« _ C ae te L'ECECC : C Lee eee, cé a re LE EE — «LC To Rte ri € ec ce < Les as CR AS TUNER. 5 | cet br Jet TDerthe LOT LU AL Al O0 0301 0018b43 3 \= el À ) , d apr LAN DRM RSR FEU ET SPA à Cr cl HAL d'A | AP +. 4 Paie Et CRIE 4 ‘ Cie HE tr RU < LC Fr AY AT fi “tre Ÿ Nil bigni DA a 4 TR WE Ja yUR 8 fes Le m7 1 CA; 2 COS AU ET sie TRPT À Da soht # 1 + à + aus L + ù t c TPM RATE pi METTRE ET Se 1 à de y € T0 al D BOAT Rs AN Te PET NAUNAUT nat à LOUP IR HAN Pia LATE + ent innue ( 4 ré re pe «| als bus, {rat l “ CR a LAIT 6 Ter abderi We METECEPEENES : ou stp de NL qu MUR PLIS | ON EAP EE TIM LR LH MUTT qu Ne) pa LL , Mir Ft ne ra à OISEAUX VOYAGEURS ET POISSONS DE PASSAGE DU MÊME AUTEUR Etudes sur les pêches maritimes dans la Médi- terranée et dans l’Océan. UN DeAu VOIUMENMN-804. EE RE ES LT RTE Abbeville. — Imp. Briez, CG. Paillart et Retaux. OISEAUX VOYAGEURS ET POISSONS DE PASSAGE ÉTUDE COMPARÉE D'ORGANISME, DE MŒURS ET D'INSTINCT PAR SABIN:BERTHEBOT CONSUL DE FRANCE «La natation et le vol ne sont, pour ainsi dire, quele même acte exécuté dans des fluides différents. » LACÉPÈDE. TOME PREMIER PARIS CHALLAMEL AINÉ, LIBRAIRE-ÉDITEUR CHARGÉ DE LA VENTE DES CARTES ET PLANS DE LA MARINE 30, rue des Boulangers, et rue Jacob, 5 ET CUEZ TOUS LES LIBRAIRES DE FRANCE ET DE L'ÉTRANGER 1875 - / Si n 5-2 À er en dE! “AL L Ne D'ÉMT OC A MONSIEUR A. TOUSSENEL AUTEUR DU MONDE DES OISEAUX. Cher Maître, OISEAUX VOYAGEURS ET POISSONS DE PASSAGE : tel est le titre de l'ouvrage que j'ai eu la bonne pensée de dédier à l'auteur du MonpE DES OISEAUX, Votre Ornühologie passionnelle a été pour moi une source d'enseignements ; les analogies que j'avais remarquées entre les oiseaux et les poissons, dans le curieux phénomène des migrations, sont devenues plus évidentes quand j'ai firé mon attention sur l'organisme de ces deux classes d’'ani- maux d'apparences diverses, mais doués des mêmes ins- tincts. En passant ainsi des faits généraux aux détails de la structure, j'ai étendu le champ de mes recherches, et, dans cette étude comparative, toute une série de rappro- chements s'est déroulée sous mes yeux. J'ai retrouvé, chez les oiseaux comme chez les poissons, des espèces séden- taires qui vivent et se propagent dans les mêmes lieux ; d'autres, d'humeur voyageuse, émigrant chaque année par grandes troupes, celles-ci pour se choisir des climats plus doux et retourner ensuite, dans la saison propice, pour nicher et élever leur couvée ; celles-là allant cher- cher des eaux plus tempérées et plus tranquilles pour y dé- poser leur frai; des deux côtés des espèces sociables, se reunissant en innombrables légions ; dans les deux classes des ovipares, pouvant pondre des œufs non fécondés ; de part et d'autre, des forces motrices capables de soutenir longiemps l’action dynamique de la natation et du vol-ici, des nageoires qui agissent comme des ailes ; là, des ailes I, — 1. 40342 SA Ta de qui fonctionnent comme des rames ; un système respi- ratoire différent dans son organisme, mais d'une égale puissance pour entretenir l'énergie vitale et les forces qu'elle met en jeu. Chez l'habitant des airs, des plumes souples et moelleuses qui le garantissent du froid ; chez l'habitant des ondes, des écailles lisses et glissantes qui le préservent des frottements et des chocs extérieurs. Communément des couleurs brillantes, une agitation continuelle, des appétits insatiables et une digestion rapide ; parfois des formes excentriques, des physionomies étranges, des anomalies ; mais toujours un merveilleux ensemble de rapports et de connexions, toujours l'unité dans la variété. Voilà les idées que j'ai essayé de développer et auxquelles J'ai consacré la majeure partie des deux volumes que je vous offre. Mes observations se sont éclairées des vôtres, et dans ces travaux entrepris à l’insu l’un de l'autre, nous nous sommes, pour ainsi dire, donné la main. Vous en aurez la preuve par l'épitre qui me sert aujourd’hui d’In- troduction et que j'adressai dans le temps à un de mes amas. Au milieu de ma solitude, dans cette île perdue au sein des mers, le livre où votre verve spirituelle s’est inspirée de la logique du raisonnement, a fait souvent le charme de mes veilles. De là sont nés ces sentiments de sympathie que J'ai été heureux de pouvoir vous manifester dans une trop courte entrevue, pendant une de mes apparitions en Europe; car, pauvre oiseau de passage ! bien que j'hiverne ordinai- rement sous d'autres climats, j'aime à revoir le sol natal, et mon plus grand bonheur serait de pouvoir me fixer dans les lieux que vous habitez, afin de jouir plus souvent de votre parole attractive. Je suis, avec la plus haute estime, tout à vous de cœur. S. BERTHELOT. Sainte Croix de Ténériffe, Mars 1872. INTRODUCTION. SOUS FORME D ÉPITRE, A DON FRANCESCO CLAVIJO, Ingénieur en chef de Ja province des Canaries, SOMMAIRE : Méditation après causerie. Véritable signification du mot Patrie. Recensement ornithologique des espèces canariennes; oiseaux voyageurs, émigrants ou passagers, domiciliés ou séden- taires, erratiques ou dépaysés. Instinct des oiseaux migrateurs. Connaissances géographiques et climatériques. Allure dans l’action du vol. Itinéraire des petits oiseaux de passage. Départ des tour- terelles. Voyage de Cigognes, Explication d’après Toussenel, Sensibilité nerveuse, Rencontre d’une Linotte en mer. L'oiseau dans ses rapports physiques. Appareil respiratoire ; théorie, mé- canisme et description du vol. Citations et souvenirs. Expériences anatomiques du docteur Sappey. Organe de la vue. Eblouisse- ment par les phares. Réflexions gastronomiques. « Des nochers en péril ce guide manifeste À d’autres voyageurs sera pourtant funeste | » Le Fhare, par AUTRAN. Dans une de ces agréables soirées que j'ai passées dans le salon où chaque jour vous admettez vos amis en famille, où la plus franche intimité, l’aimable causerie, viennent remplacer la monotonie et la ridicule étiquette d’une so- ciété dont vous aurez le mérite d’avoir devancé la réforme, dans ce salon, dis-je, où l’on se trouve si bien à son aise, nous eûmes occasion de parler plusieurs fois, entre choses et autres, de navigation et de phares, de pêche, de chasse, de poisson et de gibier, conversations à bâtons-rompus dans lesquelles il était question tantôt de thons et de sar- 2 INTRODUCTION. dines, tantôt de cailles et de bécasses ou d’autres espèces nomades qui viennent nous visiter tous les ans. Ce dernier sujet, surtout, parut vous intéresser davantage ; je compris que votre frère le colonel (1), profond admirateur des har- monies célestes, quoique voué par sa profession aux sciences exactes, ne restait pas indifférent aux phénomènes dont la nature a seule le secret, car il me prêtait toute son atten- tion. L'avocat, lui-même, esprit fin et subtil, qui écoute tout (c'est son métier), ne parle qu’à propos et n’en pense pas moins, me sembla avoir oublié un instant Le fameux procès de Doña Paula et prendre part à la conversation. Un soir, en rentrant dans mon cabinet, recoin solitaire où j'aime, par moments, à laisser aller mes pensées au cou- rant des idées qui me viennent, je m'étendis sur mon vieux sofa, comme un homme satisfait de sa journée, puis, peu à peu, je repris tout doucement le fil de la causerie com- mencée chez vous, et de réflexions en réflexions, quand je me sentis monté au diapason convenable, j'écrivis l’épître que je vous adresse : Le phénomène des migrations périodiques des oiseaux peut donner la véritable signification du mot Patrie. Ceci, de prime abord, pourra paraître un paradoxe ; pourtant il n’en est rien. Le spirituel Toussenel, auteur de l'Esprit des bêtes, a dit, dans son Ornithologie passionnelle, que, pour l'oiseau, la patrie est le lieu où l’on aime, wbi amor ! Pour cet être charmant, en effet, la patrie est la terre où il a choisi sa compagne ; c’est le bocage, la forêt, la vallée où il a su la séduire par son chant d'amour, c’est l’endroit où le couple amoureux a construit son nid, a couvé ses œufs, a élevé ses petits, ubi amor ! La patrie n’est donc pas explicitement le lieu de nais- sance, comme disent les dictionnaires. Pour l’homme, c’est un peu comme pour l’oiseau ; les premiers germes : triotisme partent du cœur,et ce sentiment, qui se dévelgies (1) Don Salvador Clavijo, aujourd’hui général du génie. INTRODUCTION. 3 en nous dès l'enfance, se concentre d’abord dans la ville, le village originaire, le lieu de notre berceau. C'est le nid où nos mères nous ont chauffés de leurs caresses, dorlotés, couvés de leur amour. Cette affection toute locale, ce patrio- tisme du clocher, comme on dit, ne nuit en rien au patrio- tisme national : il le fortifie au contraire. Le premier est un sentiment quiprend sa source dans les souvenirs du jeune âge, dans l’amour des proches ; le second est une vertu héroïque, dont nous sommes tous fiers et pour laquelle nous nous dévouons au besoin. L'un est plus exclusif; l’autre, né d’un sentiment collectif, a plus d'expansion : c’est le chêne robuste et majestueux qui porte superbe sa haute cime et dont le tronc pénètre la terre-mère pour s’alimenter de la séve nourricière que lui apportent les racines dans toute l'étendue du sol qu’il couvre de son ombrage et protége de ses rameaux. En concentrant nos plus chères affections dans le sol natal, dans la ville où nous sommes nés, point d’ori- gine d’où sortit notre lignée et qu'habitent encore nos pa- rents, où reposent nos aïeux et les anciens serviteurs de notre maison, nous ne pouvons cependant faire abstraction de la nationalité, prise dans un sens général. Cicéron l’en- tendait ainsi, car il a dit dans son beau langage : Cari sunt parentes, cari sunt propinqui, cari sunt liberi, sed omnes omnium caritates patria una complectitur ! Ah ! gardons au fond du cœur ces sentiments patriotiques, tout en conservant l’amour du mas, comme les vieux Celtes ; aimons le toit qui nous abrita avec la famille, comme l'oiseau aime son nid, comme l’Arabe aime sa tente et la tribu à laquelle il appartient ; mais que cet amour ne soit pas trop exclusif, car l’Arabe ne fait pas corps de na- tion et ne sait vivre qu’au désert. Que le patriotisme local, source antique et premier principe des nationalités, ne nous fasse pas oublier que ce sentiment doit se fondre dans la mère-patrie, dont nous sommes tous les enfants, en d’autres termes, dans la nation, la grande famille, dont l’union fait la force. 4 INTRODUCTION. Bien que, dans son état de sociabilité, l’homine soit enclin parfois à l'humeur voyageuse, comme les oiseaux et les poissons, ce n’est qu'accidentellement qu’il change de lieux. S'il s'établit dans une autre contrée, il n’y perd ja- mais le souvenir de celle qui l’a vu naître, et quelque part qu’il soit porté par Île courant des émigrations, il reste tou- jours de son pays. La propagande civilisatrice pourra bien amener à la longue la fraternisation des peuples, mais le cosmopolitisme restera toujours une vertu purement huma- nitaire, et ce ne sera qu’à ce point de vue seulement qu’on se dira citoyen du monde. Mais je m'aperçois que la manie des digressions m’en- traîne bien loin de mon sujet et je reviens à mes oiseaux : Sur cent-dix-sept espèces dont se compose lornithologie canarienne, un quart environ ne se montrent qu'accidentel- lement; un autre quart comprendles oiseaux de passage qui émigrent chaque année et dont on ne saurait déterminer d’une manière absolue l’époque de l’arrivée ni celle du départ, parce que diverses circonstances peuvent retarder ou devancer leur voyage. Tout le reste de la gent volatile se compose d'oiseaux sédentaires. — Dans le recensement général et officiel que je fis dans le temps, avec mon ami Moquin-Tandon, de la population ornithologique de ces îles, j'eus soin d'indiquer l'habitat ou domicile habituel des différentes espèces, de donner le signalement de chacune, de décrire leurs mœurs et coutumes, d'énumérer le nombre d'œufs de chaque nichée, afin qu’on püt juger de la loi qui préside aux naissances; mais on comprendra qu'en écrivant sur un pareil sujet, je n’aie pu fournir aucun renseignement sur la loi des mortalités, bien que, sans être médecin, mais en ma qualité de chasseur, j'aie passablement contribué à augmenter les décès. — J’ai rangé les oiseaux par familles, tribus, genres et espèces, distinguant les domiciliés ou sédentaires des migrateurs ou passagers ; j'ai fait connaître en même temps ces individus erratiques, d’origine étran- gère, qui apparaissent à l’improviste : pauvres voyageurs . INTRODUCTION. b) égarés, dépaysés, perdus, que la tourmente a emportés dans l’espace et jetés par hasard sur des côtes plus ou moins hos- pitalières, où ils abordent sans passe-port et comme tombés des nues. Aussi n’est-on pas toujours bien certain d’où ils viennent et les traite-t-on le plus souvent en vagabonds, comme gens suspecis. Toussenel, avec son entrain original et dans ce style qui n'appartient qu’à lui, nous a décrit les mystérieuses migra- tions des oiseaux ; il nous a fait assister aux grandes manœuvres de ces armées aériennes ; il a dessiné à granis traits la carte itinéraire des bandes voyageuses, a marqué leurs étapes, les lieux de réfection, les stations et les séjours. On savait bien que les cailles, qui ne voyagent que de nuit, rivalisaient, pour les expéditions lointaines, avec les plus fins voiliers de l'air ; que les hirondelles vagabondes, les ligrives et les étourneaux ne voyageaient qu’au petit jour ou vers le crépuscule du soir ; que les tourterelles et les bécasses ne dépassaient pas l'équateur dans leurs courses aven- tureuses ; que les colombes entreprenaient aussi des ex- péditions lointaines qu’elles limitaient, vers le midi, à la chaîne de l'Atlas ; enfin que d’autres espèces se bornaïent, dans leurs changements de résidence, à passer la saison d'été dans le nord et celle d'hiver dans le sud de la même région, sorte de villégiature qui n’est pas sans agrément. On savait encore que des bandes de vanneaux venaient chaque année visiter nos prairies ou s'établir au bord de nos étangs pour s’y disposer à la ponte, et qu'on les voyait repartir avec leur jeune famille pour aller repeupler les contrées d’où ils étaient venus ; on savait tout cela, dis-je, mais personne ne l'avait si bien remarqué et si bien décrit que notre intelligent ornithologiste. Dans les pays montagneux, accidentés par des vallées, des ravins profonds et des hauts plateaux, comme les Canaries, il est des espèces qui se contentent de changer de hauteurs, et qui, à cet égard, ont autant de prévoyance que les habitants de ces îles : elles descendent vers les coteaux 6 INTRODUCTION. maritimes, pendant la saison hivernale et y trouvent des abris contre le froid et des graines ou des insectes contre la faim, et remontent ensuite dans la région supérieure avant que les chaleurs aient tout desséché et pendant que les graminées verdissent encore sur les montagnes. Les serins des Canaries sont dans ce cas ; mais les localités que certaines espèces abandonnent ne restent pas désertes ; de nouveaux hôtes viennent les repeupler tour à tour. Ainsi, lorsqu'à Ténériffe le froid a chassé les cailles de la plaine, l'hiver y ramène les bécassines. « Les navigateurs de l'air, observe Toussenel, sont tous tenus de conformer leur marche aux caprices des vents comme les navigateurs de l'onde. » En s'exprimant ainsi, l'auteur du Monde des Oiseaux a voulu parler dans un sens général et n’a entendu, par le caprice des vents, que l’obliga- tion de se soumettre à telle ou telle direction, suivant les circonstances du temps (1). L'aire permise aux oiseaux sédentaires ne saurait être la même que celle qui convient aux migrateurs. — Les oiseaux de passage ne voyagent d'ordinaire qu'avec certains vents : dans leurs migrations hivernales, lorsqu'ils quittent les contrées du septentrion pour se diriger vers les climats du midi, c’est toujours avec les brises du nord-ouest qu'on les voit passer par bandes nombreuses. Si le temps vient à changer et que le vent tourne à l’est, les passages cessent aussitôt et il est probable alors que les émigrants n’ont pas continué leur route. Tous les chasseurs du littoral de la Méditerranée, depuis le golfe de la Spezzia jusqu’au détroit de Gibraltar, ont pu en faire la remarque aussi bien que moi; de septembre en novembre, (1) Dans un extrait de cette introduction que je communiquais à un de mes collègues de la Société d’acclimatation de Paris et qui fut inséré dans le Bulletin mensuel (décembre 1869), je n'avais pas cru pouvoir admettre à la rigueur la remarque de Toussenel, à laquelle je donnais d’abord une fausse interprétation ; mais il m’a suffi depuis de relire le passage cité pour me persuader que nous étions d'accord en assignant les vents du nord-ouest comme ceux qui conviennent le mieux aux espèces voyageuses qui gagnent l'Afrique. INTRODUCTION. 7 qui sont les meilleurs mois cynégétiques, les jours de levant, comme on dit en Provence, font leur désespoir. La préférence que les oiseaux voyageurs paraissent accorder au vent de nord-ouest, en se dirigeant vers le sud, a sa raison d’être ; ils vont de bouline, c’est-à-dire, en langage nautique, avec un quart de vent dans les voiles. Cette allure est une bonne condition de marche pour les fins voiliers. On a observé, en effet, qu'avec le vent de nord-ouest, les oiseaux de passage filaient à grande vitesse et qu'ils volaient alors avec l’aile du côté du vent un peu relevée. Il est généralement reconnu que le vent arrière ne leur va pas ; peut-être ne peuvent-ils opposer aucun moyen à sa force impulsive, car fuir devant le temps est toujours une manœuvre désespérée ; les navigateurs le savent bien. Quoi qu’il en soit, dans les tempêtes de l’atmosphère qui peuvent les assaillir sur les grands chemins inconnus de l’espace, ces voyageurs aériens ont la ressource des ports de refuge qui se présentent sur leur route en passant au-dessus des continents et des îles. Leur séjour, dans ces relâches forcées, peut être plus ou moins long ; mais les brusques changements de vent doivent leur faire parfois modifier leur itinéraire en obligeant la colonne d’obliquer à droite ou à gauche, sauf à rectifier ensuite sa route pour ne pas manquer le but. Cette dernière observation est, je crois, de mon auteur. Nul doute que les oiseaux voyageurs ne soient doués d’un admirable instinct, sorte de science occulte qui doit avoir certains rapports avec les connaissances climatériques et géographiques, mais dont le secret, selon l'expression de Toussenel, est resté entre les bêtes et Dieu. Qui a dit, par exemple, aux pinsons, aux linottes, aux bruants et aux autres passereaux migrateurs, mais néanmoins mauvais voiliers et par cela même incapables de franchir de longues distances d’une seule traite, qui leur a dit, lorsqu'ils quittent, à la fin de l’automne, les régions orientales de .F3S l’Europe pour aller hiverner en Afrique, qu'il existes Aux! 47 ‘ ré LS $ TES Le | 8 INTRODUCTION. confins de la Méditerranée occidentale, un détroit de peu de largeur qui sépare les deux continents ? Et pourtant ils ne prennent pas un autre Chemin, puisqu'on les voit partir tous les ans par petites bandes, en se dirigeant vers l’ouest, et une fois parvenus dans les plaines de la Lombardie, poursuivre leur course aérienne en longeant-les contrées littorales de la Méditerranée, par la corniche de Gênes, la Provence, le Languedoc et le Roussillon, pour pénétrer en Espagne par les gorges des Pyrénées-Orientales. Arrivées dans la Péninsule, ces bandes vagabondes descendent la Catalogne et poursuivent leur route par les campagnes de Valence, de Murcie, de Grenade et d’Andalousie, pour aller passer le détroit et se répandre dans les chaudes vallées du Maroc et des pays limitrophes. — J'ai eu moi-même trois ou quatre fois sous mes yeux la preuve de cet intéressant itinéraire, dans mes traversées transatlantiques, lorsque je sortais de la Méditerranée au commencement de novembre. — J'avais souvent observé, aux époques de la chasse, sur plusieurs points de la côte de France et d’Italie, ces vols de petits oiseaux de passage se dirigeant vers l'occident, et je les revoyais là presque au terme de leur voyage. Ils franchissaient alors le bras de mer sous l’action d’un vent brumal de nord-ouest et attiraient l'attention des gens de notre équipage. — Dans une autre circonstance, le vent varia au sud-ouest, avec bruine, et les pauvres petits voya- geurs passaient très-bas : deux ou trois d’entre eux vinrent choquer contre la voilure et tombèrent sur le pont un peu étourdis ; mais dès qu'ils eurent séché leurs ailes, nous les laissâmes s'envoler et nous les vîimes aussitôt se diriger vers Tanger que nous achevions de dépasser. « Un voyage autour du monde, nous dit Toussenel, n’est, pour les oiseaux bons voiliers, qu'un déplacement de quelques jours. » C’est une manière de parler ; mais il est certain que les martinets et les hirondelles peuvent faire facilement trois ou quatre cents lieues en vingt-quatre heures. Les cailles mêmes et les bécasses franchissent plus INTRODUCTION. 9 de trente lieues en une nuit. Des observations curieuses ont servi à calculer ces différentes forces de vol : on a trouvé dans le jabot des cailles, au moment de leur débarquement en Sicile, en Sardaigne et en France, les graines de plantes africaines qu’elles avaient mangées la veille. — Le parcours de la caille se fait par étapes successives : en partant à la fin de l'hiver, des contrées les plus méridio- nales d'Afrique, elle s’avance dans l'hémisphère boréal jus- qu'aux plus hautes latitudes, et traversant ainsi, presque d'un bout à l’autre, les deux continents que sépare la Médi- terranée, elle ne s'arrête, comme mon compatriote Pythias, que là où la terre lui manque. — Les canards franchissent, dans leurs migrations, des distances de plus de cinq cents lieues d’une seule traite. — Spallanzaui, voulant s'assurer de la puissance du vol de l’hirondelle, prit une femelle dans son nid et la fit transporter à cent kilomètres de distance. L'oiseau, rendu à la liberté, revint au gîte avec une vitesse calculée de 65 kilomètres à l’heure : cette force de vol au- rait donc pu lui faire franchir 1560 kilomètres en un jour. Un fait très-remarquable a été cité tout récemment; c’est celui d'une hirondelle qui avait établi son nid sous un wagon de bagage de chemin de fer et qui suivait le train pendant toute une journée en chassant le long de la route, rentrant lestement dans son nid pour apporter la becquée à ses petits. Or, cet oiseau, qui croisait ainsi le convoi en marche, le remontant etle descendant incessamment, devait bien au moins quintupler le trajet. Cet amour du nid est inné chez beaucoup d'oiseaux, mais les hirondelles le possèdent au suprême degré. On a vu en Toscane de jeunes hirondelles, dénichées par des mains inhumaines, et transportées à dix lieues de distance, s’é- chapper de leur cage et revenir au nid une demi-heure après.— « L'hirondelle dit Toussenel, est le plus vite de tous les coureurs de l'air; elle rend un kilomètre par minute au plus crâne marcheur ei ne trouve personne pour lutter avec elle ; le pigeon ramier y a renoncé. » 10 INTRODUCTION. C’est encore Spallanzani, cet infatigable observateur, qui a estimé la puissance du vol du grand martinet noir et l’a portée à quatre-vingts lieues à l'heure. Rappelons ici, pour complément de ces exemples de vé- locité aérienne, qu’un faucon, échappé de la fauconnerie d'Henri IV, franchit en une seule journée la distance qui sépare Paris de Malte, c’est-à-dire plus de trois cents lieues en ligne droite. On raconte à peu près la même prouesse d’un épervier du duc de Lerne qui se rendit en moins de vingt-quatre heures de Ténériffe à Séville. Avant d'entreprendre ces mystérieuses migrations qu’on dirait tenir du prodige et qui pourtant se renouvellent chaque année, les oiseaux voyageurs semblent se consulter entre eux. Les hirondelles, les cigognes, les tourterelles se réunissent en troupes plusieurs jours avant leur départ ; les premières font entendre alors un petit cri d'appel tout particulier et voltigent longtemps autour des nids; on dirait qu'elles leur font leurs adieux. Les cigognes se préparent à leur voyage de long cours en se rassemblant sur les combles des édifices les plus élevés, comme pour tenir conseil. J'ai pris grand plaisir à les observer à Strasbourg. — Quant aux tourterelles, j'ai aussi remarqué plusieurs fois leur manége à l’époque où elles vont se mettre en route, mais j avoue que je ne suis guère plus avancé pour cela, car il me serait difficile de préciser le jour, ni le moment du départ. Voici seulement ce que je puis dire avec certitude : à Téné- riffe, elles se donnent toutes rendez-vous. sur la côte du sud de l’île, où je les ai toujours rencontrées en grand nombre dans la saison. Elles se répondaient alors de toute part en roucoulant pour s'appeler et se réunir en plusieurs bandes, puis s’envolaient ensemble vers le petit promontoire de Montanaroja, et exécutaient aux alentours des va-et-vient continuels, avec redoublement de cris d'appel et des alter- natives de silence, tantôt s’abattant sur la montagne qui domine la mer, tantôt reprenant leur vol désespéré pour revenir de nouveau, Je suivais des yeux cette manœuvre, INTRODUCTION. A1 lorsque tout à coup le roucoulement recommenca; puis, je ne les entendis plus... Etaient-elles parties ? il faut bien le croire, puisque je cessais de les voir et que depuis ce mo- ment je n’en rencontrai plus une seule dans les environs. La puissance de la vue, chez les oiseaux grands voiliers, en leur permettant d’embrasser de vastes horizons, doit être pour eux d’une grande ressource dans leurs voyages. Tous- senel (car c’est toujours à lui qu'il faut revenir sur ce sujet) s’est appuyé de cette opinion pour expliquer par une bril- lante fiction l'itinéraire que suivent les cigognes et l’ins- tinct qui les guide. Mais en lisant ce voyage fantastique, n'allez pas croire qu’il veuille vous persuader que les choses se passent tout à fait comme il le dit ; s’il essaye d’expliquer un fait presque incompréhensible par une supposition assez plausible, il ne se hâte pas moins d'observer que « La science géographique la plus vaste, même étayée sur une perspi- cacité de nerf optique incomparable, ne saurait pas plus rendre compte des étonnantes migrations des cigognes et des autres oiseaux grands voiliers, qui navigquent le jour dans les plaines de l'air, que des voyages des cailles, des bécasses et des autres espèces à courtes ailes, qui voyagent de nuit, de peur des mauvaises rencontres des rapaces diurnes. » Toussenel est, sans contredit, un charmant écrivain, sé- duisant, plein de verve ; chasseur émérite et très-habile observateur ; on doit le prendre au sérieux même alors qu'il a l’air de rire. Il faut que vous lisiez son livre, dont notre Michelet a donné la meilleure appréciation dans l’ou- vrage de L’OIsEAu. Les retours merveilleux des pigeons messagers qui, trans- portés dans des cages ou des paniers couverts, à des dis- tances de trois cents lieues de leur pays natal, à travers des contrées qui leur sont inconnues, n’en reprennent pas moins sans hésiter le chemin du colombier aussitôt qu'on les lâche, sont des faits non moins inexplicables. — Tous- senel pense que de pareils phénomènes sont peut-être le résultat d’une série de sensations combinées qui permettent 44 INTRODUCTION. « santeur et la structure de leurs ailes clouent au sol. Le « sternum de l’autruche et du casoar (espèces qui ne peuvent « prendre le vol, mais intrépides marcheuses) se réduit à « une simple plaque osseuse en forme de bouclier placée sur « la poitrine. … L’analogie entre l'aile de l'oiseau et l’avi- « ron du navire est si frappante qu'elle a forcé toutes les « langues à marier ces deux mots. Virgile avait dit Remi- « gium alarum et depuis lors le terme de Rémiges a été « adopté pour désigner les pennes extrêmes des aïles, qui « jouent le rôle de rames. » Après ce premier apercu des admirables avantages que la nature a départis à l’oiseau de grand vol, Toussenel fait observer que, dans la classifica- tion ornithologique, on a réservé une des premières places aux oiseaux rameurs, chez lesquels les ailes et la quille sont beaucoup plus longues. Il a soin de faire remarquer que les os de l'oiseau, de même que ses plumes, sont des tubes remplis d'air en communication avec un réservoir pulmo- naire d’une grande capacité ; que ce réservoir est probable- ment en relation avec les cellules aériennes des muscles intérieurs, qui sont autant de vessies natatoires à l’aide des- quelles l’oiseau peut enfler considérablement son volume et diminuer proportionnellement sa pesanteur relative ; qu’il existe, entre cuir et chair, chez certaines espèces, une sorte de désadhérence de la peau, et qu'il résulte enfin de cette précieuse organisation deux forces simultanées, réci- proques, vivifiantes, qui concourent ensemble à entretenir l'énergie de la respiration et du sang, et expliquent l’infa- tigabilité des ailes. C'est ce qu’il a voulu exprimer en disant : « L'oiseau est une locomotive de première vitesse, « une Machine de haute pression qui consomme propor- « tionnellement plus de combustible que trois ou quatre « machines ordinaires. Il ne mange pas seulement pour « vivre, mais pour tenir toujours allumé son foyer de cha- « leur intérieure. » Cette comparaison peut s'appliquer aussi à l'ensemble des forces organiques que les oiseaux ont à leurdisposition dans INTRODUCTION. 45 les différentes allures du vol étendu. Qui n’a admiré, aux beaux jours du printemps, la légèreté, la grâce surtout avec laquelle l’alouette s'élève sans effort jusqu'aux plus hautes régions de l” l'air, en chantant cet hymne au soleil qu’on entend encore alors qu'on ne la voit plus ? Et le vol, puissant, soutenu, majestueux, de l'aigle, et le frémissement des ailes de l'épervier et ses évolutions surprenantes, lorsque planant tranquillement comme s’il nageait dans l’espace, il reste immobile dans l'air ? Voyez-le exécutant des temps d'arrêt, ou bien reprenant son vol ascensionnel pour plonger tout à coup avec une rapidité étonnante. N’avez-vous jamais senti par hasard le bruit produit, en passant de très-près, par une hirondelle ou un martinet, rasant la terre à toute volée et disparaissant en un clin d’œil dans le vague de l'air ? — Pour moi, j'ai toujours éprouvé une sensation que je n’ai pu définir à la vue de ces vols d'étourneaux, de ces bandes de pigeons voyageurs qui fendent l’espace avec la vélocité de la flèche. Lorsqu'un épervier, un faucon ou tout autre oiseau de proie m'a rasé presque à toucher, ce qui m'est arrivé quelquefois en explorant les hautes cimes, mon oreille a été frappée du singulier ronflement produit, sans doute, par la dilatation de l’air dans les cavités des organes de l’oiseau. Oui, Toussenel a raison, il y a là une certaine analogie avec la machine à vapeur, et cette vibration des ailes n’est pas moins puissante que le mouvement de l’hélice du pyroscaphe ou de la roue de la locomotive. Cette force alimentée par le foyer de chaleur intérieure, et qui produit chez l’oiseau une énergie vitale si prépondérante, provient de l'oxygénation plus abondante du sang et de la rapidité avec laquelle il circule. — Les ventricules du cœur des mammifères se contractent 70 à 80 fois en une minute, et ceux des oiseaux de 130 à 150 fois. L'hématose est donc deux fois plus rapide chez l'oiseau que chez le mam- mifère. L'oiseau peut ainsi soutenir très-longtemps l’action du vol sans grande fatigue : Les oiseaux de rapine parcourent . —? 16 INTRODUCTION. pendant une heure et plus un espace considérable et font une vingtaine de lieues en chassant. Les hirondelles, que j'ai vues suivre un navire pendant huit ou dix jours consécutifs et se nourrir de ce qu'elles rencontraient dans le sillage, soutenaient le vol, dans leurs évolutions continuelles, pendant toute la journée et devaient faire au moins cent cinquante lieues du matin au soir. Ainsi, en se reposant de nuit sur les vergues, elles pouvaient facilement se transporter des climats septentrionaux de l'Europe aux régions équatoriales de notre hémisphère. Mais je m'arrête ici à une réflexion qui me vient : que pouvaient trouver à manger ces hirondelles qui voltigeaient incessamment en s’abattant dans le remous du sillage, et qui nous suivaient tout le long du jour avec tant de constance ? Je l’ignore encore, malgré l’attention que je mettais à observer leurs va-et-vient continuels. L’hirondelle est un oiseau éminemment insectivore ; elle ne pouvait donc se nourrir des miettes qu'on jetait à la mer. Peut-être que ces détritus, entraînés dans Le remous, attiraient à la surface des eaux des insectes marins que l’œil seul de l'oiseau pouvait apercevoir. Le fait est qu'on rencontre des hirondelles dans les lieux les plus isolés et les plus arides, où l’œil de l’homme ne découvre aucune trace d'organisme vivant. Dans une de mes ascensions au pic de Ténériffe, j'ai vu des hirondelles raser en volant le fond du cratère, à près de quatre mille mètres au-dessus du niveau de la mer. Toute végétation a disparu sur le sol brülé de cette solfatare ; ce n’est partout que laves, scories et matières calcinées, parmi des crevasses d’où s’échappent encore des vapeurs chaudes et sulfureuses. Que pouvaient donc chercher là ces hirondelles ? Leur per- sévérance à parcourir les alentours des fentes d’où sor- taient les émanations volcaniques me donna enfin l’ex- plication de l'énigme que je n’avais pu deviner. Je finis par trouver sur le bord des crevasses plusieurs de ces petits arachnides, aux pattes longues et grêles, auxquels on a donné le nom de faucheurs. Mais ces insectes, que fai- A INTRODUCTION. 17 saient-ils là ? Comment y étaient-ils venus ? Comment ré- sistaient-ils à la chaleur qui s’exhalait des fentes du cra- ‘tère ? — La science peut bien nous dévoiler quelques-uns des mystères de la nature, mais il nous reste encore beau- coup de choses à apprendre, que peut-être nous ne saurons jamais. Nos connaissances modernes se rattachent presque toutes à des observations qui ont été faites bien avant nous, et pour ne parler ici que des oiseaux, je rappellerai en pas- sant que rien n'avait échappé aux anciens sur les différentes allures du vol et de la progression terrestre. L'on trouve, à ce sujet, dans les écrits de Pline, qui avait recueilli tout ce qu'on savait de son temps, un passage des plus remar- quables : «.... Les uns sautillent en marchant comme les « moineaux et les merles ; d’autres courent comme les per- « drix et les bécasses, ou bien arpentent le terrain en jetant « leur pied en avant comme les cigognes et les grues... « Dans la progression aérienne, ceux-ci volent les ailes « étendues et se tiennent presque immobiles; ceux-là les « agitent plus fréquemment; les uns avec les flancs toujours « découverts, et les autres les comprimant tour à tour par « des battements continus. Ils semblent nager dans le fluide « et prendre à leur gré toutes les directions, tantôt s’élan- « cant comme des flèches, tantôt plongeant comme s'ils « tombaient du ciel... Les canards partent en s'élevant « en droite ligne, même au sortir de l’eau. Certains gros « oiseaux, aux formes lourdes et pesantes, ne prennent le « vol qu’après avoir couru quelques pas pour faciliter leur « élan ; enfin il y en a qui ne volent qu’en criant, tandis « que d’autres gardent le silence, » (Plinius. Volucrum natura, lib. X, $ LIV.) Les naturalistes de notre époque ont beaucoup écrit sur le vol des oiseaux sans pouvoir, la plupart, en donner des explications bien satisfaisantes. Toutefois le docteur Ph.-C. Sappey est un de ceux qui ont jeté le plus de lumière sur cette grande question ; il a démontré, dans ses savantes 18 INTRODUCTION. Recherches sur l'appareil respiratoire des oiseaux (1), que le mécanisme de l'effort soutenu chez l'oiseau devait dif- férer de celui des mammifères terrestres. Selon lui, chez l’homme l'effort est toujours de courte durée et ilne peut persister qu’en reprenant haleine, pour pouvoir recouvrer la faculté de respirer. Tout effort violent tend donc, chez lui, à paralyser le mouvement respiratoire, tandis que, chez l'oiseau, l'effort le plus énergique reste sans influence sur ce mouvement. Cette différence dépend de ce que, dans l'homme comme dans les quadrupèdes, les muscles pecto- raux s’insèrent à la fois au sternum et aux côtes, tandis que, dans les oiseaux, ces mêmes muscles s’attachent exclusive- mentau sternum et qu'aucun de ceux quiconcourent à l’ac- tion du vol ne se fixe aux côtes, celles-ci conservant tou- jours leur mobilité pendant la contraction des muscles qui meuvent les ailes. — Les réservoirs aériens, que les oiseaux ont à leur disposition dans l’intérieur de leur corps, ne par- ticipent pas à la respiration et contribuent, pendant l’effort, à augmenter la capacité du thorax en facilitant l’action musculaire (2). Voici de quelle manière le docteur Sappey explique l’in- fluence des sacs ou réservoirs aérifères des oiseaux sur le poids de leur corps dans l’action du vol : « L'air contenu dans ces réservoirs est à 40 degrés de tem- pérature centigrade et par conséquent moins dense que l'air extérieur ; il agit sur Le corps de l'oiseau comme le gaz hydrogène sur le ballon dans lequel il est renfermé. Tous les sacs aérifères de l'oiseau, par leur situation au-dessus des viscères du tronc, représentent un véritable appareil aérostatique dont la puissance ascensionnelle sera d’au- tant plus grande que leur capacité sera plus considé- (D Recherches sur l'appareil respiratoire des Oiseaux, par Ph -C. Sappey, docteur en médecine, ancien prosecteur de l’amphithéâtre d'anatomie des Hôpitaux de Paris. Grand in-4°. Germer-Baillière, lib. édit., 1847. (2) Sappey, Op. cit., p. 54, 55. INTRODUCTION. 19 rable, la température de l’oiseau plus élevée et celle de l’atmosphère plus basse ; mais quelle que soit la différence entre la densité de l'air atmosphérique (extérieur) et celle de l’air intra-cellulaire dans les réservoirs intérieurs, elle ne peut jamais atteindre le degré qui permette à cet appareil de soulever le poids du corps et d'emporter lPoi- seau dans l’espace. C’est pourquoi deux longs leviers pre- nant un point d'appui sur l’air ambiant s'élèvent par leurs extrémités adhérentes et impriment, par un mouvement continu de bascule, une marche ascendante au corps de l’oi- seau. « Les aïles, ajoute le docteur Sappey, ne sauraient « donc être comparées à des rames, car les rames repré- « sentent des leviers inter-mobiles qui basculent horizon- « talement autour d’un axe vertical ; les ailes, au contraire, « constituent des leviers inter-puissants qui se meuvent autour d’un axe oblique à l'horizon et dont l'oiseau fait « varier l'inclinaison suivant la direction qu’il veut im- « primer à son vol (l). » Cette dernière définition du docteur est fort contestable, et la comparaison du corps de l’oiseau à une machine aéros- tatique, munie d'une appareillocomoteur, ne me semble pas heureuse. Les ailes attachées à cette montgolfière ne se meuvent pas par un mouvement machinal ; c’est de l'admi- rable appareil respiratoire qu'elles reçoivent toute leur puis- sance ; c’est la volonté qui les guide. Elles ne fonctionnent, dans les différentes allures du vol, que d’après la force que leur imprime le mécanisme de l’appareil intérieur, échauffé à un haut degré par l’émission continue et régénératrice d’un fluideoxygéné, qui hématose le sang, électrise toutle système nerveux, double ou triple l'action musculaire, l’accélère, la ralentit ou l’arrête tout court. La volonté, qui dispose en souveraine de toutes les ressources qu’elle possède, est le grand moteur de ce surprenant organisme. La volonté ! puissance libre, indépendante, dont le principe reste in- connu et que nul mécanisme ne saurait remplacer. ñ (1) Sappey, Op. cit., p. 54, 55. 20 INTRODUCTION. Le système de leviers à bascule qu’on a voulu essayer, n’a jamais pu servir à diriger les aérostats. Du reste, dans certaines allures du vol, les ailes des oiseaux ne fonctionnent pas par balancements. Quand un épervier ou un faucon plane dans l’air et qu’il semble glisser dans le fluide comme une nacelle sur la surface d’un lac, ses ailes, il est vrai, ont alors une apparence d’immobilité, et l’on pourrait croire à un mouvement alternatif assez semblable à celui de bascule, mais cette évolution s'exécute toujours en parcourant l’es- pace circulairement pour continuer le vol ascensionnel et pouvoir embrasser du regard un horizon terrestre d’une plus grande étendue. Le docteur Sappey avance qu'il est impos- sible à l'oiseau de se mouvoir dans le sens horizontal avec une granderapidité. Mais que fait doncl'hirondelle lorsqu'elle parcourt l’espace avec tant de vélocité, dans une direction parallèle à la terre pour saisir les petits moucherons qui ne trouvent leur existence que dans la couche atmosphérique la plus rapprochée du sol? L'oiseau, pour commencer à s'é- lever, ne frappe-t-il pas l’air de ses ailes, et ces ailes n’a- gissent-elles pas alors comme des rames ? Que sa direction soit horizontale ou plus ou moins oblique, l'oiseau m'a tou- jours paru nager dans l’air et se servir de ses forces mus- culaires pour soutenir, par les mouvements de ses ailes et de sa queue, les différentes allures du vol, en exécutant ces rapides évolutions qui étonnent et qu'il est si difficile d’ex- pliquer. Depuis les savantes recherches du docteur Sappey, plu- sieurs naturalistes ont repris la question du vol des oiseaux, mais sans la résoudre d’une manière complète, M. Marcy, dans un mémoire sur le vol (1), a constaté, à l’aide d’un appareil mécanique fort ingénieux, que la force qui sou- tient et dirige l'oiseau dans l’espace est produite entière- ment par l’abaissement de l’aile, dont l'extrémité, dans les mouvements de translation, décrit des courbes continues. (1) Revue des cours scientifiques. Paris, 1869, nes 41 et 44. É , INTODUCTION. 91 Les expériences de ce savant laissent pourtant encore beau- coup à désirer, car bien qu'il ait reconnu que le moineau avait treize évolutions d’aile par seconde, tandis que le canard sauvage, le pigeon et l’effraie n’en effectuaient tout au plus que huit ou neuf dans le même espace de temps, cela ne prouve pas que son moineau vole plus vite, mais seulement qu'il a besoin, pour avancer, de produire de plus grands efforts. La voussure de l’aile indique, en général, une grande puissance de vol et permet à l’oiseau de se diriger contre le vent. Giraud-Teulon, dans ses Principes de mécanique animale (Paris, 1858) avait déjà donné de bons renseigne- ments sur la cavité glenoïide, ce centre fixe autour duquel s'exécute le mouvement de l’aile par l’avant-bras, qui se joint à l'humérus et à l'extrémité de l'aile, c’est-à-dire à la main garnie de ses pennes ou rémiges.—Ces ailes en voûte sont d’une grande importance dans l’action du haut vol, soit pour monter, soit pour descendre, et je dois à Toussenel de m’en avoir donné l’explication. Les oiseaux grands voi- liers disposent de grandes ressources par l'effet de cette con- formation qui leur permet de $e soutenir sans effort sur la couche d’air où ils glissent en planant et en s’élevant gra- duellement par un mouvement circulaire toujours plus étendu. On peut s’en rendre compte dans les pays d'oiseaux de proie : c’est : cette évolution soutenue qu'est dû le mou- vement ascensionnel qui fait émerger l’oiseau, à volonté, au-dessus de la zone aérienne, comme un navire lancé sur la lame à toute vapeur. Il peut ainsi se soutenir longtemps dans les plus hautes régions de l’espace ; les ailes, par leur concavité, lui sont une sorte de double parachute, qu'il n’a qu’à replier pour descendre quand il lui plaît, Ob- servez la frégate plonger sur le poisson-volant qu’elle aper- coit effleurant la surface de l'onde : voyez comme elle ar- rive en un clin d'œil, les ailes serrées et ramenées en arrière pour fondre sur sa proie. Le vol de l'oiseau, cette faculté puissante qui lui donne 22 INTRODUCTION . la jouissance de sa liberté d'action sur terre et dans les airs, peut être assez bien défini et expliqué jusqu'à un certain point, mais jamais imité. Cette faculté dépend d’une orga- nisation tout exceptionnelle : deux faits principaux expli- quent une partie du mystère du vol ; d’abord la conforma- tion du corps des hauts-voiliers, et en second lieu leur force émergente sur la couche fluide en raison de la rapi- dité de leur vol, qu’on peut comparer à celle d’un bateau qui s’allége et s’élève au-dessus de l’onde à mesure que son impulsion acquiert plus de puissance, Je laisse de côté le problème de l’élan initial ; mais il est bien clair que l’oiseau qui atteint une certaine zone aérienne se trouve placé comme une nacelle sur la surface d’un courant et qu'il s’é- lèvera au-dessus de son niveau rien qu'à courir horizonia- lement, car son avant est tissu de plumes serrées et com- pactes, tandis que sa tête plate et son col émergent au moindre effort. Sa queue étendue, qui le soutient sur la couche d’air qu’il parcourt, empêche son arrière d’en- foncer ; il faut donc forcément qu'il monte et continue son ascension. Or, les principaux organes qui facilitent ce mou- vement ne sont-ce pas ces ailes à grande voussure, tapissées en dessous de plumes lâches et molles, qui prennent si bien le vent, et doivent le défendre, comme un parachute, contre la descente ? Chez les cigognes et les ‘hérons, qui sont de hauts- voiliers, mais non pas des voiliers rapides, et qui peuvent planer pendant de longues heures à de grandes hauteurs, la voûte de dessous des ailes est des plus profondes ; aussi ces oiseaux les tiennent-ils à demi fermées pour prendre terre et s’abattre en courant pour amortir la descente. Cette conformation des ailes en voûte n’est pas moins utile pour faciliter le vol de certains oiseaux contre le vent, même pour quelques espèces à courtes ailes, comme les cailles. Toutefois, ces oiseaux, qui presque tous ont le vol droit, ne peuvent conserver longtemps cette allure et sont obligés de se reposer souvent, aussi ne voyagent-ils que par =: INTRODUCTION. 23 étapes ; il leur serait difficile de fournir le trajet d’une seule traite. Les perdrix, qui la plupart ne sont pas de grandes voyageuses, ne piquent pas dans le vent comme les bécas- sines, et quand on veut les forcer, il suffit de leur faire faire deux ou trois vols contre le vent: « Zl m'est arrivé plu- sieurs fois dans ma carrière de chasseur, m’écrivait derniè- rement Toussenel, de ramener des compagnies entières que la poursuite du Faucon ou de l’Autour forcait de s'abaitre dans le premier buisson venu, après une pointe rapide dans le vent. Les pauvres bêtes ne pouvaient reprendre la puis- sance du vol qu'après une ou deux heures de repos et s'être remises de ce long travail de lutte à vent contraire. » J’ai lu, dans les Souvenirs d'un naturaliste, un passage dont j'ai pris note et qui ne peut venir ici plus à propos. L'observation est de l’auteur de ce livre si agréablement instructif, de M. de Quatrefages, savant des plus conscien- cieux parmi Ceux qu’on aime à entendre. Pendant une furieuse tempête. dont il fut témoin à Saint- Sébastien dans la baie de Biscaye, et durant laquelle le vent souffla avec une violence extraordinaire pendant quarante- huit heures, les oiseaux de mer semblaient se plaire dans la tourmente... Mais laissons-le parler lui-même : « Au « milieu de ce désordre des éléments, des goëlands au blanc « plumage, des aigles de mer aux couleurs roussâtres, se jouaient tranquillement devant ma croisée, méêlaient « leurs cris au fracas de la tempête, décrivaient dans l’air mille courbes capricieuses, et parfois, plongeant entre « deux vagues, ils reparaissaient bientôt tenant au bec un « poisson. Leur vol rapide comme la flèche, quand ils se « laissaient emporter par le vent, se ralentissait quand ils « faisaient face à l'ouragan ; mais ils planaient avec la même « aisance dans les deux directions, sans paraître donner « un Coup d’aile de plus que par les plus beaux jours. Il y « avait quelque chose d’étrange à voir ces oiseaux, les « ailes étendues et complétement immobiles, du moins en « apparence, remonter d'un mouvement uniforme ces rafales À R 24 INTRODUCTION. « qui auraient renversé l’homme le plus vigoureux. — « Depuis longtemps, MM. Quoy et Gaymard avaient si- « gnalé ce singulier phénomène chez les oiseaux grands « voiliers des mers antarctiques. Tous deux, après avoir vu « mille fois les albatros et les frégates, ont hésité à ha- « sarder une explication. D’autres ont été moins timides, « et, après avoir examiné les mêmes espèces à travers les « vitraux de nos collections, ils ont décidé que ce mode « de locomotion était la chose la plus simple du monde. « Ils ont parlé de vitesse acquise, de trémulation invisible « des ailes... Pour nous, après avoir vu, nous pensons « exactement comme MM. Quoy et Gaymard et nous imi- « terons leur réserve. » En citant ici les réflexions de l’éminent naturaliste, je suis loin de vouloir faire aucune allusion aux déductions du doc- teur Sappey, dont j’ai parlé plus haut. Si je diffère d'opinion sur le mécanisme du vol des oiseaux avec un savant aussi émérite, je n’admire pas moins la lucidité de son raisonne- ment dans les conséquences qu'il tire des expériences aux- quelles il s’est livré avec tant de zèle. Je l'écoute surtout avec un grand intérêt lorsqu'il nous démontre que l'appareil aérostatique de réservoirs gazeux, dont l'oiseau est doté, offre à peu près le même développement dans les espèces qui jouissent du privilége d'atteindre en quelques secondes les couches les plus élevées de notre atmosphère, et dans celles qui, par leur conformation ou leur nature, ne peuvent s'élever du sol, telles que l’autruche, le casoar et certains gallinacés. Le docteur Sappey en conclut qu’il faut ad- mettre que cet appareil, chez les oiseaux qui émigrent et traversent Les mers, tout en imprimant aux mouvements des ailes l’aisance et l’agilité qui les caractérisent, n’exerce sur le vol qu'une influence secondaire. — En effet, que deviendrait le pauvre oiseau au milieu des airs en temps de bourrasque, s’il n’avait pour lui cette force musculaire si puissante que gouverne son système nerveux sous l’impul- sion de sa volonté ? INTRODUCTION. : 25 Cette organisation exceptionnelle, privilégiée, que l'oiseau possède, est des plus admirables ; elle lui permet de par- courir l’espace dans toutes les directions, de ralentir ou d'accélérer son vol ; les ressources qu'il en tire sont immen- ses et il en dispose à sa guise, Aussi le voit-on partir comme un trait, s'élever, s’abattre, planer ou s’arrêter à volonté ; lui seul tient les freins de cette locomotive aérienne à haute pression, dont il est à la fois le chauffeur, le moteur, le régulateur et l'équipe. Mécanisme inimitable de l'organisme vivant, qu’il faut nous contenter d'admirer sans en com- prendre le mystère ! Audubon a décrit le vol de la frégate-pélican, dont ïl observa les allures ; mais il n’a pas cherché à l'expliquer. « À l’heure où la lumière du matin commence à poindre, « dit-il, l'oiseau ouvre ses ailes et quitte la retraite où il a « passé la nuit. Doucement et sans effort, le cou ramené en « arrière, il semble d’abord essayer son vol, puis, s’avan- « cant rapidement vers la mer, il monte, monte encore, et « Le premier dans la nature, il voit l'astre étincelant sortir « des flots... Alors l’heureux oiseau secoue ses ailes et bien « loin, au sein des airs, l'essor l'emporte où nul regard « humain ne peut l’atteindre... ; mais bientôt il reparaît, « et les ailes à demi repliées, il commence à descendre en « exécutant de rapides évolutions, tantôt reprenant son vol « vers les cieux, tantôt retournant vers la mer en rasant la « surface des eaux et poussant des bordées pour continuer « sa chasse... Tout à coup des nuages menaçants obscur- « cissent l'horizon; la brise, qu'on ne sent pas encore, a « déjà soulevé les flots; un épais brouillard s'étend sur « l’abîme, et les mugissements de la mer écumante répon- « dent aux roulements du tonnerre. Tous les éléments sem- « blent confondus au milieu du tumulte des vents déchaînés: « la Frégate seule tient tête à l'orage et si son vol ne peut « en forcer l’impétuosité, elle continue de s'élever en pla- « nant au-dessus des nuages. Mais la tempête redouble de « fureur; alors l’oiseau prend son vol oblique et en quel- 26 INTRODUCTION. « ques vigoureux coups d'ailes, il surmonte l'ouragan pour « entrer dans une atmosphère plus paisible, où il vogue à « l'abri de l’orage, attendant qu'il s’apaise et que le calme « revienne sur les eaux. » Audubon, pas plus que d’autres naturalistes, n'a pu nous renseigner sur le mode d'action que l'oiseau met en jeu pour varier comme il lui plaît les forces motrices dont il dispose, mais, cette question à part, on peul expliquer, d'après le docteur Sappey, la structure et les fonctions des organes qui jouent le principal rôle dans l’action du vol. « La nature, en réunissant le nombre à la solidité dans l’admirable vêtement de plumes dont elle a revêtu l’oiseau semble avoir voulu concilier ces deux avantages avec la légèreté nécessaire à sa vie aérienne. Elle a donné aux principales plumes des ailes la forme d'une petite rame, dont elle a creusé la tige pour la remplir d’un air raréfié.. Plus le vol est rapide et puissant, plus le canal des plumes est étendu. On distingue dans les plumes une partie cornée et transparente el une partie opaque et blanche qui s’effile graduellement. La première est toujours creuse, la seconde est pleine dans les oiseaux qui ne volent jamais, et plus ou moins vide chez les grands voiliers. L’air, qui peut arriver dans les plumes jusque dans leurs parties moyennes, ne provient pas de l'appareil respiratoire ; il prend sa source dans l’atmosphere et pénètre directement dans la cavité des plumes par un orifice médian situé sur la face inférieure de ces organes et par les pores placés sur les côtés de la tige dans l’écartement des barbules. L’orifice médian peut se dilater et se resserrer tour à tour : il se dilate lorsque la plume se courbe, et se resserre lorsqu'elle se redresse. Ces fonctions s’accomplissent, dans l’action du vol, lorsque les plumes communiquent le plus largement avec l'atmosphère et à mesure que l’air qu’elles contiennent se renouvelle. Les oiseaux qui ne volent pas ou qui ne volent que rarement, comme ceux de basse-cour, se hissent de temps en temps sur leurs jambes pour agiter leurs ailes et se procurer l'air INTRODUCTION. | dont ces organes sont remplis, mais qu’ils ne peuvent fournir lorsqu'ils sont repliés et appliqués contre les flancs. C'est dans ce but que l’oiseau à son réveil secoue les ailes et que les canards quittent l’eau pour s’ébattre sur la rive. — L'air atmosphérique qui remplit la cavité des plumes, se trouvant en contact avec le corps de l'oiseau, dont la tem- pérature s'élève à 40°, ne tarde pas à s’échauffer et à se dilater, et l’oiseau, suffoqué par la chaleur qu'il éprouve, étend et secoue ses ailes pour se rafraîchir. L’impression qu'il resseut de cette immersion est d'autant plus sensible que l’air se renouvelle dans ses plumes en même temps qu'il prend l'équilibre de la température ambiante (1).» Les études du docteur Sappey se sont portées aussi sur la nature aérifère des os des oiseaux : les savantes re- cherches de M. Flourens nous avaient déjà appris qu’il existait, dans le développement de ces os, deux forces opposées, dont l’une exhalante, qui présidait à l’accrois- sement en épaisseur, et l’autre absorbante, qui expliquait la capacité toujours croissante des canaux médullaires. Ces deux forces sont rarement équilibrées : au début de la vie, la force composante prédomine, et lant qu’elle conserve cette prépondérance les os restent médullaires ; mais à l’époque où les épiphyses se soudent, elle décline sensi- blement, la force de décomposition augmente et c’est alors que les os commencent à se perforer pour entrer en com- munication avec l'appareil respiratoire et que la moelle disparaît pour faire place au fluide atmosphérique. Les observations du docteur Sappey sont venues com- pléter ces renseignements et nous apprendre que les os perdent la moitié de leur poids quand ils n’ont plus de moelle et que la diffusion de l'air dans la plus grande partie du système osseux des oiseaux grands voiliers, en réduisant considérablement leur pesanteur spécifique, accroit leur aptitude au vol. Le squelette des oiseaux (1) Extrait de l'ouvrage du docteur Sappey sur l'appareil r'espi- ratoire des Oiseaux, ch. IV. 28 INTRODUCTION. est médullaire pendant toute la durée de son dévelop- pement ; mais une fois arrivé au terme de sa croissance, les orifices en communication avec les réservoirs aériens s'établissent et la moelle disparaît (1). Je viens de vous citer tout ce que j'ai noté de plus saillant dans les Recherches du docteur Sappey sur l'appareil respi- ratoire et les autres organes de l'habitant des airs. Notre fameux prosecteur a étudié ses oiseaux scalpel en main ; la simple observation ne pouvait suffire à cet esprit scru- tateur ; il lui fallait des expériences physiques, positives, souvent répétées ; il voulait pénétrer jusqu'aux moindres détails de l'organisme pour prendre la nature sur le fait. Aussi que d'oiseaux notre savant anatomiste n'a-t-il pas - dépecés, tailladés, martyrisés de cent manières pour les besoins de la science. Ce brave docteur vous prend tout bonnement une de ces pauvres bêtes du bon Dieu, un canard par exemple, et vous lui coupe successivement tous les muscles du cou ; puis il vous dit, avec le plus grand sang-froid, en vous racontant le fait: « L’animal, aban- « donné à lui-même, s’affaissa et des bulles d'air s’échap- « pèrent, en bouillonnant, par le canal rachidien, à travers « le sang qui couvrait la plaie; ensuite il se releva : mais « sa marche était vacillante, entrecoupée de chutes ; il sem- « blait avoir perdu la faculté de s’équilibrer, et présentait « un état de stupeur, d'hébétude et de défaillance qui me fit « présager la mort. » Diantre, je le crois bien ! Cependant, après deux jours de souffrances, le pauvre canard reprit ses forces et finit par se rétablir ; mais cette dernière circons- tance importait fort peu au docteur : il avait constaté que, pendant l'opération, l'oiseau avait présenté des phénomènes identiques à ceux qu'offrent les mammifères lorsqu'on les prive d'une partie de leur liquide sous-arachnoïdien, et il était satisfait... Toutefois notre opérateur ne se borne (1) Extrait de l’ouvrage du docteur Sappey sur l'appareil respi- ratoire des Oiseaux, ch. II, art. 11. INTRODUCTION. 29 pas là ; il reprend le malheureux patient pour l'inciser en deux temps, d’abord en tranchant tous les muscles du cou et en les laissant ensuite se cicatriser; puis, huit jours après, en coupant le tissu de la cicatrice pour opérer à nouveau. Après cette preuve concluante, il avoue que l'animal parut étourdi, étonné, et il ajoute : « Ces expé- « riences, que nous regrettons de ne pas avoir multipliées « davantage, tendent à démontrer que l'air qui pénètre « dans le canal vertébral exerce sur la moelle épinière « des oiseaux un degré de pression analogue à celui que * « le liquide sous-arachnoïdien exerce sur la moelle épinière « de l’homme. » Au besoin le docteur Sappey vous prend un coq, le couche sur le dos et le maintient dans cette position en lui liant les quatre membres : alors il pratique une ouverture à la poitrine et reconnaît que le diaphragme thoraco-abdo- minal, pendant l'inspiration, se porte en arrière et en dedans, tandis que les côtes se portent en avant et en dehors, et enfin que la capacité des réservoirs diaphragma- tiques s'accroît considérablement. Une autre fois c'est encore sur un palmipède qu’il opère, car 1l paraît que ces sortes de volatiles se prêtent à souhait à tous les raffinements chirurgico-anatomiques. Pour celui-là, le docteur s’arme d'une seringue dont il introduit le tube à travers la couche musculaire du réservoir thora- cique de l’animal, et à chaque mouvement respiratoire de l'oiseau, « sans apporter, assure-t-il, aucun trouble dans le phénomène de la respiration », il pompe l’air qu’il veut soumettre à l'analyse chimique. Mais ceci n’est rien encore ; vous allez voir: le brave docteur, poursuivant ses expériences, se saisit d'un autre coq, pratique hardiment l’amputation de l'aile et se procur: la satisfaction de voir l'air pénétrer dans l'humérus par le thorax au momentde l'inspiration, et en sortir à chaque mou- ment d'expiration. « Lorsque le canal de l’humérus a été « ouvert, et la trachée oblitérée, la respiration est d’abord + 7 30 INTRODUCTION. laborieuse, bruyante ; l’animal immobile, hagard, surpris « (on le serait à moins), semble dominé par le vertige qui « précède une asphyxie imminente. Cependant le coq s’ha- « bitue peu à peu à ce mode de respiration, Les premiers « oiseaux que nous soumimes à ces expériences vécurent de « six à huit heures ; mais ils avaient perdu une grande « quantité de sang, et cette hémorrhagie était La seule cause « d’une mort si rapide. Plus tard, avant de procéder à la « section de l'aile, je fis la ligature préalable de l'artère et « j'eus la satisfaction de reconnaître que ceux auxquels « j'avais ainsi créé une trachée artificielle continuaient de « vivre : un canard, qui respirait par l'os du bras, était plein « de vie au bout de quarante-huit heures ; voulant le saisir « pour l’ausculter et étudier les modifications qui pouvaient « être survenues dans le bruit de la respiration, il prit la « fuite, fit de violents efforts pour m'échapper, et succomba « aussitôt que je me fus emparé de lui...» Le docteur, après cet aveu, conseille à ceux qui seraient tentés de répéter cette expérience de laisser dans l’état de repos le plus complet l’oiseau qu'on aura amputé pour le faire res- pirer par son moignon, et assure qu'avec cette précaution, sa vie pourra se prolonger peut-être indéfiniment (1). Du reste, le docteur Sappey n’est pas le seul qui ait mu- tilé ainsi ces pauvres bêtes pour l'avancement de la science ; beaucoup de ses confrères en anatomie se sont adonnés à ce genre d'études, et des expériences analogues ont été faites par M. Flourens, avec toute la précision et tout le succès qu'on pouvait attendre d'un observateur aussi éminent : deux oiseaux, sur lesquels l'influence nerveuse fut suppri- mée par la section des nerfs pneumogastriques, continuèrent de respirer et de vivre pendant plusieurs heures comme dans l’état normal, et furent ensuite sacrifiés à d’autres re- cherches (2). (1) Sappey, Op. cit., p. 48. (2) Le docteur Sappey tire de cette expérience Ja conséquence Suivante : « Si un oiseau dont les poumons ont été soustraits à l’in- Fi + { 2 INTRODUCTION. 31 Bien avant ces expériences, en 1689, l’Académie des sciences, composée alors, comme aujourd'hui, d'hommes sérieux, savants, de vrais sages, se donnait le plaisir de boucher le bec et les narines d’un oïie vivante pour observer sesangoisses pendant la suffocation, puis lui faisait ouvrir le ventre, afin d'examiner ses réservoirs aérifères. Au commencement du siècle, Albers amputa un coq et lia sa trachée artère : le pauvre diable ne vécut que six heures. On attacha à l'humérus d’un autre coq, aussi am- puté, une vessie de gaz acide carbonique qui fit mourir l'animal en cinq minutes ; une Cane et une oie, sur lesquelles on expérimenta avec de l’azote, succombèrent au bout de trois minutes. Il en arriva autant à un héron. Un malheu- reux coq, amputé des deux ailes, auquel on attacha aux moignons une vessie de gaz acide carbonique d'une part, et une vessie d'oxygène de l’autre, était tour à tour mourant et renaissant, suivant qu’on laissait pénétrer le premier ou Le second de ces deux gaz. ._. C’est ainsi que les secrets les plus cachés de l’organisme ont été dévoilés aux yeux des savants pour la confirmation de leurs théories, et le docteur Sappey est, parmi eux, celui qui nous ale plus éclairés par ses curieuses expériences. Après avoir exposé les phénomènes anatomiques et physio- logiques relatifs aux oiseaux, il a passé en revue tous les travaux de ses devanciers, et cette savante dissertation, qui résume presque toute l'histoire de la science, fournit les notions les plus complètes sur l’organisme de la classe d’ani- maux que l’ancien prosecteur de l’amphithéâtre d'anatomie des hôpitaux de Paris a soumis à ses laborieuses études (1). fluence nerveuse, pendant trois ou quatre heures, conserve toute la plénitude de ses forces, il devient évident que cette influence n’est pas directement relative à l’hématose. » Op: cit., p. 16. (1) Dans ses Recherches sur l'appareil respiratoire des Oiseaux, le docteur Sappey a exposé une foule de travaux anatomiques du plus grand intérèt sur les nerfs et les vaisseaux pulmonaires considérés dans leurs rapports avec les conduits aériens, et sur la sphère d'action de ces conduits. Il a démontré que les sacs aérifères des ne À 932 INTRODUCTION. Je termine ici cette analyse des Recherches sur l'appareil respiratoire des oiseaux pour revenir à Toussenel si amu- sant, même en parlant des choses les plus sérieuses ; mais je vous en préviens encore, ne vous en tenez pas avec lui à la tournure qu'il leur donne, ni au laisser-aller de sa verve; ne vous y trompez pas ; les faits curieux qu'il énonce seront toujours confirmés par l'observation. Il vous prouvera jus- qu'à l'évidence que le plus exquis des sens de l'oiseau est celui de la vue. L’aigle, le vautour, tous les oiseaux de proie en général, à l'exception de ceux de nuit, peuvent embrasser de leur regard un horizon immense, dix fois plus étendu peut-être que celui de l’homme. Le martinet aperçoit dis- tinctement un moucheron à la distance de plusieurs cen- taines de mètres, fond sur lui et l’engloutit avec une dex- térité sans égale; le milan, qui plane dans les airs à des hauteurs inaccessibles à nos yeux débiles, découvre facile- ment le mulot imprudent qui se dispose à sortir de son trou. « Dieu fail bien ce qu'il fait, ajoute Toussenel ; s’il n'eût proportionne le coup d'œil de l'oiseau à sa vélocité, cette vélocité ne lui aurait servi qu'à se casser la tête ou à se rompre le cou. » Les observations de notre ornithologiste, sur la portée de la vue de l’oiseau, tendaient à faire supposer qu'il est des espèces presbytes, douées de la faculté de voir de très-loin et d’autres presque myopes, qui ne voient bien que de très-près. Les grives et les alouettes s’estropient en donnant avec violence contre la pentière, grand filet qu’on tend sur leur passage. Les perdrix se blessent ou se tuent contre les fils des télégraphes qui bordent les chemins de fer, et les gardiens des phares font moisson, au temps des oiseaux ne participent pas à l’accomplissement de l’hématose et que leur destination est uniquement mécanique, que dans le phénomène de l'inspiration les réservoirs aérifères sont les agents essentiels et les poumons les agents secondaires Il a expliqué l'indépendance entre les fonctions du vol et celles de la respiration, et a fourni de nouvelles preuves de la présence de l’air dans les plumes, du méca- nisme par lequel il se renouvelle et de la cause qui préside à ce renouvellement. INTRODUCTION. 33 migrations, de cailles, de bécasses et d’autres oiseaux de passage. Les espèces qui ne voyagent que de nuit, attirées par la lumière des phares, se heurtent contre le malen- contreux fanal, dont parfois elles brisent les vitres, et tombent mortes au pied de la tour. Ceci, cher ami, vous donne l'explication de l’épigraphe que j'ai placée en tête de mon épître : Des nochers en péril ce guide manifeste À d’autres voyageurs sera pourtant funeste | Je voudrais pouvoir vous citer toute cette charmante poésie que l’auteur des Poëmes de la mer a intitulée Le Phare ; je pourrais le faire avec d’autant plus d’à-propos que A. Autran a parfaitement décrit les dangers auxquels la lumière per- fide de ces tours à flambeaux expose les pauvres voyageurs aériens Qui volent de plus près, dans l’ombre de la nuit, Vers l'étrange soleil dont l'éclat les séduit. e . . . . . . . Oiseaux infortunés ! palmiers, claires fontaines, Doux nids, vous appelaient aux régions lointaines : Vous ne les verrez plus ; séduits par un faux jour, Vous ne connaïîtrez plus ni le ciel ni l'amour ! Ces accidents se répètent toutes les années aux époques des passages et deviennent de plus en plus fréquents à mesure bu'on multiplie l'éclairage des points du littoral des conti- nents et des îles qui se trouvent situés sur les lignes itiné- raires que suivent les oiseaux voyageurs. Veuillez maintenant me prêter toute votre attention, car je suis arrivé à la question qui m'intéresse le plus, à celle qui a donné motif à mon épître ; considérez tout ce que je viens de vous dire comme un hors-d'œuvre, une sorte d’avant-propos. Si en vous donnant d’abord une idée géné- rale du curieux phénomène des migrations des oiseaux, je vous ai parlé des moyens qu’ils possèdent pour accomplir leurs aventureuses pérégrinations, si j'ai ajouté quelques faits 34 INTRODUCTION. particuliers aux nombreuses citations de Toussenel, l'ob- servateur le plus compétent et le plus original que je con- naisse, si enfin je suis entré dans des détails sur l’orga- nisme et les instincts de ces navigateurs de l'air, toute cette longue dissertation n’avait qu’un but, qu'un seul motif, c’é- taient les Phares, contre lesquels ces pauvres oiseaux voya- geurs viennent se rompre le cou. Mais n'allez pas croire que je vienne ici m’apitoyer sur le triste sort des victimes de ces tours lumineuses, ni que je vous reproche d'être en quelque sorte un de leurs complices en votre qualité d’in- génieur en chef: bien loin de là, au contraire ; j'ai un double motif pour vous en féliciter : d'abord, parce que je considère le soin que l’on met de nos jours à la multiplicité des phares comme un véritable progrès, et ensuite, parce que je suis un peu gastronome et que j'aime passionnément le gibier. Or, voilà précisément la question qu’il me reste à traiter avec vous : les phares et l’exceilent gibier qu’ils nous promettent. J'ai toujours rendu grâce, pendant mes navigations, à ces hautes tours dont la lumière resplendissante vient percer les ténèbres et apparaît comme un astre bien- faisant au milieu de l'obscurité des nuits. Les phares, en guidant les marins sur leur route, signalent les passes qu'ils doivent franchir, les écueils qu'il faut éviter, et éclairent les ports sur lesquels ils se dirigent. Fixes ou tour- nants, à feux blancs ou colorés, à éclipses ou à éclats inter- mittents, ces étincelants fanaux de Fresnel m'ont toujours paru un des plus utiles perfectionnements des temps mo- dernes. Ils sont devenu$ surtout d’une nécessité absolue, dans les nuits orageuses, depuis l’audacieuse navigation à la vapeur. Aussi le système Fresnel a-t-il été adopté par toutes les nations maritimes pour l'éclairage des côtes, et l'Espagne n'est pas restée en arrière dans cette heureuse réforme. Elle a voulu que les anciennes Fortunées, qu’une obscurité profonde enveloppa trop longtemps, participassent aussi au bienfait des phares ; elle a compris que ces îles, INTRODUCTION. 35 par leur admirable situation géographique, semblaient avoir été placées tout exprès sur le chemin des deux mondes pour servir de relâche aux navigateurs. Les rendre abor- dables de nuit comme de jour, c’est compléter ce que Dieu adéjà fait pour elles, car il leur a donné ce Pic célèbre, dont l’orgueilleuse cime s’élève superbe au-dessus des nuages et domine l'Océan : point de reconnaissance des pilotes, phare immense qu'on découvre de jour à plus de quarante lieues en mer et qui partage avec l’île de fer et les principaux ob- servatoires du monde l’honneur du premier méridien. Maintenant plus de crainte pendant ces nuits sombres que redoutent les vaisseaux : la rassurante lumière des phares les guidera à travers cet archipel aux heures où le géant de la montagne dort enveloppé dans son noir manteau. Les îles Canaries devinrent la première étape de la navigation transatlantique dès la grande entreprise de Colomb” tout un avenir de progrès se dévoile aujourd'hui pour elles, et Ténériffe est appelée à recueillir la meilleure part de l’heureuse situation que la nature lui a faite. Le beau môle dont vous avez dirigé les travaux embrassera un jour assez d’espace pour permettre aux vaisseaux de venir s'abriter derrière ses jetées ; un fanal sidéral éclairera l'entrée du port; une forteresse à batteries casematées, autre ouvrage remarquable auquel un des vôtres attache son nom, le défendra de toute attaque. Mais les prévisions du pouvoir suprême ne se bornent pas là ; la construction de six grands phares a été ordonnée sur différents points de l'archipel canarien : Ténériffe, Canaria, Lancerotte, Fort- aventure, la Palme et Alégranza auront aussi'leurs phares. Je ne vous apprends rien de nouveau ; vous saviez cela mieux que moi, puisque c'est sous votre habile direction que s’exécutent ces travaux, que s'élèvent toutes ces tours si solidement construites et dont le brillant fanal de Fresnel couronnera le faîte pour projeter sa lumière à plusieurs lieues en mer; mais je ne vous le rappelle ici que pour vous faire remarquer que ces feux de nuit se trouveront situés 36 INTRODUCTION. précisément sur l'itinéraire suivi par les oiseaux migrateurs qui arriveront du continent voisin, circonstance intéressante au dernier point, car ces postes avancés seront une véritable providence pour les gardiens chargés d'entretenir les feux. J'entre maintenant dans le cœur de la question et je vous dirai tout d'abord que la plupart des espèces voyageuses qui nous viennent d'Afrique constituent le meilleur gibier. Ce sont des cailles, des grives, des bécasses, des bécassines, des alouettes et d’autres oiseaux estimés. Et admirez avec moi les bienfaits de la Providence ; ces succulentes espèces nous arriveront à l’époque où elles sont le plus grasses ! Toussenel a prétendu que l'embonpoint qui se fait remarquer chez l'oiseau au temps des migrations est une espèce de manteau de voyage dont il s’enveloppe par prévision des longs jeûnes qu’il peut éprouver en route. Toutefois, n’en déplaise à mon illustre maître, je suis bien plutôt tenté de croire que les oiseaux ne possèdent à cette époque cette obésité excentrique, qui les fait tant rechercher, que parce qu'ils ne sont pas en amour. J’en appelle, à cet égard, à votre propre expérience et je suis sûr d'avance que vous ne me démentirez pas. Quoi qu’il en soit, les phares des Canaries, par leur heureuse situation, nous font espérer une abondante moisson de cet excellent gibier-plume que Brillat-Savarin, qui s’y connaissait, a proclamé une nourriture saine, chaude et succulente, qui peut subir, sous la main d’un cuisinier habile, les transformations les plus savantes et passer à l’état de mets de haut goût. Je vous ai déjà dit que les principales espèces volatiles sur lesquelles nous pouvions compter à l’époque des pas- sages étaient d’abord les cailles, si ragoütantes quand elles sont rôties en papillotes pour leur conserver toute leur graisse et leur parfum ; ensuite les grives, dont la chair a aussi beaucoup d'arome et un petit goût d’amertume qui ne déplaît pas, surtout après le mois de novembre, quand l'oiseau s’est repu d'olives noires. Or, ce sera justement à cette époque que cette espèce voyageuse nous arrivera du INTRODUCTION. S1 Maroc, pays d’oliviers. Et à ce sujet, observons en passant que les chasseurs de Ténériffe connaissent à peine les grives, bien qu’elles viennent depuis longtemps passer une partie de l'hiver dans cette île. La grive est un oiseau craintif, qui aime à se cacher, ne voyage qu'en petites bandes et redoute le grand jour. Elle ne se montre guère que de très-grand matin ou un peu avant la nuit, et ne séjourne que dans la région des pins ou dans les stations les plus élevées de nos montagnes. Un bon salmis de grives n’est pas moins estimé qu'une brochette d’alouettes cuites à point : — « La bécasse, dit le gracieux auteur de la Physio- « logie du goût, est un oiseau très-distingué, mais peu de « gens en apprécient tous les charmes ; traitée suivant les « règles de l’art, la bécasse à la broche inonde la bouche de « délices. » Il n’y a là aucune exagération, je vous l'as- sure ; tout ce qui est écrit dans la Gastronomie transcen- dante est incontestable : une bécasse bien bardée de lard et rôtie sur une tranche à la Soubise est un morceau de gour- mand..…., mais n'allez pas attacher à ces renseignements plus d'importance qu'ils n’en méritent ; je ne vous parle qu'en simple amateur, qui sait apprécier ce qui est bon et n'est pas de ces mangeurs stupides chez lesquels les mets les plus délicats passent inapercus. Je ne pousserai donc pas plus loin ces réflexions ; vous êtes averti. Qu'il me suflise d'avoir appelé votre attention sur ce mystérieux phénomène des migrations des oiseaux, dont les phares, que vous avez construits, vont nous donner une des meilleures preuves. Par votre position officielle, vous êtes appelé naturellement à exercer un contrôle sur les gardiens de ces tours lumi- neuses, écueils des oiseaux de passage et sauvegardes des navigateurs. Veuillez, je vous prie, me recommander à ces braves gens, car il est probable que tout le gibier dont ils feront capture n'arrivera pas au marché. Ténériffe, mai 1863. OISEAUX VOYAGEURS CHAPITRE PREMIER Migrations des Oiseaux. (CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES.) « Partons, partons, se disent-elles. » (Les Hirondelles \ FLo:xtAN. SOMMAIRE. — Instinct des migrations. Départ des hirondelles. Ten- dance générale versles changements de climats. Etapes favorables aux oiseaux migrateurs. La France sous le rapport cynégétique. Stations de la mer du Nord, Helgoland. Archipels atlantiques. Les iles Fortunées. Ornithologie canarienne. Isolement de cer- taines espèces et dernier terme de leurs voyages. Cuba et les Antilles. Passages des oiseaux, d’après Oviedo. Explications. Mi- grations des échassiers dans l'Amérique méridionale. Voyages et stations des ardéadées et des palmipèdes dans l’Amérique du nord. [. Un instinct admirable porte les oiseaux voyageurs à se réunir aux époques de leurs migrations : lorsque ceux d’une même espèce vont se mettre en route, le rendez-vous général a toujours lieu sous la direction des anciens, qui servent de guide comme si l’expérience - des voyages était acquise de droit aux plus vieux de la bande. On remarque alors chez ces oiseaux une grande 40 CHAPITRE PREMIER. inquiétude, et un besoin impérieux semble les tour- menter. Les uns, avant le départ, poussent des volées dans différentes directions et paraissent appeler les autres ; ceux-ci se posent sur la cime des arbres les plus élevés, sur le faïte des édifices, ceux-là dans d’autres endroits qui dominent la plaine. On dirait qu'ils se sont tous donné le mot pour partir ensemble ; mais ce signal mystérieux, qu'eux seuls comprennent et auquel ils obéissent spontanément, nous reste ignoré. En un clin-d’œil ils disparaissent et se dirigent sans boussole vers des contrées lointaines pour aller cher- cher, sous d’autres cieux, des rivages, des forêts, des plaines ou des montagnes que la plupart connaissent déjà. — Ces voyages de long cours ont lieu deux fois l’an ; l'instinct qui les guide ne leur fait jamais défaut ; ils savent d’avance qu’ils trouveront les pays vers les quels leur instinct les pousse, qu’ils y rencontreront une nourriture abondante, un climat plus doux. Michelet, dans son livre de l’Oiseau, raconte ce qu’il a Vu un Jour qu'il observait le départ des hirondelles : il était à Nantes en octobre 1851 ; la saison était encore belle et des hirondelles commençaient à se rassembler en gazouillant sur le faite de l’église de Saint-Félix. Le ciel, beau le matin, se voila dans la journée et présa- geait un orage. Vers les quatre heures, des vols nom- breux vinrent de toutes parts de l’horizon se condenser sur l’église en s’appelant à cris redoublés. « Tout à « coup, dit Michelet, la masse noire, s’ébranlant à la « fois comme un immense nuage, s’envola vers le sud- « est, probablement vers l'Italie. Elle n’élait pas à PTS ; MIGRATIONS DES OISEAUX. A « trois cents lieues (quatre ou cinq heures de vol!) que « toutes les cataractes du ciel s’ouvrirent pour abimer « laterre ; nous crûmes un moment au déluge. Évi- « demment ce n’était pas la faim qui avait chassé ces « hirondelles, en présence d’une nature belle et riche « encore ; mais elles avaient senti, saisi l’heure pro- « pice..... Le lendemain il eût été trop tard; tous les « insectes, abattus par l’orage, seraient devenus introu- « vables. » Par ce que j’ai dit moi-même, dans l’Antroduction, du manége des tourterelles au moment où elles vont effec— tuer leur grande traversée aérienne, on a pu juger de la promplitude avec laquelle ces oiseaux disparaissent à l'instant du départ. IF. L'instinct des migrations parait inné chez tous les oiseaux voyageurs : à l’époque où les cailles se mettent en route, les jeunes, élevées en captivité, se tourmentent dans leur cage jusqu'à se briser la tête contre les barreaux. Le même désir de liberté se mani feste alors chez celles que les chasseurs de Provence, par un raffinement de barbarie, aveuglent pour leur servir d'appelants. Une des principales causes qui portent les oiseaux migrateurs à changer de climat, est la disette qu’ils pour- raient éprouver aux époques des grandes chaleurs et des grands froids, par le manque de nourriture en graines, fruits ou bourgeons et par la disparition des 42 CHAPITRE PREMIER. insectes aux pluies d'automne. On a souvent remarqué des migrations de mammifères et d'insectes qui détermi- nent celles de certains oiseaux. Les petits rats campa- gnols (1), qui émigrent en innombrables légions des bords de la mer Glaciale et descendent vers le sud, en dévastant tout sur leur passage, sont suivis par les hibous barrés qui en font une grande consommation. Les émerillons poursuivent les cailles voyageuses ; d’autres oiseaux pourchassent ces nuées de sauterelles qui traversent les déserts et portent le ravage dans les campagaes où elles s’abattent. Il faut distinguer, parmi les oiseaux voyageurs, ceux qui émigrent, des espèces vagabondes qui errent seu— lement dans les contrées où elles nichent. Les migra— teurs font leurs apparitions et repartent chaque année aux mêmes époques ; il en est qui ne sont que de pas- sage dans les pays qu'ils traversent et où ils séjournent peu ; d’autres y viennent nicher et ne quittent la contrée que pour y revenir. Ces derniers sont pour nous des espèces indigènes, de même que les sédentaires, car, pour eux, le nid c’est la patrie, la terre natale, le ber- ceau des amours. Tous les migrateurs en général suivent constam— ment la même route dans leurs voyages. Beaucoup d’oi- seaux, parmi les échassiers, les palmipèdes, les hiron- delles, passent en se maintenant assez haut dans leur vol, surtout quand ils ont de vastes étendues de mer à traverser ; mais, sur les continents, ils se rapprochent de terre. On voit souvent de grands vols d’étourneaux (1) Mus Lemmus, L. MIGRATIONS DES OISEAUX. 43 s’abaisser tout-à-coup dela région des nueset poursuivre leur route en rasant le sol. Leurs rapides évolutions sont des plus curieuses à observer lorsque des oiseaux de proie donnent la chasse à ces bandes voyageuses qui remontent, s’affaissent, se redressent ou tourbil- lonnent, se pressent et se serrent, afin d'éviter l’ennemi et lui opposer leur masse compacte. — La puissance du vol des oiseaux voyageurs n’influe pas sur l’étendue de leur aire de dispersion, et beaucoup d’oiseaux grands-voiliers parcourent des espaces plus restreints que d’autres moins favorisés pour la force des ailes. TEL. Le passage des oiseaux migrateurs a été observé dans beaucoup de pays, en France comme en Angle— terre, en Italie, en Espagne, en Grèce, dans toute l’Europe aussi bien que dans les autres parties du monde, dans les régions équinoxiales de même que vers les plus hautes latitudes polaires. À la Nouvelle- Guinée et dans les îles voisines, où vivent les superbes oiseaux de paradis, on avait remarqué, qu'à une époque de l’année, ces oiseaux ne se rencontraient plus dans les forêts où ils se tiennent d’habitude; les ren- seignements de Lesson sont venus expliquer cette ab- sence: «Les Paradisiers, dit-il, sont des oiseaux de pas- sage, qui changent de districts suivant les moussons. » Le manchot des côtes Magellaniques (1) peuple pen- dant cinq ou six mois de l’année ces froides latitudes et (1) Aptenodytes demersa, Gm. 44 CHAPITRE PREMIER. se rend ensuile à la mer pour entreprendre un long voyage et remonter, en nageant, les côtes occidentales de la Patagonie. Il a été vu même dans la rade du Callao. Les oiseaux aquatiques qu’on rencontre dans la mer Glaciale, aux alentours des terres arctiques, ont aussi leurs époques de migration ; mais il parait que ce n’est pas toujours vers le sud qu’ils vont chercher un climat plus doux; l’été polaire Les appelle alors dans la mer libre qui, bien que plus au nord, est relativement plus tempérée au solstice de juin, quand la durée des inso— lations va en augmentant et vient échauffer graduelle— ment les eaux. C’est vers cette mer dégagée de glaçons, d’abord entrevue par Kane, et dont l’existence au delà du cap Union, par 82° 30° de latitude, ne saurait plus aujourd’hui être révoquée en doute, après l’audacieuse reconnaissance du docteur Hayne, c’est, dis-je, vers cette mer libre que se dirigent les oiseaux, quand la mer gêèle et que les banquises commencent à se former. L’Eider, espèce de canard qui abonde aux terres arc- tiques, est dans ce cas. Déjà Les Esquimaux de la côte nord de l’Amérique septentrionale avaient remarqué que, chaque année, aux approches de l'hiver, les oiseaux migrateurs quittaient les bords glacés de la rivière de Makensie et se dirigeaient vers le pôle. Leurs assertions ont élé confirmées par les compagnons de Kane, qui aperçurent, du haut du cap Indépendance, de grandes bandes d'oiseaux aquatiques sur la mer libre au delà du canal Kenedy. Ainsi, le seul instinet leur tenant lieu d'intelligence MIGRATIONS DES OISEAUX. 45 suffit aux oiseaux voyageurs pour se guider vers cette Polynie dont toutes les combinaisons de la science n’ont pu jusqu'ici indiquer les chemins aux navigateurs qui ambitionnent sa conquête. INE La France, par son heureuse position géographique, est une des étapes d’une foule d'oiseaux migrateurs qui, du nord et de l’est de l'Europe, se dirigent au midi à l’époque des passages. Par son climat tempéré, cette douce contrée est une des meilleures stations d'hiver pour beaucoup d’espèces voyageuses; aussi voit-on sa faune s'enrichir, aux changements de saison, de même que dans d’autres pays du globe, d’un grand nombre d'oiseaux migrateurs qui arrivent du dehors, les uns au printemps, les autres en automne. Ainsi les espèces qui nous quittent aux premières annonces de l'hiver sont remplacées par des échassiers et des palmipèdes que le froid a chassés des régions septentrionales et qui viennent nous visiler à leur tour. « Les migrations, observe Michelet, sont des échanges pour tous les pays; telle cause de climat ou de nour- riture, qui décide du départ d’une espèce, est celle qui détermine l’arrivée d’une autre. » — Quand l’hiron- delle s'éloigne aux pluies d'automne, on voit repa- raitre les pluviers et les vanneaux; plus les froids avancent, plus vite les oiseaux chanteurs disparaissent et sont remplacés par les canards, les sarcelles et les bécasses, dont les chasseurs fêtent la bienvenue. 46 CHAPITRE PREMIER. «Lorsque les cailles et les grives émigrent vers le midi, les perdrix apparaissent dans la plaine... Beaucouy partent, quelques-uns reviennent; à chaque station il leur faut payer un tribut. » (L’Oiseau.) Bien que beaucoup d'espèces voyageuses, parmi celles qui tous les ans visitent l’Europe, soient devenues fort rares dans certaines contrées, la France passe encore pour un assez bon pays de chasse, et, dans la saison, plusieurs de nos provinces abondent en gibier. Le midi, à cet égard, parait plus favorisé que le nord en oiseaux de passage. C’est principalement dans le delta du Rhône et dans la contrée qui borde lefleuve, ainsi qu’en Provence, en Languedoc, dans tout le Roussillon et le Béarn, en remontant vers les Pyrénées, de même que du côté du Var et de l'Isère, vers les Basses -Alpes et le Dauphiné, que se présentent un grand nombre d’es- pèces qui viennent accroître les richesses ornitholo- giques de notre faune. Nos provinces septentrionales et la partie de notre territoire qui avoisine le Rhin, nos montagnes des Ardennes et des Vosges, celles de la Savoie, le Bocage vendéen et normand, les champs de la Beauce et du Berry, les plaines et Les bois de la Lor- raine et de la Franche-Comté, sont encore de bonnes stations cynégétiques. Va Il est en Europe, sous ce rapport, des pays très -fa- vorisés par leur situation géographique: ce sont en général les grandes iles qui avoisinent le continent, telles que la Corse et la Sardaigne, les Baléares et la M MIGRATIONS DES OISEAUX. 47 Sicile dans la Méditerranée occidentale, et celles de l’Archipel dans la partie orientale, excellents postes d'observation pour la connaissance des oiseaux migra— teurs qui passent d'Afrique ou d’Asie en Europe et vice- versa. Les mêmes remarques peuvent s’appliquer aux ré- gions septentrionales : l’Islande est la station obligée des oiseaux voyageurs qui, des contrées boréales de l'Amérique, traversent la mer pour passer sur notre continent. Helgoland, cette petite île de la mer du Nord, située sur la côte du Schleswig, presque à l’entrée de la Bal- tique, est une autre étape sur laquelle les oiseaux de passage semblent se diriger de préférence, et il est probable que son phare favorise l'itinéraire de ceux qui ne voyagent que de nuit. — X. Marmier, qui employa si bien son temps sur les bords de la Baltique (1), nous a raconté les chasses des Helgolandais, lorsque les oiseaux migrateurs viennent s’abattre sur le sol de l’île pour s’y reposer : « Souvent, dit-il, on voit arriver des « nuées de bécasses, d’alouettes et de grives. Ces « pauvres oiseaux, qui ont traversé la vaste mer, « tombent parfois si épuisés de fatigue qu’un enfant « peut les prendre avec la main. Leur apparition est « pour les Helgolandais, comme jadis celle des cailles « pour les Israélites, dans leur marche à travers le « désert, un événement qui met tout le monde en émoi. « Hommes et femmes, chacun court à la bienheureuse (1) Un été au bord de la Baltique et de la mer du Nord, souvenirs de voyage, par X. Marmiér, p. 327. Paris, 1856. I. — 4, CHAPITRE PREMIER. curée. Les travaux habituels sont abandonnés ; les prêtres eux-mêmes, dans l’exercice solennel de leurs fonctions, ne résistent pas à l’entrainement général. Le dimanche, on a vu plus d’un prédicateur fixer tout-à-coup les yeux sur les fenêtres de l’église, s’ar- rêter au beau milieu de son sermon, pour s’écrier : Mes frères, voici les bécasses ! -— Aussitôt, il descen- dait de la chaire, la communauté se précipitait en tumulte hors de la nef, et chacun allait s’armer de son fusil et de ses lacets. Un voyageur raconte qu'une fois même cette importante migration fit in- terrompre un mariage. Les fiancés étaient au pied de l’autel ; le prêtre allait leur donner la bénédic- tion nuptiale, quand soudain un cri retentit à la porte du temple : les bécasses, les bécasses ! — Le prètre ne put résister à l’entrainement, et la cérémonie, commencée le matin, ne s’acheva que le soir après une longue chasse. » ME Quelques-unes ‘des îles situées sur les côtes occiden- tales d'Europe et d'Afrique offrent des stations favo- rables aux oiseaux voyageurs qui arrivent du continent voisin. — Le groupe des Açores, à 200 milles environ dela côte portugaise, participe peu au tribut des migra- tions, en ce qui concerne du moins les oiseaux qui se ren- dent d'Europe en Afrique et qui en reviennent Ces îles se trouvent trop en dehors de l’ilinéraire suivi par des voyageurs aériens qui doivent préférer passer au-dessus MIGRATIONS DES OISEAUX. 49 des continents pour profiter des ressources que leur offrent les stations où 1ls peuvent se reposer en route. Toutefois les Açores recevront, aux époques des pas- sages, plusieurs espèces du nord de l’Europe et un certain nombre de la péninsule ibérique. L’on y ren- contre beaucoup d’oiseaux de mer et de proie, qui la plupart fréquentent les îles atlantiques comprises dans celte partie de l'hémisphère occidental, du 40° degré de latitude nord au 17° — Dès le moyen âge, les his- toriens et les géographes arabes en avaient fait la remarque relalivement aux Açores, à Madère et auxilots voisins. L'ile des Oiseaux (Dyexirat el Thouiïour), citée par Edrisi et Ebn-al-Ouardi, celle des Corbeaux de mer (Corvo marino), indiquée sur les anciennes cartes ma- nuscrites dressées par les cosmographes du temps, la dénomination d’Insulæ accipitres, appliquée aux Açores dans la nomenclature latine, prouvent évidemment que les oiseaux de mer et de rivage, de même que certains Rapaces, avaient fixé l'attention des navigateurs qui abordèrent les premiers ces terres restées longtemps cachées dans la Mer ténébreuse. Tous ces noms et d’autres encore, tels que ceux d’êles des Grifjons et des Aigles de mer, se rapportaient probablement au groupe de Madère, soit à Porto-Santo, soit aux ilots des Sal= vages ou à d’autres rochers isolés de l'archipel des Açores. (1) Quant aux îles du Cap-Vert, leur situation au delà du (1} Voyez VI° volume du Recueil des voyages et mémoires de la Soc. de géogr. de Paris, p. 200, et Hist. nat. des îles Canaries, t. I, part ormith. canarienne, p. 6. Webb et Berthelot, 50 CHAPITRE PREMIER. tropique et leur proximité de la côte continentale les placent tout à fait dans la région africaine : quelques oiseaux voyageurs pourront bien parfois pousser leurs migrations jusque dans cet archipel, maïs la faune locale présente en général de grandes analogies avec celle de la Sénégambie. Il n’en est pas ainsi des îles Canaries, situées sur les confins de l’Atlantique oriental et qui, à partir du voi- sinage de l’Afrique, se prolongent dans le sud-ouest, à la suite les unes des autres, sur un espace de mer d’en— viron cent lieues d’étendue. Les oiseaux migrateurs qu'on y rencontre proviennent en grande partie du continent adjacent et arrivent aux époques des passages; mais parmi ces espèces, aux habitudes vagabondes, il en est plusieurs qui se sont fixées dans le pays, car on les trouve en toute saison. Quelques autres sont propres à cet archipel : ce sont trois fringilles, une farlouse, un martinet, une colombe et deux oiseaux de mer. — Les espèces indigènes et celles qui, venues du dehors, se sont propagées aux Canaries, jointes aux bandes voyageuses qui y stationnent un temps de l’année, impriment à la faune de ces îles un caractère ornithologique à la fois européen et africain; mais cette faune se distingue bien moins, pour certaines espèces, par la variété des genres que par le grand nombre d'individus. On ne compte aux Canaries que onze espèces d'oiseaux de proie, quarante-trois passereaux et vingt-cinq échassiers ; les gallinacés ne sont qu’au nombre de cinq espèces, presque toutes sédentaires, mais réunies en grandes bandes. Les gangas ou geli- MIGRATIONS DES OISEAUX. o1 nottes vivent par troupes dans les plaines de Fortaven- ture, séparées seulement du désert de Sahara par un bras de mer de quatorze lieues. L’outarde d’Afrique, oiseau polygame comme le coq, habite la même île avec ses femelles ; le court-vite isabelle y est aussi très-com- mun. La perdrix de Barbarie n’est pas moins abondante dans les grands ravins et sur les coteaux maritimes de la partie centrale de l'archipel, à Ténériffe, à Canaria, à la Gomère ; les cailles pullulent dans toutes les îles où l’on cultive les grains et y font deux nichées. Des nuées de bruantset de proyers, des linottes, des char- donnerets, des serins et d’autres petits passereaux, par vols innombrables, parcourent les campagnes, des vallées cotières aux plateaux supérieurs, tantôt ras- semblés autour des sources, tantôt sur la lisière des bois, oubien vaguant dans les terres de labour où l’on récolte le lin et les céréales. Sept ou huit espèces de sylvies, des roitelets, des pinçons, des colombes, se montrent dans les sites ombragés; les alouettes et les farlouses se plaisent dans les champs comme en Europe; les bergeronnettes, les huppes et les mésanges fré— quentent les jardins et les bocages, tandis que les mi- lans, les vautours et les faucons, de même que les cor- beaux, non moins rapaces que les oiseaux de proie, planent dans les airs pour inspecter de leur yeux per- çants le champ de leurs rapines. — Les échassiers et les palmipèdes, la plupart oiseaux de rivage, ne font que des apparitions accidentelles dans ces îles sans étangs ni rivières et dont les vallées ne sont arrosées que par des torrents ou de petits ruisseaux. 52 CHAPITRE PREMIER. VIE Ces îles Fortunées méritent que nous nous y arrêtions un instant: depuis un demi-siècle que je les connais et plus de trente ans que je les habite, je n’en suis pas en- core lassé. Elles furent le champ de mes premières études, alors que j’entrepris de les décrire et de raconter leur histoire. Oiseau voyageur, comme ceux qu'on ren- contre sur cette terre hospitalière, j'y suis devenu sé- dentaire et n’ai pu résister aux séductions de ces filles de l'Océan, car, semblables aux Syrènes de la fable, elles charment dès qu’on les voit: un beau ciel, une belle nature et de braves et bonnes gens ! — La vie s’y passe douce et facile, loin du tumulte et des agitations, sans soucis et sans grande fatigue, sous un ciel privi- légié. [les Fortunées, que l’antiquité célébra, séjour des âmes heureuses, où j'ai rencontré, comme l’oiseau, tout ce qu'il désire, tout ce qu’il va chercher au loin, et où il s’est fixé, comme moi, parce qu'il s’y trouve bien | L'instinct des migrations n’est pas absolu chez les mêmes espèces; il se modifie suivant les climats, et c’est ce qui est arrivé à beaucoup d’oiscaux de la faune canarienne. [ls ont bien les mêmes mœurs, les mêmes habitudes que ceux de nos contrées, mais la plupart d’entre eux ont renoncé aux voyages. Les becs-fins, les fauvettes, les rouges-gorges, n’émigrent pas, les gri- settes,les bergeronnettes, les passerinettes non plus ; il en est de même des pipis, des roitelets, des brüants, de plusieurs autres passereaux, et en général de tous MIGRATIONS DES OISEAUX. D3 les fringilles qui, en France, nous quittent en hiver, et qu’on voit toute l’année dans ces îles. Les colombes et certains gallinacés sont dans le même cas. — Parmi les rapaces, la cresserelle, l’épervier, le milan, la buse, le vautour, la chouette et le hibou, sont tous sédentaires. Pourquoi du reste s’expatrieraient-ils? Où pourraient- ils rencontrer une nourriture plus abondante et plus variée, une meilleure température ? N’ont-ils pas le choix des stations sans sortir du pays? Aux gélinottes et aux coureurs d'Afrique, Lancerotte et Fortaventure offrent leurs vastes plaines et leur climat brülant. La grande Canarie et Ténériffe, situées au centre de l’ar- chipel ; la Gomère, la Palme, et l’île de Fer, la plus occidentale ; toutes ces hautes terres qui cachent leur front dans les nues et dont les plus grandes ont jusqu’à cinquante lieues de tour, sont peuplées d’oiseaux qui les parcourent en toutes saisons, s’y choisissent des stations et des climats à leur guise, suivant l’échelle des altitudes. —- A partir des bords du rivage, où crois- sent les euphorbes, les palmiers, les bananiers, les cactus et les dragoniers, se présentent successivement des coteaux baignés par les vents de mer, des champs de labour ou des terres vagues ; ici des vergers et des jardins, là des ravins profonds, aux berges couvertes de plantes sauvages ; plus haut, des plateaux ferüles, des bois touffus ou des bruyères. En se rapprochant des cimes, d’autres cultures encore et des bois de pin; puis, dans cette région supérieure, aux crêtes Culmi— nantes, des abrisseaux légumineux et des plantes al- pines qui ont pris racine dans la cendre des vol- be! CHAPITRE PREMIER. cans. — De loin en loin de petites sources s’échappent du sein des rochers couverts de mousses ; partout des ressources pour la vie el des abris contre les intem— péries et le froid. Sur les versants du nord de ces monts gigantesques, règnent les brises et la fraicheur ; sur la bande opposée, la chaleur et le calme : avais-je raison de dire que les oiseaux n’avaient qu’à choisir ? VIII. L’archipel canarien est partagé en deux régions or- nithologiques bien distinctes : Fortaventure, Lancerotte et les ilots déserts, situés plus au nord, forment la région orientale, où se trouvent la majeure partie des oiseaux d'Afrique qui fréquentent ces îles et où la plu- part se sont fixés. — J’appellerai région d’occident toutes les autres terres du groupe qui se prolongent dans la direction du sud-ouest, où l’on rencontre plus spécialement les espèces européennes. Ce n’estqu’à Fortaventure qu’on peut chasser l’outarde houbara, à jabot noir. Get oiseau est sédentaire dans l’île ; quelques-unes ont été vues seulement à Lancerotte, dans les plaines sablonneuses, de l’autre côté du détroit de la Bocayna. — La chasse à l’outarde ne se fait pas sans difficulté ; c’est à cheval qu’on peut s’en approcher assez près pour la tirer, quand on n’a pas de chien, car elle s’effarouche moins d’un homme monté que d’un piéton, encore faut-il faire de longs détours, afin de lui inspirer moins de crainte. Si l’on s’avance directement, elle fuit et prend le vol hors de portée. Le chasseur doit MIGRATIONS DES OISEAUX. 55 avoir constamment l’œil sur le gibier à mesure qu’il s’en approche. L’outarde, blottie derrière une pierre, se confond facilement avec la teinte grisâtre du terrain ; l'oiseau, toujours l’œil au guet, change aussitôt de place dès qu'il se voit à découvert, et, à la moindre distraction du chasseur, il n’est plus où on le croit. Profitant du moment propice, l’outarde est parlie à la sourdine comme un oiseau de nuit. Le meilleur moyen, quand on est à bonne distance, est de la forcer pour qu’elle se lève ; on est toujours sûr de l’abattre au vol. Les court-vite et les gélinottes (1) habitent aussi les deux îles orientales, mais ces oiseaux sont beaucoup plus nombreux à Fortaventure, les premiers dans la partie centrale de l’île et les seconds dans les vallées solitaires de la presqu’ile de Handia, où ils se réunis- sent et font entendre un roucoulement comme les colombes. Jean Wagler en a fait le premier la re- marque (2). Les court-vite sont connus des gens du pays sous le nom d’engano muchachos (trompe-enfants\ ; ils marchent par saccades, puis s'arrêtent tout court, mais leurs mouvements sont si prompts et si rapides qu’il est im- possible de distinguer les temps d’arrêt des élans de course. La vélocité prestigieuse de ce coureur vous jette dans l'incertitude ; l’oiseau semble immobile et fuit quand on le croit arrêté. Dans l'espoir de Le saisir, on (1) Cursorius isabellinus, Meyer. et Pterocles arenarius, Temm. (2) « Aliquotiès interdiis cum socià fæminà ad aquas migrans, leniter et continenter, Columbæ instar, volans, et volando stridu- lam, amænam altamque vocem edens, etc... » Docteur Jean Wa- gler, Systema avium, 1827. 56 CHAPITRE PREMIER. fait beaucoup de chemin sans pouvoir l’atteindre ; on dirait qu’un artifice le fait glisser sur le sol, car à peine aperçoil-on ses jambes fines et grêles qui n’ont pas l’air de bouger. Dès que le chasseur approche, le coureur se redresse sur ses échasses ; son corps effilé prend un port encore plus svelte. En vain tenterait-on de le tirer dans une de ces poses trompeuses ; il vaut mieux lui laisser prendre le vol, c’est plus sûr. — Ces oiseaux se lèvent rarement dans la journée quand le soleil chauffe la plaine ; le meilleur moment de la chasse est vers le soir, lorsqu'ils se rassemblent en poussant leurs petits cris d’appel et qu’ils volent lentement pour gagner leur gîte de nuit. Ils passent parfois de l’ile de Fortaventure sur la côte de la grande Canarie la plus rapprochée de Handia. J’en ai tué quelques-uns, en 1826, qui s'étaient égarés jusqu’à Ténériffe, dans la vallée de Guimar, après un coup de vent du sud. Peut-être ces oiseaux venaient-ils directement d'Afrique. L’œdicnème criard, l’alcaïavan des Arabes (1), est un autre oiseau africain qu’on retrouve dans presque tout l'archipel canarien, où il niche et paraît sédentaire. IX. Les petites îles désertes, placées en première ligne au nord et à l’est du groupe oriental des Canaries (Alégranza, Montana Clara, Graciosa et les Roquètes qui les avoisinent), sont peuplées d'oiseaux de mer et (1) Le nom arabe de cet oiseau rappelle celui de Caravaneur (voyageur en marche dans le désert) ; son nom scientifique est Œdicnemus crepitans. MIGRATIONS DES OISEAUX. 57 de rivage. Les anfractuosités d’Alégranza donnent asile au goëland grisard (1), que les pêcheurs de Lancerotte vont dénicher pour se procurer l’édredon qu’on expédie à Londres. C’est dans les creux des rochers qui bordent la côte que s’est établi ce grand palmipède, mais il n’est pas facile de parvenir jusqu’à son nid, car il en défend les approches en volant contre le ravisseur, qu'il tâche de repousser par ses cris, en le frappant de ses puissantes ailes, — Le goëland cendré (2) est aussi très-commun sur ces petils îlots, de même que dans tout l’archipel. — Diverses espèces d’hirondelles de mer (3) fréquentent également ces plages solitaires, où l’on rencontre en outre le tajo ou puflin-manks (4) et une espèce nouvelle qui a le port d’une petite tourte- relle (3). — Les pétrels ou puffins cendrés, que les pêcheurs canariens appellent pardelas, sont, parmi les laridés, des oiseaux très-nombreux aux îles Salvages, où les marins de Lancerotte se rendent tous les ans, après la ponte, quand les petits sont encore dans les nids. On estime à 25,000 la quantité de jeunes pétrels dont ils peuvent s'emparer dans les bonnes années et qu’on conserve en les salant. Le succès de ces expéditions dépend entièrement de l’arrivée opportune des chasseurs, car si quelques circonstances les mettent en retard, ils peuvent éprouver une grande perte. Le fait suivant en fournit un exemple : un habitant d’Arecife (6) avait (1) Larus marinus, L (2) Larus argentatus, Brum. (3) Sterna cantiaca, S. hirundo et S. minuta. (4) Procellaria Anglorum, Tem. (>) Puffinus columbinus, Nobis. (6) Arecife, capitale de Lancerotte. 56 CHAPITRE PREMIER. fait beaucoup de chemin sans pouvoir latteindre ; on dirait qu’un artifice le fait glisser sur le sol, car à peine aperçoil-on ses jambes fines et grêles qui n’ont pas l’air de bouger. Dès que le chasseur approche, le coureur se redresse sur ses échasses ; son corps effilé prend un port encore plus svelte. En vain tenterait-on de le tirer dans une de ces poses trompeuses ; 11 vaut mieux lui laisser prendre le vol, c’est plus sûr. — Ces oiseaux se lèvent rarement dans la journée quand le soleil chauffe la plaine ; le meilleur moment de la chasse est vers le soir, lorsqu'ils se rassemblent en poussant leurs petits cris d’appel et qu’ils volent lentement pour gagner leur gîte de nuit. Ils passent parfois de l'ile de Fortaventure sur la côte de la grande Canarie la plus rapprochée de Handia. J’en ai tué quelques-uns, en 1826, qui s'étaient égarés jusqu’à Ténériffe, dans la vallée de Guimar, après un coup de vent du sud. Peut-être ces oiseaux venaient-ils directement d'Afrique. L’œdicnème criard, l’alcaravan des Arabes (1), est un autre oiseau africain qu’on retrouve dans presque tout l'archipel canarien, où il niche et paraît sédentaire. IX. Les petites iles désertes, placées en première ligne au nord et à l’est du groupe oriental des Canaries (Alégranza, Montaña Clara, Graciosa et les Roquètes qui les avoisinent), sont peuplées d'oiseaux de mer et (1) Le nom arabe de cet oiseau rappelle celui de Caravaneur (voyageur en marche dans le désert) ; son nom scientifique est Œdicnemus crepitans. _cbtén sales tite dut Lt MIGRATIONS DES OISEAUX. 57 de rivage. Les anfractuosités d’Alégranza donnent asile au goëland grisard (1), que les pêcheurs de Lancerotte vont dénicher pour se procurer l’édredon qu’on expédie à Londres. C’est dans les creux des rochers qui bordent la côte que s’est établi ce grand palmipède, mais 1] n’est pas facile de parvenir jusqu’à son nid, car il en défend les approches en volant contre le ravisseur, qu’il tâche de repousser par ses cris, en le frappant de ses puissantes ailes. — Le goëland cendré (2) est aussi très-commun sur ces petits îlots, de même que dans tout l’archipel. — Diverses espèces d’hirondelles de mer (3) fréquentent également ces plages solitaires, où l’on rencontre en outre le tajo ou puflin-manks (4) et une espèce nouvelle qui a le port d’une petite tourte- relle (5). — Les pétrels ou puffins cendrés, que les pêcheurs canariens appellent pardelas, sont, parmi les laridés, des oiseaux très-nombreux aux îles Salvages, où les marins de Lancerotte se rendent tous les ans, après la ponte, quand les petits sont encore dans les nids. On estime à 25,000 la quantité de jeunes pétrels dont ils peuvent s'emparer dans les bonnes années et qu’on conserve en les salant. Le succès de ces expéditions dépend entièrement de l’arrivée opportune des chasseurs, car si quelques circonstances les mettent en retard, 1ls peuvent éprouver une grande perte. Le fait suivant en fournit un exemple : un habitant d’Arecife (6) avait (1) Larus marinus, L (2) Larus argentatus, Brum. (3) Sterna cantiaca, S. hirundo et S. minuta. (4) Procellaria Anglorum, Tem. (>) Puffinus columbinus, Nobis. (b) Arecife, capitale de Lancerotte. 28 CHAPITRE PREMIER. loué les Salvages à bail au riche Portugais propriétaire de ces îles. Ce chasseur de pétrels était en inimilié avec le gouverneur de Lancerotte, qui l’ayant empêché de s’embarquer à l’époque favorable lui fit perdre ainsi plus de la moitié du bénéfice qu’il aurait pu réaliser, s’il fût arrivé quinze jours plus tôt. Le puffin obscur (1), qui fréquente aussi ces parages, vient parfois en hiver sur les côtes de Ténériffe. Le puffin colombe est une espèce plus répandue, que nous avons décrite et figurée dans notre Ornithologie cana- rienne (2). Get oiseau est très-nombreux à Alégranza, où il niche dans les cavités des rochers ; son cri res- semble à celui d’un petit chien et de là provient le nom de perrito qu’on lui donne. La même espèce se trouve à Madère, à Porto—Santo et sur le petit îlot des Danetas, à huit lieues de cette île, où on lui fait la chasse comme au puflin cendré. Le docteur Heineken, qui observa cet oiseau, à assuré qu’il émigrait en automne pour retour- ner au printemps. Les gens de Madère lui donnent le nom d’anjinho, petit ange, « mais, dit le docteur, on devrait bien plutôt l’appeler petit diable, à cause de sa couleur noire et de ses habitudes. » C’est un oiseau nocturne et plus pélagien que les autres laridés. Différentes espèces d’échassiers viennent s’abattre accidentellement dans ces îles, après de fortes tempêtes d'hiver. Ce sont la plupart des ardéadées (3), qui (1) Puffinus obscurus, L. (2) Hist. nat. des îles Can., t. II, 2° part., p. 44, pl. 45 fige, faussement indiqué sous le nom de Procellaria. (3) Ardea cinerea, L. — A. garzetta, L. — A. nycticorax, L. — A. ralloides, Scop, — A. stellaris, L. MIGRATIONS DES OISEAUX. D9 vaguent quelque temps le long des plages et repar- tent ensuite. La spatule et la cigogne blanche s’y mon- trent quelquefois. Un vol assez considérable de cette dernière espèce prit terre à Lancerotte il y a plusieurs années ; ces oiseaux étaient tellement fatigués qu’ils se laissèrent prendre. J’eus occasion d’en voir trois ou quatre qu’on tenait dans des basses-cours avec les ailes coupées, et qui faisaient la plus piteuse figure. On trouve souvent l’huitrier noir à Graciosa; cet échassier riverain (1) est connu des pêcheurs sous le nom de grajo marino, choquart de mer, sans doute par allusion à la couleur de son plumage et à son bec et ses pieds rouges. Ce pelit ilot est fréquenté, comme les autres, par plusieurs oiseaux de rivage qui n'y abordent qu’accidenteilement pour se répandre de là dans tout l'archipel et ensuite disparaître. Les rapaces sont peu nombreux dans cette partie orientale des Canaries; l’on n’y voit guère que l'aigle pêcheur (2). Cette absence d’oiseaux de proie explique celle des petits passereaux dans ces iles sans ombrage, où il n’existe ni vergers, ni jardins, ni forêts, ni cul— tures, où l’eau est rare et le soleil brülant. Les passe— reaux auraient peine à vivre sur ces terres arides, sans verdure, et qui rappellent les solitudes du désert. Sauf le bouvreuil githagine et le moineau d’Espagne, qui s’est établi à Lancerotte aux alentours du village de Haria, où il niche dans les palmiers, l’alouette des champs et une farlouse, oiseaux que j'ai retrouvés à (1) Hæmatopus niger, Cuv. (2) Falco albicilla, Lath. 60 CHAPITRE PREMIER. Canaria, tous les autres passereaux de la faune de cet archipel ne se rencontrent que dans le groupe occidental. C’est dans ces leriiles oasis de l'Océan que les oiseaux de proie peuvent exercer leurs rapines, c’est au sein d’une végélalion luxuriante que se plaisent les sylvies, ies frmgilles et les autres tribus ailées qui animent les campagnes et qu’on entend gazouiller dans le bois. X. J'ai déjà fait remarquer que la plupart des oiseaux de ces îles se rapportaient à des espèces européennes devenues sédentaires dans ce climat. Leurs habitudes et leurs mœurs sont restées les mêmes ; les vautours, la buse et le busard (1) ne sont pas moins voraces; les faucons, l’épervier, et le milan (2) ne déploient pas moins d’audace et de ruses pour s'emparer de leur proie. Les corbeaux, de même qu’en France, avalent tout ce qui s’offre à leur gloutonnerie. Un d’eux, élevé en li- berté par les pêcheurs de Sainte-Croix, s’était habitué à se nourrir de poissons de rebut. Plus rusés que craintifs, ces oiseaux planent au-dessus des champs sans s’effrayer des cris qu’on leur jette pour les éloigner, et ne se mé- fient que du chasseur. [ls suivent de loin dans la campa- gne le laboureur ensemençant le maïs, enlèvent le grain dans le sillon et arrachent même les jeunes plantes quand elles commencent à pousser. — Les ânes vieux et in— firmes, qu’on abandonne dans les terres où l’on cultive (1) Neophron percnopterus, Sav. — Falco buteo, LL. -- F. cinera- ceus, Mont. (2) Falco peregrinus, Ray. — F. subbuteo, Lath. — F. tinnunculus, L. — F. nisus, L. — F. milvus, L. MIGRATIONS DES OISEAUX. 61 le lupin, sont souvent la proie de ces voraces toujours en maraude ; ils s’acharnent sur ces chétives bêtes si, outre leurs infirmités, elles ont le malheur d’avoir quelques plaies par trop apparentes. Harcelé de tous côtés, attaqué dans les parties du corps où les maudits corbeaux trouvent prise, le pauvre âne, aveuglé, est bientôt dépecé sur place. — Dans une de mes expédi- tions, le cheval de mon guide mourut subitement d’un coup de sang et resta abandonnésur le bord du chemin; j'eus occasion de repasser dans ce même endroit le sur- lendemain; les corbeaux, gorgés de viande, s'étaient déjà retirés ; trois vautours seulement se disputaient encore la tête du cheval à demi rongée etséparée du cou. XI. Parmi les becs-fins, la fauvette à tête noire (1) sur— passe peut-être celle de France par l'éclat de sa voix. Elle est connue dans ces îles sous le nom de Capirote et mérite tous les soins qu'on lui prodigue quand on l’é- lève en cage. Sa mélodie, dans les frais bocages où elle se plaît, est vraiment ravissante, surtout avant le lever du soleil et vers Le soir. Mais le rouge-gorge (2), cette autre fauvette qui se tient cachée dans les lauriers, se- rait bien plus apprécié encore que le capirote, si les habitants de ces îles visitaient plus souvent les beaux sites que fréquente ce charmant chanteur. La passerinette (3) est un autre bec-fin assez com- ) Sylvia atricapilla, Lath. (L (2) S. rubecula, Lath. (3) S. passerina, Lath. 62 CHAPITRE PREMIER. mun à Ténériffe et dans les îles voisines. On rencontre ordinairement ce gentil petit oiseau dans les vallées de la côte; il se plaît surtout au milieu des euphorbes et des buissons de prénanthes, s’introduit dans les jar- dins, où il ne cesse de voltiger, et se laisse approcher sans manifester la moindre crainte. Les terrains arides de la haute région paraissent lui convenir aussi bien que les bords du rivage. Dans mes excursions au Pie, j'ai toujours aperçu quelques passerineties sur les genêts blanes du plateau de Canadas, à plus de 2,800 mètres d’élévation au-dessus du niveau de la mer et même beaucoup plus haut encore, tandis qu’il est fort rare de rencontrer ces oiseaux dans les bruyères et les bois taillis des stations intermédiaires. — Le père Feuillet, qui visita Ténériffe il y a plus de deux siècles, a parlé de cette petite fauvette dans la relation de son voyage aux Canaries. Il la rencontra dans les mêmes sites et fut frappé, comme moi, de sa familiarité. Deux passerinettes voltigeaient près du rocher où il se re— posa un instant avant de gravir les dernières pentes du volcan : « Je leur donnai de la mie de pain, dit le bon religieux ; elles vinrent la manger sur le pan de ma robe; mais elles ne voulurent jamais se laisser toucher. Crai- gnaïent-elles de perdre leur liberté ? Je ne la leur aurais pas ravie (1).» Presque toutes les sylvies, fauvettes et rubiettes, sont sédentaires aux Canaries, et je ne connais, parmi les petits passereaux, que l’alouette des champs, le motteux cul-blane et la bergeronnette grise (2) qui soient de (1) Voyage aux tles Canaries, Mss. de la Biblioth. nation. (2) Saæicola œnanthe, Bechst. MIGRATIONS DES OISEAUX. 63 passage. L’alouette arrive en mars pour nicher et dis- paraît avant la fin de l’été. Les apparitions du motteux ne sont qu'accidentelles et n’ont lieu qu’en hiver. La bergeronnette grise se présente à la même époque, mais ne niche pas dans ces îles comme la printanière. Une farlouse, que j'avais prise d’abord pour le pipi des buissons, a été reconnue pour une nouvelle espèce et décrite comme telle en 1862, dans l’Ibis, par mon ami Charles Bolle de Berlin, qui à bien voulu me ia dédier en l’appelant de mon nom (1). Cet oiseau habite presque toutes les iles de l’archipel des Canaries ; on le rencontre dans les terrains les plus arides; 1l semble préférer les sentiers battus et ne s’effarouche pas à la vue d’un passant. C’est ce qui lui a fait donner le nom vulgaire de corre-camino ou caminero, bien que dans certains districts de Ténériffe je l’aie souvent entendu désigner sous celui de pajaro cagon. Get anthus n’émi- gre pas et passe seulement, en hiver, des hauts pla- teaux aux coteaux du littoral. Sa démarche est vive et gracieuse quand il est à terre, mais il perche parfois sur les euphorbes et les cactus. Son cri d’appel, doux et craintif, contraste avec le croassement du corbeau et la voix grêle de la cresserelle, « accents les plus familiers des campagnes canariennes » (Bolle). — De- puis que ce petit oiseau porte mon nom, je le respecte toujours dans mes chasses ; le tirer serait dommage. En le voyant courir, puis s’arrêter à quelques pas pour vous regarder confiant, avec ses petits yeux si doux, je me rappelle encore l’affection de mon ami pour toute (1) Anthus Berthelotii, Boll. 1. — 5 64 CHAPITRE PREMIER. la gent volatile, ses soins délicats et empressés pour les hôtes heureux de sa volière, et surtout les expres- sions de la lettre qu'il m’écrivit en arrivant à Ham- bourg, après l’épouvantable tempête qu’il éprouva. — Parti de Ténériffe avec une cage remplie d’oiseaux de ces iles, il oublia son propre danger pour ne penser qu’à ses chers petits prisonniers durant l’affreuse bour- rasque, et il déplorait dans les termes les plus touchants la perte de trois serins qui ne purent résister à la tour- mente; « ef pourtant, me disait-il, leur compagnon, le bouvreuil githagine, ce qai pajaro-moro de Canarie, n'avait pas interrompu son chant dans les moments les plus critiques. Cet oiseau m’a servi de distraction pen- dant les longues heures d'angoisse ; il a éqayé le voyage et a ranimé mon courage presque abattu dans le terrible combat des éléments en fureur. » au J'ai réservé une mention particulière à ce bouvreuil githagine qu’on trouve aux Canaries, dans la partie de l’archipel la plus voisine de la côte d’Afrique, et qui a été si bien figuré dans le bel ouvrage de la Vie des ani- maux de Brehm. Cette espèce, type du nouveau genre erythrospixa, est la même que celle qui habite les déserts de la Nubie et de la haute Égypte, et probable- ment aussi tout le Maroc occidenta’ et la côte du Sahara. C’est un oiseau des plus intéressants, que j'avais déjà cité dans mon Ornithologie canarienne ; mais mon ami Bolle l’a étudié à fond sous le rapport de ses mœurs MIGRATIONS DES OISEAUX. 65 et de ses habitudes, et je me plais à confirmer ici tout ce qu’il en dit: « Loin des côles fertiles du nord de l'Afrique, au delà de la chaine de l’Atlas, derrière le Tell que cul- tive l’Arabe laboureur, s’étend le désert, avec un monde à part de plantes et d’animaux. Tout dans le Sahara n’est pas le domaine de la mort et du silence: toute cette contrée n’est pas une mer de sable, dont les flots sont agités par le terrible simoun. Le Sahara a ses fontaines le long des routes des caravanes, ses vallons parcourus par des ruisseaux grossis par les pluies d’hiver et dont les bords sont couverts de Mimosées et de Tamarix..…., mais, quelle que soit la différence des sols que l’on rencontre dans cette immense étendue qui va d’une mer à l’autre, de l’Eu- phrate au Sénégal, toujours, partout et en tout elle porte le cachet du désert. « Les lieux que recherche l’érythrospize githagine sont les endroits dégarnis d’arbres et chauffés par le soleil. Il faut que cet oiseau puisse librement pro- mener ses regards sur la plaine et sur les collines. Il préfère les lieux les plus pierreux et les plus arides, où la réflexion de la lumière sur les rochers, et les vi- brations de l'air qui s’élève échauffé par les rayons du soleil, éblouissent et aveuglent le voyageur. Par- ei par-là une herbe, brûlée par les chaleurs de l'été, pousse entre les pierres, ou bien un petit buisson recouvre quelque peu de terre végétale, et cela suffit pour cet oiseau. C’est là qu’il vit, lui, conirostre, avec toutes les mœurs des saxicoles : il y demeure 66 CHAPITRE PREMIER. avec plusieurs de ses semblables, sauf au temps des amours. C’est là qu’il saute de pierre en pierre, ou s'envole au ras du sol. Rarement l’œil peut le suivre; le plumage gris-rouge des vieux se confond avec la teinte des pierres et des troncs dégarnis des eu— phorbes ; la couleur isabelle des jeunes se perd sur le jaune fauve du sable, des tufs et des roches cal- caires. La vibration particulière des couches infé- rieures de l’atmosphère, cause de tant de mirages et d'illusions, contribue encore mieux à le cacher. Le naturaliste aurait bientôt perdu ses traces, si sa voix ne venait le guider. Un son perce l'air, semblable à celui de la trompette ; il est strident, vibrant, et si l’on a l'oreille fine, on entend qu’il est suivi de quelques notes douces, argentines, comme les derniers accords d’une lyre touchée par des mains invisibles. Ou bien ce sont des sons singuliers, bas, analogues aux coassements de la grenouille des Canaries ; les sons se suivent, répétés à courts intervalles, et l’oi- seau lui-même y répond par quelques notes presque semblables, mais plus faibles ; on dirait un ventri- loque. « Rien n’est plus embarrassant que de vouloir écrire le chant des oiseaux : pour l’érythrospize githagine, ce serait chose impossible. Ce sont des sons qui ap— partiennent à un monde idéal, et qu’il faut avoir en- tendus pour s’en rendre compte. Personne ne s’attend sans doute à trouver un véritable chanteur dans ces contrées désolées ; et en effet ces sons singuliers, romanesques, Si je puis m’exprimer ainsi, suivis de * MIGRATIONS DES OISEAUX. 67 quelques notes particulièrement rauques, constituent seuls la chanson du githagine. Elle cadre parfaite- ment avec la physionomie du paysage ; on l’écoute avec plaisir, on est triste quand le silence se fait. Ces bruits de trompette sont comme la voix mélancolique du désert ; les esprits de la solitude semblent parler en eux. « Le moro (c’est le nom qu’on lui donne aux Cana- ries) disparait là où le sol n’est recouvert que de sables mouvants ; il n’est pas organisé pour courir à leur surface, comme un courlis ou un court-vite. Il semble éviter aussi les montagnes ardues et ro- cheuses. Cependant il se plaît le long des noires cou- lées de laves, où verdit à peine quelque pauvre gra- minée, mais dont les crevasses lui offrent des retraites assurées. Jamais on ne le voit se percher sur un arbre ni sur un buisson. — Dans les contrées ha- bitées, ces oiseaux sont assez timides ; mais là où le calme et la solitude les entourent, ils ne sont pas très-méfiants ; on voit souvent les jeunes venir s’a- battre à côté de vous et vous regarder de leurs petits yeux noirs, éveillés et brillants de curiosité. » Boile avait apporté à Berlin, en quittant les îles Canaries, une dizaine de ces oiseaux qu’il élevait en vo- lière et j’eus occasion de les revoir chez lui, dans un de mes retours en Europe, Ces érythrospizes faisaient ses délices, et il ne cessait de les observer. Voici ce qu'il en a dit encore dans la relation qu'il à publiée : « Leurs mœurs sont douces et pacifiques : tout les 63 « « CHAPITRE PREMIER. recommande : leur gentillesse, leur docilité, la faci- lité avec laquelle ils s’apprivoisent, la bonne har- monie dans laquelle ils vivent entre eux, comme avec les autres oiseaux; et surtout leur voix si agréable, que les mâles font entendre même en hiver. Sans cesse ils s'appellent et se répondent. Ils paraissent plus vifs et plus éveillés Le soir, à la lumière, que le jour. Dès que la lampe est allumée, ils saluent leur maitre par leurs cris, sans voleter à en devenir gé- nants, comme certains insectivores. C’est le concert le plus réjouissant que l’on puisse imaginer. Tantôt ce sont des sons de trompette, nets et clairs ; tantôt des notesbasses et trainantes ; puis, des grognements, des intonations très-variables, ressemblant aux miau- lements d’un chat. Parfois ils commencent par quel- ques ‘notes pures et argentines comme le tintement d’une clochette, et les font suivre immédiatement d’un second grognement. Aux kae-kae-kae qu'ils répètent le plus souvent, répond presque toujours une note plus basse et très-brève. Ces sons, tantôt rauques, tantôt harmonieux, mais toujours éminem- mont expressifs, traduisent parfaitement tous les sen- timents de l’oiseau. Quelquefois aussi on entend un babil long, bien que décousu, comme celui des pe— tits perroquets; parfois aussi ils crient comme les poules: kekek-kekek, trois ou quatre fois de suite. Chac-chac! est leur cri de surprise et de défiance. « Lorsqu'on les pourchasse et qu’on va les prendre, ils poussent de petits cris de détresse, mais tous leurs cris sont si expressifs et si harmonieux qu’on MIGRATIONS DES OISEAUX. 69 « est surpris de les entendre chez un si petit animal. On « pourrait sûrement perfectionner leur voix, comme on « le fait pour le bouvreuil. « C’est au printemps que les mâles trompettent le « plus ; les femelles n’ont pas ce genre de cri. Ils ren- « versent alors la tête en arrière, ouvrent large— « ment le becet le dirigent en haut. Les notes plus « douces sont prononcées le bec fermé. En chantant, « ces oiseaux prennent les poses les plus gracieuses « et souvent les plus comiques ; ils dansent l’un autour « de l’autre (1), et sont dans une agitation continuelle. « Lorsque le mâle poursuit sa femelle, il redresse le « corps, ouvre largement les ailes, et ressemble à un « écusson : on dirait qu’il veut serrer dans ses bras « l’objet de son amour... » J'ai possédé moi-même plusieurs githagines en cage, qui faisaient la joie de ma volière et me divertissaient par leurs chants, leurs poses grotesques et leurs jeux incessants. Les circonstances qui me procurèrent ces oiseaux méritent d’être racontées. Je savais que les githagines fréquentaient certaines vallées cotières de la grande Canarie et que Bolle en avait rapporté quelques-uns de vivants, obtenus d’un chasseur dont il avait d’abord hésité à me donner le nom, et qui, disait-il, s’amusait à les prendre au filet, les hautes fonctions de ce personnage lui permet- (1) Cette habitude de danser en sautillant devant les femelles, au temps des amours, est commune à la plupart des petits passereaux d'Afrique de la tribu des conirostres. Ils se dandinent la bouche ouverte, les yeux en feu, les plumes hérissées et les ailes trem- blantes. Parmi les ploceides, les euplectes de Nubie et les tisserins sont dans ce cas, de mème que parmi les amadinides, les sénegalis et les bengalis. 710 CHAPITRE PREMIER. tant de longs loisirs. Je profitai, après le départ de Bolle pour l’Allemagne, de la présence du comte de la Vega-grande à Ténériffe, pour le prier de m’envoyer de Canaria quelques-uns de ces oiseaux : — « Très- volontiers, me dit le comte, mais comment me les pro- curer ? » — À cette question, j’hésitai, comme Bolle, à répondre. Le comte me pressa : — « Vous ne vou- drex jamais vous mettre en relation avec l’homme qui leur fait la chasse, lui dis-je. — Pourquoi? — Parce que cet homme, c’est le bourreau. »— Le comte se mit à rire : « Vous ne pouviez mieux vous adresser, me dit-il; le fils d’un de mes fermiers est amoureux fou de sa fille ; il veut absolument l'épouser, et cette circons- tance me sera des plus favorables pour satisfaire vos désirs. » Effectivement, deux semaines après, ce cher comte m’envoya une cage pleine de githagines. XII. Parmi les fringilles, le tintillon de Ténériffe (1) est une espèce qui diffère de notre pinson commun (le cœlebs). 11 se tient dans les bois et ne descend dans les vallées qu’en hiver. — Le fringille du Teyde (2) est une autre espèce beaucoup plus remarquable et plus rare ; le plumage du mâle est entièrement bleu cendré, avec de petites bandes blanches aux ailes, qu’on aper- çoit à peine quand il est posé. La femelle est plus petite, sa couleur est roussâtre. Ces jolis oiseaux vivent (1) Fringilla tintillon, Nob: (2) Fringilla teydea, Nob. MIGRATIONS DES OISEAUX. 711 exclusivement sur les hautes cimes de l’île de Ténériffe, dans les solitudes du vaste plateau d’où s’élève le pic de Teyde. Les bergers de Villaflor lui donnent le nom de pajaro de la cumbre ‘(oiseau des cimes). Ges fringilles sont extrêmement farouches ; ils fuient dès qu’on s’ap- proche et posent de loinen loin sur les genêts. Le couple qu’on voit à la collection du muséum de Paris, et qui y fut déposé en 1832, est le seul qui ait été rapporté en France, et probablement en Europe, avant 1871, comme on le verra bientôt. — Ce fut à Chasna, village situé à plus de 1600 mètres d’allitude, sur le versant méri- dional des Cañadas, que pendant l'hiver de 1825 je tuai d’abord le mâle, puis le lendemain matin la femelle, dont les cris plaintifs imitaient un peu ceux des serins. Le pic et toute la haute région de l’île étaient alors couverts de neige et les oiseaux des cimes avaient aban- donné leur station habituelle pour venir se réfugier dans des lieux moins froids. — Ges fringilles sont plus gros et d’un port plus élancé que nos pinsons d'Europe et diffèrent par leur plumage des autres espèces connues. — Depuis l’époque que je viens de citer, malgré tout le zèle que j'y avais mis, il m'avait été impossible de me procurer des oiseaux de cette espèce. Vainement avais-je sollicité le concours des bergers qui fréquentent les sites solitaires où l’on rencontre les fringilles, pour tâcher de découvrir une nichée de ces oiseaux dans les buissons de retamas et pouvoir satisfaire au désir de mon pauvre ami J. Geoffroi Saint-Hilaire, qui m'avait demandé un couple vivant de l’espèce ; le pajaro de la cumbre restait introuvable dans les cantonnements où il s’est 72 CHAPITRE PREMIER. confiné, et il serait resté à l’état de mythe, si l’exem- plaire du muséum n’avait été là pour constater son existence. Enfin à ma grande joie, et je dois dire aussi à ma grande surprise, un ornithologiste anglais, M. God- man, arriva à Ténériffe l’été dernier (1871); chasseur émérite et des plus adroits, jeune et infatigable, il passa plusieurs jours campé dans la haute région, poursui- vant, avec une ardeur digne d’éloge, les fringilles du Teyde, et parvint à tuer neuf mâles et sept femelles ! J'avoue qu’à la première nouvelle de cette prouesse, je ne voulus pas y croire, mais M. Godman me raconta lui-même ses succès avec le flegme impassible d’un Anglo-Saxon. J'ai vu les dépouilles des seize victimes de cette adresse infaillible, car cet excellent chasseur tire toujours à coup sûr. Il faut s'appeler Godman(1) pour avoir tant de bonheur ! XIV. « Trois cents ans sont passés, a dit Bolle, depuis que le canari apprivoisé a quitté sa patrie et est devenu cosmopolite. » — Si cet oiseau fût toujours resté à l’état sauvage dans ces îles Fortunées, dont il charme les échos des vallons, il n’eûùt guère plus appelé l'attention que le serin de Provence, mais il lui était réservé de se transformer en se civilisant, afin de figurer dans le monde. Il a quitté sa rustique livrée pour se parer d’une robe plus voyant®, et en se présentant sous cette élégante parure, on a cru voir en lui le type de l’es- (1) Godman (homme Dieu). MIGRATIONS DES OISEAUX. 73 pêce des iles dont il porte le nom, Buffon lui-même s’y laissa prendre. Le canari (1), ce joli serin si remarquable par son plumage jaune citron ou jaune jonquill: et que chacun recherche à cause de son chant, n’a pas le même as- pect à l’état sauvage. Le mâle est gris verdâtre, tirant au noir sur le dos et mêlé de jaune sur les autres par- ties du corps, encore cette teinte n'est-elle bien appa— rente que sur la poitrine. La co:leur de la femelle est d'un gris olivâtre, pointillé de brun. Les accouplements d’un mâle sauvage avec une femelle albine, où vice versa, produisent des variétés fort curieuses, depuis le jaune pur,en passant par tous les degrés de l’albinisme, jusqu’au blanc de lait, avec panachures brunes plus ou moins foncées et les plumes de la tête relevées en huppe. Souvent, après plusieurs générations, on voit reparaître dans les nichées de ces oiseaux qu’on a croisés avec ceux des champs, des serins aux couleurs primi— tives, qui ne diffèrent en rien des serins sauvages. Quant au ramage à l’état libre, il est à peu près le même que celui des canaris albinos, mais moins éclatant et beaucoup moins prolongé. Ce n’est guère qu’aux heures de la journée où le soleil resplendit dans la campagne, que ces chants se font entendre et fixent l’attention, surtout lorsque ces oiseaux, réunis sous la feuillée, gazouillent tous à la fois et chantent à s’égosiller. Tous les fringilles sont sédentaires aux Canaries ; le pinson des neiges est le seul, parmi les espèces euro— péennes, qui se soit égaré dans ses migrations jusque (1) Fringilla canaria, L. 714 CHAPITRE PREMIER. dans cet archipel, encore n’a-t-on constaté qu’une seule fois sa présence accidentelle dans les environs du port d’Orotava Le moineau d’Espagne (1), qu’on appelle aussi mo1- neau des saules et moineau des marais, je ne sais pour- quoi, est le même que l’espèce qui habite certaines par- ties de l’Europe méridionale, le nord de l'Afrique et qu’on retrouve même en Asie. — Cet oiseau, aux Cana- ries, ne se voit, comme je l’ai dit, qu'à Lancerotte, au village d’'Haria, auquel quelques blanches maisons en terrasse et un groupe de dattiers impriment un aspect tout à fait moresque. C’est à la base des touffes de feuilles de ces arbres du désert que les gorriones, comme on appelle ces moineaux, ont établi leurs nids à l’abri de toute attaque. Une république nombreuse s’est constituée dans cette oasis et les membres qui la com-— posent ne cessent de s’y faire entendre et de discuter entre eux. Rien ne les effraye : le sarnicalo (2), ce petit faucon si audacieux, vient mêler sa voix criarde à la piaillerie générale ; il rode aux alentours, mais on di- rait qu’il craint ces oiseaux, dont la tourbe le harcelle dès qu’il se montre, et qui défendent courageusement les approches de l’arbre protecteur. À la grande Canarie, ce sont les trous des vieilles murailles, les aires où l’on foule le blé et les arbres touffus qui servent de refuge aux moineaux, pour passer la nuit. Ils sont très-communs dans la capitale de l’île (la Cité des Palmiers (3) , et ont élu domicile (1) Fringilla hispaniolensis, Tem. (Passer salicicola, Roux. Passer salicarius, Keys. Varietas ?) (2) Tinnunculus claudarius. (3) La Ciudad de las Palmas. MIGRATIONS DES OISEAUX. 75 sur les platanes de l’Alameda, promenade publique qu’ils finiront par faire abandonner. — A Ténérifie et dans les autres îles plus occidentales, on ne voit plus ces oiseaux; ils sont remplacés à Sainte-Croix par la soulcie (1) qui niche sous les toits des maisons, dans les cavités des rochers ou des vieux murs, comme notre moineau domestique. J'avais signalé tous ces faits à mon ami Bolle dès son arrivée aux Canaries et j’ai lu avec plaisir les dif- férentes observations qu’il a eu occasion de faire du— rant ses excursions dans l'archipel : | « Nulle part, dit-il en parlant du moineau d’Espagne, « cet oiseau n’est aimé, et il faut avouer que ce n’est € pas sans raison. En Égypte, ces moineaux s’abattent « en nombre incalculable dans les champs de riz et y « causent de grands dégats ; aux Canaries, ils excitent « pour un autre motif tout le monde contre eux. « En été, ils sont une plaie pour la ville de Canaria, « qui possède une très-belle promenade, plantée de « platanes, embellie de parterres de fleurs et de fon- « taines jaillissantes. Chaque jour, le beau monde s’y « réunit pour se distraire et respirer l’air pur du soir. « La musique s’y fait entendre; l’eau jaillit dans les « bassins de marbre entourés de myrtes ; elle scintille « à l’éclatdes lumières. Tout à coup, un bruit insolite « se fait entendre au milieu des arbres: ce sont les « moineaux qui, le soir, s’y sont réfugiés, et qui s’y « reposent après avoir salué de leurs cris le coucher du « soleil. Mais l’éclat des lanternes les a réveillés, et (3) Petronia rupestris (Fringilla petronia, L.). 76 CHAPITRE PREMIER. bientôt nous entendons se plaindre la senorita à qui nous donnons le bras ; ses plaintes continuent de plus belle ; les malheureux oiseaux sont les coupables; ce sont eux qui troublent la fête, quigâtent le plaisir des belles. [ls ne cessent de se permettre, envers les mantilles et les éventails, les mêmes indiscrétions que l’hirondelle de Tobie. Aussi les oiseaux des palmiers (pajaros palmeros ou de las palmas) ne sont pas les favoris des dames de Canaria, et les messieurs, par- tageant cette haine, s’efforcent de les détruire ou tout au moins de les chasser de l’Alameda. On les tire au crépuscule ; on envoie la nuit sur les arbres des ga- mins munis de flambeaux, qui éblouissent ces oiseaux incommodes, et les prennent à la main. Beaucoup vont expier leur faute dans la poêle à frire : la guerre ne cesse que lorsque, dépouillés de feuilles, les pla- tanes ne leur offrent plus d’abris, et que l’automne chasse de l’Alameda, avec les oiseaux, promeneurs et vromeneuses. » XV. L'hirondelle domestique, deux martinets et un en- goulevent (1) sont de passage à Ténériffe. Il en est de même des élourneaux (2) qui apparaissent l’hiver avec les grives (3) et séjournent un certain temps dans les bois de pins. L’abondance des grives futextraordinaire (1) Hirundo rustica, L. — Cypselus apus, Vieill, — Cypselus uni- color, Jardin, — Et Caprimulgus ruficollis, Tem. (2) Sturnus vulgaris, L. (3) Turdus iliacus et Turdus musicus, L. MIGRATIONS DES OISEAUX. qi en 1832; leur passage commença en novembre et con- tinua, par intervalles, pendant le mois suivant. Elles débarquèrent sur la côte orientale de l'ile et passèrent très—bas, par vols nombreux, au-dessus de la ville de Sainte-Croix, en se dirigeant vers les montagnes de l'intérieur de l’ile. Ces oiseaux migrateurs restent or- dinairement quelques mois dans le pays, puis disparais- sent tout à coup. Au mois de novembre de cette année (1871), j'ai remarqué, durant plusieurs jours, une émi- gration considérable d’étourneaux qui se répandit dans les campagnes avant de gagner les bois. — Quant à la grande émigration des grives de 1832, elle pouvait bien avoir quelques rapports avec l’apparition du cho- léra qui désolait alors plusieurs contrées d'Europe et d'Afrique. Les faits observés dans des circonstances analogues sembleraient du moins donner une certaine valeur à cette opinion. Ainsi les moineaux, qui sont nombreux à Cadix, disparurent subitement en 1819 et nereparurent qu'après que la fièvre jaune eut cessé ses ravages. Le docteur D. Léonardo Perez, qui publia un mémoire sur cette épidémie, a cité la remarque des pê- cheurs du port de Sainte-Marie, qui, ayant vu toujours passer les oiseaux migrateurs assez bas pour être at- teints par le plomb des chasseurs, les virent alors se tenir constamment à de grandes hauteurs, comme s’ils eussent redouté de s’approcher de terre. Ce n’est pas ici le cas de disserter sur ces faits ; je les livre seu— lement aux méditations des médecins et des natura- listes. 18 CHAPITRE PREMIER. XVI. Deux espèces de colombes habitent ces îles et s’y rencontrent toute l’année, la torcas et le pigeon bi- set (1). La colombe voyageuse (2), qui est de passage à Madère, ne se montre que rarement à Ténériffe. — La torcas, propre à celte région, est remarquable par sa taille et diffère des autres pigeons par sa couleur d’un brun vineux à reflets pourprés, ainsi que par son bec un peu renflé et légèrement crochu. Le mâle porte collier comme les tourterelles. Cette même espèce existe aussi à Madère. Aux Canaries, elle s’éloigne peu des forêts de lauriers et se nourrit des baies de ces arbres, qui im- priment à sa chair un parfum aromatique et un goùt délicieux. Cette observation n’est pas nouvelle; je l’ai trouvée déjà consignée dans la relation d’un voyage d'exploration, exécuté sous Alphonse IV de Portugal, en 1341 : «Nous rencontrâmes dans les forêts de cette île (La Gomère), disaient les navigateurs, des pigeons que nous abattîmes à coups de pierreset de bâton ; ils étaient plus grands que les nôtres et de meilleur goût (3). » Quant aux tourterelles (4),qui arrivent aux Canaries au commencement du printemps et nichent dans ces îles, elles ne repartent que quand les jeunes sont assez forts pour suivre la bande. (1) Columba laurivora, Nob. (Hist. nat. des îles Can. Ornith., p. 26 27, pl. 3), et Columba livia, L. (2) Columba palumbus. (3) « … Et in eâdem insulâ lignæ plurimæ et palumbes, quos baculis et lapidibus capiebant et comedebant, invenerunt. Hos dicunt majores nostris et gustui tales aut meliores.. » (4) Columba afra, L. MIGRATIONS DES OISEAUX. 19 Parmi les autres oiseaux de passage, les huppes (1), qui ordinairement arrivent en mars pour la ponte, re- partent vers septembre,maisilen reste beaucoup de jeunes de l’année qui passent l'hiver dans les vallées abritées du vent du nord. — Les cailles sont dans le même cas; elles abondent dans toutes les îles et l’on en détruit des quantités après la moisson. Un bon chasseur peut tuer quarante à cinquante cailles dans la journée, quand le temps est frais et que les chiens conservent leur ardeur. — Le départ des cailles a lieu au commencement de Pautomne, d’autres prétendent qu’il s'effectue plus tard, mais il est de fait qu’un certain nombre n’émigrent pas, puisqu’après la saison on en rencontre encore dans les champs de maïs et même en hiver dans les blés verts, où on les entend chanter, ainsi que dans les terres in- cultes où croît le daphe gnidium, dont elles mangent les baies. Les échassiers voyageurs, qui viennent périodique ment visiter ces îles, sont la bécasse, la bécassine, la brunette et quelques pluviers. Tous les autres, tels que les barges, les courlis, l’échasse, la poule d’eau, le tourne-pierre, les sanderlings et les vanneaux, sont de passage accidentel comme les hérons, les cigognes et Is spatules. Parmi les palmipèdes, j'ai déjà indiqué ceux qui fré- quentent les Canaries du groupe oriental, mais il en est d’autres qui se montrent de temps en temps en hiver, après de grandes bourrasques ; ce sont des canards et (1) Upupa epops, L. 80 CHAPITRE PREMIER. des sarcelles (1). — A ces apparitions fortuites, il faut ajouter celles d’autres oiseaux, la plupart africains, qu’on ne voit que rarement et dont j'ai eu occasion de constater la présence ; ainsi je citerai le pélican, le coucou-geai et le guêpier (2). Je fus témoin une année, à Ténériffe, de l’arrivée inattendue de ce dernier. Une volée de ces jolis oiseaux vint s’abattre sur le grand dragonier de l’Orotava et s’y établit quelques jours pour s’y reposer et s’y repaitre d’un petit insecte jaune orangé qui se cache sous l’écorce des vieilles branches. X VII. On a dû voir, par cet exposé, que beaucoup d’oiseaux de la faune canarienne se rencontrent isolés dans ces iles : le fringille du Teyde n’existe qu'aux alentours du pic de Ténériffe; l’outarde de Barbarie s’est établie à Fortaventure, le moineau d’Espagne à Lancerotte et à Canaria, où s’est fixé aussi le bouvreuil githagine. Il est en outre des sites que certains oiseaux semblent affection- ner de préférence et d’où ils s’écartent peu. Parmi ces espècessolitaires, on remarquela pie-grièche, la colombe torcas, et le pic épeiche. La première, qui est la grise d'Europe, se tient toujours dans ia région maritime ; les deux autres n’habitent que la zone forestière dans les parties les plus ombreuses, où se plaisent les roitelets et les rouges-gorges. (1) Anas boschas, L. et A. crecca, id. (2) Pelicanus onocrotalus, L. — Cuculus glandarius, L. — Merops apiaster, L. MIGRATIONS DES OISEAUX. 81 Des circonstances parliculières de température, des ressources plus faciles d’alimentation peuvent bien mo- tiver ces isolements ; mais ce qui est inexplicable, c’est l'absence absolue d’uneespèce dans uneile voisine d’une autre qui la possède, et c’est de voir surtout se repro- duire cette anomalie sous un climat analogue, qui réunit les mêmes conditions d'existence. Ainsi les perdrix, si abondantes à Ténériffe et à la Gomère, n’ont jamais existé à l’île de la Palme, où l’on est surpris de trouver les choquarts d'Europe établis sur le plateau qui domine la ville et vivant en nombreuses compagnies dans le ravin qui descend à la côte, sans que ces oiseaux aierit jamais franchi le bras de mer qui sépare cette ile de celle qu’on aperçoit en face. La faune des Canaries offre, comme on voit, un très- grand intérêt sous le rapport de la géographie ornitho- logique. Ces iles de l’Océan sont le dernier terme, l’ultima Thulé des migrations de beaucoup d’espèces européennes qui se dirigent vers l’ouest et vers le sud, car au delà, d’une part, c’est l'Océan et son immensité ; de l’autre côté, c’est le désert, et plus loin, vers le midi, les climats brûlants de la Sénégambie et des deux Guinées. Ces remarques, relatives aux oiseaux voyageurs qui viennent du nord, en passant par l'Afrique, de même qu’aux espèces qui se sont fixées dans cet archipel, sont applicables aussi à beaucoup d'insectes et de plantes d'Europe qu’on retrouve dans ces iles, mais non au delà. Ainsi les Canaries marquent la limite où s’est arrêtée la force expansive de la nature pour certaines espèces de notre hémisphère boréal. 82 CHAPITRE PREMIER. XVIIT. Si maintenant nous traversons la mer pour passer à l’autre bord de l'Atlantique, nousallons voir se reproduire le même phénomène des migrations qui ont lieu sur d’autres points du globe. La longue chaîne des Antilles se présentera d'abord devant nous : Cuba, Saint-Do- mingue, Porto-Rico et la Jamaïque, cernent toute la partie du nouveau continent qui unit les deux Amé- riques et semblent avoir été placées tout exprès pour servir d'étape intermédiaire aux oiseaux migrateurs de la faune américaine qui arrivent du Nord pour passer l'hiver dans ces îles. Cuba, par son extrémité orientale, touche presque au Yucatan et offre un passage facile aux migrations des oiseaux du Mexique, tandis que du côlé opposé, cette grande ile n’est éloignée que d’une quarantaine de lieues de la côte des Florides et peut recevoir ainsi toutes les espèces que le froid chasse de l’Amérique du Nord. — Le prolongement de Cuba jusqu’au cap Maysi la rapproche de Saint-Domingue, qui avoisine Porto-Rico; puis se présentent à la suite toutes ces petites Antilles qui embrassent la mer du même nom et viennent unir l’autre extrémité de la chaïne au continent méridional. C’est en suivant ces stations échelonnées le long de leur route que les oi— seaux voyageurs rencontrent, sur leur chemin, des îles rafraichies par les vents alizés, d’un climat beaucoup plus doux que celui du continent et « placées aux con- fins de la zoologie spéciale à l'hémisphère septentrional, MIGRATIONS DES OISEAUX. 83 comme dernière barrière des migrations hivernales », suivant l'expression d’un éminent naturaliste (1). De même qu’on l’observe aux Canaries pour les es— pèces européennes et pour quelques-unes d'Afrique qui sont sédentaires dans cet archipel, beaucoup d’oiseaux de la faune américaine se retrouvent à Cuba ou dans les autres grandes Antilles, et n’en sortent pas, tandis que d’autres ne s’y présentent qu’à l’époque des migrations. — Quant à la route que suivent ces oiseaux voyageurs, Oviedo l’a fait connaître depuis longtemps, d’après ses propres observations, durant sa longue résidence en Amérique en 1525, lors des premières colonisations. Sa relation est des plus curieuses et mérite d’être citée textuellement. XIX. « Je dis que presque à l’extrémité de Cuba, il passe « chaque année, au-dessus de celte île, grande quantité « d’oiseaux d’espèces diverses, venant du côté du Rio « de las Palmas qui confine avec la Nouvelle-Espagne et « la bande du nord de la terre ferme ; ils traversent « les îles de los Alacranes et celle de Cuba, et, après « avoir franchi le golfe qui sépare ces îles de la terre « ferme, ils se dirigent vers le sud. Je les ai vus passer « au-dessus du Darien et de Nombre de Dios, ou de Pa- « nama, sur le continent, durant plusieurs années ; « l’on dirait que le ciel en est couvert, et cela dure un (1) Acide d’Orbigny. Ornithologie de Cuba (de l'ouvrage de R. de la Sagra, Hist. nat., phys. et polit. de l’île de Cuba), édit, fran- çaise, introduction, p. XIV. 81 CHAPITRE PREMIER. « « « mois et plus. Il y a du Darien à Nombre de Dios, ou Panama, quatre-vingts grandes lieues, et j'ai vu ce passage sur ces trois points de la terre ferme pen— dant bien des années. Ces oiseaux, du côté de Cuba et des lieux que j'ai dits, se dirigent au s ud-ouest, pour traverser la terre ferme par sa partie la plus large, et comme ils passent ainsi tous les ans et qu’on ne les a jamais vus retourner vers l’occident et le nord, je dois croire que ceux qui reprennent cette route sont les mêmes, du moins ceux qui restent (c’est-à-dire le reste de l’émigration ?) ou ceux qui en proviennent (c’est-à-dire les jeunes de l’année ?), en faisant dans ce trajet le tour du monde par le chemin que j'ai indiqué. Ce voyage, qu’ils entre- prennent au mois de mars, dure vingt ou trente jours, plus ou moins, depuis le matin jusqu’à la nuit, et le ciel est presque couvert alors d’oiseaux innom- brables, les uns si élevés dans les airs qu’on les perd de vue, et les autres relativement plus bas, mais ce- pendant à une plus grande hauteur que le sommet des montagnes, etils se dirigent constamment à la suite les uns des autres, du nord et du nord-est au midi, comme je l’ai dit, et ensuite du sud-est, traversant ainsi dans leur voyage toute l’étendue du ciel que le regard peut embrasser et occupant, tant en longueur qu'en largeur, la plus grande partie visible de l’at- mosphère (1). » (1) « Digo que, quasi al fin de esta ysla de Cuba sobre ella passan muchos años innumerables aves de diversos gèneros, y vienen de la parte hazia el Rio de la Palmas que confina con la Nueva- España, et de la vanda del norte sobre la tierra firme, y atra- 8 ot MIGRATIONS DES OISEAUX. Les notions que le vieil historien espagnol nous à fournies sur les migrations des oiseaux du Nouveau Monde dénotent de sa part un grand talent d’observa- tion. Rien de semblable jusqu'alors n'avait élé remar- qué, même en Europe, et l’on est étonné que trente- quatre ans après la découverte de Colomb, Oviedo, au milieu des préoccupations de la conquête, ait pu s’ap- pliquer à des études de ce genre. Il est vrai que cet ancien page des Rois Catholiques, né en 1478, fut envoyé en Amérique dès 1513 et qu’il ÿ passa la plus grande partie de sa vie, constamment occupé de réunir les nombreux matériaux de son histoire naturelle des Indes. Al. d’Orbigny, qui a cité aussi le passage d’Oviedo « viesan sobre las yslas de los Alacranes, y sobre la de Cuba. E « passado el golfo que ay entre estas yslas y la tierra firme passan à « la mar del sur. Yo las he visto passar sobre el Darien, y sobre « el Nombre de Dios y Panama en la tierra firme en diversos anos: « y parece que va el cielo cubierto de ellas, Y tardan en passar un « mes y mas. E ay desde el Darien al Nombre de Dios, e Panama, « ochenta leguas grandes. Eyo he visto este paso en todas tres « partes en la tierra firme algunos años, y vienen de hazia la parte « de Cuba, y dondo tengo dicho, y atraviesan la tierra firme, y « parece que van hazia lo mas ancho de la tierra, la via del sud- « oueste. Ÿ pues que vienen centinuadamente un ano tras otro : y « no los vemos bolver en ningun hazia el poniente o norte creo que « las que tornan a venir despues ami parecer halla sonaquellos « mismos y las que quedan de ellas, o procedan de las primeras, « y dan la buelta al universo y le circuyen en rededor por el ca « mino que he dicho. Este viage hazen en el mes de marzo por « espacio de veynte y trenta dias, y mas y menos desde lamanana, « hasta la noche. Y va el cielo quasi cubierto de innumerables aves « muy altas en tanta manera que muchas dellas se pierdan de « vista: y otras van muy baxas à respeto de lasmas altas : pero « harto mas altas que las cumbres y montes de la tierra : ÿ van « continadamente en seguimiento o al lueugo desde la parte del « norueste, y del norte, y del norte septentrional como hedicho a « la de mediodia y de alli para arriba al sureste, y atraviesan todo « lo que del cielo se puede ver en longitud de su viage, que haceu «_estas aves, y en latitudo de anchura occupan muy grande parte « de lo que se puede ver del cielo. » — Oviedo, 1547, Historia general de las Indias, lib. XVI, cap. V, folio 133. 86 CHAPITRE PREMIER. , sur les migrations, dans la partie ornithologique de l’histoire de Cuba, a donné quelques explications sur les curieuses remarques du vieil historien. Selon lui, les oiseaux voyageurs, en venant de l'Amérique du Nord et en passant par Cuba, ne pourraient suivre la direction des Antilles pour se rendre sur le continent méridional, parce qu’ils auraient à lutter contre les vents régnants. C’est ce qui les oblige de se rapprocher de la terre ferme en suivant la côte. Ces oiseaux, comme l’avait re- marqué Oviedo, ne reviennent pas par la même route qu'ils ont suivie, parce qu’on doit supposer que, en allant et en se portant vers Le sud, ils ne se dirigent le long des côtes de l’Amérique centrale qu'afin d'éviter les vents alizés des Antilles ; mais ils n’ont pas à vaincre cet obstacle à leur retour, et, au lieu de faire le tour du monde, comme le dit Oviedo, ils prennent, pour re— venir au nord, la chaine des îles, où ils trouvent des vents plus favorables, et font ainsi le tour de la mer des Antilles dans les deux trajets. XX. D’après les études ornithologiques d'Al. d’Orbigny sur les oiseaux de Cuba, la faune de cette île se com- pose de cent trente espèces dont les passereaux et les échassiers forment les deux tiers (1); le reste est ré— parti entre les autres ordres. Plusieurs de ces oiseaux se trouvent en même temps dans l’Amérique méridio- (1) 50 Passereaux, 28 Échassiers, 10 Rapaces, 13 Grimpeurs, 9 Gallinacés et 19 Palmipèdes. MIGRATIONS DES OISEAUX. 87 nale, et probablement aussi dans les autres Antilles, comme dépendances de la zone équatoriale, leur région propre ; mais il en est d’autres qui se rencontrent éga— lement sur les deux continents américains. — Parmi les passereaux, ceux qui viennent du nord et qui sont chassés par le froid restent jusqu'aux mois de mars et d'avril, puis, laissant les Antilles pour repasser aux Florides, ils se répandent dans tout le vasie territoire des États-Unis, et plusieurs même s’avancent jus— qu'aux régions boréales, où ils nichent et passent l'été. — En automne, à mesure que l'hiver approche, ces mêmes espèces retournent aux Antilles, où elles s’ar- rêtent, car, plus loin, la température leur serait moins convenable. Quelques espèces, parmi celles qu’on retrouve dans l'hémisphère nord de l’ancien et du nouveau continent, habitent aussi l’île de Cuba et les îles voisines, pendant un temps de l'hiver : le busard Saint-Martin (1) est de ce nombre. Ge rapace cosmopolite parcourt le monde en chassant aux rats, aux grenouilles et aux lézards, et ravage aussi les nids des oisillons. Divers échassiers et palmipèdes s’avancent en été jusqu’au cercle polaire et passent d’un continent à l’autre par les terres arctiques et les bancs de glace. Enfin, un certain nombre, tous oiseaux sédentaires, constituent des espèces exclusives à Cuba et aux autres Antilles, car aucune d’elles n’a été encore vue ailleurs. Al. d’Orbigny a cité vingt espèces d'oiseaux qui, migrateurs dans les autres parties de l'Amérique, sont devenus sédentaires dans ces îles où @ Circus cyaneus, Mont. Po < R\CA7 83 CHAPITRE PREMIER. ils paraissent avoir rencontré, sous le rapport de la température , toutes les conditions d’existence , sans avoir besoin d’aller les chercher plus loin. En résumé, par leur position géographique, les grandes Antilles et surtout l’île de Cuba reçoivent de l'Amérique septentrionale la majeure partie des oiseaux migrateurs. Les espèces propres à la zone torride, qui habitent ces îles, y sont presque toutes sédentaires, seulement quelques-unes viennent du dehors. Ainsi, de même qu’en Europe on voit arriver en automne, dans la région tempérée, les oiseaux des pays du nord au moment où les petits passereaux émigrent vers le sud pour chercher un climat plus doux, les émigrations hi- vernales amènent aux Antilles une foule d’espèces qui fuient le froid, mais qui ne séjournent que quel- ques mois. Tous ces oiseaux repartent dès les pre- miers jours du printemps pour aller nicher dans le pays d’où ils sont venus, et retournent l’année suivante. L'été, qui, dans notre Europe méridionale, amène tous les oiseaux chanteurs et les autres espèces qui animent nos campagnes, est aux Antilles, de même que dans toute l'Amérique du sud, la saison la plus triste ; beaucoup de merles, de sylvies, de tangaras, de gobe-mouches, ont disparu, et avec eux, les grimpeurs et les échassiers qui redoutent la sécheresse et la chaleur de cette saison brûlante, quittent aussi le pays pour n’y retourner que lorsque les pluies tropicales viennent de nouveau ra- fraichir la terre et lui rendre tout le luxe de sa végé- tation. Alors reparaissent, avec les oiseaux, les insectes qui pullulent de toute part ; les fruits et les graines se MIGRATIONS DES OISEAUX. 89 développent et ne tardent pas de mürir ; alors recom- mence cette exubérance de vie organique que la na— ture répand avec tant de profusion dans ces belles contrées. XXI. Les oiseaux migrateurs qui, chaque année, visitent les Antilles à l’époque des passages se montrent sur beau- coup d’autres points du continent, américain ; 1l en est même qu'on rencontre dans l’ancien comme dans le nouveau monde. Le héron grande aigrette, parmi les échassiers, est une de ces espèces cosmopolites qu’on voit dans plusieurs parties du globe. Cet oiseau parait originaire du nouveau continent, où il est très-répandu depuis le 50°° degré de latitude australe jusqu’au Ca- nada el la baie d'Hudson. Cette espèce opère ses chan- gements de station pendant l’été tropical, lorsque éom- mencent les pluies et que les débordements des rivières, en inondant les terres, ont privé beaucoup d’oiseaux de la pâture abondante qu’ils rencontraient sur les bords des cours d’eau et des étangs. On voit passer alors, dans les parties centrales du continent méridional, des vols de hérons et d’autres espèces riveraines, qui se dirigent toutes vers le sud. Les migrations du héron grande aigrette le portent partout, en Afrique, en Amérique, en Asie et même jusqu’au Japon. Il est de passage en Angleterre, en France et dans l’Allemagne orientale ; il traverse la Mé- diterranée et a été vu en Sardaigne. Dans le nouveau continent, Al. d’Orbigny a constaté ses apparitions sur 90 CHAPITRE PREMIER. les bords de la Plata, dansles Pampas, vers les frontières du Paraguay, en Bolivie, au Brésil, aux Antilles, aux Florides. Cet infatigable touriste parcourt en Amérique environ {800 lieues du nord au sud. C’est dans les lagunes des Pampas, sur toute la vaste contrée qui s'étend du 22° degré de latitude jusqu'aux provinces de la Plata, que vont s'établir ces oiseaux, qui, plus tard, remontent vers les régions chaudes. Al. d'Orbigny remarqua ces migrations pendant ses longues courses en Amérique et vit souvent, dans les différents campements qu’il occupa, des rassemblements considé— rables d’échassiers voyageurs : « Au centre de la Boli- vie, dans la province de Moxos, dit-il, nous avons vu passer continuellement, plusieurs jours de suite, des troupes de hérons composées de centaines d'individus volant à de grandes hauteurs, en formant toujours un large front en are. » Ce fut aux points extrêmes de leurs migrations que ce naturaliste put se livrer à ces obser- vations. De blanches aigrettes, des jabirus au cou rouge et noir, des tantales blancs, aux ailes noires, des spatules roses, tous réunis, formaient le plus sin— gulier mélange de teintes. Le jour, ces oiseaux tour- noyaient dans les airs et s’abatlaient au bord des rives pour se disputer leur pâture ; la nuit, mille cris discor- dants venaient troubler le silence de ces déserts ; on en- tendait le sifflement aigu des canards sauvages, la voix sonore des râles, à laquelle se joignaient les aboiements des bihoreaux, qui retentissaient par intervalles au milieu des cris rauques des hérons et des ibis. Des troupes de grandes aigrettes s’apercevaient au loin dans les sa- MIGRATIONS DES OISEAUX. 91 vanes herbeuses, formant au sein de la prairie inondée, de larges taches blanches. Ces oiseaux, serrés les uns contre les autres, restaient là immobiles des heures en- tières, posés sur une patte, le cou dans les épaules. Hors le temps des voyages ou de ces réunions for— tuites, dues au desséchement des marais, on rencontre ces mêmes espèces isolées au bord des lacs, des fleuves et des esteros du Paraguay, mais jamais au bord de la mer. Elles passent là leur temps de station, vivant comme nos hérons d'Europe, constamment dans l’at- tente, cherchant à surprendre un petit poisson, des gre- nouilles, des larves d’insectes, ou bien se promenant gravement au bord des eaux. Très-défiants et toujours l'oreille au guet, ces oiseaux s’envolent au moindre bruit, faisant entendre en partant un cri analogue à celui du corbeau ; mais une fois leur appétit satisfait, ils vont se percher sur les grands arbres, habitude propre à toutes les espèces américaines. Telles sont les scènes intéressantes que d’Orbigny à décrites d’après nature en retraçant quelques-uns de ses souvenirs de voyage. Malheureusement ces ren- seignements se trouvent disséminés, el pour ainsi dire perdus, dans un ouvrage spécial, consacré à la nomen— clature ornithologique des oiseaux de Cuba, et je con- sidère comme une bonne fortune d’être tombé par hasard sur ce passage relatif aux migrations que ce voyageur plein de zèle eut occasion d'observer dans les contrées qu’il parcourut. 99 CHAPITRE PREMIER. XXII. Audubon, observateur intelligent et chasseur infati- gable, nous a fourni des renseignements précieux sur les migrations des échassiers et des palmipèdes d’Amé- rique. Nous savons, d’après lui, que le grand héron ou l’hérodias abandonne en hiver les régions glacées de ce continent pour descendre vers le midi. Le naturaliste des États-Unis l’a observé dans les marécages, foulant la vase avec précaution et marchant à pas comptés pour inspecter de ses yeux d’or tous les lieux environnants ; puis s’arrêtant tout à coup en ramenant lentement sa tête entre les épaules. Alors le héron attend, immobile, une bonne chance, et gare à l’animal imprudent qui passe à sa portée : toujours sûr de son coup, l’oiseau darde son bec formidable et transperce le malheureux poisson, qu’il achève en le battant sur la rive. Ce grand héron est commun à la Louisiane, dans le Maine et aux Florides ; c’est un oiseau robuste, capable de résister aux températures extrêmes ; 11 est excessivement fa— rouche et ne se laisse jamais approcher: « quand l’hé- « rodias se sent blessé, dit Audubon, il se prépare à la défense et malheur au chasseur ou au chien qui s’ap- « proche sans précaution de son bec redoutable. Ses « coups sont d’autant plus cruels qu’il vise ordinaire- A « ment aux yeux. — Ceux qu’on tue sur les arbres « s’accrochent souvent aux branches avant d’expirer et « restent pendus parles pieds. — J’ai vu ce héron A donner la chasse à l’aigle- pêcheur et lui faire lâcher « prise. » MIGRATIONS DES OISEAUX. 93 Le héron bleu et le leucogaster, tous les deux de passage aux Antilles, habitent les contrées tempérées du Nouveau Monde et n’arrivent qu’au printemps aux États-Unis, pour repartir en automne. Il en est de même du héron étoilé et du petit crabier. Le nom de Mirasol (mire soleil) que les Indiens de la Plata donnent à ce dernier fait allusion à son attitude immobile, lorsque, perché sur une motte de terre, il passe des heures en— tières, la tête en l’air, paraissant fixer l’astre du jour. Le bihoreau vulgaire est une autre ardéadée qu’on rencontre dans les deux Amériques, du 43° degré de latitude nord au 43° sud. De grands rassemblements de ces échassiers se voient dans la Floride orientale, où ils s’établissent pour la ponte dès le commencement du printemps, en compagnie de l’hérodias, du héron blanc et quelquefois même avec les anhingas. Leurs migra- tions s’opèrent de nuit et leurs cris retentissants dé- cèlent leur passage. Le héron blanc des États-Unis est un de ceux qui abondent aux Florides, sur les petites iles de la Clef indienne et de la Clef de l’ouest. L'Amérique septentrionale est la terre des hérons : Audubon a cité toutes les espèces auxquelles il a fait la chasse à la Louisiane et ailleurs. Les grues, grandes voyageuses comme les hérons, ne se montrent aux États-Unis que vers la fin de l’au— tomne : « Aux derniers jours d’octobre, dit l’insigne « chasseur, lorsque le ciel se charge de sombres « nuages et que commencent à souffler les vents du « nord, Chacun se prépare aux chasses d'hiver. Déjà, « vers le sud, les oies et les canards sont arrivés sur 94 « € CHAPI1RE PREMIER. les étangs et quelques cygnes ont traversé les airs en poursuivant leurs migrations... Tout à coup parvient de là-haut, à l’oreiile du chasseur, le eri des grues qui passent rapides sans que l’œil puisse en- core les voir; mais bientôt la troupe errante ap- paraît: les grues commencent à descendre en rec- tifiant leurs lignes pour se disposer à toucher terre. Le cou tendu, leurs longues jambes en arrière, elles s’avancent, planent un instant au-dessus de l’immense savane, louvoient en s’approchant du sol, puis, les ailes à moitié fermées et allongeant les pieds, elles s’abattent en courant pour amortir la violence du choc. Voyez-les maintenant, se secouant et rajustant leur plumage, fouler l’herbe flétrie et marcher d’un air imposant et superbe ; on dirait qu’elles sont aussi fières de la beauté de leurs formes que de la puis- sance de leur vol. Elles portent la tête haute, leurs yeux brillent de plaisir: c’est que le grand voyage est achevé et qu’elles sont arrivées au pays qu’elles ont si souvent visité... » — (Ces oiseaux se pré- sentent dans les États de l’ouest par troupes de vingt à trente et quelquefois davantage ; les jeunes de l’année font toujours bande à part. Ils se répandent depuis l'Illinois, en franchissant le Kentucky et les États inter- médiaires, jusqu'aux Carolines et même aux frontières du Mexique. C’est dans ces contrées qu’ils passent l'hiver jusqu’à la fin d'avril. On les trouve au bord des lacs, dans les hautes herbes, au milieu des champs et des savanes. MIGRATIONS DES OISEAUX. 95 XXII. Le même auteur. dans ses Scènes de la nature, nous fournit des notions non moius curieuses sur les migra- tions des palmipèdes de l'Amérique du nord. Le grèbe cornu et celui de la Caroline (1) proviennent des con- trées les plus septentrionales du nouveau continent et font leurs apparitions sur les eaux de l’Ohio, du Mis- sissipi et de leurs nombreux tributaires, dès le mois d'octobre. Audubon dément l’opinion de ceux qui pré- tendent que ces oiseaux n’accomplissent leurs voyages que par eau, et a vu des bandes de grèbes passer à de grandes hauteurs avec beaucoup de rapidité. [ls abondent en automne et en hiver sur les grandes ri- vières et dans les baies de la côte. En décembre et janvier, ils perdent leur crête, qui a déjà repoussé en mars, lorsqu'ils retournent vers le nord. Alec. d’Or- bigny a observé le grèbe cornu dans la Patagonie, sur le Rio—Negro, et en Bolivie, sur le lac de Titicaca à 4000 mètres au dessus du niveau de la mer. Celui de la Caroline a été rencontré dans les marécages du Brésil. L’anhinga (2) se montre aussi dans les deux Amé-— riques ; on le voit fréquemment dans les lagunes boisées de la Louisiane et des Florides, de même que dans les régions tropicales. Audubon, qui a consacré un long article à cet oiseau singulier, vante beaucoup ses mœurs (1) Podiceps cornutus, L. et P. americanus, Garnot? (2) Plotus anhinga, L. 96 CHAPITRE PREMIER. sociables et a gardé chez lui un anbinga parfaitement apprivoisé. L'oiseau serpent, comme on l'appelle à cause de son long cou, est enclin aux migralions et ne niche que dans les pays tempérés. Il est commun dans les Florides et la basse Louisiane, l’Alabama et la Georgie. Quelques anhingas se montrent l’hiver dans la Caroline du sud, mais au printemps, la plupart poussent leur voyage beaucoup plus loin. On en trouve, au mois de mai, au Texas, sur la rivière Saint- Hyacinthe. Ils remontent rarement le Mississipi au delà de Natchez et presque tous reviennent aux embou- chures du grand fleuve, sur les nombreux étangs et les lacs qui l’avoisinent. Ces anhingas, qui d’un côté re- montent le Mississipi et de l’autre visitent les Carolines, arrivent chacun à leur destination dans le commence- ment d'avril et restent jusqu'aux premiers jours d’oc- tobre. Audubon cite le goëland à manteau bleu et celui à manteau noir comme très-communs sur les rives de l'Amérique du Nord. Le premier pousse ses excursions sur une étendue de côtes bien plus considérable que les autres espèces ; on le rencontre, en automne, dans les vastes lagunes de l'Ohio, du Mississipi et même jusque dans le golfe du Mexique. Il niche aux États-Unis, depuis les environs de Boston jusqu’à East-Port, mais la plupart de ces oiseaux remontent au nord, vers le La- brador, à l’époque de la ponte. Leurs œufs offrent une ressource alimentaire aux habitants de ces contrées, et c’est pour les garantir des ravages des maraudeurs que les goëlands établissent leurs nids sur les arbres les MIGRATIONS DES OISEAUX. 97 plus élevés. Ils ne nichent par terre, au milieu des mousses et des herbes, que dans les lieux isolés et déserts, sur les îlots de la côte la moins fréquentée de la Nouvelle-Écosse. Quant au goëland à manteau noir, c’est aussi sur les redoutables écueils qui bordent les plages désolées du Labrador qu’il semble se plaire davantage. Celle es- pèce pélagienne règne en tyran sur toutes les mers qu’elle fréquente ; fière de ses puissantes ailes, elle a le vol calme et majestueux de l’aigle, et ne cesse de par— courir l’espace pour explorer terres et mers en poussant son cri rauque qu’on entend de loin. Jamais rassasié, même alors qu’il a trouvé à se repaitre, ce goëland poursuit sa course en visilant tous les parages qui peuvent lui offrir quelque bonne proie. Le cadavre d’une baleme morte flotte-t-1l sur les eaux ? C’est sur lui qu'il se précipite pour se gorger à son aise sur celte masse immonde qu'il déchire par lambeaux. Mais son estomac, comme celui de tous les voraces, a bientô digéré ce repas, et, après quelques moments de repos, le voilà reparti pour une nouvelle course. OEufs et jeunes oiseaux, poissons et mollusques, tout lui est bon. Aussi lâche que glouton, l’ignoble maraudeur fuit pour- tant à l'approche du goëland grisard ou de toute autre espèce plus faible que lui. (Audubon.) Ces grands goëlands à manteau noir fréquentent, en hiver, la côte des Florides et se rencontrent même dans les parties centrales des États-Unis. Ils peuvent at teindre, il paraît, une assez grande longévité, car Au- dubon cite un individu de cette espèce qui, ayant été 98 CHAPITRE PREMIER. pris tout jeune en 1818 et élevé chez le docteur Neill, d'Édimbourg, s'était tout à fait apprivoisé et ne dis— parut qu'après plus d’un quart de siècle. Il s'était d’abord habitué avec les canards domestiques et par- tageait leur nourriture: devenu de plus en plus fa- milier, il se présentait de lui-même à la fenêtre de la cuisine pour recevoir, de la main de la servante du docteur, des rebuts de poissons ou toute autre chose. — Au printemps de 1822, ce goëland, alors très-gros, prit son vol et ne revint pas au gîle. On le crut perdu pour toujours, mais vers la fin d'octobre de la même année, il reparut tout à coup dans le jardin du docteur, où il avait toujours été si bien trailé. En mai 1823, il s’absenta de nouveau et on ne le revit plus jusqu’à la fin de l'automne. Ses échappées, pendant l’hiver, du jardin de Canonnills, résidence du docteur Neill, et ses excursions d’été, dans quelque endroit inconnu, où sans doute il se retirait pour nicher, se prolongèrent pendant plusieurs années. — En 1829, d’après le journal du docteur, le goëland arriva sur l’étang et c’élait son septième retour annuel, mais il amenait avec lui cette fois un jeune de sa race, probablement un de ses petits, qui était blessé à l’aile et mourut bientôt. Cet évé- nement le fit repartir plus tôt que de coutume ; mais, l’automne suivant, le vieux goëland reparut et con- tinua ses apparilions jusqu’en 1832, toutefois avec un retard de deux à trois mois, car, pendantdJ’hiver de 1832 à 1833, 1l ne revint qu’au commencement de janvier. Or,comme, dans les premiers temps, il arrivait ordinai. rement en octobre, le docteur supposa qu'ayant perdu MIGRATIONS DES OISEAUX. 99 sa femelle ou bien éprouvé quelque autre mésaventure, il était allé s’établir beaucoup plus loin pour sa nichée, ce qui relardait ses retours périodiques à son quartier d'hiver, de six à huit semaines. Quoi qu’il en soit, sa dernière apparition fut en mars 1837. — Ainsi, vingt- sept ans s'étaient écoulés depuis qu’on l’avait pris tout jeune. — Le docteur termine son journal à l’année citée (1837), en disant: « Maintenant je ne l’attends plus qu'en novembre. » — Cet oiseau était connu de tous les enfants du village de Canonnills, qui l’appe- laient le goëland de Neill. Quand il revenait en au- tomne, on le voyait d’abord planer quelque temps au- dessus de l'étang du jardin, puis descendre doucement pour aller se poser au milieu de l’eau. Il accourait de suite à la voix du maître: le jardinier n'avait qu’à monter sur un mur avec un hareng à la main, et l’oi- seau venait aussitôt le recevoir dans son bec. L'instinct des migrations qui guidait ce goëland dans ses voyages périodiques est vraiment admirable. Un oiseau des plus sauvages, devenu familier et s’éloignant chaque année pour franchir les mers et aller reprendre sa vie indépendante au temps des couvées, puis reve- nant s’abriter de nouveau sous l'hospitalité de l’homme, voilà un fait des plus surprenants. Ce goëland, en par— tant au printemps d'Édimbourg, ne pouvait aller nicher que sur la côte méridionale du Labrador ou de Terre— Neuve, c’est-à-dire à plus de 1200 lieues marines de son point de départ ! Ainsi, par les divers faits que nous venons d'exposer, on voit que les migrations des oiseaux sont aussi bien 100 CHAPITRE PREMIER. marquées en Amérique que sur notre continent. — La plupart des échassiers et des palmipèdes y parcourent des distances considérables dans leurs voyages annuels, depuis les froides contrées boréales jusque dans les climats tempérés du golfe du Mexique ; beaucoup même s'avancent dans l'Amérique du Sud. L’oie du Canada, qui habite l’été les hautes latitudes du Labrador et des grands lacs, vient nicher l'hiver sur les bords du Mis— sissipi et dans les États du Massachuset el du Maine. Le départ des oïes a lieu à la fin d'avril dans les con— trées du centre et de l’ouest, mais aux Florides ce n’est guère qu’en février que ces oiseaux se rassemblent pour reprendre leur vol vers le nord. — Le canard huppé parcourt toute la vaste étendue des États-Unis, depuis la Louisiane jusqu'aux confins du Maine, et des côtes de l'Atlantique aux terres les plus reculées de l’intérieur. — Le canard vallisnerie se rencontre au bord du Mis— sissipi et reparaît, dans la saison, vers la Californie supérieure. CHAPITRE II Revue des oiseaux d'Europe. (SÉDENTAIRES OU DE PASSAGE.) SOMMAIRE : -- Avertissement sur la classification.—Oiseaux de proie diurnes : aigles, faucons, milans, buses, busards et archibuses, vautours. — Rapaces nocturnes. — Passereaux, pigeons. Grim- peurs. Gallinacés. Echassiers. Palmipèdes : plongeurs, grands voiliers et côtiers. Digression : Mythologie ornithologique. « Le naturaliste qui s’adresse aux savants a le droit d'être obscur ; celui qui s’efforce de rendre la science populaire doit avant tout êlre clair et intelligible. » BREEN. AVERTISSEMENT. Toussenel, s’affranchissant des règles imposées par les nomenclatures, n’a accepté ni leurs considérations, ni leurs méthodes, dans l’ordre à suivre pour la classif- cation. — En plaçant les palmipèdes en tête de son MonDE DES olSEAUX, il a eu ses raisons pour commencer par où les autres finissent. Je me garderai bien de dis- euter ici son syslème ; on risque trop de s’égarer dans le dédale de la nomenclature, quand il s’agit de ranger dans leurs rapports naturels, c’est-à-dire de grouper d’après leurs affinités d'organisation, d'habitudes et de 102 CHAPITRE II, mœurs, les différentes espèces qui peuplent une des grandes régions du globe. Il n’est pas toujours facile de suivre le fil conducteur ; les solutions de continuité sont trop fréquentes dans celte chaîne qui lie ensemble les diverses séries ; bien des fois, ce fil d'Ariane vous échappe ou se brise, et il faut alors avoir recours à des soudures pour relier des anneaux interrompus. La loi harmonieuse qui les unit se dévoile bien à nos yeux, mais nous ne pouvons en saisir l’arrangement graduel, ni les transitions insensibles. Les ornithologistes seront encore longtemps en désaccord sur la classification des oiseaux ; les formes intermédiaires sonttrop nombreuses pour bien distinguer les passages d’un groupe à l’autre; plus de vingt méthodes différentes ont été proposées depuis Linné : toutes sont estimables par leurs vues d'ensemble, beaucoup se font remarquer par de bonnes appréciations, et pourtant il n’en est aucune qui salis— fasse et ne soit exempte de défauts. C’est que chaque législateur, dans le plan de création qu’il a rêvé, a voulu faire prévaloir ses propres conceptions. L'unité est dans la nature, mais nos systèmes où nos mélhodes ne tendent le plus souvent qu’à la détruire par des rap- prochements bâtards qui établissent des degrés de pa- renté purement imaginaires. « Tout système de elas— « sificalion des oiseaux est plus ou moins artificiel, a « dit un de nos maitres, mais en rapprochant les espèces « les plus voisines, il facilite l'intelligence du tout, et c’est par là qu'ilest utile. » A Le mode de distribution que j'ai suivi paraîtra peut étre meilleur, à certains mehodistes, que celui adopté REVUE DES OISEAUX D'EUROPE. 103 par Toussenel ; toutefois qu’on ne s’y trompe pas, je ne l'ai pas cru préférable ; mais il me convenait mieux de finir ma revue par les palmipèdes que de la commencer par cet ordre ou par tout autre, passereaux ou perro- quets. — Après cette simple explication, j'entre de suite en matière. OISEAUX DE PROIE. (DIURNES). L. Aicues. — Parmi les oiseaux de proie ignobles, l’aigle, sombre et taciturne comme tous les animaux solilaires, vit presque toujours isolé dans les contrées où il éla- blit son aire. La vie en commun n’est pas le propre de ce rapace ; il ne partage ses repas qu'avec sa femelle et on le voit bien rarement se réunir aux autres carnivores pour dévorer avec eux la grosse bête, dont chacun veut avoir sa part. L'aigle, la plupart du temps, ne vit que de sa propre chasse ; 1l répugne de la chair morte, à moins que la faim ne le presse. On dirait qu'il se plait à dévorer tout seul sa victime encore palpi- tante. Les aigles, comme les vautours, quoique presque tous grands voiliers, sont régionaux et non pas migra- teurs. Ce sont des oiseaux errants, plutôt voyageurs que sédentaires, et si quelques-uns parmi eux s'é- 104 CHAPITRE II. loignent des pays où on les voit d'habitude, ce n’est que pour aller s’isoler autre part, lorsqu'ils ont épuisé les ressources du canton où ils s'étaient fixés d’abord. C’est ce qui aura fait croire à des aigles de passage, mais ces déplacements ou changements de stations, communs à d’autres espèces de la même famille, ne constituent pas des voyages de long cours à époques fixes, bien qu’on ait parlé récemment de grandes émigrations d’oi- seaux de proie qui traversent le Bosphore. Les faucons, il est vrai, font exception à cette règle. Il est cependant, parmi les aigles, des espèces dont l’aire de dispersion s’étend au loin et qui descendent vers le midi pour chercher des climats plus doux ; plusieurs de celles que nous voyons chez nous, et qu’on désigne comme des espèces indigènes, se retrouvent en Asie eten Afrique. Ce sont des types que la nature s’est plu à reproduire dans diverses contrées de l’ancien continent. Comme oiseau héraldique (1), l’aigle était digne de figurer pour emblème du pouvoir suprême et de la ty— rannie. L'empire l’adopta pour son malheur et le nôtre; il fut, dès le principe, l'oiseau de la guerre que les Romains, ces altiers conquérants, porlèrent comme en— seigne, depuis les campagnes de Marius, et prome- nèrent en triomphe par toute la terre (2). Mais notre bon La Fontaine, ce peintre de la nature, n’a pas cherché dans l'aigle un symbole ; il l’a dépeint tout (D Ce fut, dit-on, Lech ou Lezskso, premier roi de Pologne, qui adopta pour blason national laigle blanc ou d'argent. L’aigle figure aussi sur les armoiries de plusieurs maisons nubiliaires. (2) L’aigle d'or avait été adopté aussi par les anciens Perses. REVUE DES OISEAUX D EUROPE. 105 simplement tel qu’il est, d’après ses vrais caractères d'oiseau de proie. Au bec retors, à la tranchante serre. Brigand ailé, aux instincts sanguinaires, voleur comme les loups et souvent affamé, il habite comme eux la montagne et devient la terreur de la contrée où il exerce ses déprédalionset ses crimes, Vorace sans pi- tié, il a toutes les mauvaises qualités de sa race, toutes les allures des assassins, le regard des fauves et jusqu’à l'odeur, car cet œil farouche, ce regard voilé, dans le- quel on place l’expression de ce qu’on croit ou de ce qu’on veut y lire, ne révèle en réalité, chez ce rapace, aucune grandeur d'âme, aucun sentiment de générosité, mais bien plutôt l'instinct de brutalité et d’insatiable appétence. Les fausses idées de grandeur et de puissance qu’on s’est faites sur ce prince des rapaces, si arbitrairement intronisé par Buffon, dans un style brillant et pompeux, cet aigle modèle de tendresse, comme il le dit lui-même, ce roi des oiseaux qui fixe le soleil, toutes ces belles métaphores ont pu séduire les imaginations poétiques au point d’attacher à cet oiseau de proie bien des attri- buts qu’il n’a pas. La Mythologie en avait fait l’oiseau de Jupiter tonnant et le représentait avec la foudre : les poètes se sont emparés de cette idée et l'aigle a été pour eux l’oiseau qui plane en souverain au plus haut des cieux. Lamartine lui-même, partageant cet enthou- siasme, s’est écrié dans son ode à la Gloire : Ainsi l’aigle superbe au séjour du tonnerre S’'élance, et soutenant son vol audacieux, 106 CHAPITRE II. Semble dire aux mortels : je suis né sur la terre, Mais je vis dans les cieux ! C’est magnifique, et l’antithèse est sans doute d’un très-bel effet ; mais Michelet nous parle d’un aigle cap— turé et élevé chez un boucher, où il se trouvait beaucoup mieux qu'au séjour du tonnerre, puisqu'il mangeait quand il avait faim, qu’il s’accommodait parfaitement de la viande morte, obtenue sans combat, et qu’il ne paraissait pas regrelter sa vie aventureuse. L’oiseau impérial, tombé de si haut dans ce vil prosaïsme, n’en était pas plus maigre pour cela. « [l engraisse, nous dit l’auteur de l’Orsau, et ne se soucie plus guère de la chasse ; s’il ne fixe plus le soleil, il regarde le feu de la cuisine et se laisse, pour un bon morceau, tirer la queue par les enfants. » Dégradante servitude ! IL. On connaît en Europe huit ou neuf espèces d’aigles (1): l'aigle impérial, dont je viens de parler, qui a la tête et le cou d’un jaune de rouille, les épaules marquées d’une tache d’un blanc sale, le corps trapu d’une couleur brun- foncé, les ailes longues et la queue courte. Sa tête plate, ses yeux écartés, Son corps ramassé et son bec crochu, lui donnent un aspect farouche. On reconnait au premier coup d'œil une mauvaise bête, un rapace ignoble, dan- (1) L’aigle impérial, aquila imperialis, Bechst. -— L’aigle royal ou dore, a. chrysaetos (regia, Sess.). — L’aigle fauve, a. fulva, Brehm (falco fulvus, S.}. — L'aigle criard. a. nævia Gm.— L'aigle Bonelli, a. Bonellii, Tem. — L'aigle botte, a. pennata, Cuv. — Le balbuzard pêcheur, pandion haliaëètus, Brehm. — L’orfraie, ha- liaxtus albicilla, — Le jean le blanc, circæætus gallicus, Gm. REVUE DES OISEAUX D'EUROPE. 107 gereux et dont le voisinage est à redouter. Cet aigle habite les hautes montagnes boisées et se retire en hiver dans les contrées méridionales, en Corse, en Grèce, en Égypte. On le retrouve dans l'Inde. L’aigle royal ou aigle doré, qui vit dans les grandes forêts de l’Europe centrale, ne vaut guère mieux que son confrère. C’est un des plus forts rapaces et beaucoup plus audacieux encore que l'aigle impérial. IL est assez commun en Asie où les Baschkirs, dit-on, ont su le dresser à la chasse. L'aigle fauve ou grand aigle a beaucoup d’analogie de forme et d'aspect avec l’antérieur. Il habite chez nous les hautes et basses Alpes, le Dauphiné et les Pyrénées. M. de !a Blanchère, dans son joli livre des Oiseaux nui- sibles (1), s’est exprimé en ces termes sur l’aigle fauve : « Nous n’hésitons pas à ranger cet aigle parmi les ani- « maux malfaisants de premier ordre ; car la destruction « qu'il fait de rongeurs incommodes n’arrive jamais à « compenser l’inulile consommation de chair comestible « à laquelle il se livre. En hiver, quand la neige couvre « la montagne, il lui faut descendre dans la plaine et là « il décime la volaille et les ressources du laboureur : « Sus donc ! à mort, le brigand ! « Le seul service que l’homme pourrait espérer de « ce rapace serait d'en faire un pourvoyeur de gibier, « mais son éducation est difficile, impossible même, car « les anciens fauconnicrs y avaient renoncé. » (1) Les Oiseaux utiles et les Oiseaux nuisibles, etc., par H. de la Blanchère. — J. Rothschild, édit. 1870. Paris. 108 CHAPITRE II. L’aigle criard, d'Allemagne et de Russie, qu’on ren- contre aussi dans l'Inde et en Afrique, ne reste qu’un temps de l’année dans les régions seplentrionales et. repart en octobre pour aller habiter des climats plus M doux, où sans doute il trouve mieux à vivre. « C’est un oiseau d'été... le plus lâche et Le plus inoffensif que je connaisse », dit Brehm (1). L’aigle clanga de Pallas, cité par G.-R. Gray (2), doit habiter les pays froids de l’Europe orientale. L’aigle Bonelli, qu'on a rangé parmi les pseudaëtes, vit dans le midi de l’Europe et le nord-ouest de l'Afrique ; il est commun dans | Inde, depuis l'Himalaya jusqu’à la côte. C’est un oiseau hardi et grand destruc- teur de gibier, mais moins prompt à l'attaque que : l’aigle fauve. L’aigle botté, au front blanc, fréquente le midi de nos contrées; son aire de dispersion s'étend jusqu’en Asie. On le rencontre dans toute la haute Égypte, où il M se réunit en grandes bandes; Brehm, qui lui a fait la . chasse en Afrique et en a beaucoup tué, mentionne une autre espèce voisine qu'il appelle l'aigle nain et qu’il range aussi parmi les aigles européens. « Ce sont des aigles nobles, dit-il, qui ne diffèrent de leurs grands congénères que par plus d’agilité et moins de prudence. » Son vol ressemble à celui du faucon. Le balbuzard pêcheur appartient à la famille des pygargues, qui fréquentent les bords de la mer et des _(1) La vie des Animaux illustrée, par A. E. Brehm. — J.-B. Bail- lière et fils, édit. 1870. Paris. (2) Hand-List of genera an species oiBrds, par G.-R. Gray. 3 vol. 1869. Londres. 4 REVUE DES OISEAUX D'EUROPE. 109 fleuves. Ce type de rapaces reparait, avec quelques dif- férences locales, dans les deux continents. Ce sont des oiseaux craintifs, toujours à la recherche du poisson, que d’autres espèces, plus faibles en apparence, leur \ enlèvent souvent sans qu’ils s’en défendent. Les hiron- delles les poursuivent dès qu’elles les aperçoivent et les font fuir. Ces balbuzards se trouvent dans presque toute l'Europe et même dans les grandes forêts du nord. C’est l’espèce qui détruit le plus de poisson. L'orfraie ou grand aigle de mer de Buffon est un oiseau rapide, qu'on voit dans tout le nord de l’ancien continent ; très-hardi et toujours affamé comme les vau- tours, 1l se précipite souvent sur des proies plus fortes que lui et qu’il ne peut enlever; aussi est-il parfois entraîné au fond des eaux. Lens a vu un esturgeon sur lequel un de ces grands pygargues s'était abattu sans pouvoir l’emporter ; celui-ci, cramponné sur son dos, ne pouvait en retirer ses serres trop engagées dans les chairs du poisson. L'oiseau, les ailes étendues, luttait de force avec l’esturgeon pour ne pas être englouti, et, tous les deux ainsi liés, parcouraient la surface de la mer avec rapidité, quand des pêcheurs se mirent à leur poursuite et s’en emparèrent. Ce grand aigle de mer est rare dans nos contrées. Robert Gray cite une autre espèce de pygargue sous le nom d’hahaëtus-leucoryphus, que Pallas a fait con- naître, et qui habite les régions du sud-ouest de l’Eu- rope. 110 CHAPITRE II. [IT Faucons. — On dit que l’art de la fauconnerie prit naissance en Asie, d’où il passa en Afrique, et qu'il fut importé en Europe au temps des croisades ; mais s’il faut en croire les auteurs qui se sont occupés spéciale— ment de l’histoire de la chasse à l’oiseau, ou mieux du vol, comme on l’appelait, cet art doit remonter à une plus haute antiquité. On employait des faucons dressés à la chasse au vol dans la plus grande partie de PEu- rope dès le 1v° siècle de notre ère, et les conquérants du Nouveau-Monde trouvèrent la fauconnerie en grand honneur chez les Mexicains. Bernard Diaz del Castillo et d’autres chroniqueurs de la conquête ont parlé de la fau— connerie de l’empereur Mutézuma, et racontent qu’un faucon, apporté d'Espagne par un capitaine de l’armée de Cortez, s'étant échappé quelques jours après l’ar- rivée des Espagnols à Mexico, Mutézuma envoya ses fauconniers à la recherche de l'oiseau étranger, qui le lendemain fut rapporté à son maitre. De nos jours l’art de la fauconnerie est tombé en désuétude et n’est plus pratiqué que dans quelques dis— tricts seigneuriaux d'Angleterre et d'Allemagne ; mais cette chasse, en perdant ses priviléges, n’a plus le même prestige ; elle a cessé d’être l'apanage des grands sei— gneurs et des rois. Lorsqu'on s’y exerçait en France, les dames châtelaines s’y livraient avec passion : une chasse au faucon offrait alors un spectacle des plus inté- ressants par le nombre de gens qui y prenaient part, REVUE DES OISEAUX D'EUROPE. ali les uns à pied et les autres à cheval. C'était le chef de fauconnerie qui réglail la chasse : dès que l’oiseau était lancé, tous les fauconniers qu'il avait pour maitres savaient l’exciter par leurs cris. Nos anciens princes surtout prenaient grand plaisir à cet exercice et y dé- pensaient beaucoup d'argent. La charge de grand fau connier fut une des mieux rétribuées et le seigneur qui en élait investi jouissait de grands priviléges. Jean de Beaune obtint cet emploi en 1250, Eustache de Jaucoult en 1406, et Robert de Mart exerça ces hautes fonctions sous Louis XII et François [°. En Espagne, pays d’apparat, la dignité d’Halconero- mayor n’élait dévolue qu'à un grand seigneur de la cour. — Le faucon élait un des oiseaux que le peuple respectait et il s’était acquis une haute réputation de valeur, de vigilance et de perspicacité. Ce fut le faucon de Raymond Bérenger, dit Cap de estopa, un des comtes de Barcelone, qui guida, dit-on, les serviteurs de ce prince jusqu’à la mare où avait été jeté le corps de son maître, après avoir été assassiné, pendant la chasse, par son frère Raymond II. Le souvenir de cet attentat s’est perpétué en Catalogne par l’image d’un faucon sculpté sur la porte de l’église de Gérone, où fut ense- veli le comte (1). — Les historiens espagnols nous apprennent encore que le roi Don Sanche perdit ses droils seigneuriaux en Castille, pour n’avoir pu payer le prix d’un faucon acheté par coitrat au comte Fer- nand Gonzalez. — Charles-Quint céda l'ile de Malte aux (1) Boffarul. Crènica de los condes de Barcelona. 112 CHAPITRE Il. chevaliers de Rhodes moyennant redevance annuelle d’un faucon blanc. — L'obligation de nourrir les faucons de la cour fut imposée aux moines par les em- pereurs d’Allemagne, et de là résulta sans doute la prétention des barons de placer leurs faucons sur l’autel pendant le service divin. Oiseau noble, le faucon a toujours figuré comme emblème héraldique. La princesse Éléonore d’Angle- terre, femme d’Alphonse VIT, roi d’Espagne, à laquelle les ornithologistes ont dédié une des meilleures espèces de faucons, a été souvent représentée avec un de ces oiseaux au poing. — Le duc de Saxe-Weimar, Ernest Auguste, fut le fondateur, en 1732, de l’ordre du Faucon blanc ou de la Vigilance (croix d’or octogone, émaillée de vert, portant au centre un faucon blanc armé, à bec d’or, avec la devise : en vigilant, on s'élève). Mais tout cela aujourd’hui est passé de mode; plus de fauconnier du roi en ses aires de Provence ou du Béarn ; la chasse au faucon, qui eut tant d’attrait, n’est plus chez nous qu’un souvenir des temps passés, et il faut se transporter chez les peuples barbares pour la voir encore avec tout son prestige et ses émotions. C’est dans quelques contrées de l'Orient et dans le nord de l’Afrique qu’elle a continué d’être en grand renom. On la pratique toujours, comme autrefois, dans l’Inde, en Perse, chez les Kirghis et les Baschkirs. Les Arabes en sont surtout très-passionnés: l'oiseau de race, comme ils appellent le faucon, est payé autant qu’un cheval, lorsqu'il est bien dressé ; il est soigné et res— REVUE DES OISEAUX D'EUROPE. 113 pecté dans la tribu ; il n’appartient qu’au chef et ne reçoit à manger que de la main du maître. Son capuchon est garni d’or, de soie et de petites plumes ; ses en- « « « traves brodées sont ornées de grelots d'argent. « Il faudrait n’être pas Arabe, disait un noble cheikh sabarien au général Daumas, pour ne pas s’exalter à la vue de nos guerriers revenant de la chasse au faucon. Le chef marche en avant et porte deux faucons, l’un sur l’épaule, l’autre sur le poing, revêtu de son guettass. Les chevaux hennissent, les chameaux porteurs sont chargés de gibier et leurs conducteurs font entendre un de ces chants d’amour ou de poudre qui savent si bien trouver le chemin de nos cœurs. Oui, je le jure par la tête du prophète, après un goum qui se met en campague, rien n’est plus splen- dide que le départ ou le retour d’une chasse au faucon. Aussi on a beau être haletant, harassé, mort de fatigue, mieux encore que par le sommeil, on est bientôt reposé, guéri par l'espoir et le désir de re— commencer le lendemain (1). » IV. De tous les oiseaux de proie diurnes, les faucons, malgré leur petite taille en général, sont les plus coura- geux, les plus agiles et en même temps les plus élé- gants de forme. Des ailes longues et pointues, le déve- loppement excessif de leur deuxième rémige, caractère (1) Le Sahara algérien, par le général Daumas. 4114 CHAPITRE If. distinctif des meilleurs voiliers, un bec robuste, crochu, échancré sur les bords, des ongles forts, recourbés et très-acérés, sont autant d’avantages qui leur donnent une supériorité marquée sur les autres rapaces et les rendent les plus redoutables. — Franchement et spécia- lement carnivores, chasseurs audacieux et intrépides, ils méprisent la chair morte et ne se nourrissent que d’ani- maux vivants et d'insectes. — Légers au vol et infati— gables, ils exécutent les plus rapides évolutions avec une facilité el une grâce merveilleuses, s'élèvent direc- tement à des hauteurs considérables et nagent dans l'air, comme disaient les vieux fauconniers. — Ces oiseaux ne se réunissent en troupes que pour leurs migrations, car dans cette tribu, presque tous vont chercher des climats tempérés quand vient l'hiver. Chaque espèce de faucon a ses habitudes de chasse particulières, mais la plupart saisissent avec la patte la proie que la serre a frappée au flane. Tous les faucons nobles, les gerfauts surtout, tombent sur leurs victimes perpendieulairement, attaquent le lièvre ou le lapin à la nuque, leur crèvent les yeux en s’acharnant sur eux, et il est rare que les pauvres bêtes parviennent à s’é— chapper. Une compagnie de perdrix a beau fuir de- vant le faucon rasant la terre ; celui-ci la croise, l’atteint et enlève la proie qu’il a visée. Quelquefois, dans son élan impétueux, il la culbute et l’étourdit du choc. | Ces oiseaux chassent presque toujours seuls, bien qu’on en ait vu deux ou trois marauder ensemble. — L'aspect du faucon cause une douleur extrême à tous REVUE DES OISEAUX D EUROPE 145 les oiseaux, qu'il saisit ordinairement à la volée et qu'il dévore sur place dans les endroits solitaires ou bien dans les lieux cachés, sous un buisson, sur les branches d’un grand arbre ou dans le creux d’un rocher. Sa serre secon(lant sa rapacité, et ses ailes son ardeur coura- geuse, il peut lutter avec avantage contre des adver- saires plus forts et d’une taille supérieure. On connaît en France des faucons qui ont deux épo- ques de passage, en octobre et novembre, puis en février et en mars. Quelques-uns, aux habitudes plus sédentaires, n’émigrent qu’à la suite des petits passe- reaux qui arrivent du nord vers la fin de l’automne, mais qui ne s'arrêtent pas assez dans nos contrées mé— ridionales pour servir de dédommagement à ces ra- paces déterminés et toujours en maraude. LA Parmi les nombreuses espèces de faucons européens connues des ornithologistes (1), celles qui acquirent dans le temps leurs titres de noblesse doivent prendre le pas sur les autres. On les distinguait sous les dénominations d'oiseaux de chasse ou de grand vol. Ge sera donc pour nous con- former à l’usage, bien plus que par déférence, que (1) Gerfaut d'Islande, falco candicans, L. (hierofalco cuv.). — Gerfaut arctique ou du Groenland, f. arcticus, L. — Gerfaut de Norvège, f. gyrfalco, L. — Le pèlerin, f peregrinus, Gm. - Le hobereau, f. subbuteo, L. — Le lanier f. lanarius, L. — L’éléo- nore, f.eleonoræ 1f. plumbeus, Brehm ?) - Le faucon des palombes, f. palumbarius, L. — L'épervier, f. nisus, L. — La cresserelle, f. tinnunculus, L. — La crécerine, f. cenchris, L. — L'émérillon, f. æsalon, L. — Le kobez, erythropus vespertinus, Br. 4116 CHAPITRE II. nous en parlerons d’abord. Nous placerons en tête de ces forbans ailés le gerfaut, oiseau bien armé, beau- coup plus fort et plus gros que ses autres congénères. Les gerfauts sont originaires du Nord ; on en Compte trois espèces qui peut-être ne sont que des variélés de l'oiseau type, le gerfaut d'Islande (1). On les rencontre en été sur les bords de la Mer glaciale, mais le gerfaut de Norwége se rapproche en hiver des régions moins froides. On assure qu’il a été vu en Allemagne. — Ces oiseaux, au vol foudroyant, habitent la montagne et descendent rarement dans la plaine, ils attaquent la cigogne, la grue, le héron, les cygnes et d’autres grosses proies. Dans leur ardeur fougueuse et sangui- naire, ils quitient souvent la victime qu’ils viennent d’abattre pour en poursuivre une autre aussitôt. Tous les gerfauts se prêtent à l'éducation guerrière et ne craignent pas de combattre l’aigle quand ils sont bien dressés. À l’état sauvage, ils se nourrissent ordinai- rement de pigeons, de bécasses et de lagopèdes. A la suite des gerfauts, nous rangerons le faucon pèlerin, grand voyageur, qui se montre partout et pousse au loin ses migrations. On prétend qu’il niche en France, mais il est certain qu’il fuit les frimas, pen- dant l'hiver, et qu’il se réfugie en Afrique. On le re- trouve même dans l’Inde, depuis les montagnes du (1) Les deux espèces voisines sont, le faucon du Groenland (falco candicans) et celui de Norvège (f. fyrfalco, L.). Ils étaient aussi dits plus estimés pour la chasse au vol, le faucon blanc sur- tout, dont Brehm a donné dans son ouvrage illustré une admirable planche représentant cet oiseau attaquant un héron, gravure du A LS artiste Robert Kretschmer, Voyez Op, cit., t. I, pl. IX, p. 217. Soi REVUE DES OISEAUX D'EUROPE. 4117 Thibet jusqu'aux embouchures du Gange. C’est un des plus hardis et des plus fins voiliers du genre, et Toussenel a dit de lui : « Il pique dans la rafale et se berce dans l'ouragan. » Fier, audacieux, plein de vi- gueur, il est toujours prêt à l’attaque et ne le cède en rien par son ardeur aux autres espèces. ‘Aussi est-il redouté de tous les oiseaux, depuis l’oie sauvage jus- qu’à l’alouette. — S’inquiétant peu de la grandeur de la proie qu’ilconvoite, il chasse même le lièvre. Cepen- dant ce faucon si hardi, si impétueux, perd toute son audace en présence du milan maraudeur, qui cherche à lui ravir sa proie et qui y parvient presque toujours, car le pèlerin s'enfuit et la lui abandonne. Le hobereau ou faucon commun, mais qu’on range parmi les nobles, est un grand destructeur d’alouettes ; il plonge sur elles du plus haut des airs et les saisit à la descente. Il peut lutter de vitesse et d’audace avec les autres espèces, et aucune d’elles n’égale sa hardiesse, car il suit le chasseur dans la plaine et lui enlève les cailles qu’il fait lever. — Très-agile au vol, on le voit poursuivre les hirondelles, dont il imite les allures dans ses différentes évolutions. Les insectes et Les souris qui passent à sa portée ne lui échappent pas. On le dres- sait autrefois à la chasse, car il s’apprivoise facilement. Le midi de l’Europe et les régions tempérées de l’Asie paraissent lui convenir de préférence ; son nom de hobereau fait allusion à ces gentillàtres campagnards, peu favorisés de la fortune, qui se prévalaient de leur titre pour se donner le droit de chasse sur les terres du voisin. 118 CHAPITRE LU. Citons aussi, parmi les auxiliaires de l’ancienne fau- connerie, le lanier, assez rare aujourd’hui dans les parties occidentales de l’Europe, mais qu’on rencontre encore en Pologne et en Hongrie. Cette espèce arrive en Morée vers l’automne, voyageant par petites bandes à la poursuite des oiseaux de passage et séjournant avec eux dans les îles de l'archipel grec, en Sicile et à Malte. On retrouve ce même lanier en Tartarie et dans le nord de l’Asie. Le faucon Éléonore est une autre espèce titrée qui : acquit aussi ses lettres de noblesse. Il choisit de préfé- rence le séjour des iles de la Méditerranée occidentale pour exercer ses rapines. Les anciens rois d'Aragon, adonnés à la chasse au vol, estimaient beaucoup ces faucons de Sardaigne que la princesse Éléonore prit sous sa protection par une charte spéciale (Carta Loghn). L’autour ou faucon des palombes est un oiseau de proie européen assez commun en France dans le pays boisé, d'où 1l sort pour explorer les fermes et faire main basse sur les poules, les poulets et les pigeons. On l’employa jadis à la noble chasse, bien qu’il fût classé parmi les ignobles. Ses migrations s'étendent jusqu’en Afrique et en Asie : peu sociable et presque toujours solitaire, 1l est fort hardi et bon voilier, chassant sous bois comme dans la plaine tout ce qui se présente à sa rapacité, oulardes et gélinoites, colombes, cailles et perdrix, même les levrauts et les lapins. — Son vol est des plus rapides, et quand il a pris tout son élan, on entend le sifflement de ses ailes. Malheur au # REVUE DES OISEAUX D'EUROPE. 119 colombier sur lequel il a jeté les yeux ! les pauvres pigeouneaux n’ont qu’à se bien garder: ils seront bientôt décimés. L’épervier commun tient le milieu entre les faucons et les autours par les mœurs et par le port. C’est un oiseau assez facile à élever et qu’on pourrait dresser pour la chasse. Il habite toute l’Europe dans la bonne saison et va passer l'hiver en Afrique et en Asie. — Très-courageux et d’une grande audace, il est craint de tous les oiseaux, qui fuient à son approche, mais le rapace se tient caché et sait saisir l’instant favorable pour tomber sur sa proie. La cressereile ou l’épervier des alouettes fait en- tendre son joli cli-cli-cli dans tout l’ancien continent, des bords de l'Océan glacial aux chaudes régions de l'Afrique australe, et des steppes de la Tartarie aux îles du Japon. La crécerine ou cresserellette a les mêmes habitudes que la cresserelle et se montre aussi dans les mêmes contrées. Tant l’une que l’autre, ces deux espèces aiment à vivre en société et à se poser sur les clochers et sur les combles pour dénicher les moi- neaux et les hirondelles ; toutes les deux chassent aux souris et font la guerre aux sauterelles. L’émérillon, le plus petit des rapaces, est un des plus courageux de la bande de ces braconniers maraudeurs; il fait rafle de perdreaux et d’autres volatiles, parcourt en rasant la lisière des bois et glace de terreur les oiseaux qui s’y tiennent cachés et qui deviennent ses victimes. Il fut dans le temps très-estimé des fauconniers, qui l’em- ployaient principalement pour la caille et l’alouette. 120 CHAPITRE II. C’est une espèce cosmopolite, qui s’accommode de tous les climats. Le kobez ou faucon à pieds rouges est un oiseau inoffensif, qui vit plus d'insectes que d’oisillons. IL est rare en France, fréquente la Russie, l'Autriche, le Tyrol et les pays de l'Orient européen, où il est de passage au printemps. On a vu souvent, dans la Bessarabie, les kobez, réunis par grandes troupes en compagnie d’émérillons et de cresserelles, comme pour s'exercer à la voltige et exécuter ensemble les plus singulières évolutions. VI: Après les faucons, parlons des miLans, des BUSES, des BUSARDS, el des ARCHIBUSES (1). Les milans sont des rapaces voyageurs qui opèrent leurs migrations en chassant d'étape en étape. Ils ne séjournent en France, comme dans les autres parties de l’Europe, qu’un temps de l’année. On en connaît deux espèces, le milan noir et le royal, toutes les deux assez rares dans le nord, mais qu’on voit plus fréquemment dans le midi, où elles nichent. Le premier, qui a été sou- vent confondu avec le milan parasite d’Afrique, n’est que de passage chez nous ; il habite l’Allemagne, la Russie méridionale, l’Asie et le Japon. — « Ce milan (1) MILANS : milan noir, falco ater, L. — Milan royai, falco milvus, L. — Milan Saint-Martin, strigiceps cyaneus, Br. — Milan blafard, strigiceps pallidus. BUSES : buse commune, falco buteo, L. — La bondrée, falco apivorus. L. Busards : le busard du marais, falco æruginosus, L. Archibuses ; le busaigle, archibuteo lagopus. REVUE DES OISEAUX D EUROPE. 121 noir, dit Brehm, estun mendiant des plus osés et des plus impudents ; trop lâche pour conquérir lui-même sa proie, il poursuit les rapaces nobles, les tourmente, les inquiète, jusqu’à ce qu’ils aient abandonné leur capture. » Quoiqu’oiseau de grand vol, il ne chasse le plus souvent que les souris, les rats, les taupes et les lézards. Ce rapace rode sans cesse autour des fermes, se ha- sarde dans les poulaillers, s'empare des poulets et des jeunes volailles, mais les coqs et les vieilles poules le font fuir. Maraudeur déhonté, il fait ventre de tout, même des charognes et du poisson mort, quand il ne trouve pas autre chose. Le milan royal ne vaut guère mieux que son con- frère ; il a toutes ses mauvaises habitudes et ne mérite, par aucune vertu, le nom qu’on lui donne. Rapace vul- gaire et ignoble, on le rencontre dans toute l'Europe au printemps et en élé, mais en hiver il émigre en Afrique et pousse jusqu'aux Canaries. Malgré sa rapa— cité et sa goinfrerie, quelques circonstances atténuantes militent en sa faveur : il détruit beaucoup de campa- gnols, ces rats de terre qui désolent nos champs. Parmi les circidés européens, le milan Saint-Martin ou strigiceps bleuâtre habite aussi Asie ; le cendré se rencontre plus particulièrement en Hongrie et en Crimée, et dans les provinces danubiennes. Le blafard ne se montre que bien rarement dans nos pays méri- dionaux, mais il fréquente tout le nord de l'Afrique. Ces trois espèces vivent ordinairement en plaine et vaguent dans la campagne ; ce sont des rapaces rusés: 1292 CHAPITRE II. qui s'élèvent peu, volent au ras du sol et se nour- rissent de grenouilles, de petits rongeurs et d'insectes. La buse vulgaire est un oiseau de proie d’assez grande taille, mais moins à craindre que les faucons ; sa grosse tête, son corps trapu, ses jambes courtés, l’habitude de se tenir des heures entières perchée et impassible sur un mur ou sur une branche, guettant sa proie, lui a fait donner le nom qu’elle porte. On la ren- contre fréquemment en Europe et en Asie, plus rare- ment en Afrique. C’est un ciseau errant, qui n’est que de passage dans les pays froids et recherche les con- trées du Midi aux approches de l’hiver, car les buses voyagent en petits groupes qui se succèdent en suivant la même route, mais sans former société. Il est cepen- dant des pays en Europe où ces oiseaux paraissent sédentaires, et le climat de la France est un de ceux qui semblent mieux leur convenir ; aussi n’est-ce que dans les grands hivers qu’elles nous quittent pour se diriger vers des régions plus tempérées. — Les buses se tiennent volontiers sur la lisière des bois, dans les pays de plaines qui peuvent leur procurer une nourritut abondante ; toujours silencieuses, elles volent à la sourdine comme les oiseaux de nuit; aucun bruit ne trahit leur approche, et, le plus souvent, elles tombent à l’improviste sur les oiseaux qu’elles ont aperçus. Ce n’est que pressées par la faim ou par quelque autre motif impérieux, qu’elles font entendre leur cri strident, hiéh-hiéh-hiéh ! — En général, ces rapaces sont moins friands d’oisillons que les éperviers, et en somme la buse n’est pas si bête que son nom le dit ; elle est REVUE DES OISEAUX D'EUROPE. 193 beaucoup plus utile que nuisible, détruit une grande quantité de rongeurs et d’autres animaux malfaisants, surtout les serpents. Quand elle s'attaque aux reptiles, elle ne craint pas les plus venimeux ; mais alors elle sait se tenir sur ses gardes pendant le rude combat qu’elle leur livre. Lens a fait à ce sujet de curieuses obser- vations que Brehm a consignées dans son bel ou- vrage. La bondrée ou buse apivore habite nos pays chauds de la France : on la rencontre aussi en Allemagne et ses migrations s'étendent jusque dans l’ouest de l’Afrique. D’après Neumann, c’est la plus sotte, la plus craintive et la plus débonnaire des buses; son vol est lent et lourd, tout son être indique la paresse, elle est antipa- thique à tous les petits oiseaux, comme la chouette, “bien qu’elle ne les chasse que quand elle ne trouve pas de guëpes ou d’autres insectes. Neumann assure pour- tant qu’elle détruit beaucoup de nids malgré son air de sainte nitouche. Les mulots et les rats qui tombent sous son bec crochu sont pour elle de bon alot. Le busard des marais se rencontre dans beaucoup de pays en Europe, en Asie et dans le nord de l'Afrique, surtout en hiver. [l se nourrit principalement d’oiseaux aquatiques, et au besoin de grenouilles et de poissons. Les poules d’eau et les autres espèces des marécages redoutent ce rapace, qui détruit aussi beaucoup de nichées et qu’on est parvenu à dresser dans l'Inde pour la chasse aux canards. L’archibuse ou busaigle, qui représente dans les régions septentrionales notre buse vulgaire et fait 124 CHAPITRE I. une guerre acharnée aux rongeurs, n'est que de pas- sage dans la France centrale. Enfin le jean le blanc (1), qu’on range parmi les cir- caètes et qui fait transition entre les aigles et les buses, ne se montre en Europe que dans les pays tempérés, d’où il s'éloigne en hiver pour passer en Afrique. On le retrouve dans l’Inde, où il vit, comme chez nous, presque toujours solitaire et caché dans les grands arbres qui bordent les fleuves. Sa principale nourri- ture consiste en poissons, en grenouilles et en reptiles. VIL. Vaurours (2). — Parmi les oiseaux ignobles, il en est d’un aspect repoussant, aux instincts bas et gloutons, les uns à tête chauve, au cou livide en partie dégarni, les autres mieux emplumés et portant collerette ; leurs plumes du dos sont larges et hérissées, surtout quand. ils se battent et entrent en fureur : ce sont des vautours, À première vue, on se croirait en présence de rapaces dangereux et sanguinaires, mais il n’en est rien: quoique forts, avec leurs yeux de feu et leurs puissantes ailes, ils ne sont que voraces et non rapaces dans la véritable acception du mot, car ils n’ont pour eux que leur bec robuste, leur appétit dévorant et insatiable, et un estomac qui seconde leur voracité. Leurs pattes ne (1) Circaetus gallicus. « (2) VAUTOURS : gypaète barbu. vultur barbatus, L. (gypaetus bar- batus, Storr.) — Vautour moine ou arrian, vultur cinereus, L. — Le gyps ou vautour griffon, percnopterus stercorarius. (Vultur . percnopterus et leucocephalus, Gm.) | REVUE DES OISEAUX D'EUROPE. 125 sont pas armées pour frapper à mort, déchirer ou em— porter une proie ; ce ne sont pas des serres, mais des griffes à peine rétractiles, qui n’ont ni la force, ni le tranchant de la terrible armure des oiseaux de rapine. Aussi n'attaquent-ils presque jamais les animaux vivants et si par cas ils s’y hasardent, faut-il encore que la bête soit bien malade ou qu’une plaie béante la gêne et l'empêche de fuir. Ges affamés, en général, ne re- cherchent que les bêtes mortes, les cadavres fétides et la chair en putréfaction. On distingue plusieurs groupes de vautours : celui des gypaètes, au cou bien emplumé, ne compte qu’une seule espèce en Europe et semble faire transition des aigles aux vautours. Cette espèce est le barbu, appelé vautour des agneaux. C’est un oiseau des Alpes, des Pyrénées, de la chaîne du Caucase et de toute la parte montagneuse de l’Europe méridionale, où pourtant il se montre aujourd’hui bien moins fréquemment qu’au- trefois. On le rencontre aussi dans l’Inde vers l’'Hima- laya et en Afrique dans l’Atlas, de même qu’en Abys- sinie. Son nom de barbu lui vient de la petite touffe qu'il porte sous le bec. — Ce gypaète est très-connu des bergers d’Espagne sous le nom de quebranta-huesos (briseur d'os), parce que, friand de leur moelle, il les brise en les emportant au plus haut des airs pour les laisser tomber sur les rochers et s’y précipiter dessus. — Les naturalistes ne sont pas encore tout à fait d'accord sur les mœurs du gypaète. Les uns, et Brehm le premier, les considèrent comme oiseaux que l’homme ne doit pas plus redouter que le bétail; d’autres, tels 126 CHAPITRE II. que Steinmüller, Tschudi et Lesson, en ont fait des ra— paces dangereux et cruels, qui ne vivent que de lièvres, d’agneaux, et de jeunes daims et ne se repaissent de charognes que pressés par la faim. Aujourd’hui des observations bien constatées, et qui toutes coïncident, ont réhabilité le gypaèle de tous les méfaits qu’on lui imputait: c’est un vaulour tout comme un autre, ni plus ni moins, qu'on avait peut-être confondu avec l'aigle fauve. Malgré sa force apparente et sa grande taille, car il mesure souvent 1 m. 25 c. de long et plus de 2 m. 50 c. d'envergure, il faut renoncer à ces his- toires qui nous représentaient le gypaèle comme un des plus terribles oiseaux de proie, capable, comme l'aigle, d’enlever dans ses serres un mouton ou un chevreuil, pour aller dévorer sa victime et s’abreuver de son sang. Le vautour moine ou l’arrian, qu'on désigne aussi sous le nom de vautour cendré, habite le midi de l'Europe ; il est rare en Espagne et en Italie, mais plus commun aux alentours de la Mer noire et dans les grandes îles de la Méditerranée, notamment en Sar- daigne. Buffon l’appelait le grand vautour; c’est en effet celui de plus grande taille, après le condor ; sa déno- mination spécifique de vautour cendré a l'inconvénient de ne pas désigner exactement sa couleur, qui est au contraire d’un brun fauve et même tirant au noir à l’é- tat adulte. Ce vautour se montrait autrefois assez fré- quemment en France, dans l’Auvergne et le Dauphiné; il n'apparaît plus aujourd’hui qu’en Provence, à la suite du bétail qu’on ramène des Alpes aux Alpines, vers le bas Rhône, pour le faire rentrer en Camargue et dans REVUE DES OISEAUX D'EUROPE. 127 la Crau, pays des plus curieux et fort peu visité, qui borde le fleuve jusqu'à ses embouchures et forme son delta : région d’un aspect étrange par ses plages déboi- sées, son sol pierreux et inculte sur sa plus grande étendue, par ses marécages el ses herbages salins qui rappellent tantôt les steppes de la Tartarie, les déserts de l’Arabie pétrée ou les solitudes du Nil, et tantôt les pampas de l'Amérique du sud, avec leurs gaouchos et leurs trou- peaux de bœufs sauvages. C’est là que les vautours affamés ont plus de chance de se repaitre de bêtes mortes, au retour des migrations paslorales. Ce vautour arrian se distingue des gypaètes par la teinte bistrée de sa robe, qui passe au noirâtre sur le dos, par sa tête chauve, par sa collerette de plumes hérissées en arrière et sur les côtés de son cou dénudé. Ce furent des vautours de cette même espèce qui appa- rurent en masse à la bataille que livra Marius aux Cimbres et Teutons, dans les champs de Pourrières en Provence et qui se gorgèrent de la chair des cadavres infects qui couvraient le sol. Le même fait se reproduisit à Pharsale, où les attira le carnage des légions de Pompée. J'ai eu occasion de voir des arrians aux Alpines et dans la Camargue, mais sans pouvoir les approcher assez pour les tirer ; leur vol était majestueux et sou— tenu, plus rapide que celui des autres espèces. Ceux qui habitent les montagnes de la Sardaigne m’ont paru en- core plus grands et plus forts. J’en vis un, en 1831, à Nice, qu’un officier de la marine sarde avait rapporté presque adulte, d’Alghero, et qu’il avait donné au natu— I, 9 198 CHAPITRE If, raliste Verani. C’élait un oiseau de grande taille, d’un aspect imposant comme celui de l'aigle, bien emplumé, à robe brune très-foncée et présentant au grand jour des teintes chaudes admirables. Verani tenait ce vautour depuis un an, au fond d’un jardin, dans un hangard en- touré d’un grillage, lorsque son ancien maître revint à Nice et voulut le revoir. Nous étions plusieurs per- sonnes présentes et fûmes témoins d’une scène que Je n’ai pas oubliée. Dès que l'oiseau eut aperçu l'officier, il s’élança de son perchoir et vint s’abattre à ses pieds, le bec ouvert et les ailes étendues, manifestant, par se mouvements de trépidation, la joie la plus vive. Il se laissa caresser quelques instants, frottant son cou et sa tête sur les jambes et les mains de celui qu’il venait de reconnaitre. — À quelques mois de là, pendant l'hiver que je passais à Nice, Verani, fatigué de nourrir ce gros oiseau glouton qui lui consommait beaucoup de viande, m’annonça qu’il allait le tuer pour lempailler et l’en- voyer au cabinet de Turin : « Venez demain au jardin, me dit-il, ef vous assisteres à l'affaire. » Je fas curieux de savoir comment il s’y prendrait, car le vautour pa- raissait d’une grande force et n’était pas facile à aborder ; mais Verani élait un naturaliste intrépide ; il s'était armé d’un fort bistouri, pour le tuer proprement, disait- il. J'étais cffrayé de son audace : l'oiseau était sur son perchoir, et son air laciturne imposait ce jour-là un cer- tain respect. Verani s’en approcha avec ie plus grand sangfroid, lui présenta un gros morceau de viande, et, tandis que le vautour se penchait, les ailes ouvertes, pour le saisir, Verani, plus prompt que l'éclair, lui REVUE DES OISEAUX D'EUROPE. 129 passant le bras en dessous, lui fendait le flanc et lui perçait le cœur. L'oiseau tomba foudroyé, et son meur- trier, sortant alors tranquillement de sa poche une petite boîte remplie de poudre de chaux, étancha le sang qui coulait, puis se retournant vers moi, me dit en riant de son air narquois : « Je ne l’ai pas manqué, n’est- ce pas ? » L'homme est plus cruel que la bête ; je savais ça. La philosophie de Verani n'allait pas au delà de ses intérêts ; 1l élait très-habile préparateur et savait d’avance ce que lui vaudrait son vautour, que je revis deux ans plus tard au Muséum de Turin. Il paraissait encore vivant. L'Europe méridionale possède encore deux autres vulturiens : le gyps ou vautour griffon, dont les plumes de la collerette, presque toujours hérissées, sont d’un blanc jaunâtre, et le percnoptère stercoraire, commun en Provence, en Espagne et aux Canaries. Cette der- nière espèce, qu’on rencontre aussi en Afrique et en Asie, est connue depuis longtemps sous les noms divers de néophron, urigourap, poule de Pharaon ou vautour d'Égypte. — Aussi hideux que sale et dégoûtant par ses habitudes immondes, ce vautour répand une odeur in= _fecte, que conserve même sa peau lorsqu'elle est em- paillée. On le voit assez fréquemment réuni avec ies corbeaux et d’autres oiseaux voraces, aux alentours des lieux habités, ou rôdant dans la campagne, à la re- cherche de quelque bête morte. Son nom de stercoraire lui va bien, car rien ne répugne à sa voracité, pas même les ordures. Toujours le premier à la curée, quand les corbeaux, ses compagnons de ripaiile, an- 130 | CHAPITRE II. noncent une bonne aubaine, il se gorge tant qu’il peut et va digérer ensuite sur le roc escarpé où est établie son aire et dont il souille tous les abords. De tous les oiseaux de proie que j'ai préparés dans ma vie de chasseur naturaliste, le percnoptère est celui qui me répugnait le plus à dépouiller de sa peau, à cause de la vermine qui lui couvrait le corps. Pour- tant ce vautour mérita jadis la vénération des peuples ; _ il fut, avec l’ibis et d’autres, l’oiscau sacré des anciens Égyptiens, et leurs descendants le respectent encore de nos jours. On lui avait voué une sorte de culte, et on le trouve figuré sur les obélisques et dans les hiéroglyphes des temples. Ce vidangeur emplumé purge la terre de toutes les immondices qui infectent l’air dans ces pays sujets à la peste. Suivant les contrées qu’ils habitent, ces vautours se font voyageurs; on les a vus suivre les armées en marche, comme ies corbeaux, s'établir près des cam- pements et se précipiter à la curée sur les champs de bataille, quand on n’a pas le temps d’ensevelir les morts, que du reste ils savent déterrer. D’autres en- core, non moins voraces, suivent les caravanes dans le désert sans se laisser apercevoir, mais dès qu’un cha- meau ou un cheval, mort de fatigue ou de faim, est resté en arrière, les vautours affamés apparaissent aussitôt comme tombés des nues, et la bête est bientôt dépécée sur place. e- REVUE DES OISEAUX D'EUROPE, 131 VIIT. Presque tous les oiseaux de proie diurnes, tant les privilégiés, portant titre de noblesse, que les roturiers insoumis, classés parmi les ignobles, sont plus ou moins sanguinaires, scélérals et forbans : voleurs à main armée sur les grands chemins de l’espace, comme de vrais bandits aux habitudes perverses, ce sont d’au- dacieux effrontés, qui vivent au jour le jour. Jen’excepte pas même ceux qui, sous l’ancien régime, reçurent une éducation soignée et que le grand art de la fauconnerie, institution féodale qui eut ses règles, ses lois et son jargon, tint longtemps en servage. La Révolution de 89, en supprimant les priviléges, les rendit à la liberté et leur permit de faire tout ce que la loi ne défend pas. Mais c'était trop lâcher bride à leurs mauvais instincts que de les associer ainsi aux droits de l'homme : aussl ne tardèrent-ils pas à reprendre leurs allures dès qu'ils se sentirent les coudées franches, comme ces forçats libérés qui recommencent de plus belle quand ils ont fini leur temps. — Je n’entends parler ici que des aigles et de la plupart des rapaces qu’on a rangés parmi les faucons, et non pas des vautours, qu’on doit considérer comme des oiseaux plutôt uliles que nuisibles. Quant aux rapaces nocturnes, à quelques exceptions près, ils ne sont guère plus à redouter que les vautours : on peut bien, il est vrai, leur reprocher quelques pecca- dilles, telles que de dénicher les oisillons, de ravager les nids, de croquer même des hirondelles et des moi- 132 CHAPITRE II. neaux surpris dans leur sommeil, mais ces petites scélé- | ratesses sont largement rachetées par les immenses services qu'ils ne cessent de rendre en détruisant une foule de bêtes nuisibles, rats, mulots, insectes et che- nilles, qui composent leur principale nourriture. — Leurs cris lugubres, pareils à des gémissements, leur grosse tête, leurs grands yeux, leur bec crochu, hérissé de poils et caché sous les plumes de la face, leurs oreilles à fleur de tête et surtout ces aigrettes plu- meuses, qui imitent deux cornes et que portent tous les hibous, en leur donnant une physionomie étrange, ont dù impressionner les esprits faibles et superstitieux qui ont entendu, au milieu du silence des nuits, ces voix Jamentables, poussées du fond des forêts, Mais à bien observer ces oiseaux sans appréhension, ils sont bien plutôt ridicules qu'effrayants, avec leur face de chat, leur tournure rechignée, jointe à l’espèce de miaule- ment qu'ils font entendre. Il en est même de très-doux, très-sociables et fort comiques, qu’on peut facilement apprivoiser pour se divertir de leurs minauderies et de leurs attitudes grotesques. Les jeunes hibous qui, devenus adultes, sont tous si bien emplumés et prennent un air imposant lorsqu'ils ont acquis toute leur force, se montrent, à leur sortie de l’œuf, comme les êtres les plus chétifs que l’on con- naisse. Ces nouveau-nés semblent des oiseaux im- parfaits, malingres et impotents ; leur corps, couvert d’un duvet touffu, leur donne la plus singulière tour- nure; on les croirait sans ailes, et avec leurs grands yeux ouverts en naissant, 1ls ressemblent à un joujou REVUE DES OISEAUX D'EUROPE. 133 d’enfant fait de coton. A.-E. Brehm, dans sa Vie des animaux illustrée, en a donné une excellente figure qui rappelle ces vers de Lafontaine, dans la fable de l’Aigle et du Hibou : Notre aigle aperçut, d'aventure, Dans le coin d’une roche dure, Ou dans le trou d’une masure (Je ne sais plus lequel des deux), De petits monstres fort hideux, Rechignés, un air triste, une voix de mégère. Mais il est d’autres causes que celles que j'ai citées plus haut, qui ont contribué à frapper les rapaces noc- turnes de réprobation dans l'esprit du peuple, principa- lement parmi les paysans : chouettes, chats-huants ou hibous, pour eux les oiseaux de nuit, au vol sourd et perfide, qui se tiennent cachés et qu’on n’entend pas venir, qui volent sans bruit comme des ombres, seront toujours des bêtes sinistres, des oiseaux de mauvais augure, dont la présence ou le voisinage est le présage d’un malheur, surtout, si sous le toit du vieux manoir, sur lequel le hibou est venu se percher, il se trouve par hasard un pauvre malade en souffrance et qu’on entende tout à coup, au milieu des ténèbres, ce cri insolite qui ressemble à la plainte d’un mourant. Alors, l’imagina- tion et La peur aidant, les pauvres esprits s’effrayent…. C’est l’oiseau de nuit que chacun abhorre, que tous les autres détestent, qui excite leurs criailleries, et l’homme unit sa voix au concert de malédictions contre ce diable emplumé, échappé des enfers. Et pourtant ces accents lu- gubres, ces voix infernales, fantastiques, que la nuit 134 CHAPITRE IL. rend encore plus sinistres, ne sont le plus souvent, au temps des amours, que les soupirs d’une chouette, les langoureux désirs d’un hibou ‘ou les amoureux appels d’un chat-huant. Mais ces oiseaux réprouvés ont reçu aujourd’hui leur réhabilitation ; des défenseurs généreux ont plaidé en leur faveur : « Pourquoi, s’est demandé M. de la Blanchère, dans la plupart des pays, les populations montrent elles tant de répulsion pour les oiseaux nocturnes ? » — C’est que la nuit inspire la crainte, et que, malgré laæ voix de la raison, l’homme se sent désarmé au milieu des ténèbres. « Ému parles grandes ombres, par le pro- « fond silence de la nature, l’esprit se laisse impres— «_sionner par les cris et les hurlements lugubres qu’il « entend... De la crainte à la répulsion, il n’y a qu’un « pas. Ajoutons les superslitions imaginées par les têtes « fanatisées du moyen âge barbare, n’oublions pas la « ténacité des préjugés dans les contes populaires, et « nous pourrons apprécier la valeur des dictons ridicules « qui rendent suspects aux yeux du vulgaire ces oiseaux « inoffensifs (1). » Il est probable, comme le pense notre auteur, que quelques paysans, qui auront tenu des chouettes ou des bibous en cage, ont vu se hérisser leurs plumes et flamboyer leurs yeux, lorsqu'un objet ou un bruit quel- conque est venu les frapper. Ces bonnes gens se seront effrayés des postures étranges de ces oiseaux, de leurs sifflements sinistres et de cette myopie incurable qui leur fait faire des grimaces diaboliques. C’est bien assez pour (1) De la Blanchère, Op, cit., p. 57 et suiv. , REVUE DES OISEAUX D EUROPE. 139 que ces oiseaux au sombre plumage soient des suppôts de Satan. « Les rongeurs, les reptiles et les gros insectes, ajoute M. de la Blanchère, sont leurs proies préférées. Affr- mons-le donc hautement : les rapaces nocturnes sont des amis, des aides, des auxiliaires bénis, qu’il faut protéger el encourager. _“« Respect à ces honnêtes travailleurs de la nuit! » OISEAUX DE PROIE. (NOGTURNES.) IX. Sur 580 espèces de rapaces nocturnes répandus dans le monde, l’Europe n’en compte guère qu’une dou— zaine (1) et encore la plupart d’entre elles habitent aussi d’autres parties du globe , quelques-unes seulement sont spéciales à la région septentrionale ; aucune, si ce n’est le grand-duc et le harfang, ne fait concurrence à nos chasseurs pour les cailles, les perdrix et le bon gibier. Le harfang des neiges et la chouette-épervière peuvent supporter la lumière du jour dans les froides contrées (1) RAPACES NOCTURNES : Le harfang des neiges, nyctea nivea (striæ nyctea, Gm.\. — La chouette épervière, surnia funerea, L — La cheveche commune, athene noctua.— La cheveche méridionale, noctua meridionalis, Risso. — La chevèche naine, miroptynx pas- serina. — La nyctale pattue, nyctale dasypus ? — Le chat huant ou hulotte, syrnium aluco. — L'effraie commune, strix flammea. — Le hibou vulgaire ou moyen-duc, ofus vulguris. — Le hibou à courte aigrette, scops carniolica. — Le hibou brachyote, ofus bra- chyotos. — Le grand“duc, bubo maximus. 136 CHAPITRE II. qu’ils habitent, car ces deux espèces fréquentent les bords de la Mer glaciale, la Sibérie et les pays scandi- naves. Elles semblent relier, par leurs mœurs, les ra— paces diurnes aux nocturnes et peuvent chasser en plein jour comme dans l’obscurité. Le harfang, si curieux par ses grandes ailes de plus d’un mètre et demi d'envergure, par son bec noir et sa belle robe bianche tachetée de jaune, a été vu en Fin- lande et quelquefois dans l’Europe centrale ; on dit. même qu'il existe dans l'Amérique du nord et en Asie. C’est un oiseau au vol rapide, impétueux comme celui du faucon, doté d’un grand courage et de beaucoup de hardiesse ; il chasse avec succès la perdrix, la gélinotte, les canards et attaque même les lièvres. Il ne craint pas les chiens et détruit beaucoup d’écureuils, de rats mus- qués, de marmottes et d’autres rongeurs. La chouette épervière se rencontre dans larégion cen- trale de l’Europe, mais n’est que de passage en Alle- magne et habite plus particulièrement la région arc- tique. Cette espèce est nombreuse au Canada et dans les contrées adjacentes ; on assure même qu’elle descend jusqu'aux Bermudes. Toutefois ses migrations sont irré- gulières, et elle passe souvent plusieurs années sans se montrer. Son vol ressemble à celui de l’autour ; sa prin- cipale nourriture consiste en souris et autres petites bêtes ; mais on l’accuse aussi de suivre le chasseur pour s'emparer du gibier qu’il abat. J’ai peine à le croire, car sa taille peu développée et sa longue queue ne la rendent guère capable d’enlever une grosse proie. La chevèche commune est l’oiseau de Minerve, aussi | REVUE DES OISEAUX D'EUROPE. 137 l’a-t-on rangée dans le genre athène; l'Europe, l'Asie, la Sibérie orientale la possèdent. Il en existe deux ou trois variétés, produites sans doute par les influences des climats où elles se sont propagées. Cette espèce de chouette est très-sociable et vit près des lieux habités, en compagnie avec d’autres. « Elle ne chasse que la sou- ris, ne fait de mal à personne et rencontre partout des ennemis, l’homme d’abord, puis les rapaces diurnes, qui lui font la guerre, la belette qui détruit ses œufs, les corneilles et les pies qui la harcèlent dès qu’elles la voient. » (Brehm.) La chevèche méridionale habite les rochers maritimes du golfe de Nice, où elle chasse, vers les équinoxes, les petits passereaux migrateurs qui se rendent en Afrique ou qui en reviennent. C’est Risso qui l’a dit, mais je ne l'affirme pas : un seul témoin du méfait ne suffit pas en justice correctionnelle. La chevèche naine ou passerine, des forêts d'Europe et d'Asie, est aussi assez commune dans l'Amérique du nord ; c’est Le plus petit des strigiens : un rapace en mi- niature, vif et alerte, qui entre en chasse dès que le so- leil se couche, grimpe sur les arbres comme un perro- quet, saisit parfois les oiïsillons, maist se nourrit plus particulièrement de rongeurs. (Brehm.) La nyctale pattue, autre espèce de chouette, habite l’Europe et l’Asie centrale, vit solitaire dans les mon- tagnes boisées ; Les petits oiseaux la redoutent et la har- cèlent quand ils la découvrent de jour. Son cri, qui ressemble à un bêlement, lui a fait donner le surnom de chèvre. sauvage. 138 CHAPITRE II. Le chat-huant ou hulotte fait entendre ce cri sinistre que répètent les échos de la nuit et qui effraye les peu- reux. Pour les gens simples, c’est l’oiseau de mauvais augure, dont il faut se méfier ; pour le naturaliste, c’est l'hôte des sombres forêts, où il fait la chasse aux écu- reuils qu’il surprend endormis dansles creux des arbres. Il s’aventure aussi dans la campagne à la recherche des souris, des laupes et des insectes crépusculaires. On l’ac- cuse de happer les petits oiseaux : ce méfait diminue- rait la confiance que m'inspire le chat-huant s’il n’était dénué de preuves, et en l’absence de témoins oculaires, je suis à cet égard de l’avis de M. de la Blanchère : « 11 faut un supplément d'instruction criminelle avant de pro- noncer un jugement. » Laissons donc vivre en paix la hulotte, car il est de notoriété publique, d'après l’en- quête extra-judiciaire à laquelle on s’est livré, et l’exa- men de forestiers experts, qu’une autopsie légale a fait découvrir dans l’estomac de l’oiseau ineriminé, Jus- qu’à cent chenilles du sphinx des pins et autant du han- neton, et que dans 210 huloties, mises à mort sansautre forme de procès, on a trouvé les restes de 48 souris, de 296 mulots, de 33 musaraignes, 48 taupes, et seulement 18 petits oiseaux. (De la Blanchère.) Or, pour quiconque voudra se donner la peine de vérifier mon calcul, cela ne fait guère que deux mauvaises bêtes pour chaque re- pas d’un pauvre chat-huant, peut-être à jeun depuis la. veille, et les 857 dix-millièmes d’une fauvetle ou d’un moineau pris dans son nid. C’élait bien la peine de l’ac- cuser ! — Du reste, donner de temps à autre, quand on a faim, un tout petit coup de dent ou de bec REVUE DES OISEAUX D'EUROPE. 139 à un morceau défendu, n’est pas un cas pendable. L’effraie commune a les mêmes habitudes que le chat- huant, hante la nuit les vieux châteaux et les vieilles masures, S’abrite de jourdans les buissons et les fourrés. On rencontre aussi cette chouelte dans la montagne ; mais elle quitte tous les ans les régions du nord pour se diriger vers le midi par petites bandes, à mesure que le froid se fait sentir. Le hibou vulgaire ou moyen-duc, aux aigrettes plu meuses et aux grandes oreilles, est connu de toute l’Eu- rope et se retrouve dans l’Amérique septentrionale et dans les montagnes de l'Asie. L’espèce des États-Unis ne semble pas beaucoup différer de la nôtre. Cet oiseau est un de ceux qui chassent aux rongeurs et aux insectes ; il vole en rasant la terre, et la conformation particulière de ses yeux lui permet de pourvoir à sa nourriture de jour comme de nuit. Le hibou à courte aigrette, et le scops de la Carniole Où SCOpS Zorca, sont deux autres espèces du midi de lEu- rope et du nord de l’Afrique, qui nous quittent en hiver. Ces petits hibous recherchent la société de l’homme, fréquentent nos villages, pénètrent dans nos jardins, chassent aux sauterelles, aux grillons, aux chenilles et même aux chauves-souris. — Le hibou brachyote ou hibou des marais est propre à tout l’ancien continent et ‘enclin aux migrations lointaines. Des ornithologistes ont cité récemment plusieurs autres espèces de chouettes ou de hibous d'Europe, mais c’est la première fois que j’en entends parler et ne les connais pas encore ; attendons: je leur laisse pour le 140 CHAPITRE II. moment la responsabilité de leurs découvertes, et mes réserves sont motivées par deux faits qui me reviennent à la mémoire. J'ai connu à Paris un botaniste classifi- cateur et célibataire qui ne se couchait jamais sans avoir créé et mis au monde une ou deux espèces nouvelles qu’il appelait ses enfants. Un autre ne voyait que des espèces douteuses et passa une partie de sa vie à étu- dier les safrans (crocus) pour publier leur monographie. En sciences naturelles, on appelle cette classe de sa- vants des spécialités. Je préfère les généralités. Mais j'oublie qu’il me reste encore à parler du grand- duc. Ce prince des rapaces nocturnes chasse en grand sei- gneur, sous bois et en plaine : on le trouve dans toute l'Europe, en Asie et dans le nord de l'Afrique. Il habite la montagne et les grandes forêts et ne se fait pas moins redouter des bêtes à poils que des bêtes à plumes; il at- taque tout, lièvres, lapins, gallinacées et palmipèdes. Tous les oiseaux l’ont en horreur, et son cri de balu-àù ! (prolongé) les glace d’effroi. Outre ses brigandages nocturnes, 1l se met souvent en campagne avant l’aurore jusqu’au lever du soleil et reprend sa chasse vers le soir, avec les grandes ombres. Son atlaque est impétueuse et bien rarement il manque son coup. C’est un bracon— nier de premier ordre et des plus dangereux, que les chasseurs doivent poursuivre par tous les moyens. — Si la plupart des oiseaux de nuit ne valent pas le coup de fusil, tuer un grand-duc serait pour eux une prouesse, ne fût-ce que pour le clouer contre une porte ou un vieux mur, en châtiment de ses attentats, comme ces malfai- REVUE DES OISEAUX D'EUROPE. 141 teurs dont le corps restait jadis exposé sur les fourches patibulaires. PASSEREAUX. %: Abandonnons les oiseaux voraces à leur mauvaise nature et occupons-nous maintenant de ceux qui trop souvent deviennent leurs victimes. Nous retrouverons bien encore, parmi les passereaux, quelques familles ou tribus aux habitudes carnassières, mais la majeure partie nous fera oublier ces exceptions. Ce ne seront plus, en général, que des oiseaux de mœurs douces, habitant nos campagnes, nos vergers et nos bois, vivant en plein jour sans se cacher, fréquentant nos prairies, nos coteaux et nos plaines, nos montagnes et nos val lons. Oiseaux chéris, que nous avons retrouvés sur la terre étrangère! Chantres heureux, dont la présence vient nous rappeler les joies du passé! Les uns, fidèles à leur terre natale, ne la quittent jamais ; d’autres s’en éloignent pour fuir Les rigueurs de l'hiver et ne reviennent qu’au rétour de la saison prin- tanière ; beaucoup sont simplement de passage et vont s'établir au loin, sous des cieux plus propices à la ponte, où ils élèvent leur jeune famille, qu’ils nous ramèneront plus tard, C’est précisément au temps de l’année où l’on peut 142 CHAPITRE Il. mieux jouir de la vie des champs, au printemps et en automne, que les passereaux se montrent chez nous en plus grand nombre, ceux-ci à belle parure et aux cou— leurs voyantes, ceux-là aux douces chansons, aux tendres mélodies, Sur plus de six mille espèces de passereaux répandus dans le monde et qui forment presque la moilié de tous les oiseaux connus jusqu’à ce jour, on a pu, malgré la multiplicité des genres, lesséparer en plusieurs groupes, dont les caractères Lypiques ont servi à faciliter des divi- sions assez tranchées, telles que celles des dentirostres, des corvidés ou coracirostres, des gobe-mouches, des merles et des grives, des becs-fins, des fringillides, des alaudées, des hirondelles ou saxirostres etc. — L'Europe, bien que beaucoup plus pauvre en passereaux que les autres régions, possède pourtant un assez bon nombre d'oiseaux de cet ordre que nous allons passer en revue. IL est fort difficile d’assigner à tous les passereaux un caractère propre, qui, en général, les distingue des autres ordres, car chaque famille présente des mœurs; des habitudes et même des formes différentes. Sous ce dernier rapport, s’il faut s’en tenir à la structure du bec pour la classification, on peutbien dire avec Mulsant : k Vous savez que chez les oiseaux Il n’en est pas dont la nature Aït, plus que des Passereaux, Du bec varié la figure, Nous parlerons d’abord des passereaux de caractères ambigus, aux mœurs excentriques, et qu'un régime REVUE DES OISEAUX D'EUROPE. 143 particulier sépare de tous les autres. Ge sont les cora- cirostres, les pies-grièches et les parusinécs. XI. Les Corvipés (1), de la tribu des coracirostres, sont des oiseaux suspects, qui n’ont pas des mœurs irrépro- chables, tant s’en faut, puisque, malgré les services qu'ils nous rendent, en détlruisant beaucoup d'animaux nuisibles, ils commettent aussi beaucoup de dépréda- tions. — À leur têle se présente le type de la famille, le grand corbeau, qu’on rencontre partout en Europe et dans les autres parties de l’ancien continent, depuis les latitudes arctiques jusqu’en Chine et au Japon. L'espèce de l'Amérique du Nord parait même ne pas différer de beaucoup de la nôtre. C’est un oiseau de grand vol, pouvant planer long— temps comme le vautour, en répétant ce croassement désagréabie qui retentit au loin. Son régime en fait une espèce essentiellement omnivore: grains, fruits, légumes, bourgeons, limaces et vers de terre, tout lui est bon; il attaque les rongeurs et tous les petits mammifères, pille les nids, se repait d’œufs, el mange les oisillons s’il les trouve. Impudent et très-hardi, (1) LES CORVIDÉS : Le grand corbeau, corvus corax, L. — Cor- neille noire ou petit corbeau vulgaire, corvus corone, L. — Cor- neille mantelée, c. cornix, L. — Freux, c. frugilenus, L. — Chou- cas, c. monedula, L. — Crave ordinaire, c. graculus, L. (Pyrrho- corax graculus, Tem.) — Chocard, pyrrhocorax pyrrhocorax, Tem. — Pie, corvus pica, L. — Pie bleue ou pie de Cook, cyanopica Cookii. — Le geai des glands, corvus glandarius, L. — Le geai- imitateur ou rollier d'Europe, corvus infaustus, Lath. — Casse-noix ou geai des montagnes, nucifraga-caryocatactes, Briss. (Corvus caryocatactes, L.). IL — 10. 144 CHAPITRE II. quoique d’une grande prudence, il joint la ruse à la force et à l’agilité. Faute de mieux, il se contente de ce qu'il rencontre et sait se faire la vie facile ; il chasse souvent’en compagnie de ses semblables, mais il suit de loin, lorsqu'il maraude seul, le vautour qui explore la plaine et s’abat avec lui sur la bête morte que celui-ci a découverte. Vorace de premier ordre, et toujours à la recherche de quelque aliment, il habite de préférence nos contrées montagneuses, erre dans le pays, change parfois de cantonnement, mais n’est pas migrateur, Car il n’entre- prend pas de longs voyages. L’hiver seulement lui fait abandonner la montagne pour aller s'établir dans des vallées plus abritées. Dès que commencent les travaux des champs, anticipe sur les récoltes, prélève sa part des semences, vole le grain dans le sillon et arrache les jeunes plantes à leur sortie de terre ; aussi est-il plus abhorré des paysans qu’un percepteur de contributions. Si on le chasse, il part en volant et pousse son cri rauque, comme pour se plaindre d’avoir élé dérangé." Les dégats qu'il occasionne dans la campagne l’ont fait vouer à l’exécralion, mais, dans beaucoup de pays, on craint Cncore de sévir contre lui, et son antique réputa- * tion d’oiscau augural le sauve de tous ses méfaits. [Inutile de rappeler ici la vieille légende de l'oiseau à manteau noir, sur lequel la superstition des peuples a débité tant de fables: maitre Corbeau a eu ses pané- gyristes et je ne pourrais ajouter grand chose à tout ce qui à été dit sur cet oiseau rusé, effronté, bavard, goinfre et aux goûls dépravés. Le nom de solitaire, a 0 REVUE DES OISEAUX D EUROPE. 145 qu'on lui donne dans certaines provinces, ne lui va guère, car si parfois les corbeaux se présentent seuls ou par couples, j'en ai vu bien plus souvent se rassem - bler en grand nombre et accourir pour se précipiter à la curée, en compagnie d’autres oiseaux de proie ignobles et immondes. Ce grand corbeau, comme quelques autres corvidés, apprend facilement à parler et crie aussi bien vive le Roi ! que vive la République | Après cet aperçu de l’espèce type, il me reste peu à dire de la corneille noire ou petit corbeau vulgaire, et de la mantelée. La première abonde dans le nord de l’Europe ; c’est un oiseau familier, qui vient se can- tonner chez nous dans la belle saison. La corneille manlelée est plus rare et voyige de compagnie avec l’autre ; l’une et l’autre détruisent beaucoup de vers blancs dans les terres de labour, et chassent aux mulots et aux campagnols, mais elles recherchent aussi les nids d'oiseaux. Ennemies jurées des rapaces, la pré— sence du grand-duc, qui leur fait une guerre de nuit, à laquelle elles ne peuvent se soustraire, les met en fureur. Elles vivent en assez bonne intelligence avec les pies et les choucas, mais n’aiment pas le voisinage du cor- beau et l’obligent à s'éloigner en se réunissant contre lui. Les freux ou corbeaux chauves, très-communs en France et plus encore en Angleterre, se réunissent en grand nombre à l’époque de la ponte, comme les ‘cigognes, et choisissent les arbres élevés pour établis leurs nids, qu’ils reviennent occuper tous les ans après leurs migrations. L’aire de dispersion des freux s'étend 146 CHAPITRE II. depuis le nord de l’Europe jusqu'aux montagnes de l'Inde ; on en voit des bandes nombreuses en Espagne et en Afrique pendant l’automne et l’hiver. Le choucas ou la petite corneille des églises est aussi, comme presque tous les corvidés, un destruc- teur d’oisillons ; il ravage les nids des moineaux et des hirondelles dans les manoirs et les tourelles où ül aime à s'établir. Son aire de dispersion est la même que celle des freux. Le choucas de Suède est devenu aujourd’hui un oiseau rare. Le crave ordinaire, oiseau sédentaire, habite les hautes montagnes d'Europe et d’Asie ; on le trouve jusqu'en Chine. Il est commun en Espagne, et paraît affectionner certaines localités qu’il n’abandonne jamais. C’est ce que nous avons fait remarquer dans le chapitre antérieur pour les craves qui se sont fixés dans l'ile de Palma, une des Canaries. Ces oiseaux vivent toujours en compagnies nombreuses et se prêtent mutuellement secours ; ils sont fort sociables et s’apprivoisent facile- ment. Brehm a donné, d’après plusieurs ornithologistes allemands, diverses histoires intéressantes de craves privés, devenus très-familiers, qu’on pouvait laisser libres et qui revenaient chaque soir coucher au gite. Le chocard, plus spécialement connu sous le nom de crave des Alpes, habite la région montagneuse du midi européen. On trouve, dans un ouvrage de Tschu- di (1), une excellente description des mœurs de cet oiseau : « Le chocard, dit-il, fait bien réellement partie (1) Les Alpes. Berne, 1859. REVUE DES OISEAUX D'EUROPE. 147 de la faune des Alpes ; il s'attache à nos montagnes, qu'il aime, comme la mouëtte à la mer... Quand tous les autres animaux ont disparu et que le voya- geur cherche en vain autour de lui quelque trace de vie, le chocard vient le distraire dans sa solitude; il se réunit en troupes autour de l'étranger, qu'il con- sidère avec curiosité, puis, s'élevant de nouveau dans les airs, il tourne aulour des rochers, dont il semble ne s'éloigner qu'avec peine. Il fréquente aussi les forêts et les neiges éternelles: Dürrler en a trouvé sur la mer des glaces du Tœdi à 11,110 pieds, et le professeur Meyer, à 13,000 pieds, sur le Fins- teraarhorn. Ces oiseaux dépassent les stations du pinson des neiges et du ligopède, et leur mélanco- lique rapp-rapp est le seul chant qui console le voyageur... On se plait à les voir planer dans les airs suivant leur humeur capricieuse, ou creuser le glacier à une grande profondeur, pour y chercher les insectes gelés. — Ils sont friands des baies et des bourgeons des arbustes sauvages, recherchent les mollusques terrestres qu’ils avalent avec la coquille ; de même que les corbeaux et les vautours, ils son avides de chair putréfiée, et poursuivent aussi les animaux vivants comme de vrais Carnassiers... » Dans l’ingrale région où la nature a relégué le crave des Alpes, il fallait bien nécessairement qu'il füt omni- vore pour pouvoir mettre à profit le peu de ressources qu’il pouvait y trouver; mais, placé dans d’autres con- ditions d’existence, cet oiseau de bon appétit, une fois soumis à la domesticité et devenu l’hôte de la maison, 148 CHAPITRE II. vit de la vie de l’homme, se fait son commensal, prend part à ses repas, se délecte dans l’abondance et s’en donne à cœur joie. — Le naturaliste Savi a confirmé, par ses renseignements, ce qu’on savait déjà des babi- tudes du chocard privé. Il en possédait un depuis cinq ans, qui vivait chez lui en toute liberté et le suivait par- tout: « À l'heure des repas, nous dit-il, il saute sur la « table, et, immobile dans un coin, il examine attenti- « vement les plats qui arrivent. Quand il en voit un à « son goût, il en mange autant qu'il peut. Quelquefois « il préfère le vin à l’eau ; il aime beaucoup le lait; la « viande crue ou cuite, les fruits, surtout les raisins, « les figues, les cerises, le jaune d’œuf, le fromage « un peu sec, le pain noir, sont les aliments qu’il pré— « fère..….. Comme tous les corvidés, il assujettit avec ses « griffes les morceaux qu'il veut manger. Il cache ce « qu'il ne peut dévorer et défend ses provisions contre « les chiens et les hommes. Il à un penchant curieux « pour le feu : souvent il arrache la mèche des lampes « et l’avale ; d’autres fois il retire des charbons ardents « sans se faire Le moindre mal. Il prend un grand plai- « sir à voir monter la fumée ; chaque fois qu'il aperçoit « un réchaud enflammé, il cherche un morceau de « papier ou un chiffon, l’y jette, et regarde la fumée. «a N'est-ce pas là l'avis incendiaria des anciens ? » Margot la pie ou Caquet bon-bec est un autre oiseau sédentaire, commun à beaucoup de pays, dans tout l’ancien continent. Criarde, bavarde, voleuse et mé- chante en diable, la margot à la cape noire et blanche n’a pas une seule bonne qualité et se fait détester de REVUE DES OISEAUX D'EUROPE. 149 tout le monde, s'empare de tout ce qui tombe sous son bec, et cette habitude de rapine et d’escroquerie la porte jusqu’à cacher ce qu’elle ne peut dévorer. Les ravages qu'elle exerce sur le petit gibier, surtout dans les jeunes couvées, rendent son voisinage des plus dangereux. Elle apprend facilement à parler, comme beaucoup d'oiseaux de sa race, et siffle des airs comme un merle ; mais ses lalents d'imitation, ses familiarités, ou plutôt ses effronteries, ne font pas oublier ses méfaits. La pie bleue ou pie de Cook habite l'Espagne méri- dionale et le Maroc. Cet oiseau ne se plail que dans les forêts de chènes-verts, où il se réunit en grandes bandes On le rencontre parfois sur ls grandes roules, comme notre pies de France; son cri ressemble assez à celui du pic-vert et peuts’exprimer, d'après Brebm, par klik- khik-khk-kl ! Le geai des glands n’est pas moins répandu en Eu- rope que la pie et tout aussi rasé et pillard qu’elle; il a aussi le talent de limitation et sait contrefaire la voix des autres oiseaux. Les chasseurs le connaissent en France sous différents sobriquets, dont le plus commun est celui de Jacques-lorraine. Sa tête huppée, sa robe à reflets chatoyants, en font un oiseau remarquable, mais ses penchants au vol et à la maraude, son bec robuste à échancrure el à bords tranchants, ne préviennent guère en sa faveur. Il va, comme tant d’autres, faire sa tour- née dans les nids ; ses goûts carnassiers n’excluent pas chez lui l’appétence des grains et des fruits, mais bien qu’il se nourrisse de glands une partie de l’année, il ne peut résister à ses mauvais instincts. — Sans qu'on 1 puisse le classer précisément parmi les oiseaux migra- teurs, il change souvent de résidence et abandonne tout à coup les lieux qui l’ont vu naître pour aller s’établir ailleurs ; aussi ne niche-t-il pas toujours dans la même contrée, et, à dire vrai, le geai n’a pas de patrie : c’est un cosmopolite qui se fixe temporairement partout où il se trouve bien. Le geai imitateur (rollier d'Europe, geai de Stras- bourg ou geai de malheur) est une autre espèce à belle robe qu’on voit plus souvent dans les forêts de l’Alsace. Cet oiseau n’est guère que de passage ; on le dit origi- naire des régions septentrionales, où il se nourrit de graines de conifères; mais ce régime végétal ne lui fait pas dédaigner les insectes et les pelits rongeurs. Tou- tefois on ne l’accuse pas, que je sache, de manger les oisillons. Ce geai, qui a un peu les mœurs des pies— grièches, est d’une assez forte taille et vit solitaire comme le mangeur de glands. | Le casse-noix ou geai des montagnes habite les forêts du nord où croit le pinus cembro, mais ses migrations" le portent en hiver dans des régions moins froides. Il aime à changer de régime et se montre aussi friand de fruits et de noisettes que d’insectes el même de jeunes écureuils, sans dédaigner cependant Les œufs et les petits OISEaux. 450 CIHAPITRE II. XIL. Les PparusinéEs (1) ou mésanges, qu’on range ordi=" (1) PARUSINÉES : La grande mésange ou la charbonnière, parus major, L. — La bleue, parus cæruleus, L. — La mésange azurée, parus Cyanæus, Pall. — La mésange des marais ou la nonnette, REVUE DES OISEAUX D'EUROPE. 451 nairement parmi les passereaux conirostres, sont, j'en conviens, de gentils petils oiseaux ; mais s’ils nous sé- duisent de prime abord par leurs formes mignonnes, leurs poses gracieuses et leurs jolies couleurs, ils ne rachètent qu’en apparence leurs appétits carnassiers et tous leurs mauvais instincts. Tournure agréable, gaieté d’allures, légèreté de mouvements, les mésanges auraient tout pour elles, si leur humeur querelleuse, leur carac- tère inquiet et acariàlre ne rendait leur voisinage in- supportable et même dangereux aux autres oiseaux qu’elles altaquent souvent à l’improviste et auxquels elles percent la tête, avec leur bec pointu, pour leur dévorer la cervelle. — Ces petites mésanges, à l'aspect trom— peur, voltigent toujours d'arbre en arbre en fredonnant, détruisent beaucoup de larves, de chenilles et toutes sortes d'insectes qu’elles saisissent en furetant sous les écorces, dans le feuillage, sur Les rameaux, partout. — Elles sont en même temps friandes d’amandes, dont elles savent percer les coques, et de plus carnivores à . l’occasion, car la chair morte et corrompue ne leur répugne pas. L’exiguité de leur taille ne semblerait pas en rapport avec leur hardiesse et leur courage; pour- tant ces petits oiseaux sont redoutés de la chouette, qu’ils attaquent avec fureur des griffes et du bec. Les mésanges prises au piége mordent l’oiseleur, tâchent de briser les barreaux de leurs cages et poussent des cris désespérés comme pour appeler du secours. - parus palustris, L. — La penduline ou remiz, parus pendulinus, L. — La panure à moustaches, parus biarmicus, L. — L’orite ou mésange à longue queue, parus caudatus, L. — Le lophophane ou mésange huppee, parus cristatus, L. 4152 CHAPITRE II. Elles sont toutes extrêmement fécondes et pondent sou- vent plus de quinze œufs : Li Pimparins, quand ven San Jorge, Fan dis, douge ioù, emai quatorge, Souventi fes: A0 MAANCINEANEN Les unes construisent leur nid de la manière la plus ingénieuse, d’autres se contentent de cacher leurs œufs dans des trous d’arbres ou de vieux murs, dont elles arrangent l’intérieur avec le plus grand soin. — La plupart vivent dans nos forêts et fréquentent nos ver- gers pendant l'été et l’automne, d’autres habitent les oseraies, les bords des marécages et se plaisent au mi- lieu des roseaux, mais toutes émigrent en famille quand vint hiver: On en connaît environ une douzaine d’espèces com- munes aux différentes parties de notre continent et dont plusieurs séjournent en France. La grande ou la char— bonnière, la bleue, l’azarée et la mésange des marais ou la nonnette, ont à peu près les mêmes mœurs. La charbonnière est la plus maligne de toutes ; on la ren- contre dans la forêt et dans la plaine, dans les vergers et les Jardins. « Elle a toutes les qualités et les défauts de sa race, dit Brehm : vive et gaie, curieuse, active, courageuse, batailleuse et acariâtre. » — Naumann en a donné un portrait d’après nature que je ne puis me dispenser de reproduire ici: — « C’est chose rare que « de la voir pendant quelques minutes immobile ou de (1) Les mésanges, quand vient la Saint-Georges, font dix, douze œufs et même quatorze, — maintes fois... Mistral ; MIREIO, chant II. REVUE DES OISEAUX D'EUROPE. 153 mauvaise humeur. Toujours gaie et joyeuse, elle saute et grimpe au milieu des branches, des buissons et des haies ; elle se montre à la cime des arbres ; un instant après, elle se balance, la tête en bas, à l’extré- mité de quelque petit rameau ; elle fouille un tronc d’arbre creux; elle se glisse dans chaque trou, dans chaque crevasse, et elle exécute tous ces mouve- ments avec une rapidité , une vivacité qui tient parfois du comique. Une curiosité extraordinaire la possède ; elle examine, elle flaire et tâte, si l’on peut ainsi dire, tout ce qui attire son attention ; mais elle ne le fait pas inconsidérément ; elle montre au con- traire dans toutes ses actions la plus grande pru— dence. Elle sait parfaitement fuir le chasseur, éviter l'endroit où il y a péril, et cependant elle n’est pas craintive. [1 suffit de la voir pour reconnaitre que son regard à une expression de ruse qu’on n’est pas habitué à rencontrer chez un oiseau. » La penduline ou remiz vit errante depuis la Sibérie orientale jusqu’en Grèce, en Italie et en France. On la retrouve dans l'Inde avec la panure à moustaches ou mésange des roseaux, que possèdent l’Angleterre, la Hollande et quelques autres contrées de l'Europe méri- dionale. Je l’ai vue de passage à Nice au mois d’oc- tobre, se dirigeant vers le sud. Elle est rare en Pro- vence et ne parait pas s’avancer beaucoup au delà du Var. L’orite ou mésange à longue queue, qui habite les endroits ombragés et vague par petites troupes, est une des plus mignonnes. Elle habite l'Allemagne même pen- PS TN IR ES IT ST TE Er ETS MS AU BR EURE EN RAR MANETTES 154 CHAPITRE If. dant les hivers rigoureux, se montre peu dans le sud de l’Europe, et semble préférer les climats froids. On la rencontre dans quelques-uns de nos départements de l'est,où elle hante les haies vives pour Chasser aux insectes. Peu intimidée de la présence de l’homme, elle pénètre dans les jardins et niche souvent dans les lierres qui tapissent les murs. Le lophophane ou mésange huppée se plaît dars les forêts de pins du centre européen. Ces quatre espèces, d'humeur paisible et sociable, sont moins cruelles que les autres et n'attaquent que bien rarement les petits oiseaux. R. Gray en mentionne trois ou quatre autres des régions septentrionales de notre continent et qu’on voitrarement cheznous. Toutes ces mésanges en général sont portées vers les migra= tions ; elles franchissent les distances par petits vols, d'étape en étape, quand elles errent d’une contrée à l’autre, elles s’arrêtent souvent d’arbre en arbre, etne tra= versent dans leurs voyages que de très-courts espaces de mer. XII. Les PIES-GRIÈCHES (1) européennes, de la famille des laniadés, ont toujours élé rangées, à cause de leurs mauvaises habitudes, à la suite des oiseaux de proie et en tête de la tribu des dentirostres. — On les voit con- tinuellement aux aguets, chassant aux insectes. A ces (1) PJES-GRIÈCHES : La pie grièche grise, lanius excubitor, L. — La p.-grièche méridionale, . meridionalis, Tem. — La p.-grièche d'Italie, Z. minor, L. — La p.-crièche écorcheur, £. collurio, Briss. — La p.-grièche rousse, . rufus, Briss, REVUE DES OISEAUX D'EUROPE, 455 penchants carnassiers, elles joignent d’autres caractères qui les rapprochent des rapaces : un bec robuste, crochu vers la pointe, échancré à la mandibule supérieure comme celui des faucons. On ne peut guère les assimiler aux passereaux que par les pieds, dont les ongles ne sont pas propres à déchirer la proie, mais qui pourtant sont assez robustes pour bien griffer au besoin. Leur force , qui est toute dans le bec, est se— condée par leur andace, leur ruse et la rapidité de leur attaque. Une autre particularité leur donne place dans cet ordre, c’est celle qui ressort de l’organe de la voix : toutes les pies-grièches affectionnent le chant et tâchent d'imiter, plus ou moins bien, celui des autres oi- seaux. Peut-être que cette faculté n’est chez elles qu’une ruse de plus pour tromper les fauvettes qu’elles con- voitent. L'Europe possède plusieurs espèces de pies-grièches : la grise est la plus carnivore de toutes ; elle est séden- taire dans les diverses contrées qu’elle fréquente, et on la lrouve dans l'Amérique du nord, en Afrique et aux Canaries. — Elle vit solitaire, guettant sa proie du poste d'observation qu’elle s’est choisi. Hardie, cou rageuse et tracassière, elle ne craint pas les rapaces, qu’elle harcèle au contraire et poursuit en errant. La pie-grièche méridionale est propre aux pays chauds; elle est commune dans le Languedoc et en Espagne ; on la dit de passage en Grèce, qu'elle quitte à la fin de l’été pour se diriger vers le sud. — La pie- grièche d'Italie, à front noir et à poitrine rose, est beau- coup plus petite et se montre aussi dans plusieurs par- 156 CHAPITRE II. ties de l’Europe pendant le printemps, puis repart en automne pour l'Afrique. Ses mœurs paraissent plus douces que celles de ses congénères ; elle chasse aux insectes à la manière des éperviers. La pie-grièche écorcheur, des plus mignonnes et d’un joli plumage, est aussi une des plus cruelles ; c’est celle qui détruit le plus d’oisillons. Toute l’Europe la possède, et ses migrations s'étendent en Afrique d’o- rient en occident; Withear l’a retrouvée aux îles Shetland, et elle a été vue dans l'Amérique du sud. Carnassière à l’excès, elle a raison des oiseaux beau—* coup plus gros qu’elle, écorche une sylvie avec la pius | grande dextérilé, chasse aux coléoptères, aux hanne- tons, aux libellules, et en remontrerait au plus fin entomologiste, car elle fait collection et pique les insectes aux épines des buissons, quand elle est rassa- siée. Du reste, l'instinct qui la porte à se ménager des. provisions pour les temps de disette est commun à la. plupart des espèces de cette famille. On cite cet écor— cheur comme un mélomane qui s’est fait un répertoire à lui, composé de morceaux de choix des meilleurs" chanteurs ; mais souvent sa mémoire le sert mal et ce rapsode s’irterrompt tout à coup, au milieu de la phrase £ musicale de la fauvette, pour commencer celle du pinson ou de tout autre chanteur. + La pie-grièche rousse est une autre enneoctone de » l’Europe tempérée qui émigre aussi en Afrique, de même que celle à masque qu’on ne voit guère qu’en … Grèce et en Égypte. REVUE DES OISEAUX D EUROPE. 157 XIV. La tribu des dentirostres comprend différentes fa- milles d'oiseaux européens qui ne sont représentés que par un ou deux genres, tels que les gobe-mouches et le jaseur de Bohême. Les gobe-mouches (1), qu'on range dans la famille des muscicapidées, sont de pelits oiseaux passagers qui stationnent dans toute la région de l'Europe tempérée et ne voyagent que de nuit aux époques de leurs chan- gements de climat. — Toujours en mouvement et ne _ cessant de battre des ailes, même alors qu’ils sont po- j | L - | e| | sés, ils font entendre un petit cri joyeux dès la pointe du jour, volent en ondulant, et saisissent les mouche- rons et les cousins avec la plus grande dextérité. Les pays froids ne paraissent pas leur convenir, et leurs migrations s'étendent, dit-on, jusque dans l'Afrique centrale. — On en connait quatre espèces en Europe, qui habitent les pays boisés, et dont une ou deux nichent en Allemagne. Ce sont le gobe-mouches à collier, le noir, le gris ou grisole et le gobe-mouches bec-figue, commun à la Provence et à l'Italie. On donne aussi le nom de bec-figue de Lorraine au gobe-mouches à col- hier. — Un tout pelit oiseau, l’érythrosterne nain, qui a de grands rapports avec les gobe-mouches et dont le mâle se distingue, comme le rouge-gorge, par sa poi- trine colorée, se rencontre assez souvent dans les con (1) MUSCICAPIDÉES : gobe-mouche à collier, muscicapa albicollis Tem. — Gobe-mouche noir, . matricapilla, 1. — Gobe-mouche gris, muscicapa grisola, L. — Gobe-mouche bec-figue, muscicapa luctuosa, Tem. — Erythrosterne nain, e. parva, Brehm. 4 trées d’Outre-Rhin et plus communément encore en Pologne et en Hongrie. Je place à la suite des gobe-mouches le jaseur de Bohême (1), la seule espèce de la famille des ampéli- dées que nous possédions en Europe : c’est un oiseau des froides régions du nord, dont les apparitions dans les pays tempérés sont irrégulières. Ce n’est qu’en hiver qu’il se présente accidentellement dans les lati- 158 CHAPITRE II. tudes méridionales. — D’après Savi, des bandes de jaseurs se réfugièrent en Toscane, en Piémont et dans la vallée de Suse, pendant l'hiver rigoureux de 1806. Ce jaseur de Bohême, remarquable par sa tète huppéem et son joli plumage soyeux, est de la taille des gross becs; son nom de jaseur lui vient de son continuelh caquet, | XV. Les rurpusinÉes (2). Cette famille, qui comprend les grives, les merles, les loriots et les cincles, est une des plus nombreuses. — Brehm en compte plus de quatre- vingts espèces réparties dans tout le globe, 28 dans les régions septentrionales, 16 dans l’hémisphère oriental, 12 dans l’hémisphère occidental, 15 aux Indes et pays {1} AMPÉLIDÉES : Le jaseur de Bohème, ampelis garrulus, L. (2) TURDUSINÉES : La grive chanteuse, furdus musicus, L — La draine, turdus viscivorus, L. — La litorne, é. pilaris, L. — La grive mauvis, furdus üliacus, L. — Le merle noir, turdus merula, L. — Le merle à gorge noire, turdus atrogularis, Tem.— Le merle à collier, turdus torquatus, L. — Le merle de Naumann, furdus Naumanii, Tem. — Le merle bleu, turdus cyaneus, Vieill, — Le merle de roche, turdus saxatilis, Lath. — Le cincle plongeur, Bechst. — Le loriot d'Europe, oriolus gal- ula, L. REVUE DES OISEAUX D'EUROPE. 159 environnants, 5 en Australie et 27 dans l'Amérique du sud. Grives. Ce sont des oiseaux de passage très-craintifs, qui se tiennent toujours cachés, fréquentent nos bois et nos vignobles, mais qu’on ne voit guère que de très- grand matin ou vers le soir. — Les migrations des grives s'effectuent en automne; leur régime est très- varié ; elles se nourrissent de baies et de fruits mous, mettent à contribution l’arbousier, le genevrier, le sor- bier, le cerisier, aiment passionnément le raisin, les olives et les figues müres, et recherchent aussi les che— " milles, les vers de terre et les limaçons. L'Europe en possède quatre espèces. + La grive chanteuse, qui nous arrive de bonne heure des contrées du nord et reste dans les pays de vignobles jJusqu’après les vendanges, parcourt Allemagne, la Grèce, l'Italie, l'Espagne, la France, surtout la Bour- gogne, et émigre ensuite en Afrique et en Asie, voya- geant en grands vols. — C’est une espèce des plus friandes de raisin. La draine est la plus grosse de toutes ; les forêts de Sapins sont ses stations favorites et ses migrations ne s'étendent guère au dehors des limites méridionales de l'Europe, où on la voit en automne. — Les draines sont d’un naturel querelleur et toujours disposées à se battre entre elles, mais au besoin elles savent se réunir et faire cause commune pour se défendre des serres des rapaces. Quelques-unes nichent en Allemagne et en France. « Elles arrivent en troupes, en Bourgogne, au « mois d'octobre, et viennent, selon toute apparence, I — 11 160 CHAPITRE li. des Vosges et du Jura. Celles qui restent construisént leurs nids sur les plus grands arbres avec de la « mousse et du lichen. Ces oiseaux ont le vol lourd et a sont faciles à atteindre par le plomb du chasseur. » (Hoëfer.) 4 La litorne est la moins farouche et la plus appréciée des amateurs de gibier. Elle reste une partie de l’année” dans les forêts du nord, voyage ensuite en compagnie de 4 la grive mauvis et se disperse par bandes dans l’Europe centrale, où on la trouve ordinairement dans les terres humides et boisées. Son nom latin de pilaris lui vient des soies qui ornent son bec et qui sont pluslongues et plus fournies que celles des autres espèces. Son cri de diok= diok-diok ! est une annonce de froid. | La grive mauvis parait aussi plus sociable que les autres : des vols de cette espèce arrivent en France avec les litornes, un peu après novembre, et vont hiverner en Espagne et en Afrique pour retourner ensuite vers le nord. C’est ce qu’on appelle en Provence la repasse. Merles. Ces oiseaux, qu’on a rangés dans le même genre que les grives, sont plus sédentaires ; leur chair” est en général moins succulente, mais, comme disent les chasseurs, faute de grives, on à des merles, fiche de consolation qui ne satisfait guère les gastronomes. 1 LS A Le merle noir, à bec jaune, ne s’expatrie jamais ; la nature l’a réparti dans toutes nos provinces de l'inté- rieur, dans l’Europe méridionale, dans le nord comme» dans Poccident de l'Afrique. On ne l’a jamais vu passer des îles où il niche sur le continent voisin, témoin lex merle de Corse et celui des Canaries, tous les deux de REVUE DES OISEAUX D EUROPE. 161 la même espèce, moins la graisse dont est pourvu le premier de ces deux insulaires; mais je ne cite ici ce fait que pour y revenir bientôt. Notre merle noir se plaît sur la lisière des bois, au milieu des fou rés où il fait entendre sa voix ; il devient assez familier à l’époque des fruits etse rapproche alors des endroits habités pour s’introduire dans les vergers. Mis en cage, il se fait tout à fait omnivore. Son chant plait à beaucoup d'amateurs, qui le préfèrent à celui de la grive musicienne, malgré qu’il soit moins prolongé ; mais il a pour lui deux ou trois notes brillantes qu’il sait détacher en vrai virtuose. Le merle à gorge noire et celui à collier habitent le nord de l’Europe ; ces deux espèces vivent dans les montagnes des régions forestières et ne se rencontrent en France que dans quelques cantons des Vosges et des Cévennes. — S'il est vrai, comme l’assure Toussenel, que le merle à collier va passer l’hiver en Corse, sa présence dans cette île, à l’époque de l’année où il est le plus gras, pourrait bien avoir contribué à la réputation d'embonpoint que s’est acquise le merie de Corse, car on peut avoir confondu ces deux espèces une fois plu- mées. On sait que les merles de Corse s’expédient en France, à moitié rôtis et conservés dans le saindoux. Napoléon [° en recevait souvent en cadeaux. Le merle de Naumann habite l'Autriche, la Dalmatie el lialie ; cette espèce n’est peut-être qu’une variété du merle à collier. Le merle bleu et le merle de roche sont des turdi- nées qu’on a classées récemment dans le genre pétrocincle 162 CHAPITRE 11. et qui vivent dans les montagnes alpines. Ces oiseaux descendent rarement dans le midi. Le merle bleu est plus solitaire encore que son compagnon, fréquente les vallées du Dauphiné et niche dans les cavités des rochers et des vieux troncs. Le cincle plongeur, qu’on appelle aussi merle d’eau, se rapproche bien plus par ses caractères génériques des traquets ou des sylvies que des merles. [l existe deux espèces de cincles en Europe, celle de France et le cinele brun ou cincle de Pallas, originaire de la Crimée. L'un et l’autre sont des oiseaux sédentaires: la couleur brune domine aussi dans le plumage de notre cincle, mais celte teinte passe au cendré au-dessus du corps ; la gorge et la poitrine sont d’un blanc pur, le ventre est roux, le bec noir, l'iris gris de perle et la queue courte. ! Cette espèce fréquente les bords des ruisseaux de nos départements du centre et de l’est, depuis les Vosges jusqu’au Jura ; on la rencontre aussi dans les Ardennes et les l’yrénées. Le merle plongeur, martin-pècheur d’un nouveau genre, part en poussant un cri aigu à la manière des alcyons et rase comme eux la surface des eaux, cherchant sa vie au fond des rivières, dont il par- court le lit en s’accrochant dans le gravier avec ses ongles. C’est ainsi qu'il saisit les larves des insectes qui sont déposées dans la vase. — Les explorations sous- marines du merle plongeur, que plusieurs naturalistes ont observées, rencontrèrent dès le principe beaucoup d’in- crédules et laissèrent des doutes dans lesprit des sa- vants. Boitard, ornithologiste sérieux et digne de foi, REVUE DES OISEAUX D'EUROPE. 163 avait dit formellement que le cincle marchait au fond de l’eau et s’y maintenait assez longtemps: « J’en ai « vu, ajoutait-il, sur les bords de la rivière d’Azergue, « dans le département du Rhône, venir au vol droil, « sur la nappe tombante d’une cascade considérable, « la percer comme une flèche et nicher dans un trou « de rocher qui se trouvait derrière, au-dessus du bas- « sin dans lequel l’eau se précipitait. » Dans les surprenantes immersions du cincle, des bulles d’air s’échappent de son corps et le recouvrent d’un manteau de perles transparentes qui préservent ses plumes du contact de l’eau; mais le curieux phénomène de la respiration sous-aquatique reste sans explication. L'organisme chez l’oiseau est tout spécial : il possède à l’intérieur des réservoirs aérifères en communication avec les poumons, et la nature a mis sans doute à la disposition du cincle des ressources particulières que nous ignorons. En Écosse, le merle plongeur fait sa principale rési- dence dans les vallons des districts montagneux, par— courus par des cours d’eau: « On s’arrête volontiers, dit Mac-Gillivray, pour le regarder, quand, fendant « l’air comme un trait, il passe d’un vol égal et rapide. « Le berger solitaire le voit apparaître avec joie, et le « pêcheur patient lui sourit, lorsqu'il aperçoit ce petit « camarade, pêcheur comme lui, et dont les singuliers « mouvements attirent son attention. » — Gette espèce de cincle, si bien étudiée par Mac-Gillivray, est la même que celle qu’on rencontre sur les bords des ri- vières de France et qui fréquente aussi les grandes A 164 CHAPITRE II. Hébrides. C’est un oiseau qui a certains rapports de formes avec les troglodytes et qui ne s'éloigne guère de ses gîtes habituels que dans les fortes gelées. II descend alors les cours d’eau pour aller s’étäblir près des cascades. Pendant le printemps et l’hiver, ses re— traites favorites sont les écluses des moulins. A « Le vol du cincle, ajoute le naturaliste écossais, est toujours droit ; l’oiseau ne plane jamais ; il perche sur les pierres du bord des rivières ou sur les roches qui s'élèvent au-dessus des eaux ; il se lient penché, les ailes légèrement pendantes, et fouette de sa queue, à la manière des traquets. Il entre dans l’eau en marchant ou se pose dessus, et c’est alors qu’il plonge comme le macareux, sans s’inquiéter de la force du courant. — J’ai vu son mode d’action sous l’eau, et je puis assurer qu’il vole dans cet élément, car il se sert de ses ailes qu’il déploie comme s’il s’avançait au sein des airs; mais il ne peut se main- tenir au fond qu’en dépensant une grande force, et revient à la surface comme un liége, dès qu’il sus- pend un instant ses efforts... — Lorsqu'il cherche sa nourriture, 11 ne va pas loin sous l’eau ; il pose d’abord sur quelque point qui fait saillie sur Les bords, ensuite il s'enfonce, reparait bientôt, puis plonge encore, ou bien il prend sa volée pour aller s’abattre plus loin et fouiller une autre partie de la rivière. — [Il part quelquefois du haut d’un rocher et fait de courtes excursions à travers l’eau. Durant ces exer- cices, sa tête apparait de temps en temps, barbotant à la surface, puis il regagne son poste à la nage ou à REVUE DES OISEAUX D'EUROPE. 165 « gué. À proprement parler, le cincle plongeur ne « marche pas au fond de l’eau, il s’y cramponne..…. » Le même observateur a vu un cinele évoluer dans une nappe d’eau comme s’il eût volé dans l'air, mais moins rapidement ; il a constaté que son corps se cou— vrait de globules à mesure qu’il s’enfonçait davantage. — Get oiseau, malgré les assertions de plusieurs auteurs, ne paraît se nourrir que de limés et de patelles d’eau douce. Mac-Gillivray, qui en a ouvert plusieurs en dif- férentes saisons, ne leur a jamais trouvé autre chose dans l’estomac. [faut donc renoncer à la croyance qu’on s’est faile de la destruction des œufs de saumon par le cincle plongeur, erreur qui s’est tellement accréditée en Écosse, que les ordonnances sur la protection de la pêche fluviale ont mis hors la loi ces pauvres oiseaux, bien innocents des ravages occasionnés par les dra— gueurs de rivières. Audubon, qui a confirmé toutes les observations de son ami Mac-Gillivray, dit qu’elles sont, quant aux habitudes, entièrement applicables au cincle américain qui vit dans les cours d’eau qui se jettent dans la Colombie. Le loriot est un oiseau bien mieux placé dans la fa- mille des turdusinées que le cinele : il fait ses premières apparitions en Allemagne vers la Pentecôte et repart au milieu de l'automne. Des bandes de loriots voyageurs arrivent alors dans nos contrées méridionales pour se rendre en Afrique, et l’ile de Malte est citée comme une de leurs stations de passage. [ls descendent au printemps la vallée du Nil et remontent de nouveau vers 166 CHAPITRE LI. le nord. — Cet oiseau, à la brillante livrée jaune-serin, relevée par les plumes noires des ailes et de la queue, n’est pas moins remarquable par son chant. Il ne sé journe dans nos forêls que pendant la belle saison; je l’ai vu arriver à Nice à la fin de l’automne et ne s’y arrêter que fort peu de temps avant de repartir pour traverser la mer. On ne le rencontre que bien rare- ment sur les autres points du littoral de l’ancienne Provence. D’après Hoëfer, ce joli oiseau, très-friand de cerises, mails qui se nourrit aussi d'insectes, viendrait nicher dans nos climats et mettrait beaucoup d’ardeur à élever sa couvée, qu’il défend intrépidement contre ses enne- mis, y compris le coucou. Il aime à changer de lieu, et quelque répandu qu’il soit dans les pays où il niche, il est des contrées qu’il semble éviter. Buffon assure qu’il ne se trouve ni en Suède, ni en Angleterre, ni même en France aux environs de Nantua, quoiqu'il se montre régulièrement en Suisse deux fois dans l’année. On rencontre cette même espèce au Bengale et en Chine. XVI Les SYLVIADÉES où BECS—FINs. Cette nombreuse famille comprend plus de cinquante espèces européennes, dont la moitié au moins séjournent en France une partie de l’année. La plupart sont des oiseaux migrateurs, so- ciables, familiers, qui s’introduisent souvent dans les vergers et les jardins, car, en général, ils ne semblent pas redouter la présence de l’homme. Ils posent rare- dal REVUE DES OISEAUX D EUROPE. 1467 ment sur le sol, se glissent dans les fourrés avec une grande agilité, et se font remarquer par la gaieté de leurs allures et la douceur de leur chant. Sous ce der- nier rapport, il en est, parmi eux, qui se sont acquis dans le monde une grande réputation. — Ces oiseaux savent varier leur régime suivant les lieux et les sai- sons : insectes, larves, chenilles, chrysalides, mouche- rons, vers de terre, petites baies et fruits mous leur conviennent également. On les a distribués en plusieurs genres ou groupes que nous allons faire connaître. Les traquets. (1) Ces petits oiseaux, vifs et remuants, aux habitudes des gobe-mouches, sont presque tous migrateurs et parcourent toute l’Europe. — Le traquet motteux pose plus souvent à terre que les autres et choisit toujours les mottes les plus apparentes ; il aime à se percher sur les poteaux des palissades et sur les pointes des buissons, où ilse tient à l’affüt des insectes ailés qui passent à sa portée. Les chasseurs l’appellent cul-blanc et le recherchent à cause de son embonpoint. On le rencontre depuis les montagnes de la Scandinavie jusque dans nos contrées méridionales. Il se montre en Provence vers l’automne et doit aller passer l’hiver en Afrique, car je l’ai vu toujours arriver aux Canaries au printemps et faire un court séjour dans cette île. — Le larier et le pâtre sont deux autres espèces de passage qu’on rencontre dans les plaines rocailleuses et dans les (1) SYLVIADÉES OU BECS-FINS : Traquets. Le Motteux, Saxicola ænanthe, Bechst. — Le Tarier, S. rubetra, id. — Le Pâtre, Saxi- cola rubicola, id, — Le Rieur. S. cachinnans, Tem.— L’Oreillard, S. aurita, Tem. — Le Stapazin, S. Stapazina, Tem. — Le Leuco- mèle, S. Leucomela, id, 168 CHAPITRE II. bruyères. — Le traquet rieur, l’oreillard et ie stapazni habitent plus spécialement le midi de l'Europe et se montrent assez fréquemment sur les côtes de la Médi- terranée. — Le leucomèle est un traquet des pays froids qui descend rarement dans le midi. Les fauvettes forment un genre des plus nombreux en espèces, qu’on a divisé en trois groupes, les rive- raines, les sylvies et les muscivores ; elles sont répar- ties dans presque tous les pays de l’ancien et du nouveau continent ; un grand nombre d’espèces des plus esti- mées nichent en France et animent nos campagnes par l'agrément de leur chant. Presque toutes sont voyageuses et nous quittént aux approches de l’hiver. Ces petits passereaux ne se font guère remarquer en général par l'éclat de leur plumage, dont la couleur est terne et uniforme, mais ils rachètent grandement la pauvreté de leur robe par leur douceur, par leur voix séduisante, leur familiarité et la grâce de leurs allures. Amies des bosquets, les fauvettes se plaisent dans nos jardins et viennent nicher souvent dans notre voisinage. Les fauvettes riveraines (1) fréquentent les bords des ruisseaux, se cachent dans les oseraies et chassent aux insectes aquatiques. — La rousserolle et la rubi- gineuse, qui fréquentent le midi de la France et de (1) Fauvettes riveraines : La Rousserolle, Sylvia turdoïdes, Meyer. — La Rubigineuse, S. galactodes, Tem. — La fauvette tachetée, S. nævia (Locustella), — La Lucinoïde, S Zucinoides, Savi (S. flu- vialis, Meyer). — L'Aquatique, S. aquatica, Lath. — La fauvette à moustaches, S. melanopogon, Tem. -— La Locustelle, S. locus- tella, Lath. — La Phragmite, S. phragmites, Bechst. — La Verde- rolle, S. palustris, id. — Le Bec fin trapu, S. certhiola, Tem. — Le Bec-fin des roseaux ou l’effarvatte, S. arundinacea, Lath. (Mota- cilla arundinacea, Gm.), — La Fauvette de Cetti, S. Cetti, de la Marmora. REVUE DES OISEAUX D'EUROPE. 169 l'Espagne, sont dans ce cas; la fauvette tachetée a les mêmes habitudes; elle est plus commune en Autriche et en Hongrie. La lucinoïde, l’aquatique et celle à moustaches habitent l'Italie et se plaisent dans les terres humides, parmi les grands saules qui ombragent les bords des eaux. — La locustelle, la phragmite, le bec-fin des roseaux ou l’effarvatte de Buffon, se ren- contrent dans toute l’Europe tempérée ; enfin, la fau- vette Cetti, qu’on appelle aussi rossignol de rivière, a été découverte en Sardaigne. Les sylvies (1). Ce groupe est celui des meilleurs chanteurs, des vrais virtuoses ; à leur tête se présente d’abord le grand rossignol ou rossignol-progné, dont l’époque des migrations, comme chez la plupart des oiseaux de passage, varie nécessairement suivant Îa température des diverses contrées qu’il habite. En Angleterre, c’est au mois d'avril que les rossignols se mettent en voyage; dans la basse Italie, au contraire, leur départ ne s’opère qu’en novembre, tandis qu’en France et en Allemagne ils disparaissent au mois de septembre. — L'instinct des migrations persiste chez ces oiseaux dans la captivité, et on les voit s’agiter et (1) Les sylvains ou sylvies : Rossignol, Sylvia luscinia. Lath. — Sylvie philomele, $S. philomela, Bechst — $S. soyeuse, S. Sericea, Natt. — S. orphée, S. orphea. Tem. — Fauvette à tête noire, S. utricapilla, Lath. — La mélanocephale, S. melanocephala, id. — Rouge gorge. S. rubecula, id, — Passerinette. S. passerina, id. — La sarde, S. sarda, Tem. — Bec-fin pittechou, S. provincialis, Gm.— galactote, S. galactodes, Tem. — Babillarde, $S. curruca, Lath. — Bec-fin rayé, S. misoria, Bechst. — Gorge bleue, S. sue- cica, Lath.— Rouge-queue, $S. tithys. Scop.— Grisette, S cinerea, Lath, — Fauvette à lunettes, S. conspicillata, id. — Bec-fin subal- pin, S. leupogon, Meyers. — Bec-fin Ruppel, S. ruppelii, Tem. — Fauvette des jardins, S. hortensis, Bechst. L 170 CHAPITRE, Il. se Lourmenter dans leur cage lorsqu’arrive l’époque où les autres abandonnent nos climats. — Suivant Tous— senel, les rossignols qui émigrent de France, après les nichées, pour se rendre en Égypte ou en Syrie, cherchent à traverser la mer surle plus court espace et se dirigent vers l’est en passant parle Tyrol, l'Autriche méridionale, la Dalmatie, l’Epire et les îles de l’Archipel. Le fait est que ces chantres d’harmonie quittent nos bois dès le commencement de l'été, et si tous ne suivent pas l’iti- néraire indiqué, beaucoup atteindront le même but en longeant l'Italie et la Sicile pour aller se reposer à Malte et passer de là en Afrique ou en Asie. On peut bien supposer du moins qu’ils prennent aussi ce chemin, puisqu'on n’en voit plus en hiveret qu’ils ne se montrent que bien rarement en Provence et dans les autres par- ties de l’Europe occidentale qui bordent la Méditer— ranée. Cette espèce remplace la philomèle dans tout l'Orient européen et probablement aussi dans l’Asie- Mineure. La sylvie philomèle est un autre rossignol dont les ravissants accords se font entendre dans les pays du nord, principalement en Danemark et en Suède. Cette espèce émigre comme l’autre, mais ne se montre pas chez nous. « Aux approches de l'hiver, dit Hoëfer, Les rossignols nous quittent tous et cette émigration est générale dans toute l’Europe, même en Italie et en Grèce. Où vont nos musiciens? Personne ne le sait au juste. On pense qu’ils vont se réfugier en Asie. Cette opinion laisse de la marge ; l’Asie est le plus grand de nos continents. On trouve, dit-on, des rossignols toute REVUE DES OISEAUX D'EUROPE. 171 l’année en Perse et dans plusieurs contrées de la Chine. Il ne parait pas y en avoir en Afrique. » La sylvie soyeuse habite l'Espagne et sa présence a élé signalée dans les environs de Gibraltar. — L’or- phée ne se rencontre que dans le Midi et n’est peut-être que le bul-bul des Orientaux. — La fauvette tête noire et la mélanocéphale fréquentent les mêmes contrées et vont chercher en hiver des régions encore plus tem- pérées. A ces chanteurs hors ligue, ajoutons le rouge-gorge aux douces mélodies : cette charmante sylvie est des plus familières ; elle se décide rarement à passer la mer et se fixe volontiers dans les cantons abrités de la France et de plusieurs autres parties de l’Europe. On rencontre aussi notre rouge-gorge dans les grandes iles de la Méditeranée. C’est une des espèces dont j'ai signalé la présence aux îles Canaries. Une quinzaine d’autres espèces de becs-fins du genre _ sylvie visitent aussi nos contrées : les principales sont, la passerinette, la sarde, le pitlechou, la galactote et la babillarde, qui fréquentent le midi de l’Europe, le bec—fin rayé, le gorge-bleue et le rouge-queue ou fau velle tilhys, qui sont plus communes dans le nord, la fauvette grisette, celle à lunettes, qui nous quittent à la fin de l'automne et reparaissent au printemps avec les autres. Le bec-fin se plait dans l'ile de Gandie et ne paraît que rarement sur le continent; la fauvette des jardins, une des plus gracieuses, est très-commune en Italie et s’y présente en trorpes à l’époque des pas- sages et de son obésité (octobre), aussi l’estime-t-on 1792 CHAPITRE II. alors bien plus pour la succulence de sa chair que pour le mérite de son chant. Les becs-fins de la division des muscivores (1) ont les habitudes des fauvettes riveraines et des traquets; les plus connus sont le grand pouillot ou fauvette des roseaux, le petit pouillot ou le chantre, que le froid chasse de nos contrées, le siffleur, le véloce ou petite fauvette rousse, le pouillot à gorge blanche et le cisti— cole, qui fréquentent aussi nos pays pendant la belle Saison. Accenteurs (2). À la suite de ces becs-fins, nous men-. tionnerons trois autres oiseaux chanteurs qui se rap- prochent des sylvies : l’accenteur des Alpes, le mouchet ou fauvette d'hiver et le montagnard. L’accenteur des Alpes, qui anime les solitudes de nos hautes montagnes par son chant joyeux, descend rare- ment dans les basses vallées et se maintient à des alti- tudes de 4000 pieds, par un froid de 12 à 13 degrés C. Le mouchet ou fauvette d’hiver, qu’on connait aussi sous le nom vulgaire de traîne-buisson, est un des chantres de nos campagnes. Il vague sans cesse autour des haies et se laisse approcher en vous fixant de son regard le plus doux : « pauvre petit traîne-buisson, dit de la Blanchère, charmant chanteur, mélancolique voix (1) Fauvettes muscivores : Le grand pouillot ou fauvette des ro- seaux, Sylvia hippolais, Lath. — Le petit pouillot, S. trochilus; id, Le siffleur, S. sibilatrix, Bechst. — Le veloce, S. rufa, Lath. — Le pouillot à gorge blanche, S. nattererii, Tem.—(S. bonelli, Vieil). — Le cisticole, S. cisticola. Tem. (2) Accenteur : L’accenteur des Alpes, accentor alpinus, Bechst. — Le mouchet, A. modularis, Cuv. — L’accenteur montagnard. A. montanellus, Tem. , REVUE DES OISEAUX D'EUROPE. 173 qui nous touche comme la plainte de la brise. — Hélas! les chasseurs novices lui font une guerre trop facile, car ils le trouvent partout sur leurs pas, dans ce beau pays de France où l’on devrait un peu plus respecter les pe- tits oiseaux du bon Dieu. » L’accenteur montagnard se rencontre jusque dans la partie orientale de l’ancien continent ; Brehm a tué des oiseaux de cette espèce sur les bords du fleuve Amour. Cet accenteur parcourt dans ses migrations la Crimée, la basse Italie et quelques contrées de l’Europe méridio- nale. Troglodytes et roitelets (1). Le troglodyteestun autre petit inseclivore qui furète partout dans les bois. Oiseau des moins farouches, il se réfugie en hiver aux alentours des fermes et même se remise dedans. Étables, büchers, greniers, il s’accommode de tous les gîtes, pourvu qu’il y trouve pitance. On n’en connaît qu’une seule espèce en Europe, qui est assez commune en France et vit princi- palement dans les haies, où elle ne cesse de voltiger; ses voyages d'hiver la portent des régions les plus sep— tentrionales jusque dans les contrées du Midi. Les roitelets sont de petits oiseaux mignons, moins ramassés que les troglodytes, d’un plus joli plumage et aux allures encore plus vives ; toujours gais, frétillants, saulillant de branche en branche, sans cesse en quête de petits insectes, très-courageux, s’inquiétant peu de leur petitesse, et défendant vaillamment leur couvée des at- (1) Troglodytes et roitelets : Le troglodyte commun, troglodytes europæus., Leach. (Sylvia troglodytes, Lath.) Le roitelet ordinaire ou huppé, Sylvia regulus, Lath. — Le roitelet à bandeaux, sylvia ignicapilla, Brehm. 174 CHAPITRE II. taques de l'oiseau de proie maraudeur. [ls abhorrent la chouette et ne la craignent pas, la poursuivent même avec fureur en cherchant à l’aveugler. — L'Europe en pos- sède deux espèces : le roitelet ordinaire ou le huppé, à calotte jaune-orangé, qui vit dans les forêts d'arbres verts, du midi de la France, et le roitelet à bandeaux, à calotte rouge de feu. Le premier voyage dans différentes parties du continent, de l’extrême nord jusqu’au sud ; le second, le plus petit des oiseaux d'Europe, se laisse voir plus fréquemmentenlitalie, en Allemagne, en France et daus les pays voisins. Les hochequeues (1). Ce sont les lavandières et les bergeronnettes, charmants oiseaux, inoffensifs, aux formes élégantes, délicates et sveltes, aux appels synt- pathiques et d’un timbre de voix des plus doux, qui vivent au bord des eaux, dans les terres humides et fraiche- ment remuées. Ils marchent en courant, relèvent et abaissent la queue par un mouvement continue]. Ces jolis passereaux nichent dans les trous, près du sol, sous les mottes, dans les petits buissons et quelquefois dans de simples touffes d’herbes. Leur régime est le même que celui des fauvettes ; tous sont enelins aux mi- grations et se répandent l’hiver dans les chaudes ré gions de l'Afrique et de l’Asie pour revenir passer l’été dans les pays du nord. La lavandière lugubre, ainsi nommée sans doute à cause de sa robe noire et de sa tête blanche, se voit plus (1) Hochequeues : La Lavandière lugubre, Motacilla lugubris, Pallas. — La grise, M. alba, $. La bergeronnette jaune, motacilla boarula, L. — La printanière, M. flava, L. — La ctrine, M. citreola, Pallas. REVUE DES OISEAUX D'EUROPE. 17 fréquemment dans le midi de la France. — La grise, au contraire, est plus commune dans le nord. Les bergeronnettes, qu'on appelle aussi bergerettes, sont encore plus familières que leurs cousines les lavan- dières, s’introduisent dans les jardins, courent le long dés plates-bandes et se plaisent dans les prairies en compagnie avec les troupeaux. — La bergeronnette jaune et la printanière, toutes les deux d’un joli plumage, sont celles qu’on voit Le plus souvent, surtout dans le Nord. — La citrine habite de préférence larégion orien- tale de la Russie européenne ; elle a été vue à Helgoland et s’est montrée quelquefois en Crimée. XVII Anrmnés (1). Les pipis ou farlouses, que Linné ran- geait parmi les alouettes et d’autres parmi les sylvies, ont été réunis dans la petite famille des anthidés. On en connaît plusieurs espèces, qui ne dédaignent pas les pe- tites graines, mais la plupart font grand cas des ver- misseaux, des pucerons, des fourmis ailées, et ont à peu près le régime des fauvettes. Vives et agiles à la course et d’allures gracieuses, les farlouses se décèlent sur le sol par un petit cri d’appel doux et flûté, accompagné d’un hochement de queue à la manière des bergeron- nettes. Quelques-unes chantent en volant comme les alouettes ; celles qui perchent sur les arbres et les buis- (1) ANTHIDÉS : Pipis ou farlouses, Le pipi des buissons, Anthus arboreus, Bechst. — Le pipi des prés, À pratensis, id. Le pipi spioncelle, A, aquaticus, id. — L’agrodrome ou pipi rousseline, A. rufescens, Tem. k Le corydalle ou pipi richard, À, richardi, Vieil. I. — 12. 476 CHAPITRE II. sons sont friandes de fruits mous. Il en est dont le plu- mage est tachelé comme celui des grives, mais la plupart ont des teintes plus uniformes. — Ces oiseaux sont en général plutôt vagabonds que migrateurs, vivent isolés eterrent dans les landes. Quelques espèces se rassemblent en automne et parcourent le pays en petils vols ; les unes se plaisent dans Îles terres fraichement remuées, courent dans les guérets, posent sur les mottes, d’autres préfèrent la montagne, les coteaux pierreux, ou bien les lieux humides, et se tiennent cachées dans les herbes. La farlouse ou pipi des buissons, que poursuivent les chasseurs, se montre chez nous dès le mois de sep tembre et s’engraisse bien vite à la maturité des figues, car c’est l'espèce qui les aime le plus. Toussenel a fait observer que le nom de bec-fique qu’on applique à cer- taines fauvettes doit être dévolu sans partage à notre farlouse. Les Romains la nommèrent ficedula, etce pipi, qui fréquente nos vignobles et nos vergers, pourrait tout aussi bien revendiquer le nom de mange-raisin que celui de mange-fique : « La voix du peuple a devancé ce vœu, dit notre gracieux légendaire, et pour quelques provinces de France, bec-fique et vignette sont syno- nymes. » Toussenel a raison, car le poëte Martial a fait dire à l’oiseau en question : Cum me ficus alat, cum pascar dulcibus uvis, Cur potius nomen non dedit uva mihi ? Mais quoi qu’il en soit, alouettes ou farlouses, pipis des arbres ou des buissons, tous ces oiseaux sont appréciés REVUE DES OISEAUX D'EUROPE. 477 des amateurs, qui n’ont rien à faire de nos nomencla- tures et ne jugent que d’après leur goût. La farlouse, qui a donné lieu à cette digression, ha- bite nos contrées de l’intérieur une grande partie de l’année et ne commence à se rapprocher des pays méri- dionaux que vers la fin du mois d’août, sans doute pour se régaler dans la saison fructifère. Elle se tient cachée dans les vignes et les grands figuiers aux larges feuilles, quand le soleil chauffe la campagne. Parfois cette espèce hiverne chez nous, mais la plupart du temps elle passe en Espagne pour se rendre en Afrique. Le pipi des prés vit dans les pâturages, les landes et les endroits marécageux. — Le pipi spioncelle habite les montagnes alpines, au bord des ruisseaux, el n’appa- raît dans nos contrées du midi que dans les hivers les plus froids. L’agrodrome ou pipi rousseline, qui perche comme notre farlouse et n’en diffère que par le bec un peu plus fort et l’ongle du pied un peu plus court, marche comme elle en balançant la queue. Il en est de même du cory- dalle ou pipi richard, qui n'est pas irès-commun en Europe et qu’on croit originaire d’Asie. XVII ArauDées (1). La famille des alaudées européennes se compose d'oiseaux qui sont plutôt granivores qu’in- sectivores, mais les graines qu’ils préfèrent sont celles (1) ALAUDÉES : L’alouette des champs, alauda arvensis. L. — La calandre, A. calandra, L.— La calendrelle, A. brachydactyla, Tem. — L’alouette cochevis, À. cristata, L. — L’alouette hausse- col, A. alpestris, L. 178 CHAPITRE II. qu’ils peuvent avaler sans avoir besoin de les dépouiller de leur glume. — Vives, agiles et coureuses, les alouettes marchent autant qu’elles volent et sont répandues sur tout le globe ; chaque pays a les siennes : pays de plaines ou champs de labour, prairies ou bruyères, coteaux boi- sés ou pierreux, terres vagues, landes ou déserts, on les voit partout. Plusieurs restent dans le Midi tout le temps des couvées ; toutes nichent à terre, La Fontaine l’a dit avant nous : Les alouettes font leurs nids Dans les blés quand ils sont en herbe. C’est très-exact, car elles entrent en amour de bonne heure, afin que leurs couvées soient déjà assez avancées pour pouvoir prendre le vol avant la moisson. — Leur chant sympathique se fait entendre aussitôt qu’elles partent du sillon, et retentit en notes éclatantes lors- qu’elles planent au haut des airs. C’est l’hymne du ma- tin qu’elles répètent au déclin du jour comme un dernier adieu au soleil couchant. Ces filles d'harmonie sont sé— dentaires ou vagabondes selon les climats ; elles aiment à vivre en plein soleil et préfèrent les lieux découverts, aussi sont-elles trop souvent victimes des oiseaux de proie et des chasseurs. — Toujours grasses et dodues, les alouettes constituent un petit gibier des plus recher- chés, gibier délicieux, il faut bien l’avouer, qui, suivant l’expression d’un gastronome célèbre, « nous charme par son chant durant sa vie et nous délecte après sa mort, » — Le fusil, le miroir, le filet, tous les piéges Sont employés contre elles, même la lanterne-réflecteur REVUE DES OISEAUX D'EUROPE. 179 pour la chasse de nuit, lorsqu’éblouies par la lumière, elles se laissent tuer à coups de battoir. — On pourrait croire que la consommation qui se fait en Europe de ces pauvres petits oiseaux est exagérée, si elle n’était constatée par les relevés statistiques d'Allemagne et de France: aux mois de septembre et d’octobre, il entre sur le marché de Leipzig plus de 900,000 alouettes, et, d’après Husson, en 1853, il s’est vendu à Paris 1,329,964 de ces mauviettes des restaurateurs. L’alouetie des champs est l’espèce la plus commune chez nous; c’est la cantatrice par excellence, la véritable alouette française, celle des Gaulois, l’Alauda, qu’ils portaient pour emblème. On l’entend la première au retour du printemps ; elle commence à chanter dès l’au- rore et sa voix vibrante semble redoubler d'harmonie à la fin du jour. La calandre ou grande alouette hante les contrées de l’Europe méridionale ; ses voyages s’étendent jusqu’en Nubie et dans l’Inde. On entend son chant dans les nues, quand elle passe en Provence vers la fin d'octobre, mais les chasseurs savent la faire descendre sur la terre en imitant son cri d’appel. La calandrelle est une autre espèce du Midi, que les migrations portent dans d’autres parties du globe. — L’alouette cochevis ou la huppée se plaît en France, dans les campagnes champenoises et fréquente les grands chemins, où elle a plus de chance de rencontrer des ali- ments à sa convenance. Cette espèce émigre en petites troupes vers la fin de l’automne. L’alouette hausse-col ou l’otocris alpestre, remar— 180 CHAPITRE, 11. quable par la grande tache circulaire qu’elle porte sur la poitrine, se voit rarement dans le Midi; elle paraît originaire des Alpes scandinaves et+se retrouve dans les montagnes de l’Asie centrale. — On peut en dire autant de l’alouette de Tartarie qui ne se montre guère en Europe que dans la Russie méridionale, et de l’alouette bifasciée, de Nubie, qu’on voit parfois en Italie et en Provence. XIX PAssEREAUX GRANIVORES. Je réunis sous cette dénomi- nation tous les passereaux qui se nourrissent plus spé- cialement de graines que d’insectes, mais leur goût pour le grain n’est pas exclusif; la plupart d’entre eux aiment aussi les bourgeons, les feuilles tendres, les fruits mous, recherchent les chenilles et les larves, à l’époque des nichées, pour apporter la becquéeà leurs petits. —- Ce sont, presque en général, des oiseaux chanteurs, sinon mélodieux, du moins agréables, parfois un peu étour— dissants, 1l est vrai, mais qu’on entend pourtant avec plaisir. Beaucoup sont migrateurs ; ceux des contrées les plus septentrionales viennent passer l'hiver chez nous; d’autres, qui redoutent la chaleur de nos étés, nous quittent pour des climats qui leur sont plus con— venables. Ceux-ci séjournent chez nous et y nichent, ceux-là n’y font que passer et reviennent après leur couvée. Quelques-uns sont sédentaires et ne quittent pas la contrée, mais vagabondent d’un canton à l’autre pour chercher de meilleurs abris ou des sites qui leur offrent plus de ressources. REVUE DES OISEAUX D’UROPE. 181 Tous ces oiseaux sont sociables ; on les a distribués en plusieurs familles. La plus importante est celle des fringiliens, que nous subdiviserons en trois groupes : bruants, fringilles et gros-becs. Les Bruanrs (1). Ce sont presque tous des oiseaux de passage ; le bruant mélanocéphale ou embérize à capu— chon fréquente la Grèce, le sud-est de l’Europe et les iles adjacentes, où il se montre en avril pour repartir en août. Le proyer est le plus grand des embérizoïdes ; ses migrations s'étendent jusqu'en Afrique, où il se rend vers le mois d'octobre, après avoir traversé la Provence et l'Espagne. Il est sédentaire aux îles Canaries et figure dans la faune de cet archipel comme un des pas- sereaux les plus abondants, surtout à Ténériffe, où on en voit des vols de plus d’un millier aux alentours des sources d’eau et dans les terres à céréales. Le bruant des roseaux fréquente les endroits maré- cageux et ombragés ; c’est un oiseau gai et agile, qu’on voit partout et qui se plaît au milieu des halliers. II fuit l'hiver, qu’il va passer dans les pays méridionaux, prin- cipalement en Espagne. L’ortolan, si estimé des gourmets, craint le froid comme les autres ; des vols de cette espèce recherchée (1) BRUANTS : Le melanocéphale, Emberiza, melanocephala Tem. — Le proyer, E. miliaria, L. — Le bruant des roseaux, E. schœ- nicla, L. L'ortolan, E. hortulana, L. — Le bruant jaune, E cütri- nella, L.-— Le bruant de Lorraine, E. cia, L. — Le zizi ou bruant des haies, E. cirlus, L. Le mitylène, E. lesbia, Gm. (L. provin- cialis). - R. Gray mentionne 16 espèces d’emberizoïdes, dont plusieurs appartiennent aux contrées boréales, d’autres à l’Europe centrale et méridionale ; mais, faute de descriptions, nous ne par- lons que de celles que nous connaissons. 182 CHAPITTRE II. traversent la Provence dès le mois d’août et semblent se diriger vers les Pyrénées, mais sans doute pour aller plus loin. Voici du reste l’itinéraire qu’un chasseur naturaliste des plus compétents, a tracé de cet oiseau : « …… ses quartiers d’hiver sont au delà des Pyrénées « et des Alpes, en Italie et en Espagne. Ses demeures « d'été sont en France, depuis les rives de l’Adour « jusqu’à celles de la Durance, dans la direction de « l’est, et depuis les plages de la Méditerranée jus- « qu'aux montagnes des Cévennes, dans la direction « du nord au sud. L’espèce ne s’élève guère au delà de « nosanciennes provinces du midi, le Tarn el la Garonne « semblent lui servir de limites dans le pays ouvert. « L’ortolan arrive sur les bords du Tarn vers le 10 ou « 12 avril, et recherche de préférence les plaines « sèches, plantées de vignes. On dit que la plupart de € ces voyageurs reviennent se fixer aux lieux où ils ont « reçu le jour (1). » — Cette espèce est très-abon- dante en Grèce, où l’on prend les ortolans au filet pour les garder quelques semaines, afin de les engraisser. Le bruant jaune ou citrinelle, qui habite les régions tempérées de l’Europe et de l’Asie, vit souvent en so- ciété avec les ortolans. Il traverse la Provence en octobre et va passer l’hiver dans des pays plus chauds. Le bruant de Lorraine ou des prés, qu’on nomme aussi bruant fou dans certaines provinces, se tient l’été dans les pays montagneux. — Le zizi ou bruant des haies est commun à tout le midi de la France, de même qu’à l'Espagne. Ces deux espèces partent en bandes (1) Toussenel, Le monde des oiseaux, 2° partie, p. 159. REVUE DES OISEAUX D EUROPE. 183 nombreuses après les nichées. — Enfin le mitylène de Provence est un oiseau du midi de l’Europe qu’on ren- contre le plus souvent dans les pays qui bordent la Mé- diterranée occidentale. Il est bien encore quelques autres bruants qui vivent _ dans les régions les plus septentrionales du continent européen. Brehm cile, parmi les éperonnés, le plectro- phane lapon, qui a élé vu quelquefois en Belgique et en Allemagne, mais qui paraît préférer la Laponie et les bords de la mer Glaciale. Quant au plectrophane des neiges, qui habite les mêmes contrées et qu’on trouve aussi au Spitzherg et à la Nouvelle-Zemble, cette espèce descend rarement dans des latitudes plus basses. Les FRINGILLES (1). Ce groupe de granivores est le plus nombreux en espèces ; la plupart des oiseaux qui le composent font entendre un agréable ramage, plu- sieurs même passent pour d’habiles chanteurs ; nous les diviserons en trois groupes : les moineaux, les pinsons et les serins. Les moineaux forment un type à part, que quelques ornithologistes ont séparé des vrais fringilles en le rangeant dans la petite famille des passerides. Le moineau domestique, qui piaille et ne chante pas, est très-sédentaire et préfère mourir de froid que de (4) MOINEAUX : Moineau domestique, Fringilla domestica, L. — M. d'Espagne, F. hispaniolensis, Tem. (Passer salicicola, Roux).— M. d'Italie, F. cisalpina, Tem. — Soulcie, F. petronia, Gm. PINSONS : Pinson ordinaire, Fringilla cælebs, L. — Pinson des montagnes, F. montifringilla, L -- Niverolle. F. nivalis, L. SERINS : Chardonneret, Fringilla carduelis, L.—Tarin, F. spinus, L. — Sizerin boréal, Linaria boréalis, Br. (F. linaria) grande li- notte, F, cannabina, L. — Cini ou serin méridional, F. meridio- nalis, 184 CHAPITRE II. s’expatrier. De même que les différentes espèces de fringilles que possède l’Europe, le moineau domestique est éminemment granivore, et omnivore au besoin, suivant les milieux où il se trouve placé. Il détruit aussi beaucoup d’insectes et de chenilles pour lui et les siens. — On le rencontre dans toute l’Europe, même dans la région la plus au nord, car il paraît s’accommoder de tous les climats et a été introduit dans les deux Améri— ques et en Australie, où il s’est promptement propagé. : Oiseau familier et des plus sociables, il s’écarte peu de la demeure de l’homme, où parfois il vient s’établir en bandes nombreuses. — Notre pierrot, devenu privé, est un goinfre qui mange tout ce qu’on lui offre, pain trempé, brioches et autres friandises. Le moineau d’Espagne, aux flancs noirs et à la gorge d’un brun foncé, diffère essentiellement du moineau domestique. La péninsule [bérique, quelques îles de Ia Méditerranée, tout le nord de l’Afrique et les Canaries sont les différentes stations dont il a fait choix. Le moineau d'Italie ou le cisalpin se trouve aussi dans ;nos contrées méridionales, où on le confond sou- vent avec le friquet des montagnes, aulre moincau qui appartient plus spécialement à la partie orientale de notre continent et qui remonte au nord jusqu’en Laponie. Quant à la soulcie, qu’on connaît en Provence sous le nom de passe, cette espèce habite de préférence le midi de la France et l’Espagne, mais elle émigre en Afrique à la fin de l’automne, et je l’ai retrouvée aux Canaries tout à fait sédentaire. REVUE DES OISEAUX D'EUROPE. 135 Les pinsons. Le pinson ordinaire habite l’été les pays du nord et n’est que de passage dans nos contrées du midi, où on le rencontre en septembre et en octobre, lorsqu'il traverse le pays dans ses migrations annuelles. Toutefois, j'en ai vu quelques-uns à Nice pendantl’hiver. — C’est un des chantres les plus estimésen Allemagne; mais en Provence, les vieux mâles, qu’on tient en cage, sont les seuls qui ramagent et le pinson sauvage ne fait entendre que son cri d'appel qui certes n’est pas mélo- dieux. — Plusieurs ornithologistes ont prétendu que cette espèce n’émigrait pas, mais je l'ai vue passer en Provence, aux mois de septembre et d'octobre, se diri- geant vers le sud-est, du côté des Pyrénées. Le pinson des montagnes pousse ses migrations des bords de la Baltique jusqu’en Asie ; son passage dans l’Europe centrale, comme dans le midi de la France et en Espagne, a lieu vers la fin de l’été et en automne mais quoiqu'on assure qu'il se montre en Provence, je ne l’ai vu que bien rarement dans cette contrée, durant les huit ou dix années que je m’y suis livré à la chasse. Le niverolle habite toute la région montagneuse de l’Europe, la Norvége, la Finlande, les Alpes, le Tyrol et les Pyrénées. Enfin le venturon vit dans les contrées tempérées e se rencontre souvent en sociélé avec les chardonnerets el les linottes. Ge charmant gazouilleur est d’humeur douce et sociable ; par ses mœurs comme par son port il se rapproche beaucoup des serins, dont il a toutes les allures. Son passage en Provence s’opère en octobre. — « C’est un cousin de la linotte et un habitant exclusif 186 CHAPITRE II. du midi de la France. Doux, timide, peu farouche pourtant, il fréquente l'hiver les plaines en friche; en été il fuit sur les hautes montagnes. Très-recherché à cause de son chant, on est parvenu à le faire reproduire avec le canari. » (De la Blanchère.) Les serins. Le chardonneret, au joli plumage, est un des plus gentils de nos passereaux. Il s’assimile aux pinsons par son bec pointu et eflilé, mais ses habitudes et ses mœurs, sa docilité et sa douceur, la gaieté de son chant, son petit air cajoleur et sa vivacité, le rapprochent des serins, avec lesquels on le voit le plus souvent. — Les chardonnerets qu’on élève en volière s’allient avec le canari el produisent un hybride qui passe pour un excellent chanteur. — Le chardonneret est très-répandu en Europe depuis le nord jusqu’au midi ; il va hiverner en Afrique et vit sédentaire aux Canaries. — Cet oiseau voyage ordinairement en compagnie avec les linottes et les tarins ; j’en ai rencontré souvent le matin faisant entendre en volant ce petit cri joyeux que tous les chasseurs connaissent. Le tarin ou serin vert est un charmant petit oiseau, non moins vif et allègre que le chardonneret ; il niche dans le Nord et n’apparait dans nos contrées méridionales que vers le commencement de novembre. Le sizerin boréal ou petite linotte des montagnes habite les régions septentrionales et ne quitte que rarement les forêts de bouleaux pour descendre vers des climats plus tempérés. Le cini ou serin méridional parcourt en automne les champs de la Provence et parait redouter nos hivers. REVUE DES OISEAUX D'EUROPE. 187 La grande linotte vague en été un peu partout et se nourrit, comme les autres serins, de graines de chardon, de crucifères, de millet et d’autres semences menues. Cette espèce est commune aux différentes parties de l’ancien continent ; on la connaît dans toutes nos pro— vinces. Je l’ai souvent rencontrée en mer, traversant la Méditerranée au détroit de Gibraltar, et une fois sur l'Océan, entre la côte occidentale du Maroc et l’île de Madère. Je ne parle pas ici du canari, dont il a été question déjà dans le chapitre antérieur. — Ce serin est un oiseau exotique qu’on ne possède en Europe qu’en cage ou en volière, et qui probablement ne se reproduirait pas chez nous à l’état sauvage ; il est acclimaté, mais non naturalisé, Gros-BEcs (1). Plaçons à leur tête le gros-bec vulgaire, qu'on appelle aussi pinson royal je ne sais pourquoi ; le nom de casse-noisette lui conviendrait mieux. Grand mangeur de cerises, il en sait aussi casser les noyaux ; les amandes les plus dures ne résistent pas à son bec. C'est du reste un oiseau assez stupide, connu dans tout le midi de la France, ainsi qu’en Espagne, où il est de passage en octobre. — Quand un vol de gros-becs s’abat sur un arbre, il suffit d’en tuer un pour que tous les autres viennent s’y poser de nouveau et s’y faire décimer (!) GROS-BECS : Pinson royal (gros-bec vulgaire) Loæia cocco- thraustes, L. — Verdier, L. chloris, L. Bouvreuil commnn, Pyrrhulavulgaris, Briss. (Loæia-pyrrhula, Gm.) — Bouvreuil cramoisi, Pyrrhula erythrina, Tem. — Bec- croisé des pins, Loxia curvirostra, L. — Bec-croisé des sapins, Loxia pityopsittacus, Bechst, — Dur-bec, Loxia enucleator. 188 CHAPITRE I tour à tour. Gette espèce paraît appartenir à la zone tempérée de notre continent et ne se montre dans le centre de l'Europe que pendant l'été ; M. de la Blan- chère l'appelle un bouvreuil à la seconde puissance, à cause des dégâts que ce gros-bec occasionne dans les champs. Le verdier est encore un oiseau de nos pays tempérés, qu’on retrouve en Asie. On le croit sédentaire dans le midi de la France, mais il est plus probable qu’il émigre, car on le voit rarement pendant l'hiver. Les bourgeons, les petites baies, les fruits du sorbier et les graines oléagineuses sont les aliments qui paraissent le mieux lui convenir. Le bouvreuil commun et le cramoisi sont des oiseaux du nord, de passage seulement dans quelques provinces du midi; on aime à les tenir en cage, le cramoisi surtout, pour entendre leur chant assez facile à perfectionner, et bien que leur intelligence soit un peu bornée, on parvient même à leur faire prononcer quelques mots. Ce sont au fond d’assez jolis oiseaux que Buffon a peut-être un peu trop loués et dont d’autres ont trop médit. Les becs-croisés, aux mandibules bicornes, n’habitent pendant l'été que les pays septentrionaux et descendent l'hiver dans les régions moins froides. On en distingue deux espèces, celle des sapins et le bec-croisé des pins, qu’on voit plus souvent dans le nord de la France et en Belgique, et qui s’aventure parfois jusque dans le midi. L'un et l’autre ont reçu le nom vulgaire de perroquets d'Allemagne ; la structure de leur bec leur sert pour détacher les graines des conifères. REVUE DES OISEAUX D'EUROPE. 189 Le dur-bee, originaire des régionsles plus septentriona. les de notre continent, et qui a été vu en Laponie et au Groenland, fait quelquefois des apparitions dans le nord de l’Europe. On cite des années de grand froid qui furentsignalées par l’arrivée de légions de durs-becs que les rigueurs de la température avaient chassés tout à coup de leurs stations habituelles et qui vinrent se réfugier sur les bords de la Baltique. Beaucoup se répandirent en Prusse et dans d’autres contrées de l’Allemagne. XX STURNIDÉES (1). Nous n’avons à citer, dans cette famille, que les étourneaux, oiseaux de passage qui s'arrêtent peu dans les stations plantureuses qui se présentent sur leur route. Leur vol est des plus rapides, ils voyagent en troupes innombrables et j'ai vu bien souvent en Espagne et en Afrique passer au-dessus de ma tête ces trombes emplumées dont parle Toussenel, immenses nuées qui obscurcissent la lumière du jour. — Mais ceci n’est applicable qu'à l’étourneau vulgaire, le sansonnet ; car l’espèce qu’on désigne sous le nom d’unicolore ne se montre jamais aussi nombreuse et ne se rencontre que dans les grandes iles de la Méditer- ranée occidentale, en Espagne, en [talie et même dans l’Inde, à ce qu’on dit. L’étourneau vulgaire, bien connu des chasseurs, habite toute l’Europe, même les régions les plus STURNIDÉES : Etourneau vulgaire, Sturnus vulgaris. L. — Etourneau unicolore, S. unicolor, La Marm. 190 CHAPITRE II. froides ; il niche dans les Pyrénées et les Alpes, mais se retire l'hiver dans les pays chauds. Cette espèce est mieux partagée que sa congénère sous le rapport du costume ; la tête, la gorge et le poitrail, qui sont d’un beau noir à reflets violacés, avec l’extrémité des plumes marquée d’un point blanc argenté, font à notre sansonnet une livrée des plus fringantes. Les migrations des étourneaux n’ont lieu que de jour; ils s’arrêtent ordinairement à la tombée de la nuit dans les terres marécageuses entourées d'arbres ou dans les fourrés de roseaux qui bordent les prairies. On en voit souvent de grandes bandes se mêler aux vanneaux, aux pluviers et aux grives. — Oiseaux essentiellement voyageurs, un besoin de déplacement semble les tourmenter, « ils vont pour n'être pas où ils sont, plutôt que pour être ailleurs », a dit Toussenel. Leur passage dans nos contrées du midi a lieu en novembre ou en décembre, et les grands vols, qui partent des Alpes ou des Pyrénées, vont toujours faire une dernière visite à leurs nids avant de se mettre en route. Quant à leur régime, il est très-varié ; ils recherchent les fruits et les insectes, et sont aussi très-friands de fourmis et de limaces. Lens évalue à plus de 180,000 individus, les masses d’étourneaux qui fréquentent les bords des élangs de certaines provinces d'Allemagne, et à environ douze milliards, la quantité de mollusques terrestres qu'ils détruisent. Aussi les aime-t-on non-seu- lement pour leur gai babillage, leur familiarité et la fa- culié qu’ils possèdent d’imiter la voix des autres oiseaux, mais bien plus encore pour les services qu’ils rendent. REVUE DES OISEAUX D EUROPE. 191 Lorsque, dans leurs pérégrinations, les sansonnets s’abattent pêle-mêle dans les taillis, ils font un tapage étourdissant, jacassent beaucoup avant de s’endormir, et recommencent de plus belle dès le point du jour, avant de reprendre leur course. Cette observation est de Buffon ; en voici une autre de M. dela Blanchère. Les étourneaux viennent quelquefois dans les villes, perchent sur les grands arbres de nos promenades, et réunis en immenses vols, ils selivrent, vers le soir, à des évolutions des plus curieuses. « Prouesses, changements de front, « girandoles, que toute la troupe exécute comme un seul « oiseau, avec un ordre tel qu’on croirait qu’un com— « mandement les guide. À Paris même, une énorme « troupe a longtemps établi domicile dans les environs « de la Chambre des députés, avant que l’ouverture des « nouvelles voies eût transformé ce quartier. » L’étourneau est grand amateur d’olives noires : à l’époque de la maturité de ces fruits, vers la fin de l’année, il traverse la péninsule hispanique pour aller se rassasier en Algérie et au Maroc, où il trouve encore, à l’arrière-saison, de quoi satisfaire son appétit. — Je me suislaisséraconter que, dans leurparcours d'Espagne, après s’être rempli l'estomac dans les vergers d’oliviers, ils emportent toujours une olive dans chaque patte, en prévision des jeùnes qu’ils peuvent avoir à supporter en chemin, mais sans réfléchir cependant qu’il faut né- cessairement les cherlorsqu’ils perchent pour se reposer le soir dans les cannaies de roseaux. Or ces canaverales, comme on appelle en Espagne ces grandes cannaies, sont une bonne fortune pour leurs propriétaires, qui font là une 1 — 13 192 CHAPITRE II. abondante récolte d’olives qu’ils n’ont que la peine de ramasser le lendemain. Qu'on se figure des vols de plusieurs milliers d’oiseaux qui viennent successivement, pendant tout le temps des passages, semer des millions d'olives et qui repartent sans chercher à les recueillir, étourneaux qu’ils sont ! — Je ne garantis pas le fait, malgré qu’il m’ait été confirmé par plusieurs personnes sérieuses et notamment par un vieux chasseur de Murcie, qui avait mangé souvent de ces olives d’étourneaux qu’on rencontre en si grande abondance dans les campagnes. Je relate et rien de plus ; que ceux qui doutent y aillent voir. Sirrées (1). Cette famille ne compte qu’une espèce en Europe, la sittelle torchepot, petit oiseau sédentaire qui fait la chasse aux insectes à la manière des mésanges et des pics. On le rencontre assez souvent dans nos bois du centre et du nord ; je ne le cite que pour ne pas l’oublier et terminer la série des passereaux conirostres. XXI PASSEREAUX FISSIROSTRES (2). Cette tribu ne se compose que d’une seule famille, celle des hirondinées, dont nous possédons plusieurs genres en Europe ; les martinets, les engoulevents et les hirondelles proprement dites, (1) SITTÉES : La sittelle torchepot, Sifta europæa, L. (2) PASSEREAUX FISSIROSTRES : Hérondinées. Le martinet à ventre blanc, Cypselus albinus, Tem. — Le martinet de muraille, C. murarius, id. — L’engoulevent d'Europe, Caprimulgus euro- pœus, L. — L'hirondelle domestique, Hirundo rustica, L. — L'hi- rondelle des fenêtres, H. urbica. id. — L'hirondelle de rivage, I, riparia, id. — L’hirondelle de rocher, H. rupestris, id. REVUE DES OISEAUX D EUROPE. 193 tous oiseaux voyageurs par excellence et muscivores passionnés. Chacun connaît les hirondelles : les martinets, un peu plus forts de taille et dont les ailes sont plus effilées, les habitudes et les mœurs presque analogues, n’en diffèrent pas essentiellement. Îls peuvent voler longtemps sans se reposer, ils ne construisent pas de nids et habitent dans les fentes des rochers et les trous des vieux murs, qu'ils garnissent de matériaux dérobés où ils les trouvent, même dans les nids des autres oiseaux. — Leurs migra- tions devancent celles des hirondelles ; ils redoutent les chaleurs de nos étés et nous quittent dès le mois d’août. Les deux espèces européennes sont le martinet à ventre blanc et celui de muraille. L’engoulevent, qu’on voit dans nos contrées méridio- nales, a le corps bariolé de blanc sur un fond roux, et ne se montre qu'au crépuscule pour chasser aux pha- lènes et aux petits insectes de nuit. Ce fissirostre noc- turne nous arrive d'Afrique au printemps et repart avant l’automne. Il est connu dans nos campagnes sous le nom de crapaud volant. Parmi les quatre espèces d’hirondelles que nous possédons, l’hirondelle domestique et celle de fenêtres sont presque identiques ; tout ce que nous aurons à dire de l’une pourra se rapporter à l’autre, quant aux mœurs et aux habitudes. L’insünet de sociabilité est dominant chez les deux espèces ; leur apparition est la première annonce du printemps ; si elles aiment notre voisinage, nous ai- mons aussi à les revoir quand elles reviennent à leurs 194 CHAPITRE II. nids, et, en les retrouvant sur la terre étrangère, elles nous font songer à la patrie absente... Nous voudrions avoir leurs ailes! Hirondelles, que l'espérance Suit jusqu’en ces lointains climats, Sans doute vous quittez la France, De nos malheurs ne me parlez-vous pas ? Lorsqu’elles s’en vont vers la fin de l’automne, elles expriment leur inquiétude par des gazouillements plaintifs, et l’on comprend à leurs cris d'appel, à leur vol tumultueux, qu’une grande affaire les préoccupe : c’est qu’elles vont abandonner leurs nids pour entre- prendre ce voyage de long cours qui doit les trans- porter dans un autre hémisphère. — Qui n’a pas fre- donné dans sa jeunesse cette jolie chanson de Florian ? Lorsque les premières gelées Font tomber la feuille des bois, Les hirondelles rassemblées S’appellent toutes sur les toits; Partons, partons, se disent-elles, Tous les poëtes ont chanté l’hirondelle ; tous les naturalistes ont parlé de la puissance de son vol, de ses lomtains voyages ; mais où va l’hirondelle quand elle nous quitte? Il serait difficile de répondre, car on la trouve partout. Voyageuse infatigable, cette citoyenne du monde se montre dans toutes les terres et sur toutes les mers du globe, sur l’Atlantique comme dans le grand Océan, du cap Nord au cap des Tempètes, de la Terre de feu au Groenland. « Elle a reçu pour patrie REVUE DES OISEAUX D'EUROPE. 495 toute la terre habitable, et nul autre oiseau ne mesure plus de latitudes dans sa double excursion annuelle. Elle ignore le froid des frimas comme celui des cœurs ; sa vie n'est qu'une longue fête, et son chant qu'un hymne au printemps, à la liberté. » (Toussenel.) Cette fille de l’air fait tout en volant; elle chasse, mange, gazouille, se baigne en rasant la surface de l’eau ; elle se défend, elle attaque, elle travaille, ra- masse du mortier et bâtit son nid. J. Franklin dans sa description de l’hirondelle a rivalisé de grâce et de sentiment avec l’éminent ornithologiste que j'ai cité tantôt: « Comme les poëtes, les navigateurs, les phi- « losophes, dit-il, l’hirondelle poursuit toujours « quelque chose; mais plus heureuse qu’eux, elle « atteint ce qu’elle poursuit... La poétique beauté « de l’hirondelle, qui traverse le ciel avec la vitesse du « désir et de la pensée, l’association de cet oiseau « avec le printemps, cette jeunesse de l’année, avec « l'amour, cette jeunesse des cœurs, les souffrances de « sa couvée, lorsque le père ou la mère se trouve « détruit, tout doit exciter notre sympathie, notre « humanité : tout demande grâce pour cette innocente « et douce créature. Je me fais donc son avocat auprès « des jeunes chasseurs ; je les supplie d’épargner celle « qui ne demande à l’homme qu’un coin de nos de- « meures pour y poser son nid, qu’un peu de boue « pour le construire, qu’un peu de soleil et de ciel bleu « pour être heureuse. Pour l’amour de Dieu, ne tuez « point les hirondelles ! « Il y a deux hommes dont l’hirondelle n’a rien à 196 CHAPITRE If. « craindre, deux hommes auprès desquels il est inutile de plaider la cause de cet oiseau : c’est le prisonnier et l’exilé. Au prisonnier l’hirondelle dit: Liberté ! à l’exilé elle dit : Patrie ! » Spallanzani observa dix-huit ans le même couple d’hirondelles revenir au même nid. Cette constance dans l’affection de ces oiseaux pour le berceau de leurs amours est heureusement favorisée par la rapidité de leur vol, qui les préserve des mauvaises chances dans leurs migrations lointaines. — Les hirondelles re- partent à la fin des beaux jours, mais quelques retarda- taires, qui prolongent trop leur station dans nos climats, craignant de s’exposer en route aux intem- péries et aux bourrasques, prennent le parti d’hiverner dans des cavités où elles s’abritent, et restent là ense- velies dans leur léthargie, pour ne reprendre le mouve- ment et la vie aérienne qu’au retour de la belle saison. Ces oiseaux passent d'Europe en Afrique et en Asie à l’époque des migrations ; ils suivent les vaisseaux sur l'Océan, se reposent sur les vergues et peuvent traverser ainsi de très-grandes étendues de mer. — L’hirondelle de rivage est moins familière et diffère par ses mœurs de ses congénères ; elle se creuse des terriers où elle élève sa petite famille. — L’hirondelle de rocher est encore plus farouche ; elle habite les solitudes des montagnes et établit son nid dans les anfractuosités les plus inaccessibles. On la rencontre dans les Alpes et les Pyrénées, et elle n’apparaït qu’accidentellement dans le centre de la France. C’est celle qui repart la dernière quand vient l’hiver. A A 2 REVUE DES OISEAUX D'EUROPE. 197 XXII Trigu DES TÉNuIROSTRES (1). La huppe, à la robe d’un roux-nankin et de la taille de la draine, est un oiseau qui s’effraye au moindre bruit et déploie aussitôt la belle aigrette de plumes qui couronne sa tête. Elle aime à se tenir à terre où elle court avec beaucoup de légèreté et de grâce ; cherchant les petits insectes, surtout les sauterelles et les grillons. Son vol est lent quand elle n’est pas en voyage, car ses migrations annuelles la portent vers l’Afrique, d’où elle revient pour nicher au printemps et repartir ensuite avant l'hiver. Son cri d'appel est une espèce de roucoulement qu’elle répète à plusieurs reprises à l’époque où elle s’accouple. Cet oiseau, naturellement timide, devient pourtant très- familier ; on l'a vu s’habituer promptement à la vie domestique et purger les greniers des insectes qui les infestent. Le grimpereau commun, de la taille du roitelet, ap— partient à notre faune française et explore les troncs d’arbre à la manière des pics et des sittelles. La structure de son bec l’a fait placer dans la tribu des ténuirostres, mais il figurerait tout aussi bien parmi les grimpeurs, car il s'appuie sur les tiges roides de la queue pour monter dans la position verticale et fureter partout. On le rencontre d’habitude dans les forêts, mais il ne se laisse (L) TRIBU DES TENUIROSTRES : La huppe d'Europe, Upupa epops L. Le grimpereau commun, Certhia familiaris, L. Le grimpereau des murailles, Tichodroma phænicoptera, Tem (Certhia muraria, Gm.) 198 CHAPITRE IL. pas beaucoup approcher, el son nom de familiaris ne lui va guère. Le tichodrome ou grimpereau des murailles, aux ailes roses et noires, habite le Midi ; on le rencontre assez fréquemment dans le Languedoc ; il est plus rare dans les autres parties de la France et ne se montre que dans quelques vallées du Jura, des Alpes et des Pyrénées, où les chevriers lui donnent le joli nom de papillon de roche, à cause de l'allure de son vol, quand, chassant aux petits moucherons, il papillonne dans l'air. XXHI Tripu pes synpacryLes (1). Deux espèces seulement de la famille des méropidées habitent l’Europe: l’une ne se voit que dans les contrées méridionales, et le beau climat de la Provence jouit presque exclusivement de . l'avantage de la posséder. Je veux parler du guëêpier, joli oiseau au brillant plumage, originaire d'Afrique, bon voilier comme l’hirondelle, et grand chasseur de guêpes, d’abeilles et de tous les insectes qu’il rencontre. (Œil rouge de feu, corps brun-marron, nuancé de vert à reflets métalliques, gorge et croupion jaune d’or, collier noir, poitrine et ventre bleu-verdâtre, ailes rousses, tel est le signalement de ce bel oiseau. Il vient nous visiter au printemps, mais s’écarte peu des côtes maritimes. — Les guêpiers voyagent toujours par grands vols dans leur traversée de la Méditerranée ; ils fré- (1) SYNDACTYLES : Le guèpier, nerops apiaster, L. — Alcyon ou martin-pècheur, Alcedo ispida, L. REVUE DES OISEAUX D'EUROPE. 199 quentent les îles de l’Archipel ; on les dit assez communs à Rhodes et à Candie ; j’en ai vu aussi quelquefois aux Canaries, mais leur présence dans ces îles n’était qu'accidentelle et ils n’y faisaient qu’un court séjour. L’alcyon est un oiseau sédentaire qu’on rencontre toujours seul, bien que la nature l’ait répandu dans tout l’ancien monde, où il est connu depuis les temps mytho- logiques, mais son ancien nom s’est transformé, dans notre langue moderne, en celui de martin-pécheur. Sa robe est d’un bleu d’azur à brillant reflet, sa gorge couleur de rouille, son bec rouge-brun. Ge petit passe- reau, à l’air triste et morose, souvent perché des heures entières au bord de l’eau, sur la pointe d’un rocher ou sur tout autre point saillant, ressemblerait assez à un héron s’il avait les jambes plus longue et le cou moins court ; il fréquente les rives des fleuves et des étangs, et gagne les plages maritimes quand il ne trouve plus à se nourrir dans les eaux douces. Rien ne lui échappe du poste d'observation qu’il se choisit ; silencieux Lant qu’il guette sa proie, il pousse un cri aigu dès qu’il l’aperçoit, part comme un trait et la saisit en rasant la surface de l’eau. C’est un des plus grands destructeurs de frétin. 200 CHAPITRE II. GRIMPEURS XXIV L'ordre des oiseaux grimpeurs est peu nombreux en Europe et ne compte que six espèces de pics, un torcol et un coucou (1). Tous les pics ont les mêmes habitudes, ils frappent de leur bec dur lestroncs d’arbres pour faire sortir les larves et les insectes cachés sous l'écorce ou qui ont pénétré dans le bois, les saisissent avec la plus grande dextérité et en consomment des quantités considérables. On les voit tourner autour des grosses branches avec l’agilité des écureuils. Leur travail de charpentier, exécuté à grands coups de bec avec une ardeur continue, et qu'ils accompagnent, par intervalle, d’un petit cri sonore, se fait entendre au milieu du silence de la forêt. — Les services qu’ils rendent, en purgeant les grands végétaux de toutes les petites bêtes qui les rongent, les ont fait placer au rang des espèces les plus utiles à ’agriculteur. C’est du moins l’opinion des forestiers, malgré tous les préjugés populaires qui accusent ces pauvres pics d’une foule de méfaits imaginaires. Ce sont en général des oiseaux peu sociables, qui se plaisent dans leur indépendance et n’aiment pas à être (1) GRIMPEURS : Pic vert à tête rouge, Picus viridis, L. — Grand pic noir, Picus martius, L, — Pic moyen, P, medius, L. — Petite épeiche, Picus minor, "L. — Pic à tête STISC) LE. canus, Gm. — L'épeiche. P. major, Fe Le torcol, Yunæ torquilla, L. Le coucou, Cuculus canorus, L. REVUE DES OISEAUX D'EUROPE. 201 contrariés dans leurs travaux. Ils sont méfiants, ombra- geux, rusés, très-ardents et tout aussi malins que le chasseur, qui devrait laisser vivre en paix ces oiseaux bienfaisants, dont la chair du reste est immangeable. Le pic vert est celui dent on entend le eri le plus souvent, surtout lorsqu'il part effrayé. Sa tête est ornée d’une huppe de plumes rouges qu’il relève à volonté. — Le pic épeiche ou grand pic est remarquable par sa tête noire et vermeille, sa poitrine blanche et ses ailes bariolées. — Le pic moyen et la petite épeiche ne semblent qu'une variété des deux autres. Le premier fréquente les forêts de l’Europe centrale ; le second se rencontre plus fréquemment dans les contrées boisées de lorient et du nord. — Le grand pic noir est assez commun en Suisse et en Allemagne, il se plaît dans les hautes futaies ; sa taille se rapproche de celle de la corneille. — Le pic à tête grise ou pic cendré est rare en France ; le mâle se distingue de la femelle par quelques petites plumes rouges qui lui colorent le front. Tous ces oiseaux sont enclins aux voyages ; l’espèce à tête rouge, la plus répandue en France, se rencontre aussi en Afrique et aux Canaries. Le torcol a été classé parmi les grimpeurs, bien qu’il ne grimpe pas ; on aurait pu tout aussi bien le ranger parmi les passereaux, ordre très-élastique, dans lequel se trouvent déjà une foule d’oiseaux de caractères am— bigus. Quoi qu’il en soit, notre torcol d'Europe, qui est très-friand de fourmis, se cramponne aussi aux écorces des arbres pour faire la chasse aux petits insectes, mais il est, dans cet exercice, bien moins 202 CHAPITRE II. adroit que les pics. — C’est un oiseau fascinateur, ma- lin comme un serpent, tantôt tapageant dans les bois où il se tient caché, et tantôt silencieux, selon ses caprices. Il est de passage en France et s’y arrête pendant la belle saison. On le rencontre alors un peu partout ; ses habitudes sont solitaires, et sa langue est extensible comme celle des pics. Quand par hasard on surprend un torcol dans les bois, l’oiseau vous fixe en exécutant avec la tête et le cou des mouvements de torsion des plus singuliers. On se croirait en présence d’une petite vipère, car la cou— leur du plumage du torcol est celle des reptiles. Je me souviens encore de l’impression qui m’est restée d’un torcol que je tuais (il y a de cela beaucoup plus d’un demi-siècle). Je le tenais blessé dans la main, lors— qu'il poussa un sifflement qui me donna le frisson et se prit à me magnétiser de son œil d’aspic, en dardant sa langue et faisant le fourne-tête (1). — Je renvoie le lec- teur au livre de Toussenel (2);'s’il veut s’instruire à fond de l’histoire de l’oiseau-reptile et de l’effroi qu’il pro- duit sur le ‘gamin dénicheur qui ne s’attend pas à le trouver au nid. Les coucous font partie aussi de la famille des picées et volent à la sourdine comme les rapaces nocturnes. Ce sont des joiseaux voyageurs [qui arrivent chez nous dès les premiers jours du printemps et s’en vont vers l’automne. L'espèce d'Europe, au chant monotone, est connue par ces cris d'appel qui donnent lieu dans les (1) C’est le nom que les Anglais donnent au torcol (Snake-bird.) (2) Le monde des Oiseaux, ?° partie, p. 381-386, REVUE DES OISEAUX D'EUROPE. 203 campagnes à tant de plaisanteries. On doit à Levaillant d’avoir rectifié plusieurs faits relatifs au coucou et dé— truit un préjugé populaire qui faisait pondre cet oiseau par la bouche. — Quant au dépôt de l’œuf du coucou dans un nid de fauvette, pour se débarrasser des ennuis de l’incubation et le faire couver par une mère étran- gère, c'est chose bien avérée. La fauvette, en adoptant cet intrus, nourrit le jeune oiseau avec les mêmes soins qu’elle prodigue à sa propre famille. Buffon raconte, comme témoin oculaire, la mort d’un jeune coucou mis en cage et nourri par la fauvette qui l’avait couvé : le prisonnier, toujours affamé, se lançait avec tant d’ar- deur sur sa mère adoptive, en allongeant son cou entre les barreaux de la cage, qu'un jour il s’étrangla en cherchant à engloutir à la fois dans son gosier la petite tête de sa pourvoyeuse avec la becquée qu’elle lui ap- portait ; et pourtant, ces pauvres petites fauvettes per- sévèrent dans leur office de nourrices d’emprunt. PIGEONS XXV Les pigeons forment un ordre d’oiseaux qui établissent le passage naturel entre les passereaux et les gallina- cés ; ils en sont le trait-d’union. On les a divisés en divers sous-genres ; les colombi-gallines, haut montés sur leurs torses, qui cherchent leur nourriture par terre et ne perchent pas, ou du moins rarement, et quelques 204 CHAPITRE I. autres espèces étrangères, dont la tête est ornée de caroncules, sembleraient rapprocher les pigeons des gailinacés ; mais, d’autre part, les vrais pigeons, qui sont tous monogames, présentent beaucoup d’analogie avec les passereaux par leurs formes, leurs instincts : sociables, leurs habitudes voyageuses et par la rapidité de leur vol. Nous possédons en Europe quatre espèces de pi- geons (1) y compris les tourterelles. Les pigeons ramiers, qui habitent les taillis dans le voisinage des champs cultivés, sont défiants et farouches ; ils se rassemblent en bandes nombreuses au commence- ment de l’automne, et se dirigent en masses serrées vers le sud-ouest, pour franchir les Pyrénées par les gorges occidentales. [ls volent ordinairement en rasant la terre par de fortes brises de nord-ouest. Leurs voyages s'effectuent de très-grand malin, afin d'éviter les rapaces. On dit que quelques-uns hivernent dans les forêts de nos provinces de l’est, Toutes les graines, céréales ou légumineuses, bourgeons tendres, fraises sauvages, composent leur nourriture. Les colombins ou petits ramiers, très-communs dans les bois de Compiègne et de Rambouillet, sont aussi des oiseaux farouches qui vivent du même régime que les grands ramiers. Cette espèce, aux ailes bordées de noir, Voyage également en grandes troupes à l’époque des migrations. (1) PIGEONS : Le Ramier, Columba palumbes, L. — Le colombin ou petit ramier, C. ænas, id. — Le biset ou pigeon de roche. C. livia, L. — La tourterelle commune, C. turtur, L, — La blonde à collier, C. risoria, L. REVUE DES OISEAUX D'EUROPE. 205 Les pigeons bisets ou pigeons de roche, types de nos pigeons domestiques, fréquentent nos côtes de la Médi- terranée et nichent dans les rochers ; ils ont les mêmes habitudes que les autres. Des vols considérables de celte espèce traversent les Pyrénées orientales pour se rendre en Afrique et revenir au printemps. En général, les pigeons que nous avons soumis à la domesticité ne s’attachent au colombier que par les sons qu’on leur prodigue et la facilité qu’ils rencon- trent d’un abri commode et d’une nourriture assurée. Leur soumission à l’élat privé n’est que relative : si les avantages qu'ils y trouvent viennent à leur manquer, ils abandonnent la place pour aller chercher fortune ail- leurs et ne reviennent plus. Ce sont des oiseaux fami- liers, acclimatés, qui sont devenus nos hôtes. Tous les pigeons sont bons voiliers, et ces voyageurs aériens peuvent parcourir en quelques heures des espaces considérables; aussi sont-ils employés souvent comme porteurs de messages. Leur emploi pourla trans- mission des dépêches était déjà en usage chez les Romains. Décimus Brutus envoyait au camp des con- suls des lettres d’avis, dont les pigeons étaient por- teurs : « À quoi pouvaient servir à Antoine les retran- chements et la vigilance des soldats, quand les courriers prenaient le chemin des airs ? » disait Pline. Les services que les pigeons messagers ont rendus, pendant le siége de Paris, sont aujourd’hui connus de tout le monde ; mais on ne lira pas sans éprouver un sentiment d’admiration quelques lignes du récit de M. Tissandier, dans son curieux ouvrage, En ballon 206 CHATITRE II. pendant le siége, sur l'instinct merveilleux qui guide les pigeons voyageurs : «Je monte dans la nacelle au moment que le canon gronde avec une violence extrême. J’embrasse mes frères, mes amis. Je pense à nos soldats qui com- battent et qui meurent à deux pas de moi. L'idée de la patrie en danger remplit mon âme. On attend là- bas ces ballots de dépêches qui me sont confiés ; le moment est grave et solennel : — Lâchez tout! — et me voilà flottant au milieu de l’air!..... » L'aéronaute venait d'arriver à Dreux avec le ballon le Céleste, un paquet de dépêches et une cage de pigeons. Il avait élé convenu, en partant de Paris, que dès qu’il prendrait terre en lieu sûr, il expédierait aus- sitôt deux pigeons pour annoncer son heureuse réus- site. … ” « .…. Qu’ai-je à faire maintenant? écrit-il. — A lancer mes pigeons pour apprendre à mes amis que je suis encore de ce monde, et pour annoncer que mes dépêches sont en sûreté. — Je cours à la sous- préfecture où j'ai envoyé mes messagers ailés. On leur a donné du blé et de l’eau ; ils agitent leurs ailes dans leur cage. J’en saisis un qui se laisse prendre sans remuer. Je lui attache à une plume de la queue ma petite missive écrite sur papier fin. Je le lâche ; il vient se poser à mes pieds, sur le sable d’une allée. Je renouvelle la même opération pour le second pigeon, qui va se poser à côté de son compagnon. Nous les observons attentivement... Quelques secondes se passent... Tout à coup les deux pigeons REVUE DES OISEAUX D'EUROPE. 207 « battent de l’aile et bondissent d’un trait à 100 mètres « de haut. Là ils planent, s’orientent ; ils se tournent « vivement vers tous les points de l'horizon; leur bec « oscille comme l'aiguille d’une boussole cherchant un « pôle mystérieux. Les voilà bientôt qui ont reconnu « leur route : ils filent comme des flèches en droite « ligne dans la direction de Paris! » En effet, le même jour, à huit heures du soir, les deux pigeons étaient au gite, annonçant l’heureuse descente du Céleste à Dreux! Les tourterelles, qu’on range parmi les colombes, ont des mœurs et des habitudes ‘analogues. — La tourte- relle commune, à manteau fauve, vient nicher dans nos bois. — La blonde à collier, qu’on élève en volière, parait être, comme l’autre, originaire d’Afrique, mais ses migrations sont inconnues. Pigeons et tourterelles sont synonymes, quand on parle d’oiseaux privés, aux mœurs douces et cares— santes, qu’on cite comme modèles de tendresse : « Deux pigeons s’aimaient d'amour tendre... » LA FONTAINE. D 18 Si ces oiseaux n’ont pas la vivacité ni les sémillantes allures qui caractérisent beaucoup de passereaux, leur candeur, leur timidité, leur innocence, nous les rendent sympathiques. Les chasseurs pourtant ne les épargnent pas plus que les rapaces, pour se procurer un gibier généralement estimé. — (Ces pauvres oiseaux, sans moyens de défense, n’ont pour eux que la rapidité de la fuite, qui souvent ne les sauve pas. — On les voit EMA 208 CHAPITRE II. toujours par couples, se caressant sans cesse dans les bois, comme en plein champ, ou bien se tenant cachés sous la feuillée, dans les endroits solitaires, où ils font entendre leurs roucoulements amoureux. Laissons vivre du moins ceux qui jouissent encore de toute leur liberté ; ceux des colombiers ont la chair plus tendre et devraient bien nous suflire. GALLINACÉS. XX VI Les gallinacés, oiseaux généralement polygames, pulvérisateurs, qui aiment à gratter la terre et à se vautrer dans la poussière, se nourrissent de graines, de fruits, de feuilles tendres et ne sont pas moins avides d'insectes, de vers, de larves, quand ils en trouvent. — La plupart nichent par terre, sur l’herbe sèche et dans des nids improvisés où ils déposent beaucoup d'œufs, à l’incubation desquels les mâles ne prennent guère part. Les petits marchent seuls dès leur sortie de la coquille et suivent de suite la mère à la recherche d’aliments qu’elle leur déterre ou qu’ils se procurent eux-mêmes. Telles sont les habitudes de presque tous les gallinacés qu'on a rangés dans la famille des phasianidés (1), à la (1) GALLINACÉS : Phasianidés. Coq domestique, Phasianus Gallus, L. (Gallus domesticus, Briss.) — Paon, Pavo cristatus, L.— Faisan, Phasianus coichicus, L. — Dindon, Meleagris gallo-pavo, L. — Pintade, Numida meleagris, L. REVUE DES OISEAUX D'EUROPE. 209 tête de laquelle se présente d’abord le coq et la poule (gallus et gallina), qui ont donné le nom à l’ordre; ensuite le paon, le faisan, le dindon et la pintade, tous oiseaux d’origine étrangère, dès longtemps acclimatés en Europe et dont les types sauvages furent introduits pour faire souche. Le coq et sa poule sont originaires de l’Inde et des îles Carolines les plus rapprochées de la côte asiatique ; leur corps charnu, leurs ailes courtes, leur queue ample et fournie, et la faiblesse de leurs muscles pectoraux, rendent leur vol lourd et difficile ; aussi, à l’état libre, ces gallinacés sont sédentaires et s’écartent peu des lieux où ils ont pris naissance. Ils sont trop bien connus, depuis qu’on en à fait des oiseaux de basse-cour, pour qu’il soit nécessaire de nous y arrêter. On peut en dire autant, sous ce rapport, des autres phasianidés ; les paons ont été apportés en Europe des Indes orientales, au temps d'Alexandre le Grand. Le splendide plumage des mâles, la belle aigrette qui couronne leur front, les brillantes couleurs des plumes de la queue, dont les barbes d’un vert lustré d’or, et ocellées de taches miroitantes, s’inondent de pierreries quand ces oiseaux font la roue, ont fait de cette superbe espèce une des plus belles de la création. Les anciens en firent l’attribut de l’orgueil et de la puissance ; les paons étaient servis à table dans les repas Les plus somp— tueux; mais leur chair sèche et un peu coriace n’a rien de bien ragoütant, et ces oiseaux ne seront jamais re— cherchés que pour l’ornement de nos parcs. Le faisan commun, que nous possédons et qui s'est 210 CHAPITRE IT. répandu dans plusieurs parties de l’Europe, est originaire de la Colchide ; son introduction date d’une époque très- ancienne; on la fait remonter à l’expédition des Argonautes. Toutefois cet oiseau remarquable par sa jolie robe et sa longue queue exige encore de nos jours de très-grands soins pour se propager dans les parcs et les forêts réservées. On ne le rencontre réellement à l’état sauvage que dans quelques contrées très-tempérées. C’est, le plus souvent, dans les terres boisées qu’il pré- fère se tenir. Naturellement craintif et défiant, ses habitudes sont solitaires, et il choisit toujours les buissons les plus touffus pour s'établir pendant ses couvées. Le dindon est certainement, comme l’a proclamé l’illustre auteur de la physiologie du goût, un des plus beaux cadeaux que le Nouveau Monde ait faits à l’ancien. Cet excellent oiseau, originaire des États-Unis, a été introduit en France par les Jésuites, en 1570, puis de là dans toute l’Europe. Les premières dindes furent servies aux noces de Charles IX. Audubon, qui a souvent chassé le dindon sauvage, considère ce beau gallinacé comme une espèce régionale, propre aux vastes forêts de PIli- nois et de l'Ohio. Les pintades proviennent d'Afrique ; on les élève dans nos poulaillers ; ce sont des oiseaux acclimatés, mais beaucoup moins apprivoisés que nos poules. Les rérraoninées (1). Autre famille de gallinacés (1) TÉTRAONIDÉES : Tétras auerhan ou coq de jbruyère, Tetrao urogallus, Li. — Tétras birkhan, Tetrao tetrix, L. — Tétras rouge, T. scoticus, Lath. — Gélinotte, T. bonasia, L. — Lagopède ou perdrix blanche, T. lagopus, L. — Lagopède des saules, T T. saliceti, REVUE DES OISEAUX D'EUROPE. 911 qui comprend, parmi les genres européens, les tétras, les gélinottes, les lagopèdes, les gangas, les perdrix, les cailles et les turnix. Le tétras auerhan ou grand coq de bruyère est un oiseau de la taille de notre coq domestique, mais plus bas de jambes et sans éperons; ses pieds sont couverts de petites plumes jusqu’à la naissance des doigts ; sa queue, qu’il peut élaler en roue, son plumage brun— ‘ noirâtre, parsemé de taches blanches, les brillants reflets bronzés de sa poitrine et ses yeux de feu, arqués de sourcils rouges, tout révèle en lui une nature des plus énergiques et suflirait pour en faire un oiseau des plus remarquables, s’il n’était apprécié depuis longtemps comme un des meilleurs gibiers. Malheureusement les chasseurs et les braconniers sont toujours à ses trousses et la race de ces beaux tétras diminue chaque année. Déjà les coqs de bruyère ne se montrent plus que dans quelques cantons des Vosges, du Jura et des Pyrénées ; avant qu’on ait fini de les détruire, citons un passage d’un auteur qui à donné la description de la chasse du grand tétras. « .…. On trouve encore l’occasion de tirer le coq de « bruyère dans les traques du mois de novembre; il « se montre alors plus à découvert que lorsqu'on le « guette au chien d’arrêt. Quelles que soient la qualité Tem.— Gelinotte des Pyrénées ou ganga-cata, Pterocles setarius, Tem, (Tetrao alchata, L. ) — Ganga unibande, Pterocles arenarius, Tem. — Perdrix bartavelle, Perdix saxatilis, Meyer. — Perdrix de roche, P. petrosa, Lath. — Perdrix grise, P. cinerea, Lath. — Perdrix rouge, P. rubra, Briss. — Francolin d'Europe, Perdix francolinus , Lath. — Caille, Perdix coturnix , L. - Turnix, Hemipodius tachydromus. 212 CHAPITRE II. « LCA « et la diversité du gibier, il reste le plus puissant altrait de nos battues, le quine qu’ambitionnent petits et grands, vieux ou jeunes, vélérans ou novices : son apparition devient l’événement de la journée. « Les rabatteurs sont à l’œuvre ; leurs voix sonores font vibrer les échos des vallons, tout à coup un bruit se fait entendre qui domine tous les bruits, le à jau ! (Ce qui veut dire: au coq ! dans le patois des Vosges.) À ce cri plus d’un vieux chasseur se sent plus ému que s’il entendait arriver sur lui un vieux solitaire (1). Le coq s’avance le cou tendu, les ailes immobiles, il rase la cime des pins; le soleil fait miroiter son plumage; c’est bien alors qu’on peut dire de lui: Voilà le roi de la montagne ! Un coup de fusil part, puis deux, puis trois! Le noble oiseau secoue ses ailes, laisse tomber quelques plumes, passe ; et plusieurs nez s’allongent! Mais parfois aussi ses jours sont comptés, et 1l vient tomber lour— dement aux pieds du privilégié dont le carnet de chasse va enregistrer un nouveau triomphe. Très- fréquemment on blesse le coq sans pour cela le ramasser. Lorsqu'il se sent frappé à mort, il vole jusqu’à ce que ses forces l’abandonnent, et meurt où 1l est tombé. Mais bien souvent il a pu accomplir un long trajet, on l’a perdu de vue derrière lesarbres, el il pourrit misérablement, ou trouve un tombeau indigne dans l’estomac d’un renard ou d’un chat sauvage. — Le coq de bruyère est, en toute saison, un gibier dur à abattre; son poitrail est garni d’une (1) C’est le nom que les chasseurs donnent aux vieux sangliers. REVUE DES OISEAUX D'EUROPE. 243 « épaisseur de chair incroyable ; ses os sont gros et « très-résistants; ses plumes épaisses et serrées lui « constituent une cuirasse, qui résiste à des plombs « même de numéros inférieurs. Dans les Vosges, nous « le tirons avec du plomb moulé de 14 à 16 grains au « Coup ; les braconniers, qui le tirent toujours posé, « emploient la chevrotine et quelquefois la balle « franche. » (M. E. Gridel.) Le tétras birkhan ou coq de bouleau, à queue fourchue, est une espèce sédentaire comme le grand tétras, mais dont la taille est à peu près celle de nos poules. La couleur de son plumage se rapproche beau- coup de celle de l’auerhan. Cet oiseau est un peu plus répandu dans les hautes montagnes du nord de l’Europe et abandonne rarement la région des neiges pour des— cendre dans les basses vallées. On le désigne souvent sous le nom de petit coq de bruyère, et les chasseurs, comme les gastronomes, en font aussi beaucoup de cas. Ces tétras à queue fourchue, de même que leurs congé- nères, se livrent entre eux des combats furieux, au com- mencement du printemps, pour la possession des femelles. Les vaincus se retirent de ces tournois plus ou moins écloppés, et ie vainqueur, ivre d’orgueil et d'amour, bat des ailes en appelant ses compagnes par des cris qui s’entendent au loin, — « Même nourriture, mêmes mœurs farouches que le grand coq ; meilleure chair, surtout celle des femelles: ce tétras est destiné à disparaitre comme son chef de file, dit de la Blan— chère; à moins que, pour les deux espèces, l’acclimata- tion ou la domesticité ne devienne leur arche; desalut. » 214 CHAPITRE II. Je ne citerai que pour mémoire le tétras rouge ou poule de marais, de Latham, car je ne le connais pas. La gélinotte, quoique de petite taille, est très-recher- chée pour la délicatesse de sa chair, et de là lui vient son nom spécifique de bonasia ; elle est à peu près de la grosseur de la perdrix grise. Les uns la nomment poule des coudriers, les autres poule royale ; Bélon, au xvi° siècle, la dépeignait ainsi dans son vieux langage: « Qui se feindra voir quelque espèce de perdrix métive entre la rouge et la grise, et tenir je ne sais quoi des plumes du faisan, aura la perspective de la gélinotte des bois. » — Ce tétras habite les montagnes subalpines dans les forêts de sapins et de bouleaux ; Les baïes de myrtilles, les fruits des ronces, des framboisiers, des sorbiers, composent sa principale nourriture, les géli- nottes se réunissent par bandes en automne, comme les perdrix; ce sont des oiseaux très-sauvages, qui se dérobent au chasseur en courant et ne prennent le vol que pour se remiser dans les arbres les plus touffus. Les lagopèdes, qu’on ‘appelle faussement perdrix blanches, ressemblent bien plus aux tétras qu'aux per- drix, et c’est pour cela que Linnée les rangea parmi ces premiers. Ces oiseaux, du reste, ne sont blancs que pendant un temps de l’année ; ils vivent dans les hautes vallées des Alpes et des Pyrénées, sur la limite de la région des neiges ; aussi sont-ils gantés pour le froid et porlent-ils les pieds emplumés jusqu’au bout des ongles. — Parfois réunis en petites bandes, les lago- pèdes changent de station ; j’en ai rencontré sur le plateau du mont Genis et dans la vallée de Suze ; REVUE DES OISEAUX D'EUROPE. 245 mais c’est surlout en Suisse qu’on en voit le plus sou— vent. Les mâles, d’un blanc pur en hiver, se distinguent des femelles par une bande noire qui part de l'angle du bec et s'étend jusqu’aux yeux. Les pennes latérales de la queue sont de la même couleur. Ces oiseaux quittent les sommets des montagnes dans la saison la plus froide pour descendre dans la région moyenne, et, bien que la terre soit couverte de neige, ils savent s’y creu- ser des galeries et y trouver leur nourriture, qui consiste en chatons, jeunes pousses de pins, de bouleaux, de bruyères et de mousses. Leur chair, qui acquiert, par ce régime, un goût particulier d’amertume et un par— fum un peu aromatique, est très-estimée des amateurs. Une autre espèce du même genre, désignée sous le nom de lagopède des saules, habite Le nord de l’Europe et les contrées situées à l’orient de la Baltique. On la retrouve aussi dans l'Amérique septentrionale et vers les hautes latitudes polaires. Les perdrix sont sédentaires et cantonales ; les espèces les plus communes en France sont la rouge et la grise, cette dernière est des plus recherchées ; « en plaine, comme à la broche, nul gibier ne saurait lui être com- paré. » Cette opinion est de de Cherville; Brillat-Sa- varin n'aurait pas mieux dit. — Ces oiseaux forment un type à part parmi les gallinacés ; leur corps trapu et ramassé, leur queue et leurs jambes courtes, leur petite têle, toutes leurs allures, sont autant de caractères qui les distinguent. La bartavelle, remarquable par sa grosseur, est une autre espèce du midi de l’Europe qui habite de préfé- 216 CHAPITRE II. rence les pays montagneux, mais elle est devenue rare chez nous, même en Corse, où elle abondait autrefois. Ce n’est que dans quelques vallées alpines et dans les Pyrénées qu’on la retrouve encore. La Suisse, l'Italie, la Grèce et l'Espagne sont les contrées où on la voit le plus souvent; l’Algérie, le Maroc occidental et les îles Canaries la possèdent aussi. La gambra ou perdrix de roche est une introduction africaine et s’est multipliée dans les environs de Paris. Cette espèce se montre accidentellement dans le midi de la France et nous vient d'Espagne, où elle est indi- gène, de même que dans quelques îles de la Méditerra- née. Les autres perdrix rouges ou grises, qu’on ren- contre en Europe, ne sont peut-être que des variétés des espèces franches ou de la bartavelle et de la gambra. Les francolins, qu’on chassait jadis en France pour les délices de la table et qui passaient à bon droit pour un des meilleurs gibiers à plumes, se sont réfugiés dans d’autres contrées. Malheureuses victimes de la guerre acharnée qu’on leur a faite, ces excellentes espèces ont disparu de la terre des Gaules ; Ja délicatesse de leur chair les a perdues, et l’auteur du Monde des oiseaux assure que les débris errants de l’espèce vaguent aujourd’hui inquiets et tremblants, en Espagne dans les montagnes de Ronda, et en Italie dans les Apennins, sur les pentes de l’Etna en Sicile, dans les Abruzzes etr les Calabres. Au xvu* siècle, l’illustre auteur de Don Quichotte célébrait encore, parmi d’autres bonnes choses dont il a parlé en grand connaisseur, les francolins de Milan. 4 1 ‘ REVUE DES OISEAUX D'EUROPE, 217 La ganga cata, qu’on désigne vulgairement sous le nom de gélinotte des Pyrénées, est un oiseau qui a de grandes ressemblances avec les perdrix, tant sous le rapport des mœurs que sous celui des formes, mais qui s’en écarte au point de vue gastronomique, car il est presque toujours maigre. Cetle espèce vit en grandes troupes dans nos contrées méridionales et se plait dans les plaines de la Crau. Plus docile que la perdrix, on peut facilement l’élever en cage*et la faire reproduire. Mon ami Barthélemy Lapommeraye et son collabora- teur Jauber ont donné de bons renseignements sur la chasse aux gangas, dans leur Ornithologie provençale. La ganga unibande ou gélinotte des sables, qui se montre parfois en Provence, est une autre espèce moins sédentaire que l’antérieure. Elle est assez commune en Espagne et sur la côte occidentale du Maroc. Je lai retrouvée établie aux Canaries, dans l’île de Fortaven— ture. Cette même espèce habite les bords du Volga, où les Tartares lui font la chasse. Les cailles sont grandes voyageuses ; l'espèce d’Eu— rope opère deux migrations par an, au printemps et en automne. Elle choisit toujours la nuit pour se mettre en route. Le passage des cailles a été observé de tout temps ; elles arrivent en France et dans les pays voi- Sins en avril et au commencement de mai, et retournent en Afrique vers la fin de septembre avec les nouvelles _ nichées, déjà assez fortes pour entreprendre le voyage. . Celles qui, à leur départ d'Europe, traversent les ré- gions d’orient, vont se reposer en Morée, où les Grecs en font ripaille. Elles se dirigent ensuite vers l'Égypte 218 CHAPITRE II. et font escale à Candie dans le trajet, comme si l’ins- tinct leur indiquait l'itinéraire le plus court pour fran- chir, dans cette direction, l’espace qui sépare l’Europe orientale du continent africain. Les grands vols de cailles qui partent de l’intérieur de l’Allemagne du nord se dirigent vers nos provinces méridionales et se répandent dans les plaines du Roussillon, du Languedoc et de la Provence, puis, choisissant pour étape inter- médiaire la Corse, offbien les îles Baléares, passent en Barbarie pour revenir ensuite par le même chemin. Ainsi ces oiseaux cosmopolites parcourent des distances considérables du midi au nord et vice versa. « Ces migralions régulières, observe Buffon, leur laissent ignorer et l’automne et l’hiver ; l’année ne se compose pour elles que du printemps et de l’été, comme si elles ne changeaient de climat que pour se trouver toujours dans la saison de l’amour et de la fécondité. » Le cri de la caille mâle est éclatant et sonore ; on l’a traduit en onomatopée par les mots paie tes dettes, ré- pétés deux ou trois fois. Ces oiseaux, si doux et si craintifs en apparence, se battent avec acharnement au temps des amours, comme les tétras. En Grèce et dans quelques contrées d'Italie, leurs combats sont donnés en spectacle comme ceux des coqs. Il me reste à parler des turnix pour finir la série des tétraonidés : ce sont les pygmées &e l’ordre des galli- nacés ; oiseaux propres à l'Afrique, à l’Asie, à l’Aus— tralie et à quelques îles de la Polynésie, on les ren— contre aussi dans les terres stériles de l’Europe méridionale. Leurs mœurs sont polygames; craintifs à és REVUE DES OISEAUX D'EUROPE. 219 l'excès, ils se tiennent cachés dans les herbes et sous _ les buissons, et échappent au chasseur par la course plutôt que par le vol. Le turnix tachidrome, au plu- mage noir rayé de roux et au ventre blanc, n’a guère que cinq pouces de long de tête en queue ; il habite l'Espagne, ainsi que celui à croissant, qui est un peu plus grand et se distingue de lautre par une tache blanche en forme de demi-lune et par son dos brun à bandes noires. é STRUTHIONÉS (1). Gelte famille n’est représentée en Europe que par les outardes, grandes marcheuses au vol lourd. Cependant elles sont enclines aux migrations et volent en pelites troupes sous la conduite des vieux mâles ; mais elles ne font que de courtes étapes et ne se montrent guère en France qu’à la fin de l’hiver ou au commencement du printemps. L’espèce dont je veux parler ici est l’outarde barbue ou la grande outarde, l’avis tarda des anciens, superbe gibier, envié de tous les chasseurs qui ont eu la bonne chance de le tirer, car ce n’est plus aujourd’hui que bien rarement qu’on rencontre quelques-uns de ces beaux _oiseaux dans les plaines de la Champagne, en Picardie, en Lorraine, dans le Poitou ou vers le midi, dans les solitudes de la Crau. Ces outardes paraissent venir des régions orientales de l'Europe. On les dit encore très- abondantes dans la Russie méridionale, dans la Hongrie el la Dalmatie. L'Espagne est aussi une des contrées qu’elles semblent avoir choisies pour refuges. (1) STRUTHIONÉS : Outarde barbue ou la grande, Ofis tarda, L. — La canepétière, Otis tetrax, L. — L’outarde houbara, Ofis hou- bara, L. 290 CHAPITRE II. Si le vol de la grande outarde est peu soutenu, en revanche ses jambes sont infatigables. C’est un oiseau | très—farouche, d’une nature sauvage, qui s’effraye d’un: rien. Aussi sa chasse est difficile et ce n’est que par surprise et par une connaissance intelligente de ses allures qu’on parvient à s’en emparer. Ses ailes l’aident puissamment à la course et l’oiseau peut fati- guer pendant longtemps les chiens les mieux dressés. On réussit beaucoup mieux en le forçant à cheval. Les mâles se distinguent des femelles par une mous-— tache de longs brins déliés et désunis qu’ils portent de chaque côté du bec. Les femelles sont plus petites et leurs barbilles sont beaucoup plus courtes. La canepétière ou petite outarde n’excède pas la taille d’une jeune poule ; son port est plus svelte que celui de l’outarbe barbue; son manteau est d’un fauve jaunâtre; le ventre est blanc; un collier de plumes noires orne son cou. On la rencontre par bandes nom- breuses dans les steppes de la Russie méridionale ; en France, elle n’est que de passage en avril et ne s’arrête que rarement dans nos départements de l’est. On trouve aussi la cancpétière dans le nord de l’Afrique, où elle est connue sous le nom de poule de Carthage. Quant au houbara ou outarde à jabot noir, cet oiseau est originaire du Maroc et du Sahara algérien. Il traverse parfois la Méditerranée pour pousser ses excursions dans le midi de l'Espagne. On le chasse aux Canaries, où 1l vit sédentaire dans l’ile de Fortaventure, la plus rapprochée du grand désert. REVUE DES OISEAUX D EUROPE. 291 : 4 ÉCHASSIERS. XXVIL. . Les échassiers, ainsi nommés à cause du grand déve- ‘ loppement de leurs tarses, sont montés comme sur des _échasses ; leurs longues jambes sont dégarnies de . plumes jusqu'’au-dessus du genou. Les nombreuses . espèces dont se compose cet ordre d’oiseaux sont ré- “ . . pandues par tout le globe, et leurs ailes, qui chez la . plupart sont parfaitement conformées pour le vol ra- - pide, leur facilitent la traversée des mers. — Beaucoup . d’échassiers, qui ne sont que de passage en France, se L4 . 4 Q montrent dans diverses contrées et ne nichent que dans quelques-unes. Ces oiseaux, ambulants et vagabonds, se rencontrent quelquefois isolés, mais le plus souvent, » réunis en grandes troupes, ils fréquentent les bords de la mer, les rives des fleuves, des étangs et des maré- cages. Les échassiers ont été divisés en quatre groupes prin- cipaux ou familles distinctes : les ardéadés, les sco- lopacidés, les charadriés et les railusinés. Arpéanés ({). Les grues, au croupion orné de (1) ARDÉADÉES : Grue cendrée, Ardea Grus, L. (Grus cinerea, Bechst.) Héron à manteau gris, Ardea cinerea, Gm.— Héron pourpre, À. purpurea, L. — Butor. A. nycticorax, L. — Aigrette, À. egretta, L. — Garcette, A. garzetia, L. — Grand butor, A. stellaris, L. — Crabier, À. alloides, Tem. — Crabier de Mahon, À. erythropus, Gm. — Blongios, A. minuta, L. Flammant rose, Phœnicopterus ruber, S. — Spatule blanche, Platalea leucorodia, L. : Cigogne blanche, Ciconia alba, Briss. — Cigogne noire, Ciconia nigra, Bechst. Ibis falcinelle, Ibis falcinellus, Tem. 222 CHAPITRE I. plumes crépues et redressées, ont été placées par quelques ornithologistes dans une famille spéciale (les grusidés) : nous les réunissons aux hérons à l'exemple de Linnée, bien qu’en réalité elles en diffèrent sous cer- tains rapports. — Comme oiseaux de grand vol et des plus haut montés, elles méritent d’oceuper le premier rang parmi les échassiers. Les migrations qu’elles entre- prennent les transportent, à époques fixes, des contrées les plus septentrionales de l’Europe et de PAsie, où elles nichent, dans les climats brülants de l’Afrique cen- trale, où elles vont établir leurs quartiers d’hiver. — On les voit passer souvent, vers la Toussaint, au-dessus de nos provinces sans s’y arrêter, suivant toujours dans leur vol le même ordre de marche, l’angle aigu, et les cris qu’elles poussent dans les régions aériennes qu’elles traversent se font entendre pendant ces nuits calmes où les moindres vibrations de l'air se répercutent au . loin. C’est à la fin de mars qu’on les voit repasser, lorsqu'elles retournent vers le nord. Cette espèce est la grue cendrée, qui vit de graines, d'insectes, d’herbe et de racines de liliacées ; oiseau vénéré des anciens, non moins remarquable par sa haute taille, la gravité de sa démarche et la noblesse de son port, que par la gaieté de ses allures, à l’époque des pariades. Les Hérons : Un jour, sur ses longs pieds, allait je ne sais où Le héron au long bec emmanché d’un long cou. On ne peut s’empêcher de se rappeler ces vers en parlant des hérons, car jamais oiseau n’a été mieux caractérisé. C’est ce que M. de Rémusat a fait remar= * REVUE DES OISEAUX D'EUROPE. 293 quer, avec beaucoup de tact, dans un excellent article sur La Fontaine naturaliste (1). La plupart des hérons ne se réunissent que pour ni- cher ; on les rencontre ordinairement dans les terres humides, sur les bords des rivières et même sur les ri— vages de la mer, guettant le poisson avec la palience du pêcheur, les pieds dans l’eau et à l’affût d’une chance. —On les a distribués, pour la facilité de la classification, en différents petits groupes, les hérons proprement dits, les crabiers, les aigrettes, les butors et les bihoreaux. L'Europe en possède neuf ou dix espèces, dont la plus commune est le héron à manteau gris, qu’on dit séden- taire en France, mais je n’en crois rien. — Le héron pourpre fréquente l'Allemagne centrale et vient souvent passer le printemps sur les rives de nos fleuves du midi. — D'autres nous arrivent d’Afrique, quelques-uns même d'Amérique par les régions du nord, mais presque tous accidentellement. Ces espèces erratiques s’éta- blissent temporairement dans le delta du Rhône ou sur les grèves qui bordent le Var, vers son embouchure, ou bien vaguement isolées dans différentes contrées d'Europe. Le butor, pêcheur constant et impassible, ne craint pas de prendre un bain de pieds des heures entières, et fuit les contrées du nord dès que le froid se fait sentir. Cette espèce de héron semi-nocturne, dont le cri rauque se fait entendre au crépuscule du soir et même assez avant dans la nuit, se tient caché de jour au milieu des roseaux, sur le bord des rivières et des lagunes. Triste, (1) Revue des Deux-Mondes, décembre 1869. I — lo 994 CHAPITRE II. solitaire et craintif, cet oiseau s’effraye de tout et part au moindre bruit. Son cri est une sorte de croassement qui lui a valu le nom de nycticoraxæ, corbeau de nuit. Mais ce butor n’est pas si bête qu’on le croit ; il n’est sédentaire qu’au bord des rives dont il exploite Le frétin et aban- donne les climats septentrionaux pour venir hiverner dans les marécages de nos côtes méridionales, princi— palement dans la Camargue. Beaucoup de ces oiseaux vont aussi, dans cette saison, établir domicile en Italie, dans les marais Pontins, et ne se réunissent ensemble qu’à l’époque des migrations, qu’ils entreprennent avec la grande aigrette, ayant soin de placer des sentinelles aux stations où ils se reposent, afin de surveiller les alentours, et celles-ci ne manquent jamais de jeter le cri d’alarme au moindre danger. Dans ces cas d’alerte, un croassement général est Le signal de départ de toute la bande, qui va chercher ailleurs un gîte plus sûr. — Ces hérons préfèrent voyager de nuit, comme beaucoup de leurs congénères. À l'exemple de la plupart des ornithologistes, je range parmi les hérons le flammant (1), que Tousse— nel a désigné avec raison comme un moule extravagant, ambigu, excentrique. Ce grand échassier à pieds palmés et à bec rompu semble un oiseau en caricature. G. Robert Gray, dans son grand catalogue, se basant sur la structure du pied, l’a classé parmi les palmi— pèdes. Pourtant les longues échasses du flammant, la forme de son corps, le prolongement excessif de son (1) Phœnicopterus antiquorum. REVUE DES OISEAUX D EUROPE. 225 cou, toute sa tournure lui donne bien plutôt l’aspect d’un héron, auquel il s’assimile aussi par les mœurs et les habitudes. Ses pieds et son bee constituent l’ambi- guilé : le bec surtout est des plus bizarres. Par ce bec singulier le flammant tient déjà un peu de loie et se nourrit comme elle ; il fait transition des échassiers aux palmipèdes par ses pieds; mais pourquoi donc sont-ils palmés puisque l’oiseau ne nage pas ? Pourquoi ce bec brisé, atroce, impossible et comme aplati par force ? Toussenel, en nous expliquant de quelle manière le flammant peut s’en servir, n’a pu s'empêcher de faire cette réflexion : « La nature, à force de génie, finit tou- jours pur se justifier de ses excentricités les plus auda- Cieuses. » Les flammants sont des oiseaux d'Afrique et d’Asie, dont les migrations s’étendent jusque dans nos contrées. Le flammant rose, aux ailes couleur de feu, avec le dessous noir, abonde dans lItalie méridionale et en Sardaigne. J’ai vu aussi en Espagne ces oiseaux réunis en très-grand nombre sur les bords du Guadalquivir, où ils étaient tous rangés en ligne et postés comme des cigognes au repos. En France, c’est dans les étangs salins de la Méditerranée qu’on rencontre parfois des flammants, lorsqu'ils arrivent du dehors. Ces oiseaux ont joui d’une certaine réputation dans l’antiquité ; l’espèce américaine, que Dampier fit con- naître, dans son Voyage autour du monde, ne parait pas différer beaucoup de celle d'Europe. Cet explorateur a célébré la bonté de la chair de cet oiseau et confirmé l’ancienne renommée d’un plat de langues de flammants, 296 CHAPITRE I. qui, selon lui, pourrait êtreservi sur la table d’un prince; Dutertre, dans son Histoire des Antilles, a vanté aussi le flammant comme un excellent gibier; mais quant au fameux plat de langues, ce mets qu’Apicius, dit-on, savait si bien assaisonner pour les délices des gour- mands de Rome, et qui avait figuré avec honneur dans les somptueux repas d’'Héliogabale, Al. d’Orbigny est venu nous désenchanter en nous disant que la chair des flammants d'Amérique n’est en usage que parmi les pauvres gens, et que les gastronomes modernes n’en feraient aucun cas. Les spatules, ainsi nommées à cause de la forme aplatie de leur bec, fréquentent aussi les rives maritimes et fluviales. Elles ne sont que de passage accidentel en Europe et ne séjournent que dans quelques cantons du midi. Ces oiseaux vivent en société comme les flam- mants et se nourrissent de leur pêche. On en distingue trois espèces, parmi lesquelles la spatule blanche est celle qu’on voit quelquefois en France, au bord des étangs et vers les embouchures du Rhône. Les cigognes, grandes voyageuses, vivent dans les plaines humides et se nourrissent de couleuvres, de gre- nouilles, de mulots, de poissons d’eau douce et en géné- ral de tout ce qu’elles trouvent dans ce genre d’aliments. On les accuse même de happer les petits oiseaux, quand elles peuvent, mais je les respecte trop pour le croire. | « D’où viennent les cigognes, se demandait Pline; en quel lieu se retirent-eiles? c’est encore un problème. Nul doute qu’elles ne viennent de loin, comme les REVUE DES OISEAUX D'EUROPE, 297 grues (1). » Nous pourrions de nos jours nous adresser la même demande et rester dans la même incertitude que le naturaliste romain. La cigogne blanche vient s'établir un temps de l’an- née dans plusieurs de nos villes et villages des départe- ments du nord et de l’est; elle élit domicile sur les vieilles tours et les clochers, principalement dans les provinces qui avoisinent le Rhin, où elle niche. Le dé- part des cigognes a lieu vers le mois de septembre, et, de même que les hirondelles, elles reviennent l’année suivante occuper le même nid. _ La cigogne noire est une autre espèce qui habite plus particulièrement la Hongrie et la Turquie d'Eu- rope. La seule espèce d’ibis que nous possédions sur notre continent est la falcinelle, qu’on considère comme l’ibis noir des anciens, mais non pas l’ibis sacré que véné- raient les Égyptiens et dont Cuvier a écrit l’histoire (2). Notre ibis a le port et les formes du grand courlis et vit comme lui au bord des eaux, où il recherche les insectes, les vers et les herbes aquatiques. Ses migra- tions sont annuelles et le portent en Afrique. On le retrouve à Madagascar, dans l'Inde, en Australie et jus- qu’à la Nouvelle-Guinée. SCOLOPACIDÉS (3). Les courlis, au bec long, grêle et (1) « Ciconiæ quonam e loco veniant, aut quo se referant, in- compertum adhuc est. E longinquo venire non dubium, eodem quo grues modo. » Pline, Volucrum natura, XXXI. (2) Ibis religiosa. Cuv. (Voy. Discours sur les Révolutions du globe, p. 359, et Hist. de l’Ibis, Régne animal, t. 1, p. 483.) (3) SCOLOPACIDÉS : Courlis cendré, Numenius torquatus, L. — Le courlieu, Numenius phæopus, Lath. Avocette à bec recourbé, Recuvirostra Avocetta, L. L 2928 CHAPITRE II. arqué, habitent ‘différentes contrées du globe; ce sont des oiseaux de marécages qui voyagent par grandes bandes. Les espèces qu’on chasse en Europe sont le courlis cendré ou le grande ourlis et le courlieu. Le pre- mier niche en France; son cri prolongé imite assez bien son nom (courr-lu !) ; il vole presque toujours en criant et court avec une extrème rapidité. Quand on le chasse, ses jambes lui servent plus que ses ailes pour fuir devant les chiens. Il est de passage chez nous et arrive en automne ; sa chair acquiert une forte odeur de marais qui n’est pas du goût de tout le monde. — Le courlieu fréquente nos contrées méridionales : on le rencontre le plus souvent au bord de la mer, et il res- semble beaucoup au courlis. Les avocettes, qui vivent sur les bords des rivières limoneuses et sur les rivages de la mer, sont des oiseaux monogames que les migrations nous amènent chaque année à l’époque des nichées. Elles sont très-communes sur les rives de la Charente. Des six espèces connues et citées par R. Gray, nous ne connaissons en Europe que l’avocette à bec recourbé, qu’on retrouve en Afrique. Chevalier gambette, Totanus calidris, Bechst. — C. stagnatile, T. stagnatilis, id. — GC. semi-palmé, T. semipalmatus, Tem. — C. à longue queue. T. bartramia, Wils. — C. cul-blance, T. ochropus. — C. sylvain, T. glareola, id. — C. perlé, T. macularia, id. — C aboyeur, T. glottis, Bechst. — C. guignette, T. hypoleucos, Tem. Chevalier combattant, Tringa pugnax, L. x Barge commune, Limosa ægocephala, L. — Barge rousse, L. rufa, r'iss. Bécasse commune, Scolopaæ rusticola, L. — Bécassine grande, S. major, Gm. — B. commune, S. gallinago, Tem. — B. sourde, S. gallinula, L. — Bécasseau maubèche, Tringa canutus. Pélidne cincle ou alouette de mer, Pelidna cinclus, Briss. — P. Brunctie, P. variabilis. (Tringa variabilis, Meyer.) REVUE DES OISEAUX D EUROPE. 229 Les chevaliers, aux formes sveltes et aux jambes gréles, sont aussi des oiseaux riverains qui parcourent les grèves pour chercher leur nourriture. Les combats qu'ils ne cessent de se livrer au temps des amours leur ont valu leur nom. On en connaît plusieurs espèces qui, la plupart, nous viennent du nord ; Temminck en compte dix appartenant à notre faune européenne. Les unes sont de passage au printemps et voyagent avec les vents d’est, d’autres préfèrent l’été pour leurs excur- sions annuelles. — Ce sont des oiseaux inquiets, tou- jours alertes et défiants, qui ne se laissent guère sur- prendre, s’avertissent entre eux par un cri aigu au moindre danger, et qui au besoin se réunissent pour porter secours à un compagnon. — Le chevalier gam- bette, à pieds rouges et à la pointe du bec de la même teinte, varie de plumage et passe du gris au brun. Il parait être sédentaire dans nos départements du midi, car on l’y rencontre presque en toute saison. C’est le plus sociable du genre; son cri rassemble tous les oiseaux des marais, même les vanneaux et les barges. — Le stagnalite, ou petit chevalier aux pieds verts, est une des plus jolies espèces; on le croit originaire des contrées orientales. Son passage en France n’est qu’ac- cidentel. — Les autres espèces connues sont, le cheva- lier semi-palmé, celui à longue queue, le chevalier cul- blane, le sylvain, le perlé, l’aboyeur, que Buffon classait parmi les barges, et le chevalier guignette. Les combattants ou paons de mer sont des chevaliers d’un autre genre, encore plus arrogants et batailleurs. — Touristes infatigables, ils ne cessent de changer de 230 CHAPITRE II. lieux et ne sont jamais en repos. Ils fréquentent nos plages en grandes troupes un temps de l’année, surtout les côtes de Normandie ; leurs migrations s’opèrent suc- cessivement à diverses époques. D’après le docteur J.-C. Chenu (1), le premier passage des combattants a lieu à la fin de mars et en avril, le second aux mois d'août et de septembre. Les mâles sont les premiers à se mettre en route à la fin de juillet, après les nichées ; les femelles et une partie des jeunes ne partent qu’en sep- tembre, et les retardataires en octobre. M. Baillon, observateur compétent, assure que les combattants partent des marécages de la basse Picardie par les vents de sud et de sud-est pour se rendre sur Les côtes d’An- gleterre, où l’on sait qu’ils vont nicher. Les mues, chez ces oiseaux, sont pour les mâles une véritable transformation qui précède la saison des amours ; leur plumage éprouve alors les changements les plus extraordinaires ; ce ne sont plus les mêmes oiseaux : les plumes de la nuque, de la gorge et du cou forment, par leur développement, une sorte de colle- rette touffue, de couleurs variées, qu’ils peuvent gonfler à volonté; les uns la portent noire, blanche ou rousse, les autres toute pointillée et bariolée sur un fond blanc ; leur tête se couvre de papilles rouges et parfois d’un duvet flottant. Toussenel est celui qui a le mieux décrit cette espèce de métamorphose : «.. Et d’abord, dit-il, « ce n’est plus un oiseau au teint pâle et à la poitrine « évidée que nous avons-sous les yeux; c’est un oiseau « de couleurs voyantes, jaune, roux, blanc ou noir, aux (1) Ornithologie du Chasseur. Paris, 1870. REVUE DES OISEAUX D'EUROPE. 231 nuances accusées, aux formes athlétiques. Le paladin amoureux commence par se cravater le col d’une fraise resplendissante, dont les dentelles débordent sur la poitrine, envahissent à peu près les épaules, la tête, et finissent par couvrir tout le devant du corps d’une housse mobile, inquiète, animée, frissonnante ; c’est la cotte de maille du nouveau chevalier, son armure de corps; il en tire des effets et des poses martiales d’une cränerie indicible. Du reste, pleine liberté de goût, chaque individu se taille un pour- point à sa mode dans l’étoffe de sa fantaisie. Après le choix de la couleur de l’armure de corps, vient celui de l’armure de tête, du casque et du panache, et c’est ici surtout que la folle du logis fait des siennes. Il ne m'est pas prouvé que le génie de l’amour et de la mascarade ait fourni plus de types excentriques aux paladins de l’Arioste qu'aux paladins emplumés des grèves de la Manche. De cinquante chevaliers parés pour le tournoi, vous n’en trouverez pas deux vêtus de même sorte... » Fiers et rageurs, comme tous les jaloux, ils se livrent - sur nos plages des combats à outrance. Ces tournois, que plusieurs naturalistes ont décrits, sont tantôt des combats singuliers, tantôt des batailles rangées, dans lesquelles toute une bande de mâles prend part et où chacun fait bravement son devoir. L’amour seul, qui aveugle ces oiseaux au printemps, est la cause de leurs querelles, et les femelles, qui excitent par leurs cris l’ardeur des mâles, sont le prix de la victoire. Ces oiseaux visitent divers pays d'Europe durant 232 CHAPITRE I. < leurs migrations; on en voit beaucoup dans les îles Britanniques, dans l'Allemagne du nord, sur les côtes de la Hollande, en Russie et jusqu’en Islande ; mais tous sont passagers; ils disparaissent en automne et il est probable qu’ils se retirent alors dans des contrées plus chaudes. Les barges sont aussi des oiseaux de rivage qu’on rencontre sur les bords de la mer, des marécages et des étangs salins, Elles ressemblent un peu aux cheva— liers et aux bécassines, mais leurs jambes sont plus hautes et leur bec plus long ; montées sur leurs échasses, elles peuvent entrer dans les lagunes bourbeuses et saisir avec leur bec les petits animaux aquatiques qui pullulent dans la vase. Les chasseurs les surprennent avec des chiens d’arrêt, quand elles sont cachées dans les herbes, car différemment, dans les endroits décou- verts, elles s’éloignent rapidement en courant, au moindre bruit. Les amateurs de gibier les estiment autant que les bécasses et les préfèrent en automne à cause de leur embonpoint. — Ün en connaît deux es- pèces, la commune à queue noire et la rousse ; la pre— mière est de passage au printemps, de mars en avril, puis en automne, de septembre en octobre ; la seconde, qu’on nomme aussi l’aboyeuse, fréquente plus spéciale- ment les bords de la Baltique, le nord de l’Allemagne et les côtes d'Angleterre ; elle niche dans les contrées sep- tentrionales et ne descend dans le midi qu’en hiver. Les bécasses, gibier des plus recherchés, fréquentent, pendant la belle saison, les régions boisées de l’Europe et peuvent supporter la température des pays les plus REVUE DES OISEAUX D'EUROPE. 233 froids, puisqu'on les rencontre dans l'Amérique du nord, au Groënland et en Islande. Quand elles abandonnent ces hautes latitudes pour des climats plus doux, elles se répandent dans toutes nos contrées et poussent même jusqu’en Afrique. Quelques-unes seulement de ces intrépides voyageuses hivernent en France. On a plus de chance de les rencontrer, à l'époque de la chasse, dans les jours de brume, par les vents d’est et de nord- est. Leurs voyages ont lieu de nuit; on a même remar- qué que, dans les pays où elles se cantonnent, elles restent cachées dans les taillis presque tout le jour et qu’elles ne sortent à la recherche de leur pâture que vers le crépuscule. Leur aliment consiste principalement en vermisseaux et petites limaces, qu’elles savent déter- rer, à l’aide de leur long bec, en écartant les feuilles sèches et les petites herbes. Ces oiseaux, très-sensibles aux moindres variations de température, semblent pré- voir le temps et se choisissent les climats les plus con- venables dans les localités qui leur assurent l’abondance d'alimentation qui leur est nécessaire, car ils sont de digestion facile, — C’est ordinairement depuis la mi- octobre jusqu’à la fin de décembre que leur passage s'opère dans les nuits de clair de lune. Buffon pensait que, malgré leurs grands yeux, les bécasses n’y voyaient bien qu’au crépuscule ; mais leur manière de fouiller le terreau des bois peut bien aussi faire supposer qu’elles sont affectées de myopie. Les bécassines sont de passage comme les bécasses ; elles nous viennent du nord, vont passer l'hiver en Afrique et poussent leurs migrations jusqu'aux Canaries; 234 CHAPITRE Il. mais quels que soient les pays oùelles stationnent, on les rencontre toujours isolées, quand elles ne sont pas en amour. Les marécages, les prairies humides et les four- rés sont les endroits où elles se tiennent d'ordinaire. — Les gastronomes les classent parmi le gibier de haut goût, et, à cet égard, leur réputation est depuis long- temps établie : « La bécassine, disait le vieux Bellon, est fournie de haulte graisse, qui réveille l'appétit en- dormi, provoque à bien discerner le goût des francs vins; quoy sachant, ceux qui sont bien rentés la mangent pour se faire bonne bouche. » — Les espèces qu’on chasse le plus communément en France sont la grande ou double et la commune ; la première est celle qui pousse son cri d’effroi en prenant le vol; la commune a deux époques de passage, l’une au printemps et l’autre au commencement de l'été. La sourde est une aulre espèce un peu plus petite, mais très-grasse vers le mois d’août. L’approche du chasseur ne l’effraie pas et il faut presque lui marcher dessus pour la faire lever ; c’est sans doute ce qui lui a valu le nom de sourde. Les bécasseaux sont de petits échassiers, aux pattes grêles, qui vivent au bord des eaux ; on en connaît plu- sieurs espèces, décrites par Temminck: le violet, le temmia et le petit sont les principales. Les pélidnes ou alouettes de mer, que les uns classent dans les scolopacidés et les autres dansles charadriés, en les confondant avec les bécasseaux, les maubèches et les sanderlings, sont les pygmées de l’ordre des échassiers. Leur plumage grisâtre et tacheté et l’exi- REVUE DES OISEAUX D'EUROPE. 235 guité de leur taille leur ont mérité le nom d’alouettes de mer. On les rencontre souvent par troupes innombrables au bord des rivages, dans presque toutes les parties du globe, courant sur les plages en poussant leurs cris d'appel. Deux espèces de pélidnes sont de passage en France, la pélidne cincele et la brunette. CHaranriés (1). Cette famille d’échassiers se com- pose de différents genres d’oiseaux voyageurs, dont plusieurs espèces sont de passage en Europe et sta— tionnent dans nos contrées un certain temps de l’année. Quelques-unes ne s’y présentent qu’accidentellement : maubèches, sanderlings, tourne-pierres, huîtriers, vanneaux, pluviers et échasses, autant d'oiseaux rive- rains. Les maubèches ressemblent un peu aux barges, mais leur taille est beaucoup plus petite. Les espèces qui visitent nos grèves sont le sand-piper, la maubèche des sables ou canut et le sanderling, qui est plus commun sur les plages hollandaises. Les tourne-pierres, aux jambes plus basses que les autres échassiers et pourvus d’un bec conique et pointu, (1) CHARADRIÉS : La maubèche sand-piper, Tringa grisea, Gm. Le Sanderling, Charadrius calidris, Gm. Le tourne-pierre à collier, strepsilas collaris, Tem. — L’huitrier pie de mer, Hæmatopus ostralequs, L. (Ostralega Europæa, Lesson.) — Le vanneau huppé, Vanellus cristatus, Meyer. — Le vanneau pluvier ou vanneau suisse, Vanellus helveticus, Vieil. — Le pluvier doré, Charadrius pluvialis, L. — Pluvier Guignard, Charadrius morinellus, Lath.— Pluvier à gorge noire, Charadrius apricarius, Gm. —— Le grand pluvier, C. hiaticula, L. — Le petit pluvier à collier, C. minor, Meyer. — Le pluvier à poitrine blanche, C. cantianus, Vieil. (C. nitidifrons, Meyer). L'échasse à manteau noir, Himantopus melanopterus, Meyer. Coureurs : court-vite Isabelle, Cursorius Isabellinus, Meyer. L'édicnème criard, Œdicnemus crépitans, Tem. 236 CHAPITRE IL. sont friands de limaçons ci d’autres petits mollusques. L’habitude qu'ont ces oiseaux de se servir de leur bec robuste pour retourner les pierres Ces rivages et saisir. les insectes qu’elles recouvrent est l’origine de leur nom. — Le tourne-pierres à collier, qu’on rencontre dans l’un et dans l’autre hémisphère, est de passage en France et niche dans le nord.— Le coulon-chaud habite aussi les rivages des deux mondes. L’huîtrier, au long bec comprimé, vit sur les bords de la mer, se nourrit de petits mollusques, de vers et de crustacés. On le rencontre toujours réuni en troupes ; l'espèce d'Europe, qu’on appelle pie de mer, est com- mune sur {ous les rivages ; son plumage est noir et blanc et ses pieds sont rouges de sang. Les vanneaux voyagent dans tout l’ancien continent, et leurs migrations ont lieu à époques fixes. L’espèce qui vient nous visiter lous les ans, par grandes bandes, est le vanneau huppé, qui niche dans quelques-unes de nos provinces : joli oiseau, au manteau vert bronzé, plastron noir et la tête ornée d’une huppe relevée en arrière ; excellent gibier, très-estimé des chasseurs. Ce vanneau arrive en France dans les premiers jours de mars, par des vents du sud et de sud-ouest, et s’abat dans les prairies et les terres humides à la recherche des vers et d’autres insectes. Son second passage s’effectue en novembre et décembre ; il se dirige alors vers le midi et va hiverner en Afrique, où j'ai eu occasion de le voir soit en Algérie, soit au Maroc et aux îles Canaries. Ces oiseaux se livrent entre eux des combats à la manière des chevaliers, au temps des pariades. — Le vanneau REVUE DES OISEAUX D EUROPE. 237 pluvier ou vanneau suisse, que plusieurs ornithologistes nomment aussi vanneau squatarole, habite les rivages * de l’Europe septentrionale et de l'Amérique du nord, maisilest plus rare que l’autre espèce. Les pluviers, ainsi nommés, parce qu’ils arrivent toujours en automne par des temps de pluie, ont à peu près le même genre de vie que les vanneaux. Ils se ras- semblent par troupes de plus de cent aux embouchures des rivières et sur les bords des marais qui avoisinent la mer, bien que quelquefois on les rencontre aussi en plaine, dans l'intérieur des terres. — Parmi le grand nombre d’espèces répandues sur le globe, plusieurs vi- “sitent nos contrées. La principale est le pluvier doré, qu’on voit assez souvent en France: voilier de premier ordre, toujours alerte, jamais en repos, il resle attroupé - tout le jour avec ses nombreux compagnons et ne s’en . sépare que pour aller passer la nuit au gîte qu’il s’est choisi. Quand ces oiseaux sont à la pâture dans les prairies, des sentinelles, placées aux alentours, sont toujours prêtes à donner l’éveil à la bande au moindre danger. Le cri d'alarme ou de rappel est un huit-hieu— huit ! sirident, qui les fait tous partir à la fois. — Dans leurs migrations annuelles, ces oiseaux voyagent par grands vols en rasant la terre comme les étourneaux. — Le pluvier guignard niche dans le nord de l’Europe et passe dans le midi à la fin de l’automne. On le rencontre alors en Italie, en Grèce et dans tout le Levant. — Les autres espèces qu’on voit moins fréquemment sont le pluvier à gorge noire, celui à collier ou grand pluvier, le petit pluvier et le pluvier à poitrine blanche. * é 238 CHAPITRE I. Les échasses, aux mœurs solitaires, doivent leurnom à la longueur excessive de leurs jambes grêles ; ce sont des oiseaux riverains qu’on rencontre toujours isolés sur divers points du littoral de l’ancien et du nouveau con- tinent. — L’échasse à manteau noir est l'espèce que les migrations amènent en Europe. Les coureurs et les œdicnèmes sont des oiseaux de plaines : le court-vite Isabelle est la seule espèce de coureur, de passage accidentel, qui nous vienne d’A- frique, sa patrie originaire, et qui se montre de temps en lemps sur nos côtes de la Méditerranée. — Quant à l’ædicnème criard, haut monté comme le court-vite, il fréquente les régions chaudes de l’ancien continent et visite, dans ses excursions, les provinces méridionales de France et d’Espagne, mais il est bien plus répandu dans le Maroc et aux Canaries, où il niche. Le nom arabe d’al-caravan (le caravaneur ou l'oiseau des caravanes), qu’on lui donne dans ces iles, m'incline à croire qu’il est venu primitivement du continent voisin, | de même que les anciens aborigènes de cet archipel, que les Espagnols conquérants respectèrent moins que les oiseaux. Razzusinés (1). Nous entrons dans une série d’é- chassiers plus aquatiques que terrestres, à bec court ei aux longs pieds ; ce sont d’abord les perdrix de mer ou glaréoles à collier, qui habitent les grands marécages x (1) RALLUSINÉS : Glaréole à collier, Glareola torquata, Meyer. — Râle de genèt, Rallus creæ, L. — Râle d’eau, R. aquaticus, L. Poule d’eau marouette, Gallinula porzana, Lath. — Poule d’eau Baillon, G. Baillonii, Vieil. — P. d’eau ordinaire. G. chloropus. L. Poule sultane, Fulica porphyrio, L. — Foulque morelle, Fulica atra, L. # REVUE DES OISEAUX D'EUROPE. 239 et les bords des lacs de l’Europe tempérée et qu’on ren- contre aussi en Asie et en Afrique. — Puis, viennent les räles, au corps grêle, qui se tiennent cachés dans les roseaux qui bordent les étangs. Le nom qu’on leur a donné fait allusion au cri désagréable qu’ils font entendre et qui ressemble à un ràlement. —- Le râle de genêt ou roi des cailles peut passer pour un assez bon gibier quand on ne craint pas l'odeur de marécage. C’est un oiseau voyageur, de passage dans nos pays, et dont les migrations s’effectuent avec celles des cailles. Cette espèce se plait plutôt dans les prairies humides qu’aux bords des marais. — Le ràle d’eau, au contraire, ne s’é- loigne pas des étangs ; il marche aussi vite qu'il nage, mais sa chairest moins estimée. Les poules d’eau, qui portent la plaque frontale, ont des ressemblances avecles râles et sont assez communes en France dans les étangs ombragés et garnis de roseaux, où elles se cachent; craintives, mais rusées, elles savent plonger pour se soustraire au chasseur. On en connaît trois espèces: la petite ou marouette, la poule d’eau Baillon et la poule d’eau ordinaire. Les porphyrions appartiennent à un genre d’oiseaux dont l’Europe méridionale ne possède qu’une seule - espèce, la noule sultane, au bec dur et d’un rouge vif, au plumage à reflets violacés ; elle se nourrit de graines, de jeunes tiges et se sert de ses longs pieds pour porter les aliments à son bec. On la trouve assez communément en Sicile. — Enfin les foulques, au front chauve, sont presque déjà des palmipèdes : leurs doigts sont libres, mais garnis d’une membrane festonnée ; leur plumage 1. — 16 240 CHAPITRE Il. est d’un brun noirâtre. Ces oiseaux quittent rarement les marais salants où ils se tiennent d’habitude, et passent seulement des étangs du nord dans ceux du sud au temps des migrations. Nous ne connaissons en Europe que la foulque macroule ou morelle, de couleur d’ardoise foncée, à la plaque frontale d’un bleu pur ; sa chair est un peu huileuse et n’est guère mangeable qu’en salmis. PALMIPÉDES. XX VII. Les palmipèdes jouissent en général de la faculté de se soutenir en équilibre et sans efforts sur les eaux même les plus tourmentées, et de nager à la surface avec la plus grande aisance. Quelques-uns peuvent plonger jusqu’à des profondeurs assez considérables et rester entre deux eaux jusqu’à six ou sept minutes. La confor- mation de leurs pieds palmés, qu'ils manœuvrent comme des rames, facilite la natation, et quand rien ne les presse, et qu'ils ne veulent avancer que lentement, les mouvements de leurs pattes sont alternatifs, c’est-à-dire qu'ils ne les agitent que l’une après l’autre et se gouvernent exactement comme ferait un rameur dans un bateau. — L'action de plonger s'exécute de deux manières chez les palmipèdes : les vrais plongeurs sont ceux qui peuvent s’enfoncer à volonté dans l’eau sans avoir besoin de se laisser tomber REVUE DES OISEAUX D'EUROPE. 241 _ d’une certaine hauteur ; les auires, comme À.-E. Brehm Pa fait très-bien remarquer, ne peuvent saisir la proie qu'ils ont visée en volant sans revenir de suite à la surface. Les premiers ont les ailes courtes, les seconds sont tous grands voiliers. PaLmiPÈènEs PLONGEURS (1). Les grèbes, aux doigts ornés de larges festons, sont des oiseaux éminemment aquatiques, qui nagent avec une grande agilité, même entre deux eaux. On les rencontre sur la mer, sur les lacs et sur les rivières, où ils prennent leurs ébats, plon- geant et remontant alternativement à la surface pour respirer, et ne laissant sortir que leur tête au-dessus de l’eau, lorsqu'ils se voient poursuivis par les chasseurs. Ce n’est qu'à la dernière extrémité qu’ils se décident à prendre le vol. La longueur de leurs jambes, placées très en arrière du corps, rend leur marche embarrassée, étant obligés de se tenir dans une position forcée pour s'équilibrer sur leurs pieds ; aussi n’est-ce que bien rarement qu’ils viennent à terre. Leur nourriture consiste en poisson, insectes et végétaux aquatiques. Ils construisent leurs nids au milieu des jones, sur les bords des fleuves ; leurs migrations s’opèrent en automne, et (1) PALMIPÈDES PLONGEURS : Grèbe huppé, Podiceps cristatus, Lath (Colymbus cristatus, Gm.) — Grèbe cornu, P. cornutus, Lath. L’oreillard, P. auritus, id. — Grèbe à joues grises, L. rubri- collis, id. — G. castagneux, P. minor, id. Plongeon imbrim, Colymbus glacialis, L. — Plongeon lumme, C. arcticus, id. — Catmarin, Colymbus septentrionalis et stella- tus, Gm. Pingouin macroptère, Alca torda, L — Pingouin brachyptère, Alca impennis, L. Macareux le moine, Alca arctica, L. (Mormon fratercula, Tem.) Guillemot à capuchon, Uria troile, Lath. — G. à gros bec, U. brunnichii, Sabine. — G. à miroir blanc, U. grylle, Lath. — G. nain, U. alle, Tem. 249 CHAPITRE I. malgré leurs courtes ailes, la puissance de leurs muscles pectoraux leur permet de se transporter au loin. — Ces oiseaux singuliers ont en général la tête et le cou ornés de huppes, de fraises ou de collerettes qui leur donnent un air fort gracieux. Les mers d'Europe en possèdent cinq espèces : le grêbe huppé, de la grosseur d’un canard, le cornu, l’oreillard, celui à joues grises et le castagneux ou petit grèbe. La plupart sont originaires des régions septentrionales et viennent l’hiver dans les grands lacs de l’intérieur du continent; ils s’aventurent même jusque dans nos étangs du midi et sur nos côtes maritimes. Les plongeons, aux doigts entièrement palmés, mais qui ont néanmoins de grandes ressemblances avec les grébes, habitent les régions arctiques, plutôt dans les grands lacs que sur la mer ; ils nichent sur les rives solitaires, passant la plus grande partie de leur vie sur l’eau et ne venant à terre que pour la ponte. — Ces oiseaux émigrent l’hiver et se montrent sur nos côtes maritimes. — HHabiles plongeurs, comme l'indique leur nom, ils sont en même temps bons nageurs mais mauvais voiliers et préfèrent aux voyages à tire d’ailes, la na- vigation à la rame, qui leur convient mieux ; pourtant ils fendent l’air avec beaucoup de rapidité lorsqu'ils pren- nent le vol, bien qu’ils ne puissent le soutenir longtemps. Les espèces qui fréquentent nos mers sont l’imbrim ou grand plongeon, à la tête et au cou d’un noir à reflets verts el portant collier bariolé de blane ; le lumme à gorge noire et le catmarin à gorge rouge. Les pingouins sont aussi des oiseaux de mer essentiel- + Le REVUE DES OISEAUX D'EUROPE. 243 lement appropriés à la vie aquatique, qui ne vivent que sur les eaux de l'hémisphère septentrional et fréquen- tent la mer Glaciale. On ne les voit guère, sur nos côtes du nord, que dans les hivers rigoureux ; leurs ailes, dé- pourvues de grandes pennes, les empêchent d’avoir un vol étendu. Les femelles, comme presque toutes celles des oiseaux de cette catégorie, ne pondent qu'un œuf volumineux. — On n’en connaît que deux espèces, le pingouin macroptère, de la taille d’une sarcelle, et le brachyptère de lagrandeur d’un gros canard. Le premier diffère de l’autre par ses ailes plus longues et sa queue plus courte, qui lui permettent de voler assez rapide- ment en rasant la surface des eaux. Les macareux ont l’organisation des pingouins ; leurs habitudes sont pareilles; ils passent, comme eux, une grande partie de leur vie sur les eaux, dans les mers boréales, aux alentours du cercle polaire. Lorsque, pendant l’hiver, les glaces s’accumulent dans ces hautes latitudes et que la mer n’offre plus qu’une surface gelée, les macareux descendent vers le sud, et on les voit, aux époques des grands froids, apparaître tout à coup sur nos côtes de l’ouest. Gette espèce, qui vient visiter nos mers, est le macareux moine. Les guillemots, de même que les macareux, habitent les mers les plus voisines du pôle nord ; ils vivent en troupes et nichent sur les rochers. Ces oiseaux sont essentiellement plongeurs, et leurs habitudes sont à peu près celles des pingouins. On en a vu quelquefois venir l'hiver sur les côtes septentrionales de l’Europe ; les espèces connues sont le guillemot à capuchon, ce- + 4 lue 244 : CHAPITRE II. lui à gros bec et le guillemot à miroir blanc. On peut leur joindre aussi une autre espèce que Linné rangeait parmi les plongeons ; c’est le guillemot nain, qui habite le voisinage du pôle et se montre dans les mers de l'Amérique septentrionale, ainsi que dans celles du Nord européen. PazmiPÈDEs @ranDs voiLiers (1). Gelte division d’oi— seaux aquatiques se distribue en deux sections: les pé- lagiens, qui fréquentent les plages maritimes, mais qu’on rencontre aussi dans la haute mer, à de grandes distances de terre, et les côtiers, qui ne s’éloignent guère des rivages et vivent sur les fleuves et les grands lacs de l’intérieur des continents. — Parmi les premiers, nous citerons d’abord les pétrels et les puffins, aux na- rines proéminentes (2), oiseaux essentiellement mari- üimes, fréquentant tous les océans, sous toutes les latitudes, excellents voiliers, qui ne craignent pas de (1) PALMIPÈDES PÉLAGIENS : Pétrel fulmar, Procellaria glacialis, L. — P. puffin, P. puffinus, Buff. — P. manks, P. Anglorum, Tem. Pétrel hirondelle, P. pelagica, L. — P. Leach, P. Leachii., Lesson‘ Le fou de Bassan, Pelecanus Bassanus, Gm. (Sula alba, Meyer.) Sterne pierre garin, Sferna hirundo, L. — $S. Tschegrava, S. Caspia. — $. Caujek, S. Cantiaca, id. — S. Dougall, S. Dougallii.— S. arctique, S. arctica. — S. Hansel, S. Anglica. — S. moustac, S. lcucopareia. —- S. leucoptère, S, leucoptera. — $S. épouvantail, S. nigra. — $. petite hirondelle, $. minuta. Goëland bourgmestre, Larus glaucus. — G. a manteau noir, L. marinus. — G. à manteau bleu, L. argentatus. — G. à pieds jaunes, L. fuscus. Stercoraire pomarin, Lestris pomarinus, Tem. — S. parasite, S. parasiticus, Tem. (2) Nous rangeons dans le mème genre procellaria les pétrels et les puffins, qui ne diffèrent pas essentiellement entre eux. Les puffins n’ont que le bec un peu plus long, les deux mandibules également recourbées à leur extrémité, et les narines tubulaires s’ouvrant par deux orifices distincts, tandis que les pétrels, dont les narines ne présentent qu'un seul tube, n’ont que la mandibule supérieure infléchie à la pointe et l’inférieure droite est tronquée. . 7”? LA * * % REVUE DES OISEAUX D'EUROPE. 243 ra - raser les plus fortes lames pour saisir les poissons et les petits insectes de la mer. — Les pétrels n’aiment pas le grand jour et ne se montrent ordinairement que dans les temps sombres et orageux ; ils ne chassent que vers le crépuscule du soir, ou bien le matin, et se cachent la nuit dans les cavernes de la côte et dans les crevasses des rochers. — Nos mers d'Europe possèdent, en hiver le pétrel fulmar, originaire de l'Océan glacial, le pétrel puffin, qui fréquente la Méditerranée, le pétrel manks des mers du Nord, assez commun aux Orcades, le pétrel-hirondelle, qu’on désigne vulgairement sous le nom d'oiseau des tempêtes, ainsi que le pétrel-Leach qu’on rencontre dans la haute mer et qui s’égare par- fois dans l’intérieur des terres. Boitard assure que deux puffins pélagiques ont été tués près de Paris, sur une île de la Seine. La faculté qu’ont ces oiseaux de se soutenir sur les vagues, les ailes relevées, pendant les plus fortes bour- rasques, et de courir pour ainsi dire sur les flots, leur a fait donner, par les marins, leur dénomination vul-— gaire. Le miracle de saint Pierre, marchant sur le lac de Génézareth, a été l’origine du nom de pétrel, que des matelots anglais imposèrent à cette espèce ; quant à celui d’oiseau des tempêtes, il provient évidemment du nom de procelluria, appliqué au genre et allusif à l’opi- nion des gens de mer, qui regardent l'apparition d’un pétrel comme un présage de mauvais temps. Ges oiseaux fatidiques, qui se montrent subitement dans les temps orageux, semblent en effet précéder la tempête; leur présence est toujours considérée comme de mauvais 246 CHAPITRE I. augure par les marins, dès qu’ils les voient voltiger sur les lames, avec leurs jambes pendantes, comme s'ils marchaient sur l’eau. Ils suivent quelquefois le sillage du navire et souvent s’y reposent. Les fous sont d’autres oiseaux grands voiliers, qui ne s’éloignent guère à plus de quatre-vingts milles en mer des côtes continentales ou des îles qu'ils fréquentent et où ils retournent chaque soir ; aussi leur apparition est toujours pour les navigaleurs l'indice du voisinage d’une terre. Ordinairement réunis en grand nombre, ils ne cessent d’explorer les eaux d’un vol rapide et désordonné, et se précipitent, du haut des airs, sur le poisson que leur vue perçante leur permet d’apercevoir et qu’ils saisissent à la surface des eaux avec leur bec acéré. — Le fou de Bassan est l’espèce qui fréquente les mers d'Europe et qui habite de préférence, à l’époque de la ponte, les falaises d'Écosse et plus par- ticulièrement les alentours de la baie d’Edimbourg. Les sternes, aux petits pieds, ou hirondelles de mer, qui volent beaucoup, posent rarement sur l’eau, mais ne nagent pas, sont des oiseaux qu’on voit fréquemment attroupés près des rivages des deux hémisphères et sur les mers qui les baignent. Leur nom d’hirondelles de mer désigne leur vol gracieux et rapide. Ces sternes dé- fendent leurs couvées avec une grande énergie, lorsque des oiseaux affamés viennent marauder autour de leurs nids. — On en connait beaucoup d’espèces ; la plus commune, qu’on voit dans nos mers, est le pierre garin ou sterne hirondelle. Les mouettes et les goëlands, réunis dans le genre » L.d REVUE DES OISEAUX D'EUROPE... 247 larus, sont des oiseaux cosmopolites comme les hiron— delles de mer ; on les rencontre sur tous les rivages de même qu’au large, sur l'Océan, où ils bravent les tem- pêtes et se jouent au-dessus des eaux avec la plus grande légèreté. [ls se nourrissent de poissons et de tout ce qu'ils rencontrent flottant sur les ondes, soutiennent leur vol pendant longtemps, se reposent sur l’eau quand la mer est calme et viennent tous les soirs dormir à terre dans les rades. Les marins, dans leur langage imagé, leur ont donné le nom de pigeons du capitaine de port. Les mouettes se montrent plus souvent que les goë- lands dans l’intérieur des terres et vont s’abattre sur les rivières et les étangs où le poisson abonde. On en connaît huit espèces sur nos côtes d'Europe, toutes décrites par Temminck dans son Manuel d’Ornithologie. Les goëlands, en général plus grands que les mouettes, sont excessivement gloutons : ces vautours de la mer semblent affectés à la police des plages qu'ils purgent des immondices, sans dédaigner même le poisson cor- rompu. Les cris qu’ils ne cessent de pousser en volant imitent ceux d’un chien qui aboie. Les mers d'Europe en possèdent quatre espèces, le goëland bourgmestre à manteau gris, celui à manteau noir, un autre à man- teau bleu et le goëland à pieds jaunes. Les stercoraires ou labbes sont aussi des oiseaux de mer grands voiliers, assez semblables aux goëlands, mais différents de mœurs, car ils sont très-audacieux. Forbans déterminés, au coup de bec redoutable, ils harcèlent sans cesse les mouettes jusqu’à leur faire lâcher 248 CHAPITRE I. le poisson dont elles ont fait capture, et vivent ainsi aux dépens des autres. On en connaît deux espèces dans nos mers, le parasite et le pomarin. Ce dernier niche sur les falaises d'Écosse et sur les rochers de la mer du Nord. PazmiPÈDes coTiers (1). Parmi les palmipèdes côtiers de la famille des pélécanidés, qui fréquentent bien plus les eaux douces que les eaux salées, nous citerons d’abord les cormorans, à la fois habiles plongeurs, excellents nageurs et très-bons voiliers. — Ces oiseaux, à la gorge expansible, toujours en quête de poissons, dépeuplent les étangs qu’ils exploitent et savent aller chercher le frétin au fond d’un lac ou d’une rivière, en s’aidant de leurs ailes comme de rames, pour poursuivre et atteindre leur proie entre deux eaux. Les Chinois les ont dressés depuis longtemps à la pêche, comme nous avons fait en Europe des faucons qu’on employait à la chasse à l’oiseau, mais je ne saurais dire si l’espèce qui sert d’auxiliaire aux pêcheurs du Céleste-Empire est la même que la nôtre. L'Europe du reste en compte plu- sieurs : le grand cormoran, le nigaud, qu’on rencontre quelquefois sur les côtes du Nord, le largup, plus com- mun en Islande, le pygmée, qui ne se montre que bien rarement en France et préfère les bords du Danube et des autres fleuves de l'Orient européen, et le cormoran Demarets, qui habite les rivages de la Corse et de la (1) PALMIPÈDES COTIERS. Famille des pélécanidés : Le grand cor- moran, Carbo cormoranus, Meyer. — Le nigaud, C. graculus, id. — Le largup, C. cristatus, Tem. Le pygmée, C. pygmœus, Tem. — Le Demarest, C. Demarestü, Payraudeau. Le pélican, Pelecanus onocrotalus, L. (Onocrotalus phœnix.) REVUE DES OISEAUX D EUROPE. 249 Sardaigne. — Tous ces oiseaux perchent sur les arbres, malgré leurs pieds palmés. Les pélicans ont les mêmes habitudes; ce sont de grands accapareurs de poisson ; ils portent une poche sous le bec et la gorge, sorte de sac de peau, prodi- gieusement dilatable, dans lequel ils conservent leur pêche pour la consommer au besoin. Cette poissonnerie peut contenir environ vingt livres de frétin. — Leur grande taille, la puissance de leurs ailes et la rapidité de leur natation en font des oiseaux très-remarquables. On ne les rencontre guère en mer, si ce n’est dans le voisinage des côtes ; les fleuves et les grands lacs pa- raissent mieux leur convenir. — Nous n’avons, dans les contrées de l’Europe orientale, qu’une espèce de pélican ; c’est un oiseau de la grandeür d’une oie, blanc tirant au rose, et à remiges noires. Ce pélican parait être le même que celui d'Égypte, qu’on retrouve aussi sur les fleuves de la Sénégambie. — J'en ai tué un qui s’élait égaré jusqu'aux Canaries, et celui-là, je l’assure, n’était pas un phénix. On le fit rôtir, non pour savoir s’il renaitrait de ses cendres, comme celui de l’antiquité, mais pour conslater qu'il avait un goût détestable et puait le poisson comme un vieux pêcheur de la côle. On a soupçonné que l’oiseau des anciens, dont on à tant parlé, et que personne n’a jamais vu, ne serait autre que notre pélican embelli par l'amour du merveilleux. Un poëte a dit avec raison : É la fede degli amanti, Come l’ave feniche, Che visia chascun lo dice ; Dove sia nessun lo sà. 2$0 CHAPITRE II. PazmiPènes coriers : famille des anatidés (1). Ces palmipèdes comprennent les harles, les canards, les sarcelles, les macreuses, les oies et les cygnes, qui nous ont fourni nos plus précieuses espèces domestiques, sans compter celles que nous pourrons encore nous approprier par l’acclimatation, car presque tous les oiseaux de cette famille sont susceptibles d’être soumis à la domesticité, et leur chair savoureuse de devenir une grande ressource d’alimentation. Quelques espèces déjà vivent dans nos basses-cours et aux alentours de nos fermes, comme nos volailles ; d’autres sont élevées dans nos bassins ou nos pièces d’eau pour l’ornement de nos jardins et de nos parcs. À l’état sauvage, beaucoup d’anatidés constituent un gibier recherchéf: ces palmipèdes naviguent aussi bien à la rame qu’à la voile, et préfèrent en général les eaux fluviales et lacustres aux eaux salées. Ce sont des oiseaux voyageurs, qui passent une partie de l’année dans les régions du nord et descendent par grands vols vers les pays tempérés, à la fin de l'automne. Les harles, un peu plus gros que les canards et qui leur ressemblent beaucoup, sont plus piscivores et (1) FAMILLE DES ANATIDÉS : Harle piette ou harlette, mergus albellus, L. — Le harle huppé, M. serrator, id. — Le grand harle, M. merganser, L. Canard sauvage ou colvert, Anas boschas, L. — C. tadorne, À. tadorna, id. — C. pilet, À. acuta, id, — C. garrot, À. clangula, id, ir Miclon, A. glacialis, id. — C. chipeau ou ridenne, A. strepera, id. — C. miloin, A ferina, id. — Petit milouin ou sarcelle d’É- gypte, A. nyroca, Guld. — Sarcelle d'hiver, A crecca, L. — Sar- celle d'été, A. querquedula, L. — Canard souchet, A. clypeata, L. — Canard siffleur, A. penelope. L. (Le siffleur huppé de Buffon, anas rufina, L. — Le morillon, À. fuligula, L.) Canard de Barbarie ou musqué, A. moschata, L. — C. eider A. mollissima, L,. É REVUE DES OISEAUX D'EUROPE. 251 meilleurs plongeurs. Le poisson, qu’ils poursuivent entre deux eaux, ne leur échappe pas ; ils savent aller le saisir jusqu’au fond. Ces oiseaux nagent à la manière des cormorans, avec la tête seulement hors de l’eau ; leur vol est assez rapide, malgré leurs courtes ailes, mais leur démarche est lourde et vacillante comme celle de tous les oiseaux mal équilibrés sur leurs pattes. Ils se plaisent dans la mer aussi bien que dans les rivières et les lacs, et ne nous visitent que de loin en loin, leurs migrations élant irrégulières et déterminées par des circonstances de température exceptionnelles qui les at- tirent en grand nombre sur nos côtes. Ges beaux palmi- pèdes ne viennent guère à terre que pour se reposer et dormir sur le sable ; le moindre danger les fait repartir, et si on les poursuit sur l’eau, ils plongent aussitôt pour ne ressortir que fort loin. — Le harle pistte ou harlette porte un plumage d’un noir bleuâtre sur un fond blanc ; ses pieds sont couleur d’ardoise, comme son bec, ses ailes et sa queue. Ges jolies harlettes se répandent en hiver dans plusieurs contrées d'Europe et les pê- cheurs les prennent souvent au filet, mais leur chair est moins estimée que celle des canards. — Le harle huppé ressemble assez à l’harlette ; 1l se montre plus rare- ment. — Le grand harle, au cou noir à reflets bronzés, se voit en hiver dans le nord de la France. Les canards, qui ont été pris pour type de la famille des anatidés, se distinguent par leur extrême glouton- nerie, et cette sensualité brutale, poussée chez eux jusqu’à l'excès, n’a pas peu contribué à les soumettre à la domesticité ; aussi sont-ils devenus dans cet état des 252 CHAPITRE I]. goinfres de premier ordre. Umuivores et faciles à en— graisser, ils ne rencontreraient pas à l’état sauvage cette pâture quotidienne et toujours abondante qu’ils trouvent auprès de nous. Jamais rassasiés, ils ne pensent plus qu’à bien vivre et ne vont pas chercher ailleurs une meilleure existence ; les habitudes casa- nières leur ont fait perdre le goût des voyages et presque jusqu’à la faculté de voler. — A l’époque des migrations, quand commencent à passer les canards sauvages, c’est-à-dire à la fin d’octobre, on remarque pourtant encore chez nos canards domestiques une certaine inquiétude, et l’on a vu parfois leur instinct voyageur se réveiller tout à coup, surtout si ceux qui arrivent du dehors viennent s’abattre dans leur voisinage, mais bien peu d’entre eux se hasardent à les suivre lors- qu'ils se remettent en route pour d’autres régions. Ces goinfres sont devenus trop pesants pour supporter un long trajet ; l’embonpoint qu’ils ont acquis les gêne même pour la marche; leur allure ressemble à celle des femmes obèses qui trottinent en se dandinant. Les canards aiment à barboter dans les eaux troubles chargées de limon, à plonger de la tête et du cou dans les mares, dont ils peuvent atteindre le fond avec leur bec aplati et dentelé sur les bords. — Les canes ou femelles de nos canards domestiques sont encore plus fécondes que celles des canards sauvages ; les canetons vont à l’eau avec la mère, presque aussitôt sortis de l'œuf. On donne souvent de ces œufs de canes à couver à des poules, qui s’acquittent parfaitement de ce soin et se désespèrent quand elles voient leurs jeunes couvées se REVUE DES OISEAUX D'EUROPE. 253 précipiter dans une mare, oùeiles ne peuvent les suivre. Les canes, qu’on soulage ainsi des fatigues et des ennuis de l’incubation, conservent longtemps la faculté de pondre jusqu’à trente et même quarante œufs. Le canard domestique a joué de tout temps un rôle important dans l’histoire de la gastronomie ; il fournit une chair savoureuse, qui peut être soumise à diverses préparations culinaires et qui est toujours goûtée sous quelque transformation qu’elle soit offerte sur nos tables. Les bons traités de cuisine, j'entends ceux à l'usage des cordons-bleus, citent avec recommandation le canard farci aux olives, celui à la sauce aux navets, les aiguil- lettes de canard et surtout le foie gras présenté en ter— rine de Nérac ou en pâté d'Amiens. — Il paraît que les Romains, nos maîtres en fait de sensualité et de gour- mandise, négligèrent, pour le canard, la méthode qu'ils appliquèrent à l’oie pour obtenir le foie gras. Ils n’esti- maient du canard que la poitrine et la cervelle ; c’est le poëte Martial qui nous l’apprend : Tota quidem ponatur anas ; sed pectore tantum Et cervice sapit : cetera redde coquo (1). Lib. XIII. Nous autres modernes, qui nous croyons plus raffinés que les anciens, nous décapitons le canard et rejetons sa tête, du reste fort difficile à plumer ; mais peut-être nous privons-nous d’un mets délicieux. Les canards sauvages, auxquels on fait la chasse à l’époque des passages, offrent entre eux des différences (1) Fais-toi présenter le canard tout entier, mais comme à n’y a de savoureux que la poitrine et la cervelle, renvoie le reste au cuisinier. 254 CHAPITRE I. caractéristiques qui constituent diverses espèces, dont nous ne citerons que celles qui fréquentent nos climats d'Europe. Le canard sauvage ou colvert, souche première de notre canard domestique, a la tête et le cou d’un beau vert changeant, le collier blanc, le plastron roux-marron, le bec jaune-verdâtre et les pieds orangés. Cet excellent gibier vient tous les hivers visiter nos contrées et s’abat parfois sur nos côtes maritimes, lorsque nos étangs sont, * gelés. Ces colverts se présentent loujours par grands vols ; c’est aux mois de novembre et de décembre qu'ils sont le plus nombreux ; ils arrivent en fendant l’air, le . cou tendu et les pattes en arrière, formant deux lignes réunies en angle. Les plus forts de la bande sont tou- jours placés en tête de cet ordre de marche et alternent tour à tour en cédant la place à d’autres, lorsqu'ils sont fatigués. Le sifflement de leurs ailes est très-sensible quand ils passent près de terre et qu’ils vont s’abattre au-dessus des eaux, après avoir louvoyé un instant. Cette espèce de canard sauvage est la même que celle qui abonde dans l'Amérique septentrionale et qui vient pâturer par milliers dans les rizières de la Georgie et des Carolines. Audubon les a vus s’abattre en masses serrées sur les savanes des Florides et a connu un chas- seur de ces contrées qui en tuait de cinquante à cent— vingt par jour, et en nourrissait tout le personnel des grandes plantations du général Hernandez. Le natura- liste américain a calculé que la rapidité du vol de ces palmipèdes était d’un mille et demi par minute et de cent milles en vingt-quatre heures, dans sa plus grande REVUE DES OISEAUX D'EUROPE. 255 puissance. C’est juste quatre fois plus que la distance que nous pouvons parcourir sur un chemin de fer à _ grande vitesse. On doit aussi à Audubon de curieux renseignements sur les mœurs du colvert ; il est surtout dans ses Scènes de la nature un passage remarquable qui nous dévoile toute la sollicitude et l’amour des femelles pour leurs jeunes couvées. — Le chasseur naturaliste était en : campagne sur les bords de l’Ohio avec un chien de race .… parfaitement dressé, qu’il lança sur une cane sauvage, cachée dans les herbes. Celle-ci, les plumes hérissées et prévoyant le danger, avertit de suite ses canardeaux » par un sifflement aigu qui les fit décamper aussitôt, et, en même temps, la mère s’envola sous le nez du chien, affectant de se soutenir à peine et semblant prête à tom- ber à chaque instant. Audubon était trop observateur pour la tirer ; il préféra la laisser faire. Elle ne cessait » de passer et repasser dévant le chien comme pour le détourner, mais l’animal était sur la piste des canetons “et les rapporta un à un à son maitre, sans les blesser. Audubon les mit vivants dans sa gibecière, où ils se débattirent en criant: « alors, dit le narrateur, la mère « vint à eux et se plaça devant moi d’un air si pieux, « en culbutant et en se roulant presque sous mes « pieds, que je ne pus résister à son désespoir. Je fis « coucher mon chien et rendis à cette mère désolée son « innocente famille. Tandis que je me retournais « pour l’observer en m’éloignant, je crus aperce- « voir dans ses yeux une expression de gralitude « et j’éprouvai ce jour-là une des plus vives jouis- 17 256 CHAPITRE II. « sances que puisse procurer l’étude de la nature. » % Le canard tadorne ou canard des Alpes, au plumage disposé par masses de couleurs blanches, noires et d’un jaune cannelle, est plus gros que notre canard domestique. Ce bel oiseau semble préférer les bords de la mer ; il se présente assez souvent en hiver sur nos côtes de l’ouest et dans les garennes de la Picardie, où il vient nicher dans les terriers. Les tadornes vivent toujours par couples ; on en a vu descendre jusque sur les bords de la Méditerranée. Le canard pilet est de passage en France en novembre et en mars; c’est une des plus belles espèces qui viennent visiter nos contrées. — Le canard garrot, noir et blanc, avec une tache blanche de chaque côté du bee, est un des plus sauvages. — Le canard miclon n’est pas commun chez nous et ne se montre guère que sur les côtes de la Manche. Il habite les régions arctiques et ses apparitions sont irrégulières. — Le chipeau ou ridenne est de passage en automne et au printemps; c’est un oiseau rusé, qui se laisse rarement surprendre. — Le milouin arrivesur nos côtes de l’ouest par bandes nombreuses ; son vol est des plus rapides. — Le petit milouin, ou sarcelle d'Égypte, ne voyage au contraire que par couples et ses apparitions en France ont lieu à la même époque que celles du canard chipeau. — La sarcelle d’hiver, de la taille de la perdrix, et qu'on peut apprivoiser dans nos basses—-cours, vient nicher autour des étangs et constitue, avec la sarcelle d’été et le sou- chet, un des meilleurs gibiers. Les passages des sar— celles s’opèrent en avril et en octobre. C’est à peu près REVUE DES OISEAUX D EUROPE. 257 dans la même saison qu’arrivent les canards souchets qui s’abattent en masse dans les marais de la Picardie, entre Soissons et la mer. — Les canards siffleurs voyagent aussi toujours en troupes ; ils opèrent leurs passages en automne et vers la fin de l’hiver ; quelques- uns nichent en France. Cette espèce est une des plus communes sur les bords du Volga et du Danube. — Citons encore le canard de Barbarie ou canard musqué ; les uns le disent américain et les autres originaire d'Afrique ; cette espèce s’est acclimatée dans le midi de la France ; devenue domestique, elle a produit le canard mulard, par son croisement avec la cane du canard commun, et c’est de ce métis engraissé qu'on tire, dit-on, le meilleur foie. Enfin terminons l’énumération de cette série de canards exotiques par l’eider, superbe espèce presque . aussi grosse que l’oie, et dont le duvet est si recherché. Ce canard appartient aux régions polaires qu’il ne quitte qu’un peu avant l’époque de la ponte pour venir nicher dans des latitudes moins froides. Ce n’est que bien rare- ment qu’il se présente sur nos côtes du nord ; les mers du Littoral de la Norwége, de la Suède et de la Laponie, la mer Blanche et la partie de l’océan Glacial qui borde la Russie septentrionale, sont plus souvent ses sta— tions d'hiver. — Les navigateurs, surtout les baleï- niers, rencontrent l’eider par bandes innombrables aux alentours du Spitzhberg et du Groënland, où les immenses vols de ces beaux palmipèdes obscureis- sent la lumière du jour, en s’élevant au-dessus des Eaux. 258 CHAPITRE I. Les macreuses (1), de la même famille des anatidées, sont originaires des régions du nord ; elles fréquentent les eaux salées et saumâtres. Ce sont des oiseaux plongeurs, au plumage noir et au bec gibbeux, très— friands de petits mollusques et d’anatifes ; aussi leur chair en acquiert un goût qui n’est pas très-agréable. — On chasse pourtant les macreuses dans {ous les endroits où elles abondent, principalement sur nos côtes de l’ouest, depuis le mois de novembre jusqu'en mars, quand elles arrivent par les vents du nord-ouest. — La mer de ce littoral en est alors couverte et les pêcheurs en prennent au filet des quantités considérables. L’engin est tendu horizontalement au-dessus des bancs de sable, et, dès que la mer entre en son plein, les macreuses, suivant le flux, passent au-dessous, mais en voulant s'échapper lorsque les eaux se retirent, elles restent engagées dans les mailles. Celte espèce est la macreuse commune, qui descend aussi dans le midi et vient stationner en Provence, dans le grand étang de Berre, communiquant avec la mer par le port de Boue et Martigues. Il s’en tue énormement, à l’époque de l’ou- verlure des chasses, dans une battue générale en nacelles chargées de chasseurs, avec décharges de mousqueterie et accompagnement de musique : un véritable massacre (1) Suite des PALMIPÈDES COTIERS de la famille des anatidées : Macreuse commune, Anas nigra, L. — Grande macreuse, Anas fusca, L. Oie cendrée, Anser ferus, L. — Oie vulgaire, Anser segetum, Lath. — Oie rieuse, Anser albifrons, L. — Oie bernache, Anser erythropus, L. — Oie au cou roux, Anser ruficollis, Gm. — Oie des neiges, À. hyperboreus, Ball. Cygne sauvage, Anas cycnus, L. — Cygne domestique, Anas olor, L. — Cygne noir (acchmaté), Cyenus atratus, Vieill. Cereopse cendré (acciimaté), Cereopsis novæ Hollandiæ, Lath. REVUE DES OISEAUX D EUROPE. 259 officiel, auquel assistent le préfet des Bouches-du-Rhône etses gendarmes. On dit que nos anciens chartreux, pour atténuer l'abstinence de toute viande à laquelle les assujettissait la règle de l’ordre, regardaient la chair de macreuse comme du poisson, et qu’une préparation culinaire, dont ces bons pères avaient le secret, lui enlevait l’odeur de marécage et ne lui conservait qu’un agréable fumet : Il est avec le ciel des accommodements. On connaît une autre espèce de macreuse, noire comme autre, et avec le bord de ailes blanc ; c’est la double macreuse plus grosse que la commune ; elle se montre souvent avec sa congénère, mais en moins grand nombre. Les oies, au bec court et fort, sont mieux appuyées sur leurs paltes que les canards, aussi leur marche est plus facile ; elles parcourent les terres herbeuses et les prairies pour y chercher leur pâture, qui consiste en tiges de végétaux et en graines. Elles tondent l'herbe comme les brebis à l’aide de leurs lamelles. — A l’état sauvage, les oies se retirent, pour dormir plus en sûreté, sur les eaux des lacs voisins de leurs stations habituelles, car ce sont des oiseaux très-défiants, qui ont toujours soin de placer quelques-uns des leurs en faction pour veiller aux alentours. — Les mâles ne se distinguent pas des femelles par le plumage ; il sont très-ardents en amour, et les anciens les consacrèrent au dieu Priape. On en distingue plusieurs espèces en Europe, toutes d’origine étrangère et dont la plupart visitent nos contrées dans leurs migrations d'hiver. L’oie cendrée, 260 CHAPITRE IL. type primitif de notre oie domestique, l’oie vulgaire, la rieuse au front blanc, la bernache, qu’on apprivoise assez facilement et qui se reproduit dans la domesticité, l’oie au cou roux et l’oie des neiges, qui est assez rares toutes ces différentes espèces sont de passage vers les mois de novembre et décembre, dans plusieurs pays d'Europe ; les glaces les chassent des régions du nord. Ces oiseaux observent en volant à peu près le même ordre de marche que les canards sauvages ; on a remarqué seulement qu’ils voyagent en plus petites troupes, qu’ils se tiennent à de grandes hauteurs et ne forment souvent qu’une simple ligne oblique. La domestication de l’oie cendrée est des plus anciennes ; cet utile palmipède est devenu aussi soumis que le chien de la ferme ; il connait ses maitres, con- duit au champ les troupeaux et les ramène au bercail, lorsqu'il est dressé à ce service. Sentinelle vigilante, l’oie veille de nuit dans la basse-cour ; son œil est perçant et son ouïe des plus fines. Toujours sur le qui- vive, elle jette l’alarme au moindre bruit, témoin les oies du Capitole : les chiens n’aboyèrent pas, mais les oiseaux faisaient bonne garde et leurs cris réveillèrent Manlius. Dans nos campagnes, les oies ne se laissent jamais approcher et poursuivent l'étranger en criant, le cou tendu et le bec grandement ouvert ; elles semblent même chercher à le mordre et poussent des siffiements comme des vipères. Dans nos provinces de l’est, où l’on se livre plus spécialement à l’éducation des oies, la vente de ces oiseaux, qui fournissent un aliment recherché, constitue REVUE DES OISEAUX D'EUROPE. 261 un revenu important, — Aujourd’hui la dinde a remplacé l’oie dans les repas de famille ; toutefois il s’en fait encore une grande consommation. C’est encore aux Romains que nous sommes rede— vables des moyens employés pour obtenir les foies gras que nous fournissent les oies, et Pline nous apprend que l'honneur de cette délicieuse découverte, tantum bonum, eomme il le dit lui-même, appartient à ce qu’il parait, à Scipion Métellus, personnage consulaire, ou à Séius, chevalier romain. _ « Nec sine causa in quæstione est, qui primus tantum bonum invenerit, Scipione Metellus vir consularis, an M. Seius ætate eques Rom. » Mais il est incontestable, selon lui, que Messalinus Cotta, fils de l’orateur Messala, ait trouvé le secret de rôtir les paltes d’oie et d’en composer un ragoût avec des crêtes de poulet. Et le grand naturaliste, en fidèle historien et bon appréciateur du fantum bonum, ne manque pas d'ajouter : « Chacun des inventeurs recevra de moi la palme qui lui est due. » Cependant Pline ne nous dit pas si ce furent les gastrophiles de Rome qui, les premiers, imaginèrent de clouer les oies par les pattes et de leur crever les yeux pour les gorger de nourriture, afin que ces pauvres oiseaux ne pensassent qu'à manger et à dormir, en s’engraissant. Cette invention diabolique aura peut-être pris naissance au moyen âge, dans ces siècles de torture où l’aberration des espritsarriva à son apogée. Quoi qu’il en soit nous sommes aujourd'hui un peu moins cruels, car, si ce procédé barbare a été modifié en l’améliorant, 262 CHAPITRE II. nous ne tenons pas moins les oies à l’épinette, dans une complète obseurité, où la privation de mouvements et la nourriture surabondante, à laquelle ces pauvres bêtes sont soumises, amènent rapidement l’obésité. Dans cet élat, la ration quotidienne d’une oie consiste en grosses boulettes de pain qu’on leur fait avaler par force et qui accélèrent l’engraissement; une sorte d’hépatite se déclare bientôt, gonfle le foie, et l’oiseau ne tarderait pas à suc- comber à ce traitement si l’on ne s’empressait de le tuer avant qu’il n’étouffe dans sa graisse. C’est ainsi qu’on obtient des foies gras qui pèsent près de deux livres et qu’on emploie pour ces fameux pâtés de Strasbourg qui faisaient ! une concurrence avantageuse à ceux de foie de canard de Toulouse, aux terrines de Nérac et aux excellentes conserves de Nantes. Hélas ! quand je pense que Strasbourg ne nous appartient plus et que nous sommes devenus les tributaires du roi Guillaume, chaque malin en me réveillant j’adresse des vœux au ciel pour, qu'avant de mourir, je puisse voir notre honneur national vengé et notre chère Alsace reconquise. Parmi les anatidées exotiques qu’on est parvenu à acclimater en Europe, nous devons citer aussi l’oie de la Nouvelle-Hollande ou le céréopse cendré, un des précieux palmipèdes australiens d’introduction assez récente, c&r son acclimatation date à peine d’une quaran- taine d'années. Les formes, comme la couleur du céréopse, sont à peu près celles de l’oie sauvage ; son corps est plus ramassé ; toute la partie nue des jambes est d’un jaune orangé ; les pieds et les membranes sont noirs. | Le REVUE DES OISEAUX D'EUROPE. 263 Cvexes. Ces superbes oiseaux sont les plus remar— quables et les plus séduisants des palmipèdes par Pélé— gance et les belles proportions de leurs formes, la majesté de leur port, l'expression de leur regard et l’éblouissante blancheur de leur plumage. Il faut les avoir vus, dans les pays où ils abondent, glisser en nageant sur un lac solitaire et se livrer avec toute sécurité à leurs ébats, pour bien comprendre l’impression qu’ils produisent et le charme qu'ils répandent autour d’eux. Leur cou, qu’ils tiennent ordinairement un peu roide et presque droit, pour mieux observer ce qui se passe aux alentours, est alors ramené en arrière au-dessus du corps etaffecte les courbes les plus gracieuses. Réunis en escadrille et parcourant la surface du lac avec une admirable légèreté, on dirait un convoi d’élégantes nacelles qui s’avancent en fendant ies eaux. Parfois, aux battements de leurs ailes, ils font rejaiilir l’onde qui ruisselle en gouttes argentées sur leurs blanches plumes : È è in mezzo allonde il Cigno Del pié fa remo, il collo inarca, è fende L’argentino bed AL UE PIEDEMONTE. L'Europe ne possède que deux espèces de cygnes : le cygne sauvage, à bec noir et à cire jaune, qui rous vient du nord, voyage en grandes troupes et ne se présente qu'accidentellement dans nos contrées aux époques des grands hivers ; l’autre espèce est le cygne domestique qui provient de celui à bec orangé, bordé de noir, avec tubercule frontal brunâtre. On le croit originaire des parties les plus septentrionales de l’Asie. La Nouvelle-Hollande, cette terre des contrastes, 264 CHAPITRE II. nous a fourni une autre espèce qui s’est parfaitement acclimatée dans l’Europe tempérée, où elle se reproduit maintenant à l’état domestique. Mais cet oiseau, déjà assez répandu dans les pièces d’eau de nos parcs, au lieu d’être d’une blancheur éclatante, comme nos cygnes, a le plumage d’un noir profond et le bec d’un beau rouge carmin. L'espèce est un peu plus grande que le cygne commun. DIGRESSION. XXIX. Dès les temps fabuleux, il a été question des cygnes : Ovide, dans ses Métamorphoses, a décrit l'oiseau dont le nom rappelle encore l’histoire de Cycnus, ce roi de Ligu- rie, musicien célèbre, qui fut changé en cygne, tandis qu’il déplorait, sur les bords de l’Éridan, la mort tragique de Phaéton et de ses sœurs. «Tout à coup, dit le poëte, « sa voix d'homme devient plus aiguë, sa tête blanchit « et ses cheveux ne sont plus que des plumes ; sa « poitrine s’arrondit et son cou s’allonge, ses doigts de « pied s’unissent en une membrane rougeâtre, ses bras « sont remplacés par des ailes, sa face et sa bouche « s’avancent en rostre et Gycnus est un nouvel oiseau, fit nova Cycnus avis (1). » Cette fable de Cycnus, le À (1) Cum vox est tenuata viro : canæque capillos Dissimulent plumæ : collumque a pectore longum Porrigitur, digitosque ligat juctura rubentes ; Penna latus vestit ; tenet os sine acumine rostrum. Fit nova Cycnus avis. Ovip. REVUE DES OISEAUX D'EUROPE. 265 roi musicien, a peut-être donné motif au préjugé des anciens qui croyaient que les cygnes chantaient quand ils allaient mourir, mais ce qu’on peut assurer, c’est que leur voix n’est guère harmonieuse et que même les cris éclatants du cygne trompette n’ont rien de bien agréable. La partie poétique de l’histoire du cygne se rattache à des croyances mythologiques, c’est-à-dire à des mythes qui méritèrent les hommages de l'antiquité. Qui ne connait la charmante fable de Léda ? — Tandis qu’elle se baignait sur les rives fleuries de l’Érotas, la belle épouse de Tyndare, roi de Sparte, fut surprise par un cygne éclatant de blancheur, et se sentit tout émue. C’est que ce cygne, brülant d’amour, cachait le plus puissant des dieux de l’Olympe, l’audacieux Jupiter, qui s’offrait cette fois sous l’apparence de la candeur. Léda ne put résister à ce charme, et neuf mois après elle pondit deux œufs à double germe, de l’un desquels naquit la belle Hélène, au cou divin, aux bras d’albâtre, et ravissante par la blancheur de son teint, selon l’expression d’'Homère. Toute la mythologie est remplie de ces jolies choses qui plaisent, séduisent, enchantent en les lisant, et l’on peut dire avec Fontenelle : On aimera toujours les erreurs de la Grèce ; Toujours Ovide charmera. Si nos peuples nouveaux sont chrétiens à la messe, Is sont payens à l'Opéra. 266 CHAPITRE II. L’ingénieux Ovide, qui dévoila au mende ravi les métamorphoses des dieux, a souvent expliqué la nature par la fable, et la naïveté de ses récits en a augmenté le charme. Les oiseaux y figurent en première ligne : les anciens mythes représentent Prométhée enchainé sur le Caucase et livré à la voracité d’un vautour qui lui dévore les entrailles pour avoir dérobé le feu céleste. Prométhée, c’est la lumière, le génie de la science, l'esprit novateur ; le vautour, c’est l’obscurantisme, l'esprit rétrograde, la che envie, qui déchire, calomnie, étouffe tout progrès. Telle est l’interprétation qu’un naturaliste philosophe donne de cette fable ; mais combien d’autres allégories restent encore sans explica- tion ? | Picus, fils de Saturne et roi d’Ausonie, est changé en pic par les enchantements de Circé : Necquicquam antiqui Pico, nisi nomina, restat. Et il ne reste plus de lui-même que son ancien nom. Le vol des corbeaux est expliqué par les augures ; Jupiter se transforme en aigle pour enlever le jeune Ganimède ; le hibou, symbole de la prudence, est l’attribut de Minerve, déesse de la sagesse, et les paons celui de Junon, la plus fière des déités de l’Olympe Vénus attelle deux colombes à son char ; Mercure, le messager des dieux, est représenté avec des ailes aux pieds et à la tête, deux autres ornent son caducée. Le héron nait des cendres d’Ardée et perpétue, ainsi que ceux de sa race, le nom d’une ville célèbre. Les Piérides disputent aux Muses le prix du chant et les insultent REVUE DES OISEAUX D'EUROPE. 267 après leur défaite ; mais elles sont métamorphosées en pies : Elles ont conservé l’usage de la voix Et leur cri babillard importune les bois (1}. Les coqs sont consacrés à Esculape et les oies à Priape ; Deucalion est changé en épervier, Philomèle en rossignol, Coronis en corneille, Nyctimène en hibou, les filles d’Anius en colombes, Ceïx et Alcyone en alcyons, Esaque en plongeon, Perdix en perdrix, et les sœurs de Méléagre en oiseaux. Toute cette mythologie ornithologique, tous ces mythes durent avoir leur interprétation ; ce sont des allégories, dont le vrai sens est resté caché sous le voile du mystère. Ces fictions ont survécu au culte qui les adopta ; les peuples les vénérèrent, la poésie les consacra, mais la poésie est aussi un culte, et de nos jours encore, comme l’observe Saint-Ange, il serait difficile de décrire les merveilles de la nature sans les associer aux merveilles de la fable. Qu'on me pardonne done, en terminant cetle revue des oiseaux d'Europe, de m'être laissé aller à des idées qui, sans trop m'éloigner de mon sujet, sont venues rafraichir mon esprit fatigué d'études plus sérieuses. — En essayant d'animer mes descriptions par des images qui les rendaient moins arides, j'ai un peu, Je l’avoue, agi en égoiste et n’ai guère envisagé que le (1) Traduction de Saint-Ange : Nunc quoque in altibus facurdia prisea remansit Raucaque garrulitas, studiumque immana loquenti. OvID. 268 CHAPITRE II. plaisir que j’éprouvais, à mo âge, de ramener mes pensées vers les souvenirs classiques de mes jeunes années, alors qu’au printemps de la vie tout semblait avoir une âme, une forme poétique, séduisante, et me berçait dans les rêves d’un avenir mystérieux. CHAPITRE III Essai de géographie ornithologique. (SIMPLE APERÇU.) SOMMAIRE — De la distribution des oiseaux sur le globe. — Distribu- tion hydrographique des palmipèdes. — Des différentes régions ornithologiques. — Région européenne. — Région américaine : Faune mixte, méridionale et septentrionale, — Région africaine : Faune mixte. — Région malgache. — Région asiatique. —Région malaise : Parties indo et austro-malaises. — Région australienne : Nouvelle Hollande. Nouvelle Guinée et îles adjacentes. Nouvelle Zélande. — Région polynésienne. — Régions arctiques et an- tarctiques. — Appendice. ... Y aves y pajaritos de tantas maneras y tan diversas de las nuestras qui es maravilla. CHRISTOPHE COLOMB. DE LA DISTRIBUTION DES OISEAUX SUR LA SURFACE DU GLOBE. fe La géographie ornithologique, c’est-à-dire la con- naissance des différentes régions qu’habitent les oiseaux, celle des pays où se dirigent ceux qui voyagent, les stations où ils se reposent, les contrées où ils nichent, enfin les divers cantons où l’on rencontre le plus souvent 970 CHAPITRE Il. les espèces qui ne s’éloignent pas de leur patrie, tous . ces faits bien constatés constituent l’étude d’une des branches les plus intéressantes dc la science. Plus de onze mille espèces d'oiseaux peuplent la terre rl sur les continents, les îles et les eaux adjacentes. Les passereaux composent à eux seuls les deux tiers de ce nombre, le restant se trouve réparti dans les proportions suivantes : environ 580 rapaces, 1150 grimpeurs, dont 432 perroquets, 377 colombes ou pigeons, 373 gallinacés, # plus de 700 échassiers et presque autant de palmipèdes. Mais dans l’état actuel de nos connaissances, on ne saurait exposer rien de complet quant à la distribution géographique de tous ces oiseaux, et nous devons nous borner à des généralités. C’est ce que je vais essayer d'entreprendre, en signalant, seulement en passant, quelques faits particuliers qui viendront se grouper dans l’ensemble de cet aperçu. Chaque ordre d’oiseaux a sa loi générale qui le caractérise ; chaque tribu compte dans ses rangs des familles distinctes, dont les genres et les espèces ont leurs habitations ou aires de dispersion comprises dans certaines limites. Les oiseaux aux habitudes sédentaires sont répartis dans des pays divers ; ceux d’humeur voyageuse sont simplement de passage dans plusieurs contrées où iis ne nichent pas, et siationnent un certain temps dans celles où ils s’arrêtent pour la ponte. — II est des espèces qui ont des représentants sur les points les plus opposés du globe, et d’autres, cosmopolites, qu'on rencontre partout ; enfin plusieurs groupes, el même des familles entières, appartiennent exclusivement ESSAI DE GÉOGRAPHIE ORNITHOLOGIQUE. 271 à une seule des grandes régions ornithologiques, et n’ont jamais été vus ailleurs. Dans cette distribution des oiseaux, on remarque une foule d’espèces de formes particulières, au plumage brillant et richement coloré, qui appartiennent à des familles propres aux contrées les plus chaudes des _ grands continents ou des archipels qui en dépendent ; - tels sont les gallinacés à belle parure, les magnifiques oiseaux de paradis, les sucriers, les colibris, les perroquets et tant d’autres. Mais à mesure qu’on s’é- loigne des régions équatoriales, où se plaisent ces oiseaux, et qu’on remonte vers le nord, la variété et l'éclat des couleurs sont moins prononcés ; on trouve bien encore quelques traits de correspondance, maisles genres et les espèces, en général, ne sont plus les mêmes ; les influences des milieux, la nature du climat ont tout modifié, formes, aspect, couleurs, mœurs et habitudes. Quelques rares exceptions se font remarquer seulement dans les pays tempérés, mais encore on ne saurait comparer le plumage de ces oiseaux privilégiés à celui des belles espèces qui habitent les contrées que Le soleil tropical vivifie et où la nature a répandu tous ses dons. Cependant ces distributions géographiques n’établis- sent pas, pour beaucoup d’oiseaux, des démarcations fixes et infranchissables ; les espèces voyageuses, par leurs puissants moyens de locomotion aérienne, peuvent dépasser les limites de leurs aires de circulation habituelles, franchir des espaces considérables et se transporter au loin dans d’autres climats. Les modifica- I. — 18 272 CHAPITRE II. tions de température, aux changements de saisons, font varier les faunes de divers pays ;. pendant l’été, comme nous l’avons déjà observé ailleurs, les oiseaux migra- teurs viennent se réunir à nos espèces régionales, puis, quand l'hiver est de retour, ils sont remplacés par d’autres. Il est des oiseaux dont l’habitat est limité au canton où ils sont nés ; beaucoup d’autres peuvent vivre in- distinctement dans tousles pays dont la température et les conditions d'existence sont identiques, tandis qu’on en voit qui se refusent à ces déplacements et qui ne sortent pas deslimites que la nature semble leur avoir assignées, d’après la loi générale de la répartition des espèces. II serait difficile d’expliquer ces anomalies. Les oiseaux, considérés d’après les divers groupes dont les caractères généraux constituent une même famille, sont souvent disséminés dans diverses contrées. Ce sont des types que la nature a reproduits, mais dont les caractères spécifiques sont différents. Nous avons fait connaître dans notre revue des espèces européennes (chap. n), les oiséaux de proie qui habitent nos pays et qui appartiennent la plu- part à l’ancien monde ; quelques-uns seulement se retrouvent dans le nouveau. Sur 376 rapaces diurnes, répandus sur le globe, l’Europe n’en compte qu’une quinzaine ; les autres sont tout à fait étrangers à nos climats. ESSAI DE GÉOGRAPHIE ORNITHOLOGIQUE. 9273 JE: Atezes. On les a divisés en deux groupes, les européens et les australiens ; ces derniers, étrangers et presque tous originaires des régions chaudes de l’hé- misphère sud-oriental, se distinguent de ceux d'Europe par leur queue étagée. — Une autre division a été établie pour les aigles pêcheurs ou pygargues, qui fréquentent les rivières, les bords de la mer et vivent de poissons ou d’autres animaux aquatiques ; tel est le grand aigle de mer ou l’orfraye, vrai type des pygargues, que l’on voit dans le nord de l’ancien et du nouveau continent. Cette espèce fuit le froid et se rap- proche en hiver des climats plus tempérés ; elle a été dépeinte et prise sur le fait par Audubon, qui nous la montre sur les bords du Mississipi, guettant au passage les gros palmipèdes voyageurs, etabattant, d’un coup de ses redoutables serres, le malheureux cygne dont elle fait sa proie. — Les autres espèces de pygargues sont l'aigle à tête blanche des régions arctiques et rare partout où 1l habite, l’aigle des grandes Indes, puis le vocifer etle vulturin de Levaillant, qu’on croitoriginaires de l'Afrique australe. — La Nouvelle-Hollande et les archipels de la Polynésie possèdent leurs aigles océaniques. Le balbuzard est aussi une espèce répandue au bord des eaux dans différents pays, en Europe de même qu’en Amérique. Cet aigle se rapproche beaucoup d’un autre de Java décrit par Horsfield. — Les aigles du genre 974 CHAPITRE III. caracara sont de l'Amérique du sud, des îles antarctiques, des Malouines, de la Nouvelle-Zélande et de la Terre de Diémen (Tasmanie). Les aigles harpies, de même que les aigles autours, sont tous américains et habitent la Guyane, le Brésil ou le Paraguay ; deux espèces seulement se trouvent aux États-Unis et au Sénégal, l’autour de Pensylvanie et le monogame. Ceux à tarses emplumés jusqu'aux doigts sont de Java et de Ceylan, les autres d'Australie. ÉPERVIERS, MILANS, BUSES ET FAUCONS. Les épervicrs, proches parents des autours et dont Le type européen est le falco nisus, comptent beaucoup d’espèces étrangères. Une des plus remarquables est l’épervier chanteur, qui habite l'Afrique méridionale ; les autres sont originaires des parties équatoriales du Nouveau-Monde, des grands archipels de l'Inde ou de la Nouvelle-Hollande. Les milans ne sont représentés en Europe que par deux espèces ; plus de vingt autres habitent les îles indiennes, l’Australie, Afrique et les deux Amériques. Les buses, dont nous ne possédons que l’apivore et la commune, comptent plusieurs congénères aux îles de la Sonde et au Bengale. — Les busards sont presque tous étrangers et fréquentent les pays montagneux. Les faucons, oiseaux nobles et tribu nombreuse, que l’art de la fauconnerie mit en grand renom, se ren- contrent dans diverses parties du globe et sont, parmi les rapaces, ceux dont la distribution géographique est la plus étendue. On trouve des faucons depuis le voisinage des terres polaires jusqu’à l'équateur, et leur aire de circulation embrasse de vastes contrées. ESSAI DE GÉOGRAPHIE ORNITHULOGIQUE. 275 Il est un oiseau qui fait suite aux faucons ; c’est le messager ou serpentaire, rapace à longues jambes et grand coureur, aux ailes ornées d’un éperon. Cet oiseau, qui n’a jamais été vu qu’en Afrique, s'élève perpen— diculairement dès qu’il aperçoit un reptile, puis lui tombe dessus et Le dévore sur place. fl ne craint pas d’attaquer ainsi le serpent le plus redoutable, et suit s’en rendre maitre à l’aide de ses pieds, de son bec etde ses puissantes ailes. LIL. Vaurours. Les vautours, oiseaux grands voiliers, ne comptent que fort peu d'espèces en Europe ; la plupart appartiennent aux contrées équinoxiales et sont répartis dans les pays situés entre les tropiques ou s’écartent peu de cette zone. De même qu’en Europe, ces voraces sont tous régionaux et ne sortent pas du canton où ils peuvent se repaître ; mais quelques espèces, parmi celles qui vivent dans les grandes solitudes de PAméri- que, de l'Afrique et de l’Asie, peuvent, par la force de leur vol, se transporter au loin à la recherche d’aliments. Ainsi le condor des Andes péruviennes s’éloigne, sans grands efforts, à cent lieues de son aire. Nous citerons, parmi les vautours exotiques, l’indou, celui à calotte du Sénégal, le vautour royal du Bengale, qu’on trouve aussi sur la côte de Malabar et dans les grandes îles indiennes. L’égyptien est celui que l’on voit le plus souvent dans le nord de l'Afrique. Le roi des vautours est un sarco- 276 CHAPITRE III. ramphe qui vit à la Guyane ; le vautour noir est un gypaète des plus voraces, qui habite la même contrée. — L'urubu, originaire du Pérou, est protégé par les lois municipales, dans l'intérêt de la salubrité publique, comme un oiseau des plus utiles au nettoyage des villes ; il est très-répandu dans l’Amérique méridionale et s’est fait très-sociable ; on le cite comme un glouton de premier ordre, insatiable et faisant ventre de tout. D’autres espèces étrangères vivent sous des latitudes diverses ; l’aura est commun au Brésil, au Chili, à la Plata et aux îles Malouines ; le catharte vautourin habite la Californie. RapacEs NOGTURNES. La distribution géographique des oiseaux de proie qui ne se montrent que de nuit n’est pas moins variée que celle des diurnes. Levaillant a fait connaître les espèces d’Afrique, et Horsfield en a décrit plusieurs de l’Inde et des îles Malaises. Le harfang ou la grande chouette du nord, de l’ancien et du nouveau continent, est très-commun à Terre-Neuve ; Cayenne possède son chat-huant, le cap de Bonne-Espérance son huhul ou chouette de jour ; le Brésil, le Paraguay, la côte de Malabar, la Sénégambie, l'Australie, ont aussi leurs rapaces nocturnes ; les hibous et les ducs ne sont pas moins répandus que les chouettes ; on en trouve dans les deux Amériques, aux Indes et jusque dans les terres magellaniques. ENS PasserEaux. Parmi les passereaux dentirostres de la famille des laniadées, que d’assez mauvaises habitudes ESSAI DE GÉOGRAPHIE ORNITHOLOGIQUE. y 7 rapprochent des oiseaux de proie, notre pie-grièche commune et les autres espèces européennes se retrou— vent en Afrique ; notre écorcheur fréquente l’Amérique du sud et les îles Shetland. Les archipels orientaux de la Polynésie, la Nouvelle-Hollande et la Nouvelle-Guinée, les îles de la Sonde et le Japon, l'Arabie et la Perse, possèdent aussi leurs espèces propres. Les pies-grièches thamophiles, oiseaux monogames, farouches et solitaires, qui se tiennent cachés dans les halliers et vivent d'insectes, sont tous américains, principalement du Brésil. — Les langrayens ou pies- grièches hirondelles, qui saisissent les insectes au vol et attaquent les petits oiseaux comme la plupart des laniadées, sont originaires des Indes orientales et habitent les Philippines ; on en rencontre aussi en Australie. Les cassicans (Baritæ), qu’on a rangés aussi dans les laniadées, font le passage des pies-grièches aux corbeaux, dont ils se distinguent pourtant par l’échancrure du bec. Ce sont de gros oiseaux de la Nouvelle-Hollande et des terres voisines, criards, tapageurs, au bec dur. Les espèces de l’Australie sont presque toutes blanches et noires, comme nos pies d'Europe; celles de la Papouasie se rapprochent des perrodisiers par la beauté de leur plumage. Les choucaris sont aussi des laniadées que plusieurs ornithologistes ont assimilés aux corbeaux. On en distin- gue plusieurs espèces, les choucaris de la Papouasie et les australiens. Parmi ces derniers, celui à masque noir a élé désigné par Latham sous le nom de corbeau noir 2738 CHAPITRE HI. (Corvus melas), et un autre, découvert par Robert l Brow, a élé classé parmi les geais. La nature n’a peuplé nos pays que de corbeaux aux noires couleurs et semble avoir réservé Les espèces à belle robe pour les autres régions. Ainsi le corbeau éclatant est un oiseau de l’Inde et des îles de la Sonde, le corbeau vieillard, à longue queue, est originaire de la Nouvelle-Guinée. Il en est de même des pies ; celle à ventre roux et à la nuque d’un bleu cendré, est asiatique ; la pie acahé et la pie bleu de ciel habitent Amérique méridionale, la pie chauveles bords du Niger, la pie ging les environs de Bahia. Parmi les geais étrangers, le garrule commandeur, à la huppe blanche et noire, est un oiseau brésilien ; le gea » noir, à collier blanc, et celui à joues blanches sont javanais, le geai imitateur est une espèce de l’Inde bien plus belle que notre mangeur de glands, mais notre crave d'Europe ne perd rien à côté de ses frères de la Nouvelle-Hollande et de Sumatra. Quant à notre coracias des Alpes, il ressemble beaucoup à celui d'Afrique que Levaillant fit connaître sous le nom de sicrin. Vi Les gobe-mouches, qui abondent en Europe, se retrouvent, différents de couleur, mais avec des caractères analogues, au Brésil, aux îles de la Sonde, en Australie et dans divers groupes de la Polynésie. On en compte une infinité d'espèces. Tous ces passereaux ESSAI DE GÉOGRAPHIE ORNITHOLOGIQUE. 279 exotiques de la famille des muscicapidées sont répandus dans des pays divers et se ressemblent par leurs mœurs et leurs habitudes. On les à divisés en plusieurs genres composés d’oiseaux muscivores : les eurylaimes ap- partiennent aux archipels polynésiens et à l’australien; ce sont des moucherolles qui habitent, comme celles d'Europe, les marécages, les bords des lacs et des rivières, et qui suspendent leurs nids aux branches d'arbre qui ombragent ies eaux. — Les drymophiles ont aussi de grands rapports avec les gobe-mouches et se trouvent répartis en Amérique et dans l’Inde. … Parmi les passereaux de la famille des ampéhidées, le nord européen ne possède que le jaseur de Bohème, . toutes les autres espèces sont étrangères et constituent des genres américains ; les échenilleurs seuls appartien- nent à l’ancien continent et se rencontrent dans l’Afrique austro-orientale, à Madagascar, dans la Malaisie et à la Nouvelle-Hollande. Ce sont des oiseaux qui recherchent les larves et les insectes, et qui se tiennent cachés dans les fourrés comme les merles. Des fauvettes ou sylvies, qui se nourrissent aussi de moucherons et de vermisseaux, comme les nôtres, existent au Bengale et aux Moluques, d’autres vivent au Brésil. Des sylviadées de la tribu des traquets (saxicoles) ont été trouvées à Java et en Australie. Dans la famille des turdusinées, les grives et les merles, si répandus en Europe, comptent beaucoup d’espèces dans les contrées orientales de l'Asie ; Vigors et Horsfield en ont fait connaître plusieurs de Java et de Sumatra, ces îles si riches en oiseaux de toutes “ 280 CHAPITRE II. | sortes. Divers ornithologistes voyageurs ont décrit les espèces du continent américain : le merle aux pieds rouges de Cuba, celui de la Caroline, le merle des Malouines et d’autres de la Cochinchine et de l'Afrique australe. Les loriots d'Europe ont leurs représentants à Java et à la Nouvelle-Hollande ; et dans les sturnidées l’étourneau à platine rouge de Commerson, qu’on trouve au Chili, à la Plata et dans la Patagonie, rappelle notre sansonnet. Notre cinele ou merle plongeur est représenté aux États-Unis par le cinele américain. Audubon a confirmé tout ce qui avait été dit, par son ami Mac-Gillivray, sur les mœurs singulières de cet oiseau, qui sont les mêmes que eelles de son congénère d'Europe. On connaît aujourd’hui une douzaine d’espèces de ces hydrobates, citées par R. Gray ; ils fréquentent les cours d’eau du Tibet et de la Perse, de l’Amérique centrale, de l’Hindoustan et du Japon. VE Si notre faune européenne possède beaucoup de passereaux conirostres de la famille des fringilles, on n’en compte pas moins en Amérique, en Afrique, dans l'Inde et enAustralie. — Les veuves sont tout africaines; une seule, à poitrine rouge, vit aux Philippines. L'Afrique occidentale et les îles Canaries, l'Égypte, l'Arabie, le Brésil et le Pérou possèdent des bouvreuils non moins riches en couleurs que ceux d’Europe.— Nos becs-croisés ont leurs analogues dans la partie la ESSAI DE GÉOGRAPHIE ORNITHOLOGIQUE . 281 plus septentrionale des États-Unis d'Amérique, de même que notre dur—bec, qui ne se montre qu’au nord denotre continent, en Laponie, vers les régions arctiques, au Canada et au Groenland. — Les alouettes, si com— munes en France et dans les contrées voisines, comptent des espèces particulières dans les déserts de l'Arabie et de la Tartarie, ainsi que dans l’Inde et dans l’Amérique du nord. Parmi les parusinées, nos jolies mésanges ont des congénères à Java, aux Philippines et en Afrique. La famille des hirondelles est répandue sur tout le globe : les espèces étrangères, au nombre d’une centaine environ, sont les unes originaires d’Afrique et d’Améri- que, les autres de l’Inde, des îles de la Sonde, des Moluques et de l'Australie. L’hirondelle bleue, à reflets pourpres, qui parcourt toute l’Amérique et qui niche à Cuba, où elle est très-commune, passe l’hiver dans la zone torride, mais parfois elle prolonge trop son séjour dans les régions froides du nouveau continent, et crai- gnant de se mettre en route dans la mauvaise saison, elle se réfugie dans les troncs des vieux arbres, où elle reste engourdie jusqu’au printemps. — Les martinets, de la famille des fissirostres, comme les hirondelles, ne sont pas moins nombreux dans les contrées étrangères que chez nous ; le martinet coiffé et celui à moustaches se trouvent à Sumatra et à la Nouvelle-Guinée, le martinet vieillard au Brésil, le martinet géant à Java, le grandidier à Madagascar, le sabini à Fernando-Po. — Les salan— ganes, dont les Chinois mangent les nids sous forme gélatineuse, peuplent les rochers des îles de la Sonde M1 et des Moluques ; l’unicolor habite les Canaries. — Plus de vingt espèces de podarges, parmi les fissirostres nocturnes, vivent en Australie et dans les archipels indiens, et sur environ soixante espèces d’engoulevents, une vingtaine appartiennent à l'Afrique, une douzaine à l’Asie méridionale et le reste à l'Amérique. Dans la famille des proméropidées, notre huppe d'Europe ressemble beaucoup à celle du Cap et du pays « des Caffres ; tous les autres promérops sont d'Afrique ou des Indes ; le moqueur, le namaquois, l’azuré et le promérops de Levaillant habitent l'Afrique australe, la Sénégambie, Madagascar ou les pays voisins; le superbe, le promofil et Le mutifil ne se rencontrent qu’à la Nouvelle-Guinée. Dans la famille des sittées, notre sittèle d'Europe ou torche-pot est représentée au Brésil, en Californie, à Sumatra et en Australie par d’autres espèces du même genre. — Le guépier vulgaire, originaire d'Afrique, est le seul qui se montre parfois sur nos côtes méri- dionales ; mais l’ancien monde possède beaucoup d’autres espèces de guépiers, les unes répandues en Afrique et en Asie, et les autres aux iles de la Sonde. Levaillant en a décrit et figuré plus de vingt ; Hors— field et Vigors en ont fait connaître deux de Java et une de la Nouvelle-Hollande. Plusieurs congénères de notre aleyon habitent l’Aus- tralie etla Papouasie, la Nouvelle-Zélande etles archipels indiens. On peut leur adjoindre les martins chasseurs de la Nouvelle-Galles du sud, ainsi que les ceyx et les symés, autres oiseaux analogues de la terre des Papous. 282 CHAPITRE I. ESSAI DE GÉOGRAPHIE ORNITHOLOGIQUE. 9283 VIL. Les grimpeurs font suite aux passereaux et ont avec eux des affinités tant sous le rapport des mœurs que sous celui des formes. Cet ordre, tel qu’il a été établi par les ornithologistes, qui lui adjoignent les perroquets, comprend plusieurs familles d'oiseaux qui ne sont pas représentées en Europe. Celle des pies, comme nous lavons vu, n’y compte que six espèces des trois cents au moins qu'on connaît aujourd’hui, en y agrégeant les colaptes, les zébrapics et leschrysopics de Ch. Bonaparte. Toutes ces picées se trouvent réparties dans les Indes orientales et occidentales, un certain nombre seulement habitent l'Amérique. — Le pie aux ailes d’or, dont Audubon a illustré l'histoire, est commun à toute la vaste contrée forestière des États-Unis, où il dispose d’un parcours immense et d’une nourriture assurée par- tout où 1l s'arrête. Cette espèce vagabonde se montre aussi dans le sud du même continent. — Le pie maculé, de passage à Cuba vers la fin de l'automne, repart au printemps pour le nord et va nicher dans les bois des alentours de la baie d'Hudson. — Le pic aux sourcils noirs parait originaire des grandes Antilles et préfère aux insectes les fruits juteux, surtout les oranges, qu’il ravage dans les vergers où il s’introduit. Le coucou d’Europe est représenté en Afrique et dans d’autres contrées éloignées par plus de soixante espèces du même genre, toutes étrangères à nos climats. Nous n'avons, parmi les cuculées, ni couas, ni coucals ; les er 284 CHAPITRE I. jacamars, les coucoupics, eudynames, indicateurs et barbacoux ne sont pas des oiseaux européens. Tous les hétéroramphes, les buccoinées, les trogonées appar= tiennent à des familles étrangères. Perroquets. Nous compléterons ce qui nous reste à dire sur la distribution géographique des oiseaux grim= peurs par la nombreuse famille des perroquets, tout à fait exotique pour nous, mais commune à plusieurs au- tres parties du globe. Les espèces qui la composent habitent en général les régions intertropicales dans les deux hémisphères ; quelques-unes seulement se ren- contrent au delà de la zone de démarcation que nous venons d'indiquer. On trouve encore des perroquets à l'extrémité de l’Amérique méridionale, le ara des Pa- tagons ; on en rencontre aussi à la Terre de Diemen et même à l'ile Macquarie, par 52° de latitude australe. Une espèce américaine, seulement, remonte, dans l’hé- misphère septentrional , jusqu’au 42° parallèle. — En Chine, les perroquets cessent de se montrer au delà de 27° de latitude boréale ; en Afrique, ces oiseaux ne dépassent pas le 16° degré de latitude nord. Plusieurs ornithologistes ont compris les perroquets dans l’ordre des grimpeurs ; mais si l’on s’en tient à la * conformation des pattes pour la classification des oi= seaux, celles des perroquets semblent bien plutôt avoir été faites pour saisir que pour grimper, car ils ont deux doigts dirigés en avant et deux en arrière; aussi ne grimpent-ils pas sur les arbres à la manière des pics qui s’aident de leur queue, mais ils s’accrochent aux ESSAI DE GÉOGRAPHIE ORNITHOLOGIQUE. 285 troncs avec leurs ongles et se servent de leur bec cro— chu pour monter. En général, les perroquets ne sont pas migrateurs ; ils vaguent seulement dans les contrées où ils sont nés, sans s'éloigner beaucoup de leur station habituelle. Granivores et frugivores à la fois, ils occasionnent sou- vent de grands dégats dans les champs de maïs où ils s’abattent en masse, et ne ménagent pas plus les vergers. Ces oïseaux apprennent facilement à parler, mais sans savoir ce qu'ils disent, et, à ce propos, notre poëte Gresset a été plus malin que son Vert-Vert, le célèbre perroquet des Visitandines. — La nature de leur langue, épaisse et charnue, permet à ces oiseaux d’articuler des mots et même des phrases entières ; ils retiennent assez facilement certains airs qu’ils chantent en cadence, en se dandinant comme les nègres. Ordinairement très- familiers et fort caressants, ils se plaisent à faire mille minauderies ; Brehm les a appelés des singes ulés. VIIL. Brehm est sans contredit le naturaliste qui a donné les meilleurs renseignements sur les perroquets. Tout ce qui a élé dit et observé par ses devanciers (1), tout ce qu’il a remarqué lui-même, se trouve consigné dans son admirable ouvrage de la vie des animaux, illustré (1) Levaillant, Humboldt, Le Prince de Wied, Schomburgh, Gould, Mitchell, Layard, etc. 286 CHAPITRE III. par des dessins qui la plupart sont de petits chefs—. d'œuvre. Partant du principe que le développement égal et uniforme de tous les sens est un si£ne d’une position élevée dans léchelle des êtres, il prouve que ceux des’ perroquets sont les plus en harmonie entre eux, et plus exquis que tous ceux des autres oiseaux, car aucun de ces sens n’aélé atrophié dans son développement, ni ne s’est accru aux dépens des autres : « Le faucon, dit:l, est remarquable par sa vue perçante, le hibou par son ouïe, le corbeau par son odorat, le canard par le goût, le pic par le toucher, mais le perroquet voit, sent, en- tend, goûte également bien... il éternue après avoir respiré la famée ; il reconnait de suite les fruits qui sont bons... Non moins indiscutable est l’intelligence de ces oiseaux ; c’est elle qui nous a fait les appeler des singes ailés. « Le perroquet, en effet, a toutes les facultés et les passions du singe, ses qualités et ses défauts. C’est l'oiseau le plus intelligent, mais il est singe, c’est-às dire capricieux, inconstant. C’est le compagnon le plus gai, le plus agréable; tout à l'heure, ce sera l’être le plus insupportable. Le perroquet a de la mémoire, de la prudence, de la ruse, du jugement ; il a conscience de lui-même ; il est fier, courageux, affectueux, tendre même pour ceux qu'il aime; il est fidèle jusqu’à la mort... On peut l’instruire, le rendre obéissant comme le singe. Mais il est colère aussi ; il est méchant, rusé, faux ; il garde la mémoire des mauvais traitements ; comme le singe, il est sans pitié pour les faibles. Son ESSAI DE GÉOGRAPHIE ORNITHOLOGIQUE. 287 caractère est un mélange des qualités et des défauts les plus opposés. Or, un pareil assemblage de facullés ne peutindiquer qu’un grand développement d'intelligence. « En général, l'existence des perroquets est liée à celle des forêts; cependant, on rencontre quelques espèces dans les plaines dépourvues d’arbres ; d’autres s'élèvent dans les Andes au delà de la limite des grands végétaux, jusqu'a 3,600 mètres au-dessus du niveau de la mer... Plus les forêts sont étendues, plus la végéta- tion est luxuriante, plus aussi les perroquets sont com- muns. En Amérique, dans les forêts des tropiques, ils forment la plus grande partie de la population ailée. I en est de même dans certaines parties de l'Afrique, dans plusieurs contrées de l’Inde et de la Nouvelle- Hollande. Il est impossible de décrire, dit Gould, le spectacle magnifique qu'offrent les perroquets, à plu- mage rouge vif, volant au milieu des acacias à feuilles d'argent de l'Australie. — Que seraient sans eux les forêts des tropiques? Le jardin mort d’un enchanteur ; ce sont les perroquets qui y font pénétrer et y entre— tiennent la vie. « Hors la saison des amours, ces oiseaux vivent en société par bandes nombreuses. Ils se choisissent une demeure dans un endroit de la forêt, et de là ils partent chaque jour pour entreprendre leurs excursions. Tous, le matin, quittent ensemble la place où ils ont passé la nuit, et s’abattent sur un arbre ou sur un champ pour en manger les fruits. Ils placent des sentinelles chargées de veiller au salut de la bande, et sont attentifs aux avertissements qu’elles donnent... I — 19 288 CHAPITRE III. « Ces oiseaux rusés savent garder le silence et se tenir cachés dans le feuillage sans qu'on puisse les apercevoir ; mais un d’entre eux a-t-il reconnu l’ennemi à temps, il donne l’alarme et tous se taisent aussitôt, se retirent au centre de la ramée et grimpent silencieuse- ment en se dirigeant du côté opposé à celui d’où vient le danger; puis ils s’envolent et ne font entendre leur voix que quand ils sont déjà loin, comme pour se mo- quer de Pimportun qui les a troublés… « Comme les singes, ils détruisent plus qu'ils ne mangent. Les essaims innombrables de ces oiseaux qui s’abattent sur les arbres ou dans les champs se gorgent autant qu'ils peuvent; mais, sans compter ce qu’ils emportent pour le dévorer tout à leur aise, ce qu'ils dé- truisent est encore plus considérable ; ils fondent sur un verger, y inspectent chaque arbre, en goûtent tous les fruits, rejettent ceux qui ne sont pas de leur goût et dévorent ceux à leur convenance... » IX. On distingue dans cette innombrable tribu des per— roquets, dont plusieurs ornithologistes ont fait un ordre à part, les préhenseurs, diverses grandes familles assez tranchées : 1° Les PSITrAGIDES Ou vrais perroquets, qui habitent en général l’Afrique australe et occidentale, l'Amérique du sud et certaines îles de l'Océan. Leur queue est ordinairement courte et carrée ; on les divise en divers genres : les jacos ou perroquets gris d'Afrique : ce sont ESSAI DE GÉOGRAPHIE ORNITHOLOGIQUE. 289 les plus intelligents; puis le chrysotis ou perroquet vert d'Amérique ; les piones d’Afrique et du Brésil ; les papegais, les uns du bassin de l’Amazone, les autres asiatiques, africains où américains ; les psittacules ou perroquets nains, charmants oiseaux, parmi lesquels on distingue les 2nséparubles et le psittacule moineau du . Brésil ; 2° La nombreuse famille des Loris, composée d’es- pèces des Indes, de l'Australie et de l'Océanie, toutes à courte queue et la plupart à plumage pourpré. Le lori versicolor de la Nouvelle-Hollande, et celui des Dames, qui vit dans les forêts de Bornéo et de la Nouvelle- Guinée , sont deux espèces des plus remarquables. Les coriphiles, jolis loris de la Polynésie et les pyrrhodes ou psittapous de la Papouasie appartiennent aussi à cette division; 3° La famille des cacators, une des plus intéressantes, dont beaucoup d’espèces habitent les îles indiennes, ainsi que la Nouvelle-Hollande et peuplent les forêts en nombreuses bandes. Ce sont en général des oiseaux fort doux, gracieux et faciles à élever, tels que le cacatoès à huppe jaune, celui à huppe écarlate, le cacatoès nasique à plumage blanc soufré, tous de la Terre de Diémen et du sud de Australie. Les nestors sont aussi de cette famille, et l’on en connaît plusieurs espèces de la Nouvelle-Hollande ; les dasyptiles, de da Nouvelle-Guinée, ont de grands rapports avec les nestors et rappellent un peu les rapaces; les micro- glosses remplacent, dans la même région, les aras d'Amérique ; le microglosse noir, à face rougeâtre, qu’on trouve à l’île Wagiou, est un des plus rares. Enfin, les caliptorhynques ou geringecos des Austra- liens sont aussi des oiseaux de ces pays lointains. Les nymphiques, ou calopsittes de Lesson, sont également de beaux perroquets, à huppes élégantes, qu’on ren- contre dans les mêmes régions et qui ont de certains rapports de caractères avec les cacatoës. 4° Les srricopines sont d’autres perroquets à face de chouette qui habitent exclusivement la Nouvelle- Zélande ; les indigènes leur donnent le nom de kokopo ; ils se tiennent cachés dans lé creux des arbres comme les hibous et sont semi-nocturi es ; 5° La famille des macROCERGIDES ou des aras se pré- sente sous d’autres caractères ; tous les genres dont elle se compose sont américains : d’abord les aras propre- ment dits, si remarquables par leur grandeur, leurs couleurs éclatantes et leur belle queue ; puis, les enico- gnathes ou ailes bleues des îles Chiloé; ensuite les anodorhynques, espèce de strigopides dont le type est l’ara hyacinthe; enfin les perruches du Brésil et des Guyanes, y compris celle du Mexique et de la Caroline, qui remontent dans l’Amérique dunord jusqu’au 42° de- gré de latitude ; 6° La famille des Pazæornimmipes, qui compte diffé- rents genres dont les espèces sont africaines, indiennes ou australiennes : les palæornis ou perruches à queue en flèche ; la perruche d'Alexandre, introduite en Europe après la conquête de l’Inde, appartient à ce groupe. Les polytélis sont de grands perroquets de la Nouvelle- Hollande ; les platycerques appartiennent plus spéciale- 290 CHAPITRE III. + ESSAI DE GÉOGRAPHIE ORNITHOLOGIQUE. 291 ment à la Tasmanie ; les mélopsittes d'Australie, au vol rapide et d'un plumage ravissant, sont de mœurs Cares- santes et s'élèvent très-bien en volière ; mais la perte d’un compagnon, chez ces oiseaux toujours accouplés, amène ordinairement la mort de celui qui reste, comme chez les inséparables ; « le mélopsitte ondulé, dit Brehm, chante à sa femelle une chanson si charmante, qu’on peut presque le ranger parmi les oiseaux chan- teurs. — Les pézopores ou perruches ingambes, qui vivent plus à terre que sur les arbres, ne se rencontrent que dans l’île de Diémen et vers le sud de l’Australie. X. La grande famille des P16EoNS, que plusieurs ornitholo- gistes ont comprise dans un ordre à part, est représentée en Europe par un petit nombre d’espèces ; elle se com- pose de divers groupes répandus dans différentes par- ties du globe. Nos ramiers se retrouvent dans l’ancien et le nouveau continent, en Afrique comme en Amé- rique ; d'innombrables bandes de ces oiseaux voyageurs se donnent rendez-vous des diverses contrées des États- Unis pour se mettre en route tous ensemble à l’époque des migrations. Audubon a évalué à plus d’un milliard un vol de pigeons qui traversait les airs comme une immense nuée et qui faisait ombre sur la terre. Ce vol prodigieux, en s’abattant le soir sur une futaie, pour y passer la nuit, fit craquer des branches d’arbre et blanchit le sol d’une couche de guano. — Les bisets ou pigeons de roche vivent aussi en nombreuses compa- U2” il 292 CHAPITRE III. gnies sur les îlots déserts du littoral occidental du Maroc et aux iles Canaries, où habitent aussi d’autres espèces. Parmi les pigeons étrangers à l’Europe, on distingue les gouras ou colombi-gallines, dont les plus beaux sont les pigeons à caroncule des régions interlropicales, le pigeon couronné, originaire des Indes, gros oiseau au plumage bleu ardoisé , le nicobar, à la livrée d’un vert-doré et à la queue blanche, remarquable en outre par les longues plumes qui ornent son cou à la manière des coqs.—Le groupe des ptilinopes comprend plusieurs belles espèces de l'Inde, le pigeon kurukuru et le pur- purain ; celui des columbars, au gros bec crochu, ren- ferme des espèces propres aux pays équaioriaux. L'Amérique n’est pas moins riche en pigeons que l’Asie orientale ; il suffira de citer la colombe araucane du Chili, celle de la Caroline, la zénaïde, la cyanocé- phale, la leucocéphale, la spécieuse, la mélanop- tère, etc. Le Les explorations modernes ont fait connaitre une. foule d’espèces des plus remarquables, dont la totalité u s’élève aujourd’hui à plus de trois cents, parmi les- quelles on distingue la colombe rayée des montagnes Rocheuses, la parleuse du Brésil, la superbe et l’aus- trale de Madagascar, la pompadour de Ceylan, l’ama- rante, la colombe géant, la muscadivore, la magni- fique, la zoé, l’océanique, la macquarie, la tourterelle bleu verdin et bien d’autres encore des îles Malaises, de l'Australie, de la terre des Papous, de la Polynésie et des archipels de la mer des Indes. “ RC à "+, ESSAI DE GÉOGRAPHIE ORNITHOLOGIQUE. 293 XI. Gazzinacés. Dans la famille des gallinacés, notre caille commune, si répandue en Europe, et qui visite dans ses migrations annuelles presque toutes les con- trées de l’ancien monde, a une vingtaine de représen- tants en Afrique, en Australie et dans l'Inde. Les perdrix, qu’on divise en colins, francolins et perdrix vraies, sont réparties dans différentes régions : les coiins habitent l'Amérique, les francolins, beaucoup plus nombreux, sont des oiseaux de l’ancien continent qui comptent plusieurs espèces diverses dans l’Afrique australe et au Népoul. Quant aux perdrix de nos con— trées, elles ont leurs analogues à Java, au Thibet, au Bengale et en Chine. Les gangas, espèces de gélinottes bien rares aujour- . d’hui en France et qu’on trouve encore en Espagne, en Barbarie et dans les steppes de la Mongolie, ont leurs congénères dans la Nubie et à Madagascar. Les représentants de nos tétras européens, coqs de bruyères, poules de marais et grandes gélinottes, sont les tétras des montagnes Rocheuses d'Amérique, ceux des vallées du Canada et des solitudes du Kamtchatka. Quant aux lagopèdes ou perdrix blanches, ces galli- nacés n’habitent que les régions septentrionales des deux continents et les plus hautes cimes alpines, vers la limite des neiges. Nos turnix du midi de l’Europe, qu’on voit aussi en Barbarie, sont représentés par d’autres espèces de 294 CHAPITRE . II. l'Afrique australe, de Madagascar, de l’Inde et de l'Océanie. Les outardes fréquentent les deux bords de la Médi- terranée occidentale et sont beaucoup plus communes en Afrique, où il en existe une douzaine d’espèces, et de répandus plus, deux au Bengale et une en Australie. Il sera question ailleurs des gallinacés qui n’appar- tiennent pas à des genres européens. XII. Écnassiers. Ces oiseaux éminemment migrateurs et qui font leurs apparitions aux époques de leurs passages en Europe, où plusieurs viennent nicher , sont par toute la terre. Parmi les ardéadées, la grue cendrée est la seule qu'on voit chez nous, encore n'y fait-elle que passer. — Les principales espèces étrangères sont, la grue brune du Canada, celle à collier, la grue blanche, au cri retentissant, de l'Amérique septentrionale, et qu’ Au- dubon a si bien décrite, la grue couronnée d’Afrique, et d’autres du Japon, de l’Inde et de la Nouvelle- Hollande. Les hérons qui visitent nos pays se rencontrent dans d’autres contrées; on eu connait plus de quatre-vingts espèces, y compris les butors et les bihoreaux. Nous. avons parlé ailleurs des migrations de l’hérodias en Amérique, de celles du héron bleu, du leucogaster, du héron étoilé ou grand butor, du bihoreau vulgaire, commun aux deux mondes et que Lesson rencontra aux ESSAI DE GÉOGRAPHIE ORNITHOLOGIQUE. 295 Malouines ; nous n’y reviendrons pas maintenant, mais nous citerons en passant le héron agami de la Guyane, le héron panaché qu’on voit en automne sur les rives du Parana et qui remonte, en été, vers le nord jusqu’au 40% degré de latitude; nous mentionnerons en outre l’ardée peali de Ch. Bonaparte, qui habite les Florides, le héron flüte de soleil des bords du Paraguay, le héron blanc de la Louisiane et divers hérons javanais : le: spécieux, le lépide, celui de Sumatra, le mélanocéphale et le maculé. Notre flammant d'Europe compte plusieurs congé- nères, portant à peu près la même livrée, dans d’autres parties du globe, aux Indes, en Afrique, au Chili, aux îles Gallapagos, aux Antilles, aux Florides et dans les Andes péruviennes. La spatule blanche est représentée en Amérique par a spatule rose, qui ne s'éloigne pas beaucoup des États du sud de l’Union, mais qui s’avance dans le midi jus- qu’en Patagonie. Ce même genre d’échassier à d’autres espèces en Afrique, à Madagascar, en Asie el en Australie. Nous ne connaissons en Europe que la cigogne blanche, très-commune en Alsace, et la noire de Tur— quie. Parmi les espèces étrangères, la cigogne maguari, particulière à l'Amérique méridionale, a été vue quelque- fois sur l’ancien continent. Le marabou et l’argala, qui fournissent des plumes si recherchées pour la parure des dames, sont du Sénégal ; la cigogne ardimi habite l'Égypte et l’'Abyssinie, d’autres sont originaires des iles de la Sonde, de l’Australie ou de l'Amérique du sud <, PRES 296 CHAPITRE III. Parmi les ibis, l’espèce vénérée des anciens est assez commune dans l’Inde, mais elle est devenue aujourd’hui fort rare en Égypte. L’ibis à tête nue est un oiseau de l'Afrique australe, l’ibis rouge et l’ibis plombé sont mexicains, d’autres se rencontrent au Chili, au Brésil, dans les archipels indiens, à Madagascar el sur la côte de Mozambique. XIE. Les autres familles d’échassiers représentées en Europe comatent de nombreuses espèces dans différentes régions : nos courlis, au bec arqué comme les ibis, ont leurs congénères dans l’Inde, en Australie et en Amé- rique. On rencontre des bécasses dans presque toutes les parties du monde; ces oiseaux poussent leurs migra- tions, dans le nouveau continent, du 40° degré de latitude sud jusque vers les régions arctiques, et leur parcours n’est pas moins étendu dans notre hémisphère. On peut lire d'excellentes observations sur les voyages pério— diques des bécasses dans l’Edimbourg philosoph. journ., janv. 1824. — Parmi ces grandes voyageuses, la bécasse ponctuée, assez rare en Europe, abonde dans l'Amérique septentrionale; la bécasse des savanes est une autre espèce américaine, et l’australe habite les îles Malouines. Quant à la géante, bien plus grande que notre bécasse commune, elle fréquente les environs de Cayenne et n’est pas un gibier réservé à nos chasseurs. — Plusieurs bécassines exotiques ont été trouvées en Afrique, à Madagascar et en Chine. , n/ ESSAI DE GÉOGRAPHIE ORNITHOLOGIQUE. 297 Les bécasseaux d'Europe et les combattants ont des réprésentants dans l'Océanie et aux États-Unis. Le bécasseau de Temminck, qui habite l’été les régions polaires, se rencontre en hiver dans les pays tempérés de l’ancien et du nouveau continent, et a été vu de passage en Allemagne et en France. Parmi les nombreuses espèces de chevaliers répandues dans nos contrées européennes, plusieurs se retrouvent en Afrique ; le chevalier à pieds jaunes appartient aux deux Amériques et parcourt dans ses migrations presque tous les pays du Nouveau Monde. Il en est de même du chevalier à longue queue et du solitaire, qui fréquentent les bords de la baie d'Hudson, en été, et qui descendent en hiver jusqu'aux Antilles. Notre avocette des rives de la Charente a pour con- génère l’isabelle de l'Amérique du nord, celle à cou marron de la Nouveille-Hollande, l’orientale des rives de l'Inde et plusieurs autres. Les pélidnes ou alouettes de mer sont des oiseaux cosmopolites qui ont beaucoup de rapports avec les sanderlings et les maubèches, et qu’on rencontre dans . différentes contrées. Notre huitrier pie de mer est représenté, sur le con- tinent américain, par celui à manteau, et aux îles Malouines, à la Nouvelle-Hollande, aux Canaries et probablement aussi sur la côte occidentale d’Afrique, par l’huitrier noir; aux iles antarctiques, par l'espèce aux pieds blancs. L’échasse à manteau noir, qu’on voit quelquefois chez nous, est commune à d’autres contrées; l’échasse 298 CHAPITRE HI. de Wilson et la mexicaine habitent plus particulièrement l'Amérique septentrionale. Les tourne-pierres, peu variés en espèces, ne sont que de passage en Europe et se rencontrent dans les régions chaudes des deux mondes. — On ne connait en France que le vanneau à huppe et le squatarole ou van- neau suisse, commun à plusieurs contrées européennes’ au nord de l’Asie et de l'Amérique, et qui pousse ses migrations d'hiver jusqu’à la Louisiane et aux grandes Antilles ; mais plusieurs espèces du même genre habitent dans différents pays des deux hémisphères. Sur plus de quarante espèces de pluviers réparties dans le monde, six ou sept seulement appartiennent à nos climats, trois autres se rencontrent presque partout, et le reste se compose d’espèces propres à l’Asie, à l'Afrique, aux deux Amériques, à la Nouvelle-Hollande et à l'Océanie. Ces oiseaux habitent les contréesles plus opposées, les environs de la baie d'Hudson, le cap de Bonne-Espérance, les îles antarctiques, le Brésil, Taïti et la terre de Diémen, les îles de la Sonde et l'Égypte, la Sibérie et les Antilles, la Mongolie et le Sénégal, l'Inde, le Japon et la Perse. — Le pluvier doré, si commun en Écosse, spécialement dans les highlands du nord et aux Hébrides, n’est pas moins abondant aux États-Unis, où il vient passer l’automne, l’hiver et une partie du printemps. Aux premiers jours de mai, des troupes immenses de ces oiseaux recommencent leurs migrations vers les contrées septentrionales. Le coureur isabelle, qu’on voit assez rarement dans. l’Europe méridionale , se rencontre plus souvent en ESSA1 DE GÉOGRAPHIE ORNITHOLOGIQUE. 299 Afrique avec ses autres congénères, le sénégalais, le coureur du Cap, le grallator et celui à double coilier. On en connaît aussi une autre espèce de l’Inde qui fré- quente la côte de Coromandel. — On peut en dire au- tant de l’œdicnème d'Europe, qui compte six repré— sentants en Afrique, deux en Amérique et un en Aus- tralie. Parmi les échassiers pinnatipèdes, qui sont tous des oiseaux de marais, les râles sont bien moins nombreux en Europe qu’en Amérique, où l’on trouve aussi notre poule d’eau. — Les porphyrions, qui ne sont repré- sentés chez nous que par la poule sultane, comptent plusieurs espèces dans les grandes îles indiennes, à Madagascar, au Sénégal et aux Antilles. -- Nos gla- réoles ou perdrix de mer se retrouvent en Asie et en Afrique ; d’autres espèces habitent les bords du Gange, les îles Malaises et l’Australie, — Les phalaropes, oiseaux qui n'apparaissent qu’accidentellement dans nos pays, se voient plus fréquemment dans les régions du nord, surtout dans les parties les plus septentrionales des deux mondes. — Enfin notre foulque morelle, dont on trouve une variété en Égypte, au Népoul et au Japon, a d’autres représentants en Australie, en Amérique, dans l’Inde, aux Sandwich et en Afrique. 300 CHAPITRE Ill. DISTRIBUTION HYDROGRAPHIQUE DES PALMIPÈDES. XIV. Les différentes espèces d’oiseaux que la nature a ré— pandues avec tant de profusion par toute la terre, dans les plaines, les montagnes, les forêts, au bord des ri- vières et des marécages, et même jusque dans nos villes el aux alentours de nos habitations, tous ces oiseaux, dis-je, ne sont pas les seuls dont la présence tempo- raire ou constante constitue la faune ornithologique des différentes contrées du globe. Un en rencontre auss; un grand nombre sur les immenses espaces occupés par les eaux, dans la Méditerranée comme sur l'Océan, les autres grandes mers, et jusqu'aux environs des pôles. Ces espèces aquatiques sont toutes sociables ; les unes habitent les rives maritimes et poussent leurs ex— cursions dans des parages lointains, les autres pré- fèrent les eaux douces et se plaisent sur les fleuves, les lacs et les étangs. Toutefois certains oiseaux de cet ordre n’ont pas de centre d'habitation bien déterminé, quant au pays de résidence, et peuvent être rangés parmi les espèces cosmopolites. La plupart demeurent. une parlie de l’année dans les régions septentrionales, puis, quand vient l’hiver, ils émigrent vers des climats moins froids. L’immensité des mers offre à ces palnu- pèdes un espace bien plus étendu que celui des con- tinents, dont les parcours sont limités aux mers inté- rieures, aux fleuves et aux grands lacs. Aussi voit-on ESSAI DE GÉOGRAPHIE ORNITHOLOGIQUE. 301 beaucoup d’oiseaux pélagiens dont les aires de cir- culation embrassent de très-vastes espaces ; on en rencontre au large à des distances de terre qui dé- passent souvent plus de cinq cents lieues. L’océan austral et la mer boréale possèdent leurs espèces par- ticulières qui forment de grands attroupements aux environs des banquises et sur les rives solitaires des terres reléguées aux extrémités du monde. Je ne saurais donner une idée plus exacte de cette distribution géographique des oiseaux pélagiens ré- pandus sur les mers du globe, qu’en empruntant à Lesson les excellents renseignements que cet infatigable naturaliste recueillit lui-même pendant son voyage de circumnavigation avec la corvette la Coquille et qu'il consigna dans les Annales des sciences naturelles. X V. « Dans les longues traversées des voyages lointains, dit-il, le voyageur n’a pour récréer sa vue du spectacle majestueux, mais souvent monotone, d’une mer et d’un horizon sans bornes, que les êtres, peu nombreux, créés par la nature, pour vivre loin des terres et con— quérir leur subsistance au milieu des vastes solitudes de POcéan. Les uns ont leur habitation au milieu des ondes, les autres fendent les plaines éthérées avec ra- pidité et vivent souvent aux dépens des premiers qui leur fournissent une proie facile. . . . . . « L’obscurité qui enveloppe la connaissance de certains oiseaux pélagiens ne sera point entièrement > d 302 CHAPITRE Il. dissipée de longtemps. La difficulté de se les procurer fait le désespoir du naturaliste, captif au milieu des planches flottantes, etle hasard seul peut mettre à même de les atteindre lorsqu'ils volent près des navires, et que, frappés d’un plomb mortel, ils viennent tomber sur le vaisseau. Souvent il nousarriva, dans les voyages, de tuer de ces oiseaux, qui tombaient à la mer et que nous avions le regret d'abandonner à la voracité des poissons. Ce n’est en effet que dans quelques cas rares, et par un temps calme, qu’il est possible de les aller recueillir ; et une remarque générale, déjà faite depuis longtemps, c’est que les oiseaux marins sont beaucoup plus rares dans les beaux temps, ou plus difficiles à ap- procher. Il semble que l’agitation des vagues soit nécesseire pour leur fournir plus aisément les poissons ou les mollusques qui servent à leur nourriture, et que dans les grandes perturbations de l’atmosphère ils aient un plaisir particulier à lutter contre les tempêtes et à se jouer des flots en courroux. « Les oiseaux marins ou pélagiens peuvent être rangés géographiquement en trois groupes principaux : les grands voiliers, les nageurs et les maritimes. » ; Granps voiliers. Le premier groupe, d’après Lesson, comprend les albatros, les pétrels et les phaétons. Les albatros, grands pélagiens et friands piscivores, jouissent d’une organisation robuste, appropriée au vol de longue haleine ; leurs ailes aiguës sont terminées par d’épais tendons qui leur permettent de traverser et de parcourir d'immenses espaces. On les rencontre en pleine mer, vers les latitudes australes ; leur corps ESSAI DE GÉOGRAPHIF ORNITHOLOGIQUE. 303 massif semblerait de prime abord peu en rapport avec la rapidité et la continuité de leur vol, cependant ce sont, parmi les grands voiliers, ceux qui s’éloignent le plus de terre. C’est principalement dans les mers qui baignent les trois caps avancés dans le sud qu’on les voit le plus fréquemment. — Sur l’océan Atlantique, ils ne fréquentent que l'hémisphère austral, car ils ne commencent à se montrer qu'après qu’on est sorti de la zone torride ; mais sur l’océan Pacifique, ils habitent indistinctement les deux hémisphères dans les moyennes latitudes et jamais on ne les a vus dans le voisinage de l'équateur. — Ces oiseaux paraissent préférer pour leur champ d’exploration l’espace compris entre le 35% et le 40° parallèle, dans l’hémisphère sud, et se montrent plus nombreux quand règnent les mauvais temps. Lesson les a vus affluer dans le canal de la Patagonie, pendant une forte bourrasque {pampero) qu'ils semblaient prendre plaisir à braver en rasant les plus fortes lames et en se balançant mollement au milieu de la tourmente. Les albatros, comme les autres pélagiens en général, ne sont pas migrateurs, mais leurs excursions aéronauti- ques, qui les transportent au loin dans les parages qu'ils explorent, les rangent parmi les rôdeurs de mer les plus intrépides, dans ces solitudes de l’océan que les vents bouleversent. — On en connaît quatre espèces, dont trois se rencontrent plus habituellement vers le 40 * degré de latitude australe : ce sont les albatros du cap Horn ou les communs, de la taille d’une grosse oie et de dix pieds d’envergure ; la tête est blanche, le corps 1. — 20 304 CHAPITRE III. varié de gris et de fauve, le bec est couleur de corne. Cette espèce peut passer plusieurs jours en mer en se reposant surl’eau ; ses grandes allures ont fixé de tout temps l’attention des marins qui doublent le cap Horn, et les matelots lui ont donné les noms de vaisseau de guerre et de mouton du Cap. L’albatros à bec jaune, la moitié moins gros que « l’albatros commun, est la seconde espèce ; la troisième espèce est l’albatros fuligineux, plus particulièrement propre à l’océan Pacifique et aux mers de la Chine et du Japon. -— Enfin la quatrième est l’albatros spadice, au plumage d’un brun cendré, manteau noirâtre et bec noir, - dont deux individus ont été tués par 40 degrés de latitude % australe et 113 degrés de longitude orientale, Nous avons fait mention, dans le chapitre antérieur, en parlant des oiseaux pélagiens qui fréquentent nos mers d'Europe, des pétrels et des puflins, que leurs caractères généraux réunissent en un seul genre ; mais, outre les différentes espèces citées, qui se rapprochent plus ou moins de l'oiseau des tempêtes, le satanique des navigateurs, 1l en existe d’autres qu’on rencontre dans le grand Océan et qu’on n’a jamais vues sur nos côtes. Lesson en indique une toule noire, plus forte que.le pétrel pélagique, et ne doute pas qu’il ne s’en trouve d'autres, jusqu’à présent encore inconnues, dans les mers du sud. Le pétrel damier habite hors des tropiques et a été observé par 24 degrés de latitude australe ; il devient plus commun à mesure qu’on se rapproche des iles Malouines et ne dépasse pas le 60 "° parallèle. Son vol A .. "Son ESSAI DE GÉOGRAPHIE ORNITHOLOGIQUE. 305 n’est pas très-soutenu et on le voit souvent se reposer dans le sillage des navires, où le remou accumule les petits mollusques dont il se nourrit. Le pétrel brun, à gorge blanche, se plaît entre le 30e et le 45° degré de latitude sud, dans les environs du cap de Bonne-Espérance et sur les côtes de l'Australie. Le pétrel antarctique ou pétrel de Cook a élé vu par le 40° parallèle, dans l’hémisphère austral. La couleur des plumes du ventre de cet oiseau est d’un blanc de satin et celle du manteau et du cou d’un noir brunâtre. De même que l’albatros et la plupart des pétrels, il a l'habitude, par moments, de raser la surface des eaux du bout d’une aile, pendant tout le temps qu’il plane rapidement sur la mer. On dirait qu’il palpe les flots dans cette évolution pour tâcher d'attirer les petits insectes marins qu’il convoite. (Lesson.) Le pétrel géant explore l’espace compris entre le 45° degré de latitude sud et le 60°. Il est facile de le confondre avec l’albatros lorsqu'on l’aperçoit à distance ; c’est un oiseau qui vit au milieu des tempêtes du cap Horn et sur les atterrages des îles Malouines et de la Terre des États. Le pétrel cendré, de la taille du damier, a été rencontré dans les mers australes, entre 50 et 60 degrés de latitude ; il a le bec et les pieds bleuâtres, avec des teintes purpurines. C’est un oiseau stupide, qui se laisse prendre aux lignes tendues à la traîne des vaisseaux. — Lesson mentionne aussi un joli pétrel bleu, décrit par Forster, qu’il rencontra par 55 degrés de latitude sud ; sa faille était du double de celle du pétrel pélagique, et 306 CHAPITRE Ilf. il en cite deux autres des mêmes parages, l’un aux pieds largement palmés et aux longues ailes, et le petit pétrel à ventre blanc, qu’on a classé sous le nom de pétrel frégate. Le pétrel fulmar, qu’on voit en hiver et au printemps sur les côtes des États-Unis, fréquente aussi le banc de Terre-Neuve pour profiter des rebuts de morue que « rejettent les pêcheurs. — Au commencement de l'été, ces fulmars remontent au nord vers les régions arctiques. « Le capitaine Sabine a observé leur passage sur la côte du Groenland : « Du 23 juin au 31 juillet, dit-il, pendant que nos bâtiments étaient retenus dans les glaces, ces pétrels ne cessèrent de passer, en regagnant le nord, par troupes qui ne le cédaient en nombre qu’à celles des pigeons voyageurs qui parcourent les divers États de l'Amérique. » — Cette espèce est la compagne assidue des baleiniers ; elle les suit dès que leurs vaisseaux ont dépassé les îles Shetland et s’attache aux expéditions, à travers les déserts de l’océan, jusqu'aux plus hautes latitudes ; toujours aux aguets pour observer ce qui se passe à bord des navires, ces oiseaux sont prompts à s’élancer pour dévorer ce qu'on jette à la mer. Ils ne cessent de voler au-dessus des glaces, rasent la surface des eaux pendant les gros temps et résistent aux plus fortes tempêtes. Par 52 degrés de latitude australe et 85 de longitude orientale, on a vu, dans la mer Pacifique, le pétrel soyeux, aux mandibules crochues, bec noir et pieds éperonnés, qu’on range parmi les puffins. — Enfin, une autre espèce, qu’on a séparée aussi des pétrels, le ESSAI DE GÉOGRAPHIE ORNITHOLOGIQUE. 307 puffinure de Garnot, fréquente en grandes troupes les parages qui avoisinent les côtes du Pérou. Cet oiseau parait différer, par ses habitudes, des autres espèces pélagiques ; il plonge comme les grèbes, se repose sur les eaux et vole en rasant la mer. Les phaétons, autres pélagiens, semblent consignés dans la zone équatoriale, entre les deux tropiques, et se rencontrent rarement hors de ces limites. L'espèce qu’on nomme pœile en queue, ornée de deux longues plumes rectrices, vient rôder autour des navires du plus loin . qu’elle les aperçoit et retourne chaque soir coucher à terre. « On cite un capitaine provençal qui, prenant au positif le nom figuré de paille en queue, écrivit sur son journal de bord, après avoir tué un de ces oiseaux : Ce n’est pas une paille, mais bien une plume qu’il a dans le .… » Trois points suffisent, le mot est trop shocking ! Le nom de phaéton ou fils du soleil a été donné à ces oiseaux à cause de leur fréquence dans les parages de la zone torride qui avoisine l’équateur. Gelui de paille en queue, moins poétique que la dénomination linnéenne, mais pourtant très-significatif, leur a été imposé par les navigateurs. Le vol des phaétons est des plus admirables par sa grâce et sa légèreté; l’oiseau plane longtemps sans paraitre remuer les ailes etsemble glisser sur la couche d’air quile supporte, puis, tout à coup, ilchange brusque- ment d’allure et vole par saccades en parcourant l’espace par de rapides évolutions. — Les phaétons sont essen— tiellement piscivores; on en connail deux espèces, le phaéton a brins blancs et celui à brins rouges; le premier fréquente l’océan Atlantique et la mer du Sud, l’autre se 308 CHAPITRE IIL. rencontre plus particulièrement dans la mer des [ndes. XVI. Naceurs. Le groupe des palmipèdes pélagiens que Lesson range parmi les nageurs comprend les manchots (apténodytes, gorfous et sphénisques). Les navigateurs rencontrent souvent en mer, entre le 45° degré de latitude sud et le 55°, des oiseaux sin guliers, aux ailes rudimentaires et impropres au vol, mais nageant et plongeant avec la plus grande facilité et qui bondissent parfois hors de l’eau pour s'emparer d’une proie. Ce sont les manchots ; nous savions déjà qu’ils remontaient à la nage des côtes de la Patagonie et du Chili jusqu'au Callao de Lima. Ces migrations qu'ils exécutent en hiver, sur un parcours de plus de cinq cents lieues, doivent faire supposer un voyage de retour, par la même voie, puisque ces oiseaux ne nichent que sur les plages désertes des terres magella- niques et dans les iles voisines, où ils abordent en se trainant sur leurs jambes courtes et en s’aidant de leurs ailerons. — C’est là que les matelots les surprennent en grand nombre, rangés en files, impassibles, conser- vant la position verticale, les cuisses enfoncées dans le ventre et assis sur leurs larges pieds palmés. Cette attitude grotesque, qui provoque mille plaisanteries, ne les sauve pas de la cruauté des chasseurs : les pauvres bêtes sont assommées sur place à coups de bâton. Ces manchots peuplent en masse toutes les côtes magellaniques pendant six mois de l’année et se rendent ESSAI DE GÉOGRAPHIE ORNITHOLOGIQUE. 309 ensuile à la mer avec leurs jeunes couvées. Les cris qu'ils font entendre sont des plus désagréables. — Outre l’apténodyte, qu’on désigne sous le nom de man- chot à lunettes et qui est très-commun au cap Horn et aux îles Malouines, où on le rencontre réuni en troupes de plusieurs milliers, il en existe d’autres non moins remarquables : le grand manchot, d’abord, qui ne s’é— carte guère des îles antarctiques, où il vit solitaire et ne s’apparie qu’un peu avant la ponte. Il se tient le plus souvent dans les petites baies de la Nouvelle-Shet- land, de la Terre des États et de la Terre de Feu ; il est plus rare aux Malouines. Cette espèce a été nommée aussi pingouin roi des marins (le king des Anglais). Quelques auteurs larangent parmi les sphénisques, mais malgré certaines différences dans la conformation du bec, tous ses autres caractères l’assimilent aux vrais manchots. C’est un oiseau de la taille d’une grosse oie, qui se tient debout sur ses longues pattes quand il est à terre et qu’on prendrait de loin pour un petit homme, car il a environ trois pieds de haut quand :l est posé. Tout son ventre et sa poitrine sont d’un blanc mat ; un scapulaire de plumes noires couvre sa tête et sa gorge, et une bande des plus gracieuses, d’un beau jaune orangé, lui descend le long du cou; son manteau est gris bleuâtre et ses ailerons robustes, qui ressemblent un peu aux nageoires des tortues de mer, doivent bien le seconder pour la natation rapide. Le gorfou sauteur est, pour beaucoup d’ornitholo- gistes, un vrai manchot, car son bec ne diffère pas essentiellement de celui des autres apténodytes ; il est 310 CHAPITRE III, x comprimé et un peu crochu à la pointe comme un nez à la Bourbon, ce qui donne à l’oiseau, quand il est vu de profil et qu’il se tient raide sur ses jambes, une tournure des plus cocasses. Ce manchot sauteur habite l’hémis- phère austral, loin de terre; il a été vu vers le 44° degré de latitude et 60° environ de longitude occidentale. Ses plumes ont presque l’aspeet de poils et sont recouvertes d’une exsudation huileuse ; il nage rapidement ets’élance hors de l’eau à la manière des bonites. Les manchots, en général, remplacent dans l’hémis- phère austral les pingouins des mers boréales, mais leurs mœurs sont plus sociables. — M. Delano (1) a observé les espèces de terriers (roekerie) qu’ils éta- blissent aux iles Malouines, sur les bords de la mer, el dont l’espace, qu’ils occupent avec leurs couvées, a été choisi le plus nivelé possible. Ce sol, qu’ils disposent eux-mêmes en parallélogramme, croisé par des lignes qui se coupent à angles droits, forme ainsi des carrés assez larges pour chaque nichée. Ils ont soin d’enlever toutes les pierres de ces terriers et de les rejeter en dehors, de manière à ce qu’elles restent accumulées tout autour, moins du côté de la mer, qui reste ouvert. et libre, afin de se ménager à la fois l’espace nécessaire pour pouvoir circuler au dedans et aller à l’eau quand il leur plaît. Chaque carré du terrier contient une nichée qu’ils soignent en famille, le mâle se tenant toujours prêt à remplacer la femelle dès qu’elle quitte la place, car il est à craindre que quelque voisin ne vienne lui voler les œufs, si le nid reste abandonné. Ces sortes de (1) Relation de ses voyages. 1 vol. in-8° Boston 1817. ESSAI DE GÉOGRAPHIE ORNITHOLOGIQUE. 311 phalanstères sont occupés indistinctement par différentes espèces d’apténodytes, et le grand manchot est un des plus coutumiers du fait de rapine clandestine : « C’est admirable, dit Delano, d’observer tous les mouvements de cette société d'oiseaux et de les voir réunis par couples et comme marchant en parade, parcourir leur camp en passant et repassant dans les ruelles. » XVIL. Maritimes ou coTiers. Le troisième groupe des péla- giens, qu’on peut désigner aussi sous la dénomination de côliers et que Lesson appelait maritimes, est formé des genres frégate, fou, sterne, stercoraire et chionis. La frégate-pélican, infatigable voilière, est la reine des pélagiens : sa grande envergure, son vol étendu, lui ont valu le nom qu’elle porte. Elle vit entre les tro- piques et peut aller chasser le poisson à de très-grandes distances en mer et retourner au gîte à la nuit. Ces oiseaux se plaisent dans les mers qui baignent les côtes de l’Amérique de l’un et de l’autre bord ; ils sont sur— tout très-communs dans le golfe du Mexique, principa- lement du côté des Florides. Audubon, qui a eu occasion d'en observer beaucoup et même d’en tuer plusieurs dans ses grandes chasses, dit que les frégates-pélicans vivent en société, par compagnies nombreuses, qu’elles sont extrêmement voraces et se font entre elles une guerre acharnée pour se disputer leurs proies, ne ces— sant de poursuivre aussi les autres oiseaux de mer, afin de leur enlever le poisson dont ils se sont emparés. de CHAPITRE If, Ces vautours de l’Océan font ripaille du poisson mort flottant sur les eaux et de tout ce qu’ils ren- contrent; ils ravagent aussi les nids et dévorent les petits et les œufs. — À l’époque des nichées, on voit à les frégates se poursuivre en volant et s’arracher les matériaux qu’elles emportent pour la construction de leurs nids. « Nul oiseau, ajoute Audubon, ni pigeon voyageur, ni sterne, ni autour, pas même le faucon, n’a le vol aussi rapide que la frégate ; elle semble tomber du ciel comme la foudre dès que, du haut des airs, avec ses yeux perçants, elle aperçoit la mouette, qu’elle épie, saisir un poisson : fondre sur elle et lui couper la retraite par une habile manœuvre et la forcer d’aban- donner sa proie, qu'elle reçoit dans son bec crochu, n’est pour la frégate que l'affaire d’un instant. C’est avec la même fougue qu’elle enlève le poisson volant qui fuit devant le marsouin. » La frégate-pélican n’est pas moins commune dans l’océan Pacifique que dans l’Atlantique; Lesson en a observé une espèce dans l’archipel des Carolines, qui diffère peut-être de celle connue jusqu’à ce jour. Les mers d'Europe ne possèdent que le fou de Bas- san, si commun dans les îlots du Labrador : parmi les autres espèces répandues dans les différentes mers du globe, mais plus nombreuses dans les régions chaudes, on distingue le fou brun, au bec acéré en pointe de flèche, comme celui de ses congénères; son vol hori- zontal est des plus rapides et il l’accompagne, en pla- nant, de mouvements de tête à droite et à gauche des plus gracieux. Cet oiseau abonde entre les tropiques, ESSAI DE GÉOGRAPHIE ORNITHOLOGIQUE. 313 ainsi que le fou blanc à ailes noires, ou manche de velours, qui fréquente les îles de l’Atlantique, où il niche sur les rochers, en société avec tous ceux de son espèce. Les sternes ou hirondelles de mer, dont on connaît deux ou trois espèces sur nos côtes d'Europe, en comptent beaucoup d’autres dans les divers océans. Partout ces oiseaux vivent en grandes bandes et se ras— semblent dans les baies isolées. Les îles de Sandwich, dans la mer Pacifique, possèdent leurs sternes particu— lières. Des légions innombrables de la petite sterne vivent en troupes et fréquentent les îles Malouines, le rendez-vous des oiseaux pélagiens. — Lesson observa dans la Polynésie, aux alentours des îles Pomotous et Borabora (archipel deila Société), une sterne de la gran- deur d’une hirondelle, au bec et aux pieds bleus de ciel, qui devait être la sterne pacifique. Une autre espèce, décrite par Gmelin (S. panayensis), se montre fré- quemment dans les canaux qui séparent les grandes îles de la Sonde. — La sterne argentée vit sur les côtes du Brésil ; celle à ventre noir habite Ceylan, Java et la côte de Coromandel ; la sterne blanche ne s’éloigne guère des îles de la mer du Sud, et la sterne à nuque noire, une des plus grandes, se trouve sur les atterrages des Celèbes et de la plupart des Moluques. La sterne simple, celle à bec grèle et la sterne des Incas, qu’on a réunies dans le genre noddi, se montrent assez souvent aux navigateurs. La simple est le nigaud des marins ; c’est celle qui vient se poser fréquemment sur les vergues des navires et qui se laisse prendre avec la * L: Es RE 4 main. Gelle à bec grèle est assez commune sur la côte occidentale d’Afrique, et la sterne des Incas aux formes svelles, au plumage relevé de deux moustaches, bec rouge Carmin et pieds orangés, habite la côte du Pérou. 4 Les becs en ciseaux (Rhynchops) constituent un genre voisin des sternes ; ce sont des oiseaux pêcheurs qui se nourrissent de mollusques bivalves (mactres) que la mer basse laisse sur les plages du Chili. Ils ont un admirable instinct pour saisir ces coquillages, attendant que le mollusque commence à s’entrouvrir pour profiter de l'instant propice et enfoncer leur bec entre les deux valves qui se resserrent aussitôt. L'oiseau porte alors le coquillage sur un rocher contre lequel 1l le frappe, et parvient ainsi à couper son ligament avec son bec, afin que le mollusque puisse être arraché et avalé sans obstacie. Ces pélagiens s’éloignent souvent à de grandes distances de la côte, réunis avec les mouettes et d’autres oiseaux de mer. Ces bandes sont tellement nombreuses, au rapport de Lesson, qu’elles obscurcissent le jour sur un espace de plusieurs milles d’étendue, « et quod vidimus testamur », dit le naturaliste pour plus de confirmation. — Cette espèce de bec en ciseaux diffère probablement d’une autre qu’on rencontre dans la mer des Antilles ; mais elle parait la même que celle des États-Unis et qui abonde sur les côtes des États du midi, où on la connait sous le nom d’écumeur noir: Audubon assure en avoir vu des troupes de plus de dix mille, rassemblés sur des bancs de sable. « Le vol de l’écumeur, dit-il, est des plus gracieux ; la grande 314 CHAPITRE III. ESSAI DE GÉOGRAPHIE ORNITHOLOGIQUE. 319 envergure de ses ailes eïlilées, sa queue allongée et fourchue, son corps mince, lui donnent cette aisance de mouvements qu'on admire quand cet oiseau a pris l'essor. Il sait se maintenir contre l’ouragan le plus impétueux ; mais c’est surtout an temps des amours que ce vol puissant se montre avec tous ses avantages, quand plusieurs mâles se mettent à harceler une femelle non appariée. Celle-ci s’élance, fait des feintes et d’une aile merveilleusement légère trompe leur ardeur et fuit dans toutes les directions. Les poursuivants ne la quittent pas, leurs cris d'amour éclatent empressés et bruyants ; ils la suivent et la serrent dans tous ses ZI2Za9S. D Le labbe catarrhacte ou le stercoraire de l'Océan aus- tral a les mêmes habitudes que ses congénères des mers d'Europe. On le rencontre aussi au large et fort loin de terre. Cette espèce, que le vieux navigateur Pigafetta caractérisait si bien sous le nom de cagassela, fréquente les côtes de la Nouvelle-Zélande et des îles Malouines, où il se tient de préférence aux alentours de la baie de la Soledad. — On voit souvent ces labbes en compagnie des mouetles, qu’ils ne cessent d’épier pour s’emparer de leur pêche, bien qu’ils soient eux-mêmes d’habiles pêcheurs. Les chionis sont des palmipèdes aux doigts à demi palmés, et malgré qu’on les ait rangés dans la dernière famille de l’ordre des échassiers (les chionidées), Lesson lui-même n’a pu s'empêcher de les comprendre parmi les oiseaux pélagiens, à cause de leurs habitudes mari- times et de leurs mœurs. La taille des chionis est à peu 316 CHAPITRE Ill près celle des colombes ; leur bec est fort, convexe et recourbé à la pointe, leurs ailes sont éperonnées. On. n’en connaît qu’une espèce, au plumage d’un blanc pur, à laquelle les navigateurs ont donné le nom de pigeon blanc antarctique. Ces oiseaux ne sont pas très-nombreux aux Malouines, où le naturaliste Forster les découvrit d’abord pendant le second voyage de Cook; ils ont été rencontrés depuis, en grand nombre, à la Terre de Kerguelen ou de la Désolation, sur les côtes de la Tas- manie, de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande. — Lesquin de Roscoff les observa pendant son naufrage aux iles Crozet, par 46 et 47 degrés de latitude sud ; le capitaine Marchand, du Solide, les aperçut, durant son voyage autour du monde, à 60 lieues à l’est de l’embou- chure du Rio de la Plata — Ce sont des oiseaux farouches et défiants, qui ne se laissent guère approcher et dont le vol est moins soutenu que celui des autres pélagiens. Les goëlands ou mouettes peuvent être rangés aussi parmi les oiseaux pélagiens du groupe des maritimes ou côtiers. Nous avons fait connaître les habitudes des espèces qui fréquentent nos mers et qu’on rencontre aussi dans de lointains parages; une espèce, décrite par Lichtens, la mouette à iris blanc, habite les bords de la mer Rouge et se distingue des autres par son bec cou- leur de corail et noir à la pointe, ses pieds orangés, la tête et la face revêtues de plumes noires formant comme une sorte de capuchon. Les plongeons, les guillemots, les macareux et les pingouins des mers arctiques présentent dans leurs ESSAI DE GÉOGRAPHIE ORNITHOLOGIQUE. 311 mœurs et leurs habitudes beaucoup d’analogie avec les oiseaux pélagiens qu’on rencontre dans les hautes lati- tudes australes, Nos plongeons des mers septentrionales sont représentés, sur les côtes du Kamschatka et aux îles Aléontiennes, par les stariques. Ce sont des oiseaux décrits par Pallas, vivant sur les eaux salées en troupes considérables et se tenant cachés dans les anfractuosités . des rivages pendant les tempêtes. Chaque femelle ne pond qu’un seul œuf. L’espèce de la presqu'ile asiatique comprise entre les mers de Bebring et de Tarrakaï, et qu’on trouve aussi aux Kouriles, est le starique perroquet, celle des îles Aléontiennes est la cristatelle, de la taille d’une caille et remarquable par les plumes fron— tales à barbes accolées qui lui retombent sur le bec. Les guillemots, qui vivent dans les mers arctiques, se rencontrent dans divers parages du nord de l’ancien et du nouveau monde ; le guillemot nain, dont on a fait un genre à part (cephus), habite aux alentours du pôle boréal, vers les côtes les plus septentrionales de l'Amé- rique, et niche dans les trous des rochers. Les macareux, qui participent de l’organisation in- complète des pingouins et des manchols, et dont l'espèce de l'Océan glacial du nord apparait parfois sur nos côtes de l’ouest, comptent deux autres congénères dans la partie septentrionale de l’océan Pacifique et dans les parages les plus reculés de l'Amérique du nord. L’une d'elles est le macareux huppé de Pallas, aux pieds rouges, à la tête en partie blanche, avec un cercle noir autour des yeux et tout le reste du corps d’un brun noirâtre ; sa huppe jaune lui retombe derrière le cou. 318 CHAPITRE I. — Les Russes du Kamschatka appellent cet oiseau kara. L'autre espèce est le macareux mormon. Les pingouins des mers boréales, comme nous l'avons déjà dit, sont représentés dans l'hémisphère austral par les apténodytes, le gorfou sauteur et le sphénisque du Cap. Les grèbes, aux doigts bordés de larges festons, au bec robuste et comprimé et aux ailes courtes, vivent sur la mer et s’introduisent aussi dans les rivières. Ils plongent et nagent également bien. Outre les cinq espèces qui fréquentent nos mers septentrionales, on en connait plus de vingt autres des mers d'Afrique, d’Amé- rique, d'Australie, du détroit de Magellan, des côtes de la Californie, de la Sibérie, de Madagascar et de ‘a Nouvelle-Zélande. XVIIT. Les tribus aquatiques, dont il nous reste à parler, n’appartiennent plus aux palmipèdes pélagiens ; ce sont des oiseaux qui préfèrent en général les eaux douces aux eaux salées et qu’on ne rencontre que bien rarement en mer, non loin des côtes. Pécécaninées. Nous avons déjà mentionné le pélican blanc à teintes rosées, espèce européenne qu’on retrouve aussi en Afrique et en Asie; trois autres habitent diffé=. rentes contrées : le pélican brun, très-commun en Amérique, sur les côtes de l'Atlantique, aux Antilles et dans la mer du sud; le pélican à lunettes, originaire des terres australes, qui a le tour des yeux garni d’une ESSAI DE GÉOGRAPHIE ORNITHOLOGIQUE. 319 peau nue et paraît porter des bésicles; et en dernier lieu, le pélican des États-Unis ou l'américain, plus grand que celui d'Europe et auquel Audubon a consacré un article dans ses Scènes de la nature. « Je l’ai honoré « du nom de ma patrie bien-aimée, dit l’infatigable « chasseur, et puisse, sur nos vastes fleuves, ce magni- « fique oiseau errer toujours libre et paisible jusqu'aux « temps les plus reculés, comme dans les anciens âges « de l’antiquité mystérieuse. » — Ce pélican se montre par grandes troupes dans la région du nord; on le rencontre aussi sur les bancs de sable de l'Ohio, vers les rapides du fleuve, entre Louisville et Shidpingport ; il se distingue du phénix onocrotale par la crête osseuse qu'il porte sur la mandibule supérieure. Les cormorans, dont nous avons cilé quatre espèces européennes, en comptent d’autres sur le nouveau continent ; le nigaud se retrouve aux Antilles et ailleurs; l'espèce du Pérou, dédiée à Gaymard, fréquente la rade du Callao. Ce bel oiseau, au plumage gris cendré, orné d’une bande blanche, portant manteau marbré de brun el de gris satiné, a les pieds rouges et le bec jaune. — Le cormoran de la Floride pousse ses excursions, pen- dant l’été, sur les eaux de l'Ohio et du Mississipi, et pose sur les arbres comme ses congénères. Audubon cite aussi le cormoran à double crête, qui niche au Labrador et descend l'été jusqu’à Charleston, dans la Caroline du sud. Ce même naturaliste mentionne en outre le grand cormoran d'Europe parmi ceux qui fréquentent les rives des États de l’Union et qui voyagent du sud au nord, suivant la saison. I — 21 320 CHAPIIRE UI. L’anhinga noir est un autre oiseau aquatique des plus curieux, au Corps massif comme le cormoran et à queue. en éventail. [l en a déjà été question ; disons seulement, pour compléter nos renseignements, que son bec droit, beaucoup plus long que sa tête, est très-acéré et dentelé sur les bords. L’anhinga nage tout le corps submergé, et dans cette position, ou bien quand il est caché dans les herbes, son cou grêle et allongé, qu’il ondule dans tous les sens, peut faire croire à la présence d’un reptile; de là le nom d’oiseau-serpent qu’on donne en Amérique à cette espèce, comme en Afrique à celle du Sénégal, qu’on retrouve, dit-on, sur la côte asiatique, mais cette dernière a le plumage à reflets métalliques, sur un fond couleur rouge de brique. Il existe deux autres espèces d’anhingas des îles Malaises et de la Nouvelle-Hollande. ANATIDÉES. Les oiseaux aquatiques qui composent cette famille sont plutôt lacustres ou fluviatiles que maritimes. Les anatidées se rencontrent dans différentes régions et nous ont fourni tous nos palmipèdes domes- tiques. Les canards constituent ie geure le plus nombreux : le canard du nord, dit le marchand, habite les pays seplentrionaux du nouveau continent, principalement aux alentours de la baie d'Hudson ; celui à fanon et au corps d’un brun noirâtre, jaspé de blanc, est propre à l'Australie et a été tué près du Port du roi Georges ; le mâle se distingue par la membrane flottante qu'il porte sous la gorge et par les plumes noires de la tête et du cou. — Le canard aux courtes ailes est originaire des Malouines ; le canard radjah, au manteau noir, avec ESSAI DE GÉOGRAPHIE ORNITHOLOGIQUE. 321 _tout le reste du corps d’une blancheur éclatante, a été découvert dans les étangs de Bourou ; celui à pieds demi-palmés habite la Nouvelle-Hollande et ressemble beaucoup au canard percheur des Antilles ; le canard huppé des États-Unis d'Amérique vient hiverner dans le Massachussetset vers les sources chaudes du Missouri; le canard vallisnerie fréquente les bouches du Mississipi et remonte jusqu’à l’Hudson ou rivière du nord ; son nom provient de la plante aquatique dont il est très— friand et qui abonde dans le Chesapeaks ; cette espèce arrive dans les environs de la Nouvelle-Orléans de la mi-octobre à la fin de décembre, par petites bandes de dix à douze, qui se tiennent ainsi par groupes pendant tout l'hiver, mais à l’approche du printemps ces différentes troupes se réunissent pour repartir toutes ensemble. C’est encore à Audubon que nous sommes redevables des meilleures notions sur les eiders, ces beaux canards qui se montrent bien rarement sur nos côtes septen- trionales, et qui viennent nicher sur celles de l’Amé-— rique du nord. — Les eiders arrivent par milliers au Labrador, où ils passent l’été si court dans ces latitudes. Ils déposent leurs œufs dans des nids garnis d’édredon que les mères se sont arraché et qu’elles ont soin de recouvrir du même duvet lorsqu'elles sont obligés de s'éloigner pour aller prendre quelque nourriture, car les mâles se séparent des femelles dès que commence lincubation. . Quand les petits sont éclos, la mère ne tarde pas de les mener à la mer, et si le nid se trouve placé sur des 3292 CHAPITRE III. rochers qui dominent la plage, elle les prend les uns après les autres, dans son bec, et les dépose doucement sur leur élément favori. C’est là qu’elle leur apprend d’abord à nager, à plonger pour chercher leur nourri- ture ; elle s’enfonce dans l’eau lorsqu'ils sont fatigués et les laisse se reposer sur elle pendant quelques ins- tants. — A l'approche de son cruel ennemi, le grand goëland à manteau noir, elle bat l’eau de ses ailes en la faisant rejaillir de tous côtés comme pour l’étourdir et se dérober à sa vue. Alors, à son cri strident, les canetons plongent dans toutes les directions, tandis qu’elle tâche d’attirer tout le danger sur elle seule. On l’a vue s’élancer sur l’agresseur avec une telle furie qu’il était forcé de fuir pour échapper à sa rage. Au- dubon a remarqué que plusieurs femelles réunissaient leurs couvées en commun et formaient entre elles une sorte d’alliance défensive pour leur assurer une protec- tion plus efficace contre le goëland maraudeur. Les eiders stationnent une partie de l'hiver dans dif- férentes contrées des États-Unis : lorsqu'ils descendent vers le sud, ils volent très-bas au-dessus des eaux, en suivant la côte, longeant d’abord, en venant du nord, l'ile de Terre-Neuve et la Nouvelle-Écosse jusqu’à l’en- trée du détroit de Belle-Ile. On s’est assuré quela ra- pidité de leur vol était d'environ quatre-vingts milles par heure et qu’ils pouvaient, en plongeant, aller chercher leur pâture, entre deux eaux, à des profondeurs de» plus de huit à dix brasses. —— En hiver, ces beaux canards se répandent dans les États du midi jusqu’à Boston. ESSAI DE GÉOGRAPHIE ORNITHOLOGIQUE. 23) Les harles font suite aux canards ; trois des princi- pales espèces appartiennent à la fois aux eaux de l’an- cien et du nouveau continent : le grand harle ou merganser, le huppé (serrator) et le harle-piette ou l’arbelle. Trois autres sont particulières aux mers et * rivières de la Chine, de l’île d’Aukland et du Brésil. Parmi les oies, celle aux ailes blanches et l’oie an- tarctique sont exclusives aux îles Malouines et aux terres avancées de l’Amérique du sud. — L’oie du Canada se rencontre dans les contrées tempérées des États-Unis, où elle vient nicher au bord des lacs et des grands cours d’eau des districts de l’ouest, sur le Mis- souri, le Mississipi, dans les parties basses de l’Ohio et sur le lac Érié. On la trouve aussi vers l’est, dans le Massachussets et le Maine. Cette espèce retourne en- suite dans les régions les plus septentrionales. — Pen— dant les migrations du printemps, des bandes de ces oiseaux voyageurs s'arrêtent aux iles de la Madeleine, à Terre-Neuve et au Labrador, pour y passer l'été; ils descendent ensuite vers les États-Unis, où ils se réu- nissent en immenses troupes sur les rives de l’Arkansas et dans les clairières des Florides. Les mâles se livrent entre eux des combats acharnés, au temps des amours, pour la possession des femelles. Audubon a observé les mœurs de l’oie du Canada avec sa sagacité habituelle, et parmi le grand nombre de renseignements qu’il a donnés sur cette espèce, il en est des plus curieux, qui méritent d’être rapportés; on en jugera par l’extrait suivant : «.….. Son vol est ferme, rapide et prolongé ; mais une 324 CHAPITRE III, fois que l’oie a gagné les hautes régions de l’air, elle s’avance d’un mouvement constant et régulier. En s’élevant de terre, elle a coutume de faire quelques pas en courant, les ailes toutes grandes ouvertes, mais quand elle est surprise, un simple élan de son large pied palmé suffit pour lui faire prendre l’essor. — Quand les oies partent en troupes pour un long voyage, elles s’enlèvent à environ un mille dans l’air, et se dirigent tout droit vers le lieu de leur destina— tion. Leurs clameurs alors s’entendent au loin, et l’on distingue très-bien les divers changements qui s’o- pèrent dans leur ordre de marche. — Aux premiers beaux jours du printemps, on les voit s’en retourner du sud vers le nord ; elles volent alors beaucoup plus bas, se posent plus souvent et se laissent facile— ment mettre en désarroi par la rencontre subite d’un épais brouillard ou d’un violent tourbillon de neige. La consternation s'empare aussitôt de toute la bande, les rangs se rompent et se mêlent. Tous ces oiseaux effrayés ne font que tournoyer et les cris qu'ils font entendre ressemblent au bruit confus d’une multitude en déroute. — Quelquefois la troupe se sépare et un certain nombre prend une autre direction ; puis, au bout d’un instant, comme si ces oies avaient perdu leur chemin, elles redescendent et s’abattent sur la terre à moitié étourdies et se laissent assommer à coups de bâton. J’en ai vu en plein jour venir donner de la tête contre les tours des phares et se fatre prendre avec la main. — Un simple changement de de temps suffit pour arrêter leur marche ; mais ESSAI DE GÉOGRAPHIE ORNITHOLOGIQUE. 325 elles savent en deviner l’approche; car, sans retard, elles font volte-face et reprennent le chemin du midi. Souvent des bandes entières reviennent ainsi aux lieux qu’elles ont quittés. La connaissance de l’état futur du temps semble infaillible chez ces oiseaux et quand on les voit le soir se diriger au sud et passer rapidement, on peut être certain qu’il fera froid le lendemain. « Ges oiseaux sont très-défiants et toujours sur le qui-vive; il n’en est pas au monde qui les égalent pour la puissance de la vue et la subtilité de l’ouie. Ils se gardent les uns les autres, et, pendant que la troupe repose, un ou deux mâles font sentinelle. La pré— sence du bétail, d’un cheval ou d’un daim ne les étonne pas; mais qu'il s'agisse d’un couguar ou d’un ours, son approche est toujours annoncée ; et si la bande est réunie au bord d’un étang, elle se tire à l’eau sans faire le moindre bruit, gagne le large et attend que le danger soit passé. L’ouie de loie est d’une telle finesse, que l’oiseau, en entendant casser une branche sèche, sait distinguer si c’est un homme ou un animal qui s’approche : de grosses tortues se jettent-elles en tumulte à l’eau, un alligator se laisse- t-il choir pesamment dans le lac, l’oie du Canada ni ne bouge, ni ne s’en préoccupe ; mais si le faible bruit de la pagaie d’un Indien, voguant dans sa pi- rogue, vient frapper son oreille, soudain l’alarme est donnée, la bande s’émeut, toutes les têtes se tournent du côté d’où vient le danger etla troupe entière se tient silencieuse poursurveiller les mouvements de l’ennemi. 326 CHAPITRE II. « « Sur les immenses bancs de sable de l'Ohio et d’au- tres grands fleuves, on voit parfois, vers le soir, ces oiseaux réunis par milliers pour passer la nuit, et re- posant par petites bandes, chacune avec ses senti- nelles postées. Dès l’aube du jour, toutes sont sur pied, et après s’être secouées et avoir lustré leur plumage, elles partent pour les prairies où elles ont coutume de pâturer. Lors de ma première visite aux chûtes de l'Ohio, j'en trouvai des multitudes qui se réfugiaient pour passer la nuit sur les pentes rocail- : leuses et dénudées de ses rives. Mais ces lieux soli- | laires ne les mettaient pas à l'abri des ruses du chas- seur. — J’ai connu un gentleman, propriétaire d’un moulin, situé en face de Rock-Island, qui avait imaginé de bombarder ces pauvres oies, à la distance d’un quart de mille, avec un petit canon chargé à balles, et qui en tuait ainsi plus d’une douzaine à chaque coup. Cela avait lieu au point du jour, quand les oies commençaient à se réveiller; mais cette guerre d’extermination ne pouvait durer : les oiseaux désertèrent le roc fatal, et le redoutable canon du puissant meunier ne lui servit pas une semaine. » XIX.. Le céréopse, no veau genre de la tribu des oves, dont l’Europe s’est récemment enrichie, est un oiseau origi- naire de la Nouvelle-Hollande, qu’on à rencontré dans la baie de l’Espérance ; ses mœurs douces et paisibles ont facilité son acclimatation, — Rappelons en passant ESSAI DE GÉOGRAPHIE ORNITHOLOGIQUE. 327 que c’est aussi dans ce même continent australien, qui ous a déjà fourni des oiseaux si rares, qu’a été décou- vert le cygne noir, à bec rouge, superbe palmipède aux formes sveltes et gracieuses. Plusieurs autres espèces de cygnes, étrangères à notre continent, existent dans le Nouveau Monde; je ne saurais assurer si le cygne de Berwick, dont parle Audubon, est vraiment américain ; le même doute me reste sur le cygne siffleur de Bechstein, que Ch. Bona- parte a indiqué comme très-commun sur la baie de Chesapeak. Quant à l’autre cygne d'Amérique qu’on a nommé le grand cygne trompette, il était réservé à Audubon d'illustrer son histoire. C’est un superbe oi- seau, à la voix éclatante, aux ailes de dix pieds d’en- vergure, qui pèse souvent plus de quarante livres, et fait ses apparitions sur les eaux de l’Ohio vers la fin d'octobre. [l poursuit ses migrations jusqu'au Texas et son vol est très-soutenu. « Lorsqu'une bande de ces oiseaux passaient bas, dit le naturaliste observateur, j'ai cru souvent entendre comme une sorte de cliquetis produit par le mouvement des plumes qui bordent les ailes. Ces cygnes se forment en angle pour leur grand voyage, et sans doute que le conducteur de la troupe est un mâle des plus vieux; cependant je n’en suis pas bien sûr. » — Cette belle espèce se rencontre en été vers les montagnes Rocheuses, sur les bords de l’Orégon. Audubon termine ses rensei- gnements sur le cygne trompette par une anecdote que ceux qui n’ont pas lu les intéressantes relations de ses chasses seront bien aises de voir reproduite ici et qui ML | ‘2 328 CHAPITRE III. prouve combien il serait facile d’acclimater ces beaux OISEAUX : « .….. Une fois, à Henderson, j'en pris un vivant ; « C'était un mâle qui pouvait avoir deux ans. Il avait « reçu une légère blessure au fouet de l’aile, et je par- « vins à m'en emparer après lui avoir longtemps donné «a la chasse sur un étang d’où il n’avait pu s'envoler. «& — Emporter à près de deux milles de là un oiseau « de cette force et de cette taille n’était pas chose « facile; mais je savais qu'il ferait plaisir à ma femme « et à mes petits enfants, et je ne perdis pas courage. « Quand il fut à la maison, je lui rognai le bout de « l’aile blessée et le lâchai dans mon jardin. Il se « montra d’abord extrêmement craintif et farouche, « puis s’accoutuma peu à peu aux domestiques, qui le « nourrissaient très-bien, et se rendit enfin si familier, « qu’il venait, à l’appel de ma femme, manger du pain « dans sa main. Trompette, c’était le nom que nous lui « avions donné, déploya un caractère que rien jusque- « là n’aurait fait soupçonner : devenu aussi audacieux « qu'il avait été timide, il harcelait mon dindon mâle, « mes chiens, ainsi que les enfants et les serviteurs. « Chaque fois qu’on laissait ouvertes les portes du ver- « ger, il prenait sa course vers l’Ohio, et ce n’était pas « Sans peine qu’on le ramenait à la maison. Dans une « de ses escapades, il s’absenta toute la nuit, et je crus « bien que nous ne le reverrions plus; mais je reçus « l'avis qu’on l’avait rencontré faisant route vers un « étang qui n’était pas très-loin de chez nous. Prenant « avec moi mon meunier et six ou sept domestiques, je ESSAI DE GÉOGRAPHIE ORNITHOLOGIQUE. 329 « me dirigeai de ce côté; et nous l’aperçûmes s’ébat- « tant à son aise au milieu des eaux, en ayant l’air de « nous narguer tous. Pourtant, après l’avoir longtemps « poursuivi, nous réussimes à le pousser près du bord, « où nous le rattrapämes. — Mais ces oiseaux favoris, « de quelque espèce qu’ils soient, finissent toujours « mal; par une nuit sombre et pluvieuse, un domes- « tique ayant négligé de fermer la porte du verger, « Trompette s’esquiva et depuis lors je n’en ai jamais « entendu parler. » DES DIFFÉRENTES RÉGIONS ORNITHOLOGIQUES. XX. Chaque grande région du globe a sa faune ornitholo- gique qui présente sa physionomie particulière, et ce caractère propre est dù à la fréquence de certains oiseaux dont les nombreuses espèces appartiennent à des genres qui fixent de suite l’attention par leur étran- geté. Le naturaliste en pénétrant dans l’Amérique méri- dionale, par exemple, reconnaît de prime abord un pays nouveau, où tout est différent, les plantes, les ani- maux comme les hommes. Ce sont d’autres physiono- mies, d’autres types, d’autres races, d’autres aspects. Ces caractères apparents et distincts, que la nature a répartis dans les divers berceaux de création où elle a varié ses moules, se font remarquer dans le nouveau comme dans l’ancien monde, en Afrique, en Asie, dans 330 CHAPITRE II. la Malaisie, en Australie, dans les archipels de l'Océanie et jusque vers les terres polaires, soit que les observa- tions se fixent sur l’ethnographie d’un pays, ou bien qu’elles embrassent sa flore et sa faune. La même remarque que de Candolle appliquait à une contrée, au point de vue botanique, c’est-à-dire relati- vement au caractère apparent de la végétation, peut s'appliquer aussi à la faune. Il y a une physionomie générale pour chaque région ornithologique et une physionomie particulière , c’est-à-dire un type pour chaque genre d’oiseaux. Les espèces d’une région bien tranchée ont, en effet, un aspect original qui frappe au premier coup d'œil, et ce caractère indigène se fait aussi bien remarquer quand on fixe son attention sur l’ensemble des espèces que lorsqu’on les examine isolé- ment. De même qu’en botanique, ce caractère consiste autant dans le rapport numérique de certaines familles d'oiseaux avec celles d’autres pays et dans le degré de fréquence de telle ou telle espèce, que dans l’absence ou la présence de certaines formes génériques. Les grands rassemblements d’espèces sociales donnent à une contrée cette physionomie d’autant plus originale que les oiseaux qu’on a en présence offrent des types plus étranges sous le rapport des formes, des grandeurs, des couleurs et de la disposition du plumage. — Il est aussi Certains oiseaux dont les formes excentriques ca— ractérisent de suite un pays et s’harmonisent avec les sites que ces espèces fréquentent. Aïnsi les autruches d'Afrique peuplent les solitudes du désert et l’animent de leur présence. Le casoar, cet autre gallinacé colos— 2 ESSAI DE GÉOGRAPUIE ORNITHOLOGIQUE. 331 sal, n’est pas moins étrange que les contrées qu’il habite. Les magnifiques oiseaux de paradis impriment un caractère féerique à la végétation luxuriante de la terre des Papous, et ces innombrables légions de per- ruches, de Lloris et de cacatoès, aux éclatantes livrées, font l'admiration du voyageur qui pénètre pour la pre- mière fois dans les forêts d’eucalyptes de la singulière région qu’on à nommée l’Australie. | La présence d’oiseaux d’un nouveau type donne done à une contrée son caractère particulier, et ce que j’ai écrit, il y a déjà bien des années, sur les grands caractères de la végétation (1), je le répète ici en l’ap- pliquant aujourd’hui à la question que je traite. Dans l'examen comparatif de deux faunes, si les mêmes fa- milles sont représentées par des genres différents, et surtout si ces types sont très-variés, la faune prend aussitôt un caractère propre qui vous frappe d’autant plus qu’elle s’offre sous des formes qui s’écartent da- vantage de celles qu’on connaissait déjà. Mais si, parmi les différentes espèces qui constituent la faune d’une contrée, 1l s’en trouve beaucoup qui appartiennent à des familles d'oiseaux peu ou point représentées ailleurs, la nature du pays acquiert une autre apparence et l’on se trouve alors dans une nouvelle région ornithologique. Les régions ornithologiques, qui marquent les dif- férences caractéristiques des diverses contrées du globe, sont : {1° la région européenne, 2° l’américaine, 3° l’a- fricaine, 4° la malgache, 5° l’asiatique, 6° la malaise, (1) Voyez : Histoire naturelle des tles Canaries (Géographie bo- tanique). 332 CHAPITRE II. 7° l’australienne, 8° la polynésienne ou l’océanique, et 9° les régions arctique et antarctique. Les traits caractéristiques de ces différentes faunes seront faciles à saisir par les aperçus que nous allons présenter successivement sur chacune de ces régions ornithologiques, en les accompagnant des considé- rations qui nous ontporté à les établir d’après les divisions que nous venons d’indiquer. RÉGION EUROPÉENNE. XXE La faune ornithologique de celte région se compose en grande partie d’oiseaux indigènes, les uns séden— taires, les autres voyageurs, qui émigrent à la saison pour revenir ensuite, el d'espèces exotiques qui arrivent du dehors, ne séjournent qu'un certain temps de l’année, ou ne sont que de passage ; mais cette faune en général ne possède aucune famille, ni aucun genre qui lui soit exclusif. Aucune forme endémique, aucun facies original n’y vient fixer l’attention. On a pu voir, par les renseignements que nous avons donnés sur la distribution géographique des oiseaux terrestres, étrangers à l’ornithologie européenne, que notre faune, qui ne comprend guère que six cents es- pèces dansles différentes familles dont elle se compose, n’est remarquable par aucun type sui generis qui la caractérise d’une manière particulière. Elle ne possède ESSAI DE GÉOGRAPHIE ORTITHOLOGIQUE. de pas une seule espèce des nombreuses familles d'oiseaux qui constituent l'élite des faunes des autres régions. RÉGION AMÉRICAINE. XXIT. Elle comprend la faune de l’Amérique méridionale, celle de l'Amérique septentrionale, et une faune mixte des contrées du centre américain, savoir : les Antilles, les Florides, l’Alabama, la basse Louisiane et le bas Mexique, le Yucatan et les cinq États de l'Amérique . centrale , c’est-à-dire loutes les contrées que l’isthme de Panama rattache aux deux Amériques et qui bordent les golfes du Mexique et de Honduras. OBSERVATIONS SUR LA FAUNE mixte . L’ornithologie de cette faune réunit, à ses propres espèces, beaucoup d'oiseaux migraleurs qui appartiennent à la fois aux deux autres grandes faunes. Les tangaras, les troupiales et les tyrans du Brésil commencent à se montrer aux Antilles, de même que quelques gobe-mouches, des guis-guis, et des colibris. On y remarque, parmi ces derniers, le tassin qu’on retrouve en Californie, et le rubis qu’on voit aussi au Mexique et aux Florides. Les observations d’Alc. d’Orbigny sur l’ornithologie de Cuba (voy. chap. 1) sont applicables aux autres îles du groupe des Antilles et à toute la région dont elles font partie, car on doit comprendre dans la faune d’une contrée, outre ses espèces propres, les indigènes 4 sédentaires qu’on retrouve ailleurs dans les mêmes conditions d'habitat, et celles qui viennent du dehors pour nicher ou séjourner un certain temps. Ainsi Cuba et probablement aussi les autres Antilles possèdent dix espèces d'oiseaux de proie, dont trois sont particulières à cette île et sept proviennent du continent. Parmi les passereaux, sur plus de cinquante espèces, la plupart voyageuses et qui arrivent de l'Amérique du nord, une douzaine seulement sont sédentaires et ne sortent pas de l’ile, mais ce n’est pas dire pourtant que ces mêmes espèces n'existent pas ailleurs. L'ordre des grimpeurs est représenté à Cuba par six espèces de pics ou de colaptes, deux cuculées, un cro- tophage, trois perroquets et un superbe trogon, en tout treize espèces, dont sept de passage et six qui jusqu’à présent n’ont été vues que dans cette île ou dans celles. qui l’avoisinent. Les gallinacés et les pigeons y comptent une espèce de perdrix et huit espèces de colombes, dont la plupart sont indigènes et les autres ne se montrent qu’à l’époque des migrations. On y remarque aussi beaucoup d’échassiers que le froid chasse de l'Amérique du nord : ce sont, parmi les ardéadés, le héron grande aigrette, le héron bleu ou l’hérodias, le leucogaster ou la demi-aigrette, l’étoilé, le petit crabier , des bihoreaux, des spatules et des tantales. Les ibis s’y présentent aussi en grand nombre, de même que les flammants, les Jacanas, les bécasses, et divers autres oiseaux de marais. Les flimmants fréquentent les Lucayes au temps desnichées, 334 CHAPITRE III. ESSAI DE GÉOGRAPHIE ORNITHOLOGIQUE. 335 et les 1bis, qui ont presque les mêmes habitudes, quittent les Antilles quand vient l’hivernage et se retirent dans les parties les plus chaudes du littoral continental, sur les côtes du Brésil et des Guyanes. — Parmi les palmi- pèdes non pélagiens, on ne rencontre aux Antilles que six espèces de canards, le pélican brun et le cormoran, qui sont tous de passage. RÉGION mÉripionaLE . Ce qui frappe le plus, lorsqu'on pénètre dans l’Amérique méridionale, ce sont les oi- seaux. Cette belle région a pour elle ses colibris et ses ornismyes, Oiseaux-mouches aux couleurs métalliques, qui butinent sur les fleurs comme des papillons; de vrais bijoux, rubis, saphirs, grenats, topazes, éme- raudes, dont la nomenclature suffit pour indiquer les curieuses variétés : la double huppe, l’écaillé, le superbe, le couronné-violette, le tout-petit, l’'amasili, le sapho, le travies à long bec, un des plus mignons, etc. ; les uns vert velouté, vert doré, violacés, les autres à plastron chatoyant, à calotte pourprée, à cravate irisée, tous admirables ! Ceux-ci du Brésil, ceux-là du Pérou ; et il y en a ainsi, dans cette immense famille des trochilidées, plus de cinq cents espèces différentes, réparties en dix ou douze genres, qui peuplent par essaims les forêts de l'Amérique équatoriale et pour lesquelles on a épuisé toutes les dénominations des pierres précieuses. — J’ai vu ces jolis petits oiseaux voltiger dès le soleil levant et même aux heures de la plus forte chaleur, vivant du suc qu'ils pompent dans le nectaire des fleurs, en bour- donnant comme des abeilles. Leur nid miniature imite une soucoupe ouatée de coton. — Quelques-uns, qui I — 22. 336 k CHAPITRE HI. habitent le Pérou, doivent traverser les Andes dans leurs migrations hivernales, car on rencontre à Tal- caguano, dans les environs de la baie de la Conception, l’oiseau-mouche à couronne violette, qui n’est que de passage au Chili, pour s’en retourner ensuite au nord, vers les limites de la Bolivie, pendant l'hiver de ces des tropiques, les uns au sud jusqu’au Paraguay, les autres au nord jusqu’au Mexique. x Les guit-guits, de la famille des cerebides (1), à la lan- gue bifide et ciliée, sont aussi des oiseaux particuliers à cette région et qui y représentent les foui-mangas d'Afrique et des archipels indiens. Les synallaxes, autre tribu nombreuse, essentiellement propre au Nou- veau—-Monde, se rencontrent depuis l’Amazone jusqu'aux frontières de la Patagonie. Il est en outre, parmi les 1 climats. — Il y a aussi des colibris qui s’avancent hors [2 passereaux, une infinité de genres et même des familles. entières, dont les innombrables espèces ne se ren- contrent que dans cette partie du globe (2). Aussi cet ordre d’oiseaux figure-t-il en première ligne dans cette brillante faune. La moitié environ des passereaux ré- pandus dans le monde appartient à l'Amérique du sud. Dans la famille des fringillées seulement, plus de cent soixante espèces de la tribu des passerellines habitent ce continent. (1) Cærebidæ, de Ch. Bonaparte. (2) Les anabatides (Anabatidæ, Ch. Bonap. Uppucerthidæ, d’Or- bigny) comptent plusieurs genres dont toutes les espèces au nombre de plus de 300, ne se rencontrent qu’en Amérique. — Les ptéropto- chides (Pteroptochidæ, Sclat. Certiadæ, G.-R. Gray) sont aussi des oiseaux essentiellement américains, ainsi que la plus grande partie des troglodytes, des campylorhynques et des cyphorhines, qui comptent ensemble plus de cent espèces. ESSAI DE GÉOGRAPHIE ORNILHOLOGIQUE. 337 Il est un fait digne de remarque : parmi les coccothy— rostres, les geospizes,les camarhynques, les cactornis et les certhidées ne se rencontrent qu'aux îles Gallapagos que leur situation géographique rapproche de la côte - du Pérou, et qu’on doit considérer par conséquent » comme dépendantes de l'Amérique du sud. Parmi les turdusinées, plusieurs espèces de grives et de merles, tous les cinclocerthes et les mimètes sont des oiseaux américains. —Les fourmiliers ou myiothères et les thamnophiles, réunis en une seule famille (1) de plus de deux cent soixante espèces, ne se rencontrent que dans cette contrée. Les vireonides et les cotin- gidées (2) sont dans le même cas. Les ictérides, cas- siques ou troupiales, pendulins, quiscales ou carouges, ne sont pas moins nombreux et n’habitent que cette ré- ‘gion. Il en est de même des tanagrées, dont on connaît » aujourd’hui environ 350 espèces, ainsi que des tyran- nides qui en comptent plus de 400. — Le tyran à gros bec, petit passereau des plus intrépides, loujours alerte et chassant aux insectes sur les buissons, ne craint pas l'oiseau de proie ; il s’élance dans les airs pour le do- miner, dès qu’il l’a aperçu, fond sur lui comme une flèche et le harcèle à coups de bec jusqu’à ce qu’il l'ait forcé à la retraite. Dans les trogonides, les bucconées et les galbu- lides (3), trogons, barbus, barbacous, barbicans et (1) Formicariidæ, Sclat. (2) Cotingidæ, Ch. Bonap. Tityranæ, G.-R, Gray, comprenant les . genres Téfyra ou Psaris, Cotinga, Ampélis, Lipagus, Lanisoma, Pipra où Manakins, Phœnicercus, Rupicola et Phytotoma, en tout 165 espèces. (3) Les oiseaux de ces trois familles, qu'on classait dans l’ordre 338 CHAPITRE III. jacamars, sont spécialement des oiseaux d'Amérique. — Le couroucou pavonin, au magnifique plumage bronze doré, relevé de carmin, se fait remarquer comme une des plus belles espèces de ces climats. L’étourneau des terres magellaniques, qu’on retrouve au Chili et dans les Andes péruviennes, l’oxyrhynque à la huppe effilée et aux teintes de feu, presque toute la famille des geais cyanures, au nombre de plus de eim- quante espèces, autant d’oiseaux aux couleurs éclatantes qui appartiennent exclusivement à ce grand centre de l’ornithologie du Nouveau-Monde. Ajoutons à ce rapide aperçu, les passereaux fissirostres, ibigeaux de Cayenne, du Brésil, du Pérou, du Paraguay et de l’Équateur, engoulevents et nyctidromes du Chili, de la Plata, de Bahia, de la Nouvelle-Grenade, du Guatémala et du Yucatan, puis d’autres du Paraguay et des contrées limitrophes, les martinets des grandes Antilles et des Andes boliviennes, et une quarantaine d’espèces d’hi- rondelles vaguant un peu partout, de la Californie au cap Horn. Tant de passereaux doivent attirer Les rapaces : aussi aigles harpies, autours et faucons, vautours, sarco- ramphes, percnoptères et cathartes, chats-huants, hi- bous et chouettes, viennent augmenter encore cette faune déjà si riche en oiseaux de toutes sortes. Mais il y a plus encore ; celte vaste étendue de terri- toire, toutes ces contrées diverses, avec leurs larges savanes, leurs hautes montagnes et leurs immenses des grimpeurs, ont été rangés en dernier lieu parmi les passereaux, Voy. G.-R. Gray, Hand-List of genera and species of Birds, 1871. ESSAI DE GÉOGRAPHIE ORNITHOLOGIQUE. 339 forêts, traversées par de grands fleuves, sont peuplées d'oiseaux des plus rares. La famille des grimpeurs y domine : c’est là qu’on rencontre l’élite de la nombreuse tribu des Picées (1), et que vivent les toucans ou tout- becs, ainsi nommés à cause de leurs becs monstrueux, les aracaris aux plumes vertes, flammées de jaune et de rouge, les crotophages, qui se rapprochent des perro- quets par les mœurs et se réunissent en troupes, oi- seaux noirs, aux reflets métalliques, connus au Mexique sous le nom de cacatolotols, et sous celui de diables des savanes aux Antilles. Ces crotophages sont peu fa— rouches et se tiennent à la lisière des bois. — On trouve au Brésil et dans les pays voisins ces superbes aras et ces légions de perroquets qui viennent remplir nos col- lections ; le ara-maca, celui à longue queue, le tricolore, l’hyacinthe, l’araoucan, la perruche ara ou pavoine et l’ara des Patagons, qu’on rencontre à l’extrémité du continent; ajoutons encore le perroquet de la Guyane, le perroquet sanglant et enfin les chrysotis ou amazones à tête bleue et à tête jaune. Les échassiers sont communs dans cette partie de Amérique ; l’agami ou l’oiseau lrompette s’y familia- rise au point de suivre son maître comme un chien, et le cariama des Guaranis n’est pas moins docile. Citons en passant le héron savacou, le jabiru de Cayenne, libis rouge et le plombé. Des gallinacés et des pigeons, d’un aspect tout nou— veau, se montrent sous un autre plumage : les hoccos, - (1) Les picumnes, les celeopics, chrysopies, zembripics, chloropics de Ch. Bonap. et les saurothères, les leptosomes, les diploptères, crotophages, etc. 340 CHAPITRE Ill. les pauxis, les tocros, le nandou ou l’autruche des pampas, les pénélopes, les ortalides, les oréophases, les crax et les odontophores. Dans la cordilière du Chili, vit la colombe araoucane, et aux Guyanes, au Vénézuéla, au Brésil, beaucoup d’autres espèces des plus intéressantes. RÉGION SEPTENTRIONALE, L’Amérique septentrionale s’harmonise davantage avec la nature de nos climats, surtout dans les contrées du nord des États-Unis, de la Nouvelle-Écosse et du Canada, où la faune présente de nombreux rapprochements avec la nôtre, bien que beaucoup d’espèces ne soient pas les mêmes. Nos per— drix y sont représentées par des colins ; le tétras obscur habite les montagnes Rocheuses, et des oiseaux du même genre se rencontrent dans les immenses prairies de ces terres fertiles. La colombe passerine et celle de la Caroline appartiennent aussi à cette région. L'histoire des acclimatations ornithologiques a enre- gistré, comme une deses plus belles conquêtes, l’époque de l’introduction des dindons en Europe. Ces précieux gallinacés sont encore à l’état sauvage dans les forêts de l’Ohio, des Carolines et aux environs de la baie de Honduras. Tous les ordres d’oiseaux sont représentés dans l'Amérique du nord; les passereaux remontent en été jusqu’au Canada et vers les terres qui entourent la baie d'Hudson ; les grimpeurs nous offrent plusieurs espèces » de pics et entre autres le coulicou de la Caroline. Les | rapaces y sont nombreux : une effraye à queue fourchue, qui ressemble beaucoup à notre chouette, s’y fait en— La ESSAI DE GÉOGRAPHIE ORNITHOLOGIQUE. 341 tendre de nuit; l’épervier des pigeons, de même qu’en Europe, y poursuit les oiseaux migrateurs ; le busard saint Martin, auquel tous les climats semblent convenir, l’épervier émérillon, autre espèce cosmopolite qu’on retrouve un peu partout, le catharte-vauturin de Cali- fornie, l’aura, le caracara commun, l’aigle moucheté et d’autres encore, sont autant d’oiseaux de proie qui exercent leurs rapines dans cette région ornithologique où le grand aigle de mer se fait remarquer comme un des plus voraces. La grande République américaine a fait vraiment trop d'honneur à ce rapace ignoble en pla- çant sur l’écu de ses armes un oiseau de proie qui répu- gnait aux sentiments patriotiques de l’illustre Franklin. Beaucoup d’échassiers et de palmipèdes, que les migrations portent alternativement du nord au sud des deux Amériques, fréquentent les États-Unis. Nous avons cité, à la fin du premier chapitre, plusieurs des principales espèces de ces deux ordres, les grues, les hérons, les canards et les cygnes; mais les courlans, diverses avocettes, des pluviers, des chevaliers, des courlis, la bécasse d'Europe, la bécassine américaine, la ponctuée, le bécasseau échasse et les tourne-pierres viennent rappeler dans ce pays giboyeux nos espèces européennes. — Les tourne-pierres étendent leurs mi- grations de la Caroline du nord au Texas; on les trouve partout du Maine au Maryland; ils se réunissent au prin- temps avec les chevaliers, les maubèches, les alouettes de mer, et forment, vers la fin de l’automne, des rassemblements considérables qui durent tout l’hiver. L’ibis des bois et l’ibis vert sontencore des oiseaux de 342 CHAPITRE III. cette partie du nouveau continent : le premier fréquente les États du midi et y passe la plus grande partie de l’an- née; l’autre se montre plus particulièrement au Mexique et vit plus solitaire. Les ibis des bois, au contraire, se réunissent en immenses troupes dans les marécages et les savanes noyées, surtout au temps des nichées ; des bandes de ces oiseaux pénètrent dans les lagunes où le poisson abonde, et, montés sur leurs longues jambes, ils remuent le fond avec leurs pieds pour faire sortir le poisson et les autres animaux qui se tiennent cachés dans la vase. Dès que ceux-ci apparaissent à la surface, ils Les frappent de leur bec, et une fois repus, ils s’en— volent vers la rive où ils se posent en file à la manière des flammants, pour digérer leur repas. Mais ils ne tardent pas de reprendre leur vol, ct on les voit planer une ou deux heures à la recherche d’une autre lagune pour satisfaire de nouveau leur appétit. — Ces ibis perchent ordinairement sur les grands arbres où ils passent la nuit ; de là leur vient le nom d’ibis des bois qu’on leur a donné. Ils sont très-défiants et se tiennent sur leurs gardes : de vieux mâles, aux aguels, sont tou— jours prêts à donner l’éveil à la bande, dès qu’ils soup- çonnent quelque danger ; aussi est-il diflicile de les approcher, bien que les chasseurs entendent de fort loin le bruit qu’ils font, avec leurs mandibules, lors qu’ils sont en train de dévorer leur proie. — Ces ibis d'Amérique sont très-habiles à s'emparer des écrevisses de rivière qui se cachent dans les trous qu’elles se creusent sur la plage et que les eaux laissent à sec à la marée basse. (Audubon.) el" ESSAI DE GÉOGRAPHIE ORNITHOLOGIQUE. 343 RÉGION AFRICAINE. XXII. L'Afrique, après l'Amérique, est un des pays où l’on trouve le plus d’échassiers et de gallinacés d’espèces diverses : perdrix, francolins, cailles, turnix, outardes, tétras, œdienèmes et court- vite, ont là leur centre d’ha- bitation. C’est la patrie des pintades, de l’autruche, la terre de prédilection de beaucoup d'oiseaux coureurs qui fréquentent nos climats au temps des migrations. La grue couronnée et la demoiselle de Nubie, Pom brette, les petits flammants, la cigogne marabou, l’ar- gale et l’abdimi, le jabiru du Sénégal, l’anastome du Cap, l’ibis tantale et celui à tête nue, sont autant d’oi- seaux africains, et l’on peut dire que toutes les autres familles d’échassiers sont représentées sur ce continent. Les barbicans, les indicateurs, les touracos et les musophages habitent presque tous cette région, de même que beaucoup d’oiseaux de l’ordre des grimpeurs, et entre autres le coucou noir du Cap et le coucou geai, de passage en Europe, mais qu’on rencontre plus com- munément en Syrie, en Égypte et sur la côte occiden- tale, vers le golfe de Guinée, où abondent les jolies perruches et les perroquets gris. L’ornithologie africaine compte aussi un grand nombre de passereaux; parmi les sylviadées, plus de cent espèces de drymoiques (1) appartiennent à cette contrée et se rencontrent les unes en Abyssinie, dans le (1) Drymoica, Sw. 344 CHAPITRE JI. Kordofan et en Égypte, les autres au Sénégal, au Ga— bon, dans le pays des Namaquois et des Caffres, aux en- virons du Cap, de Port-Natal, sur la côte de Mozam- bique, sur la lisière du Sahara et dans l'Afrique centrale. Les turdusinées y sont représentées par des grives, des merles, des timalies, des martins; les fissirostres par des engoulevents, des martinets et des hirondelles. — Parmi les proméropidées, ce sont des guépiers, notre huppe d'Europe et celle du Cap, le promérops marcheur, le moqueur, le namaquois, l’azuré, le superbe et plusieurs autres. — Dans la famille des philédons, on y remarque plus de trente espèces de fouï-mangas, tous exclusivement de cette région et y remplaçant les colibris d'Amérique. — C’est principalement de la côte occidentale, du Sénégal et des deux Guinées, qu’on tire tous les petits granivores qui font l'ornement de nos vo- lières. Ces jolis oiseaux vivent en société et se ren- contrent par vols nombreux dans les terres où les nègres cultivent le millet. L'Afrique orientale a aussi ses espèces particulières que nous avons déjà fait connaitre en traitant des passereaux étrangers à l'Europe. Les tisserins sont des fringillées de ces contrées ; les plaines de la haute Égypte nourrissent des gros-becs, des bou- vreuils, des phytotomes, et le chant de l’alouette de Nubie vient égayer les solitudes du désert. La faune africaine compte plus de cinquante espèces d’alouettes et une trentaine dans les familles voisines. (Colidæ, R. Gray et Musophagidæ, Sw.) Les pique-bœufs, de la famille des buphagées, sont ESSAI DE GÉOGRAPHIE ORNITHOLOGIQUE. 345 des oiseaux de l'Afrique australe, de même que les sittèles du Cap et de la Cafrerie. — Mentionnons aussi le corbeau du Sénégal, le pyrrhocorax sicrin de Levail- lant et deux palmipèdes très-caractéristiques, le pélican blanc aux teintes rosées, qui se montre dans quelques parties de l’Europe méridionale à l’époque des migra— tions, et l’anhinga ou l’oiseau serpent, espèce non moins Curieuse que celle d'Amérique. — L’Afrique possède en outre beaucoup de rapaces : des vautours, des aigles, des faucons, des éperviers, des couhychs et des busards ; plusieurs chouettes et hibous sont aussi des oiseaux propres à la région africaine, de même que le serpentaire, rapace exceptionnel, dont on ne connaît qu'une seule espèce. Tel est l’aperçu ornithologique de cette vaste terre continentale qui se rattache à l’Asie par l’isthme de Suez et n’est séparée de l’extrème occident européen que par un détroit de quelques milles de Jarge. Sa faune est déjà assez riche, et pourtant qui sait ce que nous ré- servent encore les futures explorations des voyageurs naturalistes sur ces grands cours d’eau et dans ces im- menses lacs du centre de l’Afrique, dont de hardis pionniers nous ont révélé l’existence ? Faune mixte. Nous annexons à la région africaine la faune mixte des îles Canaries, car on a dû voir, dans le chapitre premier, que la petite faune de cet archipel se présentait avec un Caractère semi-africain. En effet, ce groupe d’iles, par sa situation géographique, possède une flore et une faune particulières qui ont de grands rapports de ressemblance avec l’Afrique septentrionale 346 CHAPITRE II. etle midi européen. La végétation spéciale qu’on trouve sur les hauts plateaux des Canaries, dans les forêts om- breuses, et qui tend à se concentrer dans les ravins, s'offre encore aujourd’hui au naturaliste telle qu’elle existait, il y a un demi-siècle, quand j’entrepris de dé- crire cette curieuse contrée. Ce sont toujours les mêmes plantes, les mêmes oiseaux qui se plaisent dans ces beaux sites, ces colombes indigènes qui se cachent dans les grands lauriers, ces jolis pinsons des bois et des cimes, ces petits serins au gai ramage ; Fortaventure et Lancerotte , deux lambeaux de terre détachés du Sahara, nourrissent toujours dans leurs plaines les ou- tardes et les court-vite du Maghreb, les bouvreuils de Nubie, et le peuple autochthone, Berbère ou Atlante, qui, en dépit des alliances et des mélanges avec la race con- quérante, conserve encore son {ype primitif, se recon- naît toujours dans la physionomie des 1slenos. Le temps n’a pas effacé l’origine de race chez la grande majorité des habitants des campagnes. Ainsi, par la nature du climat, par l’aspect de leur flore et de leur faune, comme par le caractère ethnographique, les iles Canaries forment une petite région qui vient naturellement s’an- nexer au continent voisin. ESSAI DE GÉOGRAPHIE ORNITHOLOGIQUE. 347 RÉGION MALGACHE. XXINE La région malgache semblerait de prime abord une autre annexe de la région africaine: elle comprend la grande île de Madagascar etles îles voisines, Maurice et la Réunion, les Comores et les Seychelles, qui sont toutes. placées à l’entrée de la mer des Indes. [l résulte de cette situation géographique et d’autres causes qui ressortiront de nos appréciations, que Madagascar, séparée seulement de l'Afrique orientale par le canal de Mozambique, présente la singularité de posséder une faune qui participe moins de celle du continent voisin que de la faune indo-malaise, bien que cette grande île soit très-éloignée de l’Indoustan et des archipels de la Malaisie. Les Seychelles et les îles de France et de Bourbon, les unes au nord et les autres à l’est de Madagascar, forment les limites de la région que nous indiquons ici et qui nous offre des analogies remarquables, sous les rapports ornithologique et anthropologique, avec cer- taines contrées de l’orient asiatique, car le peuple malgache lui-même présente des ressemblances plus marquantes avec les négro-malais qu'avec les nègres africains. Les observations récentes d’un naturaliste, qui vient d'explorer Madagascar, confirment cette opinion sur l’origine de la principale race qui peuple cette île sin - gulière : 348 CHAPITRE Ill. « .…. La flore et la faune, dit M. A. Grandidier, y « offrent des formes nouvelles et bizarres qui ont, de « tout temps, excité l’intérêt des savants. « L’anthropologie, elle aussi, a de curieuses et im- « portantes recherches à faire sur les races qui se sont « accumulées et croisées dans ce coin de terre. « En étudiant les productions de cette île, on ne « peut s’empêcher de penser que, malgré ses étroites « limites géographiques actuelles, elle s’étendait jadis « du côté de l’Asie, formant un vaste continent compa- « rable à l'Australie (1)... » L’épyornis, cet énorme gallinacé qu’on prétend exis- ter encore dans quelques vallées de l’intérieur de Mada- gascar, fut, dit-on, assez commun autrefois aux îles de France et de Bourbon; et, malgré que l’existence de cette espèce, à laquelle on a donné probablement une taille exagérée, ne soit pas bien certaine, on doit ad- mettre pourtant qu’elle a dû appartenir à cette région, puisqu'un de ses œufs a été déposé au Muséum de Paris (2), et que des fragments de l’œuf colossal (3 ont été rencontrés à l’état fossile par M. Grandidier, dans le pays des Antandrouïis, près du cap Sainte- Marie (4). La nature semble avoir concentré dans cer— taines limites Les grands moules de la famille des stru— (1) Mémoire sur Madagascar, par Alfred Grandidier. (Bull. de la Soc. de Géog. de Paris. Août 1871.) (2) Cet œuf a environ la capacité de six œufs d’autruche. (3) Peut-être le dronte que Ch. Lécluse (Clusius) décrivit vers le milieu du XvI° siècle et dont Linnée fit le genre Didus. (4) M. A. Grandidier a rencontré dans un gisement d’ossements fossiles du pays des Sakalases toutes les pièces de la patte de l'œpyornis maximus, et beaucoup de fragments d'œufs de cet oiseau dans le district d’Antandrou. + ESSAI DE GÉOGRAPHIE ORNITHOLOGIQUE 349 thionées : le nandu, dans les pampas de la Patagonie ; l’autruche, dans les déserts de l’Afrique ; lépyornis, dans la région malgache; les casoars, dans les grandes iles de la Malaisie orientale ou dans leur voisinage, à Céram, à la Nouvelle-Guinée et au nord de la Nouvelle- Hollande ; le dromicé, autre espèce de casoaride, dans l'Australie méridionale et orientale ; enfin, les apté- ryx (1), autre type des temps anciens, à la Nouvelle- Zélande. La faune de la région malgache possède des oiseaux de tous les ordres : nous ne mentionnerons en note (2) que quelques espèces rares, dans les principales familles. (1) Apteryæ australis, Shaw. — Apteryx Matelli, Barth.— Apteryx Oweni, Gould. — Apteryx maxima, Verreaux. (2) RAPACES : Aigle criard. — Faucon radama. — F. des Sey- chelies.— F. de Newton. — F. ponctué. — Milan parasite. — M. de Verreaux.— Epervier des fringilles. — Buse brachyptère.— Spizaète occipital. — Autour noir. — Pygargue macroscele. — Gymnogenys radié (Polyboroides, Smith), et de plus quatre rapaces nocturnes, particuliers à cette région. PASSEREAUX : Hirondinées, un martinet et un engoulevent (Ca- primulqus madagascariensis, Sganz, et Cypselus parvus, Licht.). Laniadées : Pachicephale de Madagascar. -—- Trois pies-grièches (Vanga), et le malaconote de Bojer. Corvidées : Le corbeau de Madagascar. Proméropidées : Huppe marginée. —- H. obscure. — Falculie à manteau, Isid. Geoff. (Faleulia palliata). — Nectarinie de Mada- gascar, Lath. — Coqueres de Mayotte, Verr. — Angladiane de Shaw. (Madagascariensis, Q. et G.) Muscicapidées : Six gobe-mouches et un campephage, Turdusinées : Plusieurs espèces aans les genres Turdus, Copsychus, Wagl. Mesites, Isid. Geoff. Hypsipetes, Vig. Andropadus, Sw. Phile- pitta, Isid. Geoff. (famille des pittidées de Ch. Bonap.) Sturnidées : Euryceros de Prevost. Sylviadées : Plusieurs espèces. Alaudées : L’alouette Ova. (Mirafria, Horsf.} Fringillidées : Le Bengales margarita de Verreaux et l’amadine naine. GRIMPEURS : Psittacidées : Le perroquet obscur et le noir (Cora- copsis, Wagl.), le perroquet des Seychelles (Coracopsis psittacus, L.). Cuculées: Zanclostomus aereus, et divers couas, Cuv. genre d'oiseaux exclusif à Madagascar. — Le coucou vouroudriou, etc. COLOMBES : Pigeons : La colombe australe, la superbe, la mal- 350 CHAPITRE III, Parmi les curiosités scientifiques, recueillies par le zélé voyageur que nous avons cité, figurent dix nou- velles espèces d’oiseaux (1), dont quelques-unes ont des représentants dans la Malaisie et qui fournissent de nouvelles preuves de l’analogie qu'on avait déjà remar- quée entre les deux régions. Espérons qu’une connais- sance plus complète de l’ornithologie malgache nous renseignera sur beaucoup d’autres espèces encore igno- rées. M. A. Grandidier a ouvert la route aux futurs explorateurs, et les bons souvenirs qu’il a laissés, chez les peuples barbares qui habitent Madagascar, auront contribué à les rendre plus accessibles et plus disposés à faciliter les recherches. RÉGION ASIATIQUE. . XXV. Cette ornithologie comprend plusieurs grandes con trées : à lorient, la Chine et les États voisins (Mongolie, gache, la spanzani (aux Seychelles, à Mayotte et aux Comores), la tourterelle à ventre blanc et la vinacée. GALLINACÉS : Pterocles personatus, Gould. — Francolin, pintade et turnix à collier. ECHASSIERS : Pluviers, glaréoles, hérons (Ardea melanocephala, Vig.). — A. purpurea, L.— A. Goliat, L.-A, ardesiaca, Wagl. Spatule petit bec, ibis falcinelle, ibis de Bernier, le grand courlis de Mada- gascar, le drome (Dromas) ardeole. La rhynchée du Cap, le parra albinucha, [sid. Geoff. — Des rales et gallinules. PALMIPÉDES : Oie melanote. Nettapus auritus, Rodd. (Anserella Selby.). Dendrorygna major. Le canard de Bernier, Verr. Le canard hottentot, Smith. (Querquedula, Steph), et le pélican rose. (1) Chœtura Grandidierü, Verr. — Coua cursor, Grandidier. — C. Verreauxii, Grandid. — C. pyrrhoyga, id. — Coua Coquerlii, id. — Prinia chloropetoides, id. - Ellisia Lantzü, id. — Bernieria Crossleyii, id. — et à l’état fossile, l'Æpyornis modestus et l'Æ. me- dius, Alph. Mildne-Edw. et Grandid. ESSAI DE GÉOGRAPHIE ORNITHOLOGIQUE. 351 Mandchourie et Japon, ce dernier séparé de la Corée par un petit bras de mer) ; à l'occident, l’Hindoustan et l’Indo-Chine ou pays transgangétiques (Birman, Ma- lacca, Siam et An-nam); plus au nord, les États du Kaboul et du Népaul, le Lahore, le Thibet et le Cache- mire. — À ces différentes contrées asiatiques, il faut agréger la Perse, l'Arabie et les grandes provinces ottomanes (Anatolie, Asie-Mineure, Arménie, Syrie et le Kurdistan, qui s’étend de la mer Caspienne aux fron- tières occidentales de la Chine et vient s’unir au Kur— distan oriental). La faune de cette immense région est une des plus riches en oiseaux de toutes sortes, surtout dans la par- tie méridionale, à partir de la Perse jusqu’au Japon, et des côtes baignées par la mer des Indes jusqu'aux mon- tagnes du Thibet. — La faune de l’Arabie et des divers États de la Turquie asiatique qui bordent la Méditerranée et la mer Noire est moins remarquable ; la plupart des oiseaux dont elle se compose appartiennent à des genres africains ou européens, selon la position respective des pays qui s’empruntent réciproquement beaucoup d’es- pèces. Ainsi l'Arabie, que l’isthme de Suez rattache à l'Afrique et qui n’est séparée de ce continent que par la mer Rouge, possède un certain nombre d’oiseaux de cette région, à laquelle l’assimilent ses plaines arides - et désertes et son climat sec et brûlant. | Quant à la Russie asiatique, on doit la comparer, sous le rapport ornithologique, au nord européen, car en général cette vaste contrée, comprise entre la chaîne de l’Altaï et l'océan Glacial, ne possède aucune espèce I. — 23 352 CHAPITRE III. qui lui imprime un caractère particulier. Tous les oi- seaux remarquables se rencontrent de l’autre côté des montagnes en descendant vers la mer des Indes, et l’on peut dire que l’Altaï, ce grand système orographique de l’Asie centrale, dont l’immense chaîne s’étend jus-— qu’au cap Oriental sur le détroit de Behring, en proje- tant un rameau qui parcourt tout le Kamtschatka, partage l’Asie en deux grandes régions climatologiques bien distinctes, l’australe et la boréale. C’est en Perse, dans l’Inde et les États transgangé— tiques, en Chine et au Japon, que s’est répandue l'élite de la faune asiatique : l'Iran, le Phase, l’Hindoustan, le Li Thibet et l’Empire du milieu, comme disent les Chinois, | nous ont donné les superbes paons, les plus beaux fai= sans, notre coq et nos poules domestiques ; le Thibet, les hautes vallées de l’Inde, nourrissent les éperonniers, magnifiques gallinacés, dont l’acclimatation en Europe serait une conquête aussi désirable que celle des lopho- phores, ces oiseaux d’or du Lahore et du Cachemire. — Les montagnes de l'Himalaya, le Népaul, le royaume de Siam, le Cambodge, Malacca, la Chine et le Japon, possèdent des chrysolophes, des gallophases, des tra- gopans ou ceriornis ; on trouve dans la péninsule gan— gétique et dans les grands États orientaux, des itagines, des francolins, des cailles, des turnix, des tétras et d’autres gallinacés. — De belles espèces de colombes habitent le Lahore et Le Thibet, le Népaul, le Bengale, Ceylan, Formose et le Japon. Les échassiers n’abondent pas moins dans ces con- trées : vanneaux, œdicnèmes, chettusies, pluviers, gla- ESSAI DE GÉOGRAPHIE ORNITHOLOGIQUE. 353 réoles, coureurs, chevaliers, combattants, bécasseaux et gallinules, chaque genre y compte ses espèces. — L’Hindoustan, la Chine, la Corée et le grand archipel adjacent, ont leurs grues, leurs hérons, leurs cigognes, leurs ibis et leurs dromes. — Parmi les palmipèdes, ce sont les oies japonaises et celles du Pundjab, les canards de la côte de Coromandel, de Ceylan, de Corée, de Yéso et de Niphon, le cygne Davidi de la Chine et le dendrocygne des Hindous, qu'on rencontre aussi aux îles de la Sonde. Dans l’ordre des grimpeurs, la famille des perroquets n’est représentée, dans les contrées méridionales du continent asiatique, que par quelques perruches (pa- lœæornis) et trois loris. Les strigopidées, au contraire, s’y distinguent par une vingtaine d’espèces dans le genre megalaima. Les picées (picumes, pics et chloro- pics) y comptent plus de cinquante espèces, et la famille des cuculés une vinglaine au moins. Parmi les passereaux conirostres, plus de quarante espèces de corvidés sont propres à ces pays. Les stur- nidées s’y font remarquer dans les genres eulabes, acri- dotheres, temenochus, sturnus et sturnus pastor. — Les fringilles y sont en petit nombre; la Perse, le Népaul et le Japon possèdent seulement quelques coccothraustes, des pyrrhules el des embérizes. — L’Afghanistan, PHi- malaya, la Chine centrale, l'archipel japonais, ie Mala- bar et le Bengale ont leurs alouettes. Cette faune asiatique n’est pas moins riche en passe- reaux fissirostres: divers podarges, des engoulevents, des martinets, des hirondelles, habitent l’Inde; quelques 354 CHAPITRE Ill. acédinides et des nyctiornis se montrent dans l’Asie-Mi- neure, sur la côte de Coromandel, au Bengale, à Ma- lacca, au Japon et à Formose. Dans la tribu des ténuirostres, ce sont des huppes, des promérops, des dicées et des certhiades. — Les contrées boisées et montagneuses nourrissent, parmi les dentirostres, beaucoup de sylviadés; les saxicoliens surtout y sont en nombre et d'espèces très-variées, de même que les motacilles et les parusinées. — Dans la Mongolie, en Chine, au Japon, on trouve le turdule de Naumann et plusieurs autres turdoïdes. — L’Inde, Ceylan, la Cochinchine, le royaume de Siam, le Cache- mire, le Japon, possèdent des gryllivores /copsychus), des hydrobates, des phyllornis, des pomathorhins, des garrulax, des actinodures et des irènes. — Quelques belles oriolines se rencontrent en Chine, à Formose, à Ceylan et au Malabar. — Les brèves ou pittes, d'espèces si-diverses dans les archipels indiens, existent aussi dans cette partie du continent asiatique. — Les ægithi- nides (brachypterix, leiothrix, timalies, ægithines) sont d’autres oiseaux de ces contrées, où les muscica- pidées figurent pour une vingtaine d'espèces, les myiagrées et les campephaginées pour autant ; mais les laniadées y sont rares. Quant aux oiseaux de proie, le gypaète barbu a été vu dans les montagnes de l'Himalaya avec d’autres vau- tours de la tribu des gyps. — Les faucons, les milans et les autours sont communs au Népaul, au Bengale, en Chine et au Japon. — L’aigle impérial habite la partie septentrionale de l’'Hindoustan, avec des circaètes, des ESSAI DE GÉOGRAPHIE ORNITHOLOGIQUE. 355 pandions et des haliaètes. — Les rapaces nocturnes y sont représentés par des chouettes: lathène brama, la bactriane, la radiée, la cuculoïde et d’autres ; on y voit aussi des hibous et des chats-huants. RÉGION MALAISE. XX VI. L’ornithologie de la région malaise présente deux faunes assez distinctes : l’indo—malaise, d’abord, com- posée d’oiseaux du grand archipel indien (Java, Suma— tra, Bornéo et les Philippines), et la faune austro- malaise, comprenant les autres îles de la Malaisie orientale. M. R. Radau, qui a donné une savante analyse des observations de M. Wallace, sur les régions explorées par ce voyageur naturaliste (1), dit « qu’en passant de « l’île de Bali à celle de Lombok, éloignée à peine de « trente kilomètres de la première, mais située de « l’autre côté du détroit, on visite en quelques heures « deux contrées qui diffèrent l’une de l’autre autant « que l’Europe diffère de l'Amérique. Ces contrastes, « entre les deux régions de l’archipel malais, frappent « d’autant plus qu’ils ne correspondent nullement à des « différences tranchées dans les conditions physiques « de ces pays. La Nouvelle-Guinée ressemble à Bornéo (1) Revue des Deux-Mondes, t. LXXXIII. Octobre 1869. Un na- turaliste dans l'archipel malais, p. 675. 356 CHAPITRE II. A par son climat, par l’aspect général de la végéta- « tion; mais la faune est tout à fait dissemblable dans « les deux îles, tandis que l’Australie possède encore « aujourd’hui des oiseaux qui peuplent la Nouvelle- « Guinée et les îles voisines... » — Les remarques du naturaliste anglais, à cet égard, tendent à faire suppo- ser que cette démarcation persistante des faunes d’ori- gines diverses est une indication d'anciens continents engloutis par les eaux, et peut compléter en quelque sorte l’histoire des révolutions du globe sur les points qui échappent aux moyens d’investigalion des géo-— logues. Cette opinion de M. Radau coïncide avec celle émise par M. Grandidier sur l’ancien continent sub— mergé de la région malgache (1). PARTIE INDO-MALAISE. Deux grands archipels, les îles de la Sonde et les Philippines, constituent cette région qui a fourni à l’ornithologie les espèces les plus rares. — Java et Sumatra, qui font partie du groupe occiden- tal, ne laissent entre elles qu’un étroit passage, et Su— matra elle-même n’est séparée de la presqu’ile de Malacca que par le détroit du même nom. — Bornéo, au centre de l’archipel malais, se rallie d’une part à Sumatra par les îles Banca et Billington, et vient se joindre aux Philippines par celles de Palawan, Solo et Basilan. Toutes ces terres, qui d’un côté semblent tenir à la région transgangétique et n’en sont séparées que par le détroit de Malacca, se rattachent de l’autre à la Chine par les petits ilots des Babuyanes, Engano et (1} Voyez antérieurement les renseignements de M. Grandidier sur la région malgache. ESSAI DE GÉOGRAPHIE ORNITHOLOGIQUE. 357 Bashée, qui forment une ligne d’écueils entre Formose la Chinoise et la partie septentrionale des Philippines. — Ainsi, par leur situation géographique, ces deux grands archipels, baignés par l’océan Indien et la mer de la Chine, doivent naturellement échanger beaucoup d'espèces avec le continent qui les avoisine. Sumatra et Bornéo possèdent un oiseau des plus rares, l’argus géant, qui habite aussi la péninsule de Malacca ; on y remarque, parmi les phasianidées, l’eu- plocome noble et celui de Vieillot, le pyronote ou coq de Java, le paon et le cryptenix roulroul. A ces superbes gallinacés, ajoutons les perdrix des Philippines, le megapode tavon, le turnix combattant, celui de Luçon et les francolins à long bec de Bornéo. Cette région ornithologique, dont la faune est si inté- ressante par la variété et la beauté des espèces, abonde aussi en passereaux ; les turdoïdes et les ægithines y comptent beaucoup d’oiseaux rares, sturnines, tima- lides, microsceles, pycnonotes et phyllornis. Le beau loriot xanthonote et l’hippocrepis sont des espèces java- naises. — Les corvidés y sont représentés par le cor- beau macrorhynque, par celui des Philippines, par plusieurs garrules et par le crave enca (fregilus). — On y voit des énicures, des prinies, des eulylaimes, des mérops et des promérops, des calaos ou buceros, au bec monstrueux et d’une physionomie étrange. — Les calaos rhinocéros habitent Bornéo et les grandes îles qui l’entourent ; Java a pour elle le calao convexe ou bec blanc et d’autres encore; aux Philippines, c’est l’hydrocorax et le panini. — M. Wallace, qui a rap- 358 CHAPITRE III, porté de ses voyages de si riches collections, dénicha à Sumatra un calao avec sa femelle et son petit. Ce der- nier était gros comme un pigeon, mais sans encore la moindre trace de plumes sur sa peau transparente ; il avait moins l’air d’un oiseau que d’une boule de gelée dans laquelle on aurait implanté un bec et deux pieds. Le savant voyageur assure que le mâle a l’habitude de murer la femelle avec son œuf dans le creux d’un arbre et de la nourrir par une petite ouverture pendant l’m- cubation. Les hirundinées figurent dans ces îles pour diverses espèces parmi lesquelles on remarque lessalanganes qui fréquentent presque toute la Malaisie et nichent dans Les rochers les plus escarpés. Beaucoup d’autres oiseaux habitent cette région indo- malaise : dans l’ordre des grimpeurs, ce sont les per- ruches prionitures de Manille, les palæornis à la longue queue de Bornéo, la perruche javanaise, variété de celle d'Alexandre, plusieurs lorinées des Philippines et de Java, des charmosines, des cacatoës et divers mégalaimes et caloramphes des îles de la Sonde et de Bornéo. — Celte partie de la Malaisie possède aussi des pics, des colaptes, des chrysocolaptes et des cucu— lés particuliers. De belles colombes habitent ces grands archipels et entre autres la colombe d’Amboine, la nasique de Su- matra, la verte de Manille et la géante de Java. — Les échassiers n’y comptent guère que quelques ardéadées, et les palmipèdes que le dendrocygne javanais, l’anhinga mélanogaster, le pélican des Philippines et des ca- … CRETE ESSAI DE GÉOGRAPHIE ORNITHOLOGIQUE. 359 nards. — Parmi les rapaces figurent l’aigle malayane, le circaète bacha de Bornéo, des pandions, des faucons et quelques oiseaux de nuit. PARTIE AUSTRO-MALAISE. Si du détroit de Bali on tire une ligne qui, en longeant celui de Makassar, traverse la mer de Célèbes et passe au sud des Philippines, elle séparera la région indo-malaise de celle dont nous allons donner un aperçu et qui comprend toutes les terres isolées qui avoisinent les côtes occidentales de la Papouasie et celles du nord de la Nouvelle-Hollande. Nous retrouverons bien encore dans cette région quelques oiseaux des îles de la Sonde et des Philippines, mais en général son ornithologie ressemble beaucoup plus à celle de la faune australienne, On rencontre dans la plupart des Moluques, de même qu’à Lombock, à Sumbawa, à Sandal, à Timor et aux îles Arou, des turdoïdes. des oriolides et des pittes propres à ces contrées. — Les paradisiers et les lam- protornis de la terre des Papous se montrent déjà aux îles Arou. La famille des perroquets se fait particulièrement remarquer dans différents groupes d’iles : le prioniture de Wallace, diverses espèces de loris, des trichoglosses, des psittapous, des tanygnathes, le perroquet Geoffroy de Timor et de Florès, celui d’Arou, le rhodops de Céram et de Bourou. — Les cacatoës blancs et roses des Moluques et ceux à huppe jaune citron et à huppe souffrée, les microglosses, tels que le noir et le goliath des îles Arou, accusent déjà une communauté d’origine avec les psittacidés de l’Australie. 360 CHAPITRE Il, Dans toute cette région austro-malaise habitent les colombes les plus curieuses : aromatique, la colombe à queue grise, la verte de Céram, qu’on retrouve à la Nouvelle-Guinée avec la superbe, la rosacée, la radiée, la métallique et plusieurs autres. — C’est à Céram qu’on découvrit d’abord le casoar émou, dont les autres con- génères habitent la Papouasie, la Nouvelle-Bretagne et l'Australie septentrionale (1). RÉGION AUSTRALIENNE. NUIT Cette région comprend la Nouvelle-Hollande et la Tasmanie ou Terre de Diémen, la Papouasie ou Nou- velle-Guinée et les archipels voisins (îles de l’Amirauté, Nouvelle-Bretagne, Nouvelle-[rlande, Louisiade, Nou— velles-Hébrides et Nouvelle-Calédonie), auxquels nous joindrons la Nouvelle-Zélande, quoiqu’elle soit située dans la partie du monde maritime désignée sous le nom de Polynésie, d’après les divisions ethnographiques établies par Dumont d’Urville. Mais dans notre distri- bution des oiseaux appartenant à des faunes distinctes, nous ne saurions accepter ce système de régions uni— quement fondé sur la concentration, dans des espaces déterminés, des diverses races humaines qui peuplent (1) Casuarius emeu, Lath., de Céram.— C. bicarunculatus, Sclat., de la Nouv.-Guinée et d’Arou. — C. Bennettii, Gould, de la Nouv.- Bretagne. — C. Australis, Wall, de l'Australie septentr. — C. uni- appendiculatus, BI., de la Nouv.-Guinée (ex G.-R. Gray op. cit.) ESSAI DE GÉOGRAPHIE ORNITHOLOGIQUE. 361 les grandes terres et les innombrables archipels répandus depuis l'océan Indien jusqu'aux extrêmes limites de l’océan Pacifique. — Cette distribution ethnographique ne nous semble pas naturelle et manque souvent d’exac- titude. La Malaisie, par exemple, ne devrait indiquer que l’espace occupé par le peuple de race malaise, et pourtant on trouve encore, dans presque toutes les îles de cette région, les restes de la race noire aborigène (1), ces négro-malais ou Papouas australiens qui vivent toujours indépendants dans les montagnes et les forêts de la Malaisie. La Micronésie nous paraît aussi une division bien vague et tout à fait superflue, par laquelle on à voulu désigner l’espace qu'occupent ces pléiades de petites îles situées dans la partie occidentale de la Polynésie, dont la Micronésie elle-même n’est qu’une fraction, puisqu'elle est habitée par des Polynésiens, c’est-à-dire par la race dominante, entre les deux tropiques, sur toute l’étendue du grand océan équatorial. Quant à la Mélanésie ou plutôt à l'Australie, nous avons cru devoir y joindre la Nouvelle-Zélande, d’après les considérations que nous allons exposer. La Mélanésie devrait indiquer la patrie originaire, (1) « Les Malais, dit J.-A. Moërenhout, ne paraissent pas être aborigènes des iles qu’ils habitent, mais ils les auront conquises sur les Oran-Caboo, les Oran-Gorgoo, les Maroots, les Béajos, les Negros del monte, les Harofaros et autres sauvages farouches et hideux qu’on trouve encore à Sumatra, à Bornéo, aux Philippines, aux Moluques et dans toutes ces iles qu’on donne comme le foyer de la race malaise, » Voyages aux iles du grand Océan, etc., par J.-A. Moërenhout, sul gén. des Etats-Unis aux îles océaniennes. T.IL, p. 261. Paris, 362 CHAPITRE III. le grand centre ou foyer de ce peuple de race noire ou papouse qu’on a trouvé à l’état sauvage dans la Nou- velle-Hollande, la Nouvelle-Guinée et les îles adja- centes. Or, ces hommes, à la chevelure crépue, nous paraissent appartenir à une race autochthone répandue primitivement dans tous les archipels environnants, et bien que la Nouvelle-Zélande soit habitée aujourd’hui par un peuple de race polynésienne, ces aborigènes, d’après leurs propres traditions, ne seraient venus s’y établir qu’accidentellement à une époque qu'on croit 4 Là assez récente (1). Il est même à présumer que la race indigène, qui existait peut-être encore à l’arrivée des Polynésiens, n’élait autre que celle de ces sauvages hi- deux qui occupent encore la majeure partie de l’Aus— tralie, race faible et impuissante, qui ne s’est améliorée qu’en se mêlant au sang malais ou polynésien (2), et (1) « .… Les populations noires des îles Malaises ont conservé quelques souvenirs du peuple qui eut une si grande influence sur leurs mœurs, leurs coutumes et leurs langages, et, d’après la des- cription qu’elles en font, ce ne peut être que celui des iles occiden- tales de l’océan Pacifique. » Ut suprà, op. cit. p. 255. Il paraît que Crowford partageait cette même opinion. (2) Dans un autre passage de son important ouvrage, À. Moëren- hout s’est exprimé en ces termes : « …, On reconnait, au premier coup d’æil, et les relations de voyage de tous ceux qui ont parcouru ces mers l’affirment de la manière la plus incontestable, que ces deux nations nombreuses, mais très-distinctes, les Polynésiens et les Négro-Malais, se partageaient toute cette étendue depuis les îles habitées près du continent d'Amérique jusqu’à l’est du continent asiatique et à Madagascar. La première de ces deux nations de cou- leur olive, et distinguée par la beauté de ses formes, se retrouve encore la même et sans mélange, tant pour le langage et pour les mœurs que pour les traits, depuis l’île de Pâques jusqu'à Tongatabo et de la Nouvelle-Zélande aux Sandwichs, mais elle change sous tous les rapports dès qu’on s’avance plus vers l’ouest ; elle perd de sa beauté et devient de couleur plus foncée, à mesure qu’elle s’é- loigne et se mêle avec l’autre race qui se présente dès qu’on s’a- vance plus à l’ouest et s'étend jusqu’à la Nouvelle-Hollande et à la Nouv.-Guinée pour se retrouver encore dans les iles de la mer des ESSAI DE GÉOGRAPHIE ORNITHOLOGIQUE. 363 qui n’a pu résister longtemps à l'invasion de ceshommes au caractère hardi et belliqueux, que les brises de l’o— céan Pacifique poussèrent vers cette terre lointaine, dans leurs grandes pirogues de guerre (1). Les considérations déduites des caractères ethnogra- phiques de la race qui oceupe aujourd’hui la Nouvelle— Zélande ne sauraient donc prévaloir pour placer cette ile en dehors de l'Australie, surtout lorsque tout con- court pour l’assimiler à cette région : formation géolo- gique presque identique, flore et faune analogues. NouveLze-HozLanpe. On peut comparer cette ile im- mense à un continent ; elle présente, comme l’Afrique, une masse de terre sans échancrure; vers le nord seule- ment, au golfe de Carpentarie, le cap York s’avance en péninsule et la rapproche de la Nouvelle-Guinée, dont elle n’est séparée que par le détroit de Torrès encombré de petits îlots et d’écueils dangereux. Ge continent aus- tral se trouve situé, dans l’hémisphère sud, du 11° de- Indes et à Madagascar. Ce peuple s'améliore à mesure qu’il s'éloigne de son foyer, lequel paraît être aux Nouvelles-Hébrides ; il gagne en stature, en grâce, en force,en se mêlant à la race olive, comme on peut s’en convaincre aux Fidgi et dans tous les lieux où il y a des métis. » Op. cit., t. Il, p. 25. (1) Tous les navigateurs ont admiré, à l’époque de la découverte des différents archipels de la Polynésie, ces grandes pirogues qui portaient de cent à cent vingt hommes et qui n'étaient pas moins remarquables par leur solidité que par lélégance de leur con- struction. C'était dans ces embarcations que ces hardis insulaires se lançaient dans la haute mer et parcouraient de très-grands espaces à la faveur des brises constantes. — Suivant A. Moërenhout, il est très-possible que des pirogues aient été poussées par les vents d’une ile à l’autre, depuis les plus rapprochées du continent américain jusqu'aux plus occidentales et même jusqu’à Madagascar, soit par les alisés qui règnent six mois de l’année, soit par les moussons qui, à leur tour, règnent six autres mois et qui facilitent la naviga- tion des îles Malaises aux terres les plus reculées vers l’ouest. (Voir dp. cit., t. II, p. 250.) 364 CHAPITRE UT. gré de latitude au 45°, c’est-à-dire dans les zones les plus tempérées, tant au delà qu’en deçà du tropique du Capricorne. Il mesure plus de 640 lieues marines du nord au midi,et 760 avec son annexe la Terre de Diémen. Sa largeur, d’orient en occident, est d’environ 800 lieues. La faune ornithologique de la Nouvelle-Hollande se compose d’espèces particulières à cette région, mais appartenant à des genres de l’ancien continent, et d’un plus grand nombre d’autres presque tous australiens. — Ainsi, dans l’ordre des passereaux fissirostres, tous les podarges et les ægothèles sont originaires de ces contrées, qui possèdent aussi leurs hirondelles. — Dans la famille des alcyonides, le genre dacelo ne se compose que d’oiseaux de cette région. — Les passe— reaux ténuirostres y sont représentés par des püloris et des épimaques, superbes oiseaux de la famille des proméropidées, au plumage à reflets changeants, de même que les arachnothères et les dicées de la Nouvelle- Guinée et de Waigiou. Parmi les méliphagines, les myzomèles, les entomo- philes, les glyciphiles, les acanthorhynques, les méli— phages, les philédons, les manorhines ou philanthes et les mélithreptes, au nombre de plusde soixante espèces, sont des oiseaux australiens ou polynésiens. Les zosté— rops, répandus dans la Malaisie, l'Océanie et l'Afrique australe, ont une dizaine de représentants dans la Pa- pouasie et la Nouvelle-Hollande. — Les sittèles appar— tiennent en grande partie aux mêmes contrées. — Dans cette tribu des passereaux ténuirostres, plusieurs orni— . thologistes rangent, à l'exemple de Cuvier, la lyre, qui ve » ESSAI DE GÉOGRAPHIE ORNITHOLOGIQUE. 365 peut passer pour un des oiseaux les plus rares; mais, à mon avis, la Iyre serait mieux placée parmi les galli- nacés. Son élégante queue, gracieusement relevée, imite assez bien l’instrument des anciens Grecs. Cette belle espèce a été trouvée dans la Nouvelle-Galles ; Gould en à cité deux autres qui ne sont peut-être que des variétés qu’on a voulu dédier à la reine Victoria et. au prince Albert; l’une habite les rives de Richemond et l’autre les environs du Port-Philippe(1).— Les ortho- nyx sont aussi des oiseaux remarquables, dont on ne connaît que quatre espèces australiennes (2). La tribu des passereaux dentirostres compte, à la Nouvelle-Hollande et dans les terres voisines, un grand nombre d'espèces de la famille des luscinides (3). — Parmi les sylvins, les séricornis et les acanthizes rem— placent dans cette région nos roitelets d'Europe. Les saxicoliens y offrent des types particuliers (4). — Les turdoïdes y sont peu nombreux ; mais parmi les pyeno— tides, tous les cinclosomes sont australiens. — Les artamides et les oriolides y sont représentés par des oiseaux rares : le loriot vert et le flavicincte de la Nou- velle-Hollande, le strié de la Nouvelle-Guinée, le doré de Waigiou et le séricule prince régent, au plumage velouté, noir et jaune d’or. — Dans les muscicapidées, monarques, myiagraires, rhipidures et campephages, (1; Menura lyrata, Lath. (Menura superba, Davies.) — Menura Alberti et M. Victoriæ, Gould. (2) Deux espèces de la Nouv.-Holl. et deux de la Nouv.-Zélande. {3) Les calamanthes, les malures, les cyncloramphes, sont presque tous des oiseaux d'Australie. (4) Dans les genres petroica, drymodes, et origma, composés d’une trentaine d'espèces. 366 ” CHAPITRE III. constituent l’élite de cette famille, et dans les laniadées, colluricineles, cractices, oreoices, falconcules, parda= lotes, pachycéphales, eopsaltries, sont autant de types propres à cette région. La Nouvelle-Hollande possède aussi ses perroquets spéciaux ; la majeure partie des platycerques, plusieurs trichoglosses, les cacatoès calyptorhynques lui appar— tiennent exclusivement, de même qu’à la Tasmanie les pezopores ou perruches ingambes. Parmi les colombes australes ou colombines, on y remarque la magnifique, la leucomèle, la lopholaime antarctique, l’humérale, la macquarie, la phasianelle, les gourines ou colombi perdrix et plusieurs autres belles espèces, telles que la lophote, la pétrophasse, l'élégante et l’histrione. | Les casoars de la Nouvelle-Hollande diffèrent de ceux de la terre des Papous: on en connaît deux espèces, dont une, le parembang, est la seule qui jusqu'ici ait été apportée en Europe (1). — Parmi les autres gallinacés, les talegalles et les alectholies, de la famille des méga- podes, comptent plusieurs espèces australiennes, ainsi que les turnix et les coturnix. Cette faune variée a aussi ses échassiers ; des œdic- nèmes, des huiîtriers, des pluviers, des hérons, la cigogne australe, la spatule aux pieds rouges et la mélanorhynque, des barges, des chevaliers, des rales, des crex et des (1) Ces grands gallinacés, dont on a fait un genre dans la famille des struthionés, sont le dromiceius Novæ-Hollandiæ,Lath, ou parem- bang des Australiens et le dromiceius irronatus, Barth. — Ces oi- seaux se sont retirés aujourd’hui dans l’intérieur, au delà des montagnes Bleues, à mesure que la colonisation a étendu son do- maine. # ESSAI DE GÉOGRAPHIE ORNITHOLOGIQUE. 367 gallinules. — Les rivages de l'Australie nourrissent plusieurs palmipèdes des plus curieux: un anhinga, l’hydrobate à fanon. Le cygne noir et l’oie céréopse sont aussi deux espèces de cette singulière contrée, et leur récente acclimatation dans plusieurs parties de l’Europe tempérée nous fait espérer le même succès pour les dendrocygnes, les canaroïés, le canard radjah et les tadornes de la Nouvelle-Hollande, dès qu’on voudra en tenter la conquête. Ainsi l’Australie en général, dont la Nouvelle-Hollande constitue le grand centre, est comme un monde à part où tout est étrange et bizarre sous le rapport ornitho- logique, de même que sous bien d’autres: flore et faune exceptionnelles, race humaine sui generis, arbres prodi- gieux, les uns d’une grandeur colossale, d’autres d’un aspect tout nouveau; oiseaux gigantesques, cygnes noirs, perroquets blancs, et parmi les quadrupèdes, des mar- supiaux qui se distinguent de tous les mammifères con- nus par leur singulière organisation ; enfin, pour com— plément, un animal paradoxal, au corps velu et à bec de canard, l’ornithorynque, une ambiguité comme un trait-d’union entre l’oiseau et l’amphibie, Ce caractère original, cette hétérogénéité dominante chez tous les êtres organisés qui peuplent l'Australie, ont suggéré récemment à un de nos savants géologues une hypothèse des plus audacieuses, en considérant la Nouvelle-Hollande comme un débris d’une grande masse cosmique tombée de l’espace céleste, astéroïde dévoyé et d’un volume égal, sinon supérieur, à celui de la lune. Dans ce grand cataclysme « la situation cos- I. = 24 368 CHAPITRE fII. mographique de la terre se trouva brusquement modifiée. Le choc et le poids de cette énorme masse rompirent l'équilibre d'alors, l'axe du globe changea de place et ce qui était les pôles se trouva transporté tout à coup sous d’autres latitudes (1)... » M. À. Dufresne assigne à l’en- vahissement de cet astéroïde et à l’apparition subite du continent australien sur notre planète, l’époque de la disparition du continent préhistorique de lAtlantide situé exactement aux antipodes de l’autre et ayant dû éprouver, par contre-coup, les épouvantables effets de cette catastrophe. — M. Dufresne développe son hypo— thèse et essaie d’expliquer, par une origine extra-ter— rienne, les caractères étranges de la flore et de la faune australiennes, en admettant toutefois que la vie animale et végétale puisse exister sur d’autres globes que le nôtre et que deux masses planétaires se rencontrant, se disloquant ou se soudant entre elles, conservent néan- moins chacune leur physiologie propre, leur flore, leur faune, leur humanité, ce qui nous paraît fort douteux. —Quoi qu'il en soit, selon l’éminent géologue, la Nou- velle-Hollande et ses annexes ne seraient que les débris d’un autre monde, ses types organiques n’auraient pas pris naissance sur notre terre et la race de ses primitifs habitants descendrait d’un Adam d’une autre planète, sortie des mains du même Créateur. Cette dernière opi— nion de l’auteur que je cite est la seule, bien entendu, que je partage avec lui. Papouasie ou NOUVELLE-GUINÉE ET ILES ADJACENTES. Cette (1). Voir Bulletin de la Soc. de Géogr. de Paris. Février 1872. Un chapitre préliminaire d’éthnographie océanienne par A. Dufresne. ESSAI DE GÉOGRAPHIE ORNITHOLOGIQUE. 369 grande terre de la Papouasie a 640 lieues de prolon- gement du N.-E. au S.-0. ; son extrémité septentrionale est presque sous l’équateur, dont elle s’éloigne de deux degrés et demi dans la direction du sud, position géo-— graphique qui la place, du côté du nord, très-près des Moluques, auxquelles la rattachent l’île de Waigiousituée sous la ligne et plusieurs petits îlots. Son climat est à peu près celui de l’archipel voisin, sa flore est presque la même et sa végétation n’est pas moins luxuriante. C’est encore la région des épices ; le muscadier: et d’autres arbres précieux croissent spontanément dans ses belles forêts, et sa faune ornithologique, outre ses espèces australiennes et celles qui lui sont propres, en compte un certain nombre de la Malaisie orientale. Parmi les oiseaux exclusifs à cette contrée, dont quelques parties de la côte seulement ont été explorées dans diverses expéditions scientifiques, la nature lui a réservé les plus beaux : les paradisiers, qui n’ont été rencontrés jusqu’à présent que dans ce grand centre de la Papouasie et dans les îles qui en dépendent. Les plus remarquables sont lerouge sanguin, le superbe, le six- filets, le magnifique et les manucaudes ou astrapies qui forment une section à part, dont quelques espèces ha- bitent les îles indiennes. — Ces paradisiers changent de districts suivant ia saison ; les femelles se réunissent en troupes sur les arbres les plus élevés pour appeler les mâles, qui sont polygames et vivent, à la manière des gallinacés, avec une quinzaine de celles qui com- posent leur sérail. — Le naturaliste Lesson étudia les mœurs de ces beaux oiseaux pendant ses voyages d’ex- 370 CHAPITRE Il. ploration avec la corvette la Coquille, et voici en quels termes il raconte ses premières impressions à la vue des paradisiers: « .... à peine avais-je fait quelques cen- « taines de pas dans ces vieilles forêts, filles du temps, « dont la sombre profondeur est peut-être le plus ma- « gnifique spectacle que j’aie jamais vu, qu’un oiseau de « paradis frappa mes regards ; il volait avec grâce et « par ondulations ; les plumes de ses flancs formaient « comme un panache aérien qui ressemblait à un bril- « lant météore. Surpris, émerveillé, éprouvant une « jouissance inexprimable, je dévorais des yeux ce « superbe oiseau; mais mon trouble fut si grand que « j'oubliais de le tirer !..... » — Ces oiseaux sont à peu près de la taille de nos geais; les mâles se tiennent toujours cachés dans le feuillage des grands arbres et s’effraient du moindre bruit ; les femelles, au contraire, ont des mœurs moins solitaires, mais leur plumage n’a rien de bien séduisant. En général, les paradisiers mâles portent sur les flancs cette longue touffe de plumes soyeuses qui fit l’admiration de Lesson et qu’ils peuvent étaler à volonté comme une auréole. La queue est ornée de deux rectrices allongées en brins grêles. Ces oiseaux voyagent par petites troupes quand ils changent de can- tonnements el ils ont toujours un mâle qui sert de guide. Ils volent ordinairement contre le vent et s’élèvent dans les régions supérieures de l’atmosphère lorsque la tem- pête les surprend en route. Ils ont grand soin de leur plumage qu’ils ne cessent de lisser à chaque instant; leur coquetterie est extrême et il n’est pas d’oiseau qui semble plus fier de sa beauté. (Brehm.) ESSAI DE GÉOGRAPHIE ORNITHOLOGIQUE. 371 Les astrapies attirent aussi l’attention par leur su— perbe plumage : l’incomparable ou pie de paradis est une des espèces décrites par Lesson : « Peindre cet « oiseau éclatant n’est pas chose facile, dit-il ; sa queue « étagée est trois fois plus longue que le corps ; sa tête « est entourée de deux bouquets de plumes fournies, « s’étalant en éventail, celles de la gorge s’avancent « sous le bec comme une barbe épaisse. Le dos, le de- « vant de la gorge, ia queue sont d’un noir irisé métal- « lique, passant au violet, selon le jeu de la lumière. « Un collier de rubis, reflétant des teintes orangées, se « dessine sur la poitrine et remonte vers la tête comme « un cordon de chevalerie ; Le ventre et tout le dessous « du ‘corps sont d’un vert bronzé sévère ; des reflels «_irisés brillent sur les flancs, et du derrière du cou « jusqu’au dos on voit chatoyer des plumes écailleuses « d’un vert d’émeraude. » Le mino Dumont, parmi les eulabes, est encore une espèce voisine des paradisiers, qu’on cite comme une des plus rares de ces terres lointaines. Sa tête est cou- verte de papilles vermiculées d’un jaune orange et sa livrée est des plus remarquables par la variété des cou- leurs. Les forêts de la Papouasie nourrissent de beaux loriots, des plilonorhynques, des myagraires, des aégi- thines, des monarques, des campephages et beaucoup de laniadées dans les genres choucaris, cassican, collu- ricincle, pachycéphale. Citons surtout le cassican chaly- bée, au superbe plumage, et dont les habitudes sont celles des corbeaux et des pies-grièches et qui tient un peu des 372 CHAPITRE HI. paradisiers par la robe; le phonygame de Keraudren, oiseau d’une rare beauté, de la grandeur d’un merle, au manteau noir-verdâtre, la tête ornée de deux huppes flottantes ; la pie-grièche capgris, la mélanure et la pie- grièche karou de Ia Nouvelle-[rlande, décrite par Les— son. Mentionnons aussi les alcyonées australiennes qui fréquentent les côtes des divers archipels de la Papouasie, le mérops bleu, l’épimaque blanc, plusieurs arachno- thères, des dicées et diverses espèces de méliphages. L’ordre des grimpeurs se fait distinguer à la Nou- velle-Guinée par les espèces Les plus curieuses ; 11 nous suffira de citer en passant divers hétéroramphes et cu- culés, le scythrops présageur, de beaux coucals (centropus), au plumage à reflets changeants, le menebiki, le goliath, le violacé, dont les autres congénères habitent la Nouvelle-Hollande et Les iles de la Malaisie.— Parmi les perroquets, on y trouve des loris, des trichoglosses, des cacatoës et le microglosse noir. Cette contrée abonde aussi en Colombes particulières ; les gallinacés nous offrent le casoar à double caroncule, oiseau massif, de la taille d’une autruche, et enfin les talegalles, ces espèces de perdrix australiennes qu'on est parvenu à acclimater en France (1). (1) Les talegalles, qu’on croyait d’abord n’appartenir qu’à la Nouvelle-Guinée et dont on ne connaissait qu’une espèce, le talegalle Cuvier, se rencontrent aussi sur plusieurs points de l'Australie. — Le talegalle Latham, introduit récemment en France, s’y est parfaite- ment acclimaté. On peut déjà considérer cette espèce comme une nouvelle conquète due à la persévérance de M. Cornely, qui possède aujourd’hui des talegalles élevés en liberté dans son parc de Beau- jardin (Tours). Ce sont des oiseaux polygames, de la grosseur des pigeons, qui ne couvent pas leurs œufs et les confient à la chaleur produite par la fermentation, après qu'ils ont été déposés dans le terreau humide, Voy. Bull. de la Soc. d’acclim. Paris, novem. 1871. ESSAI DE GÉOGRAPHIE ORNITHOLOGIQUE. 313 NouveLLe-ZÉLANDE. On trouve dans cette grande terre, qui ne compte pas moins de dix-huit degrés de prolon- gement du nord au sud, beaucoup d'oiseaux australiens, entre autres l’apteryx maxima de Verreaux et deux autres espèces (1) non moins étranges qne les gallina— cés gigantesques de la Nouvelle-Hollande et de la terre des Papous. Ainsi nous voyons se reproduire dans la même région ornithologique ces grands moules qui rap- pellent les créations du monde primitif, — Du reste, la plupart des familles d'oiseaux qui composent la faune de la Nouvelle-Zélande nous offrent des espèces dont les types sont presque tous australiens. Parmi les ra- paces, l’hypotriorchis (2) de Forster et l’hypotriorchis brun de Gould, espèces de faucons, sont représentés dans la Tasmanie par l’hypotriorchis lunatus, et ces deux grandes îles que sépare le détroit de Cook, malgré leur éloignement de l'Australie centrale, possèdent des chouettes qui ressemblent aux jéroglaux de la Nouvelle- Hollande. — Les alcyonées présentent le même carac- tère d’analogie ; ici ce sont des alcyons et là des ceyx ou des alcedinides (3).—Parmi les sittées, on remarque (1) Apteryæ australis, Shaw (Novæ-Zelandiæ, Less.) — Apteryx mantellii, Barth. et A. Oweni, Gould. (2) Jeracidea Novæ-Zelandiæ, Gould. (3) Nouvelle-Zélande : Halcyon vagans. — H. sacra, Steph. (Todi- ramphus sacer, Less.) — H. cinnamomina, Sw. et H. sancta, Vig. et Horsf. Nouvelle-Hollande : Halcyon sancta. — H. sordida, Gould. — H. pyrrhopygia, id. — H. macklayi, Jard.— H. flavirostris, Gould. — Dacelo gigas, Bodd. — D. leachi, Lath. Nouvelle-Guinée : Ceyx solitaria, Tem. — C. lepida, id. — Dacelo gaudichaudi, Quoy et G. — D. macrorhyncha. Less. — Tanysiptera galatea. —R. Gr. — T. nympha, id. et T. Rosembergü, Kaup. — À do nigrocyanea, Wall.— H. saurophaga, Gould, et H. torotoro, ess. 374 CHAPITRE IN. des acanthisittes qui ont de grands rapports avec les sittèles de l’Australie, et l’on peut établir aussi certains rapprochements entre les orthonyx et les menures du Port-Philippe. — Les sturnines des grands archipels indiens y sont remplacés par des créadions et des hété- roloches. L’échasse à plumage noir, les gallirolles ou ocydromes sont des échassiers australiens qu’on ren- contre à la Nouvelle-Zélande. Il en est de même des palmipèdes qui comptent dans ces contrées lointaines diverses espèces de cormorans. Enfin, parmi les grim- peurs, la Nouvelle-Zélande possède des perroquets pla - tycerques (1) comme on en voit en Australie et dans la Papouasie. Les seuls types exclusivement néo-zélan- dais, parmi les psittacides, seraient les nestors et les strigops, et dans les corvidés, les callæus. — Les co— lombes muscadivores de Lesson, qui habitent les Moluques et les forêts de la Nouvelle-Guinée, ont aussi un représentant à la Nouvelle-Zélande, c’est l’argetræa de Forster (carpophaga Novæ-Zelandiæ, G.-R. Gray). RÉGION POLYNÉSIENNE OU OCÉANIQUE. XX VII. L’ornithologie de la plupart des archipels disséminés sur le grand océan équinoxial offre des ressemblances avec celle de l'Australie et des régions indo et austro- (1) Platycercus Novæ-Zelandiæ, Sparm. — P. Cookii, R. Gr. — P. auriceps, Kuhl. — P. pacificus, Forst., et Platycercus albinus, Buller. ESSAI DE GÉOGRAPHIE ORNITHOLOGIQUE. 375 malaises. Ces analogies se font remarquer avec les mêmes caractères dans toute la Polynésie : au nord, dans le voisinage du tropique du Cancer, depuis l'archipel Magellan jusqu'aux Sandwich ; plus bas, aux îles Ma- riannes, aux Carolines, à l’archipel Marshall et aux îles Radack ; puis sous l'équateur, à l’archipel Gilbert. …— Ces mêmes ressemblances s’observent d’ile en île, dans l’hémisphère sud, sur tout le vaste espace compris depuis l’équateur jusqu'aux îles Kermadée, par 30° de latitude australe (îles des Amis, de Samoa, de Cook, de Touboaï, de la Société, de Pomatou et des Mar- quises). Aux îles Fidji, situées sur les limites orientales de l’Australie, on commence à voir des arbres à épices et quelques oiseaux qui rappellent ceux des Moluques, de la Nouvelle-Guinée et de la Nouvelle-Hollande. « Tout y porte le caractère distinctif d’un changement qui de- vient plus positif à mesure qu’on s’avance vers l’ouest, » a dit Moërenhout. C’est aussi l’extrême limite de l’ex— pansion de la race noire aux cheveux crépus (Papouas) et de celle de beaucoup d’oiseaux australiens. Aux îles Carolines, qui s’étendent vers l’ouest jusqu’à neuf degrés environ des Philippines, on a rencontré des oiseaux de l’Indo-Chine, et entre autres Le coq et la poule ne différant en rien de nos espèces de basse-cour. La présence de ces gallinacés a été constatée par les premiers navigateurs qui visitèrent l’île d’Oualan, et, chose remarquable, les naturels ignoraient que ces oi seaux fussent bons à manger. (Lesson.) L’archipel des Carolines et d’autres îles de l’océan Pacifique possèdent 316 CHAPITRE III plusieurs espèces de pigeons et de tourterelles, des pti- lopes d'Australie et de la Malaisie, la colombe océa- nique, la muscadivore des Moluques orientales et de la Nouvelle-Guinée, la colombe macquarie, la géante et beaucoup d’autres. Les alcyonides les plus rares fréquentent toute la Polynésie; certaines îles, séparées des autres groupes par d’immenses étendues de mers, offrent des faunes analogues, tandis que quelques-unes possèdent des espèces qu’on ne trouve pas ailleurs. Aïnsi, on ren- contre aux Sandwich des proméropidées (1), des lania- dées (2), des éopsaltries (3) propres à ces îles, tandis qu'aux Fidji, à Tonga, dans l'archipel Salomon et à Samoa, ce sont des pachycéphales et des lamprotornis, de même qu’à Pelew, aux îles des Larrons et aux Caro- lines. Les îles de la Société et notamment celle d’'OTaïti se font remarquer par leurs colombes et leurs tourte- relles (4); c’est à O’Taïti et à Borabora qu’habite le todiramphe sacré (5), l’o’totaré des insulaires, dont ils font hommage au dieu Oro. Des variétés de cette cu- rieuse espèce se rencontrent dans plusieurs îles de la mer du Sud, depuis les Sandwich jusqu'aux Fidji. (1) Drepanis pacifica, Tem. — D. coccinea, Gm. — D. elisiana, R. Gr. (des îles Sandwich). — D. Maclotti, Müll., des iles Salomon. (2) Colluricincla sandwichensis, Müll. (Glaïtensis, Cass). — Pachy- cepha orioloides, Pucher, des iles Salomon. — P. icteroides, Peach et P. melanops, Pucher de Tonga. (3) Eopsaltria sandiwichensis, Lath. (4) Ptilopus viridissimus, Tem. — P. purpuratus, Gm.— Carpo- phaga auroreæ, Peach.— C. forsteri, Wagl. — C. Crithroptera, Gm et le Didunculus strigirostris des iles des Navigateurs. . LC) De la famille des méropidées de Lesson (alcedinides de BE DE ESSAI DE GÉOGRAPHIE ORNITHOLOGIQUE. 311 Les eurylaimes, les pomarées (1) et diverses mya— graires (seisures et rhipidures) appartiennent à cette région, ainsi que beaucoup de méliphagines (myzomèles, entomophiles, anthochères, méliphages, philédons et . zostérops). Ces îles de l'Océanie nourrissent des perruches pla- | tycerques, des loris, et parmi les autres psittacides, le trichoglosse pygmée d’O, Taïti et le perroquet hétéro- clite des îles Salomon. Une anomalie curieuse a été remarquée par Moëren- hout : on ne rencontre dans ces îles presque aucun petit passereau aux couleurs brillantes, comme dans la plupart des terres de cet hémisphère. « Les petits oi- seaux, dit-il, s’y distinguent bien plus par la grâce de leurs chants que par la beauté de leur plumage. » Les autres ordres sont peu nombreux dans la région polynésienne, qui n’est fréquentée que par des courlis, des pluviers et des hérons. On ne trouve guère de gallinacés qu’aux Carolines et l’aigle océanique ne se montre que de loin en loin. Tous ces archipels auront sans doute leurs oiseaux sédentaires et leurs espèces voyageuses, et il est à pré- sumer que la présence des mêmes oiseaux dans des îles séparées par d'immenses distances et situées d’une extrémité à l’autre de l’océan Pacifique sera due aux migrations qui doivent s’opérer d’île en île du N.-E. au S.-E. et vice versa, aux époques des vents généraux alternant avec les moussons, pendant six mois de lan- (1) Pomarea, espèce de gobe-mouche (monarque) qu'on trouve à 0° Taïti, à Tonga, aux Marquises et aux Carolines. 378 CHAPITRE II. née, sur toute l’étendue de cette vaste mer.— Les natu- ralistes voyageurs qui fixeront leurs observations sur ce point intéressant de l’ornithologie polynésienne pourront nous dire si nos doutes doivent prendre place parmi les faits bien constatés. RÉGIONS ARCTIQUE ET ANTARCTIQUE. XXIX. Les régions arctique et antarctique embrassent cha- cune les mers et les terres voisines des deux pôles, à partir du 60€ degré de latitude boréale et australe; leurs faunes sont moins variées que celles des autres parties du globe, car bien peu d’oiseaux peuvent supporter l’excès de température de ces climats. La région arctique comprend tout l’océan Glacial, le Spitzhberg, la Nouvelle-Zemble et la Nouvelle-Sibérie, presque toute la Norwége et le nord de la Suède, le golfe de Bothnie, tout l’extrême nord de la Russie euro- péenne el asiatique, la mer de Behring, l’Amérique russe, les contrées les plus septentrionales du nouveau continent, le Groënland et l'Islande. — Il est des oi- seaux hyperboréens qui étendent leur aire de circulation jusqu’à la mer d’Okhotsk, sur les côtes du Kamtschatka et des iles Aléoutiennes, en Asie, et dans la baie d’Hud- son, en Amérique. Ainsi, sur notre continent, la Lapo- nie, la Sibérie orientale, le pays des Samoyëdes et des Kourikes appartiennent à celte région, qui embrasse ESSAI DE GÉOGRAPHIE ORNITHOLOGIQUE. 379 sur le nouveau continent toutes les contrées habitées par les Esquimaux. L'autre région comprend l’océan Glacial antarctique, vaste mer sur laquelle on ne connaît encore que quelques petites îles perdues au milieu d'immenses solitudes, et des apparences de côtes d’une certaine étendue, que d’audacieux explorateurs ont aperçues et relevées, mais dont d'énormes banquises défendent les approches. C’est sur ces mers solitaires, sur ces terres désertes et presque inabordables que vivent les albatros, les apté- nodytes ou manchots; plus bas, vers le 60° degré, les oiseaux aquatiques qui fréquentent la Terre de Palmer, les Nouvelles-Shetland et les Orcades australes, étendent leurs excursions aéronautiques jusqu’au 52° degré de _ latitude sud et viennent nicher aux Malouines, à la Terre de Feu, dans les environs du cap Horn, sur les côtes du détroit de Magellan et de la Patagonie. Ce sont, outre les albatros et les manchots, les sphénisques, les eudyptes ou gorfous (1), les chionis ou pigeons blancs et les stercoraires antarctiques. On y rencontre aussi des goëlands, des sternes des îles Falkland, le prion ou pachyptile tourterelle, des pétrels, les oies magella- niques, les canards huppés des Malouines et le pélica- noïde Berard des mêmes parages. Les oiseaux des mers arctiques sont les brachy- ramphes des îles Aléoutienneset les oies du Kamtschatka, le rissa ou cheimonea kotzebuë (laridée), le brachy- rhynque, autre espèce de goëland de la mer de Behring, (1) Eudyptes catarractes, chrysolopha, antarctica, antipoda, ma- gellanica et Adeliæ. 380 CHAPITRE Ill. les stercoraires du Spitzhberg et les pagophiles du Groënland. On rencontre surtout dans ces mers les guil- lemots, les macareux et les pingouins de l’océan Gla- cial, les plongeurs, les grèbes et les cephus ou co- lymbes, le sterne hirondelle, le canard pénélope ou groënlandais, l’eider du Labrador, les oies de la Sibérie et d’autres palmipèdes hyperboréens. — Les cygnes des contrées les plus septentrionales du continent amé- ricain peuplent ces régions. — Sur ces rivages glacés se montrent divers échassiers : le phalarope platy- rhynque de la baie d'Hudson et de la Sibérie, quelques courlis, des lobipèdes, des bécasseaux, des tantales, des pluviers, l’huitrier noir des Kouriles et la bécasse lapone. Dans les autres ordres d’oiseaux, on y remarque l'aigle du Groënland (1), le gypaète de Sibérie, le hibou du Kamtschatka, le harfang des neiges et la chouette épervière. On y voit aussi des mésanges (2), des bou- vreuils, quelques fringilles (3), le pic arctique et le sibérien, plusieurs lagopèdes (4). Mais dans l’une comme dans l’autre de ces tristes régions, les oiseaux les plus nombreux, c’est-à-dire ceux qui impriment aux terres et aux mers polaires leur cachet particulier, sont ces palmipèdes spécialement aquatiques, qu’on ne ren- contre que dans ces hautes latitudes, et quelques oiseaux (1) Halliaëtus albicilla, L. (2) Parus kamtschatkensis et Parus picyaneus de Sibérie. (3) Parmi lesquels on remarque le crucirostre des sapins, qui habite les deux continents et a été vu en Laponie et au Groenland. (*) Lagopus albus, Gm. — Lagopus mutus, Leath. — Lagopus ru- pestris, Gm. et Lagopus hemileucurus, Gould. ESSAI DE GÉOGRAPHIE ORNITHOLOGIQUE. 381 pélagiens et grands voiliers, qui peuvent braver les tempêtes et franchir l’espace pour aller chercher un abri dans des parages moins tourmentés. XXX. Je n’ai pas eu la prétention, dans ce simple aperçu, de présenter la faune complète des différentes régions ornithologiques ; 1l m’a suffi d’en tracer les cadres que d’autres sauront mieux remplir. J’abandonne donc les régions polaires et ne pousse pas plus loin ma longue exploration. Il me tarde de reparler encore de nos oi- seaux de France, cette terre des chanteurs, mère-patrie où mes souvenirs me ramènent sans cesse et que j'ai quittée, hélas! sans espoir de retour. Transportons- nous du moins par la pensée des extrémités du globe vers le pays natal... Je crois déjà entendre d’ici les doux gazouillements de ces chantres ailés que chaque année le printemps nous ramène... Heureux oiseaux, qui ne s’éloignent de la terre chérie que pour y revenir ! DIGRESSION POUR SERVIR D'ÉCLAIRCISSEMENT AU CHAPITRE ANTÉRIEUR SUR LES RÉGIONS MALAISE, AUSTRALIENNE ET POLYNÉSIENNE. L'unité d’une race qui s’est répandue dans toutes les îles de l’océan Pacifique a été reconnue par la plupart des voyageurs naturalistes qui se sont occupés d’ethno- graphie et de linguistique. M. J.-A. Moërenhout, dans la première période de ce siècle, a traité cette ques- tion (1) avec toute l’autorité d’un observateur versé dans la connaissance des peuples qu’il avait fréquentés pendant six années de séjour dans plusieurs de ces îles pélagiennes, et après six autres années de voyages dans un grand nombre d’archipels de ces mers. Le peuple polynésien, selon aui, constitue une race autochthone qui ne descend d’aucune autre; son foyer primitif a été peut-être sur un continent qu’il suppose avoir existé à l’est de la mer Pacifique. Le peuple poly- nésien habite aujourd’hui toutes les îles du grand (1) Voyage aux îles du grand Océan, par J.-A. Moëérenhout, consul général des Etats-Unis aux iles Ccéaniennes. — 2 vol. Paris, 1837. (Arthus Bertrand, édit.) ESSAI DE GÉOGRAPHIE ORNITHOLOGIQUE. 383 Océan, depuis l’île de Pâques jusqu’à Tongatabou, et de la Nouvelle-Zélande aux Sandwich (Hawaii). L'état de civilisation dans lequel‘les premiers navigateurs le trouvèrent, devait se rattacher à une époque très-anté- rieure à la grande révolution géologique qui a formé les îles qu’il occupe aujourd’hui. M. Moërenhout fait d’abord observer que les vents d’est soufflent avec prédominance sur tout l’océan Pacifique au moins huit mois de l’année. Ces vents com- mencent à se faire sentir à une centaine de lieues, dès qu’on s'éloigne des côtes d'Amérique, et continuent jusqu’à l'extrémité occidentale de cette immense mer. Les vents variables ne règnent guère que par intervalle, de décembre en mars, et ne s'étendent pas beaucoup vers l’est. Or, si, dans la question d’origine des peuples de l’O- céanie et des influences qui ont pu résulter de leurs rap- ports, on fait intervenir les migrations qui ont dû s’o- pérer, il parait invraisemblable que les populations de lorient indien, comme les Malais par exemple, aient pu lutter contre les vents et les courants contraires, avec leurs frêles embarcations, pour remonter une étendue de mer qu’on peut estimer à plus d’un tiers de la circonférence du globe. I n’est pas plus probable que les habitants actuels de la Polynésie soient venus de l’ouest, ou qu’ils soient partis du continent américain. Mais tout en combattant ces opinions, M. Moërenhout pense qu’il a dû exister d’anciennes relations entre les Malais et ces insulaires. Cette croyance, qui est presque pour lui une certitude, le conduit à une conclusion I. — 25 384 CHAPITRE II. toute nouvelle sur l’origine de ces populations océa- niennes. Loin de voir en elles les descendants des Ma- lais, comme les ont considérées plusieurs ethnographes, il reconnaît plutôt dans les Malais les descendants des Polynésiens. Les Malais ne lui semblent pas être Îles aborigènes des îles qu’ils habitent; ils les auront con- quises sur les différentes races encore concentrées sur plusieurs points de ces archipels. Il est probable, selon M. Moërenhout, que deux na- tions distinctes ont oceupé autrefois les terres polyné- siennes, depuis les plus orientales jusqu’au continent asiatique. La première, de couleur olive, et distinguée par la beauté des formes, se retrouve encore sans grandes altérations tant sous le rapport du langage que sous celui des mœurs et de la physionomie; elle ne commence à présenter des différences marquantes qu’en s’avançant plus à l’ouest, où elle perd de sa beauté ori- _ginaire pour passer à une teinte plus foncée, à mesure qu’elle s’éloigne de son centre et qu’elle se mêle avec l’autre race. Celle-ci, noire et diflorme, se présente d’abord aux îles Fidji, s’étend de là jusqu’à la Nouvelle- Hollande et dans la Papouasie : elle occupa la Nouvelle- Zélande ; on la retrouve aux iles malaises et elle habite encore Madagascar. « Cependant, dit Moërenhout, ce peuple, qui n’est ni laid, ni difforme, partout où il est resté sans mélange, s’améliore à mesure qu'il s'éloigne de son foyer, lequel parait être aux Nouvelles-Hé-— brides; il gagne en stature, en force et en intelligence en se mélant à la race olive, comme on peut s’en convaincre dans toutes les iles où l'on rencontre DIGRESSION. 385 des métis (aux Fidji et dans les îles adjacentes). » Les Malais, pour M. Moërenhout, comme pour d’autres anthropologistes qui ont écrit avant ou après lui, présentent tous les caractères d’une race hybride des plus mélangées. On a peine à retrouver dans leur physionomie les traces d’un type primitif ; leur langage varie autant que leurs traits. Les habitants de la presqu’ile de Malacca, des îles de Sumatra, de Java, de Bali, diffèrent entre eux et ne se rapprochent guère que par les mœurs et l’idiome. Ces mêmes différences s’ob- servent aux Célèbes, dans plusieurs districts de Bornéo où le langage, les coutumes comme la coloration de la peau, offrent des variations notables. D’autres altéra- tions encore se font remarquer à Mindanao et dans les archipels voisins, et des observations analogues ont été faites aux Philippines. — Dans les iles habitées par les Polynésiens, au contraire, les traits et le langage des indigènes ont invariablement conservé leur unité, et celte remarque semble venir à l'appui de lopinion accrédilée, que ces innombrables archipels ont appartenu à un grand continent d’où est sorti ce peuple devenu insulaire et qui a conservé, avec sa langue mère, la pureté de son origine. Quelles que soient les causes qui ont motivé la diffu- sion de la race polynésienne sur cette vaste étendue de mer, il est à présumer, d’après la théorie de M. Moëren- hout (et les traditions semblent la confirmer), que ces populations rencontrèrent dans leurs migrations, en s’avançant vers les terres occidentales, le peuple de race noire avec lequel elles purent se mettre en relation et 386 CHAPITRE Ji. contracter des alliances. Crawford assure que les Négro- Malais ont conservé quelques souvenirs de l’arrivée des Océaniens, qui ne pouvaient venir que des îles de la mer Pacifique : « Ce peuple, dit-il, qui eut une si grande « influence sur les mœurs, les coutumes et le langage « des populations de race noire, était vêtu d’éloffe « d’écorce d'arbres et ignorail la fabrication du coton. » — Mais ce mélange du sang polynésien avec la race noire ne se reconnaît qu’à partir des îles Fidji, extrême limite de l’expansion vers l’orient des populations négro-malaises et australiennes.Toutefois, les variations qu’on remarque dans la couleur de ces races, paraissent tenir plutôt à des causes locales qu’à des croisements, et M. Moërenhout ne croit pas, d’une manière absolue du moins, à ces mélanges de castes dont ont parlé beaucoup d’auteurs . « Je n’ai rien vu, nous dit-il, à « l’appui de cette opinion et n’ai jamais trouvé, dans « la Polynésie centrale, un seul homme à cheveux cré- « pus. Si le teint des uns est un peu plus foncé que « celui des autres, cette différence n’est guère plus « sensible que celle que nous remarquons chez nous, « et si des peuplades entières diffèrent entre elles, cela « tient absolument à des circonstances particulières de « localité, car ces différences disparaissent en chan- « geant de milieu. Ainsi les habitants des îles basses de « l'archipel Dangereux, en apparence si différents de « ceux d'O’Taïti, changent entièrement après un séjour « de quelque temps dans cette dernière île, et, très— « noirs en arrivant de leurs terres nues et peu boisées, « il n’est pas rare de les voir devenir aussi blancs et DIGRESSION. 387 « même plus que les habitants des iles élevées (1). » M. Vivien de Saint-Martin, en présentant des idées nouvelles sur l’origine de la race océanienne, nous dit que les Papous de la Nouvelle-Guinée, aux cheveux crépus, diffèrent des habitants des Nouvelles-Hébrides, Nouvelle-Bretagne, Nouvelle-Calédonie, etc. Ces hommes présentent, 1l est vrai, certaines différences dans les caractères physiques; ils sont d’uu noir foncé et ont les cheveux lisses de même que beaucoup d’Aus— traliens. M. Vivien considère le grand archipel asiatique, de- puis Sumatra jusqu’à Célèbes etaux Philippines, comme le siége primordial d’une race propre à cette région insulaire, limitée d’une part par les populations jaunes de l’Asie orientale, et de l’autre par la population noire du sud-ouest de l'Océanie. Cette race, d’après lui, serait blanche, avec les traits et l’aspect de la race cauca- sique, et se retrouverait encore avec ses caractères constitutifs chez toutes les populations actuelles de Pin- térieur des grandes terres de l'archipel indien : descendance manifeste, ajoute-t-il, de cette race abo- rigène (Battas de Sumatra, Dayks de Bornéo, Tagals de Luçon, Bizayas de Mindanao, etc.). — Déjà, outre les mélanges provenant des croisements signalés par plu- siears voyageurs et notamment par M. Moërenhout en 1835, M. Jagor, naturaliste allemand, avait indiqué trois peuples aborigènes, de race malaise, occupant l'ile de Luçon et celles de ce groupe vers le sud : les (1) Moérenhout, op. cit., t. Il, p. 248. 383 CHAPITRE Il. Tagals dans le nord et dans l’ouest, les Ricols à l’est et les Bizayas dans les îles les plus méridionales. La race malaise, pour M. Vivien de Saint-Martin, n’est qu’une race mixte et hybride, formée dès le prin- cipe par le mélange des populations jaunes de l’Asie orientale avec la population primordiale de l’archipel. — Cependant la race autochthone (blanche) ne lui semble pas avoir toujours été circonscrite dans l’inté- rieur des terres de l’archipel asiatique ; elle se serait ramifiée et étendue vers le nord et vers l’est, d’une part dans les îles qui bordent la côte d’Asie, depuis Formose jusqu’au Kamschatka, et de l’autre dans tous les archi— pels intertropicaux du grand Océan, en remontant au S.-0. jusqu’à la Nouvelle-Zélande. Il fait remarquer, à cet égard, que l'expansion de cette race primordiale se manifeste dans la physionomie des populations de For- mose et de Haïnaü, dans les Lieou-Khieou, qui offrent des caractères analogues à ceux de la race caucasique de même que beaucoup de Japonais, et qu’en général ces caractères sont très-apparents partout où cette race, qu’on désigne au Japon sous le nom de Aînos, ne s’est pas mêlée avec le sang mongol. Il s'ensuit, d’après le système de notre savant con- frère de la Société de géographie, que tous les Polyné- siens appartiendraient à ces hommes blancs dont les caractères de race se rapprochent de la caucasique. M. Vivien de Saint-Martin admet, avec tous les géo- graphes qui ont traité de l'Océanie, l’existence de deux courants qui partent des côtes de la Chine orientale et \ des Philippines et portent à l’est, à travers l'océan DIGRESSION. 389 Pacifique. Ce seraient ces courants qui auraient favorisé l’expansion des populations primitives du grand archi- pel indien dans toute la Polynésie. Ainsi, cette race insulaire, sortie des iles asiatiques, existerait encore aujourd’hui sans grande altération et se serait ramifiée, au nord, par Formose et le Japon jusqu’à Yéso et les Kouriles, puis à l’est dans toute l'Océanie. — Telles sont les idées que le savant ethnographe soumet aux sérieuses études des nouveaux explorateurs qui vou- dront approfondir celte question si souvent débattue et toujours controversée (1). L'opinion que M. de Quatrefages a soutenue, avec tant d'autorité, sur la diffusion de la race polynésienne dans toutes les îles de l’océan central, ne diffère pas dans le fond de celle de M. Vivien, qui rattache les abo- rigènes de la Polynésie à une race autochthone (blanche), qui se serait répandue dans toute l'Océanie. En 1856, M. de Quatrefages avait déjà admis l'existence d’un élément blanc parmi les populations de l’extrême orient asiatique : la théorie de M. Vivien de Saint-Martin se dévoilait dans ses considérations sur les Migrations des Polynésiens (2) et dans son Rapport sur les progrès de l'anthropologie (3). M. de Quatrefages, en faisant la dis- tinction de cette race blanche et des races Aryanes et sémitiques, la rattachait à la branche Alophyle qui dut s'étendre, dans les temps primitifs, sur tous les points (1) Voy. 2 nouvelle race à inscrire sur la carte du globe, par Vivien de Saint-Martin. Bull. de la Soc. de Géogr. Nov. 1871. Avec carte. (2) 1804 et 1865. (3) 1867. 390 CHAPITRE III. de l’ancien continent jusque dans le Nouveau Monde ; car, selon lui, il fautadmettre nécessairement une fusion de sang pour expliquer les analogies physiques qu'on remarque entre les populations américaines et les asia— tiques. Mais, si M. de Quatrefages est d’accord sur le fait principal, énoncé par M. Vivien, il en diffère sur quelques points secondaires qui ne laissent pas d’avoir une certaine importance ; ainsi, tandis que M. Vivien de Saint-Martin regarde la race blanche orientale comme essentiellement pélasgique, M. de Quatrefages croit que l’existence de ces hommes blancs, dans l’ar- chipel malais et dans les îles de la Polynésie, est due principalement à l’aire d’habitat de cette même race, comme cela est arrivé en Europe pour les Basques et. les Esthoniens. L’archipel malais nous offre, parmi les différentes populations qui l’habitent, une infinie variété de races produites par des croisements et qu'il est difficile de ramener à leur lype primitif. — Selon M. de Quatre- fages, l’union du Tagal et de l’Aëlo des Philippines a donné lieu au nègre à cheveux longs et rudes. Il consi- dère les anciens Aëtas comme un rameau du nègre oriental (négrito ?). Le croisement du négro-malais avec le Papou aurait produit l’Australien à chevelure épaisse, d’un aspect si hideux. Faisons remarquer en passant que la race malaise, elle-même, est loin d’être une race pure, et bien que Le sang jaune la domine, elle parait le produit des divers éléments anthropologiques avec lesquels elle s’est amalgamée. La race polyné- o D 1 id DIGRESSION. 391 sienne, au contraire, comme la fait remarquer M. Moëérenhout, a amélioré la race noire et même la race malaise toutes les fois qu’elle s’est unie avec elles. Pour nous, ce peuple océanien, qui remplit le monde de presque tout un hémisphère et qu’on retrouve par- tout dans ces innombrables iles de la mer Pacifique, du 25° degré de latitude nord au 47° sud, depuis l'archipel de Magellan jusqu'aux groupes d'Hawaïi (Sandwich) et . de l’île de Pâques aux iles des Amis, sur une étendue Œ: *: .. de mer d’environ 68° en longitude et 47° en latitude, ce peuple, disons-nous, qu’on le considère comme ori- ginaire des îles où l’ont rencontré les premiers naviga- teurs, ou bien que sa diffusion se soit opérée par migra- tions, présente en général tous les caractères d’une race L sui generis qu'on ne saurait rattacher ni aux Malais ni F 4 * à aucune race asiatique, et moins encore aux peaux— rouges de l'Amérique et aux hommes noirs de l'Afrique ou de l'Australie. — Ce Polynésien, M. Moërenhout l’a dépeint sur nature, et il importe de rappeler ici ses propres expressions : « Un teint olivâtre, tirant sur le brun, mais non pas cuivré », est assez généralement le caractère distinctif des hommes de cette race, bien qu’il y en ait beaucoup de très-blancs, surtout parmi les femmes. « Leur taille « est ordinairement au-dessus de la moyenne; des « membres nerveux, bien dessinés ; un front élevé, une « contenance ouverte, des yeux noirs, grands, vifs, « pleins d'expression, en font des hommes d'un aspect « remarquable. Les cheveux sont noirs et bouclés, le nex « est plutôt un peu large qu’épaté, la bouche est belle, 392 CHAPITRE III, « les lèvres sont plus grosses que celles de notre race, les € dents bien rangées, la face est ovale et l'angle facial « se rapproche beaucoup de la race caucasique. » Tels sont les traits principaux de ces insulaires, à peu de va- riations près, depuis l’île de Pâques, la plus orientale des océaniennes, jusqu’à la Nouvelle-Zélande, et de l’archipel Magellan à celui des Sandwich. M. Jules Garnier, géologue voyageur, a signalé, dans celte race polynésienne, des alternances frappantes à partir des îles les plus orientales jusqu'aux plus occi- dentales, où les différences de langage et de physiono- mie se trouvent plus prononcées. Il en conclut la preuve de l’expansion des migrations des insulaires de l’Océa- nie de l’est à l’ouest, et des altérations, toujours de plus en plus marquantes, à mesure que la race s’est éloignée de sa source. Selon lui, ce peuple, qui a dù franchir les terres occupées par les Papous et les autres Australiens, se retrouverait partout, quoique dans des conditions différentes. 11 entre pour une proportion plus ou moins forte dans les races dont il a relevé le type, à la Nou- velle-Calédonie, aux Viti, sur la côte orientale de la Nouvelle-Hoilande ; « à la Nouvelle-Zélande, il a si bien envahi le peuple primitif, que celui-ci, refoulé dans les montagnes de l’intérieur, ne semble avoir enlevé aucun des caractères principaux des Polynésiens, caractères qui se distinguent si facilement de ceux des autres peuples (1). » Les notions manquent pour suivre ces variations et (1) Voy. Bull. de la soc. de Géogr. de Paris. (Procès verbaux de séances, p. 90.) Juillet-Août 1870. DIGRESSION, 393 amalgames de races aux îles Salomon et dans la Papoua- sie, faute de renseignements sur ces terres inexplorées; mais M. Garnier nous a paru parlager les opinions de M. Vivien de Saint-Martin au point de vue ethnogra- phique. Toutefois, 1l retrouve plus loin, dans l’archipel indien, des preuves certaines, bien que disséminées, de l’arrivée de la race venue de l’est, et en reconnaît les traces depuis les Philippines jusqu’à Madagascar. M. Jules Marcou prend la question de beaucoup plus haut : dans un mémoire remarquable, communiqué à la Société de géographie de Paris (1), il a appelé l'attention sur une autre opinion relative à l’ethnogra- phie australienne. — « ..... [l est un fait important, « dit-il, qui ressort de toutes les traditions, c’est qu’à « l’arrivée des migrations qui s’établirent en Australie « et à la Nouvelle-Zélande, ces terres n’étaient point dé- « sertes et que d’autres hommes y vivaient. » — Quelles que soient, en effet, la provenance et l’origine des Polynésiens qui débarquèrent à la Nouvelle-Zélande, ils y trouvèrent des hommes noirs aux cheveux crépus. Ainsi cette terre était primitivement habitée par une race distincte de celle qu’on y a rencontrée à l’époque de la découverte. On a même avancé qu’une des deux îles qui forment la Nouvelle-Zélande était occupée par des hommes à cheveux blonds et sans doute d’une autre race que les hommes noirs. La question d’origine des diverses populations poly- nésiennes, comme on voit, est des plus complexes : dès (1) Les hommes dans l'Australie, par J. Marcou. Bull, de la Soc. de Géogr. Novembre 1871. 394 CHAPITRE III. qu'on commença à s'occuper sérieusement de ce peuple, il ya déjà plus d’un demi-siècle, les uns le firent prove- nir d'Amérique et l’assimilèrent aux anciens Aztèques ; d’autres le faisaient arriver d’Asie par l'archipel malais, ou bien le considéraient comme aborigène, c’est-à-dire autochthone des îles de l'Océanie. Quant aux popula- tions noires qui existèrent à la Nouvelle-Zélande et à celles qu’on rencontra en Australie, elles pouvaient pro- venir, suivant certains anthropologistes, de nègres venus d'Afrique. Mais comment et à quelle époque ? — M. J. Marcou, malgré les différences qui existent entre ces aeux races, ne combat pas cette opinion pour pro- blématique qu’elle paraisse, et croit pouvoir l’appuyer sur des faits qui ressortent des découvertes les plus ré- centes en géologie et en paléontologie. — On sait au- jourd’hui que l’existence de l’homme primitif, qui était noir, selon toutes les apparences craniologiques, re- monte à l’époque tertiaire; mais M. J. Marcou va encore plus loin : « L’homme tertiaire n’est pas le pre- mier chapitre de son histoire, ce n’est que l’avant-der- mer, nous dit-il. Il n’est pas une seule raison valable pour soutenir l'opinion que l’homme n'existait pas aux époques secondaires et même paléozoïques. Il a pu faire son apparition en même temps que les reptiles, les mur- supiaux, que les édentés, que les rongeurs, que les car- nassiers, que les pachydermes. » L'apparition simultanée sur le globe terrestre de tous les types primordiaux des êtres de la création est une opinion que partagent plusieurs géologues. M. Huxley, de la Société géologique de Londres, considère la faune DIGRESSION. 395 actuelle de la Nouvelle-Zélande comme un reste de la faune triasique européenne, et pense qu’à l’époque du cataclysme qui bouleversa le monde tertiaire, cette île, qui auparavant faisait partie des terres fermes ratta- chées à l’Europe, ou pour mieux dire au monde conti- nental d’alors, se détacha de la grande masse et resta complétement isolée. Mais une autre question fondamentale domine tout ce grand problème anthropologique : quelle que soit l’ancienneté relative de l’homme sur la terre, c’est-à- dire son apparition correspondante à une des époques des premières formations, peut-on dans l’état actuel de la science déterminer quels ont été les types primitifs dont les alliances ont produit les races existantes ? — Ces questions transcendentales, M. J. Marcou ne craint pas de les soulever : selon lui, « au point de vue géo- « logique, l’homme noir qui habita primitivement la « Nouvelle-Zélande dut avoir la même origine que celui « de l'Australie et de l'Afrique méridionale. Les diffé- « rences qui apparaissent aujourd’hui entre ces hommes « noirs, et qui sont assez grandes et assez générales « pour conslituer des espèces distinctes, dans le sens « admis pour former l’espèce, doivent être attribuées « aux modifications qu'ont dù apporter les immenses « périodes de temps écoulées depuis leur séparation « par la mer. » Ces considérations sont d’une extrême hardiesse, et M. J. Marcou en convient lui-même, bien que son rai- sonnement soit fondé sur une étude approfondie de la géologie et de la géographie physique. Toutefois, dans 396 CHAPITHE JII. ces grands problèmes anthropologiques, où le libre examen interroge des mondes restés longtemps ignorés et y découvre les débris des autres âges, il ne faut pas se laisser entrainer à cet esprit d’investigation qui porte à réunir ou à séparer les continents avec trop de facilité, afin d'expliquer les calaclysmes d’après un système pré- conçu. L'existence de l’homme, dans cet ancien monde où tant de générations ont laissé leurs empreintes, est incontestable aujourd’hui et on l’a dit avec raison « Nos cinq mille ans historiques ne sont plus qu'une bien courte période de la vie du genre humain. » Mais les découvertes modernes ne prouvent pas que telle race, occupant de nos jours une région déterminée, soit la même que celle qui y vécut dans d'autres Lemps, et pour trouver des preuves plausibles, il ne suffit pas de faire émerger les terres d’un monde, resté inconnu, qu’on re- construit géographiquement, en se transportant par la pensée aux époques des grandes révolutions du globe. Un de nos plus éminents anthropologistes à traité avec éloquence et un rare discernement la marche que doit suivre celte science d’investigation : on ne saurait apprécier les diverses causes qui ont pu modifier lin- dividu et en déduire celles qui ont modifié la race, sans tenir compte des influences et des conditions extérieures qui ont agi sur l’organisation de l’homme. Les études ethnographiques ne présentent un intérêt réel qu’en rattachant les faits isolés aux questions générales. Or, pour que les considérations sur les types primitifs etsur les races qui en proviennent soient vraiment fructueuses et puissent éclairer la grande question des origines, il DIGRESSION. 397 importe de les appuyer sur les lois fondamentales de l’organisation de l’homme et de remonter aux causes des phénomènes complexes qui se sont produits sous les influences de l’hérédité et des milieux combinés avec l’état de la civilisation des peuples et les développe- ments successifs de leur vie sociale. Ces causes, que nous venons de résumer, M. Broca les a indiquées dans son admirable exposé des travaux de la Société anthro- pologique (1) ; c’est en rappelant le mouvement pro- gressif de la science et les grands résultats obtenus dans ce dernier siècle, qu'il a prononcé ces belles paroles : CARRE Les couches superficielles de notre planète, « interrogées avec persévérance, se sont ouvertes « comme les feuillets d’un livre, où les trois règnes de « la nature ont leurs archives, où chaque espèce, avant « de disparaître, a déposé sa signature, où l’homme « lui-même, si tard venu, a laissé les preuves de son « antique existence, et les pages de ce livre immense « ont raconté l’histoire des êtres innombrables, qui d’é- « poque en époque, pareils aux coureurs du cirque, se « sont transmis successivement le flambeau de la vie. » « Et, quasi cursores, vitæ lampada tradunt. » LUCR. AI, 49. Nous venons d'exposer, dans cette digression, les diverses opinions des savants sur l’origine, les foyers et les mélanges des trois races distinctes (Malaise, Australienne et Polynésienne). Les espaces que ces races occupent sur le globe forment, comme on la vu, trois régions dont chacune a son caraclère propre, (1) Histoire de la Société d’Anthropologie de Paris (1859-1863) par M Paul Broca. Paris, 1863. Victor Masson et fils, édit. 398 CHAPITRE III. c’est-à-dire sa flore, sa faune et sa race humaine pri- mitive. Il n’en est pas ainsi sur l’ancien continent : l'Afrique australe offre seule un caractère tranché; l’Europe ne présente en général, sous les mêmes rap- ports, rien de bien déterminé ; et l'Asie, à laquelle elle tient, embrasse une trop grande étendue pour offrir un ensemble qui puisse la faire entrer géographiquement dans un même cadre, d’après les considérations qui nous ont guidé pour établir nos divisions ornitholo- giques. Son immense territoire, ses steppes, ses larges plateaux, la variété de ses climats, les grandes chaînes de montagnes qui la traversent d’orient en occident comme des barrières infranchissables, semblent indi- quer les démarcations naturelles qui la subdivisent en plusieurs contrées. L’Hindoustan, les États transgangé- tiques, la Chine et le Japon, sont les seuls pays qui accusent une physionomie dans le sens que nous l’en- tendons. D'autre part, l’expansion des races asiatiques en Europe, dans l’Afrique septentrionale et dans les ar- chipels indiens, les emprunts que se sont faits les pays limitrophes, ne permeltent guère de déterminer, dans cette partie du monde, la véritable origine des races sorties de celte source commune. Remonter la chaîne des âges pour trouver les points de départ de ces diverses agglomérations humaines aurait été nous lancer dans des questions tout à fait hors de notre sujet : il nous a suffi de prendre le monde de notre époque tel qu’il se montre à nos yeux, avec sa con- formation géographique et la distribution des êtres qui le peuplent. APPENDICE. SUR LA COLORATION DES PLUMES. Le mode de coloration du plumage des oiseaux ne présente, selon nous, aucune corrélalion avec les ré- gions qu’habitent les différentes espèces qui peuplent le globe, c’est-à-dire avec leur patrie originaire, et si, au premier coup d'œil, on est frappé de la beaulé du plu- mage des oiseaux de l’Inde, du Brésil et en général des pays situés entre les tropiques, on retrouve dans d’autres climats, et même dans des régions d’une tem- péralure lrès-froide, certaines espèces qui ne le cèdent en rien par l'éclat des couleurs à celles des régions chaudes. Peut-on voir en effet une livrée plus brillante, aux teintes plus tranchées, que celle du grand manchot à cravate citron, avec manteau bleu et ventre blanc, qui ne vit pourtant que dans les mers anlarctiques et ne vient guère à terre qu’au temps des nichées ? M. A. Milne-Edwards a cherché récemment, avec cet esprit d'observation qui le distingue, quelques données qui puissent servir à établir une distribution géogra— phique des couleurs chez les oiseaux, afin de détermi- ner, par cette étude, les influences qui ont pu amener à la longue les nuances diverses que présentent les espèces I. — 26 400 CHAPITRE lli. des différentes faunes ; mais je ne pense pas qu'on ar- rive jamais à la connaissance des lois naturelles et des conditions d’existence qui ont présidé à ce singulier chromatisme, tantôt multicolore et tantôt monochrome, qui, dans ses gammes les plus diaprées, semble se jouer avec les effets de lumière, et passe, par des dégradations insensibles, de la coloration la plus riche et la plus éclatante, aux teintes les plus douces et les plus suaves, ou bien n’accuse parfois que des couleurs franches et le plus souvent que des couleurs mélangées. On ne saurait tirer de la coloration du plumage aucun Caractère saillant qui place les oiseaux géogra- phiquement et d’une manière distincte dans une des faunes ornithologiques du globe, comme on peut le faire par la comparaison des espèces qui se montrent sous des types particuliers dans les divers genres et familles, d’après les différences de formes, de mœurs et d’habi- tudes. Tout ce qui ressort de cette question de la colo- ration, c’est que, dans l’état de domesticité, certains oiseaux, comme certains quadrupèdes, se rencontrent dans des conditions de milieu qui amènent des altéra- tions et produisent des variétés qui se transmettent par l’hérédité et forment des races distinctes. Les couleurs primitives disparaissent et sont remplacées par d’autres; souvent une seule nuance affecte tout une race; une première tendance vers l’albinisme ou vers le méla- nisme se déclare, et c’est ce qu’on voit chez les mou- tons, les chevaux, les bœufs et les cochons. Il en est de même des canards, des poules, des coq$, des pigeons qui ont perdu la couleur des types sauvages dans nos APPENDICE. 401 basses-cours et nos colombiers. Les dindons et les paons sont aussi dans ce cas, et chez eux comme chez les autres, cette dégénérescence du plumage ou du pelage, qui tire plus souvent au blanc, est déjà l’an- nonce d’un abâtardissement qui agit sur le système lymphatique et finit par amener l’albinisme pur (blane nankin ou isabelle et ses modifications). — Les dindons, par exemple, perdent d’abord, dans la domesticité, cette tente bronzée qui reluit sur leur plumage à l’état libre; quelques parties du corps commencent par se couvrir de panachures blanches à la seconde génération; puis se présentent des nichées avec les mêmes colora- tions sur un fond nankin. Les changements de couleur des yeux, du bec, des ongles et des pattes en blanc rosé, sont aussi un autre signe d’albinisme. Souvent encore, par une de ces bizarreries inexplicables, les altérations se prononcent d’un mode tout opposé ; c’est alors le noir qui domine et amène le mélanisme. Il est sur ce sujet des observations que je ne cite qu’en passant et qui nous dévoilent les caprices de la nature dans ce phénomène de la coloration à l’état de domes- ticité. La Camargue, cette curieuse contrée située entre les deux bras du Rhône et la mer, pays riche en pâtu— rages salins et où on élève beaucoup de bestiaux, possède une race de petits chevaux blancs qu’on dit descendre de ceux que les Sarrasins abandonnèrent après la victoire de Charles Martel. Ces chevaux présentent aujourd’hui tous les caractères de l’albinisme complet ou normal, tandis qu’un mélanisme des plus prononcés LS 402 CHAPITRE Il. domine presque exclusivement dans les troupeaux de bœufs noirs qui vaguent dans ces solitudes. Mais pour en revenir aux oiseaux, tels que la nature les a faits en les créant, les observations sur leur couleur dominante dans certaines régions ne sont pas appli- cables, comme caractères propres, aux faunes ornitho- logiques déterminées géographiquement, car bien que les: cygnes et les perroquets, dont les familles sont révandues sur une grande étendue du globe, nous offrent naturellement des espèces noires et d’autres blanches dans l’hémisphère sud, principalement à la Nouvelle-Hollande et dans les terres adjacentes (Nou— velle-Zélande et Papouasie), cette tendance au méla— nisme ou à l’albinisme ne paraît avoir aucun rapport avec le climat. Ce n’est plus là un caractère de race, mais une différence de type bien marquée. — Dans la famille des cygnes, l'Australie possède le cygne noir, dont les autres congénères de l’hémi: phère austral sont le cygne de la Patagonie et de la Terre de Feu qui n’a que quelques plumes noires aux ailes, et le cygne du Chili à la tête et au cou d’un noir de jais sur un corps tout blanc. Ces cygnes ressemblent par le port, la forme, les mœurs et la couleur dominante aux espèces de l’hémisphère boréal : le cygne sauvage (1), le cygne domestique, provenant du cycnus olor, le cygne améri— cain de Sharpless et le cygne trompette d’Audubon. Quant aux perroquets, il est vrai que « ni en Amé- « rique, ni en Asie, ni en Afrique, si ce n’est sur les « bords du canal de Mozambique (comme l’observe (l) Anas cygnus, L. APPENDICE. 403 « M. G. Pouchet dans sa Revue scientifique (1) sur le a travail de M. Milne Edwards) on ne rencontre pas de « perroquets noirs, exclusifs jusqu’à présent à la région « australienne. Les espèces qui ne sont pas tout à fait « nègres sont là de couleur foncée ; les nestors, par « exemple, ont le plumage d’un brun sombre, les « grandes plumes des ailes et de la queue sont teintées « en brun et bordées d’un liseré de la même couleur « encore plus foncé. » Mais à la Nouvelle-Zélande, c’est encore le vert qui, chez les perroquets du genre strygops, constitue la couleur caractéristique de la grande famille des psittacides, et ce vert, souvent à reflels métalliques, domine sur un noir mat, disposé en taches et en bor- dures régulières. En un mot, nous retrouvons dans cette région australe, qu’on désigne comme particulière aux oiseaux qui ont des couleurs sombres tirant au noir, de même que dans les iles austro-malaises et indo- malaises adjacentes, beaucoup d’espèces chez lesquelles différentes autres nuances de plumage se trouvent mo- difiées par le noir mélangé en plus ou moins grande proportion à des couleurs franches, et à côté de ces perroquets noirs ou bruns se montrent les cacatoès blancs et d’autres psittacides d’une riche parure et des nuances les plus variées : le platycerque multicolore, la perruche à face bleue de Levaillant et celle à bandeau rouge, le lori tricolore des Moluques orientales, le psittacule Desmarest des forêts de la Nouvelle-Guinée, à tête orangée qui passe au rouge cerise sur le front, avec taches bleu céleste se répétant sur le vert jaune (1) Feuilleton du Siécle, 11 janvier 1874. 404 CHAPITRE III. des autres parties du corps, le perroquet à raquette des Philippines, qu’on rencontre aussi aux îles Papouses, remarquable par sa calotte azurée, ses épaules bleues el son manteau jaune verdâtre ; enfin les perruches in- gambes de la Terre de Diémen, au front écarlate, au dos vert foncé, dont chaque plume est à liseré noir et jaune, le ventre et partie des ailes à bandes noires ondulées. Il est évident qu’en général la nature n’a tenu aucun compte de la coloration d’après les climats et les lati— tudes. On remarque seulement que dans les régions froides le noir luisant et le blanc pur ou le blanc mé- langé de noir sont les teintes dominantes des oiseaux. Tels se montrent les lagopèdes, ces perdrix blanches des hautes cimes neigeuses, qui perdent en partie leur blancheur quand elles viennent stationner dans les basses vallées ; ainsi se distinguent encore par leur plumage entièrement noir le crave ordinaire ou corbeau des mon- tagnes et le chocard des Alpes, les chionis ou pigeons blancs antarctiques, qu’on commence à rencontrer aux Malouines et à la Terre des États; citons aussi les albatros, ces moutons blancs des matelots qui doublent le cap Horn, grands oiseaux pélagiens éblouissants de blancheur avec leurs ailes noires, et ces stercoraires des régions polaires, aux teintes brun foncé, mêlées de blanc, l’oie de neige des régions hyperboréennes, entièrement blanche comme l'indique son nom, l’oie des Malouines, aux ailes blanches, l’oie antaretique à la robe éclatante et pure, l’hydrobate à fanon, espèce de canard propre à l'Australie du sud et tout barriolé de noir et de blanc, le canard arlequin de ; F APPENDICE, 405 Terre-Neuve, leider, le grêbe à calotte, les guille- mots, etles pingouins des mers glaciales (arctiques) sont encore des oiseaux chez lesquels le noir et le blanc viennent se mêler pour former les principales teintes du plumage. Chez le plus grand nombre des oiseaux blancs, le noir ne semble appliqué que pour mieux faire ressortir la blancheur des plumes, et cet albinisme incomplet se trouve modifié chez beaucoup d’espèces des régions arctiques par le bleu qui vient azurer le plumage et imprimer sa couleur limpide à ces tristes contrées, dont le ton monochrome ne s’accuse qu’en blanc bleuâtre sur des amoncellements de glaces ; car dans ces immenses solitudes, où vivent les ours blancs, les yeux se reposent rarement sur d’autres couleurs, et aucun contraste ne vient interrompre la monotonie de ce spectacle de désolation, si ce n’est les énormes cétacés et les amphibies d’un brun d’azur, les renards bleus et les grands bancs de petits crustacés rouges. Ilest à remarquer que le plumage blanc pur et le noir intense, de même que leurs mélanges, semblent plus communément affectés aux palmipèdes, aux oiseaux des marais et à plusieurs des échassiers de la famille des ardéadées : pélicans, cormorans, glaréoles, lalèves, foulques, macreuses, huitriers, tourne-pierres, hérons, flammants, eigognes, spatules, ete. — La plupart des oiseaux pélagiens qu'on rencontre entre les tro- piques, c’est-à-dire dans la région chaude, présentent les mêmes particularités de couleurs : fous, frégates, phaétons et presque toute la famille des laridées : 406 CHAPITRE IN. sternes, becs-en-ciseaux, mouettes et goëlands, pétrels et puffins. Une espèce d’oiseau des tempêtes est d'un noir de suie, une autre est d’un brun sombre avec le croupion blanc. À Dans les mêmes familles, les différents genres d’oi— seaux se distinguent par un ype particulier (générique), mais les espèces varient de couleurs. Les unes ont un plumage entièrement noir, d’autres tout à fait blanc, celles-ci offrent l’union des deux teintes, celles-là se montrent sous des nuances diverses ou bien sous une couleur dominante, verte, jaune, rouge, violette, bleue, etc. La même couleur est parfois propre à tout un groupe. Pourquoi les perroquets noirs et les perroquets blancs de l’Ausiralie ne se rencontrent-ils que dans cette région ? Pourquoi l’Amérique méridionale possède-t- elle exclusivement les magnifiques aras, les petites perruches rouges, la grande tribu des perroquets verts, et l'Afrique ses perroquets gris ? — Dieu le sait. — Rechercher les causes de ces exceplions nous semble une question oiseuse et sans issue. La nature dans ses créations paraît avoir agi en fantaisiste, comme ces: artistes dont l’imagination capricieuse se récrée dans les contrastes ; elle a produit des oiseaux blancs avec le dessous des ailes noires et le flammant à poitrine rose nous montre les siennes couleur de feu. — La colora- tion est plutôt un caractère de race qu’une livrée parti- culière aux oiseaux d’une région ; elle ne caractérise que les espèces et ne se généralise que dans certains groupes. Le cygne d'Australie est un type exceptionnel; APPENDICE. 407 le rouge carmin de son bec, le noir profond de son plumage, son port svelle, en font un type à part, digne de figurer dans celte Nouvelle-Hollande où tout ce qu’on voit vient renverser les idées reçues. Il en est à peu près ainsi, parmi les psiltacides, des microglosses, des calyptorhynques et des strygops noclurnes. C’est tout ce qu’on peut dire dans l’état de nos connais- sances. Avant la découverte des cacatoès blancs, des perro- quets noirs et des cygnes de la même couleur, on con- naissail beaucoup d'oiseaux d’un albinisme ou d'un mélanisme des plus complels, appartenant à des régions spéciales et parcourant, dans leurs migrations, de très- vasies espaces. Le grand corbeau, oiseau noir par excellence, cosmopolite par goût, habitait toute l'Eu- rope et s'était établi dans bien d’autres contrées. On le rencontre toujours depuis les côtes de la mer Glaciale jusque dans l’Inde ; on le voit en Afrique, dans toute l'Asie, dans les montagnes du Thibet et du Punjab et dans le nord de l’Amérique. L’oiseau noir, qui en Europe a tant de congénères de la même couleur et d’autres chez lesquels le noir et le blanc forment un gracieux mélange (corneille noire, corneille mantelée, freux, pies, etc.), l’oiseau noir, dis-je, ce type de la famille des corvidés, compte dans d’autres régions des espèces d’une livrée non moins brillante que celle des oiseaux les plus favorisés sous le rapport de la colora- tion : le corbeau éclatant des îles de la Sonde, à masque noir, ailes blanches à reflets violacés ; le cor— beau vieillard de la Papouasie, à la longue queue, aux 408 CHAPITRE III, joues nues et le reste du corps d’un beau plumage mélangé de gris fauve ; la pie à ventre roux de l’Asie orientale ; celle du Mexique à huppe bleue et noire, corps bleu cendré et queue bleu d’azur ; la jolie pie acahé du Brésil ; la pie bleu de ciel du Paraguay. Et dans la tribu des merles, dont notre merle noir forme le type, que de variantes parmi les espèces européennes, sans Compter les exotiques si admirables par leur brillante parure. Aux premiers jours de notre monde, quand les terres et les mers, après les grandes tourmentes géologiques, commencèrent à se reconstituer sur d’autres bases, et que, dans les deux hémisphères, une végétation nou- velle vint embellir de nouveaux berceaux de création ; alors apparurent les fleurs et les fruits, les mollusques, les poissons, les oiseaux et les mammifères, les insectes et tous les êtres de celte genèse renaissante. La nature reprit sa magique palelte et de sa main savante varia à l'infini tous les tons de couleurs pour les appliquer au gré de ses caprices ; mais, dans son admirable travail, elle sut, en grande coloriste, conserver toujours l’har- monie et la grâce. Chaque pays eut part à ses largesses, et notre Europe, quoiqu’en apparence moins favorisée que les autres régions, eut aussi ses oiseaux caractéris- tiques : le loriot vulgaire, si élégant sous son manteau jaune et noir, le martin rose, le merle bleu, l’étourneau ponctué de blanc d’argent sur un fond noir à reflets verts, nos chevaliers combattants, ces paons de mer si cranement cravatés au temps des amours, les pics verts de nos bois, à tête rouge, les huppes à robe nankinée, APPENDICE. 409 et ce martin pêcheur, l’alcyon des poëtes, qui dans son vol rapide brille comme l’émeraude ; parmi les oiseaux de chasse, outardes, perdrix et gélinottes bigarrées, coqs de bruyères d’un noir jaspé, aux sourcils de feu, canards siffleurs, tadornes, pilets et sarcelles, tous de nuances diverses. N'oublions pas nos genülles mésanges bleues, nos gracieuses bergeronnettes jaunes, nos petits roitelets couronnés, ces miniatures de nos climats, et surtout le charmant chardonneret aux couleurs voyantes, auquel, selon l’expression de Buffon, 2! ne manque que de venir de loin pour être apprécié ce qu'il vaut. Si nous pénétrons par la pensée dans ces contrées privilégiées où s'étale l'élite de l’ornithologie du globe, que de nuances et de variétés de couleurs, que de richesses viendront éblouir nos yeux ! Quel est Le peintre qui pourrait les imiter et la plume audacieuse qui ten- terait de les décrire ? Dans les chaudes régions du nouveau continent, ce sont les colibris, ces oiseaux-mouches qui voltigent sur les fleurs avec lesquelles ils s’harmonisent par l'éclat des couleurs, les guit-guits aux plumes soyeuses d’un bleu lustré, à bandeau noir de velours et front d’algue marine; puis la brillante famille des perroquets verts, bleus, rouges, à panachures jaunes, violettes, écarlates, de toutes nuances ; les superbes aras aux couleurs magistrales; et, dans les autres familles, pour ne citer que quelques types des groupes les plus sail- lants, nommons tout d’abord les tangaras aux teintes de feu, ceux-ci tricolores, passe-vert ou vert jaune, à 410 CHAPITRE Il. bandeau noir, à bec d’argent, ceux-là septicolores, bleu cendré, rouge vif, à coiffe noire, à reflets violets, cilrins, oriflammes et cinquante autres encore ; puis les Lyrans non moins nombreux et variés de couleurs ; toute la famille des ampélidées et celle des fourmiliers du Brésil ; ensuite, parmi les rupicoles, le beau coq de roche. Citons encore les petits manakins des Guyanes, verts, jaunâtres, orangés, vermillons, aux ailes rousses et noires, tous les synallaxes buissonnant du Brésil au Chili, du Chili dans les pampas, et de là jusqu'aux confins de la Patagonie, oiseaux roux, plus ou moins bariolés et tachetés de jaune et de bleu ; les troupiales ou cassiques, remarquables par leur tête orangée, leur croupion jaune d’or, leur belle huppe ou leur calotte cramoisie ; les momots à la face noire avec aigrelte rouge, le pic de Cuba à la lête sanglante sur un corps blanc, le pic doré du Paraguay, le pi- cumne mignon du Brésil, le coua à huppe bleue de la même contrée, tous les tamatias ou buccos d'Amérique, le couroucou-pavonin au plumage bronze doré, et par- mi les gallinacés, le hocco noir luisant, à tête frisée et à bec jaune, .les brillants maraïs ; les plus belles ardéadées et tant d’autres tribus de remarquables nuances. L'Afrique, dans sa partie méridionale surlout, ne possède pas moins d’oiseaux dont la coloration s’offre sous loutes les variantes : les barbus au front d’or et aux plumes de teintes diverses, les beaux barbicans du pays des Caffres, et ces innombrables tribus de petits passereaux : aloueites de Nubie bifasciées, isabellines, APPENDICE. A! gros-becs ventre noir, le sanguinolent, l’oreillon blane, pinsons à croupion rouges, colious au dos blanc, le gris perlé du Cap, le phytotome d’Abyssinie à ventre incarnat, les veuves à queue noire du Sénégal et d’An— gola, celles aux ailes rouge de l’Afrique australe, le bouvreuil githagine à poitrine rose, et le social du mont Sinaï. Citons encore les soui-mangas, ces colibris africains, le vert doré, le bleu, le carmélite, le bronzé, le Cardinal, ceux à cravatte violette, à gorge grise, à front doré, l’éclatant, l’éblouissant de la Sénégambie, du Congo, de Sierra-Leone, du Cap. Et que dirons-nous de ces superbes touracos, musophages, mangeurs de bananes, aux couleurs resplendissantes, de ces poules de Numidie ou pintades ardoisées, mouchelées, mitrées, à cou émaillé, pointillé de blanc et cerclé de bleu, de ces gigantesques autruches aux ailes panachées, de ces ouiardes à jabot noir, de ces cigognes marabous aux plumes ouatées, des ibis, des anastomes de la Caffrerie au plumage pourpré ? C’est dans les marécages de l'Afrique occidentale et sur les bords des rivières qu’on rencontre les talèves, ces poules sultanes au dos vert et dont la livrée semble saupoudrée de bleu turquoise ; c’est là qu’on trouve les coureurs isabelles, les uns aux ailes noires, les autres aux ailes violettes, les pluvians à tête noire et verte, les pluviers à aigrelte et à collier, les pélicans à la grande gorge et les anhingas au cou de serpent. Je n’essaierai pas de pousser dans les régions orien- tales cet aperçu des innombrables variétés de couleurs que nous offrent les oiseaux, parmi les difiérentes 412 CHAPITRE III. familles où se groupent tant d’espèces aux teintes les plus diaprées : les beaux gallinacés de la Colchide, dont l'introduction en Europe remonte aux temps héroïques, les faisans du Phase et ceux de l'Inde, du Mongol, de la Perse, de la Chine et du Japon, argen- tés, dorés, bronzés, tous éclatants ; le magnifique argus, si gracieusement linéolé de roussâtre, avec points blancs cerclés de noir, imitant les yeux du prince argien de la fable ; ces superbes paons de la Malaisie et du Japon, dont la queue splendide s’étale pour char- mer nos regards éblouis, el ces fiers éperonniers de Thibet, ces lophophores, oiseaux d’or des vallées du Cachemire et du Lahore, au cou pourpré et au corps noir, teinté d’azur. Citons aussi la Iyre d'Australie, gallinacé ambigu, à la queue élégamment relevée ; et parmi la brillante ornithologie des îles Malaises, toutes si riches en beaux oiseaux : les échenilleurs et les turdoïdes, les stournes et les tamalies, les brèves et les fourmiliers, tous éclatants de coloration. Nommons aussi le loriot de la Chine, jaune d’or, à calotte noire, le calyptomène vert de Singapore et de Sumatra, les mérions, les acanthizes et les petits zosteros de la Nouvelle-Hollande, les jolis passereaux des Moluques, les veuves des Philippines à plastron rouge ; puis, dans ces grandes forêts de la Papouasie, pour terminer par le bouquet comme dans les feux d'artifice, citons ces beaux oiseaux de paradis, merveille des mer- veilles, éblouissants de parure, que la nature s’est plue à orner d’un plumage accessoire pour les rendre encore plus éclatants : le magnifique, le grand émeraude, APPENDICE. 413 le superbe, le manucode au manteau rouge rubis et bien d’autres encore aux plumes des flancs formant panache, lorsque, volant par ondulations, ils brillent au soleil comme des météores. Non, avouons-le franchement, il n’y a pas de sys- tème à établir pour cette coloration variée, capricieuse, bizarre, indépendante des milieux où elle s’est pro duite et où elle se régénère toujours égale, sans altéra- tion : coloration qui nous surprend par ses contrastes dans les mêmes climats, comme par ses analogies dans les latitudes les plus opposées. Dans le curieux phénomène de ptilose, qu’il ne faut pas confondre avec la mue, et qui se produit chez cer- taines espèces d’oiseaux de l’Afrique australe au plu- mage à reflets métalliques, on ne saurait s'expliquer la singulière coloration qui s’opère sous les yeux de lob- servateur, car la nature garde encore le secret qui donne aux plumes leur dernier coup de pinceau. Ge phéno- mène a lieu quand l'oiseau est déjà entièrement em- plumé et qu’il va se revêtir de ses couleurs définitives. Alors seulement les teintes les plus brillantes com— mencent à se montrer à la pointe des plumes d’abord, et s'étendent ensuite graduellement vers la base de la tige. — C’est à notre regrettable ami Jules Verreaux que l’on doit la découverte de ce mode de coloration qu’il avait observé durant ses voyages d'exploration au cap de Bonne-Espérance, principalement sur les souï- mangas. Toutefois il paraît qu’il en est de même chez plusieurs autres espèces d’oiseaux africains. Le baron Müller et notre savant ornithologiste M. O. des 414 CHAPITRE III, Murs (1) ont appelé métachromatisme ce singulier chan- gement de couleur qui donne définitivement à l'oiseau sa robe d’adulte, et qui paraît tout à fait indépendant de la mue, car celle-ci se produit chez les oiseaux dont le plumage a déjà passé par le métachromatisme. — Dans la mue, ce sont les plumes, déjà poussées et colo- rées selon leur âge, qui tombent pour faire place à d’autres, tandis que dans le métachromatisme les plumes ne tombent pas, mais sans quitter la peau, elles revêtent des couleurs plus éclatantes qui viennent rem- placer les premières teintes. À.-E. Brehm, dans sa Vie des animaux (2), attribue tous les changements de plumage à l’usure des plumes qui, selon lui, a pour effet d'augmenter leur beauté par l'apparition de plumes nouvelles plus richement colorées : « Les extrémités, dit-il, très-souvent ternes, se détruisent, et ce sont alors les parties moyennes de la plume, aux teintes plus vives, qui se manifestent. » (1) M. O. des Murs a publié récemment (Bull. de la Soc d’acclim. janv. 1874) une notice nécrologique des plus intéressantes sur Jules Verreaux. — Tous les naturalistes de France, et l’on peut dire tous les amis du savant et modeste voyageur ont apprécie les sen- timents sympathiques qui ont jait prendre l'initiative à M O. des Murs dans ce compte-rendu des travaux du regrettable Verreaux, et je saisis cette occasion pour lui en témoigner personnellement toute ma reconnaissance, car J. Verreaux fut aussi pour moi un ami et peut-être ai-je reçu de lui: Ja dernière lettre que traça sa plume quelques jours avant sa mort. Hélas ! il attendait la remise du ma- nuscrit de l'ouvrage, que je me décide aujourd’hui à publier, pour faire la révision de tout ce qui se rapporte à la nomenclature orni- thologique, dont il aurait corrigé les erreurs, comme il le fit pour d’autres œuvres, à la celébrite desquelles il contribua en les perfec- tionnantpar ses rectifications. On doit savoir gré à M. O. des Murs de lui avoir rendu justice. (2?) La Vie des animaux illustrée, etc. par A.-E. Brehm. Edit. | franc. revue par Z. Gerbe. — Paris, Baillière et fils. (Introduction DUT) APPENDICE. 415 Nous ne saurions admettre cette explication qui ne repose peut-être que sur certains cas particuliers, observés sur des oiseaux captifs. Bien certainement Brehm ne veut pas parler de la mue dans le passage que nous citons ici; car ce savant ornithologiste n’ignore pas les changements de couleurs dus au méta- chromatisme, puisqu'il en décrit un cas bien avéré, quoique resté sans explication. « Les jeunes pygargues, « dit-il ailleurs, ont un plumage foncé uniforme, tandis « que les adultes ont la queue et la tête blanches ; et « cependant, ni les pennes caudales ni les plumes de la « tête ne tombent à la mue, elles ne font que changer « de couleur. Les pennes de la queue ou rectrices, sur « lesquelles l'observation est facile ; présentent d’abord « des points blancs qui se multiplient, s’agrandissent, « se confondent finalement les uns avec les autres, et « la plume tout entière devient blanche. » Brehm eut été plus exact en disant que ces points blancs com mencent à se montrer à la pointe des plumes pour se répandre peu à peu et les envahir entièrement. Cette sorte de transformation se produit du reste chez beau- coup d’autres oiseaux, comme nous l’avons déjà dit : dans le spermeste à capuchon (1), originaire de Gam- bie, dont F. Schlegel a si bien fait connaître les mœurs, le changement de coloration ne se fait pas par une mue, mais peu à peu et très-lentement. Brehm a parfaitement décrit ce qui se passe chez l'oiseau dans le phénomène de la mue: la chute des (1) Spermestes cucullata, Br., espèce de la tribu des amadinides (famille des passereaux). I. — 27 416 CHAPITRE HI. plumes, leur remplacement par d’autres, leur usure due à leur action, aux influences de la lumière et de la poussière. Ces changements, qui se présentent princi— palement après la saison des amours, commencent par différents endroits du corps, mais surtout parles plumes de la tête. Cependant la première mue ne porte ordi- nairement que sur les plumes du ventre et de la gorge; à la seconde, tombe une partie des pennes des ailes et de la queue, mais dans certaines espèces il faut plu— sieurs années pour que ces grandes plumes soient complétement renouvelées. — À chaque mue l'oiseau acquiert un plus beau plumage dont le renouvellement, suivant Brehm, semble une condition indispensable de la santé et de l’existence de l'oiseau. Sans prétendre comparer iei la mue des oiseaux avec la chute des feuilles des arbres, quelque chose d’ana- logue se passe chez ces grands végétaux qui restent une partie de l’année dépouillés de leur plus bel orne- ment. Les feuilles, avantdetomber, jaunissent, prennent des teintes de rouille et même beaucoup se colorent en rouge. Celles qui les remplacent sont d’abord d’un vert pâle, parfois avec des teintes violacées, et finissent par acquérir ce vert plus ou moins foncé, suivant les espèces, et si agréable à la vue. L'arbre centenaire semble augmenter de vigueur ; sa séve réagit avec plus d'énergie, et son feuillage, en devenant plus copieux, présente des masses de verdure du plus bel effet. Aïnsi le plumage, après ses mues successives, devient tou- jours plus beau à mesure que l’oiseau vieillit. Un des phénomènes les plus curieux de la mue peut 18, M Se AE ren ass ve au rer AE A ASE CUS Re à APPENDICE. 4147 s’observer sur le queléa à bec rouge (1), originaire du Soudan et de la côte occidentale d’Afrique, de la tribu des plocéides. J’ai tenu quelques-uns de ces jolis oiseaux en Cage pendant plusieurs années et ils faisaient mes délices à l’époque des amours. Le plumage de ces plocéides, avant d’apparaître sous leur belle livrée, n’a rien de bien remarquable ; on prendrait alors ces oiseaux pour de gros moineaux ou toute autre espèce vulgaire, mais quand la mue a fini de les revêtir de leurs habits de noce, la nature à opéré une métamor- phose, ce ne sont plus les mêmes oiseaux; ils semblent même avoir grandi: le bec, les yeux, la gorge, les pattes et jusques aux ongles, tout est changé en eux, c’est une véritable transformation. Le plumage est devenu des plus splendides ; le noir velouté et un beau rouge sont alors les couleurs dominantes, mais le rouge, selon l’âge de l’oiseau, prend des teintes fauves ou passe parfois au vermillon et plus souvent au rouge orangé pour trancher d’une manière admirable sur le noir de velours du plastron. La face, le front, les joues et la gorge sont noirs, le dos brun verdâtre, les rémiges noires, bordées de jaune citron, l'iris brun, le bec rouge brun ainsi que les pattes.— Ce queléa s’élève facilement en captivité et paraît d’abord assez docile, mais dès qu'il a acquis sa brillante parure, il se fait querelleur et devient méchant en diable. Dans son impatience continuelle, il tourmente tous les oiseaux de la volière, les poursuit, les déplume et les harcèle (1; Quelea sanguinirostris, Brehm. (Pyromelana oryx, R. G. — Oryx cardinalis, Müller.) 418 CHAPITRE III. sans cesse. Je l’ai vu saisir au vol un pauvre petit bengali par un bout de l’aile et le promener, en le tenant à son bec, d’un bout à l’autre de la cage. Dans ses fureurs amoureuses, il est vraiment superbe ; il se rengorge et se pavane dans sa beauté ; l'œil en feu, il hérisse toutes ses plumes, fait la roue, relève ses ailes, et se livre à toutes sortes d’excentricités, dansant devant sa femelle et voltigeant autour d’elle, s’il en a une, ou bien s’il en est privé, se divertissant tout seul en sautillant sur ses jambes avec le bec ouvert, et faisant entendre pendant tous ses ébats, son cri de joie :: Trrerr-Trrrerres ! — Cet oiseau m’a souvent diverti ainsi des heures entières par ses poses gracieuses, sans prendre un moment de repos; mais il m’a fallu enfin le séparer de ses compagnons de captivité à cause du trouble qu’il mettait dans la volière. Les singulières transformations qui s’opèrent dans le plumage des chevaliers combattants (1) de nos climats du nord de l’Europe, depuis le printemps jusqu’à la fin de l’été, sont encore un autre exemple des change- ments remarquables que la mue peut produire. Les détails que je viens de donner sur les effets de la mue aux approches de la saison des amours, lorsque l’oiseau va prendre ses couleurs les plus voyantes, et ce que j'ai dit plus haut sur le métachromatisme, me semblent démontrer que ces phénomènes de la colo- ration ne sont déterminés par aucune influence clima— térique, puisqu'ils se produisent, non-seulement dans (1, Tringa pugnax, L., vulgairement paon de mer. À ? 1 : | ÿ APPENDICE. 419 nos climats, chez nos espèces indigènes, mais aussi chez les espèces exotiques des régions chaudes, que nous élevons en cage, et qu’ils se transmettent à leur descendance par les couvées que nous obtenons. Ténériffe, septembre 1874. TABLE DES MATIÈRES DU PREMIER VOLUME. DÉTECTE ELEMENT INTRODUCTION SOMMAIRE. — Méditation après causerie. — Véritable signification du mot Patrie. — Recensement ornithologique des espèces cana- riennes : oiseaux voyageurs, émigrants ou passagers, domicilié, ou sédentaires, erratiques ou dépaysés. — Instinct des oiseaux migrateurs. — Connaissances géographiques et climatériques. — Allure dans l’action du vol. — Itinéraire des petits oiseaux de passage. — Départ des tourterelles, — Voyage de cigognes. — Explication d’après Toussenel. — Sensibilité nerveuse. — Ren- contre d’une linotte en mer. —-L’oiseau dans ses rapports phy- siques. —Appareil respiratoire; théorie, mécanisme et description du vol. — Citations et souvenirs. — Expériences anatomiques du docteur Sappey. — Organe de la vue. — Éblouissement par les phares. — Réflexions gastronomiques. . . . . . . . 1 CHAPITRE PREMIER Migrations des oiseaux. (CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES. } SOMMAIRE. — Instinctdes migrations, — Départ des hirondelles. — Tendance générale vers les changements de climats, — Étapes favorables aux oiseaux migrateurs. — La France sous le rapport cynégétique, — Stations de la mer du Nord. — Helgoland. — Archipels atlantiques. — Les îles Fortunées, — Ornithologie canarienne. — Isolement de certaines espèces et dernier terme de leurs voyages. — Cuba et les Antilles. — Passages des oiseaux, 422 TABLE DES MATIÈRES. d’après Oviedo. — Explications.— Migrations des échassiers dans l'Amérique méridionale. — Voyages et stations des ardéadées et des palmipèdes dans l'Amérique du nord . . . . . . 39 CHAPITRE II Revue des oiseaux d'Europe. (SÉDENTAIRES OU DE PASSAGE.) SOMMAIRE.— Avertissement sur la classification.— Oiseaux de proie diurnes: aigles, faucons, milans, buses, busards et archibuses, vautours. — Rapaces nocturnes. — Passereaux. — Pigeons. — Grimpeurs. — Gallinacés. — Échassiers. — Palmipèdes : plon- geurs, grands voiliers et côtiers. — Digression : Mythologie OTHLHOIOBIQUE 22 1455 2 ut À lt Pre re DOM LE NE AMIE CHAPITRE III Essai de géographie ornithologique. (SIMPLE APERÇU.) SOMMAIRE. — De la distribution des oiseaux sur le globe. — Distri- bution hydrographique des palmipèdes.— Des différentes régions ornithologiques. — Région européenne. — Région américaine : Faune mixte méridionale et septentrionale. — Région africaine: Faune mixte.— Région malgache.— Région asiatique. — Région malaise : Parties indo et austro-malaises.— Région australienne : Nouvelle-Hollande, Nouvelle-Guinée et îles adjacentes, Nouvelle- Zélande. — Région polynésienne. — Régions arctiques et an- tarctiques 57 Pet A Me Tate eme HS RAI DIGRESSION pour servir d’éclaircissement au chapitre antérieur sur les régions malaise, australienne et polynésienne. . . 382 APPENDICE sur la coloration des plumes . . . . . . . 399 FIN DE LA TABLE. Abbeville, — imprimerie Briez, CG. Paillart et Retaux. Pages Lignes. 1— 4 du titre au lieu de 12— 9 32 — 22 : 101— ?2de a deements 114 — 30. . 128 — 11. 167 — 24. 168 — 1. : 185 — 13. . : 249 — 29. : 259 — 11. 269 — 2 de fes 275 — 3. Le ; 279 — 4. PODEEM N N s 294 — 6. . . supprimez 294 — 12. Me 336 — 12. au lieu el 311 — 21. ERRATA DU TOME PREMIER. Francesco lisez JamaS ee tendaient nomenclatures . douleur . SC SUNS. cette île . Stapazn . sud-est . Féniche . de ailes. qui ornées à l’australien . tout . répandu. . ajoutez Foui-Mangas lisez Site Francisco. Jamais. tendraient. nomenclateurs. frayeur. ses. ces iles. Stapazin. sud-ouest. Fenice. des ailes. que. armées. à l'Australie. toutes. répandu. Soui-mangas. S. 0. + * Ë 5 \ He n Hi JU gl T | AT Ut ï j LAINE j id SEE be pi RU A 4 fi (CHE Un LEE Cape se - Per: ne wi re TA Fr PUNANTE TEA TUNER SSH Le? TA su CM NT Nr il qe te a Ex {à pire LCA EE pate dan, 4 na k je À fa FAR ÿ we fre ? 4.2 ps * eh A ele CES ML r 1e LA dr v et Nat CLOS < C Èe Fe Ce. a + Etaarer ce . | races < Re EC CCC CO cac F; CRC Crea a «use C CE LS QC = CE er D « EE en CCE (C ar a _ 0 2 0 CR RTE 7 « Ru CT ace GC. CC < Caccaeae CU < ec CC Rires SC Cart ic acc Cac acc PS he,