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ANI> BlNDIil^ be, PARIS; it, Nl'.VV YORK

ŒUVUKS POSTIIUMKS

DE

PAUL VERLAINE

s/tyCAnz.

(KUVHKS 1M)ST1II;MKS

DE

PAUL VKH LAINE

I

VERS DE JEUNESSE VARIA PARALLÈLEMENT [addltioni

I) Kl) ICA CES (additions) SOUVENIRS- HISTOIRES COMME ÇA

Iimi: DériMTlB COLLATIONNÉ SUS LES ORIGINAUX

PARIS I I

ALBERT MESSEIN, ÉDITEUR

Successeur de LÉON V A N I E II

l(), iil Al SU> I -MICHEL, HJ

i gi i

IL A ÉTÉ TIHÉ :

Dix exemplaires sur papier de Hollande, numérotés de 1 à 10.

On i murer, t. dans cette édition définitive du Tome premier des Œuvres posthumes, toutes les oeuvres i en effets « posthumes », dont se compo- sait le Tome unique de la première édition, mais

dans un ordre plus clair et plus logique^ et allégées de quelques poèmes qui, déjà publiés dans les précédents recueils, n'avaient été répétés dans celui-ci que par erreur.

VERS

I VERS DE JEUNESSE

i.ks i»n:i \ i

Vaincus, mai- tt&t domptés, exiles, mais vivants. El malgré les édits < ï » - l'Homme et Mfl HrtWtftfMi,

Ils n'onl point abdiqué, crispant leurs mains (en., Sur dis tronçons de fetfptf0, et j/xlcn! dans Ifs wnK

Les nuages coureurs aux caprices mouvants Sont la poudre des pieds de ces speetred rapaces

El la foUdre hurlant à travers les espj

N'es! qu un écho lointain de leurs durs olifants.

Ils sonnent la révolte à leur tour contre l'Homme, I.enr vainqueur stupéfait encore et mal remis D'un tel combat avec de pareils ennemis.

Du Coran, des Yédas et du Deutéronome.

De tous les dogmes, pleins de raire, tons les dieux

Sont sortis en campagne : Alerte ! et veillons mieux.

(i) Sonnet de jeunesse publié sur une copie.

TORQUATO TASSO

Le poète est un fou perdu dans l'aventure, Qui rêve sans repos de combats anciens, De fabuleux exploits sans nombre qu'il fait siens, Puis chante pour soi-même et la race future.

Plus tard, indifférent aux soucis qu'il endure, Pauvreté, gloire lente, ennuis élyséens, Il se prend en les lacs d'amours patriciens, Et son prénom est comme une arrhe de torture.

Mais son nom, c'est bonheur ! Ah ! qu'il souffre et jouit,

Extasié le jour, halluciné la nuit

Ou, récipi'oquement, jusqu'à ce qu'il en meure !

Armide, Eléonore, ô songe, ô vérité !

El voici qu'il est fou pour en mourir sur l'heure

Et pour ressusciter dans l'immortalité !

SUR II' G U.VAIRE i

Lorsque Jésus fui mort, cl comme une raréole S'allumait bleue su front blanc du Nazaréen, Plus paie qu'un cadavre et pi us tremblant qu'un chien, Le bon larron prenant brusquement la parole :

< Compagnon, quedis-lu de lout ceci ? Moi ? Rien, Répondit le mauvais larron. Rien, Ame molle, Rien, ô cerveau chélif qu'un tel prodige affole, Sinon qu'en pendant cet homme l'on fit bien. »

Un coin du ciel s'ouvrit soudain comme une porte,

Et la foudre s'en vint brûler l'audacieux

Qui hurla, puis reprit : « On a bien fait, n'importe ! »

Un corbeau qui passait lui creva les deux yeux, Kt vers ses pieds mordus se dressait une louve. Mais l'Obstiné cria : « Qu'est-ce que cela prouve ? ■■

(i Sonnet de jeunesse publié sur une copie.

L'ENTERREMENT

Je ne sais rien de gai comme un enterrement ! Le fossoyeur qui chante et sa pioche qui brille, La cloche', au loin, dans 1 air, lançant son svelte trille, Le prêtre, en blanc surplis, qui prie allègrement,

L'enfant de chn-ur avec sa voix l'raiche de lille, Etquand,an fond du trou, bienehaud, douillettement, S'inslallc le cercueil, le mol éboulemenf, De la terre, édredon du défunt, heureux drille,

Tout cela me paraît charmant, en vérité !

Ht puis,, tout rondelets sous leur frac écourté,

Les croque-morts au nez rougi par les pourboires,

Et puis les beaux discours concis, mais pleins de sens, Et puis, cO'urs élargis, fronts flotte une gloire, Les héritiers resplendissants !

1/ WIl DE LA NATIII I

J'crach1 pai sur l'aris, c'eel rien chouelt1 ! Mais COmm1 j'ai une âm' de poèt',

l'on- 1rs dimanche j'sors de ma boît' El j'm'en vaia avec ma compagne

A la campagne. Vins prenons un train de banlieu1 Qui nous brouette à quèque lien1 Dans le vrai pays du p'til bleu, Car on nlxtit pas toujours d'champa<,rne

A la campagne. KIT met sa rob' de la Hein' Blanch', Moi. j'emport1 ma pip' la plus blanch' : .l'ai pas d'rhemis', mais jmets des maneh'. Car il Tant bien quTéléganc1 rè^ne

A la campègne. Nous arrivons, vrai, c'est très batt" ! Des éeaill's d'buîtr's comm' chez Baratt' Et des cocotl's qui vont à patt', Car on est tout comme chez soi

A la camp quoi !

12 VERS DE JEUNESSE

Mais j 'vois qu'ma machin' vous etn.. .terre, Fait's-moi sif,rne et j'vous obtempère, D'autant qu'j'demand' pas mieux qu'de m'taire. Faut pas se gêner plus qu'au bagne, A la campagne,

Ql \ i i;.\i.\ (i

D'ailleura cm ce temps léthargique, Sana -;;iîlé comme sans remords, Le seul rire encore logique, C'est celui des tètes de morts.

(1) Quatrain écrit en épigraphe à Claire Lenoir de Villicr* de l'iblc Adam.

VARIA

EN 17...

Le parc ril de rayoni tamix

De baisers, d'éclats de voix de femmes... L'air sent bon, il est tout feux tout flammes, El les cœurs, aussi, vont, embrasés.

Une flûte au loin sonne la charge Defl amours altièrefl et frivoles, Des amours sincères et des folles, El «le l'Amour multiforme et large.

Décor charmant, peuple aimable et fier: Tout n'est que jeunesse et que joie, On perçoit des frôlements de soie, On entend des croisements de fer.

Maintes guitares bourdonnent, guêpes Du désir élégant et farouche : «Beaumasque, on sait tes yeuxet ta bouche». Des mots lents flottent comme des crêpes.

18

Pourtant, c'est trop beau, pour dire franc. Un pressentiment fait connue une ombre A ce tableau d'extases sans nombre, Et du noir rampe au nuage blanc !

O l'incroyable mélancolie Tombant soudain sur la noble fête ! De l'orage? ô non, c'est la tempête ! L'ennui, le souci? C'est la folie !

i5 janvier 1889.

ÉVENTAIL DIRECTOIRE

/"' groupe de branche*.

Madame, pa'mi tant d'amants Qui vous tou'nenl des compliments Daignes ac'éter les sé'ments 1 l'un inc'oyable.

2* groupe.

De tous les feux, en vé'ité, Dont nous Ratifia l'été, Ze b'ûle pou1 voVe beauté.

C'est eflTovable.

Groupe du milieu.

Fi du fa'ouce Messido' Et de ce tiède The'mido1; C'est bien le tou' de F'utido', Mon petit anze.

20

Aimez-moi ! Z'ai tant soupi'é, Tant expi'é, tant conspi'é Aux fins de me voi' ado'é, Foi de Do'lanze!

4"- groupe.

Qu'il se'ait bien c'uel à vous De ne pas p'end'e pou' époux Fût-ce une heu'e ce moi jaloux, Disez, 'ieuse ?

ôp groupe.

N'est-ce pas, cou'onnez mes feux, Faisez g'âce à mes meilleu's vœux, 0 vous, mon cœu', à mes zyeux Top mé'veilleuse !

ROTTERDAM I

Après qu'il ii franchi d'abord les terres vertes, Pleines d'eau régulière cl qu'un moulin à vent Gouverne a chaque bout de champ, plus L'en-avant Et l'en-arrière îles écluses graud'ouverles

Formant des lacs d'une mélancolie intense, Presque sinistres dans l'or sanglant de cieux noirs (pielque voile noire, on dirait, par les soirs, quelque môle noir, on dirait, rôde et danse,

Le train comme infernal et méchant sous la lune Tout à coup rôde et danse, on dirait, à son tour, Et tonne et sonne et tout à coup, comme en un four De lumière très douce et très gaie, un peu brune,

(l) Pièce insérée dans quinze jours en Hollande.

•22

Un peu rose, telle une femme de luxure Apaisée, entre en des barreaux entrecroisés Au-dessus d'une ville aux toits entrecroisés. Aux fenêtres d'où la vie appert, calme et sûre,

Bonhomme, et forle et pure au fond et l'assurante Combien ! après tant de terreurs de cieux et d'eaux Regardant défiler à travers des rideaux, Galoper notre caravane délirante.

Novembre i8()a.

LE CHARME M" VENDREDI SAINT

La cathédrale est grisa admirablement.

Tandis que le jour luit adorablement

VA que les arbres soul verts tout doucement.

I.e> paysan> sont naïfs cl ili- province,

Pour la plupart parents, dont la toilette grince.

De Parisiens dont l'orgueil u'est pas mince

De les promener autour du fameux monument (v>ni, néanmoins froissant l'orgueil de leur village, Semble à leurs yeux matois quelque chose qui ment Et va, comme un peu vil, dans le sillage

Des bateaux mouches d'ailleurs pleins abondamment

D'une clientèle amusante en diable

Qui file néanmoins, dévots irrémédiables.

Voir les autels déserts et les tombeaux décorés richement.

Paris, jeudi 3o mars i8o3.

Le soleil fou de mars éveille encore un peu plus la verdure Des lins arbres du quai bordant la beauté pure Et forte de la cathédrale on dirait en guipure

De pierre, on croit, immémoriale et si dure !

Les cloches de la veille ont fui (leur âme, au moins,

S'est tue) et pendent, patients témoins

Muets jusqu'au samedi lier où, lentes sur les foins,

Enfin, elles reviennent (ou, du moins, leur âme Planant sur les villes légères et les autres), Et pendant leur voyage de miraculeux apôtres A travers les humanités chastes et les infâmes,

Dans la nef désolée, seulement les flammes Des Ténèbres sévèrement bien plus sur toutes autres, S'affligent, grands ouverts, les tabernacles, âmes Muettes, symbolisant l'attente immense des apôtres.

Vendredi, 3i mars 189'J.

VOYAGES

Je voyageai dernièrement hors de Paris.

ça? Bien Loin, hélas, <lu marbre et des lambris Pompeux, oùj 'ai depuis longtemps l'honneurde vivre Mal cl peu.

J'y grisai mes yeux du plus lin cuivre El du plus rare argent des Pays-lias. De l'or De France, non ! Car la France est un fier trésor De travail cl, disons-le, de patriotisme, D'or aussi, mais saint ; l'or de mon pays, cet isthme Vers l'Alsace et vers la Lorraine, ô natal Metz ! N'est pas pour mes besoins.

Donc, par monts tant lamés, Par vaux si renommés, par campagnes trop belles Que l'amour du pays a faites immortelles, Je rôdais, aimant, presqu'autant que mon pays, Ces amis de là-bas, point de chez vous, faillis A l'honneur militaire en dépit de vos forces, Arbres réduits à rien en dépit des écorees Diverses que donc le printemps vous flanque au dos, Printemps, faiseur de guerre et leveur de rideaux !

2t) V A B I A

Mais, j'oubliais, je ne parle que de voyages

Artistiques et ceci n'est guère que gages

D'union fraternelle avec tous les pays.

Donc vivent Belgique et Hollande et que haïs

Soient tous les ennemis de la sainte Alliance

Dont nous serions si bien, l'Allemagne et la France.

i«r mai 1893.

IMPRESSIONS DE PRINTEMPS

Il esl des jours avez-voua remarqué? l'on se seul pins léger qu'un oiseau, Plus jeune qu'un enfant, et, vrail plus gai Que la même gaieté d'un damoiseau.

L'on se souvient sans bien se rappeler...

Evidemment Ton rêve, et non, pourtant. L'on semble nager et l'on croirait voler. L'on aime ardemment sans amour cependant,

Tant esl léger le cœur sous le ciel clair Kl tant l'on va, sûr de soi, plein de foi Dans les autres, (pie Ton trompe avec l'air D'être plutôt trompé gentiment, soi.

l.a vie est bonne et l'on voudrait mourir, Bien que n'ayant pas peur du lendemain. Un désir indécis s'en vient fleurir, Dirait-on, au cœur plus et moins qu'humain.

ÙS VARIA

Hélas ! faut-il que meure ce bonheur? Meurent plutôt la vie et son tourment ! 0 dieux cléments, gardez-moi du malheur D'à jamais perdre un moment si charmant.

ier mai r8g3,

EX IMii

O Jésus, voni m'avez puni moralement Quand j'élaifl digne encor d'une noble souffrance, .Maintenant que mes torts ont dépassé l'outrance. O Jésus, vous nie punissez physiquement.

L'âme souffrante est près de Dieu qui la conseille, La console, la plaint, lui sourit, la guérit Par une claire, simple et logique merveille. La chair, il la livre aux lentes lois que prescrit

Le « Fiat lux », le créateur de la nature, Le Verbe qui devait, Jésus-Christ, être vous Plein de douceur, mais lors faisait la créature Matérielle et l'autre en tout grand soin jaloux.

La Science, un souci vénérable, tâtonne, l'ssaie et, pour guérir, à son tour, fait souffrir, Et, le fer à la main, comme un bourreau te donne. Triste corps, un coup tel que tu croirais mourir,

30

Ou se servant du feu soit flambant, soit sous forme De pierre ou d'huile ou d'eau raffine ta douleur, Tu dirais, pour un bien pourtant ; mais quel énorme Effort souvent infructueux, chair de malheur !

Chair, mystère plus noir et plus mélancolique Que tous autres, pourquoi toi ! Mais Dieu le voulu/, El tu fus, et tu vis, comment? au vent oblique Des funestes saisons et du mal qui t'élut.

Et tu fus, et tu vis, comment ! miracle frêle, El tu souffres d'affreux supplices pour un peu De plaisir mêlé d'amertume et de querelle. Oui, pourquoi toi?

Jésus répond : « Pour être enfin Mienne et le vase pur de l'Esprit de sagesse Et d'amour et plus tard glorieuse au divin Séjour définitif de liesse et de largesse !

Encore un peu de temps, soullre encore un instant, Offre-moi ta douleur que d'ailleurs la science Peut tarir, et surtout, ô mon fils repentant, Ne perds jamais cette vertu, la confiance !

La confiance en moi seul ! Et je te le dis Encore : patiente et m'offre ta souffrance. Je l'assimilerai, comme j'ai fait jadis, Au Calvaire, à la mienne, et garde l'espérance.

S Mil \ 31

L'espérance en mon Père, Il est père, il eel roi, Il c^t bonté : c'esi le bon Dieu de ton enfance.

Souffre encore un instant el »'arde bien la loi,

La foi dam mon Eglise <•! toul ce qu'elle avance.

Suis humble ei souffre en paix, autant que tu pourras. Je - ii is là. Du courage. Il en faul en ce monde. Qui le sail uiieux que moi ? Lorsque tu souffriras

Cent fois plus, qu'est cela près de ma ri immonde,

Kl de mou agonie et du reste? Allons, rois, ('/est l'ait : le mal n'est plus. Tu peux vivre dans l'aise Quelques beaux jours encore et vieillir sur ta chaise. Au soleil, et mourir et renaître à ma voix. »

8 aoùl i8y3, hôpital Broussais.

Ce poème a été dit par Paul Verlaine dans les conférences qu'il lit à Nancy et à Lu ville, en no- vembre 1893. Dans le compte-rendu de ces confé- rences publié dans la Lorraine Artiste, on trouvera quelques variantes d' Ex Imo, poème jusqu'alors inédit. Le texte que nous donnons est celui du manuscrit, celui de la Lorraine Artiste lui a été certainement communiqué par Verlaine.

Voici ces variantes :

32 VARIA

3" vers de la cinquième strophe :

Croirais-tu pour un bien pourtant... Aux deux dernières strophes, quelques différences :

Sois humble et souffre en paix. Un répit? prie après. Je suis là, du courage. Il en faut à ce monde. Qui le sait mieux que moi? Lorsque tu souffrirais Cent fois plus, qu'est cela, près de ma mort immonde

Eli de mon agonie et du reste. Allons, vois, C'est fait. Le mal s'en va ; tu peux vivre dans l'aise Quelques beaux jours encore et vieillir sur ta chaise, Au soleil, pour mourir et renaître à ma voix.

La Lorraine Artiste donne comme date du poème le 5 août 93 et le manuscrit indique le 8.

SOUVENIR DC 19 NOVEMBRE 1893

Dieppe-Nevthanen.

Mon cœur es1 gfTOS comme la mer.

Qui s'exile de l'être cher !

Gros comme elle H plu* <[n'elle amer

Ma tète est comme la tempête, Elle est toile et forte, ma tète, Plus qu'elle, effrénée, inquiète...

Furieuse et triste d'avoir

Ce doux et douloureux devoir

De m'exiler au paya noir...

Mais puisqu'il le faut pour ma reine, Embarquons d'une âme sereine, Et ti de toute crainte vaine !

Ah ! quoi que fasse le bateau

Ivre des colères de l'eau

Qui tantôt s'érige en tombeau,

3

34

Tantôt se creuse, affreuse fosse, Embarquons sans nulle peur fausse, Sans nul regret menteur ! Se hausse

Au ciel ou s'abîme en l'enfer Le bateau douloureux et fier Moins que mon cœur, moins que la mer

Or, je pars pour ma souveraine Et reviendrai l'âme sereine, Chargé pour cette douce reine

De diamants, de perles, d'ors ! Et bercé, mer, en tes bras forts, Et rêvant de trésors, je dors.

RETOU R

La mer est douce comme un cœur

El je rentre dans la pairie...

La mer est forte comme un COBUT...

Mon cœur est doux comme la mer, Et je salue encor la France. Mon cœur est fort comme la mer.

La mer est dure et mon cœur dur

Comme La vengeance et la haine.

La mer moins que mon cœur bat dur.

La mer est calme, et mon cœur donc?

Tout est passé, trombe et bonace.

La mer est calme, et mon cœur, donc !

La mer est immobile, et moi Je suis impassible au possible. La mer est immobile, et moi ?

36

Moi je suis la mer, et la mer C'est moi, pire et meilleur encore, Moi je suis pire que la mer

Et meilleur qu'elle, et bien meilleurs

Et bien pires mes ires et

Mes amours crachant morts et Heurs,

Fleurs et pleurs et mon cœur avec Mon cœur qu'escortent des mouettes Gaiement tristes, claquant du bec

Comme de froid et voletant, En faibles et mignards caprices, Comme sur du feu voletant,

Du feu qui sourdrait de ce cœur Emu comme la mer, et calme Mieux et pis qu'elle, pauvre cœur,

Pauvre cœur d'orage et de pleurs Plus salés que toutes les vagues. Pauvre cœur d'orage et de pleurs...

Salut France ! Et qui m'attend donc,

Puisqu'enlin voici la patrie?

Le calme sans doute et tant donc !

On n'est pas toujours accueilli Ainsi qu'on s'attendait à l'être. Qui donc est toujours accueilli ?

Qui donc esl toujours recueilli

I )cs absents qu'on n'attendait guère,

<x)ui donc .1 toujours accueilli ?

1 > mer douce comme mon cœur,

tt mon cœur |>ln> doux qu'elle encore,

Voua li « 1 m- aussi, meref cœur,

Voua >i calmes, ô cœur et mer,

Immobile hum-, impassible

Cœur, qu'attendre ici, cœur et mer,

Sinon [ilulôl du doux amer...

A Ph...

Depuis ces deux semaines j'ai failli mourir, Ces heures lointaines Qui m'ont tant fait souffrir.

Depuis ce temps, chérie, Comme d'ailleurs depuis Si longtemps, je marie Nos cœurs, mais dès ces nuits

tu vis l'agonie

j'allais m'enlisant,

Elle semhle bénie

A nouveau, l'âme, hissant

Du tombeau pour sourire A ta dive bonté. J>,iisse-moi le le dire, Je l'aime, en vérité,

Comme il me semble, bonne, Que je n'ai pat aimé... Reçoit la (leur d'automne» Que voici. Parfumé

De peu, !•• cadeau sombre \ mi être aussi joyeux, Laisse-m'en sun re l'ombre Au soleil <lf tes yeux.

Fin août i8q3, bApîta] BrounaU.

J'ai revu, quasiment triomphal, La ville m'attendaient ces mois d'ombre. Mon malheur était lors Bans rival, Mes soupirs, qui put compter leur nombre? J'ai revu, quasiment triomphal, Ces murs qu'on avait crus d'oubli sombre.

Le train passait, blanc panache en l'air Devant la rougeàlre architecture

j'eus vécu deux lois un hiver Et tout un été sans aventure. Le train passa, blanc panache en l'air Avec moi me carrant en voiture.

Sans aventure, ah ! oui, ces hivers Et cet été, d'aventure aucune, Moi qui les aime, à titres divers, Soit en plein scandale ou sous la lune ! S;uis aventure, ah ! oui, les hivers Et cet été, la morne infortune !

\ \\i I \

I

Ingrat cœur humain I main aom iens toi, ( îenl leman improvisé qui file*, Mais souviens-toi donc. Ici la Foi T'investit l<»iu «lu péché des villes). Ingrat cœur humain, mais souviens i"i <xhi i<i la Foi l>nt les larmes viles!

Le train passe et les t «-m i>> >"nt passés, Miiis je n'ai p;is oublié la bonne, La grande aventure el je le s.iis •One Dieu m'a béni plus que personne. Le train passe, les temps sont passée, M;iis l'heure de irrace reste et sonne.

Il

CORDIALITES

A Ernest Delahaye.

Dans ce Paris l'on est voisin et si loin

L'un de l'autre que c'est une vraie infortune

De s'y voir, de s'y savoir tels, vu ce besoin

L'un de l'autre pourtant, qui donc vous importune !

Et ce désir commun à nos deux âmes l'une De l'autre et de nos esprits, mutuels pingouins L'un de l'autre, figés sur un écueil témoin Par le ilôt qui s'oppose et la croissante brune !

Si bien qu'ils sont là, nos esprits, qu'elles, ô ces Ames nôtres, sont là, pauvres monstres blessés, Dans cette ombre l'onestsiprès decœuret d'âme !

Ah ! secouons enfin cette torpeur infâme

Et soyons, non plus des pingouins, des colibris!

Prouvons que nous valons encore notre prix.

Il

1>imi\ colibris parisiens, deux cancaniers,

Sans rose se disant les fausses cl les vraies Nouvelles, disputant à propos d'elles, gaies tristes, et bavard n'ayant pas de derniers.

On Boyons, si Paris nous distance quand même, Ville importune en sa trop factice grandeur, Comme autrefois des persécuteurs de facteur

Par des lettres, toujours la même, et la suprême !

Mais si drôle en raison des de.-.-ins sans talent Aucun, mais amusants pour de pleines journées ! Envoyons-nous, morbleu ! des lettres par fournées !

Soyons le colibri, non l'oiseau triste et lent !

Ou plutôt soyons deux copains bavards de langue Et prompts de main, croquis vif et drôle harangue,

III

Pour une fête.

Impériale, puisque Eugénie ! et très douce Puisqu'elle-même et très royale, puisque moi ! Sa colère est ma reine et sa loi c'est ma loi, Sa colère, et non son caprice, jamais roi !

Maintenant, pourquoi ces ires, que je repousse Comme il faut de mon c<cur irritable pourtant, Trahiraient-elles d'un symptôme inquiétant Les rimes que je fais pour elle en cet instant?

Est-ce sa faute ou de la mienne? Ah, de la mienne ! On s'aime bien, on devrait être mien et tienne Au lieu de ce ménage à trois... dont le Soupçon,

Le soupçon et sa femelle la Jalousie, Autre monstre accoudé sur la table choisie, Qu'il faut enfin chasser sans trop plus de façon.

POUR LES GENS ENTERRÉS Al PANTHÉON

Mortfl d'à-eôté, beaucoup de cendre, quelques os. Cendre obscure, chanoine ou maréchal ou prince. Ofl connus : grand poêle ou chef d'Etat qu'évince Du monde nu tueur gOSSC, ('iimi <\v* LombrOSOS,

Etonnement des Nordaus ! Morts historiques l);ins la ville hystérique es quartier tapageur, o vous du Panthéon, votre tardif vengeur, Môles qui sommeillez sous tant de rhétorique,

Je ne vous plains pas, eerte : on jalouse les morts,

Mais on ne les plaint pas, puisqu'ils sont sans remords.

Sans espoirs, morts entiers, à ce que des gens disent.

Mais je voudrais qu'autour de ces dalles gisent Vos restes négligés sur un rite aboli, l.e silence régnât, cette Heur de l'oubli.

RENDEZ- VOUS

Dans la chambre encor sépulcrale

D.e l'encor fatale maison,

la raison et la morale

Le tiennent plus que de raison,

Il semble attendre la venue Arrivant à lents mais sûrs pas De quelque présence connue Et s'écrie entre haut et bas :

« Ta voix claironne dans mon âme Et tes yeux flambent dans mon cœur. Le monde dit que c'est infâme ; Mais que me fait, ô mon vainqueur?

« J'ai la tristesse et j'ai la joie Et j'ai l'amour encore un coup, L'amour ricanant qui larmoie, O toi beau comme un petit loup ! »

Sun œil ij morose s'allume

- I.\ iv. aux lourii pan ers, S'agace aux barbei de la plume Qu'il ;i pour écrire cei » era.

FÉROCE

Tu m'as vu mourant presque, Ou plutôt presque mort, Formant une arabesque De mon bras qui se tord,

Ecarquillant des yeux De folie et de rêve, A soi-même odieux, Attendant qu'on les crève,

Balbutiant des sons Sans pouvoir les produire, Moi, chanteur de chansons, Sans pouvoir te les dire

Je crois, on me l'assure, Que, douce, une pitié Te prit, non sans mesure, Puis désapitoyé, Ton cœur cria : c'est bien lui qu'il faut qu'on torture !

L'AIMÉE

Voici des cheveux gris el de la I >;i rl>e grise. Tu me lea demandas en un jour d'enjouement,

Pour, disais-tu, les encadrer bien gentiment Autour de ce portrait ma grâce agonise.

Pauvre « photo » ! Mais, j'y pense, il sera de mise, Quand mes yeux fatigués se seront clos dûment Et que la terre bercera son iils donnant. Il sera de saison, chérie, alors exquise

Attention ! de l'aire avec ces cheveux teints Et cette barbe, teints en boucles blondes, brunes, Ou telle autre nuance entre tant d'opportunes,

Faire par un coilléur de choix, sur des fonds peints D'avance, le tombeau, lors pleuré sans astuce. Du jeune homme qu'il aurait fallu que je fusse.

50 VARIA

II

La jalousie est multiforme Dans sa monotone amertume : Elle est minime, elle est énorme. Elle est précoce, elle est posthume !

Méfiez -voue quand elle dort: C'est le tigre et non plus le chat. Elle mord bien quand «lie mord, C'est le cliien enragé ! ("rachat,

Insulte, adultère à sa face L'affollent, et le sang ruisselle... Ou la laissent calme à sa place, Froide et coite comme pucelle.

Elle prémédite des tours Pendables sous un air charmant Et les exécute toujours AH'reusement, terriblement...

Nous ne sommes plus à des â^es Pour nous piquer de ces folies : Ah ! bien mieux nous vaut être sage», Ayant eu nos fureurs... jolies!

51

Etre jaloux, rien d'aussi toi I ii j'efface & l'instant lei \

D'un peu plus haut, v.i-iic Lrestaul I ^encore ce cruel tressaut.

Mi

D'ailleurs, la jalousie est hèle. D'abord, elle ne sert <lc rieq

Malgré tout son martel en tête-

Puis elle n'est pa& <l"un chrétien, Jésus ([ni pardonnez des milliards de fois l'aria bouche du prêtre el Votre grâce toujours prête, Même, cuire tOHS, à ceux qu'a damnés sa menteuse voix.

C'est aussi le péché morose

Portant eu lui déjà l'Enfer

Tant mérité sur toute chose !

C'est Gaïn et c'est Lucifer, L'un jaloux de s<>n frère el l'autre de son Dieu El tous deux malheureux sans lin méditant surla cause Et sur L'effet, auteurs de leur éternité de feu !

I ) rien ne vaut la confiance Entre deux Cœurs pécheurs, mais vrais. L'un pour l'autre et qu'une nuance Divisait aux temps jeunes, mais

5*2

Qui ne peuvent avoir un bonheur mutuel Et que la seule mort diviserait et que liance A la joie éternelle un franc accord perpétuel.

IV

Bah ! confiance ou jalousie ! Mots oiseux et choses impies. « Je te soupçonne, tu m'épies, » « Tu me cramponnnes, je te scie. »

() toi, Catulle et vous, Lesbies ! « Tu m'as élu, je l'ai choisie. » Comme eux suivons la fantaisie, Et non pas trente-six lubies.

Tu m'es clémente et je crois l'être, En revanche, soumis et tendre : Lors il est aisé de s'entendre.

Plus d' « infidèle », plus de « traître », Plus non plus de serment qui tienne Ou non ! mais ta joie et la mienne

Kl pourquoi cet amour dont plus d'un w>l s'étonne, Qui rerail mieux de vivre avant de B'étonner, Serait-il à blâmer parce qu'il est d'automne, Un automne qui veul tout entier se donner,

Tout entier, fruit et grain et le reste de vie

Et La mort dans les liras cl sons les veux chéris, Et, depuis cette mort en extase ravie,

Ou celle que Dieu m'enverra, pauvre ou sans prix,

Revivre inaperçu dans la paix de la veuve, Paix bénie à travers de longs et nombreux jours ? Ah ! jeunes, puissiez- vous après vos temps d'épreuve Concevoir dans vos cœurs de pareilles amours,

llô]>it;il Broussais, 7 sf>|itomI)rf" 1893.

HETRAITE

On s'isole à Paris, quelle que soil l'horreur

Apparente de vivre en ce cirque d'erreur,

De luxe dur et des trop plausibles rancunes

Du pauvre y voyant rouge, ainsi vont nos fortunes

Sociales depuis ce cher Quatre-vingt-neuf

Oui, dit-on, l'on s'isole en ce vieux Paris neuf.

Moi, vieux Parisien, ne le puis : l'habitude !

.Mais j'ai tente, pour fuir l'âpre disquiétude

De tous ces bruits méchants et de ce plat soleil,

D'habiter dans un cœur qui soit au inien pareil.

Pauvres cœurs tout meurtris, vieux de deuils et hors d'âge,

Etant restés bien trop enfants pour tant d'usage,

Ah ! consolez vos pleurs, prie/ pieusement

Pour au moins un futur tant soit peu plus clément

Et dorme/., las de vains projets et d'aventures,

Loin du bruit amorti des sols et des voilures !

Octobre i8()3.

I. 'enfant aval! revu deui bons vous dans U tête, Quelque chose de dur el de doux à la fois.

Puis il ;iv;iit encore hérité d'une voix

le commandement se mêlai! à la fête Cordiale qu'on ;i de craindre s;i maman

Si peu, niais trop parfois, on dirait une douche ! Donc ce moutard était, dans son charme, farouche

Si peu qu'il en était unique, croyes-m*en.

El j'ai lait ce sonnet qui n'est pas régulier

Pour, quand il sera grand, que lécher enfant m'aime

Kl surtout cpie sa mère, en attendant de même

Qu'il grandisse, ait pour moi, le vieil irrégulier,

Tels sentiments d'amitié franche et forte, même ! VA que vive l'enfant . pour ne pas l'oublier !

VISITES

.le n'ai pas vu d'arbres ni d'herbe Ni de ciel, sinon un seul pan, Durant tout cet été superbe Dont on me rabat le tympan. Ah ça, m'aurait-on donc jeté Dans un cachot trop mérité?

Non, je suis simplement malade. Mais un malade dès l'abord En plein large, à la débandade, Délire, coma, pris pour mort ; Puis je redevins l'alité Classique à perpétuité ?

Et ce n'est pas que je m'ennuie, Au moins, dans l'asile je suis. Pas de soleil, mais pas de pluie, J'v vis au frais, au chaud, et puis Des visiteurs assidûment Y charment mon isolement.

( i'eal toi d'abord, à l >i«i i aimée, M'apportent ai ac ta gaité 1 torénai .«lit douce, l'armée Daa victorieux procédé!

Par i|iii>i lu m'ai tOUJOUri dompté,

( lonseil juste, forte bonté...

Ki ne \"j|,i-i il pag encore,

( » miracle renouvelé

De vingt ans |»;iss«'-s, que j'implore

I tepuia lors, contrit, désolé,

Que la grâce entre et mv sourit

Do Notre-Seieneur JéauB-Ghrial !

i tetobra 1893.

A Mademoiselle Marthe.

Mignonne que je ne connais

Qm par voire doux nom de Marthe,

Votre oncle veut que de moi parte

Vers vous le meilleur des sonnets.

Le meilleur, si je puis le faire, .l'en doute fort, mais je sais bien Que je ne refuserai rien A qui se montra si sévère

Et si doux, parfait dans son art De chirurgien implacable Quelquefois, mais adroit en diable !

Aussi, vous l'aimerez plus tard, J'en suis sûr, comme il le mérite, Sans qu'à ce cher devoir comme moi son bistouri vous invile !

Hôpital Broussais,

3 novembre 189'j.

IIM'ITAL

rr\ endroit neutre il s'exhale Quelque chose de neutre trop...

Pourtant les femmes de ma salle Sont aimables, sans être au trot.

Les principes de ces personne-. Bien que par tels us harassés, Sont, malgré qu'elles soient si lionnes. Tant gentils moins que jusqu'assez,

Jusqu'à trop presque, moins la femme Française, si méchante ainsi Que ses rivales, corps et âme,

Hélas ! est donc trop presque, ainsi Qu'il le fallût et que réclame Le poète malade aussi...

LAMENTO

Ma m ir pst morte. Pleurez, mes yeux.

Vieux poète du xvi* rièolfl dont le nom m'échappe.

La ville dresse ses hauts toits Aux mille dentelures folles. In bruit de joyeuses paroles Monte au ciel, rassurante voix. Que nie fait cette gaîté vile De la ville !

Quelle paix vaste règne aux champs ! L'oiseau chante dans le grand chêne, Les midis font blanche la plaine Que dorent les soleils couchants. l'eu m'importe ta gloire pure, 0 nature !

\ V II I \ 61

Avec lc^ signet «If sei (lots, Avec ia plainte solennelle, La mer immense doui appelle, Nous loua, réveun el matelots. Qu'eal ce que tu me veux encore, Mer iom

Ah ! m léa (loti <lf> ( Icéans, Ni les campagnes el leur ombre, Ni 1rs cités aux bruits sans nombre, Qu'édifièrent <k-s géante, Rien ne réveillera ma mie Tant endormie.

OXFORD

Oxford est une ville qui me consola, Moi rêvant toujours de ce Moyen Age-là.

En fait de Moyen Age, on n'est pas difficile Dans ce pays d'architecture un peu fossile

A dessein, c'est la mode et qui s'en moque fault, Mais Oxford c'est sincère, et tout l'art y prévaut ;

Mais Oxford a la foi, du moins en a la mine Beaucoup, et sa science en joyau se termine,

En joyau précieux, délicieux : les cieux Ici couronnent d'un prestige précieux

L'étude et le silence exigés comme on aime, Et la sagesse récompense le problème,

La sagesse qu'il faut, cette douce raison, Que la Cathédrale termine en oraison.

\ \ H I A

Sous lei arceaux roman» qui virenl tantdech< E1 les rinceaux gothiques, fins d'apothéo

De s.iints mieux vénérés peut être qu'on ne croit, El mon cœur l'humilie al mon déair l'accroll

l>r devenir i«l de redevenir, loin d'elle.

Cette cité glorieuse d'être infidèle,

l'aris ! l'enfant ingrat qui s'imaginerait Briser les sceaux sacrés al tenir le secret

De devenir ou de redevenir la chose

Agréable au Baigneur, quelle qu'en soit la cause,

Kt parcftla même être encore doux et Tort,

Otoi, cité charmante et sséniorabie, Oxford!

Novembre i8(>>.

PAUL VERLAINE'S

Lecture ut iSamard's Jun Hall.

l);ms ce hall troii lois séculaire, Sur ce fauteuil dix fois trop grand, A ce pupitre révérend Qu'une lampe, vieux cuivre, éclaire,

J'étais comme en quel temps ancien ! Et l'âme, un peu, du Moyen Age M'investissait d'un parrainage Grâce à mes airs mûrs séant bien.

Ma parole en l'antique salle Ne jurait pas trop, célébrant La Foi du passé, sûr garant, L'éternel Beau, vérité s;iinte !

J'entretenais de mon pays, De cette France athénienne, Une élite londonienne Dont les vœux furent obéis

\ Mil \

Puisque de l'estrade §è\ ère

11 îif tombait, conformémenl

Au réel devoir du moment,

Que cee mois : * Bien <lii«' <-t bien foin

Ki tel bel tutre el cœtera I )mhi l'esjouil la bonne salle, Coin de la ville colossale ( >u. ce soir, I Esprit se terra..,

Je conserverai la mémoire Bien profondément et longtemps De ces miens sérieux instants j';ii revécu de l'histoire.

London, novembre i8q3, on Ihe, 21 th.

FRONTISPICE

Pour un livre nouveau.

L'amour est infatigable,

Il est ardent comme un diable,

Gomme un ange il est... aimable.

L'amour est impitoyable,

Il est méchant comme un diable.

Comme un ange, redoutable.

Il va rôdant comme un loup Autour du cœur de beaucoup Et se lance tout à coup,

Poussant un sombre « hou, hou !... » Soudain le voilà roucou- Lant ramier gonflant son cou,

\ \ Il I \

Puii en cenl métamorphoi l ..'\ rei rouget, joues i"-1 Mouei gaiea, rie moro

Et, pour liuir, mainte ch< Blanche et noire, il va, m pœe ESl meurt, \yt droit, rose écloie !

IIApital Bicliat, 7 septembre l8o4<

VIEILLES « BONNES CHANSONS » (1)

1860-1870.

I VOEU FINAL

O l'Innocente que j'adore De tout mon cœur, en attendant Qu'à ce bonheur timide encore S'ajoute le Plaisir ardent,

Vienne l'instant, 6 Innocente, Où, sous mes mains libres enfin, Tombera l'armure impuissante De la robe et du ling-e fin ;

(i) Ces trois pièces sont écrites de la main de Verlaine sur papier d'hôpital, sans autre indication de date que ce 1869- 1870. Pourtant ce ne doit pas être une copie danciens vers car il y a des corrections et des surcharges. Le papier d'hô- pital porte la mention de série Be-a4, la même que la feuille est écrite le Frontispice pour un livre nouveau qui, lui, est daté du 7 septembre 1894, hôpital Bichat. Ces trois pièces ont donc été faites ou récrites de mémoire vers Septembre 1894. Elles sont destinées au volume: Varia.

\ mu \ •'•'••

El luise .ni jour chaud de ta lampe Intime de ce premier loir, Ton corpf ingénu vers quoi rampe \l m désir guettant ion eepoir,

El \ ibre en la nuit nuptiale, Sons mon baiser jamaii transi, Ta chair naguère virginale, Nuptiale alors, elle aussi !

Il

L'ÉCOLIÈRE

Je t'apprendrai, chère petite,

Ce qu'il te fallait savoir peu

Jusqu'à ce présent palpite

Ton beau corps dans mes bras de dieu

Ta chair si délicate est blanche, Telle la neige et tel le lys; Ton sein aux veines de pervenche Se dresse en deux arcs accomplis ;

Quant à ta bouche, rose unique, Elle appelle mon baiser lier; Mais sous le pli de la tunique, Hit un baiser encor plus cher.

\ Mil V 71

Tu passerai d'humble écolii J'en suif -m' 'i je t'en réponds, Rien vite au rang <!<• bachelière I tant l'arl d'aimer les instants l>"n-.

III

A PROPOS D'UN MOT NAÏF D'ELLE

Tu parles d'avoir un enfant Et n'as qu'à moitié la recette. Nous baiser sur la bouche, avant, Est utile, certes, à cette Besogne d'avoir un enfant.

Mais, dùt-s'en voir à tort marri L'idéal pur qui te réclame, En ce monde mal équarri, 11 te faut être, en sus, ma femme Et moi me prouver ton mari.

BERGERADES

A l'instar des bergers de Virgile

Et même ceux de Plorian,

Nous aimons les belles, tout en en

Craignant moult pour noire cœur Fragile.

Surtout nous redoutons l'option

Qui nous conduirait à la sottise

De nous fâcher - Façon mal exquise

Avec Celles, noire passion !

On esi si malheureux, dès qu'on aime. De n'aimer plus on est si penaud, Qu'il semble alors qu'il faille, qu'il faut, Mourir soudain d'une mort suprême.

Et quelle mort choisir, s'il vous plait, Dans celle crise et cette tourmente? Le fer, le poison ? Plutôt, m 'amante,

Ne nous aimer qu'au calme complet

74 VARIA

Et ne pas adopter le manège Des gens échevelés bien par trop Qui mènent leur intrigue au galop, Cochers branlant toujours sur leur siège,

Ilippolvles sans frein de chevaux Non pas plus emportés que leur maître Et qui finissent toujours par être Victimes de leur course par vaux

Et par monts, 6 princes déplorables ! Sans un vers pour consoler leur mort, Sans un vers pour chanter leur effort Et du moins leurs trépas honorables,

Sans un vers d'Euripide ou Racine Pour bercer leur plainte amère et pour* Célébrer leur haine ou leur amour... Oh, ne jamais s'aimer sous ce signe !

C'est pourquoi ne point aimer du tout Que d'une amour plutôt sensuelle, Et h de la morale usuelle... Conduisons-nous suivant le bon goût.

MoNNA H OSA

l>' H [ires lin lnblrnu il- linssrtli.

Elle est seule ;ui boudoir, Kn bandeaux d'or liquide, En robe d'or fluide, Sur fond blanc, dans l<< soir Teinté d'or vert et noir.

lu pot bleu Japoniae

Délicieusement

I >'oû s'élance gaiement,

Dans l'atmosphère exquise

Ou l'âme s'adonise,

In flot mélodieux

Selon le rhytbme juste

De roses, chœur auguste :

Bouquet mélodieux. Aux conseils radieux !

76

Klle, belle comme elles, Les roses, n'élit plus, Dans ses cheveux élus, Qu'une de ces lleurs belles Gomme elle, el de ciseaux Prestes, tels des oiseaux,

La coupe ou, mieux, la cueille,

Avec le soin charmant

D'y laisser joliment

La grâce d'une feuille

Verte comme le soir

Noir et or du boudoir...

Ce pendant que persiste La splendeur, à coté Du plumage bleuté, De l'orgueil qui s'attriste D'un paon jadis vainqueur Aux jardins de ce cœur.

DEMI -TE IN TES

O la Dulcinée De ce Toboso, Toi qui m'es donnée, Ainsi qu'un oiseau Sur nia main distraite, Pour sourire un peu Ou pleurer au lieu. Pardonne au poète

L'air indifférent,

Bien qu'aimable en somme. Que parfois il prend, L'inconscient homme Moins préoccupé De vie ambiante Que d'une fuyante Embûche échappé,

78

Embûche récente Au cœur toujours neuf!. Souffre qu'il ressente D'être comme un veuf.. . Un veuf consolable, Fort heureusement, De croire ;iu serment Ecrit sur le sable.

A Mm' Marie M-- (i)

Vous fûtea bonne et douce en nos tristes tempêtes.

L'Esprit et la Raison parmi nos fureura bêtes, Et si l'on nous eût crue au temps qu'il le fallait On se fût épargné que de chagrin plus laid Encor que douloureux ! Puis, lorsque sonna l'heure Définitive d'espérer n'était qu'un leurre Dorénavant, du moins vous rites pour le mieux Quant à tel raodus vivendi moins odieux Que cette guerre sourde ou cette paix armée Qui succéda l'affreux conflit.

Soyez aimée Kl vénérée, ô morte inopportunément ! Qui sait, vous là, précise et sûre au vrai moment, Votre volonté, toute indulgence et Bagesse, Eût prévalu sans doute et nous eût l'ait largesse D'un pardon mutuel obtenu par son soin ; Tout serait dans la norme, avec Dieu pour témoin.

(i) Pour Madame Marie Mauté, la belle-mère du poète.

so

Mais Dieu n'a pas voulu, qui vous a donc reprise, Pourquoi ?...

Dormez, 6 vous, sous votre pierre grise, Qui fîtes le devoir et ne cédâtes pas, Dormez par ce novembre ne peuvent mes pas Malades vous aller porter quelque couronne. Mais voici ma pensée, ô vous, douce, ô vous, bonne !

Ier novembre 1894.

PAQ1 BS

Ok no6u, Iforta

i/urin »tdi$ti in vin ?

De Rome, hier matin, les cloches revenues Exhalent un concert glorieux dans les nues.

L'écho puissant qui Hue et tombe de la tour

Vient magnifier l'air et la terre à leur tour.

L'oiseau, sanctifié par l'or des salves saintes. Lui-même entonne un hymne aimable et, las de plaintes

(dame l'alléluia sur un air de chanson,

Dans l'arbre, au ras des prés, et parmi le buisson.

I/alouetle, un motet au bec, s'est envolée; Le rossignol a salué l'aube emperlée

D'accents énamourés d'un amour plus brûlant, Et comme lumineux d'un bonheur calme et lent.

82

Le printemps, d'hier, allègrement frissonne ; La nature frémit d'aise, et voici que sonne

Partout clans la campagne, au cœur des vieux beffrois, De Taltier campanile et du palais des rois,

Et de tous les fracas religieux des villes,

Des Paris aux Moscous, des Londres aux Sévilles,

I-e frais appel pour l'aime célébration De l'almissime jour de résurrection...

La colombe vole au sillon et l'agneau broute. Dis-nous, Marie, qui tu rencontras en route?

Le fleuve est d'or sous le soleil renouvelé... « C'est le Seigneur : en Galilée il est allé ! »

Ah ! que le cœur n'est-il lavé dans l'or du lleuve ! Sanctifiée en l'or des cloches, l'âme veuve !

Et que l'esprit n'est-il humble comme l'agneau, Blanc comme la colombe en ce clair renouveau,

Et que l'homme, jadis conscience introublée, N'est-il en route encore pour la Galilée !

ASSOMPTION

Aujourd'hui rVst m;i Icte et j'ai droit à des lîeurfl

(Sous mou autre prénom je n'ai droit qu'à mes pic u i-- .

Car sachez-le bien tous, je m'appelle Marie,

l-'.t sous dl nom puissant d'une mère chérie

Je me sens protège du mal et du péché

Qui m'avaient investi grâce au bien négligé.

Je me sais à l'abri d'un monde que j'abhorre

Kt dont je ne saurais me séparer encore.

Je nie crois détendu contre tout choc et heurt

Par ce nom qui s'en vient prier lorsque Ton meurt.

En ce jour merveilleux de triomphe et de gloire.

Il me semble que j'ai ma part de la victoire.

0 ma femme, entrons donc joyeux, c'est notre droit,

Dans le bonheur heureux... et le devoir qu'on doit.

1MUEUE

Me voici devant Vous, contrit comme il le faut. .le sais tout le malheur d'avoir perdu la voie Et je n'ai plus d'espoir, et je n'ai plus de joie Qu'en une OU qui je crois chastement, et qui vaut A mes yeux mieux que tout, et l'espoir et la joie.

Elle est bonne, elle me connaît depuis des ans. .Nous eûmes des jours noirs, amers, jaloux, coupables, Mais nous allions sans trêve aux fins inéluctables, Balancés, ballottés, en proie à tous jusants Sur la mer luisaient les astres favorables :

Franchise, lassitude affreuse du péché Sans esprit de retour, et pardons l'un à l'autre... Or, ce commencement de paix n'est-il point vôtre, Jésus, qui vous plaisez au repentir caché? Exaucez notre vœu qui n'est plus que le vôtre.

QUAND Ml- M l'-

Ali, dis, mon cœur, plutôt que cette vie D'émotion sans doute noble encor (v)ui mène au sein d'un rouge et noir décor Ton manque de toute philosophie,

Ton manque aussi, que personne n'envie, De ce qu'on va nommant un heureux sort Quelconque, et ce, .pour jusqu'à telle mort Qui sera dure, bien que la délie

VA ton courage, et ton dégoûl aussi,

Ah, dis, mou cœur, plutôt qu'un tel souci

Tumultueux parmi ce? crépuscules,

Vaut-il pas mieux conquérir cette paix Qu'on eût voulue au bon temps des souhaits? 11 est trop tard, nous serions ridicules.

27 décembre 1896, hôpital Bichat.

ACTE DE FOI

« Le seul savant c'est encore Moïse » ! Ainsi disais-je et pensais-je autrefois, Et quand j'y pense encore et, sans surprise, Me le redis avec la même voix,

Ma conviction, que tous les problèmes Etalés en vain à mon œil naïf N'ont point mise à mal, séducteurs suprêmes, T'affirme à nouveau, domine primitif.

La doctrine profane et l'art profane

Ont quelque bon, mais, s'ils naissent seuls.

C'est comme des spectres sous des linceuls.

La Genèse est claire, elle est diaphane,

Et par elle je crois avec ardeur

En Dieu, mon fauteur et mon créateur.

A CÊLIMÈNE

Boa, encore une trahison !

Quand serons-nous à la millième? Ça vaudra mieux que de raison !

J'aime en toi ce trésor sans lin D'amour en dehors l'un de l'autre El j'approuve ta belle faim.

Je ne comprends çuère Strindberg

In nom qu'à grand'peine on prononce De titre froid, tel un Spitsberg.

Plus tu nous auras tous faits tels Que tu le veux j'espère, chère, Qu'alors, sur nos fronts immortels

Pousseront aux prés, dans les bois, Partout, autant de cornes belles Que ton cœur a de beaux émois.

88

Et ce te sera sous le ciel, Témoin de l'auguste mystère, Quel hommage torrentiel

De tous les cocus de la terre ! 1 1 février i8q,").

pour i:...

o la Femme éternellement Bien-aimée !

O ma Femme, ô sincèrement Estimée !

O ma femme, si gentiment

Mieux ramée Que ce vieux moi si méchamment,

Bien-aimée,

Calomnié comme il le faul

Par l'envie, O ma femme, dont le cœur vaut

Trop ma vie,

Je me repens, tn le sais bien, A toute heure,

A tout moment, de tout, de rien, l't me leurre

90 VARIA

De l'espoir de voir pardonnes Les torts bêtes

De mon cœnr, noirs lacs sillonné;- De tempêtes...

.Mon cœur est tien, lichu eadeau,

Seule amie, Mais ton cœur si bon et si beau

Ne veut mie

Du mien. () si sincèrement

Estimée... 0 la femme éternellement

Bien-aimée !...

POUR K.

J'aime ton sourire Qui m'accueille si Gentiment ! Ainsi

Le soleil salue

L'humble Heur des champs

Echappée aux fjens.

J'aime tes yeux d'ombre Et de clarté, beaux Comme des tombeaux

D'entants et de vierges Et j'aime les coins De ta bouche moins

Aimables que drôles Pour si bien baiser Moi, pour l'apaiser,

92

Et j'aime ton âme Qui ne m'aime pas Jusques au trépas.

Et que de logique Dans l'abstention Oe cette action,

Car j'aime ta vie, Et la mienne aussi, Mais pas tant ainsi.

POUH B.

Quelle colère injuste et folle ! Au fond la colère est injuste El folle), mais combien frivole

Cette rancune si robuste!

Car robuste, elle l'est, hélas ! Jusqu'à me faire du chagrin, Ta rancune, et je suis si las De l'avoir paru ce marin

Que ballottent quatre yeux de femme, Comme autant d'astres de désastre. Qu'enfin sans néanmoins d'infâmes Capitulations, à l'astre

Qu'est la bonté, qu'est la beauté De ton âme et ton cœur si bons Et beaux comme la liberté, 0 pardon ! Mais 6 donc, réponds '.

A Eugénie.

0 toi, toi, seule bonne entre toutes ces femmes

Et tant d'hommes feignant d'aimermon triste cœur,

Toi me riant parmi leurs sourires in lames,

Me riant franchement, d'un rire point moqueur, Hypocrite encor moins, mais toujours large et libre Et qui fait rire enfin mon cœur et sa langueur,

Large comme ton cœur, libre dans l'équilibre D'une affection forte et douce que ne peut Déranger tel malheur minime ou de calibre...

Tu querelles avec justice, s'il le veut

Ou s'il ne le veut pas, mon affreux caractère...

On dirait, ta querelle, un jardin il pleut...

On dirait, ta querelle, un enfant <|u'on fait taire

Et qu'on baise bien fort au Iront, du moment qu'il s'est

Pour le récompenser du bon pli salutaire

\ \ m \

Pria d'obéir, conformément ■< la vertu.

Des enfants, d'écouter sana ré| Ire el l'instruire

l>.ui-> la lagesae <•! le devoir parfois ardu.

o toi, lâchant me plaire encor mieux, <•( séduire Encore plui mon âme el mea sens par préci- sément ttui finie et la grâce «j n i sou va luire,

La grâce de tee sens aimés, - et par ainsi Notre amour s'ennoblit d'une grâce meilleure

Par quoi voici j<>\eu\ mon rieur j.'idis Iransi.

Arrière maintenant le vain souci de l'heure

Kl du ciel Orageux, ou froid... N'avous-nous pas

A l'écart des méchants de qui j'ai fui le leurre

La certitude die ne marcher qu'à sûrs pas

Dana le bonheur, sans plus chercher, moi, l'ordeorgie,

De laquelle je suis vainqueur, non sans combats?

.1 Eugénie..

Mais il te faut m"ètre si douce ! Car tu sais ou lu ue sais pas Que je suis faible el que mou pas Flàgeolie à la moindre secousse ;

Que mon cœur qui trôna jadis, Fier de sa puissance amoureuse, Tremble et s'alarme à tels petits, Tout petits llirts, riens, viande creuse ;

Que mon esprit naguère encor Triomphal en pleine lumière, Chu de son vol d'azur et d'or, A perdu sa gloire première;

Qu'enfin mon âme toute en Dieu Lors d'un autrefois dont les anges Furent participants, au lieu Des cieux, erre ès-Hmbes étranges...

< >ni, toi douce ! e( toul esl Bni

Dm mal languide qui m'oppresse,

Kl qu'à ]■ un. lis ton nom béni

Ferme les sceaux de ma d< i

/EGRI SOMMA

Depuis dix ans, ma jambe gauche, Tu me jouas combien de tours ! C'en est lassant, cela me fauche, Gela va-t-il durer toujours?

Si je marche, je me figure Que je traîne un boulet, forçat Innocent, mais tu n'en as cure ! Qui donc voulut que tant pesât

Derrière moi ce membre raide Et douloureux? le diable ou Dieu? Est-ce à mes péchés le remède, L'expiation? Lors, c'est peu.

Ou bien Satan, jamais en faute Quand il faut ne pas faire bien, Veut-il tenter, invisible hôte, Ma patience de chrétien ?...

Bah I ce n'es! i un. I heu \ ..il mon Eèle \ souffrir en cel aujourd'hui, El ma jambe muée en aile, Moi mort, m'essorera vers Lui.

10 niiir.s i8o5t

INTERMITTENCES

Il est des jours, il est des mois, Il est jusques à des années Où, fui des Muses surannées, Déserté par toutes ses Fois,

Froid aux couronnes comme aux tresses, Aux palmes ainsi qu'aux lauriers, Le Poète, dont vous riez, Connaît aussi les sécheresses.

Tel un chrétien trop scrupuleux Ne trouve plus dans sa prière L'oraison douce et familière, Chaude au cœur aujourd'hui frileux,

A l'âme désormais glacée Qui frémit de doute en l'horreur Du seul scrupule d'une erreur Dont il soupçonne sa pensée...

101

Mail Laisse! faire : l'an \ tendra, l.i' moi- \ tendra, la jour propice ( du morose précipice L'Ame immortelle surgira ,

I >n le cœur lincère el fidèle Retrouvera l'arbre el les nids l>r- lions pensera par Dieu bénis, l'.t s'y rendra d'un grand COUp d'aile..,

Ainsi le Poète, guéri

I >r la torpeur qui l'étiolé, Toul à coup s'essore cl s'envole Vers le bosquet toujours chéri,

D'où, voix qu*a refaite un long jeûne, Dana K-s crépuscules seuls siens,

II chante ses chagrina anciens Et l'espérance à jamais jeune !

SITES URBAINS

Prisonnier dans Paris pour beaucoup trop de causes, Par ces temps chauds, je me console avec les choses Qui sont à ma portée et ne eonlcnl pas trop, Par exemple la rue j'habite... trop haut. Kl son spectacle primitif, en quelque sorte, Grâce à la bonhomie évidente qu'apporte La pauvreté des gens à celle des voisins Dans les rapporta quotidiens qui font cousins.

A droite, à gauche, vont s'éehevelanl des squares Au vent quand même septcmbral, et des bagarres De feuilles en déroute imitent les vols fous D'oiseaux qui seraient plats et verts aux refléta roux, S'agitant au-dessus des disputes point graves D'ouvriers un peu gris, que le vin bleu rend braves A l'excès, s'il s'agit d'un mot pris de travers.

Moi, je fume ma pipe et compose des vers Bonhomme, en jouissant de ces sites bonhomme, FA quand tombe la nuit, je m'endors vite; et comme

VARIA

103

Je rêvasse toujours, je rêve a des vers mieux,

Bien mieux que ceux de toul à l'heure, vers, grandi Dieux !

Pathétiques, profonds, clairs telle l'eau de roche,

S;ms rien en eux qui bronche ou leulemenl <|ui cloche :

Des vers ,'i fairt Qh jour fnod renoïti s;m< pareil

Kt dont je ne sais plus un mol a mon réveil...

CLOCIII-CLOCMA

L'église Saint-Nicolas

Du Chardonnet bat un glas, Et l'église Saint-Etienne Du Mont lance à perdre baleine Des carillons variés Pour de jeunes mariés, Taudis que la cathédrale Notre-Dame de Paris, Nuptiale et sépulcrale, Bourdonne dans le ciel gris.

Ainsi la chance bourrue Qui m'a logé dans la rue Saint-Victor, seize, le veut ; Et l'on fait ce que l'on peut, Surtout à l'endroit des cloches, Quand on a peu dans ses poches De cet or qui vous rend rois, Et, lorsque l'on déménage, Vous permet de faire un choix A l'abri d'un tel tapage.

MIIIA 105

iprèl tOlli, M l'inil u'esl pas

Pour annoncer mon trépaa

Ni uns nn.cs. Lon, un- plaindre Ksi oiseux, n'ayant à cr;iin<lre

I »<• (■<■ conflit de sonneurs Grandi malheurs ni gTO* bonheurs. Faut en prendre l'habitude ; ( S'esl il«' la vie, aussi bien : La voix douce el la voix rude Se ibndaiil eu chaut chrétien..

an ni Vers a! he

L'an dernier, des amis restés Avaient fêté ma cinquantaine, Instant précis, date certaine, Bon truc à porter des santés

Aussi, car il vaut mieux tout dire,.. Or, cette année où, plus perclus Que jamais, je ne songe plus Guère qu'à ce mal tournant pire,

On renouvelle en l'honneur du Un -H cinquante que m'octroie Cet an ci, l'hommage de joie Qui, l'an dernier, semblait mieux dû.

N'importe, ah, buvons donc, tandis que Ce docteur a le dos tourné, Un petit coup à ce damné Age mûr venu dont je bisque

V Ml I \

Hi-

Mais auquel il faul bien plier, I '.i | n m s la vie est ainsi faite, 1 louce el non, qu'il faul que l*on fête Jusqu'au l><>iii l'âge d'oublier

Kl de se souvenir. Le diable Soit de toutes conclusions Aul res en ces occasions D exploits et de propos <lo table !

3o mar> I9H0I

CONSEIL

Pour Louis Dnrbon.

Je devrais me borner à vous dire :

« Puisque vous n'avez pas vingt ans, continuez- »

C'est l'âge aux gais soucis atténués

Encor par l'espérance, et son délire

Qui s'en viennent, divins, chanter et luire

En nimbes clairs, en chants frais, qu'a choyés

Encor l'Illusion, vieux éployés,

Telles des ailes vibrant comme une lyre.

Mais non, il faut ci me montrer pédant Un peu, cela fait bien, sied à mon âj^e Sans effrayer trop le vôtre, je gage...

Or : « Courage ! » vous dis, car cependant Que vont coulant les tant belles années La Parque est là, filant nos destinées.

4 mai 1895.

SOUVENIRS D'il o NIAI.

La vie esl si sotte vraiment

Kt le monde si véhément, En fait de méchanceté noire.

Qu'à ce prospecl sur l'avenir Trop prochain et qu'au souvenir l>e lente mon affreuse histoire.

Je préfère enfin L'hôpital,

Puisque tel est mon lieu fatal

Et ma sincère raison d'être

Et le seul bonheur que j'impêtre,

Oui, je préfère en toute foi Cette faveur bien due à moi. Que tout repousse loin d'un monde Malpropre et d'une vie immonde.

\

110

II

D'ailleurs, l'hôpital est sain, On s'y berce sur le sein De tel ou tel médecin,

Bon garçon et savant homme Toujours ou presque ou tout comme, Mais un compagnon, en somme,

Agréable, mpins on plus, Mais cj u i , de tous ceux élus Par des destins absolus,

Est, avec notre infirmière, Ange à la voix coutumière, Encor l'antre de lumière !

EN SEPTEMBRE

Parmi la chaleur accablante I >'>m nous torréfia l'été. Voici se glisser, encor lenlc El timide, à la vérité,

Sur les eaux el parmi les feuilles, Jusque dans ta rue, o Paris, La rue aride tu t'endeuilles De lels parfums jamais taris,

Pantin, Aubervilliers, prodige

De la Chimie et de ses jeux.

Voici venir la brise, dis-je,

La brise aux sursauts courageux...

La brise purificatrice

Des langueurs morbides d'antan,

La brise revendicatrice

Qui dit à la peste : va-t-en !

1 1 '1 V \ R I A

Et qui gourmande la paresse Du poète et de l'ouvrier, Qui les encourage et les presse. « Vive la brise ! » il faut crier :

« Vive la brise, enfin, d'automne Après tous ces simouns d'enfer, La bonne brise qui nous donne Ce sain premier frisson d'hiver ! »

Septembre 1890.

l'uni LE NOUVEL AN

1 Saint-George» </<• Boahilier.

La vie est de mourir et mourir c'est naître Psychologiquement tout comme autrement, Et l'année ainsi t'ait, joui-, heure, moment. Condition sine que non, cause d'être.

L'autre année est morte, et voici la nouvelle Qui sort d'elle comme un enfant du corps mort D'une mère mal accouchée, et n'en sort Qu'aux lins de bientôt mourir mère comme elle.

Pour naître mourons ainsi que l'autre année : Four naître, cela ? Quelle terre ou quels cieux Verront aborder notre envol radieux?

Comme la nouvelle année, eu Dieu, parbleu ! Soit sous la 6gure éternelle incarnée. Soit en qualité d'ange blanc dans le bleu.

A Mnilrmoist'llf Sarnli.

<) Mademoiselle Sarah, C'est à qui de nous d'eux sera Le mieux encore épris de l'autre.

Hélas ! erois-je, c'est toujours moi <v)ue tracasse bien trop d'émoi. Mais votre émoi? Quel est le vôtre?

Je crains qu'il ne soit trop le même Si je vois votre cœur à nu... Heureusement c'est l'inconnu !

Et je veux que cette fleurette

Ne vous trouve point mal seulette

Dussé-je y, moi, risquer ma tête.

MORT! (1)

Les Armes onl tu I<Mirs ordrei on attendant

De vibrer à nouveau dans des mains admirables

Ou Bcëlérates, et, tristes, le bras pendant,

Nous .illous, mal rêveurs, dans le vague des Fables.

Les Armes mit tu leurs ordres qu'on attendait

Même ehe/ les rêveurs mensongers que nous sommes, Honteux de notre bras qui pendait et tardait, Et nous allons, désappointés, parmi les hommes.

Armes, vibre/. ! mains admirables, prenez-les, Mains scélérates à défaut des admirables ! Prenez-les doue et faites si^nc aux F.n-allés Dans les fables plus incertaines que les sables.

Tirez du rêve notre exode, voulez-vous?

Nous mourons d'être ainsi languides, presque infâmes!

Armes, parlez ! Vos ordres vont être pour nous

La vie enfin fleurie au bout, s'il faut, des lames.

(i) Vers publiés dans la Revue Rouge quelques jours avant la mort de Verlaine.

ll(i

La moii que nous aimons, que nous eûmes toujours Pour but de ce chemin prospèrent la ronce Et l'ortie, ô la mort sans plus ces émois lourds, Délicieuse et dont la victoire est l'annonce !

Décembre i8q5.

ÉP1L0GI i

lui imniirr,' il'mlieux à la porsi- « personnelle * .

Ainsi donc, adieu, cher moi-même, Que d'honnêtes gens m'ont blâmé, Les pauvres ! d'avoir trop aimé, Trop Datte daine, quand on aime ! .

Adieu, cher moi, chagrin et joie Dont j'ai, paraît-il, tant parlé Qu'on n'en veut plus, que c'est réglé ! Désormais faut que je me noie

Au sein comment dit-on cela ? De l'Art Impersonnel, et, digne, •One j'assume un sang-froid insigne Pour te chanter, ô Walhalla,

118

Pour, Bouddha, célébrer tes rites Et vos coutumes, tous pays ! Et, le mien de pays, ô hisse ! Dire tes torts et tes mérites,

Et dans des drames palpitants, Parmi des romans synthétiques Ou bien, alors, analytiques, M 'étendre en tropes embêtants !

Adieu, cher moi-même en retraite : C'est un peu déjà du tombeau Qui nous guigne à travers ce beau Projet vers l'art de seule tête,"

Adieu, le Cœur ! Il n'en faut plus : C'est un peu déjà de la terre Sur la Tête... et son art... austère, Que ces « adieux irrésolus.

Mars 1 8y5.

PARALLELKMENT

Pour une édition nouvelle.

PROJET KN L'AI H

\ BraeM Delahaye.

Il fait bon Bupinément,

Mi-dormant, l);ms l'aprication douce D'un déjeuner modéré,

1 tigéré Sur un lit d'herbe et de mousse,

lîoii songer el l»>n rêver

Et trouver

Toute fin el toul principe

1 ),ms les flocons onduleux.

Roses, bleus Et blancs d'une lente pipe.

L'éternel problème ainsi

Eclairci, Philosopher est de mise Sur maint objet réclamant

Moindrement La svnlhèse et l'analyse...

122

l'A H A LLÈLEMENT

Je me souviens que j'aimais

A jamais | Pensais-je à sei/e ans) la Gloire, A Thèbes pindariser,

Puis oser Ronsardiser sur la Loire,

Ou bien être un paladin

(iai, hautain, Dur aux félons, qui s'avance Toujours la lance en arrêt !

J'ai regret A ces bêtises d'enfance...

La femme? En faut-il encor?

Ce décor Trouble un peu le parcage Simple, petit et surtout

De bon goût Qu'à la lin prise le sage.

A vingt ans, même à trente ans,

J'eus le temps De me plaire aux mines gentes, Et d'écouter les propos

Faux niais beaux, Sexe aime, que lu nous chantes..

PABAI M n mi 123

La Politique, ih, j'en ti~ !

M.>n .i\ I-- '

/ni el bran ! L'amitié seule

Km reliée, ;n ee l'espoir

I >e me \ . » i I-

l n jour sauvr de l.i gueule

I )e cet ennui sans motif

Par trop vil', Qui des foi* bâille, l'affreuse! l'.t de n'endormir, que lai !

Dans les bras, V. terni bienheureuse.

Tire-lire et chante-clair !

Voix de l'air VA des fermes, cette aurore Que la Mort nous révéla,

Dites-la Si douce d'un los sonore !

Nous ne sommes p;is le troupeau : C'est pourquoi bien loin desbergèret Nous divertissons notre peau Sans plus de phrases mensongères.

Amants qui seraient des amis, Nuls serments et toujours fidèles, Tout donné sans rien de promis, Tels nous, et nos morales telles.

Nous comptons d'illustres aïeux Parmi les princes et les sages, Les héros et les demi-dieux De tous les temps et tous les âges.

En ses jours de gloire et de deuil La gloire honorait notre grâce ; Notre force était son orgueil Kl le rire fier de sa face.

VU VI I I I I Ml \ I 135

Rome aussi nom comblait d'égards '■ Noui éclatamea dam mi I banni lût poètei de toute* parti Nom célébrèrent en queli ternit

( '.lie/ les modernes nom a^ oni Lei Frédéric et lei Shakspeare. No* phalangei en rangs profonds Allaient noua conquérir l'Empire

Du monde en de très vieux Olim, Quand, tueurs de Femmes et d'hommes, Les jaloux, ces durs Elohim, Se ruèrent sur nos Sodomes*..

Sus aux Gomorrhes d'à côté !

1HELET A MLV

Ma pelite compatriote,

M'est avis que veniez ce soir Frapper à ma porte et me voir, 0 la scandaleuse ribote De gros baisers et de petits, Conforme à mes forts appétits ! Mais les vôtres sont-ils si mièvres?

Primo, je baiserai vos lèvres, Toutes ! C'est mon cber entremets Et les manières que j'y mets, Comme en toutes choses vécues, Sont friandes et convaincues. Vous passerez vos doigts jolis Dans ma llave barbe d'apôtre Et je caresserai la vôtre, Et sur votre gorge de lys, mes ardeurs mettront des roses,

l'A II \ I I I I I M I s I \2'

.\<- powerai ma bouche en feu ;

Mea brai m piqueront au jeu,

PAméa autour dea bonnea choaea

I >c deaaoua la taille h plut baa,

Puia met maiha, non aana foli combata

Ave- voa maina mal courroucé*

Flatteront de tendrei reaaéea

<> beau derrière qu'étreindra

Tout l'effort qui lora bandera

Mu gravite* vers votre centre...

A mon tour je Frappe. () dis : Entre!

DÉDICACES

Pour utif édition nouvelle.

POUR l..\ PLUME

Je veux < I i ie en ces quelques vers

La bonne opinion que j'ai

Sur les gens bien et l'endroit },rai,

Fût l'endroit triste avec des cens divers.

(Or, j'ai passé p;is mal d'hivers Et de printemps, gai comme un geai, Triste comme un cygne à l'essai. Tour à tour chaste mais pervers.)

Ma bonne opinion est telle, Dans cette fête qui m'allume, Mesdames, ô vous Imites belles,

Messieurs, ô vous tous un i,rénie, Que si j'osais, sans ironie. Je me glorifierais d'être aussi, président delà Plume.

1 1 avril 1893.

II

Je ne suis plus encore un faune El je dirai clans mes regrets Un sonnet k la Plume après Que je ne serai plus aphone Sans le faire, hélas ! trop exprès.

Ma muse, cpii parfois rit jaune Et voit rou^e et noir et tout près D'y voir rose, puisque suis ès- Amis, vous dit : Amis, mon trône,

Puisque je suis le Président

De ces agapes fraternelles,

Ou du moins mon fauteuil prudent,

Mon fauteuil, ou si vos prunelles Y découvrent un trône trop... Je vous salue, amis, et m'assieds au galop.

i3 avril 1893.

FRONTISPICE POUR UNE ANNÉE DE LA PLUME

Rêveuse au bord de l'eau Tendrement Boudeuse, Entends chanter l'yeuse, I,' ajonc et le bouleau ;

Admire le tableau Naïf la macreuse, La sarcelle amoureuse Parlent du renouveau ;

Pénètre-toi du charme, Sens monter une larme Qui viendrait de ton cœur

A ee printemps qui muse, Joie éparse et langueur : Souris, petite musc.

LE LIVRE D'ESTHER (1)

I

Je suis un ennemi de toute hypocrisie,

Aussi, de tout ennui, Et c'est pourquoi, ma trop chère, je t'ai choisie !

Je l'avoue aujourd'hui,

Comme je l'indiquais hier dans tel volume

Dont Bazile a rougi, Gomme je l'écrirai demain avec ma plume

D'homme chaste assagi,

Comme je le crierai, fût-ce en face des balles,

Fût-ce « à travers le feu, « Le fer des bataillons », ces soûlantes cymbales,

Serait-ce, nom de Dieu !

(i) Cette pièce porte en note, au coin delà page ,Le Livre tVEsther. Verlaine avait commencé un volume sous ce titre. « Je suis un ennemi de toute hypocrisie » devait être la première pièce du livre.

i . i i . i c : il i

135

Devant le Diable, e( quand ce lerail devant pire

Je l'ai nommée assez Je t'aime mieux que tout, démon, goule, vampire, Kl ce n'est | » . i assez I

PU VI S 1)K CHAVANNES

Victor Hugo, soleil dont tous sont le Memnon,

Donnant à nous sa lyre étoilée et fleurie,

Extase du poète, orgueil de la patrie,

Honneur du genre humain qui se lève à son nom ;

PlCABOlA MATBH, campagne courageuse,

Race blonde aux corps blancs brunis parle grand air;

Luoua pho i'atria, beaux éphèbes, sang lier

Et chair forte et des yeux rit la mort songeuse ;

Geneviève qui paît ses ouailles, tandis

Que l'oignent de douceur tel saint et tel évêcpie,

Et, le Hun éloigné, rêve de paradis :

Autant, Gloire, de droits et de titres aveccpie Tant d'autres pour ton temple ouvert de son vivant A l'artiste impeccable, au maître triomphant.

janvier i8<).">.

IMH'i; UN ALBUM

l M""' de.., ji'iiir MM "ll'iim.

Je n'ai jamais été dans la Bretagne, mais J'en rêve toutes nuits, el l<uii le jour j'^ pense Comme aux choses de mon enfance que j'aimais, Tant qu'à la fin, et sons forme de récompense,

Je revois le clocher que je n'ai vu jamais.

(> la Bretagne el ses clochers ;'i jour, danse,

A travers ce brouillard épais je trimais,

La cloche pour bercer un peu ma vieille enfance!

Car j'ai rêvé que je trimais : l>ète et malin, Tel, innocent, le long du parc de Josselin, lu berger, contemplant la nuit long-étoilée.

Et, de plus, ignorant qu'Olivier de Clisson

Fut autrefois maître el Beigneur de la vallée. Rode parmi les bois en sifflant la chanson.

SONNET

Pour la Kermesse du ao juin itf<j."> {Caca,

Je voudrais avoir, je le jure, Croyez-en ma sincérité, Part à votre festivité, N'était le mal qui m'iodurc,

Qui, lout le temps que le jour dure, Me retient au lit détesté Pour me faire un somme agité Du soir obscur à l'aube obscure.

Mais mon cœur bat libre et sans fera Et le bon démon qui m'babitc Me dicte encor parfois des vers.

Sonnet, pars joyeux et va vite Vers ce Caen la Charité (iaiment inaugure l'été.

MARCELINE DESBORDES VALMOHE

Telle autre gloire est, j'ose dire, plue faraeut Dont l'éclat éblouit mieux encor qu'il ne luit : La sienne fait plus de musique que <le bruit, Bien que de pleurs brûlante écumeuse et fameuse.

Mais la bouté du cœur, mais l'Ame haute et pure Tempèrent ce torrent de douleur et d'amour Et, se mêlant à la douceur de la nature, A sa souffrance aussi, de nuit comme do jour

Promènent sous le ciel tout pluie et tout soleil A chaque instant, avec à peine des nuances, Un large llcuve harmonieux de confiances

Vives et de désespoirs lents, et, non pareil,

Il chante, l'ample fleuve au capricieux cours. L'hymne infini de toute la tendresse humaine la fille et ramante et la mère ont leurs tours. le poète aussi, dans l'horreur qui nous mène.

J4()

DÉDICACES

Vient mêler son sanglot qui finit en prière l niversclle, cl la beauté même d'un art Issu du sang lui-même et de la vie entière, Rires, larmes, désirs et tout, comme au hasard.

Car elle l'ut artiste, et, sous la fougue ardente Dont va battre son vers vibrant comme son cœur, On perçoit et Ton doit admirer l'imprudente Main au prudent doigté tout vigueur et langueur.

Les villes, ainsi que les peuples, ont la gloire Qu'elles valent, et toi, Douai, tu méritas Celle-ci, pays calme vécut de l'histoire Tumultueuse en masse et formidable au tas,

Cité d'églises et de beffrois, et campagnes

Pleines de « jeunes Albertines », mais, encor,

« s'assirent longtemps les ferventes Kspagnes ».

Tel l'œuvre et tel le cœur, Heurs et pleurs, flûte et cor,

Fin harmonie avec la femme et le génie. 11 est juste, il est temps pour l'honneur de ses vers? Non, ils sont ton honneur même et ta Heur bénie, Sa patrie, ô Douai, « doux lieu de l'univers »

11 n'est que temps, il n'est que grand temps et que juste,

Ville, son cher souci dans ce cruel Paris,

De dresser quelque part sa ressemblance auguste

En quelqu'un de tes « coins » qu'elle a le plus chéris,

ni un \. i Ml

\im que l»'- clochea encor de Noire-Dame Bercent du moins son ombre II l'ombre dei ran Qui furent ramîlien eu repoi de cette ftme Infatigable e1 qui lui murmuraienl !<■> moti

De cet poèmei il<mi non- célébroni la Fête Intellectuelle el cordiale, et, fi T<>i, i) grande Marceline, ô sublime |>«n-te, Et femme exquise, accueille cel acte de foi !

LE LIVRE POSTHUME

LE I.IYHK POSTHUME

Le poète a fini sa tâche,

L'homme, non. L'un serepail «lu bruit l'ait autour de son nom,

Il compte ses succès sincères OU Indice-,

l>c|>uis l'humble début et les chastes prémices Jusqu'à ses derniers vers, qu'il sent bien fatigué»!

Le temps n'est plus des madrigaux jolis et ^rais,

l>e l'élégie au tour voluptueux et tendre,

De l'ode au vol vainqueur, du sonnet qu'à l'entendre

(Le poète! on eût cru du Pétrarque, mais mieux.

Il voudrait, et de bonne foi, se faisant vieux,

(Ont' tout fût dit pour lui sans plus pousser sa gloire,

S'en liant là-dessus à l'humaine Mémoire.

(l'est un cœur, un esprit, une àme retraités,

Soignant à loisir ses deux immortalités,

Peu soucieux pourtant, quelque ardeur qui l'allume

Quant à son àme eneor, de celle de sa plume.

Pour l'homme, le poète à part et lyre et luth

Bien écartés, mal occupé de son « salut »

Peut-être autant que ce poète Test lui-même.

Son rôle n'est joné qu'à demi, le problème

10

146 LE LIVRE P08THUMB

De sa vie, il ne l'a résolu que si peu

Qu'il n'est pas sûr de quoi que ce soit devant Dieu.

Sa mémoire ne lui dit rien qui le console

Ou le désole, ou quoi que ce soit. Sa parole

Hésite, et l'action semble ôtée à son bras.

Pourtant la volonté, parmi tous embarras,

Ennui, remords peut-être, à coup sûr vœux enquête

Ou las, persiste et bande et tend toute sa tète.

Il vit et prétend vivre, et cela très longtemps,

VA non pas être heureux de par ses vœux contents.

Au feu ses passions, en tant pourtant que feues,

Satisfaites, non, il aspire à mieux qu'aux queues

Des comètes, et c'est le soleil qu'il lui faut,

Le bonheur!...

Et voici qu'à cette heure prévaut, Dans l'existence de cet homme tout tendresse, L'amour, et qu'il a bien la meilleure maîtresse, (iaîté, bonté, raison, et qu'il aime à mourir De son absence, si ce risque allait courir. .Mais elle ne s'en ira pas, dis, ma chérie?) Or, depuis qu'elle est là, l'humble et droite Ef;érie, Le charme et le conseil, c'est curieux ce qu'il Gagne en cordial de ce qu'il perd en subtil. Il s'intéresse à toute chose à tort ? peut-être ? Autant et mieux qu'à l'art qui fut l'unique maître De ce cerveau despotiquement lier jadis, Et maintenant doux, tolérant, un paradis, Une chambre commode, et bien chaude, et bien fraîche, Fraîche comme un bosquet, chaude comme une crèche Pour toute simple idée et tout raisonnement Clair, et pour toute gentillesse, bonnement.

m L1VM1 i'"- i h i m i II"

Soui cette muse, .1 i m.i hle el fine inipîrati En même lempi qu'infiniment dominatrice Dana le mm Le meilleur el le plue baul < 1 n mot, L'homme reste poète a,u senscajme qu'il faut,

Kl le livre i(ii i \ .1 venir ;ipivs l.nil d'.iiil 1

Où, Vertu, \ < mis planes, <>ù, Vice, tu te vautn S'en va paisiblement, honnête, aoua la l«»i, Femme en qui le poète el l'homme ont mia leur loi.

FRAGMENTS

I

Dis, sérieusement, lorsque je senti mort,

Plein de toi, sens, esprit, àme, et, dans la prunelle,

Ton image à jamais pour la nuit éternelle,

Au cœur tout ce passé tendre et farouche, sort

Divin, l'incomparable entre les jouissances Enormes de ma vie excessive, ô toi, dis, Pense parfois à moi qui ne pensais jadis <x)u'à t'aimer, l'adorer de toutes les puissances

D'un être fait exprès pour toi seule l'aimer, Toi seule te servir et vivre pour toi seule Et mourir en toi seule. 0 oui, quand, belle aïeule, Tu penseras à moi, garde-toi d'exhumer

Mes jours de jalousie et mes nuits d'humeur noire, Plutôt évoque l'abandon entre les mains De tout moi, toutau bon présent, auxehers demains, Et qu'une bénédiction de ta mémoire

M'absolve et soit mon guide en les sombres chemins.

II

J'ai magnifié «le vertus, ( Ibère veuve, tes qualités. Ces hommages leur étaienl dus El je n'ai «lit que vérités.

Ta patience de parole

Et d'action à mon égard

Mériterait une auréole.

Toi belle et moi presque un vieillard,

Presque un vieillard, presque hystérique, Aux goûts sombres et ruineux. Evocation chimérique IVs grands types libidineux,

Tibère et tous, et la clémence Vis-à-vis de ces désirs Tous, Ou sols plutôt dans leur immense Ambition de quatre sous,

150 I>E M VUE POSTHUME

Et la gentillesse divine Devant nies soupçons odieux, (Quelle que fût leur origine, Toi si belle et moi presque vieux,

VA Ion cœur, dans nos zizanies Eteintes enlin sur le tard, Plein des faiblesses infinies D'une maman pour son moutard,

Mais aussi ton esprit sagace Tenant tête à l'entêtement D'un moi triste ensemble et cocasse. Il est vrai que je t'aimais tant !

III

ComptjÇIM sa\oureuse et l>onne,

\ rai j'ai ronflé1 le soin

Définitif de ma personne.

Toi, mon dernier, mon seul témoin.

Lorsque je t'écrivais «1rs vers

Que des sots dils spirituels Trouvaient un peu bien sensuels Kt d'autres simplement pervers,

J'eus soin (le mettre en tête d'eux Ces cris si vrais de mon amour, Quelques mots graves pour qu'un jour Se lût le mensonge hideux.

Oui, certes, le Bang et la chair

Furent mes complices joyeux Dans le délice radieux D'avoir trouvé le maître cher,

152 LE LIVRE POSTHUME

Le beau quille en ce monde laid, Le conseil franc et l'âme Forte Et celte verve qui m'emporte Chez la femme qu'il me fallait !

Ah ! conduis-moi, lors triomphant Puisque pour appui j'ai ton bras, A travers tous les embarras, Comme un vieillard, comme un enfant.

Puis, dis, lorsque j'aurai quitté La terre et la présence, hélas! Mêle un peu ta prière au glas M 'annonçant dans l'éternité.

IV

Ta rappelleras-tu mea colères injustes? Non, mais plutôt l'élan vers tes vertus augustes l>c toute ma pensée à l'entier dévouement Qui n'avait de bonheur qu'en l'agenouillement

Devant ta volonté pour moi douce et terrible

El toujours pour un hien, à la passer au crible,

De l'accomplissement joyeux d'un ordre dur,

Ht toujours pour un bien et d'après un plan BÛT,

Emané de ton âme et sorti de ta bouche.

M'auras-tu pardonné mon Iront parfois farouche

Et ma face effarée et mon geste perdu,

Pensant combien frappé, de quels malheurs battu,

Abreuvé de quel fiel, par une providence

Pleine d'oubli clément et d'exquise prudence.

Je tombais dans les bras divins qui m'ont sauvé?

Mais plutôt tu ressentiras ton cour couvé

Par le mien et tu reverras plutôt ma vie

Dépendant de la tienne avec point d'autre envie

Que ne pas te déplaire ou te désobéir

En quoi que ce put être, et ne jamais faillir

154 LE LIVRE POSTHUME

A la devise confiée à ton pur zèle, Vivante dans ton sang. Tout pour Elle et par Klle Et peut-être qu'alors quelques pleurs précieux, (ilorieux témoignage, obscurciront tes yeux.

l'.t voici l'instant tu meurs. Nuit Bupréme en ma nuit extrême, Deuil de deuils, malheur de malheurs Il me semble mourir encor moi-même.

Eh (|uoi! l'expansion immense

De cette immense intensité, Celte saute, cette <,raité, Tout ce triomphe enseveli, démence !

Mais ! le néant c'est bon pour moi, Pour cet être absurde et Fragile C'esl ce qu'il faut, mais quant à toi. Nous ne sommes pas de la même argile.

Moi je suis la destruction Dans le silence et les ténèbres, Toi, monte avec l'assomplion Des femmes <pie l'amour rendit célèbres.

15<) LE LIVRE POSTHUME

Car, clans l'ombre l'on s'en ira, Ta figure entre tontes celles Des belles que l'on adora Passe les amantes et les pucelles.

Et, dernier don à ton féal,

Ma tombe sera renommée

De ce chef divin et royal,

La gloire de l'avoir surtout aimée.

hKHNIKH BSPOIH

Ilcsl un arbre au cimetière Poussant en pleine liberté, Non planté par un deuil dicté, Qui Hotte au long d'une humble pierre.

Sur cet arbre, été comme hiver. Un oiseau vient qui chaule clair Sa chanson tristement lulèle.

Cet arbre et cet oiseau c'est nous : Toi le souvenir, moi l'absence Que le temps qui passe recense... Ah, vivre encore à tes genoux !

Ah, vivre encor ! Mais cpjoi, ma belle. Le néant est mon froid vainqueur... Du moins, dis. je vis dans ton coeur?

II PROSE

SOUVENIRS

il

vr QUARTIER

90VV1KIM i»i :s i>i;ii.Mi.ni.s aw

Van IS.ST. à l'issu de bien tles événements minuscules mais doublement et triph-ment poi- gnants dans leur intimité même, je « dirigeai mes pas » de convalescent sortant de divers hôpitaux devers un hôtel de la rue Royer- Collard, intitulé précisément du nom même de la rue. C'est tout près de cet immeuble qu'en 1871 Raoul Rigault, que j'avais connu dès l'enfance, périt dans de mémorables circons- tances qui lui feront pardonner bien des fautes. On ne se rappelle peut-être qu'imparfaitement œtU anecdote tinale. tout à l'honneur de ce malheureux qui fut coupable, certes ! mais qui mourut de sorte magnanime. H quittait une bar- ricade et avait déjà grimpé ses cinq ou six étages et se disposait à fuir par les toits, quand

1 fi4 S O U V i ; mus

une voix à demi étranglée par la terreur reten- tit, sinistre, dans l'escalier : « Ce n'est pas moi Rigault, je suis le propriétaire ! » En entendant ces mots, le vrai Rigault devina qu'on allait fusiller quelqu'un à sa place, et quel quelqu'un, pour Dieu ! son propriétaire ni plus ni moins. Et de descendre aussitôt quatre à quatre et de crier aux Versaillais qui avaient déjà collé au mur l'infortuné « patron », en se désignant du doigt : v Voici Rigault et non cet homme. Et vive la Commune ! »

Quelle différence entre cette conduite certaine- ment superbe et la peut-être raisonnable chan- son des anarchistes d'aujourd'hui :

«Si tu veux être heureux.

Nom de Dieu 1 Prends Ion propriétaire...

Ces terribles souvenirs n'empêchent pas la table d'hôte de M,,,c Th..., la voisine immédiate de ce proprio vraiment chançard, d'être assez amusante, composée aux trois quarts de Moldo- Valaques et autres parfaits rastns dont le fran- çais, tant fantaisiste ! faisait parfois sourire et même rire le coin petit parisien que nous for- mions à quelques-uns dont un juif polonais. Ce garçon (Stanislas de son petit nom) de qui le

* . I I \ I \ I II s

nom en vy dissimulait mal ls religion, me n in i trouver un jour en me disant : •• Cer maître, que /.<• voudrais bien faire votre portré '. Il accoucha bientôt d'un pastel terrible ma tête, pourtant plutôt peu patibulaire, apparaissait but un fond rouge-flamme, telle une tète «!<• damné. Portrait et /'mil furent exposés au Blanc ri Noir « et L'iconographe Félix Fénéon « s'en défia » de très spirituelle façon dans les colonnes d'un journal d'art de L'époque

Je n'ai jamais aimé poser et ce me fut un vé- ritable supplice quand un autre peintre vint quelques jours après me proposer la même botte pour la Revue illustrée ; ma tête était déjà La

proie d'un de mes amis, d'ailleurs le plus « talen- leu\ ». à mon sens, mais aussi le plus terrible de ces tortionnaires. , le ne connais que lesinlcrri<>n:s modernes, d'ailleurs de charmants garçons, pour être véritablement plus rasoirs encore, selon le mot de cet excellent Raoul Ponchon.

Bien que mal fortuné déjà, j'avais mes mer- credis. Et ces soirs-là ma petite chambre, qui n'avait pourtant rien de commun avec la maison de Socrate, contenait parfois jusqu'à quarante personnes des deux sexes. Yilliers de l'isle- Adam faisait des grâces à M""' Rachilde qui, elle-même, avait de l'esprit entre Laurent Tailhade et Jean Moréas.

166

s n r V K N I R s

Il paraît d'ailleurs que j'ai fait, d après des croquis, un dessin que je recommande à Her- gerat pour la prochaine exposition de « Poil et Plume » et qu'une revue du Quartier publia.

Parmi mes « invités plusieurs sont morts ; Villiers de l'Isle-Adam et Jules Tellier. De ce dernier, quelques pieux amis ont réuni et publié récemment un volume (1), qui n'est pas dans le commerce, et suffirait à lui seul pour envoyer son jeune nom à la postérité.

Souvenir d'autant plus mélancolique qu'on s'amusait ferme au cours de ces modestes agapes qui, d'ordinaire, se terminaient, vers minuit, par l'invasion des cafés avoisinants, le François Premier entre autres. Que de cheveux ! mon Dieu ! (je ne parle pas pour moi) et que de mo- nocles ! Mais aussi quelles discussions litté- raires, jusqu'au moment de la fermeture. Cela même alla parfois jusqu'à des envois de témoins ! Mais je raconterai ces choses quelque autre jour.

Et voilà pour mon stage relativement court en cet hôtel un peu bien sérieux, mais dont, en somme, je n'ai guère à me plaindre en dépit de la sévérité même, légèrement prud'hom- mesqlie, du patron de la rue et, par conséquent, de la maison.

(l) Les Reliques, de Jules Teluer,

YA1WKTK S

AU QUARTIER; SOUVENIR DES DERNIÈRES

ANNI.I. I

Hue Saint-Jacques. Un escalier terrible : une rampe et ses supports d'arbres à peine équarris peints rouge-sang. Un entresol haut comme un second, plutôt par l'aspérité que par le nombre des marches. Propriétaire bon garçon inlus et in cuto, mais... Locataires matutinaux, locatrices volontiers très vespérales avec qui point n'est trop dur ni trop rude de s'entendre à telles lins « que je pense ».

J'y recevais mes amis aux soirs du jour accou- tumé de la semaine. Peu de gaz pour éclairer les marches escarpées et la rampe trop large pour la main et la cage elle-même trop étroite pour un corps quelque peu abusif: mais, parles soins du digne hôte, une bougie brûlait jusqu'aux

1 68 SOUVENIRS

heures que de droit sur le rebord intérieur de fenêtre qu'il fallait, à l'etïet d'éclairer les nom- breux invités. De la bière plus que du thé aux instants de « richesse ». Dans l'autre cas, de l'eau sucrée avec du rhum, fruit quel- quefois d'une « contribution » des camarades. Du tabac et quelque gaîté toujours ou tout comme...

Puis, pour la deuxième ou troisième fois, l'hô- pital, une suite de rhumatisme revenu... et d'opulence insuffisante.

Mais passons sur cette période d'à peu près six mois par ailleurs racontée et revenons bien vite au Quartier, cette fois rue de Vaugirard, sous les auspices de Maurice Barrés, en un très confortable hôtel tout proche de l'Odéon et qui eut l'heur d'abriter bien des « illustrations » de tous ordres, depuis Gambetta jusqu'à Lebiez, sans compter tant de générations de littérateurs, d'avocats et de docteurs.

Patron et patronne charmants. Table d'hôte toute de famille et en famille, et très variée. Jusqu'à un prêtre s'y trouvait, et je n'hésite pas à confesser c'est le mot qu'éclataient maintes discussions, toujours courtoises, sou- vent plus que vives à propos de mille choses sé- rieuses et autres. Et quand, après le dessert et avant le café, « Monsieur l'abbé » se retirait

SOI VBNIBI 160

pour ses dévotions, la conversation prenait un tour moins contradictoire ei i«>us et toutes tom- baient d'accord en propos gentiment Légers, par- Fois, comme la gaze donl ils s'abstenaient par- fois aussi. Femmes jeunes et d'esprit, la maî- tresse de la maison en tête, hommes, parmi quels le mari d'icelle, diserts <t de belle humeur, j allaienl de leur voyage au bleu et parfois rose |i,i\ s de Fantaisies.

Mes mercredis battirent leur plein, ainsi qu'il esl di' mode de s'exprimer aujourd'hui : des amis de plus en plus nombreux, flanqués, aussi bien, de simples connaissances, d'indiffé- rents, voire de curieux. surabondaient dans mes salons... composés d'ailleurs d'une très sortable mais seule et unique (< carrée ». On disait peu de vers, le prœses, le pater familia» qui était donc moi, objectant le plus souvent à ce mode de distraction, mais on riait et, en somme, la cordialité régnait.

On n'est pas de bois et votre serviteur moins que personne. D'assez mais pas trop fréquentes visites Féminines eurent lieu, comme, d'ailleurs, jadis et naguère en d'autres lieux, dans ce mo- deste et simple mais confortable asile ; vertueuse, peut-être aussi inquiète de dépenses, ô que gra- tuitement supposées ! la très aimable dame de céans crut devoir, à mon insu, je vous le jure.

1 70 SOUVENIRS

Mesdames, vous consigner ma porte, et moi, pauvre diable, qui vous accusais !

J'avoue que, dès que la morale mais maus- sade vérité finit par éclater à mes tristes yeux, je manifestai quelque... étonnement et faillis me fâcher... pour de rire, suivant la locution fau- bourienne. N'importe, j'étais vexé, et un nouvel accès de rhumatisme me fit quitter pour quelque temps, et à destination d'encore l'hôpital, l'hospitalité, depuis reéprouvée et ré- appréciée à tout son prix qui est, sans nulle tau- tologie, précieux après tout, tant il y eut, à tra- vers mille petites contradictions mutuelles et si humaines, de véritable et de belle cordialité entre ces bonnes gens et ce brave homme, déci- dément, que je suis, oui !

N'importe ! j'en voudrai longtemps et peut- être avec raison, à la farouche providence, toute gentille d'ailleurs qu'elle ait été et, sans nul doute, admirablement sincère et bien intention- née, de cette excellente M"10 A...

Telles mes « aventures », accompagnées de beaucoup d'autres, en l'aménissime mais com- bien, bon Dieu ! réfractaireà d'aucunes complai- sances pourtant si simples, hôtel de la rue de Vaugirard, tout proche de l'Odéon !

ON/K IOÏHS i:\ MHLdIQUE

Maintenant que tout est ou semble être iini ohei nos voisins Wallons et Flamands, en fait di troubles et de commencement de guerre ei- vile, voudra-t-on permettre à un pur artiste, in- vité à une tournée de conférences dans dille- rentes villes belges, de donner brièvement et comme à vol d'oiseau ses quelques impressions de voyage ?

Mais avant d'entrer dans le vif de mon sujet, qu'on me laisse féliciter ici la sagesse des repré- sentants et des sénateurs belges qui, forcés par un courant irrésistible, en effet, d'opinion, ont cru devoir admettre cbez eux le Sutl'rage uni- versel aux seules telles conditions par lesquelles il est susceptible de servir efficacement. Le vote plural par les conditions graduées d'âge éclairé, de fortune indépendante et de capacité intellec-

17*2 sou vin i ii s

tuelle me semble parfait, point chimérique, et si nos voisins, même les pins pauvres d'entre eux, s'y tiennent, j'estime fort qu'ils feront bien...

Inutile, n'est-ce pas, de vous raconter mon voyage de Paris à Cliarleroi je devais dé- buter... comme orateur en ces régions. L'assez triste morceau de France, si intéressant qu'il soit à beaucoup de points de vue autres, qu'il faut traverser pour aller jusque-là, m'a par trop rappelé le mot d'Alexandre Ie1' de Russie, d'après Chateaubriand : « Dieu, que la France est laide ! » C'est vrai que ce Tsar n'avait vu que ce coin in- dustriel et richement, mais platement, agricole de notre pays.

Mon arrivée à Cliarleroi dans une famille ex- quise ne m'en a pas moins fait ramentevoir de quelques vers écrits par moi... en 1872.

Dans l'herbe noire Les kobolds vont, Le vent profond Pleure, on vent croire...

Plutôt des bouges Que des maisons... Quels horizons De forges rouges...

Sol \ i mus

173

i in -.ni donc m

U votre liiiliiiK -, SuiMir liuin;iiii'\ Cri «les métaux !...

Du reste, succès de <• bonaloi ■■ mien, au 1 1 1«';\ 1 1 1- . s'il vous plaît, ma conférence prit place, de- vant 1.500 personnes, entre an concours d'har- monies des eux irons e1 une tombola.

De Charleroi à Bruxelles, la route est courte et peu intéressante, sinon qu'on passe par Wa- terloo, et son site superbe gâté, selon d'ailleurs la parole d'un connaisseur, lord Wellington, par l'absurde monticule <pie surmonte un lion auquel ceux de L'Institut n'ont rien à envier... que le grand air.

Bruxelles ! J'y vécus jadis beaucoup trop. Peu au fond de changement depuis 24 ans. In bou- levard central assez semblable à notre avenue de l'Opéra, une Bourse luxueusement laide ; en re- vanche, un habélique palais de justice, sombre intérieurement, comme sied, mais énorme et em- phatique à l'extérieur, avec, tout en l'air, tout en l'air, un dôme trop petit dans l'espèce et trop ou trop peu doré, mais le tout en somme d'un grand effet.

174 sur VK MHS

Si cela peut vous intéresser, vous dirai-je que ma quatrième conférence à Bruxelles eut lieu dans une chambre de correctionnelle, l'orateur à la place du greffier, au-dessous du tribunal... absent « pour une fois » au milieu d'environ 200 avocats, « le jeune barreau » ?

Je ne connaissais pas Gand : belle ville forte- ment flamande avec deux curiosités principales, sa basilique de Saint-Bavon et ses béguinages. Un béguinage, c'est comme qui dirait une petite ville en forme de cour carrée aux maisons espa- gnoles, toutes bâties plus pittoresquement l'une que l'autre, renfermant de dignes dames mi-re- ligieuses, mi-laïques, logées chacune chez, soi, possédant une véritable église paroissiale, et des chapelles dédiées un peu à tous les saints et à toutes les saintes du Paradis. J'ai beaucoup admiré ces chères et discrètes personnes et j'envie leur bonheur de tout mon cœur..,

Anvers, déjà connu de moi, m'a causé une dé- sillusion grande ; on en a démoli les trois quarts pour édifier de stupides maisons stucquées à l'anglaise. Il est vrai qu'on a agrandi le port, mais ce m'est une médiocre, sinon triste consolation. . . Je ne vous parle pas du musée que vous con- naisse?; certainement et qui est, n'est-ce pas, de toute beauté.

Ce qui m'a le plus intéressé là-bas, ce sont les

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riilrnvinriil-. ; rnilullard nu I lanl d'or se n- lévr fii bQMM qu'on u lil ronsrntir au

| utinitr abord, la ni ri m s aux (|ualrr 00181 OQflUM

pour un gala, el sur Le cercueil, un drap rouge ri or. A la longue, on s'habitue ft ces pompes Funèbres qui. du moins, symbolisent - un peu prématurément, possible - la rioire éternelle

dur... pourtant au seul juslr d<\ an! hiru!

Liège, que j'avais vue. aussi, tenez, le jour même de la chute de M. Thiers m 18715, cela nr me rajeunit guère, et Dieu sait quel bourvari dans cette ville toute française (ou croyant l'être) !

Liège, tdlr. n'a pas ehangr. Du reste, pourquoi L'aurait-elle lait ? X'a-t-elle pas toujours, outre ses monuments, son palais de justice et ses cu- rieux cloîtres, ses bords admirables de Meuse et son Mont-de-Piété, qui vaut le voyage ? C'est peut-être, en plein pays wallon, l'échantillon le plus tlamand de toute la contrée, y compris Amsterdam lui-même.

Mrs huit conférences projetées se trouvant ter- minées juste à la veille de la mi-carême pari- sienne, et la mi-carême belge n'éclatant que le dimanche « ensuite», moi qui n'aime plus ces fêtes beaucoup, je résolus d'accomplir un des plus chers (et bien modestes, vous allez voir) vœux de ma pauvre vie, je résolus de passer ce jour... et le suivant à lîruges.

I7C» souvenirs

0 la plaisante ville aux carillons si doux, si berceurs, pour qui sans nul cloute furent faits ces vers, dès lors ressuscites pour moi, de Victor Hugo :

.l'aime le carillon dans tes cités antiques.

O vieux pays gardien de tes mœurs domestiques.

0 l'aimable cité, dormante et non pas morte, suivant le bien trop pessimiste Rodenbach ! ô ses canaux sans navigation, mais non pas sans cygnes ! ô le tout petit béguinage, et le tout petit musée de l'hôpital (si amusant de calme et de bonne vétusté) et quels Memlings ! et ô surtout même après les hautes tours et les maisons belle- ment bizarres, parfois presque ou tout à fait mystérieuses, même après tout cela, le Musée de dentelles, qu'il faudrait la main d'une belle dame qui serait fée pour oser décrire...

Ce devait être ma dernière impression de Bel- gique entre mille autres charmantes de la part des choses... et encore plus, s'il est possible, des gens.

Aussi, à une dame d'ici qui me boudait un peu depuis mon retour, pourquoi, mon Dieu ? ne pus-je m'empêcher, vieux fou que je suis encore et déjà, de dire... sur son album :

On fait de la dentelle à Bruges, Mais on fait risette à Paris.

JEANNE TliKSPORTZ

Elle t-sl toute petite, toute blonde, comme toute irisée H e est d'un air mignon au possible qu'elle porte presque sur L'oreille sa toque impercepti- ble, d'où semble s'envoler un oiseau blanc et noir, mi-mouette et mi-colombelle. Et précisé- ment, elle-même tient de l'oiseau jusqu'au mi- racle. Elle marche : c'est un oiseau qui marche ; parle-t-elle ? c'est un oiseau qui parlerait. Mais n'allez pas lui attribuer, sur ces aspects, la fri- volité non plus (pie la gracilité de L'oiseau. Il va du sérieux e1 de la carrure dans cette tête jolie, et sa conversation, pour n'être en rien pédante, sent bon d'une lieue l'esprit le plus lin poussé en pleine terre de rationnelle érudition. Méchante, non. Mais ne vous y fiez pas. L'épigramme, quand par trop provoquée, sort prompte et point

!2

178 SOUVENIRS

très douce de ces lèvres charmantes. Le regret, d'ordinaire plaisamment modeste, sait, alors qu'il le faut, luire d'une gentille mais virtuelle vraiment malice. Même on connaît délie des pages que le gros mot de talent n'accablerait pas, mais qui valent mille fois mieux qu'un lourd compliment et sont exquisement légères et spiri- tuelles. Bonne, certes. Et courageuse ! Pauvre elle est et restera, parce que, contentement de vivre pour bien faire passe richesse et voilà ou jamais le cas de le dire. C'est vers des buts par- ticulièrement recommandables et pour des lins dignes de toutes louanges, que se dirigent les pas si lestes et vocalise l'organe si preste qui faisaient naguère l'objet d'une juste assimi- lation.

Femme à l'extrême, ce n'est pas qu'elle ait peur du sexe laid. Le contraire ne serait pas tout à fait vrai uniquement pourtant, parce que rien n'est absolu sur ce globe terraqué. De tout cela il ressort que, puisqu'elle est très bien, eh bien, dans les quelques et très rares rapports qu'elle peut avoir avec ou envers des hommes, elle sait garder toute mesure et peut tout pousser à l'extrême.

Mademoiselle, je vous remercie bien. Je n'avais à tracer de vous qu'une silhouette et je pense que c'est fait.

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Quant à oe <|ui est <l<- faire un poitrail tout du

lontf, ci'hi (lfin;iii(K'r;iil du temps «'I 1»' vôtre est m précieux qu'il mefaudrail assumer de telsmo lits, en vérité, que j'y vaia réfléchir considéra" lemenl .

NEVERMORE

L'humble cabaret d'autrefois est plein de so- leil couchant : la chaude lueur allume les vitres, danse sur le carrelage de briques rouges, crible d'étincelles sanglantes les faïences peintes du dressoir de chêne à plaques de cuivre, et vient jusque sur la table je rêve, les mains au men- ton, empourprer la bière noire dans la grande chope.

L'hôtesse est toujours celle que j'ai connue. elle a quelques cheveux blancs de plus parmi sa fauve tignasse : elle me parle de son mari qui est forgeron et de ses enfants dont l'aîné tirera au sort dans cinq ans. J'ai une certaine difficulté à la comprendre, parce qu'elle s'exprime en pa- tois, et quelque peine à lui répondre, car je rêve.

En rêvant, je jette à travers la fenêtre basse

I Mils IHl

les yeux mu- la grand'route qui mène à la rue d'un village dont on n < » î i les première! habita lions. L'une d'elles esl an peu plus haute que autres, e1 les rayons venus «!«■ l'ouesl encai senf le toit de tuiles avec une sollicitude toute particulière.

De loin en loin passe un cheval tratneur de herse <>u de charrue que guide un rustique sif- flant ou jurant, selon l'allure de l'attelage, ou bien c*es( un chasseur au léger bagage, qui re- grette lea lourds carniers d'il y a six semaines. Paysan ei chasseur quelquefois entrent, boivent, paient et sortent, après une pi pc fumée et quel- ques nouvelles échangées. Moi, je rêve.

l'.t je me revois dans ce même cabaret, moins vieux d'à peine quelques mois, assis près de cette table je m'accoude à L'heure qu'il esl et y buvant comme aujourd'hui, dans une chope, une bière noire que le soleil couchant vient em- pourprer.

Kt je pense à l'Amie, à la Soeur qui chaque soir, à mon retour, doucement me grondait d'être en retard, et qu'un matin d'hiver des hommes en vêtements blancs et noirs sont venus chercher en chantant du latin.

Et l'horrible abattement des malheurs sans oubli pénètre en moi, silencieux, tandis que la nuit, envahissant le cabaret je rêve, me

1 H'2 s o u v 1: n i h s

chasse vers la maison du bord de la route qui est un peu plus haute que les autres habitations, la joyeuse et douce maison d'autrefois vont m'accueillir, rieuses et bruyantes, deux petites filles en robes sombres, qui ne se souviennent pas, elles, et qui joueront à la maman, leur récréation favorite, jusqu'à l'heure du som- meil.

SOUVENIRS SUR TIIKODORK

DE BANVILLE

J'ai beaucoup connu le si regretté Maître et je pense qu'il est encore temps de lui apporter mon hommage comme filial sous la forme de ces quel- ques notes anecdotiques. Tout d'abord, ma pre- mière connaissance avec Théodore de Banville s'opéra par la lecture, chez un libraire du quai Ma* laquait, des Cariàtidêê et des Stalactites, lesquels livres de sa jeunesse (18i2) frappèrent littérale- ment d'admiration et de sympathie mes seize ans déjà littéraires. Certes, Banville a fait mieux et infiniment mieux que ces œuvres de son adoles- cence poétique (il débuta à dix-neuf ans), mais il v a dans ces Jiwenilia une telle ardeur, une telle bogue, une telle abondance, une telle ri- chesse en quelque aorte, que je ne crains'pas daf- iirmer qu'ils exercèrent sur moi une influence dé-

iHi SOUVENIRS

cisive. J'étais proprement transporté. Un peu pins tard, je 1ns les Odes funambulesques qui me ravirent en extase, Le Beau Lc'nnrfrc, Z,e feuille- ton d'Aristophane, toute cette œuvre merveilleuse.

J'eus bientôt l'honneur d'être présenté au grand poète par de chers camarades, Goppée, Mendès, Dierx, José-Maria de Ileredia. Mérat, et ce pauvre Yalade. Il était impossible de trouver un plus charmant, un plus brillant causeur, en même temps qu'un hôte aussi affable, d'une ma- lice douce et sans fiel, véritablement unique. Son visage, qui rappelait cplui du (Ville de Watteau, était un aimable et singulier mélange de bonté presque puérile et de finesse infinie. Du reste, un parfait gentleman aux gestes gamins toujours de bon aloi. Sa voix, plutôt haute, sor- tait d'entre ses dents un peu serrée, stridente maisbienveillan te. Les épigrammes, les anecdotes, jusqu'à des confidences tout amicales en sor- taient pour la joie de ses invités du salon de la rue de Gondé (je parle de longtemps), dont les honneurs étaient faits par la fidèle compagne de sa vie. Un fils de premier lit, qui est maintenant un grand artiste j'ai nommé Rochegrosse s'était vu adopter par Banville en toute paternité infatigable et dévouée. Je me rappellerai toujours ces milieux de soirées le Maître déshabillait le tout petit garçon, le faisait baiser au front par

SOUVBNIhM 185

L'assistance que nom étions e< l'allail coucher, cependant que noua prenions d< tus et Le

thé m rhum traditionnel. Banville revenait et la conversation devenait plus vive sur l'invitation du " patron » :

Et maintenant, Messieurs, nous allons fu- mer «les cigarettes comme un tigre I ( «eci ponctué d'un index ''il l'air, geste si gentil, mais combien contagieux] Car tous, du Parnasse contempo- rain, plus ou moins que nous sommes au fond, avons conservé cette manière d'accentuer nos phrases, Mendès, Coppée, votre serviteur et tant d'autres! ('.'est vers tes heures que l'on voyait Banville tirer de la poehe de son veston de velours une simple casquette de soie qu'il campail gaminement sur une tête peu chevelue déjà, comme L'expriment d'ailleurs ces vers exquis :

Banville porte un front qui n'a rien de commun :

A tort il l'accompagne De trois crins hérissés avec fureur, comme un

Savetier de campagne.

Et les malices, et les bonnes méchancetés, de pétiller en paradoxes éblouissants, sans, je le répète, aucun liel au grand jamais. Parfois, un violent coup de sonnette, suivi de L'apparition de L'immense Glatigny, retentissait. Le poète de

186 SOUVENIHS

Flèches d'or n'était rien moins qu'un dandy, tout en restant, bien entendu, un gentleman lui aussi. Il me souvient de l'avoir vu dans ces chères réunions, vêtu dune blouse bleue de rou- lier.avec, aux pieds, de purs sabots. Par exemple, en voilà un qui vous l'imitait, ce Banville! Celui- ci, d'ailleurs, se plaisantait lui-même à cet égard. C'est ainsi qu'un soir, les frères Lionnet, en train d'imitations, s'avisèrent ou mieux : s'avisa de contrefaire les intonations si amu- santes de Banville, qui s'écria: « C'est bien... mais ce n'est pas encore ça... » Et l'excellent hôte de « s'imiter » délicieusement et de se sur- passer lui-même, tâche peu facile, en esprit gen- til tout plein, bonhomme et divinement farceur. Et c'est vers ces époques que Banville écrivait son chef-d'œuvre, peut-être, ses magnifiques Exilés, livre véritablement épique et du plus haut lyrisme. Le Charivari d'alors imprimait une nouvelle série d'Odes funambulesques qui ne le cédaient en rien aux premières ; et le National insérait chaque dimanche soir de miraculeux articles de critique dramatique. Le Théâtre- Français jouait (iriiu/oirc ; des nouvelles, des contes, ajoutaient en outre à la gloire du puis- sant créateur. Parfois, sa mère honorait ces soi- rées de sa toute bienveillante et toute gracieuse présence, et c'était vraiment admirable, quoique

\ i \ i ii v 1M7

bien n;tlurel. dfl Vcàx la déférenee alVretueusc

dont Btnvillt L'entourait. <m parlai! peu poli- tique, rua de Coudé; mais quand il en était question, Le maître lavait toujours imposer son luniiiirux boo sons et la juste Largeur dt ion

esprit .

Survint la guerre, qui trouva Banvilla fière- ment patriote ai lui inspirales Itli/llrs /u'iisxicnne*, une œuvre vengereaae, la seule peut-être qui res- tera de cette période. a\ ac de fort beaux vers de Mandai et de Coppée. Dei événements qu'il ne convient pal de raconter ici m éloignèrent de France et de Paris pendant de longues années, ce qui n'empêcha point le poète de s'intéresser à mes humbles travaux en de précieuses lettres précieusement gardées qui font partie de nus plus chers trésors. La vie, depuis si sévère et parfois si injuste pour moi. m'a. dansées derniers temps, tenu éloigné de son salon de la rue de l'Eperon ; mais, et c'est le cas de le dire, le cœur y était. Et ce me fut comme un grand coup au cœur quand, ouvrant Y Echo de Paris, certain matin, j'appris sa mort soudaine. Et moi qui ne sors jamais, infirme et sauvage (pue je suis, je me départis de ma discrétion habituelle et assistai à ces belles et touchantes funérailles, où, malgré la pluie, l'Intelligence de Paris se pressait. J'ai ressenti rarement une émotion pareille, encore

188 SOUVENU! S

que la Destinée m'ait gâté et me gâte encore sous ce rapport-là. Il me semblait que c'était un reste de ma jeunesse qui s'envolait. lime souve- nait d'avoir, vingt-deux ans auparavant, accom- pagné un autre cercueil, aussi illustre, mais combien triste ! avec sa trentaine de suivants, dont précisément Banville, resté fidèle à son ami Baudelaire. Je menais en quelque sorte le deuil avec V éditeur Lemerre ; hier, n était-ce pas l éditeur Yanier sur le bras duquel je m'ap- puyais ! Simple coïncidence, mais fatalité tout de même, preuve et « sigillé » (dirait l'ami Mo- réas) de ma fatale inféodation à cette tant aimée coquine de littérature pour laquelle avait tant et si victorieusement fait jamais disparu bon Poète !

Mi: S HOPITAUX Vb/ei nouvelleë .

On pourrai! appeler cette semaine celle des visites. Trois jours Les parents, amis et « con- naissances » îles malades peuvent serrer la main aux tristes reclus, les embrasser et les baiser se- lon le degré d'intimité. C'est qu'une fête con- cordataire nous est échue en dehors des dimanche et jeudi de rigueur pour l'entrée libre des étran- gers. Précisément ces jours-là, il est rare que je reçoive du monde, étant « porté sur le mouve- ment », c'est-à-dire pouvant avoir des visiteurs tons les jours indifféremment. Je profite de ces heures de loisir pour observer un peu à ma droite et à ma gauche et mon temps n'est pas toujours complètement perdu, tant le populo, j'entends l'honnête populo parisien, a d'expan- sion, d'abandon naïf sous son air gouailleur dans la libre expression de ses sentiments, presque de

190 SOUVENIRS

ses sensations. Et que de nuances, d'intéressantes et pourtant, pour parler ainsi, cousines diver- gences parmi ces variées manifestations de la vraie âme démocratique qui a bien, elle aussi, avec ses prétentions, dès lors absurdes, à l'absolu dans la justice, liberté, égalité, fraternité, et autres formules, avec ses préjugés voltairiens sans le savoir et tous ses sots emballements vers quel idéal pour « travailleurs », ses délicatesses, ses exquisités, sans compter ses ridicules, com- bien innocents et gentils à force d'être intenses ! D'abord, ce qui caractérise ces fêtes, ces véritables fêtes bihebdomadaires pour ces pauvres braves gens, c'est le nombre du personnel, je veux dire du public. H y a des lits autour desquels j'ai vu, pas plus tard qu'hier, une bonne quinzaine au bai mot de camarades d'atelier, en dehors bien entendu de la bourgeoise et des gosses. Et c'était tellement encombrant qu'un d'entre la société, en manière d'apologie, encore que d'autres lits fussent quasiment aussi circonvenus, s'écria : « C'est rigolo. On dirait un enterrement. Moins le bistro », observa doucement le malade en gaieté d'avoir tant de sympathie, peut-être un peu curieuse, autour de lui. Et, les trois heures sonnant, heure de la sortie, tous ou presque tous, en lui serrant la main, de lui remettre qui un paquet de tabac, qui quelques cigares insépa-

SnCVKMIIS l'.U

rables, (|ui des oranges et ipiebpi.s uns trois OU (jimlrts pièces blanches,

Par oontre, bien triati le lit qu'on m visite

jamais, plus triste encore Le in.tl;uli> (jui in est Il titulaire. Néanmoins, il n't'sl pas rare <pi'on

lui parla, qu'un dat viaiteurs, qu'une surtout et

plutôt tics visiteuses d'à côte ou d'en face s'in-

quiète tic sa santé, lui passe même quelque dou-

œur, tant le pauplfl parisien, bien pris et un peu trie, est bon.

D'ailleurs, en dehors des particularités oi- desaua, curieux et curieux les visiteurs de cet

ordre. Lespremières nouvellesdonnées et reçue*, les cordialités épuisées, c'est une procession aux fenêtres des femmes, des enfants et de quelques hommes. Des oh et des ah. des « Tiens 1 » et des

« Viens donc voir... Le chemin de fer de cein- ture <pii passe toutes les cinq minutes. Ça doit être bien gênant pour dormir... Mais c'est bâti sur pilotis ici. Est-ce solide au moins ?...» Et les fidèles restes auprès du malade, n'ayant plus rien à lui dire ni à se dire entre eux. se taisent et laissent errer leur regard, qui commence à s'ennuyer, sur la salle, sur les lits, dévisagent les divers élèves machabées et font des réflexions quelles? sotto voce.

Moins touchante, si, touchante aussi, dans un tout autre genre la visite fpie faisait tous les

10:2 SOUVBNIR8

jours réglementaires, de une heure sonnant à 3 heures et des minutes, une helle tille, ma foi, dans les vingt-quatre, vingt-cinq ans, à un épou- vantable petit souteneur de dix-sept ans au plus, naguère traité à la chirurgie pour un coup de re- volver reçu dans une rixe de bal musette, de- puis en médecine pour une autre maladie, véné- rienne des mieux caractérisée. La pauvre fille, arrivée toujours la première, apportait à son aiïreux avorton d'amant de l'argent, des vic- tuailles — et des fleurs. 0 fleurs ! Un jour qu'elle tardait de deux ou de trois minutes, il s'écria : « G'que j'te la scionnerai à la sortie !..»

Moi, puisque ce moi qui est mon poison m'es! présent pour toujours comme un remords, comme je viens de le dire, j'ai la faculté de recevoir tous les jours, et mes amis viennent de préférence en dehors du règlement. Ce qui fait que je puis les promener dans le jardin et causeï à l'aise. Les jours réglementaires on est forcé de rester au lit et c'est dans cet appareil qu'on est visible.

En outre d'une admirable chère amie qui n'a pas peut-être en, en moyenne, deux ans pleins d'hôpital mien, manqué dix fois de me visiter, quelques amis, faits par moi le plus rare possible par voie d'adresses non données à d'aucun, des amis de derrière les fagots et les ragots, charment ma solitude de leurs potins moins littéraires

101 \ I N I

ni'autres, car ils connaissent mon manque de ^•oùt pour les premiers. On l'unie des pipes, "ii \;i ;iinsi jusqu'à la soupe de quatre heures et L'on se sépare meilleura camarades vraisembla- blement qu'en ville.

Ah ! tandis qu'il s'agit de visiter, qu'elle vienne donc bientôt, sinon toul «le suite, la grande attendue, un dimanche ou an jeudi, ou tel jour

de la semaine qu'il lui plaira, me parer enfin (les

Heurs qu'il faut point surtout de rhéto- rique ! et pareil, moi, dès lors, à la victime antique, à mon tour me scionner !

Car on se lasse des meilleures choses, fùt-ee de la vie en ces conditions si charmantes que je crois bien que c'est moi qui me les suis laites, au fond.

13

LE DIABLE

Car il est « à la modo » aujourd'hui, Messer Satanas, et le titre ci-dessus Heure l'actualité de- puis le si mérite succès du La-Bas, par notre ami J. K, llûysmans. Fut-il jamais plus ques- tion d'envoûtements, de vénéfices, de malengins, d'incubat-succubat, Messes-Noires et autres sor- tilèges que durant ce dernier trimestre? Jusques aux maisons-de-rapport qui se mêlent à cette danse macabre... et c'est ici que le Diable éclate cette fois, une fois n'est pas coutume contre ces pauvres propriétaires car dès que les « daïmons », comme dirait l'excellent pot te Jean Moréas, hantent un immeuble, quand même ce dernier serait situé sur le boulevard dédié au peu occultiste Voltaire, tous autres locataires, de chair et d'os, et de ressources épuisables peut- être ou sans doute, comme vous et moi,

I BMB1

Volet*ntt m ealebutênt

ainsi que profère I»- vers-libriste Jean, lui ,hism : de La Fontaine récemment, lui aussi. odiHé, voire banqueté . déménagent à la queue leu leu,

non, quelquei uns. sans tirer celle des [ntrua, n<»n. d'aucuns, sans Le son discret d'une cloche mal bénite su ligneux métal...

Oui, le Diable, «las Teufel, the Devil, il Dia- volo, cl Diablo, comme nous voudrez et dans toutes Les langues que vous voudras avec ou sans ses cornes, avec ou sans cette <jiiouc dont je viens de parler, oui, le Diable est de mise, suivant le terme des joueurs, et. pour niYxprimer commer- cialement, " de défaite » en ces jours, pourtant. de scepticisme un peu bien poussé trop loin, entre nous, qui, en fait,

Clignons VœU du côté du « Malin ».

Je ne suis pas beaucoup plus grand clerc en démonologie qu'en Théologie, en dépit de quel- ques études à l'intention de cette dernière science, ni, surtout, grâces aux dieux immortels! qu'en psy.. psv... psychologie; mais, bien qu'inexpert aux tournois de tables ou de chapeaux, tant hauts de forme que mous ou melons ou etc., tant rondes que carrées, vel alias, je ne suis point

196 S ni' VF. MUS

sans quelque accointance avec le Seigneur des Ténèbres, fiât Xox ! de son nom lin de siècle, le Très lias. Et ceci, non pour ressasser l'a la lin insipide plaisanterie consistant à dire de ceux-là, vulgaire troupeau, vil bétail, sotte en- geance ! de qui le porte-monnaie, velouté de par trop denses toiles d'araignées, n'a pas assez l'horreur du vide, qu'ils voient le Diable.

Non, mes relations avec le mignon du célèbre et irrévérend chanoine Docre partent de plus bas encore, s'il m'est permis d'oser ainsi étaler mes plaies morales. mais ne traversons-nous pas une époque de liberté... relative, heureuse- ment !

Je ne veux point non plus parler de mes sept péchés capitaux, ni de la tourbe des vénielles peccadilles de Yotre indigne serviteur et nul, je crois, de mes contemporains des deux sexes ne serait, dans l'occurrence, autorisé à jeter le premier caillou dans mon jardinet de coulpe et d'erreur.

Non, encore une fois, et voici, surtout, et entre autres milliers de cas, la cause et l'effet de mon satanisme à moi :

N'avez-vous pas remarqué, complices lec- teurs — et lectrices, combien l'ennui est tenta- teur, d'autant plus tentateur qu'il se manifeste multiforme : ennui de croupir dans l'obscurité

-"I \ I \ I ll>-

pour 1rs jeunes de Lettres, dana L'éternelle dèche e( La dette archi vivaoe pour La plupart g glorieux » gloriê in profundiê^ ou in extremiê, au choix ! ennui, côte dea dames, pour une robe tel grand couturier s'esl trompé, ou pour cel

amant OU tri auhv .>u d'autres trop <>u |»as

assez assidus ou jaloux, ennui pour L'enfant d'apprendre et pour Le maitre d'enseigner, ennui de vivre, enfin, pour loua et partout et tout Le temps '.

Or, L'ennui esl la vraie solitude, la solitude dana Le tumulte des foules aussi bien que dans

les tempêtes au désert et que dans le ci/me en mer. Et la solitude. VOS soit] en même temps qu'elle porte malheur, est, par préerllence. mau- vaise, détestable. al>ominal>le conseillère.

C'est t'ile qui détruit reniant la nuit et parfois

le jour, elle qui :

Tord sur leurs oreillers les brun» adolescents,

elle qui se constitue la Muse. pardonnez, chastes Piérides ! du criminel et du filou, elle qui sou- vent, trop souvent, égare le poète et l'artiste ès-

sinistres Labyrinthes du vain Orgueil et de L'Envie, qu'elle sequolibette Emulation ou garde

cyniquement son sale nom. c'est enfin elle ou plutôt lui. l'ennui de vivre qui... me diète ces

198 SOUVENIRS

lignes, horreur ! pour, ô que bénévole dévora- teur de ma prose, un peu vous faire partager mon ennui de les écrire et d'écrire en général ! Est-ce assez satanique, dites ?

Et puis, il y a un « et puis » le Mensonge ne marque-t-il pas foncièrement le Maudit et les suppôts dudit? Et qu'est-ce que je viens de vous envoyer là, sinon la plus effrénée, la plus effrontée, la plus fallacieuse et pernicieuse et fellatrice et délétrice contre-vérité ? Car j'aime férocement, sachez-le, peuples des continents et des îles, j'aime, en vieux Parnassien, en, parait- il (tant que ça?), symboliste inéxpecté, cette gueuse entre les gueuses, cet ange par-dessus les Archanges, la nommée Littérature, c'est-à-dire les Lettres. Or, les primes Lettres proférées dès l'aurore de ce monde, après tout bon, furent, souvenez-vous :

Fiai lux !

Si bien que, de fil en aiguille, mon très pro- fondément prémédité, vénéficiard, préjudiciable et envoutementesque discours est ourdi juste à l'encontre de mon dessein, et que le Diable, en- core une fois, comme en ce Papefiguière dont nous informent François Rabelais et Jean de La Fontaine déjà nommé, c'est la saison des

I I \ I I! -

prix si bien, dis-je, qu'encore une fois, qui ne sera pas, espérons-le bien, la dernière, Diable aura été berné comme un simple Sancho Pança, à L'instar d'une réunion d'actionnaires, ou, en (in <!<■ compte, exécuté^ t»'l un clubman à la carte trop facile...

El Fiai ///./-. et vive la Vie, - cl au diable le Diable!

Auùt gi.

MOMES-MONOCLES

Sous ce titre quasiment générique, je me pro- pose de réunir quelques-uns de mes très jeunes ou jeunes encore amis affligés de la verrue en vogue ou adornés de cette fleur à la mode, comme on voudra. Je place la présente étude sous le haut patronage de notre cher et vénéré maître Leconte de Lisle, du monoculiste par excellence, qui porte beau et fier, dans son ar- cade sourcil... leuse, l'emblème chéri de la géné- ration montante de cette décadence-ci.

A Edouard Dubits.

Grand, point trop mince, glabre et pâle, vif comme le mercure et causeur comme une cas-

VI Mll> _'0|

« .il. lie qui serait presque un torrenl . il duelliste de naissance, amoureux de complexion, poète de race et reporter à ses heures perdu Les belles, toutes ! de Montmartre el du Quar lier n'ont point d'arcanes pour lui : leur alcôve est loute sonore de ses sonnets qu'enflamme, par surcroit, la pyrotechnie <lu plus pur symbo- lisme, leurs ni;iiiis. et,je crois bien, leurs pieds. loul roses deses baisers, sans préjudice <!<■ leurs autres trésors et de ses autres caresses. In <l<>n Juan à trois veux, un pacha à... combien de... cœurs.

La première lois <|iu' je le vis, nous nous gourmâmes. La seconde fois nous dinftmes en- semble. Depuis Qotre amitié subit des fortunes diverses ; telle toute chose humaine, mais le beau fixe a uni par triompher, et je défie bien l'appendice zygomatique de ce charmant com- pagnon, quelle qu'en soit l'acuité cl quelque pé- nétrante que puisse être la psychologie de son regard pourtant pénétrant en diable, de dé- couvrir la moindre arrière-pensée dans l'ex- pression actuelle de ma véritable sympathie pour la gentillesse de ses procédés et de son esprit, ce qui ne i^àle rien.

•20-2

s < » 1/ v e N i n s

II

A Alain Desvaux.

Pourquoi ce doux garçon s'entend-il sur- nommer « l'assassin » ? Serait-ce par anti- phrase et faudrait-il en croire la légende qui veut qu'en train de [suçons sur des frisons il ait naguère été l'objet d'une tentative de meurtre de la part d'une Espagnole soupçonnée d'être des Batignolles? Je connais un peu la dame, cl. vrai, je ne la crois pas démonstrative à ce point, mais bien très charmante et sanguinaire tout au plus comme un mouton mal enragé. Au de- meurant, que de revanches cupidonesques ne prit-il pas d'autre part ! Je ne compte à son passif, en outre de la terrilique aventure ci- dessus indiquée, qu'une défaite, cette fois ci brésilienne authentiquement, et j'y compatis d'autant plus que moi-même, quelque temps après, je passais par les mêmes fourches portugo- americo-caudines. Hasards de la guerre ! sombres fêtes ! Mais que diable voulez-vous ? On n'est pas des princes, ni des bœufs, comme avait coutume de dire un jeune faubourien,

01 VI M II - -'(Xt

mon voisin d'hôpital, du temps quand je n pas oe millionnaire.

Il s'appelle Alain, en bon breton qu'il esl bon breton aussi, il bretonne pour l'Egli pour le Roy, plus - millénaire . comme «lit Le. mi Bloy, que gallican, plus p. un- Charles XI que pour Philippe VII, ce à quoi j'applaudis. Tout loyalisme, tout foi, sinon tout croyance. Il pratique peu et ne conspire pas. N'arbore son... monocle qu'à la rigueur.

l'n nez à la Scudér y. Comment se pourrai t*il, des lors, qu'il ne fûl pas le Triomphant habituel

<|iir nous savons?

111

.1 Henry Chollin.

Il vien Nilhoc pour ses Lecteurs, car porte ri romancier. Carliste comme ci-dessus et ultra- montain nuance Grégoire Septième du nom. Peu pratiquant aussi. Assume ses féroces opinions cléricales principalement dans son costume qui tire fort sur le prêtre catholique anglais, surtout quand il complète par un haut de forme à bords plats son col comme romain « piquant il uni'

l'Oi

SOI VENIB3

note » blanche le noir de la soutanelle (ou comme) hermétiquement fermée. Coill'é du pé- tase de feutre noir toujours ! qu'il dispose en cône à la Salvator Hosa et qu'il porte très enfoncé, très en arrière, il contracte des airs mauvais garçon et parle volontiers socialisme. Mais ne voyons-nous pas le bellement féodal, l'admirablcment mystique, le 1res décoratif "\\ ilhelm II se pencher, non sans une grâce hau- taine, sur ces questions essentiellement cor- diales ?

Supporte bien une pauvreté un peu volon- taire ; et, pourvu que son verre, qui est grand, s'empourpre de picon ou s'illumine d'absinUie, diurnes et nocturnes, il n'y a pas d'heures poul- ies braves et fi de l'opportunisme en toutes choses ! il n'a cure et peu lui chaut du souper non plus que du gîte... Et le reste? direz-vous. Dame ! ses principes théologiques, bien qu'irré- ductibles, ne lui défendent pas de se tourner vers la Femme autrement que pour l'édifier. Alors, gare ! 0 ces jeunes gens !

Par exemple, je ne sais pas pourquoi je l'ai fourré dans ce cénacle de monoclés. Car bien que (peut-être parce que) puissamment myope, son œil est vierge de tout verre solitaire. L'hon- nête pince-nez, les nuits de vadrouille et de chapeau mou, des lunettes pas moins ! quand

S..I \ |.\ |

casqué «lu galurin des jouri habillée, pa seuls ou déparent son visage d'adolescent as- cétique avec un soupç !'• bonne humeur la- tente et d'indulgente gausserie.

Il n'a doue pas, il usurpe, mais de par L'amitié, sa place dans cette galerie de chers camarades, d'affectueux et affectionnés cadets du bon- homme un peu Jadis déjà que devient votre ser- \ iteur.

Kt vite revenons à l'orthodoxie de notre titre. Aussi bien voilà qui est réalisé, car nous avons affaire.

IV

i Franklin Bouillon.

« The Jersey man wich a jolly glass in his

eve ». Et c'est donc que nous parte/., cher ami. pour ee London gothique, riche el seled bien, plein d'arbres el de marbres, pour cette joyeuse vieille Angleterre, Bournemouth, Lyming- ton, Rrighton, paix, repos, bénédiction ! séjour terrible et charmant «le mes années d'exu- bérance, de quelle exubérance ! maintenant grandit, en sagesse, j'espère, un autre moi-

203 SOI Yl'.NIltS

même à qui la vie puisse épargner les joies et leurs revers paternels !

Plus heureux que votre ami, cet Ovide sur place, ibis y bon Frank, ibis in Urbem !

V

A Dauphin Meunier cl Henri Leclenj.

Le monocle incarné en deux personnes !

Il est précieux de les voir côte à côte ar- penter ou dégringoler le lîouF Mich', tels que deux princes mérovingiens, superbes pré- somptifs, imberbes fumeurs de cigarettes, on dirait de celte époque-là, tant ils lancent majes- tueusement la bleue fumée par les airs flottent, savamment déchevelées, leurs im- menses, gigantesques, roses, noires, épanouies tignasses, effroi du Philistin, stupéfaction des filles, notre joie à nous romantiques un peu re- venus, un peu trop rameneurs, sinon chauves furieusement, mais vibrants encore à la vue de ces reliques d'un passé qui fut amusant, et si pieusement portées par des ordinands béné- voles.

Je les crois légèrement « mages » et comme

SOI \ I \ I !

teintés de Bouddhisme, oar il pareil <|u'.l fout imii de même une religion: on vient de o.u\ in- ça toul a L'heure. En tout i is, os sonl «If bons enfants, .s|>iniu<ls ci gais quand ils veulent bien, et leur dernière - bien bonne» consista a essayer de passer pour <!<•> mangeurs d'opium et <lf baschich, mais I incompressible bon sens loi éclata, divulguant par leur bouche, sincère en définitive, qu'aucune sensation d'au- cune sorte ii avait suivi la consommation des mystérieuses substances, consommation pour* tant opérée suivant tous les rites, a'est-ce pas, 1 lauphin?

Affaire, sans doute, de climat et <!<• tempé- rament, diraient lc-> presque convaincus, des- quels je suis.

VI

\ Jean Moréas.

Los. los, et trois fois los !

Voici le roi, l'empereur, le demi-dieu du Mo- nocle !

Non content d'être le maître incontestable des rhythmes obsolètes ressuscites et des vo- cables moyenâgeux et renaissance accommodes

208 souvBNias

à telles et telles sauces ultramodernistes, il veul encore, et peut et a pu s'instaurer le Magister, par précellencc, elegantiarum.

L'hiver, c'est d'un manteau à triple ou qua- druple pèlerine qu'il se drape, comme en 1830, pour subjuguer le sexe aimable ; l'été, maints boudoirs le voient s'étendre sur des canapés tôt gémissant d'un double poids tout de gris perle investi, cravaté de clair-tendre, bardé du faux-col moins lier mais plus rigide que son cœur tout aux belles de tous les temps.

Mais été comme hiver, erect ou supin, dès le dilicule de môme que vers ces crépus- cules du soir, il retient, il accapare, il absorbe la Marque ésotérique, le Sigillé impollu, le seul, le vrai, l'unique et multiple et sacro-saint Monocle !

D'ailleurs pas « môme » le moins du monde, celui-ci, et il ne figure en ce travail que comme l'indispensable De us ex machina. S'il ne l'ait que confiner encore non plus tout à fait à la prime adolescence, sa moustache le désigne suf- fisamment, double virgule ponctuant de leurs pointes terribles l'auréole qu'il a, le sacre un homme, que dis-je? le proclame l'homme qu'il faut, QU'IL A FALLU !

Demande/ plutôt à ces dames.

ENFANCE CHRÉTIENS 1

El tout d'abord salut à La pauvre chapelle de Sainte-Agnès, dans la vieille et bonne et belle ville d'Arras ! Elle l'ut paroisse après que la Hé- volution eut démoli la plupart des églis L'était encore Lorsque mes parents s'y marièrent. D'elle date, par conséquent, ce que j'appellerai ma conception mystique et c'est pourquoi je commence par L'honorer en tout respect at- tendri. Pauvre d'architecture et d'ornement, c'est comme une église de village, en raccourci. crépie à la chaux, garnie de deux ou trois naïfs tableaux et de quelques statuettes sans mérite. De minces voix d'orphelines, depuis qu'elle est redevenue la chapelle d'une congrégation i gnante, y retentissent en lins cantiques, et de frais saluts. aux fêtes, enflamment et fleurissent son humble autel.

I'.

'210 SOUVENIRS

Je fus baptisé à Metz, je suis né. Je n'ai gardé aucun souvenir de l'église cette céré- monie eut lieu, ayant quitté Metz très jeune et j'en ai même oublié le vocable. Mais c'est un de mes plus chers projets, de m'informer, à la pre- mière occasion, de tous les détails relatifs à cette phase de ma vie chrétienne, pour pouvoir, qui sait par ces temps-ci ? un jour de confession ou de martyre, répondre à qui de droit, avec l'accent, sinon avec le geste d'un Louis IX, se réclamant du seul baptistère de Poissy : « Paul de Saint un tel ou dételle Notre-Dame. »

Et de Metz ecclésiastique, nulle remembrance que celle, bien vague, de la bizarre cathédrale au bord de l'eau, dont j'ai encore les vitraux très harmonieux dans les yeux, malgré tous les pleurs qu'ils ont versés, malgré toutes les choses étranges, coupables ou non, auxquelles ils ont mêlé depuis leurs regards plutôt ingénus. Et, Metz, deux fois mon pays, par la naissance et par l'espérance, adieu sans doute !

Montpellier, de pompeuses processions sous des draps tendus. J'y apprends mes prières. J'y suis bien sage et plus près du bon Dieu que ja- mais de ma vie.

J'avais sept ans quand je vins à Paris. Juste l'âge du crapaud des Châtiments, tué au i dé- cembre. J'étais, ce jour-là, sur les boulevards.

211

lora du fameux massacre, .'\ ec ma mère qi

promenait en curieuse, comme tout le nde, i

nous n'avons été ni elle ni moi, ni passablement de gens, maisons-allandrousés. Il esl vrai que le (loup d'Etat ne m'a pas rapporté autant d'argent de copie qu'à M. Auguste Vaquerie, de qui j'admire fort, entre parenthèses, le si amusant Tragaldàbas et cette adaptation des plus réussies de Calderon, les FunérailleèdeVHon- neur, mais qui n'est pas mort du toul percé de

halles, sur le perron de Tortoni non plus. Mais

me \ oici bien loin de mon sujet qui est de passer en revue les divers tabernacles, ô mou Dieu, l'on nous adore eu esprii et en vérité, avec les- quels ma vie m'a mis es quelque rapport.

tant ce Paris est profane !

Mon tout premier souvenir parisien, sous le

rapport des fréquentations d'églises, est pour l'épouvantable Sainte-Marie des Batîgnolles et pour la Trinité en bois de la rue de Qichy j'assiste à des froides ou moites messes b concurremment avec la chappelle des caté- chismes de la rue de Douai, qui est donc quoi devenue, depuis le temps? Ma famille me con- duit à la première et ma pension un peu plus tard aux deux autres. Guère de dévotion, moi. Je m'ennuie simplement, sans plus rien comprendre à ce qui se passe que la majorité

212

s o u v i: n i ii s

d'ailleurs des assistants, j'ai tout lieu de le craindre. Ah ! des Te Dcuni pour la fête de l'Empereur dans le chœur de Sainte-Marie, à coté de mon père, capitaine du génie en retraite, convoqué. Des services funèbres de connais- sances. Le rite gallican, chantres en chapes, ar- pentant le chœur de haut en bas, un serpent. Les barrettes n'allaient-elles pas encore en cône ? Des surplis sans manches, avec des bandes plissées au petit fer voletant derrière. Je remarque que les prêtres portent leurs cheveux longs et très pommadés ou bien alors assez en désordre. Ma première communion faite avec d'affreux gamins, pourtant moins pires que ceux d'à présent (pie je connais bien aussi, pour des raisons. Menteurs, gourmands, méchants et sensuellement vicieux autant que cet âge poussé au pire, dans son impuissance d'autant plus excitée par la corruption, est susceptible de l'être, mes compagnons à la sainte Table ! Je fus, j'ose le croire, l'un des meilleurs commu- niants de cette malédifiante fournée de polis- sons. J'espère, toutefois, que quelques autres ne commirent pas non plus un sacrilège, en ce plus beau jour de notre vie ; le pénitent de Sainte- Hélène n'a jamais dit plus juste. Et je m'ac- cuse, s'il le faut, de venir déjouer le mauvais rôle dans la parabole, s'évoquant, du Pharisien

v i mus 213

et du Publicain, Pharisien lilliputien de publi- oains-mouches. C'est vrai, pour expliquer mes avantages moraux et spirituels de «•<• moment reculé, que j'étais un enfanl aimant et <1<>u\. aimanl ma mère si merveilleusement vertueuse e( bonne, L'aimant à l'adoration, aimant aussi mon père, un homme parfait qui m'aima tant. Peu après, quel mauvais sujet je lis, incroyant et tout pour pendant si Longtemps, ô Miséri- corde divine qui m'avez enfin puni!

VIEILLE VILLE {Fragment d'un livre perdu

C'est une ville de province bien reculée, presque inconnue, même des artistes, même des curieux, par ce temps qui se donne pour amou- reux de pittoresque et d'inédit, Arras, pour nommer la pauvrette par son nom qui fut illustre et dont rien, je vous assure, n'a fait dé- mériter la gloire archéologique et sociale à tout prendre, et si j'ose m'exp rimer ainsi.

Donc, Arras m'est chère pour des motifs : liens de famille, le calme et la suprême beauté de son ensemble. J'y séjourne souvent, bien que je n'y réside pas, et je crois connaître à fond la ville, les habitudes et les habitants. Laissez-moi vous en tracer un rapide crayon.

Vingt-sept ou vingt-huit mille habitants, sur un périmètre assez restreint donnent à la ville

Mil \ I N I II >

une gaité douce ri boa enfanl que le i flegmatique et le parler gras Là-bas, <>n pronon- œrail e guerâs * des citadin f maintiennent

dans UO (lcini -liruil trèl plaisant. Au\ seuls

jouri de marché, in>is fois par temaine, Bette sourdine se haut** on peu vers le matin et sur

h- soir.

Des diverses portes de la ville ville forte à la Vauban, Fosses immenses aui aspects les plus variés : ici, de magnifique* peuplien bordant le

noir ruisseau ( aiiiclnui i jui COUTl ilaiis un alanie de verdure, là-bas le dit ruisseau, à sa soin bondissant à petit bruit d'eaux vives sur de Irais cailloux cl aussi, avouons-le, parmi des débris plus civilisés ; à cette autre porte, la rivière de Scarpe remplissant Louf Le fossé <[ui est énorme entre sombre mur aux fausses portes xvii!'' siècle des plus jolies et un haut rempart

abouti! la roule, pour aller à un quart de lieue plus loin côtoyer le eours de la sinueuse rivière sous des saules et des peupliers, à tra- vers une campagne de fortes céréales et d'étangs poissonneux des portes, disais-je, ouvrant immédiatement sur de belles rues tor- tueuses avec assez de largeur et bouliquières juste comme il faut, entrent, ces jours-là, char- rettes potagères, bestiaux sans nombre et lourds transports de grains. N'oublions point

:>H) SOUVENIRS

les ânières que secouent rudement leurs mon- tures surchargées de verdure à leurs deux flancs ; quelques-unes, vieilles commères ou femmes mûres, arborant à leurs dents la courte pipe noire, au « toupet » traditionnel dans tout ce pays picard et flamand, d'Amiens à Dun- kerque. Tout ce monde patoise, sans beaucoup trop jurer son ignorance l'absout un peu limoniers et bourriques tirant et trottant sous le cri : « lue ! » qui doit peut-être s'orthogra- phier : « I ! » et convaincre notre « hue » pari- sien et plus généralement français de corrup- tion de l'impératif d'ire. Sur les places affectées aux marchés ruraux, le train-train, arrosé de bière, une bière aigrelette assez forte, des transactions de ce genre. Le soir, quelques ho- quets d'ivrognes et de rares disputes aux limites extrêmes de la ville mais, en somme, toujours règne ce calme provincial et plus particulière- ment savoureux ici, que ne saurait tout à fait apprécier un Parisien pur-sang, s'il n'a vécu en de petites villes assez de mois pour se bien pénétrer du bon sens et de la bonne humeur à'e.rlrn-muroa. La garnison anime aussi quelque peu les cabarets trop nombreux et mêle ses sons clairs de cuivre au bronze des nombreuses églises et chapelles de cette religieuse capitale de l'Artois, aujourd'hui convertie en chef-lieu

INI \ I Mil-

il un dépariemenl qui correspond enl

pour sa part, heureux oubli ! - - à l'an< ienne et judicieuse » 1 i \ i -. 1 1 en provinces d'un régime que je voudrais voir reparaître jusque dans tout ses précieux détails.

Des treize églises paroissiales qui dressaient a\;ini la Révolution leurs graves et délicates ar- chitectures du sein dentelé de la cité, um- §eale, Saint-Jean-Baptiste, esl restée, vestige intén gant du w siècle, très richemenl ei savamment restaurée il \ a quelques années el que meuble magnifiquement une authentique pieta de Ru- bens. Dans ce désastre irréparable, pour la plus grande pari à la main filiale «les Robes- pierre el des Lebon, Part n'aura jamais assez de regrets pour la disparition de la splendide ca- thédrale dont le chœur datait du \T siècle et dont la nef, les bas côtés et les constructions extérieures remontaient à la fin du siècle suivant. A cette cathédrale se rapportent les origines du culte illustre de Notre-Dame des Ardents. Voici l'histoire de ce beau miracle, racontée par un vieil auteur, Gazet. On nous saura gré de donner en entier ce chef-d'œuvre, naïf et tin. tel que nous le copions au livre si intéressant de M. le Gentil, juge au tribunal civil d'Arras I .

/ I.c viril Arras, onn' d'eaux-forlcs, chez E. Bra- dier, libraire, rue Saint-Aubert, Arras. Prix : 16 francs.

;2I<S sorvKNins

« Au temps de Lambert, evesque d'Anus. environ l'an onze cens et cinq, le peuple estant fort débordé et addonné à tous vices et péchez, la saison devint intempérée, et l'air si infect et cor- rompu, <{iie les habitants d'Arras et des pays circonvoisins furent punis et affligez d'une étrange maladie, procédant comme d'un feu ai- dant qui brusloit la partie du corps atteinte de ce mal. Les médecins n'y pou vans aucunement remédier, plusieurs en mouroyent, aucuns avoyent recours à Dieu et aux Saints et se trou- vèrent en grand nombre devant le portail de l'église de Notre-Dame en Cité, et à l'entour d'icelle, s'escrians, se lamentans et requérans ayde et secours.

« Or, corne en mesme temps il y eut deux joueurs d'instruinens assez fameux et célèbres, desquels l'un demeuroit en Brabant, qui se nom- moit Itier, et l'autre, nommé Pierre Norman, se tenoit au chasteau de Saint-Paul en Ternois, lesquels estoyent grands ennemis et s'entre- chayssoyent, pour ce que le dit Norman avait tué le frère de Itier. Ce nonobstant, la Vierge Marie en atour magnifique leur apparut séparé- ment à chacun d'eux, le lundy en la nuict, et, après avoir appelle l'un et l'autre par son nom, elle leur tinct tout le mesme discours disant : (( Levez-vous et vous transportez vers la ville

SC.I \ | \ I !

d'Arras, vous trouverez grand nombre de malades gisans devanl l'église fi demj morts de Feu ardant, et vous adressansâ Lambert, evesque du lieu, L'adverlirez qu'il soif deboul el qu'il veille la nuicl samedj prochain, visitanl Les ma- lades parmy L'église, et qu'au premier ohanl du poq ou voira une Femme revestue de pareils atours que mm descendre <lu chœur de La < 1 i t * * église, tenant en ses mains un cierge de cire qu'elle vous baillera, cl en Ferez dégouster quelque peu de cire dedans des vaisseaux rem- plis d'eau, que donnerez à boire à tous les ma- lades, el înesnie en Ferez distiller sur la partie du corps affligé. Ceux qui se serviront de ce re- mède avec une viFve Foy recevronl la guérison, el ceux qui Le mespriseronl perdront la vie. »

u Outre ce discours commun, elle dit à Nor- man particulièrement qu'il aurait pour compa- gnon Hier, combien qu'il lui fus! ennemi pour L'homicide advenu et qu'en ce rencontre ils se- roient réconciliez. Norman donc estant es veillé, commence à s'escrier : 0 combien grande et vénérable est la présence de ta Vierge Mère de Dieu ! O à la mienne volonté, que par son ayde je puisse estre réconcilié à mon poufrère Hier! () pleust à Dieu que par sa miséricorde, et par L'intercession de la Vierge Marie, je puisse an- noncer à tant de malades qu'ils recevront santé

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el guérison ! Néantmoins, je crois fort (disoit-il)

que cette vision ne soit un phantosme et illusion, pariant, je veilleray toute la nuict suivante, pour sçavoir si, par la permission de Dieu, cette vision se représentera de rechef. Puis, ayant ainsi discouru, il se transporta à l'église de grand matin, et assista à l'Office divin, faisant sa prière à Dieu, qu'il lui pleust donner plus clair intelligence et interprétation de la vision adve- nue en la nuict précédente. Itier ne fist moins de devoir de sa part ; fut à veiller, fut à prier. Et la nuict suyvante, la mesme vision de la benoiste \ iergc Marie se démonstra à chacun d'eux, les menasvant que s'ils ne se transportent en dili- gence au lieu par elle désigné, eux-mesmes se- rovent touchez de la susdite maladie, qui fut cause (pie ils se meirent en chemin le lende- main au matin, et Norman qui estoit le plus proche arriva à Arras levendredy, et le samedy au matin s'en alla vers l'église de Notre-Dame il trouva l'evesque en prières devant l'autel Sainct-Se vérin. 11 fut fort confirmé en son pro- pos quand il apperceut le grand nombre des ma- lades, qui se lamentoyent près de l'église, comme lui avait esté représenté par la vision. De façon qu'estant plus constant et résolu, il s'adresse à l'evesque et luv prie se retirer à escart, pour lui communiquer quelque affaire

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d'importance. <'.<• raid il lui dit : » Monsieur, lutnl \ dernier, en la nuiet, m'esl apparue une vision de la benoiste Vierge Marie, laquelle m'a commandé venir vers vous, pour vous déclarer que samedj en la nuict, vous avez à visiter les malades qui seront dedans et dehors l'église et qu'après le premier chant du coq. pour un sin- gulier bénéfice, elle vous mettra ès-mains un cierge ardant, duquel en Faisant le signe la croix ferez découler quelques gouttes de cire en des vaisseaux remplis d'eau, et en donnerez à boire aux malades, mësme en arrouserez Leurs charbons et ulcères, Ceux qui ne se voudront servir dece remède, ou ne Le recevront avec une ferme confiance, ils en mourront. YToyla (dit-il), La charge et commission qui m'a esté donnée; si votre Paternité La néglige et ne la met à exécu- tion, ce ne sera ma faute. »

« L'evesque fort estonné de ce discours luv demanda s. m nom et de quel slil et pays il estoit : mais quand il répondit qu'il estoyl joueur d'ins- truments de son slil : « lia. mon ami (dict L'evesque) ne tejoùe-tu pas de moy ! » Et lors le quitta et se retira en son palais épiseopal. ne faisant estât de ce que luv avoil discouru Nor- man, Lequel tout vergongneux se tint encore en 1 église, considérant avec grande pitié et com- passion tant de malades et misérables et affligez,

'2'2'2 SOUVENIRS

Or, quelques heures après, voylà Itier venant du plusloing, qui arrive en l'église de Notre-Dame, et. y ayant fait sa prière à Dieu, s'en va au palais épiscopal et entre en la chapelle l'evesquc célébrait la Messe. Achevé qu'il eut, Hier le sa- lue revèrement, et ayant humblement requis au- dience luy dict : « Père sainct, il m'est apparu une vision par deux fois d'une femme d'excellente beauté qui se disoit la sacrée Vierge Marie, la- quelle m'a donné charge de vous venir exposer ses commandements. Elle veut que samedy pro- chain en la nuict, vous visitiez les malades gisans dedans et hors vostre église, et que dès lors elle vous délivrera un cierge allumé, duquel ferez distiller de la cire, en faisant le signe de la croix dedans quelque vaisseau plein d'eau, et en donnerez à boire à tous ces malades. Quiconque d'iceux y apportera une vraye foye. il s'en gué- rira, et qui ne le voudra croire, il mourra sou- dain ».

« Itier ayant achevé ce discours l'evesque lui demanda comment il se nommoit, et de quel pays, estât et condition il estoit, il respondit qu'il avait nom Itier, natif du pays de Brabant, gaignant sa vie à chanter et jouer des instru- mens. Alors l'evesque lui dit qu'un autre de mesme condition nommé Norman lui avait tenu les mesmes propos, quelque peu auparavant, lui

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reprochant qu'ils auroyenl communiqué por en- semble pour se jouer el mocquer de Iu\ . Tant s'en faut, di( itier, que si je peneontroia celuy que tous nommez Norman, je me vengeroisde l,i morl il»' mou frère, qu'il a misérablement tué. L'ervesque, ayant entendu ce discours, con- sidéra à pari soj <\ur telle vision s»- pouvorl ma- nifester par la permission de Dieu, pour servir tant de guerison aux malades, comme aussi de bonne réconciliation entre ces deux ennemis : puis il incita II ici- à se réconcilier à Norman, usant d'une paternelle remonstrance tirée de la saincte Ecriture, si bien à propos, qu'il lûy per- suada de pardonner au dict Norman, sejettani à genoux devant l'evesque, et se soubmettant à tout ce qu'il ordonneroit pour le faict de la dicte réconciliation, Et lors l'evesque envoya son secrétaire chercher à L'église le dict Norman, lequel y vint aussi tost, et se mect aussi à ge- noux, priant mercv à Dieu, à l'evesque. et a Hier. Et après <nic l'evesque leur eut faict un très beau discours, de la charité fraternelle, il leur commanda de s'entrebaiser pour un signal de paix et amour, afin qu'estans parfaitement re- conciliez, ils puissent heureusement exploicter la charge que leur avoit esté en divers lieux dé- clarée par la vision apparue les jours précé- dents. Et ayant tous trois jeusné fort estroicte-

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SOUVENIRS

ment, et employé tout le jour en bonne et saincte prière, .sur le soir ils se transportèrent à L'église et y continuèrent leurs oraisons jusques environ le temps qui leur avait esté spécifié par la vi- sion, que lors leur apparut de rechof la Vierge Marie en niesmes attours, laquelle sembloil des- cendre du haut du chœur de l'église, avec un cierge aidant de feu divin qu'elle leur délivra, leur tenant en commun les niesmes propos, qu'elle avoit faict auparavant à ces deux joueurs en particulier, touchant l'opération de ce cierge, et l'ordre qu'il falloit observer pour en bien user à l'endroict des malades, leur ordonnant de le garder et conserver réveremment en perpétuelle mémoire d'un si grand et excellent bénéfice puis elle disparut incontinent.

« Ils furent tous ravis en admiration, tant pour la glorieuse apparition de la Vierge Mère de Dieu, que pour la grande clairté qui flam- boya parmy toute l'église à son arrivée. Ksi ans donc ainsi illumine/, voire aussi emflambés de ce feu divin, premièrement louèrent .et remer- cièrent Dieu, puis se meirent en devoir d'ex- ploicter promptement tout ce que la dicte Vierge avoit commandé. Et après que quelques vais- seaux furent emplis d'eau, l'evesque formant le sitme de la croix avec la chandelle feit déjroulter quelque peu de cire dans cette eau. et après il

SOI \ i K 11

déclara aux malades la vertu d'ieelle, et les exhorta d'en boire en grande révèrent e, i I avec Ferme confiance en Dieu : puis leur en donnèrent ;i boire, el en lavèrent leurs charbons el ulcèi e( ils en sentirent soudainement grande allé- geance de leur mal, lanl par dedans aux parties Dobles qui se gastoyent par une si ardente in- flammation, que, ;m dehors de Leurs membi qui estoyent ja à demy pourris: ils estoyent lors environ cent et cinquante malades et lurent tous guaris hors mis un pauvre mal advisé, le- quel, mesprisant ce divin remède. osa téméraire- ment desboucher qu'il aymeroit mieux du vin,

et autres semblables propos DOT desdain et COn- temnent. De façon qu'il devint si embrasé de

ce feu sacre que tout après il en mourut comme à demy forcené.

p Achevé qu'ils eurent, toute rassemblée se

mit à louer et magnifier Dieu et ses oeuvres tant admirables. Kl comme le clergé estoitja arrivé à l'église pour chanter l'office divin, l'evcsque commença le cantique spirituel de Sainet Am- broise et Sainet Augustin, duquel la Saincte Eglise se sert pour action de grâce, Te De um laudamus, etc. 11 fut chanté en musique mélo- dieuse, avec une indicible esjouissance et allé- gresse de tout ce peuple, qui avoit reçu la gué- rison tant désirée.

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•J'JI) SOUVENIHS

« Après tous ces devoirs, la saincte Chandelle fut baillée en «carde à ces deux joueurs d'instru- ments musicaux, qui l'avoycnt reçu de la Vierge avecl'evesque, parl'advis duquel ils instituèrent une vénérable Société de gens pieux et dévots qu'ils appelèrent la Confrairic des Ardnnts en la mémoire de ce tant signalé miracle, el en peu de temps grand nombre de gens, voire des principaux et plus honorables Seigneurs et Bourgeois de la ville d'Arras, se feirent enrôler dans cette Confrairic.

Deo l'atri sil, gloria Et Filio qui a morliùs Siirrcx'U ac Paraclilo In sempilcrna sœculul »

Le cierge miraculeux et la dévotion qui s'y attachait ont traversé des fortunes diverses : l'inepte ouragan de 92 a démoli la chapelle la mystérieuse relique était vénérée édifice situé sur la « petite place », composé d'un dôme et d'une flèche ; cette dernière, dont il a été question plus haut, était une des perles de l'art gothique français. Le cierge, contenu dans une riche custode, fut pendant toute la révolution caché par des soins pieux au fond d'un puits, d'où il sortit lors du rétablissement du culte,

I i NUI -•-'*/

I m vaste église .1 été i"ui récemmenl édifiée en l'honneur de Notre-Dame dei Ardents ei de lu « Sainte Chandelle », aux frais de pieux particu liera. Celte église de briquet ei de piei d'un élégant effet. Par une coïncidence assez cu- rieuse elle es! due à un architecte nommé Nor- mand, comme l'un des héros de la légende glo- rifiée par l'Eglise. L'intérieur esi riche ei térieusemenl de bon goût. Une statue de Notre**

Dame «les Ardents, œuvre d'un jeune artiste

arrageois, M. Noël, s'élève sur le maître autel. Délicate el sobrement archaïque, elle rappelle L'époque du miracle el s'harmonise à merveille avec l'architecture romane, de la dernière pé- riode, de l'église même. La Confrérie dont il est question dans le récit du vieil auteur, après a\oir Langui dans la tiédeur du xviu" siècle, dis- parut à la Révolution. Des soins indispensables et élémentaires requirent trop légitimement les évéques qui se succédèrent sur le siège d'Arras après cette funeste période pour qu'ils pussent s'occuper efficacement de cette oeuvre, mer- veilleuse d'ailleurs, de surérogation. Mgr Le- quette eut la gloire de restaurer à la fois culte et confrérie. Le saint Cierge et sa custode sont conservés dans L'église nouvelle. Une cage de bronze doré, d'un remarquable caractère d'ar- chaïque solidité, renferme la relique, devant la-

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quelle brûlent sans cesse des cierges sans nombre. De fréquents miracles attestés par de riches ex-voto récompensent chaque jour la dé- votion très fervente des habitants de la contrée et des pays circonvoisins à la Mère de Dieu ho- norée en son sanctuaire.

L'église Saint-Nicolas, une Notre Dame de Lorette presque aussi lourde, a pris la place de l'ancienne basilique si désastreusement disparue, parmi une assez belle plantation d'arbres des- tinée à masquer l'immense nudité de l'emplace- ment cathédral et claustral : un très beau cal- vaire et de curieux vieux tableaux décorent l'intérieur de cette pièce montée greequo-ita- lienne.

Un architecte de génie, M. Grigny, mort sous le second Empire, construisit en 1866, dans le quartier pauvre de la ville, l'austère église Saint- Géry, œuvre du plus pur xvine siècle, que son clochera jour signale au loin dans la campagne. L'harmonie des trois voûtes, l'éclairage admira- blement aménagé bien que sobre à dessein, le mobilier parfait et de très belles sacristies re- commandent cet édifice à l'admiration attentive du passant sérieux. Une merveille, d'auteur in- connu, sauvée à grand'peine du pillage des cou- vents en 92, suffirait à y attirer des foules. C'est un grand crucifix de bois peint des plus bizarre

Sol \ I

au premier aspect, mais qui, examiné quelque peu, nous frappe précisément par ta mesure dans L'originalité profonde, et L'inédit de ses lignes classique, el la toute pénétrante douceur de sa sévérité, et la scrupuleuse perfection des moindres détails, <|ui viennent se fondre au plus grandiose ensemble.

Le même architecte a embelli sa ville natale de trois autres édifices dont deux chapelles con- \ entuelles.

Celle des Ursulines s'élève aux contins de la ville dans le goût sobre de l'église Saint-Géry : la flèche qui surmonte cette chapelle est une res- titution très agrandie de la fameuse tlèche dite de la Sainte Chandelle qui datait de saint Louis, rt naturellement démolie par la Révolution. Ef- frayant tour de force de légèreté, de hauteur et d'équilibre ; un ouragan l'a dernièrement ététée par suite de négligence dans la surveillance et L'entretien des œuvres intérieures; une souscription qui va son train, et attend des temps meilleurs, permettra de bientôt parfaire à nouveau ce bijou justement célèbre dans la contrée. La chapelle des Dames du Très Saint-Sacrement fut le coup d'essai du maître, alors tout jeune Conçue dans Le style flamboyant, elle a toutes les grâces exces- sives du genre. Jamais plus gracieuses fantaisies ne s'enroulèrent autour d'ogives plus hardies ; la

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S ( II v i; N I R s

flèche, elle aussi, bien que moins haute et moins svelte que celle dont il vient d'être question, suf- firait à la gloire d'un artiste comme à l'honneur architectonique d'une province.

Le petit séminaire, situé dans la partie élevée et relativement nouvelle de la ville, présente deux façades, brique et pierre, dont l'une du plus grand air Louis XIII. L'aménagement intérieur, deux cours superbes et une élégante chapelle, contribuent à faire de ce monument, avec le dé- licat hôtel gothique appartenant à M. D..., an- cien député, un digne complément à l'œuvre ar- rageoise de M. Grigny, qui compte encore, à Yalencicnnes et à Genève, des morceaux de pre- mier ordre.

Puisse cet insuffisant hommage à un ar- tiste mort trop jeune, et loin d'être apprécié à son immense valeur, être considéré comme un appel à l'attention des gens tant soit peu sou- cieux encore du grand art ! Puisse cet appel d'une voix si faible être entendu de qui de droit !

Une charmante chapelle du dernier siècle, dite des Ghariottes, mérite encore d'être men- tionnée dans cette énumération des principaux édifices religieux de notre belle et bonne ville. Signalons encore, pour être scrupuleux, le très joli clocher tout moderne de la plaisante chapelle des

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Vieillards. Le reste, ne se oomposanl guère, sauf deux exceptions, l'on retrouvera l'une el L'autre en m lieu, que de constructions j >l u -> on moins commodes el solides, n'a aucune prétention ar- chitecturale, e( il n'en sera pas |>lus parlé * [ n ne I <»ni pu désirer les honnêtes entrepreneurs à qui celles-ci sont ducs.

L'hôtel «le ville d'Arraa est sans contredif le plus considérable H le plus splendide de tous ceux du Nord de la France, je pourrais ajouter de la France entière, en tant que relique «lu Moyen Ane municipal ; car <pic sont les hôtels de ville de Paris. Lvon. lîeims. sinon des fantaisies nivales des temps de la royauté « hors de pa^e »

et absolue ? appartenant ceux-ci à la « Renais- sance », les autres aux siècles subséquents, sans caractère primitif ni puissance quelconque d'im- pression historique.

L'hôtel de ville d'Anas a été l'objet de ré- centes restaurations et reconstructions plus ou moins heureuses. Ces! ainsi qu'on a fait dispa- raître, pour la remplacer par une fenêtre centrale à balcon, détail assez élégant d'ailleurs, une ra- vissante « bov-window » ou bretèque, ainsi qu'un double escalier sis à droite de la façade principale et surmonté d'une Une coupole. Ce dernier vandalisme, commis en vue de L'éclai- rage et du confortable administratif, est double-

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ment déplorable en ce sens qu'en outre de la perte de l'édicule lui-même il démasqué brus- quement la dill'érence de style, d'alignement et de direction de la partie du pavillon de droite qui fait suite à la façade principale, avec tous les ca- ractères de cette façade elle-même. Un excès de bonne volonté, auquel ne correspondaient point assez de scrupules quant à la confusion de genres, a présidé aux additions considérables effectuées sous le second Empire, à grands frais et dans une intention des plus louables. Reconnaissons tout de suite qu'il y a des choses ravissantes dans cette partie neuve qui ne comprend pas moins de trois grands corps de bâtiment dont l'inter- section forme une cour ouverte commandée par une façade postérieure de style ogival flam- boyant des plus exaspérés ; la même outrance, dirai-je, sévit sur les deux façades latérales, l'art de la Renaissance emprunte à tous les genres des grâces tant soit peu hétéroclites. L'ensemble toutefois est loin de me déplaire : cet amoncelle- ment même de dômes, de pignons, de cariatides, de balcons, cette profusion de vermicelles, d'achantes, de congélations, de figurines est d'un joyeux et luxueux effet, qui s'affirme encore à l'intérieur du monument de vastes salles mer- veilleusement meublées et décorées, cette fois, avec le goût le plus exact et le plus sûr, don-

ROI \ l NI

aenl bien L'idée d'une ville ^ i*.-îI1î«- dans l'opu- lenoe et dans la sagesse !

Mais le triomphe, c'est L'antique façade j > i-î i » - cipale avec ses buit hautes fenêtres ogivales har- diment campées sur sept arcades de même ar- chitecture, et Les vingt-trois croisillons rouge pirouettes d'or éclatant sur son immense toiture. In prodigieux beffroi, paradoxalement mince, dentelé de nulle caprices, dresse jusqu'aux nuages, un peu à droite «lu corps de la façade, en vertu de cette irrégularité qu'observera tout ar- chitecte visant au grand, sa niasse énorme et Légère. Le prestige de 1 aniq ue et la puissance de Vanité allongent encore, en même temps qu'elles L'amplifient au second coup d'oeil, cette tour forte et charmante, emblème orgueilleux de

la cité.

Par un bonheur que connaissent peu de mo- numents de cette importance, l'hôtel de ville d'Arias se trouve occuper tout un côté d'une énorme place rectangulaire dont les maisons espagnoles duxvn" siècle alignent leurs pignons et leurs arcades dans un ordre parfait formant un cadre précieux à l'incomparable édifice. Cette place s'appelle la « petite place ». On croirait, en en envisageant ses proportions gigantesques, à une ironie, à une de ces plaisanteries dont nos ancêtres étaient coutumiers dans l'appellation

334 SOUVENIRS

des voies publiques de leurs villes, s'il n'existait, tout à côté, une autre place beaucoup plus vaste encore, exactement dans les mêmes proportions et dans le même style. Une seule maison y fait disparate, mais c'est une exquise relique du Moyen Age et d'ailleurs elle ne jure que tout juste avec ses voisines, étant également, dans son genre, à arcatures et à pignon. Une récente mesure administrative a jeté bas, pour d'idiotes modifications de voirie, à l'angle gauche de cette place, nommée la « grande place », bien juste- ment cette fois, deux maisons du style commun aux deux places et à la courte rue qui les Polie entre elles.

En fait d'autres places, il faut signaler celle « de la basse ville », ample cirque aux élégantes constructions, qu' « orne » un obélisque... du siècle dernier ; celle « du théâtre », témoin des affres de 93. Le théâtre, élégamment insigni- fiant à l'extérieur, renferme une salle très co- quette (xvmp siècle) et d'une acoustique parfaite. De vieilles maisons, malheureusement désho- norées par des toits récents et accommodées aux « nécessités » du commerce moderne, méritent toutefois que l'on s'arrête à leurs sculptures. D'autres places sont banales et, si nous parlons de la halle au poisson, c'est à cause de la ligne demi-circulaire des maisons qui l'entourent en

s .H \ | M lis

imprimant sa courbe aux constructions elles mêmes du marché disposition assez remar- quable «-H France, <»ù les » cresoents » sont aussi

rares qu'ils son! pullulants en Angleterre.

De h- s belles, très belles casernes, datant «lu wiir siècle, uni' citadelle hors ligne, chef- d'œuvre de Vauban, une admirable promenade ombragée d'ormes géants plus que centenaires et flanquée d'un énorme « square », le spacieux hôpital Saint-Jean, le palais de Justice, ancien Biège des Etats d'Artois, beau morceau néo-grec malheureusement intercepté à deux places par des constructions privées, la moderne et co- quette façade de la salle des Concerts, assimi- lable à celle du susdit palais de Justice, la pré- fecture, ancien évêché, sis en dite, palais d'il y a deux siècles, magnifique d vaste, parc princier, dépendances spacieuses, sont également dignes de mention et nous forceraient en conscience à la description si le plan de ce livre ne s'opposait à plus de développements accessoires. Car nous voici presque arrivés à l'objet de ce chapitre et il nous tarde de clore une trop longue paren- thèse. Nous nous dirigerons assez lentement, si vous voulez, pour bien faire, vers l'abbaye de Saint- Vaast, à travers des rues qui ont ceci de charmant qu'elles ne ressemblent en rien, pas même à une maison près, à celle du Paris actuel.

'2'M\ SOUVENIRS

Je ne veux pas médire de ce Paris-là qu'on a positivement trop critiqué. Il est clair, assez gai dans sa monotonie voulue, et a, bien que banal et pauvre, sauf la seule rue de la Paix (1), suf- fisamment grand air pour la capitale d'une dé- mocratie mesquine. Mais il me semblerait in- juste de faire grâce aux imitations provinciales de ces splendeurs à deux sous, déshonneur de nos grandes villes d'incompétentes édilités ont ruiné toute poésie au profit de quelles finances particulières ou commanditées ! Notre chère ville a du moins jusqu'ici, malgré l'ineptie de ses mu- nicipaux d'aujourd'hui, évité ces absurdes « em- bellissements », et ses rues se courbent ou s'allongent selon les besoins de la circulation et de l'aération normales entre deux rangées de constructions souvent anciennes, et combien jo- lies ! toujours harmonieuses et de bonne allure. Mais nous voici arrivés en face de l'entrée de l'abbaye. Hélas ! c'est l'ex-abbaye qu'il me faut dire, un des premiers exploits da la Révolution, en Artois, ayant été de dépouiller les Béné- dictins de Saint- Vaast de leurs biens meubles et immeubles.

(i) Je ne puis comprendre dans le Paris actuel les quel- ques avenues d'iiùlcls avoisinant l'Arc de Triomphe. C'est tous étrangers qui ont voulu reproduire les environs d'Hyde Park, sans y réussir.

SOUVENU! 231

Cette entrée, maintenant celle de l'évêché, donne par une énorme porte oochère rar une cour d'honneur digne d'un palais royal «l«' pre- mier ordre : rien de plue grandiose ai de plus beau. La tour esl circonscrite par trois corps de bâtiment comptant ;■ chaque étage trente huit fenêtres, plus imis portes-fenêtres servant <1 en- trée. L'ensemble des bâtiments construits en pierres de taille dans an goût sévère, tout de masses et «1»' lignes, forme un rectangle de 220 mè- tres de long sur Ni) de large. De magnifiques escaliers, des salles immenses aux sculptures so- bres et agréablement déliées, des galeries admi- rables, deux cours intérieures Longées de cloîtres de toute beauté, richement décorées, le tout d'une ordonnance irréprochable, font sans con- teste de ce palais le plus remarquable testament de l'architecture monastique d'immédiatement avant la Révolution. L'édifice auquel le temps n'a rien ôté, non plus heureusement que les hommes rien ajouté, fut construit à la fin du xvnr siècle, sur les ruines d'un monastère go- thique, à même destination et sous le même titre d'abbaye de Saint- Yaast.

Quelque déplorable que soit la disparition de celte œuvre du Moyen Age, surtout quand on en juge d'après de vieilles gravures, on peut dire, par une exception sans doute unique, et

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sans aucun paradoxe, que la perte est réparée, telles sont la beauté et la grandeur de l'abbaye actuelle. L'Evêehé, le grand Séminaire, les Subsistances militaires, l'Académie d'Arras, dif- férentes administrations publiques, les Archives départementales, immense répertoire, la Biblio- thèque comprenant 50.000 volumes ayant ap- partenu pour la plupart aux Pères, et un très considérable Musée (sculpture, peinture, anti- quités et collections scientifiques de tout ordre), tiennent au large dans cette ancienne forteresse de la Piété et de la Science. Un square très spa- cieux étale ses verdures et ses plantes rares le long de l'aile principale de l'abbaye, a la place des jardins des religieux, dont de nombreux arbres sont restés, séculaires témoins. Au bout droit de cette aile principale, qui ne compte pas moins de 100 fenêtres et à laquelle on accède par un élégant perron central, en outre d'entrées nombreuses pour les différents services all'ectés au monument, se dresse énorme la cathédrale actuelle qui a sa courte histoire, et la voici suc- cinctement.

Les bénédictins de Saint-Vaast, à la Veille de la Révolution, avaient commencé l'érection d'une chapelle en rapport avec l'importance de leur monastère. Ils donnèrent à leur projet de gigantesques proportions, si bien que, plus tard,

I0UVIK1I

Napoléon I . paa ant par Arras et voyant les constructions déjà très avancées que la queue de l,i Bande ooire s'apprêtait à jeter bas contre une honteusement dérisoire somme d'argent, i onçut L'idée vraiment impériale de les achever pour en faire une cathédrale en place de celle disparue. Cette cathédrale lui inaugurée par Charles X, mais ne fui complètement achevée qu'en 1832, sous L'épiscopat 'le Mgr le cardinal de Laiotur d'Auvergne.

C'esl une immense construction toute nue, cruciforme, au liane est (le laquelle s'accole tout mi quartier de la ville, et qui communique avec le grand séminaire contenu, comme il a été dit plus tût. dans L'ancienne abbaye. <m y inculte par un majestueux escalier de quarante- deux marches. Le portail, à peu près de Saint- Thomas d'Aquin ou de Saint-Roch, est franche- ment laid, bien entendu, mais d'une sobriété propitiatoire.

De forts arcs-boutants, massifs et nus comme tout le reste, rayonnent tout autour de la puis- sante construction, allègent ses diverses parties

et en dégagent L'irréprochable structure. Corps principal de l'église, bras de croix, chevet, por- tail, rassortent lourds dans L'air, sévères, cor- rects, trônant, solidement assis, sur une haute gresserie, au-dessus de la ville Légère et dvn-

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telée. leur tributaire spirituelle et leur fille dans la Foi.

Il est à espérer, toutefois, que le dôme pro- jeté par les moines, et le campanile, dont la base seule existe aujourd'hui, base de grès, si considérable qu'elle enveloppe une magnifique chapelle de la Sainte Vierge, exhaussée d'une dizaine de marches de marbre blanc à rampes de marbre blanc, il est, dis-je, à espérer que dôme et campanile seront avant peu édifiés, lorsque les Pères, après un exil de bientôt cent ans, reprendront possession de leur propriété, et qu'un gouvernement juste se voudra faire hon- neur de rendre à la Mère de Dieu et aux succes- seurs de l'évêque Lambert leur cathédrale re- bâtie sur les plans antiques, avec ses verrières étincelantes, l'or de ses autels, et l'argent de ses cloches sonnant à toute volée le long-désiré Te Deuni dans ses merveilleuses tours, suzeraines et compagnes maternelles du vieux beffroi soli- taire qui s'écœure d'assister à cette fin de siècle !

En attendant, Saint- Vaast, comme on appelle la cathédrale provisoire, remplit de son mieux le haut office que les événements lui ont dé- cerné ; son imposant vaisseau, long de 102 mètres, large de 2G et haut de 32, dessert à merveille la pompe pontificale dont les révolutions modernes l'ont investi depuis quarante-sept ans ; trois

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nefs avec déambulatoire, chapelles latérale! el absidiales, deux chaires à prêcher < I* >n t la | ni n- oipale es! toul un monument, un Immense bane d'oeuvre pour le Chapitre et !<• grand Séminaire aux jours de sermons solennels, on baptistère incomparable, très nombreuses statues, quelques- unes tics chefs-d'œuvre, de précieux tableaux, dont un Christ au pilier df Rubens, «les gri- sailles, des vitraux en trop petit nombre, un vaste chœur, une maîtrise excelh nte, deux orgues (jui n'ont de rivales, en France, <{u<- les plus célèbres, tout ce confortable ecclésiastique, tout ce reste et ce recommencement de luxe re- ligieux, consolent un peu le souvenir des ma- gnificences passées et l'ait prendre patience à l'espoir rétrospectif qui s'ennuierait trop sans quelque escompte sur le lent avenir.

J'aime, lors de nies séjours à Arras, à entendre, aussi souvent (pue possible, la grand'messe ca- nonicale quotidienne.

Je doute que le plain-chant, ce sublime plain- chant catholique, plus beau que tous les arts, trouve de meilleurs, de plus consciencieux et plus corrects interprètes qu'ici. L'orgue d'ac- compagnement, touché d'ordinaire par un artiste aveugle, a une ampleur, une force douce toute particulière vraiment, qui mêle une voix surna- turelle et divinement harmonieuse aux notes

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242 BOUVENIRS

très pures des chantres, en laissant aux paroles latines tout leur nombre et leur si net le mélodie. Puis la quasi-solitude des oflices de semaine dis- tribue à la prière privée tout l'espace nécessaire, on dirait ; ces voûtes immenses semblent un ciel, juste assez lointain pour encourager les pieuses pensées à vouloir y planer ; ces énormes colonnes corinthiennes invitent les intentions particulières à s'y enrouler pour l'ascension par- mi les riches chapitaux vers ces sereines régions de l'adoration enfin sûre de son vol...

Un jour, tout le monde a de ces distractions, un pauvre pécheur plus qu'un autre, je laissais errer mes yeux à droite et à gauche du transept vers le milieu duquel j'étais, debout contre une chaise inclinée, face au maître-autel, exacte- ment celui de Saint-Sulpice, marbre rose et su- jet en bronze doré (l'Enfant Jésus au temple), une tiédeur m'avait pris, que je ne pouvais sur- monter ; mon attention vaincue tournait à rien, et j'avais résolu de me retirer ce jour-là, plutôt que d'assister indignement au divin sacrifice. A cet instant un homme entra, bien mis, cheveux et barbe trop soignés, du ventre à vingt-cinq ou vingt-six ans, " sans prendre d'eau bénite : évidemment un commis-voyageur entre deux affaires, sur la route d'un rendez-vous en ville avec dix minutes d'avance. J'observai cet intrus

\ I Mil - 2 tl

quelques instants du coin de l'oeil, sûr de quelque chose de marque, e( des mouvements spontanés n.iïfs du personnage. I H dévol pour ces gens-la n'existe p;is. même che% lui. à L'église. Point de gène avec lui plus qu'avec un 1><>m chien ou ces témoins indulgents, Les chats. L'homme regardai! les choses «lu bras de croix gauche par il était entré : I*1 royal baptistère, son triptyque sans prix, sa < -< >i i « j 1 1 « - ('norme de marine noir veiné, merveilles vraiment. Se re- tournant, il contempla sans y rien comprendre. pauvre être! le monument de saint Benoit Labre (saint Hennit Labre, la seule gloire française du wiii'' siècle, mais quelle gloire! et comment dé- sespérer à jamais d'un pays à tels saints? mais aussi quelle pierre d'achoppement pour les cer- velles titubantes de tous Libres-penseurs, grands ou petits! : puis ses yeux s'élevèrent sur le Calvaire immense, un crucifix comme militaire dans sa torsion vigoureuse avec son long noir côté de cheveux pendant presque en tresse comme une cadenette, aux ex-voto sans nombre et, au bras de Croix, un saint Jean et une Vierge enluminés d'un effort savamment naïf. Il traversa ensuite, sans même s'incliner devant le maître-autel, mais savait-il seulement qu'il dût le faire ? et s'en allait examiner, dans l'autre bras de Croix de la basilique, l'autel du

2 i i SOUVENIRS

Sacré-Cœur, blanc de pierre aux ors neufs, quand passa une femme jeune, en voilette, qui venait de terminer sa prière près de là. Ce fut la rentrée de V homme en lui-même ; son œil, de- puis quelque temps vague et décent, s'alluma, une main, celle de la canne, caressa les cheveux de la tempe, mit le chapeau au port d'arme, les bottines craquèrent à nouveau, et quatre pas furent faits derrière la « belle enfant »... Mais l'heure du rendez-vous ne tarda pas à sonner dans la tête commerciale un instant distraite après avoir peut-être pensé cinq minutes, et les pieds de Mercure eurent vite essoré le gros païen par le seuil du bras de croix qui lui avait donné accès, non sans un fort battement de portes qui coupa net Y Et ideo de la Préface que chantait faiblement le vénérable officiant à ce moment précis.

Je sortis à mon tour, l'esprit plein du malheu- reux, le voyant avec son client, l'entendant dé- battre et proposer des prix de sa voix sirupeuse, puis, la chose « dans le sac », de retour à son café, ses journaux lus, deux ou trois parties de rama ou d'écarté jouées, bien parlé femmes et Gambetta et Brisson, c'était du vivant de ces morts, et de la « sale boîte de petite ville », entamant le chapitre de la religion, du féti- chisme clérical, des poux du « fainéant Labre ».. :

S < » t : \ i

« On va le ca no ni ser, vous Bayez, ; I * ! oh! « ah ! ces gens sonl donc tous.' quel défi nb- « Burde à L'esprit moderne ! A ce propos lisez

.- donc le ('.luise d'au jourd'hui . . . 'l'eue/, préeisé-

<• ment, je sors de ce qu'ils appellent ici laca- » thédrale une belle bagnole tonte en plaire !

< ah ! ça, Comme dil Machin, ce malin, ô ce

« Machin Ion ne foutra donc jamais cesobstruc-

» finn.s-\;\ par terre? El ce que j'y ai vu dans

« leur Saint-Yààààsi ! ! (comme si <>n s'appelait « comme ça !) Figurez-vous. . . »

Et tout cela, ù la profondeur de vos desseins, Dieu vivant ! à cause d'une humble femme (jui passait, après avoir prié peut-être pour cet imbécile qui llànail dans voire temple comme dans un musée, peut-être encore pour le chré- tien, distrait en présence de vos redoutables

mystères, qui écrit ces lignes vaincs!

TRADUIT DE BYRON

Et tu étais triste, encore je n'étais pas avec toi, et tu étais malade et je n'étais pas près.

Moi qui croyais que joie et santé seules pou- vaient être je n'étais pas, douleur et chagrin ici !

Et c'est ainsi, et c'est comme j'avais prédit et ce sera de plus en plus ainsi.

Car l'esprit se replie sur lui-même et le cœur naufragé gît, froid, tandis que l'ennui recueille les dépouilles éparses.

Ce n'est ni dans l'orage ni dans la lutte que nous nous sentons accablés et que nous souhai- tons de n'être plus, mais dans l'après-silencc sur le rivage, quand tout est perdu dans une petite vie.

Je suis trop bien vengé, mais c'était mon droit.

Quels que pussent avoir élé mes péchés, tu

S ti| \ I N I II s

il .1. us pas cn\ ,,\ ée | m .u i i tre la N' an lia qui «lui les punir.

Et le oie] n'a paa choisi un instrument aussi intime.

La misérioorde ea\ pour les miséricordieux. Si tu as été de ceux-là, elle te sera accordée main- tenant. Tes nuits sont bannies des royaumes dn sommeil.

Oui, ils peuvent te flatter, mais lu sentiras une angoisse étreignante qui ne guérira pas, car lu as pour oreiller une malédiction trop pro- fonde. Tu as semé dans ma tristesse L'amère

moisson d'un malheur aussi réel !

.l'ai eu de nombreux ennemis, mais aucun

comme toi ! Car. contre les autres, je pouvais moi-même me défendre et me venger ou les tourner en amis.

Mais toi, dans ton implacable sécurité, tu n'avais rien à craindre, abritée comme derrière un bouclier dans ta propre faiblesse et dans mon amour qui n'a que trop cédé, et épargné plu- sieurs que je n'aurais pas épargner.

El ainsi, sur le monde, confiant en ta véracité, et sur la mauvaise réputation de ma jeunesse qui fut sans frein, sur des choses qui n'étaient pas et sur des choses qui sont.

Oui. sur de telles bases tu me bâtis un monu- ment dont le ciment fut crime, Chtemncslre

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S O U V E N I H S

morale de ton seigneur et maître ! Et tu as abattu d'une épée insoupçonnée réputation, paix, espoir et toute la vie meilleure qui, sans cette froide trahison par ton cœur, pourrait encore avoir surgi du tombeau de la querelle, et trouvé une plus noble fin cpie cette séparation!

Mais de tes vertus tu as fait un vice, trafiquant d'elles dans un froid dessein pour la colère pré- sente et l'or futur, et achetant à tout prix le chagrin d autrui !

Et une fois entrée ainsi dans les voies tor- tueuses, la jeune vérité qui lit autrefois ton juste éloge n'a plus marché à ton côté.

Mais par moments, avec une poitrine incons- ciente de leurs propres crimes, les mensonges, les incompatibles responsabilités (dvermcn/s), les équivoques et les esprits de derrière la tête (Janus), l'œil significatif qui s'apprend à mentir avec le silence, la Prudence, prétexte avec les avantages y attachés, l'acquiescement à tout ce qui tend, n'importe comme à la fin désirée,

Tout cela trouve sa place dans ta philosophie.

Les moyens furent dignes et la fin est atteinte.

Mais je ne voudrais pas faire comme tu as fait.

la c.oi;ttk

Il était, de Paris, revenu au village qu'il avait quelques années habité en y faisant passa- blement de dépenses pour le mal plus encore que pour le bien, quoique celui-ci eût eu. il faut le reconnaître, Large part encore dans son budget* A vrai dire, son retour était quelque peu dicté par un vice. 0 un vice ! Trop gros mot, vice, en bien des cas. Quoiqu'il en soit, après deux jours, sa poche était visiblement vide, ce qui fit que tout crédit lui fut refusé dans ce pays que sa prodigalité, bonne et main aise, avait, en somme, sinon enrichi, mis à l'aise. Un pauvre qu'il avait obligé lui donna l'asile d'une nuit dans la voiture il vivait avec sa famille, voiture faite par lui- même de débris et que le mari et la femme ti- raient quand la casse des tas de cailloux, la ré- colte de l'osier, la vente de paniers et de balais.

250 SOUVENIRS

et les occasions pour une petite entreprise de photographie exigeaient du déplacement. Ces braves gens lui prêtèrent dix francs, et d'autres braves gens, des aubergistes nécessiteux chez qui il avait largement consommé comptant, sans trop compter, naguère, quinze. Cela lui permet- tait de se rendre dans un chef-lieu de canton un notaire avait de l'argent à lui. Encore ce no- taire se dessaisirait-il? 11 remercia et partit. La petite ville il devait prendre le train se trou- vait en fête. Chanteuses et jeux firent tant qu'il y passa une nuit, au bout de laquelle il se trou- vait juste nanti du prix de son billet. Il arriva à la gare d'où il devait faire deux lieues à pied sur une route de Champagne, blanche et sans arbres que des bouleaux si malades ! Il lui res- tait trois sous qu'il boit, puis il enfile la longue venelle par un soleil de 1er juin (on enterrait Victor Hugo), coitfé d'un haut de forme et vêtu d'un pardessus à fourrures. Il avait chaud, mais l'espoir en le notaire lui donnait des jambes. A moitié chemin, comme il n'en pouvait presque plus, le voilà, dans un village à traverser, ac- costé par un mendiant qu'il connaissait. Cet homme lui dit : « Comment va? 11 fait soif, payez-vous quelque chose? Mais je n'ai pas un rotin. Sans cela, vous savez bien... Je vais même à ,T... pour y chercher de l'argent qu'on

> I' I \ I. \ I II .s

me doit. Qu'à cela ne tienne, je me permets, moi, de voua offrir la goutte là-haut, chez Chose. Voulez-vous? Comment donc! «

l'.n face de l'église une église <1<' ••es con- trées, ardoise et craie, clocher lourd au milieu, «m \ M.ii sonner [es cloches pendant lea Te Ih'iiin. Le cabaret esl propre. L'eau-de vie d'Aisne, marc de bas Champagne, rit bleuâtre dans les gros petits * erres : on choque, <>n boit, el c'est, parbleu! la meilleure goutte que j'aie lampée de ma vie.

A charge de revanche, père Machin!

Allons donc, c'est de bon cour !

El je, puisque je il y a, partis plus allègre pour chez mou notaire, qui devait être absent cl ailleurs. qu'Olympia pour son Panthéon pen- dant ce temps-là.

L'OBSESSKril

Je ne sais ma foi pas trop pourquoi ma mé- moire se reporte à un temps si ancien sur un objet au fond si peu intéressant pour elle qui en a vu tant d'autres.

Quoiqu'il en soit, je veux me débarrasser de cette espèce de préoccupation, en mettant sur le papier la très simple histoire que voici.

J'étais pensionnaire à l'institution... qui nous conduisait deux fois par jour au lycée... Sans grandes relations avec mes camarades, pour la plupart garçons assez insignifiants, deux pour- tant d'entre eux attirèrent bientôt mon atten- tion, non point par leur amitié, car ils n'avaient pas l'air de se plaire beaucoup, moins encore pour leurs sympathies, leurs goûts communs, car ils ne semblaient s'entendre sur quoi que ce soit, ni même par leurs habitudes courantes, ou

\ I Mils

Leurs manières, car l'un éiàil un intarissable ba- vard, mal intéressant et des plus Lourds, d'ailleurs, tandis que L'autre, un distrait, un rê- veur, restait volontiers taciturne, mais pour Leur inséparabilité, si L'on me permet ee mol non encore inscrit au Dictionnaire de V Usage et qui n'aspire point à y prendre place. Dès huit beures du malin, quand on se mettait en rang

pour aller au lycée, l'externe (c'était un externe (|ue l'écolier si bavard et si ennuyeux) ne man- quait pas d'aller se mettre auprès de l'interne (interne était le lycéen taciturne). Et (nielles nuances entre gamins implique cette différence despote de situations sociales en miniature! En route, le bavard, invariablement vêtu d'un paletot bleu montagnac, nuance insipide, n'est- ce pas ? el coiffé d'un de ces chapeaux melons roux, déjà en usag» , mais porté droit sur la tète, marchait en crabe et tout en pérorant combien fadement ! poussait, selon le hasard de la place, son malheureux et trop patient compagnon, en- goncé dans une tunique trop large, avec un képi tout cabossé sur sa tête, contre les boutiques ou vers le ruisseau. Le pauvre garçon répondait oui, non, à ces torrents d'eau tiède (pie déversait l'autre : tant qu'ils turent enfants, en "'', en 6e, ces conversations, ou plutôt ces monologues, avaient trait, par exemple, à des encriers nou-

254

SOUVENIRS

veau modèle, à des plumes chics, à des buvards de première qualité, à des connues pour le crayon et l'encre, superlatives. Tout cela débité d'une voix blanche, sans intonation ni rien pour accrocher l'oreille un peu.

Plus tard, en seconde, en rhétorique, ce fut une autre fête pour le pauvre Taciturne qui ne rêvait que poésie et que l'horreur du baccalau- réat à préparer n'empêchait pas de lire, de droite et de gauche, de forts fragmenta de la lit- térature d'alors. L'autre ne lui parlait que de romans étrangers commerciaux, que de traduc- tions de livres de voyage (les livres de voyages, uniquement de voyages).

Je me demandais souvent pourquoi le Taci- turne, un garçon intéressant en somme, n'en- voyait pas promener cette scie vivante, ce cram- pon, ce lléau venu de Paris, et je m'en ouvris un peu à lui.

Que veux-tu ? me répondit-il, il m'a dompté, je suis sa chose, comme on est la chose d'un chien hargneux ou d'un chat pelé qu'on garde par habitude, sans s'y intéresser et sur- tout, ô surtout sans l'aimer.

Ces comparaisons disgracieuses, et principa- lement cette répétition « et surtout, ô surtout sans l'aimer », me frappèrent sans m'éclairer alors sur le mvstère de cette domination d'un

I I \ I lis

sol ni 1111 intellectuel. Plus tard, je reconnut «i saluai dans cette conduite pusillanime en appa- rence,une indifférence, un in souci des ambiances non sans sa Qerté, une paresse | > 1 1 1 ( <"» t noble,

de bon daud\ sine...

La vie, comme de juste, nous sépara, OU plu- tôt me sépara du Taciturne, car je ne me rap- pelle pas avoir, en ce temps de notre première jeunesse, échangé une seule parole avec sou obsesseur. Un jour, par le plus grand des ha- sards, je rencontrai ce bon garçon, et. après les premiers mots de reconnaissance et de sympa- thie, je lui demandai s'il voyait toujours un tel.

Ne m'en parle pas. Je ne sais par quel mi- racle me voici libre aujourd'hui. Le misérable me fréquente plus que jamais, m'abrutissani maintenant de ses gandineries, courses, crocket, cricket la bicyclette ni le live o'clock ni les re- cords n'étaient pas encore à la mode, sans quoi mon pauvre camarade en eût probablement vu de plus grises encore). Il connaît, dit-il, telle lille, marcheuse au Châlelet, et un directeur au- quel il réserve un drame scientifique. 0 le monstre ! Il me passe parfois des envies de le tuer. Que de fois n'ai-je pas eu l'idée de le pré- cipiter de la fenêtre mansardée de ma très haute chambre. Dernièrement, à l'étage du café des Variétés oti je vais quelquefois, j'ai failli le pré-

'250 s ou vbnib s

cipiter à travers l'une des grandes glaces-fenêtres sur le boulevard...

Il me quitta, l'air vraiment égaré.

Quelques mois après je fus accosté par l'ob- sesseur qui me reconnut sur le champ. Et moi donc, si je le reconnus ! il n'avait pas changé de- puis le lycée. C'était toujours la même face rose, imberbe, avec dents malsaines, aux yeux bleus de littérale faïence.

Ah, pauvre cher, me dit-il, sais-tu ce qui est arrivé dernièrement à X. ? D'abord, sais-tu qu'il vient de mourir?

Ah bah ! et de quoi ?

Dans un accès de folie furieuse. Ça avait commencé par une scène affreuse avec moi. Il voulut, devant cent témoins, dans un restaurant, m'étrangler et peu s'en fallut que je n'y pas- sasse... On le soigna chez un pharmacien, car il donnait tous les signes de l'aliénation mentale ; après lui avoir donné les plus forts calmants, on l'envoya d'urgence à l'infirmerie du dépôt. De là, son état ne faisant qu'empirer, il fut dirigé à Ville-Evrard, j'obtins pour lui un régime un peu meilleur que le commun... Je ne suis pas riche! On fait ce qu'on peut... De plus, j'eus l'autorisation de l'aller voir tous les deux jours. Dès qu'il me voyait, il reculait au fond de la chambre à barreaux, et me tournait le dos, sem-

\ I I I It s

l.l.ui faire tout ses efforts pour renverser Le mur »! Fuir.

Est-ce étrange ! In #u\nii si doux, si calme e( qui m'aimait tant 1 Avant-hier j'appris bs morl par congestion. On L'enterre demain s 1 1 heures. Train à toute beure à la gare de l'Est. Viens-y donc ?...

La guerre survint, .le sus. par qui déjà? que Lui-même, L'obsesseur, monstre sans le vouloir, avait été tué d'un éclat d'obus, au plateau d'Avion il servait comme mobile.

Puisse au moins son ombre obséder à son lotir L'artilleur au casque à boule qui lui a valu ces loisirs !

17

CONTE PÉDAGOGIQUE

Il y avait une fois, quelle fois? —dans une grande ville, quelle grande ville? trop d'enfants. Ces enfants, en outre, étaient trop sages. Les parents ne s'en plaignaient pas, tant s'en faut ; et c'était plaisir que de voir un inté- rieur de cette ville-là à l'heure de la rentrée de l'école qui était celle du dîner : toute la petite tribu rentrant après avoir déposé soigneuse- ment galoches et socques et s'attabla nt en chaussons, chacun à sa place, mangeant et bu- vant sans bruit, causant juste autant qu'il fallait et jouant bien paisiblement jusqu'au moment d'aller au lit après un baiser affectueux et res- pectueux à leurs père et mère.

Mais l'Etat voyait cela d'un mauvais œil et ne connut de cesse qu'il n'eût tiré, d'où? un affreux bonhomme à grosse moustache grisonnante cirée

■MPI \ | S MIS J.V.t

sur des lèvrei sèches connue du parchemin cl

Bout un Q6i crochu et des yeux ft peine visibles

à Cause de sourcils noirs en broussaille cl qu'on devinait, qu'on sentait méchants, et qui boitait des plus disgraeieusement, de qui II lit l'édu- cateur public en ohef de la ville.

Bientôt les enfants n'obéirent plus, ne 111:111- gèrenl plus proprement, eurent des jeux brutaux (des saute-mouton Les tilles taisaient leur partie avec les garçons, des barres pour les deux sexes et maigrissaient à vue d'o-il. Passa- blement d'entre eux moururent. Kn revanche, ils savaient des choses qui ne devaient jamais leur servir à rien, ou ne pouvaient que leur ai- der à mal (aire. « Voler» perdit son nom, on di- sait « chiper». Répondre aux parents sembla le comble de la crànerie et jouer de mauvais tours aux gens Agés être « dégourdi ».

Le temps passa : les vieux » (nouveau style « claquèrent » pour la plupart. Les survivants, grossis de quelques jeunes, dès lors grandes per- sonnes, hommes et femmes, qui avaient gardé les traditions d'il n'y avait pa ; encore long- temps formèrent un groupe, tôt accru des mé- contents de toutes sortes d'opposition, qui iit son travail, puis son bruit, puis sa révolution.

L'Etat essaya bien de résister, mais cette ré- volution était invincible, ayant été lente et pa-

260 SOI Vl-MRS

cifîque. On congédia le grand Educateur, qui s'en retourna dans son chez soi, en claudicant non sans proférer de ricanantes menaces.

On pourvut sans retard à son absence, qui? l'Etat, et son remplaçant sembla dès l'abord réunir tous les suffrages. Jeune, beau, imberbe, avec des cheveux d'or, un « ange de lumière », disait l'opinion publique qui n'en dit jamais d'autre ! Toujours est-il qu'au bout de peu de temps il y avait en effet un changement pour le mal, ô dans un tout autre genre !

Cette fois-ci, les enfants, ceux déjà bien moins nombreux de la génération élevée par l'affreux vieillard ne s'occupèrent plus à l'école que d'art d'agrément : les filles ne fai- saient que du crochet, que des gammes ; les garçons savaient, mieux que nature et rien que cela, la littérature du temps qui était à la fois fade et pornographique et quelque dessin calli- graphique dont les ronds et les déliés affectaient des rondeurs polissonnes.

La mortalité continuait toujours. La dépopu- lation encore plus. L'opposition, muette et inof- fensive, durant environ toute la prime jeunesse de cette génération tiède, indifférente à tout et au fond méchamment sceptique, se réveilla. L'Etat mit à la porte le suave second sauveur. Celui-ci s'en alla joliment comme il était venu.

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regrette «l«- passablement de ses anciens élève», de même que L'antre n'était pas sans avoir de partisans. Ces fonctionnaires n'avaient p;is été sans faire des créatures, et n'était-ce pas tout naturel ?

L'Etat alors déclara ne plus vouloir s'occuper <le rien, et tout alla de nouveau comme sur des roulettes.

COSSES

Comme il s'était étalé par la faute dune jambe ankylosée sur le pavé dur de ta rue, tu accourus, enfant qui le connaissais pour, lui, t'avoir payé des pétards à la saint Paul afin, chétif bras, divins efforts impuissants, joints à ceux de les camarades qui le connaissaient aussi à force de la même complicité dans la violation si charmante et qu'inolïensive ! d'un vague ordre public, de le relever de sa chute sur ce pavé si dur donc, mais sa tête, bonne encore à quelque chose, fut, en attendant, plus dure en- core. Et dès que des bras plus sérieux l'eussent restauré sur une chaise entourée de braves femmes honnêtes et autres, pleines d'offres de vulnéraires, tu le contemplas, cher enfant : joli sous tes vêtements si simples et si proprets, ce

ROI NI M

tablier blanc et bleu d'écolier que j'eus aussi, ii pitoyable, loi, à son malheur du moment, si bien peigné, si affectueux daiii ta question : « au moins vous ne vous ries pas fait trop de mal >», que, ô enfant, il te bénil dans le secret de son oosur. Plus lard lu deviendras méchant, ô non ! mais

marnais, el auras oublié Cette anecdote...

Bah! le bon Dieu qui voit tout t'aura su gré

de ce mouvement vers la pitié et tu seras, en- fant, béni dans ta postérité si tu dois en avoir

une ou alors et certes dans cette œuvre, la meilleure entre les tiennes, je l'atteste, pauvre, doux, cher petit garçon, angélique témoin, tels Jésus les aimait el les aime de nos chute- affreuses, mais consolées par un regard, par un mot naïf et que ce trop lourd monsieur, PAU EXEMPLE, serait criminel de ne pas recueillir pieusement dans son cœur noir qu'éclaira pour toujours le tien si doux, bon petit homme in- connu qui ne liras jamais sans doute ces lignes, mais que Jésus reconnaîtra et confrontera avec là-jamais consolé par loi.

Au revoir, petit. Le plus tard possible, mon frère, plus jeune en celte chair.

204 S O U V E N I H s

II

Et toi, Pierrot noiroull'e, avec ta longue face plutôt méchante pas trop que les femmes trou- vent encore laide en attendant que tu les fasses soulfrir, ô gosse comme prédit dans les Voca- tions du grand Baudelaire, soulfrir et mourir d'amour et de coquetterie au fond, tu es gentil, tyran de ta cour, ta cour ou plutôt ton impasse, tu domines en voix et en poings tes cama- raux parfois beaucoup plus grands et forts que toi, mais jamais mieux mal embouchés.

Je t'aime bien parce que, dans ta rude et naïve fayon, tu fus au fond très bon pour moi ma- lade et pour moi convalescent et quand je te re- vois maintenant, un peu guéri moi, un peu grandi toi, c'est d'une foi instinctivement fraternelle, un brin goguenarde, pourquoi? que tu me de- mandes si j'ai des cigarettes à te donner et ajoutes dans un zézaiement qui t'est naturel et que tu exagères faussement, et un grand geste empha- tique qui m'est emprunté : « Ou un cigare, à la rigueur ! »

Et puis je t'ai vu pleurer quand ta mère était

SOI V'KNIHS

malade el faire, assis sur le trottoir, assez sans

-' ii> d'ailleurs, un ^rand signe de crois on jour

qu'un mort p;iss;iit .

Toî aussi, sois licni, BODime toute '■

III

Là-but, M dil iju'il csl île longi combats siiwjlunls... o n'y pouvoir mourir un [teu !

P. \.

l'.t j)uis. ah ! ce jour à propos de rien qu'une allusion entre grandes personnes, tes parents e( moi, à L'éventualité d'une guerre contre l'Alle- magne, tu te renversas sur ta chaise, tendu, comme bandé comme un are, t'écriant de la voix qui commence à muer et cette fois virile bel et bien, que ton malheur était de n'avoir pas encore l'âge de t'engager pour aller en tuer de ces Boches, de ces tètes de pioches, de ces têtes carrées, de ces têtes de cochons; Tu te foutais pas mal de mourir pourvu que tu en crevas- à coups de balles, de baïonnette, de sabre ou de hache, au moins vingt pour ta part, avant ! Et

266 SOUVENIRS

tu insultais le « sale gosse », le manchot, le scro- fuleux, l'homme à l'oreille qui coule ! Et les Français sont les premiers soldats du monde, on l'avait vu, on le verrait ! Et Irentc-six bêtises, ainsi bath, chouetteau, héroïques certes et dans tous les cas charmantes dans ta bouche, alors amère et pure comme celles de Bara, de Viala, aussi de Nvsus et d'Euryale, et de celle qui mourut pour sauver l'Eucharistie, portée en son jeune sein, d'un outrage même puéril.

Je te grondai un peu, comme il sied, morali- sant sur la guerre qui, de nos jours, était chose sérieuse plutôt hélas ! que d'enthousiasme, etc., etc., ajoutant que ton temps d'être soldat vien- drait assez vite, qu'on ne s'engageait pas à l'étourdie et qu'on ne pensait pas à s'engager quand on aimait sa mère (et si tu l'aimes, ce n'est rien que de le dire, bon petit soldat en herbe!), quand on aimait son père et des sœurs qu'une telle mort même prématurée, même glo- rieuse, allligcrait tant !

Mais au fond c nubien je t'aimais, en ce mo- ment, d'être si spontané pour une si simple pas- sion, la Patrie, si ardent et si exemplaire, et j'eusse donné bien des choses et tous les gens, pour être tes parents, tout fiers j'en suis sûr, malgré leur nécessaire calme affecté, de t'en- tendre ainsi vibrer noblement et vivre pour de

I i mus

bon, cher gamin que j'eusse alors embrasse fort et fort, s t'en transmettre mon ame d'homme,

moi! .'une de |».ilii«»l<* aussi.

IV

\c/ à la Saiul Charles Borromée, moins gran- diose toutefois que celui de cet illustre con- fesseur. Une fenêtre de L'appartement, située au rez-de-chaussée, donne sur la fin d'une rue. en pente, aboutissant à une grande artère, comme on dit. Des marchands des quatre saisons el autres glapissent et chantonnent, tout on po- pulo s'écoule: nuirons, trottins et le reste. En face «le L'humble maison à cinq riant-, siège un hôte] point somptueux, mais en quelque sorte di- plomatique à force d'héberger de vagues portu- gais américains et d'étranges belles exotiques. C'est en été : la fenêtre est ouverte. Le jeune homme pioche une version grecque ou un thème latin. N'importe! Toujours est-il qu'il s'ennuie, ou (pie. du moins, il assume l'air de s'ennuyer. Ge pendant . il fait chaud : les passants sont in- téressants : l'hôtel d'en face exhibe à travers des fenêtres ouvertes des nourritures appétissantes

•2(}<S SOUVENIRS

et des fruits destinés à la table d'hôte de cet éta- blissement un peu primitif dans sa vétusté par- lementaire.

Le devoir s'avance très peu, à travers ces observations, peut-être un peu répréhensibles, car papa ouvre la porte, et alors : Dictionnaire d'être feuilleté, pages d'être barbouillées, tête d'être penchée, moyennant des yeux de côté, main droite de courir, mais gauche de couvrir le front, quittes, tout à l'heure, à saisir la fourchette et le couteau pour un devoir entin na- turel.

Tiens, monsieur X., comment vous va?... C'est monsieur X, qui arrive...

Ces membres de phrases sortaient d'une grosse tête bornée, au Nord, par des cheveux très hé- rissés et très pommadés ; à l'Est et à l'Ouest, par des joues abondantes; au Sud, par un menton légèrement fuyant ornée au centre d'un nez et d'une bouche quelconques, mais que des yeux vifs rendaient sympathiques en dépit de ton quelque peu grotesque qu'on eût pu trouver dans l'ensemble.

200

El Le jeune garçon, dont la taille gourde en- core, pouvait accuser (1«- treize I quatorze ans, se rua dans L'arrière 'boutique son patron le rabroua d'être si maladroitement poli avec les

clients an sujet de leur santé et si indiscret vis-

à-vis de lui . son maitre, qu'il eut avertir par

une tape du dos de 1 index contre la porte de la cloison à claire voie. Puis, le négociant se pré- cipita vers le client et Eut tout à la vente, ce- pendant que l'enfant, clignant d'un œil vers le Monsieur, tirait par derrière à l'adresse du « singe » une langue formidable et se livrait à des grimaces tout particulièrement significatives, haine et mépris, et dans un tel mouvement de naïve énergie que X. ne put s'empêcher d'ap- prouver mentalement le petit insurgé, pour la cause bonne ou mauvaise, mais plutôt bonne de L'enfance exploitée et, pis que cela, insultée.

VI

Comme les deux amis sortaient de ce café d'ailleurs ridicule du quartier latin, ils furent ac- costés par ce fameux éphèbe. récitateur de règnes et vendeur d'étranges dessins : « Encou-

•21 0 B0UVBNIB8

rages-moi, Monsieur,» disait-il. Avec un sourire, nos amis lui demandèrent : le règne de Fran- çois Ipr ? Ht le gamin de répondre du ton d'un élève d'une école laïque, déjà lauréat d'un prix de mémoire et de récitation et qui bataille pour le prix d'histoire :

François I* -succéda à Louis XII en 1515- Il fut vainqueur à Marignan et vaincu à Pavie.il signa le traité de Madrid en 1596 et le traité de Cambrai en 1599, Il mourut en 1547, usé par la fatigue et les plaisirs. Il n'était âgé que de 53 ans...

Ainsi fut fait de plusieurs autres règnes y compris celui du général Boulanger en tous exactitude et scrupules en même temps qu'il ti- rait son béret bleu plus en avant encore qu'il n'avait coutume de le porter et que sa figure longue et pâle, assez plaisante, et ses yeux va- guement en coulisses espéraient une rémunéra- tion peut-être plus au delà que ses exercices scolaires.

Mais son petit corps gracieux, et l'on eût dit pervers, se détournait en un geste d'appel vers quoi? Alors le souvenir vint aux deux amis du pauvre enfant pâle de Mallarmé, promis à l'écha- faud et à de pires encore destinées ! Et sur la demande renouvelée d' « un petit encourage- ment » ce fut avec une immense pitié que nous

IOUVBNIBM 271

ik.iis refusâmes ■> l'offrt al repoussâmes la da manda. , . Tandia qu*ii s'en allai! parmi lai terrasses

voisines, débitanl ses règnes cl ses propositions,

ce i»;ui\ ra maia trop bel enfanl I

Vil

Chez, ce qu'on appelle un (roquet, pour exalter

des cafés somptueux boivent sans crédit aucun non! les futurs procureur! et of- ficiers de santé de Paris ci de la provint trouve un servant qui, sous si blouse et sa cote bleues réunies à la taille par le cordon court serré d'un tablier à plastron, est très désirable vrai-

mcnl aux veux de certain roquentin. Même on dirait que des choses se seraient passées si l'on ne connaissait les antécédents de ce dernier car, comme l'a chanté Hossiiù après que Beau- marchais l'eut dit et Voltaire :

Mentez, mentez toujours, il en restera (juehjue chose.

En attendant, le jouvenceau, actif, propre et discret, fait son travail en chantant quelques refrains empruntés à nos opérettes les plus

■2"r2 SOUVENIRS

alertes et à nos airs populaires de l'arrière- saison.

11 est plutôt rouge encore que rose, car il est de la campagne au fond. Nul détestable esprit parisien ne l'anime, ce qui fait son mérite réel aux yeux du Sage. Et celui-ci, non précisément animé des meilleures intentions comme le serait tel philosophe accrédité, se réjouit de ce jeune visage perpétuellement en joie et de ce corps dessiné à merveille par son propre costume pro- fessionnel plutôt que par tel ou tel dandysme. Aussi ce Sage, pesant tout (comme il sied à un Sage), ne balance-t-il pas et se retire-t-il dans une haute partialité.

On objectera sans doute que ce croquis ne va pas sans être trop court. Mais ce scrupule que pourraient évoquer parmi nos lectrices et particu - lièrement parmi certains de nos lecteurs des dé- tails justes ou injustes sur ce sujet si délicat, me fait une loi de couvrir de cendre un souvenir qui couve.

Que celui qui est sans péché jette la première pierre à celui qui est sans péché et qui a l'honneur de vous saluer.

H o u V I K f 1

Mil

Celui ci, je l'ai connu tout jeune «I presque tout petit. Il était blond et frisé, il reste presque tel avec quelque barbe en plus une jeune hnrhc. comme <>n dit dans son pays qui es! le mien.

Plutôt [H'lit et gros, pour ainsi dire, ri bien

que n'aimant les femmes (pu- juste comme il faut . néanmoins celles-ci semblent raffoler de lui. pour la plupart du moins. Mille exemples pourraient paraître' confirmer cette opinion que d'aucuns 9 raient susceptibles de formuler en h\ polhèse. Mais ([uittons ces terrains vagues, et procla- mons que c'est dans l'espèce le meilleur des garçons, bien qu'un des plus iins d'entre eux des plus lins et des plus naïfs dans le meilleur sens du mot. Aussi faut-il le voir, mailre dans une des plus grandes et plus illustres institutions de Paris, avoir pour ses élèves, tour à tour, des condescendances, quasi des tendresses, bonnes s'entend, et les sévérités qu'il sied. Voyez-le con- duire au proebain lycée sa « bande à Mandrin », mutins écoliers riches déguisés en petits basques

18

274

su UVÉN I us

et en petits marins et les plus grands en sortes d'enseignes de marine qui seraient bien tentés de lui taire par les rues et par le Luxembourg des niches comme nous en faisions, nous, à nos pions, entre la rue Ghaplal et celle de Caumartin, mais qui, reconnaissant sa justice et lui en'étant reconnaissants, lui gardent tout le respect non moins que l'affection filiale et bientôt fraternelle qu'il mérite tant !

IX

La quintessence d'un gavroche qui serait un artiste puissant, presque un poète à force d'es- prit et de savoir-faire dans l'esprit. Homme de cœur avant tout et mystificateur par dessus le marché : tel, au moral, mon ami.

Tel au physique lui, de face : une tête, pour ainsi parler, en l'air, enlaidie d'un monocle, mais ornée d'épais sourcils très beaux, avec des yeux émerillonnés et un fort nez à la retroussette. une bouche aux lèvres charnues perpétuellement souriante et bien meublée que surmonte une moustache tantôt latente, tantôt absente, le tout semblant s'essorer dans de la bonne hu- meur et de la fierté.

■oui iNiki

Tenue l»i/.irifin«ni élégante, o—me fia «li rail 1830, appropriée h nos jouis et s;ms le moindre soupçon de fûux-toupettiême : vm ohe peau généralement mou. à larges borda, porté

en arrière OU si. Iiaul de forme, de côté. Semble lui faire une auréole noire, ee pendant qu'un

faux-col terrible de blancheur el de hauteur, par- lois de couleur el cassé, le plus souvent rigide,

émerge d'une cravate à flots polychrome ; une redingote à deux rangs très serrés de boutons corrozos dessine sa taille juvénilement épaisse ; des pantalons à la hussarde forment accordéon autour de ses jambes gamines que terminent de littéraux souliers à la poulaine.

Fumeur de cigarettes russes, il lui arrive par- Fois de humer le caporal national dans du gambier ou de l'ambre selon les jours.

Le même vu de dos :

I n dôme de feutre surmonte une redingote un peu recon du premier Empiré (pie met- traient en mouvement deux hélices des plus ac- tives, un tirebouclionnemenl d'étoiles à car- reaux marrons et bleus ou gratin ; et des talons solides et bien assis et plats.

La voix est enfantine et grave et basse avec des /é/.aiements plaisants et d'une rapidité par- fois vertigineuse.

Grand d ailleurs et, au demeurant, ainsi

276 SOUVENIRS

qu'il a été indiqué plus haut, un cœur d'or. Et c'est pourquoi je termine, en les modifiant pour la circonstance :

C'est sur toi que je me repose Mon cher AnaloV... Georijc Uu<j m.

\

A Mademoiselle J...

Toute petite, en dépit de son âge de puberté, grassouillette et maigrelette ensemble, elle rit étourdiment, et soyez sûr qu'elle pleurerait de même. In catogan traverse sa nuque qu'elle a frêle, mais qu'on devine devoir devenir puis- sante et même impérieuse un jour. Elle fume, par extraordinaire et sous les yeux d'une sœur tolérante parce qu'aimée, des cigarettes qu'a mouillées un hôte jeune et poli. Du reste, mo- deste, elle a des mots comme naïfs, telle une jeune fille de conte de fée. Même en ses expan- sions si cordiales, sa taille frêle se cambre et, s'asseyant, la chère enfant lance, pour ainsi parler, ses jambes au plafond, ingénuement.

D'ailleurs, ohaste, pure, et l<- reste. Pourtant, celte cillant qui Ferait et Fers sans doute et oer tainemenf une mère, eharmante, de famille, de même qu'elle eûl été une fille exquise, ;i Faim parfois, en attendant qu'elle ait soif <»u faim en- core, à cause d'un père ivrogne el d'une mère morte.

XI

A Mademoiselle II...

Et sa sœur clone ! Une belle et blonde et grande et jolie fille aux veux clairs et bien ou- verts. Avec cela, dune allure, d'un goût, d'une intelligence rares en ces temps de banalités et de médiocrités féminines. Son écusson, d'un chiffre exq uis d'ailleurs, nous la désigne enfant de la noble Espagne ; elle en a conservé le sang chaud, la franchise et la fierté comme aussi toutes libertés de manières dans l'amour et sur L'amour. Et je vous jure que je donnerais dix ans de la vie d'un éditeur pour une heure de son existence partagée (spirituellement, s'entend!), car elle est d'un commerce, d'une fréquenta- tion d'un compagnonnage vraiment agréables.

"J*(S suivi; m h s

Et croyez bien que si je m'étends sur elle de façon si gracieuse, ce n'est, au fond, que pour lui dire tout le mal que j'en pense.

D'abord, elle me fourre, à mon grand dam ! un tas d'idées mythologiques dans la tête et j'en avais bien besoin en vérité ! C'est Diane chas- seresse pour la haute taille et l'incomparable sveltesse ; c'est Vénus pour la vénusté ; c'est, à elle seule, les trois Grâces pour la grâce. Que sais-je encore, et que dirai-je, moi profane, en ce pays un peu bien païen pour le sage que nous sommes ! J'emploie ici le pluriel, car ce ne serait pas trop que d'être à plusieurs, ou tout au moins de déployer le zèle de plusieurs, pour célébrer cette belle, congruement, et voilà encore un grief pour l'en accabler dans la me- sure désirable.

Comme il a été parlé plus haut d'intelligence et de goût, ne siérait-il pas de faire contre-poids et de déclarer tout cru qu'elle se refuse à porter le moindre bijou, prétendant mieux vouloir res- ter parée de sa propre beauté, comme si ce n'était pas d'autant plus détestablement préten- tieux qu'elle est belle en effet (voir plus haut et en dépit de ses yeux clairs et bien ouverts qu'un hôte malavisé et moins galant que le précédent comparait à ceux d'un mouton !) et demandez en outre, pour savoir et voir leur mine en cette

SOI \ I M 11 s '-'"< U

ion, leur a\ ii aui meilleures de les bonnes

.lllllrs.

Mais tout cela il.' l'ail \ ei i I a I ileineu l < p i«- blali-

i lui', .i puisqu'il a encoi e él parlé plus haut, non sans les \.ru\ séants du iv\r d'une exis- tence partagée, ô spirituelleiuent, avecelle, di-

si.us. puisque nous nous trouvons décidé-

luriit plusieurs ici à faire l'avocat du diable - qu'Wie des t luises les plus scabreuses du lin unir, c'est de former des projets, mais que la pire serait d'orienter le moindre de ceux-ci \eis la Kenune. Kl quand la femme surtout est comme celle-ci, laissons-la donc faire. Nous efforcer ne serait rien. car. et finissons par ce trait, je la crois, et iei je n'engage ({lie ma propre parole, très impérieuse mais peu .chan- geante.

Arrange/, cela !

XII

A Charles Morice.

Vous m'avez, mon cher ami, témoigné na- guère 1 honorable, très honorable désir d'un por- trait en pied, de vous par moi. Quelle que soit mon incompétence pour cette délicate besogne,

'280 SOUVENIRS

voici ce portrait ou plutôt cette esquisse. Je vous aurai peint au physique quand j'aurai constaté que vous êtes grand, et permettez-moi d'ajouter, beau ; ce qui est, d'ailleurs, l'avis de la majorité des dames. Quand j'eus le plaisir de vous voir pour la première fois, vous étiez extrêmement jeune, et portiez une chevelure Apollonienne, épaisse toison noire, un peu éclaircie de nos jours ; mais le front, votre front de penseur et d'artiste, n'a que gagné, si j'ose ainsi parler, à cette virilisation de votre physionomie. Vous êtes mince, sans exagéra- tion, et d'une naturelle élégance, tout à fait iîère et comme militaire, et cela m'amène à parler du moral qui est très haut, lui aussi, par- fois trop haut, s'il est possible que la hauteur soit jamais un défaut. Et c'est pourquoi, moitié en badinant et moitié pour de bon, je vous ai, dès les premiers jours de notre liaison, baptisé Néoptolème. Du tils d'Achille, en ell'et, vous avez, avec tous les tempéraments bien entendu de notre civilisation, l'impétuosité, la généro- sité, j'allais dire la candeur. Ces qualités vous ont, comme il est coutume, joué plus d'un mau- vais tour, et continueront, soyez-en sûr, à le faire encore. Je suis, pour ma part, un Ulysse bien insullisant ; mais souvenez-vous que j'eus lieu, dans certaines circonstances, de vous don-

OUVBNII

lier de bons conseils, que Vous écoutiez ou non, iii;iis en v mettant la déférence due ;< mon âge mm. et ;'i ma toute bonne volonté. Du Bis d'Achille, vous avex encore L'accessibilité dans tous les bons sentimenU de la nature, de l'art, j'ajouterais il»' lit littérature, si ce mol ne m'était en horreur, comme la chose. Et, tel que L'héroïque gamin, vous ailes dans la vie, muni (railleurs de bonnes armes, qui vous assureront la victoire définitive, ce que vous souhaite ici votre vieil ami, tout à vous.

XIII

C'était sous le M-sur-M ce Jean Valjean s'enrichit dans le commerce des verroteries de jais. Une petite ville forte sur une grande mon- tagne avec une merveilleuse vallée autour d'elle ; vallée elle-même commandée par le mo- nastère de Notre-Dame-des-Prés, vaste et très belle restitution en style gothique primitif de la Chartreuse existante avant la Révolution.

J'étais allé, mi-curieux, mi-retraitant, passer quelques jours dans ce pieux asile et je ne puis exprimer la paix que j'y goûtai. Naturellement je ne manquai pas de visiter par le menu tout

282 S0UVKNI&8

1'cHablissement qui, je le répète, est un chef- d'œuvre, en même temps qu'un colosse d'archi- tecture spéciale ; chef-d'œuvre en solide légè- reté, colosse en étendue. Une fois, passant au long d'un coté du cloître, j'aperçus dans l'entre- bâillement d'une porte de cellule qui se refermait une haute forme blanche de tout jeune homme.

Vingt ans ou vingt-cinq ans qui pouvaient en paraître dix-huit ou seize, la face étant rasée, et l'air si jeune, si vraiment pur. Et je me dis, ne pouvant lui dire, à ce novice rentré dans sa cellule :

« Ah ! bel ermite ! bel ermite ! » comme parle la reine de Saba de Flaubert, puisque de seules, hélas ! réminiscences et idées littéraires m'obsèdent et m'affligent aujourd'hui, « mon cœur défaille » de ne pouvoir, de ne vouloir déci- dément pas t'imiter malgré le bon exemple, en- fant de l'Amour divin, bâtard en cette vie de boue et de crachats ! Mais va, fi de moi et de tous mes complices dans la sale chair contem- poraine ! Et, puisque tu es, sans nul doute, lettré, perr/e, r/encrosr ]>iicr, et prie, oh ! prie pour ce faux pénitent, plutôt amateur, que me voici pour mes péchés et que la Grâce ne veut atteindre, d'horreur et de dégoût.

Enfant, oui, va prier pour nous deux! et pour nous tous !

Ml-A-GU

Une chambre de malade. In feu déteignant. De grands rideaux autour d'un lit e( le long d'une vaste Fenêtre. Une bougie encore fumante

d'avoir été sou filée. Le malade bien chaudement couché, se parle, entre liant et l'as.

'/"/'\ Ihc turniixj point. Il n'v a pas S dire, il faut changer de vie, ou rien ! Ceci est provi- dentiel ou il n'v a pas de Pro\idenee. i-l il v en a une. Les événements amenés par tes impré- voyances et ceux d'un hasard malveillant cons- pirent tous à ce but. Oui, mon vieux. c'esl ainsi c'est bien ainsi. Et tout d'abord il faut renoncer à ce rêve tu te berces, depuis l'instant lunaire s'alluma ta raison, à cette paresse d'irres- ponsabilité, crue par autrui. Naïveté, par toi, sciemment ou non, considérée comme timidité, mais paresse pure et simple et coupable, pa-

28 \ soiv i: m ii s

resse en toute vérité. Debout, dormeur éveillé, pique-toi de scrupules, secoue tes sécurités folles, vis de la vie, non de cette lente mort morale, intellectuelle, morale et civique. Allons, c'est va, du courage, des résolutions, sapristi !

Mi-a-ou...

Tiens, le chat qu'on aura renfermé tout à l'heure en sortant de m'apporter mon dîner ! Bah, on va revenir pour remporter les dessertes. Tais-toi, chat. C'est ça, des résolutions. La première, de guérir, de ceci, qui n'est rien et qui ne demande plus que du régime. S'abstenir de boisson, ô la boisson ! et du reste, imbécile ! Est-ce étant presque inlirme, avec un système rhumatisant que... ? Mais la chair est si faible et tu trouves encore et toujours ça si bon ! C'était bien la peine d'avoir eu ta grande crise de vertu, que peu d'hommes eussent soutenue, après ton sang en route de parles fredaines de ta jeunesse pour en arriver à cet ithyphallisme un peu hon- teux à ton âge plus (pie mûr. Allons, d'abord ça, hein ?

Miaou...

Ah oui, les formes blanches, aux fuites d'ambre et d'ombre, les odeurs despotiques, insinuantes, bonnes toutes, la fraîcheur et la chaleur et la moiteur et les satins tissus, puis les défilés et les frisés blancs et rosés et noirs et

soi \ i NIR«

blondi et Les roux, el Les drapa caresseurs, et L'élasticité des liia et L'abandon <!«■ ta volonté ■ans compter Les plongeons ça? Partout, vieux drôle '. Tes mains, tes lèvres...! >ui. abjure ça. Rappelle toi les belles chastetés. Que c'était bon aussi, aufond! Même tu crus que c'était meilleur encore, souviens i<>i. Mais non, tu te raidis. Ton corps un peu remis se bande à nou- yeau et que quelqu'un de gentil vienne, que \ ou qu'Y ou Z entre : ah misère, misère, cela, la \ raie, la seule ! ( îar la boisson...

Miaaaaou !

Comme ce chat miaule bizarrement ! On dirait presque une voix humaine... Mais j'y suis... As-tu fini, gosse, de m'empécher de dormir? D'abord c'est bête, ce que tu fais là. et c'est mal imité. Tu ae sais même pas miauler ! Et puis, fiche-moi la paix, va-t-en, ou dès de- main je le dirai à tes parents.

Miaouaaaou !

Petit insolent, tu me le paieras !

Car le malade s'imaginait que ce cri provenait du fils de la maison, galopin d'une douzaine d'années, plus qu'espiègle, qui avait l'habitude de le servir, d'ailleurs, gentiment et suffisamment poliment non sans quelque manque inter- mittent de respect. Et, là-dessus, il frotta une allumette et alluma sa bougie.

286 SOIVKMHS

Ce ne fut pas sans une certaine et vague con- fusion qu'il s'apereut que c'était bien le (liai, et non le fils, oie la maison, perché SOT la cheminée, et qui le regardait de ses veux verts, impassible et l'on eût dit presque ironique témoin de ses bonnes résolutions.

ROJETS ET PLANS SUN LA COMÈTE

MÉMOIRES i > \ il i

\ Ferttand Langlois. o les deux étranges courses à travers oe Paris !

Nous ne saluions, mon cher ami. VOUS et moi,

que la chance a gâtés el sous les pas de qui notre aisance pécuniaire aplanit, jusqu'à la douceur d'un tapis de feutre fleuri et sentant bon, le sen- tier, pour d'autres ardu, parait-il, de la vie, nous en faire, je le (.Tains, une idée bien exacte. Je veux néanmoins essayer de raconter ces od\ aussi héroïques, pour en dégager à notre usa^e, parle plus simple exposé possible des faits, la philosophie (pie je nous crois en droit d'y at- tendre.

L'un, « artiste-peintre ■•. et l'autre, cette chose poète, s'étaient vus pour la première fois ce soir-là. dans un cale un ami commun avait

288 SOUV BN IBS

récité, devant des tiers des moins incompétents, des vers du poète, lesquels avaient eu du succès, ce qui avait fait plaisir à celui-ci vraiment. Aussi était-il tout ému quand, à la départie, se fut agi de rentrer chacun chez soi. Son che- min se trouvant être celui du peintre, ils du- rent faire route de compagnie et la conversation prit un tour assez rapidement intime. Echange de renseignements sur la situation mutuelle et les circonstances réciproques. Le peintre était de beaucoup plus jeune que le poète et par défé- rence le laissait parler bien plus qu'il ne parlait lui-même, et le poète parla terriblement ce soir ou plutôt cette nuit-là. Car, ayant dépassé l'hôtel il logeait au jour le jour, il conduisit, à petits pas, rhumatisant qu'il était, son interlocuteur jusqu'à quelques pas de sa porte, loin, bien loin, non loin des fortifications. Le temps était superbe bien qu'il n'y eût que peu d'étoiles. Le long des quais et sur le pont Sully l'entretien eut comme un grand frisson. Un frisson d'eau courante attirante et froide. Ils causaient misère et généreuses imprudences et loyauté dont on ne veut plus et sacrifice dont on se moque, et gloire ! Ce dernier sujet les amena sur la place de la Bastille, absolument vide comme le mot, mais impressionnante et mémorable aussi. Le geste du poète, peu gesticulateur d'ordinaire, s'exal-

souvenu 281)

tait. Sa voix plutôl basse montait, semblait mon- ter jusqu'au ciel noir pour bientôt s'apaiser ainsi que son geste, comme ils enfilaient la rue de Lyon et l'avenue Daumesnil qu'ils arpen- tèrent très haut, toujours marchant très lente- ment. En somme, c'était plus triste qu'autre chose, trop triste même, car !<• peintre, pour se montrer moins lamentable et déplorable que le poète, témoignait, par son accent plus encore que par ses discrètes assez confidences^ d'un malheur dans sa vie ou tout au moins d'une in- fortune non légère comme son âge encore tendre l'eût pu l'aire espérer. Mais le poète, ainsi que je viens de le marquer, était particulièrement pitoyable avec son interminable expansion. Ce qu'il disait était vraiment touchant, car c'était vrai et dit non sans une éloquence des plus péné- trantes, dans son décousu trop nature. Et le peintre, si jeune qu'il fût, s'était laissé convain- cre à cette sincérité d'ailleurs absolue. 11 calmait, conseillait, ô si pudiquement pour ainsi dire, encourageait sans charlatanerie aucune, était bon, voix douce et parole grave, mais combien caressante et plutôt encore sororale, on eût cru. (pie fraternelle, quoique de celle d'un frère elle eut le sérieux, la force et l'entrain.

Plusieurs fois il avait voulu, non lassé mais ayant pitié, faire entrer le pauvre poète dans

19

290 BOUVBNIBS

quelque hôtel, s'offrant même à le reconduire chez lui, et quel chemin avec ce boiteux ! car il n'avait pas un sou sur lui et logeait chez un ami pauvre qui n'eût pu disposer d'une place conve- nable de plus pour coucher quelqu'un, tandis que le poète ne portait qu'une somme très peu vraisemblablement suffisante à trouver un gîte sérieux. Mais rien ne prévalut sur le poète, qui s'excusait d'ailleurs poliment et all'ectueusement sur l'indiscrétion de sa geinte, quand ils réso- lurent de sonner à un hôtel d'aspect honnête qui s'offrait à peu de distance du domicile du peintre. Ils venaient de franchir de larges espaces déserts, de ces boulevards plus ou moins neufs à perte de vue, foncièrement vilains et mesquins mais, de nuit, ell'rayants comme un mauvais rêve et d'une triviale horreur. On leur demanda pour une nuit un tiers en plus de leur pécules réunis, mais sur leur mine et sur leur promesse d'un complément pour le lendemain matin, cré- dit fut fait au client attardé. Rendez-vous pris aux environs de neuf heures de relevée, ils se séparèrent, et le poète, douillettement couché dans une belle chambre, se reposa bien s'il dor- mit peu ; puis une insomnie fut loin d'être pé- nible. Il y goûta même une sorte de douceur et qui finit par envahir tout entier son esprit, puis son cœur. Un ami venait de lui naître. Il

revoyait de loto le peintre et se souvenait munis

m*nêU€iudinië ejus, L'entretien de tout à l'heure

lui revenait d;ms ses moindres détails, dans scs

plus fugitives intonations. Kl l<' regret, presque le remords, mais bien attendri, de sa propre im- portunité, l'exquise patience de l'autre, m sym- pathie, et la pudeur, ipour ainsi parler, la can- deur, l'innocence de cette sympathie, tout^attisait ce noble l'eu, grandissait cette flamme souve- raine, d'autant plus pure, lumineuse et délicieu- sement réchauffante que nul détail oiseux, in- séparable d'une liaison de quelque durée, n'obs- truait encore son élan s'essoranl. A l'heure dite, le prix de la chambre dûment complété, les deux amis reprirent le chemin du quartier du poète. Ils suivirent des rues, des quais, des ponts et des rues autres que la veille et se re- trouvèrent près du Panthéon, en ayant obliqué par Bercy, toute agglomération de quartiers de travail aéré avec des valses d'orgues de barbarie volant par bribes dans des arrachements de vapeur et de fumée. De quoi parlèrent-ils, après un café au lait et un bouillon pris daus une ei merie, sinon encore d'eux-mêmes ? Et cette fois le peintre, à son tour, se confessa pour ainsi parler. Le poète, bien rasséréné, l'écoutait avec la volupté de l'avoir compris, d'avoir démêlé ses « choses », la veille. Oui, la tristesse, ou

292 SOUVENIRS

plutôt la gravité triste de ce jeune homme avait une haute, une fîère source. Des délicatesses à l'infini, froissées, des simplicités, des candeurs, si belles, méconnues, que d'orages déjà, quelle âme en fleur que blessée !

La liaison était faite et bien faite, quand, à quelques jours de là, ils se réunirent de nouveau pour une grande course combien longue, grâce à la claudication du poète ! à travers maintenant le Paris diurne des rues Vi vienne, des faubourgs Montmartre et Poissonnière et des grands boule- vards riches, à la recherche de quelque argent, qu'on y devait à je ne sais qui des deux et ce fut parmi l'opulente trivialité de ces d'ailleurs en- nuyeux parages bruyants et mal brillants, que, toute affaire cessant, permettez-moi, mon ami, d'ainsi caractériser l'absolu désintéressement de leur état d'esprit, ils agitèrent, ces pauvres ! le croiriez-vous, des projets.

Dites donc, disait l'un, quand je pourrai me procurer palette, brosses et couleurs, que le diable m'emporte si je ne vous fais pas un beau, mais là, vrai de vrai, un beau portrait de votre tête 1

J'y pensais justement, riposta l'autre, en toute sincérité arrachée aux conjectures. C'est ça. Va pour le beau portrait. Et pas plus tard que..»

SOUVENU)

Ici il éclata de rire, toul «l«- même ! e1 repi il

d'un ton toul simple :

Quand je pourrai vivre. Les projets, qui tiennent toujours, courent <•!!- eore !

A PROPOS DU DERNIER LIVRE POSTHUME DE VICTOR HUGO

MM. Vacquerie et Meurice ont-ils eu raison de publier Ami/ Robsard, une « bêtise » du Maître comme dit nettement le « témoin de sa vie », et Les Jumeaux, ce fragment abandonné depuis des années ? Les avis ne manqueront pas d'être partagés. Pour ce qui me concerne, je ne goûte que mal ces secrets comme d'alcôve, mis au grand jour de la librairie.

Ami/ liohsard a des « qualités » de mélodrame à outrance et une mise en scène et en œuvre qui rappelle de très près les absurdes mais si diver- tissantes péripéties de Han d'Islande, péché aussi d'extrême jeunesse.

Les Jumeaux, leur plan qui n'est qu'un projet en l'air, d'ailleurs assez amusamment jeté sur une feuille volante, et leur millier de vers écrits de ci, de là, sans second travail apparent, sans

nulle df irs \ .niantes, de ers leeonS, linniiii

quables témoins d'une oeuvre tenue par son au- teur pour viable, Les Jumeaux ^<>u\ loin, je L'avoue, d'avoir Fait sur moi L'impression grande, même émouvante el parfois haletante d'admira- tion que m'a donnée La Lecture de La oolossale épopée, par malheur presque inaohevée : Le fin de S;ii;ui. pourtant bien Lâchée, bien faiblement esquissée par endroits. J'y relève, dans <■< I em- brjon de drame, des tirades d'un romantisme un peu connu, banal, 1 >i«i 1 cjiie sorti, o'esi Le Cas de Le dire, de source, en tous cas ennuyeux au possible, surtout pour les occurrences mélanco- liques qui ue manquent pas assez dans celte his- toire à dormir deboul d'un Masque-de-fer en- core! capable de geintes du goût de ceci :

Je ne suis pOS un homme

Allant, venant, parlant, plein île joie et d'orgueil, Je .fuis un mort pensif qai ois dans un cercueil, C'est horrible. Jadis j'étais enfant eneore,

J'avais un grand jardin.,.

Je rayais des oiseaux...

Ht des papillons...

(Juoi donc il s'est trouvé des tigres pour se dire :

« Pâle il regardera de sa prison lointaine

Les femmes an.r pieds sûrs i/vi passent dans la plaine. »

Il n'y manque plus, n'est-ce pas, que le refrain

296

SOU VIN 11( S

d'une « romance » intitulée : Le masque de fer (toujours !) que ma petite enfance subit combien de fois ! pour mes péchés à venir :

« Moi, je n'ai pas eOftRU les baisers (foiK mère. »

Il est vrai que j'y trouve également quelques couplets du bon faiseur, et même du grand faiseur, mais passablement connus aussi. Quant à la fac- ture, à la tournure et presque à la matière, comme ce débris de boniment placé dans la bouche d'un grand seigneur cru, bien entendu le saltimbanque Guillot-Gorju :

Je viens de Portugal encore ! Ils ont un roi

Tout jeune. Il a seize ans et joyeux, sur ma foi !

Quand V Alcade Obregon, maintenant en disgrâce,

Lui demanda : Comment délivrer Votre Grâce

Du comte de Valverde ? il dit ; « En Vassommant ! »

Avec la gailé propre à cet âge charmant.

Les éphèbes, entre parenthèses, portent tou- jours bonheur à Victor Hugo, un féminin, en somme.

Rappelez-vous Jehan Frollo, le petit roi <lc Galice, Aymerillot, Y Aigle du Casque et ce combien désirable Sophocle à Salainine, tandis que, ô quelles petites horreurs fadasses et bébètes

y i m h v

que toutes ses jeunes t î 1 !<•->. Esmeralda peut-être et la sordide maia vivante Eponine exceptées, cette Cosette presque aussi insupportable que son pion de Marins, cette à bon droit protestante Deruehette toute d'ennui, cette prodigieusement stupide Déa l'aveugle, bêlas! point muette, et la jeune première de Torquenutdë .'

Doncj à mon sens, ce dernier, <>u avant-der- nier, ou, peut-être, <[ui sait? cet antépénultième livre posthume d'Hugo, n'ajoutera, comme <»n dit, rien à sa gloire et sans doute j'en viens d'assez parler. Je ne profiterai pas moins, vu îniui ancien i othousiasme point tout entier éva- noui, de l'occasion offerte, pour, en quelque ma- nière, revoir l'ensemble de l'oeuvre, reviser de \ ieux jugements intimes, enfin m'assurer moi- nièine. par une sorte de confession, de profession de foi publique équitable contre. (Tune part, d'immédiates boutades irréfléchies, naguère là- chées, d'autre part, contre de possibles séniles retours.

La première fois que ce nom si longtemps prestigieux, Hugo ! retentit à mes oreilles, elles étaient tendres et petites, mes oreilles, des oreilles comme de souris, dressées naïves aux côtés de mon innocente tête, presque toute instinct can- dide et volonté dans les limbes. Savais-je même lire? Avais-je sept ans? lors de mes premières

298

SOl'V E MHS

armes scolaires en cette rue reculée des Bâti» gnolles, tant déjà d'années n'ont rien changé de la cour grandelette plantée de quelques acacias mes petits camarades parisiens prononçaient agacias, et moi venu, ô par le hasard des gar- nisons paternelles, d'un midi dont je n'étais « bouflïe » pas ! je prononçais acacia, ni de l'humble maison d'école aux volets verts, au perron qui, les jours de distributions de prix, servit d'estrade à mes jeunes essais de déclama- tions dans les fables de La Fontaine ou les élé- gies si joliment puériles du bon Giraud... C'était à l'époque du Coup d'Etat ou peu après. Si bien que tant chez moi qu'à l'école, par la bouche du patron ou du sous-maître, ce vocable Victor Hugo sonnait mal, signifiait rouge, fou aussi et, mon Dieu, parfois saltimbanque. Plus tard, quand je fus en pension, j'écoutais les r/vvmr/.s, les rhétori- ciens, déjà Libérée de la tunique et faisant faux- col, le faux-col en triangle de guillotine de cette époque, qu'affirmaient, d'autre part, de hardis essais de sous-pieds, déclamer des vers du grand homme :

Une surtout, une jeune Espagnole...

...Envolez-vous de ce manteau

... Et s'il n'en reste qu'un..

Mais ce ne fut que bien après, j'avais au moins

-..I \ I N I II -

hvi/c ans, que la ic\ « - 1 . t khi par la lecture rai lieu pour ce faible moi et je tombai eur le feoond tome des Contemplations ; les Mages et la Bouche d'Ombre eurent, je le crains, presque nissi peu le clarté pour mon esprit en miniature d'alors qu'ils en oui trop pour 1»' « décadent ■> nue me voici, suivant des sens., l'ai- contra, les vers sur la mort de Léopoldine me choquèrent et je trou- vai moi, (rais émoulu de mon catéchisme, abac lumeuf comme je 1»' trouve aujourd'hui, ce père désolé, ce chrétien qui se dit si soumis, bien té- méraire de dire au Dieu qu'il l'ait profession d'adorer dans imites ses manifestations

Contidêrtl CM c'itt une chose bien triste...

/.es Orientales nie plurent à quinze ans (j'y voyais des odalisques) et me plaisent encore, comme beau travail do bimbelotterie « artis- tique », comme article de Paris pour la rue de Rivoli, de bon débit parmi la huée vanillée dv pastilles batignolaises d'un si vague sérail !

A leur tour, les quatre œuvres de demi-teintes. Feuilles d'automne, Voir intérieures, Chants du Crépuscule, Les lim/ons et les Ombres, nie prirent et me tiennent encore par leur relative simplicité, un certain accent sincère et. dans le dernier recueil particulièrement, par un tour ar-

,'{(»(» SOL'V EN I lis

tistique (je m'exprime mal, avec encore ce mot désagréable), spécial, intrisèque, dirai-je avec Sainte-Beuve, modéré, discret, sourdine et nuance, propitiatoire tout à l'ait.

Vinrent, pour la suite de mon adolescence, Notre-Dame de Paris, et le théâtre. Je passe sous silence ces essais parfois très intelligents, les Odes et ballades, Bug Jargal, Ifan d'Islande, Cromwell. Je goûtai moins alors le roman que je ne le prise aujourd'hui. Comme Leconte de Lisle, je pense que Goethe fut trop sévère envers ceux- et qu'il y a une originalité très distincte de Walter Scot et très supérieure aux Anne RadclilV, aux d'Arlinsourt ambiants, et sinon égale à du Chateaubriand, du moins absolument indé- pendante de lui et d'une intensité toute diffé- rente.

Je fus fou du théâtre, je le confesse sans trop de honte, et par instants je le préfère encore im- mensément à ce qu'on fait, à tout ce qu'on fait, peut faire dans le goût et dans les tendances d'à présent : Jiuj/ lilas est une charmante comédie suffisamment psychologique et que ne me gâte pas trop un sot dénouement. Hernani chante « clair et beau » et si Marion Delormc, sauf le pre- mier acte, et le Roi s'amuse m'assomment fran- chement, j'incline vers plusieurs scènes des Bur- g raves. Quant aux drames en prose, ils délectent

I I Mil v .'{ll|

oe que j'ai, spectateur Faubourien, •Lui'- m. ronds.

M. us je grandissais, je grandissais, <'t \<>i<i qu'il m'est temps d'arriver à mes contemporaine

pour ainsi parler, Les livres d'à partir de l.i Légende dt» Siècles, en passant, un peu vite, par Les Châtiments H si vous voulez bien par un Hugo politique qu'illustrerait avec votre permis- sion quelques mota inédita et anecdoctes but lui.

AU PAYS DU MUFFLE

l'Ali

Laurent Tailhadc.

« Sois grandihque et bouz'aujot »

Ce conseil que j'aurais donné si je n'en avais pas, hélas ! depuis trop de temps, prêté l'exemple. M. Laurent Tailhade un Banville exacerbé, un Martial et un Catulle, presque un Piron, mé- chant comme de droit, dur selon la norme, et spirituel, et rigolo, plus que d'aucuns ce conseil-là, il « l'envoie » non dans un sac, à quelques-uns de nos jeunes trop cravatés et que... mal éloquents !

Je voudrais pouvoir louer avec plus de com- pétence sa manifestation bien littéraire et très humaine, mais si cruelle ! Mais je suis un de ses complices et je ne m'endors pas sur certaines

amitiés, de même <|u«- je me repose moins . core sur quelques haines que j'ai. Néeanmoins, [a généreuse inimitié me plaît, quoi qu'en soui frenl mes intimités, el je tends ft Laurent Tailhade une main confraternelle devers des In- vectives que je ferai selon son esprit, mais j m n i - rhc encore |)lns méchamment} el ce ne gérait pas des prunes '. J'adore énormément les sonnets dits quator-

/ains. dont exemple :

QUARTIEB LATIN

i Dans le bar ou jamais le parfum des breras \r dissipa l'odeur de vomi qui la navre. Triomphent les appas de In m'ere cadavre

html le nom est Jameux jusque dut les Howas.

Des I ultiaues. des rieerains du fleuve Amour S'acoquinent avec des polards indu/estes

<Jui s'y viennent former aux choses de l'amour.

VA ces Ballades très douces à l'humanité prise en général :

'M ) i BO U VBN I H S

Prince d'amour que fêlent les buccins, Imite: la continence des Suinta, Mobsm d'or, et gravez lu ehantepleure

De Valent ine au trescheur de vos scinqs ; Amour s'enfuit, nmis 1 école demeure.

El si douces, trop douces au sujet de nos chers contemporains :

« Pleur de niions, Prince Cliarmunl, Xon pareille est celte merveille ([[ferle à votre êlonnemcnl : L'Iiomoncule dans la bouteille. »

( lar je m'inscris en faux contre toute la jus- tesse (ce qui ne veut pas dire la justice) de ces sentences sommaires et vestibulatoires à ces déambulatoires choses, sous forme d'antichambre, à la salle du Trône l'on dit que : J'éclate !

Exemple :

« Le save:-vous, Ohnet, Lcmaîlre, Toi, Jean Hameau qui fais des vers Pentamètres

J irai, fût-ce en l'atagonic, Chercher ce i«EiN(;oLt), oui, f irai Sur la grande mer infinie, Car ~non crédit est délabré.

I I M II -

Et j* prifèrt soi .■'/</'(('•>■, \ nthropophagti bataillean, \ii.r ricUuMlioru ptu gaist

Ott iwisln»iurls cl </<s tuillrurs.

M. Laurent Tailhade est, d'ailleurs, un par- fait gentleman plus heureux que moi d'un faux- col bien qu'il, comme votre serviteur, se f... un peu de tous les (juVii <lha-t-on quelconques et autres : el je le salue en

l'uni Verlaine.

■20

yEGRI SOMNIA

Quelle semaine occupée! J'entends que de nuits de cette semaine occupées, puisque mes journées se passaient aussi dans mon lit, mais plates, uniformes, toutes aux repas et aux re- mèdes à heure fixe, aux crises prévues et aux somnolences subséquentes également prévues ; j'entends quels rêves dans que de nuits ! Cinq nuits sur sept et seulement cinq rêves ramen- tevés, sur le cube et le cube de ce chiffre !

Voici :

D'abord, une porte cochère du vieux Paris pleine du monde chassé par une averse comme dans la rue Soli des Treize ; comme dans la rue Soli des Treize aussi, un homme à figure sinistre qui me regarde dans le blanc des yeux et m'épou- vante. J'ai l'impression que cette figure me con- fesse : un tas de hontes me montent au visage et

>.n \ i mu-

je suis sur qu'à mon iv\ rii, qui rsi très brusque, m. \ oici rouge comme un menteur pi

Je me pr ène avec des gens dans une Tille

j'ai babité seize mois smis en avoir entrevu que l.i gare. C'est en Belgique. Style Ben sance. Briques et tuiles, angles de pierre. I

rOUgeS, Madones de \elours et de bijoux au eoiu

des ni.s. Puis ponts de 1er, tramways partout,

télégraphes et BÎgnaUX de fonte peinte en som- bre, dorée, rouge, le tout géant. Il y a quelque fête. Nous suivons l.i Coule vers un embarcadère vertigineux d'où nous revenons à contre-sens de la plus grande partie de la foule encore pour la fête. Des gens ayant bu m'insultent. Un agent de police à chapeau fané de garde-française m'arrête au moyen d'une corde autour de mon cou et me mène dans un hôtel de ville en bois au rez-de- chaussée duquel il y a un estaminet ; mon agent m'emporte à rebroussepoil d'un escalier très noir et m'introduit dans la table du conseil échevinal (nous sommes en Belgique). Des messieurs très chic dans des box. L'un d'eux m'interroge. 11 est brun, beau, jeune, barbu, au costume ma- gistral dont je ne me souviens plus. 11 me re- proche l'impression en France de fameux vo- lumes obscènes les institutions belges sont attaquées. Ou me bouscule ensuite de salle en salle sur des parquets très cirés une jambe

308 SOUVENIRS

que j'ai malade glisse douloureusement. Finale- ment, un autre monsieur, vieux et sec celui-là, ordonne à un huissier à verge de me dépouiller. La chaîne de mon parapluie s'entortille autour de mon poing et l'homme tire très fort dessus, ce qui me fait mal et j'ouvre les yeux.

Je suis le roi de France, et il paraît que j'ai abusé de ma position au point de retenir prison- nier, je ne sais plus dans quel dessein très pro- fond et probablement patriotique, le fils du roi d'Angleterre qui, lors d'une fête donnée par son ambassadeur dans un décor d'opéra, me reproche avec une amertume des plus éloquente ce manque absolu de procédé. 11 est très pathétique, Mon- sieur mon frère, et très beau dans sa barbe brune et son habit noir du bon faiseur. Je réponds in- solemment et astucieusement, et je sens au fond que je n'ai pas raison au point de vue théâtral. Tout cela devant de magnifiques courtisans en uniformes et des dames princièrement décolle- tées. Mon habit noir à moi n'est pas bien. Même il est fripé et limé. Je profite de la diversion du prélude d'une valse pour sortir en chercher un autre, et c'est dans mon lit que je me trouve.

Allons bon ! D'un ou de deux coups de revolver à peine tirés à dessein, je viens de tuer cette pauvre grosse et jadis belle Madame ***, à qui j'ai donné tant de camélias et de Parmes Je suis

VI N I II ^

rentré chez moi, dans un appartement d'aul Fois, trèa «m Mit'-. Ma Camille, instruite, me blâme, et je cherche avec elle des moyens d'échapper. Ali ! le l">n moment quand je revoia la i <»i l<- d'araignée vue la veille dans le coin gauche de mon alcôve ! Sedan prononce/. S'dang . Bouillon, Paliseul

pro icei Palizeû , Jéhonville prononcez Djon-

m . lieux d'enfance. Que changeai Dana le bois, à droite, en venant, le grand boia murmurant

jadis sous des \ ents parfumés de bruyère, de

myrtilliera et de genêta, et pleine du cri lointain des loups et de leurs yeux comme tout proches, il v a des becs de irai, et dans les clairières, très nombreuses aujourd'hui, des industries mal odo- rantes. 0 les vilains ouvriers flamands et ita- liens ! Je reconnais le chêne, le Père qui s'élève à l'entrée du bois?... du bois... Salmon (c' bien ça), de quelques mètres éloigné des pre- mières futaies. Horreur! un lîohinson s'y est installé, à l'usage de couples à demi-paysans : bières et sirops, macarons et veau froid, ehel crasseux et bonnes sales. Du trottoir et du bi- tume et du béton. La campagne autour, quel- quefois Sauvage, s'est laite plate à force de jar- dins potagers. Les beaux étangs noirs qui clapotaient gais et sinistres en plein vent dans l'àpre jirairie.il y a des cygneset des bétes cyprins

.'}!(» s o u v \. n i h s

dedans et une bordure de granit rose autour... Je m'y mire et j'y vois une face grassouillette dont je reste tout confus en présence de mon in- nocence, là vivante jadis et de tout ce qui s'est passé entre ma maigreur d'alors et ce ridicule, cet odieux embonpoint qui dit tant de choses digérées, de choses plates, laides, médiocres et lâches. Et que béni soit le sursaut vengeur me rendant tout à mon réel malheur, fier alors !

MKS soi \ l.Mlîs DE LA COMMUNE

Des Ifl malin les alliches blanches, s'il VOUS plaît, du « Comité Central de la Garde Na- tionale » avaient averti la population parisienne da cette nouvelle victoire de la «vraie démo- cratie » ; proclamations vraiment point trop mal tournées, et signées enfin ! de DOOM abso- lument nouveaux, kela que Gamélinat, etc. On y lisait des choses véritablement raisonnables à côté d'insanités presque réjouissantes. Tour mon compte, je lus emballé, tout jeune que j'étais pour ainsi dire encore et irais émoulu, entre

deux poèmes parnassiens, A qu'impassibles !

des réunions publiques, et naïves d'ailleurs, des temps tout proches de l'Empire. Et puis c'était franc, nullement logomachique et d'une langue très sutlisante dans l'espèce. Bref, j'approuvai, du

fond de mes lectures révolutionnaires plutôt hé-

312

SOUVEN IUS

bertistes et proudhonniennes, cette révolution tenant de Chaumette, de Babœuf et de Blanqui. Et puis quelle réhabilitation de la Garde Na- tionale enfin sérieuse et redoutable, après l)au- mier et tant de vaudevilles Louis-Philippe et faux-toupet !

C est au moment nous enterrions le pauvre Charles Hugo qu'avait lieu le drame de la rue des Roziers. A la sortie du cimetière, la triste nouvelle tintait déjà dans l'air assombri. Enmême temps, les barricades ébauchées le matin deve- naient formidables et s'armaient de canons, de mitrailleuses et se hérissaient de baïonnettes au bout de fusils chargés. Les passants chuchotaient des paroles d'alarmes et filaient vite. Les bouti- ques se fermaient et maints cafés n'étaient qu'en- trebâillés. Ça sentait la poudre el ça fleurait le sang. En même temps des incidents comiques se produisaient. Pour ma part, j'assistai, non certes à la frousse, mais à l'indignation un peu puérile d'un de mes bons amis, poète de grand mérite. A propos du meurtre évidemment dé- plorable du général Lecomte et de Clément Thomas, ce ne fut pas une fois, ni deux, mais cinquante, mais cent fois qu'il me répéta, alors que moi je trouvais tout ça, même la fusillade de Montmartre, très bien (horresco referons /) ; <( Mais c'est affreux ! mais c'est l'affaire Bréa,

-m mm 313

mais, mais... •• sana compter I- de costume, les disparates d'uniformes, el l< - commandements à rebours el les manœuvres à l'envers <le cette garde nationale à peine grossie de l'atelier el «lu troquet. El quelle em- phase, du reste gentille au f 1. dans le lang

de ces braves gens imbus de leurs bétes el chants journaux ma] digérés en eux '.

La nuit tombe sur la ville haletante. On en- tend des crosses de fusil tombant sur le pavé... Parisiens, donne/ .'

LE BON LARRON

A Willette.

Oui, très bien, votre « Mauvais Larron ». Tou- chante, la démarche (et amusante) de cette brave petite femme grimpée sur son ànon, pour un der- nier baiser au pauvre diable avec qui elle avait sans doute tant aimé. Gentille l'idée, exquise l'exécution.

Mais le Bon de Larron, alors ? Je sais, moi catholique, qu'il est sauvé, qu'il fut même le premier saint du dernier testament, l'archi-con- fesseur, que ceci, que cela. N'importe, si le « Mauvais Larron » est si intéressant, grâce à vous peut-être seulement, combien le bon le sera-t-il donc ? (En dehors des Bollandistes dé- finitifs, bien entendu.)

Oui, au point de vue humain, qu'est-ce que le Bon Larron ?

Un abandonné probablement de sa femme,

v.,| \ | Nil,

d'une veuve trop Rère, peu! être offensée, en iniis cas compromise et se dérobant. El comme l,i tniséricorde de Jésus esl infinie, La gi fc< b d aura pu descendre que sur un acéléral sans excuse. Mauvais mari, fila ingrat, père affreux, voleur sans pitié, certainement lâche, tel à mes veux ce grand Bain! qu'un sonnet jeune de moi,

l..)i'M|iie Jésus lut morl et comme une auréofc

S'allumait bleue au front blanc du ]\a/.arécn,

Lo Bon Larron prenant brusquement la parole :

Compagnon, que dis-tu de ces choses ? Moi, rien.

Sinon qu'en pondant lacet homme l'on fil bien...

et ratera. Maspliémait avec son Rédempteur et le nôtre, et à qui j'offre ici mes respectueu excuses de n'avoir pas compris les raisons.

Espoir des endurcis :

Modèle des contrits de tout à l'ait la dernière heure :

Inventeur de la Pénitence finale :

Magnifique vainqueur de Satan qui lui fîtes une blessure plus cuisante que tous les coups de tous les anges restés fidèles, avec votre cri de vrai soldat du Mal reconnaissant sa défaite, la seule parole de bonne foi de toute une coupable vie : « Seigneur ! ave/, pitié de moi •> ;

Saint Qéophas, priez pour nous.

HISTOIRES COMME CA

DEUX MOTS D'UNE PILLE

11 s'était dégradé depuis belle lurette. Je veux dire qu'il vivait chez de petit peuple, dans un garni dont m dèche, bien qu'ancienne, n'excusait

pas les promiscuités.

Aussi vous avait-il de ces théories ! Un jour ne me dit-il pas :

Mon cher, ces filles et leurs amants ne sont paf ce que l'on pense. Il v a chez les unes un dévouement et un héroïsme, chez les autres une chevalerie, oui, une che-va-le-rie et une tendr. qu'on chercherait en vain ailleurs. Certes, il \ q des sous-entendus à ces vertua. Mais quelle médaille...? Kst-ee que la plus belle tille....' L'argent a, je le reconnais, sa très forte part dans ces existences irrégulières. Mais dans les régulières, d'existences ? Et encore, voler à coups de poings, de sortie de bal ou de couteau, (pie

.T20 HIST0IBE8

peut châtier un revolver, s'approprier par des sourires et des caresses le porte-monnaie d'un imbécile, au risque de plus de mois à Saint-Lazare que de juste, n'est-il pas plus noble, oui, noble, et plus gentil que d'accaparer en gros ou d'escro- quer en détail? J'aime, je l'avoue, ces beaux jeunes hommes à qui les chroniqueurs judiciaires décernent sans discerner la même tète ignoble, nos pères eussent écrit, patibulaire. J'adore ces vaillantes de la Joie à qui ta Société n'a rien à reprocher, elle qui ne fait que pressurer, empri- sonner, enrôler, marier pour divorcer, saisir, guillotiner, et tout ! que de vendre du plaisir, et de quel plaisir ! de celui qu'ont chanté tous les poètes, qui sur terre est, avec la vertu, l'unique bonheur, pour quoi périt Troie et à quoi nos arrière-petits-fils devront de vivre. Et même, à ce propos, ces charmantes compagnes d'oreiller nous tiennent quittes des conséquences. Que de peine aussi se donnent-elles pour nous plaire en toute sécurité nôtre ! Dessus et dessous de toi- lette, le teint fait, toujours prêt, la bouche et les yeux perpétuellement sur l'exquis qui-vive. Quant à leurs amants, des chevaliers, te répéte- rai-je à satiété, puisque le voilà branlant ta tête de saint Thomas bourgeois. Je te raconterai, quand tu voudras, des choses d'une authenticité terrassante. Mais, tiens, laisse-moi te chantonner

i m i ÇA

en attendant de l'entonner ces épopéei une modeste idylle je jouai mon bout de roli

Ici je ooupe la parole ;> mon ami qui, aana doute, nous en baillerait par trop de trop bel) et je vaifl voua donnera la troisième personne, et tout bonnement, son récit qui vous «Mit

sans nul doute, lyrique à l'exi

L'hôtel garni en question était, en dehors de ses chambres pour ouvriers, tout petits emplo^ es et déclassés, une très pou vague maison dopas

Dos filles en carte, en outre, y avaient Leur

« carrée » en propre, avec amant ou maitresse, ou rien dedans. L'une d'elles qui couchait seule, une lois le o true l'ait ». eut avec mon ami, alors en possession ou en pouvoir de femme (et à pro- pos de cette maîtresse participant à l'entretien), une altercation assez, violente à L'issue de laquelle elle donna immédiatement congé, ae voulant pas. < ria-t-elle. ear elle était soûle, être insultée impunément par deux vaches ! » A quoi l'iras- cible garçon que la présence de sa femme gon- flait encore. tel un dindon répliqua : <• Va

dire à ton m que je ne réponds pas auxp...

Quelque temps après, naturellement, il se brouillait avec la belle, cause de tout ce tapage, une grande brune assez insignifiante, puis tom- bait gravement malade. Sa maladie dura six mois au bout desquels une rapide convalescence lui

21

.'J-J-J HISTOIBKS

remit en tête quelle foule d'idées, et (jiii est-ce qui lui trottait le plus dans sa diable de cervelle ?

Parbleu! la femme à l'engueulade, la p de

l'été dernier. Cœur humain !

C'était une imperceptible blonde, d'un blond ardent merveilleux. Sa tête va comme je le pousse n'était pas désagréable avec s<m ne/ trop à la re- troussette, son teint haut de buveuse habituelle et ses cils un peu de lapin blanc. Elle portait, à l'époque dont se souvenaient les sens commen- çant à s'étirer de l'alité, une camisole rouge à pois blancs, sur une jupe pareille. Tout ça lui donnait l'air d'un petit incendie, et c'était très ra- goûtant. Aussi fut-ce un bon moment pour X. (il s'appelait ainsi) quand il appril par son logeur que Mlle Marie a va il reloué chez lui. Sur le champ il se lit faire sa chambre à fond et changer de draps, commanda un bon souper à deux pour vers six heures du soir, et s'arrangea de façon à ce que l'infante voulût bien venir dans les envi- rons de cette heure-là.

Un énorme feu de charbon anglais flambait dans la large grille, et la réverbération en dan- sait gaîment, on eût dit malicieusement, sur la longue étagère d'en face surchargée de livres, dont pas mal de mystiques, sur le marbre et les cuivres de la commode, et jusqu'au plafond leudu de papier gris clair à fleurs violatres. X. était

ru m m i | \

dans son hi loui blanc qu'entouraient d'iitittien rideaux verl sombre <•! ponceaik Se chevelure assez olairsemée sentait bon le pommade, el de la brillantine parfumail ss barbe rare. Une oh mise très fine, non amidonnée, son seul luxe de jour et de nuit . drapait son torse el ses bras amaigris mais encore dodus, car, comme Hamlet, il était gras. Une étincelle gaillarde pétillai! dans ses petits \ eux à la chinoise. On frappa.

Entrez.

La dame entra. Robe noire, pèlerine en faux astrakan, foulard écarlate autour <lu cou. Ce dialogue s'engagea :

Bonsoir, monsieur Ernest.

Bonsoir, mademoiselle Marie. Kl comment allez-vous depuis que je n'ai eu le plaisir de vous voir?

C'est à vous qu'il faut demander cela, mais je suis heureuse de vous voir si bonne mine.

Oui, ça commence à r*afler. Faut espérer que ça rira, comme on dit chez moi. Dit-on comme ça chez voUs .'

Pour aller mieux, pour ça ira mieti£ ? Non, on dit aller mieux, ça ira mieux. A propi

Vous toujours fâché après moi ?

El vous ?

Moi ?

i'2 i HISTOIRES

Oui.

Non.

Eh bien, ni moi non plus.

Alors si on soupait ?

On soupa sur une petite table toute servie que Marie approcha du lit d'où X. mangea sur ses coudes. Pâté de foie gras et bordeaux. Quand ce fut fini, Marie ôta son fichu, puis sa pèlerine, et remit la table dans son coin.

Ouf, qu'il fait chaud! dit-elle, mais j'ai froid aux pieds, et elle délit ses bottines, faisant mine de se chaulfer fort au foyer qui baissait.

Marie, venez donc, j'ai quelque chose à vous dire.

Me voici. Quoi ?

A l'oreille.

L'oreille fut vite à la portée de la bouche qui la baisa par derière. Puis des mains d'X. l'une soutint les reins et environs, l'autre dégrafa la robe, et le corset. Marie se défendait peu. Sou- dain elle lit tomber corset et robe, ôta ses bas. alla s'assurer si la porte était bien fermée à dou- ble tour, revint vers X., rejeta les couvertures et le drap à moitié, mit un genoux dans le lit et dit :

Zut, j'ai froid. Allons, houste ! souille la ca- moufe !

X. obtempéra.

1 c.M M I ÇA

II

\|;iis le lover mourant <l;ir<l;iil soii-^ le dais

pourpre sombre «les rideaux une lueur toute drôle, el comme presque diabolique. Par un ea- priée, Marie s'était comme qui dirait agenouillée, les bras autour du cou de X. qui la voyait donc bien en lace. La mignotte plutôt encore que mignarde physionomie de la fille lui appa- raissait dans une sorte de nimbe sourdement fulgurant, sur lequel rayonnait une chevelure en or fauve à la lettre, fauve à reflets rosi reflets on eût cru violets, puis très clairs à sem- bler blancs, puis mats comme le plus beau cui- vre — et frappée de l'espèce, maintenant, de phosphorescence envoyée par la cheminée, en- veloppée d'elle, et, merveille ! eparse en crinière

d'archange avec des bouts en pointes de feu, car Marie tenait ses cheveux à moitié longs, appro- chant de la trentaine et sans doute redoutant un éclaircissement précoce de son trésor à qui rien

ne manquait que d'être monnayé, suivant son mot d'enfant. En même temps, la cordelette dé- nouée de sa chemise donnait libre jeu à cette dernière, et tles épaules rondes, des seins fermes

if'ir» m s nu u es

aux bouts rouxsplendides, des hanches grasses, d'un satin, ô que précieux, d'une senteur vir- tuelle si capiteuse, vivaient, vibraient sous l'étreinte jamais assouvie de X. Quelle fatigue ex- quise au terme aigu de laquelle lestement, dans les deux sens du mot, Marie, enjambant d'une jambe une jambe de l'homme, se laissa rouler, pour s'y blottir, dans le coin du lit, au long du mur tendu de la même perse que les rideaux vert foncés sur fond ponceau. X. dormit jusqu'au matin, dans la fraîcheur des beaux bras nus, avec sa tête dans les cheveux de fée et d'ange.

Au réveil, Marie, après une conversation qui mit le comble à la langueur de X., fut tôt hors du lit, enfila son jupon, jeta sa pèlerine sur ses épaules, lit du feu et procéda à sa toilette.

Après avoir tordu en un lier chignon sommaire ses admirables cheveux, elle lit bouillir de l'eau qu'elle versa, mêlée à de l'eau froide, dans un bassin de fer blanc (la chambre du malade se trouvait garnie de tout un petit ménage) et s'y lava promptement les pieds jusque très haut. Cela fait et le bassin vidé, elle dit à X. : « Tu permets ? » en même temps que sa pèlerine et son jupon dégrafés tombaient et que sa chemise sautait par dessus sa tête. 0 ce corps ! 0, du col aux orteils, cette blancheur de lait sur du marbre rose qui palpiterait à temps bien égaux,

COMMI I \

. . 1 1 .* s.mt,' forte m. us <ii i embonpoint

oharmant, tout au plus ft fossette! renies droiti juste qu'il faut, nette harmonie des leû

et dll ventre, cl «1rs cuissi » ! II. par un prix i-

lège, les jambes étant hantai relativement an buste, lea perfections de L'antre noté n'avaient rien de ne caricatura] qui trop souvent nous afflige ohei lea femmes lai mieux t.iii

\. ;i\.iii vu bien dci femmes dans mille pos- tures. Jamais une pareille beauté de corps. Et la tète assez indifférente, je l'ai donné ;'• penser, grâce, il faut le dira aussi, à cette prestigieuse chevelure, bénéficiait de ces iplendeurs et sem- blait belle de très ordinairement gentille qu'elle

était H n'y put tenir, sortit du lit. l'y ramena de force, et les plus folles c;iress,-s les re- tinrent encore des quarts d'heures et des quarts d'heures.

Ce n'est pas tout ça, dit-elle, il est v-huit heures et /-ai faim. Laisse-moi m'habiller un peu que s'aille cereer à manzei .

Et à l'aide d'une vaste cuvette, d'une épi

et de deux ou trois serviettes, elle baigna, frotta. eSSUVa son sublime corps parmi des attitudes simiesquement sculpturales des plus éblouissan- tes.se rhabilla en deux temps et sortit pour reve- nir munie de chocolat dans une boîte au lait, dont elle mit le contenu dans des bols à soucoupe,

328 HISTOIRES

tira de sa poche quelques croissants, et, comme honteuse :

lîète que je suis, j'oubliais le vin blanc ! et elle cria par la porte entrouverte :

Patron, une bouteille de blanc ! (Elle ne zézayait qu'à ses heures).

La chambre de X. était au rez»de-chaussée, séparée de la boutique du marchand de vins par seulement un court corridor. Le patron ne tarda pas à apporter la consommation deman- dée.

Le vin blanc bu et le chocolat absorbé, elle balaya, rangea la chambre à fond, ouvrit la fe- nêtre un instant.

Maintenant, je monte à ma chambre m'ha- biller un peu en après-midi. Tu payes à déjeu- ner ?

Et à dîner et tous les jours et ta chambre, situ en as encore besoin.

Tu es un gros chat bleu. J'accepte. A tout à l'heure !

X. allait se rendormir au bout de quelques mi- nutes, quand il fut gratté à la porte.

Entrez, cria-t-il d'une voix de mauvaise hu- meur.

Un éclat de rire sonna par la chambre Marie entrait, portant une valise qu'elle débou- cla.

... M M I . \

Tu ne m'attendaispas sitôt. Au moins, tu m-

m'as pas l'ait de lr;iils '.' ZaloUS6, nmi. tus.nn

Mais dora, chou, tandis que j«- \.iis n'habiller ici. Ça n'incommode pas monsieur .' I »li ! moi, tu suis, ce n'est pas pour i<»i. c'est parce qu'il du feu dans ta chambre.

Et en dis;ini du feu », elle s'appuya sur sa cuisse et Le baisa une vingtaine de foia à gros bruit.

V. ravi, souriait. C'était charmant, ce « cou- cher » qui tournait au « collage •> avec certes une des plus belles femmes du monde, et qui paraissait si bien !

Tue seconde toilette eut lieu. Cette fois, la chemise était bordée au col, aux épaules et en bas, d'une broderie Légère et rendait un frais parfum de new mownhay. X. dut en prendra L'étrenne, ce à quoi il s'était résigné sans grand chagrin, quoique bien fatigué pour un conva- lescent. Une espèce de robe de chambra en étoffe de laine grise à ramages rouges, dessi- nant bien la taille, assez étroite de jupe, suivit, et les pieds se chaussèrent de hauts chaussons très justes et pomponnés de moire verte. La fille alors dit : « Dors. Je te réveillerai pour déjeuner », prit un livre et s'endormit bientôt dans un fauteuil, presque en même temps que X. dans son lit.

330

HISTOIRES

Midi sonnèrent.

Petit, cria Marie, allons, debout. Attends, je vais t'aider.

Et elle l'aida à mettre un pantalon, des chaus- sons, un gilet de chasse et un gros pardessus fané, passé paletot d'inférieur.

Ils déjeunèrent dans la boutique, connue X. en avait pris l'habitude, depuis qu'il pouvait se lever pendant quelques heures, avec le patron et sa famille, composée d'une femme et cinq beaux enfants, dont une petite de huit ans, un pur ange de grâce et de bon caractère, et un gamin de douze ans, espiègle comme cent, si drôle dans ses jeux, à froid parfois tels ceux de beaucoup de jeunes garçons parisiens, qu'X. l'avait surnommé Pierrot, appellation dont l'en- fant était mystérieusement tout lier.

Après déjeuner, Marie tira de sa poche quelque chose qu'elle déroula et se mit à raccommoder, en face de la patronne, déjà occupée à un tra- vail analogue, et X. témoigna le désir d'aller se coucher.

Ma clef sera sur la porte. Viens quand tu voudras.

Dors toujours bien. J'irai quand il faudra. 11 était six heures et demie quand X. rouvrit

les yeux. Marie, assise à son chevet, surveillait son sommeil.

I Ml ÇA

Il \ ;t longtemps < 1 1 In 'Lus U '

Pepuif un quarl d'heurs à peu près, Mail je \.u^ ir dire s revoir, Il va dira ispl heures. Il i;uii que je Borte, Tu comprends '

Hein?

111

11 comprit avant qu'elle pul répondre ce qu'elle pouvait lui répondre. 11 s'agissait indubitable- m. Mil d'aller travailler. Ça Le dégoûte un instant

et il eut de la peine Ù ravaler de IVau qui lui était venue du dedans des jours. Puis il s.- dit.

prenant son parti : (( Bah ! »

Mais à dîner?

J'ai niante là-bas. il v ;i une heure. Toi. reste couché. Laisse la clef. Je reviendrai à onze heures. Je vais dire qu'on t'apporte à maii-vr.

l-'l elle partit pour revenir à onze heures. Les scènes de la nuit précédente se renouvelèrent. Mais cette lois, un colloque prit place entre les entractes, dont voici un résumé.

Elle lui avoua avoir bien étrenné dans la soi- rée, mais refusa de répondre à son : n Combien tu l'ait? » quasi résigné et comme de courtoisie, autrement que par un « ça, c'est mon affaire »

'Xl'2 HISTOIRES

très digne et qui signifiait des délicatesses, car elle n'était pas sans l'estimer beaucoup, sans Le respecter, pour bien dire ; puis elle voulut abso- lument qu'il déjeunât et dinàt avec elle le len- demain, à ses frais à elle. Le reste passerait à l'achat de bottines dont elle avait besoin. Qu'il ne se formalisât pas de ses générosités. Quand il faudrait, elle ne se gênerait pas pour demander. Tout devait se passer entre eux, entre camarades. Elle était une ceci, une cela, mais elle avait son amour-propre. Vilain métier que le sien « va ! » mais un métier on est honnête ou pas. Elle était honnête.

S'apercevant qu'elle était un peu prise de bois- son, il la caressa une dernière fois et ils s'endor- mirent bientôt. Au lever, elle reprit sa causerie et même parla souvenirs.

Elle était d'Amiens. 0 La Haufcrye ! Un jeune carabin en vacance l'avait séduite à quinze ans et lâchée presque aussitôt. Depuis, après plusieurs autres hommes, elle était venue à Paris pour faire la noce. Mais ça n'allait plus. Même sous la Commune ça allait mieux. Enfin, peut-être l'Exposition, le Métropolitain... Ah! elle ou- bliait...

Je ne t'ai pas encore parlé de Célestin ?

Non, qu'est-ce que Célestin? - Mon amant.

CO M Ml \

ai. :

Célestin éiail uo tonnelier <pii Iravaillait.l] L'avait soignée pendant une longue maladie. I n homme qui ne buvail jamais. Rlle, hélas! avait celte habitude-là. Lui ne pouvait la souffrir quand elle était dans de vilains états. Il L'avait chaa un jour. C'est pourquoi elle était revenue au garnot. Elle L'aimait encore, béte qu'elle était. Il L'avait soignée. Et puis, il était de Lille. Il causait patois un peu comme «II*-.

Enfin, n'en parlons plus. Ze t'aime bien aussi. Ne pensons qu'à nous pour le moment.

Par degrés, X.lui lil reconnaître qu'au font Cé- lestin ne travaillait pas tous Les jours: l'ouvr était si rare au jour d'aujourd'hui et qu'il souffrait qu'elle travaillât, elle, à sa e sale ma- nière, bien qu'il ne la battit pas quand elle i trait sans le sou (quelquefois elle buvait ses bé- néfices, entre parenthèses et ne vint pas L'atten- dre pendant ses passés ou la siffler d'en bas quand elle tardait trop à en avoir fini avec un client à l'air pas assez, sérieux.

X. opinait du bonnet, berçant L'intérêt Lent de ces récits île gentillesses, comme de prendra de tapoter les mains petites, de passer la paume sur les ondes blondes et les doigts dans les tri- sons d'or...

Gela dura quatre Longs mois, au cours des-

334

HISTOIKl-S

quels Marie fut tourà tour exquise et détestable ; bien plutôt exquise. La seule boisson la diminuait. Mais alors elle n'était pas amusante du tout. Elle se grisait si abominablement parfois, qu'elle en était malade tout le lendemain, sans préjudice des inconvénients presque immédiats, et quels discours ! Jamais cependant elle n'in- sulta X. ; mais elle pleurait d'une façon si bête, se montrait jalouse, jalouse ! si à tort et si à tra- vers, grinçait des dents, avait presque des atta- ques de nerfs, et des propos ! Un jour, ou plutôt un soir qu'elle devait avoir eu affaire à du public ami de la bouteille, mais elle buvait bien toute seule aussi, elle lui demanda à brûle-pour- point :

Sais-tu l'on vend du vitriol? Et une autre fois :

Veux-tu m'écrire une lettre anonyme? (Elle ne savait ni lire ni écrire).

Il fut répondu des plus évasivement, bien en- tendu. Il allait sans dire que vitriol et lettre étaient destinés à Célestin, si vaguement il est vrai! Car, aussitôt à tête reposée, Marie n'avait plus que les idées du meilleur cœur du monde, demandant pardon pour la brutalité finale de sa liaison avec Célestin, disant son regret d'avoir lassé par des ivrogneries cet amant qu'elle pro- clamait et croyait honorable, et protestant d'une

i mi ÇA

amitié passionnée, d'un dévouement de s. nu- e( de maîtresse en titre, d'épouse plutôt em pour L'heureux \.

Heureux, <»ui ! oar malgré la ]>1 n^ (|u<' médio- erité, Is presque bassesse de je

mais il n'avait été aussi 1 >i«n traité de toutes les Façons qu'à présent, jamais il n'avait aussi, js

niais, mon Dieu I éprouvé un sentiment pins tendre, reconnaissance, estime partielle et j m

admiration humble, enfin, do corps, instrument

parfait de lant «le belles joies !

Reconnaissant surtout. Elle Taxait soigné dans

plusieurs de ses crises, même dans une rechute assez sérieuse pour néeessiler qu'oïl le \eillal

plusieurs nuits de suite, ce qu'elle lit à la per- fection, avec tontes les délicatesses, tontes k - douceurs, l'as de répugnance qu'elle n'eût snr- montée gaiment 11 lui était arrivé il l'avait m sans qu'elle s'en doutât, à travers un demi-som- meil de lièvre de pleurer silencieusement à le Contempler et en le sachant ou le croyant si ma- lade. Elle marchait si doucement ! Quand quel- qu'un venait s'informer ou aider et qu'il somno- lait, elle s'abstenait de chuchoter, bruit odieux BU malade, mais ne parlait que le moins haut possible. Jamais de cuiller éveillant le cristal, jamais de papier froissé, enfin pas une garde- malade, une Sœurl

'.VM\ HISTOIRES

A sa presque guérison, un changement, en

premier lieu quasi-insensible, s'opéra dans Marie.

Un peu avant qu'il ne fût retombé, elle était rentrée de nuit avec un œil poché qu'elle lui fit voir en riant, « un cognard », disait-elle en sa langue mi-patoisante de quand ivre.

Célestin, au moins! dit X., presque con- tent, — de quoi ? d'avoir deviné ? car un signe lui répondit en même temps qu'il interrogeait. Eh bien ! oui, d'avoir deviné, là! d'avoir trouvé et d'avoir en quelque sorte pris ce Célestin, re- gretté toujours, aimé quand même, en flagrant délit d'affreux procédés, qu'une femme, quoi- qu'on en dise et quelle qu'elle soit, pardonne peu souvent. Presque content, en vérité, et une se- conde après point trop surpris, mais point trop. Ah ça!...

Etait il amoureux? L'était-il, voyons? Amou- reux de cette pauvre fille, lui, lui en somme, lui enfin. Lui? Ah! que oui qu'il était amoureux d'elle ! Dans toute la force du terme. Mais alors jaloux, puisque joyeux d'une chose qui devait diminuer son rival, rival! aux yeux aimés, aux yeux décidément aimés ! 0 déchéance ! Mais non, pas déchéance, puisque joyeux, puisque joyeux donc ! Mais alors, c'est qu'il acceptait un partage, ce partage-là? Ah! il s'en apercevait à

tiOMMI 'V 3îtt

présenl ! Partage moral, si oe in«»i était de AU! il ne manquait plus que le partage physique.

Deux jonri après il L'acceptait, ce pari \ oici ce qui était arrivé.

IV

Le changement dont j'ai parlé, qui remontait donc à quelques jours avant son entrée en seconde convalescence, consistait en une sorte d'espèce de vague comme qui dirait relâche- ment dans Les soins, j'entends dans Les petits soins dont elle avait câliné, dodiné ses insomnies, ses réveils, ses mauvaises humeurs et ses en- fantgâtismes.Maintenant elle parlait raison, faisait appel à son énergie, à son courage quelquefois : au lieu de Le bercer si elle l'aidait, le gâtait en- core un peu. c'était en mère, non plus en petite mère, c'était en sœur, non plus en bonne- sœur. Elle ne lui faisait plus faire dodo ni le reste, elle le faisait dormir, etc. Elle le traitait en homme, en malade, non plus en enfant ma- lade, en amant peut-être encore, non plus en amoureux, quoi ! pour revenir sur notre terrain tout à l'amour, ou à la sensualité si Ion préfère.

338 iiistoihI'S

A la longue, impatienté de ce refroidissement (c'était bien le mot) il ne put s'empêcher de le lui reprocher sous forme d'observation. Elle fut étonnée, charmée un peu, et se formalisa, mais comme pour la forme. Elle était bien dans le rôle, décidément, c'était même nature, en fait. Puis elle continua son train dévoué, mais calme, auquel force fut bien à X. de s'habituer, dédom- magé d'ailleurs qu'il était dores et déjà de mille manières par l'affabilité, l'abandon sensuel et la science de Marie. Oui, par sa science aussi ! Tant il y a qu'une nuit, au lieu d'en cheveux. s;i coiffure ordinaire, elle lui apparut en chapeau. Un chapeau vert à plumes et pompons verts, tirs haut, qui écrasait sa petitesse et lui allait à ravir. Un paletot noir lui descendait aux pieds, qu'elle avait chaussés de fortes bottines, et son en tous- cas à bec très contourné se balançait à ses mains gantées de chaud. A l'enjoué :

Quèsaco ?

d'X. Elle répondit bien gentiment, bien posé- ment aussi :

J'ai trouvé quelqu'un. Quelqu'un de comme il faut. 0 pas comme toi. Non, quelqu'un pour moi. Un monsieur d'à peu près ton âge, d'à peu près l'âge de Gélestin, car vous êtes de la même année, toi et Célestin, tu m'as dit. Un ouvrier

COMMI

ftUSSt, <pii Iraxaille aUSSl. Toi. lu Bf 1 1 "|> lni|»|»'-

pour ni"i. Pai comme, t >i 1 1 1 1 1 - . puisque in p plus grand'ohose, même presque rien, sinon rien du tout, pauvre chien, Ce n'es! pas i.< foute, je ae te reproche rien, tu m 1 > i « - 1 » gentil, \<»n, !<•! ta m

iiii de l.i li.uilf ;ui ti uni . I !!<• luis un peu remis ;i

neuf de toute façon, tu aurais bonté de moi. Ne

dis pas non. .le me moqua de ta* je t'assure, j<- les emmène à la campagne, tes je t'assure, C*i

comme Ça, .le Ifl s.iis. Kt je ne l'en VOUS pM, au

moins. La preuve, o'asl que je reviendrai te voir

souvent la nuit... F. h bien ! oui. la nuit .a pics avoir un peu travaillé. Oui. travaillé. Ça félonne?

Quand je te dis que tu n'es pas i Dette ooule-là.

Va, mon pauvre Ernest, je no serai jamais, vois- tu. qu'une putain. Tu avais raison L'autre fois, ne (lis pas le contraire maintenant. Que veux-tu. c'est comme ça, Quand je te le répéterais eent

t'ois !...

Kt elle prit sa valise qu'elle hourra, puis em- brassa X. sans vouloir rien faire de plus. m., sa prière à bras tendus.

Mais c'est, dit X.. un peu déménager à la cloche de bois. Que leur dirai-je. le matin. $

^t'iis ?

A la eloche de bois? Je te cloche bois : Je ne leur dois rien, à ces ^ens-là. Toi et moi, nous avons pavé ma ehambre et ma nourriture

.'{'lO HISTOIRES

d'à peu près la moitié de ces derniers mois, juste ce que j'ai mangé chez eux. Parce que j'emporte mon linge ? Mais il est payé, mon linge !

Et elle s'échauffait presque, comme par habi- tude... X. l'eût cru avec Célestin.

Elle approcha du lit et le baisa au front on s'en allant, lui disant :

A demain vers midi, je viendrai prendre le café. Au revoir, bonne nuit.

Le lendemain, elle vint prendre le café et passa le reste de la journée, dîner payé par elle com- pris, jusqu'à minuit, heure à laquelle elle se rha- billait, quand X. :

Et vas-tu comme ça ? Elle :

Chez nous, parbleu, chez...

Chez Célestin ?

Eh bien ! oui, chez Célestin. C'était de lui tout ce que je te disais hier.

Et il accepte que tu sortes comme ça ?

Tu t'en plains ?

Non, mais...

Tu trouves ça maquereau, dis la vérité.

Ma foi ! . . .

Que veux-tu ? Aussi son ouvrage ne va pas toujours. 11 me gronde parfois tout de même de sortir. Ah ! je l'aime bien, je te l'avoue. C'est l'homme qu'il me faut. Je te dis, toi, tu es trop

i m i ça 841

chic, tu es mi monsieur, trop savant pour moi. Seulement, tu sa été bien gentil, pas jaloux...

Pas jalons ! quel éloge dans quelle bouche !

... Pas embêtant, pas sciant. Btj'ai en pour toi un béguin qui dure encore ei durera, je te promets... <>ui. Célestin es1 mon grand, « 1 - béguin. Mais c'esl égal, va, j'ai été bien contente de i<>i ce( hiver... et tiens, je n'osais pas te le dire, je...

Tu...?

Eh bien, là, si j'ai couché tous ces iimi- ci avectoi, C'ÉTAIT POUR ME CONSOLEE

Ce moi c'était pour me consoler frappa drôle- ment X. Il y avait beaucoup de choses en vé- rité. Quelque impudence, une naïveté, comme de la candeur enfantine et <le la gentillesse tout plein. C'était si joliment dit d'ailleurs ! ( Jette tille avait par instant des repos d'innocence extraor- dinaires. Par exemple, ne jouait-elle pus quel- quefois comme une perdue avec le garçon et la dernière petite du propriétaire, sautant à la corde et y faisant sauter avec des rires tout à fait fi endurant de la meilleure humeur les all'reiix bleus que les coups de poing inconsidérés de l'infernal gosse lui taisaient aux épaules et sur les b: Elle avait grasseyé de L'accent picard qu'elle prenait en certains moments et qui ne manque pas d'une certaine bonté lourdaude, d'une eer-

342 m s Tout i s

taine douceur précise el lente, ces trois syllabes en se rengorgeant un peu, la poitrine renflée et montant dans une voluptueuse pandiculation qui lui retournait mignardement ses toutes petites mains.

Et elle ponctua ce « quoi qu'on die » de sa fa- çon par un bon retard d'une grosse heure à le quitter.

Ces visites prirent place dorénavant tous les deux ou trois jours en moyenne, s'espacèrent ensuite plus ou moins par semaines. Puis X. eut à faire un voyage d'un certain temps et, quand il fut de retour, Marie n'allait plus chez le logeur avec qui elle s'était brouillée pour des raisons peu intéressantes. Déshabitué, il n'y pensa guère et, bien ([non étant déshabitué, accoutumé à la fréquentation de ce genre de femmes, il en vit des demi-douzaines et des douzaines d'autres, de tout poil et de toute plume, des rieuses, des mo- roses, des habillées et d'autres. Ça l'amusa, mais ce n'était plus Marie, et il se la remémorait quand il la rencontra dans un restaurant voisin elle mangeait seule. Il s'attabla près d'elle et elle lui raconta que Célestin et elle s'étaient lâchés, qu'elle refaisait la noce et que ça mar- chait bien maintenant, assez bien en vérité. Dans la soirée elle lui proposa d'aller avec elle et ils montèrent dans un h hôtel » à passe, ou, après

I M I \

quelque oonveraation, elle Loi demanda mi peu d'argent en ami. non en < lient, à non !

Il lui tendit ion porte-monaie qu'elle empocha en se sauvant par L'eecalier. Il 3 avait dana ion porte*monaie plue d'argent qu'il n'avait jamaia eu L'intention de lui donner. Ça Le vexa ei il ae cacha paa ion mécontentement à la propriété àquiilavail beureuaemenl payé la chambre au préalable. Celle-ci lui promit, maie quoi ! de gronder la fille.

Il ne revit celle-ci que quelquea jours plue tard. Elle était au bras d'un <>u plusieurs individua qu'elle quitta pour prendre 1«' sien comme 1 sans Façon, comme s*il ae s'était rien passé.

Elle avait visiblement l>u. Sa toilette flambait drôle et coquette ce jour-ci, claire et légère '. et, de \ rai. sa tête était en beauté. Elle Be crampon- nait à lui. s'allongeant, s'étirant plutôt de toute

sa petite taille contre son grand Corps raidi par

la respectability, car ça Le gênait d'abord et l'en- nuyait aussi. L'exaspérait enfin d'avoir une telle créature, bien que connue, belle et si détectable, à son côté, à son liane, après ce «pii était arrivé, presque en pareille compagnie et parmi tout cet ensorcellement de pigeonne, ce roucoulement qu'elle avait, son pelotonnement et cette petite figure rose intense et blond de feu qu'elle tour- nait vers lui comme anxieuse et rieuse.

34-1 HISTOIRES

Tu es fâché de l'autre jour ? Allons donc ! Resoyons amis, oublie i;a, Viens. Ali ! encore l'autre fois qui te met martel en tête. MAIS J'AI BIEN FAIT, tu sais.

Il faut croire qu'il le savait. Car il la voit tou- jours. Du moins, j'en suis sûr, puisque il ne me l'a pas dit, et pour moi finit son récit.

LA MAIN Dr MA.Ioli MULLEH

« •• \ i i:

Ah ! ce Ilans avec ses théories!...

Ceci était, comme un chœur discord, exclamé par dix ou quinze Maisona-mouiêueê : la pipe de faïence aux dents et, en face d'eux, sur la table de chêne de la taverne, d'immenses hanaps pleins de bière de Bock.

L'étudiant ainsi interpellé s.- trouvait être un grand jeune homme très barbu et très chevelu sous l'incommutable petite casquette «1»' velours, cl vêtu de la redingote à brandebourgs, de la cu- lotte de peau el des huiles à la SoUVarOW : majs

son visage pâle et toute sa figure, plus déliés qu'il n'était de coutume dans cette assemblée de futurs docteurs un peu épais, dénotaient un esprit, peut-être une àme supérieurs.

Ne rie/, pas. Messieurs, dit -il. et. tenez, à

.'{i(» HISTOIRES

l'appui de ma thèse, qui est, j'y insiste, l'affir- mation d'une solidarité existant, même après une séparation violente, entre les membres d'un corps et ce corps lui-même, je vais vous raconter une petite histoire.

Nous t'écoutons et tâche d'être amusant ! vociférèrent les sceptiques camarades ; après quoi, d'une voix posée, Ilans commença :

Je fréquentais beaucoup avec le major Mùller, qui fut, en son temps, vous le savez, le plus beau joueur de nos stations balnéaires. Je lavais connu dès ma petite enfance. C'était un ancien ami de ma famille et chaque fois qu'il venait à la maison, il ne manquait pas de m'ap- porter des las de friandises. Quand je commentai à devenir grand garçon, ce fut des livres de toutes sortes, principalement des romans et des ouvrages d'art militaire, qu'il me donna : « Je veux que tu passes un jour feld-maréclial, » me disait-il souvent en me tortillant l'oreille ; puis, lors de mon adolescence, il me faisait des ca- deaux d'armes.

J'avais donc pour lui un respect allèctueux qui me permit, dès cpie je ne fus plus tout à fait un

COUtil ÇA •'HT

blanc bec, pour parler obmmc lei Français, d'entrer dana sa trea gi acieuse intimité lui on homme charmant, pour (n'exprimer, de rechef, à L'instar de cea diables de Français. D'ailleurs, trea débauché, aimant l<x femmes, la boiaaon et le jeu, mais le jeu b( la boiaaon en core plus que lea femmes.

Non aana raiaon, peut-être ! obeenra 1( Frite*

Ilans reprit :

Ge fût précisément à propos d'une querelle de jeu et non pour* une dame, comme d'aucuns l'ont prétendu nui n'avaient aucune autorité, qu'ayant été insulté, il eut, ;> l'épée, un duel i

laineux, il tua SOU adversaire; mais il a\ait reçu lui-même, au poignet, une si malheureux-

entaille que l'on dut, malgré lea premiers symp- tômes les moins inquiétants, lui faire la r<'-

section de la main droite. Par un étrange

priée, le major ne voulut pas se s, parer

organe, qu'il avait fort beau, d'Une beautéririle,

s'entend. A ces lins, il la fit précieusement

turer d'aromates, injecter de hauin.s très puis- sants et la conserva sous un globe de cristal. dans sa chambre à coucher...

348

Il ISTOl RE8

Ah ! ah ! La bonne plaisanterie !..

Fritz, te tairas- tu, à la lin?

Je la vois encore, celte main sèche et poilue de vieux militaire, je les revois, ces doigts qu'on eût dit crispés, fiévreux dans leur immobilité comme terrible d'effréné joueur, reposant de quel repos ! sur le velours rouge et vert d'un coussinet à glands d'or. La chair, vi cela, si cet objet cruellement, quasi-fantastiquement étrange, pouvait se dénommer du nom de chair, la chair, dis-je, qu'on eut crue de glace sous le parchemin bruni qui avait été la peau, n'avait naturelle- ment pas un frisson, mais vous donnait le f ris- son, si vous voulez bien excuser l'apparent mauvais goût de cette prétention néanmoins nécessaire. A l'annulaire, une énorme bague sertissant un lourd rubis que le soleil ou la lampe ou la ré- verbération des flammes résineuses de la gran- dissime cheminée allumait singulièrement ; les ongles, coupés carrés de façon soldatesque, n'avaient qu'imperceptiblement poussé depuis la fatale amputation. Et large, épaisse, nerveuse avec tout cela, et nerveuse de façon féroce, la

... M Ml . \

m. lin dormait là, depuis <l<^ années, lom de fa rouches trophées, parmi de massifs huons : i lolets d'arçon damasquinés, dagues aux tour reaux d'argent et de ouivre vieux, cachets aux bizarres devises, sur une table de l»<>is de i'

Elle dormait, la Main, depuis des ann quand le major s'alita, au seuil de la maladie qui devail l'emporter, au dire de nos chers et illustres professeurs, qui furent, pour la plu- part, nous ne l'ignores pas. consultés en cette circonstance. Mais voici la vérité...

En prononçant ces derniers mots, la voix de llans se lit soudain grave, lente, j'allais dire so- lennelle, ft je îir me serais trompé que de peu.

Ce fut, d'ailleurs, sur ce ton, qu'il poursuivi! son récit.

Je fus appelé à l'hôtel Millier, d'une part, en qualité de jeune, mais intime ami du major, et sur le vœu de celui-ci; d'autre part, comme élève du docteur Schnerb, qui présida, vous vous en souvenez, les innombrables conférences tenues par nos dits illustres et chers professeurs autour de ce mémorable efaével : mais la pre- mière circonstance fut surtout cause que le ma-

■'{.")(► HISTOIltlCS

lade me préféra pour le veiller toutes les deux nuits.

Le cas exigeait de nombreuses frictions pour lesquelles les révulsifs les plus violents étaient indispensables, et la table de nuit, non moins que les consoles, se trouvait encombrée tant de lotions que de potions, dans nn grand désordre, il le faut bien reconnaître.

Négligence fatale, ou plutôt non ! car il appert que, toutes choses autrement ordonnées, le ré- sultat eût été le même.

Au résultat alors, sans plus de précautions oratoires !

Monsieur Fritz est, pour la dernière fois, prié de se taire.

Ces paroles toujours comme en chœur, comme celles du même sens rapportées plus haut, se ressentaient maintenant d'une sorte d'intérêt im- patient.

Hans continua :

Je passe sur les pénultièmes jours du major, qui ne furent qu'une immense agonie. La force extraordinaire du moribond le fit passer par toutes les affres possibles ; fièvre, frissons, crampes, délire, délire surtout. Ah ! camarades, quel délire ! Tantôt des cris de commandement, d'enthousiasme militaire, tels des chants fou- gueux de furie guerrière, de mâle rage bien ger-

! M M M I ( \

maniipie, .1 l.i I il m li. r : 1 : 1 1 1 1 « » t les s.nniirs . I les

gestes non é^nûvoques d'un coureur de femmes habitué à les traiter moi layon, mais non sans passion ! puii des annonces de oartes, des coups «le des. de mises it de surmises * toutes les rou lettes de la création. Bref, une manière folle d'autobiographie parlée, comme qui eûl «lit !•• microcosme d'une idiosj ncrasie.

( 1rs prodromes hautement alarmants cessèronl tout d'un ooup, e{ l'on put proire que le malade filtrait dans la phase comateuse, mail l'on

trompait. lue ivaetion des plus rapides s \ tant Opérée, un mieux ('tonnant s"ensiii\ il. et l'un

oonclul presque à un commencement <!«• eonva* nce.

Or. un soir que j'1 venais de prendre la veillée, notre Mnller tomba dans un grand assoupis- sement et Unit par dormir d'un sain et profond sommeil.

Moi, je lisais dans un fauteuil.

La chambre qu'on avait, pour ménager la vue du malade, rendue obscure à l'aide de grands rideaux de fenêtres d'un vert sombre, était haute de plafond, tendue en partie de tapiss

.'{,") '2 HISTOIRES

présentant des Fêtes galantes ot des Berge- rades. Çà et là, des miniatures de femmes, des portraits en pied d'officiers supérieurs. Cette dé- coration composite, ce mélange de guerrier et de voluptueux, n'était pas sans impressionner, surtout en ce faux jour des rideaux, le jour, et la clarté de la grande veilleuse d'albâtre, aux heures nocturnes.

Je me souviens distinctement que ce que je lisais était du Jomini, un reste du goût que l'excellent major m'avait communiqué au temps jadis pour les choses militaires, et une lecture aussi peu suggestive de fantastique qu'il est pos- sible de l'être peu. Petit à petit, cependant, je me sentais aller à de la somnolence, et décidai de m'y abandonner pour quelque temps, puis- que le malade n'avait, en ce moment, besoin de rien. Toutefois, je crus bon d'aller voir celui-ci de près et constatai que la respiration était bien ésrale et le sommeil aisé comme celui d'un en- tant. Je retournai à ma place avec les yeux par hasard tournés vers le coin était la table sur laquelle reposait la main.

La chambre, l'ai-je dit? n'était éclairée que par une veilleuse suspendue. La main me sembla remuer : « Drôle d'eifet de l'envie de dormir », me dis -je, et je m'approchai en souriant en moi- même...

Ml | l

Et la main remuait toujours ? chantonna cu« pieusement cet animal de Frits.

Cette fois, personne oe releva L'interruption, cl Dans, après avoir humé Légèrement un peu de la bière de sa chope à couvercle détain, reprit :

Oui, messieurs, la main remuait toujours, ou du moins me parut remuer, de même les doigta s'élever et s'abaisser un par un ou tous ensemble dans un sens différent et intelligent, -<■ déerampir, en un mot, d'un long engourdis- sement.

Pour le coup, je restai surpris et. pour ainsi dire, cloué au tapis, m'en voulant ou plutôt en voulant à mon organisme d'une pareille aberra- tion. La main continuait, je ne puis que dire continuai/, et vous allez voir (pie je ne puis que m'exprimer ainsi, à remuer de plus en plus et c.mme à reprendre force et direction. N'y tenant plus et voulant en avoir le coeur net, je levai le globe de cristal qui recouvrait l'étrange relique et mis ainsi cette dernière en plein air. Ne vira- t-elle pas aussitôt sur son moignon de poignet recouvert d'une ample manchette de dentelles !

23

351 III S TOI H liS

et ses autres doigts, moins le pouce, se refer- mant, ne signifia-t-elle pas de l'index que j'eusse à retourner ù ma place? Impérieux était ce geste. C'était celui d'un chef militaire dési- gnant un poste à aller prendre sans retard et sans explications. Tu souris, Fritz ; je t'as- sure qu'à ce moment je n'avais guère envie de sourire et encore moins de penser ù la révoltante absurdité de cette vision. Sans y croire le moins du monde, en dépit de mes yeux, j'en étais aba- sourdi et, je puis l'avouer puisque la lin du récit m'absoudra, terrilié. Si bien que je me reculai jusqu'à mon fauteuil je tombai, les yeux tendus pour ainsi dire par force vers l'affreux objet qui, maintenant, comble d'horreur ! éten- dait ses doigts, les ramenait, les étendait, ainsi que pour des passes magnétiques...

Vous le confesserai-je ? Oui, puisque, je le redis, l'événement ne tardera pas à me disculper du tort apparent de crédulité : je me sentis mé- dusé, rivé au fauteuil, incapable d'un mouve- ment. En même temps, la lueur calme de la veilleuse pâlissait encore et devenait d'une hor-

rible blanoheur, dont L'éleotrioité seuls pourrait

donner line imparfaite !<*«• ; quelque chose

oomme des moires Lumineuses plus que hirdes, plus (pif lunaires, s'élargissait, <■! des i de bruits indéfinissables, musique Lugubre, il semblait, de tympanons voilés et de trompettei assourdies et d'orgues très lointaines, pleu- raient, ronflaient, Quaienl en ondes très fagot obsédantes à L'infini...

... Tout à coup, la main M dressa SUT SOI! né* diuni. se balança quelques instants d'avant en

arrière et d'arrière en avant oomme pour prendre L'élan et sauta par terre, tel un chat, sans bruit aucun. Tel encore un chat sur le ta- pis, elle bondit, preste, en mouvement de haut en bas et de bas en haut et, arrivée près de la table de nuit, fut d'un trait sur le marbre, y tâtonna parmi les ilacons, déboucha l'un d'entre eux, le prit et en versa quelques gouttes dans le verre de tisane : puis, rampant jusqu'au nez du dormeur, le lui pinça <!«• façon à ce (mil se ré- veillât dans un éternuement. plongea dans le blanc et le noir des draps, puis se précipita par terre je ne la suivis plus du regard, toute mon attention étant désormais concentrée sur le malade. Celui-ci dit : « Que j'ai donc soif ! Ht. sans que je pusse, à mon immense, à mon indi- cible horreur, me lever du fauteuil me rete-

.'}.")() HISTOIRES

liait je ne sais quelle force diabolique, saisit le verre à tisane et but...

De cet instant précis, je me sentis délié en quelque sorte et courus au lit, je ne pus (pie constater la mort immédiate du major. Sans me livrer à des efforts inutiles, je regardai le llacon dont la main s'était servi (il me faut bien parler de la sorte). Il contenait un poison fou- droyant, destiné à une médication pour l'usage externe, et se trouvait laissé, par mégardc, parmi les pots de tisane et les fioles de sirop de julep.

J'étais anéanti, comme bien vous pensez, et il s'écoula quelques minutes avant que tous mes sens, en quelque sorte, me revinssent. Quand ce fut fait, je pensai tout de suite à prévenir les en- tours du major, mais, avant de franchir la porte, je jetai d'instinct un coup d'oeil sur la table la main avait coutume d'être exposée : La main s'y trouvait sous verre, telle que de- puis des années et des années...

La bonne farce ! Eh ! l'ami Hans. tu as eu une belle hallucination, voilà tout !

COMMI < \

Le fait est que, eomme hallucination, princepê el même régule,

Voire divinum &ut potuu diubolieom. I [ans termina :

La mort lui attribuée à des causes nor- males ; L'enterremenl eu! lieu, les jours sep Rèrent. Je dus aller plus d'une i<»is ft l'hôtel Mûller pour différentes causes. Je ne manquai pas d'observer la main <pii étail restée dans la chambre mortuaire, infréquentée depuis la ca- tastrophe, cl je constatai sans étonnement, <»ui. sans étonnement, el Iraitez-moi <!<• fou si vous voulez... (j'avais lu el relu un las de volumes dont les titres mêmes vous seraient inconnus, savants (pu- vous êtes 1) je constatai sans éton- nement une déliquescence remarquable dans les l issus cl la musculature. Seule l'ossature restait indemne, s'accusant, dominant de plus en plus. Survinrent des symptômes de déot imposition, lâches, flaccidités, etc... Un jour, excuse/ ; ce souvenir me lève le cœur d'horreur et de dégoût, un jour j'y vis... LES VERS!!!

Pouah ! assez, assez '

À bas ! à bas !

N'importe ! c'est vrai comme c'est vrai que nous voilà vivants!

Ayant dit, notre conteur s'éloigna, comme heureux et tout lier de l'effet produit, tandis

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HISTOIRES

que ses camarades, restés bouche bée, se regar- daient, les uns presque effrayés, les autres presque rieurs, tous visiblement impressionnés, et qu'une discussion semblait devoir sortir de leur silence, quanrl Fritz, toujours sceptique :

Si nous buvions un truculent verre de schnaps ? Ça nous purifierait les idées.

Accepté !

Et jusqu'au chant du coq, je puis vous allir- mer, sans qu'il m'en coûte, qu'on lampa beau- coup de coups...

Ainsi finit l'histoire de la main du major Mùller.

CONTE DE ! il -

Le plus grand bonheur de sa vie lui échut l'année dernière, - - et quand je dis bonheur, ce

n'est pas ce que l'on pourrait imaginer en entas- sant les chances favorables les plus rares sur les plus extraordinaires des hasards cléments. Non. ('-»' n'est pas non plus, ainsi que la majo- rité des bons esprits voudrai! Le supposer, qu'il eût enfin revêtu de lui-même, ou sous le coup d'une expérience plus ou moins cruelle, ce calme absolu, cette pure impassibilité fpie pré- conisent tant de philosophies. Non. (le a est pas davantage qu'il fût devenu subitement égoïste, à ce poussé par d'imméritées infortunes et qu'il trouvât dans le culte exclusif de soi-même une consolation peu noble, mais efficace. Non. Ce n'est pas encore qu'il eut pris son parti de l'existence <• eu brave » pas trop dégoûté, sans

360

HISTOIRES

trop de morale gênante et avec juste assez, de bêtise assumées.

Non, il avait tout bonnement acquis une certitude, mais celle-là était la seule certitude au monde après la foi religieuse, et plus avare encore qu'elle de se communiquer. Mais quel- ques mots de son histoire sont nécessaires ici.

D'abord il s'appelait Jacques Trébois. Jacques Trébois était dans la force de l'âge, dans les quarante et quelques années. 11 n'avait pas mal surmené la vie qui ne le lui avait pas trop rendu. Même sa santé était relativement inso- lente. Par contre, tout ce qu'il y a de mieux achevé comme ruine financière, il le présentait. Prodigalités et duperies avaient mis quelque temps à procurer ce résultat, mais y étaient par- venues dans la perfection. Ce n'était plus même au jour le jour qu'il végétait ; désormais, une heure gagnée sur la fin de la journée lui parais- sait une de ces conquêtes ! Mais vaillant et gai autant qu'il est vraisemblable dans de pareils cas. Nulle bohème dans son fait : on ne lui connaissait pas de dettes et il n'en avait pas, et sans le moins du monde maudire le présent ou craindre l'avenir, il ne regrettait rien du passé il n'avait, disait-il, aucun remords. Des torts parbleu ! il en comptait dans son existence, comme tout un chacun, beaucoup de torts en-

COMMI ÇA

mis beaucoup de gêna et dam i foule «I

(•(iiisiiiiiccs. maia an somme des torts trèa répa râbles ou tout au moine point irréparabl* qui avail principalemenl gâtées vie, c'étaient ses loris envers lui-même, sa pareaae d'esprit <>u. si lOn veut, aa hauteur d'esprit, ses négligences, ses dédains si vous préférez, ci lea timiditéa de son excessive délicatease brusquement révoltée par moment, e( alors muéeen un donquichottisme asrreaaif tout à l'ait désagréable el même nuisible.

Partant, beaucoup d'amis devenus froids ou

hostiles. Quelques-uns restés pourtant trèa fidèles ceux-là tout dévoués, car ils connaissaient l'ex- cellent, le rare nomme que c'était au fond avec ses terribles défauts et moyennant quelques vices. Sea principaux ennemis et anciens adver- saires, cohéritiers ou compétiteurs, constituaient sa plus proche famille et sa belle-famille, car il avait été marié, se trouvant, pour ainsi dire, mais absolument, veuf par suite des légalités bizarres de la minute sociale nous nous trou- vons. Pour faire court . 3sifs embarras d'argent s'ajoutaient d'inimaginables mauvai- ses positions partout, toujours et dans tous les sens. Guère possibilité de se retourner de quel- que côté que ce Eût, moins encore moyen pour ses susceptibilités el ses angles de caser nulle part sa bien naturelle ensuivante espèce de

362 HISTOIRES

d'ailleurs anodine misanthropie, quel que fût le reste de courage et de bonne humeur demeurés dont il a été parlé plus haut en toute réserve, aussi bien.

Son bilan était donc celui-ci : pas le sou, vivre avec cela sans aucun aperçu plausible d'une amélioration, fût-elle infinitésimale. Et sa mala- dresse digne de passer en proverbe n'était pas pour l'aider parmi les labyrinthes et les impasses de son absurde existence. Mais, il l'a été dit et redit, une sorte de philosophie le soutenait dans cette lutte disproportionnée avec la guigne. Seu- lement, ce n'était plus une vie, là, vrai ! quand lui arriva ce qui va être rapporté.

Depuis quelque temps, suite d'excès anciens ou de récentes mais déjà trop vieilles privations ? se demandait-il en toute insouciance, il souffrait vers le cœur : comme des amertumes se pas- saient par ; des malaises âpres, s'il eût cru, de mordillants et grignottants désordres, l'in- commodaient jusqu'à l'agacement. Force lui parut être, finalement, d'en référera un sien ami. médecin, chez qui il déjeunait le plus rare- ment possible au gré de sa fierté de pauvre dia- ble toujours un peu son poing sur sa hanche. Celui-ci lui déclara cela grave, et mortel, sa- chant combien vraisemblable était son inditfé- rence à ce sujet.

MME ÇA

Mortel ? El quand .' et pour quand '

Attendei un peu, répliqua son ami qui L'ausculta longtemps h finit par lui

Mais, autant qu'il eal possible I la scient e la plus exaotede Le prévoir, ce sera bientôt, et pour bientôt,

A peu pi i

Je dis six mois ef je ne me trompe p.'-. Plutôt moins que plus. Mettons cinq mois, en

évitant tout excès, toutes privations aussi ,-t

il lui remit six mille trains que L'autre accepta

en disant: <■ Dans un mois vous serez rem- boursé, » à quoi le docteur repartit : e C'est bon, c'est bon »). Toute émotion aussi. D'ailleurs il

avait saisi son pouls), je vois que vous u êtes dé- cidément guère émotionnable et ça ira l>ien.

Tout alla pour le mieux.

Incroyablement, indiciblement rassuré^ te Voyant des bornes protectrices, avant le temps juste, les cartes sur la table et des verres bien assortis a ses veux, il ne l'ut pas Long à créer une méthode. 0 l'ordre qu'il eul ! Son pre- mier soin fut de lire les journaux finança tous, ceux de pure aventure et ceux de spé- culation trop prudente. Il prit une bonne moyenne, acheta, vendit, racheta, si bien qu'au bout d'un mois en effet, il pouvait rendre au docteur son avance, et garder par devers lui un

364

HISTOIUKS

joli capital qu'il ne mit pas à fonds perdus, mais plaça clans les plus sûres, sinon dans les plus immédiatement lucratives conditions, titres de rente, maisons, terres. Il lui eût été bien aisé dans cet ordre d'idées, moyennant de fortes re- mises, de s'assurer sur la vie en rentes trans- missibles après décès à tels bénéfices qu'il eût voulu, mais cette idée toute moderne ne vint même pas à sa tête particulièrement honnête et comme pudique.

Ce mois vers la richesse n'alla pas sans de légères et douces souffrances. Il lui fallait se déshabituer de sa vie de misère, vie en miniature, petits repas pris à longs intervalles, d'autant meilleurs, meilleurs ! et assaisonnés plus encore par le délice savouré fugitif du moment que par l'antérieur appétit enveloppant, petits luxes, vêtements légers et tendres qui n'étaient plus que très propres, mais que des soins gé- niaux pouvaient parfois faire pimpants, sinon somptueux tout à fait, petites joies d'amour- propre ou plutôt d'orgueil, à payer d'avance termes et blanchissages par exemple, en se pri- vant ferme sur cette pauvre nourriture, d'ailleurs récompensée par les heures heureuses auxquelles il vient d'être fait allusion, petites joies encore de gourmandise, mais plus intellectuelle, quand deux ou trois petits verres pouvaient totalement

COMMI < v

cliisscr le souci de comment s ,n pro< n d'autres et dès lors amener le rêve jusqu'à l'illn sion...

Les dits trente jours que dura OS très .0111.1

ble supplice turent misa profit pour une autre espèce de changement plus dm- à première vue mais bien compensé aussi de son côté. 11 - de la réforme, «le la refonte totale de son cai tère qui était extrêmement loin, <>u l'a vu, d'être accompli. Tant y a que le cours de ses réflexions l'amena, parallèlement à la modification radicale de sa fortune pécuniaire, à être aimable quand, réservé selon, expansif si, jamais bourru, tou- jours bienfaisant, mais bienfaisant aussi pour soi,

bref L'homme d'ordre sachant ce qui devait arri- ver en toute probabilité, le procurant quand il fallait, de qui il avait été jusqu'ici le partait opposé, et que, pour commencement de la fin suivant son expression mentale (car il se parla beaucoup durant ce moisd'intimeconcentration), il apaisa en plaisanterie, les rieurs furent de son côté, une affaire d'honneur qu'il caressait précédemment de projets militaires très nets : n'avait-il pas toute une teuvre à remplir, tout une philosophie aussi à pratiquer, laquelle, en tête de tout, implicitement mais absolument, lui interdisait le duel ?

La même philosophie, exigeant l'oubli tout

366 HISTOIRES

au moins des injures, il eut à la satisfaire une seconde et une dernière fois et voici comment il y parvint.

Il s'agissait d'une femme autrefois, très autre- fois, mais très bien aimée, très bien aimée, très bien, vraiment ! Il avait eu tous les torts envers elle, tous les torts que les sens expliquent im- médiatement, tous, mais son repentir avait été sincère, prouvé cent fois et son désir de renouer autant. Elle, avait eu envers lui tous les torts, juste ! que les sens n'expliquent pas immédiate- ment tous, et surtout des torts d'argent. Fi ! et que la pauvreté de Jacques répugnait donc à l'ou- bli ! (Pardonner, il en était d'autant moins ques- tion que se venger s'imposait, semblait-il, à cette pauvreté.) Mais dès que la grande aisance fut venue de la façon qu'on a pu voir, le pardon de- vint plus facile encore que l'oubli, et la signifi- cation du pardon, pour être encore plus délicate, il l'inscrivit dans son testament sous la forme d'un legs dépassant de beaucoup les sommes plain- tes, sous de minimes conditions d'entretien tuniii- laire exclusivement confiées à ces mains, en termes à désarmer un tigre.

Un homme aussi l'avait beaucoup trop volé, de par la loi aussi. (Ai-je ainsi, conformément à la vérité, spécifié le cas d'à la minute?) Il par- donna sans en rien faire savoir qu'à Dieu. Mais

I Ml « V

L'autre étail mort . 6 L'insu fia Jaoques, si in( pardon, de façon à n'en pouvoir bénéficier d L'autre vie que Jacques oroyait qu'il 3 avait ap cette \ allée de Larmes.

Il avail un enfant que Lea circonstances leulM L'empêchaient de voir depuis des années et des années. Cet enfant était à cette heure une fille dans les treize ;ui\ qu'il avait connue, choyée et gâtée dans sa première enfance, blondinette Laide gentiment <•! d'un gentil petit caractère colère et doux, mais qu'une éduca- tion sans père et sons une mère Incompétente menaçait de pervertir. Ah ! qu'il était embar- rassé,quand il apprit que la petite venait de suc- comber à une grosse bronchite en pliant pour lui !

Dès lors tout devoir lui tut facile. 11 oona ses derniers mois à plaire au\ gens à qui plaire était une bonne action, distribua jusqu'au! cen- times son argent aux pauvres, lui-même et de la main à la main, ne réservant que La somme dont il a été question tout à l'heure et à Laquelle il en avait ajouté une autre très considérable, à charge d'exécuter un codicille qui annulait le Legs tait à l'enfant décédée et prescrivait l'inhumation de celle-ci au caveau de la famille Trébois.

11 avait aussi préparé l'argent nécessaire propre inhumation dans le même caveau, après

;{(>(S HISTOIHB8

une messe basse et le convoi immédiatement avant celui du pauvre.

Et il mourut, comme son ami le docteur l'avait prévu, cinq mois et demi après la conversation qui a été rapportée, subitement, regretté de tout le monde.

L'ABBE ANNE

L'abbé Aune finissait une messe |),issi' (I

mainc dans l'Octave de L'Annonciation. Il en était au\ dernières prières el se tenait à droite del'au-

tel, sa chasuble de soie blanche aux lins attributs

d'or iilé miroitant doucement dans le soleil, ta- misé par l'une des profondes fenêtres du choeur de l'humble église. La haute taille du jeune cure, sa chevelure châtain-clair coupée rase «pic cou- ronnait une large tonsure, ses longues mains ner- veuses étendues selon le rite aux deux côtés du missel, son édifiante lenteur, eussent formé un spectacle net et simple, doux el fort, pour un observateur qui se fût trouvé parmi les rares fidèles pieusement absorbés par L'oraison d'ac- tions de grâce,éparpillés dans les antiques bancs de chêne. L'//e M issu est. puis le Benedteai prononcés à mi- voix assez énergiquement. celui-

21

370 HISTOIRES

ci dans un signe de croix large et lent qui mon- trait le noir de la soutane entre le blanc amidonné de la manchette et celui dentelé de l'aube, symbole de l'austère douceur qu'exhalent le costume et les ornements du prêtre catholique, le dernier Evan- gile, la génuflexion finale et la rentrée de la sa- cristie avec le psaume lionedicitc Domino au cœur mieux encore que sur les lèvres, eurent lieu avec la même onction qui prend son temps pour le plus dignement employer à la gloire de Dieu.

Dans la sacristie, ses ornements repliés dans des tiroirs ou pendus dans un placard, il se cou- vrit de son chapeau et tournant sa face douce au long profil à la Saint-Charles Borromée vers l'en- fant de chœuraussi déshabillé qui le regardait de ses yeux pleins de respect aiïectueux. et tout gen- til, avec sa jolie petite frimousse mutine et re- troussée :

Eh bien, petit Jean, il faut te dépêcher main- tenant. L'heure de l'école va sonner. Dis pour moi le bonjour à Monsieur le Maître. Sois toujours sage. Ton père va mieux? Oui, tant mieux ! N'oublie pas que ton tour de messe revient jeudi. Tiens, voilà pour toi.

Et il lui donna une image dentelée à profusion, et un petit gâteau sec qu'il tirade sa poche, soi- gneusement enveloppé dans du papier. L'enfant remercia gentiment.

com'mj ça •'{" I

A jeudi donc, petit.

Oui, monsieur le Curé, la revoir, monsieur

le ( llliv.

Au revoir. 9ois bien -

( Kii, monsieur le Curé.

Et L'abbé Anne, de son pas égal et vif, rentra ;m presbytère, une petite construction blanchie •> la chaux entourée d'un beau jardin cultivé par ses soins. Sa bonne, qui avait été sa nourrice, lui dit :

Votre ca£é refroidit,

Il prit son café au lait dans la cuisine spai ieuse et après avoir déposé dans la sébile pour les pauvres, sur un coftre dans le corridor, une bonne poignée de deux sous (le paysan n'em- ployait à cet usage (lia1 des deux centimes lut a sa chambre composée, entre des murs tendus de clair, de quelques objets d'acajou, lit, chais un fauteuil de velours rouge, un prie-Dieu en ta- pisserie. Un grand crucifix d'ébène et d'ivoire suf

velours vert, encadré de palissandre SOUS une

glace bombée, une statuette de la Sainte Yi et des petits reliquaires d'argent et de vermeil suspendus aux murs. La pendule de bronze doré au sujet insignifiant, deux flambeaux en bronze « de Corinthe » à deux bougies et aux Bobèches de métal blanc, un petit (eu dans l'étroite che- minée. Des journaux locaux et autres, Y l'nii

'M '2 HISTOIRES

le Monde, un Figaro déjà ancien avec des signes au crayon bleu, le Bulletin du Diocèse et la Se- maine religieuse de l'évêché sullragant sur une table ronde en no ver, proche laquelle l'abbé s'assit pour se mettre à pleurer à grands sanglots dans ses deux mains.

De quoi pouvait pleurer cet innocent magni- fique du bon Dieu, cet ange sur terre et d'ailleurs heureux comme on peut l'être, puisque aimé, respecté, béni dans sa petite cure? Ah! voilà... un grand pressentiment de quelque chose d'affreux? non! mais d'une déréliction doulou- reuse (n'est-ce pas au fond quelque chose aussi d'affreux?) venait de l'investir. Ces choses arrivent fréquemment, qui ne les a éprouvées? Sinon des brutes qui encore ne se rendent pas compte ou ne se souviennent pas.

Et l'abbé Anne pleurait depuis une heure, de- puis deux heures, quand trois coups frappés à la porte le firent se redresser, essuyer très vite ses yeux d'un coup de mouchoir, et :

Entrez.

C'est votre courrier.

Et la vieille servante déposa sur le coin de la cheminée, entre un journal et quelques lettres très probablement de pauvres, un grand pli que l'abbé reconnut pour provenir de l'Archevêché.

Il décacheta d'abord les autres missives, les

lui attentivement prit dei notes <|u'il terra d un teorétaire et se rassit pour, à s<>n tour, rompre L'enveloppe provenant de L'Archevêché. Il mit cet acte une Lenteur respectueuse, éloigna \ un |>«»iiii à part de La table L'enveloppe et lui.

11 lut à plusieurs reprises si pleura de now cette ï<>is calmement, droit sur le dossier du chaise d comme un homme qui prend lentement un parti.

Puis il alla à son prie-Dieu d pria Longtemps.

Quand il revint à la table, sa Eace déjà pâle était plus pale encore. Il écrivit quelques lignes sur du papier ministre, mil sa Lettre dans une enveloppe ministre et susciivit :

.1 Se Grandeur Monseigneur L'Archevêque >l

Mettez ceci à la poste tout do suite, Cathe- rine. Monseigneur m'envoie tomme vicain Paris.

Mon Dieu, mon Dieu !...

Oui, et ceci est ma lettre d'accusé de récep- tion. Vous voyez que c'est près

Et pour quand, Jésus sauveur?

Pour dans un mois juste. Catherine.

37 t HI8TOIRES

Ca vous arrange-t-il au moins, mon pauvre monsieur le Curé.

L'abbé sourit tristement.

Monseigneur le veut. Il nous faut obéir. L'abbé passa toute cette journée à prier sans

pleurer, mais non sans soupirer.

11 lui fallait donc quitter son modeste poste sa simplicité (ainsi raisonnait ce vertueux) lui avait valu l'amitié véritable des bonnes gens, même les trop nombreux incroyants l'estimaient et ne lui parlaient qu'en toute cordialité, quitter sescbers pauvres, sos (hors enfantsdu catéchisme, aussi un peu, car on est égoïste, ses bonnes petites habitudes de travail manuel si charmant (il entendait par son très sérieux jardinage) et d'une frugalité qui ne lui coûtait guère avec son triste estomac (il ne comptait pas ses privations en vue de ses charités), quitter aussi ses excellents confrères des environs, pour s'aller engloutir dans ce Paris terrible, lui faible (tel encore croyait-il), ce Paris mangeur d'apôtres et dévo- rateur de prophètes, ce Paris, paraît-il, les prêtres ne sont pas tous dignes de leur onction, ils se perdent, dit-on, plus qu'ailleurs...

Puis le courage lui vint et il passa une nuit calme.

Le Dimanche suivant, au prône, il annonça la décision de ses supérieurs et fit un sermon très

... M M I «V

fermée! trèe doux •« propos de oette ai prochaine séparation d*ai m mi bien aim< i pero

11 perlai( posément, la mua droite souvent portée mu m poitrine, et la i ■••nul. au de L'aube 1 1

relie de l'étoile à peim- lltiu i< il'or, el sa candeur

donnaient à sa voix tendre et sombre oorama

une charité de plus, eùl-on d'U. 11 préeha l'absence \aincue par loa mêmes cll'oils daOI un

même esprit, puis le retour e( le revoir en Dieu, Le tout en termes juatea et simples oomme lea

âmes simples et droîtea oui L'éooutaient, pleines

de pleurs. Mais ce fut avec un tremblement inu-

aité dans les notée qu'il entonna Le Grtdo m umun

Ihuim, repris par toute l 'assistance l»ien pieu>>e- ment ce jour-là ! Très peu de temps après 1 abbé Anne l'ut mandé de nuit pour administrer quel- qu'un d'une paroisse voisine en L'ebeenee par

congé du curé de cette paroisse. Il y fut par uni- pluie battante et en revint, son manteau et m soutane traversés, tremblant ta fièvre. Une pleu- résie ne tarda pas à se déclarer, dont il fut sauvé presque aussitôt par sa constitution forte, en somme, et sa convalescence allait toucher il fin lorsqu' approcha le moment pour lui de partir pour Paris, ce qu'il lit, en dépit des avertisse- ments de l'oiïicier de santé du chef-lieu de can- ton, parce ([lie. disait-il, le voyage me fera du bien, mais en réalité parce qu'il pensait que

376 msToiHES

c'était son devoir. Son départ eut lieu au milieu de scènes touchantes. Durant le voyage, qu'il ef- fectua en seconde classe avec sa vieille servante* celle-ci ne cessa de L'observer et de le forcer à se mieux couvrir de sa houppelande, qu'il débouton- nait parfois, ayant trop chaud.

Son curé, à Paris, gros homme lin à binocle sur le nez, le reçut non sans politesse, l'invita à un déjeuner comme il faut auquel Anne fit peu d'honneur.

Un sauvage, pensa l'ecclésiastique de Paris, quel bon fond ! mais. . .

L'abbé Anne, dès le soir repris de son mal négligé, mourut édiliant, à l'aube, entre son curé qui pleurait et sa veille bonne qui s'écria, baisant son nourrisson au front :

Pauvre monsieur le Curé !

l'\ l RÊMES 0NC1 IONS

L'hiver dernier un jeune homme <\u plus grand monde recevait, à la sortie du bal de l'Opi

UD coup de poing américain qui lui incitait littéralement le visage en pièces el le confinait au

lit pour dos mois au bout desquels il resta dé- figuré à l'extrême de l'oit beau qu'il avait été, ju- rant d'ailleurs de « se venger salement ». quand il y aurait lieu ; mais il ne devait pas en èlre ainsi.

Sa laideur actuelle n'était pas supportable, dans le sens négatif du mot. Non, elle s'impo- sait.

Les lignes du profil confondues en des sortes de ruines qui avaient leur harmonie sauvage ;les nuances du teint et la physionomie en général comme pétries aux mains d'un ogre QUI eût été

37 (S HISTOIRES

créateur d'hommes ; le cheveu dressé dru, noir et dur, porté court ; et sous des yeux infernaux, rubis violets ombrés de sourcils dardants et de cils féroces, longs à s'en frisotter vers les pointes, et sous le clou de girofle macabre, mais que pal- pitant ! de son nez resté un peu en l'air, de na- guère un peu aquilin, une bouche rouge à mous- taches et à dents belles, un menton comme déformé dans la forme en galoche napoléonienne, tout cela, parmi du ponceau marbré de blanc, le faisait non pas horrible, mais terrible.

11 continua, partant, d'être aimé, puisque ri- chissime, en outre.

Sa beauté corporelle corroborait le reste.

Nu, c'était Hercule à vingt ans, Antinous à trente. Très poilu, son corps affectait par devant un voile de satin roussâtre à larges touffes de mailles par luisait la peau, mate plus qu'oli- vâtre, du pur midi, mais nettement blanche du climat qu'il faut. Pas maigre, mince non sans des méplats jeunes disant la chair forte, et qui éblouissaient à travers un duvet fauve encore.

Quand il s'habillait, correct mieux que tous autres élégants.

Il avait séduit une fille, voici quelques années, une simple villageoise dont il avait fait une fille à la mode, aigrie et rusée d'ingénue ordinaire qu'elle était. Bien qu'elle fût riche, elle ne pou-

vail s'empêcher de regretter <•■ qu'elle appelai!

parfois en souriant a> ac une 101 te d i a Uni

son innocence. Créature superbe d'ailleurs, brune, grande, avec une pointe d'embonpoint des plus appétissantes,

Ce qu'il \ avait de plus particulièremenl « 1 1 i - cieux en elle c'étaient les mains, de petites

mains qui n'a\ aicnl pas tardé à s.- dégrossir pu

L'oisiveté, de petites mains en vérité «pic Ladj Macbeth fût en> i

Les relations entre les deux amants cessèrent au bout du temps normal pour ces sortes de liaisons. Chacun s'en était allé <!«• son côté <!«•- puis déjà plusieurs semaines Lorsqu'eut lieu L'agression qui vient d'être indiquée.

11

Plusieurs mois après, cependant, lorsque les a llVeuses blessures furent cicatrisées, ils se revi- rent et se reprirent et ce lurent des lors et pour Longtemps des amours forcenées : il semblait que la passion de la femme eût crû en i directe de l'épouvantable laideur actuelle de l'homme; laideur épouvantable, nous le répé-

380 HISTOIRES

tons, mais, insistons-y, laideur qui s'imposait. Il semblait aussi que l'homme, par quelle loi fatale sinon infernale, ou divine! et qu'Kdgard Poe eût appelée : Perverse, et par quel vertige! s'abîmât dans son étrange attraction vers cette femelle qu'il avait perdue. Du reste, tout le luxe et tous les égards qu'une noceuse récente pût désirer dans ses rêves les plus fous : hôtel dans un quartier riche, superbes écuries, une livrée, et quelles notes toujours payées recta chez un grand couturier ! Aussi, tous les et cetera de la chose.

In jour, ou plutôt, une nuit, comme ils reve- naient de souper du cabaret, à peine au lit la fille eut un de ces caprices dont elle était, au reste, assez coutumière.

III

La chambre tendue et tapissée de bleue avec un lustre d'opale, l'immense lit, aux plus im- menses rideaux clairement sombres, étaient en- gageants vers ces manœuvres. Leurs splendides nudités, comme lactées dans ce milieu lunaire, d'abord s'étreignirent, puis s'éteignirent, puis

i m i Ç A .'iX I

s'étreignirent à nouveau, pour, après, Vbn >■•

s'agenouiller...

Mors, elle, tel le prêtre catholique, dans le sacrement <!<• L'extrême onction, console tons les sens, rassure L'âme, assena ^"ii frêle poing os guère armé d'une arme immondecontre un simple visage séducteur qu'elle avail déformé et qui L'avait éblouie, tua, dans cette génuflexion de rai, la tête qui avait conçu ce déshonneur là.

L'HISTOIRE D'UN REGARD

ic Lr; mal cnlrc par les }cux, dit un au- teur sacré. Le bien aussi. Car tout est réciproque. »

Aline allait au laif.

C'était un amour de petite fille, pâle et blonde, et barbouillée au possible. Elle portait des vête- ments monstrueusement pauvres pour son âge si frêle, six ans ! Mais qu'elle était tout de même gentille à travers tout et malgré tout !

Donc, elle allait au lait, et son pot lui battait au bout de son chétif bras charmant : tel un petit Chaperon rouge, maladif, hélas !

Soudain un train princier éclata par le chemin trottinait l'enfant. Celle-ci se retourna, s'inté- ressant au nuage de poussière bruissaient le claquement d'un fouet et le trot de chevaux. Le nuage enfla puis creva, laissant voir un carrosse magnifique tiré par quatre jeunes étalons et pré-

HISTOIMII COMMI

cédé «l'un piqueur oègi e, doi é rar touti

hues.

La petite se rangea, écarquillanl sea yeux, bat- tant des maina presque à ce spectaclej el i omme

BeCOUée d*Ull rire l'on.

Le carrosse était, en effet, éblouissant, doré

aussi, lui. et peintureluré eonime tout. I>eu\

grands laquais en la même livrée que !<• piqueur, et très poudres, se dandinaient appendua à l'arrière-train de l'équipage qui, maintenant, iilait devant elle, cependant qu'à la portière une vieille dame se montrait qui regarda l'enfant. Mais dès qu'elle l'eut vue si pauvre ei si jolie sur le bord de celte route, elle lit un signe et. re- broussant chemin, la voiture s'arrêta devant Aline, de plus en plus émerveillée. L'un des la- quais sauta de derrière le carrosse dont il ouvrit la portière, et. dans une profonde salutation. s'effaça devant la vieille dame qui descendait ^.iiis aide, assez prestement pour son âge. lequel était si grand, si grand pourtant !

Alors ce furent des caresses gr.md'inaternelles. des olîres de friandises et des baisera en veux-tu en voilà. Puis des questions : « Aw/-\ oua encore Vos parents ?,.. Comment t'appelles-tu. mon chou, dis-moi? » Mais l'enfant de ne pas ré- pondre, occupée à croquer ses dragées, non sans d'ailleurs un regard de vague et vive sympathie

.'i!S i UI8TOIRES

vers les yeux de cette grande dame, si vieille et si bonne, peut-être une fée ! (Car elle s'appuyait sur une belle canne à bec de corbin et avait une jolie robe à paniers s'épanouissaient mille et une fleurettes.) Mais la dame reprit plus en dou- ceur encore : « Je ne te fais pas peur, n'est-ce pas ? vas-tu comme cela avec ton pot ? Veux-tu venir avec moi en voiture ? » A ces mots Aline ne se sentit pas de joie ; elle ouvrit de larges yeux brilla soudain comme un éclair de reconnaissance : « Je m'appelle Aline, et j'allais au lait... »

A l'ébahissement des laquais la dame l'avait l'ail monter avec elle pour la conduire à la ferme prochaine se rendait la mignonne. Celle-ci n'était pas sans une sorte de crainte parmi son ra- vissement d'aller ainsi en carrosse : si la dame était une mauvaise fée, qui l'emportât vers quelque grotte terrible ou quelque forêt enchan- tée ?... Mais elle se rassura par degrés sous l'averse des bonnes paroles que chevrotait l'aïeule.

On arriva bien vite à la ferme, et l'on en revint de même, Aline avec son pot empli du lait que

I M I < \

l'avaient envoyée chercher ses parente. La vieille avait tenu à reconduire chez ccuji oi l'enfant. En rouir les questions reprirent de phii belle « Que font tea parents? Ils sont oharrons. l'.u effet, Le père était oharroa et la mère ravau- dait.) — Et quel âge as-tu ? - Sept ans •• ; en <|uoi Mine mentait.

Arrive devant l'humble demeure. l'éqtn

a'arréta.

Les bonnes gens furent loua ébaubia do ce

qu'une ausai belle voiture stationnait devant leur chaumière sans qu'on leur demandât de répara- tions ; niais ce fut bien autre chose quand ils en virent sortir Aline et son pot au lait. Aline qu'un domestique aidait à descendre, ainsi qu'une mer- veilleuse dame âgée qui leur sourit dès qu'on fut entré. De même qu'elle avait interrogé l'enfant durant le trajet, elle interrogea les parents sur leurs ressources, le nombre de leurs enfanta, sur. enfin, ce qu'ils pouvaient souhaiter. Ceux-ci ré- pondaient, timides, du mieux qu'ils pouvaient. I cette dame du bon Dieu qui s'intéressait à eux. comme cela, sans les connaître : on n'était pas bien riche, mais on travaillait pour nourrir lea enfants, deux petits garçons et trois petites tilles (dont Aline), et, avec du courage et «le la pei vérance, on mettait à peu près les deux bouts en- semble. Et autres paroles de ce genre, dites d un

25

386 m s toi m: s

ton sincère qui toucha la dame : « Tenez, bonnes gens, prenez ces pistoles ; tenez, mes enfants, prenez ces bonbons... »

Et, profitant du trouble et de la joie qui agi- taient ces cœurs humbles et mouillaient ces pauvres visages, elle disparut...

La marquise de X. avait été l'une des plus belles personnes qui se pût voir, une des plus co- quettes aussi, sinon la plus coquine, en amour, s'entend... Descendante d'une des plus hautes fa- milles de France, sa prime jeunesse avait été vouée à l'éducation d'alors, toute de danses, d'ariettes et de telles exquises frivolités. Une instruction suffisante : elle sut tôt lire les romans, écrire des poulets et mal compter. A quinze ans, ses parents la marièrent contre un colonel de vingt ans, qui n'abandonna pas un instant la moindre de ses maîtresses en l'honneur de l'épou- sée, quelque séduisante que fût celle-ci, encore qu'elle se montrât fidèle, mais sans guère tarder à venger son amour-propre plutôt que son amour proprement dit, jusqu'à pouvoir lui en revendre.

Dès lors, elle se rua toute à l'intrigue et au jeu, aux parties fines on s'encanaille un peu,

I Ml | \

aux brelans et aux pharaons les plus vertigineux ' i n train de i le que 11'interroaipil i te b

morl du oolonel, emporté en nn lourde m. un par le trousse-galant, aprèi environ nn an de i riago.

[Jn jour, oette existence d'orgies de toutes sortes, soil lassitude, aoil surexcitation, tournai sans cesser, .1 une espèce de misanthropie qui lui fit détester ses amante, Légèremenl traitée jus- qu'ici. Et c'est ainsi qu'elle devint coquette jus- qu'à le eoquinerie.

Tout ce qu'on raconte sur elle à celle époque !

N'aurait-elle pas mie aux prises deux <le ses favoris et leurs témoins non moins distinguée délie, et trois sur les quatre n étaient-ils pas ; tés sur le terrain, tandis que 1 autre se n tirait éclopé pour la vie, ce qui n'eût rien été si la - lérate n'avait, le jour même, dans des rendez- vous savamment espacés, donné Legage suprême à quatres autres de ses adorateurs évincés jus- que-là !

N'allait-on pas lui attribuant en outre ce mot dit entre deux succès de RosoUo, quelque temps après, une fois qu'on lui remémorait cette huit t'ois criminelle équipée :

Dame ! ne fallait-il pas assurer mes der- rières !

Elle passait aussi pour mal conseiller les jeu-

388 HI8TOIRE8

liesses, et M. Chauderlos de Laclos ne fut pas sans lui emprunter quelques traits pour sa dé- testable héroïne des Liaisons dangereuses.

Et caetera !

L'âge arriva. Les hommes jusqu'ici tour à tour aimés pour elle-même et rendus malheu- reux par pur caprice, finalement haïs bien que toujours désirés au fond, par une juste compen- sation la dédaignèrent et la trahirent. Ce fui alors le dégoût de tout et de tous, des hommes, des femmes et des choses, fors le jeu dont elle s'était follement éprise, non pourtant sans cal- cul, car elle savait compter maintenant. Si bien que sa fortune, considérablement ébréchée par ses derniers amants, se récupéra jusqu'à l'opu- lence presque la plus scandaleuse. La vieillesse l'investit d'une sorte de sagesse, et d'une façon de bonté ; mais un fond d'amertume lui restait au cœur et dans l'àme.

C'est à cette période de sa vie qu'elle rencon- tra Aline et que l'àme et le cœur s'épanouirent chez elle et pour toujours en une sorte de fraî- cheur et de purification...

COMMI I

Aline n'était pas non pltu sans défaut*. Nous l'avons vue muser sur l.i route devant un spec- tacle, certes, étonnant, mais qui ae devait pas lui faire oublier, même on instant, une commis- sion aussi pressée que celle d'aller an Uni pour Le déjeuner de ses parents el de ses (rèresel sœurs, puis mentir par orgueil, car, de même que les femmes elierc lient toujours à se rajeunir, les entants des deux sexes, mais plu-, particu- lièrement les petites filles, n'ont dais.- que

quand ils croient passer pour plus grande

qu'ils ne le sont, fût-ce en dépit de leur taille. De plus, elle était colère, répond* i gentiment sale, mais sale! Puis, quelque obser- vation qu'on lui en fit. elle axait L'affreuse ha- bitude de se fourrer les doigts dans un ne/. qu'elle moucbait peu.

Et ses défauts s'enchevêtrant, pour ainsi parler, les uns dans les autres, ne la rendaient pas moins malheureuse qu'ils ne désolaient trop souvent sa famille. Par exemple, on lui repro- chait île ne pas s'être lavée le matin. Elle ne

.'{<><> HISTOIRES

manquait pas de dire que si, et de soutenir mordicus, tapant du pied et faisant une moue épouvantable, ce qui lui attirait tout naturelle- ment l'épithète de menteuse, contre laquelle elle se révoltait, quoi qu'elle sentît à merveille combien elle la méritait, et c'étaient des quintes de rage et de pleurs, et des accès de bouderie immanquablement punis, et le tout, comme de juste, finissait par faire dans cette tête si tendre un brouillamini qui n'avait de compa- rable que celui d'un long fil inliabilement en- roulé autour d'une bobine mal faite ou bien en- core l'embarras des membres de phrases d'une proposition mal déduite par un écrivain sans talent. D'où, après des journées à moitié cou- pables, à moitiés gâtées par ces regrets qui sont les remords de l'innocence, des cauche- mais dans l'horreur desquels le vice se voyait puni sans que la vertu fût pour se voir récompenser.

Mais, dès qu'elle eut subi le regard attendri (comme à travers un long rêve pénible enfin dissipé) de la vieille marquise, son petit cœur et sa petite âme changèrent comme par enchan- tement. Elle ne musa plus, elle ne mentit plus, elle fut sage et propre, obéissante et réservée. Bref, elle semblait avoir hérité, proportionnées à ses forces d'enfant et avec toute mesure, de

r.Xji.I irllcc r| de |.i s.,u,ss, i|, i.i|l«|.

dame autrefois m méchante.

En --"iic qu'on peul dire qu'un échang vie ;i\;ni eu lieu par !<■ limple échange «I un regard entre la mignonne ei l'aïeule.

UAMPO

Charles Ilusson était vraiment un garçon fait et bâti pour l'amour : force, face virile et enfan- tine, rose et grasse, sans un soupçon de bouffis- sure ; nulle trace de barbe qu'un duvet très lé- ger, d'or blond clair s'accentuant en très petits favoris, presque des frisons comme en ont les Ascagne et les Endymion des peintres français de l'époque impériale ; cheveux plus foncés dans l'ardeur, bouclés ou portés plutôt courts; de giands veux bleus verdàtres, très doux, on eût dit humides comme la bouche adorablement petite, un peu pouponne et d'un rouge tendre ; et ({liant au nez, peu défini, un peu rond, aux na- rines ardentes, il disait le menton large et long en proportion avec le reste, comme tout d'ailleurs dans cette ligure et cette statue har- monieuses, mais d'arêtes molles et d'une courbe

If HT Ail

comme alanguie \ ei le i ou . ni eb

senoe de volonté, de Lrainte el de « onti w

dans l<-s ohosea de II sensualité la plus brt lante, Le oorpsj souple mai et ton amples, butte un peu ramaasé, a hanches fortes qui compensaient, jambes bien en chair et bien en musclée, pieds élégants et d'aplomb était superbe.

t le port majestueux, oeUe don

auxquels ajoutait une voix plutôt basse aux in- tonations parfois gravement fémininee, avait fait de Charles llusson le plus remarquable et le plus aimé des souteneurs de la plate Maubert.

Fils de berger, berger lui-même dèa son en- fance un peu grandie jusqu'à quinze ans passés il entra dans les fermes comme domestique, bien lui avait pris, avec cette vocation fonctions actuelles, d'être un paysan de la cam- pagne. Ce tempérament de flamme quiaexha- lait de son extérieur même et qui l'eût fatale- ment entraîné à toutes les imprudences, comme

394 HISTOIRES

aussi, certes ! à des actions belles en elles- mêmes, était heureusement pour lui corrigé par

l'éducation parcimonieuse, par la circonspection aussi pour ainsi dire native en ces âmes des champs, et son courage très réel et son avidité de tout le plaisir se voyaient par des fois des bornes imposées de ces parts.

Il avait déserté sa famille comme on déserte au régiment. Or, sa frontière fut Paris dont il ne connaissait ni le langage à fond ni la morale au fond. Donc, il dut vivre avec sa beauté, il tomba souteneur immédiatement ; et, puisqu'il était très fort comme il était fort beau, il devint redoutable et, dès lors, plus qu'aimé par ses femmes.

Ce portrait, trop long peut-être, va justifier l'histoire que nous allons narrer.

Parmi les filles de qui Charles Husson re- cueillait les débris de jeunesse, sans, bien en- tendu, compter les très nombreuses « victimes », de qui la virginité quasi ou tout à fait enfantine, qu'il faisait entre temps, lui en renouvelait une espèce d'une, se trouva une nommée Mari- nette (comme dans Molière et dans Banville), fesse mignonne et gentille pour ce très à la mode dans ce monde-là.

La mode y était alors, comme à peu près par- tout et dans tous les temps, d'être lâche et plus

... M M I . \

\ il qu'on ne peul l il lui Lâche et plus

\il qu'il n'est même coutume dans le milieu <»u sa beauté Le jetail . Marinettc était, non nue bonne Bile, mais un.- adorable, mais un. déli

rieuse, mais une ilmitr, mais une amiable, n

une ohère enfant dont Charles tomba éperdu nuMii amoureux.

La joliesse de |a cléaluie innocentai! BO qud-

que sorte «lf oette mm oommeroiale faibli oe trafiquant île charmes pour tout sexe.

Petite à proportion et en proportion àt hauteur de taille à lui, mignonne juste autant

qu*il était robuste, elle formait avec lui comme une antithèse qui eût été la plus parfaite et le

plus désirable des harmonies. Maigrelette plutôt que grassouillette, sans qu'on pùl «lin- pour- tant Laquelle des deux nuances remportait ou ne l'emportait pas ; très brune sans trop de che- veux et que joliment ébouriffés ou i aplatis, selon le conseil matutinal ou vespéral de son miroir; des yeux petits, un peu chinois. Longs et plus luisants encore que brillants, le nez peul un peu gros, mais très bien lait et point trop court ; bouche grande et grosse aux dents larg d'une blancheur chaude et bien montrées quand fallait ; rouge sans vinaigre et grasse sans pom- mades, la bouche parfois passait .connue sans affectation, un bout de langue rose. Menton court

396 HISTOIRES

sur un cou court, du plus pur satin rose crème vivant ; des seins évidemment riches, ramenés serrés très en avant, et le ventre bien dur sous d'habituels jerseys bien tendus. Ses jupes col- lantes sous les tournures et les nœuds moulaient par intervalle.-, des jambes qui devaient être émouvantes au possible et qui l'étaient, thésau- risât riees et piédestal de trésors frissonnants et frisonnants qui rendaient le beau Charles fou... et parfois jaloux ! Sa voix était charmante, d'argent plutôt que d'or à cause d'un très léger éraillement causé par les rogommes de toute- sorte qu'elle avalait et qui n'avaient pu en- tièrement la ternir. Voix insinuante, insidieuse comme malgré elle et restée enfantine vrai- ment avec le velours de la vierge puberté : car la voix a sa puberté comme le sexe...

En un mot la gouge délicieuse, irrésistible, mais que la perfection même de sa disposition amoureuse avait, seule, empêchée de réussir, pécuniairement parlant, jointe à ce goût de crapule que les plus pures comme les plus grandes et les plus grands n'étouffent pas tou- jours à leurs tréfonds.

Dans ces conditions Charles était perdu et de la simple vilenie dégringola bientôt jusqu'au vol et jusqu'au meurtre.

Des prosmicuités que l'on devine, des cama-

IMI ., \

raderiet de jeu et de boisson 8( dei oomplicitéf d.iiis les prostitutions de tous genres k\ préparé oetts Ame de pâtre, cette Ame solitaire cl contemplative de pâtre, cette Ime, ■• t<>us les

rallinements parisiens.

Or, il arriva qu'un jour, chez nn marchand de

vins asseï luxueux, tenant un hôtel très couru surtout des miches pas trop toc, Marinette ayant l'ait verser à boire de trop à un monsieur qui portait un chapeau haut de forme, un plastron blanc sous un faux-col exagéré et des bottines à bouts pointus, comme une partie de Zanzibar était en train et qu'un rampo venait d'éclater, la iille, saccoudant sur l'épaule du monsieur dont elle tiraillait l'oreille en même temps, dit :

Tu es un homme d'esprit, distingué, je te gobe, mais...

Mais quoi ?

Montes-tu?

Où?

Chez moi...

Où, chez toi ?

A deux pas d'ici...

.'V.ltS ÎUSTOIRKS

Ah ! non ! conclut le type, malconliant, qui se dégrisait.

C'est ici que Charles devait intervenir.

11 intervint sous une forme gracieuse, presque gracile, et prenant sa voix la plus flûtée, la plus voilée, cette voix de contralto qu'il avait, dit :

Quoi, ma Marinette? Est-ce que Mon- sieur?...

« Monsieur », mon ami, ne veut pas mon- ter avec votre dame, fit le monsieur sèchement.

Tant pis pour elle, alors... Du moins payez-vous une tournée ou la jouez-vous ?

On joua. Et voici qu'il y eut encore r;un/>o. Marinette dit :

Il y a rnmpo...

Le monsieur témoigna, d'un geste absolu, qu'il renonçait à la conversation ; et, jetant les sous des verres sur le comptoir, se détourna pour sortir.

Charles Husson, qui était vêtu en négligé de voisin, béret et pantoufles, mais coquettement et coquinement, lui mit la main sur l'épaule.

Le monsieur sentant celle m. un d'homme évidemment potée dans des intenlione b tiles,sc retourna, furieux <•! craintif un peu, Pu en présence de la fulgurante el douce beauté de Charles, avec un clin d'oeil indiquant l'escalier au l«>ui duquel se devinaient des cabinet passes, il articula bas :

Moulons.

Et, sur signe impérieux * 1 « Charles II s.( Femme qu'elle eût à s'abstenir, les deux hommes montèrent.

Marinette alors, tour à tour blanche et rouge de colère et toute secouée d'hystérique jalousie, cracha :

Salop, maquereau, tante ! tu n \ ooup pas, cochon !

Kl dans un but de vengeance non formulée peut-être en sa pauvre tète «le fille soumise elle sortit.

Dès dehors, elle courul à la glaoe d'un bou- langer proche elle procéda s une réparation sommaire de sa figure qu'elle sentait abmu cette scène et que deux doigts de poudre de ris et un coup de peigne de poche rafraîchircul,

100 HISTOIRES

tandis que des talons de botte sonnnant sec sur le boulevard embrumé l'avertissaient de la ve- nue d'un agent. Quand celui-ci passa devant elle, ce fut un cri :

Tiens ! Anatole ! . *

Elle empoigna l'homme par le bras, lui dit tout dans une détente de volubilité féminine et non toutefois saws une sorte de réserve et de dignité sui (jencris, ce à quoi le sergent ne ré- pondit en toute logique que par :

D'abord, ma belle, je ne suis pas de ser- vice, et puis quoi ! nous autres nous n'y pouvons rien... ce n'est pas sur la voie publique... Il n'y a pas de scandale avéré.

Mais la femme tenait sa vengence.

Sa vengeance ! Ce mot n'est-il pas bien délicat en l'espèce. Et d'abord, pourquoi jalouse, puis- que Charles était elle ne le savait que trop, la misérable complice de tous ses vices aussi bien que de tous ses crimes coutumier d'amours ainsi, tant pour la galette qu'hélas ! pour la peau? Et quelle mouche de luxure honnête et modérée la piquait donc ce soir? Mystère dont toutes les femmes, proportionnellement, sont participantes. Et c'est tout ce que le moraliste, en dehors des morales positives, peut dire, mal- heureusement.

Alors, dans ce brouillard londonien, mais

COMMI

puant, presque tubitemenl tombée! qui lemblail égaliser al protégei loi

noire \ ille I •umièi e,il i piign

la lanterne borgne <!«• quelque autre bolel meu blé. El ils montèrenl à leur tour, l<- ili< «pu n'était pas de service, el la fille qui allait Bsire le Bien à l'iril, mais pour le bonne aussi en toute prévision de L'avenir.

Et c'est ainsi qu'encore une fois la morale fut sauve, que force restait à la Loi. que...

26

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A.YBHTttUMUn .

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VERS DE JEUNESSE Les dieux 7

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104

TABLE m: s MATIÈRES

LE CHARME DU VENDREDI SAINT a3

I. La cathédrale est grise admirablement.. . . 23

II. Le soleil fou de mars 24

Voyages a5

Impressions de printemps 27

Ex Imo 29

Souvenir du 19 novembre 1893 33

Retour 35

Depuis ces deux semaines 38

J'ai revu, quasiment triomphal 4o

Cordialités 4a

I. Dans ce Paris on est voisin et si loin.. . 4a

II. Deux colibris parisiens, deux cancaniers.. . 43 III. Impériale, puisque Eugénie ! et très douce . 44

Pour les gens enterrés al Panthéon 4?

Rendez-vous , 46

Féroce 48

l'aimée 49

I. Voici des cheveux gris et de la barbe grise. . 49

II. La jalousie est multiforme 5o

III. D'ailleurs la jalousie est bête 5i

IV. Bah ! confiance ou jalousie ! 5a

V. Et pourquoi cet amour dont plus d'un sot s'étonne 53

Retraite 54

L'enfant avait reçu deux bons veux dans la tète . . 55

Visites 56

Mignonne que je ne connais 58

Hôpital 59

Lamento 60

Oxford ...."• 6a

Paul Vehlaine's 64

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II. L'éOOlU i. -..

III. \ prapoi 'l'ni i iiinf d'elle

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Acte i>e koi

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Mais il le faut m'ùlre si douce

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Imiumittlnces IO0

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Clociii-clociia '"I

\NM\tnsunE 10e

Conseil 108

SOUVE.MRS D'ilÔPHAL I0)jj

I. La vie est si sotte vraiment 109

II. D'ailleurs l'hôpital est sain 110

En BEPTRMBRI « 1 '

Pour le nouvel an n3

O Mademoiselle Sarah ni

4()() TABLl! DES MATli-lIliS

MORT 1 10

Epilogue 117

PARALLÈLEMENT

[Pour une édition nouvelle).

Projet es l'air 121

Nous ne sommes pas le troupeau \*\

Billet a Lily 136

DÉDICACES

Pour une édition nouvelle).

POUR LA. PLUME 1 3 I

I. Je veux dire en ces quelques vers . . . . 1 3 1

II. Je ne suis plus encore un faune i3a

FRONTISPICE POUR UNE ANNÉE DE LA PLI ME |3'{

le livre d'estiier |3/|

F. Je suis un ennemi tic toute hypocrisie . . . i3/|

Pu VIS DE Cil A VANNES l3()

Pour un aliium 1 37

Sonnet 1 38

Marceline Deshordes Valmore l3g

LE LIVRE POSTHUME

Le livre posthume i'i")

fragments 1 48

l. Dis, sérieusement, lorsque je serai mort . . i/|8

t mu i di !«•;

II. l'ai nagniM ■'• w irluii .

III. I.nrsi|ilr | . f l\ l'i- i.'i|>|ii'|li r.is lu HMI MUrW InjtMi .

V. Bl *"i, i I ill-l.lllt lll'l tll lu h DllllMI 11 I -l'uni | ,-

II

PROS1

-m VENIRfl

AU QUARTIER I 03

Variétés ii,-

Onze jours en Bem.im i 171

Jeajihi Tebstorti 177

Vu UMORB l8o

Souvenirs si .11 ThBODOBI M Bwviur |83

Mes non i w \ 189

l.i: DIABU 19^

IfoatBS-MoRocLn 200

Km vm 1. ( ui-.r runmi a<>9

Vieilli \ illi ai4

Traduit db Btrob a'ili

I. V SOI TTE

L'obsbssbi 11 a52

1 SOHI I PBBAGOGtQt B a:>8

- 26a

Mi-a-ou a83

Projets 11 puma BOB OOKBTI 287

A PROPOS DU DERNIER LIVRE POSTHUME DE VlCTOR 1 1 1 «iO 9Q'i

\l PA.TS OU Min E 3oa

l'.i.iu BOOTA pOi

408

TABI.l; DES MATIlMil.S

Mes souvenirs de la commune 3 r i

Le ron larron 3i'i

HISTOIRES GOMME ÇA

Deux mots d'une fille 3i<|

L\ HUI DU MAJOR MULLER 3£5

Conte de fées. iî5()

L'arré Anne 36o.

Extrî:mes-Onctions 377

L'histoire d'un recard 38a

Rampo 39a

ACHEVÉ niMi'nnn -■./.■

Il itma juillet mil neuf cent onze fur

BUSS1KHK

A SAINT-A1IAND (cilKlO pour le compte de

A. MESSE1N

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19, QUAI SA1NT-MIC1IKI,, If) PARIS (V«)

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