(e] RONT Ill 41 = D Plessis, L. A. Pasteur UNIVER rit a +158 PE 1 ‘130 Et à. ii Er 2 ês 2h FRITES Us FRERE FE LOUIS PASTEUR DONNÉE AU MONUMENT NATIONAL, © Le 24 avril 1906. SIR LA. JETTÉ, Lieutenant-Gouverneur de la Province de Québec. He | Ne MONTRÉAL | | | De : GRANGER FRÈRES | 1906. LE So Le 3 22 ER ETS Ÿ d DE ER s Fine FAUNE" e er % RUE RESTE à) È 6 ie Œt ele pars & D og = PASTEUR Monsieur le Président, Messeigneurs, Mesdames, Messieurs, Au commencement du mois d'août 1881, se tenait, à Londres, un congrès médical in- ternational ; et, le 3, dans l'immense salle de St. James, depuis le parterre jusqu'aux gale- ries supérieures, tout débordait déjà de specta- teurs, quand un étranger se présenta. À peine l’un des commissaires organisateurs l’eût-il re- connu qu'il l'invita à monter sur l’estrade ré- servée aux membres les plus illustres du con- grès. Et pendant que, très modestement, l’é- tranger ainsi invité se dirigeait vers les mar- (1) Sir Louis-A. Jetté, Lieutenant-Gouverneur de la Provin- ce de Québec. M. G. Lanctôt, E. E. D., président du Cercle Ville-Marie. (2) Mgr Bruchési, archevêque de Montréal, et Mgr Raci- cot, son auxiliaire. sr ches de cette estrade, voici qu'éclatèrent d’u- nanimes applaudissements se changeant bien- tôt en des vivats, et puis en des hourras qui se multipliaient sans fin. L’étranger, qui mar- chait un peu en avant de son gendre et de son fils, se tourna vers eux, inquiet, et il leur dit à demi-voix : ‘“ C’est sans doute le Prince de Galles qui fait son entrée ; j'aurais dû arriver plus tôt.” ‘ Mais c’est vous que tout le monde accla- me,” lui répondit le président du congrès, sir James Paget. Et, dans le discours d'inauguration que pro- nonçait, quelques instants après, le même sir James Paget, il ne citait qu’un seul nom de savant, et c'était le nom de cet étranger. C’est de lui, de ce savant, que je voudrais vous entretenir ce soir. Et, si d'entendre an- noncer qu'il va être question d’un savant quelques dames trouvaient le sujet bien aus- tère, je leur rappellerais que, trois ans après, en 1884, non plus à Londres, mais à Copen- hague, dans un nouveau congrès médical, in- ternational, le même savant représentant en- Al ae core la France, la reine de Danemark et la reine de Grèce, contre toute étiquette, se le- vèrent et se portèrent au-devant de lui. D'ailleurs, si j'ai dit qu'en Angleterre et en Danemark il était un étranger, en pourrais-je dire autant ici, alors qu'il était Français, alors que vous l'avez accueilli, honoré du moins, autant que vous le pouviez, depuis quinze ans, puisque c'est depuis quinze ans déjà que, sur la proposition des députés de la province de Québec, le gouvernement fédéral a don- né à un de vos cantons le nom de canton Pasteur. C'est donc de Pasteur que je me propose de vous parler, vous présentant successive- ment le Savant, puis l'Homme; et mettant mon ambition à m'effacer devant son biogra- phe, monsieur Vallery-Radot, autant que le biographe a mis de vertu et de talent à s’ef- facer devant son héros. (1) (1) Le lecteur de ces pages ne saurait me faire plus grand plaisir qu’en allant constater de ses yeux, dans l’admirable ‘ Vie de Pasteur ’, par son gendre, (Hachette, Paris) dans quelle mesure je m'en suis inspiré et je lui ai emprunté. LE SAVANT. Pasteur allait avoir vingt-six ans. Il était à Paris, et il travaillait dans un laboratoire, “ le , cœur battant et l'œil anxieux ”, quand, tout- à-coup, il s'arrêta : ‘“ Tout est trouvé”, s'é- cria-t-il; et, se précipitant dehors, il sauta au cou du premier préparateur de physique qu'il rencontra dans le corridor. C’eût été le con- cierge qu'il l’'eût embrassé tout aussi bien, tant était folle sa joie d’avoir trouvé,—écou- tez bien, Mesdames : “ que l'acide racémique “ droit et l’acide racémique gauche possèdent “ des pouvoirs rotatoires égaux, mais de sens “ contraires, qui se neutralisent mutuellement “ quand.ces deux corps, mis dans une solu- “ tion aqueuse, se combinent spontanément à ‘“ masses égales ”. Vous ne comprenez pas que d’avoir fait pareille découverte ce jeune homme eût une telle joie. Je vous comprends et si bien que je n’essaierai pas de vous expliquer comment et à quel point la folie de sa joie était une sagesse, tant sa découverte était d’une impor- sos tance immense. D'un côté, en effet, elle.était le point de départ de tout ce qu'il découvri- rait plus tard ; et, de l’autre, elle allait créer une science si neuve que je ne crois pas que le nom même s'en trouve aujourd’hui encore dans le dictionnaire de l’Académie; et cette science s'appuie sur de si abstruses et com- plexes connaissances que, pour en définir seu- lement un élément, un savant, et de grande valeur, a écrit une introduction de cent pages. À ce compte, vous vous consolez de n’y rien entendre ; et vous m'êtes reconnaissantes de n’en rien expliquer. Et moi, j'en suis ravi, parce que j'y pourrais bien commettre quel- que hérésie ; or, je n’y tiens pas plus ici qu’en chaire, —d’autant que je n'arrive pas à imagi- ner quel plaisir on peut trouver encore à de- venir un hérétique depuis que l’on n'y court plus le risque d’être brûlé, sinon par la main, au moins par l'ordre d’un Dominicain. Laissons donc Pasteur tout entier à la sa- tisfaction de sa découverte; ou plutôt rejoi- gnons-le en entreprenant et en poursuivant de nouvelles ; et, pour cela, se demandant : ms LOC Comment se fait-il que du houblon ou du buis ajouté à de l'orge germée produise de la bière ? Comment se fait-il que du lait produise du | beurre et que du beurre puisse devenir rance ? Comment se fait-il que du vin devienne acide, amer, filant, tourné, et que, enfin, il se change en vinaigre ? Comment se fait-il que d’un couple de vers à soie paraissant jouir d’une santé parfaite, ayant filé leurs cocons à merveille, il sorte une graine et il naïisse des petits sans force ni beauté, et que, œufs, vers, chrysalides, papil- lons soient tour à tour atteints par une mala- die contre laquelle tous les efforts tentés ont été si vains que, disaient les paysans langue- dociens : “ I] n’y avait rien à faire ”? Comment se fait-il qu'un organisme aussi bien clos qu’un œuf s’altère, se gâte et se pourrisse ? Comment se faisait-il que, jusqu'en 1868, après une opération sagement entreprise, irré- prochablement menée, parfaitement terminée, suivant toutes les règles de l'art et par les AA de maîtres du bistouri, sur cent opérés on en perdit soixante ? Comment se faisait-il que, aux environs de 1871, en une seule province de France, sur un seul troupeau de moutons, il en périt 20 pour 100; qu'en trois ans, de 1867 à 1870, dans le seul district de Novogorod, en Russie, de la même maladie qui devait emporter les moutons français, 56,000 animaux eussent succombé, et que, parmi les bergers, les bou- chers, les équarrisseurs et les tanneurs, en ces mêmes trois ans, 528 fussent morts ? Comment se faisait-il que, subitement, dans une ferme, surgit le choléra des poules, terras- sant les poussins, les mères, les coqs, dans une proportion de 90 pour 100 ? Comment se faisait-il que, en 1879, en Al- lemagne, en Angleterre, en France, à l'ouest comme au sud, sévît sur les porcs une épidé- mie qui, en cette même année 1879, en enle- vait aux Etats-Unis plus d’un million ? Et encore et surtout, comment se faisait-il que un chien, un chat, un homme, un enfant, devint tout-à-coup enragé? La rage, l’horri- — 12 — ble et terrifiante rage, qu'est-ce qui la produi- sait? La rage, dont la peur rendait l’huma: nité si folle et criminelle et barbare qu’on pou- vait lire encore dans un ouvrage imprimé en 1802 qu'“aussitôt que la rage était déclarée, ‘il était d'usage d'abandonner les personnes ‘“ atteintes à leur malheureux sort, ou de les ‘“ saigner des quatre membres, ou de les ‘“étouffer entre deux matelas ou des lits de ‘: plumes ?. Les entendez-vous, toutes ces questions, qui ne sont que les capitales, les titres de cha- pitres, les kyrie d’une litanie sans fin, de mille autres interrogations qui s’allongent et déf- lent, s’appelant et s’entraînant les unes les au- tres ? Et certes, bien mieux que nous encore, Pasteur les entendait, puisque sa vie tout en- tière, ses 46 ou 48 ans de labeur incessant se passèrent à écouter ces questions, et non pas à chercher à chacune d’entre elles prise isolément sa réponse, mais à réduire, d’a- bord, toutes ces questions à une seule que voici : Comment se fait-il qu'un être quel qu'il soit UE, ges s'altère ou se décompose, que celui-ci dispa- raisse, que tel autre surgisse et, pour parler plus simplement ‘et aller plus vite au bout, qu'est-ce qui ait ce un être : naît et qu'un être meurt? | Peut-il, du moins parmi les plus infimes, s’en produire un tout seul, de lui-même, spon- tanément ? Grave, très grave problème, que la sagesse des siècles avait roulé dans sa tête sur : tous les rivages du monde; et les plus grands penseurs avaient conclu à l'affirmative :_ il y a des générations spontanées. A l’envi y croyaient les philosophes, les poètes, les na- turalistes, les théologiens : Aristote, Lucrèce, Virgile, Ovide, Pline l’ancien, et saint Thomas comme eux. Voulez-vous par exemple ob- tenir, c’est-à-dire créer des souris ? La recette est très simple et le moyen on ne peut plus facile : vous prenez un pot, vous y mettez soit quelques grains de blé, soit un morceau de fromage, et vous couvrez (pardon Mesda- mes, c’est de la science) avec une chemise sale. Et, sans que vous ayez besoin ni d'ar- roser, ni d’agiter, ni de déboucher, les souris Es ———— ui sortent toutes seules comme elles se sont créées toutes seules. Vous doutez de la for- mule? Elle est signée Van Helmont, l'im- mortel médecin belge qui, au dix-septième siècle, découvrit le suc gastrique. Les souris vous répugnent et vous préférez des oiseaux et des papillons ? Un contemporain de Van Helmont, l'Italien Buonanni, vous dira qu'il suffit de ‘trouver certains bois, lesquels mis ‘“ dans la mer, et y ayant pourri, de cette “ pourriture il sort des vers, lesquels devien- ‘“ nent des papillons, lesquels deviennent des ‘“ oiseaux”. Vous souriez ? mais, pour Buffon lui-même, les anguilles de la colle de farine et les vers intestinaux s'engendraient d'eux-mêmes. Sur quoi Voltaire, dans son Dictionnaire philoso- plique, au mot ‘* DIEU ”, ne pouvait s'em- pêcher de trouver “ étrange que les hommes ‘en niant un créateur s’attribuassent le pou- ‘ voir de créer des anguilles ”. Ces anguilles de création humaine ainsi ri- diculisées par Voltaire, ces souris, ces oiseaux, ces papillons, ces vers, nombre d’esprits, j'en- moe - EE ui _— 15 — tends grand nombre de savants les admet- taient encore, il n'y à pas cinquante ans; et il fallut Pasteur, il fallut ses expériences, c'est- à-dire l'évidence faite par lui que : ‘ ni la levure de bière ne fermente toute seule ; ni le lait ne devient beurre tout seul ; ni le vin ne devient vinaigre tout seul ; ni les vers à soie ne deviennent noirs ou flats, moribonds et inertes tout seuls ; ni les moutons, les porcs, les poules ne de- viennent tout seuls charbonneux, cholériques ou rouges ; et que, enfin, ni les chiens, ni les hommes ne deviennent enragés, ni les opérés purulents tout seuls et d'eux-mêmes. Comment donc, et par quoi ? Toujours par un agent qui leur est étran- ger. Mais, cet agent, d'où leur vient-il ? Pourquoi avant Pasteur ne l'avait-on pas aperçu ? Ou parce que leurs théories préconçues aveuglaient les savants ; “Sr pe Ou parce qu’ils ne savaient pas regarder, c'est-à-dire expérimenter ; Tandis que lui; ah ! écoutez, ou plutôt : * Prenez vous-mêmes un ballon de verre au long col recourbé et sinueux. Mettez dans ce ballon de l'eau, du sang, tout ce qu'il y a de plus putrescible; et p s, chauffez, chauf- fez encore jusqu’au point avoir sûrement dé- truit tous les germes de vie qui pouvaient se trouver dans cette eau et dans ce sang. Et puis, maintenant, attendez huit jours, atten- dez huit mois ; et ce sang et cette eau reste- ront aussi purs, aussi inaltérés qu’au moment même où vous acheviez de les chauffer. Pour- quoi? Parce que toutes les poussières exté- rieures, visibles ou invisibles, au lieu de péné- trer dans le corps du ballon, ont été arrêtées et se sont fixées dans les sinuosités du col. Et s'ils demeurent ainsi inaltérés —et au bout de huit mois, on peut bien dire inaltérables, — pour la simple raison qu'aucune poussière n’a pénétré en eux depuis qu'ils ont été stérilisés par la chaleur, c’est donc que d’eux-mêmes et à eux tout seuls ils ne peuvent rien pro- SP ER PE MAUR RE ATEN NET Eee * RU ne A SELS duire : il leur faut des poussières, c’est-à-dire ss des germes venus du dehors. Et, s’il leur faut F des germes, c’est donc qu'indubitablement, | : cest donc qu'évidemment toute vie, toute 1 animation, toute altération suppose et néces- site un agent spécial ét nouveau. Rien ne sort de soi tout seul. La science a prouvé, Pasteur a montré à quiconque ayant des yeux consent à voir que “depuis l'origine de la création ” la vie n’est qu'un dépôt qui ne peut que se transmettre, un don qui ne peut que se communiquer, que tout vivant présuppose un vivant ; Et que donc la bière et le beurre et le vi- naigre ne naissent pas d'eux-mêmes, ni deje ne sais quel contact, ou quelle influence, ou quelle dégénérescence ; ils naissent d'un ferment : Et que donc ni les maladies contagieuses des vers à soie, ni celles des moutons, des porcs, de la poule ou du chien, du cobaye, du lapin, de l'homme ne naissent d’elles-mêmes ou de leurs sujets: elles leur viennent d'ün agent et d'un agent qui n’est jamais le même. Chaque maladie a le sien. LAS es Les eaux, l'air et le sol, de ces agents tout est rempli. Des milliers d’entre eux tiennent sur une moisissure de fromage. Et d'un seul, en douze heures, il peut en pulluler jusqu’à quatre millions; et certains naturalistes vous affirmeront qu'il est tel bacille qui, dans un jour, peut donner naissance à 250 billions d’autres bacilles, Mais maintenant qu'on les a vus, qu’il les a découverts, que va-t-on, que va-t-il en faire ? Il va tâcher de découvrir quel est de cha- que fermentation, de chaque altération, de chaque maladie l'agent particulier. Et quand il aura reconnu, séparé, cultivé l'infiniment petit, qui tisse, détisse et rétisse la trame obscure de la vie et qui, dans tous ses règnes et à tous ses étages, produit tant de ravages, alors il le retournera contre lui- même, il le forcera à devenir un remède con- tre le mal dont il est la cause. Pour prému- nir contre le charbon, il inoculera, c’est-à-dire il introduira dans l'organisme de ce même charbon en proportion moindre. Pour immu- niser les poules contre le choléra, il leur don- Mb a Un MENU NE IAE ALES q : , cé ge a Gare ae ARS LE EE x s D CNE a QT A EEE EN id nera le choléra à doses atténuées et graduées. Et le virus rabique, le poison qui porte et dé- chaîne la rage guérira de la rage, cuirassera non pas notre corps contre les morsures des chiens enragés, mais notre intérieur, en y ar- rêtant et y faisant rétrograder les ravages dé- Jà commencés en nous par la rage, C'est un rêve? Non, ce fut un rêve. Ce fut, pendant quatre ans, le rêve de Pasteur. Et c’est ce rêve, devenu une réalité, lui vi- vant encore, qui a délivré l'humanité du cau- chemar de la rage. Et c’est un autre de ses rêves qui, lui mort, a délivré l'humanité du cauchemar de la diphtérie. Et c'est un autre encore qui vient de nous délivrer du cauche- mar des piqûres de serpents, en attendant que demain nous soyons délivrés du cauche- mar de la tuberculose comme de celui de la peste. Et déjà le directeur de l’Institut Pas- teur, à Paris, pouvait dire il y a quelques mois : “ Il n'y a plus de choléra ”. Quel homme en vérité ouvrit jamais tant de routes à tant de sciences ? Quel homme versa jamais tant de bienfaits sur ses semblables ? | résumé qu’ en rappelant le _ pape à propos des travaux de Quot articuli tot miracule Le: | duirai : autant de doses rtes autant de merveilles. à he sorts de ce tempérament pour l'incit tels travaux et pour l'y: soutenir ? Vai montrer s ‘accordant æ se e vérifiant ; — 21 — jusqu’à ce que, enfin, après avoir tenté quatre- vingt-dix-neuf explications, il trouvât la cen- tième qui seule était la bonne. Et cette cen- tième, alors, comme il la torturait ou plutôt . comme il se torturait avec elle ! Car il fallait maintenant que sur 79 fois qu’il recommençait l'expérience elle réussit 79 fois, et c'était là sa seconde force : cette puissance de contrôle et de vérification qui seule égalait, contrebalan- çait et assurait sa puissance d'imagination, et faisait de l’homme, si miraculeusement pourvu de la faculté qui trompe sans cesse, “l’homme qui ne s’est jamais trompé ”, ainsi que l'a si bien dit un Américain. Tant qu'il n'était pas arrivé à la certitude, il était le plus timide et le plus hésitant des ignorants, — si Jamais les ignorants étaient timides et hésitants—; mais quand il était sûr, quand, suivant la recommandation de l’un de ses maîtres, il était “trois fois sûr ”, alors cet hésitant devenait un tranchant, cette main si tremblante et patiente se changeaït en une massue d'Hercule s’abattant et tombant sans pitié sur les contradictions et les contradicteurs. Le dieu poursuivant sa et de se contenter de Verser des torrents de : Sur ses obscurs blasphé sur cette nuée de microbes gl. on ja et a ne” hélas! Ange. vérité. 1 était trop convaincu ne D" pas apôtre. Eh ! songez donc, il cette vérité, il l'avait saisie, il ot ‘‘ faites-vous de votre conscience ? Et si vous “ ne la saviez pas, de quoi vous mêlez-vous ? ” Ou bien : “ Savez-vous ce qui vous manque à “ vous, M. Frémy ? C’est l'habitude du micros- “ cope ; et à vous, M. Trécul ? C’est l’habi- “ tude du laboratoire ”. C'est ainsi qu'il était parfois impitoyable aux autres, mais parce qu'il l'avait été tout d’abord à lui-même, et parce qu’il ne pouvait se retenir de faire triompher, non pas ses découvertes, mais bien la vérité.—Et ceci nous amène à chercher non plus les ressources dont il disposait ni les méthodes qu’il em- ployait, mais les mobiles qui le poussaient dans cette impétueuse et incessante poursuite qui lui faisait écrire à sa jeune femme : “ J'irai “ jusqu’à Trieste, j'irai jusqu’au bout du monde “ pour découvrir de l'acide racémique ”, c’est- à-dire pour surprendre le secret de l’organi- sation d’un tartre obscur enfoui au fond d’un tonneau. Et il allait, stimulé par l'amour des titres ? Non pas même par l'attrait du plus élevé qui °cipiter. : lubles ” “ quelque chose” _ Toutefois, cette insatiabilité de :s4 pas sans se rencontrer d'aventui autre insatiabilité. Si en ds | même ; sil en est qui on plaisir de s'entendre chanter ”, ou d’enchanter les autres, il en est qui aiment bien aussi entendre un autre bruit, celui des écus accom- pagnant leurs chants ou leur faisant écho. : Par miracle en notre temps, est-ce que le désir des richesses ne serait entré pour rien dans cette impérieuse ambition d'apprendre qui lancinait sans relâche Pasteur ? Pas même pour un sou. Il était trop de son pays, de ce pays, un des derniers, un des rarissimes où, aujourd'hui encore, “ on peut valoir des mil- lions et dés millions et ne pas valoir grand chose”. (Joseph Prudhomme). -—- Et quand, déjà célèbre, il entendit Napoléon III et l'im- pératrice Eugénie, dans un entretien privé, se . montrer surpris qu'il ne songeât pas à tirer un profit légitime de ses travaux et de leurs applications : “ En France, répondit-il, les sa- ‘“ vants croiraient démériter en agissant ainsi.” Et, eût-il traversé, fût-il passé en Amérique, comme il se le proposa et le proposa à Don Pedro au mois de septembre 1884, il y serait demeuré ce que sut y demeurer le savant suisse Agassiz, lequel, même après vingt-cinq RCE à reve ans de séjour aux Etats-Unis, à cette ques- tion : “ Pourquoi ne continuez-vous pas telles et telles études ?” répondait : “ Parce que, au point où elles sont, cela ne servirait plus qu'à me rapporter de l'argent.” Mais si la soif de la fortune ne compta pour rien dans toutes ses dépenses de vie, est-ce que seul agit en lui et le poussa cet insatiable appétit de savoir dont nous parlions tout à l'heure ? Gardez-vous de le croire. Car, au même degré au moins et plus encore même que cet instinctif besoin d’arracher à la natu- re le plus de secrets possible, le remuait et le poussait l'attrait irrésistible à répandre dans l'humanité le plus de bienfaits qu'il pourrait. C’est cette ‘“ part du cœur dans le progrès des “sciences” qu'il aimait à démêler et à faire ressortir chez les autres, que je voudrais main- tenant vous découvrir en lui. Victor Hugo fait dire quelque part, par une reine, à un homme parti de rien, arrivé à tout, et qu'elle aime : D'abord, je t'ai vu bon, et puis, je t'ai vu grand : Mon Dieu ! c’est à cela qu’une femme se prend. — 27 — “C’est à cela ? ” toujours ? dans cet ordre ? Glissons, Messieurs, et ne discutons pas. Re- venons plutôt à Pasteur. Et si j'ai mal réus- si, en essayant de vous le montrer “ grand”, à vous enflammer d’admiration pour lui, j’es- père qu’en vous le montrant ‘“ bon”, vous vous “prendrez” pour l'homme, à défaut du sa- vant. L'HOMME Voulez-vous que, dans cet inventaire des trésors du cœur de Pasteur, nous procédions comme lui; c'est-à-dire avec ordre? Arrêtons- nous donc uninstant à contempler d’abord comment il aima les siens : Son père, l’ancien sergent-major des guer- res de l’Empire, vieil entêté de gloire natio- nale plus encore que de fidélité napoléonienne, redevenu tanneur obscur dans une petite maison d’une petite rue de la petite ville de Dôle dans le Jura; sa mère, Jeanne-Etien- nette Roqui, cette fille de jardiniers, imagina- 08 de tive et enthousiaste non moins que pratique et laborieuse ; combien ils l’ont affectionné et combien il les affectionnait ! Ecoutez plutôt. Ils sont morts tous les deux, lui, depuis dix- huit ans, elle, depuis trente-cinq ans; leur fils en a soixante et un. Il est un des grands hommes de la France, un des bienfaiteurs de l'humanité; et c'est précisément pour cela qu'on insiste auprès de lui afin qu'il accepte la décision du Conseil municipal de Dôle et qu'il consente enfin à ce que, dans la rue étroite aux pavés caillouteux, sur la façade de cette tannerie “aux chambres si basses et si humbles ” où il est né le 27 décembre 1822, on pose une plaque commémorative. Néces- sairement, Pasteur est invité, et il vient, et ik parle. ‘“ Sur cette plaque il voit rappelées les ‘“ deux grandes choses qui ont fait le charme “et la passion de sa vie: L'amour de la “ science et le culte du foyer domestique ”. Et alors, ‘en proie à une poignante émotion,” il s'écrie : “ Oh ! mon père et ma mère ! oh! ‘“ mes chers disparus ! qui avez si modeste- ‘“ ment vécu dans cette pauvre maison, c'est = DU ‘“ à vous que je dois tout ! Tes enthousiasmes, ‘“ ma vaillante mère, tu les as fait passer en “ moi. Si j'ai toujours associé la grandeur de “ Ja science à la grandeur de la patrie, c’est “ que j'étais imprégné des sentiments que tu “ m'avais inspirés. Et toi, mon cher père, “ dont la vie fut aussi rude que ton rude mé- ‘tier, tu m'as montré ce que peut faire la pa- “ tience dans les longs efforts. C’est à toi que ‘“ je dois la ténacité du travail quotidien. Non “ seulement tu avais les qualités persévéran- “tes qui font les vies utiles, mais tu avais “ aussi l'admiration des grands hommes et “ des grandes choses. Regarder en haut, ap- “ prendre au-delà, chercher à s'élever tou- ‘“ jours dans le bien, voilà ce que tu mas en- “ seigné.” Je pense que je puis ne pas aller plus loin ; ce que je viens de vous citer suffñt à vous montrer que ce que l’on appelait au- trefois piété filiale gardait encore dans l'âme de Pasteur toute sa signification et toute sa vérité. Et comme il était fils, il fut époux, c’est-à- dire que, à la lettre et dans tout son esprit, il É À ñ LE 7 SR AE A GS ENG ARR SON E ON ER RIRE M. voulut que celle qu'il se choisit comme com- pagne réalisât avec lui l’'admirable définition: que les Romains nous ont laissée de l'épouse idéale : Socia rei humane atque divine : Vas- sociée de la destinée humaine et divine. Et en tout, en effet, vie matérielle, travaux d'in- telligence, relations avec Dieu, Mademoiselle Marie Laurent, devenue Madame Pasteur, demeura l'étroite et indissoluble associée, la collaboratrice aussi tendre qu’ardente. Et ses enfants, son fils, ses filles, Jeanne, Camille, Cécile et Marie-Louise, —la seule qui lui fut laissée et qui lui survécut,—comme il les chérissait celui qui ne se consolait, qu'’ai-je dit ? qui n’arrivait à se distraire des coups af- freux qui lui enlevèrent successivement les trois premières, —vous pensez en redoublant d'affection pour ceux qui lui demeuraient ? —-sans doute, mais en même temps en redou- blant de travail, afin qu'il y eût par le monde moins de pères et de mères inconsolables comme lui dans leurs foyers dévastés. Mais, avant que je vous le montre fécon- dant ainsi sa douleur et excité par ses larmes nn 20 à ue LÀ — 31 — à sécher celles des autres, toutes celles du moins qu'il pourrait, nous avons à voir dans Pasteur le patriote si fervent. Pour le con- naître à la fois plus rapidement et plus com- plètement sous ce jour, prenons-le tout de suite à l'heure des désastres, en ‘“ l’année ter- rible ”, en 1870. Il a alors 48 ans. Son fils qui en a 18 est déjà engagé. Et Pasteur vou- drait faire comme lui et s’enrôler dans un ba- taillon de la garde nationale, Et, pour l'en empêcher, il faut lui rappeler qu'il est paralysé et qu'un paralysé est un homme invalide. Mais alors, à mesure que les mauvais jours augmentent et s'accumulent, ‘le mal de la France ”,-comme il dit, le poursuit, l’envahit, l’accable, l'exaspère. Quand, surtout, lâche- ment, le neveu de Bonaparte eut rendu son épée ; quand on eut par conséquent le droit d'attendre, du roi de Prusse vainqueur, non seulément la paix mais la clémence, puisqu'il avait déclaré que c'était à l'empereur Napo- léon III et non point à la France qu'il faisait la guerre; quand, en dépit de cette déclara- tion royale, cette guerre continua, alors Pas- ct et eme on S Eu A ONE teur ne se contint plus, il éclata: “ Je vou- “ drais que la France résistât jusqu'à son “ dernier homme, jusqu'à son dernier rem- “ part. Je voudrais la guerre prolongée “jusqu'au cœur de lhiver, afin que, les ‘“ éléments venant à notre aide, tous ces Van- “ dales périssent de froid, de misère et de “ maladies.” Et ce n’était pas assez pour sa- tisfaire son indignation de cette amertume de son âme versée dans l’âme de l’un de ses élè- ves. Ilse souvint qu'il avait reçu trois ans auparavant un parchemin lui décernantle titre de docteur en médecine de la Faculté de Bonn. ‘“ La vue seule de ce parchemin lui 2) “ devint odieuse.........” Etil renvoya ce diplôme ‘“ en signe de lindignation qu'inspi- “raient à un savant français la barbarie et ‘“ l'hypocrisie de celui qui, pour satisfaire un “ orgueil criminel, s’obstinait dans le massa- “ cre de deux grands peuples.” Vingt-quatre ans après, en janvier 18095, huit mois avant la mort de Pasteur, l'Acadé- mie des Sciences de Berlin, songea à lui faire décerner par l’empereur d'Allemagne l'ordre ÉRORER EDR TONER ELEC à en du Mérite de Prusse ; mais comme on se sou- venait du renvoi du diplôme à l'Université de Bonn, on voulut s'assurer que Pasteur ne re- fuserait pas. Celui-ci, tout en se disant gran- dement honoré comme savant par les inten- tions de l'Académie des Sciences de Berlin, fit savoir qu'il n’accepterait pas. Serait-ce que Pasteur fût un chauvin, un jingoes, danslesens, aussi nouveau comme ex- pression qu'éternellement étroit comme senti- ment, de ce mot ? Serait-ce donc qu'il eût été capable d'approuver et de faire sienne la pa- role odieusement patriotique, la phrase du Kaiser régnant ? Serait-ce donc que, pour lui comme pour Guillaume II, “ Fhumanité s’ar- rêtât aux Vosges ? ’—Est-ce que par hasard j'aurais besoin de vous rassurer ? est-ce qu'il fût demeuré Français si, un seul instant, par le cœur, il eût cessé de demeurer citoyen du monde entier? Mais si, pour la science en général, et pour son dévouement en particu- lier, il ne reconnaissait pas de frontières, pas plus de Vosges que de Pyrénées, pour l’hom- me et pour le savant, il n’en était point ainsi. CPAM EE . { da Ga — 34 — À ses yeux, tout savant doit aimer et préfé- rer sa patrie quelle qu’elle soit, combien plus quand, par la grâce de Dieu, cette patrie, c'est la France; et combien plus encore quand cette France est malheureuse ! . Et encore ici faut-il que: je m'explique, ou plutôt, que je vous explique Pasteur afin que vous le compreniez tout entier. Cet amour qu'il professait, cette préférence qu'il affichaïit pour son pays allaient-ils à lui faire souhaiter et poursuivre Je ne sais, ou plutôt, je sais trop quel impérialisme, quelle suprématie “ par l'épée aiguisée et la poudre sèche ? ” Non, pas même la domination par la richesse, du haut des balles de coton ou des piles de bank- notes. Pas même l'hégémonie par le com- merce et par le réseau des fils aériens ou sous- marins dont le jeu peut bien faire la hausse ou la baisse de l'or et des marchés, mais de l'honneur et du mérite des nations, non pas. À d’autres, à droite et à gauche, ces compé- titions et ces rivalités. Ce qu'il voulait, lui, entre les nations, c'était une lutte, un tournoi de ‘“ rivalités intellectuelles et morales” ; c'é- — 35 — tait, dans ce tournoi, la France au premier rang ; la France, comme lui, hors pair par Ja lumière et par le dévouement; par la science acquise et par la charité répandue; la France reprenant sa place, —toujours vide d’ailleurs, —bien plus encore comme cœur que comme tête des nations. Et c'était là ce qui lui fai- sait dire, avec une émotion intense, le jour même et sous le coup. de là découverte du vaccin du charbon: “ Je ne me consolerais pas si cette découverte que nous avons faite, mes collaborateurs et moi, n’était pas une dé- couverte française ”. . Quand c’est aussi admirablement que l’on est patriote, on peut être ensuite, on est d’a- vance et en même temps non moins admira- blement internationaliste et humanitaire. : C’est ce qui nous reste à voir. Si “aux heurés difficiles, inséparables des longs efforts”, ‘“ à la pensée de la science il “# associait, pour relever son courage, la pensée “ de la grandeur de la patrie,” non moins inti- 5 x ne ; mement il associait . ses qu'il en à est que la ads stér che, lui elle le fertilisait et “mi | TER L DE AA 2 EC Dust no du tant pleurées, parce qu'il aurait tant voulu empêcher d’autres pères et d’autres mères de pleurer comme lui ? Car, si fier et si heureux qu'il fût d’avoir arrêté le torrent des pertes qui, en vingt an- nées, s'étaient élevées, pour la sériciculture, à 1500 millions de francs; si fier et si heureux qu'il fût d’avoir trouvé ce remède si simple : un microscope qu'une main de fillette pouvait manier (et, grâce à ce microscope, le ver à - soie était redevenu la chenille aux œufs d’or); si fier et si heureux qu'il fût de constater que le grand physiologiste anglais, Huxley, avait raison quand il disait à la Société Royale de Londres que les découvertes de Pasteur suf. firaient à elles seules à couvrir la rançon de guerre de cinq milliards payés par la France à l'Allemagne, en 1871; si fier et si heureux qu'il fût d’être salué par des paysans comme le sauveur de leurs moutons et de leurs bœufs, de leurs poules et de leurs papillons, dès ses premières découvertes et incessamment à travers toute sa vie, il se dit et on le sent par- dessus tout désireux et anxieux de voir que SR a RG à 2h lee 4 EEE. Jui ses inventions ne s'arrêtent pas à remplir les coffres-forts et les bas de laine, et à mettre un terme aux dévastations des bergeries et des poulaillers : ce sont les petits lits qu'il veut empêcher de se dépeupler, c’est l’homme, c'est son semblable, à quelque pays qu'il ap- partienne, et par quelque maladie infectieuse qu'il soit atteint, qu'il voudrait parvenir enfin à prémunir, à délivrer et à sauver. Et cela au prix d’un labeur qui, à 40 ans, l'arrêtait tout à coup, le frappait de paralysie et ne le laissait revenir au travail que boitant de la jambe gauche et plus ou moins maître des mouvements de sa main du même côté. Mais il n’en reste pas moins maître entier de son âme, je veux dire de son dévouement, trouvant spontanément dans son cœur la for- mule même qui scelle le don absolu de soi à Dieu et aux autres dans la profession de la vie religieuse : ‘“ En fait d'efforts, je suis à vous (c'est-à-dire à tous) usque ad mortlem, jusqu’à la mort.” Et encore faut-il que je vous dise que ce fut sans l’attendre, puisque, plus | d’une fois, il alla au-devant d’elle, surmontant ER ps sa “sensibilité extrême”, “sa compassion si “ vive, physique et morale, des souffrances des “autres”, son insurmontable dégoût ‘“ pour “ la vue des cadavres et la triste besogne des ‘ hôpitaux”, “en sortant malade”, y reve- nant quand même, y recueillant des notes, des observations, du pus et des microbes, au ris- que de rapporter cent fois les germes des plus terribles maladies. Quel malheur qu'un instantané ne l'ait pas surpris et ne nous l'ait pas conservé, un tube effilé entre les lèvres, la tête penchée sur la gueule d’un boule-dogue furieux que maintiennent à grand’peine, éten- du sur une table, deux gardes inconnus aussi braves que lui qui, avec ce tube, aspire de cette gueule quelques gouttes de cette bave dont il va tirer pour la faire jaillir à l'infini, à travers le monde entier, la source de tant de milliers et de milliers de guérisons ! Et quand, après de longs mois, après qua- tre années de recherches et d’études, il croit tenir enfin, et, en fait, il tient, non pas ici, le microbe, mais le secret quand même de gué- rir de la rage ; quand il a expérimenté, et en- . He __ voudrait essayer sur lui-même, d'abord . 'eff maine. C'est sos à que, à ip ans pre au Brésil, dans les es périences et Lace de do spi sûr moyen de combattre la rage et le c à l'heure. mais os Mae qu incomp aa D ment bon qui, afin d'être bien sûr de nd oi * voué à la mort par l'envahissement Le ee de son remède. Pasteur voulant s’inocul F di ins rage pour être absolument certain qu'il a vrai- ment le secret d'en arrêter le progrès chez les autres, ne trouvant pas en quelque sorte d'animé vili, de sujet plus vil pour véri- fier son expérience, qu’ajouterai-je encore pour vous prouver que le génie qui débor- dait de lui n’était pas même la moitié de cet homme ? Ce que j'ajouterai, c’est qu’un vendredi matin, le 6 juillet 1885, il vit entrer dans son laboratoire, accompagné de sa mère, un petit Alsacien âgé de 9 ans, Joseph Meister. Mordu l'avant-veille par un chien enragé, l'enfant portait quatorze blessures. Que va faire Pas- teur ? Se décidera:t-il seul? Non, il faudra que deux illustrations médicales, Grancher et Vulpian, le rassurent, le poussent et lui décla- rent qu'il est de son devoir d’inoculer à cet enfant le remède qui a déjà préservé et gué- ri une si grande quantité d'animaux. Pasteur s'exécute. Il obéit. Mais à mesure que le re- mède opère, et que l'enfant va mieux et que la fièvre l’abandonne, c’est Pasteur qu’elle prend, c’est lui qui ne dort plus, et de quoi ? par un chien 7 none < et 2 teur. D'abord mieux RE fut. il avait a sur Jeanne et pe Cécile Pasteur. Entre ce savant inire — 43 — et cet autre savant qui ne sut toute sa vie que : “rire” et “s'égayer” des misères des foules et des souffrances des individus, entre Pasteur et Renan que l’on mesure ici l’'abîme. Préfère qui le voudra celui qui sut en termes—oh! si déli- cieusement académiques |— “remercier l’Éter- nel du charmant voyage qu'il lui avait donné d'accomplir à travers la réalité”, pour moi, je garde tout mon cœur et toute mon admiration pour celui qui ne s’est jamais consolé qu'il ne lui eût pas été donné d’adoucir toutes les tris- tesses de tous les malheureux d'ici-bas. Je viens de nommer M. Renan. Vous savez peut-être que ce fut lui qui, le 27 avril 1882, reçut Pasteur à l'Académie Française. L’an- tithèse vivante se dresse ici d'elle-même. Et, s’il n’était si tard, quelle joie de la poursuivre. D'un côté, l’ondoyant aruspice qui ne pou- vait lui-même se regarder sans sourire; et, de lautre, le mage austère et rigide, qui prenait tout plus qu'au sérieux, au tragique : ces deux esprits, si profondément dissymétri- aussi ferme, aussi sûre que sa science crobes. Et, pourtant, celui-là, il ne l ces heures entre toutes de “aù dh di sceptique qu'était devenu Sainte-Beuve, le 20 novembre 186 5,— dix ans après, à l’Acadé- mie de Médecine, il le répétait plus haut: # En chacun de nous il y a deux hommes : le “ savant, celui qui a fait table rase, qui, par # l'observation, l’expérimentation et le raison- ‘ nement, veut s'élever à la connaissance de “ la nature, et puis l’homme sensible, l’homme “ de tradition, de foi ou de doute, l'homme de “ sentiment, l’homme qui pleure ses enfants “ qui ne sont plus, qui ne peut, hélas ! prou- “ ver qu'il les reverra, mais qui le croit et “ l'espère, qui ne veut pas mourir comme “ meurt un vibrion, qui se dit que la force qui “ est en lui se transformera.” — Et, sept ans après encore, ce 27 avril 1882, cette fois en pleine Académie Française, attendant la ré- plique de ce maître en ironie humaine et di- vine qu'était M. Renan, et prononçant l'éloge du maître en philosophie positiviste et maté- rialiste qu'avait été M. Littré, ce qu'il avait confié à l'oreille de Sainte-Beuve, ce qu'il avait affirmé devant les membres de l’Acadé- mie des Sciences, il le réaffirma et le procla- RTE à — 46 — ma plus solennellement aux oreilles de la France et du monde : “ La notion de l'infini ‘“ dans le monde, j'en vois partout l’expres- “sion. Par elle, le surnaturel est au fond de “ tous les cœurs. L'idée de Dieu est une ‘“ forme de l'idée de l'infini...... La concep- “ tion de l'idéal n'est-elle pas encore la facul: ‘té, reflet de l'infini, qui, en présence de la “ beauté, nous porte à imaginer une beauté ‘“ supérieure ? La science et la passion de ‘“ comprendre sont-elles autre chose que l’ef- ‘“ fet de l’aiguillon du savoir qui met en notre “ âme le mystère de l'univers? Où sont les “ vraies sources de la dignité humaine, de la “ liberté et de la démocratie moderne, sinon “ dans la notion de l'infini devant laquelle “tous les hommes sont égaux ? ” ss... “ Heureux celui qui porte en “ soi un dieu, un idéal de la beauté et qui lui “ obéit : idéal de l'art, idéal de la science, “idéal de la patrie, idéal des -vertus de “ TÉvangile! Ce-sont là les sources vives des ‘“ grandes pensées et des grandes actions. “ Toutes s’éclairent des reflets de l'infini.” ee Mais, cet infini, Herbert Spencer aussi l’ad- mettait et en réconnaissait l’existerice. Seule- ment, il déclarait que, “ pour s’aventurer sur “un tel océan, il manquait de voile, d’avirons ‘et de barque.” Est-ce que Pasteur restait lui aussi sur le bord? Ou bien alors, lui si mo- deste, avait-il donc sa barque? Non, mais parce qu'il était plus que modeste, parce qu'il était humble, il avait à sa disposition la bar- que universelle, la vieille et éternelle barque, celle de son père et de sa mère,. celle de ses enfants, celle des pauvres: et des petits, celle de ceux qui souffrent et donc de tous les hommes, la barque de l'Église où il était heu- reux d'être assis avec tout le monde, de croire avec tout le monde tous les dogmes, comprenant que si “les deux domaines, — “ celui de la science et celui de la foi, —sont “ distincts ”, et que si c'est ‘“‘’ün malheur de “ les faire empiéter l’un sur l’autre dans l’état “ si imparfait des connaissances humaines ?, ces deux domaines n’en existent pas moins en eux-mêmes et que donc rien n'empêche qu'ils puissent coexister aussi dans lesprit de à noire nella et : plus ie LS cœur parce que plus voisine de nous 16 | humaine sets quand il ne sera plus c 1 | ques mois de la mort, recevant, < mystère comme sans ostentation” 2 AS ments que propose l’Église, et expi très *AQBP EEE le 28 Aer nt RE és £ AE LE Tel fut, dans sa vie et dans sa mort, Louis Pasteur, aussi humble que grand, aussi en- thousiaste que réfléchi, aussi tenace qu'im- pulsif, aussi profondément bon que supé- rieurement intelligent, aussi singulièrement patriote qu'universellement humanitaire, aussi simple comme croyant que sans égal comme savant. Jeunes gens qui vous trouvez ici, si c'était lui qui vous parlait, il aurait un mot pour vous. Car il aimait à s'adresser aux jeunes hommes, et ils aimaient à l'écouter parce qu'ils “ recon- “ naissaient en lui les trois qualités, si rare- “ ment réunies, qui font les vrais bienfaiteurs “ de l'humanité, la puissance du génie, la “ force du caractère et la bonté.” Qu'il parle donc encore, ce mort immortel, et qu’il vous dise ce que si souvent il répéta à vos frères de France : “ Zaboremus, travaillons, travail- :“ lons encore!” “Il n’y a que le travail qui “amuse et qui, dans les grandes douleurs, “ distrait.” Il ne connut jamais d'autre dis- ME ET bte D AN LUS TEE PT Lu At ti nd an k: x he “ Vivez dans la paix sereine des laboratoires “et des bibliothèques. Dites-vous, d’abord : “ Qu'ai-je fait pour mon instruction ? Puis, à ‘“ mesure que vous avancerez : Qu'ai-je fait “ pour mon pays? Jusqu'au moment où vous “ aurez peut-être cet immense bonheur de “ penser que vous avez contribué en quelque 66 chose au progrès et au bien de l'humanité. cc Mais, que les efforts soient plus ou moins La favorisés par la vie, il faut, quand on approche du grand but, être en droit de Las La se dire » l'al fait cesque j'a pu” Faites donc ce que vous pouvez; et si— quoi qu'en ait dit Napoléon, —le mot “ impos- sible ” peut être français, faites, chacun pour votre part, que l'expression “pas capable ” cesse d'être canadienne. Et que l'on puisse vous appliquer, comme à Pasteur, le mot superbe de Pascal—l’un des plus beaux que son génie ait trouvés et que sa vie ait aussi réalisés— : “ Nul n'a versé plus généreusement le sang de son humanité dans son œuvre.” ‘ — 52 — Excellence qui avez bien voulu venir pré- sider cette soirée, je connais trop votre amour pour votre pays, | | Messeigneurs qui avez bien voulu nous ap- porter l’ornement et les encouragements de votre présence, je connais trop votre zèle pour les intérêts de votre peuple et pour son progrès en tous sens, | Mesdames et Messieurs qui avez bien vou- lu vous réunir ici ce soir, je connais trop vos sentiments patriotiques, pour que je m'arrête à croire un instant que je me sois trompé en résumant les adieux et les souhaits que je vous adresse à tous dans cet appel de l'âme de Pasteur à l'âme de la jeunesse canadienne-française. EN VENTE CHEZ LES MEMES ÉDITEURS CONFERENCES DONNÉES AU CERCLE VILLE-MARIE PAR LES Prédicateurs de la Station Quadragésimaie à Dotre-Dame 1891-—P. BABONNEAU, Dominicain Le Père Lacordaire et les jeunes gens, in-12 10c 1893-—P. L. A. GAFFRE, Dominicain Christophe Colomb, sa mission, son caractère, 1492-1892,in-8 25c 1900-—P. HAGE, Dominicain Le Général de Sonis, in-8 .. .. 10c 1901-—Mgr ROZIER Le XXe Siècle, in-8 (Quelques = exemplaires). ... 75c 1902-—Mzgr ROZIER Le Baptême d’une Race, in-8 .. 25c 1903-—P. A. J. LEMERRE, Dominicain Jeanne d’Arc et Il’ Ame Française, PB: 4 Tir 0 - 4 1904-—P. DELOR, Dominicain $ Un Apôtre flloderne, le Père der Didon, ie... 12 La CIE D'IMP. MODERNE 20 RUE ST-VINCENT MONTREAL SITE PER k ; h Ch À + > VA je LA EF no PATES 0 ee DES os