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liKlNE DE LA GRANDE-BRETAGNE Nouvelle édition, collationnée sur les meilleurs textes

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D'UNE NOTICE HISTORIQUE, DE NOTES LITTÉRAIRES ET GRAMMATICALES

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1898 LIBRAIRIE GH. DELAGRAVE

13, RUE SOUFFLOT, 15

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PROFESSOR J. S.WILL

ORAISON FUNÈBRE

HENRIETTE-MARIE DE FRANCE

REINE DE LA GRANDE-BRETAGNE

COULOMMIERS Imprimerie Paul Brodard

BOSSU ET

ORAISON FUNEBRE

DE

HEKRIËTTE-MAKIE DE FRANGE

REINE DE LA GRANDE-BRETAGNE

Nouvelle édition, coilationiiée sur les meilleurs textes

ET ACCOMPAGNÉE

d'une notice historique,

DE notes littéraires ET GRAMMATICALES

Par D. BERTRAND

AGRKGÉ DES LETTRES

ANCIEN PROFESSEUR AU LYCÉE CHARLEMAGNE

INSPECTEUR GÉNÉRAL DE l'iNSTRUCTION PUBLIQUE

(Enseignement primaire)

PARIS

LIBRAIRIE GH. DELAGRAVE

15, RUE SOUFFLOT, 15

1898

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HENRIRTTE-MARIE DE FRANtlE,

REINE DE LA GRANDE-BRETAGNE,

ET SON ORAISON FUNÈBRE

HenriottP-Marie de France naquit au Louvre le 25 no- vembre 1(Î09, quelq .es mois avant la mort de son père. Elle était le sixième et dernier enfant, et la troisième fille de Henri IV et de Marie de Médicis. Son instruction fut négligée, et Madame de Motteville disait d'elle « qu'elle manquait des grandes et belles connaissances que don- nent l'étude et la lecture >.

A rage de seize ans, elle fut mariée au roi d'Angleterre Charles P' (1625). Ce mariage avec un prince protestant, préparé par Richelieu avec la pensée de faire entrer la Grande-Bretagne dans la ligue qu'il voulait former contre la maison d'Autriche, rencontraune vive opposition parmi les plus sages conseillers du monarque anglais, et fut l'objet de longues négociations entre la cour de France et le pape Urbain VIII, qui n'y consentit enfin que dans l'es- poir de ramener l'Angleterre à la religion catholique.

Les débuts de cette union ne furent pas heureux. La première entrevue de la jeune reine avec son époux lui avait laissé une fâcheuse impression. On lit dans les mé- moires du comte Le Veneur de Tillières : c Nous arriva^ mes le 29 juin à Douvres. La reine fut logée au Château, etle reste de son train dans la ville... Elle ne vit point le roi ce jour-là. Le lendemain il vint la trouver sur l'heure du dîner, mal habillé, encore plus mal accompagné, et avec une mine triste et bien différente de celle que les Français et les Anglais lui avaient représentée pour l'obliger. Si la reine trouva qu'elle était trompée quant au

2 HENRTKTTE-MARIE DE FPANGE

corps, l'ayant un peu entretenu, elle jugea qu'elle l'était encore dftvantage quant à l'esprit, et, dès lors, elle com- mença à retrancher quelque chose en soi-même de cette extrême affection que la vanité d'être reine d'un royaume qu'on lui avait décrit comme un paradis terrestre, lui avait forméeaucœur ; ce qui augmenta dès l'après-dîner, en rai- son du commandement que fit le roi de la Grande-Bretagne à Mme de Saint-Georges, dame d'honneur delà reine, de quit tersaplace du carrosse delà reine sa maîtresse, pour ladon- ner à des dames anglaisesnuguenotes,qui n'étaientni de meilleure maison ni de meilleure qualité qu'elle. Quelque supplication qu'elle pût faire du contraire, elle ne put l'ob- tenir, et l'on ne céda sur ce point qu'aux sollicitations des ambassadeurs de France, ce qui fâcha extrêmement la reine ^ »

Henriette emmenait avec elle trente-six chapelains, dont douze prêtres de l'Oratoire, à la tête desquels était le fondateur même de l'ordre, Pierre de Bérulle. Le zèle indiscret de certains de ces ecclésiastiques et l'hu- meur un peu hautaine de la reine, qui se renfermait dans son entourage français, donnèrent de l'ombrage aux An- glais. Soit scrupule de religion, soit bo.uderie, Henriette alla jusqu'à refuser d assister à la cérémonie du couron- nement. Le favori du roi, Buckingham, profitait de ces fautes pour exciter Charles P' contre sa jeune femme. Dans un moment d'irritation, le roi renvoya tous les Français qui avaient accompagné Henriette. H faillit en résulter une rupture entre les deux cours. Le maréchal de Bassompierre fut envoyé en ambassade extraordinaire pour régler ce différend ; il parvint, moyennant des con- cessions des deux côtés, à ramener la bonne intelligence entre les deux époux.

L'accord une fois rétabli, Henriette ne tarda pas à prendre sur son mari un grand empire, qui s'affermit encore après la fin tragique de Buckingham. Alors s'écou-

1. Mémoires du comte Le Veneur de Tillières sur la cour de Char- les P'', publiés par Hq^peau.

ET SON ORAISON FUNEBRE 6

lèrent ces t seize années d'une prospérité accomplie > célébrées par Bossuet, mais qui en réalité furent si funestes à la royauté. Des capucins remplacent les pères deTOiatoire ; la reine fait bâtir unhospice dans le voisinage de son palais de Sommerset ; elle protège les catholiques et favorise les conversions. La cour de Rome lui prodigue ses félicitations ; trois nonces apostoliques vieiment successivement applaudir à son zèle et animer sa ferveur. En même temps, par son intermédiaire, la paix de Suze est conclue avec la France. Elle encourage le roi dans sa résistance au parlement, et le pousse aux mesures les plus violentes et les plus impopulaires.

Quand l'orage amoncelé pendant ces années de calme trompeur éclata euïiîîTquand la guerre devint inévitable entre le roi et le parlement, Henriette se montra, par sa ré- solution et son courage, digne fille de Henri IV. Elle avait voulu quitter l'Angleterre dés l'exécution de Strafford; mais on l'avait empêchée de partir. En 1643, sous prétexte de conduire saillie aînée, qui venaitd'épouserleprinced'O- range, elle passa en Hollande. Là, elle engage ses pierreries, équipe neuf vaisseaux et lève une petite armée. Elle tente dépasser en Angleterre avec ces troupes. Surprise par une violente tempête, elle est rejetée sur les côtes de Hol- lande.- Elle se remet en route quinze jours après, échappe à la flotte parlementaire commandée par l'amiral Batten, et aborde à Burlington, dans le Yorkshire. Batten furieux vient l'y bombarder. Elle parvient cependant à rejoindre le roi. Le succès semble d'abord l'accompagner et la cause royale paraît se relever. Mais Charles laisse peut-être échapper l'occasion décisive en refusant de marcher sur Londres, comme la reine le lui conseillait, et en s'attar- dantau siège de Glocester; etia chance tourna définitive- ment surle champ de bataille deNewbury. La reine, qui était enceinte, dut s'arrêter à ' Oxford. A l'approche des troupes du parlement, elle quitta cette ville pour se retirer à Exeter, elle mit au monde Henriette-Anne, la troisième de ses filles et son dernier enfant. Menacée

4 HENRIETTE-MARIE DE FRANGE

dans cette ville par Essex, elle fut réduite à se cacher, pendant deux jours, dans une misérable chaumière, elle n'avait rien à manger et elle était obligée de coucher sur un tas de paille. Elle arriva cependant à la forteresse royale de Pendennis, située sur le bord de la mer. Un na- vire hollandais se trouvait mouillé dans la baie de Fal- mouth; elle s'y embarquaen toute hâte. Poursuivie à ou- trance par un croiseur parlementaire, battue parles va- gues d'une mer furieuse, elle parvint enfin à gagner la côte de Bretagne et débarqua à Brest (1644).

Elle fat bien accueillie par Anne d'Autriche. On lui donna pour résidence le Louvre, et pour maison de cam- pagne Saint-Germain. « Comme les affaires du roi étaient alors en bon état, et que la guerre n'avait point encore ruiné les finances royales, on lui donna une pension de dix ou douze mille écus par mois, et en toutes choses elle eut grand sujet de se louer de la reine,» (Mme de Mot- TKViLLE.) Mais elle ne put tirer de Mazarin aucun se- cours pour son mari.

Lorsque la Fronde éclata, Henriette, abandonnée seule au Louvre, pendant que la Cour s'était retirée à Saint-Germain, entendit l'émeute gronder autour de sa demeure. Gomme sa pension avait cessé depuis quelque temps de lui être payée, elle se trouva dans le plus triste dénuement. « Elle avait déjà vendu toutes ses pierreries pour en envoyer l'argent au roi son mari, qu'elle tâchait de secourir par toutes les voies possibles. » (Mme DE Motteville). «Cinq ou six jours avant que le roi sortît de Paris, raconte le cardinal de Retz, j'allai chez la reine d'Angleterre que je trouvai dans la chambre de mademoiselle sa fille, qui a été depuis madame d'Orléans. Elle me dit d'abord : « Vous voyez, je viens tenir compa- gnie à Henriette : la pauvre enfant n'a pu se lever aujour- d'hui, faute de feu. i> Le vrai était qu'il y avait six mois que le cardinal n'avait fait payer la pension de la ieine,et que les marchands ne lui voulaient plusrienfour- nir, et qu'il n'y avait pas un morceau de bois dans sa mai-

ET SON ORAISON FUNÈBRE 5

son.. Je m'en ressouvins au bout de quelques jours ; j'exagérai la honte de cet abaildon ; et le parlement envoya quarante mille livresà lareine d'Angleterre. Lapos- térité aura peine à croire qu'une fille d'Angleterre, petite- fille de Henri le Grand, eût manqué d'un fagot pour se lever, au mois de janvier, dans le Louvre.»

La mendicité cette illustre princesse était réduite était affligeante ; mais elle ne se pouvait comparer au malheur qu'elle avait sujet de craindre, et qui entinlui ar- riva par ordre de Dieu, pour lui faire sentir la différence des plus grands biens et des plus grands maux qui puis- sent arriver dans la vie... Depuis le siège de Paris, elle avait toujours été fort en peine de ce qu'elle ne recevait point de nouvelles du Roi son mari, qu'elle savait avoir été mené à Londres, il était gardé si soigneusement qu'il fut impossible à ce prince de lui écrire; et comme on se flatte ordinairement, la reine d'Angleterre croyait que la guerre et les troubles de la France l'empêchaient en quelque façon de recevoir ses lettres et que toutes ces choses retardaient les courriers.» (Mme de Motteville) Peu de jours après l'exécution de Charles P', « elle reçut une fausse nouvelle qui lui apprit que le roi son mari avait été delà prison jusque sur l'échafaud ; qu'on lui avait voulu couper la tête, mais que le peuple s'y était opposé. .. Le 19 du mois (de février 1649), elle reçut enfin ^el te horrible nouvelle comme véritable, étonne put pas lui déguiser sonmalheurplus longtemps. Ce mal si grand, si terrible etsi certain, produisit enelletousles sentiments de douleur qu'elle était capable de sentir... Elle m'a de- puis souvent dit elle-même qu'elle était étonnée com- ment elle avait pu survivre à ce malheur. » (Mme de Motteville.)

Quelle ne fut pas son indignation, lorsque, trois ans après ce tragique événement, elle vit Mazarin, qui, sui- vant l'expression de madame de Motteville^ avait moins peur du diable que de Gromwell, '.envoyer un ambassa- deur auprès du puissant protecteur et rechercher son al-

1.

6 HENRIETTE-MARIE DE FRANGE

liance * I Mais elle-même s'exposa vers le même temps à une humiliation qui dut lui être bien sensible.

« Quoiqu'elle fût assez bien payée de ce que le roi lui donnait, elle regardait toujours cet état comme une dé- pendance fâcheuse dont elle aurait bien voulu pouvoir se tirer. Elle pria le cardinal Mazarin d'écrire de la part du roià Cromwell,pourlui demanderlajouissancede sonbien et de sond.puaire. Le cardinal le fit, non seulement pour lui com.plaire,mais beaucoup plus pour soulager les cof- fres du roi de cette dépense; car sa grande économie faisait qu'il était toujours fâché d'en voir sortir de l'ar- gent pour d'autres que pour lui. Au bout de quelque temps, le cardinal, venant voir la reine d'Angleterre, lui apporta la réponse de Gromwell, et lui dit que le lord protecteur lui avait mandé insolemment qu'il ne lui don- nerait point ce qu'elle demandait, parcequ'ello n'avait ja- mais été reconnue pour reine en Angleterre. » (Mme de

MOTTEVILLE.)

Bientôt après, un traité d'alliance était conclu entre la France et l'Angleterre. En apprenant cette nouvelle, elle avait donné ordre à son second fils, le duc d'York, de quitter l'armée française il servait. Elle ne savait pas encore que, par ce traité, Mazarin s'engageait à faire sortir de France son fils aîné, qui avait pris le titre de roi d'An- gleterre. Quelque temps auparavant, elle avait impitoya- blement banni de sa présence son troisième fils, le duc de Glocester, qui avait refusé d'embrasser la religion catholique. Le duc d'York et le duc de Glocester pas- sèrent à Bruxelles, ils s'engagèrent dans l'armée espa- gnole, tandis que leur aîné se retirait d'abord chez la prin- cesse d'Orange, sa sœur, et ensuite à Cologne.

Le rétablissement de son fils sur le trône d'Ano^leterre

4. a Mon fils, écrivait-elle au duc d'York (15 décembre 1652), cette lettre est pour vous faire savoir que, comme l'on a envoyé d'ici en Angleterre pour recognoistre ces infâmes traistres, nonobstant toutes les raisons que nous avons pu donner contre et sur cela, le roy vostre frère a résolu de s'en aller et a'déjà lait parler à la royne. » (Archives des Aff. étr.)

ET SON ORAISON FUNEBRE 7

et, bientôt après, le mariage de sa fille Honrietle-Anne avec le duc d'Orléans, frère de Louis XIV, lui rôser- \aient des consolations inespérées. Peu de temps après la restauration de Gliarles II, elle se rendit en Angleterre, pour faire régler la question de son douaire et réclamer une dot pour sa fille, mais surtout avec la pensée de faire rompre le mariage de son fils, le duc d'York, avec Anne Hyde, fille du chancelier Glarendon. Elle ne réussit pas dans ce dernier dessein ; mais elle obtint du parlement pour sa fille une dot de 40,000 jacobus, plus un cadeau de 20,000 livres sterling, et pour elle-même une rente de 30,000 livres, à laquelle le roi ajoutait pareille somme sur sa cassette. Elle revint en France pour célébrer le ma- riage' de sa fille. Elle retourna en Angleterre en 1662. Cette fois ses tentatives imprudentes de prosélytisme alarmèrent les Anglais. La mésintelligence se mit entre elle et son fils; et, après un séjour de trois ans dans son ancien royaume, elle en partit (21 juin 1665), sous pré- texte d'aller prendre les eaux de Bourbon, mais pour n'y plus revenir.

A partir de ce moment, sa vie se passa dans les prati- ques de la dévotion, tantôt à l'ombre du couvent de la Vi- sitation de Ghaillot, tantôt dans une maison de campagn qu'elle possédait à Colombes. C'est dans cette dernière retraite qu'elle mourut à l'âge de soixante ans, le 10 sep- tembre 1669. On prétendit qu'elle avait été empoisonnée par un narcotique, que lui avait donné son médecin Valot. Guy Palin, qui se fait l'écho d& cette opinion, rapporte une épigramme qui circula alors :

Le croiriez-vous, race future, Que la fille du grand Henry •Eut en mourant même aventure Que feu son père et son ilnary ? Tous trois sont morts par assassin, Ravaillac, Gromwell, médecin ; Henry d'un coup de bayonnette; Charles finit sur un billot ;

8 HENRIETTE-MARIE DE FRANCE

Et maintenant meurt Henriette Par l'ignorance de Valot.

La reine d'Angleterre avait désiré être enterrée dans le monastère de la Visitation de Ghaillot; mais Louis XIV voulut que ses restes fussent portés dans la sépulture des rois, à Saint-Denis. Son cœur, du moins, fut déposé dans l'église du couvent, et un service funèbre y fut célébré en son honneur, le 16 novembre 1669. Ce fut à la prière de la duchesse d'Orléans que Bossuet se chargea de l'oraison funèbre qui devait être prononcée dans cette cérémonie. Il était alors âgé de quarante-deux ans et venait d'être nommé évêque de Gondom.

Voici en quels termes la Gazette de France du 23 no- vembre 1669 rend compte de la cérémonie de Ghaillot :

Le 16 du courant, il se fit un beau service, pour la Reine d'Angleterre, en l'église des religieuses de Chaliot, tendue de deuil, avec trois lez de velours garnis d'écussons, dont le cœur estoit exposé sous un dais orné de mesme, dans le chœur des religieuses, et environné d'un nombre infini de cierges. Mylord Montaigu, son grand aumonier> célébra la messe, assisté des abbés Révérend et Tcstu, aumôniers ordinaires de Monsieur et Madame, faisant les fonctions de diacre et sou3-diacre, et l'abbé Bossuet, nommé à l'évesché de Gon- dom, prononça l'oraison funèbre avec grand applaudissement de son auditoire, composé entre autres personnes de Leurs Altesses Roj-ales, de Mademoiselle, et de grand nombre de seigneurs et dames de la Cour.

Pour faciliter la tâche de Bossuet, Mme de Motteville avait rédigé une notice sur la vie de la reine d'Angleterre, qu'elle avait intimement fréquentée dans son exil. Le manuscrit de cette notice, conservé à la Bibliothèque na- tionale, porte ce titre : Mémoires que fai donnés^ par ordre de Madame, pour V oraison funèbre de la reine dC Angleterre^ iQ&d . On y trouve beaucoup d'indications dont Bossuet a tiré parti.

A la fin d'un sermon pour le jour de la Visitation

ET SON ORAISON FUNÈBRE 9

prononcé en 1(160 quelques semaines après la restauration de Charles II, Bossuet, s'adressant à la reine d'Angle- terre qui l'écoutait, avait déjà exprimé dans un magnifi- que langage la pensée qui devait, à prés de dix ans de là, dominer toute l'oraison funèbre de cette princesse :

Madame, disait-il, Votre Majesté a ces sentiments (la con- fiance en Dieu et le mépris du monde) imprimés bien au fond de son <1me, et l'exemple de sa constance en a fait des leçons à toute la terre. Le monde n'est plus capable de vous tromper, et celte âme vraiment royale, que ses adversités n'ont pas abattue, ne se laissera pas non plus emporter à ses prospérités inoj inées. Grande et auguste Reine, en laquelle Dieu a m-on- Iré do nos jours un spectacle si surprenant de toutes les révo- lutions des choses humaines, et qui seule n'êtes point changée au milieu de tant de changements, admirez éternellement ses secrets conseils et sa conduite impénétrable. Ceux qui rai- sonnent des rois et de leurs états selon les lois de la poli- tique, chercheront des causes humaines de ce changement miraculeux. Ils diront à Votre Majesté qu'on peut être sur- pris pour un temps, mais qu'enfin on a horreur des mauvais exemples; que la tyrannie tombe d'elle-même, pendant que l'autoiité légitime se rétablit presque sans secours, par le seul besoin qu''on a d'elle, comme d'une pièce nécessaire; et qu'une longue et funeste épreuve ayant appris au peuple cette vérité, ce trône injustement abattu s'affermit par sa propre chute. Mais Votre Majesté est trop éclairée pour. ne porter pas son esprit plus haut. Dieu se montre trop visiblement dans ces conjonctures imprévues; et comme il n'y a que sa seule main qui ait pu calmer la tempête, il faut encore cette môme main pour empêcher les flots de se souleiver.

On a remarqué que, dans cette oraison funèbre, si su- périeure par la hauteur et la magnificence du style à tout ce qucTéloquence religieuse avait produit jusque-là en ce genre, Bossuet a cependant laissé échapper quel- ques traits qui rappellent la manière des orateurs qui l'ont précédé : c'est ainsi qu'on y trouve trois citations d'auteurs profanes, une de Quinte-Gurce, une de Pline l'Ancien, et une de Tite-Live. Enfin on y a noté des va-

10 HENRIETTE-MARIE DE FRANCE

riantes relativement assez nombreuses, qui témoignent du soin que Bossuet prit d'améliorer cette œuvre, dont la forme première ne l'avait pas satisfait complètement. Deux autres oraisons funèbres de.la reine d'Angleterre furent prononcées, l'une par l'évêque d'Amiens, Fran- çois Faure, dans la cérémonie des funérailles à Saint- Denis, l'autre par le Père Senault, en l'église Notre- Dame. On trouvera dans nos notes des citations de ces deux discours.

OUVRAGÉS A CONSULTER *.

Mme DE MOTTEViLLE, Mémoires. GuizoT, Histoire de la, révolution d'Angleterre. Comte DE Bâillon, Henriette-Marie de France, reine d'Angleterre.

ORAISON FUNÈBRB

DE

HENRIETTE-MARIE DE FRANGE,

REINE DE LA GRANDE-BRETAGNE,

PRONONCÉE LB 16 NCTVKMBRE 1GG9, EN PRÉSENCE DE MONSIEUR, FRÈRE UNIQUE DU ROI*, ET DE MADAME,

EN l'Église DES RELIGIEUSES de sainte-marie de giiaillot,

repose le CŒUR DE SA MAJESTÉ.

Et nunc, reges, intellîgite; enidimiiii, qui judiccUis terram.

Maintenant, ô rois, apprenez; instruisea- V0U3, juges de la terre.

Ps. II. 10.

Monseigneur,

Celui qui règne clans les deux, et de qui relèvent* tous les empires, à qui seul appartient ^ la gloire, la ma- jesté et l'indépendance, est aussi* le seul qui se gloritie^ de faire la loi aux rois, et de leur donner, quand il lui plaît, de grandes et de terribles leçons. Soit qu'il élève les trônes, soit qu'il les abaisse, soit qu'il communique sa puissance aux princes, soit qu'il la retire à lui-même^, et ne leur laisse que leur propre faiblesse, il leur apprend

1. Philippe, duc d'Orléans, gendre de la reine (''Angleterre.

2. Relèvent, terme emprunté à la langue féodale. Les rois relèvent de Dieu, comme les grands vassaux relevaient du roi. « Celui qui est a?sis sur le trône d'où relève tout l'univers. » {Serm. pour la profes- sion de foi de madame de la Vailicre.)

3. Appartient. Le verbe au singulier avec plusieurs sujets.

4. Aussi, par conséquent.

5. Se glorifie. Dans le psaume d'où l'orateur a tiré son texte, Dieu célèbre, en effet, par la bouche de David, son triomphe sur les royautés terrestres qui ont encouru sa colère.

6. Retirer à soi, avec le sens de reprendre, est une expression qui iait image, mais qui n'est plus usitée, si elle l'a jamais lié.

12 ORAISON FUNÈBRE

leurs devoirs d*une manière souveraine et digne de lui *. Car, en leur donnant sa puissance, il leur com- mande d'en user comme il fait lui-même pour le bien du monde; et il leur fait voir, en la retirant, que toute leur majesté est empruntée, et que, pour être assis sur le trône, ils n'en sont pas moins sous sa main et sous son autorité suprême*. C'est ainsi qu'il instruit les princes, non seulement par des discours et par des paroles, mais encore par des effets et des exemples : Et nunc, reges, in- telligife; erudimini, qui judicatis terram^.

Chrétiens, que la mémoire d'une grande Reine, fille, femme, mère de rois si puissants*, et souveraine de trois royaumes*, appelle de tous côtés à cette triste céré-

1. A rapprocher du dernier chapitre du Discours sur l'hist. univ. : a Dieu tient du plus haut des cieux les rênes de tous les royaumes... c'est ainsi que Dieu règne sur tous les peuples... Par se vérifie ce que dit l'Apôtre, que Dieu est heureux, et le seul puissant, Roi des rois, et Seigneur des seigneurs. Heureux, dont le repos est inaltérable, qui voit tout changer sans charger lui-même, et qui fait tous les change- ments par un conseil immuable; qui doi.ne et qui ôte la puissance, qui la transporte d'un homme à un autre, d'une maison à une autre, d'un peuple à un autre, pour montrer qu'ils ne l'ont tous que par emprunt, et qu'il est le seul en qui elle réside naturellement. »

Il est curieux de retrouver les mêmes idées dans Plutarque : a Celui qui establit et ruine les monarchies et principautés, selon sa sagesse et justice, donne tel contrepoids aux afl'aires humaines, que les plus puis- sants ne se remuent sinon quand et comme il lui plaist, afin que sa providence soit toujours reconnue et adorée, et l'imbécillité des conseils et efl'orts humains de plus en plus reconnue. » {Vie de Marcellus, trad. Amyot).

2. Toute la doctrine de Bossuet sur la nature de l'autorité royale est résumée dans ces lignes.

3. Bossuet avait déjà fait usage de ce texte, en 1C6G, pour déplorer en chaire la mort récente d'Anne d'Autriche : a Qui nous a sitôt enlevé cette reine que nous ne voyions point vieillir et que les années ne chan- geaient pas... El oiunc, reges, intelUgite, erudimni qui judicatis ter' rani : a Ouvrez les yeux, arbitres du monde; entendez, juges de la terre. » Celui qui est le maître de votre vie, l'est-il moins de votre grandeur ? Celui qui dispose de votre vie dispose-t-il moins de votre fortune ? » (2« Sermon pour la Purification.)

Après l'exécution de Charles I"', Cromwell avait fai« irapper une médaille qui représentait un glaive flamboyant avec ces raois.Et nunc, reges, intelUgite.

4. Fille de Henri IV, femme de Charles l", mère de Charles II.

5. L'Angleterre: l'Ecosse, réunie à l'Angleterre, en 1603, quand Jaa

DE HENRIKTTE-MARIE DE FRANGE 13

monie, ce discours vous fera paraître* un de ces exemples redoutables, qui étalent* aux yeux du monde sa vanité toute entière'. Vous verrez dans une seule vie toutes les extrémités des choses humaines : la lélicité sans bornes, aussi bien que les misères; une longue et paisible jouissance d'une des plus nobles couronnes de l'univers*; tout ce que peuvent donner de plus glorieux la naissance et la grandeur accumulé sur une tête, qui ensuite est exposée à tous les outrages de la fortune ; la bonne cause d'abord suivie de bons succès °, et depiais, des retours soudains^, des changements inouïs; la rébel- lion longtemps retenue, à la fin tout à fait maîtresse ; nui frein à la licence ; les lois abolies; la majesté^'violée par des attentats jusques alors inconnus ; l'usurpation et la tyrannie sous le nom de liberté ; une reine fugitive, qui ne trouve aucune retraite dans trois royaumes, et à qui sa propre patrie n'est plus qu'un triste lieu d'exil; neuf voyages sur mer, entrepris par une princesse, malgré les

ques I", fils de Marie Stuart, succéda à Elisabeth; et l'Irlande, qui avait été conquise, en 1171, par le roi d'Angleterre Henri II.

1. Fera paraître a plus d'ampleur que tnontrera ou fera voir. Dans lexorde du Panégyrique de saint Thomas de Cantorbéry^

Bossuct a dit de même : « La suite de ce discours vous fera paraître que le sang de ce nouveau martyr de la discipline a affermi l'autorité ecclésiastique. » « Quelle assemblée l'apôtre saint Jean nous fait paraître ! » (Début de l'Or. fun. de Marie Thérèse.)

2. Etaler, c'est-à-dire exposer dans tout son jour, comme dans cette phrase : « La doctrine toute céleste que saint Paul étale avec une divine éloquence dans l'incomparable épître aux Hébreux. » {Sermon sur l'As- cension.)

3. La règle qui veut que tout ainsi placé soit pris adverbialement, n'a prévalu que dans la seconde moitié du xvin" siècle. La Bruyère disait : ot Des choses toutes opposées », et Massillon : « Des tristesses toutes humaines. »

4. Ce que l'orateur appelle ainsi, c'est la période pendant laquelle Charles I«' gouverna sans convoquer le Parlement ; cette longue vio- lation des libertés anglaises, qui devait avoir des conséquences si ter- ribles, ne paraissait à Bossuet que l'exercice légilifno de l'autorité sou- veraine.

5. Snccâs : on disait alors bon ou mauvais succès ; on trouvera plus loin ; a Malgré les mauvais succès de ses armes infortunées. »

0. Le mot majesté tont seul, pour désigner la majesté royale, revient plusieurs fois dans cette oraisou funèbre.

14 ORAISON FUNÈBRE

tempêtes ; TOcéan étonné ^ de se voir traversé tant de fois en des appareils ^ si divers et pour des causes si diffé- rentes; un trône indignement renversé, et miraculeuse- ment rétabli. Voilà les enseignements que Dieu donne aux rois; ainsi fait-il voir ^ au inonde le néant de ses pompes et de ses grandeurs. Si les paroles nous man- quent, si les expressions ne répondent pas à un sujet si vaste et si relevé *, les choses parleront assez d'elles- mêmes. Le cœur d'une grande Reine ^, autrefois élevé par une si longue suite de prospérités, et puis plongé tout à coup dans un abîme d'amertumes, parlera assez liaut^^; et s'il n'est pas permis aux particuliers de faire des leçons aux princes sur des événements si étranges, un roi "^ me prête ses paroles pour leur dire : Et nunc, reges^ intel- ligite; erudimini, qui judicatis terram : « Entendez, ô grands de la terre, instruisez-vous, arbitres du monde. » Mais la sage et religieuse princesse qui fait le sujet de ce discours, n'a pas été seulement un spectacle* proposé

1. Expression qui semble justifier cette opinion de Voltaire sur l'orai- son funèhre, que « ce genre d'éloquence demande l'imagination et une grandeur majestueuse qui tient un peu à la poésie ». {Siècle de Louis XIV, eh. xxxii.) Mais il faut remarquer qu'elle ne surprend pas, tant elle est à sa place au milieu de ce développement d'un caractère si grandiose.

2. Le mot appareil, qui comporte ordinairement une idée de pompe, a ici un sens plus général : il est à peu près synonyme (ïétat ou d'équi- page.

3. Tour plus rapide que la forme ordinaire : c'est ainsi que.

4. Relevé, noble. « Sa mine haute et relevée le faisait aimer. » {Ser- mon sur la Justice, p. 179.)

5. Ici l'orateur désignait sans doute du geste l'urne qui contenait lo cœur de la reine.

6. Corneille a dit de même :

Trois sceptres à son trône attachés par mon bras Parleront au lieu d'elle...

{Nicomède, I, i.)

7. David, à qui est emprunté le texte de l'oraison funèbre.

8. Spectacle, employé comme attribut d'un nom do personne, commo dans ce vers de Racine :

Ce Dieu ne vous a pas choisie Pour être un vain spectacle aux peuples de l'Asie.

{Estlier, I, III.)

9. Proposé, mis devant les yeux, sens du latin propjosiius.

DE HENRIETTE-MARIE DE FRANGE 15

aux hommes pour y étudier lés conseils * de la divine Providence et les fatales ^ révolutions des monarchies; elle s'est instruite elle-même, pendant que Dieu instrui- sait les princes par son exemple ^. J'ai déjà dit que ce grand Dieu les enseigne, et en leur donnant et en leur étant leur puissance. La Reine dont nous parlons a également entendu * deux leçons si opposées, c'est-à-dire qu'elle a usé chrétiennement de la bonne et de la mau- vaise fortune. Dans l'une, elle a été bienfaisante; dans l'autre, elle s'est montrée toujours invincible. Tant qu'elle a été heureuse, elle a fait sentir son pouvoir au monde par des bontés infiiiies "; quand la fortune l'eut abandonnée, elle s'enrichit plus que jamais elle-même de vertus ° : tellement qu'elle a perdu pour son propre bien "^ cette puissance royale qu'elle avait * pour le bien des autres; et si ses sujets, si ses alliés, si l'Église uni- verselle a profité de ses grandeurs, elle-même a su pro- fiter de ses malheurs et de ses disgrâces plus qu'elle n'avait fait ^ de toute sa gloire. C'est ce que nous remar-

1. Conseils, au sens de desseins.

2. Fatales, au sens du latin fatalis, marquées par les destins, c'est-à- dire aux yeux d'un chrétien, par la Providence.

3. La V'' et la édition portaient : par son exemple fameux.

4. Au xvii« siècle, entendre était plus usité que comprendre au sens du latin intelligere.

5. Infini, incroyable, épithètes familières à Bossuet.

G. Voilà la division du discours et ses deux parties nettement indi- quées.

7. C'est-à-dire de telle sorte que c'est pour son propre bien qu'elle a perdu...

8. Le verbe avoir, qui s'est affaibli par l'usage, a encore ici toute sa force, comme dans les exemples suivants : « Dans la guerre qu'avait David contre la maison do Saiil. « {Sermon pour le jour de Pâques.) « Dans ces déplorables erreurs, la princesse palatine avait les vertus que le monde admire. » {Or. fan. d'Amie de Gonzayue.)

9. « Nous trouvons l'usage de faire si commode pour ne pas répéter un mémo verbe deux fois, que nous nous en servons, non seulement en des phrases semblables à cclle-cy : je n'escris plus tant que je fai- sais autrefois, mais encore en d'autres nous faisons régir à faire le mcsnic cas que régit le verbe pour lequel nous l'employons ; comme par exemple quand nous disons : Il ne les a pas si bien apprestrcs qu'il faisait les autres, pour dire qu'il apprestoit les autres; il n'a pas ai

16 ORAISON FUNÈBRE

quprons dans la vie éternellement mémorable de très haute, très excellente et très puissante princesse Hen- riktte-Makie de Frange, reine de la Grande- Buï^tagne*.

Quoique personne n'ignore les grandes qualités d'une reine dont Thistoire a rempli tout l'univers, je me sens obligé d'abord à les rappeler en vo re mémoire, afin que celte idée ^ nous serve pour toute la suite du discours. Il serait superflu de parler au long de la glorieuse nais- sance de cette princesse : on ne voit rien sous le soleil qui en égale la grandeur. Le pape saint Grégoire ^ a donné dès les premiers siècles cet éloge singulier * à la couronne de France : c qu'elle est autant au-dessus des autres couronnes du monde, que la dignité royale sur- passe les fortunes particulières. » Que s'il â parlé en ces termes du temps du roi Ghildebert* et s'il a élevé si haut la race de Mérovée, jugez ce qu'il aurait dit du sang de saint Louis et de Charlemagne ^. Issue de cette race, fille

bien marte sa dernière fille qu'il a fait lea autres, pour qu'il a marié les autres. » (Vaugelas.)

1. C'est la for mule consacrée, par laquelle se termine l'exorde dans les oraibons funèbres.

2. Cetti^ idée, cet aperçu.

3. Saint Grégoire le Grand, en 550, pape en 690, moit en 604, au- teur du rit grégorien.

4. SUigulier, particulier, qui n'appartient qu'à un seul : sens étymolo- gique.

5. Ghildebert II, qui régna de 575 à 596.

6. Dans le sermon sur les Devoirs des rois (2 avril 1662), Bossuet avait déjà dit presque dans les mêmes termes : a Un grand pape (c'est saint Grégoire) a donné dès les premiers siècles cet éloge incomparable à la couronne de France, qu'elle est autant au-dessus des autres cou- ronne? du monde, que la dignité royale surpasse les fortunes particu- lières : Quanto cœteros homines regia dignUas antecei.it, tanto cœterarinn genHutn régna regni vestri profecto culmen excellit. Un si saint homme regardait sans doute plus encore la pureté de la foi .que la majesté du trône. Mais qu'aurait-il dit, Chrétiens, s'il avait vu durant douze siècles cette suite non interrompue de rois catholiques î S'il a élevé si haut la race de Pharamond, combien aurait-il célébré la postérité de saint Louis ? Et s'il en a tant écrit à Childebert, qu'au- rnit-il dit de Louis-Auguste ? » Les paroles de saint Grégoire sont tirées d'une lettre de ce pape à Childebert II.

DE HEVRIETTE-MARTE DE FRANGE 17

de Henri le Grand et de tant de rois, son grand cœur a surpassé sa naissance. Toute autre place qu'un trône eût été indigne d'elle. A la vérité elle eut de quoi satis- faire à sa noble fierté, quand elle vit qu'elle allait unir la maison de France à la royale famille des Stuarts, qui étaient venus à la succession de la couronne d'Angle- terre par une fille de Henri VIP, mais qui tenaient de leur chef 2, depuis plusieurs siècles, le sceptre d'Ecosse, et qui descendaient de ces rois antiques dont l'origine se cache si avant dans l'obscurité des premiers temps '^. Mais si elle eut do la joie de régner dans une grande nation, c'est parce qu'elle pouvait contenter le désir im- mense qui sans cesse la sollicitait à faire du bien. Elle eut une magnificence royale ; et l'on eût dit qu'elle per- dait ce quelle ne donnait pas ♦. Ses autres vertus n*ont pas été moins admirables. Fidèle dépositaire des plaintes et des secrets, elle disait que les princes devaient garder le même silence que les confesseurs et avoir la même discrétion». Dans la plus grande fureur des guerres civiles, jamais on n'a douté de sa parole ni désespéré de sa clémence «. Quelle autre a mieux pratiqué cet art obli- geant, qui fait qu'on se rabaisse '^ sans se dégrader «etf qui accorde si heureusement la liberté avec le respect * ?

1. Marguerite, fille aînée de Henri VII, mariée à Jac(fue8 IV, roi d'Ecosse, qui [)érit à la bataille de Flodden (1513). Son lils Jacques V eut pour fille Marie Stuart, qui transmit à Jacques VI ses droits à la couronne d'Angleterre. Ce dernier, roi d'Ecosse depuis 15G7, succéda, en 1C93, à Elisabeth, sous le nom de Jacques I",

2. Terme de jurisprudence.

3. Robert II, premier roi de la dynastie des Stuarts (1370), avait épousé une fille de Robert Bruce, qui prétendait descendre des plus anciens rois du pays, dont le premier, Fergus, aurait vécu vers oôO avant Jésus-Clirist.

4. Eloge d'une exquise délicatesse.

5. Trait emprunté au mémoire écrit par Mme de Motteville pour Bc3- Buet.

6. Accord remarquable des verbes avec les substantifs.

7. Nous dirions : qu'on s'abaisse. Bossuet dit de même ramollir, ravilir, pour amollir, avilir.

8. Se dégrader, descendre de son rang {de gradu)-

9. C'est-à-dire qui concilie la liberté des inférieurs avec le respect

18 ORAISON FUNÈBRE

Douce, familière, agrc'able* autant que ferme et vigou- reuse*', elle savait persuader et convaincre' aussi hien que commander, et faire valoir la raison non moins que l'autorité. Vous verrez avec quelle prudence elle traitait les affaires ; et' une main si habile eût sauvé l'État, si l'État eût pu être sauvé*. On ne peut assez louer la ma- gnanimité de cette princesse. La fortune ne pouvait rien sur elle ; ni les maux qu'elle a prévus, ni ceux qui l'ont surprise, n*ont abattu son courage ^ Que dirai-je de son attachement immuable à la religion de ses ancêtres? Elle a bien su reconnaître que cet attachement faisait la gloire de sa maison adssi bien que celle de toute la France, seule nation de l'univers qui, depuis douze siècles presque

qu'ils doivent aux supérieurs. Bossuet dira de même du prince de Condô : a Jamais lioiume no craignit moins que la familiarité blessât lo respect. » Dans le sermon pour l'Annonciation, il a déiini ainsi cet art oblifjeant : « Qu'est-ce qu'une bonté populaire ? Elle nous paraît. Chrétiens, lorsqu'un grand, sans oublier ce qu'il est, se démet par con- dîsceudance, se dépouille, non point par faiblesse, mais par une faci- lilô généreuse, non pour laisser usurper son autorité, mais pour rendre sa bonté accessible, et parce qu'il veut faire naître une liberté qui n'ôte rien du respect, si ce n'est le trouble et l'étoniieraent et cette première surprise qui porte un éclat trop fort dans une âme infirme. »

1. Mme de Motteville a dit d'elle, dans ses Mémoires : « Elle était agréable dans la société, honnéLe, douce et facile, vivant avec ceux qui avaient l'honneur de l'approcher sans façon. Son tempérament était tourné du côté de la gaieté... Elle était naturellement libérale, et ceux qui l'avaient vue dans sa prospérité nous affirmaient qu'elle avait épuisé des trésors à faire du bien à ceux qu'elle aimait. »

Z. Vigoureux ne s'emploie guère au sens moral. Fénelon a dit ce- pendant : a J'aime les gens vigoureux, et qui savent se rendre maitras dos autres. » {Dial. des morts, lxx.)

o. La diirérence entre persuader et convaincre ressort clairement tlo cette phrase de Pascal : « L'art de persuader consiste autant en celui il M^'iécr qu'en celui de convaincre, tant les hommes se gouverneat j.lub par caprice que par raison. »

4. C'est un souvenir de Virgile :

Si Pergama dextra Defendi posseut, etiam hac defensa fuissent, (^n. II.)

c Si un bras oût pu sauver Troie, le mien l'eût sauvée. > L impartiale histoire ne souscrit pas à ce jugement. i). C'est ce qui justifie l'épithète à! invincible, (i\x' il lui a donnée lilua haut

DE HKNRIKTTE-MARIE DE FRANCE 19

accomplis que ses rois ont embrassé le christianisme, n'a jamais vu sur le trône que des princes enfants de l'Église *. Aussi a-t-elle toujours déclaré que rien ne serait capable de la détacher de la foi de saint Louis *. Le roi son mari lui a donné, jusques à la mort, ce bel éloge, qu'il n'y avait que le seul point de la religion leurs cœurs fussent désunis; et confirmant ^ par son témoi- gnage la piété de laReine, ce prince très éclairé a fait connaître en même temps à toute la terre la tendresse, l'amour conjugal, la sainte et inviolable fidélité de son épouse incomparable.

Dieu, qui rapporte tousses conseils à la conservation de sa sainte Eglise *, et qui, fécond en moyens ^, emploie toutes choses à ses fins cachées, s'est servi autrefois des chastes attraits de deux saintes héroïnes pour déli\rer ses fidèles des mains de leurs ennemis. Quand il voulut sauver la ville de Béthulie, il tendit dans la beauté de Judith un piège imprévu et inévitable à l'aveugle bruta- lité d'Holopberne ®. Les grâces pudiques de la reine Esther ' eurent un eiïet aussi salutaire, mais moins vio-

1. Bossuet a longuement développé cette idée dann le 2" point du sormon sur l'Unité de l'Eglise (1G81). *

2. a Quoiqu'elle fût douce do son naturel et qu'elle n'eût jamais plus <Jo peine que quand elle était obligée d'en faire aux autres, elle per- dait toute considération lorsqu'il fallait soutenir les intérêts de la foi. et elle croyait que c'eût été trahir la religion que de no la pas défendre avec chaleur. Une dame française de grande naissance et fort attachée à l'hérésie voulut disputer avec elle et employa tout ce qu'elle avait appris de ses ministres pour défendre son erreur. La reine, après avoir opposé ses raisons à celles de cette dame, qui, étant hérétique, était par conséquent opiniâtre, elle lui dit avec une force digne d'une princesse catholique, qu'ayant l'honneur d'être petite-fille do saint Louis, elle voulait vivre eu mourir dans la créance de ce grand roi. » (Senault, Or. fan. de Henriette de France,)

3. Con/îrmant, attestant. Molière a dit de môme : a Une trahison que i int d'apparences confirmaient. » (Le Festin de Pier)^e, I, m.)

4. C'est l'idée fondamentale du Discours sur l'histoire universelle.

5. Expression d'une concision hardie.

(J. La comparaison do la reine d'Angleterre avec Judith semble étrange; telle avec Esther est plus naturelle. 7. A rapprocher des vers de Uacine Assuérus fait l'éloge d'Esthor i

20 ORAISON FUNÈBRE

lent. Elle gagna le cœur du roi son mari, éi fit d'un prince infidèle un illustre * protecteur du peuple de Dieu. Par un conseil à peu prés semblable, ce grand Dieu avait préparé un charme innocent * au roi d'Angleterre, dans les agréments infinis de la reine son épouse. Comme elle possédait son affection (car les nuages qui avaient paru au commencement furent bientôt dissipés '), et que son heureuse fécondité * redoublait tous les jours les sa- crés li> ns de leur amour mutuelle ^, sans commettre ® l'autorité du roi son seigneur, elle employait son crédit à procurer un peu de repos aux catholiques accablés. Dès l'âge de quinze ans ' elle fut capable de ces soins ; et seize années d'une prospérité accomplie, qui coulèrent sans interruption, avec l'admiration de toute la terre, furent seize années de douceur ^ pour cette Église affligée. Le crédit de la Reine obtint aux catholiques ce bonheur singulier et presque incroyable, d'être gouvernés succes- sivement par trois nonces apostoliques ^, qui leur appor-

Oui, vos moindres discours ont des grâces secrètes : Une nohle pudeur à tout ce que vous faites Donne un prix que n'ont point ni la pourpre ni l'or.

(Esther, III, IV.)

1. Illustre, hautement déclaré.

2. Charme innocent, le mot charme conservait encore quelque chose de son sons étymologique {carmen, enchantement magique) ; c'est pou< cela que Bossuet y ajoute comme correctif l'épithète àUnnocent.

3. V. la notice en tête de l'Oraison funèbre.

4. Elle eut six enfants, trois fils et trois filles.

5. a Amour est masculin ou féminin,» dit Vaug las. L'usage s'est établi de faire ce mot masculin au singulier et féminin au pluriel : le féminin au singulier n'est admis qu'en poésie.

6. Commettre, compromettre.

7. Née en 1G09, elle avait été mariée en 1625, dans sa seizième année.

8. Douceur, paix, calme, comme dans cette phrase : a Les juifs vi- vaient avec douceur sous l'autorité d'Artaxercès. x> {HUt. univ.,1,

VIII.)

9. Léander, moine bénédictin, envoyé en Angleterre par Urbain VIII en 1634, eut presque immédiatement pour successeur Panzani, prêtre ita- lien, de la congrégation de l'Oratoire. Conn, ecclésiastique écossais, remplaça Panzani (23 juillet 1646), et, après trois années de résidence, il quitta Londres (2 sept. 1639) pour aller siéger parmi Iw membres du sa- cré collège.

DE HENRIETTE-MARIE DE FRANCE 21

talent les consolations que reçoivent les enfants de Dieu delà communication avec le Saint-Siège *.

Le pape saint Grégoire, écrivant au pieux empereur Maurice *, lui représente en ces termes les devoirs des rois chrétiens {a) : « Saciiez, ô grand empereur, que la sou- veraine puissance vous est accordée d'en haut, afin que la vertu soit aidée, q\ie les voies du ciel soient élargies, et que l'empire de la terre serve l'empire du cieH. » C'est la vérité elle-même qui lui a dicté ces belles paroles : car qu'ya-t-il do plus convenable à * la puissance que de secourir la vertu?à quoi laforca doit-elle servir, qu'à^dé- fendre la raison ? et pourquoi commandent les hommes, si ce n'est pour faire que Dieu soit obéi? Mais sui'tout il faut remarquer l'obligation si glorieuse que ce grand pape impose aux princes, d'élargir les voies du ciel. Jésus-Christ a dit dans son Évangile (6) : « Combien est étroit le chemin qui mène à la vie ! ^ » Et voici ce qui le rend si étroit : c'est que le juste, sévère à lui-même ', et persécuteur irréconciliable de ses propres passions, se trouve encore persécuté par les injustes passions des au- tres, et ne peut pas même obtenir que le monde le laisse

1. Dans tout ce passage, Bossuet loue la reine des actes qui lui ont le plus aliéné l'esprit de ses sujets et qui ont peut-être le plus contribué à ses malheurs et à ceux de son mari.

2. Maurice, empereur d'Orient (582-602). Vainqueur des Perses, il fut renversé par une révolte militaire, et mis à mort par l'ordre de l'usur- pateur Phocas.

3. Var. : serve à l'empire du ciel (l""? et 2* éd.).

4. Convenab'e à, qui convienne à... Construction tout à fait conforme à l'étymologie.

5. Si ce n'esta... Tour fréquent au xvii" siècle.

6. Var. des premières éditions : a Que Is chemin est étroit qui mène à la vie. »

7. On dirait aujourd'hui : sévère pour lui-même ; la proposition à s'employait fréquemment après un adjectif nous mettons pour, envers, à l'égard de. Corneille s dit :

Ingrat à mon ami, perfide à ce que j'aime.

CHéraclius, l, iv.)

(a) Ep. III, 65. (6) Math., vu, 14.

22 ORAISON FUNÈBRE

en repos dans ce sentier solitaire et rude, il grimpe * plutôt qu'il ne marche. Accourez, dit saint Grégoire, puissances du siècle; voyez dans quel sentier la vertu, chemine *, doublement à l'étroit, et par elle-même 3, et par l'effort de ceux qui la persécutent; secourez-la, tendez- lui la m.ain; puisque vous la voyez déjà fatiguée du combat qu'elle soutient au dedans contre tant de tenta- tions qui accablent la nature humaine, mettez-la du moins à couvert des insultes * du dehors, Ainsi vous élar- girez un peu les voies du ciel, et rétablirez ^ ce chemin, que sa hauteur et son. âpreté rendront toujours assez dif- ficile «.

Mais si jamais l'on peut dire que la voie du chrétien est étroite, c'est, Messieurs, durant les persécutions. Car que peut-on imaginer de plus malheureux que de ne pouvoir conserver la foi sans s'exposer au supplice, ni sacrifier' sans trouble, ni chercher Dieu qu'en tremblant? Tel était Tétat déplorable des catholiques anglais. L'er- reur et la nouveauté ^ se faisaient entendre dans toutes les chaires"; et la doctrine ancienne, qui, selon l'oracle de rÉvangile, c doit être prêchée jusque sur les toits, > {a)

1. La Harpe critique à tort cette expression : « Le mot propre, dit-il. était gravit, qui est même plus expressif. » Gravir, c'est monter avec peine, et grimper, gravir en s'accrocliant, en s'aidant des pieds et des mains, a Tel est l'état du chrétien : il faut toujours être en action, toujours grimper, toujours faire effort. » (Panégyrique de saint Be- noit, 3« point.)

2. Dans le verbe cherniner, il y a l'idée que le chemin est long et l'énible. ._ ^ .i ^ <

3. Par elle-même, parce que, comme il l'a dit plus haut, elle est sévère

pour elle-même.

4. Insultes, attaques.

ô, a Et rétablissez ce chemin. » Rétablir, c'est remettre en bon état- G, Tout ce passage est presque textuellement reproduit du sermon sur la Jicstice.

7. Sacri/îer. Il s'agit ici du sacrifice de la Messe.

8. La nouveauté, les doctrines nouvelles. Bossuet donne^ à ce mot une acception de mépris, de même qu'il dira plus loin : a Une déman- geaison d'innover sans lin.»

<a) Math., st., 27.

DE HENRIETTE-MARIE DK FRANGE 23

pouvait à peine parler à l'oreille *. Les enfants de Dieu étaient étonnés de ne voir plus ni l'autel, ni le sanctuaire, ni ces tribunaux de miséricorde qui justifient ceux qui s'accusent*. O douleur 1 II fallait cacher la pénitence avec le même soin qu'on eût fait les crimes ; et Jésus-Christ même se voyait contraint, au grand malheur ^des hommes ingrats, de chercher d'autres voiles et d'autres ténèbres que ces voile^> et ces ténèbres mystiques dont il se cou- vre volontai ement dans l'Eucharistie. A l'arrivée de la reine, la rigueur se ralentit, et les catholiques respirèrent. Cette chapelle royale, qu'elle fit bâtir avec tant de ma- gnilicence (buisson palais de Sommerset* rendait à l'Égli- se sa première forme ». Henriette, digne fille de saint Louis, y animait tout le monde par son exemple et y soutenait avec gloire par ses retraites, par ses prières, et par ses dévotions, l'ancienne réputation de la très chré- tienne maison de France. Les prêtres de l'Oratoire , que le

1. Bossuet ne fait guère ici que retourne» lo texte sacré : « Ce qui

vous aura été dit à 1 oreille, prêchez-le sur les toits. » Quod in auv< auditis prœdicate sujer tecta.

2. Justifient, terme do théologie, qui signifie remettre en état de grâce, 7 -en cire justes à nouveau, a Jésus-Christ est venu appeler à la pénitence et justifier les pécheurs. » (Pascal, Pensées, xx, 8.)

L'ardeur qxn justifie et que Dieu vous envoie.

(BOILEAU, Ep. XII.)

La Harpe admire beaucoup cette périphrase pour désigner les confes- sionnaux :« Bossuet, dit-il, agrandit tout ce qu'il touche, même ce qu'un usage journalier a rendu vulgaire. » Bossuet n'a point, comme il le sup- pose, reculé devant le mot propre ; mais le terme confessionnal tout seul n'eût pas aussi vivement représenté à l'esprit la situation cruelle des catholiques anglais, privés des secours de la religion. C'est peut- être lo cas de remarquer que les bons écrivains ne se servent le plus souvent de la périphrase que pour appeler l'attention sur une idée par- ticulière que le mot propre ne suffirait pas à réveiller.

2>- Au grand malheur, pour le grand malheur, «r Toutefois ànotr» malheur, il n'en est pas arrivé de la sorte. » {Eanêgyr. de saint Fran" çois d'Assise.)

4. La cliapelle de Sommersetfut bâtie après la réconciliation de Cha'lea et de Henriette, en exécution d'un des articles du traité conclu par Ba»- Bompierre. Voy. la notice.

6. Expression un peu vague.

24 ORAISON FUNÈBRE

grand Pierre de B^3ralle avait conduits avec elle*, et après eux les pères Gupiicins *, y donnèrent, par leur piété, aux autels leur véritable décoration et au service divin sa ma- jesté naturelle. Les prêtres et les religieux, zélés etinfati- gfible> pasteurs de ce troupeau affligé, qui vivaient en Angleterre pauvres, errants, travestis, « desquels aussi le monde n'était pas digne, > (a)venaient reprendre avecjoie les marques glorieuses de leur profession dans la cha- pelle de la reine ; et l'Église désolée, qui autrefois pouvait à peine gémir librement et pleurer sa gloire passée, faisait retentir hautement les cantiques de Sion dans une terre étrangère. Ainsi la pieuse Reine consolait la captivité des fidèles et relevait leur espérance.

Quand Dieu laisse sortir du puits de l'abîme la fumée qui obscurcit le soleil, selon l'expression de l'Apoca- lypse (6), c'est-à-dire, l'erreur et l'hérésie 3; quand, pour punir !es scandales, ou pour réveiller les peuples et les pasteurs*, il permet à l'esprit de séduction de tromperies âmes hautaines, et de répandre partout un chagrin su- perl)e 5, une indocile curiosité et un esprit de révolte, il

1. L'Oratoire, fondé à Rome, en 1550, par Philippe de Néri, fut intro- duit en France par Pierre de Bérulle, en IGH. Le cardinal de Bérulle, qui avait sollicité les dispenses pour le mariage de Henriette de Franco, profita de son influence pour introduire en Angleterre des religieux de Bon ordre.

2. Les oratoriens, renvoyés en France par ordre du roi, furent rem- placés par des religieux de l'ordre de saint François.

3. « Un tourbillon de fumée noir et épais sorti de l'enfer est l'imago la plus naturelle qu'on puisse donner d'une grande et dangereuse héré- sie. » (Bo suET, Explication de l'A20Ocali/pse, ch. ix.)

4. Les pasteurs : dans un sens général tous ceux qui sont chargés de conduire les peuples.

5. Ch"grin sxperbe, orgueil mécontent qui porte à la critique :'« Les hérétiques, curieux ou ignorants, ont été livrés aux raisonnements humains, à leur chagri)i, à leurs passions particulières. » {Hist. des Var. XV.) Et, dans un passage de l'Or. fun. de Nicolas Cornet, dirigé contre les Jansénistes : « Qui ne voit que cette rigueur enfle la pré- somption, nourrit le dédain, entretient un chagrin superbe etunespri» de fastueuse singularité ? »

Et que, par un chagrin que lui-même il avoue, Il ne saurait soufl"rir qu'on blâme ni qu'on loue.

(Molière, Misanthrope.) (a) Heb., XI, 38. {b) ApocaL, ix.2.

DE HENRIETTE-MARIE DE FRANCE 25

détermine dans sa sagesse profonde les limites qu'il veut donner aux malheureux progrès de l'erreur et aux souf- frances de son Église *. Je n'entreprends pas, Chrétiens, de vous dire la destinée des hérésies de ces derniers siècles, ni de marquer le terme fatal dans lequel* Dieu a résolu de borner leur cours. Mais si mon jugement ne me trompe pas, si, rappelant la mémoire des siècles pas- sés, j'en fais un juste rapport àl'état présent 3, j'ose croire, et je vois les suges concourir à ce sentiment* que les jours d'aveuglement sont écoulés, et qu'il est temps désormais que la lumière revienne. Lorsque le roi Henri VIII, prince en tout le reste accompli ^ s'égara dans les pas- sions qui ont perdu Salomon et tant d'autres rois ®, et commença d'ébranler l'autorité de l'Église, les sages ''

1. Un prédicateur du xvin» siècle, le P. Elisée, que Diderot mit en vogue, a presque copié ce passage dans son sermon sur les Devoirs dans 'la société : « Vous triompherez de tous ces traits, auguste reli- gion... La fumée épaisse qui sort de l'abyme n'obscurcira jamais votre éclat ; et si Dieu permet à l'esprit de séduction de tromper les âmes hautaines, d'y répandre un chagrin superbe, une indocile curiosité, un esprit de révolte, il détermine dans sa sagesse les limites qu'il veut donner aux progrès de l'erreur, s

2. La préposition dans est justifiée par le sens étymologique de limite, que Bossuet donne au mot terme {teryninus).

3. C.-à-d. si je fais une juste comparaison, un rapprochement e^act entre le passé et le présent.

4. Concourir à ce sentiment, s'accorder à penser.

5. On peut s'étonner de i'indulgence avec laquelle Bossuet traite Henri VIII, ce tyran voluptueux et sanguinaire. Mais si, par respect pour l'autorité rayaie, il a cru devoir, ea Ciiaua clduvuuLia. cour, méua^cr la mémoire de ce roi, il l'a jugé plus sévèrement dans son Histoire des Variations. Cependant encore il parle des a belles espérances » que ce prince avait fait concevoir a dans les premières années de son règne » et « des rares qualités d'esprit et de corps que Dieu lui avait do:ir.ces. » Il ne faut pas oublier que Henri VIII avait écrit, en 1521, un livre contre Luther et que le pape Léon Xlui avait conféré, à cette occa- sion, le titre de Défenseur de la foi.

6. Ce que Bossuet se contente d'indiquer par cette périphrase, il l'a expliqué dans l'Hist. des Var. (VII, 1) : « Personne n'ignore les dérègle- raents de ce prince, ni l'aveuglement il tomba par ses malheureuses amours, ni combien il répandit de sang depuis qu'il y fut abandonné, ni les suites effroyables de ses mariages, qui, presque tous, furent fa- nastes à celles qu'il épousa. »

~. Thomas Morus, qui était grand chancelier, et Fischer, évéque Rocbester.

2.

I

"26 ORAISON FUNÈBRE

lui dénoncèrent* qu'en remuant ce seul point ^ il mettait tout en péril, et qu'il donnait, contre son dessein, une licence effrénée aux âges suivants ^. Les sages le prévi- rent *; mais les sages sont-ils crus en ces temps d'empor- tement, et ne se rit-on pas de leurs prophéties ? Ce qu'une judicieuse prévoyance n'a pu mettre dans l'esprit des hommes, une maîtresse plus impérieuse ^, je veux dire l'expérience, les a forcés de le croire. Tout ce que la reli- gion a de plus saint a été en proie ^. L'Angleterre a tant changé, qu'elle ne sait plus elle-même à quoi s'en tenir; et, plus agitée en sa terre et dans ses ports mêmes ' que l'Océan qui l'environne *, elle se voit inondée par l'ef-

1. Lui dénoncèrent que... l'avertirent que. « Dieu lui dénonce qu'il le punira. » (Hist. univ., II, 4.)

2. Ce seul point. On sait que Henri VIII n'avait voulu que séparer l'Angleterre du Saint-Siège, sans rien changer au dogme, et quil se montra très sévère pour les hérétiques.

3. Déjà, dans le Panég. de Saint Thomas de Cantorbéry, Bossuet s'était écrié, en parlant de Henri II : « Prince téméraire et malavisé, que ne peut-il découvrir de loin les renversements étranges que fera un leur dans son État le mépris de l'autorité ecclésiastique et les excès jnouïs les peuples seront emportés quand ils auront secoué ce joug nécessaire. »

4. Et non prévinrent, comme portent par erreur certaines éditions. Prévenir, au sens d'avertir, n'est pas de la langue du wii"^ siècle.

5. « Ceux qui ne veulent pas déférer à Dieu et à son Eglise, qui sont les maîtres des sages, par un juste jugement de Dieu, sont envoyés à l'expérience, qui est appelée si élégamment par saint Grégoire de Na- zianze la maîtresse des téméraires et des insensés. » {Serm. sur le Res- pect dâ à la vérité.)

6. Nous verrons dans l'Or. fun. du prince de Condé : « Tout nage dans le sang, tout est en proie. » Bossuet semble aimer cette expres- sion dont on trouve des exemples dans les écrivains du xvi° siècle : « Aujourd'hui ce royaume de France est en proye. » (Montluc, Mém., liv. VI.) « Ils ne font pas moins de ravage dans leur propre pays, que si c'estoit en celuy des ennemis, toutes choses sont en pi^oye . » (Langue, xiii.)

7. Il semble que la gradation ne soit pas bien observée : car la terre est plus en sûreté que les ports; mais il faut se souvenir que ce qui domine dans le sens du mot port, c'est l'idée d'abri, de refuge.

8. Cette belle image se trouve déjà dans Cicéron : Quid dicam insulas Grxcise ? quse , fluctibus cincfas , natant pœne ipsx , cum civitafum insiituiis et moribus : « Que dirai-je des îles de la Grèce, qui, entourées par les flots, semblent flotter elles-mêmes avec leurs institutions et leurs mœurs? » {-Rép., II, 4.) Massillon a dit de même, à propos de la révolution de 1688 : « Une nation vaillante, mais aussi orageuse que !a mer qui l'environne. » {Or. fun, de Louis XIV.)

DE HENRIETTE-MARIE DE FRANCE 27

froyable débordement * de mille sectes bizarres. Qui sait si, étant revenue de ses erreurs prodigieuses touchant la royauté, elle ne poussera pas plus loin ses réflexions; et si, ennuyée 2 de ses changements, elle ne regardera pas avec complaisance ^ l'état qui a précédé? Cependant ad- mirons ici la piété de la Reine, qui a su si bien conser- ver les précieux restes de tant de persécutions. Que de pauvres, que de malheureux, que de familles ruinées pour la cause de la foi, ont subsisté pendant tout le cours de sa vie par l'immense profusion de ses aumônes! Elles se répandaient de toutes parts ju!=qu'aux dernières extré- mités de ses trois royaumes ; et s'étendant par leur abon- dance même sur les ennemis de la foi, elles adoucissaient leur aigreur, et les ramenaient à l'Eglise. Ainsi, non seu- lement elle conservait, mais encore elle augmentait le peuple de Dieu. Les conversions étaient innombrables; et ceux qui en ont été témoins oculaires nous ont appris que, pendant trois ans de séjour qu'elle a fait dans la cour du roi son fils *, la seule chapelle royale a vu plus de trois cents convertis, sans parler des autres, abjurer saintement leurs erreurs entre les mains de ses auniôniers. Heureuse d'avoir conservé si soigneusement l'étincelle de ce feu divin que Jésus est venu allumer au monde (a)! Si jamais l'Angleterre revient à soi, si ce levain précieux vient un jour à sanctifier toute cette masse &, il a été

1. Rapprochez inondée et débordement, pour apprécier la justesse de l'image.

2. Ennuy'e. Le mot a perdu de la force qu'il avait au xvii* siècle, comme on le voit par cet exemple et par ces vers de Corneille :

Auguste s'est lassé d'être si rigoureux. En CCS occasions, ennuyé de supplices, Ayant puni les chefs, il pardonne aux complices.

{Cinna, III, I.)

3. Elle ne regardei'a pas avec complaisance^ elle ne se complaira pas à regarder.

A. Dans son séjour à Londres de 1662 à 1665. V. la notice.

5, Expression empruntée à saint Paul : Modicum fermentum toiam massani corrumpit : « un peu do levain fait lever toute la masse. » (I Cor., V, G.) Rcmarc^uez comme Bossuet modilie heureusement

(a) Luc, XII, 49.

28 ORAISON FUNÈBRE

mêlé par ces royales mains, la postérité la plus éloignée n'aura pas assez de louanges pour célébrer les vertus de la religieuse Henriette, et croira devoir à sa piété l'ou- vrage si mémorable du rétablissement de l'Église *.

Que si l'histoire de l'Église garde chèrement la mé- moire de cette Reine, notre histoire ne taira pas les avan- tages qu'elle a procurés à sa maison et à sa patrie*. Femme et mère très chérie et très honorée, elle a récon- cilié avec la France le roi son mari et Je roi son fils. Qui ne sait qu'après la mémorable action de Tîle de ', et durant ce fameux siège de la Rochelle*, cette princesse, prompte à se servir des conjonctures importantes, fit con- clure la paix, qui empêcha l'Angleterre de continuer son secours aux calvinistes révoltés? Et dans ces dernières années, après que notre grand roi, plus jaloux de sa parole et du salut de ses alliés que de ses propres inté- rêts, eut déclaré la guerre aux Anglais s, ne fut-elle pas

l'expression de l'Apôtre par l'emploi de l'âàjectiî précieux et du verlje sanctifie.

1. C'est la troisième fois en q;!elques lignes que Bossuet revient sur cette idée. Le rétablissement de Charles II avait fait concevoir à ce su- jet des espérances qui ne devaient pas se réaliser, mais dont Bossuet s'était déjà rendu l'interprète, dans un sermon pour la fête de la Visi- tation, prononcé, en ICGO, dans l'église du couvent de Chaillot : « Il le fera, Madame, nous l'espérons : et si nos vœux soiit exaucés, peut-être arrivera-t-il... car qui sait les secrets de la Providence ? ... Après que Dieu a rétabli le trône du roi, sa bonté disposera tellement les choses que le roi rétablira le trône de Dieu. »

2. Ici encore Bossuet loue la reine d'actes qui, à ses yeux d'orateur français et catholique, étaient dignes d'éloge, mais que les Anglais avaient jugés autrement.

3. Mémorable -pa.r l'héroïque résistance de la petite garnis n de l'île, que commandait le marquis de Toiras, et qui avait forcé Buckingham à se rembarquer honteusement pour 1 Angleterre M(J-37).

4. Lo siège de La Rochelle par F.ichelieu, qui dura du 10 août 1C27 au 28 octobn 1G28, et pendant lequel Charles I" envoya au secours des protestants français quali'e expéditions successives, dont aucune ne put pénétrer jusqu'à la ville assiégée.

5. En 1665, U-^e riv.ilité d'intérêts commerciaux et de suprématie maritime avait fait éclater la guerre entre l'Angleterre et la Hollande. Les Hollandais réclamèrent l'appui de Louis XIV, avec lequel ils étaient unis par un traité de commerce. Il leur envoya une flotte qui ne leur fut pas d'un grand secours. Mais, par l'intermédiaire de la reine

DE HENRIETTE-MARIE DE FRANGE 29

encore une sage et heureuse médiatrice ? Ne réunit-elle pas les deux royaumes ? Et depuis encore, ne s'est-elle pas appliquée en toutes rencontres à conservercette même intelligence? Ces soins regardent maintenant Vos Altesses Royales*; et l'exemple d'une grande Reine, aussi bien que le sang de France et d'Angleterre, que vous avez uni par votre iieureux mariage, vous doit inspirer le désir de travailler sans cesse à l'union de deux rois qui vous sont si proches, et de qui la puissance et la vertu peu- vent faire le destin de toute l'Europe*.

Monseigneur, ce n'est plus seulement par cette vail- lante main et par ce grand cœur que vous acquerrez de la gloire. Dans le calme d'une profonde paix ^ vous aurez des moyens de vous signaler; et vous pouvez servir l'État sans l'alarmer, comme vous avez fait tant de fois*, en exposant au milieu des plus grands hasards de la guerre une vie aussi précieuse et aussi nécessaire que la vôtre. Ce service, Monseigneur, n'est pas le seul qu'on

mère, il se rapprocha secrètement de l'Angleterre, et, peu de temps après, la paix de Bréda (31 juillet 1607) était sigaée entre les trois puis- sances.

1. Vos Alte-'ses Royales: Le duc et la duchesse d'Orléans. Senault s'est montré moins adroit dans son compliment: a Un mois après elle revint en cette cour, et achova heureusement le mariage de Madame avec Mon- sieur, qui avo. testé un de ses plus violents désirs. Jaurois centchoses à vous dire sur ceste alliance, et sur le mérite des deux personnes qu la contractèrent; mais il est temps que je finisse, et je craindrois que parmy tant do sujets lugubres on ne m'accusast d'y mêler indiscret- tement les magnificences d'une nopce : Musica in luctu importuna narratio. Et puis il me faudroit plus de temps qu'il ne m'en reste pour parler d'un héros et d'une héroïne qui font la gloire et la joye du siècle présent, «t de leurs illustres descendants ijui feront l'orne- ment des siècles futurs. »

2. En parlant ainsi, Bossuet ne so doutait pas que la duchesse d'Or- léans allait bientôt négocier une alliance entre son frère Charles II et Louis XIV.

3. On ne savait pas que Louis XIV n'avait signé le traité d'Aix-Ia- Chapello que pour préparer une guerre contre la Hollande.

4. Leduc d'Orléans avait montré de la bravoure dans la campagne Ae Flandre. Il se distingua plus tard dans la guerre de 1672, et battit même le prince d'Orange à Gassel, en 1677.

30 ORAISON FUNÈBRE

attend^ de vous; et l'on peut tout espérer d'un prince que la sagesse conseille, que la valeur anime, et que la justice accompagne dans toutes ses actions. Mais m'emporte mon zèle, si loin de mon triste sujet? Je m'ar- rête à considérer les vertus de Philippe 2, et je ne songe pas que je vous dois l'histoire des malheurs de Henriette. J'avoue, en la commençant, que je sens plus que jamais la difficulté de mon entreprise. Quand j'envisage de près les infortunes inouïes d'une si grande Reine, je ne trouve plus de paroles ; et mon esprit, rebuté de tant d'indignes •traitements qu'on a faits à la majesté et à la vertu, ne se résoudrait jamais à se jeter parmi tant d'horreurs, si la constance admirable avec laquelle cette princesse a sou- tenu ses calamités ne surpassait de bien loin les crimes qui les ont causées. Mais en même temps, Chrétiens, un autre soin me travaille 3. Ce n'est pas un ouvrage humain que je médite. Je ne suis pas ici un historien qui doive vous développer le secret des cabinets, ni l'ordre des batailles, ni les intérêts des partis : il faut que je m'élève au-dessus de l'homme pour faire trembler toute créature sous les jugements de Dieu*. « J'entrerai, avec David, dans les puissances du Seigneur (a)»; et j'ai

1. Nous dirions : qu'on attende ; mais l'emploi de l'indicatif so jus- tifie iiHTCe qu'il n'y a pas de doute dans l'esprit de l'orateur.

2. Sur ce prince voyez les mémoires de la Princesse Palatine (Char- lotte-Elisabeth de Bavière), sa seconde femme. Saint-Simon l'a fort maltraité : ail n'avoit que les mauvaises qu lités des femmes... il n'étoit capable de rien. Personne de si mou de corps et d'esprit, de plus gouvern*', ni de plus méprisé pai ses favoris, et très souvent de plus mal mené par eux. Tracassier et incapable de garder aucun secret, soupçonneux, fiant, etc. »

Mme de la Fayette, qui est plus indulgente, en fait cependant cepor- trait peu flatteur : a Ses inclinations étoient aussi conformes aux occupations des femmes que celles du Roi en étoient éloignées ; il ■étoit beau et bien fait, mais d'une taille plus convenable à une prin- .cesse qu'à un prince... son amour-propre sembloit ne le rendre capa- ble d'attachement que pour lui-même. r> (Hîst. de Madame, 1'® partie.) » 3. Il dira de même dans l'Or. fun. dn prince de Condé : a La vigi- lance de cette princesse ne calme pas les soins qui le travaillent. »

4. On ne saurait mieux définir le rôle de l'orateur sacré.

(a) Ps. Lxx, 15.

DE HENRIETTE-MARIE DE FRANGE 31

à VOUS faire voir les merveilles* de sa main et de ses conseils; conseils de juste vengeance sur l'Angleterre; conseils de miséricorde pour le salut de la Reine; mais conseils marqués par le doigt de Dieu, dont l'empreinte est si vive et si manifeste dans les événements que j'ai à traiter qu'on ne peut résister à cette lumière.

Quelque haut qu'on puisse remonter pour rechercher dans les histoires les exemples des grandes mutations*, on trouvera que jusques ici elles sont causées ou par la mollesse, ou par la violence des princes. En effet, quand les princes, négligeant de connaître leurs affaires et leurs armées, ne travaillent qu'à la chasse, comme disait cet historien 3, n'ont de gloire* que pour le luxe, ni d'esprit que pour inventer des plaisirs; ou quand, emportés par leur humeur violente 5, ils ne gardent plus ni lois ni mesure, et qu'ils ôtent les égards^ et la crainte aux hommes, eu faisant que les maux qu'ils souffrent leur pfiraissent plus insupportables que ceux qu'ils pré- voient'; alors ou la licence excessive, ou la patience poussée à l'extrémité®, manacent terriblement® les mai- sons régnantes. Charles P'', roi d'Angleterre, était juste, modéré, magnanime, très instruit de ses affaires et des moyens de régner. Jamais prince ne fut plus capable de rendre la royauté, non seulement vénérable et sainte, mais encore aimable et chère à ses peuples i^. Que lui peut-

1. Comme il dira, en parlant du prince de Gondé : « les me r veilles de sa vie. » :?. Nous dirions révolutions.

3. C'est en parlrmt des monarques de l'Inde que Quinte-Curce (viii,9) a dit: Venatas maxiais labor est.

4. N'0)tt de gloire que pour, mettent toute leur gloire dans...

5. Violence, h'imeur violente, termes à rapprocher et à peu près synonymes de tyrannio, caractère tyrannique.

0. Egards, respect, déférence, s'applique ordinairemeat aux rap- ports du supérieur avec l'inférieur.

7. rhiaso d'uu' concision et d'une vigueur dignes de Tacite.

8. Poussée à l'extrémité, poussée à bout.

!). Terriblement est pris dans son sens propre, d'une manière ter- rible.

II). Il convient d'opposer au jugement de Bossuet sur Charles I" ce- lui de l'historien Macaulay : a II serait injuste de refuser à Charles

32 ORAISON FUNÈBRE

on reprocher, sinon la clémence * ? Je veux bien avouer de lui ce qu'un auteur célèbre a dit de César, qu'il a été clé- ment jusqu'à être obligé de s'en repentir : « Cœsari pro- prium et peculiare sit clementiœ insigne, qua usque ad pœnitentiam omnes superavit^. d Que ce soit donc là, si l'on veut, l'illustre 3 défaut de Charles aussi bien que de César*; mais que ceux qui veulent croire que tout est faible dans les malheureux et dans les vaincus ne pensent pas pour cela nous persuader que la force ait manqué à son courage, ni la vigueur à ses conseils. Poursuivi à toute outrance par l'implacable malignité de la fortune, trahi de tous les siens, il ne s'est pas manqué à lui-même. Malgré les mauvais succès de ses armes infortunées, si on a pu le vaincre, on n'a pas pu le forcer 5; et, comme il n'a jamais refusé ce qui était raison- nable, étant vainqueur, il a toujours rejeté ce qui était faible^ et injuste, étant captif. J'ai peine à^ contempler

quelques-unes des qualités d'un bon et même d'un grand prince. Il écrivait et parlait non pas comme son père, avec la justesse d'un pro- fesseur, ma:s comme un gentilhomme intelUg'mt et bien élevé. Son goût en littérature et en art était cxc .lient ; il avait de la dignité dans les manières, quoique sans grâce; sa vie privée était irréprochable. La mauvaise toi fut la principale cause de ses malheurs et reste comme la principale tache sur sa mémoire II était réellement poussé par un penchant incurable vers les voies obscures et détournées. Il peut sem- bler étrange que sa conscience, qui, dans des choses de peu d'impor- tance, était assez délicati^ ne lui ait jamais reproché un vice si grave. Mais il y a des raisons de croire qu'il était perfide, non seulement par tempérament et par habitude, mais aussi par principe. Il semble avoir appris des théologiens qu'il estimait beaucoup, qu'entre lui et ses sujets il ne pouvait rien y avoir qui ressemblât à un contrat mutuel; que, même le voulût-il, il ne pouvait se dépouiller du pouvoir despo- tique ; et que, dans toute promesse qu'il faisait, était impliquée la réserve que cette promesse pourrait être violé i en cas de nécessité, né- cessité dont il était seul juge.» {Hist. d'Angl, cb. i".)

1. Var. : sa clémence fl" et 2= éd.).

2. Pline, Hist. nat., VII, 25.

d. L'illustre défaut, le beau, le glorieux défaut.

4. L'histoire ne justifie pas ce rapprochement entre César et Charles l".

5. Forcer, faire fléchir.

6. Ce qii' était faible, ce qui aurait été un acte de faiblesse.

7. Vaincre. . forcer... étant vainqueur... étant captif, antithèses pleines de force.

S. J'ai peine à a le même sens que dans ce vers de Corneille :

DE HENRIETTE-MARIE DE FRANGE 33

son grand cœur dans ces dernières épreuves. Mais certes il a montré qu'il n'est pas permis aux rebelles de faire perdre la majesté à un roi qui se sait connaître * ; et ceux qui ont vu de quel front* il a paru dans la salle de West- minster 3 et dans la place de Whitehall*, peuvent juger aisément combien il était intrépide à la tête de ses armées, combien auguste et majestueux au milieu de son palais et de sa cour. Grande Reine, je satisfais à vos plus tendres désirs quand je célèbre ce monarque; et ce cœur, qui n'a jamais vécu que pour lui, se réveille, tout poudre qu'il est 5, et devient sensible, même sous ce drap mor- tuaire, au nom d'un époux si cher, à qui ses ennemis mêmes accorderont le titre de sage et celui de juste, et que la postérité mettra au rang des grands princes, si son histoire trouve des lecteurs dont le jugement ne se laisse pas maîtriser aux événements ni à la fortune ^ Ceux qui sont instruits des affaires, étant obligés

On a peine à haïr ce qu'on a bien aimé.

(Sertorîus, I, 3.)

1. C'est-à-dire qui a conscience de sa dignité.

2. De quel front. C'est ainsi que Voltaire a dit :

II se présente aux Seize, il demande des fers, Du front dont il aurait condamné ces pervers.

{Henriade, iv.)

3. il fut jugé.

4. il fut décapité.

5. Var. tout cendre qu'il est. Tout, même avec le sens adver- bial, s'accorde ordinairement avec l'adjectif féminin ou le substantif féminin pris adjectivement qui le suit, quand l'un ou l'autre commence par une consonne; mais, suivant Littré, tout reste invariable, si le substantif est un nom de chose.

<j. Voltaire paraît avoir mieux résumé le jugement de la postérité sur Charles I"''" : « Il avait voulu, dit-il, rendre son pouvoir en Angle- terre indépendant des lois, et changer la religion en Ecosse. Trop opi- niâtre pour se désister de ses desseins et ti'op faible pour les exécuter, bon mari, bon maitre, bon père, honnête homme, mais monarque mal conseillé, il s'engagea dans une guerre civile, qui lui flt perdre enfin le trône et la vie sur un échafaud, par une révolution inouïe. {Siècle de Louis XIV, ch. ii.)

34 ORAISON FUNÈBRE

d'avouer que le Roi n'avait point donné d'ouverture* ni de prétexte aux excès sacrilèges dont nous abhorrons la mémoire, en accusent la fierté indomptable de la nation; et je confesse que la haine des parricides ^ pourrait jeter les esprits dans ce sentiment. Mais, quand on considère de plus près l'histoire de ce grand royaume, et particu- lièrement les derniers règnes, l'on voit non seulement les rois majeurs 3, mais encore les pupilles*, et les reines mêmes ^ si absolues et si redoutées; quand on regarde la facilité incroyable avec laquelle la religion a été ou renversée, ou rétablie par Henri, par Edouard, par Marie, par Elisabeth^, on ne trouve ni la nation si rebelle, ni ses parlements si fiers et si factieux : au con- traire, on est obligé de reprocher à ces peuples d'avoir été trop soumis, puisqu'ils ont mis sous le joug leur foi même et leur conscience. N'accusons donc pas aveuglé- ment le naturel des habitants de l'île la plus célèbre du monde, qui, selon les fidèles histoires, tirent leur origine des Gaules'; et ne croyons pas que les Merciens^, les Danois et les Saxons ^ aient tellement corrompu en

1. D'ouverture, d'occasion, de motif.

2. Régicide n'était pas encore inventé.

3. Henri VIII.

4. Edouard VI, fils de Henri VIII et de Jeanne Seymour, roid à ix ans, mort à dix-sept.

5 Marie Tudor, lille de Henri VIII et de Catherine d'Aragon, et Eli- sabeth, fille de Henri VIII et d'Anne de Boleyn.

6. Henri VIII, tout en rompant avec Rome, avait prétendu rester or-, thodoxe; et le hill des six articles, voté par le Parlement, maintenait sous les peines les plus terribles, les dogmes que repoussaient les ré- formés. — Sous Edouard VI, les nouvelles doctrines, protégées par le régent Sommerset, firent de grands progrès et l'Angleterre devint presque luthérienne. Marie ïudor rétablit violemment le catholicisme. Elisabeth, après une vaine tentative de transaction avec le pape, établit définitivement la religion anglicane.

7. La communauté d'origine des Gaulois et des Bretons ne paraît pas douteuse.

8. Les Merciens sont ici pour les Angles ; la Mercie était un des royaumes de l'heptarchie anglo-saxonne.

9. Il eut été plus exact de dire les Saxons, les Angles et les Danois ; ce n'est que vers la fin du vm® siècle que les Danois commencèrent à en- vahir l'Angleterre.

DE HENRIETTE-MARIE DE FRANCE 35

eux ce que nos pères leur avaient donné do bon sang*, qu'ils soient capables de s'emporter à des procédés si barbares, s'il ne s'y était mêlé d'autres causes. Qu'est- ce donc qui les a poussés? Quelle force, quel transport, quelle intempérie * a causé ces agitations et ces violences ? N'en doutons pas. Chrétiens : les fausses religions, le libertinage d'esprit 3, la fureur de 'iisputer des choses divines sans fin, sans règle, sans soumission*, a emporté les courages 5. Voilà les ennemis que la Reine a eu à com- battre, et que ni sa prudence, ni sa douceur, ni sa fer- meté n'ont pu vaincre.

J'ai déjà dit quelque chose de la licence se jettent les esprits, quand on ébranle les fondements de la reli-

4. Expression bizarre d'une idée singulière. Le bon sang, qui coulait dans les veines des Français, ne les a pas empêchés, à la fin du siècle suivant, de traiter un descendant de Louis XIV comme les Anglais avaient traité Charles 1".

2. Intempérie. C'est peut-être le seul exemple d ^ ce mot employé au sens moral. Il faut le rapprocher du sens qu il avait dans 1 ancienne médecine, il était fréquemment employé. Molière fait dire à M. Pur- gon : « Je vous abandonne... à l'intempérie de vos entrailles. » {Malade imcKjinaire, III, 5) et Mme de Sévigné a dit : a Voilà ce qui m'a fait craindre qu'il n'y eût quelque chose de plus que l'intempérie de votre sang. » (lOfév. 1680.)

3. On pense à ce vers de Molière :

Mon frère, ce discours sent le libertinage.

{Tartufe,!, Q.)

Sur le sens des mots libertin et libertinage, v. note 3, p. 112.

4. Dans l'exorde d'un sermon sur l'Incrédulité, le P. Elisée a cousu cette phrase à une autre de la même oraison funèbre, comme il suit : n Un chagrin superbe, une indocile curiosité, un esprit de révolte et d'indépendance, ont pris la place de cette foi docile et soumise qui caractérisait les premiers fidèles; la fureur de disputer sur les choses divines sans règle et sans soumission a multiplié les erreurs. »

5. Les courages, les cœurs. Il dira de même plus loin : « Ce qui est plus insupportable à un grand courage », pour à un grand cœur. Courage, qui a la même étymologie que coeur, en avait aussi le sens :

La parole suffit entre les grands courages.

(Corneille, Sertorius, l, ii.)

36 OBAISON FUNÈBRE

gion et qu'on remue les bornes une fois posées *. Mais» comme la matière que je traite me fournit un exemple manifeste et unique dans tous les siècles de ces extré- mités furieuses, il est, Messieurs, de la nécessité de mon sujet de remonter jusques au principe, et de vous con- duire pas à pas par tous les excès le mépris de la reli- gion ancienne et celui de Fautorité de l'Église ont été capables de pousser les hommes.

Donc 2 la source de tout le mal est que ceux qui n'ont pas craint de tenter au siècle passé la réformation par le schisme, ne trouvant point de plus fort rempart contre toutes leurs nouveautés que la sainte autorité de l'Église, ils 3 ont été obligés de la renverser. Ainsi les décrets des conciles, la doctrine des Pères et leur sainte unanimité, l'ancienne tradition du Saint-Siège et de l'Église catho- lique, n'ont plus été comme autrefois des lois sacrées et inviolables. Chacun s'est fait à soi-même un tribunal il s'est rendu l'arbitre de sa croyance * ; et, encore qu'il semble que les novateurs aient voulu retenir les esprits en les renfermant dans les limites de l'Écriture Sainte, comme ce n'a été qu'à condition que chaque fidèle en deviendrait l'interprète et croirait que le Saint-Esprit lui

Le nom d'amant peut-être offense son courage.

(Racine, Phèdre, II, 1.)

« Cela les fit rire de bon courage. (Sgarron, Roman comique, I«> p., ch. VII.)

1. Souvenir de ce passage des Proverbes (xxii, 28) : Ne transféras lerminum antiquum quem, fecerunt patres tui: « Ne déplace point la borne ancienne que tes pères ont posée. »

2. Vaugelas dit qu'il est bon de placer ainsi quelquefois la conjonction donc, « pour diversifier son usage. » Mais il faut ajouter que, placée en tête de la phrase, elle lui donne un ton particulier d'autorité.

3. Pléonasme par répétition du sujet fréquent chez Bossuet, surtout après un participe présent.

4. a Lorsqu'on a mis dans la tête d'un peuple ignorant que tout est si clair dans l'Écriture, qu'il y entend tout ce qu'il y faut entendre et qu'ainsi il se peut passer du jugement de tous les pasteurs et de tous les siècles, il prend pour vérité constante le premier sens qui se présente à son esprit. » {Hist. des Var., VII.>

DE HENRIETTE-MARIE DE FRANCE 37

en dicte l'explication, il n'y a point de particulier qui ne se voie autorisé par cette doctrine fi adorer ses inventions, à consacrer ses erreurs, à appeler Dieu tout ce qu'il pense *. Dès lors on a bien prévu que, la licence n'ayant plus de frein, les sectes se multiplieraient jusqu'à l'infini ; que l'opiniâtreté * serait invincible, et que, tandis que les uns ne cesseraient de disputer, ou donneraient leurs rêveries pour inspirations, les autres, fatigués de tant de folles visions et ne pouvant plus reconnaître la majesté de la religion déchirée par tant de sectes, iraient enfin chercher un repos funeste et une entière indépendance dans l'indifférence des religions ^ ou dans l'athéisme.

Tels, et plus pernicieux encore, comme vous verrez dans la suite, sont les effets naturels de cette nouvelle doctrine. Mais, de même qu'une eau débordée ne fait pas partout les mêmes ravages, parce que sa rapidité ne trouve pas partout les mêmes penchants * et les mêmes ouver- tures : ainsi, quoique cet esprit d'indocilité et d'indépen- dance soit également répandu dans toutes les hérésies de ces derniers siècles, il n'a pasproduituniversellementles mêmes effets; il a reçu diverses limites, suivant que la crainte, ou les intérêts, ou l'humeur des particuliers et des nations, ou enfin la puissance divine, qui donne quand il lui plaît des bornes secrètes aux passions des hommes les plus emportées, l'ont différemment retenu. Que s'il s'est montré tout entier à l'Angleterre, et si sa malignité s'y est déclarée sans réserve, les rois en ont souffert, mais aussi les rois en ont été cause. Ils ont trop

1. Cette expression ne dépasse-t-elle pas un peu la juste mesure ?

2. L'opiniâtreté, l'attachement à ses propres opinions.

3. a On voit l'état présent de la Réforme et la pente de ces Églises pré- tendues, qui ont pour fondement qu'il n'y a rien de vivant ii quoi on doive s'assujettir en matière de religion. Le socinianisme s'y déborde comme un torrent sous le nom de tolérance; les mystères s'en vont les uns après les autres; la foi s'éteint; la raison humaine en prend la place, et on y tombe à grands flots dans l'indifiérence des religions. » {VI" Avert. aux protestants.)

4. Pendiants, pentes. Ce mot ne s'emploie oïdinairement au pluriel qu'avec le sens moral d'inclinations.

38 ORAISON FUNÈBRE

fait sentir aux peuples que l'ancienne religion * se pouvait changer *. Les sujets ont cessé d'en révérer les maximes, quand ils les ont vu ^ céder aux passions et aux intérêts de leurs princes. Ces terres, trop remuées et devenues incapables de consistance, sont tombées de toutes parts et n'ont fait voir que d'effroyables précipices. J'appelle ainsi tant d'erreurs téméraires et extravagantes qu'on voyait paraître tous les jours *. Ne croyez pas que ce soit seulement la querelle de l'épiscopat, ou quelques chicanes sur la liturgie anglicane, qui aient ému les Communes 5. Ces disputes n'étaient ^ encore que de faibles commencements par ' ces esprits turbulents faisaient comme un essai de leur liberté. Mais quelque chose de plus violent se remuait dans le fond des coeurs : c'était un dégoût secret de tout ce qui a de l'autorité, et une démangeaison * d'innover sans fin, après qu'on en a vu le premier exemple. Ainsi les Calvinistes, plus hardis que les Luthériens »,

1. Remarquez l'emploi fréquent de l'épithète ancienne : l'ancienne religion, l'ancienne tradition, la soumission ancienne, par opposition à nouveauté, nouvelle doctrine. Pour Bossuet, homme de tradition, la doctrine ancienne est la vraie, la nouvelle ne peut être qu'erreur. M. Sainte-Beuve a dit de lui : « Il avait besoin... de n'admettre aucun doute, de ne tolérer aucune inquiétude d'opinion, aucune recherche de vérité nouvelle : il entrait en impatience dès qu'on remuait autour de lui. » {Nouveaux Lundis, t. II, p. 330.)

2. Se changer, pour être changée.

3. Orthographe des éditions originales. Molière fait dire à Elmire :

Aurais-je pris la chose ainsi qu'on m'a vu faire.

(Tariufe, IV, V.)

4. Il va les énumérer tout à l'heure.

5. Le-; Communes, La Chambre des communes, qui forme avec la Chambre des lords le parlement anglais. Les presbytériens y for- maient un parti considérable qui repoussait l'épiscopat. L'archevêque Laud, devenu ministre, avait voulu imposer aux trois royaumes la liturgie et les rites de l'Eglise anglicane, ce qui avait amené le soulève- ment de l'Ecosse, qui tut le commencement de la révolution.

0. Yar. : tout cela n'était.

7. Par où, tour plus vif que par lesquels.

8. C'est ainsi que Massillon dira : a une vaine démangeaison de tout savoir ot de décider sur tout. » {Petit Carême, Sur les fautes légères.)

9. Les Calvinistes, qui, en Angleterre, prirent le nom de Presbytériens

DE HENRIETTE-MARIE DE FRANCE 39

ont servi à établir les Sociniens S qui ont été plus loin qu'eux, et dont ils grossissent tous les jours le parti. Les sectes infinies des Anabaptistes * sont sorties de cette même source; et leurs opinions, mêlées au Calvinisme, ont fait naître les Indépendants 3, qui n'ont point eu de bornes ; parmi lesquels on voit les Trembleurs *, gens fanatiques qui croient que toutes leurs rêveries leur sont inspirées, et ceux qu'on nomme Chercheurs ^, à cause que, dix-sept cents ans après Jésus-Christ, ils cherchent encore la religion, et n'en ont point d'arrêtée ^. C'est, Messieurs, en cette sorte que les esprits, une fois

ou de Purilains, rejetaient l'épiscopat et n'admettaient aucune hiérarchie dans l'Eglise; ils acceptaient la royauté, mais une royauté tempérée par le Parlement.

1. Les Sociniens tiraient leur nom de l'italien Lelio Socin (1525-1562), dont ils avaient adopté les doctrines : ils niaient la Trinité et la divi- nité de Jésus-Christ. Cette secte fut introduite en Angleterre par John Biddle, qui, enfermé trois fois par oi'dre du Long Parlement, fut encore privé deux fois de sa liberté sous Cromwell, et mourut en prison.

2. Les Anabaptistes professaient l'indépendance absolue en matière religieuse, la communauté des biens et la polygamie. Ils formaient des sectes nombreuses connues sous le nom de Brownistes, Fennilistes, Millénaires, Antinomites, Adamites, etc.

3. Les Indépendants ne voulaient ni roi ni prêtres; ils étaient parti- sans de la liberté religieuse. Aussi Cromwell, qui appartenait à cette secte, permit-il aux juifs de bâtir une synagogueaLondres.il n'est pas conforme à la vérité historique de faire dériver les Indépendants des Anabaptistes.

4. Les Trembleurs, plus connus sous le nom de Quakers, fort répan- dus aujourd hui en Amérique, remarquables par leur amour extrême de l'égalité et l'austérité de leurs mœurs; ils tiraient leur nom de ce que le premier apôtre de cette doctrine, George Fox, et ses premiers dis- ciples, quand ils allaient prêcher, étaient saisis d'une sorte de trem- blement nerveux {to quahe, trembler), qu'ils attribuaient à l'inspiration divine.

5. Les Chercheurs (seekers), secte fondée par Henri Vane, qui mourut sur l'échafaud en 1062; leurs doctrines assez obscures étaient surtout négatives ; mécontents de toutes les formes religieuses, ila attendaient une révélation nouvelle.

G. Cette multiplicité de sectes pullulant à l'infini est pour l'orateur catholique l'occasion d'un triomphe facile. Mais il ne voit pas qu'elle accusait une ferveur de l'esprit religieux, qui, en communiquant aux sujets révoltés de Charles I«' un enthousiasme aveugle et une inébran- lable constance, devait les rendre invincibles. Il est juste, d'ailleurs, de rappeler que, parmi ces sectaires, beaucoup confessèrent leur foi au iiiilieu des supplices et opposèrent aux persécutions un courage que Boss let admirerait chez les martyrs.

40 ORAISON FUNÈBRE

émus S tombant de ruines en ruines, se sont divisés en tant de sectes *. En vain les rois d'Angleterre ont cru pou- voir les retenir sur cette pente dangereuse en conservant l'Episcopat : car que peuvent des évêques qui ont anéanti eux-mêmes l'autorité de leur chaire, et la révérence qu'on doit à la succession, en condamnant ouvertement leurs prédécesseurs jusques à la source même de leur sacre, c'est-à-dire jusqu'au pape saint Grégoire, et au saint moine Augustin, son disciple, et le premier apôtre de la nation anglaise 3. Qu'est-ce que l'Episcopat, quand il se sépare de l'Eglise, qui est son tout, aussi bien que du Saint-Siège, qui est son centre, pour s'attacher, contre sa nature, à la royauté comme à son chef * ? Ces deux puis-

1. Emus, mis en mouvement, sens du latin moti.

2. Fidèle à sa méthode de coudre ensemble des lambeaux de Bossuet, le P. Elisée dit, dans la partie de son sermon sur l'Incrédulité : « A la réformation des Protestants succédèrent bientôt les entreprises plus hardies des Sociniens ,et les chimères impies et sacrilèges des Indépen- dants : les esprits une fois émus sont tombés de ruines en ruines; ils voulaient dans le commencement réformer la religion, ils ont fini par les approuver toutes ; et ne trouvant rien d'assuré dans leurs sectes, i s ont cherché un repos funeste et une entière indépendance dans l'athéisme ou dans l'entière indifTérence des religions. »

3. a Mais que peuvent sur les consciences des décrets de religion qui tirant leur force de l'autorité royale, à qui Dieu n'a rien commis de semblable, n'ont rien que de politique? Encore que Henri VIII les soutînt par des supplices innombrables, et qu'il fît mourir cruellement, non seulement les catholiques qui détestaient sa suprématie, mais encore les luthériens et les zuingliens qui attaquaient aussi les autres articles de sa foi, toutes sortes d'erreurs se coulaient insensiblement dans l'Angleterre, et les peuples ne surent plus à quoi se tenir quand ils virent qu'on avait méprisé la chaire de saint Pierre, d'où l'on savait que la foi était venue en cette grande île, soit qu'on voulût regarder la conversion de ses anciens habitants sous le pape saint Eleuthère, soit qu'on s'arrêtât à celle des Anglais qui fût procurée par le pape saint Grégoire. Tout l'état de l'Église anglicane, tout l'ordre de la discipline, toute la disposition de la hiérarchie de ce royaume, et enfin la mission aussi bien que la consécration de ses évêques, venaient si certainement de ce grand pape et de la chaire de saint Pierre ou des évêques qui le regardaient comme le chef de leur com- munion, que les Anglais ne pouvaient renoncer à cette sainte puis- sance sans alTaiblir parmi eux l'origine même du christianisme et toute l'autorité des anciennes traditions. » {Hist. des Var., liv. VII.)

Le moine saint Augustin fut envoyé en Angleterre, en 590, par le pape saint Grégoire, pour convertir les Saxons.

4. Son tout, son centre, son chef. Remarquez la justesse et la pré- cision de ces expressions.

DE HENRIETTE-MARIE DE FRANGE 41

sances d'un ordre si différent ne s'unissent pas, mais s'embarrassent mutuellement *, quand on les confond ensemble; et la majesté des rois d'Angleterre serait demeurée plus inviolable, si, contente de ses droits sacrés, elle n'avait point voulu attirer à soi les droits et l'autorité de l'Église. Ainsi rien n'a retenu la violence des esprits féconds en erreurs : et Dieu, pour punir l'irréligieuse instabilité de ces peuples, les a livrés à l'intempérance de leur folle curiosité; en sorte que l'ardeur de leurs disputes insensées, et leur religion arbitraire, est devenue* la plus dangereuse de leurs maladies.

Il ne faut point s'étonner s'ils perdirent le respect de la majesté et des lois, ni s'ils devinrent factieux, rebelles et opiniâtres. On énerve la religion quand on la change, et on lui ôte un certain poids, qui seul est capable de tenir les peuples ^. Ils ont dnns le fond du cœur je ne sais quoi d'inquiet* qui s'échappe^, si on leur ôte ce frein nécessaire; étonne leur laisse plus rienà ménnger, quand on leur permet de se rendre maîtres de leur religion. C'est de que nous est ce prétendu règne de Christ, in- connu jusques alors au christianisme, qui devait anéan- tir toute royauté et égaler® tous les hommes; songe sédi- tieux des Indépendants et leur chimère impie et sacrilège : tant il est vrai que tout se tourne en révolte et en pensées séditieuses, quand l'autorité delà religion est anéantie!

1. S'embarrassent, se gênent, se font obstacle, comme dans cette phrase du Disc, sur l'hist. univ. : « ces deux grandes républiques (Athènes et Lacédémone) s'embarrassaient dans le dessein qu'elles avaient d'assujettir toute la Grèce. » (III, 5.)

2. Le verbe au singulier avec plusieurs sujets, suivant un usaga constant.

3. Le sens de tenir est expliqué par l'expression de frein nécessaire, qui est à la phrase suivante.

4. in^fitidf, dans le .sens du latin ing'wieftt.î, qui ne peut rester en repos, comme dans cette phrase : a II (le monde) sait remuer si puis- Hamment je ne sais quoi d'inquiet et d'impatient que nous avons dans le fond du cœur. » [Serm. sur la véritable conversion.)

5. Qui s'échappe, comme un cheval à qui on ôte la bride, ainsi que cela est expliqué par les mots qui suivent.

6. Egaler, expression préférable au néologisme égaliser. « La mort qui égale tout.» {Or. fim. de la duclessg d'Or'éans.^

3.

42 ORAIliON FUNÈBRE

Mais pourquoi chercher des preuves d'une vérité que le Saint-Esprit a prononcée par une sentence manifeste? Dieu même menace les peuples qui altèrent la religion qu'il a établie de se retirer du milieu d'eux, et par de les livrer aux guerres civiles. Écoutez comme il parle par la bouche du prophète Zacharie : « Leur âme, dit le Sei- gneur, a varié envers moi, » quand ils ont si souvent changé de religion; c et je leur ai dit : Je ne serai plus

> votre pasteur» (a), c'est-à-dire : je vous abandonnerai à vous-mêmes et à votre cruelle destinée; et voyez la suite : « Que ce qui doit mourir aille à la mort; que ce

> qui doit être retranché soit retranché. » Entendez-vous ces paroles? « Et que ceux qui demeureront se dévorent les » uns les autres. » O prophétie trop réelle et trop véritable- ment accomplie! La Reine avait bien raison déjuger qu'il n'y avait point de moyen d'ôter les causes des guerres civiles qu'en retournant à l'unité catholique qui a fait fleurir durant tant de siècles l'Église et la monarchie d'Angleterre, autant que les plus saintes Églises et les plus illustres monarchies du monde. Ainsi, quand cette pieuse princesse servait l'Eglise, elle croyait assurer au Roi des serviteurs, en conservant à Dieu des fidèles. L'expérience a justifié ses sentiments; et il est vrai que le roi son fils n'a rien trouvé de plus ferme dans son ser- vice que ces catholiques si haïs, si persécutés, que lui avait sauvés la reine sa mère. En effet, il est visible que, puisque la séparation et la révolte contre l'autorité de l'Église a été la source d'où sont dérivés tous les maux, on n'en trouvera jamais les remèdes que par le retour à l'unité et par la soumission ancienne *. C'est le mépris de cette unité qui a divisé l'Angleterre. Que si vous me demandez comment tant de factions opposées et tant de sectes incompatibles, qui se devaient apparemment ^ dé-

1. Ici on pourrait dire, en se servant des termes mêmes de Bossuet, que a l'expéi-ience n'a pas justifié ses sentiments ».

2. Qui se devaient apparemment détruire, qui paraissaient devoir se détruir-e.

(a) Zacliar., xi, 8 et suiv..

DE HENRIETTE-MARIE DE FRANCE 43

triiireles unes les autres, ont pu si opiniâtrement cons- pirer ensemble contre le trône royal, vous l'allez ap- prendre.

Un homme s'est rencontré * d'une profondeur d'esprit incroyable, hypocrite raffiné autant qu'habile politique, capable de tout entreprendre et de tout cacher, égale- ment actif et infatigable dans la paix et dans la guerre, qui ne laissait rien à la fortune de ce qu'il pouvait lui ôter par conseil * et par prévoyance ; mais au reste si vigi lant et si prêt à tout, qu'il n'a jamais manqué les occa- sions qu'elle lui a présentées ; enfin un de ces esprits remuants et audacieux qui semblent être nés pour chan- ger le monde 3. Que le sort de tels esprits est hasardeux, et qu'il en paraît dans l'histoire à qui leur audace a été funeste! Mais aussi que ne font-ils pas, quand il plaît à Dieu de s'en servir? Il fut donné à celui-ci de tromper les peuples et de prévaloir contre les rois *. Car, comme il eut aperçu ^ que, dans ce mélange infini de sectes qui n'avaient plus de règles certaines, le plaisir de dogma- tiser sans être repris ni contraint par aucune autorité ecclésiastique ni séculière était le charme qui possédait les esprits, il sut si bien les concilier par ® qu'il fit

1. On remarquera que, par un sentiment de délicatesse, Bossuet ne prononce pas le nom de Cromwell devant la fille de Cha-les I".

2. Consjil, sagesse dans les résolutions, c'est le sens du latin con~ silium.

3. Comparez à ce portrait celui de Guillaume d'Orange, par Massil- lon : « Du fond de la Hollande sort un prince profond dans ses vues, habile à former des ligues et à réunir des esprits, plus heureux à ex- citer les guerres qu'à combattre, plus à craindre encors dans le secret du cabinet '|u'à la tèto des armées, un ennemi que la haine du nom français avait rendu capable d'imaginer de grandes choses et de les exécuter; un do ces génies qui semblent nés pour mouvoir à leur gré les peuples et les souverains; un grand homme enfin, s'il n'avait jamais voulu être roi. » {Or. fun. du Dauphin.)

4. Souvenir lointain de l'Apocalypse, (xiii, 7.)

5. Comme il eut aperçu, ayant aperçu.

G. Par là, en les laissant dogmatiser à leur aise, c'est-à-dire en leur laissant la liberté de la prédication et de la prière, que chacun s'arrogeait parmi les puritains, et en leur permettant même de pro- phétiser, ce qui était aussi une do leurs manies.

44 ORAISON FUNÈBRE

un corps redoutable de cet assemblage monstrueux. Quand une fois on a trouvé le moyen de prendre la mul- titude par l'appât de la liberté, elle suit en aveugle, pourvu qu'elle en entende seulement le nom *. Ceux-ci*, occupés du premier objet qui les avait transportés, al- laient toujours, sans regarder qu'ils allaient à la servitude; et leur subtil conducteur, qui, en combattant, en dogma- tisant, en mêlant mille personnages divers, en faisant le docteur et le prophète aussi bien que le soldat et le capi- taine, vit qu'il avait tellement enchanté ^ le monde qu'il était regardé de toute l'armée comme un chef envoyé de Dieu pour la protection de l'indépendance, commença à s'apercevoir qu'il pouvait encore les pousser plus loin *. Je ne vous raconterai pas la suite trop fortunée de ses

1. Observation aussi vraie que profonde, et que confirme l'histoire des révolutions.

2. Ceux-ci, ceux qui composaient la multitude; exemple de syllepse.

3. Eiichanié doit être rapproché du mot charme, qui est plus haut; il a quelque chose du sens à'eyisorcelé-

i. Ce célèbre portrait de Cromwell n'est pas moins remarquable par la modération que parla vérité. A part l'épithète d'hypocrite rafliné, qu'on voudrait atténuer, on n'y saurait relever aucune expression vio- lente; et, si Bossuet juge sévèrement Cromwell, il ne cherche pas à le rabaisser. M. Victor Hugo a cependant reproché à ce portrait de n'être qu'un a simple et sinistre prolil «.unea silhouette passionnée » {passionnée est au moins de trop). Mais, si l'on retranche de celui qu'il a tracé lui-même (ilans la préface de Cromwell) tout ce qui est de l'homme privé, dont Bossuet n'avait pas à parler, pour ne voir que « le Cromwell militaire, le Cromwell politique », on reconnaîtra qu'il n'a pas ajouté un senl trait à ceux dont l'orateur cathoiique a peint, dans le Protecteur, a l'homme de guerre et l'homme d'État ». On appré- ciera mieux l'équité dont Bossuet a fait preuve, en rapprochant du portrait de Cromwell le jugement qu'en a porté M. Guizot, dont l'im- partialité ne saurait être suspectée : a Le plus fougueux des sectaires, le plus actif des révolutionnaires, le plus habile des soldats; égale- ment prêt et ardent à parler, à prier, à conspirer, à combattre ; ex- pansif avec un abandon plein de puissance, et menteur au besoin avec une hardiesse intarissablft, qui frappait ses ennemis mêmes de sur- prise et d'embarras ; passionné et grossier, hasardeux et sensé, mys- tique et pratique, sans limite dans les perspectives de l'imagination, sans scrupule dans les nécessités de l'action; voulant à tout piûx le succès; plus prompt que personne à en discerner et à en saisir les moyens, et donnant à tous, amis et ennemis, la conviction que nul ne réussirait si bien et n'irait si loin que lui. » (Disc, sur la révo- lution d'Angleterre.)

DE HENRIETTE-MARIE DE FRANCE 45

entreprises, ni ses fameuses victoires dont la vertu était indignée, ni cette longue tranquillité qui a étonné l'uni- vers. C'était le conseil de Dieu d'instruire les rois à ne point quitter son Église. II voulait découvrir * par un grand exemple tout ce que peut l'hérésie, combien elle est naturellement indocile et indépendante, combien fa- tale ù la royauté et à toute autorité légitime. Au reste, quand ce grand Dieu a choisi quelqu'un pour être l'ins- trument de ses desseins, rien n'en arrête le cours ; ou il enchaîne, ou il aveugle, ou il dompte tout ce qui est ca- pable de résistance *. « Je suis le Seigneur, > dit-il par la bouche de Jérémie; «c'est moi qui ai fait la terre avec les ) hommes et les animaux, et je la mets entre les mains de

> qui il me plaît. Et maintenant j'ai voulu soumettre ces * terres à Nabuchodonosor, roi de Babylone, mon servi-

> teur (a). » Il l'appelle son serviteur, quoique infidèle, à cause qu'il l'a nommé pour exécuter ses décrets. <r Et j'or- » donne, poursuit-il, que tout lui soit soumis, jusqu'aux » animaux : d tant il est vrai que tout ploie ^ et que tout est souple quand Dieu le commande. Mais écoutez la suite de la prophétie : « Je veux que ces peuples lui obéissent,

1. Découvrir, mettre à découvert, rendre évident.

2. Bossuet a repris et développé cette idée dans le Disc. surVhist. univ. illl" partie, ch. viii.)

Balzac avait déjà exprimé la même pensée dans un passage bien connu : a Quand la Providence a quelque dessein, il ne lui importe guère de quels instruments et de quels moyens elle se serve. Entre ses mains tout est foudre, tout est tempête, tout est déluge, tout est Alexandre, tout est César : elle peut faire par un enfant, par un nain, par un eunuque ce qu'elle a fait par les géants et par les héros, par les hommes extraordinaires. Dieu lui-même dit de ces gens-là qu'il les envoie dans sa colère et qu'ils sont les verges de sa fureur, etc. » iSocrate chrétien, Disc, viii.)

3. Au xvn« siècle, plier et ployer s'employaient indistinctement dans le sens de céder, fléchir. Racine a dit dans la même pièce :

C'est lui qui devant moi refusant Hq ployer,

(Esther, II, I.) C'en est fait, mon orgueil est contraint de plier.

(IMd, III, III.) <fl) Jérémie., xxvii, 5, 6, 7.

46 ORAISON FUNÈBRE

D et qu'ils obéissent encore à son fils *, jusqu'à ce que le » temps des uns etdes autres vienne. » Voyez, Chrétiens, comme les temps sont marqués, comme les générations sont comptées : Dieu détermine jusques à quand doit durer Tassoupissement, et quand aussi se doit réveiller le monde 2.

Tel a été le sort de l'Angleterre. Mais que, dans cette effroyable confusion de toutes choses, il est beau de con- sidérer ce que la grande Henriette ^ a entrepris pour le salut de ce royaume * ; ses voyages, ses négociations, ses traités, tout ce que sa prudence et son courage opposaient à la fortune de l'État; et enfin sa constance, par laquelle, n'ayant pu vaincre la violence de la destinée, elle en a si noblement soutenu l'effort! Tous les jours elle rame- nait quelqu'un des rebelles ; et, de peur qu'ils ne fussenl malheureusement engagés ''à faillir toujours parce qu'ils avaient failli une fois, elle voulait qu'ils trouvassent leur refuge dans sa parole®. Ce fut entre ses mains que le gouverneur de Scharborouk ' remit ce port et ce château inaccessible. Les deux Hothams père et fils, qui avaient donné le premier exemple de perfidie, en refusant au Roi même les portes de la forteresse et du port de HuU ^,

1, Citation d'une application immédiate, puisque, après la mort d'Oli- vier Cromwell, son lils Richard lui succéda sans difficulté en qualité de Protecteur.

2. Allusion à la restauration des Stuarts.

?,. Cette épithète de grande a quelque chose d'inattendu et qui étonne.

4. Par cette transition l'orateur revient à la reine, qu'il ne perdra plus de vue. Il va maintenant montrer comment a elle est restée in- vincible dans la mauvaise fortune » et comment a elle a su profiter de ses malheurs et de ses disgrâces. »

5. Engagés, entraînés fatalement.

6. La première édition portait : « leur refuge dans sa bonté et leur sûreté dans sa parole. »

7. Sir Hugh Cholmondley, qui, un mois auparavant, avait battu un coi'ps de royalistes (fin de mars 1643). Scarborough, ville du comté d'York, sur une baie de la mer du Nord.

8. Hull ou Kingston-upon-Hull, port important du comté d'York, au confinent de l'HuU et de l'Humber.

Sir John Hotham avait été chargé par le Parlement du gouverne- nement de cette place importante. Le roi s'étantprésenté,le 23 avril 1642,

DE HENRIETTE-MARIE DE FRA.NGE 47

choisirent la Reine pour médiatrice, et devaient rendre au Roi cette place avec celle de Beverley * ; mais ils furent prévenus et décapités; et Dieu, qui voulut punir leur honteuse désobéissance par les propres mains des re- belles, ne permit pas que le Roi profitât de leur repentir. Elle avait encore gagné un maire de Londres *, dont le crédit était grand, et plusieurs autres chefs de la faction. Presque tous ceux qui lui parlaient se rendaient à elle; et, si Dieu n'eût point été inflexible, si l'aveuglement des peuples n'eût pas été incurable, elle aurait guéri ^ les es^ prits, et le parti le plus juste aurait été le plus fort *.

On sait, Messieurs, que la Reine a souvent exposé sa personne dans ces conférences secrètes mais j'ai à vous faire voir de plus grands hasards. Les rebelles s'étaient saisis des arsenaux et des magasins ; et, malgré la défec- tion de tant de sujets, malgré l'infâme désertion de la milice même, il était encore plus aisé au Roi de lever des soldats que de les armer. Elle abandonne, pour avoir des armes et des munitions, non seulement ses joyaux, mais encore le soin de sa vie. Elle se met en mer au mois de février s, malgré Thiver et les tempêtes ; et, sous prétexte de conduire en Hollande la Princesse Royale, sa fille

et l'ayant sommé de la lui remettre, Hotham accourut sur les rem- parts et, tombant à genoux, s'excusa, au nom du serment qu'il avait I>rété, d'être oblige'; de lui en fermer l'entrée. Mais, un an après, gagné par la reine, il se préparait à livrer Hull et Beverley. quand il fut arrêté par ordre du Parlement; il fut décapité, ainsi que son fils.

1. Beverley, dans le comté d'York, sur l'Hull.

2. a Le lord-maire Gourney ne craignit pas de publier dans Londres (18 août 1042) la commission du roi, qui ordonnait de lever la milice pour son service et en son nom. Il fut accusé, mis à la Tour, révoqué, et l'alderman Pennington, puritain ardent, le remplaça dans ses fonc- tions. » (Gl'izot, Révolution d'Angleterre.)

3. Remarquez l'opposition d'incurable et de guuéri.

4. Mouvement d'éloquence qui rappelle ces beaux vers da Virgile

Et si fata Deum, si mens non lœva fuisset... Trojaque nunc stares..,

« Si les destins ne nous avaient pas été contraires, si nos esprit» n'avaient pas été aveuglés... ô Troie, tu serais encore debout.»

5. Do l'année 1C42.

48 ORAISON FUNÈBRE

aînée *, qui avait été mariée à Guillaume, prince d'Orange, elle va pour engager les Etats ^ dans les intérêts du Roi, lui gagner des officiers, lui amener des munitions. L'hiver ne l'avait pas effrayée, quand elle partit d'Angleterre; l'hiver ne l'arrête pas onze mois après, quand il faut re- tourner auprès du roi ; mais le succès n'en ^ fut pas sem- blable. Je tremble au seul récit de la tempête furieuse dont sa flotte fut battue durant dix jours. Les matelots furent alarmés jusqu'à perdre l'esprit *, et quelques-uns d'entre eux se précipitèrent dans les ondes. Elle, toujours intrépide, autant que les vagues étaient émues, rassu- rait tout le monde par sa fermeté. Elle excitait ceux qui l'accompagnaient à espérer en Dieu, qui faisait toute sa confiance; et, pour éloigner de leur esprit les funestes idées de la mort qui se présentait de tous côtés, elle disait, avec un air de sérénité qui semblait déjà ramener le calme, que les reines ne se noyaient pas ^. Hélas! elle

1. Henriette-Marie Stuart, mère du célèbre Guillaume d'Orange, l'ad- versaire infatigable de Louis XIV, qui, en 1G88, renversa Jacques II, son beau-père, et devint roi d'Angleterre sous le nom de Guillaume III.

2. Les États-Généraux, assemblée formée des députés des sept Pro- vinces-Unies.

3. En, employé pour rappeler toute une proposition, comme dans les exemples suivants : « On ne l'eût point vue s'attirer la gloire avec une ardeur inquiète et précipitée; elle l'eût attendue sans impatience... Cet attachement qu'elle a montré si fidèle pour le Roi jusques à la mort lui en donnait le moyen. » {Or. (un. de Madame.) « Il excita les Juifs à rebâtir leur temple; il leur donna des sommes importantes et les assista de toutes les forces de l'empire. Écoutez quel en fut l'événe- ment. » {Hist. untt>., II.)

A. La I'" édition portait : « Les matelots alarmés en perdirent l'esprit de frayeur », ce qui faisait une sorte de pléonasme.

5. On peut rapprocher de ce récit celui du P. Senault : « Mais, comme s'il ne suffisoit pas que la terre s'opposast à ses desseins, la mer les combattoit encore de son costé, et il s'éleva une tempeste qui menaça toute sa flotte du naufrage. Un plus jeune que moy vous en feroit la description; mais je me contenteray de vous dire que les plus vieux matelots avouèrent qu'ils n'en avoient jamais veu de plus furieuse ny de plus longue : de plus furieuse, parce que les vents estoient contraires, que les vaisseaux estoient proches de la France et de l'Angleterre, et qu'ils craignoient plus les écueils que les flots; de plus longue, parce qu'elle dura onze jours et onze nuits, et que les ténèbres qui les confondoient ensemble augmentoient la crainte et le danger. La Reine eut recours au ciel et tascha de l'appaiser par la

DE HENRIETTE-MARIE DE FRANCE 49

est réservée à quelque choce de bien plus extraordinaire, et, pour s'être sauvée du naufrage ', ses ^ malheurs n'en seront pas moins déplorables. Elle vit périr ses vaisseaux et presque toute l'espérance d'un si grand secours ^. L'Amiral ♦, elle était, conduit par la main de Celui qui domine sur la profondeur de la mer et qui dompte ses Ilots soulevés '^, fut repoussé aux ports ^ de Hollande et tous les peuples furent étonnés d'une délivrance si mira- culeuse. Ceux qui sont échappés du naufrage ' disent un éternel

pénitence : cette vertu luy donna de la force, et estant bien avec Dieu, elle crcut qu'elle ne devoit point appréhender la mer ny les vents. Elle s'apprivoisa mesme avec la mort, et la regarda avec quelque sorte de mépris ou d'indifférence. Elle soumit sa fortune à la volonté de Dieu, et encourageant ses domestiques, leur dit qu'autant que sa mémoire luy pouvoit fournir d'exemple, elle ne se ressouvenoit point qu'une reine eût jamais fait naufrage. Ces paroles, Messieurs, no tenoient rien de l'insolence du premier des Césars, quand il dit à son pilote, étonné de la tempeste : Médias perrumpe procellas, tutela secure mei. Mais, si elles marquoient plus de modestie, elles ne mar- quoient pas moins de courage et de fermeté. Elle fut contrainte pour- tant de relâcher en Hollande, d'où elle partit quelque temps après, et arriva heureusement en Angleterre. »

Voir aussi le récit de cette tempête dans les Mémoires de Mme de Motteville. (Ed. Michaud, p. 80.)

1. Var. : sauvée des flots.

2. Pour s être sauvée du naufrage, ses malheurs. Construction d'une irrégularité apparente, l'accord logique est substitué à l'ac- cord grammatical.

3. L'espérance, c'est-à-dire ce qu'on espérait. On remarquera ces deux substantifs, l'un concret, l'autre abstrait, construits avec un môme verbe; il a dit de même plus haut : « Elle abandonne non seu- lement ses joyaux, mais encore le soin de sa vie.

4. L'Amiral, le vaisseau amiral, celui qui est monté par le comman- dant de la flotte.

5. On pense involontairement au vers de Racine :

Celui qui met un frein à la fureur des flots.

6. Repoussé aux ports, p. dans les ports.

7. Ceux qui sont échappés du naufrage. Comme dans ce vers de Boileau :

Leurs noms sont échappés du naufrage du temps.

{Satire V.)

Aujourd'hui nous dirions : ceux qui ont échappé au naufrage.

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adieu à la mer et aux vaisseaux, et, comme disait un ancien auteur *, ils n'en peuvent même supporter la vue. Cependant onze jours après, ô résolution étonnante ! la Reine, à peine sortie d'une tourmente si épouvantable, pressée du désir de revoir le Roi et de le secourir, ose encore se commettre ' à la furie de l'Océan et à la rigueur de Ihiver. Elle ramasse quelques vaisseaux qu'elle charge d'officiers et de munitions, et repasse enfin en Angleterre. Mais qui ne serait étonné de la cruelle des- tinée de celte princesse? Après s'être sauvée des flots ^, une autre tempête * lui fut presque fatale. Cent pièces de canon tonnèrent sur elle à son arrivée, et la maison elle entra tut percée de leurs coups ^. Qu'elle eut d'assu- rance dans cet effroyable péril 1 mais qu'elle eut de clé- mence pour l'auteur d'un si noir attentat 1 On l'amena prisonnier peu de temps après; elle lui pardonna son crime, le livrant pour tout supplice à sa conscience et à la honte d'avoir entrepris sur ^ la vie d'une princesse si bonne et si généreuse : tant elle était au-dessus de la ven- geance aussi bien que de la crainte !

Mais ne la verrons nous jamais auprès du Roi qui sou- haite si ardemment son retour? Elle brûle du même désir, et déjà je la vois paraître dans un nouvel appareil. Elle marche comme un général à la tête d'une armée royale ', pour traverser les provinces que les rebelles te-

1. Tertullien, De pœnitentia : <r Naufragio liberati exinde repudium et navi et mari dicunt. »

2. Se commettre, au sens du latin se committere, se confier, se li- vrer, s'exposer à.

3. La correction rigoureuse exigerait : « Après qu'elle se fui sauvée »^ mais la syntaxe avait alors plus de liberté qu'aujourd'hui.

4. L'expression de tempête est-elle bien naturelle ici et ne sent-elle pas la recherche ?

5. L'amiral parlementaire Batten, dont la reine avait trompé la vigi- lance, bombarda quelques maisons du port de Burlington, Hen- riette était entrée.

6. Avoir entrepiHs sur, avoir fait une tentative contre, avoir attenté à...

7. a La reine augmenta ses troupes do quelques levées dans la pro vince elle était débarquée (le Yorkshire), et les arma des armes qu'elle avait apportées. Ayant fait une belle armée, elle se mit à la

DE HENRIETTE-MARIE DE FRANCE 51

naient presque toutes. Elle assiège et prend d'assaut en passant une place considérable* qui s'opposait à sa inarche; elle triomphe, elJe pardonne; et enfin le Roi la vient recevoir dans une canjpagne il avait remporté l'année précédente une victoire signalée sur le général Essex*. Une heure après, on apporta la nouvelle d'une grande bataille gagnée 3. Tout semblait prospérer par sa présence ; les rebelles étaient consternés : et, si la Reine en eût été crue *, si, au lieu de diviser les armées royales et de les amuser, contre son avis, aux sièges infortunés de Hull et de Glocester^, on eût marché droit à Londres, l'affaire était décidée, et cette campagne eût fini la guerre^. Mais le moment fut manqué. Le terme fatal approchait; et le ciel, qui semblait suspendre, en faveur de la piété de la Reine, la vengeance qu'il méditait, commença à se dé- clarer. « Tu sais vaincre, d disait un brave Africain au plus rusé capitaine qui fut jamais, c mais tu ne sais pas

tête de ses gens et marcha droit vers le roi son mari (juillet 1G43) toujours à cheval, sans nulle délicatesse de femme, vivant avec ses soldats à peu près comme on pourrait s'imaginer qu'Alexandre vivait avec les siens. Elle mangeait avec eux à découvert, au soleil, sans nulles cérémonies ; elle les traitait comme ses frères, et ils l'aimaient tous uniquement. » (Mme de Motteville, 3f^woire5.)

1. Bristol, alors le principal port de commerce de l'Angleterre, au confluent du Frome et de l'Avon, qui fut pris par le prince Rupert, neveu du roi et fils de l'Électeur palatin, Frédéric V.

2. La bataille sanglante et indécise d'Edge-Hill, dans laquelle l'ar- mée royale était commandée par Charles et le prince Rupert, et les troupes parlementaires étaient sous les ordres d'Essex, de Ramsay et de Hampden. C'est par une exagération manifeste que Bossuet l'ap- pelle « une victoire signalée ».

Robert Devereux, comte d'Essex, était le fils du fameux favori d'Eli- sabeth.

'S. I a victoire remportée à Roundsway-Down cie 13 juillet 1G43) par les généraux Wilmot et Opten.

4. En eût été crue, eût été crue à ce sujet, comme on dirait : si l'on en eût cru la reine.

5. Hull, défendue par Fairfax, résista aux troupes royales, et Gloces- ter, après un siège de vingt-six jours, fut délivrée par Essex.

6. Des historiens sérieux sont d'avis que la marche sur Londres aurait pu être tentée avec succès, et Macaulay va jusqu'à dire : a II n'est pas douteux que, si les opérations des royalistes eussent été alors dirigées par un esprit sagace et puissant, Charles eût bientôt fait son entrée triomphale à Whitehall. »

52 ORAISON FUNÈBRE

» user de ta victoire : Rome, que tu tenais, t'échappe, et » le destin ennemi t'a ôté tantôt le moyen, tantôt la pen- » sée de la prendre *. » Depuis ce malheureux moment, tout alla visiblement en décadence, et les affaires furent sans retour 2. La Reine, qui se trouva grosse, et qui ne put par tout son crédit faire abandonner ces deux sièges qu'on vit enfin si mal réussir, tomba en langueur, et tout l'État languit avec elle ^. Elle fut contrainte de se sépa- rer d'avec le Roi, qui était presque assiégé dans Oxford, et ils se dirent un adieu bien triste, quoiqu'ils ne sussent pas que c'était le dernier *. Elle se retire à Exeter ^, ville forte, elle fut elle-même bientôt assiégée. Elle y accou- cha d'une princesse ^, et se vit, douze jours après, con- trainte de prendre la fuite pour se réfugier en France''.

1. Bossuet réunit ici deux passages de Tite-Live, en ajoutant les mots : « Rome que tu tenais, t'échappe », qui ne sont pas dans l'historien latin. La première phrase : « Tu sais vaincre, mais tu ne sais pas user de la victoire », est attribuée par Tite-Live au chef de la cavalerie carthaginoise, Maharbal, qui l'aurait adressée à Annibal au lendemain de la bataille de Cannes. La seconde aurait été prononcée, trois ans plus tard, par Annibal lui-même, après une tentative infructueuse sur Rome.

2. Expression qui semble traduite de Virgile :

Funditus occidimus, neque habet fortuna regressum,

{Enride, XL)

Les affaires furent sans retour, c.-à-d. n'éprouvèrent aucun change- ment, puisqu'elles allèrent toujours mal. Nous disons : tout est perdu sans retour.

3. Bossuet identifie constamment la fortune de la reine et celle de l'Etat.

4. Réflexion touchante et qui, dans sa simplicité, en dit plus que beau- coup de paroles.

5. Chef-lieu du comté de Devon, près de l'embouchure de l'Ex dans la Manche.

6. Henriette-Anne, la troisième de ses filles, et le dernier de ses enfants, celle-là même devant qui cette oraison funèbre a été pronon- cée.

7. « Essex approchait d'Exeter; la reine lui fit demander un sauf- conduit pour aller à Bath se remettre de ses couches. « Si Votre Ma- jesté, lui répondit-il, veut se rendre à Londres, non seulement je lui donnerai un sauf-conduit, mais je l'y accompagnerai ; c'est qu'elle recevra les meilleurs avis et les soins les plus efficaces pour le réta- blissement de sa santé : pour tout autre lieu, je ne puis accéder à ses

DE HENRIETTE-MARIE DE FRANOE 53

Princesse, dont la destinée est si grande et si glorieuse, faut-il que vous naissiez en la puissance des ennemis de votre maison? O Éternel, veillez sur elle; Anges saints, rangez à Tentour vos escadrons invisibles, et faites la garde autour du berceau d'une princesse si grande et si délaissée *. Elle est destinée au sage et valeureux Phi- lippe, et doit des princes à la France dignes de lui, dignes d'elle et de leurs aïeux *. Dieu Ta protégée, Messieurs. Sa gouvernante ^, deux ans après, tire ce précieux enfant des mains des rebelles ; et, quoique ignorant sa captivité et sentant trop sa grandeur, elle se découvre elle-même; quoique refusant tous les autres noms, elle s'obstine à dire qu'elle est la Princesse*, elle est enfin amenée au- près de la Reine sa mère, pour faire sa consolation durant ses malheurs, en attendant qu'elle fasse la félicité d'un grand prince et la joie de toute la France. Mais j'inter- romps l'ordre de mon histoire. J'ai dit que la Reine fut obligée à se retirer de son royaume. En effet, elle partit des ports d'Angleterre à la vue des vaisseaux des rebelles, qui la poursuivaient de si prés qu'elle entendait presque leurs cris et leurs menaces insolentes. 0 voyage bien

désirs sans en l'éférer au Parlement. » Saisie d'effroi, la reine s'enfuit à Falmouth, elle s'embarqua pour la France, le 14 juillet 1644. » (Gui- zoT, Révolution d'Angleterre.)

1. Comparez cette éloquente et poétique apostrophe à un mouvement du même genre dans l'oraison funèbre de la reine d'Angleterre par l'évêque d'Amiens, François Faure :

a 0 merveilleux Alcion, dont la naissance est agitée partant detem- pestes, et que les Ilots de l'armée rebelle et furieuse s'elVorcent d'englou- tir aussitost qu'il est éclos I Dieu vous fera trouver vostre azile dans le sein mesme de la rébellion : vous ne pouvés ni le chercher dans la mer, ni vous sauver sous les aisles de la reyne votre mère, qui à peine échappe elle-même de devant les vaisseaux impies qui la poursuivent, mais desquels les desseins cruels sont frustrez, lorsqu'ils voient ses ancres jeitez dans nostre terre catholique des costes de B;-etagne. C'est, Messieurs, dans cette terre fidelle que Dieu réunira bien tost la fille avec la mère. »

2. Elle n'eut que deux filles, Marie-Louise, qui fut mariée au roi d'Espagne Charles II, et mourut en 1680, et Anne-Marie, qui épousa le duc de Savoie Victor-Amédée, et fut mère de la duchesse de Bour- gogne.

3. La comtesse de Morton.

4. Elle était déguisée en garçon sous le nom de Henri.

54 ORAISON FUNÈBRE

différent de celui qu'elle avait fait sur la même mer, lors- que, venant prendre possession du sceptre d-- la Grande- Bretagne, elle voyait, pour ainsi dire, les ondes se cour- ber sous elle et soumettre toutes leurs vagues à la dominatrice des mers ! Maintenant chassée, poursuivie par ses ennemis implacables, qui avaient eu l'audace de lui faire son procès S tantôt sauvée, tantôt presque prise, changeant de fortune à chaque quart d'heure, n'ayant pour elle qae Dieu et son courage inébranlable, elle n'avait ni assez de vents ni assez de voiles pour favoriser sa fuite précipitée. Mais enfin elle arrive à Brest, où, après tant de maux, il lui fut permis de respirer un peu. Quand je considère en moi-même les périls extiêmes et continuels qu'a couru * cette princesse sur la mer et sur la terre durant l'espace de près de dix ans, et que d'ailleurs je vois que toutes les entreprises sont inutiles contre sa personne, pendant que tout réussit d'une ma- nière surprenante contre l'État, que puis-je penser autre chose, sinon que la Providence, autant attachée à lui conserver la vie qu'à renverser sa puissance, a voulu qu'elle survéquît ^ à ses grandeurs, afin qu'elle pût sur- vivre aux attachements de la terre et aux sentiments d'or- gueil qui corrompent d'autant plus les âmes qu'elles sont

1. Une accusation de haute trahison contre elle avait passé à la chambre des communes et avait été portée à la chambre haute par Pym (mai 1040^

2. Orthographe des éditions originales.

3. Swvéquit. « Ce prétérit se conjugue, par la pluspart, de cette sorte : ie vesquis, tu vesquis, il vesquit et il rescut, nous vesquimes, vous vesfjuites, ils vesquirent et i/'s vescurent. J'ay dit par la plus- part, à cause qu'il y en a d'autres dont le nombre, à la véiùté, est beau- coup moindre, qui tiennent qu'il le faut conjuguer ainsi : ie i^esquis et ie résous, tu vesquis, et non pas tu vescus, il vesquii et il vescui.nous vesquimes et vescumes, vous vescutes, non pas vesquiies, i s vesqui- rent et vescuriint. Il y en a encore qui le conjuguent autrement, et qui tiennent qu'en toutes les trois personnes, et du singulier et du pluriel, les deux sont bons... Seulement, on peut avertir ceux qui escrivent exactement, et ceux qui aspirent à la perfection, de prendre garde à emTploy er vesquit ou vescut, selon qu'il sonnera mieux à l'endroit Usera mis. » (Vaugela.s, Remarques sur la langiie françoise, 1047.)

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plus grandes et plus élevées ? Ce fut un conseil à peu près semblable qui abaissa autrefois David sous la main du rebelle Absalon. c Le voyez-vous, ce grand roi *, » d't le saint et éloquent prêtre de Marseille , c le voyez-vous » seul, abandonné, tellement déchu dans l'espril des siens ') qu'il devient un objet de mépris aux uns, et, ce qui est » plus insupportable à un grand courage, un objet de pitié » aux autres, ne sachant, poursuit Salvien, de laquelle de > ces deux choses il avait le plus à se plaindre, ou de ce f que Siba le nourrissait, ou de ce que Séméi avait l'inso- » lence de le maudire *? » Voilà, Messieurs, une image, mais impa»*faite, de la reine d'Angleterre, quand, après de si étranges humiliations, elle fut encore contrainte de paraître au monde ^, et d'étaler, pour ainsi dire, à * la France même et au Louvre, elle était née avec tant de gloire, toute Tétenduode sa misère. Alors elle put bien dire avec le prophète Isaïe: « Le Seigneur des armées a i> fait ces choses pour anéantir tout le faste des grandeurs » humaines et tourner en ignominie ce que l'univers a de

1. Le royez-voics, ce grand rot. Tournure familière à Bossuet

« Le voyez- vous, Chrétiens comme il est rêveur et pensif. » (Panéjyr. de saint Beiviard.) « Le voyez-vous, comme il vole à la victoire ou à la mort. » {Or. fan. de Condé.)

2. « Dejectus usque in servorura suorum, quod grave est, contume- liam vel, quod gravius, misericordiam, ut vel Siba eum pasceret, vel ei maledicere Semei publiée non timeret. » {De Gubernatione Dei, II, 5.)

Siba, intendant de Miphibosetb, petit-flls de Saiil, vint olfrir du pain et du vin à David fuyant devant Absalon. Séméi, ancien serviteur de Saùl, rencontrant David fugitif, l'injuria et lui jeta des pierres.

La reine, dans son exil, n'avait pas eu à se louer delà libéralité de Mazarin. Pendant les troubles de 16*9, elle n'avait échappé à la der- nière détresse que grâce à l'assistance du cardinal de Retz et en s'adressant au parlement de Paris, auquel elle fut contrainte de deman- der, comme elle le disait elle-même, une aumône (v. la noticei. Bos- suet ne touche à cas points délicats qu'avec une exti-éme réserve et il se contente d'y faire une allusion discrète au moyen de ces souvenirs bibliques.

3. Paraître au monde, se montrer, se faire voir au monde.

4. Étaler à, p. étaler aux yeux de, comme dans ce vers de La Fontaino :

Le prince à ses sujets étalait sa puissance.

[Fables, vu, 7.)

56 ORAISON FUNÈBRE

» plus auguste (a).» Ce n'est pas que la France ait manqué à la fille de Henri le Grand*. Anne la magnanime, la pieuse, que nous ne nommerons jamais sans regret *, la reçut d'une manière convenable à ^ la majesté des deux reines. Mais les affaires du Roi ne permettant pas que cette sage régente pût proportionner le remède au mal *, jugez de l'état de ces deux princesses. Henriette, d'un si grand cœur, est contrainte de demander du secours; Anne, d'un si grand cœur, ne peut en donner assez ^ Si l'on eût pu avancer ces belles années dont nous admirons maintenant le cours glorieux, Louis, qui entend de si loin les gémissements des chrétiens affligés ®, qui, assuré de sa gloire, dont la sagesse de ses conseils et la droiture de ses intentions lui répondent toujours malgré l'incerti- tude des événements, entreprend lui seul la cause com-

1. Voilà un exemple qui éclaircit bien ce que nous avons dit do l'emploi de la périphrase chez les bons écrivains : c'est parce que la reine d'Angleterre était fille de Henri IV qu'elle avait des titres parti- culiers à la protection de la France; et c'est ce que le nom seul de Henriette n'aurait pas suffisamment rappelé.

2. Anne d'Autriche avait protégé Bossuet, qui lui avait été recom- mandé par saint Vincent de Paul et le maréchal de Schomberg; elle avait même manifesté l'intention de lui donner un des évôchés de Bre- tagne, quand la mort la surprit (le 20 janvier 1666). On sait qu'il avait prononcé son oraison funèbre, qui n'a pas été imprimée et qui est perdue.

3. J.-J. Rousseau a dit : « Ceux (les livres) qui mêlaient la dévotion aux sciences m'étaient les plus convenables. » {Confessions, l'» partie, liv. IV.)

4. La Fronde commençait et la famille royale allait être ohligée de quitter Paris.

5. Mme de Motteville, dans ses Mémoires, nous apprend qu'Anne d'Autriche avait fait donner à Henriette une pension de dix ou douze mille écus par mois. Mais ce que cette dernière aurait voulu, c'était du secours pour son mari, et Mazarin, en sage politique, n'entendait pas intervenir dans les affaires d'Angleterre. La pension même de la reine exilée, dont elle envoyait à son mari la plus grande part, ne lui fut pas toujours régulièrement servie et à un moment cessa tout à fait de l'être.

6. Louis XIV avait envoyé six mille hommes, sous les ordres du duc de Beaufort, au secours des Vénitiens assiégés dans Candie par les Turcs. Cefte expédition ne réussit pas. Beaufort fut tué et Candie fut prise (le 6 septembre 1669).

(a) Isaïe, xxiii, 9.

DE HKNRIETTE-MARIE DE FRANGE 57

mune *, et porte ses armes redoutées à travers des es- paces immenses de mer et de terre, aurait-il refusé son bras à ses voisins, à ses alliés, à son propre sang, aux droits sacrés de la royauté qu'il sait si bien maintenir *? Avec quelle puissance l'Angleterre l'aurait-elle vu invin- cible défenseur ou vengei:r présent ^ de la majesté violée ? Mais Dieu n'avait laissé aucune ressource au roi d'An- gleterre : tout lui manque, tout lui est contraire. Les Écossais, à qui il se donne, le livrent aux Parlementaires anglais *, et les gardes fidèles de nos rois ^ trahissent le leur. Pendant que le Parlement d'Angleterre songe à congédier l'armée, cette armée, toute indépendante ^, ré- forme elle-même à sa mode le Parlement', qui eût gardé

4. On dit bien : entreprendre une affaire ; mais entreprendre la cause commune est une expression neuve et hardie; c'est comme s'il y avait : « entreprend la guerre dans l'intérêt commun. »

2. Bossuôt énumère ici les raisons qui, vingt ans plustard, devaient faire prendre à Louis XIV la cause de Jacques II détrôné, et l'engager dans une des plus malheureuses affaires de son règne.

^. Pi'ésent, qui agit sans retard, comme l'adjectif latin prœsens, dans ce vers de Virgile :

Tu, dea, tu praesens nostro succurre labori. (Enéide, IX.)

4. Après les défaites de Marston-Moor (1644) et de Naseby (1045)61 fia prise de Bristol (sept. 1645), Charles, à bout de ressources, quitta

Oxford, qu'il ne pouvait plus défendre, et, après avoir erré quelque împs de ville en ville et de château en château, il se rendit enfin (mai 164G) dans le camp des Ecossais, le résident de France lui ivait fait espérer un asile, et il s'aperçut bientôt qu'il était pri- lonnier. H-iit mois après (30 janvier 1647), les Ecossais le livrèrent au Parlement, qui offrait de leur payer les frais de la guerre, évalués à dix allions de francs.

5. Depuis Charles VII, les rois de France avaient à leur solde une irde de soldats écossais ; jusqu'en 1789, elle fut supprimée, la

nemière compagnie des gardes du corps porta le titre de compagnie fcossaise.

6. C.-à-d toute composée d'Indépendants.

7. Les Presbytériens dominaient dans le parlement, et les Indépen- dants dans l'armée. La majoiité presbytérienne du pai-lement était dis- posée à traiter avec le roi. Mais le 6 décembre 1648, le colonel Pride, à la tête de son régiment, investit la salle des séances et en interdit l'entrée à 52 membres presbytériens ; le lendemain, 40 autres membre» furent écartés de la même façon, et il ne resta plus à siéger qu'environ 80 membres, qui composèrent ce qu'on appela par dérision Urwnp- parliament ou parlement-crouoion.

58 ORAISON FUNÈBRE

quelques mesures, et se rend maîtresse de tout *. Ainsi le Roi est mené de captivité en captivité * ; et la Rein e remue en vain ^ la France, la Hollande, la Pologne même et les puissances du Nord les plus éloignées. Elle ranime les Écossais qui arment trente mille hommes; elle fait avec le duc de Lorraine * une entreprise pour la délivrance du Roi son seigneur, dont ^ le succès paraît infaillible, tant le concert en est juste *5. Elle retire 'ses chers enfants®, l'unique espérance de sa maison, et confesse à cette fois * que, parmi les plus mortelles douleurs, on est encore

1. Ici le récit se précipite comme les événements. Remarquons que, lorsque Bossuet résumait avec tant de netteté et de précision les diverses phases de la révolution d'Angleterre, il était le premier en France à parler de ces événements, et que cette histoire n'avait encore été écrite par personne.

2. Retenu d'abord à Holmby, près de Nottingham, par le parlement, Charles en fut enlevé par l'armée (4 juin 1G47), qui le tint captif à New- market. Les généraux lui donnèrent ensuite pour prison son palais de Hampton-Court. Il s'en échappa et passa dans l'ile de Wight, il se trouva à la disposition de Cromwell qui le fit garder dans le châ- teau de Carisbroolc, Après l'épuration dvi Parlement, il fut transféré à Windsor (décembre 1G48), et de à Londres, au palais de Saint-James (janvier 1649;, pour être jugé.

3. G.-à-d. essaye vainement de remuer.

4. Charles IV; ce prince, déi»ossédé de son duché parles Français, avait conservé une armée, dont il vendait les services à l'Espagnft.

5. Dont se rapportant à entreprise, quoiqu'il en soit séparé par plu- sieurs mots : construction fréquente au xvii» siècle.

6. C.-à-d. tant elle a été sagement concertée. Le concert, c'est l'accord établi entre les parties en vue d'un but à atteindre.

7. Retire, avec le sens de reprendre, rentrer en possession, comme dans ci'tte phrase de l'exorde de ce discours : « Il leur tait voir, en la retirant 'sa puissance). »

8. Charles, prince de Galles, était arrivé en France presque en même temps que sa rnère. En 1G46, la comtesse Morton avait ramené Hen- riette-Anne. Enfin, le 22 avril 1648, Jacques, prisonnier à Saint-James, s'enfuit sous des habits de femme, gagna les côtes de Hollnnde et re- joignit la reine. Cependant deux des enfants de Henriette restaient encore en Angleterre, et reçurent les derniers adieux de Charles 1^^ : Henri, duc de Glocester, et la princesse Elisabeth.

9. A cette fovt. Locution employée communément au xvii» siècle, jponi' cette fois, a Race infidèle, me connaissez-vous à cette fois. » {Or. fun. d'Anne de Qonzague.)

La frayeur les emporte, et, sourde à cette fois, Ils ne connaissent plus ni le frein ni la voix.

(Racine, Phèdre, V, iv.)

DE hi:nriette-marie de frange 59

capable de joie. Elle console le Roi qui lui écrit, de sa prison même, qu'elle seule soutient son esprit, et qu'il ne faut craindre de lui aucune bassesse, parce que sans cesse il se souvient qu'il est à elle. O mère, ô femme, ô Reine* admirable et digne d'une meilleure fortune, si les for- tunes de la terre étaient quelque chose ^ ! Enfin il faut céder à votre sort. Vous avez assez soutenu l'État, qui est attaqué par une force invincible et divine 3, il ne reste plus désormais sinon * que vous teniez ferme parmi ses ruines.

Gomme une colonne, dont la masse solide paraît le plus ferme appui ^ d'un temple ruineux , lorsque ce grand édifice qu'elle soutenait fond sur elle sans l'abattre : ainsi la Reine se montre le ferme soutien de l'Etat, lorsqu'aprés en avoir longtemps porté le faix, elle n'est pas même courbée sous sa chute.

Qui cependant pourrait exprimer ses justes douleurs? qui pourrait raconter ses plaintes? Non, Messieurs, Jéré- mie lui-même, qui seul semble être capable d'égaler les lamentations aux calamités «, ne suffirait pas à de tels re- grets. Elle s'écrie avec ce prophète : « Voyez, Seigneur,

> mon affliction. Mon ennemi s'est fortifié, et mts enfants

> sont perdus. Le cruela mis sa main sacrilège sur ce qui

1. Enumération de tous les titres de Henriette à l'admiration et à la pitié des auditeurs.

2. Heureuse correction, et bien dans l'esprit du développement qui viendra tout à l'heure, quand il rappellera que la reine remerciait Dieu de l'avoir rendue malheureuse. Dans la péroraison d'uu sermon pour le jour de Pâques, en 1682, il dira à Louis XIV : « Arbitre de l'univers, et supérieur même à la fortune, si la fortune était quelque chose. »

3. Cette idée de la vengeance céleste qui s'appesantit sur l'Angleterre revient sî\ns cesse dans cette oraison funèbre.

4. Tournure toute latine : « Que reste-t-il, Chrétiens, sinon qu'il aille jouir de l'objet qu'il aime ? » (Or. fun. de Michel Le Tellier.)

5. Var. : a Comme une colonne, ouvrage d'une antique architecture, qui parait le plus ferme appui. »

6. Cette parole sur Jérémie est traduite littéralement de saint Gré- goire de Nazianze, dans l'oraison funèbre de saint Athanase

60 ORAISON FUNÈBRE

» m'était le plus cher. La royauté a été profanée, et les

> princes sont foulés aux pieds. Laissez-moi, je pleurerai

> amèrement ; n'entreprenez pas de me consoler. L'épée a

> frappé au dehors ; mais je sens en moi-même une mort ï semblable*. »

Mais après que nous avons écouté ses plaintes, saintes filles, ses chères amies ^ (car elle voulait bien vous nom- mer ainsi), vous qui l'avez vue souvent gémir devant les autels de son unique protecteur, et dans le sein desquelles elle a versé les secrètes consolations qu'elle en recevait, mettez fin à ce discours, en nous racontant les sentiments chrétiens dont vous avez été les témoins fidèles. Combien de fois a-t-elle en ce lieu remercié Dieu humblement de deux grandes grâces : l'une, de l'avoir fait chrétienne^; l'autre. Messieurs, qu'attendez-vous? peut-être d'avoir rétabli les affaires du roi son fils? Non : c'est de l'avoir fait reine malheureuse*. Ah! je commence à regretter les bornes étroites du lieu je parle. Il faut éclater, percer cette enceinte, et faire retentir bien loin une parole qui ne

1. a Facti sunt filii mei perditi, quoniam invaluit inimicus. »{Lam., I, 16). a Manum suam misit hostis ad omnia desiderabilia ejus. » {Ibid-, I, 10.) a Polluit regnum et principes ejus. » (Ibid., ir, 2.) a Recedite a me, amare tlebo ; nolite incumbere, ut consolemini » me. » (Isaie, xxii, 4.) « Foris interfiçit gladius, et domi mors simi- > lis est. » {Lam., i, 20.)

On voit que Bossuet réunit ensemble plusieurs passages de Jérémie et un passage d'Isaïe, pour rappeler la mort de Charles P"", tout en évitant, par un sentiment facile à comprendre, d'en présenter la san- glante image aux yeux de la fille même de ce prince, qui l'écoutait.

2. Les religieuses de la Visitation de Chaillot.

3. L'avoir fait chrétienne, et un peu plus loin : l'avoir fait reine malheureuse. Vaugelas tenait que dans des phrases comme celles-ci : Les habitants nous ont rendue maîtres de la vi'le; le commerce Va rendue puissante (en parlant d'une ville), le par.icii e <!oit rester inva- riable. On voit que Bossuet était du sentiment de Vaugelas, qui, du reste, n'a pas prévalu.

4. a On lui a ouï dire souvent, à Chaillot, qu'elle remerciait Dieu tous les jours de deux choses, la première de l'avoir fait chrétienne, la se- conde de l'avoir fait reine malheureuse. »(^^Mme de Mottevit-le, ma- ■nuscrit conservé à la Bibliothèque nationale, sous ce titre : Mémoires que j'ai donnés par l'ordre de Madame 20Oiir faire V oraison funè- bre de la reine d'Angleterre.) V. la notice en tête de l'Or. fun.

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peut être assez entendue. Que ses douleurs l'ont rendue savante dans la science de l'Evangile, et qu'elle a bien connu la religion et la vertu de la croix, quand elle a uni le christianisme avec les malheurs * ! Les grandes prospé- rités nous aveuglent, nous transportent', nous égarent, nous font oublier Dieu, nous-mêmes, et les sentiments de la foi. De naissent des monstres de crimes, des raf- finements de plaisir, des délicatesses d'orgueil ^ qui ne donnent que trop de fondement à ces terribles malédic- tions, que Jésus-Christ a prononcées dans son Evan- gile : « Malheur à vous qui riez! Malheur à vous qui êtes pleins (a) » et contents du monde. Au contraire, comme le christianisme a pris sa naissance de la croix, ce sont aussi les malheurs qui le fortifient. * on expie ses péchés; on épure ses intentions; on transporte ses désirs de la terre au ciel; on perd tout le goût du monde, et on cesse de s'appuyer sur soi-même et sur sa prudence. Il ne faut pas se flatter; les plus expérimentés dans les affaires font des fautes capitales. Mais que nous nous pardonnons aisément nos fautes, quand la fortune nous les pardonne! et que nous nous croyons bientôt les plus éclairés et les plus habiles, quand nous sommes les plus élevés et les plus heureux! Les mauvais succès sont les seuls maîtres qui peuvent nous reprendre utile- ment et nous arracher cet aveu d'avoir failli, qui coûte tant à notre orgueil ^. Alors, quand les malheurs nous ouvrent les yeux, nous repassons avec amertume sur

1. C.-à-d. quand elle a remei'cié Dieu à la fois d'être chrétienne et d'être malheureuse, dans ce sentiment que, pour être vraiment chrétien, la meilleure condition c'est d'être malheureux. La suite explique cclto pensée.

2. Nous transportent, nous mettent hors de nous, nous causent du trans- port (au sens de délire).

3. Idée et expressions empruntées au sermon sur V Impénitence finale. A. Là, dans les malheurs.

5. Bossuet se montre ui aussi profond moraliste que grand orateur.

(a) Luc, VI, 25.

4.

62 ORAISON FUNÈBRE

tous nos faux pas : nous nous trouvons également acca- blés de ce que nous avons fait et de ce que nous avons manqué de faire % et nous ne savons plus ^ excuser cette prudence présomptueuse ^ qui se croyait infaillible. Nous voyons que Dieu seul est sage; et, en déplorant vainement les fautes qui ont ruiné nos affaires, une meil- leure réflexion nous apprend à déplorer celles qui ont perdu notre éternité, avec cette singulière consolation * qu'on les répare quand on les pleure ^.

Dieu a tenu douze ans sans relâche ^, sans aucune con- solation de la part des hommes, notre malheureuse Reine (donnons-lui hautement ce titre, dont elle a fait un sujet d'actions de grâces), lui faisant étudier sous sa main ces dures mais solides leçons '^. Enfin, fléchi par ses vœux et par son humble patience*, il a rétabli la Maison royale. Charles II est reconnu, et l'injure des rois a été vengée. Ceux que les armes n'avaient pu vaincre, ni les conseils ramener, sont revenus tout à coup d'eux-mêmes : déçus par leur liberté, ils en ont à la fin détesté l'excès, hon- teux d'avoir eu tant de pouvoir •, et leurs propres succès leur faisant horreur *o. Nous savons que ce prince ma-

1. Manqué de faire, négligé de faire.

2. Oà, en quoi, comment.

3. Prudence présomptueuse, alliance heureuse de mots qui semblent cod- tnidictoires.

4. Cette singulière consolation, cette consolation particulière, unique.

5. Bossuet avait déjà dit, dans le sermon sur l'Amour des plaisirs : « Jamais il ne faudrait se consoler des fautes que l'on a commises, n'était qu'on les déplorant on les répare et on les efface. »

0. Tenu sans relâche, sans aucune consolation, n'a laissé aucune rclâclu\ aucune consolation; expression pleine de force.

7. Solides leçons. Par solide, il faut entendre le contraire de ce qui est vain, comme dans cette phrase de l'Or. fun. de Madame : « Tout était simple, tout était solide. »

8. Voilà la part que la reine a eue à la restauration des Stuarts ; c'est ainsi que l'orateur trouve moyen de la mêler à ce grand événement.

9. Var. : Honteux d'avoir tant pu (l'"^ édit.). L'expression était peu harmonieuse.

10. Participe absolu, dont on trouve de fréquents e.xemples au xvii" siècle, mais non pas ainsi à la fin d'une phrase. Cette chute de pf riodc n'est pas d'un heureux clfct.

DE HENRIETTE-MARIE DE FRANCE 63

gnanime eût pu hâter ses affaires, en se servant de la main de ceux qui s'offraient à détruire la tyrannie par un seul coup *. Sa grande âme a dédaigné ces moyens trop bas. Il a cru qu'en quelque état que fussent les rois, il était de leur majesté * de n'agir que par les lois ou par les armes. Ces lois, qu'il a protégées ', l'ont rétabli presque toutes seules * : il règne paisible et glorieux sur le trône de ses ancêtres, et fait régner avec lui la jus- tice, la sagesse et la clémence '.

Il est inutile de vous dire combien la Reine fut conso- lée par ce merveilleux événement; mais elle avait appris par ses malheurs à ne changer pas dans un si grand changement de son état. Le monde une fois banni n'eut plus de retour dans son cœur. Elle vit avec étonnement que Dieu, qui avait rendu inutiles tant d'entreprises et tant d'efforts, parce qu'il attendait l'heure qu'il avait mar- quée, quand elle fut arrivée, alla prendre comme par la

1. II y eut do nombreuses conspirations contre Cromwell, et quclques- nncs nu'me avec l'assentiment de Charles.

2. Il était de leur majesté^ tournure toute latine.

3. Qu'il a prot''gres, en les respectant dans son exil.

4. Après l'abdication de Richard Cromwell, l'Angleterre avait ëtë livrée à l'anarchie militaire. Monk, qui commandait en Ecosse, marcha sur Londres, et intima au Parlement l'ordre de recevoir dans son sein les membres presbytériens qui en avaient été exclus. La chambre, ainsi reconstituée, no tarda pas à se dissoudre. Le Parlement qui lui succéda rétablit la chambre des lords et rappela les Stuarts. Le 29 mai 1660, Charles II faisait son entrée solennelle à Londres.

5. Les expressions dont se sert l'orateur sont le contre-pied de la vérité, appliquées à Charles II, ce prince frivole et dissolu, qui, sans être cruel, laissa, au mépris do sa parole royale, s'accomplir les plus odieuses exécu- tions, et qui vendit l'honneur do l'Angleterre à Louis XIV. Mais, avant de faire ù. Bossuct le reproche de flatterie, il faut réfléchir que les faits sur lesquels nous appuyons notre jugement ne pouvaient guère alors être connus on France, et qu'on tout cas on les appréciait tout autrement que nous ne le faisons.

Bussy Rabutin a dit de ce prince qu'i7 était un des plus grands rois du monde; et nous lisons dans les Mémoires de Mme de Motteville, qu'une des choses qui contribuèrent à faire prendre à Louis XIV la résolution de s'appliquer aux affaires du gouvernement, « fut la répu- tation qu'avait acquise le roi d'Angleterre depuis qu'il était remonté sur le trône. Les grandes louanges qu'il entendait lui donner sur la manière dont il gouvernait son royaume lui donnèrent do l'émula- tion. »

64 ORAISON FUNÈBRE

main le roi son fils pour le conduire à son trône *. Elle se soumit plus que jamais à cette main souveraine, qui tient du plus haut des cieux les rênes de tous les empi- res 2; et, dédaignant les trônes qui peuvent être usurpés, elle attacha son affection au royaume l'on ne craint point d'avoir des égaux (a), et l'on voit sans jalousie ses concurrents ^. Touchée de ces sentiments *, elle aima cette humble maison * plus que ses palais ^. Elle ne se servit plus de son pouvoir que pour protéger la foi catholique, pour multiplier ses aumônes, et pour soula- ger plus abondamment les familles réfugiées de ses trois royaumes, et tous ceux qui avaient été ruinés pour la cause de la religion o»» pour le service du Roi.

Rappelez en votre mémoire avec quelle circonspection elle ménageait le prochain, et combien elle avait d'aver- sion pour les discours empoisonnés de la médisance. Elle savait de quel poids est non seulement la moindre pa- role, mais le silence même des princes, et combien la médisance se donne d'empire, quand elle a osé seulement paraître en leur auguste présence. Ceux qui la voyaient attentive à peser toutes ses paroles '', jugeaient bien

1. Charles II, dans sa marche de Douvres à Londres, fut accueilli avec tant d'enthousiasme qu'il disait à ceux de sa suite : « Il faut certaine- ment que ce soit ma faute si je ne suis pas venu plus tôt, car je n'ai rencontré personne aujourd'hui qui n'ait protesté avoir toujours désiré ma restauration. »

2. « Dieu tient du plus haut des cieux les rênes de tous les royaumes. » {Disc, sur l'hist. univ., IIP partie, ch. vm.)

3. "Voir une phrase toute semblable dans le sermon sur la Providence p. 131).

4. Touchée, c'est-à-dire animée, pénétrée de ces sentiments.

5. Le couvent de la Visitation de Oiaillot, qu'elle avait fondé.

6. Allusion discrète et voilée au voyaf^e fait à Londres par la reine après la restauration, et qui n'avait pas été heureux.

7. « Cette princesse avait beaucoup d'esprit; il était vif, agréable et pénétrant; sa conversation était libre et gaie; elle raillait de bonne grâce, et, pour l'ordinaire, il était difficile, malgré l'innocence de son intention, que le prochain n'y fût un peu blessé. Mais nous avons

(a) Augustin, De civitaie Dei, V, 24.

DE HENRIETTE-MARIE DE FRANCE 65

qu'elle était sans cesse sous la vue de Dieu, et que, fidèle imitatrice de l'institut de Sainte-Marie *, jamais elle ne perdait la sainte présence - de la majesté divine. Aussi rappelait-elle souvent ce précieux souvenir par l'oraison et par la lecture du livre de l'Imitation de Jésus, elle apprenait à se conformer au véritable modèle des chrétiens ^. Elle veillait sans relâche sur sa conscience. Après tant de maux et tant de traverses, elle neconnutplusd'autresennemis que sespéchés. Aucun ne lui sembla léger*; elle «n faisait un rigoureux examen'; et, soigneuse de les expier par la pénitence et par les aumônes, elle était si bien préparée, que la mort n'a pu la surprendre, encore qu'elle soit venue sous l'apparence du sommeil*. Elle est morte, cette grande Reine; et par sa mort elle a laissé un regret éternel, non seulement à Monsieur et à Madame, qui, fidèles à tous leurs devoirs, ont eu pour elle des respects si soumis, si sincères, si persévérants, mais encore à tous ceux qui ont eu l'hon- neur de la servir ou de la connaître. Ne plaignons plus

remarqué qu'à mesure qu'elle avançait dans la piété, à mesure aussi elle se retenait de parler quasi sur toutes choses. Les dernières années de sa vie, elle était devenue plus scrupuleuse là-dessus : elle examinait ses paroles et paraissait fort détachée de la vie. » (Mme de Motteville, manuscrit déjà cité.)

1. Imitatrice est le mot propre, car la reine n'était liée par aucun vœu et n'habitait pas le couvent. Elle avait une alfcction particulière pour l'institut de la Visitation, en souvenir du fondateur do cet ordre, François de Sales, qu'elle avait connu dans sa première jeunesse et dont elle pour- suivit la canonisation.

2. « Elle ne perdait la sainte présence », elle ne perdait do vue, n'oubliait.

3. « Depuis plusieurs années, elle lisait chaque jour un chapitre de V Imitation de Jésus, et, quand ce livre était fini, elle recommençait, disant que c'était sa nourriture journalière et qu'elle ne s'en lassait jamais. » (Mme DE MoTTEYiLLE, Ibid.)

4. « La reine sait en général qu'il y a des péchés véniels; car la foi l'enseigne, mais la foi ne lui enseigne pas que les siens le soient. » (Or. fun. de Marie-Thérèse.)

5. « Je sais qu'elle fit, à Chaillot, il y a quelques années, une confession générale à une personne d'une grande réputation de piété, et que ce fut avec de grandes applications et de très solides desseins do s'appliquer uu soin de son salut. » (Mme de Motteville, Ibid.)

6. Voir la notice en tête de l'oraison funèbre.

66 OR. FUN. DE HENRIETTE-MARIE DE FRANCE

ses disgrâces, qui font maintenant sa félicité. Si elle avait été plus fortunée, son histoire serait plus pom- peuse, mais ses œuvre: seraient moins pleines, et avec des titres superbes elle aurait peut-être paru vide * devant Dieu. Maintenant ' qu'elle a préféré la croix au trône, et qu'elle a mis ses malheurs au nombre des plus grandes grâces, elle recevra les consolations qui sont promises à ceux qui pleurent (a). Puisse donc ce Dieu de miséricorde accepter ses afflictions en sacrifice agréable! Puisse-t-il la placer au sein d'Abraham (6), et content de ses maux, épargner désormais à sa famille ' et au monde de si terribles leçons ^ !

1. Vide, qui s'oppose à pleines, ne s'emploie ordinairement qu'avec un complément.

2. L'adv. maintenant sert ici à marquer l'opposition des idées; c'est comme s'il y avait : Mais, comme elle a préféré, etc.

3. Los fautes des Stuarts devaient empêcher ce vœu de se réaliser et, vingt ans plus tard, Jacques II détrôné venait, comme autrefois sa mère, chercher un asile à la cour de France.

4. On a remarqué depuis longtemps le contraste entre le reste de l'oraison funèbre et cette péroraison si simple. L'abbé de Vauxcelles a dit justement : « Cette fin de discours ressemble à celle de la vie de Henriette qui s'éteint sans éclat. » Ce que Buffon appelle « la convenance du style

. la nature du sujet » est une des premières qualités de l'éloquence de Bossuet.

(a) Matth., v, 5. (6) Luc, xvi, 22.

Coulommiers. Imp. Paul Bl\0DAliD. 639-97.

DA Bossuet, Jacques Bénigne,

396 Bp. of Meaux

À5B67 Oraison funèbre de

1898 Henriette-Marie de France

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