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GHAMFORT

PARIS. IMPRIMERIE DE J. CLAYE HOE SAINT-BENOIT, 7

COLLECTION HETZEL

CHAMFORT

PENSEES MAXIMES ANECDOTES DIALOGUES

PRÉCÉDÉS DE L'HISTOIRE DE CHAMFORT

PAR P.-J. STAHL

NOCV.EME EDITION

REVUE ET AUGMENTÉE," CONTENANT

DES PENSÉES COMPLETEMENT INEDITES ET SUIVIE

DES LETTRES DE MIRABEAl' A CHAMFORT

PARIS MICHKL LÉVV FRÈRES, ÉDITEURS

BUB VIVIBKKB, 2 BIS

/ f ^ rr'

GHAMFORT

CHAMFORÏ

Do la situation de l'iiomme de lettre» en temps de révolution.

Dlsgrûces de lu notoridte. De la nature des rapports de» écrivains

et des grands seigneurs au xviiie sifccle. pon côté de ces rapports.

Hôle politique de Chanifort entre les partis extrêmes.

La situation do riioniino ((ui est avec la vocation des lettres est dillicile en temps de révolution. Outre que ces £,M'ands mouvements absorbent à leur profit tout l'intérùt public, ils créent à l'écrivain des devoirs et lui opposent des obstacles d'un ordre particulier.

S'il se confine dans les lettres, s'il oublie d'être de son temps, de vivre de sa vie, de soutTrir et de palpiter avec lui, s'il vient à bout de s'abstraire dans l'art et d'y demeu- rer sans être atteint, sans être touché jamais par l'émotion publique, on lui fait un reproche mérité de cet égoïsme. Les cœurs dévoués que la lutte entraîne se demandent avec colère ce que |ieut être celui dont la respiration est assez froide pour lui permettre de jouer solitairement de la flûte ou du flageolet quand lo canon gronde, quand le monde est en feu, quand les destinées de l'humanité s'agi- tent : et, se rappelant que les grands poètes de tous les

GHAMFORT.

temps ont toujours été la voix môme de leur époque, que Dante, Pétrarque et tant d'autres saignaient quand sai- gnait leur pays, ils se répondent non sans raison que celui- ne mérite que le mépris, et n'est point un véritable artiste dont l'heure solennelle des révolutions ne passionne pas la chanson.

Que si, au contraire, comprenant que la fortune de son siècle ne doit pas s'accomplir et passer devant lui comme devant un spectateur indifférent, l'homme de lettres se met à marcher avec ou contre son temps, selon que sa conscience lui conseille de précipiter ou de retarder sa marche, soyez sûr que, si généreusement qu'il se jette dans le mouvement, ce mouvement l'accueillera avec plus de défiance et de froideur qu'aucun autre.

« C'est un artiste, se diront les gens qui ont la pré- tention d'être des politiques purs, c'est-à-dire de n'être propres à rien qu'à s'occuper des afiaires des autres, prenons garde ! cet homme qui sait chanter ne prendra pas nos airs tout faits, et -peut-être va-t-il avoir la préten- tion de nous faire chanter les siens... »

Le gros public dira autre chose : « Quelle bizarre idée a donc passé jiar la tête de M. A***? Comprend-on qu'un homme qui a fait de la prose et des vers a\'ec suc- cès, dont les drames et les comédies nous ont fait tant pleurer et tant rire, dont les romans sont si amusants quand on les lit au coin d'un bon feu, fasse la folie de s'occuper des affaires de l'État! o Et chacun de dire à M. A*** ce qu'on disait autrei'ois à M. Galland : « Racontez-nous plutôt un de ces contes que vous racontez si bien. »

La vérité est que, pour le plus grand nombre, l'homme de lettres est resté quelque chose comme ce qu'étaient les trouvères et les troubadours de l'ancien temps, c'est-à- dire des joueurs de cithole ou de mandore, des ménétriers

CHAMKOllT. 5

bons à marquer les K'mps des divers exercices auxquels se livrent les autres, mais peu propres ii y prendre part.

Je ne charge guère le tiibleau, si je le charge.

L'esprit humaia est ainsi fait : ceux nu^mes qui trou- vent tout naturel qu'un marcliatid de souliers ou de can- nelle, quun herboriste ou un meunier, (pi'un fabricant (le mérinos ou un soldat aspirent à conduire et à éclai- rer leur pays, s'étonnent ingénument (pi'un homme de lettres, dont la mission est d'étudier et de connaître les hommes, ait la même ambition et se croie les mêmes devoii-s.

A (pii la faute?

Esl-^e celle de l'homme de lettres, ou celle de la pro- fession ?

La faute, selon nous, n'est ni à l'un ni à l'autre. L'homme et la profession en valent d'autres, pour le moins; et je dirais (pie la faute en est au public, qui préjuge souvent au lieu déjuger, s'il n'était convenu que le public n'a jamais tort.

Disons donc que la faute lient plutôt, cependant, à la profession qu'à l'homme.

Et en effet, cette noble profession, la plus belle, la plus périlleuse, la plus grande de toutes, pour qui sait la com- prendre et l'honorer, cette profession a sur toutes les autres un grand déstnantage.

Sur ce tlu^àtre qu'on appelle le monde, au lieu d't'^tre IHM'du dans la foule comme le spectateur, et de pouvoir jouir jamais du bénéfice de l'obscurité et de l'impunité commode de l'incognito, l'homme de lettivs, pour peu qu'il existe, est en vue comme un acteur. Qu'il le veuille ou non, il est en scène, il a[)partient à la vie pul^lique, il n'y a jwint pour lui de vie privée, il a toutes les disgrâces de la notoriété. Il n'a aucun des avantages de l'anonvme,

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GHAÎUFORT.

aucun des privilèges, aucun des mérites du silence. S'il a commis une faute, s'il a émis une erreur, s'il a fait une sottise, ou, ce qui pis est, s'il l'a dite, s'il l'a écrite, et, étant homme, tout cela a lui arriver, chacun connaît cette sottise, les échos la répètent, la publicité s'en empare, elle est imprimée, elle reste. Une sottise imprimée n'a jamais été perdue.

Cependant, le négociant, le rentier, plus heureux, peut pécher à son aise; s'il a un défaut, s'il en a mille, s'il est un triple sot, le monde l'ignore, bénéfice énorme, dont naturellement il abuse! Il peut être tout ce qu'il veut, môme un homme d'esprit s'il est discret, et sait le cacher dans son monde. On le lui pardonnera comme une^uper- fluité peu coûteuse. Aucun parti pris fâcheux ne le sépare de ses destinées; et, le jour où, sa fortune étant faite, il sent que la politique le réclame, tous les préjugés sont pour lui. Il a, d'ailleurs, en sa faveur un capital acquis, que n'a pas d'ordinaire l'homme de lettres, qui ne peut avoir que l'indépendance de l'esprit. Il a la plus pré- cieuse des indépendances, celle qui fait croire à toutes les autres, l'indépendance d'argent. Indépendance men- teuse bien souvent! Le riche ne dépend-il pas de ses écus, si le pauvre dépend de sa pauvreté? et qui pourrait dire quel est le plus esclave des deux? et sont les pires préjugés, de ceux de l'homme riche et de ceux de l'homme qui ne l'est pas ?

Dans l'ancienne société, dans celle Chamfort est né, il a vécu d'abord, et qu'il a vue et aidée à mourir en partie, la situation de l'homme de lettres était pire, re- connaissons-le, qu'elle ne l'est de nos jours; et quand on pense que ce sont les lettres, à cette époque surtout dépen- dantes, la société d'alors n'ayant pas même admis que leur travail pût constituer une propriété , les lettres qui

CHA.MFORT.

vivaient do bo« vouloir de quelques grands seigneurs, bon plaisir dos rois, je dis les lettres les plus iiaules, <iuand on pense, dis-je, que ce sont ces servantes, ces mercenaires sublimes qui ont affranchi le monde et tiré des entrailles mêmes de leur servitude la liberté de la pensée, on est obligé de reconnaître que la plume est pourtant une arme gloricasc et puissante entre toutes.

Hélas! elles ont tout affranchi, hormis elles-mêmes. Ce qu'on opprime a\ant tout aux heures mauvaises, ce sont ces lettres, le salut de l'humanité.

Dans nos sociétés fondées sur la propriété, pour ne i^ar- 1er que d'une des iniquités que subissent les lettres, on n'a point voulu admettre encore que la propriété litté- raire fût une véritable propriété ^.

On a eu raison peut-être. A notre époque l'argent c'est souvent le jwuvoir, et presque la noblesse, convien- drait-il que le banquier opulent fût pauvre à côté du des- cendant de Molière, de Corneille, de Racine, et que la I)ropriété des Contes de fées de Perrault rapportât plus à ses possesseurs que telle usine célèbre?

Chamfort est dans un temps l'homme qui naissait avec du talent devait reconnaître avant tout qu'il ne pou- vait donner carrière à ce talent que s'il parvenait à lui trouver un protecteur.

On a fait un reproche à Chamfort de cette nécessité du temps, qu'il subit comme les plus fiers. Ce reproche est un non-sens à son adresse, aussi bien qu'à l'adresse de presque tous les autres, et j'imagine que les écrivains

1. 11 y a un moyen pratique d'une grande slmpUcitt! pour assurer îi l'homme de lettres pendant sa rie, ou h ses ht^rlticrs aprbs sa mort, le fruit, la proprl(iti5 matcricllc de ses œuvres, tout en garantissant h la ■sociott' le droit de propriété morale qu'elle a le de%'oir de garder sur toute œuvre qui a vu le jour. (Voir la brochure intitulée : /je doinai»e public payant, publiée par Hetzel, à Bruxelles.)

CHAMFORT.

qui, plus à i'aise dans notre société moderne, font cette critique saugrenue de nos aïeux littéraires, n'eussent pas agi autrement qu'eux, s'ils avaient été leurs contempo- rains. Je ne suis pas de ceux qui jugent dé|)lorable l'ami- tié de Voltaire et du grand Frédéric, pour ne parler que de celle-là; je ne vois pas en quoi la liberté d'esprit de ce grand homme a été gênée sur les marches de ce trône, et je vois qu'au contraire la place était bonne en ce temps- pour imposer au monde le respect des idées nouvelles. S'il est facile de condamner ainsi le passé, avec les armes qu'il nous a mises à la main, il n'est pas généreux d'ou- blier que ces armes, sa conquête, sont le gain de ses la- beurs obstinés. Si nos grands-pères, refusant les pensions de quelques grands seigneurs, avaient trouvé plus digne de faire la corvée que d'écrire dans ces conditions d'ap- parente servitude, il est à croire, d'une part, que la no- blesse, qui les payait pour être éclairée et qui échangeait son argent contre leurs lumières, fût restée dans ses ténè- bres, et, de l'autre, que bon nombre de ceux à qui je réponds ne sauraient pas l'orthographe.

Quand l'heure d'une révolution a sonné, quand ponr une société partagée en deux camps le moment suprême de la lutte est venu, c'en est fait du parti de l'avenir, s'il ne voit que des ennemis dans le camp du passé. Il triom[)hera peut-être dans un jour de surprise ou de vio- lence, mais son triomphe sera éphémère.

On ne fonde rien dans l'ordre des faits , comme dans l'ordre des idées, sans le consentement de ceux mêmes qu'on a contre soi. Il ne suffit pas de vaincre l'ennemi, si l'on ne doit pas parvenir en outre à le convaincre. La vraie conquête de l'avenir, c'est, en même temps que la soumission des adhérents du passé, leur con\ersioii, leur conviction changée.

GflAMFORT

Nos JMTOS l'avaient a(lniir;il)l(Mm'nt coiiipris, cl il a pout- ôlre été providentiel (pie philosophes et écrivains fussent, avant 89, les commensaux nécessaires des nobles et des grands sei^rneurs. C'est ainsi, en effet, qu'ils trouvèrent de j!;cncrcu\, d'indispensables com|)lices dans les rangs nn'^mes de cette noblesse (jui semblait avoir tout à perdre dans une transformai ion sociale.

Cette cohal)itation obligée des privilégiés de l'esprit et des privilégiés de la naissance eut encore un autre résul- tat..On vit que, dans les deux camps, on pouvait valoir queUpie chose, et, si le combat ne put être évité, si la lutte cependant fut terrible, il y eut, à l'honneur de l'hu- manité, des protestations contre ce ([u'elle eut d'excessif. Quelques hommes (courageux se j(Hèrent comme un pont d'une rive à l'autre, essayant do les tenir unies, et si, emportés par le torrent, ils disparurent victimes de leurs courageux ell'orts, la double le(.'on de leur vie et de leur mort ne doit pas être |)ordue ce])endant |)our l'aNcnir.

Chamfort a été un de ces hommes. Ami sincère, ami ardent et convaincu de la Révolution, il se mit résolu- ment à son service et lui siicrifia tout, hormis pourtant la liljprté de son esprit et de sa parole.

Cotte restriction ne fut pas du goût d'une époque qui, ayant tout à ronvei^ser, ne pouvait pas fonder la liberté par la liberté même et qui croyait avoir le droit de de- mander à ses amis tous les genres d'abdiciition. On oublia les services de Chamfort dès qu'on vit qu'il prétendait les raisonner. La doctrine de l'obéissance |)assive n'est pas une découverte moderne; elle a été de tout temps à l'usage des pouvoirs contestés et des partis extrêmes.

C'est i)eut-être uue question, au point de vue pratique, de savoir si, alors que deux armées sont aux mains, il y a opportunité à se jeter au milieu de la mêlée pour re-

I.

CHAMFORT.

commander la mesure au parti qui va triompher ou pour arrêter des représailles qui, peu utiles dans le présent, restent toujours à la charge de l'avenir ; ce n'en est pas une au point de vue de la morale.

Ce rôle de modérateur, un peu prématuré, j'y consens, mais intrépide, fut celui de Chamfort. La preuve que la violence est la pente des esprits faibles, c'est que, dans les cataclysmes politiques, les défaillances éclatent plus particulièrement aux extrémités des opinions que dans leur milieu. Chamfort devait prouver, contrairement à l'opinion des multitudes, que le besoin de modération dans la victoire est un gage de fermeté et de constance dans la défaite. Dans sa hâte du bien, il crut que le fleuve débordé des idées nouvelles, après avoir emporté les choses, pouvait et devait négliger les hommes. Il pensa qu'après cette grande inondation nécessaire, son cours allait pouvoir devenir bientôt régulier et que ses eaux devaient être promptement navigables. Il paya du sacri- fice volontaire de sa vie cette belle illusion et refusa hé- roïquement de lui survivre.

Comme tous ceux qui ne servent pas aveuglément un parti et qui, au lieu de le mener, se donnent la miss^n purement platonique de le conseiller ou de le critiquer, Chamfort a être et a été, à un moment donné, calomnié par tous.

Il y a, dans toutes les révolutions, des gens excessifs. Malheureusement, il semble que, dans toutes les révolu- tions aussi, ces gens-là doivent fatalement avoir leur heure. La chimère des partis extrêmes étant de posséder des remèdes à tous les maux, les nations, non moins crédules que certains malades qui,- lorsque le danger augmente, s'adressent à des empiriques; les nations, im- patientes des lenteurs des traitements réguliers, s'aban-

CBAMFOHT.

Oonnoiit (iuol(iiioiois à eux. Mallieur alors à qui ne pro- claiiio i)as la loutc-puissanco do hnirs panacées !

Cliamforl, esprit positif, esprit clair s'il en fut, devait être de ces derniers. Il s'en expliqua nettement, et, comme chacun de ses mots portait coup, on le jeta aux Madelon- nettes pour le réduire au silence.

Il va sans dire (pie, d'un autre côté, les fanatiques du passé, peu touchés par sa sagesse, qu'ils savaient inca- pable d'un retour vers eux, furent implacables, eux aussi, et se gardèrent bien do lui pardonner le concours éner- gique qu'il avait donné et qu'il entendait donner, par sa résistance mémo à ses excès, à la grande cause delà Révolution.

Elle est si près de nous encore , la Révolution, quoi qu'on ait fait pour l'éloigner; il est si clair qu'elle est en jiermanence, assise sur les ruines du passé et se riant des efforts tentés pour relever ces ruines, que le jour de l'équité n'est encore venu ni pour elle, ni pour ceux qui l'ont servie. Aussi Chamfort a-t-il, même de nos joui*s, contre lui tous les ennemis de cette Révolution, qui savent bien, eux, sont ses vrais amis, et cette fraction de l'opinion révolutionnaire qui se proclame naïvement avancée, parce que, pour être plus sûre sans doute de ne jamais atteindre le but, elle a grand soin de donner à penser qu'elle le dépassera.

ÇHAMFORT.

II

Biographie de Cliamfort. Sa naissance. Sa jeunesse. Ses succès au coUe'ge Kôponse de Cliamfort au principal des Grassins. Ses de'buts littéraires. Portrait de Chamfort par Sélis. Cliamfort fait les sermons d'un jeune abbé. Il devient rédacteur du Journal encyclopédique. Ses succès académiques et ses succès dans le monde. Jugement de Voltaire sur Chamfort. Critiques de Grimm et de Diderot. Opinion de la princesse de Craon. Lettre de mademoiselle de L'Espinassc. Fragment de correspondance de Chamfort.

Sébastien-Roch-Nicolas Chamfort est en 1 74 1 , dans les environs de Clermont en Auvergne.

Sa mère, qui était jolie et d'honorable condition, mais pauvre, remplissait dans une riche et noble famille du pays le modeste emjjloi de dame, disons le mot, de demoiselle de compagnie.

Elle perdit cet emploi, son unique ressource, aussitôt qu'on s'aperçut qu'elle allait devenir mère.

La malheureuse femme, quand vint au monde l'enfant dont la naissance lui coûtait si cher, n'eut pas même la consolation de pouvoir placer le nouveau-né dans les bras de son père.

Le nom du père de Chamfort est demeuré inconnu. On présumé, cependant, que ce fut un des membres mêmes de la famille qui congédia la mère dès que sa foute dev int visible. Pas un mot, dans tout ce qui est resté de Cham- fort, ne fait allusion à ce mystère, à cette douleur de sa naissance. Il est à croire que, s'il reçut jamais \ei confi- dences de sa mère à ce sujet, il dédaigna comme elle de faire un pas vers l'homme qui avait décliné à son égard

CHAMKORT. 13

les devoirs de la patornitc', et ([uo, jiiir iino délicatesse louable , il iviileiina |iieusemcnt dans son ùme ce que dut avoir de cruel jwur son cœur lo mallieur de son orif^ine.

Tout son amour se concentra sur sa mère, qu'il consola bientôt ii force de dévouement et de tendn^sse.

Un crili{|iie distini^ué, qui ne y<Ue pas les fif^ures qui ont touché à la Hévolution et qui a été dur pour Chamfort principalement, lui donne ce témoignage qu'il fut bon fils, et que, jusqu'à quatre-vingt-cinq ans que vécut sa Jiière, elle trouva en lui un coeur tendre, dévoué et tou- joui-s respectueux, encore bien qu'elle fût à cet i\ge aussi vive et aussi impatiente ((u'il pouvait l'être lui-même.

Ce serait offenser la mémoire de Cluimfort que de lui faire un mérite d'un sentiment si naturel. Mais il faut reconnaître, cependant, qu'il y a des positions qui ne sont pas faites pour adoucir les caractères, et qui peuvent assombrir l'esprit le mieux trempé. La position do Cham- fort à son entrée dans la vie était de celles-là, et les cri- tiques qui lui ont reproché sa misanthropie n'auraient pas oublitH" qu'elle avait à la fois sa raison et son excuse.

Chamfort ne porta pendant longtemps que le nom de Nicolas. Dès l'enfance, il annonçait des dispositions bril- lantes. Ces dis|)ositions valurent à sa mère l'offre d'une dend-bourse au collège des Grassins. Ce collège , ainsi que cela se pratique encore de nos jours, avait en pro- vince des corre.sjjondants dont la mission était de recruter à son [yrofit les enfants qui [Mjuvaient plus tard lui faire honneur.

Les progrès de Chamfort furent rapides. Il obtint, en rhétorique, tous les prix au grand concoui-s, hormis pour- tant le prix de poésie latine. Ce succès, si grand qu'il fût, ne fit que mettre ses maîtres en appétit. Ils trouvé-

CIIAMFORT.

rent qu'il ne suffisait pas à l'acquitter envers le collège, « et, dit M. Arsène Houssaye, un des biographes de Chamfort, on lui signifia que, s'il ne voulait pas, l'année suivante, doubler sa rhétorique afin d'obtenir tous les prix, il fallait renoncer à sa bourse, son seul bien. Il se résigna en pensant à sa mère. A la seconde tentative, il remporta les cinq prix. »

« L'an passé, dit-il, je manquai le prix des vers la- tins, parce que j'avais imité Virgile. Je l'ai remporté cette année, parce que j'ai imité Buchanan. » Il paraît qu'il y avait dans sa composition une certaine description du canon et de la canonnade qui ravit d'aise ses juges et en- leva tous les suffrages, à l'exception du sien.

Ces succès le désignèrent dès lors à l'attention des gens de lettres et des gens du monde. Ils eurent, en outre , pour effet de déterminer son goût pour la littérature.

Le principal des Grassins, désirant faire tourner au profit de la religion les brillantes facultés de son élève, lui promit, s'il voulait se faire abbé, une abbaye; mais Chamfort refusa. « Je ne serai jamais prêtre, dit-il ; c'est un costume et non un état. »

Ce fut à cette époque qu'il se baptisa du nom de Cham- fort. Il fallait vivre et faire vivre sa mère. Pour y par- venir, il entreprit de faire des éducations ; mais ces posi- tions dépendantes étaient incompatibles avec son caractère et sa nature. Il avait, à ses débuts, dit un de ses cama- rades, Sélis, traducteur de Perse, la figure la plus char- mante. Enfant de l'amour, beau comme lui, plein de feu et de gaieté, impétueux et malin, studieux et espiègle, sa bonne mine lui valait des succès qui, pour me servir de l'expression pudique de M. Sainte-Beuve, « dérangeaient le bon ordre domestique. » Après la seconde épreuve, il vit bien qu'il fallait songer à autre chose. Le hasard lui

GHAMFORT. 18

apporta alors une ressource assez originale. Un jeune prédiciteur de ses amis se trouvait fort ompôché d'avoir à (lébitor un sermon par semaine ii la cour. Comme l'abbe avait plus d'ari^ont et de mémoire que d'inspiration, il fut coiwenu que Cliamfort serait son pourvoyeur, c'est- à-dire (pi'il fer.iit ses sermons pour lui. Je ne sais pas si les sermons fabriqués à cette occasion parCliamfort furent tous bons; toujours est-il qu'ils n'étaient pas chers. - Cet échange de l)ons ofTices dura entre les deux amis pendant près d'une année. A un louis pièce, c'était tout ce qu'il fallait à Chamfort et à sa mère pour ne pas mourir de faim.

Cette fabrication considérable do sermons anonymes une fois terminée, Chamfort eut besoin de distraction. Il se laissa enlever par un riche Liéj^oois qui croyait aimer les lettres, et qui l'emmena a\ec lui en qualité de secré- taire. « Vie errante est chose enivrante, » a clit un de nos poètes. Chamfort avait eu cette illusion au départ; il fut bientôt désabusé et de son Liégeois et des voyages , et ne rapporta de Cologne et de Spa que de l'ennui et la pauvreté.

Après ces diverses tentatives, Chamfort se recueillit.

« Il comprit, dit M. Tissot, que l'illustration était la seule chose qui pût efliicer le malheur de sa naissance et lui donner dans la société la place que les préjugés lui refusaient. Il se précipita donc avec ardeur dans la car- rière littéraire. »

Il se fit attacher à la rédaction du Journal ennjchpé- dique; il participa à la rédaction du Vocabulaire français, et vécut pendant deux ans du produit de divers travaux littéraires.

Tout ce qui débutait dans les lettres concourait alors pour les prix de l'Académie française.

16 CHAMFORT.

Si aujourd'hui la compétition de ces prix est le plus souvent aljandonnée à des médiocrités exercées au genre de travail particulier qui conduit aux succès académi- ques , cela tient surtout à ce que l'Académie, en impo- sant aux concurrents des sujets déterminés, comme un pédant à son élève, renonce par cela même à obtenir jamais des travaux originaux, et se condamne à ne rece- voir que des amplifications d'écolier. Si elle eût laissé libre carrière aux écrivains, en se contentant de couron- ner les meilleurs ouvrages éclos spontanément de leur cerveau, en dehors de tout programme, elle eût, été utile peut-être et n'eût pas été réduite, dès lors, pour avoir de l'importance, il tâcher d'être un corps politique.

Chamfort était de cet avis. Mais l'usage était inflexible. Il concourut. Le prix de poésie, remporté, en 1764, par son Épitre d'un père à son fds, sur la naissance d'un petit- fils, et le succès de sa comédie la Jeune Indienne, le mirent en évidence.

Le Marchand de Smijrne , petite pièce qu'il fit repré- senter li quelque temps de là, et qui est restée au réper- toire du Théâtre-Français, ajouta encore à sa réputation naissante.

Il est curieux de voir quelle réception firent à ce jeune et beau débutant, à son entrée dans la république des lettres, les citoyens de cette république que la nature de leur esprit portait plus particulièrement à la critique.

Voltaire, remarquant ses débuts, dit : « Voilà un jeune homme qui écrira comme on faisait il y a cent ans. »

Voltaire, sans doute, avait vu autre chose de lui que ses vers. En efTet, Chamfort, prosateur excellent, n'a rien laissé en vers qui justifie cette grande opinion. Il faut dire que sa génération n'était pas plus forte que lui en fait de poésie, et qu'il fut encore un des meilleurs parmi

cil A M KO UT.

les poëtés d'un temps qui n'en eut guère que de mé^

diocros.

Apic? ce ju^'cmont do Voltaiiv. nous placerons celui que Griinm, {[u\ n'avait pas rindulf^cntc impartialité du génie, porUi, de son côté, sur ce nouveau venu.

Il va sans dire qu'obligé d'enregistrer le succès, il s'ef- força d'y niélor des épines.

« M. (le (-liiin)iorl est jeune, d'une, jolie figure, ayant l'élégance recherchée de son ;^ge et de son métier. Je ne le connais pas dailleui-s; mais, s'il fidiait deviner son caractère d'après sa petite comédie, je parierais qu'il est j)etit-maîtrc, bon enliinl au fond, mais vain, jwtri de petits airs, de petites manières, ignorant et confiant à proportion ; en un mot, de cette pâte mêlée dont il ré- sulte des enfants de vingt à vingt-<'inq ans, assez déplai- sants, mais qui mûrissent cependant, et deviennent, à l'âge de tiente à quarante ans, des hommes de mérite. S'il ne ressemble pas à ce portrait, je lui demande par- don ; mais j'ai vu tous ces traits dans son Marchand de Smyrne. Pour du talent, du vrai talent, je crains qu'il n'en ait pas; du moins, son Marchand naimonce rien du tout, et ne tient pas plus que la Jeune Indienne ne promet- tait autrefois. »

Ce jugement n'est, du reste, que la paraphrase de celui de son ami Diderot. L'esprit de Chamfort n'est jws de ceux que la bienveillance de ses rivaux doit tout d'abord accueillir. Vif, emporté, agressif, il avait pour ennemis naturels tous ceux qui craignaient de ne l'avoir pas pour ami. Quant à ce qui est de la fatuité que l'un lui sup- pose, et que l'autre, plus libéral, lui accorde tout d'abord, on s'oxpli(jue ce i"eproche. C'était l'accusiUion nécessaire contre les succès de Ihomme et de sa jolie figure, plutôt que contre ceux de l'écrivain. « M. Chamfort, disait Diderot,

CHAMFORT.

est un jeune poëte d'une figure très-aimable (encore la figure), avec assez de talent, les plus belles apparences de modestie , et la suffisance la mieux conditionnée. C'est un petit ballon dont une piqûre d'épingle fait sortir un vent violent. »

En dépit des critiques, ou à cause des critiques mêmes dont le public a quelquefois l'esprit de ne prendre que ce qui lui convient, ces divers triomphes firent recher- cher Chamfort. Sa belle mine et l'attrait prestigieux de sa conversation, féconde en saillies, le mirent bientôt tout à fait à la mode.

L'amour avait ses libertés dans ce temps-là. Ce n'était pas le dieu sévère et un peu morose qu'on a essayé d'en faire de nos jours. Il paraît que les grandes dames d'alors avaient du goût pour les lettres et pour les littérateurs. Elles absorbaient les loisirs du jeune lauréat. L'une d'elles, madame la princesse de Craon, résumait ainsi, pour l'édi- fication d'une de ses amies, en quelques mots assez nets, la nature des qualités de Chamfort et l'étendue de ses succès : «Vous ne voyez en lui qu'un Adonis, et c'est un Hercule. » « Il paraît, dit à cette occasion M. Houssaye, à qui nous empruntons volontiers quelques détails sur cette phase de la vie de Chamfort, il paraît que Hercule-Chamfort fut soumis à de trop rudes travaux , comme son ancien ; car, au bout de quelques années, nous le trouvons, pour ses péchés, aux eaux de Spa et aux eaux de Baréges, partout Cupidon s'était mis au régime et buvait de l'eau. »

Il revint à Paris, résolu à faire pénitence. « En effet, ajoute l'historien du il""" fauteuil de l'Académie, il con- courut une seconde fois pour un prix académique; mais, moins heureux qu'à la première, il n'obtint pas même une mention. Son discours en vers, intitulé l'Homme de lettres, fut battu par le Poêle de La Harpe.

GHAMFORT.

Qui connaît le Poète de La Harpe aujourd'hui? L'Homme de lettres de Chamfort n'est oerlos \)i\A plus ignoré! La gloire académique est-elle donc, elle aussi, une vanité?

Mademoiselle de L'Espinassc écrivait, après le retour do Chamfort (octobre 1773) : « M. de Chamfort est arrivé; je l'ai vu, et nous lirons ces jours-ci son Hlarje de Im Fontaine. Il revient des eaux en bonne santé; beaucoup plus riche de gloire et de richesse, et en fonds de quatre amies qui l'aiment, chacune d'elles, comme quatre : ce sont mes- dames de Grammont, de Rancé, d'Amblimont, et la com- tesse de Choiseul. Cet assortiment est presque aussi bigarré que l'habit d'Arlequin; mais cela n'en est que plus piquant, plus agréable et plus charmant. Aussi, je vous réponds que M. de Chamfort est un jeune homme bien content, et il fait bien «h» son mioiiv pour être mo- deste. »

C'est après avoir fait ce voyage qui eut une heureuse influence sur Chamfort, ([u'il écrivit à un de ses amis :

« J'ai toute sorte de raisons d'être enchanté de mon voyage de Baréges, Il semble qu'il de\ait être la fin de toutes les contradictions que j'ai éprouvées, et que toutes les circonstances se sont réunies pour dissiper ce fonds de mélancolie qui se rej^-oduisait trop souvent. Le retour de ma santé, les bontés que j'ai éprouvées de tout le monde, le bonlieur si indépendant du mérite, mais si com- mode et si doux, d'inspirer de l'intérêt à tous ceux dont je me suis occupé; quelques avantages réels et positifs; les espérances les mieux fondées et les plus avouées par la raison la plus sévère; le bonheur public (Turgot était ministre) et celui de quehpies personnes à qui je ne suis pas inconnu ni indifférent : lesou\enir tendre de mes an- ciens amis; le charme d'une amitié nouvelle, mais solide, avec un des hommes les plus vertueux du royaume, plein

20 CHAMFOIIT.

d'esprit, de talent et de simplicité, M. Dupaty ; une autre

liaison, non moins précieuse, avec une femme aimable que j'ai trouvée ici et qui a pris pour moi tous les senti- ments d'une sœur; des gens dont je devais le plus sou- haiter la connaissance et qui m^ montrent la crainte obligeante de perdre la mienne; enfin, la réunion des sentiments les plus chers et les plus désirables, voilà ce qui fait depuis trois mois mon bonheur. Il semble que mon mauvais génie ait lâché prise, et je vis depuis trois mois sous la baguette de la fée bienfaisante.

« D'après ce détail , vous croirez que je vis environné de tout ce que j'ai trouvé d'aimable ici, sous un beau ciel et dans une société charmante. Non, je vis sous une douche brûlante ou dans une bouilloire cachée au fond d'un ca- chot. Tout ce que je distinguais est parti de Baréges. Il y fait un temps exécrable et le brouillard ne laisse point soupçonner que les Pyrénées soient sur ma tète. Mais je n'en suis pas moins heureux; j'avais besoin de revenir sur des sentiments agréables dont j'ai joui avec trop de précipitation; je les recueille avec une joie mêlée de sur- prise ; mes idées sont faciles et douces ; tous les mouve- ments de mon cœur sont des plaisirs; voilà le vrai beau temps, et le ciel est d'azur. »

C'est à propos de ce passage de la correspondance de Chamfort, qu'il a eu le soin malheureux de mutiler en retranchant son second alinéa, que M. Sainte-Beuve dit : « Les douces paroles ne sont pas si fréquentes sous la plume de Chamfort, et les sentiments indulgents n'habi- tent pas si volontiers son cœur, qu'on doive négliger de les relever quand on les rencontre. » En vérité, quel est le plus aigre de Chamfort ou de son critique, aigre alors même qu'il est obligé de constater le contraire de l'aigreur dans l'écrivain qu'il analyse?

CHAMPORT. 21

Nous verri)ns (l'autro [)art si les douces paroles sont si rares, en elTct, sous la plume de (-lianifort, et s'il eût été bien difficile, à un esprit aussi sagace que celui do M. Sainte-Beuve, de trouver, dans ce qu'a laissé Cham- fort, de (pioi réformer un arrOt (jue rien ne justifie.

III

Madame Hchctius. Clmbniinn et Cliamfort. La société du xviiie siècle. Clianifoit , SI. Suinte-Beiive et un autre critique contemiioniin. Éloge de La Kontuliie et de Molière par Cliamfort. Nouvelles couronues académi<iues. Succès de Mit.ilaplm et Zninyir. Marie-Antoinette. Le jirince de Condii et Cliamfort. Lettres de Chamfort.

La chose à laquelle Chamfort sacrifia le moins dans tout le cours de sa \ ie, c'est à la fortune. « La fortune fera ce (]u"elle voudra, disait-il, jamais je ne lui accorderai, dans l'ordre des biens de lliumanité, que la (luatrièmc ou la cinquième place. Si elle exige la première, ([u'elle aille d'un autre côté, elle ne manquera pas d'asile. »

Il e.4 presque superflu de dire qu'avec de pareils prin- cipes, Chamfort était le plus souvent à court d'argent. « Pourquoi, lui disait-on alors, n'ètes-vous encore arrivé à rien, au milieu de tant de sots? Parce que je n'ai jamais cru le monde aussi bote qu'il est, » répondit-il.

Ce petit mot est moins paradoxal qu'il n'en a l'air. Une des infériorités de l'homme d'esprit à ses débuts dans la vie, c'est qu'il prMe de son esprit aux autres, c'est qu'il les suppose de sa force; il joue le jeu avec tous, et tombe le plus Souvent victime d'une maladresse, quand ce n'est pas d'une tricherie.

«Madame Ilelvétius, qui avait à Sèvres, dit encore

CHAMFORT.

M. A. Houssaye, un hôpital littéraire, y logea Chamfort pendant quelques saisons. Il y serait resté plus longtemps, sans l'amitié de Chabanon. Chabanon avait une pension de douze cents livres sur le Mercure. Il aimait beaucoup Chamfort : il le força à accepter ses douze cents livres. La république des lettres peut écrire aussi ce mot : fraternité, sur plus d'un de ses monuments. » Chamfort voulait re- fuser, mais le sensible Chabanon s'offensa du refus. Son amitié n'entendait pas être méconnue. Les deux amis furent tout près de se battre. Heureusement, on s'embrassa.

C'est vraisemblablement de cette période de la vie de Chamfort que datent les pensées qui nous sont restées de lui sur l'amour, sur les femmes et sur l'amitié, ainsi que tout ce qui, dans ses caractères, dans ses maximes et dans ses anecdotes, lui a été inspiré par la connaissance appro- fondie qu'il avait de la société de son temps.

M. Sainte-Beuve trouve que Chamfort est un juge trop sévère, un juge cruel de cette société. Si les pensées de Chamfort avaient perdu de leur justesse , nous serions heureux d'être de l'avis de M. Sainte-Beuve. Malheu- reusement, il semble qu'au lieu de perdre, elles aient gagné en vérité, à vieillir. La plupart ont l'air d'avoir été écrites hier pour la leçon d'aujourd'hui. Hélas! la na- ture humaine ne change pas si vite.

D'ailleurs, voulez-vous savoir comment M. Sainte-Beuve qualifie le monde dont il semble ne prendre la défense que pour chercher noise à Chamfort? Il est pour lui plus dur que Chamfort lui-môme : « La plupart des maximes de Chamfort, relatives à la société, ne s'appliquent, dit-il, qu'au très-grand monde dans lequel il vivait, à la société des grands. Elles deviennent fausses dès que l'on consi- dère un monde moins factice, plus voisin de la famille et les sentiments naturels ne sont pas abolis.

GHAMFORT. 23

Nous ne dcmandorions pas mieux que défaire, avec M. SaiiUe-Beuve, une réserve en faveur de ce qui n'était pas la société des grands à ré|)Oque de Cluunfort ; mais son objection n'en |K)rttM'ait pas moins à faux en ce (|ui concerne celui-ci : I" parce cpie Chamforl n'avait pas d'autre inten- tion, sans doute, que celle de peindre cette société des grands (que M. Sainte-Beuve n'arrange pas mieux que lui) et qu'on ne peut pas reprocher à un liomme d'avoir fait exactement ce qu'il a voulu faire, s'il ne l'a pas mal fait; 2" parce que, au temps Chamforfécrivait, c'est- à-dire avant la Révolution, il eût été difficile de chercher à peindre une société des petits, qui n'était pas encore con- stituée, puisque la société des grands avait la prétention, trop bien fondée, de représenter toute la société française ; parce que la société qu'il était utile de peindre et d'a- vertir de son danger, c'était cette société des grands qui marchait à l'abîme (le mot était vrai alors) en entraînant toute la France avec elle ; enfin, parce que, quand une vérité est vraie, elle est vraie pour toutes les classes de la société, et qu'il y a profit à faire dans les maximes de Chamfort ()Our tout le monde, pour M. Sainte-Beuve et pour nous, comme pour les plus grands de la terre.

Chamfort a parlé des femmes, de l'amour et du mariage à la façon de Molière, de La Bruyère, et dans le même sen- timent.

M. Sainte-Beuve, faisant allusion aux sarcasmes de Chamfort contre le mariage, dit : « Il n'avait vu le mariage que dans le grand monde d'alors, il était si décrié. » Soit, oublions George Dandin, Sganarello, la moitié de Mo- lière ; niais ce que Chamfort a écrit du mariage n'est que la constatation du fiiit même dénoncé par M. Sainte-Beuve, à Scivoir, « que le mariage était alors si décrié dans le grand monde... »

24 CHAMFORT.

Puisque M. Sainte-Beuve est de l'avis deCiiamfort, qu'est-ce que la querelle qu'il lui fait, et quelle est donc la violence de son parti pris contre cet écrivain, pour qu'il aille, afin de lui faire pièce, jusqu'à soutenir contre lui, au détriment de la société d'en haut, cette société d'en bas dont il n'est pas d'ordinaire l'avocat, et que Chamfort, d'ailleurs, ne met nulle part en cause ?

N'est-ce pas le cas d'appliquer à M. Saint-Beuve et à tous ceux qui, à son exemple, reprochent à Chamfort la rudesse de ses leçons , ces mots de Chamfort : « En France , on laisse en repos ceux qui mettent le feu , on persécute ceux qui sonnent le tocsin ? »

Le Chamfort que M. Sainte-Beuve attaque, c'est le son- neur de tocsin, en effet. Ce n'est pas l'observateur ingé- nieux, le moraliste pénétrant qui redit à sa façon ce que dix autres, Rabelais, Montaigne, Charron, Molière, La Bruyère, La Rochefoucauld, avaient dit à la leur, se con- tentant d'ajouter sa pierre à l'édifice que d'autres ont commencé; c'est le penseur hardi qui, se dégageant de l'observation minutieuse de la fraction du monde qu'il a sous les yeux, jette au milieu des folies de son temps des ])ropositions comme celle-ci : « De quoi s'agit-il? D'un procès entre vingt-quatre millions d'hommes et sept cent mille privilégiés ( Lettre à M. de Vaudreuil ) ! » ou des vérités comme celle-là : « En résumé, la société n'est jamais composée que de deux grandes classes : ceux qui ont plus de dîners que d'appétit, ceux qui ont plus d'ap- pétit que de dîners. »

Ces vérités et cent autres de ce genre, Chamfort eut-il tort de forcer son époque à les entendre ? Non, car, plus (ju'une autre, cette époque avait besoin d'être secouée, éclairée, réveillée; non, car cette terrible question: « L'inégalité des dîners et l'égalité des appétits, » est

CHAMPOllT. ;;:.

restée le problème des t«mps modernes. Le socialisme , |)Our on avoir dit (iav;inf;i},'o sur cotto inqiiiétjinto qnes- lion, n'a cortos |)as v\6 plus clair iiue (-liainfort. Or, nous ne p(Misons pas (pie re soit la clarté qu'il faille fuir en pareille matière. Oiî va-t-on a\ec les ténèbres?

.Mais quoi! il semble comme il faut de faire le délicat (levant la vérité. On tolère le mal , et l'on décrie le re- mède ; on voudrait bien voir tomber le mend)r(» malade, maison repousse le scalpel du cliinirgi(!n; on consenti- rait bien ii guérir, mais il faut (pie la potion soit sucrée : est-elle amère, haro sur le mc'decin! Lii su.scepfibilité de M. Sainte-Beuve est de si bon goût, qu'il faut bien qu'on l'imite. lia trouve Chamfort un peu dur; un critique, abondant dans son sens, après avoir essiiyé d'établir « le manque absolu de bonté de (iliainfort, » proclamera, nous nous trompons, d(>clamera que « la mé<"liaiicetti humaine a peu de secrets pour ce cynique. » Pourquoi ce cynique , je vous prie, qui transforme un éloge mérité en une cri- tique injuste et (pii donne à l'auteur des Coups de plume sincères (un titre que. mérif(>raient les pensées de Cham- fort) des airs de pruderie qui ne sont pas, je suppose, ceux qu'il affecte le plus volontiers ? Et après ce cynique, tout n'est pas dit. Cynique pourrait n'être qu'un mot ('chappé à l'inattention de la plume pour arrondir une phrase. Mais le rest^ de cette phrase : « Il ne louche jamais à une vertu quelconque sans la manpier d'un stigmate de safa^'on! » c'est une véritable calomnie littéraire, une sorte de diffamiition posthume. C'est bien la peine d'a\oir vécu et d'être mort comme Chamfort, pour être décrié (le la sorte ! Ce qui nous étonne, ce n'est paS que cette phrase contre ChamforI ait éfé écrite : tout st'crit dans un temps comme le nôtre, le papier souffre tout; c'est <prelle lait été par la plume qui, ailleui-s, avait écrit cette

2

CHAMFORT.

autre phrase : « Se créer une célébrité de critique en niant de parti pris un grand écrivain et en le visant toujours à la tète et au cœur me parait un procédé d'une moralité bien suspecte. »

Mais revenons à la vie de Chamfort. J'ai oublié de dire que déjà il avait pris sa revanche contre La Harpe, et que, vaincu par lui en poésie, il l'avait vaincu en prose.

L'académie de Marseille avait mis au concours l'éloge de La Fontaine. Les amis de La Harpe, qui avait traité ce sujet, avaient persuadé à M. Necke;- de joindre un prix de deux mille livres au prix proposé par cette académie. Ils se croyaient assurés que leur protégé aurait cette double récompense. Ils avaient compté sans le talent et aussi un peu sans la malice de Chamfort. Le sujet était de son goût. Il concourut et eut le prix et l'argent destinés à La Harpe. Déjà, un éloge de Molière, que Chamfort avait écrit en 1769, avait été couronné par l'académie de Paris. Ces deux éloges purent être regardés alors avec raison comme ce que Chamfort avait fait de mieux, puisque le recueil de ses pensées et de ses portraits ^ son vrai titre, n'était pas publié et ne le fut pas de son vivant.

La tragédie était alors en grand honneur. On n'était pas un écrivain sérieux, tant qu'on n'avait pas prouvé ce qu'on pouvait faire sur les pas de Racine, de Corneille et de Voltaire. Chamfort fit donc sa tragédie comme tout le monde. Mustapha et Zéangir eut du succès. Ce qu'on en peut dire de mieux, c'est que c'était une œuvre médiocre, et que la valeur de Chamfort n'est pas là, 3 coup sûr.

Chamfort étiiit arrivé à la cour par madame la duchesse de Grammont, qu'il avait rencontrée à Chanteloup, pro- priété de M. le duc de Clwiseul, il s'était arrêté en revenant de Bareges. Mustapha et Zéangir fut joué à Fon- tainebleau. Appelé par Marie-Antoinette dans sa loge

CHAMFORT. Î7

après la représentation, et sollicité de raconter toutes les choses flatteiisos que le roi et la reine, dont l'émotion avait été visible, lui avaient adressées : « Je ne sjiurais ni les oublier, ni les répéter, » dit Chamfort. Il paraît que le petit ballon n'était pas aussi facile à crever que l'avait avancé Diderot.

Le roi donna à l'autour de la nouvelle traiïédio douze cents livres de pension, et le prince de Condé lui offrit d'être le secrétaire de ses commandements. Chamfort, qui n'avait pas sollicité ces faveurs, rémunération habi- tuelle des travaux littéraires en ce temps-là, les accepta. Mais il ne tarda pas à reg;rettcr de n'avoir pas refusé la dernière. Il ne fut pas plutôt établi au palais Bourbon, qu'il eut l'idée d'en sortir. Il s'évertua à le faire sans blesser le prince do Condé, et il y réussit après une no- table dépense d'épîtres en vers et en prose il rede- mandait au prince sa liberté.

Chamfort entra à l'Académie en 1781. Il succédait à Saint-Palaye. Nous citerons ici quelques frairments de la correspondance intime de Chamfort. Elles feront con- naître la marche de son esprit, ses incertitudes, qui étaient celles de son temps, ses contradictions, qui furent à cette époque celles de tout ce qui pensait, et l'on retrouvera l'image fidèle du malaise d'une société qui sen- tait sa fin et qui n'avait encore que des aspirations vagues vers l'avenir.

« Ma vie est un tissu de contrastes<»pparents avec mes principes. Je n'aime point les princes, et je suis attaché à un prince ; on me connaît des maximes républicaines, et je vis avec des gens de cour ; j'aime la pauvreté, et je n'ai que des riches pour amis; je fuis les honneurs, et les ^^ honneurs sont venus à moi ; les lettres sont ma seule con- |H[ solation, et je ne vois pas de beaux esprits ; j'ai voulu

I

CHAMFORT.

être de l'Académie, et je n'y vais jamais; je crois que les illusions sont le luxe nécessaire de la vie, et je vis sans illusions ; je crois que les passions nous sont plus utiles que la raison, et j'ai détruit mes passions. »

11 dit ailleurs :

« J'ai aimé la gloire, je l'avoue ; mais c'était dans un âge l'expérience ne m'avait point appris la vraie va- leur des choses ; je croyais qu'elle pouvait exister pure et accompagnée de quelque repos; je pensais qu'elle était une source de jouissances chères au cœur et non une lutte éternelle de vanité... Le temps et la ré- flexion m'ont éclairé ; je ne suis pas de ceux qui peuvent se proposer de la poussière et du bruit pour objet et pour fruit de leurs travaux. »

Cette vie agitée, cette vie frivole du monde le ftitigue ; elle lui prend plus qu'elle ne peut lui donner. Il conclut ainsi, dans une autre lettre :

« J'ai très-peu, mais j'ai autant et plus que quantité de gens de mérite. Aussi je ne demande rien ; mais il faut que vous me laissiez à moi-même.

» Il n'est pas juste que je porte, en même temps, le poids de la pauvreté et le poids des devoirs attachés à la fortune ; j'ai une santé délicate et la vue basse : je n'ai gagné jusqu'à présent dans le mqnde que des boues, des rhumes, des fluxions et des indigestions, sans compter le risque d'être écrasé vingt fois par hiver. Il est temps que cela finisse, et, si cela n'est pas terminé à telle épo- que, je pars. »

« L'indépendance, la santé, le libre emploi de mon temps, l'usage, même l'usage liintasque de mes livres, voilà ce qu'il me faut, si ce n'est point ce qui me suffit. »

GHAMPORT.

Il raronto encore (juo, touchant par an pirs de (piatre mille livres, il se considérerait connne riche, mais (|uo ses liaisons dans le {^rand monde n'avaient pas tanlé à lui faire regarder cette fortuiio comme une véritable dé- tresse, et (jue, forcé (l'oj>ter entœ deux partis, celui de faire de la littérature un métier ou celui de solliciter de-» grâces avilissjintes, il a\ait o|)té pour un troisième parti, celui de la retraite.

Puis il tourne Sii mélancolie contre lui-même. « A la fin, on se lasse do soi, » dit-il avec un sourire l'esprit So montre jusque dans la tristesse. Le mal de Chamfort alors, c'était la fatigue et, par suite, le vide de son cœur. Heureusement, le remède n'était pas loin.

IV

r.etvaltc h Autcuil et ii Vaudoulcurs. Madame ***. Sa mort. Regrets de Chamfort. Il perd sa mbre. De ce qw'il faut entendre par la niLsanthropic de Chanjfort. Ce que doit être un moraliste. Opinion de Balzac et de Clmmfort. De Vamitié. JI. de Vaudreuil, II. Sainte-Ueuvc.

Il se retira d'tibord à Auteuil.

Dans la lettre IV de sa correspondance, lettre adres-^ée à l'abbé Roman, Chamfort raconte bientôt sa liaison avec une femme dont il parle ainsi : « Un être dont le pareil n'existe pas dans sa perfection relative à moi. »

Il vécut deux ans avec elle. Pendant ces deux années, six mois passés à la campagne, à Vaudouleurs, près d'Étamj>es, lui semblent les plus heureux moments de sa vie. « C'est le seul temps de ma vie que je compte pour quelque chose, » dit-il (piehpie part. L'amour, qui n'avait

4

30 CHAMFORT.

fait que l'effleurer jusque-là, l'avait enfin touche sérieu- sement. Cet amour étonna quelques dames de son temps. Chamfort avait eu à choisir entre les plus jeunes et les plus jolies, et il paraît que celle qui avait fixé son choix avait presque passé l'âge d'être aimée, sinon d'aimer. C'était, du reste, une femme très-distinguée, l'égale de Chamfort comme esprit, s'il faut en croire ce que quel- ques-uns ont dit d'elle. Qu'elle eût ou n'eût pas effective- ment toutes les perfections, qu'importe? La femme qu'on aime est toujours parfaite. « L'amour ne cherche pas les perfections réelles, dit Chamfort quelque part; il n'aime que celles qu'il crée, il ressemble à ces rois qui ne recon- naissent de grandeurs que celles qu'ils ont faites. »

M. Houssaye dit que cette liaison fut légitimée et que Chamfort épousa celle qu'il aimait. L'auteur des Amou- reuses du temps passé n'ayant pas l'habitude de reculer de- vant le récit de simples histoires d'amour, nous devons l'en croire sur parole, quand il marie deux amants.

Quoi qu'il en ait été de cette union, elle tint la première place dans la vie et dans le cœur.de Chamfort. Elle raviva son âme. Malheureusement pour lui , elle ne devait pas durer. Son amie tomba malade un jour, et une mort ter- rible, une mort soudaine la lui enleva. Chamfort fut long- temps inconsolable. Il dut quitter sa chère retraite : « Un ami vint m'arracher de ce séjour charmant devenu hor- rible pour moi, » dit-il.

Il voyagea et put faire cette cruelle épreuve qu'il n'y a rien de plus fidèle qu'un chagrin sérieux : ce chagrin, quelques efforts que fît Chamfort pour le concentrer, éclata dans quelques lettres qui, certes, n'étaient pas plus destinées h la publicité que tant d'autres choses char- mantes qu'on a pu réunir de Chamfort, après sa mort.

« Je ne puis plus vivre, dit-il à un de ses amis ; les

GHAMPORT. at

larmes coulent, et c'est, depuis qu'elle n'est plus, le mo- ment le moins malhcuroux. »

Et un peu plus tflrd, dans une autre lettre, quand sa jieine commence à parler, c'est-à-dire cette |iériodo de la douleur les reijrets, en perdant do leur amertume, sem- blent }i:agner quekiue douceur, oij la douleur devient chère, en quelque sorte, au cœur qui la ressent. « Je ne finirais pas, écrivait-il, si je vous parlais de ce que j'ai pertlu. C'est une source éternelle de souvenirs tendres et douloureux. Ce n'est qu'après six mois que ce qu'ils ont d'aimable a pris le dessus sur ce qu'ils ont d'amer et de pénible. Il n'y a pas deux mois que mon âme est par- venue h se soulever un peu et à soulever mon cœur avec elle. »

J'ai omis de dire qu'il avait perdu, qu'il avait pleuré sa mère. C'est d'un autre ton qu'il parle de cette épreuve. Il n'a pas été surpris par le couj^ qui le frappe : la blessure étflit attendue ; mais, à la façon dont il en parle, on sent que, si j)réparé qu'il fût à la recevoir, elle a traversé sa jKtitrine.

« Vous devez croire, écrit-il à son ami, vous devez croire que tous les maux réunis ont fondu sur ma tète. Hélas! vous ne vous tromperiez pas beaucoup. Il y a deux mois et demi que j'ai eu le malheur de perdre ma mère. Ce n'est pas vous qui me direz que quatre-vingt-cinq ans étaient un Age qui devait me préparer à ce malheur. »

A Dieu ne plaise que je prétende faire de Chamfort, de ce cœur bien trempé, un élégiaque; mais, en vérité, quand je lis ces fragments qui attestent sa sensibilité, qui prouvent que son i\me connaissait foutes les douceurs humaines, et que, si discrète qu'il la voulût, elle résonnait sous chacune d'elles, dès que ses sanglots ne pouvaient ■être entendus que d'un ami, je me demande ce qui a pu

32 CHAMFORT.

donner à M. Sainte-Beuve la malheureuse assurance de nier le cœur de cet honnôte homme et de ce grand écri- vain.

On a dit : « Les pensées de Chamfort sont d'un misan- thrope! » Mais toutes les pensées sérieuses sont d'un mi- santhrope, à ce compte. Voir clair, être un observateur profond, et être gai et écrire en rose, cela ne va guère ensemble, j'imagine. La misanthropie ne cache rien qu'un cœur blessé. Le secret du caractèi^e de Chamfort est tout entier dans ces mots qu'il répétait souvent, dit Rœderer : « Tout homme qui, à quarante ans, n'est pas misanthrope, n'a jamais aimé les hommes. » Ce n'est pas manquer de cœur que de voir avec douleur et colère même les vices de l'humanité, que de les considérer comme des fléaux et que d'en souffrir comme on souffre d'une maladie, que d'en parler à la fois et c'est le fait de Chamfort en satiriste qui veut corriger et en moraliste qui veut in- struire. « Pour moraliser en littérature, a dit Balzac (un vrai penseur, lui aussi), le procédé a toujours été de mon- trer la plaie. » Le véritable ennemi des hommes ne les évite pas; il reste au milieu d'eux pour rire de leurs fautes. Il se garderait bien d'être amer, il n'est qu'imper- tinent. Rivarol, en ce sens, mériterait bien plutôt les re- proches que M. Sainte-Beuve adresse à Chamfort. Mais M. Sainte-Beuve n'a pas, pour être dur envers Rivarol, les raisons qui le poussent contre Chamfort.

Voulez-vous savoir ce que doit être un moraliste, de- mandez-le à Chamfort lui-môme; il vous le dira, avec la liberté de langage admise de son temps, bien mieux que ses critiques.

« Il y a deux classes de moralistes et de politiques, dit-il , ceux qui n'ont vu la nature humaine que du côté odieux ou ridicule, et c'est le plus grand nombre, Lucien,

GHAMFORT.

Montaigne, La Bruyère, La Rocliefoucauld, Swjft, Mande- villo, Holvétius, etc., ceux qui no l'ont viio que du lioau côté et dans ses perfections : tels sont Shafteshury et .quelques autres. Les premiers ne connaissent |>as le palais dont ils n'ont vu que les latrines; les seconds sont des enthousiastes qui détournent leurs yeux loin de ce qui les offense, et qui n'en existe pas moins. Est in medio veriim »

Tout, dans la vie de Chamfort, dénient l'acousiition à laquelle nous avons tort peut-étro de répondre, deux rpii l'ont [wrtée contre lui ne savent-ils pas, aussi bien que nous, que non-seulement il fut lx)n fils el amant ou mari tendre et dévoué, mais encore qu'il fut tin excellent et fidèle ami ])our tous ceux que son cœur distingua et qu'il parla de ses amis et de ses amitiés, comme il serait bon que <]uelques écri\ ains de nos jours eussent le cou- rage de parler des leurs?

Écoutez-le :

« L'amitié extrême et délicate est souvent blessée du repli d'une rose. »

0 Dans certaines amitiés passionnées, on a le bonheur des passions, et l'aveu de la raison par-dessus le mar- ché. »

« Il n'y a que l'amitié entière qui développe toutes les qualités de l'àme et de l'esprit de certaines personnes; la société ordinaire ne leur laisse déployer (pte quelques agréments. »

« Une àme fière et honnête, (pii a connu les pas?ions ibrtes, les fuit, les craint, dédaigne les galanteries, comme l'àme qui a senti l'amitié dédaigne les liaisons communes et les petits intérêts. »

Il écrit à un ami : « Il s'agit d'an\itié : ce mot dit tout dans votre langue et dans la miiMine. »

Ailleurs, à propos de sa liaison avec M. de Vaudreuil

34 CHAMFORT.

« Ma liaison avec M. le comte de Vaudreuil est devenue telle, qu il n'y a pas moyen de penser à quitter ce pays- ci. C'est l'amitié la plus parfaite et la plus tendre qui se puisse imaginer. Je ne saurais vous en écrire les détails : mais je pose en fait que, hors l'Angleterre, oii ces choses- sont simples, il n'y a presque personne en Europe digne d'entendre ce qui a pu rapprocher par des liens si forts un homme de lettres isolé, cherchant h l'être encore plus, et un homme de la cour, jouissant de la plus grande fortune et môme de la plus grande faveur. »

Tout cela est pourtant, à en croire M. Sainte-Beuve et ses adhérents, d'un homme impitoyable, d'un homme qui n'a rien d'Iiumain.

Après la triste- fin de son amour, on ne trouve plus trace d'aucun autre lien de ce genre dans la vie de Cham- fort.

Dans ce monde léger tout se juge sur les probabili- tés, où les apparences suffisent pour la multiplication des faits, on a bientôt fait d'un homme ou d'une femme un cœur fragile et inconstiint. Chamfort a écrit, sur l'amour et les femmes, une phrase qui nous a fait penser qu'il avait été moins prodigue de lui-même qu'on ne l'a bien voulu dire : « J'ai dans l'esprit une femme comme il y en a peu, qui me préserve des femmes comme il y en a beau- coup. J'ai bien des obligations à celle-là. »

Quoi qu'il en soit, Chamfort avait caché son deuil à l'étranger. S'il avait songé à certaines critiques, il eût mieux fait de le montrer peut-être!

Mais celui qui avait eu cette belle pensée : « Il faut qu'un honnête homme ait l'estime publique sans y avoir pensé, et, pour ainsi dire, malgré lui ; » celui-là attendait l'opinion et se serait bien gardé de l'aider.

Chamfort avait voyagé en Hollande avec le comte de

CHAàPORT. SS

Narbonne. Le temps avait passé; il fallait, non oublier, mais revenir. Lo comte de Vaudreuil ne voulut pas l'aban- donner à ses tristesses : il le lo}i;ea dans son hôtel.

« L'amitié de M. le comte de Vaudreuil est devenue une véritable tendresse, dit Cliamfort, et a beaucoup con- tribué à soulager une {>artie de mes peines ; il m'a forcé à accepter un logement chez lui et a su me le rendre ai- mable. »

La correspondance de Cliamfort avec M. de N'audreuil montre qu'il n'était point en reste avec lui. La plus entière liberté y règne d'un bout à l'autre. La discussion des abus du temps y tient une place importante. Rien de ba- nal, rien de stérile dans ces échanges d'idées entre deux esprits également sincères qui font de mutuels efTorLs poiu" se convaincre et se rencontrer. C'est dans une de ses lettres à M. de Vaudreuil tpic (cliamfort raconte ce qui suit :

« J'ai nié hardiment un mot attribué à M. le comte d'Artois. Ce mouvement, machinal chez moi, a été l'effet de ma reconnaissance pour les marques de bonté que vous m'avez attirées de sii part. On suppose que le prince a dit à un notiible dont l'avis était favorable au peuple : Est-ce que vous voulez nous enroturer? Je ne crois point à ce mot; mais, s'il a été dit, le notable pouvait répondre : « Non, monseigneur; mais je veux anoblir les Français, « en leur donnant une patrie. On ne peut anoblir les Bour- « bons, mais on peut encore les illustrer en leur donnant « pour sujets des citoyens ; et c'est ce qui leur a toujours « manqué. » C'est bien M. le comte d'Artois qui y est le plus intéressé, c'est bien lui qui jwut dire, à la vue de ses enfants : Posteri, posleri, vestra res agitur. C'est de cette époque que tout en dépendra (13 décembre 1788). »

36 CHAMFORT.

La Révolution éclate. Prise de la Bastille. Désintéressement

de Cliamfort. Rœderer. ilarmontel. IJivarol et Cliamfort.

Réponse à d'injustes critiques. Lettres de Mirabeau a Cliamfort.

Cliamfort peint par Mirabeau et Chateaubriand.

Cependant l'orage commençait à gronder. L'heure de la grande lutte avait sonné. La Révolution éclata.

« Les plus indifférents, dit M. Houssaye, se jetaient avec enthousiasme dans le flux régénérateur oii la liberté hu- maine venait d'être trempée, comme Achille dansleStyx. Chamfort s'y jeta éperdument, heureux de se trouver jeune en face de la liberté, cette maîtresse idéale que nous avons tou5 adorée en pleine jeunesse. »

Nous nous garderons bien de dédaigner cet hommage de M. Houssaye à la liberté, et de repousser ce souvenir de sa jeunesse. M. Houssaye a raison : oui, tout ce qui est jeune adore la liberté, et c'est sa force; quiconque ouvre les yeux s'éprend d'elle, se fait son chevalier et rougit en secret de ne plus l'être, le jour il a perdu le droit de porter ses couleurs.

Mais M. Houssaye se trompe, c'est quand il dit que Chamfort se jeta éperdument dans la Révolution. La Révo- lution était un fait prévu, attendu jwr Chamfort. Il n'y eut pas dans l'accueil qu'il lui fit le plaisir impétueux mais étourdi de la surprise; il la reçut comme un hôte longtemps désiré, mais qu'on s'est préparé à recevoir et dont on a plus d'une fois annoncé l'arrivée.

Lisez ce qu'il écrit à une de ses amies :

« Vous me paraissez bien apitoyée sur le décès de notre ami, feu le Despotisme ; vous savez que cette mort

GHAMPORf!:

m'a très-iH'U surpris. C^ât avec bien <hi plaisir que je reçois do votre main mon brevet do prophèteC

« Sa chute, pour a\pir été trop soudaine, npus mettra dans l'emlwrras quelque 'temps ; mpiis nous nous eii tirerons. '"

« Je voulais, ce.-; dernieqs jonrs, aller cau.soravoc vous, et récapituler les tn>iit(> jiiis ([iie nous venons de \i\ro on trois semaines. »

Ces trente ans (pie (Miaintort venait do vivre en trois

semaines ont été vécus par tous ceux qui olit mis un jour

la main dans le feu d'une révokition.

f -

Chamfort avait donc pressenti Ta Révolution ; aussi n'hé-

sita-t-il pas. Il entra un des premiers à la Baetille.

Déjà il appartenait de cœur et d'esprit aux idées nou- velles. Il se donna à elles corps et biens. L'Iiomme du lettres nu^me, sacrifice méritoire pour une nature artiste comme celle (Je (>hamf()i:t, l' homme de lettres s'elFaça devant le citoyen : « Lor<^que ijpus touchons à des désas- tres , écrivaitrU, tt n'est pas le moment de Rrcndre la plume de Swift ou de Rabelais. » « Je craincfrais de faire du mal, tlisait-il ailleurs, par l'excès (Je mon désir de faire 1(> bien. i. i ; -

« On a reproché à Chamfori, dit Kœdcrer, d'avoir été ingrat envers des amis qui l'avaient obligé pendant leur puissance,' el l'on s'qst4'0ndé sur'son ardeur a poursuivre les abus dont ils avaient. La belle raison ! la prouve que Chamfort ne fut point ingrat , c'est qu'il resta attaché à ces amis dépoulHés d'abu^ comme il l'avait été quand ils en étaient rO\V^lus. » La vérité est que Chamfort n'oublia alors que lui-même. Rcfcdorer ajoute : « Si Chamfort no jiassait rien aux, autres, il ne se passiiit rien non plus à lui-même : .il se déchaîna contre les pensions jusqu'à ce qu'il n'eût plus d^ pension ; contre l' Académie, dont les

3

38 CHAMFORT.

jetons étaient sa seule ressource, jusqu'à ce qu'il n'y eût plus d'Académie. Son intérêt n'a donc été pour rien dans sa conduite; disons plus, il en fut toujours l'ennemi. »

On le voit, Chamfort eut non-seulement des amis qu'il aimait, mais il en eut qui l'aimaient et surent le défendre. Ce que nous citons de Rœderer est emprunté à un tra- vail sur Chamfort qu'il a publié dans le Journal de Paris, et oîi, sous la forme de dialogue entre un ami et un en- nemi de Chamfort, il répond à ses accusateurs. Si la ré- ponse transige avec l'accusation quelquefois , c'est que tout ce que Chamfort avait écrit n'était pas encore connu de Rcederer.

Voici un fragment de la correspondance de Chamfort à propos de la loi qui supprimait les pensions :

« J'entends crier à mes oreilles, tandis que je vous écris : Suppression de toutes les pensions de France; et je dis : Sup- prime tout ce que tu voudras, je ne changerai ni de maximes, ni de sentiments.

« Les hommes marchaient sur leur tête, et ils marchent sur les pieds; je suis content : ils auront toujours des dé- fauts, des vices même ; mais ils n'auront que ceux de leur nature, et non les difformités monstrueuses qui compo- saient un gouvernement monstrueux. »

Dans une autre lettre ( à propos des prix de vertu ) , il disait dans le même sentiment :

« Rendez à la vertu cet hommage de croire que le pauvre aussi peut être payé par elle; qu'il a, comme le riche, une conscience opulente et solvable; qu'enfin il peut, comme le riche, placer une bonne action entre le ciel et lui. »

Nous empruntons à Rœderer une anecdote qui le carac- térise : « Le lendemain du jour les pensions furent supprimées, dit Rœderer, nous fûmes, lui et moi, voir

CIIAMFOllT. 39

Marinontcl à la fiimpagno. Nous le trouvâmes, et sa fcnimc siirtout, gémissant de la \)orio quo le (UVret lui faisait éprouver; et c'était pour leurs enfants qu'ils gé- iiiissjiient. Ciiamfort en prit un sur ses genoux : « Viens, » (lit-il, « mon petit ami! lu vaudras mieux que nous;

([ueKpie jour, tu pleureras en apprenant (pi'il eut la hn- « blesse de pleurer sur toi dans l'idée (pu? tu serais moins » riche que lui. » Cliamfort |)erdait lui-miMue sa fortune par le décret de la veille. »

On a oppose souvent Rivarol ii (lliamfort. Ils dilVèrent heaiu'oup avec un faux air d(» parenté. Cbanifort est un homme (resj)rit qui ne se sert de son esprit (pie pour arriver plus vivement au bon sens. Rivarol est un honuue d'esprit qui veut, avant tout, que son esprit brille, étonne et reluise, et qui ne s'est jamais retenu do dire une sot- tise quand il a pu l'habiller à son goût. Si l'esprit qui contient le plus de raison est le meilleur, et cela ne me parait pas contestable, je préfère celui de Cliamfort.

Rivarol disait un jour à Cliamfort : « On ne peut aimer à la fois la République et les arts. Il faut un Louis XIY pour enfanter des Molière et des Racine. Oui, dit Cliamfort, vous êtes de ceux qui {wrdonnent tout le mal qu'ont fait les prêtres en considérant que, sans les prêtres, nous n'aurions pas la comédie de Tartufe. »

Vcul-on avoir une idée du peu de justesse du jugement de Rivarol? voici le portrait qu'il fit de Cliamfort : « C'est une branche de muguet entée sur des pavots. » Là, .M. Sainte-Beuve Lui-même est obligé de l'abandonner. « Co tpie Rivarol prenait pour du muguet, dit-il, avait l'or- gueil <lu cèdre. » Soit ; va pour le cèdre, y compris son orgueil ; nous ne croyons pas que Cliamfort ait placé le sien si haut, mais il avait le droit d'en avoir, sinon d'en montrer.

CHAMFORÏ.

C'est un rude jouteur que Chamfprt ; il «st homme à se défendre même après sa mort, car il a laissé des armes pour battre ceux qui s'avisent de l'attaquer. M. Sainte- Beuve s'étonne que l'homme qui a dit ce joli mot qu'a du applaudir plus d'un public français : « Le public! le pu- blic! combien faut-il de sots pour faire un public? » ac- corde tout au peuple.

Et d'abord, si le public et le peuple ne font qu'un pour M. Sainte-Beuve, il a dû, à de certains jours, en penser plus de mal que Chamfort.

Mais veut-on savoir ce que Chamfort réclamait pour le peuple ? Le voici : « Permettre à un peuple de défendre son argent et lui ravir le droit d'influer sur les lois qui doivent décider de son honneur et de sa vie, c'est une dérision, c'est une insulte. » Qu'est-ce qui n'est pas de l'avis de Chamfort ?

M. Sainte-Beuve s'étonne que Chamfort n'ait pas vécu comme un républicain avant la République. C'est absolu- ment comme si on reprochait à M. Sainte-Beuve de n'avoir pas devancé l'Empire.

On demandait à Rœderer ce qu'avait, en somme, fait Chamfort pour la Révolution. Voici ce qu'il répondit :

« Chamfort imprimait sans cesse, mais c'était dans l'es- prit de ses amis. Il n'a rien laissé d'écrit; mais il n'aura rien dit qui ne le soit un jour. On le citera longtemps ; on répétera dans plus d'un bon livre des paroles de lui, qui sont l'abrégé ou le germe d'un bon livre... Ne crai- gnons pas de le dire, on n'estime pas à sa valeur le ser- vice qu'une phrase énergique peut rendre aux plus grands intérêts. Il est des vérités importantes qui ne servent à rien , parce qu'elles sont noyées dans de volumineux écrits, ou errantes et confuses dans l'entendement ; elles sont comme un métal précieux en dissolution : en cet

GHAMFORT. 41

état, il n'est d'aucun usage; on ne peut mémo apprécier sa valeur. Pour le rondro utilo, il faut (|uo l'artiste le motte on lingot, raflino, l'ossaye et lui iin|)rim(>, sous le balanoior, des caractères auxquels tous les veux puissent le reconnaître. Il en est de nu^me de la pensée. 11 faut, pour entrer dans la circulation, qu'elle passe sous le ba- lancier de l'homme éloquent, qu'elle y soit marquée d'une empreinte frappante pour tous les yeux, et garante de son aloi. Chanifort n'a cessé de frapper ce genre de monnaie, et souvent il a frappé de la monnaie d'or; il ne la distri- buait pas lui-même au public, mais ses amis se char- geaient volontiers do ce soin; et certes il est resté plus de choses de lui, qui n'a rien écrit, que de tant d'écrits pu- bliés depuis cinq ans et chargés de tant de mots. »

Rœderer eût pu ajouter qu'un esprit comme Chamfort en fécondait bien d'autres, et, pour n'en citer qu'un , il eiU pu citer un des plus grands, sinon le plus grand, parmi ceux qui influèrent sur les destinées de la Révolu- lion : Mirabeau, dont Chamfort a été, en vingt circon- stances graves, l'inspirateur et le collaborateur. En veut-on la preuve : c'est Mirabeau qui la donnera avec une franchise qui honore et Chamfort et lui-même.

« Ce n'est pas , dit Mirabeau , au milieu des dangers qu'on peut suivre une route déterminée. Oh! si je vous avais connu, il y dix ans, combien de précipices et de ravins j'aurais évités ! Il n'est point de jour, et surtout il n'est point de circonstance un peu sérieuse je ne me surprenne à dire : « Chamfort froncerait le sourcil , ne « faisons pas, n'écrivons pas cela ; » ou bien : « Chamfort « sera content, car Chamfort est de la trempe de mon âme « et de mon esprit. »

Le discours que Mirabeau devait lire à la tribune sur es académies était de Chamfort. Ce discours concluait h

42 CHAMFORT.

leur anéantissement. Il fit jeter les hauts cris aux acadé- miciens de son temps, que dis-je ! aux académiciens de tous les temps. M. Tissot le déplore dans la notice qu'il a donnée sur Chamfort au Dictionnaire de la conver- sation ; M. de Jouy, dans celle qu'il a publiée dans la Galerie historique des contemporains , et, enfin, M. Sainte- Beuve, dans celle qui figure dans ses Causeries littéraires et à laquelle nous donnons toute l'attention qu'elle mérite. Il nous a paru curieux de savoir si ces griefs de Cham- fort contre l'Académie étaient de ceux qu'on peut appré- cier encore à notre époque. Qu'on en juge : « A voir la composition de l'Académie française, dit-il , on croirait qu'elle a pris pour devise ce vers de Lucrèce :

Ccrtare ingcnio, contendcre nobilitatc. »

Nous comprenons la colère des académiciens, le re- proche de Chamfort n'a pas vieilli.

M. Sainte-Beuve, trop modeste pour Chamfort, dit « qu'il n'ose rappeler les éloges de Mirabeau, il les crain- drait exagérés. » Nous craignons si peu de tomber dans le même péché à cet égard, que nous ajouterons à la lettre qu'on vient de lire deux portraits de Chamfort, tracés de main de maître ; l'un est de Mirabeau comme la lettre qui précède, l'autre est de Chateaubriand. Quand nous aurons mis ces deux pièces en regard avec les cri- tiques auxquelles nous répondons, nous craindrons moins de voir celles-ci emporter la balance.

La santé de Chamfort était fort compromise.

<x Malgré vos souffrances, lui écrivait Mirabeau, vous êtes un des êtres les plus vivaces qui existent; la ténuité de votre cjiarpente, la délicatesse de vos traits et la douceur résignée et même un peu triste de votre physionomie ,

CUAMPORT. 43

lorsqu'elle est calme et que votre tôte ou votre âme ne sont point en mouvement, alarmeront et induiront tou- jours en erreur vos amis sur votre force. Chez vous, loin que ce soit la lame (jui use le fourreau, c'est l'Ame, la vis ijnea, qui ontrelient la machine. Comment son feu in- térieur ne le consume-t-il pas ? se dit-on. Eh! comment le consumerait-il? c'est lui qui le fait vivre. Donnez-lui une autre Ame, et sa frôle existence va se dissoudre. »

Voici maintenant Chamfort peint par Chateaubriand, à l'époquo la |)assion politique n'avait encore rien ôtt^ à CJiatoaubriand de l'impartialité de ses jugements et ne l'axait pas engage dans les extraordinaires contradictions qui ont depuis allligé les amis de sti mémoire.

« Chamfort était d'une taille au-dessus de la médiocre, un peu courbé, d'une figure pAle, d'un teint maladif. Smi œil bleu, souvent froid et couvert dans le repos, lançait l'éclair ([uand il venait à s'animer. Des narines un peu ouvertes donnaient à sa physionomie l'expressiou de ia sensibilité et de l'énergie. Sa voix était flexible, ses mo- dulations suivaient les mouvements de son âme; mais, dans les derniers temps de mon S(\jour à Paris, elle avait pris de l'aspérité, et on y démMait l'accont agité et impé- rieux des factions. Je me suis toujours étonné qu'un homme (pii avait tant de connaissanc<> des hommes eûl pu épouser si chaudement une cause quelconque. »

Étonnement légitime à une époque l'intelligence semble n'avoir pu conduire qu'au scepticisme un grand nombre de ceux qui s'étaient faits les chefs de l'esprit i)u- blic de 1815 à 1848.

CHAMFORT.

YI

Mot de Balzac sur Ciiamfort, Les paroles sont quelquefois des

actes et les mots des volumes. Sieyfes. Barrère. Pache.

La fraternité ou. la mort. Hérault de Séchelles. Arrestation de

Chamfort. Horreur 4e Chamtort pour la prison.

Le temps est un crible cTans les mains de la postérité. Les gros bagages ne sont donc pas ceux qu'elle recueille le plus volontiers/ Mais, héritière économe, elle ne laisse rieiï perdre,, et enregistre avec reconnaissance tout ce qui lui parvient, ne fùt-çe qu'un mot," si ce mot est digne de grossir son trésor. Elle sait que, de même qu'il est tel diamant qui vaut une fortune, il est tel mot qui peut constituer une œuvre complète et impérissable, aux yeux des gens de goût. Ceux de ce genre que Chamfort a laissés sont en tel nombre, qu'ils pourraient, à ce compte, con- stituer toute une bibOothèque.

Ba'zac nous disait, il va longtemps, à propos de Cham- fort et de Rivarol, qu'il citait toujours avec admiration : « Ces gens-là mettaient des livres dans un bon mot, tandis qu'aujourd'hui c'est à peine si on trouve un bon mot dans un livre. »

Ce jugement de Balzac nous frappa, et ce fut lui qui pour la première fois fixa notre attention sur les deux noms de Chamfort et de Rivarol.

La plupart des mots de Chaitifort , pendant la période politique de sa vie, peuvent être considérés comme des actes, et ses contemporains les lui comptèrent comme tels.

Chacun fit son profit de ce qui sortait de cette bouche écoutée.

Ce fut lui qui donna à Sieyès le titre et, par censé-

CUAMFORT. 45

quent , l'idée de sa fameuse brochure qui fut plus qu'un événemeiU : « Qu'est-ce que le tiers état? Tout. Qu'est-il? Uien. »

Ce fui lui qui donna pour devise à nos soldats, outrant en pa}s oiuioini , cette devise toute d'humanité vis-à-vis de l'étrantrer : « Guerre aux châteaux , paix aux chau- mières, » devise qu'on a retournée depuis, sans que Ciiam- fort en puisse être accusé, disons-le en passant, au profit de la guerre civile.

Ce fut lui qui répondit à ceux qui lui disaient : Vous prêches le désordre : « Quand Dieu créa le monde, le mou- vement du chaos dut faire trouver le chaos plus désor- donné que lorsqu'il roposiiit dans un désordre paisible; » et il ceux qui lui disaient : Réformez, ynais ne détruisez pas , « Vous voudriez qu'on nettoyât les écuries d'Augias avec un plumeau ; » et à Marmontel : « Vous voudriez qu'on vous fit des révolutions ii l'eau de rose. »

Voici un do ses discours : « Moi, tout; le reste, rien : voilà le des[)Otisme. »

Et en voici un autre : « Moi, c'est un autre ; un autre, c'est moi : voilà la démocratie. »

Et encore : « Il y a en France sept millions d'hommes qui demandent l'aumône et douze millions hors d'état de la faire. »

« La noblesse est un intermédiaire entre le roi et le peuple comme le chien de chasse entre le chasseur et les lièvres. »

Et enfin : « Il liiut recommencer la société humaine , comme Bacon disait qu'il faut recommencer l'entendement humain. »

Mais ce fut lui qui, voyant la Révolution prendre un caractère qui révoltait sa raison, et son cœur plus encore que sa raison, disait :

3.

I

46 CHAMFOIIT.

« Prenons garde! nous ne sommes que des Français, et nous voulons ôtre des Romains. »

« Grands et petits, on a beau faire, il faut toujours se dire comme le fiacre aux courtisanes dans le Moulin de Javelle : « Vous autres et nous autres, nous ne pouvons « nous passer les uns des autres. »

« Il semble que la plupart des députés à l'Assemblée nationale n'aient détruit les préjugés que pour les prendre, comme les gens qui n'abattent un édifice que pour s'ap'*' proprier les décombres. »

Entendant déplorer l' indifférence du public pour les chefs-d'œuvre de la scène tragique , il l'expliqua par ces mots : « La tragédie ne fait plus d'effet depuis qu'elle court les rues. »

Il dit de Barrère, à la naissance de son pouvoir : « C'est un brave homme que ce Barrère : il vient toujours au secours du plus fort ; » et de Paclie, à un des amis de celui-ci : « C'est un ange que votre Pache; mais, à sa place, je rendrais mes comptes. »

Il traduisait ces mots : la fratemilé ou la mort, qu'il s'indignait de voir accoler sur les monuments publics, par ceux-ci : « Sois mon frère ou je te tue, » ou par ceux- ci : « La fraternité de ces gens-là est celle d'Étéocle et de Polynice. »

Si bien qu'un jour, Hérault de Séchelles lui ayant de- mandé d'écrire contre la liberté de la presse et Chamfort ayant refusé avec indignation de le faire, il fut conduit aux Madelonnettes par l'ordre du Comité de salut pu- blic.

Nous avons, dans le courant de cette étude, laissé la place aux faits toutes les fois que nous l'avons pu : ce ne serait pas le moment d'abandonner ce système ; car, à partir de cette arrestation de Chamfort, rien ne pourrait

CUAMPORT. 49

égaler la saisissante éloquence de ceux qui vont passer sous les yeux du loctour.

Le séjour do la prison fut odieux k Chamforl. Le mois qu'il y passii, lui parut uu siècle. Il en sortit vieilli. «Ce n'est pas la vie, ce n'est pas la mort, disait-il ; il n'y a pas de milieu, il me faut ouvrir les yeux sur le ciel ou les fer- mer dans le tombeau. »

Rendu à la liberté, il jura qu'il ne retomberait jamais vivant aux mains de ses persécuteurs.

VII

Secomlc arrestation. Suicide de Chamfort. Dernlbrcs paroles

de Chiiinfort. K(5cit de cette scbne par un témoin oculaire.

M. Arsbnc Iloussaye. Tortrait littéraire de Chamfort.

Il tint parole.

A quelque temps de là, on se présenta une seconde fois pour l'arrêter. Son parti était pris, il n'essaya pas même de fuir. Il demeurait aloi^s à la Bibliothèque nationale , dont Roland , ministre de l'intérieur, l'avait nommé bi- bliothécaire.

« Il s'enferme, dit M. Tissot [Dictionnaire de la convet'" sation), dans son aibinet, charge un pistolet et se le tire sur le front. La balle lui fracasse le haut du nez et lui en- fonce l'œil droit. Étonné de vivre et résolu à mourir, il s'arme d'un rasoir, essaje de se couper la gorge, se taille le sein, se porte plusieurs coups au cœur, s'ouvre les veines et les jarrets; enfin, vaincu par la douleur, il pousse un cri et tombe.

a On entre, on le trouve baigné dans son sang. Des gens

48 GHAMFORT.

de Fart et des officiers civils sont appelés, et, tandis que les premiers préparent l'appareil, nécessaire à ses bles- sures, il dicte d'une voix ferme aux seconds, la déclara- tion suivante : « Moi , Sébastien-Boch-Nicolas Chamfort, «.décfere avoir voulu mourir en homme libre plutôt que « d'être reconduit en esclave dans une maison d'arrêt; « déclare que si par violence on s'obstinait à m'y traîner, « dans l'état je suis il me reste assez de force pour « achever ce que j'ai cemmenCé. Jamais' on ne me lera « rentrer vivant dans une prison. »

Ces paroles, et d'autres qui vont suivre, seraient dans Plutarque , qu'elles y seraient admirées. Nous en avons tous traduit du grec et du latin qui ne méritaient pas au- tant d'être citées et de passer d'un âge à l'autre.

Un ami de Chamfort nous a laissé un récit palpitant de cette scène. »

« J'arrivai peu de temps après ; je n'oublierai jamais ce spectacle. Sa tête et son cou étaient enveloppés des linges sanglants; son oreiller, ses draps étaient aussi tachés de sang-. Le peu qu'on apercevait de son visage en était encore couvert. Il parlait avec moins de violence, et commençait à sentir sa faiblesse. Je restai deJjout près de lui, muet de saisissement, d'admiration ei de douleur. « Mon ami, » me dit-il en me tendant la main, « voilà « comme on échappe à ces gens-là. Ils prétendent que je « me suis mahqué^ mais je, sens que la balle est restée « dans ma lête; ils n'iront pas l'y chercher. » Tout ce qu'il disait avait ce caractère d'-énergie et de simplicité. Après un moment da silence, il reprit d'un air tout à fait calme, et même' de ce ton ironique qui lui était assez fa- millien: « Que voutez-voûs! voilà ce. que c'est que d'être 0 maladroit de la main : on ne réussit à rien, pas môme « à se tuer. » Alors il se mit à raconter comment il s'était

CHAMFORT. 49

perforé l'œil et le bas du front, au lieu de s'enfoncer le crâne, puis charcuté le cou, au lieu de se le coup-^r, et 6a- lafré la poitrine sans parvenir ii se percer le cœur. « En- « fin, » ajouta-l-il, « je me suis souvenu de Sénèque, et, « en l'honneur de Sénèque. j'ai voulu m'ouvrir l(>s veines; « mais il éUiil riche, lui ; il avait tout i\ souhait, un hain '( bien chaud, enfin toutes ses aises ; moi, je suis un })auvre « diable, je n'ai rien de tout cela. Je me suis fait un mal u horrible, et nie voilà encore ; mais j'ai la balle dans la « liHe, c'est le principal. Un peu plus tôt, un peu plus « tard, voilà tout. »

Chamfort, chose incroyable , ne parvint pas à mourir de ses horribles blessures. Ce qui n'est pas moins étrange, c'est qu'on le laissa sous le coup d'un mandat d'amener, et qu'il fut condamné à payer un écu par jour à un gen- darme chargé de le garder à vue jusqu'à entière guérison, pour le cas il eût pu guérir.

Ses amis vinrent à son chevet et lui reprochèrent d'avoir voulu mourir : « Du moins, répondit-il, je ne risquais jmis d'être jeté à la voirie du Panthéon. » C'était ainsi qu'il appelait cette sépulture depuis l'apothéose de Marat, que sa fierté républicaine n'avait pu coudoyer sans dégoût.

Colchen, un des amis qui lui ont fermé les yeux, se féli- citait qu'il eût échappé à ses propres coups, quelques jours après sa tentative; Chamfort lui répondit : « Ah ! mon ami, les horreurs que je vois me donnent à tout mo- ment l'envie de recommencer. »

M. Houssaye, dont le scepticisme n'a de i)arli pris vio- lent contre personne, rencontre, par une contradiction étrange avec la conclusion injuste de la biographie qu'il a consacrée à Chamfort dans ses Portraits du xviii* siècle. rencontre, dis-je, à l'occasion de ce drame émouvant, un élan de chaleur dont nous lui savons gré. « Chamfort ,

50 CHAMFORT.

dit-il, survécut à toutes ces tortures de l'âme et du corps. Ne ressemblait-il pas alors à l'humanité, que tant de dé- sastres ont frappée, qui a répandu sur tous les chemins son sang et ses larmes, qui, toute sillonnée de blessures, marche toujours en avant, poussée par le maître invi- sible ? Il succomba pourtant à tant de douleurs. « Ah ! « mon ami, » dit-il à Sieyès en expirant, « je m'en vais « enfin de ce monde, il faut que le cœur se brise ou « se bronze. « Chamfort mourut le 13 avril 1794, à l'âge de 55 ans.

CONCLUSION

Des diffdrcntes études qui ont été faites de Chamfovt. Celle de M. Sainte-Beuve. Quelques mots sur M. Sainte-Beuve et sur la nature de son talent. Son attitude , ses erreurs et ses injustices en ce qui touche Chamfort. Intérêt que nous a paru o'.frir la figure de Chamfort.

11 y a deux hommes dans Chamfort. L'un, celui qu'on pourrait appeler le littérateur, existe à peine pour nous. Ses comédies, sa tragédie, ses vers, ses tableaux de la Révolution, ses éloges académiques, méritaient peu de survivre aux circonstances qui les ont vus naître; tout cela n'est que d'un homme très-intelligent, épris des lettres, cherchant et trouvant le succès à la suite du passé dans les sentiers battus, mais qui, dans son effort pour ne point sortir des cadres convenus, en arrive à ne pas même laisser soupçonner ce qu'il y a en lui de véritable origina lité. L'autre, au contraire, le moraliste, le satirique, le philosophe, le politique, l'auteur enfin des maximes et pensées, des portraits, des caractères et anecdotes, est à

CHAWFORT.

bon droit immortel. Sa personnalité est- si vive, qu'elle se détacho en saillies vigoureuses au milieu des plus éclatantes figures de son épo{|ue, et qu'elle se fait sa place en dé[>il des opposants dans les meilleurs rangs de notre littérature.

Chose bizarre, le vrai Cliamlort, celui qui restera, ne fut vraiment connu do ses contemporains que par sa pa- role.

La portée de son œuvre, qui ne fut de son vivant que son œuvre parlée, est celle qui constitue son vrai titre aux yeux de la postérité. Dès qu'elle fut imprimée, elle fit oublier l'autre, son œuvre écrite.

Chamfort en avait le pressentiment; il faisiiit bon mar- ché de son bagage académique et s'impatientait à la fin qu'on en fît l'éloge devant lui.

M. Sainte-Beuve dit qu'on retrouva à sa mort bon nombre des mots qui forment aujourd'hui le recueil des pensées de Chamfort, écrits soigneusement sur de petits papiers; et le soin que prend Chamfort, passé maître en improvisations brillantes, de fixer sur le papier quelques- uns des souvenirs de ses conversations, amène un sourire qu'on pourrait trouver na'if sur les lèvres de l'auteur jus- tement apprécié des dix gros volumes de Causeries litté- raires au milieu desquelles nous avons surpris ce sourire.

Nous trouvons, nous, que bons mots, pensées et cau- series méritaient qu'on les gardât, et si nous regret- tons une chose, c'est que le soin de Chamfort ait été incomplet. Il est certain, en effet, qu'il s'est perdu de lui plus de choses qu'il n'en est venu jusqu'à nous. On assure qu'il existe des manuscrits inédits de Chamfort, et que les mains qui les retiennent, abusant du droit de fait que leur donne la possession inexpliquée de ces papiers, refusent de s'ouvrir cl de leur laisser voir le jour. Les biographes

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52 CHAMFORT.

de Chamfort signalent cet acte coupable et le flétrissent justement.

Quoi qu'il en soit, ce qui nous reste de Chamfort suffit à son renom. Sa place, dans notre littérature, vient immé- diatement après les moralistes du xvii" siècle. Comme écrivain moraliste, il est presque toujours leur égal ; il parle la belle langue de La Bruyère. Il a le bien visé de La Rochefoucauld ; il est plus concis qu'eux encore. Il pos- sède au suprême degré, et tout naturellement , ce que le premier ne cherchait pas et ce que le second cherchait toujours, le trait. Il est passé maître dans l'art de tout dire en peu de mots, sans jamais être obscur. S'il a de moins que les prosateurs du grand siècle l'ampleur de la phrase et le calme de la pensée que peut seul donner le repos de l'esprit, repos impossible à l'époque vivait Chamfort, il a, en revanche, l'accent résolu et vigoureux de son temps.

Ses enfants immédiats sont Rivarol et en plus d'un point Beaumarchais. Ils furent aussi ses adversaires. Il a pour jietits-enfants beaucoup des gens d'esprit de notre époque. Al[)lionse Karr, dans ses Guêpes^ le rappelle souvent; c'est la môme manière de serrer l'anecdote et de rencontrer le bon sens par l'ironie.

Si tout le monde ne s'est pas encore entendu sur la place qui lui est due, c'est, nous l'avons dit, parce que justice n'a pas encore été faite par notre temps au temps que Chamfort représente. Mais cette place, quoi qu'il arrive, restera marquée dans cette glorieuse phalange d'esprits gaulois qui sont les vrais représentants de l'esprit français depuis Rabelais , Montaigne et Voltaire , et dont quejflues noms de notre temps grossiront encore la liste.

Plusieurs notices ont été assez récemment écrites sur Chamfort. Celle de M. Houssaye, qui n'est pas la mieux

CHAMFOUT. 53

coordonnée, ni' la plus loiiiquo, est la plus curieuse, la plus pleine sous le nipporl des faits, la jilus intéressante; celle de M. Sainte-Beuve n'est autre (lu'un habile réqui- sitoire contre le républicain Chamfort.

Nous avons pris, malgré nous, du travail de M. Sainte- Beuve sur Chamfort, quelque humeur contre l'auteur de ce travail. M. Sainte-Beuve, critique aimable, ingénieux, délicat, fin et suave, qui a toutes ses qualités dans ces nuances douces et teiTqiérées, semble depuis queUiues années avoir pris à tAche de chimger sa voix et sa nature. Son autorité y périra, et son talent lui-même, s'il n'étjiit sauvé par son passé, y laisserait quelque chose. M. Sainte- Beuve, cet ancien chercheur d(> perles égarées, ce lapi- daire rétrospectif, ce remonteur habile des joyaux oubliés de notre vieille littérature, cpii semble pour ne parl(>r que de ce qui lui plaît, dont les critiques sont en quelque sorte de l'orfèvrerie littéraire, dont les ciselures ajoutées aux œuvres qu'il affectionne en font quelquefois toute la richesse, son travail surpassant souvent sa matière; M. Sainte-Beuve, qui a déterré, avec une patience et un goût infatigables, tant de reliques dans le cimetière du passé, iM. Sainte-Beuve semble avoir pris en haine tout ce qui touche à son temps. II est implacable particulière- ment pour ce qui, de pn's ou de loin , tient à la Révolu- lion. Sa voix, dès que cette grande époque est en cause, devient aigre et criarde. Il veut n'être que sévère, sans doute , et il se montre méchant. C'est alors la passion , et non plus la raison ni le goût, qui semble parler par sa bouche. On dirait un acteur qui a voulu prendre les rôles qui ne lui conviennent pas, un ténor s'efTorçant de chan- ter les basses-failles et qui s'épuise, dans cet effort contre nature, au détriment de son renom et des auditeurs accou- tumés à l'applaudir. Ses qualités mêmes deviennent des

54 CHAMFORT.

défauts, ses plus fines broderies, ses variations les plus savantes ne sont plus que de la manière dans le travail malencontreux de cet organe qui se surmène, de cette voix délicate qui veut à toute force se grossir. Il veut frapper, il égratigne et ne laisse que des déchirures il a prétendu porter de grands coups ; tel encore un fin graveur ébréchant son burin sur l'orteil d'une statue de bronze, en haine du bronze sans doute. M. Sainte-Beuve n'admire-t-il donc que les statues d'albâtre, que les figu- rines de stuc et les groupes en biscuit?

Quand M. Sainte-Beuve manque d'équité et de mesure, il est deux fois coupable. Il l'est envers lui-même. Il l'est envers ses nombreux lecteurs et les critiques de seconde main, qui, dans leur travail hàtif, plutôt que de remon- ter aux sources , s'en rapportent à lui sans contrôle. Il répond, en effet, non-seulement de ses jugements, mais encore des inductions qu'on en tire et des exagérations que d'autres se permettent à sa suite. Chamfort est une des plus nobles figures littéraires, un des plus fiers ci- toyens de cette république des lettres que M. Sainte- Beuve devrait bien mettre à part dans sa haine d'hier ou d'avant-hier contre les républiques; j'en veux à M. Sainte- Beuve de s'être donné le tort de le méconnaître, parce que son tort s'est bientôt aggravé du tort de sa clientèle. En effet, il lui convient, par un non-sens inexplicable, car on peut tirer de sa notice même la réfutation de toutes ses accusations contre Chamfort, il lui convient de faire, de ce caractère antique et héroïque, mais féminin aussi par beaucoup de côtés, un homme dur, sec et impi- toyable; d'autres iront plus loin, et, sur sa recommanda- tion, soit paresse, soit confiance, ils transformeront ce moraliste sincère, ce philosophe contristé, dont tout ce qu'on a pu dire de pis de son temps, c'est qu'il détestait

CUâMFORT

Ips lionimi's, parce qu'ils ne s'aimaient pas: ils le triuist'or- meront, dovinez on (iiioi? lin cliat-lif^To! dj'finition hiir- losquo, à coup sûr, à pi'0|)OS d'un homme qui a traversé les révolutions sans qu'on puisse nommer une do ses victimes, qui n'a sacrifié cpio lui-mi^moà ses convictions, et auquel on ne peut re|)rocIi('r (jue ra(liuinil>le faute de sa mort.

M. Sainte-Beuve, disant de (Miamlort : « Son nom res- tera attaciié à quantité de mots concis, aigus, vibrants et pittoresques qui se fixent bon gré, mal gré, dans le sou- venir, » ajoute : « Méfiez-vous pourtant! je crains qu'il n'y ait toujours un pou d'arsenic au fond. » Un autre, renchérissant , un autre , s'omparant de cet arsenic do M. Sainte-Beuve, comme fait un bijoutier d'une pierre qu'il croit pouvoir s'approprier, à la condition d'en re- nouveler la monture, dira : « Chaque pensée de Chamfort est un grain de poison dans un joli chaton de bague, » et ainsi de suite. finira ce crescendo ?

Cependant, concilions ce toujours do M. Sainte-Beuve, et SOS suites, avec cet aveu qu'il (iiit, sans bonne grâce , il est vrai, dans un autre endroit, « qu'il y a un fond do probité et de dignité dans l'aigreur de Chamfort. »

No voilà-t-il pas un fond étrangement garni , grAce à M. Sainte-Beuve : « De la probité, do l'arsenic et de la di- gnité, » tout cela ensemble!

Ce n'est pas Siuis une certaine émotion, dont nous nous serions bien gardé de nous défendre , que nous avons entrepris de remettre en lumière la figure de Chamforl. Nous avons mis sous les yeux du public tout ce qu'eft ont dit, soit en bien, soit en mal, les gens qui ont pris la piirolo à son sujet. Nous avons tAché d'exposer avec im- partialité le pour et le contre, s<ms cacher cojwndant nos sympathies. Que le public juge ; ses jugements seuls sont sans appel.

CHAMFOftT.

On sait aujourd'hui que la vie privée n'est la place d'honneur que dans les temps absolument calmes et tran- quilles. Le mot de M. Dupin : « Chacun chez soi, chacun pour soi, » est une des impiétés politiques qui ont fait la honte de notre temps. Il fait partie de cet athéisme en matière de patriotisme que l'on fit apprendre à la France, de 1830 à 1848, et qui l'avait affaiblie à ce point, que, mise en demeure un jour de régler ses destinées, elle a fléchi sous sa tâche. L'exclamation admirative de Marmon- tel, écrivant très-faussement , à propos de d'Alembert et de Mairan : « Quelles âmes que celles qui ne sont in- quiètes que des mouvements de l'écliptique , ou que des mœurs et des arts des Chinois, » est un salaire qui ne satisferait guère que les natures à la fois ingénieuses et corrompues qui passent devant leur siècle comme ces gens dont parle l'Évangile, lesquels avaient des yeux pour ne pas voir et des oreilles pour ne pas entendre. La dis- traction d'Archimôde cherchant son problème pendant qu'on saccageait son pays n'a d'autre valeur que celle d'un phénomène scientifique. On ne s'étonnera donc point que l'étude de cette figure saisissante, la littérature et la politique ont leur part, nous ait paru de nature à in- téresser notre époque agitée et nous ait attiré plus qu'une autre.

Nous ne sommes plus au temps. Dieu merci ! l'in- différence en matière politique, qui n'est autre que l'oubli de la patrie, était prèchée comme une vertu.

L'oubli de la patrie, une vertu ! D'où un pareil blas- phème a-t-il jamais pu s'écrire?

P.-J. Stahl.

Bruielles, 4 octobre 1856

PREMIÈRE PARTIE

MAXIMES ET PENSÉES

MAXIMES ET PENSÉES

Sun LA PHILOSOPHIE ET LA MORALE.

I. C'est une belle allégorie, dans la Bible, que cet arbre de la science du bien et du mal qui produit la niorl. Cet emblème ne veut-il pas dire que, lorsqu'on a pénétre le fond des choses, la perte des illusions amène la mort de l'àme, c'est-à-dire un désintéressement complet sur tout ce qui touche et occupe les autres hommes ?

II. L'àme, lorsqu'elle est malade, fait précisément comme le corps : elle se tourmente et s'agite en tous sens, mais elle finit par trouver un peu de calme; elle s'arrête enfin sur le genre de sentiments et d'idées le plus nécessaire à son repos.

m. Il en est du bonheur comme des montres : les moins compliquées sont celles qui se dérangent le moins.

IV. « Le bonheur, disait M..., n'est pas chose a|sée. Il est très-diflicile de le trouver en nous, et impossible do le trouver ailleurs. »

V. Quand on soutient que les gens les moins sensi- bles sont, à tout prendre, les plus heureux, je me rap- pelle le proverbe italien : Il vaut mieux être assis que

60 MAXIMES ET PENSEES.

debout, être couché qu'assis ; mais il vaut mieux être mort que tout cela.

VI. Il faut convenir que, pour ôtre heureux en vivant dans le monde, il y a des côtés de son âme quil faut entièrement paralyser.

VII. On croit le sourd malheureux dans la société. N'est-ce pas un jugement prononcé par l'amour-propre de la société, qui dit : « Cet homme-là n'est-il pas trop à plaindre de n'entendre pas ce que nous disons ? »

VIII. Un homme d'esprit prétendait, devant des mil- lionnaires, qu'on pouvait être heureux avec deux mille ccus de rente. Ils soutinrent le contraire avec aigreur, et même avec emportement. Au sortir de chez eux, il cher- chait la cause cîe cette aigreur de la part de gens qui avaient de l'amitié pour lui. Il la trouva enfin. C'est que, par là, il leur faisait entrevoir qu'il n'était pas dans leur dépendance.

IX. Celui qui veut trop faire dépendre son bonheur de sa raison, qui le soumet à l'examen, qui chicane, pour ainsi dire, ses jouissances, et n'admet que des plaisirs délicats, finit par n'en plus avoir. C'est un homme qui, à force de faire carder son matelas, le voit diminuer, et finit par coucher sur la dure.

X. La calomnie est comme la guêpe qui vous impor- tune, et contre laquelle il ne faut faire aucun mouvement, à moins qu'on ne soit sûr de la tuer ; sans quoi, elle revient à la charge, plus furieuse que jamais.

XI. J'aime mieux que l'on calomnie mon silence que mes paroles.

XII. On compte environ cent cinquante millions d'âmes en Europe, le double en Afrique, plus du triple en Asie ; en admettant que l'Amérique et les terres australes n'en contiendraient que la moitié de ce que donne notre hémi-

PHILOSOPHIE ET MORALE.

sphère, on peutassuror (ju'il meurt tous les jours, sur notre globe, plus do eent mille liommes. Un homme qui n'au- rait vécu que trente ans aurait échappé environ mille quatre cents fois à cette é()Ouvantal)le destruction.

XIII. Le premiers sujets de chagrin m'ont servi de cuirasse contre les autres.

XIV. Quand on veut éviter d'être cliarlatan , il faut fuir les tréteaux; car, si l'on y monte, on est bien forcé d'élre charlatan; sans quoi, l'assendilée vous jette des pierres.

XV. Au théâtre, on vise à l'efTet; mais ce qui dis- tingue le bon et le mauvais poëte, c'est que le premier veut faire effet par des nio\ ens raisonnables, et que pour le second tous les moyens sont excellents. Il en est de cola comme des honnêtes gens et des fn|)ons. qui veulent également faire fortune : les premiers n'emploient que des moyens honnêtes , et les autres toutes sortes do moyens.

XVI. Je conseillerais à quelqu'un qui veut obtenir une grâce d'un ministre de l'aborder d'un air triste, plu- tôt que d'un air riant. On n'aime pas à voir plus heureux que soi.

xvii. Quand ou veut devenir philosophe, il ne huit pas se rebuter des premières découvertes afUigeantes qu'on fait dans la connaissance dos hommes. Il faut, pour les connaître, triompher du mécontontoment qu'ils don- nent, comme l'anatomiste triomphe de la nature, de ses i organes et de son dégoîit , pour se rondi'o hal).ile dans f, son ail .

xvm. C t'st une remarque très-fine et très-judicieuse de M..., que quelque importuns, quelque insup|>ortables que nous soient les défauts des gens avec qui nou? vivons , nous ne laissons pas d'en prendre une partie :

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62 MAXIMES ET PENSEES.

être la victime de ces défauts étrangers à notre caractère n'est pas môme un préservatif contre eux.

XIX. Il faudrait pouvoir unir les contraires, l'amour de la vertu avec l'indifférence pour l'opinion publique, le goût du travail avec l'indifférence pour la gloire, et le soin de sa santé avec l'indifférence pour la vie.

XX. Ma vie entière est un tissu de contrastes appa- rents avec mes principes. Je n'aime point les princes, et je suis attaché à une princesse et à un prince; on me connaît des maximes républicaines, et plusieurs de mes amis sont revêtus de décorations monarchiques; j'aime la pauvreté volontaire, et je vis avec des gens riches; je fuis les honneurs , et quelques-uns sont venus à moi ; les lettres sont presque ma seule consolation, et je ne vois point de beaux esprits; j'ai voulu être de l'Académie, et ne vais point à l'Académie. Ajoutez que je crois les illusions nécessaires à l'homme, et je vis sans illusions; que je crois les passions plus utiles que la raison, et je ne sais plus ce que c'est que les passions , etc.

XXI. La conviction est la conscience de l'esprit.

XXII. Il y a certains défauts qui préservent de quel- ques vices épidémiques : comme on voit, dans un temps de peste, les malades de fièvre quarte échappera la con- tagion.

x\iu. Robinson dans son île, privé de tout et forcé aux plus pénibles travaux pour assurer sa subsistance journalière, supporte la vie, et même goûte, de son aveu, plusieurs moments de bonheur. Supposez qu'il soit dans une île enchantée, pourvue de tout ce qui est agréable à la vie, peut-être le désœuvrement lui eût-il rendu l'exis- tence insupportable.

XXIV. Législateurs, ne décrétez pas la divinité de l'or, en le donnant ])our salaire à ces mouvements sublimes, à

PHILOSOPHIE ET MOllALE. 03

ces grands sacrifices qui semblent mettre l'homme en commcroo avec son {'terncl Autour.

XXV. Dans les naïvetés d'un enfant bien iir. il y a quelquefois une philosophie bien aimable.

XXVI. On croit communément que l'art de [)laire est un grand moyen do faire fortune : .savoir s'enmiyer est un art (|ui réussit bien davantai,'e. Le talent de faire fortune, comme celui de réussir au[)rès des femmes , se réduit presque à cet art-là.

xxvii. Souvent une opinion, une coutume commence paraître absurde dans la première jeunesse, et, en avan- çant dans la vie, on en trouve la raison : elle paraît moins absurde. En faudrait-il conclure que certaines coutumes sont moins ridicules? On serait porté à {)onser quchpiefois qu'elles ont été étiiblies par des gens qui avaient lu le livre entier de la vie, et qu'elles ont été jugées par des gens qui, malgré leur esprit, n'en ont lu que quelques pages.

xwiii. L'entêtement rc|)résentc le caractère, à peu près conuiie le tempérament représente Xamour.

XXIX. Peu de philosophie mène h mépriser l'érudition : beaucoup do philosophie mène à l'estimer.

XXX. Il y a des hommes chez qui Xesprit (cet instru- ment ai)|)Iicable à tout) n'est qu'un talent par lequel ils semblent dominés, qu'ils ne gouvernent pas, et qui n'est ■point aux ordres de leur raison.

XXXI. L'esprit n'est souvent au cœur que ce que la bibliothèque d'un chAteau est à la personne du maître.

XXXII. S'il était |x)ssible qu'une personne sans esprit pût sentir la gn'ice, la finesse, l'étendue et les différentes qualités de l'esprit d'autrui. et montrer qu'elle le sent, la

ciété dune telle personne, quand même elle ne produi- it rien d'elle-même, serait encore très-recherchée. Mémo

I

64 MAXIMES ET PENSEES.

résultat de la môme supposition à l'égard des qualités de l'âme.

xxxni. On fausse son esprit, sa conscience, sa raison, comme on gâte son estomac.

XXXIV. L'estime vaut mieux que la célébrité ; la consi- dération vaut mieux que la renommée, et l'honneur vaut mieux que la gloire.

XXXV. Ce n'est pas tout d'être aimé, il faut être appré- cié, et on ne peut l'être que par ce qui' nous ressemble. De vient que l'amour n'existe pas, ou du moins ne dure pas, entre des êtres dont l'un est trop inférieur à l'autre; et ce n'est point l'effet de la vanité, c'est celui d'un juste amour-propre dont il serait absurde et impossible de vouloir dépouiller la nature humaine. La vanité n'ap- partient qu'à la nature faible ou corrompue ; mais l'amour- propre, bien connu, appartient à la nature bien ordonnée.

XXXVI. Il y a plus de fous que de sages, et dans le sage même il y a plus de folie que de sagesse.

xxxvii. Les trois quarts des folies ne sont que des sottises.

xxxviii. La fortune est souvent comme les femmes riches et dépensières, qui ruinent les maisons elles ont apporté une riche dot.

XXXIX. L'habileté est à la ruse ce que la dextérité est à la frlouterie.

XL. On est heureux ou malheureux par une foule de choses qui ne paraissent, pas, qu'on ne dit point et qu'on ne peut dire.

XLi. Pour les hommes vraiment honnêtes, et qui ont de certains principes, les commandements de Dieu ont été mis en abrégé sur le frontispice de l'abbaye de Thélème : Fais ce que tu voudras,

XL!!. C'est une vérité reconnue que notre siècle a

ruILOSOPHIE ET MORALE. 65

remis ks mots à IcMir |)laco; (\non bannissant les suhti- liU'îS scolasti([ues, dialeoliciennes, nu'Ut|)liysi(iues, il est revenu au simi)lc et au vrai, en physique, en morale et en politique. Pour ne parler que de morale, on sent com- bien ce mot, V honneur, renferme d'idées complexes et métapliysi(]ues. Notre siècle en a senti les inconvénients; et, pour ramener tout au simple, jwur prévenir tout abus de mots, il a établi que Vhonneur restait dans son inté- grité à tout homme qui n'avait point été repris de jus- tice. Autrefois, ce mot était une source d'équivoques et do contestations; à présent, rien de pli;3 clair. Un homme a-t-il été mis au carcan, n'y a-t-il pas été mis? voilà l'état de la question. C'est une simple question do fait, qui s'éclaircit facilement par les registres du greffe. Un homme n'a pas été mis au carcan : c'est un homme d'honneur, qui peut prétendre à tout, aux places du mi- nistère, etc.; il entre dans les corps, dans les académies, dans les cours souveraines. On sent combien la netteté et la préciision épargnent de querelles et de discussions, et combien le commerce de la vie devient commode et facile.

XLiii. Les idées des hommes sont comme les cartes et autres jeux. Des idées que j'ai vu autrefois regarder comme dangereuses et trop hardies sont maintenant de- venues communes et presque tri\iales, et ont descendu jusqu'à des hommes peu dignes d'elles. Quelques-unes de celles à qui nous donnons le nom d'audacieuses seront vues comme faibles et communes par nos descendants.

XLiv. La nature a voulu que les illusions fussent pour les stiges comme pour les fous, afin que les premiers ne fussent pas trop malheureux par leur propre sagesse.

XLV. J'ai lu, dans je ne sais quel voyageur, que cer- tains sauvages do I Afrique croient à l'immortalité do

MAXIMES ET PENSEES.

rame. Sans prétendre expliquer ce qu'elle devient, ils la croient errante , après la mort , dans les broussailles qui environnent leurs bourgades, et la cherchent plu- sieurs matinées de suite. Ne la trouvant pas , ils aban- donnent cette recherche , et n'y pensent plus. C'est à peu près ce que nos philosophes ont fait et avaient de meilleur à faire.

XLvi. L'incertitude devient un tourment dont, notre âme se déchire par une erreur, si elle ne le peut par une vérité.

XLvii. L'indécence, le défaut de pudeur sont absurdes dans tout système : dans la philosophie qui jouit, comme dans celle qui s'abstient.

XLViii. La plus perdue de toutes les journées est celle Ton n'a pas ri ' .

xLix. Il n'est pas vrai (ce qu'a dit Rousseau après Plutarque ) que plus on pense, moins on sent ; mais il est vrai que plus on juge , moins on aime. Peu d'hommes vous mettent dans le cas de faire exception à cette règle.

L. Il y a des questions sur lesquelles la morale reste muette et ne peut rien décider. C'est ce que l'aréopage donna bien à entendre dans une cause délicate et em- barrassante dont le jugement lui fut renvoyé. Le tri- bunal ordonna, sans rien prononcer, que les deux parties eussent à comparaître de nouveau dans cent ans.

Li. Il est plus facile de légaliser certaines choses que de les légitimer.

LU. Les maximes générales sont dans la conduite de la vie ce que les routines sont dans les arts.

1. J'ai connu un critique lequel jouait volontiers les grotesques dans les tlicâtres de société qui trouvait que cette petite plirase de Clianifort était uu indice certain de sa férocité. P.-J. S.

PUILOSaPIIIE ET MOHAtE. 67

LUI. Los môchnnts font quoiquefois do bonnes ac- tions. On dirait qu'ils voulont voir s'il est vrai que cela fasse autant de plaisir que le prétendent les honnêtes gens.

Liv. En Franco, le mérite et la réputation ne don- nent pas plus do droit aux places que lo chapeau do ro- sière ne donne à une villageoise lo droit d'élro présentée à la cour.

LV. C'est une remarque excellente d'Aristote, dans sa lihétorique, que toute métaphore fondée sur l'analogie doit être également juste dans le sens renvei-sé. Ainsi, l'on a dit de la vieillesse qu'elle est l'hiver de la vie; ren- versez la métaphore et vous la trouverez également juste, en disiuit que l'hiver est la vieillesse de l'année.

LVi. Je dirais volontiers des métaphysiciens ce que Scaliger disait des Basques : « On dit qu'ils s'entendent; mais je n'en crois rien. »

Lvii. Jouis et fais jouir, sans faire de mal ni à toi à I)ersonne ; voilà, je crois, toute la morale.

LVin, Les moralistes, ainsi que les philosophes qui ont fait des systèmes en physique ou en métaphysique, ont trop généralisé, ont trop multiplié les maximes. Que de- vient, par exemple, le mot de Tacite : Neque tnulier, amissd pudicitiâ, alia abnuerit, après l'exemple de tant de femmes qu'une faiblesse n'a pas empêchées de pratiquer plusieurs vertus? J'ai vu madame do L..., après une jeu- nesse peu différente de celle de I^ïanon Lescaut, avoir, dans l'âge mùr, une passion digne d'Héloïse. Mais ces exemples sont d'une morale dangereuse à étiiblir dans les livres. Il faut seulement les observer, afin de n'être pas duixî de la charlatanerie des moralistes.

Lix. Ce que j'admire dans les anciens i)hilosophes, 'c'est le désir de conformer leurs mœurs à leurs écrits :

MAXIMES ET PENSEES.

c'est ce que l'on remarque dans Platon , Théophraste et plusieurs autres. La morale pratique était si bien la partie essentielle de leur philosophie, que plusieurs furent misa la tête des écoles sans avoir rien écrit : tels que Xéno- crate, Polémon, Leucippe, etc. Socrate, sans avojr donné un seul ouvrage et sans avoir étudié aucune autre science que la morale, n'en fut pas moins le premier philosophe de son siècle.

LX. En apprenant à connaître les maux de la nature, on méprise la mort ; en apprenant à connaître ceux de la société, on méprise la vie.

Lxi. La nature paraît se servir des hommes pour ses desseins, sans se soucier des instruments qu'elle emploie, à peu près comme les tyrans, qui se défont de ceux dont ils se sont servis.

Lxu. Pour parvenir à pardonner à la raison le mal qu'elle fait à la plupart des hommes, on a besoin de con- sidérer ce que ce serait que l'homme sans sa raison. C'était un mal nécessaire.

LXiii. Il y a à parier que toute idée publique, toute convention reçue est une sottise; car elle a convenu au plus grand nombre.

LXiv. Quand les princes sortent de leurs misérables étiquettes, ce n'est jamais en faveur dun homme de mé- rite, mais d'une fille ou d'un bouffon. Quand les femmes s'affichent, ce n'est presque jamais pour un honnête homme, c'est pour une espèce. En tout, lorsque l'on brise le joug de l'opinion, c'est rarement pour s'élever au-des- sus, mais presque toujours pour descendre au-dessous.

Lxv. Il y a des siècles l'opinion publique est la plus mauvaise des opinions.

Lxvi. Il y a deux classes de moralistes et de politi- ques : ceux qui n'ont vu la nature humaine que du côté

PHILOSOPHIE ET MO-RALE. 60

odieux ou ridicule, et c'est le plus grand nombre : Lucien, Montaigne, Lji Bruyère, La Rochefoucauld, Swift, Mande- ville, llelvétius, etc.; ceux qui ne l'ont vue que du beau côté et dans ses i)erfections : tels sont Shaftesbury et <|uelques autres. Les premiers ne connaissent pas le pa- lais dont ils n'ont vu que les latrines; les seconds sont des enthousiastes (pii détournent leurs yeux loin de ce qui les oflense, et qui n'en existe pas moins. Est in medio ver uni.

Lxvii. On souhaite la paresse d'un méchant et le si- lence d'un sot.

Lxviii. La pauvreté met le crime au rabais.

LXix. ' La })ensée console de tout et remédie ii tout. Si quelquefois elle vous fait du mal, demandez-lui le remède du mal qu'elle vous a fiiit, et elle vous le donnera.

Lxx. La meilleure philosophie, relativement au monde, est d'allier, à son égard, le sarcasme de la aieté avec l'indulgence du mépris.

Lxxi. Le plaisir peut s'appuyer sur l'illusion; mais le bonheur repose sur la vérité. Il n'y a qu'elle qui puisse nous donner celui dont la nature humaine est suscep- tible. L'homme heureux par l'illusion a sa fortune en agiotage : l'homme heureux par la vérité à sa fortune en fonds de terre et en bonnes constitutions.

Lxxii. A mesure que la philosophie fait des progrès, la sottise redouble ses efforts pour établir l'empire des préjugés. Voyez la faveur que le gouvernement donne aux idées de gentilhommerie. Cela est venu au point qu'il n'y a plus que doux étals pour les femmes : femmes de qua- lité, ou filles; le reste n'est rien. Nulle vertu n'élève une femme au-dessus de son état; elle n'en sort que par le vice.

ILXxin. Quiconque a détruit un préjugé, un seul pré- jugé, est un bienfaiteur du genre humain.

MAXIMES ET PENSEES.

Lxxiv. Quelqu'un disait que la Providence était le nom de baptême du hasard : quelque dévot dira que le hasard est un sobriquet de la Providence.

Lxxv. Plus les mœurs s'altèrent, plus on devient dé- licat sur les décences. Par cette raison , plus les hommes deviennent vicieux, plus ils applaudissent à la peinture des vertus.

Lxxvi. Je ne conçois pas de sagesse sans défiance. L'Écriture a dit que le commencement de la sagesse était la crainte de Dieu ; moi , je crois que c'est la crainte des hommes.

Lxxvii. Ce que j'ai appris, je ne le sais plus. Le peu que je sais encore^ je l'ai deviné.

Lxxvin. Les lois du secret et du dépôt sont les mêmes.

Lxxix. La sottise no serait pas tout à fait la sottise, si elle ne craignait pas l'esprit. Le vice ne serait pas tout à fait le vice, s'il ne haïssait pas la vertu.

Lxxx. Il va des sottises bien habillées, comme il y a des sots très-bien vêtus.

Lxxxi. Les stoïciens sont des espèces d'inspirés qui portent dans la morale l'exaltation et l'enthousiasme poé- tiques.

Lxxxii. Le temps diminue chez nous l'intensité des plaisirs absolus, comme parlent les métaphysiciens ; mais il paraît qu'il accroît les plaisirs relatifs; et je soupçonne que c'est l'artifice par lequel la nature a su lier les hommes à la vie, après la perte des objets ou des plaisirs qui la rendaient le plus agréable.

Lxxxiii. 11 y a deux choses auxquelles il faut se faire, sous peine de trouver )a vie insupportable : ce sont les injures du temps et les injustices des hommes.

Lxxxiv. Lo système abstrait, tout erst bien, paraît peut-

l'IlILOSOPHIE ET MORALE.

i^lre plus vraiscmblablo, et surtout plus clair, après lo

discours do Garo dans la fable dt> la CitwiiîUe et h Gland, <|u'après la locturo do Loibniz et de Pope lui-rnOine.

Lxxxv. 11 y a des hommes à qui les illusions sur les choses qui les intéressent sont aussi nécessaires que la vie. Onelqucfois, cependant, Hs ont des aperçus qui feraient croire qii'ils sont i)rès de la vérité, mais ils s'en éloignent bien vite, et ressemblent aux enfants qui cou- rent après un masque, et qui s'enfuient si le masque vient à se retourner.

Lxxxvi. On offre de face la vérité à son égal : on la laisse entrevoir de profd à son maître.

Lxxxvii. L'homme peut aspirer à la vertu : il ne peut raisonnablement prétendre de trouver la vérité.

Lxwviii. La vertu, comme la santé, n'est pas le sou- verain bien. Elle est la place du bien plutôt (jue le bien même. Il est plus sur que le vice rend malheureux, qu'il ne l'e^t que la vertu donne le bonheur. La raison [wuv huiuelle la vertu est le plus désirable, c'est parce qu'elle est ce qu'il y a de plus opposé au vice.

Lxxxix. Lo ridicule est une forme extérieure qu'il est possible d'anéantir; mais le vice, plus inhérent à notre Ame, est un Prêtée qui, après avoir pris plusieurs formes, finit toujours par être le vice. :

xc. La vie contemplative est souvent misérable. Il fovit agir davantage, penser moins, et ne \)&s se regarder \ ivre.

xc?. Vivre est une maladie dont le sommeil nous sou- lage toutes les seize heures: c'est un ]>alliatif : la mort est le remède.

xcir.. Ce que Voltaire a le plus complètement déiruit, (•'.est la croyance sur la parole des prêtres; et il l'a détruite à force de les montrer sous toutes les formes, odieux ou

72 MAXIMES ET PENSÉES.

ridicules, et en tournant en dérision de toutes les ma- nières les objets de la croyance. Or, la crédulité religieuse était le plus formidable appui du despotisme, puisqu'elle consacrait également les rois et les prêtres, et que ceux- ci, parlant au 'nom de Dieu, assuraient au peuple que les rois étaient institués par Dieu et n'avaient à rendre compte qu'à Dieu. Le sacerdoce était donc le premier rempart du pouvoir absolu, et Voltaire l'a renversé. Sans ce premier pas décisif et indispensable, on ne faisait rien.

xciii. L'esprit supérieur consiste à juger la marche du commun des esprits, à voir jusqu'oij ils peuvent aller et jusqu'oïl on peut les mener. C'est ce que Voltaire en- tendait à merveille. Le scepticisme de Bayle, la liberté de penser sous la Régence, et les hardiesses des Lettres per- sanes, firent comprendre à Voltaire que l'on pouvait tout dire successivement en se mettant à la portée de tous. C'est ce qu'il fit pendant soixante ans en gagnant tou- jours du terrain.

xciv. La cour, en général, a toujours craint et haï Voltaire , môme dans le temps il y fut appelé et honoré par la faveur passagère que lui accorda madame de Pom- padour. On calculait moins la puissance de ses écrits qu'on n'était blessé de son indépendance, des saillies qu'il se permettait, do sa supériorité qui éclipsait tout, même dans la société, de sa fortune même qui le mettait au- dessus de rcspèce d'asservissement le besoin des grâces réduisait la plupart des gens de lettres. A l'égard de l'in- fluence qu'il exerçait sur l'opinion, et des conséquences qu'elle pouvait avoir un jour, la cour n'en savait pas assez pour voir si loin ; on n'était guère frajjpé que de la har- diesse du moment, du danger de l'exemple, de la néces- siti' de réprimer la liberté de penser; mais, en général, et sauf quelques exceptions, la cour et la grand monde

PHILOSOPHIE ET MORALE. 73

ont toujours cru quo l'ôtat dos choses ils viv.niont (Hait indestructilile, ot colt« sécurité a duré jus(iu a la convo- cation dos états généraux, qui a commencé à faire un peu ouvrir les yeux.

Pour ce qui est de Rousseau, ses ouvrages politiques, et particulièrement le Contrat social, qui est son chef- d'œuvre en ce genre, étaient faits pour peu de lecteurs, et n'inspiraient à la cour aucune alarme. C'était sans nulle comparaison ce qu'on avait écrit de plus fort et de plus hardi sur les principes de l'ordre social et politique, et c'est cela môme qui fit que le gouvernement n'y prit pas garde. On ne regardait cette théorie que comme une spé- culation citîu.se, qui ne pouvait pas avoir plus de consé- quences que l'enthousiasme de liberté et le mépris de la royauté, poussés si loin dans les pièces de Corneille, et applaudis à la cour par le plus absolu des rois, Louis XIV. Tout cela paraissait être d'un autre monde et sans nul rapport avec le nôtre! Les gens bien instruite peuvent se souvenir que, quand le Contrat social parut, il fit très-peu (l(> sensation et n'attira nullement les regards de ce même gouvernement qui fit tant de bruit pour r/im»7e; c'est que V Emile, qui avait l'intérêt et le charme d'un roman, fut dévoré à la première lecture. Les prêtres, attaqués dans la Confession du vicaire savoyard ; jetèrent les hauts cris ; le parlement, qui poursuivait alors les jésuites, crut de sa politiqui' de ne pas paraître moins vif que le cierge sur les intérêts de la religion, et le ministère laissa le parlement sévir contre l'auteur qui avait eu l'imprudence de mettre son nom à la tète de l'ouvrage, et c'était ce qu'on lui reprochait le plus. La cour d'ailleurs, et le duc de Choiseul tout le premier, se souciait fort peu de la personne et des écrits de Rousseau, pauvre, retiré, sans

toui"s, sans crédit, et affectait de ne voir en lui qu'une

I

74 JfcAXîAlES ET PENSEES.

tête à paradoxes, une espèce de fou qui avait du talent. Les femmes, qui donnaient le ton, et les jeunes gens, qui le recevaient d'elles, n'adoraient dans Rousseau que l'au- teur des lettres passionnées de Julie et de Saint-Preux. Le philosophe, le législateur, n'était connu que d'un petit nombre de penseurs; et il est très-vrai qu'il fallait la Ré- volution pour que, sous ce point de vue, il lût bien apprécié. Il n'a pas le plus contribué à la faire; mais nul n'en a autant profité quand elle a été faite; alors il s'est trouvé le premier architecte de l'édifice à bâtir, alors ses ouvrages ont été le bréviaire à l'usage de tout le monde, parce qu'il était plus connu et infiniment plus éloquent que les écrivains étrangers qui lui avaient servi de mo^ dèles et de guides. En deux mots. Voltaire surtout a fait la Révolution, parce qu'il a écrit pour tous; Rousseau sur- tout a fait la Constitution, parce qu'il a écrit pour les penseurs.

SIR L'HOMME ET LA SOCIÉTÉ.

I. Les corps (parlements, académies, assemblées) ont beau se dégrader, ils se soutiennent par leur masse, et on ne peut rien contre eux. Le déshonneur, le ridicule glissent sur eux, comme les balles de fusil sur un san- glier, sur un crocodile.

II. Qu'imjwrte de paraître avoir moins de faiblesses qu'un autre, et donner aux hommes moins de prises sur vous? Il suffit qu'il y en ait une, et qu'elle soit comme. 11 faudrait être un Achille sans talon, et c'est ce qui mo parait inqwssible.

m. Si l'on avait dit à Adam, le lendemain de la

SUR L'HOMME ET LA SOCIÉTÉ. 75

mort d'AI)oI, quo, diins ([iiclcuios siôclcs, il y aurait des endroits où, dans l'enceinte de quatre lieues carrées, se trouveraient réunis et amoncelés sept ou huit cent mille hommes, aurail-il cru que ces multitudes pussent jamais vivre ensemble? ne se serait-il pas fait une idée encore plus affreuse de ce qui s'y commet de crimes et de monstruosités? C'est la réflexion qu'il faut faire pour se consoler des abus attachés à ces étonnantes réunions d'hommes.

IV. Les Anglais sont le seul peu[»le qui ait trouvé le moyen de limiter la puissance d'un homme dont la liiîure est sur un |)etit écu.

V. Au lieu do vouloir corriger les hommes do cer- tains travers insupportables à la société, il aurait fallu corriger la faiblesse de ceux qui les soufi'rent,

VI. Il n'y a pas d'homme qui puisse être, à lui tout x'id, aussi méprisable qu'un corps. Il n'y a point de corps qui puisse être aussi méprisable que le public.

vu. La société est composée do deux grandes classes : ceux qui ont plus de dîners que d'appétit, et ceux qui ont plus d'appétit que de dîners.

vin. Les gens qui croient aimer un prince, dans l'in- stant où ils viennent d'en être bien traités, me rappel- lent les enfants qui veulent être prêtres le lendemain d'une belle procession, ou soldats le lendemain d'une revue à laquelle ils ont assisté.

IX. En parcourant les mémoires et monuments du siècle de Louis XIV, on trouve, même dans la mauvaise compagnie de ce temps-là, cpuMque chose (pii manque à la bonne d'aujourd'hui.

X. Cet homme n'est pas propn; à avoir jamais de la considération : il faut qu'il fasse fortune, et vive avec de la canaille.

76 MAXIMES ET PENSÉES.

XI. Les conversations ressemblent aux voyages qu'on fait sur l'eau : on s'écarte de la terre sans presque le sen- tir, et l'on ne s'aperçoit qu'on a quitté le bord que quand on est déjà bien loin.

XII. Voulez-vous voir à quel point chaque état de la société corrompt les hommes? Examinez ce qu'ils sont quand ils en ont éprouvé plus longtemps l'influence , c'est-à-dire dans la vieillesse. Yoyez ce que c'est qu'un vieux courtisan, un vieux prêtre, un vieux juge, un vieux procureur, un vieux chirurgien, etc.

xm. Les hommes qu'on ne connaît qu'à moitié, on ne les connaît pas; les choses qu'on ne sait qu'aux trois quarts, on ne les sait pas du tout. Ces deux réflexions suffisent pour faire apprécier presque tous les discours qui se tiennent dans le monde.

XIV. Il y a de certains hommes dont la vertu brille davantage dans la condition privée qu'elle ne le ferait dans une fonction publique. Le cadre les déparerait. Plus un diamant est beau, plus il faut que la monture soit légère. Plus le chaton est riche, moins le diamant est en évidence.

XV. Une des raisons pour lesquelles les corps et les assemblées ne peuvent guère faire autre chose que des sottises, c'est que, dans une délibération publique, la meilleure chose qu'il y ait à dire pour ou contre l'affaire ou la personne dont il s'agit ne peut presque jamais se dire tout haut sans de grands dangers ou d'extrêmes in- convénients.

XVI. Le public ne croit point à la pureté de certains sentiments et de certaines vertus ; et, en général, le public ne peut guère s'élever qu'à des idées basses.

XVII. Le malheur de l'humanité, considérée dans l'é- tat social, c'est que, quoiqu'on morale et en politique on puisse donner comme définition que le mal est ce qui nuit,

SUR L'HOMME ET LA SOCIÉTÉ. 77

on ne peut pas dire que le bien est ce qui sert, car ce qui sert un moment |>out niliro lonj^tompsou toujours.

xviiî. Les naturalistes disent que , dans toutes les espèces animales, la dépénération commence par les fe- melles. Les |>liilosophes peuvent appliquer au moral cette observation, dans la société civilisée.

MX. Kn France, on laisse en repos ceux qui mettent le feu, et on persécute ceux qui sonnent le tocsin.

XX. Les fripons ont toujours un peu besoin de leur honneur, à jx^u près comme les espions de |)olice, qui sont payés moins cher quand ils voient moins bonne com- pagnie.

XXI. Les gens faibles sont les troupes légères do l'ar- mée des méchants. Ils font plus de mal que l'armée même : ils infestent et ils ravagent.

XXII. Il n'est pas rare de voir des âmes faibles qui, parla fréquentation avec des âmes d'une tremjie plus vi- goureuse, veulent s'élever au-dessus de leur caractère. Cela produit des dispiirates aussi plaisantes que les pré- tentions d'un sot à l'esprit.

xxm. Dans les grandes choses, les hommes so mon- trent comme il leur convient de se montrer; dans les petites, ils so montrent comme ils sont.

XX IV. En voyant ce qui se passe dans le monde, l'homme le plus misanthrope finirait par s'égayer, et Heraclite par mourir de rire.

XXV. Il fiiut convenir qu'il est impossible de vivre dans le monde sans jouer de temps en temps la comé- die. Ce qui distingue riionnète homme du fripon, c'est de ne la jouer que dans les cas forcés et pour échap- per au i)éril ; au lieu que l'autre va au-devant dos occa- sions.

XXVI. M..., pour i)eindre d'un seul mot la rareté des

78 MAXIMES ET P ENSÉES.

honnêtes gens, médisait que, dans la société, l'honnête homme est une variété de l'espèce humaine.

xxvii. L'importance sans mérite obtient des égards sans estime.

xxviii. Quand les sots sortent de place, soit qu'ils aient été ministres ou premiers commis , ils conservent une morgue ou une importance ridicule.

XXIX. La plupart des institutions sociales paraissent avoir pour objet de maintenir l'homme dans une médio- crité d'idées et de sentiments qui le rendent plus propre à gouverner et à être gouverné.

XXX. C'est une chose remarquable que la multitude des étiquettes dans une nation aussi vive et aussi gaie que la nôtre. On peut s'étonner aussi de l'esprit pédan- tesque et de la gra^'ité des corps et des compagnies ; il semble que le législateur ait cherché à mettre un contre- poids qui arrêtât la légèreté du Français.

XXXI. En France, il n'y a plus de public ni de nation, par la raison que de la charpie n'est pas du linge.

xxxa. M..., m'ayant développé ses principes sur la société , sur le gouvernement , sa manière de voir les hommes et les choses, qui me sembla triste et affligeante, je lui en fis la remarque, et j'ajoutai qu'il devait être malheureux. Il me répondit qu'en effet il l'avait été assez longtemps, mais que ces mêmes idées n'avaient plus rien d'effrayant pour lui. « Je ressemble , continua-t-il , aux Spartiates, à qui l'on donnait pour lit des joncs épi- neux, dont il ne leur était permis de briser les épines (ju'avec leur corps, opération après laquelle leur lit leur paraissait, très-support<ible. »

xxxiii. Les magistrats chargés de veiller sur l'ordre public, tels que le lieutenant criminel, le lieutenant civil, le lieutenant de police, et tant d'autres, finissent presque

SUR L'HOMME ET LA SO€NÈTÉ. X9

toujours par avoir uno opinion horrible do la société. lis croient connaîtro les Iiommes et n'en connaissent que lo rebut. On ne juj^e [ws d'une ville par ses égouts. La [)lu- part de ces mai^istrats me rappellent toujours le collège, les correcteurs ont une cal)ane auprès des couiniodités, et n'en sortent (pie ])our donner le fouet.

XXXIV. Chaque siècle emprunte sa force et son carac- tère d'un petit nombre d'hommes que l'on peut appeler les maîtres du genre humain, et qui n'ont que le géjiie et la pensée pour le gouverner.

XXXV. Il y a dans le monde bien peu de choses sur lesquelles un honnête homme puisse rcposiM- airréable- ment son ûme ou sa pensée.

XXXVI. M..., qui, après avoir connu It^ monde, prit l(^ parti de la solitude, disait, pour ses raisons, qu'après avoir examiné les conventions de la société dans le rap- port qu'il y a de l'homme de <[ualité à l'homme vulgaire, il avait trouvé que c'était un marché d'imbécile et de dupe. « i'ai ressemblé, ajoutait-il, à un grand joueur d'échecs, qui se lasse de jouer avec des gens auxcpiels il faut donner la dame. On joue diviiuMiient, on se casse la tète, et on finit par gagner un petit écu. »

xxxviK Je n'ai vu dans le monde, disiiit M..., que des dîners sans digestion, des soupers sans plaisir, dos conversations sans confiance, des liaisons siins amitié, et des coucheries siuis amour.

xxxviii. Je demandais à M. N... pourquoi il n'allait plus dans le monde. Il me répondit : « C'est que je n'aime plus les femmes, et que je connais les hommes. »

xxxix. M... prétend que le monde le plus choisi est entièrement conforme à la description qui lui fut faite d'un mauvais lieu par une jeune j«'i"sonne (jui y logeait. 11 la rencontre au Vauxhall; il s'approche d'elle, et lui

MAXIMES ET PENSÉES.

demande en quel endroit on pourrait la voir seule pour lui confier quelques petits secrets. « Monsieur, dit- elle, je demeure chez madame... C'est un lieu très-honnête, il ne va que des gens comme il faut, la plupart en carrosse; une porte cochère, un joli salon il y a des glaces et un beau lustre. On y soupe quelquefois et on est servi en vaisselle plate. Comment donc, mademoi- selle I j'ai vécu en bonne compagnie, et je n'ai rien vu de mieux que cela. Ni moi non plus, qui ai pourtant habité presque toutes ces sortes de maisons. » M... re- prenait toutes les circonstances, et faisait voir qu'il n'y en avait pas une qui ne s'appliquât au monde tel qu'il est.

XL. Telle est la misérable condition des hommes, qu'il leur faut chercher, dans la société, des consolations aux maux de la nature; et, dans la nature, des consola- tions aux maux de la société. Combien d'hommes n'ont trouvé, ni dans l'une, ni dans l'autre, des distractions à leurs peines !

XI.I. Le monde et la société ressemblent à une biblio- thèque où , au premier coup d'œil, tout paraît en règle, parce que les livres y sont placés suivant le format et la grandeur des volumes, mais où, dans le fond, tout est en désordre, parce que rien n'y est rangé suivant l'ordre des sciences, des matières ni dos auteurs.

XLii. Les hommes deviennent petits en se rassem- blant : ce sont les diables de Milton, obligés de se rendre pygmées pour entrer dans le Pandémonium.

XLiii. Paris, singulier pays, il faut trente sous pour diner; quatre francs pour prendre l'air; cent louis pour avoit'le superflu dans le nécessaire, et quatre cents louis pour n'avoir que le nécessaire dans le superflu.

XLiv. On pourrait appliquer à la ville de Paris les

Snn X'HOMWE BT LA SOCIÉTÉ. 81

propres termes de sainte Thérèse, pour définir l'enfer : « L'endroit il pue et l'on n'aimè point. »

XLV. Paris, ville d'amusements, de plaisirs, etc., les quatre cinquièmes des habitants meurent de chagrin.

XLvi. On peut considérer l'édifice métaphysique do la société comme un édifice matériel qui serait composé de diiTérentes niches, ou coinpartiments, d'une grandeur plus ou moins considérable. Les places avec leurs |)réro- gatives, leurs droits, etc., forment ces divers compirti- ments, ces différentes niches. Elles sont durables, et les hommes passent. Ceux qui les occu|H'nt sont tantôt grands, tantôt petits, et aucun ou prescpje aucun n'est fait pour sa place. Là, c'est un géant, courl)é ou accroupi dans sa niche ; là, c'est un nain sous une arcade : rare- ment la niche est faite pour la stature. Autour do l'édi- fice circule un foule d'hommes de différentes tailles. Ils attendent tous qu'il y ait une niche de vide, afin de s'y placer, quelle qu'elle soit. Chacun fait valoir ses droits, c'est-à-dire sa naissance, ou ses protections, pour y être admis. On sitllerait celui qui, pour avoir la préférence, ferait valoir la proportion qui existe entre la niche et l'homme, entre l'instrument et létui. Les concurrents même s'abstiennent d'objecter à leur advers;iire cette disproportion.

XLvii. La postérité, disjùt M. de B..., n'est \viA autre chose qu'un public qui succède à un autre : ôr, vous voyez ce que c'est que le public d'à i)résent.

xi.vMi. Les prétentions sont une source de jieines, et l'épivpu' du bonheur de la vie conmience au moment elles finissent. Une femme est-elle encore jolie au mo- ment où sa beauté bais.se, ses prétentions la rendent ou ridicule ou malheureuse : dix ans après, i)lus laide et plus vieille, elle est calme et tranquille. Un homme est

5.

81 MAXIMES ET PENSÉES.

dans l'âge l'on peut réussir et ne pas réussir auprès des femmes; il s'expose à des inconvénients, et même à des affronts : il devient nul ; dès lors, plus d'incertitude, et il est tranquille. En tout, le mal vient de ce que les idées ne sont pas fixes et arrêtées : il vaut mieux être moins et être ce qu'on est incontestablement. L'état des ducs et des pairs, bien constaté, vaut mieux que celui des princes étrangers, qui ont à lutter sans cesse pour la prééminence. Si Chapelain eût pris le parti que lui con- seillait Boileau, parle fameux hémistiche : Que n'écrit -il en prose ?i\ se fût épargné bien des tourments, et se fût peut-être fait un nom autrement que par le ridicule.

XLix. Un homme sage en môme temps qu'honnête se doit à lui-même de joindre, à la pureté qui satisfait sa conscience, la prudence qui devine et prévient la calomnie.

L. Est-il bien sûr qu'un homme qui aurait une raison parfaitement droite, un sens moral parfaitement exquis, pût vivre avec quelqu'un? Par vivre, je n'entends pas se trouver ensemble sans se battre : j'entends se plaire en- semble, s'aimer, commercer avec plaisir.

Li. Je demandais à M... pourquoi aucun des ])iai- sirs ne paraissait avoir prise sur lui ; il me répondit : « Ce n'est pas que j'y sois insensible ; mais il n'y en pas un qui ne m'ait paru surpayé. La gloire expose à la ca- lomnie ; la considération demande des soins continuels; les plaisirs, du mouvement, de la fatigue corporelle. Iâi so- ciété entraîne mille inconvénients : tout est vu, revu et jugé. Le monde ne m'a rien offert de tel qu'en descendant en moi-même je n'aie trouvé encore mieux chez moi. Il est résulté de ces expériences réitérées cent foia, que, sans être apathique ni indifférent, je suis devenu comme immobile, et que ma position actuelle me paraît toujours la meilleure, parce que sa bonté même résulte de son im-

»DR L'HOMME ET LA.T SOCIÉTÉ. 83

mobilité et s'accroît avec elle. L'amour est une source de peines; la voluplô sans amour est un plaisir do (jucl- ques mmutes; lo mariage est jugé encore plus que le reste; l'honneur d'ùlre |)ère amène une suite de calami- tés; tenir maison est le métier d'un aubergiste. Les misé- rables motifs qui font que l'on recherche un homme ou qu'on le considère sont transparents et no peuvent trom- per qu'un sot, ni flatter (pi'un homme ridiculement vain. J'en ai conclu (pie le repos, l'amitié et la pensée étaient Jes seuls biens qui convinssent à un homme (pii a passé l'âge 4e la folie. »

LU. Avoir ou n'avoir point de repulatioii est une chose bien indifférente ; mais en avoir une mauvaise est un malheur ([u'il faut tâcher d'éviter.

LUI. 11 y a ({ueUpiefois entre deux hommes de fausses ressemblances de caractère qui les ra[)prochenl et (jui les unissent pour quelque temps. Mais la méprise cesse [«r degrés, et ils sont tout étonnés de se trouver très-écartés l'un de l'autre, et repoussés, on quelque sorte, par tous leui-s points de contact.

Liv. Dans l'ordre naturel , comme dans l'ordre social, il ne faut pas vouloir être plus qu'on ne peut.

Lv- L'intervalle qui sépare la destruction d'un ridi- cule de la naissance des autres est le prix de la victoire qu'on remporte sur eux.

Lvi. La société n'est pas, comme on lo croit d'ordi- naire, le développement do la nature, mais bien sa déconi- l>osrtion et sa refonte entière. C'est un second édifice, bâti avec les décomi)res du premier. On en retrouve les dé- bris avec un {)laisir mêlé de surprise. (Vest celui (pi"oc- casionne l'expression naïve d'un sentiment naturel (pii échappe dans la société ; il arrive même ({d'il i)lait da- vantage, si la iK'rsonne à kuiuelle il échappe est dun

MAXIMES ET PENSEES.

rang plus élevé, c'est-à-dire plus loin de la nature. Il charme dans un roi , parce qu'un roi est dans l'extrémité opposée. C'est un débris d'ancienne architecture dorique ou corinthienne, dans un édifice grossier et moderne.

Lvii. On ne peut vivre dans la société après l'âge des passions. Elle n'est tolérable que dans l'époque l'on se sert de son estomac pour s'amuser, et de sa personne pour tuer le temps.

Lviii. Qu'est-ce que la société, quand la raison n'en forme pas les nœuds, quand le sentiment n'y jette pas d'intérêt, quand elle n'est pas un échange de pensées agréables et de vraie bienveillance? Une foire, un tripot, une auberge, un bois, un mauvais lieu et des petites- maisons : c'est tout ce qu'elle est tour à tour pour la plupart de ceux qui la composent.

Lix. En général , si la société n'était pas une compo- sition factice, tout sentiment simple et vrai ne produirait pas le grand effet qu'il produit : il plairait sans étonner ; mais il étonne et il plaît. Notre surprise est la satire de la société, et notre plaisir est un hommage à la nature.

LX. L'homme qui se rend aimable pour une société, parce qu'il s'y plaît, est le seul qui joue le rôle d'un honnête homme.

LXi. Ce qui se dit dans les cercles, dans les salons, dans les soupers, dans les assemblées publiques, dans les livres, même ceux qui ont pour objet de faire connaître la société, tout cela est faux ou insuffisant. On peut dire sur cela le mot italien per la predica, ou le mot latin ad popu- luin phaleras. Ce qui est vrai, ce (|ui est instructif, c'est ce que la conscience d'un honnête homme, qui a beau- coup vu et bien vu, dit à son ami au coin du feu : (piel- ques-unes de ces conversations-là m'ont plus instruit que tous les livres et le commerce ordinaire de la société.

SUR L'HOMME ET LA SOCIÉTÉ. 85

C'est qu'pllos me mettaient mieux sur In voie, et me fai- saient réfléchir davantage.

LXii. M... (lisait (lu'iin esprit Siige, pénétrant et qui verrait la société telle qu'elle est, ne trouverait |)artoiit que de l'amertunie. Il faut absolument dirijs'er s<i vue vers le côté plaisant, et s'accoutumer à ne regarder l'homme que comme un fwntin, et la société comme la planche sur laquelle il saute. Dès lors, tout change; l'esprit des dif- férents états, la vanité particulière à chacun d'eux, ses difTérenles nuances dans les individus, les friponneries, etc., tout devient divertissiuit, et on conserve sa santé.

Lxm. Il ne faut pas ne siivoir vivre qu'avec ceux qui peuvent nous apprécier : ce serait le besoin d'un amour- propre trop délicat et trop difficile à contenter; mais il faut no placer le fond de sii vie habituelle qu'avec ceux qid peuvent sentir ce que nous valons. Le philosophe même ne blâme point ce genre d'amour-propre.

lAiv. Un sot qui a un moment d'esprit étonne et scan- dalise, comme des chevaux de fiacre au galop.

L\v. Pourquoi les hommes sont-ils si sots, si subju- gués par la coutume ou \m\v la crainte do faire un testa- ment; en un mot, si imbéciles, qu'après eux ils laissent aller leurs biens à ceux qui rient de leur mort plutôt qu'à ceux qui la pleurent ?

Lxvi. Les gens sages, quand ils font une sottise, re- mettent la sagesse à une autre fois.

lAvii. Des qviaiités trop supérieures rendent souvent un hoiuuu^ moins propre à la société. Ou ne va |>as au niarclie avec des lingots; on y va avec de l'argent ou de la petite monnaie.

Lxviii. C'est un grand malheur de peixlrej par notre caractère, les droits que nos talents nous donnent sur Ja société.

Maximes et pensées.

Lxix. Il faut recommencer la société humaine, comme Bacon disait qu'il faut recommencer l'entendement hu- main.

Lxx. Les coutumes les plus absurdes, les étiquettes les plus ridicules, sont, en France et ailleurs, sous la protec- tion de ce mot : C'est l'usage. C'est précisément ce môme mot que répondent les Hottentots, quand les Européens leur demandent pourquoi ils mangent des sauterelles, pourquoi ils dévorent la vermine dont ils sont couverts. Ils disent aussi : « C'est l'usage. »

Lxxt. Celui qui ne sait point recourir à propos à la plaisanterie, et qui manque de souplesse dans l'esprit se trouve très -souvent placé entre la nécessité d'être faux ou d'être pédant : alternative fâcheuse à laquelle un hon- nête homme se soustrait, pour l'ordinaire, par de la grâce et de la gaieté.

Lxxii. Il en est de la valeur des hommes comme de celle des diamants, qui, à une certaine mesure de gros- seur, de pureté , de perfection , ont un prix fixe et mar- qué , mais qui, par delà cette mesure, restent sans prix et ne trouvent point jd'acheteurs.

Lxxiii. Yain veut dire vide ; ainsi la vanité est si mi- séi-able, qu'on ne peut guère lui dire pis que son nom. Elle se donne elle-même pour ce qu'elle est.

Lxxiv. Un seul homme peut quelquefois avoir raison contre tous les peuples et contre tous les siècles.

Lxxv. L'homme vit souvent avec lui-même, et il a besoin de vertu; il vit avec les autres, et il a besoin d'honneur.

Lxxvr. Il ne faut pas regarder Burrhus comme un homme ver4^ueux absolument. Il ne l'est qu'en opposition avec Narcisse. Sénèque et Burrhus sont les honnêtes gens d'un siècle n'y en avait pas.

SUR LIIOMMB ET LA SOCIETE. 87

Lxwii. La Franco, pays il est souvent util» de montrer ses vices, et toujours dangereux de montrer ses vertus.

Lxxvm. « N'as-tu pas honte de vouloir juirler mieux que tu ne peux? » disiiit Sénèqué à l'un de ses fils, qui ne pouvait trouver l'exorde d'une harangue qu'il avait commencée. On {)0uri"ait dire de même à ceux qui adop- tent dos principes plus forts (jue leur caractère : « N'as-tu pas de honte de vouloir être philosophe plus que tu no peux. »

Lxxix. En voyant quelquefois les friponneries des petits et les brigandages des hommes en place, on esl tenté de regarder la société comme un l)ois rempli do voleurs , dont les i)lus dangereux sont les archers prépo- sés pour arrêter les autres.

SUR L.\ POLITIQUI';

LE DESPOTISME ET 1-A LIBEUTI?.

I. Le caractère naturel du Français est comiwsé des quaUtés du singe (»t du chien couchant. Drôle et gam- badant comme le singe, et dans le fond très-malfaisant comme lui ; il est, comme le chien «le chasse, bas, caressant, léchant son maître qui le frappe, se laissant mettre à la chaîne, puis bondissant do joie quand on le délie pour aller la chasse.

II. Le bonheur des grands et des riches dépend presfjue toujoui"s d'eux-mêmes. Celui de la multitude dépend de ceux qui la gouvernent ; dans cette classe d'hommes le bonheur consiste surtout à ne |»as souffrir.

m. 11 y a des choses indevinables \)o\ir un jeune

MAXIMES ET PENSEES.

homme bien né. Comment se défierait-on, à vingt ans , d'un espion de police qui a le cordon rouge ?

IV. L'assemblée nationale de 1789 a donné au peuple français une constitution plus forte que lui. II faut qu'elle se hâte d'élever la nation à cette hauteur par une bonne éducation publique. Les législateurs doivent faire comme ces médecins habiles qui , traitant un ma- lade épuisé, font passer les restaurants à l'aide des sto- machiques.

V. Les théologiens, toujours fidèles au projet d'aveu- gler les homrpes; les suppôts des gouvernements, tou- jours fidèles à celui de les opprimer, supposent gratuite- ment que la grande majorité des hommes est condamnée à la stupidité qu'entraînent les travaux mécaniques et manuels ; ils supposent que les artisans ne peuvent s'éle- ver aux connaissances nécessaires pour faire valoir les droits d'hommes et de citoyens. Ne dirait-on pas que ces connaissances sont bien compliquées? Supposez qu'on eût employé, pour éclairer les dernières classes, le quart du temps et des soins qu'on a mis à les abrutir; suppo- sez qu'au lieu de mettre dans leurs mains un catéchisme de métaphysique absurde et inintelligible, on en eût fait un qui eût contenu les premiers principes des droits des hommes et de leurs devoirs fondés sur leurs droits, on serait étonné du terme ils seraient parvenus en suivant cette route, tracée dans un bon ouvrage élémentaire. Sup- posez qu'au lieu de leur prêcher cette doctrine de pa- tience, de souffrance, d'abnégation de soi-même et d'avi- lissement, si commode aux usurpateurs, on leur eût prêché celle de connaître leurs droits et le devoir de les défendre : on eût vu que la nature, qui a formé les hommes ]>our la société, leur a donné tout le bon sens nécessaire j)our former une société raisonnable.

SUR LA POLITIQUE. 89

VI. Presque toute l'histoire n'est qu'une suite dlhor- reurs. Si les tyrans la détestent tandis qu'ils vivent, il semble (juc leurs successeurs soutirent qu'on transmette à la postérité les crimes de leurs devanciers, pour faire diversion k l'horreur qu'ils inspirent eux-mêmes. En effet, il ne reste guère, pour consoler les peuples, que de leur apprendre que leurs ancêtres ont été aussi malheureux, ou plus malheureux.

vil. Moi, tout; le reste, rien : voilà le despotisme, l'aristocratie et leurs partisans. Moi, c'est un autre ; un autre, c'est moi : voilà le régime populaire et ses parti- sans. Après cela, décidez.

viii. N'est-ce pas une merveille que la société sub- siste avec la convention tacite d'exclure du partage do ses droits les dix-neuf vingtièmes de la société ?

IX. Trois puissances gouvernent les hommes : le fer, l'or et l'opinion; et, quand le despotisme a lui-même détruit cette dernière, il ne tarde pas à perdre les deux autres.

X. Il est malheureux pour les hommes, heureux peut- être pour les tyrans, que les pauvres, les malheureux, n'aient pas l'instinct ou la fierté de l'éléphant, qui ne se re|)roduit point dans la servitude.

XI. La force pourra-t-elle, armée de la verge du despotisme, rétablir l'iiannonie [wlitique, et changer l'es- prit général d'un peuple ? L'histoire attesta» partout l'in- sufiisance de ce moyen. Non : il n'y a que le génie qui puisse, sans convulsion, sans douleur, rapprocher, réunir les membres séparés du corps politique.

XII. On [xnit dire qu'il n'y eut plus de gouverne- ment civil à Rome apn>s la mort de Tibérius Gracchus; et Scipion Nasica, en parlant du sénat jK)ur employer la violence contre-le tribun, apprit aux Romains que la force

MAXIMES ET PENSÉES.

seule donnerait des lois dans le forum. C'est lui qui avait révélé avant Sylla ce mystère funeste.

XHi. La vraie Turquie d'Europe, c'était la Franco. On trouve dans vingt écrivains anglais : Les pays despo- tiques, tels que la France et la Turquie.

XIV. Un homme d'esprit me disait un jour que le gouvernement de Franco était une monarchie absolue, tempérée par des chansons.

XV. Il n'y a d'histoire digne d'attention que celle des peuples libres : l'histoire des peuples soumis au des- potisme n'est qu'un recueil d'anecdotes.

XVI. C'est une maxime répandue et accréditée par les oppresseurs de toute espèce que les nations vieilles et corrompues ne peuvent revenir à la liberté; qu'elle n'est faite que pour les nations neuves et vierges; et comme la nôtre n'est ni neuve ni vierge, ils en concluaient (pie nous étions des insensés de vouloir être libres. Ainsi le prix des soins qu'avait pris le despotisme de corrompre les mœurs devait être la perpétuité du despotisme. Cet argument ne laissait pas que d'ébranler d'assez bons esprits : heureusement, il s'en est trouvé de meilleurs. Ceux-ci ont dit aux nations que les lumières pouvaient leur tenir lieu de virginité ; que si au courage de con- quérir la liberté elles joignaient les lumières requises pour créer un ordre social qui fît naître et encourageât les vertus et non pas les vices, elles arriveraient, vierges ou non , au but de toute société [)olitique , le bonheur de tous ou du moins de l'immense majorité.

XVII. L'Amérique septentrionale est l'endroit de l'uni- vers oti les droits de l'homme sont le mieux conous. Les Américains sont les dignes descendants de ces fameux républicains qui se sont expatriés pour fuir la tyrannie. C'est que se sont formés des hommes dignes de corn-

SUR LA POLITIQUE.

battre ot de vaincre les Anglais mèines, à l'époque ceux-ci avaient recouvré leur liberté, et étaient parvenus à se former le plus beau gouvernement qui fut jamais. La révolution de l'Amérique sera utile à l'Angleterre même, en lu forçant à faire un examen nouveau de sa constitution et à en bannir les abus. Ou'arrivera-t-il? Les Anglais, chassés du continent de l'Américpie septen- trionale , se jetteront sur les îles et sur les possessions françaises et espagnoles, leur donneront leur gouverne- ment qui est fondé sur l'amour naturel que les hommes ont pour la liberté, et (pii augmente cet amour même. Il se formera dans ces îles espagnoles ou fi-ançaises, et sur- tout dans le continent de l'Amérique espagnole, alors devenue anglaise ; il se formera de nouvelles constitutions dont la liberté sera le principe et la base. Ainsi les An- glais auront eu la gloire unique d'avoir formé presque les seuls peuples libres de l'univers, les seuls, ii proprement l)arler, dignes du nom d'hommes , puisqu'ils seront les seuls qui aient su connaître et conserver les droits des hommes. Mais combien d'années ne faut-il pas pour opé- rer cette révolution ! Il faut avoir purgé de Français et d'Espagnols ces terres immenses, il ne pourrait se former que des eschues, y avoir trans[)lanté des Anglais, pour y porter les premiers germes de la liberté. Ces germes se développeront, et, produisait des fruits nou- veaux , opéreront la révolution qui chassera les Anglais eux'-mémes des deux Amériques et de toutes les îles.

xviii. On ne cesse d'écrire sur l'éducation, et les ou- vrages écrits sur cette matière ont produit «pieUpu's idées heureuses, quelques méthodes utiles, ont foit, en un mot, quelque bien partiel. Mais quelle peut ôtre, en grand, l'utilité de ces écrits, tant qu'on ne fera pas marcher de front les réformes relatives ii la législation, à la religion,

MAXIMES ET PENSEES.

à l'opinion publique? L'éducation n'ayant d'autre objet que de conformer la raison de l'enfance à la raison pu- blique relativement à ces trois objets, quelle instruction donner tant que ces trois objets se combattent ? En for- mant la raison de l'enfance, que faites-vous que de la pré- parer à voir plus tôt l'absurdité des opinions et des mœurs consacrées par le sceau de l'autorité sacrée, publique ou législative; par conséquent, à lui en inspirer le mépris?

XIX. L'Anglais respecte la loi et repousse ou méprise l'autorité. Le Français, au contraire, respecte l'autorité et méprise la loi. Il faut lui enseigner à faire le contraire; et peut-être la chose est-elle impossible, vu l'ignorance dans laquelle on tient la nation, ignorance qu'il ne faut pas contester en jugeant d'après les lumières répandues dans les capitales.

XX. L'égoïsme le plus complet, arm^ du despotisme le plus absolu, c'est Louis XIV et son règne.

XXI. Qu'importe qu'il y ait sur le trône un Tibère ou un Titus, s'il a des Séjan pour ministres?

XXII. Les ministres ne sont que des gens d'affaires, et ne sont si importants que parce que la terre du gen- tilhomme leur maître est très-considérable.

xxin. Pourquoi arrive-t-il qu'en France un ministre reste placé après cent mauvaises opérations, et pourquoi est-il chassé pour la seule l)onne qu'il ait faite ?

XXIV. Un ministre, en faisant faire à ses maîtres des fautes et des sottises nuisibles au public, ne fait souvent- que s'affermir dans sa place : on dirait qu'il se lie davan- tage avec eux par les liens de cette espèce de complicité.

XXV. Lorsque l'on considère que le produit du travail et des lumières de trente ou quarante siècles a été de livrer trois cent millions d'hommes répandus sur le globe à une trentaine de despotes, la plupart ignorants et im-

SUR LA POLITÎQnE. 93

béciles, dont chacun est gouverné par trois ou quatre scélérats, quelquefois stupidos, que penser de l'humanité, et qu'attendre d'elle à l'avenir?

XXVI. Un citoyen de Virginie, possesseur de cinquante acres de terre fertile, paye quarante-deux sous de notre monnaie pour jouir en paix, sous des lois justes et dou- ces, de la protection du gouvernement, de la sûreté de sa personne et de sa propriété, de la liberté civile et re- ligieuse, du droit de voter aux élections, d'être membre du congrès, et, par conséquent législateur, etc. Tel paysan français, de l'Auvergne ou du Limousin, est écrasé de tailles, de vingtièmes, de corvées de toute espèce, pour être insulté par le caprice d'un subdélégué, emprisonné arbitrairement, etc., et transmettre Ji une famille dépouil- lée cet hérit<ige d'infortune et d'avilissement.

xxvn. Tout ce (|ui sort de la classe du peuple s'arme contre lui {)Our l'opprimer, depuis le milicien, le négociant devenu secrétaire du roi, le prédicateur sorti d'un village pour prêcher la soumission au pouvoir arbitraire, l'histo- riographe fils d'un bourgeois, etc. Ce sont les soldats do Cadmus : les premiers armés se tournent contre leurs frères, et se précipitent sur eux.

xxvm. Diminuez les maux du peuple, vous diminuez sa férocité; comme vous guérissez ses maladies avec du bouillon.

XXIX. Les pauvres sont les nègres de l'Europe.

XXX. C'est ime vérité incontestable qu'il y a en France sept millions dhommes qui demandent l'aumône ; et douze millions hors d'état de la leur faire.

XXXI. Le peuple seul dispose des surnoms donnés aux rois; lui seul fait leur renommée après leur mort, comme il fait leur puissance dans leur vie.

XXXII. Dans l'ancien régime, un philosophe écrivait

î»4 MAXIMES ET PENSÉES.

des vérités hardies. Ua de ces hommes que la naissance ou des circonstances favorables appelaient aux places, lisait ces vérités, les affaiblissait, les modifiait, en pre- nait un vingtième, passait pour un homme inquiétant, mais pour un homme d'esprit. Il tempérait son zèle et parvenait à tout : le philosophe était mis à la Bastille. Dans le régime nouveau, c'est le philosophe qui parvient à tout; ses idées lui servent, non plus à se faire enfer- mer, non plus à déboucher l'esprit d'un sot, à le placer, mais à parvenir lui-même aux places. Jugez comme la foule de ceux qu'il écarte peut s'accoutumer à ce nouvel ordre de choses !

XXXIII. En voyant le grand nombre des députés à l'as- semblée nationale de 1789, et tous les préjugés dont ils étaient remplis, on eût dit qu'ils ne les avaient détruits que pour les prendre ; comme ces gens qui abattent un édifice pour s'approprier les décombres.

xxxiv. Le public est gouverné comme il raisonne. Son droit est de dire des sottises, comme celui des ministres est d'en faire.

XXXV. Le régent prit plus d'une fois le parti du peu- ple contre ses ministres et ses confidents les plus intimes. Qu'on juge de leur surprise, lorsqu'au moment d'un tu- multe populaire, à la veille de la banqueroute de Law, il repoussa le conseil violent de réprimer la sédition par la force militaire : « Le peuple a raison dit le prince s'il se soulève : il est bien bon de souffrir tant de choses. » U ajouta que, s'il était dans la classe du peuple, il eût voulu se distinguer en prenant la défense des Français outragés par le gouvernement, mais que, dans la sienne, en cas de révolte ou de guerre civile, il se mettrait à la t6te du peuple contre ses ministres, si le peuple l'exigeait, pour sauver le roi.

SUP LA POtïTIODE. 95

\\\\i. Dans l'insUinl Hieii créa le monde, le rtiou- vcnu'nl <lii chaos dut faire Irouver le chaos JjIus désor- donné (|iie h)rs(|u"il reposai! dans un désordre paisible. C'est ainsi que, chez nons, l'embarras d'une société qui so réorganise doit paraître l'excès du désordre.

xxxvn. Si un historien, tel que Tacite, eût. écrit l'his- toire de nos meilleurs rois, en faisant un relevé exact de tous les actes tyrannicjues, de tous les abus d'autorité, dont la plupart sont ensevelis dans l'obscurité la plus ])rofonde, il y a peu de règnes qui nous inspirassent la même horreur qiie celui de Tibère.

xxxvni. De mille traits que j'ai entendu raconter, je conclurais que, si les singes avaient le talent dos j>erro- (|uets, on en ferait volontiers des ministres.

xxxix. Quand il se fait quehpie sottise ])ublique, je songe à un petit nombre d'étrangei-s qui peuvent se trouver à Paris, et je suis prêt à m'afiliger, car j'aime toujours ma jxitrie.

xt,. Les rois et les prêtres, en proscrivant la doc- trine du suici<lp, ont voulu assurer la durée de notre esclavage. Ils veulent nous tenir enfermés dans un ca- chot sans issue : semblables à ce scélérat qui, dans Fe Hante, fait murer la porte de la prison était enfermé le malheureux Ugolin.

xi,i. On suppose que le comte d'Artois a dit à un notable dont l'avis avait été favorable au peuple : « Est- ce que vous voulez nous enroturer? w Je ne crois i>oint ce mot ; mais, sll a été dit, le notable pouvait ré|K)ndn^ : « Non, monseigneur; mais je veux anoblir les Français, en leur doimant une patrie. On ne peut anoblir les Bour- bons, mais on peut encore les illustrer, en leur doimaut pour sujets des citoyens; et c'est ce qui leur a toujours manqué, k

96 MAXIMES ET PENSEES.

XLii. Ce qui fait l'intérêt secret qui attache si fort à la lecture de Tacite, c'est le contraste continuel et tou- jours nouveau de l'ancienne liberté républicaine avec les vils esclaves que peint l'auteur; c'est la comparaison des anciens Scaurus, Scipion, etc., avec les lâchetés de leurs descendants; en un mot, ce qui contribue à l'effet de Tacite, c'est Tite-Live.

XLiii. On gouverne les hommes avec la tête : on ne joue pas aux échecs avec un bon cœur.

XLiv. M. de Fleuri, procureur général, disait de- vant quelques gens de lettres : « 11 n'y a que depuis ces derniers temps que j'entends parler du peuple dans les conversations . il s'agit du gouvernement. C'est un fruit de la philosophie nouvelle. Est-ce que l'on ignore que le tiers n'est qu'adventice dans la constitution ? « ( Cela veut dire, en d'autres termes, que vingt-trois millions neuf cent mille hommes ne sont qu'un hasard et qu'un accessoire dans la totalité de vingt- quatre millions d'hommes.)

XLV. La prétention la plus inique et la plus absurde en matière d'intérêt, qui serait condamnée avec mé- pris, comme insoutenable, dans une société d'honnêtes gens choisis pour arbitres, faites-en la matière d'un pro- cès en justice réglée : tout procès peut se perdre ou se gagner, et il n'y a pas plus à parier pour que contre. De même, toute opinion, toute assertion , quelque^ ridicule qu'elle soit, faites-en la matière d'un débat entre des partis différents : dans un corps, dans une assemblée, elle peut emporter la pluralité des suffrages.

SUR LA NOBLESSE.

SUR LA NOBLESSE

LES GRANDS, LKS niCIIES ET LES GENS DU MONDE.

I. L'aisance du pauvre fait partie de l'opulence du riche.

II. Un philosophe disait : « Je ne sais pas comment un Français qui a été une fois dans l'antichambre du roi, ou dans l'Œil-de-bœuf, peut dire de qui que ce puisse être : « C'est un grand seigneur. »

iir. Quand on veut pUiire dans le monde, il faut se résoudre à se hiisser a[)prendre beaucoup de choses qu'on sait par des gens qui les ignorent.

IV. Nous naissons les sujets du grand homme : c'est dans nos cœurs qu'il prend les titres de sa puis- sance.

V. On a, dans le monde, ôté des mauvaises mœurs tout ce qui choque le bon goût : c'est une réforme qui date des dix dernières années. »

VI. Vous rencontrez le baron de Bretouil : il vous entretient de ses bonnes fortunes, de ses amours gros- sières, etc. ; il finit pa vous montrer le portrait de la reine au milieu d'une rose garnie de diamants.

On voit, par l'exemple de Breteuil, qu'on peut ballotter dans ses poches les portraits en diamants de douze ou quinze souverains, et n'ôtre qu'un sot.

C'est un sot, c'est un sot, c'est bientôt dit : voilà comme vous êtes extrême en tout. A quoi cela se réduit-il? Il prend sa place pour sa personne, son importance pour du mérite, ef son crédit pour une vertu. Tout le monde n'est- ii pas comme cela? V a-t-il de quoi tant crier?

vu. Qu'est-ce qu'un cardinal? C'est un prêtre ha-

6

MAXIMES ET PENSEES.

bille de rouge, qui a cent mille écus du roi, pour se rTio- quer de lui au nom du pape.

VIII. Célébrité : l'avantage d'être connu de ceux que vous ne connaissez pas.

IX. La célébrité est le châtiment du mérite et la punition du talent.

X. Il est aisé de réduire à des termes simples la valeur précise de la célébrité : celui qui se fait con- naître par quelque talent ou quelque vertu se dénonce à la bienveillance inactive de quelques honnêtes gens, et à l'active malveillance de tous les hommes malhonnêtes. Comptez les deux classes, et pesez les deux forces.

XI. Quoi! cette mallveureuse manie de célébrité, qui ne fait que des malheureux, trouve encore un par- tisan, un protecteur! Avez -vous oublié qu'elle exige presque autant de misères, de sottises, de bassesses même que la fortune?

XII. Il semble que , d'après les idées reçues dans le monde et la décence sociale, il faut qu'un prêtre, un curé croie un pou pour n'être pas hypocrite, ne soit pas sur de son fait pour n'être pas intolérant. Le grand vicaire peut sourire h un propos contre la religion, l'évoque rire tout à fait, le cardinal y joindre son mot.

XIII. On croit comnmnément que Pierre le Grand se réveilla un jour avec l'idée de tout créer en Russie; M. de Voltaire avoue lui-même que son père Alexi^ forma le dessein d'y transporter les arts. U y a dans tout une maturité qu'il faut attendre. Heureux l'homme qui arrive dans le moment de cette maturité !

XIV. A la cour, tout, est courtisan : le prince du sang, le chapelain de semaine, le chirurgien de quartier, l'apothicaire.

XV. Plusieurs courtisans sont haïs sans profit, et

SOR LA NOBLESSE. «9

pour le plaisir de l'être. Ce sont dos lézards qui, h ram- j»cr, n'ont gagné que do |)Or(lre leur queue,

XVI. Ouo!(|ucs folies qu'aient écrites certains phy- sionoinisles de nos jours, il est certain que l'iiabiUide de nos pensées \)vn[ déterminer ipielcpies traits de notre jihysiononiie. Nombre de courtisans ont l'œil faux, par la même raison que la plupart des tailleurs sont cagneux.

XVII. Les courtisans .sont des pauvres enrichis i)ar la mendicité.

xvin. On donne des repas de dix louis ou de \ingt à des gens en fa\eur de diacun desquels on ne donnerait pas un |)etit écu , i)0ur qu'ils fissent Une bonne digestion de ce même dîner de vingt louis.

XIX. Autrefois le trésor royal s'appelait Xépargne. On a rougi de ce nom, qui semblait une contre-vérité depuis qu'on a prodigué les trésors de l'État, et on l'a tout simplement ai)pelé le trésor royal.

XX. On n'imagine pas combien il faut d'esprit pour n'être jamais ridicule.

XXI. Les courtisans et ceux qui vivaient des abus monstrueux (pii écra.saient la France sont sans cesse à (Vuv qu'on pouvait réformer les abus Siins détruire comme on a détruit, lis auraient bien voulu qu'on nettoyât lé- table d'Augias avec un plumeau.

XXII. Les favoris, les hommes en ]>lace mettent (juel- quefois de l'intérêt à s'attacher des hommes de mérite; mais ils en exigent un avilissement préliminaire qui ri'iwusse loin d'eux tous ceux qui ont quelipie pudeur. J'ai vu des, hommes dont un favori ou un ministre aurait eu bon marché, aussi indignés de cette disposition qu'au- raient i)u l'être des hommes dune vertu parfaite. L'un doux me disiiit : « Los grands veulent qu'on se dégrade, non jK)ur un bienfait, mais jiour une espérance. Ils pré-

100 MAXIMES ET PENSÉES.

tendent vous acheter, non par un lot, mais par un billet de loterie ; et je sais des fripons, en apparence bien trai- tés par eux, qui dans le fait n'en ont pas tiré meilleur parti que ne l'auraient fait les plus honnêtes gens du monde.

xxiii. Si les vérités cruelles , les fâcheuses décou- vertes, les secrets de la société, qui composent la science d'un homme du monde parvenu à l'âge de quarante ans, avaient été connus de ce môme homme à l'âge de vingt, ou il fût tombé dans le désespoir, ou il se serait corrompu par lui-môme, par projet.

xxiv. Qu'est-ce que c'est qu'un fat sans fatuité ? Otez les ailes à un papillon, c'est une chenille.

XXV. Rien de si difficile à fciire tomber qu'une idée triviale ou un proverbe accrédité. Louis XV a fait ban- queroute en détail trois ou quatre fois, et on n'en jure pas moins foi de gentilhomme. Celle de M. Guémenée n'y réussira pas mieux.

XXVI. Les gens du monde ne sont pas plus tôt attrou- pés, qu'ils se croient en société.

xxvn. En voyant ou en éprouvant les peines atta- chées aux sentiments extrêmes, en amour, en amitié, soit par la mort de ce qu'on aime, soit par les accidents de la vie, on est tenté de croire que la dissipation et la fri- volité ne sont pas de si grandes sottises, et que la vie ne vaut guère que ce qu'en font les gens du monde.

xxviii. Les grands seigneurs et les beaux esprits,, deux classes qui se recherchent mutuellement, veulent unir deux espèces d'hommes dont les uns font un peu de poussière et les autres un peu de bruit.

XXIX. C'est une chose avérée qu'au moment M. de Guibert fut nommé gouverneur des Invalides, il se trouva aux Invalides six cents prétendus soldats qui

SUR LA N0BLES8«. 101

n'étaient point blessés et qui, presque tous, n'avaient

jamais assisté à aucun siéj;e, à aucune bataille, niaif' (pii, en récompense, avaient été cochers ou laquais de grands seigneurs ou do gens en place. Quel texte et quelle ma- tière à réflexions I

XXX. On ne se doute pas, au premier coup d'oeil, du mal (pie l'ait l'ambition de mériter cet éloge si com- mun : Monsieur un lel est très-aimable. Il arri\e, je ne sais comment, qu'il y a un genre de facilité, d'insou- ciance, de fiiiblesse, de déraison, qui plait beaucoup, quand ces qualités se trouvent mêlées avec de l'esprit; (pio l'homme dont on fait ce qu'on veut, qui appartient au moment, est plus agréable que celui (pii a de la suite, du caractère, des principes, qui n'oublie pas son ami ma- lade ou absent, qui sait quitter une [«rtie de plaisir j)our lui rendre service, etc. Ce semit une liste ennuyeuse que celle des défauts, des torts et des travers qui plai- sent. Aussi, les gens du monde, qui ont réfliTlii sur l'art do plaire plus qu'on ne croit et qu'ils ne croient eux- mêmes, ont la [ilupart do ces défauts, et cela vient de la nécessité de faire dire de soi : « Monsieur un tel est très- aimable. »

XXXI. Il y a, entre l'homme d'esprit méchant |>ar caractère, et Ihomme d'esprit bon et honnête, la diffé- rence qui se trouve entre un assiissin et un honune du monde qui fait bien des armes.

XXXI!. La plupart des hommes (pii \ivenl dans le monde y vivent si élourdimont, pensent si peu, qu'ils ne connaissent pas ce monde qu'ils ont toujours sous les yeux. « Us ne le commissent pas, disait plaisiunment M. de B..., par la raison qui fait tpie les hannetons ne savent |>iis l'histoire naturelle. »

xxxm. 11 y a une profonde insensibilité aux vertusqui

6.

102, MAXIMES ET PENSEES.

surprend et scandalise beaucoup plus que le vice. Ceux que la bassesse publique appelle grands seigneurs, ou grands, les bomnies en place, paraissent, pour la plupart, doués de cette insensibilité odieuse. Cela ne \ iendrait-il pas de l'idée vague et peu développée dans leur tête, que les hommes doués de ces vertus ne sont pas propres à être des instruments d'intrigue? Ils les négligent, ces hommes, comme inutiles à eux-mêmes et aux autres , dans un pays où, sans l'intrigue, la fausseté et la ruse, on n'arrive à rien !

xxxiv. Le changement de modes est l'impôt que l'in- dustrie du pauvre met sur la vanité du riche.

XXXV. M... disait que le grand monde est un mauvais lieu que l'on avoue.

xxxvi. La nature, pour faire un homme vertueux ou un homme de génie, ne va pas consulter Chérin.

xxxYii. La plupart des nobles rappellent leurs ancêtres, à j)eu près comme un cicérone d'Italie rappelle Cicéron.

xxxviii. La noblesse, disent les nobles, est un inter- médiaire entre le roi et le peuple... Oui, comme le chien de chasse est un intermédiaire entre le chasseur et les lièvres.

XXXIX. Le titre le plus respectable de la noblesse fran- çaise, c'est de descendre immédiatement do quelques-uns de ces trente mille hommes casqués, cuirassés, brassar- dés, cuissardes, qui, sur de grands chevaux bardés de fer, fondaient aux pieds huit ou neuf millions d'hommes nus, «lui sont les ancêtres de la nation actuelle. Voilà un droit bien avéré à l'amour et au respect de leurs descen- dants! et, pour achever de rendre cette noblesse respec- table, elle se recrute et se régénère par l'adoption de ces hommes qui ont accru leur fortune on dépouillant la ca- bane du pauvre hors d'état de payer les impositions. Mi-

Sl'RLA. NOBLESSE. 103

sérables institutions humaines, qui, faites jwur inspirer le mépris et l'horreur, exigent qu'on leS respecte el qu'on les révère !

XL. La réputation de savoir bien manier l'arme de la ]>lais<MiU'ne fionno à l'homme d'un rang Inférieur, dans le monde ol dans la meilleure comivignic, celle sorte de considération que les militaires ont ix)ur ceux qui manient sui>érieurement réj^)ée. J'ai entendu dire à un homme d'esprit : « Otez à la plais;mterie son empire, et je quille demain la société. » C'est une sorte de duel il n'y a pas do s;mg versé, et qui, comme l'autre, rend les hommes i)lus mesurés et plus polis.

xn. C'est une règle excellente à adopter sur l'art de la raillerie et de plaisanterie, que le plaisant et le railleur doivent Mre garants du succès do leur plaisan- terie à l'égard de la persoime plaisantée, et que, quand celle-ci se fâche, l'autre a tort.

xLii. Vous demandez comment on fait fortune. Voyez ce qui se passe au parterre d'un spectacle, le jour il y a foule; comme les uns restent en arrière, comme les premiers reculent, comme les derniers sont portés en avant. Cette image est si juste, que le mot qui l'exprime a |>assé diws le langage du peuple. Il appelle faire fortune se pousser. « Mon fds, mon neveu se poussera. » Les hon- nêtes gens disent s'avancer^ avancer, arriver, termes adou- cis qui écartent l'idée acces-soire de force, de vioIence,de grossièreté, mais qui laissent subsister l'idée princifwle.

XLin. Les gens qui élèvent les princes et qui pré- tendent leur doi\ner une bonne éducation, après s'être soumis il leui-s formalités et ii leurs avilissiuitesctiquettes,- ressemblent à des maîtres d'arithmétique qui voudraient former de grands calculateurs . après avoir accordé à leui^s élèves que trois et trois font huit.

104 MA.XIMES ET PENSEES.

XLiv. Veut-on avoir la preuve de la parfaite inutilité de tous les livres de morale, de sermons, etc., il n'y a qu'à jeter les yeux sur le préjugé de la noblesse hérédi- taire. Y a-t-il un travers contre lequel les philosophes, les orateurs, les poètes, aient lancé plus de traits sati- riques, qui ait plus exercé les esprits de toute espèce, qui ait fait naître plus de sarcasmes? cela a-t-il fait tom- ber les présentations, la fantaisie de monter dans les car- rosses? cela a-t-il fait supprimer la place de Cherin?

XLV. Cette impossibilité d'arriver aux grandes places, à moins que d'être gentilhomme, est une des absurdités les plus funestes dans presque tous les pays. Il me semble voir des ânes défendre les carrousels et les tournois aux chevaux.

XLVi. La nécessité d'être gentilhomme, pour être ca- pitaine de vaisseau, est tout aussi raisonnable que celle d'être secrétaire du roi pour être matelot ou mousse.

XL vu. Il me semble qu'à égalité d'esprit et de lu- mières, l'homme riche ne doit jamais connaître, aussi bien que le pauvre, la nature, le cœur humain et la so- ciété. C'est que, dans le moment l'autre plaçait une jouissance, le second se consolait par une réflexion.

XLvni. Le plus riche des hommes, c'est Uéconome; le plus pauvre, c'est l'avare.

XLix. Supposez vingt hommes, même honnêtes, qui tous connaissent et estiment un homme d'un mérite re- connu, Dorilas, par exemple; louez, vantez ses talents et ses vertus ; que tous conviennent de ses vertus et de ses talents; l'un des assistants ajoute : « C'est dommage qu'il soit si peu favorisé de la fortune. Que dites- vous! re- prend un autre ; c'est que sa modestie l'oblige à vivre sans luxe. Savez-vous qu'il a vingt-cinq mille livres de rente? Vraiment! Soyez-en sûr, j'en ai la preuve. »

SUR LA NOBLESSE. 105

Qu'alors cet homme de mérite paraisse, et qu'il compare l'accupil de la société et la manière plus ou moins froide, quoique dlslins^uée , dont il était reçu précédemment. C'est ce qu'il a fait : il a comparé, et il a fjémi. Mais dans cette société il s'est trouvé un homme dont le main- tien a été le môme à son égard. « Un sur vingt, dit notre philosophe, je suis content. »

L. Celui-là fait plus pour un hydropique, qui le gué- rit de la soif, que celui qui lui donne un tonneau de vin. Appliquez cela aux richesses.

Li. Grands et petits, on a beau faire, il faut toujours se dire comme le fiacre aux courtisanes dans le }foulin de Javelle : « Vous autres et nous autres, nous ne pou- vons nous passer les uns des autres. »

LU. Les gens du monde et de la cour donnent aux hommes et aux choses une valeur conventionnelle dont ils s'étonnent de se trouver les dupes. Ils ressemblent à des calculateurs qui, en faisant un compte, donneraient aux chiffres une valeur variable et arbitraire, et qui, en- suite, dans l'addition, leur rendant leur valeur réelle et réglée, seraient tout surpris de ne pas trouver leur compte.

LUI. La vanité des gens du monde se sert habilement de la vanité des gens de lettres. Ceux-ci ont fait plus d'une réputation qui a mené à de grandes places. D'abord, de part et d'autre, ce n'est que du vent; mais les intri- gants adroits enflent de ce vent les voiles do leur fortune.

»06 MAXIMES ET PENSÉES.

SUR LA SCIENCE

LES BEALX-AUTS ET LES B ELLES -LETTR ES.

1. A voir la composition de l'Académie française, on croirait qu'elle a pris pour devise ce vers de Lucrèce :

Certare ingenio, contenderc nobilitate.

M. L'Académie française est comme l'Opéra, qui se soutient par des choses étrangères à lui : les pensions qu'on exige pour lui des Opéras-Comiques de province, la permission d'aller du parterre au foyer, etc. De même, l'Académie se soutient par tous les avantages qu'elle procure. Elle ressemble à la Cidalise de Gresset :

Ayez -la, c'est d'abord ce que vous lui devez; Et vous l'estimerez après , si vous pouvez.

ïii. L'Académie n'a point fait grands ceux qui hono- rent sa liste, mais les a reçus grands et les a rapetisses quelquefois.

IV. M. Soulavie a cru devoir revenir aux lieux com- muns rebattus contre les académies. J'ai dit et assez té- moigné que, jiour mon compte, il m'était très-indifférent que les académies fussent conservées ou supprimées. Mais en môme temps je distingue les époques l'Acadé- mie française, en particulier, a mérité le reproche d'adu- lation, et je trouve que ces époques sont celles le môme reproche ])ouvait s'adresser à toute la France. Je prouverai, par des faits })ublics et incontestables, qu'à partir de la publication de Y Encyclopédie, non-seulement l'Académie française n'a pas montré, en général, un es-

SUU LA SCIENCE.

prit adulatour, mais (lu'clh? a, au rontrairo, conlribué, d'une inaïui're tros-marquoe, au [)rogrès de l'ospril pu- blic qui commençait à se former, de cet esprit pliiloso- phiquc et libre qui consistait à rappeler sans cesse les droits naturels des peuples, les principes du gouverne- ment légal, et à inspirer la haine du pouvoir arbitraire, et l'amour de la liberté; que, pendant vingt ans, elle fut, sous ce rapport, oonstaininent en butte aux invectives de tous les barbouilleurs, rimailleurs, pi"échailleurs aux gages de la cour et du clergé; qu'elle fut, pendant tout ce temps, publiquement notée à Versailles commei un foyer de révolte, û'irréliyion , d'indépendance; qu'on employa souvent contre elle l'arme empoisoiuiéo de la délation secrète, et, s'il faut citer des faits, je dirai que le maréchal de Richelieu et l'avocat général Séguier la diffamaient habituellement, l'un à la cour, l'autre au parlement ; qu'ils empêchèrent l'impression du discours de Thomas, en ré- ponse à celui de rarchevôque de Toulouse ; qu'ils firent annuler, par Louis XV, l'élection du traducteur des Géor- giqites; qu'ils firent siip|)rimer, par arrêt du conseil, ï Éloge de Fénelon ; qu'enfin l'animosité alla si loin, que le chan- celier Maupeou annonça le projet de dissoudre l'Académie. On [x>ut penser aujourd'hui do l'Académie ce qu'on voudra, et en faire ce qu'on jugera à proj)os ; mais il ne faut pas la calomnier : il faut rendre justice et à ce qu'elle a fait et à ce qu'elle a souffert; et quand M. Soulavio ne dit pas un mot de ces faits constatés, quand il se tait abso- lument sur un étal de choses qui a dure jusqu'à la mort de Louis XV, j'ai le droit de lui dire que, s'il n'est pas instruit de ces faits, c'est une ignorance honteuse, et que, s'il les dissimule, c'est une lAchelé plus honteuse encore. Quand il exprime que « Constant inople n'a pas d'expres- sions turques plus viles, plus rampantes, plus heureuses

MAXIMES ET PENSEES.

en tournures orientales , que celles qu'il a recueillies de cet amas étrange de compliments et de harangues aca- démiques, » je lui répondrai d'abord qu'il aurait pu, du moins, en lisant ces harangues, apprendre à parler fran- çais un peu mieux qu'il ne le fait ; que Constantinople, qui a des expirassions et des expressions heureuses en tournures, forme un jargon ridicule ; que les tournures orientales, at- tribuées aux Éloges académiques, sont une autre espèce d'ineptie, qui prouve seulement qu'il ne connaît pas plus le style oriental que le style français ; que le mauvais goût d'un grand nombre de ces Éloges, relevé et senti longtemps avant qu'il en parlât, n'a rien de commun avec les tournures orientales. Quand il ajoute que l'Acadé- mie a perfectionné la structure physique de la langue, mais qu'elle a dénaturé, avili les moralités de cette langue, je lui répondrai qu'à l'exemple de ces écrivains qui, de leur vie, n'ont rien étudié ni rien su, il entasse au hasard une foule d'expressions qu'il n'entend pas ; que si la structure physique d'une langue pouvait signifier quelque chose, ce serait l'alphabet matériel et l'articulation, et qu'assurément l'Académie n'a rien perfectionné de tout cela ; que les mo- ralités d'une langue sont une expression absolument inin- telligible. Quand il s'avise encore de joindre à ce style d'un mauvais écolier le ton d'un maître, de prononcer que le cardinal de Retz, Rousseau et Raynal sont les seuls « qui se soient montrés capables de parler véritablement le langage de la liberté, » je lui répondrai encore que d'abord il associe très-gauchement à Rousseau et à Raynal un homme qui n'a rien de commun avec eux que le talent d'écrire, quoique dans un degré fort éloigne d'eux ; que le langage du cardinal de Retz n'est point du tout le lan- gage de la liberté, mais presque partout celui d'un poli- tique machiavcliste, et quelquefois, mais rarement, celui

SUR LA SCIENCE. 109

do Salluslo ; que c'est lo dernier excès de la pi('som[)tion, surtout dans un auteur aussi inconnu que M. Soulavie, de rayer, de son autorité, Fénelon, Massilion, La Bruyère, Voltaire, Montesquieu, Thomas, etc. (sans parler des vivants), du nombre des écrivains dignes de /JoHer le lan- gage de la liberté; que cette confiance arrogante, que des écrivains de sa trempe prennent pour une noble audace et pour des inspirations de notre nouvelle liberté, n'est autre chose que le délire de l'ignorance et de l'amour- propre, et ne peut inspirer que le mépris et la pitié. Enfin, quand il afTirme que « ces tournures et ces bassesses orientales qui dominent dans nos ouvrages ont oblige tout orateur de les conserver dans les discours oratoires publiquement prononcés, » je lui dirai nettement que cela est faux, de toute fausseté; que je le défie notam- ment de me citer dans les Éloges de Thomas et (puisqu'il ne s'agit pas ici de talent) dans les miens, qui sont bien dos discours oratoires publiquement prononcés, un seul exemple de ces tournures et de ces bassesses orientales; et, comme je puis, au contraire, attester quiconque les a lus, que ces ouvrages ne respirent, d'un bout à l'autre, que des senti- ments chers à tout ami de l'humanité, de la liberté et des lois, j'ai le droit de dire h M. Soulavie, en face du public, qu'il est un calomniateur.

On peut trouver tout simi)le qu'un obscur et inepte compilateur, qui n'est rien et ne peut jamais être rien dans les lettres, les outrage avec cette fureur insensée; mais on doit trouver aussi très-naturel et très-juste que l'hon- neur des lettres soit cher à un homme qui leur a consacré Sii vie, qui les iionore par son témoignage après qu'elles l'ont honoré par l'usiige qu'il en a fait; et que, tandis cpie la voix des liommes instruits et celle de nos législateurs ont solennellement reconnu les services que les lettres

7

MAXIMES ET PENSEES.

ont rendus, ne souffre pas qu'elles soient impunément l'objet des injures grossières et des calomnies absurdes do quelques intrus qui s'érigent en littérateurs, parce qu'il est arrivé, par hasard, qu'ils savaient lire au mo- ment de la Révolution.

V. Quelqu'un a dit que de prendre sur les anciens, c'était pirater au delà de la ligne, mais que de piller les modernes, c'était filouter au coin des rues.

VI. Croirait -on que le despotisme a des partisans, sous le rapport de la nécessité d'encouragement pour les beaux-arts ? On ne saurait croire combien l'état du siècle de Louis XIV a multiplié le nombre de ceux qui pensent ainsi. Selon eux, le dernier terme de toute société humaine est d'avoir de belles tragédies , de belles co- médies, etc. Ce sont des gens qui pardonnent tout le mal qu'ont fait les prêtres, en considérant que, sans les prê- tres, nous n'aurions pas la comédie de Tartufe.

VII. On dit et on répète , après avoir lu quelque ouvrage qui respire la vertu : « C'est dommage que les auteurs ne se peignent pas dans leurs écrits, et qu'on ne puisse pas conclure d'un pareil ouvrage que l'auteur est ce qu'il paraît être. « Il est vrai que beaucoup d'exemples autorisent cette pensée , mais j'ai remarqué qu'on fait souvent cette réflexion pour se dispenser d'honorer les vertus dont on trouve l'image dans les écrits d'un hon- nête homme.

vm. Un auteur homme de goût est, parmi ce public blasé, ce qu'une jeune femme est au milieu d'un cercle de vieux libertins.

IX. En voyant Bacon, dans le commencement du xvr siècle, indiquer à l'esprit humain la marche qu'il doit suivre pour reconstruire l'édifice des sciences, on cesse presque d'admirer les grands hommes qui lui ont suc-

SUB LA SCIENCE. III

cédé, tels que Boyie, Locke, etc. II leur distribue le ter- rain qu'ils ont à défricher ou à conquérir. C'est César, maître du monde après la bataille de Pharsale, donnant des royaumes et des provinces à ses partisans ou à ses favoris.

X. En fait de beaux -arts, et même en beaucoup il'aulres choses, on ne sait bien que ce que Ion n'a point appris.

XI. Spéron-Spéroni explique très-bien comment un auteur qui s'énonce très-clairement pour lui-même est quol<]uefois obscur pour son lecteur : « C'est, dit-il, que l'autour va de la i)ensée à l'expression, et que le lecteur va de l'expression à la pensée. »

XII. La perfection d'une comédie de caractère con- sisterait à dis|)oser l'intrigue de façon que cette intrigue ne pût servir à aucune autre pièce. Peut-être n'y a-t-il au théAtre que celle de Tartufe qui pût supporter cette épreuve.

xiii. En France, tout le monde paraît avoir de l'es- prit, et la raison en est simple : comme tout y est une suite de contradictions, la plus légère attention possible suffit pour les faire remarquer, et rapprocher deux choses contradictoires; cela fait des contrastes tout naturels, qui donnent à celui qui s'en avise l'air d'un homme qui a beaucoup d'esprit. Raconter , c'est faire des grotesques. Un simple nouvelliste devient un bon plaisant, comme l'historien, un jour, aura l'air d'un auteur satirique.

XIV. Il y a une certaine énergie ardente, mère ou compagne nécessaire de telle esptH-e de talents, laquelle, pour l'ordinaire . condamne ceux qui les possèdent au malheur, non pas d'être sans morale , de n'avoir pas de trè.s-beaux mouvements, mais de se livrer fréquemment à des écarts qui supposeraient l'absence de toute morale.

112 MAXIMES ET PENSEES.

C'est une âpreté dévorante dont ils ne sont pas maîtres et qui les rend très -odieux On s'afflige, en songeant que Pope et Swift en Angleterre, Voltaire et Rousseau en France, jugés non par la haine, non par la jalousie, mais par l'équité, par la bienveillance, sur la foi des faits attestés ou avoués par leurs amis et par leurs admirateurs, seraient atteints et convaincus d'actions très- condamnables, de sentiments quelquefois très-pervers. 0 altitudo!

XV. Le génie ne préserve pas des écarts du génie.

XVI. Les économistes sont des chirurgiens qui ont un excellent scalpel et un bistouri ébréché, opérant à merveille sur le mort et martyrisant le vif.

XVII. Le repos d'un écrivain qui a fait de bons ou- vrages est plus respecté du public que la fécondité active d'un auteur qui multiplie les ouvrages médiocres. C'est ainsi que le silence d'un homme connu pour bien parler impose beaucoup plus que le bavardage d'un homme qui ne parle pas mal.

xvni. Quand La Fontaine est mauvais, c'est qu'il est négligé ; quand Lamotte l'est, c'est qu'il est recherché.

XIX. Le génie est un phénomène que l'éducation, le climat ni le gouvernement ne peuvent expliquer.

XX. Quand la vertu ne peut plus habiter le siècle que des meurtres ont souillé, le génie la reçoit dans ses écrits et la rend à l'univers.

XXI. Qu'est-ce que c'est qu'un homme de lettres qui n'est pas rehaussé par son caractère, par le mérite de ses amis, et par un peu d'aisance ? Si ce dernier avantage lui manque au point qu'il soit hors d'état de vivre convena- blement dans la société oîi son mérite l'appelle , qu'a-t-il besoin du monde ? Son seul parti n'est-il pas de se choi- sir une retraite il puisse cultiver en paix son âme, son caractère et sa raison ? Faut-il qu'il porte le poids de la

SUR LA SCIENCE. 113

société sans recueillir un seul des avantages qu'elle pro- cure aux autres classes de citoyens? Plus d'un homme de lettres, forcé do prendre ce parti , y a trouvé le bon- heur qu'il eût cherché ailleurs vainement. C'est celui-là qui peut dire qu'en lui refusant tout, on lui a tout donné. Dans combien d'occasions ne peut-on pas répéter le mot de Thémistocle : « Hélas ! nous périssions si nous n'eus- sions péri ! »

XXII. Les gens de lettres aiment ceux qu'ils amusent, comme les voyageurs aiment ceux qu'ils étonnent.

xxiii. Si l'on veut se faire une idée juste de ce qu'était l'état des gens de lettres en France avant la Révolution, il faut parcourir le livre do Pierre Manuel, la Police dévoilée, au chapitre intitulé : de la Police sur la librairie, sur les yens de lettres, sur les censeurs royaux, sur les nouvelles à la main, sur les comédiens. On a quelque peine à comprendre com- ment la raison a pu se faire jour à travers tant 4'obstacles. Il faut voir nos meilleurs écrivains réduits à flatter un lieutenant de police , à caresser un censeur, à tromper un ministre et tous ses agents. Voltaire mit peut-être plus de temps à intriguer pour faire représenter Mahomet, et à prévenir les dangers que pouvaient attirer sur lui l'impression et la publication de son ouvrage, qu'il n'en mit à le composer. Un de messieurs fut très-scandàlisé à la première représentation de cette comédie ; c'est ainsi qu'on désignait Mahomet dans la grande chambre. Aussi- tôt cette comédie est dénoncée par M. Joly de Fleury. Voilà Voltaire entre le parlement, le cardinal de Fleury, M. de Maurepas, le lieutenant de police Marville, et se moquant d'eux tous, comme de raison. On convient que la pièce sera retirée du théâtre, et qu'elle ne sera point livrée à l'impression. Par malheur. Voltaire se laisse dérober son manuscrit ; il se plaint de ce vol au lieutenant de police,

114 MAXIMES ET PENSEES.

écrit au èardinal pour obtenir qu'on prévienne l'impres- sion ; il avait pris soin que cela fût impossible. Il écrit aux ministres, pour se plaindre de ce contre-temps qu'ils avaient prévu, et l'auteur de Mahomet en est quitte pour quelques compliments épistolaires, en dépit du parle- ment , toujours furieux contre cette comédie de Mahomet, toute propre, disaient messieurs, à produire des Ravaillac, quoique l'objet de la pièce soit de dessiller les yeux, et d'arracher les poignards aux Ravaillac.

Il est heureux que Voltaire ait joint à ses talents celui de parvenir à faire jouer ses tragédies, et de se tirer ensuite des embarras qu'elles lui causaient. Si quelques moralistes sévères lui reprochaient trop durement cette souplesse flexible et cette habileté en intrigue, nous ré- pondrions pour lui que, dans son dessein de déniaiser les Français, il sacrifiait à ce grand but plusieurs considéra- tions d'un ordre inférieur; qu'en faveur de cette intention philosophique, il se donnait l'absolution de ces petites pec- cadilles en morale; qu'enfin il était naturellement espiègle, et, qu'après tout, les plus honnêtes gens d'alors succom- baient à la tentation de se moquer du gouvernement. Ce gouvernement était si étonné de l'être, si inquiet, si peu sûr de sa force, qu'il avait peur de tout.

XXIV. Plusieurs gens de lettres croient aimer la gloire et naiment que la vanité. Ce sont deux choses bien dif- férentes et même opposées ; car l'une est une petite pas- sion, l'autre en est une grande. Il y a, entre la vanité et la gloire, la différence qu'il y a entre un fat et un amant.

XXV. J'observe que les hommes les plus extraordi- naires et qui ont fait des révolutions, lesquelles semblent être le produit de leur seul génie, ont été secondés par les circonstances les plus favorables et par l'esprit de leur temps. On sait toutes les tentatives faites avant le grand

SUR LA SCIENCE. itS

voyage do Vasco de Gama aux Indes occidentales. On n'ignore pas que plusieurs navigateurs étaient persuadés qu'il y avait de grandes lies,' et, sans doute, un continent à l'ouest, avant que Colomb l'eût découvert, et il avait lui-même entre les mains les |>apiers d'un célèbre pilote avec qui il avait été en liaison. Philippe avait tout pré- paré pour la guerre de Perse, avant sa mort. Plusieurs sectes d'hérétiques, déchaînés contre les abus de la com- munion romaine, précédèrent Luther et Calvin, et même Viclef.

XXVI. Ce no sont point des hommes qui forment les grands hommes.

xxvii. C'est après l'Age des passions que les grands hommes ont produit leurs chefs-d'œuvre; comme c'est après les éruptions des volcans que la terre est plus fertile.

XXVIII. Il règne dans la littérature une sorte de con- vention qui assigne les rangs d'après la distance reconnue entre les différents genres, à peu près comme l'ordre civil marque les places dans la société d'après la différence des conditions; mais qu'importe de quel ordre soient les ou- vrages, quand ils offrent des beautés du premier ordre?

XXIX. On n'est point un homme d'esprit pour avoir beaucoup d'idées, comme on n'est pas un bon général pour avoir beaucoup do soldats.

XXX. Un journal sans malice est un vaisseau démâté, à qui les corsjiires mômes refusent le salut.

XXXI. Les gens de lettres sont rarement jaloux des réputations quelquefois exagérées qu'ont certains o\i-> vrages de gens de la cour ; ils regardent ces succès comme les honnêtes femmes regardent la fortune des filles.

xxxii. Un auteur célèbre a dit que tout ouvrage dra- matique est une expérience faite sur le cœur humain. xxxiii. Les ouvrages qu'un auteur fait avec plaisir

116 MAXIMES ET PENSEES.

sont souvent les meilleurs ; comme les enfants de l'amour sont les plus beaux.

XXXIV. Il y a des livres que l'homme qui a le plus d'es- prit ne saurait faire sans un carrosse de remise, c'est-à- dire sans aller consulter les hommes, les choses, les bi- bliothèques, les manuscrits, etc.

XXXV. Les maximes, les axiomes sont, ainsi que les abrégés, l'ouvrage des gens d'esprit, qui ont travaillé, ce semble, à l'usage des esprits médiocres et paresseux. Le paresseux s'accommode d'une maxime qui le dispense de faire lui-môme les observations qui ont mené l'auteur de la maxime au résultat dont il fait part à son lecteur. Le paresseux et l'homme médiocre se croient dispensés d'al- ler au delà, et donnent à la maxime une généralité que l'auteur, à moins qu'il ne soit lui-même médiocre, ce qui arrive quelquefois, n'a pas prétendu lui donner. L'homme supérieur saisit d'un coup toutes les ressem- blances , les différences qui font que la maxime est plus ou moins applicable à tel ou tel cas, ou ne l'est pas du tout.

XXXVI. Les médecins et le commun des hommes ne voient pas plus clair les uns que les autres dans les ma- ladies et dans l'intérieur du corps humain. Ce sont tous des aveugles; mais les médecins sont des quinze-vingts qui connaissent mieux les rues, et qui se tirent mieux d'affaire.

XXXVII. Les Mémoires que les gens en place ou les gens de lettres , même ceux qui ont passé pour les plus modestes, laissent pour servir à l'histoire de leur vie, trahissent leur vanité secrète, et rappellent l'histoire de ce saint qui avait laissé cent mille écus pour servir à sa canonisation.

XXXVIII. Il est presque impossible qu'un philosophe,

SUR LA SCIEiXGE. 117

qu'un poolo ne soient pas misantliropes : 1* parce que leur goût et leur talent les portent à l'observation de la société, étude qui afflige constamment le cœur ; V parce que, leur talent n'étiint presque jamais récompensé par la société (heureux même s'il n'est pas puni I), ce sujet d'af- fliction ne fait que redoubler leur penchant à la mélancolie.

xxxix. S'il existait un ôtre isolé, qui ne connût ni l'homme de la nature, ni l'homme de la société, la lecture réfléchie de Molière pourrait lui tenir lieu de tous les livres de morale et du commerce de ses semblables.

XL. On a répété que si Molière donnait ses ouvrages de nos jours, la plupart ne réussiraient point. On a dit une chose absurde. Comment peindrait-il des mœurs qui n'existent plus? Il peindrait les nôtres.

XLi. La trempe vigoureuse du génie de Molière le mit sans effort au-dessus de deux genres qui ont depuis oc- cupé la scène. L'un est le comique attendrissant, trop admiré, trop décrié ; genre inférieur qui n'est pas sans beauté, mais qui, se proposant de tracer des modèles de perfection, manque souvent do vraisemblance, et est peut-être sorti des bornes de l'art en voulant les reculer. L'autre est ce genre plus faible encore, qui, substituant à l'imitation éclairée de la nature, à cette vérité toujours intéressante, seul but de tous les beaux-arts, une imita- lion puérile, une vérité minutieuse, fait de la scène un miroir se répètent froidement et sans choix les détails les plus frivoles.

XLii. Pour être un grand homme dans les lettres, ou du moins opérer une révolution sensible, il faut, comme dans l'ordre politique, trouver tout préparé et naître à propos.

XLMi. J'ai vu cl Anvers, dans une des principales églises, le tombeau du célèbre imprimeur Plantin, orné

m MAXIMES ET PENSÉES.

de tableaux superbes, ouvrages de Rubens, et consacrés à sa mémoire. Je me suis rappelé, à cette vue, que les Etienne (Henri et Robert), qui, par leur érudition grecque et latine, ont rendu les plus grands services aux lettres, traînèrent en France une vieillesse misérable, et que Charles Etienne, leur successeur, mourut à l'hôpital, après avoir contribué presque autant qu'eux aux progrès de la littérature. Je me suis rappelé qu'André Duchêne, qu'on peut regarder comme le père de l'histoire de France, fut chassé de Paris par la misère, et réduit à se réfugier dans une petite ferme qu'il avait en Champagne : il se tua en tombant du haut d'une charrette chargée de foin. Adrien de Valois, créateur de l'histoire métallique, n'eut guère une meilleure destinée. Samson, le père de la géographie, allait, à soixante et dix ans, faire des leçons à pied pour vivre. Tout le monde sait la destinée des Du- ryer, Tristan, Maynard, et de tant d'autres. Corneille manquait de bouillon à sa dernière maladie. La Fontaine n'était guère mieux. Si Racine, Boileau, Molière et Qui- nault eurent un sort plus heureux, c'est que leurs talents étaient consacrés au roi plus particulièrement. L'abbé Delonguerue, qui rapporte et rapproche plusieurs de ces anecdotes sur le triste sort des hommes de lettres illustres en France, ajoute : « C'est ainsi qu'on en a toujours usé dans ce misérable pays. Cette liste si célèbre des gens de lettres que le roi voulait pensionner, et qui fut présentée à Colbert, était l'ouvrage de Chapelain, Perrault, Tallemant, l'abbé Gallais, qui omirent ceux de leurs confrères qu'ils haïssaient; tandis qu'ils y placèrent les noms de plusieurs savants étrangers, sachant très-bien que le roi et le mi- nistre seraient plus flattés de se faire louer à quatre cents lieues de Paris. » Xf.iv. Le peintre donne une Ame à une flgure. et le

SUR LA SCIENCE.

poëte prête une figure à un sentiment et à une idée.

XLv. La philosophie, ainsi que la médecine, a beau- coup de drogues, très-peu de bon remèdes, et presque point de spécifiques.

XLVi. Si l'on examinait avec soin l'assemblage de qualités rares de l'esprit et de l'âme qu'il faut pour juger, sentir et apprécier les bons vers; le tact, la délicatesse des orgafles, de l'oreille et de l'intelligence, etc., on se convaincrait que, malgré les prétentions de toutes les classes de la société à juger les ouvrages d'agrément, les poètes ont dans le fait encore moins de vrais juges que les géomètres. Alors, les poètes, comptant le public pour rien, et ne s'occupant que des connaisseurs, feraient à l'égard de leurs ouvrages ce que le fameux mathémati- cien Viete faisait à l'égard des siens, dans un temps l'étude des mathématiques était moins répandue qu'au- jourd'hui. Il n'en tirait qu'un petit nombre d'exemplaires qu'il faisait distribuer à ceux qui pouvaient l'entendre et jouir de son livre ou s'en aider. Quant aux autres, il n'y pensait pas. Mais Yiete était riche, et la plupart des poètes sont pauvres. Puis un géomètre a peut-être moins de vanité qu'un poëte, ou, s'il en a autant, il doit la cal- culer mieux.

XLVii. Les gens de lettres, surtout les poètes, sont comme les paons, à qui on jette mesquinement quelques graines dans leur loge, et qu'on en tire quelquefois pour les voir étaler leur queue; tandis que les coqs, les poules, les canards et les dindons se promènent librement dans la basse-cour, et remplissent leur jabot tout à leur aise.

XLviii. La postérité ne considère les gens de lettres que par leurs ouvrages, et non par leurs places. Plutôt ce qu'Us ont fait que ce qu'Us ont été semble être leur devise.

xi.ix. De nos jours, un peintre fait votre portrait en

120 MAXIMES ET PENSEES.

sept minutes; un autre vous apprend à peindre eu trois jours; un troisième vous enseigne l'anglais en quatre le- çons. On veut vous apprendre huit langues, avec des gravures qui représentent les choses et leurs noms au- dessous en huit langues ; enfin, si on pouvait mettre en- semble les plaisirs , les sentiments et les idées de la vie entière, et les réunir dans l'espace de vingt-quatre heures, on le ferait; on vous ferait avaler cette pilule, et on vous dirait : « Allez-vous-en. »

L. La plupart des livres d'à présent ont l'air d'avoir été faits en un jour avec des livres lus la veille.

Li. La plupart des faiseurs de recueils de vers ou de bons mots ressemblent à ceux qui mangent des cerises ou des huîtres, choisissant d'abord les meilleures, et fmis- sant par tout manger.

LU. On a observé que les écrivains en physique, his- toire naturelle, physiologie, chimie, étaient ordinairement des hommes d'un caractère doux, égal, et en général heu- reux; qu'au contraire, les écrivains de politique, de lé- gislation, même de morale, étaient d'une humeur triste, mélancolique, etc. Rien de plus simple : les uns étudient la nature; les autres la société; les uns contemplent l'ou- vrage du grand Être; les autres arrêtent leurs regards sur l'ouvrage de l'homme. Les résultats doivent être différents.

Lin. Ce qui fait le succès de quantité d'ouvrages est le rapport qui se trouve entre la médiocrité des idées de l'auteur et la médiocrité des idées du public.

Liv. Le théâtre renforce les mœurs ou les change. Il faut de nécessité qu'il corrige le ridicule ou qu'il le pro- page. On l'a vu en France opérer tourà tour ces deux effets.

Lv. Le théâtre tragique a le grand inconvénient mo- ral de mettre trop d'importimce à la vie et à la mort.

SUR LA SCIENCE. 121

L»'i. Le travail du poëte, et souvent de l'homme de lettres, lui est bien peu fructueux à lui-même ; et, de la part du public, il se trouve placé entre le grand merci et le va te promener. Sa fortune se réduit à jouir de lui-même et du temps.

Lvn. Les vers ajoutent de l'esprit à la pensée de l'homme qui en a quelquefois assez peu; et c'est ce qu'on appelle talent. Souvent ils ôtent de l'esprit à la pensée de celui qui a beaucoup d'esprit, et c'est la meilleure preuve de l'absence du talent pour les vers.

SUR LES SENTIMENTS

ET LES PASSIONS.

I. L'ambitieux qui a manqué son objet, et qui vit dans le désespoir, me rappelle Lxion mis sur la roue pour avoir embrassé un nuage.

II. L'ambition prend aux petites âmes plus facilement qu'aux grandes, comme le feu prend plus aisément à la paille, aux chaumières qu'aux palais.

III. Ce que les poëtes, les orateurs, môme quelques philosophes nous disent sur l'amour do la gloire, on nous le disait au collège pour nous encourager à avoir des prix. Ce que l'on dit aux enfants pour les engager à préférer à une tartelette les louanges de leurs bonnes , c'est ce qu'on répète aux hommes pour leur faire préférer à un intérêt personnel les éloges de leurs contemporains ou de la postérité.

IV. L'amour de la gloire, une vertu 1 Étrange vertu, que celle qui se fait aider par l'action de tous les vices ; qui reçoit pour stimulants l'orgueil, l'ambition, l'envie, la vanité, quelquefois l'avarice môme I Titus serait-il Titus,

MAXIMES ET PENSÉES.

s'il avait eu pour ministres Séjan, Narcisse et Tigellin?

V. J'ai vu des hommes trahir leur conscience pour complaire à un homme qui a un mortier ou une simarre : étonnez-vous ensuite de ceux qui l'échangent pour le mortier, ou pour la simarre même! Tous également vils, et les premiers absurdes plus que les autres.

VI. Amour, folie aimable; ambition, sottise sérieuse.

VII. « Il faut, disait M..., flatter l'intérêt ou effrayer r amour-propre des hommes : ce sont des singes qui ne sautent que pour des noix, ou bien dans la crainte du coup de fouet. »

VIII. On dit qu'il faut s'efforcer de retrancher tous les jours de nos besoins. C'est surtout aux besoins de l'amour- propre qu'il faut appliquer cette maxime : ce sont les plus tyranniques, et qu'on doit le plus combattre.

IX. C'est à l'amour maternel que la nature a confié la conservation de tous les êtres; et, pour assurer aux mères leur récompense, elle l'a mise dans les plaisirs, et môme dans les peines attachées à ce délicieux sentiment.

X. Si l'on veut se faire une idée de l'amour-propre des femmes dans leur jeunesse, qu'on en juge par celui qui leur reste après qu'elles ont passé l'âge de plaire.

XI. Les femmes ont des fantaisies, des engouements, quelquefois des goûts; elles peuvent même s'élever jus- qu'aux passions : ce dentelles sont le moins susceptibles, c'est l'attachement. Elles sont faites pour commercer avec nos faiblesses, avec notre folie, mais non avec notre rai- son. Il existe entre elles et les hommes des sympathies d'épiderme, et très-peu de sympathies d'esprit, d'âme et de caractère. C'est ce qui est prouvé par le peu de cas qu'elles font d'un homme de quarante ans; je dis même celles qui sont à peu près de cet âge.

XII. Il V a des hommes qui ont besoin de primer, de

SOR LES SENTIMEI^tS. 123

s'élever au-dessus des autres, à quelque prix que ce puisse être. Tout Ipurpsf égal, pourvu qu'ils soient on évidence; sur des tréteaux de charlatan, sur un théAtre, sur un trône, sur un échafaud, ils seront toujours bien, s'ils attirent les yeux.

XIII. Un bienfaiteur délicat doit songer qu'il y a dans le bienfait une partie matérielle dont il faut dérober l'idée à celui qui est l'objet de sa bienfaisance. Il faut, pour ainsi dire, que cette idée se perde et s'enveloppe dans le sentiment qui a produit le bienfait; comme, entre deux amants, l'idée, do la jouissance s'enveloppe et s'ennoblit dans le charme de l'amour qui l'a fait naître.

XIV. La plupart des bienfaiteurs qui prétendent être cachés a|)rès avoir fait du bien s'enfuient comme laGala- tée de Virgile : El se cupit ante videri.

XV. Un homme sans élévation ne saurait avoir de bonté; il ne peut avoir que de la bonhomie.

XVI. Il parait qu'il y a dans le cerveau des femmes une case de moins, et dans leur cœur une fibre de plus que chez les hommes. Il fallait une organisation particu- lière pour les rendre capables de supporter, soigner, ca- resser des enfimts.

XVII. Un acte de vertu, un sacrifice ou de ses intérêts ou de soi-même est le besoin d'une àme noble ; l'amour- propre d'un cœur généreux est, en quelque sorte, l'égoïsme d'un grand caractère.

XVIII. M. Th... me disait un jour qu'en général, dans la société, lorsqu'on avait fait (piolque action honnête et courageuse par un motif digne d'elle, c'est-à-dire très- noble, il fallait que celui qui avait fait cette action lui prêtât, pour adoucir l'envie, quelque motif moins honnête et plus vulgaire.

XIX. L'espérance n'e^t qu'un charlatan qui nous

MAXIMES ET PENSEES.

trompe sans cesse; et, pour moi, le bonheur n'a com- mencé que lorsque je l'ai eu perdue. Je mettrais volon- tiers sur la porte du paradis le vers que Dante a mis sur celle de l'enfer :

Lasciate ogni speranza, voi ch'intrate.

XX. La générosité n'est que la pitié des âmes nobles.

XXI. N'est-ce pas une chose plaisante de considérer que la gloire de plusieurs grands hommes soit d'avoir employé leur vie entière à combattre des préjugés ou des sottises qui font pitié, et qui semblaient ne devoir jamais entrer dans une tête humaine ? La gloire de Boyle, par exemple, est d'avoir montré ce qu'il y a d'absurde dans les subtilités philosophiques et scolastiques , qui feraient lever les épaules à un paysan du Gatinais doué d'un grand sens naturel; celle de Locke, d'avoir prouvé qu'on ne doit point parler sans s'entendre, ni croire entendre ce qu'on n'entend pas ; celle de plusieurs philosophes, d'avoir com- posé de gros livres contre des idées superstitieuses qui feraient fifir, avec mépris, un sauvage du Canada; celle de Montesquieu, et de quelques auteurs avant lui, d'avoir (en respectant une foule de préjugés misérables) laissé entrevoir que les gouvernants sont faits pour les gouver- nés, et non les gouvernés pour les gouvernants. Si le rêve des philosophes qui croient au perfectionnement de la so- ciété s'accomplit, que dira la postérité de voir qu'il ait fallu tant, d'efforts pour arriver à des résultats si simples et si naturels ?

XXII. Peut-être, un jour, les hommes parviendront- ils à se faire une autre idée de la gloire ; et, dans ce cas, combien de héros dégradés !

XXIII. On partage avec plaisir l'amitié de ses amis pour des personnes auxquelles on s'intéresse peu soi-

SUB LES SENTIMENTS. iSS

même ; mais la haine, mémo celle qui est la plus juste, a de la peine à so faire respecter.

XXIV. Le moment l'on perd les illusions, les pas- sions de la jeunesse, lais.se souvent des regrets; mais quelquefois on hait le prestige qui nous a trompés. C'est Arraide qui brûle et détruit le palais oij elle fut en- chantée.

XXV. On se souviendra longtemps de la manière dont le maréchal de Richelieu fit cesser dans son camp l'habi- tude de s'enivrer. « Je déclare, dit-il, que ceux d'entre vous qui s'enivreront désormais, n'auront pas l'honneur de monter à l'assaut. » C'étiiit connaître les Français.

XXVI. Il faut être juste avant d'être généreux, comme on a des chemises avant d'avoir des dentelles.

xxvii. Comment se fait-il que, sous le depotisme le plus affreux, on puisse se résoudre à se reproduire ? C'est que la nature a ses lois plus douces, mais plus impé- rieuses que celles des tyrans; c'est que l'enfant sourit à sa mère sous Domitien comme sous Titus.

xxviii. La pire de toutes les mésalliances est celle du cœur.

XXIX. Celui qui est juste au milieu entre notre ennemi et nous nous paraît être plus voisin de notre ennemi : c'est un effet des lois de l'optique, comme celui par lequel le jet d'eau d'un bassin paraît moins éloigné de l'autre bord que de celui vous êtes.

XXX. La fausse modestie est le plus décent de tous les mensonges.

XXXI. ' Il y a un genre d'orgueil dans lequel sont com- pris tous les commandements de Dieu, et un genre de vanité qui contient les sept péchés capitaux.

XXXII. Quand un homme et une femme ont l'un pour l'autre une passion violente, il me semble toujours que,

126 MAXIMES ET PENSEES.

quels que soient les obstacles qui les séparent, un mari, des parents, etc., les deux amants sont l'un à l'autre, de par la nature; qu'ils s'appartiennent de droit divin, malgré les lois et les conventions humaines.

XXXIII. Toutes les passions sont exagératrices, et elles ne sont des passions que parce qu'elles exagèrent.

XXXIV. Le philosophe qui veut éteindre ses passions, ressemble au chimiste qui voudrait éteindre son feu.

XXXV. M... étouffe plutôt ses passions qu'il ne sait les conduire. Il me disait là-dessus : « Je ressemble à un homme qui, étant à cheval, et ne sachant pas gouverner sa bète qui l'emporte, la tue d'un coup de pistolet et se précipite avec elle. »

XXXVI. La nature, en faisant naître à la fois la raison et les passions, semble avoir voulu, par le second présent, aider l'homme à s'étourdir sur le mal qu'elle lui a fait par le premier, et, en ne le laissant vivre que peu d'années après la perte de ses passions, semble prendre pitié de lui, en le délivrant bientôt d'une vie qui le réduit à sa raison pour toute ressource.

xxxvii. J'ai détruit mes passions, à peu près comme un homme violent tue son cheval, ne pouvant le gou- verner.

xxxviii. Le grand malheur des passions n'est pas dans les tourments qu'elles causent, mais dans les fautes, les turpitudes qu'elles font commettre, et qui dégradent l'homme. Sans ces inconvénients , elles auraient trop d'avantage sur la froide raison, qui ne rend point heu- reux. Les passions font vivre l'homme, la sagesse le fait seulement durer.

xxxix. Une âme honnête ne se moquerait pas des misérables, quand même elle serait assurée d'être tou- jours dans le bonheur.

SUIT LES SENTIMENTS. «27

XL, L'homme, clans l'état actuel de la société, me pa- raît |)liis corroin|>u par sa raison (pie par ses passions. Les passions (j'entends ici celles qui appartiennent à l'homme primitif) ont conservé, dans l'ordre social, le peu de na- ture qu'on y retrouve encore.

XM. Notre raison nous rend quelquefois aussi mal- heureux que nos passions; et on peut dire de l'homme, quand il est dans ce cas, que c'est un malade empoisonné par son médecin.

XLii. Le premier des dons de la nature est cette force de raison qui vous élève au-dessus de vos propres pas- sions et de vos faiblesses, et qui vous fait gouverner vos qualités mêmes, vos talents et vos vertus.

xLiii. J'ai souvent remarqué, dans mes lectures, que le premier mouvement de ceux qui ont fait quelque action héroïque, qui se sont livrés à quoique impression géné- reuse, qui ont sauvé des infortunés, couru quelque grand risque et procuré quelque grand avantage, soit au public, soit à des particuliers; j'ai, dis-je, remarqué que leur [)remier mouvement a été de refuser la récompense qu'on leur en offrait. Ce sentiment s'est trouvé dans le cœur des hommes les plus indigents et de la dernière classe du peuple. Quel est donc cet instinct moral qui apprend à l'homme sans éducation que la récompense de ces actions est dans le cœur de celui qui les a faites? Il semble qu'en nous les payant on nous les ôte.

XLiv. Quand on a été bien tourmenté, bien fatigué par sa propre sensibilité, on s'aperçoit qu'il faut vivre au jour le jour, oublier beaucoup, enfin éponger la vie, à mesure qu'elle s'écoule.

XLv. En fait de sentiments, ce qui peut être évalué n'a pas de valeur.

XLvi. Sentir fait penser; on en convient assez aisé-

128 MAXIMES ET PENSÉES.

ment : on convient moins que penser fasse sentir; mais cela n'est guère moins vrai.

XLvii. La fable de Tantale n'a presque jamais servi d'emblème qu'à l'avarice ; mais elle est, pour le moins, autant celui de l'ambition, de l'amour de la gloire, de presque toutes les passions.

XLViii. Lorsque mon cœur a besoin d'attendrissement, je me rappelle la perte des amis que je n'ai plus, des femmes que la mort m'a ravies; j'habite leur cercueil, j'envoie mon âme errer autour des leurs. Hélas! je pos- sède trois tombeaux.

XLix. C'est souvent le mobile de la vanité qui a en- gagé l'homme à montrer toute l'énergie de son âme. Du bois ajouté à un acier pointu fait un dard ; deux plumes ajoutées au bois font une flèche.

L. Combien de militaires distingués, combien d'offi- ciers généraux sont morts sans avoir transmis leurs noms à la postérité : en cela moins heureux que Bucé- phale, et môme que le dogue espagnol Bérécillo, qui dé- vorait les Indiens de Saint-Domingue, et qui avait la paye de trois soldats I

SUR LA DIGNITÉ DU CARACTÈRE

ET l'amour de la RETRAITE.

I. De nos jours, ceux qui aiment la nature sont ac- cusés d'être romanesques.

II. L'intérêt d'argent est la grande épreuve des pe- tits caractères , mais ce n'est encore que la plus petite pour les caractères distingués; et il y a loin de l'homme qui méprise l'argent à celui qui est véritablement honnête.

SUR LA DIGNITÉ DU CARACTÈRE. tf«

iif^ Quiconque n'a pas de caractère n'est pas un

homme : c'est une chose.

IV. La fortune, pour arriver à moi , passera par les conditions que lui impose mon caractère.

V. On s'effraye desjpartis violents; mais ils convien- nent aux âmes fortes, et les caractères vigoureux se re- posent dans l'extrôme.

VI. Quand un homme s'est élevé par son caractère au point de mériter qu'on devine quelle sera sa conduite dans toutes les occasions qui intéressent l'honnôtetc, non- seulement les fripons, mais les demi-honnôtes gens le décrient et l'évitent avec soin; il y a plus, les gens hon- nêtes, persuadés que, par un effet de ses principes, ils le trouveront dans les rencontres ils auront besoin de lui, se permettent de io négliger, pour s'assurer de ceux sur lesquels ils ont des doutes.

VII. Tout homme qui se connaît des sentiments éle- vés a le droit, pour se faire traiter comme il convient, de partir de son caractère plutôt que de sa position.

VIII. Tel homme a été craint {wur ses t<dents, haï I>our SCS vertus, et n'a rassuré que par son caractère. Mais combien de temps s'est passé avant que justice se fit !

IX. Presque tous les hommes sont esclaves par la raison que les Spartiates donnaient de la servitude des Perses, faute de savoir prononcer la syllabe non. Savoir prononcer ce mot et savoir vivre seul sont les deux seuls moyens de consen'ersa liberté et son caractère.

X. Il y a, on ne peut le nier, quelques grands carac- tères dans l'histoire moderne ; et on ne i>eut comprendre comment ils se sont formés : ils y semblent comme dépla- cés; ils y sont comme des cariatides dans un entre-sol.

XI. La considération de l'homme le plus célèbre tient au soin qu'il a de ne pas se prodiguer.

MAXIMES ET PENSEES.

XII. Les Hollandais n'ont aucune commisération de ceux qui font des dettes. Ils pensent que tout homme en- detté vit aux dépens de ses concitoyens, s'il est pauvre, de ses héritiers, s'il est riche.

xin. Si Diogène vivait de nos jours, il faudrait que sa lanterne fût une lanterne sourde.

XIV. Il n'y a personne qui ait plus d'ennemis dans le monde qu'un homme droit, fier et sensilîle, disposé à laisser les personnes et les choses pour ce qu'elles sont , plutôt qu à les prendre pour ce qu'elles ne sont pas.

XV. Il faut regarder l'économie comme un moyen d'être toujours indépendant des hommes, condition plus nécessaire qu'on ne croit pour conserver son honnêteté.

XVI. On se fâche souvent contre les gens de lettres qui se retirent du monde; on veut qu'ils prennent intérêt a la société, dont ils ne tirent presque point d'avantages ; on veut les forcer d'assister éternellement au tirage d'une loterie oii ils n'ont point de billet.

XVII. Le monde endurcit le cœur à la plupart des hommes; mais ceux qui sont moins susceptibles d'insen- sibilité sont obligés de se créer une sorte d'endurcisse- ment factice pour n'être dupes ni des hommes, ni des femmes. Le sentiment qu'un honnête homme emporte, après s'être livré quelques jours à la société, est ordinai- rement pénible et triste : le seul avantage qu'il produise, c'est de faire trouver la retraite aimable.

XVIII. Il faut qu'un honnête homme ait l'estime publi- q.ue sans y avoir pensé, et, pour ainsi dire, malgré lui. Celui qui l'a cherchée donne sa mesure.

XIX. Un pliilosophe regarde ce qu'on appelle un état dans le monde comme les Tartares regardent les villes, c'est-à-dire comme une prison : c'est un cercle les idées se resserrent, se concentrent, en ôtant à l'âme et ii

SUR LA DIGNITÉ OU CARACTÈRK. 131

l'esprit leur étendue et leur développement. Un homme qui a im grand état dans le monde a une prison plus grande et plus ornée ; celui qui n'y a qu'un |)etit état est dans un cachot ; l'homme siins état est le seul homme libre, pourvu qu'il soit dans l'aisance, ou du moins qu'il n'ait aucun besoin des hommes.

XX. La gloire met souvent un honnc'^te homme aux m(!^mes éprouves que la fortune; c'est-à-dire que l'une et l'autre l'obligent, avant do le laisser parvenir jusqu'à elles, à faire ou à soufTrirdes choses indignes de son caractère. L'homme intrépidement vertueux les repousse alors éga- lement l'une et l'autre, et s'enveIoj)pe ou dans l'obscurité ou dans l'infortune, et souvent dans l'une et dans l'autre.

xxi. L'homme le plus modeste, en vivant dans le monde, doit, s'il est pauvre, avoir un maintien très-assuré et une certaine aisance, qui empochent qu'on ne prenne quelque avantage sur lui. II faut, dans ce cas, parer sa modestie de sa fierté.

XXII. On dit quelquefois d'un homme qui vit seul : « Il n'aime pas la société. » C'est souvent comme si on disait d'un homme qu'il n'aime pas la promenade, sous le prétexte qu'il ne se promène pas volontiers le soir dans la forêt de Bondy.

xxm. L'honnête homme, détrompé de toutes les illu- sions, est l'homme par excellence. Pour peu qu'il ait d'esprit, sa société est très-aimable. Il ne siiurait être pédant, ne mettant dim{)ortance à rien. Il est indulgent parce qu'il se souvient qu'il a eu des illusions, comme ceux qui en sont encore occupés. C'est un effet de son insouciance, d'être sûr, dans le commerce, de ne se per- mettre ni rodiU^s, ni tracas.^eries. Si on se les permet à son égard, il les oublie ou les dédaigne. Il doit être plus gai qu'un autre, parce qu'il est constamment en état

132 MAXIMES ET PENSEES.

d'épigrammes contre son prochain. Il est dans le vrai, et rit des faux pas de ceux qui marchent à tâtons dans le faux. C'est un homme qui, d'un endroit éclairé, voit dans une chambre obscure les gestes ridicules de ceux qui s'y promènent au hasard. Il brise en riant les faux poids et les fausses mesures qu'on applique aux hommes et aux choses.

XXIV. Lorsque Montaigne a dit , à propos de la gran- deur : « Puisque nous ne pouvons y atteindre, vengeons- nous-en à en médire, » il a dit une chose plaisante, sou- vent vraie, mais scandaleuse, et qui donne des armes aux sots que la fortune a favorisés. Souvent c'est par pe- titesse qu'on hait l'inégalité des conditions ; mais un vrai sage et un honnête homme pourraient la haïr comme la barrière qui sépare des âmes faites pour se rapprocher. Il est peu d'hommes d'un caractère distingué qui ne se soient refusés aux sentiments que leur inspirait tel ou tel homme d'un rang supérieur ; qui n'aient repoussé, en s'affligeant eux-mêmes, telle ou telle amitié qui pouvait être pour eux une source de douceurs et de consolations. Chacun d'eux, au lieu de répéter le mot de Montaigne, peut dire : « Je hais la grandeur, qui m'a fait fuir ce que j'aimais, ou ce que j'aurais aimé. »

XXV. La nature ne m'a point dit : Ne sois point pauvre; encore moins : Sois riche; mais elle me crie: Sois indépendant !

XXVI. Il y a un genre d'indulgence pour ses ennemis qui paraît une sottise plutôt que de la bonté ou de la grandeur d'âme. M. de C... me paraît ridicule par la sienne. Il me paraît ressembler à Arlequin, qui dit : « Tu me donnes un soufflet ; eh bien! je ne suis point encore fâché. » Il faut avoir l'esprit de haïr ses ennemis.

xxvn. Un homme qui s'obstine à no laisser ployer ni

SUR LA DIGNITÉ DU CAÏIACTÈRE. 133

sa raison, ni sa probité, ou du moins sa délicatesse sous le poids d'aucune des conventions absurdes ou malhon- nêtes de la société ; qui no fléchit jamais dans les occa- sions où il a intérêt do fléchir, finit infailliblement par rester sîins appui, n'ayant d'autre ami qu'un être abs- trait qu'on appelle la vertu, qui vous laisse mourir de faim.

xxviii. On a trouvé le moi de Médée sublime; mais celui qui ne peut pas le dire dans tous les accidents de la vie est bien peu de chose, ou plutôt n'est rien.

XXIX. En renonçant au monde et à la fortune, j'ai trouvé le bonheur, le calme, la santé, môme la richesse; et, en dépit du proverbe, je m'aperçois que « qui quitte la {«rtie la gagne, n

XXX. Il y a des moments le monde paraît s'appré- cier lui-même ce qu'il vaut. J'ai souvent démêlé (pi'il estimait ceux qui n'en faisaient aucun cas; et il arrive souvent que c'est une recommandation auprès de lui que de le mépriser souverainement, pourvu que ce mépris soit vrai, sincère, naïf, sans aff'ectation, sans jactance.

XXXI. Ceu.\ qui rai)portcnt tout à l'opinion ressemblent à ces comédiens qui jouent mal pour être applaudis, quand le goût du public est mauvais : quelques-uns au- raient le moyen de bien jouer, si le goût du public était bon. L'honnête homme joue son rôle le mieux qu'il peut, sans songer à la galerie.

XXXII. L'opinion publique est une juridiction que l'honnête homme ne doit jamais reconnaître parfaitement et qu'il ne doit jamais décliner.

XXXIII. On anéantit son propre caractère dans la crainte d'attirer les regards et l'attention, et on se précipite dans la nullité, pour échapper au danger d'être peint.

xxxiv. l'eu de pereonncs peuvent aimer un philoso-

8

MAXIMES ET PENSEES.

phe. C'est presque un ennemi public qu'un homme qui, dans les différentes prétentions des hommes, et dans le mensonge des choses, dit à chaque homme et à chaque chose : « Je ne te prends que pour ce que tu es; je ne t'apprécie que ce que tu vaux. « Et ce n'est pas une pe- tite entreprise de se faire aimer et estimer avec l'annonce de ce ferme propos.

XXXV. Il y a peu d'hommes qui se permettent un usage vigoureux et intrépide de leur raison, et osent l'appliquer à tous les objets dans toute sa force. Le temps est venu il faut l'appliquer ainsi à tous les objets de la morale, de la politique et de la société ; aux rois, aux ministres, aux grands, aux philosophes; aux principes des sciences, des beaux-arts, etc. : sans quoi, on restera dans la mé- diocrité.

xxxvi. Il y a une sorte de plaisir attaché au courage qui se met au-dessus de la fortune. Mépriser l'argent, c'est détrôner un roi : il y a du ragoût.

xxxvir. Il y a bien peu d'hommes à grand caractère qui n'aient quelque chose de romanesque dans la tête ou dans le cœur. L'homme qui en est entièrement dépourvu, quelque honnêteté, quelque esprit qu'il puisse avoir, est, à l'égard du grand caractère, ce qu'un artiste, d'ailleurs très-habile, mais qui n'aspire point au beau idéal, est à l'égard de l'artiste, homme de génie, qui s'est rendu ce beau idéal familier.

xxxviii. Les pensées d'un solitaire, homme de sens, et fût-il d'ailleurs médiocre, seraient bien peu de chose, si elles ne valaient pas ce qui se dit et se fait dans le monde.

xxxix. On est plus heureux dans la solitude que dans le monde. Cela ne viendrait-il pas de ce que, dans la so- litude, on pense aux choses, et que, dans le monde, on est forcé de penser aux hommes?

SUR L'AMITIE. 135

SUR L'AMITIi:.

I. Les nouveaux amis que nous faisons après un cer- tain âge, et par lesquels nous clicrchons à remplaa»r ceux que nous avons perdus, sont à nos anciens amis ce que les yeux de verre, les dents jwstiches et les jambes de bois sont aux véritables yeux, aux dents naturelles et aux jambes de chair et d'os.

II. Je conserve pour M. de la B... le sentiment qu'un honnête homme éprouve en passant devant le tombeau d'un ami.

III. « Dans le monde, disait M..., vous avez trois sortes d'amis: vos amis qui vous aiment, vos amis qui ne se soucient pas de vous, et vos amis qui vous haïssent. »

IV. La plupart des amitiés sont hérissées de si et de mats, et aboutissent à de simples liaisons, qui subsistent à force de soits-entendus.

V. M... me disait : « J'ai renoncé à l'amitié de deux hommes : l'un, parce qu'il ne m'a jamais parlé de lui; l'autre, parce qu'il ne m'a jamais parlé de moi. »

VI. Dans de certiiines amitiés passionnées, on a le bonheur des passions et l'aveu do la raison par-dessus le marché.

VII. L'amitié extrême et délicate est souvent blessée du repli d'une rose.

VIII. Il y a peu de vices qui empêchent un hommo d'avoir beaucoup d'amis, autant que peuvent le faire de trop grandes qualités.

IX. On fait quelquefois dans le monde un raisonne- ment bien étrange. On dit à un homme, en voulant reçu-

136 MAXIMES ET PENSEES.

ser son témoignage en faveur d'un autre homme : « C'est votre ami. » Eh! morbleu! c'est mon ami, parce que le bien que j'en dis est vrai, parce qu'il est tel que je le peins. Vous prenez la cause pour l'effet, et l'effet pour la cause. Pourquoi supposez-vous que j'en dis du bien parce qu'il est mon ami ; et pourquoi ne supposez- vous pas plu- tôt qu'il est mon ami parce qu'il y a du bien à en dire ?

X. En général, malheur à l'homme qui, même dans l'amitié la plus intime, laisse découvrir son faible et sa prise ! J'ai vu les plus intimes amis faire des blessures à l'amour-propre de ceux dont ils avaient surpris le secret.

XI. Il n'y a que l'amitié entière qui développe toutes les qualités de l'âme et de l'esprit de certaines personnes. La société ordinaire ne leur laisse déployer que quelques agréments. Ce sont de beaux fruits qui n'arrivent à leur maturité qu'au soleil, et qui, dans la serre chaude, n'eus- sent produit que quelques feuilles agréables et inutiles.

XII. Les femmes ne donnent à l'amitié que ce qu'elles empruntent à l'amour.

XIII. Les jeunes femmes ont un malheur qui leur est commun avec les rois, celui de n'avoir point d'amis ; mais, heureusement, elles ne sentent pas ce malheur plus que les rois eux-mêmes : la grandeur des uns et la vanité des autres leur en dérobent le sentiment.

XIV. La] concorde des frères est si rare, que la Fable ne cite que deux frères amis ; et elle suppose qu'ils ne se voyaient jamais, puisqu'ils passaient tour à tour de la terre aux champs Élysées, ce qui ne laissait pas d'éloigner tout sujet de dispute et de rupture.

XV. Qui est-ce qui n'a que des liaisons entièrement honorables ? Qui est-ce qui ne voit pas quelqu'un dont il demande pardon à ses amis ? Quelle est la femme qui ne s'est pas vue forcée d'expliquer à la société la visite

SUR L'AMITIÉ. 137

de telle ou telle femme qu'on a été surpris de voir chez elle?

XVI. Le rôle de l'homme prévoyant est triste : il afflige ses amis, en leur annonçant les malheurs auxquels les expose leur imprudence. On no le croit pas; et, quand ces malheurs sont arrivés, ces mêmes amis lui savent mauvais gré du mal qu'il a prédit, et leur amour-propre baisse les yeux devant l'ami qui devait être leur consola- teur, et qu'ils auraient choisi s'ils n'étaient pas humiliés en sa présence.

SUR LES FEMMES ET LE MARIAGE.

I. L'amour le plus honnête ouvre l'àmo aux petites passions : le mariage ouvre votre âme aux petites pas- sions de votre femme, à l'ambition, à la vanité, etc.

n. L'amour plaît plus que le mariage, par la raison que les romans sont plus amusants que l'histoire.

III. En amour, il suffit de se plaire par ses qualités aimables et par ses agréments ; mais en mariage , pour être heureux, il faut s'aimer, ou du moins se convenir par ses défauts.

IV. On proposait à un célibataire de se marier. Il ré- pondit par de la plaisanterie; et, comme il y avait mis beaucoup d'esprit, on lui dit : « Votre femme ne s'ennuie- rait pas. » Sur quoi, il répondit : « Si elle était jolie, sûre- ment elle s'amuserait tout comme une autre. »

V. Los fomnies font cause commune ; elles sont liées par un esprit de corps, par une espèce de confédéi-ation tacite, qui, comme les ligues secrètes d'un État, prouve peut-être la faiblesse du parti qui se croit obligé d'y avoir recours.

8

MAXIMES ET PENSEES.

VI. M... me dit un jour plaisamment, à propos des femmes et de leurs défauts : e II faut choisir d'aimer les femmes ou de les connaître : il n'y a pas de milieu. »

VII. Il est plaisant que le mot connaître une femme veuille dire : coucher avec une femme, et cela, dans plu- sieurs langues anciennes, dans les mœurs les plus sim- ples, les plus approchantes de la nature ; comme si on ne connaissait point une femme sans cela. Si les patriarches avaient fait cette découverte, ils étaient plus avancés qu'on ne croit.

VIII. La femme qui s'estime plus pour les qualités de son âme ou de son esprit que pour sa beauté est supé- rieure à son sexe. Celle qui s'estime plus pour sa beauté que pour son esprit ou pour les qualités de son âme est de son sexe. Mais celle qui s'estime plus pour sa nais- sance ou pour son rang que pour sa beauté est hors de son sexe, et au-dessous de son sexe.

IX. Le divorce est si naturel, que, dans plusieurs maisons, il couche toutes les nuits entre deux époux.

X. M... me disait qu'il s'était toujours bien trouvé des maximes suivantes sur les femmes : « Parler toujours bien du sexe en général ; louer celles qui sont aimables; se taire sur les autres ; les voir peu ; ne s'y fier jamais, et ne jamais laisser dépendre son bonheur d'une femme, quelle qu'elle soit. »

XI. On vous dit quelquefois, pour vous engagera aller chez telle ou telle femme : Elle est très - aimable ; mais, si je ne veux pas l'aimer ! Il vaudrait mieux dire : Elle est tres-aimante , parce qu'û y a plus de gens qui veulent ôtre aimés que de gens qui veulent aimer eux- mêmes.

XII. « Je n'aime point, disait M..., ces femmes im- peccables, au-dessus de toute faiblesse. Il me semble que

SUR LES FEMMES ET LE MARIAGE. 139

je vois sur leur porto le vers du Dante sur la porte de l'enfer :

Voi ch'intrale, lasciate ogni speransa !

C'est la devise des damnés.

XII. M..., à qui on reprochait son indifférence pour les femmes, disait : « Je puis dire sur elles ce que madame de C... disait sur les enfants : J'ai dans la tète un fds dont je ne n'ai pu accoucher. J'ai dans l'espril une femme comme il \j en a peu, (jui me préserve des femmes comme il y en a beaucoup : j'ai bien des obligations à cette femme-là. »

XIV. Les femmes d'un état mitoyen, qui ont l'espé- rance ou la manie d'être quelque chose dans le monde,

n'ont ni le bonheur de la nature, ni celui de l'opinion : ce sont les plus malheureuses créatures que j'aie connues.

XV. La société, qui rapetisse beaucoup les hommes, réduit les femmes à rien.

XVI. On demande pourquoi les femmes affichent les hommes; on en donne plusieurs raisons dont la plupart sont offensantes pour les hommes. La véritable, c'est qu'elles ne peuvent jouir de leur empire sur eux que par ce moyen.

XVII. On proposait un mariage à M...; il repondit : « Il y a deux choses que j'ai toujours aimées à la folie, ce sont les femmes et le célibat. J'ai perdu ma première pas- sion, il faut que je conserve la seconde. »

xvix. J'ai remarqué, en lisant rKcrifure. qu'en plu- sieurs passages, lorsqu'il s'agit de reprochera l'humanité, des fureurs ou des crimes, l'auteur dit : « Les enfants des hommes: » et, quand il s'agit de sottises ou de faiblesses, il dit : « Les enfants des femmes. »

XIX. Pre.«que toutes les femmes, soit de Versailles, soit

MAXIMES ET PENSEE*.

de Paris, quand ces dernières sont d'un état un peu con- sidérable, ne sont autre chose que des bourgeoises de qua- lité, des madame Naquart, présentées ou non présentées.

XX. « Celui qui n'a pas vu beaucoup de filles ne con- naît point les femmes, » me disait gravement un homme, grand admirateur de la sienne, qui le trompait.

XXI. Je me souviens d'avoir vu un homme quitter les filles d'Opéra, parce qu'il y avait vu, disait-il, autant de fausseté que dans les honnêtes femmes.

XXII. Il semble que la nature, en donnant aux hommes un goût pour les femmes, entièrement indestructible, ait deviné que, sans cette précaution, le mépris qu'inspirent les vices de leur sexe, principalement leur vanité, serait un grand obstacle au maintien et à la propagation de l'es- pèce humaine.

XXIII. Les femmes font avec les hommes une guerre ceux-ci ont un grand avantage, parce qu'ils ont les filles de leur côté.

XXV. M. de B... prétendait qu'on ne dit point à une femme à trois heures ce qu'on lui dit à six ; à six , ce qu'on lui dit à neuf, à minuit, etc. Il ajoutait que le plein midi a une sorte de sévérité. Il ajoutait que son ton de conversation avec madame de... était changé depuis qu'elle avait changé en cramoisi le meuble de son cabi- net, qui était bleu.

XXIV. L'hymen vient après l'amour, comme la fumée après la flamme.

XXVI. Une laide impérieuse, et qui veut plaire, est un pauvre qui commande qu'on lui fasse la charité.

xxvii. On marie les femmes avant qu'elles soient rien et qu'elles puissent rien être. Un mari n'est qu'une espèce de manœuvre qui tracasse le corps de sa femme, ébauche son esprit et dégrossit son âme.

SUR LES FEMMES ET LE MARIAGE. Ul

XXVIII. L'état de mari a cela de fâcheux, que le mari qui a le plus d'esprit peut être de trop partout, môme chez lui, ennuyeux sans ouvrir la bouche, et ridicule en disant la chose la plus simple. Être aimé de sa femme sauve une partie de ces travers. De vient que M..., disait à sa femme : « 3Ia chère amie, aidez-moi à n'être pas ridicule. »

XXIX. « Qu'un homme d'esprit, disait en riant M. de..., ait des doutes sur sa maîtresse, cela se conçoit; mais sur sa femme, il faut être bien bête ! »

XXX. Une des meilleures raisons qu'on puisse avoir de ne se marier jamais, c'est qu'on n'est pas tout à fait la dupe d'une femme tant qu'elle n'est point la vôtre.

XXXI. Je demandais ii M... quelle était sa raison de refuser un mariage avantageux. « Je ne veux point me marier, dit-il, dans la crainte d'avoir un fils qui me res- semble. » Comme j'étais surpris, vu que c'est un très- honnête homme : « Oui, dit-il, un fils qui, étant pauvre comme moi, ne sache ni mentir, ni flatter, ni ramper, et ait à subir les mêmes épreuves que moi. »

xxxii. En fait de mariage, il n'y a de reçu que ce qui est sensé, et il n'y a d'intéressant que ce qui est fou. Le reste est un vil calcul.

xxxiii. Le mariage , tel qu'il se pratique chez les grands, est une indécence convenue.

XXXIV. Le mariage et le célibat ont tous deux des in- convénients ; il faut préférer celui dont les inconvénients ne sont pas sans remède.

XXXV. Nous avons vu des hommes réputés honnêtes, des sociétés considérables , applaudir au bonheur de mademoiselle..., jeune personne belle, spirituelle, ver- tueuse, qui obtenait l'avantage de devenir l'épouse de

M,.. f vieillard malsain, repoussant, malhonnête, imbé~

<42 ^ MAXIMES ET PENSÉES.

elle, mais riche. Si quelque chose caractérise un siècle infâme, c'est un pareil sujet de triomphe, c'est le ridicule d'une telle joie, c'est ce renversement de toutes les idées morales et naturelles.

XXXVI. Quelque mal qu'un homme puisse penser des femmes, il n'y a pas de femme qui n'en pense encore plus mal que lui.

XXXVII. Avez-vous jamais connu une femme qui, voyant un de ses amis assidu auprès d'une autre femme, ait supposé que cette autre femme lui fût cruelle ? On voit par l'opinion qu'elles ont les unes des autres. Tirez vos conclusions.

XXXVIII. Le mot le plus raisonnable et le plus mesuré qui ait été dit sur la question du célibat et du mariage est celui-ci : « Quelque parti que tu prennes, tu t'en repen- tiras. » Fontenelle se repentit, dans ses dernières années, de ne s'être pas marié. Il oubliait quatre-vingt-quinze ans passés dans l'insouciance.

XXXIX. Il y a telle fille qui trouve à se vendre, et ne trouverait pas à se donner.

XL, Ce qui rend le commerce des femmes si piquant, c'est qu'il y a toujours une foule de sous-entendus, et que les sous-entendus qui, entre hommes, sont gênants, ou du moins insipides, sont agréables d'un homme à une femme.

SUR L'AMOUR ET LA GALANTERIE.

I. II y a telle femme qui s'est rendue malheureuse pour la vie, qui s'est perdue et déshonorée pour un amant qu'elle a cessé d'aimer parce qu'il a mal ôté sa poudre, ou mal coupé un de ses ongles, ou mis son bas à l'envers.

s IJ 11 L'A M U L' Il ET I. A (; A I. A N T V. W 1 1).

II, Peut-être faut- il avoir sonti l'amour pour bien connaître l'amitié.

m. L'amour est comme les maladies épidémiqucs : plus on les craint, plus on y est exposé.

IV. L'amour, dans des mœurs simples, n'est com- posé que de lui-même , ne peut être juiyé que par lui , s'offense de ce qui n'est pas lui ; mais, dans des mœurs raffinées, c'est-à-dire corrompues, ce sentiment laisse entrer dans sa composition une foule d'accessoires qui lui sont étrangers : rapports de |K)sition, convenances de so- ciété, calculs d'amour-propre, intérêt de vanité et nombre d'autres combinaisons qui vont même jusqu'à le rendre ri- dicule. En France, c'est, pour l'ordinaire, un aniusement, un jeu de commerce qui ne ruine et n'enrichit personne.

v. L'amour, tel qu'il existe dans la société, n'est que l'échange do deux fantaisies et le contiict de deux épi- dermes.

VI. « Le moment oii j'ai renoncé à l'amour, disait M..., le voici : c'est lorsque les femmes ont commencé à dire : « M..., je l'aime beaucoup, je l'aime de tout mon « cœur, etc. » Autrefois, ajoutait-il, quand j'étais jeune, elles disaient : « M..., je l'estime infiniment, c'est un « jeune homme bien honnête. »

vu. En amour, tout est vrai , tout est faux ; et c'est la seule chose sur lacpielle on ne puisse pas dire une ab- surdité.

viii. Un homme de tiualifé se marie sjins aimer sa femme; prend une fille d'Opéra qu'il quitte en disant: « C'est comme ma femme ; » prend une femme honnête pour varier, et quitte celle-ci en disjint : « C'est comme une telle; » ainsi de suite.

IX. L'amour, disait M..., devrait n'être le plaisir que des ànies délicates. Quand je vois des hommes gros-

il4 MAXIMES ET PENSÉES.

siers se mêler d'amour, je suis tenté de dire : « De quoi vous môlez-vous? Du jeu, de la table, de l'ambition à cette canaille. »

X. Il semble que l'amour ne cherche pas les per- fections réelles ; on dirait qu'il les craint. II n'aime que celles qu'il crée, qu'il suppose ; il ressemble à ces rois qui ne reconnaissent de grandeurs que celles qu'ils ont faites.

XI. L'amour est un sentiment qui, pour paraître honnête, a besoin de n'être composé que de lui-même, de ne vivre et de ne subsister que par lui.

XII. L'amour est un commerce orageux , qui finit toujours par une banqueroute, et c'est la personne à qui on fait banqueroute qui est déshonorée.

XIII. M... me disait : « C'est faute de pouvoir placer un sentiment vrai, que j'ai pris le parti de traiter l'amour comme tout le monde. Cette ressource a été mon pis aller, comme un homme qui, voulant aller au spectacle, et n'ayant pas trouvé de place à Iphigénie, s'en va aux Va- riétés amusantes. »

XIV. Otez l'amour-propre de l'amour, il en reste trop peu de chose. Une fois purgé de vanité, c'est un conva- lescent affaibli, qui peut à peine se traîner.

XV. On demandait à M... pourquoi la nature avait rendu l'amour indépendant de notre raison. « C'est, dit- il, parce que la nature ne songe qu'au maintien de l'es- pèce ; et, pour la perpétuer, elle n'a que faire do notre sottise. Qu'étant ivre, je m'adresse à une servante de cabaret ou à une fille, le but de la nature peut être aussi bien rempli que si j'eusse obtenu Clarisse après deux ans de soins ; au lieu que ma raison me sauverait de la ser- vante, do la fille et de Clarisse même peut-être. » A no consulter que la raison, quel est l'homme qui voudrait

SUR L'AMOUR ET LA GALANTERIE.

ôtre père et se préparer tant de soucis pour un long ave- nir? Quelle fommo, pour une (^pilopsio do quelques mi- nutes, se donnerait une maladie d'une année entière? La nature, en nous dérolwnt h notre raison, assure mieux son empire; et voilà pourquoi elle a mis de niveau sur ce point Zénobie et sa fdle de basse-cour, Marc-Aurèle et son palefrenier.

XVI. Un homme amoureux est un homme qui veut être plus aimable qu'il ne peut; et voilà pourquoi presque tous les amoureux sont ridicules.

XVII. On dit communément : « La plus belle femme du monde ne peut donner que ce qu'elle a ; » ce qui est très-faux : elle donne précisément ce qu'on croit recevoir, puis(|u'en ce genre c'est l'imagination qui fait le prix de ce qu'on reçoit.

xviii. Le commerce des hommes avec les femmes res- semble à celui que les Européens font dans l'Inde : c'est un commerce guerrier.

XIX. Je suis honteux de l'opinion que vous avez de moi. Je n'ai pas toujours été aussi Céladon que vous me voyez. Si je vous comptais trois ou quatre traits de ma jeunesse, vous verriez que cela n'est pas trop honnête, et que cela appartient à la meilleure compagnie.

XX. Il me semble, diasit M. de., à propos des fa- veurs dos femmes, qu'à la vérité cela se dispute au concours, mais que cela ne se donne ni au sentiment, ni au mérite.

XXI. On demandait h un homme qui faisait profes- sion d'estimer beaucoup les femmes, s'il en avait eu beau- coup. Il répondit : « Pas aut;uit que si je les méprisius. »

XXII. Le temps a fait succéder dans la galanterie le piquant du scandale au piquant du nnstère.

XXIII. On dit, en politique, que les sages ne font point

9

146 MAXIMES ET PENSEES.

de conquêtes : cela peut aussi s'appliquer à la galanterie.

XXIV. Une âme fière et honnête, qui a connu les pas- sions fortes, les fuit, les craint, dédaigne la galanterie ; comme l'âme qui a senti l'amitié dédaigne les liaisons communes et les petits intérêts.

XXV. Un homme amoureux, qui plaint l'homme rai- sonnable, me paraît ressembler à un homme qui lit des contes de fées, et qui raille ceux qui lisent l'histoire.

XXVI. L'infidélité est un goût avec nous. L'homme n'a pas plus le pouvoir d'être constant que celui d'écar- ter les maladies. L'objet quitté n'a été que prévenu, voilà tout. Quelques mois de plus ou de moins sont la seule différence entre l'infidèle et l'abandonné.

XXVII. L'amant trop aimé de sa maîtresse semble l'ai- mer moins, et vice versa. En serait-il des sentiments du cœur comme des bienfaits ? Quand on n'espère plus pou- voir les payer, on tombe dans l'ingratitude.

XXVIII. Pour qu'une liaison d'homme à femme soit vraiment intéressante, il faut qu'il y ait entre eux jouis- sance, mémoire ou désir.

XXIX. Qu'est-ce que c'est qu'une maîtresse? Une femme près de laquelle on ne se souvient plus de ce qu'on sait par cœur, c'est-à-dire de tous les défauts de son sexe.

XXX. L'abbé Fraguier perdit un procès qui avait duré vingt ans. On lui faisait remarquer toutes les peines que lui avait causées un procès qu'il avait fini par perdre. « Oh ! dit-il, je l'ai gagné tous les soirs pendant vingt ans. « Ce mot est très-philosophique, et peut s'appliquer à tout. Il explique comment on aime la coquette : elle vous liiit gagner votre procès pendant six mois, pour un jour elle vous le fait perdre.

XXXI. Madame de... a été rejoindre son amant en An-

SI a L'AMOUR ET I.A GALANTERIE. C47

gleterre, pour faire preuve d'une grande tendresse, quoi- qu'elle n'en eût guère. A présent, les scandales se donnent par respect humain.

XXXII. Une femme d'esprit m'a dit un jour un mot qui pourrait bien (Hre le secret de son sexe : c'est que toute femme, en prenant un amant, tient plus de compte de la manière dont les autres femmes voient cet homme que de la manière dont elle le voit elle-même.

xxxiii. J'ai vu, dans le monde, quelques hommes et quelques femmes qui ne demandent pas l'échange du sen- timent contre le sentiment, mais du procédé contre le pro- cédé, et qui abandonneraient ce dernier marché, s'il pou- vait conduire à l'autre.

xxxiv. Soyez aussi aimable, aussi honnête qu'il est possible, aimez la femme la plus parfaite qui se puisse imaginer; vous n'en serez pas moins dans le cas de lui pardonner ou votre prédécesseur, ou votre successeur.

REFELXIONS ET PHECEPTES

SUR L'ART DRAMATIQUE».

I. Tout est action au théâtre, et les plus beaux dis- cours même y seraient insupportables, s'ils n'étaient que (les discours.

II. Tout est art du côté de celui qui arrange une ac-

1. Nous avons extrait des ébauches de Cliamfort sur l'art dramatique les préceptes et les réflexions qui vont suivre. Il est remarquable com- bien ces maximes , écrites au point de vue do l'art t1ié.1tral , sont vraies par elles-mêmes. Rien ne prouve mieux, d'une part, combien Oharafort avait l'esprit juste et exact, et, de l'autre, quel accord presque parfait existe entre la vérité dans l'art et la vérité naturelle. ( P. J. St. )

HS MAXIMES ET PENSEES.

tion théâtrale, mais rien ne doit le paraître à celui qui la voit.

III. L'amitié, sans être une passion comme l'amour, l'ambition, etc., a produit, dans certaines âmes, de si grands effets de générosité, de renoncement à soi-même ; ce sentiment est si doux, si sublime, si consolant pour l'humanité, qu'il a plusieurs fois rempli la scène avec succès.

IV. L'égalité parfaite semble être nécessaire entre les amis ; on est fâché de voir, dans Andromaque, Pylade si fort au-dessous d'Oreste.

V. L'amour, dans une âme féroce, ne peut jamais être qu'une passion grossière, qui révolte au lieu de toucher.

VI. L'amour paraît être beaucoup plus à sa place dans la comédie que dans la tragédie, et personne ne la lui a jamais contestée. Il ne paraît pas jouer un grand rôle dans les pièces d'Aristophane, parce que l'auteur, occupé à faire sans cesse la satire du gouvernement et de ses conci- toyens, ne s'est point occupé à peindre les symptômes et les ridicules de cette passion.

Mais, quand les poètes furent forcés de se retrancher dans les bornes d'une censure générale, il paraît que l'amour entra pour beaucoup dans les pièces de Ménandre et des poëtes de la comédie nouvelle. Il est le principal ressort de celles de Plante et de Térence , et on trouve chez eux des peintures très-savantes de cette passion.

Nulle autre passion, en effet, ne paraît plus favorable à la comédie. La finesse, la vivacité des sentiments qu'elle inspire, les brouilleries, les raccommodements, les dépits, les jalousies, etc., tout concourt à la rendre extrêmement comique.

Tantôt c'est un amant qui fait ce qu'il ne croit pas faire, ou qui dit le contraire de ce qu'il veut dire ; qui est do-

SUR L'ART DRAMATlOUE. U9

miné {)ar un sontinuMit (ju'il croit iuoir vaincu, ou qui découvre co qu'il prend iirand soin de cacher.

Le racconiinodeinent de deux amants dans In Mère co- quette, la même scène à peu près dans le Dépit amoureux, dans le Tartufe, dans le Bourgeois gentilhomme ; toutes ces scènes qui ne sont que des développements de l'ode d'Ho- race Donec gratus eram tibi, toutes ces scènes sont des modèles en ce genre.

Racine, avant qu'il eiH perfectionné l'idée qu'il avait de la vraie tragédie, avait développé, dans Andromaque, quel- ques-uns do ces mouvements; mais il comprit bientôt qu'il devait les abandonner à Molière.

Dans la vraie comédie, il faut observer de tourner tou- jours les scènes d'amants en gaieté. Cette attention est d'autant plus nécessaire que ces scènes sont devenues des lieux communs, que le spectateur ne daigne écouter que quand l'auteur développe, d'une manière comique, les replis du cœur humain dans la passion qui lui est la plus chère.

On a cru longtemps, d'après quelques ariettes des opé- ras de Quinault, et d'après les ouvrages de presque tous ses successeurs, que l'amour, sur la scène lyrique, ne devait être que de la simple galanterie. Mais, après la mort de ce poëte, on lui a reiulu justice, comme à Ra- cine, sur l'usage qu'il avait fait de l'amour.

vu. Cette passion est devenue, surtout parmi les mo- dernes, l'àme de tous les théâtres : tragédies, comédies, opéras, elle s'est emparée de tout. Voyons par quels de- giTS elle y est parvenue, et examinons-la successivement dans la tragédie, la comédie et la tragédie lyrique.

Les anciens n'ont presque jxis mis d'amour dans leurs tragédies. Phkhe est presque la seule pièce de l'anti- quité où l'amour joue un grand rôle et soit vraiment théA-

MAXIMES ET PENSEES.

tral; dans Alceste , il est plutôt un devoir qu'une passion.

Les Grecs ne se sont jamais avisés de faire entrer l'amour dans des sujets aussi terribles quOEdipe, Electre, Jphigénie en Tauride; de plus, ils n'avaient point de comédiennes; les rôles de femmes étaient joués par des hommes mas- qués, et il me semble que l'amour eût été ridicule dans leur bouche.

Chez les Romains, il n'occupa guère que la scène co- mique. Il est étonnant que la Didon de Virgile n'ait point appris aux poètes combien l'amour pourrait devenir ter- rible et théâtral; peut-être l'était-il dans la Médée d'Ovide, si l'on en juge par son grand succès, et surtout par la manière dont l'auteur a traité cette passion dans plusieurs endroits de ses Métamorphoses. L'épisode de Myrrha et de Cynère est un modèle que Racine a imité dans Phèdre, et surtout dans la confidence de Phèdre à QEnone. Le peu d'amour qui se trouve dans les pièces de Sénèque est froid et déclamatoire.

Le Cid espagnol fut la première pièce, parmi les mo- dernes, où l'amour fut digne de la scène tragique ; c'est que Corneille apprit le grand art de l'opposer au devoir, et créa un nouveau genre de tragédie. Mais ce grand homme ayant depuis contracté l'habitude de le faire en- trer dans des intrigues peu dramatiques, oii même il ne tenait que le second rang, il devint languissant et froid.

Enfin Racine parut; et Hermione, Roxane, Phèdre, nous apprirent comment il fallait traiter l'amour.

Les grands effets qu'il produisit au théâtre firent croire qu'une pièce ne pouvait s'y soutenir sans lui.

Corneille, dans ses discours sur l'art dramatique, recom- mande de ne donner à l'amour que la seconde place, et de céder la première aux ' autres passions. Fontenelle, inté- ressé à étendre les principes de son oncle, fit de cet usage

SUR L'ART DRAMATIQUE. <!U

un précepte dans sa Poétique. Racine n'avait rien écrit : on crut Fontenello, appuyé du grand nom de son oncle. Dès lors, on no vit plus, sur la scèno tragique, que de fades romans dialogues; et des auteurs qui semblaient n'avoir pas besoin de cette ressource le firent entrer dans des sujets il était absolument étranger.

Enfin, Voltaire, après avoir, malgré lui, payé le tribu au goût de son siècle dans OEdipe, fit voir dans Zaïre, Alzire, Adélaïde, etc., que l'amour, au théâtre, doit être terrible, passionné, accompagné de remords, et qu'il doit surtout avoir la première place.

Il faut, ou que l'amour conduise aux malheurs et aux crimes, pour faire voir combien il est dangereux, ou que la vertu en triomphe, pour montrer qu'il n'est pas invin- cible : sans cela, ce n'est plus qu'un amour d'églogue ou de comédie.

Si vous êtes forcé de ne lui donner que la seconde place, alors imitez Racine dans l'art difficile de le rendre inté- ressant par les développements délicats du cœur humain, par des nuances fines, et surtout par un style correct et soutenu.

Pour que l'amour soit intéressant, il faut que le spec- tateur le suppose au comble, que ce sentiment subsiste depuis longtemps, qu'il ne soit pas devant lui comme dans les pièces de La Grange-Chancel et de quelques au- tres, où des princesses deviennent amoureuses pour avoir vu le héros un moment ; il faut que l'on n'aime pas une femme uniquement pour sa beauté I

On a remarqué qu'on ne s'intéresse jamais sur la scène à un amant, lorsqu'on est sûr qu'il sera rebuté. Pourquoi Oreste intéresse-t-il dans Andromaque ? C'est que Racine a eu le grand art de faire espérer qu'Oreste serait aimé. Un araant toujours rebuté par sa maîtresse fest toujours

MAXIJVIES ET PENSEES.

par le spectateur, à moins qu'il ne respire la fureur de la vengeance.

On ne s'intéresse jamais non plus aux amants fidèles, sans succès et sans espoir, qui, comme Antiochus dans Bérénice, disent :

Je pars fidèle encor quand je n'espère plus.

C'était une idée prise dans la galanterie ridicule du xv* et du xvi" siècle.

VIII. Une scène d'amants contents doit passer fort vite; et une scène d'amants malheureux, qui appuient sur toutes les circonstances de leur malheur, peut être assez longue sans ennuyer. La curiosité n'a plus rien à faire avec des gens heureux ; elle les abandonne, à moins qu'elle n'ait lieu de prévoir qu'ils retomberont bientôt dans le malheur; alors ce contraste diversifie très-agréablement le spectacle qu'on offre à l'esprit, et les passions qui agi- tent le cœur.

IX. Au théâtre, il faut toujours prendre les caractères dans un degré élevé; rien de médiocre, ni vertus ni vices.

Ce qui fait les grandes vertus, ce sont les grands obsta- cles qu'elles surmontent.

X. Si quelque chose pouvait être au-dessous des caractères bas et méprisables, ce seraient les caractères faibles et indéc's.

XI. Les caractères doivent être à la fois naturels et attachants. On veut rencontrer l'homme partout, et on ne s'intéresse point à des portraits chimériques.

XII. Un des grands secrets de l'art dramatique, c'est de faire sans cesse contraster les caractères avec les si- tuations.

xiii. Comme nous sommes plus sensibles au mal qu'au

SUR L'ART DRAMATIQUE. 153

bien, nous haïssons boaucoup pins l'un que nous n'aimons l'autre, et nous souhaitons moins vivement d'(>tre heureux que nous n'appréhendons d'être misérables.

XIV. Le cœur humain aime dans autrui ses sentiments et ses faiblesses.

XV. On a beau dire; la vue des misérables ne nous console point de l'être.

xvi. Nous voulons de l'ordre et de la raison partout, quand nous sommes hors d'intérêt.

xvn. On peut définir ainsi la comédie : l'art de faire servir la malignité humaine à la correction des mœurs.

xviii. Il faut des coups de maître pour exposer heu- reusement un sujet sur le théâtre, au lieu qu'il n'est besoin que d'une belle simplicité, qui toutefois est rare, pour commencer un ix)ëme épique.

XIX. Un homme ne peut soutenir longtemps une vio- lente agitation La violence d'une tempête est le présage de sa fm.

XX. Les sottises des grands sont presque toujours des malheurs publics.

XXI. Au théâtre, ne commettez jamais de grands crimes que (juand de grandes passions en diminueront l'atrocité.

XXII. Au théâtre, toute scène qui ne donne pas envie de voir les autres ne vaut rien.

xxui. Les grands intérêts au théâtre se réduisent à être en péril do perdre la vie, ou l'honneur, ou la liberté, ou un trône, ou un ami, ou sa maîtresse.

XXIV. Les grands intérêts sont tout ce qui remue for- tement les hommes, et il y a des moments la vie n'est pas leur plus grande passion.

XXV. Nous jwrtons au théâtre une raison et un cœur. Il faut satisfaire l'une et l'autre. Si les acteurs agissent

9.

MAXIMES ET PENSEES.

par vertu, voilà notre sensibilité exercée; mais, si la passion et la vertu sont d'accord, voilà tous nos besoins remplis.

XXVI. On sent une espèce de joie à la vue d'une hé- roïne en qui la passion et le devoir ne sont qu'un même sentiment.

xxvii. Lorsqu'on s'apprivoise avec l'idée des maux, on se fortifie soi-même contre eux, et on se porte plus vive- ment à les soulager en autrui par l'espoir du retour.

xxviii. La musique est une langue. Imaginez un peuple d'inspirés et d'enthousiastes qui, avec nos passions et nos principes, nous seraient cependant supérieurs par la sen- sibilité et la délicatesse des sens, par la mobilité, la finesse et la perfection des organes ; un tel peuple chanterait au lieu de parler; sa tengue naturelle serait la musique.

xxix. La musique est une langue qu'on ne saurait parler sans génie, mais qu'on ne saurait entendre non plus sans un goût délicat, sans des organes exquis et exercés.

XXX. La langue du musicien a sur celle du poëte l'avan- tage qu'une langue universelle a sur un idiome parti- culier.

XXXI. Une passion bien imitée trouve aussi aisément entrée dans le cœur humain qu'une passion vraie, parce qu'elle va trouver les mêmes ressorts pour les ébranler, avec cette différence remarquable, qui sans doute a frappé Eschyle, que les passions feintes nous procurent un plai- sir, au lieu que les passions véritables ne nous donnent qu'une satisfaction légère et noyée d'une grande amer- tume.

XXXII. Que la passion du héros tragique paraisse dans tous ses discours et dans toutes ses actions ; mais qu'il ne soit jamais discoureur d'amour.

SDR L'ART DRAMATIQUE.

XXXIII. Les passions so communiquent d'homme à homme d'une manière plus soudaine que la flamme d'une maison embrasée ne s'attache aux édifices voisins.

XXXIV. Les personnages en qui nous voyons nos fai- blesses ont plus de droits sur nos cœurs et sont plus proches de nous que les autres.

XXXV. Notre amour- propre voit avec plaisir sur a scène nos défauts unis à de grandes qualités.

XXXVI. La pitié n'est qu'un secret repli sur nous- mêmes, à la vue des maux d'autrui dont nous pouvons être également les victimes.

XXXVII. Ce n'est plus par l'ordre inévitable du destin que le crime et le malheur arrivent sur notre tliéàtre, c'est par la volonté de l'homme que la passion égare et em- porte. La terreur réfléchie se joint à la terreur directe, et elle devient plus morale et plus fructueuse pour le spec- tateur.

La terreur est, pour ainsi dire, le comble de la pitié; c'est par l'une qu'il faut aller à l'autre. Les malheurs les plus épouvantables tomberont sur un homme que j'en serai peu touché, si vous ne me l'avez pas montré d'abord digne de ma compassion et de ma pitié.

XXXVIII. Les vices ont aussi leur perfection.

XXXIX. Le théâtre n'est pas ennemi de ce qui est vi- cieux, mais do ce qui est bas et petit.

SECONDE PARTIE

CARACTÈRES ET ANECDOTES

C'est en vain que la philosophie semble dédaigner les détails anccdotiqucs ou du moins réclame contre le plaisir qu'elle trouve à s'y arrêter. Un intérêt involon- taire nous attache malgré nous à ces contrastes de la grandeur des choses et de la petitesse des personnes.

l'académie de soissons et voltaiue.

M. de Voltaire, passant par Soissons, reçut la vi- site des députés do l'académie de Soissons, qui disaient que cette académie était la fille aînée de l'Académie fran- çaise. « Oui, messieurs, répondit-il, la fille aînée, fille sage, fille honnête, qui n'a jamais fait parler d'elle. »

ACADÉMIE ET MARIAGE.

On disait à M..., académicien: « Vous vous ma- rierez quelque jour. » Il répondit : « J'ai tant plaisanté l'Aciidémie, et j'en suis; j'ai toujours peur qu'il ne m'ar- rive la même chose pour le mariage. »

ACCORD APPARENT.

On parlait de la dispute sur la préférence qu'on devait donner, pour les inscriptions, à la langue latine ou

J53 CARACTERES ET ANECDOTES.

à la langue française. « Comment peut-il y avoir une dis- pute sur cela, dit M. B...? Vous avez bien raison, dit M. T... ? Sans doute, reprit M. B..., c'est la langue la- tine, n'est-il pas vrai? Point du tout, dit M. T..., c'est la langue française. »

DE l'accueil qu'on FAIT A UNE BONNE ACTION.

« J'appelle un honnête homme celui à qui le récit d'une bonne action rafraîchit le sang, et un malhonnête celui qui cherche chicane à une bonne action. » C'est un mot de M. de Mairan.

ADMINISTRATION, JUSTICE ET CUISINE

Un certain Marchand, avocat, homme d'esprit, di- sait : « On court les risques du dégoût en voyant com- ment l'administration, la justice et la cuisine se prépa- rent. »

AFFAIRE ET POEME.

Un homme de lettres menait de front un poëme et une affaire d'où dépendait sa fortune. On lui demandait comment allait son poëme. « Demandez-moi plutôt, dit-il, comment va mon affaire. Je ne ressemble pas mal à ce gentilhomme qui, ayant une affaire criminelle, laissait croître sa barbe, ne voulant pas, disait-il, la faire faire avant de savoir si sa tête lui appartiendrait. Avant d'être immortel, je veux savoir si je vivrai. »

AFFECTATION DE VERTU.

Une femme parlait emphatiquement de sa vertu , et ne voulait plus, disait-elle, entendre parler d'amour. Un homme d'esprit dit là-dessus : « A quoi bon cette forfan-

CARACTERES ET ANECDOTES. iM

terie? ne peut-on pas trouver un amant sans dire tout cela? »

LE CHANCELIER D'AGUESSEAt ET L'ABBÉ PRÉVOST.

M. le chancelier d'Aguesseau ne donna jamais de privilège pour l' impression d'aucun roman nouveau, et n'accordait même de permission tacite que sous des con- ditions expresses. 11 no donna à l'abbé Prévost la permis- sion d'imprimer les premiers volumes de Cléveland, que sous la condition que Cléveland se ferait catholique au der- nier volume.

D'ALEMBERT et le BOMIEl'R DE MADAME DENIS.

M. d'Alembert eut occasion de voir madame Denis le lendemain de son mariage avec M. Du Vivier. On lui demanda si elle avait l'air d'être heureuse. « Heureuse ! dit-il, je vous en réponds, heureuse à faire mal au cœur. »

AMABILITÉ DE M. DE...

« Comment trouvez-vous M. de...? Je le trouve très-aimable; je ne l'aime point du tout. » L'accent dont le dernier mot fut dit, marquait très-bien la différence de l'homme aimable et de l'homme digne d'être aimé.

LE PREMIE^R AMANT.

M. de La Rcynière devait épouser mademoiselle de Jarinthe, jeune et aimable. Il revenait de la voir, enchanté du bonheur qui l'attendait, et disait à M. de Malesherbes, son beau-frère : « Ne pensez-vous pas, en effet, que mon bonheur sera parfait? Cela dépend de quelques circon- stances. — Comment I que voulez-vous dire? Cela dé- jx^nd du premier amant qu'elle aura. »

IGO CAilAGTÈUES ET ANECDOTES.

UN AMANT BIEN PLEURÉ.

La jeune madame de M..., étant quittée par le vi- comte de Noailles, était au désespoir et disait : « J'aurai vraisemblablement beaucoup d'amants; mais je n'en aime- rai aucun autant que j'aime le vicomte de Noailles. »

UN AMI DU GRAND CONDÉ.

Le marquis de Villequier était des amis du grand Condé. Au moment ce prince fut arrêté par ordre de la cour, le marquis de Villequier, capitaine des gardes," était chez madame de Motteville, loi-squ'on annonça cette nouvelle. « Ah! mon Dieul s'écria le marquis, je suis perdu. » Madame de Motteville, surprise de cette excla- mation, lui dit : « Je savais bien que vous étiez des amis de M. le prince; mais j'ignorais que vous fussiez son ami à ce point. Comment ! dit le marquis de Villequier, ne voyez-vous pas que cette exécution me regardait ; et, puis- qu'on ne m'a point employé, n'est-il pas clair qu'on n'a nulle confiance en moi? » Madame de Motteville, indignée, lui répondît : « Il me semble que, n'ayant point donné lieu à la cour de soupçonner votre fidélité, vous de\ricz n'avoir point Cette inquiétude, et jouir tranquillement du plaisir de n'avoir point mis votre ami en prison. » Ville- quier fut honteux du premier mouvement qui avait trahi la bassesse de son âme.

l'ami de m. de la popelinière.

M. de La Popelinière se déchaussait un soir devant ses complaisants, et se chaulfait les pieds; un petit chien les lui léchait. Pendant ce temps-là, la société parlait

GARACTÈUKS et anecdotes. (61

d'amitié, d'amis : « Un ami, dit M. do La Popelinière mon- trant son chion, le voilà. »

DEtX AMIS INTIMKS.

M. de B. et M. de C. sont intimes amis, au point d'être cités pour modèles. M. de B. disait un jour à M. de C. : « Ne t'est-il point arrivé de trouver, parmi les femmes que tu as eues, quelque étourdie qui t'ait demandé si tu renoncerais à moi pour elle, si tu m'aimais mieux qu'elle? Oui, répondit celui-ci. Qui donc? Madame de M... » C'était la maltresse de son ami.

AMITIÉ ET ANTIPATHIE.

M. de B... voyait madame de L... tous les jours; le bruit courut qu'il allait l'épouser. Sur quoi, il dit à l'un de ses amis : « Il y a peu d'hommes qu'elle n'épousât pas plus volontiers que moi, et réciproquement; il serait bien étrange que, dans quinze ans d'amitié, nous n'eussions pas vu combien nous sommes antipathiques l'un à l'autre. »

l'amitié PEIT DONNEn.

« Je repousse, disait M..., les bienfaits de la pro- tection; je pourrais peut-être recevoir et honorer ceux de l'estime; mais je ne chéris que ceux de l'amitié. )^

AMOUR DE I.A RETRAITE.

Un philosophe à qui l'on reprochait son extrême amour pour la retraite, répondit : « Dans le monde, tout tend à me faire descendre ; dans la solitude, tout tend à me faire monter, u

162 CARACTERES ET ANECDOTES.

AMOCR DE LA VIE.

La nature, en nous accablant de tant de misères, et en nous donnant un attachement invincible pour la vie, semble en avoir agi avec l'homme comme un incendiaire qui mettrait le feu à notre maison après avoir posé des sentinelles à notre porte. Il faut que le danger soit bien grand pour nous obliger à sauter par la fenêtre.

AMOUR ET ÉGOISME DE LOUIS XV.

Le jour de la mort de madame de Châteauroux , Louis XV paraissait accablé de chagrin ; mais ce qui est extraordinaire, c'est le mot par lequel il le témoigna : Être malheureux pendant quatre-vingt-dix ans! car je suis sûr que je vivrai jusque-là. Je l'ai ouï raconter par madame de Luxembourg, qui l'entendit elle-même, et elle ajoutait : « Je n'ai raconté ce trait que depuis la mort de Louis XV. » Ce trait méritait pourtant d'être su, pour le singulier mé- lange qu'il contient d'amour et d'égoïsme.

AMOUR PAYABLE A VUE.

M. de L... me disajt, relativement au plaisir des femmes, que, lorsqu'on cesse de pouvoir être prodigue, il faut devenir avare, et qu'en ce genre, celui qui cesse d'être riche commence à être pauvre. « Pour moi, dit-il, aussitôt que j'ai été obligé de distinguer entre la lettre de change payable à vue et la lettre payable à échéance , j'ai quitté la banque. »

LES DEUX AMOURS-PROPRES DE M...

M..., à qui on* offrait une place dont quelques fonc- tions blessaient sa délicatesse, répondit : « Cette place ne

CARACTÈRES ET ANECDOTES. 103

con\ ioiit ni à l'amour-propre que je me permets, ni à celui que je mo commande. »

UN SOT AMMAL.

« L'Iiommo, disait M..., est un sot animal, si j'en juge par moi. »

L'ANTIMACIUAVEL du roi de PRUSSE.

Voltaire disait, à propos de Y Antimachiavel du roi de Prusse : « Il crache au plat pour en dégoûter les au- tres. »

M, d'argenson a i,\ bataille de raucoux.

M. d'Argenson, apprenant à la bataille de Raucoux qu'un valet d'armée avait été blessé d'un coup de canon derrière l'endroit il était lui-môme avec le roi, disait : « Ce drôle-là ne nous fera pas l'honneur d'en mourir. »

AVEC ET NON POUR L'ARGEiNT.

On offrait à M... une place lucrative qui ne lui con- venait pas; il répondit : « Je sais qu'on vit avec de l'ar- gent; mais je sais aussi qu'il ne faut pas vivre pour de l'argent. »

M. d'arcenson et l'amant de sa femme,

M. d'Argenson disait à M. le comte de Sébourg, qui était l'amant de sa femme : « Il y a deux places qui vous conviendraient également : le gouvernement de la Bastille et celui des Invalides ; si je vous donne la Bastille, tout le monde dira que je vous y ai envoyé; si je vous donne les Invalides, on croira que c'est ma femme. »

CARACTERES ET ANECDOTES.

LES ARMES DACHILLE.

M... disait qu'il y avait tels ou tels principes excel- lents pour tel ou tel caractère ferme et vigoureux, et qui ne vaudraient rien pour des caractères d'un ordre infé- rieur. Ce sont les armes d'Achille qui ne peuvent convenir qu'à lui, et sous lesquelles Patrocle lui-même est opprimé.

l'abbé ARNAUD ET MADAME DU BARRY.

L'abbé Arnaud avait tenu autrefois sur ses genoux une petite fille, devenue depuis madame du Barry. Un jour, elle lui dit qu'elle voulait lui faire du bien ; elle ajouta : « Donnez-moi un mémoire. Un mémoire! lui dit-il; il est tout fait ! le voici : je suis l'abbé Arnaud. »

ARTICLES DE FOI ET PILULES.

J'ai entendu un dévot, parlant contre des gens qui discutaient des articles de foi, dire naïvement: « Messieurs, un vrai chrétien n'examine point ce qu'on lui ordonne de croire. Tenez, il en est de cela comme d'une pilule amère : si vous la mâchez, jamais vous ne pourrez l'avaler. »

ATHÉE ET CROYANT.

« Les athées sont meilleure compagnie pour moi , disait M. D..., que ceux qui croient en Dieu. A la vue d'un athée, toutes les demi-preuves de l'existence de Dieu me viennent à l'esprit; et, à la vue d'un croyant, toutes les demi-preuves contre son existence se présentent à moi en foule. »

AVANTAGES DU VEUVAGE.

M. de L..., pour détourner madame de B..., veuve depuis quelque temps, de l'idée du mariage, lui dit :

CARACTERES ET AN KCDOTES. 165

« Savez-vous que c'est une bien belle chose de porterie nom d'un homme qui no peut plus faire do sottises! »

L A V A N T - I) K n N I E R .

M... avait, pour exprimer le mépris, une formule favorite : « C'est ravant-dernicr des hommes. Pourquoi ravanl-dornier? lui domandiiit-on. Pour ne décourager personne ; car il va presse. »

AVETVin KT PASSÉ.

On demandait à madame de Rocliefort si elle aurait envie de connaître l'avenir: « Non, dil-cllc, il ressemble trop au passé. »

AVEUX DE MADAME DESPABBÈS A LOUIS XV.

Madame Desparbès couchant une nuit avec Louis XV, le roi lui dit : « Tu as couché avec tous mes sujets. Ah ! sire. Tu as eu le duc de Choiseul. Il est si puissant! Le maréchal de Richelieu. Il a tant d'es- prit! — Manville. Il a une si belle jambe! A la bonne heure; mais le duc d'Aumont, qui n'a rien do tout cela. Ah! sire, il est si attaché à Votre Majesté! »

BON AVIS d'un vieillard.

Un ^ieillard, me trouvant trop sensible à je ne sais quelle injustice, me dit : « Mon cher enfant, il faut ap- prendre de la vie à souffrir la vie. »

BON AVOCAT ET BON AMI.

On accusait un jeune homme de la cour d'aimer les fllles avec fureur. Il y avait plusieurs femmes hon-

166 CARACTERES ET ANECDOTES.

nêtes et considérables, avec qui cela pouvait le brouiller. Un de ses amis, qui était présent, répondit : « Exagéra- tion ! méchanceté ! il a aussi des femmes. »

LE DUC D'AYEX et LOUIS XV.

Louis XV demandait au duc d'Ayen (depuis ma- réchal de Noailles) s'il avait envoyé sa vaisselle à la mon- naie ; le duc répondit que non. « Moi, dit le roi, j'ai envoyé la mienne. Ah ! sire, dit M. d'Ayen , quand Jésus-Christ mourut le vendredi saint, il savait bien qu'il ressusciterait le dimanche. »

M. DE B... ET LA PERCHE.

Madame de... disait de M. B... : « Il est honnête, mais médiocre et d'un caractère épineux : c'est comme la perche, blanche, saine, mais insipide et pleine d'arêtes. »

M. DE B... ET LE PUBLIC.

M. de L... parlait à son ami M. de B..., homme très- respectable, et cependant très-peu ménagé par le pu- blic; il lui avouait les bruits et les faux jugements qui couraient sur son compte. Celui-ci répondit froidement : « C'est bien à une bête et à un coquin comme le public actuel à juger un caractère de ma trempe ! »

M. DE B..., GÈNES ET LA CORSE.

M..., jeune homme, me demandait pourquoi madame de B... avait refusé son hommage qu'il lui offrait, pour courir après celui de M. de L..., qui semblait se re- fuser à ses avances. Je lui dis : « Mon cher ami. Gênes, riche et puissante, a offert sa souveraineté à plusieurs rois,

CARAGT£IIES ET ANECDOTES. 167

qui l'ont refusée, et on a fait la guerre pour la Corse, qui ne produit que des châtaignes, mais qui était fière et in- dépendante, )>

BALLET DE MAXIMES.

Un plaisant, ayant vu exécuter en ballet, à l'Opéra, le fameux Qu'il mourût de Corneille, pria Noverre de faire danser les Maximes do La Rochefoucauld.

ItANQl'EnOUTE SÉRéMSSIME.

Le marquis de Villotto appelait la banqueroute de M. de Guéménée, la sérénissime banqueroute.

BANQl'EBOUTES ROYALES.

On compte cinquante -six violations de la foi pu- blique, depuis Henri IV jusqu'au ministère du cardinal do Loménie inclusivement. M. D... appliquait aux fré- quentes banqueroutes do nos rois ces deux vers de Ra- cine :

Et d'au trôDe si saint la moitié n'est fondée Que sur la foi promise, et rarement gardée.

LA BASTILLE BIEN CACHÉE.

M. de Malesherbes disiiit à M. do Maurepas qu'il fallait engager le roi à aller voir la Bastille. « Il faut bien s'en garder, lui répondit iM. de Maurepas; il no voudrait plus y faire mettre personne. »

LA BASTILLE DÉSIRéE.

Un homme très-pauvre, qui avait fait un livre contre le gouvernement, disait : « Morbleu I la Bastille n'arrive point ; et voilà qu'il faut tout à l'heure payer mon terme. »

168 CARACTÈRES ET ANECDOTES.

BEAUTÉ d'HELVÉTIUS.

M. Helvétius dans sa jeunesse était beau comme l'Amour. Un soir qu'il était assis dans le foyer et fort tran- quille, quoique auprès de mademoiselle Gaussin, un cé- lèbre financier vint dire à l'oreille de cette actrice, assez haut pour que Helvétius l'entendît : « Mademoiselle, vous serait-il agréable d'accepter six cents louis en échange de quelques complaisances? Monsieur, répondit-elle assez haut pour être entendue aussi, et en montrant Helvétius, je vous en donnerai deux cents si vous voulez venir de- main matin chez moi avec cette figure-là. »

BÉNÉFICES NETS DU MARIAGE.

Je demandais à M... s'il se marierait. Il me répon- dit : « Pourquoi faire? Pour payer au roi de France la capitation et les trois vingtièmes après ma moft? »

LES BEUGERIES DE FLORIAN.

M. de Th..., pour exprimer l'insipidité des berge- ries de M. de Florian, disait : « Je les aimerais assez s'il y mettait des loups. »

LE BEURRE DE l'eNKANT JÉSUS.

Le curé de Saint -Sulpice étant allé voir madame de Mazarin pendant sa dernière maladie pour lui faire quelques petites exhortations, elle lui dit en l'apercevant : « Ah ! monsieur le curé, je suis enchantée de vous voir ; j'ai à vous dire que le beurre de lEnfant-Jésus n'est plus à beaucoup près si bon : c'est à vous d'y mettre ordre, puisque TEnfant-Jésus est une dépendance de votre Église. »

CAHACTÈBi;S ET ANECDOTES. 169

BIENFAITEUn ET OBLIoé.

On clisiiit à un homme que M..., autrefois son bien- faiteur, le iiaïssiiit. « Je demande, répondit-il, la |)ermis- sion d'avoir un peu d'incrédulité h cet égard. J'espère qu'il ne me forcera pas à changer en respect pour moi le seul sentiment que j'aie besoin do lui conserver. »

LE BIEN MAL FAIT.

Après le crime et le mal faits à dessein, il faut mettre les mauvais effets des bonnes intentions, les bonnes ac- tions nuisibles à la société publique, comme le bien fait aux méchants, les sottises de la bonhomie, les abus de la philosophie appliquée mal à propos, la maladresse en ser- vant ses amis, les fausses applications des maximes utiles ou honnêtes, etc.

LE MARÉCHAL l) E BIRON INSOLVABLE.

Le maréchal de Biron eut une maladie très-dange- reuse; il voulut se confesser, et dit devant plusieurs de SOS amis : « Ce que je dois à Dieu, ce que je dois au roi, (•(> que je dois à l'État... » Un de ses amis l'interrompit : « Tais-toi, dit-il, tu mourras insolvable. »

LOBD BOLINCBROKE ET LOl'IS XIV.

Le lord Bolingbrokc donna à Louis XIV mille preuves do sensibilité pendant une maladie très-dangereuse. Le roi étonné lui dit : « J'en suis d'autant plus touché, que, vous autres Anglais, vous n'aimez pas les rois. Sire, dit Bolingbroke, nous ressemblons aux maris qui, n'aimant pas leurs femmes, n'en sont que plus empressés à plaire à celles de leurs voisins. »

40

CARACTERES ET ANECDOTES.

BONHEUR DES MORTS ET DES VIVANTS.

M... disait qu'il fallait qu'un philosophe commençât par avoir le bonheur des morts, celui de ne pas souffrir et d'être tranquille; puis celui des vivants, de penser, sentir et s'amuser,

BONHOMIE d'un MISANTHROPE.

J'ai connu un misanthrope, qui avait des instants de bonhomie, dans lesquels il disait : « Je ne serais pas étonné qu'il y eût quelque honnête homme caché dans quelque coin et que personne ne connaisse. »

LA BONNE AUX CINQ DOIGTS.

C'est un fait avéré que Madame, fille du roi, jouant avec une de ses bonnes, regarda à sa main, et, après avoir compté ses doigts : « Comment! dit 1 enfant avec surprise, vous avez cinq doigts aussi, comme moi? » Et elle re- compta pour s'en assurer.

BONNE HUMEUR DE M. DE GALONNE.

M. de Galonné, au moment il fut renvoyé, ap- prit qu'on offrait sa place à M. de Fourqueux, mais que celui-ci balançait à l'accepter. « Je voudrais qu'il la prit, dit l'ex-ministre : il était ami de M. de Turgot, il entre- rait dans mes plans. Cela est vrai, » dit Dupont, lequel était fort ami de M. de Fourqueux , et il s'offrit pour aller l'engager à accepter la place. M. de Calonne l'y envoie. Dupont revient une heure après, criant : «Victoire! vic- toire! nous le tenons, il accepte. » M. de Calonne pensa crever de rire.

CARACTERES ET ANECDOTES.

L'NB BOTINE' OECVRE.

« Aujourd'hui, Va mars 1782, j'ai fait, disait M. de..., une bonne œuvre d'une espèce assez rare : j'ai consolé un homme honmMe, plein do vertus, riche de cent mille livres de rente, d'un très-grand nom, de beaucoup d'esprit, d'une très-bonne santé, etc. ; et, moi, je suis pauvre, obscur et malade. »

BON SENS DANS LA MéDIOCRITÉ.

Un homme d'une fortune médiocre se chargea de secourir un malheureux qui avait été inutilement recom- mandé à la bienfaisimce d'un grand seigneur et d'un fer- mier général. Je lui appris ces deux circonstances char- gées de détails qui aggravaient la faute de ces derniers. Il me répondit tranquillement : « Comment voudriez-vous que le monde subsistât, si les pauvres n'étaient pas conti- nuellement occupés à faire le bien que les riches négligent de faire, ou à réparer le mal qu'ils font? »

BOIRDALOUE A ROUEN.

Un prédicateur disait : «. Quand) le père Bourdaloue prêchait à Rouen, il y causait bien du désordre : les arti- Sims quittaient leurs boutiques, les médecins leurs ma- lades, etc. J'y prêchai l'année d'après, j'y remis tout dans l'ordre. »

M. DE BRETEIIL ET LA MARQUISE DE CRÉQUI.

Madame de Créqui me disait du baron de Breteuil : « Ce n'est , morbleu ! pas une béte que le baron , c'est un sot. »

CARACTERES ET ANECDOTES.

M. DE BROGLIE ET LES VERS DE VOLTAIRE.

M. de Broglie, qui n'admire que le mérite militaire, disait un jour : « Ce Voltaire qu'on vante tant , et dont je fais peu de cas, il a pourtant fait un beau vers :

Le premier qui fut roi fut un soldat heureux. »

BRUIT, VENT ET FUMEE.

Trois choses, disait N..., m'importunent, tant au moral qu'au physique, au sens figuré comme au sens pro- pre : le bruit, le vent et la fumée.

BUREAU d'esprit.

Madame..., tenant un bureau d'esprit, disait de L... : « Je n'en fais pas grand cas; il ne vient pas chez moi. »

cachots en ESPAGNE.

On disait de M..., qui se créait des chimères tristes et qui voyait tout en noir : « Il fait des cachots en Espa- gne. »

cadeaux de la VIERGE.

Un catholique de Breslau vola, dans une église de sa communion , des petits cœurs d'or et autres offrandes. Traduit en justice, il dit qu'il les tient de la Vierge. On le condamne. La sentence est envoyée au roi de Prusse pour la signer, suivant l'usage. Le roi ordonne une assem- blée de théologiens pour décider s'il est rigoureusement impossible que la Vierge fasse à un dévot catholique de petits présents. Les théologiens de cette communion, bien embarrassés, décident que la chose n'est pas rigoureuse-

CARACTERES ET ANECDOTES.

k

ment impossible. Alors lo roi t'crit îiu bas de la sentence du coupable : «Je fais grûce au nommé N..., mais je lui défends, sous peine de la vie, de recevoir désormais au- cune espèce do cadeau de la Vierge ni des saints. »

CAFÉ ET TRAVAIL DE VOLTAIRE.

Un homme disait à M. de Voltaire qu'il abusait du travail et du café, et qu'il se tuait. « Je suis tué, » ré- pondit-il.

LA CAFETIÈRE DU MARQUIS DE CHOIS EU L-L A-B AU M E.

Le marquis de Choiseul-la-Baume, neveu de l'évo- que de Châlons, dévot et grand janséniste, étant très- jeune, devint triste tout à coup. Son oncle, l'évèque, lui en demanda la raison : il lui dit qu'il avait vu une cafe- tière qu'il voudrait bien avoir, mais qu'il en désespérait. «Elle est donc bien chère? Oui, mon oncle : vingt- cinq louis. » L'oncle les donna à condition qu'il verrait cette cafetière. Quelques jours après, il en demanda des nouvelles à son neveu. « Je l'ai, mon oncle, et la journée de demain ne se passera pas sans que vous l'ayez vue. » n la lui montra, en effet, au sortir de la grand' messe. Ce n'était point un vase à verser du café, c'était une jolie cafetière, c'est-à-dire limonadière, connue depuis sous le nom do madame do Bussi. On conçoit la colère du vieil évèque janséniste.

l\ CALEMBOUR.

Un entrepreneur de spectacles ayant prié M. de Villars d'ôter l'entrée gratis aux pages, lui dit : « Monsei- gneur, observez que plusieurs pages font un volume. »

10.

CARACTERES ET ANECDOTES.

WE LA CALOMNIE GRATUITE.

Je proposerais volontiers, disait M. D..., je propo- serais aux calomniateurs et aux méchants, le traité que voici. Je dirais aux premiers : « Je veux bien que l'on me calomnie, pourvu que, par une action ou indifférente ou même louable, j'aie fourni le fond de la calomnie; pourvu que son travail ne soit que la broderie du canevas; pourvu qu'on n'invente pas les faits en même temps que les circonstances; en un mot, pourvu que la calomnie ne fasse pas les frais à la fois et du fond et de la forme. » Je dirais aux méchants : « Je trouve simple qu'on me nuise, pourvu que celui qui me nuit y ait quelque intérêt per- sonnel ; en un mot, qu'on ne me fasse pas du mal gra- tuitement, comme il arrive. »

LE CARACTÈRE DE M...

J'ai bien examiné M..., et son caractère m'a paru piquant : très-aimable et nulle envie de plaire, si ce n'est à ses amis ou à ceux qu'il estime; en récompense une grande crainte de déplaire. Ce sentiment est juste, et ac- corde ce qu'on doit à l'amitié et ce qu'on doit à la so- ciété. On peut faire plus de bien que lui : nul ne fera moins de mal. On sera plus empressé : jamais moins im- portun. On caressera davantage : on ne choquera jamais moins.

LE CARACTÈRE DE N. ..

Ne me vantez point le caractère de N... : c'est un homme dur, inébranlable, appuyé sur une philosophie froide, comme une statue de bronze sur du marbre.

GARACT£IVES ET ANECDOTES 175

CAnACTÈRE INCOnniCIBLE DE M...

Les amis de M... voulaient plier son caractère à leurs fantaisies, et, le trouvant toujours le même, disaient qu'il était incorrigible. 11 leur répondit : « Si je n'étais pas incorrigible, il y a bien longtemps que je serais cor- rompu. »

LES CARPES DE MADAME DE MAINTENOX.

Madame de Maiiitonon et madame de Caylus se promenaient autour de la pièce d'eau do Mari y. L'eau était très-transparente, et on y voyait des carpes dont les mouvements étaient lents, et qui paraissaient aussi tristes qu'elles étaient maigres. Madame do Caylus le fit remar- quer à madame de Maintenon qui répondit : « Elles sont comme moi ; elles regrettent leur bourbe. »

LES CARTES DU ROI DE PRUSSE.

Le roi de Prusse a plus d'une fois fait lever des plans géographiques très-défectueux de tel ou tel pays; la carte indiquait tel marais impraticable qui ne l'était point, et que les ennemis croyaient tel sur la foi du faux plan.

LA CASSETTE DE LOUIS XV ET LEBEL.

Louis XV ayant refusé vingt-cinq mille francs de sa cassette à Lebcl, son valet de chambre, pour la dépense de ses petits appartements, et lui disant de s'adresser au trésor royal, Lebel lui répondit : « Pourquoi m'exposerais- je au refus et aux tracasseries de ces gens-là, tandis que vous avez plusieurs millions? » Le roi lui répondit :

176 CARACTERES ET ANECDOTES.

« Je n'aime point à me dessaisir ; il faut toujours avoir de quoi vivre. » (Anecdote contée par Lebel à M. Buscher.)

CÉLÉBRITÉ LITTÉRAIRE.

« Au ton qui règne depuis dix ans dans la littéra- ture, disait M..., la célébrité littéraire me paraît une es- pèce de diffamation qui n'a pas encore tout à fait autant de mauvais effets que le carcan ; mais cela viendra. »

LE CÉLIBAT.

On attribuait à la philosophie moderne le tort d'avoir multiplié le nombre des célibataires; sur quoi, M... dit: « Tant qu'on ne me prouvera pas que ce sont les philo- sophes qui se sont cotises pour faire les fonds de made- moiselle Bertin, et pour élever sa boutique, je croirai que ce célibat pourrait bien avoir une autre cause. »

CE QUE j'aime en VOUS.

Madame de C... disait à M. B... : « J'aime en vous... Ah! madame, dit-il avec feu, si vous savez quoi, je suis perdu. »

CE qu'on oserait.

On disait à M..., qui n'était plus jeune : « Vous n'êtes plus capable d'aimer. Je ne l'ose plus, dit-il ; mais je me dis encore quelquefois en voyant une jolie femme : Combien je l'aimerais, si j'étais plus aimable! »

CE qu'on voit sur LE PONT NEUF.

On connaît le proverbe : « On no passe jamais sur le pont Neuf sans y voir un moine, un cheval blanc et une catin. » Deux femmes de la cour, passant sur le pont Neuf,

CARACTliUES ET ANECDOTES.

virent en deux minutes un mcino et un cheval blanc ; une des deux, poussant l'autre du coude, lui dit : « Pour la catin, vous et moi, nous n'en sommes pas en peine. »

CHACUN NUIT A TOUS.

Je demandais k M. R..., homme plein d'esprit et de talent, pourquoi il no s'était nullement montré dans la révolution de i789; il me répondit: « C'est que, depuis trente ans, j'ai trouvé les hommes si méchants en parti- culier et pris un à un, que je n'ai osé espérer rien do bon d'eux, en public et pris collectivement. »

UNE CHANSON RE MASSII.LON.

Massillon était fort galant. Il devint amoureux de madame de Simiane, pelite-fille de madame de Sévigné. Cette (lame aimait beaucoup le stylo soigné, et ce fut pour lui plaire qu'il mit tant de soin à composer ses Synodes^ un de ses meilleurs ouvrages. Il logeait à l'Oratoire et devait être rentré à neuf heures; madame de Simiane soupait à sept par complaisance pour lui. Ce fut à l'un de ces sou- pers tête à tête, qu'il fit une chanson très-jolie, dont j'ai retenu la moitié d'un couplet :

Aimons-nous tendrement, Elvire : Ceci n'est qu'une chanson Pour qui voudrait en thédire; Mais, pour nous, c'est tout de bon.

LE PRINCE DE CHAROLAIS ET M. DE BRISSAC.

M. le prince de Charolais, ayant surpris M. de Brissac chez sa maîtresse, lui dit: « Sortez I » M. de Bris-

CARACTERES ET ANECDOTES.

sac lui répondit : « Monseigneur, vos ancêtres auraient dit : Sortons. »

LE CHÊNE ET LE ROSEAU.

« Au physique, disait M..., homme d'une santé dé- licate et d'un caractère très-fort, je suis le roseau qui plie et ne rompt pas; au moral, je suis, au contraire, le chêne qui rompt et qui ne plie point. » Homo interior lotus net-vus, dit Van-Helmont.

LE CHEVAL DU VOLEUR.

Il est d'usage en Angleterre que les voleurs déte- nus en prison, et sûrs d'être condamnés, vendent tout ce qu'ils possèdent, pour en faire bonne chère avant de mou- rir. C'est ordinairement leurs chevaux qu'on est le plus empressé d'acheter, parce qu'ils sont pour la plupart ex- cellents. Un d'eux, à qui un lord demandait le sien, pre- nant le lord pour quelqu'un qui voulait faire le métier, lui dit : « Je ne veux pas vous tromper ; mon cheval , quoique bon coureur, a un très-grand défaut : c'est qu'il recule quand il est auprès de la portière. »

LES CHEVEUX DE LA DUCHESSE DE FRONSAC.

La duchesse de Fronsac, jeune et jolie, n'avait point eu d'amants et l'on s'en étonnait ; une autre femme, vou- lant rappeler qu'elle était rousse et que cette raison avait pu contribuer à la maintenir dans sa tranquille sagesse, dit : « Elle est comme Samson, sa force est dans ses che- veux. »

LES CHEVEUX DE M. DE FRISE.

D'Arnaud, entrant chez M. le comte de Frise, le vit à sa toilette ayant les épaules couvertes de ses beaux

CARACTERES ET ANECDOTES. «79

cheveux. « Ah! monsieur, dit-il, voilà vraiment des che- veux de génie. Vous trouvez? dit le comte. Si vous voulez, je me les ferai couper pour vous en faire une per- ruque. »

LES CHIENS DE SAINT-MALO ET LES SlISSES DU ROI.

Des députés de Bretagne soupèrent chez M. de Choiseul; un d'eux, d'une mine très-grave, ne di^pas un mot. Le duc de Grammont, qui avait été frappé de sa figure, dit au chevalier de Court, colonel des Suisses : « Je voudrais bien savoir de quelle couleur sont les pa- roles de cet homme. « Le chevalier lui adressa la parole. « Monsieur, de quelle ville étes-vous? De Saint-Malo. De Saint-Malo! par quelle bizarrerie la ville est-elle gardée par des chiens? Quelle bizarrerie y a-t-il là? répondit le grave personnage; le roi est bien gardé par des Suisses. »

H. DK CHOISEUL ET LE JÉSUITE NEUVILLE.

Le maréchal de Belle-Isle, voyant que M. de Choi- seul prenait trop d'ascendant, fit faire contre lui un mé- moire pour le roi, par le jésuite Neuville. Il mourut stins avoir présenté ce mémoire, et le portefeuille fut porté à M. le duc de Choiseul, qui y trouva le mémoire fait contre lui. Il fit l'impossible pour reconnaître l'écriture, mais inutilement. Il n'y songeait plus, lors(iu'un jésuite consi- dérable lui fit demander la permission de lui lire l'éloge qu'on faisait de lui dans l'oraison funèbre du maréchal do Belle-Isle, composée par le père Neuville. La lecture se fit sur le manuscrit de l'auteur, et M. de Choiseul reconnut alors l'écriture. La seule vengeance qu'il en tira, ce fut de faire dire au père Neuville qu'il réussissjiit mieux dans le

CARACTERES ET ANECDOTES.

genre de l'oraison funèbre que dans celui des mémoires au roi.

LE DUC DE CHOISEUL ET LES MAITRES DE POSTE.

Quand le duc de Choiseul était content d'un maître de poste par lequel il avait été bien mené, ou dont les en- fants étaient jolis, il lui disait : « Combien paye-t-on? est-ce poste ou poste et demie, de votre demeure à tel endroit? Poste, monseigneur. Eh bien, il y aurgt dé- sormais poste et demie. » La fortune du maître de poste était faite.

LE DUC DE CHOISEUL, SES LETTRES ET M. DE CALONINE,

Le duc de Choiseul avait grande envie de ravoir les lettres qu'il avait écrites à M. de Calonne dans l'affaire de M. de La Clialotais ; mais il était dangereux de mani- fester ce désir. Cela produisit une scène violente entre lui et M. de Calonne, qui tirait ces lettres d'un portefeuille, bien numérotées, les parcourait, et disait à chaque fois : « En voilà une bonne à brûler, » ou telle autre plaisan- terie ; M. de Choiseul dissimulant toujours l'importance qu'il y mettait, et M. do Calonne se divertissant de son embarras, et lui disant : « Si je ne fais pas une chose dan- gereuse pour moi, cela m'ôte tout le piquant de la scène. » Mais ce qu'il y eut de plus singulier, c'est que M. d'Ai- guillon, l'ayant su, écrivit à M. de Calonne : « Je sais. Monsieur, que vous avez brûlé les lettres de M. de Choi- seul, relatives à l'affaire de M. de La Clialotais; je vous prie de garder toutes les miennes. »

CARACTERES ET ANECDOTES. 181

CHRISTINE DE SIEllE ET NAIDK.

Christine, reine de Suède, avait appelé à sa cour le célèbre Naudè, qui avait com{)osé un livre très-savant sur les ditrérentes danses grecques, et Meibomius, érudit all(Mnand, auteur du recueil et de la traduction de sept auteurs grecs qui ont écrit sur la musique. Bourdelot, son premier médecin, espèce de favori et plaisant de profes- sion, donna à la reine l'idée d'engager ces deux savants, l'un à chanter un air de musique ancienne, et l'aulre à le danser. Elle y réussit, et cette farce couvrit de ridicule les deux savants qui en avaient été les auteurs. Naudé prit la plaisanterie en patience; mais le savant en «s s'em- porta et poussa la colère jusqu'à meurtrir de coups de poing le visjige de Bourdelot, et, après cette équipée, il se ScUiva de la cour, et môme quitta la Suède.

l.E CLERGÉ DE FONTEXEI.LE.

Kontenelle avait fait un opéra il y avait un chœur de prêtres qui scandalisii les dévots; l'archevècpie de Paris voulut le faire supprimer: «Je ne me mêle point de son clergé, dit Fontenelle; qu'il ne se mêle pas du mien. »

LA PETITE CLOCHETTE D li COMTE DE CHAROT.

La maréchale de Luxembourg, arrivant à l'église un peu trop tard, demanda en était la messe, et dans cet instant la sonnette du lever-Dieu sonna. Le comte de Chabot lui dit en bégayant : « Madame la maréchale,

J'entcnda la petite clochette, Lo petit mouton n'est pas loin. >>

LCe sont deux \ers d'un o|)éra-comique.

M

182 CARACTERES ET ANECDOTES.

LE COCHER Dlj KOI DE PRUSSE.

Le cocher du roi de Prusse l'ayant renversé, le roi entra dans une colère épouvantable. « Eh bien, dit le co- cher, c'est un malheur; et vous, n'avez-vous jamais perdu une bataille? »

COCHER ou AMBASSADEUR DU ROI DE PRUSSE.

Le roi de Prusse causant avec d'Alembert, il entra chez le roi un de ses gens du service domestique, homme de la plus belle figure qu'on pût voir; d'Alembert en parut frappé. « C'est, dit le roi, le plus bel homme de mes États: il a été quelque temps mon cocher, et j'ai une tentation bien violente de l'envoyer ambassadeur en Russie. »

LE COCHON DE VOLTAIRE.

M. de Voltaire se trouvant avec madame la du- chesse de Chaulnos, celle-ci, parmi les éloges qu'elle lui donna, insista principalement sur l'harmonie de sa prose. Tout d'un coup, voilà M. de Voltaire qui se jette à ses pieds. « Ah ! madame, je vis avec un cochon qui n'a pas d'organe, qui ne sait, ce que c'est qu'harmonie, me- sure, etc. » Le cochon dont il parlait, c'était madame (lu Chastelet, son Emilie.

COMÉDIENNES AU THEATRE ET COMÉDIENNES A LA VILLE.

Notre siècle a produit huit grandes comédiennes : quatre du théâtre et quatre de la société. Les quatre pre- mières sont : mademoiselle d'Augeville, mademoiselle l)u- ménil, mademoiselle Clairon et madame Saint-IIuberli ;

n

CARACTERES ET ANECDOTES. 1H3

les quatro autres sont : madainn do Mont..., madame de Gcnl..., madame N... et madame d'Angiv...

COMF.niK SANS ÉCltO.

Luxembourg, le crieur qui appelait les gens et le.s carrosses au sortir de la Comédie, disiiit, lorsqu'elle fui transportée au Carrousel : « La Comédie sera mal ici, il n'y a point d'écho. »

COMME I.K nOI KST SKRVI.

M... me racontait, avec indignation, une malver- sjition de vivricrs. « Il en coûta, me dit-il, la vie à cin(| mille hommes, qui moururent exactement de faim ; et voilà, inoiisieur, vom me le roi est servi ! »

COMMKM- M. U'.\I(;L1I,L0.\ DEVINT MIMSTIIK.

C'est un fait certain et connu des amis de M. d'Ai- guillon, que le roi ne l'a jamais nommé ministre des af- faires étrangères; ce fut madame du Barry qui lui dit: «Il faut (jue tout ceci finisse, et je veux que vous alliez de- main malin remercier le roi de vous avoir nommé à la l>lare. » Hlle dit au roi : « M. d'Aiguillon ira d»Muain vou^. remercier de sa nomination à la place de secrétaire d'état des affaires étrangères. » Le roi ne dit mot. M. d'Aiguil- lon n'osiùt [«s y aller; madame du Barry le lui ordonna; il y alla. Le roi ne lui dit rien, et M. d'Aiguillon entra en fonctions sur-le-champ. »

r.OMMENT M. DE M A l n E P A S DE\I.\T MIMSTKE.

C'est un fait connu (|ue la lettre du i-oi, envoyée a M. (le Maurepas, a\ail été écrite pour M. de Macluiult. On

184 CARACTERES ET ANECDOTES.

sait quel intérêt particulier fit changer cette disposition ; mais ce qu'on ne sait point, c'est que M. de Maurepas escamota, pour ainsi dire, la place qu'on croit qui lui avait été offerte. Le roi ne voulait que causer avec lui; à la fin de la conversation, M. de Maurepas lui dit : « Je dévelop- perai mes idées demain au conseil. » On assure aussi que, dans cette même conversation, il avait dit au roi : « Votre Majesté me fait donc premier ministre? Non, dit le roi, ce n'est point du tout mon intention. J'entends, dit M. de Maurepas, Votre Majesté veut que je lui apprenne à s'en passer. »

LA MAUVAISE COMPAGNIE DU CHEVALIER DE MONTBAREY.

Le chevalier de Montbarey avait vécu dans je ne sais quelle ville de province, et, à son retour, ses amis le plaignaient de la mauvaise société qu'il avait eue. « C'est ce qui vous trompe, répondit-il ; la bonne compagnie de cette ville y est comme partout, et la mauvaise y est excel- lente. »

COMPLAISANT d'uN MIMSTRE,

Un jeune homme avait offensé le complaisant dun ministre. Un ami, témoin de la scène, lui dit, après le départ de l'offensé : «Apprenez qu'il vaudrait mieux avoir offensé le ministre même que l'homme qui le sert dans sa garde- robe. »

CONFESSION DE DIDEROT.

V

Diderot, âgé de soixante-deux ans et amoureux do toutes les femmes, disait à un de ses amis : « Je me dis souvent à moi-mênie : Vieux fou! vieux gueux! quand

CARACTÈRES ET ANECDOTES. 185

cesseras-tu donc do t'exposor à l'affront d'un refus ou d'un ridicule? »

CONFESSION d'une JEl'NE KII.I.E.

Une fille, otjuit à confesse, dit : «Je m'accuse d'avoir estimé un jeune homme. Estimé! combien de fois? » demanda le pt^re.

CONGÉ UE M. DE SENEVOI.

Madame de... vivait avec M. de Senevoi. Un jour qu'elle avait son mari à sa toilette, un soldat arrive, et lui demande sa protection auprès de M. de Senevoi, son co- lonel, auquel il demandait un congé. Madame de... se fâche contre cet impertinent, dit qu'elle ne connaît M. de Senevoi que comme tout le monde; en un mot, refuse. M. de... retient le soldat, et lui dit : « Va demander ton congé en mon nom, et, si Senevoi te le refuse, dis-lui (jue je lui ferai donner le sien. »

BON CONSEIL DE MADEMOISELLE QL'INAII.T A M. DE OHAULNES.

M. deChaulnesavait fait peindre sa femme onHébe; il ne savait comment se faire {)eindre pour faire pen- dant. Mademoiselle Quinault, à qui il contait son embar- ras, lui dit : « Faites-vous peindre en hébété. »

CONSEILS DE M. DE TIRENNE A CN ENFANT.

M. de Turenne, voyant un enfant passer derrière un clieval, de façon à pouvoir être estropié par une ruade, l'appela et lui dit : « Mon bel enfant, ne {«ssez jamais der- rière un cheval stms laisser entre lui et vous l'intervalle

186 CARACTERES ET ANECDOTES.

nécessaire pour que vous ne puissiez en être blessé. Je vous promets que cela ne vous fera pas faire une demi- lieue de plus dans le cours de votre vie entière; et sou- venez-vous que c'est M. de Turenne qui vous l'a dit. »

C 0 \ s I D K R A ï 1 0 N .

On disait à M... : « Vous aimez beaucoup la con- sidération. » Il répondit ce mot qui me frappa : « Non, j'en ai pour moi; ce qui m'attire quelquefois celle des autres. »

CONSTANCE DE M. DE BISSI.

M. de Bissi, voulant quitter la i)résidente d'Aligre, trouva sur sa cheminée une lettre dans laquelle elle disait à un homme avec qui elle était en intrigue qu'elle vou- lait ménager M. de Bissi et s'arranger pour qu'il la quitliit le premier. Elle avait même laissé cette lettre à dessein. Mais M. de Bissi ne fit semblant de rien, et la garda six mois, en l'importunant de ses assiduités.

LES DEUX COQUETTES.

Madame de L... est coquette avec illusion, en se trompant elle-même. Madame de B... l'est sans illusion, et il ne faut pas la chercher parmi les dupes qu'elle fait.

LE CORDON BI.Ei; DE M. DE BO U I, A I N M 1. 1,1 ER S .

M. de Boulainvilliers, homme sans esprit, très-vain, et fier d'un cordon bleu par charge, disait à un homme, en mettant ce cordon, pour lequel il avait acheté une place de cinquante mille écus : « Ne seriez-vous pas bien aise d'avoir un pareil ornement? Non, dit l'autre; mais je voudrais avoir ce qu'il vous coûte. »

CARACTÈRES ET ANECDOTES.

I.E CORPS Di; MARl'.ClIAL DE I.KVIS.

L'évAquo d'Arras, recevant dans sa cathédrale le corps du mam'lial do Lévis, dit en mettant la main sur le cercueil : « Je le |)0ssède enfin, cet homme vertueux. »

UN CORPS SAINT.

Le baron de \a\ Ilouze, ayant renchi quelques ser- vices au [wpe Gani;anelli, ce pape lui dciuanda s'il pou- vait faire (pudique chose (jui lui fût ai;n'al)l('. Le baron de La Houze, rusé Gascon, le pria de lui faire donner uncorp-; siiint. Le pape fut très-surpris de cette demande de la piirt d'un Français. Il lui fit donner ce qu'il demandait. Le baron, qui avait une petite terre dans les Pyrénées, d'un revenu très-mince, sans débouché \xmr l(>s denrées, y fit |)orter son saint, le fil accréditer. L(>s chalands accouru- rent, l(S miracles arrivèrent, un villai^e d'auprès se peu- pla, les denrées aui:mentèr(>nt de prix, et les revenus du baron triplèrent.

CORRKSPONDANCE AVEC I,A VIERCIE.

La maréchale de Noaillos, actuellement vivante (1780), est une mystique comme madame Guyon, à l'es- prit près. Sa tôle s'était montée au point d'écrire à la Vierge. Sa lettre fut mise dans le tronc de Saint-Roch, et la réponse à cette lettre fut faite par un prêtre de cette jKiroisse. Ce manéf!;e dura longtenq)s; le prêtre fut d«'>cou- vert et inquiété, mais on assoupit cette affaire.

I. E C n A P A i; D DE M. DE I. A S S A Y.

M. de Lassay, homme très-doux, mais qu'\ avait une irrande connais.s«nice de la sociét<^, disîdt qu'il faudrait

CARACTERES ET ANECDOTES.

avaler un crapaud tous les matins, pour ne plus rien trou- ver de dégoûtant le reste de la journée, quand on devait la passer dans le monde.

LA CROIX DE SAI.\T-L01IS DE l'OPÉRA.

Le duc de La Yallière, voyant à l'Opéra la petite Lacour sans diamants, s'approche d'elle, et lui demande comment cela se fait. « C'est, lui dit-elle, que les diamants sont la croix de Saint-Louis de notre état. » Sur ce mot, il devint amoureux fou d'elle. Il a vécu avec elle long- temps. Elle le subjuguait par les mômes moyens qui réus- sirent à madame du Barry près de Louis XV. Elle lui ôtait son cordon bleu, le mettait à terre, et lui disait : « Mets- toi à genoux là-dessus, vieille ducaille. »

CRUCHE SANS ANSE.

M... disait d'un sot sur lequel il n'y a pas de prise: « C'est une cruche sans anse. »

CYNISME DU COMTE D'ARGENSON.

Le comte d'Argenson, homme d'esprit, mais dé- pravé, et se jouant de sa propre honte, disait : « Mes en- nemis ont beau faire, ils ne me culbuteront pas : il n'y a ici personne plus valet que moi. »

LES DAMNÉS DE LA FONTAINE.

La Fontaine, entendant plaindre le sort des dam- nés au milieu de l'enfer, dit : « Je me flatte qu'ils s'y ac- coutument, et qu'à la fin ils sont comme le poisson dans l'eau. »

CARACTERES ET ANECDOTES.

I.'ABBé DANGEAU.

L'abbé Dangeau, de l'Académie française, grand puriste, travaillait à une grammaire et ne parlait d'autre chose. Un jour, on se lamentiiit devant lui sur les mal- iieurs de la dernière campagne 'c'était pendant les der- nières années de Louis XIV). « Tout cela n'empêche pas, dit-il, que je n'aie dans ma casselfe deux mille verbes français bien conjugués. »

LK DANSKin DE MAOAMK DE MAIHEPAS.

Madame de .Maurepas avait de Tamitié pour le comte Lowendahl (fils du maréchal), et celui-ci, à son re- tour de Saint-Domingue, bien fatigué du voyage, descen- dit chez elle. « Ah! vous voilà, cher comte ! dit-elle. Vous arrivez bien à propos : il nous manque un danseur, el vous nous êtes nécessjiire. » Celui-ci n'eut que le temps de faire une courte toilette et dansa.

OAinEUVAI. ET I.EKAIN.

Avant que mademoiselle Clairon eût établi le cos- tume au Théûtre-Français, on ne connaissait pour le théâtre tragique qu'un seid habit qu'on appelait l'habit à la romaine, et avec lequel on jouait les pièces grecques, américaines, esjwgnoles, etc. Lekain fut le premier à se soumettre au costume, et se fit faire un habit grec pour ouer Oreste d'Andromaque. Dauberval arrive dans la loge de Lekain, au moment que le tailleur de la comédie aj)- portait l'habit d'Oreste. La nouveauté de cet habit frapfw Dauberval. qui demanda ce que c'était. « Cela s'appell(> un habit à la grecque, dit Lekain. Ah ! qu'il est Ix'au!

11.

190 CARACTÈRES ET ANECDOTES.

reprend Dauberval; le premier habit à la romaine dont j'aurai besoin, je le ferai faire à la grecque. »

DÉCADENCE DU DUC DE...

Le duc de..., qui avait autrefois de l'esprit, qui ro- chorchait la conversation dos honnêtes gens, s'est mis, à cinquante ans, à mener la vie d'un courtisan ordinaire. Ce métier et la vie de Versailles lui conviennent dans la décadence de son esprit, comme le jeu convient aux vieilles femmes.

On faisait la guerre à M... sur son goût pour la so- litude; il répondit : «C'est que je suis plus accoutumé à mes défauts qu'à ceux d'autrui. »

MADAME DU DEFFANT ET MASSILLON.

Madame Du Deffant, étant petite fille et au couvent, y prêchait l'irréligion à ses petites camarades. L'abbé fit venir Massillon, à qui la petite exposa ses raisons. Massil- lon se retira, en disant : « Elle est charmante. » L'abbesse, qui mettait de l'importance à tout cela, demanda à l'évê- que quel livre il fallait faire lire à cette enfant. Il réfléchit une minute, et il repondit : « Un catéchisme de cinq sous. « On ne put on tirer autre chose.

DÉISME ET CHRISTIANISME.

M... disait : «Je no me soucierais pas d'être chré- tien, mais jo ne serais pas fâché de croire en Dieu. »

DEI.IM.E ET SES 0 É O R CI Q U E S.

Quol(iu'un, ayant entendu la traduction dos Geor-

CARACTÈRES ET ANECDOTES. «9»

giqttes de Yabhé Delille, lui dit : « Cela est excellent; je ne douto pas que vous n'ayez le premier bénéfice qui sera à la noniiiiation do Vii-j^iie. »

DEMISSION DK M. l)V. MALUKl-AS.

M. do Maurepas et M. do Saint- Florentin , tous deux ministres dans le temps do madame de Pompadour, firent un jour, par plaisanterie, la répétition du comf)li- ment de renvoi qu'ils prévoyaient que l'un ferait un jour à l'autre. Ouinze jours après celte facétie, M. de Maurepas entre un jour chez M. de Saint-Florentin, prend un air triste et i^navo, et vient lui demander s<i démission. M. de Saint-Florentin paraissait en être la dupe, lorsqu'il fut rassuré par un éclat de rire de M. de Maurepas. Trois se- maines après, arriva le tour de celui-ci, mais sérieuse- ment. M. do Saint-Florentin entre chez lui, et, se rap{x»- lant le commencement do la harangue de M. de Maurepas, le jour de sa facétie, il répéta ses propres mots. M. de Maurepas crut d'abord que c'était une plaisjinterie, mais voyant que l'autre parlait tout de bon : « Allons, dit-il, je vois bien que vous ne me persiflez pas ; vous êtes un honnête homme; je vais vous donner ma démission. »

l?iE PETITE DEMOISELLE C L A I H VO Y A \ TE.

Une jeune personne dont la mère était jalouse, et à qui les treize ans de sa fille déplaisaient infiniment, me disiiit un jour : « J'ai toujours envie de lui demander par- don d'être née. »

MADAME PEMS ET ZAÏRE.

On faisait compliment à madame Denis do la façon dont elle venait de jouer Za'i're : « Il faudrait, dit-elle, être

CARACTERES ET ANECDOTES.

belle et jeune. Ah! madame, reprit le complimenteur naïvement, vous êtes bien la preuve du contraire. »

LA DENT d'un AVARE.

Un avare souffrait beaucoup d'un mal de dent; on lui conseillait de la faire arracher : « Ah ! dit-il, je vois bien qu'il faudra que j'en fasse la dépense. »

I,E DERNIER DE MADAME B R I S A R D.

Madame Brisard, célèbre par ses galanteries, étant à Plombières, plusieurs femmes de la cour ne voulaient point la voir. La duchesse de Gisors était du nombre; et, comme elle était dévote, les amis de madame Brisard com- prirent que si madame de Gisors la recevait, les autres n'en feraient aucune difficulté. Ils entre}>rirent cette né- gociation et réussirent. Comme madame Brisard était ai- mable, elle plut bientôt à la dévote, et elles en vinrent à l'intimité. Un jour, madame de Gisors lui fit entendre que, tout en concevant très-bien qu'on eût une faiblesse, elle ne comprenait pas qu'une femme vînt à multiplier à un certain point le nombre de ses amants. « Hélas! lui dit madame Brisard, c'est qu'à chaque fois j'ai cru que celui- serait le dernier. »

DERNIERS MOMENTS DU DUC D'AUMONT.

Madame de H... me racontait la mort de M. le duc d'Aumont. « Cela a tourné bien court, disait-elle; deux jours auparavant, M. Bouvard lui avait permis de manger, et, le jour môme de sa mort, deux heures avant la réci- dive de sa paralysie, il était comme à trente ans, comme il avait été toute sa vie; il avait demandé son perroquet, avait dit: « Brossez ce fauteuil... Voyons mes deux bro-

CARACTÈRES ET ANECDOTES. i93

deriea nouvelles... » onfin, toute sji \{'U\ sos idées comme à l'ordinaire. »

DESPOTE ET MEDECIN.

«Je hais si fort le despotisme, disait M..., que je ne puis souffrir le mot ordonnance du mtkleoin. »

LES DETTES DU FII.S DE M. DE S A I \T- J T M E\. -

M. de Saint-Julien, le père, ayant onlonné à son fils do lui donner la liste do ses dettes, celui-ci mit à la tAte de son bilan soixante mille livres pour une charge de conseiller au parlement de Bordeaux. Le père indigné crut que c'était une raillerie, et lui en fit des reproches amers. Le fils soutint qu'il avait payé cette charge. «C'était, dit- il, lorsque je fis connaissance avec madame Tilaurier. Elle souhaitait d'avoir une charge de conseiller au parle- ment de Bordeaux pour son mari , et jamais, sans cela, elle n'aurait eu d'amitié pour moi ; j'ai payé la place, et vous voyez, mon père, qu'il n'y a pas de quoi être en co- lère cont e moi, et que je ne suis [ws un mauvais plai- sant. »

DEUX r.nANDS nKitnis.

On disputait chez madame de Luxembourg sur ce vers de l'abbé Delille :

Et ces deux grands débris se consolaient entre eux !

On annonce le bailli de Breteuil et madame de La Rey- nière : « Le vers est bon, » dit la maréchale.

DIDEROT CONCILIATEl'R.

Diderot était lié avec un mauvais sujet qui, par je ne sais quelle mauvaise action récente, venait de jterdre

19t CARACTERES ET ANECDOTES.

l'amitié d'un oncle, riche chanoine, qui voulait le priver de sa succession. Diderot va voir l'oncle, prend un air grave et philosophique, proche en faveur du neyeu, et essaye de remuer la passion et de prendre le ton pathé- tique. L'oncle prend la parole, et lui conte deux ou trois indignités de son neveu. « Il a fait pis que tout cela, re- prend Diderot. Et quoi ? dit l'oncle. Il a voulu vous assassiner un jour dans la sacristie, au sortir de vot-e messe; et c'est l'arrivée de deux ou trois personnes qui l'en a empoché. Cela n'est pas vrai, s'écria l'oncle ; c'est une calomnie. Soit, dit Diderot; mais, quand cela se- rait vrai, il faudrait encore pardonner à la vérité de son re- pentir, à sa position et aux malheurs qui l'attendent si vous l'abandonnez. »

DIEU ET LE SECOND DKLUGE.

D..., misanthrope plaisant, me disait, à propos de la méchanceté des hommes : « Il n'y a que l'inutilité du premier déluge qui empêche Dieu d'en envoyer un se- cond. »

DIEU GENTILHOMME.

M. de Brissac, ivre de gentilhommerie, désigne sou- vent Dieu par cette phrase : « Le gentilhomme d'en haut. »

DIEU INGRAT ENVERS LOUIS XIV.

Louis XIV, après la bataille de Ramillies, dont il venait d'apprendre le détail, dit : « Dieu a donc oublié tout ce que j'ai fait pour lui? » (Anecdote contée à M. de Voltaire par un vieux duc de Brancas.)

DINER DU ROI DE POLOGNE.

Le roi de Pologne Stanislas avançait Ions les jours

CARACTERES ET ANECDOTES. 195

l'heurp de son dîner. M. de La Galaisière lui dit à ce sujet : « Sire, si vous continuez, vous finirez par dlncM' la veille. »

DISCOtnS DK RÉCEPTIOV.

M..., qui avait une collection des discours de ré- ception à l'Académie fnun'aise, me disiiil : « Lors(jue j'y jette les yeux, il me semble voir des carcasses do feu d'ar- tifice, après la S<iint-Jean. »

niSPllTK A i/académie.

Un jour que l'on ne s'entendait pas dans une dis- pute à l'Académie, M. de Mairan dit : « Messieurs, si nqus ne parlions que quatre à la fois! »

DISTIQIJK TnOP LONG.

Un poêle consultait C... sur un distique: «Excellent, ré|)ondit-il, sauf les longueurs. »

DIX-HIIT A\S I>E BASTILLE BIEN MÉRITÉS.

Quinze jours avant l'attentat de Damiens, un négo- ciant provençal, passant dans une petite ville à six lieues de Lyon, et étant ii l'auberge, entendit dire dans une chambre qui n'était séparée de la sienne que par une cloi- son qu'un nommé Damiens devait assassiner le roi. Ce négociant venait à Paris; il alla se présenter chez M. Ber- ryer, ne le trouva point, lui écrivit ce qu'il avait entenilu, retourna voir M. Berryer, et lui dit qui il étiut. Il reprtit pour sa province : comme il était en route, arriva l'at- t(Mitat fie Damiens. M. Berryer, qui cx)mprit que œ né- gociant conterait son histoire, et que cette négligence le perdrait, lui, Berryer. envoie un exempt de |)olice et des

196 CARACTEaES ET ANECDOTES.

gardes sur la route de Lyon ; on saisit l'homme, on le bâil- lonne, on l'amène à Paris, on le met à la Bastille, il est resté pendant dix-huit ans. M. de Malesherbes, qui en délivra plusieurs prisonniers en 1775, conta cette histoire dans le premier moment de son indignation.

BONNF.n ET r.ECEVOIB.

On agitait dans une société la question : « Lequel était plus agréable de donner ou de recevoir? » Les uns prétendaient que c'était de donner ; d'autres, que, quand l'amitié était parfaite, le plaisir de recevoir était peut-être aussi délicat et plus vif. Un homme d'esprit, à qui on de- manda son avis, dit : «Je ne demanderai pas lequel des deux plaisirs est le plus vif, mais je préférerais celui de donner; il m'a semblé qu'au moins il était le plus du- rable, et j'ai toujours vu que c'était celui des deux dont on se souvenait plus longtemps. »

DOIJLEL'R PERDUE AU JEU.

Une femme venait de perdre son mari. Son confesseur ad honores vint la voir le lendemain et la trouva jouant avec un jeune homme très-bien mis. « Monsieur, lui dit- elle le voyant confondu, si vous étiez venu une demi- heure plus tôt, vous m'auriez trouvée les yeux baignés de larmes; mais j'ai joué ma doiileur contre monsieur, et je lai perdue. »

MADAME DU BARUV ET MADAME DE BEAUVAU.

Madame du Barry, étant à Luciennes, eut la fantaisie de voir le Val, maison de M. de Beauvau. Elle fit de- mander à celui-ci si cela ne déplairait pas à madame de Beauvau. Madame de Beauvau crut plai.sant de s'y

CARACTÈRES ET ANECDOTES. 197

trouver et d'en faire les honneurs. On parla de ce qui s était passé sous Louis XV. Madame du Darry se plaignit de ditrérontes choses qui semblaient faire voir qu'on haïs- sait sa personne. « Point du tout, dit madame de Beau- vau, nous n'en voulions qu'à votre place. « ApK's cet aveu naïf, on demanda à madame du Barry si Louis XV ne di- sait pas beaucoup de mal d'elle 'madame de Beauvau) et de madame de Grammont. « Oh ! beaucoup. Eh bien, quel mal, de moi, par exemple? De vous, madame, que vous étiez hautaine, intrigante; que vous meniez votre mari par le nez. » M. de Beauvau était présont : on se liAta de changer de conversation.

DUBREt'IL ET PEHMEJA.

M. Dubreuil, pendant la maladie dont il mourut, di- sait à son ami M. Pehméja : « Mon ami, pourquoi tant de monde dans ma chambre? Il ne devrait y avoir que loi ; ma maladie est contagieuse. »

M. Dubuc disait que les femmes sont si décriées, qu'il n'y a même plus d'homnuîs à bonnes fortunes.

LES CINQ MILLE nVCATS DE LA CABRIELLI.

La Gabrielli, célèbre chanteuse, ayant demandé cinq mille ducats à l'impératrice, |x>ur chanter deux mois à Pétersbourg, l'impératrice répondit: «Je ne paye sur ce pied-là aucun de mes feld-maréchaux. En ce c^is, dit la Gabrielli, Votre Majesté n'a qu'à faire chanter ses feld- maréchaux. » L'impératrice paya les cinq mille ducats.

CARACTERES ET ANECDOTES.

DUCLOS ET l'ABBK D'OMVET.

Duclos, qui disait sans cesse des injures à l'abbé d'Olivet, disait de lui : « C'est un si grand coquin, que, malgré les duretés dont je l'accable, il ne me hait pas plus qu'un autre. »

DUCLOS ET LE PKÉDICATEliR DE VERSAILLES.

Duclos disait à un homme ennuyé d'un sermon proche à Versailles : « Pourquoi avez-vous entendu ce ser- mon jusqu'au bout? J'ai craint de déranger l'auditoire et de le scandaliser. Ma foi, reprit Duclos, plutôt que d'entendre ce sermon, je me serais converti au premier point. »

MADEMOISELLE DUTHÉ, SA DOULELR ET SA HARPE.

Mademoiselle Duthé, ayant perdu un de ses amants, et cette aventure ayant fait du bruit, un homme qui alla la voir la trouva jouant de la harpe, et lui dit avec sur- prise : «Eh! mon Dieu! je m'attendais à vous trouver dans la désolation. Ah ! dit-elle d'un ton pathétique, c'est hier qu'il fallait me voir! »

ÉCHECS A VI^GT-OL•ATRE SOIS.

« Je joue aux échecs à vingt-quatre sous, dans un salon le passe-dix est à cent louis, » disait un général employé dans une guerre difficile et ingrate, tandis que d'autres faisaient des campagnes faciles et brillantes.

ÉCHELLE DES CONDITIONS DE M. DE B.

M. de B. est un de ces sots qui regardent de bonne

CARACTERES ET ANECDOTES. Ii)9

foi l'éclielle des conditions comme celle du mérite ; qui le plus naïvomont du momh» no conroit pas qu'un honnèto homme non décon'' ou au-dessous de lui soit plus estimé que lui. Le rencontro-t-il dans une de ces maisons l'on sait encore honorer le mérite, M. de B. ouvre de {grands yeux, montix» un étonnoinont stupido; il croit que cet homme vient de gagner un quaterne à la loterie : il l'ap- pelle mon cher un tel , quand la société la plus distinguée vient de le traiter avec la plus grande considération. J'ai vu plusieurs de ces scènes dignes du pinceau de La Bruyère.

l'écume de l'en vie.

M..., qui venait de publier un ouvrage qui avait beaucoup réussi, ét<iit sollicité den publier un second, dont ses amis faisaient grand cas. « Non, dit-il, il faut laisser à l'envie l(> temps dessuyer son écmne. »

L'ÉCI MOIRE Dt; COMTE DE... ET DI MARQIIS DE...

Le comte de... et le marquis de... me d(Mnandant quelle différence je faisais entre eux en fait de f)rincipes. je répondis : « La différence qu'il y a entre vous est (juc l'un lécherait l'écumoire, et que l'autre l'avalerait. »

LES ÉC.IS DE SI\ I.IVUES DE l'ABBÉ TEIIBAV.

On disjiit à Louis XV qu'un de ses gardes, qu'on lui nommait, allait mourir .sur-le-champ, pour avoir fait la mauvaise plaisanterie d'avaler un écu de six livres. « Ah ! bon Dieu ! dit le roi, qu'on aille chercher Andouillet, Lamartinièn^ Lassone. Sire, dit le duc de Nmulles, ce ne sont jM)int les gens qu'il faut. Et qui donc ? Sire, c'est l'ablM» Terrav. L'abl)é Terrav! comment?

200 CARACTERES ET ANECDOTES.

Il arrivera, il mettra sur ce gros écu un premier dixième, un second dixième, un premier vingtième, un second ving- tième ; le gros écu sera réduit à trente-six sous, comme les nôtres; il s'en ira par les voies ordinaires et voilà le malade guéri. » Cette plaisanterie fut la seule qui ait fait de la peine à l'abbé Terray ; c'est la seule dont il eût con- servé le souvenir : il le dit lui-même au marquis de Ses- maisons.

BONNE ÉDITION DE LA BIBLE.

On parlait à l'abbé Terrasson d'une certaine édition , de la Bible, on la vantait beaucoup. « Oui, dit-il, le scan- dale du texte y est conservé dans toute sa pureté. »

MADAME D'EGMONT ET DU GUESCLIN.

On annonça, dans une maison soupait madame d'Egmont, un homme qui s'appelait Duguesclin. A ce nom, son imagination s'allume ; elle fait mettre cet homme à table h côté d'elle, lui fait mille politesses, et enfin lui offre du plat qu'elle a devant elle (c'étaient des truffes) : « Ma- dame, répond le sot, il n'en faut pas à côté de vous. A ce ton, dit-elle en contant cette histoire, j'eus grand re- gret à mes honnêtetés. Je fis comme ce dauphin qui, dans le naufrage d'un vaisseau, crut sauver un homme, et le rejeta à la mer en voyant que c'était un singe. »

LA COMTESSE d'eGMONT ET M. DE FRONSAC.

La comtesse d'Egmont, ayant trouvé un homme du premier mérite à mettre à la tête de l'éducation de M. de Chinon, son neveu, n'osa pas le présenter en son nom. Elle était pour M. de Fronsac, son frère, un pei-sonnage trop grave. Elle pria le poëte Bernard de passer chez elle.

CARACTERES ET ANECDOTES. iOI

Il y alla; elle le mit au fait. Bernard lui dit: « Madame, l'auteur de l'Art d'aimer n'est pas un personnage bien .m- [);)sant; mais je le suis encore un i)eu trop pour cette oc- casion : je pourrais vous dire que mademoiselle Arnould serait un passe-port beaucoup meilleur auprès de monsieur votre frère... Eï\ bien, dit madame d'Kgmonl en riant, arrangez le souper chez mademoiselle Arnould. » Le souper s'arrangea. Bernard y pro|)Osa l'abbé Lijpdatit pour pré- cepteur : il fut agréé. C'est celui qui a depuis achevé l'édu- cation du duc d'Enghien.

ÉGOISME ET POLITESSE.

Une mère, après un trait d'entêtement de son fds, disiii' que les enfonts étaient très-égoïstes. « Oui, dit M..., en attendant qu'ils soient \w\is. »

ÉLOGE DE LA GOUTTE.

Ouelipi'un disiiit que la goutte est la seule maladie cpii donne de la considération dans le monde. « Je le crois bien, répondit M..., c'est la croix de Saint-Louis de la ga- lanterie. »

ÉLOGE DE LA POLTRONNERIE PAR LORD ROCIIESTER.

Le lord Rocli(»ster avait ftiit dans une pièce de vers l'éloge de la poltronnerie. Il était dans un café; arrive un homme qui avait ix?çu des coups de l)Aton sans st^ plaindre ; milord Uochester, après beaucoup de compliments, lui dit: « Monsieur, si vous étiez homme à recevoir des coups de bàlon i(i patiemment, que ne le disiez-vous? je vous les aurais donnés, moi, pour me lemelta» en crédit. »

CARACTÈRES ET ANECDOTES.

L EMPLOI DU TEMPS ET LE KOI DE PRUSSE.

Le roi de Prusse, qui ne laisse pas d'avoir employé son temps, dit qu'il n'y a peut-être pas d'homme qui ait fait la moitié de ce qu'il aurait pu faire.

MES EMNEMIS.

« Mes ennemis ne peuvent rien contre moi, disait M...; car ils ne peuvent m'ôter la fiiculté de bien penser, ni celle de bien faire. »

l'ennui d'un mari.

«Vous bâillez, disait une femme à son mari. 5Ia chère amie, lui dit celui-ci, le mari et la femme, ne sont q,u'un, et, quand je suis seul, je m'ennuie. »

MADEMOISELLE d'ENTRAGLES ET B A S SOM PI ERR E.

Mademoiselle d'Entragues, piquée de la façon dont Bassompierre refusait de l'épouser, lui dit : « Vous ôtes le plus sot homme de la cour. Vous voyez bien le con- traire, » répondit-il.

ENVIE d'être DIFFAMÉ.

« La manière dont je vois distribuer réloij;e et le blâme, disait M. de B..., donnerait au plus honnête homme l'envie d'être diffamé. »

ÉPIGRAMME SIR LE VIF.

M. de R... venait de lire dans une société trois ou quatre épigrammes sur autant de personnes dont aucune

CARACTERES ET ANECDOTES. '203

n'était vivante. On so tourna vers M. de..., comme pour lui demander s'il n'en avait pas quelques-unes dont il put réjraler l'assemblée. «Moi! dit-il naïvement: tout mon monde vit, je ne puis vous rien dire. »

E n n K t n s de sainte Geneviève.

On faisait une procession avec la châsse de sainte Geneviève, pour obtenir do la sécheresse. A peine la |)ro- cession fut-elle en route, qu'il commença à pleuvoir. Sur quoi l'évéque do Castres dit plaisimmient : « Lii sainte s(^ trompe; elle croit qu'on lui demande de lapiuie.»

ESPAGNOL ET PORTIGAIS.

Mylord Tyrauley disait (ju'après avoir ôté à un Es- pagnol ce qu il avait de bon, ce ({u'il en restait étiiit un Portugais. Il disait cela étant ambassadeur en Portugal.

ESPION PATHIOTE.

Je me promenais un jour avec un do mes amis, qui fut sidué [wr un homme d'assez mauvaise mine. Je lui demandai ce (jue c'était que cet homme : il me répondit que c'étiiit un homme qui faisait pour sa patrie ce que firutus n'aurait [ws fait ^wur la sienne. Je le priai de mettre cette grande idée à mon niveau. J'appris que son homme était un espion de police.

ESPniT DE M. DE I.A17. LN.

11 a plu lui moment à madame la duchesse de Gram- mont de dire que M. do Liancourt avait aut<int d'esprit (fuo M. de Lauzun. M. de Crécpii rencontre celui-ci, et lui dit : «Tu (Unes aujourd'hui chez moi. .Mon ami, cela m'est

CARACTERES ET ANECDOTES.

impossible. Il le faut ; et, d'ailleurs, tu y es intéressé. Comment? Liancourt y dîne : on lui donne ton es- prit; il ne s'en sert point; il te le rendra. »

l'espuit en l'air.

Quelqu'un ayant lu une lettre très-sotte de M. Blan- chard sur le ballon, dans le Journal de Paris : « Avec cet esprit-là, dit-il, ce M. Blanchard doit bien s'ennuyer en l'air. »

NI ESPRIT, M FICELLE A BERNE.

On condamna en même temps le livre de l'Esprit et le poëme de la Pucelle. Us furent tous deux défendus en Suisse. Un magistrat de Berne, après une grande recherche de ces deux ouvrages, écrivit au sénat : « Nous n'avons trouvé dans tout le canton, ni Esprit ni Pucelle. »

LE COMTE d'ESTAING ET LA REINE.

Quand M. le comte d'Estaing, après sa campagne de la Grenade, vint faire sa cour à la reine pour la pre- mière fois, il arriva porté sur ses béquilles, et accompagné de plusieurs officiers blessés comme lui ; la reine ne sut lui dire autre chose, sinon: « M. le comte avez-vous été content du petit Laborde? »

ESTIME DIFFICILE.

« J'estime le plus que je puis, disait M..., et ce- pendant j'estime peu ; je ne s<iis comment cela se fait. »

ÉTAT PERDU.

« C'est bien mal fait, distUt M..., d'avoir laissé

CARACTÈRES ET ANECDOTES.' tOh

tomber le cocuage, c'est-à-dire de s'être arrangé pour que ce ne soit plus rien. Autrefois, c'était un état dans le monde, comme de nos jours celui de jouer. A présent, ce n'est plus rien du tout. »

I.'ÉTOII.K l)E M. I)K CHOISEtL.

Le duc de Choiseul, à qui l'on parlait de son étoile, que l'on regardait comme sans exemple, répondit : « Elle l'est pour le mal autant que pour le bien. Conmient? Le voici : j'ai toujours très-bien traité les filles : il y en a une que je néglige; elle devient reine de France, ou à peu près. J'ai traité à merveille tous les inspecteurs ; je leur ai prodigué l'or et les honneurs : il y en a un extrê- mement méprisé que je traite légèrement ; il devient mi- nistre de la guerre; c'est M. de Monteynard. Les ambas- sadeurs, on sait ce que j'ai fait pour eux sans exception, hormis un seul : mais il y en a un qui a le travail lent et lourd, que tous les autres méprisent, qu'ils ne veulent plus voira cause d'un ridicule mariage : c'est M. de Ver- gennes; et il devient ministre des affaires étrangères. Con- venez que j'ai des raisons de dire qm) mon étoile est aussi extraordinaire en mal qu'en bien. »

ÉTONNEMENT DE M. DE CASTRIES.

M. de Castries, dans le temps de la (luercllo de Di- derot et de Rousseau, dit avec imjwitience à M. de R..., qui me l'a répété : « Cela est incroyable ; on ne parle que de ces gens-là, gens sans état, qui n'ont point de maison, logés dans un grenier : on ne s'accoutume point à cela. »

ÉTRANGER BIEN AVISÉ.

Un pape causant avec un étranger de toutes les;

CARACTERES ET ANECDOTES.

merveilles de l'Italie, celui-ci dit gauchement : « J'ai tout vu, hors un conclave, que je voudrais bien voir. »

l'évêque de dol et son crucifix.

On sait le discours fanatique que l'évêque de Dol a tenu au roi, au sujet du rappel des protestants. Il parla au nom du clergé. L'évêque de Saint-Pol lui ayant de- mandé pourquoi il avait parlé au nom de ses confrères sans les consulter : « J'ai consulté, dit-il, mon crucifix. En ce cas, répliqua l'évêque de Saint-Pol, il fallait répéter exactement ce que votre crucifix vous avait répondu. »

LES F... ET LES 15... DE DUCLOS A l'ACADÉMIE.

Duclos avait l'habitude de prononcer sans cesse, en pleine Académie, des f..., des b...; l'abbé du Resnel, qui, à cause de sa longue figure, était appelé un grand serpent sans venin, lui dit : « Monsieur, sachez qu'on no doit prononcer dans l'Académie que des mots qui se trou- vent dans le Dictionnaire. »

LE FASTE DES (iOUVERNELUS DE PROVINCE.

On demandait à un ministre pourquoi les gouver- neurs de province avaient plus de faste que le roi : « C'est, dit-il, que les comédiens de campagne chargent plus que ceux de Paris. »

FAITES DE IIÉG IME.

M... me disiiit, à propos des fautes de régime qu'il commet sans cesse, des plaisirs qu'il se permet et qui lem- pêchent seuls de recouvrer la santé : « Sans moi, je me porterais à merveille. »

CA&AGTÉR£S,ET ANECSGTBa. %07

KKMMK DK COm KT HOMME I) K nOBE.

Madame do Créqui, iwriant à la duchesso do Cliaul- nes do son mariago avec M. de Giac, après les suites dés- a<;r«'ablos([ii'ilaeii(>s, lui dit ([uello aurait les provoir, et insista sur la distance des ûj^es. « Madame, lui dit ma- dame de Giac, apprenez qu'une femme de la cour n'est jamais vieille, et qu'un liomme de robe est toujours vieux. »

l.A h'EMME UE M. I> K VERGENNES.

Le feu roi était, comme on sait, en correspondance secrète avec le comte de Broglie. Il s'agissciit de nommer un ambassîideur en Suède ; le comte de Broglie propos;» M. de Vergennos, alors retiré dans ses terres, à son i-etour deConstantinople; le roi ne voulait pas; le comte insis- tait. Il était dans l'usage d'écrire au roi à mi-marge, et le roi mettitit la réjwnse à côté. Sur la dernière lettre l(> roi écrivit : « Je n'approuve point le choix de M. de Vergen- nes; c'est vous qui m'y forcez : soit, qu'il parte; mais je (léfonds qu'il amène sa vilaine femme avec lui. » (Anec- dote contée par Favier, qui avait vu la réponse du roi dans les mains du comte de Broglie.)

I. \ 1 E M M E y L ' I I. M E K A l !) R A I T.

Je demandais à M. de... s'il se marierait. « Je ne le crois jws, » me dis;iit-il. Et il ajouta on riant : « La femme (piil me faudrait, je ne la cliorcho {>oint, je ne l'évite mémo |)jis. »

LES FEMMES.

M... disiiit : « Les femmes n'ont (\o bon que cp (|u elles ont do meilleur. »

208 CARACTERES ET ANECDOTES.

LES FEMMES DE QUARANTE ANS.

M..., connu par son usage du monde, me disait, que ce qui l'avait le plus formé, c'était d'avoir su cou- cher, dans l'occasion, avec des femmes de quarante ans, et écouter des vieillards de quatre-vingts.

LA FENÊTRE DE MADAME DE BRIONNE.

Madame de Brionne rompit avec le cardinal de Ro- han, à l'occasion du duc de Choiseul, que le cardinal voulait faire renvoyer. Il y eut entre eux une scène vio- lente, que madame de Brionne termina en menaçant de le faire jeter par la fenêtre : « Je puis bien descendre, dit-il. par je suis monté si souvent. »

FESTINS MEURTRIERS.

N... disait qu'il s'étonnait toujours de ces festins meurtriers qu'on se donne dans le monde. Cela se conce- vrait entre parents qui héritent les uns des autres; mais, entre amis qui n'héritent pas, quel peut en être l'objet?

FIERTÉ DE SATAN.

«J'ai vu, disait M..., peu de fiertés dont j'aie été content. Ce que je connais de mieux en ce genre, c'est celle de Satan dans le Paradis perdu. »

FILLES ET REINES.

M. de..., qui avait vécu avec des princesses d'Alle- magne, me disait: «Croyez-vous que M. de L... ait ma- dame de S...? » Je lui répondis : « Il n'en a pas même la prétention; il se donne pour ce qu'il est, pour un libertin,

I

CARACTÈRES ET ANECDOTES. «09

un homme qui aime les filles par-dessus tout. Jeune hommo., mo répondit-il, n'en soyez pas la dupe; c'est avec cela qu'on a des reines. »

LE FLEUVE D'OIBLI.

M. de..., que des clia<;rins amers empiVluiipiit de ro|)rendre sa s<mté, me disait : « Qu'on me montre le tleuve d'Oubli, et je trouverai la fontaine de Jouvence. »

KOI Dl^ GENTILHOMME.

M. de... promettait je ne sais quoi à M. de L..., et jurait foi de jïentilhomme. Celui-ci lui dit : « Si cela vous est égal, ne pourriez-vous pas dire foi d'honnête homme? »

FONTENEI.LE ET LA COLLECTE DE l'ACADÉMIE.

On faisait une quôte à l'Académie française; il manquait un écu do six francs ou un louis d'or. Un des membres, connu par son avarice, fut soupçonné de n'avoir pas contribué; il soutint qu'il avait mis; celui qui faisait la collecte dit : «Je ne l'ai pas vu, mais je le crois. » M. de Fontenelle termina la discussion en di.sant : « Je l'ai vu, moi, mais je ne le crois pas. »

FONTENELLE ET L'ÉVENTAIL.

Fontenelle, âgé de quatre-vingts ans, s'empressa de relever l'éventail d'une femme jeune et belle, mais mal élevée, qui reçut sa politesse dédaigneusement. «Ali! madame, lui dit-il, vous prodiguez bien vos rigueurs. »

M.

210 CARACTERES ET ANECDOTES.

FONTEXEI.I.E KT LE GATEAU DES ROIS.

Autrefois, on tirait le gâteau des rois avant le repas. M. de Fontenelle fut roi, et, comme il négligeait de servir d'un excellent plat qu'il avait devant lui, on lui dit : « Le roi oublie ses sujets. » A quoi il répondit : « Voilà comme nous sommes, nous autres ! »

FONTENELLE MOURANT.

On demandait à M. de Fontenelle mourant : « Com- ment cela va-t-il ? Cela ne va pas, dit-il; cela s'en va. »

FONTENELLE ET LA MORT.

Une femme, âgée de quatre-vingt-dix ans, disait à M. de Fontenelle, âgé de quatre-vingt-quinze : « La mort nous a oubliés. Chut! » lui répondit M. de Fontenelle en mettant le doigt sur sa bouche.

LA FORTUNE DU PARADIS.

M. de... demandait à l'évoque de... une maison do campagne il n'allait jamais. Celui-ci lui répondit: « Ne savez-vous pas qu'il faut toujours avoir un endroit l'on n'aille point, et l'on croie que l'on serait heureux si on y allait? » M. de..., après un instant de silence, ré[X)ndit : « Cela est vrai, et c'est ce qui a fait la fortune du paradis. »

LA FORTUNE ET LA «LOIRE.

« Ce n'est pas, me disait M. de M..., un homme très- vulgaire, que celui qui dit à la Fortune : «Je ne veux de « toi qu'à telle condition; tu subiras le joug que je veux « l'imposer; » et qui dit à la Gloire: « Tu n'es qu'une (ille

CARACTÈRES ET ANECDOTES. 211

« à qui je veux bien faire quolqm's raroi^sos, mais qiu» je « repousserai si lu en risques avec moi de trop familières « et qui ne me conviennent pas. » C'était lui-môme qu'il peignait; et tel est, en effet, son caract<'^ro.

FOtl KT NON SOT.

M... (lisiut, à propos de madame do... : « J'ai cru qu'elle me demandait un fou,et j'étiiis près de le lui donner; mais elle me demandait un sot, et je le lui ai refusé net. »

KRANCHISK DK I.A DUCHESSE DE I.A VA 1,1.1 fcll E.

M. de Barliançon, qui avait été très-beau, pos.sédait un très-joli jardin que madame la duchesse de La Vallière alla voir. Le prc^priéUiire, alors très-vieux et trè.^-goutteux, lui dit qu'il avait été amoureux d'elle à la folie. Madame de La Vallière lui répondit: «Hélas! mon Dieu, que ne jwrliez-vous? vous m'auriez eue comme les autres. »

FUIPONS ET HONNÊTES GENS.

Ce qui rend le monde désagréable, me disait ^F. (I(> L..., ce sont les fripons, et puis les honnêtes gens; de sorte que, pour que tout fût passable, il faudrait anéantir les uns et corriger les autres. Il faudrait détruire l'enfer et recomposer le paradis. » "

LE r.ABÇON DE I.Onn HAUII.TON.

Miloi-d llamilton, personnage très-singulier, étant ivre dans une hôtellerie d'Angleterre, avait tué un garçon d'au- berge et était rentrt^ sans savoir ce qu'il avait fait. L'au- bergiste arrive tout efTravé et lui dit : « Miloi-d. savez-vous

212 CARACTERES ET ANECDOTES.

que vous avez tué ce garçon? » Le lord lui répondit en balbutiant : c Mettez-le sur la carte. »

VN GAZETIER CIRCONSPECT.

Un gazetier mit dans sa gazette : « Les uns disent le cardinal Mazarin mort, les autres vivant; moi, je ne crois ni l'un ni l'autre. »

GÉNÉROSITÉ DE M. I) E GALONNE,

Le vicomte de Saint-Priest, intendant de Languedoc pendant quelque temps, voulut se retirer, et demanda à M. de Calonne une pension de dix mille livres. « Que vou- lez-vous faire de dix-mille livres? » dit celui-ci ; et il fit porter la pension à vingt mille. Elle est du petit nombre de celles qui ont été respectées, à l'époque du retranche- ment des pensions par l'archevêque de Toulouse, qui avait fait plusieurs parties de filles avec le vicomte de Saint- Priest.

LES GENS DU COMTE d'ARTOIS.

Le comte d'Artois, le jour de ses noces, prêt à se mettre à table, et environné de tous ses grands officiens et de ceux de madame la comtesse d'Artois, dit à sa femme, de façon que plusieurs personnes l'entendirent : « Tout ce monde que vous voyez, ce sont nos gens. » Ce mot a couru, mais c'est le millième; et cent mille autres pareils n'empêcheront jamais la noblesse française de briguei- en foule des emplois l'on fait exactement la fonction de valet.

GÉOGRAPHIE DE LA COUR.

On faisait entendre à un homme d'esprit qu'il ne con- naissait pas bien la cour. Tl répondit : «On peut être très-

CARACTÈRES ET ANECDOTES. 213

bon géographe sans être sorti de chez soi. D'Anville n'avait jamais quitté sa chambre. »

GOI T DE M...

« Dans ma jounossc mt^me, me disciit M..., j'aimais à intéresser, j'aimais assez ix»u ii séduire, et j'ai toujours détesté de corrompre. »

LA COtTTE ET LES BATARDS «ES PRINCES.

M... disiiit que la j^outte ressemlilait aux bâtards dos princes, qu'on baptise le phis tard qu'on peut.

I.K COLVERNEUR DU DliC DE CHARTRES.

Le roi nomma M. de Navailles gouverneur de M. le duc de Chartres, depuis régent; M. de Navailles mourut au bout de huit jours : le roi nomma M. d'Estrades pour lui succéder; il mourut au bout du même terme: sur quoi Benserade dit : « On ne peut pas élever un lïouvei-neur pour M. le duc de Chartres. »

LA GRACE.

M... me disiut que madame de C..., qui rtio d'ôlre dévote, n'y parviendrait jamais, jwrce que, outre la sot- tise de croire, il fallait, pour faire son s<dut, un fonds de bêtise quotidienne qui lui manquerait trop souvent. « Et c'est ce fonds, ajoutait-il, qu'on appelle la grâce. »

GREC ou ROMAIN.

M. de..., qui voyait la source de la déjïradation de l'espèce humaine dans l'établissement de la secte naza- réenne et dans la féodalité, disait que, pour valoir quel-

CARACTERES ET ANECDOTES

que chose, il fallait se défranciser et se débaptiser, et re- devenir Grec ou Romain par l'àme.

I.K COMTE nE GRAMMONT ET I- E LIVRE d'HAMII,TO\.

Ce fut le comte de Grammont lui-môme qui vendit quinze cents livres le manuscrit des mémoires oîi il est si clairement traité de fripon. Fontanelle, censeur l'ou- vrage, refusait de l'approuver, par égard pour le comte. Celui-ci s'en plaignit au chancelier, à qui Fontenelle dit les raisons de son refus. Le comte, ne voulant pas perdre les quinze cents livres, força Fontenelle d'approuver le livre d'Hamilton.

OBÉSrTK DE I.'ÉVÈQUE d'AL'TLN.

On disait de l'avant-dernicr évoque d'Autun, mons- trueusement gros, qu'il avait été créé et mis au monde pour faire voir jusqu'où peut aller la peau humaine.

HARII.ETK nE MADAME OE G...

« Madame de G..., disait iM..., a trop d'esprit et d'ha- bileté pour ôtre jamais méprisée autant que beaucoup de femmes moins méprisables. »

1,'HABIT DE I,A CAI.PRENÈDK,

On demandait à La Calprenède quelle était l'étoffe de ce bel habit qu'il portait. « C'est du Sylvandre, » dit-il. (Un de ses romans qui avait réussi.)

1,'habitude de sortir.

Un homme allait, depuis trente ans, passer toutes les soirées chez madame de... Il perdit sa femme: on crui

CARACTÈRES ET ANECDOTES.

qu'il (>|)ous(M'ait l'autro, ot on l'y encouragi'ait. Il rofasa : « Jo IIP saurais plus, dil-il, aflcr passtM" mes soirées. »

M. HK IIARI.AY ET SES CON SEI l.l.E n S.

Un jour que quelques conseiHers parlaient un peu trop haut à l'audience, M. do Harlay, premier président, dit : « Si ces messieurs qui causent ne faisaient pas plus de bruit que ces messieurs qui dorment, cela accommo- derait fort ces messieurs qui écoutent. »

MADAME UEI.VÉTILS ET KONTENEI.LE.

3f. de Fontenelle, â^é de quatre-vinj^-dix-sept ans, venant de dire à madame Helvétius, jeune, belle et nou- vellement mariée, mille choses aimables et };alantes, passa devant elle pour se mettre à tiible, no l'ayant pas ajMîrçue. « Voyez, lui dit madame Helvétius, le cas que je dois faire de vos galanteries : vous passez devant moi sans me re- garder. — Madame, dit le vieillard, si je vous eusse re- gardée, je n'aurais pas passé. »

l,K PlUNCK HENRI ET 1,'ABBÉ RAVNAL.

L'abbé Raynal, dînant à Neuchàtel avec le prince Henri, s'empara de la conversiition et ne laiss;i |H)inl au prince le moment de |)lacer un mol. Celui-ci, |K)ur obtenir audience, fit semblant de croire que quelque chose tom- bait du plancher, et profita du silence pour jwrler à son tour.

IIEMU IV ET LOIIS MV.

»f Henri IV fut un grand roi : Louis \IV fut le roi d'un beau règne. » Ce mot de Voisenon passe la |X)rlêe ordinaire.

216 CARACTERES ET ANECDOTES.

HEIREUX EFFET D'uNE LETTRE DE SAINT JÉRÔME.

M..., ayant lu la lettre de saint Jérôme il peint avec la plus grande énergie la violence de ses passions, disait : « La force de ses tentations me fait plus d'envie que sa pénitence ne me fait peur. »

HIBOU DE MINERVE.

On disait de J.-J. Rousseau : Cest un hibou. « Oui, dit quelqu'un, mais c'est celui de Minerve; et, quand je sors du Devin du village, j'ajouterais : déniché par les Grâces. »

LES HISTOIRES DE DUCLOS ET MADAME DE ROCHEFORT.

Duclos disait un jour à madame de Rochefort et à madame de Mirepoix que les courtisanes devenaient bé- gueules, et ne voulaient plus entendre le moindre conte un peu trop vif. Elles étaient, disait-il, plus timorées que les femmes honnêtes; et là-dessus il enfile une histoire fort gaie, puis une autre encore plus forte; enfin, à une troisième qui commençait encore plus vivement , madame de Rochefort l'arrête et lui dit : « Prenez donc garde, Duclos : vous nous croyez aussi par trop honnêtes femmes. »

LES BONNES HISTOIRES DE MADAME DELUCHET.

C'était l'usage, chez madame Deluchet, que l'on achetât une bonne histoire à celui qui la faisait... « Combien en voulez- vous? Tant. » Il arriva que madame Deluchet demandant à sa femme do chambre l'emploi de cent écus, celle-ci parvint à rendre ce compte, à l'exception de trente-

CARACTERES ET ANECDOTES. tl7

six livres, lorsque tout à coup elle s'écria: «Ah! ma- dame, et cette histoire pour laquelle vous m'avez sonnée, que vous avez achetée à M. Coqueley, et que j'ai payée trente-six livres ! »

Vy UOMMK DE LETTRES ET t N DUC.

Un homme de lettres, à qui un jïrand seigneur faisait sentir la supériorité de son ranp, lui dit : « Monsieur le duo, je n'ignore pas ce que je dois savoir; mais je sais aussi qu'il est plus aisé d'être au-dessus de moi qu'à côté. »

UN HOMME EMPRESSÉ.

Madame du D... disait de M... qu'il était aux petits soins pour déplaire.

UN HOMME MALHEUREUX.

On dit d'un homme tout à fait malheureux : « Il tombe sur le dos et se casse le nez. »

IN HOMME QUI SE CONNAIT.

« Ce jour-là, je fus très-aimable, point brutal, » me disiiit M. S..., qui était, en etfet, l'un et l'autre.

UN HOMME TROP MODESTE.

L'abbé Delaville voulait engager à entrer dans la car- rii're fwlitique M. de..., homme modeste et honnête, qui doutiiit de sa capacité et qui ^e refusait à ses invitations. « Eh ! monsieur, lui dit l'abbé, ouvrez YAlnianach royal ! »

UN HOMME VIOLENT.

.M. de..., homme violent, à qui on reprochait qittl-

43

218 CARACTERES ET ANECDOTES.

ques torts, entra en fureur et dit qu'il irait vivre dans une chaumière. Un de ses amis lui répondit tranquillement : « Je vois que vous aimez mieux garder vos défauts que vos amis. »

HONNÊTETÉ DE M. DE NOAILLES.

Le maréchal de Noailles disait beaucoup de mal d'une tragédie nouvelle. On lui dit : « Mais M. d'Aumont, dans la loge duquel vous l'avez entendue, prétend qu'elle vous a fait pleurer. Moi ! dit le maréchal, point du tout ; mais, comme il pleurait lui-môme dès la première scène, j'ai cru qu'il était honnête de prendre part à sa douleur. »

HONNÊTETÉ ET SINCÉRITÉ DE MADAME DE L...

A propos d'une fille qui avait fait un mariage avec un homme jusqu'alors réputé assez honnête, madame de L... disait : « Si j'étais une catin, je serais encore une fort honnête femme ; car je ne voudrais point prendre pour amant un homme qui serait capable de m'épouser.

l'honneur d'un rohan.

On demandait à une duchesse de Rohan à quelle éjx)- que elle comptait accoucher: « Je me flatte, dit-elle, d'avoir cet honneur dans deux mois. » L'honneur était d'accoucher d'un Rohan.

LES HUITRES DE M. DE BUKION.

M. de Buflon s'environne de flatteurs et de sots qui le louent sans pudeur. Un homme avait dîné chez lui avec l'abbé Leblanc, M. de Juvigny et deux autres hommes do cette force. Le soir, il dit à souper qu'il avait vu, dans le

CARACTÈRES ET ANECDOTES. 219

cœur do Paris, quatre huîtres attacliées à un rocher. On chercha loujîtemps le sens do celto énigme, dont il donna enfin le mol.

IDÉE I) ' L N SOT.

Un sot disait au milieu d'une conversation : « Il me \ icnt une idée. » Un plaisant dit: «J'en suis bien sur- pris. »

L'II. I. L s ION.

L'illusion, disait M..., ne fait d'effet sur moi, relati- vement aux personnes qui; j'aime, que celui d'un verre sur un pastel. Il adoucit les traits sans changer les rapports ni les pro|K)rtions.

I \ iM pour AN r.

Le cho\alier de Narbonne, accosté par un important dont la familiarité lui déplaisait, et qui lui dit en l'abor- dant : «Bonjour, mon ami! comment te portes-tu?» ré- pondit : « Bonjour, mon ami! comment t'a|)pelles-tu? »

IMI'LDKXCE DE I.A DUCHKSSE d'ORLKANS.

K(Mi madame la duchesse d'Orléans était fort éprise de son mari dans les commencements de son mariage; il \ avait peu de réduits dans le Palais-Royal (jui n'en ous- MMit été téuioins. Un jour, les deux époux allèrent faire visite à la duchesse douairière, (jui était malade. Pendant la convei-siition, elle s'eiulonnit, et le duc et la jeune du- chesse trouvèrent plai.sint do se divertir sur le pied du lit de la malade. Klle s'en a[)er(.'ut, et dit ii sa lielle-fille : « Il ■vous étiiit resserve, madame, de tùre rougir du mariage! »

CARACTERES ET ANECDOTES.

INDEX DE LA PHILOSOPHIE.

Il est temps, disait M..., que la philosophie ait aussi son index, comme l'inquisition de Rome et de Madrid. 11 faut qu'elle fasse une liste des livres qu'elle proscrit, et cette proscription sera plus considérable que celle de sa rivale. Dans les livres mêmes qu'elle approuve en général, combien d'idées particulières ne condamnerait elle pas comme contraires à la morale, et même au bon sens!

INDULGENCE DE M. DE R...

M. de R... était autrefois moins dur et moins déni- grant qu'aujourd'hui; il a usé toute son indulgence; et le peu qui lui en reste, il le garde pour lui.

INSTRUIT ET GENTILHOMME.

M. de Ségur ayant publié une ordonnance qui obli- geait à ne recevoir dans le corps de l'artillerie que des gentilshommes, et, d^une autre part, cette fonction n'ad- mettant que des gens instruits, il arriva une chose plai- sante : c'est que l'abbé Bossut, examinateur des élèves, ne donna d'attestation qu'à des roturiers, et Cherin, qu'à des* gentilshommes. Sur une Centaine d'élèves, il n'y en eut que quatre ou cinq qui remplirent les deux conditions.

INSTRUMENT SANS MANCHE.

L'abbé Beaudeau disait de M. Turgot que c'était un instrument d'une trempe excellente, mais qui n'avait pas de manche.

INTRÉPIDITÉ ET NAÏVETÉ d'uN AMÉRICAIN. J

Un Américain, ayant vu six Anglais séparée de leur

CARACTÈRES ET ANECDOTES. 221

troupe, eut l'audace inconcevable do leur courir sus, d'en hlosser doux, do dôsjirmer los autres, et de les amoner au jiénérai Wasliiniiton. Le irénéral lui demanda comment il avait pu faire pour se rendre maître do six hommes : « Aus- sitôt que je les ai vus. dit-il. j'ai couru sur eux, et je les ai environnés. «

INUTILITÉS NÉCESSAIKES.

M. de... disiiit qu'il ne fallait rien dire, dans les séances publiques de l'Académie française, par delà ce qui est imposé par les statuts; et il motivait son avis en disant : « En fait d'inutilités, il ne faut que le nécessaire. »

l'italienne, l'anglaise et la française.

M... me disait : « J'ai vu des femmes de tous les pays: l'Italienne ne croit être aimée de son amant que quand il (>st capable de commettre un crime pour elle ; l'Anglaise, une folie, et la Française, une sottise. »

LES italiens de nOME.

Duclos disiiil, pour ne pas profaner le nom de Ro- main, en parlant des Romains modernes : Un Italien de Home.

LE ROI JACQUES.

Le roi Jacques, retiré à Saint-Germain, et vivant des libéralités de Louis XIV, venait à Paris j>our guérir les écrouelles, qu'il ne touchait qu'en qualité de roi de Fmnce.

LA JALOUSIE DE M. BARTIIE REMISE A SA PLACE.

M. de..., ayant aperçu que M. Barthe était jaloux (de sa femme), lui dit; « Vous, jaloux! mais savez-vous bien

222 CARACTERES ET ANECDOTES.

que c'est une prétention? C'est bien de l'honneur que vous vous faites. Je m'explique. N'est pas cocu qui veut: savez-vous que, pour l'ôtre, il faut savoir tenir une mai- son, être poli, sociable, honnête? Commencez par acqué- rir toutes ces qualités, et puis les honnêtes gens verront ce qu'ils auront à faire pour vous. Tel que vous êtes, qui pourrait vous faire cocu? Une espèce! Quand il sera temps de vous effrayer, je vous en ferai mon compliment. »

JALOUSIE DU MARQUIS DE CHATELUX.

Le marquis de Chatelux, amoureux comme à vingt ans, ayant vu sa femme occupée, pendant tout un dîner, d'un étranger, jeune et beau, l'aborda au sortir de table, et lui adressa d'humbles reproches; le marquis de Genlis lui dit : « Passez, passez, bonhomme, on vous a donné. »

LES JAMBES ET LA TÊTE DU MARÉCHAL DE VILLARS.

Le maréchal de Yillars fut adonné au vin, même dans sa viieillesse. Allant en Italie, pour se mettre à la tête de l'armée dans la guerre de 1734, il alla faire sa cour au roi de Sardaigne, tellement pris de vin, qu'il pouvait se soutenir, et qu'il tomba à terre. Dans cet état, il n'avait pourtant pas perdu la tête, et il dit au roi : « Me voilà porté tout naturellement aux pieds de Votre Majesté. »

LE JEU DE LOUIS \V.

M. le duc de Choiseul était du jeu de Louis XY, quand il fut exilé. M. de Chauvelin, qui en était aussi, dit au roi qu'il ne pouvait le continuer, parce que le duc en était de moitié. Le roi dit à M. de Chauvelin : « Demandez-lui s'il veut continuer. » M. de Chauvelin écrivit à Cliante- loup; M. de Choiseul accepta.' Au bout du mois, le roi

CARACTÈRES ET ANECDOTES. 183

(lomanda si lo parfafje dos gains était fait : « Oui, dit M. de (lliauvelin : M. do Choisoul gagne trois mille louis. Ah! j'en suis bien aiso, dit le roi; mandoz-le lui bien vite. »

JEUNESSE ET PENSÉE.

«' Que peuvent pour moi, disait M..., les grands et les princes? Peuvent-ils me rendre ma jeunesse ou m'ôter ma pensée, dont l'usage me console de tout? »

LES JUSTIFICATIONS PUBLIQUES.

M... me disait que ceux qui entrent jwr écrit dans de longues justifications devant le public lui paraissaient res- sembler aux chiens qui courent et jappent après une chaise

lie poste.

I.AIDEUn DU COMTE DE MIRABEAU.

Le comte de Mirabeau, très-laid de figure, mais plein d'esprit, ayant été mis en cause pour un prétendu rapt de stnluclion, fut lui-même son avocat. « Messieurs, dit- il, je suis accusé de séduction : [)Our toute réponse et pour toute défense, je demande que mon portrait soit mis au grelfe. » Le commissaire n'entendait pas : « Bèto. dit le juge, regarde donc la figure de Monsieur! »

I.\ME\TATIONS d'uN JOUEUR.

Un joueur fameux, nommé Sablière, venait d'être ar- rêté. Il était au désesp'oir, et disait à Beaumarchais, qui \oulait l'empêcher de se tuer: « Moi, arrêté pour deux cents louis! aliiindonné {)ar tous mes amis! C'est moi qui les ai formés, qui leur ai appris à friponner. Sans moi, (pie seraient B..., D..., N... (ils vivent tous)? Enfin.

CARACTERES ET ANECDOTES.

monsieur, jugez de l'excès de mon avilissement : pour vivre, je suis espion de police! »

LE DUC DE LAUZUN ET M. DE GALONNE.

Le duc de Lauzun disait : « J'ai souvent de vives dis- putes avec M. de Galonné; mais, comme ni l'un ni l'autre nous n'avons de caractère, c'est à qui se dépêchera de céder; et celui de nous deux qui trouve la plus jolie tour- nure pour battre en retraite est celui qui se retire le pre- mier. »

LE CARDINAL AQUAVIVA.

Pendant la guerre de 1745, l'empereur François r*" ayant été couronné à Francfort, une partie du peuple, vouée à la faction autrichienne, s'avisa d'aller sous les fenêtres des ambassadeurs de France et d'Espagne, alors ennemies de l'Autriche, témoignant sa joie par des cris de Vive l'empereur! L'ambassadeur de France jeta de l'ar- gent à cette populace, qui cria : Vive la France ! et se re- tira. Mais il en fut autrement devant le palais du cardina Aquaviva, protecteur d'Espagne. Celui-ci, se croyant bravé, ouvre sa fenêtre, et vingt coups de fusil, partis à Ja fois, jettent à terre autant de morts ou de blessés. Le peuple veut incendier le palais, et y brûler Aquaviva. Mais celui-ci s'était assuré de plus de mille braves dont il cou- vrit la place. Quatre pièces de canon, chargées à cartou- ches, en imposent au peuple. Qui croirait que le pape, avec l'autorité absolue et un corps de troupes, n'ait jamais songé à faire au peuple quelque justice du cardinal? Voilà de terribles effets de la prepotenza. Ce n'est pas tout : ce cardinal Aquaviva eut, dans les derniers jours de sa vie, tant de remords de ses violences, qu'il voulut en faire pu- bliquement amende honorable ; on en a fait à n^oins; mais

CARACTERES ET ANECDOTES. S25

le sacriv-collôgo no voulut jamiiis le permettre, pour l'hon- neur de la pourpre. Ainsi, dans la capitale du monde chrétien, l'expression du remords, cette vertu du pécheur, et .sa seule ressource, fut interdite à un prêtre trop peu châtié par ses remords; et ce triomphe de l'orgueil sur une religion d'humilité fut l'ouvrage de ceux qui se por- tent pour successeurs do .ses premiers apôtres. La religion durera siins doute, mais la prejmtenza ne peut pas durer.

BK1.1.E I.KÇON A l\ OliCljn.

M. de..., fort adonné au jeu, perdit en un seul coup de dés son revenu d'une année; c'était mille écus. Il les envoya demander à .M..., son ami, qui connaissait sii pas- sion pour le jeu, et qui voulait l'en guérir. Il lui envoya la lettre de change suivante : « Je prie M..., banquier, de donner à M... ce qu'il lui demandera, à la concurrence de ma fortune. » Cette le^'on terrible et généreuse produisit son ett'et.

BKl.l.K I.KÇON ET BELLE FÊTE DONNÉES PAR IN ANGLAIS.

Un aiiibassildeur anglais à Naples avait donné une fête charmante, mais qui n'avait pas coûte bien cher. On le sut, et on partit de pour dénigrer sa fôte, qui avait d'abord beaucoup réussi. Il s'en vengea en véritable An- glais, et en homme à qui les guinées ne coûtaient jws grand'chose. il annonva une autre fête. On crut (pie c'était pour pa'ndrc s;i revanche, et que la fôte serait superlx». On accourt; grande aflUience. Point d'apprêts. Kniin, on apporU^ un réchaud à l'esprit-de-vin. On s'attendait à qiiehpie miracle. « Messieurs, dit-il, ce sont les dépenses, et non l'agrément d'une fête (jue vous cherchez : regardez bien 'et il entrouvre son habit dont il montre la dou-

CARACTERES ET ANECDOTES.

bliire), c'est un tableau du Dominicain qui vaut cinq mille guinées ; mais ce n'est pas tout : voyez ces dix billets, ils sont de mille guinées chacun, payables à vue sur la banque d'Amsterdam. » Il en fait un rouleau, et les met sur le réchaud allumé. « Je ne doute pas, Messieurs, que cette fôte ne vous satisfasse, et que vous ne vous retiriez tous contents de moi. Adieu ! messieurs, la fête est finie. »

LES I.ETTRKS ET LES FEMMES.

On disait à un jeune homme de redemander ses let- tres à une femme d'environ quarante ans, dont il avait été fort amoureux. « Vraisemblablement elle ne les a plus, dit-il. Si fait, lui répondit quelqu'un : les femmes com- mencent vers trente ans à garder les lettres d'amour. »

LE MÉDECIN LEVRET ET LE BAIIPHIN.

On appela à la cour le célèbre Levret, pour accoucher la feue dauphine. M. le dauphin lui dit : « Vous êtes bien content, monsieur Levret, d'accoucher madame la dau- phine ; cela va vous faire de la réputation. Si ma répu- tation n'était pas faite, dit tranquillement l'accoucheur, je ne serais pas ici. »

LIAISONS.

N... disait qu'il fallait toujours examiner si la liaison d'une femme et d'un homme est d'âme à âme, ou de corps à corps; si celle d'un particulier et d'un homme en place ou d'un homme de la cour est de sentiment à sentiment, ou de position à position, etc.

LIRE EN GROS.

M... disait à un jeune homme qui ne s'apercevait pas

CARACTERES ET ANECDOTES. 227

qu'il était almô d'iiiio femmo : « Vous Ates oncore bien jounc, vous no savo/, lire quo les gros caractères. »

LISTE DES Alli;S.

M..., qu'on voulait fairo j)arlor sur différents abus publics ou particuliers, réj«)ndit froidement : « Tous les jours j'accrois la liste des choses dont je ne parle plus. Le plus philosophe est celui dont la liste est la plus longue. »

LITTÉRATURE d'uN C0INTR0LKU1\ GÉNÉRAL.

M. d'Ormesson, étant contrôleur général, disait de- vant vingt personnes, qu'il avait longtemps cherché à quoi pouvaient avoir été utiles des gens comme Corneille, Boi- leau, la Fontaine, et qu'il ne l'avait jamais pu trouver. Cela passait; car, quand on est contrôleur général, tout passe. M. Pelletier de Morfontaine, son beau-père, lui dit avec douceur : « Je sais que c'est votre façon do penser ; mais ayez pour moi le ménagement de ne pas le dire. Je voudrais bien obtenir que vous ne vous vantassiez point de ce qui vous manque. Vous occupez la place d'un homme qui s'enfermait souvent avec Racine et Boileau, qui les menait souvent à sa maison de campagne, et disait, en apprenant l'arrivée de plusieurs évéques : « Qu'on leur « montre le château, les jardins, tout, excepté moi. »

LOUIS XIV ET BARON.

On faisait l'éloge de Louis XIV devant le roi de Prusse. Il lui contestait toutes ses vertus et ses talents. « Au moins Votre Majesté accordera qu'il faisait bien le roi. Pas si bien que Baron, » dit le roi de Prusse avec humeur.

228 CARACTERES ET ANECDOTES.

LOUIS XIV ET COYPEL.

Louis XIV, voulant envoyer en Espagne un portrait du duc de Bourgogne, le fit faire par Coypel, et, voulant en retenir un pour lui-même, chargea Coypel d'en faire faire une copie. Les deux tableaux furent exposés en même temps dans la galerie : il était impossible de les dis- tinguer. Louis XIV, prévoyant qu'il allait se trouver dans cet envbarras, prit Coypel à part et lui dit : « Il n'est pas décent que je me trompe en cette occasion : dites-moi de quel côté est le tableau original. » Coypel le lui indiqua, et Louis XIV, repassant, dit : « La copie et l'original son si semblables, qu'on pourrait s'y méprendre; cependant, on peut voir avec un peu d'attention que celui-ci est l'ori- ginal. »

LOUIS XV ET CAHUSAC.

L'abbé de Canaye disait que Louis XV aurait faire une pension à Cahusac. « Et pourquoi? C'est que Ca- lîusac l'empêche d'être l'homme de son royaume le plus méprisé. »

LOUIS XV ET LA MUSIQUE.

Le roi, quelque temps après la mort de Louis XV, fit terminer avant le temps ordinaire un concert qui l'en- nuyait, et dit : « Voilà assez de musique. » Les concertants le surent, et l'un d'eux dit à l'autre: « Mon ami, qup| règne se préi^re ! »

LOIÎIS XV MOURANT.

Pendant la dernière maladie de Louis XV, qui dès les premiers jours se présenta comme nwrtelle, Lorry, qui fut mandé avec Bordeu, em})loya, dans le détail des

CARACTÈRES ET ANECDOTES. «!»

conseils qu'il donnait , le mot H faut. Le roi, choqué do ce mot, ré[)ôtait tout bas et d'une voix mourante : // faut ! il faut!

LA LUNETTE DE M. DE VAUDREl'IL.

M... disait à M. do VaudixHiil, dont l'osprit est droit et juste, mais encore livré à quelques illusions : « Vous n'avez pas de taie dans l'œil , mais il y a un peu de pous- sière sur votre lunette. ;>

UNE MAITRESSE HEFUSéE PAR LOUIS XV.

Le maréchal do Richelieu, ayant proposé pour maî- tresse à Louis XV une grande dame (j'ai oublii> laquelle), le roi n'en voulut pas, disant qu'elle coûterait trop cher à renvoyer.

MANOELVnE IIADILE DE L'ÉVÈQCE D'AUTUX.

Un bon trait de prêtre de cour, c'est la ruse dont s'avisa l'évéquo d'Autun, Montazet, depuis archevêque de Lyon. Sachant bien tiuil y avait de bounes frasques à lui reprotîher, et qu'il était facile de le peixlre auprès de l'évè- i|ue de Mirepoix, le théatin Boyer, il écrivit contre lui- même une lettre anonyme |)leine de calomnies et facile à* convaincre d'absurdité. Il l'adressa à l'évèque de Nar- bonue; il entra ensuite en explication avec lui, et fit voir l'atrocité de ses ennemis prétendus. Arrivèrent ensuite les lettres anonymes écrites en effet par eux, et contenant les inculpations réelles ; ces lettres furent méprisées. Le ré- sultiit des premières avait mené le théatin à l'incrédidité sur les secondes.

I.i; M\ni CONVAINCU.

M. (le F..., (pii avait vu à sa femme plusieurs amants,

CARACTERES ET ANECDOTES.

et qui avait toujours joui de temps en temps de ses droits d'époux, s'avisa un soir de vouloir en profiter. Sa femme s'y refuse. « Eh quoi ! lui dit-elle, ne savez-vous pas que je suis en affaire avec M...? Belle raison! dit-il, ne m'avez-vous pas laissé mes droits, quand vous aviez L..., S..., N..., B..., T...?— Oh! quelle différence! était-ce de l'amour que j'avais pour eux! Rien, pures fantaisies; mais avec M..., c'est un sentiment : c'est à la vie et à la mort. Ah ! je ne savais pas cela : n'en parlons plus. » Et, en effet, tout fut dit. M. de R..., qui entendait conter cette histoire, s'écria: « Mon Dieu! que je vous remercie d'avoir amené le mariage à produire de pareilles gentil- lesses ! »

LE MARI DE MADAME DE CHAL'LNES ET LES SACREMENTS.

On dit à la duchesse de Chaulnes, mourante et sé- parée de son mari : « Les sacrements sont là. Un petit moment... M. le duc de Chaulnes voudrait vous revoir. Est-il là? Oui. Qu'il attende : il entrera avec les sacrements. »

MARIAGE ET CÉLIBAT.

M... disait de mademoiselle..., qui n'était point vé- nale, n'écoutait que son* cœur et restait fidèle à l'objet de son choix : « C'est une personne charmante, et qui vit le plus honnêtement qu'il est possible hors du mariage et du célibat. »

MARIAGES TEMPORAIRES.

M. de L... disait qu'on aurait appliquer au ma- riage la police relative aux maisons, qu'on loue par un bail pour trois, six et neuf ans, avec pouvoir d'acheter la maison, si elle vous convient.

CARACTÈRES Et ANECDOTES. S31

Madamo do B..., no iwiivant, malgrt' son grand cré- dit, rien fairo pour M. de 1)..., son amant, homme par trop médiocre, l'a éjwusé. En fait d'amants, il n'est pas (le ceux que l'on montre; en fait de maris, on montre tout.

MARI SIISCEPTIIII.K.

In mari disait à sa femme : « Madame, cet homme a (les droits sur vous, il vous a manqué devant moi; je ne le soufl'rirai pas. Qu'il vous maltraite quand vous êtes î;eule ; mais, en ma présence, c'est me manquer à moi- même. »

I.K MAUMITON DE M. I>E MAUr.IROIV.

C'est M. de Maugiron qui a conftmis cette action hor- rible, que j'ai entendu conter, et qui me parut une fable. Eteint à l'armée, son cuisinier fut pris comme maraudeur; on vint le lui dire : « Je suis très-conlent de mon cui- sinier, répondit-il; mais J'ai un mauvais marmitmi. » Il fait venir ce dernier, lui donne une lettre pour le grand prévôt. Le malheureux y va, est saisi, proteste de son in- nocence, et est pendu.

MARMOIMTKL ET BOINDIN \V CAFÉ PROCOPE.

Marmontel dans sa jeunesse recherchait beaucoup le vi(>u\ Hoindin, célèbre par son esprit et son incrédulité. Le vieillard lui dit : « Trouvez-vous au café l'rocope. Mais nous ne pourrons pas parler de matières philosophi- ques. — Si fait, en convenant d'une langue particulière, dun argot. » Alors, ils firent leur dictionnaire. L'àme s'appelait Margot , la religion, JavoUe; la liberté, Jeanneton ,

232 CARACTERES ET ANECDOTES.

et le Père Éternel, M. de l'Être. Les voilà disputant et s'en- tendant très-bien. Un homme en habit noir, avec une mauvaise mine, se mêlant à la conversation, dit à Boin- din : « Monsieur, oserai-je vous demander ce que c'était que ce M. de l'Être qui s'est si souvent mal conduit et dont vous êtes si mécontent? Monsieur, reprit Boindin, c'était un espion de police. « On peut juger de l'éclat i\o rire, cet homme étant lui-même du métier.

M. DE MARVILLE ET LA POLICE.

M. de Marville disait qu'il ne pouvait y avoir d'hon- nête homme à la police que le lieutenant de police tout au plus.

LE MASQLE DE FER.

Il paraît certain que l'homme au masque de fer est un frère de Louis XIV : sans cette explication, c'est un mystère absurde. H paraît certain non-seulement que Mazarin eut la reine, mais, ce qui est plus inconcevable, qu'il était marié avec elle : sans cela, comment expliquer la lettre qu'il lui écrivit de Cologne, lorsque, apprenant qu'elle avait pris parti sur une grande affaire, il lui mande : « Il vous convient bien, madame, etc. ? » Les vieux cour- tisans racontent, d'aii^eurs, que, quelques jours avant la mort de la reine, il y eut une scène de tendresse, de larmes, d'explications entre la reine et son fils; et l'on est fondé à croire que c'est dans cette scène que fut faite la confidence de la mère au fils.

LES MASQUES.

« La différence qu'il y a de vous à moi, me disait M..., c'est que vous avez dit à tous les masques : «Je « vous connais; » et moi, je leur ai laissé l'espérance de me

CARACTÈRES ET ANECDOTES. 233

tromper. Voilà pourquoi le monde m'est plus favorable qu'à vous. C'est un bal dont vous avez détruit l'intérêt pour les autres et l'amusomenf pour vous-m^me. »

I.'ABBK MAl'BY CANDIDAT A 1,'ACADKMIE.

L'abbé Maury tâchant de faire conter à l'abbé de Beaumont, vieux et paralytique, les détails de sa jeunes.<o et de sa vie : « L'abbé, lui dit celui-ci, vous me prenez mesure! » indiquant qu'il cherchait des matériaux pour son éloge à l'Académie.

I.A MKDAll.I.E DK LOTIS XIII ET D f CARDINAL DE RICHELIEU.

Il existe une médaille que M. le prince de Condé m*a dit avoir possédée, et que je lui ai vu regretter. Cette mé- daille représente, d'un côté, Louis XIII, avec les mots or- dinaires : Rex Frcmc. et Nav., et, de l'autre, le cardinal de Richelieu, avec ces mots à l'entour : Nil sine concilio.

LE MÉDECIN ARMÉ.

Un médecin de village allait visiter un malade au vil- lage prochain. Il prit avec lui un fusil pour chasser en chemin et se désennuyer. Un paysan le rencontra, et lui demanda ofi il allait. « Voir un malade. Avez-vous }K'ur de le manquer? »

LE MÉDECIN DE M. DE SILLY.

M. Lorri, médecin, racontiùt que madame de Sully, étant indisposée, l'avait appelé et lui avait conté une in- solence de Bordeu, lequel lui avait dit : « Votre maladie vient de vos besoins : voilà un homme » ; et, en même temps, il se présenta dans un état peu décent. Lorri

CARACTERES ET ANECDOTES.

excusa son confrère, et dit à madame de Sully force ga- lanteries respectueuses. Il ajoutait : « Je ne sais ce qui est arrivé depuis; mais ce qu'il y a de certain, c'est qu'après m'avoir rappelé une fois, elle reprit Bordeu. »

LA MÉMOIRE DE M. DE TRESSAN.

M. de Tressan avait fait, en 1738, des couplets contre M. le duc de Nivernais, et sollicita l'Académie on 1780. Il alla chez M. de Nivernais, qui le reçut à merveille, lui parla du succès de ses derniers ouvrages, et le renvoyait comblé d'espérances, lorsque, voyant M. de Tressan prêt à remonter en voiture, il lui dit : « Adieu, monsieur le comte, je vous félicite de n'avoir pas plus de mémoire. »

LE MÉNAGE A TROIS DE M. DE NESLE ET DE M. DE SOUBISE.

Madame de Nesle avait M. de Soubise. M. de Nesle, qui méprisait sa femme, eut un jour une dispute avec elle en présence de son amant; il lui dit: «Madame, on sait bien que je vous passe tout; je dois pourtant vous dire que vous avez des fantaisies trop dégradantes et que je ne vous passerai pas : telle est colle que vous avez pour le perruquier de mes gens, avec lequel je vous ai vue sortir et rentrer chez vous. » Après quelques menaces, il sortit, et la laissa avec M. de Soubise, qui la souffleta, quoi qu'elle pût dire. Le mari alla ensuite conter cet exploit, ajoutant que l'histoire du perruquier était fausse, se mo- quant de M. de Soubise, qui l'avait crue, et de sa femme, qui avait été soufïlotée.

MÉPRISE.

« Je me refuse, disait M.... aux avances de M. de B...,

CARACTERES ET ANECDOTES. 235

parce que j'estime assez peu les qualités pour lesquelles il me recherche, et que, s'il sa\'ait les qualités pour les- quelles je m'estime, il me fermerait sa porte. »

LA MER ET LES ANGLAIS.

r

Milorti Hervey, voyageant en Italie et se trouvant non loin de la mer, traversa une lagune dans l'eau de laquelle il trempa son doigt : « Ah! ah! dit-il, l'eau est salée; ceci est à nous. »

I.K MÉRITE DL DUC DE...

« Je crois, disait M... sur le duc de..., que son nom est son plus grand mérite, et qu'il a toutes les vertus qui se font dans une parcheminerie. »

MÉRITES GRADUÉS DE i/ABBÉ MALRY.

L'abbé Maury, étant pauvTe, avait enseigné le latin à un vieux conseiller de grand'chambre, qui voulait en- tendre les InslUutes de Justinien. Quelques années se pas- sent, et il rencontre ce conseiller, étonné de le voir. dans une maison honnête. «Ah! l'abbé, vous voilà! lui dit-il lestement ; par quel hasard vous trouvez-vous dans cette maison-ci? Je m'y trouve comme vous vous y trouve/.

Oh! ce n'est pas la môme chose. Vous (^tes donc mieux dans vos affaires? Avez-vous fait quelque chose dans votre métier de prêtre? Je suis grand vicaire de M. de Lom- bez. Diable! c'est quelque chose! Et combien cela vaut-il? IMilIe francs. ('/(»st bien peu! » Kl il reprend, le ton leste et léger : « Mais j'ai un |)rieuré de mille écus.

Mille écus! bonne afl'ain* (avec l'air de la considération).

Kt j'ai fait la n>ncontre du maître de cette mai.son-i'i chez M. le cardinal de Rohan. Peste! vous allez chez

236 CARACTÈRES ET ANECDOTES.

le cardinal de Rohan? Oui, il m'a fait avoir une abbaye. Une abbaye ! Ah ! cela posé, monsieur l'abbé, faites- moi l'honneur de venir dîner chez moi. »

UNE MESSE POUR HUIT SOUS.

L'abbé Raynal, jeune et pauvre, accepta une messe à dire tous les jours pour vingt sous; quand il fut plus riche, il la céda à l'abbé de La Porte, en retenant huit sous des- sus : celui-ci, devenu moins gueux, la sous-loua à l'abbé Dinouart, en retenant quatre sous dessus, outre la portion de l'abbé Raynal ; si bien que cette pauvre messe, grevée de deux pensions, ne valait que huit sous à l'abbé Di nouart.

MILTON ET SA FEMME.

Milton, après le rétablissement de Charles II, était dans le cas de reprendre une place très-lucrative qu'il avait perdue; sa femme l'y exhortait; il lui répondit: « Vous êtes femme, et vous voulez avoir un carrosse; moi, je veux vivre et mourir en honnête homme. »

MINISTRES ET MALABES.

Les ministres en place s'avisent quelquefois, lorsque, par hasard, ils ont de l'esprit, de parler du temps ils ne seront plus rien. On en est communément la dupe, et l'on s'imagine qu'ils croient ce qu'ils disent. Ce n'est, de leur part, qu'un trait d'esprit. Ils sont comme les malades qui parlent souvent de leur mort, et qui n'y croient pas, comme on peut le voir par d'autres mots qui leur échappent.

LES TROIS MINISTRES DE HENRI IV.

Henri IV s'y prit singulièrement pour liiire connaître

CARACTERES ET ANECDOTES. Î37

à un ainbassjid(Mir d'Espaj^ne le caractère do ses trois mi- nistres. \ illcMoi. lo président Jeannin et Sully. Il fit aj>- peler d'abord Villeroi : « Voyez-vous cette poutre (jui menace ruine? Sans doute, dit Villeroi sans lever la tète; il faut la faire raccommoder, je vais donner des or- dres. » 11 appela ensuite le président Jeannin : « Il faudra s'en assurer, » dit celui-ci. On fait venir Sully, qui re- garde la poutre : « Kh! sire, y pensez-vous? dil-il : cette poutre durera plus que vous et moi. »

MinABEAt ET M. DE CAI.ONNE.

Dans le temps jwrut le livre de Mirabeau sur l'agio- tage, dans lequel M. de Galonné est très-maltraité, on di- Sciit pourtant, à cause d'un pa.ssi»ge contre M. Necker, que le livre était payé par M. de Galonné, et que le mal qu'on y disait de lui n'avait d'autre objet que de masquer la collusion.

LA MITRE ET LE SOLFELET DE M. DE LtYNES.

On sait que M. de Luynes, ayant quitté le service l)0ur un soutllet qu'il avait reçu sans en tirer vengeance, fut fait bientôl après archevêque de Sens. Un jour qu'il avait ofticié pontilicalement, un mauvais plaisant prit sa mitre, et, l'écartiuil des deux côtés : « G'est singulier, dit-il, comme celte mitre ressemble à un soufflet. »

MOÏSE ET LES ALLIMETTES.

M... à pro|)Os des six mille ans de Moïse, disait, en considérant la lenteur des progrès des arts et l'état actuel (le la civilisation : « Que veut-il qu'on fasse de ses six mille ans? 11 en a fallu plus que cela pour savoir battre le briquet et iwur inventer les allumettes. »

ns CARACTERES ET ANECDOTES.

MOLIERE ET LES FINANCIERS.

C'est une chose remarquable que Molière, qui n'épar- gnait rien, n'a pas lancé un seul trait contre les gens de finance. On dit que Molière et les auteurs comiques du temps eurent là-dessus des ordres de Colbert.

l'abbé de MOLIÈRE ET SON VOLEUR.

L'abbé de Molière était un homme simple et pauvre, étranger à tout, hors à ses travaux sur le système de Des- cartes; il n'avait point de valet, et travaillait dans son lit, faute de bois, sa culotte sur sa tète par-dessus son bonnet, les deux côtés {)endant à droite et à gauche. Un matin, il entend frapper à sa porte : « Qui va là? Ouvrez... » Il tire un cordon et la porte s'ouvre. L'abbé de Molière, ne regardant point : « Qui êtes-vous? Donnez-moi de l'ar- gent. — De l'argent? Oui, de l'argent. Ah ! j'entends, vous êtes un voleur? Voleur ou non, il me faut de l'ar- gent. — Vraiment, oui, il vous en faut? Eh bien! cher- chez là-dedans... » Il tend le cou, et présente un des côtés de la culotte ; le voleur fouille. « Eh bien ! il n'y a point d'argent. Vraiment, non ; mais il y a ma clef. Eh bien! cette clef...? Cette clef, prenez-la. Je la tiens. Allez-vous-en à ce secrétaire; ouvrez... » Le voleur met la clef à un tiroir. « Pas celui-là, dit l'abbé, ce sont mes papiers... Ventrebleu ! finirez -vous? ce sont mes papiers! A l'autre tiroir, vous trouverez de l'argent. Le voilà. Eh bien! prenez... Fermez donc le tiroir... » Le voleur s'enfuit. « Monsieur le voleur, fermez donc la porte. Morbleu! il laisse la porte ouverte !... Quel chien de voleur! il faut qno je me lève par le froid qu'il fait!

CARACTERES ET ANECDOTES. 23»

maudit voleur! » L'abbé saute en pied, va fermer la porte, et revient se remettre à son travail.

HON'SEIUNEUR MONTAZET ET I.A S(KLR DU CARDINAI. I>E TENCIN.

Oiiand rarchcv^que de Lyon, MonUizet, alla prendre possession de son sioj;e, une vieille clianoinesso de..., sœur du cardinal de Tencin, lui fit compliment de ses succès auprcis des femmes, et entre autres de l'enfant qu'il avait eu de madame de Hlazarin. Le prélat nia tout et ajouta : « Madame, vous sa\('z que la adomnic no vous a pas mcna^'ée vous-même; mon histoire avec madame de Mazarin n'est pas plus vraie que celle qu'on vous prête avec M. le cardinal. En ce cas, dit la chanoinesse tran- quillement, l'enfant est de vous. »

I.K MONT KT\A ¥ T I. 'a B b É IlECUl'EnO.

Le clianuim- K(v upcro, célèbre physicien, ayant pu- blié une savante dissertation sur le mont Etna, il prou- vait, d'après les dates des éruptions et la nature de leui-s laves, que le monde ne pouvait pas avoir moins de qua- torze mille ans; la cour lui fit dire de se taire, et que l'arche sainte avait aussi ses éruptions. Il se le tint |X)ur dit. C'est lui-même qui a conté cette anecdote au cheva- lier de la Tremblaye.

madame de montmoiun et son eils.

Madame de Montmorin disait k son fils : « Vous entrez dans le monde; je n'ai (pi'un conseil il vous donner : c'est dètre amoureux do toutes les fonunes. »

240 CARACTERES ET ANECDOTES.

LA MORT DU ROI.

Un courtisan disait à la mort de Louis XIV : « Après la mort du roi, on peut tout croire. »

UN MOT DE J.-J. ROUSSEAU.

J.-J. Rousseau passe pour avoir eu madame la comtesse de Boufflers, et même (qu'on me passe ce terme) pour l'avoir manquée, ce qui leur donna beaucoup d'humeur l'un contre l'autre. Un jour, on disait devant eux que l'amour du genre humain éteignait l'amour de la patrie. « Pour moi, dit-elle, je sais, par mon exemple, et je sens que cela n'est pas vrai : je suis très-bonne Française, et je ne m'intéresse pas moins au bonheur de tous les peuples. Oui, je vous entends, dit Rousseau, vous êtes Française par votre buste, et cosmopolite du reste de votre personne. «

UN MOT d'arlequin.

Il y a une farce italienne vOÙ Arlequin dit, à propos dos travers de chaque sexe, que nous serions tous par- faits, si nous n'étions ni hommes ni femmes.

UN MOT DE FOX.

Fox avait emprunté des sommes immenses à différents juifs, et se flattiiit que la succession d'un de ses oncles payerait toutes ses dettes. Cet oncle se maria et eut un fils; à la naissance de l'enfant. Fox dit : « C'est le Messie (jue cet enfant : il vient au monde pour la destruction des juifs. »

JOLI MOT DE LOUIS XV.

Louis XV se fit peindre par Latour. Le peintre, tout en travaillant, causait avec le roi, qui [)araissait le trouver bon. Latour, encourage et naturellement indiscret, poussa

CARACTÈRES ET ANECDOTES. M

la témérité jusqu'à lui dire : « A.u fait, siro, vous n'avez point do marine. » Le roi ré|)ondit sèchement : « Que dites-vous ? Et Vernet, donc 1 »

MOT DE MADAMK 1)E MAINTENON SUR LES ÉVÉQIKS.

Louis \IV, so plaignant chez mad^ime de Maintenon du chagrin que lui causait la division des éviNques : « Si l'on iwuvait, disait-il, ramener les neuf opposants, on évi- terait un schisme; mais cela ne sera pas facile. Eh bien! sire, dit en riant madame la duchesse, que ne dites- vous aux quarante de revenir à l'avis des neuf, ils ne vous refuseront pas. »

MOT d'un abbé a un portier.

L'abbé de la Galaisière était fort lié avec M. Orri, avant qu'il fût contrôleur général. Quand il fut nommé à cette place, son portier, devenu suisse, semblait ne pas le reconnaître. « Mon ami, lui dit l'abbé de la Galaisière, vous êtes insolent beaucoup trop tôt, votre maître ne l'est pas encore. »

MOT d'un COLRTISAN.

Un courtisan disait : « Ne se brouille pas avec moi qui veut. »

MOT D'DNE jeune fille SUR LA MORT.

« Pourquoi donc, disait mademoiselle de..., âgée de douze ans, pourquoi cette phrase : « Aj)pren(lro à mourir? » je vois qu'on y réussit très-bien dès la première fois. »

MOT d'un major de PLACE.

Je ne vois jamais jouer les pièces de..., et le {wi! de

U

m CARACTERES ET ANECDOTES.

monde qu'il y a, sans me rappeler le mot d'un major de place qui avait indiqué l'exercice pour telle heure. Il ar- rive, il ne voit qu'un trompette : « Parlez-donc, messieurs les b... ! d'où vient donc est-ce que vous n'êtes qu'un? »

MOUSQUETAIRE INTELLIGENT.

Madame de Prie, maîtresse du régent, dirigée par son père, un traitant nommé, je crois, Pleneuf, avait fait un accaparement de blé qui avait mis le peuple au désespoir, et enfin causé un soulèvement. Une compagnie de mous- quetaires reçut l'ordre d'aller apaiser le tumulte, et leur chef, M. d'Avejan, avait ordre, dans ses instructions, de tirer sur la canaille : c'est ainsi qu'on désignait le peuple en France. Cet honnête homme se fit une peine de faire feu sur ses concitoyens, et voici comme il s'y prit pour remplir sa commission. Il fit faire tous les apprêts d'une salve de mousqueterie, et, avant de dire : Tirez! il s'avança vers la foule, tenant d'une main son chapeau, et de l'autre l'ordre de la cour : « Messieurs, dit-il, mes ordres portent de tirer sur la canaille ; je prie tous les honnêtes gens de se retirer avant que j'ordonne de faire feu. » Tout s'enfuit et disparut*.

MOYEN DE CHASSER UN MINISTRE.

On avisait dans une société aux moyens de déplacer un mauvais ministre, déshonoré par vingt turpitudes. Un de SCS ennemis connus dit tout à coup : « Ne pourrait-on pas lui faire faire quelque opération raisonnable, quelque chose d'iumnête, pour le l'aii'e chasser? »

1. On ;i fait, à lort, dans une oraisoa lunèljic roccnte, les honneurs (le ce mot à la fois touchant et sjiirituol à un garde national de Paris morini y a quelque temps.

CARACTÈRES ET ANECDOTES: 24J

MOYEN d'Être l'ami de m. bauthk.

N... disait à M. Barthe : « Depuis dix ans que je vous connais, j'ai toujours cru qu'il était inipossil)l(> d'ùtro votro ami; mais je me suis trompé; il y en aurait un moyen. Et lequel? (]elui de faire une iwrfaite ahné- iialion de soi, et d'adorer sans cesse votre égoïsme. »

MUSES, FEMMES OU MAITRESSES.

Le fameux Ben-Jolinson disait que tous ceux qui avaient, pris les Muses pour femmes étaient morts de faim, et que ceux qui les avaient prises pour maltn>sses s'en étaient fort bien trouvés. Cela revient assez bien à ce (juc j'ai ouï dire à Diderot, qu'un homme de lettres sensé pou- vait être l'amant d'une femme qui fait un livre, mais ne devait être le mari que de celle qui sait faire une chemise. Il y a mieux que tout cela : c'est de n'être ni l'amant de celle qui fait un livre, ni le mari d'aucune.

NAIVKTÉ DE l/.V B B É bEI.II.I.K.

L'abbé Delille devait lire des vers à l'Académie j>our la réception d'un de ses amis. Sur quoi il disait: «Je vou- drais bien qu'on ne le sût pas d'avance, mius je crains bien de le dire à tout le monde. »

NAÏVETÉ DE MADAME DE NOAII.I.ES.

L'abbé do Fleury avait été amoureux de madame la maréchale de Noailles, qui le traita avec mépris. Il devint premier ministre; elle eut besoin de lui, et il lui rappela ses riiïueuis. «Ah! monseijïneur. lui dit naïvement la maréchale, qui l'aurait pu prévoir! »

244 CARACTERES ET ANECDOTES.

NAÏVETE DE VOLTAIRE.

M. Poissonnier, le médecin, après son retour de Russie, alla à Ferney, et, comme il parlait à M. de Voltaire de tout ce qu'il avait dit de faux et d'exagéré sur ce pays- : « Mon ami, répondit naïvement Voltaire, au lieu de s'amuser à contredire, ils m'ont doijné de bonnes pelisses, et je suis très-frileux. »

naïveté écossaise.

Pendant la guerre d'Amérique, un Écossais disait à un Français, en lui montrant quelques prisonniers amé- ricains : « Vous vous êtes battu pour votre maître; moi, pour le mien ; mais ces gens-ci, pour qui se battent-ils? » Ce trait vaut bien celui du roi de Pegu, qui pensa mourir de rire en apprenant que les Vénitiens n'avaient pas de roi.

naïveté et indiscrétion.

Je venais de raconter une histoire galante de madame la présidente de..., et je ne l'avais pas nommée. M... re- prit naïvement : <f Cette présidente de Dernière, dont vous venez de parlez... » Toute la société partit d'un éclat de rire.

naïveté et vérité.

Un jeune homme sensible, et portant l'honnêteté dans l'amour, était bafoué par des libertins qui se moquaient de sa tournure sentimentale. Il leur répondit avec naïveté : « Est-ce ma faute, à moi, si j'aime mieux les femmes que j'aime que les femmes que je n'aime pas? »

CARACTÈRES ET ANECDOTES. 24S

NATIHK ET SOCl^.TÉ.

On disait qiio M... ('tait pou sociable : « Oui, dit un do SOS auus, il ost choqué do plusieurs choses qui, dans la société, choquent la nature.

LES NEIICHATRI.OIS ET l,E ROI DE PUISSE.

M..., faisant sa cour au prince Henri, à NeuchAtel, lui dit que les Neuchàtelois adoraient le roi de Prusse. « Il est fort simple, dit le prince, que les sujets aiment un maître qui est à trois cents lieues d'eux. »

M PÈRE IMI MARI.

Le duc de Chartres', apprenant l'insulte faite à ma- dame la duchesse de Bourbon, sa sœur, par M. le comte d'Artois, dit : « On egt bien heureux de n'être ni père ni mari. »

LES NOBLES AU PÉROC.

Au Pérou, il n'était permis qu'aux nobles d'étudier. Lts nôtres pensent difforoniment.

LA NOBLESSE DE SAVOIE.

On avait dit à un roi de Sardaif^e que la noblesse de Savoie était très-pauvre. Un jour, plusieurs !j;enilsliommes, aitpivnant quo le roi pass;iit par jo no siiis ((uollo ville, vinrent lui faire leur cour en habits do f.'ala nia4;nifiques. Le roi leur fit enlendro ([u'ils n'étaient pas aussi [uuivros qu'on le disait. «Sire, répondirent-ils, nous avons appris

1 . Qui fut plus tard duc d'Orléans , devint roi dos Français , et mourut diius l'exil.

u.

CARA.CTERES ET ANECDOTES.

l'arrivée de Votre Majesté; nous avons fait tout ce que nous devions, mais nous devons tout ce que nous avons fait. »

LES OEUFS d'un flOMME PERSONNEL.

Quelqu'un disait d'un homme très-personnel : « Il brûlerait votre maison pour se faire cuire deux œufs. »

1,'OEUF DE CANE DE MADAME GEOFFRIN.

Madame Geoffrin disait de madame de la Ferlé-Im- baut, sa fille : « Quand je la considère, je suis étonnée comme une poule qui a couvé un œuf de cane. »

OPINION DU PRINCE DE CONTI SUR LES PRINCES.

Le prince de Conti actuel, s'affligeait de ce que le comte d'Artois venait d'acquérir une terre auprès de ses cantons de chasses : on lui fit entendre que les limites étaient bien marquées, qu'il n'y avait rien à craindre pour lui, etc. Le prince de Conti interrompt le harangueur en lui disant : « Vous ne savez pas ce que c'est que les princes! »

OPINION PUBLIQUE.

M..., voyant, dans ces derniers temps, jusqu'à quel point l'opinion publique influait sur les grandes affaires, sur les places, sur le choix des ministres, disait à M. de L..., en faveur d'un homme qu'il voulait voir arriver : « Faites-nous, en sa faveur, un peu d'opinion publique. »

OPINION SUR LES FEMMES.

Un philosophe me disait qu'après avoir examiné l'ordre civil et politique des sociétés, il n'étudiait plus

CARACTÈRES ET ANECDOTES. 847

que les sauvages dans les livres des voyageurs, et les en- fants dans la vie ordinaire.

OnOUEII. DES JI^SUITF.S.

M... îiimo qu'on û\^o qu'il est méclianl. à jiou près comme les jésuites n'étaiiMil pas fâchés qu'on dit qu'ils assassinaient l«>s rois. C'est l'orgueil qui veut régner par la crainte sur la faiblesse.

Olinr.I DES HOMMES.

Je demandais à M... pourquoi, en se condamnant à l'obscurité, il se dérobait au bien qu'on pouvait lui faire. « Les hommes, me dit-il, no peuvent rien faire pour moi qui vaille leur oubli. »

LE PARADIS DE DIICI.OS.

Duclos parlait un jour du paradis, que chacun se fait à sa manière. Madame do Rochofort lui dit: « Pour vous, Duclos, voici do quoi composer le vôtre : du pain, du vin. du fromage et la première venue. »

LE PARDON DES RIENFAITS.

Je pressais M. de L... d'oublier les torts de M. de B..., qui lavait autrefois obligé; il me répondit : «Dieu a recommandé le pardon dos injures; il n'a point recom- mandé celui des bienfaits. »

LES PARENTS DE M. DE NO AIL LES.

Le maréchal de Noailles avait un proc^>s au parlement avec un do ses fermiers. Huit ou neuf conseillei-s se récu- sèrent, disant tous ; « En qualité de parent de M. de Noail-

248 CARACTERES ET ANECDOTES.

les... ; » et ils l'étaient en effet au huifantième degré. Un conseiller nommé M. Hurson, trouvant cette vanité ridi- cule, se leva, disant: «Je me récuse aussi. » Le premier président lui demanda en quelle qualité. Il répondit : « Comme parent du fermier. »

PARIS DES DUCS DE CHOISEUL ET DE PRASLIN.

Le duc de Choiseul et le duc de Praslin avaient eu une dispute pour savoir lequel était le plus bête, du roi ou de M. de la Vrillière : le duc de Praslin soutenait que c'était M. de la Vrillière; l'autre, en fidèle sujet, pariait pour le roi. Un jour, au conseil, le roi dit une grosse bê- tise. « Eh bien ! monsieur de Praslin, dit le duc de Choi- seul, qu'en pensez-vous? »

PARLER BIEN NE SUFFIT PAS.

Quand madame de F. . . a dit joliment une chose bien pensée, elle croit avoir tout fait; de façon que, si une de ses amies faisait à sa place ce qu'elle a dit qu'il fallait faire, cela ferait à elles deux une philosophe. M. de... di- sait d'elle : « Quand elle a dit une jolie chose sur l'émé- tique, elle est toute surprise de n'être point purgée. »

PARTAGE DE I.A POLOGNE.

Un évèque de Saint-Brieuc, dans son oraison funèbre de Marie-Thérèse, se tira d'affaire fort simplement sur le partage de la Pologne : « La France, dit-il, n'ayant rien dit sur ce partage, je prendrai le parti de faire comme la France, et de n'en rien dire non plus. »

LE PARTICULIER DE LA DUCHESSE DU MAINE.

Madame la duchesse du Maine, dont la santé allait

CARACTÈRES £T ANECDOTES. 249

mal, grondait son médecin et lui disait : « Était-ce la peine rlo m'imposer tant do privations et de me faire vivre en mon particulier? Mais Votre Altesse a maintenant qua- rante personnes au château ! Eh bien ! ne savez-vous pas que quarante ou cinquante personnes sont le parti- culier d'une princesse? »

LES PASSIONS DE M...

M... étouffe plutôt ses passions qu'il ne sait les con- duire. Il me disait là-dessus : « Je ressemble à un homme qui, étant à cheval, et ne sachant pas gouverner sa béto qui l'emporte, la tue d'un coup de pistolet et se |)récipite avec elle. »

PAUVRES nois.

On venait de citer quelques traits de la gourmandise de plusieurs souverains. « Que voulez-vous, dit le bon- homme M. de Brequigny, que voulez-vous que fas.sent ces pauvres rois? Il faut bien qu'ils mangent! »

PEHMéjA ET DUBUEUIL.

On demandait à Pehméja quelle était sa fortune? « Quinze cents livres de rente. C'est bien peu. Oh! reprit Pehméja, Dubreuil est riche. »

I.E PÉNITENT ET SON CONFESSEUR.

Le cardinal de la Roche-Aymon, malade de la ma- ladie dont il mourut, se confessa à je ne sais quel prêtre, sur lequel on lui demanda sa façon de jienser. « J'en suis très-content, dit-il ; il parle de l'enfer comme un ange. »

CARACTERES ET ANECDOTES.

PERDRE TERRE AVEC LES FEMMES.

Une femme disait à M... qu'elle le soupçonnait de n'avoir jamais perdu terre avec les femmes. «Jamais, lui dit-il, si ce n'est dans le ciel. » En effet, son amour s'ac- croissait toujours par la jouissance, après avoir commencé assez tranquillement.

UN BON PÈRE ET QUATRE BONS FILS.

Un paysan partagea le peu de biens qu'il avait entre ses quatre fils, et alla vivre tantôt chez l'un, tantôt chez l'autre. On lui dit, à son retour d'un voyage chez ses en- fants : « Eh bien ! comment vous ont-ils reçu ? comment vous ont-ils traité? Ils m'ont traité, dit-il, comme leur enfant. » Ce mot paraît sublime dans la bouche d'un père tel que celui-ci.

PERROQUET ET NOTABLE.

Dans le temps de l'assemblée des notables, un homme voulait faire parler le perroquet de madame de... « Ne vous ftuiguez pas, lui dit-elle, il n'ouvre jamais le bec. Comment avez-vous un perroquet qui ne dit mot? Ayez-en un qui dise au moins : Vive le roi! Dieu m'en préserve, dit-elle, un perroquet disant : Vive le roi! je ne l'aurais plus : on en aurait fait un notable. »

PERRUQUE ET CHEVELURE.

On engageait M. de... à quitter une place dont le titre seul faisait sa sûreté contre des hommes puissants; il répondit : « On peut couper à Samson sa chevelure, mais il ne faut pas lui conseiller de prendre perruque. »

CARACTÈRES ET AN^eCDOT^S. tSi

L\ PERSONNALITE DES FAUTES.

Dans une dispute sur le préjugé relatif aux peines in- famantes qui flétrissent la famille du coupable, M... dit: « C'est bien assez de voir des honneurs et des récompenses il n'y a pas do vertu, sans qu'il, faille voir encore un châtiment il n'y a pas de crime. »

PETITE AIDE FAIT GHANU BIEN.

Une femme avait un procès au parlement de Dijon. Elle vint à Paris, sollicita M. le garde des sceaux (1784) de vouloir bien écrire, en sa faveur, un mot qui lui ferait gagner un procès très-juste ; le garde des sceaux la refusa. La comtesse de Talleyrand prenait intérêt à cette femme; elle en parla au garde des sceaux : nouveau refus. Ma- dame de Talleyrand en lit parler par la reine : autre refus. Madame de Talleyrand se souvint que le garde des sceaux caressait beaucoup l'abbé de Périgord, son fils; elle lit écrire iwr lui : refus très-bien tourné. Cette femme, dés- espérée, résolut de faire une tentative, et d'aller à Ver- sailles. Le lendemain, elle part; l'incommodité de la voi- ture publique l'engage à descendre à Sèvres, et à faire le reste de la roule à pied. Un homme lui ofi're de la mener par un chemin plus agréable et qui abrège ; elle accepte, et lui conte son histoire. Cet homme lui dit : « Vous aurez demain ce que vous demandez. » lille le regai-de, et reste confondue. Klle va chez le garde des sceaux, est refusée encore, veut partir. L'homme l'engage à coucher a Ver- sailles, et, le lendemain malin, lui apporte le papier qu'elle demandait. C'était le commis d'un commis, nommé M. fttienne.

CARACTERES ET ANECDOTES.

PEUR DES DUELS.

On disait d'un escrimeur adroit, mais poltron, sj)iri- tuel et galant auprès des femmes, mais impuissant : « Il manie très-bien le fleuret et la fleurette, mais le duel lui fait peur. »

M. DE PEZAY ET M. NECKER.

La finesse et la mesure sont peut-être les qualités les plus usuelles et qui donnent le plus d'avantages dans le monde. Elles font dire des mots qui valent mieux que des saillies. On louait excessivement dans une société le mi- nistère de M. Necker; quelqu'un qui, apparemment, ne l'aimait pas, demanda : « Monsieur, combien de temps est-il resté en place depuis la mort de M. de Pezay ? » Ce mot, en rappelant que M. Necker était l'ouvrage de ce dernier, fit tomber à l'instant tout cet enthousiasme.

PHILOSOPHIE.

« Je sais me suffire, disait M..., et dans l'occasion, je saurai bien me passer de moi, » voulant dire qu'il mour- rait sans chagrin.

UN PHILOSOPHE ET LA SOCIÉTÉ.

Un philosophe, retiré du monde, m'écrivait une lettre pleine de vertu et de raison. Elle finissait par ces mots : « Adieu, mon ami ; conservez, si vous pouvez, les intérêts qui vous attachent à la société ; mais cultivez les senti- ments qui vous en séparent. »

PIERRE 'r A SPITHEAD.

Le czar Pierre I", étant à Spithead, voulut savoir ce

CARACTERES ET ANECDOTES. 253

qup c'était que lo cliAtiment de la cale qu'on inflige aux mat(»lots. Il ne se trouva pour lors aucun coupable; Pierre dit : « Qu'on prenne un do mes gens. Prince, lui ré- pondit-on, vos gens sont en Angleterre, et, par consé- quent, sous la protection des lois. »

LA PIERRE PHILOSOPHALE DE MADAME D'éPRÉMÉML.

M. d'Épréménil vivait depuis longtemps avec ma- dame Tilaurier. Celle-ci voulait l'épouser. Elle se servit de Cagliostro, qui faisait espérer la découverte de la pierre philosophale. On sait que Cagliostro mêlait le fanatisme et la superstition aux sottises de l'alchimie. D'ftprémonil se plaignant de ce que cette pierre pliilosopliaie n'arrivait pas, et une certaine formule n'ayant point eu d'etTet, Ca- gliostro lui fit entendre que cela venait de ce qu'il vivait dans un commerce criminel avec madame Tilaurier. « Il faut, pour réussir, que vous soyez en harmonie avec les puissances invisibles et avec leur chef, l'Être suprême. Épousez ou quittez madame Tilaurier. » Celle-ci redoubla de coquetterie; d'Épréménil épousa, et il n'y eut que sa femme qui trouva la pierre philosophale.

LA PLACE ET LA FEMME.

M. d'Invau, étant contrôleur général, demanda au roi la permission de se marier; le roi, instruit du nom de la demoiselle, lui dit : « Vous n'êtes pas assez riche. » Celui- ci lui parla de sa place, comme d'une chose qui suppléait à la richesse. « Oh! dit le roi, la place peut s'en aller, et la femme reste. »

PLAIRE.

On demandait à M... : « Qu'est-ce qui rend le plus aimable dans la société? » Il répondit : « C'est de plaire. »

43

254 CARACTERES ET ANECDOTES.

PLEURER ET SOIPER.

Une femme était à une représentation de Mérope, et ne pleurait point ; on en était surpris. « Je pleurerais bien, dit-elle, mais je dois souper en ville. »

POÉSIE ET HONNET DE NUIT.

M... disiiit, à propos de l'utilité de la retraite et de la force que l'esprit y acquiert : « Malheur au poëte qui se fait friser tous les jours! Pour faire de bonne besogue, il faut être en bonnet de nuit, et pouvoir faire le tour de sa tête avec sa main. >■>

LA POÉSIE ET M. DE VERGENCES.

M. de Vergennes n'aimait point les gens de lettres, et on remarqua qu'aucun écrivain distingué n'avait fait des vers sur la paix de 1783; sur quoi, quelqu'un disait : « Il y en a deux raisons; il ne donne rien aux poètes et ne prête pas à la poésie. »

LA POLICE ET LA PESTE.

« 11 faut que ce qu'on appelle la police soit une chose bien terrible, disait plaisamment madame de..., puisque les Anglais aiment mieux les voleurs et les assassins, et que les Turcs aiment mieux la peste. »

PORTIER TROP DÉLICAT.

Un malheureux portier à qui les enfants de son maître refusèrent de payer un legs de mille livres, qu'il pouvait réclamer par justice, me dit : « Voulez-vous, monsieur, que j'aille plaider contre les enfants d'un homme que j'ai

CARACTERES ET ANECDOTES. SSS

servi vingt-cinq ans, et que jo sors cux-m^mes depuis quinze? » Il se faisait, de leur injustice môme, une raison d'être généreux à leur égard.

i'outrait de madame de nemouks par vendome.

M. de Vendôme disait de madame de Nemours, qui avait un long nez courbé sur des lèvres vermeilles : « Elle a Pair d'un perroquet (pii mango une cerise. »

PORTRAIT DE MADAME LAMOTTE.

Un marchand d'estampes voulait (le 25 juin) vendre cher le portrait do madame Lamotte (fouettée et marquée le 21), et donnait pour raison que l'estampe était avant la lettre.

PORTRAIT DE M...

M... est un homme mobile, dont l'àme est ouverte à toutes les impressions, dépendant de ce qu'il voit, de ce (juil entend, ayant une larme prête jwur la belle action (ju'on lui raconte, et un sourire |)our le ridicule qu'un sot essaye de jeter sur elle.

PORTRAIT DE M. d'ÉPINAï PAR DIDEROT.

On demandait à Diderot quel homme était M. d'Épi- nay. « C'est un homme, dit-il, qui a mangé deux millions sans dire un bon mol cl sans faire vinc bonne action. »

PORT-ROYAI. ET RACINE.

C'est Une chose curieuse (pie l'histoire de l'ort-Royal écritij !«!* Racine. Il est plaisiuitde voir l'auteur de l'hère parler des grands des.seins de Dieu sur la mère Agnès.

256 CARACTERES ET ANECDOTES,

LA POSTÉRITÉ DE M. THOMAS.

M. Thomas me disait un jour : « Je n'ai pas besoin de mes contemporains; mais j'ai besoin de la postérité. » Il aimait beaucoup la gloire. « Beau résultat de philoso- phie, lui dis-jo, de pouvoir se passer des vivants, pour avoir besoin de ceux qui ne sont pas nés! »

POURQUOI L'ANGLETERRE EST UN BON PAYS.

M. do C..., parlant un jour du gouvernement d'An- gleterre et de ses avantages, dans une assemblée se trouvaient quelques évoques, quelques abbés ; un d'eux, nommé l'abbé de Seguerand, lui dit : « Monsieur, sur le peu que je sais de ce pays-là, je ne suis nullement tenté d'y vivre, et je sens que je m'y trouverais très-mal. Monsieur l'abbé, lui répondit naïvement M. de C..., c'est parce que vous y seriez mal que le pays est excellent. »

POURQUOI l'on est PLUS HONNÊTE EN FRANCE AVANT qu'après TRENTE ANS.

« Savez-vous pourquoi, me disait M. de..., on est plus honnête, en France, dans la jeunesse et jusqu'à trente ans que passé c«t âge? C'est que ce n'est qu'après cet âge qu'on s'est détrompé; que, chez nous, il faut être enclume ou marteau ; que l'on voit clairement que les maux dont gémit la nation sont irrémédiables. Jusqu'alors on avait ressemblé au chien qui défend le dîner de son maître contre les autres chiens; après cette époque, on fait comme le même chien, qui en prend sa part avec les autres. »

POURQUOI ME MARIERAIS-JE?

Je proposais à M. de L... un mariage qui semblait

CARACTÈRES ET ANECDOTES. Kl

avantag;eux. Il mo répondit : « Pourquoi me marierais-je? Le mioux qui puisse m'arriver, on me mariant, est de n'être pas cocu, ce que j'obtiendrai encore plus sûrement en ne me mariant pas. »

POURQL'OI M. I.... n'écrivait PAS.

On reprochait à M. L..., homme de lettres, de ne plus rien donner au public. « Que voulez-vous qu'on imprime, dit-il, dans un pays YAlmanach de Liège est défendu de temps en temps. »

POUSSIÈRE ET BOUE.

On disait d'un courtisan léger, mais non corrompu : « Il a pris de la poussière dans le tourbillon ; mais il n'a pas pris de tache dans la boue. »

UN PRÉDICATEtR DE I.A LIGUE.

Un prédicateur de la Ligue avait pris pour texte de son sermon : Eripe nos, Domine, à luto fcecis, qu'il tradui- sait ainsi : « Seigneur, débourbonnez-vous! »

PRÉSENT DE LOUIS XV A M. D'ÉTIOLES.

Quelque temps avant que Louis XV fût arrangé avec madame de Pompadour, elle courait après lui aux chasses. Le roi eut la complaisance d'envoyer à M. d'Étiolés une ramure de cerf. Celui-ci la fit mettre dans sa salle à man- ger, avec ces mots : « Présent fait iwr le roi à M. d'Élioles. »

PRIÈRE d'un célibataire.

Un célibataire qu'on pressait de se marier répondit plaisamment : « Je prie Dieu de me préserver des femmes aussi bien que je me préserverai du mariage. »

253 CARACTERES ET ANECDOTES.

PROBLÈME DE M A U P ERTU I S.

Maupertuis, étendu dans son fauteuil et bâillant, dit ' un jour : « Je voudrais, dans ce moment-ci, résoudre un beau problème qui ne fût pas difficile. » Ce mot le peint tout entier.

PRODIGALITÉ DU ROI STANISLAS.

Le roi Stanislas venait d'accorder des pensions à plu- sieurs ex-jésuites ; M. de Tressan lui dit : « Sire, Votre Majesté ne fera-t-elle rien pour la fomille de Damions, qui est dans la plus profonde misère? »

PROFESSION DE FOI AUDACIEUSE DE M. DE BRETEUIL.

Le baron de Breteuil, après son départ du ministère, en 1788, blâmait la conduite de l'archevêque de Sens. Il le qualifiait de despote, et disait : « Moi, je veux que la puissance royale ne dégénère point en despotisme, et je veux qu'elle se renferme dans les limites oîi elle était res- serrée sous Louis XIV. » Il croyait, en tenant ce discours, faire acte de citoyen, et risquer de se perdre à la cour.

PROGRÈS DE LA NOBLESSE.

« Pour juger de ce que c'est que la noblesse, disait M..., il suffit d'observer que M. le prince de Turenne, ac- tuellement vivant, est plus noble que M. de Turenne, et que le marquis de Laval est plus noble que le connétable de Montmorency. »

LES PROGRÈS D'UNE CURE.

On disait à Delon, médecin mesmériste : « Eh bien,

CARACTERES ET ANECDOTES. 259

M. de B... est mort, malgré la promesse que vous aviez faite de le guérir. Vous avez, répondit-il, été absent, vous n'avez pas suivi les progrès de la cure : il est mort guéri. »

PROJET DE COUR PLÉNIÈRE.

Du temps do M. de Macliault, on présenta au roi le projet d'une cour plénière, telle qu'on a voulu l'exécuter (i(>puis. Tout fut réglé entre le roi, madame de Pompadour (»t les ministres. On dicta au roi les réponses qu'il ferait au premier président; tout fut expliqué dans un mémoire dans lequel on disait : «Ici, le roi prendra un air sévère; ici, le front du roi s'adoucira ; ici, le roi fera tel geste, etc. » Le mémoire existe.

PRUDENCE DE L'ADBÉ DE SAINT- PIERRE.

Quand l'abbé de Saint-Pierre approuvait quelque chose, il disait : v Ceci est bon pour moi, quant à pré- sent. » Rien ne peint mieux la variété des jugements hu- mains, et la mobilité du jugement de chaque homme.

LE PUBLIC ET LES FEMMES DE LA HALLE.

Un homme parlait du respect que mérite le public. «Oui, dit M..., le respect qu'il obtient de la prudence. Tout le monde méprise les harengères; cependant, qui oserait risquer de les offenser en traversant la halle? »

LE PUBLIC ET H...

On réfutait je ne sais quelle opinion de M... sur un

ouvrage, en lui parlant du public, qui en jugeiiit autre- ment : « Le public, le public, dit-il; combien faut-il de sots pour faire un public? »

260 CARACTERES ET ANECDOTES.

PURISME DE M. BEACZÉE.

Madame Beauzée couchait avec un maître de langue allemande. M. Beauzée les surprit au retour de l'Académie. L'Allemand dit à la femme : « Quand je vous disais qu'il était temps que je m'en aille. » M. Beauzée, toujours pu- riste, lui dit : « Que je m'en allasse, monsieur. »

PURISME DU PRINCE DE BEAUVAU.

M... disait du prince de Beauvau, grand puriste: « Quand je le rencontre dans ses promenades du matin, et que je passe dans l'ombre de son cheval (il se promène souvent à cheval pour sa santé), j'ai remarqué que je ne fais pas une faute de français de toute la journée. »

PYRAME ET BAUCIS.

Madame de..., âgée de soixante-cinq ans, ayant épousé M..., âgé de vingt-deux, quelqu'un dit que c'était le mariage de Pyrame et de Baucis.

QUESTION ÉPINEUSE.

On faisait une question épineuse à M..., qui répon- dit : « Ce sont de ces choses que je sais à merveille quand on ne m'en parle pas, et que j'oublie quand on me les demande. »

QUI PERD GAGNE.

M... disait: «Je ne sais pourquoi madame de L... désire tant que j'aille chez elle; car, quand j'ai été quel- que temps sans y aller, je la méprise moins. » On pour- rait dire cela du monde en général.

CARACTERES ET ANECDOTES. Sftt

QUITTER ET TROMPER.

M... disait de madartie la princesse de... : « C'est une fommo qu'il faut absolument tromper; car elle n'est pas de la classe de celles qu'on quitte. »

M. DE n... ni EN JIO K.

M. de L... me disiùt de M. de U... : « C'est l'entrepôt du venin de toute la société. II le rassemble comme les crapauds, et le darde comme les vipères. »

RÉCLAMATION DU COMTE D'ORSAY.

M. le comte d'Orsay, fils d'un fermier général^ et connu par sa manie d'être homme de qualité, se trouva avec M. de Choiseul-Gounier chez le prévôt des mar- chands. Celui-ci venait chez ce magistrat pour faire di- minuer sji capitation, considérablement augmentée ; l'autre y venait porter ses plaintes de ce qu'on avait diminué la sienne, et croyait que cette diminution supposait quelque atteinte portée à ses titres de noblesse.

RÉCONCILIATION UTILE.

M... disait : « On m'a dit du mal de M. de...; j'aurais cru cela il y a six mois ; mais nous sommes réconciliés. »

LES REDITES.

« Une idée qui se montre de.ix fois dans un ouvrage, surtout à peu de distance, disiiit M..., me fait l'etFet de ces gens qui, après avoir pris congé, rentrent pour re- prendre leur épée ou leur chapeau. »

1H.

262 CARACTÈRES ET ANECDOTES.

LES TROIS REFUS DE FONTENELLK.

Fontenelle avait été refusé trois fois de l'Académie, et le racontait souvent. Il ajoutait : « J'ai fait cette histoire à tous ceux que j'ai vus s'affliger d'un refus de l'Académie, et je n'ai consolé personne. »

LE RÉGENT ET DUBOIS AU BAL MASQUÉ.

Le régent voulait aller au bal, et n'y être pas re- connu : «J'en sais un moyen, » dit l'abbé Dubois. Et, dans le bal, il lui donna des coups de pied dans le der- rière. Le régent, qui les trouva trop forts, lui dit : « L'abbé, tu me déguises trop ! »

LE RÉGENT ET LE PRÉSIDENT DARON.

Le régent envoya demander au président Daron la démission de sa place de premier président du parlement de Bordeaux. Celui-ci répondit qu'on ne pouvait lui ôter sa place sans lui faire son procès. Le régent, ayant reçu la lettre, mit au bas : Qu'à cela ne tienne, et la renvoya pour réponse. Le président, connaissant le prince auquel il avait affaire, envoya sa démission.

RÈGNES TROP LONGS.

A propos des choses de ce bas monde, qui vont de mal en pis, M... disait: «J'ai lu quelque part qu'en poli- tique il n'y avait rien de si malheureux pour les peuples que les règnes trop longs. J'entends dire que Dieu est éternel ; tout est dit. »

REMARQUE D ' i: N MISANTHROPE.

Je disais à M. B..., misanthrope plaisant, qui m'avait

CARACTERES ET ANECDOTES. 863

présenté un jeune homme de sa connaissance : « Votre ami n'a aucun usage du monde, ne sait rien de rien. Oui, dit-il; et il est déjà triste comme s'il savait tout. »

LA RENOMMÉE KT LE DUC DE CHABOT.

M. le duc de Chabot ayant fait peindre une Renommée sur son carrosse, on lui appliqua ces vers :

Votre prudence est endormie De loger niagniflquement Et de traiter superbement Votre plus cruelle ennemie.

KEPAUTIE u'AROfET AU RÉGENT.

M. le régent avait promis de faire quelque chose du jeune Arouet, c'est-à-dire d'en faire un important et de le placer. Le jeune poëte attendit le prince au sortir du conseil, au moment oiî il était suivi de quatre secrétaires d'État. Le prince le vit et lui dit : « Arouet, je ne t'ai pas oublié, et je te destine le département des niaiseries. Monseigneur, dit le jeune Arouet, j'aurais trop de rivaux : en voilà quatre. » Le prince pensa étouffer de rire.

RÉPONSE A LORD HARLBOROUGH.

Lord Marlborough étant à la tranchée avec un de ses amis et un de ses neveux, un coup de canon fit sauter la cervelle à cet ami et en couvrit le visage du jeune homme, qui recula avec effroi. Marlborough lui dit intrépidement : « Eh quoi ! monsieur, vous paraissez étonné? Oui, dit le jeune homme on s' essuyant la figure, je le suis qu'un homme qui a autant de cervelle i-estât exposé gratuitement à un danger si inutile. »

264 CARACTERES ET ANECDOTES.

RÉPONSE A UNE QUESTION EMBARRASSANTE.

J'étais à table à côté d'un homme qui me demanda si la femme qu'il avait devant lui n'était pas la femme de celui qui était à côté d'elle. J'avais remarqué que celui- ci ne lui avait paS dit un mot; c'est ce qui me fit répon- dre à mon voisin : « Monsieur, ou il ne la connaît pas, ou c'est sa femme. »

BONNE RÉPONSE A UN SOT.

Le vicomte de S... aborda un jour M. de Vaines, en lui disant : « Est-il vrai, monsieur, que, dans une maison l'on avait eu la bonté de me trouver de l'esprit, \ous avez dit que je n'en avais pas du tout? » M. de Vaines lui répondit : « Monsieur, il n'y a pas un seul mot de vrai dans tout cela ; je n'ai jamais été dans une maison l'on vous trouvât de l'esprit, et je n'ai jamais dit que vous n'en aviez pas. »

RÉPONSE DE l'ÉVÉQUE D'AGDE A UN FAT.

M. de Sourches, petit fat, hideux, le teint noir, et ressemblant à un hibou, dit un jour en se retirant : « Voilà la première fois, depuis deux ans, que je vais coucher chez moi. » L'évêque d'Agde, se retournant et voyant cette figure, lui dit en le regardant : « Monsieur perche, apparemment. »

RÉPONSE DE M. DE LACZUN.

On demandait à M. de Lauzun ce qu'il répondrait à sa femme (qu'il n'avait pas vue depuis dix ans), si elle lui écrivait : « Je viens de découvrir que je suis grosse. »

CARACTÈRES ET ANECDOTES. Î65

Il réfléchit, et répondit : « Je lui écrirais : « Je suis charmé d'apprendre que le ciel ait enfin béni notre union ; soi- gnez votre santé; j'irai vous faire ma cour ce soir. »

JOtlE RÉPONSE DE MADAME DE BnOGLIE A SON MAHI.

Le maréchal de Broglic avait épousé la fille d'un né- gociant; il eut doux fillos. On lui propoisait, en présence do madame do Broglie, do faire ontror l'une dans un cha- pitre. «Je me suis fermé, dit-il, en épousant madame, l'entrée de tous les chapitres... Et de l'hôpital, » ajoutâ- t-elle.

RÉPONSE DE Rtl.HIÈRE.

Rulhière disait un jour à C... : a Je n'ai jamais fait qu'une méchanceté dans ma vie. Quand finira-t-ello? » demanda G...

RÉPONSE DE TDRGOT A DEI.ILLE.

L'abbé Delille, entrant dans le cabinet de M. Turgot, lo vit lisant un manuscrit: c'était celui des Mois de M. Rou- chor. L'abbé Delille s'en douta, et dit en plaisantant :

« Odeur do vers se sentait à la" ronde.'

Vous êtes trop parfumé, lui dit M. Turgot, pour sentir les odeurs. »

RÉPONSE d'un soldat AU ROI DE PRUSSE.

Le roi de Prusse, voyant un de ses soldats balafré au visage, lui dit : « Dans quel cabaret t'a-t-on équipé de la sorte ? Dans un cabaret vous avez payé votre écot, à KoUin, » dit le soldat. Le roi, qui avait été battu à Kollin, trouva cependant le mot excellent.

266 CARACTERES ET ANECDOTES.

RÉPONSE d'un VECF.

Un homme était en deuil de la tête aux pieds : gran- des pleureuses, perruque noire, figure allongée. Un de ses amis l'aborde tristement : « Eh ! bon Dieu ! qui. est-ce donc que vous avez perdu? Moi! dit-il, je n'ai rien perdu ; c'est que je suis veuf. »

RÉPONSE PÉREMPTOIRE DE L'ABBÉ DE...

M. l'évêque de L... étant à déjeuner, il lui vint en vi- site l'abbé de...; l'évêque le prie de déjeuner, l'abbé re- fuse. Le prélat insiste : « Monseigneur, dit l'abbé, j'ai dé- jeuné deux fois, et d'ailleurs, c'est aujourd'hui jeûne. »

LE REPRÉSENTANT DE GENÈVE ET LE REPRÉSENTANT DU ROI.

Dans une dispute que les représentants de Genève eurent avec le chevalier de Bouteville, l'un d'eux s'échauf- fant, le chevalier lui dit : « Savez-vous que je suis le re- présentant du roi mon maître? Savez-vous, lui ré- pondit le Genevois, que je suis le représentant de mes égaux? »

RETOUR D'ALLEMAGNE.

M... disait, à son retour d'Allemagne : « Je ne sache pas de chose à quoi j'eusse été moins propre qu'à être un Allemand. »

RETOUR DE VERSAILLES.

La rareté d'un sentiment vrai fait que je m'arrête quel- quefois dans les rues, à regarder un chien ronger un os : « C'est au retour de Versailles, Marly, Fontainebleau, di- sait M. de..., que je suis le plus curieux de ce specUicle. »

CARACTERES ET ANECDOTES. S67

LES RÉVOLUTIONS DK VF.RTOT.

L'abbé de Vertot changea d'état très-souvent. On a|)- jH'Iait cola les révolutions do l'abbé do Vertot.

LES MALHEUREUX RICHES.

Dans le temps qu'on établit plusieurs impôts qui por- taient sur les riches, un millionnaire, se trouvant parmi des gens riches qui se plaignaient du malheur des temps, dit : « Qui est-ce qui est heureux dans ces temps-ci ? Quelques misérables. »

LES ROCHERS EN OR DE H. DE COLBERT.

Colbert disait, à propos de l'industrie de la nation, que le Français changerait les rochers en or, si on le lais- sait faire.

LE ROI DE CENT MILLE HOMMES.

IM... me disait : « Je ne regarde le roi de France que comme le roi d'environ cent mille hommes auxquels il partage et sacrifie la sueur, le sang et les dépouilles de vingt-quatre millions neuf cent mille hommes, dans des proportions déterminées par les idées féodales, militaires, antimorales et antipolitiques qui avilissent l'Europe depuis vingt siècles. »

LE ROI DE PRUSSE ET LE GÉNÉRAL QUINTl'S.

On sait quelle familiarité le roi de Prusse permettait à quelques-uns de ceux qui vivaient avec lui. Le général Quintus Icilius était celui qui en profit<iit le plus libre- ment. Le roi de Prusse, avant la bataille de Rosbach, lui

268 CARACTERES ET ANECDOTES.

dit que, s'il la perdait, il se rendrait à Venise, il vi- vrait en exerçant la médecine. Quintus lui répondit : « Toujours assassin ! »

LE ROI DE PRLSSE ET LE ROI DE FRANCE.

Le roi de Prusse demandait à d'Alembert s'il avait vu le roi de France. « Oui, sire, dit celui-ci, en lui pré- sentant mon discours de réception à l'Académie française.

Eh bien, reprit le roi de Prusse, que vous a-t-il dit?

Il ne m'a pas parlé, sire. A qui donc parle-t-il ? » poursuivit Frédéric.

LE ROI DE PRUSSE ET L'UNIFORME.

Plusieurs officiers français étant allés à Berlin, l'un d'eux parut devant le roi sans uniforme et en bas blancs. Le roi s'approcha de lui et lui demanda son nom. « Le marquis de Beaucourt. De quel régiment? De Cham- pagne. — Ah ! oui, ce régiment oii l'on se f... de l'ordre. » Et il parla ensuite aux officiers qui étaient en uniforme et en bottes.

ROI ET BANQUIER.

Un banquier anglais, nommé Ser ou Sair, fut accusé d'avoir fait une conspiration pour enlever le roi Georges III, et le transporter à Philadelphie. Amené devant ses juges, il leur dit : « Je sais très-bien ce qu'un roi peut faire d'un banquier; mais j'ignore ce qu'un banquier peut faire d'un roi. «

LE ROI SE PORTE BIEN.

Dans les malheurs de la fin du règne de Louis XIV, après la perte des batailles de Turin, d'Oudenarde, de

CARACTERES ET ANECDOTES. 269

Malplaquct, do Ramillies, d'Hochstelt, los plus honnêtes gons dp la cour disaient : « Au moins, le roi se porte bien, c'est le principal. »

LES ROMANS SELON M. DE V...

Je causais un jour avec M. de V..., qui paraît vivre sans illusions dans un âge l'on en est encore suscep- tible. Je lui témoignais la surprise qu'on avait de son in- différence. Il me répondit gravement : « On ne peut pas être et avoir été. J'ai été dans mon temps, tout comme un autre, l'amant d'une femme galante, le jouet d'une co- quette, le passe-temps d'une femme frivole, l'instrument d'une intrigante. Que peut-on être de plus? L'ami d'une femme sensible. Ah ! nous voilà dans les romans ! »

LE FAUX nouÉ.

M... débitait souvent des maximes de roué, en fait d'amour; mais, dans le fond, il était sensible, et fait pour les passions. Aussi quelqu'un disait de lui : « Il fait sem- blant d'être malhonnête, aûn que les femmes ne le rebu- tant pas. »

J.-J. ROUSSEAU ET LE COURTISAN.

J.-J. Rousseau étant, à Fontainebleau, à la représen- tation de son Devin de Village, un courtisan l'aborda, et lui dit poliment : « Monsieur, permettez-vous que je vous fasse mon compliment? Oui, monsieur, dit Rousseau, s'il est bien. » Le courtisan s'en alla. On dit à Rousseau : « Mais y songez-vous? quelle réponse vous venez de faire I Fort bonne, dit Rousseau; connaissez-vous rien de pire qu'un compliment mal fait? »

270 CARACTERES ET ANECDOTES.

J.-J, ROUSSEAU JOUEUR D'ÉCHECS.

On disait à J.-J. Rousseau, qui avait gagné plusieurs parties d'échecs au prince de Conti, qu'il ne lui avait pas fait sa cour, et qu'il fallait lui en laisser gagner quelques- unes : « Comment! dit-il, je lui donne la tour. »

LE POETE ROY ET VOLTAIRE.

Voltaire disait du poëte Roy, qui avait été souvent repris de justice, et qui sortait de Saint-Lazare : « C'est un homme qui a de l'esprit, mais ce n'est pas un auteur assez châtié. »

l'abbé s... ET l'abbé pétiot.

Ce fut l'abbé S... qui administra le viatique à l'abbé Pétiot dans une maladie très-dangereuse, et il raconte qu'en voyant la manière très -prononcée dont celui-ci reçut ce que vous savez, il se dit à lui-même : « S'il en revient, ce sera mon ami. »

sage précaution de m. de roquemont.

M. de Roquemont, dont la femme était très-galante, couchait une fois par mois dans la chambre de madame, pour prévenir les mauvais propos si elle devenait grosse, et s'en allait en disant : « Me voilà net ; arrive qui plante! »

LA MARQUISE DE SAINT-PIERRE ET RICHELIEU.

La marquise de Saint-Pierre était dans une sociéU? on disait que M. de Richelieu avait eu beaucoup de femmes sans en avoir jamais aimé une. « Sans aimer! c'est bientôt dit, reprit-elle; moi, je sais une femme pour la-

CARACTERES ET ANECDOTES. S71

quelle il est revenu de trois cents lieues. » Ici, elle ra- conte l'histoire en troisième pei"sonne, et, gagnée par sjj narration : « Il la porto sur le lit avec une violence in- croyable, et nous y sommes restés trois joui"s. »

LE SALUT DE MADAME DE PAR A BEBE.

M. le régent disait à madame de Parabère, dévote, qui, jwur lui plaire, tenait quelques discours peu cliré- tiens : « Tu as beau faire, tu seras siuivée. »

LE SALIT DE VOLTAIRE.

M. de Voltaire, voyant la religion tomber tous les jours, disait une fois : « Cela est pourtant (iicheux ; car de quoi nous moquerons-nous? Oh! lui dit M. Sabatierde Cabre, consolez-vous ; les occ<isions ne vous manqueront pas plus que les moyens. Ah ! monsieur, reprit dou- loureusement M. de Voltaire, hors de l'Église point de salut. »

LES QUATRE SALUTS Dl° MÉDECIN DE MADAME DU DEFFANT.

D'Alembert, jouissant déjà de la plus grande réputa- tion, se trouvait chez madame Du Deflant, étaient M. le président Hénault et M. de Pont de Veyie. Arrive un mé- decin nommé Fournier, qui, en entrant, dit à madame Du Deffant : « Madame, j'ai bien l'honneur de vous présenter mon très-humble respect; » à M. le président Hénault : « Monsieur, j'ai bien l'honneur de vous siduer; » h M. de Pont de VeyIe : « Monsieur, je suis votre très-humble serviteur; » et à d'Alembert : « Bonjour, monsieur. »

s A NT. -FROID d'iN PORTEUR D'eAU.

Pendant un siège, un porteur d'eau criait dans la

272 CARACTERES ET ANECDOTES.

ville : « A six sous la voie d'eau ! » Une bombe vient et emporte un de ses seaux : « A douze sous le seau d'eau ! » s'écrie le porteur sans s'étonner.

A QUOI TIENT LA SANTÉ.

Un homme dont la santé s'était rétablie en assez peu de temps, et à qui on en demandait la raison, répondit : « C'est que je compte avec moi, au lieu qu'auparavant je comptais sur moi. »

SAURIN ET l'honnêteté DE M. DE FONCEMAGNE.

J'ai vu M. de Foncemagne jouir dans sa vieillesse d'une grande considération. Cependant, ayant eu occasion de soupçonner un moment sa droiture, je demandai à M. Saurin s'il l'avait connu particulièrement. Il me ré- pondit qu'oui. J'insistai pour savoir s'il n'avait jamais rien eu contre lui. M. Saurin, après un moment de ré- flexion, me répondit : « Il y a longtemps qu'il est honnête homme. »

LE MARÉCHAL DE SAXE ET M. DE THYANGE A LA BATAILLE DE ROCOUX.

A la bataille de Rocoux ou de Lavvfeld, le jeune M. de Thyange eut son cheval tué sous lui, et lui-môme fut jeté fort loin ; cependant, il n'en fut point blessé. Le maréchal de Saxe lui dit : « Petit Thyange, tu as eu une belle peur? Oui, monsieur le maréchal , dit celui - ci', j'ai craint que vous ne fussiez blessé. »

M. DE SCHWALOW-POMPADOUR.

Dans une société oiî se trouvait M. de Schvsalow, an- cien amant de l'impératrice Elisabeth, on voulait savoir

CARACTERES ET ANECDOTES. 273

quelques traits relatifs à la Russie. Le tailli de Chabril- lantdil : « M. de St'hwalow, dites-nous cette histoire; vous devez la savoir, vous qui étiez le Pompadour de rx> pavs- là. »

si;r le secret.

M. de C... avait reçu un bienfait de M. d'A...; celui- ci avait recommandé le secret. Il fut gardé. Plusieurs an- nées après, ils se brouillèrent; alors M. de C... révéla le secret du bienfait qu'il avait reçu. M. T..., leur ami com- mun, instruit, demanda à M. de C... la raison de cette apparente bizarrerie. Celui-ci répondit : « J'ai tu son bien- fait tant que je l'ai aimé. Je parle, parce que je ne l'aime plus. C'était alors son secret; à présent, c'est le mien. »

LE SECRET DE DIDEROT.

Diderot, voulant faire un ouvrage qui pouvait com- promettre son repos, confiait son secret à un ami qui, le connaissant bien, lui dit : « Mais, vous-même, me gardc- rez-vous bien le secret ? » En effet, ce fut Diderot qui le trahit.

LE SECRET DE M. DE CHOISEDL.

On s'étonnait de voir le duc de Choiseul se soutenir aussi longtemps cx)ntre madame du Barrv-. Son secret était simple : au moment il paraissait le plus chanceler, il se procurait une audience ou un travail avec le roi, et lui demandait ses ordres relativement à cinq ou six millions d'économie qu'il avait faite dans le département de la guerre, observant qu'il n'était pas convenable de les en- voyer au trésor royal. Le roi entendait ce que cela vou- lait dire, et lui répondait : « Parlez à Berlin ; donnez-lui trois millions en tels effets : je vous fais présent du reste. »

CARACTERES ET ANECDOTES.

Le roi partageait ainsi avec le ministre, et, n'étant pas sûr que son successeur lui offrît les mêmes facilités, gardait M. de Choiseul malgré les intrigues de madame du Barry.

SEMER DES RONCES.

M... avait montré beaucoup d'insolence et de vanité après une espèce de succès au théâtre ; c'était son pre- mier ouvrage. Un de ses amis lui dit : « Mon ami, tu sèmes les ronces devant toi ; tu les trouveras en repassant. »

LE SEXE DU STYLE.

Marivaux disait que le style a un sexe, et qu'on re- connaissait les femmes à une phrase.

LE SIÈGE DE M A H ON.

M. de Richelieu disait, au sujet du siège de Mahon par M. le duc de Grillon : « J'ai pris Mahon par une étour- derie ; et, dans ce genre, M. de Grillon paraît en savoir plus que moi. »

M. DE SILHOUETTE ET LE PRINCE DE CONTI.

Le prince de Conti pensait et parlait mal de M. de Silhouette. Louis XV lui dit un jour : « On songe pour- tant à le faire contrôleur général. Je le sais, dit le prince; et, s'il arrive à cette place, je supplie Votre Ma- jesté de me garder le secret. » Le roi, quand M. de Sil- houette fut nommé, en apprit la nouvelle au prince, et lui ajouta : « Je n'oublie point la promesse que je vous ai faite, d'autant plus que vous avez une affaire qui doit se rap- porter au conseil. » [Anecdote contée par madame de Bouf- flers.)

CARACTÈRES ET ANECDOTES. 275

SlNÉCinE DR i.'kcluse.

L'Écliiso, celui (lui a été à la tête des Variétés amu- satUes, racontait que, tout jeune et sans fortune, il arrivait Lunéville, il obtint la place de dentiste du roi Stanis- las, précisément le jour le roi perdit sa dernière dent.

SINGlLAniTÉS AMOliREUSBS.

C'est une chose bien extraordinaire que deux auteurs pénétrés et panégyristes, l'un en vers, l'autre en prose, de l'amour immoral et libertin, Crébillon et Bernard, soient morts épris pssionnément de deux filles. Si quelque chose est plus étonnant, c'est de voir lamour sentimental pos- séder madame de Voyer jusqu'au dernier moment, et la jwssionner pour le vicomte de Noaillas; tiindis que, de son côté, M. de Voyer a laissé deux cassettes pleines do lettres céladoniques copiées deux fois de sa main. Cela rappelle les poltrons, qui chantenl pour déguiser leur peur.

SlXTE-QllNT PAYANT SES DETTES DE CORDELIEn.

Sixte-Quint, étant pape, manda à Rome un jacobin de Milan, et le tança comme mauvais administrateur de sa maison, en lui rappelant une certaine somme d'argent qu'il avait prêtée quinze ans auparavant à un certain cor- delier. Le coujjable dit : « Cela est vrai, c" était un mauvais sujet qui m'a escroqué. C'est moi, dit le pape, qui suis ce cordelier ; voilà votre argent, mais n'y retoml)ez plus, et ne pi"étez jamais à des gens de cette robe. )'

SOI.lTAinE ET NON MISANTHROPE.

On accusîiit M... d'être misanthroi)e. « Moi, dit-il, je

276 CARACTERES ET ANECDOTES.

ne le suis pas; mais j'ai bien pensé l'être, et j'ai vraiment bien fait d'y mettre ordre. Qu'avez-vous fait pour l'em- pêcher? — Je me suis fait solitaire. »

UN AMI DE LA SOLITUDE.

M. de L..., connu pour misanthrope, me disait un jour, à propos de son goût pour la solitude : « Il faut dia- blement aimer quelqu'un pour le voir. »

LE SOMMEIL DE MADAME LA DAUPHINS.

Madame la princesse de Conti, fille de Louis XIV, ayant vu madame la dauphine de Bavière qui dormait, ou faisait semblant de dormir, dit, après l'avoir considérée : « Madame la dauphine est encore plus laide en dormant que lorsqu'elle veille. » Madame la dauphine prônant la parole sans faire le moindre mouvement, lui répondit : « Madame, tout le monde n'est pas enfant de l'amour. »

LE SOULIER DE MADAME DE MONTPENSIER.

On assure que madame de Montpensier, ayant été quelquefois obligée, pendant l'absence de ses dames, de se faire remettre un soulier par quelqu'un de ses pages, lui demandait s'il n'avait pas eu quelque tentation. Le page répondait qu'oui. La princesse, trop honnête pour profiter de cet aveu, lui donnait quelques louis pour le mettre en état d'aller chez quelque fille perdre la tentation dont elle était la cause.

SOUPEK CHEZ M. DE CONFLANS.

Des jeunes gens de la cour soupaient chez M. de Con- flans. On débute par une chanson libre, mais sans excès d'indécence; M. de Fronsac sur-le-champ se met à chanter

CARACTERES ET ANECDOTES. 877

des couplets abominables qui étonnèrent môme la bande joyeuse. M. de Conflans interrompt le silence universel en disant : « Que diable! Fronsac, il y a dix bouteilles de vin de Champagne entre cette chanson et la première. »

LES SOUPERS DE MARLY.

Le maréchal de Duras, mécontent d'un de ses fils, lui dit: «Misérable! si tu continues, je te ferai souper avec le roi. » C'est que le jeune homme avait soupe deux fois à Marly, il s'était ennuyé à périr.

LES SOIPERS DE M. DE LA REYMÈRE.

M. de La Reynière, obligé de choisir entre la place d'administrateur des postes et celle de fermier général , après avoir possédé ces deu\ places, dans lesquelles il avait été maintenu par le crédit des grands seigneurs qui soupaient chez lui, se plaignit à eux de l'alternative qu'on lui proposiut et qui diminuait de beaucoup son revenu. Un d'eux lui dit naïvement: « Eh! mon Dieu, cela ne fait pas une grande différence dans votre fortune. C'est un million à mettre à fonds perdu ; et nous n'en viendrons pas moins souper chez vous. »

STAINVILLE ET VAUBECOURT.

M. tle Stainville, lieutenant général, venait de faire enfermer sa femme. M. de Vaubecourt, maréchal de camp, sollicitait un ordre pour faire enfermer la sienne. Il venait d'obtenir l'ordre, et sortait de chez le ministre avec un air triomphant. M. de Stainville, qui crut qu'il venait d'être nonuTié lieutcînant général, lui dit devant beaucoup de monde : « Je vous félicite, vous êtes sûrement des nôtres. »

16

CARACTERES ET ANECDOTES.

STANISLAS ET l'aBBK PORQIET.

Le roi de Pologne, Stanislas, avait des bontés pour l'abbé Porquet, et n'avait encore rien fait pour lui. L'abbé lui en faisait l'observation : « Mais, mon cher abbé, dit le roi, il y a beaucoup de votre faute; vous tenez des dis- cours très-libres ; on prétend que vous ne croyez pas en Dieu; il faut vous modérer : tâchez d'y croire; je vous donne un an pour cela. »

LE ROI STANISLAS ET M. DE B A S SOM PIE RRE.

Madame de Bassompierre , vivant à la cour du roi Stanislas, était la maîtresse connue de M. de La Galaisière, chancelier du roi de Pologne. Le roi alla un jour chez elle, et prit avec elle des libertés qui ne réussirent pas. « Je me tais, dit Stanislas; mon chancelier vous dira le reste. »

SURVIVANCE D'lNE POLPÉE.

M. de B..., âgé de cinquante ans, venait d'épouser mademoiselle de G..., âgée de treize ans. On disait de lui, pendant qu'il sollicitait ce mariage, qu'il demandait la sur- vivance de la poupée de cette demoiselle.

LA TABLE DE M. DE LA REYNIÈRE.

M... disait de M. de La Reynière, chez qui tout le monde va pour sa table, et qu'on trouve très-ennuyeux i « On le mange, mais orl ne le digère paSi »

TALENT ÉPISTOLAIRE D L' DAUPlIIN^ ÉLÈVE DE BOSSl'ET»

Jamais Bossuet ne put apprendre au grand dauphiii à écrire une lettre; Ce prince était très-indolent. On ra^

CARACTERES ET ANECDOTES. 279

conte que ses billets h madame la comtesse de Roure finis- saient tous par ces mots : Le roi me fait mander pour le con- seil. Le jour que cette comtesse fut exilée, un des courtisiuis lui demanda s'il n'étiiit pas bien aflligé. «Sans doute, dit le dauphin, mais cependant me voilà délivré de la néces- sité d'écrire le petit billet. »

MADAME DE TAI.MONT ET HICHEI.IEl.

Madame de-Talmont, voyant M. de Richelieu, au lieu de s'occuper d'elle, faire sa cour à madame de Brionne, fort belle feiiune, mais qui n'avait pas la réputation d'avoir beaucoup d'esprit, lui dit : « Monsieur le maréchal, vous n'êtes {xiint aveuiçle, mais je vous crois un peu sourd. »

TANT PIS, TANT MIEUX.

On reprochait à M. de... d'être lo médecin Tant-Pis. « Cela vient, répondit-il, de ce que j'ai vu enterrer tous les malades du médecin Tant-Mienx. Au moins, si les miens meuriMit, on n'a point l\ me reprocher d'être un sot. »

TÉMÉRITÉ DU MARÉCHAI. DE BROGI.IE.

Le maréchal de Broglie affrontiint un danger inutile et ne voulant pas se retirer, tous ses amis faisiiient de vains efforts pour lui en faire sentir la nécessité. Enfin, l'un d'entre eux, M. de Jaucourt, s'ai)proclm, et lui dit à l'oreille : « Monsieur le maréchal, songez que, si vous êtes tué, c'est M. do Routhe qui commandera. » C'était le plus sot des lieutenants généraux. M. do Broglie, frappé du danger que courait l'armée, se retira.

LE TEMPLE DE GNIDE ET MADAME DU DE K FAN T.

On ne distingue pas aisément l'intention de l'auteur

280 CARACTERES ET ANECDOTES.

dans le Temple de Gnide, et il y a même quelque obscurité dans les détails; c'est pour cela que madame Du Deffant l'appelait VApocalypse de la galanterie.

MADAME DE TENCIN.

Madame de Tencin disait que les gens d'esprit fai- saient beaucoup de fautes en conduite, parce qu'ils ne croyaient jamais le monde assez bête, aussi bête qu'il l'est.

MADAME DE TENCIN JUGÉE PAU L'ABBÉ TRUBLET.

Madame de Tencin, avec des manières douces, était une femme sans principes et capable de tout exactement. Un jour, on louait sa douceur : « Oui, dit l'abbé Trublet, si elle eût eu intérêt de vous empoisonner, elle eût choisi le poison le plus doux. »

MESDAMES DE TESSÉ ET DE CHAMPAGNE APRÈS LA MORT DE DUBREUIL.

Madame la comtesse de Tessé disait après la mort de M. Dubreuil : « Il était trop inflexible, trop inabordable aux présents, et j'avais un accès de fièvre toutes les fois que je songeais à lui en faire. Et moi aussi, lui répondit madame de Champagne, qui avait placé trente-six mille livres sur sa tête : voilà pourquoi j'ai mieux aimé me donner tout de suite une bonne maladie que d'avoir tous ces petits accès de fièvre dont vous parlez. »

TOUJOURS AIMÉ.

Le vieux d'Arnoncourt avait fait un contrat de douze cents livres de rente à une fille, pour tout le temps qu'il en serait aimé. Elle se sépara de lui étourdiment, et se lia avec un jeune homme qui, ayant vu ce contrat, se mit en

CARACTERES ET ANECDOTES. 28i

tète de le faire revivre. Elle réclama en conséquence \o^ quartiers échus depuis le dernier payement, en lui faisant signifier, sur papier timbré, qu'elle l'aimait toujours.

TOLJOlJnS NOVICK.

L'homme arrive novice à chaque âge de la vie.

TOURNEBnOCIIli POLITIQUE.

M..., Provençal, qui a des idées plaisantes, me disait, k propos do rois ot mémo de ministres, que. la machine étant bien montée, le choix des uns et des autres était in- différent. « Ce sont, disait-il, des chiens dans un tourne- broche: il suffît qu'ils remuent les pattes pour que tout aille bien. Que le chien soit beau, qu'il ait do l'infelliiiience ou du nez, ou rien de tout cela, la broche tourne, et le souper sera toujours à peu près bon. »

TnACASSIER EN BIEN.

On disait d'un certain homme qui repétait à diffé- rentes personnes le bien qu'elles distiient l'une de l'autre, qu'il était tracassier on bien.

I.E TRAITÉ DE COMMERCE AVEC 1,'ANO I.ETERBE.

M. Harris, fameux négociant de Londres, se trouvant à Paris dans le cours de l'année 1786, à l'époque de la signature du traité de commerce, disait à dos Français : « Je crois que la France n'y perdra un million sterling par an que pendant les vingt-cinq ou trente premières années, mais qu'ensuite la l)alance sera parfaitement égale. »

46.

282 CARACTERES ET ANECDOTES.

PETITS TRAITES DE D ALEMBERT.

Un homme d'esprit ayant lu les petits traités do M. d'Alembert sur l'élocution oratoire, sur la poésie, sur l'ode, on lui demanda ce qu'il en pensait. Il répondit : « Tout le monde ne peut pas être sec. »

LE TRAVAIL EN ESPAGNE.

Un Français avait été admis à voir le cabinet du roi d'Espagne. Arrivé devant son fauteuil et son bureau : «C'est donc ici, dit-il, que ce grand roi travaille. Comment, travaille ! dit le conducteur : quelle insolence I ce grand roi travailler ! Vous venez ici pour insulter Sa Majesté! » Il s'engagea une querelle le Français eut beaucoup de peine à faire entendre à l'Espagnol qu'on n'avait pas eu l'intention d'offenser la majesté de son maître.

LE TREMBLEMENT DE TERRE DE LISBONNE ET LE ROI DE PORTUGAL.

Le roi et la reine de Portugal étaient à Belem, pour aller voir un combat de taureaux, le jour du tremblement de terre de Lisbonne ; c'est ce qui les sauva : et une chose avérée, et qui m'a été garantie par plusieurs Français alors en Portugal, c'est que le roi n'a jamais su l'énormité du désastre. On lui parla d'abord de quelques maisons tombées, ensuite de quelques églises; et, n'étant jamais revenu à Lisbonne, on peut dire qu'il est le seul homme de l'Europe qui ne se soit pas fait une véritable idée du désastre arrivé à une lieue de lui.

CARACTERES ET ANECDOTES. IM

LE DOCTKUR TRONCHIN.

Un homme était abandonné des médecins; on de- manda à M. Tronchin s'il fallait lui donner le viatique. « Cela est bien collant, » répondit-il.

TUILES ET CHAUME.

M. do Choiseul-Gouflier, voulant faire, à ses frais, couvrir de tuiles les maisons de ses paysans exposées à des incendies, ils le remercièrent de sa bonté, et le priè- rent de laisser leurs maisons comme elles étaient, disant que, si leurs maisons étaient couvertes de tuiles au lieu de chaume, les subdélégués augmenteraient leurs tailles.

M. DE TDRENNE AU DÉBUT D'uNE BATAILLE.

*

M. de Turenne dînant chez M. de Lamoignon, celui- ci lui demanda si son intrépidité n'était pas ébranlée au commencement d'une bataille. « Oui, dit M. de Turenne, j'éprouve une grande agitation ; mais il y a dans l'armée plusieurs ofliciers subalternes et un grand nombre de sol- dats qui n'en éprouvent aucune. »

TURGOT DISGRACIÉ.

M. Turgot, qu'un de ses amis ne voyait plus depuis longtemps, dit à cet ami en le retrouvant : « Depuis que je suis ministre, vous m'avez disgracié. »

LE MEILLEUR DES TYRANS.

La comtesse do Boufllers disidt ;iu prince de Conti qu'il était le meilleur des tyrans.

284 CARACTERES ET ANECDOTES.

UNION ASSORTIE.

« Malgré toutes les plaisanteries qu'on rebat sur le mariage, disait M..., je ne vois pas ce qu'on peut dire contre un homme de soixante ans qui épouse une femme de cinquante-cinq. »

IJNIVEnSAI.ITÉ DE VOLTAIRE.

D'Alembert se trouva chez Voltaire avec un célèbre professeur de droit à Genève. Celui-ci, admirant l'univer- salité de Voltaire, dit à d'Alembert : « Il n'y a qu'en droit public que je le trouve un peu faible. Et moi, dit d'Alembert, je ne le trouve un peu faible qu'en géomé- trie. »

DE l'utilité de jurer.

M. de Galonné, voulant introduire des femmes dans son cabinet, trouva que la clef n'entrait point dans la ser- rure; il lâcha un f d'impatience, et, sentant sa faute :

« Pardon, mesdames, dit-il; j'ai bien fait des affaires dans ma vie, et j'ai vu qu'il n'y a qu'un mot qui serve. » En effet, la clef entra tout de suite.

UTILITÉ DE l'esprit.

Un homme qui avait refusé d'avoir madame S..., di- sait : « A quoi sert l'esprit, s'il ne sert à n'avoir point madame de...? »

UTILITÉ DES femmes.

M..., qui aimait beaucoup les femmes, me disait que leur commerce lui était nécessaire pour tem|x'Ter la se-

CARACTÈRES ET ANECDOTES. 285

vérité de ses pensées et occuper la sensibilité de son âme. « J'ai, disait-il, du Tacite dans la tôte et du Tibulle dans le cœur. »

CTILITÉ DU GOUVERNEMENT.

M... disait, à propos de sottises ministérielles et ri- dicules : « Sans le gouvernement, on ne rirait plus en France. »

LA VAISSELLE DU DUC D'AYEN.

Dans le temps qu'il y avait des jansénistes, on les dis- tinguait à la longueur du collet de leur manteau. L'arche- vêque de Lyon avait fait plusieurs enfants; mais, à chaque équipée de cette espèce, il avait soin de faire allonger d'un |)ouce le collet de son manteau. Enfin, le collet s'al- longea tellement, qu'il a passé quelque temps pour jansé- niste et a été suspect à la cour.

VANITÉ DE LE TELLI E R-LO U VOI S.

On se souvient encore de la ridicule et excessive va- nité de l'archevêque de Reims, Le Tellier-Louvois, sur son rang et sur sa naissance. On sait combien, de son temps, elle était célèbre dans toute la France. Voici une des occasions elle se montra tout entière le plus puis- samment. Le duc d'A..., absent de la cour depuis plu- sieurs années, revenu de son gouvernement de Berri, al- lait à Versailles. Sa voiture versa et se rompit. Il faisait un froid très-aigu. On lui dit qu'il fallait deux heures pour la remettre en état. Il vit un relais et demanda pour qui c'était : on lui dit que c'était pour l'archevôque do Reims, qui allaita Versailles aussi. Il envoya ses gens devant lui, n'en réservant qu'un, auquel il recommanda

286 CARACTÈRES ET ANECDOTES.

de ne point paraître sans son ordre. L'archevêque arrive. Pendant qu'on attelait, le duc charge un des gens de l'ar- chevêque de lui demander une place pour un honnête homme dont la voiture vient de se briser, et qui est con- damné à attendre deux heures qu'elle soit rétablie. Le domestique va et fait la commission. « Quel homme est-ce? dit l'archevêque. Est-ce quelqu'un comme il faut? Je le crois, monseigneur ; il a un air bien honnête. Qu'ap- pelles-tu honnête? Est-il bien mis? Monseigneur, sim- plement, mais bien. A-t-il des gens?— Monseigneur, je l'imagine. Va-t'en le savoir. » Le domestique va et revient. « Monseigneur, il les a envoyés devant à Ver- sailles. — Ah ! c'est quelque chose. Mais ce n'est pas tout. Demande-lui s'il est gentilhomme. » Le laquais va et re- vient. « Oui, monseigneur, il est gentilhomme. A la bonne heure ! qu'il vienne, et nous verrons ce que c'est. » Le duc arrive, salue. L'archevêque fait un signe de tête, se range à peine pour faire une petite place dans sa voi- ture. Il voit une croix de Saint-Louis. « Monsieur, dit-il au duc, je suis fâché de vous avoir fait attendre; mais je ne pouvais donner une place dans ma voiture à un homme de rien : vous en conviendrez. Je sais que vous êtes gen- tilhomme. Vous avez servi, à ce que je vois? Oui, mon- seigneur. — Et vous allez à Versailles? Oui, monsei- gneur. — Dans les bureaux apparemment? Non; je n'ai rien à faire dans les bureaux. Je vais remercier... Qui? M. de Louvois? Non, monseigneur, le roi. Le roi ! ( Ici, l'archevêque se recule et, fait un peu de place. ) Le roi vient donc de vous faire quelque grâce toute récente? Non, monseigneur ; c'est une longue histoire. Contez toujours. C'est qu'il y a deux ans, j'ai marié ma fille à un homme peu riche. [L'archevêque reprend un peu de l'es- pace qu'il a cédé dans la iH)iture) ^ mais d'un très-grand nom.

CARACTÈRES ET ANECDOTES. 987

(L'archevêque recède la place.) » Le duc continue : « Sa Ma- jesté avait bien voulu s'intéresser à ce mariage... [L'ar- chevêque fait beaucoup de place ) et avait môme promis à mon gendre le premier gouvernement qui vaquerait. (À)minent donc? Un jwtit gouvernement sans doute! De (juelle ville?— Ce n'est pas d'une ville, monseigneur, c'est d'une province. D'une province, monsieur! crie larchevôque en reculant dans l'angle de sii voiture; d'une province ! Oui, et il va y en avoir un do vacant. Lequel donc? Le mien, celui (\e Berri, que je veux faire passer à mon gendre. —Quoi! monsieur... vous êtes gouverneur du...? Vous tHes donc le duc de...?» Et il veut descendre de sa voilure. « Mais, monsieur le duc, ([ue ne parliez-vous ! mais cela est incroyable ! mais à quoi m'exposez-vous! Pardon de vous avoir fait attendre... Ce maraud de laquais qui ne me dit pas... Je suis bien heu- reux encore d'avoir cru, sur votre parole, que vous étiez gentilhomme : tant de gens le disent sans l'être! Et puis ce d'Hozier est un fripon. Ah! monsieur le duc, je suis confus. Remettez-vous, monseigneur. Pardonnez à votre laquais; il s'est contenté de vous dire que j'étais un hon- nête homme; pardonnez à d'Hozier, qui vous exposait à recevoir dans votre voiture un vieux militaire non titré; et pardonnez-moi aussi de n'avoir pas commencé par faire mes preuves pour monter dans votre carrosse. »

YAMTÉ bE M. t)E tRONSACi

M. de Fronsttc alla voir une mapjwmondc que mon- trait l'artiste qui l'avait imaginée. Cet homme, ne le con- naissant pas et lui voyant itnd croix dc Saint-Louis, ne l'appelait (pie le chevalier. La vanité de M. de Fronsac^ blessé dc ne pas être appelé duc, lui fit inventer Une his^ loire dont un des interlocuteurs, un de ses gens, l'appe^

CARACTERES ET ANECDOTES.

lait monseigneur. M. de Genlis l'arrête à ce mot, et lui dit : « Qu'est-ce que tu dis-là? monseigneur! on va te prendre pour un évêque. »

VANITÉ DES PETITS.

Les grands vendent toujours leur société à la vanité des petits.

l'abbé vatri solliciteur.

On pressait l'abbé Vatri de solliciter une place va- cante au Collège Royal. « Nous verrons cela, » dit-il; et il ne sollicita point. La place fut donnée à un autre. Un ami de l'abbé court chez lui. « Eh bien, voilà comme vous êtes! vous n'avez point voulu solliciter la place, elle est donnée. Elle est donnée? reprit-il. Eh bien, je vais la demander. Êtes-vous fou ? Parbleu ! ~non ; j'avais cent concurrents, je n'en ai plus qu'un. » Il demanda la place, et l'obtint.

M. DE VAUDREUIL ET C...

M, de Vaudreuil se plaignait à C... de son peu de confiance en ses amis. « Vous n'êtes point riche, lui di- sait-il, et vous oubliez notre amitié. Je vous promets, répondit C..., de vous emprunter vingt-cinq louis quand vous aurez payé vos dettes. »

VENGEANCE DIFFICILE.

Le feu prince de Conti, ayant été très-maltraité de paroles de Louis XV, conta cette scène désagréable à son ami le lord Tirconnel, à qui il demandait conseil. Celui-ci, après avoir rêvé, lui dit naïvement : « Monseigneur, il

CARACTERES ET ANECDOTES. 289

ne serait pas impossible do vous venger, si vous aviez de '"argent et de la considération. »

M. RR VERGENNBS ET M. nR BRETRUIL.

Un des parents de M. de Vergennos lui demandait pourquoi il avait laissé arriver au ministère de Paris, le baron de Breteuil, qui était dans le cas de lui succéder. « C'est que, dit-il, c'est un homme qui, ayant toujours vécu dans le pays étranger, n'est pas connu ici ; c'est qu'il a une réputation usurpée; que quantité de gens le croient digne du ministère : il faut les détrompt^r, le mettre en évidence, et faire voir ce que c'est que le baron de Breteuil. »

VEnSAII.I.ES DéPINr.

Un homme d'esprit déûnissait Versailles, un pays où, en descendant, il faut toujours paraître monter, c'est-à- dire s'ho'norerde fréquenter ce qu'on méprise.

I.A VELVE DU MAI.ABAn.

M. Lemierro a mieux dit qu'il ne voulait, en disant (pronlre sii Veuve dn Malabar, jouée en 1770, et sa Veuve (in Malabar, jouée en 1781, il y avait la différence d'une falourde à vme voie de bois. C'est en effet le bûcher per- Ibctionné ([ui a fait le succès de la pièce.

LE VIAGER DE COLLÉ.

Collé avait placé une somme d'argent considérable, à fonds perdus et à dix pour cent, chez un financier qui, à la seconde année, no lui avait jws encore donné un sou. « Monsieur, lui dit Collé dans une visite qu'il lui fit, (|uand je place mon argent en viager, c'est pour être jxiyé do mou vivant. »

47

Î90 CARACTERES ET ANECDOTES.

LE BON ET LE MAUVAIS VIN.

Un homme buvait à table d'excellent vin, sans le louer. Le maître de la maison lui en fit servir de très- médiocre. « Voilà de bon vin! » dit le buveur silencieux. « C'est du vin à dix sous, dit le maître, et l'autre est un vin des dieux. Je le sais, reprit le convive; aussi ne l'ai-jo pas loué : c'est celui-ci qui a besoin de recomman- dation. »

VICES ET VICIEUX.

On disait au satirique anglais Donne : « Tonnez sur les vices, mais ménagez les vicieux. Comment, dit-il, condamner les cartes, et pardonner aux escrocs ? «

VIEUX CARDINAL ET JEUNE ABBÉ.

L'abbé Maury, allant chez le cardinal de La Roclie- Aymon, le rencontra revenant de l'assemblée du clergé. Il lui trouva de l'humeur et lui en demanda les raisons. « J'en ai de bien bonnes, dit le vieux cardinal : on m'a engagé à présider cette assemblée du clergé, tout s'est passé on ne saurait plus mal. Il n'y a pas jusfju'à ces jeu- nes gens du clergé, cet abbé de La Luzerne, qui ne veulent pas se payer de mauvaises raisons. »

VISITE DE M...

M... me disait : « Toutes les fois que je vais chez quelqu'un, c'est une préférence que je lui donne sur moi : je ne suis pas assez désœuvré pour y être conduit par un autre motif. »

VOCATION DÉCIDÉE.

Un homme, épris des charmes de l'état de prêtrise.

GARA.GTËRES ET ANECDOTES. 29t

disait : « Quand je devrais être damné, il faut que je me fasse prêtre. »

LE VOLEin DE DIDEROT.

l)i(l(M'ot, s'étanl aperçu qu'un homme à qui il prenait quelque intérêt avait le vice de voler et l'avait volé lui- même, lui conseilla de quitter ce pays-ci. L'autre profita du conseil, et Diderot n'en entendit plus parler pendant dix ans. Après dix ans, un jour, il entend tirer sa son- nette avec violence. Il va ouvrir lui-même, reconnaît son homme, et, d'un air étonné, il s'écrie : « Ah I ah! c'est vous ! » Celui-ci lui répond : « Ma foi, il ne s'en est guère fallu. » Il avait démêlé que Diderot s'étonnait qu'il ne fût pas pendu.

VOLTAIRE A POTSDAM.

M. de Voltaire, étiint à Potsdam, un soir après sou- per, fit un portrait d'un bon roi en contraste avec celui d'un tyran, et, s échauffant jwr degrés, il fit une descrip- tion éjK>uvantable des malheurs dont l'humanité éttiit ac- cablée sous un roi despotique, conquérant, etc. Le roi de Prusse, ému, laisse tomber quelques larmes. « Voyez, voyez! s'écria M. de Voltaire, il pleure, le tiiire! »

VOI.TAinE ET VArCANSON.

M. de Vaucanson s'était trouvé l'objet principal des attentions d'un prince étranger, quoique M. de Voltaire fiU présent. Embarrassé et honteux que ce prince n'eût rien dit à Voltaire, il s'approcha de ce dernier et lui dit : « Le [irince vient de me dire telle chose » ( un compliment très- flatteur jwur Voltaire). Celui-ci vit bien que c'é- tait une politesse de Vaucanson, et lui dit : « Je recon-

CARACTÈRES ET ANECDOTES.

nais tout votre talent dans la manière dont vous faites parler le prince. »

M, DE XIMENES BIEN JUGE.

M. d'Autrep disait de M. de Ximenès : « C'est un homme qui aime mieux la pluie que le beau temps, et qui, entendant chanter le rossignol, dit : « Ah! la vilaine bête! »

FRAGMENTS INÉDITS»

AMOUREUX PRIS AU DEPOURVU.

Un homme, attaquant une femme s<ins être prêt, lui dit : « Madame, s'il vous était égal d'avoir encore un quart d'heure de vertu ? »

UNE ANGLAISE BIEN KPRISE.

M. de PI..., étant en Angleterre, voulait engager uik^ jeune Anglaise à ne pas épouser un homme trop inférieur à elle dans tous les sens du mot. La jeune personne écouta tout ce qu'on lui dit, et, d'un air fort tranquille : « Que voulez-vous ! dit-elle, en arrivant, il change l'air de ma chambre. »

A P P K ï I T.

Un homme disait à table : « J'ai beau manger, je nai plus faim. »

1. Ces fragments sont dus à l'obligeance de M. Feuillet de Conch<'>, qui a bien voulu mettre à notre disposition le manuscrit original (b' Chamfort.

CARACTÈRES ET ANECDOTES. 293

ARMIDE ET RE.XArD.

Uno fommo d'osprit, voyant à l'Opéra une Armidc difforme et un Renaud fort laid, dit : « Voilà des amants qui ne paraissent pas s'être choisis, mais s'être restés quand tout le monde a eu fait son choix. »

BIENFAITEURS MALADROITS.

« La plupart des bienfaiteurs ressemblent à ces gé- néraux maladroits qui prennent la ville et qui laissent la citadelle. »

dlANGEMENT CAPITAL.

Un honimo engagé dans un procès criminel qui de- vait lui faire coui)er le cou rencontra après plusieurs an- nées un de ses amis qui, dans le commencement du pro- cès, avait entrepris un long voyage. Le premier dit à celui-ci : « Depuis le temps que nous ne nous sommes vus, ne me trouvez-vous pas changé^ Oui, dit l'autre, je vous trouve grandi de la tète. »

CHANSON d'hercule.

II y a une chanson qui roule sur Hercule vainqueur des cinquante pucelles. Le couplet finit par ces mots :

Comme lui , je les aurai , Lorsque je les trouverai.

LA CHAPELLE DE M. BRESSARR.

M. Bressard, le père, écrivait à sa femme ; « Ma chère amie, notre chapelle avance, et nous pouvons nous flatter d'y être enterrés l'un et l'autre, si Dieu nous prête vie, »

294 CARACTERES ET ANECDOTES.

LES COMPILATELRS.

Il y a des gens qui mettent leurs livres dans leur bi- bliothèque, mais M... met sa bibliothèque dans ses livres. (Dit d'un faiseur de livres faits.)

CONSULTATION.

M. D... L... vint conter à M. D... un procédé horrible qu'on avait eu pour lui, et ajoutait : « Que feriez-vous à ma place? » Celui-ci, homme devenu indifférent à force d'avoir souffert des injustices, et égoïste par misanthro- pie, lui répondit froidement : « Moi, monsieur, dans ces cas-là, je soigne mon estomac, et je tiens ma langue ver- meille. »

COQUETTERIE DE LA DUCHESSE d'oLONNE.

Un amant de la duchesse d'Olonne, la voyant faire des coquetteries à son mari, sortit en disant : « Parbleu ! il faut être bien coquine! celui-là est trop fort. »

CORRUPTION DES VIEILLARDS.

Les vieillards, dans les capitales, sont plus corrom- pus que les jeunes gens. C'est que la pourriture vient à la suite de la maturité.

MADAME CRAMER ET MADAME TRONCHIN.

On demandait à madame Cramer, de retour de Genève à Paris, après quelques aimées : « Que fait madame Tron- chin (personne très-laide)? Madame Tronchin fait peur, » répondit-(>ll(\

ï

CARACTÈRES ET ANECDOTES. 195

LE CUnK INDULGENT.

Un curé de campagne dit au prône à ses paroissiens : « ^Fossieurs, priez Dieu pour le possesseur de ce châ- iciiu, mort à Paris de ses blessures. » (Il avait été roué.)

DESPOTISME.

Définition d'un gouvernement despotique : Un ordre do choses le supérieur est vil, et l'inférieur avili.

DIED ET LE ROI.

Les ministres ont amené la destruction de l'autorité i-oj'ale, comme le prêtre celle de la religion. Dieu et le roi ont porté la peine des sottises de leurs valets.

t'N DOCTEUR INGÉNU.

Un docteur de Sorbonne, furieux contre le Systètne (h la nature, disait : « C'est un livre exécrable, abomina- ble ; c'est l'athéisme démontré. »

ENTRE LES DEUX.

Un homme d'esprit, s'apercevant qu'il était persiflé par deux mauvais plaisants, leur dit : « Messieurs, vous vous trompez, je ne suis ni sot ni béte, je suis entre deux. »

UNE FEMME BIEN REGRETTÉE.

Un homme connu pour avoir fermé les yeux sur les

désordres de sa femme, et qui en avait tiré parti plusieurs fois pour sa fortune, montrait le plus grand chagrin sur sa mort et me dit gravement : « Je puis dire ce que

CARACTERES ET ANECDOTES.

Louis XIV disait à la mort de Marie-Thérèse : voilà le premier chagrin qu'elle m'ait jamais donné. »

FOLIE ET SAGESSE.

M... était passionné et se croyait sage. « J'étais folle, mais je m'en doutais, et, sous ce point de vue, j'étais plus près que lui de la sagesse. »

GÉNÉROSITÉ DES HÉRITIERS.

Un médecin disait : kc II n'y a que les héritiers qui payent bien. »

HEUREUX LES AVEUGLES.

Le roi de Prusse avait fait élever des casernes qui bouchent le jour à une église catholique. On lui fit des représentations pour cela. Il renvoya la requête, avec ces paroles au bas :

Beati qui non viderunt et crediderunt.

IMPERTINENCE DE M. DE CHAROLAIS.

M. le comte de Charolais avait été quatre ans sans payer sa maison ni même ses premiers officiers. Un M. de Laval et un M. de Choiseul, qui étaient du nombre, lui présentèrent un jour leurs gens, en lui disant : « Si Votre Altesse ne nous paye pas, qu'elle nous dise au moins comment nous pourrons satisfaire ces gens-ci. » Le prince" fit appeler son trésorier, et, montrant M. de Laval et M. de Choiseul, et leur livrée ; « Qu'on paye ces messieurs, a dit-il,

CARACTERES ET ANECDOTES. 297

INGÉNflTÉ DU DAIPHIN.

M. 1p dauphin, frère du roi (Louis XVIi. aimait pas- sionnément sa première femme, qui était rousse et qui avait le désagrément attaché à cette couleur. Il fut long- temps sansaimor la seconde dauphine, et en donnait pour raison qu'elle ne sentait pas la femme. Il croyait que cette odeur était celle du sexe.

JALOl'SIF. MAI, PLACÉE,

M. D... avait refusé les avances d'une jolie femme; son mari le prit en haine, comme s'il les eût acceptées, et on riait de M. D..., qui disait : « Morbleu ! s'il savait du moins combien il est plaisant ! »

LEÇON DONNÉE A UN AMANT.

Unejolie femme dont l'amant était maussade, et avait

dos manières conjugales, lui dit : « Monsieur, apprenez (|Me, quand vous éles avec mon mari dans le monde, il est décent que vous soyez plus aimable que lui. »

I.ECTLUES DEMANDÉES.

M..., à qui on demandait fréquemment la lecture do ses vers, et qui s'en impatientait, disait qu'en commen- çant cette lecture il se rapj)elait toujours ce qu'un char- latan du Pont-Neuf disait à son singe, en commençant ses jeux : « Allons, mon cher Bertrand, il n'est pas (juestion ici de s'amuser. Il nous faut divertir l'honorable compa- gnie. »

47.

298 CARACTÈRES ET ANECDOTES.

LE LIERRE ET LE COURTISAN.

On disait de M... qu'il tenait d'autant plus à un grand seigneur qu'il avait plus fait de bassesses pour lui. C'est comme le lierre qui s'attache en rampant.

UN MALADE IMAGINAIRE.

Un malade qui ne voulait pas recevoir les sacrements disait à son ami : « Je vais faire semblant de ne pas mourir. »

MANŒUVRES DES LAIDES.

Une femme laide, qui se pare pour se trouver avec d& jeunes et jolies femmes, fait, en son genre, ce que font dans une discussion les gens qui craignent d'avoir le dessous : ils s'efforcent de changer habilement l'état de la question. Il s'agissait de savoir quelle était la plus belle. La laide veut qu'on demande quelle est la plus riche.

MARIAGE DE D'AUBIGNÉ.

Pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font fut lo texte que prit le prédicateur au mariage de d'Aubigné, âgé de soixante et dix ans, et d'une jeune personne de dix-sept.

MÉLANCOLIE.

Il y a une mélancolie qui tient à la grandeur de l'es- prit.

LES MESSES DE M. DE VILLARS.

Histoire de M. de Viliars, qui, le jour de Noël, en- tend trois messes, et se persuade que les deux dernières

CARACTÈRES ET ANECDOTES. ' 299

sont pour lui. Il envoie trois louis au prêtre, qui répond : « Je dis la messe pour mon plaisir. »

MOINES KT PHILOSOPHES.

Il en est des philosophes comme des moines, dont phi- sieurs le sont malf^ré eux, et enragent toute leur vie. Quelques autres prennent patience; un petit nombre enfin est heureux, se tait et ne cherche point à faire des prosé- lytes, tandis que ceux qui sont désespérés de leur enga- gement, cherchent à racoler des novices.

UN MOT DE M....

M... disait plaisamment à Paris que chaque honnête homme contribue à faire vivre les espions de police, comme Pope dit que les poètes nourrissent les critiques el les journalistes.

naïveté d'un juge.

Un homme disait naïvement à un de ses amis : « Nous avons, ce matin, condamné trois hommes à mort. II y en avait deux qui le méritaient bien. »

PAROLE d'un riche.

Un homme fort riche disait en parlant des pauvres : « On a beau ne leur rien donner, ces drôles-là deman- dent toujours. » Plus d'un prince pourrait dire cela de ses courtisans.

PROVERBES.

CM manga facili, caga diavoH.

Il pastor romano non vttole pecora sensa lana.

Il nest vertu que pauvreté ne gâte.

300 CARACTERES ET ANECDOTES.

Ce n'est pas la faute du chat quand il prend le dîner de la servante.

PUISSANCE SPIRITUELLE.

« On dit la puissance spirituelle, disait M..., par op- position à la puissance bête. Spirituelle, parce qu'elle a eu l'esprit de s'emparer de l'autorité. »

RAJEUNISSEMENT.

M. de..., amoureux passionné, après avoir vécu plu- sieurs années dans l'indifférence, disait à ses amis, qui le plaisantaient sur sa vieillesse prématurée : « Vous prenez mal votre temps; j'étais bien vieux il y a quelques an- nées, mais je suis bien jeune à présent. »

RECONNAISSANCE.

Il y a une sorte de reconnaissance basse.

REVIREMENT BIEN JUSTIFIÉ.

A l'époque de l'assemblée des notables (1787), lors- qu'il fut question du pouvoir qu'il fallait accorder aux intendants dans les assemblées provinciales, un certain personnage important leur était très-favorable. On en parla à un homme d'esprit lié avec ui. Celui-ci promit de le faire changer d'opinion et il y réussit. On lui de- manda comment il s'y était pris ; il répondit : « Je n'ai point insisté sur les abus tyranniques de l'influence des intendants; mais vous savez qu'il est très-entèté de no- blesse, et je lui ai dit que de fort bons gentilshommes étaient obligés de les appeler monseigneur. II a senti que cela était énorme, et c'est ce qui l'a amené à notre avis. »

CARAGT£RES ET ANECDOTES. 30t

SENSIBILITÉ d'une PETITK FII.I.E.

Une petite fille de six ans disait à sa mère : « Il y a deux choses qui m'ont fait bien de la peine. Qui sont- elles, mon enfant? Ce pauvre Abel tué par son frère, lui qui était si beau et si bon ! Je crois le voir encore dans cette estamjx^ do la grande bible. Oh ! oui, cela est bien fâcheux. Mais quelle est la seconde chose qui t'a affligée? C'est dans Fanfan et Colas, quand Fanfan re- fuse à Colas une portion de sa tarte. Dis-moi, maman, la tarte était-elle véritable? »

DE I.A TENTATION.

« Quand j'ai une tentation, disait M..., savez-vous ce que j'en fais? Non. Je la garde. »

TÊTE ET CABOCHE.

On louait je ne sais quel président d'avoir une bonne caboche. Queliju'un réjwndit : « C'est le terme que j'ai entendu employer cent fois, mais jamais personne n'a osé dire qu'il avait une bonne tète. »

TRAIT DE SINCÉRITÉ ACADÉMIQUE.

Lorsque M. le duc de Richelieu fut reçu de l'Acadé- mie française, on loua beaucoup son discours. On lui di- Siiit un jour dans une grande assemblée que le ton en était parfait, plein de grâce et de facilité, que les gens de lettres écrivaient plus correctement peut-être, mais non pas avec cet agrément. « Je vous remercie, messieurs, dit le jeune duc, et je suis charmé de ce que vous me dites. Il ne me reste plus qu'il vous apprendre que mon

302 CARACTÈRES ET ANECDOTES.

discours est de M. Roy, et je lui ferai mon compliment de ce qu'il possède le bon ton de la cour. »

l'abbé tbublet.

On demandait à l'abbé Trublet combien de temps il mettait à faire un livre; il répondit : « C'est selon le monde qu'on voit. »

VICES NÉCESSAIRES DANS LE MONDE.

On pourrait faire un petit chapitre qui serait inti- tulé : Des vices nécessaires de la bonne compagnie. On pour- rait y ajouter celui des qualités médiocres.

LE VOISIN IMPOnTLN.

Un provincial, à la messe du roi, pressait de ques- tions son voisin. « Quelle est cette dame? C'est la reine. Celle-ci ? Madame. Celle-là, ? La comtesse d'Artois. Cette autre? » L'habitant de Ver- sailles, impatienté, lui répondit : « C'est la feue reine. »

VOYAGE EN ITALIE.

Une petite fille disait à M..., auteur d'un livre sur l'Italie : « Monsieur, vous avez fait un livre sur l'Italie? Oui, mademoiselle.— Y avez-vous été? Certaine- ment. — Est-ce avant ou après votre voyage que vous avez fait votre livre? »

DIALOGUES

LES AMIES.

Madame de... Qui osf-ce qui vient vers nous? Madame de C... C'est madame de Ber... Madame de... Est-ce que vous la connaissez? Madame de C... Comment! vous ne vous souvenez donc pas du mal que nous en avons dit hier?

BIENFAlTEin INTELLIGENT.

A. Vous avez beaucoup à vous plaindre de son in- gratitude.

B. Pensez-vous que, lorsque je fais du bien, je n'aie pas l'esprit de le faire pour moi?

CE QUE FEMME VEUT.

A. Croiricz-vous que j'ai vu madame de... pleurer son ami en présence de quinze personnes?

B. Quand je vous disais que c'était une femme qui réussirait à tout ce qu'elle voudrait entreprendre!

IL y A COMMENCEMENT A TOUT.

A. Je lui ferais du mal volontiers.

B. Mais il ne vous en a jamais fait.

A. ïl faut bien que quelqu'un commence.

DIALOGUES.

CONTRE LE MARIAGE,

A. Vous marierez-vous?

B. Non.

A. Pourquoi ?

B. Parce que je serais chagrin.

A. Pourquoi?

B. Parce que je serais jaloux.

A. Et pourquoi seriez-vous jaloux?

B. Parce que je serais cocu.

A. Qui vous a dit que vous seriez cocu?

B. Je serais cocu parce que je le mériterais.

A. Et pourquoi le mériteriez-vous?

B. Parce que je me serais marié.

DEUX COURTISANS.

A. 11 y a longtemps que vous n'avez vu M. Turgot?

B. Oui.

A. Depuis sa disgrâce, par exemple?

B. Je le crois : j'ai peur que ma présence ne lui rap- pelle l'heureux temps nous nous rencontrions tous les jours chez le roi.

1/ EFFET DU HASARD.

A. Pouvez-vous me faire le plaisir de me montrer le portrait en vers que vous avez fait de madame de... ?

B. Par le plus grand hasard du monde, je l'ai sur moi.

A. C'est pour cela que je vous le demande.

LES ENFANTS DE MADAME...

A. Madame..., jeune encore, avait épousé un homme de soixante et dix-huit ans, qui lui fit cinq enfants.

DIALOGUES. 305

B. Ils n'étaient peut-^tre pas de lui. A. Je crois qu'ils en étaient, et je l'ai jugé au peu d'amour que leur mère avait pour eux.

ÉPOUX INCONSOI.\B!.E.

Le Maître. Coquin, depuis que ta femme est morte, je m'aperçois que tu te grises tous les jours. Tu ne t'eni- vrais auparavant que deux ou trois fois par semaine. Je veux que tu te remaries dès demain.

Le Valet. Ah I monsieur, laissez quelques jours à ma douleur!

ESPÉRANCE.

A. Je vous parle de M. de L...

B. Je ne le connais jws,

A. Que me dites-vous là? Je vous ai vus très-liés.

B. Je croyais lo connaître.

A. Vous avez trop mauvaise opinion des hommes; il se fait beaucoup de bien.

B. Oui, le diable ne peut pas être partout. P. Et que fait-il, en ces lieux?

D. Il espère. C'est un état à la cour.

EXPLICATION LACONIQUE.

Madame. Je lui ai confié notre amour. Je lui ai tout dit. B. Comment avez-vous tourné cela? Madame. J'ai prononcé votre nom.

LE mari qui ne sait RIEN.

M. DE B... Ah! ma chère amie, nous sommes pcr-» dus ; votre mari sait tout!

306 DIALOGUES.

Madame de L... Comment? Quelque lettre surprise?

M. DE B... Point du tout.

Madame de L... ~ Une indiscrétion, une méchanceté de quelqu'un de nos amis?

M. DE B... Non.

Madame de L... Eh bien, quoi? qu'est-ce?

M. de b... Votre mari est venu ce matin m'em- prunter cinquante louis.

Madame de L... Les lui avez-vous prêtés?

M. de b... Sur-le-champ.

Madame de L... Oh bien! il n'y a pas de mal ; il ne sait plus rien.

MYOPE ET PRESBYTE.

A. Détournez la tète, voilà M. de L...

B. N'ayez pas peur, il a la vue basse.

A. Vous me faites plaisir ! Moi, j'ai la vue longue et je vous jure que nous ne nous rencontrerons jamais.

LE NOEtD ET l'iNTRIGUE,

A. On dit que vous voulez épouser madame...

B. Non; quel étrange propos!

A. Pourquoi pas?

B. Le nœud est trop fort pour l'intrigue.

UNE OPINION MLRIE.

Damon. Vous me paraissez bien revenu des femmes, bien désintéressé à leur égard.

Clitandre. Si bien que, pour peu de chose, je vous dirais ce que je pense d'elles.

Damon. Dites-le moi.

DIALOGUES, 307

Clitandrk. Un moment. Je vais attendre encore (|ueiques années.

PLACE HONNÊTE.

A. La place est honnête.

B. Vous voulez dire lucrative.

A. Honm^te ou lucrative, c'est tout un.

Pl.lS Ot MOINS JEINE.

Cl. Madame, n'avoz-vous jamais été jeune? Artémise. Jamais tant que vous, madame.

LE ROI DE PRISSE ET d'ARGET.

Le Roi. Allons d'Arget, divertis-moi. Conte-moi réliquette du roi de France : commence |)ar son lever. (Alors d'Arget entre dans le détail de ce qui se fait, dé- nombre les officiel"?, les valets de chambre, leurs fonc- tions, etc.)

Le Roi, en éclatant de rire. Ah ! grand Dieu ! si j'étais roi de France, je ferais un autre roi pour faire toutes ces choses-là à ma place.

SAtMON ET CONSEILLER.

Le Cuisinier. Je n'ai pu acheter ce saumon. Le Doctkur de Sorbonne. Pourquoi? Le Cuisinier. Un conseiller le marchandait. Le Docteur de Sorbonne. Prends ces cent écus. et va m'acheter le saumon et le conseiller.

LETTRES

MIRABEAU A CHAMFORT

LETTRE \.

Paris, 2-/juin 178».

Jo ne ni'accoiitunio pas aisément à l'idcp d'ôiro réduit à causer par écrit avec vous, mon ami; votre société est si douce, votre conversation si séduisante, et votre amitié si confiante, qu'il est inijwssililo qu'une corres|)ondance en remplace le moindre charme. L'union des âmes ne veut point do réserve; les lettres en exigent. Eh! qui pourrait exprimer qu'un seul regard fait entendre? Quoi qu'il en soit, je ne suis pas l'enfant gâté du sort, et je dois étro habitué aux contrariétés. Ainsi, je n'ai presque pas le droit de me plaindre do celle-ci, dont vous ne [wuvez d'ailleurs resstMitir que la moitié, puisque, dans votre belle solitude, vous avez un ami très-aimable et très-cher. Or, je vous aime pour vous, quoique je jouisse de notre amitié pour moi; ainsi je ne me permettrai pas même de presser votre retour.

Ne vous attendez pas (jue je vous donne de grandes

LETTRES DE MIRABEAU

nouvelles de ce pays, vous avez à coup sûr de meil- leurs correspondants que moi. Voici cependant un lazzi' que je vous fais passer, parce que je le tiens de la pre- mière main. Un grand abbé que vous connaissez peut- être, frère de Sabatier de Castres, que vous connaissez sûrement, était avant-hier aux Variétés-Amusantes, devant un très-petit homme, qui lui a fait la prière usitée en pa- reil cas. « Monsieur, a répondu l'abbé, chacun est ici pour son argent, et je garde ma place. Mais, monsieur, je ne puis pas vous nuire, et vous me privez du spectacle. Monsieur, j'en suis fâché, et je garde ma place. Je vou.«; assure, monsieur, qu'il est de votre intérêt d'être plus complaisant. Comment, monsieur! que voulez-vous dire? Que je suis persuadé qu'il vous arrivera quelque chose de désagréable, si vous ne déférez pas à ma prière. Comment, monsieur! vous me menacez? Dieu m'en garde, monsieur! mais si vous ne me cédez pas votre place, vous vous en repentirez. Parbleu ! voilà une ma- nière nouvelle de prier les gens ! et certes elle ne réus- sira pas. Monsieur, faites bien vos réflexions; car il vous arrivera mal, si vous ne passez derrière moi. Monsieur, laissez-moi en repos...» Alors, le petit iiommc dit à son voisin : « Voyez-vous ce grand abbé? C'est l'abbé Miolan. L'abbé Miolan ? Oui, l'abbé Miolan, le grand constructeur de ballons brûlés. Messieurs, voyez-vous l'abbé Miolan*?— L'abbé Miolan! » Toute la salle répète

1. En co temps-l:V , on s'occupait beaucoup des l)allons, nouvellement découverts par Montgollicr. Un physicien , nommé l'abbé MioLin , ou annonça un qui devait s'élever du Luxembourg. On s'y rendit en foule ; les billets d'entrée coûtaient 6 francs : l'eipérionce manqua, et l'on no rendit pas l'argent. I,' autour s'enfuit et fit bien , car le peuple n'enten- dait pas raillerie et voulait le mettre en pièces. C'était donc, peu de jours après, jouer un tour .sanglant A un autre abbé, que de l'appeler lie ce nom dans un lieu publici

.Jf,

A CUAMFORT. 3fl

en écho : « L'abbé Miolan ! » et les battements de mains et les huées ; et les miau, miau, miau. Le grand abbé s'en- fuit, trop heureux de n'être pas écrasé... Certainement le petit homme n'était pas bète, et le grand abbé n'est j)as poli.

J'attends avec une impatience proportionnée à l'objet, la situation et à l'opinion que j'ai de l'homme et du sujet traité par un tel homme, la traduction que vous savez. No la négligez pas, je vous en prie; vos futures moissons y sont fortement intéressées. Il y a bien loin entre savoir que dos principes sont utiles, et posséder l'art de les faire adopter aux autres hommes. Cet art demande de grandes préparations et des circonstances auxiliaires. Une impa- tience qui a même quelque chose de louable entraîne les gens de bien à promulguer les vérités qui les frappent, dès l'instant elles s'offrent à leurs yeux, et siins avoir réfléchi si elles s'y sont présentées dans l'enchaînement le plus propre à forcer le consentement de tous les es|)rits. Rien ne diffère plus de l'ordre do génération des idées, que celui de leur perquisition. Il faut que les sciences soient déjà complètes, avant qu'on puisse faire des mé- "thodes; il faut que les vérités morales soient familières avant d'être usuelles. Les langues existiiient depuis une longue suite de siècles, quand on est paiTcnu à rédiger les grammaires qui nous en rendent aujourd'hui l'étude plus facile. Il faut que des livres de morale et de poliliqu(> ex professa aient cerné et déchaussé tel préjugé, a\ant (pie la comédie puisse l'extirper en le vouant au ridicule.

l»our votre propre intéi-êt, dé^H^chez-vous donc, mon ami; mais que diable vous parlé-je de votre intérêt, tandis que vous s<ivez que le ménage meurt de faim et spécule sur la brochure! Vale el me ama.

312 LETTRES DE MIRABEAU

LETTRE

Payis, -23 juin 1784.

Je ne vous écrirai pas longtemps aujourd'hui, mon aiui, parce que j'ai la fièvre et j'ai passé une nuit très-agitée et très-douloureuse; parce qu'ayant déménagé hier, au milieu des angoisses de la plus cruelle pénurie, je n'ai pas été dans la maison qui nécessiterait les relations ; 3" parce que , dans le hourvari d'un déplacement , je ne sais appuyer ma main, ni presque poser ma tête. Vous voyez que j'ai, comme M. Pincé, mes trois raisons, et qu'elles ne sont pas si gaies. Je ne vous aurais point du tout écrit, si je n'eusse pris l'engagement de griffonner chaque jour; ce qui ne laisse pas de me donner du re- mords , car ce que je vous envoie ne vaut pas sûrement le port; mais ma lettre d'hier, qui était plus substantielle, vous sera parvenue contre-signée et parafée. Ainsi voilà compensation.

Écrivez-moi désormais rue de la Roquette, maison de M. d'Héricourt, près celle du jardinier de la reine. A cal- culer les seules distances de mes gens d'affiiires, il est impossible que je reste ici. Jugez ce que paraît ce quar- tier aux yeux de mon amitié pour vous! J'aimerais autant être en 'Sibérie. Mais je ne prendrai aucun arrangement que je ne sache vous passerez l'hiver; car les méprises, en fait de déménagements, sont très-chères.

S'il est possible, dans ce beau Rosny, que le plus dés- intéressé des surintendants qu'ait eu la France n'a pas dédaigné de porter à une valeur de plusieurs millions, de

A CHAMFORT. 313

penser h l'indigence, et de former des plans utiles pour elle, rôvez à quelque grande entreprise de librairie, que vous puissiez proposer à Panckouke pour moi , et qui m'assure la liberté d'envoyer chercher dix à douze fois par an douze à quinze louis; certainement, je ne serai ni aussi indiscret, ni aussi paresseux, ni probablement aussi stupido que La Harpe. Si Panckouke n'avait pas fait cette bètc d'édition in-li des Mémoires de l'Académie des ins- Cinplions (format ridicule pour tout ouvrage d'érudition, collection fastidieuse et pres(]ue d'aucun usage, tant qu'il n'y aura ni ordre ni choix), je proposerais un excellent travail sur cet amas indigeste, et tel à |>eu près, pour \)ar- 1er modestement, que Dieu a le faire sur le chaos. Rôvez, mon ami, à cela ou à toute autre chose. Les châ- teaux en Espagne de l'amitié valent bien ceux de l'ambi- tion. Vale et me ama.

LETTRE 111.

Samedi.

J'ai reçu votre -terrible paquet, mon ami ; et au milieu do tout le plaisir qu'il m'a fait, j'ai ressenti deux iKîines : l'une de voir que certain attachement vous tenait plus profondément au cœur que je ne l'avais encore cru, l'autixi que vous travailliez trop et (pie vos yeux et votre poitrine doivent en soufl'rir. Quant au premier point, ce n'est pas que je m'en étonne, ni que j'aie de tristes pressentiments. Je ne m'en étonne point; tout homme fier et sensible s'opiniàtre, surtout quand sa raison lui dit que réussir c'est travaillT plus encore pour ça qu'il aime que |)our lui ; et cela seul peut-être le rcnd capable de sup^)orter la

LETTRES DE MIRABEAU

ridicule concurrence d'un compétiteur indigne. Je n'ai point de sinistres présages; car aussi longtemps qu'il me sera démontré q\ïAspasie n'est pas dépourvue de toute noblesse, de toute délicatesse, de toute raison ( et je lui crois une assez forte dose de tout cela), je ne pourrai pas croire à la victoire de Thersite sur Achille. Vous savez l'épreuve que je crois décisive et mortelle pour le pauvre saint (je no le nomme pas autrement à elle-même). Vous avez bien marqué la nuance dans votre joli conte; mais vous n'en avez pas assez tiré de parti ; en ce genre, comme en beaucoup d'autres, prophétiser, c'est amener l'événe- ment. Avec tout cela, mon ami, je vous aime trop pour ne pas craindre de voir la moindre parcelle de votre bon- heur abandonnée au hasard et à l'inconstance de ce sexe. Vous avez trop de raison pour ôtre très-romanesque; vous avez l'imagination trop ardente et le cœur trop essentiel- lement bon pour ne l'ôtre pas un peu. Aussi douté-jc que votre philosophie vous serve aussi bien pour les femmes que sur tout autre sujet. Quant à mes observations per- sonnelles, je réunis le témoignage unanime de toute l'an- tiquité, qui, je crois, a poussé infiniment plus loin que nous la science de l'observation et la connaissance du cœur humain. Je me sens bien fort. Or, vous savez ce qu'ils pensaient des femmes, de ce sexe qui pourtant a eu de leur temps des prodiges, parce que la propriété d'un miroir est de tout rendre en surface. Je ne vous parlerai pas des invectives que, trôs-sérieuscment et dans toute la pompe tragique, dans la morale des chœurs, et non dans la coupe du dialogue dramatique, Euripide, qu'on a si plaisamment appelé le Racine de la Grèce, leur lançait en plein théâtre; ce qui prouve tout au moins qu'il ne heur- tait pas l'opinion universelle du temps; car vous savez comment ce même poëte fut reçu, lorsque, avec tous les

A CHAMFORT. 315

palliatifs de son art, il osa faire dire à Hippolyte : « Ma lans^up a fait serment, mon cœur ne l'a point fait. » Mais je vous prierai de lire ce que tous les moralistes do l'an- tiquité en ont dit, lorsciu'ils ont daigné en parler (ce qui est assez rare), et (ce qui est bien plus fort) de vous rap- peler ce que les institutions des législateurs prouvent qu'ils en ont pensé : je vous prierai de vous rappeler ces propres mots d'un censeur romain (Métellus Numidicus), qui commence ainsi une harangue solennelle en plein sénat :

Si sine uxoro possenius, Quirites, esse onincs, molestiâ carcmus; sed quoniain ità natura tradidit, ut nec cum illis satis commode, nec sine illis uUo modo vivi possit, saluti per- pétuas potius quàm voluptati consuleudum '.

0 mon ami! ces gens-là étaient plus profonds ipie nous; et cependant ils ne croyaient pas du tout, comme nous feignons de le croire, que l'éducation des femmes bien dirigée pût influer sur le bonheur social, ni qu'elle pût assurer la stabilité des législations, comme nous l'a- vons tant dit. « Ils regardaient ces ôtres-là comme des machines à enfants et à plaisir; et ce n'est assurément pas qu'ils n'eussent du feu dans l'imagination et de la grâce dans l'esprit. » Qu'est-ce donc, si ce n'est la con- viction ferme et absolue que ces êtres sans caractère échappaient à tout ordre, à toute combinaison ?

Ce pourrait bien être do la nourriture trop forte pour vous en cet insUint, mon ami, que cette philosophie sé-

1. Si nous pouvions tous exister sans femmes, nous serions délivrés de co sujet de chnfjrin ; mais puisque la nature nous a faits tels quo nous no pouvons ni vivre contents avec elles, ni nous passer d'elles de quelque façon que co soit, il vaut mieux pourvoir ;\ ce qui nous est perJKtuellenient ni^cessaire qu'à nos plaisira.

LETTRES DE MIRABEAU

vère ; ou plutôt vous rirez de ce que le plus faible des hommes avec les femmes, celui qui les a tant idolâtrées, et dont le moral, moins que le physique, s'il est possible, ne peut se passer d'une compagne, ose vous écrire avec cette austérité. Mais ce n'est pas sur votre sentiment que j'écris : vous savez bien que je l'ai défendu contre vous, et que je n'aime pas que vous l'appeliez une faiblesse ; c'est une thèse philosophique que je me crois en état de soutenir dans toute la persuasion de mon esprit et la sincérité de mon cœur, et que j'abandonne à vos médi- tations.

Vous avez très-bien fait de ne demander pour moi que vingt-cinq louis ; et je trouve même que c'est beaucoup, d'après le bilan de votre aimable ami. Il ne me paraît pas sage que je ne donne point de reçu ; car sans rêver empoisonneurs et assassins, comme mon larve d'hier, je me sens très-mortel ; mais quant au porteur de la somme, je me conformerai aux instructions que vous me donnez, en vous priant de recevoir une note de ma main qui me tranquillise sur les événements. Veuillez me mander aussi si je dois le savoir vis-à-vis du prêteur, et si l'hommage de ma reconnaissance lui déplairait. Il me semble qu'il vous connaît trop pour douter que vous ne m'ayez nommé celui dont j'étais l'obligé; car je le suis enfin, quoique tout soit accordé à votre médiation. Dites-moi donc ce que je dois faire et dire, car il n'est pas en moi d'être ingrat; mais je ne voudrais pas déplaire ni dépasser la mesure par reconnaissance.

Bonsoir, mon très-cher ami ; travaillez, mais ménagez votre santé ; marchez, digérez, espérez et aimez-moi.

P. S. Au reste, mon ami, j'ai pensé comme vous <juo

A GHAMPORT. 317

nous pourrions un jour, et à chaque belle saison, faire de fort jolis romans ensemble : ainsi je garde l'historiette ; je fïarde vos lettres aussi ; {gardez les miennes si vous voulez, nous les ferons copier quelque jour ensemble et en alternant. Il se trouve dans les lettres une foule de choses d'autant mieux dites, qu'elles le sont avec liberté, qu'on Jie retrouve plus, et (ju'on est fâché d'avoir per- dues. Et puis, comme monument d'amitié, n'est-ce pas une assez douce chose ?

LETTRE IV.

J'ai reçu votre lettre du vendredi, mon cher ami, et j'ai béni votre e;rifronnnge même qui m'a valu quatre pa- ges de l'ami le plus cher, le plus profondément estimable, et le plus sympathique à moi que j'aie rencontré de ma vie. L'intérêt que vous m'y montrez, et que vous avez su rendre contagieux pour un des hommes de mérite que vous aimez et que vous prisez le plus, a versé la consola- tion dans un cœur navré ])ar tant de côtés, qu'il ne peut être que bien souffrant, puisqu'il ne se paralyse pas. Vé- ritablement la persuasion intime dont je suis pénétré que je vaux mieux que mes persécuteurs et mes ennemis, et que dans les êtres créés rien ne vaut mieux que mon ami le plus cher, me r(>nd du sommeil, du bien-être et même des jouissances.

N'ayez pas peur, mon ami, que ce que vous ferez soit mal fait; il n'est pas en vous de ne pas finir; et d'ailleurs, jMîur une âme aussi neuve et aussi forte que la vôtre, un tel sujet est d'inspiration, surtout lorst]ue l'écrivain ex- pose une théorie qui n'est presque qu'à lui seul et dont

18.

318 LETTRES DE MIRABEAU

la pratique a composé et dirigé sa vie. C'est cependant une chose curieuse et remarquable que la philosophie et la liberté s' élevant du sein de Paris, pour avertir le nou- veau monde des dangers de la servitude, et lui montrer de loin les fers qui menacent sa postérité '. Jamais l'élo- quence ne défendit une plus belle cause ; peut-être ce sont les peuples corrompus qui seuls peuvent donner des lu- mières aux peuples naissants : instruits par les maux, ils peuvent enseigner du moins à les éviter; et la servitude môme peut être utile en devenant l'école de la liberté.

LETTRE V.

Paris, ce jeudi.

J'ai lu avec un grand intérêt, et je garderai précieuse- ment, mon bon et cher ami, la lettre que j'ai reçue de vous hier. Un résumé si énergique de la conduite sans exem- ple à laquelle vous a poussé la nature, et des principes que vous vous êtes faits à l'appui de cet heureux et noble instinct, est, pour une tête et une âme élevée, le germe de la plus importante théorie de liberté et même d'indé- pendance à laquelle l'homme puisse atteindre; et pour les hommes forts, la pratique en ce genre doit suivre de bien près la théorie. Je ne connais rien de plus imposant que les caractères que vous avez esquissés en peu de mots, et rien de plus respectable qu'une vie dont on peut se rendre un tel compte ; mais j'y vois aussi la consolation

1. Ceci a rapport à l'écrit sur l'ordre de Cincinnatus, l'un de ceux qui contribuèrent le plus à la réputation de Mirabeau, et dont les mor- ceaux les plus brillants sont do Chanifort.

A CHAMFORT.

des honnêtes gens et la condamnation des hommes fai- l)los. Voust^tosln prcuvo vivante qu'il n'est jws vrai qu'il faille f)lierou briser; qu'on peut atteindre à la plus haute considération, sans un resj)ect superstitieux pour le monde et ses lois; qu'on |)eut arrivera rindé|)endance philoso- phicjue et pratique, sans avoir jamais abaissé ou com- primé la fierté d'un i,'rand sentiment ou d'une pensée heureuse; qu'on peut prendre sa place, en dépit des hom- mes et des choses, sans autres ménagements que ceux dus par l'espèce humaine à l'espèce humaine, par la tolé- rance de la vertu atix préjugés des faibles, et que, si le sentier qu'il fout prendre pour arriver au but est plus escarpé, il est aussi de beaucoup le plus court. Grâces vous soient rendues, mon ami, pour avoir pensé que j'é- tais digne de vous entendre ! Il est certain que la rapidité des progrès de notre amitié, qui n'a jamais été même stalionnaire, n'a pas vous donner mauvaise idée de mon Ame, et qu'elle m'a mis bien avec moi-même. Ce n'est pas sans doute que je me sois élevé à une philoso- phie pratique aussi haute. J'ai quitté trop tard mes langes et mon berceau. Les conventions humaines m'ont trop longtemps garrotté; et lorsque les liens ont été un peu desserrés (car pour brisés, ils ne le furent jamais), je me suis trouvé encore tellement chamarré des livrées de l'o- pinion,* que les êtres environnants se sont également op- |)osés à ce que je fusse l'homme de la nature, au mo- ment où j'aurais conçu qu'on peut rester tel au milieu même de la société. D'ailleurs, j'avais été trop passionné; j'avais donné trop de gages à la fortune; et ce n'est pas au milieu des orages qu'on ix'ut suivre une route déter- minée. Mais si j'eusse eu le bonheur de vous connaître il y a dix ans, combien mi marche eût été plus ferme! combien de pré<'ipices et de ravines j'aurais évités ! com-

320 LETTRES DE MIRABEAU

bien le peu que je valais se fût développé! et que de dé- fauts acquis j'aurais contractés de moins!... Tel que je suis, mon ami, je ne suis point indigne de quelque es- time, puisque je sais, non pas vous aimer (car c'est chose trop facile pour être méritoire), mais vous apprécier, et qu'à votre avis je suis un des hommes qui vous ait le mieux deviné. J'ai beauoup gagné dans votre commerce, j'y gagnerai davantage : il est peu de jours, et surtout il n'est point de circonstance un peu sérieuse, je ne me surprenne à dire : « Chamfort froncerait le sourcil. Ne faisons pas, n'écrivons pas cela; » ou : « Chamfort sera content ; » et alors la jouissance est doublée et centuplée. Ce n'est pas à vous qu'il faut dire combien est douce, consolante, encourageante, une amitié qui, devenue pen- sée habituelle à ce point, fait voir dans la censure une loi irréfragable, et dans l'approbation un trésor sans prix. Tel vous êtes pour moi. Je ne vous offrirai, jamais un échange digne de vous (si vous ne vouliez commercer qu'avec vos semblables, vous seriez bien solitaire) ; mais tout ce que l'abandon d'une confiance profonde, d'un dé- vouement complet, d'une âme ardente, sensible et qui n'est pas sans noblesse, peut avoir d'attachement pour un homme qui sait bien le prix des talents et des pensées, mais qui sait leur préférer un sentiment, la seule chose incalculable à la raison môme lorsqu'elle est échauffée d'un bon cœur : vous le trouverez en moi ; et si j'ai eu le mal- heur de vous connaître si tard, ce sera du moins pour toujours que nous nous serons aimés.

J'espère, mon ami, que vous serez consolé de ce que votre lettre a été remise ; car je n'en ai point été fâché, quand elle me l'a lue; et peut-être si je l'eusse ouverte d'avance, comme vous m'en avez donné la permission en- suite, ne l'aurai-je pas remise. L'aberration des comètes

A CBAMKORT. 321

n'est pas plus difficile à calculer que le mouvement du cœur, de l'esprit, surtout de l'amour-propre des femmes. Vous remarquez que je n'ai peut-tHro fait lîi qu'un pléo- nasme, au lieu d'un crescendo : car plus je les vois, plus je me persuade que l'amour-propre est à peu près l'uni- que clef de ce qu'on appelle leur caractère : or, le carac- tère ne se compose que des habitudes de l'àme et de l'es- prit, mélangés, il est vrai, à des doses inégales; et j'ai beaucoup de peine à croire que le sexe, duquel les hommes tels que vous et M. Thomas disent: Il est impossible de lecon- naitre, ne doive toute son impénétrabilité au défaut pres- que absolu de caractère. N'allez pas me citer d'exceptions; car les exceptions, qu'encore faudrait-il débattre, prou- vent la règle, bien loin de la détruire. Je dis qu'encore faudrait-il débattre les exceptions; et en effet, dans notre sexe, on n'a généralement pas une certaine force de tête, sans quelque force de caractère; dans celui-là, voyez comme l'analogie est fautive! Je lisais hier, dans votre recueil philosophique, un morceau sur le bonheur de ma- dame du Chastelet, que je ne connaissais pas, et qui vaut d'être connu. Il y a, dans ce morceau, des choses char- mantes sur l'amour, et notamment deux pages sur l'im- mutabilité de son âme en amour, qui séduiraient à coup sûr quiconque ne connaîtrait pas son histoire. Vous la savez mieux que moi ; vous savez qu'elle n'était pas même tendre, et qu'elle fut très-galante. Qu'était-ce donc que cette femme, qui avait infiniment plus de force de tête, et même de véritable esprit, que tout le reste de son sexe ensemble; et qui traçait une théorie l'âme seule semble avoir dessiné cette phrase délicieuse : « Il faut employer toutes les facultés de son âme à jouir de ce bonheur... Il faut quitter la vie quand on le perd, et être bien sur que les années de Nestor ne sont rien au prix d'im

322 LETTRES DE MIRABEAU

quart d'heure d'une telle jouissance... Il est juste qu'un tel bonheur soit rare ; s'il était commun , il vaudrait mieux être homme qu'être Dieu , du moins tel que nous

pouvons nous le représenter » Qu'était-ce que la

femme qui, trouvant et exprimant cela, n'était qu'aune femme galante, et se donnait pour un de ces êtres qui aiment tant, qu'ils aiment pour deux, que la chaleur de leur cœur supplée à ce qui manque réellement à leur bon- heur, ou plutôt pour le seul cœur qui eût cette immuta- bilité qui anéantit le pouvoir des temps? Expliquez-moi cela, mon ami ; et souvenez-vous que cette même femme avait mis, à la place du portrait de l'homme le plus extra- ordinaire de son siècle qui semblait avoir subjugué son âme, et dans une boîte que cet homme lui avait donnée, le portrait d'un fat : chose aussi impossible à une âme aimante, même détrompée ou changée, qu'à nous la tra- hison et le parjure.

N'allez pas croire, mon bon ami, que cet accès de sé- vérité me vienne d'un mécontentement.

Mes réflexions sur les femmes sont donc une abstraction purement philosophique, et si bien une abstraction, que c'est la première chose que j'oublie dans mon commerce avec elles; en un mot, un aparté de raison dont personne ne m'a donné l'exemple à un aussi haut point que vous.

Au reste, mon ménage est fort triste aujourd'hui. Le petit chien qu'on avait eu la faiblesse d'acheter, sans penser que tous les marchands de chiens arrachent ces pauvres petites et frêles machines à leur mère dès le pre- mier moment, et tarissent les sources de la vie pour rape- tisser les formes (emblème très-frappant des manipula- tions politiques), ce petit chien est mort: et l'on a pleuré; et l'on est honteuse d'avoir pleuré, et triste d'avoir em-

A CUAHFORT. 3t3

ployo (11' l'argent à une acquisition aussi fragile. Pour moi, je suis tolérant, môme pour cette faiblesse, |)arcc que cette petite béte avait voué un très-grand attachement à mon amie, et que tout ce qui est attaclié attache : raison assez forte, ce me semble, [)our un homme sage de ne point s'habituer aux animaux. Nous n'avons pas trop de sensibilité pour nos semblables; et l'on frémit quand on |)ense que le plus lionnôto homme du monde peut être poussé à s'égorger avec un autre homme pour un chien. Bonjour, mon bon ami ; je vous aime avec une extrême tendresse. Je travaille, et cela ne vient pas mal; je vous en souhaite autant; mais c'est une chose lrè.s-j)énible que de (;hanger l'ordonnance de son ouvrage sans le refaire ; cl je serais bien ft\ché que cette contrariété-Jà vous arri- \ i\t ; car vous enverriez promener votre besogne. Vale et me ama.

P. S. Je fermais ma lettre, lorsque j'ai re^u un billet du secrétaire de l'abbé Royer, qui me prévient qu'il vient do lemetlre à son patron l'extrait de mes deux recjuctes en cassation, etc., et -que je pourrai voir mon rapporteur dimanche prochain à midi. Vous jugez bien que je dési- rais voir le secrétaire avant que l'extrait fût livré; mais (pie, pour le voir efficacement, il fallait quelques louis. vSachez, mon ami, si cela est encore utile et par consé- ipient nécessaire, le comment il faut s'y prendre et le com- bien; et avertissez ceux (jui veulent bien prendre intérêt à moi, qu'il est temps de iK)rler les grands coups. Réponse très-prompte à ce postscript utu.

324 LETTRES DE MIRABEAU

LETTRE VI.

Lundi.

Je ne vous entretiendrai pas plus longtemps aujourd'hui de cette sirène, comme vous l'appelez; car nous ferons demain, à cet égard, une main à fond ; et mon procès, ou plutôt mes procès et mes courses ne me laissent pas res- pirer. C'est de mercredi en huit que je serai rapporté : ainsi je n'ai pas grand temps à perdre ; et pour comble de contrariété, l'incident que m'a suscité mon père au par- lement, et qui, en termes de palais, est évidemment un coup monté, me fait perdre un temps incroyable, attendu que les gens qu'il me force à voir sont dispersés aux quatre coins de Paris. Mais le plus pressé, c'est l'admis- sion de ma requête. Une seule voix, je vous le répète, mon cher; que votre aimable et précieux ami s'ingénie avec sa circonspection et son adresse ordinaires ; il aura aisément deviné que M. Bignon, qui est mort, ne siégera pas; et mieux ou plutôt que moi, il saura qui a remplacé M. d'Aguesseau.

Vous êtes bien aimable de m' avoir sacrifié Navarre; mais vous le seriez davantage de pousser votre besogne, parce que vous êtes digne de mettre la gloire à régner chez vous; parce que la besogne presse, et tellement qu'il m'a fallu entrer en explications avec F...^, pour expliquer le relard. Ne vous Pez pas sur le temps qu'il me

1. Franklin. C'est toujours do l'écrit sur l'ordre de Cincinnatus qu'il s'agit.

A CIIAMKOKT.

iiiitii iilui ; (iu- si j'avais le manuscrit i|iio .M. riioinas* a irdé poiw y faire ses notes, tout serait refondu, attendu <|Ui^ les inoirciuix do rapport, el môme les soudures, sont [irùts. Sans doute, c'est un ouvrag(> nouveau; mais ce iM'st pas une raison pour qu'il s'elernise, surtout depuis i|u"on en parle, car lattenle à remplir est toujours une pcnihie de-stinée. Au reste, je vous avertis que je me sauve sur la lettre; voyez si, pour la première fois, vous voulez avoir induit en erreur un ami. Eh! mon cher paresseux, ir.uKpiillisez-vous; je connais mieux votre taU'Ut (jue xDus-mèuie, siUis (juoi je n'aurais pas tiuit de sécuriU». Mais un point sur lequel je n'en saurais avoir, c'est votre >anté ; et je vous interdis, de par l'amour, toute espèce (le travail, si cette agitation que vous appelez la fièvre, et ipii n'est ({u'un mouvement nerval, sans quoi je vous en aurais parlé plus tôt, revenait seulement encore une fois. Je serai demain mardi, ii cinq heures du soir, à l'hôtel de Vaudreuil ; nous causerons, nous nous promènerons si vos jambes ont besoin de recouvrer du niouvement, ou nous resterons, nous prendrons des glaces aux Tuileries, ou vous viendrez en prendre ici. En un mot, nous ferons ic (lue vous voudrez : suffit que je serai al xtio comttiando.

Li-nruK vil.

Manli.

Mon 1)011 ami. dans la nécessité de |Hirler à M. l'abbé de l'érigord, je prends le prli de l'attendrtM-hez lui; car ma lettre deviendrait la mort de Turenne. Je ne sais < ect me mènera, ni, par conséquent, si je |K)urrai vous voir ce malin : or, cette a[)rès-midi, je suis obligé de cou-

-19

326 LETTRES Jl)E MIRABEAU

rir. M. Lefebvre d'Ammécoiut ayant jugé à propos de in<î gagner hier mon procès contre l'Ami des hommes, c'est un triste sujet de félicitalion que celui du gain d'un procès contre son père ; mais, quand on a le malheur de plaider contre lui, encore faut-ii gagner ce qu'on s'est cru le droit de disputer. Au reste, je me console à d'autant plus juste litre de cette extrémité, que c'était mon père qui étiiit l'agresseur, et qu'il n'a jamais voulu arbitrer. Adieu, mon cher ami; à ce soir, ou à demain malin.

LiTTi:K Mil.

I (iiidr<'s, 20 août 118 I.

M )n l)i u! mon ami, mon '.'iirr ami ! que j > suis inquiet ! qu'il est cruel pour moi de vous avoir quitté diins ce mo- ment, de n'èlre pas votre garde-malade, de ne pas savoir, aussitôt que ma pensé \ comment votre pouls b:it, et si vous souffrez, ou si vous êtes soulagé! Mon Henriette a rapporté tant de peines dans mon sein, en me racontant toutes celles que votre état lui avait faites, et tant d'atten- drissemenl, en me parlant de vos louchants adieux! Vous êtes sous mes yeux, bri'ilanl, agité, tourmenté, sans(jue je puisse détourner un moment ma pensée de votre lit et de \otre fièvre. Ce n'est pas que v.)tre état sait alarmai\t. je le sais; et s'il l'eût été, tous les chevalets de la Bastille expo- sés à ma vue ne m'auraient pas fait partir. Mais vous souf- frez! Kh! mon Dieu, n'est-ce donc rien de souffrir? ('/est presque tout, dans un passage si court et si incertain. Mon ami ! vous ne pouvez pas écrire ; je ne vcmix pas que vous écriviez, a moins que ce ne soient deux lignes (}ui me ras- sur,'nt par la vue de vos caractères : mais suppliez M. W...

A i: H A. M FOUT I :

ili' iem|»lii', eu votic nom, cet oflicc (>l ce dtnoir d iiini : il 110 me rofiiscra point vcllo consol«tion; il me rendra la justice (le croire (]ue je payerais, et de i;rand cœur, le inO-me tribut à son amitié pour vous; mais il a le bonheur de vous frardor, hn ! et ne m'en doit-il pas plus de com- passion et de contplaisance, à moi qui vous ai quitté dans un moment si critique |X)ur tous deux, à moi qui, peut- ('■tre, hélas! ne vous embrasserai pas de loni,'temps, et (pii m'étais fait une si douce habitude de ne itenser, (h> n'ob- server, de ne sentir (piavec vous, de n'agir i\\io, sous vos yeux, de n'avoir qu'une àme avec mon meilleur et pres- que mon unique ami? O mon cher et digne Chamtort! combien les bonnes gens sont des êtres d'habitude! et combien vous ave^ peu de besoin de cet attrait d'habitude, pour être nécessain» à ceux dont vous avez daigné vous laisser connaître! Je sens qu'en vous perdant, je perds une partie de mes forces. On m'a ravi mes flèches. 0 mon ami ! recouvrez votre simté; et qtie votre amitié, vos con- solations, vos conseils, vos lettres, versent du baume dans mon cœur, m'apprennent à supporter une situation si nou- velle. (|uoique déjà é[)r()uvée, à l'honorer, à reud>ellir, et me rendent entin capable d'éti-e digne de tous les .senti- ments que vous m'a\ez montrés.

C'est de cette ville souveraine, qui. Iwtie de bri(|ues. t>t sans élégance ni noblesse dans ses édifices, montre la liimisc et son port superbe, el semble dire : « rru'oseriez- vous me comparer? Oue l'Océan, que les n, ondes appor- tent ici leurs tributs! » c'est de celte ville que je vous (•cris à la hâte, les yeux distraits par une foule d'obj-îts nouveaux, l'esprit occupé de mille soins pénibles au pré- sent et dans l'avenir, mais le cœur et l'imagination |)leins de vous.

Notre \o\ âge fcrail un roman; \ous siivez une partie

LETTRES DEMIRABEAU

(bs inconvénients qui ont précédé notre départ ; vous aurez éprouvé sans doute à Paris le temi>s dont nous avons été accueillis dans la route; et vous ne vous ferez jamais d'idée de notre passage, qu'après avoir essuyé une tem- pête. Nous avons été deux fois au moment de périr : une fois par la seule force du vent et de la mer qui écrasait notre frôle paquebot; et une fois à l'entrée de l'Adder, c'est-à-dire presque au port; en revirant de bord, un faux coup de timon et un câble caché sous une vague terrible nous ont mis au moment de chavirer ; on avait, sur le pont, de l'eau au-dessus du genou. Le capitaine, l'un des plus intrépides marins de ce genre, s'est cru perdu, et ne voulait pas, disaif-il, survivre à son vaisseau. Heureuse- ment, ma pauvre amie était dans cet horrible état appelé mal de mer, dont l'effet moral est de rendre insouciant de tout et sur tout, si ce n'est sur l'espoir que la mer englou- tira le supplice et le supplicié. J'ai vomi le sang, moi qui n'ai jamais été malade sur mer, et mes nerfs ne sont pas encore remis.

Aussitôt débarqués, nous avons pris la poste dans la compagnie d'un Irlandais que je croirais honnête homme, si je n'avais toujours pensé que c'est que s'arrête la toute-puissance divine; d'une Fran(."<iise qu'il avait pris la liberté d'enlever à sa famille, du droit qu'a tout Irlandais de s'approprier une riche héritière; et d'un ministre an- glais, homme doux, modéré et fort instruit ; nous avons pris la poste, dis-je, et ce n'est pas par magnificence ; mais tous les élégants de l'Angleterre et la partie brillante di' la cour étant à Brightemistone, parce que le prince di- Galles y prend les eaux, il n'y a pas une seule diligence l'on puisse trouver place. Au reste, les postes, qui sont excellentes, et fournissent par obligation des voitures comparables à nos voitures de maître, sont à peine aussi

à

A CHAMPORT.

(liôrcs qu'on France, quoique plus longue^ et trois fois plus ni|)i(lom(MU franchies. Il suit cejw^ndant de cette ma- nière (le voyai^er que, malj^rt' les talents éconorniciues et l'industrie hibernoise de notre compagnon que j'ai créé inaréciial-général des logis de la caravane, notre voyage nous a coûté trois fois ce qu'il devait nous coûter. Et d'autant que le paeiuchot ne parlait qu'à trois jours de dis- lance de celui de noire arrivée, et que les difïicullés pour le j«isse-;port devenaient inquiétantes, j'ai frété un navire. Si je ne craignais de divulguer des S(^crets qui peuvent, dans la foule, servir à quelques honnêtes gens comme ils nous ont servi, je vous démontirrais combien ces sublimes formalités de notre inquisition, a|)pelée amirauté, sont inutiles à toute autre chose qu'il faire gagner de l'argent aux huissiers visihMits: dJLMie n'-sultat do toute li-trisliilion léglementidre!

Nous avons dine ii Hi iL;hleiiil>lone. avec la meilleure viande de boucherie ([ue j'aie mangée de ma vie; et comme le seul acte de toucher un plancher anglais brûle la bourse, surtout dans le voisinage de la cour (car l'or est la mandragore de toutes les cours), nous avons été coucher à Lewis. N'étes-vous pas scandalisé qu'un bourg anglais porte le nom d'un de nos rois? Depuis, et dès Lewis, no\is avons parcouru le plus beau pays de l'Kn- lope, par la variété des sites et de la \('rdure, la beauté et l'opulence de la campagne, la propreté et l'élégance rurale de chaque propriété. C'est un attrait pour les yeux ; c'est un charme pour l'Ame, qu'il est impossible d'exagé- rer. Les a|)proches de Londres sont entre autres d'une beauté champi'^tre dont la Hollande même ne m'a point fourni de modèles; j'y comparerais plutôt quel([ues val- lées de la Sui.sstî; car (et cette observation très-remar- quable saisit à l'instant des yeux exercés ) ce peuple do-

li:tïi',i:s de Mirabeau

minateur est avant tout ot surtout agricole au sein de son île; et voilà ce qui 1 a sauvé si lon2;temps de ses propres délires. Je sentais mon àme fortement et profondément saisie, en parcourant es contrées plantureuses et pros- pères; et je me disais : Pourquoi donc cette émotion si nouvelle? (les chàteau\, (■(»in|)arés aux nôtres, sont des guinguettes. Plusieurs cantons de la France, même de ses provinces les plus médiocres, et toute la Normandie que je viens de traverser, sont assurément plus beaux, de par la nature, que toutes ces cam[)agnes. On trouve çà et là, mais partout dans notre pays, de beaux édifices, des ou- vrages fastueux, de grands travaux publics, de grandes traces des plus prodigieux efforts de l'homme ; et cepen- dant ceci m'enchant:! bien plus que le reste ne m'étonne. (Test que ceci est la nature améliorée et non forcée; c'est que ces routes étroite.^, mais excellentes, ne me rappellent les corvoveurs que |)iur gémir sur les lieux oîi ils sont connus; c'est que (''Ile admirable culture m'annonce le respect de la pro{)riét('; c'est que ce soin, cette propriété universelle est un symptôme parlant de bien-être; c'est que toute cette richesse rurale est dans la nature, et ne décèle pas l'excessive inégalité des fortun"s, source de tant de maux, comme les édifices somptueux entourés de chaumières; c'est que toit me dit ici que le peuple est (pielque chose, qu'ici chaque homme a le développement et le libre exercice de ses facultés, et qu'ainsi je suis dans un autre ordre de choses.

Kt prenez garde, mon ami, que c'est si bien la vraie cause de l'effet sur lequel je raisonnais, qu'arrivé à Lon- dres, et cette superbe Tamise (qu'il ne faut comparer à rien, parre que rien ne lui est comparable) une fois fran- chie, rien ne m'a plus étonné ni même fait plaisir, si ce n'est les trottoirs (pii faisaient tombera genoux le bon La

A r.llAMKO!! r. 3.T

Gondamine, ef s* écrier: «Boni soit Dieul voici un |)ays l'on s'occupe dos gens de pied. » Tout le reste m'a paru ordinaire et presque iTies<^|uin. Je dirais volontiers (•()miiie('(»t apatlii(pi(» llaiiiMi : « C(> sont des nies à droite, (les rues li iraiiche et un clicmin au milieu. » Toute-i les villes sont de intime, si cependant vous accordez à celle- ci l'avantaj^'e de cette admirable propreté qui s'étend à tout, qui embellit tout, qui a un attrait presque éjral pour l'esprit et pour l'œil, et des dimensions dont aucune ville ancienne ne Siuirait jouir: du reste, effrayante obstruction (lu corps politiipie; cioupK» inlViin" au moral: homm(>s entassés et iniéctés de leur haleine; lutte éternelle des corrupteurs et des corrompus, des prwiipues et des mis<''- rables, de la canaille titrée et de la canaille populace- ('est mieux ou plus mal que Paris ou que Babylone. comme vous viydrez, j'y prends |)eii d'intérêt. Not</ |)Ourtanl que j'ai p(>u vu encore, et que Londres m'oflrira cerlainemiMit |)lus cpte toute autre irrande vill(> de com- merce un foyer d'activité et d'émulation qui ne peut pas ne point intéresser. .Mais je vous rends compte de la pre- mier» impression quia loujoui-s un ijrand fonds de vérité.

\»us avons eu en vo\;i?^e iU^s ijentlemen. (londtien le l>(>iq)le a de sens! le sobriquet des voleurs est ici le mot ireiililhomme! Ils ont ob-;ervé et làté deux ou trois fois notre petite troupe; j'étais décidé ii ne leur accorder rien, parce que je suis loin d'avoir trop d'arj^ent; j'avais mis les dames en avant, seules dans une cbais(\ trois hommes dans celle qui suivait, et un cheval. Notre ordre de ba- taille était si bon ef notre contenance arnK'e si simplement liere et ostensible, (pi'ils nous ont laissé pas.ser.

J'empiéterais sur les droits de mon Henriette, qui veut vous écrire, quand elle pourra vous remercier de votn* convalescence, si je vous parlais des Anglaises, dont l'air

332 LETTRES DE MIRABEAU

froid et ricaneur et les tailles emboîtées et guindées n'ont pas paru lui plaire infiniment au premier coup d'oeil ; pour moi, j'en appelle, et je ne renoncerai pas si aisément à ma longue passion pour les Anglaises, d'autant qu'en voyant passer Henriette, on s'arrête et l'on dit : « Oh ! la belle Anglaise! » Aussi est-elle fort contente des hommes. Pour moi, je prétends, et l'on assure, que j'ai déjà l'air aussi breton que Jacques Rosbiff.

Au reste, nos dames n'ont pas toujours été aussi bien traitées; elles ont essuyé aujourd'hui un orage très-vif: la beauté du temps les avait invitées à aller à pied de leur aubor2;e à leur loi^ement, car nous sommes déjà gltés et chèrement gîtes ; elles étaient parées fort à la française, et surtout Henriette. On a murmuré; on s'est attroupé; on nous a suivis; on a lancé un certain Aristophane de cabaret, qui s'est mis à chanter devant nous, avec les gestes les plus démonstratifs et les expressions les plus libres, des cantiques très-peu spirituels qui ont fort di- verti le peuple. Mon amie, accoutumée aux lubies de la canaille d'Amsterdam, riait; la Parisienne avait une vraie colère de Parisienne et regretUiit les halles. Pour moi, mon flegme était imperturbable ; mais cependant j'avais peur de me fâcher et le dénoùment mincjuiétait : dt\jà plusieurs Anglais bien mis, en passant à cheval avaient distribué quelques coups de fouet au Gilles, et, s'arrôtant, nous avaient suppliés de ne pas prendre la populace pour la na- tion ; puis ils nous donnaient des conseils que malheu- reusement nous n'entendions pas. Enfin, un Français a fendu la foule, donné de l'argent, et fait montre d'éloquence anglaise; puis, nous déposant dans une boutique, il a été nous chercher un carrosse qui a mis fin à cette scène plai- sante au fond, et dont mon amie a eu la charmante répa- ration que je vous ai dite au parc Saint-Jamos, une fois

A CHAMPORT. 333

qu'elle a ou siibslitiK" un |»'tit chapeau à nos immenses panaches.

Avec qneltiue précipitation que ceci soit ébauché, mon cher ami, vous verrez ([ue je veux me nourrir de l'espoir (|up vous i^fes en étal de me lire, de m'eiiU>iuire et pres- que de me ivpondre. L'idée de mon ami, malade loin de moi, m'est trop importune.

Si par hasard votre convalescence était prématurée et hAtive autant (pie je le désire», ou si vous croyiez pouvoir charger de la néij;ociation (pie voici le l)on ahhé de Laro- che, vous le feriez le plus t(')t possible, parce (pie cela m'im- porte. Le vieillard a répondu à celle de mes lettres dont vous m'avez paru très-content le billet malhonnête que voici :

(( Je vous renvoie, monsieur, la lettre (jue vous m'avez « confiée; je l'aurais l'ail plus t(')t si je n'étais retenu au « lit par une lièvre très- forte et un violent mal de tète : « j'ai pris l'émétique; j'ai été siiigrié trois fois, et mes « maux subsistent encore dans toute leur vigueur. On « n'est |)oint du tout de l'avis de votre ami; on croit que « la dernière forme que vous avez donnée ii votre ouvrage « est la meilleure, qu'il peut être sans danger publié dans « le nouveau monde; pour celui-ci, c'est ii vous d'en « juger; mais on aurait désiré que vous n'eussiez fait « part à personne qu'on en avait connaissance; et on m'a « déclaré que la trop grande communication que vous en « avez faite ne permettait absolument plus qu'on s'en « mêlât. >l(^s ra[)ports avec 3L Paris ne sont pas, comme « vous imaginez, de simples liaisons de société; et je suis « l'ami inliuie de toute la famille de sji fe nme. Ooyez- « vous, monsieur, qu'il soit bien permis, qu'il ne soit p.»s « même répréhensible de mettre, Siins prouve bien exi- la.

LETTRES DE MIRABEAU

« dente, dans le cœur d'un homme mort depuis long- « temps, les motifs les plus condamnables, pour, d'après « cette supposition, en faire la satire la plus cruelle? Je « ne suis point en ce moment en état de discuter si le « bonheur du genre humain dépend d'une vérité qui ne « peut être solidement démontrée que par une diatribe « sur M. Duverney ; mais je ne coopérerai en rien à ce qui « peut affliger mes amis. Recevez, monsieur, l'assurance « de mon sincère attachement. 23 août 1784. »

Je répondrai, et je répondrai honnètenoent ; mais vous voyez comme je suis payé d'avoir raison, et surtout de ma loyale communication de l'excellente lettre de Cla- vière. xMais ce n'est ni le moment ni la situation de se fâcher. Voici ce qui presse et importe : le docteur Price est à Londres ; il est ami intime de Franklin ; que Franklin lui recommande l'ouvrage, ou au moins l'auteur. Alors je tirerai parti d'un livre utile, entrepris pour leur faire plai- sir, et dont j'ai le plus grand besoin. Ne négligez pas cela, je vous en prie.

Adieu, mon très-cher ami. Donnez-moi ou faites-moi donner le plus tôt possible de vos nouvelles; et aimez-moi comme il m'est impossible de ne pas vous aimer.

L Kir Ri'] IX.

Londres, 13 octobre HSI.

Je reçois, mon très-cher ami. une lettre dont l'écriture a fait palpiter mon cœur, comme celle d'une maîtresse lorsque javais vingt ans; car la ferm?té du caractère et le nombre (les pages m'ont appris en un instant que vous

A CHAMPORT.

vous fK)rli(v. mi(>ii\; (juo vous avioz plus do forces; que votro ainitio pour moi était la inômc; que vous ressentiez toujours le besoin de causer avec, moi ; enfin quo j'avais recouvré la paitie la |)lus réelle de ce (pi'il nj'est permis (le ijoùter de honlieur. je veux dire, le charme et I assu- rance de Notre amitié. Cette rapidité de sentiment qui. dans une seule émotion, fait trouver mille certitudes et mille jouisscinces, est un des plus grands dons que la na- ture ait faits aux cœurs aimants; etc'ost assez p<mr com- penser tous les maux (pu» produit la stînsibilité. Car un être sensible jouit avec abandon ; et, lorsqu'il souffre dans l'objet aimé, il a encore pour se consoler le sentiment même qui le fait souffrir.

Grâces vous soient rendues, cher ami, de m'avoir tiré de peine sur vous et sur votre aflrectk>n; nin que j'en doutasse, il ne me faut que fàler mon cd'urpour être sûr du v(")tre. Mais il (^st si doux de s'entendre répéter qu'on est ainui de l'homme du monde (ju'on aime, esliuie et res- [)ecte le plus! lit puis, l'àme a besoin d'être soignée comme le corps. C'est siins doute un des plus grands mécomptes de la \anité humaine; mais il est trop vrai que l'amitié a l^esoin de culture, et que la santé de l'c^spril et du coMir est subordonnée au régime et à l'habitude.

Le tableau ([ue vous me faites de ce que vous avez souf- fert m'a vraiment navré, et surtout par l'idée que je n'ai pas été votre garde; mais la réflexion soulage un peu mon imagination, en ce que la cruelle épreuve que vous venez de subir est une démonstration irrésistible (pie vous êtes un des êtres les plus vi\aces (]ui existent. Or. la t<'>- niiité de votre charpente, la delicates,>;e de vos Iniits, et la douceur résignée et uK^me un ju'u triste de voir' ph\- sionomie. laquelle est calme dés que votre tête ou voiie Ame H" sont point en tnot|v.>.,if.-,t alarmeront "t indMiriîi'

LETTRES DE MIRABEAU

toujours en erreur vos amis sur votre force. Pour moi, vous m'avez prouvé, non pas tout à fait qu'on ne meurt que de bêtise, mais que les forces vitales sont toujours proportionnées à la trempe de lame. Ainsi, l'axiome pro- verbial la lame use le fourreau n'est pas vrai pour l'espèce humaine. Comment son feu intérieur ne le consume-t-il pas? se dit-on. Eh! comment le consumerait-il? c'est lui qui le fait vivre. Donnez-lui une autre âme, et sa frôle existence va se dissoudre.

Hélas! mon ami, Tacite et vous, aurez donc toujours raison ! c'est un étrange composé de légèreté et de perver- sité que l'homme, qu'il faut cependant servir et qu'on vou- drait aimer : l'homme qui calcule les astres, qui soumet les éléments, qui défie et combat toute la puissance de la nature, qui peut tout excepté conduire lui et ses sembla- blf^s, qui a tout trouvé hors la liberté et la paix, qui a su donner l'autorité, qui a su l'endurer, et qui n'a su ni la diriger ni la seconder, qui sait ramper et ne sait pas obéir, qui sait se révolter et ne sait pas se défendre, qui sait aimer et ne sait pas s'attacher, qui a tous les contraires en bien comme en mal, dans le cœur et dans l'esprit. Votre mot est charmant. On a dit, il va longtemps :

Mille fois ils m'ont tout promis; Mais le siècle en fourbes abonde. Et je jie hais rien tant au monde Que la phipart de mes amis.

Mais c'est l'épigramme chagrine d'un homme dont l'esprit aigri n'est jamais averti par son cœur. La vôtre appartient à un philosophe qui a observé profondémenr, et qui donne un résultat moral avec la gaieté et l'indul- gencx> sans lesquelles il n'est presque pas un bon cœur. Tl y a peu de délicatesse à se personnifier dans un sentiment

A CHAMFORT. 337

haineix pt vil; au lion que votro mot, ciui est trop vrai, pstia saillie ainiablodun lioiiinuMiui n'a pas ôlô pris pour (hipp, ot (]ui aimo j,rop ses vrais amis |K)ur ne pas rire beaucoup de ceux qui prennent ce titre. Mais j'ai |)eur qu'(>n ce genre, comme en beaucoup d'autres, il n'y faille pas resrarder de trop j)rès : car on s'appauvrirait, beau- coiq) plus (pi'il nesl possible d'y résoudre uk^'uio la plii- l()so[»liie. Hou Dieu I à (piels sacriléires j'ai s irpri-, dans ces derniers temps, les personnes (pu prient le plus élo- ({uemment d'amitié! Je ne ni'accoutunierai jamais à ces tiiéories que fa conduite dément; mais il faut que je m'ar- rête, c<îr ce que j'aurais à vous dire ne peut pas s'écrire, ('e n'est pas que si j'avais à vous dén(mcer »m fait impor- tant, je ne sautas.se le fossé. .Mais ce n'est point dans votre cœur que j'ai à vons blesser; et votre tôte est si sage, que vous sonderez le terrain même sur lequel vous t^tes le |)lus habitué à marcher : et vous ferez bien. Il faut d'ailleurs, mon ami. une grande circonspection pour les faits; le trait infâme (jue vous m'apprenez ne rensei;,'ne (pie trop, puis(ju'iu)e simple transposition de dates a fait, da:),s la bouche d'un méchant, d'une action honnét<' et pure 'qu'il n'a pu savoir que par mon bandit de laquais, qui. non content de tout me voler, épiait mes actions et mes di.scours à chaque instant de la journée;, une mali- gnité capable de compromettre un galant homme auquel je ne me consolerais pas de susciter, mt'^me le plus indi- rectement, une tracasserie. Eh ! qui en sera à l'abri, s'il n'y est pas, lui, armé de tant de circonsp(x;tion et de sa- gesse? Mais, outre cette anecdote, quoiqu'il soit ii peu pivs impossil)lo que la poste voie tout, je puisvotis assu- rer (pie les Français de Loudn^s sont au.ssi insfHTtés pi.r Ifi poli'.e (le Paris qu'en France m(''me. Les c;inailles aven- turièi-es qui salissent ici les presses sont les espions les

33H LETTRES DE MIRAItEAU

plus corrompus qui existent, et leurs complices le sont aussi; car qui dit complice en ce genre, dit espion. La complicité est un des moyens de l'espionnage; et les gou- vernements qui ont recours à ce misérable moyen, savent très-bien distinguer l'homme auquel il faut en vouloir. Ils devraient savoir aussi (pie leurs recherches en ce genre ne produisent rien qu'une ressource assurée à la canaille in- fecte qui se voue à cette infâme profession. Au reste, il y a aussi dos Anglais vendus à la police de Paris; témoin le vil entrepreneur du Courrier de l'Europe, tout aussi mépri- sable que le rédacteur. Celui-ci, après avoir été libelliste ordurier, est devenu espion gagé, aussi infâme dans ses délations qu'il était méprisable avant ce joli métier. C'est de toute cette canaille que W... a été la victime; elle craint de n'être pas payée si elle n'accuse pas, de sorte qu'elle accuse à tort et à travers.

Vous êtes inquiet de mon sort, mon cher ami, et moi, je ne suis pas très-rassuré, surtout sur celui de mon ai- mable compagne. J'ai cependant quelques projets qui a|)- paremment me feront vivre ; mais on se trompe beaucoup sur la générosité des Anglais. Accoutumés à tout calculer, ils calculent aussi les talents et l'amitié; la plupart de leurs grands écrivains sont, presque à la lettre, morts de faim : jugez de quiconque n'est pas de leur nation! Une des premières choses qui frappent ici, c'est l'esprit d'or- dre, de méthode, de calcul. On peut y dire le pourquoi de chaque chose; et cela doit peser, surtout dans l'esprit d'un Français; mais, à tous ses inconvénients, ce genre d'es{)rit exclut pros(fue nécessairement les grands mouve- ments de sensibilité; ils appartiennent ici au peuple, beau- coup trop calomnié, môme dans ce pays, cependant il est quelque chose. En général, mon ami, Clavière a rai- son: et j'ai été obligé de m'en convaincre, moi qui écris

A CHAMKdItT 330

contre l'nrislocnitic. On n(»(l(«r(M\(lni jimiais liicn le [M'uplc, quand on s<.> laisst'ni aller ii (incline déplaisir contre Isii ; qnand les mots do canaille, de populace, de i,'oiijat, reslp- ront le dictionnaire du déicnseur. Un })lus profond examen de ce qui suggère ce» épitliùles agite la tôle et le cœur; on voit bientôt que celte populace, cette canaille, n'est plus si nomhri'usf» ni si vile (pion l'iniaginait. Ces gros- sièretés dont elle all'uhie les |)anaclies, les plumets, l'air français, tout ce (jue vous voudrez, ne sont pas si gros- sières. Il faut aussi faire le procès à ceux qui inventent, qui portent, qui accréditent ces puérilités, titres presque uniques par lesquels on se distingue de la canaille. Elle est bruyante, elle est incommode; mais aux yeux et aux oreilles de qui? Et ces graves et silencieux déportements de la canaille instruite, bien vêtue, sintitulant gens comme il faut, feront-ils mieux le bonheur de la terre?

Il faudrait, mon ami, il faudrait qu'une tète pensante et sagace comme la vôtre vit l'Angleterre comparée à tout ce qu'on voit ailleurs, et i)esàt les désJigréni'uts qu'on exagère chez vous, contre les maux réels dont il est dé- fendu de parler. Uien de parfait ne saurait sortir de la main de l'homme; mais il va du moins mauvais, et beau- coup moins mauvais, en Angleterre que partout ailleurs, des esclaves, les fers aux pieds et aux mains, se mo- quent des dangers que courent les voltigeurs. Il semble qu'on ait voulu consoler jusqu'ici les autres nations, en leur parlant des défauts de la constitution anglaise, de l'e qu'on appelle ses ab:is. On a fait comme ceux qui per- tinent leurs gémissements sur de légers liens à des es- claves chargés de lourdes chaînes; on abuse de ce que les premiers laissent toute la sensibilité, tandis que les autres ôtent tout sentiment. Enfin, si le mieux |MMit trouver place cIk'Z les Bretons, ce sera quand les autres nations euro-

LETTRES DE MIRABEAU

péennes seront arrivées à leur niveau. Le philosophe doit donc tendre à cette révolution, avant que de désirer l'au- tre. Une émeute, une sédition à Londres fait plus de bien an cœur de l'honnête homme, que toute cette imbécile subordination dont on se vante ailleurs. Si l'on approfon- dissait, si l'on comparait, si l'on cherchait les corrélatifs en politique, on ferait sur l'Angleterre et les Anglais un ouvrage qui aurait de la signifiance; mais il ne faudrait pas, comme l'illustre Linguet, qui, tout ainsi que Male- branche voyait tout en Dieu, voit tout en Linguet, recher- cher les fourchettes à deux fourchons et le manque de serviettes... Un magistrat d'une des sociétés les plus libres de la terre félicitait l'autre jour une connaissance à moi qui a quitté l'Irlande, de n'être plus parmi ces Hibernois qui emplument et coupent des jarrets. C'est un bon homme parlant admirablement liberté, pourvu qu'on laisse faire la magistrature : et voilà comme on est partout. Dès que le peuple tente de se faire justice, c'est une horreur. Il faut cependant remarquer que les emplumeurs et cou[>eurs de jarrets, pour cause politique, ont i)aru en Amérique, et que cette manie a disparu, quoique la cause réprimante soit très-peu de chose; mais les causes pour lesquelles il fallait emplumer, etc., etc., ont disparu. Il faut remarquer aussi que l'art d'ôter la raison, pour ensuite argumenter de la folie, est l'art des coupables gouvernants : cela éta- bli, qu'importe de détailler les convulsions de l'infortuné dont on a irrité les nerfs par un breuvage?...

Mais, mon ami, voilà beaucoup bavarder; car il faut nous tenir dans les généralités. Mais je ne puis pas me refuser au plaisir de frotter la tête la plus électrique que j'aie ja- mais connue. Je ne perdrai pas mon temps ici , et, si la misère et le malheur ne font })as justice de moi, je répon- drai peut-être à mes ennemis et à mes prétendus amis

A CHAMFORT

presque aussi coupables que mes ennemis, mais de la seule manière qui me convienne désormais, [km- de bons et d'utiles ouvrajios, tous portant mon nom; car, dès le pre- mier, j'annonce que tout ce qui ne le |)orlera pas me sera faussement attribué, afin qu'on n'essjiye pas de m'im|)ut('r les viles anonymités qui pullulent ici. Quoi cpiil arrive, vous n'aurez psis à rougir de moi, soyez-en bien assuré; mais quand vous presserai-je contre mon cœur? C'est en vérité ce qu'il m'est impossible de dire; à cet é}?ard. j'os<> à peine fixer l'avenir.

Je vous ai déjà écrit, mon cher ami, sur le brillant sur- croît de fortune qui vous est arrivé : j'en étais en colère, et je ne suis |>as encore très-calme à cet égard ; mais je veux vous croire dé^uliinonné, comme vous dites : c'est cependant une dérision, si vous ne devez commencer à toucher que dans trois ans, à moins qu'on ne vous en donne neuf d'avanc(>. Madame de N... vous tH'rira le pre- mier courrier. Aujourd'hui, il est trop tard, et ses beaux yeux souifrent à la lumière; elle vous prie de l'aimer, et (le m'écrire souvent; car elle prétend que je suis très- mauvaise com[)aij;nie, quand vous ne m'écrivez pas. Adieu, cher et bon ami; il y a lonj^temps que votre complète a compensé toutes les p(>rtes et toutes les méprises de mon cœur. Conservez-moi le vôtre ; et, quoi qu'on fasse, je ne serai pas tout à fait malheureux. Choyez votre convalesr cence avec votre raison, et non pas avec votre tt'te: ca- ressez les Muses; (ju'elles vous comblent lonpt'Mups de toutes leurs fiweurs; et quand vous serez désensorcelé, toujours vous auront-elles valu plus de jouissiuices que d'or, ni même do gloire, à en juger par celle qu'il vous était donné de mériter, et par less<«uls dispensjiteurs dont vous puissiez l'attendtr. Vale et me ama.

^42 LETTRES ÛE MIRABEAU

/'. .S. Plusieurs articles de votre lettre ne sont pas ré- pondus, parce qu'une de mes lettres, qui a croisé la vôtre, la fait d'avance.

li:ttrk X.

10 novembre 1784.

Je viens de recevoir votre lettre tendre et sa<re. mon l»on et cher ami; et j'ai éprouvé le doul)le plaisir d'ap- prendre de vous d'heureuses nouvelles, et de trouver, dans l'accent et l'expression de vos craintes, une vive em- preinte de votre amitié, et c'est là, sans doute, une grande jouissance pour moi ; mais la circonstance en a redoublé la saveur. Je suis triste et malheureux; ma douce et char- mante compagne est malade, et malade de lanirueiir; elle est à son onzième accès de fièvre. Heureusement les accès sont intermittents, et lai.ss^nt deux jours de passables; mais l'extrême faiblesse, l'agacement des nerfs, les acci- dents de femme qui en ont résulté, l'ont jetée dans un(> situation trèc-fàcheuse, quoique, au fond, peu inquiétante; d'un autre côté, ma bourse n'avait que faire de cet échec. Toute visite de médecin réputé et peut-on en choisir un autre pour son amie?} coûte un louis à Londres; c'est achf^er cher l'inquiétude. Enfin, mes ressources sont à leur terme; et non-seulement je n'ai point encore obtenu le pain de la loi, mais je n'obtiens [)as même de réponse de m(>s gens d'affaires. Heureusement Target retourne in- cessamment il Paris, et se charge de mettre un terme à cette indécision cruelle.

On projette de cliarg(M' d'un grand ouvrage, qui r.i"a-^>ur('rait le n(''ces>aire pour ItuigtMups: mais l'enti-e-

A CHAMFOirr. iH

prise en est encore fort incertaine. Changuyon me propose aussi, de Hollande, do la bosognt^; mais il Faut le tpinps do la faire. Tout cola conihiné, mon ami, dessinez lo pre- mier Irait d'une situation dont votre imaj^'ination ne saura que trop laire un tahloau fort triste, mais qui pourtant n'est pas dt^sespéré. Le jîrand, le vrai mal, c'est la souf- france de mon amie ; et votre lettre en a tempe: é l'amer- tume. Jugez ce que votre amitié est et |)eut |M)ur notre bonheur. Hélas! mon ami, il n'en est (pi'un de vrai, «-est d'aimer et d'être aimé. Sans ce charme, je ne pourrais déjà plus sup|K)rter le fardeau de la vie... Mais songeons que j'écris de Londivs, et dans le mois de novembre. Ne nous occupons pas de ces idét>s.

Je veux cependant vous dire, et seulement dans des vues littéraires que j'ai rencontrées, k ce sujet, dans le Sénnjnx de Bergerac, imprimé en I63S, et dédié au duc d'Arpajon, où, par parenthèse, l'on profes.se tout haut l'athéisme avec approbation et privilège du roi, j'y ai trouvé, dis-je, ces vers qui m'ont bien étonné :

Kt puis, mourir n'est rien, r'pst achever de naître. Un esclave liior mourut pour divertir son nia'tro; Au nialliuur de l;i vi<' on n'est point encliainé, Rt l'Ame est dans la main du plus inf(»rtnné.

En vérité, mon ami. on ne ferait aujoiud'hui rien de plus beau (pu^ ces deux derniers vers. Il est vrai qu'im en trouve, il côté, de cette forc(\ Terrent ianus demande ii Séjanus s'il ne craint pas le tonnerre des dieux: (>t Séja- ntis répond :

Il no tombe jamais ou liivor sur la torro;

.faurai s^x nio's au moins pour m<> mocpior dos dioux.

Non. mon ami, je ne suis point enthousiaste de l'An-

LETTRES DE MIRABEAU

gleterre; et j'en sais maintenant assez pour vous dire que, si la constitution est la meilleure connue, l'administration en est la plus mauvaise possible; et que si l'Anglais est l'homme social le plus libre qu'il y ait sur la terre, le peuple anglais est un des moins libres qui existent. Je crois davantage, mon ami : je crois qu'individuellement parlant, nous valons mieux qu'eux, et que le terroir du vin l'emporte sur celui du charbon de terre, même par son influence sur le moral. Sans penser, avec M. Laura- guais, que les Anglais n'aient de fruits mûrs que les pommes cuites et de poli que l'acier, je crois qu'ils n'ont pas de quoi justifier leur orgueil féroce. Mais qu'est-ce donc que la liberté, puisque le peu qui s'en trouve dans une ou deux bonnes lois, place au premier rang un peuple si peu favorisé de la nature? Que ne peut pas une con- stitution, puisque celle-ci, quoique incomplète et, défec- tueuse, sauve et sauvera quelque temps encore le peuple le plus corrompu de la terre de sa propre corruption? Quelle n'est pas l'influence d'un petit nombre de données favorables à l'espèce humaine, puisque ce peuple ignorant, superstitieux, entêté (car il est tout cela), cupide, et très- voisin de la foi punique, vaut mieux que la plupart des peuples connus, parce qu'il a quelque liberté civile? Cela est admirable, mon ami, pour l'homme qui pense et qui a réfléchi sur la nature des choses, et problème insoluble |)our tous les autres. Au reste, ne croyez pas que l'on con- naisse ce pays; plus je vois, et plus je m'assure qu'on ne sait ce qu'on a vu. Je vous défie de vous faire une idée de la ridiculité des préjugés accrédités sur l'Angleterre, tantôt calomniée, tantôt exaltée, avec la plus absurde ignorance, .le fais, pour vous et pour moi, des notes qui NOUS seront utiles et qui vous convaincront de ces deux choses : l'une. qu(>. le plus léger mensonge mène les vova-

A OHAMFÔRT, 34S

geurs à des résultats d'une fausseté incalculable; l'autre, qu'il est une quantité énorme de choses que nous autres, Français, faisons en les louant, c'est-à-dire qui n'existent que dans nos éloges. Cette observation m'a été confirmée aujourd'hui dans un détail peu imi)ortant, niais qui vous expliiiuera bien ce que je veux dire. Tout le inonde a en- tendu parler de la fameuse épitapheà Wren, dans la cha- pelle souterraine de Sainl-I'aul de Londres: Si monumen- tum quœris, circumspice ; mais personne n'a dit que ces quatre mots étaient noyés dans dix ou douze lignes de très-mauvais latin, l'on n'a eu garde d'oublier re7«es aureatus et toutes les sottises imaginables. De même, il y a, dans l'épitaphe de Newton : Sibi gralulentur wortales taie lantumqite extitisse humani generis decus: cela est bien, mais précédé de onze lignes, dans lesquelles on lit pompeu- sement Veques aureatus. le commentaire sur l'.Vpoca- lypse, etc. Au reste, ceci me rapjK'lle une anecdote, pré- cieuse pour ceux qui, comme vous et moi. sont à l'affût du charlatanisme humain. Voltaire a écrit [Wrtout qu'il y avait à Montjxillier une statue do Louis XIV, avec cette belle inscription : A Louis XIV après sa mort. Il n'y a ici que trois petits inconvénients, c'est que l'inscription est en latin; qu'elle est fort longue ; 3" qu'elle raconte tout uniment le fait comme il s'est passé, à savoir que la statue a été décrétée par la ville, pendant la vie de Louis XIV, et posée depuis sa mort. Supei-stili decre- vere. Ex oculis siMato posuerr. Kf puis Voltaire nse dire il tout propos :

Et voilà justement comme on (.Vrit l'histoire.

Mais un fait plus important que j'ai complètement vé- rifié, que je vous prie de garder pour vous, parce que

LiBTTRÎSS Dli MIRABEAU

j'aurai bientôt occasion de l'encadrer, mais qui est trop précieux pour que je ne vous l'apprenne pas, c'est celui- ci :

Vous lisez dans le livre de l'Esjjrit^ tome II, pag. 138, à la note 'édit. in-8 , 1778) : k Dans ce pays (la Turquie], la magnanimité ne triomphe point de la vengeance; on ne verra point en Turquie ce qu'on a vu, il y a quelques années, en Angleterre. Le prince Edouard, poursuivi par les troupes du roi, trouve un asile dans la maison d'un seigneur; ce seigneur est accusé d'avoir donné retraite au prétendant. On le cite devant les juges ; il s'y présente et leur dit : « Souffrez qu'avant de subir « l'interrogatoire, je vous demande lequel d'entre vous, « si le prétendant se fût réfugié dans sa maison, eût été « assez vil et assez lâche pour le livrer? » A cette ques- tion, le tribunal se tait, se lève et renvoie l'accusé. »

Ce fait me paraissait absurde : nul tribunal sur la terre, qui n'est pas le souverain, n'a le droit, ni le pouvoir de juger ainsi. Enfin, j'arrive en Angleterre; et le hasard me fait rencontrer lady Margaret Macdonald, qui a vécu en 1763 à Edimbourg avec M. ÏMacdonald of Kingborough, le héros du roman de 31. Helvélius. M. Macdonald n'était point un seigneur; c'éliiit un gentilhomme, cultivateur assez pau- vre; il demeurait dans lile de Sky, près du château de son proche i)arent, le chevalier Alexandre Macdonald, propriétaire en grande partie de cette île et chef de la clan .Macdonald, une des tribus écossaises les plus attachées au prétendant. Les otticiers du détachement à la quête du |)rélendant que l'on savait être dans l'Ile de Sky, étaient dans la salle ;t manger du château avec lady Margaret. Un paysan montagnard se [)résente à la porte de la sidie, et remet à milady un billet non cacheté; elle reconnaît la main du prétendant qui lui demande une bouteille de vin,

A t'.UA.Ml UllT. 347

une chemise et une [laire de souliers. Ce uiallieuieux prince, iicciiblé de lassitud.', étiiil alors assis sur une r >I- line à un u)ilie du ehàteau, et l'on f)ouvail le voir dos le- nc'^tres de la salle. Lady Margart>t ne so troubla point : elle prétexta (pieNpies (Jétails do famille, qiiilt<i les oflicievs. et courut avec le paysan montagnard chez Macdonald of Kiniîhoraujfh : « Si le prince entre chez vous, lui dit Mac- donald, ou si vous l'assistez en la moindre chose, vous t'êtes perdue, vous (>t votre famille. Je me charge de tout. Adieu. » n lui prit la, main et partit.

.Macdonald, avec des diiru;ultés infinies, parvint à sauver le prétendant, qu'il habilla en femme, etc. Ce prince gagna los montîignes, et se rendit heureusement ii bord d'un des vaisseaux que la France avait envoyés en croisière suiv- ies côtes occidentales d'Kcosse. pour faciliter son évasion. Hi(>nt()t après. .Macdonald fut arrêté et mis on prison dans le ch;itt>au d lùlimbourg, il resta quelque temps avant ipi'on lui fît son procès. Pour toute défense, il dit à ses juges : « Ce que j'ai fait pour le prince Edouard, je l'au- rais fait pour le prince de dalles, s'il !*e fut trouvé dans les mêmes circonstances. » Le tribunal ne .<e lut point, connue dit Helvétius; mais il condanma .Macdonald à être pendu. Lii sentence (jui lui fut prononctie portait en outre (pie lui, encore vi\ant, aurait les entrailles et le cœur arrachés pour être jetés dans un brasier allumé au pied de l'échal'aud. ensuite l'a tète coupée, etc. C'est le supplice ofdinaire des liaitres d(> la patrie. .Macdonald ne le suî)it point : le duc de Cumberland représentai que cette exé- cution aliénerait sans retour la clan .Macdoiuild. On lui (it grâce jwr jiolifique, et l'on se contenLi de le tenir un un pris innier dans le chAteau d'Édimlxiurg... Mais combien cela est différent! combien cela est vrai, simple, b-au. grand! combien Macdonald et la nature perdaient au recil

LETTRES DE MIRABEAU

(rHclvétius! Il a su son erreur, et il a répondu : « Ma foi cela est imprimé; et cela est encore beau comme je l'ai écrit. » Quand ceux qui écrivent la morale, la philosophie, la politique, l'histoire, sauront-ils qu'ils ne sont que de vils saltimbanques, lorsqu'ils ne se regardent pas comme des magistrats !

L'ouvrage ({ue l'on me propose, mon cher ami, est une entreprise considérable; il ne s'agit pas moins que de mettre et de tenir ces messieurs au courant de toutes les idées saines d'économie politique, qu'Us ont traitées jus- qu'ici de vaine métaphysique. L'ouvrage paraîtrait en an- glais et en français ; le plus ou le moins de succès n'im- porterait qu'à ma conscience et à mon amour-propre, car j'aurais une rétribution fixe par mois; mais j'ai cru de- voir leur observer que cet ouvrage n'étant point de nature à piquer la malignité, parce que je ne dois ni ne veux parler que des choses, et encore avec circonspection, je leur conseillais d'adopter un plan qui éveillât la curiosité. Consulté sur cela, j'ai dit que le plus grand service, selon moi, à rendre aux lettres aujourd'hui, était d'abréger, et de guider un choix dans l'immensité des mensonges, des erreurs et des vérités imprimées; qu'en conséquence, un conservateur qui donnerait en tout genre des analyses, et non pas des extraits des bons livres; qui tirerait du fumier des ouvrages périodiques les paillettes qui peuvent y être tombées, et qui deviendrait le dépôt de morceaux déta- chés qui, par leur brièveté, c'est-à-dire par un de leurs plus grands mérites mêmes, sont bientôt oubliés et per- dus, serait un ouvrage très-précieux, et qui, fait avec scrupule, sans complaisance, sans négligence, sans préci- pitation, serait à peu près sûr d'un succès d'estime n)oins rapide que les succès d'éclat, mais durable et toujours croissant. On délibère sur cette idée; je la crois bonne ;

A ClIAMI-'OUT. 349

et si elle l'est, faites des vœux pour qu'elle soit acceptée; car cllo mo vaudrait ciniiuaiite louis |)ar mois, ot c'est plus (ju'il no me i'aut, iix^iie ici. il est vrai que ce revenu se- rait acheté par un travail excessif ot désagréable, on ce (ju'il m'ôterait le temps nécessiiire pour la culture de mes |)r()pres pensées; mais je le regarderais comme un coui's d'études à finir, loi-sque la fortune voudra mo renrlre in- dépendant. Des lionnnes (|ui valaient mieux (|ue moi ont clé condamnés à des galères aussi mauvaises; et quand je me sens prêt à m'irriler, je me rappelle cet apologue arabe :

« Je m'étais toujours plaint des outrages du sort et de la dureté des hommes; je n'avais point de souliers, et je nian(]uais d'argent pour en acliet(>r. J'allai à la mos(piée de l)an\as, je vis un homme qui n'avait point de jambes. Je louai Dieu, et je no m(> plaignis plus de man(|uer do souliers. »

Si je n'avais pas une couq»agne de mon sort, une com- [)agne aimable, douce, bonne, (^>ndre, que s<i beauté aurait infailliblement rendue riche, si ses excellentes qualités morales ne s'y étaient pas op[)Osées; qui souffre pour elle (>t pour moi, en pensant que j'ignoro toujours les res- sources du mois qui suit, moi dont le c^ur ne fut januiis ferme à l'infortune, cet apologue me rendrait très-philo- sojihe.

[)ites-moi, mon ami, si, une fois embarqué dans cette besogne, je puis conq)ter du moins sur vos indications, soit pour les anciens livres qui méritent d'être analysés, soit pour un choix de pièces fugitives (littéraires) dont je voudrais que cet ouvrage fût le déjM')t, et pour leiiuol je ne l)uis avoir un aussi bon guide que voti-e goût exquis et voire incorriq)tible conscience. Dites-moi aussi si vous croyez que je puisse compter sur des st)uscriptcurs en France; dites-moi surtout, avec votre franchist* et votre

20

TTKES DE MIRABEAU

sagacité ordinaires, ce que vous pensez de l'idée et du plan.

(iC que vous me dites de votre santé et de votre genre de vie me fait un très-grand plaisir, mais me donne d(^ bien vifs regrets. Combien j'aurais vécu avec vous cet hiver! combien j'aurais passé d'heures délicieuses, et cul- tivé mon âme et ma pensée! car, ne vous y trompez pas, c'est mon esprit qui acquiert ici; mon âme est veuve, philosophiquement parlant, et ma pensée avorte, faute d'un ami qui l'entende ou qui l'éveille. Je combine une foule de rapports nouveaux ; et certainement il résultera, de ces rapprochements et de ces combinaisons, de bonnes choses, surtout quand je les aurai mûries auprès de vous, dans la serre chaude de votre amitié et de vos talents. Mais aujourd'hui je ne fais qu'amasser; je ne dispose point. Je n'ai jamais si bien senti combien vous étiez né- cessaire pour m'encourager et me guider. Je ferai ici plu- sieurs bons ouvrages, un entre autres qui sera une grande vengeance offerte à l'humanité : ce sera l'histoire d'un des plus horribles crimes du xviii" siècle, dont le hasard m'a envoyé les matériaux les plus curieux et les mieux dé- taillés ; mais un grand ouvrage de morale ou de philoso- phie, je ne l'entreprendrai jamais qu'auprès de vous, qui êtes la trempe de mon âme et de mon esprit.

Allons donc, je serai content de vos amis, puisque vous le voulez ; mais qu'ils s'arrangent pour que vous ayez douze mille livres de rente, ou je ne réponds pas des rechutes. Bonjour, mon ami ; car en voilà bien long, et ma pauvre petite se réveille ; remarquez, s'il vous plaît, qu'elle est trop excusée de son silence, elle vous aime de tout son cœur et vous regrette très-vivement. Adieu, encore une fois. Je ne vous dirai pas : si vous aimez des anecdotes caractéristi(}ues de ce pays pour augmenter votre immense

A CHAMPORT. a .1

répertoire, écrivez-moi souvent, car je vous en enverrai toujours eu ré[)onse. Mais je vous dirai : écrivez-moi sou- vent. CMr cela ino cnnsolo et soutient mon ('(«irajre.

/'. S. Nous (^tes sCirenienl étonne de ce que lex r. ..' ne (iiruient pas encore; mais vous le seniz |)lus, quand vous saurez que j'ai ti-aduit à la suite un |)ainpldet du docteur Priée, intitulé : Obsenathnii ou llie impoiiance o/' tlie ame- riran révolution, and the ineans of making it a benefîl ta Ihe WorM (cela n'est {ws excellent, mais on m'en a beaucoup [>rié), et fait un discours et des notes sur cet ouvraîïo, dont vous ne serez |)as mécontent, pour avoir été fait loin de vous.

LiiriiiK \i.

lomlres, Hatton-street in Holhom, 30 dt-rombre HSI.

Je ne voulais ni vous jjronder. mon ami. ni interpréter \olre silence d'une manière qui pût aflliger mon cœur; mais j'étais inquiet de vous : car votre constitution débile ei votre tempérament igné se conserveront longtemps l'un par l'autre; mais ils se heurteront souvent; et la vie est biiMi quelque chose ; mais ne jws souffrir est beaucoup l)!iis. du moins selon moi, Me voilà rassuré. jus<|u'ij un certain point pourtant; car je sais que vous pttyez cher (pielques semaines de travail forcé; et je n'aime pas assez la littérature, quoique j'en sois idolAtre, pour pouvoir dé- lirer de l'enrichir à vos dépens, et d'autant moins que tôt (Ml lard les trésors de votre génie lui arriveront, l'ourquoi donc se hâter, au risque de ruiner votre Simte? .Mais vous

1. Ij-* (jni-in)wli, (•"e.st-.à-diro récrit sur Torilre de CincinnaU».

LETTRES DE MIRABEAU

m'auriez fait bien plaisir de me récapituler la réception de mes lettres, ou du moins de me les signaler par quel- ques traits détachés ; car j'en ai quatre ou cinq au moins sans réponse; et vous ne me parlez que de celle je vous entretiens du Conservateur. Au reste, comme il n'y avait dans les autres aucun motif de suppression, je suppose qu'elles sont arrivées à bon port. Car j'entends bien pour- quoi l'on gène la liberté de la presse; en dépit des cent mille et une raisons que j'en pourrais donner, je trouve qu'on peut résumer cette question dans un argument très- court. Quel mal y aurait-il qu'il n'y eût pas tel, tel, tel, tel et tel livre? Et cela, jusque et inclusivement la Bible, pourtant il eût dit que toute puissance vient do Dieu, et sans égard à. ce que la poudre à canon, le plus utile de tous les livres à ceux qui n'en veulent point, serait encore dans le cerveau du Père éternel, si Adam ne nous eût pas transmis la faculté de faire des livres? Qu'avez-vous à ré- pondre à cela, hein? Mais pourquoi gênerait-on le com- merce des lettres? Il n'a pas du tout les mômes consé- quences ; car quel homme, à moins d'être insensé, ne sait pas qu'il écrit sous les yeux vigilants de tous les sages et généreux gouvernements, qui régissent l'univers, comm/ ils disent? Donc, si ce n'était pas une très-agréable et expédiente occasion de gagner et faire gagner beaucoup d'argent à beaucoup d'honnêtes gens, l'interception des lettres serait une chose fort inutile ( procédé à part, cjuc pourtant tout le monde ne trouve pas égalçment gai j, et d'autant plus inutile qu'il n'est pas une correspondance d'ambassadeurs qui ne se fasse par courriers. Mais le ciel me défende de gloser sur une si belle institution!

Vous voilà bien affairés, messieurs les distributeurs de la gloire! que l'esprit saint vous illumine! Mais miracle [KHir miracle, il devrait bien com nencer par les candi-

A CHAMPORT. 353

dats, avant de passor aux tMecteurs. Au reste, savez-vous pourquoi je jwrle de ceci ? Vous ne vous douteriez pas en cent mille ans((iie je fusse solliciteur d'une place à l'Aca- démie; je le suis pourtant, ou à peu pr«">s: mais rassurez- vous, ce n'est pas de moi, et indépeiulammcnt du bras de mer, ce ne sera jamais de moi dont il sera question. Vous me dites qu'au nombre des aspirants se trouve Target; je sais, mon cher ami, tout ce qu'il y a à dire contre lin ; et cela se réduit à ceci : il a peu ou point de titres littéraires; cela est vrai; mais peu d'honunes, et nul, parmi les as- pirants, à moins que ce ne soit Garât qui je ne vou- drais pas nuire assurément, mais qui a son poste), n'est aussi capable d'en avoir. Je ne sais si vous connaissez les Lettres d'un homme à un homme, le meilleur des écrits po- lémiques qui parurent au temps de Maupeou; cela est de lui. Vous devez connaître ce qu'il a écrit sur la censure. Une iïrande partie du morceau iutitulé : liépe.nous sur Vomrage précédent, impriuié à la suite de l'ouvrage de Price dans mes Cincinnati , est de lui ; et cela fut jeté en \m instiint. En un mot, je vous suis garant qu'il a une vaste littérature, des connaissances très-nettes, et la tMe pleine de choses et de bonnes choses. Par exemple, non- seulement il est au courant de toutes les idées siiines en économie politique, mais il en a redressé plusieurs; non- seulement il est au courant de toutes nos idées philoso- phiques, mais il a donné à plusieurs beaucoup d'énergie et d'extension. Le patriciat a reçu de lui de rudes coups de knout dans le procès des Quiessat, etc., etc. De plus (et si nous ne traitions qu'entre nous, j'aurais commencé par là], c'est un parfaitement honnête homme, bon, chaud, sensible, pur, incornq)tible; et l'on vous offi-e de plats co- quins. Enlin, et ceci passera dans votre cœur, il est mon ami particulier ; il est digne d'éti-e le vôtre , et il ma

20.

3ot 1;ETTRE.- LE MIRABEAU

rendu un service important que je ne lui ai pas même de- mandé, ni indiqué, avec toute sorte de chaleur et une grâce charmante.

Je sais bien, mon ami, que tout cela, quoique très-so- nore à votre âme, ne vous ferait pas faire ce que vous ne croiriez pas devoir faire; mais, en conscience, croyez- vous devoir quelque dose en ceci ? oii est le plus digne? sont les données pour déterminer le plus digne? et le plus digne fût-il là, votre voix le fera-t-elle élire? Que va-t-on vous proposer? Quelques canailles titrées, ou quelques bamboches littéraires. Target a fait bien mieux que de mauvais ou de médiocres ouvrages : il n'en a point fait ; il a consacré sa vie à une profession embrassée malgré lui, et qu'il n'en a pas moins remplie avec une rare di- gnité, avec un grand zèle, avec tout l'éclat dont l'éloquence du mur mitoyen est susceptible. L'honneur qu'on lui fe- rait, car enfin c'en est un dans sa position, rare même et par conséquent assez désirable ; l'honneur qu'on lui fe- rait exciterait en lui le désir et la volonté de déployer ses forces ; et le choix de ]' Académie, d'ailleurs il faut de tous les genres, peut nous valoir quelques bons ouvrages, au lieu de consultations obscures ou de plaidoyers éphé- mères; et puis, maintenant que la peste est sur les beaux es{)rits, n'y a-t-il pas de la place pour tout le monde?

\'.n voilà bien long, mon ami ; mais c'est que la chose mo tient au cœur; et vous savez si vous recevriez un refus (le moi. Que Target doive votre voix à votre amitié pour moi, et je vous suis garant que je vous aurai acquis un ami digne de ce titre par sa morale, et même par ses talents.

Les miens (car il me faut bien, comme un autre, parler de mes talents) viennent de faire un tour de force dont je ne puis rien vou; dire autre chose, sinon qu'un livre sin- gulier et rempli de recherches aura été fait et imprimé

AGHAMFORT.

en im mois, ici l'on im|trinio la moitié moins vilo qu'(»n Franco. Or, dans colle occasion, lo tomps importait fort à lairairo, ot l'alFaire m'imporUiit fort à moi ; outre quelle est jïrande et belle, mon Couxeiraleur est accro- ché, parce qu'on veut qu'un libniire français entre dans la moitié des frais de l'édition française (vous voyez que vous vous êtes trop liàté de me félicit(^r), de sorte que, la maladiede mon amie m'ayant ruiné, j'éUiisauxexpHlients. Me voilà sauvé pour une couple de mois. Vous trouverez- le nom de votre hôte consigné avec honneur; vers le milieu du mois prochain, cela vous parviendra.

On nous annonce ici un grand ouvrage en trois volumes de Necker, avec son avis sur l'administration des finan- ces : il est, dit-on, entre les mains do notre roi. de notre reine, de Monsieur, et Siins doute de M. lo dauphin, plus de M. deCastries; dix-huit mille exemplaires sont prêts pour porter à toute la terre la preuve que la France a perdu un bon serviteur et que le serviteur en est bien fâché. Quant à moi, outre que je sais à quoi m'en tenir sur ses talents linanciers et ses opérations ministérielles, je suis occupé on ce moment d'une étude qui no le montre pas en beau. L'abandon qu'il a fait de sa patrie, dans un temps il lui était facile de la sauver et de la mettre pour toujours hors des dangers elle s'est abîmée, est un vilain bout d'oriMllo. par lequel il m'est impossible de ne pas le juger. TuriTot n'otiiit pas (îou(>vois à beaucoup près; et cependant il eût tenu à honneur de sauver une taupinièri» on lui aurait dit que la liberté était en danger, et il n'eût pas marchandé ses peines. Au reste, le glorieux avait honte de son pore (je vous en dirai (pioique jour les détails) ; chorclioz là-dossous, si vous pouvez, un grand homme... Cela n'ompéclio pas que l'ouvrage sur les finances ne puiss<' être bon; ipiand on sait bien ses (piatro K'gles. qu'on |)<>ut

356 LETTRES DE MIRABEAU

conjuguer le verbe avoir, et qu'on est laborieux, on est un aigle en finance.

Bonsoir, mon ami; si mon Conservateur ne s'accroche pas, il y a beaucoup à parier que je retournerai en France, car je ne veux pas mourir de faim ici, Rousseau aurait péri de cette triste maladie, s'il n'eût eu que ses talents à donner pour hypothèque à son boucher et à son boulan- ger; et en France pourtant, il est bien difficile que, moi présent, on me refuse du pain. Notez, je vous prie, que le parlement a remis à délibérer sur ma demande en cou- rant et arrérages de pension alimentaire, après le compte de tutelle rendu par mon père. Il faut avec ces messieurs vi\ re par provision sans provision. Adieu, encore une fois ; écrivez-moi plus souvent : donnez-moi des nouvelles des Cincinnati que vous devez avoir depuis longtemps, et n'oubliez pas combien le principal objet de cette lettre me tient au cœur.

LKTTH.. XIl.

C'est à M. Leveillard que je dois, mon cher ami, d'être certain que vous vivez, et que, laible encore, vous vous portez mieux. C'est à lui que je dois de savoir les progrès si ridiculement longs de votre fortune, qui ne font pas m »ins votre éloge que la honte de vos amis ; mais enfin, je n'ai pas su par vous un mot de ce qui vous intéresse. Je l'ai demandé enfin à Leveillard, qui, malade lui-môme, mais sensible à ma peine, ma répondu courrier par cour- rier, et m'a laissé le regret de ne m'étre pas plus tôt adressé à lui.

S'il est vrai que vous m'aimiez, mon cher Chamforl. je vous prie d'occuper un moment votre imagination de ce

A CHAkFOin

que la mienne, qui no manque pas d'activité, a souf- frir de votre silence opiniâtre, que je vous ai quatre fois sup[)lié de rompre, ne fùl-ceque |)ar un mot de votre la- quais, si M. H... ne voulait pas me faire le siicrifice de qiieiques minutes. Je ne sais pas ce que je n'ai pas cru, et j'en étais venu à ce point ([ue je no permettais point à ma com|)agne de prononcer votre nom; j'éprouvais trop d'an<îoisses et d'inquiétudes; tous mes efforts étaient di- rigés il me distraire de vous. J'avais renoncé à vous écrire jusqu'il ce que je susse votre sort. Maintenant, vous m'é- crirez et je saurai les raisons de votre silence, ou vous serez très-importuné.

Dupont avait de trop bonnes raisons pour ne pas me répondre; il a perdu sa femme, l'une des plus raisonna- bles et des plus estimables mères de famille que je con- nusse ; elle avait les vertus domestiques de totis les genres; et si ce ne sont pas les plus rares, certainement ce sont cx^lles qui contribuent le plus au bonheur de t«ut ce qui a des rapjiorts avec nous. D'ailleurs, Dupont, jeté dans le torrent des afiaires, ayant beaucoup de par delà dans la tête, et de mobilité dans le cœur, avait plus de besoin qu'un autre dune compagne qui s'occupât de son inté- rieur : c'est donc une perte et une très-grande perte tpiil vient de faire; et je dois trouver tout simple qu'il n'ait pas eu le temps de penser à mes inquiétudes; mais vous qui en étiez l'objet, vous qui saviez que je n'en manquais pas dans cette grande et ruineuse ville, et qu'au moins me fallait-il être tran([uille sur le sort, la santé et l'atta- chement de mes amis, je ne vous connais qu'un moyen de vous faire pardonner, c'est de \ous bien porter, détre heureux et de me le dire.

Je suis si fâché contre vous, que je ne vous dirai pas un mot de ce pays-ci, ni des courses que j'ai faites et qui

LETTRES DE MIRABEAU

SOUS peu produiront peut-être quelque chose; mais, comme je veux croire que vous m'aimez encore, je vous dirai un mot de nous. Notre santé est bonne; ma compagne est ce que vous l'avez vue, belle, douce, bonne, égale, coura- geuse, pénétrée de ce charme de la sensibilité qui fait tout supporter, et môme les maux qu'elle produit. Pour moi, je trouve ici pâture à mon activité; j'apprends, je note, je fais beaucoup de choses; mais, au milieu des mar- ques de bienvoi lance et de considération que je reçois, je ne laisse pas que d'être fort inquiet sur l'avenir; la lit- térature française étant si étrangère ici, la main-d'œuvre si chère, et les libraires si timides, que le meilleur moyen d'y mourir de faim, c'est d'y être même un bon écrivain français. Au reste, on y imprime les Cincinnati, qui me rapporteront peu de chose, mais qui du moins ne ne coû- teront rien, et qu'un homme de beaucoup de talent a bien traduits, de sorte que l'édition anglaise paraîtra presque aussitôt que la française. Mais jugez, parce qui se passe à cet égard, du peu de ressources qu'offre la typographie anglaise. Deux libraires de Paris, inutiles à nommer par la poste, mais dont un riche et solide, m'ont écrit pour prendre quinze cents exemplaires à c.nquante sous, pourvu qu'on les leur rendît à telle ville frontière; on a grand'- peine à décider le libraire anglais à tirer à quinze cents l'édition franç.iise, et, si l'ouvrage n'avait pas produit ici, sur quelques hommes accr dites, un très-grand effet, ja- mais libraire ne l'eût im()rimé pour son compte; les Fiançais accoutumés au pays conçoivent à peine cet ef- fort, et je ne le conçois pas moi-môme, depuis que je sais que Emsloy a refusé d'imprimer le manuscrit des Confes- sions de J.-J. Rousseau, de peur que lédition ne lui restât. D'un autre côté, depui?» que je suis à Londres, maigre me-; continuelles instances, je n'ai pas reçu un mot de

A CUA.\1 . iili 1.

mus i)n)cur('urs, et j'ignoro encore s'il existe en France un moyen de faire payer par un j^ère une [)ensi()n ali- monfairo à son (ils.

Avec tout cela, m"ii ;mi. aimez-moi, écrivez-moi, et je ne regretterai feutre en France que vous et votre so- ciété.

Bonjour, mon clier paresseux; que les trés;)rs(lont V(hh surchar};e la munificiMia* royale ne vous fassent pas ou- blier vos vrais amis; les autres sont aimables et brillants ; mais voilà tout: et nous, nous vou-; aimons.

LKTTUK Mil.

Vomircdi, 4 tV-vri«!r H.S,").

Mon ami, je ne vous aurais pas encore écrit aujour- (llmi, non pas parce que vous êtes en arrière avec moi, mais parce (|ue je suis triste et malheureux, entre autres et trop nombreux sujets, de (absence de ma douce com- pagne que vous aurez embrassée avant de lire cette lettre; je ne vous aurais pas écrit, dis-je, quoique je vous doive des remerciements pour \otre conduite envers Target, si un devoir de reconnaissance ne mexcilait pas en ce mo- ment à secouer mon spleen et à vaincre ma mélancoriipio paresse.

Je ne vous ai jamais reconnnandé pei-sonne en France, mon bon ami, pas môme nmi , piirce que j'ai toujoui-s trouvé que cette discrétion était un de\oir étroit de déli- catesse et d'honnêteté envers un homme (|uo son mérite personnel et le hasiird des circonstances ont mis en me- sure, mémo intime, avec les grands, sans qu'il ait jamais \oulu compromettre son indépendance, traliquer de leur

LETTRES DE MIRABEAU

amitié, mettre en un mot, en manière quelconque à profit, sa situation; mais lorsqu'il s'aa;it d'un étranger, homme de mérite, à recommander au dehors, comme on ne peut soupçonner en aucune façon les intentions et les motifs de celui qui s'y intéresse, comme ces sortes de déférences hospitalières honorent les hommes en place et peuvent leur être utiles , comme vous ne vous êtes point interdit de conseiller des actions honnêtes, et que c'est même la seule part que vous vous soyez réservée dans les afî'aires de ce monde, je peux me permettre d'être plus hardi. Après cette longue préface, voici ce dont il s'agit :

M. William Manning, beau-frère de M. Vaughan, homme d'un très-grand mérite, l'un des plus vrais philan- thropes qu'il y ait en Euro|)e, est certainement l'Anglais le plus dégagé des préjugés moraux qui existe, auquel j'ai été recommandé par M. Franklin, et qui m'a rendu toutes sortes de bons offices ; M. William Manning, fils d'un des plus riches et des plus estimés planteurs des îles britanniques, part pour les Antilles, appelé par de très- grandes affaires. H désire d'être recommandé à iM. le comte de Damas à la Martinique, et à M. le comte d'Arrôt à Tabago (je ne sais si ce nom d'Arrôt est bien écrit) ; vous avez des relations personnelles avec la maison de Damas; et vous n'en auriez pas, que votre immense considération, qui vous met de pair avec tout le monde, à force de vous mettre au-dessus, vous en donnerait aisément; mais je me rappelle que vous en avez : d'ailleurs, nulle recomman- dation, soit en Angleterre, soit aux îles, ne peut être plus honorable et plus efficace que celle du marquis de Vau- dreuil, que l'estime univereelle de ce peuple-ci, connais- seur en hommes, doit bien dédommager des tracasseries de (îour; et personne ne peut, plus aisément que vous, faire écrire un mol de ce bord.

A CHAMFORT. 361

Rendez-moi ce service, mon bon ami; je dis ce service,

car je n'aurai pout-i^tro jamais do ma vie uno autre occa- sion de faire quelque ciiose d'agréal)le {wur l'iiomino de ce pays-ci qui a été le plus empressé à m'étre utile, et qui no l'aurait pas (Hé davantiige après une connaissance (le i)Iusieurs années.

Je ne vous parlerai pas de moi, je n'en ai pas le courage; les horribles tracasseries que j'ai essuyées depuis quelque tenips, la dureté de mon [tère, il faut trancher le mot, sa férocité, qui incidente maintenant sur le pain qu'il est forcé à me doimer, et qui met toute son adresse et tous ses efforts pour me faire mourir de faim (car apparemment il n'a pas encore espéré de me rendre voleur de grand cheniin; ; le départ récent de mon amie, qui m'a réelle- ment mutilé, et qui me prive de la seule consolation qui me reste sur la terre, au moment j'ai le plus lourd fardeau à porter; toutes ces circonstances réunies et l'anxiétt» d'une situation qui n'a point d'égale me ren- draient tro[) amer de retracer des détiiils qui vous navre- raient le cœur, et, loin de me soulager, tirailleraient mes blessures. Mon amie vous dira tout cela, maisellesera là; et sa physionomie angélique, sa pénétrante douceur, la sé- duction magique qui l'entoure et la pénètre, adouciront le chagrin (|ue vous causera infailliblement son récit; et moi, je vous déchirerais plutôt ([ue je ne vous atlcMidriiais; outre (pie vous ne m'entendriez pas, sans un volume de fasti- dieuses explications qui me tueraient, loi-sc^ue vous seriez au courant. Nous recommencerons à causer, et vous ne négligerez plus la corresjxmdance d'un ami malheureux, qui met tant de prix au moindre souvenir de vous, et au- quel il reste si peu de jouissance.

Je n'ai certainement pas besoin de vous recommander de faire pour mon aimable amie, et pour le succès de ses

362 LETTRES DE MIRABEAU

démarches, tout ce qui sera en vous, c'est-à-dire de lui prodiguer vos consolations et vos conseils; vous êtes bon, sensible et généreux : d ailleurs, c'est pour moi qu'elle travaille; mais je vous jure, mon ami, je vous jure, dans toute la sincérité de mon âme, que je ne la vaux pas, et que cette âme est d'un ordre supérieur, pur la tendresse, la délicatesse et la bonté. Si le comte d'Entraigues est à Paris, avertissez-le de l'arrivée de mon amie ; et comme lui est un ardent et adroit solliciteur, concertez-vous tous deux avec lui pour qu'il travaille à mes affaires. Au reste, mon cher ami, un grand point serait de m'obtcnir sûreté pour rentrer en France ; car il est impossible que je vivo ici, si l'on ne m'y ménage pas quelques ressources litté- raires, et mon nom effarouche tous les libraires soumis à la censure; mais si jo ne m'y soumets, moi, si je fonde mon pain sur un travail qui ne puisse effaroucher per- sonne, pourquoi donc le môme gouvernement qui encou- rage, qui fait vivre, qui soudoie ici des insectes de l'es- pèce la plus vile et la plus venimeuse, ne me laisserait-il pas vivre, moi ? lui suis-je donc plus désagréable ou plus suspect que Linguet, etc., etc. ?

Quoi qu'il en soit, mon ami, conseillez, dirigez, conso- lez ma pauvre amie, et ménagez-moi la possibilité de nous retrouver tous trois. Parlez-moi donc de vous.

Croyez-vous qu'un choix de comédies anglaises réussît en France, cest-à-dire qu'un libraire voulût l'acheter? Remarquez que c'est un travail qui ne peut se faire qu'ici ; mais je voudrais un marché fixe, afin de ne pas consumer inutilement du temps : il importerait que les lettres fus- sent ici le plus tôt possible.

A CHAHPORT. 363

LKTTHE XIV.

Paris, 1" janvier 1788.

J'irai vous porter co matin, mon cher Chanifort, les vœux d'un ami (idèlc, affectueux, dévoué, et qui n'aspire aux jouissances d'une fortune indépendante que pour prouver à vous et à un très petit nombre d'autres mortels, que si jusqu'alors il ne jouiasait pas assez du charme de leur so- ciété, c'est qu'il ne jouissait pas de lui-même, et que, pour disposer de son àme, do ses principes, de ses talents, il s'était vu obligé d'immoler son temps et ses goûts per- sonnels.

Je passerai donc chez vous, moti ami ; mais comme vous pourriez ôtro en course pour les devoirs du jour, je vous prie, par ce billet, de me prévenir si la lettre que vous destinez à la consolation de M. Cérutti sera prête assez tôt pour pouvoir trouver place dans le numéro qui paraîtra vendredi ; il faudrait pour cela que je l'eusse mer- credi soir au plus tard. Ma question a pour motif, mon cher Chamfort, d'abord la nécessité de pourvoir d'avance i\ nos mélanines, ensuite le désir de faire ce (pie vous m'avez persuadé, être équitable et décent, assez ii temps pour que la sensibilité de M. Cérutti en reçoive un adou- cissement, et non un double choc, ce qui arrive toujours dans les querelles renouvelées.

Bonjour, mon très-bon ami. L. C. D. M.

364 LETTRES DE MIRABEAU

LETTRE XV.

5 octobre 1790.

Je suis vivement pressé, mon cher Chamfort, de faire exécuter le joli projet dont je vous ai parlé, celui de re- cueillir ce que j'appelle des vignettes littéraires et philo- sophiques pour un catalogue raisonné : il faut donc que je m'en occupe, et que je vous prie de vous en occuper assez vous-même pour vous y attacher. Il serait néces- saire, mon bon ami, que je susse quels sont, parmi les grands noms, vos élus, vos favoris : puis-je compter que les poètes grecs et latins seront de ce nombre ? Si vous y joigniez nos grands maîtres français, je serais bien riche; et si vous aviez le c(Turage d'aller jusqu'à l'élite des au- teurs de mémoires et des moralistes, je le serais jusqu'à faire envie. Un mot sur cela, mon bon ami, comme aussi sur notre dessein de nous réunir pour nous préparer à rire civiquement sur les académies.

Vale et me ama.

LETTRE XVI.

Mprcredi.

Je ne voulais vous remercier, mon ami, qu'au moment je pourrais vous dire quelque chose sur les infâmes papiers dont on a cru payer votre prose et vos vers, tandis qu'on les eût certainement refusés à la mère de vos talents, je veux dire à votre àme. Le résultat de mes informations est qu'il faut vite et vite que vous alliez en personne chez

A OHAMFORT. 3fi5

Camus, lequel a fait mettre dans tous les papiers publics la plus brutale injonction, nommément aux membres de rassemblée nationale, de s'abstenir de toute recommanda- tion auprès du comité des [)ensi<)ns. Il faut donc, mon ami, que je mo réserve pour défendre les vôtres, si on les attaque; et c'est ce que je ferai certes avec l'amitié que je vous dois et l'énergie que vous me connaissez ; mais, avant fout, allez trouver Camus, et tenez-moi averti de son ac- ( ueil. Bonjour, mon brave ami, on va copier votre excel- lente Lucianide : vous laui-ez demain ou après-demain. Vale et me ama.

1. C'est-à-dire votre diatribe dans le genre do Iinion : r'i>si If Dis >urs sur les académies.

TABLE DES iMATIÉRES

HISTOIRE DE CHAMFORT

SA VIE ET SES CEUVRES PAR P.-J. STAHL

P*Be».

I. De la situation de l'homme de lettres en temps de révolution.

Disgrâces de la notoriété. De la nature des rapports des écrivains et des grands seigneurs au xviii» siècle. Bon côté de ces rapports. Rôle politique de Charafort entre les partis ex- trêmes 8

H. Biographie do Chamfort. Sa naissance. Sa jennesse. Ses succès an collège. Réponse de Chamfort an principal des Gras- sins. Ses débuts littéraires. Portrait de Chamfort parSélis.

Chamfort fait les sermons d'un jeune abbé. Il devient ré- dacteur du Jowiuil fncydopédlint. Ses succès académiques et ses succès dans le monde. Jugement de Voltaire sur Cham- fort. — Critiques de Grimm et de Diderot. Opinion de la prin- cesse de Craou. Lettre de mademoiselle de L'Espinasse. Fragment de correspondance de Chamfort t*

III. Madame Helvétius. Chabanon et Chamfort. La société du xvin» siècle. Chamfort, >f. Sainte-Beuve et un autre cri- tique contemporain. Éloge de La Fontaine et de Molière par

TABLE DES MATIERES.

Gliamfort. Nouvelles couronnes académiques. Succès de Mustapha et Zéangir. Marie-Antoinette. Le prince de Gondé et Cliauifort. Lettres de Ghamfort 21

IV. Retraite à Antenil et à Vaudoulenrs. Madame ***. Sa mort. Regrets de Chainfort. Il perd sa mère. De ce qn'il faut entendre par la misanthropie de Ghamfort. Ge que doit être un moraliste. Opinion de Balzac et de Ghamfort. De l'amitié. M. de Vaiidreiiil, M. Sainte-Beuve 29

V. La Révolution éclate. Prise de la Bastille. Désintéresse- ment de Ghamfort. Rœderer. Marmontel. Rivarol et Ghamfort. Réponse à d'injustes critiques. Lettres de Mi- rabeau à Ghamfort. Ghamfort peint par Mirabeau et Chateau- briand , 36

VI. Mot de Balzac sur Ghamfort. Les paroles sont quelquefois des actes et les mots des volumes. Sieyès. Barfere. Pache. La fraternité ou la mort. Hérault de Séchelles. Arrestation de Ghamfort. - Horreur de Ghamfort pour la prison. 44

VII. Seconde arrestation. Suicide de Ghamfort. Dernières pa- roles de Ghamfort. Récit de cette scène par un témoin ocu- laire. — M. Arsène Houssaye. Portrait littéraire de Ghamfort. 47

VIII. Des différentes études qui ont été faites de Ghamfort. Celle de M. Sainte-Beuve. Quelques mots sur M. Sainte-Beuve et la nature de son talent. Son attitude, ses erreurs et ses in- justices en ce qui touche Ghamfort Intérêt que nous a paru offrir la figure de Ghamfort 50

TABLE D£^ MATISHES.

369

PREHICBE P&BTIE

MAXIMES ET PENSÉES

srn LA PBaosoPBiE et la morale

I. Allégorie du bien et du mal . 59

II. Aine 59

iii-vi. Bonheur 59, 60

VII. Bonheur des sourds 60

VIII. Bonheur d'un '.iiimine d'es- prit . . 60

IX. Bonheur et raison 60

.\. Calomnie 60

XI. La Calomnie et le silence. 60

XII. Cent mille morts par jour. 60

XIII. Chagrin 6(

XIV. Charlatanisme 61

XV. Choix des moyens 61

XVI. Comment il faut aborder

un ministre 61

XVII. Connnissance de l'homme 61

XVIII. Contagion des défauts . 6<

XIX. Contraires 62

XX. Contrastes

XXI. Conviction

xxii. Défauts 62

xxiii . Désœn vrement. 62

XXIV. Divinité de l'or 62

XXV. Enfants 63

XXVI . Ennui 63

XXVII. L'Ensemble (il faut ju- ger sur) 63

XXVIII. Entêtement 63 |

XXIX. Érudition 63

XXX. Esprit 63

.XXXI. Esprit et c(Pur 63

XXXII. Esprit (manque d' ). . . 63

xxxiii. Esprit faussé 64

XXXIV. Estime et célébrité. .. 64

XXXV. Être aimé ne suffit pas. 64

XXXVI. Kolie et sagesse t>4

XXXVII. Folies et sottises 64

xxxviii. Fortune 64

xxxix. Habileté et ruse 64

XL. Heur et malheur 64

xLi. Honnêteté 64

XLii. Honneur suivant la loi . 64

xi.iii. Idées avancées 6S

XLiv. Illusions 65

xi.v. Immortalitédel'àmechez

les sauvages 65

XLvi. Incertitude 66

xLvii. Indécence 66

xi.viii. Journée perdue 66

xLix. Le Jugenient 66

I,. Jugement renvoyé. 66

Li. Légalité et légitimité .... 60

ui. Maximes générales 66

LUI. Méchants 67

Liv. Le Mérite en France. . . . 67

Lv. Métaphores 67

i.vi. Métaphysiciens 67

Lvii. Morale 67

Lviit. Moralistes trop absolus. 67 Lix. Morale pratique des phi- losophes de l'antiquité .... 67

I.X. La Mort et la vie 88

Lxi. La Nature et les tyrans.. 68

Lxii. Nécessité de la raison. . 68

Lxni-Lxv. Opinion publique. «8

Lxvi. Optimistes et pessimistes 68

84.

370

TABLE DES MATIERES.

Lxvn. Paresse et silence

Lxviii. Pauvreté . .

LXix. Pensée , remède à tons

les maiii

Lxx. La Philosophie et le monde

Lxxi. Plaisir et bonheur

Lxxii-Lxxiii. Préjugés

Lxxiv. Providence et hasard.

Lxxv. Pruderie

Lxxvi. Sagesse et défiance . . .

Lxxvji. Savoir

Lxxviii. Secret

Lxxix. Sottise

Lxxx. Sots et sottises

Lxxxi. Stoïciens

Lxxxii. Temps

Lxxxui. Le Temps et les hom- mes

Lxxxiv. Tout est bien

Lxxxv-Lxxxvi. Vérité

Lxxxvn.- Vérité et vertu

Lxxxvin, Vertu

Lxxxix. Vice

xc. Vie contemplative

xci. La Vie et la mort

SUR l'homme et la société

I. Académies et assemblées.. 74

n. Tout Achille a son talon.. 74

III. Agglomérations d'hommes 74

IV. Les Anglais et les eaui. . . 73

V. Ce qu'il faut corriger 75

VI. Ce qu'on appelle le public. 75

VII. Classes de la société 73

VIII. Comment on aime les princes 75

IX. Compagnie (mauvaise) . . 75

X. Considération et fortune . . 75

XI. Conversation 76

XII. Corruption 76

xm. Demi-science du mou'le. 76

XIV. Diamant et vertu 76

XV. Discussions publiques 76

XVI. Esprit public 76

XVII. État social 76

XVIII. Femelle 77

XIX. Le Feu et le tocsin .... 77

XX. Fripon 77

xxi-xxn. Gens faibles 77

XXIII. Grandes et petites cho- ses 77

XXIV. Heraclite et notre inonde 77

XXV. Honnête homme et fri- pon 77

XXVI. Honnêtes gens 77

XXVII. Importance 78

XXVIII. Importance des sots.. 78

XXIX. Institutions sociales ... 78

XXX. Légèreté des Français.. 78

XXXI. Linge et charpie 78

XXXII. Le Lit des Spartiates. . 78

XXXIII. Magistrats de police mauvais juges 78

XXXIV. Maîtres du genre hu- main 79

xxxv-xxxix. Le Monde 79

XL. La Nature et la société. . 80 xLi. Ordre apparent dans le

monde 80

xLii. Pandémonium 80

XLiii-XLV. Paris 80,81

XLvi. Les Places et ceux qui

les occupent 81

xLvii. Postérité et public. .. . 81

xLviii. Prétention 81

xLix. Prudence 82

L. Raison absolue

Li. Le Repos, l'amitié et la

pensée 82

LU. Réputation 83

LUI. Ressemblance 83

Liv. Rester à sa place 83

Lv. Ridicules 83

Lvi-LXii. Société 83,85

Lxiii. Sociétés qu'on doit re-

TABLE DES MATIÈRES.

371

chercher 85

Lxiv. Le Sot et le cheval de

Uacre 85

Lxv. Sots même après leor

mort 85

Lxvi. Sottises lies geus sages. 85

Lxvii. Supériorité 85

Lxviii. Talent et caractère... 85

Lxix. Tout à refaire 88

Lxx. Usage 86

Lxxi. Utilité de l'esprit 86

Lxxii. Valeur des hommes... 86

Lxxni. Vanité 86

I.XXIV. Vérité 86

Lxxv. Vertu et honneur 86

Lxxvi. Vertu relative 86

Lxxvii. Vices et vertus 87

Lxxvni. Viser seulement

l'on peut atteindre 87

Lxxix. Voleurs 87

SUn LA POLITIQOB, LB DESPOTISME ET LA LIBERTE

I. Caractère des Français de nos jours

II. Ce qui fait le bonheur de la multitude

m. Ce qu'on ne devine pas à vingt ans

IV. Constitution de 1789

V. Education des basses classes

VI. Enseisnement de l'histoire

VII. État despotique

vni. Exclusions sociales

IX. Le Fer, l'or et l'opinion . .

X. Fierté de ['(iléphant. .....

XI. L.i Force eu politique

XII. La Force substituée à la loi xiii. La France, Turquie d'Eu- rope

XIV. Le (îouvernemeut de France

XV. Histoire des peuples li- bres

XVI. Liberté. .

xvu. La Liberté en Angleterre

et en Anurii[no

xvnt. Livres d'i'dncation ....

XIX. La Loi et l'autorité 9:^

XX. Louis XIV

xxi-xxiv. Ministres 92

XXV. Monde (ce qui mène le) . 92

XXVI. Le Paysan français. ... 93 xxvn-xxx. Le Peuple et les

pauvres 93

XXXI. Le Peuple et les rois. . 93

xxxii. Philosophe 93

XXXIII. Préjugés des députés

en 1789 91

xxxiv. Le Public 94

XXXV, Le Régent 94

xxxvi. Réorganisation et dés- ordre 95

xxxvu. Rois 95

xxxviii. Singes et ministres. . 95

XXXIX. Sottises publiques. .. . 95

XL. Suicide 95

xLi. Sujets on citoyens 95

xLii. Tacite et Tite-Live 96

XLiii. Ta Tète et le cœur.... 96 XLiv. Le Tiers selon M. de

Fleury 95

XLV. Tribunaux et 0:ioion... 96

VR l.A NOBLESSE, LES GRANDS, LES RICUES ET LES GENS DU MONDE

I. Aisance du pauvre 97

II. Antichambre du roi 97

III. .irtdeplairedanslemonde. 97

IV. Autorité des grands hom- mes 97

V. Bon goût 97

372

TABLE DES MATIÈRES.

VI. Breteuil (le baron de) et ses portraits

VII. Cardinal

vïii-xi. Célébrité..»

XII. Ce qu'on appelle tolérance chez les prêtres

XIII. Chaque chose en son temps

XIV. Cour

xv-xvii. Courtisans 9i

XVIII. Dîners intéressés

XIX. Epargne et trésor royal .

XX. Esprit et ridicule

XXI. Étable d'Augias

XXII. Exigence des hommes haut placés

XXIII. Expérience

XXIV. Fat

XXV. Foi de gentilhomme... xxvi-xxvii. Gens du monde..

XXVIII. Grands seigneurs et beaux esprits

XXIX. M. de Guibert et les fau.x invalides

XXX. Homme aimable

zxxi. Homme d'esprit méchant

et homme d'esprit bon

98 98 ;, 99 99 99 99 99

99 iOO 100 100 100

100

100 101

lOi

xxxii. Hommes du monde et

hannetons loj

xxxni. Insensibilité des hom- mes haut placés )()(

xxxiv. Modes ( 02

XXXV. Grand Monde 1 02

xxxvi. La Nature et Chérin.. 102 xxxvii. Les Nobles et leurs

ancêtres ^02

xxxviii. La Noblesse et les

cliiens de chasse io2

xxxix. Origines de la noblesse

en France i02

xi,-XLi. riaisanterie.. J03

xLii. Se pousser et avancer . . 103

XLiii. Précepteurs des princes. 103

xLiv. Préjugé.s J04

XLv-xLvi. Privilèges absurdes

de la noblesse. 104

xLvii-xLviii. Riches et pauvres 104

xLix. Richesse de Dorilas.,., 104

L. Richesses 105

Li. Solidarité universelle 105

LU. Valeur de convention ... 105 LUI. Vanité réciproque desgens de lettres et des gens du

monde 105

SCR LA SCIE.\CE, LES BEA0X-ART5 ET LES BELLES-LETTRES

i-iii. Académie française .. .. 106

IV. Les Académies 106

v. Anciens et modernes 110

VI. Les Arts et le despotisme. 110

vii-viu. Auteurs 110

IX. Bacon et César 110

X. Beaux-Arts III

XI. Clarté et obscurité 111

XII. Comédie de caractère ... Ul xni. Comment tout le monde

a de l'esprit 111

xiv-xy. Écarts du génie. 111, 112

XVI. Economistes 112

XVII. Fécondité littéraire 112

xviii. La Fontaine etLamotbe. 112

XIX. Génie 112

XX, Génie et vertu 1 1 2

xxi-xxiii. Gens de lettres. 112-113

XXIV. La Gloire et la vanité dans les lettres 114

XXV. Les Grandes choses ne s'improvisent pas 114

xxvi-xxvii. Grands hommes.. 115

xxviii. Hiérarchie littéraire. . 115

XXIX. Idées 115

XXX. Journal sans malice .... 115

XXXI. Littérature des gens de cour H 5

XXXII. Littérature dramatique 115 xxxm. Livres (les nipillpiir^' . 115

TABLE DES MATIERES.

373

XXXIV. Livres et carrosses

XXXV. Maximes et axiomes.. .

\xvi. Médecins

\xvii. .Mémoires des gens de

lettres

XXXVIII. Misanthropie des écri- vains

wKix-xi.i. Molière

\i,n. Naître à propos.

xi.iii. Pauvreté des écrivains.

\Liv. Peintre et poète

xi,v. Philosophes et médecins.

xi.vi. Poètes et géomètres. . . .

116 116 116

116 117 117 117 118 119 119

XLVii. Poètes et paons 119

XLViii. La Postérité pour les

écrivains 110

xLix-L. Précipitation et com- pilation 119-120

Li. Recueil de vers et de bons

mots 120

LU. Savants et politiques.... 120

LUI. Succès littéyiireB 120

Liv. Thé.Hre 120

LV. Théâtre tragique 120

LVi. Travail dn poète 131

Lvn. Les Vers lîî

Sin LES SENTIMENTS ET LES PASSIONS

I. L'Ambitieux 121

II. Ambition 121

iii-iv. Amour de la gloire.... 121 V Amour des places et des

dignités 122

VI. Amour et ambition 122

vu-vui. Amour-propre 122

IX. Amour maternel 122

Amoai-propre féminin.... 122

I Attachement 122

nii. Besoin (le primer 122

\iii-xiv. Bienfaiteur 123

XV. Bonté et bonhomie 123

XVI. Cerveau des femmes. .. . 123

XVII. Désintéressement 123

XVIII. Envie 123

IX. Espérance 123

X. Générosité 124

xi-xxii. Gloire 124

xiu. Haine 124

XXIV. Illusions et passions... 12h

XXV. Ivrognerie... 125

XXVI. Justice et générosité... 125 xxvit. Maternité 125

XXVIII. .Mésalhance .. 125

XXIX. Milieu 125

XXX. Fausse Modestie 125

XXXI. Orgueil et vanité 125

xxxii-xxxviii. Passions.. 125-126

XXXIX. Piété 126

xL-XLii. Haison et passions . , 127

xLiii. Récompense 127

xLiv. Sensibilité... 127

XLV. Sentiments 127

XLvi. Sentir et penser 127

XLVII. Tantale 128

XLviii. Tombeaux 128

XLix. Vanité 12S

L . Vanité de la gloire 1 is

Sin LA DIGNITÉ DE r..\RACTKRE ET L'AMOLIV DE LA RETRAITE

I. Amour de la nature 12S

II. Argent 128

iii-x. Caractères 129

XI. Considération 1 29

XII. Dettes en Hollande 130

xin. Uiogène. 13o

XIV. Droiture 130

XV. Économie et indépendance. 1 30

XVI. Klolgnement des gens de lettres pour le monde 1 3o

374

TABLE DES MATIERES.

xvn. Endurcissement ....... 130

XVIII. Estime publique 130

XIX. État dans le monde 130

XX. Gloire (ses épreuves) ... . 13f

XXI. Homme modeste 131

XXII. Homme qui vit seul.. . . 131 xxiii. Honnête homme désil- lusionné 131

XXIV. Inégalité dSB conditions 132

XXV. Indépendance 132

XXVI. Indulgence 132

xxvii. Inflexibilité

xxviii. Moi i le) de Médée . . .

xxix-xxx. Monde

xxxi-xxxii. Opinion publique.

xxxni. Peur d'être vu

xxxiv. Philosophe

.XXXV. Raison

xxxvi. lïichesse

XXXVII. Romanesque et idéal, xxxviii-xxxix. Solitude

132 133 133 133 133 133 134 134 134 134

SUR L'AMITIE

i-iii. Amis.... 135

iv-xi. Amitié 135-136

XII. Amitié des femmes 136

XIII. Les jeunes femmes n'ont

point d'Amis 136

XIV. Fraternité 136

XV. Liaisons 136

XVI. Prévoyance 137

SUR LES FEMMES ET LE MARIAGE

i-m. Amour et mariage 137

IV. Comment les femmes s'a- imisent 137

V. Confédération des femmes. 137 vi-vii. Connaître et aimer les

femmes 138

viii. Définition de la femme . 138

IX. Divorce 133

X. Expérience des femmes 138

XI. Femme aimable 138

XII. Femme impeccable 138

XIII. La Femme qu'on rêve... 139

xiv-xvi. Femmes 139

XVII. Les Femmes et le célibat. 139 xviii. Les Femmes et l'Écri- ture 139

XIX. Femme présentée et non présentée 139

XX. Filles et femmes 140

XXI. Filles d'Opéra 140

xxn. Goût indestructible pour

les femmes 140

XXIII. Guerre des femmes. .. . 1-iO

XXIV. r.'Hcure des femmes. . . 140

XXV. Hymen 140

XXVI. Laideur 140

xxvii-xxix. Maris 140,141

xxx-xxxii. Mariage 141

xxxiii. Mariage des grands. . . 141

xxxiv. Mariage et célibat ... 141

XXXV. Mariage révoltant 141

xxxvi - XXXVII. Opinion des

femmes sur les femmes 142

XXXVIII. Repentir de Foute- nelle 142

XXXIX. Se vendre et se don- ner 142

XL. Le Sous-Eutendu et les

femmes U2

TABLE DES MATIERES.

376

SDR l'amour et l.K bAI.ANTERIE

I. Amant

n-ui. Amour 143, 144

xm. L'.Vraour de M. *** 144

XIV. Amour et amour-propre. 144

XV. L'Amour inJépeadant de

la raison 144

XVI. Amoureux 145

xvn.Ceqne donne une femme. 145

XVIII. Commerce guerrier.... 145

XIX. Compagnie (bonne).... 145

XX. Faveurs des femmes 145

XXI. Femmes 145

xxii-xxiv. Galanterie.. 14S, 140

XXV. IIomnK- amourcni et homme raisonnable 146

XXVI. Infidélité 146

xxvii. Inquiétude des amants. 146

XXVIII. Liaison 146

XXIX. One Maîtresse 146

XXX. Procès et coquette 146

XXXI. Scandale et respect hu- main 146

x.xxii. Secret des femmes. .. . 147

XXXIII. Sentiment et procédé. 147

XXXIV. Successeur et prédé- cesseur 147

SUR l'art dramatiqcb

i-n. Action dramatique 147

iii-iv. L'Amitié dans le drame. 148

V. L'Amour au théâtre 14S

VI. L'Amour dans la comédie. 143

VII. L'Amour dans la tragédie. 14'J

viu. Scènes d'Amour loi

ix-xii. Caractères dramatiques l'îî

xiii-xvi. Cœur humain.. ,154, 153

XVII. Comédie l ;i3

XVIII. Drame et époi^e 153

XIX. État violent I :J3

XX. Grands 153

XXI. L'Horrible dans le drame. 153 XXII -XXVI. Intérêt dramati-

que 153,154

XXVII. Malheur 154

xxviii-xxx. .Musique 154

xx.xi. Passion 154

xxxii. La Passion au théâtre. 154

xxxiii. Passions 155

xxxiv-xxxv. Personnages dra- matiques 155

xxxvi. Pitié 155

xxxvii. LaTerreurcomraeélé-

ment dramatique 155

xxxviii-xxxix. Les Vices au

point de me de l'art 1 55

376

TABLE DES MATIÈRES.

DEnZIÈME PARTIE

CARACTÈRES ET ANECDOTES

L'Académie de Soissons et

Voltaire ib7

Académie et mariage ) 57

Accord api^arent 157

De l'Accueil qu'on fait à une

lionue action 158

Administration, justice et cui- sine i 5S

Affaire et poëme 158

Affectation de vertu 158

D'Asiiesseaii et l'abbé Prévost. 159 D'Alembert et le bonheur de

madame Denis 159

AmabilitedcM.de 159

Le premier Auiaiit 159

Un Amant bien pleuré ICO

Un Ami du grand Condé 160

L'Ami de M. deLaPopeliniére. 160

Deux Amis intimes. 161

Amitié et antipathie 161

L'Amitié peut donner 161

Amour de la retraite 161

Amour de la vie 102

Amour et égoïsiuede LouisXV 162

Amour payable à vue 162

Les deuï Amours-propres de

M*** 162

Un sot Animal 163

L'Anti- Machiavel du roi de

Prusse 163

D'Ai'genson à la bataille de

Rauconi 163

D'Argensou et l'amant de sa

femme 163

Avec et non pnur l'Argent. . . 163

Les Arnica d'Achille 164

L'abbé d'Aru.iu>l cl mailamc

du Barry 164

Articles de foi et pilules 164

Athée et croyant 164

Avantages du veuvage 1 64

L'Avant-dernier 465

Avenir et passé 1 65

Aveux de madame Desparbès

à Louis XV 16b

Bon Avis d'un vieillard 165

Bon Avocat et bon ami 168

Le duc d'Ayeu et Louis XV. . 166

M. de B... et la perche 166

M. de B... et le public 166

M. de B. . . , Gênes et la Corse. 166

Ballet de maximes 167

Banqueroute sérénissime 167

Banqueroutes royales 1 67

La Bastille bien cachée 167

La Bastille désirée 1 67

Beauté d'Helvétius 168

Bénéfices nets du mariage ... 168

Les Bergeries de Florian 168

Le Beurre de l'Enfant-Jésus.. 168

Bienfaiteur et obligé 169

Le Bien mal fait 169

Le niaiéchal de Biron insol- vable 160

Bolingbiocke et Louis XIV.. . 16" Bonheur des morts et des vi- vants 170

Bonhomie d'un misanthrope.. 17o La Bonne aux cinq doigts .... ITu Bonne humeur de M. de Ga- lonné 17(1

Une Bonne œuvre 171

Bon sens dans la médiocrité . . 171

Bourdaloue à Rouen 171

M. de Breteuil et la marquise

de Créqui 171

TABLE DES MATIÈRES.

377

*M. de Dioglie et les v^rs de

Voltaire IT*

Biiiit. vent cl fiim. i;2

Bureau l^l•^;prit 172

Carliols eu Èsp^jçiie 172

('adpaiu (1p la Vierge 172

Café et travail Je Voltaire ... 172 La Cafetière liii marquis de

Chi>isoMl-la-Baniiie 173

Un Calembour 173

De la Calomnie f.Tatiiite 174

Le Caractère de M**' 174

Le Caractère de M*** 174

Caractère iitcorri;;ilile de M... 175 LesCartesde madame de Main- tenon 175

Les Cartes du roi de Prusse. . . 175 La Cassette de Louis XV et Le-

bel 175

Célébrité littéraire 176

Le Célibat 176

Ce que j'aime en vous 176

Ce qu'on oserait 176

Ce qu'on voit sur le peut

Neuf 176

Chacun nuit à tons 1 77

Une Chanson de Massillon. . . 177 Le prince de Charolais et M. de

Brissac 177

Le Chêne et le roseau 178

Le Cheval du voleur 178

Les Cheveui de la duchesse de

Fronsac. IM

I*s Cheveux de M. de Frise... 178 Les Chiens de Saiut-iMalo et

les suisses du roi 179

M. de Choiseul et le jésuite

Neuville 179

M. de Choiseul et les maîtres

de poste 180

.M. de Choiseul, ses lettres et

M. de Calonne ISO

Christine de Suède et Naudet. 181

Le Clergé de Foutenelle 181

La petite Clochette du comte

de Chabot ISi

Le Cocher dn roi de Prusse. . . 1 82 Cocher ou ambassadeur du roi

de Prusse 182

Le Cochon de Voltaire 182

Comédiennes au théiUre et co- médiennes à la ville 182

Comédie j^ans écho 183

Comme le roi est servi 183

Comment .M. d'Aiguillon de- vint mini.stre 183

Comment .M. de Maurepas de- vint ministre 183

La mauvaise Compagnie du che- valier de Montbarey 1S4

Complai.sant d'un ministre.. 184

Confession de Diderot 184

Confession d'une jeune fille . . 185

Couf-'é de M. de Senevoi .... 185 Bon Con.'eil de mademoiselle

Quinaull à M. de Chaulnes. 185 Conseil de .M. de Tiirenne à

un enfant 185

Considération 185

Constance de M. de Bissi ... 186

Le.s deux Coquettes 186

Le Cordon bleu de M. de Bou-

lainviiliers 186

Le Corps du maréchal de Lévis. 187

Un Corps saint 187

Correspondance aveclaVierge. 187

Le Oapaud de M. Lassey 187

La Croix de Saint- Louis de

l'Opéra 188

Cruche sans anse 188

Cynisme du comte d'Argensoa 188

Les Damnés de La Fontaine. . 188

L'abbé Dangean 189

Le Danseur de madame de

Slaurepas 18>J

Dauberval et Lekain 189

Décadence du duc de 19<i

Défauts 1 9<i

Madame Du Deffant et Massil-

lon mo

Déisme et christianisme l'.w

Delille et ses Gtortjiqws l o

378

TABLE DES MATIÈRES.

Démission de M. de Maurepas. 191 Une petite Demoiselle clair- voyante 191

Madame Denis et Zaïre 191

La Dent d'un avare 192

Le Dernier de madame Brisard 192 Derniers moments du duc

d'Aumont 1 92

Despote et médecin 193

Les Dettes du flls de M. de

Saint-Julien 193

Deuï grands débris 193

Diderot conciliateur 193

Dieu et le second déluge 194

Dien gentilhomme 1 9i

Dieu ingrat envers Louis XIV . 19-i

Dîner du roi de Pologne 194

Discours de réception 195

Dispute à l'Académie 195

Distique trop long 195

Diï-huit ans de Bastille bien

mérités 195

Donner et recevoir 196

Douleur perdue au jeu 196

Madame du Barry et madame

deBeauveau 196

Dubreuil et Pehméja 197

M. Dubuc 197

Les ciuq .mille Ducats de la

Gabrielli 197

Duclos et l'abbé d'Olivet 198

Duclos et le prédicateur de

Versailles... 198

Mademoiselle Diithé , sa dou- leur et sa harpe 198

Échecs à vingt-quatre sous.. . 198 Échelle des conditions de

M. de B 198

L'Écume de l'envie 199

L'Écumoire du comte de...

et du marquis de 199

Les ÉcHS de six livres de l'abbé

Terray 199

Bonne Édition de la Bible. . . 200 Madame d'Egraout et Du-

guesclin 200

Madame d'Egmont et M. de

Fronsac 200

Égoïsme et politesse 201

Éloge de la goutte... 201

Éloge de la poltronnerie 201

L'Emploi du temps et le roi de

Prusse .. 202

Mes Ennemis 202

L'Ennui d'un mari 20?.

Mesdemoiselles d'Entragues et

Bassompierre 202

Euvie d'être diffamé 202

Épigramme sur le vif 202

Erreur de sainte Geneviève.. 203

Espagnol et l'ortugais 203

Espion patriote 203

Esprit de M. de Lauzun 203

L'Esprit en l'air 204

Ni Esprit ni pucelles à Berne. 204

Le couile d'Estaing et la reine. 204

Estime dillicile 204

État perdu 204

L'Étoile de M. de Ghoiseul. . . 205

Étonnement de M. de Castries. 205

Étranger bien avisé 205

L'Évêque de Dol et son cru- cifix 206

Les F... et les B... de Duclos

à l'Académie 206

Le Faste des gouverneurs de

province 206

Fautes de régime 206

Femme de cour et homme de

robe 207

La Femme de M . deVergennes. 207

La Femme qu'il me faudrait. 207

Les Femmes 207

Les Femmes de quarante ans. 208 La Fenêtre- de madame de

Brionne 208

Festins meurtriers 208

Fierté de Satan 208

Filles et reines 208

Le Fleuve d'oubli 209

Foi de gentilhomme 209

Fontenelle et la collecte de

TABLE SES MATIERES.

379

l'Académie 209

Fontenelle et l'évAntail 200

Fontenelle et le gâteau des

rois 210

Fontenelle mourant 210

Fontenelle et la mort. 2t»

La Fortune du paradis 110

La Fortune et la gloire 210

Fonetnonsot 211

Franchise de la dncliesse de

LaVallière 211

Fripons et honnêtes gens .... 211

Le Garçon de lord Hainilton. 211

Un Gazetier circonspect 212

Générosité de M. de Galonné. 212

Les Gens du comte d'Artois.. 212

Géographie de la cour 212

Goiit de M 213

La Gontte et les bâtards des

princes 213

Le Gonverneur du duc de

Chartres 213

LaGràce 213

Grec ou Romain 2i3

Le comte de Grammont et le

livre d'Hamillon 2U

Sa Grosseur l'évcque d'Aulun. 214

Habileté de madame de G 214

L'Habit de La Calprenède ... 514

L'Habitude de sortir.. 214

M. de Harlay et ses conseillers 215 Madame Helvétins et Fonte- nelle 215

Le prince Henri et l'abbé Ray-

nal 215

Henri IV et Louis XIV 2t5

Heureni effet d'une lettre de

saint Jérôme 216

Hibon de .Minerve 216

Les Hi.Ntoires de Duclos et ma- dame de Rochefort 216

Les bonnes Histoires de ma- dame Ueluchet 216

(In Homme de lettres et un

duc 217

Un Homme empressé 217

Un Homme malheureut 217

Un Homme qui se connaît. . . 217

Un Homme trop modeste 217

Un Homme violent 217

Honnêteté de M. de Noailles . 218 Honnêteté et sincérité de ma- dame de 1 218

L'iloiiueurd'iin Itohan 218

I.es lluiires de M. de BuSba. . 218

Idée d'un sot 219

L'Illusion 219

Un Important S19

Impudence de la dnchesse

d'Orléans 219

Index de la philosophie 220

Indulgence de M. de R 220

Instruit et gentilhomme 220

Instrument sans luaucbe 220

Intrépidité et naïveté d'un

Américain 220

Inutilité nécessaire 221

L'Italienne, l'Anglaise et la

Française 221

Les Italiens de Rome 221

Le roi Jacques 221

La Jalousie de M. Barthe re-

ini.se à sa place 221

Jalousie du marquis de Ckate-

lui 222

1 Les Jambes et la tète du ma- réchal de Villars 222

I Le Jeu de Louis XV 222

Jeunesse et pensée 223

; Les Justifications publiques... 223 Laideur du comte de Mirabeau 223 Lamentati(ms d'un joueur. . . . 223 Le duc de Lauzun et M. de Ga- lonné 224

Le cardinal Aquaviva 224

Belle Leron à un joueur 225

Belle Leçon el belle fête don- nées par nu Anglais 225

Les Lettres et les femmes.. . . 226 Le médecin Levret et le dau- phin 226

yaisons 22fi

380

TABLE DES MATIERES.

Lire en gros 226

Liste des abus 227

Littérature d'un contrôleur gé- néral . 227

Louis XI V et Baron 227

Louis XIV et Gnype.l 228

Louis XV et Cahiisac . 228

Louis XV et la musique 228

Louis XV mourant 228

LaLunette de M. deVaudreuil. 229 Une Maîtresse refusée par

Louis XV 229

Manœuvres habiles de l'évéque

d'Autun 229

Le Mari convaincu 229

Le Mari de madame deChaul-

nes et les sacrements 230

Mariage et célibat. 230

Mariages temporaires. . .... 230

Maris 231

Mari susceptible 231

Le Marmiton de M. de Maugi-

ron 231

Marmontel et Boindin au café

Procope 23 1

M. de Marville et la police... 232

Le Masque de fer 232

Les Masques 232

L'abbé Maury, candidat à l'A- cadémie 233

La Médaille de Louis XIII et

du cardinal de Richelieu.. . 233

Le Médecin armé 233

Le Médecin de M. de Sully... 233

La Mémoire de M. de Tressan. 234 Le Ménage à trois de M. de

Nesle et de M. de Soubise. . 234

Mépris 234

La Mer et les Anglais 23b

Le Mérite du duc de 23b

Mérites gradués de l'abbé

Maury 23b

Une Messe pour huit sous .... 236

Milton et sa femme 236

Ministres et malades 236

LestroisMinistresdelIenrilV. 236

Mirabeau et M. de Galonné. . 237 La Mitre et le soufflet deM.de

Luynes 237

Moïse et les allumettes 237

Molière et les financiers 238

L'abbé de Molière et son vo- leur 238

Monseigneur Montazet et la

sœur du cardinal de Tencia. 239 Le Mont Etna et l'abbé Recu-

pero , 239

Madame de Montmorin et son

fils 239

La Mort du roi 240

Un Mol de J.-J. Rousseau . . . 240

Un Mot d'Arlequin 240

Un Mot de Fox 240

Joli Mot de Louis XV 240

Mot de madame de Maintenon

sur les évèques 241

Mot d'un abbé à un portier.. . 241

Mot d'un courtisan 241

Mot d'une jeune fille sur la

mort 241

Mot d'un major de place 241

Mousquetaire intelligent 242

Moyen de chasser un ministre 242 Moyen d'être l'amide M.Bar-

the 243

Muses, femmes ou maîtresses. 243

Naïveté de l'abbé Delille 243

Naïveté de madame deNoailles 243

Naïveté d e Voltaire 244

Naïveté écossaise. . .' 244

Naïveté et indiscrétion 244

Naïveté et vérité 244

Nature et société 245

Les Neuchàtelois et le roi de

Prusse 245

Ni père ni mari 245

Les Nobles au Pérou 245

La Noblesse de Savoie 245

Les Œufs d'un homme per- sonnel 246

L'CEuf de cane de madame

Geoffrin 24fi

TABLE DES MATIÈRES.

Opinion du prince de Conti sur

les princes 9-t6

Opinion publique 246

Opinion sur les feiniiios 24<>

Orgueil des jésuites 247

Oubli des hommes Î47

Le Paradis Je Uuclos 247

Le Pardon des bienfaits 247

Les Parents de M. de Noailles 247 Paris des ducs de Clioisenl et

dePraslin 248

Parler bien ne suffit pas 248

Partage de la Pologne 248

Le Particulier de la duchesse

du Maine 248

Les Passions de M 249

Pauvres rois 249

Pehméja et Dubreuil 249

Le Pénitent et son confesseur. 249

Perdre terre avec les femmes. 250 Un bon Père et quatre bons

fils 250

Perroquet et notable 250

Perruque et chevelure 250

La Personnalité des fautes... 251

Petite aide fait grand bien ... 251

Peur des dnels 252

M. de Pezay et M. Necker 2a2

Philosophie 252

Un Philosophe et la société. . . 252

Pierre l" .\ Spithead '252

La Pierre phiïosophale et ma- dame d'Éprémenil 253

La Place et la femme 253

Plaire 253

Pleurer et souper 254

Poésie et bonnet de nuit 254

La Poésie et M de Vergennes. 254

La Police et la peste 254

Portier trop délicat 254

Portrait de madame de Ne- mours par Vendôme 255

Portrait de madame Lamotte. 255

Portrait de M 255

Portrait de M. d'Épinay par

Diderot 255

Fort-Hoyal et Racine

La Postérité de M. Thomas. . Pourquoi l'Angleterre est un

lion pays

Pourquoi l'on est plus honnête

en France avant qu'après

trente ans

l'ounpioi me marierais-je?... Pourquoi M. L. n'écrivait pas.

Poiissii'ie et boue

Un Prédicateur de la Ligue . . . Présent de Louis XV à M.d'É-

tiolles

Prière d'nn célibataire

Problème de Maupertuis. ... Prodigalité du roi Stanislas. .. Profession de foi andaciense de

M. de Breteuil ....

Progrès de la noblesse

Les Progrès d'une cure

Projet de cour plénière

Prudence de l'abbé de Saint- Pierre

Le Public et les femmes de la

Halle

Le Public et M

Purisme de M. Beauuée

Purisme du prince de Beauvean

Pyrame et Baucis

Question épineuse

Qui perd gagne

Quitter et tromper

M. de R... bien jugé

Réclamation du comte d'Orsay

Réconciliation utile

Les Redites

Les trois Refus de Fontenelle. Le Régent et Dubois au bal

masqué

Le Régent et le président Bi-

ron

Règnes trop longs

Remarque d'un misanthrope . La Renommée et le duc de

Chabot

Repartie d'Aronet an régent .

381

255 256

256

256 25fi 257 257 257

257 257 258 258

258 258 258 259

259

259 259 260 260 260 260 26U 261 261 26 1 261 261 262

262

262 262 262

263 263

382

TABLE DES MATIERES.

Réponse à lord Marlborough . 263 Réponse à une question em- barrassante 264

Bonne Réponse à un sot 264

Réponse de l'évêque d'Agde à

>mfat 264

Réponse de M. de Laiiziin . . . 264 Jolie Réponse de madame de

Broglie à son mari 26S

Réponse de Rullière 265

Réponse de Turgot à Uelille.. 26S Réponse d'un soldat au roi de

Prusse 266

Réponse d'un ■veuf 266

Réponse péremptoire de l'abbé

de 266

Le Représentant de Genève et

le représentant du roi 266

Retour d'Allemagne 266

Retour de Versailles 266

Les Révolutions de Ycrtot . . . 267

Les malheureuï Riches 2i''7

Les Rochers en or de M. de

Colbert 267

Le Roi de cent mille hommes. 267 Le Roi de Prusse et le général

Quiutus 267

Le Roi de Prusse et le roi de

France 268

Le Roi de Prusse et l'uniforme. 26S

Roi et banquier 268

Le Roi se porte bien 268

Les Romans selon M. de V 269

Le faux Roué 269

J.-J. Rousseau et le courtisan. Î69

J.-J. Rousseau joueur d'échecs 270

Le poëte Roy et Voltaire. ... 270

L'abbé S . . . "et l'abbé Petiot . . 270 Sage précaution de M. de Ro-

quemont 270

Le marquis de Saint-Pierre et

Richelieu 270

Le Saint de madame de Para-

bère 271

Le Salut de Voltaire 271

Les quatre Saluts du médecin

de madame DuDeffant. ... 271

Sang-froid d'un porteur d'eau. 271

La Santé, à quoi elle tient 272

Saurin et l'honnêteté de M. de

Foncemagne 272

Le maréchal de Saie et M. de Thyange à la bataille de

Rauconi 272

M. de Schv?alow-Pompadour. 272

Sur le Secret 273

Le Secret de Diderot 273

Le Secret de M. de Choiseul. . 273

Semer des ronces 274

Le Sexe du style 274

Le Siège de Jtf ahon 274

M. de Silhouette et le prince

de Gonti..,. 274

Sinécure de l'Écluse 275

Singularités amoureuses 275

Sixte-Quint payant ses dettes

de cordelier 275

Solitaire et non misanthrope . 275

Un ami de la Solitude 276

Le Sommeil de madame la

dauphine 276

Le Soulier de madame de

Montpensier 276

Souper chez M. de Conflans.. 276

Les Soupers de Marly 277

Les Soupers de M. de La Rey-

nière 277

Stainville et Vaubecourt 277

Stanislas et l'abbé Porquet. . . 278

Stanislas et Bassompierre.. . . 278

Survivance d'une poupée .... 278

LaTabledeM. deLaReynière. 278 Talent épistolaire du dauphin

élève de Bossuet 278

Madame de Talmont et Riche- lieu 279

Tant pis, tant mieux 279

Témérité du maréchal de Bro- glie 279

Le Temple de Guide et ma- dame Du Deffant 279

Madame de Tencin 280

TABLE DES MATIÈRES.

388

Madame àc Tencio jugée par

l'al.l.é Tiublct 280

Mesdames de Tessé et de Champagne après la mort

de Dubrmùl 2S0

Toujours aimé 280

Toujours novice 281

Tournebroche politique 281

Tracassier en bien 281

Le Traité de commerce avec

l'AnptetPrre 281

Petits Traités de d'Alembert.. 282

T.e Travail en Espagne. 282

Le Tremblement de terre de Lisbonne et le roi de Portu- gal 282

Le docteur Tronchin 283

Tuiles et chaumes 283

Tureiiue au début d'une ba- taille 283

Tnrgot disgracié 283

Le meillenr des Tyrans 283

Union assortie 284

Universalité de Voltaire .... 284

De l'Utilité de jurer 284

Utilité de l'esprit 284

Utilité des femmes 284

Utilité du goiivi'rnement 28!i

La Vaisselle du duc d'Ajen.. t8.>

Vanité de Lelellier-Louvois. . 285

Vanité de M . de Fronsac .... 287

Vanité des petits 288

L'abbé Vatri solliciteur 288

M.dc Vaudreuilet C 288

Vengeance dillicile 288

M. de Vergennes et M. de Bre-

teuil 289

Versailles déÛni 289

La Veuve du Malabar 289

Le Viager do Collé 289

Le bon et le mauvais Vin.... 290

Vices et vicieux 290

Vieui cardinal et jeune abbé . 290

VisitesdeM 290

Vocation décidée 290

Le Voleur de Diderot 291

Voltaire à Potsdaui 291

Voltaire et Vaucauson 292

M. de Ximenès bien jugé .... 292

FRAGMENTS INIËDITS

Ainoureui pris au dépourvu. . 292

Une Anglaise bien éprise .... 292

Appétit 2y2

Armide et Renaud 293

Bienfaiteurs maladroits 293

Ghaugement capital 293

Chanson d'Hercule 293

La Chapelle de M. Bressard.. 293

Les Coiupilateurs 294

Consultation t94

Coquetterie de la duchesse

d'Olonne 294

Corruption des vieillards 294

Madame Cramer et madame

Tronchin i94

Le Curé indulgent 29î>

Despotisme 29S

Dieuetleroi 295

Un Docteur ingénu •.. 295

Entre les deux 295

Une Femme bien regrettée. . . 295

Folie et sagesse 296

Générosité des héritiers.... .. 296

Heureux les aveugles 296

Impertinence de M. de Cbaro-

lais 296

Ingénuité du dauphin 297

Jalousie mal placée 297

Lcron donnée à un amant... 297

Lectures demandées 297

Le Lierre et le courtisan 298

Un Malade imaginaire 298

384

TABLE DES MATIERES.

Manœuvres des laides 298

Mariage de d'Aiibigné 298

Mélancolie 298

Les Messes de M. de Villars . 298

Moines et philosophes 299

Mot de M 299

Naïveté d'un juge 299

Paroles d'un riche 299

Proverbes 299

Puissance spirituelle 300

Rajeun' ■■«etnent 300

Reconnaissance 300

Revirement bien justifié 300

Sensibilité d'une petite fille. . 301

Be la Tentation 301

Tête et caboche 301

Trait de sincérité académique. 301

L'abbé Trublet 301

Vices nécessaires dans le

monde 302

Le Toisin importun 302

Voyage en Italie 302

DIALOGUES

LesAniie.s

Bienfaiteur intelligent

Ce que femme veut

Il y a commencement à tout.

Contre le mariage

Deux Courtisans

L'Effet du hasard

Les Enfants de madame ***.

Époux inconsolable

Espérance

303 Explication laconique 305

303 Le Mari qui ne sait rien 305

303 Myope et presbyte 306

303 Le Nœud et l'intrigue 306

304 Une Opinion mûrie 306

304 Place honnête 307

304 Plus ou moins jeune 307

304 Le Roi de Prusse et d'Arget... 307 30b Saumon et conseiller 307.

305 !

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