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JUGEMENS

DES

S A V A N S

SUR LES

PRINCIPAUX OUVRAGES

DES AUTEURS,

PAR ADRIEN BAILLEr-, Revus, corrigez, 6c augmentez par

Mr. DE LA MONNOYE.

NOUVELLE EDITION, TOME TROISIEME,

SECONDE PARTIE,

-n^-^^^- î^VvtA'»

Pag. 1.

JUGEMENS

DES SAVANS,

SUR LES PRINCIPAUX OUVRAGES

DES POETES.

SECONDE PARTIE.

Contenant les Poètes Latins depuis les Guerres Puniques, & quelques-uns des Grecs, jufqu'à la renaiilance des Lettres,

De quelques Anciens Poètes T'ragiques ^

Comiques , doKt tl nous rejîe des Frag-

mens»

iM.LIVIUS ANDRONICUS,à

la tin de la première Guerre Punique.

iCN. N.î:VIUS mort à U tique (au- jourd'hui Bizcrie) en la 144. Olympia- de, Tannée que Scipionpalia en Afrique.

3Q. ENNIUS l'an 5i^deli Ville de Rome, mort Tan 5-86. ou 585-. en rOlympîade 15-3. fous le ConfulatdeQ. Marcius Philipp. & deCn.Servilius C«- pion, comme dit Ciceron. * * arw»^

à" de Se-

* ^ 3^ ^^1^^^ Ivius Andronicus '"<^*^'« eli conlideré comme le premier de tous les Poè- tes Latins» La première pièce qu'il fit fut repre-

fcntée en la première anutfe de la 135". O- jQm.llLFartM* Ar^^ lym-

_. . hk:a

taviens'î3

%'iv. An- dronicus. Sept ans devant la naiiTancc de Caton Tancien, fclon Ci- ceron, de

a Poètes Latins.

lympîade , l'an 5'i4. de la fondation de Rome, fous le Confulat de C. Claudius Centon fils de l'aveugle, &■ de M. Sem- pronius Tuditanus, l'année d'après la pre- mière guerre Punique, un an devant la naiflance d'Ennius, 240. ans devant no- tre Epoque vulgaire, 22 r.. ans devant la mort de Virgile, & félon le calcul d'Agel- lius ou Aulu-Gelle , 160. ans plus ou moins depuis la mort de Sophocle & d'Eu- ripide, & environ 52. depuis celle deMé- nandre (i).

Les Cenfcurs de ce Recueil ne me vou- dront peut-être point pardonner cette efpe- ce de digreffion qu'ils jugeront être un peu éloignée de mon fujet, s'ils la confi- derent toute feule ; mais on les prie de re- marquer qu'il n'ctoit point hors de propos de fixer l'Epoque de la Pocfie Latine, pour donner lieu au Leâeur de porter fon ju- gement fur la naiffance, le progresse la perredion de cette Pocfie, qui ne fut à fon période que plus de deux fiécles après An- dronicus.

On a donné le nom de Tragédies & de Comédies à fes Poèfies ; mais quelque

plai-

1. A. Gcll. SoGt, Atticar. lib. 17. cap. »i, Vid. & Voir, de Poét, L:U. lib. fing. p j.

2. Cicero in Bruto. Item Tufculan. qu. r,

%. Ciceron, dans l'endroit cite, immédiatement •près avoir dit que du tcms d'Action, de Nicoma- quc , de Protogenc, ôc d'Apellc Ja Peinture avoit atteint fa perfeftion, ce qui n'etoit pas du tems de Zcuxis, de Polygnotus & de Timanthc, ajoute qu'il en eft ainfi généralement de toutes cbofes .- nihit eji tnim fimul à inventum à" perfe£tnm. Enfuite dequoi avant que d'en venir à Livius Andronicus, il pailc

4ci f o«tç« qu'il Cuf ptflc aroù pi:c«f (il Hvmcxe,

Poètes Latins. j

t>lai(ir qu'on prît alors à les chanter ou à lît. An- ies reprefentcr, il faut avouer qu*elles é- diomcm. toient encore fort brutes & fort groffiéres. C'ell à fon fujet que Ciceron (2) dit que les chofes ne peuvent point avoir leur pcr- fedion dans leur naillance ; & Suétone rappelle un demi Grec (3) , pour mon- trer peut-être que Ion langage étoit dou- blement barbare.

Mais il ne nous eft relié de fes Ouvra- ges que quelques fragmens qui furent im- primés à Lyon en 1603. puis à LeyJe en 1610. par les foins de Sfnverius , avec les noces & les corredions de f^ajins. On y a joint ce qui nous eft refté des Tragé- dies & Comédies de Naevius, d'Eiuiius, de Pacuvius, d'Attius & de quelques au- tres anciens Po; te?. M lîs c*elt une erreur de croire qu'il ait écrit l'Hiftoire Romaine en vers , & ceux qui ont avancé ce fait font pris rour Ennius. (4).

a N;€vius 6t auiïi diverfes Pièces Nxriui. dramatiques, dont la première fut repre- fentée Tan fie;), de la fondation de Rome (5"), qui félon la remarque d'Aulu-Gcllc fut auifi celui du premier divorce qu'on

eût

3. Suetop. lib. de Illuftrib, GtAmmar.

4. Diomcd. lib. >. Gramniatic. 5c alii poft illum. il. 11 faloit citer ici Vollîus Inflit. Poct. lib. i,

psg. 9. Baillet le cite plus bas: mais pour enten- dre ce qu'il veut dire il faut recourir \ l'endroit que f ai marqué de Voffius.

j. %. Aulu- Celle qui fuit cette fupputation 1. ij, t. 2!. en ;ivoIt luivi une autre 1. 4 c. 3 il dit <\uc ce fut l*an 523, fous le Confulat de M. Aitilius Jk de P. Valerius. Mais alors ce ne feroit ni en 523. niensjp. puifquc c'eft en 526. que les Faftcs Ca- pitolins marquent ce Conlulat.

A 2

Kievîus.

sniuus.

4 Poètes Latins.

eût jamais vu à Rome jufqu'alors. (i)

Il fît auffi rHiftoire de la guerre i^uni- que en vers , mais fans diUiiidlion aulTi bien qu'Ennius ; de forte que c'ell à C. Odavius Lampadion que l'on devoit la divifion en fept Livres, qui en avoit été faite dans la fuite félon Suétone (2) , com- me Varguntejus avoit fait la divifion de l'Ouvrage d'Ennius en dix-huit Livres.

La Poe lie de Naîvius étoic compofée de vieux vers, qu'on appcUoit S iiturfiie»s «ufTi bien que ceux d'Andronicus (3). C'eft ce qui avoit fait croire à Ennius qu'il pouvoit les railler , & fur tout Naevius- qu'il releguoit parmi les Faunes & les Poè- tes Sauvages , à caufe de l'irrégularité & de la dureté de fes vers. En quoi Ciceron a jugé qu'Ennius étoit blâmable d'autant plus qu'il y avoit une efpece d'ingratitude a ne pas reconnoitre publiquement com- bien l'Ouvrage de Nasvius lui avoit été uti- le pour compofer le lien.

3. S I nous voulions même nous arrê- ter à la Critique de Volcatius Sedigitus^

qui

î. Cîccro in Bruto feu de Clar. Oratorib. Item Petr. Scriverius in Prolcg. ad Fragm. Trag. Enn. 6c aliorum.

Gcr. Joan. VofC lib. i. de Hift. Lat, cap. 2. pag. 6. 7.

Idem lib. iîng. de Foëtis Latia. & Initit. Foëcic. lib. j. pag. 9.

a. Sueton. Tranqu'I. lib. de llluft. Grammatic.

j.Volïîus prétend contre Villomare ou Scaliger,que Livius Andronicus avoit fait des vers héroïques. Gro- Cppus ou Scioppiuidit la même chofc,mais on croit qu'il y a faute au mot de Livius pour hnjus ou pouc Ènnius.

4. y*l«at. Sedigicus apud A. GcUium lib. x;.Noft.

Atr

Poètes Latiks. s

qui a fait en treize vers le jugement des Enniu», dix principaux Poètes Comiques des La- tins, nous ferions oblige's de préférer Nœ- vius à Ennius , puifqu^il met Nxvius au truiiiéme rang, & qu'il ne donne que le dernier à Ennius. (4)

Mais pour fa'rc voir le peu de folidité qui fe trouve dans ce jugement de Sedigi- tus, il fuffit d'alléguer l'autorité de Cice- ron, qui reconnoîr qu'EsNius efl beau- coup plus accompli que Naevius (5-), quoiqu'il eût pris beaucoup de chofes de lui, félon le mcme Auteur.

Ennius étoit très perfuadé lui-même de fon propre mérite; car fans parler du mé- pris qu'il témoîgnoît avoir pour les autres Poètes fes contemporains, il a crû devoir fe féliciter lui-même de faire des vers ca- pables d'échauffer les cœurs , & de porter le feu jufques dans la mouelîe des os (6). Effeétivement c'étoit un Poète de grand génie (7) , au jugement de Ciceron & d'O- vide même , qui ajoute néanmoins qu'il n'avoit p>'int d'art. (8)

£»•

Attic. cap. 24. ubi de Poetis Comicis.

5. Ciccro in Bruto ut faprà; uU Ait N*vio Ennîum mului ddert y Sxvio 'ujarAtum nf^Aret y ab e# /«wp- Jîje fat fret 'r.

6. Ennius de Te ipfo apud Nonium Marcel, voc. fropinarcy «k Mid.i'.l-t:i.'.

7. Oration. pro Munna c;in. 14.

Idem Cicero \c Ennio pnflnn honorific. mention, hiibet ut Ac:idem. quïft. lib. i. de Finib. lib. i.

Item de Oratore Ib. 3. non femel ôc lib. 1. cju{- dcm operis de Oratore non femel 5cc.

8. Ovidiui 2. Triftiura. Itciura lu i. Ajnoi, de» gia 1$.

A l

Snnius*

6 Poètes Latins.

EriHiUS ingenio waximus , arte rudis.

Ce fentiment a été embrafle pârplufieurs des Critiques modernes, mais la plupart reconnoiiïent qu'il a recompenfé ce défaut d'art par la vivacité de fon efprit, par cet- te force & ce feu divinement infus dans -fcm-imagination (i), lequel lui a fait faire des versians favoir les règles de la Poéti- que : & félon la remarque de Cundîdus Hefychius (2), il a fait v&ir en lui-même la différence qui fe trouve quelquefois fort réellement entre les effets de la Nature & ceux de l'Art dans une même tête.

C'efl peut-être ce feu & cet enthoufiaf- me qui a porté Horace à nous le reprefen- ter comme un beuveur, & qui lui a fait dire que jamais il ne s'étoit mis à faire de vers qu'il ne fut dans le vin (3): & quoi qu'Ennius ne vécût pas d'ailleurs dans le

lié-

1. Candid. He^chius in Differtat. Godcllus aa locta? cap, z. pag. 75.

a. %. Le P. VavaflTeur contre Antoine Godeau E- ^êque de Graffe.

3. Horat. lib. i. Epiftohr. Ep. 19. v. 7.

4, Idtm Ib. 2. Epiftol. Ep i. ad Auguft, vcrf. 50, S Jof. Seal, in priorib. Scalig. pag. jt

6. %. C'eft dans le Pn/na ùcultierana au moi En- ni'As. Je rappoiterai le paffdge ciirici pour y faire une COrre6lioa. Etnias P/cta antîijMuj, t/ia^ufiio itt- genio. Vtina.m httnc haieremui inttz.rH'n , ir amifijfemut ZiMcanum , Statium, Silium halicum^ fie tOUS ces t'4r- fons'là. Je crois qu'il faut lire G<t'f#nt , pour mar- quer la différence du ftyle narurei d'Ennius au ftyjc enflé de Lucain, de Stace ôc de Silius, (ur tout de Lucaiii Se de Stace. Scaliger au reltc en difantjplût à Dieu que nous eudlons ^nnius entier, Se que nous

euflions

N

Poètes Latins. 7

fîécle depoliterfe, on peut néanmoins at- Ennius, tribuer à cet emportement naturel , il ctoit prefque fans cefie , la précipitation & le peu d'exactitude dont il eft accufé dans un autre endroit d'Horace (4) qui n'a point laillc de l'appelier un homme fage, courageux, & pour tout dire, un fécond ■Homère.

Scaliger jugeoitpar les relies de fesPoc- (îes qu'on a tâché de fauver, que ce Poe- le avoir le génie grand & élevé (5'} : & ii préteudoit que (1 nous l'avions entier, nous nous pafierions fort bien de Lucain, de Stace , de Silius Italiens (6) &c. Il ajoute que Virgile avoit fait beaucoup de profit dans la leélure de fes Ouvrages , & qu'il en avoit pris jufqu'à des vers entiers, que ce Poète par reconnoiflance appelloit des perles tirées du fumier d'Ennius. (7)

Au refte il cù. bon de remarquer qu'En- nîus a été le premier qui ait employé les

Ver*

«uflions perdu Lucaîn, Stace 8c Silius, déclare par- qu'il cftimoit plus Ennius (eul, que les trois au* très Poètes eiilcaible, mais il n*cntend pas, comme l'explique Baiilet , que nous nous pafletions fortbiea de CCS trois Poètes fi nous avions Ennius entier, puisque non feulement il necontient abfolumcnt rien ce ce qui eft dans Lucain J< dans Stace, mais qu'il ne remplaceroit pas même beaucoup d'cndroitc de Silius.

7, Voflîus Inftitut. Poëtic. lib. |. pag. 9.

Item Fhilipp, Brietiua lib. i. de Peëtis Lat. pag. j.

Via & Vit Virgil. &c.

^. Scaliger dans l'endroit cité n'ajoute quoique ce foi t à ce que je viens d'en rapporter. Le mot de Virgi- le toucliant Ennius n'eft pas non plus dans l'endroit ce Btillct renvoie des Inftitutions Poëti«jucs de Voflîus. Je ne dirai rien du ?. Briet que |e n'ai pas. La cita- tion feule de la Vie de Virgile luffifoU,

A*

9 Poètes Latins.

I^imus. Ygj-g Epiques ou Héroïques parmi les Ro- mains, & qu'on le confidere comme ce- lui qui en eft l'Auteur & qui en a intro- duit Tufage (i). 11 a tiré, pour ainfi dire, la Poëiîe Latine des bois & des villages pour la tranfpianter dans la ville , afin qu'on pût l'y cultiver , & qu'an s'appli- quât davantage à la polir. Et pour y mieux réufïir , il a fait conduire du mont Par- lîafTe en Italie les eaux d'Hippocrene, s'il m'elî permis de parler comme les Poètes. C'efl ce que Lucrèce a voulu nous faire connoître par une exprelTion toute diffé- rente, iorfqu'il adit, (2)

...__— Prîmus amœn&

Dttulit ex Helieone perenni fronde coronam Per Gentes Italas,

Mais avec tous ces foins , on peut dire qu'Ennius ne pût point encore venir à bout de détruire entièrement la barbarie des fiécles précedens , & quoîqu'Horace té- moigne (3) qu'il a beaucoup, enrichi la Langue du pays par un grand nombre de mots nouveaux qu'il mit en ufige; néan- moins on ne peut pas dire que cela aitcon-

tri-

T. Dcmpfter in Elench. ad Rofin. Antiquir. Ro- man.

Item Ger. Jo. VoiT. de Hiftor. Lat. lib. x. cap, 2. &c.

^. Ces paroles de Dempfter dans fon Index des Auteurs fur Rofin: Pnmus mapii nomims Heroïiorty.rr> ^ ne fignifient pas qu'Ennius a Je premier introdu t \'ufage des vers Héroïques, mais qu'il eft Jeprcmiet ^ui le foit iicndu cckbie paimi ksPoëiesHeioiques.

Cf

Poètes Latins. 9 tribué à rendre Ton diTcoiirs plus élégant Emûiw, & à polir Ton ilyle qui a toujours paffé pour un ftyle ru ie & groffier. C'ell ce qui a fait dire àQuiutilien (4) que ce ftyle n'a- voit prefque rivjn de conlîderable que fon antiquité, comme ces vieux bois qui de- viennent l'objet du culte Riper (lit ieux des payfaiis, & comme ces grands chênes des futayes fur leiquels la longueur des années femble avoir attiré la vénération des Peu- ples qui n'ofent y toucher.

Macrobe paroît blâmer ceux qui ne font point touchés d'un pareil refpeâ" pour les vers d'Ennius (5*), parce que tout ra- boteux que paroilfe fon llyle, il ne laif- foit pas d'être le meilleur de Ton fiécle, & qu'on a eu dans la fuite des tems des peiiies tort grandes pour tâcher d'amolir cette dureté univerfelle. D'ailleurs En- nius avoir plus qu'aucun autre Poète La- tin de fon tems des taiens particuliers qui rcndoîcnt C^^s Pol'fîcs de plus grande recherche que celles des autres. Car ou peut dire que la véhémence & la force de fes penfées fervoit beaucoup à foute- ïiir fon Lcdeur (6), & ceux même qui voudront fuivre Paul de Merle ou Me-

rula,

Ce n*e{î pas que je nie qu'Rnnius foit le premier Poète Héroïque, je aie feulement que ces paroles de Dcmptter le prouvent.

2. Lucrer. de Rer, Nat. Carm. lib. t.

3. Horat, de Arte Poëtic. verf 56. 57.

'4 QiùntUian. lib, 10. ca^i. i. Inltitution. Ora- foriar.

« 5. MjKrob. Saturnal. lib. 6. cap. j. ^6. Lil. Ciegoi, Gytald. de Hiltor, Poët. Di«log, ^ &^ _

A 5

i

»a foETES Latins.

Eiuiai. rula , croiront avec lui qu'Ennius eft le véritable Père de toute Télégance & de la politefTe qui a paru depuis :anslaPoe- (ie Latine (i) , ^ qu'on Ta honorer en cette qualité, ,, avant même qu'il eût fen- 5, ti la grâce du nombre & de l'harmo- nie des mots qui étoit dans les Poètes 5, Grecs, h dont il n'a fait paroître au- 3, cun veftîge dans fes vers, félon le P. Rapin. (2)

Les Poèfies d'Ennîus confiftoient en diverfes Tragédies & en dix-huit livres d'Annales de la République de Rome. Il nous efl refté des fragmens de la plupart de ces Ouvrages. Scriverius a donné les fragmens de fes Tragédies & Comédies à Ley 'e Tan 1620 in- 8°. avec ceux des autres Tragiques Latins, qui avoient dé- jà paru cnfemble à Lyon dès Tan 1603. Merula a donné ceux de fes Annales à Leyde in- 40. l'an I5'95'. Mais Jérôme Co- lonna publia enfemble ceux de fes Tragé- dies & ceux de fes Annales aNaples in- 4°» Tan 15-90.

Cn. Ntevii V'tta ^ Fragmenta^ fe trou- Te dans le Corpus Poétarum Latinorum P^- 335"*^^ 4**' Ge»tz>ie 1611,*

MAR-

1. Paul Mcïula , în Pratf. ad ed'it. fiag. Ann. Ennil.

2. Ren. Rapin Keflcxrcns particul. fui la.Poctiq, pag. loi.

^. Le P. Rapin, n*^a parlé d*£nnius ni près ni loin dans pas une de les Réflexions fur la Poétique, dan4 l'éditioadu moias ^ue j'ea ai d'AflaftexUsm 1686»

Poètes Latiks^ rr MARCUS PACUVIUS,

Poète Tragique, vers ïa 15-6. Olympia- de, neveu d'Ennius , Nepos ^ c'clt-à-di- re félon Pline, fils de lafceur d'Ennius; mais fon petit-fils, c'ell-à-dire fils de fa fille, félon faint Jérôme C3) ; naiit: de Brindes , mort à Tarente âgé de près de 90. ans.

1131 TL a pafifé pour le plus far ant de ^^^

Xtous les Poètes Tragiques qui racuvijfc «uflent paru à Rome jufqu*à lui, & il s'en cil trouvé très-peu de ceux qui ont vécu après lui jufqu'au tems des Cefars, qui ayent eu l'avantage fur lui en ce genre de Poëiie.

Il avoit tiré des Grecs tout ce qu'il a- voit de bon aulTi bien qu'Ennius & Àttius, & c'eft une des raifons dont Ciceron fe iervoit (4) pour faire voir que fes Tragé- dies n'étoient point à mépriler, quoi qu'il eût le ftyle fort rude & qu'il fût plein de mots dont Tufage étoit paiïe. Le même Auteur avoue que Pacuvius (5-) parloit même afles mal pour Ton tems, & qu'il n'avait point cette délicateiïè & cette élé- gance

f . %. ^callger dans fon édition la Chronique i'fculebc traduite p.u S. Jérôme a fupprime ces mot» Jkin>V PoUta tx fiiin nepi y coname rufperts de faux.

4. Ciccio Qusftiou. Académie. Ub. i. Item lib^ ï. de Finibus.

f. Idem Bruto (eu At. Ckatorc. Item Quint i- fian. inftit, Ox;Atoi. Item FhU. Buct. kb. v,dc£oç^

A6

12 Poètes Latins.

j'^'^'^c g/^nce qui paroifToit dans le langage de hx- ' " ' '' lius & de Scipion aufquels il etoit con- temporain.

Mais comme on a pris plaîfir de faire le Parallèle de ce Poète a^ec un autre de même profelîion nommé Attius , nous rapporterons en parlant de celui-ci ce qui nous refleroit à dire de Pacuvius.

Nous ajouterons feulement une réfle- xion de Mr. de Balzac à fon fujet. il dit (i) que quand Varron dans le jugement qu'il fait des Poètes attribue la grandeur à Pacuvius & la médiocrité à Terence, il n'a point dciïèin de préférer l'un à l'autre ni d'eftimer davantage le grand que le mé- diocre. II veut feulement, félon lui, re- prefenter par ces deux exemples l'idée & la forme des deux genres dilferens qui font celui de la Poélie Tragique & celui de la Comique,

M. Pacuvius trouve dans Corpus omnium veîerum P oètarur/îLatinorum in-4'^. Lugd, 1603. Idem fecunda editio in-4.®. z vol- Genev. i6n. Idem in-fol. 2 voL Loud. iji^, *

T. Bal2ac,Ttiitédu Caraûcrc de ia Comédie pag,

,57. 5J. a. Ciceio in liuto feu de Clas, Oiatoxl&)

Poètes Latins. 15

L. A T T I U S ,

Pocte Tragique plus jeune que Pacuvîus de ciuquaiuc ans, fous le Confulat de Mancinus & de Serranus, en l'O- lympiade 15-2. nommé par d'autres Au- teurs, Accius ou Aclius^ mort Tan de la Ville 618. en l'Olympiade 161.

1132. IL ne nous rede plus que des L.Attïus,

1 fragmens des i ragédies d'Attius, comme de celles de Pacuvius. Ils en fi- rent reprefenter enfemble & fous les mê- mes Ediles ; mais Ciceron nous a fait re- marquer (1) qu'At-tius n'avoit alors que trente ans, au lieu que Pacuvius en avoit quatre-vingts.

Les anciens Romains du tems de la Re- publique étûient afles partagés fur la pré- férence dans la comparaifon qu'ils fai- foient des Ouvrages de ces vieux Poètes, & particulièrement de Pacuvius & d'At- tius. Les uns difoient que les Vers de Pa- cuvius étoient plus travaillés & plus po- lis (3) : les autres reconnoiilbient qu'eîîec- tivement il y avoit quelque chafe de plus dur dans les Vers d'Attius, mais qu'ils (e- roient néanmoins de plus longue durée, &, ils les comparoicnt à ces pommes de garde qu*on a coutume de cueillir aupara- vant qu'elles foient dans une pleine matu»

rite,

3. Idem Ciç. de Otatore non femel^de oft.geo^ Oiatox,

A7

r4 Poètes Latins.

LÀttius. rit^^ & que l'on met fur la paille pour les coiiferver & les y faire meurir avec le tems. (ï)

C'eft la raifbn qu'Attius donna lui-mê- me à Pacuvius , lorfqu'en fon voyage d'Afie il le fur voir à Tarente il s*étoit retiré fur la fin de fes jours. Ce fut -là ijuMl lut Tragédie à Atrée à Pacuvius , celui-ci lui en dit fon fentiment comme il Tavoît fouhaîté , il loua fon ftyle pour la grandeur & la belle cadence qu'il y trou* voit, mais fur ce qu'il témoigna qu'il ne lui paroifTbit point afTés doux ni alfés poli, Attius lui repartit qu'il en efperoit d'au* tant plus de- fuccès qu'il voyoit que les fruits qui font fi tendres dans le tems qu'on les cueille fe pourrifTent au lieu de fe per- feéiionner lorfqu'oii prétend les garder, & qu'il attendoit de l'avancement de fon âge h maturité de fon efprit & de celle de (es produélions. C'ell ce qu'on peut voir dans Aulu-Gelle (2). Mais on ne voit pour- tant pas que la fuite du tems qu'il a vécu ait parfaitement répondu à fes efperances,. Car fes Vers, au jugement des Critiques Romains , n'^avoienc prefque rien de la éouceur de fon naturel. (3)

Mais

». Àp. îh lïç. Brict. lib. i. de foët.Lat. pag.415^ «te.

2. Gell. Noft. Attic. lib. tj. cap. z.

3. Vellej. Pateicul, lib. i. Hiftor. Vid. H«rat. lib, î. Sat. 10.

f. Il fi'cft parlé nulle part de cette douceur dent* t«iiei d'AttiuR, qui en pouvoit cependant avoir.

4. Ovid. lib* I. hKkQX, £legii i/, yid, ic icient

Poètes Latins. if

Mais au rede il avoit du génie pour la L.AttîiKi

Tragédie. Ovide dit (4) qu'il étoit mâle ôc courageux dans fes exprelîjons. Horace lui donne un air de grindeur & d'élévation, & il dît que fi Pacuvius avoit le deiïus pour l'érudition, Attius l'emportoit par la force & la fublimité (5) C'eft auffi le fen- timent de Quintilien, qui ajoute que non- ob fiant cette différence ils avoient donné tous deux de la gravité à leurs penfées & du poids à leurs paroles, & que s'ils font tombés dans diverfes imperfedions , ç*a été moins leur faute que celle des temsoù ils ont vécu (6). [Pour l'édition, voyés i la fin de l'art. 1131.]

CJEClljlUSdH MiUmh,

Poète Comique, qui étant efclave s'appeî- loit Stat':us Ctciîius^ & depuis fon af- franchiflement , deciUus Statius ; con- temporain d'Ennius , mort après lui.

1133. f Epeu de fragmens qui nous re$- crcUûu^

L te de cet Auteur ne fuffit pas pour nous faire juger de l'équité de laCeti- iure que les Critiques en ont faite.

Ci-

Ovid. idem Gicer. Hor«t. paHiii)) ôc alii à Giialdo êc Scrivcrio colleôi.

5. Horat. lib. i. Epift. t. &c.

6. Oi'intilian. inftitution. Oratoriar. lib. to. cap. t,' De Àttio plura apud Girald. de Hiftor. ?oèt. Dia-

k)g. i.pag 857. &feqq Petr. Scrivcr. in Prolegomcn. ad fragment. VofT. lib. dcPoct. Lat.p. 6. 7. Item lib». 1. Hift. Lat. cap. 7. Jib. i. pa^. 29. 3e. il eûp^i» icr des Ajuialcs ^u' Attius avoh faits ca Vus,

i6 Poètes Latins. Cxcilius. Ciceron nous apprend qu'il purloit mal Latin aufîî bien que Pacuvius (i),quoi qu'il y eût de leur tems des gens qui parloient cette langue à Rome parfaitement bien & fort délicatement, tels qu'étoient Laelias & Sci- pion:&iladit encore ailleurs queCaeciiius croit un mauvais Auteur de laLatinité (i). Quelque grand qu- fût ce de'faut, il n'a point fait, ce femble, beaucoup d'obftaclc à l'e'lime que la plupart des Anciens ont témoignée pour Tes Comédies. Varron ne le croyoit inférieur à perfonne d'entre les Poètes de la même Profelïïon pour le bon» heur avec lequel il favoit trouver un fujet, & le bien traiter (3). Horace femble lui donner le premier rang pour la gravité, comme à Terence pour l'artifice (4) , du moins étoit-ce l'opinion commune du Peu- ple Romain de ce tems- là, félon le fens que quelques Critiques d'aujourd'hui don- nent à ce fentiment d'Horace.

Ciceron même qui blimoît fi fort fon ftyle, ne s'oppofoii point d'ailleurs à ceux qui vouloient alors faire pafîèr Gsecilius pour le meilleur des Poètes Comiques (f). Il paroît aufli qu'il avoit des défenfeurs de fa Latinité contre ceux qui étoient de l'a- vis de Ciceron , & Patercule n'a point

fait

'1. Cicero in Bruto feu de clans Oratorio.

2. Idem in Eplftol.adAtticum. Item ap. Phi], Bricr.

}. Varro in Parmenone. Item ap. Jofeph. ScaJi- gcrura. Jul. Cxf Scalig. 1. «. Poëticescap. 2. pag. 266. Remarq. anon. de Fruic. VavafT. fur les Reflex. de la Poët. pag. 124.

4. Korat. lib. 1. Epiftol. i. ad Auguft. VeiC 55^

î, CiçexQ lib, (U opcim, geaçj| Oxaioii

Poètes Latihs. 17 fait difficulté de dire qu'il étoit un de Ciciliu», ceux qui ont fat fleurir la Langue La- tine, & qui en ont mis les beautés, les douceurs, & Télegance dans le bel ufage (6). Quintilien après avoir dit que les An- ciens combloient d'éloges les Ouvrages de Caecilius , ce qu'il ne nous fait point re- marquer de ceux de Terence, ajoute qu'ef- fedivement les uns & les autres font très- élégans , mais qu*ils auroient encore eu plus de grâce û ces Auteurs avoicnt voulu fc renfermer dans les bornes régulières des Trimetres (7). Mais rien ne paroît plus glo- rieux pour la réputation de Caecilius que ce que Ton dît deTerence, qui, félon la remar- que qu'en a fait leP.Brîet (8) ,avoit coutu- me de lui porter toutes fes Pièces pour les foumettre à fon jugement , de la folidité duquel il avoit une opinion merveilleufe. Enfin Caecilius doit être à la tête des dix principaux Poètes Comiques qui ayent ja- mais été parmi ks Latins, l'on veut dé- férer au jugement de V'olcatius Sedigitus, qui s'étant mêlé de dîftribuer les rangs en- tre eux , a donné le premier à notre Cad' lins , le fécond à Plante^ le troifiéme à Nwvius dont nous avons déjà parlé , le quatrième à Liciyiius , le cinquième à /Tr-

ti-

6 Vellc). Patercnl. lib. i. Hiftor.

7, QiiintiL'iin. Inftitution. Oraroriar. lib. lo. cap. r.

é'. Phil. Brier. de roët. Lat. lib. i.pag. 4-pramifli Acutc D^ftis.

^. Terence, comme on voit dans fa Vie attribué* à Suétone, lut fon Andrienne à Cécilius, par l'or- dre des Ediles; mais qu'il lui ait lu {ts auties Pis- ces , nul Anciçn ne Va ccrit.

zS Poètes Latines.

Carciliu*. tilius ^ le lixiéme à T'erence ^ le feptiéme i 'Turpilius^ ie huitième à Trahea ^ le neu- yiéme à Lufcius^ & le dernier à Ennius. (i) Il femble qu-e Nonius Marcel lus ait e'té dans le méine fentiment depuis Sedigitus à l'égard de Caecilîus (2). Mais les Critiques 23K)dernes fe font recriés contre le j ugement de ce Sedigitus (3), & ils ont cru taire grâ- ce à notreCscilius de lui donner le troilié- me rang après Plaute & Terence malgré toute r Antiquité dont nous venons de rap- porter les témoignages. [Voyés à la fia de Part. II 31.]

PLAUTE Marcus'Accius,

Poëte Comique , natif de Sarfine fur les con* fins de rOmhrie ^ de P Emilie ^ OU pour parler comme on fait aujourd'hui , du Duché de Spoîete ^ de la Romandiole ^ plus jeune qu'Ennius, Pacuvius & At- tîus; mort néanmoins avant eux Tan de la fondation de Rome ^'70. la première année de la 149. Olympiade, 18.4. ans devant l'Epoque Chrétienne , fous le Confulat de Publius Claudias Pulc€r,& de L. Porcius Licinius.

ïlautc. *ï34' f Es anciens Critiques ne fe (ont

point accordés

fur le nombre des

I. Apud A. Ge^J. Noft. Atticar. lib. rj. wp. 24.

z. Non. Marcell. Woc. pofcere.

}. J. Henr. Boeder, dcjudic. inTerent. prolegom. in edir. cjufd. Terear.

4. A. Geliius Noft. Atticar. iJb. j. cap. 3. Item Lil. Gieg. Gyrald. de Hiftoi. Poëtar. Dialog. viii. pag. t%-j. St antca. Item Ger. Jo. VofT. lib. de Poët.

Poètes Latins. rp

des Comédies que Ton a attribuées à Plau- pjautc^ îe, les uns en comptoient vingt & une, & les aufrcs vingt -cinq, d'autres quarante^ quelques-uns cent, & d*^autres enfin lui en donnoicnt jufqu^à cent trente. Mais ils confondent avec les fiennes celles de dî» vers autres Comiques , & particulièrement celles de Plautius dont le nom avoit don- né lieu à Terreur à caufe de fa proximité avec celui de notre Poète (4).

Parmi ce grand nombre de Comédies, Mr. Ménage dit (y) qu'il y en avoit tant de mauvaifes , que Varron n'en trouva qui fuffent dignes de lui que vingt & une feu- lement, qui furent appellées à caufe de ce* laies Varroniennes.

Quoiqu'il en (bit, îl ne nous re(le au- jourd'hui que vingt Pièces qui portent fou nom. Entre toutes ces Comédies il n'y en a pas une qui n'ait fes beautés particu- lières, mais celle de V Amphitryon fcmble être la plus cftimée félon Mr. Rofteau (6) qui remarque qu'elle a des agrémens dont la Comédie Françoifc a fu fe parer avec beaucoup d'avantage. Néanmoins quel- ques Critiques modernes ont trouvé des fautes de jugement dans cette Comédie de l'Amphitryon, comme lorfqu'il fait jurer Sofie & Amphitryon par Hercule qui ne

de- Latin, pag 9.

G- Mena^-e, R?ponfc au Difcours fux l'HeautOflli;' moriimene de Tererice pag. 45.

S % Après Aulu-Gclle 1. î c. |.

6. Rofteau ,Scntim. (ur quelques Auteurs p:(g. ^•^ 4ï. MS. dans la Biblioth. de l'Abbayic dcSaimcG^- ncviçve.

io Poètes Latins.

/laurc» devoit être conçu que cette nuit-là, félon ]e calcul de Monfieur de Balzac (i).

D'autres Critiques cités par M. Ména- ge (2), & particulièrement Muret dans les diVerfes Leçons , Heinfius dans les Notes fur Horace, & Voflîus dans la Poétique prétendent qu'elle eft contre la durée du terns prefcrit pour ces fortes de reprefen- tations qui u'eft que d'un jour ou tout au plus que de l'efpace de vingt-quatre heu- res.^ Ils veulent qu'elle foit de plus de neuf mois, & qu'Alcmene y conçoive & qu'el- le y accouche. Mais ces Meilleurs fe trom- pent félon Mr. Ménage , étant certain .qu'Alcmene étoit groite de plus de dix mois quand la Comédie commence. Ce .qui leur a pu donner cette penfée eft le difcours que fait Plaute de cette longue nuit qui en dura trois, dans laquelle Her- cule ayant été conçu, ils ont crû qu'il l'a- voit aulTi été dans cette Comédie , fans fe fouvenir que Plaute y a corrompu la Fa- ble, comme l'a remarqué Jules Scalîger au fixiéme Livre de la Pocîique,& qu'il a pris cette longue nuit pour celle de la nailfance de ce Héros.

Plaute ne s'écoît point propofé Menan- dre pour modèle, comme avoit fait Caecî- lius dont nous venons de parler, mais il

s'é'

T. Balzac Difcours fur laTrag. d'Herod. oudc l'In- fanticide de D. Hcindiis pag. 113.

1. G. Ménage, Réponfe au Difcours fur l*Heautoii- timorumenc p, 4^. 47. &c.

3. Terent. Prolog, in Adelphor. Comoed.

4. Gyrald. de Poët. hift. dial. 8. pag. 885. VofF. la- ftitution. Poëtic^r pasj. jo.

i. Hoiar. lib. z. L^dX. i, ad Auguduco.

Poètes Latins. 21

sMtoit attaché à fuivre Biphile, comme il plaute. paruît parce que nous en a dit Terence(3). On prétend auifi qu'ii avoit tâché d'imiter Philemon & d'autres Comiques Grecs in- férieurs à Menandie (4). Horace même femble nous faire connoître qu'il avoit marche fur les pas d'Epicharme Poète de Sicile (5'\ Et ce fentiment qui étoit To- pinion commune des Romains du tems d'Augufte , eW aiTés favorable à ceux quî jugent que Plaute tenoit beaucoup plus de la vieille ou de la moyenne Comédie que de la nouvelle, dont étoient Diphile& Phi- lemon auffi bien que Menandre , au lieu qu'Epicharme étoit plus ancien qu'Arifto- phane même, 6t qu'il pafToit pour un des principaux Inrenteurs de la vieille Comé- die (6).

La chofe qui a donné le plus de réputa- tion à Plaute , eft fon ftyle & fa manière de dire des pla'fanteries.

Son flyle efl très-Latin (7) au jugement des Critiques anciens & modernes. Aulu- Gelle ou Agellius a voulu le faire pafler en plus d'un endroit de fes Nuits Attiques (S)pour le plus élégant de tous les Auteurs Latins, & pour le Maître de la Langue. Varron avoit appris de fon Maître L. ^- lius StiloPrxconinus à en faire tant de cas,

que,

(. Jul. Catf. Scaliger Poëticcs lib. i. pag. 32. LU, Gr. Gyrald. loc, citât Tann. le Fevre,des Poër. Gr. dans Epichaime, ôcc. Voff. & Boriich. de Poct, Latin.

7. Olaîis BorrichiusDiflertat. de Poct. Lar. pag. $6,

8. A. GcU. Noft. Attic. lib. 7. cap. it. & fup. lib. cap. 7. Item lib. 3, cap. |, itcoi lib, 1$. cap. as, » YolCi Scdigic,

21 Poètes Latins.

ÎUutc, que, fi nous en croyons Quintilien (i), il alTuroit que les Mules avoient voulu parler le langage des hommes , elles au* roient choili celui de Plante pour s'en ac- quitter avec plus de grâce. Et le même Varron lui donnoit le prix de rexpreffiou au préjudice des autres Comiques La- tins, comme il le donnoit à Caecilius pour l'art de bien traiter un fujet, & à Terence pour celui de bien exprimer les mœurs (2). Saint Jérôme qui avoit de l'inclination pour le flyle de Flaute, & qui en aimoit encore la le6l:ure même au milieu de fa re- traite & de fes mortifications , comme nous l'avons remarqué ailleurs (3) croyoit y trouver encore quelque choie de plus que de la gentillefTeéc de l'élégance ;& lors- qu'il vouloir exagérer l'éloquence de quel- qu'un , il l'appel loit f éloquence de Piau^

^ (4)-

Ciceron qui -avoît un goût merveilleux pour toutes les produélions du bel efprit, attribue à Plante une délicatefle d'e(prit toute particulière pour la fine raillerie, Ôc pour les rencontres ingénieures,une adref- finguliere à jeîter fon tel dans toutes les plaifanteries: un air enjoué, & cette urha- .Ktté Romaine pour laquelle notre langue

ne

T. Quintilian. Inftitution. Oratoriar. lib. lo, cap. 1. Itéra eic eo Philip. Briet. Soc. J. lib. i. de Pocr. Êatin. pag. 5. 6.

a. Varro in Panr.enone, item ex co VofT. Infti- tution. roctic. hb. 2. pag. 117.

3. S. Hicron. Epiftol. ad Euftoch. Virgil. Tann. k Fevic Yic 4cs Foct. Gx. Uaas celle d*Ariftophanc.

Item

Poètes Latins. 23

ne nous a point encore donné d'exprès- Haute, iion (f).

Mais les Critiques Modernes ne font paf encore convenus de l'explication que Ton doit donner à la Cenfure qu'Horace a fai- te des Comédies de Plaute. On ne voit pourtant pas bien en quoi conlille Tamb*!- guité ou l'obfcurité de fes termes. Il dit ■aifés nettement & fans beaucoup de façon que les ancêtres de ces Romains polis du tems d'Auguile avoient été affés bons, c'eit à-dire pour ôter Téquivoquc , ailés niais & ailés fots pour elHmer & pour louer les Vers & les bons mots de Plaute. Et craignant que la Foilerité ne prît ce jugement pour un effet de quelque mau- vais goût ou de quelque bizarrerie d'efprit, jl fe vante au même endroit de s'y connoî- tre un peu, de favoir aifés bien faire le dif- ccrnemeni" entre une boufonnerie grolfiere & une véritable délicatelfe, & d'avoir fo- reille aifés fine pour juger du nombre & de la véritable cadence d'un Vers. (6)

Le peu de rapport qui fe trouve entre ce fentiment , & celui de Ciceron, comme de la plupart des autres Anciens , fembje avoir mis la divifion parmi nos connoif- feurs , dont les uns ont pris le parti de

Plau-

Item Tome i des Jujem. desSav.au préjugé des Au» tcuis Ecciciî.ift,

4. Vidend. Tuubnunn. prolc»om. ad Tlaut. cJi- tton. Item Frcd. Gronov. Item Rcfteau Sent, ut Xupr.

5. Cicero lib. i. de OflRciis num. 104. p. îf. m.

6. Horat. de Artc Poctic, ad Pifou. Epift. poft, mcd, [At rtojiri Proavi 6cc,

24 Poètes Latins»

ÇUute, Plautc , & les autres celui d'Horace.

Mr. Gueret a remarqué (i), que ceux qui défendent Plante contre la cenfure d''Horace, difent qu'il exigeoit de lui une Urbanité (\\iQ perfonne n'a jamais connue. Que c'ert \xn je ne fat quoi <\\ioxï ne fau- roit expliquer, une grâce d'imagination <5c de fantailie ; & que depuis tant de (lécles que l'on en parle, elle ne s'eft rencontrée, dit- on, que dans trois ou quatre génies heureux qui peut-être ne la connoilloient pas eux-mêmes. Quand on veut louer un Ouvrage, ajoute cet Auteur, il faut que ce foit par des beautés fenfibles & qui fau- tent aux yeux. L'efprit ne donne fon ad- m'ration que lorfquMl fe fent piqué , & ce fel Attique que les anciens Maîtres répan- doient jufques fur leurs moindres fyllabes , n'eft point cette Urbanité qui s^'échappe & qui palfe fans dire mot : mais c'elt une pointe qui réveille l'imagination , & qui fouvent porte fon atteinte au cœur. Il n'y a point de Gâtons à qui Plante ne plaife. Ses bons mots & fes plaifanteries démon- tent leur gravité, & l'eftime qu'on en fait eft générale qu'on les a traduits en tou- tes fortes de Langues.

Les

». Traité de la Guerre des Auteurs p. 86. & fui- vances.

z. François Biondel, comparaifon de Pindarc & d'Horace pag, 265. 266.

%. Ce n'eft pas à Biondel dans fa comparaifon de Pindare & d'Horace qu*il faloit lenvo/er, mais à Lip- (c Antiq. lc£t. 1. 2. c. r.

}. Jul. CxG Scalig. foëcic. lib. i. Item. Blond, Zoc. QÏl,

f.

Poètes Latins. iS

Les autres Partifans de Plaute n'ont pas fl»«C4 toujours été ii modérés dans la manière dont ils ont reçu la cenfure d'Horace. Lip- fe prétendant avoir railon d'eftimer & d'ad- mirer comme il faifoit les railleries agréa- bles & les rencontres plaifantcs de ce Poète, dit qu'il n'a jamais pu lire fans quelque chagrin les Vers d^un certain homme deVe^ nouje qui en a jugé autrement (2). Scaliger a porté Ton relTenciment un peu plus loin que Lipfe, & après avoir dit qu'il faut être ennemi des Mufes pour n'être point tou- ché de l'agrément & des bons mots de Plaute, il n'a point fait difficulté d'ajouter que lors qu'Horace a porté ce jugement de Plaute, il ivoit perdu le jugement lui-mê- me (3). C'eft ce qui a mis aulfi Turnébe de mauvaife humeur, & qui lui a fait per- dre quelque chofe de fa gravité ordinaire. Car on ne peut pas nier qu'il n'y ait quel- que chofe de bas & de puérile même, dans la méchante plaifanterie qu'il '^ voulu izwfi fur la condition d'Horace,lorfqu'il a dit qu'il aimoit mieux fuivre le fentiment de ces an- ciens Romains de (^a^//>/ qu'Horace mc- prife 11 fort, que de s'arrêter au goût du petit fils d'un Affranchi (4).

Ho-

%. Blondel ayant cite Scaliger fans marquer l'eu- ^roit, ni fi c'eroit Jule eu Jofeph, Bailler au ha- 7ard a cire Jule 1. i. de fa l'octique, il n'eft pss dit un mot de ce jugement d'Hoiace touchant Plau- te. C'eft Jofeph qui , fur la Chronique d'Eufebc n. M. Dxxxiv. s'eft décha-né U-deHus contre Ho- race dans les termes qu'on attribue ici à Turnebc, &c que je crois être uniquement de Jofeph ScaTijcr.

4. Hadr. Turneb. inAdveifur. & ex co Blond, uc fu pr.

TomMLFartJL B

1(5 Poètes Latins.

Ijaut^f Horace de fon c5té n'a point manqué de

Défenfeurs dans ces deux derniers liécles. Le Gyraldi , qui d'ailleurs fait afles connoi- tre fon inclination pour Fiante, dit (i) qu'Horace a fait paroitre tant de folidité de jugement dans tout fon Traité de l'Art Poétique , qu'il n'a garde de s'imaginer qu'il faille faire une exception pour l'en- droit où il parle mal de Plante; & que on vouloit examiner fes Comédies avec un peu d'éxaditude, on y trouveroît bien des badineries,des fubtilités froides & pué- riles , & des boufonncries qui ne font fup- portables qu'au Théâtre.

Heiniîus étoit bien éloigné de croire, comme faifoit Petrus Vidorius, qu'on a- voit déjà perdu à Rome !e goût des bon- nes chofes du tems d'Horace, & qu'on n'y Gonnoiffoit prefque plus cette beauté natu- relle de la Langue, & cet enjoûment qui ctoit particulier à Plante. 11 foûtient au contraire que lès valets même d'Horace ctoient plus capables de juger de Plante que plufieurs qui femblent être aujourd'hui dans les premières dignités de la Republique des Lettres : & qu'on peut affurer par- que rien n'étoit à l'épreuve d'un cfprit aulîî fin & aufli délié qu'étoit celui d'Horace, dans un liécle aulTi éclairé & auiïi heureux qu'étoit celui d'Augufte.

Mr. Blonde), qui aexaminé ce point plus particulièrement que les autres Critiques, fait voir qu'il y a de l'excès dans la feveri-

te

T. Lil. Greg. Gyrald. Dialog. S. de Hift, PoctJtt, ^3g. 887. tom^ 2. ia-J,

Poètes Latihs. i^ dont Scaliger, Lipre,Turnébe & les au- Hai^tQi très ont ufé à l'égard d'Horace au fujet de Plaute. Il ne fauroit fouffrir qu'on l'ac- cufe de jaloufie envers le Comique, com" me fait Parrhafius (2), ni qu'on le foup- ^onne d'avoir eu du chagrin & une efpécc d'antipathie contre lui, comme l'a préten- du Famianus Strada (3), qui donnoit à Plaute une humeur enjouée & tournée à la çlaifanterie, & à Horace une humeur co- lère, fombre & mclancholique , & qui ef- fedivement paroît afles éloigné du caraéle- re de fcs Satires, & plus encore de fes Odes.

C'eft donc au goût du fiécle d'Augufle que iVIr. Blondel veut qu'on attribue le jugement qu'Horace a tait de Plaute, par- ce, dit-iJ, que ce iiécle étoit ennemi des mauvaifes boufonneries, félon l'aveu mê- me de Strada. Comme Horace n'a parlé le plus fouvent que fulvant les fentimens étoient les honnêtes gens de fon temsà l'égard des Auteurs, on ne doit pas s'ima- giner que ce qu'il a dit de Plaute foitdiîîe- rent de ce qu'en penfoient alors les perfon- nes de bon goût, lefquelles étant accou- tumées aux délicatefles & aux cadences a- gréab'es des Poètes Grecs dont les Ro- mains faifoient alors leurs délices ne troa- voient peut-être plus dans les manières de Plaute ni dans les mefures fi peu régulières de fes Vers ces agrémens & ces douceurs que leurs Ancêtres y fentoient, parce qu'on

n^a-

î. f . Prol^gom. in AmphitiuonCJU FUutJ. 3. % rrolui; 1. I. Pixled. 2,

B i

iS Poètes Latins. Jlmtt n'avoit point encore vu rien de meilleur. Enfin il n'eft pas étrange que fous un Mo- narque on ne prît plus tant de plailir aux contes impertinens ^ aux pointes recher- chées & aux boufonneries infipides , qui charment d'ordinaire la Populace dans un Etat Démocratique , & qui d'ailleurs a- voient la grâce de la nouveauté dutems de Plante (i).

Les liécles fuîvans étant déchus de ce point de délicatefTe, femblent avoir repris le goût que les Anciens avoient pour Plau- te avant qu'on eût eu la communication des Poètes Grecs. C'eft ce qui paroît non feulement par ce que nous avons déjà rap- porté de S. Jérôme, mais encore par l'es- time particulière que Macrobe & divers au- tres Auteurs témoignent (2) avoir eu pour fes Comédies.

Depuis larenaîfTancedes Lettrcs,les Criti- ques voulant éviter les deux extrémités ils avoient vu les Anciens au fujet dePlau- tc, ont jugé que comme il y avoît quel- que chofe à louer, il fe trouvoit auffi quel- que chofe à reprendre dans cet Auteur. Les principaux d'entre ceux qui en ontufc de la forte , font , ce me femble , Jules Scaliger, Gérard J. Voffius, l'Abbé d'Au- bignac, & le P. Rapîn, dont je rapporte- rai ici les jugemens.

Jules Scaliger dit (3) que Plante , malgré

les

I. Tt. Blondel 5 Comparaifon de PindarcSc d'Hora- ce pag. 272. & fui vantes. z. Macrob. Saturnal, 1, 2. c. i. & ex co Gyiald. «t

fupr.

Poètes Latins. 29

les douceurs & les agrcmens quî paroîfTent riautç, naturels en lui, n'a point laiiïe d'employer toute Paigreur de la vieille Comédie des Grecs. 11 témoi^',ne ailleurs que lui & Terencc ont été les principaux, & prefquc les uniques parmi les Romains oui ayenc réufTi fur le Théâtre : mais qu'on eft tou- jours fort partagé fur la préférence que l'on doit donner à l'un fur l'autre, & que les Partifàns de l'un & de l'autre, ont chacun leurs railbns qui ne font nullement à mé- prifer.

On peut dire néanmoins que bien qu'ils ayent eu tous deux l'intention de plaire à leurs Auditeurs, Plante a mieux réuffi que Terence à divertir le Peuple , parce qu'il ell beaucoup plus plaifant & plus facétieux. C'eft ce qui a porté Volcatius Sedigitus à donner îe fécond rang des Comiques La* tins à Plaute, au lieu qu'il n'a accordé que le fixîéme à Terence.

Ce Critique (4) ajoute que Phute a eu cet avantage fur Terence dans l'efprit de ceux à qui la Langue Latine étoit naturel- le. Mais que depuis qu\m a été obligé d'étudier cette Langue comme étant deve- nue étrangère, on a jugé la pureté de Te- rence préférable a toutes les pointes & à toutes les plaifanteries de Plaute. Autant que les Anciens eftimoient Plaute, à caufe du plaifir & du divertiifement qu'il leur

doii-

fupr. pag. tij.

3. Jul. C. Scalig. lib. i. foëtic. qui cft hiftoiic,. c. 7.

4- H- Julc Scaligei 1, 6. Poët. c. 2.

B3

PoiTES Latins» îlaiitc. donnoit: autant Terence a-t-il été recher- ché parmi les Modernes , à caufe de fapo literfe. De forte que Plaute doit fa répu- tation à la bonne fortune de ces Anciens, & Terence doit la fienne à notre mifere.

Plaute doit être admiré comme un véri- table Comédien, & Terence doit être con* fideré feulement comme un homme qui favoit bien parler : quoiqu'on ne puiffe pas. dire que Plaute parlât mal , & qu'on n'ait, ce femble , rien autre chofe à lui reprocher que fes vieux mots.

Plaute a travaillé pour ceux de fon tems, & il a réulîi , parce qu'il a proportionné toutes chofes à leur portée & à leur goût.. Terence, pour n'avoir jamais voulu s'écar- ter de cette pureté qu'il a tant affeâée par tout, a quitté fouventjdit lemêmeScaliger, cette douceur & cette naïveté qui paroît être inféparable du caradere Comique. Ainft on peut dire que Plaute afaitfervir les mots aux chofes, au lieu que Terence femble a- voir voulu aflujettir les chofes aux mots ,. ce qui fans doute eft beaucoup moins na- turel.

Voffius eftime (i) que Plaute à furpaffé Terence par la variété de fes matières & de fes exprefîions Mais il eft de l'avis de ceux qui trouvent plulîeurs de fes bons mots plats, fades, & fes jeux d'efprit fou- vent afiés froids , languiflTans, quelquefois

ri-

T. Gérard. Jo. Voff Inftitution.Pocticar. lib.z.pag. Ii8. & rctro pag. 125-

3,» C€£*id. Jo. V«fir. Inftitution. Pocticat, lib. î.

Poètes Latins. 31

ridicules & malhonnêtes ; & qui le jugent riautei moins louable que Terence, en ce qu'il pa- roît s'être donné tout entier à la fatisfac- tion <5c au divertillement de la populace fans diftinèlion ; au lieu que Terence s'eft refervé pour un petit nombre d'efpritschoi- fis & de Gens de bien, dont il a recher- ché l'approbation.

Ce même Critique dît encore ailleurs que Pîaute e(i moins prudent & moins exadt que Terence; parce que celui-là in- troduit plus de quatre Entreparleurs à la fois fur le Théâtre, ce qui n'arrive point à Terence. En un mot Phmte a fait fclon lui un très-grand nombre de fautes en tou- tes rencontres, mais particulièrement lorf- qu'il s'agit de reprefentcr les cara6leres de fes Perfonnages, & les mouvemens divers des paflions (1).

Mr. d'x\ubignac témoigne auiîî (3) que Plaute, qui étoît plus près de la moyenne Comédie que Terence, n'a pas été û régu* lier que lui , lorfqu'il s'agilfoit de féparer la reprefentation del'Aélion, c'ell-à-dîre, de faîrp «-n forte que ni les tems , ni les lieux, ni les perfonnes préfentes nVnf7ent point de rapport avec ce qu'il reprefcntoit. Il s'efl abandonné tant de fois, dit-il ,au des- ordre que produit cette contufion, que la ledure en devient importune, qu'elle em- baraife fouvent le fcns, & détruit les grâ- ces

pag. 22. 5c pag. T2Î. fie.

î. Hedclin d'Aubignac de la Pratique du Theâtrti lir. I, chap. 7. pag. 57.

B 4

gi Poètes Latins. riÂtttc. ces de Ton Théâtre. Le même Cenfeur a remarque en d'autres endroits que d'un li grand nombre de Comédies qui nous font refiées de Plante , il y en a très-peu qui foient achevées (i). Outre cela il prétend qu'il fe trouve beaucoup de défordre dans la fuite de fes Pièces; qu'il y a des Scènes perdues, & d'autres qui font ajoutées; qu'il y a des A6les confondus les uns avec les autres : Mais que celles de Tercnce font beaucoup mieux réglées , & qu'elles peuvent fervir de modèle encore aujourd'hui , ce qu'on ne peut pas dire de celles de Plau» le (2).

Le P.Rapin paroît être du fentîmentdes autres Critiques , touchant le défaut de ré- gularité qu'ils ont remarquée dans Plante; mais il ajoute que quoique cette régularité ne foir pas tout-à -fait fi grande dans l'or- donnance de fes Pièces, & dans la diftri- bution de fes A6tes que dans Térence , il ne lailTe pas d'ailleurs d'être plus fimple dans fes fujets , parce que les Fables de Terence font ordinairement compofées. Ce Père reconnoît que Plaute eft ingé- nieux dans fes deifeins, hcuieux dans fes imaginations , fertile dans l'invention. Mais il avoué auffi qu'il a de méchantes plaifantcries; que f.s bons mots qui fai- foient rire le Peuple, faifoient quelquefois

pitié

7. Le même Auteur livre 2. du même Ouvrage

chap. si.pag. i8 3- 284.

2. D'Aubigniic au même Traité livre j. chap. 4. pag. 28». 2«4.

3. René Rapin,P.efî''xions particulières fuilaloë- tique, lecoûde partie, Reftex. zô.

Poètes Latins. 33

pitic aux honnêtes gens; que s'il en dit des piaute. meilleurs du inonde, comme on ne le peut pas nier, il en dit aulTi quelquefois de tort méchans. Enfin il prétend que les dénou- mens de Terence font plus naturels que ceux de Piaute , comme ceux de Flaute font plus naturels que ceux d'Arillopha- ne (^).

Un Auteur Anonyme croit (4), que Plante n*d\ pas de ces Poètes qu'on peut imiter indifféremment en toute rencontre, parce qu'il s'cft donné des licences que l'on ne pourroit point fouftrir aujourd'hui ailleurs que dans la bouche des Comé- diens & des bouffons: au lieu qu'il n'y a prefque rien dans Terence qu'on ne puifTe fort bien employer même dans les fujetsks plus graves & les plus férieux.

Enfin ceux qui feront curieux de con- noître une partie des f.utes particulières que les Critiques ont remarquées dans di- verles Comédies de Piaute, pourront con- fulter Jules Scalfger qui en a ramaffé quel- ques-unes dans fon Hypercriiique, (S: dans le premier & troîfiéme Livre de fa Poéti- que (f). Nous nous contenterons de dire que ce Critique jugcoir l'iauie peu julle ôc peu heureux dans l'infcripti n de la plu- part d fes Comédies; que le Rude}7s ^ par exemple j dévoie être appelle plutôt la

Tem*

[ 4. Bibliograph. Hifloric. curiof. Ph'lolog. pag. ftf. j. ^. Jnl. Scalig 1. i. c 7.1. 3.C. ulr. 1. 6. c z. &. 3. V. & 01. Boitich. Diflcrt. de Poët. Lat. num. s.

tt Georg. Matih, Konigius in Biblioih. Ver. &l KaVt

54 Poètes Latins. fiante. l'embête \ que le "ïrinummus ^ dont il n'eft parlé qu'une feule fois dans celle qui por- te ce nom, devoir avoir celui de Trefor'f que le Truculentes devoit porter plus juge- ment le titre de Ruftique , &c.

Mais je ne doute prefque pas que Made- rrjoifelle le Fevre n*ait bien reformé des chofes dans les jugemens que la plupart des Critiques ont porté de Plaute:&com» me je n*ai point encore eu la fatisfadion de voir ce qu'elle a pu dire fur ce fujet >* dans fa dode Préface fur les trois Comé- dies de ce Poète qu^elle a traduites en no- tre Langue, je me trouve ob'igé d'y ren- voyer le Leéleur. J'ai feulement ouï dire qu'elle prétend que Plaute a mieux enten- du les règles du Théâtre que Terence: & }e me fuis imaginé dès-lors q^e la peine qu'elle a prife pourroit bien être l'effet de quelque compaffion qu'elle auroit eu pour je petit nombre, & de quelque defir qu'el- le auroit eu de fortifier le parti le plus foi- ble pour faire plus d'honneur à fon Au- teur, & donner plus de poids à fon travail. Entre Tes diverfes éditions qu'on a faites de Plaute , celles de.Douza & de Gruter ont paru aiïes bonnes, mais on leur a pré- féré dans la fuite celle de Pareus, celle de

Taub*

I. ^.U faloit dire le Per^a p^r rapport au parafitc Saf u- lion introduit comme Perlan dans cette Pièce. Ceux ^ui ont cru qu^Perfa fe devoit entendre de la fiile de Sa- tnrion , que ce parafite ne fait pas difficulté de vcn«lf e, pour avoir dequoi manger, n*ont pas fait réflexion que Jerfa , comme en Franc o:s Perf'an , eft un uom touiours marculia,Sc queixFlauteavoit euen vuclafille deSa- tLQtioii^pouxeu faùc ic titie de fa ComcdiC; ce n*eli

PotTES h A T l H S. gr

Taubman , & celle de Gronovius , fans piaut^ parler de celle de Mr. de Lœuvre pour le texte.

Les titres des vingt Comédies qui nous reflcnt font , V Amphitryon , V À/maria , VAulularia ^ les Captifs^ le CurculiOy la Cafina^ \^ Cijîellaria^ VEpidscus ^\ts Bac^ chides ^ \^ Mojlellaria ^ les Mena:chmes ^ le Soldat glorieux ^ le Marchand^ le Pjeudo- lus , le Pœnulus ^ La Perfa (i)^ le i^«- <^tf»/, le Stichus^ le T'r'tnummHS ^ài IcTrti' culenti^s.

* Plauti Comœd'tte XX. 3^^?// Douz<s filii (um aaimadverfionibus ^ m- 12. Francof. .1610. Phil'tpp. Parcel in-^. Fraxcuf. 1610. in- 4. Neapoli 1619, hamhtyii in- fol. P<2- r//^ ifyy. 'Taabmannt {Fr'td.) in-4.//^;V- tebergce i6l^ >^^ »//;rw Delphini 'Jaco'- ho Operario in- 4. Parif. 1679. Lexico» Plautifjum editum in- 8. HaKovia 1634»

F.

pas P>r/4, mais P^f/j, qu'il l'auroît inritulée. L'i- gnorance a cependant fait prendre Perfa pour un fé- minin, lufque-là que dans les éditions vulgaires de Cicéron «u livre 1. de la Divination, Perla petit cliicn de laiillc de Paul Ernile étant mort, on en a> fait une chienne, 8c lu viartna ca'ella,-â\i lieu de r:$r- tttti catellus, Rabtlais chap 37. du livre 4. aruivices- éditions, *c dit Ferfa eft morte, au lieu de Ptrfa eilj aoit; ce qui a induit en erreur Toa C9maicaut«u%

3^ Poètes Latine. P. T E R E N C E (I) ,

Africain de Carthage , Poète Comique , florilFant particulièrement entre la fé- conde & la troiliéme Guerre Punique, mort en Arcadie Tan de la V-ille 5-95- ea rOiympîade 15- 5-. dix ans avant le com- mencement de la dernière Guerre Puni- que; ou félon d'autres l'an 599. de la fondation de Rome en la 15-6. Olympia- de dans l'Achaïe.

Tcrence; 113^, T E foin particulier que la poflerî- JL> a toujours eu de conferver tout ce que Terence a pu lui confier, efl une preuve inconteliable de Teflime qu'elle a toujours faite de tout ce qui pouvoir venir de lui ; & il y a peu d'Auteurs parmi les Anciens, dont elle ait plus heu- reafement pris la défenfe contre l'injure & la négligence des tems. Car on ne peut poîni dire que c'eft par fa faute, que nous foinmes privés d'un grand nombre des Ou- vrages de Terence, s'il elt vrai qu'ils foient tombés des mains mêmes de leur Auteur, qui a eu, dit-on, le dép'ailir d'en V')ir le naufrage , & de fur vivre à leur perie.

C'eft peut être cette difgrace qui a ren- chéri les fix Comédies qui ont échappé de

ce

! y. Tanaquill. Faber, 2. Ep'ft. crit. xi. & alii Critic, 2. % M. Claiid.us Marcellus. 9. Ofl a pris mal-à-piopos Cscilius poui Acilius.

4. Ce-

Poètes Latins. 37

ce naufrage , & qui a intereiré tant de fié- HtttniK des à leur confcrvation.

Mais ceux qui prennent pour une fic- tion tout ce qu'on a dit de la multitude des compolitions de Terence, jugent avec plus de rai Ton, ce me femble,que ce petit nom- bre de Comédies auquel ce Poète leur femble s'être borné, tire fon prix du mé- rite particulier de ces i iéces plutôt que du malheur de celles que les autres Critiques fuppofent être perdues.

La première de ces Comédies, qui eft V indrienne ^ fut rcprefentce Fan de la Vil- le fSy. Ibus le Confulat de C. Sulpicius Gallus, & de M. Claudius (2), 166. ans devant notre Epoque, après avoir été lue, approuvée & admirée par M. Acilius (3) Glabrio l'un des Ediles, à qui Terence a- voit eu ordre de la faire voir pour être exa- minée (4).

L'/ic^'rtf, qui étoît la féconde dans Tor- dre de la compoliiion , fut jouée Tan de la Ville 5-88. tous le Confulat de T. Man- lius Torquatus, & de Cn. Odavius Ne- pos.

\S Heautontimorumene le fut l'an ^'ÇO.fous le Confulat de T. Sempronius Gracchus & de M. Juvcntius Thalla (5:). ]JEu>2uque^ le i'horm'ton l'an 592. fous le Confulat de M. Valerius Meflalla , & de C. Fannius Strabo. Celle des Adelphes fut reprcfentée

l'an

4. Gérard Joan. Voff lib. de ?oct. Lat. pag. lo; Vid. ôc Prolog. Comoediar. Terentit pafiïm.

5 f Glan4oipius lit Taiva. La meilleuie UçQt

gS P O E T E s L A T I K Sr

Tcïcflcc. Tan de la Ville 5-93. fous leConfulat deL* Anicius Gallus & de M. Ci)rnelius Cethe- gus, l'année que fe firent la féconde & la troilîcme reprefentation de l'Hccyre.

Il taut avouer que ce récit pourroit pas- fer pour une efpece de digrelîiôn de mon fujet;mais outre quej^ai reçu de mes Lec- teurs ia difpenfe de l'obligation je me fuis engagé de ne point toucher aux faits qui regardent les Ouvrages , c'eft que les Cenfeurs équitables eftiment même ces fortes de récits indifpenfablcs , lorfqu'ils fervent à donnerdu jour aux jugemensque l'on a portés des Ouvrages qui en font le fujet.

Terence a pris TAndrienne, THeauton- timorumene, rEunuque& ks Adelphesde Menandre, qu'il n'a prefque fait que met- tre du Grec en Latin , & )t5 deux autres viennent de cet Apollodore dont nous a- vons parlé parmi les Poètes Grecs. On ne peut pas nier aufîî qu'il n'ait été fecou- ru dans fon travail par quelques perfonnes ëe la première qualité dans Rome. Ces perfonnes étoient C. Lgelius furnommé le Sage, & le jeune Scipion, lequel , quoique beaucoup moins ât;é que Terence, ne lais- point de faire avec lui une liaifon li for- te pour le commerce d'études & de Let- tres qu'ils entretenoient enfemble, qu'cwi a crû qu'il étoit lui-même l'Auteur de ces-

Co

ï. Autor Vit. Tcrent. nonDonat. fcd Suet. inpro» Jog. omn. édition. i, Kckt. Hiit. de l'Acad, Fianf. pai Mx. Feli/r,

Poètes Latins. 39

Comédies , & qu'il n'avoit emprunté le Tcicncflî. nom de Terence que pour ne point des- cendre de Iba rang (i): comme a fait du tems de nos Pères le Cardinal de Riche- lieu, qui promettoit obligeamment de prê- ter fa bourfe à ceux qui vouloient lui prê- ter leur nom , pour publier les Pièces de Théâtre qu'il avoit compofées (2).

L'envie qui fait ufage de tout pour tâ- cher de décrier le mérite, ne manqua point d'employer ce prétexte pour faire mettre Terence au nombre des Plagiaires. ]VIais> ce Poète ayant fait juftice non-feulement à Menandre & à Apollodore, mais encore à Lselius & à Scipion^ pourvût fort bien à fa propre réputation par ce moyen, & il fe fit même un honneur de ce que iès en- vieux prétendoient faire tourner à fa con- fulion (3).

Les Critiques ont examiné particulière- ment trois chofes dans les Comédies de Terence: i. l'ordonnance & la forme de fes Fables : 2. les mœurs du Poète & cel- ks de fes Perfonnages , ou pour mieux dire la morale du Poète & les caradéres de^ Perfonnages : 3. le flyle & le difcours. Comme ils y ont remarqué une infinité de chofes très- louables & très-propres pour- nôtre inllrudion , ils ont crû y trouyer auifi quelques défauts dont ils ont bien; voulu nous donner avis. Et quoique quel- ques»

page iio. jufqu'i 117. de l'édition in-iz. 1672.

i. Tcrcnt, Prolog, Adclplior. Comœd. Item Ci* ceio lib. 7. Et)ill. ad Attic. Item Lil. Grcg. Gyiald^ UiH* ÏQ'ii, PUI, Yiii, pag. syo. tom. 2, iurt^

40 Poètes Latiks. T<tciKs. ques-uns d'entre eux, tant parmi les An- ciens que parmi les Modernes, fe foient vifiblement trompés dans les jugemens qu'ils ont prétendu taire au défavantage de ce Poète , on n'en peut pas raifonnable- ment tirer une conféquence générale con- tre tous ceux qui ont pris la liberté de trou- ver quelque chofeà redire dans fes Comé- dies , comme a fait Jules Scaliger (i ) , qui a foutenu que tout ce que les bavans re- prennent dans Terence, ne peut leur pro- duire autre chofe que du blâme, & qu'ils ne peuvent être que de mauvais Juges. Car Scaliger fe feroit condamné lui-même , comme nous le verrons dans la fuite.

$.1.

Les Anciens ont dit peu de chofès de l'ordonnance à. de la conduite de fes Fa- bles. Ils lui ont reproché, félon le P. Rapin (2.) , que fes Fables n'étoient pas fimples comme celles de la plupart de au- tres Comiques, mais qu'elles étoient com- pofécN & doubles. C'eft-à-dîre qu'ils l'ont accufé de faire uneCoinédie Latine de deux Grecques , comme s'il eût voulu fe ren- forcer par cet exptdîent & animer davanta- ge fon Théâtre. Un autre Critique a pré- tendu au contraire (3) , qu'on ne

re-

1. Jul. CxC. Scalig, lib. 6. Toctices c. 3. pflg.768.

2. Ren Rapin, Rcfit'xions Particul. fur la ioëti- que, féconde partie Refl. z 5.

3 François VavHfleur A non. Rcmarquci ftix lc$ R^eflex touchant la Poet pag. 124. 4. Teicm, Iioiog. ùi Audit Coiuoed,

Poètes Latins. 41

reprochoît pas à Terence que fcs Corné- Teitncc; dies étoient compofées de deux principales affaires, mais qu'il prenoic une partie d'un endroit des Grecs , & une partie de l'autre. Il feinble que Tune & l'autre de ces deux opinions peut fe défendre par l'autorité même de Terence (4) ; que l'une ne détruit pas l'autre, & que pouvant fubiifter toutes deux enfemble, elles font toujours con- noîire que l'œconomie de fes Compofitions n'étoit pas généralement approuvée.

C'eft peut-être ce défaut d'invention qui Ta fait appel 1er par Cefar un Demi- Menant àre^ ou comme l'explique le P. Rapin , un Diminutifde ce Poète Grec (5-); parceque bien qu'il eût pris fes dépouilles, il n'avoit néanmoins pas pu prendre entièrement fon caradcre & fon génie, & qu'on ne lui trouvoit ni force ni vigueur , quoiqu'il eût beaucoup de douceur & dedélicatefTe. Mais au refte, ajoute ce même x\uteur , Teren- ce a écrit d'une manière ii nûturcllc & fi judicieufe, que de copilte qu'il étoit, il eft devenu original. Car jamais Auteur n'a tu un goût plus pur de la nature.

Un ancien Ecrivain que Mr. d'Aubi- gnac a pris pour le Grammairien Donat (6) , femble avoir aufli trouvé à rédire à l'ordonnance des Fables de Terence. Il l'accufe d'avoir ailes mal gardé les bien-

féan-

j. Sueton. in Vita Terentii prifix. édition. Ter. ubi referuntur vejfus aliquot fuperftit. C. Cxfaris, Item Thomafl". & Rap.

6. Suet. in Vit. Ter. Item Hcdclia d'Aubignac de la Piatiquc du Theâtic liv. z. chap. lo. pag. X8j.

42 Poètes Latine. Tacace. féances, d'avoir fait des palTions trop lon- gues & trop ardentes pour le genre Comi- que qu'il reprefente , & d'avoir employé fouvent des eipreffions trop nobles & trop relevées, prétendant que c'étoit fortir des limites dans lefquelles les règles defon Art l'obligeoient de fe renfermer.

II s'eft trouvé auffi quelques modernes qui n'ont pas jugé que le fonds & Tordre de Tes Fables fût irreprehenfiblc (i), & qui ont publié qu'il n'étoit point heureux dans l'invention de fon fujet. Mais cette cen- fure ne paroît pas fort neceflaire, quand on çon/idere que Terence n'a point voulu é- prouver fes forces fur ce point, & qu'il a bien voulu attribuer la gloire de l'invention du fonds de fes Comédies aux Grecs ; ce qui lui eli commun avec plufieurs autres Poètes Latins. Quoiqu'il en foit, on coa- vient aiïes que Terence eft judicieux dans fes Epkafes^ & naturel dans fes Catafiro" phes (2). Cela veut dire qu'il conduit fort bien l'embarras , les difficultés & les dan- gers qui font le fort de la Pièce, h qu'il les fait arriver naturellement à leur fin, c'eil-à dire au dénoument de l'intrigue.

Et pour faire voir qu'il avoir le génie véritablement Comique , & qu'il favoit par- faitement les règles de l'Art , Mr. d'Au- bignac (3) dit, que c'eft lui qui nous a donné des modèles de la nouvelle Comé- die, où l'on a féparer l'Adion Théâ- trale

1. Claudîus Verdeiius in CenCon. omn. Audior.

2. Renc Rapin,R.eâ. féconde partie comme ci- dciTuj,

Poètes Latins. 43

traie d'avec la Reprefentation. Cela con- Teicncr; iillofc à prendre un fujet auquel ni l'Etat ni les Spedateurs n'avoient aucune part ; à ChoKir des avantures que l'on fuppolbit être arrivées dans des pays fort éloignés, avec kfquels la Ville fe faifoit la Re- prefentation n'avoit rien de commun ; & à prendre un tems auquel les Speâateurs n'avoient pu être. Àulfi ne verra-t-on pas, ajoute ce Critique, que Terence fe foit emporté à. ce dérèglement , ni qu'il ait mêlé la Reprefentation aux Adions qu'il imitoit dans fes Poèmes: ou s'il l'a fait, c'eft fi rarement & fi légèrement, qu'il n'en eft pas fort blâmable. Enfin cet Au- teur paroît avoir été fi perfuadé de la capa» cité de Terence & de fa régularité en tou- tes chofes, qu'il a entrepris fa défenfecon* tre divers Critiques îndifcrets qui avoient prétendu lui trouver des fautes par un ef- fet de leur propre ignorance ou par une pure envie de critiquer. Ce Traité a pour titre Terence jujîifie\ à. je ne doute pas que je n'en eufiTe reçu beaucoup de fecourspour Bion fujet, 'C\ l'avois pu parvenir à le trou- ver pour en faire la ledure.

Ç. 2.

Pour ce qui efi de la morale de Teren- ce, on peut dire qu'elle ne pouvoit pref- que point ctre plus réglée ni plus pure

hors

î. Hcdel. d'Aubign. Putiq. du Thcâtic lific <hap. 7. &c^

44 Poètes Latins. Tcrence. hors du Chrillianifme , qu'elle le paroît dans fes Comcdies. Auffi s'étoit-il appli- qué à la tirer de la doctrine des Philofo- phes, comme Ciceron Ta remarqué (i), lorfqu'il a écrit que Terence avoit em- prunté beaucoup de chofes de la Philofo- phie.

Grotîus témoigne (2), que s'il cft utile aux jeunes gens à caufe de la pureté de Ion ftyle & de fes autres agrémens, il n'eft pas moins propre pour Tinfiruâion des hom- mes, de quelque âge & de quelque état qu'ils puiiïent être, parce qu'ils y voyent comme dans un miroir fidèle une belle i- mage de la vie & des mœurs de leurs fem- blables.

Volïïus femble dire que cette fage con- duite qu'il a obfervée dans toute fa morale eft l'elfet de la folidité de fon jugement (3); que ne s'étant point étudié à fuivre les inclinations de la Populace, qui ten- dent pour l'ordinaire à la corruption & au d-éréglement , il ne s'eft attaché qu'à ins- truire les honnêtes gens d'une manière qui leur plût ; & qu'il a eu au delfus des autres Poètes Comiques l'avantage & la gloire de corriger des courtifancs , & de

les

ï. Cicero TufcaUn. quxftion. lib. î & apudTfeo- mafl. lib. i. c 15. n. 12.

2. Hug Grotius Epiftol. ad Benjam. Maurciium pag. IÎ4. poftNaudzum.

fl Le ciuffrc renvoie à une Lettre d'Hugo Grotîus datée de Roterdam 1615. à Benjamin du Maurier Ambafladeui de France en Hollande, pig. 134. pojl Naud^um, ce qui veut dire que cette Lettre le trou- ve imprimée à la luite de la I>ibliogiaphie politique

de

Poètes Latins. 45*

les porter à un genre de vie plus fage & Tcrence^:* plus réglé.

Mr. de Saci paroît avoir eu auflî les mê- mes fentimens (4) , lorfqu'il a die que Te- rence a tracé dans les Comédies un ta- bleau excellent de la vie humaine; & que fans ufer d'aucun artifice, ni atfecler au- cune adrefle, il a peint les hommes par les hommes mêmes , en les faifant paroître fur fon Théâtre, tels qu'ils paroiffent tous les jours dans leurs maifons & dans le commerce de la vie civile.

Le P. Thomaffin ellime (5-) , que les Anciens conlîderoientTerence comme un autre Menandre, particulièrement pour ce caradere moral qui l'a diflingué des autres. Car on convient que Menandre ell celui d'entre tous les Comiques , & peut-être même entre tous les Poètes Grecs qui a fliit plus de leçons de morale dans fes Poe- fies. Le même Père a cru que pour nous perfuader que Terence n'a rien écrit qui ne doive être conforme aux règles de l'hon- nêteté & de la fageflè, il fuffit de conlide- rer que Scipion y a eu part: & que c'efl relever bien hautement le mérite des Co- médies de Tércnce , de dire qu'il y a des

traits

de Gabriel Naudé. C'eft U cinquante quatrième des Lettres de Grotius in fol. Amfterdam 1687.

3. Ger. Jo. Voflius Inftitution. Poëticar. iib. z, pag. 114- Î25-

Item ibidem pag. 12T. nj. & paq. 128.

4. Préface de la Trad.Frauç. des Comed.de l'Andr, d«s Adelpli. 8c de Phormion.

5. Louis ThomalTin , de la manière d'étudier 5c d'enfeigner Cluéticnnemenc les Poètes Ilv. i, tomi I. ch-ip. 15. nomb î2. p. Z03.

46 Poètes Latins.

Yewû^e/ traits non-feulement du plus grand hom- me qu'eût alors, & qu'ait peut-être jamais eu l'Empire Romain (i), mais d'un des plus fages & des plus grands amateurs de la fageiTe & des Sciences qui ayent jamais cté parmi les Païens.

Mais quoique Tcrence ait pafle de tout tems pour un des plus honnêtes & des plus retenus d'entre tous les Poètes profa- nes, il ne laifle pas de fe trouver dans no- tre Religion des Critiques dont la délica- telTe eft li chafte, & dont le goût eft fi in- corruptible, qu'ils ne peuvent fouifrir que ce Poëte ait mêlé dans fes Comédies des chofes, qui bien qu'exprimées en des ter- mes honnêtes , excitent néanmoins des images dangereufes dans ceux qui les H- fent, & blcffent d'autant plus la pureté, qu'elles le font d'une manière plus imper- ceptible & plus cachée (2). Si l'on con- damne Terence pour ces libertés, je ne vois pas quel eft le Comique qu'on pourra renvoyer abfous , même parmi ceux de notre Religion.

Terence n'a point acquis moins de gloi- re par les mœurs qu'il a données à fes pcr- fonnages que par fa propre morale. Var- ron difoit (3) , que c'eft principalement pour l'art de repreienter les mœurs qu'il a remporté le prix fur les autres, comme Caecilius pour l'invention des fujets , &

Plau-

' T. Cîceron dit: Tnfttr clegAnttam ftrmonisx & ne Jiarle que de Laelius.

z. Préf. d'If, le Maiftre de Saci, comme ci-deflus.

3. Vaiio in Ptimeaonc ^ Nonius Marcel, iavocc

Poètes Latins. 4^

Plante pour la beauté des diTcours. Tcrence,

En effet , fi nous en croyons un ancien Grammairien (4), perfonne n'a jamais été plus éxad que Terence dans l'obfervation de tout ce qui concerne les perfonnages defes Comédies, tant pour leur âge, leur condition , & le rang qu'il leur a une fois donné , que pour leurs devoirs & les fondions qui y font attachées. Il ajoute que ce Pocte eft le feul qui ait ofé intro- duire fur le Théâtre d'honnêtes courtifa- nes, quoique l'honnêteté ne foTt pas ordi- nairement le caradere que l'on donne à ces fortes de perfonnes. Mais avec tout le ferieux qu'il a employé dans le genre Co- mique, on ne peut pas dire qu'il ait jamais donné aucun air Tragique ou trop élevé à fes perfonnages, comme il ne les a jamais fait defcendre dans le caradlere bouffon. C'eft un tempérament auquel le même Auteur dit, que ni Plaute, ni Afranius, ni Accius n'ont jamais pu parvenir.

Enfin le P. Kapin écrit que (5) c'eft dans l'expreffion des mœurs que Terence a triomphé par defTus les Poètes de fon tems, parce que fe« perfonnages ne for- tent jamais de leur caraélére, & qu'il ob- ferve les bien-féances avec une rigueur en- tière.

$•3-

4. Eranthius feu quis alius deTragœd. &ComoecU ia Prolcgomen. ad Tcxeat. édition, per Nicol. Ca- vnus.

j, R.. Rapin Réflexion 25. fur la Poétique prcmic- xe paitic pag. 59, de l'edit. i»-ii,

.Tôrencc,

4S Poètes Latins. §.3.

Mais on peut dire que rien n'a tant don- né matière de difcourir aux bons & aux méchans Critiques que le ftyle & la dic- tion de Terence. On ne peut point nier qu'il n'ait toujours été confideré comme un homme incomparable , & comme le premier d'entre les Auteurs Latins pour ce qui regarde la pureté du ityle, la grâce & la naïveté du difcours. (i)

Suétone, qui a écrit fa Vie (2), nous a confervc divers témoignages des plus an- ciens Auteurs qui ne nous permettent pas d'en douter. Afranius , qui a vécu fort peu de tems après Terence , dit nettement qu'il n'y avoit perfonne qu'on pût mettre en parallèle avec lui (3). Céfar témoigne auffi qu'il avoit juftement mérité les pre- miers rangs pour la pureté de fon difcours, & qu'il fe feroit rendu égal aux plus par- faits d'entre les Grecs , s'il eût eu un peu plus de cette force que demande le genre Comique (4).

Ciceron le loue extraordinairement en plufieurs endroits de fes Ouvrages , & de ceux même qui fe font perdus, & dont on

nous

1. De Saci , Préf. de fa Trad. Franc.

2. Sueton. in Vit. Tcrcnt. inter Suetonii Opéra Se in edit. Ter.

3. Afranius in conipitalib. in fragra. in Vit. pcr Suet.

Item apud Gregor. Gyral. & alios.

4. C. Csfaris vcrf. à Suctonio citati in Vit. Tc- fCnt,

S- Ci'.

Poètes Latins. 49

îious a coiifervd quelques fragmens (5). Tcrcnce* Il lui- attribue une douceur merveilleufe. 11 le conlidere comme la règle de la pureté de fa Langue. Il alîbre que toute la poli- telTe Romaine eil renfermée en lui; & il témoigne que fes Comédies av oient paru fi belles & li élégantes, que pour cette rai- fon on croyoit qu'elles avoient été écrites par Scipion & Lœlius , qui étoient alors les deux plus grands perfonnages & le$ plus éloquens hommes du Peuple Romain (6). C'eft ce qu'il ne nous donne que comme une conjeclure afTés légère en par- lant de Laelius, parce que plusieurs per- fonnes, au rapport de Santra (7),jugeoient que T-erence avoit été affilié par quel- qu'un dans fes Comédiens, il ne Tavoit pu être par Lœlius & Scipion , qui étoient encore trop jeunes lorfque Terence écri- voit, pour pouvoir lui être utiles ; mais qu'on devoit plutôt avoir cette penfée de Sulpicius Gallus , homme docte de ces tems-là, ou de Q. Fabius Labeo & de M. Popilius , tous deux Confulaires & tous -deux Poètes. Quoiqu'il en foit, Ciceron a toujours eftimé li fort la beauté du ilyle & la netteté des exprefljons de Terence, que félon la remarque du P. Briet (S), il

a

j. Cicero in Limone feu Florileg. rerfuum deper- dito, cujus fragment, cxtat apud eunidem Sueton.

6. Idem Cicei. lib. vu. Epiflol. 3. ad Attic. uc fupià.

Cela ne ruine point la leRexion que nous avons rapportée du P. ThomalTin ci-deflus.

7. Santra apud Sueton. in Vit. Ter. ut fupr.

8. Philip. Briet. lib. i. de Pcçt. Latin, pxxfijt. Col- Icft. acutè diftor. per Pocraj,

TomAlLFmAL C

fo Poètes Latins.

srcicucc, a pris de ce Poète les plus belles manières ck parler qu'il a employées dans Tes Li- A'res de TOrateur.

Les témoignages avantageux que les au- tres Anciens ont rendus à Tecence pour ce point, n'ajoutent prefquerien à ce que 410US venons de rapporter, mais on peut .du moins remarquer le confentement & l'uniformité avec laquelle les plusconlidé- rables & les plus judicieux d'entre eux en ont parlé; de forte qu'on peut dire que ce goût que Ton a eu pour fon llyle., a été prefque univerfel. C'eft.ce qu'il eft aifé de voir par le recueil de ces témoignages que Mr. Camus a mis à la tête de fon édition^ Ton trouve parmi les autres un frag- ment d'Evanthius ,qui nous fait remarquer que Terence paroît s'être éloigné de toute atfeciation ; ce qui ell allés rare en des Au- teurs qui le font appliques à fe rendre po- lis & élégans (i). Ce Grammairien ajoute qu'il n'a point employé de termes trop dif- ficiles, ni d'expreffions trop myfterieufes, pour obliger fes Ledeurs à chercher du iè- cours ailleurs, afin d'en avoir Tintelligen- ce. C'eft ce qui fait qu'il n'eft point obfcur comme Plaute. Il dit aulTi qu'on voit dans tout ce qu*a fait Terence; une liaifon na- turelle des parties & un enchaînement

mer-

I. Evanthîus ut fupra. Item Ciccro de optimo génère Oratorum non femel. Vel. Patercul. liK a. tliftor. Plin. Jun. lib. i. & alii non pauci. V. Prolegom. Nie. Camus 5cc.

i. Ju], Scalig. lib. 6, Foeticcs cup. j, pag, 76t. ut fupjà,

i. IdeuL

Poètes ïi a t i n s. ft

tnerv^illeux du Commencement avec la fin Tcrcacc^ de fon difcours.

Le ftyle de Terence n'a point trouvé 'ftîoins de partifans & d'admirateurs parmi les modernes que dans TAntiquité. Jules Scaliger loue Tartifice qui -paroît dans la difpolition de fes matières & dans l'arran- gement de lès mots {%); & c'eft dans cette proportion que conlide fa beauté. Le mê- me Critique dit ailleurs (3), que Terence ell une excellente lime propre à polir la vieille & la nouvelle Latinité; & fon fils Jofeph reconnoiflant qu'il y a dans ce Poète des délicatefles & des agrémens infi- nis, ajoute que de cent perfonnes qui les -fifent, à peine s'en trouve-t-il un qui les y apperçoive (4).

Mr. Guyet dit (5*), que Terence renfer- me en lui feul toutes les beautés qui fc trouvent répandues dans tous les autres Comiques ; & que bien qu'elles y foient fort fréquentes, elles y brillent beaucoup plus que dans ceux même elles font rares. Et félon M r le Fevre de S au mur (6) , fi Longin a eu railbn de dire que c'elt une marque infaillible de l'excellence d'un Livre, lorfque fes charmes font ca- chés, & lorfque plus on le lit, plus on le veut lire; la vérité de cette penfée fe fait

con-

). Idem in l'ibiis de câuds Ling. Lat. & exeoTt^ oaq. Fab.

4. Jofeph. Scaliger refereute etiam T. Fabro ôcc.

5. Franc, Guyet in not. ad Tereut. Cômoed.

<S. Dion. Cafl". Longin. in fublim. & ex eo Tan, Fiiber. prafac. ad Tcrcut, Comocd, çdit. Salmiuc. T&71. ifl-La,

C â

Si PoETtS LaTIMS.

•T«cgce, connoître particulièrement dans les Co- inédies de Terence, qui par leurs attraits fe font toujours lire & toujours relire avec un plaifir nouveau , & qui laillent dans Tefprit de leurs Lecieurs un appétit infa- tiable, qui fait qu'on ne fe lalTe jamais de les aimer & d'admirer leur Auteur.

Ce bon effet vient aulTi, au jugement d^'un Anonyme moderne (i), de ce que Terence entremêle dans fes difcours quel- ques Sentences excellentes qu'il applique avec une naïveté merveilleufe. Il ajoute que ce Poète excelle encore dans des nar- rations continuées & fuivies, & dans l'oe- conomie de tout fon Ouvrage.

Mr. de Chanterefne dit (2) , que la beauté de ce Poète ne confiHe nullement dans les penfées rares, mais dans un cer- tain air naturel; dans une iïmplicité facile, élégante & délicate , qui ne bande point î'efprit, qui ne lui prefen.te que des images communes , mais vives & agréables , & qui fait 11 bien le fuivre dans fes mouvc" mens , qu'elle ne manque jamais de lui propofer fur chaque fujet les objets qui font capables de le toucher, & d'exprimer toutes les paffions & les mouvemens que les chofes qu'elle rçpréfenxe y doivent pro- duire. Cette beauté femble être particuliè- re à Terence & à Virgile, & l'idée qu'on vient d'en donner fait afTés voir qu'elle eft fncore plus rare & plus difficile que celle

qui

j. If, le Maiftre de Sacî, Préf. fur U Trid. franc. 2. Çhiijacci;. ou ^icgk ^Ëducai^ fxificc 2. part.

PoÉtEs Latins. 5*3

qui coniiQe dans les penfées extraordinai- Tercnce. Tcs & Ibrprenantcs, puilqu'il n'y a point d'Auteurs dont on ait moins approché que de ces deux-là. Cependant c'eil cette beau- té qui fait l'agrément & la douceur de la converfation civile, & elle elt d'un bien plus grand ufage que l'autre beauté qui Gonlille dans les penfées.

G'eft fans doute cette beauté naturelle & ce grand talent qui a fiiit dire à Mr. Gueret (3) , que Terence ell agréable par tout fans le vouloir être; que l'on vol eft toujours égal , qu'il ne plane pas com- me Plaute fur une penlee, & qu'il ne fuit rien tant que ces endroits favoris qu'on arrange par compartimens dans un Ou- vrage pour fuirprendre le Le6teur à chaque reprife. C'eft, dit-il, dans Terence qu'on trouve cette Urbamté que l'on cherche tant. Mais elle n'eft pas du- goût de ceuî à qui l'air naturel des chofes ne peut plai- re, ni de ceux qui n'aiment que le fard & Tatîéterie, ni enfin de ceux à qui les beau- tés ne font point feniibles quand elles font fimples & modeftes.

Rien n'étoit plus propre pour foutenir également par tout cet air naturel que la propriété des termes, c'ell-à-dire l'emploi dc5 mots daas leur fignificarion propre. C'elt en quoi Terence a parfaitement réulîi au jugement de tout le monde, & c'elt en ce point qu'on peut dire qu'il a particuliè- re-

paragruph. ?9. pa». 63. ^4. J-. Gi. eict de la guerre des Auteurs p. »j. y%f

Ci

1*4 P O E T B s L A T 1 N, S^.

Teicûcc. rement excellé, & qu'il s'eft élevé beau- coup au delTuS'de tous les autres Comi-- ques, comme roiit remarqué Mr. le Fé- vre (i) & le P. Lamy de l'Oratoire a- près quelques, autres Anciens (2).

Enfin c'eft achever les éloges qu'on peut faire du ftyJe de Terence de dire qu'il n'y en a point de quelque Auteur que ce foit qui paroilTe plus utile pour quelque genre d'écrire qu'on veuille embrafTer; & que ce ftyle tout Comique qu'il paroît dans les Pièces de Terence eft très-propre pour traicer les fujets les plus^férieux, ce qu'on ne peut pas dir€ de celui de Plaute. C'eft ce qu'un Critique anonyme d'Alle- magne a remarqué au fùjet de quelques Hiftorîens & particulièrement d' Arnoul du Ferron Continuateur de Paul Emile, & de Daniel Heînfius^qui dans l'Hiftoire du fié»- ge de Bofleduc a inféré avec beaucoup d'artifice un grand nombre de Sentences de Terence, quoiqu'il ait aiîeâe une fubli?^ mité de ftyle dans tout cet Ouvrage (3).

Après avoir dit tant de bien du ilyle de- Terence , les obligations que je me fuis- impofées dans ce Recueil ne me permet- tent pas de dilîimuler ce que quelques Cri- tiques en ont écrit à fon défavantage. Nous avons déjà vu que Cefar ne lui trou- volt point afles de force &. qu'il, le jugeoit * trop

î, Tanaq. Faber. Pfscftt. ad Terenr. 2. Entrée, fur les Sciences Se ies Ecudes , 4. Entt. V^g' 155.

3 Eibiiograph. anonym. Cusiof, Hifloi, Tliilolog,

Poètes L a t i n S; ff trop rampant (4), il feinble même par le "i^icnc^» refte de Tes Vers que Suétone nous a con- (èrvé que c'étoit Topinion de ce tems-là.

Plufieurs veulent auffi qu'Horace ne lui ait point rendu toute la juftice qui lui e(V due, lorfqu'il s'eii contenté de dire lim-' plement que Terence fe faîfoit difiînguer par l'artifice de Tes compoiitions , comme Gaecilius par la gravité (y). Quelques Cri** tiques modernes ont prétendu qu*Horace parloit en cet endroit plutôt félon le fenti- ment du vulgaire que félon le lien propre, & ils ont crû par ce moyen travailler au* tant pour la réputation d'Horace que pour celle de Terence (6). Daniel Heinfius a fait une favante DilTerration pour défendre Plante & Terence contre le jugement dés- avantageux de ce Poète Critique. Jean Henri Boéclerus a fait prefque la même chofc pour Terence dans les Remarques qu'il a écrites fur les jugemensdiversqu'on a faits de ce Comique. On trouve ce qu'en ont donné l'un & l'autre dans le Recueil des Pièces que Mr. Camus a miles à la tê- te de fon édition.

On peut mettre au rang de ceux qui n'ont pas affés connu le mérite de Te- rence ce Vûlcatius Sedigiius dont Aulu- Geîle rapporte la- Critique qu'il a voulu faire des dix Comiques Latins, parce qu'il

ne

4. Th hic defpe^HS pArif.

5. Horat. lib. 2. Epiftoli ad Auguftum.

6. D.^n. Heinfius de Comoed. & Tragced

Item ], H. Boeder, oblervat. io vaiior, judicla de Tcreutio ia Pioleg. Ter.

G 4-

Teiçncc,

P O E T E S. L A T IN. S^.

ne lui donne que le fixiéme rang (i). Mais- ii y a lieu de s'étonner qu'un auffi bon Grammairien qu'étoic Servius ait jugé que Terence n'eft préférable aux autres Poètes Comiques que pour la propriété de fes ex- prelTions, & que dans le refte il leur eft inférieur (2). Mr. le Févre a craque ce feroît expliquer fort bien la penfée de Ser- vius, de dire que Terence a le deflus des autres pour l'art d'exprimer le naturel, mais qu'il leur cède pour le mouvement des paillons (3). Ce qui ne me paroît pas tout -à-fait conforme au fentiment de VoC- iius qui eftime que Terence avoir un ta* lent particulier pour bien ménager les paf- fions & y garder un tempérament judi-- deux (4).

Néanmoins les gens du monde & les partifans de la galanterie femblent donner afles dans le fentiment que Mr. le Févre a bien voulu attribuer à Servius. C'efl: au- moins ce que l'on peut penferdeMr. de faint Evremond,qui reconnoiffant (5-) que Terence eft peut-être l'Auteur de l'Anti- quité qui entre le mieux dans le naturel des perfonnes, prétend d'ailleurs qu'il a trop peu d'étendue; que tout fon talent cil borné à faire bien parler des valets &

des

T, Vole. Scd. ap. A. Gel!. lib. ij. c:ip. 24. Noâr. Atcic.

2. Servius Comment, in Virg. /£n. ad illud i. /£- acid.

Ttilih»s incufat. & in ilium Boeder.

l. Tanaq. Faber prxfat. ad Terent. Comoed.

4. Gei. Jo. Voflùis Inftit. Poëiicar.lib. i.pag. 124.

X2S,

P a E T E s L A T I N s. SI

des vieillards, nn pe^'-e avare, un fils dc-Tcreocc bauché, un efclave, une cfpece de Bri^ guelfe; que c'eit jufqu'où s'étend la capa- cité de Terence. Mais qu'il ne faut atten- dre de lui ni galanterie, ni paflîon, ni les fentimens , ni les difcours d'un honnête homme.

Jules Scaliger qui n'étoit peut-être pay- toujours uniforme dans fes jugemens non plus que \on fils, après avoir alTuré qu'on ne pouvoit point trouver à redire à tout ce qu'a fait Terence fans fe faire tort à foi- méme , n'a point fait difficulté de dirs qu'il eft plus languilTant que les autres Co- miques dans les chofes qu'il traite , que c'eft notre mifere & nos befoins qui l'ont mis en réputation ; en un mot qu'il doit être conlideré comme un homme qni fait parler , plutôt que comme un vcritabW Comique (6). Boeder prétend que c'elt Volcatius bedigitus qui a jette Scal'geç dans l'erreur, & il dit qu'il n'a point eu raifon d'avoir voulu le faire paffer pbaruti Ecrivain linguilTant, à caufe qu'il a eu la difcrétion de garder la médiocrité & la re- tenue dans la raillerie, ce qu'on n'a point dit de Plaute (7).

Il femble que. Mr. d' Aubignac ait voulu

aug-

12S. ^c.

5. Saint Evremond, Jugement fur SencqHC, Plu- tarque ?c Petioiie pa^. 185.

é. Jul. Ce!. Scaliger roëtlccs lib. 3. cap. 9^. >7.

Item lib. 6. ca^i. 2

7. Jo. Hentic, poçder. obfciv, ad Judlc, de Tc< lem. uc iu^iï,

c s

f% P O F TES L A T I ïT-r.-

Teicflcc augmenter aufll le nombre des Cenfeurs- de Terence. Il dit que Plaute a mieux réuffi que lui fur le Théâtre, parce qu'il e(l plus aâif; que Terence ie charge de' plufieurs entretiens fe'rieux; ma's que ce n'eft pas ce qu'on cherche dans la Comé- die où Ton veut trouver de quoi rire: au lieu que Plaute eft toujours dans les intri- gues conformes à la qualité des Aéleurs, d'où naifTent plufieurs railleries, & c'eft, dit-il, ce qu'on defire (i).

Mais je ne fai après* quels Auteurs un > Critique Moderne a eu l'afluranee de dire (2) que la principale différence qui fe trou- ve entre Plaute & Terence qui rafuivî,. cft que ce dernier étoit piquant, qu'il rail* loit toujours licentieurement & d'une ma- nière des-honncte (3): & Plaute au con-- traire agréablement & ingénieufement. Ju- gement dont la faufleté eft moins excufa- ble après une approbation de tant de fîé- cks que lapalïion de ces envieux , qui ** du

1. Hedel. d*Àubignac, de la Pratique du Théâtre lit. 4. chap. 2. pag. 374 375".

2. Roûeau, Sentim. particul. Arr quelques Auteurs

pag. 40.

3. ^. Comme il n*eft pas vraHemblabJe qu'un homme de Lettres ait pu fe faire une idée de Plaute & de Terence Ci oppofée à celle qu'on s'en fait gé- néral .ment, il faut croire, ii le manufcrit que Bail- let cite eft la main de Rofteau mCmc, qoe l'Au- teur aura pris Terence pour Plaute, pat équivoque, & Plaute pour Terence.

4. Terent. prelog. in Phormion. Comœd. Item prolog. in Heautontimcr. In Andr. in Adelph. ôcc.

5 .Quintilian. Inftirution. Oratoriar. lib. lo. cap. ?• ^. QuimUiea ca difaiic que les Cçmédics de Té-

P o E t E s L A T rw S. S9

tems de Terence croyolent ne pouvoir Tctcncc fauver leur propre rcputatiou qu'entachant de le décrier par teurs médifances h en pu- bliant que fes Comédies étoient foibles & bafles, fbit dans les manières du Ityle, foit dans les termes qu'il employé , comme nous l'apprenons de Terence même (4).

Enfin on peut ajouter à la cenfure du ftyle de ce Poète, celle que Quintilien a faite de fa Profodie , c'eil-à-dire de la me- fure de fes Vers & de la quantité des fylla* bes. Car on ne peut pas nier qu'il ne di- minué quelque chofe des éloges qu'il a faits de l'élégance de fon ftyle, lorfqu'il ajoute (5-^ qu'il auroit eu encore plus de grâce s'il fe fût renfermé 'dans les bor- nes des Trimetres. Cette exception n'a point plu à quelques-uns des Critiques modernes , & Boeder dit (6) que Geor- ge F; bricius a eu raifon de vouloir réfu- ter Quintilien en ce point.

Les éditions les plus éxaéles des Comé--

dies

T«ncc auroicnt eu plus de grâce s*il n'y eût employé qge des ïîin.biqiies trimetres, bien loin de marquer par-là , comme on l'a interprêté, qu'il ne goûtoit pas les Pièces Comiques écrites en vers, témoigne au contraire qu'il ne préfère les trimetres aux tetramé- ffes, que parce que ceux ci, quand ils finiflent fur teut par des Ipondées, Tentent trop la proie, & ne peuvent prcfque en être diftingués , au lieu que lec trimetres, moins étendus dans leur melure, gardent un peu plus l'air de versi ^^"^ croient- ils très- fré- quents, fc peut être les fculs employés dans les Pie:- ees Grecques de la Comédie nouvelle, defquelles je ne penfe pas qu'il nous refte aucun fragment que <lans ce genre de vers. é^ B^écki, AAaotit.iuTudiciaVarioi. de TeieiUv

G 6

6o Poètes Latins^.

T^rencc, dies de Terence font (i) celles d'Heinfius, [in-i2. à Amfterdam 1635',] de Guyet & de Boeder, [in-S. à Strasbourg 165-7.] ^ pour le texte correèl: , les éditions de. Lin- dembrogîus [in-4. à Francfort 1623.] & de Farierum d'Hollande & de Paris [in- à Amfterdam 1686.]

* T'erenùus cum Commentarïts Hetrufc» id'tomate fcriptis yuan, Fabrini in-4. Vene-* tïis 15-80. Antefignani (Peiri) in-4. in-8. in-i2. i5"o. 15-74. ^ 15^3' ^^' re-i in-4. Neapol. 1619.

C A-

T. Olatis Bbrrichius Difîert, de Poët. Lat. pag. 44^ Ircm de Saci, FréfHce de la Tisd. Pranç.

2. Ç. Siméon du Bois, Simeo , ou comme d'au- tres le nomment, Simo Bj/Ius , Lieutenant Général de Limoges, celëbic par Ton Commentaire lur lesE- pîtres de Cicéron à Atticas , avoir un très-ancien manufcrit qui fous le titre de Dionyfîus Cnto ad filtum^ contenoit, non pas \ts Diftiqucs vulgairement dits <le Caton,mais la proie qui da;.s toutes les édiiions cft à la tête de ces Diftiques, lavoir la Préface > Cum uni madverterem ,■&(.] es pcttrcs ScntCfiCCS ,Dfo fupplica, farentts ama, 6ce. au nombre de 56. Elic Vinetdans «ne de fes notes lur l'idyle de fon Aufone intitulée 2^a/<« , dit avoi» vu ce manufcrit Vifende nnti^uiratisy que du Bois lui même lui avoit montré. On2X an» après la mort de Vinet , Jofeph Scaligcr qui avoit traduit en Vers Grecs les Diftiques de Caton, vou- )ant publier cette verfion, auflï bonne, pour le dire en paflant, qu'elt mauvaife celle de Planudès, eut occafion de parler du manufciit de du Bois. Il ea paila^ mais.jQCl&TouYeuaat piisquc Vioct avait ob-

icivc

F a E T E s L A T r N s. ^r

C A T O N,

L'ancîen , dit le. Cenfeur, mort vers le commencement de la troifiéme Guerre Punique , environ l'an ôoy. ou 606. de la fondation de Rome.

1 1 36. 'VT O'JS avons des Diftiques Mo- caton.

J.\l taux qui portent le nom d'un Caton , mais on n'a jamais crû férieufe- ment qu'ils fullent de ce célèbre Ceufeur, ni d'aucun Romain de ce nom ou de cette race. On n'a peutrêtre point eu plus de raifon de les donner à un Dionyiîus Ca- ton (2) que les Critiques ne connoilTent que fort imparfaitement..

Les

fcrvë que les Dîftiqucsn'y étoicnt pas, il afTuraqu'iU y etoicnt. 6c lur cette idée les fît in-.primcr à Leyde . en 1598s avec le titre de Diyny :.• Cxtsnis D/jI-cha de moribus ad fiiinm , qu'il artcfta être ainfi conçu dans le manufcrit de Limoges. Les gens de Lettres s'en font fies à Scaliger , 2< on i'en croit encore aujour- d'hui, comme s'il ;lvoit parlé i? v'ru, A l'égard de l'ancienneté de ces Diftiques, il en mettoit Tépa- que du temsà peu près de Cou'smode ou de Se v ère, & fa raifon etoit que Vindicien Médecin de Valen- tiiiien I. n'auroit eu garde de citer comme il a fait dans une Epîtic qu'on a de lui à cet Empereur, uq vêts de ce Caton , li dès ce tems-là l'Auteur du ver» «'avoit déjà paflé pour ancien. Cette Epitrefe trou- ve dans la Colledionmedecinalc deMaicellus nom- mé iw/'/Wcrtx. Vinet depuis, à l'exemple de Scali- ger, employa contre B^ptifta Pius, comme nous Je (dijons plus bas, ce pjfla^e de Vindicien, que Sira- Icr dès l'an 1555. vingt ans avant Scaliger , avoit in- «iiquc. dans Ion Abrégé de la i3;bliothcque de Gct- ûCi . au iBOt CAîQmt Pfjiicha.

ai Poètes L a t i k Cacon. Les plus judicieux eftiment que c'éft

rOuvrage d'un Chrétien (i), & ils devi- nent que l'Auteur ou lesCopiiks auroient .pu lui donner le titre d^Cato» à l'imita- tion des Anciens iqui donnoient le nom de^ quelque perfonne confidérable & qui s'é- toit particulièrement didinguée , au fujet que l'on traitoit dans l'Ouvrage qu'on vouloit publier, comme Platon a fait<ians fes Dialogues , Ciceron , Lucien, -& lcs = autres dont nous avons rapporté des éxem-- p-lcs au préjugé des Titres de Livres.

Quant au jugement que l'on fait de l'Ou- vrage , on peut dire qu'il eft ailés unifor- me dans tous ceux qui en ont voulu dire leur lentiment. La Morale y eft afFés pro- portionnée à la capacité des en fans pour qui il fembk que ces Vers ayent étc faits. - Mais leur Auteur n'étoit point Poëte, & quoique l'Ouvrage ne foit point une preu- ve de la fublimité de Con efprit, il fa t voir au moins qu'il étoit homme de bon fens; qui étoît la principale qualité des meilleurs- Ecrivains qui ont paru depuis la défolation- de l'Empire par les Barbares.

Ges

I. ^. Akiat cependant 4. Parer^on 13. Scaligcr z* LtSf. ^»fon. 32. J. A, Fabrice 4. Bibtioth. Lat. 1. & plulieurs autres ne font pas de ce fentiment. Oft trouve en effet dans ces Diftiqucs diveifes penfécs ?aïennes , & fans vouloir entier dans aucun détail, . ie demande (i la Morale Chrétienne enfeigne que c'eft une fotifc d'appréhender la mort , & de fe pri- ver des plaiûrs de la vie dans cette appréhenûooi. C'eft la doftiine du Diftinue 3. livre 2.

a. %. Le paflâge de Vinaicien Ecrivain du quatrié* jnc fîécle rend cette opinion infoiitenable.

a. De Au^oie hujui opeiis vtd. Joâii, Satisbeiiex^-'

Poète s L a r i n s. 6y

Ces Vers font compris en quatre Livres catoo. ou Parties, & quoiqu'ils foient tous hexa- mètres , on ne lailTe pas de les dif^iiiguer par diftiques. Leur Auteur paroît être ciu feptiéme ou du huitième lîccle (2 & 3,)

L. A F R A N I U S,,

Poëte Comique» vers Tan ck la-Vilk Ôjo, du tems de Marius.

1137; TL nous refle de lui quelques frag- L. Afr*-

1 mens recueillis par les> foins de "i"^ Robert Eftienne , & publics par ceux d'Henri Ton Fils.

Ciceron témoigne (4) que fes Vers é- toîent pleins d'efprit & de fubtilité ; qu*il étoit même difert, terme qui femble mar*- quer plutôt de Télégance qu'une véritable éloquence. Horace parle de lui en des ter- mes qui nous font connoître qu'il avoit pris- Menandre pour fon modèle (f). Pater- ctile nous apprend (6) , qu'il avoit une grande douceur de flyie, & des pi ai fan te- ries fort agréables. Mai-s Quimilien dit

qu'il

fil Nugis Curialib. lib. 7. cap. 9.

Melch. Goldaft; in notis ad Columban. pag. 104.

Marc. Zuer. Boxhoin, in Rom. quxft. 14. pag. 77,

Gafp. Barthius Adveifarior. lib. 24. cap. 4. col, 2178.

Vincent. Placcius de Anonymis detcftis cap. lo; num. 290. pag, 77;

Georg. Matth. Konigius Biblioth. ver. ÔCnov.pîïg, 177. &c.

4. Cicero in Bruto feu Dialog. de Ofat. S- Horat. de Art Toët. 4icitHr ^frant toga •cmvnif' fc Mtndndra. z. Epift. i.

». Vcli. fateicul, lib, i. Uiâ, ciica finem,

Z. Afcâ- aius..

64. P (^ z T E S Latin s.

qu'il avoît infeélé fes Pocfies des maximes infâmes de la Paîderaftie (i) , & que c'é- toit un etfet du dérèglement de fes mœurs. Les Critiques jugent qu'après Tcrence. &. Plaute , Afranius n'avoît perfonne au> defTus de lui, non pas mémeCaecilius dont nous avons parlé, 11 réuiriiroit particuliè- rement dans la Comédie de lo-^gue robe (2), s'il eft permis de parler ainfi , c'eft-à-dire dans ce genre de Comédie Romaine que l'on compofoit fur les mœurs, les coutu- mes, & les façons d'agir des Romains dont on prenoit même les habits , d'où ét^itvenu k nom. Et il n'avoit pas moins de Cuccès dans les Atelîas^es (3) qui faî- foient un autre genre de Comédie , mais plus mordante & plus proche du caractère de la Satire dont elle n'employoit pour- tant pas les Adeurs, defquels l'art confis- toit dans l'expreffion du ridicule, & dans la. boutîbnnerie : au lieu que les Auteurs des Atellancs d-voient prendre un air bru- tal & reprefenter l'obfcénité en vieux lan-

gîîgeC4)-^

* Voy-és dans le Corpus Poëtanim\^ cité

àTArt. 1131.

Q..

I. f. Quintilian. .1. ïo. Inftit, i.-

X. % Cette cxpreflion Comede de longue nhe yZh\t rire. Baillet aiuoit pu éviter le rd-.cule, s'il avoit dit qii'Atranius excellait dans ies l ie'ces nom<iiécs ToiAt<£ , compoîees fiùvant les mœurs, les ccutnmcâ & les façons d'agir des Romains, dont on prcnoifr même l'nabit > To^c , d'où veaoit le ttom Togat.t.

3. ^.liU Ville de Camp^iiie.

vLil. Gie^oi, Gyialdi Piaiog. i^ de Hiit. Pot-

Poètes Latins. 55*

Q. LUTATIUS CATULUS,

Conful avec Marius, Tan 65'i. de la Vil- le, étouffé Tan 666. de Todeur du char- bon & de la chaux dont ou avoit tout fraîchement enduit les murailles de la chambre il s'étoit renfermé, pour fe iàuver des mains de Marius & de la mort.

1138. f^Uelque beauté qu'il y ait eu catulus,

v^^dans les Vers de cet homme, & quelque élégance que les Anciens y trouvaflent , la perte que nous avons faite de la plus grande partie nous en doit être d'autant moins fenfible , que cette beamé étoit toute infcélée de ces faletés dont les Poètes lafcifs font toutes leurs d€Hces, Il faatmême que cette infe6Hori ait été afles univerfelledans fes Vers, puis- que ceux qu'on nous a confervés , comme les meilleurs, n'en font pas tout -à- fait exempts. Ilréulîîfîbit particulièrement dans les Epigrammes ; mais il n'étoit pas encore arrivé au point de l'éxaclitude l'on a mis- depuis la Profodie (f.). *- Vo-

tar. pag. 6s6. 697. ubi de variis Comœd. gcnciib. ôcc.

Phil. Bricr. de Poct. Latin, lib. i. pag. 9.

Gcr. JoLin. Vofl^. de Poët. Lat. 1. lin?, ij.

Gcorg.Matth. Konig. Biblioth. vet & nov. pag. T4.

S. Lil. Grcgor. Gvrald. de Hiftor. Poctar. Dul- lûg. 10. pag. lof r.

Gcr. Jo. Vofl; de Hiftoricis Latinis lib. r. cap. ^

66 Poètes Latine

* Voyés dans le Corpus Poétarum.hxt.^ 2 131..

C. LU C I L.I US,

Poëte Satirique, Chevalier Ronn:jm ,^r3C<fi Oncle de Pompée, en l^>]v:rip;ade- I5'8. mort en la 169. â^é de \6. ans,. Seifa ou Suefïà Pomem fîit le lieu de iL naifTance, & Naples- cdiii d^ ik mort.

c. Luci- IÎ39' T Ucilius fut le prenv'cî J Rbme

Jiu$, L qui acquit de la réputation à^

faire des Satires, & plufieurs coniîdercnt

comme l'inventeur de ce genre d'êctkepai^

mi les Latins (i).

Mr. Defpreaux prétendant que c'eft.

L'ardeur fe montrer & non pas de ntÉ^ dire

qui

Arma vérité du vers de la Satire; ajoute que,

Lucile le prenHcr ofa la faire voir,

Aux vices des Romains prefenta le miroir,-

Ven-

I. "Plinius fcnior , Prxfat. Hiftor. natural. Item patet ex Honuio ,Qiiintili-,ino &c. z. Defp. chant 2, l'Ait, Foëtiq. v. 14$. & fuir.

3. Horatius Satir. î.iuitiolib. T & Sarir. 10. initio.

4. ^.' Il prend à la lettre cet endroit, Horace ddns fa quatrie'me Satire du livre i. dit pariant "de

Lucile

in htrA fdOe diicentoj ,

Vt.

Poètes Latins. 67 Vengea l'humble Vertu , de la Richefle al- C. Luci- tiere, 1'"*-

Et rhonnête homme à pied du Faquin en litière (i)

Horace dit qu'il s'dtoît propofé Texenif pie des Poètes Grecs de la vieille Comé- die qui attaquoient les gens fans artifice & fans déguifement, & qu'entre les autres il avoit fuivi Eupolis, Cratinus & An'ftopha- ne, en fe contentant de changer les pieds & la mefure de leurs Vers (3). 11 ajoute que Lucilius eft. tout-à-fait plaifant & a- gréabie , & qu'il avoit le goût fort bon. Mais il remarque en même tems qu'il a- voit un grand' défaut dans la compofition de fes Vers; qu'ils n'âvoiént que de la du- reté ,, qu*îls n'étoîent ni limés ni même travaillés ; Que. Lucilius- en faifoit fauvent deux cens en une heure, & qu'il les didoit debout fur un pied (4) tenant l'autre levé en l'air,, ce. qui pafToit pour une rareté fort finguliere; que ces vers n'àvoient ni force ni pureté, & que par leur impetuofité ils entrainoient beaucoup d'ordure, quoi qu'il y. ait quelque chofe de bon à prendre. En- fin il dit que la plus grande partie de fes.

vers.

"Ut magnum , verfus dr'^Aba^, Jfans pêde in uns. n€ voyant pas que c'eft- une hypeibole proverbiale ppur marquer la facilité avec laquelle Lucile com- pofoit. Quintilien au contraire 1. 12. c. 9. pour mar- quer une chofe qui ne fe fait qu'avec beaucoup d'ef- fort : In his A^ionitus , dit 'il, omnt Ht agricoU dicunt feie (iàndum ejl. Les Grecs de même, au rapport de Suidas ohet.tfaSi pourixK SuiÂfAiu

6S Poètes» L a r i k s. c. Luci- vers n'étoit compofce que de fatras & de ^^"^- babil, & qu'il ne fuvoit ni s'appliquer, ni

mettre des bornes à Ton abondance.

Juvenal nous dépeint Lucilius comme un homme formidable à tous ceux de Ion tems qui ne fe croyoient pas innocens , & il dit qu'il fuffifoit de lui voir tirer l'épe'a pour trembler de frayeur , & pour voir rougir ceux que le crime avoit fait pâlir (i)i Au reftc cette aigreur & ce fel qu'il em- ployoit dans fes vers étoit accompagné de beaucoup d'éruditiom C'elt le témoigna- ge que Ciceron, Quintilicn , Aulu-Gells (i)à, quelques autres Anciens lui ont don- né. Le premier reconnoifToit encore en lui de la délica efTe & beaucoup d'agré- ment; le fécond trouvoit la liberté de fon caradere d'un goût aifés relevé par le fel de fes expreffions , & maintenue par fa doârine qu'il appelle merveilleufe; & le tfoîfiéme remarquoit en lui une grande connoiiîance de la Langue Latine.

Quelques Critiques modernes (3) n'en ont point parlé avec moins d'avantage, & les jugemens qu'ils en font fcmblent formés plutôt fur ceux des Anciens que fur la lecture de fes Ouvrages-

Les fragmens qu'on en a confervés fu- rent publiés à Leiden in-4. l'an JS97' ^^^^

les

T. Juvcnalis Satir. i. 5c ex co Jul. CiC Scalijer in j octic,

2. CictTO lib. 2. de Oratore. Quiiitilian. lib. lo. cap. I. Inftiiution, Oratorhu. A. Gell Noéit. Aiti- flar. lib. ^t cap. 5.

3. Petr. Ctimius-dcPoct. Latin, c.j. Philip. Briet.

Soc

Poètes Latins. 69

les Commentaires de François Douza, & c. Luci- à Lyon l'an 1603. avec les reites des au- ^^"'* trcs anciens Poètes.

LUCRECE,

'ï. Lucretius Carus ^ Poète Philofophe^né Pan de la fondation de Rome 659. en la féconde année de la 171. Olympiade, tué de fa propre main dans la fureur que lui avoit caufé un breuvage en la quarante- quatrième année de fa vie, Tannée que Virgile prit la robe virile. D'autres ne lui donnent que 26. ans de vie, & met- tent fa mort l'année de la naillance de Virgile.

■II 40. IV T Ous avons de cet Auteur Cm Luciccc

X\l Livres compofcs en vers Hexamètres fur la Nature des chofes, fé- lon les principes d'Epicure.

On n'efl prefque jamais difconvenu qu'il fut un des plus grands Philofophes de fon liécîe, & des plus célèbres Epicuriens quf ayent jamais été jufqu'à M. Gafîendi; mais on ne s'eft pas li bien accordé fur le rang qu'on doit lui donner parmi les Poè- tes.

Mr. de Maroles dit (4) , que fon Poc-

mc

Soc. J. de Poëf. Lat. lib. i. pag. 6. 7. G. M. Konig, Biblioth. Vct. 2c N. pag, 4S4.

Jul. Cïf. Scaliger lib. 6. Pocticcs pag. S67.

4. Mich. de Marolics uu commencement de fè» Remarques fur la Trâdu^ica Fupjoifc «lu'ii a faite <ie Lucicce pag, 3^;,

70 Poètes Latin s.

tucrecc, me a été admîré des uns, & blâmé des au- tres ; mais qu'il a été prefque univerfelle- ment eftimé de tous ceux qui l'entendent.

CîGepon écrivant à fon frère Quintus, lui dlt^u'il avoit rai fon d'eftimer fos Poë- 'fies^ parce qu'elles font remplies d'efprît, ôc qu'il y fait paroître beaucoup d'artifice & d'indulîrie (i). Et (i l'on s'en rapporte au jugement qu'en faffoit ce Frère, Lu cfe- ce avoit l'efprit tout- à-fût tourné à la Poë- ÛQ (2), & il avoit les qualités neceifaires pour faire un véritable Poète.

Ovide lui donne un caraâere de fublime ou d'élévation, & il prétend que fes vers ne périront qu'arec le genre humain (3).

Stace r-econnoît aum en lui une fureur Poétique, & un emportement violent pour les plu^ grandes chofes (4). Qualité qui a beaucoup de rapport avec cet enthoufias- me que Platon demande à tous les Poètes^ & en particulier avec cette phrénéiîe, dans les intervalles de laquelle Lucrèce faifoit fes vers, & dont la violence le porta «nfiii à fe poignarder lui-même.

On n^ doît donc pas s'étonner que les Critiques des '(lécles fuivans, l'ayent mis au rang des meilleurs Poètes de PAntiquité>

A-

T. Cicero lib. 2. Epiftol. 10. ad Quintura Fratrcm in Ep. ad Fam.

2. Apud Tanaq. Fabrum , Prolegom. ad Lucrctii cdic.

3. Ovidius lib. i. Triftium.

4. Scatius Papin. t. Silvac. in Genethl. Lucani. ÎJ. Le Vers de Srace , Et dotii furor arduus Lw

crtfi^ devou "Ctxc uat^ucm«nt explique de fureut

poc-

Poètes Latins. yi Agelle ou Aulu-Gdleeft un des premiers Lucrcct. de ce nombre; & il dit que c'étoit un Poè- te d'un génie très-excellent & d'une très- grande éloquence; & il ajoute qu'on n'en peut pas douter, lorfqu'on conlîdere que Virgile a pris de ce Poète non-feulement des expreflions & des vers , mais encore des endroits confidérables & en grand nombre (f). C'ett ce qu'on a auffi reraar- iqué d'Horace (6).

Dei>ys Lambin qui a fait fa Vie, relevé fort haut toutes les excellentes qualités de fa Poëlie , comme font la fubtilité & la vivacité de fes penfées,la majellé & lagra- vité de fes vers, accompagnée de -toute la beauté & de tous les ornemens qui peu- vent entrer dans la vérification (7). 11 dit que Lucrèce a fuivi Epicure dans les cho- fes & dans fa matière, mais qu'il a pris pour cet effet le genre d'écrire, les figu- res, les manières, & le grand liyle d'Em- pedocle.

Il prétend que dans tout ce Poè'me il n'y a rien d'étranger, rien de gêné, ni rien qui foit hors de fon fujet. Tout y eft na- turel & domellique, pour ainfi dire. Tout y ert limple & uniforme; & quelque diffe-

ren-

poêtique, uns y ajouter cet emportement violent pour les plus grandes cho fes j galimatias qui ne dit rien.

5. Jofeph. Scalig. in primis Scaligcran. pag. 104, Ce antc ilJum A. Gellius HoSt. Attic. lib. i. cap. zi. & alii.

6. KoftcaUjSentimens (ur quelques Ouvrages d'Âut* pag. 43 MS.

7. DionyC Lambin, in Yica Lucxetii prsûic. Op«- I lib. ejurd. pag. 40,

72 Poètes Latins.

"^yu r^^ce qu'il y ait dans toutes ks parties de cet Ouvrage, elles ont un rapport merveil- leux entre elles, & compof.nt un Tout achevé dans une fymmetrie adiHirabk (i).

P. Vidtorius Tappelle un Poète très- élégant , très-fleuri , & très-poli (2). Il dit que c'eft un des Ecrivains les plus na-' turels, les plus éloquens, & du meilleur fonds de cœur que les Romains ayent ja- mais eu : & au rapport de M. de Balzac (3), ce Critique Italien prétend que Virgi- le efl: moins pur & moins Latin que notre Lucrèce , quoique celui-là ait eu lieu de l'imiter en ce point , comme il a fait en d'autres chofes.

Enfin Jules Scaliger, tout adorateur qu'il ctoic de Virgile, tout jaloux qu'il étoit de fou honneur & de fa divinité prétendue, n'a point fait difficulté d'appeller Lucrèce un homme divin , & un Poète incompara- hle (4).

Après un confentement univerfel & un jugement fi uniforme de tant de fiécles, on auroit peine à croire qu'il fe pût trou- ver des Critiques afles hardis pour refufer d'y foufcrire , & pour s'élever contre la décifion de tant de grands hommes. C'eft néanmoins ce qu'a voulu faire Jérôme Ma- gius, lorfqu'il a dit (5-), que Lucrèce ne

mus

1. Idem ibil pag. 43. U feq.

2. Petr. Viftorius , Prifat. in Comment, ad Aiiftot. de Arte Poët.

3. Balzac dans le Recueil de Tes Oeuvres divcrfcf pag. 265. 266. cd'.t. d'HoU.

4. Jul. Scalig. Comment, la hift. Animal. Aiifto- td. lib, é.cap.iz.pag. 7jtf.

Poètes Latins. 73

vofis a point donné fujet de le confiderer tuSit^ Comme un Poète. Une Sentence Ç\. courte &fi décilîve,a furpris une bonne partie des gens de Lettres, & elle a donné du cha- grin aux autres. Mr. le lièvre de Saumur nous a fait connoître qu'il e'toit du nom- bre de ces derniers ,& il n'a point crû pou- voir mieux vanger Lucrèce , qu'en tour- nant ce Magius en ridicule, h en l'oppo- fant par un plaifant parallèle aux deux Ci- cerons, à Ovide, à Stace, à Scaliger & à Viélorius (6). Mais Mr. le Fevre n'a point deviné que d'autres Critiques vien» droient après lui pour renouveller le juge- ment de Magius. Autrement ç'auroit été en lui un défaut de prudence de s'être amu- à fe jouer de la perfonne particulière du Critique , plutôt que de faire une rdponfc générale à la chofe.

Le P. Rnpin ne s'eft arrêté ni au juge- ment de tous ces Anciens, ni à la maniè- re dont Mr. le Fevre a jugé à propos de recevoir l'opinion de Magius ;car il dit net- tement (7), que Lucrèce ne doit por^jt pas^ fer pour vc'ritable Poète , parce qu'il n*a point cherché l'agrément , à. que fon but n'cft pas de plaire.

Le P. Briet même n'a pas voulu nous faire croire que (8) Lucrèce fût un excel»

lent

5. Hlcron. Magius Mifcellaneor. lib. i. cap. 17,

6. T;4naquill. Faber pag. ultim. Ver. Teitimonior, Lucret. in Prolegoin.

7. René Rapin , Reflexion 8. fur la Poè'tiquepart, 1. psg. 17. édition in- 12.

s. Phiîipp. Briet. lib i. de Poët. Latin* pag. 9. i», prxiix. acutè diftis &c.

7om.IILPart,IL D

74 Poètes Latins.

IWiCCÇ, lent Verfificateur, puifqu'ildit que fes vers, quoique tFès-Latins,ne laiiTent pas d'avoir de la dureté , & qu'ils ont bcfoin de pafler par la lime de Ciceron. En quoi ce Père n'eft pas entièrement d'accord avec un au- tre Critique de fa Compagnie, qui prétend (i) que Lucrèce eft tout li/ne\ que c'eft «n Auteur qui a de la netteté, de la fubti- lité, des agrémens & du génie, & qu'il eft très-polî (S très-élégant pour le fujet qu'il a traité.

Il ne feroît prefque pas neceflairede rien ajouter pour le llyle de Lucrèce , parce ^ue ce que nous venons d'inlînuer tou- chant la pureté, l'élégance, & la politelFe de cet Auteur , paroit fufîire pour nous faire juger qu'il ne doit pas être mau- vais. Néanmoins il femble que Quin- tilien ne foit pas favorable à l'opinion de / ceux qui prétendent que la Langue Latine

n'a point eu de meilleur Auteur au liécle même elle a paru dans fon état le plus florilTant (2). Il femble faire une efpecede parallèle entre Macer & notre Lucrèce; il dit qu'il eft bon de lire l'un & l'autre, mais qu'on ne le doit pas fiire pour la bonté de la phrafe, ou pour pouvoir donner du corps & de la force à l'éloquence; qu'ils ont fait paroître l'un & l'autre de l'élégan- ce dans les fiijets qu'ils ont traités, mais que Macer eft rampant, & Lucrèce dif- écile. Ce

I. Anton. Poficvinus lib. 17. Bibliothecx Selcftx. cap. 2î.

i, loûph Scaligci ia piiniis Scaligcian. pag. T04.

Quia-

Poètes Latins. 75"

Ce jugement n'a point plû à Lambin, Lucrcccs ' qui par un mouvement de cette tendreffe, dont les Commentateurs fe trouvent allés ibuvent prévenus & failis à l'égard de leurs Auteurs, n'a point fait difficulté d'accufer Quintilien d'avoir eu le goût mauvais, ou de s'être laifTé corrompre (3). Il dit que la comparaifon qu'il a voulu faire de ces deux Poètes entre eux , eft fcmblable à cel- le que l'on feroit d'une mouche avec un éléphant, & qu'on ne pouvoit prefque pas trouver deux fujets plus inégaux & plus diiferens, que Macer & Lucrèce le font, au rapport de l'un à l'autre.

11 prétend que Quintilien s'eil trompé particulièrement au fujet de Lucrèce , lorsr qu'il a dit qu'il étoit difficile, oc qu'il n'é^ toit point propre pour fe former dans la didion & dans l'éloquence. Car foit qu'on confidere la fimplicité & la propriété dcfes mots , foit qu'on ait égard à l'élocutioii même , un Orateur , dit-il , qui voudra former fon flyle,peut prendre dans la dic- tion de Lucrèce dequoi rendre fon difcours plus pur & plus élégant, il peut auffi y trouver de l'abondance & des beautés dont il pourra enrichir fon travail :& s'il y veut chercher la manière de bien traiter un fujet, il y rencontrera tout ce qui peut contribuer à donner de l'élévation, de la grandeur, en un mot ce qu'on appelle Is fubltme^ qui

QulntUian. Inftît. Or. 1. 10, c.T.

i' DioQ, Lambic» in Vit. Lucret. ut fupr. pag. ^1, 41, - _

D a

76 Poètes Latins.

JLueiecc. ell ce que l'on cherche avec tant dVmpres- femeiit dans les bons Auteurs. r^ Mr. le F^vre, quoique moins zélé que Lambin, paroît avoir pris le parti de Lu- crèce contre Quimiiien. 11 dit (i) que le terme de difficik , dont celui-ci a voulu marquer le caradere de ce Poète, ne lui convient nullement , parce que c'ell un Auteur qui n'eft ni obfcur ni embarafTé, mais qui au contraire a pris un air aifé , que fa facilité eil un charme continuel pour fes Lecteurs. Mais pour fauver l'honn£ur du Critique, il ajoute qu'on peut attribuer aux matières Philofophiques que Lucrèce a traitées, cette difficulté qui femble tomber naturellement furie ftyie de ce Po'éte , quand on ne veut point faire violence à la penfce de Quintilien. Enco- re pourroit-on dire que ces matières font difficiles par elles-mêmes, elles deviennent aifées par la manière dont Lucrèce s'elt fcrvi pour leur communiquer la netteté de fon efprif.

Gafpar Barthius avoit écrit prefque la même chofe avant Mr. le Fevre. J] dit (i) qu'il ert difficile d'accorder Quintilien avec luî-nicme; & que cette dijfic7ilté pré- tendue qu'il trouve en 'lui n'ell pas compa- tible avec cette élégance qu'il lui attribué dans le même endroit. Il ajoute que s'il y a quelque ciiofe à reprendre dans Lucrèce,

loin

T. Tanaq. Faber^ Not. iii loc Qâintilian. Inftit. OrAt. Jib. lo. cap. i. .

^, Gafpar Baxthius Adveifarior. iib. 43. cap. 2.

Poètes Lattns. 77

loin de croire que ce foit aucune difficulté Lucicce, qui fe trouvât en iui,on peut dire quec'eft de s'être rendu trop populaire. On ne poLivoic pas trouver d'Auteur , félon ce Critique , à qui cette qualité convienne moins qu'à Lucrèce , qui fembîe n'avoir point eu de plus grand foin que d'éviter robfcurité, & de le rendre intelligible mê- me au petit Peuple, malgré la fublimîté de la matière, à laquelle il iemble même qu'il ait voulu faire quelquefois du tort en fa- veur de ceux qui préfèrent la clarté du fly- le, & la netteté des manières à la gravité des chofes qui font Te fujet d'un Ouvrage. C'elt pourquoi, ajoute cet y\uteur, on ne trouve point dans Lucrèce de ces tranfpo- iîtions qui caufent l'obfcurité , point de penfées guindées ou forcées, point dephra- fes d'outre- mer ou de termes étrangers, ni uucun de ces embarras qui accompagnent ordinairement une éToquence trop étudiée. Mais quoiqu'on fe fente porté à fuivre le fentiment de ces derniers Critiques plu- tôt que celui de Quintilien, il faut recon- noître qu'on pourroit encore fouhaiter quel- ^que chofe au ftyle de Lucrèce , pour en faire le modèle achevé de la bonne Latini- té. Le P. Rapin dit (3), que bien qu'il foit fi pur & Il poli, il n'étoît pourtant pas arrivé à la perfeclion du tems d'Augufte, dont le goût étoit de ne rien dire de fupertlu &. de parler peu^. Bar-

col. 1918, 1929.

3. Ren. Rap. Comparaifou d'Homère ôt Virgile chii£. Il, pue, 4Z, edit, in 4.

D :;

y% Poètes Latins.

lucoace. Barthius même que nous avons déjà ci- té, juge que Ion llyle eïï trop lâche & trop di^us; & pour fc raccommoder avecQuin- tilicn il veut bîen croire que le mot de i/f- ficfU- s'eil glilîe au lieu de celui de diffus^ dans le texte du jugement que cet Auteur a fait de Lucrèce.

Le Bibliographe Anonyme ajoute qu'il affede prefque en toute rencontre des Ar- chaïimes ou des cxprelfions du vieux fié- c\e (i). Ec c'eit ce que Lambin lui-même n'a point pu diffimuler lorfqu'il dit pour cxcufer Lucrèce , qu'il s'eft fervi dans l'emploi des vieux mots du droit qu'ont les •Poètes de remettre les chofes anciennes en ufage comme d'en feindre de nouvelles , ou ■que ce font des termes qu'il a pris d'En- i)ius ôc de quelques autres Poètes des prer iniers tems (2). :

:;:.■ Après avoir parlé des qualités de laPoè- £e de Lucrèce, & de celles de fon ftyle^ il ne feroit pas inutile de rapporter ce qu'on JSL remarqué au fujet de fa Morale & de fes fentimens. Mais comme fon Poème n'eft |)as véritablement une imitation telle qu'A- f iftote & les autres Maîtres de l'Art la de- mandent dans un véritable Poète, on ne doit point y rechercher beaucoup de Mo- rale. Et comme tout fon fujet eft pris du jfonds de la Phyfique ou de la Philofophie

na-

1. Anonym. Bibliogr. hift. cur» Philolog. pag, s*-

2. Lambin, ut fup. loc. citât. Vit. Luciet. prxfix. Comment.

3. Phil. Biict. lib. i. de Poët. Lat. pag. 9. 10. ut fiiprà.

«j. Roûeau, Sentim. fur quciq. Ouvr, MS. comme

Cl"

Poètes Latins. 7p

naturelle, il femble que nous pourrions re- Lucrèce* mettre plus à propos au Recueil des Phi- lofophes ce que les Cri;îques ont jugé de les fcniimens.

)e me contenterai de dire ici que les uns (;) ont trouvé mauvais qu'il n'ait point diiiimulé plus qu'il n'a fait la corruption de fes propres mœurs, d'autant plus qu'il a- voit moins d'occalion de la faire paroître: les autres ont crû trouver dans Ton Ouvra- ge des marques d'AthcVfme, & l'ont accu- de nier la Providence divine & l'immor- talité de l'ame (4). D'autres enfin ont été fcandalifés de voir qu'il ait mis Epicure au rang des Dieux. Mais Mr. GafFendî a répondu à ces derniers dans un chapitre tout entier de la Vie qu'il a faite decePhi- lofophe (f). Il dit qu'il a ufé en cette oc- cafion de Ton privilège de Poète; & que comme c'étoit l'ordinaire des Ptuples de rendre des honneurs divins aux hommes qui avoient rendu des fervices extraordi- naires au Genre humain , Lucrèce jugeoic qu'Epicure en méritoit plus que Bacchus, Cerès , Hercule, Thefée & les autres, parce que le bien qu'il avoit fait aux hom- mes, étoit incomparablement plus confî- derable. Mais qui ne voit que Mr. Gas- fendi par cette réponfe, a mieux aimé dé- tourner (6) la difficulté, que de la refou»

dre,

ci devant.

S. Petr. GafTend. de Vita & Morib, Epîcuri lib. ^ CAÇ. 6. pag. i;i.

6 %. l\ ne Va point du tout détournée. Il y a répondu dans le pur fcns de Lucrèce, ôc pdi Icspro» pics raifons du Poète.

D 4

%o Poètes L a t i h s.

fcucrcce. dre, & que de fatisfaire précifc'ment ceux qui la propofent.

Entre les éditions qu'on a faites de Lucre- ce ,on a afleseftimé celle de Lambin, [in-4. à Paris 1 570.] celle de Fareus , [in 8. Franc. 1631.] & celle de Giphanius^ [in-8. à la Haye iS91'^ niais celle de Mr. leFevrede Saumur [in-4. à Saumur 1662."] palTe pour la meilleure de toutes; & nous avons re- marqué ailleurs que celle de Jean Nardi Florentin [in-4. ^ Florence 1647.] eft la rr.oîns bonne au jugement de quelques Cri- tiques (1), quoiqu'elle foit la plus magni- fique, & une des plus récentes.

* TitîLucretii Curi de rerum^catura lîb^ VI. varia leélione^ in -fol. Lond. 17120 Lucretius , Thomcs Creçch. in-S. <*

C A-

T. Tanaq. Tabcr, inprîcfat. ad fuum Lucret. Item Olaiis Borrichius Diflertat. de Peè'c. Latin, num. iz. pag. 4S. 46. ôcc.

z. ^. Le prénom rî;«j eft le plus fur, étant fondé fur le témoignage d'Apulée dans Ton Apologie, ôc de S. Jérôme dans fa Chronique. Jofeph Scaliger a prétendu que c'étoit Quintuty mais s'il eft vrai que ce prénom fe foit trouvé dans le manufcrit qu'il al- lègue c'eft une pure équivoque du copifte qui aura confondu l'ancien ^intHs Catttlus avec le CatuIPc

dioa;

F or E T E s Latins. 2i

CATULLE,

(Caîus ou Quîntus Valerius (i) à Pero' ne ^ ou dans la prefqu'Ifle de Strmïon (3) fur le Lac de Benac ^ aujourd'hui^^ la Garde i/Ç)^ durant le feptiéme Confulat de Marias & le fécond de Cinna, la fé- conde année de la 173. Olympiade fur la fin , la 667. de la fondation de Rome, & 86. ans devant notre Epoque.

ÎVI-ort âgé de 30, ans (f), en la quatrième année de la 180. Olympiade, & la 697. de la Ville de Rome, Tannée que Cice- pon revint de Ion exil.

Î141. quoique le grand talent de cecatuii©;

^"C^Poëte conliltât à bien faire des Epigrammes,on prétend qu'il a également r^ulfi dans deux autres genres de Poélie, favoir dans les Vers Lyriques & dans les Elcgiaques.

il n'y a prefque point de Poètes parmi' ks Romains, à qui il n'ait difputé le rang, de préféance. 11 a eu pour entretenir fes- prétentions des Partifans dans prefque tous les liécles, mais il n'en a. jamais paru de

fi

dont ils'kgît. Vbye's Achille Stacc. & iHinc VoG- fins iiu commencement de leuis remarques fur Ca-- tulle.

3. %. Auiourd'hui Sermionf.

^. ^. Il faloit dire de Garde, La^o di G.tr(ia,s\\\{ii nomme de Gardu Bourg adjacent dans le Véronois.

5. ^- Plus vraifemblablement, fuivant la fuppura- tion d'iraac Voffius, à l'âge de 37. à 38. ans laqui- ttiéme année de la i8i. Olympiade, ôi l'ini de- la- fondation de B^orae 70;.

O 5

S2 Poètes Latins.

Catulle., fi 2eTés que dans ces derniers tems,oùron; a vu des gens qui n'ont point fait difficulté de le préférer à tous ceux de l'Antiquité, -fans en excepter Virgile & Horace (i). Et quoique ce jugement paroiiTe être un effet de quelque tendreiïe pour ce Poète , & peut-être même de quelque fympathie a- vec lui, on ne peut point nier que Catulle n'ait été un fort bel efprit, & qu'il n'ait fort bien fu fa're fervir à fes propres pas- sons l'humeur la plus facile & la plus en- jouée qu'on eût encore jamais vue dans ]a> Republique Romaine.

Cette qualité le rendit fort agréable à quelques perfonnes conlidérables dans la

Ré-

!.. ^. Il étoit à propos de faire cennoitrc ces gens qui préfèrent Catulle à V^irgile & à Horace. On ne nomme qui que ce foit. Un tel fait cependant ne devoir pas être av?.neé fans preuve. A la vérité Vic- îorius dans la Préface de fes Commentaires fur la Tccrique d'Ariftote picferc Ciitulle à Virgile pour Ja pureté delà didionj mais il n'y a pcrfonnc qui r.t iuge qoe Bailler, de la manière dont il s'exprime, a eu en vue des gens pofterieurs à Viélorius mort il y, ÀYok cent ans 3 outre que l'ayant nomme lans fa- çon dans l'article de Lucicce pour une raifon toute jparcille, il ne l'auroit pas vraifemblabkmcnr pîi'.s ménagé dans l'article de Catulle.

2. Juvenal Sat. ij^. Item A. Gciiius I.7.N06I. Ac- ticar. cap. 2e. Et inter rccentioics Paul. Jovius ia "Elog. Cafanovxôc Naugerii.Gafp.Baithius col. 2356» ic alii pailîm.

%. Le premier Auteur que Baillct cite pour prou» ▼et la pureté de la diftion de Catulle , Ion élégan- ce, fa naïveté, &c. c*tû. Juvenal, Sau 13. ces 211 ot s , -^— ^ !!■ I mimum Agit illt llrbuni (jualem fugitivHs fcnrra Citulli,

iicl}gac«2t lui autic CimiÀle:, Auuui 4e U faice Intt^

tUcc

PaETEs Latine. 8^

République, & particulièrement à Ciceron Catulle^.' qui ne haïllbit pas le caradere des efprits libres. p

Les anciens Critiques ont dit beaucoup de bien de fon ilyle & de fes manières, àc i-I femble qu'ils ayent voulu fe décharger fur les modernes du foin d'en dire le mal qu'ils en penfoient. Ils nous ont vanté la pu- reté de fa diction , fon élégance , fa naïveté^ douceur & fatendreife (2), qui font des qualités que l'on remarque encore aujour- d'hui dans ce qui nous eiY refté de fes Ou- vrages, mais on s'ell donné beaucoup de peine pour y chercher celle de l'érudition que Martial lui attribué (33. Ceux qui

croyent

nilée P/jafmdy dont parle le même Javénal Sat. Im^ephhètç d'urbiifii's eft {ynonyme d^ur biens & d'wrtt- cAnu' pris pour Mimographe, Compofeur de farces. Auflî ce Catulle parmi les Critiques eft-il- appelle Vurbicdiire pour Ic diftinguer de l'iiuire.

3. Martial Epigramm. VerouA Do^i SylUbAs am*t Vatii,

51. A confidérer la peine qu'on s'eft donne'c de re- chercher les raifons qu'ont eues les Anciens de déférer à Catulle le nom de dode, on diroit qu'ils le lui ont tous unanimement déféré, fans lui donner ja- mais d'autre cpithëte. Je ne lâche néanmoins par- mi eux qu'Ovide 6c Martial qui lui ïiient fait cet hon- neur, à quoi tics- affliremçnt la commodité du vers- a beaucoup contribue j car une choie à remarquer, «'eft qu'on ne cite nul Ancien qu: en proie l'ait ap- pelle dofte. Mais quelles font après tout les rares» preuves de Ton érudition r Barthius les fait confiftcx àans quelques traduétions de vers Grecs en vers La- tins. Il n'y a pas, ce me lemble, de quoi tant le lé- cricr. Horace auroir incomparablement mieux tra- duit rode dcSappho, & Tibullc, Properce ou O vide l'Elcgie de Callimaque. Le Grec à Rome étoir plus commua du tems de Catulle ^ qu« le Latin ne-

^4 Poètes Latins.

Catulle, croyent avoir rencontré fa pcnfée (i), dî^ lent que Catulle a été appelle doàe par quelques Anciens pour avoir été le pre- mier qui ait fu la manière de tourner en un beau Latin tout ce que les Poètes Grecs ont eu de plus beau & de plus délicat, & tout ce qui paroiflbit inimitable: & pour avoir parfaitement réulfi, en alfujetliifant cette Langue aux nombres & aux mefures que les Poètes Grecs avoieut données à la leur (2)..

Mais quoique les Critiques conviennent prefque tous qu'il n'y a rien dans tous les autres Auteurs du bon fiécle qui foit com- parable à cet air naturel ,. avec lequel Ca^- tulle nous a reprefenté la Langue Latine dans fa pureté originale, c'eft- à-dire, dans toute fa (implicite & dans fa nudité entière^ fans fard & fans ornement étranger; il y en a peu d'entre eux qui ne nous ay^nt fait remarquer quelques défauts, en nous fai- iànt voir fes bonnes qualités.

Scalîger le Père qui dans un endroit de îà Poétique dit (3), qu'on trouve dans ce Poète tous les enjouemens dont la pure

La-

l*eft' {juiourd'hui parmi aous. Le titre de diofte eft d'ailleurs naturellement confacré aux Poètes. Clau- dien l'adonné àEnnius, Stace, à Lucrèce, Ovide a Calvus, & même généralement à tous. Les Poctes, en ce vers de fon 3. Livre^<; ^rtty

v^ dotîis prêt htm /'ceins ejl fperari PoSfis-, pur ou il donne à entendre que ïts Belles ne doive nt point vendre leurs faveurs aux Poètes, c'eft-à-dircà tous- ceux qui s'acquièrent de l'eftimg dans cette profeffion , fans qu'il faille que les Dames avant que à&ks honoieiLde leuis b»iuèsr duniM^tT-comme

les.

Poètes h k t t k s. 8f

Latînité eft capable , témoîgne (4) en un catuirçi autre, qu'il n'y a rien que de commun & de vulgaire dans tout ce qu'il a fait, qu'il a des mots & foiivent des expreffions dures; &que néanmoins il eft quelquefois li lâche & fi mou, qu'il n'a point de confiftance; & que ne pouvant fe foutenir , il fc laifTe aller au penchant que lai donne fa propre foiblelîe. Il ajoute qu'il y a dans Catulle beaucoup d'infu»nies&de faletés qui le font rougir y beaucoup de choies languilfantes qui lui font pitié, beaucoup de chofes en- taffées & ramaffées fans choix qui lui font peine, & qui font voir qu'il n*étoit pa^ tout-à-fait libre capable de fe retenir, lorfqu'îl fe trouvoit emporté par l'impe- tuofité de fbn- naturel & la neceffité des- vers.

Scaliger le fîls n''en parle pas tout-à-fiiit fi mal, & il fe contente de dire (5) que ce Poète eft fort fcrupuleux, &. fort incom- mode dans Taitache qu'il fait paroître à ne ren écrire qui puilfe choquer la pureté de lu Langue Latine.

Vofîius dit (6) qu'il s'eft contente d'ex-

pri-

tes femmes favantes de Molière ^ fi cesMelïïeurs fa»- V€nt du Grec.

1. Gafp. liarthius Adverf. lib. xxjcviii. eap. 7-.. toi. 1730.

2. Idem Barth. Adv. lib. vin. cap. 22.pag.407;

3. JmI. CxI, Scaliger Poctices lib. j. c. 16.

4. Idem Jul. Scaliger. lib. 6 ejufd. Operis cap. 7.

5. Jofeph.Scalig. fil. inpiiraisScaligeranis pag. 47.

6. Gérard. Joaii. Voflius lib, 3. Inftituc Toëticdl^. Ifag. 107.108;

Item ibidem pag. 56. ejufd". librL Itya.libxo ^riino ejufdem Opciis pag, 75;^

D 7

S6 Poètes L a t r k s.

Catulle, primer Tes paffions & les mouvemens de ion ame, avec les couleurs qu'il a cru les plus vives accompagnées de cette élégance qui lui étoit naturelle, mais qu'il a une âpreté qui choque la délicatefle de nos o- refJles,; & que cette dureté que tous les bons Critiques remarquent en lui , vient particulièrement de fes fréquentes éliiions, c'eil-à-dire, pour parler en termes de Poé- tique , des Ecihltpjes (i) , & des Synale- phcs (2), qu'il met fouvcnt en ufage dans la Penthemimere ^ qui eft la céfure qui fe fait au cinquième demi pied du vers Penta- mètre, c'ell-à-dire, à la fyilabe qui fuit les deux premiers pieds de cette efpece de vers.

Le Père Briet etoit aufîl dans le fenti- mcnt de VoiTius , touchant la dureté des- vers de Catulle (3) , & il s'y e(i confirme' d'autant plus volontiers qu'il le voyoit ap- puyé de l'autorité des deux Plines.

Il femWe que le Père Rapin y ait enco- re trouvé d'autres défauts , tels que font ceux d'être trop diffus & trop babillard. Car il dit (4) que Catulle ayant été le pre- mier des Romains qui commença de don- ner le beau tour de l'élégance à la Langue,. ne favoit pas encore le ^and précepte d'Horace, qui veut qu'on retranche beau- coup ^ & qu'on parle peu^ M^is

ï. Collifions de Tm.

2. CoUifions dts voyelles & diphtongues.

-j. Philipp. Briet lib. 2. de Poëtis Latin, pag. r^v t5. ante acurè diûa, &c.

4. Ren. Rapin , Conî]»ai» d'HQm. & Virg.chap. y, pag. 42. edict iii-4.

5. %^

PoETE^ Latins. 87

Mais il y a un, autre vice qui eft incom- Catulle, parablement plus blâmable dans Catulle, & qui le rend haïllable à taus ceux qui ne fe font pas encore défaite de la pudeur. C'elt l'impureté dont il niï infcclé jus- qu'aux mouelles, & qui eft répandue dans prefque toutes les parties du corps de fes ■Poelies.

L'AuteuF anonyme (5-) du choix des E- pîgrammes Latines, a tâché de nous en ins- pirer une horreur lalutaire & une haine parfaite. Il dit qu'il n'a pu voir fans une grande indignation (6). que des Ouvrages aulîl abominables que ceux de Catul'e & de Martial , foient tolérés dans le Chrirtia- nifme; &, ce qui ell: plus pitoyable, qu'ils foient foufterts entre les mains des jeunes gens.

Il prétend même, qu'à juger des chofes félon les maximes de Thonncteté Civile & Païenne , on ne trouvera dans toute leur galanterie aucune véritable délicatelîè, aucune marque de cette Urbanité i\ vantée chés les Anciens (7J.

11 dit ailleiirs (8) que ces deux Poètes ont fait connoî re non-feulement qu'ails é- toient ennemis de la vertu & des bonnes mœurs, mais même qu'ils n'avoient aucu- ne politefTe ni aucune ûneiTe pour le bon

goût

s. f. p. Nicole, Se non pas, cortîmc Ta cm Mé- nage, Dom Lancelor.

6. Epigrammat. Dele£k. édition. Caroli SdTieus anni 1659. in praifat. op.

7, Non urbanus fal , fed iUil/era/is dlcacitus^

». Idem Autlor Dele£i. Ep, DiflciUlioaC de vç» (ulcxitudiuc ôcc, pag. 2^

SB Poètes I. a t i » si

Catulle, goût des chofes. Et pour me fervir de la fTadudlion de Mr. Bayle (i), cet Ànony- me a eu railbn de dire qije Catulle & Mar- tal étoîent des efprits groiTiers&ruftîqueS', & plus propres pour les converfationsd'un corps de Garde que pour celles d'une ruel- le U).

En effet, le même Mr. Bayle, Ca- tulle qui apafîe toujours pour l'un des plus- galans Poètes de l'Antiquité, & Horace qui a fait toutes les délices de la Cour d'Augufte , ont été fonvent auffi libres dans leurs Poëlies, que nos Théophiles, nos Sigognes, nos Motins, nos Berthe- îDts , qui font l'horreur des honnêteS' Gens,- & qiii ne plaifent qu'à des Soldats & à des Laquais. Il ajoute que c'étoit le défaut du liécle de ces Anciens, autant &- plus que celui de leur efprit,puifque l'Em- pereur Augulte qui devoir être l'homme le plus poli de fa Cour, compofoitles plus infâmes & les plus horribles Vers qui fa puiiTent lire. Cequi , félon cejudicieux Cri- tique, eft une marque évidente qu'encore que notre liécle ne foit pas plus chafte que ks autres, il eft au moins plus poli & plus honnête pour l'extérieur ; & que les loix de la bienféance font à- prêtent plus févé- Ees & plus étendues qu'elles n'ont jamais- été (3). Ce goût des derniers ficelés, dont \h

fem-

r. M. Biiyle, Nouvelles delà République dés Lct- «es de Juin 1684. pag. 364. Z. Caprimv.l^i ij t'ojfore;.

t. Le même Auteur parUnt de l'éditiça de Catul--

Poètes Latins. 89

(emble qu'on ait voulu flater les Poe tes Catulïc; modernes, n'a point encore été (i univer- fel , qu'il lie fe foit trouvé des dctenfeurs de Catulle, & des autres l'octes licencieux de l'Antiquité ; à. on a vu entre les autres un Italien nommé Rohert Titius , qui a bien ofé publier une Apologie pour Catul- le, fous prétexte que tout n'efi point em- poifonné dans Tes Ouvrages. iMais on ju- ge néanmoins qu'il a perdu fli peine, par- ce que, félon la remarque de Mr.de Sain- te Honorine (4) , ce que l'on trouve de l-yon dans les Poètes impurs n'en juftifiepas la ledlure-

Ce n'eft pas feulement l'obfcénité qu'on a blâmé dans Catulle^ mais c'eft encore la hardieffe qu'il avoit de déchirer les Gens par des vers mordans & injurieux. Cre- mutius Cordus dans Tacite (5-) dit, que bien que la République eût changé d'état depuis que ce Poète avoit écrit, on nelaif- foit pas de lire encore avec liberté fous les Empereurs mêmes les vers de Bibacu- lus & de Catulle remplis de médifance contre les Cefars, & ces grands hommes ont fouffert ces libertés avec autant de pru- dence que de générolité. En effet nous lifons que Jules Cefar ayant lu une pièce que Catulle avoit faite contre lui , le pria. à fouper chés lui le Jour même.

Pour ce qui regarde la comparai iba

qu'on

le par M. Voflîus pag jéj ^c.

4. Clavigny de Sainte Honorine de Tufage des Li- vres fulpeas chap. 2. pag. 24.

5. Corn. T.>cit. lib. 4. Annal, cap. I. pag. i$9. ie U tiad. d'Ablanc.

ço Poètes Latins. Catulle, qu'on a coutume de faire entre Catulle & Martial , les Critiques ne fe font point en- core accordés pour le point de la préfé- rence qu'ils veulent donner à l'un fur l'an- tre. On ne conteitc^ point à Catulle l'a- vantaqe qu'il a far Martial pour la pureté & les agrémcus du llyle. Il y a bien de la différence, dit Voffius (i), entre le llylc du premier 6c celui du fécond. Celui-là efl du bon fiécle, au lieu que celui-ci fe fent déjà de la diminution ai des difgraces de la Langue Latine.

Le caractère des Epigrammes de Catul- te, félon un autre Critique Anonyme (2), cft d'être tendre, mou (3), efféminé, pur & délicat. C'elt ce qui l'a rendu li agréa- ble à plufieurs, qu'ils l'ont jugé pour cet eifet préférable à Martial. Mais il ajoute que ce n*eft pas le fentiment des autres, parmi lefqucls il femble vouloir prendre parti. Ceux ci difent qu'avec toutes ces belles qualités les vers de Catulle ne laif- iènt pas d'être prefque toujours vuides de fens , que ce ne font au plus que des badî- neries agréables & plaifantes,& qu'il folâ- tre fouvent fur des riens: de forte qu'au lieu de prétendre que ces qualités foient louables en lui , ils veulent au contraire qu'on les conlidere comme des vices auf- (juels il donne de l'agrément & de Télé-

gan-

1. Ger. Jo. VofT. lib. 3. Inftitut. Poctic. ut (ùprà lib. 3 pag 108.

2. Anonym. Auft. Dcleft. Epigramm. lib. 6. pag.

313- 314-

3. %. Il y â daus le Lsn'm mollis <\\i' il faloit rendre

par

Poètes Latins. 91

gaiice. Ils elliment qu'il n'etl pas difficile Catulle, à plulieurs d'exprimer dans leurs vers cette teiidreife de Catulle, pour peu qu'ils ayent d'ulnge de la Langue Latine k d'iiiclina* tion à la galanterie : mais qu'on n'a pref- que vu pcrfonne Julqu'icf qui ait pu repre- ftnter la force, la fubtilitc, les rencontres ingenieufes, les pointes & la fineffe d'ef- prit que l'on trouve dans les Epigrammes de Martial. Je penfe que Mr. Richelet a eu auffi la même penfe'e, lorfqu'il a dît que la plupart des Epigrammes de Catulle font des Epigrammes à la Grecque, c'eft- à-dire , fans beaucoup de pointe (4).

Le P. Rapîn dit néanmoins (5-) que les gens de bon goût préfèrent la manière de Catulle à celle de Martial, c'eli-à-dire, la belle penfée à la pointe des mots, parce qu'il y a plus de vraie délicatefle dans l'une que dans l'autre. On doit mettre ûu nom- bre de ces perfonnes André Nauger Poète Vénitien ,que cet Auteur dit avoir été d'un difcernement exqu"s en ce point. Ce Nau- ger par une antipathie naturelle contre tout ce qu'on appelle pointes dans les Epigram- mes, faifoit tous les ans la fête des Mufes, aufquelles il rendoit un culte fuperftitieux au milieu d'une Ville Chrétienne, & au jour de cette fête il ne manquoît point de iâcrifier aux Mancs de Catulle, qu'il ho-

noroit

p^t doux , amoureux.

4. P. Kichelet Di(flionairc François pag. 2p<î. au mot Epigramme.

5. Ren.Rapin, Réflexions particulières (ui UPcc- ii«iue, fccoûde pattic , Rcficx. xxxi.

91 Poètes Latins.

Catulle, noroit particulièrement, un Volume d'E- pigrammes de Martial qu'il avoit en hor- reur. Paul Jove dit que^'eit à Vulcain qu'il faîfoit ce facrilàce (i). D'autres di- fent qu'il faifoit cette cérémonie le jour de fa naiiTIince^ & que ramailànt tout ce qu'il pouvoît rencontrer d'exemplaires de Martial dans la Ville de Venire,il lesbrû- loit tous en cejour. Quelques-uns même ont dit (2) la même chofe de Muret , à l'égard de Catulle, pour qui il avoit beai> coup de vénération, & qu'il ta choit d'i- miter ; de forte que cette diverfité d'opi^ nions pourroit fervir de motif raifonnable à ceux qui voudroient mettre ce fait au rang, des contes faits à plailîr. Quoiqu'il enfoit, tout cela s'eft dit pour faire voir que Nau- ger & Muret elUmoient le caradlere de Ca- tulle préférable à celui de Martial. * Vo- yés l'Article uyi.

Nous avons parlé ailleurs du travail 6c des éditions que Scaliger, Mr. Vofîius le fils,[in-4. à Londres 1684.J& d'autres Cri* tiques ont données de Catulle.

P U-

r. Paul. Jovius clog. 78, pag. 180. edit. B-afiî,

in- 12. Deleft. Epigrammat. fupr. citât, lib. 7- pag. 3<îJ- Hieronym. Fiacador de Arte PoëticaSammaithaa.

& alii.

2. ^. Fauflement.

3. Cefar l'effimoit jufqu'à ce qu'il en eut étécho- ^e, ou plCuôr jufqu'à ce qu'il eut connu 6c gout«

Poètes Latins. 93

PUBLIUSSYRUS,

Ou de Syrie ^ Poète Mimique ou Mimo- graphe, c'ell-à-dire, bouftbn & baladin, contrefiiilant les adions ou les paroles

des autres pour les rendre ridicules au Public , vivant fous Jules Ceiar & les Triumvirs.

ii4i. "p^Ecîus Laberîas Chevalier Ro- pubiiusSy-

JLy main, alFés eib'mé (3) pourfes^us. Mimes ^ dont il nous relte quelques frag- mens recueillis dans l'édition de Lyon en 1603. On-4] & dans Mac robe (4), étant moit à i^ouzzol dix mois après raitaffmat de Jules Cefar en la fe-conde année de la 1S4. Olympiade : on vit monter fur le Théâtre avec plus d'éclat ce Publius vena de Syrie, & il etîaça Laberius.

Il ne nous relie plus de Tes Mimes que les Sentences qui en turent extraites des le toms des Antonîns, comme il paroît par ce qu'Auiu Gel le en a écrit (5"). Elles ont été fouvent imprimées avec les Notes de divers Crin'ques, & l'on ju^e que la meil- leure édition ell celle que Mr. le Fevre en a donnée à la fin de fon Phèdre.

Les

rublius. Mais Horace témoiguc piir Tes vers de la dernière Satire du fécond Livre qu'il n'en fâiloit pas beaucoup de cas.

4. M:iciob. Saturnal. lib. z. & ex eo lib. Grcgor, Gyrald. de Hftor. Toëtar. Dialog. 8. pag. 914. 9i>.

5. Agcll. l'en A. cï. in Nod. Attic. Itcni L. G. Çiyt. m lupr, Ôc Q, J. Voff, de Poct, LatuLlib. ling.

lus.

94 Poètes Latins.

PubhusSy- Les Anciens eoûtoient C\ fore tout ce qu avoit tait cet Auteur qu Us le jugeoient preTe'rable à tout ce que les Poètes Tragi- ques 6c Comiques avoient jamais produit de meilleur, foit dans la Grèce, .foit dans ritalie. C'étoit le fentimeni de Jules Ce- far , c'a été depuis celui de Caflius Seve- rus,& celui de Seneque le Phiiofophe (i). Parmi les modernes on peut dire que les deux Scaligers ont enchéri encore fur des témoignages (i glorieux. Le Père écrit (2) , que Publius a fu tout feul dépouiller toute ia Grèce de la gloire qu'elle avoitac- quife par Tufage des railleries fines & a- gréables, des bons mots & des rencontres ingenieufes pour s'en revétir-iui-même. Et le fils n'a point fait difficulté de dire (3) qu'il renferme des chofes plus excellentes que tout ce que les Philofophes nous ont enfeigné. [Voyés l'Article 11 31.]

I. F U-

t. C. Jul. Caef. apud A. Gell. & Macrob. Item Glandorp. in Onomaftic. pag. 728. G. M. Konig. Bibl. V. & N. pag. 668.

Caflnis Seveius apud M. Senecam Patrem contro- verl". 3.

Luc. Senec. Epiftol. 8. Item Tanaq. Faber prac- fat. in Publ. Syr. num. pag. 165. poft édition, Phac» dri fabul.

2. Jul. CxC. Scaligc: Poctices lib. i. cap. 10. pag. 4î. Item pag. ià«.

3. Jofeph. Scalig. in Scaligeran. pofterior. pag.

234-

4. Tacit. Aanal. lib. 4. cap. 8. pag. i68.deJatia«

Poètes Latins. 9^

1. FURIUS BIBACULUS,

la féconde année de la 169. Olym- piade.

1143. /^Et Auteur nous efl: reprcfenté Bibaculus.

V^ par les Critiques comme un Poète méditant , railleur & mordant (4) c'eft ce que nous avons déjà dit fur la toi de Cremutius Cordus au fujet de Catulle. Horace l'a tourné en ridicule par une efpe- ce de Parodie qu'il a faite d'un Vers ce Poète difoit que Jupiter crachoir des neiges fjr les Alpes (5-). Néanmoins on juge qu'il ne devoit pas être un li méchant Poè- te, s'il eft vrai, comme Macrobe l'a pré- tendu, que Virgile même l'a imité en di- vers endroits (6). [Voyés l'Art. 1131.]

2. C. Rabirius qui vivoit fous les Rabiriw. Triumvirs , étoit un Poctc de grande importance , que plufieurs lui donnèrent

le preniicr rang d'après Virgile. Il avoit fait un Pocme de la guerre entre x\ntoine & Augurtc. (7).

Mais

duaion d'Ablanc.

5. Horat. iib. r. Satir. 5.

Fnrins hirernas cana iiive conffHi't ^!fes.

é. Macrob. Iib. 6. Sarurnal. cap. i. quibus adde Ger. Jo. Voflniin Iib. lîng. de Poët. Lat. Philipp. Brictium Iib. 2. de Toët. Lat. Oh^um Borrichiiim Differtar. de Voèr. L:it. pag. 47.

7. Vcllcjus Parercul lib. 2. Hiftor.

Ovidius lîb. 4 Eleg. ex Ponto uJtim. Qi^iintilian. l;b To Xnftit. Oiat.

Vofl'. de Hiftor. Lat, lib. i. cap. 21. pag. tu. & lib. ling. de Poët. L;u. pag. 24. & alii icccwioïc» paflim.

&Rabinus

96 Poètes Latins.

^ibaculus,^ Mais comme on n'a point fait, ce me

°" ' femble, de recueils particuliers des frag-

mens de Bibaculus, de Rabirius (i) & de divers autres Poètes Latins qui ont para fur la fin de la Republique & le commen- cement de la Monarchie, & qu'il ne s'en trouve que quelques Vers qui fe font con- fervés dans quelquesOuvrages des Anciens venus jufqu'à nous, je crois qu'il clt af- fés inutile de rapporter les jugemens qu'on en a portés, puifqu'il ne nous reQe plus rien qui foit capable de nous en faire faire l'application.

V A-

T. ^. Il ne refte de Rabirius qu'un demi- vers hé- xamet.e cité par Senéque 1. 6. des Bicnfi-its c. 3, Ma's pour les fragmens de Bibaculus ils fe trouvent avec teux d'autres viel^x Poètes, en divers recueils.

2. ^. C'eft,nonobftant l'autorité des infcriptions anciennes, une mauvaifc afteétation d'écrire contre l'ufage ordinaire, ^inclus pour ^intus. Il auroit du par cette raifon écrire HttinRilins.

3. '%. On doit bien fe garder de confondre Quîn- tilius parent de Virgile avec Quintilius Varus Gene- ral de l'Armée d'Augufte en Allemagne. Celui-ci mourut l'an de Rome 760. 6c l'autre 729. Je luis perfuadé que c'eft par erreur qu'on a nomme Varus ce dernier, 5c qu'au lieu de ^nintiUtim Varurn qu'on lit dans le texte corrompu de Servius fur le vers 20. de la ). Eglogue de Virgile, il faut lire limplement ^'intiliurK, S Jérome dans fa Chronique ne l'ap- pelle que Quintilius, ajoutant qu'il etoit de Crémo- ne, ami de Virgile 6c d'Horace. Quintilius Varus qui fe tua en Allemagne étoit aufll ami de l'un ôc de l'autre. Il avoir rendu à Virgile de grands fervi- ces, Àimo'it les vers, 6c li l'on s'en tient au texte

cou-

PoEtEs Latins. 97

VALERIUS CATON. Du tems de Cîceron :

&QUINTILIUS0UQUINC- TUS (2) VARUS,

Du teriTS des Triumvirs (3).

II 44 /^N prétend que nous avons quel- Caton.

Vj/ques Poëlies de ces deux Au- teurs, mais que jufqu'à notre fiécle e:les n'ont point porté le nom de leurs Pères. La polkrité qui ne les connoilFoit pas, n'a pas laillé de remarquer dans ces pro- ductions quelques traits qui lui ont faitju-

ger

couranr de Servius, en avoir fait quelques-uns, qui nonfiftHdy dit- il fur le 35. vers de la 9. Egioguc, cay tninA ûripfi:, il eft vifibje qu'il avoit écrit nuila^

fiarce que pour prouver que c'étoit rario qu'il fa- oit lire en ce 35- vers, & non pas Varoj il fe fcrt de cette diUinition, que Vaiius etoit un Poète , ôc Varus un Capitaine qui ne fe mêloit pas de vçis,qki tîulla carn-anJ. irip/ïr , cela eft fenfe J nonnulU f.iJt Un contrefens, Horace 6c Virgile parlant du Capitaine Quintilius Vaius, l'appellent toujours Varus, & ne donnent point a entendre qu'il fut Pcëte, car il eft fur que dans l'endroit cideflus allègue , la leçoa Ni'.m mc^At iiihuc Vayio ell véritable. Virgile n'a fait dans les vers nulle mention de ^intsLus, à moin» qu'on ne dife que c'cft lui qu'il a regrette dans fa 5. ïgloguc en la perfonne de Daphnis. Horace qui dans fon Art Poétique parle de ceQuintilius commo d'un Critique intelligent & lîncere n'en parle dans fa 2^. Ode du 1. i. que comme d'un honnête hom- me. On trouve fouvent par la faute des Copiftcsle nom de Varus , pour celui de Varius. Ainfi dans Mairial liv. vin. 5s. au lieu de ^»i V^rojy UfA^t, lrè5-certainenient, liic ^ i Varios.

TQm, IIL E

çS Poètes Latins. Caton. gçj qu'elles dévoient être de quelques Au- teurs du bon fiécle. C'eft ce qui les a fait publier fouvent fous le nom de Virgile, pour leur donner quelque éclat & quelque crédit.

La pièce qui porte le nom de Dires ou Furies appartient à Valerius Caton, fi l'on s'en rapporte au jugement des deux Scali- gers, & de ceux qui les ont fuivis. Ce Caton , qui étoit Gaulois & qui avoit fait encore d'autres Poèfies fous le titre <\q Ly- die & de Diane , eft appelle la Sirène des Latins dans Suétone (i). Et fon Poème des Dires parut fous fon nom àLeydel'aa 165-2. avec les Notes du Sieur Chriftofle Arnold.

Jules Scaliger prétend que Q. V a R u s eft le véritable Auteur de V ALtna (2). Il juge par cette pièce que c'étoit un Poète de conféquence, h qu'il avoit bien mérité les louanges dont les Anciens l'avoient honoré. Il ajoute que le (lyle en eft grand & magnifique, & que l'Ouvrage ne taifoit pas trop de deshonneur à Virgile, lors qu'il portoit fon nom (3). * Vo-

I. Suet. de Grammat. illoftrib. in Val, Cat. poft Vit. CxC

z. Jul. Csf. Scaliger. lib. 6. Poëtices pag. 85 j.

854-

D'autres difent que cette Pièce eft de Cornel. Se-

yerus qui vivoit fous Auguftc.

^. Ceux-ci ont raifon, ayant pour -eux un palTa- ge qui fe trouve dans Sencque, Epit. 79. fie qui dé- cide la queftion.

3. Philipp. Brict. lib. 2. de Poctis Lat. pag, zt.

4. %, Le genre nemre parmi nous étant le même que lemafculin & en ayant le nom il femblcquele mot KftTA^iKTct qui cil du ucutie en Ciec » devroit

ctie

Poètes Latins. 9^

* Voyés Corpus Poëtarum à TArtîclc 1131. *

Lesdcux VARRONS, c'eft-à-dîrc,

1. Marcus Terentius Varron Ror/ia'm^ la première année delà ié6. Olym- piade, la 638. de la fondation de Ro- me, dix ans devant Ciceron & Pompée, mort la première année de la 188. O- lympiade, âgé de près de 89. ans, 28. ans devant notre Epoque.

2. Publias Terentius Varron Gaîdols^ au quartier de Narbonne , dans le J/illage ^ Atace [tir Aude , rivière qui portoit alors le 'même norad'Atax ^ la troiliéme année de la 174. Olympiade.

1145" IL nous efl refté d'vers fragmens Marc. t«,

I. 1 de plufieurs Poèmes que le Var- Vairo.1. ron Romain avoit compofés, & particu- lièrement de Tes Satires Mcnippccs. On trouve au(îi quelques Epigrammes de Ç\ façon dans l'Appendice ou les Gataledes de Virgile que Scaliger a recueillies (4'», dans

le

erre parrrii nous du mafculin. BaUlct cependant fait ici CMaleHes du féminin , ce que je lui p.ilte d'iutàut plus aifcment , que ce mot , pour peu qu*il fût ad-^ Biis dans notre Langue, y devicndroit bientôt fémi*' nia, & cela uniquement à caufc de L\ terrninaifon,^ qui eft féminine. Ainfi , nonobftai.t les neutres à.\iiic4o't% fc !J-xi\iyL nous difons de curieufes ar.ecdo' tes , & de bonnes Scholies. Cette laifon s'étend lut bien d'autres mots qui régulièrement devroient être nmlculins, & que nous faifons féminins, tau» dis que , pat une bizarrerie merveilleufc , dÎAUt.c , mai- gre la terminaifon féminine, & malgré fon genre qui eft féminin en Grec éc en Laciu , ac iiiSc pas Q'cti« niaîculiu eu f lançeis.

£ i

icx) Poètes Latins. Marc. Ter. Je recueil des anciennes Epigrammes,don-

Vairon. ^^ p^j. j^^ ^^jj^j. ^^ jyj^.^ Pithou iViné, &

dans la colkdion des fragmens qu'un Cri- tique de Frife, nommé Aufone Popman ou Popma, publia à Franeker Tan I5'90 Pub. Ter. 2. Le Varron Gaulois, quoique d'une Varron. réputation fort inférieure à celle du Ro- main, ne laiflbit pas d'être aufli bon Poè- te que lui, c'eft peut-être ce qui a donné lieu à tant de Critiques des fiécles palîés de confondre le^ Poëlies de l'un avec cel- les de l'autre (i). Il avoit fait divers Ou- vrages en vers, dont on a recueilli les fragmens avec ceux des autres anciens Poè- tes imprimés à Lyon 1603. & dans le re- cueil de Mr. Pithou. Ses principaux Poè- mes étoient celui de la guerre des Sequa^ «ois^ c'eft-à-dire de cette partie de la cin- quième Celtique ou Lyonnoife, que nous appelions aujourd'hui Franche-Comté ; celui de V Europe; & félon quelques Sa- vans, celui des Aftronomiques qui porte le nom du Grammairien Fulgence Plancia- de (2), & qui a été auiTi quelquefois attri- bué

1. C'eft ce qu'a fait auflî Lil. Greg. Girald, Dial. de Hift. Poët. pag. 442. 443.

2. C'eft Pierre Pithou qui ne fiichant de qui étoit ce fragment du Poëme intitulé ^Jironomita^ crut, apparenmicnt fur ie -ftyle , pouvoir l'attribuer au Grammairien Fulgence Planciade. Il ne le nomme à la véiitc que Fulgence fimplemcnt, mais quel au- tre Fulgence pourroit-il avoir entendu que le Gram- mairien? Il ne rejette pourtant pas, dit-il, la con- jefturc d'un favant homme qui donnoit ces vers à Varro Atacinus. Ce favant homme , jeune encore lorfquc Turnebel. i^, de fes Udifrftria c, 3, en apar-

le

I

Poètes Latins. ioi

bué à S. Fulgence de Rufpe. Maïs le plus rnb.Tcr. conliderable des Poèmes de Varroti eiï ce- vanon. lui des Ârgoyjautes en quatre Livres. Ce n'étoit proprement qu*unc tradudlion de l'Ouvrage d'Apollonius de Rhode; mais Quintilien le loue de s'en être ailés bien acqu (3) , quoiqu'il juge qu'il n'étoit point propre pour perfedionner les jeunes gens dans l'Eloquence. Le Père Briet dit que les Grammairiens ont donné beaucoup d'éloges à cet Ouvrage en particulier, <5c Seneque le Père rapporte de Julius Mon- tanus (4) que Virgile ellimoit fi fort ce que Varron avoit fait , qu'il employoit quel- quefois de fes vers en fe contentant de les rendre meilleurs & de leur donner plusd»; force. [Voyés l'Art. 1131.]

C. HELVIUS CINNA,

Du tems des Triumvirs.

1146 î L avoit compofé divers Ouvrages cIdm* 1 en vers fur Achille^ 'ïelephe ^ A>r-

le, n'eft autre que Pierre Daniel d'Orléans. La con- jcdutc de Pitliou paroit plus jufte. Les vers, qui dans les recueils pafl'ent pour ëtie yéritablement de ce Varron , font d'un autre goût. Turnébe cepen- dant les appelle graviffimos cr polnijjimts , & dit que c'cft le célèbre Henri de Mefmes , qui les ayant dc- tciies lui en fit prêtent.

3. Quiniilian. icftitution. Orator. lib 10, cap. i.

4. Marc. Seneca controverf. 16. Item Ger. Jo, Voir, de Hiftoricis Latin, lib. i. cap. i6. pag. 77. 7*. Ucni lib. lingul. de Poctis Latin pag. 21. 22. &: 64, Item rithœus Pra:fat. in colleft. Epigram. Philip. Biiet. l;b. i. de Poët. Lat. pag. 16,

E î

Cinna,

loi PoETïS Latins.

xès^ ^€. Maïs il femble que fa Smyrne à laquelle il employa neuf ans , aie eu plus de réputation que les autres , quoique ce Poëme fût obfcur & difficile , & qu'un ancien Grammairien nommé Crafîitius fc crût obligé d'y faire des Commentaires pour remédier à cet inconvénient , en quoi il paroît qu'il avoit réulTi, comme nous l'ap- prenons d'une vieille Epigramme rappor- tée par Voffius (i). Nous en avons quel- ques fragmens qui fe trouvent avec ceux des autres Poètes perdus. Le P. Briet dit (2) que ce qui nous eft refté de fon Achil^ le^ de fon T'elephe^ & de fon Xerxès a

l'air

î. Ger. Joan. VofT. de Poct. Lat. 1. Cng. pag. ijn cap. I.

01, Borrich. de Lat. Poct. Differt. 1. p.49-

%. Ce n'eft pasVofCus qu'il faloit citer , mais Sué- tone^ dans fon livre des illuftres Grammairiens d'où Voffius a tiré cette Epigramme.

2. Fhilipp. JBiiet. iib. 2. de Poet. Lat. pag. 15, & 16.

De Smyrna cjufque novennio Catullus Carm. ptf. & Quintilian. Iib. 10. cap. 4.

IF. L'erreur du P. Briet , & fes paroles mal enten- dues ont fait croire à Baillet qu'Helrius Cinna etoit un Foëtc Tragique, & qu'il nous reftoit des frag- mens de fon Achille, de Ion Téléphe & de Ion Xer- xès. Ces chimères ont impofe à des lecteurs trop crédules. C'eft eu effet lur l'idée de ces prétendus Ouvrages dramatiques de Cinna , qu'un excellent Traducteur a cru depuis peu que la Stnyme de ce Poè- te ètoit une Tragédie. C'étoit un Poëme Héroïque dont l'amour inceftueufe de Myrrha ètoit le fujet. Smyryia en étoit le titre parce qu'en Grec cr^Jpvatfi- gnifie Myrrha. Les veis que nous en ont confervès Servrus Se Prifcien font hexamètres, ôc quoi qu'en petit flombxc lulîifeiit poar fane voix que ce n'ètoic

pas

Poètes Latins. 103

Taîr tout-à fait Poétique, & que tout cela Cinna. eft de bon goût. [Voyés T Article 1131.

C. PEDO ALBINOVANUS,

Sous Augufte & contemporain d'Ovide.

1146. I L a fait aulîî diverfes Pocfîes, redo Aîbi-

ois 1 comme font le Pocme delaZ/^^- novan»u* feiJe dont parle Ovide, celui de la Navi- gation de Germanicus dont parle Seneque, des Epigrammes , comme nous l'appre- nons de^Martial , & quelques Elégies dont quelques-unes ont été attribuées à Ovide,

par-

pas une pièce de theârrc. Labe'vuëdu P.Bricta cau- îe routes les aurres. Comme dans fon livre de Poe- tis Latinis il avoit à parler de Cinna, il confuka au mot c. Htlvii Cinn^t la table Alphabétique du recueil d'anciennes Epigrammes donné en \si>o. par Pierre Pitliou, laquelle l'ayant renvoyé a la page 59. il y trouva, tout au dellus, ces trois lignes ainfi ponc- tuées & rangées : IN COMMENTARIUM L. CRASSITII

Grammatici in Smyrnam. C. Helvii Cinnx. Trompé par le point mis mal à propos après Smyr- M4r/j,il crut que Cinna étoit TAuteur non feulement de l'Epigramme Vni Craijltio , qui étoit autant con- tre Cinna lui-même que contre Cranit:us,mais en- core des quatre fuivnntes, dont la première a pour titre de Achille, la féconde de Teltpho ^ les deux au- tres font in Xtrxem. De Ion côté liaillct, qui ne re- couroit jamais aux lources , s'eft imaginé que pat ces mots du P. Briet : fupcrjiau etiamnriyn ejus ali-^ua de Achille , Telepho , A'er.vf , il faloit entendre trois Tragédies de la façon de Cinna, & depuis fur cette imagination de Bailler, on s'eft figuré que la Smyr- nix ttoit aulTi une pièce de théâtic. Voila conamenc la pelote s'eft groliie.

E4

104 Poètes Latins.

Boviiûus/'P^^^^ qu'on les joignok ordinairement en- femble (i). Celle qu'il a faite fur la mort de Drufus Néron eft très-élégante au juge- ment des Critiques (2), & elle eft jugée très-digne d'un homme qu'Ovide appelle Poëte celefte (3). Celle qu'on a fur la mort de Mecenas eft beaucoup au deflbus pour le fîyle & le caractère Poétique ; aufll V^oflius témoigne -t-il ne pouvoir s'imagi- ner qu'elle foit de Pedon, quoi qu'en ait dit Scaliger. J. Henri Meibomius a publié ces deux Elégies (4) fous le nom de ce Poète, dont il nous refte encore quelques fragmens dans le Recueil que nous avons déjà cité fouvent , & qui parut à Lyon pn-40.] en 1603. [Ô{ dans le Corpus Poè* tarumdeGQnQVQ in-40. i6n. Voyés l'Ar- ticle 113T.

[M. Le Clerc a donné en 1703 Tous le nom feint de Theod. Goral/us^ une Edition de ce Poëte ; en voici le titre : C. Pedonis Al" hinovani Elegia III. Zîf Fragmenta cum Ih" terpretatione i^ Notis Jof. Scaliger i ^ Frid, lu'mdeyibruchîi ^ Nîc. Heinfîi ^Theod.Goralli tsf dlionrm, AmfteL 'tn-%. C'eft la meilleure Edition. Add. de l'Ed. d'AmJî.\

COR-

1. Ovidius Elegia x. libri 4. de Ponto.

Alarc, Seneca Suaforiâ prima lefcrt jj. verfus è na- vig. Gerraan.

Martial, lib. 2. Epigramm. 77. quod. in Cofco- niura.

2. Ger. Jo. Voir. lib. fing. de Poët. Lat. pag. 3^. Et 01. borrich. Dillertat. i. de Poët. Lat. pag. 5}.

3. Ovjd. Elegia ultim. lib. 4. de f onto. Vofl. ue fupra, &c.

%, Sidcrtu'~cjue Petit.

•*. H. A Leyde in -4. 1653. à la fuite de fon Mce-

5. Quel-

Poètes Latins. 105*

CORNELIUS GALLUS,

De Frejus en Provence (5-), premier Gou- verneur de l'Egypte , depuis fa réduc- tion en Province , tué de fa propre main, la féconde année de la 188. O- lympiade , (i Ton doit s'en tenir à la Chronique d'Eufebe , 27. ans devant notre Epoque, en la 40. année de fa vie, ou 43. félon d'autres, y avoue que toutes ces dates [ont fujettes beaucoup de difficultés (6).

.1147 T E Père Rapin dît que (7), les com.Gai-

JL/ Elégies de Catulle, de Mecenas lus. (S) & de Cornélius Gallus qui nous res- tent font d'une grande pureté & d'une grande délicateife, & il ajoute que Gallus ell pourtant plus rond, & qu'il fe foutient mieux que les deux premiers.

Les autres Critiques femblent avoir pris un parti afles différent de celui de ce Père , & comme ils n'ont pas eu tous le même

fen-

5. Quelques Italiens l'ont fait natif du Frioul \ caufe de la reflemblance du nom Latin Ftmrn JuiH,

6. %. Jofeph Scaliger dans fes notes fur Ton Eufé- be eft d'accord de toutes ces dates à une année près,

7. René Rapin, Réflexions partie, fur la Poëciq. féconde partie Reflex. xxix. pag. 163. 164. eJit, in 4.

8. %. Nous n'avons aucune Elégie de Mécénas, & l'on fait, à n'en pouvoir douter, que celles qui ont été publiées (l.us le nom de Cornélius Gallus ne font pas de lui. U n'y a pour s'inftruire à fond fur cet article, qu'à lire ce qu'en dit le nouvciu Àlen*' giiUia, lçniÇi,pagC33ô, jufqu'à 346, ,

îo6 P 0 t t E $ Lattns.

Câllus. fentiment que lui pour la perfonne de l'Auteur de ces Elégies qui ont porté long- tems le nom de Gallus, ils n'ont pas eu aufli le même goût pour le fonds de TOu- vrage.

I. Pour ce qui regarde l'Auteur, la plupart de ceux qui ont écrit en ces der- niers tems prétendent que c'eft un nommé Maxîmien qui eft le véritable Père. Le Gyr-.ldî,quî ell un des premiers d'entre ces Criciques qui ont déterré ce Maximien, n'a pu retenir Ton zèle contre Crinitus (i) & les autres qui vouloient donner ces vers que nous avons à Gallus, & il ne les ac- cufe de rien moins qoede folie, d'impoftu- re & d'imprudence , parce que ces vers qu'il prétend n'avoir rien que de trivial & d'impur, font voir que leur Auteur n'é- toit ni du pays, du tems, ni de Tâge, ni du goût du véritable Gallus. Il ajoute que ce Maxîmien, quel qu'il ait été, a fait connoître par ces Elégies qu'il étoit un vrai fot & un franc fripon , & qu'on s'étoit déjà moqué de fes fadaifes avant

lui

T. ^. Rien n'eft plus faux . Gyraldas n*a point eu tout nommé, ni n'a du nommer Crinitus qu'il n'ignoroit pas s'être iafciit en faux, quelque qua- rante ans avant lui , contre les Poëlies attribuées à Cornélius Gallus. Voici les paroles de Crinitus «» 42. de Ton Ouvrage des Foëtcs Latins. Leinntttr <«- taîe najirti E.'ejinritm Itlri [ub nomine Cornelii Cdlli ^ejuA in re facile efi imponere imperitfs hominib^ts, §lui anton fauio ditigtntius anti^uitatem obfervarunt , nihil minHt ittifebnnt qtta'/i t'.t h^ec refertnda fînt ad Poctum Gallttm,

i. Lil. Gregor. Gyrald. de Hift. Poëtar. Dialog,^.

3. Juft. LipC £le^oi, lib. z, fcti. Pitiioeus Jxsf.

ia

Poètes La t i- n s. ïoj

lui (i). Il avoue néanmoins qu'il y a une C<^'n4Gti- Elegie ou deux qui ne font pas tout-à-fait "** indignes de cet ancien Gallus qui avoit l'ellime de Virgile ôl des autres grands hommes de fon iiécle. Lipfe , Mr. Pi- thou, Scaliger le fils, Voflius le père, le Père Briet, le Sieur Konig , le Père de la Rue , ont fuivi le fentiment du Gyral- di (3), & ils ont adjugé toutes ces Elé- gies à Maximien fur la toi des anciens ma- nu fcrîts.

2. Pour ce qui efl des jugemens qu'on a portes de ces vers, on peut dire qu'ils font alfés uniformes. Jules Scaliger, qui femble avoir crû qu'une bonne partie de ces Elégies étoient du véritable Gallus, s-'efl imaginé y avoir trouvé les défauts que

Suintilien (4) avoit remarqués dans les uvrages de cet ancien Gallus , c'eil pour- quoi il dit que ces vers comme il les a lûs^ lui paroiflent trop durs, parce que Quin- tilîen en avoit dit autant de ceux qu'il a- voit vus. Scaliger ajoute néanmoins qu'il a rendu cette dureté moins défagréable à

caufc

m fragm. Toët. feu Epigr.

Jol. Scaliger in Rob. Tic. Brict. dePoct. Lat. Ko- migius Bibl. V. & N.

Caiol. de la Kuënot. inaigum. Eclog. deciinz de Galio.

%. On ne peut pas dire qu'abfolument i!s fuivis- Icat le fentiment de Gyraldus, puifqiie celui-ci, des- fix Elégies attribuées à Cornélius Gallus , croyoic qu'il y en pouvoir avoit une ou deux verirabJement' de lui, au lieu que Lipfe & les autres Ciiti(^cs les ajugeoient toutes à Maximien fans exception.

4. Q»Umiliaii, Xultiruiion. Oiatoiiai, lib. x. cap. r. " E 6

loS Poètes Latins. Corn. Gai- c^y^g de quelques beautés & de quelques- grâces qu'il juge que l'Auteur y a répan- dues. Il eftime pourtant qu'il y a quelques Pièces dans ce Recueil attribué à Gallus, qui n€ peuvent venir que d'un Auteur fort impertinent & fort inepte des tems pofte- rieurs , comme eft la Pièce Lyrique ; & qu'il y en a d'autres qui font connoître qu'il ne favoit point du tout la Langue Grecque (i), & qu'il ignoroit la quantité des fyllabes, la mefure des vers, & les rè- gles de la veriification. Le Gyraldi a re- marqué la même chofe, & il ajoute que cet Auteur ne favoit pas même la Langue Latine (i), Villiomare, c'eli-à-dire, Jo- feph Scaliger & lePereBiet difcnt (3) que l'Auteur de ces vers e(t un Barbare, & dernier ajoute que les lix Elégies que nous avons font très-infames, & que ce vilain vieillard ne fait autre chofe dans toutes ces Pièces que déplorer l'impuillance la grande vieillelTe & fes maladies le rédui- foient de ne pouvoir pas fatisfaire fa bruta- lité fur une jeune hlle dont il étoic fou. Ce Père d't qu'entre les autres il n'y a rien de plus impudent ni rien de plus fale que la cinquième Elégie (4). Et pour achever la peinture d'un fi bel Auteur , celui qui a mis fa Vie à la tête de fes Elégies nous fait remarquer auffi que ce font ks vers d'un

igno-

7. Jal. Czl^Scaligeilib. 6. Pocticcs qui cft Hypci- critic pag. 8<2.

2. Gr. Gyrald. Diiil. 4. Hift. Poët. utfup. Jof. Sca« liger Anim. ad Chron. Euieb.

3. Tvo VillioKiax. Auimâdvcxf, cont^ Kab. Tlti

Poètes Latins. 109

Ignorant aulTi-bien que d'un impudique. Coin. Gai- Voilà quelle eft la morale de cet Auteur, "*' & pour ce qui eft de fon ftyle , le Père VavafTeur écrit (5-) que ce qu'on attribue à Gallus eft peu corrcâ, que tout y eft puérile & extravagant, m^ais qu'il ne nous efl rien relié du véritable Gallus.

Voyés Corpis Poètaram cite à l'arti- cle 113t.

VIRGILE.

(PuL^I. F/?X- Maro) d'Andes (6) au territoi' re de Mantouë ^ le 15". Odobre de la troiliéme année de la 177. Olympiade, la 684. de la fondation de Rome, fous le Confulat de Pompée & de CrafTus, l'année que Ciceron accufa Verres de Peculat, 70. ans devant l'Epoque Chré- tienne. Mort à Brindes le 22.. Septem- bre, la deuxième année de la 190. O- lympiade , l'année de l'Empire d'Au- gufte, 25'. à compter à la mort de Cé- lar, 24. à compter depuis fon Confulat, 12. depuis la bataille d'Aclium, 11. de- puis la prîfe d'Alexandrie ou la réduc- tion de l'Egypte , & 9. depuis qu'il fut falué Augulîe par le Sénat; 19. ans de- vant notre Epoque , c'efl-à-dire , ly. ans devant la Nailfance du Sauveur du

Mon-

loc. commun.

4. Philipp. Brict. Soc, J. lib, 2. de Poè't. pag, a6. 27.

s. Anonym. Remarq. fur les Reflcx. touchant la Poè't. pag. 127.

^t H. Aujourd'hui fnuU.

E7

IfO P O E T E s L A T I ï^ 3>

Monde; fous le Confulat de C. Sen- tius Samrninus & de Q. Lucretius Ciii- na Vefpillo; Tan Julien ou de la cor- re6i:ion du Calendrier Romain 27. & de l^Ere Efpagnole 20. âgé de jr. ans (i); & 735'. ans depuis la fondation de Ro- me; de la Période Julienne 4^95*. Cy- cle Sol. 19, Lun. 2.

Twllt, ^^4^ T 'Affedation (2) qui paroît dans

X-yle foin que j'ai pris de dater la

mort de Virgile par toutes les Epoques que

- j'ai crû certaines 6c inconteftables, & qui

ont eu cours dans l'Empire Romain , ne doit pas feulement nous faire fouvenir de la diliin6tion qu'il faut faire de fon rang & de fon mérite d'avec celui des autres: mais elle peut fervir encore à nous le faire confidérer comme étant lui-même une E- poque fixe de la Poéfîe, & com^me le cen- tre univerfel de tous les Poètes qui ont paru auparavant <Sc après lui.

Je n'ai pas crû pouvoir donner une idée de Virgile qui fût plus achevée & plus par- faite que celle-là. J'ofe dire qu'elle en- gloutit toutes celles qu'on nous en a fait concevoir jufqu'ici, & que tout ce que fes envieux & fes ennemis y ont remar- qué d'humain s'y rapporte auffi parfiîte-

ment

1. Cinquante ans onze mois fept jours.

2. ^. On a eu raifon de fc mocquer & de la prc'- cifîon afFcftéc de tant de dates, & de la conféquen- Cc qu'il en tire à l'avaniagc de Virgile.

3. ^. C*eft par ces mots qu'après avoir clairement te ruccù^^çmem marque le tem» de la jndûançi, Se

de

Poètes Latins. m

înent que tout ce que fes flateurs 6c fes Virgile, idolâtres y ont reconnu de divûir

Voilà l'expédient que j'ai trouvé pour me tirer avantageufement de l'embarras j'aurois été de rapporter les jugemens ou les éloges de plus de quinze cens Cri- tiques qui m'auroient fait faire des cercles perpétuels^ & qui m'auroient rendu infup- portable au Le6teur par une infinité de re- dites. Par ce moyen je ne me trouve plus engagé qu'à choifir un petit nombre de ceux d'entre ces Critiques qui femblent avoir le plus d'autorité, 6c qui pour n'être peut-être pas toujours également judicieux ne laîflent pas de donner grand poids à leurs jugemens par le crédit qu'ils ont ac- quis dans la République des Lettres ; & à rapporter fuccindement ce qu'ils ont dît de plus précis pour nous faire con- noître le caradcre de ce Poète & l'utilité que nous en pouvons retirer.

Nous n'avons de Virgile (3) que trois Ouvrages confidérables , écrits chacun dans un genre différent de Poéfie, favoîr les dix Ecloguss ou (4) Bucolijues , les qua- tre Livres des Géorgiques^ & les douze de rEneide. Les autres produdions qu'on lui attribué n'ont pas encore été légitimées.

Quoique les Bucoliques & les Géorgi-

ques

*c la mort de Virgile, Baillet devoir entrer en ma- tière.

4 %.\\iÀ\o\t OH les Bticoli(^ues ^ autrement il femblera qu'il y ait dix Bucoliques. Je ne dis rien éî'EclogHes^ finon , que , nonobftant l'étymologie , il auioic aùoix fait d'écrire ^glo^utt conforménicût à Tufagc,

lia Poètes Latine.

qucs ne fuflent que trop fuffifans pour ti- rer un Auteur du nombre des médiocres Poètes ; il n'y a pourtant que TEnéide qui ait établi Virgile dans la réputation du premier de tous les Poètes , & qui ait dignement exercé rinduflrie & les facul» tés des Critiques. C'eft aufîi ce Poème qui fera tout le fujet des jugemens fui- vans , aufquels je tâcherai de donner quel- que ombre de la méthode que les Maîtres de TArt ont coutume de luivre dans leurs préceptes, je rapporterai 1°. une partie de ce qui s'eft dit de plus conlidcrable fur la fable de ce Poème, 2°. fur fa matière, 30. fur fa forme, 4°. fur les mœurs, 5-0. fur les fentimens , 6°. fur Texpreffion ou les paroles, & je finirai par l'abrégé de lacom- paraifon qu'on a faite de Virgile avec Ho- mère. Mais auparavant que de defcendre dans ce détail, il faut dire quelque chofe de ce que les meilleurs Critiques de ces der- niers tems nous ont appris du deffein de Virgile en général, <§c du fuccès de foa exécution.

$.1.

Dh dcjj'cin y de V exécution de PE»eide en, général,

Jules Scaliger & la plupart des Critiques qui l'ont fuivi , ont prétendu (i) que Vir- j

gile ^

I. Jul. CxC Scaliger Poctices lib. 3. feu Idex cap. II. pag. 22g. Ren Rapin ,Ren. le BoiTii, Jean Re- aaud de Segiais ; ê; divcis âuizes Modçijies qui ont

tiaî-

Poètes Latins. 113

gile avoît eu plus d'une vue dans cet Ou- virgîle, vrage, & ils font convenus prefque tous de dire qu'il avoit voulu donner des pré- ceptes géne'raux à tout le Genre humain pour la conduite de la vie des hommes ; & qu'il avoit en même tems envifagé la gloire du Peuple Romain en général, & celle de la famille des Ccfars en particulier, dans laquelle il a pris fon Héros. A confi- dérer les difpofitions, pouvoit être Vir- gile par rapport à l'état des chofes de fon tems , & à fes intérêts particuliers , on trouve plus d'apparence dans l'opinion de ceux qui eftiment que l'utilité publique n'occupoit pas fort fon efprit que la gloire particulière d'Augufte. Ils difent que fon grand Art paroît dans l'induftrie & dans l'habileté avec laquelle il a en- veloppé fon delfein dans une infinité d'in- cîdens qui paroiffent ailés ind fférens & inutiles à fes fins , ^ qui néanmoins ne laiifoicnt pas de contribuer merveillcufe- ment à les établir.

C'eft fur ce pied-la qutl faut juger Vir- gile, (?c comme on n'a point exiger au- tre chofe de lui que ce qu'il a bien voulu entreprendre , c'eft l'exécution de cette entreprife qu'on a examiner pour voir s'il a mérité les louanges dont les uns l'ont comblé, & le blâme dont le5 autres l'ont voulu charger.

Il faut, dit Mr. de Segrai$ (2) , regarder

Vir-

traité la chofe plus nettement que quelques uns des Anciens qui ont dit la même chofe.

2. J. Ren.dc Segrais, Préface fur l'Enéide non;bie 5. pag. 8. Ôc u. A. pa». 7.

114 Poètes Latins.

Virgile, Virg'Ie comme un Sujet d'Augufte, obli- gé a fon Maître , & comme un Romain charmé de la gloire de Rome : comme un homme qui ayant reçu de la Nature un jugement merveilleux & un génie admira- ble pour la Poè'fie, avec une naïveté & une facilité que nul autre n'a jamais eue dans fa Langue pour la veriification , & qui ayant fait fes efîaîs dans deux autres genres dePoèïîe avec grand fuccès, a vou- lu paffer à ce qu'il y a de plus fublime & de plus parfait dans l'Art Poétique. Il faut auffi entrer dans les fentimens des Romains, & fe reprefenter la gloire des Céfars. Car ceux qui jugent d'un Auteur ancien, dit-il, ou qui examinent les mœurs à les opi- nions des fiécles paiïes; & qui les vou- droient foumettre au goût, aux moeurs, & aux fentimens de notre fiécle, fe trom* peroient beaucoup dans leur jugement. Il faut fe détacher de l'habitude & de la préoccupation, & fe défaire de fon fiécle, pour le dire ainfî , afin de ne fe conformer qu'à la Raifon qui nous doit faire entrer dans les fentimens de l'Auteur dont il s'a^ git. Il prétend que c'efl: en cela que Virgi- le excelle au-dellus de tous les autres. Car bien que dans la conformation de fon Hé- ros & dans quelques autres points, il y ait quelque chofe il fiille s'élever aux mœurs les plus auftércs, & fc défaccoutu- mer des nôtres, on peut dire néanmoins qu'il n'y a jamais eu d'Auteurs qui ayent

été

1. Ren. Rapin , Conipaiaifon d'Homerc & Virgile

chap.

Poètes Latins. 115'

cté de tous les fiéclcs comme lui, tant le Virgile, bon fens & le jugement paroiflent partout dans la conduite de Ton Ouvrage.

Le P.Rapin (i) voulant rechercher dans Virgile ce qui auroit pu mériter ce con- fentement général de tous les liécles pour lui donner leur approbation , a trouvé qu'il y a bien des gens qui fe piquent d'ê- tre grands Critiques , & qui le mêlent de juger de Virgile par de profondes réfle- xions, fans peut-être avoir jamais pu ap- percevoir en quoi confiée la qualité ém.i- nente de refprit & du jugement de ce Poè- te, qui le diftingue de tous les autres, & qui lui a fait prévoir le goût de la pofteri- té, comme il favoit celui de fon fiécle. Mais pour lui, dit-il, qui n'admire rien tant dans la manière de ce Poète que la modération ,& la retenue admirable qu'il fait paroître en difant les chofes, & en ne difant que ce qu'il faut dire, il a toujours crû qu'on pouvoit le diftinguer par-là.

Il faut, continué ce Père, s'appliquer à fuivre Virgile de près , pour connoître que fon filence dans de certains endroits en dit plus qu'on ne penfe , & qu'il eft d'une difcrétion exquîfe. Et lorfqu'on fait un peu entrer en fon fens, on le trouve quelquefois auffi admirable en ce qu'il ne dit pas, qu'en ce qu'il dit.

Il ajoute qu'il ne connoît que Virgile qui ait un fonds de prudence aflés grand pour confervcr toute fa modération , &

fon

chap. II. pag. 41, édit. in-4.

ii6 Poètes Latins.'

Virgile. fon fang froid (i) dans l'ardeur & IMmo- tion d'une imaginacion échauffée par le génie de la Poëfie le plus animé qui fût ja- mais. Cette maturité de jugement eftàfon avis la fouvernine perfection de Virgile. En quoi il le compare à ces Généraux d'ar- mée, qui portent dans le combat & dans la mêlée tout le flegme & toute latranqui- lité du cabinet, qui au milieu de la fumée & de la pouffiére , parmi le bruit des ca- nons, des tambours & des trompettes, & dans le tumulte univerfel , ne font attentifs qu'à ce que leur dide leur prudence <5cleur modération ,& ne confultent que leur Rai- fon. Ce qui ne peut être que l'effet des grandes âmes & d'une fageffe confommée comme étoïc celle de Virgile, qui dans la chaleur de fon emportement, ne dit que ce qu'il faut dire, & en laiffe toujours plus à penfer qu'il n'en dît.

Daniel Heinlius ne nous a point donné une moindre idée de la grandeur du deffeia de Virgile, lorfqu'il a dit qu'il avoit égalé celle de TEmpire Romain (2); non plus que Jules Scaliger (3), lorfqu'il a appelle rOuvrage de l'Eneïde un Monfire^ mais un Monftre qui n'a point de vices, & qui ne fait point horreur. Mais quelque gran- de que foit l'idée que ces deux célèbres

Cri-

I. Sens frais.

*|[. Qiiclques-uns ont cru pouvoir écrite yè-z/j //-o/V^ Mais la raifon & l'ufage font çout fang froid. Bail- ler dcvoit s'en tenir $c lupprimer fens frais qui eft ridicule, quoiqu'il femble avoir propofé cette cx- preflion comme raeiliciite que celle dont avoit uf« le P. Ka^in.

Poètes Latins. 117

Crîtîques nous ont voulu donner de ce Virgile, Pocmc , on peut dire qu'elle n'cft point allés nette.

Ainfi on doit être plus fatisfaît de celle que le P. Rapin s'eft formée dans fcs Ré- flexions (4) , il nous apprend que le dcllcin le plus judicieux, le plus admira- ble, & le plus parfait de l'Antiquité, eft celui de l'Eneïde de Virgile ; que tout y ell grand, & que tout y elt proportionné au fujet qui elt retabliffement de l'Empire de Rome, au Héros qui eft Enée, à la gloire d'Augufle & des Romains pour qui l'Ouvrage a été entrepris. Il ajoute qu'il n'y a rien de foible ni de défedueux dans l'exécution, que tout y elljuite, heureux, & achevé. De forte que Mr. de Segraîs a eu grande raifondedire (5-), que ce Poè- me ell fans doute le plus illullre monu- ment de la gloire de Rome.

Le P. Rapin témoigne encore ailleurs être dans les mêmes fentimens (6). Il croît qu'on ne peut pas confiderer le defTein de ce Pocmc dans toutes fes circon(tances, qu'on ne convienne que c'eft le mieux imaginé de tous les delfcins qu'on ait ja- mais vus ; qu'efledivement Virgile y fait paroître un goût admirable pour le natu- rel, unjugement exquis pour l'ordonnan- ce,

1. Dan. Heindiis ia Epift. ad Bljemburg dcdicat. Opeiutn Ovidii.

3. J. C. Scalig. Poëtices &c. ut fuprà. ^7

4. R. Rap. Reflexion 19. Air la Poétique pag. 41, * 42. edit. in-j2. paît. r.

. 5. Scg. pag. 9. de la Préf. comme ci dcflîu, «. Keficx. 15, de la féconde pAitie, ôcc.

iiS Poètes Latins.

yù^Uc, ce, & une délicatefTe incomparable pour le nombre <Sc l'harmonie de la verfifica- tion.

C'eft rheureufe éxecution d'un fi beau delTein qui a fait dire à Scaliger (i) que Virgile étoit le feul d'entre tous les Poètes qui eût trouvé le moyen de ne point tom- ber dans des puérilités, qu'on pouvoit dire qu'il n'y avoit que lui qui méritât le nom de véritable Poète , & qu'en polledant fon Ouvrage on pouvoit aifément ie pafTer de tous les autres. £t c'efl: ce qui l'a por- té à vouloir foutenir en un autre en- droit que Virgile ne s'étoit pas contenté de s'élever au-delTus de l'efprit humain, maïs qu'il s'eft trouvé égal à la Nature-mê- me (2}.

On efl: pourtant afTés perfuadé qu'avec tous fes talens naturels, il a eu encore be- foin d'autre chofe pour faciliter l'heureux fuccès de fon grand deflein. C'efl: pour- quoi on veut qu'il n'ait été dépourvu d'au- cune des qualités & des connoliFances qu'on peut acquérir par le travail & l'in- duflrîe. En effet lesHiltoriens de fa Vie (3) nous apprennent qu'il avoit fait d'excel- lentes études, & qu'il avoit cultivé fon beî cfprit par le foin d'apprendre toutes fortes de Sciences dont on faifoit cas pour lors, Ôc de goûter tout ce que la Grèce avoit de plus délicat & de plus folide. C'efl:

1. Scalîgeii Poëtices lib. s. feu Critic, cap. i. pag,

2. Idem |Iib. 6. Poctices feu Hypercritic. cap. r.

pag. 765

3. AuftQi Yit'« Virgilii fub n©minc Donaii, item

Poètes Latins. 119

C'eft ce qui a fait dire à plufieurs que Virgile, Virgile étoit fortfavant. Si nous en croyons Macrobe (4) , il favoit parfaitement le Droit Romain & la Théologie Païenne, l'Aftronomie, & particulièrement la Phi- lofophie, & il prétend qu'il en avoit une connoiirancc fi éxade , qu'une feule de ces Sciences auroit été capable de le faire paroître avec beaucoup de diftinéiion par- mi les plus habiles de ion fiécle. Mais il ajoute qu'il avoit encore plus de prudence & de difcrétion que de favoîr , & que c'eft ce qui lui faifoît ménager ii fort les occa- lions qui fe préfentoient de faire connoître ce qu'il favoit & de n'employer de toutes ces Sciences que ce qui pouvoit fervir prc- cifcment à fon fujet principal, fans s'a- mufer, comme font les efprits médiocres, à faire parade de tant de belles chofes que d'autres étalent avec tant de pompe.

C'efi: pourquoi Scaliger a eu raifon de dire que l'érudition de Virgile étoit fans aftccSlation (f) , & il s'eft fait un devoir de nous le prouver par un grand détail, dont les réflexions ne tendent qu*à nous faire voir que ce lage Poète étoit une merveille de prudence & de difcernemenr. Cette ex- cellente qualité qui fert à gouverner & à modérer toutes les autres, a été caufe que bien que Virgile n'ait pas été le premier

des

alli, &c,

4. Macxob. Saturnalior. lib. i. cap. 24. pag. 25?. 25>. M.

5. Jul. Scaliger Poctices lib. 3. feu Idex cap. 2;, de piudentia pag. ZI7, z8S. i%9, ôc feqq. ad isi*

lio Poètes Latins.

yifgae, des Poètes favans , on n'a point laifle de le propoler prétcrablement à tous les au** très , comme le véritable modèle & com- me la mefure de la Science dont les Poètes doivent faire provifion. Voflius voulant montrer (i) qu'on ne doit point fe mêler de faire le métier de Poète, fans avoir au moins les femences & les principes de tou- tes fortes de Sciences & de Difciplines, a prétendu nous en convaincre par Téxem^ pie de Virgile. On voit , dit-il , par la manière dont il parle de la Divinité qu'il eft Théologien; par celle dont il traite du lever & du coucher des Aftres qu'il eft Mathématicien ; par ce qu'il rapporte de la foudre, de l'incendie d'Etna ^ & des au- tres etlets de la Nature qu'il eft Phyfîcien; par la defcription qu'il fait de la terre qu'il eft Géographe; par le récit qu'il fait des actions des hommes, 6i par quelques Gé- néalogies qu'il eft Hiftorien ; par ce qu'il t dit des loix & des mœurs des Peuples qu'il eft Jurifconfulte & Politique; par ce qu'il dit des vailTeaux & de l'art de naviger, qu'il favoit la Marine & l'Hydrographie ; par la manière dont il parle des armées & de la guerre, qu'il favoit l'Art militaire. En un mot il n'y a point de bettes de Philofophes dont il n'ait parfaitement les dogmes, quoiqu'il ait voulu n'en répandre que les femences en divers endroits de fes Ouvra- ges.

Mais je ne fai fi l'on ne pourroit point

at-

7. Gérard. Joan. VofT. InHitution, Pocticay. lib. X| fap. 1. §. 4. pa^. i. 3.

Poètes Latiks. m

attribuer à la bonne fortune de Virgile u- vligUe, ne grande partie de cette réputation; & la gloire qu'on lui a donnée d'ctre univer- feilement Tivant, ne feroit point la même q^e celle qu'il a méritée pour ne l'avoir été que rupcrficielkmcnt. Je crois que c'efl le fentiment auquel tous fes difciples & tous fes imitateurs doivent s'arrêter pour fe garantir du defefpoir de pouvoir jamais acquérir la quai de véritables Poètes. Et pour fiater davantage leur inclination , il me femblc que no5 Critiques & nos Maî- tres en l'Art Poétique, pourroient rabattre en leur faveur quelque chofe de cette fe- verité avec laque le ils veulent exiger d'un véritable Poète toutes fortes de Sciences, fans même en exclure les Arts.

Du moins peut-on dire que l'exemple de \^irgile leur grand Maître, peut fervirpour les défendre contre l'éxadion de ces Maî« très importuns. Il ne leur eft peut-être pas plus difliciîe de taire voir que ce qu'on dit de l'univcrhîité des Sciences dans Virgile, n'a pas moins l'air de vilîon & de chimère, que ce que plufieurs ont publié de fa pro- fondeur (5c de fou étendue dans chaque Science. Je veux dire que tous nos Poè- tes pour leur propre intérêt, pourroient faire voir que Virgile ne s'eft pas contenté de n'être que fuperficiel dans toutes les Sciences qui font étrangères à la Poétique, mais qu'il a même donné lieu de croire qu'il y en avoit quelques-unes dont il n'a- voit pas même cette teinture légère qu'on leur demande. Mais je ne m'appercoîs pas que je fais To}nJH,P^r:.lL ' F mal

i2i Poètes Latins.

yiigUe, mal ma cour , & que nos Poètes n'étant pas fâchés de palfer dans le monde pour universellement ^ profondément favans , font de concert avec nos Critiques pour fourenir qu*un Poète doit favoir toutes chofes à l'exemple de Virgile, mais qu'il ii'eft pas obligé d'en donner des marques dans ce qu'il compofe, & qu'il a même le privilège défaire OiCS fautes danî> toutes for- tes de Sciences, bi ce privilège n'étoit at- taché à la profeflîon des Poètes , il n'y au- roit pas d'Ecrivain qui ne voulût l'acheter à quelque prix que ce fût, & il n'y auroit pas de Livre ni de compolition ii pitoya- ble dont on ne pût croire que l'Auteur ne fût univerfellement i^ profondément fa- vant.

Etîèéiivement les Poètes ont un avanta- ge particulier que n'ont pas les autres, pour prouver & pour établir leurs prétentions par l'exemple de Virgile que les Critiques

leur

1. Evangelus dans Macrobe au 3. livre des Satur- nales chap. 10, aceufc Virgile d'ignorance fur ce fu- jcr, par exemple, furie Sacrifice de Didon àlaRo- xjiaine, furTimmolatioud'unTaureau à Jupiter, ôcc. Voyes aufïî Callelvetro dans les Commentaires fut Ariftote rapporté & réfute en divers endroits par GaiUicci. Voyés encore Volïins au premier Livre des Inftitut. Poët. chap. 3. pag. 30. 31, il défend Virgile contre du Verdier au fujet de la Peinture.

2. Par exemple, Virgile dans le i. & le 4. del'E- neïde,met des Cerfs en Afrique contre le fentiment des Naturaliftcs, des Géographes, & des Hiftoriens, Sx. entre autres Ariftote , Hérodote cités par Galluc- ci, & coûtre Pline au 8. livre chap. 3. de ibn Hift. Nat.

il cft confiant aufli qu'il ne vient point de Cèdres

€3

Poètes Latins. 123 leur propofent. Ces dernîers leur appren- Virg^l^ nent que Virgile , quoique bon Théolo- gien parmi les Païens, n'a point lailTc de faire diverfes fautes au fujet de leurs facri- fices & de leurs cérémonies (i) ; que quoi- qu'il fût grand Philofophe & grand Natu- ralirte , il n'a point lailîc d'aller fouvent contre ce que nous enfeignent ceux de cet- te Profelfion, & quelquefois contre l'ex- périence publique (i) ; que quoiqu'il fût très-bien verfé dans rHiltoire & dans la Science des Tems & des Lieux , il n'a; point laifle de pécher volontairement , dl- lent-ils , contre la vérité de quantité de faits, de faire un grand anachronifmepour faire qu'Enée & Didon puflent fe lencon- trer enfemble, & de dire de quelques Vil- les,'de quelques llles ^ de quel ;ues Côtes des chofes peu conformes aux lumières & aux connoilîances des autres Géographes- (3). Enfin ils difcnt que quelque grande-

que

en Italie , quoiqu'on en voye au bûcher de Palîas «ians l'onzicme de l'Eneide, qu'il n'y vient pas d'A- nes fauvagcs Ôcc qu-^ les Serpcns n'ont point de ctin au coû, con:inic il leur en donne au fécond de l'E- neïde , que Favorin Philofophe Gaulois trouvoir beaucoup à redire à la defcription Pliyfique du Mont Etna, au iroifiéme de l'Eneïde, dans A. Celle lib, 17. cap. îo.

3. Les princ'paux faits dont lesHiftoriens contes- tent la venté à Virgile, concernent l'ufage de la Pein- ture dans le premier de l'Eneïde, la patrie d'Achille dans le fécond de l'Eneïde, la mort de Deiphobe dans le fixièmej la nailTance de Silvius Tofthumus, la coutume d'endurcir les enfans à la gelée Se à l'eau, qu*il attribue au Peuple du Latium, Se quelques au- ucs points hiftoriques rapportés pat A, Celle, Ma- - ï z crc»fec

124 Poètes Latihs.

iVirgUc que fût la connoifTance qu'il avoit de l'Art militaire & de la iVJarine, il s'elt oublié quelquefois fur les devoirs d'un bon Capi- taine & des foldats", & fur la forme & l'é* quîpage des Vaiffeaux qui étoient en ufage au tems d'Enée (i).

Mais les Critiques ont décidé enfin que toutes ces libertés ne font pas des fautes de Poëte, parce qu'elles ne font pont con- traires à TArt Poétique, & qu'elles n'em- pêchent pas qu'un Poëme ne puilfe être a- gréable & merveilleux félon le deflein du •rocte. Ce ne font au plus que des fautes accidentelles qui ne changent point l'elTen- ce du Poème , & qui font honorées du nom de licence Poétique, Mais il faut tou- jours diilinguer ce que l'on juge digne d'excufe d'avec ce qui mérite des louanges. C'eft une précaution qu'il faut avoir fur tout, lorfqu'on lit trois ou quatre Livres des Saturnales de Macrobe , qui femblc n'avoir point eu d'autre but dans ces Livres que de nous faire voir que Vir^^ile étoit profond & éminent dans toutes ces con-

noii^

crobe & le P. Tarquin Gallucci.

L'Anachronifme d'Enée à Didon eft d'environ trois fîécles^ félon le calcul des Chronologiftes, par- ce que Carthat^e ne fur bâtie que 72. ans, félon Jus- tin au Livie 18. ou 65. ans feulement, félon Pater- culc au premier Livre, auparavant la fondation de Rome.

Enfin quelques Géographes qui fe piquent d'ex-,

aftitude , fe plaignent qu'il n'a point parle comme

eux de la mobilité de l'ifle de Delos, de la fépara-

tion de la Sicile d'avec ie Continent, d'Inarime, êcc.

z, Vo/és poux cç« deux points le f. Gallucci fur

le

Poètes Latins. 125'

noifTaiices dont nous avons parle (1) , Virgile^ comme l'a remarqué un Auteur moderne fous le nom de Candidus Hclychius. H fuffit de dire que Vfrgile n'avoir ;ns li bon- ne opinion de lui-même , quVli celle que le rafinement des Critiques pofterieurs nous ^ n a donnée par les découvertes d'u- ne infinité de belles chofcs , aufquelles Virgile n'a peut-être jamais fongé en com- polant ion Poëme (3), & qu'il ne le fai- foit pas trop d'injuliice en ce point , quoi- qu'il fût alfurément trop modtfte & trop févere à lui-même, dans le jugement peu favorable qu'il faifoit de ce cnef-d'œuvrc 4c l'Art fur la fin de Tes jours (4).

§. 2.

De la Fable ^ du Héros de VEneide,

Ce n'eft donc point par les maximes de la Théologie , de la Jurifprudence , de l'Hidoire, de la Philofophie , des Mathé- matiques & de toutes les autres connoîs-

^ fan-

le 5. & le g. de l'Eneïde page io6. & 154. & pour la juftification prelque univcrlclle de ce Poète qu'il a entrepiifc dans fon Traite des Défcnfcs de Viigile, à Rome i6zi. in 4.

2. Candid. Hefychius DifTeitat. contra Godcllum utrum Toèra 5cc. c:4p. 3. pag. 97.

î, C'eft la penfée du P. Malebranche au 2. Jivrc de la Recherche de la Vérité chap, 4 pag. 210, oîi il traite de la bonne opinion qu'on a de ce qu'ont fait les Anciens.

4. Voyes fur les fautes qu'on a reprochées à Vir- gile Daniel Hcin(:i« Diflertar. de Tiagœd. Infanti- tvà. pag, 140,

F3

ji6 Poètes Latins.

Virgile, fances étrangères ou accidentelles à l'Art Poétique, qu'il faut juger de TOuvrage incomparable de Virgile; mais par la Fa- ble ou le fondement de l'invention du Poè- me qui efl: fa nature, par fa matière que nous appelions l'Adion, par fa forme que nous appelions la Narration , par les mœurs ou les cara6leres des perfonnag;es, par les fenrimens ou la morale du Poète, & enfin par l'expreflion & le ftyle qui lui eft particulier.

I. La Fable efl ce qu'il y a de principal dans le Poème, & e'.le en cil comme l'a* me, aux termes d'Ariftote, qui a été fui- vi dans ce fentiment par tous les bons Cri- tiques (i). Celle de l'Eneïde confifte à nous reprcfenter un Prince contraint de s'enfuir par le renverfement de fon Etat , & de chercher ailleurs un autre établilïe- ment. Il fait fes Dieux & fon Père com- pagnons de fa fuite. Les Dieux touchés de cette pieté s'interefTent à l'établir dans un des meilleurs pays de la terre, & il de- vient le fondateur de l'Empire le plus flo- riflant qui fut jarrf'ais (2). Cela étant ain- fi, on peut alTurer avec le Père Mambrun que l'Eneïde eft achevée (3), & que s'il é- "toit vrai , comme le prétendent les Poètes Critiques (4) , que de tous les Ouvrages dont l'efprit de l'homme ell capable , le

Poë-

I. Ariftotcl. de Arte Poctica cap. 6. el^x*' ^ ''*''

Kci\. Rapin,Compar. d'Homcre 8c Virg. chap.j. pag. xj. cdit. 104.

Rcn. le Boflu, li?re i. du Poème Epique chap. f. pag. 30.

i. ^. Rap. comme ci-deiTus pag. 14^

Poètes Latins. 127

Poème Epique efl: le plus accompli, on ne viigil«« devroit point héiiter à dire que l'Eneïdeeft

'le plus parfait des Ouvrages dont Tefprit de l'homme ell capable, parce qu'elle renfer-

.'me toutes les perfe6lionsde tous les autres Poëmcs du genre Epique.

Plulieurs fe font imaginés que le Poème

i-étoit imparfair , parce qu'ils ont crû que la mort de Turnus qui le termine , n*étoit

-p«is la fin de la F'able du Poème, ni du des- ièin du Poète. Ils fe font perfuadcs que Virgile auroit imité Homère dans le nom-

:i)re des l. ivres de fes deux Poèmes comme

•il a fait dans tout le refte, & que pour a*

.•chever fa Fable il auroit rempli ce grand efpace de tout ce qu'il auroit inventé fur

•le mariage de fon Héros avec Lavinîe, fur ta conquête du pays il vouloit s'établir, fur la confécraiion ou l'apothéofe de ce Héros. Pour appuyer leurs conjecturés ils difent qu'ils ne connoiifent point d'au- tres rai fon s qui ayent pu porter Virgile à ordonner la fuppreffion de fon Ouvrage en mourant. Il paroît entre les autres que ça. étd la penfée de JVIapheus Vegius qui .a crû pouvoir fuppléer à tous fes défauts

■prétendus par un petit Poème qu^'l a vou- lu faire appeller le treiiiéme Livre de l'E- ncVde (f). Penfce alTcs femblable à celle cie Tryphiodore qui avoit entrepris de con- tinuer

?. p. Mambrun DiflTertation. de Epico Caxmiue quxftion. 6. pag. 375.

4. R. Rap. chap. i. pag, 9. edit. in 4. de Ja Comp. «i'Hom. Se Virg.

$. fl. Il eft dit dans la Vie de Vfgius que ce qu*îl en a fait n'a été que pour s'exercer, n'ig!H>rajit pas que le Poëmc de l'Eucidc éroit achevé,

F 4

iiS Poètes Latins. yii£ilc. tînuer Tlliade d'Homère. Il s'eft trouvé mcme des Criiiques (i) qui ont jugé que Virgile avoir delfeiii de palier jufqu'au tems & à la Vied'Augude, & qu'il Tàu- roit fait infailliblement s'il avoit vécu plus long-tems.

Mais les bons connoiffeurs ont confide- toutes ces opinions comme des vitions éc des imaginations frivoles, & leP.Mam- brun foutient (2) que l'Ouvrage eft trcs- achevé, qu'il ne manque rien au defTeîn ni à la Fable du Foeme, que le deuil de la mort de Turnus, les noces de Lavinie,(5c l'apothéofe d'Enée y font décrites par an- ticipation. Il ajoute que tout le chagrin de Virgile en mourant , étoit de n'avoir pas eu le loilir de limer & polir cet Ouvra- ge qu'il vouloir retoucher en une infinité d'endroits , & dont il vouloir retrancher ■çncore beaucoup de chofes , fans vouloir y rien ajouter de nouveau.

Le P. Gallucci avoit auffi témoigné au- paravant d'être dans le même fentiment, il dit (3) que li l'on veut s'en tenir à la ma^ îîme d'Ariflote, il n'y a rien à ajouter à l'Eneïde. Car ce Philofophc prétend (4) qu'on doit fe renfermer dans l'unité de la Fable , de forte qu'on ne puide pas dire d'un Poème que fon fujet foit double, mais que la Fable ait un rapport continue! avec l'unité d'A6tion. C'eil ce qu'il a trouvé

fort

1. Le Sicnr Rcftcau Sentim. partie, fur quelques Ouvrages d'Auteurs, pag. 47. Mais Voflîus iciutc cette viûon au 3. liric des Inûitut. Foctic. chap. 4. pag. I r.

2. F. Mambrmi Diircit^t. de Epico Caim. ut fupià.

Poètes Latins. 129

fort louable dans Homcre, dont l'Iliade & virgllcj rOdyilée font renfermées e'xaCtjment dans l'unité de Fable & d'Adion. Ccft auifi ce que ce Père & les autres eQiment avoir été pratiqué par Virgile avec la dernière éxa6î:irude. Et comme ce qu'il auroit pu dire delà fondation des Villes j'Albe & de Rome, de la conlécration d'Enée, de l'é- tablifîement de la Monarchie Romaine, auroit fait une Aflion nouvelle, ils jugent que ç'auroit été auiïi une Fable nouvelle & le fujet d'un nouveau Poème.

Comme donc on ne peut point difcon- venir que la Fable de l'Eneïde ne foit en- tière, & qu'elle ne trouve fon accomplis- fement à la mort de Turnus , ceux qui ont voulu fe lignaîer parmi les Cenfeurs de Virgile, ont voulu trouver à redire à la fidion & à la difpolition de cette Fa- ble.

Les uns ont prétendu qu'elle n'étoit point aflfés fîmple, mais la vafte étendue de la matière qu'elle lui a fournie, ne fouffroit point une aulîl grande limplicité que celle qui paroît dans l'Iliade ou TOdylIée , & cette abondance dont un autre que Virgile auroit été aifément accablé, adonné lieu à des difficultés qui demandoient plus d'es- prit & plus de conduite , que lorfque k Monde étant moins avancé en âge, avoit produit moins de chofes capables d'é);er-

cer

3. Tarquin. Gallut. Vindicat. Virgillan. loc. z. ia 12. y£ne:d. pag. 200. 2ci.

4. Ariftotcl. de Ail. Poëtic. cap. 6, fit apud Ga^ ^utiuiu iQc, citât,

I 5

150 Poètes Latins.

Tvgile. cer les Poètes & les Hfiloriens (i); c'eft ce qu'on peut voir avec plus d'étendue dans l'Ouvrage du P. le Boflu.

Les autres l'accufent de rruinquer d'in- vention, ai de n'avoir été que l'imitateur d'Homère. Mr. de Segrais dit (2) que cette objedion eft faite par des Critiques qui n'ont ce que c'étoit d'inventer, plu- tôt que par des Poètes qui favent bien qu'on n'invente rien de longue haleine, jqui foit nouveau dans le tout & dans fes parties. Au refte on auroit pu objeder la même chofe à Homère, puifque l'Hiftoire -de Troye n'eft pas plus de fon invention que de celle de Virgile, & que ce conte étoit dans la bouche des femmes & des en- fans, auparavant que le premier des Poètes Grecs en eût fait le fujet de fon Pocme,& -jl s'étoit trouvé même des Hiftoriens qui avoicnt déjà débité cet événement comme une Hilloire véritable.

D'autres fe font imaginés pouvoir em- baraHer les défenfeurs de Virgile , lors- qu'ils difent que tout ce qu'on a publié de la venue d'Enée en Italie eft un conte. Il eft vrai que les Critiques font aujourd'hui fcrrt partages fur la vérité de ce fait; quel- ques-uns même ont écrit foit pour le rui- ner comme Mr.Bochart, foit pour l'éta- blir

I. R. le Bo/Tu livre i. du Pocm. Ipiq. chap. 11, pag. 6s.

1. J. Ren. de Segrais, Trefacc fui laTiad. dcTE- iieïde nombre ij. pag. 25.

3. Differtation de Sam. Eochart fur la qucftion fi iûçc €ft vcuu %a Italie, injptimçç ajptçs les fix prc-

mitxs

Poètes L a t i h s. Ï37 blir comme Mr. Ryckius (3). Mais il nVlt vlrgilo, point nécellaire pour le delFein de Virgile qu'Eiie'e foit venu en Italie. 11 fuffit que c'ait été l'opinion du Peuple, au tems du- quel & pour lequel le Poète écrivoit. Or il y avoit dcja long-tems que cette Fable paflbit pour un fait qu'on ne s'avifoit pas de conteiter, & les HilloriL^ns-mémes l'a- voient déjà établi comme une vérité hido- rique (4) D'ailleurs on peut dire, mal- gré le ièntimcnt de quelques-uns , qu'il cil encore plus, convenable à la Fable de l'E- neïde, que fon fondement ne foit qu'une fable , puifque ce n'ell point la profeffioa <ies Poètes d'enfeigner la vérité.

Entîn c'ell à l'invention du Poëme de Virgile qu'en vouloir Caligula (f), lors- <)u'il raccufoit de n'avoir. point d'efprit,& que fous ce prétexte il prétendoit le fup- primer. Mais le jugement de ce Prince n'a jamais furprendre perfonne de ceux qui connoiiîent qucl étoit le caradére de Ion efprit, & qui favent les autres circons- tances de fa vie.

Comme la conformation du Pkros fait la partie dominante de h Fable d'un Poë- me, il auroit été à propos , fans doute, 4e rapporter ici ce que Ton penfe de celui <k Virgile; mais pour ne rien repeter quand

nous

. mlexfi livres de PEneïde de Virgile de Tiadu^ioa de Segrais.

Theodor. Ryck. de Adventu S.nez in Italiara peu liUC. HoHVcnii ijr.notation in Stephan. Byzuut.

4. Jiil. C-arf. Sdliger, Ssm. Boch. J. ken. de Sc^ jrais 6c alii Cntici palîîm.

■5. SuciOû, Tiaaq. in Vit. C. Caligul, csp» j^

F 6

ip. Poètes Latins»

nous parlerons des caradéres , nous re" mettrons parmi les mœurs ce que nous en aurions pu dire en cet endroit.

$•3-

De la Matière ou de l^A^ion de rEneïde,

Le Père Mambrun dit (i) que TAftion de TEntide ell au jugement de tout le monde la plus propre que Ton puilîe ja- mais imaginer pour le Poème Epique. Mais il ajoute que toute grande & toute magnifique qu'elle eft par elle-même, elle eft devenue vicieufe par la manière h le tour que Virgile a pris pour la traiter: & il dit qu'elle lui paroît fi corrompue en l'é- tat que nous la voyons , qu'elle a perdu fa dignité naturelle, & qu'elle ne fert qu'à deshonorer le Héros , l la gloire duquel elle étolt defiinée.

Il ne paroît pas que cette opinion ait eu grand cours parmi les Gens de Lettres ; & ceux qui en veulent examiner la folidiié, ont quelque peine à dire fi cette ccnfure du P. Mambrun tombe fur l'unité de l'Adion de l'Enéide, fur fon intégrité, fur fes çau-» fes & fes effets, fur fes efpcces, fur fa du- rée , ou fur fon accomplififement , ou même fur lesEpifodes qui entrent dans cette Ac- tion par toutes ces circonftances, ils n'y

trou-

T. P. Mambrun , de tribus Pocinatibus caufae Die- tion. ad caput FoëtnatuiU pi»ÛX, cjuldem Cenflaa-

Poètes Latins. 133

trouvent rien qui ne faire honneur au He- Virgile, ros & à l'Auteur du Poëmf%

En premier lieu , fi l'on confuUe les dé- fenfes que le Père Gallucci a faites ponr Virgile, on trouvera que ce Poète a reli- gieufement pratiqué l'unité de l'Aélion, félon les maximes d'Ariflote&d'Averroës; que cette Aélion ell: commencée & finie par un m^-me homme, par le Héros même ou le principal perfonnage, qui l'a fait ter- miner par une feule fin & dans une feule vue (2). Et c'cfi: en vain que quelques Cri- tiques ont prétendu découvrir deux fins dans cette Adion, l'une des voyages d'E- née, Ôi l'autre de la guerre d'Italie; l'une formée fur l'OdylIée d'Homère qui eft cel- le des voyages , & l'autre formée fur l'I- ^ liade qui ell celle des guerres. Mais ils fe trompent , parce que les guerres d'Enée ont la même liaifon avec fes voyages, que la petite guerre qu'Ulylfe fit auxgalans de fa femme, en avoit avec fes travauiî pré- cédens.

Il ell pourtant plus aîfé de dire en quoi cette unité de l'Adion Epique dansl'Eneï- de ne confille pas, que de voir en quoi elle conhite. C'eft le fentiment du Père le Bolfu (3) , qui fe contente de nous dire que cette unité de l'Adion non plus que celle de la Fable ne confille ni dans l'unité du Héros, ni dans l'unité du tems.

La

2. Tarq. Gallutins Vindicat. Virgilian. ^ncid. la, loc. 3. pag. 107. 2o8.

j. Rcn. le Boflu, Trait, du Toëme Epiquç UviCl^ Çkap, 7, pag. 170, Î7I, Çcc.

F 7

134 Poètes Latins. Virgile, La beauté & la juftefle de cette unité de

l'Adion , confilte particulièrement dans l'emploi judicieux que Virgile fait des Epi- fodes , qui font tous tirés du plan & du fond de TAélion, & qui font chacun un membre naturel de ce corps. Ces Epifo- des ont une liaifon mutuelle qui les fait prefque nécefTairemsnt dépendre les uns des autres, & qui les tient attachés comme les membres le font au corps. Et pour faire voir qu'ils ne font placés que comme les parties d'un tout, c'eft qu'on ne peut pas dire d'aucun d'eux que ce foit une piè- ce achevée ou une Action entière.

l^ P. Rapin a remarqué aufll (i) , que les Epifodes de l'Enéïde font admirable- ment proportionnés au fujet. Le plus grand de tous qui comprend le fécond & le troiliéme Livre de ce Poème, n'eft ja- mais détaché de la pcrfanne du Héros. C'ell lui qui parle, dit ce Fere,c'e(l lui qui raconte fes avantures. Il ne fort prefque point de fon fujet fans faire des retours fré- ■quensfur lui-même. Néanmoins ce même Auteur dans un autre Traité, a trouvé à re- dire à la longueur eîxelïive de cet Epifode (i) ; & il femhle dire qu'il n'eft pardonna* ble que par l'admirable effet qu'il produit ^ & par l'él Dignement des tems obfcurs d'E- née.

Les

1. Ren. Rapin , Compar. d'Homcic ôc Virgile «bap. é. pag. ac. cdit. 111-4.

2, Le même, Rcflçjtious pajtti«ul, fwr la Tc'étiq.

Poètes Latins. 13^

Les autres Critiques ont remarqué deux Virgile, défauts conlîde'rables dans le grand Epifo- ,de de Didon; celui de l'anachronifme par lequel il a fait cette Princelle plus ancienHe de trois cens ans qu'elle n'a été elîedive- ment; <& celui de la calomnie par lequel il a deshonoré la plus fage & la plus vertueu- fe Princeffe de Ton fiécle,& Ta perdue en- tièrement de réputation dans i'efprit de toute la portcrité.

Ces deux fautes infignes de Virgile ne font aujourd'hui conteftées de perfonne, mais la première n'ell pas une faute Poéti- que, c'eft-à~dire qu'en qualtd dePoete il- a pu aller aulfi loin qu'il a voulu contre la foi de l'Hilloire & le calcul de la Chrono- logie,fans pécher contre les règles de l'Art Poétique. On ne doit conilderer en ce point que l'invention de Virgile, qui pa^ roît admirable à ceux qui veulent rafiner fur fes intentions & fur fes vues. Ils difent qu'il a trouver dans l'Hiftoire de fon Héros une fource de la haine de Rome ôc de Carthage dès la fondation de leurs mu- railles , & qu'il a dès le commencement comme fournis la Ville vaincue au deftin de celle qui en a triomphé (3).

L'autre faute ell plus conlidérable pour un Poète, & il s'elt trouvé dans prefque tous les fiécles des Cenfeurs qui l'ont ju- gée

3. J. R. de Segrais , Piéf. fur l'Enéide nombre itf. pag. 29. Item Gallut. Vind. Virg. iu lib. i, i£acï4. loc; 8^

136 Poètes Latins.

Virgîl«. gée inexcufable. Les Hiftoriens (i) , les Pères -de rFgliTemême (2), & divers au- tres Ecrivains de l'Antiquité (3) nous alTu- rent que Didon a toujours vécu d'une ma- nière irréprochable &dans une aufli grande pureté qu'on ait pu exiger des perfonnesles plus vertueules engagées dans l'état du Pa- ganifme. Ils difent qu'ayant toujours con- iervé du vivant de fon mari Sicharbas ou Sichée une challeté conjugale, elle lui garda après fa mort une fidélité inviolable accom- pagnée d'une continence exemplaire du- rant tout le tems de fon veuvage, qui fut le refte de fa vie. Et qu'à la fin fe voyant dangereulement pourfuivie par Hiarbas Roi de Mauritanie qui la vouloit contraindre de paffer à de fécondes noces, elle ne trou- va point d'expédient plus fur & plus court pour fe foudraire à fa brutalité & à fes vio- lences , que de fe tuer & de fe faire mettre

en

1. Jtiftin. ex Trog. Pomp. lîb. hiftor. i?.

2. S. Auguftin. Confeflionum lib. i. cap. ). «bâ vocat Virgiiii Mendacium.

Item TertuUian. exhortât, ad Caftitat. oii il dit plaifanimeiu un' mnUat qiuim nubere.

3. Macrob. Saturnal. lib. 5. cap. 15. Item AulonJus in Carminib.

4. %. E\cnfer aiiroit été plus jufte.

5. Aufon. Epigrammat. ni. pag. 27. 18. edit. Sca- liger. cajus veiba ut fonant lubct leciiaie.

Non , Maro quam mihi finxit erat mtnn

Vi'iA nei incefiii Ltta cupidinibtts. l^ayn<jue nec ty£.neas vidit me Tro'i'us Httquamy

Nec Liiyam advenif claJfiÙMS IliAcis. Sed Furias fugiens arijue arma procAçis Hiarh/I

Stn/^vi fattor mont (ndidt.iMi^

Poètes Latins. 137

en cendres. Voilà un fait de la vérité du- Virgile quel Virgile a fait un étrange abus. Et il femble qu'il n*cn ait voulu conftrver les extrémités que pour donner une couleur de vérité à fa calomnie.

Un procédé aufll lâche qu'a été dans Virgile celui de vouloir relever la gloire des Romains par la ruine de la réputation d'une honnête femme fous prétexte qu'elle avoit été la fondatrice d'une Ville enne- mie, n'a point encore pu rencontrer de dé- fenfcnrs qui ayent eu de bonnes raifons pour publier (4) cette injuftice. Les Poë- tcs-mémes tout interefTés q'i'ils font dans la réputation de Virgile, & malgré les pré- tentions qu'ils ont fur toutes fortes de liber- tés, n'ont pu retenir leurs plaintes contre lui (s).

En effet voilà , félon le fentîment da Père VavafTeur (6) en quoi confiée le

grand

TtHort trdnsfxo ca/fjs * ejuod fertutit enfety

Non fur$r f aut lafo crudus Anure doter. Sic eecidijft JHVat. Vixi fine vulnere fAm4»

Vit A virum, pofitis manibus ^ eppitii. Invid* cur in me fiimuUJîi y Mufa, Maroner» ,

tingeret ut naffrd damna pudicitia? Vos muf^is Hijioricisy LecioreSy credte de me t

^uàm qui furta DeÀm concubitu'~JKe carunt Fttljidid xntesy tftnerant cjui carminé verni» ^

Humatuftfue Deos AJjimitant vittis,

* %. L'édition de Toi lins porte ratîuf au^d perculit tnfist ce qui fait une meilleure conftiu^iion.

Vid. & MaruUi Epigr. Vid.Ôc Tarq. Gallut loc. g, in i£neïd. lib. i. p. 42. 4î.

6. Anonym, dans les Remarques fur les Rcftes, touchaot I4 foëc. 8]. 84.

13S Poètes Latins.

\hgilç, grand défaut de TEpifode de Virgile plu- tôt que dans le contre-tems de trais cens ans, parce qae quelque licence que les ré- gies de l'art de teindre lui donnaflent de changer une vérité hillorique, celles de la Poétique n'ont jamais pu lui permettre de nous reprefenter une perfonne en un état elle n'avoit jamais être, à moins qu'elle n'y eût été etfedivement dans le monde, ce qu'on ne pouvoit point dire de Didon , qui ayant été rornement de fon fexe (^ Tadm ration de toute la terre , ne laille point de pafTer pour une miferable proftitaée dans l'efprit de bien des gens , de- puis qn'tl a piû à Virgile de nous la repre- ièntcr en cet état.

G'eft l'opinion dans laquelle fèmblent avoir été MelTieurs de l'Académie, quand ils difent que ceux qui blâment Virgile 4'avoîr démenti THiftoire, en faifant une impudique d'une très-vertueufe PrinceflTe, & un Héros accompli d'un traître & d'un lâche , ne le blâment pas d'avoir Ample- ment altéré l'Hiltoire; puifqu'ils avouent que cela cft permis, mais de l'avoir alté- rée de bien en mal au fujet de Didon, <& d'avoir ain(i péché contre les bonnes mœurs , mais non pas contre les régies de l'Art (r).

11 y a encore une autre qualité de l'Ac- tion de TEneïde qui ne paroit pas moins

im-

I. Scntimens de rAcadem. franc, fur Ja Tràgi- com. du Cid. pag. 47.

z. Kea. le ZjoS. Tu:t. du Poème Epiq. livre, i.

chap.

Poètes Latins. 139

importante que celles de fon Unité & de virgik, les Epi Iodes. C'efl: fa Durée ^ dont la qucflion a bien donné de l'exercice aux Critiques jufqu'ici. Le P. le Boflli pour nous en mieux faire connoître Tctat, a fe- paré cette durée de iWdlion d'avec celle de la Narration (2) , comme ont fait plu- lieurs autres Critiques.

Si Ariftote & les autres Maîtres de l'Art avoient voulu déterminer le tems de l'ArC- tion Epique comme ils ont fait celui de j'Adion Tragique, il ne feroit pas li diââ- ■cile de juger Virgile fur ce point. De tous ceux qui dans la fuite des tems ont tâché de donner des bornes à la durée de cette Ac- tion, les uns l'ont enfermée dans le cours d'un an (3) , les autres prenant Homère pour la règle de leur jugement, l'ont vou- lu reftraindre aux termes d'une Campagne. Les uns (k les autres femblent avoir pris pour le modèle de leur établi/fement Tes- pace du tems qui a été réglé pour l'Adion Epique (4), en y comprenant l'hyver, pa* Toillent avoir fuivi ceux qui donnent à l'Adion Tragique un jour que les Chro- nologiftes appellent Nydhemere ou de vingt-quatre heures , & ceux qui ne don- nent à l'Aétion Epique qu'une feule Cam- pagne, femblent s'être réglés fur ceux qui renferment la Tragédie encre le lever <Sc le coucher du Soleil à l'exclulion de la

nuit.

chj»p. S. pug. 26J. i*»». &: livre 3. chap m. pag, j-j,

3. P. Mambtun de Poëm. Epico Diircrtat. Feripa- tctic. Pierre Ronfard , Préface ùir la Francinde êcc.

4. L'a6tion 6c laN^triationfont ici la mêmechofc^

I40 Poètes Latin î. yirzile. nuk. Maïs de quelque manière qu'en ait ufé Virgile, on peut alfurer qu'il a toujours très-ben foit , parce qu'on ert perfuadé que c'cft le bon fens qui a conduit la du- rée qu'il donne à fon A6lîon comme tout le relie, & qu'il ne Ta jamais abandonné nulle part , non pas même dans les endroits fa confcience l'a quitté.

Ronfard & les autres Cenfeurs qui ont crû que la durée de î'Enéïde s'étend jus- qu'à fcîze ou dix-fept mois, ont peut-être été trop précipités dans la condamnation qu'ils ont ofé faire de Virgile fur ce pied- là. Car s'il étoit vrai qu'il eût pafl'é le ter- me d'une année, fa pratique en ce point devroit avec rai fon paffer pour la règle de ceux qui font venus après lui , puifque l'Art ne lui endonnoit point d'autre. C'eft fur fa conduite qu'on a faire la règle, & non pas juger de fa conduite & décider s'il a bien ou mal fait par les règles qu'il a plu aux Critiques pofterieurs d'établir fur ce fujet.

Mais quoi qu'on puîfle dire avec eux que la durée de l'Aélion & de la Narration de I'Enéïde efl: d'un an & de quelques mois, comme l'a fort bien remarqué le P. Rapin CO, on peut aulfi aifément faire en forte de ne trouver qu'un an depuis la tempête du premier Livre de l'Enéide jufqu'à la mort de Turnus. Et pour fermer la bou- che

1. R«n. Rap. Compax. d'Homère êc .Vîrg. chap.

12. pag 44. edit. in-4.

2. J. Rcn, de Segfais, Pre'f. fur rEncïde de Virgile ftoiiib. zi.pag. ji). ôcR. lîBoiruliVic j.durocn\eE-

pic^uc

Poètes Latins. 141

che à tout le monde, même à ceux qui Virgile» veulent que TAction du Poème Epique ne foit que d'une feule campagne, on peut dire après la fupputation de Mr. de Serrais & du P. le BoiTu que toute l'Enéide ne comprend pas un an entier , quoi qu'ils ne foîent point d'accord du point il faut faire commencer & finir cette expé- dition (2).

§.4.

De la Forme ^ de la Narration de PEnetde,

La première beauté de TEnéïde au juge- ment de Mr. de Segrais (3) ell la Narra- tion qui e(l d'autant plus admirable dans ce Poème qu'elle efl: difficile dans quelque genre que ce foit, & particulièrement dans le genre fublime. Virgile ne s'eft point contenté de faire un beau choix de^fes Matières qui font toutes grandes & dignes de fon fujet, la difpolitîon qu'il en a faite & qui conlille toute dans la Narration ou la forme qu'il leur a donnée fe foutient ad- mirablement dans une fublimîté toujours égale, elle a les ticlions nobles, l'ordon- nance belle, & l'exprelFun magnitiquc, & toutes les beauttfs dont elle elï accompa- gnée par tout éclatent moins par elle«-mê-

mes

pique chap. 12. pag. 382. ou pour renfermer rFneï- de cw une feule cauipagne, ce Petc la fuit commen- cer avec l'Ere, & l'a fait finir a/ant la fia de l'Autom- ne de le même année. 3. Seg.nomb. 8.ôcî>.£>ag. 13.14 xj. ficc.

I4i Poètes Latins.

yirgUc, mes que par la fuite du défaut qui leur eft oppofé.

La première & la plus importante des qualités d'une excellente Narration eft la {implicite & cet air naturel qui el^. oppofé à Taffedation. G'ert auffi celle qui règne dans tout le Poème de Virgile. On ne voit point auffi qu'il s'écarte jamais de cet- te fimplicité pour s'amufer à moralifer. Il ne s'emporte point dans desapoftrophes ou dans des déclamations qui ne fervent fou- vent qu'à faire connoître la partialité d'un Auteur, à découvrir fes fentimens fans ne- ceffité ou l'intérêt qui l'anime.

Il ne s'eft point appliqué à faire un amas de belles réflexions comme font les Au- teurs ordinaires , mais les circonftances dont il accompagne fa Narration & l'éner- gie avec laquelle il déduit toutes chofes , font tout l'avantage qu'il a fur les autres, & c'efl: à cette qualité que Jules Scalger fcmble avoir attribué la divinité qu'il pré- tendoit trouver dans Virgile (i).

Il n'ignoroit pas fans doute, & fur tout après avoir lu les Poètes Grecs, que les Sentences font une des grandes beautés de la Narration dans un Poème, & que c'elt ce qu'on en retient plus volontiers : cepen- dant il n'en a employé que très-rarement & par forme de tranfition , encore font-el- les toutes fort courtes. Mais elles font jadicieufement femées dans les difcours

des

1. Jul. Cxf. Scalig. Poëtic. lib. j.cap.sj.pag. 355, z. Les mcmes Câtiques aux lieux cités»

Poètes Latins. 143 des perfonnes qu'il fait parler, & toujours Virgile. avec égard & fans affedation (2). Il a été encore plus fobre à Tégard de TApoftro- phe, quoi qu'elle foit une des plus pathéti- ques d'entre les figures, il n'en a fait que cinq ou fix dans tout fon Poème, & il les a placées en des lieux oui! femble qu'elles étoient necelîaires. Mais fur toutes cho- fes il ne s'interrompt jamais, & il témoi- gne partout la même précipitation pour ar- river à la fin de Ion récit, C'elt dans ce dernier point que conlifte le plus bel éloge qu'on puilFe faire d^ne Narration , parce que c'eft une maxime reçue parmi le monde , que le Poète doit avoir encore plus d'impatience de fe voir à la tin de fou récit que le Ledeur.

Il y a d'autres réflexions à faire fur la Narration de Virgile qu'il fera plus à pro- pos de joindre avec ce qu'on pourra dire des jugemens que l'on a portés fur l'&x- preflion & le llyle du Poème. Mais c'eft ici le lieu de parler de deux autres qualités qui regardent elfentiellement la forme de ce Poème pour le rendre agréable. C'eft le Vrai-femblable & le Merveilleux , qui doiven< être ordinairement inféparables dans l'ordonnance d'un Poème réglé dont ils doivent faire la féconde partie.

Le Père Rapin témoigne (9) que Virgi- le a gardé un julle tempérament dans remploi qu'il a fait de l'un & de l'autre,

qu'il

3. R. Rap. Comp, d'Hom. ôc Virg. chap. 6. pag. 26. 21. 2p.edit, in-4.

144 Poètes Latins.

Vk^ilc. q^'ji a employé le Merveilleux pour tou- cher le cœur de ceux pour qui il faiibit fon Poëme, & pour les atiimer de les porter à des entreprires louables &' genereufes ; mais qu'il l'a toujours accompagné du Vrai- femblable pour ne les pas rebuter par une trop grande diflance de ce qu'il leur propo- foit avec leur état & leurs propres forces.

Cet endroit eft une des plus grandes épreuves de la folidité du jugement de ce Poète. Jamais il n'a paru plus judicieux que dans le grand ménagement de fes Mi- racles & de fes Machines qui eft le nom que l'on donne au miniflére des Dieux dans un Poëme. Il femble qu'il nous ait vou- lu faire croire qu'il n'avançoit rien de Mer- veilleux dans tout ce qu'il difoit, qui ne fût fondé en raifon , & l'on remarque qu'il s'efl: prefque toujours tenu dans une réfer- ve pleine de difcrction, pour ne point paf- fer les bornes de la Vrai-femblance. Enfin l'Auteur que je viens de citer prétend dans un autre de fes Ouvrages (i) que Virgile eil prefque le feul qui ait eu l'Art de mé- nager, par la préparation des incidens, la Vrai-femblance dans toutes les circondan- ces d'une Adion héroïque. ^

Il femble que c'ait été aufll la penfée du P. le BolTu dans la dillindion qu'il fait de la Vrai-femblance des chofe^s & des inci» dens pris féparément, d'avec la Vrai-fem-' blance de rencontre qui conlille à faire que pluùeurs incidens qui font Vrai-femblables

cha-

T. Ltf n-iême.Rcflcx. particul.iur la Poct. féconde paie. Rcâcx. 12,

ftl

Poètes Latins. I4f

chacun en leur particulier, fe rencontrent VixgUci cnfemble vrai-femblablement. C'eft en quoi Virgile a parfaitement réulfi. On n*a jamais vu de Poète plus délicat que lui fuc la pratique de cette dernière efpe'cedeVrai- femblance. On ne peut pas dire qu'il falTe paroitre tout -à-coup quelque acciJent qui n'a point été préparé & qui avoit befoin de rétre; & il a foigneulement évité un dé- faut où tombent la plupart des autres Poè- tes qui délirent de furprendre les Audi- teurs ou les Ledeurs, par la vue de quel- que beauté qu'on ne leur fait point atten- dre.

C'eft par cette fage conduite qu'il re-

5 refente dans le premier livre de l'Enéide, unon qui prépare la tempête qu'elle veut exciter, & que Venus y prépare les amours du quatrième (2) , comme le même Perc l'a remarqué. La mort de DiJon qui ar- rive à la fin de ce quatrième efl: préparée dès le premier jour de fon Mariage. Hèle- nus, contînuè-t-il, difpofe dans le troiliè- me toute la matière du fixiéme ; & dans celui-ci , la Sibylle prédit toutes les guer- res fuivantes & tous les incidens confidè- rables qui entrent dans la c&mpofition des lix derniers Livres.

Il y a pourtant une autre forte de fur- prife à laquelle Virgile s'ell appliqué pour entretenir la curiolité <Sc l'admiration dans Vefprit de fes Leéleurs. C'cft ce qu'il a fait en joignant le Merveilleux au Vrai-

fcm-

z. X. le Boilu, livre 3. daPoëaïc Epique chjT>, r. pag. »?«. Î39.

146 Poètes L a -t i n s.

Vu^ne. femblable, & en faîfant voir des merveiî-^ les continuelles fans jamais quitter le ca- radere fublime & héroïque pour defcendre dans le puérile & le comique, qui eft re- cueil ordinaire des Poètes Dramatiques Se des faifeurs de Romans , qui ne favent point faire le mélange de deux qualités il différentes, & dont il eft fort difficile de prendre le jufte tempérament. Maiscequ'il y a de fort eftimable dans cette méthode de Virgile, ce n'eft pas tant l'emploi des chofes furnaturelles & du miniftere des Dieux que cet autre genre de Merveilleux qu'il a fait naître lui-même du fonds de fon Ouvrage. Car on peut dire qa'il n'y a gueres que lui qui ait fu entretenir l'admiration & la furprife du Ledeur en prelfant fes matières, en ne rapportant ja- mais rien que de grand , en faifant voir toujours quelque chofe de nouveau , en fuyant enfin les baffelles & les affeétations avec un foin tout particulier. De forte qu'on ne doit plus s'étonner qu'il ait ex- cellé fi fort par delTus tous les autres qui n'ont pas eu tous ces égards, & qui n'ont point eu afles d'autorité fur eux-mêmes pour retrancher toutes les inutilités, com- me il a fait , & pour ne jamais rien a- vancer contre la Vrai-femblance (i).

Voilà ce que les Critiques les plus judi- cieux ont -remarqué fur la manière dont Virgile a tâché de ne jamais féparer le

Mer- I. Segrais, Préf. nomb. 7. pag. 12. 13. Le BoflU îiv. 5. chap. 8. 2., Scu, Naxuial. Quxilion, lib. $, pag. spf.

Item

Poètes Latins. 147

Merveilleux du Vrai-femblable. Il s'elt virgUe; trouvé néanmoins des Cenfeurs qui ont bien voulu l'accufer de s'être quelquefois départi de fa maxime. Quoique leur auto- rité ne foit pas de grand poids en ce point, & que leur fentiment ne fade point beau- coup d'impreflion fur nos efprits , je ne laiflerai pas de rapporter quelques-unes de leurs objedions, pour déialfer ou pour divertir le Ledeur.

Seneque le Philofophe (2) accufoit Vir- gile d'avoir fait une faute contre la Vrai- lemblance naturelle , pour avoir dit que les Vents étoicnt renfermés dans des grot- tes, parce que le vent n*étant qu'un air ou des vapeurs agitées, c'elf détruire fa nature de le tenir enfermé en repos. Mais plalieurs ont répondu à ceCenfeur, que Virgile avoir pris la caufe pour l'effet, par le droit que les Poètes & les Orateurs ont d'en ufer ainlî.

D'autres ont prétendu qu'il avoit palTé la Vrai-femblance dans ce qu'il dit du ra- tneau d'or au fixiéme de l'Enéide; du bois qui avoit poulfé du corps de Folydore aa troiliéme ; du changement des Vaîfleaux d'Enée en Nymphes de la Mer au neuviè- me; & ils veulent qu'il n'ait cherché en ces occafions que le Merveilleux. Volîius répond à ces objedions par des exemples femblables ou même plus incroyables, qu'il a pris dans les fables de l'Antiquité païenne (3). En-

Itcm apud VofTïum in lib. Inftitution. Poct. ôcRen. le Bollu 1. 3. c. 7.

3. Gcr. Joan. Voir laftit. Poct. 1, i, ç. i.paiag. ij. pàg. 10. XI.

G 2

148 Poètes Latins.

^Ykçilc^ Enfin il s'en eft trouvé d'autres qui

ont écrit qu'il y a dans Virgile un grand nombre de fautes contre la Vrai-fernblan- te, quoi qu'il ne fût point queftfon dans la plupart des endroits qu'ils cenfurent de faire valoir le Merveilleux (i). Le P. Gal- lucci a recueilli une bonne partie de toutes ces fautes prétendues ; & ceux qui s'imagi- nent que les accufatîons de ces Cenfeurs de Virgile méritent d'être examinées pour- ront fe fatisfaire dans les réponfes de ce Père (2).

$. s-

Des Mœurs y des Caraâeres marqués dtfns l*Enetde,

Les Mœurs Poétiques ne font autres que les inclinations qu'il plaît au Poëte de donner à fes Perfonnages pour les porter à des adions bonnes, mauvaifes ou indiffé- tentes. Nous appelions Caradere ce qu'u- ne perfonne a de propre & de lingulierdans fes mœurs , & ce qui la diftingue d'avec les autres Perfonnages du Poème. Et par- ce que fouvent ce caraélere n'a point de nom , on prend ordinairement pour le ca- radere d'une perfonne la première qualité qui domine en lui, & qui étant comme

l'ame

T. Jacques Pelletier au lîvie i. de TArt Poëtiqàe chap. S- de l'Imitarion.

2. Tarquin. Gallutius in Vindicationibus Virgilia- ais paflîm.

3. J. R. de Scgraij, Fref. fui rEneïde de Virgile

nom-

Poètes Latins. 149

l'amc de toutes les autres doit fe trouver virgUeJ pur tout pour fl\îre difiînguer le Perfon- iinge. Ceft ainfi que Ton dit que le Ga- raàere d'Achille ç(ï la Colère mêlée de V^aleur, celui d'Ulyiïe la Diffimulation accompagnée de Prudence, & celui d'E* née la Piété jointe à la Bonté.

C'efl fuivant cette notion que les Criti- ques ont voulu juger de la capacité de Vir- gile. Mr. de Segrais dit (3) que la con- duite qu'il a tenue pour ne jamais s'éloi- gner des Caradleres qu'il a une fois cholfis eft entièrement inimitable, & il ajoute en un autre endroit qu'il s'ed montré partout fi rage,li équitable & défintereflc , qu'on ne voit pas dans les Mœurs & les Cara6le- res qu'il donne aux autres quel peut avoir ^lé fon penchant & fapaflîon , s'il en avoit.

Le P.Rapifl témoigne aulTi (4) qu'il ob- ferve adm.irablemcnt par tout les Caraéte- res de fes Per Tonnages, & qu'il eft fort re- ligieux dans l'obfervance de l'honnêteté, des bienféances ôr des Mœurs.

Et le P. le Boflu examinant la manière dont il s'en eft acquitté, dit (5) qu'il traite des Mœurs & des paflîons, tantôt comme un^Hiftoricn & un Géographe, en mar- quant l'éducation, les habitudes, les in- clinations des Peuples , & les coutumes I des pays différens j tantôt comme un Phi-

lofo-

nombre ii. 8c nombre ij.

4. R. Rap. Comp. d'Mom. *c Virg. c. 7. pag. 32. edit. in 4.

5. R. le Boffu, liviC4. du Pocmc Epique, Traite «es Mœurs ôcc,

G3

i^o Poètes Latins.

yirgilç. lofophe moral, & quelquefois Phyficien, en rendant raifon des chofes par la matiè- re dont les corps font compofés, & par la manière dont ils font unis aux amcs; tantôt en Aflrologue , lorfquMl rapporte leurs caufes aux Dieux, c*ert-à dire aux Planètes , aux Aflres & aux Elemens.

Le principal Perfonnage eft le Héros du Poe me , non feulement il doit être par tout , mais il doit encore régner par tout, & il doit être le centre de toutes cho- fes ; en forte qu'il ne fe dife & ne fe fafle rien dans un Poème qui n*ait rapport à lui, lors même que cen'ell point lui qui dit ou qui fait les chofes. C'eft donc à bien for- mer les Mœurs & le Caradere du Héros qu'un Poète doit employer tous fes talens. Et c'eft auffi en ce point que Virgile s'eft fi fort élevé au dellus de tous les Poètes fans en excepter même Homère.

Le P. Rapîn dit (i) que Virgile forma fon Héros particulièrement des vertus d'Augufte, ce qui étoit une flaterie fine ôc îngenieufe par rapport à fes delTeins ; mais comme il vouloit faire un Héros accompli, il ne fe borna point aux feules qualités de ce Prince pour compofer £oi\ Enée. Il voulut aufîî le former de tout ce qu'il y avoit eu de vertueux & de grrtnd parmi les plus grands hommes de l'Antiquité. Il prit des deux Héros d'Homère tout ce qui pouvoit fervir à fes fins, c'eft-à-dire la va- leur d'Achille 6c la prudenced'UlyfTe, corn*

me

1. Hap. Comp. d*Hom. & Virg. pag, i^. ou shap. 4.

Poètes Latins, ifr

me Ta remarqué le même Auteur eu un au- virgilçi tre endroit. Il trouva encore le moyen d'y joindre lagrandeur d'ame d'Ajax, la fages- iedeNe(lor,la patience infatigable deDio- mede , & les autres vertus dont Homère mar- que les Caraderes dans fes deux Poèmes. Il ne fe contenta pas encore de ce bel as- lemblage , o: il voulut réunir enfembie toutes les excellentes qualités qui avoient rendu recommandables les perfonnes les plus illufircs de THilioire , comme The- millocle, Epamînondas, Alexandre, An- nibal, Jugurta & divers autres Etrangers, fans oublier ce qu'il avoir reconnu de meil- leur dans Horace, Camille, Scîpion, Ser- torius, Pompée, Cefar & un grand nom- bre d'autres Romains qui s'étoient ligna- lés dans la guerre ou durant la paix.

Ayant ainfi raflemblé toutes les vertus morales , politiques & militaires dont il a pu avoir connoiiîancc, il en fit un Tout compofé de religion pour les Dieux , de piété pour la Patrie, de tendrefTe & d'ami- tié pour les Proches, d'équité & de bonté pour tout le monde- Avec ce fonds de perfe61:ions , ce Héros fe trouve hardi ôc conltant dans le danger (2), patient dans la fatigue, courageux dans l'occalion, pru- dent dans les ati'aires. Enfin il ell bon^ pacifique, 1 beral , éloquent, bien fait, ci- vil, l'out Ton air a de la grandeur, <^ de la majcllé; afin qu'il ne lui manque aucu- ne des qualités qui peuvent contribuer à

l'ac-

I 2. Dans le même Ouvrage chap. 4. pag. 17. i S. e- dii in 4..

G4

15*2 Poètes Latins.

yiigile. raccomplilTement d'un grand homme, il e(l heureux.

Mais félon la judicieufe remarque du niême Auteur, les tro's qualités fouverai- nés qui font le caradere efîentiel du Hé- ros de rEneïde, font la Religion, la Jus- tice & la Valeur. Cétoient effedivement celles d'Augufte de qui Virgile vouloit fai- re le portrait. G'eft auffi par ces trois qua- lités qu'llionée vouloit faire connoître E- née à Didon (i) en l'appellant

* Illuftre en pieté.

Fameux par fa Valeur, fameux par fa Jufti- cc (i).

Jules Scaligcr a prétendu trouver régu- lièrement toute la fuite d'une Philofophie Morale & Politique dans la reprefentation que Virgile nous a donnée des Mœurs & du Caraèlere de fon Héros (3). Il dit que ce Poète ayant voulu faire un homme accompli dans toutes fes parties, fur l'idce la plus parfaite que fon efprit & fes con- noiffances pouvoient lui donner , a pris dans la vie aètive & dans celle qu'on ap- pelle contemplative tout ce qu'on y peut pratiquer de louable; de f)rte qu'on trou- ve dans le feul Enée l'homme privé & l'homme public, dans toute la perfedtîon qui dépend de la nature & des forces hu*

mai-

I. Lib. i.^ncid. de la Trad. (Je M. de Scgrais, ■■ ■■ ^0 jujitor Aller ,

Kec PieîAU fuit 3 uti Le>'.t >n*j«r.

3. JuL

Poètes Latins, i^-^

inafnes. CeCritiquc pour nous faire mieux Virgile^ valoir l'étendue d'efprit <^ l'indurtrie de Virgile, prétend en qualité de Philofophe que le Poète voulant exprimer ces deux genres de vie en un feul fujet , a trouvé le moyen de les joindre cnfemble par leur objet ou par leur fin qui eft la focieté hu- maine dans l'un & dans l'autre. Et com- me cette focieté ne s'entretient & ne s'al- tère , foit durant la paix, foit durant la guerre, que par la providence ou la con- duite fecrete de Dieu , il dit que Virgile n parfaitement rculTi à nous le faire voir dans les Mœurs & le Caradere qu'il donne à fon Héros. Mais quelque grand que pût are le plailir que l'on auroit de lire ici les preuves qu'il en rapporte, j'ai appréhende que leur multitude ne devînt onereufe au LetSleur li j'avois entrepris de les copier, outre que je n'aurois pu éviter de tomber dans quelques redites de ce que j'ai déjà rapporté plus haut touchant les qualités de ce Héros.

Le P. le Boffu n'a pas trouvé moins de Philofophie dans les Mœurs & le Caraâe- re du Héros de Virgile que Scaliger. 11 y a remarqué aulTi bien que lui un grand fonds de Politique , lorfqu'il dit (4) que le Poète voulant faire recevoir aux Ro- mains une nouvelle efpéce de gouverne- ment & un nouveau Maître, il faloit que ce Maître qu'il reprefentoit dans fon Hé- ros

3. Jul. C«f. Scaliger Poct. lib. 3. cap. 11. pag. 228, 219. *c fcq.

4. Rcn. Je Boffu, Trait. du roëmc Epique chap. ^ pag 87. cl« lirie 4. Iccondc partie.

G 5

if4 Poètes Latins.

Tlrsilc. ros eut toutes les qualités que doit avofr le fondateur d'un Etat , &■ toutes les ver- tus qui font aimer un Prince.

Mais il avoit déjà fait voir ailleurs qu'il y a plus que de la Politique & de la Mora- le dans les Mœurs du Héros ^ à. que Vir- gile s'étoit comporté aufli en Phyli ien ôc en Aftrologue dans la t'ormation de ce Hé- ros. Si Ton en croit cePcre (i),le Poète ne s'eft pas contenté de nous faire con-

^ fîdérerDieu comme la caufe de ces Mœurs

la plus univerfelle & la première de toutes lorfqu'il nous f it connoître combien ce Héros eil chéri de Jupiter, & que Junoii qui le perfécute d'ailleurs ne peut s'empê- cher d'eftimer fa perfonne. Mais il n'a point manqué de donner encore à ces Mœurs une caufe féconde, qui elt celle des Aftres , dit il , & principalement des Signes & des i^lanetes, dont il a voulu marquer la force fur la compléxion des hommes en dîverfes occalîons- Car il ne faut pas s'imaginer que ce foit par haiard que ce Poète, fi favant d'ailleurs dans l'As- tronomie, fait agir les Planètes en faveur de fon Héros, conformément aux règles des AfiroloL^ues. De fept il y en a trois favorables, Jupiter, Venus, & le Soleil: toutes trois agifîent ouvertement dans le Poème en faveur d'Enée. Il y en a trois dont les inriuences font malignes , Satur- ne, Mars, & la Lune ou Diane. Si elles agllfent c'eft en effet contre le Héros , mais

elles

ï. Rcn, le Boflii, Traité du PoëmcEpi^JUÇ chap. 2t f, 6. 7. du ilYxe 4, fccoude paitie,

Poètes Latiws. iff

dies paroifTent de telle forte qu'on peut vlrgiï<;^^ dire que Virgile les a cachées fous l'Hori- fon. Enfin Mercure, dont on dit que la Planète eft bonne avec les bonnes, & mau- vaife avec les mauvaifes, agit ouvertement comme les bonnes Planètes, mais il n'a- git jamais feul , c'eli toujours Jupiter qui l'envoyé. C'elt aînli que le Poète fait fur fon propre Héros l'horofcope de l'Empire Romain en fa naifîànce.

Mais quelque grand qu'ait été le nom- bre des admirateurs du Héros de l'tineïde. Us ne l'ont point pu garantir de la Cenfu- rede divers Critiques qui ne l'ont pas trou- vé entièrement à leur goût.

Les uns accufent Virgile d'avoir fort mal formé ce Prince dans le deifein qu'il avoic de le propofer pour l'exemple des Rois, des Capitaines & des Politiques. Mr. de Segrais dit (2), que l'averlîon qu'on a conçue pour ce Héros a été li loin , qu'on a pafTé jufqu'à dire que le Poète l'avoit fait timide, qu'il lui a mis trop fouvcnt les lar- mes aux yeux , àc que ce caractère de pieté qu'il lui a donné n'eft pas li agréable que ce caradere d'amour que nos faifeurs de Ro- mans ont CGÛtumededonner à leurs Héros. ' Les autres ont blâmé Virgile d'avoir ren- du fon Héros coupable o'une lâche ingra- titude, de l'avoir reprefenté comme ayant abufc Didon,& comme l'ayant abandonné deux jours après fon mariage, par une per- fidie dont ce Poëte fait Jupiter ôi Mercure

au-

2. J. Ren. de Segrais, Trcface fuj; UTiad, de l'E^ Ifiii^ nofiib. 17. pag. 35.

G 6

jf6 Poètes Latins. Vîjgilc. auteurs, félon la remarque de Mr. du Ha- mel (i).

D'autres Critiques , même parmi les an- ciens Auteurs Eccléiiaftiques, trouvent de la lâcheté & de la baffeile, & qui plus eft xle la cruauté & de Fimpieté dans ce pré- tendu Héros , lorfqu'il tué Turnus fup- pliant & défarmé, quoiqu'il le conjurât par les Mânes de Ion Père Anchife (2) de lui accorder la vie (3). Et fans alléguer ici l'impiété avec laquelle lesHiiloriens difent qu'il livra fa Patrie & les Citoyens à leurs ennemis, on a crû que c'ctoit une chofe contraire à la pieté & à l'humanité de ré- ferver huit prifonniers comme il fit pour les immoler fur le bûcher de Pallas (4).

Enfin il s'eft trouvé dans notre liécle des Perfonnes difficiles, qui loin de trai- ter l'Eneide de divin Ouvrage, comme on faifoit dans le fiécle paflé, ont prétendu trouver une infinité de chofes à réformer dans leCaradere du Héros. C'eft ce qu'on peut voir par une longue fuite de plaintes qu'un Critique moderne a mis dans labou- che de Maynard contre Virgile (5-).

Mais quoique ce fat un grand fujet de confolation pour tous les Poètes malheu- reux de voir le chef de tous ceux de la Profefîlon chargé de tant d'accufations &

quoi-

T. Du Hamcl ,Diflertat. fur IcsPocûes de Bxcbcuf, page 14. 15.

2. Dares genuin.

3. Laftant. Divin. Inftitution, Irem Jacq. Pele- tier du Mans livre i. de l'Art Pocti<J. çhap. 5. dcl*imi^ cation. Item du Haioel , ô(ç,

4. Taiq

Poètes Latins. 15-7 quoiqu'il fût peut-être de leur intérêt que Virgile, ces accufations demeurairent fans réponfe pour pouvoir fe détendre de Ton c'xcmple, les Critiques n'ont point jugé à propos de leur donner cette fatisfadion. Ces der- niers ont ciû qu'on ne pouvoit point a- bandonner la défenfe de Virgile en ce point , fans l'expofer à perdre Ja qualité de véritable Poète, parce qu'il n'en ell point de ces fautes comme de celles que nous avons marquées ailleurs contre la Chro- nologie, la Phyiique, & les autres con- noiilances qui font étrangères à la Poéti- que; au lieu que celles dont il s'agit, font ellcntiellemep.t contraires aux régies de cet Art.

Mr. de Scgrais répond tout d'un coup à toutes les objedions que l'on fait à Vir- gile fur la conformation de fon Héros , en difant que pour bien juger du Caradérc qu'il lui a donné , il faut s'élever aux mœurs les plus aullcres des Anciens, & fe défaccoutumer des nôtres (6). Et fur ce fondement il dit ailleurs que les points qui ont donné fujct aux Cenfeurs d'accufer l'Enée de Virgile de timidité, de foiblef- fe, 6c d'ingratitude, ne font que de cer- tains traits qui marquent ù foumifilon & fon obéilfance envers les Dieux. C'ell

dans

4. Tarq. Gallutius Vindic. Virgilian. in lib. i. i€- neid. loc. 9. piig. 53. 54. &c, ubi de loco decimi i£- ncidos pcregiin.

5. Gucrct de la Guerre des Auteuis depuis lapa» gc 6i. iulqu'à «4.

6. Segt. rréf. nomb. 5. pag. i, 5. & plus au lonfc *9mb£, 17. pig. 3 s. j$. Ce luiv. ^

G 7

ij8 Poètes Latins.

Virgile. dans la réfiftancc qu'il lui fait faire aumoir- vement de fcs palfions, qu'il fait paroître la piété & le courage de fon Héros ; & ceux qui Taccufent de Tavoir fait trop In- diiFcreiit & trop froid à l'amour , ne fon- gcnt peut-être pas qu'ils relèvent infini- ment le mérite de ce Poète Païen, au- defTus de tous nos Poètes & nos Auteurs de Romans , qui faifant profeffion de Chriftianirme n'ont pourtant pas fait fcru- pule de donner à leurs Héros l'amour dé- réglé pour principal & unique Caradere; & qui bien loin de les reprefenter comme viâorieux de cette paffion ho iteufe . fcm- blent avoir voulu faire coniiftcr tout leur courage & toute leur vertu dans leur chu- te & dans leur efclavage.

Virgile n'a point crû comme eux qu'il y eût plus de gloire à céder à fes paiïions qu'à les combattre, il a jugé au contraire que la principale marque de la vertu étoit de les vaincre; & comme l'amour efl la plus indomptable, il a voulu nous perfua- der qu'en la faifant dompter à Enée , il lui donnoit la plus grande marque de ver- tu qu'il pouvoit trouver. Mr. de Segrais qui fait toutes ces belles réflexions , avoue néanmoins qu'Enée pouvoit quitter Didon avec moins de brulquerie & plus de tcn- dreflè; & que Virgile, fans le faire fo- béïr aux Dieux, pouvoit marquer un peu

da-

1. Virgil. lib. 4. .ine'idos ait i

I -•— Curam jub corde premtb/tt 2»îithA gcmtni i ruA^no^ue antr/mm lal^cfaîlHi amore.

I

Poètes Latins. 15*9 davantage la. violence & Tagitation de fon Virgilt, amour dans les difcours qu'il lui fait faire. Mais Virgile en a fait afïes d'avoir marqué qu'Enée n*étoit pas infenliblc à cette paf- iion , & d'avoir fait voir que ce Nouveau Marie ne pût fe féparer d'elle fans fentir les atteintes des foucis & des autres effets de cette paffion (i), mais qu'il ne put fe difpenfer d'obéir à Dieu qui le rendoit fourd aux plaintes tsf ^f*x inflances de Didon ; ^ aux De [fins qui le forçaient de la quitter. De forte que fi Virgile en avoit ufé autre- ment, il auroit peut-être démenti ce pre- mier Caractère de piété qui n'étoit pas compatible avec celui de l'amour en cette occafion.

Les larmes qu« quelques Critiques blâ- ment tant dans le Caraàere de ce Héros, pourroient encore fervir de réponfc àl'ob- jcdion de fon infeniibilité préteiidué; & comme elles font louables & judicieufes par tout on les lui fait répandre, à l'e- xemple des plus grands hommes de la tei> re, elles fe défendent afTés par elles-mê- mes. On peut pourtant conje6lurer, com- me font quelques-uns de nos Commcnta.- teurs (2) , que li Augufte avoit été moins tendre & moins fujet aux larmes, Virgile auroit fait Ion Héros un peu moins pleu- reur.

L'inhumanité que les autres ont préten- du

£t fuprà. FtfXrt objiant pldcidaf^ue vîri Drus ob^rw't éitrif. z. Sccvius in Viigil| Comip, Tâubuuo^ U Hîi

i6ô Poètes Latins.

du trouver dans ce Héros , fe peut excufer ou par la piété envers les morts, ou par le droit de conquête, ou par la nécelTité des affaires, (i) C'efl: ce qu'on peut voir dans l'Art Poétique de Peletier, & particulière- ment dans les défenfes du P. Gallucci, qui en plufieurs endroits femble avoir plu- tôt voulu faire voir fon éruditio^n que la néceffitédc répondreà des accufations, dont plufieurs , à dire le vrai, font fort frivoles 6l fort impuifiantes pour nous faire perdre <5uelquechofedelabonne opinion que nous avons des perfeâions du Héros de TE- neïde.

Les autres Perfonnages de ce Poè- me ont mérité aufll que les Critiques fif- fent quelques réflexions fur le Caractère que Virgile leur a donné. Didon ell fans doute le premier de ces Perfonnages que le Poète nous prefentc après fon Héros, & c'ert le plus confidérable de la première partie de l'Eneïde, puifque c'eft elle qui en fait le nœud. Comme il vouloit mar- quer en elle le Caradere des Carthaginois à. les inimitiés deCarihagc avec Rome, il la rend palTionnée, hardie, entreprenante, ambûieufe, violente, de mauvaife foi ; & toutes ces qualités, dit le Père lcBoflu(2), •font maniées par la Rufe qui eu efi Tame & le cara6ttrc. Ainli il n'a eu aucun égard »ux qualités effedives que l'Hiftoire nous

mar-

I. Jacq. Peletier, Art Poctiq. livre i. chap. j. de l'Imitatioa. Tarquin. Galliiiius Villdic, Viigil.inlib,

X. Se-

Poètes Latins. i6i

inarque dans la véritable Didon. Cette vireile. Rufe règne dans toutes fes adions. Ce Cara6lere eft pourtant mauvais & odieux , mais Virgile étoit obligé de le rendre tel par le fond de fa Fable. On peut dire néanmoins que dans la liberté qu'elle lui a laifTée, il a eu foin de donner à ce Ca- radere tous les adoucilTemens propres à fon fujet , & de le relever par toutes les beautés dont il Ta trouvé capable. Car il ne lui fait exercer fes Rufes que fur d'il- luflres fujets , il lui donne des qualités vraiment royales. Elle eft magnifique, el- le eft bien-faifante , & elle a beaucoup d'eftime pour la vertu.

Jamais Poète n'a trouvé ^ans fes fic- tions un fi beau champ à fon industrie, que celui que Virgile s'efl donné dans le fyfteme de fa Didon pour former le Carac- tère d'une République ennemie de la Ré- publique Romaine. C'cft fans doute ce qui a fait dire uu P. Rapin (3) , que le bel endroit de Virgile & fon véritable chef- d'œuvre, cft la paillon de Didon. Jamais l'éloquence, dit ce Père, n'a mis en œu- vre tout ce qu'elle a d'artifice & d'orne- mcns avec plus d'cfprit, ni avec plus de fuccès. Tous les degrés de cette pafllon, tous les redoublcmcns de cette affeélion naifTante, & cette grande fragilité y font développés d'une manière qui donne de

l'ad-

a. Seconde partie du Pocme Epique livre 4. cli. 10. pag. 91. $i.

3. R. Rap. Comp. d'Hom. 8c Virg chap. ij.pag, 51. edit. in- 4.

i62 Poètes Latin s.

Virgile. radmîration aux plus habiles. 11 ajoute que tout eft tendre, délicat, palTioimé dans la defcription de cette avanture, & que ja- mais il ne fe verra rien de plus achevé.

Ce même Auteur pour foutenir l'hon- neur de Virgile, s'eft fait aulTi un devoir de repondre au grand reproche qu'on fait à ce Poète , d'avoir deshonoré cette Prin- cefle en lui donnant tant de paflion contre fon propre caradere. Il prétend que cette conduite-méme eft un artifice des plus dé- licats & des plus fins de Virgile, lequel, afin de donner du n\épris pour une Nation qui devoit être un jour fi odieufe aux Ro^ mains, ne crût pas devoir fouffrir de la vertu dans celle qui en fut la fondatrice; croyant pouvoir en toute fureté la facri- fier , pour mieux flater ceux de fon pays.

Il eft inutile de parcourir tous les au- tres perfonnages à qui Virgile s'eft étudié de donner des Mœurs & de former un Caractère. On peut dire en général qu'il y a fait une peinture admirable du Genre hu- main, qu'il y a marqué les diftérentes in- clinations des féxes, des âges & des con- ditions (i), avec une fagelFe & une pru- dence qui ne s'eft jamais démentie, & il eft aifé de voir que c'eft fur fa conduite plus que fur celle d'Homère que le Père le Bofta a tiré les plus bell-es réflexions du quatrième Livre de fon Traité fur le Poc- mc Epique. On

I. Horatius lib. i. Epiftol. t. hic habct :

DiUtfî ttbi Vitgilius >'arii4~ejne Poi'ta

Ncc miiiis exprejfi vultus per ahenea /î^na

Quam per Vatts opus mères tmimique virorum ^Tf*.

j

Poètes Latins. 163

On peut afTurer que Virgi-le n'a pus virgîlc. été moins heureux à exprimer les Mœurs & le Caraâere de fcs Dieux , que les Maî- tres de l'Art appellent Machines , «Se il pa- roît afles qu'il a connu la nature & les fondions de fes Dieux aufll parfaitement qu'aucun homme de fi Religion. Il en parle avec un refpetl dont on voit bien qu'il a voulu communiquer les fentimens à fes Ledcurs, il n'employé leur miniftere que dans les affaires d'importance, en quoi fa difcrétion eft allée beaucoup plus loin que celle des Poètes d'avant lui. ' En un mot il a ménagé fes Dieux comme s'il eût voulu nous marquer le Cara61:erc de la Di- vinité par la diftance de leur Nature d'avec la nôtre; & félon la remarque du PereRar pin , il a religieufement obfervé le confeil qu'Horace a donné depuis dans fa Poéti- que , qu'il cft bon que les Dieux ne paroif" fent que dans les difficultés qui ont befûin de leur préfence iff de leur affiftance (2). ^

Un Auteur de ce tems a prétendu néanmoins que ce Pocte donne une mé- chante idée de la Divinité dans le tableau qu'il fait de Junon. Il femble que le Ca- radere qu'il nous en donne ne foît qu'un rnélange de colère , d'ambition , d'impuif- flince, de foiblefle, d'indifcrétion & d'in- décence; & qu'il ait voulu nous pcrfuader que cette Déelle ne favoit point l'avenir,

qu'el-

z. Rapin, comme ci-dcflus chap. 6. pag. il,

Horat. de Art. Pociica. :

Nec Dtut intcrfit m fi digriitt vindiic neim.

Irxctdtrit,

164 Poètes Latins.

Virgile. qu'dle n'avoit pu retenir fes palTions, <& qu'elle n'avoit remporté que la honte de fon entreprife (i).

Maïs li nous voulons fuivre la penfée de ceux qui eftiment que Virgile ell tout myfterieux , nous n'aurons pas de peine à nous imaginer que le Caradere qu'il don- ne à Junon , n'eft pas forme au hazard. On voit agir quatre Divinités plus particu- lièrement que les autres da:is tout le Poè- me de l'Eneïde (2). C'e(l Jupiter , avec le Deftin, Junon, & Venu-, qui repré- fentent la Nature divine féparcc en quatre perfonnes, comme en autant de ditîerens attributs, i. Jupiter y cil marqué comme la PuifTance de Dieu. 2. Le Deflinyeft reprefenté comme la Volonté abfohië à la* quelle fa Pulilànce-même ell foumife, parce que Dieu ne fait jamais que ce qu'il veut. 3, Venus eiï la MiféricorJe Divine, & l'Amour que Dieu a pour les hommes » vertueux , qui ne lui permet pas de les ou- blier dans les maux qu'ils Ibuffrent. 4. Ju- non eii fa Juftice; elle punit jufqu'aux moindres fautes , elle n'épargne pas les plus gens de bien , qui n'étant pas fans quelques défauts, en font féverement pu- nis en cette vie, pour devenir plus parfaits & plus dignes du Ciel.

§ 6.

1. Gucret,dc la Guerre des Auteurs pag. 6$.

2. Le boSixjlivK 5. des Machines chap. i. èc fut*

raas

Poètes Latins. i6s

Virgile,

§. 6.

Des Senti mens ^ de la Morale de Virgile,

Après avoir parlé des mœurs & des ca- radcres que Virgile a donnés aux Hom- mes & aux Dic^ux , il e(t jalle de dire quel- que chofe de ce que les Critiques ont pen- des propres mœurs de ce Poète, ou plu- tôt de fcs Senùrtieyii ^ qui n'ont été eftlclî- vement que les cxpreffious de fcs mœurs.

Nous avons déjà vu plus haut qu'il n'ell pas aifé ce deviner quel peut avoir été le panchant & la palfion particulière de Virgile ;& quoique l'Hilloire nous appren- ne qu'il avoit vécu d tns quelques dérègle* mens, & qu'il avoit enirctenu de méchan- tes habitudes, il n'tft pas hors d'apparen- ce qu'il en ait voulu éteindre la mémoire, puifqu'on n'en trouve aucune marque dans fcs écrits (3). C'e(t une difcrétion dont la Pollerité Chrétienne ne fauroit afTés le re- mercier ; & ^\ tous les autres Poètes a- voient eu autant de fat^effc pour ciiTimuler dans leurs vers les paillons fcanaaleufes dont ils étoient efclaves, les iîécles fui- vans , & principalement ces deux derniers ne nous auroient point tant produit de Poètes lafcifs que l'exemple de ces An- ciens a gâtés , & nous ne ferions pas obli- gés de recourir au fcrupule & à la précau- tion

r^n-s pjg. 144. Sec.

3. Hoilrnis dans que^ucs Eglogues , fdon quel- qucî-uns.

i66 Poètes Latins.

Virgule, tion pour lire ou faire lire les Ouvrages des uns & des autres.

11 faut avouer que c'eft exiger des Au- teurs quelque chofe de bien difficile , que de vouloir qu'ils dilTimulent leurs fenti- mens & qu'ils cachent leurs paffions. On ne voit prefque point d'Ecrivains , dit Mr. de Segrais (i), qui ne falîent pa- roître leur humeur & leur inclination particulière dans leurs Ouvrages, & qui n'y laifTent quelques traits de leur ca- radere, quelque foin qu'ils puilTent pren- dre de les déguifer. C'elt pourtant ce qu'on cherche dans Virgile", & c'cft ce qu'on n'y trouve pas, parce qu'il a gardé toujours beaucoup d'uniformité dans les beaux exemples qu'il propofeàfesLedteurs en toutes rencontres. Il cft aifé de juger qu'il a pris à tâche de ne nous faire voir que des adîons de civilité, de probité, de juftice & d'honnêteté , lorsqu'il a voulu nous préfenter quelque exemple à fuivre, & de nous infpirer de l'averfion pour le vice , lorfqu'il s'eft crû obligé de parler des défauts ou des méchantes adions des autres. De forte que plufieurs ont avoué qu'ils n'avoient jamais lu cet Ouvrage fans y avoir trouvé fujct de devenir meilleurs, prétendant que fa leélure eft aulTi profita- ble que les préceptes des plus fages d'entre les Philofophes.

Oh

I. T. R. de Segraîs , Préf. nomb. ij. pag. 22. 2}. a, J. R. de Segrais Préf, nomb. 13. pag. 22.13. l, Louïs ThomaiTm, de la Mcthodc d'étudier 8c

d'en-

Poètes Latins. 167

On n'y remarque rien quî ne témoi- virgllr, gne partir d'un efprit très-bien fait & très- noble, d'un homme prudent & modéré, d'un courage libre, ennemi de la balle fia- terie & de la fervitude, d'un cœur tendre & bon; & fur tout d'un vrai Pnilofophc qui elt fans ollentation , & fans atFeda- tion (2).

On y trouve les plus beaux fentimens que la Théologie des Platoniciens & la Morale des Stoïciens ayent jamais pu infpirer à un homme vivant hors de la vé- ritable Religion. C'eft ce que le P. Tho- maffin a fait voir en nous montrant la méthode d'étudier & d'enfeigner Chrétien- nement les Poètes.

Il prétend que (3) dans le premier Li- vre de l'Eneïde, on apprend que tout ce qui femble ne venir que des eau Ces natu- relles, comme les vents, les tempêtes, le calme, eR: pourtant la matière du gouver- nement & de la diredion des Ange? mar- qués par les Divinités inférieures à Jupi- ter, fous le bon plaifir de Dieu: Et que ce qui paroît ne venir que de notre volon- té libre, comme les amitiés, les inimitiés, les craintes, les confiances, les avcr'ions & les complaifances, font néanmoins mé- nagées (4) par les Anges fous les or- dres & pour les fins de la Providence Divine.

Dans

dî'cnfcigner Chr«<tîenneracnt part. i. lirrc i.chap. 14 pag. 411. 4iz. ôc fuir.

4. ^. 11 faloic dixc : efi néanrMÎns meriAi^^

i68 Poètes Latins.

Virgile. Dans le fécond on voit, félon ce mê- me Père, que tous les degrés de lumière & de fagelfe nous viennent du Ciel. Dans le troiliéme, que bien que Dieu foit notre guide , & que nous arrivions enfin au lieu il nous deftine , c'eft par des routes bien interrompues & biea tfaverfées, afin d'exercer notre patience & notre obcïlEnce.

Dans le quatrième, on voit la naiflancc & la vidoire d'une paffion violente. On y voit les déguifemens & les artifices dont on ufe pour fe tromper ; enfin on y voit comme on a recours aux facrifices & à la Religion , en apparence pour guérir, mais dans le fonds pour autorifer fa paf- fion, comme les plus vertueux & les plus attachés aux ordres du Ciel s'endorment quelquefois, & ont befoin que Dieu les réveille & rompe leurs liens.

Dans le cinquième, on voit la con- duite d'un homme de bien qui joint tou- jours des facrifices à la joie & aux fa- ve irs qui lui arrivent, & qui cherche fa confolation dans la prière lorfqu'il tom- be dans quelque difgrace & quelque ad- verfité. bans le fixiéme, on trouve une Théologie pleine de grands fentimens

pour

I. Chriftoph. Land. Alleg. Piatonic. in*i2.^neid. lib. apud Gallutium ia Oiatiene tertia de Contcxtu Allegorico Virgil.

m. Chriftophlc Landin a répandu Tes allégories dans fes Commentaixeç fui les Oeuvres de Virgile, fmpiimcs avec ceux de Servius à Venifc in 4. Tau i$iii^ 11 a de plus compofc un Ouvrage imprimé

in- fol.

PoETKs Latiîis. i6^

pour la Divinité, & on y voit auiïi ceux Virgile,, que Virgile avoit pour lajullice. Les au- tres Livres de TEneide ne font pas moins remplis de ces fentimcns de Religion & d'équité naturelle ^ qu'on peut voir dans les Réflexions du Père ThomafTin ; & je veux croire , fans trop examiner les in- tentions de Virgile, qu'il n'eft difficile de trouver tous ces beaux fentimens dans foa Poëtne, qu'à ceux qui auroient la malice d'y chercher autre chofe.

Mais il eft bien difficile de fe perfna- der fur la foi de Chrîftophie Landin (i) ^ qu'il n'y a pas dans tout Virgile un feul endroit , pas une feule penfée , pas même un feul mot qui ne renferme de grands en- feignemens & les plus belles maximes de la fageflc. G'eû ce qu'il a tâché de faire voir dans un Ouvrage entier que Piflorius a pu- blic fous le, titre d'AUegO'.ies Platoniques fur l'Eneïde. Mais le P. Gallucci eftime avec raifon qu'il a perdu fa peine*

$.7.

Dufiyle y de Vex^reffim de FirgrU, '

Les Critiques ne fe contentent pas de

dire

infol. \ Strasbourg l'an 150J, qui a pour titre D//?**- iatj'ones Camaldulenfes en 4. livres dont les deux der- niers font encore remplis de Tes allégories fur Vfr- gile. Floridus Sabinns dans fon Apologie contre les calomniateurs de la Langue Latine, & 1. 2. de fes LâUiortes fuccifivd c. 24. Ta touine' amplement là-dcs- f«s en ridituie.

Tom.IILPart.il. H

170 PoETKs Latîws:

Virgae. dire que le ftyle de Virgile eft magniâqu«, égal à. poli; qu'il a de la pureté & de l'é- ligaace; qu'il a pri^ un foin particulier de fuir les expreflàons profaïque^; que ver- fiôcation e(l nette, tacile, naïve, éa dou- ce daiîs fa plus grande pompe ; mais ils prétendent qu'il poflede ces excellentes qualités à un point nul autfe a'a janriais pu atteindre (i). j ;? ^

La plupart des Aut^uis anciens ,. autant ceux de TEglife que les Ecrivains profa- nes, (e font eonteBtés d'admirer dans Vir- gile cette éloquence Romaine, dont il a ?ic conlidéré comnie le Père par leî uns, & dont les autres n'ont pas crû pouvoir mieux marquer la grandeur ^qu'en oubliant la qualité de Poëte pour lui donner celle de grand Orateur (z). Mais il y en a peu qui en ayent parlé avec tant d'étendue qu'x\ulu-Gelle , qui n'en a pourtant dit que fort peu de chofes en comparaifon de Macrobe, Ce dernier eltime que Virgile eft le plus fort & le plus puillant de tous les Orateurs (3). l\ dit même qu'il y a des Auteurs conlidérables qui prétendent que ce Poëte a pailé Ciceron dans l'éloquence & dans l'artlûce du difcours. Mais ce ju-

; ge-

T. J. R. de Segr. nomb. 14. pag. ij. delà Prc'f. far la Trad. de rEncid.

X. CJuiatilian. InAicut. Orator. Ub. lo. cap. i. {e alibi.

Au^r Dialog. de corrupt. X.. L. Gvc Quinriliaoi five altcrius fit foetus. Scuec;£ Pater & fii. ôc api^d SS. Çatrés, D. Hîcronymus, D. Ayguftiuus , Sec. quos adfcrt in Oiatione puma de Vùgilio Tarq, Galluc,

Poètes L a r i k S. i^t

gement a pafle dans la pofterité pour le virgU^ truit de la tendreirc de quelques Critiques palfiotinds pour Virgile. Ces Auteurs (4), au rapport du même Macrobe , difoient que ce Pocte avoit raflemblé en lui-même toutes les qualités que les plus célèbres Orateurs avoient comme partagées entre eux ; qu'il a Taboiidance & la force de Ct- ccron, la breveté de Sallufte, la fobriet^ & la fermeté de Fronton » la douceur & les orncmens du jeune Pline & de Sym- maque. Mais l'éloge de Virgile ne feroft point accompli, (i ces Auteurs s'étoient contentés de dire que ce Poète avoit ren- fermé dans fon Poème tous les quatre gen* tes d'éloquence qui compofent l'Art Ora- toire, & qu'il avoir pofïèdé toutes les ex- cellentes qualités des plus célèbres Ora- teurs qui ont excellé dans quelqu'un de Ces genres fans ajouter en même tems qu'il n'avoit point eu part à leurs défauts. Âufli le méine Macrobe nous tuit-il alTés coniK)ître que c'étoit fa penfée; de forte qu'il faudroit dire, félon lui, que Virgile n*a rien des emportemens & des longueurs de Ciceron , ni rien de l'obfcurité de Sal- lufte, ni rien de la féchereife de Fronton ^

ni

5. Mactob. Satutnal. lib. J, tap. i. pag. 3;». jisr. M.

Vid. & Tarq. Gallut. Orationc prima de Viriilii All^goria pag. zto. 211.

IdemGallut. ead. Oiat. pag. ziS.

4. Eufèbc, &c,

f . Cet Eufcbc -ft un des peifQj>;'^a2çs qu*iatroduit Macrobe chins ies Sacuiuales,

'Ai

171 Poètes Latine» >

Virgile. ni rien enfin de la mollelle efféminée (i)- & des fupcrfluités de Pline & de Symma- que (2). C*eft pourquoi on a moins lieti de s'étonner que ce même x'\uteur ait crû ' que Virgile ne peut être entendu ni expli- qué que par un lavant Orateur, ou par un Critique qui fâche non feulement la Gram- maire, mais auffi l'Art Oratoire; & qu'il ait jugé que cela ne fuffit pas encore, à moins qu'on ne foit extrêmement péné- trant pour pouvoir découvrir toutes les profondeurs de la Philofophie & de la Sa« gefTe humaine qu'il y a renfermée.

V^oilà ce que les anciens Critiques qnt dit de plus important fur le ftyle de Virgi- le. Les Modernes n'en ont pas jugé moins avantageufement. Jules Scaliger qui s'eit fait une efpéce de néceffjté & un mérite de nous montrer que tout eft admirable dans Virgile, a voulu nous faire admirer la force & l'énergie de fon ftyîe, qu'il ap- pelle une efficace qui emporte fon Lecteur par tout il plaît au Poé:e, & qui lui rend toutes chofes préfentes & fenfi- bles (3). C'eft auffi le jugement qu'en a fait Mr. Borrichius (4), lorfiqu'il a dit que le principal talent de Virgile confiée à employer des espreffions qui égalent les chofes qu'il repréfcnte, & à faire de véri- tables

1. %. Reconnoit-on bien dans cette milcj^e effémi- née, ?c dans ces Cuperfiuire's \c pi?ijiMe cr fiortdum qu'at- tribue Macrobe à ces deux Auteurs?

2, Ce Symmaque ctoit contemporain de Maciobe. 2. Jul. Sciligei Poëtic. iib. i, icu Idex cap. 26. de

Poètes Latins. 17^

tables Spectateurs, pour le direainfî, de Virgile, Tes Leéleurs qui s'imaginent s'<!:tre trouvés en per(onne à tous les événemcns dont ils ne voient pourtant que la peinture. Et voi- là le point de cette pcfedion auquel tous les autres Poètes n'ont point encore pu- parvenir au fentiment du même Critique. C'eft dans la même penfée que le Père Rapin prétend que les paroles de Virgile font des chofes (5), que les difcours mê- me de rendrelîe & de paffion qui portent par tout ailleurs un cara6tere de légèreté, n^'ont rien dans le Poëme de l'Erieide qui foit vain, rien qui foit chimérique, maLs que tout y dl fondé. Le même Critique pour nous faire mieux confidcrer le prix du ftyle & de l'exprelTion de Virgile, nous avoit déjà fait connoître quMl n'y a rien qui n'y foit nécelîàire. Il pafle , dit-i), légèrement fur Tes matières comme un voyageur prefiTé, fans s'y arrêter. 11 coupe & il tranche généreufement tous- les dis- cours fupertîus pour ne retenir précilement que les nécelfaires. C'eli en quoi conHile l'excellence d'un Ouvrage qui n'eil jamais plus parfait que lorfqu'on n'y peut rien retrancher : Et c'efl auffi dans cetre cir- confpe6lion & dans cette admirable rete- nue que confiile le mérite de l'expreirion

efficacia pag. 294 29;. & feqq.

4. Olaiis liomchius Diflenation.de Poët.Lat pa^. 48. 49.

5. Ren. Rapin , Conipar. d'Homère 8c ViigiLc «l^ap. 13. p^g. jo.jgc chap. II. pag. 41. 4a,

H 3

i7f PoetesLatihs. Vi/fHe. & ftyle de Virgile , ea quoi ce Père efl entièrement d'accord avec Jules Scali- gcr (i).

Mr. de Segrais juge (2) qu'il a parfaite- ment allié deux qualitcs qu'il efl très-rare de rencontrer enfemble, c'ell la clarté &l la breveté qu'il eu ton difficile de trouver inféparables dans aucun autre Poète , & dans Homère- même. Car eifedivement il n'y a point de beauté dans l'Iliade ou dans l'Odyiîée qui ne foient dans les douze Livres de l'Eneïde, quoique ces deux Poè- mes foient de vingt-quatre Livres chacun. Jl en a touché les plus belles defcripiions ^ les plus riches comparaifons , & perfec- tionné les inventions les plus heureufes. Outre cela il a compris toute l'Antiquité de l'Italie, toute la Religion & routes les Mœurs des Anciens, il n'a oublié aucun des grands Perfonnages de l'Hilloire Ro- maine, ni aucun de leurs plus célèbres, exploits; & les louanges de fou Prince f font 11 amplement touchées, qu'il cil im- poflible de comprendre comme il a pu ra-» maflfer tant de richelfes, & renfermer ua il vallc fujct en moins de dix mille vers. Cette précipitation & cette impatience qu'il fait paroîtrc pour arriver à la fin, ofti une des plus grandes marques d'un efprit profondément favant, parce que les plus

grands

1. Jul. Cxf. Scaliger Poêtîccs !ib. j. cap. 1.

X. J. R.. de Segiiiis uombxc il. ôc il. pag. tt»

j. Gcraxd. Joaa, Vollius Inâicstion. Foct. lib. %.

Pdetf. s Latins. tff

l^rands hommes font ordinairement ceux virgîlc; qui aiment moins- à parler, Ôi qu'il n*y a point au contraire de plus grands parleurs <^ue les Dcmi-Savaiiî^ , qui appréhendent toujours de perdre roccaHon de dire ce peu quMls faveur.

Ce défaut, dit le même Auteur, ne fe trouve point dans Virgile; il ci\ û afifuré die fa richelfe ; que ne difant que peu de chofes , il ne craint point de palfer pour ftérile, parce qu'il n'oublie rien de ce qu'il ■y a de principal & de plus beau fur chaque iujer. Il fe contente feulement, dit Vos- fius(3), d'employer des termes grands & nobles, lorfqu'il veut relever une matière qui eft baife d'elle-même.

Il faut avouer néanmoins qu'il fe trouve àe$ chofes qu'il a touchées deux fois par îa néceffitc de fon récit, mais c'cll d'une Bwnicre û ditférettte qu'on ne peut pas rai- fonnablcmcnt l'accufer pour cela d'avoir éit deux fois la même chofe. 11 fait ré- gner fa difcrétion par tout, éc il évite fot- gneufcment tout ccquipourroit troubler le plailîr de fon Leéleur. On peut dire qu'il n'y a point un vers qui ne foit un eftet de fon jugement exquis; & parmi ce beau feu qui l'emporte, on ne peut pas dire que la régie <5t lajullclle l'ayem januis abandon» ne (4).

Je

f*g. H, Vid. 8c lib. I. cjufd. Operit ftg. s. |. & aJibi palTîm.

% VofEos oc dit iica de tel dans les csdioiti

cires. 4. Scgrais tu lieu zappoitc.

H 4

iy6 Poètes Latins.

yirgilc. Je n'aurois pas omis en cet endroit le

fcntiment de Mr.de Chanterefne touchant la beauté de rexpreffion de Virgile , li je ne l'avois déjà rapporté parmi les jugemens jqu'on a faits fur Terencc, à caufe qu'il y a joint ces deux Auteurs enfembie, & j'ai- me mieux prier le Ledeur de vouloir le chercher en cet endroit plutôt que de le ré- peter ici. Mais j'aurois bien plus de fujet d'omettre le jugement que Viélorius a fait du ftyle du Pocte, Ci cet Auteur n'avoit acquis de fon tems la réputation d'être le premier des Critiques de l'Italie. Ce Cen- ieur accufe Virgile de prendre des mots les uns pour les autres, & d'être moins pur & moins Latin que Lucrèce (i). C'ed aller, ce me femble, contre la prefcriptîon de dix-fcpt cens ans, durant lefqucls on peut dire que le ftyle de Virgile a toujours pos- fedé la même gloire qu'on lui donne au- jourd'hui.

Au RESTE , quoiqu'il n'y ait rien dans Virgile qui ne foit excellent , il femble pourtant que ceux qui feroient obligés de faire un choix entre les douze Livres de cet admirable Poëme , pourroient préférer le premier , le quatrième , & le lîxiéme aux neuf autres. Le premier (2) eft le plus tra- jraillé &. le plus achevé pour lavcrfifica-

tion ,

T. Petr. Vid^oriiis Commentât, in Ariftor. & Bal- zac, Oeuvres diverfes pag. 266. cdir. d'HoIUnde.

^. C'cft ce qu'il a déjà marque ci-deffus article 1140

* z. Segr. pag. 41. de Tes Remarques furlcptcmîe* livre de Tliiiéïdc,

Poètes Latins. 177

I tîon, & il n'y en a point de plus châtié : le virjtle.

I .Quatrième contient la matière laplus agre'a- bic; & le lixicme elt le plus doae.. En ef- fet on tient que Virgile montroit ces trois Livres plus volontiers que les autres: le ^uatric'me coirme celui qui pouvoit plaire davantage aux Perfonnes de la Cour,& fe *fîxiémc comme celui la NoblelFe Ro- maine étoit la plus intereflee, furquoi on peut voir Mr. de Segrais dans fes remar- ques fur l'Eneïde.

Virgile au rapport de Macrobe (3), a -pris le fécond Livre de fon Poème d'uu ancien Poète nommé Pifandre, qu*il n'a prcfque fait que tranfcrire de fuite. L'on prétend aufîi qu'il a pris le quatrième pres- que entier du Poëme des Argonautes , fait par Apollonius de Rhode , qu'il n'a fait que changer les amours deMedcc pour Ja- fon , en ceux de Didon pour Enée (4); mais il a tellement annobli les vers de fa traduélion , que cette copie efl beaucoup au deiïus de fon original.

Scaliger le Père prétend néanmoins CO qu'il n'y a rien de plus faux ni même de plus mal fondé que cette opinion qu'on a eue du quatrième de l'Enéide. . Il n'a pu s'empêcher même de dire des injures à

ceux qui l'ont débitée, & il a prétendu fai- re

3. Macrob, lib, ç. Saturnal. cap. 2.

Item ex eo Voflius lib. i. Inûitut, Poëtic. cap. 7. faragr. 3. pag. 62.

4. GallutiiOration. de Virgil. iEneïd. VofT Inff. Toët. & alii paffim. Item Comment, in Apolloa. Argonautic. &c. '

5. Jùi. SculJgci lib. j. Pocticcs cap. 6. f ag. 6J.7.

H S

178 PoetesLatiss. Tixgilc xt voir par la confrontation des endroits des deux Poètes , qui femblent avoir quelque rapport qu'il n'y a rien de femblable , ni dans l'exprcflion ni dans la difpofition , ni même dans la matière , fi ce n'eft que Di- don reçut Enée comme Mcdce avoit rcç\i Jafon.

Les autres Livres font pris ou imités d'Homère pour la plupart, comme on le peut voir dans le même Macrobe , qui a employé une grande partie de fes Saturna- les à nous en donner des preuves & des é^xemples (i). Il y a même des Critiques, <\xi\ fans avoir égard aux obligations que Virgile avoît à Pifandrc & à Apollonius, ont dit que les fix premiers Livres derEneï- de font imités de l'OdyfTée, & que les fix derniers le font de l'Iliade (2). C'eft ce qui nous donne occafion de finir par une comparaifon fuccinde de ces deux Poè- tes.

§. 8.

jthrfgé de la Covnparaifon que les Crtt'tqmes ont coutttme de faire entre Homère ^ Virgile,

Quoique la plupart des Auteurs qui ont

écrit de TArt Poétique , ou qui ont tra- vail-

î. Macrob, totîs quatuor vel quinquc libiis intci Satuinal.

2. CâroU de la ^uc in Fiolcg. ad w£neid. Virgil« f «il Gcorgic.

i. Com*

Poètes Latins. r;^

vaille fur les Poètes, ayent eu foin de fai- Virgile, .re le parallèle d'Homerc & de Virgile, on peut dire qu*il n'y en a point parmi les An- ciens qui ayent eu tant de diflindion que Macrobe, ni parmi les Modernes qui mé- ritent tant d'être conlidercs, que Jules Sca- liger , Fulvius Urfinus ou Oriini , Paul Béni, le P.leBoflu le Chanoine Régulier, & le P. Rapin Jéfuîte.

Ce dernier dit (3) que Macrobe, Scalî- gcr & Urfinus , n'ont examiné les Ou- vrages de ces deux Poètes qu'en Grammai- riens pour faire leur comparaifon , & qu'ils n'en ont pas bien jugé, parce qu'ils ne fe font arrêtes iimpkment qu'à l'extérieur & à la fuperficie des chofes, (ans fe donner la peine d'en pénétrer le fonds; & que ce défaut, qui eft afles général dans les Criti- ques , a empêché prefque tous les Savans d'en porter un jugement qui foit fain (i folide.

Pour ce qui efl de l'Ouvrage de Paul Bé- ni, il paroît affés qu'il n'a fait la compa- raifon d'Homère & de Virgile, que pour mettre le Tafle en parallèle avec eux (4). Mais cet Auteur a été fouvent contredit dans fes fentimens par divers autres Cri- tiques de fon Pays (5-).

On peut dire que tout le beau Traité du P. le Boilù fur le Poème Epique ,

n'cll

3. Compar. d'Hom. & Virgil. pag. ti. ch«p. a.

4. 1|. Voyés l'article icéj.

j, Vid. Aujjuftin. Mafcard. in lib. de Art. Hift^. Vid 8c nonnulli Acadcm. ddla Crulca, ôc J. îh. Tbomaffin, clog.

H 6

iSo Poètes Lattks.

Viiéile. n'eft prefque qu'une comparaiToil perpe» tueile, qui confiflc dans une fuite de ré- flexions judicîeufes qu'il a faites fur les Ouvrages de l'un & de l'autre-, pour en 'former des maximes qui peuvent pafler 'pour les véritables règles de l'Art.

Mais perfonne n'a écrit plus régulière- ment ni parlé plus jufte fur cette matiè- re que le P. .Rapin , qui efl peut-être le "feu? qui ait fait un fyftême achevé de cette comparaifon dans le Traité qui en porte le titre. Ainfi j'ai crû ne pouvoir rien faire de plus conforme à mon des- fein , ni rien de plus agréable au Public que de tirer de cet Auteur & du P. le ' BoiTu la meilleure partie de ce que j'ai à rapporter fur ce fujet , en y joignant auffi quelques-uns des fentimcns que j'ai ' pu trouver dans quelques autres Criti- -ques. - - -

, Le Père Rapin dit donc premièrement, ■que la préoccupation pour Homère a é- 'blouï tous ceux qui ont prétendu à Ta "gloire d'être favans ; que ceux qui affec- tent la réputation d'être dodes croyent "s'attirer de la confidération & fe faire honRCUf en prenant le parti d'Homère,

1. R. KipÎH chap. 2. pag. II. 'ut fupra.

2. Gafp. fiaithius Advemiioi. lib. 32. cap. '^. col. 147». 1479.

:3' f. P. Nicole.

.4. Deleâ. Epigrammat. Latin, l.tf. pag. 32p.apQ<i Carol. Sàvicux.

S' %: La première de ces deux Epigiaramcs cft xappoitec fous le nom d'Alciinus> la iecoiide fous

célu

Poètes Latins. i8r

& en lui donnant l'avantage fur Virgile, Virgile; parce que cela femblc avoir un air plus capable; & qu'en effet comme il faut une plus profonde érudition pour juger d'Ho- niere que pour juger de Virgile, on pen- fe le dirtinguer beaucoup du commun, en préférant le premier au fécond (i).

Je penfe néanmoins que ce Père n'a 'Voulii parler que des Critiques modernes; car, félon le Icntiment de Rirthius (2) & ë'un Ecrivain (3) anonyme de Port-Royal (4), les Anciens fans atfeétcr trop d'érudi- tion , étoîent comme accoutumés à préfé- rer Homère à Virgile. C'eft ce qui paroît par deux Epigrammes attribuées à Alci- noiis (5-), & dont je n'aurois pas ofé em- ployer l'autorité, fi ces Anciens ne s'en ctoient fervis comme d'une régie pour for- mer ou pour appuyer leur jugement. Dans la première de ces Epigrammes on préten- doit (6) nous perfuader qu'il n'étoît pas polTiblc de voir naître perfonne qui pût égaler ou imiter Homère, comme on n'a- Toit vu avant lui naître perfonne qui eût pu lui fervir de Modèle. Mais quand il feroit vrai qu'Homère n'eût eu perfonne à fuivre, ce qui n'ell pas , ce feroit toujours

une

celui d'Aîcînoiîs, Elles font apparemment l'une 8c l'autre d'un feul 8c même Auteur, foit Alcimus,foit Alcinotis. J'opterois Alcimus.

€. Cette Ëpigr&iame feciouve dans divezsE.CCUCiIj| en ces termes.

Msoni» Vati (fui fur dut proximus tjfet , Confultns P^tAn rijît , ij héc cecintt :

Si patmt nafci ^uem tu fcejuerertt , Homtr»^ îiâfcttitr qui te p'Jît, Homère , fe^tti,

H 7

tSi Poètes L a t in s. Virgile une faufic fubtilité de conclure de qu'il ne pourroic eue fuivi ni être égalé de pef fonne dans la fuite des fiécles. Gomnrve fi la Nature écoit moins capable de produire des merveilles dans la vigueur & les pro- grès du Genre humain, que dans fes com- mencemens , Ton aura toujours fujet <te compter Homère par rapport à la du- rée qu'il plaitu à Dieu de donner au Monde.

L'autre Epîgramme nous fîiît connoître (i) qu'on donnoit au moins le fécond rang à Virgile, de telle forte néanmoins qu'on le confidcroit comme étant fort près d'Homère, & dans une grande dîflan» ce au deffus de tous ]es autres Poètes, c'eft-à-dire que ce fécond rang n'étoit point dans le jufte milieu du premier & du iroilîéme; mais tout proche de l'un &fort loin de l'autre ; n'y ayant pas un Poète qui pût fe vanter d'être auffi près de Virgile que celui-ci l'étoii d'Homère. C'eft auffi dans le même fcntiment & dans les mêmes ter- mes que Domitius Afer répondit à Quinte

lien,

1. Biins Its Trolegoménes des éditions deViigilC» ti dans les autres Recueils.

Dt numiro Varum fi cjuis feponat Homerum, Proximus à primo tum Maro primns erit.

I,t Jl pojt prtruum Maro fiporiAtur HomerurOy ^

Ltnji^è erh k primo (jm'ejHe ftcmndus erit.

2. Qiiiniilia'i. Inftitution. Orator. lib. le. csp. T.

3. Jul. Cxf. Scaliger Poctices non uno in loco; Auftor aiion. DclciSt Epigramm. K. Rap. R. le Uos- fu, P. Mambr. Taïq. Gallut. &c.

4. % Properce étant Poëte £légiaque de profcs- flon n'avoit pas lieu natuiclkment d*ëue jaloux dt Virgile i'dète Epique,

I

Poètes Latins. 1S3 lien, qui étant encore jeune avoit en la eu- vii^Uv rîofité de le confulter fur ce fujet, com- me il nous l'apprend lui-m^mc dans fcs £• crits (i).

Mais Scaliger le Père (3) fuîvî de la ban- de prefque entière de nos Critiques n*a point fait difficulté de fe récrier contre le jugement de tous ces Anciens, & de le faire pafTer pour Tefîet de leur mauvais goût. Il faut excepter Properce do nom- bre de ces Anciens, puifque malgré laja» Joufie (4) qu*il devoit avoir de la réputa- tion de Virgile, ou fl l'on veut, par un mouvement de flaierîe pour le Prince plu- tôt que pour le Poète, il n'a pu s'empê- cher de dire en parlant de TÉBeide (j), qu'il voyoit paroitre je ne fat quoi de plus grand que r Iliade* Il eft donc jufte de re« lirer auffi de la bande de ces Modernes qui ont fuivi Scaliger, Carvilius ou celui qui a pris ce nom pour décharger fon chagrin contre Virgile (6), Ca(lelvetro,& quelques autres Critiques mal intentionnés , contre kfquels Guillaume Modieu en France (7),

<Sc

5. Propeitius elegiar. lih. z. cleg. uhimapag. 200^ M. poft médium.

w^(?f<« Virgiltum cttflodit littoru Phœbi ^

C*f*ris & forte} dictre pojfe rates, Ce.iite T{omani Scriptorety crdite GrHi'if

Nefci» cjHid wajus ni*fiiiHr liiade. «. f. Ce Carvilius, quel qu'il foit , avoit pris ec nom, pur rapport au Peintre Carbilius , Auteur da Livic intitulé, comme il eft dit dans la Vie de Vii-

gilc, ty£fHidomixjlix.

7. %. Guilîiume Modieu , quoique François» eft moins connu en fiance» <jue Tai^uLuio Galliicci» quoi (ju'ltâliea.

1S4 Poètes Latins. Vifgilc & Tarquin Gallucci en Italie ont tâché de foutenir la caufe de Virgile.

I. Comparaifon de leur âejjein^

ON ne peut point refufer à Homère la gloire de Tinvention au delTus de Virgile, ni celle d'avoir été fon modèle pour le de/Tein & l'exécution du Poëmede î'Enéïde. Mais d'un autre côté Scaliger dit (i) que Virgile a fur Homère celle d'a- voir poli la matière que l'autre avoit trou- vée , & de l'avoir portée à fa perfedion , non pas en ajoutant quelque chofe à Ho- mère , ou en lui donnant des ornemens ; mais ce quiefi: (îngulier,cn lui retranchant toutes fes fupcrfluités , & en le renfermant dans des bornes raifonnables , en donnant à fon Enéide tout le Cara6lére Militaire de l'Iliade, & tout le Caradére Politique de l'Odyflee,

C'a été auflî îa penfec de Daniel Heîn- fius qui dit (2) que Virgile a fait paroître beaucoup de jugement & beaucoup de bon fens dans l'ufage qu'il a fait des Ouvrages d'Homère , lorfqu'il les a réduits en mé- » thode, & qu'il en a rejette ce qui ne poa-? "^ voit point être au goût ni à la portée de fon ilécle. Hein-

^ T. Jul. Scaliger Poctic. lib. j. cap. 2. & alibi c- tîam non femcl.

z. Dan. Hcinfius Epiôol. ad Blycmburg. dcdicat, Operum Ovidii.

3. Ç. Extat in Cataica, Virgil, in hune m»? éum. * Msttnium quifyms %oménHi nefcit Htmcr/tm^

I

Poètes Latins. iS;

Heinfias ni Scalîger n'ont point été les Virgile, premiers de ce fentiincnt, & il paroît qu'ils ont voulu fuivre celui d'un ancien Poète inconnu , qui fait parler Virgile dans une Epigramme qui s'eft confervée, & qui lui fait dire entre autres chofes (3) qu'un homme qui ignorcroit ce qu'a fa't Homère; n'auroit qu'à lire rEnéïde,& fc perfuader qu'il auroit lu toiue l'Iliade & l'OdylTée entière; que le fonds d'Homère e(l une vafte campagne qu'il n'a fait que parcourir, au lieu que le lien n'eft qu'un petit champ, mais fort bien cultivé, r 'C'cft ce qui a porté les défenfeurs de Virgile à compter cette aélion parmi les autres avantages qu'il a fur Homère (4), parce qu'il a eu l'adrefTe de Joindre enfem- ble tout ce qu'Homère avoir féparé & ré- pandu dans fes deux Poèmes, & qu'il a fait de fonEnée un abrégé de tout ce qu'il y a de louable dans rx\chille de l'Iliade, & i'Ulyfle de l'OdyfTée, & de tout ce qu'il a remarqué de bon dans la plupart des grands hommes qui avoient paru dans le monde jufqu'au tems d'Augufte. - Il eft vrai, dit le P. Thomaffin (5-), que Virgile a imite Homère & l'a fuivi de près, mais l'efpace d'environ mille ans qui fe Z' - font

,. Mt îei,fiti & lefîtim trtJdt utrumant ^t\

J Jl.ms imminjos miratur Cr^ciu campoSj

^Ât miner tfc ncbis , ftd iene culttts a^er,

4. Gallut. in Orat. 3. de Viigil. Allegor. pag. 244. çoft. Vindic Virg.

5. Louis Thomiifllîn de la Méthode d'ctudier & d'ecfeigncr Cinetiennement les Poètes livic 2. pi«- Muexc paitic chap. 7. pag. mi. uonibx. i.

rSd Poètes L a r * h ^^

Virple. fonc écoulas entre ces dcuî Poètes, avoft apporté de grands changemens , non feu- kment daa-s la police des Etats ; mais aufli dans la culture des erprits , à. dans la poli- ttfk des Mœurs^ Les Dieas à. les Hiros d'Honvepe tenoient eiicoFC de cette humeur fauvage& preftiuebruialedes-ficclesoùil vi- yoît. Virgi le nu contraire fe rencontra dans Je (ie'cie leplvis poli & le plus éclairé de la Geiuilitc. La Philofi>ph:e des Stoïciens a* voit éloigné, non pas des Temples & des. Théâircs, mais de la plupart des plus beaux cfprits les illiUîonsdesfauires Divinités relie «voit fait connoître, au moins confufêmeit^ le véritable Dieu, & elle avoit donné deS- idées aflés jurtes des vices & des vertus.. ^Virgile étoit fort verfé dans les (èntimens* de ces Phirofophes,il li'étoit donc pas pos- fiSlc que fon Foëme n'eût quelques beau- ^s qui matiquent à ceux d^Homerc.

Il faut remarquer auffi, comme a fait te P. le Bo/d (i), que Virgjie étoit beau- coup plus gêné qu'Homcre, parce que les Romains n'avoient pas cet uiùge de fable» & d^^allegories qui étoient en. vogue da tems de ces Anciens , & qui leur fer- voient à couvrir toutes les inflrudlons ja*îls vouloient donner aux Peuples. Aiii- U Virgile voulant renfermer les fiennes fous des allégories, n*ia p»l £e contenter d'un eucfieuf aufli fimpie qu^eft celui

d'Ho-

?.'

' T. Xtné le Boflu, Tuîtéda fa'êmc Epique chdf» tt. & dein. du f. livie pag. \is. izi.

; 2. Kctic &afiB«, Coœp. d*H.onicK U. Vîi^ilepa{« l"i. chip, z.

PoiTis Latiws, 1S7

d^Homere qui choque trop ceux qui ne le Virgile. pénétrent pas , & ceux qui ignorent qu'il a parlé par figures. Il a donc tellement compofé Ion exte'rieur & Ces fiétions , que ceux mêmes qui en demeurent- fans y chercher autre chofe , peuvent être fatis- faits de ce qu'ils y trouvent.

Le P. Rapîn dit (2) qu'Homère a un plan bien plus vafk que Virgile, c'elt une vérité dont nous venons de voir la raifon dans le P. leBoffu. Cela n*empéchc pas que le P.Tliomaîlin Q'ait eu aulTiraifjn de dire dans un autre endroit que celui qu'on vient de rapporter, que le plan de l'Enéide cft beaucoup mieux concerté que celui de JUliadc ni celui de l'OdylIée d'Homcre (3)* Le P. Rap'n ajoute qu'Homère a une plus grande étendue de Caradcres que Vir- gile; qu'il a les manières plus nobles que lui ; qu^'l a un air plus grand, & je ne ùi <^uoi de plus fuWime. Homère, dit cet Au- teur (4), pefiît beaucoup mieux les chofes ^ue Virgile; fcs images font plus achevées, fes réflexions font plus morales & plus fcntcntieufes ; fon imagination eft plus ri- che; il a un eiprît plus univcrfel. Il a plus de yarîeté dans Tordonnance de la Fable; il a plus de cette împetuofité qui fait l'élé- vation du Génie> fon expreifion eft plus forte j fon naturel ell plus heureux. Ho- mère eu Poète par tempérament, dit -il»

fes

f. L. ThomaflT. livre 2. chap. t. f*%. 41*. apT^ IToir fait le plan de rEneide.

4. }c fuis mon Auteur piûrôt que mon ordre^uc »t j^ïMi diuihti ce c^u^l dit 4c luitc

tSS P o e t e s L a t I n s.

Virgile. fes vers font plus pompeux & plus msguU fîques ; ils rempliilcnt plus agréablement Toreille par leur nombre & par leur caden- ce quand on fait connoître la beauté de verfîtication. Enfin il e(l plus naturel que Virgile, parce que toute fon étude ne va qu'à cacher fon art, & il ne peint rien que d'après nature. *■ Voilà ce que ce Père a crû qui fe pou- yoît dire en général en faveur d'Homère au préjudice de Virgile; mais il nous fait connoître que ceux qui s'en tiennent -là , ne jugent de l'un & de l'autre que fuper- fîciellement , c'eft ce qui me porte à re- trancher les jugemens de divers Critiques qui ne nous apprennent rien de plus que ce que nous venons de voir (i).

2. Comparaifon de leur Fahîe,

QUoi que Virgile foit beaucoup plus refervé & plus modefte qu'Homère dans l'art de feindre, au fentiment de Vos- fius & de tous les autres Critiques (2). Le P. le Boflii n'a point laiiïé de dire (3) que nous ne trouverons point dans la Fable de VEnéVde cette fi mplicité qu'Ariftote atrou- v^e fi divine dans Homère. Mais fi la For- tune de l'Empire Romain fous Augulle a envié cette gloire à fon Poète, la vaûe é-

tcn-

r. Jî»cq. Peletier du Mans livre i. de l'Art Poéti- que chap. 5 de rimiration. Gafp. Barthius in Ad- »crf libris noiiiemel, & alii. i.. Gcr. Joan. Voff. Inôitution, Poct, lib. r. c. 2.

P O E t E s L A T I H S. 189

tendue de la matière qu'elle lui a fournie, Virgile, a donné lieu, dic-il, à des difficultés qui demandoient plus d'efprit & plus de con* duite.

Comme Homère a travaillé pour les Grecs , & Virgile pour les Romains , il faut, pour bien juger de la conilitution de leur Fable, conlidérer la ditférence qu'il y avoit entre ces deux Nations. Les Ro- mains n'avoient point comme les Grecs cette double obligation , Tunede vivre en des Etats réparés & indépendans , & l'autre de fe réunir fouvent enfemble contre des ea*- nemis communs. Suivant cette réflexion du Père, on peut dire que Virgile avoit fur Homère l'avantage de pouvoir renfermer tous fes deiïèins eu un feul Poème, & que fa Fable avoit plus de rapport à celle de rOdyffée qu'à celle de l'Iliade , puifquc -l'Etat Romain qu'il avoit en vue étoit gou- verné par un feul Prince. S'il avoit vou- lu drelfer une Fable fur le même fonds qu'Homère avoit pris pour établir cel- le de riliadc, il fe feroit jette dans des inconveniens très-facheux» Mais l'E- tat Romain lui fournîlToit une matière as- fés différente pour s'écarter des veiliges de celui qui l'avoit précédé, & pour pouvoir afpîrer à la gloire d'une première inven- tion.

Avec

$. t J.pag. 10, êcalii qui doCentVîrgilîum iJomer» niht H*fn rex/tritum quod il'e Deos Veaf^ite fugnsntes y faifetts, ,jUnfes &c. tnduxt-fftt &c.

, 3. Le,fioflu,du Foëme Epique U x.c.ii.pag. <;•

IÇO POETBS LAriMfS.'

Vixgilc. Avec tout ce beau raifonnement, il faut

coiiveair, félon le P. Rapin (i), qu'Home** re mérite la préférence fur Virgile pouf rinvention , qui elt une des qualités les plus elïèntielles au Poète. Car on ne peut nier qu'il foit le modèle & l'original fur lequel Virgile s'ell formé; quand mé* me il n*auroit pas en lui-même la gloire de la première invention , comme nous l'avons marqué au Recueil des Poètes Grecs. Ho^ mère a même le fonds de l'invention plus riche, quoique Virgile a;t pu trouver après lui de quoi enrichir le imi de tout ce que neuf ou dix iiécles avoient produit de plus beau depuis le tems de ce Pocte jufqu'àce^- lui d'Augute.

a. Comparaifa» ck I*JSion ou de laMaùétè de Uurs Poimes^

C'Eft particulièrement dan^ rAâîon du Poème qu-e Virgile (èmble avoir triomphé d*Homere. L*A6tion d'Achille, dit le P. Rapin , e(l pernicieufe à fon pays & aux tiens, comme Homère Tavouè lui-- même : celle d'Enée eft utile & gloriedfe pour fon Peuple Ôr fa Po(^efité. Le mo- tif du premier eft une palîion , celui du fé- cond eft une vertu.

L.*Adion d'Achille eft Poccafion de ta mort de Patrocle fon meilleur ami: t^ Ac- tion- d'Enée eft l'occaiion de la liberté de les Dieux & de celle de fon Pcre; & elle clt auffi la caufe du falut des fiens. L'unô dt héroïque, c*eft- à-dire, au deiFus de ka

ver^

I. Le P. Rapin, cîmp. i|, de fil Comp. d'KtfiJl, Se Virg. & chap. 13.

Poètes Latins. 191

vertu ordinaire de Thommc ; PauTC n*e^ Virgile pas m(!me raifonnablc , <?î elle porte ea foi un caractère de brutalité.

L*Adion d'Ende a une iJn plus parfaite que celle d'Achille, parce qu'elle termine les affaires par la mort de Turnus: au lieu, que celle d'Achille ne les termine point par la mort d'Hedlor, puifque le fîcge de. T roye dure enqore un in après. La mort d'Hedor n'eft point une dé^iiion des cho- fts, ce n'eil qu'un obilacle ôté à la d^ci* fîon. Aînfi de quelque manière que l'on' regarde l'Endïde,on trouvera que rAdlioa en ell beaucoup plus louable & plus hon- nête, & la fin beaucoup plus heurcufe <5c plus parfaite que celle de riliade.

Les divers avantages que Virgile a fur Homère fc rendent encore bien plus fenfj- We$, lorfque l'on canfidére fe'rieufement combien il a fallu de conduite, d^'nvention, de difccrnement & d'efprir , pour avoir choi- fi un fujet qui fait defcendre les Romains <hi fàng des Dieux , & fur tout Augudc, qui regnoitdans letemsm^mequecePoctc ^crivoit , & qu'il tlate adroitement par U prpmefTe d'un Empire qui dt^voit êcre éter- nel. L'on peut alfurcr qu'il n'y a rien, de comparable dans celui d'Homère. Car comOTC jamais Auteur n'a fait plus d'hoa- 'neur à fon pays par fon Ouvrage que Virgile 'en a fait au lien en donnant aux Romains une origine divine & une poltéritééternel- -le dans l'ordre des Devins: on peut dire qu' Homère a déshonore le lien d'avoir pris pour fon Héros celui qui lit tant périr ce J;:îcjEps pour les facrider à fon reileuiiment.

Le

ICI Poètes Latins*

Virgile, Le même Auteur nous a fait remarquer,

ailleurs que TAâion de TIHade eft tou-. jours défedueufc, foît qu'on lafafTe con^r lifter dans la guerre de Troye , comme' quelques-uns l'ont prétendu , foît qu'oru la mette dans la colère d'Achille, comme il y a plus d'apparence. L'Adion de l'O-, dyffée n'eft pas plus parfaite que celle de. riliade. Mais on ne trouve pas les dé- fauts de l'une ni de l'autre dans l'Encide» Virgile y fuit toujours fon deflein , l'Aéiioa y en unique & le fujet bien fuivi , il va toujours au but qu'il s'eft propofé , fans, s'amufer à ce qui n'y a pas de rapport. It eft même plus heureux qu'Homère dans l*arrangement des matières & des événe* mens particuliers qui regardent l'ordon- nance générale de fon Poème. On y trouve une jufte proportion des parties, à un rapport éxa(^ entre elles qu'on ne re- marque pas fi aifément dans l'Iliade. En effet, il étoitbien plus aifé à Virgile d'en Ufer ainfi qu'à Homère, parce que, comme le même Auteur l'a remarqué en deux ou trois autres endroits du même Ouvrage,, Virgile étant plus borne devoit être par conféquent plus fini & plus régulier, lefc petits Ouvrages étant ordinairement plu? achevés que les grands (i). Car après cie que nous avons dit plus haut, on doit ù fouvenîr qu'Homère a une plus vafte éten- due des matières , & qu'il fait voir bien plu!

t. le?. lR.apin, Chap. dern. de fa Com^. d*HoiIl ti Virg. p. 6j. Se ch. 6. du m<ême Ourxagc.

1

j

Poètes Latins. 193

de pays à fes Ledeurs que Virgile: mais vir;Uc, que fon efprit remporte prefque toujours, & qu'il n'en elt fouvent pas le Maître comme Virgile Tell du lien.

Entin Virgile ne fort jamais de fon fu- jet, même au milieu de fes Epifodes qui font la partie la moins efTentielie de l'Ac- tion. Homère au contraire en fort pres- que toujours par la multitude & l'attirail de fcs Epifodes, dans lefquels on peut di- re qu'il s'abandonne fans cefTe à l'empor- tement & à rintempe'raucc de fon imagi- nation- if. Cowparalfon de la Forme cf de la Nar* ration de leurs Poëmes.

LUllus , Volîius , & quelques autres Critiques (2) eftiment que V^irgile ell inférieur à Homère pour rœconomie de fon Poëme. Si cette œconomie n'ell au- tre chofe que l'ordonnance de la Fable, qui conlîfle dans la difpofîtion & dans la fuite naturelle de l'Adlion principale & à.Q.s matières qui la compofent , & dans l'ar- rangement & la convenance des Epifodes avec l'Adion principale, ces Critiques ne font pas entièrement d'accord avec le Fere Rapin, qui, comme nous l'avons vu plus haut, donne l'avantage à Virgile fur Ho- mère pour ce point. Ce Père ne fait point difficulté de dire

en-

2. Anton. Lullus Baîetr. lib. 7. de Oration. ca^, 5. & apud Voffium Inûitiitioa, Pocticu. lib. 3. ca^, i. par. 5. png. 10.

Tom.llLPart.lL I

194 Poètes Latins.

yii^ile. encore ailleurs (i) que Virgile eft plus dis- cret & plus judicieux qu'Homère dans le mélange & le jufte tempérament du Mer- veilleux avec le Vraî-lemblable, qui n'eft pas moins eflentiel à la forme du Poëme que Tarrangement des Matières & la pro- portion des parties. Le Merveilleux qui confifte pour la plus grande partie dans les Machines & les Miracles , eft bien plus fondé en raifon & en Vrai-femblance que celui d'Homère. Les Machines y font moins fréquentes & moins forcées. Le ménagement du miniftére des Dieux ell bien plus proportionné à leur rang & à leur condition.

Pour ce qui efl de la durée de la Narra- tion que j'ai crû devoir joindre ci-devant avec celle de l'Adion précife du Poème qui ne commence proprement qu'au pre- mier départ de Sicile, il femble que Vir- gile n'ait pa> été auffi régulier qu'Homère, il l'on veut avoir égard à la maxime de ceux de nos Critiques qui bornant cette durée à une feule campagne ou à une an- née feulement, prétendent que Virgile a paflé ce terme. On ne peut difconvenir qu'Homère ne foit beaucoup plus net, comme le P. \c PoUu le reconnoit (2), car il a fait un Journal éxad du tems qu'il donne à chacun de ces deux Poèmes.

La pratique d'Homère , félon ce Criti- que, eil: lans doute de réduire la durée de la Narration Epique dans une campagne

de

1. R. Rapin, Compar. d'Hom. 6c Virg. chap. 6. png. 2j^. k chap. dernier.

1-

Poètes Latins. 195" -de peu de mois. Mais la difficulté de con- Virgil«, iioître le delleiii & la penfce de Virgile, fait qu'on doute, dit-il, fi Ton ne pour- roit pas poufTer les chofes jufqu'à une an- née & plus, Il la fàifon de l'hyv^r doit ré- gulièrement en être bannie. Ce Père fem- ble fe déclarer d'abord pour Homère con- tre Virgile; ou plutôt, il témoigne avoir plus d'inclination pour borner cette durée à une feule campagne qu'à une année en- tière, Ôi il s'y porte d'autant plus volon- tiers qu'Homère a toujours été eftimé en ce point comme le plus excellent modèle des Poètes. & que Virgile fe l'efl: propo- en particulier comme celui qu'il vou- loit fuivre. Mais il fe range enfuîte dans le parti de ces Critiques, qui foutienncnt que toute la durée de l'Eneïdc e(t renfer- mée dans une feule campagne à l'exclulioii de l'hyver, & qu'elle ne comprend pas plus de fept ou huit mois. Ainli Virgile ne fera pas même au-deffous d'Homère en ce point , & la durée de fa Narration ne fera pas moins régulière, quoiqu'elle foit moins claire & moins évidente.

5*. Comparaifon des Mœurs 9U CaraSieres des Poèmes , ^ des fentimens des deux Poe ter.

NOus pouvons commencer cette comparnifon des Mcïfurs par le Pa- rallèle des Héros de l'un & de l'autre,

puis-

2. R. le Bofîu Tr. du P. Eplq. lir. J. clijp. i:.

^■'iS' i^y* 3«i. &c,

I 2

196 Poètes Latins.

yiigUe, puisque le Héros eft le principal Perfonna- ge & Tame du Poëme.

Le P. Rapin appuyé de l'autorité du TafTe (i) dit que l'intention d'Homère n'a point été de donner en fon Hcros l'idée d'un grand Capitaine ni d'un Prince ac- compli, mais de montrer combien la dis- corde eli préjudiciable dans un parti. Par cette conduite il a donné fur lui-même beaucoup d'avantage à Virgile, outre que' n'ayant point d'autre idée pour la conflruc- tion de fon Héros que celle de la vertu d'Hercule, de The fée ou de quelques au* très perfonnes qui n'ont paru dans le tems fabuleux que par leur force & par leur cou- rage, ce n'elt pas merveille li les mœurs font i\ défeclueufes dans fon Héros. Mais Virgile ayant eu le moyen de compofer fon Hcros de toutes fortes de vertus morales dont il trouvoit 'des exemples dans l'His- toire, ôc des préceptes dans les Poètes & les Philofophcs venus depuis Homère, s'eft acquité beaucoup mieux des obligations d'un véritable Poète qui doit reprefenrer les homnies plutôt comme ils ont être que comme ils ont été en effet.

L'Achille d'Homère & TEnée-de Virgi- le font braves tous deux , mais c'ell la pre- mière & la principale qualité d'/\.chille,au lieu qu'elle n'eft qu'une des moins conli- dé^ccs dans Enée, quoiqu'elle ne fût pas

moins

j, Comp. d'Hom. & Virg. chap. 4. Se 5. p;îg. 16. î7. 20. 21. &c. & Tiifl'. Opiifcul. Ita!.

2. Le Bollb, lecondc paitic du l'ocmcïip. Jiv. 4. CT.ap. ;. pjg. XI. 2c 12. & chap. y. pag. 87, 88. 5cc.

ÔC

Poètes Latins. 197

moins grande dans ceîui-ci que dans Tau- Vlr;ilc, tre. Mais Achille rendoit cette qualité mauvaife par Ton emportement, fa violen- ce, fes injullices , & par la licence qu'il donnoit à fes pallions , au lieu qu'Ence honoroit cette même qualit-é par la piété, _ Ion équité, bonté, & fa patience.

Quoiqif Achille fût Roi & General d'Ar- mée, Homère ne lui donne de fi Souverai- neté que cette indépendance qui lui fait refufer à Agamemnoii robéilfance qu'il lui devoit d'ailleurs. Son Achille ell plus un Particulier, dit le Père le Boifu (2), qu'il n'^ert Roi ou Général. AufTi ne peut-or» pas dire qu'il y ait rieiî de tout ce qui fe fait de bien ailleurs qu'où il ell, qui foît à fa valeur ou à fi bonne conduite. Le Héros de Virgile n'eil pas de même. Il ne défait jamais de fes dignités , il agit par tout &c pleinem.ent en Général, ôc cette qualité met la glaire de fes armes beau- coup au-defTus de celle d'Achille. Ainii pour rendre la comparaifon jufte, il fauc dire qu'Achille c(ï un vaillant Soldat, & Enée un véritable Capitaine.

Il faut confidérer qu'Homère , étoît beaucoup plus libre que Virgile pour choi- sir le Cara^lére de fes deux Héros. Le Père le Bolfu remarque encore ailleurs que fi le Héros de l'Iliade devoit être colère, vif & inexorable (3), la Fable de fon Poè- me

te chap. iz. pag. T07. rog. Sec. 3. HGr.\t. de Arte Poët. ha;c de AchilUs Charao

terc, y. Ï2I.

■^"'P'i'^i *racH?idus i inexcrabilis , tLcer ■, /•HtA ne^et Jibi natAy nihil non nrro^et armiSt '

1 3

198 Poètes L a t i k s.

TirgJJc. me qui éxigeoit cela néceflairement, lais- foît néanmoins au choix du Poète des cîr- conilances qui pouvoient ou relever ou embellir ce Caradére , ou le rendre plus ûiiforme & plus odieux. La qualité que la Fable de rOdyffée exige de fon Héros ell la Prudence, parce qu'elle eft toute pour la conduite d'un Etat & pour la Politique: néanmoins il a été libre au Poëte de déter- miner & de fixer cette qualité par la dilfi- Ululation qui eft le caradére donné à U- lyfTe.

Mais quelque rapport qu'il pût y avoir entre le Héros de rOdyflee & celui del'E- neïde, le caradére de ce dernier n'en eft pas moins différent qu'il l'eft de celui de l'Iliade. Virgile étoit beaucoup plus gê- né qu'Homère , parce qu'il vouloit faire recevoir aux Romains une nouvelle efpéce de gouvernement ^ & un nouveau Maître , & qu'il faloit que ce Maître eût toutes for- tes de bonnes qualités & point de mauvai- fes. Son Héros n'avoit que de nouveaux fujets de même qu'Augufte. Enéc ne de- voit donner à ces nouveaux fujets que des marques de fincérité & de franchife. Il ne pouvoir porter le Caradére d'UIyfîè,puis- que la diifimulatîon eft dangereufe à un nouveau Maître. D'un côté les violences d'Achille étoient entièrement oppofées au dcifein de TEneide, & le Poète les a judi- cieufement mifes dans Mezentius & dans Turnus qu'il oppofe à fon Héros. Il étoit donc obligé de former un Caradére oppo- fe à celui-là. Ainlî on ne peut point com- parer autrement les Caradéies de ces Hé- ros-

Poètes Latins. 199

FOS qu'en difain que celui d'Achille efl la Virgile^ colère inexorable d'un Prince vindicatif & brave; que celui d'Ulyfle eft U fage diiïi- mulation d'un Roi prudent & vaillant, & que celui d'Enée e(t une piété douce mê- lée de bonté , & foutenuë comme les au- tres d'une valeur & d'une fermeté de cou- rage inébranlable.

Unedeschofes les plus capables de don- ner de l'éclat à la comparaifon de ces deux Poètes eft l'Unité du Caradére de leur Héros qu'ils ont gardée i'un & l'autre fort exactement, quoique d'une manière ditfé- rente. Cette unité, dit le P. le Bollu , & cette limplicité eit éxa£te & (i uniforme qu'elle fait voir Achille, Ulyfle, <& Enéc les mêmes en toutes fortes de rencontres. Homcre a difpofé fes Fables de telle forte qu'il lui étoit aifé de garder cette unité dans les principales parties: Virgile a fait tout le contraire. La première partie de fon Eneïde elt femblableà l'Aélion del'O- dyirée qui a pour Caradére la froideur, la difllmulation , & la prudence. La fécon- de elt , comme l'Iiîade dans les horreurs de la guerre qui entraînent naturellement avec elles la colère & la cruauté ;& néan- moins il a fait régner en l'une & en l'autre partie la douceur & les paffions les plus tendres. Enée n'eft pas moins doux ni moins pieux en tuant Laufus dans une horrible bataille, que dans les jeux qu'il fait faire en l'honneur d'x\nchife. Il n'eft pas moins modelée quand il voit à fes pieds fes ennemis vaincus , que quand étant batu par 'a tempête & jette fur un bord étranger , il

I ^ is:

2C0 Poètes Latïns. Tirgîic. fe trouve dans la necelTité d'implorer Tas- iiftance de Didon.

Voilà ce que les Critiques ont dit de plus important pour fervir à la comparai- Ton des Héros de nos deux Poètes , on en pourroit dire autant de leurs autres Perfon- nages à proportion des diftances & des dif- férences qu'ils ont mifes entre les uns & les autres: Et on pourroit juger de la dis- crétion qu'ils ont apportée dans la repré-^ fentation des Mœurs & des Caràéléres de ces Perfonnages divers, fur la conduite qu'ils ont gardée dans celle de leurs Hé- ros. Ain fi an n'eli pas furpris d'entendre- dire (i) an P. Rapin qu'Homère n'a pres- que jamais égard aux bonnes mœurs , & qu'il ménage rarement les bien-féances : parce que la manière dont il nous a rcpré- fente fon Achille , nous porte afTés à le croire. 11 dit au contrafre que Virgile e(t fort fcrufvuleux dans l'obfervation des Ca- raûéres, qu'on trouve par tout fon Poè- me une régularité achevée pour l'honncte- té, la pudeur, la bien-féance des Mœurs, l'uniformité de la Morale même dans la repréfentation des choies malhonnêtes & criminelles. Cependant cet Auteur n'a^ point laifTc de donner à ces deux Poètes une gloire égale pour leurs propres mœurs & leurs fentimens , c'eft-à-dire , propre- ment pour leur Morale. C'eft dans les Réliéxions fur la Poétique (2), il dit

qu'Ho-

1. R.Rapin,Cômp. d'Hom. ôcVirg. chap. 7-pag.

i. Réflexions gcnciaks fui la Poctiq. i, pait.Rc-

flc-

PaETES LArihTS. 20T

qu'Homère & Virgile n'ont jamais dît d'or- Virgile^ dures (3) ni d'impict(?s , qu'ils ont tou- jours été févcres & vertueux comme des Philofophe^.

Quoique ce (éntiment puifle fouifrir quelques difficultés , on pourroit néan- moins Tappuyer par celui du Père le Bos- fu , qui lui eft tout- à-fait conforme (4). Ce Père dit qu'Homère & Virgile , tout Païens qu'ils étoient, n'ont point fouillé h. majeilé de leurs Epopées , par ces déli- eatefîès criminelles dont nos Poètes Chré- tiens femblent avoir fait toutes leurs déli- ces dans ces derniers liécles. Ulyffe effc froid chc2 Circé; il qù. trifte auprès deCa- lypfo. Brifeïde & Chryfeïde n'enflamment Achille & Agamemnon que de colère. Dans Virgile Camille n'a point d'xA.mans ^ à peine parlc-t-on de l'amour de Turnus pour Lavinie; & toute la paiïlon de Di- don n'eft traitée que comme une infidélité criminelle, dont cette miférable Reine efl punie cruellement. Il eft à remarquer auffi que Virgile n'inlînuë que des affec- tions conjugales, & qu'il a toujours eu en vue les maximes de la tempérance.

Si ces deux excellens Poètes ont été les modèles de tous ceux qui les ont fuivis, c'ed leur faire injure de vouloir autorifer par leur exemple finfîdélité de nos Poètes modernes, qui s'arrc:ent avec tant decon> plalGince & d'affedlation à ce que les pas-

fions

fifxion 9.

3. f. Voyés l'Article ie9î. $. p-

4, R.. le BofTu iivic 4. parc. 2. du P^ Epiq. chap,

is

202 P O E T E S L A T I îf fî.

Tirg/ie, fjons ont de plus honteux & de plus crirnî- nel; qui en font les endroits de leurs Poè- mes les plus touchans & les plus tendresj & qui tournent les amours infâmes en des- galanteries qu'un honnête homme & qu'un^ brave Cavalier peut mettre au rang de fes bonnes fortunes. Ce qui furprend le plus nos Diredeurs & nos Prédicateurs, c'eft de voir une différence li étrange entre ces- deux anciens Païens d'une part ^ & ces Chrétiens modernes de l'autre» Quand on dît en général que ce n'eft pas le moyea= de faire haïr les vices, lorfqu'on n'en re- prefente que ce qu'ils ont d'aimsble & de- doux, on auroîr de la peine à s'imaginer que cette remontrance regarde nos Poètes Chrétiens, & non pas Homère & Virgile. C'eft néanmoins ce que nous fommes o- bligés d'avouer à la confulionde ceux-là ^ pour ne point faire d'injuftice à ces deux Anciens. Et nous pouvions dire que la bonne foi d'Homère à. de Virgile, qui di- •foient les chofes comme ils les penfoient» tft un exemple à fuîvre pour nos Poètes Chrétfens, nous ne pourrions nous empê* cher de croire que ceux d'entre eux qui ne •font voir les vices que fous de beaux mas« ques, ne les cnvifagent que par ce bel en- droit; & que s'ils parlent de bonne foi, ils penfent comme ils parlent, & vivent com- me ils écrivent.

Ces Poëces modernes ne (e trompent pas, lorfqu'ils prétendent que le but de la Poëlie eft de p?airc 5i de dire toutes chofes de la manière la plus agréable qu'il leur eft po-lTible, & que c'a été aufli la principale

in*

Poètes Latins. 203

întcntion d'Homère & de Virgile ; mais ^^^silcr /ofe dire qu'ils fe trompent, lorfqu'ils croyenr obligés de préférer le goût des Lecbeurs^ vicieux , intempcrans , & liber- tins, à celui des Le61:eurs qui ont quelques fentimens d'honnêteté & de vertu- Les Maîtres de l'Art & ceux même de l'Anti- quité Païenne, nous apprennent que c'eft corrompre les régies les plus elTentielles de la Poëlie & de la Fable; & qu'un Art pernicieux n'efl pas un Art, ou du moins qu'il n'eil pas tolérable. S'il ne fe trou- voit que des Ledeurs déréglés , & s'il fal- loir abfolumcnt qu'un Poète fût corrompit ou fc laiflat corrompre pour leur plaire, ce fcroît une néceffité très-malheureufe & la^ malediéVion pourront bien tomber fur ceux qui" entretiendroient cette corruption , & qui préfereroicnt la gloire d'être Poctes à celle d'être Gens de bien.

Mais il faut hîller la comparaîfbn des^ Modernes avec ces deux Anciens , pour reprendre celle que nous faifons des mœurs & des fentimens de ces deux-ci entre eux.- Lc Père Rapin trouve (i) qu'Homère a un air plus moral & plus fententieux que Virgile, mais qu'il ell exceflif dans fe* Sentences ; & que Virgile au contraire fcmblc avoir- atfedé un air plus llmple & plus uni.

Enfin on ne peut nier que ce dernier ne* foit encore préférable à l'autre par la pure-- des mœurs- qu'il donne à fes Dieux ,- & par la beauté des fentimens qu'il paroît a-

voir JV Bw, Kap; Comp. d'Hom. Se Vir^. chap. 14, Scç,-

1 6

204 Poètes Latins^

Tî::gîrc^ voir eu de la Divinité. C'eft dans cette pen>- fée, fans doute, que le Père Thomaffia dit qu'on remiirque non feulement plus de- politefTe entre les Hommes & les Héros ^ mais aulTi plus de civilité entre les Dieux de Virgile , qu'entre ceux d'Homère. . Tous les autres Critiques généralement (i), ont reconnu cette grande différence entre ces deux Poètes, en remarquant que les excès des Dieux entre eux ,. ou des -Hommes contre les Dieux qu'on lit dans Homère , ne paroiffent prefque pas dans Virgile. Jupiter y eft beaucoup plus refpec- des autres Dieux, & on voit bien que ]a créance de l'unité d'un Dieu fouverain croit mieux établie au tems de Virgile. Les Champs Elyfiens même & le Paradis de Virgile , dit le P. Thomalfm (i) , font bien plus beaux que ceux d'Homère, fim- mortalité des Ames y eil encore plus clai- rement établie. Mais pour ce qui eft de l'ufage des fréquentes prières , des facrirî- ces, des augures, des prodiges, des ora- cles, des prédidicns, desfonges, des ap- paritions des Dieux, de leurs diverfes mé- t^morphofes , de leur préfence invilible, de leurs délibérations communes , & de leurs réfolutions fur toutes nos affaires, îl n'y a prefque aucune différence entre "Virgile & Homère.

6 Com^

T. Jacques ?clctier du Mans, Art Poè'tiq. liv. u diap. s. de l'Imitation, & gencialcmenrtous ccue i|ui ont traite cette matiérr. , %. L, Thomaflîa 2>kthodc d'cf. & d*cnC Chre'-

tiensf.

FoETES Latins. 20^

VirgifCi 6 Comparaijon de rexpreffion iff du JîyU des deux Poètes.

NOiis avons dcja rapporté ailleurs îe fentiment des Critiques , qui con- viennent que l'exprefijon qui confifle dans les paroles, eft ce qu'il y a de plus accom- pli dans Homère, & perfonne ne tait diffi- culté de reconnoître aulTi que c'ed la par- tie dans laquelle il furpafTe Virgile. C'eft ce que le P. Rapin nous apprend en plu- f eurs endroits de la comparaifon qu'il en a faite, il ne fait point difficulté de di- re qu'Homère eft incomparable pour ce point, & que Virgile n'en approche pas, îbît pour la beauté de Texpreffion & l'éclat du difcours , foit pour la grandeur & la Boblelfe de la narration (3) ; fa vcrfifica- tion e(t plus magnifique & plus pompeufe, fa cadence 6c fa mefure ont quelque chcfe qui charme davantage.

Homère, dit le même Auteur, a quel- que chofe de plus riche & de plus fom.p- tueux que Vfrgile. Il a de plus grandes vivacités, il a un tour de vers plus beau, wn air de dire les chofes plus brillant , un fonméme de paroles plus rond, plus plein, plus raifonnant, plus propre à laPoéiie, èc quifatisfait bien plus l'oreille, que tout

ce

tîenn. lesTcjftes Y\\\ z. cfi. 8, nomb. t. pi*. 4TT."

3. R. Rap. Comp, chap. 13. pag. 4S. 2? c'iap. ci pag. 16. imo 3)-. 38. ^c chap. lô. pag. 62, &. chap, 2, pa^. 1-2. Sec. chap. Il, &ic.

I 7

20(5 Poètes Latins^

Virgile* ce qu'a fait Virgile. Mais il femble avoir voulu nous perfuader que cet avantage vient moins de rinduftrie particulière d'Ho- mère, que des propriétés de la Langue Grecque, qui a naturellement tous ces a- vantages que nous venons de marquer fur la Latine, dont le ferieux, la modeftie, & la gravité ne font pas Ci fufceptibles de ces- agrémens & de ces beautés.-

Cet avantage qu'Homère a fur Virgile, n'eft pas comparable à ceux que ce Poète Latin a remportés d'ailleurs fur ce Grec. On ne peut pas dire même que celui-ci foit fort entier, puifque, félon Jacques Pe- letier (i), & Jules ScaWger (2.), Virgile n'eft point tombé dans ce grand nombre de répétitions dont Homère s'eft chargé li inutilem.ent, & il a fort judicieufenient é- vité cette fuperfluité d'Epithetes qui eft- dans Homère.

Cela n'empêche pas que le P. Rapin n'ait eu raifon de dire (3),- qu'Homère eft. -plus admirable que Virgile en Epithetes & en Adverbes , parce qu'il ajoute que ce font toujours des ornemens , quoiqu'ils viennent de la richelFe & de la fécondité de la Langue plutôt que du Poète. 11 ne faut pas douter que le génie différent des Langues n'ait beaucoup contnbué à la di- verfité de leur caractère pour le (tyle. Au- tant qu'Homcre a d'inclination à parler,.

dit

T. Teleticr de TArt Poët. livre 2. chap. 5. comme «Jeflus, ôc dans li Biblioth. d'Ant. du Verdier &:c.

z. Jul. Scaliger i'oaices lib. 3, fea de Idea wp, i$. pag. 29i, &c,.

Poètes L a t r ït s. 207

dit cet Auteur, autant Virgile en a- 1- il à VîrgiSf. fe taire; & c'ell par une fuite naturelle de ce lentiment qu'il avoit dit auparavant qu'Homère eft plus infupportable & plus pue'rile dans Tes defcriptions.

Cela paroît aiOTés conforme à l'idée que Jules Scaliger 6c Gafpar Barthius ont vou- lu nous donner de ces deux Poètes, par la peinture qu'ils en ont faite en les oppofant l'un à l'autre (4). Ils difent qu'Homère efl: femblable à une Courtifane afîës belle d'elle-mcme, bien pare'e, qui parle volon- tiers à tout le monde , qui fe donne des airs libres , qui fe met en différentes poilu - res , qui marche tantôt pompeufement , tantôt négligemment , qui croit que tout lui fîed bien, qui entreprend fur toutes cho- fes, qui ne fait fcrupule de rien, qui elt indifciéte; & qui n'ayant pas le goût fort I fin pour la véritable beauté, fe laille ajus- ter par des cocfteufes mal -habiles , & fe lailfe charger de mille bijoux inutiles & de mille nippes ridicules. Au contraire Vir- gile, félon eux, reflèmble à une jeune fil- le^ limple, mais d'une pudeur délicate & d'une modetlie charmante, qui ne parle ja- mais que fort à propos, qui prend garde à tout, qui eft dans des précautions fur tou- tes fortes de chofes, fort réglée dans les mœurs, compofée dans toutes fes démar- ches ,. uniforme dans toutes fcs actions ,

qui

}. R. Rapîn , pag. 3Î, chap. ro. 8c rr.

4. Poëtic, Sc.ilig. ut fupri fed lib. $. cap, 2. îmô êc c;ip. î. Sec. fulifllaiè Galp. Baithius Adveifaxioi, lib. 3i,cap. 9, col, I475>. S^c, -^

2o8 Poètes^ Latine

Tîrgile^ <îui contrefait la Dame de qualité , d'une taille riche, d'un port majeftneux, fuper- bernent vêtue, mais fans affectation & îans iuperfluité , d'une beauté achevée, enne- mie du fard, qui porte fur fon vifage <Ss dans les yeux des témoignages d'une chafle- éprouvée,, qui ne s'avance jamais témé- rairement, & qui fe laiiTe mener avec un difcernement accompagné de beaucoup de lumières. Et Scaliger dit ailleurs , mais tout feul , qu'il y a autant de différence en- tre le Grand Homère & le Divin Virgile, qu'il y en a entre une crieufe de vieux cha- peaux ou une folle qui court les rués 6c une Dame de la première qualité. Mais il eft bon de favoir que Scaliger étoit un peu foû de Virgile, qu'il a trouvé dans ce Poè- te mille beautés imperceptibles au commun des Critiques , & qu'il a crû y découvrir un grand nombre de myfteres impénétra- bles à ceux qui n'ont pas fon 2èle ni fon raffinement 7 & à Macrobe même. Enfin dans l'examen qu'il fait des vers de l'un 6s de l'autre, Virgile a toujours le delfus d'Homère,

Mair pour revenir de ces excès & pou? conclure la comparaifon, il faut convenir qu'ordinairement Virgile eft fuperieur à Homère. Mais il en faut excepter le fonds & retendue de l'invention , la fécondité & la beauté de l'expreiiion, qui font deux chofes pour lefquelles il doit céder à Ho- mère. On peut dire cependant, pour met- tre

T. R, Râp. comme ci- dcflus pag.jo, 8c condufj

Poètes Latiks. 209-

trc encore quelque relhidîon à cet aveu, virgile. que Virgile l'emporte encore en divers points qui regardent ces deux parties. Car félon le P. Rapin (i), Virgile a Tavanta- ge fur Homère, premièrement pour la dé- licacelTe de Ton deffein , de fcs idées , de- (es inventions , & de fes penfées ; en fé- cond lieu pour tout le détail même de fes expre(î)ons,qui font beaucoup plus folides & plus touchantes , & qui font très-pro- pres à faire leur effet félon l'intention da Poète.

Cet Auteur décide en un autre endroit qu'Homère a plus d'efprit, & que Virgile a plus de difcrétion & de jugement: 6c il n'a pas crû pouvoir mieux finir la compa- raifon, qu'en difant qu'il aimeroît peut-ê- tre mieux avoir été Homère que Virgile^ ma's qu'il aimeroît aulfi beaucoup mieur avoir fait l'Eneïde que l'Iliade & l'O- dyllée.

$.9.

Des Eglogues y des Georgiqrdes de Virgile,

Mr. de Segrais dit (2) que les Eglogues 5c les Géorgiques de Virgile ont été efl:i- "nés par le liécle le plus éclairé & le plus iélicat de toute l'Antiquité , comme les dIus accomplis d'entre les Ouvrages qu'on lit jamais entrepris dans ces deux genres fécrirc.

L

2. J. R. de Segiais, Préf. fur la Trad. de l'Encide i«fnbr. 4. pag. 7,

2IÔ Poètes Latins,

Vugilc. ' i^ Pour ce qui eft des Eglogues ,on peut dire qu'elles ne font pas toutes Bucoliques- iTon plus que toutes les Idylles de Théo- crite, & que ce qu'il dit dans la quatrième- aa fujet de la naillànce de Saloninus Pol- lio, dans la fixiéme touchant les connois- fances fublimes de Silenus^ <5cdans la di- xième fur la paffion de Gallus, efl quel- que chofe de fuperieur à la portée des Ber- gers (i), c'eft le fv^ntiment de Servius que Ton peut voir fur la première Eglogue.

Quoique Thcocrire eût acquis une gran- de réputation en ce genre d^écrire parmi les Grecs, Pelletier prétend (z) que Virgile Ta furpafle de beaucoup, & le P. Rapin eft aufîi dans le même fentiment. Car il dit (3) que Virgile dans Tes Eglogues f(ï plus judicieux, plus éxad, & pl\is régulier que Théocrite , qu'il elt même plus modelle- par le caradére de Ton propre efprit & pat le génie de la Langue Latine. Il ajoute qu'il a plus de bon fens, plus de force, plus de noblelfe & plus de pudeur que Théocrite. Mais qu'après tout Théocri- te eft original , au lieu que Virgile iVeil fouvent que copifte»

Jules Scaiiger avoit déjà remarqué aupa- ravant les mêmes avantages dans Viigild fur Théocrite, & il en avoit rapporté di-^ verfès preuves ^ en faifànt la comparaifoii

de»

t. Servius Gemment, in i. Eclog. Si. ex eo VoSl Inflit. Poët. lib. 3. cap 8. parag. 16. pag. 33.

i. Jacq. Pcletict du Mans , de l'Art foët. chap. s,

l, ILea. Rap. îLeflcx. paiticul. fur laPoëuRcfl, 2>

I

Poètes Latins. 211

es vers de l'un avec ceux de l'autre (4), yirgiîe^ ans un allés long détail qui fait plailir à ire. 11 prétend que s'il y a des beautés & es grâces dans le Grec de Théocrite, ont le Latin de Virgile n'a pu s'accom- er, celui-ci a fubftitué d^autres agrémens ui font naturels à fa Langue, & qui ne ont pas moins beaux que tout ce que rhéocrîte a de plus agréable. C'eft ce u'avoit dit Agelle ou Aulu-Gelle long- 2ms avant Scaliger (5-).

Ce dernier ajoute qu'il y a au moins uatre Eglogues qui font originales, & qui le doivent rien à Théocrite. Ce font cel- 2s de Silène, de Tityre, de Pollion, & e Moëris.

II. Pour ce qui eft des Géorgîques, il :mb]e que on s'arrétoit au fentiment de ervius, on devroit dire que c'efl TOuvra- e qui a fait le plus d'honneur à Virgile^ arce qu'il a fuivi Homère de fort loin ans rÈnéïde , qu'.l a fort approché de "héocrite dans fes Eglogues , mais qu'il a affé de beaucoup Heliode dans fes Géor- iques (6). Il paroît alTés par tout ce que ous avons rapporté au fui et de l'Eneïdô : des Eglogues, qu'on n'a point eu grand ^ gard à cette opinion dcServius, mais il été fuivi dans le jugement qu'il a fait des îéorgiques par rapport à Heliode^ Car il

n*y

4. Jul. Caef. Scalig. Poëticcs lib. s* cap. y. pag, i7. & feqq.

5. A. Gcll. No£V. Attic. lib. 9. cap. 9. pag. 475. 76. cdit. Thyf ôcOilel.

6. Scivius Comment, la lib. i. Géorgie, pag. io.

Iî2 Poètes Latins.

Virgile, n'y a rien dans tout l'Ouvrage que ce Grec a compofé fur les travaux & les journées^ des hommes qu'on puille mettre en paral- lèle avec ce qu'a fait Virgile & li on eiï croit Scaliger , tous les vers d'Heiiode joints enfembk n'en valent pas un de ceux de Virgile (i).

Helîode n'eft pas le feiil qui ait fourni la matière à Virgile, il a prohté aulTi beau- coup de Nicandre & d'Aratus, comme les Critiques l'ont obfervé (2}. Quoique cec Ouvrage fût dédié à Mécenas , il n'avoit pourtant pas laiûe de le finir par un long éloge qu'il avoit fait de fon ami Cornélius Cjallus. Mais la difgrace qui lui arriva en Egypte, jointe à la volonté d'Augufle, fij qu'il le fupprima eniiiite^ & lui fubllitua la Fable d'Arillée qui tient près de la moitié du quatrième Livre de fes Géorgiques (3), comme l'ont remarqué divers Critiques, & particulièrement le Père de la Rué fur la dixième Eglogue (4).

N o u s ne dîfons rien de L . VA R lUS^ tm des plus excellens d'entre les Poètes de fon tems , parce qu'il ne nous eft rien res- té de lui (•$). * F/r-

1. Scalig. liv. j. Poët. cap, 5, înitio Sec. ,

2. Fredcr. Taubmaun. Proleg. Comment, ad Vii- gil. Géorgie. . ^

a. Caroi. de la Rue Soc. JeC în not. ad arguni 10. Eclog. pag. 83. poft alios Criticos , Sec.

4. ^. Le P. de la Rue n'a pufe fonder que fur et qu'en ont dit l'Auteur de la Vie de Virgile, ôc avant lui. Servies fur cette dixième Eglogue.

î. ^. Il a bien voulu donner la moitié' du 1144. article z^intilins q^u'il ïiommz^mmiliHs Vamidoot

iJ

j

Poètes Latins. 213

•'' yirgilii Opéra cttm Comment. Servît VirgiLc. ll-fol. afud Robertum Stephanum I5'32.

Ejufdem cum Comment. Pontani^ ill-

ohLugd. 1603. . Ejnfd.jOpera iii-fol.

'• Typ. Regia 1641. Ejufdem psr JoaK, )gilvium edit. in- fol. Lond. 1663. Com^ nentate in Lingiia Tofcana , da Giovanni ^al;rini in- fol. f^enetia 160^. •™ E'tifdem nm Comment. Tauhmanni iii-4. 161 8. Ijiîfdem cum Notis Variornm.^ 3. vol. iii-8. 'uUgd.-Bat. 1680.

iEMILÎUS MACER-,

De Vérone ., du tems d'x\ugufte, mort en la première année de la 191. Olympiade, de la fondation de Rome 73S. feize ans devant notre Epoque , trois ans après Virgfie.

:i49. IL nous refle quelques fragmens ^milius J. qui portent le nom de cet ancien M-acer. vlacer. Mais c'efl aux Hilloriens plutôt [u'à ce refte de vers que nous fommes re- 'evables de la connoiliance que nous a- 'ons de ce que cet Auteur. avoit fait pour

con-

1 ne nous reile rien du tout. Luciiis Varius esccl- Mit roète Epiqiie 3c. Tragique, loue hautement par ïorace, & par Quiarilien, méxitoir bien un aiticlc ntier , puilqu'outre le jugement avantageux qu'a endu de la Tiagedie de Thyefte Quintiiien, qui n a même cité deux demi-veis 1. 3. de fes Inftitu- ions clup. 8. il nous reite quelque douze vers de on Pûëme Héroïque dt mont que Macrobc nous a onfervés dans ks Sacurnaks jôc que Virgile n'a pis iitfaigué de copier.

214 Poètes Latins,

jEmiltus continuer Homère, & fur les herbes, les Aiaccr, oifeaux & ks ferpens (i). C'ell pour* quoi il eft inutile de nous y arrêter (2).

Mais il eil bon de remarquer que l'Ou- vrage que nous avons aujourd'hui Tous le nom d'jî^milius Macer touchant la force ^ la vertu des Herbes , imprimé à Frî- bourg avec les Commentaires de Jean A- trocien l'an ï5'30. à Venife (3) en 1^47. à Francfort en 15-40, à Baie 1581. à Ham- bourg en 1^96. eft une pure fuppofition, quoi qu'en ayent voulu dire quelques Cri- tiques & quelques Médecins (4Vdontplu- lleurs voyant que le véritable Macer avoit été connu & cité par Ovide (5-) , & que ce prétendu Macer cite Pline , ont cru que c'etoit toujours Macer , mais qui auroit vécu du tems de Pline.

Quoiqu'il en foit, Jules Scaligerdit (6) que cet Auteur que nous avons fur la ver- tu

1. Scalîger docnc la continuation d'Homerc à un antre Macer contemporain, mais qui eft mort de- puis Ovide.

^. Ce ne iont pas les Hiftoricnsqui ont parle' des Ouvrages de Macer. Ovide a très-nettement diftin- gu.' deux roëtcs de ce nom. Le premier dans la di- xième Elégie du 4. livre des Triftes. Cet! celui qui mourut 32. ans avant lui, & qui déjà foit avancé eu âge lui lut its Foëmes des plantes , des oiîeaux , ÔC des Terpens. L'autre Macer à qui le même Ovide adiefle la iS. EJégie du z. liv. desAmouiS5& la 10, du 2. liv. de Pr,nto eft celui qui avoit entrepris la con- tinuation d'Homère. Les Hiftoriens n'ont fait nul- le mention de ce dernier Macer, que Joleph Scali- ger fur Eulebe croit avoir furvccu à Ovide.

2. Voll de Hiftoric. Latin, lib. 1. cap. 10. te lib, de roëf. Latin, pag. 2I.

3. f . U ii€ faut pas croire que ces Commentaires

d'A-

Poètes Latins. 21^

tu des herbes n'ctoit point Poète, qu'il é- .tmilius toit mauvais Médecin Ôc mauvais Verliû- M^^cer. cateur.

PROPERCE,

Sext. Aurel. Prop. fous Aiigufte , natif de Bcvag'/îa en Omhrïe , mort après Virgile & devant Horace au fentiment de quel- ques-uns.

II p. IWT Ous avons de ce Poëtequatre piopcrcc,

x\| Livres d'Elégies qui nous font connoître qu'il ne le faifoît pas gran- de violence pour réiîllcr à fes pallions , c'eft ce qui a fait dire au Père Briet (7) qu'on doit le confidérer plutôt comme un bon Poète que comme un honnête hom- me.

Jules Scaliger témoigne (8) qu'il a l'air

aifé,

d'AtrocIcn aient été réimprimes dans les oiiatrc édi- tions ici marquées, pûfterieiires à celle de Fribourg, Celle de Francfort qui liu/it ta 1540 parut avec les Commentaires de Cornarius 11 ell bon toucunt ce taux Alacer de voir Saumaile dans la pref.îce fur fes Homonyyna. lj)lei ïitrri, * , & Jean \lbeit Fabrice 1, 4. de fa Biblioth. Latine c, 12. n. 7.

4. Ap. Jo. AntoniJ. Vander Lindem de Script. Mc- dic. 5c Voir, ut luprà.

5. Ovid. lib. 4. de Triftib. elcgiaia. Idem Jib.2, de Ponto eleg. lo.

6. jul. Cx\. Scaliger Hypcrcritic. (c ' lib. «^. Poe- tices pag Siz.

Jofcph. Scaliger Aaimadverlioa nEueb. Chroni- con pag, IS7.

7. riiiiiup. Biietius de Pocr. Latin. prxHx. Acutè dicl. c^C.

8. Jul. Cicf. Scaliger Toétices Hypcrcric. lib. é, cap. 7. pag. 854.

2î6 Poètes Latins.

f loperce. ^^^^ -> ^ beaucoup de naturel ; qu'il a fort bien pris le Caratlére de l'Elégie. Il dit -qu'il a beaucoup de netteté, quoique les Critiquer ayent jugé le contraire, fous prétexte qu'il n'aime pas les chofes com- munes , & que quelques-uns l'ont accufé d'aftèéter les grands mots pour foutenic fes penfces. Mais cette dernière accufatioii ne regarde que les derniers mots des vers Pentamètres qu'on commençoit alors à ne plus goûter dès qu'ils pailbient deux fyllabes. Aulîi s'en corrigea- 1- il dans la fuite par la coiifulion (i) qu'il eut de voir Ovide & Tibulie fes amis réuiïir mieux que lui dans cette pratique qui étoit à la mode & au goût de ce fîécle.

Le même Critique ajoute que ce qu'il y a de (ingulier dans Propcice, c'elî le mé- lange des Fables qu'il a employées en tou- tes rencontres dans fes vers, parce qu'ef- feclivement la Fable eft l'ame de laPoëlie, & qu'il fuivoit en cela le confeîl que la cé- lèbre Corinne avoit donné à Pindâre.

C'ett par cet endroit que Voffius cdi" moit (2) que Properce a l'avantage fur Ti- bulie, parce que les Fables & les traits de i'Hidoire même fervent beaucoup à rem- plir & à foutenir fes Elégies. Le P. Va- vaiTeur a fait aufli la même remarque (3), à. ajoute que Timitation des Grecs l'a

ren-

1. ^. Ce qne Jule Scaliget a dit avec un peut-êtrcy Baillet le dit affirmativement.

3. Gérard Joau. Voflîus inftitution. Poëticar.lib. 3. pag. 55. V 5. f lanc. VavaiT. libr. de Lu4icra diftion. p. 1S7.

Poètes Latins. 217

rendu plus favant. En effet il paflbit pour propcrcc. un homme de beaucoup d'érudition parmi le grand nombre des Poètes de ion liécle.

Barrhîus même a prétendu (4) que dans toute l'Antiquité on n'avoit point vu avant Properce un Ecrivain qui eût, pour me fer- vir de Tes termes, une dodrine plus douce ni une douceur plus do6te que ce Poète. Il ditqucplusonlitcer Auteur plus on fe trou- ve engagé à l'aimer, que pourvu qu'on puifïc obtenir de foi-même aiïcs de patience pour ne point fe rebuter d'abord de ce qui paroît obfcur^on trouvera infailliblement dans fa le61uredes beautés qui doivent être d'autant plus agréables qu'elles lui font naturelles.

Enfin Properce, félon Jofeph Scalî- gcr (5), eft un Auteur trcs-cloquent, & a'un llvle très-châtic & trcs-pur; & félon le P. ■[<apîn, il a de la noblclfe & de l'élé- vation dans fes Elégies (6). Mais avec tous ces avantages, nous n'offrions pas dire que c'ell ufi Ouvrage qui mérite d'être lu par ceux à qui les maximes du Chriliia- nifme & celles même de l'honnêteté hu- maine apprennent qu'on doit préférer la pureté des moeurs à celle du langage. * Voycs Art. 1 ifi. *

[La meilleure Edition de ce Pocteeft cel- le de Mr.Broeckhu\fe,dont voici le titre: Scx. Aur. Propertit Rle^iarum Lih. l^ , Ac* ced:mt Nota Zîf terni Ind-xes. Amft. in - 4. 1702. Add. del'Ed. d'Amfl.] HO-

4. Gafpar Barthius Adverfatiorum lib. p. cap. 10. ' initio col. 431,

5. loleph. Scaliger. in pr'misScaligeranis pag. 47, . 6. Rcn. Rapin,Refiex. particul. lui U Poctii^. î, .part.Refl. 29,

TomAlLPartJL K

2i8 Poètes Latins. HORACE,

{Quttit. Hor. Flaccus) natif de Vemfe ^ qui eft maintenant dans la Bafilkate au Royaume de Napks. Mort à Rome la troiliéme année de la 192,. Olympiade, Tan 744. de la Ville, dix ans devant, notre Époque, & fix devant la NailTaii-^ ce de Jefus-Chrill, neuf ans après Vir- gile, fous le Confalat de Quintus Fa- bius Max i mu s Africanus & de Julius Antonius, âgé de yo. ans, félon fiint Jérôme (i), ou plutôt de 57. félon tous les bons Chronologiftes. C'étoit félon Scaliger Tannée du Gonfulat deMarcius Cenforinus & d'Afinius Gallus , deux ans depuis cet^te première datte, quoi- qu'il prétende avec raifon que Suétone a eu tort de donner cinquante-neuf ans de vie à Horace.

Horace. ^^5"^ T xOrace a excellé en deux genres JlI de Poëfics fort ditférens , lavoir le Lyrique, & le Satirique. Dans le pre- mier genre nous avons cinq Livres d'O- des ;

T'î!) 11' ». - » 1 1

T. ^''Lcs éditions communes de la Chroniqnc

i'Eufebe traduite 8c augmentée par S. Jérôme por- tent tuutes qu'Horace mourut en la 57. année de Ton âge. L'édition de Scaliger porte que ce fut en la 50., mais quoiqu'il y aii tout au long </K';i^«£t:f .7770 rfM'i t'ud anno, Scaliger dans les Animadverfions ne JailTc pas, rapportant ce texte, de lire, fans mar- quer y avoir fait aucun changement, qutn'jungifim^

2. Refeiectç Jof. ScaJig. inprimis Scalig. pag pr.

3. fl.

Poètes Latins. 219

des; & dans le fécond nous avons deux Horace, Livres de Satires , deux d'Epitres , parmi lefquelles nous comprenons l'Art Poëti^ que dont nous avons parle' ailleurs.

Mais avant que de rapporter en particu- lier les jugemens divers que les principaux Critiques ont porte's premièrement fur les Odes, & enfuite fur les Satires, il eft bon de dire quelque chofe de ce qui regarde les unes & les autres en commun, & de ce qui fe peut attribuer généralement à tous fes Ouvrages pour nous faire connoî- tre le caradére & les mœurs du Poète, & fa manière d'écrire, fans nous attacher à des méthodes trop fcrupuleufes.

§. I. *

'Jugemens généraux àes manières çj des Çentimens d^ Horace.

I/Empcreur Augufte au rapport de Jo- feph Scaliger (i) , difoit qu'Horace étoit un Auteur fort corred (3) en tout ce qu'il difo t & en tout ce qu'il écrivoit, & qu'il avoit l'efprit fort juile.

Pour

3. %. On ne trouve nulle part qu'Augufte ait dit qu'Horace etoit un Auteur tort correfi. 11 y a feu- lement lieu de juger qu'il le cro)oic tel , parce qu'il en goutoiî fort les Ouvrages, & c'eft ainli que doit être explique l'endroit du Prima Scaligerjna, eu il eft dit Horurius emenditijfimus itf.cfor , ur dni^Ar ^rnrus- ttts. Scaliger fc fondoit fur ce que Suétone rappor- te dans la Vie d'Horace, touchant i'ei\ime qu'Au- gufte faifoit des Ecrits de ce Foctc. Strif.a qHÏdtm tjHi HpjMt adto Pnbayit f &c.

K a

220 Poètes Latins.

Horace. Pour ce qui eft de fon ityle & de fa ma- nière d'écrire, Erafme a jugé (i) qu*elle n'avûic point Tair de Ciceroii. Mais quoi que cela ne fût nullement néceflaire, on peut dire qu'Horace avoit allés de cette hu- meur agréable qu'on a remarqué dans Ci- ceron (2' pour dire de bons mots ; & que cet air enjoué & railleur, qui a paru dans l'un & dans l'autre , étoit peut-ctre aulîî femblable dan^ fon principe&danï>fa four- ce qu'il a être ditrcrent dans Tes etîets, autant que le Cara61:cre du Poète elt diffé- rent de celui de l'Orateur.

Son llyle a par tout autant de pureté qu'il en paroît peu dans fes mœurs (3), dont il n'a pu s'empêcher de nous raire voir la corruption , n'ayant pas incmc r'ait fcrupule de vouloir la communiquer à fe^ Lecleurs.

Un Auteur fort connu de nos lours pré- tend (4) qu'il y a une maiigniié & un air d'imipudcnce répandu dans les Ouvrages , qu^il n'y a point d'homme d'honneur qui voulût lui être femblable en ce point, de que s'il a voulu donner cette ''dée de lui- même, il a péché contre la vraie Rhétori- que auffi bien que contre la vraie Morale.

Pour ce qui eft de fes fentimcns Mr.

Blon-

1. Eiafin. in Dialog. Ciccronian. p. 147. edit, Ba- tav. in 12.

2. Macrob. in Saturnalib. poft exam. lib. Virg. jEaeïd.

3. Olaiis Rorrich. Diflertar. de Poët. Lat pag. 50.

4. r. Nicole, Trait, de l'hduc. du Prince part. 2, 5. 38. pag 6).

$. Franc. Blondel,f3oînpar. dcPindaïc Ôc d'-Hoia-

ce

Poètes Latins. 221

Blondel tcmoi^tic (f) qu'il n'avoit pas de Horace. pictc, que comme il le vancoit d'être Epi- curien, il te mnquoit allés ouvertement de fes Dieux , ôc que l'on trouve un ca- ra6lcre d'impiété marqué en plulieurs en- droits de les Ouvrages. Quoi qu'il parlât comme le Vulgaire , on peut dire qu'il n'en avoit ni la Rtligion ni la créance, & qu'il a fait ailes paroître qu'il n'étoit point perfuadé de réxiltence ni du pouvoir de fes Dieux. Autfi ne leur rendoit-il pas grand culte, & il témoigne lui- même qu'il étoit fort peu attaché à leur fervice , & qu'il fréquentoit peu 'enrs Temples. C'eft ce q 'il nous apprend dans quelques unes de fes Odes (6). Et lorfqu'il a voulu nous faire croire qu'il avoit été touché de la crainte des Dieux <ît qu'il vouloit revenir de fon impiété , il traite les caufes de cet- te converlion prétendue d'une manière li boutîbnne, dit Mr. Blondel, qu'il n'y a perfonne qui ne connoille qu'il ne parle pas comme il penfe.

Mais au reile^ tout le monde convient que fa Morale ell admirable, & la beauté de fes fenîimens l'a tïit mettre au rang des plus excellens d'entre les difciples de Pla- ton (7). Ses Sentences font fréquentes,

mais

ce pag. 28. & fuivantes.

6. Horailus ipfe de Te 5 P.irit*s Dcorum cultar (x in- frcqueiis y &Cc.

7. Louis ThomafTîn de la Méthode d'étudier & d'enfeigiier Chrétien, les Poètes liv. i. paît. i. chap, 75, nonib. 2. pag. iç6.

Le niëme Auteur paile de l'excellence des Satires d'Horace Su de laCenfure qu':l a faite des vices dans le mcnic Ouviagc chap. 14. nomb. ;. pa^. 150, 151,

122 Poètes Latins.

Horace. ^^^^ elles font fi nobles, lijuftes, & pla- cées fi à propos qu'on peut dire qu'elles font tout rornement de fes Ouvrages, & qu'elles font comme l'ame de fa Poéfie. On voit qu'il s'eft attaché avec un foin par- ticulier à faire les éloges de la vertu & des perfonnes vertueufes , & qu'il a pris plaifir d'abailler le vice & de tourner en ridicule les perfonnes vicieufes. De forte que félon Mr. Blondel , on ne trouvera peut-être rien parmi les Ouvrages des Anciens qui foit plus propre que ceux d'Horace pour nous imprimer les fentimens de l'honnâ- teté morale (i).

§. 2.

Jugemem fur les Odes d* Horace.

Quintilicn dit (2) qu'entre tous les Ly* rîques Latins , il n'y a prefque qu'Horace qui mérite d'être lu, qu'il a de l'élévation de tems en tems, qu'il eft plein d'agrémens & de beautés , & qu'il a^es figures & des exprefilons fort hardies , mais en même tems fort heureufes. Ce bonheur extraor- dinaire avec lequel Horace fivoit exprimer fa penfée a été remarqué aufîi par Pétro- ne (3) qui le loue d'avoir inf^^ré fes Sen- tences avec tant d'adreffe dans le corps de

fes

ï. Blondel, Compar. dcPindarc 8c d'Hoiacc pag. 7i. 7î. ôc fuivantcs,

2. Quintilian. Inftitut. Ocaroriar. lib. lo. cap. i.

3. Blondel , Conip. de findare Se d'Horace pag. £tj, 28<f. bi. iuivaatcs, à l'occafioa de ces mots de

Poètes Latins. 223

fes pièces, que loin de paroître hors d'œu- Horace,' vre elles font nccellaires & cfTenticlles aux fujets pour Iclqnels il les employé.

Jules Scaliger dit (4) que toutes fes O- des ont tant d'invention & de grâces, que fa didion a tant de pureté , & que fes fi- gures ont tant de variété & de tours nou- veaux, qu'elles ne font pas feulement à l'épreuve de la cenfure & du blâme des Critiques, mais qu'elles font encore beau- coup au deiFus de tous les éloges qu'on en pourroit faire, ^ qu'elles font recomnian- dablcs autant pour le flyle fublime qu'il leur a donné que pour la douceur & la fimplicité qui les accompagne.

Le même Autuir avoit déjà dit aupara- vant (5-) qu'Horace eft le plus éxaél de tous les Ecrivains Grecs & Latins, qu'il n'y a rien de plus travaillé que fes V'ers dans toute l'Antiquité , qu'ayant voulu joindre la majeflé avec la belle cadence dans fes Odes il en eft venu fort heureufc- ment à bout, & que fi ces deux excellen- tes qualités ne fe trouvent point dans fes autres Ouvrages, il eit aifé de voir qu'il ne les y a pas voulu employer, & qu'il n'y a pourtant rien perdu de fa réputation , puifque c'eft plutôt par un effet de fon ju- gement que de fon impuilfance qu'il les a voulu dépouiller de ce double ornement. Il

a

Pctronc: ir Noratil chvio'a félicitas y qu'il cite néan- moins dans une autre vue.

4. Jul. Cacf. Scalig. iiypeiciit. feu lib. 6. Pocticcs pHg. 879. cap. 7.

s. Idem in Ciitico (eu lib. 5. roctic. cap. 7. pag, 6S9.

K4

224 Poètes Latins.

Koxacc. a préienda pourtant qu'Horace avoît bien des duretés ; mais qu'elles fout cachées dans les vers Lyriques fous diverfes beau- tés comme fons de beaux habits, au lieu que n'ayant rien dans fes autres Vers qui les pu-He couvrir, elles choquent le mon- de par leur difformité, il ajoute qu'on n'a point raifon de dire qu'Horace en ces en- droits ne fongeoit qu'à la pureté, parce que cette qualité n'efl point incompatible avec la douceur. Mais les Crîp'ques d'au- jourd'hui confidérent ce dernier point coni- me le fruit d'une imagination déréglée.

C'eft pourquoi rien ne nous doit empê- cher de croire avec le Père Briet (i) & les autres, qu'on n'a point encore vu perfoîi- ne de ceux qui ont embrafTé le genre Lyrir que, qui ait pu joindre Horace, & qu^on trouve dans ce qu'il a fait une délîcatelïè inimitable j une netteté & une polittfle de langage incomparable, avec, l'idée ou la forme de la Latinité la plus exîquife.

On ne peut pas lui conteftcr ce glorieux avantage fur tous les Romains qui ayent jamais écrit en vers Lyriques; (i) , puis- qu'il eft le premier & le deriiier, & par conféquent le feul & l'unique de fa lan- gue dans tout ce grand Empire, félon le Sieur RoPteau, qui femble n'avoir pas eu grand tort d'en exclure Catulle (3}. Et

pour

1. Philip. Briet lib. z. de Poëtis Lat. pag. 22.prx- fix. Acutè dift. Poër.

2. ^. Il y a, dans le 4. livre des Syives de Stace deux odes 'j Tune Alcaïc]ue, l'autre Sapphique, les- quelles au fentiment de Mi. Huec pa§. i66. de Tes

Qd-

Poètes Latin Si iif pour ce qui regarde les Poctes Lyriques Houc*^ qui ont éclate dans l'état de plus floriffant de la Grèce, je trouve la plupart des Cri« tiques ailes dilpolcs à les fbûmettre à no- tre Pocte Latin.

Horace , dit Mr. Godeau (4) , vaut mieux tout feul que les trois principaux Poètes Lyriques des Grecs, qui Ibnt Sap- pho, Anacreon & PuKiare. Car quelque grandj que Toit la délicatefTe des deux premiers, elle n'a rien au deiFns de celle d'Horace; & quand celui-ci confelfe que Pindareelt au dtlîus de toute initation, il a voulu faire voir la défiance il étoit de fes propres forces, & il croyoit devoir fuî- vre l'opinion conuiiune pour tâcher de gagner l'efprit de les Ledeurs par ce té- moignage de fa modelliw

On ne peut point nier qu'il ne fe le foft propofé comme un des nîodéles qu'il au- roit pu fuivre, mais il ne s'eH point bor- né a la mefure de ce Grec , il ne s'eft- poiiit contenté de l'atttindre, en un mot i"] ell devenu plus habile que lui. Ses ma- nières font incomparablemen-t plus délica- tes, fan llyle ell beaucoup plus poli, la ftrudurc de les vers plus belle tSv les pen- fces plus raiibnnables. Ce même Auteur ajoute que toutes les richeffes de la Lan- gue Latine éblouïiièut les yeux dans Cqs>

Ou-

Origines de Caen, font des chef-d*œuvres.

3. Rofte-au Sentim. ûir quelques Aurcurs partku*' lieis MS pati. 4S

4. Ant. Godeau Evêq.ue de Vence , Difcours fut lc5> Oeuvj:«s de Malhcxbe.

226 Poètes Latins.

Hohce, Ouvrages ; que toutes les délicatefles y chatouillent les oreilles, & que nous n'a- vons point de fource qui foit plus pure & plus abondante en même tems.

Le P. Rapin femble avoir été dans le même fentimeut que ce Prélat pour la comparaifon qu'on peut faire d'Horace a- vec les Lyriques Grecs (i). Il dit qu'Ho- ^ race dans les Odes a trouvé l'art de joindre toute la force ce l'élévation de Pindare, à toute la douceur & la dclicatefTe d'Ana- creon, pour fe faire un caradére nouveau en réuniffant les perfe6lions des deux au- tres. Car outre qu'il avoit l'cfprit naturel- lement agréable, il l'avoit aulTi grand, fo- lide, & élevé ; de forte qu'il faut être plus que médiocrement éclairé & pénétrant pour voir tout cet efprit dans fon éten- due, & pour pouvoir découvrir toutes les grâces fecrettcs, dont il femble avoir vou- lu ôter la connoiflance au commun de fes Leéleurs.

Mais il n'y a perfonne de ces anciens Lyriques de la Grèce avec qui on ait pris tant de plaifir de le comparer qu'avec Pin- dare. Jules Scaliger malgré fon averfion qui lui donnoit un mauvais goût pour lui, reconnoît que la comparaifon ell jufte. il "eft obligé d'iivoutr même (2) qu'Horace efl beaucoup plus éxad que Pindare, que

ks

T. René R!»pin, Reflex. partkul. fur la Poétique, |>ag. 2 Reflex xxx.

z. Jul. Cxf. Scalig. lib. tf.Foëtic. ut fup. pag. S79, j. <^. Scaiigei a imic^uemcut lemaiç^ué ie ficquent

Poètes Latins, iiy les fcntences en font p'us belles & plus Horactf, fréquentes; quM ne fe donne point tant de licence; que s'il témoigne de la hardief- fe, il a foin de ne point blefler le refpeél qu'il doit à ^on Ledleur , & qu'il n'ell point gcné dans cet air de grandeur qu'il a donné à Tes cxprefïions pour attirer fur lui nos applaudiilemens & notre admiration. Il ajoute pour achever ^o\\ éloge qu'il n'y a rien de lâche ni rien de defuni dans tout ce qu'il a fait, que tout y ell: (i ferré & naturellement lié, qu'il femble que totit foit d'une p;cce. Voilà ce que ce Critique a crû pouvoir dire à l'avantage d'Hora- ce, mais fi on l'eu veut croire, il a di- minué le prix de toutes ces bonnes quali- tés par les fréquentes répétitions d'un mê- me fujet , par quelques façons de parler q-ui paroilTent trop dures, & par l'emploi de fes adje£l fs en ofus (3) qu'il prétendoit mettre en uliige, mais qui ne pouvoient fervir qu'à dégoûter & à rebuter le Lee» teur.

Mr. Blondel qui a entrepris de faire le Parallèle d'Horace avec Pindare plus par- ticulièrement que les autres, & qui en a fait un Traité iingulicr, nous apprend que le Poète Latin ne cède point au Grec pour la fécondité & la fubl imité de fes inven- tions, la richelle & la hardielîe de fes ex-

pref-

ufagc des adjeftifs en o^hs dans Horace, fans en ti- icr contre lu" aucune mnuv.;ire conlequence , tant pa.ce que ces m^ts fo'it d'eux mcmes tiès Latins » que paice qn'ils ne font employé* qu'à uac ioBgac diflancc la plûpaxt les uns des aucxcs.

K 6

2.28 Poètes L a t i k, s^

Horace.. prefOons , mais que la diction eft plus châ» liée & plus pure dans Horace que daas^ Pindare (i). Cet Auteur a remarqué enco- re dans la lliite de fon Traité qu'Horace a- bien piAis d'étendue, de ûvoir & de con- noilîliaces que Findare, qu'il a plus d'é- galité , plus de douceur , plus d'enjou- mens (2,) , & beaucoup moins de fau- tes (3).

Il en efl donc d Horace comme de Vir- gile à l'égard des anciens Poètes qui les ont précédé. Ils ont l'un & Tauue perfec- tionné ce qu'ils ont pu prendre dans ces Auteurs & qu'il-s ont pu convertir à leur ufage, de forte qu'on peut dire qu'ils ont fait plus d'honneur à ces Anciens qu'ils D'en ont retiré d'utilité. On peut juger, néanmoins qu'Horace a été. plus fcrupu- leux ou plutôt plus indiiterent que Virgile pour chercher à protiter des lumières de CQS Anciens, & que loin de vouloir fe rendre fufpcd d'avoir jamais été Plagiai- re, il ne pouvoir même fou fi rir ceux qui' faifo'ent profefTion d'imiter les autres, <Sc traîtoit ces imitateurs f^ammaux efcia' Tes (4J. C'ell pourquoi quelques-uns ont pris pour une plaifanterie de Rodomont (5) la penfée qu'a eue Scaligei le Père de

dire

r. Franc. Blonde! ,CompîW. de Pindare & d'Hora- ce pag. 248. & fui vantes.

2. il. En'ioument auroit été mieux au fingulier.

3> Le irême pag. 283. 284 &c.

4. HoTot 'pfe: O /mtiiicrfs ffr Km pertis. ^

S.% Upoujro ry avoir plutôt delà malignité' dans icite genfte ^ue de laiodomontadc , paice qu'en

JlCii!

I

Poètes Latins. 229

dire (6) que ii nous avions tous les Ou- Horace, vragcs que les anciens Poètes Grecs ont faits duns le genre Lyrique, on auroit plus de lieu de remarquer un grand nombre des larcins d'Horace.

Pour ce qui eft des fcntimens du Pocte dans (es Odes, on pourroit s'en iniiruire fur ce que j'ai dcja rapporte de fa Morale en général. Lasvinus Torrentius Evcque d'Anvers dit de fes Ouvr;iges Lyriques en particulier (7) que ce ne font point des dîfputes lubtiles, nf des raifonnemens trop étudies, mais que c'ell tout ce qu'on peut fouhaiter d'un homme Païen très-bien ins- tru't des maximes de la Morale, & des devoirs de la vie de l'homme; qu'on ne peut rfen imaginer de mieux penfé & de mieux dit fur la manfére de mener une vfe honnête , tranquile & heureufe ; qu'on peut dire que c'eft une Philofophîe dont les préceptes font tirés des exemples de Poètes & d'Hilloriens, & du train ordi- naire de la vie & de la focieté civile. Et Mr. Rortcau (8)enime que perfonne d'en- tre les x'^ncfens n'a loué avec tant d'orne- mens qu'il a fait dans fes Odes la Juftice, la Fidélité, la Continence, la ModeQie,la Patience dans la pauvreté"^ dans les af-

flic.

nous donnant lieu de croire qu'Horace, n'eft pas ori- ginal , on rahaiffe d'îiuranr fon mérite. Voyés la 24J Epitre de Scaliger le fils.

6. Scalig. in Critic. feu Jib. ç. Poët. c. 7. pag. «jp.

7. Lacvin. Toncnr. Prïfat. Coramenraiior. in Ho- rat.

8. Rofteau pag. 48. parmi Ces Sentira, fui les A«^ Muts q^u'il a lus, V. ci'dcfl'us.

230 Poètes Latins.

Horace. Aidions , & le mépris de toutes les chofes périlTables de ce Monde : & que perfonne n'a blâmé davantage , ni plus agréable- ment perfécutc les vices oppofés à ces ver- tus.

C'eft toujours grand dommage qu'une partie de tant de belles maximes n'ait pu fe garantir (1) de la corruption du cœur de leur Auteur.

§•3-

'Jugemens fur les Satires d'Horace,

Les Romains fe font attribués tout f honneur de la Satire fans en avoir obli- gation aux Grecs , de qui ils reconnoif- foient avoir reçu les Arts h les Sciences. LuciliuS fut le premier dans Rome qui y acquit quelque réputation. Mais Horace étant venu après lui Teffaça prefque entiè- rement & témoigna moi': s d'aigreur que lui. Il eft aufli beaucoup plus net & plus poli félon Quintilien {^) qui ajoute qu'Ho- race eft admirable quand il s'agit dépein- dre les mœurs

Mr. Defpreaux femblc n'avoir pas vou- lu exclure l'aigreur du caraftcre Satir-que

d'Ho-

ï. ^. Peut-être a t-il voulu dire n^dt pu garantir dt CtrrHpt'"» le taur de leur ^A.tlttir.

2. Blond, pag. 240. 241 de la Comp. de Pindarc & d'Horace, Q.uintil. lo. ijftit. i.

3. Boil. Delp. Chant 2. de l'Art lootique, Vex$

J5».

4. Pciiiua Satiia i. ilc habet;

Poètes Latins. 231 d'Horace, & dire qu'il s'eft contenté d'à- Horace' jouter à celle de Lucil'us ce qui pouvoit lui manquer pour la perfcdionner & pour la rendre plus agréable & plus utile (3).

Horace à cette aigreur mêla fonenjoument. On ne fut plus ni fat, ni fot impunément.

Perfe qui dtoît de la même profcfTion que lui femble dire (4) que toute l'adrefTe & le grand art d'Horace confifle à toucher les dctauts des autres d'une manière déli- cate, agréable, qui divertit & qui tait rire même ceux qui ont quelque part à la Sa- tire, & à fe moquer li fpîrituellement de fes Spedateurs ou de fes Ledeurs, qu'il les porte à fe mocquer d'eux-mêmes fans s'en appercevoir.

AulTi le P. Rapîn a-t-il bien fu remar- quer que la délicateffe & l'adrefTe à repren- dre finement ell le vrai caradére d'Hora- ce is)- Ce n'étoit , dit -il, qu'en badi- nant qu'il exerçoit la cenfure. Car il fa- voit très-bien que l'enjoument d'efprît a plus d'effet que les railbns les plus fortes & les difcours les plus fententieux pour rendre le vice ridicule. Dom Lancelot dit (6) que cette manière

fim-

Omne vafer vitium ridtnti FUccus ^mico , TAngit i ir admijfus ciïcurn orxcordia ludit , Catlidus ercitTo Ptpulitm ftifpenife na;'a

5. Ken. Rupin, Reflex. xxviii. fur la Poct. fé- conde partie.

6. Lancel. Nouvel. Meth. Lit. Tiaiu dclaloëiit tat. pag. »77. chap. 4. n, ^

232. Poètes Latins.

Horace. limple & balle en apparence, telle qu'elle paroît dans Horace, eil prefque au delà de toute imitation ; & que ceux qui prêtèrent les Satires de Juvenal à celles de ce Poète, témoignent avoir peu de goût du bel air d'écrire , & ne diicerner pas ailé^i l'élo- quence d'avec le (lyle des Déclamateurs. Une feule Fable que conte Horace, com- me celle du Rat de Ville 6c du Rat deCam-^ pagne, celle de la Grenouille & du Bœut\ celle du Rcnara & de la Belette, a plus de grâce que Tes endroits de juvenal les plus étudiés. Il n'y a rien aulfi de plus ingé- nieux , félon cet Auteur, que les petits Dialogues qu'il entremêle dans Tes dis- cours fans en avertir fon Ltdeur par des inquam ou des inquït , comme fi c'étoit dans une Comédie.

Mais ce qu'il y a particulièrement d'ad- mirable e(i l'image qu'il fait par tout de l'hmntur des hommes, de leurs palîions & de leurs folies, fans s^épargner lui- mê- me, C'eil ce qu'a remarqué aufîi Mr. Blondel (i) lorfqu'il dit que l'ingénuité d'Horace & l'aveu li franc & li naïf <.]u'il fait de fes propres défauts dans fes Satires raviflent fon Le^leur aulfi bien que la jus-- teffe de fon lens qui régne prefque partout, & qui empêche que fon caradtére railleur ne tombe dans le genre bouffon.

Dom

T. Blondel pag. 7i, 73. de la Compar. de Plndaïc &- Horace.

2. Ger. Joan, Voiïîus, loftitution. Foetic. lib. 3. pag. 41. 4Z. &c.

Ant. Godeau, Hiftoiic de l'Eâ^ifc à- U fia d* çrciniej: ûécle^

Poètes Latins. 233

Dom Lancelot n'ell pas le fcul qui ait Horace. j..^6 Horace prcterable à Juvenal, c'a tté qicore le femiment de Voflîus , de Mr. Gudeau (2), & de divers autrey Criti^^ues, comme iioub le verrons ailleurs; & Ton jpçut dire que le Public s'accommode à leur goût d'un confcnteirient qui paroît afTcs géne'ral , parce que bien qu'Horace ne foit pas moins mordant que Juvenal, & que Ton fel ne ibit gucrcs moins acre , on aime mieux, le voir mordre en riant, & picquer avec Tes plaifanteries à. les agrcmens, que de voir Juvenal faire la même chote en co- lère & toujours dans fou fcrieux.

C'ell pourquoi ces Critiques ont eu rai- fon de fj mocquer de Jules Scaliger, lors- qu'il a prétendu faire pafTer pour des fots & pour des bêtes ceux qui ont ofé dire qu'Horace efl: proprement le feul qui ait connu parfaitement la Nature & le vérita- ble Caradcre de la Satire (3), & que Ju- venal a plutôt l'air d'un Déclamateur que d'un Pocte Satirique. 11 foutîent que Ju- venal a beaucoup mieux répondu qu'Ho- race, à l'inftitut & à la fin de la Satire; qu'il y a dans celui-là des pointes & des rencontres plus fines cSc plus ingénicufes que toutes celles qu'on trouve dans celui- ci: que cette Urbanité & ces agrémens .qu'on loue tant dans Horace , n'ont pas

le

3. Jul. Cxf. Scalig. in Hypetc. feu lib. 6. Toct. cap. 7. pyg S67 ôc f^q. Item' p. ?7i 2< Teq. lidit aux pages &76. 877. que le liyle des Epitres d'Hora- ce ell plu< net que celui de les Satires, 2c qu'elles Qnt plus de douceur, d'eleg^nce, d'agrément ôc de Ë:i niëmc

234 Poètes Latins. Hoxacc le goût fi relevé que ceux de Juvenaî.

Il ajoute que ce qu'il y a de bien agrca* ble dans Horace, ce Ibnt ces petites Fa' blés & ces plaifans Apologues, mais que cela ne nous donne point envie de rire; qu'Horace efl: autant inférieur à Juvenal que Lucilius efl: inférieur à Horace ; en un mot, que fi l'on coufidére la variété des fujets , radrelfe & l'artifice dans la maniè- re de traiter les chofes, la fécondité de l'invention -, la multitude des Sentences, la force & la véhémence de la cenfure, la véritable Urbanité , & l'agrément même des plaifanteries , Juvenal doit l'emporter fur Horace.

Il accufe ce dernier d'avoir fort mal pra- tiqué cette fimplicité qu'il a tant recom- mandée aux autres, & que de quelque gen- re que foient les matières qu'il embrafTe, il n'a pu s'empêcher de les traiter toutes d'une manière Satirique, tant il étoit peu Maître de fon génie & de fes inclinations. C'efl ce qu'il a tâché de faire voir dans u- ne longue dédudion de divers endroits, l'on a crû trouver quelque air de ma- ligni é ou une envie fecrctte de chicaner.

Au refi-e les Satires d'Horace, parmi les- quelles on comprend auffi fes Epirres, ne font pas d'un ftyle û élevé que fes Odes, il femble au contraire qu'il ait afFeélé de

le

1. Horat. de (e ipfo: Exlmuantis eaj confulte. Franc. Blondel, Comp. de Piud. ôc d'Hor. pag,

250. zst.

2. Nouvell*; Méthode pour la Lang, Lat. Tr. delà Pocf. Lat. comme ci- dcflus.

Poètes Latins. 235*

le rabaiiFer, & d'en diminuer la force ex- Hojacc, près , pour faire voir que ce n'efl point fur de grands mots ni fur des exprelTions fu- perbes qu'il vouloit élever fes penfées, comme ont fait fouvent les autres Satiri- ques , félon la remarque de iVIr. Blon* del (i).

Quelques-uns ont pris fujet de cette bafTefTe aifedée ou plutôt de cette fimpli- citc naturelle, pour tâcher de diminuer le prix de ces Satires & de ces Epitres : mais Dom Lancelot prétend (2) que c'eft par un effet de leur mauvais goût qu'ils en ufent de la forte, s'ils ont crû devoir trouver dans ces Pièces d'Horace la majeflé & la cadence des vers héroïques comme dans Virgile; ou par une fuite de leur ignoran- ce , ne fâchant pas qu'Horace a fait ainfi fes vers à delTein pour les rendre plus fem- blables à des difcours en profe, comme il nous en a averti lui-même (3), lorfqu'il a bien voulu fe retrancher de la Compagnie des véritables Poètes , «St donner l'exclu- fîon de la Poèlie à fes Satires & à fesE- pîtres.

C'eft une négligence étudiée qui eft ac- compagnée de tant de grâces & d'une fi grande pureté de H y le, qu'elle n'efl gué- res moins admirable en fon genre que la gravite de Virgile. C'cll aulîi la penfée de

plu-

3. Horat. lib. i. Satir. 4. hxc habct: Prinium ego me illorum dedcrim quiLus ejjc Poêtas ExctrpAm numéro j necjHe eftim concludere verfum Dixeris ejje falit : nequt fi (jm's fcrihat , uti no.' , Sirmofii fropiora , put a hune ejfe PociAm.

236 Poètes Latins. Hora«è. plulieurs autres Critiques, & particulière- ment de Grotius (i) & du Bibliographe Allemand (2), qui jugent qu'il n'y a rien de plus utile, fur tout pour les jeunes ■gens , que cet air négligé & naturel ac- compagné d-e cette pureté originale de la Langue.

Mais Scaliger le Père a prétendu fe fî- gnaler en fe diflinguant des autres par l'a îingularité de fon fentiment. Il femble qu'il ait voulu vanter Lucilius, dont Ho- race avoit dit que les vers entraînoicnt de la boue en coulant, & diîe qu'il n'appar- tenoît point à Horace de p-rler li mal •de Lucilius , puifque lui*méme elt encore plus défe61:ueux , 6r qu'il n'eft pas même coulant en la manière qu'il l'a reconnu de Lucilius (3). Si Ton veut fuivre cette penfée , on fera naturellement engagé à croTC que c'ett donc la boue" qui empêche le ftyle d'Horace de couler, comm.e fait celui de Lucilius nonobflant le même obflacle ; cependant le même Scaliger , avoit reconnu auparavant dans les Sati- res d'Horace une grande pureté de flyle, jufqu'à prétendre que la trop grande atfec- tation pour cette pureté Jui a fait perdre la douceur qui efl: une des meilleures quali- tés qu'on puilFe donner à fon ftyle. Ce qui nous fait voir que ce grand homm^e s'oublioit quelquefois lui-même, & que s'il falloit avoir égard à un jugement qui

pa-

1. Hugo Grotiu» Epift. ad Benj. Auberium Mau- rcr. poft. G:ibi.NaiidaciBibl!Ograp. Pocticam pag. 134..

2. Anon/m. Bibiiogt. Cur. Hiftcr. PhiiologiCv pag. âz.

Poètes Latins. 237 paroît n peu équitable, ce feroit pour di- Horace' minuer quelque choie de fa réputation plutôt que de celle d'Horace.

Eutin pour achever de peindre le carac- tère du iiyle des Satires d'Horace, on peut dire avec MelTieurs de Lefplick qui dres- fent les Ades des Savans (4), que parmi les trois principaux Satiriques de 1 Antiqui- té dont nous avons quelque chofe d'en- tier, celui-ci tient le milieu entre les ex- trémités des deux autres, c'eft-à-dire -en- tre les inveélivcs de Juvenal, qui par leur étendue font paroîire un air de Déclama- tion , & la breveté obfcure & difficile de Perle. Ainli on a lieu de conclure, com- me ils font,qu'H^>race ne règne pas moins fur tous les poètes Satiriques que fur les Lyriques Latins.

* 2- i^^ratii Flacci Opéra , cum Com' ment D:on, Lamhini ^ vif or h. n in-tbl,

Pii i . 1604 lJe/'/2 cii/i Com..:ent.

Dion. Lamh.ni in-4. Venet. l^^S' idem cum Cn nment. Cr i-iu-t ^ brwc. Douf^e in 4 Lugd-Bar. 1^97. lie,-?! cumpa- raùhrafi Eiiharod Lnhi/ii in-4. ^^'ioch. 1^99. -- Idem C't-nrnentdte da Gw. Fahri'. ni du Figb ne \\\- 4^.1^6 net. irSl. I5'99 -^ Liem cum Com.'ne^t. Lct'Vint Tor^'e/iùi ., ^| Peiri Njmii't in Artem Poêticarn in-4. ^nî-* Ticrp. 1608 Idera cum h;dice ihjnsi

T're^-eri .^ in-8. Antuerp. \^1^. l.icm

è "Typogr. regia in-fol. 1642. Cum

Corn-

3. S^aligcri Poëtic. lib. 6. Hypercritic. p. 867- Sec.

4. \:ta Eriiditor. Liptienf. lueaf. Junii ann, ié»^. !om. 3pag. z6i.

Hortcc.

23S Poètes Latins.

Comment. Landini in -fol. Florent. 1^82^ ■■■ I-dem cum Not'is Rtcharât Bentleii in-4. Cantabrhice 171 1. \^i^ Amiîel. 1713. cum Indice Th. Treteri omnibus Editiom' bus accommodato a Dan, Aveman , auclo i^ emendato ab If. J/'erburgîo,~\

TIBULLE (ALBIUS)

la même ann^e qu'Ovide, fous leCon- fuht d'Hirtius & Panfa, l'an de la Vil- le 711. le 2. de la 184. Olympiade, mort devant Ovide.

Tibulle. 115-2.

TIbulle peut être lu hardiment par ceux que Dieu a confir*^ mes dans l'infenfibilité de leurs paflions.

Ceux qui ne peuvent ou qui ne doivent pas le lire, fe contenteront peut-être de fa- voîr que fes quatre Livres d'Elégies , non- obftant leur impureté , ne lailTent pas d'ê- tre écrits dans un ilyle très-pur, très-ner, & très-poli , au fentiment de Jofeph Sca- liger (1) & du P. Brîet(2). On prétend même qu'il n'y a perfonne parmi tous les Poètes Latins qui l'ait furpafTé dans le genre Elcgiaque^ & que perfonne n'a é- crit avec plus d'efprit, de tendrelTe & d'é- légance , comme le témoigne le Sieur Rofleau (3).

Jules Scaliger le trouve prefque unifor- me par tout (4) ; il dit que jamais il ne

s'ou*

1. Jof. Scalig.ia primis Scalig. pag. 47. cdit.Gro- Ring.

2. Philipp. Briet. lib 2. dcFoct. Lat. pag. 25. prîc- fix. Acutè didis 6cc.

I* KoAeau,Seutim. fui quelques Livres pag. 4;, MSS«

Poètes Latins. 239

s'oublie & ne fe quitte foi-même, & qu'on Tibullc. ne le voit point démentir fon caradcre; qu'il donne toujours un même tour aux chofes , & qu'il ne diverfifie prefque pas fes matières; mais qu'au refte c'eft le plus châtié & le plus limé de tous ceux qui fe font (îgnalés dans le mcme genre d'écrire. Il ajoute que Tufage trop troquent qu'il fait des Infinitifs de cinq fylhbes au tems palfé , e(l quelque chofed*ailës dégoûtant, & qu'il y a des endroits il ne fe foutient point aflcs, & il n'eft point afles ferré. Son quatrième Livre n'eft compofé que du Panégyrique de Meflala & de quelques Epigrammes. Le même Scaliger que je viens d'alléguer dit, que ces Epigrammes font dures, langulifantes & defagréables , & que le i oeme qu'il a fait à la louange de Meffala paroît fi négligé, f] rampant, fi dénué de vigueur, & de Ion harmonie ordinaire, qu'il e(l aifé déjuger que c'eft le fruit d'une précipitation trop grande , qu'il n'y a que la première chaleur de fon imagination qui ait pu produire cette pié- : ce , qu'elle eft devenue publique devant I qu'il l'eut achevée, & fans qu'il fe fût don- né le loifir de la revoir.

C'ert ce qui a fait dire au P. Rapin (5) , que Tibul'e étant d'ailleurs fi éxaét, ii é- légant & i] poli dans fes Elégies, ne le pa- roît pas beaucoup dans ce Panégyrique de Meffa'a. * Joa?7,

4. Jul. Cxf. Scalig. lib. 6'. Poët. feu Hypercritic, pag. «6j.

5. Ren. Rapin, Refl. fut la Poct. fccendc partie Refl. XIV. U Rcfl. XIX,

Tibullc.

Ovide.

240 Poètes Latins.

* yoan.PaJferat'itCommentarit in C, Val. Catîilium , Aibmm Tihullum cT Sex. Aur, ,

Propertiurn in-fol. Parif. 1608. C.

FaLCatulli, Alhii Ttbulli.Sex. Aur. Pro-. fertii Opéra omnia^ cum variorum Uodio"^ rum Vtrorum Comment. Notis , Ohferi>. in- -

fol. Lutetia 1604. Idem cum Obfer-

vatîombus Ifaacii/ojfii in -4 Lug-Bat.lôS^.

Albii T'ibfilli, qUie exftant. Accdunt

Notce cum. var'iarumLed'îonum Ltbello ^at" que Indices m- ^. Amjl 1708. *

OVIDE,

(Publius Ovidifis Nafo) à SulmoMe Ville de V Abrîizze , Tanace que moururent les deux Confuls, comme il Ta marqué, lui-même, c'eil à-dire fous le Gonfulat d'Hirtius & Panfa , la deuxième année de la 184. Olympiade, de la Ville 711.

devant notre Epoque 43.

Mort la première année de la 199. Olym.- pi.ide, de la VMlîe 770. Tan 17. de notre Epoque, ou la 21. de Jefus-Chriil, à la fin delà troilléme année de Tibère, «To- mes dans la petite Scythie , lieu de fon exil, aujourd'hui Tomijvjar,

§. I.

Jugement général du Génie l^ 'des K- crits d'* Ovide.

115^3.

TOus les Critiques conviennent qu'Ovide avoit l'efprit fort

beau

1. V. Crit. in proleg. Varinr. edit. Ovid.

2. Ga(p Baithius Adverfaiioi. lib. 58. cap. p. col. S739. & 2740.

3. Rofleau, Sentira, fui quelques livres d'Auteurs

qu'il

!l

P o E T E i Latins. 241

beau (i), & une facilité inconcevable pour Ovide^ "-J faire des vers, mais la plupart ont recon* nu en mcmc-tems que ces avantages de la Nature lui avoient tait concevoir trop bonne opinion de lui-même , & lui a* voient donné trop de confiance en fes propres forces ; de forte que , ftlon Gas- par Barthius (2) , cet efprit aifé ne pouvoit fe captiver ni fe réduire à devenir éxad ; & félon le Sieur Rolleau (3), cette facilité pour l'invention de fes matières & pour la verlification, lui a fait fouvent avancer & écrire des choies qui n*avoient ni régie ni méfure, & qu'il ne fe donnoit pas le loilîr de digérer.

Quelques-uns ont remarqué que ç'avoîî cté autrefois le fenriment de Quîntihen, lorfqu'il a dit qu'Ovide eft louable, mais plutôt en fes parties que dans l'ordre 6c dans le fonds de les Ouvrages. Cela veut dire, félon le Cardinal du i^erron (4) , que fes vers font bons , mais que la difpofition en ed défeducufe, &c qu'il n'a point de ju- gement. Car un Poète ^ dit ce Cardinal, dijit être bon en joi^ ^ non pas en Ces par* fies.

Seneque le conlîdéroit comme le plus ingénieux de tous les Poètes Latins, mais il le plaignoit en même tems(5-) de n'avoir pas faire de fes talens tout le bon ufage qu'on auroit pu fouhaiter , & d^avofr ré- duit

qu*il a lus pag. 49.

4. lu Feiioaianis, au mot Poë/îe. Quintil. 10. Itr ftit. 1.

5. Scncca lib. ?. Natural, quarftion. cap, 27-

242 Poètes Latins.

©Ti4<f duit toute la force & rélcvation de fon es- prit, & toute la beauté de fes matières à des badineries puériles.

Daniel Heinlius qui s'eft beaucoup plus appliqué à remarquer fes excellentes quali- tés qu'à examiner fes défauts , dit (i) qu'outre cette facilité furprenante qui rè- gne dans tout ce qu'il a fait, on lui trou- ve encore une grande fimplicité , beaucoup de fubtilité, une vivacité ou une prompti- tude extraordinaire, mais fur tout une dou- ceur admirable ; & que ce qu'il y a de re- marquable , c'ell de voir toutes ces quali- tés unie;» cnfemble , & accompagnées d'u- ne grande pureté de la Langue , que s'il s'eft trouvé d'autres Poètes qui ayent eu plus de majefté & de grandeur, il n'y en a pas un à qui on puilTe dire qu'il doit cé- der pour le génie Poétique. Ce qu'il y a de plus furprenant, au ju-^ement du même Auteur , c'eft de voir qu'il n'y a pcrfonne de tous ceux qu'on ne lui peut pas com- parer à caufe de la différence des caradé- vts & des manières d'écrire, qu'il n'ait é- galé ou furpafîé même en diverfes autres qualités.

De forte que, fi nous en croyons ce Critique, il eft le premier de tous les Poè- tes Latins après Virgile , parce qu'il a joint l'art d'adoucir par fa facilité tout ce

qu'il

I. Daniel Heînfîus Nicolai patcr Epiftol. ad Biyem- burgium piacâx. cditioai Ovidianx dedic. ad eumd. Slycmb.

a. f hilipp. Scicc» de roccis Latio, Jib. z, pag. 24.

Poètes Latins. 145

^'1*1 y avoit de rude dans les Anciens à ce- Ovide. lui de donner du poids, de la force, & du nerf à fon canidére. En quoi l'on peut dire aulîi, félon lui , qu'il a été prefque le der- nier des bons Poètes.

Les autres Critiques n*ont pas jugé tous qu'Ovide fût li proche de Virgile qu'Hein- fius femble avoir voulu nous le perfuader; & le P. Briet, entre les autres, d t qu'il y a une longue didance entre ces deux Poè- tes (2), quoiqu'il reconnoifle dans Ovide la plupart des bonnes qualités que nous ve- nons de remarquer.

Voilà ce qu'on peut dire du caraâére & des manières d'Ovide en général, à moins qu'on ne veuille ajouter le fentiinent d'E- rafme fur fon ftyle, & dire avec ce Criti- que qu'Ovide peut pafler pour le Ciceroa des Poètes (3).

j Ses Ouvrages font connus de tout le monde, mais ils ne fnnt pas venus tous jufqu'à nous. Ceux qu'on regrette le plus d'entre fes Ouvrages perdus, font la Tra- gédie de Medée , qui étoit fort eflîmée air lîécle de Vefpalien & deTrajan (4), les fix derniers Livres des Fafles ^ le Livre contre les michans Poètes , le Poème des iouayîgcs d^Auguflc ^ hc. (^). Il ert inutile de faire le dénombrement des autres Ouvrages que le tems a épargnés , parce qu'ils fe trou- vent

prxfîx. Acmc diftis &c.

3. Erafmus in Dial. Ciceronîano p;ig. 147.

4. Dialog. ^z caufis corrupt. Eloquent. intcrQuia» tiliini vcl Taciti Opcra.

5f' Gexaid, J9aa. Voû*. de Poëc. Latin, pag.2^, je,

L 2

244 Poètes Latins.

Ovîdtf, vent dans la plupart des éditions, dont on dit que celle de Mr. Heinlîus le jeune [im- primée chésElzeviren 3. vol. /«-ii.iôzç.] cil la plus correde: mais je me contente- rai de rapporter une partie des jugemens qu'on a faits fur les principaux de ces Ou- vrages en particulier.

§. 2.

jugemens fur les quinze Livres des Meta* morphofes.

Les Métamorphofes d'Ovide font , au jugement d'un Critique moderne (i), un des plus mémorables & des plus ingénieux Ouvrages de toute l'Antiquité, elles ont été eftimées de tous les tems, & traduites dans prefque toutes les Langues qui ont. eu cours parmi les peuples l'on a eu quelque foin de cultiver )es Lettres.

En effet il femble qu'Ovide ait voulu nous prévenir lui-même fur l'opinion que nous devons avoir de cet Ouvrage , & qu'il ait crû juger tout d'un coup du prix qu'il auroit dans la fuite des ficelés , lors- qu'il

T. Reftcau, Scntim, fur quelques Livres &c. pag, f o. Mff.

2. Ovidius in peroratione totius Operis Metamor- phof. ad fin lib. ij.

Jamijue opus exegi , qued nec Jovis iraj nec i([nes Nec peterit ferrttm , nec eHax nbolere verujfas &C.

3. %. Pourquoi n'en feroit-elle pas? Eft-ce qu'el- le marque trop de vanité? Horace lui en avoit don- né l'exemple, & les Poètes d'un certain rang peu- Tont faiic pai^itic via aoble orgucU, Sailla lui-mè-

tasp

PoEtEs Latins. 24^

qu'il nous aaffuré qu'il D*auroît point d'au- O'/idc; tre durée que celle de l'éternité (2). C'eft le fentiment qu'il en avoit en finllfant fou quinzième Livre , li cette conclulion cft de lui (3J.

Cependant les Critiques q.uî ont paru a- vec dillindion parmi ceux de leur profes- fion , ont jugé que c'efl l'Ouvrage d'un jeune homme, c'eft-à-dire, d'un efprit qui n'ctoit point encore parvenu à fa marurité. C'a été la penfée du P. Vavaffeur, lors- qu'il a dit (4) que ces Métamorphofes ne font qu'^w ejjai de jeunejfe ^ que l'Auteur n'a jamais revu. C'a été auflTi celle du P. Rapin, puifqu'il nous atïure (5-) qu'il y a dans les Métamorphofjs^f/ ;c^«^^irjqu'oii auroit de la peine à lui pardonner , fans la vivacité de fo:i efprit, & fans je ne fai quoi d'heureux qu'il a dans l'imagination. Enfin c'a été celle de Gafpar Barthius (6), de Volfius le père (7) & de divers autres Auteurs.

On pourroît croire auïïî que c'a été cel- le d'Ovide même, quelque chofe que nous ayons voulu dire plus haut de la bonne o- pinion qu'il femble en avoir euë^ lorfqu'il

étoit

me, quelques lignes plus bas, repond aux autres ob' jcftions.

4. Remarq. anon. fur les Reflcx. touch. la Foëtiq* page 6.

5. Ren. Rap, Rcftex. particul. fiir la Poct. part. Iccondc, Reflex. 15. page i|8. édition. 1684. in- 4.

6. G.ilp. Baich. ut luprà in Advcifar. lib. 58. cap. 5. &c.

7. Vofïius lib. fingul. de Imitationc Poctica cap» tf. pa^. ztf. poft Inftitut.

L 3

24^ Poètes L a t i n

^Yidc, étoit encore dans la chaleur de fa compo- ficion. Car étant dans un âge plus avancé, il jugea rOuvrage û dctedueux & û peu digne de lui, qu'il voulut lejetter au feu^ êc le perdre ians refTource pour la poftéri- té. Il exécuta même ce deflcin avant que jde partir pour fon exil. Mais il étoit trop tard, parce que les copies de cet Ouvrage s'étoient multipliées entre les mains de fes Amis. C'eft un détail qu'il nous a fait lui-même dans fes Elégies (i).

Les Métamorphofes font donc venues jufqu'à nous malgré leur Auteur , & il femble que la pofîérité n'ait point été û délicate ni difficile que lui dans le goût qu'elle y a pris. Il faut avouer néanmoins avec le P. Briet (2) & Mr. Borrichius (9), que le (lyle n'en eft pas li relevé que dans fes autres Ouvrages , mais il ne laiffe pas d'être beau & affés éxad; & fi nous voulons é- coûter Heinfius le Père (4), il y a inféré des difcours <5c des lieux communs avec u- ne âdreUe & des agrémens merveilleux.

Ou

3. Ovid. lib. T. de Triftib. Eleg. 6. hzc habct: Carmina mututas hominum dÏHntia formai y

Inftlix Domini cjuodfuga rupit opus. Htc e^o dt'fcedens, fient bon* malt a mforum ,

Jpfe meâ pofut mce/ius iu itne manu .... Sic eio non méritas mecum peritura Uteilos

Impo/ut rapidis vifctra nrfira ragis. Vel ^Hod er*m Mu/as , ut i rimina nojîra , perofus :

Vet cjuod adhuc crefcem & rude carmen erat, Slud (juoniam non funt fenitus fuhlata , fed exfiant ^

Piuribus exemplis Jcripta fuijje reor .... tlec tamen illa legi poterunt patienter ab ullo :

Nefiiat his fummam fi ejnis abejfe manum» ^blatum mediis epus e/l incudibus itlud:

Dtftiit ir firiptis Hltima lima mciu Sf^

Poètes Latins. 247

On pourra dire auiTi de Tes narrations que Oni^ ce font autant de chanfons de Sirènes, c'e/l une éloquence & une candeur perpe* tueile, qui eli toujours mêlée avec Tarti- fîce qui fait un cercle fort accompli de toutes fes Fables , perfonne d'entre tous les Poètes n'a traité les plus grands & les plus petits fujets avec plus d'ornement. En un mot ces Métamorphofes font , félon, lui , quelque chofe qui palFe notre génie & notre admiration. Voilà le fentiment d'un Critique qui auroit crû manquer au de- voir d'un bon Commentateur , s'il s'é- toit contente de louer médiocrement fon Auteur.

Le P. Rapin n'a pas jugé fi favorable- ment de fon ftyle dans la Comparaifon qu'il a faîte d'Homère & de Virgile. Il prétend (5-) qu'Ovide dans fes Métamor- phofes & dans fes HéroVdes-mémes, a été l'un des premiers Auteurs qui ont donné Je mauvais goût des Epithétes extraordi- naires & furprcnantes dans le difcours à

leiir

Et venUm fr» Uudepeto: Uuda*us ahunde y Si faffiditus non tibi y LeBor ^ era, crc. Idem etiam de eodem Opère lib. 3. Tiift. Eleg*' 14. in hune modum :

lllnd opus potuH , fi non prifts ipfe perijfetn »

Certius k fummâ njnien habere manu. Nunc incarreSfu/rt Fopuli pervenit in ora ,

In Populi (fuidijniim tamen ore mei e(i, 1. Phil. Briet. de Poët. Latin, lib. t. ut faprî. |. Olaiis Borrichius Dan. Diflcrt. de Poët. LatittJ pag. SI.

4. D. Heinfîus Epift. dedicatoi. Operum Ovlduaa ad Blyemb.

s. Rcn. Rapin, Comparaifon d'Homcrc Se Vis- gilc chap. 10. pag. 39. cdit. in 4.

L 4

248 Poètes Latins. OfWc kur fiécle, l'on aimoit encore la (im- plicite, il dit néanmoins qu'il a du moins ménager ces fauxbrillans avec quel- que difcernemenc. Mais ce difcernement n'a point empêché le même Auteur de di- re dans un autre Ouvrage qu'Ovide s'éga- re quelquefois dans fes Métamorphofes faute de jugement (1) , quoiqu'il recon- noilfe encore ailleurs qu'il y a du génie ^ de l'art , & du delTein dans cet Ouvra- ge (2^).

. Ce Père eftime qu'Ovide fe fit beaucoup .de violence pour réunir fes Métamorpho- fes (3), & pour les renfermer dans un "même delfein. C'eft en quoi , dit- il , il ne rcuffit pas tout-à-fait û bkn, qu'il fit de- puis dans fes Elégies, l'on trouve pres- <iue toujours un certain tour qui en lie le ,defleîn,& qui en fait un Ouvrage afles jus- te dans le rapport de fes parties.

On ne peut pas nier qu'il n'y ait quel- .que différence entre ce fentiment du P. ;Rapin & celui de Mr. Borrichius , qui a prétendu (4) qu'il fe trouve dans les Mé- tamorphofes une fuite & tin enchaînement merveilleux des Fables de l'Antiquité.. Voflius même témoigne (5*) qu'il admiroit cette fuite continuelle fans interruption, & cette liaifon admirable de tant de chofes différentes, tiffuës avec tant d'artifice de- puis

T. R, Rapin, Reflexion 2. fur laPoct. prem. part. pag. j. édition in 12.

2. Reflex. If. du même Auteur pag. 13 S. edic ia- 4. de la ieconde parr.

h Refl. ij^. delà piem. pait.paç,42.43,edit. in-it.

4* 01-

Poètes L a t i k s. 249

puis le commencement du Monde , félon Ovidc^ l'opinion des Gentils , jufqu'à fon tem$» Guillaume Ganter avoît dit auparavant la m(?me chofe de lui-même (6) , ailiirant qu'il avoir été fi charmé du bel ordre qm tient toutes ce& P'aWes enchaînées les unes avec les autres , qu'il n*avo{t pu s'^empê- thcr de réduire tout cet Ouvrage en abré- gé fuivant la méthode de fon Auteur , & pour tâcher de mieux comprendre l'efpr'rt du Poète en racourci, comme dans un ta- bleau qui pût le lui reprcfenter tout d'un coup 6c d'une feule vue.

Mais tout cela n'empêche pas que le P, Rapin n'ait eu raifon de dire qu'Ovide n*a pas entièrement réuffi dans la réunion de fès Fables , fuppofanr que fes intentions ont été de renfermer toutes ces Fables dans un même deffein , & de n'en faire , pour ainfi dire , qu'un corps qui n'auroit eu qu'une ame.

Ceux qui prétendent y trouver cette u- nion êi cet enchaînement dont nou^ ve- inons de parler, difent que l'intention da Poète n'a point été de réduire toutes fcs iFables aune féale A6lion,mais qu'il y a au- itant d'Adions que de Fables, 6c autant .d'ames que de corps différens, mais qu'el- les font jointes enfemble par un lien qui ne confond rien , & qui n'empdche pas

qu'oa

4. 01. Borrichius de Vo'èt. Latin. Dîflcrt. utfuprî,

5. Gcr. Jo. Vofn Inftitution. Poëticai. lib. 2. câp, ). pag. 19. 20.

é. GuilleltD. Cantcr. lib. t. Novax. Leclion. cap,. r^, Ucm a^. Yofl, L s

îfo Poètes Latins.

Ovide, qu'on ne diftingue toutes ces Adions dif» férentes fous cet artifice.

Voflius qui a fuivi le fcntiment de ces derniers, dit (i) qu'Ovide s'eft propofc dans ce deflein l'exemple des Poètes Cy- cliques qui étoient diftcrens des Poètes E- piques , en ce qu'ils racontoient les an^ ciennes Fables d'une manière toute lîmple & toute unie, & fans aucun Epifode (2).. Il blâme un Crit que Efpagnol , nommé Lullus de Mayorque, d'avoir trop légère- ment accufé Ovide d'indifcrétion & d'i- gnorance (3) , dans la compofition & dans l'arrangement de fes Fables. Il dit que cet homme a grand tort de prétendre qu'Ovi- de a imiter Homère & Virgile, & ré- duire toutes fes Fables à une feule Aâion^ fous prétexte que la liaifbn qu'il leur don- ne, femble ne faire qu'une hiltoire conti- nue^ & que la connexion de fes matières elt li afFedèe, fi contrainte, & li peu na- turelle, qu'on ne peut point, fans le fe- Gours d'une mémoire toute extraordinaire, retenir fes Fables dans la même fuite qu'il leur a donnée.

Cette multiplication de Fables que les Maîtres de l'Art appellent PQlymyth'te^<\\i\

eft

1. Voff. loe. cit. & 1. /up. ubi de Tr3ç. &c. a. Ccfte opinion n'eft pas luivic de toùc le monde, ^. Anton. Lullus Balear. lib. 6. de Oiatione cap» 5. ex fer b. VofT.

4. Ren. le lîoflii. Traité duPoëmc Epique, livre 3. chap. 16, pag. 116. 117.

5. f . Stace n'a comparé nulle part fa Thébaïde- avec le Poçœç wi<i'Honi«içgu4çVijgilç. Ui'aniême

Poètes Lati!?^. zft

efl vicicufc & mondrucufe dans le Pocme Ovideii' j Epique, n*a rien de déréglé dans le corps ou Taflèmblage des Métamorphofes. Et le p. le Bofîu (4) dît qu'on ne peut pas condamner & taxer fon Auteur d'ignoran- ce, pourvu que Ton ne prétvrnde pas qu'il ait voulu faire une Epopée, & qu'on ne le compare pas aux Poèmes d'Homère (5r de Virgile, comme Stace (f) a fait fon Achil- le i'de & fa Thebaïde.

5- 3- Jugements fur les Faftes d* Ovide,

Le flyle des Faftes au jugement de Sca- Irger (6) eft aifc, doux & naturel. C'cft un Ouvrage de beaucoup d'érudition ,maî$ de cette érudition que l'on puifc dans la plus belle Antiquité. Quoique fa matière ne foi: pas toujours également traitablc capable de beaucoup d'ornemens, & qu'il n'y foit pas toujours le Maître de fon Es- prit; néanmoins il s'y eft fouvent furpaflc M-même, & il a poli & orné fa matière en plufieurs endroits. Mais tout le Mon- de, dit le même Auteur, ii'eft pas d'hu- meur

Jngée inférieure du tout au tout à TEnéide. S'il s comparé fon Achilleïdc avec i*lHade, c'a été pure- ment pour faire voir que fon deffein étoiî d*^embTvt« fèr dans un Puëme Cyclique toute l'Hiftoire d'Achil- le, en quoi bien loin de vouloir fe préférer ^'i mê- me s'egiler \ Homère ,il le dédaroit plutôt «tlifi- eateur que Poëie. 6. Jul. Cxf. Scaliger Hyperciitic, Ubv «. ïo«tic

u 6

2f2 Poètes Latins.

Ctiit^ meur à fouffrir fes diverfes licences, & cot air eôè'min-é qu'il donne quelquefois à ce qu'il dit (i).

Ces Faites font du nombre des Ouvra- ges qu'il a faits dans un âge plus avancé^- & quoiqu'ils paroillent plus négliges ou plutôt moins travaillés que quelques au- tres, il femble, dit Heinlius (2), qu'ils n'en font piis moins cxaél-s & qu'ils n'en ont pas moins de douceur» H- y a, feion ce même Cr tique , un certain enchante- ment fecret dans cet Ouvrage des Faftes qui charme & qui captive l'efprit de Thom- m ; de forte que les endroits il a ca- ché fon artifice & fon éxa6litude, fervent à nous en découvrir la douceur & les a* grémens ; & ceux il fait paroître cet arti nce & cette éxadtiiude, fervent à nous garantir du dégoût & de la iaffitude que fa Jeéture pourroit nous caufer.

En un mot le P. Rapin donne aux Fas- tes d'Ovide la gloire d'être l'Ouvrage du meilleur goût, & le plus judicieux d'entre tous ceux qui font fortis de fes mains. Il dit (?)que ce Poète n'a pu arriver à la perr fedion de Prudence & de Modération,, «[ui confiik à cir« feulement ce qui eft nû-

cef-

1, ^. Scaliger a dit: §leit tjuïs.nolk ejut vel I4- .Jii^iam vel iico-.i.int roera^e. Ce qu'on tiaduircit foit

jD^iI en rendant /./î. 7 /.!/.; par air efféminé. Il fau- droir, (1 je ae me trempe, pour tiaduirejufte,diie: gwf /j on ne lei-t pus tx.uCer uu cetie ^refitfion t ou cttt€ licence À /iXifu/U il .^abandemn.

2. Hcinilus Scaioi PielCi^ora. ad edit, Qvid. in:^- jifli ad Blyeuib».

1

Poètes Latins. 25-3

ce/Taire & convenable que fur fes vieux otUc, jours, en compofant les Faftes; qu'il n'eft modéré &difcrtt qu'en cet endroit ;& qu'il clt jeune par tout ailleurs.

§. 4.

yugemens fur Us Elégies eP Ovide comprifes dans les quatre Livres des 'ïrifies , l^ dans les quatre marqués du Font,

C'eft par ces Elégies qu'Ovide a paffé dans l'efprit de plulieurs Critiques pour le premier de tous les Poètes Elégiaques, 6c e'ed fa douceur & fa facilité qui l'en a rendu le chef (4). ïl femble qu'Ovide ait voulu fe rendre ce témoignage lui même, n'ayant point été honteux de .dire qu'il te- Boit dans le genre Elégiaque le même rang que Virgile tenoLt dans le genre Epique (5"). il auroit été plus à propos qu'il fe fût fait rendre juftice par quelqu'autre per- fonne. Mais to juftfce Poétique n'avoft peut-être pas encore alors fes Officiers en titre , ou leur jurifdidion n*étoic pas re- connue de tout le monde univerfeilement.

Au refte Ovide ne fe trompoit point

dans

j^ R. Rap. Comp. dniom. & Virg. chap. ii.pag. 41. edic in 4.

4. Thom. Dempûcr ad Jo. Rofini Antiquit. Ro- Bian 8c c

$. Ovid. de fe i^ro ficfentiens harc habet ia lib,.<rf tCiredio Anaoris, y. 395. & 396.

TaniHmfe noiis Eîegi debtre f.'tentnr .

L7

2^4 Poètes L a t r k s. Ovi<ie, dans fon jugement. Car le P. Rapin as- fure (i) qu'il eft préférable à Properce & à •Tibulle dans fes Elégies , parce qu'il eft plus naturel , plus touchant & plus pas- fionnc, & qu'il a mieux exprimé par-là le caradére de l'Elégie que les autres. Le même Auteur a reconnu néanmoins dans un autre de fes Ouvrages (2) , que les in- duâions d'exemples & de comparaifons qu'il employé dans fes Triftes & dans fes autres Elégies ont des fuperfluités qui mar- quent que le jugement du Poète n^étoit pas encore arrivé à fa maturité (3).

Mais il femble qu'il ait eu befoin de la févérité d'Augufte pour parvenir à ce point de difcernement y & que fon mal- heur joint à la vieillefTe ait plus contribué qu^autre chofe à réformer 6c à perfedion- ^ner fa fécondité quipalîbit auparavant pour une abondance déréglée & pour un liber- tinage.

On peut dire même que fa difgrace lur ayant donné un peu plus d'expérience, lui a donné aulïi le moyen d'augmenter fa -douceur & fes grâces. C^ell ce que Da- lûel Heinims croit avoir remarqué particu* 3nîc lié-

1. Reflex. particul, fût la Poëtiq; fceonde pair» Reffex. 29.

2. Compar. d*H.oraeie & Virg. chap. 11. comme ci deffus.

3 f Ovide pouitant avoit alors $0. ans,dcmour tut dix -ans après.

4. Heinfius Epiftola citât, ut fiiprà.

5. Voiiichius pag. 51. Diffeitat. de Toëc. Latuif Bt iuprà.

t, Scaligeû Foëciç. lib. 6. p ag. ^55. 8.5 tf, &c.

Poètes Latins, iff

lîérement dans les Lîvres des Trijîfs & de Ovide Po'/tto^ on ne lailfe pas, dit-il (4), de trouver de la délicatefle, quoique la fim- plicité y règne plus qu'ailleurs; &de la vi- gueur même , quoiqu'il les ait écrits dans un âge les autres ont coutume de languir. Mr. Borrichius témoigne aulTi (5-) qu'O- vide e(t fort net & fort naturel dans toa* tes Tes tlcgîes , mais Jules Scaliger quF trouve à redire au titre qu'elles portent de- *Trifles 6l de Ponto^ prétend qu'elles font moins travaillées que fes autres Ouvrages & fur tout fes Epitres (6).

§. s-

Jugemens fur les Epitres d^ Ovide cji^on appelle Heroides.

Il ne faut pas s'imaginer que toutes ces £pitres en vers qui portent le nom de quel- que Héroïne foient véritablement d'Ovide, "fous prétexte qu'elles fe trouvent parmi les fiennes. Il témoigne lui-même (7) que celles de Pénélope, dePhyllis, de Gana- eé, d'Hipfipyk, d'Ariadne, de Phèdre, de

Didon y

%, Scaliger dit bien dans l*endroit du 6. livre de Poétique, renvoie Bailicc , que \^% titres ^ Tri/iuHs yU. de Porno ne iont pas juftcs, mais ccn'eft qu*au chaç. dernier du 1. j. qu'il en rend la raifon, 11 y a un liéclc ôc davantage que les livres dcsTiis-

tes ne font plus intitules que Tnjlium , mais il n'y

a guère, je penfe, plus de éo. ans que Le titre 4r

Tont« a été changé en ex Ponto.

7. Apud YoÛium Ub, HnguK de Foct. Latin, paf^'

2^ jo.

2.5^^6 Poètes Latik^.

^ridc. Didon , de Sapho étoient de lui. Jofeph; Scaliger y ajoute celles de Briféis , d'Oeno- ne, d'Hermione, de Dejanire (h) y de Mé« dée ,de Laodamie , & d'Hypermnellre. Les autres font ou d''Aulus iabinus, ou pos- térieures & fupporées.

Le Sieur Rulleau (2) prétend que ces E- pitres d'Ovide font inimitables, & qu'el- ks font de plus graiid prix que les Méta- morphofes & les Fafles- Le P. Rapiii n'en juge pas moins avantageufement. Car tantôt il dit (3} que ces Héroides d'Ovide lc)i"it ce qu'il y a de plus fleuri dans les Ou- vrages purement d'efprit , & nos Poè- tes n'arriveront jamais: tantôt il nous as- fure qu'il appelle toujours fes Epitres la- flaur de Pef^riî Romain , quoiqu'il ajoute qu'elles n'ont rien de cette maturité de ju- gement qui eii la fouveraine pertedion de Virgile (4,)^

Mr. Borrichius témo-gne aulTi que lefty^ le en elt fort pur, & Daniel Heiniius dit (f) que l'imitationdes pafTions & l'cxpres- fîon des inclinations & dts mouvemens du eœur y paroîi d'une telle manière, qu'on voit bien que c'eft-là le grand, talent d'Ovir de. , Enfin Jules Scaliger prétend (6) que ces Epitres font ce qu'il y a de plus poli" entre tous les Ouvraj^es d'Ovide:, que les peiifées y font admirables , que fa técondi^

1. <H On ne dbir non plus prononcer Dejénire q^e Waïadct & Lajusy il faut dire conftammcnt Deinmriy Naïade & L-itus

2. Bwoftcau, Sentira, fui queliqucs livics ^u^ilaius.

ka

|. ïW

Poètes Latins. 2^7

ou fa facilité y eft aiïés réglée , qu'elles OTide. ont l'air tout-à-fait Poétique; qu'elles ont même de l'éclat & de la grandeur ; & qu'elles approchent afTés delà belle limpli- clté des Anciens. Mais avec toutes ces bel- les qualités , elles ne lailfent pas de ren- fermer , dit-il, quantité de chofes puériles

& languiffantes.

$. 6.

yugemefts fur les Livres éi^ Ovide qui irai' tent de r amour ou de l^art d^ aimer.

Nous fommes redevables au malheur d'Ovide du peu de vers qui ne fentent point la corruption de fon cœur, & nous aurions encore plus d'obligation à cette mauvaîfe fortune, elle l'eût porté effica- cement à faire périr avant que d'aller en exil toutes ces miférables produdions de fon efprit, comme elle lui avoit infpiré le delir de fupprimer fes Métamorphofes en particulier. Mais Dieu a bien voulu fouf- |rîr que des hommes d'humeur & d'incli- nation femblables à celles de cet Auteur euffent plus d'indulirie pour les conferver que les perfonnes figes n'en ont eu pour fauvcr des injures du tems les pièces les plus utiles de l'Antiquité.

Aîn-

3. R. Rap. Comp. d'Hom. & Virg, comme ci dc- tant p:*g. 40. c. :i,

4 Le même au même Traite un peu après pag. 4 Y.

j. Hcinfujs rater loc. citât, ut fupra. . «. Jul. C;çC ScaJig. Hy.pcrcrit. icu iib. Poct. f af. \%ii^^ fcq<l.

2^8 Poètes Latins.

©vide, Aînfi la punition d'Ovide n'eut que îs moitié de fon effet, puifqu'elle ne remédia point aux fuites pernicieufes de fa faute, & on lit encore aujourd'hui ces vers qui cor- rompirent la fille d^Augufte (i) , & qui in- fedlerent la partie la plus floriflànte de la Cour de ce Prince.

Cependant ces vers qui fervirent de pré- texte à fon bannilTement n'ctoîent, félon quelques Critiques (2) , qu'une rhapfodie de ceux que les Poètes dédioîent à Priape (3). Et quoiqu'il foit allés difficile de nous bien prouver que ceux de cette efpéce ne font point différens de ceux qui font reliés fur le titre d^fes Amaurs & qui ont conftam- ment fait fa difgrace^ il eft toujours cer- tain que ni ces derniers ni ceux qu'il a faits fur l'Art d'aimer n'ont pu trouver d'appro» bateurs, parmi ceux même qui ont tâché d'allier la galanterie avec quelque refte (d'honneur.

Jules Scaliger qui avoue qu'il y a beau- coup d'endroits dans ces Livres qui font délicatement touchés , ajoute (4) qu'il y en a auffi beaucoup il n'y a rien que de lafcif & d^impur , fans qu'on puiiTe dire qu'il y ait quelque chofe de tolérable pour diverlitier tant d'obfcénités ; qu'il y en a beau:oup d'autres on ne trouve ni fel ni goût ni aucune autre bonne qualité qui

puilîè

I. %. Qiielle preuve en a-t on? T

z. Clavigay de faintc Honorine de Tufagc àts Lt-

tres pag. rj. chap, x.

l. ^. C'eft une léwtût. Les Priape'es confiftent

•n de coQires pièces pleines de Wlains mois. L*Ar(

d»Rl^

Poètes Latins. 2f9

puifle diminuer quelque chofe du dégoût ovidc, que prodaifent tant de fadaifes & d'infa- mies: en un mot que Tes Livres de TArt d'aimer ne font qu'un l'iiVa de fottifes & de badineries puériles.

Les autres Critiques ont été obliges de reconnoître la même chofe ; & Daniel -Heinlîus lui-même tout zèle qu'il étoit pour la réputation d'Ovide, & malgré la réfolution qu'il avoit prife de nous faire voir que ce Poète avoit excellé en toutes chofes, n'a point laiffé de déclarer que fou \efprit n'étoit point libre lorfqu'il compofa ces Ouvrages, qu'il n' avoit pu fe rendre le maître de fon abondance ni la renfer- mer dans les bornes de l'honnêteté (5). Mais il n'a pas crû que ce témoignage qu'il rcndoit à la Vérité dût l'empêcher de louer -la difpolîtion ôc la méthode des Livres de 'l'Art & du Remède de l'Amour, la gravi- des Sentences, la beauté de la Narra- -tion. Il femble même avoir voulu nous perfuader qu'Ovide avoit eu deflTein de fai- re une efpéce de compoiition de tant d'or- dures par une Morale faine, en nous faî- 'fant voir qu'il eft plein dans les autres Ou- -vrages de Maximes très-falutaîres & de -préceptes de fageffe pour régler notre vie. ii * Ovidii {Publi:) Nafoms Opéra cum VA" -rtorum Commçntariis in-fol. x.vol. Francof.

1 60 1 .

d*<imer d'Ovide eft un Ouvrage d'haleîne, il n*jr 'a d'ordures que dans le Icns, ôc point du tout dan»

les exprclTîons.

4. Scalig. ut fuprà. ; 5- Dan. HeinHus Epiûol. ad Blyerabuig. ut fupià

mon fciDcL

26o Poètes Latins. 1601. Idem ufum Deîpbini 4.

vol. in-4 Lugd. 1689.

G R A T I U S,

Contemporain à Ovide , fur la foi d'un Vers de la dernière Elégfe du quatrième Livre de Ponto ., il eli cité en ces ter- mes : Aptaque nenant'îGratihS arma dédit,

Gritius. ii5'4' l^T ^^^ avons de cet Auteur une i^ efpéce de Poème fur la chas- fe appelle le Csne^eticon que Sannazar (i) emporta de France en Italie pour le mettre au jour. Le P. Briet dit (2,) que le ftyle de ce Poème eft pur, mais qu'il n'a point d'élévation, parce qu'il^s'eft moins étudié à plaire à fon Le6leur qu'à l'indruire.

Jules Scaliger témoigne (3) que cet Au- teur a de l'élégance auffv bien que Neme- fîcn qui a traité le même fujet long.-tems après :mais il prétend que Gratins eft beavî- coup plus corred. L:^ même Critique far- fant ailleurs la comparaifon de ces deux Poctes avec Oppien qu'il met beaucoup au deflus d'eux, les compte tous deux par- mi ceux de la populace (4). Mais il préfè- re néanmoins Gratius à Nemelien, parce qu'il a beaucoup plus de pureté, qu'il a plus d'invention. D'ailleurs il le juge blâ- mable

* I Ç. Voycs le T. vol. du nouveau Menagiana pag. ij.

2. Phil. Briet lib. 2 de Poct. Latin, pag. 2f.

3. Jul Cxf. Scaliif. Hypciciitic. lib. 6. f oët. paj^

Poètes Latins. i6i

mable de s'être amufé trop long-tems & Gratius, trop fouvent à raconter des Fables.

* GraiiuSy Nemefianus^ Calpurnius ^l^ fragmenta Vefpriciï Spurïnncc ^ cum Comm„ G aj part s B art hit in- 8. Hamvïcc 1613. *

M A N I L 1 U S,

Sous Tibère , quoique quelques Auteurs le mettent fous Thcodoie l'Ancien.

ï I f 5". Ç^ Et Auteur a mis en Vers La- Manilius,

V^ tins ce qu'il avoir à nous dire touchant T Agronomie. Il n'a pourtant pas tait tout ce qu'il avoit defleia de faire ; & ce qu'il a fait n'eft pas venu mcme tout entier jufqu'à nous, il promettoit deux parties de ion Aftronomic[ue , la première pour les Etoiles fixes, & la îecon.^c pour les Planètes. Il n'a pas fait cette dernière partie, ou du moins n'en a-t-on rien vu: & des (ix Livres-mêmes qu'il avoit com- pofés fur les Etoiles, nous n'en avons que cinq dont le dernier n'eii pas même entier. Sur quoi l'on peut voir Mr. du Fay (y) , que j'ai appelle mal-à-propos * Mr. De la ^ p^nslt Paye parmi les Critiques ou Scholialles première Dauphins , faute d'avoir bcn compris ce Edicio». que vouloir d re Michel Fay us (6).

Le Gy raidi femble n'avoir pas fait beau- coup

4. Idem Ub. j. Poctic. feu Criticcap. 1S.pag.75J.

5. Mich. Fayusdc Vitaôc Scri)tis Manilii prolcg, ad édition.

6. Tome z, des }t)gcniea;s des $ivans ait. (oj, %.

iSi Poètes Latiks.

Maoilius* coup de cas de tout cet Ouvrage de Mani* lias , quoiqu'il ait jugé que la verlîfication en eft affés belle (i). Jofeph Scaliger s'eft crû obligé en qualité de fon Commenta- teur de prendre fcs intérêts contre ceux qui trouvoient diverfes chofes à redire dans cet Ouvrage, & il a crû pouvoir rejetter fur l'ignorance ou la témérité des Grammai- riens & des Maîtres de Ciaiïes les diverfes difformités dont il reconnoît queManilius étoit défiguré avant qu'il eût entrepris de le rétablir dans fa première forme (2).

Junius dans une Lettre à Smet (3) rap- portée par Mr. du Fay (4), prétend que Manilius eft préférable à plulieurs autres Ecrivains, foit pour la gravité du ftyle, foit pour la propriété des termes &des ex- preffions, foit pour la commodité du fu- jct. Il dit qu'outre les grâces qu'il a trou- vées dans ce Poème, il n'a pu s'empêcher d'admirer l'art & la nobleffe avec laquelle / il a exprimer les mœurs des hommes ;

de forte qu'il n'eft pas poflîble aux grands Orateurs, ni aux excellens Poètes de les mieux repréfenter. En un mot il prétend que Manilius a joint par tout la douceur & la breveté à la gravité, & qu'il s'eit pro- portionné à la portée & à l'ufage de tout le monde. Aulîi Scaliger jugeoit-il qu'il

dc-

t. Lil. Gregor. Gyral. Dial. de Hiftor. To'ctié* tom. I- pag 48 j. M.

2. Jof Scalig. Frzfat. ad édition, tertiam ManiU Afttonom.

3. 51. L'ufage eft pour Sméce.

4- Fr. Junius Bitui, Noo, Epift. ad Hca;. Smctluni apud Mt f ayuœ^

Poètes Latins. 263

4cvoit être fort utile à la jeunefle pour en- ManUiu«r trerdans la counoiilaiice ^e la Sphère; mais cela ne regarde pas la Pocfie dont nous traitons préfentement.

Gal'par Barthius qui avoir coutume de jugpr favorablement de tout le monde, as- fure (f) que Manilius étoit un Poète fort bloquent & de grand génie , & il dit que la feule defcripiion d'Andromède en eft une preuve fuffifante. Mr. Borrichius té- moigne que fa diction eft nette, quoique fa manière d'écrire foit dans le genre mé- diocre ; il ajoute qu'il a le jugement ex- .rJjîJl quis, qu'il a beaucoup de facilité de parler dans un fujet que perfonne n'avoit traité en vers Latins avant lui, (au moins en o- riginal) , & qu'il raifonne allés jufte fur la Philofophie (6).

I / Néanmoins Volïius fcmble avoir eu petite opinion du Ityle de Manilius , qu*il étoit tenté de croire avec quelques autres Critiques, que fans ce que cet Auteur dit d'ailleurs qui femble ne pouvoir convenir qu'au (îécle d'Augufte, il auroit plutôt vé- cu du tems de Théodofc (7). Enfin Cas- telvetro prétend (8) que Manilius ell plu- tôt un fi iiple Verlificateur qu'un véritable Poète : en quoi il a eu égard principale- ment à la matière que cet Auteur a traitée.

* Ma-

$, Gafp. Barch. Adveifailor. lib. S. cap. S. col.

374. 6. Olaiis Borrichius Diflert de Poct. Lat. pag. y;, 7 Gcraid Joan, VoflT. de Poet. liât. libr. fin^,

cap. 2. iMg. j6. '-i

g. Ludovic, de Caftelfctco Comment, in A£t,ro^

tic, Aiiftotd,

2^4 Poètes Latik s.

Manilius. * Manilii Aftronomicon cum Notis Sca* ligeri tif aliorum in -4. Argent. lôff. C5^

in-4. Lugd-Bùt. 1600. Idem in ufum

Delphini cum Notis M. Fay ^ Huetii in 4.

Partf, 1697. Idem By Edward Sher»

hurne in- fol. London. 1675".

PHEDRE,

Natif de 'ïhrace^ Affranchi d'Augufle, é- crivant fous Ticere.

Ihcdie, 1 1 f 6. "VT Ous avons de cet Auteur cinq Jl\| Livres de Fables à qui il a donné le nom d'Efope pour leur attirer plus de crédit & de réputation, comme on a vu, dit-il lui-même (i) , que quelques Ouvriers croyoient augmenter rellime & le prix de leurs Ouvrages , en les attri- buant à ceux qui avoient autrefois excellé dans le même genre; que les Sculpteurs, par exemple, ne faifoient point difficulté de mettre le nom de Praxitèle à leurs Statues, ni les Orfèvres celui de Myron à leur ar« genterîe , parce qu'on a toujours vu par ex-> périence que l'Envie épargne davantage le' mérite des Anciens que celui des perfon- nés préfentes. En etfct ce font des Fables qu'il a faites

1. Phedr. lib. 5. Fnbular. fab. x. in promythio fe« initio p. no.

2. Idem in prolo^o libri 5, pag. 109.

3. Idçm Efiiogp iibn 2. fâb, 9. pag. 45. h«c ha* Vct.:

pMniêm •iiHfi.Ti^ dur ne frirnm fntm ,

M

Poètes Latins. 265* à rimîtation d'Efope plutôt que des Fables Phcdrc^ '4 <i'Efope , parce que cet Ancîen lui en ayant feulement découvert quelques-unes , ce font fes termes (2), il en a inventé de lui- même beaucoup d'autres. Par cette re- connoillance il prctendoit avoir payé à E- fbpe tout ce qu'il lui devoit, & ne lui es- tant plus redevable que du genre d'écrire <îui étoit ancien, il lui rcftoit allés de quoi s'ériger en Auteur original , en prenant des manières toutes nouvelles. Il n'a s'empêcher même de témoigner ailleurs quelque chagrin de ce qu'Elbpe l'ayant prévenu lui eût ôîé la gloire d'être le pre- mier en ce genre d'écrire : mais on voit que par une efpéce de compenfation il preten "oit bien lui ôter celle d'avoir été le feul (3) fans craindre d'être accufé d'autre chofe que d'une louable émulation.

Phedie n'avoit pas tout-à-fait perdu le jugement en parlant de la forte de fes Fa- bles , quoiqu'il parût un peu altéré par la maladie ordinaire à la plupart des Ecri- vains de Rome au fiécle d'Âugufte, il femble qu'on faifoit profelTion de faire va- loir fes propres Ecrits, ôc de demander pu- bliquement pour eux l'immortalité aux llc- cles futurs (4).

Car il l'on veut confidérer le mérite de

ces

iJe falus ejfet fluduj y <juod fuperfuiti

Nec hjcc invidia , zcrum «,^ tmi-Litio.

4. De Horatio, de Ovidio, de aliis qurbufdam li- quer. De Phïdro vidend. Prolog, libri 3 verf. ante penultim. ad Eutychiiim , & quatuor ukinai vctrui l'iolog. libr. 5. ad Particuloncm,

Tom,lILPart,n. M

266 Poètes Latins.

îhcdie, ces Fables , on peut dire après Mr. Gal- lois (i) que TAntiquité n'a rien de plus élégant ; & quoique Mr. le Fevre de San- mur ait prdtendu faire voir quelques dé- fauts dans l'original, cela ne doit rien di- minuer de l'eflime générale elles ont toujours été parmi ceux qui les ont con- nues.

Les autres Critiques (2) y trouvent la belle Latinité du bon fiécle, ils y remar- quent une pureté admirable , le véritable caradére de la Langue des Romains , 6c un air tout-à-fait naturel. C'eft le juge- ment qu'en ont fait Camerarius , Ritters- huys, Mr. Bongars, Barthius,le P. Briet, &c.

Mr. le Fevre dont nous venons de par- ler témoigne auffi (3) que perfonne n'avoit plus approché de Terence que Phèdre, qu'il avoit parfaitement bien pris fa limpli- cité & fa douceur, & qu'il s'étoit formé un caractère auiïi aifé. Il ajoute que rien n'eft plus propre pour traiter ces fortes de difcours Moraux fous l'écorce des petites fables qu'un ftyle facile & uni comme le lien.

Mais quoique cette grande pureté de fly- le foit accompagnée de beaucoup de naï- veté

T. Gall. Journal des Savans du 2, Février de Tan

Ï«6J.

2. Conrad. Ritthcrshuf. in Epiftol. dedicat. Phx- dri. Item Joachim. Camerarius, ôc Jacob. Bou- garfîus.

Gafpar Barthius Mb. 50. Adverfarior. cap. 9. col, îj 58. Item. lib,3 5,ca^. 21, cjufdein Opcris. col, 1670.

Phi-

i I

Poètes Latins. 267

vetc & d'une grande (implicite , elle ne vhç^km^ lai/Fc point d'être foûtenuë de quantité d'exprefilons très-nobles & fort dleve'es,& qui fe fentent un peu de la hardiefîe de la Poëlie. On y trouve, dit le Sieur de Saint Aubin (4) , un modc'le parfait d'une des chofes à laquelle ceux qui commencent doivent travailler davantage félon Quinti- lien. C'eft celui d'une narration excellen- te & accomplie en toutes fes parties, par» ce que Phèdre raconte ces Fables avec tant de clarté, jointe à une grande breveté, qu'on peut dire qu'il e(l parfait en fongen* re comme Virgile & Horace le font dans le leur.

Un Auteur Anonyme , qui n'efl: peut- être pas différent de celui que je viens de citer, témoigne (y) que la beauté des nar- rations, en quoi confiftoic le grand talent de Phèdre, ne paroît pas feulement en ce qu'elles font courtes, mais aulTi en ce qu'el- les ont ordinairement quelque chofe de furprenant, & qu'elles font faites avec une grâce & une adrelfe admirable. Et ce qui diftingue particulièrement fon caraélére d'a- vec celui de Terence, c'eft, dit-il, qu'on lui trouve divers endroits, & fur tout dans le fens ou l'application de fes Fables , dans fes

Pré-

rhilipp. Briet lib. 2. de Poctis Latinis pag 32. 31.

3. Tanaquill Faber in notisai Phxdrum pag. 187.

4. De Saint Aubin , Préface fur fa Traduction Fran- çoifc de Phcdie.

fl. Ifaac le Maiftrc de Saci. j. L'Auteur de la Traduftion de trois Comédies de Tcience.

M 2

2(5S Poètes Latins.

fjicdtt^ , Préfaces, & dans Tes derniers livres, qui font fort hardis, & qui font même dans ce flyle iùblime que Ton recherche tant.

Mais ce qu'il y a encore de plus confi- dérable dans ces Fables , ce font les fen- dmens & la morale de cet Auteur , qui-, £èlon Mr. Rîgauc (i) , a renfermé avec beaucoup d'artifice fous ces Apologues les maximes les plus utiles que Ton puilTe pra- tiquer dans la vie. Il y corrige les défauts des particuliers avec beaucoup d'agrément, & il touche d'une manière fort délicate & fort adroite , certaines chofes qu'il n'ap- prouvoit pas dans la conduite des Grands & dans celle de Tibère même.

Comme il vivoit dans une Cour extré- niement rafinée,il n'éroit pas fur de pren- dre des voies communes & ordinaires pour reprendre publiquement les vices de fon lîécle. C'efl: ce qui le rend d'autant plus eftimable d'avoir fu par la force & l'adres- fe de fon génie, trouver le fecret de k fai- re impunément & fans choquer perfonne, & de fe jouer agréablement des hommes fous des noms de bêtes, de la nature des- quelles i:i femble les avoir revêtus.

On peut dire que c'eft à l'imitation des plus grands Philofophes, des anciens Sa- ges d'Egypte , & des autres Maîtres de l'Antiquité parmi les Peuples Orientaux, ^u'il a voulu repréfenter toute la conduite

des,

T. Nicol. Rigalt. Epifiol. ad Jac. Aug. Thuan, dedicat. Phidri pithœan.

2 . Le Maiilxe 4c Saci ou celui qui a tiaduit Te* rence Çcc, a

P a E T E s L A T I N S". idp

des hommes fous des figures iiigénicufesâc Phe(it«'4 divcrdlfantes , fous des emblèmes & des entretiens de bétes. Il donne même, fé- lon un Critique moderne (2) , plus de pré- ceptes & plu s de régies que Terence pour rendre les hommes fages dans toutes leurs actions , & pour leur fin're aimer la vertu & haïr le vice. C'eft pourquoi fes livres font d'autant plus excellens qu'ils font propor- tionnés tout cnfcmWe aux perfonnes les plus fages & aux enfans. Les premiers ad- mirent les inftru6tions importantes qui font cachées avec tant de grâces dans les replis- de ces Fables : les derniers s'arrétant àl'é- corce de ces fictions ingénieufes qui les- charment, y trouvent tout à la fois le plai- ûr qu'ils y cherchent, & les enfeignemens- qu'ils n'y cherchent pas (3).

Quand on fait réflexion fur tant d'ex- cellentes qualités qui rendent cet Auteur fi recommandable, on a quelque fujet d'être furpris de voir que l'Antiquité ait eu û peu de foin de nous le conferver, ou du moinj de nous en recommander la ledure. Il femble même qu'elle l'ait mis dans un ou- b'i affés volontaire , & qu'on fe foit peu fou- cié de le nommer dans les citations. Si nous en croyons Voffius (4) , le premic? des Anciens qui ait fait mention de lui,efl Avicnus qui vivoit trois cens ans après lui fous Theodofe. Mais quoique Volfiusfe

foit

3. De S^int Aubin , ou le Maiftrc de Saci, Préfaça fur la tradudion de Phèdre.

4, Gcr. Joan. Voil deloët. Lat.lib. fuig. pag. M ^

Mb

270 Poètes Latins.

JhcdiCt foit trompé , & que Martial eût parlé de lui long'tems auparavant (i) ; néanmoins il n'auroit pas été impoffible i des Plagiai- res, tels que Nicolas Perrot (2) & Gabriel Faérne de le fupprimer en le pillant com- me ils ont fait (3) , fi Mr. Pithou n'eût rendu la vie à notre Auteur.

* Phadri Fabula Aifopia cum nous Ta'

Tfaq. Fabr'i in-4. Salmur. \6^1. Idem

cum nous R'igalùï in-4. '^P^<^ ■^- Steph. 161 7. Idem cum nous Pétri Danet

în-4. Parif. 167^. Idem cum Marq.

Cudii Comm. curante P. Burmanno in- 8.

Àmft. 1698.. Idem cum notts Joh^

Fred. Nîlant in-8. Lu^d-Bat. 1709. Idem cum notis Davidis Hoogfiratani^ in ufum Principis Najfavii in-4. Amft. 1700.

CiESIUS BASSUS,

Poëte Lyrique, fous Claudius & Néron.

xij'7. /^Uintiîîen lui donnoit le premier ^^v^rang après Horace (4) , mais le peu de fragmens qui nous en font reftés, ne nous donne pas lieu d'en dire davantage. [Voyés dans le Corpus Poètarum Art. 1131.]

P E R-

ï. Martial. Epigram. xx. lib. j.

2. Ç. Il faut écrire Perot , ôc voir le j, vol. du nou- feau Menagiana , depuis la page 223. jufqu'à 7,1%. il cft parlé amplement de Nicolas Pe'iot, & du nianufcrit qu'il avoir des fables de rhédrc.

3, De Perroto V. Gafp. Barthiiim lib. jj. Adver- iu, cap. SI, col, :67o. De façino, Vid, Jac. Aug.

Tliuiin,

Poètes Latins. 271 PERSE,

Poète Satirîque, (Aul. Perf. Flacc.) mort âgé de 29. ans , en la féconde année de la iio. (Jlympiade, l'an vulgaire de Je- fus-Chrift , c'eft-à-dire de notre Epo- que, 6i.

II 58. T Es Crîtfques ont prefque tous peift;

1 ^ donné leur vois pour la répro- bation de Perfe. Jules Scaliger dit nette- ment que c'eft un Ecrivain impertinent, qui n'a point eu aflcs de jugement pour voir que c'étoit en vain qu'il prétendoit fe faire lire, s'il ne vouloit point être enten- du {s)' ÎJ ajoute que ce n'eft qu'un fan- faron qui fait parade d'une érudition fié- vreufe, & qu'il ne paroît que du capric&& du chagrin dans fon ftyle.

Jofeph Scaîiger fon fils appelloît Perle un pauvre Poète & un r/iiférable Auteur ^ qui ne s'ctoit appliqué qu'à fe rendre le plus obfcur qu'il lui étoit poiTible , & qui pour ce fujet a été nommé V aveugle par les Poètes (6). Il témoigne néanmoins que bien qu'il n'y ait rien de beau dans cet Auteur , on peut pourtant écrire de fort

bel-

Thuan. Item eumd. Barthium.

4. Quintilian. lib. to. Inftitut. Oratoriai. cap. r, Vofllus lib. I. de Hiftor. Latin, cap. 22. pag. 115,"

îc de Poët. Lat. pag. 44,

5. Jul. Caef. Scalig. Hypercritic. lib. 6, Poctic. pag. 818.

er. Jofeph. Juft. Scalig. m primis Scalig. pag. 12;^

M 4

27^ Poètes Latins.

Jeife, belles chofes fur lui (i). C'eft ce qu'on a remarqué dans la conduite de Cafaubon , dont les Commentaires valent beaucoup mieux que l'original de Perfe, comme nous l'avons vu ailleurs (2).

Mais comme notre Poè'te n'a point eu deiïèin ds fe. faire entendre, il femble que Cafaubon & les autres Critiques qui ont voulu travailler fur lui, foient allé contre lès intentions , & qu'ils ayent eu tort de le vouloir expliquer, vu que félon Mr. Go- deau (3) il ne mcritoit point la peine que ces favans hommes oiK prife pour cet effet.

On peut dire néanmoins que leur travail n'a pas été entièrement inutile, puifqu'il a fervi du moins à faire connoître le peu de mérite de leur Auteur. Le P. VavafTeur nous apprend (4) que le P. Petau l'ellimoit encore de la moitié moins qu'il n'auroitfait Il on l'eût laifTé fans explications, fans glofes, & fans commentaires , parce que fon obs-' curité nous auroit au moins fait croire qu'il auroit quelque chofe de myllerieux.

Le P. Rapin prétend qu'il ed tombé dans cette obfcurité pour avoir afFedé de la grandeur d'expreffion fans avoir de gé- nie, & pour avoir été trop hardi dans foa langage (s)' ^^ même Auteur dit ail- leurs

ï. Alter. Scalig. & ex Scalijero Franc. Varaflbr iib. de ludicra diftione pag. 240.

z- Tom. 2. part. t. des jugcm. des Sar. ou il eft parle de Cafaubon, Art. 457.

3. Ant. GodeaUjHift. de l'Eglifc à la fin du prcr mier. fieclc pag. 37t. au premier tonic de l'edùioa ilhoiiandc»

i

? O E T E Sf L A T 1 N 5v IJ^

leurs (6) que c'ell ratfedlation qu'il avoit pçîft^. de paroitrc doéle qui lui caufoit cette obs- curité , à laquelle il ajoute que ce Poète a joint la gravité & la véhémence du disr cours , mais cela n'a point été capable de lui donner plus d'agrément. Ce n'efl pa% dit cet Auteur, que Perfe n'ait quelques traits d'une délicatefTe cachée : mais ces traits font toujours enveloppés d'une érur dition profonde, qu'il faut des Com- mentaires pour les développer. Il ne dit que tridement ce qu'il y a de plus enjoué dans Horace,, qu'il tâche quelquefois d'i- miter. Son chagrin ne le quitte prefque point. C'eli toujours avec chaleur qu'il parle des moindres chofes , & îî ne quitte Jamais fon férieux lorfqu'il veut railler.

Voffius croit qu'il ne favoit pas les ré* gles de la Satire, ou du moins (7) qu'il les a négligées & renverfées, lorfqu'il a atta» que feulement quelques Perfonnes en par- ticulier, au lieu de reprendre les vices-aus- quels plusieurs font fujets ; & lorfqu'en voulant rnarquer quelques fautes ou qiiel- ques aélions de ces Particuliers, il ne fe fert fouvent que de termes généraux, qui ne nous donnent point de lumières pour connoître ni le fait ni perfonne. Celi pourquoi ce qu'il a fuit ne mérite prefque *

point

4. Franc. Vavaflbr, de ludicra diiflione > ut fiipri- pag. 241.

5. Rcn. Rapin, Refiex. gcnMalc 30. fur la loë» tiq. pag. 79. edit. in- 12,

6. 5-conde partie du iv.êmc Ouvrage, Refiex^ XXVIII. Sec ,

7. Ger. Jo. Vofl', lnftitutic:i. Foët. 1. 3.pag.4î^.

M s^

274 Poètes Latins.

?c^^«i point le nom de Satire, félon ce Critique,, parce qu'il ne cenfure perfonne nommé- ment , & qu'il aime mieux blellcr tout de bon que de piquer ou mordre en fe jouant.

Enfin Calaubon & Farnabe après lui, ont remarqué (i) que li on vouloit dé- pouiller Perfe des plumes d'autrui dont il s'eft voulu parer, il ne refleroit de ce qui lui appartient que des bagatelles , & des nutilités fort grandes î & ils prétendent que toutes fes Satires enfemble ne valent pas une feule page de celles de Juvenal.

Mais quoiqu'on ait pu dire contre les Satires de Perfe, il n'a point lailTé de ren- contrer quelques Critiques affés favorables pour juger qu'il n'étoit pas entièrement dé- pourvu de fens. C'elt ce qui paroît par le fentiment que Mr. Defpreaux femble en avoir eu , & qu'il a exprimé en ces ter- mes (2):

Perfe en fes vers obfcurs, mais ferrés &

preflans , Afifeda d'enfermer moins de mots que de

fens.

Chytrxus prétend même (3) que c'eft

un

1. Ifaac Cafaubon, Prxf. in Peif. Comm. Item Thom. f arnab. prxfat. ad Juvenalem.

<îf. Quoi que Cafaubon ait recueilli curieufement tous les endroits Perfe a imité, pour ne pas dire copié, Horace, bien loin cependant de le rabaificr au defl.'us & d'Horace & de juvénal, il prétend que «oute compen'ation faite entre les trois Satiriques, «k ce qu^ils QQt de boa ^ de OMuyaif, feifc pour*

P O E TES Li A T INS. Xff

un grand Philolophe, & que fous la févé- Perfc, rite de la Satire il cache divers enfeigne- mens tirés des livres de Platon.

* Eilh. huhin't Parapbrajîs in Aulï Per" fit Flacci Satiram in- 8°. Amfî. 1S9S' I<;/i^m Perfius cura nous Farnabït in- 12. Amft. \6^o. Pcrfii Saura cum corn^ raent. Ifaaci Cafanboni fer Mertcurn Ca" faubonurn in-8°. Lond. 1647. Juvena" lis i^ PerfiîSatira cum noîisHennim in 40. Uhrajecî. 2. vol. T685V Con Annota^ zioni dal Conte Cam'îilo Sihejhi da Rovi- go in- 40. in Padoua 1711. Cum notis Ri^altii in- 12. Parif. apud Rob, Suph, 1616. *

Toit fort bien difputer de la pre'fe'rence avec les deux autres. Ce n'cft donc pas Cafaubon que Daillet de- Yoit citer, c'eft uniquement Farnabe qui à l'exem- ple de Jule Scaliger a parlé de i'erfe avec le derniei mépris.

z. Derpreaux,de l'Art Poétique Chant i.versTfî, 3. Chytr. de Poëticar. leûione re^c inftitucnd, ap. Afl4i, Qyewlledt de Pati. Vir, Ul. pag. 3ia»-.

M 6

276 Poètes Latins^ L U C A I N,

Poète Epique hi dorique {Marcus Annceui hncanus) à Cordouë en Efpagnff^ vers Tan 37. ou 39. de notre Epo- que (i), tils d'Aniiîeus Mêla, & ne- veu de Seneque le Philofophe, mort en la dixième année de l'Empire de Neron^. en latroifiéme année de la 210. Olym- piade, qui fut celle de la première perfé cution de l'Eglife, & la tin de la 63. de notre Epoque. D'autres mettent cette

' mort deux ans après, fous le Confulat de Nerva, & Veilinus fuivant Tacite;

§. I-

l^aîû. Ii5'9' fL y 3 peu d'Ecrivains qtiî ayent 1 été plus expofés à la cenlure des- Critiques que Lucain. Les uns en ont voulu faire un grand Poète, les autres un. Hiflorien médiocre, quelques-uns un vé- hément Orateur , & d'autres un Philofo- phe , un Mathématicien & un Théolo- gien.

Mais on ne fait pas bfen encore à qui de Lucain ou de fes Critiques cette mul- titude de Cenfeurs eft plus nuilible, parce que fi d'un côté elle nous porte à croi- re qu'il y a bien des chofes à dire dans Lu- cain , & qu'il faut que fa Pharfale- foit bien

inér

T. Ces diverfîtcs viennent de ]a difficulté d'accor- 4er faint Jérôme avec les Hiftoriens Romains,

2. ThosasfdiAabu-fiaEfiitioifidLuçaiUcditiouçoi)

Poètes Latins. 277- inégale & bien défedueufe ; de l'autre on Lucaih- peut dire que la diverlité de tant de juge- mens inégaux & pleins de contradiéiion qu'on a portés fur fon Ouvrage, ne nous donne pas une grande idée de la folidité de la plupart de ces jugemcns, ni delà- capacité de quelques-uns de ces Critiques qui fe font le plus écartés du commun de* autres. Il en faut rapporter les principaux, pour donner au Lecteur le moyen de pren- dre tel parti qu'il lui plaira, & de choifir les uns en fe divertilFant des autres.

Quelques-uns de ceux d'entre les Cn'tî-- ques qui en ont voulu fiire un grand «^oe- t«, n'ont point fait difficulté de l'égalera Virgile, mais Farnabe n'a point appréhen- dé de dire que ces fortes de Critiques ne nous ont point tant fait voir la grandeur de Lucain que leur propre infolence, en. faifant un parallèle fi bizarre (2) & fi ridi- cule.

Un de ces Critiques qui n'efi point fans- doute du premier ordre, ayant entrepris de donner une nouvelle édition de laPhar- fale avec fes notes a voulu ufer du privilé-r ge que les Scholiaftes & les Commentateurs lemblent s'être donné pour élever leurs. Auteurs aufil haut qu'ils le jugent à pro- pos , fans fe foucier de faire tort aux autres» 11 a voulu nous faire croire (3) que Lu- cain eft fi fort approchant de Virgile, qu'il y a un très-grand nombre d'endroits dans

lesr

;. Joannes Sulpitius Vcrulanus iii EpifloL prxûl^

M 7

27S Poètes Latins.

Lucaîn. lefquels on ne fait lequel des deux l'em- porte far Tautre. Virgile eil riche & ma- gnifique, dit ce grave Auteur : Lucain eft fomptueux & fplendide. Virgile ei\ mûr, fublime, abondant: Lucain eil vchément, harmonieux, diiîas. Virgile imprime le refpe6t: Lucain imprime la terreur. Virgi- le eft net & compofé: Lucain eft fleuri & jufte. Virgile a plus d'avantage dans la qualité: Lucain en a plus dans la quantité. Virgile a plus de force: Lucain a plus de vénémence. Voilà le jugement de Sulpi- tîus, c'eft-à-dire, d'un des plus zélés ad- mirateurs des perfedions de Lucain.

D'autres l'ont voulu auffi comparer à Virgile, mais avec plus de diftindion, comme Bempfter, qui dit (i) que Lucain n'eft pas fort éloigné de la majefté de Vir- gile. Il s'en eft encore trouvé d'autres qui ont ufé de la même comparaifon , mais c'a été par "me efpéce d'oppoluion & pour faire voir la différence de ces deux Poètes. G'eft ainfi que le P. Rapin a dit que Lu- cain n'eft qu'un emporté au prix de Vir* gile (2).

§.2.

Dngéme de Lucain pour la Poêjîe.

Mr. Godeau dît (3) que Lucain avoît'

fans

1. Thomas Dempfter Scot, ad Joan. Rofini Anti- ^it. Roman.

2. René Rapin, Comparaifon d*Homcre ôt Vil» ^le chap. II. pag ^i.

3. Aatoiue Co4e«U} Hiiloiic £çcléiïaiti<jue}findtt

piC5

Poètes Latins. 279

fans doute beaucoup de génie, & refprit Lucaiow grai)d & élevé, comme il paroit fur tout dans fes defcriptions: mais qu'il avoit le vice ordinaire des jeunes Gens, qui eft de ne pouvoir jamais fe modérer. Il ajoute que comme quelques-uns Teftiment trop, d'autres le blâment auffi plus qu'il ne mé- rite, parce que comme il a fes vices, on ne peut pas nier qu'il n'ait aulTi fes ver- tus.

Philippe Rubens ou Rubenius témoigne auffi que Lucain avoit l'efprit ékvé & fu- blime, & qu'on ne remarque rien de fer- vile en lui (4>, quoiqu'il tût dans l'efcla- vage fous les Tyrans. Farnabe ne pouvoît fc lafTer d'admirer fa liberté, fon éloquen- ce, fa force, fon feu, fon activité, fa fubtilité noble & divine, l'élévation de fon efprit, la vigueur de fa Mufe toute mâle & toute militaire, fon air coulant qu'il prétend même être fans impétuoiité, la fublimîté , la clarté & la pureté de fon ftyle (5).

Barthius aiïure en divers endroits (6) de fes Ouvrages que c'eft un Poète d'un pro- digieux génie , d'une érudition toute ex- traordinaire, d'un caradcre tout-à-fait hé- roïque ; qui depuis que fa Pharfale parut au monde, a toujours été conlidéré com- me un Auteur de grand poids parm' les Philofophes & les autres Perfonnes d'im-

por-

pxeraier fiëcle.

4. Philip. Rubenius lib. "ElcCtot. cap. 2. & apud Mait. Hanck. de Script. Rom.

5. Farnabius in Epift. pracfator. cdit. Luc.

6. Galp. fiaxtlùus Adïcifiuioi, lib, 53, csp. (.col, H»7. i^*ix

iS© Poètes Lat'inî.

Lucaiû, portance à caufe de la gravité , de ïà force , de la vivacité , de la fubtilité, de la véhémence des penfées qui brillent par tout fon Ouvrage, & qui font confi- dérer fa. Pot lie comme un des plus grands efforts d'un efprit tout de feu.

C'eft ce qui a fait dire à Mr. de Chante» reine (i) ,que toute fa beauté confiée dans des penfées extraordinaires &furprenantesj qui ne laiifent point d'être folides : mais qu'après tout, cette beauté eft beaucoup moins d'ufage que celle qui conlîile dans un air naturel, dans une (implicite facile & délicate, qui ne bande point l'efprit & qui lie lui préfente que des images com- munes.

Jules Scaliger avoir déjà penfé & publié la même chofe que ces Cr'tiques en divers endroits de fi Poétique, il s'eft fulcité pluiieurs occafions de parler fur les bon- nes & les mauvaifes qualités de Lucain avec pins d'étendue. Tantôt il dit que cet Auteur n'elt pas un :'oéte du commun (2) ^ mais qu'il ell trop embarairé& trop confus dans fes penfées, qu'il porte toutes les chofes à l'excès, & qu'on le trouve tou- jours dans l'une des deux extrémités, fau- te

1. Niéole, Traité de l'Education du Prince pjiit. s- farag. 38. pag. 63

2. Jiil. Ca:f. Scilig. in Ciitico,reu lib. 5. îoëtices cap 15. p^g 717.

3. idem Aiftorin Hypercritico, feu Jib. 6. Pcèti- j S£s pag. 844. ,

4 Liî Greg. Gyrald. DiaJcg 4. de Hift. Toëtari». ', antiquoï. U f . GyraJdus €o pailant de Lucain n'ufe pas '

d'imei

ià\

Poètes Latins. 2S1

te d'avoir connu ce que c'cft que le jufte Lucaîa; milieu des chofes.

Tantr>t il avoue (3) que c'cft un génie vafle, tranfccndant, & plus que Poétique; mais que c'clt un efprit qui ne connoît point de Maître, qui n'a point voulu ds bornes, qui n'a pu foutfrir de bride, inca- pable de le foulager dans fes efforts, .& de revenir de fes égaremens; qui efl prefque toujours ébloui de fon brillant, & aveuglé de la fumée de fon feu; qui eft efclave au milieu de fes cmportemens, & qui n'ayant de l'enthouliafme & de la fureur Poétique que cette fougue qui l'emportoît toujours hors de lui-même , jamais il n'avoit pu rencontrer ce beau tempérament & cette admirable médiocrité Virgile s'eft ren- fermé d'une manière tout- à- fait unique.

Nous venons de voir que Scaliger a voulu nous faire pafïer Lucain pour un poète qui eft fort au deifus du commun des autres Poètes. Le Gyraldi qui vivoit de fon tems , & qui n'ctoit guéres moins Critique que lui , n'a pourtant pas fidt diffi- culté (4) de le mettre au rang des derniers, & de le compter parmi ceux de la lie (5-); 11 prétend que comme cet Auteur n'avoit

ni

d^lne expicffion fi mcprifante. Il ne te rabarflcqn'i regard de Virgile avec lequel il ne peut fouffrir qu'on le compare. Il veut qu'on ne le regarde ni comme- le fécond ni même comme le troilicme, mais qu'il y ait entre Virgile & lui une diftance aulïï grande qu'il y en auroit dans la carrière entre celui qui auroit atteint le but de la coucfc, & celui qui feroit enco- re a la barrière. Cela ne veut pas dire que génci?.» . îcment pailaut Lucaiu foit de la lie de^ f cëtes.

282 Poètes Lattns^. iucain. ni diTcrétion ni jugement, il faut beaucoup de Tuneôc de l'autre pour ne point prendre pour des perfeélions & des vertus, ce qui n'eftque vice & que défaut. Il ajoute qu'on doit dire de Lucain ce que Ciceron (i) di- foit généralement des Poètes de Gordouë de fon tems, qu'Us avoientje ne fat quoi de grojjier q^ d^ étranger', que c'ed avec raifon que l'on compare Lucain à un cheval in- dompté qui court au milieu d'un pré ou d'un champ, & qui fait d^^s fauts non-pa- reils, mais fans régie, fans mefure & fans fruit: ou à un jeune foldat qui jette fou dard avec beaucoup de courage & de vio- lence, mais fans prendre garde il le jet- te, ni à qui il en veut.

Un autre Critique qui étoit de quelques années plus âgé que le Gyraldi (2) , a pré- tendu au contraire que Lucain eft un Au- teur fort judicieux, que c'efl: un Ecrivain adroit, abondant, vigoureux & poli dans fes harangues; qu'il eft grave, lavant & net dans tout le refte; qu'il explique les caufes, les defïèins, les raifons & les ac- tions avec tant de majefté qu'on s'imagî- neroit voir toutes ces chofes plutôt qu'on ne les lit , & qu'on croit être prefent à tout ce qu'il dit.

Jofeph Scaliger difoit nettement (3) que Lucain n'avoit pas pu devenir Poète , par- ce

T. %. Dans l'Oraîfon /'r^» ^rchia. 2. Jo. Sulp. Verul. Lucaiii editor ut fuprl. y, Jofeph. Scalig. in Priniis Scalig. p. 103.104,. 4i B.. Kapin, Réflexion i. fui poétique prcm.

part*

Poètes Latins. 2S3

ce qu'il avoic le génie trop violent, trop Lucain, inonllrueux & trop terrible; qu'il avoit trop d'efprit , & que ne pouvant fc retenir faute de jugement & de lumiv5res, il n'a- voit fu ce que c'ctoit que faire un Poè- me.

Quoique la plupart de ces Critiques que je viens d'alléguer, ayent remarqué beau- coup de génie & peu de jugement dans Lu- cain, cela n'a point empêché le P. -Rapiii de dire dans la première partie de fes Ré- flexions (4) , que Lucain languit fouvent faute de génie, & qu'il a pourtant du ju- gement. Mais le même Auteur s'eft ex- pliqué ailleurs (5-) d'une manière plus net- te, & qui nous tire de peine. Il d't que Lucain eft grand & élevé à la vérité , mais qu'il eft peu judicieux , & qu'il ne penfe qu'à faire paroître fon efprit. Il approuve Scaliger qui blâme les emportemens con- tinuels de ce Poète, parce qu'en effet il eft exceffif dans fes difcours, il aiîeâre de paroître plus Philofophe que Poète. Et pour faire voir fon peu de jugement, il remarque que fes Epifodes ont je ne faî quoi de contraint & d'aîfedè, & qu'il y fait de grandes Diftertations Scholaftiques & des difputes purement fpéculatives fur îes chofes naturelles qu'il trouve en fon chemin.

Le

part. png. 3, edit in-T2.

5. Le même Auteur aumêmeTraité, féconde pait« Rcflex. 8.

Et dans la Reflexion 15. de la même paitic.

2S4 Poètes Latins, Lucâia. Le, P. Briet écrit que Lucain ayant af-

feélé de ne rien dire que d'ex-quis , & de ne rien rapporter qui ne fût éclatant & ex- traordinaire, fon prétendu Poème en efl devenu tout enflé, tout irrégulier, & fort obfcur en plufieurs endroits (i). Le mêma Fere donne avis aux Maîtres de ne point laifler Lucain entre les mains des jeunes Gens , & de ne leur en point faire la leélu- re, parce qu'il juge qu'il n'y a point de Poète qui ait fi dangereufement corrompu la Poèfie.

C'eft par le défaut de jugement qui pa- Toît dans toute la Pharfale, que Jacques Feletier jugeoît du peu de raifon qu'ont eu les Ecrivains du moyen âge de l'avoir vou- lu faire paiTer pour un grand Poète. Il eft, dit-il, trop ardent & trop enflé: il eft trop afl^edé dans fes harangues , il ne fait ce que c'eft que de garder la bienféance des Perfonnes, & il fait parler un Nauto- nier & les derniers des hommes d'un air de Céfar & de Pompée. Vous diriés^ajou* te cet Auteur (2), que quand il eft fur la defcriptîon de quelque objet, il n'en doit jamais fortir. Il n'a point la difcrétion de le modérer & de fupprimer tout ce qui

n'eft

1. Philipp. Brict. lib. 2. de Poët. Latin, p. 34- 3î.

2. Jacq, Peletier du M.ans dans Ton Ait Poët. li- vre I, chap. 5- de rimit.

3. G. Barrh. lib. 60. AdveiParior. ad S. Auguftini ' libros de Civit. Dei lib. i. cap. 11, ad Chlc. voJiim.

fl. Le foiffantiemc & dernier livre des ^dverfir.^ dfe Barthius confifte dans un eflai du v.ifteComm ca- taire qu'il avoir entrepris fur les Livres dcSaint Air- ' ^uftiu de ÏA Cité de Dicy, C'eft que page 30^6.

à.

Poètes Latins. i^j

îi'cft point néceflaire à fou fujet; ce qui Luca^J^ pourtant ei\ un des plus grands artitïces qu'un Poète doive mettre en ufage. Mais pour rendre une juftice entière à Lucain, Peletier ne lailTe point de reconnoître qu'il y a un grand nombre de beaux traits femés -dans la Pharfale.

Gafpar Barthius qui a fait voir fa pro- fufion dans les éloges qu'il donne à Lucain eji plus d'un endroit de fes Adverfaires^ avoue néanmoins dans le dernier de fes Ouvrages (3), que Tes bonnes qualités ont été balancées par de grands défauts. Il dit •qu'il en vouloit mortellement à Ccfar & à toute fa famille, & que fous prétexte de parler pour la liberté, il ne cherchoit qu'à autorifcr la palîion & l'ambition de certai- nes gens de fon tems qui vouloient domi- ner fetiîs, ou qui ne pouvant foutirir leur Prince légitime, étoient plutôt difpofés à fe foumettre à tout autre, tel qu'il pût ê- tre, pourvu que ce ne fût pas unCéfar qui pût fe vanter de venir de celui qui avoit fuVné la liberté delà République. H recon- noît aulïi que Lucain paroît n'avoir été qu'un jeune étourdi, un téméraire, & un brouillon , ,qui ne favoit pas ménager les

ca-

à l'occanon de cetliémiftîche Ccelo tegltur ^uî non ba» iet urnam , que S. Auguftin cite, tc qu'on fait être de Lucain, il s'ctcnd fur les louanges de ce Poète fans en toucher les défauts, en foite qu'il cft évi- dent que liaillct s'eft mécompte dans la citation de cet endroit des ^dverfAria de liarthius, au lieu qu'il devoir renvoyer au jj. livre du même Ouvrage, chap. 6. efFeftivemcnt l'Auteur met dans la ba- lance tout ce qu*ou açoiuUHic <k louciôide icpica- die duus Lucaiu«

1Î6 Poètes Latins.

tucain, cara61:éres de ceux qu'il répréfentoit, aus- quels il donnoît fouvent Je (îeii, c'e(l-à- dire celui de la légèreté, de la vanité, & de l'emportement.

Mais cette liberté que Barthius a prife pour le fruit d'un efprit peu judicieux, a pafle dans l'imagination de Daniel Hein- fjus pour une vertu tout-à-fait héroïque, & pour l'effet de cette générolité Romaine dont le cœur de Lucain étoit tout plein. C'eit ce qu'il a prétendu nous faire voir fort amplement dans le curieux Livre qu'il a fait des louanges de V/1^c , pour la con« folation de ceux qui ont eu honte jufqu'icî de paroître tels fous la figure humaine. Il foutient (i) que la Pharlale eft le monu- ment le plus glorieux qu'on ait jamais dreflé à la liberté de la République Romai- ne. Il a raifon de dire que Lucain avoir le fang noble Se bouillant dans les veines; mais les Poètes ne doivent point favoir beaucoup de gré à ce Critique d'avoir ma- licieufement infinué que Lucain avoit été parmi ceux de leur profeflion, ce qu'eft un Cheval hennifTant & fougueux au milieu d'une troupe d'Anes. Il eft bon néan- moins de rapporter la railbn qu'il croyoit avoir pour appuyer fa comparailbn. C'efl que comme il n'y a pas d'animal plus fou- rnis & plus propre à la fervitudc que l'A- ne; de même parmi les diverfes efpéces de

Sa-

1. Dan. Hcinfius lib. fingul. de Laude Afini edit, in- 4. pag. 8 6. 87. & feqq.

2. Du Hamel, DilTenation fur les Poëfîcs de Mr.

Poètes Latins. 287 Savans , il n'y en avoit pas autrefois de Lucaîa, plus flateurs &de plus efclaves des Grands que les Poètes. iMais Heinlius devoit lon- ger que fur ce pied-là Lucain n'étoit pas le feul Cheval de fon iîécle, puifqu'il s'ell trouvé encore fous Néron & fous Domi- tien quelques autres Poètes qui ont ufé d'une liberté auiïi grande que s'ils avoient vécu dans une République , tandis que les autres flatoient les Grands, & fe faifoient honneur de leur fervirudc en donnant de l'encens aux Princes ou à leurs Favoris.

Enfin pour ne point féparer nos para- doxes, je rapporterai ici l'opinion de Mr- du Hamel (1) , qui n'a point fait diffi- culté de dire que Lucain garde la bien- féance de fbn Héros beaucoup plus Judi- cieufement que Virgile. Mais quand ou accorderoit cela de l'Adion principale de fon Poème, on aura toujours raifon de dire, comme hit Volîîus (3), que Lu- cain n'elî nullement judicieux dans tou- tes les circon (lances qui accompagnent cette A6lion , dans fes Epifodes tirés de trop loin, & recherchés avec trop d'aîfec- tation , & dans fes digrcffions trop fré- quentes ; & qu'il défigure fon Héros & fes autres perfonna,s;es en leur donnant un Caradére de Docteurs qui ne leur lied pas, & en leur faifant faire des dis- cours & des dillertations étudiées fur des

points

de Brehceuf pag. 14.

3. Gérard. Joan. Voflius lib. i. Inftitution. Toc- ttr. cap. 4. pag. 41.

iSS Poètes L a t i n -s. Lucaifl. points d'érudition , l'on trouve des cho- ies exquifes à la vérité , mais qui n'ont ni rapport nécefFaire , ni liaifon naturelle à fon fujet, & qui font voir que ce jeuac Pacte n'avoit que de l'oftentation,

§• 3

De la Conflitutîon du 'Poème de Luc aï» ou de i^ Ordonnance de [a Fable^

Les plus expérimentés d'entre les Criti- ques femblent être toujours convenus que l'Aclion de la Pharfale en la manière que Lucain Ta traitée n'eft point la matière d'un Poème Epique, c'eft ce qui les a por- tés à mettre Lucain parmi ks Hilloriens plutôt que parmi les Poètes.

C'efl: à lui que Pétrone en vouloir, lorfqu'il a dit (i) qu'il n'étoit pas pofli- ble de ne pas fuccomber fous le fardeau, lorfqu'on prétendoit fe charger de toute la matière d-es Guerres civiles, fans avoir tous les fecours nécefTaires pour la bien traiter. Car il ne s'agit pas , dit-il , pour faire un Poème, de renfermer une fuite d' Avions dîins des Vers, parce que c'eft entreprendre fur l'Office d'un Hiilorien: mais il faut prendre des détours, il faut

ein-

1. Petron. Arbitcr in Satyrico.

2. Servius Commentai, ia Virgil. i£neïd. lib. r. verfu28r.

3. Joruand. feu Jordan, de Hiflor. Goth. cap. 5. Se apud Hanckium.

.4. Ifidor. Hifpalcnf. Origiûum lib. 8. cap. 7. 6c Hanck,

Poètes LATI^r$. 2S9

employer des machines , c'eft- à-dire le Luctiaf minillére des Dieux, il faut que i'efprit en fc laiffdiu aller dans le vade champ des Fables ait foin de conferver toujours fa liberté, de telle forte ne'anmoins qu'il falfe paroître de renihoufiafme & de cette infpiration qui excite la fureur Poétique.

Les Ecrivains des lîécles fuivans qui ont paru d'une érudition un peu diftin- guée, ont été dans le même fentiment à regard de la Pharfale, & ils n'ont pas ju- gé à propos de faire paifer Lucain pour un Poète, fous prétexte que fon Ouvrage eft hiltorique. C'ell ce qu'on peut voir dans Servius (2.) , dans Jornande Hiliorien des Gots (3), dans Saint Ilidore de Seville(4) & dans le Polycratique de Jean de Sarisbe- itî Evêque de Chartres (y). .(, Jules Scaliger n'a point laifïé defoutenir (6) que bien que l'Ouvrage de Lucain foie hiftorique , l'Auteur de cet Ouvrage ne laifTè pas d'être un vérit ible Poète. Voflius femble avoir fongé à les accommoder tous, en difant que Lucain e(t un Poète Hifto- rique, & non Mythique (7): qu'à dire le vrai, il déclame plutôt qu'il ne chante (8) , mais qu'on trouve pourtant une chofe fort *!ouable en lui, qui ell d'avoir su choîfir une Action principale , & de s'y être atta- ché

s, Joan. Saiisbeiienf. Polycratic. De nugis cuiia- lib. lib, 2. cap. 19.

? Item ap.Mart. Hanck. de Script. Rer. Roman. :. 6. Jul. Cxù Scaliger lib. 3. Foctices cap. 2. 7. Voflius Inftitution. Poëticai. lib. 3. cap. 4,

. s. Item lib. i.Iuft. Foët. cap. r.pag. <x, l'Qm.ULPart.IL N

n^ Poètes Latins.

^nfaïit; ché avec afTés de fidélité dans toute la fui- te de fon Ouvrage. Gafpar Barlaeus a vou- lu auflî concilier les partis , en faifant Lu- cain également Poète & Hiftorien; mais j'ai peur qu'il n'ait pris un galimatias pour îa pointe de fon Epigramme (i), lorfqu'il a voulu nous dire qu'on ne peut point re- fufer ces deux qualités à Lucaîn , fans fai- re connoître en même tems qu'on eft moins bon Poète & moins bon Hiftorien que lui (2).

§. 4.

Des connotjfatice! de Lucain qui font nécef* faire s ou étrangères à [on Ouvrage»

Lucain ne s'eft pas contenté de faire

l'Hifto-

V. %. Ce pourroit être une fauffe pointe , mais comme le fens en eft fort intelligible ce a' eft pasua galimatias.

2. Gafp. Bailxi £pigiamma fie habet : Cm minus Hijitricus credor^ minns eJJ't Pocta ,

Me minor tft Vates^ & minor Hi/ioritMS,

3. Quintilian. Inftitution. Oiatoiiar. lib. 10. cap. I. &c.

4. Erafmus in Dialog. Ciccronian. pag. 147.

5. Joan. Suipitius Yeiul. la Pixfac. ad Lucani e* dition.

Ç. Jean Sulpicede Ve'roli, J»*itnes Suipitius VeruU' fiHSt contemporain de Domitius Calderinus, de Ni- colas Pérot, & même de Politien,vivoit encore en 1^9$. Cela paroit par les Oeuvres de Campanus E- ▼cquc de Téramo imprimées à Rome & à Venifc, cette-année-là , parmi lefquclles au-devant de les Poëlîcs eft une Epître de Michel Fernus adreflée à Pomponius Laetus, il eft fait mention de Jean Sulpice comme d'un homme qui aroit furvecu à ^QQigc Mciulsi de ) rplitica ^moits Tua ^ l'autre

i'aii<%

Poètes Latins. 291

THiltorien dans Ton Poëme, il a vouIaLucti«i faire connoîcre aalîi qu'il étoit encore un Orateur. En etfec Quintilien voyant fa vé- hémence & la noblelle de Tes peiifées efti- moit (3) que cet Auteur me'rite plutôt d'ê- tre mis au rang des Orateurs que parmi les Poètes. C'elt ce qu'Erafme a remarqué auffi après lui, mais il juge que bien qu'il ait plus Tair d'un Orateur que d'un Poè- te, fon éloquence ne laiife pas d'être très- éloignée de celle de Ciceron (4).

Jean Sulpice qui a peu furvécu à Eras- me (f) , Gafpar Barthius & Thomas Far- nabe du tems de nos Pères nous l'ont aulïï dépeint comme un grand Orateur. Bar- thius a prétendu que Lucain n'avoit point eu fon femblable dans l'art de mêler les fieurs & les ornemens du difcours avec le

poids

l'année précédente 1494. Sabellic dans fon Dialo- gue de 'i^pardîiont L<xnn^ Lin"^nd le compte p.irmi les premiers reftaurateuis des belles Lettres à Rome dans le quinzième fiéclc. C'eft à lui qu'eft due la plus ancienne & la pius raie de toutes les éditions de Vitruve. L'exemplaire qui s'en voit à ia Biblio- thèque du CoiJége Mazaiin n'a véritablement nuJlc marque ni du lieu ni du tems de l'impieflionj mais de la man ère dont Jean Sulpice parle d'Innocent Vin. dans l'Epitre dedicatoire on juge que le livre a été vraifemblablement imprimé l'an 1490. deux ans avant la moit de ce Pape. Enfin les Commen- taires de Jean Sulpice fur Lucain ont été imprimés à Venife des l'an 1493. Toutes ces dates ne permet- tent pas de croire qu'il ait pu lurvivre à Eialme, mon le 12. Juillet de l'an 1536, Auffi n'ai- je d'a- bord obfcrvé que Jean Sulpice vivoir encore en 1495. que parce que je ne crois pas qu'on puilTe prouver qu'il ait guère vécu au-delà, d'où je conclus qu'il e(\ probablement mort 40. ans tout au moins aviut E- i^lmc, bien loia de lui avoir fiuvécu,

N 2

ICI Poètes Latins.

twain. poids de fes pçnfées. Il dit que c'eft avec toute la bonne foi imaginable (i) qu'il a gardé le Génie & le Caradére d'un Décla- mateur; que c'eft un Orateur Républicain plus femblable à Caton pour la conformi- té d'humeur & de tempérament qu'à Cice- ron, & aux autres Orateurs quivivoient dans un Etat de liberté. Il ajoute qu'étant ennemi déclaré de la Tyrannie & de toute Monarchie, il auroit mieux réufTi s'il eût donné à la vivacité de fon efprit & à la force de fon éloquence la liberté delapro- fe, au lieu de l'enchaîner dans les vers. Mais après tout, depuis qu'on eut perdu le goût de la véritable Eloquence, qui, fé- lon plufieurs de nos Maîtres, ne fe peut point rencontrer hors d'une République, & qui avoit régné dans le Sénat avant la révolution de l'Etat , perfonne n'avoit en- core fait paroîrre avec tant d'éclat ce nou- veau genre d'éloquence qui femble même avoir pris fa naiiïance dans la famille de Lucaîn. Car fon oncle Seneque le Phi- lofophe en avoit déjà donné un exemple en profe, & on pourroit foupçonner fon grand Père Seneque le Rhétoricien d'en a- voir voulu donner la forme & les régies. Comme le goût de cette forte d'éloquence qui conliftoit toute dans les pointes des

mots

T. G. Barthius llb. s?. Adverfar. cap. 6. ut fuprà

col. 24?8.

2. LcuïsThomaffin, de la Méthode d*etud. Chre'» tienncm. les Poètes, livre r. chap. 6. nombre p. pag, 71. 72.

3. fhilip. Bcioald. ia Tixleftion, feu Orationc^ Ixslc^, Luc,

i

Poètes Latins. 293

mots & dans les biillaiis continuels des Lucaia, penfées étoit bien établi fur la tin derEm» pire de Néron, Lucain que la Nature a- voit tait éloquent en ce fcns, fe trouva, même au préjudice de fon oncle félon quelques-uns, le Prince des Orateurs du teins' malgré la mefure de fes vers, fans faire autre chofe pour mériter cet hon- neur , que de fe laifTer aller à fon im- pctuolité naturelle & au génie de Ion ûtc\e.

Outre que Lucain étoit Orateur, on peut dire après le P. Thomaflin (2) qu'il étoit encore un grand Théologien en manière. Si nous en croyons Beroalde (3) & quelques autres Auteurs (4) il étoit aufli habile Géographe. Il étoit bon Philofophe fi bon Politique, félon Barthius (5"). En- fin c'étoit un grand Atlrologue au juge- ment de Nicolas Ckmangis (6), c'eft-à» dire d'un homme qui vivoit en un tems Ton n'éxigeoit pas encore grand'chofe pour croire un homme habile en Agrono- mie. Auffi Jofeph Scaliger qui en jugeoit par l'état on avoit fait avancer cette *

belle connoifTance de fon tems, prétendoit- il que Lucain étoit fort ignorant dans r Agronomie (7), & qu'il fe trouve moins de folidité que de vanicé, de fanfare, &

d'of-

4. Et apud Mart. Hanck. in librîs de Scriptorib. Rcrum Ronianar.

5. Barthius lib. yj. Adverfarior. col. 24I9. cap. 6, é. Nicol. Clcmangis feu deClamcngiis Epiftol. 5,

U apud Gafp, Barthium 1. 60. Advcii. pag. }9Ht» 7. Jofeph Scaligei lib. i. Epiftol. 3.

N 3

294 Poètes Latins. Xwaji. d'oflentation dans ce qu'il en a dit.

Mais Gafpar Barthius qui reconnoifToit d'ailleurs (i) que Lucain n'e'toit pas bon Mathématicien, prétend que Jofeph Scali- ger n'a point fait moins paroître d'injufti- ce & d'animoiîté en attaquant les Mathé- matiques de Lucain que fon Père Jules en avoit témoigné en cenfurant fa Poélie. Farnabe s'e(t trouvé dans les mêmes dis- poiU'"ons que ce Critique à l'égard de Lu- cain. Après avoir déclaré qu'il n'approu- voit pas la cenfure de Jules Scaliger, & qu'il trouvoit le jugement de Pétrone plus raifonnable & plus judicieux , il ajoute que Jofeph Scaliger ne lui paroît pas plus difcret que fon Père quand il s'emporte dans des déclamations & des invedives contre Lucain (2) , fous prétexte qu'il n*eft point cxaâ dans fes obfervations Agro- nomiques & Mathématiques. Il dit que ceux qui font clairvoyans dans fes dé- fauts devraient bien avoir auffi remarqué fes bonnes qualités ; qu'à dire le vrai, il a fait quelques fautes contre la Géographie & l'Aftronomîe; qu'il a quelquefois des duretés dans fes manières , des hyperbates & des tranfpofitions , des digrelTions & des réflexions tirées de trop loin, & qu'il a trop d'attache à fon parti. Mais il faut, dit-il , avoir quelque égard à la jeunefTe du Poète, &■ conlidérer que la plus gran- de partie de ces défauts font compenfés en quelque façon par ce- grand cœur, & cet efprit qui ne refpire que la liberté an-

cien-

î. Idem Barthius lib. Advcrf <îo. p. joz<. utfuprà. U Tl'tMnaîFaviub, PrxfUt. ad Lucani editioR.

Poètes Latims. igf

cîenne , par ce torrent d'éloquence qui LncaîM^ femble n'avoir point de bourbe, par la fa- cilité & le bonheur avec lequel il a renfer- mé dans les vers une matière qui paroilfoit n'y être point propre, par la grâce & la noblelFe de fes expreffions, par fa fubti- lité & fon élévation qui a quelque choie de divin , par fa force & fa véhémence, & par le ton mâle & militaire qu'il a doa- à fa Mufe.

Z)» Slyle de Lucaift,

Il réfulte de tout ce que nous venons de voir fur le fujet de Lucain, que fon ftyle eft grand, élevé, véhément, brillant &c fleuri ; mais qu'il eft aufîi trop affe<Slé & trop inégal. L'inégalité le rend allés fou- vent rampant & bas auprès des endroits les plus élevés; l'affcdation le rend dégoû- tant (5t le fait tomber dans quelques puéri- lités; & la véhémence jointe à la nécelïî- de fon lîécle & à cette première révolu- tion de la Latinité qui fe fit fur la fin de l'Empire de Tibère, femble avoir été un grand obftacle à la pureté & à la clarté de ce ftyle.

Outre cela on peut dire qu'il eft trop hérilîé de pointes , de fentences & de fub- tilités étudiées. Cette atfedation , dit Vof- fius (3), étoit particulière à 11 famille des Annécns qui étoit la fienne, celle des Se-

nc-

î. Gérard. Joan. Vofl. Inftitut, Pocticar. lib. u çag. lot. Sec.

296 Poètes Latins.

i^cain, neques, & de Florus rHiftorien,& même ' à l'Efpagne entière, comme il a paru dans - Martial & quelques autres Ecrivains de cette Province de l'Empire.

C'eft dans la vue de ces défauts que Pe- ^ trône ne pouvoit fouffrir leftyledeLucain. Ce n'efl qu'à lui, dit le Père Rapin dans fes Réflexions (i) & à Sencque qu'en veut ce Cenfeur fatirique par ces traits qui lui échappent contre les méchans Poètes & les faux Déclamateurs. Le même Père dans la comparaifon d'Homère & de Vir- gile (2) nous apprend que ce qui rend en- core fon flyle défeâueux, c'eft ce mauvais goût des Epîthétes recherchées & extraor- dinaires auquel il s'eft abandonné, & cet- te affedation pour les pointes dont il s*eft fait un art, quoique ce ne foit le plus fou- vent qu'un jeu de paroles oppofées entre elles, qui eft un genre d'écrire qui ne peut revenir qu'à des efprits fuperficiels & de peu de folidité.

Jules Scaliger a prétendu (3) que Lu- caîn avoit rendu fon ftyle odieux en lui donnant un air fier & menaçant qui n'ins- pire que la crainte & la terreur. D'autres

Cri-

1. Tetrone au rapport du T. Rapîndans TAveitis- femcnt des Réflexions fur la Poétique.

2. René Rapin, Compar. d'Homère êc de Virgile chap. 10. page 39. edit, in-4.

3. Jul. CxC Scalig. lib, 3. Poëtices cap. 27. Item apud M. Hanck.

4. Du Hamel Differtation fur les Ouvrages de Brcbeuf page vingt deux & vingt trois.

i. Martinus Hanckius de Reium Romanarum Sciiptoxibus , cap. 11. parte pcimi, Aiticulo tertio

Poètes Latins. 297

Critiques y ont remarqué dîverfes autres Lucain, qualités dont on peut voir la bonté ou le vice parmi les jugemens différens qu'on en a rapportés plus haut. Ainfi on peut finir & conclure avec Mr. du Hamel (4) que ceux des Critiques qui ont prétendu ne rien trouver que de louable dans Lucaîn, aufli-bien que ceux qui n'y ont voulu re- marquer rien que de blâmable, font pafTés à des extrémités qu'on ne peut point ap- prouver; & que les premiers ont fait pa- roîrre trop d'ignorance, & les derniers trop d'injuftice dans leurs jugemens.

Au refte ceux qui voudront avoir an recueil des éloges que Lucain a reçus de divers Auteurs pourront joindre ce que Mr. Hanckius en a ramaffé dans la pre- mière & dans la féconde partie de fes Ecri- vains des affaires de Rome (y), & y ajou- ter ce que V'olTms en a recueilli dans fe« Hiiloriens Latins (6).

Nous aurions pu joindre à Lucain (k femme Polla Ar^entaria (\\ji\ faifoit aulïi bien des Vers que lui ; qui avoit même pitis de bon fens & de jugement que lui^ & qui corrigea ks trois premiers Livres de

la

pa^. 78. & fequcntib. !tem parte fecundâ in addca- dis ad cap. ii. pag. 246. î< lequentibus.

<. G. J. VoiTius de Hiftoric. Lat. lib. i. cap. x%. pag. TjT. 138- ôc fcqq.

Bibliograph. Anonym. cur. Hiftoiiccy Philologie, pag. 60.

Rottcau, Sentira, fur quelques Livres qu'il a lus

{>ag. 5 2 MS. ou il dit qu'il y a dans Lucain des fail- ic$ d'efprit inimitables, 5c que s'il le foutenoit e- ««dcmcm, Phaifale feroir fa^is compaiaifoa.

^9^ PoiTEs Latins.

Z^acaio, la Pharfale après la mort de fou mari , mais il ne nous ell rien relié des autres Poclies qu'elle avoit faite d'elle-mcme, & toutes celles de fon mari font péries avec les lien- nes hors la Pharfale.

* A. Lucanus Ror/îa în-fol. Venet, 1469. Stilpitii Verulan't ^ Commenta Ommboni Vinccnimi in-fol. Venet. 1493. Cum Lamh^ Hortenfu k2> Jo. Sulpitii Verulani Commentarus in-fol. B^afil. 15*78. •— Idem ex emeniatione 'Theod. Pul^ tnannl in-il. Antuerp. 1^76. Per Hùgonem Grotium in-80. Lugd.-Bat. 162.6, « Ejufdem ^ aliorum in-8**. Lugà,'-^

Bat. 1669. *

S E N E Q U E

Le Tragique, c'eft-à-dire , un connpofé de trofs ou quatre Auteurs dont le principal eîl Seneque le Philofophe, Lu- Cîus Annxus Sericca^ natif de Gordouë, mort la première année de la 211. O- lympiade, félon Saint Jérôme, la 12. de l'Empire de Néron, la dy. de notre Epoque. Tache met cette mort devant ielle de Lucam ; mais la même année.

Stoeque. 1160 j"^ E toutes les dix Tragédies La- j V tines qu'on a recueillies & pu- bliées

1. Ger. Joan. VoflT. lib. finjul. de Poëtis Latiiûs cap. 3 pag. 40. Philipp. Briet. de Poè't. Latin. lib. 2, Dan. Heinfius de Tragœd. Gafpai Baicfaiiiu Ub. 4^. Adveifaiioi. cap. 25. col.

Jcaa

Poètes Latins. 29^

bliées en un corps fous le nom de Sene- scaeq«^ que , on convient aflés communément que les plus belles font de ce célèbre Philofophe Précepteur de Néron , & que c'eft lui qui eft le véritable Auteur de la Médée^ de l^Htppôlyte^ & des Troades. Les autres ont aulii leurs beautés & leur prix , quoi qu'on ne fachc pas bien encore à qui les attribuer. Mais perfonne ne nie que la moins raifonnable de toutes & la moins digne du nom de Seneque ne foit VOilav'ie^ à laquelle d'autres ajoutent la Thebaide qui elt l'Ouvrage d'un Déclama- teur qui ne favoit ce que c'étoit que Tra- gédie (1).

Lipfe n'étoit pourtant pas d'avis qu'on donnât celle des Troades à Seneque, la jugeant mauvaife qu'elle ne pouvoit être à fon avis que le fruit de quelque petit Poète crotté, ou de quelque Pédant igno- rant. Mais ce Critique s'eft attiré le cha- grin de Jofeph Scaliger (2) pour avoir mal parlé de cette Tragédie, que celui-ci, prétend être dhine entre les autres , & la principale des neuf qu'il foutient être abfo- lument de Seneque. (3).

Le même Scaliger jugeoit (4) que celui qui a fait ces Tragédies eii un bon Au- teur; mais qu'on ne doit pas exiger de lui cette exadtitude que demandent les régies

du

Jean Racinc.Préface fur fa Tragédie de la Thébatdc. libliog. Anon. cur. Hifl. Philol. p. 57. Fianç VavafT. Remaïques lui les B.éîlex, tou«hiiaf la Poétique pag. 114.

2. f . Jol. Scalig. Epitrc 247. 5. % Le même même 5c Epître 4T4. "^ îof, Scalig. guni, ScaligeraoiJ £.1^

jto Poètes Latins.

*«acqae, du Théâtre (i). Son Père Jules alloit en- core plus loin dans Teib'me qu'il faifoit de cet Auteur. Il dit (2.) qu'il ne le jugeoit in- férieur à aucun des Grecs pour la majellé, & qu'à fon avis il avoit furpailé Euripide même dans la politefle & dans la beauté. On ne peut point ôter, ajoute ce Criti- que, la gloire de l'invention aux Grecs: mais ce n'eit pas d'eux que Seneque a pris ce grand air, ce ton élevé, cette gravité, ce courage & ce feu qui paroît dans fes Tragédies. Néanmoins il avoue que c'eft inutilement que cet Auteur a voulu fe ren- dre plus femblable à Sophocle qu'aux au- tres.

Les deux Scaligers ont été fuivîs dans des fentimens li avantageux pour Seneque, par un grand nombre de Critiques dont quelques uns ont prétendu qu'il n'y a que la Médce qui foit de ce Philolophe , &

que

1. %. On ne doit être content ni des paroles du Pr»- m* Scaligeran^ , ni da (ens que leur donne Baillet, &tneca, Pnëta y bonus ^nHor tjl ^ tamen Tra^cediarur» ^baraifer non tfi txigenius acL lettrtjn cothumam. L€ mot charaâer joint au mot ctthurnum fait voir qu'il s'agit ici de l'élévation 6c de la gravité du ftyle , en ^uoi Seneque ne cède à qui que ce foit des anciens Tragiques. Ainû la remarque du Scaii^:^erana, telle <juc Veitunien J'a conçue , n'eft point juftc, ni 1* txaduftion non plus, puifqu'il ne s'agit point de î*éxaôitude des régies du Théâtre.

a. îul. &calig«r. Hypercritic. feu VA>. 6, Poctice* piig. tî9u

3. f . Tout cela eil fort incertain. Jofeph Scali- «cijdes dut Tragédies, qui parolflent fou6 le nom 5c Seneque, en attribue neuf, fondé apparemment ^ur kiVyle, à Seneque le Philofophe, à qui par la m$me xairoA il aiu«it auûi auxibué l'Oâarie^ £ ïc

CCXDi

Poètes Latins. 301 que toutes les autres hors TOélavie appar- Scncque, tiennent à un de fes neveux (3) qui por- toit le même nom que lui (4. Ils ne fe contentent pas de louer la beauté de fes penfées & l'importance de fes maximes, ils admirent la majeftc de fon ftyle, la for* ce de fes exprelTions , & même la pureté de fon langage (5-): enfin Mr. Godeau n'a point fait difficulté de dire que c'eft un ori- ginal excellent en fon genre (6).

Jl femble néanmoins que tous ces élo- ges ne peuvent nous perfuader autre cho- fe, iinon que Seneque penfoit noblement & parloit bien. Car on peut dire qu'il n'a- voit ni la connoiiïànce de l'Art Poétique, Ttt le difcernement néceflairc pour le bon uTage & la jufte application de fes penfées & de fes paroles.

Voffius dit que ce grand amas de Senten- ces , de pointes , & de fubcilités d'efprit

étouffe

fcms de la mort de cette Priiiceflc , pofierieux au tems de la mort du Philolophe ne s'y etoit oppofc, Scaliger en îéez. écrivant à Gruter donnoit cette j)icce à un domeftique d*OAavie, ami de Séneque, te. rejettant le lentinient de Lipfe,trouvoit que c'«- toit oftiTTium Putma. Depuis en 1607. ccriviint à Sau- maife il attrîbuoit l'Oftavie au Poète Scaeva Memor. Voflius qui, comme Lipfe, la trouve fort imperti- nente, picfumc qu'elle peut être de l'Hiûorien Flo-

lUS.

4 Bonavcnt. Vukanius , Majt. Dclrio,Petr.Scri- ▼exius , Dan. Heinfius, Ccc.

Item Olaiis Borxichius Diâextat. de Poët. Latîju f>ag. 56.

5. Thom. Dempftcr ad JoarL Rofin. Antiquit, Kom. &c.

é. Ant. Godeau, Kift. EccleûaA. £n du picmicf £c<k«

N7

302 Poètes Latins.

Sttiequc, étouffe les mouvemens qu'un Poète Tra- gique doit exciter ou ménager dans fes per- fonnages, & qu'il femble qu'il ait voulu faire des Philofophes de toutes les perfon- nes paflionnces qu'il repréfente fur fon Théâtre. Il ajoute qu'il a voulu imiter Eu- ripide; mais qu'il en a toujours été fort é- loigné (i); & que loin de parvenir à fa gloire, il n'a pu même arriver à celle des Poètes médiocres qui pratiquent au moins les régies les plus communes du Théâ- tre (2).

Le P. Rapîn dit nettement (3) que Se- neque n'entend point du tout les mœurs ; que c'eft un beau parleur qui veut fans cef-- fe dire de bt^lles chofes ; mais qu'il n'eft point naturel en ce qu'il dit, & que les perfonnes qu'il fait parler ont toujours l'air de pertbtttHges* Ce même Auteur dit ail- leurs (4) que Seneque parle toujours bien, mais qu'il ne parle jamais naturellement : que fes vers font pompeux , & fes fenti- mens élevés , parce qu'il veut éblouir; mais que l'ordonnance de fes fables n'eft pas d'un grand caradére;qu'n fe plaît trop à donner fes idées, & à les fubftituer à la place des véritables objets ; & qu'il n'eft pas toujours fort régulier dans ce qu'il re-

pré*

t. G. J. Voflîus Inftitution. Pocticar. lib. 2. pag, jé. Item lib. I. pag. si.

2. Idem Autor lib. z. ejufdcm Gpcris pag. 69.

j, Rcn. Rapin , Réflexions fur la Poétique pre- mière partie, Reflexion xxv. page J9. de la féconde édition in-i2. & page io6. in- 4.

4. Le même dans la féconde partie du même Ou- yiage» ^eâc^iou zz, &c^

Poètes Latins. ^03

préfente. Il reconnoît pourtant en un au- scnequc, tre endroit que quelque peu naturel que foit Seneque (5) il ne laiiïe pas d'employer quelques-uns de ces traits qui fervent à diftinguer la palTion.

Mais ces traits font 11 rares & fi foîbles, que iVIr. TAbbé d'Aubignac ne les a point jugés fuffifans pour nous faire croire que Seneque étoit un excellent Poète II dit en un endroit (6) qu'il n'a point l'Art du Poème Dramatique; en un autre (7), il prétend qu'on ne doit point l'imiter dans la rtruduredes A6tes, non plus que dans le refte , li on en excepte la délîcatelîe des penfées qu'on peut tâcher d'attraper. Car il n'y a, dit-il > rien de plus ridicule ni de moins agréable que de voir un homme feul faire un A6ie entier fans aucune variété ;& qu'une Ombre, une Divinité, ou un Hé- ros fafTe tout enfemble le Prologue & un Ade.

Le Père le Boffu ne paroît pas avoir traité Seneque avec plus d'indulgence que les autres Critiques. 11 prétend (8) qu'il n*entend point l'art d'exciter lespaflions» lorfqu'il a quelque récit à faire qui en doi- ve imprimer une qui foit grande; & qu'il ôte même à fes Perfonnages & à fes Audi- teurs

5. Dans le même Ouvrage,Rcflcx. xxxvi.pageij," édition in iz. 5c ii9- in 4.

6. Hedclin d'Aubignac de la Piatiq. du Thëâfre livre I. chap. t. pag. 6t.

7. Le même, livre 3. du même Traité chap. pag. 2S2.

t. René le Boflu Traité du îoëme Epi<lUC, liTiC i, diap. ^. pag. 3j^

304 Poètes Latins.

Seacque. teurs toutes les diTpofitions qu'ils peu- vent y avoir. S'ils font dans la triftellè, dans la crainte, dans Tatteiite d'une chofe horrible 5 il s'avîfe de commencer par quel- que belle & élégante defcription du lieu qui ne fert qu'à faire paroître l'abondance & l'efprit pointilleux d'un Poète fans juge- ment. Il faut, dit-il ailleurs (i), que les defcriptîons foient juftes & bien ménagées. Elles ne doivent point être pour elles-mê- mes , ce ne font point de fimples orne- mens. Mais Seneque eft bien éloigné de cette méthode. S'il a quelque récit à fai- re, û trille & il épouvenrable qu'il doive être, il le commence par des defcriptions non feulement inutiles , mais enjouées & badines.

Le même Auteur ne fait point difficulté de dire encore en d'autres endroits (2) que Seneque n'a ni difcrétion ni jugement, qu'il fait parler des perfonnes qui font dans le trouble , les dangers , & les extrémités les plus prefîantes , comme elles avoient le fens frais , comme des perfonnes qui font dans leur cabinet, qui ont l'efprit re- pofé, & qui font dans la plus grande tran- quilité d'ame que l'on puilfe avoir. Enfin il fait dire indifféremment à tout le monde des fentences étudiées , fans fe foncier

d'ob-

1. Seconde partie du même Traité, livre <. chaj. a. pag. 20Z. &CC.

2. £c chap. 4. pag. 215. Item pag. 216. 217. &c. 1. D'Aubignac, Prat. du Th. Iivre4.c. 2, pag. 372. 4. Rofteau, Scntimcns fur quelques livres qu'il a

^ P^- 5^1 MS. ou cet Auteur ptétcad ^ue les choeurs

Poètes Latiks. 30;

d'obferver les Caradlcres , & il arrive fou- ScncquCi vent que ces penfées font froides, ridicu- les, faufTes, & prefque toujours entaffées fans choix.

Voila des défauts très- confidérables pour un Poète Dramatique, & qui nous font connoître que Seneque n'avoit peut-être vu ni la Poétique d'Ariftote ni celle d'Ho- race. Cependant ces Tragédies toutes ir- réguliéres qu'elles font & toutes défcc- tueufes qu'elles paroîflent prefque dans toutes leurs parties, ne lailTenc pas de pas- fer pour d'excellentes pièces au jugement de plufieurs perfonnes (3).

Mais on peut dire au moins à la louan- ge de Seneque , fans prétendre pourtant' cxcufer fes fautes , que fes Tragédies font remplies de fèntimens merveilleux de Poli- tique & de Morale (4) & que félon la re- ( marque du Père Thomaffin (5) , on y i trouve une déteftation inconcevable du crime.

On prétend que la meilleure édition efl

celle de Gronovius, [in-8. Amfl. lôyi ]

i & qu'elle çiï beaucoup préférable à celle

I de Thyfius ou de Variorum. [in-8. à la

Haie 165-1. Cum Notis Heinfii'^

S^aligeri in-S. Lugd-Baf, i6ll.

F E-

SeB€que font incomparables, & que les ïambes dont les Tragédies de ce Poète font compofées, ont fcrvi de modèle à ceux qui l'ont fuivi en ce genre û'ecrire.

5. Louis Thomaffin , de la Méthode d'ctud. & i'cnrcigncr Chietienn. les Poetcs , livic f, chap. ij. nomt». 4. pag. X7I.

3o6 Poètes Latins.

PETRONE,

PetroMius Ârhiter^ Provençal d'auprès de Marfeille (félon Sidoine Apollinaire & les deux (i) Meffieurs Valois) vivant fous Claudius & Néron, félon l'opinion commune, ou du tems des Antonins, ou de Gai lien même , félon quelques nouveaux Critiques, mais avec peu de vrai-femblance.

fetronc. ii6i. TVT Ous avons de cet Auteur un X^ refte de Satire (2) , ou plu- tôt de plulîeurs Livres Satiriques qu'il a- Toit compofés tant en Profe qu'en Vers. C'étoit un Ouvrage fort long, & de beau- coup d'importance dans l'efprit de ceux de fon fiécle : de forte que fi nous en croyons Janu^ Douxa ou Jean de Docs, ce qui nous refte n'eft peut-être pas la di- xième partie^ de ce que nous avons perdu (3); quelques-uns même voyant que les conjectures font à li bon marché & qu'el- les ne payent pas d'impôts, ont crû pou- voir avancer que ce que nous avons n'en eft pas la centième partie. Mr. de Sau- maifea prétendu avec beaucoup d'apparence que ce qui porte fon nom,n'eil: qu'un Ex- trait des endroits les plus remarquables de cette fameufe Satire , parce qu'efteétive-

ment

I. Henri ôc Hadrien Valois, i. Satyrican non Satyricon. %. Janiis Douza in pizcidan. ad Fetron. edit. êe Hadi. Vile£

4. Gafp.

Poètes Latins. 307

ment ce que nous en voyons eft fort peu petioie. fuivi , <Sc très -impartait en toutes maniè- res.

Cet Extrait félon Gafpar Barthius (4), n'a été fait que dans les fiécles de la Bar- barie la plus grofliére, par quelque igno- rant qui a rendu un fort mauvais office à Pétrone , parce que non content de lui lailTer fes ordures, il en a fait un Auteur tout eliropié , & barbare en quelques en- droits, lui qui étoit un des plus correds, des plus polis, des plus purs ôr des plus délicats d'entre les Ecrivains qui avoient paru depuis le fiécle d' Augufte.

Mr. de Saumaife que j*ai déjà allégué, paroît avoir été dans le même fentiment (f). Il dit que ces fragmens ne font qu'ua recueil indigefte tiré des cahiers de quelque Particulier qui avoir extrait de Pétrone ce qu'il y avoir à fon goût, fans y obfer ver d'or- dre. Il rejette l'opinion de ceux qui vou- loient que les Moines enflent ainlî traité cet Auteur dans le deflein de le mutiler, 6c de lui couper tout ce que la pudeur ne peut fouftrir. En quoi il a d'autant plus de rai fon qu'il efl: probable que l'Auteur de l'Extrait a voulu faire le contraire, puis- que ce n'eft prefque qu'un Recueil d'obs- cénités & un véritable cloaque , on a peut-être ramafle toutes les ordures qui étoient répandues dans toutes les Satires de Pétrone. S'il

4. Ga(p. Barthius Adverfarior. lib. xxi. cap. 4. e©L. 1077.

5. Claud. Salmafîus Pracfat. in Luc. Ampcliura. Item ex eo G. M. Konifius in Biblioth. V. U.

pag. ézu

3o8 Poètes Latins. letionc. S'il eft vrai que cela fe foit palTéde la forte, je ne vois pas de qui ce miférable Compilateur pourra recevoir des bénédic- tions. Car 11 d*un côté ceux qui déplorent la perte des anciens Auteurs, ont quelque raifon de le condamner avec les autres fai- feurs d'Extraits & d'abrégés pour avoir été caufe que nous n'avons pas Pétrone entier; on peut dire de l'autre que c'eft avec enco- re beaucoup plus de juflice qu'il eft tombé dans la malédiclion de tous ceux qui ne fe font pas encore dépouillés entièrement des fentimens de l'honnêteté & de la pu- deur, & de ceux qui étant obligés de faire voir les Poètes aux jeunes Gens, doivent facrifier toutes chofes pour la confervation de leur innocence & de leur intégrité.

Néanmoins s'il e(l du devoir des faifeurs d'Extraits & d'Abrégés de ne prendre que l'ePprît de leur Auteur , & de n'extraire que les chofes qui fe rapportent fimple- ment à la fin qu'il s'eli propofée dans fon Ouvrage, il faudra convenir que le Com- pilateur s'eft acquité avec allés de fidélité de la commiffion qu'il s'eil donnée & qu'il eft aftTés bien entré dans les vues & les in- tentions de fon Auteur. Car il ne faut pas s'imaginer, comme l'a fort bien remarqué Mr. de Saint Evremond (i), que Pétrone ait voulu reprendre les vices de fon tems, & qu'il ait coinpofé une Satire avec le mê- me efprit qu'Horace écrivoit les iiennes. Les bonnes mœurs ne lui ont pas tant d'o- bligation. C'eft plutôt, dit cet Auteur,

un

t. s. Evremond y Tom. IL de fcsOeuvics, Jugo- ment iuc Pâtiouc.

Poètes Latins. 309

Ain Courtifan délicat qui trouve ridicule Pcttonc* qu'un Pédant falFe le Cenfeur public, & •s'attache à blâmer la corruption. En etfet, Cl Pétrone avoit voulu nous lailler une Morale ingénieufe dans la defcription des voluptés, il auroit lâché de nous en don- ner quelque dcgoiit: mais c'elllà que pa- •xolt le vice avec toutes les grâces de l'Au- :teur ; c'eillà qu'il fait voir avec plus de -foin l'agrément Sa lapoliteiFe de ronefprit. S'il avoit eu deflein de nous inliruire par une voie plus rîne & plus cachée que celle des préceptes, du moins verrions -nous .quelque exemple de la Juftice divine ou humaine fur quelqu'un des débauchés qu'il nous dépeint. Loin de cela, le feul hom- me de bien qu'il introduit, le Marchand Lycas homme de bonne foi & de piété, craignant bien les Dieux, périt miférable» ment dans la tempête au milieu de cescor» rompus qui font confervés. Encolpius, ,Giton, Tryphena, Eumoipus, tous char- gés des crimes les plus énormes fe tirent du danger: le pieux Lycas appelle inutile- ment les Dieux à Ion fecours, & à la hon- te de leur Providence , il ett le Teul in- nocent qui paye pour les coupables. Ainli l'on peut alfurer que Pétrone a fak fa Satire, non pas contre le vice dont il prend h viiîblement la protection , mais feulement contre. le Ridicule qu'il cenfure fort févérement.

Le même Auteur fans s'emharrafler de la dîverlité des opinions des Critiques fur la perfonne ou le liécle de Pétrone , Ibu- tieiu comme une chofc incomeftuble qu'il a

voulu

3IO POETES Latins. tctton% voulu décrire les débauches de Néron , & que ce Prince eft le principal objet de fon ridicule: mais il avoue qu'il eft difficile de favoir fi les perfonnes qu'il introduit font véritables ou feintes, s'il nous donne des Caradéres à fa tantailic , ou le propre Natu- rel de certaines gens. Il le trouve admirable par tout non feulement dans la pureté de ftyle , mais encore dans la délicateffe de fes fentîmens, & fur tout dans cette gran- de facilité à nous donner ingénieufement toutes fortes de Caradéres. C'eft, dit-il, % un efprit univerfel qui trouve le génie de toutes les ProfelTions , 6c fe forme com- me il lui plaît à mille Naturels ditîérens. S'il introduit un Déclamateur, il en prend bien l'air & le ftyle qu'on diroit qu'il a déclamé toute fa vie. On trouve dans le feftin de Trimalcion tout ce qui peut faire un faux délicat , un impertinent , un fot ridiculement magnifique dans un repas. Son Eumolpus nous fait voir la folie & la vanité des Poètes, dont les plus excellens Tie font pas toujours les plus honnêtes' gens , mais pour le malheur de fes Lec- teurs, il a beaucoup mieux réuffi encore dans le pernicieux talent d'exprimer natu- rellement les défordres les plus horribles de la vie la plus débauchée.

D'ailleurs le même Critique trouve que les vers de Pétrone ont une force agréable, & une beauté qui a faitdireà Douza qu'il ai-

moit

X. f. Daa. Huet, Dideic, fui les Komam par.

X, Cor-

Poètes La t i n s. 311

moît mieux le petit efTai qu'il a fait de la petronc;,* guerre de Pharfak, que trois cens volu- mes des vers de Lucaiii avec toute fa fou- gue (^ toute fon impétuoiité. Quelque fu- jet qui fe préfente , on ne peut ni penfer plus délicatement ni s'exprimer avec plus de netteté. H lui arrive alfés fouvent dans fes narrations de fe lai (fer aller au (impie naturel, & de fe cuntentér des grâces de la naïveté : quelqn fois il met la dernière main à fon Ouvrage, <k il n'y a rien de dès-honnéte , rien de dur , quand il lui plaît.

Car , comme Ta remarqué Mr. Huet (i), on ne peut refufer à Pétrone la gloi- re d'avoir été l'homme le plus poli de fon tems, c'eft-à-dire, de ce tems qui précéda le liécle des Flaviens , fous les derniers Princes de la famille des Cefars. Car non- obftant les fa vantes conjedures des deux Mefîîeurs Valois , nous ne pouvons pas encore nous défaire entièrement de l'opi- nion où l'on a été jufqu'ici , que notre Pétrone, fut -il différent de celui dont Cor- neille Tacite a parlé dans fes Annales (2), n'a point lailfé de vivre & d'écrire vers le même tems , parce qu'on ne fmroit s'ima- giner que le liécle des Antonins ou celui du bas Empire, ait pu produire une aufli grande délicatelle & une pureté de ftyle pa- reille à la iienne.

Ce font deux qualités que la plupart des

Cri-

1. Cotnel. Tacît. lib. i6. Annal, cap. 4. pag. 424, M. il l'appelle ^rbittr EU^^nii», failant fcuf, ctxc aliuUoA à iQJH 2iom«

312 Poètes Latins.

fçtioûc. Critiques ont remarquées dans TOuvrage de Pétrone, même en l'état que nous l'a- vons. Lipfe dit à Mr. Pithou que depuis qu'on sVft mêld d'écrire & de faire des vers , on n'avoit encore rien vu de plus beau , de plus fin & de plus agréable , & qu'il ell charme de tant d'enjoûmens , & de cette véritable Urbamté qui y régne. Mais il ne diflimule pas le danger qu'il y a dans la ledure d'un Auteur li lafcif, quoiqu'il fe vante d'être du nombre de ceux fur l'efprit defquels les obfcénités ne font point d'impreflion (i).

Gafpar Bartnius en a dit prefque autant que Lipfe (2) fur la politeOe & les faletés de cet Auteur, il femble avoir ajouté mê- me quelque chofe d^ plus à fa louange, car il prétend que l'Ouvrage de Pétrone renferme toutes les grâces de Ciceron&de Plaute jointes enfemble, (Se qu'ayant heu- reufement allié les caractères ditî'érens de ces deux Auteurs, il s'en eli fait un qui paroît inimitable , & qui lui elt devenu propre. II

1. Juft. Lipf. inEpiftol.qusftion. lib. j.EpiftoI. 2. Idem in Comraentar. ad lib. 3. Annal. Tacu. ubi

TOCat Petronii fiA§.mcat3. purijjim^t impy.rit*tis,

2. Barth. Adverfar. lib. 50. cap. 9. col. 2357.

3. fl. Glandorp que Baillet met à leur tête ne fait pas reloge de l'Ouvrage de Pétrone par rapport à la pureté ni à l'elegancc du ftyle, mais dit leulement que c*eft un Ouvrage diverfifié &c d'érudition : Opus varium, & eruditum. Four le P. Briet, Turnébe 8c Rolîn, ou plutôt Dempfter dans fa Table des Au- teurs cites fuiRofin, ces trois-]» en condamnant les obfcénités de Pétrone, louent fort la pureté de Ton ftyle , fur quoi Mr. Huet n'eft nullement d'accord avec eux, tant dans fon Traité de l'Origine des Ro» mxzaa, que daas une Lcttic jLatine à CiaEvIus.

Poètes Latins. 313

Il feroit peut-être allés inutile de rappor- ictroLç, ter l'autorité de divers autres Critiques (3), qui ont jugé que le flyle de Pétrone ei\ fort pur , fort net & fort élégant (4) , s'il ne s'en étoit trouvé d'autres qui étant venus depuis, femblent n'y avoir pas vou-» lu reconnoître tant de bonnes qualités. Et je me contenterai de citer le P. Briet , Ro- fin & particulièrement Turnebe , dont l'autorité feule en matière de Critique , peut donner du contre -poids à celle de quelques modernes qui en ont parlé autre- ment (5-).

L'Ouvrage de Pétrone étoît, félon Mr. Huet (6) h Mr. Valois le jeune (7), une efpéce de Roman qu'il fit en forme de Sa- tire du genre de celles que Varron avoît inventées en mêlant agréablement la proie avec les vers, & le ferieux avec l'enjoué, & qu'il avoir nommées Menippées , parce que Menippe le Cynique (8) avoit traite devant lui des matières graves d'un ftyle plcuûnt & mocqueur. Cette Satire ne

coii-

4, Joan. Glandorp. in Onomaftic. Roman, pag," «75.

Item Joh. Pctr. Lotich. Jun. Biblioth. Poct. paxt< 4. pag. I.

Joan. Koun. Aniiq. Rom.

Voir, de Poët. Lar. pag. 41.

Thilipp. Briet. de Poët Latin, lîb. z. pag. 3;,

y. And. Tmncb. Advcifaiior. lib. 19, cap. 6. ini* & lib. 3. cap. 20. , 6. P. Dan. Huet comme ci-deflus.

7. Hadr. Valcfîus DiiTcrtation. de Coena Trîraaf- cionis fiib Pctronii nomine nupcr vulgatà pag. 15, poft WagenfeiliiDiflcrt.

i. Ger. Jo. Vofl; ln(L Poct. 1. j. c.io. p. 4»,

Tm^IILPart.lL O

5i4 Poètes Latins.

petione, contenoit que des fidions ingénieufes, a- grcablcs , & fouvent fort iales & dès-honnê- tes , cachant fous l'écorce des paroles une raillerie fine & piquante contre la Cour de Néron. G'ell le fentiment deMr. Huet, de Mr. de Saint Evremond, & de tous ceux qui ont attribué à notre Pétrone ce que Tacite a dit de l'e'légance & de la ga- lanterie de ce Pctronius , qu'il témoigne avoir décrit toutes les débauches de Ne- fixolcti, ro^^ ^^^s l^s noms des proftïtués & des courtifanes.

Mais Mr. Valois qui convient a^^ec les autres que Pétrone n'a fait que des fixions, fe fert de ce raifonnement pour prouver qu'il y a de la différence entre l'Auteur de la Satire, & ce Pétrone de Tacite qui n'a- voit rapporté que des faits & des vérités de la perfonne & de la Cour de Néron. 11 ajoute pour donner plus de jour à cette ditîérence , que notre Pétrone a fait fou- vent l'office d'un Critique dans fa Satire; tantôt il cenfure, à^^x-W^ les Déclamations que l'on faifoit dans les Ecoles; tantôt il fe moque de ces Poètes de Ion tems qui étourd'iroient le Monde de leurs vers, & vouloient qu'on les écoutât malgré qu'on en eût , lorfqu'ils les recitoient dans les places publiques, fur les théâtres, dans les bains, & jufques dans les cabinets des Par- ticuliers. En d'autres endroits il fe plaint de ce qu'on négiigeoit ^ qu'on laiflbit pé- rir les Arts libéraux & les plus belles Scien- ces

T. aené Rapifi, ATCitiilcmcût des l^cfiex. fur la

P o E T p: s Latins. 315*

ces; il fait des deicriptions de la prife de pctioacV; Troye, de quelque navigation, <5cc. il ré- cite des contes comme celui de hMairofiC d'Ephefe , enfin il donne des régies pour faire des vers ; de forte qu'on ne peut gue- res trouver d'Ouvrages plus divcrlifiés que l'étoit celui de Pétrone, ce qu'on ne peut point dire de celui dont parle Tacite.

Le P. Rapin dit que Pétrone parmi les ordures de fa Satire, lailTe de certains pré- ceptes de la Poétique qui font admirables (i). Il ne s'cil, dit-il , rien écrit en ce tems-là de plus judicieux , mais il n'a pas lui-même cette manière aifée & naturelle qu'il recommande tant aux autres : il don- ne les plus belles régies du Monde con- tre l'aftedation, qu'il n'obferve pas. Car il aftede,continué-t-il,jufqu'à la fimplici- du ftyle, il n'ell pas toujours na- turel.

Mr. Haet a témoigné d'être dans des fentimens ailes femblables fur ce point. Il dit que bien que Pétrone paroiiïe avoir été grand Critique & d'un goût fort exquis dans les Lettres, fon ilyle toutefois ne ré- pond pas tout à-fait à la délicateffe de Ton jugement: qu'on y remarque quelque af- feaation; qu'il ell un trop peint & trop é- tudié , & qu'il dégénère déjà de cette lîm- plicité naturelle & majellueufe de l'hea- rcux fiécle d'Augulie.

Mr Valois prétend que (2) le flyle de Pétrone fc fent du pays de fa naiflhnce,

qu'il

a. Vakf. Diflertat. de fragm. Perron» Ti3guiicn£ pî»S' IP. 5c Icquentib.

O a

3i6 Poètes Latins.

Tcttonc. qu'il a un air un peu écranger, c'eft-à-dire, qui eft plus Gaulois que Romain naturel; qu'il a plutôt le goût du fiécle des Anto- nins que du tems de Néron. Mais s'il é- toit vrai (i), comme nous l'avons vu ail- leurs , que Terentianus Maurus eût vécu avant les Antonins , on pourroit reformer le calcul & la penfée de Mr. Valois, puis- que cet Auteur a parlé de Pétrone, & qu'il l'a fait même d'une manière honorable en l'appellant un Ecrivain éloquent ou plutôt difert. Mr. Valois ne l'a point ignoré , ôc quoiqu'il reconnoilïe qu'etFedivement Pé- trone eft difert, il prétend qu'il n'eft point comparable ni à Seneque, ni à Quintilien, ni aux deux Plines, ni à Tacite, ni même à Suétone , fuppofant qu'il leur a été pos- térieur pour le tems. Il foutient même qu'il n'eft pas toujours net , qu'il n'eft pas clair , ni pur par tout , & que la bourbe empêche fbuvent ion ftyle de couler.

La crainte d'approcher Pétrone trop près de Néron , a pouffé ce Critique un peu loin vers l'autre extrémité. El- le lui a fait trouver des Gallicifmes dans le ftyle de cet Auteur, de forte que ceux qui voyent le parallèle qu'il fait de quelques cxpreflions de Pétrone , avec des façons de parler qui font particuliè- res

1. %, Hadrien de Valois suroît pu répondre: Muis i^il était vrai auffi que ce fût le Terentianus ami de Loti' gin ?

2. f . Cet endroit , & ce qui fuir , avec ce qui a ct« ci-deraat içm^s<iw fui TAnicIc ;<f5>t n'ayant pat

pi»

Poètes Latins. 317

res à notre Langue, ne favent que croi- Pcttouç, re de la penfée qu'a eue Mr. V^alois (2). Car ou bien il faudra dire que Pétrone a écrit en Latin dans le tems que fes Com- patriotes parloient François, ou bien Pétro- ne aura fu par voie d'inlpîration la manière dont ceux de fon pays dévoient parler pîu- fîeurs liécles après lui. Mais il femble enfin s'être déterminé fans y avoir pris garde , en dîfant , ^«'/7 c/i clair par ces fhrafes toutes Françoifes qu*il a rapportées que Pétrone étoh Gaulois (3). Ce qui à mon avis ne marqueroit point tant la nais- fance de Pétrone fous les Empereurs Ro- mains que fous nos Rois de la troiliéme Race.

Mais fans examiner davantage la folîdi- de cette opinion, on peut dire que Mr. Valois a eu grande raifon de prétendre qu'il y a un grand nombre d'exprciîions dans Pétrone qui ne font nullement du lic- cle de Néron & de Vefpafien , & qui fen- tcnt la décadence de la Latinité. Néan- moins on ne fera point obligé de déplacer Pétrone, fi Ton peut dire après Barthîus , que ces exprclTions ne font pas de Pétro- ne dont nous avons perdu l'Ouvrage, mais du Compilateur qui vivant durant les fié- cles de la Barbarie , a fait l'Extrait que nous avons aujourd'hui comme il l'a ju- gé à propos (4). Il

plu à M. de Valois le jeune, il fit pour s'en venger, les beaux ïambes qu'on lit au 105. ch. de i'Anti- Baillet.

3. \à. Vâlcf. pag. 17. cjufd. Diflert. poft Wagea- fcilii DilVcrt.

4. Garp. Baith. col. 1077. Adverfarior, ut fupù.

o 3

3^^ Poètes Latins. îcKone. Il s'efl trouvé pluiieiirs Critiques qui n'ont pas crû en devoir tant accorder lur l'incgalité & les endroits corrompus de fon (lyle, & Mr. Gueret compte jufqu*à dix ou douze Scholiaftes qui ont pris U défenfe de fon Latin (i).

Les meilleures éditions de Pétrone font celles de Leyde de Tan 1645'. [in-8.] avec les notes de Mr. Bourdelot, & d'Utrecht de i6s^. [in-8.J avec celles de Douzu & des autres. [L'Edition que Pierre Bur- man a donnée à Utrecht in-4. en 1709. ell la plus eftimée.]

Il nous refteroit à parler de ce fameux fragment attribué à Pctrone, touchant le fefîin de Trimai cion (1) qu'on prétend a- voir été trouvé depuis trente ans par Ma- rinus Statileus à Trau ou Troghir Ville de la Dalmatie Vénitienne appel lée TragU' r'îum par les Latins; & des différends ar* rivés fur ce fujet entre Tilebomcne & Statilée , c'ell-à^dire pour parler franche- îneiit , Mr. Mentel & Mr. Petit d'une

part,

1. Gueret de la guerre des Auteurs.

2. ^. Voyés ce qu'en dit le nouveau Menagiana pag. 263. du tom. i.

3. On auroit dire ItAlicenJîs plutôt que Italicus.

%, On veut^ue ccfoit de la Ville in Pdi\nis y nom- mée Italien y Se auparavant Corfi ni n)n,d* ou. çtoit ori- ginaire Silius. Mais pourquoi de cette Italica n'au- xoit-on pas pu auffi bien à^itlmlicinfu que de VI'aIÎ' ca d'ETpagnc? Pour moi, comme c'eft le'gulicre- ment d'Itaha que Te forn^e Irrsluus y je fuis pctfuadé que le nom de la Ville -n Pelignis étoit vraiment /f4- lidy comme l'appelle Diodorc Sicilien en ces mots fhv x6<y>))' Tsrô/.iv 'iTxxiuv cvc/uÂcaLynt oii Cafaubon change mal-à propos ']rx>.ixy en'iTAMKh.

4. ^. Il y en avoir bien 1300. à compter depuis la »ort de Silius arrivée fous l'Empire de Trajan , ius-

qu'au

Poètes Latins. 319

part, &Mr.Wagenreil avec Mr. Valoisde pctroue; l'autre : mais nous en pourrons toucher un mot au Recueil des Auteurs déguifcs. * Petro'/iii Satyricon , cum Comment.

Ant. Gonfaîi de Salas m- ô^, 1633. ^'*

dem cum Comment. P. Loti doit in 4. Fran^ cof. 1629.

SILIUS ITALICUS,

Que quelques-uns ont fait Efpagnol mal- à- propos, croyant que fon furnom pou- voit lui être venu d'italica (3) Ville d'Efpagne: vivant fous Vefpafien & fes Enfans , mort à l'âge de 75-. ans d'une faim volontaire. Il avoir été Confal l'année de la mort de Néron.

1 162. Q Ilius Italicus eft un Hiftorien qui SlIIusItali?

O a voulu faire le Poète. 11 a dé- ^^H crît en vers la féconde Guerre Punique contenant les expéditions d'Annibal eu XVII. Livres. Cet Ouvrage avoit été près de douze cens ans (4)enfeveli fans être vi-

fité

qu'au tcms de la découverte dont il s*îigit. Ce fut, non pas , comme le dit ici Baillet après Voflius , pen- dant le Concile de Bâle , rriais pendant celui de Confiance que Pogc étant aiJe à S. Gai Abbayie qui cft à vingt milles de y trouva dans une totir la manufcrit de Silius , outre ceux de Quintilien, de Valerirs Flaccus, d'Afconius Pcdianus, de >3'onius Marcel lus, de plulieurs Oraifons de Cicéronjfc d'u- ne partie de Lucrèce. Il fit d'abord part de cette bonne nouvelle à Léonard d'Arezzo qui par fa ré- poufe datée de Florence le ij. Septembre 1416. lui en témoigna vivement fa joie. Hugolin Veiin père de Michel 1. 2. de Ion Poème de iHu'franoneVil :s Fit' r#«rii< parle en ces termes du S.lius que nouva Pogc:

^Hin tîtirn ftltrs Germanis eruu a>i:ris

In Ladmii Aitilcqiti Uivi/ia Pji'mata Stb^ O 4.

310 Poètes Latins.

ïiliusltâli- ^^^ ^^^ P^^ ^^^ ^^^^ ^^ Bibliothèque, jus- ««j, ^" qu'à ce qu'enfin on le fauva de la mifcre la tigne & les vers Tavoient réduit, au tems du Concile de Balle (i).

Si l'on veut écouter Matamore (i) , Sî- lius Jtalicus eft un divin Poète qui appro- che beaucoup de la gloire de Virgile. Mais il n'en auroit peut-être pas tant dit de bien, s'il ne Tavoit point crû Efpagnol. En ef- fet les autres Critiques qui n'ont pas eu le même intérêt , n'en ont point parlé de même.

Pline le jeune qui l'avolt connu, témoi- gne (3) qu'il faifo't des vers avec plus d'é- tude & d'application que de génie & de na- turel.

A dire le vrai, il n'étoit pasnéPoëte, & il le devint pas même par habitude dans la fuite. Car ayant pafTé la plus lon- gue & la plus belle partie de fa vie dans le Èarreau & dans les Charges publiques, on peut dire que ce fut malgré les Mufes qu'il fe mit à faire des vers dans un âge fort a- vancé & déjà languiflant (4).

Il favoit que Virgile pafToit pour un bon Poète , & comme tout le Monde le lifoit il voulut le lire auffi , il tâcha même de l'imiter , mais il n'en pût attraper que la vérification (5") ; & comme il ne ûvoit

point

T. Geotg. Math. Konigins Biblioth. Vct. & Nov. 3. Aiphonf. Gaiûas Matam9ius de Acad. fie Vir. Illuft. Hirpaniar.

3. Plinius Secund. lib. 3. Epift. 7. & multi rccen- tiores ex hoc fonte.

4. Gérard. Joan. Voff. de Hiftoiicis Latin, lib. 7.

Poètes Latins. 321

point les régies de TArt Poétique , il crut siliusîtall- devoir aufTi fe propofer pour des modèles à <^^5, fuivre Polybe & Tîte-Live pour le fonds & la fuite de fes matières. Ainlî (6) on â crû dire tout en Tappellant le Singe de Vir- gile^ & le copifte de ces deux Hiftoriens.

Il pouvoit hardiment faire quelque cho* fe de médiocre en fuivant ces deux der* niers, fans cxpofer trop fort (k réputation, mais il n'a point pu faire impunément la m^me chofe à Tégard de Virgile , parce que dans la Poëfie on ne met pas grande différence entre le bas & le médiocre. C'eft ce qui Ta fait tomber dans le mépris & la rifée de plufieurs Critiques, qui ont crû pouvoir le tourner en ridicule, en ce que s'étant jugé capable de voler ^\ haut, il rampe même beaucoup au defTous de Stace , de Valerius Flaccus , & de divers autres Poètes médiocres (7).

Sa Guerre Punique loin d'être un bon Pocme , n'en eft pas même un mé.chant , à le prendre à la rigueur des régies de l'Art. On n'y trouve ni la Fable, ni l'Adion, ni la Narration, c'eft-à-dire , ni la Nature, ni la Matière , ni la Forme d'un Poë« me (S).

Il ne fait autre chofe qu'y raconter des faits véritables, quoiqu'il y mêle des Di- vinités

5. %. Les connoifïeurs n'en Croiront pas Raillet.

6. ApudGafp.Barth. ôcc. Fkilip. BiietlunidePoët* Xat. lib. X. pag. 37.

7. %. 11 n'a?oit donc pas attiapé la vcrCficatien de Virgile.

8. Gafpar Baithjius lib, viii. Advcrfaiior, cap. ù col. 365» 36^.

O y

312 Poètes Latins.

Siliusltali- vinités & des Machines qui ont un airPoc- ^^h tique & fabuleux. Et quand même ces

additions feroient véritables , dit le P. le BofTu (i), elles ne feroient pas rentrer fes récits dans la nature de l'Epopée, parce que ces Fables ne font que dans les addi- tions & dans les ornemens de rA6tion,au lieu que la Fable Epique e(l Tame du Poè- me & fon eflence, & que c'eft le plan fur lequel tout le reftc doit être bâti.

Barthius témoigne aulTi ne pouvoir ap- prouver ni le deflein, ni la matière, ni les manières de ce prétendu Poème. Jl trou- ve que fon fujet étoit trop récent, cVlVà- dire trop près du tem§ auquel il vivoit & trop éloigné de; celui de la Fable, & que ce n'étoit plus le tenis des Héros , & il prétend que c'eft un Auteur froid, languis- fant & efclave de fa Langue & de fes mots (2).

Mais quoique Silîus Italiens foît un fort méchant Poète, il ne laifie pas d'être un âffés bon Auteur au femiment de plufieurs Critiques, dont on peut voir les témoigna- ges dans les deux parties du Recueil que Mr. Hanckius (3) a fait des Ecrivains des aîfaires de Rome.

Quoiqu'il foit le dernier des Poètes , fe-

loa

1. Ktné le Boflu , Traité du Poëmc Epique , li- ?ic I. chap. 15. page 105. ic6.

1. Barth. in lib. v. Thebaïdos Starii Papinii, Sca- ^ud M, Hanckium.

3. Martinus Hajickius de Scriptoribqs RciumRtt* Sianarum duab. paie ' 4. G. Barthius Adverfar, lib. lO, cap. 24,

3icin Eiânkius, ut fupià,

F o E r E s L A r r il s. 32 j

Ion quelques Auteurs, & qu'il n'ait ni le gé- siimsltali*' nie , ni Pair , ni la melure harmonieufe ^^^* des anciens Poètes , il ne lailfe pas d'avoir quelques tours aties heureux & beaucoup d'érudition (4).

Jules Scaliger ne l'a point compté le dernier parmi tous les Foctes générale- ment, mais parmi les bons feulement (y). Il a voulu dire que Silius peut être bon Au- teur fans être bon Poète, puifqu'il a ajouté qu'il n'a point de nerfs, point de mtfure, point de cette infpiration Poétique ; qu'il n'a nulle beauté, nul agrément; qu'il s'ar- rête fouvent, qu'il a peur prefque par tout, qu'il chancelle à chaque pas, & qu'il ne manque point de tomber dès qu'il fait quel- que effort un peu hardi (6).

J'ofeph Scah'ger prétend au contraire que ce n'eli point un bon Auteur non plus qu'un bon Poète: mais qu'il le faut pour- tant lire en conHdération de fon Antiqui- té. Il ajoute (7) qu'il n'a rien de nou* veau, qu'il n'a rnpporté que ce que les au- tres avoient dit avant lui, ^ même qu'il s'en efl mal acquitté. Néanmoins VoÂîus a remarqué (S) qu'il eft fort utile en beau- coup d'endroits de l'Hiltoire Roirraine, qu'on ne trouve point aujourd'hui ailleurs- que

f. Poftremus bonorum.

6. Jul. CxC. Scaligçr, Hypcraitic. feu lib. 6. Poe*; :>ces pag. i^.

7. joteph. Scjlig. in prim. Scaîîgeran. psg. 13 Ï--

8. Vofl. pag. 155. cap. z«j. lib. i. HiÛcx. Latiiirùf- fupià

Videiid & idem multis non una Aftion* eju^ loimmi lib, 1, liiftitut. Pcëtic. pag. «i^

O 6

3M Poètes Latins^

siiimitali- que dans fon Ouvrage , comme eft ce cust> qu'il rapporte de Xantippe , de Regulus,

de Duillius, & de quelques autres chofes, qui concernent la premie're Guerre Puni- que , & qui fe font perdues dans Tite- Lîve«

LeP. Rapîii ne Ta pas jugé tout-à-faît méprifable pour la Poëfîe même que plu- fîeurs autres Critiques. Il prétend que dans fon Ouvrage il eft plus réglé que Stace , qu'il paroît du jugement & de la conduite dans fon deflein; que s'il n'avoit pas beaucoup de naturel, au moins a-t-il apporté beaucoup d'application ; mais qu'il y a peu de grandeur & de nobleiTe dans fon cipreflion (i).

Barthius a fait aufli bien que ce Père la comparaifon de Silius Itaîicus avec Stace, mais d'une manière un peu oppofée. Car témoignant de l'étonncment de voir une grande différence entre deux Auteurs qui étofent de même tems, il ajoute que Silius eft fort contraint, embaraffé par fes Spon- dées, & incapable d'éloquence (2).

Il femblc néanmoins qne Dempfter aît reconnu en lui quelque éloquence, puis- qu'il dit qu'il fait plus l'Orateur que le

Poète

T. René Rapîn, Rc'flex. fur la Poétique , féconde partie Réflex. 15.

z. Gafp. Barthius Commei^tar. in Fapin. Stat, Thcbaïd. lib. 6. & in 5.

Itçm ap. Mart. Hanckium ut fuprà.

3. Thom. Dempfter in Elench, ad J. Rof. Antîq. Rom. &c.

4. Martial. Epîgramm. 62. lib. 7. & Epîgramn» 49. lib. zi, Vaa voit qu'il iiYoic ftutlié Ciceron

do-

Poètes Latins, ^if

Poète (3). Cefl ce que Martial avoit dé- silius Italie ja dit de notre Auteur (4) , mais que la eus, qualité de Poète & d'Ami iembloit rendre un peu lufpedt.

Au refte fi on a égard au ftyle d'Italicus, on ne pourra pas nier qu'il ne foît au moins un bon Auteur par cet endroit. Car, félon Vofllus (5") ,il ne le cédoit à qui que ce fût de fon fiécle pour la pureté de fes cxprelîions , & la beauté de fon Latin. Il dit encore ailleurs qu'il a la didion fort nette (6), mais le P. Briet prétend (7) qu'elle a pourtant plus d'abondance que de netteté: & Barthius dit (8) que bien que fon Latin foit allés pur, il n'ell pas néan- moins afTés éxadl. Enfin Jean-Baptifte Pio y a trouvé quelques duretés qui viennent , dit-il , du grand nombre des taches , qui ternîrfènt fa beauté (9).

* Silius Italicus cum Comment, Cl.

Daufcfueït in-4. Parif. 1618. Idem

cum Nùtîs D. Hein fil in- 12. Lugd-Bat. 1600. Cum Fr. Modii , G. Barthii y Dan, ^ Nie. Heinfii Adverfariis ^ curante Arn, Drakcnborch, în-4. Ultrajeâi 171 7.

' VA-

devint Virgile, qu'il poffedoit une des terres qiu a- voii appartenu au premier, ôc nu'il étoit auffi Sei- gneur du lieu étoit le tombeau de Virgile.

j. Ger. VofT. de Hiltor. Latin, lib. j. pag. 15Ô, 15 7. ut fupià.

6. Idem lib. fingul. de Poët. Latin, p. 42.

7. Fhil. Briet. Joe. cit. ut fuprh.

8. Barth. AdverGirior, lib. S. col. 36$.

9. Joh. Bapt. Bapt. Pius Annotât. Pofteiioi. cap, 3 1. &C »ptd HaackiutQ pag. 90.

O 7

326 Poètes Latins. VALERIUS FLACCUS,

Sous Vefpafien & fes enfans, natif dcSez- ze ou Se^îa, dans la Campagne de Ro- me au pays des anciens Volfques , mais- faifant fa demeure dans le territoire de Padouë.

Vâierius ^^^3- /^ Et Auteur a compofé un Poc- ïlaccus. VJ me en huit Livres fur rexpédi-

tîon des Argonautes, mais loin de les a- ^ voir pu limer & polir, il n*eut pas même le

loiJir de les achever. Une mort précipi- tée dont il fut furpris,nous a fait faire cet- te perte, félon Quintilien (r).

Jules Scaliger fe fert de cette raifon pour excufer la dureté de fes expreffions& le peu d'agrément qui paroît dans fes ma- nières (2). Car il témoigne que cet Au- teur avoit d'ailleurs l'efprit fort heureux, k jugement grand &folid€, beaucoup de diHgence 6i d'application , que fes vers même ont de l'harmonie & de la cadence, & qu'on doit le mettre au-delfus des mé- diocres ouvriers; mais qu'il eft dénué de toutes les grâces & des autres beautés que demande la Poélie.

Barthius dit (3} que c'eft un Poète de plus grand prix que ne fe l'imagine le vul- gaire

T. Qilintilian. Inflitutîon. OratOHar. lib. 10. «p* 1. & ex^o Voir lib. fingulari de Poët. Latin. &X0- aig. Bibl. V.ôc N. &c.

2. Jul. Cacf. Scaiig. Hypeiciitic. feu lib. 6. Poë* tic. pag. S3.P,

Poètes Latins. 317

gairc des Critiques, & qu'il n'y a que les valcrîus Pcdans de l'Ecole & les Dcmi-Savans qui flaccus, ne le veulent pas lire dans la penfée qu'il efl dur &■ peu agréable: mais que dans le fonds c'eft un Pocte qui a Tair noble & é- Icvé. Il répète encore la même chofe ail- leurs & plus d'une fois, il prétend même (4) que les Savans ne lui ont pas rendu affés bonne juftice, lorfqu'ils n'ont point eu ailés d'égard à Ion feu Poctique, à fon érudition, à fa gravité, & à fon jugement. Il ajoute qu'il a fait une remarque alTcs finguliére, c'eft que Valerius Flaccus eft plus heureux lorfqu'il marche feul & fans guide , que lorfqu'il fuit Apollonius de Rho- de: qu'il fc fouticnt fort bien quand il par- k de lui-même, mais qu'il fe relâche ôc qu'il fe faît traîner quand il veut fuivre un autre qui' eft entré devant lui dan5 la mê- me carrière.

Le même Critique foutient en d'autres «ndroits (f) que depuis Àugulk il ne s'efl: pas trouvé un Poète qui ait eu l'avantage fur Valerius Flaccus pour les qualités quc- nous avons déjà marquées , & pour cet- te égalité de ftyle qui paroît par tout fon Ouvrage; que fon mérite paroît encore a- vec beaucoup plus d'éclat lorfqu'on l'ap- proche auprès de Lucain & de Stace, par- ce que ce Parallèle fait mieux voir com-

biciî

3. Gafpft Barthius Advcrfatior. lib. T. cap. 17, col. 38. Idem ibid. lib» 18. Advcrlaiior. cap. 15, col. 92-J' M.

4. Idem Autor,Iib. 2tÇ. Advcrf. cap, j, col. izjp, 5- Idem Sazth. lib. s^. Adveif, cap. 11. col. z(5i«

328 Poètes Latins.

Vaicrîus ^^^^ '^^ ^^ éloigné des extrémités ils fiaccus. font tombés , c'eft- à-dire de l'enflure de Tun & de la fécherefle de l'autre : mais qu'en prenant tout ce que ces trois Poètes ont eu de bon, l'on en pourroit compoferun bon Poète, qui feroit affés accompli pour ne céder la préfcance qu'à Virgile.

Cet Auteur pour ne point fe démentir dans la bonne opinion qu'il a tâché denous donner de notre Poète, a fait naître dans d'autres de fes Ouvrages diverfes occaiîons de faire fes éloges & de nous en recom- mander la ledure. Tantôt il dit que nô- tre fiécle revient peu à peu de l'éloigne- ment & de l'averfion dans laquelle on a- voit été jufqu'ici à l'égard de Valerius Flaccus , & qu'on commence à le goûter & à lui rendre l'autorité & la réputation qu'il n'a jamais perdra. Tantôt il as- furc (i) qu'il trouve dans cet Auteur qu'il appelle fes délices, toute la Majeflé Ro- maine & le caradére de l'efprit & de la Langue de fa Nation au naturel ; qu'il ai- me beaucoup mieux le lire, que ni Ovide ni Stace, parce que le premier a infe6l:é fes matières de beaucoup d'ordures & de fale- tés, & que le fécond les a comme acca- blées & obfcurcies fous ce faux air de gran- deur qu'il a affedé de leur donner , au lieu que Flaccus a toujours confervé aux fien- nes la dignité qui leur eft convenable. Enfin Barthius non content d'avoir dit

tant

1. Barth. Cortimcnt. in Stat. Papin. Thcbâïd. lib. a. pag. 377. & pag. 315. & ex co G, M. Konigius Bibiioth. V, & N. pag, 306,

Poètes Latins. 329

tant de bien notre Poète, a crû pouvoir valerîus décharger Ton chagrin contre ceux des plus Fliiccus. célèbres Critiques qu'il croit en avoir dit du mal. il trouve mauvais que Jules Sca- liger ait dit que les Grâces n'ont point eu de part à l'Ouvrage de Flaccus , &il foutient que pour n'avoir point affedé de les em- ployer, il n'a point lailTé d'admettre celles de Rome & de la Grèce qui fe font pré- fentées d'elles-mêmes & fans oftentaiion. Mais il femble qu'il ait voulu rafiner trop fort fur la penfée de Quintilien , lorfqu'il prétend (2) que c'efl par un effet de fa ma- lignité ordinaire contre les Poètes , qu'il a dit que la poftérîté avoit perdu beaucoup à la mort de Valcrius Flaccus ; comme s'il avoit voulu dire que ce qu'il a fait eft très- peu de chofe en comparaifon de ce qu'il auroit pu faire , s'il eût vécu plus long- tems , & s'il eût eu le loifir de prendre de meilleurs confeils.

Voilà quels font les fentîmens d*un Cri- tique qui avoit une le6lure prodigieufe, mais qui ne lifoit guéres de Livres fans fe laifTer faifir à la fin de quelque tendrefle & de quelque mouvement d'aifedion pour leurs Auteurs.

Les autres ont témoigné plus de liberté dans la cenfure qu'ils ont faite de ce Poè- me. Le Père Briet dit (3) que le ftyle en eft inégal , qu'il y a des endroits trop ram- pans & d'autres trop guindés , ce qpi ne

s'ac-

Z. Idem in Advctfii. col, 2654. ut fuprà lib. jtf. C. II. &c. 3. Philip. Briet. lib, 2. de P©ëc. Latin, pag. J9.

33© Poètes Latins.

Valerius s'accorde pas avec cette égalité qne Bar- Fliccus. thius lui attribuûit. Ce Père ajoute néan- moins que Flaccus eft meilleur & plus pur que Stace.

Le P. Rapin écrit dans la première par- tie de fes Réflexions (i), qu'il cft tombé dans le flyle froid & languillant , pour a- voir aîiedé de la grandeur d'exprelfion fans avoir de génie : & dans la féconde il prétend que la fable, l'ordonnance, l'éxe- cution & tout le reile de fon Poème y ell d'un fort petit caradére. En effet il pa- roît aiTés qu'il neconnoifToît pas les régies de l'Art. Car ayant pris un fuj et tout-à- fait héroïque, fabuleui, & très -propre pour le Poëme Epique, il ne lui a point donné d'Adfion principale, comme l'a re- marqué Vofllus (z) , mais on y trouve prefque autant d'aàions qu'il y raconte de faits.

* C. Vaîerii Flacci ArgoKautîca , cum no^ îiî Lamp, Alardi in -8. Lïpf. 1630. ■« Cum Comment. 'Joan. Bapi. PU in- foL

1519. ifZî. Eadem recenfita per Be-

nediéium 8. Florent, ifij. Eadem

fer Nic, Heinfium in-ii. Amji, 1680.

ju-

T. René Rapin , Reflcx. 30. fur H Poët. part. r. pag. 79. cdir. in- 12. & 2. Partie Rcflex, xv.

2. Ger. Joan. Vofl, Inftitut. Poëtic. lib. i. cap. 7. pag. 62.

3. Nicol. Toppi Biblioihec. Napolitan. pag. i6«.

voce

Poètes Latins. 331

J U V E N A L,

Poète Satirique, natif A^Aquin au Royau- me de Naples , dans la Terre de La- bour, {Deeius yun'iHS 'Juvenalïs) vivant fous Velpaften & fes Enfans, quoique le vSieur î'oppi ait écrit depuis peu qu'il avoir paru avant la venue de Jcfus- Chrift (3).

1164. IVTOus avons de Juvenal feize juvcnal,

i\l Satires qu'on a diflribuées en cinq Livres, & qui ont un caractère dÎD- férent de celui des autres Satiriques qui Ta- voient précédé. Car il a quelque chofe de plus aigre qu'Horace, de plus doux que Lucilius, & de plus ouvert que Peirfc (4). Tout le monde convient qu'il a palTé de fort loin les deux derniers : mais le pre- mier a eu de tems en tems despartifans as- fés zélés & alFés forts pour le maintenir dans fon rang de préféance contre les ef- forts de ceux qui l'ont voulu donner à Jur vénal , ou même le mettre de pair avec lui. 11 femble que Jules Scaliger fe foit misa la tête de ceux-ci. Du moins paroît-il a- voir été un des premiers de ceux qui ont prétendu en faire le Prince des Satiriques Latins (^}. Il dit que fes Vers valent

beau-

TOCe Giunit.

4. 01. Borrich. Diflcrtat. de Pocr. Larin. pag. 64. 6$.

5. Jul. Cif. Scalig. lib. 6. Pocticcs fivc Hypcrai- tic. pag. 83J.

33^ Poètes Latins.

Juvcual, beaucoup mieux que ceux d'Horace, que fes penfces font plus nobles & plus éle- vées , que fes feiitences ont plus de fel , plus de vigueur, plus de gravité; que fa phrafe e(i plus ouverte & plus dégagée, & qu'il ne lui cède en d'autre chofe que pour la pureté du flyle.

Ailleurs il fait des invedives contre ceux qui ont voulu faire palfer Juvenal pour un Déclamateur plutôt que pour un vrai Sa* tîrique (i). Il foutient qu'on lui trouve plus de ce bon goût & de cette Urhcwtté Romaine qui fait tout l'agrément de la Sa- tire, que dans tout ce qu'a fait Horace en ce genre d'écrire. Il ajoute qu'Horace lui efl encore fort mférieur pour la variété des matières, la fécondité de l'invention, la multitude des fentences , la force & la fé- vérité des réprimandes, les rencontres in- génieufes , la fubtiliré & même la belle plaifanterie. Enfin il a crû tout dire, en difant hardiment que Juvenal efl fupérieur à Horace avec une dillance aufll éloignée & aufll fenfîble qu'efl celle qu'on a tou- jours remarquée entre Horace & Luci* ]ius (2).

Il femble que Floridus Sabinus qui vî- voit en même tems queScaliger, ait été dans les mêmes fentimens lorfqu'il juge (3) que c'efl Juvenal qui a mis la dernière main à la Satire Latine, non pas feule- ment pour être venu le dernier , mais pour

avoir

1. Jul. Caef. Seal. Poct. lib. 6. pag. ?<7. %6%.

2. Idem ia eodcn^ Opère pag. 872. imo & ptg. 179.

I

Poètes Latins. 333

avoir éxadement remarqué ce qui pouvoit juvcnai lui manquer après les foins de ceux qui Tavoient précédé. Il n'a pu s'empccher même de maltraiter Marulle pour avoir voulu faire cet honneur à Horace.

Enfin il s'e(l trouvé d'autres Critiques, qui au rapport de Farnabe (4^), ont eftimé Juvenal préférable à Horace , en ce que celui-ci , félon leur avis, n'a été qu'un Satirique fuperficicl qui s'eft contente de rire du bout des lèvres, & de montrer fes dents blanches : au lieu que Juvenal mord fa proie jufqu'aux os, & la quitte ra- rement fans l'étrangler & fans lui donner la mort; en quoi ces Meffieurs femblent avoir voulu mettre le but de la batire, peut-être parce qu'ils n'ont pu le reculer plus loin.

On a vu un tiers parti de Critiques formé au fujet de ces deux Satiriques; mais il s'efl rendu moins puiflant, & il a fait moins de bruit que les deux autres. Ceux qui s'y font rangés ont crû que com- me c'étoient deux Génie'» d'un caradére fort différent , & qui ont eu un mérite tout-à-fait diflingué , on pourroit les laif^ fer fans comparaifon, & les prifer indé- pendernment & fans rapport de l'un à l'au- tre; qu'on peut dire que Juvenal régne dans le genre férieux fans fonger même qu'Horace régne dans le plaifant & l'a- gréable , quoique l'un ne foit pas moins

vé-

3. Franc. Florid, Sabinns lib. |. Lc£lion. fubciiî- ▼at. cap, r. <)« Ikom^ Faxiabt Iisfat, «d Juvwtl. cditioa^

334 Poètes Latins.

Ju7cnal. véritable que Tauire (i) ; que l'un peut pafTer pour TÀuteur de la Satire Tragi- que , 6l l'autre pour celui de la Comi- que (2) , fans être obligé de les com- mettre,

La neutralité de ces derniers Critiques n'a rien changé au rang de nos deux Poètes , & l'on peut dire même que tout le crédit & la tadion des premiers ne s'efl terminée qu'à de vains efforts. Car enfin nous pouvons affurer après Mr. Go- deau (3) que les plus habiles & les plus ju- dicieux Critiques elliment Juvenal fort in- férieur à Horace pour le vrai curactére de la Satire; mais il ne laiffe pas, félon Vof- fius (4), d'être immédiatement celui d'a- près lui, quoiqu'à la Veriification près, on puilTe dire que ni lui ni Perfe n'ap- prochent pas encore f\ près de la ju(lc Satire que quelques Auteurs qui en ont fait en Profe , comme Seneque parmi les Latins dans fon jeu fur l'Empereur Claudius , & parmi les Grecs Lucien dans fes Dialogues, & l'Empereur Juliea dans fes Ce fars. La raifon eit , parce que ces galans hommes connoiiTant le foible de ceux à qui ils en vouloicnt, ont mieux aimé fe jouer que de blelfer férieufement, & railler agréablement que de gronder d'aa ton impérieux (5*).

Mais

T. Ger. Joan. VofiC Inftitur. Poëticar. lib. 3. pag, 41. cap. 9. parag. 9.

z. Jofeph Scalig. in primis Scaligcranis pag. 95.

3. Ant. Godcauj Hift, de i'^glik à Iji âiidu prc- micz Û€cle.

d

Poètes Latins. 33^ Mais comme il ne s'agit ici que des juvcnal. Poctcs , on doit coniioître qu'il n'y en a pas eu après Horace qui ait été doué de plus d'excellentes qualités que Juvc- nal pour la Satire. Il avoit palîc la plus belle partie de la vie dans les exercices ScholalHques , il s\'toit acquis la ré- putation de Déclamateur vchcmenr , & quoique cela ne tut point capable de le rendre meilleur Poète, on ne doit pas douter que les habitudes qu'il y contrac- ta n'ayent beaucoup contribue' à le ren- dre grand Cenleur du vice , & n'ayent fortifié ion humeur chagrine. C'eil ce que Mr. Defprcaux nous a voulu mar- quer en tailant le jugement do les Sati- res en ces termes (6) :

Juvenal élevé dans les cris de l'Ecole

Poufla jufqu'à l'excès fa mordante hyperbole*

Ses Ouvrages, tout pleins d'afireulcs vérités,

Eiincellcnt pourtant de fublimes beau- tés

Ses écrits pleins de feu par tout brillent aux yeux.

Mais cet Auteur avec tout fon férieux H eu bien de la peine à réulîir dans le dcf- fein qu'il avoit de reprendre le vice. Car

com-

4. Voff. lib. 3, Inft. rocticir. ut fupià, fcd païag, 17. P*g- 45. ^

5. Idem ibid. parag. 9. chap. 9. p. 4X. îcc

6. Dcrptciux»Ch;iac, î, de l'Ait Poétique, r. 157.

33^ Poètes Latins. Juvcnal, comme le témoigne le P. Rapin (i), ces violentes manières de Déclamation qu'il met eii ufage par tout ont rarement l'elfet qu'on en devroit attendre. Juvenal ne per- fuade prefque rien , parce qu'il eft prefque toujours en colère & qu'il ne parle point de fang froid (2). Ileftvrai, dit ce Père, qu'il y a des lieux communs de Morale qui font capables d'éblouVr les petits efprits. Mais avec toutes ces exprelîions fortes, ces termes énergiques <Sc ces. grands traits d'éloquence, il fait peu d'impreflion , par- ce qu'il n'a rien de délicat ni rien de natu- rel. Ce n'eft pas un véritable zèle qui le fait parler contre les déréglemensdefon ilécle, c'eft un efprît de vanité & d'often* tation qui l'anime, c'eft un déiir de décla- mer qui le porte à vouloir faire des leçons à tout le monde.

D'autres reconnoiflent pourtant ^WSs de droiture & de fincérité dans fcs intentions & dans fes démarches. Il a fait voir même par fon exemple, félon le Père Thomaf- fîn (3), qu'un Poëte Satirique ne doit être animé que de Paverfion du vice : & Far- nabe témoigne (4) que plufieurs préfé- roient fes Satires à toute la Morale d'A- riflote , & ne faifoient pas difficulté de les

égaler

t. René Rapîn , Reflex. pajtticul. fur la Poétique, féconde partie Rcflex. xxvtii.

2. Sens frais.

3. Louïs Thomalîin, livre t. chap. 14. nomb. 7, pag. 192- àc la manière d'étudier & d*enfcignei Chréticnnemeni les Poètes.

4. Farnab. Epift, ad y^illlx Jlincipcm MiCÀtg cdit, Juvçûal,

Poètes LatiïîS. 337

égaler à celle de Senequc & d'Epidete. Tj^ycmi,

Mais il s'eft trouvé des x^uceurs Païens ^ même qui ont blâme au moins l'indifcré- tion avec laquelle il s'eft acquitté de Ton miniflére , comme Ta remarqué Voffius C5"), parce qu'au lieu d'infpirer de l'aver- lîon pour le defordre & le crime contre lequel il veut déclamer , il fcmble qu'il enfeigne plutôt à le commettre , outre qu'il n'étoit pas lui-même afles réglé dans fès mœurs & fa conduite pour fe mêler de vouloir tirer les autres du dérèglement, C'efl pourquoi Ammien Marcellin trou- voît fort mauvais (6) que de fon tems le Peuple fît fes délices de ce Poète, & qu'on en préférât la ledure à celle des plus ex- cellens Auteurs.

En effet il y a des Satires quinedevoicnt jamais paroître au jour pour les obfcénités qu'elles renferment. Le P. Briet en comp- te deux de cette nature (7) ; Mr. Roileau en compte trois, favoir, la III. la VI. & la IX. (8) dont la compagnie a toujours fait beaucoup de deshonneur aux autres, parmi lefquelles il fe trouve auffi di ver fes chofes à retrancher pour les remettre daus les termes de l'honnêteté. Plulîeurs ont trouvé la X. trop Philo-

fophc

$. Ger. Joan. VofT. lib. 3. Inftitution, Toët. c;ip. 20. parag. 4. pag. 107.

6. Ammian. Marcellin. Hiftor. lib. x.xviii. pag, 371. 37Z. édition. Heiu. Val.

7. Philip. Brict. de Poét. Latin, lib. 2, pag. 40, prxiïx. Acutè did.

8. Rotteau , Sentim. fur quelques liviis qu'il a lus pag. 54. MS.

romdlLParîJL P

33^ Poètes Latins.

îttvenaj. fophe pour une Satire (i) & ils ont crû .remarquer même dans la plupart des autres une aée6lâtion trop grande d'érudition & de capacité., qui elt proprement le vice des anciens Sophiites & des Rhéteurs.

Nonobftant l'aigreur de Tes Satires il ne laifToit pas ii'être tort bien venu à Rome, mais ayant picqué trop vivement un fa- meux Tabarin nommé Paris, ;il tomba dans la difgrace du Prince, qui fous pré- texte de le récompenfer, l'envoya en E- gypte en qualité de Brigadier ou de Tribun d'une Cohorte , quoiqu'il tut déjà fur le déclin de fon âge & décrépite même (2). Et comme il n'avoit pas encore perdu fon feu , il fit dans cet honorable bannilTement la Xy. Satire contre les fuperftitions de l'Egypte , mais , comme dit Mr. Borrichius, c'étoit vouloir nettoyer de la boue avec de la boue.

* Z). y. 'Juvenalis Satyrarum liù, w. cum Ccmment, EUhardi Lubinti in-40. Hano- ^Ice iôog. Cum vcterts Scholiaftce ^ yoannis Britannici Comme a t. aliorumque jn-4'^. Partf, 1613. CumvariorHmCom- Tnentariis m'^°. 1664. L^tgd.'Bat, Voycs encore art. 115-8.

M A R-

1. Borrich. DilTcrtatlon. fccundd de Poct. Lat. Bum. 40. pag- 64» ^î' *'^ li'Pfi.

2, %. Dtcrepite pour dtcrtj>it.

Poètes Latins. 33^ MARTIAL.

(C. Valerïus Marùalis) Efpagiiol , natif de BilbîUs au Pays des Ceitibcres , dont les reftcs s'appelkiK aujourd'hui Bau- boU , pr-ès d-e Calatayud au Royaume d'Arragon, vivant fous TEiripereurDo- mitien, mort âge de 75". ans, fous Tra^ jan dans fon pays & dans une extrême pauvreté.

Ii6f î L nous eft reftc de lui quatorze *f.,.,:,. .

JL Livres d hpigrammes qui iont en- tre les mains de tout le monde, & un Li- vre des Spe<5lacles qu'on y joint ordinaire- ment. On a coutume de divifcr fes Ouvra- ges en trois parties fort inégales. La plus petite comprend ce qu'il y a de bon : celle d'après, ce qu'il y a de médiocre; (Se li plus grande ce qu'il y a de mauvais. C'cii le jugement qu'il femble avoir voulu faire lui-même de fes vers, & Scalîger le fils témoigne (3), qu'il n'a jamais mieux ren- contré que lorsqu'il a dit de fes propres Ouvrages (4):

Snnt hona , fnnt quisdar/t mediocria , y}/»^ mala plura.

Le jeune Pline nous apprend quec'e'toit un homme plein d'cfprit , qui avoir beau- coup

j. Joleph Seal. în primis Scaligcrânis. 4. Maniai, £pigr, 17. libri i. ad Avitum, --'S^K P 2

340 Poètes Latins.

Mâttial, coup de fubtilité & de vivacité , qui favoît répandre avec abondance le fel & le fiel dans tous Tes écrits ; mais qui faifoit pour- tant paroître beaucoup de candeur dans Ta- fage qu'il en taifoit (i). Néanmoins on peut dire que Tinterêt & la tendrefTe ont eu beaucoup de part à ce jugement de Pli- ne. 11 avoit de la tendrefTe pour un ami dont il n'auroit pas voulu publier les dé- fauts en écrivant à un autre, & il avoit in- térêt de nous donner bonne opinion de l'es- prit & de la iincérité de Martial en parlant des vers que ce Pocte avoit faits à fa louange.

Pline n'eft pas le feul qui fefoit conten- té de nous faire voir le bel endroit de Martial , & comme on en peut voir des recueils à la tcte ou à la fin des éditions de cet Auteur (2) » je m.e contenterai de rapporter ici une partie de ce qui peut avoir été dit à fon fujet avec le plus d'équité.

Le P. Briet qui l'appelle après plufieurs autres un Poète très-ingénieux , prétend qu'il a donné l'idée & le modèle de la vé- ritable manière de faire les plus belles Epi- grammes (3). Mais je crois qu'il faut ex- pliquer cette vérité du P. Briet par une au- tre qui eft du P. Rapii\, & qu'il faut dire que Martial étant conlidérc comme le

prin-

T. Plinius junior Epiflol. ultima libri i. ad Corn. PxiXcum.

2. Xditores varii Martialis, puta Scrivcrius, Far- pabius, ôc aiii in prolegom.

3. rhilipp, Briet. lib. 2, de Poctis cap. 40. prsfix,

Acuic di^is Poctar,

4. Rcn^

Poètes Latin î. 341

principal Auteur des pointes des mots, il Maiu% peur fervir de modèle à ceux qui s'appli- quent à ce genre d'Kpigrammes dont la beauté confiile dans la pointe & le jeu des mots C^f).

Car nous avons vu ailleurs qu'il ne pouvoit avoir cet avantage fur Catulle pour l'ir'pii^ramine , dont la force & la béante eit toute renfermée dans la penfce. L'.Tmour des fubtiiités & l'atteâiation des pointes dans le difcours avoit pris dès le tems de Tibère ou de Caligula la place da bon goût des chofes qui regnoit avec Au- gulle. Cette corruption s'introdui'fît d'a- bord dans les Ecoles de Droit & de Rhé- torique, c'efl- à-dire dans l'efprit des Dé- clamateurs ou Rhéteurs & de ces fortes d'Avocats fans caufes qu'on appel loitScho- ■laftiques: Enfuite elle gagna les Philofo- phes & les Poètes-mêmes , furtout du tems de Néron. Mais fous le règne de Domitieii comme pcrfonne ne s'en garan- tit mieux que Juvenal (5-), perfonne auffi n'en fut plus infedé que Martial, qui par ce défaut donna encore à Catulle un nou- vel avantage fur lui (6).

Cela n'a pas empêché néanmoins quel- ques Critiques de lui trouver de la pureté de ftyle & d'autres bonnes qualités qui

font

4- Ren. Rapin, Réflex. particul. fur la Poétique, Reflcx. XXXI. féconde partie.

5. f . Ou feroit pourtant des Epigrammcs de Ja plupart de fes penfées.

6. Gcr. Joan. Voflîus Inftitution. Poëticaruiu Ub, .j.pag. 107. 6c 108,

P3

34* Poètes Latins.

>Miîiàl» font rornement du difcours. Erafme dît (î), qu'il approche allés de la facilité d'O- vide , & qu'il peut avoir même quelque part à la gloire de Cîceron dont î\ femble avoir voulu prendre quelque air.

Jules Scaliger qui ne connoiffoit quel-- quefois pas de milieu entre le divin & le diabolique, dit qu'il y a dans Martial plu- ileurs Epigrammes du premier genre, dont le ilylc ek fort pur, fort éxa61:> & fort propre pour la variété & l'abondance de fes matières ; il prétend même que fes vers, font pleins <?c bien remplis, fans chevilles, qu'ils font naturels, & fou tenus d'une belle cadence, en un mot qu'ils font très-- bons. Je ne prétcns pas propofer le fentî- ment de ce Critique, comme s'il étoit fort judicieux en toutes fes parties, mais, pour faire voir feulement qu'il faut quC; parmi quelques lx)nues qualités qui fe trouvent dans les Oeuvres de Martial, il y en ait aufll de bien mauvaifes, puifque Scaliger ayant pris le. parti de le louer cxceffivement, n'a pu s'empêcher de nous. dire , que loin de vouloir examiner fes Epigrammes malhonnêtes ou lafcives, il ne les avoit pas même jugé, dignes d'ê- tre lues (2).

Jean Jovien Pontanus avoit dit cinquan- te ans auparavant (3) que Martial ctoit le

plus

T. DcHd. Erafra. in Dialog. Ciccronian. pag. 147.-. Edit. HoJland.

2. Jul C. Scaliger, Hypcrciitic. feu lib. 6/ Poëti-. ces cap. 6. pag. 83s.

3, Joan, Jovian. Poatan. lib, 3. de Scrmonc cap..

Poètes Latins. 343

plus adroit & le plus artificieux homme du Hfniia, monde pour l'Epif^ramme; mais qu'il cha- touille moins qu'il ne bielle- dans fes jeux 6c fcs railleries , quoiqu'on puifTe trouver quelque plailir à voir mordre les autres lorfqu'ou penfe n'y être pas engagé d'in- térêt. Il ajoute que cet Auteur cache fou- vent dans les mots des traits piquants qui percent infcnliblement ; que non feule- ment il a beaucoup de méchantes plaifan- teries qui n'ont rien que de fade & de fort défigréablc, mais qu'on y remarque enco- re des bouffonneries plates, des obfcéni- tés grofllcres & brutales, de l'aigreur, de l'entiure, & des termes ampoullés, ce qui étoit, dit-îl, le caradére des Efpagnols de ce tems-là.

Mais il ne laifle pas de rcconnoître d'ailleurs que Martial a quelquefois de la délicatelfe , <^ quelque chofe d'alfés fin; qu'il y a de la fubtilité dans fés inventions; en un mot qu'il y a un affés' grand nom- bre d'Epi^çrammes dont le Leéleur doit ê- tre fatisfait.

Le Giraldi paroît avoir été dans les mêmes fent-mens , & il ajoute (4) que bien que lesSavans de fontems ne priflent pas grand goût aux Ouvrages de Martial, on pourroit néanmoins fa're choix d'un petit nombre de fes Epigrammes qui mé- ritent

jî. & ap. Fàrnah.

4. Ger. Joh. VofiT. Inftitut. Poëticâr. lib, j. cap, 20. parag. 4. pag. loS. 107.

Lil. Gregor. Gyraldus de Hiftor. PocticJU.DialOfi» - Xr pag, io>8. édition iu-t.

P 4

544 Poètes Latins. Hartiâi.' jffent d'être confervées , & lallFer périr îc reite fans fcrupule.

Les raifons d'un dégoût U univcrfel ne font inconnues à perîbnne. Jl n'y en a pas de plus importante que celle de fou impureté dont il fouille la meilleure partie de fes Ouvrages, & particulièrement la fin de fon troiliéme Livre, le feptiéme & l'on- zième. Entre les autres raifons de ce dé- goût, les uns mettent fon humeur trop mordante (i) , les autres fa flaterie hon* teufe à l'égard de Domitien , jointe à la manière indigne dont il le traita après fa mort (2) : quelques-uns fa bouffonnerie, ce qui ne plaifoit pourtant pas à Turnebe qui ne trouvoit dans cette méchante quali- té rien que de plaifant & d'agréable (3): quelques-autres un air de malignité 6c d'impudence répandu prefque par tous fes vers (4). Et fi on en vouloit croire le Vo' laterran (5"), on y ajouteroit aulfi la mau- vaife Latinité & l'impureté de fon ftyle;

fan-s

T. Paul, Jov. in clogio Marc. Anton. Cafanovac pag. 76. M.

2. Roû. Sentim. fur quelques Livres qu'il a lus MS.

3. Hadr. Turneb. Adverfaiior. lib, 13. cap. 19. Item lib. 8, cap. 4.

4. Nicole , Traité de l'Educ. du Prince , partie féconde parag. 38. page 6j.

5. Raph, Volaterran. Commentarior. Urbanor. lib. 17. £c ap. Thom. Farn. pag. 455. ad cale, edit, Mart.

6. René Rapin , Comparaifon d'Homerc 2c de Virgile chap. 10. page î9 edit. in-4.

7. Juft. Lipf Epilloiicw, quaftlon. lib. i. Epift. ^ 5- ad Jaa. Leiuuc,

g. Ka.-

Poètes Latins." 345*

ftns" parler du méchant goût de fes peu- Man'ur ^ccs, du faux brillant de fes Epithétes &de fa fliuflc dclîcatefTe (6).

Tant de défauts ont faîtdouter àLîpfe (i Martial avo:t mér"té la peine qu'on a pri- fc de le commenter, & même de le lire (7). Mais comme il a jugé qu'il n'étort plus poffibîc de le fiipprimer, il a crû comme plulleurs autres Critiques aulîî fages que lui (8) qu'il ne relioit plus d'autres moyens pour t.lcher de fauver l'innocence de la jeunefle , & de pour* voir à la pudeer des honnêtes gens , que de couper cet infâme Poète & de lui ôtcr fes ordures, ou de faire un petit re- cueil de celles de fes Epigrammes qui fe fentent le moins des défauts de leur Au- teur.

Il femble que le Public ait eu Tune & l'autre fatisfaÔion. Car la première voie a été tentée par les Jefuites (9),& particuliè- rement par les PP. xindré Frulius, Edmond

Au-

t. Hadrianus Jiinius Horn. Epiftol. prsfîx. edif," Martial. Vidend. ôc ea quae coUegic Petius Scrive- lius in fua edit.

p. ç. Le P, Vavafleur, cîiapirre 20. de Ton Traire de rLpigramme, convient lans façon que les Jefui- tes ne fe font pasaviiés les premiers de purifier Mar- tial. Il n'a pas (u a la veriti que Conrad Gefner Protcftant avoir en 1544. exécute ce deflein à Zuric quatorze ans avant que l'édition des PP. Frulius, ^ Auget eut paru, mais remontant bien phis haut il a fait voir que François duBois, Fr/t;;rry?«j Sylviusd^A^ niions, Profcdcur en Humanités .1 Paris au Collège de Tournai, avoir été le premier de tous les jcfor- matcursde Martial, ayant pris foin d'en donner en 1514. une édition purgée de ce que les piccédcates 4tVQÙ4^t de liccnùcuxr

P s

346 Poètes Latins.

Mâitid* Auger, Matthieu Rader^ & P. Rodclle; & la féconde par quelque Anonyme du p. R.(i).

11 auroit été à propos, ce remble,de di- re aufli quelque chofe du Livre des Spec- tacles ou de l'Amphithéâtre qui porte fou nom. Mais cet Ouvrage n'eil pas de lui félon Barthius (2), ou s'il y a quelque E- pîgramme de lui, il e(ï afi'cs difficile d'en faire le difcernemcnt d'avec les autres qui font de divers Auteurs dans le même Re- cueil.

Ceux qui fouhaîtent vot la comparaifon de Martial avec Catulle la trouveront au titre de celui-ci, nombre 1 141..

* M, V' Martialis Eftgrammata în-fol.

Terrartce I471. Eadem^ collât a ahj. .

Gr utero çjf alus in- 12. Francofiirti l602« Eadem cum M, Raderi Comment. .

in-fol. Mogtmt. 1627.- Cum 'varlorum

Comment. ^ Indice 'Jofephi Cangit in-fol. -

Lutetice. l6iy. Laur. Ramirez de

Prado în-4. Parif. 1607. Idem ad «•

Jum Dclj)hini in-4. Parif. 1 680.

S T A^

T. De Mxrt. cmend. $:cmîJcul. vtd, pafrim.5<:Bibl. Soc. J. quibus addcnd. ôc alii puta Conrad Gefnc: &c.

De dckéhi Epipramwat. Mart.-

2. Gafp. Barthius iib, 40, Adrcrfazior, cap. i;i coi, Il 17, ^;c,

3* 'W-

Poètes Latins; 347^

STAGE,

(P. Papinhis Staiius) de Naples, vivant fous Domîtk 11, confondu par plulieurs Modernes avec Statius Surculas , ou Urfnlus de Toiiloufe qui vivoit fous Claudius & Ncron.

1166. 1 L cfl affés difficile de dire quel a Stace,

1 été le goiit des x\ncîcns pour les Ouvrages Poétiques de Stace, parce qu'ils paroifîént ne les avoir lus & examinés que comme des Grammairiens qui ignoroient l'Art Poccique (3). Pour ce qui regarde les fiécles de moyen âge, on peut dire qu'ils en ont été charmes , & que ceux qui s'ap- pliquoient dans ces tems à la leâure en faifoient leurs délices , quoiqu'ils fuffent incomparablement moins intelligens dans la véritable Pociie que ceux dont nous ve- nons de parler: C'efl ce qu'on peut voir dans Barthius, qui a pris un foin particu- lier de ramalTer les témoignages des Au- teurs de ces tems qui ont parlé favorable- ment àQ CQ Pocte (4). Mais les Moder- nes ont été affés partagés dans les juge- mens qu'ils en ont portes (5')" Les uns ont prétendu qu'il avoit plus de folidité &

de

3. Prifcian. Grammat. 5: aVù e)ufdem xtatis, ireai Sever. Sulpit. vcrfum ex co chiit. Dialog. 3. AtMa-- Ciob. non memin;:.

4. Giifp. Barthius lib. ir. Adveifarior. cap. 2. col, 513. 514 &c."

5. Bibliograph. Anonym. ciuiof. Hidox. Philolof* pag. Jî>. ubi viiiipei, Cucei edltio,

F 6

34? Poètes Latins-

ittce. de difcernement que Virgile même. Les autres ont foutenu avec autant de chaleur que fi nous en devions douter, qu'il nV voit ni l'art ni le génie, ni la didion de Virgile.

Jules Scaliger prétend non feulement que c'efl un véritable Poète, mais que c'eft un Poète de grand génie & de beaucoup de politefTe; qu'il n'y a pas d'Auteurs par- mi les Anciens ni parmi les Modernes qui ait approché fort de Virgile, & qu'il l'auroit encore touché de plus près s'il n'avoit eu peur de l'incommoder (i). Car étant naturellement élevé , il n'a pu éviter de devenir enflé & trop bouffant dès qu'il a voulu prendre fon efTor trop haut. C'eft en quoi ce Critique met la principale dif- férence de Stace d'avec Virgile, après le- quel il ne fait point difficulté de lui don- ner le rang de préféance fur tous les Poè- tes Héroïques des Grecs & des Latins, foutenant qu'il fait de meilleurs vers qu'Homère même.

Ce jugement joint à pluiïeurs autres de la même nature que j'ai rapportés dans toute la fuite de ce Recueil, a fait douter à quelques perfonnes judicieufes fi Scali- ger étoit auifi bon connoilfeur dans l'Art Poétique comme il l'étoit en d'autres cho- fes. Quelque excellent que foit fon Trai- té de la Poétique, il ne laiffe pas de nous

don-

I. Jul. Cxl. Scalig. Hypercritic. (eu lib, 6. Poctis, pag. 84}.

<P. Bairet a dor.ne par cette tradu£tion un air ri- dicule à ces paioles de Scaligei : Etiam [rooinquior

Poètes L a t i n j. 349

donner quelquefois des marques du peu stacïTi d'uniformité de l'efprit de fon Auteur , & de nous faire voir que la mémoire lui man- quant quelquefois , ce défaut le tliiloit tomber dans des contradictions qui ont fait quelque tort à la réputation il cil d'un Critique fort judicieux à. fort expéri- menté. Ain(] quoiqu'il ait dft en un en» droit que Srace cft enflé lorfqu'il veut s'é« lever, il femble avoir voulu dire le con* traire en un autre, & il traite de Petits' Grecs ^ c'eft-à-dire d'efprits vains, témé- raires & menteurs, ceux-mêmes qui l'ont jugé trop enflé. Il prétend que ces for- tes de Critiques ne connoilTent point la vé- ritable enflure, qui confifte , dit-il, dans des Métaphores de fer pareilles à celles qu'on trouve dans Pindarc: car s'il falloic prendre pour un ftyle enfl.é ce grand air que Stace a donné à fcs vers, il faudroit aulîl accufer Virgile d'ttrc enflé (2).

Si nous étions fort en peine de chercher de l'appui pour le fcntimcnt de Scaliger, nous trouverions des Critiques allés 2èlés pour l'honneur de Stace qui pourroient le féconder,. & nous pourrions nommer par- mi les autres Alr.deMarolIes qui fe plaint dans la Préface de ù TraduAion qu'on ne fait pas ailes de cas des Poélies de Sta- ce (3), prétendant que nous n'avons rien de meilleur après V^irgile.

I\îais

futurus , fi tam propi efTe nolaiffet.

2. Idem Scalig. ibd. pnç. 841. 842. cap. 6.

3. Mich. deMaioks, Tiètace de la Traduak>û Franco lie,

P7

3p r O E T E S: A T IN S. -

Sntc.- Maïs ceux qui en ont jugé avec plus de lumière ôcdedélmtereflëment, nousappreri- nent que- pour quelques bonnes qualités que Ton trouve dans cet Auteur, on y en remarque beaucoup de mauvaifes. Mr. Borrichius- reconnoît , par exemple , que fa di6lion eft ailés fleurie & ma,:^nifique (i), mais il ajoute qu'elle ne fe foutient pas, qu'elle n'eft pas choiiie par tout, qu'on it voit tantôt fe guinder fur des échalîcs, à. s'élever fort haut; tantôt marcher è pe- tit pas & ram_per fur terre. C'cfl ce qui avoit porté FamîanoStrada célèbre Jéfuite à fe le repréfenter fur la pointe la plus ex- haufTce du Parnafle, mais dans la pollure d'un homme qui n'y peut tenir & qui fe précipite.

Le P. Brîet a remarqué qu'il ctoit plus heureux que Martial pour la verfirîcation, qu'il faifoit des vers avec plus de facilité d'abondance; & que c'eft ce qui le rendoit plus agréable à l'Empereur Domiden :m.ais il ajoute qu'outre cette enflure que tout le monde y a trouvée,. il efl: beaucoup plus obfcur & beaucoup plus inégal , cSc que c'efl: un Auteur pernicieux à la jeuncire pour le mauvais ilylc (2).

Le P. Rapin le blâme (3) d'avoir mis rclfentiel de la Poclie dans la grandeur 6<.

la

T. Obus Borricliins ,Diffcrtat. i. de Poët. Lat. ad calccm num. 33; p;ig. 62.

z. Philif'. Biier. de loëc. Lat. lib. 2. png. 38. jp. antc Acutè did. &c.

3. Ren. Rapin, Reflcx. i8. 6c 37. fur la Poétique, pîemieie paiiie,

4r LÇ'

Poètes Latins; ^fi

}a magnificence des paroles^ plutôt que Stac*^ dans ks chofcs, il dit que-fes vers remplis* fent rcreille fans aller au cœur ^ qu*il eft aufil bizarre dans fcs idées que dans fes ex- preffions (4); que fes deux Poèmes n'ont rien dcTcgulier, que tout y cft trop vaRc de trop, di (proportionné. Enfin il afTur^ (5-) que Stace n'ed qu'un furieux au prix de Virgile*- C'cd ce qu'on peut voir en di- vers endroits de fcs écrits. .

Les principaux Ouvrages de notre Au- teur font hxThebaide en xii. Livres, VA- chillcïdc dont on n'a que deux Livres , par- ce que la mort l'empôcha de la continuer, & les Sihre^ en v. Livres. .

T. Dans fes Silves^ il efi: plus pur, plus agréable, & plus naturel qu'ailleurs.

2. Dans fa "Thebaide^ il eil plus peigné, . plus aiuflc & plus fardé, ..

3. Dans Çow Âchilleidc ^ il eft plus iné- gal que dans le refte(6).

I. Le volume des Siives efl un aiïem* bîage de plufîeurs pièces fur différens fu- jets qui méritent aifurément une leclurc ïitrentive , à cnufe des chofes excellentes qui s'y rencontrent parmi pîulieurs qui font aifés communes (7) Scalii^er dit que les plus fivans ont jugé ces S:ivcs meilleures que la Thebaïdc 6t i'Achiileïde , parce

qu'é-

4. Le même, dans la féconde partie du même Traité, Reflexion xv.

5. Dans la Comparaifbn d'Hon:crc &: de Virgile cliap. TI.

6. Boiricli.Difleit. ut fuprà ^ Brictiiis lit fuprà.

7. RoRcau, Scûtim, lui c^uelques livres qu'il a luJ pag. jj, M S.

3^2 Poètes L a t i m S.

Stifie, qu'étant ce femble plus négligées , elles ' paroillent écrites plus naturellement, mais il témoigne ne vouloir pas être de leur fentiment (()•

Quoiqu'en dife Scaliger , il a été in- comparablement plus facile àStacederéus- lîr dans fes Silves que dans Tes deux Poè- mes , parce que ce genre d'écrire n'ayant pas encore de régie comme les genres E- pique , Drani'^tîque , Lyrique &c. il s'eft trouvé dans une grande liberté de fuivre fon génie, fans craindre de pécher contre des Loix qui n'ont point encore été por- tées. Efre<ftivement Vofllus a remarqu-é que plufieurs de ces pièces ont été faites fur le champ, fans étude & fans prépara- tion (2). Et c'ell de Stace même qu'on a appris cette particularité que Ton trouve dans une Epitre à Poliius qui cft à la tét£ du troifîéme Livre des Silves.

2. & 3. Pour ce qui regarde fa Thehaï- de & fon Achîlleide ^ on peut dire que leur Auteur en avoir ii bonne opinion qu'il les croyoit comparables aux Poèmes d'Home- re & de Virgile (3), quoiqu'il ait eu aiïcs de modeflie pour témoigner qu'il ne pou- vo:t fuivre le dernier que de loin, & qu'il

ne

T. Jul. Cxf, Scaliger in Poèt. lib. S. cnp. 6. Qt lùpià.

2. Gérard. Joan. Voflïus Inftitution. Poër. hb. 3, cap. 22, l-i. ult. p;ig. ii3

Papinius Stat. non iemel liK i. Siivnr. lib. 2. & iib. j.

3, Ren. le Poilu, Traité du Poëme Epique liv. i. pag. 117. à la fin du cliap. 16.

^. C'eH une fa-^fleté à laquelle j'ai répondu fur

Poètes Latins. 35-3 ne le vouloir faire mcmc qu'en baifant les Sttc^, vertiges qu'il lui avoît traces (4).

11 eft vrai que quelques Critiques n'ont pas crû fi Thehaide fi éloignée de l'Encïde de Virgile; que Mr. de Marolles lui don- ne le premier r^ing du genre Epique immé- diatement après ce chef-d'œuvre (5-) ; & que Mr. Roilcau a crû que ce Poe me efl: écrit dans toutes les règles (6). Mais on peut quitter ces Meilleurs fans leur faire trop d'injure pour écouter les Maîtres de rx\rt fur ce point.

Le P. le Boffii qui n'eft pas un des moins coniidérables dit (7) , que Stace ne mérite pas plus le nom de Pocte que Lu- cain & Silius Italiens, quoiqu'il ait pris un fujet Héroïque (Se Poétique , c'eft-à-dire fort propre au Poème Epique. Lucain & Silius Italiens ont décrit l'un dans laPhar- fale, & l'autre dans fon Annibal des cho- fes véritables tSc purement hilloriqucs. Sta- ce en a écrit de feintes & tirées des Fables, mais parce qu'il raconte fes fixions en Hiilorien,fes Ouvrages ne font pas de vé- ritables Poèmes Epiques non plus que ceux des autres.

Sa Thebatde eft pleine d'Eprfodes défec- tueux

Tarticle 1153. \ la fin du 5. *,

4. 01. Boirîch. & ip!e Statius hoc vcrfu : Sed lonjè fc^Here, CT Vf h,'-'a frmper adora.

5. De Maroles Abbé de ViUcloin ,Préf. defaTrad. Franc, comme defllis.

6. Roftca«, Sentim. for quelques livres qu*ila]us pag. 55. MS.

7. Le BoiTu, chap. 15. du i. livre du Traite (Ul Joëmc Epique pag 105.

3f4 Poètes Latins.

Stacc tueux. &. furabondaiis , tout y eil prefque irrégulier,. & Ton y trouve beaucoup d'en- droits monftrueux (i). La plupart des Ca- radéres qu'il donne à Tes Héros & aux au- tres perlbnnes font faux. Son génie em- porté joint au delir d'amplifier, & de faire que tout ce qu'il veut dire paroilTe grand & merveilleux, l'a fait tomber dans ce dé- faut. Il porte prefque toujours à l'excès les paiïions qu'il répréfente dans fes per- fonnat^es.. Il ne fait ce que c'eft que de garder l'uniformité. Il fait faire à fes gens des extravagances qu'on ne voudroit point pardonner à déjeunes Ecoliers, & fouvent au lieu de.repj-élèiiter fes perfonnages com- me il devoit ,, il n'a fait que des chimères. To!jtes« ces fautes ne peuvent ctre attri- buées qu'au défaut de jugement, de fcien- ce & de jufteiîè d'efprit. Voila le fenti- îiient àuP. le Boifu fur l^Thebauîe qui n'a point paru plus régulière- aux autres Criti- ques de notre tems {i)\ qui ont eu quel- que réputation de capacité & de bon goût. ]JAchill:ide de Stace n'ell pas moins dcfeciueufe que fa Thebaïde. Le P. Mambrun dit (3) que c'eft une Hîftoire & non pas un Poème. Le P. le Boffu le blâme avec juflice (4) d'avoir pris un Hé- ros pour la matière de fon Pocme,au lieu de prendre une Adion feule de fon Héros;

c'cil-

1. Livre 2. chap. 7. du même Ouvrage p. 184. i8j.

2. Ant. Godeau, Hiftoite de rEglil'e tin du pre- mier ficc'e.

Rcn. R;ipin, Reflex. particul. lui la Pocr. fécon- de parc. Reâex, ix.

3. r.

Poètes Latins. ^S^

c'eft-à'dirc, d'avoir rainailc toutes les a- Stacc;. vanturcs & les a61ions qu'on attribue à A- chille, comme s'il avoit voulu faire, une Vie plutôt que de fe renfermer dans des bornes femblables à celles qu'Homère s'é- toit prefcrites. Aini] l'unité de ce Poème - cft une faufle unitcf qui ne coniille que dans- l'unité du Héros. II n'y a point d'unité dans l'A6lion , qui néanmoins doit faire toute l'efience & toute la conilitution d'un véritable Poëme Epique, félon les maxi- mes d'Anflote & des autres Maîtres qui l'ont fuivi. Ce n'eft point une Fable quoi- que ce ne foit qu'un tiflu de Fables,. C'ell une fuite de fidions racontées dans un or- dre hidorique (5), Il faut donc conclure avec les Critiques que Stace n'eft qu'un méchant Hidorien , ou tout au plus un. Poète irrégulier & monftrueux^

* Pub!. Pûpinii SttUii Opéra cum Obfcr^ vatioyjîbus tff Comy/jefit. tam vet entra quam recent'tar, Inicrpret, Eriericus Crue eus re^ ce?: fuit :^ noz'o Coni.illuftravit in-4. Pdrif,

1618. Idem ad ufum Deîph'r/ii 2. vol.

îu-4.- Parif. .\6%S' I<^-^ ^^'^ Co//2'-

went. Variorum in- S. Lug-Bat, lôyi*

T E'

3.- p. Mambmn, C-;'.i)fx dift. dctrîb. Pocmatib. C- murciim Diflcrt. de Dialca:. de roëmat. Epico.

4. R. Je BofTu , liv, i. du P. Epiq. chap. i. pn». 132. fie chap;. 7. pag» TS4..

5. Le même au premier livre du même Ouvrajî

3^6 Poètes Latins. TERENTIANUS M AU RUS

Africain félon quelques-uns, vivant fous - Domitien, fi c'eft le même que ce Gou- verneur de Syene ou Afiia en Kgypte dont parle Mar:ial : ou fe'on d'autres fous- Severe , fous Gordien ou même plus tard (i).

Maurus. 1167. ^^T Ous avons vu ailleurs qu'fl

X^ étoit également bon Poète

Lyrique pour fon fiecle , & bon Maître

de Poè'lie. Voycs-Ie parmi ceux qui ont

écrit de l'Art Poétique, Art. XO51.

S U L P I T I A,

Poète Satirique, vivant du tems de Domi- tien , femme de Calenus.

Sulpitîa, ii^S- T Es vers qu'elle écrivit à fon JL Mari fur l'amour conjugal & fur la fide'lité 6c la chafteté que l'on doit garder dans l'e'tat du Mariage fe font per- dus: mais il nous ell: relié une Satire de fa façon qu'on imprime ordinairement à la fin de celles de Juvenal.

Sca-

T. f . Sous Aurélien, fi c'eft le Tercntianus à qui Longiii adrelle fon Traité du Sublime. Vives (ur le 6. livic de la Cité de Dieu chap. 2. recule Terentia- nus jufqu'à Diocléricn.

z. Jul. Cxf. Scalig. Hypcrcritic. feu lib. 6. Poëtîc. pag. 838.

3 . f . Mx. Huet chap. 2. de fa Dimonilr. Evaugeltque

22t

Poètes Latins. 3^7

Scalîger en dft aiïes de bien: Il en loue Tadreire, & il dit que la verlilication mê- me n'en eH pas à méprifer (2).

(^ EZECHIEL,

y«/f, Poète Grec, fous Trnjan ou Adrîen, quoique Sixte de Sienne l'ait mis 40. ans devant Jefus-Chrift (3).

II 69. 1 L court fous ce nom une Tragé- Ezechid,

1 die Grecque furMoyfe ou lepas- fage des Ifraèlites. Frédéric Morel la tra* duilît (4) en Profe & en Vers Latins fur la fin de l'autre lîccle, ce qui n'en a pour- tant pas rendu la leélure beaucoup plus fréquente ni la pièce beaucoup plus com- mune.

Clément Alexandrin parle de cet Auteur plus d'une fois, & il en rapporte un grand fragment. Genticn Hervet qui croyoit cette pièce perdue , conjeduroit par ce morceau que toute la pie'ce devoit être c- legamment écrite (5-).

Ce n'ell point pour confirmer fa conjec- ture que j'ai crû pouvoir parler ici de cet Auteur, mais plutôt pour faire remarquer une rareté allés lîngulicrc, de voir un Juif Poète. * £-

B. 22. le met un fîécle 5c plus avant J. C. Les ver»

d'EzéchieJ ne foufilent pas qu'on le croie (i an- cien. Ils ont tout l\iir d'être d'un Juif Kellenifte, mauvais Poëte [oflerieur d'un fiécle ou deuxà J.C.

4, %. C'cft-à dire traduifît les fragmens qui ea reftoient de fon tems.

5. Cent. Hcrv. in Com. ad Stiora, Clem. Alcx^

35^ Poètes Latins.

* Ezekiclus Poèia. ejus fragmenta y ex lîhris Eufebii defarienjis ^ Gr. Lat. in-fol. JP^r//. 1624.

Q.SERENUS SAMMONICUS,

Sous Severe-, tué à table par l'Empereur Caracalla-, & Père de ce Sammonicus qui fut Précepteur du jeurxe Gordien , & Maître d'une belle Bibliothèque après fon Père qui l'avoit drelîée,

sammo- ^ ^ 7^' "T^ ' ^ ^ S^^"^ nombre d'Ouvrages Qicus, JL^ que cet Auteur avoit compo-

fés, il ne nous cfl: refté qu'une efpéce de Poëme fur la Médecine (Se les remèdes des maladies, que quelques-uns prétendent même être plutôt de ion fils.

Jules Scaliger juge (i) que fon ftyle eft un peu plus net que celui de Macer, c'ed- à-dire deTAuteurqui porte ce nom, com- me nous l'avons vu ailleurs^. Mais il ajou* te que ce llyie lui paroît bas & Il ram- pant, qu'il ne fe fouvient pas d'avoir rien- vu au deflbus; qu'il ne lallFe pourtant pas à^i^e. lervir de mots fort bons.

Le P. Briet paroît avoir été aufli du mê- me fentiment (2),& il prétend que la bas- fefle de fon fujet contribue encore à ren- dre Ton flyle plus plat.

* De Medicinây Prcecepta faîubria ^cnr* mine in- 8. Lugâ. 1587. ^ OP-

7. Jul. Cxf. Scalig. Hypcrcritic, feu lib. 6. Poëtic. pag. 822. cap. 5. z. Philip. Lriet. lib. 3. de Poët. Lat. pag. 44. 3- Jul. Caef. Scalig. in Critic. feu lib. s. de rcctica

cap.

Poètes Latins. 35-9

cO* O P P I E N,

De CiUcie^ Poae Grec, vivant fous Ca« racalla, mort de pefte à Tâge de 30. ans fur la tin du règne de cet Empereur.

117L. "JVT Ous avons de cet Auteur cinq Oppicn,

i\l -Livres de la Pécke qu'il prc- fenta à Antonin Caracalla du vivant de fon Père l'Empereur Severe, & quatre de la Chajje qu'il prcfenta au même Caracal- la après la mort 4e Severe. On dit qu'il avoit aulTi travaillé fur la Fauconnerie.

Jules Scaliger avoit une cllime toute particulière pour ce Poète , il en a parle Ibuvent & avec plaifir. Il dit (3) que c'eft un très-grand Pocte & un Auteur très-beau & très-clégant; qu'il ell: agréable <5c aile, que fon llyle eft fleuri , coulant, abondant, fublime , éloquent, harmonieux & mefu- ré. De forte que non feulement il a pafTé de fort loin Gratins & Nemefianus qui ont écrit fur It même fujet, mais qu'il a encore été alTcs heureux pour prendre l'air vde Virgile qu'il a tâché particulièrement d'imiter (4) , & pour nous donner une ima- ge aifcs îidclle de la divinité de ce Poète Latin, qui eft le terme ordinaire de Sca- liger (5).

Ce Critique a répété encore la même

cho-

cap, 9. F-i)?- 664.

Jtem ibid. cap. i6. ejnfd. Irbri.

4. A. Godeau, liift. de l'Egl. fi:i d.i 3. fieclc,

5. lui. Scalig. ut ùipr. p^g. 7 5 S. c.ip. t6.

360 Poètes Latins. Oppîcn. chofe en divers endroits de fes autres Ou- vrages , & il n'y en a pas un il ne nous le reprefente comme un très -excellent Poète (0) <^ comme le favori particulier des Mufes. Les autres Critiques, au moins la plupart (2), ont témoigné être de Tavis de Scaliger, fur tout, pour les qualités ex- cellentes qu'il attribue à fon ftyle. Néan- moins le P. Rapin n'a point laifTé de juger (3) qu'Oppien eil: fcc. Et Mr. Borrichius témoigne (4) qu'il eft quelquefois un peu obfcur , mais il ajoute qu'il eft doâe par tout, & que fa diction a d'ailleurs toutes les beautés & les avantages que Scaliger y a marqués. Il veut même que les Préfa- ces de ce Poète puiiTent paifer pour des Harangues & des Panégyriques à caufe qu'elles font fort écudiées & dans un fîyle Alîatique. -

Le Sieur Craflb (^) eftime que c'eft par- ticulièrement dans les Sentences & les Pa- raboles, c'eli-à-dire dins les penfées & les comparaifons qu'il excelle. Il ajoute qu'Oppien a fait une chofe fort difficile, qui ell de garder l'uniformité par tout, & de l'avoir bien allier avec l'éloquence

du

T. Jul. Scalig. in Exercitat. 218. fedionc prima.

Item Exercitar. 225. &c.

Idem de Cauflis Ling. Lar. 1. 2. c. 53. & alibi.

a. Conrad. Rittershudus in Pioleg. ad luam Op", piani édition.

Olaii^ Borrich. de Toët. GraecisOiflert. pag. 16,

Fr. Vavafl. Rcmarq. fur les Reflex. toixhant la loët. p.îg. 102.

i^aur. Ciafl. de Foët. Grsc. pag. 382*

3. Ren.

POETES Latins. 361

du difcours On la maturité des chofes qu'i' Oppi««5 traite. Mais ou prétend que ce qu'il y a de plus fingulicr dans ceFocte,e[l cette gran- de érudition qui foutient Tes vers. C'eft ce qui a fait dire à Rittershulius (6) qu'il avoit eu l'avantage fur tous les Savans de fon lîécle; & à un autre Allemand (7), <îue ce qu'il a fait n'eft proprement qu'à l'ufa- ge des Savans.

* Oppiani de Venattone ^ l'ib. iv. Latine Jo. Éadino InUrpr. in 40. 'Parif. I^SS- * De Pifcatione<f Latine per L. Lip^

pium cum Scholïts Georg. Ptjlorii in-80.

Bafil. 1 5-60. De Venatïoyîe lih. 1 1 1 .

de Pifcatu lib. v. Gr. Lat. cum notis Rit^

tershufîi in 8«. Lugd-Bat. lyçy. /^»-

ftotattones Joan, Brodai in-S°. BafiL

Ê^ G A-

î. kcn Rapin, Reflcx. paxtlcul. fur la Poët. fé- conde part. Rcflex. xv.

4. Olaiis Borrich. Diflcrtation. de P©ct. Gizc. ut fuprà.

y. L. Ciafib item ut fup. de Poct. Grxc. Italicc in- fol.

6. C. Rittershufius PrifAt. ia Oppiin. Item in notis ad eumdem.

7. Bibliogtaph. Aaonym. cui. hift. rhilolo^ic. iiv Xtï Foëtas.

TomdILPart.IL Q

3^2. Poètes Latins»

cû^ G A B R I A S,

Qui eft un nom forgé fur celui de l'an- cien B A B R I A s Poète Grec , dont on ne connoit ni le tems ni le pays (i)

pabrïâs, nyi y^Et ancien Babrias avoit tourné V^les Fables d'Efopeen VersCho- riambiques (2), au rapport de Suidas. 11 en avoit fait deux Volumes, félon Fedus Avienus (3). Cet Ouvrage n'efl pas enco- re découvert, félon toutes les apparences.

Mais

T. ^. 11 fe trouve divcrfement appelé, Gabrias, Babrias , & Babrius. Il eft cité fous le nom de Ga- brias dans la 59. Epitrc de l'Empereur Julien, par l'on voit qu' Avienus n'eft pas le -premier qui ea en ait fait mention.

2. Suidas in Lexico, didione Chcriambus.

^. Il eft vrai que Suidas au mot XopinuCti dit que 'KnCpidtç ou B'JCptsç avoit donne dix livres de Fables d'Efopc en choriambes , c'eft à dire en vers cho- liambiques , comme pour vers ïambique on dit ïam- be î mais les vers qui nous ont été confervés de ce Poète étant tous S:azons, il eft vifîble que Suidas s'eft mépris en les nommant Xopix/ixC^s au lieu de XaA/a/u°«f > ïambes boiteux.

j. Feft. Avien. Prsfat. Fabular. yEfopicar. ad Theodof. Ambrof.

4. Lil. Greg. Gyrald. Hiû. Poët. Dial. pag. $69* ubi Babrius dicitur.

^. Aide ne l'appella Gabrias que fur la foi de f«n manufcrit. Celui que Patrice Junius envoya de la Bibliothèque Royale d'Angleterre au P. Petau, avoit Gabrias. Ou trouve Gabrias dans la huitième Chi- liade de Tzetzés, ôc Babrias dans la treizième. Ls r étant un B. commencé, pour peu que Tune de ces lettres ait été mal formée , on aura pu s'y mé- (rcadie. A Vi^zii (iç Sabiias ^ de Sâbcius^le ma-

fiufçm

Poètes L a t Tn §. ^553 Mais on a voulu lui fuppofer des vers que Gtbrî«* nous avons fur le même fujet , & on s'eft trompé dans Timpodure en nommant mal l'Auteur prétendu de l'Ouvrage. Le Gi- raldi prétend que c'ell Alde-Manuce l'an- cien, qui en l'imprimant l'appella Gabrias pour Pabrias (4). Quoiqu'il en foit, on convient que l'Ouvrage n'ell pas ancien (s) , & quelques-uns ont publié fur la foi de quelques Manufcrits que c'eft un Dia- cre nommé Ignace qui en cft l'Auteur (6). Après tout on juge que ces Fables ne font point à méprifer pour être un fruit

du

nufcrit ayant pour titre BABPlOT MTQOT, on ava- rie fur BxCptoi & BatC^/stf parce que l'un ôc l'autic viennent également de Buida.

5.<|[. 11 devoir due: Quoi qu'ilec: foit, on convient que Eabrias eft ancien, mais on doit convenir auflî que les Fables en quatrains Grecs ïambiques impri- mées fous le nom de Gabrias, font d'un Ecrivain en comparailon très- récent, nommé Ignace Diacre de l'Eglife de Conftantinople, vivant au neuvième iiécle. La Fontaine qui ne connoiHoit ces quatrains que par la tradudlion Latine ou Françoife qu'il ea avoir lue, a parlé ainfi de leur Auteur qu'il croyoic Gabrias. C'eft dans le prologue de la Fable du Pâ- tre ôc du Lion:

Phèdre étoit fi fuccînt qu'aucuns l'en ont blâmé Efopc en moins de mots s'eft encore exprimé. Mais fur tout certain Grec renchérit & fe pique

D'une élégance Laconique. 11 renferme toujours fon conte en quatre vcrsj Bien ou mal, je le laiâe à juger aux experts.

€. Gcr. Joan, Vofl*. lib. de Poët. Grxc. pag. t6.im Incert. actat. Script. Idem lib. z. Inftitntion. Orator. cap. i^'pag. |Xf. Item Lorenz. CrafT. de Poët. Gizç, pa^. tl|

364 P o I T E s Latins.

Gtbvas. du moyen âge, & qu'elles peuvent pafTcr pour quelque chofe de bon par rapport au tems il y avoir peu de bons Ecrivains.

TIT. CALPHURNIUS,

De Sicile^ Poëte Bucolique, vivant fous Carus, Carin, & Numerien.

Ctlphar- II 72. T L compofa fept Eglogues qu'il »i«s, J^ adrefTa à Nemelîen qui étoit de la

même Profefljon, c'eft-à-dire Poète Bu- colique comme lui. Jules Scaliger dît (i) qu'il fc trouvoit des gens qui lui donnoient le rang d'après Virgile en ce genre d'écri- re, mais il ajoute qu'il n'étoit pas de leur fentiment, parce que c'eft un Auteur trop lâche & trop enflé, qui n'a rien qui réveil- le fon Lecteur , mais que tout le fatigue & le dégoûte dès le commencement. Le P. Brict ne laifTe pas de dire (2) que fon (lyle cft affés net, & qu'il eft pallable, l'on a égard au tems il vivoit, <Sc la Pocfie étoit entièrement déchue de l'état fioriffant dans lequel elle avoit été fous les premiers Empereurs. Mais le P. Rapin le _ coniidére avec beaucoup de mépris (3), difant qu'il a fait fes Eglogues d'une très- petite manière, c'cfl-à-dire dans un carac- tère auflTi bas que le (lyle. * Th,

». Jul. CarT. Scaliger Hypcrciitic. feu lib. é. Poct, pag. ti^. t2).

a. Philip. Brict. lib. 3. de Pocf. Lar. paj.4j.prî» fix. Acutè dift.

3. K«a. R.8pia > Rcfîcx. 27. fur la Poétique z, fait.

4.K

Poètes Latins. ^6^

* Th. Calphnrnii Sicuîi Ecloga feu Bu- calphii»-' coî'îca in- 8°. BaJ'il. I5'46. Ic^em cum ani' niuj, madverfionibiis G. Bartbii in- 8°. Hanov, 1613. *

N E M E S 1 E N,

Africain, natif de Carthage (iTf^rr. Âure* Uns Olympius Nemefianus) fous Carus, Car in & Numerien.

I173 /^Et Auteur a fait un Poëme //^ Nemcûc X^la Chû[Je , & quatre Eglogttes, '^

Ce dernier Ouvrage n'eft pas plus eltimé que celui de Calphurnius. On y trouve à peu près le même caradére & les mêmes dc'fauts, quoique Scaliger (4) ait dit que Nemefien eft plus châtié & plus éxadl que Calphurnius.

Mais le Poëme de la ChafTe lui a acquis plus de réputation , quoiqu'il foit fort in- férieur à Oppîen & à Gratins qui avoient déjà traité le même fujet en vers. Oppien le furpaiïe en toutes manières , & Gratius le furpaife pour la pureté dadifcours,pour l'invention, & pour la méthode (5-).

Néanmoins fon ftyle ne laifle pas d'être affés naturel, fclon le même Scaliger (6;. Ce n'eft pas du llyle vulgaire de fon tcms,

il

4. Jul. Cacf. Scalig. Jib. $. & €. Pocticcs V.l(qu« in Gr;uio ôc in Oppiano rctulimui.

Rcn. R-jp. Rcfl. 17. fur la Poér. 2. part.

5. Scâl:g. lib. ;. Poët. feu Critic. cap. xt. page

75».

6. Idem in Hypcrcritic. feu lib. <. p. 815. & pag,

Q3

366 Poètes Latins.

KemcGcfl. il a même quelque élégance, en un mot fon Traité de la Chafîe eft un bon livre.

Mais il femble qu'on n'ait jamais fe coèffer de fa bonté, jufqu'au point de le faire lire dans les Ecoles publiques, & de Tenfeigner à la jeunefTe comme on a fait du tems de Charles-Magne & de fes Suc- cefTeurs. C'efl un honneur qui ne fe rend ordinairement qu'aux Auteurs Clafliques ou du bon (iécle, & à quelques privilégiés d'entre les Modernes que Ton juge n'être inférieurs aux Anciens qu'en âge. x\inlî «* Ton peut conliderer ce fait plutôt comme

une marque du mauvais goût des huit & neuvième fiécles, que comme une preuve de l'excellence de l'Ouvrage de Neme- fîen (i).

* Venaùct {^ Bucolici Poëtce Latim Gratins , Nemejîa?2us ^ Calphurnius , cum animadv, G. Barthi't ia-^o. Hafio via lôi^,*

PUBLILIUS OPTATIANUS POR- PHYRIUS,

Sous Conftantin le Grand.

f. Optât. II 74 ¥ 'An I5'95'. on tira de la Bîblîo-

lorphy. Lthéque de Marc Velfer, & on

publia à Ausbourg le Panégyrique en vers

que cet Auteur envoya du lieu de fon exil

à Gonftantin. Ce Prince en fit tant de cas

qu'il

T. Tcft. Hincrnar. Rcmenf. ad Hincraar. Laudun. êc apud Votîîum de Poër. Lat. lib. fing. pag. 53. ôc Phii. Briee. lib. 3. de Poct. pag. 45.

z. Gcr. Joan. Voflîus lib, iing. de Poët. pag. 54. ^

Poètes Latims. 367 qu'il voulut le récompenfer par la liberté p. Optât," de Ion retour qu'il lui accorda. Cependant rorpby. les Critiques (z) jugent qu'il y a dans cet» ''"^' te pièce plus de travail que de génie; qu'il y a des affeilations tout-à-fait puériles & des extravagances même; & que le (lyle en e(l i] bas & Il trivial, qu'on prendroit volontiers cet Auteur pour un homme de la lie du Peuple de ces tems-lj. De forte qu'on auroit lieu, dit le P. Briet, de s'é- tonner du jugement li favorable de Cons- tantin, fi l'on ne ûvoit que les Princes qui n'ont pas le loilîr de lire les livres & de s'inrtruire par eux-mêmes, n'en jugent ordinairement que fur la foi de ceux qui les approchent, & fouvent fur le rapport de leurs flateurs.

RliEMMIUS(3)FANNIUS.

Ou Favivus que l'on fiait difciple d'Arno- be, & vivant du tems de Conllantin.

1175- /^Et Auteur avoit fait un Poëme ^^«'"^^''^»

VJ ailes elhme fur quelques matiè- res de la Médecine, qu'il avoit adreifé à Laélance. Cet Ouvrage s'eft perdu, mais nous avons une autre pièce de Verfifica» tion qu'on prétend être de lui, quoi qu'oa l'ait attribuée à Prifcien. C'eft une expofi- tion des Poids & des Mefures , dont les

ver»

Philip. Brîet. lib. 4. de Poër. Lat. &c.

Gafp. Barthius Adrerfaiior. lib. 60. cap. 11. 5c G, M. Koiiig. Bibl.

3. ^Cc nom fc trouve ccmK^mus f'Kemihf y'Rrnt''^ mittt, %h(TnmiHt, ti T{>}<mnius.

0.4

ftiinius,

Jjivcncus.

368 Poètes Latins.

vers font d'un caraclére fort bas & de fort petit goût. De forte qu'il paroît af- fés qu'il n'afongé qu'aux chofes qu'il vou- loit nous apprendre, fans fe foucier de la manière de le faire, (i )Quelques-uns ont crû que cet Ouvrage pouvoit être aulTi de Q. Rhemnius Fannius Pâlaernon célèbre Gram- mairien , & qui fc mêloit aufli de faire des vers , dont Suétone a fait la Vie. 11 y avoit encore un autre Fannius du tems d'Hora- ce qui fe mocque de lui en deux endroits de fcs Satires, parce que c'ècoit un mé- chant Poëtc qui ne laiiîbit pas de faire va- loir fes vers parmi le peuple. Mais après tout, le ftyle du Traité des Poids vk Me- fures paroît être plutôt du bas Empire que du bon fiécle.

* Q^ Rhemnius PaUmoft , de Ponderthns ac Meftfuris xïi'^fi, Lugd.-Bat, i^Sy. *

JUVENGUS,

Poète Chrétien, Prêtre Efpagnol fous Conflantin & Confiance (Cajus Vejiius Aquilius Juvencus) (2).

1175- /^N peut dire que TEglifc bis. \J trois fiécles entiers fan:

îfc a été _ _ is pro-

duire de Poètes, quoi qu'on ne puifTc pas nier qu'il ne fe foit trouvé des Ecrivains <Sc

fur

ï. Voff". pag. J4. 4Z. 4J.&54. dcPocc. Lat.Brict, Konig. ôcc.

z. fl. Nobilijftmus Toëta CfjriffUnui ^dh Juretp. ?7î. éc Iba Symmaquc in-4. fui vulgatis in lil>ris dititifr fimpUsiicr Ju^cntui j A^peUari icltt A qjj l l i n u s

Poètes Latins. 369

fur tout parmi les Chrétiens Grecs qui ont jHVcacus^ compofc quelques Hymnes pour la con#- folation de leurs frères ou pour leur pro- pre fatisfadion.

Du moins n'aî-je pas crû devoir mettre TertuUien ni faint Cyprien parmi les Poè- tes, quoi que Ton ait attribué au premier les cinq Livres en vers contre Marcion que l'on trouve imprimés avecfes Oeuvres , & quelques autres Poeiîes, parce qu'on?» tre qu'on n'y remarque point ce feu & cet- te impétuofité qui paroît dans Tes Ouvra- ges, on fait aflés qu'il étoit trop favant dans la quantité & la mefure, pour avoir fait ce grand nombre de fautes de Profodie qui font répandues dans ces vers.

Le Poème de la Genefe & celui de l'ac- cident de Sodome font un peu plus fleuris ; mais cela ne paroît pas fuffifant pour nous faire croire que Tertullien ou faint Cy- prien en foient Auteurs , non plus que des autres petites pièces de vers qui font i la fin de leurs Ouvrages.

Je n'ai pas parler non plus des Inftf- tutions Acroftiches de Commoâ'te-a , qui vivoit fous le Pape Silvellrc, ly. ou 20. ans avant Juvencus » parce que quoi qu'el- les ayent la mine de Vers, elles n'en ont les pieds ni la mefure, & que ce font de fimples verfets qui ne font liés que par la première lettre des lignes. Ainli

XÎAIUSVETTlUsJtVEKCus, tjutmAjrvo.^um reptri» f fur in opttmis ^ antie^uiff mis membranii. Il ^cmh]cpoui'> tant que C ai u s étant un prénom dcroit préccdc>A. çîju I L I K V s } mais il y a plus d'un exemple cet iuc£ul^j;tc dAflS ic bit Empare.

370 P O E T* E s' L A T tn $;

J<ftûC\ift Ainlî Juvencus peut pafler pour le prc- iTiier des Ecrivains du Chrillianifme qui fe font appliqués à la Poe lie comme à une profeffion férieufe. Nous avons de lui quatre Livres de THiftoire Evangelique prife de faint Mathieu tout de fuite, écrits en vers hexamètres: Mais ce qu'il avoit fait fur les Sacremens s'eft perdu.

Barthius dit (i) que ce Poète a fait con- noître par fon Hiftoire Evangelique qu'il ctoit le plus fimple de tous les Ecrivains; niais qu'il renferme pourtant plus de cho- fes dans le fonds de fon Ouvrage que fa montre n'en promet à l'extérieur. 11 té- moigne ailleurs, que bien que fa Verfifica- tion ne foit pas élevée, elle ne laifTe pas d'être affés Latine; de forte qu'il préten- doit y avoir trouvé beaucoup d'expreffions pures & pareilles même à celles que l'ufa- ge faifoit employer au fiécle de devant ce- lui de Virgile. Il ajoute (2) qu'il y a dans cet Auteur des impropriétés & des barba- rifmes, mais il veut croire que c'eft plutôt le fruit de quelques Moines poftérieurs. C'efl la folution ordinaire que les Critiques •Anti-Mowes apportent aux difficultés qu'on pourroit leur propofer fur la bonté des Ouvrages des Anciens.

Quoi qu'il en foit , on ne peut pas dou- ter que Juvencus ne foit un fort médiocre Poète, qui a écrit d'un flyle fort bas, fé- lon

2. Gafp. Baith. Adveifaiior. lîb. t. cap. t.coI. j^o, . 3. Idem ibidem feu lib. ii. c. 23. col. 552.

3. Fhiiip. Biiçt, lib, 4. de P«ët| Lat. p. a,%, pne« fix, Acutc di^

Poètes L a t i n^^ s. 57T

Ion le Père Briet (3) & qui s'attachant plu- juvcnc«% tôt à fuivre les mots de l'Evangile qu'à choiiir des exprefllons Poétiques , femble^ avoir méprifé tous les ornemens de la Po'éile par un refped particulier pour la Vérité qu'il n'a pas crû devoir dcguifer ou. fouiller par des fixions. Ainli l'on trouve plus de piété que d'élégance dans fes ma- nières de parler, qui néanmoins ne laif- fent pas d'être quelquefois ailés naturelles^ mais qui font toujours fort fimples & fort piates, & qui nous font connoître que Ju- vencus n'étoit pas meilleur Verfii4cateur que Poète par le grand nombre de fautes de profodfe ou de quantité qu'il a faîtes dans fes Vers, comme l'a remarqué Mr. Borrichius (4) & tous ceux qui fe font donné la peine de lire cet Auteur.

* 'Juvencî H'îfpan. facra Poèfis, ftu £• vafigel/cie Hifiorice Poëmatum libri iv. in- 80. Calari 1573. Sedulii ^ Juvenci ^ A" rator'ts^ Prob» Falcon'ue Carmïna C. Suî- phii ^ varia aîiorum O^ufcula ia-40. ^^ net. 1502.

C A-

4. Olaiis Borrich. Diflcrtatlon. 1. de Poct. Laf. jag. 69.

Quibus adëe Ph. Labbcura deSciipiOlib,EççlçC*ftf 'Koui^ium in Bibl, ^c,

Q6

g7a Poètes Latins. cô^APOLLINAIRE,

Le jeune, Alexa-ftârin ^ Evéque de Lao- dicce en Syrie, ou dans la Phenicie du Liban, Poète Grec, Chef des Apolli- iiariftes , vivant fous Julien l'Apoftat, Jovien & Valens, mort vers le com- mencement du règne de Theodofe en 579. ou 380. Il étoit fils d'un Prêtre du même nom.

ApoHi- '^7^ T^^ plufîeurs Ouvrages que le Tiaiic 1^ jeune Apollinaire avoit corn-

ac jeune, pofcs en vers pour Tufage des Chréciens à qui l'Empereur Julien avoit défendu l'étu- de des Livres prophanes, & particulière- ment des Poètes Païens , il ne nous eft redé qu'une Paraphrafe fur les Pfeaumcs, <}uoiquc pluficurs lui attribuent encore la Tragédie de Jefus-Chrijï fouffrant , qui fc trouve parmi les PocTies de iaint Grégoire de Nazianze.

C'ctoît un homme de grande érudition, <5t qui avoit de grands talens pour la Poe» iîe, comme pour les autres Sciences. C'eft

ce

1, Athanaf. Epiftol. ad Antlochcn. BaHl. Ipiftol, 7Z. & alibi i Hieronym. variis ia Jocis, in Chronic. «d ann. 366. & 37J. Pracfat. in Dinicl. &c. Rufin^, î, 2. c ao.

<î<»d€fr. Herm. Vicdefaint Athanafe, tome z.liyrQ 'il. chapitre 13. & tome i. de la Vie de faiiit Baille h\xc i. chap, 26. &c

Thil. Labb. Diffcnat. de Script. Ecdcf. tom, i. ad jPcilojTnjn.

i. Sozomra. iit»f j, Hift<)r, Eiclcf^ cap. 17. &c.

Poètes Latins. 373 ce qui paroît par les éloges qu'il a reçus, Apolli- iion feulement de Socratc & de Sozome- "-".^^ ne , mais encore de faim Athanafe , de * '^"^^ faînt Ba(ile, de faim Jérôme & de que4- ques autres faintsDodeurs qui lui ont ren- du ces tc'moignages honorables, quoi qu'o- bligés d'ailleurs de décrier & de réfuter fes héréiics (i).

Les Critiques ont juge C\ favorablement de fes Poclîes (2) qu'ils les ont crues éga- les à celles des Anciens les plus eftimés. Ils n'ont pas même fait difficulté de le leur préférer en une chofe, en ce qu'il a eu as- fés de réfolution pour embralfer lui feul tous les genres d'écrire qui ont fait féparé- ment l'occupation de chacun de ces An- ciens en particulier.

Qaelques-uns d'eux ont prétendu qu'A- pollinaire a bien reprefenté Homère dans •• fes vers héroïques , qu'il a heureufement imité Euripide & Menandre dans fes Piè- ces dramatiques de l'une & de l'autre efpé- ce , & qu'il a parfaitement fuivi Pindare dans fes Lyriques (3). Ils alîurcnt qa'on trouvoît dans toutes fes compofitions le caradére d'un véritable Poète, & qu'on a

re-'

Jotn. Saiislxrlenf. Poljcratlc. feu de Nugiscurial*

1. s. C. XT.

Gcr. Join. Voffius de Poct. Gtzc. lib. Cngul. pag. 76.

|. Hcnn. Sozom. Hift. de PEglifc 4. fieclc livre 4. fag. iiï, de l'cdit, d'Hol. l'an de J. C. j<î2. oîi il dit que les compofitions d'Apollinaire n'cuflen» ^3LS été moins admirées c{uc celles des Anciens, ft «lies cuflcnt e«i l'avantage de l'Antiquitc qui -coa- facroit les productions de ceux qu'ApoUiiiiùlc cga^ Wu, s'il ne ici furpaiToit 5c c.

Q7

374 Poètes Latins.

Apolii- remarqué dans tous fes vers de la force, de nairc \^ méthode & de la cadence, & fur toutes e jeune. c^Qf^g u^g grande facilité pour ta verfiti* cation.

- Mais cette dernière qualité a pafTé dans Tefprit de faint Jérôme pour un grand dé- faut (i). Ce Père confidéroit la promptitude avec laquelle Apollinaire expédioit fes Ou- vrages comme une précipitation Wâmable qui lerendo't peu éxadôc fujet à beaucoup de fautes. C'ell: peut-être ce qui a fait dire à Pollevin (i) que bien que fa Paraphrafe fur les Pfeaumes foit fort ellimée, on ne doit pas lailîer de la lire avec beaucoup de pré- caution. C'eft un avis, qui, félon le mê- me Critique, ne regarde pas moins le peu d'éxaélitude d'Apollinaire dans fes fenti* mens fur les dogmes de notre Religion^ parce que cet Auteur, dit Bellarmin (3), étant beaucoup moins exercé dans l'étude de la Théologie que dans celle de la Poe- tique & de la Rhétorique , il eft tombé dans des erreurs très-confidérables qui Tont même rendu Chef de fe6le.

Quant à la Tragi-comédie fur la Palîîon de Jefus-Chrift (4), les Critiques moder- nes (5") femblent y avoir trouvé deux dé- fauts confidérables , le premier eft d'avoir ^onné un air trop tragique aux difcours

qu'il

ir 1. S. Hieronyra. Catalog. de Sctiptorib. Ecdcfi. lUuftr. Honor. Auguftod. èi. alii.

2. Ant. Poffevin. in Appar. Sacr. tom. i.

î. Rob. BcUaim» in lib. de Sciipt. Ecdcf. ad ann, Î65.

4. 11. 11 n'y a aulle certitude que cette Tiagédie

Poètes Latins. 37$* qu'il t\it tenir à fes perfonnages ,1e fécond Apolli- eft d'avoir employé un ftyle tout-à-fait co- naue mique dans des fujets tragiques, c'eft-à- ^^ '^"ûc, dire d'avoir traité d'une manière trop bas- fe des matières très -nobles & très -rele- vées.

* ApoUinarii Metaphrafis feu Interpre* tatio PjalmorHm Davidis Gr. Carminé cwm verfione Laùna in*8. ^arif. 1580.

3^ S. GREGOIRE DE NAZIANZE,

Evêque de Safimes^ puis de Conftantwopley Tannée que fon Père Grégoire le vieux fut fait Evêque de Nazianze l'an 327. un an devant faint Bafile:mort l'an 389. dix ans après faint Balîle.

1177. TE ne fai pas encore quel eft lePa- g Greeoî. J tron que la Société des Poètes de Na' Chrétiens en général s'eft choifi, mais je zUûzc, . crois que faint Grégoire de Nazianze l'eft ou peut l'être de ce corps de Poètes Ec- cléfîaftiques , tant Réguliers que Séculiers, qui veulent blanchir fous les lauriers du Parnaffe , & qui prétendent mourir ea chantant. ^

C'eft une chofeafTés extraordinaire, & par conféquent très-digne de remarque, de

voir

f©it d*Apo]linarîs. Tous les Manufcrits l*^attribucnt i S. Grégoire de Nazian-zc quoi qu'elle foit très-pca digne non feuleiucnt de lui, mais du plus médiocKÎ vcrllhcatcur.

5. G. Jeh. Vofl. Inftitution. roët^^ lib. 2. cap» 14^ parag, », pajj, 71^ *^*

37^ Poètes Latins.

s. Grcgoi- voir queceDoâeurde l'Eglife, après avoir rc de Nt. vécu jufqu'à l'âge de cinquante- cinq ans zunzc, ^^^^ ^Ç5 exercices trcs>fc'ricux & très-é- loignés de Tenchantement des Mufes, fem- bie s'être dépouillé de tous les foins que Ton pouvoit attendre d'une perfonne pri- vée & publique de l'Eglife, pour jouïr da repos de fa vieil leflè en qualité de Poète.

Ce n'efl: pas qu'il ne fe fût appliqué à la Poèïîe dès le tems de Julien l'Apoftat , lorfque ce Prince voulut par Edit ôter ;iux Chrétiens Tufage des Poètes propha- nes avec celui de tous les autres Livres des Païens ! mtis puifque la Tragi-comédie de ]cr\iS'Chriù. fouffra^it n'en pas de lui, corn- me nous l'avons vu plus haut, on nepeut pas dire qu'il nous foit redé aucune Poëlîc de fa façon qui ait la moindre apparence d'avoir été compofée du vivant de Julien. Il eft alTés inutile à mon delïein d'exami- ner quels ont été les motifs de faint Gré- goire en faifant de la Poe ne une des prin- cipales occupations de fes dernières an- nées; & ceux qui voudront fe fatisfaire fur ce fujct peuvent confulter Mr. Hermant dans la Vie de ce Père (i) & le P. Tho- inalîjn dans fon Traité de la manière d'é- tudier & d'enfeigner Chrétiennement les Poètes {2). Il

T. Gcdcfr. Hermant , Vie de faint Bafîle & de £aint Grégoire, Jivrc 10. chap. t6. pag. 319. Jîo,

V. Grcgor. Prcsbyi. de Vit. Gxeg. Naz. Itcai Sul-^ das in Lexico.

V. & Jacob Billius in «dit. Operum Naz.

^. Louïs ThomaflÎQ, de Ja manière d'étudier & ^'cufcigner Chietiçûacment les J'cctç* , Préface,

Poètes Latins. 577

Il fuffit de marquer que Tes vers ont été s. Grcgoi- ^galement goûtés & refpcdcs dans J'Egli- ^^^nzc^*' fe Grecque & dans la Latine en toutes fortes de tems. On y a toujours tort elli- cette belle diverlîté qui a paru dans tant de formes de vers. Maïs il n'y a rien de plus important que d'avoir par la fagefle de fa conduite maintenu l'honneur de la Pocfie Chrétienne, fans avoir recours aux rêveries des Fables de l'xAnhquîtc, ni aux preftiges des Divinités ridicules du Paga- nifme.

Quelque chofe que l'on puîfle alléguer pour faire voir la différence qu'on prétend trouver entre la bonté de fes vers & l'ex- cellence de ceux des Anciens Poètes Grecs, on doit convenir avec Dom Lan- celot (3) que fa Poéfie efk belle générale- ment parlant , & que fes vers font beau- coup plus pompeux & plus relevés dans les chofes que ceux d'Homère.

Tous fes Poèmes font afTés courts, & ils n'ont rien qui foit ennuyant ou inutile félon Mr. Hermant (4). Il y exprime quelquefois les fentimens de fon ame, & quelquefois il y fait l'éloge de la Vertu ou la condamnation du Vice: tantôt il y en- feigne les dogmes de notre Religion , tan- tôt

rag. 5. ,

Le même dans le même Ouvrage livre r. chap. r, nomb. I. & 9 pAg. 8. ». 10. II.

}. Frcf. de \a Noav. Mcthod. pour la Lingue Grecque pag. jiî.

4. G. Hcim. fin du chap. i6. comme ci- dcflus pag.

iiO, J3I.

ZliiïZÇ.

378 Poètes Latins. s. Grcgoi- tôt il y traite quelques fentences & quel- ^anL^*' ^^^^ points de Morale, ou il y reprefente divers préceptes pour les faire retenir plus facilement par la cadence & la mefure des vers. Enfin on y remarque, ajoute le mê- me Auteur, par tout du feu, qui eft admi- rable dans un z^e avancé , mais qui eft plein d'une lumière que Ton voit toujours également entretenue par Tonâiion de fa piété , & qui n'eft nullement difpropor- tionné à la gravité d'un grand & d'unîaint Do6leur de TEglife.

Mais j'efpere parler de ce Père avec plus d'étendue au Recueil des Théologiens par- mi les Auteurs Eccléliaftiques.

* On trouve les Poëlies de S. Grégoire de Nazianze dans fes Oeuvres imprimées à Paris 1609. 2. vol. in-fol.Gr.Lat. *

; gO^SYNESIUS,

De Cyrene ou Cairoa», dans la Province de la Libye qu'on appelloit Cyrenaïque, Evêque de Ptolematde ou T'olometta dans la Pentapole qui faifoit partie de la même Province; d'autres fur la foî de quelques Grecs le font Evêque de Gy- rene-même; prétendant que cette Ville a porté aulîi le nom de Ptolémaïde ^ peut-être auroit-il eu foin des deux Egli- fes. II vivoit fous l'Empereur Arcade.

Syaefîus.

II 78. IVTOus avons parmi les Oeuvres

JL\1 de ce Prélat dix Hymnes de

fa

I. Louïs Thomafïîn, de la manière d'étudier &c d'enfeigner Chxéuenncmentks f oetes , Préface , pa- ges 6. 7.

2, Joan»

Poètes Latins. 579 f;i façon, par lefquellcs, au jugement du Syncfius, Père ThomalTin (i), il a montré combien il ell: facile d*exprimer & d'inlinuer par ce moyen dans les efprits ce que la Théolo- gie a de plus élevé , & la pieté de plus ten- dre. Tout Chrétien & tout Philofophe qu'il étoit , il ne pouvoit s'imaginer que refprit humain pût abfolument fe paffer de plailirs & de divcrtiflemens. Il croyoit au contraire que Dieu avoit attaché l'ame au corps par les fens du plailir, afin qu'elle ne s'ennuyât pas d'un poids fi pefant & li peu proportionné à fa nature intellectuelle. .m-14 Or le plaifir le plus innocent qui rabbaifîè le moins la dignité de l'ame , & qui lui laiiTc plus de liberté de s'élever vers le Ciel eft, félon ce Père, celui qu'on goûte dans l'étude de la Pocfie,& des autres connois- fances humaines.

Mais quelque louable qu'ait été Tinteii- tion de Synefius, lorfqu'il a prétendu ren- fermer dans fes vers les maximes de la Théologie, & les fentimens de la piété Chrétienne, un Maître du facré Palais (2) nous a donné avis qu'ils ne font pourtant pas encore entièrement éxemts de cet air de la Phlofophie Païenne qu'il avoit con° tra(5lé avant fa converfion; qu'il a inféré dans fes Hymnes des manières de parler & de penfer qui font encore toutes Plato- niciennes & tcdtes Pythagoriciennes , & que la néceffité de garder la mefure des

vers

z. Joan. Maria Branchcllanus in Décret, facr. Congr, Indic. Expurg.

Item ex eo Fhilipp, Labb. tom. 2. DifTeitat. d€ Sai^»torib. Ecdef, pag. 377,

3^0 Poètes Latins.

Synefius. vers ne luî a point permis d'être aulTi éxaél fur la Trinité qu'un Théologien qui écri- roit en profe.

* Synefii Opéra Gracè ^ Latine ex ver- fione Diomfit Fetailï in-tbl. Parif, 1612.*

€t m U s F E,

Grammairien, vivant vers le commence- ment du cinquie'me iiécle, Poète Grec, Païen.

j^ufç'g^ II79* *VT Ous avons encore les vers que J.^ cet Auteur a compofé fur les Amours d'Hero & de Leandre. Jules Sca- liger juge que fon (lyle eft plus châtié & plus poli que celui d'Homère. C'ell un jugement que Scaliger a porté à l'aveugle dans la penfce que cet Auteur étoit cet ancien Mufce qui vivoit devant Homère, & qui étoit contemporain à Orphée (i). La manière de cenfurer les Livres en ell afTés plaifante, & quand il arrive qu'on fe trompe auffi grofliérement fur un Principe de Critique pareil à celui-là, c'eft-à-dire, qu'en jugeant du ftyle par le fiécle de l'Auteur , on ne s'abufe que de dix -huit cens ans , on peut fe préparer à rire de la conclufion , quand même le hazard l'au- roit rendue véritable. Jofcph Scaliger a bien remarqué cette bévue de fon Père, &

il

I. Jul. Ca:f. Scaliger in Critic. feu lib. 5. Poctices

p«g. 529. Mura:i huius & Homcri locos flmul confcrr.

z, Jo-

1t

Poètes Latins. 3?!

il n'a pu s'cmpccher de la relever en difant Mufcc. (2) que cet Auteur n'e(t pas l'ancien Mu- fde. Mon Père en faiToit plus de cas qu'il ne faloit en le préférant à Homère, ,, mais il ne s'entendoit pas bien à la Poc- ,, fie Grecque. Muféc, continué-t-il, a ,, un ftyle de Sophille , & qui n'eft pas pompeux comme celui de Nonnus de ,, Panople.

Gafpar Barthius prétend (3) que ce Poème a été compofé avec beaucoup d'a- drcfle & de conduite, & qu'il e/l incom- parable pour le ftyle fleuri & abondant. Il ne peut pourtant fe refondre de le pardon- ner à Jules Scaliger d'avoir bien ofc le comparer à Homère, parce que non feu- lement le ftyle affeâé de Mufée n'a rien de l'air naturel de celui d'Homère, mais qu'il y a encore entre la conduite de ce moderne & la fagefTe d'Homerc unediftan- i ce auffi grande qu'efl celle qui fépare la Terre d'avec le Ciel. Il foutient que Mu- fée n'a que des beautés fuperficielles, qu'il cil peint & fardé dans tout ce qu'il dit, qu'il ne s'attache qu'à l'harmonie & à la cadence de fes vers , & qu'il n'a cherché qu'à amufer fon Ledieur au lieu de l'ins- truire; en un mot qu'il n'y a point dans fon Poème de quoi fatisfaire les Savans , qu'on n'y trouve point de cette érudition qui ell néceffaire ^\x%. Poètes , & qui ne

peut

2. Tofeph Scaliger in pofterîorlb. Scaligcraru pflg. 6$.

j. Gafp. B.îrthius lib. 47. Advcrfaiior. caf. 22, col. 2230. :2|i.

382. P O E T E s L A T I N Sr

Mufce. peut plaire qu'à la populace & aux erprits du commun.

Enfin Volîîus dît (i) que cet Ouvrage de Mufée fait voir que fon Auteur avoit plus d'artifice que de génie (2).

* Mufœ'î Krotopagn'îon ^ Herus ^ Lean- âri Gr, Lut, ^ ait a ejufdem argumenîi Poëmata cum Comment, Dan» Parei iii-4. Francof. 1627. -— Idem cum Notis Jac,

Rondelli in-S. Parif, 1678. Idem cuni

Nous P. Voet. in- 8. Ultraj. 1645-.

A U S O N E,

De Bourdeaux fous Valentinîen première Gratîen,Gonrul avec Olybrius l'an 379, par la gratification de l'Empereur fon

. difcîple : mort fur la fin du quatrième fié- cle, ou au commencement du fuivant. {Decîus ou Decimus Magnus Aufomus),

Àufoûc, 1180.1* Es Critiques femblent s'être co- JL piés les uns les autres pour mieux convenir enfemble de deux chofes touchant le jugement qu'ils ont crû de- voir faire des Poëfies d'Aufo'ne. La pre- mière efl: que c'étoit un bel efprit , un gé- nie aifé , fubtil ; & un Poète également

agréa-

r. Gérard. Joan. VofT. de Artc Poëtica lib. Cngu- lari cap. 5. num. 4. pag. 27.

2. ^. Voyés le nouveau JMenagiana page 6. 7, 8c 3Z5. du 2. vol.

3. J. C. Scalig. Poëtic. Thom. Dempfter in Elcm- cho AuÊlor. ad Rof. Auguft. Buchncr. in Thefauta Safilii f abxi à fc SDi&iQf ^ lili a£u4 Maxtio, Haock.

1

Poètes Latins. 3^3

agréable & favant: la féconde eft que fon Aufone. ftyle eft un peu trop dur, quoiqu'il fcm- ble avoir quelquefois alfés d'élégance (3).

Erafme témoigne que ce flyle tient beau- coup de la licence & de la mollelfe de la Cour (4), auffibien que la conduite par- ticulière de fa vie; qu'il ne fe fent point du liécle de Ciceron , & qu'effedivement ce feroit faire autant d'injure à Aufone de Tappeller Ciceronien , que fi on appelloit Allemand un homme qui voudroit paffer |)our François. Mr. Borrichius prétend que tout eft bien choifi & bien travaillé (s) dans fes compofitions , & qu'il n'y a rien qui ne foit fort ingénieux ; mais qu'il n'a pu fe dégager des imperfeâions de fon fiécle.

Cependant Symmaque n'a point laifTé de dire qu'on trouvoit dans les Ecrits d'Au- fone la douceur & les agrémens de Cice- ron (6). Mais il ell bon de confidérer que Symmaque pouvoit être l'ami d' Aufone, & que comme ceux qui vivent dans un même lieu , & qui font accoutumés les uns avec les autres, ne s'apperçoivent point de la mauvaife odeur ou des autres qualités vîcieufes qu'un même air leur communi- que, on peut dire de même qu'il n'étoît

pas

in utraquc parte de Script. Rer. Rom.

. 4. Erafra. in Pialog. Ciccronian, pag. I49. cdit;

Batav. in-ji.

5. Olaiis Boiiîchius DiiTertat. 2. de Poëtis Latia.

6. Symraach. lib. i. Epiftol, ad D^ M| Aufoûiiua,

3S4 Poètes Latins.

Aufonc. pas aîfé à Symmaque de bien fentir les dé- fauts du ftyle & des manières d' Au Ibne , parce qu'il étoit environne d'un même air, c'ed-à-dire qu'il vivoit dans un même fié- cle, & peut-être dans une même Cour.

Jofeph Scaliger qui en étoit fort éloi- gné, quoique dans la même province, i'efl: contenté de reconnoître en lui beau- coup d'érudition , & de dire que c'étoit le plus favant de tous ceux qui avoient paru depuis l'Empereur Domitien jufqu'alors, & que ce n'eil pas entièrement perdre le tems que de l'employer à lire cet Auteur (1). Vives témoigne même qu'il y a dans fes écrits de certains aiguillons , & un cer- tain fel qui réveille fon Le6leur ou qui l'empêche même de s'endormir dans fa le6lure (2) ; & Brodeau le Chanoine de Tours trouvoit fort mauvais qu'on l'appel- îât Poète de fer , pour en donner du dé- g'oût comme on faifoit de fon tems (3). C'eft aulTi ce qu'Elie Vinette ne pouvoit approuver (4).

Mais il femble que perfonne ne foit en- core allé fi loin que Barthius dans les élo- ges que l'on a donnés à Aufone. Car il ne fe contente pas de dire que tout ce qu'il a fait doit être conlidéré comme un fruit de la bonne Latinité (5-), que tout y eft

au-

T. Jof.ljuft. Scalig. in not. adCataleft. Virgilian, ic ap. M. Hanck.

2. T. Lud, Vives de trad, difciplin. lib. j.

3. Joan. Eiodzus Turoncnl. lib. i. Mifcellancor* cap. 6.

4. Elias YlflctusSaacoEai bel; inCom«Cfft.ad An»

fo-

Poètes LaTins. 385* 'autoriTé par quelque exemple de TAnti- Auroat{ quité, qu'il ctoit trop dode pour fon fié* cle, & que les Livres qu'il aiinoit le plus à lire font ceux que nous avons perdus: mais il prétend encore qu'il y a tant de di- vinité dans fes Ouvrages (6) , que cela l'a élevé beaucoup au-dellus de tous les Poé* tes de fon tems.

Néanmoins quelque apparence de vérité que l'on puifle trouver parmi ces éloges outrés de Barthius, je crois qu'il eft bon de les modérer par ceux de Jules Scaliger. Ce Critique témoigne (7) que tout n'efl: pas égal dans Aufone, que ce Poète a em- bra/Té divers fujets, mais avec un fuccès afles divers , & qu'il vaut mieux prendre garde à ce qu'il a été capable de faire, qu'à ce qu'il a fait effcdivement.. Il prétend qu'on ne trouve prefque pas une de fes Epigrammes qui foit travaillée , & qu'il n'y en a pas qui n'ait quelque dureté; qu'il y en a même alTcs de froides , quelques- unes autfi d'impertinentes , & d'autres qu'il s'elt contenté de changer du Grec fanf pouvoir en faire paffer la beauté originale dans fon Latin. Il ajoute que c'étoit un Auteur alfés négligent, & que l'on trou- ve plufieurs de fes ïambes affés bien com- mencés & dans une afles grande pureté,

qui

fonii Opcn.

j. Gafpar Barthius Adferrarîor, lib. j.cip. 7. CoL, lai. 122.

6, Idem in cod. libio ejufd. Opeiis cap. li. coU 144.

7. Jul. CxC Scaliger Hypcrçitic lib. f^ Tpëtig,

l%6 Poètes Latins.

|i.ur<?âC» qui finiflent très-mal , & qui rampent dans la fange, faute de s'être donné la peine de fe foutenir , de revoir & de corriger fes jecrîts.

Ce font des défauts qu'il auroit ré- compenfer par quelques bonnes qualités prifes d'ailleurs ,& qu'il devoit réparer par des maximes & des fentimens tirés de la Morale, comme les meilleurs Poètes de l'Antiquité avoient eu foin de faire avant lui. Mais comme il vivoit parmi les Chré- tiens il avoir peut-être peur qu'on ne le confondît avec eux, li on lui eût trouvé des fentimens trop conformes aux leurs touchant les mœars (i).

Le mêmeScaliger dit qu'il y a parmi fes Ouvrages des chofes fi honteufes & fi dé- tejlables^ que comme elles ne dévoient ja- mais trouver d'Ecrivains pour être rappor- tées, elles doivent trouver encore moins de Lecteurs & d'Auditeurs depuis qu'elles ont été écrites ; que ce n'eft point avec l'é- ponge , mais avec le feu vangeur qu'on doit abolir toutes ces infamies ; & qu'on ne doit point le pardonner à la négligence des fiécles fuivans qui ont fouffert qu'el- les foient venues jufqu'à nous.

Il auroit été du moins à fouhaîter qu'on eût exterminé le miférable Centon^ c'eft- à-dire cette méchante pièce de rapport

qu.'il

î. ç. BaîIIet qui prend ici Aufone non {culcment pour un Païen, mais pour un Païen mal-honnête homme a pu , avant que de mourir , le voir juftifié hu l'un & fur l'autre chef, dans le DidionnaiicdcBay- 2c page 43;. de U it cdit^ 4c F^otcidâin,

Poètes Latins. 3S7

tju'il a faite des moitiés de vers de V^irgile, Aafunc:; fur des matières purement erotiques. C'elL avec beaucoup de juiiice que l'Univerfité de Paris fe plaignoit, il y a quarante ans, de la malice que ce Poète a eue de faire parler d'une façon très-deshonnête Virgile, c'elVà-dire celui des Poètes de TAntiquitc qu'on a toujours loué le plus pour fa chas- teté (i). Et le P. Briet Jéfuite a porté fon 7,èle encore plus loin, lorfqu'il nous a dépeint cette adion d'Aulbne comme un attentat punilfable, jugeant qu'il n'y avoit pas moins d'impudence & d'effronterie que d'impureté & d'infamie dans un hom- me qui avoit été capable de commettre une telle infidélité , & qu'il y avoit quelque chofe de plus diabolique qu'humain dans ce pernicieux art de pervertir les chofes, c'eiî-à-dire de les changer de bien en mal pour drdfer des pièges à l'innocence &àla pureté de la jeuneffe (3).

Au reile la même juflice que nous ve- nons de rendre aux Poëlies deshonnêtes d'Aufone , nous oblige de parler avanta- geufement de fon Poe me fur la Mofelle. C'eft un Ouvrage qui a mérité fans doute une bonne partie des éloges que Symma- que luî a libéralement donnés , quoiqu'il ait de l'excès dans la manière dont il l'ap- proche de Virgile (4). Scaliger s'eft con-

teii-

2. Rcponfc de rUnivcrfitc à TApologie du P. Nie, Cauflin pag. 358.

3. Philipp. Biiet. lib. 4. de Foëtis L;itlu. psg, 50,

4. Symmach, lib, i, Epiftol. qux inçipit , r<;i4 a me Utérus,

R z

38S Poètes Latins. Àufone. tenté de dire (i) que ce feul Poème d'Au- fone peut lui acquérir la qualité de grand Poète, à caufe, dit-il, qu'il y a beaucoup d'art, de dirpolition , d'élocution , de fi- gures , de génie , de candeur , & de fub- tilité.

Avec tout cela îl femble que le Père Rapin n'ait pas jugé à propos de diftinguer ce roëme de la Mofelle d^avec les autres Ouvrages d'Aufone, lorfqu^il a témoigné (2) ne faire aucun cas de toutes les Poë- lîes , difant que ce Poète n'a pu s'élever au-defTus de la foibleffe de Ton liécle.

Quelques Critiques (3) prétendent que les Diliîques Moraux qui portent le nom de Caton font d'Aufone. Mais c'eft une conje6lure dont ils devroîent nous faire voir les fondem-ens.

* Aufom'î Opéra cum Comment. EL Vf neti în-4. Burdigalie 1 5'So. Cum Notis va. riorum per Jac, "ïolUum ia-8. Amjlel. lô'ji

PROl

1. JuL CxC Scâliget 1. 6. Poëtic. ubi fuprà.

2. Le P. Rapin, Rcflex. xiv. 2. part.

3. %. Baptifta Pius fur l'Epitre de Cice'ron à Do- labcUa inférée parmi celles du quatorzième livre \ Atticus, & Guillaume Cantcrus dans fa Préficc fur Euripide font les feuls, je pcnfe, qui fe foient avi- fcs d'attribuer ces Diiliques à Aufone. Contre cet- te opinion, qui n'a pas de fondement, Jofeph Sca- ligcr allègue deux raifons très-pertinentes. La i, que conftamment l'Auteur des Diftiques eft un Ecri- vain Païen, ce qui ne peut convenir à Auione , qui n'auroit pas été chéri des Empereurs comme il fut, s'il eût fait profeffion d'une autre Relij;ioa que de la leur. La a. que Vindicien dans une Epître à l'Em- pereur Valentinien premier, dont il eioit Médecin, «yaat cite m veis ce Catou; comniç Qaa coa- ti*

i

Poètes Latins. 3S9

PROBA FALCONIA HORt TINA,

Poète Chrétienne, Dame Romaine, fous Gratien, femme d'Adelphius (4), tîUe d'Anicius ProbnSy niere de Julienne & ayeule de la Vierge Demetriade.

118 [ I^T Ous avons fous fon nom quel- proba Faj-;

X^ ques refies de Ceyjtons de Vir- conia, gîle fur divers endroits de l'ancien & du nouveau Teftament. Mais quand on nous aura prouvé que ce que nous avons ell vé- ritablement d'elle, nous nous appliquerons alors avec plus de foin à rechercher les ju- gemcns qu'on en a faits. 11 fuffit de dire que fon Ouvrage, malgré le génie & Tin- dullrie qui y paroiiloit , ne lailïa point d'é* tre mis au rang des Livres Apocryphes (f): maïs perfonne n'ignore la ditlcrence de

IV;;-

tume de citer quelque pafîage d'un Ancien, il e'toit naturel de conclure qa'Aulonc ctoit confîdérablc- menr poftérieur à ce Caton.

4. f. Cet Adelphius n'eft connu que d'indore, Pioba Falconia étoit femme d'Anicius Scxtus Petro- nius Probus. Plufieurs au lieu de Falconia , difcnt Faltoiiia, conformément aux anciennes Infcriptions, L'Abbé Fontanini 1. z. de fes Antiquités de U Co- lonie Horta parlant de ces Centons prétend qu'ils font ni d'Anicia Faltonia Proba, femme d'Anicius Petronius Probus , ni de Valeria Proba femme du Proconful Adelphius, mais de Falconia Troba nom- mée hUrtàn/i^ parce qu'elle étoit de la Colonie Hor- tA^ aujourd'hui Ville Epifcopale dans le Patrimoine de S. Pierre.

5. S. nid. HifpaL de VirisUlufli. 1. fîngul. cap. j.

K 3 %^

390 Poètes Latins.

Jiûba Fal- VL.dex de ces premiers tems, c'eft-à-dîre soaiâ, depuis le cinquième fiécle, d'avec celui de nos jours. * Voye's Article 1175-. *

A V I E N U S

{Rufus Feftm) Poète Païen, du tems de Théodofe Tancien.

Avienus, ^^^2 f^Et Auteur a tourné envers les \^ P bé-aomé'/2es à^Aratus^ la Perie- gefc de Denys^ c'eft- à-dire la defcription qu'il avoit faite de la Terre. 11 avoit mis auffi tout Tite-Lîve en vers ïambes ; mais •cet Ouvrage eft perdu, au lieu qu'il nous refte encore des Fables qu'il a prifes de Phcdre, qu'il a mifes en vers élégîaques, & qu'il a dédiées à Théodofe, qui n'eft autre que Macrobe.

Les Critiques nous donnent afTés boa- ne opinion de ce qu'a fait cet Auteur. Bar* thîus prétend (i) que c'eft un fort bon E- crivain,& qu'il ell fi excellent Poète qu'on îe voit fouvent élevé au-defTus de lui-mê- me. C'eft ce qu'il répète encore ailleurs (2), mais il ne diflimule pas qu'Avîenus

eft

% C. î. San^A %»mina, "Ecclejtâ. Dîjl. 15. ou pe Gélafc I. condamne le Livre en ces termes

ou le Pa- termes : Cr»-

timetrum de Chrijîo Virgdianis compA^inatum zerfibus., a- pocryphum. Le mot centimetrum fe lit dans Burchard , dansives, & dans Gratien, Pentdmetru7n qu*on li- loit en de mauvaifes éditions de ce dernier étoit ri- dicule. CeMtmctrum n'eft pas même fort correct , & Pon auroit mieux fait de retenir cento dont avoit ufé ie Pape Gelafe dans fa Dc'crétalc,

i. ^^^2' Baxthias Adverfaiior. lib. 46. cap. 16. îcc.

Poètes Latins. 391

ciî tout-à-fait dur dans fon (lyle. AvicûU?^

Le P. Briet dit pourtant (3) que ce (ly- le eft fort net , fort dégagé , & qu'il mé- riteroit d'être d'un iiécle plus heureux que le fien. C'eft ce que Mr. Boprichius fem- ble avoir afluré pareillement en des termes équivalens (4), ajoutant même qu'il a de' l'élégance & qu'il ell fleuri.

Mais le Sieur de Saint Aubin prétend (5") que fes Fables font infiniment éloi- gnées de la pureté , de la beauté , & de la grâce de celles de Phèdre; & qu'elles ne font nullement propres aux enfans, puis- que félon l'avis de Quintilien , il ne leur faut montrer d'abord que les chofes les plus excellentes & les plus pures.

* Rafi Fejii A lie ni Paraphrafis m Aratl PhccnomenaxW'ioX. Veneî. \ ^(^^.*-'^ Fabu- la ^ vide Corpus Poëtarum in-40. Genevts l6ii. art. 1131. *

P R U*

2. Idem ibidem , fcd lib. 44.

Item Gérard. Joann.Vofnus de Hiftor. Latinislib^ 2. cap. 9. pag. 202. 203.

3. Philipp. Briet. lib. 4. de Poër. Latin, pag. 4». 49, antè Acutè did.

4. Olaiis BorrichiuSjDifTeitation. de Poët. Latin, pag. 70.

5. Saint Aubin ou Sacî de P. R. dans la Préface de h\ Traduction Frarç. de Phèdre vers la fin.

B^ 4

391 Poètes Latins*

PRUDENCE,

Poè'te Chrétien, Efpagnol , Officier de la Cour de TEmpereur Honorius, l'an 34S. fous le Confulat de Philippe & de

i)alia à Sarragoife {Aîtrelius Prudentitts Cîemens) mort autour de l'an 412.

rioicnec. 1183 T Es Poè'fies de cet Auteur ne font jL> inconnues à aucun de ceux qui ont quelque ufage dans l'Office de l'Eglj- fe, & elles ont été fouvent imprimées Ibit féparément, Toit parmi les autres Poélies Latines des Chrétiens.

Il f:^ut avouer qu'il y a plus de Chridîa- nifme que û'Art Poétique dans fcs Ouvra- ges (i). Mais cela n'empcche pas qu'il ne doive tenir un rang afles coniidérable par- mi les Lyriques. Scaliger le fils ne fait point difficulté de dire en un endroit (2) que c'efl un bon Poète, & en un autre (3), que c'eft un Poète élégant. Turnébe avoit déjà dit la même chofe de Pruden- ce (4) , ajoutant qu'outre cette élégance qu'il y remarquoit, il y trouvoit encore

d'au-

î. LU. Gregor. Gyrald. de Kiftor. Poctar. Dial. j. pag. 635. tom. I.

2. Jofepli Sciiliger in primis Scaligeran. pag. iz6,

3. Pofterior. Scaligeian. pag. 51. in didionc Claur

<Hanus.

4. Adrian. Turneb. Adverfarior. lib. 7. cap. 10.

5. Idem ibid. hb. 2g, cap :<S.

6. f . Erafine parlant de Prudence dans fa 666. Lettre de l'édiiion de Leydc dit que ce Tocte efl plus clo- quent que Pindare, mais il ne l'appelle, que je fâ- che j nulle paît un Pindare divin. C'eft uniqueme;u

Bai-

Poètes Latins. 393

d'autres beautés 5c beaucoup de conduite, piuckns^ (5) Eraline-méme l'avoit juge digne d*e porter la qualité dtPindare divîn{6) , qua- lité qui a été depuis relevée, <5c autorifée par Barthius (7), qui témoigne que c'eft un excellent Auteur rempli de mille rare- tés, concernant les Antiquités Chrétiennes (St l'état des affaires de fon tems ; que c'eft un x^uteur qui demande un autre Critique & un plus habile Commentateur que n'é- toit Gifelin (8), qui bien que le moins in- capable de ceux qui y ont travaillé, n*a- voit ni l'érudition ni le difcernement né- Gciïàire pour s'en acquitter dignement.

En effet li l'on en croit Pulman (9), Prudence eft: non feulement le plus pru- dent , mais encore le plus favant d'entre les Poètes Chrétiens. Sidoine Apollinaire Evéque de Clermont qui vivoit foixante ans après lui, & qui faifoit la Profelîion de Poète aufîi bien que lui, a bien ofé le comparer même à Horace (lo), quoique le Perc Briet ait jugé à propos de dire que c'q^ vouloir atteler un bœuf avec un âne, de faire cette comparaifon (11).

Quelque inégale que foit la comparai- fon,

Baithius qui chap. xi. du l. s. de iVs ..AdverfAria & non pas c. p. du 1. 50. lui donne ce nom.

7. Gafp. Baithius lib. jo. Adrerlarior. cap. 7. col»

2J60.

8. Addition au jugement de Gifelin.

9. Theodor. Pulmannus in Prolegoracn. ad fuam Trudentii édition.

10. C. Soll. Apollio. Sidon. & ex eo Gyr. Goà, Briet. Se alii.

ir. Philipp, Bïiet, Soc. J. lib. 4. de Toét. Latin» pag. >■ a.

K 5

594 Poètes Latins.

îfudsncc fon, on ne doit pas convenir que Pruden- ce fût entièrement dépourvu de cet efprit qui doit animer les Poètes Lyriques. Mr. Godeau dit (i) que lès Hymnes pour les Martyrs font fortes & fleuries. Chytraeus^ prétend même qu'il avoit autant de feu Poétique qu'il eft permis à des Chrétiens d'en avoir ; mais que ce feu lui venoit du Ciel, c'e(t-à-dire de l'Efprit- Saint, & non pas de l'Apollon du Parnaffe; que-c'efl du fond de fon cœur embrazé de ce feu divia que fa veine a puifé ôc s'eft remplie détour ce qu'elle avoit de Poétique, comme d'u- ne iburce pure & abondante de piété & de gravité Chrétienne; & que fon éloquence, quelle qu'elle foit , ne laifTe pas d'avoir quelque chofe de divin , & une efficace merveilleufe pour toucher les cœurs & perfuader les efprits (2). Erafme avoit déjà témoigné être dans de pareils fentimens, lorfqu'il a dit (3) que les vers de Pruderjce refpirent une fainteté & une éloquence tout-à-fait Chrétienne.

Giièlin lui-même qui avoit fi mal exa- miné fes propres forces pour travailler iur ce Poète, n'a point laiffé d'en connoître affés bien les qualités. Il prétend (4) qu'il y a trouvé un fonds & une variété admi- ra-

T. Ant. Godeau, fin da quatrième fîéde dcTHiû. derEgliie, ôcc.

2. David Ciiytraciis in Regulis ftudior. pag. 194. ic spud J. A/idr. Qucnlledt Dialog. de Patr. Viior. ll- luftr. p3g. 26.

i. Erafm. de rat. concion. 1, 2.

4. Viftor Gifelin ,Prîefat, in Prud. edit. & not.

5". Olaiis Bouiçhius^ DiUcrtatioû, 2, de poct. La- tin,

Poètes Latins. 395*

rable de chofes excellentes, qu'il Jes a re- pnidenîc^ vêtues de divers ornemens pris des An- ciens, & qu'il y a ajoute beaucoup d'au- tres beautés qu'il a trouvées dans lui-mê- me; mais qu'avec toutes les libertés qu'il a prifes pour embellir les fujets qu'il a traités , jamais il n'eft forti des bornes que la Religion Chrétienne prefcrit à ceux qui veulent vivre & écrire fuivant fes maxi- mes.

Enfin Mr. Borrîchius aflure (s) qu'il n'y a prefque rien de dur & d'irrcgulier dans fon flylc, & que fes vers ont allés de cadence & de majefté. Mais toutes ce^ qualités effedives ou apparentes n'ont point pu porrer le P. Rapin à le mettre au rang des- bons Poètes (6), parce que Pru-- dence avec tous fes avantages n'a pu s'éle- =ver au-deifus de h foiDlelfe de fon fiécle,- Il eft m<2me tombé en un li grand nombre de fautes à l'Cgard de la Profodie, qu'on- ne peut pas raifonnablement le faire palfer pour un Verlificateur parfait (7). C'eft le reproche que lui ont fait tous les Gram- mairiens, dont quelques-uns l'ont accufé aulTi d'avoir négligé la pureté de la Lan- gue (8), & de n'avoir pas fait le choix nu» ccfîaire de fes mots (9).

L'c*

îin. pag. 72. num. 53.

6. René Rapin, Rcflex. partiail, fiir IaToëtiqne,% féconde partie Refl. 14.

7. Gyraldus, Pofleviuus , Godeau, Biietiiis,Boî^ lichius, 5c alii.

8. Lil. Gregoi. Gyr. in Dialog. 5, de HiHoi.rojp^- lar. ut luprL

5>. Juft. i*ipùus,Saturnal. lib. z.cap. 20^

39^ Poètes Latins.

fiijdcnce. L'édition de Pulman avec les notes & les corredlions de Gifelin [/»-i2. Paris" 15-62.] étoit la meilleure du tems de Pof- fevin (i); mais elle a paru peu de chofe depuis celle de J. Weitzius, [/»-8. Ha- nover. 161 3.] & elle a encore beaucoup diminué de prix depuis celle de Nicolas Heînfius [/«^S. Amih 1667.] (2).

De tous les Ouvrages de Prudence, qui font, i. la Pfychomachie ou le com- bat de TAme, 2. le Cathemer'mon ou des chofes journalières , 3. le Perijîephamn ou de la couronne des Martyrs, 4. VA- potheofe ou de la Divinité , 5". V Hamarti' génie ou de Torigine des Péchés , 6. des deux Livres contre Symmaque Préfet de Rome, 7. & du D'ittochAo-a ou Diptychon (3) , autrement Manuel du V. & du N. Tefiament, il n'y a que ce dernier qu'on, ait fait difficulté d'attribuer à Prudence, à caufe qn'il paroît mv peu plus travaillé & plus poli que les autres ; mais félon Gife- lin & le P. Labbc aprcs lui (4) on y trou- ve

' T. Ant. rojDTcvîn. în Apparatu facio tom. 2. pag»

2. 01. Bortichius ut fupra.

3. %. Gifanius a fubftituéO»/j/7cA«»»,àD//f*fArf«;7», mot formé fuivant refjprit de ces tems-là l'on fe plaifoit à CCS fortes de compofitions. ^n^oyjCiat de Strlci & à^ii duplex alimcntum eft une imagination qHi convient fort à un fie'cle ou l*on fe repaiffoit ^'allégories , &c de fpiritualité. Aide Manuce dit

avoir trouvé dans fon Manufcrit D//foi.-A*«w interpré- té diplex refeUiOf ce qui fait voir que ce fens etoit jcçû par tradition. Le même Aide aioute que pai-- ce que ce livre eft moins poli, & moins travaillé <jue les autres, on a cm qu'il n'étoit pas de Pruden- ce

Poètes Latins. 397

ve fon ftyîe,'. fes manières déparier, fes prudence, mots favoris, fes allégories & les mêmes penfe'es que dans fes autres Ouvrages.

C L A U D I E N

{Claudîus) Poète Latin & Païen, natif de Campe en Egypte^ vivant fous /\rcade & Honorîus qui lui firent dreiïer une Statue, mort peu après Arcade.

Les Italiens prétendent que fon Père étoit Florentin.

1184 /^ Laudien ' efl fans contredit le Claudico,.

V-> premier de tous les Poètes qui ont paru depuis le iiécle heureux d'Au- gufte (5-) ; & le Sabeliic femble n'avoir pas eu trop mauvaife raifon de dire (6) qu'il eft le dernier des anciens Poètes & le premier des nouveaux. C'eft fans doute dans la même penfée queMr.Godeau (7) , après divers autres Critiques d'Allemagne (8) & d'Italie (9) , témoigne que de tous

ceux

ce: Sed (juom'am non Jîc excultus e/7 , cb* elitboratus hic //- her , Ht cxteri à. FoUtu covipofui ^ [tint ejni non ejfe PrHden' tii dicHnt. Baillct a pris le contrepicd.

4. Labb, Diûcrtat. de Sciiptorib. Ecclef. tom. z. pag. 26?.

t 5. Euftach. Swart. lib. i. Analector. cap. îj.apui D. JMart. Hanck. de R. R. Script.

6. Marc. Anton. Cocc, Sabeliic. Ven. Enncad. hift. 7. lib. 9.

7. Ant. Godeau, Hiftoire de l'Eglife, fin du qua- trie'me fiéde.

f. JoackimVadian. in Art. Poëtic. Galp. Barthius td Chiudian. Hanckius de R. R. ij. Joleph. Caftalio Ancon. Vaiiar. Lcft. cap. <lo, R ?

jçS Poètes Latins.

Claudien. ceux qui ont tâché de fui vre& d'imiter Vir- gile, il eft celui qui approche le plus de la niajefté de ce Poëte, & qui fe fente le moins de la corruption de fon lîécle. Il s'eft trouvé même un Critique KcofTois qui n'a point fait fcrupule de préférer Claudien à Virgile , lorfqu'il a dit (r) qu'il avoit pafle généralement tous les La- tins pour l'abondance des chofes, & qu'il n'y avoit qu'Homcre feul parmi les Grecs à qui il pût céder la gloire de l'invention. Mais il faut rentrer dans les bornes du vrai-femblable , à. voir ce qu^en ont dit' des Critiques plus raifonnables.

1. Pour ce qui regarde le Génie, on convient qu'il l'avoit admirable. Crinitus témoigne (2) qu'il fembloit être formé de la Nature même pour la Poëfie, & qu'il y étoit heureufement porté. Je ne fai pour- quoi le Père Briet trouve fi fort à redire à ce fentiment de Crinitus (3), puifque la plupart des Critiques en ont jugé de lafor- te, & que les anciens Auteurs Eccléfiaftî- ques même , tels qu'Orofe (4) & Paul

Dia-

T. Thora.Dempftcr. Scot. in Elench. ad Joh. RoH Antiq. Rom.

2. Petr. Crinit. de Vit. Poctar. lib. i. cap. gs.poû- libb. de Honeft. Difcipl.

5. Phil. Biiet. lib. 4. de Poè't. Latin, pag. 49.

4. Paul Oiofius lib. 7. Hiftor. cap. 37. poftD. Aii- gnftinum de Civir. Dcî.

5. Item Paul. Dhcon. lib. 13. Hiftor. mifcell. cap. 15. &c.

6. Joh. Ludov. Vives Commentar. in lib, s, Au- guft. de Civit. Dei cap. 2>.

7. Idem Viv, de uadeadis difciplinis lib; 3. Se a-

Poètes Latins. 399

Diacre (s) ne lui avoient pas refufé cette ciaudien,' gloire, en le décriant d'ailleurs comme un Païen trop paffionnc & trop obfliné.

Vives dit en un endroit que Claudîen étoit ne Poète (6) , & en un autre (7) qu'il pofTédoît refprit dans toute fa plénitude, & qu'il étoit tout rempli de ce feu qui pro- duit Tenthouliafme. C'cll ce qu'ont aulîi reconnu Lipfe (8) , Bachanan (9) , Con- tarini (10), & divers autres Auteurs que je ne rapporte pas ici, afin de laiiTer à Mr. Hanckius toute la gloire que mérite la peine qu'il a prife de les recueillir, & d'en-^ gager le Le6tcur à les aller chercher dans fon Livre des Ecrivains de l'Hiftoi- rc Romaine & dans la partie de fes ad- ditions (11).

n. La Science y c'eft-à-dire, les quali- tés que Claudien avoit acquifes pour la Poclie, répondoient affés bien à fon grand génie & à tous les avantages qu'il avoit leçûs de la Nature pour être un véritable Poète. Ce n'ell pas que je voulufle croire entièrement avecBarthius (12) que tout ce

qu'il

pudHanckium, &c.

t. Juft. Lipfius, in Lib. i. de Admirandis feu de Magnitud. Rom. cap. 2.

9. Georg. Buchanan. in Dialog. de jure rcgni apud Scocos poft hiftoriam fuam.

ïo. Vincent. Contaren. Variar. Leftion. cap. 30,

ir. Martin. Hanckius, lib. de RerumRomanarunî Scriptoiibus part. i. cap. 35. Article 3.

Item parte fecunda livc in additionib. ad cap. 35, Art. 3. Sec.

iz. Gafp. Barthius in Commentât, ad Clandiâiù F^cgyric. J'iobino Ôc Olybiio rcxiptum.

4©o Poètes Latins.

Clâudiea. qu'il avoit acquis de ccnnoîfTances ait formé en \ul-unQ fagejje tout-à-fait divifie* C'eft encore afîes , ce me femble , d'ac- corder à Jean Gebhard (i) que Claudien s'étoit rendu fort habile dans la Science des choies naturelles, dans celle des Loix & de la Jurifprudence , & dans celle de l'Art militaire ; de convenir avec Mf. Borrichius (2) qu'il étoit très-entendu dans la Politique , & qu'il pofTédoit parfaite- ment la Philofophie Morale; & de remar- quer avec le Père Thomaffiu (3) que tout Païen qu'il étoit, il ne lailfoit pas de faire fouvent un aifés bon ufage de cette Morale qu'il avoit apprife.

Mais je m'imaginerois volontiers que Claudien étoit favant en Poète , & que fans s'être tourmenté beaucoup pour ap- profondir toutes ces connoilfances qui de- mandent chacune un homme tout entier , il s'étoit contenté d'en faire l'accefToire de fa profeffion principale. Il fe peut faire

m^-

1. Joan. Gebhard. Animadverf. ad Propertii lib. 2. Elcg. 21. verf. ^z. & apud M. Hanck. de Script, Rcrum Roman.

2. Olaiis Borrichius Diflertat. 2. de Poët. Latin, pag. 73. rum. Î4.

3. Louis Thomafîîn , de la Me'thode d'étudier 5c d'enfeigncr Chrétiennement les Poètes, liv. i.

4. Jofeph. Caftai, cap. j/. Variai. Lection. ôic.ut

fupià.

5. Martin. Anton, Delrio Praefat. notis ad Clau- dien. pracmifia.

6. Vu. Gregor, Girald. de Hiftor. Pcëtar.Dialog, 4. tom. I. pag. 569. in- g.

Jehan. Cu{pin;::n. Comment, in Comment, ad Calïiodori Chronic. non femcl. Jehan, Lang. noi. adNiceph, Callift, EiftQriaEa-

cle-

j

Poètes Latins. 401

même qu'il ne les avoit étudiées que dans cUudIcn, fon Homère & dans Ion Virgile, qu'il a tâché d'imiter prefque en toutes chofes; car félon le témoignage d'un Critique Ita- lien (4), il femble que le plus graud de Tes foins ait été de cultiver fes talens naturels par la leélure continuelle des meilleurs Poètes de l'Antiquité. Il faut néanmoins reconnoître que ce n'eft point d'eux qu'il a pr:s tout ce qui regarde le Droit Romain dans fes Poéiies & les ufages de fon lié- cle (f).

m. Pour ce qui efl du ftyle deClaudicn, îl y a peu de Critiques qui ne conviennent qu'il eft beau , pur, châtié, élégant, doux, difert, grave, élevé, noble; & ce qu'on y a le plus admiré, c'eft de le voir cou- lant & facile avec tant d'autres qualités qui fe trouvent rarement unies enfemble dans les autres Poètes (6).

Il y a pourtant quelques défauts dans ce (lyle il vante. Le P. Fabri prétend (7)

que

dcfîaft. Hb. 12.

Ludov. Coquxus Comment, in lib. 5. de Civit. Dei cap. z6.

Jac. Sirmond. in not. ad Sidon. Apollin. Panegvx,'

Sertor. Uifat. lib. i. Monument. Patavin. fcdiôn, €. ^c.

01. Borrich. ut fuprà. FrancifcusModius Novan- tiq. EpiftoJ. 34. &c.

iul. Scalig. in Hypercritic. pag. 834. oach, Vadian. cap. 24. de Poetica. Honorât. Faber. lib 3. Ingenioli viri cap. 2. Jofeph Scalig. ia porter. Scaliger:inis pag. jr. Bibliograph. anonym. cur. Hiftorico- Piiilolog. piig. 59.

7. IIonor.Fabex fen Fabii ut fuprà lib. 3. Ing. Vid cap. i.

402 Poètes Latins.

Claudieu. que fa Latinité n'eft pas pure que plu- fieurs femblent avoir voulu nous le per- fuader. Le P. Briet dit (i) qu'il a trop de faillies dejeunefTe, & qu'il ell trop enflé; un Auteur de Port-Royal a remarqué la même chofe (2). Le Giraldi prétend qu'il n'efl: point propre pour fervir de mo- dèle à la jeunefTe (3) , qui dans tout ce ftyle ne peut , félon lui , s'accommoder d'autre chofe que de certaines fleurs qu'il y a femées.

Mais ce défaut n'eft pas le feu! que ce | Critique ait remarqué dans les Poélies de Claudien. Il trouve encore à redire à l'invention & à la difpofition de fes fujets. 11 dit qu'il ne s'y foutient pas affés, qu'à dire le vrai, il envifage fort bien fa matière d'abord; on voit même, ajoute-t-il, qu'il la prépare d'une manière fort étendue, & qu'il fe met en devoir de la conduire avec beaucoup de courage & de feu , mais le vent lui manque, oc il eft affés rare que la fin de fes pièces réponde à leur commea- eement.

Le p. Rapîn a été encore plus clair- voyant que le Giraldi fur les défauts de Claudien. Il nous le dépeint comme un Auteur qui n'a point fait paroître beaucoup de jugement dans fes Poèlîes. On voit régner , dit-il , dans tous les Panégyriques

de

1. Thil. Brietius , de Toët. Ilb, 4. ut fuprl snte Acutc didt. roëtar.

2. Anonym. Dclcft. Epigrammat. in Diflertation, prxiiminar. de Epigrammat.

8. L. G, Gyrald. Dial. 4. de Poe t. Hiflor. ut fuprà

pag.

Poètes Latins. 403

de Claudien (4) un air de jeuneiTe qui n'a Claudiec» rien de Iblide, quoiqu'il y paroifle du gé- nie , il entafie fans ordre & fans liaifon des louanges fades les unes fur les autres. Ce Poëte , ajoute-t-il encore ailleurs , a de Tefprit & de Timagination , mais il n'a nul goût pour cette délicatefie de nombre , & pour ce tour de vers que les Savans admi- rent dans Virgile. Il retombe fans celTc dans la même cadence ; ce qui fait qu'on a peine à le lire fans fe lafîer, & il n'a nulle éle'vation dans toutes fes manières.

Jules Scaliger qui reftimoit extraordi- nairement , ne le croyoit pourtant pas éxemi de taches. Mais comme il avoit envie de nous perfuader qu'il avoit la veine heureufè, l'efprit Jufle, le jugement foli- de, le ftyle naturel , & qu'il avoit beau- coup de netteté, de politefTe, d'éxaâitu- de, de fubtilité, point d'affedlation , point d'ambition, il s'^elî avifé de rejetter fes dé- fauts fur fa Matière, affûtant qu'elle n'eft point affés noble & relevée d'elle-même,. & qu'il n'a point laîfle d'en être accablé^ quoiqu'il ait tâché d'y fuppléer par la beauté de fon génie (j), ôa par la forme & les ornemens qu'il a tâché de lui pro- curer.

Gafpar Barthîus qui s'cft fait une étude de réfuter Scaliger en plus de vingt en- droits

pag. 570. &c.

4. René Rapin , Reflcx. particulières fur la Poët, 2. part. Reflex. xiv. Item Reflcx. xv.

5. ]ul. CxÇ. Scalig. lib. 6, Poëtices pag. 834. 835. libri Hypcrciitici.

404 Poètes Latins. Claudicn. droits de fes Adverfaires , a crû devoir prendre contre lui les intérêts de Clau- dien en qualité de fon Commentateur. Il a jugé que ce Critique étoit tombé en dé* lire , lorfqu'il parloît aînfi de la Matière que Cîaudien a prife pour le fujet de (es Poèmes; qu'il ne favoit point quel ell le devoir d'un véritable Poète , qui conlifte d'une part à faire les éloges des Héros ôc des grands Hommes que le mérite a con- facrés pour l'immortalité, & de Tautre à . reprendre avec force le vice & à faire de puilTàntes invedives contre les Scélé- rats qui abufent de leur pouvoir pour in- commoder le genre humain. 11 ajoute qu'il ne connoît perfonne qui ait été plus heureux que Clandien pour ce dernier point , que les Poètes Satiriques & Comi- ques n'ont dit que des chofes fort généra- les fur ce fujet fuivant leur Profelfion : mais- que de tous ceux qui ont e;irrepris les Par- ticuliers dillin6lement 5c féparément d'a- vec la mafTe du Peuple , Clandien eft le feul qui y ait acquis de la réputation , & qui fans fonger qu'il avoit des intérêts, une fortune, & une vie à conferver , eft allé attaquer le vice jufqu'auprès du Trô- ne des Empereurs en la Perfonne de leurs Favoris; qu'il a fait en cette occafîon la foné^ion des Dieux-mêmes , & qu'ainfi il

n'a

T. Gafp. Barthius lib. 5j. Advcrlarior. cap. 2. col,

247S.

2. Maic. Ane. Dcirio Pratf. in not. ad Claud. ut iuprà»

|. Ant*

Poètes Latins. 405- îi'a pu choiiîr une matière plus élevdc & cUudicH. plus di^mie d'être traitée eu vers, c'ell-à- dire en y employant le langage des Dieux (i).

Voilà le raironnement de Barthius, le- quel quoique débité avec ailes de probabi- lité , femble avoir en pourtant moins d'ap- probateurs que celui de Scaliger (2}.

Entre les diverfes pièces de Poélie que Claudien a publiées , les Inve6lives contre R^fi-ri ^ coniïc Eu^rope font les plus belles au jugement de Mr. Godeau, qui ajoute (3) q^'il ne lui paroît pas qu'en ce genre on puifle rien faire de plus achevé. Il femble que c'ait été aulfi le fentiment d'un Ecrivain moderne , mais anonyme d'Alle- magne (4).

Barthius prétend que ce qu^il a écrit contre Rufin^ eft fort inférieur aux deux Livres Satiriques qu'il a faits contre £;/- trope^ fuit qu'on y confidére le fonds de dodrine, foit qu'on veuille avoir égard à la fubtilité & à la force dont il lance fes traits, de forte que fi on ajoute foi aux vers de Claudien, il n'y a perfonne dans toute l'Antiquité qui foit fi diffamé & Ç\ perdu de réputation qu'Eutrope ; & que Rufiii même, qui n'a point été traité avec beau- coup plus de douceur , n'en approche pas {^}. C'eit néanmoins contre fon R:^firt

qu'A-

3, Ant. Godeiii, Hift. Ecclef. comme ci- devint.

4. Anonym. Bibliograph. Curiof. ôcc. ut fuprà pag. 59. 60.

f. Barthius, itCIUtn lib, 53( AdrClGC| 2^€9li247i9 5; fcquçntj

4c6 Poètes Latins. Claudicu. qu'Alain de Tlfle a compofé fon Antt^ Ciaudien^ dont nous pourrons parler en fon lieu.

Après ces Pièces il femble qu'il n'y en ait pas de plus eftimée que le Poème de VEî^léveme?2t de Proferpine. Jules Scali- ger témoigne que la compofition en cil: fort belle, que les vers y font naturels , bien travaillés, fort nets & d'une belle ca- dence , mais qu'ils ne font pourtant pas toujours également & par tout tels qu'on vient de les dépeindre (i).

Jofeph Scaliger faifoit aulTi beaucoup de cas du Poème fur le quatrième Confiât à^Honorhis , qu'il difoit être rempli de beaucoup de belles chofes (2).

Enfin on peut dire que bien que fa Poè- fie ne foit peut-être pas toujours égale, fa Verfificatiouoiie laille pas de l'être. Aulli s'étoit-il appliqué par-deffus toutes chofes, félon Vadianus (3), à la compoiition h à la liaifon de fes vers ,dont le fil n'eft point rompu par les ESihlipfes & les Synalephcs qu'il employé fort rarement. De forte que, tout y eft coulant, & que la douceur de fes nombres, jointe à la belle chute ou à la cadence de îesfyllabes, fe fait fentir fans qu'on y penfe.

On croit ordinairement que l'édition de Nicolas Heinfius fils de Daniel [in-i2. à la Haie i6)'o.] efl: la meilleure , mais un Critique Allemand prétend (4) qu'elle

doit

'' 1. Jul. Scalig. Hypeicritic. feu lib, ^, iaClaudiîUï, )udic. 2, rodaioi, SCâligcxâi), pag. ;r,

Poètes Latins. 407

doit pourtant ccder le premier rang à cel- ciaudica. le de Gafpar Barthîus, quoique le Com- mentaire de celle-ci foit un peu trop long. Et parce que mes Cenfeurs ont témoigné vouloir me faire une affaire de mes omis- fions, je les prie de croire que lorfque je me fuis trouvé engagé à parler des bonnes éditions, je n'ai jamais prétendu exclure de leur nombre celles des Scholiaftes Dau- phins, mais que je n'ai point pu rendre à leur excellence un témoignage dont je n'ai pas encore trouvé de preuve ou de cau- tion dans les Actes publics, ou dans les Ecrits des Critiques , n'ayant pas remar- qué d'ailleurs affés d'uniformité dans les jugemens que l'on en entend faire de vive voix aux Savans d'aujourd'hui pour en pouvoir tirer des conclulions raifonnables.

Au refle, il efl: bon de remarquer après Jules Scaliger, que Claudien a introduit dans la Poelie une efpéce de nouveauté dont on n'avoir point encore vu d'exem- ple ailleurs que dans Perfe. C'cà celle de mettre des Préfaces à la tête de chaque Ouvrage, comme il a fait à la plupart des liens.

* Claudia'/ius cum animadverfionibus lo' CHpletiJJîin'is Gafp. B^rthii in-4. Francofurù léj'O. ■■ - Stephan, C lavent Mifcell.^ Nota ad Claudiaman in-4. P^f^f- 1602. Idem ad uftira Deîphini in-4. Parif,

1677.

R U-

3. Joachim Vadiaa. de Arteîoëtici ad Frarr. «ap 2p. Se apud Hanckium. .*, Bibliographe Gcimaa, Hiftor, p»g. 59% 60,

4o8 Poètes Latins.

R U T I L I U S, (i)

{^ClaudiiiS RiitilîHS Numatianus ^ G al lus) qu'on croît être le furnom qu'il a pris de fon Pays, car il écoît Gaulois, Ecri- vain Païen du tems d'Honorius , après l'an 410.

Rutiiius, II 8. ^^ Et Auteur compofa un Itiné- VJ raire , ou plutôt Ton retour d'un voyage en vers Elégiaques, & il le partagea en deux Livres, après la prife de Rome par Alaric. C'eit un Ouvrage qui a de l'élégance & de la beauté, plus même que fon fiécle n'étoit capable d'en fournir ou d'en foutfrir, qui a fait voir que le feu qui animoit les Poètes du bon iiccle n'é- toit pas encore entièrement éteint, ou du moins qu'il refloit encore quelque chaleur dans les cendres, félon l'aveu de plulieurs Critiques de réputation.

C'eft peut-être tout ce qu'on peut dire à la louange de cet Auteur & de fon Ouvra- ge, Car Tx^uteur ne nous a point donné

d'ail-

1. Ç. Volaterran à II fin du 4. lirredit que Icma- nufcrit de Rutilius qu'il nomme Nauraatianus, fut trouvé avec plulieurs autres dans l'ancienne Abbayie de liobbio l'an 1494. Jovicn Pontan par une Lettre du 13, Février 1503. à Sannazar , qui ctoit alors en France il avoit auiïï trouve les vers de Rutilius defquels il fit aufïi-tôt parc à fcs amis d'Italie» le félicite de cette découvene, & lui envoie en ces ter- mes fon jugement de l'Ouvrage. T{Mtitiani illi vtrfi* euli enodes funt ij nittài: cnlXHi vero ipfe ptregrinus po- tint ^Hêf» Hrl>anHfi ne dimm •rttjfitntx ÇÇUC ^pitre

fiir

PoEtES Latins. 409

d'ailleurs une grande idée de Ton équité & Rutiliu», de fa modération , lorfqu'il a fait paroître contre les Chrétiens toute rinjuflice & toute la malignité dont le plus envenimé des Païens ait été capable: & l'Ouvrage ne paroît pas aulTi travaillé avec toute Texaditude polTible. Mais c'eft un dé- faut dont les Copilles & les Critiques doi- vent partager le blâme, parce que latrans* polition de quelques vers qui paroilTcnt hors de leur place , femble venir de ces derniers plutôt que de l'Auteur (2).

* CI, Rutîiîus de laudibus Urbis , E- trurice ^ iîf Italid. in -4. Bonon. ifio. -— JLjujdem lîinerar'îum , czim anrmad- Terfiombus Theodori Sitzynani in-8. Lugd,

\6\6 Ejufdem It'merariur/i five de

redit» fuo lib, il^ cum animadv, Gafpar. B art hit in-8. Fra/^cof, 1623.

P A L-

fait la 2î. des cent recueillies par Mclchior Goldaft qui l'a tirée du Tome des Oeuvres de Pontan clt fon Traité de rfbtis cœUliiius.

1. Gérard. Joan. Vollîus, de Hiftoricis Latin, lib. 2. cap, 15. pag. 222.

Idem iterum in cod. Opère lib, 3. cap. 2. pag. 74?,

74'î.

philipp. Biict. lib 4. de Poëfis Latin, pag. 52. Pctr. rithocus in prxfar. ad B-util. Numatian. Gafp. Barthius iib. 16. Advexlluior, cap. 6. col. t^x', Olaiis Boriichius DiflertatioD. 2. de Poët.Lat. pag^

Tom.IILParLlL S

4iO Poètes Latins.

PALLADIUS,

Rutilius Taurus JErniVianus , dont on ne connoît pas précifément le teins (i).

I*alliidiu«. I S<^' I" L a écrit en Vers de la manière de X greffer les arbres. Le P. Briet dît (2) que la verfification n'en eft pas mé- chante , & qu'on peut admirer les fleurs de fa Poelîe (par rapport au fiécle l'on fuppofe qu'il a vécu) comme les fleurs de ces Grefl^es des pays étrangers qui ont été entées fur les Arbres du lieu natal.

* Domicii PalJadii Epigrammata in -4. Venet, 1498. *

De quelques Ecrivains Eccléiîaftîques dont il nous refte quelques Vers.

1187. "VTOus avons diverfes petites

X%l pièces de Vers , & fur tout

des Hymnes de quelques Pères de l'Eglife

Latine, qui ne m'ont pourtant pas fait ré-

fou-

1. %. Le tems auquel Palladius a ve'cu n'cft pas îi incertain qu'on ne puifle le reconnoître , li on prend garde que d'une part cet Auteur a cité Api:Ié« Ecrivain du deuzièmeliècle, & que d'une autre il acte cité par Caffiodorc Ecrivain dufizième, d'où il eft à préfumer que l'on peut fort bien le placer au qua- trième, Ôc le prendre pour le Rhéteur Palladius con- temporain de Symmaque. La Profeflion de Rhé- teur n'eft point incompatible a/ec la compofition d'un Traité d'Agriculture, & de plus le ftyie de ce Traité fent extrêmement le fiècle de Symmaque. U- ne autre obfervationà faire, c'eft que Palladius ayant cté mis au rang des Poètes, à cauîe que fon quator- zième

Poètes Latins. 411

foudre de mettre leurs Auteurs parmi les Poètes , foit parce qu'il y a peu de chofe à remarquer fur leurs Vers, ils n'ont fui- vi le plus fouveiu que les mouvemens de leur piété & de leur zèle, foit parce que nefaifant pas profelTion d'être Poètes , il fera plus à propos de parler d'eux au Re* cueil des anciens Pères de l'Eglife.

C'ell ce qui m'a porté à ne rien dire de faint Hiiaire ni de laint Ambrotfe , quoi* qu'il nous foit relté quelques Hymnes de leur façon. J'aurois pourtant eu d'afles juftes raifons pour donner ici un rang aa Pape Darnaje Portugais de nailTance, mort en 384. parce qu'il faifoit profeifion parti- culière de faire des Vers,& qu'il nous res- te de lui diverfes Epigrammes , Epitaphes & autres Pièces de Poèlie dans le Recueil que G. Fabricius a publié des Oeuvres Poétiques des anciens Chrétiens. En effet il padbit pour le meilleur Verliticateur qu'eût alors l'Eglife après Latronianus (3) Efpagnol, que faint Jérôme jugeoit com- parable aux Anciens pour la Poèlie, ôc qui

eut

ziéme & dernier Livre cft en vers, Columelle, dont le dizlème, près de trois fo s plus long, eftenvers auflî , auroit bien recevoir le mêmelionneur. Du icfte, quoique )';iie déclaré que je me chargcois uni- quement de remarquer les fautes de Bailler, je ne pais néanmoins pour le coup, fans tirer à cojifé- qucnce , m'cmpëcher d'avertir que l'addition faite entre deux étoiles à cet article, ca ces termes: Dt- midi PAiLtdii Epigrammata /«-4. Ventt. l^si. doit ctlC rayée.

2. Philipp. Briet. lib. 6. de Poët. Laiia. p-ig. iJf, pracfix. Acutè dift.

3 , ^. PlufîcQis lifcnt M^tronianut,

Si

412, Poètes Lat'ins.

eut la tête coupée à Trêves l'an 385". avec PrifcîUien & les autres panifans de la nou- velle Seéle.Maisla (implicite qui paroît dans îeftyle de Damafe jointe à diverfes libertés, ou pour mieux dire à diverfes fautes dePro- fodie, ne nous donne pas lieu de le pro- pofèr comme un Poète fort important, & capable de tenir tête en cette qualité aux Poètes profanes de fon fiécle, je veux di- re à Aufone, à Claudien & aux autres.

Je pourrois aulîi ne pas omettre Licen- iîus Africain d'Hippone (i) Tami de faint Auguftin , qui le confidéroit (2) prefque comme fon Maître. Il eft vrai que fes Hymnes (3) font péries avec quelques au- tres de fes Pièces, mais il rous eft refté (4) de lui une efpéce de Poëme galant & profane des Amours de P)rame hf 'Tphé (s) dont le ftyle,au jugement du P.Briet, eft affés obfcur . & afTés bas , n'ayant au- cune qualité qui puilfe le rendre tant foit peu recommandable.

S. PAU-

1. <p. Licentius c'toit de Tag-aftc.

2. %. C'eft tout Je contraire. U dcvoit dire : qu*il

confiiéroit.

3. ^. il n^en a fait aucunes.

4. <fl. U n'en eft abloiunient rien rcfté, & l'Au* ic«r cicme n'aciieva pas cet Ouvrage.

5. 9. Ce û'eltpas de ce Poëme ^ui a'éxiile point

que

ToETES Latins. 413 S. P A U L 1 N,

Evcque de Noîe {J>Ieroplus Po-/2t'tus A-ni" dus Panlifi) dans la féconde Aqui- taine, vers l'an ;5-3, mort en 431. Tan- née du Concile (oecuménique d'Ephefe, un an après tli'nt Auguilin , & trente ans après faînt Martin.

11S8. f Es Poèiies de faint Paulin ont S. Paulin;

L toujours été fort conlidérces dans TEglife d'Occident, & ce qui s'en ell confervé jufiu'à nous , fait voir qu'elles n'ont pas été indignes de l'edime de tous les fiécles , par lefquels elles ont paffé. Barthius dit qu'on le peut hardiment pré- férer à tous ceux d'entre les Chrétiens qui fe font adonnes à la Poelîe (6). C'eft un rang qu'on ne doit pas lui refufer , aa moins fur tous ceux qui ont écrit en La- tin^. Le même Critique ajoute qu'il s'é- toit formé le iiyle dans la le^lure des Au- teurs protanes; mais il avoit contribué de fon propre fond cette on6lion que fa piété & fa douceur lui ont fait répandre par tous fes écrits. Ce qui regarde autant fa profe que fes vers.

Le

auç le P. Brict a jut^c, ni pu juger: c'eft d'un autre» d'environ ijo. vers, rapportes dans une Lettre de S. Aiiguftin à Licentius, Ck: dans la coUedion de P. Pithou. Ces cinq remarques lont de Ménage chap. 5^î. de (on Anti-B.ullet.

6. G^lp. r.irîhiiis Adrerfarior. 11b. tj. cap. 14. 2c aounuiia lib. 19. cap. g.

S3

4^4 PoetesLatins.

s,râulin. Le P. Rof.veyde ou plutôt le P. Sacchî- ni Jéfaite, qui elt le véritable Auteur de la Vie de faintPaulinqui paroît dans Te'dition d'Anvers, préfère faint Paulin à Aulbne, & dit que l'Ecolier a pafTé le Maître (i). Aufone lui-même reconnoifroit (2) que fa Mufe étoit inférieure à celle de notre Saint. Et quand nous n'aurions pas cet aveu , il eft fort aifé , dit cet Auteur , de s'en convaincre en conférant le génie & le ftyle de l'un & de l'autre.

On ne peut pas nier que faint Paulin ne foît plus doux & plus agréable; qu'il n'ait quelque chofe même de plus naturel & de plus grand.

Aufone ne craignoit pas de fe faire tort à lui-même en difant tout le bien qu'il en iavoit; & d'an autre côté la différence de Religion & d'inclination fembîe l'avoir m^^ à couvert du foupçon de la flaterie, lors- qu'il a publié que faint Paulin faifoit paroî- tre dans fes Vers une douceur extraordi- naire jointe avec beaucoup de force & de fublimité, & une breveté qui n'a aucune obfcurité (3).

Mais pour ne tromper perfoune, il faut ajouter que ce jugenient regarde plutôt les Poèfies que fainr Paulin avoit faîtes avant fa converfion , c'ell-à-dire avant fon re- noncement aux Mufes profanes , que cel- les

1. De Vita S Paulini p;:g. 6<&.

z. Aulor,. Epifto'. 2c. 2\: alibi, item in Vit. raulifii.

3. Idem Epiftol. 19. ad r.iulin. !tem Voflius His- tor. Latin. !ib. 12. paj. 21 r. oii Aufone Fa'.i l'éloge du Poërae que faint Paulin avoit fait fur le<; trois L> Vics que Suctonc avoit compolcs touchant les Rois

«i'A-

1

Poètes L a t i m s. 41^ les qu'il a compofces depuis, fans s'écar- S.Pauliat ter des régies que la (implicite de TEvan- gilc prefcrit aux Chrétiens. Car après une abdication fi rare, li volontaire, & fi gé- nércufe, il s'eft étudié à éteindre la plus grande partie de fon feu , il a fait défenfler la veine, & ayant étouffé en lui tous les défirs de la réputation humaine , il a ra- baifle fon efprit & fon llyle, & s'eft ren- fermé dans les bornes d'un jufie tempéra- ment , tel que la modedie Chrétienne le demande de fcs Ecrivains. 11 a même por- té le détachement jufqu'au point de ne fe point foucier de garder l'éxaditude de la Profodie (4) , quoique dans tout cet air négligé qui paroît autant dans fa Verfifica- tion que dans fa Poéfie, on trouve tou- jours de certains agrémens naturels qui font aimer l'Auteur & fes Ouvrages.

Mais nous aurons lieu de parler ailleurs de cet Auteur avec plus d'étendue.

Je crois qu'il eft inutile d'avertir qu'il y a eu pour le moins trois Paulins d'Aquitai- ne , qui ont fait des Vers , & que plu- fieurs ont confondus enfemble afïcs mal- à-propos. C*"e(l: à celui de Perigueux ap- pelle Be}7cdîâ:. Pa:îlî?7. Peîrocor. qu'appar- tiennent les fix Livres de la Vie de faint Martin en Vers, qui font entre les mains de tout le monde. Et c'eft à celui de

Bour-

d*Afrique , d'Egypte , des Tiurhes , des Macédo- niens.

4. O'ivuis Borrichius, DilTcitation. de Poët. Latin. P^^ 74.

Joh. Frédéric. Gronovius , lib. Obfcivation, ijl Scripr. Ecclefiaflic, cap. lo. pag. 99,

S 4. .

4i6 Poètes Latins.

5. Paulin. Bourdeaux appelle Paulinus Pellceus^ ne- veu ou petit- fih d'Auione qu'appartient VEucharifttcofi qui une pièce qu'on a toujours jugée indigne du grand faint Pau- lin. On peut voir fur ce point Barthius , le bieur Chr. Daumius, Mr. le Brun, les Auteurs des A£tes de Leiplick & les au- tres Griciqu.es,

* Les Foëlies de S. Paulin fe trouvent dans fes Oeuvres imprimées in-4. à Paris i68y. *

O- N G N N U S,

Egyptien de Panopole dans laThébaVde, i'oéte Grec, vivant en 440. mort vers le milieu du iiccle.

Nonnus.

1 189. "]^T Ous avons de cet Auteur deux X^ Ouvrages d'un cara6lére fort différent ; le premier eft une Paraphrafç de l'Evangile de faint Jean , le fécond eft un Poëme de quarante- huit Livres , ap- pelle les Dioyîjfiaques , contenant les ex- péditions fabuleules de Bacchus.

Ceux qui veulent fe contenter du juge- jnent que Gérard de Falkembourg (i) a fait de ce Pocme, n'auront pas do peine à 4e perfuader que c'ell: un Ouvrage fort ac- compli, qu'oiv y trouve une abondance ôc une douceur admirable , une variété de chofes farprenantes : que c'efl: un Pocte qui a fu parfaitement garder les bienfcan^

ces ;

I, Gérard. Falkenburg. Novioma;;. in Epift. ad Jciu, Sambucum ptJtfix. cdirion. Nonni.

Poètes Latins. 417

ces ; qu'il a bien pris le génie & le ca* Nonnu»i radére d'Homerc, qu'on retrouve heureu- fement cet Ancien tout entier dans Non- nus avec tous les avantages qu'on peut ti- rer de riiiade à de l'OdyiTée, & qu'il n'y a point d'autre ditîcrence que celle qui fe trouve entre les He'ros, les lujets & les infcr'ptions des Poëmcs des deux Auteurs; enûn qu'il n'y a rien dans Nonnus qui ne foit d'un prix égal à tout ce qui eft dans Homère , <Sc qu'en perdant les Ouvra» gcs de ceîui-ci , on ne perdra rien tant qu'on poiTcdcra les Dionyliaques de Non- nus. Ce ionr les fentimens d'un Com- mentateur aveuglément pallionné pourfon Auteur, & Daniel Heinims témoigne (2) qu'il s'étoit lailFé emporter d'abord à Ton aucorirc , qu'il avoit fuivie enfajeunelîè avec d'autant plus de plaifir qu'il étoit a- lors ébloui du faux brillant de Nonnus,, & qu'il voyoit Politien & Muret même aa nom/ore de ce.ix qui eliimoient, & qui ad- miroicnt ce l^oete, étant également: char- més de fa didlion & de fes t]61ions.

Il ajoute qu'il demeura ain(î coiffe de cet Auteur julqu'à ce que Joleph Scaliger lui décilla les yeux & le tira de fon erreur; en lui faifant voir que c'ell un des Poètes les plus fantafques , les plus ir régulier s,.. & les plus dangereux qu'on eût encore wù. dans la République des Lettres.

En effet le ménie Scaliger ne faifoit point de difficulté d'appeller Nonnus un

Poète

z. Dan. Hcinfius in DiiTertat. de Opeiib, Noûui fag. 17^. 177. Stfctici.

S ^

/

Poètes Latins. Koflnus. Poëte fanatique (i) , un Pocte mons- trueux : témoignant que fon Poëme e(l rempli d'écueils qui ne font couverts que d'une furface trompeufe, & qu'il y a une infinité de chofes vicieufcs, foir dans fon llyle, foit dans fes penfées,foit enfin dans la méthode 6c la conilitution de fon Poë- zne (i).

Etfcdivement fon ftyîe paffe pour une étrange manière d'écrire.- Ce ne font pres- que que des fougues & des emportemens d'enthoufiafme, fa diction efl toute Dithy- rambique ou Bacchique, félon VoflTius '& les autres Critiques (3); il n'y a rien de na- turel, rien d'approchant de la pureté d'Ho- mère; en un mot il n'a point cet air libre & dégagé, ni cette belle fimplicité des pre- miers tems.

Si l'on confidére l'ordonnance du Poë- îTse, on n'y trouvera pas plus de régulari- té que dans le fiyle. Le Poëme ell géné- ralement dcfediueux dans toutes fes par- ties, fuivant l'opinion du P. Rapin (4) & de ceux qui nous apprennent qu'un Poëte doit renverfer l'ordre des tems & des cho- fes , au lieu de commencer par le com- mencement de l'Hifioire. Ce même Père

a

1. Jofep.h Seàliger Epiftoî. 247. & 277-

2. Idem Jof Scalig. ibidem

3. Gérard. Jof. Voilius Inftitution. Poëc. lib. 3. pag 89.

OlàiisBorrichius Diflertation. prima de Foëtis Grac- cis num. 42. pag. 18.

Petrus Scriverius in Piatfat. feu Epiftol, dedicator, I^iooyilacoiUin Noimi,

4. Le

Poètes Latin st. 419

a raifun de dire ailleurs (f) que l'Ouvrage Nonn«, des Dionylîaques e(t moins un Poème qu'un Roman , ou une hiftoire de la nais- fance, des avantures, des victoires, & de l'apothéofe deBacchus; que le defTèin en ell: trop vafte , la Fable mal conflruite , fans air, fans ordre, lans vrai-lemblance. La Paraphrafc fur l'Evangile de faint Jean , quoi que moins fujette aux relies de laPoëlie, ne paroît guéres plus heu- reufement exécutée que le Poëme profane. Il a tâché de marcher fur les traces de faint Chryfodome , dont on voit qu'il a voulu prendre les explications; mais il n'a pu fe défaire de fon llyle dithyrambique, qu'il a même accompngné des manières dégoûtantes des Sophiltes de fon fiécle (6). C'eit le devoir d'un ParaphnUte d'cclaircir le texte de fon xVuteur. Non- nus fcmble avoir t"ait tout le contraire; car félon Polfevin (7) fa Paraphrafe obfcurcit beaucoup plus le texte de faint Jean qu'el- le ne fert à rcxpliquer. Cependant Air. Borrichîus ne lailie point de dire qu'ondoie toujours louer fentreprife & les efforts de cet Auteur, quoi que l'événement ne leur ait pas répondu (8^. IVlais Scaliger le ùls

té-

4. Le P. Rapin, Reflex. paxticui. fur la Poétique, féconde partie Refiex. i x.

;. Le même, Refiex. xv. dans la même féconde partie.

6. G. Joh. Volïïas lib. fing. de Poët. p;:g. 79-

7. Ant. Poflevin. Mantuan. lib. 2. Biblioi. leleô*. cap. 30,

8. llorrichius Ut fupra part. i. D;irtikaii;>tt, d^ ïoët, Giîcc,

420 Poètes Latine.

k'Gunus. témoigne (i) qu'il eft encore beaucoup moins excufable dans cette Paraphrafe que dans fon Foème profane, puifque f\ Von confidére la fainteté de fon fujet, il y a commis encore plus d'immodefties que dans l'autre. Et il ajoute qu'il a coutume de lire cet Auteur dans une dilpolkion toute femblable à celle de ces fpeâateurs qui ne vont regarder les bouffons de Théâ- tre que pour le divertir à leur voir faire des poftures & des geftes ridicules.

* Nonnî Gneca Metaphrajis Evangelii 'Joannts ^ D.Heinfii Exeràtatiofîes ad ean^

dem in-8. Lugd.-Bat. 1627. Kjufdem

PanopoUtce Dionyfiaca Gr. Lat. D. Hein- fii ^ jof. Scaligeri in- 8. Lugd-Bat. 161 G. Idem cum nous Valkenburgt 10-4. Ant^ uerp. 1569.

SAINT P R O S P E R,

Natif d'Aquitaine ^ Secrétaire des Brefs fous le Pape faint Léon, homme Laïc & marié , appelle le Difciple de faint Augufîin, mais feulement à caufe de la ]e6iare de fes Livres, .& de la défenfe de dodtiine,. mort vers l'an 4,^:5. ou

1190, /^ Utre un Recueil de 98. Epi- Sainîîios- \^ grammes 6c quelques autres

*^^ petites Pièces de Vers qui font d'origine in-

cer-

T. Jofeph. Scalîg. Epiftol. 247. Et G- Martli. Konigii Bibliothcc Vet. & NOT, pas- 578- i, Aar. Godcou Appiobât, laTia^.fx» de ce

Poètes Latins. 411

certaine, nous avons de faint Profper saint Pio»- d' Aquitaine un Pocmc très- conlîdérablc P^r» contre les Ingrats, c'ell-à-dire, contre les ennemis de la Grâce de Jcfus-Chrill, dans lequel il explique en Théologien très-pro- fond la dodrine Catholique contre les erreurs des Pelagiens & des Semipeia- giens.

Mr. Godeau juge (2) après plutieurs au- tres Auteurs, que cet Ouvrage ell l'abrè- ge' de tous les Livres de faint Auguftin fur cette matière, cSc particulièrement de ceux qui ont été écrits contre Julien. Il ajou- te que les exprclTions en font mervcilleu- fes , & qu'il y a fujet en beaucoup d'en- droits de s'étonner commuent ce Saint a pu accorder la beauté de la verliticatîon a- vec les épines de fa matière. Ce qu'il y a encore d'allés furprenant dans cePocme^ félon un Auteur anonyme, c'ed: de voir que (^) l'cxaditude pour les dogmes de la Foi y foit fi régulièrement obfervée mal- gré la contrainte des vers & la liberté de i'efpril Poétique, & qu'on y trouve les vé- rités reprefentées avec les ornemens natu- rels de la Poëlîe , c'ell-àdire avec des charmes & une hardielle également agréa- ble & ingénieufe.

C'efl ceqai a porté leP.Briet à le comp- ter parmi les bons Poètes, ou du moins à le tirer du nombre des mauvais , quoiqu'il fe foit gliffé quelques fautes de quantité oa

de

Poëme contre les Ingrafs.

3. Le Traduft. Anonyme de cet Ouvrage dansfbjû Aviint-propos.

f , C'cll Ifaiiç le Maiftie de Saci^ ^7

42r Poètes Latins-.

Saint Pcos- de Profodie (i) dans Ton Poëme. Et Mr.

y^-' Borrichius lai rend le témoignage d'avoir

fait beaucoup moins de ces fortes de fm- tes , que tous les autres Poètes de fon tems (2), ajoutant que c'efl: un Auteur di- fert , fabtîl, qui a de la profondeur dans le fcns des chofes qu'il traite.

cj- E U DO X E,.

Ou plutôt EvDGciE Impératrice, fille de Léonce Philofophe Athénien, fem- me du jeune Thcodofe , nommée Athe- naïs avant fon bâté me & fon mariage, morte en 460.

EtPELA.GEPATP.ICEfousZenon.

ZuàojLc. ï^9ï- ï Es Anciens ont parlé avec élo- -■ ' L ge des Poéfies de cettePrinces-

fe. Socrate témoigne (3) qu'elle avoit fait un Poëme héroïque touchant la Victoire, que l'Empereur fon mari avoit remportée fur les Perfes. Photius écrit (4) qu'elle avoit mis les huit premiers livres de l'ancien Teftament en vers, il loue beaucoup ce travail , & il ajoute qu'on lui donnoit un

rang

1. Philipp. Briet. lib. 4. de Poè't. Latin, pag. 54.

2. Olaiis Borrichius Difleit de Poët. Lar, pag. 77,

3. Socrat. Hiftor. Ecclefiaft. lib. 7 cap. 2.

4. Photius in Myrioblbl. feu Biblioth. cod. i8j, 3S4.

Et ex iis Voffius de Poè't. Grac. pag. 78. & 80, & alii recentiores paffin:i.

5. f[. Il fe trouve à la Bibliothèque Royale un manulcrit coté 2891. du Centon de ce Patrice, con- tenant 203. vers feulement, au lieu que le Centon 4^ui fous le nom d''£c/(foxis( fe tiouvc ea deijx autres

Poètes Latins. 413

rang conlidcrable parmi les Pocmes hcroï- Eudoxc; qaes, quoi qu'il n'en fuivît pas les régies, & qu'on n'y trouvât point les maximes de l'Art Poétique^ parce que fli matière &les vérités traitées dans Ton Ouvrage ne lui donnoient pas la liberté d'ufcr des Fables, ni des autres ornemens dont les Poètes ont coutume de divertir leurs Le6teurs : Ôc qu'elle avoit été obligée de fuivre fon His- toire mot à mot pour n'en pas troubler le fens & la fuite.

Cette Princefîe avoit fait encore des Pa- raphrafcs Poétiques fur les Prophéties de Zacharie, de Daniel & de quelques autres Prophètes, au rapport du même Photius. Mais ni lui ni Socrate, m' aucun des An- ciens n'ont point parlé des C entons à^ Ho- mère fur la vie de Jefus-Chrill: que nous avons encore aujourd'hui. En effet cet Ouvrage a été attribué mal-à-propos àEu- docie, & plulieurs Critiques font conve- nus de le donner à 'Pelage Patrice qui vi- voit fous Zenon (5-).

* Eudoxîce Irnperatr'îc'îS de Chr'ifto Ho- mero-Centones. f/'id, Bihliotheca Patrum Tom. VIII. col. 237. iii-fol. Parif. 1624.

SE-

manufcrîts de la même Bihliothéque , l'un coté 2977. rnutte 3260. contient 615. vers: une cho- ie à remarquer c'eft que l'Eudocie du manufcrit 2977. n'eft pas la femme de Theodofe le jeune, mais une Eudocie foeur de l'Impératiice Zoe', fem- jne de Conftantin Monemaque; ce qui ne s'accor- de pas avec Tzetzes qui dans l'Hiftoire 306, de fa 30. Chiliade attribue nettement le Centon à la pre- mière Eudocie. Nos éditions vulgaires contiennent quatre fois autant de vers que les deux dcrnicis Ma- tiufoàts Koyaux ci-deilus fpéciâéi,

4^4 Poètes L a t i k- s. S E D U L I U S,

(Ccelius ouCcecilius) Prêtre Irlandois,feIorî quelques-uns, vivant vers le milieu du cinquième liécle.

Scdulius. ri 92,. *^T Ous avons de Sedul'us cinq X^ Livres de Vers qui compo- fent le Poème Pafckaî font décrits les Miracles de Jefus-Chrill:.

Dempfter qui croyoit parler d'un Ecri- vain de Ton pays, lui a donné beaucoip d'éloges , & nous Ta dépeint comme un Poète fort fublim.e & d'une érudition di- verfe (1). Flacciusillyricus témoigne qu'il a fait paroître beaucoup d'efprit dans cet Ouvrage aulfi bien que de favoir (i). Le P.Briet allure aulTi que ces cinq Livres font très-ingénieufement écrits, ôr qu'il auroit été à fouhaiter que le ftyle eût répondu à ce grand génie (3). Néanmoins Mr. Bor- rîchius ne laiiTc; pas de dire que ce ftyle efl facile, doux, coulant & qu'il a de la clar- té & affés de pureté même pour fon liécle: mais il n'eil pas exemt.de fautes contre la Profodie (4),

DR A-

T. Thomas Dempfter Scot. in Elench. ad Jolian. Rofini Antiquir. Rom.

2. Catalog, Teftium veritatis Auft. anojiyrao, i4 Matrh. Flacc. lllyr.

3. Pliihpp. Briec. lib 4. de Foët. Latin, pag. 5J»

4. Oiaiis Borrichius Diflert, de Pocr. Latin, pag. 76,

5. Gafp. Barthîus, in Adverfariis pag. 352. 353, 2Î59. 2614. & 2615.

6. Ç. Baillée a omis le meilieui de cequeditBar.^

tliiUfi

Poètes Latins. 425* DRACONTIUS,

Prêtre Efpagnol , du tems de Marcieii & Leoii ; d'autres le mettent fous JuQî- nicn , & d'autres même après Charle- magne , mais fans fondement, & con- tre le témoignage de ceux de fon tems & de fon Pays»

1193. T *Hexaëmeron ou la defcrlptîon D^acontius

JL en vers de l'Ouvrage des fix jours, qui porte ce nom dans la Bibliothè- que des Percs & ailleurs, paroît être d'un cara6lére aifés médiocre. Ne'anmoins Bar- thius dit que l'Auteur avoir du fens & de Pérudition (f),quoi qu'il n'eût point grand talent pour écrire poliment (6). Et Gol- dafl: prétend qu'on y trouve en différens endroits de certains traits d'élégance (7) , qui relèvent de tems en tems le courage da Lecteur & foutiehnent fa patience.

Le P. Briet après S. Ildefonfe & S. lû- dore dit (8), que c'eft faint Eugène le jeu- ne Archevêque de Tolède qui s'eft chargé de revoir & de corriger l'Hexaëmeron de Dracontius, qu'il y a mis la Préfoce &les Vers ou iMGmfticbes de la récapitulation du

fep-

thius pag. 3J1. <Je Ces ^dvcrf.triai c'eft que DricOR- tius penfe li fubtilement , qu'on a non feulement beaucoup de peine à i'entend.ie, mais qu'il y a lieu de douter s'il s'cft bien entendu lui-même.

7. Me'ch. Goldall.Haiminsfeld. not. ad Paiacnct. Jcript. Vet. &c.

8. Philip. Biiet. lib. 4. de Tocr. Lat. p. s;. S. Il- defonûis Toletan. de vir. lllull. c. 14. S. lûdot> ^iif^alciif. de Vu'. làluft. ca^. 24.

426 Poètes Latins.

Dracontius feptiéme jour , mais que fon ftyle e(l fort inférieur à celui de Dracontius ; & que s'il y a fait quelque changement, il n'aura pas manqué fans doute de rendre un mauvais office à cet Auteur , en l'altérant &l en. corrompant fon fens.

SIDOINE APOLLINAIRE,

(Cajus SùH'ms ÂpoUî'/iaris Sidonius) à Lyon, d'un Préfet du Prétoire , gendre de l'Empereur Avite, Evêque de Cler- mont en Auvergne, mort un Samedi le 23. (ou le 21.) Août , l'an 484. félon Baronius & fes Sénateurs, & 482. fé- lon le P. Labbe , le P. Lubin & les au^ très.

Sidoine A- Ç\ Uolque pour marquer le tems ou la mort polJinaire, V^ ^^ ^.^^ Atiteurs ^ faye foin autant qu\l m''ejî pojfible de prendre mes dates dans les Hiftorïens c^P les Chronologiftes les plus ex^ aàts y je ne préîens pas néanmoins qu^elies doivent être exemtes d'un nowcel examen , fur tout lorfque les Auteurs ne font point d'accord enfemhle jur ce point. "Je me fuis contenté iufqii'ici de marquer la diverfité des opinions ^ ^ fen uferai toujours de mê- me dans la fuite fans rri* arrêter à les exami- ner. Mais pour faire voir une fois qu^il ar- rive fouvent que les tins zîf les autres [e trompent dans leur fupputation , Cif q^<^ î<^ ne veux prendre non plus parti parmi eux que parmi les garants des fugemens que je rapporte ; je prie mes Le Sieur s de fouffrir ici une efpécc de digreffion , pour avoir le

phv'

Poètes Latins. 427 plaijir de voir que Sidoine Apollinaire n'ejl sidoîne A- tnort ni ï'an 484. ni ran 482. de notre Epo- poliinairc. que ^ s^d eji vrai quil [on mort le 25. Août ^ comme le difent les Martyrologes Romain {^

d'^UjHdrd.

Il ejl conflant que Vanne'e de la mort de Sidoine avoit pour lettre Dominicale E.puis' qu'ail mourut le 23. Août qui étoit un Same- ai. Or Vannée 482. avoit pour Dominicale C. ^ Vannée 484. avoit A. $5* G. ^ caufe de fon bijjexte. C'^eft ce qu'ion peut voir dans les planches du Cycle Pafchal de Vie- torius d^ Aquitaine expliquées par Bncherius^ dans CalviJiuSy çjf dans ceux qui ont fui vi la méthode de caraéîérifer les années par les Cycles ., par les lettres Dominicales ^ ou par les marques initiales des mois ou des Lunes ^

Il faut donc que Sidoine foit mort ou Van- K.ée 480. biffe xtile F. 05^ Y., fous le CoTifulat dn jeune Bafile Jeul ^ la feptiéme année de r Empereur Zenon ^ que Pdque fut le 13. Avril \ ou Van 486- E. fous le Confulat de D^cius ^ Longinus ^la treizième de VEm-^ pereur Zenon .^ que P âme fut le fixiéme A* vril ^l^ que Clovis défit Siagrius le dernier des K '.nains qui fit ohftacle a la Monarchie Françoife.

Mais comme par diverfes circonftances de VHiftoire de France ^ de VEglife de ces tems'là^ on coy7]eLlître av.e Sidoine a paffé Van 480. ^ qu'ail n"" étoit plus au monde vers 483. on peut croire avec Savaron que nos Martyrologes nous trompent .^ ^ qu'eau lieu du 23. jour d^Août ou ils nous marquent la mort de Sidoine^ il faut mettre le 21. du me me mois , su. Kal. VII. BRES. Ain fi

étant

4^8 Poètes Latins.

Sidoine A- ^t^'fit mort un Samedi qtù étoh maraué a Icf poilinaiie. Uttre B. c\'î oit infailliblement Pan'^Sl. qui avoit la lettre Q.pour Dominicale. Foila comme les uns ^ les attires fe [ont trompes j de quelque manière que l'on prenne la chofe'^ ^ comme en prenant des uns ^ des autres ce qiî'ils ont dit de plus vrai-Jemblahle ^fans s"* arrêter au rejte ou ils ont erré .^ il rejulte que S. Sidoine e/i mort le Samedi 21. /iouS de Van ^%i.fous le Confulat de Severin iff de Troc onde , qui fut une année de trou'- la pour la célébration de la Pdque , que les £- gyptiens célébrèrent le 25*. Avril ^ quelques Latins le 11, Mars^ ^ le refle des Fidèles le 18. Avril

ÏI94' TVT^^^ avons les Pocfies de S. XNI Sidoine Apollinaire en vingt- quatre Pièces imprimées ordinairement a- vec les neuf Livres de fes Epîtres. Gas- pard Barthius dit (i) qu'il a fait paroître beaucoup d'efprit dans fes Vers, & qu'il y 2l même de l'éloquence Poétique . mais que c'eft de celle de fon iiécle, qui dégénéroife déjà beaucoup de l'ancienne par l'atfeda- tion dont il ufoit dans les allufions fur les mots & dans les rencontres des noms qui avoîent de la reifemblance. Le P. Rapin dit qu'il eft tombé dans l'impropriété en

aftec-

1. Gafp. Barth. lib, 49, Adverfarior. cap. 18. col. 2î^r9- & lib. 57. cap. it. col. 2699.

2. Ren. Rapin, Reflcx 30, fur la Poëtiq. i. paît.

3. Le même, féconde partie des Reflex. particul. Reficx. xvr.

4. Jul, Gxf. Scaligcr Hypcrcritic. lib. 6. Poctices pag. iz».

Poètes Latins. 4x9

aifedant de la grandeur d'expreflion , fans Sidoine A- avoir pourtant le génie de la Poelie(2), poilmaiic» & il n'a point fait difficulté de dire encore ailleurs (3), que Sidoine a écrit d'une ma* niére fort féche 6c d'un fort petit goût.

Néanmoins Jules Scaliger prétend que c'elt un Ecrivain éxaèt qui elt plein de mots choilis & de penfées ailes fines qu'il renferme dauî» un jjyle concis (4), en- quoi il fait paroître quelquefois un p-u tropd'af- feélation & d'inquiétude. Mais on ne peut pas nier que cet Auteur n'ait le llyle rrop dur, comme l'a remarqué le P. Briet (f) , & quelquefois même trop enflé félon Mr. Borrichius ^6). L'un 6c l'autre trouvent aaffi à redire qu'il ait inventé divers mots nou- veaux qui paroiffent un peu choquans , & qu'il ait fait des fiutes deProfodie, quoi- que le dernier remarque en lui une érudi- tion plus que mcd'ocre & plus grande que fon liécle lèmbloit le foutfrir. Vives avoit remarqué tous ces défauts long-tems aupa- ravant tous ces Critiques de notre fiécle, mais il avoit pourtant dit à l'avantage de la Poélîe de Sidoine que les vieux mots, les phrafes dures & obfcures , ne paroilfent point tant dans fes Vers que dans la Pro- ie (7).

Au relte on peut compter pour un des

bons

5. Philip. Brict. lib. 4. de Poè't. Lar. pag. 57. an- te AGutè dift.

6. Olaiis Bouich. Diflertation. 2. de Poct. Latin, pag. 78.

7. Joh. Ludovic. Vives lib. 3. de ratione dlcendi cap. de Poëtic. &c ex co Gçi, JoU, YolT, lib. iing.d« |eët« Lïtiu. pag. éi,

430 Poètes Latins.

Sidoine A- bons effets de la bonne fortune de Sidoine polliûaiie. Apollinaire, d'être tombé entre les mains, des bons Critiques, tels qu'ont été Sava-i ron, Wower, Elmenhorft, mais le plus important & le plus capable, fans doute, €ft le P. Sirmond, dont les notes n'ont pourtant pas rendu entièrement inutiles celles de Savaron: & plufieurs même par- mi les étrangers prétendent que l'édition de Savaron ne cède guéres à celle du P. Sirmond , quoique celle-ci ait été poflé- rieure à l'autre (2).

Il eil bon de favoir que Sidoine renonça à la Poèfie en renon<^ant au llécle: & qu'il ne fît plus de Vers depuis qu'on l'eût fait Evêque; ce qui arriva l'an 472. de notre Epoque, après la mort d'Eparchius,

* C Soi. ApoUîn. Si dont i Opéra yac. Sirmo/idi cura ^ notis in -4°. Par if. 1652. *

c:^ QUIN-

T. Bibliograph. Anonym. Cur. Hiftorico-Philolog,

I. %. Les deux Livresque Bailler dit ici qu'en at- tribue à Qiiintus outre les 14. des Taralipoménes, font deux Livres de as mêmes Faralipoménes , fa- voir le 12. 8c le 13. que iMichel Neander a donnés fe'parément fous le titre d'i\/j< ihûa-tasi 0tC\i3L SCi» dans loa Aweura Opm impiime à Leipllc in-^, i s 77*

Poètes Latins. 431

c^ Q U I N T U S,

De Smyrne , dit ordinairement le CaU^ broïs ^ à caufe que le Cardinal Beflàrion le trouva en Calabre dans une vieille E- glife de Saint Nicolas près d'Otrante, Cet Auteur vivoit vers le tems de Ze- non ou d'Analtafe.

119^ Ç\ Uintus ou /^C(?/W^ de Smyrne, Quintus.

^«^pour parler félon les Grecs & les Italiens , compola quatorze livres des Poralipomenes d'Homère ^ c'ell-à-dire , de ce qu'il croyoit manquer à ce Poète pour la pcrfedion de fes Ouvrages. On lui don- ne encore deux livres à part de la prife de Troye (i).

Mais le bon -homme s'efl: trompé, lors- qu'il s'eft crû necclîaire à Homère. Car félon tous ceux qui nous ont donné des régies de l'Art Poétique, il efl clair que riliade eft un Poëme achevé (2) & félon d'autres même (3) plus qu'achevé, puis- qu'il devoit finir à la mort d'Heélor fe termine la colère d'Achille. Ainiî les Cri- tiques ont eu raifon de blâmer notre Cala-

brois

La remarque de cette erreur eft duc à Vé\?.Gt 5c la- borieux J. A. Fabrice 1. z, de fa Bibliot. Grecque diap. 7. n. 6.

a. Petr. Mambrun Diflertat. Peripatet. de Carm. Epie, quift. 6. part. i. pag. 375. cdit. in- fol. cum cjufdem Conitantino.

3. B.. Rap. Compaiaifon d'Homeic & de Virgile 'Sec.

432. Poètes Latin â.

;^intus. brois (3) , qui devoit pour le moins s'atta- cher à fuivre fon modèle & à prendre Tef- prit de la véritable Poëfie dans Ton origi- nal, au lieu de faire THiftorien dans les Vers comme on le lui reproche (4). Eu effet quelque naturel qu'il eût pourlaPoë- fîe, il femble que pour avoir ignoré les fondemens de fon Art, il n'ait pu venir à bout de fe faire coniîdérer comme un Poè- te légitime; & le P. Rapin dît nettement (f) que s'étant voulu mêler d'écrire la fuite des Poèmes de l'Iliade & de l'Odyf- fée, fans avoir aucune ombre de cet air ai- & naturel d'Homère, il n'a rien d'éxacl ni de régulier.

Néanmoins cet Auteur n'eft point fans mérite, & quoique fon llyle foit afles bas & afTés corrompu félon Rhodomannus (6) , il ne laide pas d'être formé fur celui d'Homère de l'aveu du même Critique, & d'être foutenu de quelque érudition. Cons- tantin Lafcaris étoit pré veau i\ favorable- ment pour lui (7), qu'il ne faifoit point difficulté de dire qu'il n'avoit rien trouvé de plus approchant d'Homère que ce qu'a- voit fait notre Quintus: Et un Allemand nommé Freigius a pouffé cette opinion

jus-

5. Lacl. Bifciûla In Horis fubccfîvis &3.

Ludo/. de Caftelvetro Comm. in Poettc. Aiiflor.

Item Anton. Riccobon. lib. de Arte Poct.

Jacob. Mazzoni in Defenf. Dantis Aligh,

Torq.Taffb Difr. ltal.de Pocm. Hcroïco&c. quos omncs aliofquc citât Laurent. CrafTus de Poct. Grs- cis Italicè.

4. udeno Nificlli apud cum4, Ciâfl", pag. 437» ♦î8. &e.

Poètes Latins. 433

jufqii'au point de d re que l'on trouvedans Quinwj; cet Auteur tout le génie, toute Tindullrie & toutes les bonnes qualités d'Homerc; de forte qu'on auroit pu prendre Quintus pour un Homère relTufcité (S).

Mais fans s'arrêter à ces hyperboles ri- dicules, je crois que c'ell rendre à Quin- tus toute la jurtice qui lui eft dûë, de dire avec Mr. Borrichius (9) , que c'efi un E- crivain qui nVft pas tout-à-fait indigne d'ê- tre lu, que fon ft}le efl allés net & allés tempéré, qui n'eft ni trop enflé, ni trop hardi, ni trop entreprenant, ni trop em- porté.

* QuÏKii Ccildbri Paralehoynena , id efl derelîcla ab Homero Ub. xiv. Latine reddi^ ta à LatircKiio Rhodomanno in-S*. Ha4a» l'iiC 1604. *

(O^COLUTHUS,

De Lycopole dans la Thébaïde , vivant fous l'Empereur Anallafe, Poète Grec,

1196 "VT O^s avons de cet Auteur un colmhui;

1\| Poëme de l'enlèvement d'He- Icne. li n'a rien de coufidérable félon le

P.Ra-

5. R. Rap. Rcfl. parrlùr \a Poct. féconde partie Rçfl. XV.

6. Laurent. Rhodoman. Prxfat. in édition. Quin- ti Smyrn. Calabri, & alibi.

7. Conftantin. Lalcaris in Giammat. Grâ:c. & a- pud Laur. Craff".

t. Jean. Thora. Ftcigius Epiftol. przfijc. Quint. Calabr. edit.

9. Olaiiî Borrichius Difleitat, de Poct. GratC êcc.

rcm.IlLPsrrJL T

434 Poètes Latins.

Coluthui, p. Rapin, le defTein en eft petit, le (lyle y eft froid & languiflant {i). II femble même que Suidas Ta coniideré plutôt comme un Verlificareur que comme un véritable Poëte (2). Néanmoins on ne lailTe pas d'y trouver quelque érudition, fa didion n'eft point trop fade ni trop pla- te, & on peut dire même qu'elle eft aftcs ileurîe au jugement de Mr. Bornchius(3). Guillaume Ganter eftimoît parmi divers endroits affés beaux celui qui comprend le jugement de Paris, parce qu'il luiparoifToit très-élégamment écrit (4). Au refte Go- luthe a la même obligation au Gardinal Beiïarion que le Calabrois dont nous ve- nons de parler plus haut [Voyés l'Article

1197.]^

* Coiuthi Ihîence Raptus^ Steph. Ubeîo în-8. FrancL 1600. *

^ TRYPHIODORE,

Egyptien , Poëte Grec , vivant du tems de l'Empereur Anaftafe.

*TïyphIo- 1197 TE me contenterai de dire que cet dVrc, J Auteur a fait un Poëme fur la pri-

fe

T. Ren. Rapin, Rcfl. particul. fur la Poct. fécon- de part. Refl. xr.

2. Suidas in Lexico. Vid. & Laur. Crad. de Poct, Grarc. pag. 123.

%. Baillct s'efl imagine' que Ver/îficator employé dans la traduftion Latmc de Suidas pour exprimer le Grec iTrcTctic étoit un terme de mépris, ne lâchant pas que proprement iTOTo<ôc lignifie un Poète Héioï- que & que Suidas n'a donné à Coluthus le nom <i'Ï7r9?rtt6ç que parce que le Poëme de cet Auteur eft

ca

Poètes Latins. 435

fe de Troye , & que le rapport qu'on lui a Tryphîo. trouvé avec le fujet que Quinte de Smyr- doic% ne a traité, a donné lieu aux Critiques de le juger avec lui. Ce qui a paru d'autant plus commode qu'on a remarqué prefque les mêmes qualités & les mêmes défauts dans l'un & dans l'autre} & que celui-ci avoit eu la penfée de continuer & de pcr- fedionner Homère aufîi bien que l'autre. Ainli fans m'obligcr à des redites, on peut voir ce que j'ai rapporté de Quinte , & a- jouter que Tryphiodore paroît un pea plus obfcur & plus difficile que l'autre, fé- lon Mr. Borrichius (5-); & qu'il eft d'un cara6lcre un peu plus bas & plus groiîier, félon le P. Rapin dans la féconde partie de fes Réflexions (6).

* Coluthi HeUnce Raptus Interpr. R, Perderiero , cum noîis Bcrn. Bertrand}^ Et Tryphîodori Libello de Ilti expuznationt m-S.'BaJil. ïssS' *

E N-

en Vers Hcroïqufs. Verfîjîcator d'ailleurs n*A de foi lien de choquant, à moins qu'on n'y ajoute une é- pithete injurienfe. Cornélius Seveius étoit un bon verlihctitenr, B:ivius un mi4uvais.

3. Olaiis Bonichius , Differtat. de Poct. Grxc, pag. 18.

4. Guillelm. Canterus in Commentai, ad Caflaa» dram Lycophronis &c.

5. Ubi fupra pug. 19.

i. Comme ci-dcilus Rcfl. 15.

T 2

43^ Poètes Latins. E N N O D I U S,

Evêque de Pavîe {Marcus Feîix "Ennod'ius Juvcnalts) mort l'an fii. le 17. Juillet âgé de 48 ans félon le P. Sirmond (i) & le P. Labbe, qui dit qu'il fucceda à S. Epiphane l'an 490. de forte que,fui- vant le calcul de ce Père & des autres , Ennodius auroit été fait Evêque à dix- fept ans. Ce qui ne fe peut, puifqu'En- nodius avoit agi affés long-tems en qua- lité d'Archidiacre, & qu'il avoit accom- pa;:né fon Evêque dans diverfes négo- cianons comme lui étant fort utile.

Ennodius. ^^9^ TVT ^^^ avons deux livres des JlNI Poclies de cet Auteur, dont le derner confifle en Epigrammes. Le P. Briet dît que c'efl: un Poète tout-à-fait In- génieux (2) , mais que félon le génie fontems, il a préféré l'ufage des pointes à celui de la bonne Latinité. C'ed aulTi le fentiment de Mr. Borrichius (3), qui a- joute que les Sentences n'y font pas moins fréquentes que les pointes; mais qu'au relfe fi Ton veut mettre à part cette affecta- tion & fa mauvaife Latinité, on ne peut pas nier qu'il ne fût un bel efprir. Ces Poë- lîes font à la fin de les Ouvrages, tant de

l'é-

1. Le Pcrc Sirmond rend lachofe encore plus dif- ficile, difant qu'il aveit été long tcms marie, puis long tems Diacre avanr que d'être Evêque.

2. Philipp. Briet, lib. 4. de Poér. LdCia. pag. 59. 2. Olaiisijomch,£>i0'ciut,2,dc roec.Lac.p;ig. So.

3, PI).

Poètes Latins. 437

rddîtion du P. Sirmond que de celle du P. Ennadltn»* Schort. Cell une choie ailés imguliére de favoir que ces deux favans Jcfuites travail- loicnt en même tems far un marne Auteur qu*ils publièrent, celui-ci à Tournai, <5c celui-là à Paris en la même année, fans que l'un eût eu avis ou communication de l'Ouvrage de l'autre, mais celle du P. Sir- mond efl préférable pour les notes & Té- xaditude mêine, au jugement du P. Lab- be (4) v-Sc des autres connoilicurs.

^È^iKodii Opéra ^ 'Jacohi Sirmoyidi in- 8* Par if, 1642,. *

A V I T E,

De Vienne {Akimus Ecdkhis Avltfts) Ar- chevêque de Vienne après Ton Perc, mort Tan 5-23. le 5-. Février,

Il 99 "^TOus avons de cet Auteur cinq Avite.

JlN livres de Poèiie fur l'hiftoirede MoVfe, que le P. Briet dit être travaillés & conduits fort ingénicufement (f) : de forte que fclon lui Avite méritoît d'être ne dans un liécle plus heureux. C'a été aulîî la penfce de Gafpard Barthius & de Mr. Borrichius. Ce dernier n'a point fait diffi- culté de dire (6) que c'ell un Poète fort é- légant, & qu'on a lieu de sVtonner que

ce

4. rh. Labb. DifTert. Philolog. de Script. Ecclc-, fiaft. ad Bellaim. tom. i. pag. 2-6.

5. rhilipp. Briet. lib. 4. de Toët. Lat. pag. 58. an- tc Acutè didt. Toët.

6. 01;iiis Borrichius , ©iflertation. de Poër. Lat, pag. 75.

T ^

43S Poètes Latins. ^riUf ce fiécle ait produit un homme qui avoit la veine ii belle, fi docle & fi facile. Et le premier jugeant qu'il y a encore beau- coup d'imperfedlions, a cru pour faire le bon Protellant, qu'il en feroit quitte pour dire que les défauts qu'on trouve dans cet Auteur viennent de l'infidélité des Moi- nes (i).

Après tout il faut reconnoître que nous avons encore au Père Sirmond l'o- bligation de nous avoir délivré de la mau- vaife foi du Dodcur Gagné (2), qui avoit fait glifler plus de 5-00. vers de fa façon parmi ceux d'Avite (3).

* Sanéiî Av'tti Opéra Jacohi Sirmondi în-8. Parif, 1643. Ejujdem Foèma-- ta.

B O E-

y. Gafp. Bâithius Jib. 10, Advcrfar cap. 16. col.

z. %. Il s'appelloit en François Jean Gaigny. Son nom cft ainfî écrit au titre de la Traduftion du Commentaire de Primaûus lur S. Paul , faite par ce Doftcur, & imprimée l'an is^o. à Taris.

|. Jac, Sixmond pracf. in Alciraum.

Item.

Poètes Latims. 439

BOECE ou BOETHIUS,

{4 ni dus M.inlîus Sevcr'-nus Boèth'ius)Qoïi'' fui fcul Pau 5-10. mort à Pavie Tan 5'24. le 23. jour d'Oilojre, deux ans avant Ibii beaupcre Symiiiaque, par les ordres de Theodoric ou Thierri Roi des Gots en Italie.

1200 /^ E que ce grand homme a fait de ^^ece,

V->vers, eil inleré dans fes cinq li- vres de la Confolacion. Sa Profe n'e'tant pas fort excellente, fcmble avoir contri- bué par fes ombres à relever l'éclat de fa Poélie, que Jules Scaliger ne fait point difficulté d'appelier divine. Il préiend qu'il n'y a rien de plus travaillé & de plus poli que fes vers, ni en mt3me tems rien de plus grave (4) , que la multitude des Sen- tences ne retire rien A fes beautés, ce qui eft alTés rare , & que fes pointes & fes fub- lilités n'empêchent pas qu'il ne foit tou- jours naturel 6: ingénu.

Les autres Critiques n'en ont pas jugé beaucoup moins avaiîtageufement. Erafme avoué (5) qu'il é[oit allés bon Poète, & que fes vers font pafîables. Jofeph Scali- ger n'y admctto't point tant de modifica* lion, il dilbit à fes Ecoliers (6) que Boé-

ce

Item Lrtbb. Differt. Critic. ad Bellarm. de Vii.U- luftr. tom I.

4 Jul. Catf. Scalig. Hypcrciiiic. feu lib. 6. Poctic» pag. 82$.

5. Def Erafm. in Dialog. Ciceronian.

6. %. Joleph Scaliger n'a jamais eu d'Ecoliers ni €a Fia;icc, ni en Hollande, à moins qu'où n'appcl-

T 4 le

440 Poètes Latins. socce. ce eft un excellent Poète fans reflriction (i), & qu'il imire la phrafe & les manières qui étoient en ufa^e à Rome du tems de Néron. C'a été auffi le fentiment du P. Briet (2) qui enchérit encore fur les autres Critiques, difant que fa Poélie elt digne du bon fiécle. Ce qui fe doit entendre de toute autre chofe que de fa Latinité, que Val la n'a point eu rai Ton de nous propofer comme un modèle de pureté (3), puifque nous fommes tropperluadcs qu'il faut met- tre une grande di{tin6l:on entre le llyle de Boéce & Ion bel efprit , fon érudition , fou induûrie, fa fageilè, & fes autres excel- lentes qualités. oO* A-

Ic les écoliers les perfonnes qui lui rendoicnt vi^te pour avoir l'honneur 6c leplaifir de fa converfation. Pendant ion lejour en France, comme il dcmeuroit ches Mefïîeurs de la Rochepoze', Veitunien Méde- cin de cette maifon ayant louvent l'occafion de le voir , fit en fon particulier un recueil de plufieuïs chofes dignes de remarque qu'il lui avoit ouï dire. C'cft dequoi a été compofé le ScuH^crana frima, il eft dit que Boi':ljius tot-^.j fe^endus ejf , magnus (jm'pfe Philofophus 5 ir Poi'ta tximiHi , phrujln Neroniani tentpo- ris imitans.

I. Jofeph. Juft. Scaligcr in primis Scalig. pag 30. z. Phil. Briet. iib. 4. de Poët. Latin, pag. 59. 5. Jul. Seal g. iteium ut fuprà. %. C'eft tout le contraire. Laurent- Valle 1. (5. de l'élégance de la Langue Latine chnp;3 4. entrcpiei.d de faire voir que Boëce, tout Latin qu'il étoit ne favoit pas parler Latin :/y«/c homim "Howar,» ojf en- dam 'Romane lajut Jiefcire. Sa raifon eft que Boëce ex- plique perfona par fubj}an:it>.y au lieu de l'expliquer ^zi (jualitas. ]1 difpute foit au long contre lui, ôc conelud qu'il nous a, en parlant de cette manière, appris à parler en barbares : nos iarbare locjui dacuiti. C'eft à quoi Jule Sc^.liger faifant alluflon a dit a- grçablcment; VaJU docet eum LiHinè loquiy at VnUam

Bai-

Poètes Latins. 441 G^AGATHIAS,

Poëte Grec , natif de Myrine ou Sehafîo- pôle ^ en Eolide dans TAfie mineure, aujourd'hui Marhani : Scholaftique , c'elt-à-dire Avocat à Smyrne du tems^ de JuQinÎjn.

1201 /^Et Auteur a eu la réputatioiï Agathia^^i

Vjd'un des meilleurs Poctes de fon fTécle. Je penfe qu'il ne nous reile de fes Poëlîes que quatre-vingr & une Epi- grammes (4), qui font répandues dans les

Li'

Boïthiutf l>ene fajrere. Liurent Valle apprend à Botce à pitrler L'it-'n, mais Boh'ce apprend à Laurent Valle à être fa^e. Baillet par une allés plaifante équivoque % cru que ^'alU doctt eum Latine tocjni ^ fignifioit : Law- nnt Valle prouve (jue Bo'Jce parle lien Latiti^ d'où il s'en» fuivroit qu'<:f ValUm Bo'cthiHs bene fap're y fl£,nifieroit: ^I^is Ba'ire prouve (jue Laurent ''aile tjl bien ja^e. Tout moi ie fuis peifnade que l'ignorance dont L:iurent Valle accufoic Boece en matière de Larin ,fc reflrai- gnoit dans le fonda quelques mots, & à quelques phrafes, puifque dans la Trcface de fa DiaïcAique il dit, par manière d'sloge, parlant de lui qu'il efif eruditor-t/n ultimnSf pour donner à entendre qu'il lui- jcftoit encore quelque goût de la bonne & ancienne érudition, à peu près comme Cremutins Cordusap- peloit dans Ion Hiftoive Brutus 5c CalTius l^nna^io- rnm u'ti/nos, parce que dans le tcms que la liberté Romaine étoit perdue ils en avoient retenu l'efprir. 4. %. On pounoit y en a'outer huit, tirées de la. Collcftion anecdote d'Agathias, dont le manufcriC a été transféré de la Bibliothèque Palatine à celle du Vatican, mais dont il y a nombre de copies en- tre les mains des curieux. Daniel Heintius a tra- cfuit en vers Lat'ns deux de ces huit Epigrammey qu'il a inférées avec leur verlinn page 6i8, ôc âiz* de fes loties, édit. in- 12. 1649.

T 3

44i Poètes Latins.

AgatUias. Livres de l'Anthologie, & dont Vulca- nius a foit un Recueil qu'il a publié avec rhiftoire du même Auteur. Jofeph Scali- ger paroît en avoir fait bien du cas, puif- qu'il s'eft donné la peine de mettre en vers Latins celles qui font dans le feptiéme Li- vre de l'Anthologie, Doufa & Vulcanius en ont fait autant de quelques autres. Ce dernier témoigne qu'il aimoit les Pointes, les Sentences, & le (lyle fleuri (i).

Il avoit fait encore un Poème appelle les Daph'/îiques ou Daphniaqnes , qui étoit rempli de galanterie & de quelque chofe de pis (2), mais je ne fâi s'il a vu le jour -depuis l'invention de l'Imprimerie.

A R A T O Pv.

Zilgtirien^ Soudiacre de l'Eglife Romaine, l'an 490. vivant fous Juitinien,mort vers le milieu du fixicme llécle.

Arator. 1202 f^Et Auteur a mis les Actes des

VJ Apôtres en vers Hexamètres,

dont il lit deux Livres qu'il préfenta au

Pape Vigile le fixiéme d'Avril félon Au-

bert

T. ïonaventur.'. Vulcan. feu Snik Prolegom. ad A- gath. 2. Loienzo Craflb de i.Toct. Grzc. p. 12. V. 8c

Suidas in Lexic.

51 L'O'Jvragc compofé en vers hexamètres e'toit divifé en 6 Livres L'Auteur en fait mention au commencement de f ai Hiftoire & dans TEpigram- me s%<î)vtAKcëv (ô;C>i«v rap[>ortéc 1. 6. de l'Antholo- gie c, 9. Cet Ouvrage n'exiftc poiat, |. Tu], Cxfi Scalig. Ia fççu

Poètes Ïj a t i h s. 44^ bert le Mire, ou le /jxicmc de Décembre Aratoz, félon TritthciTie & le P. Labbe Tan 5-43.

Les Critiques ont juge' que cet Ouvrage eft fort élégamment écrit par rapport au fîécle il vivoit , que l'emploi qu'il y a fait des allégories eft fort agréable, à cau- fe des fleurs cSc des autres beautés dont il les a accompagnées (3) , qu'il a de la faci- lité , & qu'il elt allés châtié ; mais qu'il n'21 pu tout-à-fait fe garantir des imperfedions de fon fiécle (4).

Arator avoit fait aufTi des vers fur l'E- vangile & fur quelques fujets particuliers qu'on n'a point encore dércrrés, hors une Lettre en vers Elégiaques à Parthenius, que le P. Sirmond a donnée.

C O R I P P U S, (5-)

Le Grammairien , furnommé Crefconîus félon quelques-uns , Africain , vivant fous l'Empereur Juftin le jeune.

^2.03. T^T Ous avons de cet Ecrivain u- coiippaj,

X^ ne efpéce de Poème Latin di- vifé en quatre Livres à la louange de Jus- tin

Mich. Juftinian. de Scriprorih. Liguiib.

4.. Olaiis l'.oirich. Difleit. de PoeT. Latin, pag. 82,

Vidcnd, & Tritcnem.

Aub. Mir. BelUrm. Labb. & alii paflîm.

5. %. Après avoir mis CORIPPUS au deffus en Capitale, il faloit au bas mettre en caraftcie plus mcn\l FUvius CrcfisutHS Conppui, africain yGrarfinuii- rien , vivant (lus fErnpertur Ju;tin le jeune. Cela au- roit été plus jufte, & mieux lié. Il m'a paru qu*oa dcvoit diie Cori^pm Granimainm , paisc ^tt'il ièfa-

444 Poètes Latins, Çorrppus. jjj^ Yl, du nom Empereur de Conftantîno- pie en vers Hexamètres. L'idée que les Critiques nous donnent de cet homme, eft celle <a un grand flateur ^ d'un petit Poète. Tout ce qu'on dit de plus à fon fu- jet, fe peut rapporter à quelqu'une de ces deux mâchantes qualités. La première rend afTés croyable tout ce qu'on a publié de fa légèreté, de fa vanité; de fa paiTion aveu- gle, & de fon indilcrétion dans la diflribu- tion du blâme & des louanges. La fécon- de n'a pas befoin d'autres preuves que cel- le que nous en donnent fes méchans vers, fa dureté, fon obfcurité , fa profodie vi- cieufe & la mauvaife Latinité.

Vofîius eftime qu'on ne devoît pas 6ter des éditions poftérieures les argumens qui étoîent à la première, parce qu'il les croit fi anciens, qu'il ne fait pas difficulté de les donner à Corfppus-méme comme à leur véritable Auteur.

* Corippiis A fr te anus , de Laude 'Jufl'mi ÂHguftt Minoris carminé, l'ib. iv. m-^.Ant'

nerp. 15-81. Idem. cnmComm. Dsmp"

Jleriia'S. Parif. lôio.

FOR-

fclcroit (1 on difoit le Grammairien , quM y auioit eu

plus d'un Corippus.

- Galpir Barthius lib. 9. Adverfaxior. cap. 12. col.

436.

Nicol. Alamann. Praefat. in Procop. Cacf. lib. p. fc. Anccdor.

Pivlipp. Biiet.-lib. 5. de Poct. Latin, pag. 61. an- Acuiè did.

Olaiis Bonickiiis Dlilçitatioi}. 2. <k fecr. Lat. pag.

Poètes Latins. 445*

F O R T U N A T,

{p^enantius îlonorius ou Honoratus Clemeii' tianus Fortuyiatus) dans la Marche Trevilane , Evcque de Poiriers, mort vers le commencement du feptiéme lié- cle.

1204. TT^Ortunat eft un des plus fmpor- portunat.

J7 tans d'entre les Poètes de l'An- tiquité Chrétienne. Nous avons onze Li- vres defesPoélTes diverfes tant en vers Ly- riques qu'en Elcgiaques;& quatre de la Vie de Saint Martin en vers Héxamérrcs , fans parler de quelques fupplémcns & de diver- fes Pièces qu'on dit être encore manufcri- tes dans les Bibliothèques.

Gafpar Barthîus qui femble s'être fait le Panégyrille des Auteurs du moyen âge, a témoigné en pluiîeurs endroits qu'il étoît charmé de la beauté de l'efprit de ce Poè- te. Tantôt il dit (i) que c'étoit un génie extraordinaire, & que la veine étoit beau- coup plus heureufeque les malheurs de fon fiécle femb'oient ne le pouvoir fouffrir : tantôt il allure qu'il faifoit toute la mer- veille

S), ubi tamen Corippam vocat Foctaxn non igno- bilem.

G. J. Voiïîus de Hiftoric. Latin, lib. 3. cap. j, pag. 74 S. 749.

Idem Voflîus lib. Cngul. de Poër. Lat. pag. 6é. «<c.

I. Gafpar Barthius Adverfaxior. lib. 46. cap. ^, item ex co.

Fhilipp. Biiec. lib, ;. de Toëtis Latin, pag. 62, aor le Acutè di^,

T 7

44<5 Poètes Latins. Foitunat. 'vcille du lems & du pays il vivoit,mais que ni l'un ni l'autre n'étoient pas ailes bons juges de fon mérite; qu'il auroit paroître dans le bon liécle, c'ell-à-dire fur un Théâtre digne de lui (i), & qu'il a eu moins d'honneur d'avoir été le premier de ceux de fon tems , & d'avoir pu fervir de modèle à ceux qui font venus après lui (2). Mais comme ces éloges pourront paroî- tre outrés à ceux qui ne fongeront pas à faire la diilinction d'un bon Ecrivain des iiécles corrompus & barbares d'avec les médiocres Auteurs même des liécîes heu- reux ; il vaut mieux n'y avoir ooint d'é- gard , & croire que Fortunat s'eilimeroit plus honore d'avoir un rang honnête par- mi les médiocres xVuteurs du bon fiécle, que de fe voir à la tête de tous ceux des (iécles miférables , les belles Lettres fembloient être difgracices.

On peut donc dire que Fortunat auroit même été eilimé parmi ces premiers pour la facilité mervtilieufe qu'il avoit à faire * des vers. En eftet Brouwerus témoigne (3) qu'il les faifoit ordinairement fur le champ , fans effort , fans méditation , & fans étude. Cela fuffic,dit cet Auteur, pour faire voir combien il avoit l'efprit ai- le & heureux pour ce genre d'écrire. Car

quoi

1. Barthius iterum ac tertio lib. 5. Adrcifarior. cap. 12. 6c alibi in eodem Opère.

2. Idem in Commearar. ad Claudian. pag. 3. ôc tx. eo G. M. Konigius in Bibl. V. & N. pag. 314.

G. ]oh. Voflius lib fing. dePoct, Lât. pag. 66. fed ex eodem Baith» Advcif. Op.

Poètes Latins. 447

quoi qu'on ne puliVc pas dire qu'il y a beau- Foitunit coup de fes vers qui foient parfaitement beaux , quoi que plulieurs même ne valent rien, quoi qu'il ait auffi de roblcurîté, & beaucoup d'endroits fardés, il ne laifle pas d'être quelquefois afTcs Heuri ôr allés rem* plid'agrcmens, fur tout lorfqu'il fa t quel- que defcription Géographique qui efl l'en- droit où il a coutume défaire mieux valoir fon talent.

Il ne s'efl pas foucié d'éviter les fautes de quantité, non plus que les autres Poètes Chrétiens qui abandonnant la gloire de cette éxaditude aux Profanes de la Genti- jité, ont eu grand foin d'acquérir celle de la retenue & de la pudeur que ceux-là a- voient prefque généralement abandonné.

Au rede Fortunat n'a point été du nom- bre de ces fcrupuleux qui craignoient d'u- fer des termes du Pagan]rme,& d'employer les noms des Divinités fabuleufes, dans un tems il n'y avoit plus rien à craindre du côté de la faufle Religion. Et les Poè- tes modernes n'ont pas manqué de tirer a- vantage de cet exemple de Fortunat pour autorifer leur pratique en ce point , fc ^croyant d'autant plus en fureté de ce côté- , qu'ils font encore plus éloignés que lui de ces tems les Gentils regnoient dans le monde (4). * f^c

Item Voflîus in libris ds Hifloricis Latinis ubi de Vita S Martini.

î. Chriftopiior. Brower. S. J. in VitaFortunatîprac- fix. cdit. Cirminum ejufd. cap. 4. pag. ij. 14. Vid, & qui de Script. Ecclellafticis,

4. Daniel Heinfms DiffçHiicioo, pro lûfâûticida Tiagœd. pag. 105, 10^,

44^ Poètes Latîn?.

Fortunat. * VenanUt Honorïi Clemcntiani Fortunci" tl Carm'rrîum l'ih. is^ de Vit a S. Murti^i y. Pur if. 1624. EjiiJ'dem Carmimim^ R- pijlolarnm CST Kxpofitionurn libri xi. cum nous Chr. Bro jjeri in-J^. Mogunt. 161 7.

MzVRTIANUS CAPELLA,

(^Min. Fdix i^c.) Africain, &c.

Mârtianus 1 2.05'. 1\^T E mérite prefque pas le nom capeiia iN de Poète', & comme je Tai

mis parmi les Pnilolbphes an Recueil des Griti4ues Grammairi;.'ns, je Ibuhaite qu'on aille y chercher les ja^em^^ns que j'ai rap- portés (lit foa Ouvrage des Noces de la Philologie au nombre 289.

J'espère d'un aurre côté qu'on me difpeiifefa voloiitiers de rapporter ici cette foule de pitoyables Verimcateurs ou de Poètes fauvages qui ont occupé la place des bons Ecrivains à la faveur des ténèbres répandues fur la République dcfs Lettres, depuis le fèpticme ficelé jufqu'à la fia du treizième. Je me contenterai donc de par- ler fuccindement d'un petit nombre d'en* tre ceux qui ont paru avec quelque diilinc* tion.

* Martianns Camélia ^ de Nuptiis Phiîo"

fi-

T. f. Voflius page il. de Ton livre des Poètes Grecs dit ciue des 3000. vers de Piddes il n'en refte effectivement que ios8. mais page 277. de (es His- toriens Giecs ilrrOLivoit que le nombre qui reftoit de ces vers éroir de lîSo. Frédéric Morel qui dans foa édition a pr;s loin de les chiffrer de dix en dix

u'cu

Poètes Latins. 449

fopblt feu Ph'doUtgt.c ^ Mercurii , ^c. Martianua CHm Notis Hugonis Groùi in'S.Lugd.'Bat. Capelia. 1599.

O^ GEORGE PISIDES,

Ou de Pifidie , Diacre de Gonflantinople, Bibliothécaire & garde des Chartres de la même EghTe , vivant du tems de l'Em,- pereur He'raclius.

1206. 1 L ne nous refte de toutes les George 1 Poe lies de cet homme que mille fiû^ies,'

quatre-vingt-huit vers de THéxaèrneron ou de la Création qu'il avoit écrite en 3000. ïambes (i). Cafaubon faifoit cas de fa ver- llfication , il rappelle même un Poète é- Icgant, & dit qu'il avoit de la piété (2).

* P'tfid.€ de MuTidi Opificio Gr. Laft Morelli in- 4. ejufque Typts, 15S4. *

^ JEAN TZETZES,

Pocte Grec, frère d'Ifaac le Commenta- teur de Lycophron , vivant en 1 1 70. &c.

1207. T 'Hiiloire mclée dont il nous a Jean Tzcm L# donné treize Chiliades eft é- "5,

crite en vers livres qu'on appelle ordinai-

re-

n'en a compte c^nt 1J79.

Ger. ]oh. Vofl, de Hiftor. Gratc. lib. 2. cap. 23, pag. 277. 27«.

Idem cap. 9. de Pocr. Grzc. pag. 82.

2. If. Cafaubon. Comment, in Athenxi Dipn«« foph.

Laut. Craff. de Poct. Grâce, pag. 262. ItaL

45'0 Poètes Latins.

Jeun Tzct' rement Politiques ou Populaires ^ mais ils ^®'" ne font pas du genre des ïambes , comme

plufieurs femblent l'avoir crû.

Nicolas Gerbelîus Ion Commentateur prétend(i)que ces vers ont tant d'élégan- ce , de netteté, & de facilité, qu'ils ne peuvent manquer de donner du plailir à leurs Ledeurs , pourvu qu'on ait feule- ment une légère teinture de la Langue Grecque. 11 ajoute qu'on y apperçoit par tout un fond de do6Îrine qui n'étoit pas commune, qu'on y trouve une abondance & une variété de chofes qui eft fort belle. Il mêle les maximes de la Morale aux exemples des faits Hiftoriques avec un ar- tifice également utile & agréable. A dire Je vrai, il ed fujet à beaucoup de répéti- tions; mais il diverfifie ii bien la manière de les faire, que cela paroît toujours nou- veau.

On ne peut pas nier que Gerbelius n'ait un peu traité fon Auteur comme ces Sculp- teurs de l'Antiquité Païenne, qui après a- voir fait une Idole prenoient l'encenfoir, pour fatisfaire l'afteâion qu'ils avoient conçue pour l'Ouvrage de leurs mains. Effe6livement les autres Critiques qui n'ont pas eu les mêmes liaifons avecT^et- ies que Gerbelius , n'en ont pas jugé li

a-

1. Nicol, Gerbelius Praefat. in Tzetz. Hiftor. Po- lit le

2. Ohiis Boriichius,Diflcrtat. dcPoct, Graec. p<ig. 28. num. 67.

3. fl. Je penfe avoit remarqué fur l'article S>i. après Ménage que ce ii'cft pas Héiaclide du Pont

qu'il

Poètes Latins. 4^1

avantageufement , & Mr. Borrichius n'a Jean Tzet- point fait difficulté de dire (2) que les Sa- ^"' vans ont averlion du farte & de Tarrogan* ce qui paroît dans le ftyle de Tzetzes , & qu'ils ne peuvent fouffrir tant d'inutilités fades & dégoûtantes qui font répandues dans fon Ouvrage.

On a encore imprimé à Baie quelques Epigrammes Grecques de ce T2et2es,avec quelques compofitions d'Héraclide du Pont (3) [/■»-/(?/. 1646.]

* Joan, Tzetz, Poëma de Alîegoriis , Gr. Lat, cum Nous F. MorelUin-'è. Par if, 1616.

C PSELLUS, PLANUDES,

Anne Comnene, Pachymere, & les autres Verfiticateurs Modernes de la ' Grèce.

'1208. ¥ Es fréquentes calamités du L bas Empire de Conftantinoplc contribuèrent beaucoup au ralentilTement, ou pour mieux dire à l'extindllon de la chaleur Poétique dans les Ecrivains de la Nation Grecque. Cette difgrace a été fui- vie de la perte qu'on a faite de la belle ca- dence, & du mépris de la véritable mefurc

des

qu*il faloit dire, mats de Pont, & que de plus le livre traduit par Gefner fous le titre des Allégories d'Hoinére, ne peut être de cet Heraclide, y ayant plufieurs Auteurs cités qui lui font poftericurs de plus d'un fiecle. Il faut voir Ménage fur LaciCC pa^e zz6. de ion. Commentaire, dcin. édit.

45'2. POETES Latine.

des V^ers qui paroît dans pluileurs des der-- nîers Poètes Grecs. C'elt ce qui a fait di- re à Léon Allatius , que les Mufes de tous ces Grecs poftérieurs n'ont eu aucu- ne grâce , ni aucuns charmes, qu'elles n'ont eu au contraire rien que d'atîreux , de rnftique & de grotefque : en un mot qu'elles n'ont point parlé le langage des hommes, mais le jargon des anirnaux (i), Pfellus. On pourroît néanmoins faire une excep-

tion en taveur de Michel Pfellus, qui vi- •vôit un liccle avant ce Tzetzes dont nous avons parlé plus haut, parce qu'ayant fait un fort grand nombre d'Ouvrages, foit ea vers ïambes, foit en vers Politiques, on juge que, parmi beaucoup de chofes mé- diocres, il s'en trouve quelques-unes as- •fés noblement traitées , & d'une manière digne d'un liéclc plus heureux. Anne Pour ce qui eft des V^ers d'^Ân^^e Cormit-

Comnene. ne ^ comme ils compofent l'Hiftoirc qu'el- le nous a donnée, je croîs pouvoir remet- tre la chofe au Recueil des Hidoriens. G.Pachy- Je ne dirai rien des Vers de George Pa- "^c'c- chymere^ tant parce qu'ils ne font encore que MSS. dans les Bibliothèques, que par- çe qu'au jugement du même Allatius, ils font 11 durs & fi barbares , que ce fcroit faire un gain conlîdérable de les perdre pour toujours.

Pour

1. J*eo Allatius Diattib. de Georgiis corumquc fcriptis, pag. ijz. edit. in- fol,

2. Ger. Jok. Voflîus Jib. de Poëcis Graecis pag. ta.. 84.

i. f. Sigcbcrt mort > comme on fait, l'an iii:l.

avant

Poètes Latins- 4^3

Pour Maxime Planudes qui vivoit au Planudcs, quatorzième lîécle, il ne pafle pas à la véri- té pour un grand Poète , en ce qu'il a produit de lui-même : mais on lui a l'obligation d'avoir confervé les Epigranimes des An- ciens, & d'avoir fat des trois collections de Meleagre , de Philippe, & d'Agathias une Anthologie en fept Livres, après en avoir retrajiché lesEpigrammes qui lui pa- roiiloient trop puériles , ou qui renfer- moient des obfcénités trop grofîiéres. C'ell au moins i'opiniou commune des Critiques (z).

* Kp'igrammatumGrxcorumllhri vn.per Maximum Planudcm {ut dtcttur^ cum Scho- lus Grxcis CfT Annotatio'/Jibus y oh. BrodicI^ ^ y me. Obfopai Iff Heyir. Stephani in- fol. Franc of. 1600.

G U N T H E R E, (3)

Poète Latin , que Sanderus, Sandius & quelques autres prétendent n'être pas diîîcrent duBénédidin d'Elnone de mê- me nom, vivant en Tannée 1160. fous Frédéric iBarberoulfe.

1209. T E L'tgurm de Gunthere eft un Gumhcrc.

JL/ Ouvrage également Poétique & Hillonquc, mais je ne parlerai ici que

de

ayant chap. 167. de viris HUtlrîbHs fait mention de Gunt!)erus Moine de S- Amand , au Monaftcic dit auparavant d'Elnone, en ces termes: Gim htrmMi- tyic/jHs S. ^rmndi fciipfn M^^Drium S. Crri'aci , metrf

Jijlo. Voflius page 74, fcs pQCtcs Latias a eu

4^4 Poètes Latins.

Gunthcre. de la partie qui fait à mon fujet, réfervant Tautre pour le Recueil desHiftoriens d'Al- lemagne.

C'eft unPoëme en dix Livres fur les ex- péditions de Frédéric I. dit BarberouiTe , [jn-fol. à Baie 1569.] il lui adonné ce nom à caufe qu'il a voulu décrire principale- ment ce que Frédéric a fait dans le Miia- nez qu'il appelle toujours la Ligurie.

Les Critiques conviennent que Gunthe- re efl un Poëte de grand génie, de beau- coup de feu , qui faifoit trop d'honneur à un tîéclc dont le goût n'étoit pas afTés fin pour favoir faire le difcernement de fon mérite (i). Outre ce grand talent qu'il avoit pour laPoèïie,il avoiteu foin de cul- tiver fon ftyle & de le rendre afTés élégant pour donner de l'agrément à fes vers, <5t Mr. Borrichius dit (2), que Ç\ on a égard au tems il a vécu , on doit reconnoître que fa diction efl magnifique , & que fa compofition ell favante.

JEAN'

lâifon de conclurre de contre Sanderus $c Swccr- tius, que ce Guntherus ne pouvoir êfre l'Auteur du Toëmc intitulé Li^u/i nus y éfJ^nt mort avant Sigebert, au lieu que l'autre Guntherus, ayant pris pour le fu- jet de fon Poème les grands exploits de l'Empereur Frédéric l. en Italie jufqu'en 11 60. a nécelTairement vécu »u-delà. C'eft un Poète merveilleux pour le tems ,8c j'ignore (ur quoi fe fondent ceux qui difent qu'il étoit Moine.

I. Jan. Douza ia Prxfar. altéra Annal, latavic. carminé fcript.

Ger, Joh, VofT. Hiftor, Latin, lib. 2. cap. 53. pag..

*''■'''■ Idcml

POETES Latins. 45*^

JEAN DE HANTWILLE, (3)

Anglois, viVant à la fin du douzième fié- cle, Moine de Saint Aloan ou Albayn, mais demeurant à Paris; furnommé Ar* chithremus à caufe de foa Ouvrage , comme Gunthere a été appelle Liguri^ nus par Baronius.

1210. /^Et Auteur eO: un de ces beaux jean de

V-^ efprits du moyen âge , qui fe Hantwillc,' font heureufement élevés au defTus de la barbarie & des autres calamités attachées à l'ignorance de leur lîécle. Ayant quitté fon pays pour venir fe former & fe perfec- tionner à Paris félon la coutume de ces tems- , il s'appliqua uniquement à la Poclie, & il y réuiîlt. Jean Pitfe dit (4) que fon talent particulier étoit de favoir accommo- der fon efprit & fon Ityle à la qualité des fujets qu'il avoit à traiter; de forte que, fé- lon lui , il imitoit fort bien la gravité de Virgile dans des matières importantes &

éle-

Idcra lib. de Poët. Latin, pag. 74. Giiipar Barrhiub in Advcrfariis.

2. Olaiis Borrichius Differt. fecunda de Poët. Lat, pag. 88.

3. %. Joannes Hantvillenfis que Gyraldus, & a- près lui Voflius nomment mal Naiituillenlîs , en quoi Voflius ne fe louvenoit pas que dans Tes Hifto- xiens il l'avoit mieux appelé Joannes HantiviUcnlîs, five Haîitwillenfis.

4. Joan. Piifcus de Script. Angl. ad ann. izao. pag. 267.

Chiiftûph. Sandius Not. & Animadvcif, in Vo£ liift, Lat. pag. 321.

45'<5 Poètes Latins.

Jean de élevées , la douceur & la facilité d'Ovide Haiitwillc. dans les médiocres , à il avoir quelque choie du Tel d'Horace dans fes pièces fati- riques. Il parloir le mieux Latin de Ion fiécle, & il avoir une élégance, qui bien que tbrr inférieure à celle des bons Poètes de l'Antiquité , ne laiflbit pas d'a- voir beaucoup d'éclat parmi ceux de fon tems.

On a de lui un Livre d'Epîgrammes, & un de Poèiies mêlées; mais le principal de tous fes Ouvrages Poétiques efl: le célèbre Archithre'/te (i). C'eft un Poème divifé en neuf Livres, à qui il a donné ce nom Grec à caufe qu'il commence par déplorer la mifére de l'homme , & il le préfenta à Walther ou Gualthicr deCoutancex\rche- vêque de Rouen , qui tint le fiége depuis 11S4. jufqu'en 1207.

Cet Ouvrage a été loué par des Criti- ques de prefque toutes les nations de l'Eu- rope , par Jean Louis Vives en Etpagne (2) , par Jean Rav. le Tiffier en France

(3),

1. %. Cette e'tymologîe é^ir/} & de 3-fîtyoc qu'il a tirée de Voflius n'cft pas la véritable, car l'Auteur lie commence pas fon Ouvrage par déplorer la mi- fére de l'homme. 11 s'eft nomme ^Archithrenius , comme qui diroit Archi-Jéremie , parce que comme lui-même le déclare dans fon Frologue, il déploie en toute occafion la défauts du genre humain.

2 Joh. Lud. Vives de Difcipl. trad. Sec,

3. Ravifius Tcxtor ôc alii.

% Jean T'xier Sieur de \avi/i, fuivant la remarque de Ménage tom. i. de l'Anti-Baillct chap. 3;. pag.

115.

4. Conrad. Gerncr, lu Bibl. & JoC Simler in Epi- tome Biblioth.

$. Joh^ Meuif, Milccll. Lac^l,^. c, 17. Hc,

Poètes Latins. 457

C3), par Lilio Gregorio Giraldi en Italie, jean rfè par Conrad Gcfner en Allemagne, & J*- HamwiUè. iîas Simler en Suille (4), par Jean Mcur- fius (y) & Gérard Jean Vollius en Hollan- de (6) , par Erycius PuteanuS) aux Pays-bas Catholiques (7), par He6tor Bocthius en Ecollè, par Jean Bâle & Jean Pitfe en An- gleterre (S). Ils conviennent la plupart que le llyie en e(t fort bon, & pur même pour le tems auquel ce Poète vivoit; que c'ert un Ouvrage piein d'une érudition tort diverliriée;& que l'Auteur y cenfure les dé- Véglemens des hommes tort agréablement-, fort iniiénieufement & fort dodemcnt.

Hugues Legathe Moine Bcnédidin de faint Albayn, qui vivoit en 14:0. l'ayant trouvé dans Ton Monaftére deux cens ans après la mort de Ton Auteur, fut char- mé de fa lecture , que dès ce moment il renonça , dit Pitlè, à tous les autres L*- vres , pour faire de celui ci l'objet de tes études & de toutes fes méditations , étant perlùadé qu'il y trouvoit toutes chofes. Cet- te

6. J. Voir. dcHift. L l.î p 78^.784.

Item lib. 2. de Hift. Lat. pag. 421. ubi fâlfb putâ- vit efle Joh. Saiibberienl.

% Il a tort, auflî bien que Sandius, de repren- dre Vofïïus d'avoir cru que Jean de Saliiberi étoit l'Auteur de l'Archirhrenius. Vollius, quand il î'a falu, a bien fait voir qu'il ne le croyoit pas, mais il a rapporte modcftcment ce qu'cii croyo t Erycius Puteanus fon ami alors vivant, dont par cette dou- ble raifon il n'a pas voulu marquer plus ouvertement Terreur.

7. Erycius Putean Ccntur. 2. Epîft. 84. ad D el- hemium &C.

8. Baleus de Scriptor. Angl. & Pitfeus iu LegatO nd ann. 1400. pag. 568. num. 727.

TomdlI.Pari.IL V

4jS Poètes Latins.

Jean de te paiTion toute irrcguliére qu'elle paroît, liantwille. f^^ ^^ moins utile au Kublic en une cho- fe, qui fut de produ re des Commentaires de fa façon fur l'Archithrene (i).

On pourroit former deux difficultés, l'une fur la matie're,& Tautre fur le nom- bre des Livres de VÂrchithrene , fi l'on s'airêtoit a la manière dont quelques Cri- tiques en ont parlé. Gefner & Simler (2) ditent que l'Ouvrage à qui l'Auteur avoit donné ce nom, conrenoit les Antiquités ou rHiftoire d'Angleterre en vtrs^ & ^\ nous eu croyons Voffuis . ces deux Cri- tiques ajoutent qu'il étoit en feiy.e Livres. Si cela étoit, nous ferions obligés de con- clurre que ce feroit un Ouvrage tout diH férent de celui dont nous avons parlé, quoique tous ces Critiques reconnoilfent que c'ell celui-là même q^ii porte le nom à^ ArcfDthrenius^ 6: qui l'a fait porter ai.iîi à fon Auteur Mais il u'efl pas împoffible ' \\^(^. Gefner & S'mler n'ayant peut-être jamais vu le Livre foient trompés tou- chant fa matière, puilque ! itfe Ecrivain Angloîs nous afTure que c'cft un Ouvmge de pure Morale , contenant ces vSatires & des Cenfures très feveres contre les vi- ces. Et quant au nombre des Livres de cet Ouvrage , il ell vrai que Vofilus nous aiTure qu'il a lu dans la Bibliothèque de

Gcs-

T. ^. Ils n'ont i^ma's été imprimes , non p!is queceux dontpuncErycius Putcanus Cejitut. 2. tpift, 34. ÔC 84. riiijfuuy/i. 2.

2 %. Gefner n'en parle point du tout, C'eft Sim-

Icx

Poètes Latins. 45-9 Gefiier at>rcgce par Sîmler, qu'il y en Jean de a ici'/x. Mai<> il faut que VofTius ait lu '^*"^*'i'«' une autre cdiiioii de cette Bibliothèque abrégée que celle de Zuricn de i*an lyj'y. ou qu'il ait mal lu cet endroit. Car dans cette édition qui ell la preniicre & peut- être la moins, corrompue , quoique la inoins avantagcufe des trois qui ont paru chés Frofchover, on lit 6. Livres au lieu, de 16. marqués en chiffre Arabe ou Bar- bare , de forte que félon ce calcul il ne reliera plus qu'une faute légère d'impres* iion qu'il efl aifé de corriger , en difant que ce 6. ell vcritaolement un 9. renver- fc qui eft le nombre des Livres de VAr- çhithroie marque par l.s Bibliothéquaires Anglois Bâle & Pitfe.

C'eft une conjeôlure que j'ai eu lieu de confirmer, depuis que j'ai eu la commo- dité de voir un exemplaire de V Archahre- ne ^ de l'édition qu'en fit Badius Afcen* fius à Paris l'an ij'iy. de forte qu'on ne peut difconvenir que Simîer ne fe foit trompé au moins pour la matière de l'Ou- vrage, en fuppofant que la faute qui ell dans le nombre des Livres vient de l'Im- primeur.

jo-

1er fcul , qui f-ins fondement a donné cette idée de l'Ouvrage, puifqu'cxcepté. qi;eK]ues Fables Angloi- Ics rapportées fur la fin du cinquième Livre, & au comir.Ciicemcnt du fixiémc, tout le icfte ne legai* oe rtliltoi.e d' Angleterre ni près ni loin.

V i

460 Poètes Latins.

JOSEPH d' I S K E ,

Ou Kacr Iske , dit aufil d'ExceQer au Comîé de Devoii . prèb de cette pointç méridionale de l*Angleterre, qu'on ap- pelle la Province de Cornwall ou Cor- nouaille, vivanc fur la fin du douziè- me liécle & au commencement du fui- van t.

Jofeph 121 1 f^ Uelque chofe qu'on ait di-* d'uke. V^ re ci-devant des facultés Poë-

^^îîques de Jean de Hantwille, on n'a point laiilé de faire paffer ce Jo-^ feph pour le Prince des Poètes des Ifles Britanniques (1). dont ce (idcle fut affés abondant. On le diftinjî,ue ordinairement par le furnom de Devor^ius à caufe de fa naîiTance au pays des anciens Damno- niens, ou par celui àUfcanus à caufe de fon éducation au pays des Cornubiens. C'étoit un Ecrivain fort difert , habile en Grec & en Latin , mais fes Pocfies font prefque toutes fur des fujcts profa- nes & de galanterie. On en peut voir la lifte dans BâU & dans Pitfe (2).

Le principal de fes Ouvrages eft celui de la Guerre de Troye en fix Livres, publié pour la première fois à Baie par Albanus Torinus, & qu'on a vu courir

eu

1. Gérard. Joh. Voff. de Hift. Lat. lib. z. cap. 5«. pas 45 0.

2. Joh.

I

Poètes Latins. 461 en Allemagne fous le nom de Cornélius Jpftph Nepos. Oq ne peut nier que Ton flyle '^'^*^^' n'ait de la pureté, de l'élégance & de la poiitclTe, au moins par rapport à l'état de ces tems-là. Mais il a mieux aimé traiter ce fujet en Hillorien qu'en Poète, il s'efl: étudié fcrupulcufement à féparer les Fa- bles Poétiques d'avec les faits qu'il a crû véritables ; & faifant profefîion de paraphrafer rhifioirc de cette guerre, qui couroit fous le nom de Dares le Phry- gien, il dit nettement qu'il n'a point voulu fuivrc Homère, parce que c'eit un men- teur.

GUILLAUME LE BRETON, Vivant vers l'an iiif.

iiii 'VTOus avons de cet Auteur un Guillaume jLN Ouvrige en Vers Latins ap- ^* Bicton* peîlc la Phil'tppide , contenant l'hiftoire de Philippe Augufte en douze Livres. Douza prétend que ce Poète n'a pafle Gunthere que par le nombre des Livres de fon Ouvrage, & que celui-ci a le des- fus pour l'élocution & pour la difpoii- tion (3). 11 ajoute que Guillaume femble avoir diminué quelque chofe du prix de fon Ouvrage plutôt faute de génie, que par le défaut de fa matière, qui lui four-

nifToit

2. Joli. Pitfeus tie Script. Angl. ad. ann. 1210. &c«

3. Jaiius Douza Nordovix Fracfat. alter. A^na^L Bati«,Yiç, Carm. Script,

V3

462, Poètes Latins.

Guillaume niflbît un fonds alTcs riche pour pouvoir

IcBieton. yje'uffir.

Birthius dfc pourtant (i) qu'il étoît un des plus fâvans hommes de Ton fiécle, & que an veut lui ô:er de certaines taches qui viennent moins de lui que de la né- -ceiïité commune de ces teins-là, il pas- fera aifément pour un Poète admirable. Il le préfère mcme à Gualterus de Chatii- lon dont nous allons parler (2) , tant pour le jugement que pour le véritable efprit Poétique.

* Il fe trouve dans le Recueil des His- toriens de France de Pithou, donné par Freherus imprimé in-fo'îo à Francfort

15*96 GuiîUrryi'i Britunis Armort^

et Phîlip^.dos lîbn ^l.five Gefta PhiH[>pi Régis Francis.

PHI-

Ger Joh Voilîus de Hflor. Latin, lib. 3. pag. 70s. TcS. ord. ilphab.

1. Ga.'p. Barth. Adveifar. \\>. 43. cap. 7. coj. Î5>40.

2. Idem Barthius lib. s>. Advetf. cap. 11. col. 434.

4Î5.

}, %. Il faloit dire : ^t* ccmmencement du xni. fiécle^ car il cft fur que TAlexandieïJe eft dédiée à Guillaume a.ix blanciies mains, transfeié de l'Ai- chevêche de Sens à celui de Reims en 1177. 6c mort l'an 1202.

4 %. Gautier Evêque de Maguelone étant mort ï'an 1133. le 13 Décembre la fupputation de Baii- let auroit été plus jufte, s'il avoit dit que cet Evê- que de Maguelone vivoit quelque zo. ans avant que f Auscui. 4e l'AlcjiiUidiéïde fût ne.

5. H. U

Poètes Latins. 463 PHILIPPE GUALTHER,

Ou Gautier de Chatillon , natif de Tlfle en Flandre, vivant au milieu du trei- 7,ii5me fiéclc (3) que pîulleurs Critiques ont confondu mal à propos avec GuaW ter Evcque de Maguelone en Langue- doc, qui vivoit près de 150. ans aupa* ravant (4).

1213 /^ Et Auteur a compofé un Poe- rhîiffpe

V^ me des actions d'Alexandre le ^u^iltiier. Grand en neuf livres (f) qu'on appelle ordinairement l'Alexandreide. Henri de G.md dit que cet Oa?ra;;Te étoit en fi grande confidcration de fon tems , qu'il avoit fait tomber les plus excellens Poè- tes de r Antiquité des mains de tout le monde, & qu'on ne lifoit plus que lui (6). C'ed tout ce qu'on pourroit dire encore

au-

S ^ Il y en a dix. "Rp-illet qui n*en compte que neuf , s'en eft fié à Vcflîus qui n'en compte pas da- vantage. DAu.aiius dar.s uns ds Tes Letties à Kciné- fius pag. 223. voulant relever cette meprifr a don- né lieu à une autre qui eft aHes particulière. H aroit apparemment écrit : Galttrus non ix. (ti x. fi-ripjït libros ^lexandreïdas. Mais co.Time on lit dans l'édition GalterHS non IX. fed x. feculo fcrip/ît lihrss ^lexAndre'idos , Sandius a pris de occaûon de re- procher à Daumius fa fauiïe critique , & de fjire voir que Voflius b.en loin de placer Gautier au neu- vième fiécle, l'avoit très - clairement. £c dans fes Hiftotiens , 5c dans fes ïoetcs Latins, placé au treizième. Le mot r^f«/# prCté à Daumius par l'im- ptimeur , a été caufc de tout ce mal entendu.

6. Henr. Goëthals Gandavus iu Catalog, Vil, ii- lufti, cap. ic. ou U s'en plaint.

V 4

^64 Poètes Latins.

Gu'aifhcr. ^W^^^^d'hui au deshonneur de ces fiécles , dont le goût ne pouvoit être plus cor- rompu. Il faut avouer avec Barthius, Vos- fius , Borrichius & les autres Critiques,, que Gualtber a fait paroître qu'il avoit de l'efprit, de la ledure 6c quelque habileté, & qu'il parloit des moins mal de fou tems (i). Mais on peut dire que cette préoccupation pour le mérite de ce Poè- me n'a jamais éré générale, non pas m.ê- me du tems de Henri de Gand. Car Alain de VIÛQ n'a point fait difficulté de le qua-- liiîer dès lors de méchant Poëte, & de le compirer à Msvius (2); difant qu'il eft tombé dans des obfcuriiés & des embar- ras où il s'eft trouvé pris dès le com- mencement, malgré les vains efforts qu'il avoit fait pour s'en tirer, ^ les reproches dont il avoit chargé fa Mufe pour l'avoir abandonné fi-tôt (3).

En eu et les Critiques modernes ayant, examiné l'Ouvrage fur les régies de l'Art ^ jugent qu'Alain de riils a eu grande rai- ion de s'oppofer (i judicieufement au mé- chant goût du (lécle. Douza dit (4) que quand on Ta une fois pour fatisfaire

fa

Ger. Johan. Voff. lib. fing.dc Poët. Lat. pag 74- Vidend. & Chriftophor. San^us Not. ScAnimad- vcif. ai Voir, de Hift. Lat. pag. 167. 168. 169.

Sammarth. GaU, Chriftian. Petr. Lambecius tom. 2. Bibl. Vindob Cxfar. cap. 6.

r. Gafp. Barthius lib. jr. Adverfarior. cap. 10. Se apud VofT. de Poet. Lar. pag. 75.

2. %. Cette injure ne demeura pas impunie. Un Neveu de Gautier de Chatillon en vengea fon 0n- pai; CCS (içuji yii$, le faifam ftiufi pailei:

GALr

1

Poètes Latins. ^6f fa curiolité, c'ed perdre fon tems de vou- Philippe loir le relire. On peut ajouter qu'il cii Guaithcr. mcme niVés inutile de le lire une pre- mière fois, fi on a égard à fes imperfec- tions Car outre l'ignorance des régies de l'Art Foctique qui lui t(ï commune avec la plupart des Poètes qui ont paru fur le Théâtre du monde depuis l'Empire de Néron , c'ell un Auteur fans juge- ment félon Barthius, Borrichius & Vos- fius. Il entaffe toutes chofes f^ns choix & fans difcernement, il e(l plein d'affec- tations puériles , de fubtilités fchoîafti- ^ues , qui pour l'ordinaire font imperti- nentes , de badineries étudiées, d'exprès» fions inïifitces non feulement aux bons Auteurs , mais encore aux Ecrivains de fon tems , fans parler des fautes de quan- tité, & de cette imitation fervile qui pa- roît en plufieurs endroits de fon Ouvrage, & qui nous fait affés connoître que c'eft en cela que confiftoit prefque toute la perfeélion de ces liécles l'on croyoit être trop difTimulé lorfqu'on ne produi- foit pas tout ce qu'on favoit tout à Ii fois (5-).

Bar-

GALTERUS ALANO.

Mxviits immerr'to y Te judice , dictr y ^Une. Juciict me Bavins dicerisy at mtrito,

3. Ahiniis de Infulis in Anti-Claudiano, & apud '

Barth. VolT. 5c Sa;id.

4 Joaii. DouzA rnfit. altéra in Batavic. Annad, Cauuiiie.

S- Barthius ut fupri. Idem Olaiis Borikhius Dis- fçit. de Foët. Lat. pag. %i.

^66 Poètes Latins.

ïBiUppe Barih'us a fait ailleurs le parallèle de ce

Cuiiithcx. Gualiher avec Guillaume le Breton. Il dit que Gu:ilther eft un pitoyable Verli- ficateur auprès de Guillaume, que celui- ci ne s*amui"e pas comme l'autre à de froides & de bafles allulions, ni à de fot- tes rencontres de mots comme fait Gual- thcr ; qu'on trouve dans Guillaume le Breton uHe facilité de flyle ailés naturel- le , de bonnes Sentences & peu d'affec- tation dans un grand favoir; au lieu que Gualther n'a rien que de contraint , peu d'érudition, mais beaucoup de préfomp- tion: en un mot, il met peu de perfon- nes au deflus de Guillaume , & peu au deflbus de Gualther (i).

* Gualth. Ph'iL de- Ca-leltone Aie x an- dre'îs , feu de Aîexandri Mngni Ge/hs Carmen heroicum in -4. Argent. I5'4I.

•■ £a: editione Athanaf. Gagger. in- 12.

Vlmce ISS9'

ALAIN

De rifle, dit le Cvnvers^ de Dofteur de Sorbonne , devenu Frère lii de Cis- teaux , mort en 1294. (2) furnommé le Dodeur Univerjel.

Il

1. Gafp. Baith. lib. 9. Adveifarior. cap. ir. col. 434 435.

2. %. C'eft la dite marquée dans les fix vers de fon Epitaphe qui fe lifent au Cloître de i'Abb;iyc de Ciiciux. Mais k ftyle de l'Epitaphc doune li'U

de

Poètes Latins. 4^7

121 4 I L a fait une efpcce de Pocme ^!*^* , I hcroïqne en ntuf Livres contre '^^ ^ ^ le Rurin de Claudien , qu'il a appelle pour cet effet Ânti-Clandten. C'elt un Ouvrage très-dodle & très curieux au ju- gement de Dom Charles de WiL'ch(3), qui ajoute qu'on en faifoit tant de cas dans les liécles paifcs , que non feule'i ent on le traduilit en François, mais qu'A- dam d^ la B iflee Chanoine de l'ifle un des p'us lavans hcMTimes de fon tems en fit un abrégé en tort beaux vers Birthius dit (4) que pour la Poétique comme pour , le relie il br>llo!t prelque feul au milieu de l'oblcurité de Ion liécle Mais il ajou- te qu'oî» ell encote réduit aujourd'hui à demander ce qu'il a voulu dire dans cet Ouvrat^e On y trouve beaucoup de pen- fces guindées , dans lefqueres on voit régner ordinairement un double galima- thias en ce que non feulement il ne s'eft pas rendu intelligible à les L^edcurs ^mais que probablement il ne s'entendoit pas lui-même. C'efl un chaos prefque impé- nétrable. On y voit pourtant allés clair pour y reconnoître un caraclére de vrai Sophide , qui a voulu mettre en ufage toures les fupercheries fcholaftiques. Ce font de grands riens enveloppés dans des

obs-

de douter que cet Alain ponr qui elle a e'ré foitc foit l'Auteur de l' \ati C'audien.

3 Carolus Vifchius in Bi'oliotii. Ciftircienfl pag, 14 15.

4. GaÇo. Barthius Advcrfar. lib. jj. cap. i. pag, »47 3. 24-74-

4^8 Poètes Latins.

Alain. ODfcurités recherchées , au travers des-

deTifle. quelles on devine qu'il a voulu parler de

la Providence contre Claudieii, qui avoit

fait femblant d'en douter dans Ion Ru*

fin (I)

Son (lylc eft conforme à fa matière , il n'a point de régie , point de méihode, point d'uniformité; il ert embaralfé, obs- cur & tout-à~fait irrégulier ; il elt infu- portable par TâfFedation des figures & des fleurs dont il ne fait point ménager l*emp oi. Après tout on lui trouve l'es- prit vif, hardi, fubtil , aifé & agréable même, & qui auroit fait des merveilles avec un peu plus de jugement & de cette Critique dont ces deux derniers iiécles ont été éclairés.

* Antt' Cîaudianus Poèta ^ Libri ix. Carminé Mvyho'jai^sTûLV uftiverfam ^ mul* tas tes d'fvinas ac humanas compleéientes in 8. Bafîl. 15-36.

I. S^pe mi ht dubiam traxit fenttntU tnenfem Curarent Superi , &c. Claudian.

2- Olaiis Borrichius Dilftit. de Poer. Lat. pag.

'tcfij Barth. iterum.

Fm de la Seconde Partie du T'orne IIL

I

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Date due

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