, en lui donnant alors une femme digne de lui, avait imposé à son amour le sacrifice de ses goûts, et huit années d'un travail obscur avaient inauguré les commencements d'un bonheur qui n'excluait pas le désir d'occupa- tions plus hautes, parce qu'elles sont plus dévouées. Un changement de fortune le délivra du joug. Milan le reçut comme dans un asile que la victoire avait rendu français, mais que la nature et les souvenirs protégeaient contre une présence trop vive d'un maître tout-puissant; et là, plus libre qu'il ne l'a- vait encore été, on le vit, à l'âge de trente-six ans , se créer la carrière qui l'avait fui , et obtenir de sa constance, sur une terre étrangère, le renom de médecin savant, habile et charitable. Quand l'Au- triche, après nos revers, eut appliqué à ce sol poé- tique son sceptre lourd et défiant, le père d'Ozanam revint demander à la France une meilleure patrie, et vingt années de séjour à Lyon l'y rattachèrent de nouveau, en attendant que la mort l'y naturalisât pour jamais.
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Frédéric Ozanam était né de ce père dans le temps de l'exil, le 23 août 1813. Sa mère, Marie Nanlas, fille d'un honorable négociant de Lyon, avait aussi connu dans son enfance les chemins de l'étranger. Le flot de l'émigration l'avait portée en Suisse, au bourg d'Échallens, à moitié route de Lausanne et d'Yverdun, entre ces deux beaux lacs de Genève et de Neufchâtel. Cinquante ans après, Frédéric y re- trouvait les traces de sa mère, et déposait dans une note l'impression qu'il avait reçue de cette pieuse rencontre :
« Un de mes plus doux moments de ce voyage de « Suisse, c'est la demi-heure que nous avons passée ({ à Échallens. Nous n'avions ni calculé ni prévu « cette station de notre pèlerinage; la chose s'était « arrangée d'elle-même, comme tout ce qui s'ar- « range bien. Échallens se trouvait à moitié chemin « du trajet de Lausanne à Yverdun. Je me rappe- « lais que c'était le lieu où mon grand- père s'était « retiré pendant les derniers mois de la Terreur, « et dont ma mère m'avait si souvent parlé. Que « n'aurais -je pas donné pour connaître la maison a qu'habita ma famille! Du moins je voyais les pe- « tits bois et les jolis sentiers où ils allaient, con- « duits, cueillir des fraises. L'oncle chartreux mar- te chait le premier en éclaireur, et quand il avait « découvert un nid de fraises , il appelait ses « joyeuses nièces : « Venez, Mesdemoiselles, c'est « tout rouge. » Et l'on revenait avec des paniers « tout pleins de ces jolis petits fruits, qu'on man- M geait avec du lait excellent. J'ai visité l'église
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'( dans laquelle ma bonne mère a fait sa première « communion, sous la direction de ce bon curé qui u lui répétait : « Nous irons les deux, nous irons les « deux en paradis. « Je l'ai trouvée comme ma ({ mère me l'avait décrite, partagée, hélas! entre « les deux cultes : le sanctuaire , réservé aux ca- « tholiques et fermé par une grille de bois; la nef, « commune aux catholiques et aux protestants; « d'un côté la chaire du curé et le baptistère, de « l'autre la chaire du pasteur et la table de la cène. « Cette chère église est bien misérable : cependant « j'y ai prié avec plus d'émotion que de coutume; « j'y ai remercié Dieu des grâces qu'il avait faites « en ce lieu même à la petite exilée ; j'ai prié pour « ma bonne mère , parce que c'est un devoir de « prier pour les morts; mais, comme je la crois « heureuse et puissante dans le ciel, je lui ai de- ce mandé de veiller sur nous, de nous aider à finir « heureusement ce voyage trop long, et surtout « d'obtenir à ses enfants quelques-unes de ses « douces vertus. Ma femme et ma belle -mère « priaient avec moi , et ma petite Marie s'agc- « nouillait bien sagement devant la grille du sanc- « tuaire. Amélie a voulu cueillir quelques fleurs « sur la petite éminence où s'élève l'église : ces « fleurs ne sont pas celles que notre bonne mère fou- « lait en allant à la messe; mais elles leur ressem- « blent, et plaise à Dieu que nous lui ressemblions « autant! »
Ce fut dans les derniers mois de 1831 qu'Ozanam apporta dans Paris les souvenirs de son enfance, les
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fruits de son éducation et l'ardeur de ses dix- huit ans.
On n'avait pas voulu, dès sa sortie du collège, l'exposer si avant dans la pleine mer. Par une dé- cision peut-être étrange, si l'on considère tout ce que ce jeune homme avait montré déjà d'élan poé- tique et de maturité précoce, ses parents le retin- rent près d'eux, mais en l'attachant aux ingrats la- beurs d'une étude d'avoué. Il porta cette chaîne avec une simplicité toute filiale, ne laissant pas d'entre mêler la poésie aux études de la justice, et d'ajouter aux langues anciennes, qu'il possédait déjà, quelque teinture aventurée de l'hébreu et du sanscrit. Tout fleurissait à la fois , et tout fleurissait vite , dans cette âme que le temps et l'éternité pressaient de vivre. Déjà même, et bien auparavant, il s'était jeté dans les hasards de la publicité. A seize ans il écrivait dans V Abeille française, recueil pério- dique de Lyon, et son jeune front de rhétoricien se couronnait d'espérances qui étonnaient ses maîtres encore plus que ses condisciples. Ses maîtres l'a- vaient pressenti. L'un d'eux conservait précieuse- ment des pièces de vers latins échappées à sa fécon- dité brillante d'écolier. Un autre, son professeur de philosophie, aimait à le prendre pour compagnon de ses promenades dans les sentiers solitaires et escarpés qui entourent Lyon de toutes parts et ren- dent cette ville si chère aux esprits touchés d'un peu de mélancolie méditative. Pourquoi ne nomme- rais-je pas le maître qui conviait ainsi à sa fami- liarité un obscur adolescent? Pourquoi ne rappel-
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lerais-je pas ces amitiés et ces conversations fameuses qui, au temps de Socrate, rassemblaient à une école volontaire l'élite de la jeunesse athé- nienne? Il est vrai, tant de gloire n'a pas consacré le souvenir qui me préoccupe : mais si la gloire n'y était pas, la vérité s'y trouvait, telle que Socrate et Platon ne la connurent jamais. Pendant vingt ans, à une époque où la philosophie chrétienne avait si peu d'organes , un homme modeste et qui n"a rien écrit, M. l'abbé Noirot, conduisait dans les chemins sérieux de la raison une foule de jeunes esprits dont Ozanam a été le plus grand, mais dont plusieurs ont atteint comme lui la célébrité, et qui tous, à des points divers de la vie, rapportent à leur maître commun l'inébranlable lucidité de leur foi.
III
Cette foi était plus rare qu'elle ne Test devenue. Quand Ozanam arrivait à Paris , on sortait de la guerre terrible que l'opposition politique avait faite à la religion au nom de la liberté. Tout, sous la main de ce parti , avait été une arme contre le christia- nisme, la tribune, la prçsse, l'enseignement, la poé- sie; et, par un malheur digne d'être pleuré, aucune voix populaire ne s'était élevée pour le Christ du- rant la tempête; non pas que l'Église de France eût manqué d'orateurs et d'écrivains , mais parce que tous avaient marché, bannière déployée, dans le
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sens contraire à celui qui emportait la nation. La voix du comte de Bonald, du comte de Maistre, de l'abbé de la Mennais, ne parvenait à la foule que comme l'écho perdu d'un passé sans retour. C'était la plainte de Cassandre sur les ruines de Troie. C'é- tait moins encore, parce que c'était davantage, et que les vainqueurs, n'étant pas sur le trône, gar- daient dans la victoire les craintes et les passions des vaincus. Un seul homme , le vicomte de Cha- teaubriand, avait conservé , malgré sa foi de roya- liste et de chrétien , un immuable ascendant sur l'o- pinion. Mais il était seul, sorte de lépreux haï des siens, et portant au front le Génie du Christianisme comme une cicatrice immortelle qui ne parlait que pour lui. A côté de ces grands esprits sans faveur ou sans puissance, l'Église avait encore eu pour dé- fenseurs les hommes maladroits, ceux qui outrent les fautes en croyant les rendre fortes, et qui, avec les meilleures intentions de tout sauver, perdraient Dieu lui-même, s'il pouvait être perdu. Que l'on juge, entre ces deux camps, du sort des jeunes gé- nérations. Condamnées à un enseignement qui ne dissimulait même plus son hostilité, elles sortaient de l'enfance en méprisant l'Évangile, et la liberté, accourant au-devant d'elles, couvrait de son image généreuse l'impiété qui les dévorait. Le reste, c'est- à-dire quelques âmes échappées par hasard, se trou- vait recueilli dans une association pieuse protégée par des noms illustres, et où la faveur, qui semblait promise pour récompense à leur foi , leur attirait le soupçon, la haine et l'insulte. Encore ce fragile et
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douloureux édifice ne subsistait -il plus; la révolu- tion de 1830 Tavait heurté du pied , et Ozanam arri- vait pur, sincère, ardent, au milieu d'un abîme vide et muet.
Il ne se doutait pas que la Providence l'envoyait pour le combler, et qu'il était l'un des instruments choisis par elle pour relever devant les hommes l'in- aliénable honneur de la vérité. C'était là sa mission, le but de sa vie. Il devait être , au lendemain de la défaite, l'un des premiers qui en changeraient la si- gnification, le premier ou le second qui, au nom de Jésus -Christ, parviendrait à la sainte puissance d'une popularité sans tache. Ceux qui n'ont pas vécu dans CCS deux temps ne se représenteront jamais ce que fut le passage de l'un à l'autre; jamais, malgré ce que nous avons à dire, ils ne compren- dront l'intérêt qui s'attache à la mémoire d'Ozanam. Pour nous , qui avons été de Tune et de l'autre époque , qui avons vu le mépris et qui avons vu l'honneur, nos yeux se mouillent, en y pensant, de larmes involontaires, et nous tombons en actions de grâces devant Celui qui est inénarrable dans ses dons.
Ozanam ne se doutait donc pas de la mission qu'il venait remplir. Comme tout jeune homme chaste, dont le regard n'a point plongé trop avant dans les mystères du monde, il était timide, et abordait dif- ficilement les célébrités, qu'il avait l'ambition de connaître. Il était porteur d'une lettre de recom- mandation de M. l'abbé de Bonnevie, chanoine de Lyon, homme de ce grand air sacerdotal que j'ai vu
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à plusieurs membres de l'ancien clergé français, et qui annonçait tout ensemble la distinction de la nature et rélévalion de la grâce. M. de Bonnevie aimait les jeunes gens, il les accueillait bien, et la mémoire de son cœur lui a survécu plus que ses ser- mons. La lettre qu'il avait donnée à Ozanam était pour M. de Chateaubriand. Ozanam la retint plu- sieurs mois sans en faire usage. Il ne pouvait se résoudre à franchir un seuil qui lui semblait gardé par la gloire elle-même. Enfin, au premier jour de Tan 1832, il se décide, et, à midi précis, sonne en tremblant à la porte d'une puissance de ce monde, comme Charles X, à Prague, désignait M. de Cha- teaubriand. Celui-ci rentrait d'entendre la messe. Il reçut l'étudiant d'une manière aimable et paternelle, et, après bien des questions sur ses projets, ses études, ses goûts, il lui demanda, en le regardant d'un œil plus attentif, s'il se proposait d'aller au spectacle. Ozanam surpris hésitait entre la vérité, qui était la promesse faite à sa mère de ne pas mettre le pied au théâtre, et la crainte de paraître puéril à son noble interlocuteur. Il se tut quelque temps, par suite de la lutte qui se passait dans son âme. M. de Chateaubriand le regardait toujours, comme s'il eût attaché à sa réponse un grand prix. A la fm , la vé- rité l'emporta, et l'auteur du Génie du ChrisLia- nisme, se penchant vers Ozanam pour l'embras- ser, lui dit affectueusement : « Je vous conjure de (( suivre le conseil de votre mère ; vous ne gagneriez « rien au théâtre, et vous pourriez y perdre beau- ce coup. »
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Cette parole demeura comme un éclair dans la pensée d'Ozanam, et lorsque quelques-uns de ses camarades, moins scrupuleux que lui, l'engageaient à les accompagner au spectacle, il s'en défendait par 3ette phrase décisive : « M. de Chateaubriand m'a K dit qu'i*l n'était pas bon d'y aller. » Il y fut pour jla première fois en 1840, à l'âge de vingt-sept ans, jpour entendre Polyeucte. Son impression fut froide, jll avait éprouvé, comme tous ceux dont le goût ist sûr et l'imagination vive , que rien n'égale la heprésentation que l'esprit se donne à soi-même lans une lecture silencieuse et solitaire des grands naîtres.
I Ce ne fut pas le seul fruit qu'il retira de cette vi- !;ite. Le charme qu'elle avait laissé dans sa mémoire ui révéla l'importance de l'accueil fait aux jeunes ^ens par des hommes qui leur inspirent de l'admi- i'ation, et, lorsque lui-même eut franchi les bornes le l'élévation commune, lorsqu'il fut applaudi d'un rand auditoire, honoré et recherché, il se souvint le ses jours obscurs, et se donna généreusement à a jeunesse qu'on lui recommandait de toutes parts »u qui venait d'elle-même se présenter à lui. Cinq ois par semaine, c'est-à-dire tous les jours où il l'avait point à paraître devant le public , sa porte eur était ouverte de huit à dix heures du matin. Il es recevait avec grâce, s'entretenait longtemps avec lUx, et quoique dévoré souvent par l'ardeur du tra- vail qu'ils avaient interrompu, rien en lui ne laissait )ercer l'impatience ou le regret. Il se sentait prêtre levant ces âmes, et, comme saint Paul, débiteur de
VIII. — 7
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toutes. Aussi un grand nombre s'affectionnèrent-' elles à lui, et son éclat, au lieu de l'isoler, comme il arrive presque toujours, lui suscita de chaudes ami- tiés dans ceux-là mêmes que Tâge eût dû retenir loin de son cœur. La religion seule a le secret de ce patriciat, le plus haut et le dernier de tous, qui attire } vers la gloire en la rendant affectueuse , et lui fait .1 des clients qui n'ambitionnent que d'aimer ce qu'ils admirent. j
Ozanam eut le bonheur d'être lui-même le client d'un homme illustre, et d'avoir dans Paris pour pre- mière demeure un toit qui abritait tout ensemble la vieillesse, la science, la renommée et la religion. M. Ampère, c'est lui que je veux dire, était en France comme le patriarche des mathématiques. 11 était de plus chrétien, et jamais, dans un temps si périlleux, il n'avait abusé de la science contre la vérité. Je ne dis pas assez : il était chrélien comme Kepler, New- ton ou Leibnitz, et qui l'eût rencontré sur les dalles de Saint-Étienne-du-Mont, agenouillé devant Dieu, , n'eût pas vu de prière plus capable d'inspirer la foi en désarmant l'orgueil. J'ignore comment Ozanam était devenu l'hôte d'un si grand et si rare esprit , soit qu'il le dût à son père, soit à d'autres circon- stances ménagées par Celui qui rapproche l'hysope du cèdre, et qui permettait aux petits enfants de jouer avec la main du Christ. M. Ampère se prit d'estime et d'affection pour le jeune étudiant que la Providence lui avait envoyé; il conversait souvent avec lui, le prenait à part dans son cabinet, et lui exposait sa philosophie des sciences; il le faisait
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mcmc travailler sous ses yeux, et Ton a conserve des pages écrilcs à moilié par l'un el par l'autre. Ces entretiens amenaient dans l'àme du savant, à propos des merveilles de la nalure, des élans d'admiration pour leur Auteur; quelquefois, mettant sa large tête entre ses deux mains , il s'écriait tout trans- porté : « Que Dieu est grand, Ozanam! que Dieu est grand! »
Celte cohabitation dura deux années. C'étaient les premières qu'Ozanam passait à Paris. Elles lui ou- vrirent de plus larges horizons que ceux où il avait vécu jusque-là, en lui donnant lieu de connaître et d'entendre dans le salon de M. Ampère des hommes éminents. M. Ballanche, son compatriote, fut celui qui le toucha davantage. C'était un homme doux, d'une célébrité modeste quoique réelle, parce qu'il hantait des sphères peu pratiquées de ses contem- porains, et que son art de dire, si remarquable qu'il fût, n'atteignait pas non plus le vulgaire des admirateurs. 11 y avait dans sa gloire comme dans ses pensées du mystère, et pour entrer dans ses œuvres il fallait un peu le courage de l'initié aux portes d'Eleusis. Ozanam s'était ressenti vivement ! d'un de ses écrits , la Vision d'Hébal. Longtemps ! après , lorsque son cœur attristé revenait sur les faiblesses de ses premiers temps de Paris , il me parlait encore du bien que lui avait fait ce court épisode. « Qui nous donnera, disait- il dans nos derniers entretiens , qui nous donnera une Vision d'Hébal ? Hélas! c'était Dieu seul qui devait la lui donner en l'appelant aux spleWeurs de l'autre vie.
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Le lecteur se demandera sans doute ce que faisait enfin ce précoce étudiant, si favorisé de la nature et de la Providence. 11 faisait ce que sa famille avait souhaité de lui. Fils obéissant, il portait sur les bancs de l'école de droit une intelligence docile et cependant rebelle, parce que tous ses instincts l'en- traînaient ailleurs, aux grands rivages de la poésie, de l'histoire, de l'érudition littéraire et philosophique. Il lisait les anciens et les modernes , et, dans les intervalles perdus, jetait à son esprit comme une dis- traction la connaissance de l'italien , de l'espagnol, de l'anglais et de l'allemand. Des amis de son âge, presque tous issus de sa ville natale, commençaient aussi à l'entourer et à lui disputer ses heures. Mais les joies de l'amitié, ni celles de l'étude et de la reli- gion, ne parvenaient à le défendre d'une teinte de mélancolie. Car, si riche qu'il fût par ses dons , il en avait le contre- poids dans une santé faible et dans une tendance à s'inquiéter de l'avenir. Quel homme fut heureux d'ailleurs avec de grands dons ? Quel vase habité par une âme d'élite n'a pas reçu du ciel la goutte d'absinthe qui doit le purifier? Ozanam , tout jeune encore, sentait vivement les misères de son siècle. S'il l'eût haï et méprisé, il eût pu deman- der à l'orgueil l'insouciance de la destinée commune: mais il aimait cet âge tourmenté du bien et du mal; il en espérait beaucoup, il le portait dans son sein.: comme un malade faisant effort vers la vie, et tout ce qui tendait à l'avilir ou à le détourner de sa roule lui causait une sensible affliction. Aussi , à peine âgé de vingt ans. Dieu, qui l'avait prédestiné à une
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existence courte et remplie, lui inspira-t-il un des- sein qu'on n'eût pas même attendu d'un homme con- sommé, et qui devait prendre place parmi les œu- vres les plus fécondes et les plus mémorables de ce temps.
IV
Quoique Ozanam n'eût jamais éprouvé dans sa foi de défaillance positive, cependant il ne laissait pas de sentir combien ce don précieux avait besoin d'être gardé au milieu de la défaveur publique et de l'irruption sans mesure des systèmes philosophiques et religieux. Le xviii® siècle avait détruit, le xix® vou- lait reconstruire. Mais , ne parlant d'aucune foi et d'aucune fin surnaturelle, il ne pouvait se donner pour principe que la raison, pour but le plus élevé que l'amélioration du genre humain dans le temps. De là des plans vastes, nouveaux, étrangers à tout ce qui avait précédé , annonçant avec enthousiasme le règne indéfini du bien-être sur la terre par une sainte réhabilitation de tous les plaisirs et une orga- nisation pacifique de toutes les passions. Les thèmes étaient divers, le fond ne variait pas. Une foule d'esprits initiés aux sciences physiques et mathé- matiques, mais inhabiles à toute conception de l'ordre moral et religieux, s'étaient jetés dans ces spéculations, qui avaient une apparence gigan- tesque sans aucune force vitale, et qui devaient crouler devant l'impuissance d'une réalisation même
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éphémère , comme tout ce qui n*a pas en soi le souffle divin du bon sens. Quiconque n'admet pas comme un élément du monde le mal de l'âme, qui est le péché, et le mal du corps, qui est le châtiment du péché, celui-là bâtit sur le néant : comme il y a dans l'air respirable un principe mortel , il y a dans la société humaine un principe de corruption. Il faut le combattre, mais non pas le nier, et, en le com- battant, il faut êlre certain qu'on ne le déracinera jamais du sol où l'homme est semé. L*homme est un être libre, et chaque pulsation de sa vie produit lo bien et le mal, comme la contradiction où s'exerce sa liberté. Mais ce qui est évident pour le chrétien ne l'est pas toujours pour le génie lui-même, bien moins encore pour les esprits médiocres qui croient en eux. Du temps qu'Ozanam fréquentait la poudre de la jurisprudence, ces systèmes éclos avant la révolution de 1830 avaient puisé dans le succès de l'événement politique une nouvelle énergie ; ils affectaient des prétentions religieuses au nom de la négation morale, ils se donnaient des costumes officiels , ils préparaient des temples sur les hau- teurs de Paris, ils ébranlaient enfin l'opinion, et l'on pouvait craindre que ce bruit ne fût de la puis- sance.
Inquiets, mais non troublés, plusieurs jeunes gens s'étaient réunis avec Ozanam pour traiter toutes ces ] questions et tenir tête, au nom de l'Évangile et de j Jésus -Christ, à l'orgueil prophétique des nouveaux venus. Je dis l'orgueil prophétique, parce que c'était leur coutume de se donner l'avenir, et, tout en re-
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connaissant les bienfaits du christianisme dans le passé, de le dire impuissant à extirper le mal du monde, ce à quoi, en effet, le christianisme ne pré- tend pas. Après nombre de discussions d'histoire et de philosophie, Dieu , qui est avec ceux qui le cher- chent, illumina le cœur de ces jeunes gens. Ils étaient huit , et je ne blesserai le souvenir d'aucun d'eux en assurant qu'Ozanam, quoique leur condisciple, était le saint Pierre de leur obscur cénacle. Il n'a jamais réclamé cet honneur. Peu de mois avant sa mort, à Florence, il racontait dans une nombreuse assem- blée de jeunes Toscans les origines de la société de Saint-Vincent-de-Paul, et il disait seulement qu'il était des huit à qui la chrétienté est redevable, après
! Dieu , de cette fondation. Il était donc des huit , cela suffit à sa mémoire, et si Dieu l'a fait le premier entre ses pairs , il l'a fait aussi le premier dans la mort.
Ces huit jeunes gens, au mois de mai 1833, eurent donc cette inspiration, de prouver une fois de plus que le christianisme peut en faveur des pauvres ce qu'aucune doctrine n'a pu avec lui et après lui; et, tandis que les novateurs s'épuisaient en théories qui devaient changer le monde, eux, plus modestes,
: se prirent à monter les étages où se cachait la mi- sère de leur quartier. On les vit, dans la fleur de l'âge, écoliers d'hier, fréquenter sans dégoût les plus abjects réduits et apporter aux habitants in- connus de la douleur la vision de la charité. La charité est belle en quiconque l'accomplit; elle est belle dans l'homme mûr qui retranche une heure
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à ses affaires pour la donner aux affaires de la souf- france; elle est belle dans la femme qui s'éloigne un moment du bonheur d'être aimée pour porter l'amour à ceux qui n'en connaissent plus que le nom ; elle est belle dans le pauvre qui trouve en- core une parole et un denier pour le pauvre : mais c'est dans le jeune homme qu'elle apparaît tout entière, telle que Dieu la voit en lui-même au printemps de son éternité, telle que Jésus la voyait, au jour de son pèlerinage , sur le front de saint Jean. Fille de la foi , Ozanam et ses amis voulu- rent lui confier la leur comme à une mère, et ce fut leur intention que la charité servît de média- trice aux générations de leur siècle et y versât la lumière que le raisonnement éperdu y répandait en vain.
Vingt ans après, dans cette réunion de Florence que je mentionnais tout à l'heure , et où Ozanam, mourant tirait de sa poitrine les dernières paroles éloquentes qu'il ait prononcées en public, il pouvait dire avec l'assurance de l'homme qui a rempli sa tâche sous l'œil et avec le bras de Dieu : « Au lieu « de huit, à Paris seulement nous sommes deux « mille, et nous visitons cinq mille familles, c'est- « à-dire environ vingt mille individus, c'est-à-dire « le quart des pauvres que renferme cette immense « cité. Les conférences , en France seulement, sont « au nombre de cinq cents, et nous en avons en « Angleterre, en Espagne, en Belgique, en Amé- « rique, et jusqu'à Jérusalem. C'est ainsi qu'en « commençant humblement on peut arriver à faire
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« de grandes choses , comme Jésus-Christ , qui de « l'abaissement de la crèche s'est élevé à la gloire « du Thabor. »
0 sainte fécondité des œuvres divines ! Société de Saint-Vincent-de-Paul , que nos yeux ont vue naître dans Paris de quelques jeunes gens exposés à tous les prestiges de leur siècle -et à tous les pé- rils de leur âge, non. vous ne périrez jamais dans notre mémoire , et jamais non plus n'y périra l'espé- rance que vous nous avez donnée des bénédictions de Dieu!
C'était de loin que la Providence s'y était prise pour préparer l'avènement d'une œuvre qu'elle des- tinait à une si prompte et si admirable diffusion. Ozanam en avait puisé le germe dans son propre sang , et lorsqu'il montait l'escalier des pauvres , il pouvait y retrouver les pas de son père et de sa mère. Tous deux, en effet, avaient l'habitude de vi- siter en personne les indigents : tous deux, déjà vieillis, se défendaient l'un à l'autre de monter au delà du quatrième étage; mais, la charité trompant leur prudence réciproque, il leur arrivait de se ren- contrer en flagrant délit au même palier. Instruit à une telle école, Ozanam n'avait point séparé la foi des œuvres; il avait appris de bonne heure à joindre aux mouvements de l'âme qui le portaient vers Dieu les mouvements d'une tendresse plus sûre de ne pas se faire illusion, et il voyait Jésus-Christ dans les pauvres pour être certain de le voir et de le possé- der dans son cœur. Au lieu que , d'ordinaire , le goût des spéculations de l'esprit incline à oubUer les
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douloureuses réalités delà vie, Ozanam avait reçu à la fois les deux dons, celui d'une ardeur scientifique extrême et celui d'une sensibilité non moins active aux maux de ses frères. Il traitait les pauvres avec le respect le plus affectueux. Venaient-ils chez lui, il les faisait asseoir dans ses fauteuils, comme des hôtes de distinction. Allait-il chez eux, après leur avoir donné son argent, sa parole et son temps, il ne manquait pas d'ôler son chapeau et de leur dire avec un salut gracieux qu'il affectionnait : « Je suis votre serviteur. » Le jour de Pâques, il leur portait de petits cadeaux, tels qu'un bénitier, une vierge, un christ, ou un pain plus délicat choisi exprès.
Le matin d'un jour de l'an , celui de 1852, le der- nier qu'il ait vu à Paris et l'avant-dernier qu'il ait vu au monde, il dit à sa femme qu'une telle famille était bien malheureuse, qu'elle avait été obligée de mettre au mont-de-piété sa commode de mariage, dernier reste d'une ancienne aisance , et qu'il avait envie de la leur rendre pour leurs étrennes du premier de l'an. Sa femme l'en dissuada par des raisons plausibles , et il s'y rendit. Le soir venu , au retour des visites officielles, Ozanam était triste; il jeta un regard douloureux sur les jouets entassés aux pieds de sa fille, et ne voulut pas toucher aux bonbons qu'elle lui présentait. Il était aisé de comprendre qu'il regrettait la bonne œuvre manquéele matin. Sa femme l'ayant supplié de suivre sa première pensée, il partit aus- sitôt pour racheter le meuble, et après l'avoir ac- compagné lui-même jusque chez ces pauvres gens il rentra tout heureux.
Comme tous ceux qui font du bien, Ozanam était I rompe quelquefois. Il avait longtemps secouru un Italien en lui demandant des traductions dont il n'a- vait nul besoin. Cet étranger, placé par lui, trahit la conflance de l'établissement qui l'avait reçu, et, pressé par la misère, il revint à celui dont il connais- sait le cœur et la porte. Ozanam , pour la première fois, l'accueillit durement et lui refusa l'aumône. Mais à peine était-il seul , que le remords entra dans sa conscience. Il se disait intérieurement « qu'on ne « doit jamais réduire un homme au désespoir, et « qu'on n'a pas le droit de refuser un morceau de « pain au plus vil scélérat; que lui-même un jour « aurait besoin que Dieu ne fût pas inexorable pour « lui , comme il venait de l'être pour une de ses « créatures rachetées de son sang. » N'y pouvant plus tenir, il prend son chapeau, court à toutes jambes à la recherche de ce malheureux, le re- trouve au milieu du Luxembourg, et lui donne avec l'aumône une preuve de son repentir et de sa cha- rité.
Un dernier trait achèvera de le peindre sous ce rapport. Il avait compris que, sans un budget régu- lier des pauvres , l'aumône est toujours pesante, in- certaine, et au-dessous de la part qu'on lui doit. C'est pourquoi son budget des pauvres était exactement dressé chaque année, et il s'élevait ordinairement au dixième de ses dépenses, quelquefois plus haut. En cette manière, le sacrifice une fois fait, le visage de personne ne lui étaU importun. 11 savait que le petit trésor était là. La seule question était la quantité de
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bonheur qu'il se donnerait en le distribuant à pro- pos.
Telle fut donc l'origine de la société de Saint-Vin cent-de-Paul, telle fut la première œuvre d'Ozanam, et, je l'ai dit, il n'avait que vingt ans.
Mais, avant de le suivre plus loin, je ne puis omettre une remarque. Depuis le rétablissement du culte catholique en France , c'est-à-dire depuis les premières années du siècle, toutes les associations intimes fondées au nom de la foi avaient été mêlées d'un élément étranger. Les affinités politiques étaient le levain secret qui se cachait plus ou moins sous la sincérité réelle qu'on y apportait. Ozanam et ses an- ciens amis rompirent avec cette tradition. Ils décla- rèrent que dans une œuvre de charité, non moins qu'à l'église devant Jésus-Christ, il n'y avait plus de Juif ni de Grec, et que quiconque aimerait les pauvres serait le bienvenu parmi eux , sans que ja- mais on s'enquît des opinions qui gouvernaient sa pensée. Non pas que ce fût de leur part un mépris des opinions , ou qu'ils voulussent fonder leur ou- vrage sur l'indifférence des choses du temps. Les choses du temps sont toujours bonnes ou mauvaises, vraies ou fausses, utiles ou nuisibles, et par consé- quent un chrétien en tient le compte qu'il doit : mais ce ne sont néanmoins que des choses qui passent, et le don du Christ est de nous élever plus haut, dans des régions où l'on n'aperçoit plus les contradictions humaines, mais où on les oublie du moins dans un rapprochement qui est la grande trêve de Dieu. Saint Vincent de Paul, choisi par Ozanam et ses coopéra-
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leurs pour signe de ralliement, était lui-même un nom pacifique, un nom cher au monde comme à l'É- glise, et dont le prestige, tenant du ciel et de la terre, convenait à toute âme généreuse comme à tout bon dessein.
Aussi, une fois la barrière ouverte, nul ne resta dehors de ceux qui étaient capables de donner à Dieu une heure de leur temps, et la société de Saint- Vincent-de-Paul est devenue, selon une heureuse expression de saint Vincent de Paul lui-même, le parti de Dieu et des pauvres , l'agape universelle , la résurrection de l'unité entre ceux qui veulent tra- vailler au salut du monde sans prendre les livrées d'un apostolat trop fort pour leur vocation ou leur I vertu. Les révolutions elles-mêmes, qui avaient dé- I racine tant d'autres œuvres, ont respecté celle-ci. Le parfum sans tache de la charité a écarté d'elle le ! soupçon ; on a cru à sa sincérité parce qu'elle a été sincère.
Le lecteur se persuade peut-être que le soin des pauvres , uni à l'étude de la jurisprudence et à la culture des langues, épuisait l'activité d'Ozanam; ce serait une erreur. Il y avait à la Sorbonne et au Collège de France des tribunes chères à la jeunesse, mais qui, trop souvent, manquaient envers le chris- tianisme de justice et de vérité. Ozanam assistait aux cours les plus célèbres. Appréciateur du mérite,
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môme chez les ennemis, il écoutait tout ensemble avec plaisir et avec réserve. Ses notes prises , il rentrait chez lui , recherchait les faits à leur source, les rectifiait; puis , seul le plus souvent, quelque- fois avec des amis, même avec des jeunes gens inconnus dont il sollicitait la signature, il adres- sait au professeur une lettre grave et raisonnée, où il l'avertissait de ses torts et le conjurait avec un accent de sainte naïveté de réparer le dom- mage qu'il avait fait à des intelligences auxquelles il devait la lumière. M. Jouffroy reçut un jour une de ces lettres, signée Ozanam, étudiant. Il avait connu dans son enfance le souffle de Dieu , et , même avant de mourir , il en eut des retours qui ont honoré sa mémoire. La lettre d'Ozanam le tou- cha. Il y était dit que bien des jeunes gens qui as- sistaient à son cours étaient chrétiens, et qu'ils souf- fraient douloureusement de voir un homme comme lui, éloquent, généreux, et sans doute sincère, se permettre contre leur foi des attaques auxquelles ils ne pouvaient pas répondre , puisque le respect de l'ordre et de sa personne leur commandait un silence absolu. M. Jouffroy, dans la leçon qui sui- vit, donna connaissance à son auditoire des obser- vations qu'il avait reçues, loua l'auteur de la conve- nance et du savoir dont il avait fait preuve; puis, avec une droiture qui mérite d'être rappelée , il désavoua ce qu'il avait dit au préjudice de la vé- rité. « Messieurs, ajouta-t-il, il y a cinq ans, je « ne recevais que des objections dictées par le ma- « térialisme ; les doctrines spiritualistes éprouvaient
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« la plus vive résistance : aujourd'hui les esprits « ont bien changé, l'opposition est toute catho- « lique. »
Depuis ce jour, et jusqu'à dCG temps où les pas- sions s'envenimèrent, on remarqua dans les profes- seurs les plus accrédités une circonspection qu'ils n'avaient pas montrée d'abord.
Mais ce n'était là qu'un palliatif, une diminution d'infériorité. Ozanam s'affligeait au'il n'y eût pas à Paris , en présence de tant de chaires hostiles ou indifférentes, et devant une jeunesse si nombreuse, une chaire dont l'éclat fît le contre-poids des gloires de l'erreur et leur disputât l'ascendant. Sans doute la vérité ne régnera jamais seule; son sort est de combattre, et d'avoir par conséquent d'illustres en- nemis. Mais si son empire, pour être giand et du- rable, doit être contesté, il ne lui est pas interdit d'avoir des défenseurs dignes d'elle; et, de fait, dans toute la suite de son histoire, on voit presque toujours le Père de l'Église à côté du sophiste élo- quent, Origène en face de Porphyre , saint Basile auprès de Libanius. La liste de ces oppositions se- rait grande; elle a commencé à Lucifer et à l'ar- change saint Michel , elle ne se clora qu'au dernier jour du monde. Aussi Ozanam , qui savait les voies de Dieu, ne désespérait-il pas d'obtenir pour son âge la consolation donnée à tant d'autres qui avaient précédé le sien. Seulement la modestie ne lui eût pas permis de croire qu'il était l'homme élu, et que bientôt, dans ces mêmes lieux où il allait entendre des voix qui l'affligeaient, la sienne, la sienne elle-
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même , maîtresse des cœurs , ouvrière inlrépide de la vérité, arracherait à une foule émue douze années d'applaudissements.
Mais le lever de ces beaux jours était encore dans l'ombre. En attendant, il plut à la divine Providence d'accomplir à quelque degré le vœu de son servi- teur. M. de Quélen, archevêque de Paris , fonda les Conférences de Notre-Dame, destinées à initier la jeunesse aux preuves fondamentales du christia- nisme et à l'attirer vers la lumière par le charme même de la lumière. Ozanam ne fut pas sans in- fluence sur cette fondation. Il l'avait sollicitée du pieux et noble archevêque , de concert avec quelques- uns de ses amis.
Cependant sa carrière ne se dessinait pas. Elle fut même un instant sur le point de se tromper elle- même, tant il est difficile à l'esprit le plus pénétrant de discerner sa place et de savoir ce que la Provi- dence lui veut. Ozanam, comme tout écolier de ju- risprudence, avait subi les épreuves qui terminent cette étude, et, voulant tendre un peu plus loin par l'ardeur de son esprit, il avait ambitionné et obtenu le titre de docteur en droit. Sa thèse est datée du 30 août 1836. Presque aussitôt, changeant son front de bataille , il avait aspiré au même honneur dans la faculté des lettres, et, à l'issue d'une double thèse liatine et française , la première sur la descente des héros aux enfers dans les poètes de V antiquité , la seconde sur le Dante et la Divine Comédie , l'an- née 1839 avait couronné ses désirs. C'était plus qu'un succès , c'était une révélation. M. Cousin ,
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l'un de ses juges, n'avait pu s'empêcher de lui dire en l'entendant : « Ah ! monsieur Ozanam , on n'est pas plus éloquent que cela ! » La sombre figure du Dante, qu'il avait évoquée du xiii^ siècle avec sa triste auréole de poëte, de docteur et de proscrit, avait elle-même éveillé son génie , et à vingt-six ans, au témoignage d'un maître dans l'art d'écrire et de parler, au témoignage plus sûr encore de l'applaudissement public, il avait pu se dire : Ce n'est pas un songe, l'éloquence m'a visité! Mais ce fut en vain . Une tentation l'assaillit aux portes mêmes du temple, quand déjà la destinée le tenait par la main.
La ville de Lyon avait obtenu du gouvernement la création d'une chaire de droit commercial , et elle avait demandé au ministre, pour premier titu- laire , son jeune et brillant concitoyen, Frédéric Ozanam. Qui peut être insensible au bonheur de revoir son pays natal, d'y retrouver sa famille, ses amis, ses souvenirs, en leur rapportant, après quel- ques années d'absence , un mérite déjà reconnu et déjà récompensé? Ozanam ne fut pas assez fort contre cette subite apparition d'un bonheur honorable et assuré. Il eut peur des hasards, et, comme un che- val qui obéit au premier signe qui lui commande l'arrêt, il se hâta de tourner la tête pour ne pas voir et ne pas entendre l'autre signal qui lui avait été donné.
Heureusement que Dieu appelle de nos fautes. Il ne ratifie pas du premier coup nos timidités et nos refus. Après avoir professé le droit commercial à
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Lyon, pendant une année, avec la solidité d'un vieux docteur et la verve d'un jeune érudit , Ozanam se sentit défié par un concours qui s'ouvrait à Paris pour le titre d'agrégé à la Faculté des lettres. C'était un titre nouveau, qui ne répondait à rien dans la classification traditionnelle des grades littéraires et scientifiques, mais qui conférait des droits et rap- prochait des hautes chaires de l'enseignement. Pour la première fois , Ozanam se trouvait en présence de rivaux, dans une scène animée par le talent d'autrui. Il y déploya, durant quinze jours, un sa- voir et une promptitude de ressources qui firent de ce concours un spectacle émouvant. Le sort même vint ajouter son angoisse et sa péripétie à l'intérêt de l'action. Il condamna Ozanam à préparer en vingt-quatre heures une leçon orale sur les sco- liastes. Que dire des scoliastes , les eût-on connus? Le lendemain, tout le monde était tremblant : mais Ozanam, dans le sujet le plus ingrat du monde, sut encore être habile, disert, ingénieux, fécond en rapprochements inattendus , et il charma d'autant plus qu'on avait douté davantage de son succès. Le premier rang du concours lui fut donné par le suf- frage unanime de ses juges, et aux acclamations du public.
Néanmoins il doutait encore. Vainement M. Fau- riel , professeur de littérature étrangère à la Sor- bonne, lui offrait la suppléance de sa chaire : Lyon et le droit commercial le fascinaient comme un bien acquis, un port où il était entré. Ce fut M. Ampère, le fils du mathématicien , qui eut l'hon-
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ncur de persuader Ozanam et de l'enchaîner à son triomphe. Digne fils d'un père illustre , M. Ampère avait conservé pour le jeune hôte de sa maison une sorte de tutelle tempérée par l'amitié; il lui avait ouvert sans jalousie les chemins de l'érudition , et, au moment décisif, l'enlevant à des hésitations qui n'étaient plus qu'un suicide, il lui marqua sa place avecla sagacité d'un augure et l'autorité d'un maîlre.
On était à la fin de 1840 : Ozanam avait vingt-sept ans.
C'est un beau jour que celui où , parvenu à mi- chemin de la vie , tout voile levé , toutes incertitudes dissipées, le front serein et le cœur à l'aise, l'homme a le secret de Dieu sur lui et assoit la tente où il achèvera de vivre. Jusque-là les plus beaux rêves sont troublés, le découragement succède à l'exalta- tion , et plus on a reçu de Dieu , plus ses dons , en nous ouvrant des perspectives, ajoutent au mélan- colique tourment de l'avenir. Ozanam en avait souf- fert : sa nature était inquiète et un peu fébrile. Aussi dut-il éprouver une grande dilatation lorsque enfin il connut la volonté de Dieu et y eut acquiescé. Issu d'une famille honorable , mais médiocre, venu à Paris simple étudiant , il avait, en neuf années d'efforts, conquis un rang distingué dans une double carrière , la jurisprudence et les lettres , occupé une chaire de droit et mérité la suppléance d'un cours célèbre à la Sorbonne. M. Ampère lui avait donné l'hospitalité, M. de Montalembert le recevait ami- calement; tout ce qu'il y avait parmi les chréî.iens
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d'hommes éminents ou en voie de le devenir pres- sentait en lui un successeur ou un compagnon d'armes. La possession prématurée d'une si belle' vie n'enfla point son cœur. Il demeura vrai, ou- vert, cordial et laborieux : noble effet d'un naturel que la raison éclairait de toute sa lumière , et que la foi avait purifié du levain de l'orgueil. Ce point si envié de l'assiette dans les succès , qui est presque toujours le signal d'une transformation égoïste dans le cœur de l'homme, avait laissé Ozanam tel qu'il était. On l'eût pris encore, allant à sa chaire de Sorbonne, pour un simple étudiant. Sa tenue n'avait pas changé, son regard était honnête et doux; il lisait volontiers en chemin, mais sans que l'application l'empêchât de voir les marques de sympathie dont il était l'objet, et il rendait tou- jours en honneurs plus qu'on ne lui avait accordé. Pendant vingt ans que je l'ai connu, je l'ai vu troublé, indigné, mais sans qu'il m'ait été pos- sible d'y découvrir jamais l'ombre de hauteur ou d'affectation , ce qui est le signe certain d'une âme plus grande que la fortune, et qui voit Dieu constam- ment.
Il y eut un piège qu'Ozanam n'évita point. Dès ! qu'il fut heureux , il voulut donner son bonheur et augmenter le sien en le partageant. Oserai-je dire, quoique Dieu l'ait absous en bénissant son union, qu'il était encore bien jeune pour une félicité si ennemie des grandes muses? Comme le prêtre, l'homme de lettres est consacré, et si le ministère des âmes exige un culte de soi-même, le ministère
de la pensée , quand on est digne de lui , exige aussi des austérités. Il est difficile, au milieu des joies domestiques, de conserver l'assiduité du travail et la liberté de l'intelligence, et plus difQcile encore de retenir ses besoins dans la modestie de ses ressources. La pauvreté est la compagne inévitable de l'homme de lettres qui a résolu de ne vendre sa plume ni à l'or ni au pouvoir; et la pauvreté n'est douce qu'à l'homme solitaire qui vit dans l'im- mortaUté de sa conscience et n'a jamais qu'un mal- heur à prévoir ou à porter. Mais Ozanam était d'un siècle où l'on n'attend pas , et il se laissa prendre à la certitude de rendre heureuse avec lui une chré- tienne rachetée du même sang que lui. Il ne se trompait pas. Il avait amassé dans son cœur un trésor de chasteté qui était le signe d'un trésor de tendresse , et il pouvait s'exposer sans crainte à ce flot des ans qui emporte tout amour , excepté l'a- mour produit et gardé par la vertu. Son mariage eut lieu dans l'été de 1841. Il épousa M"^ Soula- croix, fille de M. Soulacroix , recteur de l'Aca- démie de Lyon. Presque aussitôt il conduisit sa femme en Italie, pays qu'il avait déjà visité avec sa mère aux vacances de 1832 , et vers lequel le rappelait le souvenir des émotions et des révéla- tions qu'il en avait reçues. C'était à Rome , devant la fresque du Saint-Sacrement de Raphaël, à Flo- rence devant les tombeaux de l'église de Sainte- Croix, que la figure du Dante, l'Homère du christianisme, lui était apparue, tout illuminée des obscurités de son siècle et placée par la Providence
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entre Virgile et le Tasse, comme le Titan de la poé- sie. Il revit ces beaux lieux tout peuplés de grands hommes et de grandes choses, ces lieux qui sont pour nous des ancêtres, et qui, malgré les ruines du passé et celles de l'avenir, seront l'éternel pèlerinage des esprits cultivés. Il les revit, tenant d'une main sa compagne ravie; lui montrant de l'autre les hori- zons chers à sa mémoire, les temples, les palais, les aqueducs, les tombeaux des Romains, les reliques des martyrs, les marbres couchés et les bronzes vivants, toute cette antique armée que l'inépuisable fécondité de l'Italie garde, accroît et tient de- bout. La Sicile, jetée au seuil extrême de tant de beautés comme une sentinelle et un phare, lui ou- vrit aussi ses villes, où le souffle des enfants du Nord a remué les cendres de l'Etna et recouvert des inspirations du christianisme les débris du génie grec.
Au retour de cette course rapide, qui était une halte entre sa jeunesse finie et son âge mûr com- mencé, Ozanam parut dans sa chaire, qui ne le connaissait encore qu'à demi.
VI
Ceux-là seuls qui ont dit leur âme devant un au^ ditoire savent les tourments de la parole publique, tourments qui arrachaient à Gicéron ce cri plaintif : « Quel est l'orateur qui, au moment de parler, n'a « senti ses cheveux se roidir et ses extrémités se
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« glacer? » Ozanam, plus qu'un autre, était sujet au mal d'éloquence , parce que ses organes trop faibles ne répondaient qu'imparfaitement aux se- cousses de son inspiration, et qu'une timidité natu- relle enchaînait aussi sur ses lèvres et dans tout son être l'éclat de ses facultés. Défiant de lui-même, il se préparait à chacune de ses leçons avec une fatigue religieuse, amassant des matériaux sans nombre autour de sa pensée, les fécondant par ce regard prolongé de l'intelligence qui les met en ordre , et enfin leur donnant la vie dans ce colloque mysté- rieux de l'orateur qui se dit à lui-même ce qu'il dira demain, ce soir, tout à l'heure, à l'auditoire qui l'attend. Ainsi armé, tout pâle cependant et défait, Ozanam montait à sa chaire. 11 n'y avait rien de bien ferme et de bien accentué dans son début; sa phrase était laborieuse, son geste embar- rassé , son regard mal sûr et craignant d'en rencon- trer un autre; mais peu à peu, par l'entraînement que la parole se communique à elle-même, par cette victoire d'une conviction forte sur l'esprit qui s'en fait l'organe, on voyait de moment en mo- ment la victime grandir, et lorsque l'auditoire lui- même était une fois sorti de ce premier et morne silence si accablant pour l'homme qui doit le sou- lever, alors l'abîme rompait ses digues, et l'élo- quence tombait à flots sur une terre émue et fécondée. Des applaudissements sincères répondaient à l'ora- teur, et, tout palpitant d'un bonheur acheté par huit jours de travail et par une heure de verve , il retournait chez lui retrouver la peine , qui est
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la condition de tout service et l'instrument de toute gloire. j
Il n'est pas ordinaire qu'un homme érudit soit un | homme éloquent. La patience nécessaire à l'inves- \ tigation des livres et des antiquités s'allie mal au feu ! qui jaillit d'une pensée créatrice : on n'aime pas, i quand on peut jeter des mondes dans l'espace par i un souffle de sa vie propre , chercher péniblement i sa route à travers des astres vieillis et trop souvent i éteints. Ozanam, par un don singulier, possédait à | la fois l'éloquence et l'érudition. L'une lui était aussi I naturelle que l'autre. Il pouvait toute une nuit veil- ! 1er dans les régions abstruses d'une langue ensevelie ' ou d'une œuvre inconnue, et le lendemain écrire des vers, préparer un discours, s'échauffer soUtairement i dans la contemplation directe du vrai et du beau. '\ Non -seulement l'une et l'autre faculté lui apparte- naient de naissance, mais l'une et l'autre étaient éminentes chez lui. Il était grand dans la poudre, avec la pioche du mineur, et grand dans la lumière, avec le simple regard de l'esprit. Gela lui donnait sa physionomie, mélange de solidité et d'enthousiasme jeune et ardent.
Le cours dont il était chargé , au vieux sanctuaire ' des lettres parisiennes, exigeait précisément de lui l'incomparable souplesse de sa nature. 11 devait ini- tier son auditoire , non pas aux littératures de la Grèce et de Rome, mais aux lettres étrangères, c'est-à-dire aux grands travaux de l'esprit dans les idiomes contemporains. Ce champ était, pour ainsi dire, sans mesure; car, tandis que l'antiquité n'a
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produit que trois langues dignes de se survivre par la perfection de leurs monuments et par leurs rap- ports avec léternelie vie du christianisme, les temps nouveaux ont réparti la puissance et la fécondité des lettres à tous les peuples issus de Jésus -Christ. Ce qu'avait dit saint Paul, qu'il n'y a plus de barbares , s'est accompli dans les arts de l'esprit aussi bien que dans l'ordre des mœurs. Le flambeau de David et d'Homère a secoué sa flamme sur toutes les na- tions chrétiennes : toutes ont leurs poètes, leurs historiens, leurs orateurs, et qui veut s'initier aux littératures étrangères, loin d'entreprendre une excursion au dehors, se trouve jeté au centre du génie universel , dans des voies et des splendeurs jqui n'ont plus de Umites. Ozanam s'était préparé toute sa vie, comme s'il en eût reçu l'ordre exprès de la Providence, à cette infatigable exploration. Il savait à fond les principales langues modernes, et il lui fut aisé, dès qu'il en eut mission, de pénétrer dans les richesses dont il devait la découverte et le ipartage à ses auditeurs. Mais ce qui n'eût été pour un autre, moins chrétien et moins profond, qu'une exposition éloquente des beautés de la pensée hu- maine sous ces ^ éléments divers, ne pouvait être pour Ozanam qu'une prédication de la vérité. Tou- cher aux langues et aux œuvres nouvelles, c'était rencontrer à chaque pas ce qui en fait lame et la aouveauté, c'est-à-dire le christianisme, et rencon- trer le christianisme, c'était pour lui le défendre et jl'exalter.
I Peut-être, s'il eût consulté la prudence plus que
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l'élan de sa foi, eût- il hésité à convertir son ensei- gnement en une démonstration évangélique. Les temps étaient émus, et ils devaient s'envenimer. Une polémique ardente, soutenue dans les jour- naux et à la tribune contre le monopole de l'en- seignement par l'État, préparait à TÉglise de sanglantes et prochaines représailles. Il était na^ turel de craindre que le contre -coup ne s'en fit sentir dans un auditoire rassemblé sous un pro- fesseur trop vivement chrétien. Mais cette considé- ration n'arrêta point Ozanam. Même aux plus mau- vais jours, lorsqu'une chaire voisine de la sienne et animée d'un esprit semblable tombait sous l'effort des passions , il ne diminua rien du courage de seg lèvres et de la simplicité de son cœur. Dieu bénit l'une et l'autre. Tout lui fut pardonné pendant douze années, et 11 mourut populaire comme il avait vécu.
C'est un rare secret que celui de la popularité, j'entends la popularité véritable, celle qui ne s'a^ chète point par de lâches concessions aux erreurs d'un siècle , mais qui entoure d'une auréole préma- turée l'honnête homme vivant. Autant qu'on peut le découvrir par l'histoire, la première condition de cette popularité solide est dans d'Inébranlables cer- titudes et de persévérantes directions. L'homme qui. change d'esprit, si son désintéressement est re- connu, conservera peut-être l'estime; il ne conser- vera ni la confiance ni l'autorité. Il n'y a que les convictions Invincibles qui régnent sur les âmes , lorsqu'elles sont au service d'ure cause qui inté- '
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resse les générations , et que le talent y rehausse la fermeté de la conduite et Téclat du dévouement. Même encore , toutes ces conditions remplies , il n'est pas impossible qu'un homme échappe à la popularité, si quelque chose de bienveillant ne tempère en lui la force du caractère et n'abaisse la hauteur du génie. C'est la bonté qui rend Dieu populaire, et l'homme à qui elle manque n'obtien- dra jamais l'amour, sans lequel subsiste bien la renommée, mais non pas la gloire. C'est l'amour qui fait de la gloire une si belle chose, qui inspire au chrétien ce cantique dont le ciel et la terre ne se lassent point: Gloire au Père, et au Fils, au Saint-Esprit, maintenant et dans tous les siècles des siècles.
Or, à regarder Ozanam tel que nous l'avons pos- sédé vingt ans, il me semble reconnaître dans sa personne l'ensemble des traits qui expliquent et justifient la popularité. Dès sa première jeunesse, on voit poindre en lui une conviction profonde du christianisme, avec un désir précoce de lui consa- crer tous les travaux de son esprit. Sa correspon- dance la plus reculée offre des traces sans nombre de cette disposition forte et généreuse qui devait bientôt le présenter au respect des chrétiens de son âge, et plus tard à leur reconnaissante admiration, lorsque le succès eut justifié les espérances qu'ils avaient mises dans les premiers éclairs de son talent. Nul homme de foi, au moins d'une foi éclatante, n'avait encore paru dans les chaires qui retentis- saient chaque jour d'applaudissements donnés à
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d'autres doctrines en d'autres orateurs. Quarante ans d'absence à ces rostres de la littérature signa- laient au mépris le génie épuisé des chrétiens de France : Ozanam y monte, il y monte à vingt- sept ans , et de cette bouche qui depuis déjà longtemps avait éveillé la charité endormie au sein de la jeu- nesse et créé la société de Saint-Vincent-de-Paul, il laisse tomber une parole où l'art le dispute à l'éru- dition. Rien n'est déguisé, rien n'est affaibli, de ce qui pourrait blesser les esprits mal accoutumés à la présence et au courage de la vérité. L'orateur est jeune, il est sincère, ardent, instruit : Athènes l'é- coute, comme elle eût écouté Grégoire ou Basile, si , au lieu de retourner dans les solitudes de leur patrie, ils eussent, au pied de l'Aréopage où prêchait saint Paul, ouvert ce trésor de goût et de savoir qui devait illustrer leurs noms. Ozanam avait encore un charme, un charme sans lequel il eût sans doute péri, mais qui, ajouté à ses autres dons, achevait en sa personne l'ouvrier d'une séduction prédesti- née : il était doux pour tout le monde et juste envers l'erreur.
Quand on Ut V Histoire des variations de Bossuet, une des choses qui frappent le plus dans ce mâle génie, c'est sa bonté. Il tient sous sa verge, et c'é- tait la plus terrible qu'une main d'homme ait portée depuis Moïse, il y tient les premiers auteurs d'un schisme détestable, qui avait arraché à l'Église une moitié du monde et créé des maux dont le regard de Bossuet embrassait avec effroi toute l'immensité. Cependant nulle part vous ne rencontrez l'injure,
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mais une discussion puissante et calme , un épan- chement sérieux de la vérité; et, lorsque les per- sonnes doivent inévitablement paraître avec leurs faiblesses et leurs crimes, on sent que l'historien est trop loin dans la paix pour leur insulter. Il montre ces grands coupables tels qu'ils furent, sans leur refuser rien de ce qui peut encore exciter l'intérêt; et, comme pour se reposer d'un spectacle qui lui est douloureux, il consacre un chapitre tout entier à pleurer l'âme et le souvenir de Mélanchthon. C'est que Bossuet était de la race de ceux en qui l'Évan- gile n'est diminué ni par le défaut de vues ni par les passions et l'inclémence du cœur : il avait la main droite sur le Lion de Juda, et la gauche surV Agneau immolé avant tous les siècles. On ne se fait guère ainsi, on est fait de Dieu, quand Dieu, pour toucher le monde, veut unir la tendresse au génie, dans une même créature.
Ozanam était de ces créatures privilégiées. Au jour de son baptême invisible, il avait reçu l'huile avec le vin, et ces deux sources nées en lui le même jour l'avaient fait croître en grâce devant Dieu et devant les hommes. On a beau lire les pages qu'il nous a laissées, on a beau se rappeler ses actes et ses discours, on n'y découvre ni la colère qui se v^enge, ni l'amertume qui s'accroît en se répandant, li le mépris qui brave, ni l'ironie qui se moque sous prétexte d'instruire ou de corriger. Sans abaisser
amais l'Église devant le monde, il lient d'une main généreuse, parce que c'est la charité qui la guide,
e sceptre tout -puissant de la vérité. 11 plaint plus
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qu'il n'accuse, il pardonne plus qu'il ne condamne, et, toujours invincible sous le bouclier, il tem- père dans son épée la force qu'il y sent, de peur d'achever la mort en quelque âme qui peut encore revivre.
Ahl combien nous étions consolés, au milieu des âpres controverses de notre temps, d'écouter si près de nous une bouche si pure et si cordiale! Combien, fatigués du bruit des malédictions, ne nous repo- sions-nous pas à cet autre bruit pacifique et élo- quent ! Nous ne l'entendons plus que par le souvenir, par cet écho qui reste dans l'âme après qu'une fois l'on a joui d'une parole digne de Dieu : encore cet écho , ce souvenir, accroît-il nos regrets en nous disant tout ce que nous avons perdu.
Je ne puis le dissimuler, un doute s'est fait jour sur la tenue d'Ozanam dans les temps périlleux de son professorat. C'était le moment où les catholiques de France, pour la seconde fois, réclamaient avec énergie l'une des grandes libertés de Tâme, la liberté de l'enseignement. Le comte de Montalembert, du haut de la tribune pairiale qui l'avait autrefois con- damné dans cette même cause, présidait à cette seconde campagne comme général , après avoir fait la première comme soldat. Sous lui, et chacun à son poste, on s'animait au devoir, et si toutes les voix n'étaient pas également dignes du combat, si l'injure et l'injustice appelaient trop souvent des représailles qu'il eût mieux valu ne pas mériter, du moins la trahison n'était nulle part. On pouvait re- gretter des paroles, on n'avait point à regretter de
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silence. Ozanam, par la position môme qu'il tenait de Dieu, était de nous tous le plus douloureusement placé. Catholique ardent, ami dévoué des libertés sociales, de celles de l'âme en particulier, parce qu'elles sont le fondement de toutes les autres, il ne pouvait cependant méconnaître qu'il appartenait au corps dépositaire légal du monopole de l'ensei- gnement. Fallait-il rompre avec ce corps, qui l'a- vait reçu si jeune et comblé d'honneurs? Fallait-il, demeurant dans son sein , prendre une part active- et nécessairement remarquée à la guerre qui lui était faite? Dans le premier cas , Ozanam abdiquait sa chaire : pouvait -on le lui conseiller? Dans le second cas, il appelait le même résultat en se don- nant le tort de l'attendre : pouvait-on encore le lui conseiller? Et cependant le professeur chrétien, le chrétien libéral , Ozanam, pouvait-il se séparer de- nous?
Il est rare que, dans les situations les plus déli- cates et où tout semble impossible, il n'y ait pas un certain point qui concilie tout, comme en Dieu les attributs en apparence les plus dissemblables se i rencontrent quelque part dans l'harmonie d'une i parfaite unité. Ozanam conserva sa chaire : c'était I son poste dans le péril de la vérité. Il n'attaqua point ■ expressément le corps auquel il appartenait : c'était son devoir de collègue et d'homme reconnaissant. Mais il demeura dans la solidarité la plus entière- et la plus avérée avec nous tous; je veux dire, q'Lioique je n'aie pas le droit de m'y compter, avec ceux qui défendaient de tout leur cœur la cause sa--
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crée de la liberté d'enseignement. Aucun des liens qui l'attachaient aux chefs et aux soldats ne subit d'atteinte. Il était, et il fut de toutes les assemblées, de toutes les œuvres, de toutes les inspirations de ce temps, et ce qu'il ne disait pas dans sa chaire ou dans ses écrits ressortait de son influence avec une clarté qui était plus qu'une confession. Aussi pas un seul moment de défiance ou de froideur ne dimi- nua-t-il le haut rang qu'il avait parmi nous : il garda^ tout ensemble l'affection des cathohques, l'estime- du corps dont il était membre, et, au dehors des deux camps, la sympathie de cette foule mobile et vague qui est le public, et qui tôt ou tard décide de tout.
Ozanam avait placé au moyen âge le centre de son enseignement. Plus haut, c'eût été l'antiquité plus bas, une littérature trop proche où la science n'eût pas eu assez d'ombres à soulever. Le moyen âge est le commencement des nations chrétiennes; il a tout à la fois le charme et la difficulté des origines, double attrait qui appelait également ou l'imagination poétique du professeur, ou la pénétra- tion laborieuse de ses facultés. Pendant les deux années qu'il occupa sa clMire , Ozanam poursuivit tour à tour les premiers développements du génie chrétien en Allemagne, en Angleterre et en Italie. Il ne nous reste de cette vaste étude que vingt et une leçons sur la civilisation au v^ siècle; mais ce monument inachevé suffit pour donner une idée de ce qu'étaient l'éloquence et le savoir de son auleur, et comment l'un et l'autre s'appliquaient
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infatigablement à agrandir le christianisme dans l'esprit de quiconque s'exposait à en subir la puis- sance.
Je ne donnerai pas l'analyse de ces beaux dis- cours. Ils resteront parmi les travaux les plus re- marquables de l'apologétique chrétienne au xix® siè- cle, et il est inutile que j'essaie de prévenir ou de suppléer les lecteurs.
Quatre années de succès conduisirent Ozanani jusqu'à la mort de M. Fauriel, en 1844, et il eut l'honneur, en obtenant à l'unanimité sa succession , de se trouver titulaire à trente -deux ans d'une chaire de faculté dans l'Académie de Paris. Celle élévation prématurée n'avait pas d'exemple : M. Gui- zot, parvenu le plus jeune avant lui aux mêmes fonc- tions, n'y avait été promu qu'à l'âge de trente-six ans.
VII
]\Iais ce n'est pas en vain que l'on veut devancer le temps, le temps se venge de ceux qui se passent de lui.
Dès l'été deJ846, Ozanam sentit ses forces dé- croître sous la fièvre continue de ses triomphes. Non content de la préparation de ses cours, il répondait ardemment à tous les appels qu'on lui adressait au nom de la vérité ou de la charité. Il parlait au Cercle catholique et dans les Conférences de Saint- Vincent-de -Paul ; il écrivait pour le Correspon-
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dant, recueil honorable qui seul, depuis un quart de siècle, a conservé le drapeau chrétien et libéral de ses premières années. Toutes ces généreuses collaborations ne laissaient à Ozanam aucun repos. Il passait de longues portions de nuits à réparer dans le travail la brièveté de ses jours, et trop sou- vent il soulevait le poids des ténèbres par des moyens qui n'éveillent l'esprit qu'en l'énervant. Ses mains commençaient à contracter ce tremble- ment fébrile que nous leur avons vu dans les der- nières phases de sa vie. Il s'acheminait enfin au terme avec l'imprudence et la rapidité d'une âme qui croit trop à l'éternité pour user d'égards envers le temps.
Peut-être aussi cette première atteinte du mal n'était- elle qu'une ruse de la Providence pour ame- ner l'un de ses fils les plus aimés à un spectacle étonnant qu'elle voulait donner au monde. Le 22 avril 1847, Ozanam se trouvait debout au pied du Quirinal , perdu dans une multitude immense armée de flambeaux et attendant sous un ciel étoile, au bruit de la musique et des acclamations, quel- qu'un qu'elle bénissait et qu'elle désirait voir. Un silence unanime se fît. Des lumières passaient der- rière les fenêtres du palais : l'une de ces fenêtres s'ouvrit , et une figure parut au balcon , penchée vers la foule et la saluant. Un frémissement pieux courut dans les rangs serrés et attentifs de l'assem- blée. Sur un signe de son pasteur, le peuple s'in- clina, ses genoux ployèrent sous lui, ses mains se, tendirent pour exprimer la foi de tous par le signe i
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sacré de la rédemption; la voix du Christ se fît en- tendre dans son vicaire, et Rome pleura d'espérance et d'amour. Longtemps après que la multitude eut disparu , Ozanam regardait et écoutait encore. 11 lui semblait que tous les rêves de sa jeunesse ve- naient de se réaliser dans cette nuit mémorable, et que, par une hâte et une abréviation des destinées, la plus souhaitable et la plus difficile des récon- ciliations s'était accomplie de son vivant. Hélas ! il en était d'elle comme de sa propre vie : le temps avait manqué à l'une et à l'autre, l'une et l'autre devaient s'évanouir comme l'arc -en -ciel dans la tempête.
Ozanam rapporta de ce voyage, qu'une mission bienveillante avait autorisé, des impressions qui le confirmèrent dans toutes les pensées qu'il avait nourries jusque-là. Il en revint rassuré sur son mal, plus rassuré encore sur l'avenir du monde, non pas qu'il n'eût découvert sur sa route, à Rome même, des symptômes alarmants, mais parce que tout était éclairé et dominé dans son âme par ri- mage du pontife dont il avait vu le regard. Une foi surhumaine s était faite en lui au contact de l'homme et du prêtre. 11 avait aimé, il avait pres- que adoré, il ne croyait pas possible qu'une telle créature fût venue sans cause sur le trône de saint Pierre, et que tant de bonté si pure, tant d'in- tentions si grandes , ne cachassent au monde qu'une victime certaine de l'ingratitude et de la perversité.
A son retour, il exprima ses craintes et ses espé-
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ranccs dans un arlicle que le Correspondant publiait le 10 du mois de février 1848.
Quatorze jours après, le voile qui couvre aux yeux des hommes les secrets et les opérations de la Pro- vidence se déchirait, et Pie IX, à qui il n'eût fallu pour fonder que la reconnaissance de son peuple et le concours du temps, fut emporté dans une ruine plus forte que son cœur.
Je ne dirai rien de ces événements, qui sont trop près de nous. Ozanam, à qui rien n'échappait des dangers de TÉglise, lut, avec M. l'abbé Maret, l'un de ses plus chers et de ses plus dignes amis, le pro- moteur d'un journal qui avait pour but de rassurer les cathoUques et de les aider à l'acceptation du ré- gime nouveau , dans lequel il voyait le châtiment de grandes fautes passées, un moyen d'obtenir pour l'Église des libertés nécessaires qui lui étaient ob- stinément refusées depuis cinquante ans , enfm un acheminement à une meilleure distribution des élé- ments sociaux, en arrachant à une classe trop pré- pondérante la domination exclusive des intérêts, des idées et des mœurs.
Je ne sais pourquoi aucun des amis d Ozanam , dans les notices qu'ils ont publiées sur lui et où j'ai recueiUi tant de pieux souvenirs, n'a mentionné la part qu'il eut au glorieux marlyre de l'archevêque de Paris. Pendant ces journées de Juin, où la guerre civile n'avait plus de cris de raUiement, tant les vœux étaient obscurs et les ressentiments pro- fonds, Ozanam songeait avec angoisse à ce que la religion pourrait tenter pour la paix de la patrie et j
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pour son propre honneur. La pensée lui vint d'aller trouver l'archevêque de Paris et de l'engager à une démarche conciliatrice près des insurgés. Deux ca- marades de bivac , chrétiens comme lui , s'asso- cièrent à sa pensée, et ils se rendirent tous trois près de l'archevêque. M&i' Affre, après les avoir écoutés, leur dit tranquillement : « Je me sens « pressé de cette pensée depuis hier; mais com- « ment la réaliser? comment parvenir aux insur- « gés? Et le général Cavaignac permeltra-t-il cette « démarche? » Sur leur réplique, il s'habilla, mit sa croix d'or sur sa poitrine, et gagna l'hôlel du général Cavaignac , accompagné , outre quelques ecclésiastiques de sa maison, d'Ozanam et de deux de ses amis, tous trois en habit de garde national. Au retour, il les congédia, malgré leurs instances , sous prétexte qu'il ne voulait point paraître avec une apparence d'escorte militaire. Le monde sait le reste, et la postérité n'a pas besoin que je le lui apprenne.
Ozanam avait repris son cours. Il le continua jusque dans l'été de 18o2, en y entremêlant des tra- vaux plus considérables encore que par le passé. Ce fut dans cet intervalle de cinq ans qu'il pubHa ses Études germaniques, ouvrage deux fois couronné par l'Académie française d'un grand prix de dix mille francs, et cette charmante élude sur les poêles fran- 3iscains de l'Italie au xiii® siècle. Son activité redou- blait en s'approchant du terme.
Le vendredi saint de l'année 1851 , il prit la plume 3t écrivit cette préface d'une œuvre où il voulait
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rassembler, à la gloire de Dieu et de son Christ, tous les travaux de sa vie : « Je me propose d'é- « crire l'histoire Uttéraire du moyen âge depuis le « Y® siècle jusqu'à la fm du xiii® et jusqu'à Dante, « à qui je m'arrête comme au plus digne de rc- ({ présenter cette grande époque. Mais, dans l'his- « toire des lettres, j'étudie surtout la civilisation « dont elles sont la fleur, et dans la civilisation « j'aperçois principalement l'ouvrage du christia « nisme. Toute la pensée de mon livre est donc u de montrer comment le christianisme sut tirer « des ruines romaines et des tribus campées sur « ces ruines une société nouvelle capable de pos- « séder le vrai, de faire le bien et de trouver le « beau.
({ En présence d'un dessein si vaste, je ne me « dissimule point mon insuffisance : quand les ma- « tériaux sont innombrables, les questions difficiles, M la vie courte et le temps plein d'orages, il faut (( beaucoup de présomption pour commencer un u livre destiné à l'applaudissement des hommes, u Mais je ne poursuis point la gloire , qui ne (( se donne qu'au génie ; je remplis un devoir u de conscience. Au milieu d'un siècle de scepti- « cisme , Dieu m'a fait la grâce de naître dans « la foi. Enfant, il me prit sur les genoux d'un a père chrétien et d'une sainte mère; il me donna •( pour première institutrice une sœur inteUigente, « pieuse comme les anges qu'elle est allée rejoindre. u Plus tard, les bruits d'un monde qui ne croyait u point vinrent jusqu'à moi. Je connus toute l'hor-.
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( reur de ces doutes qui rongent le cœur pendant ( le jour, et qu'on retrouve la nuit sur un chevet ( mouillé de larmes. L'incertitude de ma destinée ( éternelle ne me laissait pas de repos. Je m'alta- ( chais avec désespoir aux dogmes sacrés , et je ( croyais les sentir se briser sous ma main. C'est ( alors que l'enseignement d'un prêtre philosophe ( me sauva. 11 mit dans mes pensées l'ordre et la ( lumière; je crus désormais d'une fois rassurée, c et, touché d'un bienfait si rare, je promis à Dieu ( de vouer mes jours au service de la vérité qui me . donnait la paix. « Depuis lors vingt ans se sont écoulés. A me- sure que j'ai plus vécu, le foi m'est devenue plus ; chère; j'ai mieux éprouvé ce qu'elle pouvait dans ; les grandes douleurs et dans les périls publics; j'ai plaint davantage ceux qui ne la connaissaient point. En même temps la Providence , par des moyens imprévus et dont j'admire maintenant l'économie, a tout disposé pour m'arracher aux affaires et m'attacher au travail d'esprit. Le con- cours des circonstances m'a fait étudier surtout la religion, le droit et les lettres, c'est-à-dire les trois choses les plus nécessaires à mon dessein. J'ai visité les lieux qui pouvaient m'instruire, de- puis les catacombes de Rome , où j'ai vu le ber- ceau tout sanglant de la civilisation chrétienne, jusqu'à ces basiliques superbes par lesquelles elle prit possession de la Normandie , de la Flandre et des bords du Rhin. Le bonheur de mon temps m'a permis d'entretenir de grands
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« chrétiens, des hommes illustres par TaUiance « des sciences et de la foi, et d'autres qui, sans « avoir la foi, la servent à leur insu par la droiture « et la solidité de leur science. La vie s'avance « cependant , il faut saisir le peu qui reste des rayons « de la jeunesse. Il est temps d'écrire et de tenir à « Dieu mes promesses de dix-huit ans.
« Laïque, je n'ai point de mission pour traiter des « points de théologie, et d'ailleurs Dieu, qui aime' u à se faire servir par des hommes éloquents , en « trouve assez de nos jours pour justifier ses dog- « mes. Mais pendant que les catholiques s'arrê- c( talent à la défense de la doctrine , les incroyants « s'emparaient de l'histoire. Ils mettaient la main (( sur le moyen âge, ils jugeaient l'Église quelque « fois avec inimitié, quelquefois avec les respects « dus à une grande ruine, souvent avec une légè- « reté qu'ils n'auraient pas portée dans les sujets « profanes. Il faut reconquérir ce domaine qui « est à nous , puisque nous le trouvons défriché « de la main de nos moines , de nos bénédictins « de nos BoUandistes. Ces hommes pieux n'avaien (( pas cru leur vie mal employée à pâlir sur le « chartes et les légendes. Plus tard , d'autres écri « vains sont venus aussi relever une à une et re-, c( mettre en honneur les images profanées dei (( grands papes , des docteurs et des saints. J< ;< tente une étude moins profonde, mais plus éten u due; je veux montrer le bienfait du christianism( « dans ces siècles mêmes dont on lui impute les mal u heurs...
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« Je ne ferme point les yeux sur les orages des « temps présents; je sais que j'y peux périr, et « avec moi cette œuvre à laquelle je ne promets (( pas de durée. J'écris cependant, parce que, « Dieu ne m'ayant point donné la force de conduire « une charrue, il faut néanmoins que j'obéisse à la « loi du travail et que je fasse ma journée. J'écris « comme travaillaient ces ouvriers des premiers « siècles , qui tournaient des vases d'argile ou de a verre pour les besoins journaliers de l'Église, et « qui, d'un dessin grossier, y figuraient le bon Pas- « teur ou la Vierge avec des saints. Ces pauvres « gens ne songeaient pas à l'avenir; cependant quel- ce ques débris de leurs vases, trouvés dans les cime- « tières , sont venus, quinze cents ans après, rendre « témoignage et prouver l'antiquité d'un dogoie « contesté.
« Nous sommes tous des serviteurs inutiles; mais « nous servons un Maître souverainement économe (( et qui ne laisse rien perdre , pas plus une goutte « de nos sueurs qu'une goutte de ses rosées. Je ne « sais quel sort attend ce livre, ni s'il s'achè- « vera, ni si j'atteindrai la fin de cette page qui « fuit sous ma plume; mais j'en sais assez pour y « mettre le reste, quel qu'il soit, de mon ardeur et « de mes jours. Je continue ainsi d'accomplir les n devoirs de l'enseignement public; j'étends et je « perpétue, autant qu'il est en moi, un auditoire « que je trouvai toujours bienveillant, mais trop « souvent renouvelé. Je vais chercher ceux qui « m'écoutèrent un moment, et qui, en sortant de
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« l'école, m'ont gardé quelque souvenir. Ce travail c( résumera , refondra mes leçons et le peu que j'ai u écrit.
« Je le commence dans un moment solennel et (( sous de sacrés auspices. Au grand jubilé de l'an (( 1300, et le vendredi saint, Dante, arrivé, comme (( il le dit, au milieu de sa vie, désabusé de ses u passions et de ses erreurs, commença son pèleri- (( nage en enfer, en purgatoire et en paradis. Au (( seuil de la carrière, le cœur un moment lui man- u qua; mais trois femmes bénies veillaient sur lui « dans la cour du ciel : la Vierge Marie, sainte (( Lucie et Béatrix. Virgile conduisait ses pas, et, u sous la foi de ce guide , le poëte s'enfonça coura- « geusement dans le chemin ténébreux. Ah! je n'ai « pas sa grande âme; mais j'ai sa foi. Gomme lui, « dans la maturité de ma vie, j'ai vu l'année sainte, « l'année qui partage ce siècle orageux et fécond,' (( l'année qui renouvelle les consciences catholiques. « Je veux faire aussi le pèlerinage des trois mondes,? « et m'enfermer d'abord dans cette période des (( invasions, sombre et sanglante comme l'enfer. (( J'en sortirai pour visiter les temps qui vont de « Charlemagne aux croisades , comme un purga- a toire où pénètrent déjà les rayons de l'espérance. '( Je trouverai mon paradis dans les splendeurs '< religieuses du xiii® siècle. Mais, tandis que Virgile '< abandonne son disciple avant la fin de sa course, u car il ne lui est pas permis de franchir la porte du u ciel, Dante, au contraire, m'accompagnera jus- u qu'aux dernières hauteurs du moyen âge, où il
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« a marqué sa place. Trois femmes bénies m'assis- (' teront aussi : la Vierge Marie, ma mère et ma << sœur; mais celle qui est pour moi Béatrix m'a été (< laissée sur la terre pour me soutenir d'un sourire « et d'un regard, pour m'arrachera mes décourage- i< ments, et me montrer sous sa plus touchante « image cette puissance de l'amour chrétien dont je « vais raconter les œuvres, »
Dieu ne voulut pas que ce grand ouvrage, pré- paré par vingt ans de recherches , d'éloquence et de charité, reçût de la main de son auteur le sceau de la perfection. La mort devait le signer bien avant qu'il fût fini. Mais ce qui en reste suffît à l'illustra- tion d'Ozanam , et ce qui en est perdu se retrouvera au livre où sont écrits les sacrifices des enfants de Dieu.
On avait franchi la Pâque de 1852. Ozanam était retenu dans son lit par la fièvre. Il apprend que son auditoire l'attend à la Sorbonne , et que cette bouillante jeunesse, sans se préoccuper des causes [•qui la privent de son professeur, le demande en criant et en s'agitant. Aussitôt, malgré ses amis, malgré les pleurs de sa femme et les ordres du mé- Idecin , il se lève et court à sa chaire : a Je veux , 'dit-il, honorer ma profession. » Lorsqu'il entra ^ dans la salle de la Sorbonne, pâle, exténué, plu- tôt comme un mort que comme un vivant , le re- mords et l'admiration s'emparèrent de la foule, qui lui prodigua de frénétiques applaudissements. Ces transports se renouvelèrent à plusieurs reprises dans Je cours de la leçon, et, ranimant l'infortuné sous
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le coup mortel , rélevèrent au-dessus de lui-même une dernière fois. On eût dit que les acclamations avaient le secret de Dieu , tant elles devinrent passionnées lorsque le professeur termina ainsi : « Messieurs , on reproche à notre siècle d'être un « siècle d'égoïsme, et l'on dit les professeurs at- « teints de l'épidémie générale. Cependant c'est « ici que nous altérons nos santés, c'est ici que K nous usons nos forces ; je ne m'en plains pas : « notre vie vous appartient, nous vous la devons « jusqu'au dernier souffle , et vous l'aurez. Quant « à moi, Messieurs, si je meurs , ce sera à votre ser- « vice! »
Tels furent les adieux d'Ozanam à un auditoire qui l'avait aimé et applaudi douze ans. Courtes âiïinées des orateurs! assemblées éphémères qui se forment des quatre vents du ciel autour de la parole d'un homme, et qui se dispersent ensuite pour ne plus se réunir ! Ozanam avait reçu le don de les émou- voir, ce grand don de l'éloquence : maintenant encore la source n'en était pas tarie; mais l'instrument exté- rieur et terrestre était brisé , il ne restait à l'inspira- tion que le faible souffle qui suffît au foyer domestique, aux confidences de l'amitié, à ce chant du cygne que la poésie célèbre, mais que le monde n'a jamais entendu , parce qu'il se chante tout bas à une ou deux âmes aimées.
Ozanam allait jouir, entre la vie et la mort, de ces tristes et saints débris de lui-même. On le ren- contra quelque temps encore sous ces belles allées du Luxembourg, où ses amis et ses disciples lui
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avaient fait tant de fois cortège lorsqu'il les traver- sait pour se rendre à ses triomphes de la Sorbonne. 11 laissait encore échapper de ses lèvres l'irrésisliblc sourire qui lui gagnait les cœurs : mais toute sa personne était couverte d'un voile, et le port, le geste, la voix, le regard, disaient aux passants connus de lui qu'ils ne voyaient plus que son ombre. Il partit pour les Eaux-Bonnes avec sa femme et sa fille. La Providence, par une attention délicate, lui amena aussi pour le consoler un de ses plus jeunes disciples, qu'il aimait particulièrement. Ensemble, malades tous deux, malades, ils le croyaient, aux mêmes plis et replis de la vie , ils se promenaient à l'ombre des hautes montagnes , allant de la nature à Dieu, et du souvenir des ans perdus à la concep- tion bienheureuse des ans éternels. La jeunesse , la foi, la renommée de l'un , l'obscurité de l'autre, les prévisions tristes et les aurores joyeuses, tout don- nait à ces entretiens derniers le caractère doux et divin de la mort acceptée. « Quand le ciel était pur, a raconte en des pages inconnues celui qui a sur- « vécu, nous partions de bonne heure, nous ache- « minant vers l'une des riantes promenades qui en- « tourent les Eaux- Bonnes, et dont le souvenir a s'embellit encore par celui de sa chère compagnie, a C'était souvent la promenade horizontale. Là nous « aUions chercher le calme du soir; nous la quit- « lions quand le soleil , abandonnant les cimes em- « pourprées du pic du Gers, laissait monter vers « nous les fraîches vapeurs de la vallée de Laruns. « Lorsqu'au dernier détour de la promenade nous
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(( apercevions les toits des Eaux-Bonnes, il était u nuit : les montagnes se découpaient en arêtes « vives et sombres sur un ciel encore clair ; la (( lune, se dégageant des sapins des hautes roches, « s'élevait silencieuse, et des souffles réguliers « comme la respiration d'un enfant qui s'endort (( inclinaient doucement les bois. A cette heure , en « ce bel endroit, nos âmes montaient naturellement « vers Dieu : nous causions encore; mais de longs (( intervalles de silence nous avertissaient plutôt u que c'était l'heure de prier, profonde prière, (( non articulée par des mots , et qui consiste seule- u ment à se taire devant Dieu! 0 Seigneur! ô mon I « maître! je vous remercie de m'avoir donné ces (( heures! »
Deux mois s'écoulèrent ainsi, aux Eaux-Bonnes, d'abord, puis à Biarritz, devant le golfe de Gascogne. Là il fallut se séparer. Le jeune et aimable disciple fut rappelé à Paris, et je lui cède de nouveau la plume pour raconter le départ.
« M. Ozanam voulut m'accompagner jusqu'à « Bayonne. De Biarritz à Bayonne il n'y a qu'une « heure de chemin : cette heure est la dernière « que j'aie passée sur la terre avec lui. Dieu per- ce mit qu'il en eût le pressentiment. Il m'entretint « durant la route de choses fort graves , relatives (( soit à lui , soit à moi, soit aux affaires générales, « à l'état de l'Église, à la conduite à tenir dans les « circonstances présentes , aux espérances que pro- ie mettait l'avenir. Il me parlait comme ne devant « plus le faire, et moi je l'écoutais religieusement.
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« Quand nous eûmes rejoint la grande route d'Es- « pagne et que les tours de la cathédrale de Bayonne (( commencèrent à paraître, il changea de langage, « me dit qu'il se sentait frappé à mort, et que sans « doute nous ne nous reverrions plus. J'avais toutes « ses craintes, mais avec plus d'espoir, c'est-à-dire a plus d'illusions, et je combattais de bonne foi « ses tristes pensées. Mais il s'y tint, me parla de « sa mort prochaine avec une assurance qui l'em- « porta sur tous mes motifs d'espoir; et, quand la « voiture s'arrêta devant la diligence qui devait me « ramener à Paris, il me serra la main longtemps. « Nous descendîmes. Je n'eus que le temps de faire « placer mon petit bagage et de régler le prix de la « route. Le moment vint de me séparer de lui; « il m'embrassa fortement; il me disait : « Henri, « dites-moi bien adieu. » J'avais le cœur déchiré, « mais pas une larme. Je le suivis des yeux autant « que cette consolation fut possible : un détour de « rue rompit brusquement le dernier fil , et je ne le « revis plus.
« C'était vers le soir. Quand nous arrivâmes au « sommet de la colline qui domine Bayonne , le so- « leil se couchait dans les flots étincelants de la « mer; toutes choses avaient revêtu un manteau de « pourpre et d'or; les sables de Biarritz brillaient « au loin à travers une vapeur embrasée ; une « flamme artificielle indiquait le phare, et nos yeux « fixaient ce point perdu dans un océan de lumière. « Ce spectacle, au lieu de dissiper ma tristesse, la « jeta en quelque sorte dans l'infini. A travers
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« cette éclatante révélation de vie, d'amour et de « beauté, j'aperçus à la fois tous ces heureux « jours dont ce soir-là était le déclin, et, le regret « me ramenant vers celui à qui j'en devais le (( charme , je le revoyais comme un ami perdu pour ({ jamais. Je m'affligeais de n'avoir point osé lui « montrer plus d'affection, je lui parlais, je le « saluais de loin, je lui promettais une fidélité im- « mortelle : mais l'avenir n'avait rien à me ré- « pondre pour me consoler. J'entendais toujours « cette voix me dire adieu. Je tombai dans une mé- « lancolie si profonde, que mon âme en fut comme (( submergée.
« Le temps, ce grand maître, a changé mes re- « grets sans les détruire. Bientôt il ajouta de « nouvelles inquiétudes à ces regrets, puis des in- (( quiétudes désespérées, et enfin cette terrible cer- « titude qu'on a beau attendre et qui surprend tou- « jours. »
A peine libre des entraves de l'amitié , Ozanam courut en Espagne, qu'il n'avait jamais vue. Il se proposait de pousser jusqu'à Saint- Jacques -de- Compostelle; le froid ne lui permit pas de s'avancer au delà de Burgos. On touchait presque à la fin de novembre. 11 revint sur ses pas, mais, comme tou- jours , avec des notes d'érudit et des souvenirs de jeune homme, et il ne manqua pas, malgré sa fai- blesse croissante, de les réunir dans des pages qui , loin d'annoncer l'abaissement de sa virilité littéraire, portent l'empreinte d'un style plus varié, plus souple, plus ingénieux que jamais. Il leur donna le nom de
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Pèlerinage au pays du Cid , comme pour se consoler peut-être de n'avoir pu accomplir celui de Saint- Jacques.
Une course suprême lui restait à faire après celle- là. L'Italie le reçut pour la quatrième fois. On lui avait indiqué Pise comme le séjour le plus favorable à son état; mais l'hiver de 18o3 trompa toutes les illusions de ses amis. Froid et pluvieux, il n'apporta au malade qu'un long ennui et une aggravation de souffrances rarement mêlées de quelque lueur de bien-être. Il s'en consola par une activité héroïque en faveur delà première œuvre de sa vie, la société de Saint- Vincent-de-Paul. Elle était connue en Tos- cane, mais arrêtée au berceau par le gouvernement du grand-duc, qui ne pouvait croire à sa sincérité. Heureusement Ozanam était estimé , ou , pour mieux dire, célèbre dans ce pays. Ses travaux sur le Dante y avaient été reçus avec applaudissements et tra- duits plusieurs fois.
Il arriva donc que la grande-duchesse douairière entendit parler de ce Français et des peines qu'il se donnait pour introduire en Toscane une charité suspecte. Un jour qu'elle était à Pise, elle lui en- voya quelqu'un avec prière de la venir voir dès le soir même. Ozanam, quoique accablé par la fièvre, se rendit à l'invitation. La grande-duchesse le reçut avec bonté. C'était une personne distinguée, aimant les bonnes œuvres, mais toute pleine de préjugés contre la société de Saint-Vinccnt-de-Paul , où elle ne voyait qu'un repaire de libéralisme, et elle af- firma tout d'abord à Ozanam que jamais le grand-
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duc n'en autoriserait l'établissement, si l'on ne commençait par en chasser certains hommes qu'elle lui désigna. Ozanam parla longtemps, et comme il parlait toujours , c'est-à-dire avec un grand feu; il s'efforça de justifier l'admission des personnes que la cour ducale voyait d'un mauvais œil dans la société, et, remontant à l'origine même des Con- férences, il raconta comment, à la suite de la ré- volution de 1830, quelques jeunes gens avaient résolu de faire de la charité à l'exclusion de toute politique, que c'était là un des points fondamen- taux de leur association, et le motif qui leur com- mandait d'admettre dans leur sein quiconque se présentait à eux, pourvu qu'il fût honnête homme et chrétien.
A quelques jours de là, le grand-duc accordait à la conférence de Florence l'autorisation si longtemps refusée, et il retendait presque immédiatement aux conférences de Livourne et de Pise.
Mais Sienne, où une partie de l'université de Pisc avait été transportée, et avec elle aussi une moitié de la jeunesse toscane , Sienne n'avait pas suivi le mouvement. Ozanam en gémissait beaucoup ; cette jeunesse sans œuvres de charité le tourmentait comme un remords personnel, et il n'eut pas de repos qu'il ne se fût rendu à Sienne même pour y proposer et y établir une conférence. Quoique lié à des personnages de distinction, et en particulier avec deux religieux affectionnés des écoles , il eut la douleur de revenir sans avoir réussi. Cet échec Tat-; trista profondément. « Dieu, disait-il, ne veut plus
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« bénir mes efforts. » Toutefois, malgré le découra- gement sensible où l'avait jeté ce qu'il croyait un refus de concours de la Providence, il résolut de lui faire encore un appel, et, arrivé au bord de la mer, au petit village de l'Antignano, il écrivit une lettre de quatre pages à l'un de ses amis de Sienne , le père Pendola , pour le supplier de tenter un dernier effort. La réponse se fît attendre quinze jours. Le quinzième, vers la fin de juillet, il reçut une lettre qui lui disait : « Mon cher ami, hier, « jour de saint Vincent de Paul, j'ai fondé deux « conférences, l'une dans mon collège, l'autre dans « la ville. »
Si Ozanam eût été sensible encore à d'autres succès, il eût eu, pendant son séjour en Toscane, de grandes raisons de regretter la vie. On lui pro- digua une bienveillance et des honneurs rarement accordés à un étranger. Il fut nommé membre de l'Académie de la Crusca en même temps que le comte César Balbo, l'auteur des Espérances de V Italie, et enfin il sentit tout autour de lui cette admiration affectueuse qui révèle la gloire, et qui en est à la fois le signe le plus certain et le par- fum le plus doux. Mais la mort éclaire la gloire elle- même d'un jour qui la fait pâlir, et le 'cœur du chrétien , à mesure qu'il sent les approches de l'é- ternité , se déprend de ces faiblesses pardonnables que la sainteté seule ne connaît pas. Ozanam était mûr. Il luttait encore, il est vrai, contre le tom- beau : il songeait encore à ces années trop peu pleines; mais ce n'était plus par regret de la vie,
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c'était par regret du bien. Comme il y a dans une grande âme unie au monde un besoin d'achever le monument qu'elle a conçu et qui portera son nom , il y a dans une grande âme unie à Dieu le besoin d'achever l'œuvre qu'elle a commencée pour lui et où elle pense cacher son nom sous le sien. Quand Dieu refuse, quand il brise l'ouvrier avant que la| dernière pierre ait été posée, quand la croix des- cend à trente ans, comme pour le Fils de l'Homme,! c'est alors le sacrifice par excellence , celui qui ar- rache une larme au ciel même et qui fait le martyre non sanglant. Or, en ces jours-là, tel était le mys- tère qui se passait au cœur de notre ami. Il nous en a laissé de sa main même une touchante et pieuse trace.
Le 23 avril 1853 , il écrivait à Pise les lignes sui- vantes :
« J'ai dit au milieu de mes jours : J'irai aux portes u de la mort.
« J'ai cherché le reste de mes années. J'ai dit : Je « ne verrai plus le Seigneur mon Dieu sur la terre « des vivants.
(( Ma vie est emportée loin de moi , comme s'est u repliée la tente des pasteurs.
(( Le fil que j'ourdissais encore est coupé comme u sous les ciseaux du tisserand. Entre le matin et le <( soir, vous m'avez conduit à ma fin.
« Mes yeux se sont fatigués à force de monter au « ciel.
« Seigneur, je souffre violence, répondez-moi. Mais
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« que dirais-je , et que me répondra celui qui a fait « mes douleurs?
« Je repasserai devant vous toutes mes années « dans l'amertume de mon cœur. »
« C'est le commencement du cantique d'Ézéchias; a je ne sais si Dieu permettra que je puisse m'en <( appliquer la fin. Je sais que j'accomplis aujour- (( d'hui ma quarantième année, plus que la moitié « du chemin ordinaire de la vie. Je sais que j'ai « une femme jeune et bien-aimée, une charmante « enfant, d'excellents frères, une seconde mère, « beaucoup d'amis, une carrière honorable, des « travaux conduits précisément au point où ils pou- ce vaient servir de fondement à un ouvrage long- « temps rêvé. Voilà cependant que je suis pris d'un <( mal grave, opiniâtre, et d'autant plus dangereux « qu'il cache probablement un épuisement complet, (f Faut- il donc quitter tous ces biens que vous- « même, mon Dieu, m'aviez donnés? Ne voulez- « vous point. Seigneur, vous contenter d'une partie « du sacrifice? Laquelle faut-il que je vous immole « de mes affections déréglées? N'accepterez-vous « point l'holocauste de mon amour -propre litté- « raire, de mes ambitions académiques, de mes « projets même d'étude, où se mêlait peut-être u plus d'orgueil que de zèle pour la vérité? Si je (( vendais la moitié de mes livres pour en donner le « prix aux pauvres , et si , me bornant à remplir « les devoirs de mon emploi , je consacrais le reste « de ma vie à visiter les indigents, à instruire les « apprentis et les soldats, Seigneur, seriez -vous
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« satisfait, et me laisseriez -vous la douceur de (( vieillir auprès de ma femme et d'achever l'édu- « cation de mon enfant? Peut-être, mon Dieu, ne « le voulez-vous point. Vous n'acceptez point ces (( offrandes intéressées , vous rejetez mon holocauste ({ et mon sacrifice : c'est moi que vous demandez « Il est écrit aie commencement du Livre que je « dois faire votre volonté, et j'ai dit : Je viens, « Seigneur.
« Je viens si vous m'appelez, et je n'ai pas le « droit de me plaindre. Vous avez donné quarante « ans de vie à une créature qui est arrivée sur la « terre, maladive, frêle, destinée à mourir dix {( fois, si la tendresse et l'intelligence d'un père et « d'une mère ne l'avaient dix fois sauvée. Que les « miens ne se scandalisent point si vous ne voulez « pas faire aujourd'hui un miracle pour me guérir. « Mon enfance, heureusement écoulée au milieu « de tant de périls , n'était-elle pas un premier mi- « racle? A sept ans, quand la fièvre typhoïde me: « conduisait jusqu'à l'agonie , ne fut-ce pas à l'in- « tervention de saint François Régis que ma mère « attribua ma guérison? Ne m'avez-vous pas déli- « vré des malaises de l'adolescence qui inquiétaient « mon père? A l'entrée de ma carrière, quand j'é- « tais arrêté tout à coup par une cruelle maladie « de la gorge , ne m'avez-vous pas guéri , ne m'a- « vez-vous pas donné la joie de publier ce que je « croyais la vérité? Enfin, il y a cinq ans, ne m'a- « vez-vous pas ramené de bien loin, et ne m'avez- « vous pas accordé ce délai pour faire pénitence
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« de mes péchés et pour devenir meilleur? Ahî M toutes les prières qu'alors on vous adressa pour <( moi furent écoutées. Pourquoi celles qu'on vous (( fait aujourd'hui , et en bien plus grand nombre, « seraient -elles perdues? Mais peut-être, Sei- (( gneur, vous les exaucerez d'une autre manière. « Vous me donnerez le courage de la résignation , « la paix de l'âme, et ces consolations inexprimables « qui accompagnent votre présence réelle. Vous K me ferez trouver dans la maladie une source de u mérites et de bénédictions , et ces bénédictions , « vous les ferez retomber sur ma femme, mon en- « fant, sur tous les miens, à qui mes travaux au- « raient peut-être moins servi que mes souffrances. »
Ces dernières paroles nous indiquent que le sacri- fice d'Ozanam était fait : aussi écrivit-il son testa- ment le même jour, 23 avril, et nous n'avons plus à le suivre qu'au tombeau.
La veille du mois de septembre, accompagné de sa femme , de sa fille , de ses deux frères , il sortit de la maison qu'il occupait au petit village de l'An- tignano , sur le bord de la mer. En sortant , il ôta son chapeau, et, les mains levées vers le ciel, il prononça cette prière : « Mon Dieu , je vous remer- « oie des souffrances et des afflictions que vous m'a- « vez envoyées dans cette demeure; acceptez- les M en expiation de mes péchés. » Puis, se tournant vers sa femme : « Je veux qu'avec moi tu bénisses « Dieu de mes douleurs. » Et aussitôt, se jetant dans ses bras : « Je le bénis aussi des consolations qu'il « m'a données. »
— 272 — Dieu lui accorda, pour la dernière fois qu'il tra- versa la mer, un temps et des flots sereins. Couché sur le pont du navire qui le rapportait en France , il put jouir en paix de l'air, du ciel, des eaux, de ces poétiques rivages de l'Italie qu'il avait pas- sionnément aimés, et où il venait de recevoir un accueil digne de la terre qui a nourri tant de grands hommes , et qui sait encore les reconnaître de quel- que part qu'ils abordent à ses ruines. Quand les côtes de la Provence se levèrent à ses yeux, il éprouva une grande joie de revoir la patrie et de la certitude d'y mourir. Le vaisseau ne tarda pas d'entrer au port de Marseille, où l'attendaient sa belle-mère et la famille de sa femme. « A présent, « dit -il, que j'ai remis Amélie entre les mains (( de qui elle doit être , Dieu fera de moi ce qu'il « voudra. »
Il eût encore désiré revoir Paris, Paris où tant de souvenirs l'attachaient, où ses amis et sa gloire l'eussent si pieusement accueilli. Mais ce vœu du serviteur ne fut pas exaucé. Seulement Dieu lui re- tira les angoisses du grand passage; il ne soufl'rit plus dès qu'il eut touché la terre de ses aïeux et de ses travaux. Un calme qui n'était ni celui de la vie ni celui de la mort se répandit dans sa personne, et il reçut en cet état les derniers sacrements de l'É- glise dont il avait été le fidèle et le défenseur. Le prêtre lui ayant dit d'avoir confiance en Dieu : « Ehl (( pourquoi le craindrais -je? répondit- il, je l'aime « tant 1 »
Ce devoir rempli, un sommeil précurseur s'em-
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para de ses membres épuisés. Il se réveillait çà et là pour remercier et bénir, pour tendre la main, pour essuyer une larme, pour sourire encore une fois. Le matin de sa mort , jour de la Nativité de la très-sainte Vierge, il ouvrit les yeux, souleva ses bras , et dit d'une voix forte : « Mon Dieu , mon « Dieu , ayez pitié de moi ! » Ce fut sur la terre la dernière parole de celte âme qui en avait eu tant d'éloquenles.
Ses amis reçurent son cercueil avec vénération. Lyon voulut le garder, Paris l'obtint. Il repose sous les pieds de cette jeunesse qu'il a évangélisée par sa vie, et à laquelle il parle encore du fond de sa tombe.
i Reviendrai -je maintenant sur des faits ou des ! vertus oubliés au courant de mon récit? Recueille- rai-je dans cette vie quelques épis épars après la imoisson? La piété me le permet, si elle ne me le 'commande pas.
[ Ozanam avait une grande tendresse de cœur, une brande foi aux choses domestiques. Quoiqu'il fût très-sobre, et que souvent même il ne s'aperçût pas de ce qui lui était servi, il tenait extrêmement à ce que, le dimanche et les jours de fête, il y eût sur la table quelque mets plus délicat que de coutume. C'était lui qui le commandait d'ordinaire, et quel- quefois qui l'apportait. Étranger à toute idée de luxe, peu soigneux de son vêtement, content des plus simples meubles, il attachait du prix à un bouquet de fleurs. Il aimait à en avoir près de lui, sur son bureau. De beaux livres, de belles gravures, le ton-
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taient aussi, et il ne résistait pas à l'acquisition de quelque petit tableau dont le mérite avait captivé ses yeux. Les voyages aux grands lieux du monde étaient encore un de ses faibles ; il courait à un ^ lac, à une vallée, et quand les ombres de l'his-l toire descendaient avec celles de la nature sur un champ ou sur une ruine, il s'y sentait attiré par une invincible sympathie. Ce n'était pas, à vrai dire, une âme austère; la poésie l'avait consacré tout en- fant , et il n'y avait pas de muse qui n'habitât en lui.
Le 23 de chaque mois, date chère à sa mémoire parce que c'était celle de son mariage , il ne man- quait jamais d'offrir à sa femme quelques plantes fleuries. Même à la veille de sa mort, il n'oublia point de le faire, et le 23 août qui la précéda, étant encore au village de l'Antignano , il envoya chercher une branche de myrte qu'il avait remarquée au bord de la mer, pour la donner à celle qui depuis douze ans charmait et fortifiait sa vie.
11 avait eu pour sa mère vivante un culte qu'il lui conserva toujours , et j'ai remarqué dans ses lettres qu'il en parlait sans cesse avec une tendre admira- tion. Quand il l'eut perdue, sa douleur fut extrême; mais, le premier déchirement passé, il se fit en lui un phénomène qu'il appelle quelque part la convie- lion de la présence réelle de sa mère. Il lui semblait qu elle le suivait encore, et qu'elle l'inspirait, qu'elle le récompensait, comme au temps de son enfance, par ces caresses sensibles.
L'amitié ne fut pas pour Ozanam le sentiment
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éphémère d'une jeunesse rapide. Ni les années, m le mariage, ni la célébrité, ne tarirent en lui le be- soin d'aimer des égaux. Il les recherchait même au- dessous de son âge par une condescendance qui fut récompensée, et, ayant moi-même aimé quelqu'un de ceux qu'il aimait, j'ai eu de touchantes preuves de l'affection qu'il savait inspirer. . Sa piété était vive et douce. Elle prit de bonne heure le caractère d'un dévouement actif à cette grande société des âmes que Dieu a fondée sur la terre par le sang de son Fils, et il se crut même ap- pelé à quitter le monde pour apprendre à le bénir. Quelque chose le retint, soit un peu de faiblesse devant le sacrifice, soit la crainte de perdre une part de sa liberté, soit plutôt que Dieu voulût en lui un cœur de prêtre dans une vie d'homme du siècle. Ce mot le peint tout entier. Nul chrétien en France, et de notre temps, n'aima davantage l'É- glise, ne sentit mieux ses besoins, ne pleura plus amèrement les fautes de ceux qui la servaient, n'eut enfin dans une existence laïque un plus véritable et plus profond apostolat. La prière et la méditation des choses divines le soutenaient à cette hauteur surnaturelle, malgré la préoccupation incessante de ses travaux d'esprit. Chaque matin il lisait dans une Bible grecque quelques versets ou quelques pages de l'Écriture sainte, suivant que l'onction de Dieu le retenait plus ou moins sur ce qu'il avait lu. C'était la première demi - heure de sa journée. Il y avait puisé une connaissance efficace de la parole de Dieu. Jamais il ne se rendait à son cours sans avoir prié
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à genoux, pour qu'il ne dît rien de contraire à la vérité, ou dans le seul but de s'attirer des applau- dissements. On remarquait dans sa controverse une attention inflnie à ne pas blesser ceux qui discu- taient avec lui, quelles que fussent leurs erreurs. Il lui semblait, dès qu'une intelligence traitait de Dieu, que déjà elle était sur la voie de le trouver, et qu'un mot superbe ou trop vif pouvait lui faire une bles- sure irréparable. Mais cette douceur n'allait jamais jusqu'au déguisement de sa pensée. Il professait sa loi avec la courageuse humilité du chrétien qui con- naît le peu qu'est le monde; et si le respect des âmes lui inspirait une exquise modération , le res- pect de la sienne s'élevait au-dessus de toute crainte humaine.
Un jour qu'il visitait à Londres l'église de West- minster, mêlé à une foule d'étrangers et d'inconnus, il arriva derrière le chœur, en face du tombeau de saint Edouard. La vue de ce monument mutilé par le protestantisme le saisit de douleur, et, tombant à genoux devant les reliques telles quelles du saint Louis de l'Angleterre, il pria seul en expiation de ' tout ce peuple qui ne connaît plus ses saints, et au mépris de l'assistance, qui le prit sans doute pour un idolâtre, sinon pour un fou.
Dans une autre occasion, de nature différente, il avait révélé le même courage , et ceux qui l'ont vu à côté de M. Lenormant, aux jours où ce regrettable professeur succomba sous les lâchetés d'une agres- sion sans cause, ceux-là ne douteront jamais qu'il ne fût capable de toute confession devant tout péril. '
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I Les amis d'Ozanam ont voulu élever à sa mé- moire un mausolée. Il n'ont choisi ni le marbre ni le bronze, mais ses propres écrits. Leur main fidèle et respectueuse a rassemblé ces pages dispersées, et
jleur a donné, malgré la mort, une unité qu'elles tiennent bien moins de leur disposition posthume
;que du souffle qui les anime d'un bout à l'autre.
iL'érudit, l'homme pieux, l'orateur, s'y révèlent dans un tissu qui ne faiblit jamais, et cette lecture inspirera toujours ensemble le regret et l'admira- tion , le regret d'une vie si rare et sitôt tombée ,
jl'admiration de talents si divers dans un mémo
jesprit.
I Cher monsieur Ozanam ! aucun de nous ne lais- sera le vide que vous nous avez laissé, aucun n'em- portera du cœur des hommes ce que vous avez comporté du nôtre. Vous nous avez précédés dans la mort , parce que vous nous aviez précédés dans la vertu : les pauvres ont prié pour vous, et nous ont ravi votre âme. Agréez ces pages où j'ai voulu Iretracer quelque ombre de ce que vous nous étiez.
, Je les ai écrites pour vous, pour vous qui fûtes pen-
I pant vingt ans, sinon le plus fort, du moins le plus
, ipur objet de nos regards, et dont les faiblesses, s'il ly en eut en vous de cachées parce que vous étiez
> iliomme , n'allèrent jamais qu'à vous rendre plus :hère votre inébranlable constance dans les choses lue vous aviez aimées et défendues. Vous fûtes le naître de beaucoup, le consolateur de tous. Choisi ie Dieu, après de longues années d'humiliations, pour rappeler la gloire dans les camps de la vérité,
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vous accomplîtes fidèlement jusqu'à votre dernier jour cette mission d'honneur et de paix. Le pauvre vous vit à son chevet, la tribune littéraire debout devant une génération, et la presse, cet autre in- strument du bien et du mal , eut en votre per- sonne un honnête et religieux artisan. Vous n'avez, laissé de blessure à aucun, si ce n'est cette bles- sure qui guérit de la mort, parce que c'est la cha- rité qui la fait. Demeurés derrière vous , nous n'a- vons plus la joie de vous voir et de vous entendre;; mais il nous reste encore celle de vous louer, et,; quelles que soient les destinées qui nous attendeni; au seuil extrême de nolro carrière, la joie plas grande encore de vous imiter de loin, si Dieu k; ncrmet.
DISCOURS
POUR LA TRANSLATION DU CHEF
DE
SAINT THOMAS D'AQUIN
PRONONCÉ
jjans L'église saint-sernin de Toulouse
LE IS JIJILLLT 1832
DISCOURS
POUR LA TRANSLATION DU CHEF
DE
SAINT THOMAS D'AQUIN
Euntes docete omîtes génies (1). Allez et enseignez toutes les nations.
Mes Frères ,
C'était une parole bien simple que celle-là : Allez ' et enseignez toutes les nations : et cependant c'était une parole bien extraordinaire, puisqu'elle était dite à des gens qui ne savaient rien ; et eussent- ils su quelque chose, eussent- ils possédé toute la science dont le genre humain était alors le maître, c'eût été encore une étonnante et miraculeuse hardiesse que
(1) Saint Mallhieu, chap. xxviii, vers. 19.
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de dire à des hommes : Allez et enseignez toutes les nations. Car, pour enseigner toutes les nations, il faut que la doctrine ainsi commise à des lèvres mor- telles se suscite à jamais des apôtres, c'est-à-dire des âmes qui se dévouent à la porter jusqu'aux extrémités du monde, abandonnant pour elle leur patrie, leur famille, leurs amitiés, leur langue na- tive , tout ce qui fait l'espérance , le cours et l'illu sion de la vie. Sans quoi le monde ne verra poinv l'effet de cette parole : Allez et enseignez toutes les nations, parce que le monde ne va point de lui- même au-devant de la vérité, heureux lorsqu'il la reçoit des mains qui la lui portent, et ne répond point au plus généreux des sacrifices par le mépris et la persécution.
Aussi faut- il à la doctrine, si elle veut parvenir à toute la terre et justifier le Maître qui lui en a donné l'ordre, lui faut- il plus encore que des apôtres : il lui faut des hommes capables de la défendre contre cette haine mystérieuse que le monde a vouée à la vérité, et qui le pousse à la combattre, tantôt par le raisonnement, tantôt par la ruse, tantôt par la vio- lence et la proscription. Et comme la vérité est des- cendue du ciel sans armes , que Dieu l'a envoyée au milieu de nous ainsi qu'un agneau , selon sa propre expression , il est nécessaire de la défendre , non pas en répandant le sang, mais en donnant le sang; non pas en soldat, mais en martyr. Et, plus ou moins ^ toute chose qui doit vivre ici -bas a besoin do ses martyrs, parce que toute chose étant sujette à la discussion et à l'inimitié a besoin d'hommes prêts
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à donner leur vie pour elle; et quand parmi nous une chose ne trouve plus de gens qui veulent mourir à son profit, cette chose n'existe plus, elle est morte : mais bien plus la vérité, parce que la vérité, nue et désarmée de sa nature, n'a de ressource pour se sou tenir qu'une foi qui aille jusqu'au sang : et ainsi le sang qui est la vie de l'homme, est aussi la vie de la vérité.
Encore les apôtres, aidés des martyrs, ne suffi- ront-ils pas à cette parole : Allez et enseignez toutes les nations. Il y faudra joindre d'autres hommes simples et modestes, contents de peu, vivant au milieu des peuples sans richesse ni puissance, et cependant avec une autorité constante, respectée, remarquable par la simplicité même. Ce seront les pasteurs , hommes de chaque jour, nourrissant leur troupeau de la vérité qu'auront prêchée les I apôtres, et que les martyrs auront scellée de leur sang.
Mais sera-ce tout? Et quand Dieu, le père de la vérité , l'auteur de cette parole : Allez et enseignez toutes les nations , aura trouvé parmi nous assez de héros pour faire des apôtres , des martyrs et des pasteurs, aura-t-il assuré l'œuvre de l'enseigne- ment universel? Ne le croyez pas : il lui manque encore une race particulière d'hommes , sans la- quelle l'expansion de la vérité ne serait pas pos- sible, et le règne de la lumière sur tous ne serait que le songe d'une impuissante bonté : il lui manque les docteurs. Et ce nom, mes Frères, vous avertit que nous touchons à l'objet imposant de la solen-
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ni'é qui nous rassemble, puisque ce lilre de docteur est celui-là même qui orne le front et la mémoire de rhomme vénéré dont les reliques sont sous vos yeux.
Mais qu'est-ce donc que le docteur? Que fait-il? <}uelle est sa part dans l'accomplissement de celte parole souveraine : Allez et enseignez toutes les na- tions? Étranger aux éloquentes pérégrinations de l'apôtre , au témoignage sanglant du martyr, aux paisibles cultures du pasteur, ou ne les connaissant que par un hasard qui les lui surajoute, quelle est sa mission dans l'œuvre propagatrice de la vérité ? Est-ce lui qui la crée? Non, car Dieu lui-même ne crée pas la vérité; il la voit en lui, et il la donne, et, encore qu'il en fût le créateur, il n'appartiendraiti pas à des hommes de la créer après lui ou avec lui :i mais ni Dieu, ni l'homme, ni personne au mondej ne crée la vérité, elle est éternelle, elle est de soi par, soi.
Que fait donc le docteur, puisqu'il ne crée pas la vérité, qu'il ne la propage point par la parole, qu'il ne donne pas son sang pour elle, et ne la cultive point dans l'âme d'un troupeau confié à ses soins de chaque jour? Ce qu'il fait, mes Frères, je vais vous le dire : il fait ou développe la théologie, et par con- séquent, ayant à célébrer devant vous l'un des plus grands docteurs de l'Église, si ce n'est le plus grand, je ne puis vous donner une idée de lui qu'en posant ces deux questions :
Quelle est la place que la théologie occupe dans le .monde ?
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Quelle est la place que saint Thomas d'Aquin oc- cupe dans la théologie?
Ces deux questions , à en entendre le simple énoncé , semblent ne vous promettre que des aper- çus difficiles, austères, peu accessibles à la plupart de mes auditeurs. Mais qu'ils se rassurent. La vérité est comme l'univers : si l'univers contient des lois profondes que les mathématiques n'expriment qu'à l'aide de calculs incompris de la multitude, il sait les revêtir sous les yeux de tous de magnificence et de clarté; la lumière s'échappe de ces ombres abs- truses, et les plus petits, en regardant le ciel, le com- prennent et l'admirent aussi bien que Newton. Il en est de même de la vérité : plus haute encore et plus profonde que l'univers qui n'en est qu'une pâle ma- nifestation, elle sait, soit qu'elle apparaisse dans l'Évangile et sur le visage du Christ, soit qu'elle se montre sur les lèvres de ses envoyés, mettre en eux la splendeur qui éclaire et la bonté qui touche. Ainsi la verrez -vous dans ce discours malgré l'indignité de son interprète, et, quoi que je lui ôte , il lui restera toujours assez pour vous instruire et vous pénétrer.
, Je me demande quelle est la place que la théo- logie occupe dans le monde : par conséquent c'est une question de lieu que je pose, car on ne peut savoir la place ou le rang d'un objet qu'en déter- Iminant son lieu. Or il n'y a dans les choses que trois lieux existants : Dieu , l'intelligence, l'uni- vers : Dieu, qui est le lieu des esprits; l'intelli- igence, qui est le lieu de la pensée; l'univers, qui est
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le lieu des mondes. Dieu contient les esprits , l'in- telligence contient la pensée, l'univers contient les mondes.
En laquelle de ces trois régions habile la théo- logie ? Ce n'est pas en Dieu ; car la théologie rai- sonne, elle a des ombres, et en Dieu ne se trouvent ni déduction ni obscurité, mais une pleine et par- faite lumière. Ce n'est pas non plus l'univers qui est le lieu de la théologie; car l'univers n'est que l'ensemble des êtres matériels , et la théologie n'est point un corps. C'est donc moins haut que Dieu et plus haut que l'univers qu'il nous faut la chercher, dans cette région moyenne à laquelle nous appar- tenons nous-mêmes par la partie la plus élevée de notre être : c'est l'intelligence qui est le lieu de la théologie. La théologie est une habitante de notre esprit , une forme de notre pensée , et à ce titre elle est déjà quelque chose de grand. Mais ce n'est pas la connaître et avoir suffisamment déterminé sa place dans le monde que de s'arrêter là : il nous faut savoir la fonction qu'elle exerce dans notre esprit, le rang qu'elle y tient, ses rapports avec l'ensemble de nos facultés, et con- clure de là ce qu'elle est entre Dieu, l'homme et l'univers.
Or le premier acte de l'esprit , son acte le plus simple , est ce que nous appelons la science. La science est la connaissance des réalités de la nature et de l'histoire : elle nous emporte de nous, qui ne sommes qu'un point et qui n'avons qu'une heure, aux immensités où se meuvent les mondes , et aux
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siècles peuplés des générations qui ne sont plus; elle nous dit des uns leurs phénomènes et leurs lois des autres leur liberté, leurs passions, leurs vertus, leurs monuments. Oui, l'homme armé de sa seul'î intelligence a sondé les deux abîmes où il est sus- pendu, l'abîme de l'espace et l'abîme du temps. li a porté sa main de l'équateur qui partage la terre aux pôles qui régissent sa course, mesuré leurs dis- tances , déterminé l'orbite qui soutient sa demeure autour du soleil, et en fait une nef stable dans un mouvement qui ne se repose jamais. 11 a de son re- gard embrassé le ciel, compté les astres, assujetti à ses calculs leurs influences et leurs relations . vi- sité les profondeurs où ils se perdent , et là même où ses yeux ni ses influences ne pouvaient plus at- teindre , ses sublimes pressentiments l'ont encore servi. Et pendant qu'il explorait cet océan privé de rivages, sans quitter le sol étroit qui le retient cap- tif, il arrachait au passé ses plus impénétrables se- crets ; il saisissait dans les mystères du langage la trace des séparations et des transmigrations des peuples, tirait de la fable des certitudes, évoquait la vie des nécropoles , et, scrutateur des ruines , en faisait jaillir l'humanité disparue, tenant ainsi d'une main le sceptre de la nature , de l'autre celui de l'histoire, et mêlant la science des actes de l'homme à la science des actes de Dieu.
Et pourtant, mes Frères, hommes mortels qui m'écoutez et dont je raconte les dons et la puissance, pourtant tout ce que je viens de dire, ces explora- lions , ces découvertes , ce magnifique enchaînement
de faits et de lois soumis à votre génie, tout cela , si grand qu'if soit, n'est encore que le porlique du temple et comme le vestibule de votre esprit. Vous vous étonnez peut-être, vous me demandez ce qui viendra donc après. Ah! ce qui viendra ! Nous étions tout à l'heure à l'extrémité des mondes , aux limites où, les instruments mêmes que nous avons créés per- j dant leur force, l'homme peut à peine pressentir ce qu'il ne peut plus calculer: eh bien! là, aux confmsl des choses finies , et qui , parce qu'elles sont finies , demeurent petites dans leur immensité et font de la science qui les mesure un élément inférieur et initial de notre esprit, là un horizon nouveau s'est dévoilé devant nous, l'horizon de l'infini. Prophètes sans ef- fort, nous avons regardé par delà le ciel, et deux noms: tombés sur nos lèvres nous ont révélé la lumière et la loi des êtres intelligents ; nous avons nomnib la vérité et la justice, nommé Dieu, qui est leur père, et notre âme, incUnée devant cette première et inépuisable source de tout vrai, de tout bien, de tout beau, s'est relevée connaissant dans le Créa- teur ce qui ne se crée pas , et ayant dans la raison un reflet des choses que Dieu voit en lui éternelle- ment.
Ainsi à la science s'est ajoutée la raison , à la con- naissance des faits celle des causes, à l'obscure; clarté du fini la clarté plus vaste et plus pure de i l'infini. Je ne veux pas dire que , selon Tordre des temps, la science ait précédé la raison ; mais, laissant j là le mystère de leur génération successive ou si-j multanée, je mets l'une au-dessus de l'autre, selonij
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que l'une voit plus que l'autre. La science fait lo savant, la raison fait l'homme; la science est de quelques-uns, la raison est de tous. C'est elle qui, se propageant et survivant à tout au milieu des peu- ples, engendre ce bon sens populaire qui, pour me servir d'une expression célèbre , est le maître de la vie. En vain une science parricide s'efforcera d'abo- lir dans l'esprit humain la notion de la justice , le nom même de la vérité , ou de les séparer de Dieu , qui est leur principe et leur siège, pour en faire je ne sais quelles filles des intérêts de l'homme : la raison toute simple, abandonnée à son seul cours, résistera dans l'âme des peuples aux blasphèmes du génie, et, même avec des erreurs, maintiendra le nom, l'idée, le règne de la justice et de la vérité. Mais encore, pour se manifester et se défendre , la raison n'est pas réduite à cette seule forme , toute sublime qu'elle est, du bon sens populaire; elle en a une autre que Dieu lui a donnée, et par où, de- venue méditative et profonde, habitante illustre de quelques âmes prévues et préparées, elle impose sa gloire à toute la terre et se fait un rempart des plus grands noms que l'homme ait portés. Je veux dire la philosophie : je veux dire ces hommes , Gon- jfucius, Zoroastre , Pythagore , Socrate , Platon, JAristote, Gicéron , Épictote , admirables et bons génies , dispersés par la Providence le long des siè- |cles, et qui, même avant le plein midi de l'Évan- jgile, luttant contre des ténèbres dont ils n'étaient pas la cause, ont servi de leur éloquence la justice et la vérité, et obtenu des Pères mômes de l'Église
VUl. - 9
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d'avoir un nom et un honneur dans leurs écrits , comme si nos docteurs eussent voulu les convertir à la foi malgré leur mort , ou plutôt transformer leurs travaux en un patrimoine naturel du christia- nisme. C'est qu'en effet quiconque voue son âme à la lumière supérieure qui éclaire tout homme venant en ce monde , et la défend dans son siècle par l'ad- miration qu'il inspire, celui-là, malgré les ténèbres involontaires qui lui restent, est un précurseur s'il n'est un héraut des doctrines plus hautes qu'il n'a pas connues.
C'est vous dire , mes Frères , que la raison , si élevée qu'elle soit, ne termine pas pourtant cette belle hiérarchie de notre esprit. La raison conçoit l'infini, l'éternel, l'absolu, le nécessaire; elle tire de cette notion métaphysique la notion morale de la vérité et de la justice, et de toutes les deux le nom et la preuve de Dieu. Mais là, à ce faîte des choses, elle commence à se troubler; elle cherche, elle hé- site , elle se demande quelle est l'essence divine , quelle sa vie, ses conseils, ses volontés. Qui les lui dira? Gomment une intelligence finie, abordée par un miracle de sa nature aux rivages qui n'ont point de bornes, en mesurerait-elle la largeur, la hauteur et la profondeur ? Un homme ne connaît pas la pensée d'un autre homme sous le voile de chair qui la lui cache : comment connaîtrait-il la pensée de Dieu? Il ne le peut sans doute que si Dieu la lui dit dans une conversation de son âme avec la nôtre. Et pourquoi cette conversation n'aurait-elle pas lieu Pourquoi Celui qui s'est manifesté à nous par l'uni-
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vers et la raison ne poursuivrait -il pas cette œuvre de bonté sous une forme plus simple encore, sous la forme d'un esprit conversant avec un esprit? Ah ! je le crois, Dieu nous ayant faits comme des fils, nous a parlé comme à des fils; 6t autant il est im- possible de concevoir un père qui n'aurait jamais , parlé à ses enfants, autant il est impossible de con- jcevoir un Dieu qui n'aurait jamais entretenu sa créature intelligente pour lui laisser dans le cœur des secrets de famille. Ces secrets, nous les avons; 'ces secrets sont notre plus précieux héritage, et ils jont un nom , le dernier que je vais vous dire : on les appelle la Foi. La raison fait l'homme, la foi fait le chrétien; la raison nous mène au bord de finfini , la jtbi nous donne Dieu tout entier.
Mais il y a une chose que j'admire, c'est que la
théologie n'a point encore paru. Où donc est-elle?
D'où vient qu'elle ne se montre point ? Scrutant
avec vous le temple de notre âme , ce lieu que nous
avons dit être le lieu de la théologie, nous y avons
'irencontré et déflni la science, la raison, la foi,
i^hoses grandes, qui s'entr'aident les unes les autres
^ 3t portent ensemble notre esprit jusque dans l'es-
^prit de Dieu: quelle place reste à la théologie?
^l3u'a-t-elle à faire maintenant? Y aurait-il quelque
'ihose au delà de Dieu, et la théologie serait-elle la
^ oorte d'un monde où Dieu lui-même n'aurait plus
''|e premier rang? Non, mes Frères, il n'y a rien au
''delà de Dieu connu par la science, la raison et la
bi, si ce n'est Dieu vu face à face, dans la splendeur
livine de son essence , et la théologie n'a point mis-
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sion de nous le faire voir ainsi sur la terre. Quelle est donc sa mission? Il est temps de vous le dire, parce qu'à cette heure vous êtes en état de l'en- tendre.
Chose étonnante, mes Frères, et plus doulou- reuse encore qu'étonnante, ces trois éléments qui forment notre intelligence et ne devraient jamais . s'en séparer, la science, la raison et la foi, ces^ trois éléments non-seulement peuvent s'isoler l'un de l'autre, mais ils peuvent devenir ennemis. La science peut dédaigner la raison , ne voir en elle qu'un songe décoré du nom de métaphysique , un effort stérile de l'imagination trompée, qui, des certitudes de la nature , veut s'élever par un élan conjecturale des régions inaccessibles pour nous; elle peut, allant plus loin encore, mépriser les no- tions de vérité et de justice, blasphémer le nom de Dieu , et réduire tout l'homme à des sens se débattant sur un peu de boue dans les voluptés d'une nuit. Cela s'est vu, tantôt dans le mystère d'obscures initiations , tantôt au plein jour de la discussion publique , et bien qu'il semble que le bruit de ces lamentables négations diminue à notre oreille , cependant il est encore assez terrible pour qu'en vous parlant des hostilités de la science contre la raison, je n'aie pas besoin de vous en donner la preuve. De son côté, la raison peut s'élever contre la foi: engendrée, et nourrie des mystères les plu? profonds de l'infini, accoutumée à des lumières qui s'élèvent des abîmes , elle s'irritera pourtant des obscurités contenues dans la parole de Dieu. Elle;
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rejettera, sous prétexte de ne pas les entendre, des affirmations qui ne sont que réclaircissement de ses propres mystères , et, fille plus inconséquente encore que dénaturée , elle préférera la science qui l'insulte à la foi qui l'honore; elle demandera des armes à la matière contre le Dieu de l'esprit, et l'on verra les sages unis aux savants , ennemis en tout le reste , conspirer dans une joie commune pour détruire l'Évangile du Christ et séparer l'homme de Dieu. Ce sont là , chrétiens , ces guerres plus que civiles dont parlait Tacite, les guerres que nous ont léguées nos aïeux et que nous léguerons peut-être à noe des- cendants, parce que, s'il est difficile de ramener la paix parmi les nations qui ont une fois tiré l'épée , il l'est bien davantage encore de la rétablir entre Ifcs facultés mêmes de notre entendement.
Or , cette paix de nos trois puissances , cette paix de la science, de la raison et de la foi, sans laquelle le monde est voué à un trouble éternel, cette paix première d'où naissent toutes les autres, vous le pressentez déjà, c'est la théologie qui la prépare, qui la signe et la fait. La théologie n'est ni la science, ni la raison , ni la foi , elle est toutes les trois dans un accord subUme; elle est le sommet conciliateur de notre esprit, le repos de l'âme se possédant tout entière et n'ayant plus qu'une ombre à franchir pour voir Dieu. Comme l'univers, l'intelligence et la pa- role de Dieu, ne sont que les degrés d'une même connaissance, un triple portique d'une seule vérité, il est aisé d'entendre comment , passant de l'un à l'autre, puis les tenant embrassées d'un seul regard,
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la théologie les ramène à la lumière et à la béati tude de l'unité. Ainsi, du haut des montagnes, k voyageur contemple en un indivisible instant les col- lines , les vallées , les lacs , les forêts , les maisons habitées par l'homme, les chemins pubUcs et le^ sentiers perdus, et de cette multitude d'objets éparï et divers il se fait sans peine un seul et ravissant spectacle. Mais autant le ciell'emporte en grandeur sur la terre , autant l'infini surpasse l'immensité autant et plus l'harmonie de la science , de la raison et de la foi dans la théologie, surpasse les spectacles que nous nous faisons dans l'ordre étroit et pourtant magnifique de l'univers. La théologie emprunte à la science tout ce qu'elle a découvert des lois de la nature et de celles de l'humanité, non pour les dire comme elle, mais pour en déduire la connaissance de Dieu et de l'homme; elle emprunte à la raison, sous sa forme populaire et sous sa forme philoso- phique, des vérités qui sont déjà la religion, quoi- qu'elles ne la soient pas tout entière, et elle les élève en un fondement et un préambule de plus hautes vérités; enfin elle emprunte à la foi, fille du Verbe de Dieu , une vision et une certitude des choses divines qu'elle reporte ensuite sur les choses de la nature et de l'humanité , donnant à la science une plus grande élévation , à la raison une plus grande étendue, à la foi une plus grande clarté, à' toutes l'unité qui fait leur force, leur joie, et leur; efficacité pour le bonheur du genre humain.
Que dirai-je de plus, mes Frères, sinon que celte science reine et maîtresse existe réellement, qu'elle
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^existe sous des noms fameux, dans des ouvrages innombrables, et que depuis dix-huit siècles accom- plis elle soutient, avec une éloquence et une éner- gie que personne ne peut méconnaître, la lutte du ibien contre le mal. Mais remarquez le, elle n'existe ! qu'en une seule religion, dans le christianisme. Partout ailleurs, même au sein des nations les plus ingénieuses, elle n'a pu se former. C'est en vain que vous en chercherez la trace, soit dans l'idolâtrie, soit dans l'islamisme, soit dans ces doctrines de l'Asie que nous réunissons sous le nom commun de bouddhisme ; et en nommant ces trois grandes formes religieuses, j'ai nommé toutes celles qui se sont produites avec éclat et durée en dehors du système chrétien.
Et certes, ce n'était pas chez des peuples sans culture que régnait l'idolâtrie. La nommer, c'est nommer la Grèce et Rome, c'est-à-dire deux pays demeurés incomparables dans les arts de l'esprit, et ■même dans les spéculations de la sagesse. Nuls philosophes n'ont surpassé les leurs , et les écoles chrétiennes, sans craindre de s'abaisser, ont salué ians Platon et Aristote les princes immortels de la aison. Mais où était leur théologie? Si voua laissez ies fêtes de leur culte et les vers de leurs poètes, vous ne trouvez plus rien ; les Métamorphoses d'Ovide tsont le traité le plus sérieux de leur religion, et lors- que nous avons voulu en parler sous un nom qui fût vrai , nous n'avons pu lui en donner d'autre que celui de Mythologie.
Plus heureux, l'islamisme a un code écrit, code
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à la fois brillant, étrange, raisonnable et insensé, mais cependant un code : l'homme qui l'a dicté , jaloux et plagiaire de la Bible, y a jeté de bonnes choses, dont l'unité de Dieu est la principale, éle- vant par là , ce semble , un édifice religieux supé- rieur à celui des peuples polythéistes. Et cependant, singulière destinée , nous voyons dans la Grèce et dans Rome une haute , quoique imparfaite civili- sation, tandis que l'islamisme n'a produit que la guerre pour moyen et la barbarie pour terme. Les faux dieux de l'antiquité païenne ont présidé des siècles qui furent le crépuscule des nôtres ; le Dieu unique de Mahomet, inauguré chez des peuples qui avaient vu la lumière du christianisme , n'a guidé que des bandes guerrières campées sur des sols célèbres, où elles n'ont pu créer ni les lois, ni les sciences, ni le commerce, ni l'industrie, ni la li- be té civile , et bien moins encore la théologie , qui est le couronnement de tous les dons et de toutes les grandeurs de l'esprit. C'est que Mahomet, en fondant sa doctrine , ne l'avait pas confiée à la foi et à la vertu, mais à la force toute nue du cimeterre; il avait dit aux siens : Conquérez le monde, et faites des croyants du monde conquis par vous ; il ne leur avait point dit : Allez et enseignez toutes les nations. Fils de l'imposture et de la guerre, l'imposture et la guerre lui ont donné la victoire , mais non pas la conscience.
Que si, après cela, vous jetez les yeux à l'extré- mité de l'Asie , sur ces vastes empires qui ont tant d'hommes et si peu de puissance , vous y trouverez
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des doctrines religieuses fondées sur des livres sa- crés , et qui ont donné lieu à de considérables spécu- lations, mais spéculations semblables à des rêves, où la connaissance de la nature est aussi étrangère que la connaissance de l'humanité. Le méditatif de rinde ou du Tibet ne réfléchit pas , il songe; sa tête est un monde où l'infmi s'enfle et déborde , mais sans grandeur, sans harmonie, sans réalité. Et cette vieille civilisation , dépourvue de vrais sages et de vrais savants, n'est qu'un enfant qui tourne sur lui-même et qui attend depuis quarante siècles l'âge viril.
Le christianisme seul possède une théologie , et il est aisé d'en entendre la raison : c'est que le chris- tianisme seul possède la vérité, et avec elle une force d'analyse, de polémique et de synthèse qui lui permet de ne rien craindre et de tout s'assimiler. Que vous touchiez à quoi que soit , au ciel ou à la terre, à la métaphysique, à l'ordre moral, à l'éco- nomie des peuples , aux questions d'autorité et de liberté , à ce qui est ancien ou à ce qui est nouveau , le christianisme est prêt : toute vérité l'appuiera, toute erreur le grandira. Et c'est pourquoi ce pro- grès magnifique des siècles , en ajoutant chaque jour aux connaissances du genre humain, ajoute aussi chaque jour à la solidité du christianisme. Tout travaille pour lui. Le physicien, qui arrache à la nature le secret de la lumière, croit ne détrôner que le soleil : il confirme la parole de Dieu , disant au ciel avant tous les astres : Que la lumièi^e soit. Le géologue, en découvrant l'ordre séculaire des
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couches du globe , croit faire mentir la nouveauté de la création : il confirme la lenteur de Dieu dans son œuvre créatrice et cette succession des époques décrites par Moïse. Le voyageur, en fouillant les sables de l'Egypte ou les ruines de Ninive, croit y rencontrer dans le granit survivant des preuves de l'infidélité de la Bible : il en rapporte en lettres et en images une édition authentique de l'histoire qu'elle a consacrée. La vapeur, en s'attelant à nos chars et en rapprochant les hommes, croit les éloi- gner de Dieu : elle prépare le grand règne de la fin, le règne où la conscience prévaudra sur la force, et où ces faux cultes dont nous parlions tout à l'heure, abrités encore contre la vérité par le fer et le feu, verront s'évanouir au contact de l'Évangile les rem- parts sanglants qu'ils lui ont opposés jusqu'ici. Car c'est là l'inévitable résultat où marchent ensemble la théologie et la civilisation, ces deux choses sœurs , nées toutes deux du progrès de la science , de la raison et de la foi, toutes deux invincibles par la victoire de cette parole : Allez et enseignez toutes les nations.
Et cette parole divine, si je ne me trompe, vous la comprenez maintenant tout entière; vous com- prenez pourquoi elle ne pouvait s'accomplir qu'en ajoutant aux apôtres, aux martyrs et aux pasteurs la lignée non moins nécessaire et généreuse des docteurs. Vous comprenez la place que la théologie occupe dans le monde, et peut-être aussi, parles développements où je suis entré sur sa nature, avez-vous vu tomber de votre esprit ce préjugé,
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que le christianisme est l'ennemi de la science et de la raison. Comment, chrétiens, serions-nous enne- mis de la science, lorsque Dieu, qui s'est appelé dans l'Ecriture le Dieu des arme'es, pour montrer que le sort des batailles et des empires dépend de sa volonté, s'est appelé aussi, par la bouche de ses prophètes, le Dieu des sciences : — Deus scientiarum Dominus est (1)? Gomment serions-nous ennemis de la raison, lorsque l'apôtre saint Jean en fait la lu- mière même du Verbe de Dieu qui éclaire tout homme venant en ce monde : — Erat lux vera quœ illuminât omnem hominem venientem in huncmun- dum (2)? La science , la raison, la foi, nous l'avons toujours cru et professé , sont toutes trois des dons de Dieu, les éléments de cette puissance souve- raine que nous appelons la théologie , et qui n'ap- partient qu'à nous. Nous ne pourrions mépriser l'une ou l'autre qu'en brisant dans nos mains le sceptre de la lumière , qu'en nous rejetant nous- mêmes parmi ces cultes dégradés qui, incapables de convaincre l'esprit et de toucher la conscience, n'apportent à leurs sectateurs, au lieu du règne de Dieu , que les débauches de la force , les délires de la volupté , ou l'abrulissement d'une enfance éler- nelle.
Chrétiens, levez la tête, il n'en est pas ainsi : levez la tête, et sur le front des races dont vous faites partie lisez l'intelligence, l'honneur, la 11-
(1) I" liv. des Rois, chap. ii, vers. 3. {2} Saint Jean, chap. i, vers. 9
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bèrté, l'empire, la douceur, la beauté de l'âme dans la beauté de la chair. Donnez -vous à vous- mêmes ce spectacle, le plus grand qui soit sous le ciel, et si vous en cherchez la cause, sachez qu'il n'y en a qu'une, l'accord stable et progressif au milieu de vous de la science, de la raison et de la foi.
J'ai clos ma première pensée, j'entre dans la se- conde.
J'y entre par cette remarque, que la théologie est à la fois une œuvre humaine et une œuvre divine : une œuvre humaine, parce que la science et la rai- son y occupent une place considérable; divine, parce que la foi est son principal élément. D'où il suit que la théologie a ce caractère d'être une créa- tion dans les mains de l'homme, mais une création d'un ordre tout à fait supérieur, et qui exige en celui qui en est l'instrument un rare assemblage des dons de la nature et de la grâce, de l'humain et du divin. Supposez un homme qui ait une science éminente dans une raison peu élevée, ce sera un savant. Imaginez- en un autre qui ait une science médiocre dans une raison exquise et profonde, ce sera un philosophe. Concevez une foi vive et un cœur doué de peu de savoir et d'une intelligence vul- gaire, ce sera un simple chrétien. Allez plus loin, mêlez ensemble deux facultés , une vaste science et une puissante raison, vous aurez plus qu'un savant et plus qu'un philosophe , vous aurez Descartes ou Leibnitz; mais vous n'aurez point encore un grand théologien , parce que la foi , ou du moins une foi
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ardente, aura manqué à cette mixtion. Oui, qu'un homme voie reluire en son esprit comme en un mi- roir étincelant tout Tordre des choses créées , que les sohtudes mystérieuses de l'infini lui apparaissent dans des profondeurs et des clartés qui le ravissent : si sa foi est faible , s'il hésite devant la parole de Dieu, ne comptez pas que cet homme inscrive ja- mais son nom parmi ceux des docteurs que ne as trouverons à la droite du Verbe , et qui , dès cette terre, ont dispensé aux générations le flot sacré de la doctrine qui fait les bienheureux. Je ne sais ce qu'il faut pour mettre au monde une étoile qui éclaire le firmament; mais ce qu'il faut pour mettre au monde un grand théologien, je ne l'ignore pas, vous ne l'ignorez plus vous-mêmes : il faut dans un même esprit une science étendue, une raison su- blime, une foi tranquille et ferme, pour qui la pa- role de Dieu n'ait point de secrets et point de douleurs. A ce prix , vous aurez saint Augustin et l'homme incomparable qui est l'objet de ce dis- cours.
Qu'ils sont rares , mes Frères , les hommes à qui le Ciel a dispensé l'éminence ! Qu'ils sont rares les conquérants devant qui la terre s'est tue comme Alexandre, les législateurs qui ont tiré les peuples du néant comme Moïse, les orateurs qui ont ému la multitude comme Démosthènes , les poètes dont la postérité a retenu les chants comme Orphée! mais combien plus rares ces hommes, mortels comme nous , qui ont entendu la voix de la vérité dans toutes ses sphères, depuis le murmure qu'elle produit dans
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l'alome jusqu'à l'harmonie qu'elle fait tomber des lèvres de Dieu, et qui, paisibles possesseurs de ce concert, l'ont redit à noire oreille avec une puis- sance digne de notre âme, de l'univers et de Dieu lui même!
Tel fut saint Thomas d'Aquin.
n y avait douze siècles écoulés que le Verbe di- vin , que l'auteur de la parole : Allez et enseignez toutes les nations, se suscitait dans son Église des docteurs. Mais, fils du temps non moins que de l'éternité, ces grands esprits ne pouvaient aller plus vite que la vérité elle-même; ils répondaient aux connaissances et aux besoins de leur âge , et si leur foi n'avait point de bornes, leur théologie se res- sentait d'un édifice qui commence, et dont le plan, conçu par Dieu , devait s'exécuter lentement , comme tout ce qui sort de la main de l'homme et de! sa liberté. Les plus illustres, sans songer à la gloire d'une construction totale, s'attachaient aux erreurs' que le vent de leur siècle leur apportait à combattre ; ils laissaient à l'Église des fragments impérissables , mais des fragments, et saint Augustin lui-même, le plus ingénieux et le plus profond des Pères, ne tra- çait qu'à demi dans sa Cité de Dieu le monument doctrinal qu'attendait la chrétienté.
Enfin, après douze siècles de préparation, vint l'heure naturelle où l'homme, de concert avec Dieu, pouvait construire et achever. L'Orient avait éclairci la doctrine par ses hérésies; l'Occident, délivré des restes du vieux monde, jeune, fort, libre, avait grandi dans les robustes initiatives de la guerre et
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I de la foi, el son intelligence hardie se trouvait en
possession du double héritage des siècles antiques
et des siècles nouveaux. Beaucoup eurent en môme
\ temps la pensée d'élever l'édifice sacré; car une fois
! que les choses sont à leur terme, elles enfantent
d'elles-mêmes les hommes qui doivent les servir.
I Mais entre ces concurrents d'une gloire et d'un ser-
i vice incomparables, un homme seul en avait reçu
[ tous les dons : vous savez qui je veux dire, et celte
[ tête vénérée qui nous écoute du fond de sa poudre
I vous le dit encore mieux que moi.
I Sans doute la science de la nature et de l'huma-
I nité n'avait point atteint, au xiii® siècle, le dévelop-
; pement inouï qu'elle a de nos jours. Mais les tra-
! vaux d'Arislote, ressuscites alors et fécondés par la
subtilité pénétrante du moyen âge, ne laissait pas
le génie dépourvu de tous les secrets de l'univers.
Saint Thomas d'Aquin avait puisé à cette double
source, et ce qui lui manquait encore du côté de la
science , il le retrouvait au dedans de lui par la sou-
I veraineté de la plus sublime raison qui fut jamais.
; Aucune expression ne saurait peindre ce coup d'œil
\ dans l'infini , cette domination de la pensée , qui
i s'empara des lois et de leurs causes, et les réduit à
un tissu palpable que l'œil le plus vulgaire saisit et
f entend. Simple comme l'aigle, vaste comme lui, on
! ne le perd jamais de vue dans son vol , si élevé qu'il
\ soit, et ses serres puissantes écartant tous les nuages,
i il demeure immobile dans la lumière et comme se
i transformant en sa substance.
Mais le génie, si grand soit -il, n'est entier que
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par la foi. C'est la foi qui l'emporte au delà de lui-! même, et lui donne dans le Dieu fait homme la plé- nitude de la douceur avec la consécration de la| majesté. Saint Thomas d'Aquin avait reçu dans l'âme, à son berceau même, ce dernier trait de la main qui l'avait prédestiné. Il croyait ardemment! toute la foi, et elle n'avait pour lui, si je dois me servir d'une expression de Bossuet, aucun épouvan- tement. Il avait démêlé les nœuds qui font de ses mystères des mystères d'amour, et la charité , en: le jetant dans l'abîme , l'avait mis à l'aise pour tout. Je peux croire, si j'aime, à un Dieu qui s'est fait homme , parce que c'est un acte d'amour ; je peux croire, si j'aime, à un Dieu qui est mort pour] nous, parce que c'est un acte d'amour; je peux croire, si j'aime, à un Dieu qui a conversé avec mes pères, qui a mangé et bu avec eux, qui a dormi dans leur sein, parce que ce sont des actes| d'amour. Et si un peu d'amour me donne un peu; de foi , je comprends cette foi qui dévorait saint! Thomas d'Aquin, et qui, tombée comme une flamme dans l'immensité de son génie nature, faisait de son cœurune extase, et de son intelligence une révélation. Mais qu'est-ce que je dis? Serait - il vrai que je chercherais à vous peindre ce que fut cet homme et ce que furent ses œuvres. Autant vaudrait que j'eusse la pensée de vous montrer les pyramides en vous disant ce qu'elles avaient de hauteur et de lar- geur. Laissons là ces vains efforts. Si vous voulez voir les pyramides, n'écoutez personne : passez la mer, abordez ce sol où tant de conquérants ont
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laissé la trace de leurs pas, avancez dans les sables de la solitude; voici! voici quelque chose de solen- nel, de grand, de calme, d'immuable, de profondé- ment simple : ce sont les pyramides !
Je n'aurais plus rien à vous dire, mes Frères, s'il ne me restait à vous proposer d'étudier avec moi la genèse de ce grand homme. Tout homme a une ge- nèse, c'est-à-dire en sa vie une certaine succession de faits originels et mystérieux qui ont servi à le former, et qui sont la clef de la Providence à son égard. Pouvons-nous, sur la tombe de saint Thomas d'Aquin, nous livrer aune étude plus instructive, plus pieuse, et qui achève mieux dans notre âme le souvenir que nous lui devons?
Le premier acte par où la préparation divine se montre à son égard est sa naissance même. Il était, par ses ancêtres paternels, neveu de l'empereur Fré- déric Barberousse , cousin de l'empereur Henri VI et de l'empereur Frédéric II; par ses ancêtres ma- ternels, il appartenait à ces chefs normands qui avaient produit les Robert Guiscard, les Tancrède, les Bohémond, noms célèbres, dont les derniers se rattachent dans la mémoire de la postérité à l'épopée 'des Croisades. C'était donc un descendant des deux maisons les plus guerrières du moyen âge, la mai- son de Souabe et la maison normande de Sicile, et jainsi, dans toute la force du terme, un grand sei- '»neur, et même un prince.
Or, je vous l'avoue, parmi bien des choses que (j'ai rencontrées dans l'histoire des hommes fameux , 'aucune peut-être ne m'a plus étonné que ceUe-là,
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que Dieu , ayant voulu donner à son Église le plus splendide et comme le dernier architecte de la vé- rité, ait choisi pour cette œuvre un homme de sang royal. Non pas, mes Frères, vous me rendez justice, que je veuille flétrir cette illustration qui commence avec la vie et la déclarer incapable des grandes choses; ce serait une insinuation peu digne de la gravité de cette chaire, et que l'histoire démentirait à chaque pas. Mais s'il est vrai que les races privi- légiées aient produit en grand nombre des capi- taines, des magistrats, des ministres, il semble évi- dent qu'elles ne peuvent s'attribuer la même gloire dans les lettres et la philosophie, comme si Dieu, dispensateur équitable de ses dons , n'avait pas voulu qu'une seule sorte d'hommes eût en partage toutes les prérogatives de l'humanité. Il a mis dans la main des uns le sceptre de la guerre et du gou- vernement, il a confié aux autres le sceptre plus éclatant peut-être des œuvres de l'esprit. C'est pour- quoi, rencontrant une si mémorable naissance dans le suprême artisan de la théologie, j'y ai vu une exception aux lois ordinaires de la Providence , et j'en ai cherché la cause au dedans de moi.
Si je ne me trompe, cette cause est dans la fm même de la théologie, qui, étant l'accord de toutes nos connaissances et de toutes nos facultés, tend par sa nature à la paix du genre humain, et prépare ce siècle à venir qu'ont vu les prophètes lorsqu'ils disaient : Ils changeront leurs épées en socs de charrue et leurs lances en faux; un peuple ne ti- rera plus le glaive contre un peuple, et Von cessera
— 307 — de s* exercer aux combats (1). La paix, mes Frères, la paix universelle, il vous est permis d'en douter, puisque notre histoire est une histoire de six mille années de guerre; mais, quoi que disent les siècles passés , j'en crois aux prophéties bien plus qu'à l'histoire; j'en crois à Dieu bien plus qu'aux mi- sères de l'humanité, et quand l'Évangile m'assure qu'î7 n'y aura qu'un troupeau et qu'un pasteur (2), et qu'un petit enfant nous mènera tous (3), c'est en vain que vous mettrez la main sur le pommeau de votre épée et que vous étalerez devant moi tous ces champs de bataille où dorment nos ancêtres : je crois à la paix parce que je crois à l'Évangile.
Cela étant de la sorte, je me figure qu'en transfé- rant des hasards de la guerre aux travaux pacifica- teurs de la théologie le sang des Tancrède et des Hohenstaufen , qu'en tirant des fumées de la gloire impériale et militaire le plus grand docteur de son Église, Dieu a voulu prophétiser dans sa personne le règne futur de la paix, et apprendre aux héritiers des hautes familles chrétiennes quelle doit être un jour, quand la terre ne boira plus le sang, la noble occupation qui les maintiendra au rang de leurs aïeux. Il a voulu nous faire entendre qu'une fois l'illustration passera du goût et du maniement des armes aux travaux de la pensée, et déjà, mes Frères, notre génération, si mal assise pourtant,
(1) Isaïe, chap. ii, vers. 4.
(2) Saint Jean, chap. x, vers. 16.
(3) Isaïe, chap. xi, vers. 6.
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voit poindre l'aurore des longs sommeils de l'épée. Nés que nous sommes au milieu des batailles, nous n'en respirons plus le feu, et je ne sais quel senti- ment profond d'humanité, quelle douceur croissante dans nos âmes, et même dans notre sang, nous porte à ne plus appeler de loin les causes de la guerre. Tandis que le poëte romain déplorait la ra- reté de la jeunesse moissonnée pa? les discordes ci- viles, la nôtre croît sans mesure, et celle qui porte le nom des vieux héros de notre histoire, inquiète de ne pas trouver dans le présent les voies du passé, s'afflige, en des loisirs qui lui pèsent, du sort inutile qui la menace. Ah ! si elle voulait m'entendre, je lui dirais au nom de Dieu des secrets de la gloire; je lui dirais que la gloire ici -bas ne s'éteint pas plus que la lumière du ciel , mais qu'elle passe d'un lieu à l'autre, tantôt à l'orient, tantôt à l'occident, et que l'art est de la suivre où elle est. Je lui dirais que l'empire de la force diminue chaque jour dans le monde, mais que l'autorité de l'inteUigence s'y dé- veloppe en proportion, et que ceux qui, au con- traire de la multitude des hommes, ont trouvé dans leur berceau des loisirs tout faits , sont bien cou- pables de ne pas comprendre ce grand don accordé à si peu, le don du temps. Le pauvre n'en est pas comptable à Dieu et à l'humanité; il vit courbé sous le poids du travail qui lui mérite son pain de chaque jour : mais l'homme qui , dans le seul acte de sa naissance, a reçu un demi-siècle prêt à le servir, celui-là méconnaît la Providence s'il se plaint de son sort, et ne sait pas le cultiver. Oui, vous n'avez
j
— 309 — plus la guerre, mais vous avez la paix; vous n'avez plus les arts du sang, mais vous avez ceux de l'es- prit; vous n'avez plus des hommes à tuer, mais vous avez des erreurs à vaincre et le monde à gouverner par l'ascendant de l'intelligence et du dévouement. Qui le fera mieux que vous, si vous le voulez? Les grandes races de l'Angleterre vous en donnent l'exemple; elles ont survécu par l'illustration de la pensée aux ruines des révolutions politiques, et leur main glorieuse, qui tient à la fois le sceptre des mers et des libertés, vous apprend que l'aristocratie ne meurt que quand elle le veut bien. Mais que parlé-je de l'Angleterre pour vous donner des le- çons? Vous avez là devant vous le petit-fils de Bar- berousse, le neveu de Guiscard, le cousin de Tan- crède et de Bohémond ; c'est lui qui vous dit si , quand l'épée est muette, le service cesse et la gloire se tait.
Il était donc né prince. De là, tout d'un coup et par un seul bond, il s'élança jeune encore à l'autre extrémité des choses humaines, il revêtit l'habit de moine mendiant.
Je ne m'en étonne point. Les âmes généreuses franchissent sans peine tous les intervalles , elles aspirent à descendre , comme Ta dit le poëte , non par lassitude , mais par un goût de la véritable élé- vation qui ne se trouve que dans le sacrifice; et d'ailleurs, ici, la solitude et la pauvreté du moine avaient un rapport manifeste avec la prédestination doctrinale du jeune comte d'Aquin. La solitude est Ik demeure naturelle de toutes les pensées; c'est
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elle qui inspire les poêles, qui crée les artistes, qui anime le génie sous toutes ses formes et sous tous ses noms. La muse antique habitait les sommets déserts du Pinde, elle conduisait Homère aveugle le long des rivages nus de l'Ionie; et celle qui chan- tait en Juda les mystères lointains du Christ se plaisait aux grottes sacrées du Carmel. Gomment l'aigle souverain de la science divine n'aurait-il pas entendu leur voix, la voix qui l'appelait hors du monde, dans ces cloîtres silencieux où saint Jérôme l'avait précédé , où saint Augustin avait emporté sa jeunesse toute frémissante encore des délices de Carthage et de Rome? Mais la solitude, quand c'est Dieu qui la fait , a une compagne qui ne se sépare point d'elle : c'est la pauvreté. Être solitaire et pauvre , voilà le secret des héros de l'esprit. Vivre de peu et avec peu de monde , défendre l'in- tégrité de sa conscience par des besoins bornés dans le corps et des satisfactions sans bornes dans l'âme, c'est ainsi que se sont formées toutes les mâles vertus , et que ce qui était dans l'antiquité païenne une rare et noble exception est devenu sous la loi du Christ un exemple donné par les multitudes.
Toutefois l'éclat du sang uni aux inspirations de la solitude et de la pauvreté ne suffisait point encore pour préparer saint Thomas d'Aquin aux destinées que Dieu lui avait faites dans le secret de ses con- seils. C'est une loi, que l'intelligence humaine, et même toute intelligence créée , doit se former par un enseignement reçu avec respect d'une intelli-
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gence supérieure. Nul n'est à lui-même son principe el son initiation : il faut que le feu de la vérité, vivant dans un ancêtre spirituel , touche l'âme qui s'ignore et y allume l'incendie qui ne s'apaisera que dans la dernière leçon de l'éternité. Jusque-là l'in- telligence sera comme endormie, ou , si elle s'éveille par l'action sourde de sa nature, elle n'aura que des lueurs, des pressentiments, tout au plus de lentes et imparfaites coordinations. Dieu a été le premier maître du genre humain; formé sous lui, l'homme a transmis à sa postérité le dépôt de la parole et de la science, et ce dépôt mystérieux, sans cesse accru par le travail des générations , arrive à chacun de nous dans un enseignement qui le résume et élève en quelques jours notre esprit à la hauteur où l'es- prit humain est lui-même parvenu. Là commence en nous le règne de notre personnalité : enfants de la lumière, héritiers des âmes, il nous est permis d'a- jouter à la tradition, sans la détruire, le sable d'or que nos pieds découvriront en foulant les rivages inexplorés du vrai. Et quand Dieu prépare au monde un de ces hommes qui doivent à jamais l'é- clairer, il lui donne par privilège un maître digne de lui, afin qu'il ne soit pas dit que le génie sera né de lui-même, mais qu'il aura été disciple avant d'être I créateur.
I Ainsi fut donné pour maître à saint Thomas d'A- quin un homme inférieur à lui, mais à qui pourtant la postérité a laissé le nom de Grand que ses con- temporains lui avaient décerné. Albert le Grand admit au pied de sa chaire celui qui devait un jour
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surpasser sa gloire , et le pressentiment qu'il en eut n'excita que son admiration et sa reconnaissance pour Dieu.
L'œuvre était achevée. Prince, moine, disciple, saint Thomas d'Aquin pouvait monter sur le trône delà science divine; il y monta en effet, et, depuis six siècles qu'il y est assis, la Providence ne lui a point encore envoyé de successeur ni de rival. Il est demeuré prince comme il était né , solitaire comme il s'était fait, et sa qualité seule de disciple a disparu en lui, parce qu'il est devenu le maître de tous.
Il n'eut pas même besoin de la mort pour s'assu- rer ce titre, et quand vint à s'éteindre sa courte vie, toutes les universités du monde chrétien se dispu- tèrent ses os. On envoya, cent années durant, des prières et des ambassades au Père commun de la chrétienté pour qu'il prononçât entre ces sublimes jalousies qui s'enviaient le corps d'un homme. Dieu, ce semble, s'était résolu d'y pourvoir avec lenteur, comme pour exprimer l'importance qu'il attachait à ce tombeau. Il n'y a personne , mes Frères , pauvre ou riche, qui ne songe à son tombeau, el, ne désire reposer dans une terre aimée , sous la garde de pieux souvenirs. Les anciens eux-mêmes, moins avertis que nous de la grandeur de nos restes, esUmaient un malheur d'être privés d'une sépulture de leur choix; et quand Scipion voulut se venger de son pays par un reproche éternel, il légua ses cendres à lexil, et fit graver sur sa tombe cette amcrc et éloquente parole : Ingrate pairie, tu
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n'auras pas mes os ! Le sang de Jésus-Christ tombé sur nous, et la grâce de l'Esprit- Saint descendue en notre chair pour la ressusciter un jour , ont donné à nos reliques un prix nouveau que l'anti- quité ne connaissait pas. La religion delà mort s'est accrue sur la terre ; elle est devenue une plus grande part de l'espérance et de la piété , et c'a été pour tous une sainte question que celle du tombeau. Il parut d'abord que Dieu n'avait point songé à celui de son grand docteur saint Thomas d'Aquin ; il l'avait laissé mourir sur sa terre natale, il est vrai , proche du château de ses aïeux et de ce doux asile du mont Cassin où il avait passé les premiers jours de sa jeunesse : mais c'était loin des siens, à l'ombre d'un cloître étranger, qu'il avait achevé sa carrière et donné sa dernière leçon. Trahi par une hospitalité trop admiratrice , son corps n'a- vait point été rendu aux supplications de son ordre: il attendait là depuis un siècle les décisions de l'Église et la gloire paisible d'un tombeau selon son cœur.
Ici, mes Frères, mes entrailles s'émeuvent: car ce tombeau si longtemps attendu, ce tombeau envié de tout un siècle, ces restes que se sont disputés des villes fameuses et les nations elles-mêmes, les voici présents! Je les vois, je les touche, j'y applique mes lèvres enivrées du parfum qui s'en échappe , et qui ne s'est point épuisé au feu de ant de vénération ! 0 reliques sacrées dont j'avais aiit désiré l'approche , c'est bien vous , je vous ^econnais à ces voûtes qui tressaillent de m'en-
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tendre vous louer, à ces solennités dont vous êtes l'objet, aux joies et aux certitudes intérieures que vous donnez de vous! Mais comment est-ce toi, Toulouse, qui possèdes ce trésor? Qui t'a choisie? Qu'avais - tu fait ? Je sais ton nom célèbre par l'antiquité et par les lettres : mais d'autres pou- vaient t'égaler, sinon te surpasser, à ces deux titres. Thomas n'était point ton fils ; il n'était pas né dans tes murs, au pied de ces belles collines, d'où ton regard embrasse à la fois la cime des Pyrénées et ces vastes plaines que ton fleuve remplit de ses flots. C'était l'Italie, la mère des hommes et des saints, qui lui avait donné le jour; c'était l'Alle- magne en la vieille cité d'Agrippine, qui avait nourri , son intelligence des premières leçons de l'école ; c'é- tait Paris, qui avait avant tout autre écouté sa voix et l'avait nommé docteur. Bologne aussi, Rome, Naples, Tavaient appelé et admiré. Mais toi, Tou- louse, qu'avais -tu fait? Qu'est-ce que te devait l'aigle et l'ange de la doctrine, pour que sa tombe devînt ton héritage et que ton nom fût éternelle- ment uni au sien dans la mémoire et la bénédiction des siècles? Ah ! il faut que je te le dise, non pour flatter ton orgueil national, mais pour répondre à ton cœur, non pour m'attirer ta reconnaissance, mais pour te témoigner celle que tout flls de saint Dominique et tout frère de saint Thomas te doit à jamais.
Sachez donc, chrétiens, que quand Dieu, toujours occupé du salut des hommes, voit en péril celte grande œuvre qui est tout à la fois celle du temps
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3t celle de l'éternité, il fait deux choses insépara- blement unies, il prédestine un homme et un lieu, un homme qui doit agir, un lieu qui sera le théâtre de son action. Ainsi furent prédestinés Adam et l'Éden, Abraham et la Palestine, Moïse et le Sinaï, David et Sion, saint Pierre et Rome, saint Antoine et la Thébaïde, saint Benoît et le mont Cassin, saint François d'Assise et les montagnes de TOmbrie : hommes et lieux qui se répondent dans les échos de l'histoire et se prêtent par la corrélation de la renommée une mutuelle poésie. Or tels furent saint Dominique et Toulouse au xiii® siècle , lorsque la foi, compromise dans l'Occident par les détestables filtrations des hérésies orientales, vit Dieu venir à son secours dans une éclatante résurrection de la parole apostolique et de son dévouement. L'homme fut saint Dominique, le lieu fut Toulouse. Et il sem- blait par conséquent que l'homme et le lieu dussent se confondre dans la mort comme dans la vie, et que plutôt que de trouver ici les reliques de saint Thomas d'Aquin, qui n'était que le fils, j'eusse dû y rencontrer les restes de saint Dominique, qui était le patriarche. Mais il y eut une raison qui détourna de vous sa tombe. Il vous aimait; il disait, au milieu des persécutions dont il était victime ailleurs, qu'il s'éloignait de vous parce que vous ne le poursuiviez que de marques d'estime et d'affection ; toutefois le souvenir de vos belles contrées n'était pas sans amertume pour lui; la guerre, une guerre juste dans son principe, qui était la défense de l'Église contre l'intolérance, le meurtre et la dévastation,
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mais enfin une guerre terrible avait ensanglanté les! jours qu'il avait passés parmi vous , et il aima; mieux que ses os reposassent dans une terre où son apostolat n'avait pas eu le regret des batailles. Bologne fut choisie par la Providence pour être son, tombeau. Et je pense que, touché cependant de souvenir pour vous , il obtint que vous eussiez à sa; place le corps de son enfant le plus illustre , afinï que ne pérît jamais l'alliance qui s'était formée enire vous et lui, entre son ordre et votre heureuse cité.
De plus , mes Frères , vous aviez alors , vousi eûtes longtemps un autre titre à cette préférence. Une des remarquables créations du génie chrétien au moyen âge fut celle de l'enseignement dans ces écoles où se donnaient rendez-vous toutes les cul- tures de l'esprit , et qui furent magnifiquement appelées du nom d'Universités. Dieu avait créé l'université des choses ; l'Europe , formée par le christianisme , créa l'université des sciences , et entre les villes qui eurent l'honneur de donner asile à ces vastes corps, réunissant autour de Dieu et de ses ouvrages, pour les expliquer, le monde el l'Église, le savoir et la vertu, Toulouse n'eut pasi le dernier nom. Elle brillait, au midi de la France,: comme la lampe allumée des saintes doctrines dgl vrai, du bien et du beau, et ce fut littéralement à: son université que le pape Urbain V envoya et re-j commanda les reliques du docteur des docteurs.; Peut-être quelques-uns de vous s'en étonneront, et l'enthousiasme de ma parole à ce sujet leur paraîlrfiï,
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singulier, tant est loin déjà et perdu dans les ruines ce vieil édifice des lettres et des sciences chré- tiennes; mais, quoi que vous en pensiez, je ne m'en repentirai pas. Si le souvenir de votre université vous laissait insensibles , parce qu'elle n'est plus , j'interpellerais les cendres de vos aïeux pour ré- pondre à mes accents, et, la tempête les eût -elle aussi dispersées, je ne croirais point encore à leur ab- Isence d'au milieu de nous. Les cendres de l'homme 'ne s'en vont point avec le vent; elles reviennent par ia puissance de l'âme au sol qu'elles ont aimé. Et 'ainsi renaissent -elles sous ces dalles en m'enten- iant rappeler l'heure qu'elles ont connue , l'heure ide l'aUiance entre toutes les vérités du ciel et de la terre, quand il n'y avait en Europe qu'une science, qu'une littérature , qu'une âme et qu'un saint Tho- |mas d'Aquin , le plus haut représentant de cette 'unité magnifique, venait dans son corps mort pré- jsider pour toujours aux leçons et à la gloire de votre université.
Je ne dirai plus qu'un mot , qui achèvera de vous iessiller les yeux et de vous faire entendre votre destin.
Elle devait un jour se briser l'unité du christia- nisme et de l'Europe. Un souffle sorti du fond du :loître , et passant sur une génération corrompue , levait rompre en fragments l'œuvre de Rome, de
lovis, de Charlemagne , de la Providence et des saints. Mais il était écrit qu'au centre de la chré- ienté, entre les glaces du Nord et les sables brû- lants des tropiques, trois nations prédestinées, la
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France, l'Espagne, Tltalie, demeureraient fidèles à Dieu , et comme les ancres où le vaisseau de son Église se soutiendrait dans sa masse et sa solidité en attendant le siècle du retour. Une seconde chose était écrite, c'est qu'au centre de ces trois nations, entre les Pyrénées et les Alpes, presque à égale distance de Madrid, de Rome et de Paris, une ville s'élèverait servant de nœud à cette zone sanctifiée du monde, et gardant en dépôt, comme le plus pur et le plus éclatant symbole de la foi , le corps de saint Thomas d'Aquin. La coupole de Saint- Pierre cou- ronne le prince de l'unité; le dôme de Saint- Sernin couronne le prince de l'orthodoxie.
Et maintenant, chrétiens, que nous reste- t-il à faire, à vous et à moi, sinon de nous tourner vers cette tête sublime dont vous avez là l'enveloppe extérieure , cette tête qui en a illuminé tant d'autres, et qui, quoique séparée de l'intelligence qui l'ani- mait , cependant ne cesse pas d'en avoir été l'organe et même le redeviendra un jour, et nous présente ainsi tout ensemble l'immortalité de sa poussière avec l'imaiortalité de sa pensée? Ce front qui est là , je n'ose pas dire nu et vide , la main de saint Thomas s'y est posée à l'heure des graves méditations , lorsqu'il entendait la voix intérieure de Dieu , et la rendait sous des signes fragiles à l'Église étonnée et ravie.
0 Thomas , quand pour la première fois vous apparûtes au monde dans votre berceau , ce fut le siècle de saint Louis qui vint à votre rencontre et qui vous reçut. Aujourd'hui le siècle qui se presse
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autour de vous ne pourrait pas vous dire son nom, car il n'en a point encore. Mélange étonnant d'infor- tune et de gloire, de décadence et de jeunesse, d'ignorance et de lumière, d'égoïsme et de dévoue^ ment, il ne sait quel est le terme où il marche , ni le dessein qui le conduit. Va-t-il, tout chargé de ruiues et incapable de reconstruire, aux gémonies de l'histoire? Ou bien, poussé par une main géné- reuse qui tantôt l'abandonne, tantôt le retient, va- t-il d'expérience en expérience au repos d'une longue virilité? Il ne le sait pas. Mais ce qui me rassure, c'est que je le vois près de vous , et que votre nom , un moment obscurci, lui apparaît de nouveau avec l'auréole du génie dans la sainteté. Ah! ne méprisez pas ses instincts et ses efforts. Ouvrez-lui les mys-^ lères de cette doctrine où , lors même que vous n'avez pas prévu, vous avez encore tout dit, et que, fortifié par elle, ce siècle plein d'espérance et de douleurs puisse, avant de clore sa course, redire au siècle qui le suivra la parole où s'exprime tout le but du christianisme dont vous êtes le premier maître : Gloire au ciel, paix à la terre! Gloire à Dieu, paix, aux hommes!
DISCOURS
DE RÉCEPTION
A L'ACADEMIE FRANÇAISE
PRONONCE
LE 24 JANVIER 18Gt
DISCOURS
DE RÉCEPTION
A L'ACADÉMIE FRANÇAISE
Messieurs ,
J'ai à remercier rAcadémie de deux choses : la première, de m'avoir appelé dans son sein; la se- conde, de m'avoir donné pour successeur à M. de Tocqueville.
M. de Tocqueville est mort jeune. Il n'a pas eu le temps pour complice de sa gloire, et, soit qu'on re- garde en lui l'écrivain, l'orateur ou l'homme d'État, il apparaît, à ne consulter que l'âge et l'œuvre, comme un édifice inachevé. Et cependant, si l'on s'élève pour écouter le bruit de sa mémoire , il monte de lui vers l'âme une voix à qui rien ne manque en éclat, en plénitude, en profondeur, une voix qui a déjà du souffle de la postérité, et qui fait
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à M. de Tocque\ille un de ces noms souverains dont le règne ne doit pas périr. Homme singulier entre tous ceux que nous avons vus , il ne dut sa renom- mée à aucun parti, il n'en servit aucun. Les fautes de son siècle lui furent étrangères. Tout tomba plu- sieurs fois autour de lui sans qu'on put le mêler aux chutes, ou lui faire honneur des victoires; ouvrier actif pourtant , soldat plein de courage, citoyen ar- dent jusqu'au dernier jour , mais qui avait pris dans le combat une place d'où il voyait plus de choses, et où la passion du bien et du juste le couvrait d'un in- vulnérable bouclier.
Si je regarde mes contemporains, je dirai de l'un qu'il fut l'ami constant et généreux de la monarchie , une âme antique par la fidélité , se contentant d'elle- même contre les flots du malheur et de l'opinion. Je dirai de l'autre qu'il aimait le droit des peuples à se gouverner par eux-mêmes, et qu'on l'eût pris pour un Gracque transformant l'univers en une se- conde Rome et appelant tout le genre humain au droit de cité. Je dirai de celui-là que, dévoué sur- tout à la liberté de la pensée, de la parole et de la conscience, il avait vu dans la tribune d'un parle- ment le dernier terme de la grandeur humaine et de la félicité des nations. Je dirai de tous, enfin , qu'ils servirent une cause victorieuse ou vaincue , aidée ^ des sympathies générales ou \'ictime des aversions populaires, quelques-uns supérieurs à leur parti, et pourtant hommes de leur parti ; et , même en ad- mirant leur génie , leur sincérité , leur foi , leur part dans la défaite ou dans le succès, je me réserverai
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de croire que leur vue s'élail trop bornée à 1 horizan d-e leur temps et n'en avait pas connu tout le mystère ni presscnli tout le péril. Seul peut-être entre tous, M. de Tocqueville échappa à ces limites où s'arrêtent ses contemporains, et c'est vainement que l'esprit voudrait lui créer parmi eux une place semblable à la leur.
Dirai-je qu'il fut un serviteur des vieilles monar- chies de l'Europe, et que l'hérédité inaliénable du pouvoir était pour lui une affaire de cœur en même temps qu'un dogme de raison? Je ne le pourrais. L'antiquité sans doute, la tradition, les ancêtres, la majesté des siècles, tout cela lui était grand et vénérable, et il n'insulta jamais aux trônes tombés, si méritée que lui semblât leur chute. Il s'en attris- tait plutôt comme d'un naufrage où disparaissait quelque chose de saint, comme d'une ruine où il li- sait avec regret la caducité de l'homme et de ses œuvres. C'était une âme à qui la destrucliun pesait , et il ne vit jamais rien périr de ce qui avait été sé- culaire et glorieux sans l'honorer en lui-même d'un soupir éloquent. Mais , cette dette payée à sa géné- reuse nature, il regardait le droit et l'avenir d'un œil ferme; il cherchait dans ce qui était vivant le successeur de ce qui était mort, et l'illusion d'une immutabilité chevaleresque ne pouvait lui cacher le devoir de semer dans le sillon qui restait ouvert. 11 eut aimé les serments qui ne s'oublient jamais; il aimait mieux l'action qui espère toujours , ne sauvàt- . elle qu'une fois.
Dirai-je qu'il appartenait tout entier à celte opi-
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nion libérale du xviu^ siècle , grandie dans les pre- miers enivrements de nos assemblées nationales, éteinte ou plutôt endormie au souffle oppresseur de nos immortelles victoires, et qui, réveillée tout à coup à la parole d'un roi revenu de Texil , remplit la i France d'une lutte où tous les dévouements eurent l! leur vie , tous les talents leur liberté , tous les partis «! leurs jours de grandeur , et tous aussi leurs jours d'expiation? Je ne le pourrais pas davantage; car il y avait dans cette opinion, si populaire qu'elle fût, des côtés faibles trop visibles à l'œil pénétrant de j M. de Tocqueville ; et même des côtés injustes qui ' affligeaient sa droiture en elïrayant sa perspicacité. A cause de son origine même au sein d'un âge scep- tique, l'opinion libérale avait conservé une incli- nation de jeunesse contraire aux idées et aux choses religieuses; or rien n'était moins sympathique à M. de Tocqueville que ce peu de goût à l'endroit de ce qui s'approche de Dieu. Quand Montesquieu, devenu homme, avait voulu traiter, pour l'instruc- tion de son siècle, des lois civiles et politiques, il avait tout à coup , par le seul efîet de son applica- tion d'esprit aux fondements et aux besoins de la société humaine, brisé les Uens qui le rattachaient à son temps, et de cette même plume qui s'était jouée autrefois dans les Lettres persanes il avait écrit ce vingt-quatrième livre de son Esprit des lois, la plus belle apologie du christianisme au xviii'' siècle, et le plus haut témoignage de ce que peut la vé- rité sur une grande âme qui a mis sincèrement sa pensée au service des hommes. Plus heureux que
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Montesquieu, M. de ïocquevillc n'avait point eu à regretter de Lettres persanes; son mâle espri n'avait pas connu les défaillances du scepticisme , et, s'il y avait eu dans sa foi des jours d'interstice, il n'y avait jamais eu dans son cœur une impiété, ni sur ses lèvres un blasphème. Il aimait Dieu na- turellement, ne Teût-il pas aimé chrétiennement; il l'aimait en homme de génie, qui se sent porté vers le père des esprits comme vers sa source. Et lorsque, plus mûr et plus fort, il se fut pris à juger son époque, il avait ressenti une douleur de rencontrer la cause libérale si loin du Dieu qui a fait l'homme libre. Il ne comprenait pas que la li- berté de conscience pût être une arme contre le christianisme, et que l'Évangile fût persécuté ou enchaîné par le sentiment qui délivrait Mahomet. Il ne comprenait pas non plus qu'il y eût rien de solide sans un fondement religieux, et, en voyant la hberté séparer son nom d'un nom plus haut encore que le sien, il craignait qu'un jour elle ne fût durement ; avertie d'avoir trop compté sur elle-même et trop peu sur le secours de Téternité.
Par un autre point, l'opinion libérale blessait en- core M. de Tocqueville. Il lui semblait qu'elle s'a- dressait trop à une seule classe d'hommes, à cette classe riche d'esprit, d'industrie et de fortune, qui avait conquis le pouvoir en l'arrachant à la noblesse et au clergé, au trône lui-même, et qui, héritière unique de tant de grandeurs , oubliait trop peut- être qu'il restait au-dessous d'elle un immense i peuple, affranchi de bien des maux, il est vrai,
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mais souffrant encore pourtant dans les besoins de son âme et dans ceux de son corps. N'y avait -il plus rien à faire pour ce peuple? Lui sufiisait-il de n'être plus ni esclave ni serf, gouverné, j'en con- viens, par des lois égales pour tous, mais privé de droits politiques, serviteur plutôt que concitoyen, déchaîné plutôt que libre? Pouvait- on croire qu'il y eût entre lui et la classe régnante une sympathie véritable? et la division profonde qui mettait autre- fois un abîme entre la noblesse de naissance et tout le reste du pays, n'existait-elle pas , sous une autre forme , entre le nouveau peuple et ses nouveaux maîtres? L'unité morale de la France était- elle réellement fondée? M. de Tocqueville ne pouvait bannir de son esprit ces graves préoccupations. 11 ne voyait pas dans le triomphe éclatant de la bourgeoisie française le dernier mot de l'avenir, ou du moins il regardait au-dessous d'elle avec inquiétude , et dans les rangs pressés de la foule il interrogeait avec anxiété sa conscience et celle de tous.
Quoi donc! dirons -nous qu'il avait donné son âme au flot montant de la démocratie, et que là , au sein des ébranlements populaires , lui , fils d'une noble maison, intelligence plus haute encore que sa race , il avait descendu tous les degrés du monde pour chercher le plus proche possible de la terre le berceau sacré des destinées futures? Est-ce là que: vivait M. de Tocqueville, là qu'étaient ses espé-- rances et son cœur? Le peuple était-il pour lui le; souverain naturel de l'humanité, le plus parfait lé-
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gislateur, le meilleur magistrat, l'honnête homme par excellence, le maître et le père le plus humain, capitaine dans les combats, conseiller dans les bons et mauvais jours, la tête enfin de ce grand corps qui roule autour de Dieu depuis tant de siècles en cher- chant et faisant son sort comme il le peut? Le croi- rai-je et le dirai-je? Certainement M. de Tocque- ville, comme tout vrai chrétien, aimait le peuple; il respectait en lui la présence de l'homme, et dans l'homme la présence de Dieu. Nul ne fut plus cher à ce qui l'entourait, serviteurs, colons, ouvriers, paysans, pauvres ou malheureux de tout nom. A le voir sur ses terres, au sortir de ce cabinet labo- rieux où il gagnait le pain quotidien de sa gloire , on l'eût pris pour un patriarche des temps de la Bible, alors que l'idée de la première et unique fa- mille était vivante encore, et que les distinctions de la société n'étaient autres que celles de la nature, toutes se réduisant à la beauté de l'âge et de la pa- ternité. M. de Tocqueville pratiquait à la lettre, dans ses domaines, la parole de l'Évangile : Que celui de vous qui veut être le premier soit le servi- teur de tous. Il servait par l'affable et généreuse communication de lui-même à tout ce qui était au- dessous de lui, par la simplicité de ses mœurs qui n'offensait la médiocrité de personne, par le charme vrai d'un caractère qui ne manquait pas de fierté, mais qui savait descendre sans qu'il le remarquât lui même, tant il lui était naturel d'être homme en- vers les hommes, a Le peuple aime beaucoup M. de Tocqueville, disait un homme du peuple à un étran-
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Cet amour, si singulièrement exprimé, eut enfm l'occasion de se produire. Lorsque 1848 inaugura le suffrage universel et direct, M. de Tocqueville obtint, dans son canton, le suffrage unanime des électeurs , et il entra dans l'Assemblée constituante par la porte sans tache de la plus évidente et de la plus légitime popularité. Il ne la devait ni à Texcès des doctrines, ni aux efforts d'un parti puissant, ni à l'ascendant d'une grande fortune; il la devait à ses vertus. Heureux le citoyen qui est élu ainsi au milieu des discordes civiles! Plus heureux le peuple qui reconnaît et élit de tels citoyens sans se tromper d'une seule voix ! Mais oublierai-je un trait de cette élection? Le jour où elle se fit, M. de Tocqueville s'était rendu à pied au chef-lieu de son canton avec le curé , le maire et tous les électeurs de sa com- mune; accablé de fatigue, il se tenait appuyé contre un des piliers de la halle où le scrutin était ouvert; un paysan , qu'il ne connaissait pas , s'approcha de lui avec une familiarité cordiale et lui dit : « Cela m'étonne bien , monsieur de Tocqueville , que vous soyez fatigué, car nous vous, avons tous porté dans notre poche. »
M. de Tocqueville aimait donc le peuple et il en était aimé. Mais des rois ont eu le même sort, l'on n'en peut rien conclure à l'égard des doctrines du publicistô. Quelles étaient-elles?
Tout jeune encore, entre vingt-cinq et trente ans, et lorsque déjà la révolution de 1830 avait ébranlé
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en France les bases du ^gouvernement monarchique et parlementaire , M. de Tocqueville avait obtenu la mission d'aller étudier aux États-Unis d'Amérique les systèmes pénitentiaires qu'on y avait inaugurés. Mais cette mission, utile et bornée, cachait un piège de la Providence. Il était impossible que M. de Toc- queville touchât la terre d'Amérique sans être frappé de ce monde nouveau , si différent de celui où il était né. Partout ailleurs, dans l'ancien monde, qu'il eût visité l'Angleterre, la Russie, la Chine ou le Japon, il eût rencontré ce qu'il connaissait déjà, des peuples gouvernés. Pour la première fois un peuple se montrait à lui, florissant, paciflque, in- dustrieux, riche, puissant, respecté au dehors, épanchant chaque jour dans de vastes solitudes le flot tranquille de sa population, et cependant n'ayant d'autre maître que lui, ne subissant aucune dis- tinction de naissance , élisant ses magistrats à tous les degrés de la hiérarchie civile et politique, libre comme l'Indien, civilisé comme l'homme d'Europe , religieux sans donner à aucun culte ni l'exclusion ni la prépondérance , et présentant enfin au monde étonné le drame vivant de la liberté la plus absolue dans l'égalité la plus entière. M. de Tocqueville avait bien entendu dans sa patrie ces deux mots : liberté, égalité; il avait môme vu des révolutions accomplies pour en établir le règne ; mais ce règne sincère , ce règne assis , ce règne qui vit de soi-même sans le secours de personne , parce que c'est la chose de tous, il ne l'avait encore rencontré nulle part, pas même chez ces peuples de l'antiquité qui avaient
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an forum, et des lois publiquement délibérées, mais do,nt le bienfait n'appartenait qu'à de rares citoyens dans les murs étroits d'une ville. Société sans exem- ple, fondée par des proscrits et émancipée par des colons, les États-Unis d'Amérique avaient réalisé sur un immense territoire ce que n'avaient pu faire Athènes ni Rome, et ce que l'Europe semblait cher- cher en vain dans die laborieuses et sanglantes révo- lutions. Quelle en était la cause? quels les ressorts? Était-ce un accident éphémère, ou la révélation des siècles à venir?
M. de Tocqueville étudia ces questions en sage jeune encore, mais éclairé par l'indépendance d'un esprit qui ne cherchait que le bien et la vérité. Il n'admira point l'Amérique sans restriction ; il ne crut pas toutes ses lois applicables à tous les peuples; il sut distinguer les formes variables des gouvernements du fonds sacré qui appartient au genre humain. Il s'éleva au-dessus même de son admiration pour dire à l'Amérique les périls qui la menacent, pour flétrir l'esclavage, ce fléau inhu- main et impie, auquel quinze États sont prêts à sa- crifier la gloire et l'existence même de leur patrie; et, enfin, de cette vue impartiale et profonde, où il avait évité tout ensemble l'adulation, le paradoxe et l'utopie, il ramena sur l'Europe un regard mûri, mais ému, qui le remplit, selon sa propre expres- sion , d'une sorte de terreur religieuse. Il crut voir que l'Europe, et la France en particulier, s'avançait à grands pas vers l'égalité absolue des conditions, et que l'Amérique était la prophétie et comme l'a-
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vont- garde de l'état futur des nations chrétiennes. Je dis des nations chrétiennes, car il rattachait à l'Évangile ce mouvement progressif du genre hu- main vers l'égalité ; il pensait que l'égalité devant Dieu, proclamée par l'Évangile, était le principe d'où était descendue l'égalité devant la loi, et que l'une et l'autre, l'égalité divine et l'égaUté civile, avaient ouvert devant les âmes l'horizon indéfini où disparaissent toutes les distinctions arbitraires, pour ne laisser debout, au milieu des hommes, que la gloire laborieuse du mérite personnel. Mais , mal- gré cette origine sacrée qu'il attribuait à l'égalité, malgré le spectacle étonnant dont il avait joui par elle en Amérique , malgré sa conviction que c'était là un fait universel, irrésistible et voulu de Dieu, il n'envisageait qu'avec une sainte épouvante l'a- venir que préparait au monde un si grand chan- gement dans les rapports sociaux. Il avait vu chez les Américains l'égalité agir naturellement comme une vertu héréditaire : il la retrouvait trop sou- vent en Europe sous la forme d'une passion, pas- sion envieuse, ennemie de la supériorité en au- trui, mais la convoitant pour soi, mélange d'orgueil et d'hypocrisie, capable de se donner à tout prix le spectacle de l'abaissement universel, et de se faire de l'humiliation même un Capitole et un Pan- théon. Il avait vu l'ordre naître en Amérique d'une égalité acceptée de tous, entrée dans les mœurs comme dans les lois, vraie, sincère, cordiale, rap- prochant lous les citoyens dans les mêmes devoirs et les mêmes droits ; il la retrouvait en Europe in-
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quiète , menaçante , impie , s'attaquant à Dieu même , et sa victoire, inévitable pourtant, lui causait tout ensemble le vertige de la crainte et le calme de la certitude.
Je remarque une autre vue qui l'accablait plus que toutes les autres , et qui jusqu'à son dernier jour fut l'objet de ses poignantes préoccupations.
Aux États-Unis, l'égalité n'est pas seule; elle s'allie constamment à la liberté civile, politique et religieuse la plus complète. Ces deux sentiments sont inséparables dans le cœur de l'Américain, et il ne conçoit pas plus l'égalité sans la liberté que la liberté sans l'égalité. Mais , quand on vient à consi- dérer les choses dans l'histoire et proche de nous, on s'aperçoit que la démocratie, lorsqu'elle n'est plus contenue que par elle-même, tombe aisément dans un excès qui est sa corruption , et qui appelle , pour la sauver, le contre- poids d'un despotisme à qui tout est permis, parce qu'il fait tout au nom du peuple , idole où la multitude se recherche encore et croit retrouver tout ce qu'elle a perdu. Or M. de Tocqueville voyait en France et en Europe la démo- cratie, toute jeune encore, pencher déjà vers sa dé- cadence et revêtir ce caractère sans frein qui ne lui laisse plus d'autre remède que de subir un maître tout-puissant. Il pressentait que la démagogie por- terait à la liberté naissante un coup mortel, et que, chez les nations chrétiennes plus encore que dans l'antiquité, la licence armerait le pouvoir au nom de la sécurité commune , mais au préjudice de la liberté de tous.
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Ce pressentiment , que nul n'éprouvait alors , M. de Tocqueville l'eut et l'avoua. Dès 1835, à la première apparition de son livre sur la Démocratie en Améinqiie, il annonça que la liberté courait en France et en Europe des périls imminents. Il dé- clara que l'esprit d'égalité l'emportait chez nous sur l'esprit de liberté, et que cette disposition, jointe à d'autres causes, nous menaçait de défaillances et dje catastrophes qui étonneraient le siècle présent. Ce siècle ne le crut pas. Il marchait plein de confiance en lui - même , sûr de son triomphe , dédaignant les conseils autant que les prophéties , convaincu comme Pompée, l'avant -veille de Pharsale , qu'il n'aurait qu'à frapper du pied pour donner à Rome, au sénat , à la république , d'invincibles légions. Mais M. de Tocqueville ne devait pas mourir sans avoir vu ses prévisions justifiées, ni sans avoir pré- paré à son temps des leçons dignes de ses naalheurs. « Instruire la démocratie, écrivait -il, ranimer, a s'il se peut, ses croyances, purifier ses mœurs, a régler ses mouvements , substituer peu à peu la « science des affaires à son inexpérience, la con- « naissance de ses vrais intérêts à ses aveugles « instincts; adapter son gouvernement aux temps « et aux lieux; le modifier suivant les circon- « stances et les hommes : tel est le premier des de- « voirs imposés de nos jours à ceux qui dirigent la « société. 11 faut une science politique nouvelle à un « monde lout nouveau (1). »
(1) De la Démocralie en Amérique, inlroduclion.
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Cette science nouvelle, M. de Tocqueville croyait l'avoir découverte dans les institutions, l'histoire et les mœurs du premier peuple qui eût vécu sous une parfaite démocratie. Incapable de voir en simple spectateur un si grand phénomène , il avait voulu en pénétrer les causes, en connaître les lois, et, certain d'instruire sa patrie, peut-être même l'Eu- rope, il avait écrit de l'Amérique avec la sagacité d'un philosophe et l'âme d'un citoyen. Son livre fut illustre en un instant, comme l'éclair. Traduit dans toutes les langues civilisées, on eût dit que le genre humain l'attendait, et cependant, de ce côté de l'At- lantique, il ne répondait à aucune passion, à aucun parti, à aucune école, à aucun peuple. Il venait seul avec le génie de l'écrivain , la pureté de son cœur et la volonté de Dieu. Il apportait à tous les esprits sensés , au milieu du chaos des doctrines et des événements, une lumière qu'on pouvait ne pas goûter, mais qui différait de tout, une lumière qui tenait de l'avenir sans accabler le présent. Rien de pareil ne s'était vu depuis le jour où Montesquieu avait publié son Esprit des lois, livre sans modèle aussi , supérieur à son siècle par la religion et la gravité , et qui , malgré sa nature si profondément sérieuse, eut l'art de séduire et de- meure encore populaire aujourd'hui qu'il est trop peu lu.
Votre voix, Messieurs, s'unit aux suffrages des deux hémisphères. Vous n'attendîtes pas que l'âge eût mûri la gloire du jeune publiciste, et vous le fîtes asseoir près de vous , sur ce siège où nous l'a
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enlevé une mort aussi prématurée que l'avait été son illustration. Mais je me reproche d'aller moi- même trop vite et d'ouvrir un tombeau quand je ne suis encore qu'au seuil d'une immortalité.
11 y avait dans l'ouvrage de M. de Tocqueville plus d'un genre d'attrait. L'Amérique était mal connue; aucun esprit supérieur ne l'avait encore étudiée. Les uns n'y voyaient de loin qu'une déma- ' gogie grossière et importune; les autres y applau- dissaient d'avance le succès de leurs utopies person- nelles. M. de Tocqueville mit la vérité à la place de la fable, et sa plume sévère répandit sur un tableau tout neuf le charme infini de la sincère clarté. Mœurs, histoire, législation, caractère des hommes et du pays, causes et conséquences, tout prit sous son burin la puissance de l'investigateur qui dé- couvre et de l'écrivain qui grave pour les absents ses propres visions. Mais ce qui frappe et entraîne surtout, c'est le souffle môme du livre, une ardeur généreuse qui meut l'auteur et fait sentir en lui l'homme préoccupé du sort de ses semblables dans le temps et dans l'avenir. Il remue parce qu'il est remué, et son austérité même ajoute à l'émotion par l'éloquence du contraste. Tandis que Montesquieu met de l'art dans son esprit tout en croyant à une cause et en voulant la servir, M. de Tocqueville s'a- bandonne au cours irrésistible de ses tristes pres- sentiments. Il voit la vérité et il la craint, il la craint et il la dit, soutenu par cette pensée qu'il y a un re- mède, qu'il le connaît, et que peut êlre ses contem- porains et la postérité le recevront de lui. Tantôt
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l'espérance prend le pas sur l'inquiétude , tantôt rinquiétude assombrit l'espérance, et de ce conflit qui passe sans cesse de l'auteur au livre et du livre au lecteur, jaillit un intérêt qui attache, élève et émeut.
Mais quel est donc ce remède où M. de Tocque- ville tranquillisait sa pensée, et d'où il attendait le salut des générations? Ce n'était pas, vous le pen- sez bien, dans l'imitation puérile des institutions américaines qu'il le trouvait, mais dans l'esprit qui anime ce peuple et qui a fondé ses lois. Car c'est l'esprit qui fait la vie des institutions , comme c'est l'âme qui fait la vie des corps. Or l'esprit américain, tel qu'il apparaissait à M. de Tocqueville, se résume dans les qualités ou plutôt dans les vertus que je vais dire :
L'esprit américain est religieux ;
11 a le respect inné de la loi ;
Il estime la liberté aussi chèrement que l'égalité;
11 place dans la liberté civile le fondement premier de la liberté politique.
C'est juste le contre-pied de l'esprit qui entraîne plutôt qu'il ne guide une grande partie de la démo- cratie européenne. Tandis que l'Américain croit à son âme, à Dieu qui l'a faite, à Jésus- Christ qui l'a sauvée, à l'Évangile qui est le livre commun de l'âme et de Dieu, le démocrate européen, sauf de nobles exceptions, ne croit qu'à l'humanité, et en- core à une humanité fictive qu'il a créée dans un rêve. Ce rêve est à la fois son âme, son Dieu , son Christ, son Évangile, et il ne pense à aucune autre
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religion, si ancienne et si invétérée soit -elle, que pour la persécuter et l'anéantir, s'il le peut. L'Amé- ricain a eu des pères qui portaient la foi jusqu'à l'intolérance ; il a oublié leur intolérance et n'a gardé que leur foi. Le démocrate européen a eu des pères qui n'avaient point de foi, mais qui prêchaient la tolérance; il a oublié leur tolérance et ne s'est sou- venu que de leur incrédulité. L'Américain ne com- prend pas un homme sans une religion intime, et un citoyen sans une religion publique. Le démocrate européen ne comprend pas un homme qui prie dans son cœur et encore moins un citoyen qui prie en face du peuple.
Le même différence se retrouve en ce qui con- cerne la loi. L'Américain , qui respecte la loi de Dieu, respecte aussi la loi de l'homme, et, s'il la croit injuste, il se réserve d'en obtenir un jour l'a- brogation, non parla violence, mais en se faisant une arme pacifique et sûre de tous les moyens de persuasion que l'homme porte avec lui dans son in- telligence, et des moyens plus puissants encore qu'il peut tenir d'un dévouement éprouvé à la cause de la justice. Pour le démocrate européen, et je le dis toujours avec les exceptions nécessaires, la loi n'est qu'un arrêt rendu par la force et que la force a le droit de renverser. Fût-ce tout un peuple qui lui eût donné son assentiment et sa sanction, il pro- fesse qu'une minorité, ou même un seul homme, a le droit de lui opposer la protestation du glaive et de déchirer dans le sang un papier qui n'a d'autre valeur que l'impuissance où l'on est de le remplacer
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])ar un autre. Il proclame hardiment la souverai- neté du but, c'est-à-dire la légitimité absolue et supérieure à tout, même au peuple, de ce que chacun estime au dedans de soi être la cause du peuple.
L'Américain, venu d'une terre où l'aristocratie de naissance eut toujours une part considérable dans les affaires publiques, a rejeté de ses institu- tions la noblesse héréditaire et réservé au mérite personnel l'honneur de gouverner. Mais, tout en étant passionné pour l'égalité des conditions, soit qu'il la considère au point de vue de Dieu, soit qu'il la juge au point de vue de l'homme, il n'estime pas la liberté d'un moindre prix, et, si l'occasion se présentait de choisir entre l'une et l'autre, il ferait comme la mère du jugement de Salomon , il dirait à Dieu et au monde : Ne les séparez pas ; car leur vie n'en fait qu'une dans mon âme, et je mourrai le jour où l'une mourra. Le démocrate européen ne l'en- tend pas ainsi. A ses yeux, l'égalité est la grande et suprême loi, celle qui prévaut sur toutes les autres et à quoi tout doit être sacrifié. L'égalité dans la servitude lui paraît préférable à une liberté sou- tenue par la hiérarchie des. rangs. Il aime mieux Tibère commandant à une multitude qui n'a plus de droits et plus de nom, que le peuple romain gou- verné par un patriciat séculaire et recevant de lui l'impulsion qui le fait libre avec le frein qui le rend fort.
L'Américain ne laisse rien de lui-même à la merci d'un pouvoir arbitraire. 11 entend qu'à commencer
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par son âme, tout soit libre de ce qui lui appartient et de ce qui l'entoure : famille, commune, province, association pour les lettres ou pour les sciences , pour le culte de son Dieu ou le bien-être de son corps. Le démocrate européen, idolâtre de ce qu'il appelle l'État, prend Thomme dès son berceau pour l'offrir en holocauste à la toute -puissance publique. Il professe que l'enfant, avant d'être la chose de la famille , est la chose de la cité , et que la cité , c'est- à-dire le peuple représenté par ceux qui le gouver- nent, a le droit de former son intelligence sur un modèle uniforme et légal. 11 professe que la com- mune, la province et toute association, même la plus indifférente, dépendent de l'État, et ne peu- vent ni agir, ni parler, ni vendre, ni acheter, ni exister enfin sans l'intervention de l'État et dans la mesure déterminée par lui, faisant ainsi de la servi- tude civile la plus absolue le vestibule et le fonde- ment de la liberté politique. L'Américain ne donne à l'unité de la patrie que juste ce qu'il lui faut pour être un corps; le démocrate européen opprime tout l'homme pour lui créer, sous le nom de pairie, une étroite prison.
Si enfin, Messieurs, nous comparons les résul- I tats , la démocratie américaine a fondé un grand peuple, religieux, puissant, respecté, libre enfin, quoique non pas sans épreuves et sans périls ; la dé- mocratie européenne a brisé les nœuds du présent avec le passé, enseveli des abus dans des ruines, édifié çà et là une liberté précaire, agité le monde par des événements bien plus qu'elle ne l'a renou-
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vêlé par des institutions , et , maîtresse incontes- table de l'avenir, elle nous prépare, si elle n'est en- fin instruite et réglée , l'épouvantable alternative d'une démagogie sans fond ou d'un despotisme sans frein.
C'est la certitude de cette alternative qui troublait incessamment l'âme patriotique de M. de Tocque- i ville, qui a présidé à tous ses travaux et lui a mérité la gloire sans tache où il a vécu et où il est mort. Aucun homme de notre temps ne fut à la fois plus sincère, plus logique, plus généreux, plus ferme et plus alarmé. Au fond, ce qu'il aimait par- dessus tout, sa véritable et seule idole, hélas! puis-je le dire? ce n'était pas l'Amérique, c'était la France et sa liberté. Il aimait la liberté en la regardant en lui-même, au foyer de sa conscience, comme le principe premier de l'être moral et la source d'où jaillit, à l'aide du combat, toute force et toute vertu. Il l'aimait dans l'histoire , présidant aux destinées des plus grands peuples, formant tous les hommes qui ont laissé d'eux dans la mémoire du monde une trace qui l'éclairé et le soutient. Il l'aimait dans le christianisme, aux prises avec la toute -puissance d'un empire dégénéré, inspirant l'âme des martyrs et sauvant par eux , non plus la vérité des sages , mais la vérité divine elle-même, non plus la dignité du genre humain, mais la dignité du Christ, Fils de Dieu. Il l'aimait dans les souvenirs de la patrie, dans ces longues générations où la liberté avait fait l'honneur, où l'honneur avait fait le premier bien de la vie, et où la vie se donnait pour sauver l'hon-
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neur, pour prouver l'amour, pour défendre la foi , pour mourir enfin digne de soi-même et digne de Dieu. Il l'aimait dans son propre sang, où il avait puisé, avec la tradition de ses aïeux, la fierté d'une obéissance qui n'avait jamais été vile, et la gloire d'un nom qui avait toujours été pur. Il l'aimait enfin par une autre vue, par la vue des peuples déchus, des mœurs perverties, des bassesses cou- ronnées, des talents avilis, des cœurs sans cou- rage; et, remarquant que toutes ces hontes dont l'histoire déborde correspondaient aux âges et aux leçons de la servitude, il se prenait pour la liberté d'un second amour plus fort que le premier, de cet amour où l'indignation s'allume et se fait le serment d'une haine et d'un combat immortels.
Ce serment vivait dans l'âme de M. de Tocque- ville. Il inspira toutes ses pensées, il commanda toutes ses actions.
Je devrais ici , Messieurs , vous entretenir des douze années de sa carrière législative. Mais sur cette lave encore brûlante je ne rencontrerais plus seulement des idées et des vertus , je rencontre- rais les hommes et les événements. Puis -je les aborder? Du haut de ce banc où il avait été appelé dès 1839, et d'où il descendit aux derniers jours de 1831, il vit tomber la monarchie parlementaire, apparaître la république et se fonder un empire, chutes et avénemeats qu'il avait prévus et qui ame- nèrent sa retraite, mais non pas son silence et son découragement. Il aimait la monarchie parlemen- taire, et il eût voulu la sauver. Née en 1814 des Ion-
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La république, néanmoins, l'admit dans ses con- seils, d'abord comme député, puis comme ministre des affaires étrangères. Il apporta, dans cette nou- velle phase de son existence politique , un esprit sans illusions ; car il ne croyait pas que la France , qui avait méconnu les conditions de la liberté sous deux monarchies, fût capable de la servir, ou même
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de la sauver, sous une république. Le nom était nouveau, la situation était la même. Aucun progrès ne s'était accompli dans la sphère générale des in- telligences , sauf un petit nombre d'hommes émi- nents à qui la grandeur du péril avait révélé la gran- deur des fautes, et qui s'unirent pour donner au pays la première liberté civile dont il eût joui jusque-là , la liberté de l'enseignement. Ce fut un éclair sublime dans une nuit orageuse.
11 y en eut un autre.
Le rénovateur de la liberté de l'Italie, le prince qui , dès son avènement au trône , avait promis vo- lontairement à son peuple des institutions géné- reuses, et mérité de l'Europe entière un applaudis- sement qui retentira jusqu'à la dernière postériîé, le pape Pie IX, avait été chassé de la capitale du christianisme , après y avoir vu son ministre égorgé sur les marches de la première assemblée législative que Rome eût eue depuis le sénat romain. Une in- gratitude sacrilège avait récompensé les dons du père commun des âmes, et, trahi, fugitif, il avait tourné vers Dieu ces regards du malheur et du droit qui n'émeuvent pas toujours les hommes , mais qui ne laissent jamais insensible que pour un moment très-court Celui qui, en créant le monde, lui a pro- mis une première justice dans le temps, et une se- conde dans l'éternité. Cette fois , comme bien d'au- tres, la justice du temps fut remise à l'épée de la France, et l'on vit nos bataillons ramènera Rome, sous le drapeau de la république, le prêtre cou- ronné autrefois par Charlemagne et consacré sur
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son trône par le respect dix fois séculaire des gé- nérations. C'était un prêtre, il est vrai, un vieil- lard faible et désarmé; mais sous ses cheveux blan- chis, sous sa toge inconnue des consuls dont il tenait la place, il portait non plus l'orgueil d'un peuple maître du monde, mais l'humilité souve- raine de la croix , et avec elle la paix et la liberté de l'univers. On pouvait opposer à sa couronne des raisonnements et des armées : la France opposa aux raisonnements l'instinct infaillible de son gé- nie politique et chrétien , et aux armées d'une dé- mocratie trompeuse elle opposa ce don de vaincre qui lui fut accordé par Dieu le jour même où Clovis, son premier roi, courba la tête devant la vérité.
La liberté de l'enseignement, la restauration du souverain pontife sur son trône terrestre, ce furent là les œuvres héroïques de la seconde république française, et, en lisant ces deux décrets, on eût pu la croire fondée. M. de Tocqueville prit part, comme ministre, à ce double acte de sagesse et de force, et sans doute aujourd'hui, dans son tombeau, il n'y a rien qui donne à sa conscience un retour plus consolant vers les choses et les douleurs de ce, monde.
Bientôt après, le 2 décembre 4851, M. de Toc- queville rentrait chez lui, dans son village, ai terme d'une carrière politique qui avait duré douze ans. Il y rapportait un caractère sans tache, un( renommée que ne surpassait la gloire d'aucun de ses contemporains, mais en même temps un corps
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affaibli par le travail des affaires et par celui de la pensée. Il y retrouva ces souvenirs de jeunesse si chers à l'homme qui décline, ces ombrages qu'il avait plantés, ces eaux qu'il avait dirigées, le res- pect et l'amour de tout ce qui avait vieilli là pen- dant son absence, et, plus près de son cœur encore, une autre vie consacrée à la sienne et qui eût suffi sans la gloire à la récompense de tout ce qu'il avait fait de bien et de tout ce qu'il avait écrit de vrai. De ce côté aussi on peut dire qu'il avait été meilleur que son siècle. Tout jeune et peu riche, il n'avait point cherché dans sa compagne l'éclat du nom ni celui de la fortune ; mais , confiant sa destinée à des dons plus parfaits, il n'avait été trompé que dans la mesure de son bonheur , plus grand qu'il ne l'avait attendu et qu'on ne le lui avait promis.
Cependant cette belle retraite, où l'amitié venait de loin chercher sa présence, n'effaçait point dans l'âme du publiciste le souvenir de la cause qu'il avait servie. Les blessures faites à la liberté, quoi- qu'il les eût prévues, l'avaient pénétré comme un glaive, et il portait au dedans de lui, sous une ci- catrice saignante, le deuil profond de tout ce qu'il avait vu s'accomplir. Il voulut se donner une con- solation, chercher une espérance, et il conçut ce livre, le dernier qu'il ait écrit, où, comparant en- semble la révolution et V ancien régime , il entendait démontrer à ses contemporains qu'ils vivaient en- core, sans le savoir, sous ce même régime qu'ils croyaient avoir détruit, et que là était la prmcipale
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source de leurs élernelles déceptions. Il est vrai, une tribune avait été debout, une presse avait été libre; mais derrière ce théâtre éclatant de la vie na- tionale qu'y avait- il, sinon l'autocratie absolue de radnriinistration publique, sinon l'obéissance pas- sive de tout un peuple , le silence de rouages morts et mus irrésistiblement par une impulsion étrangère à la famille, à la commune, à la province, enfm la' vie de tous, jusque dans les plus minimes détails, livrée à la domination de quelques hommes d'Etat sous la plume oisive et indifférente de cent mille scribes? Or, disait l'auteur, savez-vous bien qui a inventé ce mécanisme, qui a créé cette servitude? Ce n'est pas la Révolution, c'est l'ancien régime; ce n'est pas 1789, c'est Louis XIV et Louis XV; ce n'est pas le présent, c'est le passé. Vous avez seule- ment recouvert la servitude civile, qui est la pire de toutes, du voile trompeur de la liberté politique, donnant à une tête d'or des pieds d'argile, et fai- sant de la société française une autre statue de Nabuchodonosor qu'une pierre lancée par une main inconnue suffit pour briser et réduire en poudre. Et cette thèse , si neuve quoique si manifeste , M. de Tocqueville la développait avec le calme de l'érudition , après avoir longtemps fouillé dans les archives administratives des deux derniers siècles, d'autant plus éloquentes, qu'elles croyaient garder leur secret pour l'État et non pour le monde.
Tel fut le testament de M. de Tocqueville, le mot suprême de sa pensée. Après cela il ne fit plus que
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languir. Ouvrier trop sérieux pour ne s'être pas consumé dans la lumière dont il avait été l'organe, il s'avança peu à peu, sans y croire, vers une mort qui devait être la troisième récompense de sa vie. La gloire avait été la première ; il avait trouvé la seconde dans un bonheur domestique de vingt-cinq ans ; sa fin prématurée devait lui apporter la der- nière et mettre le sceau à la justice de Dieu sur lui. 11 avait toujours été sincère avec Dieu comme avec les hommes. Un sens juste, une raison mûrie par la droiture avant de l'être par la réflexion et l'expé- rience, lui avaient révélé sans peine le Dieu actif, vivant, personnel, qui régit toutes choses, et de cette hauteur si simple, quoique si sublime, il était descendu sans peine encore au Dieu qui respire dans l'Évangile et par qui l'amour est devenu le sauveur du monde. Mais sa foi peut-être tenait de la raison plus que du cœur. Il voyait la vérité du christianisme, il la servait sans honte, il en rattachait l'efficacité au salut même temporel de Ihomme ; cependant il n'avait pas atteint cette sphère où la religion ne nous laisse plus rien qui ne prenne sa forme et son ardeur. Ce fut la mort qui lui fit le don de l'amour. 11 reçut comme un ancien ami le Dieu qui le visitait, et, touché de sa présence jus- qu'à répandre des larmes, hbre enfin du monde, il oublia ce qu'il avait été, son nom, ses services, ses regrets et ses désirs , et , avant même qu'il nous eût dit adieu, il ne restait plus en cette âme que les vertus qu'elle avait acquises sur la terre en y passant.
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Ces vertus, Messieurs, vous appartenaient. Orne- ment sacré du talent littéraire le plus haut et le plus vrai, vous jouissiez de leur alliance dans la per- sonne de M. de Tocqueville, et il tenait lui-même à grand honneur de compter parmi les membres de votre illustre compagnie ; car vous étiez à ses yeux les représentants des lettres françaises , et il voyait dans les lettres plus que l'épanouissement ingé- nieux des facultés de l'esprit : il y voyait l'auxi- liaire puissant de la cause à laquelle il avait dévoué sa vie, le flambeau de la vérité, l'épée de la justice, le bouclier généreux où se gravent les pensées qui ne meurent pas parce qu'elles servent tous les temps et tous les peuples. Sa jeunesse s'était formée à ces grandes leçons. Penché vers l'antiquité comme un fils vers sa mère, il avait entendu Démosthènes défendre la liberté de la Grèce , et Gicéron plaider contre les desseins parricides de Catilina : tous les deux victimes de leur éloquence et de leur patrio- tisme, le premier se donnant la mort par le poison pour échapper à la vengeance d'un lieutenant d'A- lexandre, le second tendant sa tête aux sicaires d'Antoine, celte tête que le peuple romain devait voir clouée sur la tribune aux harangues, pour y être une image éternelle de la crainte qu'inspire aux tyrans la parole de l'homme sur les lèvres de l'orateur. Il avait entendu Platon dicter dans sa République les lois idéales de la société, déclarer que la justice en est le premier fondement, que le pouvoir y est institué pour le bien de tous et non dans l'intérêt de ceux qui gouvernent, qu'il appar-
— 331 — lient par la nature des choses aux plus éclairés et aux plus vertueux, et que tous ceux qui l'exercent en sont responsables ; que les citoyens sont frères ; qu'ils doivent être élevés par les plus sages de la république dans le respect des lois, l'amour de la vertu et la crainte des dieux; que la paix entre les nations est le devoir de toutes et l'honneur de celles qui ne tirent l'épée qu'à regret, pour la défense du droit; il avait admiré, dans Zenon , le père de cette héroïque postérité qui survécut à toutes les gran- deurs de Rome, et consola, parle spectacle d'une force d'àme invincible , tous ceux qui croyaient en- core à eux-mêmes quand personne ne croyait plus à rien. Si Horace et Virgile lui avaient présenté sous des vers admirables l'image douloureuse de poètes courtisans, il avait retrouvé dans Lucain la trace du courage et les dieux, non moins que César, sacri- hés par lui aux vaincus de Pharsale. Enfin , au terme des lettres anciennes, et comme sur le seuil de leur tombeau, Tacite lui avait parlé cette langue venge- resse qui a fait du crime même un monument à la vertu, et de la plus profonde servitude un chemin à la liberté.
Ce chemin , d'autres l'ouvraient aussi quand Ta- cite en creusait, de son implacable burin, l'àpre et immortel sillon. Car, semblable à ces souffles ré- guliers qui ne quittent les flots d'une mer que pour soulever ceux d'une autre, la liberté change de lieu, de peuple et d'âme, mais elle ne meurt ja- mais. Quand on la croit éteinte, elle ne fait que monter ou descendre quelques degrés de l'équaleur.
— 352 —
Elle a délaissé un peuple vieilli pour préparer les destinées d'un peuple naissant, et tout à coup elle reparaît au faîte des choses humaines lorsqu'on la croyait oubliée pour jamais. Il y avait donc, au temps de Tacite , des hommes nouveaux qui tra- vaillaient comme lui, mais dans une langue incon- nue de lui , à la rénovation de la dignité humaine , et qui faisaient pour la liberté de la conscience, principe de toutes les autres, plus que n'avaient fait les orateurs, les philosophes, les poètes et les historiens de l'âge écoulé. Ils ne s'appelaient plus Démosthènes ou Cicéron , Platon ni Zenon , et ils ne parlaient plus à un seul peuple du haut d'une tribune illustre, mais isolée : ils s'appelaient Justin le martyr, TertuUien l'Africain , Athanase l'évêque, et, soit leur parole, soit leurs écrits, s'adressaient à toutes les parties du monde connu , httérature universelle qui présidait à la fondation d'une société plus vaste que Tempire romain ; Httérature vivante encore après dix- neuf siècles, et dont vous êtes, Messieurs, à l'heure présente, un rameau que je salue , une gloire que je ne méritais pas de voir de si près.
Les lettres françaises ont eu, depuis trois siècles ,- une part à jamais mémorable dans les destinées du monde. Chrétiennes sous Louis XIV , avec la même éloquence, mais avec un goût plus pur que dans les Pères de l'Église, elles ont opposé Pascal à Tertul^ lien , Bossuet à saint Augustin , Massillon et Bour- daloue à saint Jean Chrysostome , Fénelon à saint .Grégoire de Nazianze, en même temps qu'elles op-
— 3d3 -
posaient Corneille à Euripide et à Sophocle, Racine à Virgile, la Bruyère à Théophraste, Molière à Plaûte et à Térence : siècle rare, qui fit de Louis XIV le successeur immédiat d'Auguste et de Théodose, et de notre langue l'héritière de la Grèce et la domi- natrice des esprits.
Le siècle suivant dégénéra du christianisme, mais non pas par le génie. Père de deux hommes tout à fait nouveaux dans l'histoire des lettres , il eut en eux ses astres premiers , l'un qui tenait de Lucien par l'ironie, l'autre qui ne tenait de personne; tous les deux puissants pour détruire et pour charmer, attaquant une société corrompue avec des armes qui elles-mêmes n'étaient pas pures, et nous préparant ! ces ruines formidables où, depuis soixante ans, nous essayons de replacer Taxe ébranlé des croyances et des vertus civiques. Ces deux hommes pourtant ne furent pas, au xviii° siècle, les seuls représen- tants de la gloire et de l'efficacité littéraires. Buffon écrivait de la nature avec majesté , et Montesquieu , élevé par trente ans de méditations au-dessus des erreurs de sa jeunesse, prenait place, dans son Esprit des lois, à côté d'Aristote et de Platon, ses prédécesseurs, et les seuls, dans la science du droit politique. Il eut l'honneur de dégager de l'irréligion vulgaire les principes d'une saine li- berté, et on ne peut le lire qu'en rencontrant à chaque page des traits qui flétrissent le despotisme, mais sans aucun penchant pour le désordre et sans aucune solidarité avec la destruction. Il est juste de dire que, si Jean- Jacques Rousseau a été,
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dans son Contrat social, le père de la démagogie moderne , Montesquieu a été , dans son Esprit des lois, le père du libéralisme conservateur où nous espérons un jour asseoir l'honneur et le repos du monde.
J'ai hâte, Messieurs, d'arriver à ce siècle qui est le vôtre, et où je vais retrouver M. de Tocqueville à côté de vous. Aussi chrétien dans ses grands re- présentants que le siècle de Louis XIV, mais plus généreux, plus ami des libertés publiques, moins ébloui par la puissance et l'éclat d'un seul, notre siècle s'ouvrit par un écrivain dont il semble que la Providence eût voulu faire le Jean-Jacques Rous- seau du christianisme. Poëte mélancolique dans une pi ose dont il eut le premier le secret , M. de Cha- teaubriand frappa au cœur de sa génération comme un pèlerin revenu des temps d'Homère et des fo- rêts inexplorées du nouveau monde. Mais en même temps qu'il inaugurait ce style où nul ne l'avait précédé, où nul ne l'a égalé depuis, il nous donnait aussi l'exemple de la virilité politique du caractère, et les murs de ce palais n'oublieront jamais qu'il y entra sans pouvoir prononcer le discours que lui imposaient vos suffrages et que lui commandait sa reconnaissance pour vous. D'autres, comme lui, payaient à leur foi religieuse ou à leur indépendance personnelle cette dette du courage devant la toute- puissance. M. de Donald méritait que sa Législa- tion primitive fût broyée sous le pilon de la censure. Le vieux Ducis, insensible à la victoire, conser- vait intacte sous ses rayons la couronne de ses
ÔDO
cheveux blancs. M"^® de bcaëi expiait par dix an- nées d'exil un silence que rien n'avait séduit. Delille chantait debout les règnes de la nature, et il lui était permis de dire dans un mouvement d'orgueil légitime :
On ne put arracher un mot à ma candeur,
Un mensonge à ma plume , une crainte à mon cœur.
Je m'arrête aux morts, Messieurs ; car le tombeau souffre la louange, et, en soulevant son linceul, on ne craint pas de blesser la pudeur de l'immortalité. Mais ce sacrifice me coûte en présence d'une assem- blée où je vois siéger les héritiers directs des pre- mières gloires littéraires de notre âge : des orateurs qui ont ému trente ans la tribune ou le barreau, des poëtes qui ont découvert dans l'harmonie des mots et des pensées de nouvelles vibrations, des historiens qui ont creusé nos antiquités nationales ou qui ont redit à la génération présente le courage de ses pères dans la vie civile et dans la vie des camps, des publicistes qui ont écrit pour le droit contre les regrets du despotisme et les rêves de l'utopie, des hommes d'État qui ont gouverné par la parole des assemblées orageuses et n'ont rap- porté du pouvoir que la conscience d'en avoir été dignes; des philosophes qui ont relevé parmi nous l'école de Platon et de saint Augustin , de Descartes et de Bossuet, et inscrit leur nom à la suite de ceux-là, dans la grande armée de la sagesse élo- quente; des écrivains qui ont eu l'idolâtrie de la per-
— 356 —
fcction du style, et à qui une vieillesse privilégiée n'a pu en désapprendre l'art : tous mêlés avec honneur aux luttes de leur temps, couverts de ses ■cicatrices, et, sans avoir pu le sauver, sûrs de comp- ter un jour parmi ceux qui ne l'auront ni flatté ni trahi.
Et vous aussi, Tocqucville, vous étiez parmi eux ; cette place où je parle était la vôtre. Plus libre avec vous qu'avec les vivants, j'ai pu vous louer. J'ai pu, •en dessinant vos pensées , en retraçant vos actes et votre caractère, louer avec vous tous ceux qui comme vous cherchaient à éclairer leur siècle sans le haïr , et à jeter nos générations incertaines dans la voie où Dieu, l'âme, l'Évangile, l'ordre et l'ac- lion forment ensemble le citoyen et soutiennent la société entre les deux périls où elle ne cessera jamais d'osciller, le péril de se donner un maître et le péril de se gouverner sans le pouvoir. Nul mieux que vous n'a connu nos faiblesses et dévoilé nos erreurs; nul non plus n'en a mieux pénétré les causes , ni mieux indiqué les remèdes. M. de Cha- teaubriand disait dans une occasion mémorable : « Non, je ne croirai point que j'écris sur les ruines de la monarchie. » Vous eussiez pu dire : Non, je ne croirai point que j'écris sur les ruines de la liberté.
C'est aussi votre foi. Messieurs, c'est la foi des lettres françaises, et ce sera leur ouvrage pour une -grande part. A voir la suite de nos trois siècles litté- raires et cette succession continue d'hommes émi- Jients dans tous les ordres de l'esprit, on ne saurait
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méconnaître qu'une prédestination de la Providence veille sur notre littérature en vue d'une mission qu'elle doit remplir. Et que cette mission soit sa- lutaire, qu'elle se rattache aux plans d'un avenir ordonné et pacifique, où , dans des conditions nou- velles , seront satisfaits les vrais besoins de l'huma- nité perfectionnée, je ne saurais non plus en douter. Il suffit, pour s'en convaincre, de remarquer que, sauf de rares exceptions , le génie en France conduit à la vérité et la sert. Tout ce qui s'élève dans les régions de Tintelligence, tout ce qui demeure vi- sible à l'admiration , de Pascal au comte de Maistre, ! de Montesquieu à M. de Tocqueville, prend en haut I le caractère de l'ordre , ce quelque chose de grave et de saint qui éclaire sans consumer, qui meut sans détruire, et qui est à la fois le signe et la puissance même du bien. Tels sont , à ne pouvoir se le cacher, les grandes lignes de la littérature française et ces sommets éclatants où la postérité vient, malgré elle, chercher le bienfait de la lu- mière dans la splendeur d'un goût sans reproche. Vous continuez, Messieurs, cette double tradition du beau et du vrai , de l'indépendance et de la me- sure , qui sont le cachet séculaire du génie français. Aussi, pourrais -je ne pas vous l'avouer? quand vos suffrages m'ont appelé à l'improviste parmi vous, je n'ai pas cru entendre la simple voix d'un corps littéraire , mais la voix même de mon pays m'appelant à prendre place entre ceux qui sont comme le sénat de sa pensée et la représentation prophétique de son avenir. J'ai vu les préjugés qui
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m'eussent séparé de vous il y a vingt ans , et ces préjugés vaincus par votre choix m'ont fait en- tendre les progrès accomplis en soixante ans d'une expérience pleine de périls , de retours dans la for- tune, de sagesse trompée, de courages impuissants mais glorieux. M. de Tocqueville était au milieu de vous le symbole de la liberté magnifiquement comprise par un grand esprit; j'y serai, si j'ose le dire, le symbole de la liberté acceptée et forti- fiée par la religion. Je ne pouvais recevoir sur la terre une plus haute récompense que de succéder à un tel homme pour l'avancement d'une telle cause.
TABLE
Notice funèbre sur MARC-Rexé, comte df, Moxtalem-
BERT 3
Panégyrique du B. Fourier . . 29
Eloge funèbre de M^b de Forbin-Janson. . . . 75
Éloge funèbre du général Drouot 115
Éloge funèbre de Daniel O'Connell 161
Frédéric Ozanam 197
Discours pour la translation du chef de safxt Tho- mas d'Aquin 28Î
Discours de réception a l'académie française. . . 323.
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Courson (Vie de M. de), ln-12 avec portrait
Croire. — Abbé de Gibergues. In 18 raisin
Culture des vocations (La). — J.Guibert. ln-18 raisin .......
Curé d'autrefois Un) : 1 abbé de Talhouët (1736-1802;.— M. Ch. Geoffroy DE GrandmaisOxN. In-12 ;
Cyprien (Le Frère). — Mgr Laveille. In-8o
Damas (Amédée de), S. J. — P. Burnichon. In-S" écu avec portrait. . . i
Dante et la Divine Comédie (Etudes comparées sur). — E. M. Ter- rade. In-12
Darboy (Histoire de la vie et des œuvres de Mgr). — S. Em. le car- dinal Foulon. In-8°, portrait, autographe
Décret de la Sainte Inquisition romaine, jn-8 i
Devoirs des hommes envers les femmes (Les). — Abbé de Gibergues. In-i8 raisin i
Devoirs d'un séminariste. — J. Guibert. ln-32 raisin (
Devoirs (Nos) envers Dieu. — Abbé Désers. In-i2 i
Devoirs (Nos) envers le prochain. — Abbé Désers. In-42 î
Dévotion du très saint Rosaire (La). — In-32 jésus . (
Diane d'Andalo (Les Bienheureuses Cécile, Aimée et). — R. P. Cor- mier. In-i2, gravures
Dictionnaire universel des sciences ecclésiastiques. — Abbé J.-B. ulaîre. 2 in-S" raisin 3î
Diego de Cadix (Le Bienheureux). — P. Damase de Loisey. In-12. . '.
Dieu et l'homme. — Abbé Désers. In-12 !
Direction spirituelle dans les maisons d'éducation (La). — J. Gui- bert. In-18 raisin (
Directoire à l'usage des novices Dominicaines, ln-32 jésus
Directoire de la confrérie du Rosaire. In-18 (
Directoire des Supérieures. In-18 ^
Directoire spirituel du tertiaire de S. François (Le). — P. Eugène dOisy. In-i8 raisin illustré ^
Discipline (La) dans les écoles secondaires libres. — P. Emmanuel Barbier In-12 '
Discours de Monseigneur Bougaud. ln-8 avec portrait '
Le même ouvrage. 3" f'dition. In-12 avec portrait i
Discours de Mgr d'Hulst pour le repos de l'âme de l'abbé Le Rebours. ln-8'' raisin '
ne POUSSIELGUE — 7 — PARIS
rs du comte Albert de Mun.
lestions sociales. In-12 4 n
[. Discours politiques. 2 in-12 • . . . . 8 »
. Discours et écrits divers (1888-1894). 2 in-12 8 »
II. Discours et écrits divers (1894-1902). 2 in-12 8 »
sion concordataire (La). — S. Em. le cardinal Perraud. In-12 . i » tation sur l'indulgence de la Portioncule. — R. P. Laurent.
I 0 80
le Catholique (Exposé de la) en tableaux synoptiques. — Le
Qe. — AbbéPoEY. ln-8° 1 oO
ae chrétienne (Abrégé de la). — In-18 0 2o
ae chrétienne (Traité de la). — Louis de Grenade. 2 in-12 . . 4 50
ae de l'Amour. — Abbé de Gibergues. In-18 raisin 3 »
ne religieuse. — R. P. Ambroise Potton. In-18 1 75
le socialiste (La). —M. Maisonabe. In-12. 2 50
de la vie future (Le) et la libre-pensée contemporaine. —
escœur. In-12 3 75
ique (Vie de saint). — P. Lacordaire In-12, gravure 3 »
ÊME OUVRAGE. Edition illustrée parle P. Besson. In-8' raisin. 12 50
r (De la) . — Mgr Bougaud. ln-16 carré 3 75
et ses victimes 'Le) dans le siècle présent. — Mgr Baunard.
3 75
me (Histoire de Mme).— Mgr Baunard, In-12 3 »
loup (Vie de Mgr). — Mgr Lagrange. 3 in-8% 2 portraits. . . 22 50
ÊME ouvrage. 3 in-12 10 50
t des Loges (Vie de Mgr). —Abbé F. Klein. In-S» écu 5 »
t des Loges (Œuvres choisies de Mgr). — in-8» écu, portrait. 6 »
spirituels du V. P. Libermann. — ln-12 3 oO
.eur apôtre (L') : Sa préparation, l'exercice de son apostolat.
, GuiBÉRT. In-18 raisin 2 »
ion de la jeunesse par le prêtre (L'). — P. Lambert. In-12. . 2 »
ion et patriotisme. — E. M. Terrade. In-12 3 »
ion nouvelle (L'). — M. J. Chobert. ln-16 0 50
catholique (L'). — Abbé Désers 2 30
(L') de France sous la Troisième république, 1870-1878. —
NUET . ln-8'' écu S »
(L' de France sous la Troisième république pontificat de
. XIII 1878-1894.— Lecanuet. In-S" écu 5 »
(L') et le droit romain. — M. de .Monléon. In-12 3 »
et l'Exposition L'). — P Coubé. In-12 0 30
ons poétiques et religieuses. — Marie Jenna. in-12 3 »
ions sur les grandeurs de Dieu. — R. P. Cormier. In-i8. . 1 »
îth de Hongrie (Sainte). — Abbé Ant. Saubin. ln-12 1 50
)u nombre des). — Dom B. Maréchaux, ln-32 raisin 1 )>
(Histoire de M.) et de l'Église de France pendant la Révolu-
et l'Empire. — Mgr Méric. 2 in-12 portrait 5 »
Librairie POUSSIELGUE — 8 —
Enard Souvenirs de deuil de Mgr . — in-8'^ illustré
Encycliques de N. T. S. P. le Pape Léon XIIL Texte et traduction
française. ln-S\
Sur les principaux devoirs des chrétiens Sapientiœ christianœ . .
Sur l'abolition de l'esclavage Catholicœ Eccleaiœ
Sur LA CONDITION des ouvriers Rerum novaruin".
Aux Catholiques de France. Texte français
Aux PRINCES ET AUX PEUPLES DE l'univers PrŒclara gratulationis .
Sur le rosaire de marie Jucunda semper]
Sur LA PROPAGATION de i A FOI Christï iioineyi]
Del UNITÉ de L'ÉGLisE Satis cognitiniV
Sur l'interdiction ET LA censure des livres (0/^ciorin/i acmunerum).
Sur le Saint-Esprit Divinum illud mujius]
Encycliques de N. T. S. P. le Pape Pie X. Traduction française seule. In-8'.
Pour annoncer son avènement Ex supremi apostolatus calhedra). Sur l'Immaculée CONCEPTION [Ad Diem illum lœîissimum^
A L OCCASION DU CENTENAIRE DE S- GRÉGOIRE LE GraND
Sur LA SÉPARATION Vehemeuter
Gravissimo
Une FOIS encore
Lamentabili
Sur les doctrines des modernistes
Enfant prodigrie (L'). — Abbé P. Barbier. In-12
Epitoma ordinationum editarum pro provincia Tolosana Ordinis
praedicatorum. — In-32 raisin
Épîtres et Évangiles des Dimanches et Fêtes. — In-lS
Epreuves d'un évéque français Mgr de Gain-Montaignac pendant 1;
Révolution. — Abbé Duffau. In-So
Espérance. — Mgr Baunard. In-12
Essai sur l'organisation des études dans l'ordre des Frères Pré
cheurs 1216-1342 . —Mgr Douais. In-S^
État des Études théologiques. —Mgr Douais. In 12
État et ses rivaux dans l'enseignement secondaire (L'). — P. Burm-
CHON. In-12
Études philosophiques et religieuses sur les écrivains latins. —
Abbé M. MORL.US. In-12
Études musicales Deux . — P. Placide. In-8°
Eucharistie et le mystère du Christ (L'). — P. Marie Bonaventure
de Segré. In-4', gravure
Eucologe romain à l'usage des collèges. —Gros in-18, broché. . . . Évangile (L") au Japon au XX^ siècle. — Alfred Ligneul, abbé S. Ver-
RET. In-12 avec portrait
Évangile du pauvre (L'). —Mgr Baunard. In-12
Évangile du Sacré-Cœur. — Abbé Vaudon. In-i2
Évangiles (Les quatre). — Lemaistre de Sact. Abbé Verret. In- 12
illustre. Broché. 3 fr. — Toile pleine
le POUSSIELGUE — 9 — PARIS
les des Dimanches. — Abbe Bolisson. 2 vol. in-12 7 »
1 de la question de 1 opération césarienne posthume. —
:breyne. fn-8° ^ 25
5 nouvelle (Les doctrines de l'abbé Loisy). — P. Hilaire de
JTON. In-S" 1 y
e mensuel de la préparation à la mort.. — R. des Fourmels.
0 20
es spirituels de saint Ignace de Loyola. — p. Roothaax et
.'NESSEALX. ln-12 3 „
es spirituels de saint Ignace de Loyola. — P. Pierre Jennes-
. In-32 raisin, sans notes 0 80
tion des cérémonies de la Grand'Messe de paroisse. — Olier.
in-32 raisin 1 25
Ition du Pater. — Abbé Gayrard. In-12 2 50
Ion des capucins de Paris, le 5 novembre 1880. — In-8* . . 1 25
Ime ouvrage, édition illustrée. In-S" 4 »
! (Le R. P.) ou le prêtre de l'Eucharistie. — In-32 jésus ... 0 75 jition des substances sacramentelles (De la). — P. F. Pie-
î RouARD DE Gard. In-8* 1 ,)
raisonnable et chrétienne (La). — Abbé Rocher. In-i2 ... 3 50 , directeur de conscience. — Abbé Moïse Cagxac. In-12 . . 3 50 . Lettres de direction. — Abbé Moïse Cagxac. ln-12. ... 3 50 . Lettres à la duchesse de Chevreuse. — Abbé Moïse Cagxac. 1 >
Pensées choisies . — Abbé Moïse Cagxac. In-32 1 «
(Éloge funèbre du docteur , — Abbé J. Foxssagrives. In-8°,
it 1 ,
(La). — M. de Gibergues. In 12 1 50
irétiennes. — Abbé Bouissox. 2 vol. in-12 7 »
e Sigmaringen iSaintj. — P. Fidèle de la Motte-Servolex.
1 50
de S. François d'Assise. — M. Chaulix. ln-12 1 50
le la solitude. — In-32 raisin, avec cantiques 1 »
E des caxtiques des Fleurs de la solitude 0 25
lominicaines. — M. Th. de Bussierre. ln-12 2 »
en Bretagne. Hier et aujourd'hui. — Abbé Millox. In-S*' . 4 »
es victoires La . — Mgr Bauxard. 2 vol. in-12 7 50
(Albéric de . — R. P. Régis de Chazourxes. ln-12 portrait. 3 50
Œuvres pastorales de Mgr. — 2 in-S^ 8 »
catholique en Orient iLa . — P. Hilaire de Barextox. In-S"
gravure et carte 3 »
; d'Assise i L'esprit de saint . — P. Berxardix de Paris. 2 in-18
6 »
d'Assise Histoire populaire de saint . — Anatole de Séglr.
raisin 1 25
Librairie POUSSIELGUE — 10 — 1
François d'Assise (Saint). — P. Léopold de Chérancé. In-18 jésas,
portrait
François d'Assise (Saint). Étude médicale. — D'' Cotelle. In 12 . . François d'Assise (Opuscules de Saint). — P. Ubald d'Alençon. ln-18. François d'Assise (Saint) et le bréviaire romain. — P. Hilarin de Lu- cerne. In-80
François (Vie de Saint). — P. Bernard d'Andermatt. 2 in-12. . . . François de Sales (Saint). Lettres de direction. — Abbé Moïse Cagnac.
ln-12
Frédéric II ou les derniers Hauhenstaufen. — P. Clinchamp. In-12.
Frères des Écoles chrétiennes. — A. Chevallier. In-S"
Frère (Monsieur) et Félix Dupanloup. — Abbé Daix. In- 12. . . Gabriel de Dinan (Vie du R. P.). — P. Bernard de Mayenne. In-12,
portrait
Gailhac (Le R. P.). — P. Maymard. In-S», portrait
Généralats du cardinal de Bérulle, des PP. de Condren, Bourgoing,
Senault, de Sainte- Marthe, etc. — P. Cloyseault. 3 vol. in-12, grav. Géographie de l'Afrique chrétienne. — Mgr Toulotte. In-S" . .
Gerson (Jehan). — Abbé Lafontalne. In-12
Gethsemani et la voie douloureuse. — Mgr Latty. In-12, gravure . Ghebra-Michaël, Lazariste (Un martyr abyssin). — Coulbeaux. Gildas (Saint) de Ruis. — Abbé Fonssagrives. In-12, gravures . . . Gouvernement de l'Eglise (Le). — Abbé Lafarge. 2 in 8".
I. Droit public. — II. Droit privé. Chaque volume
Grand séminaire de Dax. — Chanoine Lahargou. In-8o
Grec et le latin ^Le). — Abbé Cliquennois. In-8°
Grégoire de Nazianze (Saint). — Abbé A. Benoit. 2 in-12 . . . Gregorii Nazianzeni Carminibus (De D.). — Thesis facultati littera'
rum Parisiensi. In-8° raisin
Grignion de Montfort (Le B"). — Mgr Laveille. In-8'' écu .... Guibert Vie de S. É. le cardinal . — Abbé J. Paguelle de Follenay,
2 in-8o écu, portraits
Guide du Pèlerin à Saint-Séverin de Paris. — Abbé de Madaune,
In-12
Heure de garde (L'j. — P. Marie-François. In-32 jésus
Heure sainte (L',. — Abbé Louis Gillot. In-18
Heures sérieuses d'une jeune femme. — Ch. Sainte-Foi. In-18 raisin; Heures sérieuses d'un jeune homme. — Ch. Sainte-Foi. In-32 . . Heures sérieuses d'une jeune personne. — Ch. Sainte-Foi. In-32 raisii Histoire de la paroisse de Notre-Dame de Bonne-Nouvelle. — Abl
Casanbianca. In-So. ?iet
Histoire de l'Église. — Abbé Ch. Menuge. In-12
Histoire de la religion catholique. — Abbé Ch. Menuge. In- 12. .
Histoire sainte. — Abbé Ch. Menuge. In-12
Histoire des spirituels dans l'Ordre de saint François. — R. P. Reni
0. M. C. In-8^
'ie POUSSIELGUE — 11 — PARIS
î de Paris (Histoire du Père . — Abbé F. Mazelin. Petit in-S", 4 » aliéres et des garde-malades (Manuel des). — M. Ch. Vincq.
écu, 2o0 gravures. Toile 6 »
(A la mémoire de Mgr Maurice Lesage d'Hauteroche d';. —
raisin, portrait 1 50
^Apostolat intellectnel de Mgr d' . — Mgr Baudrillart .... 0 50
député Monseigneur d' . — Abbé Emile Gavé. In-12 3 50
Monseigneur d'^ et le P. Lacordaire. — Chanoine Philippet.
raisin 1 50
intime Monseigneur d' . — Louis Thiéblin. In-i2 0 40
'Oraison funèbre de Mgr d'}. — Mgr Touchet. ln-8" raisin. . . 1 »
Lettres de direction de Mgr d'). — Mgr A. Baudrillart. In-S" écu 5 » îs du bréviaire romain (Les . — Abbé Pimont. In-8° raisin.
SES DOMINICALES ET FÉRIALES dU pSautiCF 7 50
s^Es DU TEMPS Carême, Passion, Temps de Pâques, Ascension,
ntecôte, Trinité, Saint-Sacrement) 5 »
de Virginitate S. Ephraemi\ — Mgr Rahmam. In-S" 17 »
j') ou critique du Kantisme. — Abbé C. Piat. In-S" écu. ... 6 » de Saint François d'Assise sur la pauvreté (Les). — P. Ubald
oçoN. In-18 raisin 0 30
de Saint François d'Assise sur la science (Les). — P. Ubald
ENÇON. In-18 raisin 0 30
; de Jeanne (Les . — Abbé Paul Barbier, ln-16 raisin 1 25
ion de Jésus-Christ. — Traduction inédite du xvii* siècle. Ad.
feld. Gros in-32 raisin, gravure 1 50
ulée Conception L'; à l'Institut catholique de Paris. 8 dé-
►re 1904. ln-8» . 2 »
tiondes mains dans la consécration des évêques (L'). — M. T.
ACEY. ln-8'' Jésus 1 »
ences du Très Saint Rosaire. —Une feuille (50 x 65). ... . 0 50
ences plénières (Ordo des). — Abbé Grimaud. In-18 jésus. . . 1 75
ive au collège L'). — P. Barbier. In- 12 0 60
t catholique (L' de Paris (1875-1907 . — Mgr P.-L. Péchenard.
, gravures 4 »
tions de Cassien. — M. E. Cartier, ln-12 2 »
action à la vie bienfaisante. — Mgr Bolo. In-12. ....... 3 50
notion à la vie dévote de Saint François de Sales. — Abbé
ENGER. In-12 3 50
ême ouvrage. In-8o 5 »
Dtion concernant les derniers écrits de l'abbé Loisy. — Mgr
Y. In-8' 1 25
ction des novices. — R"' P. H. -M. Cormier, ln-8» 5 »
ction religieuse Cours d'). — Mgr. Cauly. In-12.
AlÉCHISME EXPLIQUÉ 3 »
)IRE DE LA RELIGION ET DE l'ÉGLISE 3 50
ERCHE DE LA VRAIE RELIGION * 2 75
lOGÉTIQUE CHRÉTIENNE 3 »
Librairie POUSSIELGUE — 12 —
Jandel (Vie du Révérendissime Père Alexandre-Vincent). — R"" P. H. M. Cormier. In-8», portrait
Jacquemet (Vie de Mgr A.). — Abbé Victor Martin. In-8*, portrait .
Javouhey Anne-Marie). — Chanoine Chaumont. In-8"
Jean (L'Apôtre saint; . — Mgr Baunard In-12, gravure
Jean Forest (Le B^). — P. Thadée. In-8»
Jeanne d'Arc, sa mission surnaturelle, son martyre.— Mgr Enard. In-S"
Jeanne d'Arc franciscaine. — P. Henri de Grèzes. In-S"
Jeanne d'Arc et la France. — P. Léopold de Chérancé. In-18. . . .
-Jeanne d'Arc Vie intérieure de). — M. Olivier Lefranc. In-16 carré, encadré bleu
Jeanne d'Arc iLes Béatitudes). — Mgr Lecœur. In-8o . .•
Jeanne d'Arc et la mission de la femme. — Abbé de Gibergi es . . .
Jeanne d'Arc. — Chanoine Lenfant. In-8'
Jeanne d'Arc (La Bienheureuse). Panégyrique. — Mgr Latty. In-S».
Jeanne d'Arc et ses vertus. — P. de Bernard. In-i8
Jeanne d'Arc (Les paroles de). — Préface J. Guibert. — A. Froment. In 12
Jeanne de France (Histoire de sainte) (1464-1505). — Mgr Hébrard. In-8'' écu
Jérôme de Corleone (Vie du serviteur de Dieu, Fr.). — P. Arsène dk Chatel. In-12, portrait
Jérôme (Lettres choisies de saint). — MgrLAGRANCE. In-12
Jésus-Christ. — P. Lescœur. In-12 j
Jésus-Christ. — Mgr Bougaud. In-32, encadré 1
Jésus-Christ ^Vie de N.-S.).— D^ Sepp, M.Charles Sainte-Foi. 3 in-12, J avec carte I
Jésus-Christ (Vie de Notre-Seigneur). — Abbé Puiseux. In-12, gra- vures. Broché, 1 50. — Toile pleine
Jésus-Christ et la Femme.— Approuvé par S. G. l'Evêque de Quimper. ln-1^ "
Jeune fille de demain (La). — Abbé Moïse Cagnac. ln-12
Jeunesse chrétienne (La) . — Ses devoirs — Ses tentations — Ses sauve- gardes — Au seuil de l'avenir. — Abbé P. B.\rbier. In-16. Chacun.
Je vais à Jésus. — Abbé Casabianca. In-16
Joseph (Le T. H. Frère). — Abbé Paguelle de Follenay. In-8» ....
Joyeux passe-temps de la jeunesse. In-12
Jubilé de l'an 1300 (Le Grand) et la Divine comédie de Dante. — E. M. Terrade. In 8"
Julien de Spire (Frère) et la légende anonyme de saint François. — P. Hilarin deLucerne. In-S"
Just de Bretenières (Vie de). — Mgr d'Hulst. In-12, portrait
Lacordaire (Vie intime et religieuse du R. P.). — [P- Chocarne. 2 vol. ini2
Lacordaire (Lectures choisies du R. P.). — In-32 allongé. Chacun des
3 volumes
L'Eglise. — Jésus-Christ. — Les Vertus.
rie POUSSIELGUE — 13 — PARIS
iaire (Lettres du R. P.) à Théophile Foisset. 2 in-S" 12 50
iaire (Lettres du R. P.) à un jeune homme sur la vie chrétienne.
2 1 25
iaire (Notice sur le R. P.). — In 12 0 50
Iaire (Œuvres du R. P. Henri-Dominique). — 9 in-8° 50 »
;s MÊMES. 9 volumes in-12 30 »
iaire orateur. — Favre. In-S" raisin, portrait 7 50
iaire (Souvenirs i. — J. Cauviêre. In-S" G 25
Iaire (Pensées choisies du R. P.). —P. Chogarne. 2 vol. in-32 . 3 » es (Quelques) dans les études théologiques. — P. Evaxgéliste de
t-Béat. ln-8° 0 50
nnais (Jean-Marie de). — Mgr Laveille. 2 in 8" écu. 2 portraits,
utographe 10 »
Te (Henri), son testament spirituel. — Chanoine Bruzat. In-12. 4 »
Le) dans les séminaires. — J. Guibert. In-8» 0 30
rie (Le Cardinal). — Mgr Baunard. 2 in-8'' écu, 2 portraits. . . 9 » irie (Œuvres choisies de S. É. le cardinal). —2 vol. in-8». ... 12 50 rie (Oraison funèbre du cardinal). — Mgr Baunard. In-8» ... 1 » rie (Oraison funèbre du cardinal). — Mgr Cartuyvels. In 8" rai- portrait 1 »
stes à Madagascar au XVIIe siècle (Les). — M. Henri Froide-
. In-12, cartes et gravures 2 »
es chrétiennes (Choix de). — In-18 raisin 3 »
es et prières. — Abbé Ch. Danjou. In-18 0 60
es pour chaque jour. — P. Chocarne. 2 in-32 Jésus 5 »
le des trois compagnons : La vie de saint François d'Assise.
1-18 1 ))
le monastique et page d'histoire contemporaine. — Dom Lucien
D. In-4" illustré 2 »
is (Histoire de Mademoiselle). [Louise de Marillac), 1591-1660.
me la comtesse de Richemont. ln-8", autographe 7 50
E MÊME ouvrage. In-i2, autographe 3 50
-e (Ernest) et les fondations des Petites Sœurs des Pauvres.
gr Baunard. In-8'' écu, portrait 4 »
'd de Port-Maurice (Saint). — P. Léopold de Chérancé. In-12 . 1 50 sur l'utilité de l'instruction scientifique dans le clergé. —
Baunard. In-S» raisin 0 75
; de direction de Mgr d'Hulst. — Mgr A. Baudrillart. In-S" écu 5 »
à un ami sur le Tiers Ordre franciscain. — In-32 0 10
à un étudiant en Ecriture Sainte. — P. Cormier, ln-12. . . 0 60 à un jeune bachelier sur les objections modernes contre la
ion. — Abbé Désers. In-12 1 »
à un jeune bachelier sur la virilité chrétienne du caractère.
bbé DÉSERS, ln-12 1 »
à un novice. — In-32, net 0 15
aux élèves de son grand séminaire. — Mgr Latty. In^" . . 1 »
Librairie POUSSIELGUE — 14 —
Lettre aux directeurs de son grand séminaire. — Mgr Latty. In-S» Lettre sur les dangers de l'hypercritique. — Mgr Latty. In-S» . . Lettre sur l'usage de la langue latine. — Mgr Latty. In-8o .... Lettre aux nouveaux directeurs de son grand séminaire. — Mgr Latty.
In-8-^.
Libermann (Vie du vénérable P. F.). — Cardinal Pitra. In-S" . . .
Libermann (Lettres spirituelles du vénérable). — 3 in 12
Liberté de l'enseignement (La) et ses nouveaux adversaires. — In S*»^"
raisin
Litanies (Soixante-quatorze). — Abbé Sauceret. In-18
Litanies de la sainte Vierge. — Mgr Le Courtier. In-32 raisin. . . Liturgie grecque (La) de saint Jean Chrysostome.— Abbé Dabbous.
In-12, illustré
Livre d'or du Chemin de la Croix. — P. Ubald. In-32, illustré. . . Livre de Messe (Le premier). — Marie Jenna. In-32, 2 gravures. . Livre de la première Communion et de la Persévérance (Le). —
Mgr Baunard. Gros in-32 raisin, format carré
Le même ouvrage. Texte orné d'encadrement. Grand in-18 carré . Livre (Petit) des Congrégations de la Sainte Vierge. — P. Brucker.
In-o^ allongé
Livre de piété pour élèves de l'enseignement secondaire libre. —
Abbé Chabot. In-32 raisin
Livres d'hier et d'autrefois. — M. Clément de Paillette. In- 12 . .
Livret du tertiaire franciscain. — In-18
Louis (Saint), prisonnier en Egypte. — Abbé Nourry. In-12. . . . Luc (Saint) et les anciennes Facultés de médecine. — D^ H. Dau-
GHEZ. In-8o illustré
Macbeth de Shakespeare, traduction. — Abbé Lalot. In-12
Madagascar. — Histoire et géographie. Texte français et malgache.
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Maîtrise de Notre-Dame de Chartres (L'ancienne). — Abbé Clerval.
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Malebranche (Vie du R. P.). — P. André. In-12
Manuel de dévotion à saint François d'Assise, à l'usage des ter- tiaires. — In-32 raisin
Manuel de la jeune fille chrétienne. — Abbé Chevojon. In-32 ....
Manuel de la jeunesse chrétienne. — Millaut. In-18 broché
Manuel de l'étudiant chrétien en vacance. — Abbé Courval. In-18 .
Manuel de piété. — Abbé Janel. In-32 raisin
Manuel des Enfants de Marie, à l'usage des élèves des religieuses de
Saint-Maur. In 32 jésus
Manuel des Enfants de Marie Immaculée, à l'usage des réunions diri- gées par les Filles de la Charité. Gros in-32 jésus avec gravure . .
• ;ie POUSSIELGUE — 15 — PARIS
il des Enfants de Marie. — P. A. Cahour In-32 jésus .... 1 » il des Frères et Sœurs du Tiers Ordre de saint Dominique. —
■ oussET. In-18 raisin 1 gQ
i-l des mères chrétiennes (Nouveau. — P. Théodore Ratisbonne.
3 raisin 2 50
il des œuvres.— Institutions religieuses et charitables (1900). In-12 4 » il des ouvriers de saint François-Xavier et de la Sainte-
ille. — In-18 cartonné 0 35
{1 des personnes associées à la confrérie du Rosaire. — In-18. 0 25 ïl du saint Rosaire, sa science doctrinale et pratique. —
atthieu-Joseph Rousset. In-18 raisin 2 »
lE COMPLÉMENTAIRE. — In-i8 paisiu 1 73
il (Petit du très saint Rosaire. — P. M.-J. Rousset. In-18 . . 0 60 erite de***. Une fleur cueillie au printemps de la vie. —
t in-8°, 2 portraits 3 50
.erite de Cortone (Sainte) — P. Léopold de Chérancé. In-12 . . 1 73 erite du Saint-Sacrement (La Vénérable). — Abbé Deberre.
2, 2 gravures 3 50
erite-Marie Histoire de la bienheureuse). — Mgr Bougaud. In-S" 7 »
lÊME OUVRAGE. In-i2 3 75
erite-Marie (Vie de la vénérable mère). — Mgr Jean-Joseph
îUET, Mgr L. Gauthey. In-8"' raisin, portrait 6 »
lÈME ouvrage. In-12 4 ,)
lerite-Marie Alacoque (Vie de la Bienheureuse . — Le monas-
de Paray-le-Monial. — In-12 2 73
Père, Apôtre. — Abbé de Gibergues. In 18 raisin 2 50
de l'Incarnation (Histoire de la vénérable Mère). — Dom
de Martin, Abbé Léon Chapot. 2 in-8° écu, 2 portraits 8 t
Jenna, sa vie et ses œuvres — Jules Lacointa Étude suivie
ûttres de Marie Jenna. In-12 3 50
Jenna (Lettres de) à M. Albin Goudareau. — In-8'' 3 50
•Madeleine (Sainte . — P. Lacordaire. In-32, encadré 1 25
-Térése (Vie de la Mère). -Mgr d'Hulst. In-12, 2 portraits . . 2 50
ac(La Vénérable Louise de). — Mgr Baunard. In-S» écu, portrait 5 »
tte (Le R. P. Dominique), prêtre de l'Oratoire. In-iS 1 »
aengo (Vie de la B^e Sœur Marie-Magdeleine), Comtesse de
30. — P. Ladislas de Vannes. In-S" 3 »
rologe de l'Ordre des Frères Mineurs (Essai de). — P. Edouard
.ENçoN. In-8o 1 25
rologe romain. — Traduction nouvelle, revue et mise à jour jus-
n 1898, avec supplément (1907). In-8° 6 »
rs d'Avignon (Histoire des). — Abbé M.-B. Carrière 0 50
rs français (Deux) au XVII^ siècle. In-12 0 75
rs (Deux) capucins. Les PP. Agathange de Vendôme et Cassien
[antes, Capucins. — P. Ladislas de Vannes. In-i2 2 »
B avec Jésus. — In-32 jésus 0 80
Librairie POUSSIELGUE — 16 — F
Maximes spirituelles du V, F. Jean de Saint-Samson. — P. Sernix-Marie DE Saint-André. In-12
Mechler iLe Chanoine). — P. Ingold. In-8''
Médaille miraculeuse (La). — M. Alauel, In-12, gravures
Méditation sur la Sainteté et la Vie des Saints. — Henri Bremond. In-16
Méditations ascétiques pour tous les jours de l'année (Courtes) — Joseph DE Dreux, P. Salvator de Bois-Hubert. In-12
Méditations de la vie du Christ (Les). — Saint Bonaventure, M. H. de Riancey. In -18 raisin
Méditations pour servir aux retraites. — M. Collet. In-12
Méditations pour tous les jours de l'année sur la vie de Notre-Sei- gneur Jésus-Christ. — P. Hayneuve, J.-M. Guillemon. 4 in-12. . . .
Méditations pour tous les jours de l'année. — Abbé D. Bouix, 4 in-12.
Méditation quotidienne (Considérations pour la). — Abbé Gatrard. 4 in-12 IJ
Méditations sur les saints des trois ordres. — P. Ladislas de Paris. In-S"
Méditations à l'usage des missionnaires capucins. — P. Ladislas de Paris. In-18, net
Méditations sur la vie présente et future. — P. Théodore Ratisbonne. In-18
Méditations sur l'emploi de l'école. — Frère Philippe. In-12
Méditations sur les principales obligations de la vie chrétienne et de | la vie ecclésiastique. — Abbé Chénart. 2 vol. in-18 ^
Méditations sur tous les Evangiles du Carême et de la semaine de Pâques. — P. Pététot. In-12
Méditations sur saint Joseph. — F. Philippe. In-12
Mélanges oratoires. — Mgr d'Hulst. 7 in-S" écu, chaque volume . . .
Mélanges philosophiques. — Mgr d'Hulst. In-S" écu
Mélanges. — Mgr d'Hulst, 2 volumes (Tome /// et IV sous presse Chaque volume
Mélanges Mabillon. — In-8° 1
Melun (Le vicomte Armand de^. — MgrBAUNARD. In-S" écu
Mémoire de la mission des Capucins près la reine d'Angleterre (1630 à 1669). — P. Cyprien de Gamaches, P. Appolinaire de Va- lence. In-12
Méthode pour réciter le Rosaire. — D'après le B. Grignion de Mont- fort, 8 pages in-32. La douzaine
Meysson (Vie intérieure du Frère Marie Raphaël H.). — P. F. Pib Bernard. In-12
Miettes évangéliques. — P. Théodore Ratisbonne. In-12
Miracle de saint Dominique à Soriano (Le^. — P. Fr. Marie Rouard DE Gard. In-8°
Mission (Une} en Ethiopie. — P. Alfred de Carrouges In-12. . .
Mois d'avril (Le) consacré à la Sainte Face. — P. Exupère de Prats- de-Mollo. In-32
Mois de Marie. — Abbé J. Ribet. In-16 raisin
e POUSSIELGUE - 17 — PARIS
î Marie à l'usage des femmes chrétiennes. — M. de Mézange
lnt-André. In-16 carré 2 »
Marie de Notre-Dame de Séez. —Abbé Courval. In-18 . . 1 50
î Marie du clergé. —P. Constant. In-32 raisin 1 50
! Marie et du Rosaire (Entretiens pratiques pour les). — Abbé
î DE Lapparent. In-i6 carré 1 50
! sainte Elisabeth de Hongrie. In-32 raisin 0 60
■■ saint Joseph (Le. — M'"^ Netty du Boys. In-32jésus. ... 1 »
raphique de saint Joseph. — P. Eugène d'Oisy. In-32 .... 0 60
i Sacré-Cœur de Jésus. — A. M. D. G. In-32 0 75
etit) du Sacré-Cœur de Jésus. — A. M. D. G. In-32 .... 0 50 i Sacré-Cœur, extrait des écrits de la Bienheureuse Margue-
larie. — In-32 jésus 1 25
e (Histoire de sainte). — Mgr Bougaud. In-12 4 »
îmbert, d'après ses papiers et sa correspondance. — P. Leca-
3 volumes in-8' écu, portraits. Chacun 5 »
(La) dans ses principes. — Abbé Desers. In-12 2 50
I sociale. — Abbé S. Verret. In-12 1 60
! personnelle. — Abbé S. Ve«ret. In-12 1 60
|i d'aujourd'hui et morale chrétienne. — Abbé Desers. In-i2 . 2 » I de développer par l'éducation, la dignité et la fermeté du
itère (Des). — Chanoine G. Ginon. In-i8 raisin 1 25
le divine (La). — Abbé J. Ribet. 4 volumes in-S" écu. ... 20 »
i. — Abbé C. Ract. In-8% illustré 4 »
les (Deux) au S.-C. de Jésus. — P. Cormier. In-32 jésus ... 1 »
le en l'honneur de saint Dominique. — Abbé Trichaud. In-32 0 40 le en l'honneur de sainte Catherine de Sienne. — Abbé Tri-
. In-32 0 40
le en l'honneur du Saint-Esprit. — P. Marianus. In-18. . . 0 30
:(Le P.) de la Croixille. — P. Dieudonné. In-8» 1 »
iens dans l'Eglise (Les). — Mgr Baudrillart. In-16 1 »
sur l'association des familles consacrées à la Sainte Famille
izareth. — 6 pages in 32. Les dix exemplaires, net 0 25
lame de la Trappe de Staouéli. — Abbé G. Chollet. In 8» écu, ill . 2 50
eligion. — Abbé H. Delor. In-8'' 4 »
rtyrs (1789-1799). — P. Léopold de Chérancé. In-12, 2 50
Testamentum D. N. J. C. — In-32 raisin, encadré 1 25
ie l'exposition et adoration nocturne (L') du Très Saint-Sa- int, en France et à l'Etranger. In-18 jésus 3 »
je Saint), considéré au point de vue de la piété. — L. Ba-
tn-12, gravure 3 »
e la Divine Providence (Petit). In-32 0 15
e la Sainte Vierge (Petit) et petit Office de l'Immaculée Con-
D. In-32 encadré 0 30
3 la sainte Vierge, suivant le rit romain (en latin), sans ren-
In-32 0 30
ME. In-18 gros cjidclt'res 1 »
Librairie POUSSIELGUE — 18 —
Office de la sainte Vierge, rit franciscain. In-32
Le même. In-18
Office de la sainte Vierge, rit dominicain. In-32 raisin
Le même, ln-18 gros caractères 1
Offices de l'Eglise, complets, expliqués et annotés. — M^deBarberey Gros in-32 Jésus (900 pages)
Office du très saint Sacrement suivant le rit romain, en latin et en 1
français, ln-18
Le même. In-8» Jésus, gros caractères
Offices en français (Petits), ln-32, encadré
Olier J.-J. (1607-1657.). — Abbé G. -M. de Fruges. ln-12
Olier (Lettres spirituelles de M.). — 2 in-32 raisin
Oraison (L'). — Abbé Gillot. In-12.
Ouverture de conscience (L'). Texte et commentaire du décret du 17 dé- cembre 1890. — P. Pie de Langogne. ln-18 raisin
Paedagogus asceticus novitiorum regulariorum instructor singulari- ter propositus ac praefixus novitiis ordinis. F. Praedicatorum. ln-18
Pages amies : Aux collégiens et à leurs maîtres. — P. Suau. ln-12 .
Pages d'Evangile. — Abbé Planus. 3 in-12. Chacun
Par l'Espérance. — Abbé DE GiBERGUEs. ln-18 raisin.
Paroissien de la jeune fille (Le). — Mlle Juliette Saglio. ln-18. . . .
Pasteur apostolique (Le). — P. Ducos. P. Bion. 2 in-12 .
Pasteur des petits agneaux (Le). — Abbé Laden, ln-18 raisin. . . .
Paul (Vie de saint). — AbbéVix. In-S» raisin
Paule (Histoire de sainte). — Mgr Lagrange. ln-12
Paulin de Noie (Histoire de saint). — Mgr Lagrange. 2 in-12, grav.
Pèlerinage de Claude Albany. —0. RicHEMONT. ln-12
Pensées d'un chrétien sur la vie morale. — M. T. Crépon, ln-12 . .
Pensées d'une croyante. —Marie Jenna. ln-32 raisin, encadré . . . .
Pensées et affections sur la Passion de N. S. Jésus-Christ. — P. Gaetan-Marie de Bergame. 2 in-32 jésus
Pensées et aflfections sur les mystères et sur les fêtes. — P. Gaetan- Marie DE Bergame. 2 in-18 raisin
Pères de l'Oratoire (Les) qui ont été èvêques. — ln-12 .
Perfection des jeunes filles (La). — Abbé Chevojon. ln-32 raisin. . .
Perfection chrétienne (De la) et de la perfection religieuse. — P. Barthier. 2 vol. in-S" .
Péril de la langue française (Le). — Abbé Vincent. ln-18 allongé . .
Perraud (Le Cardinal). — Mgr A. Baudrillart. ln-8''
Pététot (Éloge funèbre du R. P.). — Abbé Le Rebours. ln-8° avec portrait gravé par M. Henriquel Dupont
Petits-fils (Les) du Grand-Roi. — P. Edouard d'Alençon. ln-8". . . .
Petites Sœurs des Pauvres (Histoire des). — Abbé Leroy. In-S» . . .
Peur de Dieu (De la). — Abbé Cellier, ln-18 Jésus
Pie (Histoire du Cardinal). — Mgr Baunard. 2 in-8% portrait . . .
POUSSIELGUE - 19 — PARIS
3aint-SuIpice. — Mgr Baunard. In-8° 0 40
.— J.GuiBERT. In 32, encadré 1 50
iphique (La) proposée aux âmes de bonne volonté. —
DE Nantes. In-18 1 50
pour les langues mortes. — Th. JoRAN. In-12 1 »
'exil. — Abbé Bonneau. In-18 1 50
saint François (Le). — Anatole de Ségur. In-18 raisin. . . 1 30
(Quelques conseils aux religieuses sur la). In-16 1 50
le (La). — P. Désiré. In-32 0 30
le l'amour de Dieu. — Abbé de Gibergues. In-i8 raisin. . . 5 »
le l'amour envers le Cœur de Jésus. — Gr. in-32 raisin. . 1 50 de la Communion spirituelle. — P. François de Vouillé :
UTES LES AMES PIEUSES. In-18 1 25
s JEUNES FILLES. In-32 jésus 1 25
s GARÇONS. In-32 Jésus 1 25
étape (La). — Comte A, de Mun. In-S" raisin 0 25
oas verslebonDieu. — Mlle DE MoNTGERMONT. Id-32 jés. g" av. 2 50
pompiers de Paris (Les). — P. Edouard d'Alençon. In-8'' . . 2 »
on à la mort. — R. P. Ingold. In-32 1 »
e (La) divine et la liberté humaine. — Siméon. Ic-18 jésus. i 75
jansénisme du P. de Sainte-Marthe (Le).— P. Ingold. In-8». 2 »
3). — Abbé Planus. 3 in-i8 jésus. Chacun 3 »
cérémonies pour la consécration d'un évêque.— In-18 jésus 0 50
cérémonies pour la consécration d'une église. In-18 jésus. 0 60 (Essai sur la) de N.-S. J.-C. — P. Jean-Baptiste du Petit
:>. In^" 5 »
(Dix) de sainte Catherine de Sienne. — In-32 raisin. ... 0 60
ancien, solution nouvelle. — P. Hilairede Barenton. In-8". 1 50
tion normale du latin (Traité de la).— Abbé Meunier. In-18 jés. 0 80
tibus (De) linguae latinœ. — Nomigo. In-8* 3 50
tisme (Du) et de toutes les hérésies dans leur rapport avec
isme. — A. Nicolas. 2 in-S" 7 »
a). — J. Guibert. In-32, encadré 1 »
onseils aux parents et aux maîtres sur l'éducation de la).
Fonssagrives. In-i2 1 25
its ans de concordat. — Mgr A. Baudrillart. ïn-12 .... 3 50
ïiférences sur la foi chrétienne. — Abbé Désers. In-I2 . . 1 25
ievenir les facultés libres. — Mgr d'Hulst. In- 18 raisin. . 0 75
pages du «Livre». Poésies. — M. Ch. Lejard. In-12 ... 1 50 réflexions sur l'Encyclique du 16 février 1892. — Cardinal
». In-12 1 »
Homérique et Variétés littéraires. — Abbé Bertrin. In-12. 3 50
éméraire et mal posée (Une). — MgrLATTV. In-S" .... 0 60
médis du Rosaire (Les). — P. Pradel. In-32 0 40
loge de). — Abbé P. Vignot. In-12 1 »
Librairie POUSSIELGUE - 20 -
Raisons d'espérer une renaissance chrétienne. — Mgr d'Hulst-Ih-I^ Ratisbonne iLe T. R. P. Marie-Théodore), d'après sa Correspondanc
et les documents contemporains. 2 in-S", portraits '
Ravignan R. P.) : Conférences de Notre-Dame de Paris il837-184€'
— 4 vol. in- 12 '
Raymond de Capoue (Le BxK — R. P. H. M. Cormier. In-S" ....
Raymond de Capoue (Vie du BxK —P. J. Lafoxt. In-12
Raymundi Capuani iB.). Opuscula et litterae. In-S", portrait, toile . Rayons de vérité. —P. Théodore Ratisbonne. In-18jésus. .... Recrutement des instituteurs et des institutrices libres. — J. Gui
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Recueil de prières pour les personnes empêchées d'aller à l'églis» par l'âge ou la maladie. — P. Ingold. In-18
Recueil de prières et de cantiques à l'usage des associées du Sacré- Cœur de Jésus et du Saint-Cœur de Marie. In-18
Reflets du passé. Nouvelles études d'àmes. — Em. Terrade. In-12.
Réginald de Saint-Gilles (Vie du Bienheureux). — P. Emmanuel Cesls Rayonne. In-12
Règlement des Sœurs du T. 0. de saint Dominique. In-18
Règlement et pratiques enrichies d'indulgences. — P. Pradel. In-35
Régula sacerdotum sœcularium ex sacris monumentis deprompta. - P. François de Bénéjac. In-18
Religieuses dominicaines (Histoire des). — M. Th. deBlssierre. In-12!
Religieuses franciscaines (Notices sur les diverses congrégations de
— P. Norbert. Jn-12, illustré
Reliques (Les) de saint Thomas d'Aquin. — Mgr Douais, ln-8'' écu Reliques d'histoire : Notices et portraits. — Mgr Baunard. In-8''. .
Le même ouvrage. In- 12
Renouvellement (Le) religieux. —M. J. Guibert. In-18 ,
Réparation! — Abbé de Gibergues. In-18 raisin
Réponses aux questions d'un Israélite de notre temps. — P. Th. R
TISBONNE. In-12
Représentation (La) du Christ à travers les âges. — F. deMely. In
nombreuses gravures
Respect (Le) de l'enfant. — Abbé Moïse Cagnac. In-12
Responsabilités (Nos). — Abbé de Gibergues. In-18 raisin .... Résurrection (De la) à l'Ascension et du Cénacle à Rome. — In-18 ra
Retraite (La). — P. Pacifique de Saint-Pal. In-12
Retraite ecclésiastique d'après l'Évangile et la vie des saints. — R
P. H. -M. Cormier. In-8^
Retraite fondamentale. — Rme P. H. -M. Cormier. In-8''
Retraite (Une)prêchée aux adoratrices du Sacré-Cœur.— Abbé Gillc
In-i6 carré
Retraite spirituelle. — J. Guibert. In-12
Retraite : De l'Imitation de J. C. par l'Imitation de saint Franco
— P. Eugène d'Oisy. In-32
POUSSIELGUE — 21 — PARIS
>éraphiqiie ou exercices spirituels. — P. Joseph de Dreux.
IsiD 1 23
(Trois) à l'usage des Religieuses.— P. Ratisbonxe. In 12 . 3 50
de N.-D. (1891-92-94-95-96). — Mgr dHulst. In-8°. Chacune. 0 50 5) du Catholicisme en Angleterre au XIX® siècle. — J. Gui-
-12, onze portraits 3 50
lu clergé catholique dans la lutte contre l'alcoolisme.— Abbé
X. In-S" 0 30
Livia (Le Bienheureux). — P. H.- M. Cormier. In-S" .... 0 25
^e). Notice, indulgences, méthode pratique. In-32 0 20
ar semaine (Un). — P. Pradel. In-32 raisin, 16 gravures. . 0 80
srpétuel Le I. Notice et méthode pratique. In-32 0 20
''ie de la Sœuri. — M. de Melun. In- 12 portrait 1 50
'iterbe Sainte). — Abbé Barascud. In-12 1 50
tique effeuillée (La). — P. Marie-Augustin. In-32 raisin . . 0 75
: de saint Jean-Baptiste de) Un ami du peuple]. In-S" ... 2 » Lej du Chant grégorien, d'après Gui d'Arezzo. — Mgr Fou-
n-S" Jésus 2 »
ts (Les . — Abbé Desers. In-12 2 50
de Loigny ^Le) : La bataille du 2 décembre 1870. — Abbé
AGRIVES. In-18 raisin 1 »
Bux (Le) ou Vie du Bienheureux Crispin de Viterbe. — P. Pie
lOGNE. In-12 1 50
inmunion Lai. — Abbé de Gibergues. In-12 1 oO
ierge (La). Etudes archéologiques et iconographiques. —
r DE Fleury. 2 in-i", 157 planches et 600 sujets 100 »
îrge (La) dans l'art, Conférence. — Abbé Casabianca. In-S" . 0 50
Dur jeunes filles. — Mgr Bolo. In 12 3 50
Drit et vertus du Bienheureux J.-Baptiste de la). — Cha-
LAiN. In^" 6 »
itoire de saint Jean-Baptiste de la). — M. J. Guibert. In-S"
portrait 6 »
E ouvrage. Petit in-4° illustré 15 »
et vertus de saint Jean-Baptiste de la). — M. J. Guibert.
u, portrait 3 50
(Notice sur le P.). — G. Loth. In-12 1 »
le (Jérôme) et la statue de Luther à Worms. — P. Fr. Pie
iouARD DE Card. In-8'' 1 50
fe bleu (Notice sur le). Feuille in-18. Le cent (sans trei-
net 2 50
e de la Passion de Jésus-Christ (Le) et des SS. Cœurs de
i de Marie. — M. Baudrez. In-32 raisin 0 70
le la religion (La). — P. Chabin. ln-8'' 5 »
(Les) pour tous. — J. Leday. In- 12 2 »
t chrétien dans la poésie romantique (Le). — In-8° raisin. 6 »
lâbraîrie FOnSSIELGUE - ±â —
ScntÎMeiits de saint Tkmnas d'Aquin et de saint Alphonse de Uj
fvoii, s»p reatrée «i rellgioo. In-^
Scrapliîa !« de l'^Ecole, — P. Evaxôelisti: de saest Beat. In-8». S?mrz? f: .-Jl34»tîons a«x hommes seuls. — Abb? Boossos. Srnz.'is f. tllacstîaBS de ciFceastaBce. — Abtie Bonssox. In-I Srnzr-î ; .iff-rnces pour le carême. — Abbé Hcl^m Sem.zî . r . ras et aDeortieBS d« R. P. Henri r.-iLir-if La,
îiiley L-es ou l'Agnoticisme. — Abbé el da - ht^ raisin piqné
«u
de l'Eglise catholiqne
E:i :>-Vi i — ? zir :i 5 -3.3«»kt. 2 in-li, portrait
f T Vi if . I: îf ir "rsuce 19lO-19CO . — M^ Bauxabb. :
rrations. In-S» éca
-'z-ïz-e. — Paul «jArceEa. net . . if "rince, d'après la loi dn 11 de
n-3â, ^Tomo
^ loi du i- avrU iSSS. —
:a qiie?tîo« sociale. — Abbé I^xassus. - ? tsjlMb. InS* éco, portrait . — Chan. Sooxn». In-8». 8 — Ht Cairaioîï . In-3â raisin . . i ?cr« céleste est pariait. — Abbé
lins le
rzel — La repréunluii i-T 'i-! rc^. iHnstré .]
- -_:.:t Zj^mus. In-S».
15 :: -:ii_.:esitede IXden. — P.
.; i^.-re — 'JdTsse RicaiiKwoarT. In-iS
. — M. E. CAMsam.. Ia-12. . .
:=. 50© -lEfflTTc, sfô litres. — Ahbé Pasi
P. SfiajŒs-MAmx ^ S. Asnû. 1 gono. — P. Midiel Hsiu&. 6 in-1 f s médicales. — P. DcBacurc
- In-i*
. ^e In-li
|2 POCSSIELGïïE — 23 — ? - :
mystique Manuel de . — Abbé Lejeuxi, In-12 2 >,
Vlrobabilitatis De . — P. Fr. Maria-Ambr*>5io Pottoît. Iii-ê* . 2 30
(Panégyrique de sainte . — Mgr Bau^abi». In-18 0 75
(Pensées choisies de sainte . — In-l5 0 Gfj
d'Aqnin le saint et le docteur . — Mgr LyAiut. ImS* .... 0 50
é'Aqniin Saint . — Jules Didiot. In-12 2 »
d'Aquin Les reliques de saint . — Mgr Douais. In-*' .... 10 »
i'Aquin S. et l'Encyclique aetemi Patris. — P. Cbocar^îïi. L»-8» 1 25 Le . remède social et sanctification du prêtre. — P. Ai^Bfz»
UGE. In-lâ 1 »
e Le . ou Darwin et son école. — Abbé A. Bt^on. ls-9* 0 30
■ouTeau des Indulgences. In-32 0 05
et Cornélius a Lapide. — Abbé M. Barbier. 4 in->r raisin . . 32 > e du saint Rosaire Le . on les martyrs dominicains dn Japon.
Iiiidré Marie. In-lî raisin 0 25
lose et hygiène. — Paul Ber>abi>. In-S* jesus 1 .50
stion téméraire et mal posée. — Mgr Latit. Ib-8' 0 60
d'eniant. — Un volume in-16 raisin, cadre bleu 2 a
ités catholiques de France et de 1 étranger (Les). — Mgr Bau-
In-lS raisin 1 -,
e la langue latine De 1' dans renseignement de la théologie.
.' Lattt. In-S . 0-31
îciim du missionnaire capucin. — P. Norbert de la Crocxilu:.
1 S
du tertiaire de saint Dominique. — In-3â raisin. ... 0 40
i Gama. — Abbé Paul Barbieb. In-16 raisin 0 60
Tertos. prières, recueillies des saints Pères et Docteurs catho-
— Mme Ernest Bertrand, ln-32 Jésus broché 2 73
Saint Vemv. Wemer. Garnier . martyr, p^tr^n des vigne-
— P. Hexbi DE Grèzes. In-12 1 5<)
Misse, poésies. — Paul Blaj^chemaeç. In-ii portrait 3 50
çangile! — Abbé S- Verbet. ln-12 2-50
Louis . joumaliste. - Abbé Fo^ràSAôRivEs. 1b-1S 0 75
Le Bx J-B . —A. Germao. In-12- l K
i etsesrisTaes — Abt-é Fo^rssA^^airïs. ln-12 1
ante Introduction à la . — Mgr Bolo. ln-12 3 -5C
îtienne dune dame dans le monde. — P. &e Rati^xa^. . . 3
la tragédie de Racine La . — G. Le Kdous. in-12 3 5i-
deure La . Conférences. — Abbé P. Visxot. In-i2 3 5l'
r les autres La . Conirrencrs. — Abbe P. Vie^or. ln-12- . . 3 50
fiuil La . — Mgr Bôlo. In-li 3 5C*
histoires pour les jeunes. — Aibé P. Barbier. în-16 carre. 2 50
La. et l'Emmanuel cln<^ante!iaire de la définition do^raatiqve
imaculée Conception . — Abbé A. Lexajv^. In-S\ gravure . . 61
arie et le Plan dirin La . — M. Auguste Xioûlas. 4 in-S* . ^ »
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Librairie POUSSIELGUE — 24 —
Vies de quatre des premières Mères de l Ordre de la Visitation Sainte- Marie. — R. M. F. -M. DE Chaugy. In-S"
Vincent de Paul (Histoire de saint). — MgrBouGAUD. 2 in-8", 2 portraits Le même ouvRAtrE. 2 in-12, 2 portraits
Vingt années de rectorat. — Mgr Baunard. In-8° écu
Visitation de Toulouse. — Mgr Douais. In-8° jésus, illustré
Vocation (La question de la) : Instruction religieuse au Collège. — P. Delbrel. In-8° raisin
Vocations sacerdotales et religieuses dans les collèges ecclésiasti- ques (Des). — P. Delbrel. In-i8 Jésus
Voies du salut aplanies (Les). —P. Fr. André Pradel. In-32 ....
Voix qui prient. Poésies. — P. Serxin-Marie de Saint André. In-12.
Voix qui prient (Nouvelles). Poésies. — P. Sernin-Marie de Saint- André. In-12
Vollot (Souvenirs de l'abbé H.). — Abbé Alexis Crosnier. In-8° jésus.
Voltaire. Lettres philosophiques. — Abbé Bertrin. In-8»
Vrau (Philibert) et les œuvres de Lille. — Mgr Baunard. In-S" écu, net
Yvan (Notice sur le R. P. Antoine). — P. Cloyseault. In-i2
Zèle de la perfection religieuse (Du). — P. J. Bayma, P. Olivaint.
Paris, le /e^- août j^u
Paris. — Imp. Levé, rue Cassette, 17. — S.