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MM

I

PENSÉES

DU PERE

BOURDALOUE.

PE NSÉE S

DU PERE

BOURDALOUE,

De la Compagnie de Jésus ,

SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION ET DE MORALE*

TOME PREMIER. *_ : . , , i— %

Septième Edition.

A PARIS,

Chez la Veuve Desaint, Libraire ; rue du Foin Saint - Jacques.

st»iy*i!na!awwwWi*B^afe-^- ; -■■-.: ~~-

M. DCC. LXXIV.

'Avec Approbation & Privilège du Ro'u J

ADâMSi

A VER TISSEMENT.

E m'acquitte de la parole que je donnai il y a quel- ques années , lorfque je fis paraître les Exhortations & les Inftru&ions du Père Bourdaloue. Dans rAvertiflement qui eft à la tëtQ de ces deux Volumes d'Inf- truâions & d'Exhortations , je m'engageai à un nouveau travail 5 fans fçavoir bien il me condui- roit ^ ni fi j'aurois de quoi remplir le deffein que je m'étois propofé» Quoi qu'il en foit , je promis de faire une nouvelle révifion des Manùfcrits du Père Bourdaloue, & de recueillir tout ce que j'y trou- verais de Penfées détachées ^ de Réflexions , de Fragmens qui fe- roient demeurés imparfaits 3 &

vj AVERTISSEMENT.

qu'il n'auroit point employé clans fes Sermons.

Car avant que de compofer un Sermon j le Père Bourdaloue fai- foit ce que font communément les Prédicateurs. Il jettoit d'abord fur le papier les différentes idées qui fe préfentoiènt à lui touchant la ma- tière qu'il avoit en vue de traiter. Il marquoit tout confufément , & fans aucune liaifon.%Mais s'étant enfuite tracé le plan de fon dif cours , il choififlbit ce qui lui pou- voit convenir , & laiffoit le reïte. Ce refte néanmoins qu'il laiffoit comme fuperflu , avoit fon prix 5 & c'efl de quoi il m'a paru que je pouvois former un recueil j fous le titre général de Penfées fur di- vers fujets de Religion & de Morale,

Cependant , il y falloit mettre quelque ordre , & tellement diïtri- înier ces penfées, que celles qui ont rapport à un même fujet , fut fent toutes réunies fous un titre particulier. Cela même ne fuffifoit

AVERTISSEMENT, vij

point encore*: mais de ces Penfées les unes étant bien plus étendues que les autres , il a fallu faire des premières comme autant d'articles ou de paragraphes , & ranger les autres indifféremment ôcfans fuite, fous le fimple titre de Penfées di~* verfes. Tout cela, comme on le juge affez , demandoit que l'Edi- teur mît un peu la main à l'œuvre, pour difpofer fes matières,, pour les lier ou les déyelopper y pour les finir & leur donner une certai- ne forme : mais je n'ai rien fait à l'égard de ce recueil de Penfées , que je n'eufle déjà fait à l'égard des Sermons, Exhortations, Inf truâions y & de la Retraite fpiri-* tuelle du même Auteur.

Voilà tout le compte que j'ai à rendre de ces Opufcules, qui com- mencent à voir le jour. Car ce ne font ici proprement que des Opuf cules ; mais il me femble que l'illuftre Auteur dont ils portent le nom ne fera point méconnoiffable*

vlîj AVERTISSEMENT.

Les hommes d'un génie fupérieur fe font par-tout connoître 5 & juf- ques dans les moindres chofes ils gardent toujours leur caradère. Le Public en jugera % & peut-être me fçaura-t-il gré de la confiance avec laquelle je me fuis appliqué depuis près de trente ans à lui donner une Edition complette des Œuvres du Père Bourdaloue. Il n y avoit rien à perdre d'un fi riche fonds; & c'ëft beaucoup pour moi , fi je puis penfer qu'il n ait point dépéri dans mes mains.

PENSÉES

PENSEES

SUR DIVERS SUJETS

DE RELIGION,

ETDEMORALE.

DU SALUT.

NéceJJîté du Salut & Vufage que nous

en devons faire contre les plus

danger euf es tentations de la vie.

N parle du Salut comme d'une affaire fouverainement importante 5 & on a raifon d'en parler de la forte. Mais c'eft trop peu dire : il faut ajouter que c'eft une affaire abfolument néceffaire \ &c ce fut l'idée que le Sauveur des hom- mes en voulut donner à Marthe . dans Tome L A

% Nécessite

jLue» $p cette grande leçon qu'il lui fit : Marthe A ^Q* vous vous inqidéte^ & vous vous émbarraf- fe% de bien des chofes ;mais une feule chofc ejl néceffaire.

Ce n'eft donc point feulement une affaire d'une importance extrême que le Salut , mais une affaire d'une abfolue nécelîité. Entre l'un ôc l'autre la diffé- rence eft effentielle. Qu'on me faffe en- tendre qu'une affaire m'eft importante Ôc très-importante , je conçois précifé- ment par-là que je perdrai beaucoup en la perdant, fans qu'il s'enfuive néan- moins que dès-lors tout fera perdu pour moi , ôc qu'il ne me reftera plus rien. Mais que ce foit une affaire abfolument néceffaire , ôc feule néceffaire, je conclus ôc je dois conclure , que fi je venois à la perdre , tout me feroit enlevé , ÔC que ma perte feroit entière ôc fans ref- fource. Or tel eft le Salut.

Affaire néceffaire , Ôc feule néceffaire : néceifaire, puifque je ne puis me paffer du Salut : feule néceffaire , puifque , hors le Salut , il n'y a rien dont je ne puiffe me paffer. Je dis , néceffaire , puif- que je ne puis me paffer du Salut : car c'eft dans le Salut que Dieu a renfermé toutes mes efpérances , en me le propo- fant comme fin dernière , ôc c'eft de-là

D U S A L U T. $

que dépend, mon bonheur pendant toute l'éternité. Je dis feule nécelfaire , puis- qu'il n'y a rien, hors le Salut , dont je ne puifle me pafTer. Car je puis nie paifer de tout ce que je vois dans le monde j je puis me palier des richeifes du monde , je puis me pafïer des honneurs & des grandeurs du monde ; je puis me paiTer des aifes & des récréations du monde. Tout cela , il eft vrai , ou une partie de tout cela peut m'être utile , par rapport à la vie préfente , fuivant l'état & la condition je me trouve ; mais enfin je puis me paiTer de cette vie préfente fe mortelle , êc il faudra bien , tôt ou tard , que je la perde. Par consé- quent je n'ai de fonds à faire que far le Salut : c'eft-là que je dois tendre incef- famment , uniquement , nécefTairement , à moins que par un affreux défefpoir je ne confente à être immanquablement , pleinement , éternellement malheureux. Terrible alternative , ou un malheur éternel , qui eft la damnation j ou une éternelle béatitude , qui eft le Salut .. Voilà fur quoi je fuis obligé de me dé- terminer , fans qu'il y ait aucun tempé- rament à prendre. Le Ciel ou l'Enfer, point d'autre deftinée. Si je me fauve, le Ciel eft à moi ôc il ne me fera jamais

Ai;

"4 NÉCESSITE

ravi. Si je me damne , l'Enfer devient irrémiiliblement mon partage > ôc jamais je ne cefTerai d'y fournir. Car la mort n'eft point pour nous un anéantnTement y ce n'eft point , comme pour la bête , une deftru&ion totale. Au contraire , l'homme en mourant , ne fait que chan- ger de vie j d'une vie courte ôc fragile , il pafTe à une vie immortelle ôc perma- nente. Vie qui doit être pour les élus le comble de la félicité ôc le fouverain bien ; vie qui fera , pour les réprouvés , la fouveraine mifére ôc l'afTemblage de tous les maux. Ainfi Dieu dans le confeil de fa fagefTe l'a-t-il arrêté, ôc fes décrets font irrévocables. Voilà ma créance , voilà ma Religion.

De-là même , affaire tellement né- celïaire , qu'il ne m'eft jamais permis en quelque rencontre que ce foit, ni pour qui que ce foit , de l'abandonner. Un père peut facrifier fon repos & fa fante pour fes enfans. Un ami peut re- noncer à fa fortune , ôc fe dépouiller de tous fes biens pour fon ami. Bien plus , il peut , en faveur de cet ami y facrifier jufqu'à fa vie. Mais s'agit-il du Salut , il n'y a ni lien du fang ôc de la nature , ni tendrefle paternelle , ni amitié étroite qui puiffe nous autorifer à faire le facrifîce

D U S A L U T. 5

«l'un bien fupérieur à toute liaifon hu- maine , de à toute confidération.

Plutôt que de confentir à la perte de mon ame , je devrois , s'il dépendoit de moi , laifTer tomber les Royaumes 8c les Empires , je devrois laifTer périr le mon- de entier. Et ce n'eft point encore aflez : car, félon les principes de la morale évan- gélique , 3c félon la loi de la charité que je me dois indifpenfablement à moi- même , non-feulement ii ne m'eft pas libre de facrifier en quelque manière que ce puifTe être , mon Salut j mais il ne m'eft pas même permis de le hazar- der & de l'expofer. Le feul danger vo- lontaire , ii c'eft un danger prochain ,' eft un crime pour moi j éV quoiqu'il m'en pût coûter 5 ou pour le prévenir 9 ou pour en for tir , je ne devrois rien ménager ni rien épargner : fallût-il en venir à toutes les extrémités ; fallût-il quitter père , mère , frères , fœurs ; fal- lût-il m'arracher l'œil ou me couper le bras : pourquoi cela ? toujours par cette grande raifon de la nécefîîté du Salut , qui prévaut à tout , & l'emporte fur tout*

Allons plus loin ; & pour nous faire mieux entendre , réduifons ceci à quel- ques points plus marqués & plus ordi- naires dans la pratique. Je prétens donc

A iij

6 C ! S S ï T i

que cette néceffité du Salut bien mécu% tée ôc bien comprife , eft * avec le fe- cours de la grâce , le plus prompt & le plus puiffant préfervatif centre toutes les tentations dont nous pouvons être afïaiilis , chacun dans notre état. Mais fa/is enibraffer trop de chofes , & fans nous engager dans un détail infini 3 bor- nons - nous à certaines tentations par- ticulières y plus communes 5 pins fpé- cieufes , plus violentes , qui naifTent de la néceilité de du befoin l'on peut fe trouver en mille occaiîons , par rapport aux biens temporels & aux avantages du fiécle. Je m'explique.

Il y a des extrémités fâcheufes fe trouvent réduits une infinité de perfon- nes ; Se que fait alors l'ennemi de notre Salut , ou , pour mieux dire , que fait la tiature corrompue , que fait la paillon Se l'amour ptopre , plus à craindre mille fois pour nous que tous les démons? G'eft dans des conjonctures fi critiques Bc fi périlleufes , que tout concourt à nous féduire & à nous corrompre. Le prétexte de la néceilité nous devient une prétendue raifon dont il eft difficile de fe défendre , 8c la confeience n'a point de barrières fi fortes, que cette néceilité ne puiffe nous faire franchir*

duSalut, 7

Par exemple , on manque de toutes chp- fes , Se pourvu qu'on voulût s'écarter des voies de l'équité Se de la bonne foi , on ne rrtanqueroit de rien, on auroit non-feulement le néceiTaire , mais le commode , & on l'auroit abondamment» On voit décheoir fa famille de jour en jour -, elle eft fur le point de fa ruine ; Se pourvu qu'on voulût entrer dans les in- trigues criminelles d'un Grand , Se fé- conder fes injuftes defTeins, on en fe- roit un patron qui la foutiendroit Se l'é-* leveroit. On eft embarqué dans une affaire de conféquence 5 c'eft un procès dont la perte doit caufer un dommage irréparable : il eft entre les mains d'un Juge accrédité dans fa compagnie j Se au lieu de folliciter ce Juge affez inuti- lement , fi l'on vouloit aux dépens de la vertu , écouter de fa part d autres foîK- citations , Se y condefeendre , .on pour- roit ainfi fe procurer un arrêt favorable Se un gain allure. On a un ennemi dont on reçoit mille chagrins j c'eft un hom- me fans raifon &fans modération, qui îious butte en tout , qui nous perfécute j Se ii l'on vouloit ufer contre lui de cer- tains moyens qu'on a en main, on feroit bien-tôt à couvert de {es atteintes. Quel empire ne faut-il pas prendre fur foi S&

Aiiij

S Nécessité

fur les mouvemens de fon cœur, pouf ne pas fuccomber à de pareilles tenta- tions , & pour demeurer ferme dans fou devoir ?

Car encore uno fois de quoi n'eft-on pas capable , quand la néceiîité prerTe , 8c a quoi n'a-t-elle pas porté des millions de gens , qui du relie avoient d'affez bonnes difpoiitions , 8c n'étoient de leur fonds ni vicieux , ni méchans ? De com- bien d'iniquités la pauvreté 8c l'indi- gence n'eft-elle pas tous les jours le prin- cipe ? Combien a-t-elle fait de fcélé- fats , de traîtres , de parjures, d'impies y d'impudiques , de raviffeurs du bien d'au* trui , 8c de meurtriers , qui fans cela ne l'auraient jamais été j qui ne l'ont été en quelque manière que malgré eux 8c qu'a- vec toutes les répugnances poflibles j mais enfin qui l'ont été , parce qu'ils ont cru y être forcés ? Non - feulement ils Font cru , mais de-'là fouvent ils fe font periuadés que jufques dans leurs crimes ils étoient excufables y 8c voilà ce qui rend encore la néceiîité plus dangereufe. On fe fait aifément de faufTes confcien- ces , on étouffe tous les remords du pé- ché j on fe dit à foi - même que dans la foliation l'on eft 8c dans toutes fes circonilances qui l'accompagnen

©uSalut. 9

il n'y a point de loi , & que tout eft permis : on exagère cet état , dont on veut fe prévaloir ; & l'on prend pour dernière extrémité & pour néceilité ab- folue , ce qui n'eft que difficulté , qu'in- commodité , que l'effet d'une imagina- tion vive & d'une exceiîive timidité. Quoi qu'il en foit , tout cela mené à d'étranges conféquences , & les fuites en font af- freufes.

Or quel eft pour nous , en de fembla- bles attaques , le plus folide appui & le foutien le plus inébranlable ? le voici. C'eft de fe retracer fortement le fouve- nir de cette maxime fondamentale , il Luc, e. n'y a qu'une chofe nécejfaire ; c'eft de I0, * s'armer de cette penfée 5 félon la figure de l'Apôtre , comme d'une cuirajje 3 comme %vM* d'un cafque , comme d'un bouclier qui ré-* (ifle aux traits les plus enflammés de l'ef- prit tentateur , & que rien ne peut péné- trer. C'eft a dis-je , d'oppofer néceilité à néceilité ) la néceilité de fauver fon ame 5 qui eft une néceilité capitale & fouve- raine , à la néceflité de fauver fa fortune, de fauver fes biens , de fauver fa vie.

Car je dois ainfi raifonner : il eft vrai , je pourrais rétablir mes affaires , fi je vou- lois relâcher quelque chofe de cette in- tégrité fi.exa&e ci fi févére , qui n'eft

ÎO N É C £ S g I T I

guéres de faifon dans le tems nous lommes , Se qui m'empêche de faire les mêmes profits que tant d'autres : mais en me rétablifïant ainil félon le monde 3 je me perdrois félon Dieu , je perdrois mon ame : or il la faut fauver. 11 eft, vrai , je ne me rends pas à telle propofition qu'on me fait , je choquerai le maître qui m'employe ; j'aliénerai de moi le pro- tecteur qui rn'a placé , & qui peut dans la fuite me faire encore monter plus haut , je ferai obligé de me retirer ; Se n'ayant plus perfonne qui s'intéreife pour moi , ni qui m'avance 5 je relierai en arrière , Se que deviendrai-je ? Il n'im- porte : en acquiefçant à ce qu'on me de- mande , j'offenferois un Maître bien plus puifïànt que tous les maîtres Se tous les Potentats de la terre 3 Se pour conferver de vaines efperances, je facri- fierois un héritage éternel , je facrifierois mon ame Se je la damne rois : or il la faut fauver. Il eft vrai, l'occafion eft belle de me tirer de l'oppreffion je fuis , Se d'abattre cet homme qui ne cefTe de me nuire Se de me traverfer } mais en me délivrant des pourfuites d'un ennemi 3 qui 3 malgré toutes fes violences 3 Se quoiqu'il entreprenne contre moi , ne peut après tout me faire quun mal

du Salut» ii

pafTager , je me ferois un autre ennemi bien plus redoutable , qui eft mon Dieu , & qui de fon bras vengeur peut égale- ment & pour toujours porter fes coups fur les âmes comme fur les corps. A quoi donc expoferois-je mon ame ? or il la faut fauver. Il eft vrai , ma condition eft dure , Se je mené une vie bien trifte ; je n'ai rien , 3c je ne vois point pour moi de refTource. On me fait les offres les plus engageantes 3 & fi je les rejette, me voilà dans le dernier abandon nement, & dans la dernière mifére : mais d'ail- leurs je ne les puis accepter qu'au préju- dice de l'honneur , &c fur - tout qu'au préjudice de mon ame ; or il la faut fauver. Oui , il le faut , & à quelque prix que ce foit , & quelque peine qu'il y ait à fubir. Il le faut , oc quelque infortune, quelque décadence , quelque malheur qui en doive fuivre par rapport aux inté- rêts humains. Il le faut ; car c'eft le feul nécefTaire , le pur nécelfaire. En- core une fois je dis le pur 5 le feul né- cefTaire , parce que en comparaifon de ce nécefTaire rien n'eft proprement , ni ne doit être cenfé nécefïaire ; parce que dès qu'il s'agit de ce nécefTaire , toute autre chofe qui s'y trouve en quelque forte op- pofée > cefTe dès-lors d'être nécefTaire ^

îi Nécessite

parce que ceft à ce néceifaire que doi- vent fe rapporter , comme à la régie pri- mitive & invariable , toutes mes délibé- rations , toutes mes réfolutions 5 toutes mes aérions. Daniel. Ce fut ainfi que raifonna la chafte Su* ax/3' fanne , lorfqu' elle fe vit attaquée de ces deux vieillards qui voulurent la féduire , & qui la menaçoiént de la faire périr , fi elle ne confentoit à leur paillon. Que ferai-je, dit-elle 5 dans le cruel embarras je fuis ? quelque parti que je prenne 5 je ne puis éviter la mort : mais il vaut mieux que je pèrirTe par vos mains , que de pécher en la préfence de mon Dieu 5 de de périr éternellement par l'arrêt de fa *L&M<I" juftice. Ce fut ainfi que raifonna le gêné- £• z6, reux Eléazar , lorfoue de faux amis le follicitoient de manger des viandes dé- fendues félon la Loi , & de fe garantir par-là de la colère du Prince. Ah ! ré- pondit ce zélé défenfeur de la religion de fes pères , en obéiffant au Prince Se en fuivant le confeil que vous me don- nez, je pourrais pour le tems préfent me fauver du fupplice je fuis condamné 3 ëc prolonger ma vie de quelques années ; mais vif ou mort , je ne me fauverai pas des jugemens formidables du Tout-puif fant j & qu'y a-t-il de fi rigoureux , qu§

du Salut. i$

je ne doive endurer , plutôt que d'en- courir fa haine , Se de renoncer à fes promefTes ? C'eft ainfi que raifonnoit Saint ?om,c,X Paul , ce vaifTeau d'élection , Se ce Doc- teur des nations. Il fe repréfentoit tout ce qu'il y a de plus effrayant , de plus affligeant , de plus défolant. Il fuppofoit que la tribulation vînt fondre fur lui de toutes parts } qu'il fut accablé d'ennuis , prefTé de la faim , tourmenté de la lbif , environné de périls ; qu'il fût abandonné aux perfécutions , aux croix , aux glaives tranchans j que dans un déchaînement général , tout l'univers fe foulevât contre lui , la terre , la mer , ôc toutes les puilTances célefles , toutes les puiiTances infernales , toutes les puilTances humaines : il le fuppofoit , Se à la vue de tout cela , il s'écrioit : Qui me féparera de la charité de Jefus- Chrift ? Il alloit plus loin ; Se par la force de la grâce qui le tranfportoit , s'élevant au-defïus de tous les événemens 3 il ofoit fe répondre de lui-même , Se ajoûtoit : Je le feai _, & j'en fuis certain j que ni la mort j ni la vie j ni les Anges ., ni les principautés y ni le préfent j ni V avenir _, ni ce qu'il y a de plus haut j ni ce qu'il y a de plus bas ^ ni quelque créature que ce foitj ne pourra me détacher de l'amour de

!4 Nécessité

Dieu j mon Seigneur & mon Sauveur. Voilà comment parloir ce grand Apôtre. Et d'où lui venoit cette confiance êc cette fermeté infurmontable ? c'eft qu'il conce- voit de quel intérêt , de de quelle néceflité il étoit pour lui de fauver fon ame, en fe tenant toujours étroitement de infépara- blement attaché au Dieu de fon Salut.

Ce font là, dit -on, de beaux fenti- mens , ce font de belles réflexions : mais après tout , on ne vit pas de ces fenti- mens ni de ces réflexions , de cependant il faut vivre. Avec ces réflexions on ne fait rien , on n'amaffe rien , on ne par- vient à rien ; 3c toutefois il faut avoir quelque choie , il faut faire quelque chofe , il faut parvenir à quelque chofe. J'en conviens , on ne vit pas de ces ré- flexions ; mais de ces réflexions on ap- prend à mourir fi l'on ne peut vivre fans rifquer le falut de fon ame. Je l'avoue , avec ces réflexions on ne fait rien dans le monde , on n'amaffe rien , on ne par- vient à rien ; mais de cqs réflexions on apprend à fe paffer de tout, fi l'on ne peut rien faire , ni rien amaffer , ni par- venir à rien , fans expofer le falut de fon ame. Difons mieux , on apprend de ces réflexions , que c'eft tout faire que de faire fon falut , que c'eft tout gagner que

du Salut. 15

tTamaffer un tréfor de mérites pour le falut , que c'eft parvenir à tout que de parvenir au terme du falut. Voilà ce que ces réflexions ont appris à tant de Chré- tiens de l'un & de l'autre fexe : car mal- gré la corruption , dont tous les états du monde ont été infe&és , il y a toujours eu dans chaque état des fidèles de ce .caractère , prêts à quitter toutes chofes pour mettre en fureté leur falut j il y en a eu , dis-je , & plaife au Ciel qu'il y en ait toujours ! La néceffité du falut étoit- elle autre chofe pour eux que pour nous ? y étoient-ils plus intéreiTés que nous ? Non , fans doute : c'étoit pour eux & pour nous la même néceffité ; mais ils y penfoient beaucoup plus que nous j & en y penfant plus que nous , ils la comprenoientauiîi beaucoup mieux que nous. Penfons-y comme eux , médi- tons-là comme eux , nous la compren- drons comme eux ; Se en la comprenant comme ils l'ont comprife 5 nous en fe- rons comme eux notre affaire eiTentielle , & nous y adrelTerons toutes nos préten- tions & toutes nos vues.

Mais , hélas ! les portons - nous ? Quand je vois les divers mouvemens dont le monde eft agité , de qui font ce <ju on appelle 1# commerce du monde \

j6 Nécessite

quand je vois cette multitude confufe de gens qui vont ôc qui viennent 7 qui s'em. preiTent ôc qui fe tourmentent 3 toujours occupés de leurs deffeins , ôc toujours en action pour y réuiîîr ôc les conduire à bout , n'ayant que cela dans l'efprit , n'afpirant qu'à cela , ne travaillant que pour cela , au milieu de ce tumulte j'irois volontiers leur crier avec le Sage : Hom- mes dépourvus defens 3 & aujji peu rai- 'Sap. c. Jonnables que des enfans à peine formés & ' fortis dufein de leur mere^ à quoi penfez vous ? que faites -vous ? Hors une feule Eccl. c,ck0fe> tout k re&e nefi que vanité ^ ôc $• *. par une efpéce d'enforcellement , cette vanité vous charme , cette vanité vous entraîne , cette vanité vous polfede aux dépens de l'unique nécefTaire ! Je le di- ïois aux grands ôc aux petits , aux riches ôc aux pauvres 5 aux fçavans ôc aux igno- rans. Malheur à quiconque ne m'écou- teroit pas , ôc dès-à-préfent , malheur à quiconque demeure là-deffus dans une indifférence ôc un oubli qu'on ne peut affez déplorer.

4

Eftimt

bu Salut. 17

Eftinie du Salut > & delà gloire du

Ciel, par la vue des grandeurs

humaines.

C'eft une morale ordinaire aux Pré- dicateurs 5 d'infpirer du mépris pour toutes les pompes ôc toutes les gran- deurs du monde. Us en font les peintu- res les plus propres à les rabanTer dans notre eftime ôc à les dégrader. De la ma- nière qu'ils en parlent ôc dans les termes qu'ils s'en expliquent 5 ce ne font que de vaines apparences , que des fantômes ôc des illufions qui nous féduifent 5 ôc dont nous devons 3 autant qu'il eft pofïible , détourner nos regards. A Dieu ne plaife que je prétende en aucune forte déroger à la vérité & à la fainteté de cette Mo- rale. Je l'ai prêchée comme les autres , en plus d'une rencontre j ôc je fuis bien éloigné de la contredire , puifque ce fe- roit me contredire moi - même : mais après tout , quoique nous en puifïîons dire , il faut toujours convenir que ces grandeurs ôc ces pompes humaines , méprifables d'ailleurs , ne laifTent pas d'avoir quelque chofe en effet de pom- Tome L B

I g E 5 T I M'!,"

peux & de brillant, quelque chofe de grand & de magnifique 'y 8e c'eft par il me femble , non-feulement qu'il eft permis y mais qu'il peut être très-utile i un Chrétien de les envifager ? pourvu qu'on les envifage chrétiennement. Don- nons jour à cette penfée. ?/. iS. Les Cieux 5 dit le Prophète Royale nous annoncent la gloire de Dieu , le Firmament dont il eft l'Auteur y nous fait connoître l'excellence de l'Ouvrier qui l'a formé. Auiîi eft-ce en conféquence de ce principe , 8c conformément à cette parole du Prophète , que l' Apôtre Saine Paul reprochoit aux Sages de l'antiquité ,. de n'avoir pas glorifié Dieu félon la con- nohTance qu'ils en avoient par fes ou- vrages. Car toutes les chofes viiibles 9 ajoûtoit ce Do&eur des Gentils , tous les êtres dont nos fens font frappés , & qui fe préf entent à nos yeux avec leurs per- fections , nous découvrent les perfections invifibles du fouverain Maître qui les a créés : tellement que les Philofophes mêmes du Paganifme ont été inexeufa- blés de ne pas rendre à ces perfections divines , qu'ils ne pouvoient ignorer , le jufte tribut de louanges qui leur étoit dû. Or voilà par proportion & fuivant la même régie à quoi nous peut fervir la

du Salut. 19

vue de ce que nous appelions grandeurs I Ôc pompes du monde. Ce font des ima- ges , quoiqu'imparfaites > des grandeurs céleftes , ôc de cette gloire qui nous eft promife fous le terme de Salut. Ce font des ébauches , nous eft préfenté , quoi- que très-légérement , ce que Dieu pré* pare à fes Elus dans le féjour de la Béatitude. Ce font , pour ainfi parler , ' comme des erTais de la magnificence du Seigneur , qui nous donnent à juger pfm ffi quelles richefïes immenfes il verfera dans | le fein de fes prédeitinés ,. de quel éclat | il les couronnera , de quelles délices , ôc de quels torrens de joie il les enyvrera ^ quand il . lui^plai-ra de les retirer de cette région des morts nous fommes 3 ôc de les introduire dans la terre des vivans :• quand il les fera fortir de ce defert où> nouspafTons, ôc quilles recevra dans la bienheureufe Jérufalem j quand il fera finir pour eux cet exil nous languif-* fons , ■& qu'il les établira dans leur glo- rieufe patrie ; quand, il leur ouvrira fes tabernacles éternels , qu'il en étalera à leurs yeux toutes les beautés , tous les tréfors , qu'il les revêtira de fa divine clarté ôc les élèvera dans les fplendeurs ; des Saints ; enfin quand il les mettra en poffeffion de ce Salut, qu'ils ne voyoient

Bij

20 I S T I M 1

i. Cor, auparavant que fous des figures énigmati*

dj.ias '<jjugS fe comme dans un miroir ; mais dont

ils connoîcront alors tout le prix , parce

qu'ils le verront , 8c qu'ils commenceront

à en jou

Voilà , dis-je , de quoi les pompes 8c les grandeurs du fiécle nous tracent quel- que idée , 8c une idée affez forte pour ex- citer tout notre zélé à la pourfuite du Salut , 8c à la conquête du Royaume de Dieu. Car d'une part considérant ces grandeurs mortelles 5 8c y en ajoutant même encore de nouvelles , autant que c j'en puis imaginer ; 8c d'autre part con- «• 2. p. fuit ait la Foi , & méditant ces paroles du grand Apôtre 5 ^#e l'œil n'a jamais rien vu _, <pe V oreille n a jamais rien entendu y que le cœur de V homme na jamais rien penfeni rien compris qui égale ce que Dieu dejiine à ceux qui l'aiment j 8c dont il fera éternellement aimé : quelle conféquence dois-je retirer de l'un & de l'autre ? Je Chry- m'attache au raifonnement de S. Chry- foftôme , 8c je dis : quelque mépris que je fafTe de la terre '8c que j'en doive faire , il m'eft toutefois évident que j'y vois des chofes merveilleufes j il ne m'eft pas moins évident qu'on m'en rapporte en- core d'autres plus furprenantes 8c plus admirables -} 8c fi je veux laiffer agir mon

fifi

BU S A L tJ T. Il

imagination Se lui donner l'eifor , que n'eft-elle pas capable de fe figurer au- delïus même , & de tour ce que je vois , de de tout ce que j'entends ? Cependant ni tout ce que je vois , ni tout ce que j'entends , ni tout ce que je puis me fi- gurer 5 non - feulement félon les idées naturelles & raifonnables , mais par les fictions les plus exceiïîves ôc les plus ou- trées , n'approche point de ce que j'ef- pere après cette vie j & de ce que Dieu a fait pour moi dans un aurre monde que celui-ci. Quand je vois tout cela,, quand je l'entends 3 que je me le figure 5 j'en fuis ravi , j'en fuis charmé ; mais tout cela néanmoins n'eft point la gloire que j'attends , tout cela ne peut être mis en comparaifon avec la gloire que j'at- tends , tout cela n'eft rien auprès de la gloire que j'attends ; 3c fi je multipliois tout cela , fi je le redoublois , fi je l'accu- mulois fans mefure , après y avoir épuifé toutes les puhTances de mon ame , &c toutes les forces de mon efprit , tout cela feroit toujours infiniment au-deiîous de la gloire que j'attends. Qu'eft - ce donc 3 mon Dieu,, que cette gloire ! Qu'eft-ce que ce Salut ! mais en même tems , Seigneur , qu'eft-ce que l'homme , & à qui appartient - il qu'à un Dieu aufiî

%% - Ë S T î M' & ■-

libéral & auffi bon r auffi puiflaftt & auffi grand que vous l'êtes , de nous* récompenfer de la forte , Ôc de nous- glorifier , non - feulement au - delà de tous nos mérites , mais au - delà de toutes nos connoifiances de de toutes nos vues ?

C'eft ainfi que raifonnoit Saint Chry-- foftôme , ôc c'eft ainfi que par la vue des pompes humaines & des grandeurs du monde , j'acquiers la connoiflànce la plus fenfible & la plus parfaite que je puiffe maintenant avoir , du falut j'afpire , & de la gloire qui m'eft réfer- vée dans le Ciel, fi je fuis aflez heureux pour y parvenir. Ne pouvant connoître préfentement cette gloire par ce qu elle 'eft , je la connoîs , par ce qu'elle n'eft pas y &la connoiffance que j'en ai 5 par ce qu'elle n'eft pas , me difpofe mieux que toute autre , à la connoiflance de ce qu'elle eft.

ïl ne s'agit donc point ici de déployer fon éloquence en de vagues 3c de lon- gues déclamations fur le néant de tout ce que nous voyons en ce monde , §ç de toutes les grandeurs dont nos yeux font frappés. Avouons que ces grandeurs , quoique paffagéres 5 ont du refte en elles - mêmes ilequoi toucher nos fens ,

du Salut. 23

dequoi attirer nos regards , dequoi pi- quer notre envie , dequoi exciter nos defirs , dequoi allumer nos pafïions r avouons - le encore une fois & recon- noilfons - le } mais pourquoi ? afin qu'en fuite montant plus haut & nous difant à nous-mêmes , ce n'erV point encore-là le bonheur qui m'eft propofé , ce n'eft point encore le faint héritage je pré- tends ; nous concevions de cet héritage célefte & de ce bonheur fouverain , une idée plus noble & plus excellente. Quand Saint Auguftin voyoit la Cour des Em- pereurs de Rome , fi fuperbe 3c fi Ronf- lante ; quand il ailiftoit à certaines cé- rémonies où ils fe montroient avec plus d'appareil & plus de fplendeur , il ne di- foit pas avec dédain ni d'un air de mé- pris : Qu'eft-ce que fafte & cette abon- dance ? Qu'eft - ce que ce luxe & cette fomptuofité ? -Qu'eft -ce que cet amas prodigieux de biens <k de richelTes ? A s'en tenir au premier afpecl:, ce fpecta- cle lui rempliîïbit l'efprit 3 le furprenoit 5 f atrachoit ; mais delà bien - tôt paffant plus avant 8c s'élevant à Dieu : Si tout ceci , mon Dieu , s'écrioit-il , eft fi au- gufte 3 qu'eft-ce de vous - même ? ôc û toute cette pompe fe voit hors d& vous 3 que verra-t-on dans vous ? Telle

24 I S T I M B

devroit être la méditation des Grands; Il n'y a perfonne à qui elle ne convienne mais c'eft aux Grands que ce fujet eftt fpécialement propre , parce qu'il leur eft plus préfent. Ils font beaucoup plus fou- vent témoins & fpe&ateurs de la gran- deur êc de la Majefté royale. Us la voyent de plus près que les autres , 8c ils ; la voyent dans tout fon luftre. Or il leur feroit fi utile & fi facile tout enfem- ble , de faire ce que faifoit Moïfe au milieu de la Cour de Pharaon. Le tu- multe & le bruit du monde , les grandes &: différentes fcénes qui lui paffoient continuellement devant les yeux ? ne lui firent jamais perdre de vue l'Invifible, félon l'exprefïïon de Saint Paul ; mais il en conferva toujours l'image auffi vive- ment empreinte dans fon efprit , que s'il l'eût vu en effet , ce Dieu dlfraël qu'il adoroit au fond de fon cœur 3 & vers qui il tournait tous fes defirs comme vers la fource de tous les biens 5 Se le difpenfateur de tous les dons.

O qu'un Grand , inftruit des vérités du Chriftianifme , & jugeant des chofes félon les principes de la Religion y feroit defalutaires &de folides rérlexions,quand dans une Cour , comme fur un Théâtre ©uvert de toutes parts P il voit paroître

tant

du Salut. 25

tant de perfonnages Se de toutes les for- tes ! Quand il voit tant de mondains , Se de mondaines que l'ambition raifemble Se qui tous à l'envi cherchent à fe mon- trer , à fe diftinguer , à fe fignaler par la fomptuofité Se la dépenfe , à tenir les plus hauts rangs , à jouer les plus beaux rôles. Quand il voit certaines fortunes , Se tout ce qui les accompagne , tout ce qui les décore : fur- tout , quand après mille intrigues dont il ne lui eft pas dïni- cile de fuivre les traces , & dont les ref- forts ne peuvent être fi fecrets qu'il ne les apperçoive bien 3 il voit l'iniquité dominante , l'iniquité triomphante , l'i- niquité honorée , accréditée , toute- puiffante ! S'il avoit alors une étincelle de Foi , ou s'il la confultoit , cette Foi ou il a été élevé, & qu'il n'a peut-être pas perdue , que penferoit-il ? que di- roit-il ? Il entreroit dans le fentiment de Saint Auguftin : il admireroit la libéralité de Dieu jufques envers fes ennemis les plus déclarés. Mais , mon Dieu , con- clûroit-il , fi c'eft fur la terre le par- tage des pécheurs , lors même qu'ils fe tournent contre vous , qu'avez - vous donc. préparé dans votre Royaume pour ces bons Se fidèles ferviteurs qui ne s'at- tachent qu'à vous ? Cette afïluence , ce Tome I. C

%G Estime

crédit , cette autorité , ces titres , ces di-* gnités , ces tréfors j voilà ce que vous abandonnez indifféremment au vice Se au libertinage ; voilà ce que vous accor- dez plus fouvent qu'aux autres , &: plus abondamment , à des réprouvés Se à des vafes de colère \ voilà , pour m'exprimer ainfi , ce que vous livrez en proie à tou- tes leurs convoitifes , à toutes leurs in- juftices : ah î mon Dieu 5 que refte-t-U donc pour la vertu ? que refte-t-il , ou plutôt 3 Seigneur , que ne refte - 1 - il point pour ces prédeftinés en qui vous avez mis vos complaifances , ôc que vous avez choilis comme des vafes de miféri- corde ?

Heureux qui fçait envifager de la forte les grandeurs du fiécle préfent, Se qui delà apprend à eftimer les efpérances Se la gloire du fiécle futur. Il n'eft point à, craindre que ce préfent l'attache , puif* que c'eft même de ce préfent qu'il tire de puilTans motifs pour porter tous {qs vœux vers l'avenir. Quelque fenfation que ce préfent fa(fe d'abord fur fon cœur , elle ne lui peut être nuifible , puifqu'au contraire elle ne fert qu'à lui donner une plus grande idée de l'avenir il afpire , Se il ne peut arriver que par lin détachement véritable Se volontaire

du Salut. ly

de ce préfent. Ainfi tout ce que ce pré- fent étale à fa vue d'éclat , de charmes , d'attraits , bien loin de le détourner du falut , ne contribue qu'à raffermir da- vantage dans cette maxime capitale : Que Man^4 fert-il à l'homme de gagner tout le monde c. 16. yil\ vient à Je perdre lui-même j & quel 2 * échange pourra le dédommager de la perte de/on ame ?

Maxime fortie de la bouche de Jefus- Chrift même , qui eft la vérité éternelle : maxime affez connue dans une certaine fpéculation , mais bien peu fuivie dans la pratique. Car voici l'énorme renverfe- ment dont nous n'avons que trop d'exem- ples devant les yeux , 8>c qui croît de jour en jour dans tous les états du Chriftia- niime. Parce que les fens nous dominent , ôc que nos fens , tout matériels ôc tout gromers, ne font fufceptibles que des ob- jets qu'ils apperçoivent de qui leur font préfens ; c'eft à ce préfent que nous nous arrêtons. Au lieu de dire comme S. Paul , He£, c nous n'avons point ici une demeure Jlab le ^ ** & permanente _, mais noustn attendons une autre dans l'avenir y à peine concevons- nous qu'il y ait un avenir au-delà de ce cours d'années que nous paffons fur la terre, & dont la mort eft le terme. A peine nous laiffons-nous perfuader qu'il y ait un

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2.8 Estime

autre bonheur , qu'il y ait d'autres biens 8c d'autres grandeurs que ces grandeurs 8c ces biens vifibles dont nous pouvons jouir <lans le tems. D'où il arrive que nous avons il peu de goût pour les chofes du Ciel , 8c pour tout ce qui a rapport au falut. On nous en parle , nous en parlons nous - mêmes j mais ce qu'on nous en dit , comment l'écoutons-nous , 8c nous- mêmes comment en parlons-nous ? avec le même froid que fi nous n'y prenions nul intérêt. Et il n'y a rien en cela de l. Cor. Surprenant , puifque l'homme fenfuel & c. 2,14. an\mal ne peut s'élever au - dejjus de lui* même _, ni pénétrer avec les yeux de chair dans les myjleres de Dieu.

C'eft pour cela que la vue du monde nous devient fi dangereufe 8c fi perni- cieufe. Non-feulement elle pourroit nous être falutaire , mais elle devroit l'être dans la manière que je l'ai fait entendre. Elle l'a été , 8c elle l'eft encore pour un petit nombre de Chrétiens , accoutumés à juger de tout par les pures lumières de la Foi , 8c non par l'aveugle penchant de la nature, Ils voient la - figure de ce monde , ils la confidérent , mais comme une figure & non point autrement. Car ce n'eft dans leur eftime qu'une figure : mais de cette figure ils panent à la vérité

D U S A L U T. ly

quelle leur annonce , au bien réel Se fo- lide qu'elle leur découvre , à la fuprême béatitude dont elle leur trace comme un léger crayon. Que ne regardons-nous ainfî le monde : que ne nous attachons-nous à contempler dans ce miroir ce qu'il nous repréfente des beautés ineftima- bles , Se ineffables d'un autre monde font renfermées toutes nos efpérances. C'eft l'occupation la plus ordinaire de ces âmes ridelles & intérieures , que l'Ef- prit de Dieu conduit > Se qui , fans fe lailfer prendre à des dehors trompeurs , tournent à bien pour leur perfection Se leur fatisfadtion , ce qui pervertit le com- mun des hommes. Car voilà quel eft le principe de ce mortel affotipifTement , Se fi je l'ofe dire , de cette ftupide in- fenfibilité Wi nous vivons à l'égard du falut.

Le Prophète reprochoit aux Juifs 5 qu'ils n'avoient tenu nul compte de cette Terre promife que le Seigneur leur def- tinoit ? parce que dans le defert ils marchoient , ils n'étoient attentifs qu'à ce qu'ils rencontroient fur leur route , ôc à ce qui pouvoit fatisfaire leur fenfualité, N'eft - ce pas notre état > Se fur - tout n'eft - ce pas l'état d'une infinité de Grands Se d'opulens y qui femblent , à

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30 Estime

les voir agir , n'avoir été faits que pour cette vie 3 Se y avoir établi leur dernière fin ? Ce qui les occupe , ce n'eft guéres leur deftinée éternelle ? Se pourvu que dans la voie qui leur eft ouverte , rien ne leur manque de tout ce qu'ils y fourni- rent , foit richeffes , foit honneurs , foit douceurs Se commodités ; ils fe mettent peu en peine du terme ils doivent adrelfer tous leurs pas. Mais quel eft - il donc 3 ce terme 3 Se fomrnes-nous excufa- bles de ne le pas fçavoir , quand nous le pouvons apprendre de tout ce qui fe préfente à nous , Se qui nous environne ? 11 ne faudrait que quelque réflexion ; mais l'enchantement de la bagatelle dif- fipe tellement nos penfées , que dans une diftradion habituelle Se perpétuelle ? nous oublions fans ceife le*feul bien digne de notre fouvenir. L'heure vien- dra , prenons - y garde , l'heure viendra nous en connoîtrons l'excellence Se la valeur infinie > non plus par des con- jectures ni des comparaifons , mais par une connoiffance expreffe Se dire&e. Cette connoiffance claire Se dégagée des illulions qui nous trompoient , ré- formera dans un moment toutes nos idées ; mais peut - être , hélas ! pour ex- citer en même tems tous nos regrets :

du Salut, 31

regrets d'autant plus vifs , que nous commencerons à concevoir une plus haute eftime du Salut , & que cette ef~, time n'aura d'autre effet que de nous en faire reffentir plus vivement la perte.

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JDefir du Salut 3 & la préférence que

nous lui devons donner au-dej/us

de tous les autre biens.

DE l'eftime naît le de/ir , & ce defir doit croître félon le prix du bien qui nous eft propofé , & félon la mefure de l'eftime que nous en devons faire.

Je dois donc par proportion délirer le Salut , comme je dois aimer Dieu. Parce que Dieu eft le fouverain bien , je dois l'aimer fouverainement , & parce que le falut eft la fouveraine béatitude , je le dois fouverainement délirer. Si dans toute l'étendue de l'univers , il y a quel- que chofe que j'aime plus que Dieu , dès- je fuis coupable devant Dieu , parce que je déroge à la fouveraineté de fon Etre , en lui préférant un être créé : 8c ii dans tous les biens de la terre il y a quelque chofe que je délire plus que le falut > dès-là je manque à la chanté

C iiij

j% Désir

que je me dois , & je me rends coupa- ble envers moi-même , parce que je me dégrade moi - même , & que je préfère au fouverain bonheur de mon ame une félicité trompeufe & paftagere. Ce n'eft pas affez : fi dans tout l'univers il y a même quelque chofe que j'aime autant que Dieu, je l'offenfe 3 je lui fais outrage , de je n'accomplis pas le précepte de l'a- mour de Dieu , parce que Dieu étant par fa nature au - deftus de tout 3 rien ne peut être mis dans un degré d'égalité avec ce premier Etre , cet Etre fuprême : 8c fi dans toute la terre , il y a quelque chofe que je defire autant que le falut , c'eftun renverfement , c'eft un défordre , parce que dans mon eftime & dans mon cœur , j'ôte au plus grand de tous les biens ce caractère de fupériorité 8c d'ex- cellence qui lui eft eifentiel , 8c qui ne fe trouve , ni ne peut fe trouver dans aucun bien mortel & périffable.

Ce n'eft pas tout encore \ 8c quand je n'aimerois rien plus que Dieu , rien au- tant que Dieu , û j'aime avec Dieu quel- que chofe que je n'aime pas pour Dieu , je n'ai pas cette plénitude d'amour qui eft due à Dieu , puifque mon amour eft partagé ; 8c d'ailleurs en ce que j'aime avec Dieu fans l'aimer pour Dieu 3 je

du Salut. 33

a honore pas Dieu comme fin dernière , à qui tout doit être rapporté. De même , quand je ne defirerois rien plus que le falut , rien autant que le falut , fi je defire avec le falut quelque chofe que je ne defire pas pour le falut & en vue du falut , je n'ai pas ce defir pur , ce plein defîr que mérite un bien tel que le falut j c'eft - à - dire , un bien que je dois proprement regarder comme mon unique bien , puifque tout autre bien que je pourrois prétendre en ce monde , n'eft un vrai bien pour moi , que félon qu'il pourroit m'aide r à parvenir au fa- lut , comme au feul terme de mon efpérance & au feul comble de tous les biens.

Mais quoi ! n'eft-ce pas un bien que la fanté , les forces ? n'eft - ce pas un bien qu'un établifTement honnête , ôc une for- tune convenable à ma condition ? n'eft- ce pas un bien que tout ce qui eft nécef- faire à l'entretien de la vie , ôc ne puis- je pas defirer tout cela ? Oui , ce font des biens , & je puis les defirer : mais ce ne font que des biens fubordonnés au premier bien , qui eft le falut ; d'où il s'enfuit que je ne dois les defirer qu'avec cette fubordination y & que faivant le rapport qu'ils peuvent avoir à ce bien

34 D es i s.

fupérieur. Or en les délirant de la forte ; ce ne font point abfolument ces biens que je délire , mais c'eft le falut que je délire dans ces biens 8c par ces biens , conformément au bon ufage que je fuisfi réfolu d'en faire : tellement qu'il eft tou- jours vrai de dire alors , que je ne délire que le falut , & que je ne veux rien que le falut.

Ainfî il n'y a que le falut que je doive délirer directement , que je doive délirer formellement 8c exprelTement , que je doive defirer en lui-même & pour lui- même. Quand je demande à Dieu tout le relie , je ne dois le lui demander que fous condition , 8c qu'avec une véritable indifférence fur ce qu'il lui plaira d'en ordonner } lui témoignant mon delir , mais du relie me foumettant à fa fagelfe & à fa Providence pour juger li c'eft un bon defir , li c'eft un delir félon {qs in- tentions 8c félon fes vues , s'il m'eft utile que ce delir s'accomplifte 8c s'il en tirera fa gloire } renonçant à ce delir , li tout cela ne s'y rencontre pas , le défavouant de cœur 5 8c même priant Dieu , que bien loin de l'exaucer , il falTe tout le contraire , fuppofé que fa gloire 8c mon avantage fpirituel y foient intérelTés. Mais quand je lui demande mon falut ?

du Salut. 35

je le lui demande , ou je dois le lui de- mander de toute une autre manière. Car je le dois demander déterminément , nommément , fans toutes ces conditions , puifqu elles s'y trouvent déjà , 8c fans nulle indifférence fur le fuccès de ma prière. Expliquons-nous.

Quand je demande à Dieu mon falut 5 je ne lui dis pas (amplement , ni ne dois pas lui dire : Seigneur , donnez-moi vo- tre Royaume , 8c daignez écouter là-def- fus mon defir , û c'eft un bon defir * mais je lui dis , 8c je lui dois dire : donnez- moi , Seigneur , votre Royaume , 8c rendez-vous là-deffus favorable à mon defir , parce que je fçais que c'eft un bon defir. Je ne lui dis pas , ni ne dois pas lui dire , Seigneur , donnez - moi votre Royaume , 8c daignez écouter là-deifus- mon defir , fi c'eft un delir félon vos in- tentions 8c félon vos vues j mais je lui dis 8c je dois lui dire : donnez - moi , Seigneur, votre Royaume, 8c rendez-vous là-deffus favorable à mon defir , parce que je fçais que c'eft un defir félon vos vues 8c félon vos intentions. Je ne lui dis pas , ni ne dois pas' lui dire : Seigneur , donnez-moi votre Royaume , 8c daignez écouter là-deffus mon defir, s'il m'eft Utile que ce defir s'accompliiTe 3 8c &

$6 Désir

vous en devez tirer votre gloire : mais )€' lui dis & je dois lui dire : donnez-moi * Seigneur , votre Royaume , & rendez- vous la-deiTus favorable à mon deftV, parce que je fçais qu'il m'eft fouveraine- ment utile qne ce defîr s'accomplifte j que c'eft dans PaccompliiTement de ce deiir qu'eft renfermée toute mon efpé- rance j que fans l'accomplnTement de ce deiir , il n'y a point pour moi d'autre bonheur ; Se parce que je fçais encore que vous y trouverez votre gloire , puif- que c'eft dans le falut de l'homme que vous la faites particulièrement coniifter* Enfin , je ne lui dis pas , ni ne dois'pas lui dire feulement *. Seigneur ? fauvez- moi , ii c'eft votre volonté : mais je lui dis , êc je dois lui dire : fauvez - moi , Seigneur , & je vous conjure , 6 mon Dieu , que ce foit votre volonté , une volonté fpéciale 5 une volonté efficace. Si bien qu'il ne m'eft jamais permis de renoncer à ce deiir du falut , comme il ne m'eft jamais permis de renoncer au falut même ; mais bien loin de laiffer ce deiir s'éteindre dans mon cœur , je dois fans cefte l'y entretenir ôc l'y rallumer. Conféquemment à ce deiir , Dieu veut donc que j'aie recours à lui. Il veut que je frappe continuellement à la porte >

du Salut. 37

ic que par des vœux redoublés , je lui fafTe une efpéce de violence pour l'en- gager à m'ouvrir & à me recevoir. Il veut que ce foit le fujet de mes priè- res les plus fréquentes & les plus arden- tes. Il ne me défend pas de lui deman- der d'autres biens ; mais il veut que je ne les lui demande qu'autant qu'ils ne peuvent préjudicier à mon falut , qu'au- tant qu'ils peuvent concourir avec mon falut , qu'autant que ce font des moyens pour opérer mon falut. Sans cela il re- jette toutes mes demandes, parce qu'elles ne font ni clignes de lui qui a tout fait pour le falut de fes Elus , ni dignes de moi qu'il n'a créé & placé dans cette région des morts , que pour tendre à la terre des vivans Ôc pour obtenir le falut.

C'eft par le fentiment Se l'impreflîon de ce defir du falut , que le Saint Roi David s'écrioit fi fouvent Ôc difoit fi affe&ueufement à Dieu , Hé! Seigneur j Pf» i4*< quand fera-ce ! Quand viendra le moment que j'irai à vous _, que je vous verrai ., je vous pojféderai j & je goûterai dans votre fein les pures délices de la béatitude cé- lefie ? Tout Roi quil étoit , aiîîs fur le Trône de Juda , comblé de gloire ôc ne manquant d'aucun des avantages qui

3S D E S I K

peuvent le plus contribuer au bonheur humain , il fe regardoit en ce monde comme dans un lieu d'exil. Il n'en pou- voit foutenir l'ennui , & il en témoignoit *!/"•"?• à Dieu fa peine : Hélas ! que cet exil ejl long ! ne finir a-t Al point ^ Seigneur ; & combien de tems languirai-je encore _, avant que mon attente & mes fouhaits foient rem-plis ! Et de-là aulîî ces tranfports de joie qui le raviiïbient dans la penfée que fon heure approchoit , & que bien-tot il fortiroit des miféres de cette vie pour pafler à l'heureux féjour après lequel il pf. m. foupiroit. On me l'a annoncé ■> & ma l* joie en ejl extrême : j'irai dans la mai/on de mon Seigneur & de mon Dieu,

C'eft de la même impreflion Se du même fentiment de ce delir du Salut , qu'étoient fi vivement touchés ces anciens èc fameux Patriarches que Saint Paul nous repréfente plutôt comme des Anges habitans du Ciel , que des hommes vi- vans fur la terre. Ils y étoient comme s'ils n'y euffent point été j ils y étoient comme des étrangers & des voyageurs : tous leurs regards fe portoient vers leur patrie & leur éternelle demeure j ils la fa- luoient de loin , ils s'y élançoient par tous les mouvemens de leur cœur 5 Se rien n'en détournoient leurs yeuxnileur attentioa?

du Salut. 39

Defir du falut qui dans les Saints de la Loi nouvelle n'a pas été moins vif ni moins empreffé que dans ceux de l'an- cienne Loi. Le grand Apôtre en eft un exemple bien mémorable Se bien tou- chant : la vie n'étoit pour lui qu'un ef- clavage Se une trifte captivité ; Se fans en accufer la Providence ni s'en plaindre , il ne laiiToit pas de déplorer fon fort , Se d'en gémir : Malheureux que je fuis ! Quel étoit le fujet de ces gémilTemens fi aaiers & tant de fois réitérés ? c'eft que fon ame retenue dans un corps mortel , ne pouvoit jouir encore de fa béatitude. Qui me délivrera de ce corps de mort ? Qui Rom* détruira cette prifon Se qui brifera mes 7* 24" liens , afin que je prenne mon vol vers l'objet de tous mes vœux Se le centre de mon repos ? Dans une femblable difpofî- tion il n'avoit garde de s'abandonner aux horreurs naturelles de la mort ; mais par la force du deiîr dont il étoit tranfporté , il fçavoit bien les réprimer Se les fur- monter. Bien loin que la mort rétonnât , il l'envifageoit avec une forte de complais fance ; Se bien loin de la fuir , il s'y pré- fentoit lui-même Se la demandoit. Mou- Philip. tir ç'étoit un gain félon fon eftime , parce ' 2I* que c'étoit paffer dans le fein de Dieu Se arriver au terme du Salut,

4o Désir

Si nous comprenions , comme ce Doc- teur des Nations de comme tant d'autres après lui , ce que c'eft que le Salut ; fi Dieu), pour un moment 9 daignoit faire luire à nos yeux un rayon de fa gloire -% 8c de cette gloire qu'il nous prépare à nous-mêmes 3 qui peut exprimer quelle fainte ardeur , quel feu s'aÛumeroit dans nos cœurs ? Du refte fans avoir encore cette vue claire 8c immédiate qui n'eft réfervée qu'aux Bienheureux dans le Ciel , nous avons la foi pour y fuppléer. ' Il ne tient qu'à moi de me rendre , avec cette lumière divine qui m'éclaire , plus attentif aux grandes efpérances que la Religion me donne & dont je devrois uniquement m'occuper.

Je le devrois , mais comment eft-ce que je fatisfais à ce devoir ? Comment eft-ce qu'on y fatisfait dans tous les états du monde , Se du monde même chré- tien ? Rien de plus rare que ce defir du falut : pourquoi ? parce que ce defir eft étouffé prefque dans tous les cœurs par mille autres defirs qui n'ont pour fin que la vie préfente &c que fes biens. Non- feulement on defire les biens de la vie avec le falut fans les délirer pour le falut % non-feulement on les defire autant que le falut ^ non-feulement même on les

defire

© u Salut.

defire plus que le falut \ mais le dernier degré de l'aveuglement & du défordre , c'eft que la plupart ne défirent que les biens de la vie , ne foupirent qu'aptes les biens de la vie , & ne penfent pas plus au Salut que s'ils n'en ctoyoient point, ou n'en efpéroient point. Eft-ce en effet par un libertinage de créance qu'ils vivent dans une telle infeniibilité à l'égard du Salut ? Eft-ce par une efpéce d'enchantement Se d'enforcellernent ? Quoi qu'il en foit, fi je confidere toute la face du Chriftianifme , qu'eft-ce que j'y apperçois ? J'y vois des gens affamés de richeiîes , des gens affamés d'honneurs 9 des gens affamés de plaifirs, 8c des plai- firs les plus grofliers. Voilà s'étend toute la fphére de leurs defirs j voilà les bornes ils les tiennent renfermés fans les porter plus loin ni les élever plus haut.

Ce n'eft pas que quelquefois dans les difeours on ne reconnoiffe l'importance du Salut.Ce n'eft pas qu'on ne s'en explique en certains termes, & qu'on ne convienne qu'il n'eft rien de plus defirable ni même de fi defirable. Les plus mondains fçavent en parler comme les autres , & fouvent mieux que les autres. Mais qu'eft-ce que cela ? un langage , des paroles affectées > Tome L D

4i Désir

èc rien de plus. Car fans nous en tenir aux paroles de aux expreftions, mais exa- minant la chofe dans la vérité , peut-on dire que nous defirons le Salut , lorfque de tous les fentimens &: de tous les mou- vemens de notre cœur , il n'y en a pas un qui tende vers le Salut? Nous aimons , mais quoi ? eft-ce ce qui nous conduit au Salut ? Nous haïrions, mais quoi ? eft- ce ce qui nous détourne du Salut ? Nous nous réjouirions , mais de quoi? eft-ce des mérites que nous acquérons pour le Salut ? Nous nous affligeons , mais pourquoi ? eft-ce parce que nous avons îbuffert quelque dommage & fait quel- que perte qui intéreiTe le Salut ? Par- courons ainfi de l'un à l'autre toutes nos parlions & toutes nos affections ; laquelle pourrons-nous marquer , quelle qu'elle îbit , qui ait pour terme le Salut , & il ait aucune part ? Je ne veux pas faire entendre par-là , que nous vivions dans une indolence qui ne s'affe&ionne à rien & que rien n'émeut : au contraire , toute notre vie fe paiTe en defirs , & en deiîrs qui nous agitent , qui nous troublent', qui nous dévorent , qui nous confirment. Car telle eft la vie de l'homme dans le monde, telle eft fouvent même la vie de bien des hommes jufques dans la re-

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traite. Vie de deiirs , mais de quels deiirs ? de deiirs hïvoles , de deiirs teK- reitres , de deiirs infenfés , de deiirs per- nicieux , de ces deiirs. que formoient ies Juifs ? & que Dieu fembloit écouter , quand il vouloit punir cette Nation in- docile , en les abandonnant à eux-mêmes Se à la perveriité de leur coeur.

Puiiîions-nou* amortir tous ces defirs qui nous entraînent dans la voie de per- dition ! Car voilà , dit l'Apôtre , ils nous conduifent , & à quoi ils fe termi- nent. Il nous amufent pendant la vie, ils nous tourmentent , ils nous trompent , Se par une fuite immanquable , ils nous damnent. Effets trop ordinaires , & que mille gens éprouvent , fans apprendre de-là à fe détromper. Deiirs qui nous ï. Timt amufent par les vains objets auxquels *' 9a nous nous attac lions , Se les vaines efpé- tances dont nous nous flattons. Ou ce font des biens qui nous font refufés , 6c que nous n'obtenons jamais , malgré tous les foins que nous y apportons } ou fi nous fommes plus favorifés de la for- tune , ce font des biens dont nous dé- couvrons bientôt , comme Salcœon 5 la fauiîeté & la vanité. Deiirs qui nous tour* mentent par les inquiétudes , les crain- tes , les foupeons 3 les impatiences , les

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dépits , les mélancolies & les chagrains ils nous expofent. Interrogeons ià-def- fus une multitude innombrable de mon- dains ambitieux , de mondains intéref- réiîes , de mondains voluptueux ; s'ils font de bonne foi , ils conviendront que ce qui leur ronge plus cruellement i'ame 8c ce qui fait leur plus grand fupplice dans la vie, ce font l^s violens defirs que leur infpirent l'ambition , la cupi- dité , l'amour du plaifir qui les dominent. Delirs qui nous corrompent par les cri- mes où ils nous précipitent & qu'ils nous font commettre. Car on veut les con- tenter, ces defirs déréglés, & Il l'on ne îe peut par les voies droites , on prend les voies détournées qui font les voies de l'iniquité & de l'injuflice. De-là même enfin , delirs qui nous damnent : au lieu que par des avantages tout oppofés , un vrai defir du Salut , fert à nous occuper folidement, à nous tranquillifer dans les événemens les plus fâcheux & dans tou- tes les adversités humaines , à nous fanc- tifier & à nous fauver.

Ce defir du Salut eft pour une ame ri- delle l'occupation la plus folide. Elle s'entretient de fa fin dernière ; elle y fixe toutes fes penfées comme à fon unique bien 3 elle en goûte par avance les dou-

d u a a l u t. 45

ceurs toutes pures : & c'eft comme un pain de chaque jour qui la nourrit. Ce même delir dufalut, en dégageant l'ame de tous les defirs du fiécle , l'établit dans un repos prefqu'inaltérable. A peine s'appercoit-elle de tout ce qui fe paiTe dans le monde , tant elle y prend peu d'intérêt , ■& tant elle eft au-deffus de tous les accidens & de toutes les révo- lutions. Elle n'a qu'un point de vue qui eft le Ciel , hors de-là rien ne l'inquiète , parce que hors de-là elle ne tieiit à rien , ni ne veut rien. Par une conféquence très-naturelle , autant que ce defir du Salut contribue au repos de l'ame chré- tienne , autant contribue-t-il à fa fan&i- iication : car fi c'eft un defir véritable , de tel qu'il doit être, c'eft un defir effi- cace , qui dans la pratique nous fait évi- ter avec un foin extrême tout ce qui peut nuire en quelque forte que ce foit à notre Salut , & nous applique fans re- lâche à toutes les œuvres capables de l'aflurer Se de le confommer. Or ces œuvres ce font des œuvres faintes & fandirlantes , & voilà comment le defir du Salut nous fauve.

Renouvellons-le dans nous, ce. defir fi falutaire ; ne cefTons point de le réveil- ler 3 de le ranimer par la fréquente

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méditation de l'impôt tance infinie du falut. Que defirons-nous autre chofe , 6c devons-nous afpirer avec plus d'em- prefement & plus de zélé , qua un bien qui feul nous fuffit , ôc fans quoi nul autre bien ne nous peut fufrlre ?

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Incertitude du Salut, & desfentimens

quelle doit nous infpirer _, oppofés

à une faujje fécurité.

AFfreufe incertitude , Seigneur , vous me laiffez fur mon affaire ca- pitale , fur la plus effentielle ôc même la feule affaire qui doive , m'intéreffer fur l'affaire de mon Salut î Je fuis certain que vous voulez me fauver \ je fuis certain que je puis me fauver : mais me fauve- rai-je en effet, mais ferai-je un jour dans votre Royaume au nombre de vos Pré- définies , mais parviendrai-] e à cette éter- nité bienheureufe , pour laquelle vous m'avez créé , & qui eft mon unique fin ? Voilà, mon Dieu, ce qui paffe mon intelligence ; voilà ce que toute la fub- tilité de l'efprit humain , ce que tous •mes raifonnemens ne peuvent décou- vrir, Car de tous les hommes vivans fur

du Salut. 47

la terre 5 en eft - il un qui fçache s'il eft digne de haine ou d'amour } de par con- féquent en eft-il un qui fçache s'il eft dans une voie de falut ou dans une voie de damnation ?

Je ne puis douter , Seigneur , que je n'aie péché contre vous , ôc péché bien des fois , & péché en bien des manières , de péché jufqu'à perdre votre grâce: mais puis-je me répondre qui j'y fuis rentré., dans cette grâce , que j'ai fait une vraie pénitence & que vous m'avez pardonné? En fuis - je allure ? Quand même il en feroit ainfi que je le délire , &: quand je pourrois me flatter de l'avantage d'être -actuellement Se parfaitement réconcilié avec vous , fais-je aiïiiré de perfévérer dans cet état : Et ii je m'y foutiens quel- que tems , fuis-je afTuré d'y perfévérer jufquau dernier moment de ma vie ? Suis- je affiiré d'y mourir ?

Tout cela , mon Dieu , ce font pour moi d'épaiiTes ténèbres , ce font des abîmes impénétrables. Dès que je veux entreprendre de les fonder , l'horreur me faifit & je demeure fans parole. Et crui n'en feroit pas effrayé comme moi y pour peu qu'on vienne à confidérer l'im- portance de cette affaire dont le fuccès eft fi incertain ? Car de quoi s'agit-il ? de

Incertitude tout Phomme , c'eft-à-dire y du fouveraïit bonheur de l'homme ou de fou fouve- rain malheur. Il s'agit par rapport à moi d'être mis un jour en pofîeiîion d'une fé- licité éternelle , ou d'être condamné à un tourment éternel. Quelle fera la dé- cifion de ce jugement formidable? Quel fera le terme de ma courfe ? Sera-ce une gloire fans mefure , ou une réprobation fans relTource ? Sera-ce le Ciel ou l'En- fer ? Encore une fois , dans ces penfées mon efprit fe trouble , mon cœur fe refferre , toute ma force m'abandonne > ôc je refte interdit & confterné.

Ce n'eft point , Seigneur , de ces craintes fcrupuleufes , dont les âmes ti- morées fe tourmentent fans raifon ; ce ne font point de vaines terreurs : com- bien y a-t-il de réprouvés , qui pendant un long efpace de tems avoient mieux vécu que moi de paroiffoient être plus en fureté que moi? Qui l'eût cru > qu'éloi- gnés du monde , & retirés dans les cloî- tres & dans les deferts , ils y dulTent ja- mais faire ces chûtes déplorables qui les ont damnés ? Suis-je moins en danger qu'ils n'y étoient , & ne feroit-ce pas la plus aveugle préfomption , fi j'ofois me promettre que ce qui leur eft arrivé , ne

m'arnver-a

D U S A L U T. 49

m'arrivera pas à moi-même ? Une telle témérité furïiroit pour arrêter le cours de vos grâces , & mon falut alors fe trouve roit d'autant plus expofé , que j'en ferois moins en peine & que je le croirois plus à couvert.

Je ne vous demande point , ô mon Dieu , qu'il vous plaife de me révéler l'avenir -y je ne vous prie point de me faire voir quel doit être mon fort, & de tirer le voile qui me cache cet adora- ble , mais redoutable myftere de votre Providence. C'en: un fecret il ne m'appartient pas de m'ingérer, de qui n'eft réfervé qu'à votre Sageife. En le dérobant à ma connoiifance , & le te- nant enfeveli dans une fi profonde ob- feurité , vous avez vos vues toujours faintes 8c toujours falutaires , il j'ap- prends à en profiter. Vous voulez me préferver de la négligence je tom- berais 3 fi j'avois une certitude abfoluc de ma prédeftination ou de ma répro- bation. Car l'un & l'autre , ou plutôt l'afTurance de l'un Se de l'autre me por- terait à un relâchement entier. Que dis- je : l'afTurance même de ma réprobation nie précipiterait dans le défefpoir & dans les plus grands défordres. Vous i. Pet. voulez que par de bonnes œuvres j fuivant Ul°'

Tome I. E

^o Incertitude

l'avis Prince des Apôtres, j em'étudh de -plus en plus à rendre sûre ma vocation & mon élection ; de forte que je fois pourvu abondamment de ce qui peut me donnèrent trie auRoyaume de Jefus-Ckrijl. Vous vou- lez que je m3 humilie fans cejje fous votre main toutepiïijfante > comme un criminel qui attend une Sentence d'abfolution ou de mort j 8c qui , profterné aux pieds de fon Juge , n'omet rien pour le toucher en la faveur Ôc pour obtenir grâce. Vous voulez que je vive dans un tremblement continuel , 8c dans une défiance de moi- même , qui m'accompagne par-tout, 8c qui me falTe prendre garde à tout. Vous le voulez , Seigneur , 8c c'eft cela même auili que je vous demande. Par-la l'incer- titude où je fuis , toute effrayante qu'elle eft , bien loin de m'être nuifibie ôc dom- mageable , me deviendra utile & pro- fitable. Pf> 17'' Cependant , mon Dieu , je ne per- drai rien de ma confiance , 8c je n'ou- blierai jamais que vous êtes le Dieu démon falut: Dieu de monfalut, parce que je ne puis me fauver fans vous 8c que par vous : Dieu de mon falut , parce que vous voulez que je me fauve , 8c que vous-même vous voulez me fauver : Dieu de mon falut , parce que pour me fauver yous ne me refufez aucun des fecours

16.

D U S A L U T. ^t

nécefïaires ôc que vous me mettez dans un plein pouvoir d'en ufer. Voilà , Sei- gneur , ce qui me rafture , 6c ce qui calme mes inquiétudes. Vous m'ordon- nez de les jetter toutes dans votre fein s ôc de m'y retirer moi-même comme dans un alyle toujours ouvert pour me recevoir. De-là , fans, préfumer de vos miféricordes , je défierai tous les enne- mis de mon ame , & je ne ceffe rai point Pfii. de dire , avec votre Prophète : Le Sei- gneur eji ma lumière ^ il efi ma défenfe , de quoi dois-je m'ailarmer ? Quand je marcherois au milieu des ombres de la mort , mon cœur riQïi feroit point ébranlé , parce que mon efpérance étant dans le Seigneur 5 il eft auprès de moi. Je ne veux de lui qu'une feule chofe , ôc je la chercherai , je tâcherai de la méri- ter : c'eft d'être avec lui pendant tous les fiécles â.QS liécles dans la fainte mai- fon Se dans le féjour de fa gloire. C'eft- que fe portent tous mes defirs : tout le refte ne m'eft rien.

Confiance chrétienne : mais qui , pour être chrétienne , doit avok fes régies , Se n'aller point au-delà des bornes. Car il eft certain d'ailleurs qu'il y a des gens d une fécurité merveilleufe , ou plutôt d'une préfomption énorme touchant le

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5'x Incertitude

Salut. Ce ne font point 5 il eft vrai , des libertins & des impies ; ce ne font point d.es pécheurs fcandaleux 8c plongés dans ia débauche j ils n'enlèvent point le bien d'autrui 5 8c ne font tort à perfon- ne j enfin, je le veux , ce font de fort honnêtes gens félon le monde. Mais font-ce des Apôtres ? bien loin de s'em- ployer au falut & à la fanclification du prochain en qualité d'Apôtres , à peine penfent-iis à leur propre fandification 5 Se à leur propre falut en qualité de chré- tiens. Sont-ce des hommes d'oraifon , accoutumés aux raviflemens 6c aux ex- tâfes ? jamais ils n'eurent nulle con- noiflance ni le moindre ufage de ces exercices intérieurs , l'ame s'élève à Dieu , 8c s'entretient affedueufement avec Dieu. Quelques pratiques com- munes dont ils s'acquittent avec beau- coup de négligence 8c de tiédeur ; voi- là où fe réduit tout leur chriftianifme. Sont-ce des pénitens ennemis de leur chair 8c exténués d'auftérités 8c de jeû- nes ? ils ont toutes leurs commodités ou du moins ils les cherchent ; ils mènent une vie douce , tranquille 8c agréable j ils écartent tout ce qui pourroit leur être pénible 8c onéreux , 8c ils ne fe re- fufent aucun des divertiffemens qui fe

bu Saluî. ^3

préfentent ôc qui leur femblent propres de leur état. Avec cela ils vivent en paix ,■ fans crainte , fans inquiétude fur l'affaire du Salut } ôc parce qu'ils ne s'abandon- nent pas à certains défordres , ils ne dou- tent point que Dieu , félon leur expref- fion , ne leur faife miféricorde. Or qu'ils- écoutent un Apôtre , ôc un des plus grands Apôtres , un Prédicateur de l'E- vangile , ôc le Docteur des Nations. Qu'ils écoutent un Saint ravi jufqu'au troifiéme Ciel , ôc qui dans la plus fu- biime contemplation avoit appris des fecrets dont il neft permis à nul hom- me déparier. Qu'ils écoutent un pénitent confumé de travaux , crucifié au monde ôc à qui le monde étoit crucifié : c'eft ç** ^S Saint Paul. Que dit-il de lui-même ? Je châtie mon corps j je le réduis en fervitu- de : Pourquoi de peur qu'après avoir prêché aux autres ^je ne fois réprouvé moi-même. J'avoue que je ne lis point., ou n'en- tends point ces paroles fans frayeur. Quel langage \ quel fentiment ! Cet Apôtre , ce maître des Gentils , ce vaif- feau d'élection > ce pénitent , Paul trem- ble ; ôc mille gens dans le monde , tout au plus chrétiens , ôc chrétiens encore très-imparfaits , fe tiennent en aifuran- ce 1 II tremble , ôc que craint-il ? Eft-

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54 Incerti t uî> e

ce feulement de décheoir en quelque' chofe de la perfection apofëolique , Ôc de ne parvenir pas dans le Ciel à toute la gloire il afpire ? Ce n'eft point de quoi il eft queftion : mais il craint pour fon falut , il craint pour fon ame , il craint d'être condamné & rejette par- mi les réprouvés j ôc tant de gens dans le monde îfobfervant qu'à demi les commandemens de la Loi , bien loin de tendre à fa perfection , n'ont pas le moindre trouble fur leur difpoiition devant Dieu, ôc fe mettent comme de plein droit au rang des prédeftinés. Il tremble , Ôc ? ôc en quelles conjonctu- res y en quel miniftere ? Oeil en prê- chant la parole de Dieu j c'en: en ré- pandant la foi dans les Provinces Ôc dans les Empires ; c'eft en s'expofant a toutes fortes de périls ôc de fouffrances pour le nom de Jefus-Chrift. Au mi- lieu de tout cela, ôc malgré tout cela il eft en peine de fon fort éternel : Ôc une infinité de gens dans le monde y tout occupés des affaires du monde , engagés dans toutes les occasions du monde , jouiffant de toutes les dou- ceurs du monde , font au regard de leur éternité dans un repos que rien n'altère ! Il faut ou que Saint Paul ait été dans

du Salut. 55

Terreur , ou que nous y foyons : c'eft-à- dire , il faut que Saint Paul par une ti- midité fcrupuleufe , par l'effet d'une imagination trop vive , portât la crainte à un excès hors de mefure , ou que par une aveugle témérité nous nous laiflions flatter d'une efpérance ruineufe Se mal fondée. Or de foupçonner le grand Apôtre , infpiré de i'efprit de Dieu , d'avoir donné dans une pareille illu- fion , ce feroit un crime. C'eft donc nous-mêmes qui nous abufons ; Se qu'eft-ce de fe tromper dans une affaire d'une telle conféquence.

A Dieu ne plaife que je tombe dans un fi terrible égarement ! Pour m'en ga- rantir , il n'y a point de vigilance que je ne doive apporter , ni de précaution que je ne doive prendre. Car ce n'eft point de ces erreurs qu'on peut aifément réparer, ou dont les fuites ne peuvent caufer qu'un léger dommage. La perte pour moi feroit fans reffource ; Se pen- dant l'éternité toute entière , il ne me refleroit nul moyen de m'en relever. C'eft donc à moi d'être incefTamment fur mes gardes , Se d'obferver tous mes pas , comme un homme qui dans une nuit obfcure marcheroit à travers les ccueils Se les précipices 5 Se fe trouve-

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5 6 Incertitude du Salut. roit à chaque moment en danger de faire une chute mortelle & fans retour. Toute mon attention ne fiiffira pas pour me mettre dans une pleine affû- rance^ Se quoique je faffe, j'aurai tou- jours fujet de craindre : car il fera tou- jours vrai , mon Dieu , que vos voies font incompréhensibles , & vos juge- mens impénétrables. Mais après tout vous aurez égard aux mefures que je prendrai , aux vœux que je vous pré- senterai , aux œuvres que je pratique- rai , à tout ce que pourra me fuggérer ie zèle de mon Salut, que vous avez confié à mes foins Se que vous avez fait dépendre , après votre grâce , de ma fidé- lité. Si ce n'eft pas affez pour m'ôter toute défiance de moi-même , c'eft afTez pour affermir mon efpérance en votre miféricorde 5 Se pour "la foutenir. Ce fage tempérament de défiance & d' ef- pérance me fervira de fauve-garde , de me préfervera de deux extrémités que je dois également éviter j l'une eft une dé- fiance pufillanime , Se l'autre une efpé- rance préfomprueufe. Par-là j'attirerai fur moi la double bénédiction que le Prophète a promis au Jufte , qui tout enfemble craint le Seigneur 5 & fe con- fie dans le Seigneur,

Possibité du Salut. 57

Poffibilité du falut dans toutes les conditions du monde.

OU and un homme du mondé dit qu'il ne peut fe fauver dans fon état , c'eft une mauvaife marque : car un des premiers principes pour s'y fauver , eft de croire qu'on le peut. Mais c'eft encore pis, quand perfuadé , quoique fauifement , que dans fa condition il ne peut faire fon falut , il y demeure néan- moins : car un autre principe non moins inconteftable 3 c'eft que dès qu'on ne croit pas pouvoir fe fauver dans un état , il le faut quitter. J'ai , dites-vous , des engagemens indifpenfables qui m'y re- tiennent. Et moi je réponds que fi ce font des engagemens indifpenfables , ils peuvent dès-lors s'accorder avec le falut y puifqu'étant indifpenfables pour vous , ils font pour vous de la volonté de Dieu; & que Dieu qui vous veut fauver , n'a point prétendu vous en- gager dans une condition votre falut vous devînt impoilible. Dévelop- pons cette penfée : elle eftfolide.

C'eft un langage mille fois rebattu

58 Possibilité

dans le monde , de dire qu'on ne s'y peut fauver : & pourquoi ? parce qu'on eft , dit-on , dans un état qui détourne abfolument du falut. Mais comment en détourne-t-il ? Eft-ce par lui-même ? Cela ne peut être ; puifque c'eft un état établi de Dieu ; puifque c'eft un état de la vocation de Dieu -y puifque c'eft un état Dieu veut qu'on fe fanctifie puif- que c'eft un état Dieu par une fuite immanquable donne à chacun des grâ- ces de falut Se de fan&ification & non- feulement des grâces communes , mais des grâces propres & particulières , que nous appelions pour cela grâces de l'é- tat j enfin , puifque c'eft un état , un nombre infini d'autres avant nous ont vécu très-réguliérement , très-chrétien- nement , très-faintement , & ils ont confommé par une heureufe fin leur prédeftination éternelle. Reprenons, 8c de tous ces points , comme d'autant de vérités connues 3 tirons pour notre con- viction les preuves les plus certaines , de les plus fenfibles.

Un état que Dieu a établi : car le premier Inftituteur de tous les états qui partagent le monde & qui compofent la fociété humaine , c'eft Dieu même «, c'eft fa Providence, Il a été de la divi-

du Salut. 59

ne Sageife , en les inftituant , d'y atta- cher des fondions toutes différentes j &c de-là vient cette diverfité de condi- tions , qui fert à entretenir parmi les hommes la fubordination. > lamftance mutuelle , la régie & le bon ordre. Or Dieu qui dans toutes (es œuvres envi- fage fa gloire , n'a point apurement été ni voulu être Fauteur d'une condition , l'on ne pût garder fa Loi , l'on ne pût s'acquitter envers lui des de- voirs de la Religion , l'on ne pût lui rendre 3 par une pratique fldelle de tou- tes (es volontés , l'hommage & le culte qu'il mérite. Et comme c'eft par-là qu'on opère fon faiut , il faut donc con- clure , qu'il n'y a point d'état qui de lui- même y foit oppofé , ni qui empêche d'y travailler efficacement.

Un état qui eft établi de Dieu , eft de la vocation de Dieu. C'eft-à-dire , qu'il y en a plufieurs que Dieu deftine à cet état \ puifqu'il veut & qu'il eft du bien public que chaque état foit rempli. Que ferviroit-il en effet d'avoir mftitué des profeilions , des miniflères , des em- plois , s'ils dévoient demeurer vu'ides, & qu'il ne fe trouvât perfonne pour y vaquer ? Mais , d'ailleurs , comment pourrions-nous accorder avec l'infinie

6o Possibilité

bonté de Dieu , notre Créateur &c notre Père , de nous avoir appelle à un état il ne nous fût pas poiîible d'obtenir la fouveraine béatitude pour laquelle il nous a formés , ni de mettre notre ame à couvert d'une éternelle damnation ?

Un état Dieu veut qu'on fe-fanc- tifie Se qu'on fe fauve. C'eft le même commandement pour toutes les conditi- ons, Se c'étoit à des Chrétiens de toutes les conditions que faint Paul difoit fans i.Theff. exception : La volonté dcDieueft que vous f* 4* 3' deveniez faims. Voilà pourquoi il leur recommandait à tous d'acquérir la per- fection de leur état , & leur promettait au nom de Dieu le falut comme la. ré- compenfe de leur fidélité. D'où il eft évident que Dieu nous ordonnant ainfi de nous fanctiiier dans notre état , quel qu'il foit 5 Se voulant que par la fainteté de nos œuvres nous nous y fauvions , la chofe eft en notre pouvoir, fuivant cette grande maxime , que Dieu ne nous ordonne jamais rien qui foit au- delîlis de nos forces.

Un Etat aum* Dieu ne manque point de nous donner des grâces de fa- lut Se de fandification : Grâces commu- nes , Se grâces particulières. Grâces communes à tous les états j grâces par-

du Salut. 61

riculieres Se conformes-à l'état que Dieu par fa vocation nous a fpécialement deftiné : les unes 3c les autres capables de nous foutenir dans une pratique confiante des obligations de notre état ; capables de nous afïurer contre toutes les occafions , toutes les tentations , tous les dangers peut nous expofer notre état ; capables de nous avancer , de nous élever , de nous perfectionner félon notre état. De forte que par- tout , de en toutes conjonctures , nous pouvons dire avec l'humble ôc ferme confiance de l'Apôtre. Je puis tout par Philip, le f cœur s de celui qui me fortifie. c'*'lï*

Un Etat enfin mille autres avant nous fe font fanctifiés & fe font fauves. Les Hiftoires faintes nous l'apprennent : nous en avons encore des témoignages préfens ; ôc quoique dans ces derniers fiécles le dérèglement des mœurs foit plus général que jamais , ôc qu'il croiiïe tous les jours , il eft certain néanmoins que fi Dieu nous faifoit connoître tout ce qu'il y a de perfonnes qui vivent actuellement dans la même condition que nous > nous y trouverions un afTez grand nombre de gens de bien , dont la vie nous confondroit. Il eft difficile que nous n'en connoiflîons pas quel-

6i Possibilité ques-uns , ou que nous n'en ayons pas entendu parler. Que ne faifons r nous ce qu'ils font ? qîie n'agilfons •- nous comme ils agifTent ? que ne nous fau- vons-nous comme ils fe fauvent ? Som- mes-nous d'autres hommes qu'eux , ou font - ils d'autres hommes que nous ? Avons-nous plus d'obftacles à vaincre , ou les moyens de falut nous manquent- ils ? Reconnoifïbns - le de bonne foi : l'efTentielle <k la plus grande différence qu'il y a entre eux Se nous , n'eu: ni dans l'état , ni dans les obftacles , ni dans les moyens , mais dans la volonté. Ils veulent fe fauver , 3c nous ne le vou- lons pas.

De-là qu'arrive-t-il ? parce qu'ils veu- lent fe fauver , & qu'ils le veulent bien , ils fe font , des peines ôc des engagemens de leur état , autant de fujets de mérite pour le falut j & parce que nous ne voulons pas nous fauver , ou que nous ne le voulons qu'imparfaitement 3 nous nous faifons , de ces mêmes engagemens &c de ces mêmes peines a autant de prétextes pour abandonner le foin du falut. Je fçais que pour fe conduire en chrétien dans fon état , que pour n'y pas échouer , & pour fe préferver de certains écueils qui s'y rencontrent par

D U S A L U T. 63

rapport au falut , on a befoin de réfle- xion , d'attention fur foi - même 5 de fermeté ôc de confiance : or c'eft ce qui gêne , &c ce qu'on voudroit s'épargner. Au lieu donc de tout cela , on penfe avoir plutôt fait de dire qu'on ne peut fe fauver dans fon état ; on tâche de fe le perfuader , & peut-être en vient-on à bout. Maii, trompe -t -on Dieu ? 3c quand un jour nous paroîtrons devant fon Tribunal , de nous lui rendrons compte de notre ame , que lui répon- drons-nous , lorfqu'il nous fera voir que cette prétendue impollibilité qui nous arrêtoit , n'étoit qu'une impoiîîbilité fuppofée , qu'une impoiîîbilité volon- taire , qu'une lâcheté criminelle de notre part , qu'une foiblefîe qui dès le pre- mier choc fe laifloit abattre , 8c qui bien loin de nous juftifier en ce jugement redoutable , ne doit fervir qu'à nous condamner ?

Mais pour mieux pénétrer le fonds de la chofe, je demande pourquoi] nous ne pourrions pas allier enfemble les de- voirs de notre état & ceux de la reli- gion ? Notre état 5 je le veux , nous engage au fervice du monde ; mais ce fervice du monde , autant qu'il con- vient à notre condition , n'eft point

'(5*4 Possibilité contraire aufervice de Dieu. Car, quoi- que nous puifiions alléguer , trois véri- tés font indubitables, i . Que les devoirs du monde Ôc ceux de la religion ne font point incompatibles. 2. Qu'on ne s'acquitte jamais mieux des devoirs du monde , qu'en s'acquittant bien des devoirs de la religion. 3 . Qu'on ne peut même fatisfaire à ceux de la religion fans s'acquitter des devoirs du monde : ôc voilà de quelle manière nous pou- vons & nous devons pratiquer cette excellente leçon du Sauveur des hom- Mdtf. 6. mes. Rende^ à Céfar , c'eft-à-dire 5 au f.22,.21. monde : ce qUi ejl à Céfar j & rende% à Dieu ce qui appartient àDieu:l\in n'eft pas ici féparé de l'autre. Par nous voyons , félon la penfée ôc l'oracle de notre di- vin Maître , qu'il n'eft donc point im- poffible de fervir tout à la fois ôc con- formément à notre état , Dieu ôc le monde : Dieu pour lui-même , ôc le monde en vue de Dieu.

J'ai ajouté , de c'eft une vérité fon- dée fur la raifon ôc fur l'expérience , qu'on ne s'acquitte jamais mieux de ce qu'on doit à fon état ÔC au monde , qu'en s'acquittant bien de ce qu'on doit à Dieu , parce qu'alors tout ce qu'on fait pour ion état ôc pour le monde ,

on

D U S A L U T. 65

on le fait pour Dieu , Se dans l'efprit de Dieu : or le faifant dans l'efprit de Dieu Se pour Dieu , on le fait avec une con- feience beaucoup plus droite , avec un zèle plus pur Se plus ardent , avec plus d'aiïïduité , de régularité , de probité. Un troisième Se dernier principe , non moins vrai que les deux autres , c'eft qu'on ne peut même s'acquitter pleinement de ce qu'on doit à Dieu 5 fi l'on ne s'acquitte de ce qu'on doit à fon état Se au monde , puifque, dès qu'on le doit au monde Se à fon état 3 Dieu veut qu'on y fatisfaffe , Se que c'eft-là une partie de la religion. *

De tout ceci concluons , que fi notre état nous détourne du falut , ce n'eft point par lui-même , mais par no- tre faute : car bien loin que de lui- même ce foit un obftable au falur, c'eft au contraire la voie du falut que Diev* nous a marquée. Nous devons tous afpi- rer au même terme , mais nous n'y de- vons pas tous arriver par la même voie. Chacun a la fienne : or la nôtre c'eft l'état que Dieu nous a choifi } Se en nous y appellant , il nous dit : voilà votre chemin j c'eft par-là que vous mar~ chere% : tout autre ne feroit point fi fur pour nous 9 dès qu'il feroit de notre

Tome L E

Possibilité. choix, fans être du choix de Dieu.

Comment donc & en quel fens eft- ii vrai qu'on ne peut fe fauver dans fou état ? C'eft par la vie qu'on y mené de qu'on y veut mener , laquelle ne peut compatir avec le falut } mais on y peut vivre autrement ; mais on y doit vivre autrement : mais on peut & on doit autrement s'y comporter.

Cet état expofe à une grande diffi- pation par la multitude d'affaires qu'il attire , 8c cette diffipation fait aifément oublier les vérités éternelles, les pratiques du Chriftianifme , le foin du falut. Le remède , ce feroit de ménager chaque année , chaque mois , chaque femaine , & même chaque jour , quel- que tems pour fe recueillir & pour ren- trer en foi-même. Ce tems ne manque- rait pas , & on fçauroit affez le trou- ver fi l'on y étoit bien réfolu ; mais pour cela il faudrait prendre un peu fur foi , Se c'eft à quoi on ne s'eft ja- mais formé. On fe livre à des occupa- tions tout humaines j on s'en laiffe obféder & poiTéder j on en a fans cefïe la tête remplie : le fouvenir de Dieu s'efface , Ôc on penfe à tout , hors à fe fauver.

Cet état donne des rapports qui obli-

du S A l u % 6y

gent de voir le monde , de cônverfer avec le monde , d'entretenir certaines habitudes , certaines liaifons parmi le monde : 8c perfonne n'ignore combien pour le falut il y a de rifques à courir dans le commerce du monde. Le pré- fervatif néceiTaire , ce feroit d'abord de retrancher de ces liaifons 8c du com- merce du monde ce qui eft de trop ; enfuite > de fe renouveller fouvent , 8c de fe fortifier par l'ufage de la prière , de la confeiîîon , de la communion , de la le&ure des bons livres j mais on ne veut point de toutes ces précautions , 8c on ne s'en accommode point. On fe porte par-tout indifféremment 8c fans difeernement j tout foible 3 8c tout àé£- armé , pour ainfi dire 3 qu'on eft , on va affronter l'ennemi le plus puiffant 8c le plus artificieux. On fuit le train du monde , on eft de toutes fes compa- gnies , on en prend toutes les manières, Eft -il furprenant alors7 5 que dans un air fi corrompu l'on s'empoifonne , 8c qu'au milieu de tant de fcandales , on faife des chûtes griéves 8c mortelles. Je parle bien d'autres exemples , 8c }a- voue qu'en fe conduifant de la forte dans fon état , il eft împomble de s'y fauver : mais confultons-nous nous me-

Fij

ê% P 0 S S I B ï L î ï E

mes 3 Se tendons-nous juftice. Qui nôii$ empêche d'ufer des moyens que nous avons en main , pour mieux régler nos démarches ôc mieux allure r notre falut ? ne le pouvons-nous pas ? Or de ne l'avoir

f>as fait lorfqu'on le pouvoit 5 lorfqu'on e devoit, lorfqu' il s'agifïbit d'un fi grand intérêt que le falut 3 quel titre de répro- bation !

Il n'eft donc point queftion pour nous fauver , de changer d'état ; & fou- vent même > comme nous l'avons déjà obfervé > ce changement pourroit pré- judicier au falut , parce que le nouvel état qu'on embrafïeroit ne ferait point proprement , ni félon JDieu , notre état s c'eft-à-dire , que ce ne ferait point l'é- tat qu'il auroit plu à Dieu de nous aiîi- gner dans le confeil de fa fagefle.

Il n'eft point queftion de renoncer abfolument au monde , & de nous enfe- veiir tout vivans dans des folitudes , pour n'être occupés que des chofes éter- nelles , & pour ne vaquer qu'aux exer- cices intérieurs de l'âme. Cela eft bon pour un petit nombre à qui Dieu infpire cette réfolution , & à qui il donne la force de l'exécuter : mais après tout , que feroit-ce de la raciété humaine fi cha- cun prenoit ce parti ? A quoi fe rédui-

D tj Salut. '€$

foit le commerce des hommes entre eux ; 8c fans ce commerce, comment pourroit fubfifter l'ordre 8c la fubordina- tion du monde ?Ainfi rien de plus fage, ni de plus raifonnable que la régie de Saint Paul , lorfqu'écrivant aux premiers fidèles nouvellement convertis , il leur difoit : Mes Frères * demeure^ dans les r. Cor, mêmes conditions ou vous etie% quand il c%1% zo* a plu à Dieu de vous appeller ; comme s'il leur eût dit : dans ces conditions , vous pouvez être chrétiens , 8c vivre en chrétiens ; car ce n eft point précifément à la condition que la qualité de chrétien éft attachée. Or vivant en chrétiens 8c pratiquant dans vos conditions l'Evangile de Jefus - Chrift 3 vous vous fauverez ; puifque c'eft de cette vie chrétienne 6c de cette fldelle obfervation de la loi 5 que le falut dépend»

Voilà ce qu'une infinité de mon- dains ne veulent point entendre , parce qu'ils veulent avoir toujours de quoi s'autorifer dans leur vie mondaine 9 8c que pour cela ils ne veulent jamais fe perfuader qu'ils puifient vivre chrétien- nement dans leurs conditions. Ils font merveilleux dans les idées qu'ils fe for- menu , 8c dans les dïfcours qu'il tien- nent en certaines rencontres. Il femble

fQ FOSSIBILïTË

qu'ils ayent leur falut extrêmement; à cœur , &c qu'ils foient dans la meilleure volonté de s'y employer j mais bien entendu que ce fera toujours dans un autre état que celui ils fe trouvent. O ii je vivois , difent-ils , dans la retrai- te, 8c que je n'euiTe à penfer qu'à moi- même ! O ii je ne voyois plus tant le monde 3 & que je puiTe ne m'occuper que de Dieu ! Mais le moyen d'être , au milieu même du monde , continuel- lement en guerre avec le monde , pour fe défendre de fes attraits 3 pour agir contre {qs maximes , pour fe foutenir contre fes exemples 3 pour ne fe laifTer pas furprendre à fes illuiîons , ni em- porter par le torrent qui en entraîne tant d'autres. Quel moyen ? ii l'on me le demande,, je répondrai que la chofe eft difficile ; mais j'ajouterai qu'en ma- tière de falut 5 à raifon de fon impor- tance , il n'y a point de difficulté qui puiife nous fervir de légitime excufe. Je dirai plus : car ces difficultés à vain- cre & ces efforts à faire , ce font les moyens de falut propres de notre état. Chaque condition a fes peines , 8c la Providence l'a ainfi réglé , afin que dans notre condition nous euiîions chacun dQs fujets de mérite , par la pratique

du Salut. 71

de cette abnégation évangélique en quoi confifte le vrai Chriftianifme , de par conféquent le falut.

Voie étroite du Salut y & ce qui peut

nous engager plus fortement

à la prendre,

L'Evangile de Jefus - Chrift eft au- deiïus de la raifon mais on peut dire en même tems qu'il n'eft rien de plus raifonnable : c'eft la droiture & la vérité même. Il ne déguife point , il ne flatte point. Ce qui peut fe faire fans peine , il le repréfente tout auffi aifé qu'il l'eft -y Se ce qui porte avec foi quel- que difficulté , il le propofe comme dif- ficile , & ne cherche point à l'adoucir par de faux tempéramens.

C'eft ce que nous voyons au re- gard du falut. Car au lieu que dans îa conduite ordinaire , on ne découvre pas d'abord à un homme tous les obftacles qui pourroient le détourner d une entre- prife , Se qu'au contraire on lui en ca- che une partie , afin de ne le pas éton- ner dès l'entrée de la carrière , 8c de ne lui pas abattre le cœur y l'Evangile

yi VûïË ÉTROITE

nïife point de ces réferves touchant le falut j il s'explique fans ménagement , 8c tout d'un coup il nous déclare que c'eft une affaire qui demande les plus grands efforts.

Le Sauveur des nommes n'a rien omis pour nous le faire entendre. Il a mille fois infifté fur ce point ; 8c de toutes les vérités évangéliques , il fem- ble que ce foit celle dont il ait eu plus à cœur que nous fumons inftruits y tant il Ta fouvent répétée , 8c tant il a employé de termes , de figures , de tours différens à l'exprimer dans toute fa force. S'il parle de la voie du falut , il ne fe contente pas de dire qu'elle eft. étroite , mais par une exclamation qui marque jufques dans ce Dieu-homme une efpéce d'étonnement , il s'écrie : Que cette voie eft étroite ! S'il parle du Royaume que £on Père nous a préparé , 8c dont la poifemon n'eft autre chofe que le falut , il nous avertit qu'on ne l'em- porte que par violence.

Si pour nous donner de ce falut des idées fenfibles , il ufe de comparaifons , il nous le fait concevoir comme un fomptueux édifice 5 mais qui coûte dos frais immenfes à bâtir ; comme un tré- for caché 5 mais qu'on ne trouve qu'à

force

d y S a l u t. 75

force de remuer la terre , Se de creufer ; comme une pierre précieufe , mais qu'on n'acheté qu'en fe défaifant de tout le refte 8c le vendant ; comme une moifïbn abondante , mais qu'on ne re- cueille que dans la faifon des fruits , 8c lorfque par un travail alîîdu on a cultivé le champ du père de famille j comme un riche falaire , mais qu'on ne reçoit que le foir , 8c qu'après avoir porté tout le poids de la chaleur Se du jour ; comme une ample récompenfe , mais de quoi ? d'une ferveur dans la pratique de la juftice chrétienne , 8c d'un zèle fem- blable à une foif 8c à une faim dévo- rante y d'un détachement au-defïus de coût intérêt temporel 8c humain j d'une pureté d'ame 8c d'une innocence do mœurs , exemte des moindres taches j d'une pénitence auftère , 8c d'une mor- tification ennemie de toutes les corn-» modités 5 8c de tous les plaifîrs des fens ; d'une douceur que rien n'émeut ni n'aigrit , dont rien ne trouble la paix , & qui s'applique par-tout à la mainte- nir ; d'une charité bienfaifante 8c toute miféricordieufe , toujours prête à pré- venir le prochain > à le foulager 8c a l'aider j d'une patience inaltérable dans les maux de la vie , 8c même au milieu Tome L G

*74 Voie étroite

des perfécutions .& des .malédictions J car voilà le précis des enfeignemens que'Jefas-Chrift ,. notre guide '& notre maître , nous a tracés , autant par fes. exemples que par fes paroles , fur l'af-* faire du falut : voilà le chemin qu'il nous a ouvert. Il n'y en a point d'autre , ni jamais il n'y en aura

Or nous ne fentons que trop de com- bien d'épines ce chemin eft. femé , ôc combien il eft rude à tenir , fur-tout dans l'extrême foiblefïe nous fom- mes. C'eft pourquoi le même .Fils de Dieu ne nous a pas dit iimplement , en- trez dans ce chemin , mais efforcez- vous d'y entrer , mais excitez-vous , ani- mez-vous, &: prenez à chaque pas un courage tout nouveau pour y avancer de y perfévérer. Les Apôtres r\Qn ont point autrement parlé. Dans toutes leurs Epîtres ils ne nous prêchent que la fuite du monde , que la retraite , que le recueillement intérieur , que la dé- fiance de nous-mêmes , que la péniten- ce , que l'abnégation , qu'une guerre continuelle de l'efprit contre la chair , que la mort de tous les appétits déré- glés 3 Se de tous les defirs du fiecle. La nature a beau fe plaindre & murmurer , les élus de Dieu ne fe font jamais

T> XJ S A L U T. JC

Battes - defTus , 3c n'ont point ima- giné de voie plus douce par ils crufTent pouvoir atteindre au port dtt falut.

On me dira que cette morale eft bien févère : î qui en doute ? nous en convenons ; nous ne prenons point , en l'annonçant , de circuit , ni de détour , nous fommes prêts , ainii qu'il nous eft ordonné , de la publier fur les toits. Mais du refte,, avec toute fa févérité , cette morale fubfifte toujours telle que nous l'avons reçue , Se toujours elle fubfiftera. Tout cela eft rigoureux , il eft vrai ; mais il n eft pas moins vrai , quelque rigoureux que tout cela foit , qu'il ne nous eft pas permis d'en rien retrancher : il n'eft pas moins vrai que quiconque refufe de s'affujettir à tout cela , eft dans la voie de perdition , Se qu'il n'y a point de falut pour lui : il n'eft pas moins vrai que de prétendre modérer tout cela , expliquer tout cela par des interprétations favorables à la cupidité de l'homme Se à nos inclina- tions fenfaelles , c'eft fe tromper foi- . même , 8c tromper ceux qu'on entraîne dans la même erreur ; Se qu'en fe trom- pant ainfi foi - même Se trompant les autres , on fe damne Se on les damne.

Gij

j& Voie étroite avec foi. Voilà ce qui ne peut être con- tefté , dès qu'on a quelque teinture de la morale chrétienne ôc comme les portes de l'enfer ne prévaudront jamais contre l'Eglife de Jefus-Chrift , je puis ajouter que jamais tous les artifices ni tous les prétextes de notre amour pro- pre ne prévaudront contre ces princi- pes évangéliques , & contre les obliga- tions étroites qu'ils nous impofent. Le ciel ôc la terre palferont , mais la pa- role du Seigneur ne paiTera point. Or il nous a dit en venant parmi noiiî: Mat.e. ce n>eft point & pàïx ni un repos oijlf *°« 34» que je vous apporte ; mais je viens vous mettre le glaive à la main : je viens vous apprendre à vaincre tous les ennemis de votre falut , ôc fur-tout à vous vaincre vous-même. N'efpérons pas de changer cet ordre de la divine Sageffe j mais ne penfons , pour nous y conformer , qu'à nous changer nous-mêmes.

On me demandera , qui pourra donc fe fauver ? Qui le pourra ? ceux qui pra- tiqueront l'Evangile. On ira plus loin, ëC on me demandera qui le pourra pra- tiquer, cet Evangile , dont la morale eft fi pure , & la perfection fi relevée ? Qui le pourra ? ceux qui par une volonté ferme ôc inébranlable 3 aidée de la grâce 3

D U S A L U T. 77

s'y feront fortement déterminés. Mais on ne s'en tiendra pas encore-là , & l'on me demandera enfin qui pourra fe dé- terminer à une vie auiîi régulière , 8c auffi laborieufe , que l'Evangile nous la prefcrit ? Qui le pourra ? ceux qui par une folide & fréquente réflexion fe fe- ront bien remplis l'efprit & bien con<- vaincus de l'importance du falut. Car quoique je l'aie déjà remarqué plus d'une fois, je le redis & je ne puis trop le redire , c'eft de-là que tout dépend -y c'eft-à-dire , de cette vive perfuafion , de cette vue toujours préfente , de cette idée du falut comme de l'affaire capi- tale , comme de l'unique affaire , comme d'une affaire qui feule , oii par fon fuccès doit faire notre bonheur fouve- rain , ou p?' fa perte notre fouverain malheur. V oilà le reffort qui remuera toutes les puiffances de notre ame : voilà 3 après la grâce du Seigneur , le premier mobile , d'où nous recevrons ces grandes. imprelîions auxquelles rien ne réfiffce. Tellement que quelques com- bats qu'il y ait à foutenir , &c quelques nœuds qu'il y ait à rompre , quelques charmes que le monde préfente à nos yeux pour nous attirer & nous attacher , rien déformais ne nous touchera , ne

G iij

78 Voie étroite nous ébranlera , ne nous retiendra : pourquoi ? parce que dans notre eftime y nous ne mettrons rien en parallèle avec le falut.

Expliquons ceci par un exemple fami- lier : la comparaifon eft très - naturelle» Le feu prend dans une maifon , il s'allume de toutes parts , il fe com- munique , il croît , l'embrafement eft général : chacun penfe à foi 3 tous pren- nent la fuite 3 on fe fauve par Ton peut j de comme l'on peut. Cependant un homme profondément endormi , ne fent pas le péril il eft d'être confumé par les flammes & d y périr ; on court à lui , on l'éveille , il ouvre les yeux 5 il voit tout en feu. A ce moment que fait-il ? délibere-t-il à fe fauver ? prend- il garde s'il lui fera facile de s'échap- per ? un premier mouvement l'emporte > Ôc ne lui donne pas le loifir de rien examiner. S'il faut grimper fur un mur > s'il faut fe précipiter d'un lieu élevé , s'il faut paffer à travers la flamme 5 point de moyen qu'il ne tente. Pour éviter un danger 3 il fe jette dans un autre 3 6c pour fe garantir de la mort qui le menace , il s'expofe 3 fans héri- ter , à mille morts. D'où lui vient cette ardeur 3 cette agitation a cette réfolu-

D U S A L U T. 7^

tion ? c'eft qu'il y va de la vie , Se que de tous les biens de ce monde nul lui eft fi cher que la vie , parce qu'il fçait que le fondement de tous les biens de cette vie, c'eft la vie même.

Belle image d'un chrétien qui revient de ralïbupifTement il étoit à l'égard du falut , & qui commence à bien con- noître la conféquence infinie d'une telle affaire , après en avoir mûrement con- sidéré le fonds , le danger , les obfta- cles , toutes les fuites. U fe voit au mi- lieu du monde comme au milieu du feu : parlions ardentes , .qui dévorent les cœurs } fauffes maximes , qui cor-* rompent les efprks ; objets flatteurs a qui fafeinent les yeux } fales plaifirs ,- qui amolliifent les fens } exemples qui entraînent, occafions qui furprennent, difeours libertins , fcandales publics 5 intérêts fordides , injuftices criantes , engagemens de la coutume , efclavage du refpect humain , excès de la dé- bauche , profanation des plus faints lieux , abus , facriléges & impiétés , que dirai-je ? ôc peut-on avoir aifez peu de connoilfance pour ne fçavoir pas com- bien le monde eft perverti , &c combien il eft capable de nous pervertir nous- mêmes ?

Giiij

V O ï I ÉTROITE

Comment fe défendre de cette con- tagion répandue par-tout , 8c comment fe mettre à couvert de fes atteintes ? Comment afTailli de tous côtés, 8c affiégé de tant d'ennemis , leur faire face 8c en triompher ? Comment repouiîer leurs attaques , éviter leurs furprifes , parer à tous leurs traits ? En un mot , fur le pen- chant d'une ruine toujours prochaine, comment afïurer tous fes pas 8c fauver £on ame ? Comment ? laiffez agir ce chrétien éclairé de la lumière de Dieu ëc fortifié de fa grâce. C'eft alfez qu'il fe foit bien imprimé dans fon fouvenir 5 l'excellence du falut , c'eft allez qu'il en ait connu le prix ; tant que cette penfée l'occupera , qu'elle le frappera , 8c que pour la conferver il la renouvellera fou- vent , 8c la rappellera, j'ofe dire qu'alors il fera comme invulnérable 8c comme invincible. Il réprimera les pallions les plus violentes , il détruira les habitudes les plus enracinées , il fe roidira contre toute considération humaine , contre le torrent de la coutume , contre la chair 8c le fang5 contre les objets les plus corrupteurs , 8c les attraits des plai- firs les plus féduifans. Il s'adonnera aux exercices de la religion 3 fans en négli- ger aucun 3 ni par, mépris 3 ni par déli-

d v Salut. Sr

tàtefle , ni par une vaine crainte des raifonnemens du public. Il les pratiquera iidellement , exactement , conftamment my & parce que cette afîiduité eft un joug , & pour plufieurs même en mille con- jonctures un joug très-pefant , il fe cap- tivera , il fe fiwrmontera , il s'élèvera au-defïus de lui-même , jamais la peine ne l'étonnera.

A-t-elle étonné tant de Solitaires > quand ils fe font confinés dans les dé- ferts 3 3c retirés dans les plus fombres ca- vernes ? A-t-elle étonné tant de Religieux quand ils fe font cachés dans l'obfcurité du cloître 5 & fournis à toutes fes aufté- rites ? A-t-elle étonné tant de Vierges chrétiennes , quand elles ont facrifié tous les agrémens de leur fexe , 3c qu elles ont porté fur leurs corps toute la mortification de Jefus-Chrift ? A-t-elle étonné tant de Martyrs , quand ils fe font immolés comme àes victimes , ôc livrés aux plus cruels tourmens ? Il s'agit pour nous du même falut , dont l'efpé- rance leur donnoit cette force fupérieure & vi&orieufe. Fallût - il donc l'acheter par les mêmes fuppHces , par les mêmes facrifices , nous y devons être difpofés. Mais le fommes - nous en effet , ÔC quoique nous en difions > peut - on

ïi Voie étroite nous en croire , lorfqu'on nous vole céder honteufement Se vire aux moin- dres difficultés ? Car le Chriftianifrne aufli - bien que le monde , eft pleir* de ces faux braves , qui loin du péril témoignent une afiiirance merveilleu- fe , & à qui tout fait peur dans Toc- cafion.

Bifarre contradiction de notre fiécle ! jamais dans les entretiens , dans les pa- roles , dans les leçons de morale , on n'a plus rétréci le chemin du falut , parce que les leçons & les paroles n'en- gagent à rien } Se jamais en même tems on ne l'a plus élargi dans la pratique Se dans les œuvres , parce que ce font les oeuvres qui coûtent 3 Se que c'eft la pra- tique qui mortifie. Ne cherchons , ni par une rigueur outrée, à le rétrécir, jufqu'à le rendre impraticable \ ni par un relâchement trop facile , à i'applanir Se l'élargir, jufqu'à lui ôter toute fa févé- rité Se tout fon mérite. L'un nous con- duirait au défefpoir , Se l'autre nous per- drait par une trompeufe confiance.

Prenons le jufte milieu de l'Evangile , Se fans donner dans aucune extrémité , fouvenons - nous que la voie du Ciel n'eft point fi étroite qu'on n'y puiffe marcher j mais auffi qu'elle l'eft affez

du Salut, 8|

pour demander toute notre confiance, 8c pour exercer toute notre vertu.

Cependant, pour la confolation de ceux à qui le zèle de leur falut infpire de fuivre cette voie 8c d'y avancer 5 voici ce que j'ajoute , ôc ce que je puis appeller le miracle de la grâce. Car une expérience de tous les fîécles de- puis Jefus - Chrift , l'auteur 8c le con- îbmmateur de notre foi 3 a fait con- noître que cette voie , toute épineufe qu'elle eft , devient d'autant plus douce qu'on y cherche moins de douceurs > 8c qu'on s'afïujettit avec moins de ménagemens 8c moins de réferve à fes auftérités les plus mortifiantes. Com- ment cela fe fait-il ? C'eft aux âmes qui l'éprouvent à nous en inftruire ou plu- tôt , c'eft un de ces fecrets dont Saint Paul difoit , qu'il n'eft permis à nul homme de les expliquer. Mais tout impénétrable qu'eft ce myftère , il n'en eft pas moins réel ni moins véritable, Car de quelque manière que ce puiffe être , 8c en quelque fens que nous puif- fions l'entendre , il faut que la parole de Jefus - Chrift s'accompliffe : c'eft une parole divine 3 8c par conféquent infail- lible. Or cet adorable Maître nous a 4it que fon joug eft doux 8c fon fardeau

$4 Voie étroite léger & en nous invitant à le prendre ; il nous a promis que nous y trouve- rons la paix. Ces termes de joug Se de fardeau marquent de la difficulté Se de la pefanteur : mais avec toute fa pefan- teur 5 ce fardeau devient léger, Se ce joug devient doux , dès que c'eft le joug Se le fardeau du Seigneur ; pour- quoi ? parce que la grâce y répand toute fon on&ion , &" qu'il n'eft rien de ii pefant ou de fi amer , dont cette onc- tion célefte n'adouciffe l'amertume > Se qu'elle ne faffe porter avec une fainte allégreffe.

On en efl furpris , Se , pour ainfî di- re , on ne fe comprend pas foi-même , tant on fe trouve différent de foi-mê- me. Au premier afpecl de la voie étroite du falut , tous les fens s'étoient^ révoltés , Se à peine fe perfuadoit-on qu'on y pût faire quelques pas : mais du moment qu'on y eft entré avec ,une ferme con- fiance 3 les épines 5 fi j'ofe ufer de ces figures , fe changent en rieurs , Se les chemins les plus raboteux s'applanif- fent. Ah ! Seigneur , s'écrioit un grand Saint , vous rnave\ heureufement trompé. En m'enrollant dans votre milice , je m'attendois , félon les principes de vo- tre Evangle^ à des affauts Se à une guer-

D U S A I U T. ^ $ 5

te , je craignois que ma foiblefTe ne fuccombât. Je me figurois une vie trif- te , pénible 5 ennuyeufe , fans repos , fans goût j & jamais mon cœur ne fut plus content, ni mon efprit plus calme ÔC plus libre. Combien d'autres ont rendu le même témoignage ? mais le mil eft qu'on ne les en croit pas , qu'on ne veut pas fe convaincre par une épreuve per- fonnelle & par fon propre feiitiment-

Soin duSalut& V extrême négligence

avec laquelle on y travaille

dans le monde.

CHerchei premièrement le Royaume tut* c* de & fa juftice. En ce peu de pa- «»3W rôles , le Sauveur du monde nous don- ne une jufte idée de la conduite que nous devons tenir à l'égard du falut. Ce falut , ce Royaume de Dieu , c'eft dans l'éternité que nous le devons pofTéder > c'eft à la mort que nous le devons trou- ver } mais c'eft dans la vie que nous le devons chercher. Si donc je ne le cher- che pas dans la vie , je ne le trouverai pas à la mort j Se fi j'ai le malheur den^ le pas trouver à la mort , je ne le trour

86 Soin

verai jamais , 3c dans l'éternité j'aurai l'affreux défefpoir d'avoir pu le poffé- der , & de ne le pouvoir plus.

C'eft , dis-je , dans la vie qu'il le faut chercher y car l'unique voie pour y arriver Se pour le trouver , ce font les bonnes oeuvres , c'eft la fainteté. Or ces bonnes œuvres , les peut-on pratiquer ? en cette vie 5 Se non en l'autre. Cette fainteté , la peut-on acquérir ? dans le temps préfent , Se non dans l'éternité ; fur la terre 5 Se non dans le Ciel. En effet , il y a cette différence à remarquer entre le Ciel Se la Terre : la terre fait les Saints , mais elle ne fait pas les bienheureux : Se au contraire le Ciel fait les bienheureux , mais il ne fait pas les Saints. Suppofez de tous les Saints celui que Dieu aura élevé au plus haut point de gloire dans le Ciel , tout l'éclat de fa gloire n'ajoutera pas un feul degré à. fa fainteté. Cet état de gloire couronnera fa fainteté , confir- mera fa fainteté , confommera fa fainte- té j mais il ne l'augmentera pas. Il la rendra plus durable , puifqu'il la rendra éternelle } mais il ne la rendra ni plus méritoire , ni plus parfaite.

C'eïl donc dès maintenant Se fans différer 3 que nous devons donner nog

duSalvt. $7

{oins à chercher le Royaume de Dieu. Mais encore comment le faut-il cher- cher ? Premièrement : c'eft-à-dire que £«*« ei nous devons faire du falut notre pre- 2* 3 iniere affaire , pourquoi ? parce que c'eft notre plus grande affaire. Régie divine , puifque c'eft le Fils même de Dieu qui nous l'a tracée. Régie la plus droite , la plus équitable , puifqu'elle eft fondée mr la nature des chofes , Se qu'il eft bien jufte que le principal l'emporte fur l'acceffoire. Régie fixe de inviolable , puifque c'eft une loi éma- née d'en haut 3 êc un ordre que Dieu a établi 8c qu'il ne changera jamais. Mais nous toutefois 5 nous prétendons ren- verfer cet ordre , nous entreprenons de contredire cette loi , nous voulons fubftituer à cette Régie une Régie toute oppofée. Car Jefus - Chrift nous dit : cherchez d'abord le Royaume de Dieu , 8c pour ce qui eft du vêtement , de la nourriture , des biens de la vie , n'en foyez .point en peine. Vous pouvez vous en repofer fur votre Père célefte , qui vous aime , 8c qui vous donnera toutes im, ces chofes par fur croît. Mais nous au con- traire nous difons : cherchons d'abord les biens de la vie : 8c pour ce qui re- garde les biens de l'Eternité , le Royau-

S8 S o i n

me de Dieu , le falut , ne foyons point ; en peine , mais confions-nous en la mi- féricorde du Seigneur : il eft bon , il ne nous abandonnera pas.

Nous le difons , finon de bouche , du moins en pratique , ôc c'eft ainfi que raifonnerent les sConviés de l'Evangile. Ils étoient invités à un grand repas : il falloit pour y aftifter , certains habits de cérémonie , certains préparatifs ; tue, c. mais eux , tout occupés de leurs affai- ■Ï4*I7» res temporelles , il crurent qu'ils y dé- voient vaquer préférablement à l'invi- tation qu'on leur avoit faite. Ils ne dou- tèrent point qu'ils n'euifent fur cela de bonnes raiforis pour s'excufer ; Se pleins de confiance , l'un dit , je me marie , & il faut que j'aille célébrer les noces : l'autre dit 3 j'ai acheté une ter- re , Se je ne puis me difpenfer de l'aller voir j un autre dit , j'ai à faire l'efTai de cinq paires de bœufs qu'on m'a vendus. Tous conclurent enfin qu'ils avoient des chofes plus preffées , que ce repas dont il s'agiiïbit , ôc répondirent que ce feroit pour une autre fois. Or qu eft-ce que ce grand repas ? dans le langage de l'Ecriture , c'eft le falut. Dieu nous y appelle , & nous y appelle tous. Il ne fe contente pas , pour nous y convier , de

nous

D U S A L U* T. $$

nous envoyer fes Miniftres & Tes S ervi- teurs : mais il nous a même envoyé fon Fils unique. On nous avertit que de la part du Maître tout eft prêt , & qu'il ne refte plus que de nous préparer nous- mêmes , & de nous mettre en état d'ê- tre reçus au Feftin. Mais que répon- dons-nous ? J'ai d'autres affaires préfen- tement , dit un mondain j &c quelles font-elles ces autres affaires ? l'affaire de mon établir! ement , ajoute-t-il , l'affai- re de mon aggrandiffement , les affaires de ma maifon j en un mot , tout ce qui regarde ma fortune temporelle.

Pour ces affaires humaines que ne fait-on pas , & cette fortune temporelle à quel prix ne l'achete-t-on pas ? Eft- il moyen qu'on n'imagine , & eft-il moyen > quelque pénible & quelque fatiguant qu'il foit , qu'on ne mette en œuvre pour fe pouffer , pour s'avan- cer , pour fe diftinguer , pour s'enri- chir y pour fe maintenir , foit à la Cour foit à la Ville ? Il femble que le monde ait alors la vertu de faire des miracles ? &c de rendre pofïible ce qui de foi-mê- me paroîtroit avoir des difficultés in^ furmontables , de être au-deffus des for- ces de l'homme. Il donne de la fanté aux foibles y 8c leur fait foutenir des tra,- Tome jL li

cjo S o r *r

vaux , des veilles , des contention^ d'efprit , capables de ruiner les tempé- rament les plus robuftes. Il donne de l'activité aux pareffeux 3 & leur infpire un feu Se une vivacité qui les porte par-tout , 8c que rien ne ralentit. Il don- ne du courage aux lâches > 8c malgré les horreurs naturelles de la mort, il les expofe à tous les orages de la mer , 8c à tous les périls de la guerre. Il donne de rinduftrie aux iimples , 8c leur fuggére les tours 5 les artifices , les intrigues 5 les mefures les plus efficaces pour par- venir à leurs fins 8c pour rcuïïir dans leurs entreprifes, Voilà comment ou cherche les biens du monde , 8c com- ment on croit les devoir chercher. De forte que fi l'on vient à bout de fes def- feins , quoiqu'il en ait coûté on s'efti- me heureux , 8c l'on ne penfe point à fe plaindre de tous les pas qu'il a fallu faire : 8c que 11 les defTeins qu'on avoit formés , échouent , ce n'eft point de toutes les fatigues qu'on a effuyées 3 que l'on gémit , mais du mauvais fuccès elles fe font terminées. Tant on eft perfuadé de cette fauffe 8c dangereufe maxime , que pour les affaires du mon- de on ne doit rien épargner , 8c qu'el- les demandent toute notre application.

du Salut. 91

Cependant que fait-on pour le faiut -y & quand il s'agit du Royaume de Dieu , a quoi fe tient-on obligé , quelle dili- gence y apporte-t-on ? Les uns en laif- fent tout-à-fait le foin j 8c tout le foin que les autres en prennent , fe . réduit à quelque extérieur de religion , prati- qué fort à la hâte , 8c très-imparfaite- ment. On ne s'en inquiète pas davan- tage : comme fi cela fuffifoit , 8c que Dieu dut fuppléer au refte. En vérité efë-ce ainfi que le Sauveur des hommes nous a avertis de chercher ce Royaume fermé depuis tant de fiécles , 8c dont il eft venu nous tracer le chemin 8c nous ouvrir l'entrée ? Il veut que nous le Mat. as cherchions comme un tréfor : or avec 13* *** quelle ardeur agit un homme qui fe propofe d'amaifer un tréfor ? On. eft at- tentif à la moindre efpérance du gain , fenfible à la plus petite perte 5 prudent pour difeerner tout ce qui peut nous Servir , ou nous nuire : courageux pour fupporter tout le travail qui fe préfente ; tempérant pour s'interdire tout diver- tiifement , toute dépenfe qui pourroic arrêter nos projets , 8c diminuer nos profits. Il veut que nous le cherchions comme une perle précieufe 1 or cet homme de l'Evangile qui a découvert

Hij-

9 2. Soin

une belle perle , ne perd point de rems Jj court dans fa maifon , vend tout ce qu'il a , fe défait de tout pour acheter cette perle dont il connoît tout le prix , 8c qu'il craint de manquer» Il veut que nous le cherchions comme notre con- quête : or à. quels frais , à quels hazards , à quels efforts n'engage pas la pourfuite 8c la conquête d'un Royaume l II veut que nous, le cherchions comme notre fin 8c notre dernière fin : or en toutes chofes la fin., & fur-tout la fin dernière y doit toujours être la première dans l'in- tention • on ne doit vifer que , n'afpi- rer que ,. n'agir que pour arriver là.

Et voilà pourquoi notre adorable Maître ne nous a pas feulement dit t Luc, c, cherche^ le Royaume de Dieu ; mais il S2§ 31* ajoute, & farjuJUce., Qu'efl-ce que cette Juftice ? finon ces œuvres chrétiennes £ cette fainteté de vie fans quoi l'on ne peut prétendre au Royaume éterneL Car je viens de le dire y 8c je ne puis trop le répéter , ce Royaume n'eft que pour les Saints. Il n'eft ni pour les grands , ni pour les nobles , ni pour les riches , ni pour les fçavans : difons mieux , il eft , 8c pour les grands , pour les nobles , 8c pour les riches , 8c pour les fçavans 3 6c pour tous les au-

du Salut. 95

très 9 pourvu qu'à la grandeur , qu'à la noblefïe , qu'à l'opulence , qu a la fcien- ce , qu'à tous les avantages qu'ils polie- dent , ils joignent la fainteté. Tous ces avantages fans la fainteté feront réprou- vés de Dieu j & la fainteté fans aucun de ces avantages fera couronnée de Dieu.

Mais cette Juftice , cette fainteté de vie , ce mérite des œuvres , c'eft ce qui ne nous accommode pas, Se ce que nous mettons , dans le plan de notre condui- te , au dernier rang. Du moment qu'on veut nous en parler , une foule de pré- textes fe préfente pour nous tenir lieu d'exeufes ?. ou de prétendues excu- ks : on eft trop occupé , on n'a pas le tems , on a des engagemens. indifpenfa- blés ôc à quoi l'on peut à peine fufrl- re j on eft incommodé , on eft d'une complexion délicate , on. eft dans le feu de la jeunefTe , on eft dans le déclin de l'âge , en un mot on a mille raifons y tou- tes aulîi fpécieufes , mais en même tems toutes aulli fauffes les unes que les. autres*

Ce qu'il y a de plus déplorable , c'eft qu'on fe croit par-là bien juftifié devant Dieu, lorfquon ne l'eft pas. Ces con- viés qui s'exeuferent , ne doutèrent point que le Maître qui les avoir invités , ne

^4 Soin du Salut, fut très-content d'eux, &/de ce qu'ils lui alléguoient pour ne pas fe trouver: à fon repas. Mais il en jugea tout autre-* ment , il en fut indigné , 8c déclara fur l'heure, que jamais aucun de ces gens-là ne I«f. eparoîtroit à fa table. Tel eft- de la part de I ^4.24, Y)içu le jugement qui nous attend», Dès que nous refufons de travailler à notre falut , 8c d'y travailler folidement , il nous rejette par une réprobation an- ticipée, 8c nous exclut de fon Royaume. Quel arrêt ' quelle condamnation ! mal- heur à l'homme qui s'y expofe. Ah i nous avons des affaires : mais du moins, pour ne rien dire de plus , comptons le falut au nombre de ces affaires , 8c re- gardonsrle comme une occupation di- gne de nous.

Non-feulement elle en eft digne, mais par comparaifon avec celle-là nulle ne. mérite nos foins , 8c tout ce que nous donnons de tems à toute autre affaire T au préjudice de celle-là, ou indépen- damment de celle-là , ne peut être qu'un temps perdu. Je ne dis pas que c'eft toujours un tems perdu pour le mon- de , mais pour le falut : or étant perdu pour le falut , tout autre emploi que nous en faifons , n'eft plus qu'un amufe- ment frivole , 8c tout autre fruit que nous en retirons n'eft que vanité 8c illufion.

Substitution des Grâces y8cc. 95

Subftitution des grâces du Salut; les vues que Dieu s'y propofe _, 6* comment il y exerce fajuftice & fa miféricorde.

P\ Ans l'ordre du Salut il y a de la JL/part de Dieu des fubftitutions ter- ribles : c'eft-à-dire que Dieu abandonne [ les uns , & qu'il appelle les autres ; que Dieu dépouille les uns , &: qu'il enri- chit les autres ; que Dieu ôte aux uns les grâces du falut , 8c qu'il les tranfpor- te aux autres. Myftère de prédeftina- tion certain & inconteftable, Myftère qui , tout rigoureux qu'il paroît & qu'il eft en effet , ne s'accomplit néanmoins que félon les loix de la plus droite Juf~ tice 3 3c que par le Jugement de Dieu le plus équitable. Enfin Myftère Dieu fait tellement éclater la fevérité de fa juftice , qu'il nous découvre en même tems , tous les tréfors de fa miféricorde , ôc les reiTources inépuifables de fa provi- dence : de forte qu'à la vue de ce grand Myftère , je puis bien dire comme le Prophète : Le Seigneur a parlé j & voici pfai.

' 16. I£f

*9<£ Substitution des Grâces deux chofes que j'ai entendues tout à la fois :fcavoirj que le Dieu que j'adore eft également redoutable par fon infinie puifTance , 8c aimable par fa fouveraine bonté.

I. Myftère certain & inconteftabk ; myftère de Foi. Toute l'Ecriture , fur- tout l'Evangile , les Epîtres des Apô- tres nous annoncent cette vérité , 8c les exemples les plus mémorables l'ont confirmée jufques dans ces derniers 'Matt. c, fiécles. Le Royaume de Dieu vous fera en- ai* 43* levé j difoit le Sauveur du monde aux Juifs , & il fera donné à un peuple qui en produira les fruits. Le même Sauveur 8c au même endroit , en propofant la pa~ fbih rabole de la vigne , ajoutoit : Que fera ^0# le Maure à ces vignerons qui fe font révol- tés contre lui? Il fera périr miférablement ces mif érables s & il louera fa vigne à d'au- tres â qui la cultiveront & prendront foin de la faire valoir. N'eft-ce pas aufïi félon cette conduite de Dieu , que Saint Paul 8c Saint Barnabe eurent ordre d'aller prê- cher l'Evangile aux Gentils, 8c qu'ils fe retirèrent de la Judée en prononçant rAû, c. cette efpece de malédiction; Puifque vous {* 3 46» rejette^ laparole du Salut ^ que vous vous juge^ indignes de la vie éternelle j voilà que

nous

D U S A L T7 T. 97

nous nous tournons vers les Nations ; car le Seigneur nous l'a ainfi ordonné.

Il y auroit cent autres témoignages à produire , les plus évidens , 8c qui nous marquent deux fortes de fubftitutions ; fubftitutions générales , 8c fubftitutions : particulières. Subftitutions générales d'une nation à une autre nation. Les Gentils ont pris la place des Juifs : Ceux jfdt Ci quïétoient enveloppés des plus épaljfesté- ?• nebres & ajjls à l'ombre de la mort _, ont vu s' élever fur eux le plus grand jour \> & ont été éclairés de la plus brillante lumière ? tandis que le peuple choiii de Dieu , que les enfans de la promefle font tombés dans Paveuglement le plus profond , 8c dans un abandonnement qui s'eft perpétué de génération en génération , 3c d'où ils ne font jamais revenus : Vengeance divine , dont nous n'avons pas feule- ment la preuve dans cette nation ré- prouvée , mais ailleurs. On a va des Provinces , des Royaumes , des Empi- res , la vraie Eglife de Jefus-Chxift dominoit , 3c la plus pure 8c la plus fervente Catholicité formoit des mil- liers de Saints , perdre tout-à-coup la foi de leurs pères , 8c fe précipiter dans tous les abîmes l'efpdt de menfonge les a conduits , pendant que cette mê- Tome I. I

cj% Substitution des Grâces me foi j profcrite & bannie , palïbit au- delà des mers 3 ■& portoit le falut à des fauvages & à des infidèles. Voilà , dis- je 5 ce que l'on a vu , &c de quoi nous -avons encore devant les yeux les trilles monumens. Plaife au Ciel de ne nous pas enlever un fi riche talent , & que nous ne fervions pas d'exemple à ceux qui viendront après nous , comme nous en fervent ceux qui nous ont précédés. Le danger eft plus à craindre & plus prefîant que nous ne le croyons : puif- lions-nous y prendre garde. Subftitu- tions particulières , d'un homme à un autre homme. Dans l'ancienne Loi , Jacob eut la bénédiction , qui , par le droit d'aineffe , appartenoit à fon frère Efaii : figure fi familière à l'Apôtre Saint Paul , & qu'il met fouvent en œuvre. Dans la Loi nouvelle., Saint Matthias fuccéda à Judas déchu de l'Aportolat. Entre quarante Martyrs fur le point de çonfommer leur facririce , un fut vaincu &: manqua de confiance j mais dans le moment même un autre fit le quaran- tième , 3c emporta la couronne. Ce n^fl pas pour une fois que des Solitai- res , que des Pénitens , que des Juftes fe font pervertis , & qu'en même tems 4es mondains ? des pécheurs feanda-

D U S A L U T.

leux , des impies ont été touchés , ont ouvert les yeux ; non-feulement font revenus à Dieu , mais Te font élevés à la plus haute fainteté. On eft encore quelquefois témoins de certaines chûtes qui étonnent , & d'autre part on entend aulîi parler de certaines converfions qui ne paroiffent pas moins furprenantes. Chacun en juge félon fa penfée , 8c chacun prétend en connoître les vérita- bles caufes j mais fi nous pouvions ap- profondir les fecrets de Dieu , nous trouverions fouvent que cela s'eft fait par un tranfport de grâces que celui-là a rejettées , 8c dont celui-ci a profité. Quoi qu'il en foit , n'oublions jamais l'avis que donnoit Saint Paul aux Ro- mains , de ne fe laifiTei point enfler des dons qu'ils avoient reçus , mais de fe tenir toujours dans une crainte humble 8c falutaire. Si nous pouvons croire avec quelque confiance que nous marchons dans le chemin du falut & de la perfec- tion chrétienne , humilions-nous à la vue de tant d'autres , qui après y avoir paffi de longues années , 8c y avoir fait incomparablement plus de progrés que nous , ont eu le malheur d'en for- tir , & de s'en^aeer dans la voie de perdition 3 ils ont péri. Et fi nous

iôo Substitution des Grâces voyons un pécheur plongé dans toutes les abominations du vice & du liberti- nage , ne penfons point avoir droit de le méprifer j mais humilions-nous en- core à la vue de tant d'autres auiîi cor- rompus , & , pour ainlî dire , auiîi per- dus que lui , qui ont eu le bonheur de fe reconnoître , de fe relever , d'acqué- rir par la ferveur de leur pénitence un fond de mérites que nous n'avons pas , Ôc de parvenir dans le Ciel à un point de gloire , nous ne pouvons guéres efpérer d'atteindre. Voilà le grand fen- timent que nous avons à prendre , & dont nous ne devons point nous dépar- tir. Mais avançons.

II. Myftère , qui , tout rigoureux qu'il paroît de qu'il eft en effet 3 ne s'accomplit néanmoins que félon les loix de la plus droite Juftice , & que par le Jugement de Dieu le plus équitable. Quand dans une Cour on voit la décadence d'un Grand que le Prince éloigne de fa perfonne , qu'il bannit de fa préfence, qu'il dégrade de tous les titres d'hon- neur qui l'illuftroient & le diftinguoient , ce renverfement de fortune , cette dif- grace répand dans les cœurs une ter- reur fecrette : on fe regarde l'un l'au^

du Salut. ioi

tre ; dans la fuprife Ton fe trouve , on mefure toutes fes paroles , & l'on n'ofe d'abord s'expliquer. Mais fi l'on apprend enfuite les juftes fujets qu'a eu le Maître de frapper de fon indignation ce favori , ce courtifan , & de retirer de lui fes dons , on revient alors de 1 e- tonnement l'on étoit , on impute à la perfonne fon propre malheur , Se l'on traite la conduite du Prince , non point de févérité , mais de punition lé- gitime ôc raifonnable.

Image parfaite de ce qui fe paffe en- tre Dieu & l'homme. Quand on nous dit que Dieu délaifTe une ame , qu'il ne lui donne plus , comme autrefois 3 fes foins paternels , qu'il ne fait plus def- cendre fur cette terre ilérile & déferte , ni la rofée du Ciel pour l'amollir , ni les rayons du foleil pour l'éclairer ; qu'il n'y croît plus que des ronces &: des épines : quand nous entendons cette affreufe malédiction que Dieu lance contre fon peuple', Vous nefere^plus mon peuple _, & Cf?e. ci je ne ferai plus votre Dieu .-quand nous li- J'7* £ons au Livre des Rois cette trifte paro- le de Samuel à Saùl 5 le Seigneur vous a i- Reg* rejette ; & que même nous voyons jô*5* comment Pefprit de Dieu fort de ce Prince malheureux , 8c va fufeiter Da-

lui

io2 Substitution ©es Grâces vid pour occuper le Trône d'Ifraeî ; quand nous penfons à cette menacé '■M&t.c, prononcée par le Fils de Dieu , Plujîeurs t. ii» viendront de l'Orient & de l'Occident j Se tout étrangers qu'ils font , ils auront place, au Fejlin avec Abraham j Ifaac3 & Jacob dans le Royaume des deux ; mais les En- fans du Royaume feront jettes dehors dans les ténèbres : Et quand enfin tout cela fe vérifie à nos yeux , c'eft-à-dire y quand nous fommes témoins de la corruption Se du débordement des mœurs fe font précipités des gens , dont la vie > il y a quelques années , étoit très-régu- liere , très-chrétienne , très-édifiante ; Se que nous faifons cette réflexion, qu'il a fallu pour en venir à de telles extrémités, qu'ils aient été étrangement abandon- nés de Dieu ; ces idées nous effrayent, bous nous figurons Dieu , comme un Juge formidable ? nous tremblons fous fa main toute-puiflante , nous adorons fes Jugemens j mais autant que nous les révérons , autant nous les redoutons. On ne peut difeon venir qu'ils ne foient à craindre , Se il eft bon même que nous foyons touchés de cette crainte falutai- re dont le Prophète Royal fouhaitoit d'être pénétré jufques dans la moelle de fes os. Mais après tout 3 nous avons

du Salut. 103

d'ailleurs de quoi nous raffiner &: voici comment. Suivant les principes de la Religion , cette fouftraction de grâces ne vient pas de Dieu primitive- ment , pour m'exprimer de la forte y mais de nous-mêmes. Que veut dire cela ? C'eft que Dieu ne fondrait à l'homme la grâce 3 qu'après que l'hom- me par fa réfiftance s'en eft rendu for- mellement indigne ; c'eft que Dieu ne ceffe de communiquer à l'homme fou Efprit , qu'après que l'homme 5 par une obftination volontaire & libre , lui a fermé l'entrée de fon cœur c'eft que Dieu n'abandonne l'homme 3c ne le retranche du nombre des Juftes , qu'a- près que l'homme lui-même a aban^ donné Dieu , & qu'il s'eft livré à fon fens réprouvé & aux ennemis de fon falut.

Il ne tenoit qu'à cet homme d'écou- ter la voix de Dieu , de fuivre la grâce de Dieu 5 d'être fidèle aux infpirations de PEfprit de Dieu, de demeurer , avec l'aftiftance d'enhaut , inviolablement at- taché à Dieu j & Dieu alors l'eût tou- jours foutenu , lui eût toujours été préfent par une protection confiante , lui eût toujours fourni de nouveaux fe- cours : car ne plaife au Ciel que jamais

I iiij

ïo4 Substitution des Grâces nous donnions dans cette erreur fi hau- tement condamnée par l'Eglife , fça- voir qu'il y ait des Juftes que Dieu îaiffe manquer des grâces néceffaires y lors même qu'ils veulent agir , & qu'ils s'efforcent d'obéir à fes divines volon- tés félon l'état & le pouvoir actuel ils fe trouvent ! Si donc Dieu inter- rompt à notre égard le cours de fa pro- vidence fpirituelle , ôc Iaiffe tarir pour nous les fources du falut , nous n'en pouvons accufer que nous-mêmes. Il a abandonné les Juifs ; mais n'avoit-il pas auparavant recherché mille fois cette ingrate nation , & n'avoit-il pas em- ployé mille moyens pour vaincre leur opiniâtreté , Se pour amollir la dureté Zvc. c de leur cœur ? Jérufalem j Jérufalem j toi :*$ ' 34» qui verfes lefang des Prophètes _> & qui lapi- des ceux qui te font envoyés^ combien de fois ai- je voulu raffembler tes enfans com- me fous mes ailes j& tu ne F as pas voulu? Voilà que votre maifon va être déferte. Sans infifter fur bien d'autres exemples affez connus, quoiqu'éloignés de nous, il abandonne tous les jours une infinité de pécheurs y mais fi nous pouvions pénétrer dans le fecret de leurs âmes , nous verrions combien de fois , avant que d'en venir , il a voulu les attire*

du Salut. i o 5

à lui Se les gagner : Je vous ai appelles > Prou, a & vous vous êtes rendus fourds à ma pa- '• I4* rôle :je vous ai tendu les bras j & vous ave% négligé de vous rendre à mes invitations > vous ave\ méprifé mes confeils _, vous na- ve% tenu nul compte de mes avertijfemens _, ni de mes menaces. C'ejl pourquoi je vous méprife moi-même. Or qu'y a-t-il en cela de la part de Dieu que de raifonnable ? La conféquence que nous en devons tirer, c'eft de prendre bien garde à nous , de redoubler chaque jour notre attention y de conferver chèrement le don de Dieu nous l'avons } de ne nous mettre ja- mais au hazard de perdre un talent fi précieux : de nous ïouvenir que nous le portons dans des vafes très-fragiles , & que c'eft néanmoins toute notre ri- chefle & tout notre falut. Allons encore plus loin , & achevons.

III. Myftère 011 Dieu fait tellement éclater la févérité de fa Juftice _> qu'il nous découvre en même tems tous les tréfors de fa miféricorde , & les ref four- ces inépuifables de fa providence. Car je l'ai déjà dit > & c'eft à quoi nous de- vons faire préfentement une réflexion toute nouvelle : il n'en eft pas de notre Dieu 3 comme de ces maîtres intéreffés ,

lôo Substitution des Ghàcës qui reprennent ieurs dons pour les a voit - 8c pour les garder. Ce qu'il enlevé d'une ' part , il le rend de l'autre j mais à qui Je rend-il ? à ceux que fa miféricorde i choira pour faire valoir ce que d'autres ; poilédoient inutilement 8c ce qu'ils dif- îipoient. De forte que les dons de Dieu, fi je l'ofe dire ainii , ne font que chan- ger de mains. Subftitutions noiTs ne pouvons anez admirer 3 ni les adorables confeils de fa fageife , ni les foins pa- ternels de fon amour. Et d'abord , c'eft par de telles fubftkutions qu'il remplit le nombre de fes Elus. Car il veut que Rom, c. ce nombre foit complet \ & faudra-t-it donc, difoit l' Apôtre ^ parce que quelques- uns ont été incrédules , que par leur objli- nation la promejfe de Dieu demeure fans effet ? Faudra-t-il que les favorables def» feins qu'il a plu à fon infinie bonté de former fur le falut des hommes , foient arrêtés 8c renverfés ? Non ? fans doute ; mais au défaut de l'un il appellera l'au- tre ) l'étranger deviendra l'héritier , 8c l'efclave fuccédera au fils lequel étoit libre. Quand le Père de famille ap- prend que ceux qu'il avoit invités à fon ferlin , ont refnfé d'y venir , il ne veut pas pour cela que tous les apprêts qu'il a faits 3 foient perdus ; mais il ordonné

3. 3

d u Salut. 107

fur l'heure à fon ferviteur , d'aller dans toutes les- rues de la Ville , 8c de lui amener les pauvres , les paralytiques , les aveugles , les boiteux y 8c quand I malgré tout ce qu'on a pu ramafler de monde , on liû rapporte encore qu'il y a des places qui relient , il donne un nouvel ordre , qu'on cherche hors la Ville 3 dans les chemins 8c le long des haies , 8c qu'on prefle les gens d'en- trer : pourquoi ? Afin , dit-il , que ma Luc* g, maifonfe remplïjfe. C'eit ainfi que les *' I4é Anges rebelles ayant laifïe par leur chu- te comme un grand vuide dans le Ciel , Dieu leur a fubftitué les hommes j ne voulant pas que la damnation de ces Efprits réprouvés interrompît le cours de fes largefTes , ni qu'elle mît des bor- nes à fa miféricorde. Or ce qui eft vrai des Anges à l'égard des hommes , i'eft pareillement d'un homme à l'égard d'un autre homme.

-JDe plus : c'eit par ces mêmes îubfti- mtions que Dieu tourne le mal en bien 5 8c que le péché fert ail falut des pé- cheurs 8c à leur fanctification. Ce pé- cheur abufoit de telle grâce , 8c Dieu l'a tranfportée à cet autre , auiîi pé- cheur , peut-être même plus pécheur que lui j mais qui , dans l'heureux mo-

'ïo8 Substitution des Grâces ment la grâce vient tout de nouveau le folliciter , cède enfin à l'attrait & le fuit , fe reconnoît 5 fe convertit , com- ble de confolation toutes les perfonnes qui s'intéreffent à fon faîut. Cet olivier fauvage 3 enté fur l'olivier franc dont les branches ont été rompues , produit des fruits au centuple , ôc d'excellens fruits. Ce pénitent efface tout le paiTé par la ferveur de fa pénitence , il s'a- vance , il fe perfectionne , il devient un Saint : voilà l'œuvre du Seigneur , voi- là le miracle de fa droite , voilà ce qui répand l'édification fur la terre , & la joie dans toute la Cour célefte. Ajou- tez que fouvent dans ces fubftitutions la perte d'un petit nombre de pécheurs eft plus que fuffifamment , & même plus qu'abondamment compenfée par le grand nombre des autres que Dieu prend delà occafion de fauver. Qu'é- toit-ce que le peuple Juif en compa- raifon de toutes les nations du monde ? Or parce que cette petite contrée n'a pas reçu la Loi évangélique , à quelles nations & en quels lieux les Apôtres ne l'ont-ils pas prêchée? Ils fe font difper- £és dans le monde entier j ils y ont fait retentir le nom de Jefus-Chrift j ils y ont procuré le falut d'une multitude in-

du Salut. 109

nombrable d'Elus. Maifon d'Ifraël , ouvre les yeux , 8c vois en quelle folitu- de tu es reftée ; il n'y a plus pour toi , ni temple , ni autel , ni Prophètes j mais du levant au couchant , du midi au feptentrion, que de Prédicateurs ont été envoyés , que de Miniftres ont été confacrés , que d'Autel ont été érigés , que de Temples ont été confiants en l'honneur du Dieu immortel !- Quelle moifïbn ! quelle récolte , que tant d'a- mes qui l'ont connu , qui l'ont glorifié , qui fe font dévouées à lui & à fon Fils unique , leur Meilie Ôc leur Sauveur! Tant il eft vrai , & tant le Prophète a eu fujet de dire , que les miféricordes du Seigneur font au-deffus de f es jugements. Mais ce n'eft pas encore tout ; & il me femble que dans les fubftitutions dont je parle , & dont je tâche , autant qu'il m'eft permis , de développer le profond Myftére , je découvre quel- ques traits de la miféricorde divine , à l'égard même du pécheur que Dieu pri- ve de certaines grâces pour les répandre ailleurs. Car ces grâces , par l'abus que ce pécheur en faifoit , ne ferviroient qu'à le rendre plus criminel ôc plus re- devable à la Juftice de Dieu : fi bien cjue dans un fens > il vaut mieux pour

îio Substitution des Grâces lui de ne les point avoir , que de les tourner à fa ruine & à fa condamnation. Donnons à Dieu la gloire qui lui eu: due j reconnoiflons en toutes chofes la droiture & la fainteté de (es voies. Si dans la vue des déréglemens de notre vie, nous craignons qu'il ne nous ait abandonnés , ne nous abandonnons point nous-mèrnes , c'eft-à-dire , ne nous perfuadons point qu'il n'y ait plus de retour à efpérer , ni de Dieu à nous , ni de nous à Dieu. Tant que nous vi- vons en ce monde , il y a toujours un fonds de grâces dont nous pouvons ufer. Avec ce fonds de grâces , tout petit qu'il eft , nous pouvons gémir , prier , reclamer la bonté divine ; 6c pourquoi le Seigneur ne nous écoute- roit-il pas ? Heureux le fidèle qui met 1 toute fon étude & toute fon applica- tion à fe pourvoir pour le falut : qui ne peut fouffrir fur cela le moindre déchet ; qui bien loin de fe lailîer ravir ce qu'il pofTede , le fait croître chaque jour, 6c ajoute mérites fur mérites. 11 doit fouhaiter le falut de tous les hommes , il le doit demander à Dieu , 6c c'efi: ce que la charité nous infpire j mais avant le falut des autres , il doit deman- der le lien 8c le fouhaiter par préférence j

du Salut. iii

car en matière de falut 5 voila le pre- mier objet de notre éharité.

Ah ! quel fera le mortel dépit , quelle fera la confternation de tant de réprou- vés au Jugement de Dieu , quand il leur montrera les places qu'il leur defti- noit 5 & dont ils feront éternellement exclus! Quand, dis-je , un Eccléfiafti- que verra en fa place un Laïque ; quand i un Religieux verra en fa place un hom- me du £écle j quand un Chrétien verra en fa place un infidèle. Nous fommes fi jaloux de garder chacun nos droits & nos rangs dans le monde } foyons-le mille fois plus encore de les pouvoir garder un jour dans le Ciel.

ni Petit nombre

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Petit nombre des Elus ; de quelle manière il faut F entendre y & le fruit quon peut retirer de cette vérité.

i

L eft confiant que le nombre des Elus fera le plus petit , Se qu'il y au- ra incomparablement plus de réprou- vés. Or c'eft une queftion que font les Prédicateurs, fçavoir s'il eft à propos d'expliquer aux peuples cette vérité , Ôc de la traiter dans la Chaire , parce qu'elle eft capable de troubler les âmes , Ôc de les jetter dans le découragement. J'aimerois autant qu'on me demandât s'il eft bon d'expliquer aux peuples l'E- vangile , & de le prêcher dans la Chai- re. Hé ! qu'y a-t-il en effet de plus mar- qué dans l'Evangile , que ce petit nom- bre des Elus ? Qu'y-a-t-il que le Sau- veur du monde dans fes divines inftruc- tions nous ait déclaré plus authentique- ment 3 nous ait répété plus fouvent , nous ait fait plus formellement & plus 'Mat. c. clairement entendre ? Beaucoup font ap- pelles j mais peu font élus: c'eft ainfl qu'il

conclut

20. 16

des Elus. î i $

tonclut quelques-unes de fes paraboles. Le chpmin qui mené à la perdition 3 eji Mm. c, large &fpacieux _, dit-il ailleurs} legrand?'1!-1** nombre va là. Mais que la voie qui conduit I à la vieejl étroite ! il y en a peu qui y mar~ ] chent. Faites effort pour y entrer. Eft-il rien de plus précis que ces paroles ? Voilà ce que le Fils de Dieu enfeignoit publique- ' ment ; voilà ce qu'il inculquoit à fes i Difciples , ce qu'il repréfentoit fous : différentes ligures qu'il leroit trop long de rapporter. Sommes-nous mieux inf- j truits que lui de ce qu'il convient ou ne ; convient pas d'annoncer aux fidèles? ! Prêchons l'Evangile , 3c prêchons-le fans en rien retrancher 5 ni en rien adoucir prêchons-le dans toute fon étendue , dans toute fa pureté , dans toute fa févérité _> dans toute fa force. Malheur à quiconque s'en fcandaîifera 5 il portera lui-même , 3c luifeul, la peine de fon fcandale.

On dit : ce petit nombre d'Elus , cette vérité fait trembler. Mais auiîî l'Apôtre veut-il que nous opérions no- tre faiut avec crainte 3c avec tremble-- ment. On dit : c'eft Une matière qui trouble les confciences. Mais aulîi eft- il bon de les troubler quelquefois , & il vaut mieux les réveiller en les troublant, Tome L K

1*4 .Petit nombre

que de les laiffer s!endormir dans un tem- pos oifif & trompeur. Enfin , dit-on , l'idée d'un fi petit nombre d'Elus dé- courage 8c défefpere. Oui , cette idée peut décourager 8c peut même défefpé- rer , quand elle eft mal conçue , quand elle eft mal propofée 3 quand elle eft portée trop loin 3 8c fur-tout quand elle eft établie fur de faux principes 3c fur des opinions erronées. Mais qu'on la conçoive félon la vérité de la chofe y qu'on la propofe telle qu'elle eft dans fon fonds , 8c non point telle que nous l'imaginons } qu'on la renferme en de juftes bornes , hors defquelles un zèle outré 8c une févérité mal réglée peu- vent la porter qu'on Fétablifie fur de bons principes , fur des maximes conf- iantes , fur des vérités connues dans le Chriftianifme : bien loin alors qu'elle jette dans le découragement , rien n'eft plus capable de nous émouvoir > de nous exciter , d'allumer toute notre ar- deur , 8c de nous engager a faire les der- niers efforts pour afîurer notre falut , 8c pour avoir place parmi la troupe bien- heureufe des prédeftinés. Il s'agit donc présentement de voir comment ce fuj et doit être touché .5 quels écueils il y faut éviter > 8c félon qgels principes il y faut

des Elus. i i £

raifonner , afin de le rendre utile 8c pro- fitable.

Je l'avoue d'abord , & je m'en fuis affez expliqué ailleurs , il y a certaines méthodes , fuivant lefquelles on ne peut prêcher le petit nombre des Elus ? fans ruiner l'efpérance chrétienne , 8c fans mettre fes Auditeurs au défefpoir. Par exemple , prêcher qu'il y aura peu d'Elus, patee que Dieu ne veut pas le falut de tous les hommes , parce que Jefus- Chrift Fils de Dieu n'a pas répandu fon fang ni offert fa mort pour le fa- lut de tous les hommes , parce qu'il ne ! donne pas fa grâce ni ne fournit pas les moyens de falut à tous les hommes , parce qu'il réferve à quelques-uns ùs bénédictions , qu'il épanche fur eux avec profuflon toutes fes richeifes 8c toutes fes miféricordes , tandis qu'il lairTe tomber fur les autres toute la ma- lédiction attachée à ce péché d'origine qu'ils ont apporté en naiffant : je le fçais , encore une fois , 8c j'en con- viens , débiter dans la Chaire de pareilles propolirions , 8c s'appuyer fur de femblables preuves , pour conclure précifément de-là , que très-peu entre- ront dans l'héritage célefte , 8c parvien- dront à la vie éternelle 3 c'eft fcandali-

Ki]

ï 1 6 Petit nombre fer" un Auditoire , & ralientir tonte» fa ferveur en tenverfant toutes fes pré- tentions au Royaume de Dieu. Chacun dira ce que les Apôtres dirent au Sau- Mat. ç. veiu* du monde. : Si cela ejl de la forte J tl$* zî' qui ejl- ce qui -pourra être fauve ? Mais quel £eroit le Prédicateur allez peu inf- trait , pour ignorer que comme notre Ofée c. falut vient de Dieu , notre perte ne vient que de nous-mêmes ; de qu'ainfi c'eft dans l'homme , & non pas en Dieu , qu'il faut , toujours en chercher la caufe.

Afin donc de prendre le point jufte l'on doit s'en tenir,, fi j'entreprenois de faire un difeours fur le petit nombre des Elus y voici , ce me femble , quel en devroit être le fonds. Je poferois avant toutes chofes. les principes fui- vans,

i . Que nous avons tous droit d'efpé- rer que nous ferons du nombre des Elus : droit fondé fur la bonté &c fur la miféricorde de Dieu qui. nous aime tous comme fon ouvrage , & dont la providence prend foin de tous les Etres que fa puiflance a créés : droit fondé fui les promeuves de Dieu qui nous regar- dent tous, fur-tout comme chrétiens: car c'eft à nous aiiiH-bien qu'aux fidèles de Corinthe , que Saint Paul difok

D E S E L U S, 117

Ayant donc _, mes très-chers Frères j de telles promeffes de la part du Seigneur j purifions-nous de toute fouillure 3 & ache- vons de nous fanclifier dans la crainte de Dieu : droit fondé fur les mérites infinis de J. C. auxquels nous participons tous , ôc en vertu defquels nous pouvons ôc nous devons tous le reconnoître comme notre Sauveur : croit fondé fur la grâce de no- tre adoption^ puifque nous tous qui avons été baptifés en Jefus-Chrift ,. nous avons acquis un pouvoir fpecial de devenir en- fans de Dieu, Or tous les enfans ont droit à l'héritage du père , ôc par conféquent en qualité d' enfans de Dieu nous avons tous droit à l'héritage de Dieu.

2. Que non-feulement nous fommes tous en droit , mais dans une obliga- tion indifpenfable , d'efpérer que nous ferons du nombre des Elus. Comment cela ? C'eft que Dieu nous commande à tous d'efpérer en lui , de même qu'il nous commande a tous de croire en lui ôc de l'aimer. L'efpérance en Dieu eft donc pour nous cîune obligation auiîi étroite , que la Foi Ôc que l'Amour de Dieu. Or être obligé d'efpérer en Dieu, c'eft être obligé d'efpérer le Royaume de Dieu , la pofTeffion éternelle de Dieu, la gloire ôc le bonheur des Elus de

ïiB Petit nombre Dieu : de forte qu'il ne nous eft jamais permis , tant que nous vivons fur la ter- re 3 de nous entretenir volontairement dans la penfée Se la créance formelle , que nous ferons du nombre des réprou- vés' : pourquoi ? parce que dès-lors nous ne pourrions plus pratiquer la vertu d'efpérance , ni en accomplir le com- mandement.

3 . Qu'il n'y a point même de pécheur qui ne doive conferver cette efpérance > qui ne commette un nouveau péché quand il vient à" perdre cette efpérance y qui ne fe rende coupable du péché le plus énorme , ou plutôt qui ne mette le comble à tous fes péchés , quand il renonce tout-a-fait à cette efpérance, de qu'il l'abandonne. Car comme je l'ai déjà fait remarquer , on peut être ac- tuellement pécheur &c être un jour au nombre des Elus : témoin Saint Pierre ,. témoin Saint Paul , témoin Magdelaine. Ce n'eft pas , à Dieu ne plaife y en de- meurant toujours pécheur , mais en fe convertiiTant. Or il n'y a point de pé- cheur, dont Dieu ne veuille la conver- Ezech. (ion : Ce nefl point la mort des pécheurs j'j^' que je' demande ; mais je veux quilsfe convertirent & qu'ils vivent. Ce ne font que les pécheurs que Jefus-Chrifl eft venu

desElus. 119

thercher & racheter: Lorfque nous étions Rom.c* encore pécheurs _, & ennemis de Dieu j 5* nous avons été réconciliés par f on Fils. Il ' n'y a point de pécheur qui ne doive ré- parer fes péchés par une vie pénitente : Si vous ne faites pénitence _, vous périr 'qr Luc» tous. Donc tout cela étant efïentielle- 1i*U ment lié avec l'efpérance en Dieu , il n'y" a point de pécheur qui ne la doive toujours garder dans fon cœur quelque •pécheur qu'il foit du refte , de en quelque abîme qu'il fe trouve plongé.

Ces principes fuppofés comme autant de maximes incontestables , j'examine- rois enfuit e , non point s'il y aura peu d'Elus , puifque Jefus-Chrift nous l'a liîi-même marqué exprefïement dans fon Evangile : mais pourquoi il y en aura peu ; & il ne me feroit pas difficile d'en. donner la raifon, fçavoir , qu'il y en a peu Se fort peu qui marchent dans la voie du falut y &c qui veuillent y marcher. Je ne dis pas qu'il y en a peu qui puiflent y marcher : car une au- tre vérité fondamentale que j 'établi- rois , c'eft que nous le pouvons tous avec la grâce divine , qui ne nous eft point pour cela refufée j que tous , dis- je , nous pouvons , chacun dans notre état , accomplir ce qui nous eft preferk

no Petit nombre de la parc de Dieu pour mériter la cou- ronne , 8c pour affurer notre falut. Sur quoi je reprendrois 8c je conclurois 3 que fi le nombre des Elus fera petit , même dans le Chrirtianifuie 3 c'eft par la faute 8c la négligence du grand nom- bre des chrétiens ; que c'eft par leur conduite toute mondaine , toute payen- ne , toute contraire à la Loi qu'ils ont embraflfée , 8c à la Religion qu'ils pro- feffent.

De-là prenant l'Evangile 8c entrant dans le détail , je dirois : A qui eft-ce * que le falut eft promis ? à ceux qui fe Matu c. font violence : ï)epuïs le tems de Jean?* l' ' Baptijle j uf qu'à préfent y le Royaume des deux fe prend par force^ & ceux quuy employent la force _, le ravijfent : A ceux qui fe renoncent eux-mêmes , qui por- tent leur croix, qui la portent chaque jour , 8c qui confentent à la porter : Si { Mat\ c. quelqu'un veut venir après moi , qu'il re~\ ■xô. 24 nonce à foi-même _, qu'il prenne fa croix > \ qu'il la porte tousles jours , & qu'il me Juive : A ceux qui obfervent les comman- démens , fur-tout les deux commande- mens les plus effentiels qui font l'amour de Dieu 8c la charité du prochain : Tous Lucc. aimere^ te Seigneur votre Dieu de tout xo. 27» votrc cœurj & votre prochain comme vous*

même ;

des Elus, rir

prime ; faites cela , & vous vivre^ : A Ceux qui travaillent pour Dieu , qui agirent félon Dieu , qui pratiquent les bonnes œuvres , 8c font en toutes chofes la volonté de Dieu : Ceux qui me difent j Mattk* Seigneur 3 Seigneur ^ n'entreront pas tous dans le Royaume des deux : mais celui

C.7.2-!'

qui fera la volonté de mon Père célejl celui-là entrera dans le Royaume des deux : A ceux qui mortifient leurs pai- fions , qui furmontent les tenta- tions , qui s'éloignent des voies du monde 8c de les fcandales 3 qui fe préfervent du péché , qui fe maintien- nent dans l'ordre , dans la règle , dans l'innocence , ou qui fe relèvent au moins par la pénitence , 8c y perféverent juf- qu'à la mort. Voilà le caractère des JÊlus \ mais £ms cela ce feroient im- manquablement des réprouvés. Or y en a-t-il beaucoup parmi les Chrétiens mêmes , à qui ces caractères convien- nent? Là-deïfus je renvoyerois à l'ex- périence : c'eft la preuve la plus fenfible 6c la plus convaincante. Sans juger mal de perfonne en particulier , ni damner perfonne , il fuffit de jetter les yeux au- tour de nous 3 8c de parcourir toutes les conditions du monde 5 pour voir com- bien il y en a peu qui faifent quelque Tome. L L

j%i Petit nombre

chofe pour gagner le Ciel ; peu qui fca-» client profiter des croix de la vie , ë£ qui les reçoivent avec foumiffion j peu qui donnent à Dieu ce qui lui eft , qui l'aiment véritablement , qui le fervent fidèlement , qui cherchent à lui plaire en accompliffant fes faintes volontés j peu qui s'acquittent envers le prochain des devoirs de la charité , qui en aient dans le cœur les fentimens , & qui dans la pratique en exercent les œuvres \ peu qui veillent fur eux-mêmes , qui fuient les occafions dangereufes , qui combattent leurs pallions , qui réfiilentf a la tentation de i intérêt 5 à la tentation de l'ambition 3 à la' tentation du plaifir

3

à la tentation de la vengeance , à la ten-

tation de l'envie , à tontes les autres , & qui ne tombent , en y fuccombant ,

dans milles péchés j peu qui reviennent de leurs égaremens , qui fe dégagent de leurs habitudes vicieufes , qui £z£fent : J après leurs défordres paiTés ,. une péni- tence folide 3 efficace , durable. Et quel eft aulli le langage ordinaire fur la cor- ruption des mœurs ?■ Ce ne font point feulement les gens de bien , mais les plus libertins qui en parlent hautement. N'entend-on pas dire fans ceiTe que lout eft renverfé dans le monde : qu@

des Elus. 113

le dérèglement y eft général j qu'il n'y a ni âge ni fexe , ni état , qui en foit exempt , qu'on ne trouve prefque nulle part ni religion, ni crainte de Dieu , ni probité , ni droiture , ni bonne foi , ni juflice, ni charité, ni honnêteté, ni pudeur que ce n'eft par-tout ou prefque par-tout , que libertinage , que diifo- lution , que menfonge , que trompe- ries , qu'envie de s'agrandir & de do- miner , qu'avarice , qu ufure , que con- cuiîions , que médifances , qu'un mont mieux aifemblage de toutes les iniqui- tés. Voila comment on nous repréfente le monde \ voilà quelle peinture on en fait , &: comment on s'en explique. Or parler de la forte , n'eft-ce pas rendre un témoignage évident du petit nom- bre des Elus ?

Et fi l'on fe retranchoit à me dire que c eft la mort après tout qui décide dir fort éternel des hommes ; que ce n'eil ni du commencement , ni même du cours de la vie , que dépend abfolu- ment le falut , mais de la fin ; & que tout conhfte à mourir dans des difpofi- tions chrétiennes : il eft vrai, répondrais- je, mais on ne peut gueres efpérer de mourir dans ces difpoiïtions chrétien- nes , qu'après y avoir vécu } puifqu il

124 Petit nombre y en a très-peu qui y vivent , je conclu-; rois qu'il y en a très-peu qui y meurent. Car il me feroit aifé de détruire la fauffe opinion des mondains , qui fe persua- dent que pour bien finir & pour mourir chrétiennement , il n'eft queftion que de recevoir , dans l'extrémité de la ma- ladie , les derniers Sacremens de FEglifç 8c de donner certains fignes de repen- tir. Ah ! qu'il y a là-deifus d'iliunon , A peine oferois-je déclarer tout ce que j'en penfe.

Non certes , il ne s'agit point feule- ment de les recevoir , ces Sacremens fi faints en eux-mêmes , ôc fi falutaires , mais il faut les recevoir faintementj c'efl-a-dire , qu'il faut les recevoir avec une véritable converfion de cœur , & voilà le point de la difficulté. Je n'en- treprendrois pas d'approfondir ce terri- ble myftère , & j'en laifferois à Dieu le jugement. Mais du relie n'ignorant pas à quoi fe rédurfent la plupart de ces converfions à la mort 5 de ces conver- fions précipitées , de ces converfions commencées , exécutées 9 confommées dans l'efpace de quelques momens , Ton ne connoît plus guères ce que l'on fait} de ces converfions qui feroient autant de miracles , û c'étoient de bon-

des Elus. 125

tees Se de vraies converfions : 8c fça- chant combien il y entre fouvent de politique , de fageffe mondaine , de cé- rémonies , de refpect. humain , de corn-

! plaifance pour des amis ou des parens 5 de crainte fer vile 8c toute naturelle, de demi-Chriftianifme , je m'en tiendrois

! au fentiment de Saint Auguftin , ou plutôt à celui de tous les Pères , 3c je dirois en général , qu'il efi bien à craindre que la pénitence d'un mourant j qui nefi. pénitent quà la mort j ne meure avec lui , & que ce ne foit une pénitence réprouvée, A ce nombre prefque infini de faux pé- nitens à la mort , j'ajouterois encore le nombre très-confidérable de tant d'au- tres que la mortfurprend, qu'elle enlevé tout d'un coup , qui meurent fans Sa- cremens , fans fecours , fans connoiflan- ce , fans aucune vue ni aucun fenti- ment de Dieu \ 8c de tout cela je vien- drois fans hériter , après le Sauveur du monde, à cette affreufe conféquence: Màttfa Beaucoup d' appelles & peu d'élus. c. zz.

Cette importante matière traitée de *4* la forte ne doit produire aucun mauvais effet , 8c en peut produire de très-bons. Elle ne doit défefpérer perfonne , puif- qu'il n'y a perfonne qui ne puiffe être du petit nombre des Elus. Je dis plus ,

L il)

'lie Petit nombre

Ôc quand il y en auroit quelques-uns que ce fujet défefpérât , qui font-ils ? ceux qui ne veulent pas bien leur falut j' ceux qui ne font pas déterminés 3 corn - me il le faut être , à tout entreprendre 3c atout faire pour le falut j ceux qui prétendent concilier enfemble ôc accor- der une vie molle , fenfuelle , commo- de , avec le falut \ une vie fans œuvres , fans gêne , fans pénitence 3 avec le falut ; l'amour du monde , avec le falut j les paf- ïïons , les inclinations naturelles , avec le falut y ceux qui cherchent à élargir , autant qu'ils peuvent , le chemin du fa- lut , ôc qui ne fçauroient foufFrir qu'on le leur propofe auffi étroit qu'il l'eft, parce qu'ils ne fçauroient fe réfoudre à tenir une route ii difficile. Ceux-là , j'en conviens , à l'exemple de ce jeune homme qui vint confulter le Fils de Dieu , s'en retourneront tout triftes ôc tout abbatus : mais cette triftelfe , cet abattement , ils ne pourront l'attribuer qu'à eux-mêmes , qu'à leur foiblerTe volontaire , qu'à leur lâcheté ; Se tout bien examiné , il vaudroit mieux , Il je l'ofe dire , les défefpérer ainfî pour quelque temps , que de les lailfer dans leur aveuglement ôc leurs fauffes pré- ventions fur l'affaire la plus elFentielle 5 qui eft le falut.

t es Elus. ïïj

Quoiqu'il en foit , tout Auditeur fage & chrétien profitera de cette penfée du petit nombre des Elus , & faifi d'une j iifte frayeur, il apprendra, i.^à redou- bler fa vigilance , & à f e prémunir plus que jamais contre tous les dangers, peut l'expofer le commerce de la vie : 2. à ne pas demeurer un feul jour dans l'état .du péché mortel , s'il lui arrive quelquefois d'y tomber j mais à courir inceiïamment au remède , 6c à fe rele-^ ver par un prompt retour : 3 , à fe fépa- rer de la multitude , & par conféquent du monde j à s'en éparer , dis-je 5 fî- noii d'effet ( car tous ne le" peuvent pas) au moins d'efp rit , de cœur, de maxi- mes , de fentimens , de pratiques : 4. à fuivre le petit nombre des chrétiens vraiment chrétiens ; c'eft-à-dire , de chrétiens réglés dans toute leur con- duite , fidèles à tous leurs devoirs , aiîidus au fervice de Dieu , charitables envers le prochain , foigneux de fe per- fectionner & de s'avancer par un con- tinuel exercice des vertus , dégagés de tout intérêt humain , de toute ambition, de tout attachement profane , de tout reflentiment , de toute fraude, de toute injuftice , de tout ce qui peut blefler la confeience & la corrompre : 5 . à pren-

Liv

& à 8 Petit nombre dre réfolument &; généralement voie étroite , puifque c'eft l'unique voie que Jefus-Chrift eft venu nous enfeigner my à s'efforcer , félon la parole du même Sauveur , & à fe roidir contre tous les obftacles , foit du dedans , foit du dehors , contre le penchant de la nature , contre l'empire des fens , contre le torrent de la coutume , contre l'at- trait des compagnies 3 contre les im- prefPons de l'exemple , contre les dif- couu Hc les jugemens du public j n'ayant en vue que de fe fauyer , ne voulant que .cela , ne cherchant que cela , n'étant en peine que de cela : 6. «nfin , à réclamer fans celfe la grâce du Ciel , à recommander fans ceffe fon ame à Dieu , & à lui faire chaque jour Sa?, c. l'excellente prière de Salomon , Dieu de miféricorde ^ Seigneur ^ donneytnoi la yraiefagejfe , qui eft la fcience dufalut, ■& ne me rejette-^ jamais du nombre de vos enfans,qm font vos Elus. Oui,mon Dieu, fouvenez-vous de mon ame ; fouvenez- vous du fang qu'elle a coûté : elle vous doit être précieufe par-là. Sauvez-la, Seigneur , ne la perdez pas , ou ne per- mettez pas que je la perde moi-même j car ii jamais elle étoit perdue , c'eft de moi-même que viendront fa perte. Je la

des Elus. 115)

mets , mon Dieu , fous votre protection toute-pui (Tante ; mais en même temps 5 je veux , à- quelque prix que ce foit , la conferver : je redoublerai pour cela tous mes efforts; je n'y épargnerai rien. Telle eft ma réfolution , Seigneur } ôc puifque c'eft vous qui me l'infpirez , c'eftpar vous que je l'accomplirai*

Heureux le Prédicateur qui renvoyé fes Auditeurs en de fi faintes difpofi- tions ! . Son travail eft bien employé , 6c tout fujet qui fait naître de pareils fentimens > ne peut être que très-folide &: très-utile.

î|o Pensées diverses

xxxxxxxxx--X'XX--xxxxxxx^

Penfées diverfes fur le Salut*

J'Entends dire afTez communément dans le monde, au fujet d'un hom- me qui après avoir paffé toute fa vie dans les affaires humaines , quitte une charge , fe démet d'un emploi , & f e retire : II na plus rien maintenant qui l'occupe j il vapenfer à fonfalut. Il y va penfer ? quoi ! il n'y a donc point en- core penfé ? Il a donc attendu jufqua préfent a y penfer ? Il a donc vécu de- puis tant d'années dans un danger con- tinuel de mourir fans avoir pris foin d'y penfer ? Le falut étoit donc pour lui une de ces affaires , auxquelles on ne penfe que lorfqu'il ne refte plus rien autre chofe à quoi penfer ? Quel aveugle- ment ! Quel renverfement.

Il fera bien néanmoins d'y penfer , car il vaut mieux , après tout , y penfer tard , que de n'y penfer jamais : mais en y penfant qu'il commence par fe con- fondre devant Dieu , de n'y avoir pas penfé plutôt. Qu'il tienne pour perdu le temps il n'y a pas penfé , l'eût-il employé dans les plus grands miniftè-

sur le Salut, 131

tes y 8c eût-il para dans le plus grand ! éclat. Qu'il comprenne que li les au- tres affaires ont leur temps particulier , ; l'affaire du falut eft de tous les temps , j ôc que tout âge eft mûr pour le Ciel. Qu'il admire la patience de Dieu, qui ne s'eft point lalTé de fes retardemens. Sur-tout qu'il agiffe déformais , qu'il i redouble le pas , & qu'il fe fouvienne , i que la nuit approche , & que plus le jour joant K ; baiffe , plus il doit hâter fa marche. Ce 9> i ne fera pas en vain : le jufle dont parle ! le Sage , dans l'étroit efpace d'une pre- I miere jeuneffe, fournit une ample carrière sap. s: I & anticipe un long avenir : pourquoi le 1h mondain revenu du monde , en repre- nant la voie du falut 3 quoique dans une* vieilleife déjà avancée , ne pour- roit-il pas , félon le même fens , rappeller tout le chemin qu'il n'a pas fait ?

f II e(t de foi 'que nous ne ferons jamais damnés que pour n'avoir pas voulu notre falut , ôc que pour ne l'a- voir pas voulu de la manière dont nous pouvions le vouloir. Tellement que Dieu aura le plus juile fujet de nous reprocher ce défaut de volonté 3 & d'en faire contre nous un titre de condam- nation. N'eft-ce pas en effet fe rendre- digne de toutes Ïqs vengeances divi-

Î32. Pensées diverses nés , que de perdre un fi grand bien" ; lorfqu'il n'y a qu'à le vouloir pour fe' l'afîurer ? Mais efl-il donc poiTible qu'il y ait un homme alTez ennemi de lui-* même & affez perdu de fens , pour ne vouloir pas être fauve ? Il eft vrai 5 nous voulons être fauves 3 mais nous ne vou- lons pas nous fauver. Or Dieu qui veut notre falut , de qui nous ordonne de le vouloir , ne veut pas fimplement que par fa grâce nous fuyons fauves 3 mais qu'avec fa grâce nous nous fauvions,

J Faillie relTource du mondain : Dieu ne m3 a pas fait pour me damner. Non fans doute , mais aufîi Dieu ne vous a pas fait pour l'offenfer. Vous renverfez toutes les vues : de quoi vous plaignez -vous s'il change à votre égard tout l'ordre de fa , Providence. Quoiqu'il ne vous ait pas fait pour l'offenfer 5 vous l'offen- fez ; ne vous étonnez plus que quoiqu'il ne vous ait pas fait pour vous damner 3 il vous damne.

f Ce n'eft point un paradoxe , mais une vérité certaine , que nous n'avons point, après Dieu , d'ennemi plus à craindre que nous - même : comment cela ? Parce que nul ennemi , quel qu'il foit , ne nous peut faire autant de mal 9 ni caufer autant de dommage ,

sur *le Salut," 153 que nous le pouvons nous-mêmes. Que toutes les puiifances des ténèbres fe li^ guent contre moi : que tous les poten^ tats de la terre conjurent ma ruine ; ils pourront me ravir mes biens , ils pour- ront tourmenter mon corps , ils pour- ront m'enlever la vie , ôc là-defïus je ne ferai pas en état de leur réfuter j mais jamais ils ne m'enlèveront malgré moi ce que j'ai de plus précieux , qui eft mon ame. Ils auront beau s'armer , m'attaquer , fondre fur moi de toutes parrs ôc m'accabler : je la conferverai y û je veux : indépendamment de tou- tes leurs violences , aidé du fecours de Dieu , je la fauverai j car il n'y a que moi qui puifle la perdre. D'où il s'enfuit que je fuis donc plus redouta- ble pour moi que tout le relie du mon- de , puifqu il ne tient qu'à moi de don- ner la mort à mon ame , fk de l'exclure du Royaume de Dieu.

D'autant plus redoutable , que je fuis toujours préfent à moi-même , parce que je me porte par-tout moi - même Ôc avec moi toutes mes pallions 5 tou- tes mes convoitjfes , toutes mes habi- tudes ôc mes mauvaifes inclinations. Aufîi quand je demande à Pieu qu'il me défende de me§ ennemis , je lui de-

ï^ P 1 ^ S i E S DIVERSES

mande, ou je dois fur-tout lui deman-* der, qu'il me défende de moi-même. Et de ma part , pour me' mettre moi- même en défeufe , autant qu'il m'eft poffible j je dois me comporter envers moi , comme je me comporterais en^- vers un ennemi que j'aurois fans ceffe à mes côtés , & dont je ne détourne^ rois jamais la vue j dont j'obferverois jufqu'aux moindres monvemens , fur qui je tâcherois de prendre toujours» l'avantage , fçachant qu'il n'attend que le moment de me frapper d'un coup 'Jozti* c* mortel. Celui qui kaitfon ame dans la vie £2, ZS> préf€nte , difoit en ce fens le Fils de Dieu , la gardera pour la vie éternelle.- Trille , mais falutaire condition de l'homme 3 d'être ainii obligé de fe tour- ner contre foi-même , 3c de ne pouvoir fe fauver que par une guerre perpétuelle avec foi -même 3 que par la haine de foi-même !

f ' Nous difons quelquefois à Dieu dans l'ardeur de la prière : Seigneur j aye^ pitié de mon ame. Les plus grands- pécheurs le difent à certains momens , 1 les penfées & les fentimens de la re- ligion fe réveillent dans eux , 8c ils voyent le danger 8c l'horreur de leur j état : ah ! Seigneur > ayez pitié de moi|

sur le Salut* 135 ame. Mais Dieu , par la parole du Saint- Eiprit , ôc par la bouche du Sage , nous répond. Ayey^en pitié vous-même de cette Mift* Mme que j'ai confiée à vos foins , & qui eji r£* ïï£~ votre ame. Je l'ai formée à mon ima- EccL c* ge , je l'ai rachetée de mon fang , je Z** l'ai enrichie des dons de ma grâce 3 je l'ai appellée à ma gloire , je veux la fauver j &: il elle s'écarte de mes voies , des voies de ce falut éternel que je lui ai propofé comme fa fin dernière Ôc le terme de fes efpérances 5 je l'excite pour la ramener de {qs égaremens , pour la relever de fes chûtes , pour la purifier de fes taches 5 pour la guérir de fes blef- fures , pour la reiTufciter par la péni- tence , ôc pour lui rendre la vie. N'eil- ce pas - la l'aimer ? n'eil - ce pas en avoir pitié ? Mais vous ? vous la défigu- rez , vous la profanez , vous la facri- fiez à vos pallions , vous la perdez , & tout cela par le péché. N'eft-ce donc pas à vous - mêmes qu'on doit dire : Aye\ pitié de votre ame. Ayez-en pitié : d'autant plus que c'eft la vôtre. Quand ce feroit famé d'un étranger , lame d'un infidèle & d'un payen , l'ame de votre ennemi ? vous devriez être iqh- fible à fa perte , 3c vous fouvenir que ç eft une ame pour qui Jefus-Chrift eil

12,6 Pensées diverses mort. Mais outre cette raifon générale i il y en a une beaucoup plus particu- lière à votre égard , dès que c'eft de votre ! ame , que c'eft de vous-même qu'il s'agit. . Qu.ld Efl-il rien de plus mïférable au un mi fera-* mifero ^ ble qui n ejt pas touche de Ja mijere , &

SJ1LT/Î 1ul n'a nu^c PltLé de lui-même.

ipfum. ^ Un courtifan veut s'avancer , faire ugt fon chemin , s?élever à une fortune après laquelle il court de il a porté fes vues j il ne s'embarraife gueres 3 fi les autres fe pouffent & s'ils réuiliffent dans leurs projets. C'eft leur affaire , dit-il , ôc non la mienne : chacun y ejl pour foi. Voilà comment on parle , au regard de mille affaires , comment on penfe 3 & ce n'eft pas toujours fans raifon : car dans une infinité de chofes , c'eft à chacun en effet de penfer à foi , &: les intérêts font perfonnels. Or fi cela eft vrai dans les affaires humaines , combien l'eft-il plus dans l'affaire du falut ? Chacun y eft pour foi. C'eft-à-dire, qu'à l'égard du falut chacun gagne ou perd pour foi- même , 8c ne gagne ou ne perd que pour foi-même, indépendamment de tous les autres. Si je me fauve , quand tout le mon- de , hors moi , fe damneroit , je n'en ferois pas moins heureux ;. & fi je me damne , quand tout le monde ? hors

moi,

sur le Salut. 137 moi , fativeroit , je n'en ferois pas moins malheureux. Non pas que nous ne puiflions 8c que nous ne devions par une charité 8c des fecours mu- tuels , contribuer au falut les uns des autres \ mais dans le fond ce qui nous fauve ra , cène font , ni les foins , ni les prières , ni les mérites d'autrui , mais nos propres mérites unis aux mérites de Jefus - Chrift. Qu'on m'oppofe donc tant qu'on -voudra , la multitude , la j coutume , Fexemrfle j qu'on me dife y \ c'eit-là l'ufage du monde , c'eft ainii : que le monde vit 8c qu'il agit : ne pou- vant réformer le monde , je le laifTerai vivre comme il vit , 8c agir comme il agit y mais moi j'agirai , Se je vivrai comme il me femblera plus convenable au falut de mon ame j 8c fans égard à tous les difeours, je me contenterai de répondre en deux mots : Chacun y eji pour foi.

f Nous femmes admirables , quand nous prétendons rendre un grand fer- vice à Dieu, de nous appliquer à l'affaire de notre falut , 8c d'y donner nos foins. Il femble que Dieu nous en foit bien redevable : comme fi c'étoit fon inté- rêt , 8c non pas le nôtre. ! mon Dieu, pour qui donc eft-ce que je tra- Tome L M

-138' Pensées diverses vaille 3 en travaillant à me fauver ? n'efi> ce pas pour moi-même ? & à qui en re-« vient tout l'avantage , n'eft-ce pas à. moi-- même ? Car qu'eft - ce devant vous>( Seigneur ,| de pour vous , qu'une aulli i vile créature que moi ? qu'eit-ce que tout' l'univers avec moi ? Depuis que- vous avez précipité du Ciel des légions d'Anges , ôc qu'ils font devenus des- dé- mons j depuis que vous avez frappé de vos anathêrnes tant de pécheurs qui brûlent actuellement dans l'Enfer , ôc qui doivent y briller éternellement , en êtes-vous moins grand , 6 mon Dieu j en êtes-vous moins glorieux ôc moins puiiîant ? Et quand le monde entier fe- roit détruit , ôc que je me trouverais enfeveli dans fes ruines j quand par un jufle jugement, vous lanceriez fur tout- ce qu'il y a d'hommes , 3c fur moi com- me fur les autres , toutes vos malédk> rions , l'éclat qui vous environne en re- cevrait - il la plus légère atteinte 3 de en feriez - vous moins riche , moins heureux ? O bonté fouveraine ! fans avoir nul befoin de moi , vous ne vou- lez pas que je me perde 'y Se vous me faites j de la charité que je me dois à moi-même 5 un commandement ex- près j vous m'en faites un mérite > ôc- un fujet de récompenfe.

sur le Salut. 139 5 On eft ii jaloux dans la vie , far- tout à la Cour, de certaines diitincHons : on veut être du petit nombre > du nom- bre des favoris , du nombre des élus du monde ; & moins il y a de gens qui s'é- lèvent à certains rangs tk à certaines places , plus on ambitionne ces degrés d'élévation , 8c plus on fait d'efforts pour y atteindre. Si le grand nombre y parvenoit , on n'y trouveroit plus rien qui diftinguât.} & cet attrait manquant y on n'auroit plus tant d'ardeur pour les obtenir , &c l'on rabattroit infiniment de l'idée qu'on en avoit conçue. Il faut du choix , de la fingularité ? pour attirer notre eilime , 8c pour exciter notre envie. Chofe étrange ! Il n'y a que l'affaire du falut nous penfions , ce nous agirions tout autrement, Car à l'égard du falut , il y a le grand nombre 3c le petit nombre : le grand -nombre exprimé par ces paroles du Fils de Dieu 5 plufieurs font appelles } le petit nombre marqué dans ces autres paroles du même Sauveur , peu font élus. Le grand nombre , c'eil-à - dire , au moins tous les fidèles , que Dieu ap- pelle au falut , 8c à qui il fournit pour cela les moyens néceffaires , mais dont la plupart ne répondent pas à cette vocation

M ij

140 Pensées diverses divine , & ne cherchent que les biens vifibles & préfens. Le petit nombre j c'eft - à - dire , en particulier les vrais chrétiens 6c les gens de bien , qui fe féparent de la multitude 3 renoncent aux pompes de aux vanités du fîécle , 8c par l'innocence de leurs mœurs , par la îainteté de leur vie , tendent fans cefTe vers le iouverain bonheur & travaillent à le mériter. En deux mots , le grand nombre , qui font les pécheurs & les ré- prouvés j le petit nombre , qui font les juftes Se les prédeftinés. Mais voici le défordfre : au lieu d'afpirer continuel- lement à être de ce petit nombre des amis de Dieu , de fes élus & de fes faints , nous vivons fans peine , & nous demeurons d'un plein gré parmi le grand nombre des pécheurs tk des ré- prouvés de Dieu. Nous penfons comme le grand nombre , nous parlons comme le grand nombre , nous agifïbns comme le grand nombre ; & la feule chofe il nous eft non - feulement permis , mais expreiïement enjoint de travailler à nous diftinguer ? eft jufte- ment celle nous voulons être con- fondus dans la troupe & fuivre le train ordinaire.

O homme fi jaloux des vains hon-

sur le Salut. 14?' ïieurs du fiécle , apprenez à mieux con- noître le véritable honneur , & à cher- cher une diftindfcion digne de vous : le falut , le rang de prédéfinie , voilà pour vous le ieul objet d'une folide Ôc îainte ambition.

E LA FOI,

ET DES VICES

QUI LUI SONT OPPOSÉ!

Accord de la Raifort & de la FoL

î. jj|^~||S|l N homme du monde qui jj§ ËBifï kit ptofellion du chriftia- îpkByil nifme , & à qui l'on deman- fcea^rfiï de compte de fa foi , dit : je ne raifonne point , mais je veux croire. Ce langage bien entendu peut être bon ^ mais dans un fens affez ordi- naire , il marque peu de foi , ôc même une fecrette difpofition à l'incrédulité. Car qu'eft-ce à dire , je ne raifonne point ? Si ce prétendu chrétien fçavoit bien - demis démêler les véritables fentimens de fon cœur 5 ou s'il les vou- loir nettement-declarer , ii reconnoîtroit

Accord de la Raison ., &c. 14^' que fouvent cela fignifïe : je ne raifonne point , parce que ii je raifonnois , je ne croirois rien j je ne raifonne point , par- ce que fi je raifonnois , ma raifon ne trouveroit rien qui la déterminât à croi- re y je ne raifonne point , parce que fi je raifonnois, ma raifon même m'oppo- feroit des difficultés qui me détourne^ roient abfolument de croire. Or penfer de la forte 8c être ainfl difpofé , c'eft manquer de foi : car la foi , je dis la foi chrétienne , n'eft point un pur ac- quiefcement à croire , ni une (impie f oumiîîion de l'efprit , mais un acquies- cement & une fourmilion raifonnable ; & fi cette foumiiîion , fi cet acquiefce- ment n'étoit pas raifonnable , ce ne feroit plus une vertu. Mais comment fera-ce un RttioA acquiefcement , une foumiiîion raifon- 0hfe- nable , fi la raifon n'y a point de part ? 9ui?m

-irtr 1 -r V *»\ vejrruTi

Il faut donc raiionner 5 mais julqu a Roma certain point, &c non au-delà. 11 faut^12"1* examiner , mais fans paffer les bornes que l'Apôtre marquoit aux premiers fidèles , quand il leur difoit : Mes frères 3 Romi tn vertu delà grâce qui m'a été donnée ^je c* I?,93* vous avertis tous fans exception j de ne porter point trop loin vos recherches dans les matières de la foi 3 mais d'uferfur cela- d'une grande retenue j & de n'y toucher

'*44 Accord de la Raison que très-fobrement. Quelles preuves^ quels motifs me rendent la Religion que je proferTe , & conféquemment tous les myftères qu'elle m'enfeigne , évidem- ment croyables ? voilà ce que je dois tâcher d'approfondir j voila ce que je dois étudier avec foin & bien pénétrer j voilà je dois faire ufage de ma raifon à & fur quoi il ne m'eft pas permis de dire , je ne ràifonne point. Car fans cet examen ôc cette difcuilion exacte , je ne puis avoir qu'une foi incertaine Se chancelante , qu'une foi vague , fans principes & fans confiftance. Aulli eft - ce pourquoi le *1 K€^ Prince des Apôtres , S. Pierre , nous or- donne de nous tenir toujours prêts ajatiy faire ceux qui nous demanderont raifon de ce que nous croyons & de ce que nous efpé~ rons. Il veut que nous foyons toujours là- demis en état de répondre , de juftifier le fage parti que nous fuivons , de faire voir qu'il n'en eft point de mieux éta- bli , & de produire les titres légitimes qui nous y autorifent & nous y attachent inviolablement.

Mais quel eft le fonds de ces grands myftères, que la religion me révèle , & qui nous font annoncés dans l'Evangile ; en quoi confïftent-ils ? comment s'ac- compliifent-iis ? c'eft-là que la raifon

doit

et de la Foi. 145

doit s'arrêter , qu'elle doit réprimer fa curiofitc naturelle , & qu'il ne m'eft plus feulement permis , .mais expref- fément enjoint de dir-e : je ne raifonue point , je crois. En effet , il me fiiflit de lçavoir que je dois croire tout cela , que je crois prudemment tout cela , que je ferois déraifonnable & criminel de ne pas croire tout cela , m'étant en- feigne par une Religion , dont les plus forts raifonnemens & les argumens les plus fenfibles me font connoître l'iiicon- teftable vérité. C'eft-là, dis-j€, tout ce qu'il me faut : <k fi je voulois aller plus avant : ii par une préfomption femblable à celle de Saint Thomas dans le tems de fon incrédulité, je difois comme lui, A moins que je ne VGie _, je ne croï- Joan, ci rai point i dès -lors je perdrois la foi, zo% "^ je l'anéantirois , & j'en détruirois tout le mérite. Je l'anéantirois , pourquoi ? parce qu'il eft êiîentiel a la foi de ne pas voir , &c de croire ce qu'on ne voit pas. J'en détruirois tout le mérite , pour- quoi ? parce qu'il n'y a point de mérite a. croire ce qu'on a fous les yeux , ce qui nous eft préfent & qui nous frappe les fens , ce qu'on volt clairement ôc diftin clément. On n'efl point libre fur cela j on n'eft point maître de fa créance Tome L N

:

146 Accord de la Raison pour la donner , ou pour la refufer : on eft p.erfuadé malgré foi : on eft con- vaincu ians qu'il en coûte ni effort 5 ni facrifice. Et c'eft en ce fens que le San- z5>« veur des hommes a dit : Heureux ceux qui. n'ont point vu ^ & qui ont cru.

Tel eft donc l'accord que nous de- vons faire de la raifon & de la reli- gion. La raifon éclairée d'en-haut , fait comme les premiers pas , ou met comme les préliminaires , en nous convainquant il que la religion vient de Dieu ; que [ de tous les articles qu'elle contient , il n'y en a pas un qui n'ait été révélé de Dieu , foit dans l'Ecriture , foit dans la tradition ? expliquée & pro- pofée par FEglife ; que Dieu étant ab- folument incapable d'erreur ou de men- fonge , il s'enfuit que tout ce qu'il a prononcé , eft fouverainenient vrai 1 enfin , que la religion ne nous annon- çant que la parole de Dieu , & ne nous l'annonçant qu'au nom de Dieu , elle eft par conséquent également vraie 2 de demande une adhéiion parfaite ddj notre efprit & de notre cœur. Voilà où- la raifon agit , &ce que nous découvrons à la faveur de fes lumières. Mais ce principe pofé en général , la religion prend enfuite le demis > elle propofé

ET DE la Foi. Ï47 fes vérités particulières , & toutes ca- chées qu'elles font , elle y foumet la raifon , fans lui laifter la liberté d'en percer les ombres myftérieufes. Si par fon indocilité naturelle & par fon or- gueil la raifon y répugne , la religion , par le poids de fon autorité & par un commandement exprès , la réduit fous le joug ôc la tient captive. Si la rai- fon ofe dire , comment ceci , ou com- ment cela ? c'eft aftez 5 lui répond la religion , d'être inftruit que ceci ou cela eft , &c de nmi pouvoir douter fé- lon les régies de la prudence» Or on n'en peut douter prudemment , puifque félon les régies de la prudence , on ne peut douter que Dieu ne l'ait ainfi dé- claré. Cette réponfe, ce filence impofé à la raifon l'humilie j mais c'eft une humiliation falutaire , qui empêche la raifon de s'égarer, de s'émanciper , de tourner, fuivant l'expreiTion de Saint Paul , à tout vent de doctrine , & qui la contient dans les juftes limites , elle doit être reiTerrée , & d'où elle ne ne doit jamais fortir. De cette forte , notre foi eft ferme , fans rien perdre néanmoins de fon obfcurité ; & elle eft obfcure fans rien perdre non plus de fa fermeté.

Nij

148 Accord de la Raison

II. Développons encore la chofe $j êc pour la rendre plus intelligible & lui donner un nouveau jour , mettons- la dans une efpéce de pratique. Je fuppofe un Chrétien fur pris d'une de ces tentations qui attaquent la foi , & dont les âmes les plus religieufes ôc les plus ridelles ne font pas exemp- tes elles - mêmes à certains momens. Car il y a des momens une ame 5 quoique- chrétienne , eft intérieures ment auiîi agitée par rapport à la foi , que le fut Saint Pierre fur les eaux de la mer , quand Jefus - Chrift lui dit : Matth, Homme de peu de foi j pourquoi aye^-vous «•i4»3T- douté? Cependant on ne doute pas : on croit , mais d'une foi prefque chance- lante , & rimprefïion eft fi vive en quelques rencontres, qu'il fenible qu'on ne croit rien , & qu'on ne tient à rien. Epreuve difficile à foutenir j mais que Dieu permet pour épurer notre foi même Se pour la perfectionner. Il a fes vues en cela ; & bien qu'il paroifîe nous délailfer , ce font pour nous des vues de feint , parce qu'il fçait que tout con- tribue à la fanétiflcation de fes élus , 8c qu'au lieu de dégénérer & de tomber 9 gçû dm$ une foibleffe apparente que

E T D E L A F O I. 1 4?

la vertu fe déploie avec plus de force ôc qu'elle s'avance.

Or en de pareilles conjonctures ^ dans lefquelles je puis me trouver auili- bien que les autres , que fais-je ou .que dois -je faire ? Après avoir imploré faf- fiftance divine ; après m'être écrié comme le Prince des Apôtres en levant les mains au Ciel : Seigneur _, fauve^-nous j autre- -^ii, ment nous allons périr : je fais un re- tour fur moi-même , & pour me fortifier j'appelle tout enfemble à mon fe- cours 3 & ma raifon , de ma religion. L'une 8c l'autre me prêtent , pour ainri dire , la main , &c concourent à calmer mes inquiétudes , de à me raiïu- rer.

Ma raifon me rappelle ces grands motifs qui m'ont toujours déterminé à croire 5 & m'ont paru jufqu'à pré-» fent les plus propres à m'affermir dans la foi j'ai été élevé. Par exemple 3 elle me repréfente ce vafte Univers , & cette multitude innombrable d'êtres vifibles qui le compofent. Elle m'en fait admi- rer la diverfité , la beauté , l'immenfe étendue , l'arrangement , l'ordre 5 la liaifon , la dépendance mutuelle , l'u- tilité 5 la durée depuis tant de fiècles &; leur perpétuité. Elle me fait contera-

Niij

150 Accord de la Raison pler les cieux qui roulent fur nos têtes ± ôc dont les mouvemens fi rapides font toujours ri réglés : ces aftres qui nous éclairent 3 ce nombre prodigieux d'étoi- les qui brillent dans le firmament , cette variété de faifons qui par des révolu- tions Ci conftantes ôc fi. merveiileufes fe fuccédent tour-à-tour, ôc partagent, le cours des tems. Elle me fait par- courir de la penfée plutôt que de la vue 3 ces longs efpaces de terres ôc de mers , oui font comme le monde infé- rieur au - deffous du monde célefte* Que de richefles j'y apperçois ! que de productions différentes 3 ôc de toutes les efpeces ! quelle fécondité ! quelle abondance ! Y manque-t-il rien de tout ce qui peut fervir , non - feulement à l'entretien nécefïaire ou commode s mais à la fplendeur ôc à l'éclat, mais a la fbmptuofité & à la magnificence ," mais aux douceurs Ôc aux délices de la vie ? Sans égard à bien d'autres preuves que je paffe , & fur lefquelles ma raifon pourroit infifter, en voilà d'abord au- tant qu il faut , pour m'attacher à la foi d'un Dieu toujours exiftant ôc toujours vivant , l'être fouverain , le principe de toutes chofes , & l'Auteur de tant de merveilles. Car difcourant en moi-më-

ET DE la Foi, tft me, Se jugeant félon les règles d'une droite raifon ôc félon le fens ordinaire & le plus univerfel, j'ohferve d'un premier coup d'oeil , qu'un ouvrage li bien en- tendu , ii bien aiïorti dans toutes fes par- ties , êc d'une ftru&ure au-delïus de tout l'artifice humain , ne peut être le pur eflet du hazard. Que ce firmament , ces cieux , ces aftres , cette terre 3 ces mers , que tout cela & tout ce que nous voyons 5 ne s'eft point fait de foi -même , ne s'eft point arrangé de foi-même 3 ne fe remue point de foi-même , ne fubfifte point par foi - même , fans qu'aucune intelligence fupérieure y préfide 5 ni ja- mais y ait préfide. Le fentiment qui me vient donc là-deffus & qui me touche , pour peu que j'y farTe d'attention , eft de reconnoître une première caufe $c un premier moteur , un ouvrier par ex- cellence , une puiffance fuprême , de qui tout eft émané , de qui ordonne tout , qui difpofe tout , qui donne à tout Fimpreffion, qui anime &foutie'nt tout. Or cet excellent ouvrier , cette puiflance primitive , effentielle 3 indé- pendante , toujours fubfiftante 5 c'eft ce que nous appelions Dieu j Se ce que nous devons honorer comme Dieu, Je dis honorer comme Dieu & d@

N iiij

152. Accord de la Raison. degré en degré >. la même raifon qui me guide , me porte plus avant , '&. me fait paifer de la connohTance de Dieu , à la connoifTance du culte que je lui dois rendre , & qui! a droit d'exiger de moi. Culte religieux : 8c qu'y a-t-iî de plus raifonnable ? fait dans le Créa- teur , que d'attendre de fes créatures les j uftes hommages qui lui appartien- nent , & de les leur demander ; foit dans les créatures , que de glorifier j félon qu'elles en font capables , le Créa- teur de qui elles ont reçu l'être j que d'ajouter foi à fes oracles 3 de fe con- former à fes volontés , de pratiquer fa loi , de lui offrir leur encens , Se de fe dévouer pleinement à fon fervice ? En cela confifte la religion. Mais parce que dans la multiplicité des religions 3 qui par l'égarement des efprits , fe font introduites parmi les hommes , il y en a nécefTairement de fauifes & que Dieu réprouve 5 puisqu'elles fe contre- difent les unes les autres ; il eft queftioa d'en chercher une véiitable , & d'exa- miner de plus fi celle-là même n'eft pas l'unique véritable. Or entre celles qui régnent actuellement dans le monde 5 je trouve la religion chrétienne j & à la lueur de ma feule raifon ,. j'y décou-

I T DELA Foi. 153

: vre des cara&ères de vérité marqués ,

; qu'ils doivent convaincre tout efprit

fenfé , folide , docile , qui ne s'obftine

point à imaginer des difficultés , ni à

faire naître de vaines difputes.

Quand il n'y auroit point d'autre témoignage que celui des miracles de Jefus-Chrift , ce feroit une preuve plus que fuffifante. Ce nouveau Légiilateur paroît fur la terre } il y prêche (on Evan- gile , qui eft la loi chrétienne , 3c pour i autorifer fa prédication , il fe dit en- j voyé de Dieu. Il eft évident que fi c'eft Dieu qui l'envoyé , & que ce foit au | nom de Dieu qu'il parle , tout ce qu'il enfeigne eft vrai ,~& que nous fommes obligés de foufcrire à fa doctrine. Car il faudrait ne pas avoir la plus légère ; notion de Dieu , pour fe perfeader qu'il , pût attefter le menfonge ,- & le confir- i mer. Ce qui refte donc à Jefus-Chrift , ! c'eft prouver fa million. Mais com- | ment l'entreprend-il ? par les miracles qu'il opère : Les chofes que je fais 3 dit-il , joan. rendent témoignage de moi; fi vous ne m3 en l *■ z *9 croyez-pas fur ma parole ■, croye^àmes œu- . vres. Et il eft encore certain que ces œuvres miraculeufes étant au-deiîus des forces de la nature , & ne pouvant procéder que de la vertu d'en-haut , fi

154 Accord de la Raison Jefus-Chrifl a fait réellement des mira?- •! clés 3 far-tout certains miracles , & qu'il les ait faits pour affirmer qu'il eit le. Meflie , on ne peut lui contefter cette; qualité , ni douter qu'il ne foit venu de la i part de Dieu. Autrement Dieu feroit l'auteur de Pimpofture ,' en lui commu- niquant un pouvoir dont il fe feroit prévalu pour tromper les peuples 5c abufer de leur crédulité.

Or que Jefus-Chrifl: ait fait des mi-. racles 3 <k des miracles du premier or- dre , & des miracles en très-grand nom- bre , & des miracles des plus éclatans > , Se des miracles dont la fin principale étoit de fe faire connoître comme l'en- voyé de Dieu \ qu'il ait chafle des corps les démons & délivré les poiTédés j qu'il ait exercé fur les élémens un. empire abfolu 5 & qu'ils oient obéi à fa voix ; qu'il ait commandé à la mer 3 ap'paifé fes flots , calmé les tempêtes j qu'il ait guéri toutes fortes de maladies , rendu la vue aux aveugles y Fouie aux fourds 5 f ufage de la langue aux muets , le fen~ timent & le mouvement aux paraliti- ques , la vie aux morts j enfin que par le prodige le plus fingulier & le plus inoui , il fe foit reffufeité lui - même après avoir été mis à mort ôc enfermé

et de la Foi. 155 dans le tombeau 5 c'eft de quoi une raifon éclairée Se dégagée de tout pré- jugé ne peut refufer de convenir. Il n'y a qua confidérer mûrement Se par or- dre toutes les circonftanceî dont ces faits fe trouvent revêtus , leur variété , leur éclat , le tems , les occafions , les lieux > les campagnes , les places publi- ques où ils fe font pafTés , la multitude de gens qui en ont été fpectateurs , ou qui fur le récit qu'ils en entendoient comme des miracles avérés Se tout ré- cens , embrafïbient la foi Se formoient ces troupes de chrétiens ii célèbres par leur zèle Se leur fainteté ; les qualités irréprochables des témoins qui les ont vus , qui les ont rapportés 9 qui les ont publiés jufqu'aux extrémités de la terre , qui les ont tranfmis à la poflérité dans leurs Evangiles , qui les ont foutenus fans fe démentir jamais ,_& en ont dé- fendu la vérité aux dépens de leur for- tune , de leur repos , de leur vie. XI n'y a , dis - je 5 qu'à faire mie difcuiïloii exacte de chacun de ces points , ôc d'autres que je n'ajoute pas j il n'y a qu'à les bien pefer , Se on avouera que de tous les faits hiftoriques , nuls ne font plus folidèment appuyés 3 ni plus à couvert de la cenfure. Mais encore

i$6 Accord de la Raison une fois , cette perquifition , à qui dcùxÀ elle appartenir , de du l'effort de qui eft- j elle , il ce n'eft du refïbrt de la raifon ? C'eft à la raifon d'éclaircir d'abord.] tout cela , de le vérifier , & d'en tireJ des preuves authentiques en faveur dqji la Religion.

III. Cependant après rnètre con^ vaincu par-là, ôc par cent autres mo-I tifs , que je dois m'en tenir à la Loi de Jefus-Chrift , après m'ètre , pour ainfïl dire , démontré à moi-même , par la voie du raifonnement , que c'eft une,! loi divine, une loi que PEfprit de véri- té , qui eft l'Efprit de Dieu , a di&ée- j après avoir conclu en générai ôc par une conféquence néceffaire , que cette; loi ne peut donc me tromper, ôc que, je ne puis m'égarer en la fuivant; que] tout ce que cette loi m'enfeigne , eft donc tel en effet qu'elle me l'enfei- gne , ôc que tout ce qu'elle me propofe de dogmes à.croire , font autant d'arti- cles de foi auxquels je fuis indifpeni'a- blement oblige d'adhérer ; que de va- ciller là-deifus , ôc de demeurer un moment dans une fiifpenrion volon- taire , ce ferait donc un crime ôc une infidélité digne de la damnation éter-

£T DE LA For. 157

uelle : enfin après avoir bien compris le grand oracle du Prince des Apôtres , que cette loi ayant été donnée aux hom- mes pour être la feule règle de de notre créance & de nos mœurs , il neft point AEi Ct fous le Ciel d autre nom _, en vertu duquel nous puijjions être fauves _, que le nom de Jefus-Chrifi : du refte , fi ma raifon veut aller plus loin , & qu'elle prétende percer l'abyfme des impénétrables myftères que la Religion nous a révélés , mais dont elle nous a caché le fonds , c'eft-là que la foi prend le deifus , qu'elle s'élève , qu'elle défend {es droits , qu'elle me met un voile fur les yeux , & me condamne à ne plus marcher que dans les ténèbres.

La raifon a beau fe recrier , cette raifon également curieufe & préfomp- tueufe. Elle a beau demander : mais qu'eft-ce que le myftère d'un Dieu en trois perfonnes , & de trois perfonnes dans un feul Dieu ? Mais qu'eft-ce que le myftère d'un Dieu fait homme fans ceifer d'être Dieu ; mortel & immortel tout enfemble , paliible & impaftible , & réunifiant dans une même perfonne toute la gloire de la divinité , & toutes les mifères de notre humanité ? Mais qu'eft-ce que le myftère d'un Dieu homme réellement préfent fous les efpè-

i; | 8 ACCORD DE LA R A I S 0 N

ces du pain & du vin dans le Sacre- ment de nos Autels ? Qu'eft-ce que tout le refte ? La-deffas la foi lui dit ce que 7ob. c Dieu dit à la mer : Tu viendras jufques- j mais c3efi-là même que tu t'arrêteras cefi-là que tu briferas tes flots j & que tul abaijjeras les enflures de ton orgueil. Arrêt abfolu , contre lequel une raifon chré-| i tienne n'a rien à oppofer ni à répliquer. Elle y trouve même des avantages infi- nis : car c'eft ainfi que l'homme , en faiiant à Dieu le facrifice de fou corps par la pénitence ? le facrifice de fon cœur par l'amour , lui fait encore Wr facrifice de fon efprit par la foi. En fa-J crinant à Dieu fon corps par la péni^ ^ tence , il honore Dieu comme fouve- rainement équitable'} en facrifiant à Dieu fon cœur par l'amour , il honore I Dieu comme fouverainement aimable ; ôc en facrifiant a Dieu fon efprit par la i foi , il honore Dieu comme fouveraine- ment infaillible & véritable.

Avantages par rapport à Dieu : mais I de plus , à prendre la chofe par rap- port à l'homme & fa tranquillité , il ne lui doit pas être moins avantageux d'avoir une règle qui feule arrête les I viciffitudes perpétuelles de fa raifon i lorfqu'elle eft abandonnée à elle-mê- [

n de la Foi, 159

me. Or cette règle , c'eft la foi. En effet, fans une foi foumife , toutes les fermières de ma raifon , au lieu de me •raiTurer dans le choix d'un parti , & de me mettre l'efprit en repos , ne fervi- ïtoiit au contraire , qu'à me jetter cha^ que jour dans de nouveaux embarras , éc à me caufer de nouvelles agitations. Car on fçait combien la raifon humai- ne , dès qu'on lui donne Ténor , eft ; variable dans les vues , 3c combien elle eft féconde en idées toujours nouvelles ique l'imagination lui fuggere. De forte , qu'aujourd'hui nous penfons d'une fa- çon &: demain d'une autre ; qu'au] our- d'hui un fentiment nous plaît , & que demain nous le rejettons j qu'aujour- d'hui une difficulté nous fait de la pei- ne , &c qu'elle n'eft pas plutôt réfolue qu'un autre doute vient bientôt après nous troubler : ce qui eft fur-tout vrai en matière de Religion , & ce qui eft encore plus commun aux efprits vifs & pénétrans , aux prétendus fages & aux îçavans du fiècie , qu a des efprits 11m- pies & bornés. D'où il arrive , que nous demeurons dans une perplexité l'on fe prête à tout ce qui fe préfente , ôc l'on ne tient à rien. Saint Auguftin nous le témoigne aftez en parlant de

ï^o Accord de la Raison lui-même. Il cherchoit la vérité , il eiî.i faifoit fon étude , il y employoit toute fa philofophie : mais après bien des re- cherches Se après être tombé dans les:» erreurs les plus groiîieres , il étoit tou- jours flottant & incertain 5 & il ne trou- vait rien il crût pouvoir fe repofer : pourquoi ? parce qu'il ne prenojt point : d'autre guide que fa raifon , 8c qu'elle ne lui fuffifoit pas pour tenir fon efprit en arrêt , & pour le guérir de les inquié- tudes. Delà tant de changemens , tant" de mouvemens inutiles , tant de fyftê- mes différens dont il fe laifïa préoccu- per , & dont il ne revint que lorfqu il penfa férieufement à fe convertir & à*, embrafler la foi. En quels termes s'ex- plique-t-il -deflus dans fes Confef- iions , 3c déplore-t-il l'aveuglement où. il avoit vécu pendant plufieurs années ! Quelles actions de grâces rend-il à Dieu , d'avoir rompu le charme d'une feience profane qui lui fafeinoit les yeux , &c de l'avoir réduit à la fainte ignorance d'une foi fouple 6c docile !

Car fi la raifon fe foumet à la foi il dans une parfaite intelligence elles fe donnent mutuellement le fecours qu'el- les doivent recevoir l'une de l'autre : voilà le moyen prompt ôc immanqua- ble

£T DE la Foi, l6ï

\>le de pacifier mon ame > & de nie pré- munir contre toutes les attaques dont je puis être aiTailli au iujet de la Religion, De quelque doute que je fois combattu malgré moi , foit par la malice de l'Ef- i prit tentateur , foit par les difcours j d'une troupe de libertins , foit par les I révoltes involontaires de ma raifon 8c fon indocilité naturelle , je n'ai point de réplique plus courte ni plus déciftve à faire que celle de Jefus-Chrift même au démon qui le vint tenter dans le de- fert : II eft écrit. Oui y il eft écrit qu'il y a un premier Etre , 8c qu'il n'y en a qu'un , éternel , invifible , tout-puiffant , par qui le monde a été créé 3 8c par qui il eft confervé & gouverné. Il eft écrit ,, que dans cet Erre adorable & cette fuprême divinité , il y a tout à la fois 8c fans confuilon ,. une unité de fub- ftance , 8c une trinité de perfonnes. Il eft écrit , que de cette trinité de perfon- nes, Père , Fils .., 8c Saint-Efprit , le Fils égal à fon Père 8c envoyé de fon Père % eft venu fur la terre pour la rédemption des hommes j que tout Dieu qu'il eft" 8c qu'il n'a jamais ceifé d'être , il s'eft Fait homme lui-même , il a vécu parmi nous , il eft mort fur une croix , il eft: rellufcité & monté . au Ciel. Il eft écriv Tome. L. O

tlG% Accord de la Raison- que ce nouveau Législateur & ce Sait-- veur , voulant demeurer avec nous ju£*-i qu'à la confommation des iiècles-, nous ai: iaiiTé fa chair facrée. & fon précieux fang,., fous les. apparences du pain & du vin j que : nous offrons l'un & l'autre en. facrifice ï\ & que l'un & l'autre , pour le foutien de a nos âmes 3 nous fert , comme Sacrement % J de nourriture & de breuvage, 11 eft. écrit : qu'il y aura un jugement nous ferons ;! tous appelles y & que dès maintenant il y a une béatitude célefte , les bons;' feront à jamais récompenfés, & un enfer les pécheurs feront condamnés à un tourment fans mefure & fans fin. Ainfî des autres articles qui me" font propo-* fés comme des points de créance. Or du moment que tout cela eft écrit 5 c'eft- à-dire que tout cela m'efl révélé de. Dieu ou delà part de Dieu 5 & que cette révélation m'eft tellement notifiée par des motifs de crédibilité, qu'il feroit con- tre le bon fens de n'en vouloir pas con- venir , je ne demande rien de plus. Je rends à la foi par mon obéiiTance l'hommage qui lui eft \ je lui laifîe prendre Tafcendant , & exercer fou empire. Dès qu'elle parle , je l'écoute , je me tais , je crois , parce que je me fens aiîuré de tout ce qu'elle me dit.

D E L A F O I. ï6$

Autant qu'il me vient à Pefprit de quef- . rions , d'obje&ions , 3c de raifonnemens où. je me perds & que je ne puis démê- ler , autant de fois j'ai recours au fenti- ment de l'Apôtre, & je me contente avec : lui dem'écrâer : O profondeur de la fageffe Rom.c* I & de la fcience de Uieu ! que f es juge- ' ** : mens font incompréhenfibles _, & que Jes voies font au-deffus de ce quon en peut < découvrir! car qui a pénétré dans les pen- Jées du Seigneur ■> & qui ejt entré dans fon confeil ! Suivant ces principes & y de-- me virant ferme , je réfous dans un mot toutes les difiicultés j je diiïipe tous les doutes, je me débarra(Te de mille ré- I flexions dangéreuies & pernicieufes , du | moins très-impormnes 8c inutiles } j'agis en paix , & n'ai d'autre foin que de vivre chrétiennement félon les maximes ôc fous la direction de la foi.

Mais comment croire ce que l'on ne comprend pas ? Efprit humain , ne te feras<u point juftice ? ne comioitras-ta point ta foibleife } &c pour la connaî- tre ne te consulteras - tu point toi- même & ta propre raiion ? Car à ne- confu.lt er même que la raiion , qui ne voit pas , à moins qu'on ne foit dépour- vu de toute lumière , combien il e(t dé- raifonnable 8c peu foutenable de ne-

Ôi|

id'4 Accord de la Rais air - vouloir pas croire une chofe y parce qu'elle e(l au-deifus. de nos connoiflan^ ces , & qu'on, ne la peut comprendre ? ! combien de chofes exiftent dans.s toute l'étendue de l'univers , combien fe pafTent fous nos yeux & nous font! certaines 3 fans que nous les compre- nions ? Parce que nous ne. les compre- nons pas , en font-elles moins vraies?? Parce qu'on n'a pas compris jufqu'à préfent comment fe fait le flux Se 1§| reflux de la mer , eft-il un homme afles infenfé pour douter de ce mouvement- des eaux fi régulier & fi confiant ? Com- prenons-nous bien les ouvrages de la nature 3 & combien y en a-t-il qui échappent à nos prétendues découver- tes & à toute notre pénétration ? Ju- geons de-là il nous devons être furpris que les myflères de Dieu foient hors de notre portée r & que nous ne puiffions y atteindre y & jugeons encore delà» même (i c'eft une jufte conséquence de. dire , je ne dois point croire que cela; fait , puifque je n'y conçois rien.

A Dieu ne plaife que je penfe de la forte , ni que j'ofe , Seigneur , m'in- gérer dans des fecrets qui me font pré- fentement inconnus. Ce feroit une pré- emption j 3c. félon la menace de votre

ET DE LA Foi. 1 6 f

"Saint Efprit , en voulant contempler de I trop près votre Majeflé , je m'expofe- rois à être accablé de votre gloire. Le Prov.ci jour viendra , je Pefpere ainn de votre ' ;, miféricorde , il viendra cet heureux jour , j'entrerai dans votre Sanctuai- re éternel , vous vous montrerez à moi dans tout votre éclat r je vous : verrai face à face. D'une foi ténébreu- se , vous me ferez palier à une clarté fans nuage 8c toute lumineufe.- Mais- j|ufqiies-là , jufqiies à ce jour de la j grande révélation , vous me mettez à : l'épreuve , 8c vous voulez que je vous [cherche dans la nuit 8c par des voies .fombres. Ce n'eft pas , Seigneur, que" vous réprouviez les lumières de ma rai- |fon } au contraire , vous me l'avez ^donnée comme un flambeau pour me Iguider : mais après en avoir fait l'ufage i convenable , vous m'ordonnez de lui fermer les yeux , de la réprimer , de ;rafïujettir , & de l'accorder par cette: ifujettion même, avec la foi qui doit lavoir toujours la Supériorité fur elle 8c la dominer. Vous l'avez ainfi réglé , Seigeur , 8c pour l'honneur de votre parole , 8c pour mon faiut. De bon cœur j'y confens. Je crois ce qu'il vous a plu de me faire annoncer, 6c je le

\66 Accord de la Ra r s oh crois précifémenr , parce que vous l'avez'/ 'Marc, c, fctm je crois , mon Dieu > mais en même ' terns j'ajoute , comme ce Père del'Evan-4 gile, fortifiez^ mon peu de foi i car il meJ femble en certaines conjectures qu'elle' eft bien faible, cette foi -, pour laquelle. i néanmoins , je dois être en difpohtioai: de répandre mon fang. Vous la fou— | tiendrez , ou vous me -foutiendrez moi-- même contre les plus violents allants ,J 8c vous ne permettrez pas qu'un fondai fi néceifaire &c il précieux me foit enlevé*

La Foi fans les Œuvres : Foijlérile & fans fruit..

LçOmmes-nous Chrétiens? ne le v3 fommes-nous pas? Si nous ne le: fonimes pas 5 pourquoi afFectons-nous > de le paraître ? Pourquoi en portons- nous le nom ? C'eft une hypocrifie 8c un menfonge. Mais fi nous le fournies > j que n'en pratiquons-nous les œuvres 'r\ 3c n'eft-ce pas une contradiction énor-r me , d'être chrétien dans la créance , , &c payen ou plus que payen dans les mœurs ?

Voila le trifte état du Chriftianifrne M

La For sans les Œuvres, \Cy en voilà le défordre le plus univerfeL Je dis le plus imiverfel , 8c pour en ve- nir à la preuve , toute fondée fur l'ex- périence , nous devons diftinguer trois : fortes de chrétiens : des chrétiens feu- ; lement de nom , des chrétiens de pure spéculation , des chrétiens tout à la fois de créance 8c d'action. Chrétiens ' feulement de nom , 8c rien de plus i c'eil: un certain nombre de libertins > '■ qui dans le iein même de la religion ? ;" vivent fms religion, j renonçant au bap- tême y ils ont été régénérés 3 & à la foi qu'ils y ont reçue. Non pas qu'ils -s'en déclarent hautement , ni qu'ils faf- ' ,fent une profefïion ouverte d'impiété t ils gardent toujours quelques, dehors y ils ne produifent leurs fentimens , qu'en termes équivoques y ou qu'en préfence |de quelques libertins comme eux } leur apoftaiie eft fecrette : mais enfin par la corruption de leur cceur , ils en font venus à douter de tout 8c à ne rien icroire : ils ont encore l'apparence d3hom- ^pocah \tnes vivans _, & ils font morts. Chrétiens de pure fpéculation , autre caracbère : c'eft- à-dire qu'ils non pas perdu l'habitude - 8c le don de la foi -y ils ne conteftent aucune de fes vérités , 8c ils les refpec- tent toutes ; ils penfent bien : mais s'il

io8 La For

faut pafler à la pratique , c'eft-là quel leur foi fe dément , ou qu'ils la dé- I mentent eux-mêmes , par l'inutilité de.J leur vie 3 & fouvent même par les plus' honteux déréglemens. Eniin chrétiens \ de créance & d'action : ce font les vrais chrétiens ; d'autant plus, chrétiens queJ l'efprit de la foi dont ils font remplis y. les porte à une pratique plus excellente. &" plus confiante de tous leurs devoirs j & par un heureux retour, d'autant plus; animés & plus touchés de cet efprit de: foi 5 qu'ils le mettent plus conftammentji & plus excellemment en œuvre , 3c qu'ils s'adonnent avec plus de foin ai tous les exercices dune piété agiffante. Se fervente : car de même que la fol vivifie les œuvres , on peut dire que les* œuvres vivifient la foi. Ils croient , M pour cela ils agiffent ;. & parce qu'ils agiffent , .leur foi croît à me f ure , &c devient toujours plus ferme & plus vi- ve.

Or de ces trois efpéces de chrétiens I il eft évident que le plus grand nombre, eft de ceux que j'ai appelles chrétiens;: de fpéculation y & qui tiennent le ma lieu entre les premiers 8c les derniers^ Il eft vrai qu'il y a dans le monde parmi nous des impies en qui la foi eifc'l

absolument

sans les Œuvres. 169 absolument éteinte. Bien loin d'avoir aucun fentiment de Dieu , ils ne re- connoiffent ni Dieu ni loi -y ou il l'a- veuglement dans lequel ils font plon- gés , n'a pu effacer de leur efprit toute

! idée d'un Dieu premier moteur de l'u- nivers, du moins, à l'exemple de ces Philofophes dont parle Saint Paul , ne

" le glorifient - ils pas comme Dieu , & traitent-ils de fupetftition populaire l'o-

:- béiffance de le facré culte que nous lui rendons félon l'Evangile & les enfei- gnemens de Jefus-Chrift. Mais il faut

•après tout convenir que ce n'eft point- l'état le plus commun. Il n'y en a toujours que trop, je le fçais , hélas! 6c j'en gémis : mais du refte ce liberti- nage entier Se complet n'eft répandu

: que dans une petite troupe de gens , qui n'ofent même le découvrir , ou qui tombent dans le mépris , Se fe diffament

[en le laiflfant appercevoir. Il eft vrai d'ailleurs que la foi n'eft point non plus tellement affoiblie , ni altérée dans tout le chriftianifme , qu'il n'y ait encore jufques au milieu du fîécle de parfaits chtétiens , qui par la divine miféricor- de Se le fecours de la grâce , foutien- nent dignement la fainteté de leur pro- feifion : auffi fidèles Se aufli religieux Tome l P

Xfa La F o ï

dans la conduite , qu'ils le font dans fa J doctrine; rempliffant avec une régula- rité édifiante toutes leurs obligations , de confefîant Jefus-Chrift par leur bon- ne vie de leurs exemples , comme ils le confeifent de cœur par leurs fentimens , de de bouche par leurs paroles. Nous ; en devons bénir Dieu ; mais ce qu'on J ne fçauroit en même tems afTez déplo-^ rer , c'eft que les Chrétiens de ce ca- ractère foient il rares , de qu a peine a nous en puimons compter un entre] mille. Ce n'eft pas d'aujourd'hui que; cette décadence a commencé dans PE-- glife } mais pour peu qu'on ait de zélé 9 . on ne peut voir fans une amère dou- leur combien le mal augmente tous1 les jours ? & combien la charité de ces1 derniers fiécles fe refroidit d'un tems a. l'autre.

Refte donc de conclure , que la foi' de la plus grande partie des Chrétiens fe réduit toute à un ilmple acquiefee- ment de l'efprit , fans effets , fans fruits , de que c'eft le renverfement le plus: général. Car quelques plaintes que forv ment , au fujet de la foi ,,les perfonnes zélées , de de quelque manière que s'é- noncent les Prédicateurs dans leurs difeours , quand ils s'écrient qu'il n'y m

sans les Œuvres. 171 plus de foi fur la terre , & qu'elle y eft abolie j quand ils s'adreflent à Dieu comme le Prophète , & qu'ils lui de- mandent : Seigneur, qui eft-ce qui croit à la parole que nous annonçons , &c i trouve-t-on de la foi ? quand à vue de ce déluge de vices quife font débor- dés de toutes parts , qui infectent tant d'ames } du moins à la vue de l'extrême tiédeur , 3c de l'affreufe inutilité s'é- coulent jufques à la mort toutes nos ; années , ils en attribuent la caufe à un défaut abfolu de foi : cqs expre liions qu'une fainte ardeur infpire 3 ne doi- ivent point être prifes à la lettre ni dans 'toute la rigueur de leur fens. Ce feroit ioutrer la chofe ; & pour ne rien exagé- rer , il me femble que tout ce qu'il y a Ide réel en tout cela , c'eft que la foi fubfiftant encore dans le fond , ce n'eft [plus , par la dépravation & le malheur ;des terns , qu'une racine infructueufe ; |& que ce facré germe dont les pro- ductions autrefois étoient h* merveilleu- tfes , ii promptes , ri abondantes , n'o- père plus ou prefque plus. Pourquoi ? parce que ce n'eft plus qu'une foi lan- guiiTante ou comme endormie j parce que nous ne la faifons entrer , ni dans nos délibérations , ni dans nos réfolu-

pij

ïji L a F o i.

dons j ni dans nos a&ions j parce que fans l'effacer de notre cœur , nous l'ef- façons de notre fouvenir j & que ces vérités , quelque importantes de quel- que touchantes qu'elles foient , ne nouss étant jamais préfentes à la penfée , elles ne doivent faire fur nous nulle ini— preilion. D'où il arrive , que dans le plan de notre vie elles ne fervent ni ai nous détourner du mal , ni à nous por- ter au bien , quoiqu'elles nous ayentt été fur-tout révélées pour l'un & pour; l'autre.

IL Je dis que c'eft pour nous détour- •' ner du mal & pour nous porter au bien , ,, que nous ont été révélées les vérités de.'! la foi. Car fi Dieu nous a donné la foi , , ce n'eft point feulement afin que notre foi foit pour nous une régie de créance Ephef. mais une régie de conduite. Avant même: l la création du monde j dit l'Apôtre , Dieu I nous a choifis en Jefus-Chrijl _> & il nous a | appelles j afin que nous fujjtons faints & ' fans tache devantfesyeux. Voilà ce peuple parfait ^que le divin Précurfeur vint d'a-- bord 5 félon la parole de Zacharie ,prépa- parer au Seigneur _> & à qui le Seigneur i lui-même a voulu mettre enfuite les ; ierniers traits. De-là ces grandes ma-;-

sans les Œuvres. tyf xlmes &: ces principes de morale dont foute la loi évangélique eft compofée. Notre adorable Maître ne s'eft pas con- tenté de les enfeigner aux hommes &: de nous les expliquer ; mais il . a voulu pour notre exemple les pratiquer. Que dis-je ? il a plus fait ; êc pour nous montrer combien il avoit à cœur cette pratique , de combien il la jugeoit efTen- tielle dans la religion j avant que d'en- feigner , il a commencé par pratiquer. De-là même , ces leçons fi fréquentes , ces exhortations des Apôtres 3 lorfqu'ils inftruifoient les fidèles , & qu'ils les formoient au chriftianifme. De quoi leur parloient-ils plus fouvent ? des bonnes œuvres. Que leur recomman- doient-ils plus fortement ? les bonnes œuvres. Que leur reprochoient-ils plus vivement ? leurs négligences Ôc leurs relâchemens dans les bonnes œuvres j c'étoit-là prefque l'unique fujet de leurs épîtres & de leurs prédications. Car fans rapporter en particulier tous les points dont ils leur enjoignoient une pratique journalière & aiUdue , voilà dans une vue générale ce qu'ils préten- doient leur marquer , en les conjurant de fe comporter toujours d'une manière digne de leur vocation , de chercher

Piij

174 L A F o î

en toutes chofes. le bon plaifir de Dieu ; d'achever l'ouvrage que la grâce avoit commencé dans eux , Se de faire enfer- re que rien ne manquât à leur perfection Se à leur fandification , afin que rien ne manquât à leur falut éternel 9 Se à leur gloire. Tels étoient les enfeignemens de ces premiers Prédicateurs de la foi , pleinement inftruits des intentions du Fils de Dieu , Se fuivant le même Efprit , ils réprouvoient une foi lâche Se non- chalante , Se ne connoifîoient qu'une foi vigilante , entreprenante 3 édifiante. Et certes, comment l'entendons-nous, fi nous nous flattons d'obtenir la vie bienheureufe par la foi , fans les œu- vres de la foi ? Eft-ce à la foi feule que Jefus - Chrift a promis fon Royaume ? Eft-ce la foi feule qui nous juftifie ? La foi efb le fondement de la fainteté chré- tienne , Se les œuvres en doivent être le complément : ôtez donc les œuvres , je fuis en droit de vous dire comme Jac» e, l'Apôtre Saint Jacques , fi quelqu'un a laj %* foi & qu il n ait point les œuvres _, de quoi cela lui fervira-t-il ? efi-ce que la foi le pourra fauver ?

On m'oppofera la parole de Saint

* Paul , Se l'exemple d'Abraham tiré du

cinquième Chapitre de la Genéfe ,

sans les Œuvres. 175 il eft dit qu'Abraham crut , Se que fa foi lui fut imputée à jufrice. Il eft vrai , Abraham 8c tant d'autres , foit Patriar- ches , foit Prophètes de l'ancienne Loi > fe font rendus par la foi recommanda- bles auprès de Dieu} mais par quelle foi ? consultons le même Saint Paul , 8c il nous l'apprendra. C'eft au Chapi- tre onzième de fon Epître aux Hébreux , il décrit avec une éloquence toute divine , ce que la foi infpira de plus héroïque 8c de plus grand à ces hom- mes incomparables.

En effet , fans vouloir ici les nom- mer tous , 8c fans en faire un dénom- brement trop étendu , quelle fat la foi d'Abraham ? Il crut , mais II ne fe bor- na pas à croire j ou plutôt , parce qu'il crut &: qu'il crut efficacement 8c d'une foi parfaite , il quitta fa patrie , ainfi qu'il lui étoit ordonné , il s'éloigna de fes proches , il offrit fon Fils uni- que , il fe mit en .devoir de l'immoler , 8c ne ménagea rien pour rendre hom- mage à Dieu , 8c lui témoigner fon obéiffance. Quelle fut la foi de Moïfe ? Il crut , mais il ne fe contenta pas de croire ; ou plutôt , parce qu'il crut 8c qu'il crut vivement 8c d'une foi prati- que , il renonça à toutes les efpérances

P iiij

i7^ La Foi

humaines , il facriiia dans une Cour étran- gère les titres les plus pompeux Se la plus riche fortune 3 il fe réduiiit dans une condition humble , Se dans un état de fourTrance , s'eflimant plus heureux d'être amigé avec le peuple de Dieu , que de goûter les fauffes douceurs du péché parmi les Idolâtres. Quelle fut la foi d'un Gédéon y d'un Jephté 3 d'un David , de tant de glorieux combattans Se de zélés Ifraëlites ? Ils crurent -y mais ils ne s'eftimerent pas quittes de tout en croyant , ou plutôt , parce qu'ils cru- rent , Se qu'ils crurent bien & d'une foi courageufe , les uns s'expoferent à mille périls pour la caufe du Seigneur 9 lui fournirent les nations ennemies , Se fubjuguérent les Royaumes } les autres panèrent par les plus rudes épreuves y endurèrent pour le Dieu de leurs Pères Se pour la loi les plus rigoureux traite- mens , & périrent par le tranchant de l'épée ; d'autres féparés du monde , confinés dans les deferts , cachés dans de fombres cavernes , menèrent la vie la plus auftère 3 Se reffentirent toutes les miféres de la pauvreté Se de l'indigen- ce : tous fe regardant fur la terre com- me des étrangers , Se n'ayant nulle pré- tention, nul intérêt temporel qui les

sans les Œuvres. 177 attachât , ne s'employèrent qu'à cher- cher fans cefTe , Se par les vœux de leur cœur y Se par le mérite de leurs œu- vres , cette Cité célefte que la foi leur faifoit entrevoir de loin , Se elle les appelloit. Car telle eft en abrégé la peinture que l' Apôtre nous a tracée de ces Saints de la première alliance. C'eft ainfi que la foi agiiïbit dans eux , ou qu'ils agifïoient par la foi , perfuadés qu'ils ne pouvoient fans cela efpérer l'ac- complhTement des promefTes qui leur avoient été faites , ni entrer en pofTef- fion de l'héritage qui leur étoit deftiné.

Les Saints de la loi nouvelle en ont- ils jugé autrement à l'égard d'eux-mê- mes ? ont-ils penfé que cette loi de grâce leur donnât un privilège particulier, Se qu'indépendamment des œuvres la qualité de chrétien leur fût un titre fufH- fant pour être admis au rang des Elus } Si c'étoit-là leur morale , Se s'ils ne comptoient que fur la foi , pourquoi fe confumoient-ils de veilles Se de tra- vaux ? Pourquoi s'exténuoient-ils d'ab- ftinences , de jeûnes , de mortifica- tions ? Pourquoi fe refufoient-ils tous les plaiiirs <1qs fens , Se faifoient-ils a leur corps une guerre fi cruelle ? Qu'étoit-il nécefTaire qu'ils s'exerçaflent continuel-

I7S L A F O I

lement en des pratiques d'humilité , de patience , de charité ? Que leur impor- toit-il d'être h* alïidus à la prière & à; l'oraifon ? Se d'y paiTer prefque les jour-; nées entières Se les nuits ? Que ne for- toient-ils de leurs retraites ? Que ne fe répandoient-ils dans le monde ? Que ne fe donnoient-ils plus de relâche 8d< plus de repos ? Mais encore après tant d'oeuvres faintes , après s'être épuifés pour la gloire de Dieu , pour le fervice du prochain , pour leur propre fane- tification Se leur progrès perfonnel après avoir amaiie ci îmmenies treiors , comment ne fe qualifioient-ils que de ; ferviteurs inutiles ? Comment 3 à les eni croire , fe trouvoient-ils les mains vui- - des , Se déploroient-ils avec autant de 2 confufion que d'amertume de cœur,, leurs befoins fpirituels Se leur dénué-- ment extrême ? D'où leur venoit ce ; tremblement dont ils étoient faifis au i| fujet de leur falut , Se au fouvenir des arrêts du Ciel ? ils avoient tout entre- pris , tout exécuté , tout foutenu , Se il iembloit néanmoins qu'ils n'eufTent rien fait. Ne nous en étonnons pas : c'eft qu'ils étoient convaincus de l'indifpen- fable néceilité des œuvres pour rendre leur foi falutaire j qu'ils craignoient de

sans les Œuvres. 179 ne pas remplir fur cela toute la mefure qui leur étoit prefcrite.

Avons-nous moins à craindre qu'eux , Se ferons-nous moins expofés à cette ^ malédi&ion dont le Fils de Dieu frap- pa le figuier ftérile ? Il s'approcha de ce figuier , il y chercha des fruits , mais ; n'y voyant que des feuilles , Que jamais j Matth. dit-il , tu ne portes de fruits & queperfonne jamais ne mange rien qui vienne de toi. L'effet fuivit de près l'anathême ; le fi- [ guier dans l'inftant même perdit tout 1 fon fuc , Se fécha jufques dans fes raci- nés. Ce ne fut plus qu'un bois mort & ; propre à brûler, figure terrible ! Quand le fouverain Juge viendra , ou qu'il nous appellera à lui , pour décider de notre éternité , ce qu'il examinera dans nous , ce qu'il y cherchera 3 ce ne fera pas feulement la foi que nous aurons confervée , mais les œuvres qui l'au- ront accompagnée. Ainfi nous le dé- clare le grand Apôtre dans les termes les plus exprès : Nous par vitrons tous de- 1. Cbr* vant le Tribunal de jefus-Chrift ^ afin que ** I0* chacun reçoive félon le bien qu il aura prati- qué ^ou félon le mal qu il aura commis, .L'A- pôtre ne dit pas précifément , que nous recevrons félon que nous aurons cru ou que nous n'aurons pas cru j mais fe-

i8o La Foi

Ion que nous aurons agi , ou que nous

n'aurons pas agi conformément à notre

croyance.

Et n'eft - ce pas aufli ce que nous1 voyons clairement exprimé dans la £en- tence , ou de falut , ou de damnation , , que prononcera le Fils de Dieu , foit à i l'avantage des juftes en les glorifiant y\ foit à la ruine des pécheurs en les ré-- iMatth. prouvant ? Que dira-t-il aux uns ? Vene\ s ,

c.z

34," vous qui êtes bénis de mon père j pojféde^ le

Royaume qui vous a été -préparé des le com- -,

mène ement du monde : car f ai eu faim j &A

vous m'ave-^ donné à manger _, & le refte» .

Que dira-t-il aux autres ? Retire^ - vou$<

maudits y & alle^au feu éternel _, parce que

j'ai étéprejféde la faim _, & vous nave^pas

eu foin de me nourrir, U n eft point la .

parlé de la foi ; non pas qu'elle ne foit

îuppofée , & que dans le jugement qui

fera porté , ou en notre faveur , ou

contre nous , elle ne doive avoir toute

la part qu'elle mérite : mais enfin il n'en

eft point fait mention. Il n'eft point dit

aux prédeftinés _, vous êtes bénis de mon

père , parce que vous avez été fournis

aux vérités de mon Evangile \ comme

il n'eft point dit aux réprouvés _, Alleç, 3

maudits au feu éternel _, parce que vous

avez été incrédules : mais il femble que

sans les Œuvres. 181 tous les motifs de~ce double jugement ne foient pris que de la pratique , ou de i'omillion des œuvres chrétiennes. J'ai 4I^ eufoifj & vous rnave\donné _, ou vous ne m'ave^pas donné à boire ;je navois point Ide logement y & vous rnave^ recueiUi _, ou ne m'ave^pas recueilli cke^ vous ; j'étois malade j & vousm3ave\^ ounem'ave^pas ajjijlé. 'Tout cela ne regarde en appa- rence que les œuvres de miféricorde , mais comprend en général toutes les autres qui y font fous-entendues.

En vain donc je pourrai dire alors à Dieu : Seigneur, j'étois chrétien , & , j'avois la foi': fi je ne puis ajouter que j'ai mis en œuvre cette foi , que j'ai ' profité de cette foi , que cette foi m'a fervi à exciter &: a entretenir ma fer- veur dans l'exercice de toutes les ver- I tus j qu'avec cette foi , Se par les gran- , àcs considérations que cette foi préfen- toit continuellement à mon efprit , je ; me fuis détaché du monde , j'ai com- battu mes pallions , j'ai mortifié mes fens , j'ai jeûné , j'ai prié , j'ai fait l'au- ' mône , je n'ai rien omis de tous mes devoirs j li, dis-je, ces mérites de l'ac- tion me manquent , Dieu produifant contre moi cette foi même , que j'ai reçue fur les facrés fonts , Se que j'ai

1 8 z La Foi

profefTée , n'aura de fa part point: d'autre réponfe a me faire , que celle de ce maître de l'Evangile au fervi-j teur parefTeux : méchant ferviteur J pourquoi n'avez - vous pas employé votre talent ? pourquoi l'avez - vous; gardé inutilement dans vos mains %i au lieu de le mettre à profit , afin qu'à i mon retour j'en retirafle quelque inté--j ret?

Qu'eft-ce que ce talent 3 finon la foi M 8c qu'eft-ce que ce ferviteur parefTeux , J finon un de ces chrétiens oififs 8c négli- gens , qui tiennent leur foi comme en- fevelie , 8c en qui elle paroît morte ? ' I Ce ferviteur parefTeux, quoique feule- ment pareiTeux 8c fans avoir diiîipé fon talent , fut traité de méchant fer- viteur , 8c par cette raifon feule il fut condamné 8c rejette du maître j 8c ce chrétien négligent 8c oifif , quoique feulement oifif 8c négligent , fans s'être écarté de la foi , fera traité de mauvais chrétien 5 8c par ce titre feul Dieu le jugera coupable 8c le renoncera. Cou- pable , parce que la foi , dans les vé- i rites qu'elle nous révèle , lui fournifTant les plus puiflans motifs , pour allumer tout fon zèle , 8c pour l'engager à une vie toute fainte 3 il y aura été infenfible

sans les Œuvres. 18$ Se n'y aura pas fait l'attention la plus légère. Coupable , parce que la foi lui di&ant elle - même qu'exclufivement ,aux œuvres , elle n'étoit pas fuffîfante pour lui aiïurer un droit à l'héritage cé- îefte , il ne l'aura point éco.itéefur un article auflî important que celui-là 3c n'en aura tenu nul compte. Coupable , parce que la foi étant une grâce 5 3c l'une des grâces les plus précieufes , il en falloit ufer , puifque les grâces divi- ines ne nous font point données à d'autre ifin j & que n'en ayant fait aucun em- ploi , il ne fe fera pas conformé aux jvues de Dieu fur lui , 3c n'aura pas rempli fes defTeins. Coupable , parce 1 qu'ayant eu la foi dans le cœur , 3c l'ayant même confeiTée de bouche , il l'aura démentie dans la pratique ; qu'il l'aura contredite 3c tenue dans une efpéce de fervitude ; qu'il aura rélifté à les connohTances 3c à fes lumières ; -qu'il l'aura deshonorée , en la dé- ; pouillant de fa plus belle gloire , qui heft la fainteté des œuvres ; qu'il l'aura [j feandalifée devant les libertins , en leur faifant dire 3 que pour être chrétien , on n'en eft pas plus hommes de bien. Enfin coupable par comparaifon avec tout ce qu'il y aura eu avant lui 3c après

ï84 La Foi

lui de chrétiens fervens , appliqués; laborieux , qui n'avoient pas pourtant une autre foi que la fienne j & même coupable par comparaifon avec une multitude innombrable d'infidèles & d'idolâtres , en qui la foi eût fructi- fié au centuple de dont elle eût fait au- [ tant de faints , s'ils eulTent été éclai- rés comme lui de l'Evangile.

Voilà pourquoi Dieu le réprouvera, Ôc lui fera entendre cette défolante pa- role : je ne vous connois point. Non pas: qu'à l'égard des chrétiens il en foit tout-a- fait de même , qu'à l'égard du ferviteur : pareffeux. Le maître en condamnant ce . ferviteur inutile, lui fit enlever le talent: qu'il lui avoit confié ; mais en réprou- J vant ce lâche chrétien , Dieu lui laiiTera l'excellent caractère dont il i'avoit ho- noré. Jufques dans l'enfer , ce fera tou- jours un chrétien j mais il ne le fera i plus que pour fa honte , que pour:' ion fupplice , que pour fon défefpoir. J Cette glorieufe qualité de chrétien J qu'il aura fi long - tems oubliée , quand I il étoit pour lui d'un fouverain intérêt : d'y penfer , il ne l'oubliera jamais , , lorfqu'il en voudroit perdre l'idée , ôc que le fouvenir qu'il en confervera , ne pourra plus fervir qu'à le tourmenter.

Quels

sans les Œuvres 18$ Quels regrets fera-t-elle naître dans fon cœur , quand elle lui remettra les prétentions qu'elle lui donnoit au royaume de Dieu , & que par une in- . dolence molle il fe fera endormi , il fe verra déchu de toutes les efpérances. . A quels reproches l'expofera-t-elle , de la part de tant de Gentils réprouvés comme lui ; mais fans avoir été revê- i tus du même caractère , ni avoir eu le même avantage que lui ? quoi ! , vous êtes devenu femblable à nous ! vous avez encouru le même fort ! Que . vous demandoit - on de ïi difficile ^ 8c \ comment avez-vous perdu un bien dont , votre foi vous découvroit le prix inefti- mable , Se que vous pouviez acquérir à . fi peu de frais ?

III. Que peuvent dire à cela ces

honnêtes gens du liécle , qui paiTent

pour chrétiens , & qui le font en effet 5

| mais dont la foi toute renfermée au-^

; dedans ne fe produit prefque jamais

au - dehors par aucun acte de chriftia-

nifme , ni aucune des œuvres les plus

| ordinaires dans la religion ? Car voilà

I la foi en eft réduite , même parmi

ceux qui dans le monde ont une repu-

i tation mieux établie y & font voir dans

Tome L Q

iî6 L a F o ï

leur conduite plus de régularité 8c plus de probité. Telle eft la vie de tant de femmes , en qui je conviens qu'il n'y ai' rien à reprendre par rapport à la fagefTe 8c à Fhonneur de leur fexe. Telle eft la i vie de tant d'hommes , qui dans l'efti- | me publique font réputés hommes d'or-| dre 8c de raifon, droits , intégres , enne- mis du vice , 8c ne fe portant à nul ex- | ces. Je veux bien là-defïus leur rendre toute la juftice qu'ils méritent j je ne formerai point contre eux des accufa- | tions faruTes 8c mal-fondées j je ne leur | imputerai , ni libertinage , ni débau- ches , ni pallions honteufes , ni com- merces défendus , ni colères , ni em- ' portemens , ni fraudes , ni ufurpations , , ni concuilion. Que fur tous ces fu- jets 8c fur d'autres ils foient hors d'at- teinte , j'y confens ; mais je ne les ; riens pas dès-lors afliirés de leur falut. Si d'une part j'ai de quoi efpérer pour j eux , je ne vois d'ailleurs que trop à craindre ; 8c en voici la raifon. Car ne nous laifTons point abufer d'une erreur d'autant plus dangereufe , qu'elle eft plus apparente 8c plus fpécieufe j 8c ne penfons point que tout le mérite abfo- lument requis pour le falut , confifte à éviter certains péchés. Dieu dans fa loi

sans les Œuvres.' 187 ne nous a pas dit feulement , abftenez- vous de ceci &c de cela ; mais il nous a dit de plus , faites ceci &: faites cela. Le père de famille ne reprit d'aucune ac- tion mouvaife ces ouvriers qu'il trouva dans la place publique ; mais il les blâma de perdre leur tems , & de demeurer Matt'-. fans occupation. Àllc\3 leur dit-il, dans c«~0»^ ma vigne > de travaillez-y ] car fans tra- vail vous ne gagnerez rien , 8c vous ne I devez être récompenfés que félon la ! mefure de votre ouvrage. Tellement que nous ne ferons pas moins refpon- ; fables à Dieu du bien que nous^ aurons I omis , que du mal que nous aurons commis.

Or qu'on me dife quel bien prati- quent la plupart des chrétiens , ôc même de ces chrétiens que je reconnois vo- lontiers pour gens d'honneur , &c à qui j'accorde fans peine la louange qui leur appartient. Ils font de bonnes moeurs , ils s'en félicitent , ils en font gloire ; mais ces bonnes mœurs a quoi vont- elles , & fe réduifent-elles ? Sont- ce des gens pieux &: religieux , qui s'adonnent , autant que leur état leur permet , à la prière , qui ailiftent aux offices divins 3 qui fe rendent aiîidus au facrifice de nos autels ? qui fréquentent

i88 L a F o ï

les Sacremens , qui fe nourrhTent de faintes lectures , qui écoutent la parole de Dieu , qui chaque jour fe rendent compte à eux-mêmes de la difpofition de leur confcience^ & qui après cer- taines diffractions indifpenfables , de: certaines affaires leur condition les* engage , aient leur tems marqué pour fe recueillir de pour vaquer au foin de leur ame ? Sont- ce des gens charita- bles , qui par un efprit de religion s'in- téreffent aux miféres 8c aux befoins d'autrui y &c foient même pour cela difpofés à relâcher tout ce qu'ils peu- vent de leurs intérêts propres -y qui , Rom» e. fuivant la maxime de l'Apôtre , pieu-. 17,9 '*• rent avec Ceux qui pleurent ^ & fans fe pi- quer d'une maligne jalouiie , fe réjouif- fent avec ceux qui ontfujet defe réjouir' qui félon leurs facultés contribuent au foulagement des pauvres & à la confola- tion des affligés , s'appliquant à les connoître , fe faifant inftruire de ce qu'ils foiuTrent , & de ce qui leur man- que } les viiîtant eux-mêmes , autant qu'il convient j Se ne dédaignant pas dans les rencontres de leur porter les fecours nécefïaires ; qui dans toutes leurs paroles & dans toutes leurs manières d'agir, prennent foigneufement garde

sans les Œuvres. i $9 à noffenfer perfonne , 6c du refte ne penfent aux injures qu'on leur fait que pour les pardonner -y doux , hum- bles , patiens , affables à tout le monde , de ne cherchant à l'égard de tout le monde , que les fujets de faire plaifir &: d'obliger ? Sont - ce des gens mor- tifiés & détachés d'eux - mêmes 5 qai répriment leurs defirs , qui captivent leurs fens 5 qui crucifient leur chair , qui par un fentiment de pénitence Se en vue de cette abnégation évangéli- que , dont le Fils de Dieu a fait le point capital de comme le fondement de fa loi , renoncent aux commodités & aux aifes de la vie , fe retranchent tout fuperflu , Se f e bornent précifément au néceffaire ?

! que dis-je ? connoiffent - ils cette morale ? la comprennent-ils ? en ont-ils même quelque teinture ? Que je la leur propofe, Se que j'entreprenne de les y affujettir , ils me prendront pour un homme outré , pour un zélé indiferet 9 pour un fauvage venu du defert. C'eft néanmoins la morale de Jefus-Chrift 9 de c'eft à cette morale que le falut eft promis. Il n'eft point promis à une vie Matth douce & toute humaine , quelqu'inno- Cf 7#I3* cente au-dehors qu'elle paroiffe. Je cou-

190 La Foi

md. fuite l'Evangile . & voici ce que je lis ;

II. xi. r f y . r- ' rr

Joan. c. £>ntre-{ par la porte étroite j faites effort. JZ> 35* Le royaume de Dieu ne s'emporte que pari c. 13" violence : Un y a que ceux qui emploient 1 l°'lu la force qui le raviffent. Marche-^ _, c'ejl-à- 14. \l dire^ cigijfe^ tandis que le jour vous éclaire. 17 * L'arbre qui ne produit point de bons fruits y fera coupé & jette au feu : enfin celui qui ne porte pas fa croix > & ne la porte pas tous ; les jours j ne peut être mon difciple ni digne de moi : tout cela eft court , précis , déci- fif. C'eft Jefus-Chrift qui parle , & qui nous donne des règles infaillibles pour juger fi nous ferons fauves ou réprouves. Toute vie conforme à ces principes , eft une vie de falut } mais toute vie: auili qui leur eft oppofée , doit être, une vie de réprobation.

Et qu'on ne me demande point en quoi cette vie eft criminelle , & pour- quoi fans être une vie licencieufe & vicieufe , c'eft toutefois une vie ré- prouvée de Dieu. Je ne m'engagerai point ici dans un long détail , ni en des queftions fubtiles ôc abftraites j je n'ai en général autre chofe a répondre , fi- non que cette vie dont on fait confif- ter la prétendue innocence à s'abftenir de certains excès & de certains défordres - fcandaleux > n'a point précifément par-

SANS LES (EuVRES. Ipî

les cara&ères de prédeftination mar- qués dans les textes inconteftables ôc irréprochables que je viens de rappor- ter. Vivre de la forte , ce n'eft certaine- ment point entrer par la porte étroite , ni tenir un chemin rude <Sc difficile. Ce n'eu: point avoir de grands efforts à faire pour gagner le Ciel , ni à ufer de grandes violences. Ce n'eft point profiter du tems que Dieu nous donne , ni faire de nos années un emploi tel que Dieu le veut , pour notre avance- ment dans fes voies & notre perfection. Ce n'eft point être de ces bons arbres qui s'enrichifTent de fruits de remplif- fent par leur fertilité les efpérances du maître. En un mot , ce n'eft point vivre félon l'Evangile , puifque ce n'eft ni fe renoncer foi - même , ni por- ter fa croix , ni fuivre Jefus - Chrift. Or quiconque ne vit pas félon l'Evan- gile , ne peut arriver au terme l'E- vangile nous appelle ; &c je conclus fans héfiter , qu'il eft hors de la route , qu'il s'égare , qu'il fe damne. Ce rai- sonnement me fufïit , & je n'en dis pas davantage. Malgré toutes les juftifica- tions qu'on peut imaginer , je ne me départirai jamais de ce principe fonda- mental & inébranlable. Si tant de chré-

i$% Les Œuvres tiens du fiécle 6c de chrétiennes , n5efl font point troublés , leur faillie con* fiance ne m'empêche point de trembler pour eux , & de trembler pour moi-mê- me. Qu'ils raifonnent comme ils leur plaira : s'ils n'ouvrent pas les yeux , & qu'ils s'obftinent à ne vouloir pas re- connoître la fatale illulion qui les fé- duit, j'aurai pitié de leur aveuglement, mais je ne céderai point de prier em'ô même tems le Seigneur qu'il me garde- bien d'y tomber.

Les Œuvres fans la Foi _, Œuvres

infruâueufes & fans mérite

pour la vie éternelle.

I.T 'Apôtre S. Jacques a dit : faites* ,: J a moi voir vos œuvres , & je ju--| gérai par - de votre foi ; & fans1 blefTer le refpedt à la parole du Saint l Apôtre , ne pourroit-on pas en quel- que manière renverfer la proposition , J Ôc dire aufïi : faites-moi voir votre foi ^ de je jugerai par - de vos œuvres } ! c'eft-à-dire , que je connoîtrai par le caractère de votre foi 3 fi les œuvres que vous pratiquez font véritablement

de<

SANS LAFoI. I95

de bonnes œuvres , fi ce font des œu- vres chrétiennes , des œuvres faintes de- vant Dieu , des œuvres que vous puif- fiez préfenter à Dieu , de qui vous tiennent lieu de mérites auprès de Dieu,

Car il ne faut point confidérer no* œuvres précifément en elles - mêmes , pour fçavoir {1 elles font bonnes ou mauv ifes , {1 elles font utiles ou infruc- tueufes , fi Dieu les accepte , ou s'il les méprife 8c les rejette ; mais pour cette diftindion , on en doit examiner le principe. Or le principe de toutes bon- nes œuvres , de toutes œuvres méri- toires 8c recevables au tribunal de Dieu c'eft la foi , puiique la foi , félon l'ex- prefife dédiion du Concile de Trente , eft la racine de toute juftice ; d'où il s'enfuit que cette racine étant altérée 8c gâtée , les fruits qu'elle produit doivent s'en refTentir , 8c que ce ne peuvent être 4e bons fruits.

Gardons - nous toutefois de donner dans une erreur très - condamnable , qui feroit de traiter de péché tout ce qui ne vient pas de la foi parfaite 8c vertu théologale. Ce feroit outrer la matière , 8c s'engager dans des confç-« Tome L R

î94 Les Œuvres quences hors de raifon. Corneille con* uoifïbit le vrai Dieu <Sç çroyoit en lui j mais il n'ayoit aucune connoilTance de Jefus-Chrift : cependant fes aumônes Ôç fes prières font fi agréables à Dieu , qu'il lui envoie un ange , pour lui ap- prendre le moyen de connoître le myftère de notre rédemption , de recevoir 1$ Baptême , èc de devenir Chrétien.

On peur donc , avec un commence^ ment de cette foi qui opère par la cha-? rite , faire des oeuvres moralement bonnes , qui nous attirent de plus ; grandes grâces j la foi parfaite , ôc formée par la chanté juftifiante , avec : laquelle nous faifons des œuvres méritoi- res de la vie éternelle. Or c'eft de ce : genre de mérite que je parle , quand je dis que fans la foi il n'y a point de bon^ nés œuvres,

Ainfi comme les œuvres font , d'une: : part 5 les preuves les plus fenfibles de la foi, de même eft-il vrai , d'autre part,, que c'eft la foi qui fait le difcernement des œuvres ; tellement que toutes bon* nés qu elles peuvent être de leurs fonds 6c devant les hommes 3 elles ne le font? : auprès de Dieu & par rapport à la vie 3 éternelle qu'il nous a promue a qu'autan^ :

s4 ans la Foi. 195 quelles procèdent d'une foi pure , {im- pie & entière» Car , félon le témoignage de l'Apôtre , il n'eft pas poftibie de plaire à Dieu fans la foi : & la difpo- îition nécelfaire pour approcher de Dieu , eft , avant toutes chofes , de Croire qu'il y a un Dieu , &: de fe fou- înettre à tout ce qu'il nous a révélé ou par lui-même , ou par fon Eglife.

Delà il eft aifé de juger c'eft tou-> jours raifonner jufte , que de dire : cqs gens-là font gens de bonnes œuvres, réglés dans leurs mœurs , irréprochables dans leur conduite , d'une morale exa&e , n'ayant autre chofe dans la bouche & ne prêchant autre chofe : par conféquent ce font des hommes de Dieu, ce font des gens parfaits félon Dieu. Tout cela eft beau, ou plutôt, tout cela eft fpécieux 8c apparent : mais après tout , les hérétiques ont été tout cela , ou ont affe&é de le paraître. Témoin un Arius , témoin un Pelage ÔC tant d'autres : on relevoit leur fainteté , on canonifoit leurs a&ions , on les pro- pofoit comme de grands modèles j mais avec tout cela ce n'étoit certainement pas des hommes de Dieu , parce qu'avec tout cela c'étoient des gens ré- voltés contre l'Eglife, attachés à leuj;

ï^ Les <E u v bi g s fens , entêtés de leurs opinions : en un mot > des gens corrompus dans leur foit Qn a néanmoins de la peine a fe per^- fuader 3 que des hommes qui vivent bien , ne penfent pas bien 3 ôc qu'étant ii réguliers dans toute leur manière d'a- gir , ils s'égarent dans leur créance : mais voilà juflement un des pièges les plus ordinaires , ôc les plus dangereux dont les héréfiarques Se leurs fauteurs fe (oient fends pour infpirer le venin de leurs héréfies & pour s'attirer des fe&a- teurs y piège que Saint Bernard , fans re- monter plus haut, nous a fi naturelle- ment & vivement repréfenté dans la perfonne de quelques hérétiques de fon %ernt tems. Que difoit-il d'Abaillard ? Ç'eji un tpifi. ad homme tout ambigu , & dont la vie efi une, rr^m. contradiction perpétuelle. Au dehors c ejt. Hem A un Jean-Baptijle j mais au-dedans c'e/luç; Epfco- Hérode. Que difoit-il d'Arnaud de Breffe ? .

^■mn Plut â Dieu que fa doctrine fût aufïl faine y Confiait- r . S as , tt

tienjèm» queja vie ejt aujtere ! Il ne mange j ni ne

boit j& ' ilejl de ces gens que l'Apôtre nous

a marqués j lef quels ont tout V extérieur de

la piété \ mais qui n'en ont pas le fonds ni

les fentimens. Ses paroles j ajoutpit le.

même faint Ûo&eur, en parlant du même

Arnaud 3 fes paroles coulent comme l'hui-.

IÇj & ShQnt j cefcmbU} l'onction ; mail

"Sansla Foi. 15^ font traits empoïfonnés. Car ce qu'il prétend par des difcours fi polis j & de fi belles apparences de vertu _, c'efi de s'infi- -huer dans les efprits & de les gagner àfoà parti. Que difoit-il de Henri , écrivant à un homme de qualité ? Ne vous étonne^ pas qu'il vous aitfurpris. C'efi unferpent %ernt adroit & fubtil. À le voir > il ne paroît cpi/?; tien en lui que d'édifiant j mais ce n'efi onr^ qu'une vaine montre j & dans l'intérieur il n'y a point de religion.

Ces exemples furEfent pour nous faire comprendre , combien on doit peu compter fur certaines œuvres d'éclat &c fur certaine réputation de fainteté , qui fouvent ne font que des lignes équivo- ques , & d'où l'on ne peut conclure avec aifurance qu'un homme marche dans la voie droite , ni que ce foit un bon guide en matière de foi. Âulîi eft-ce encore l'avis que donnoit Saint Bernard au peuple de Toulonfe. C'étoit un tem's de ténèbres , l'héréfie chef choit à fe répandre j mais pour les préfervèr d'une pefte contagieufe , il leur enjoignoit de ne pas recevoir indifféremment tou- tes fortes de Prédicateurs > & de nen admettre chez eux aucuns qu'ils ne cpnnufTent. Car ne vous y fiez pas ; „;J*jJ Ne vous en tene^préciférnentj ni à ce qu'ils Tokfv-

R iij *

fypî Les Œuvrer yous diront ^ ni au %èle qu'ils vous témoU gnerontjy ni à la haute perfection de la mo- rale qu'ils vous prêcheront. Ils vous tien- dront un langage tout divin^ & ils vous par- leront comme des Anges venus du Ciel i mais de même qu'on mile fecrétement le poifon dans les plus douces liqueurs j avec les exprejjions les plus chrétiennes ^ ils fe- ront couler leurs nouveautés _, & ils vous les préfenter ont fous des termes enveloppés & pleins d'artifices. Faux Prophètes j loups raviffans déguifts en brebis !

Cependant les fimples fe laiffent fur- prendre. Ils voyent des hommes quant à l'extérieur recueillis y modeftes , zélés , laborieux , charitables , fidèles à leurs devoirs , 3c rigides obfervateurs de la difcipline la plus étroite. Cette régula- rité les charme , & ils feroient icrupule d'entrer - defïus en quelque dé- fiance , ôc de former le moindre foup- çons défavantageux. On a beau leur dire que ce n'eft pas l'efTentiel ; que c'effc la foi qui en doit décider , que ii la foi manque , ou qu'elle ne foit. pas telle qu'elle doit être , tout le refte n'eft rien : ils prennent ce qu'on leur dit pour des calomnies , pour des ja- loufies de parti , pour des préventions , & de faux jugemens. Ain fi le Sauveur

s À tf s la Foi. 199 in monde s'élevoit contre les Phari- iiens & démafquoit leur hypocrifie ; mais en vain : le peuple touché de leur air pénitent Ôc dévot , de leur longues prières , de leurs abftinences , de leur exactitude aux plus légères pratiques de la loi , s'attachoit à eux , les âdmiroit , les révéroit , les combloit d'éloges , ôc malgré tous les avertiflemens du Fils de Dieu 5 ne vouloit point d'autres maî- tres ni d'autres conducteurs*

Mais après tout > cette vie exemplaire ne fait-elle pas honneur à la religion , ôc ce zèle dQs bonnes oeuvres n'efï-il pas utile à l'Eglife ? A cela je fais une ré- ponfe qui paroîtra d'abord avoir quelque chofe du paradoxe , mais dont on recon- noîtra bien-tôt la folidité ôc l'incontefta- ble vérité , pour peu qu'on entende ma penfée. Car je Soutiens qu'il y a des per- fonnes , & en aiTez grand nombre , qui dans un fens feraient beaucoup moins de mal à la religion , ôc s'en feraient beau- coup moins à eux-mêmes par une vie li~ cencieufe Ôc fcandaleufe , que par leur fainteté prétendue ôc par l'éclat de leur zèle. Beaucoup moins de mal a la reli- gion , pourquoi ? parce que dès qu'on les verrait fujets à des défordres gref- fiers , on perdrait en eux toute confiance R iiij

ioo Les Œuvres Se qu'ils fe trouve roient par-là moins eïïi état de féduire les efprits , & d'établir t leurs dogmes erronés. Au lieu de les fui--! vre , on s'-éloigneroit d'eux ; Se le mépris . où. ils tomberoient 3 les déxréditeroit ab- - folument , Se leur ôteroit toute autorité pour appuyer le menfonge. Beaucoup » moins de mal à eux-mêmes , comment ? ' ' parce que tôt ou tard , l'horreur de leurs . défordres pourroit les toucher , les réveil- ler, leur infpirer des fentimens de re- pentir Se les ramener. Les exemples en font aiTez communs. De grands pécheurs ouvrent les yeux , écoutent les remon- trances qu'on leur fait , reviennent de leurs égaremens j Se plus même ils font grands pécheurs , plus il eft quelquefois aifé de les émouvoir , en leur repréfen- tant les excès ils fe font abandonnés , Se les abîmes la paflion les a emportés. Mais des gens au contraire dont la vie eft exempte de certains vices , Se qui d'ailleurs s'adonnent à mille prati- ques très - chrétiennes en elles-mêmes , Ôe très-pieufes ; voilà ceux auxquels il eft plus difficile de fe détromper Se d'appercevoir Pillufion qui les aveugle Se qui les perd. A force de s'entendre canonifer , ils fe perfuadent fans peine qu'ils font tels en effet qu'on les vante

sans i a For. loi de tous cotés. Cette bonne idée qu'ils conçoivent d'eux - mêmes , les entre- tient dans la faillie idée doiit ils fe font lailîes prévenir , que fur la doctrine ils : 'ont les vues les plus juftes , & qu'ils fonr | les défenfeurs de la vérité. Ils fe regar- dent comme les appuis de la foi, 6: ils croyent rendre fer vice à Dieu , en te- nant ferme dans leur nouveau corps de religion , contre toute autorité Se toute puifëmce fupérieure , foit Laïque 5 foit Eccléfiaftique. De cette forte ils s'oblti- nent dans un fchifrne dont ils font Iqs principaux agens. Us y vivent en paix, êc ils meurent dans une opiniâtreté in- surmontable. D'autant plus malheureux qu'il leur en coûte plus pour fe perdre 6c qu'ils fe damnent à plus grand frais. Ce qui leur manque , c'eil principale- ment la foi. Quand ils feraient tout ce qu'il faut faire pour fe fanétifier , n'ayant pas le fondement de toute fainteté , qui eft la foi , je*5 veux dire l'obéifTance , la docilité , îa pureté de la foi y avec tout ce qu'ils font , ils ne fe fanctifient pas. Ils bâtiiïent que fur le fable ; Ou félon la figure de faine Paul, l'édifice qu'ils conftruifent , n'eft. qu'un édifice de paille. De forte qu'au four du Seigneur ils feront de ces Pro-

£o£ Les Œuvres phèces dont il eft parlé dans l'Evangile ôc qui fe préfentant à- Dieu pour être ju

tUtth. gés3 lui diront? Seigneur^ n avons-nom.

e' 7* %z' pas prophétifé en votre nom? n avons-nom pas en votre nom chaffe les démons ? n'a-, yons-nous pas fait des miracles ? mais à qui Dieu répondra : je ne vous eonnois point ; retirez-vous de moi _, mauvais ou- vriers d'iniquité.

II. Il y a encore d'autres œuvres faites] fans la foi j quoique faites avec la foi. Jeu m'explique. Œuvres faites avec la foi j;! car dans le fond on eft chrétien , on eft I catholique, on eft uni de croyance avec. l'Eglife , on ne rejette aucune de fes dé- diions , & on les reçoit toutes frncére- ment & fans détours. Mais d'ailleurs , ceuvres faites fans la foi , parce que la foi n'y a point de part i que la foi n'y entre point , que ce n'eft point la foi qui les infpire , qui les dirige , qui les anime* Tout chrétien qu'on eft, on agit en payen; je ne dis pas en payenfujet aux vices & au dérèglement des mœurs , conduifoit de lui - même le paganifme ; mais je dis , en honnête <St lage payen* C'eft-à-dire , qu'on agit, non point par la foi, ni par des vues de religion , mais par la feule rai- fona mais par une probité naturelle, mais

fc a k s i a F 6 t: lof par un refped tout humain , mais paf la coutume , l'habitude , l'éducation ^ mais par le tempérament 5 l'inclination , le penchant.

On rend la juftice , parce quon éft droit naturellement 8c équitable j on fert le prochain , parce qu'on eft natu- tellement officieux 3c bienfaifant j on alîifte les pauvres , parce que naturel- lement on eft fenlihle aux miferes d'au- trui , ôc qu'on a le cœur tendre êc affec- tueux ; on prend foin d'un ménage 3c on s'applique à bien conduire une mai- fon , parce que naturellement on eft rangé ôc qu'on aime l'ordre j on remplit toutes les fonctions de fon miniftère , de fon emploi , de fa charge > parce que l'honneur le demande , parce que la ré- putation y eft engagée , parce qu'on veut toujours fe maintenir en crédit 3c fur un certain pied ; on s'occupe d'une étude , on parle les journées & fouvent même les nuits dans un travail continuel , parce qu'on veut s'inftruire ôc fçavoir i qu'on veut réuffir de paroître , qu'on veut s'a- vancer & parvenir : ainfi du refte, dont le détail feroit infini,

Tout cela eft bon en foi ; mais dans le motif tout cela eft défectueux. Il eft bon de rendre à chacun ce qui lui eft

io4 Les u v R e Si

, de protéger l'innocence & de gar-? der en toutes chofes une parfaite équitéi Il eft Bon de ie prêter main lès uns" aux autres , de fe prévenir par des offi-* tes mutuels, & d'obliger, autant qu'on peut, tout le monde. Il eft bon conloler les affligés , de compatir à leurs peines & de les fecourir dans leurs befoins. Il eft bon de veiller fur £qs en- fans , fur des dorrieftiques , fur toute une famille, d'en adminiftrer les biens d'en ménager les intérêts. Il efttbon dans une dignité , dans une magiftratiire ^ dans un négoce , de vaquer à fes de-» voirs , Se de s'y adonner avec une afîî- diiité infatigable. Que dirai-je de plus ? Il eft bon de cultiver fes talens , de de- venir habile dans fa profeftion , de tra- vailler à enrichir {on efprit de nouvelles connoifFances : encore une fois , il n'y a rien que de louable ; mais voici le défaut capital. C'eft qu'il n'y a rien qui foit marqué du fceau de la Foi , ni par conféquent du fceau de Dieu. Or le fceau de Dieu, le fceau de la Foi ne s'y trouvant point , ce ne peut être , pour: m'exprimer ainfî , qu'une moniioié faufTe dans l'eftime de Dieu , Se de nulle valeur par rapport à l'éternité. Car on peut nous dire alors 3 ce que difok

c S-47«

sans la Foi. ±05 le Sauveur des hommes : Qu'attendez- vous dans le Royaume du Ciel , 8c quelle récompenfe méritez-vous? Utiles Manh* payens ne faïfoïen't-il pas tout ce que vous faites ? & qu'avez-vous au-deiîlis d'eux , puiique vous ri agiriez point autrement qu'eux ni par des principes plus relevés ? En effet , il y a eu dans le paganifme , comme .parmi nous des Juges intégres, déclarés , fans acception de perfonne 9 en faveur du bon droit , & aifez géné- reux pour le défendre aux dépens de leur fortune 8c même au péril de leur vie. Il y a eu d'heureux naturels , tou- jours difpofés à faire plaifir , 8c ne refu- fant jamais leurs fervices. Il y a eu des âmes compatiflantes , qui par un fenti- ment de miféricorde s'attendriiïoient fur toutes les calamités , ou publiques ou particulières , 8c pour y fub venir , répandoient leurs dons avec abondan- ce. Il y a eu des hommes d une droiture inflexible , d'une fermeté inébranlable , d'un déimtéreiiement à toute épreuve , d'un courage que rien n'étonnoit, d'une patience que rien n'altéroit , d'une ap- plication que rien ne lafToit , d'une at- tention 8c d\me vigilance à quoi rien n'échappoit. Il y a eu des femmes d'une régularité parfaite & d'une conduite

jg,o£ Les Œuvres

irrépréhenfible. Que de vertus ! mais quelles vertus ! vertus morales , & rien au-delà. Elles méritoient les louanges; du public , elles pouyoient mériter même de la part de Dieu quelques, récompenfes temporelles ; elles étoienç bonnes pour cette vie > mais fans être : d'aucun prix pour l'autre , parce que h, . foi , en les rapportant à Dieu , ne les lanétifioit pas , ne les confacroit pas.

Telles font les vertus d'une infinité de chrétiens , telles font leurs œuvres. Leur voix eft la voix de Jacob \ mais leurs mains font les mains d'Efaii : c'eft-àv dire qu'ils ont la foi , mais comme s'ils ne l'avoient point , puifque dans toutes leurs actions ils ne font nul ufagede leur foi. A considérer dans la fubftance les œuvres qu'ils pratiquent , ce font des œuvrer dignes de la foi qu'ils profefTent , £c ce feraient des oeuvres dignes de Dieu , ii la foi les rapportoit a Dieu \ mais c'eft à quoi ils ne penfent en au* _ cune forte. Ils confultent 3 ils délibè- rent , ils forment des deffeins 5 ils pren-* nent des réfolutions , ils les exécutent; dans le plan de vie leur condition les engage , ils fe trouvent chargés d'une multitude d'affaires 3 Se pour y fuffire ilsfe donnent mille mouvemens ? mill§

sansla Foi, icj foins , mille peines } ils ont , félon le cours des chofes humaines ôc félon les conjonctures , leurs contradictions , Jeurs traverfes à eiFuyer , ils ont leurs chagrins , leurs ennuis , leurs dégoûts , leurs adverfités? leurs fouffrances à por- ter : ample matière , riche fonds de mé- rites auprès de Dieu , fi la foi comme un bon levain y répandoit fa vertu j fi , dis-je , toutes ces délibérations ôc tous ces deileins étoient dirigés par des ma- ximes de foi y fi toutes ces fatigues Se tous ces mouvemens étoient foutenus par des coniidérations divines &" de foi ; \\ toutes ces fouffrances ôc toutes ces, affli&ions étoient prifes , acceptées ? offertes en facriiiee , ôc préfentées par un efprit de foi. Tout prorlteroit alors pour la vie éternelle, ôc rien ne feroit perdu.

Je dis rien , quelque peu de chofe que ce foit : car voilà quel eft le pro- pre ôc l'efficace de la Foi , quand elle opère par la charité ôc par une inten- tion pure ôc chrétienne. On ne peut mieux la comparer qu'à ce grain évan- gélique , qui de tous les légumes eft le plus petit, mais qui femé dans une bon- ne terre , croît, s'élève , pouife des branches , fe couvre de feuilles ôc

£o? L* s Œuvres

devient arbre. Par- tout la fpi fe c omm unique , étant accompagnée de la grâce, <k par-tout elle agit, elle y imprime un cara&ère de fainteté , Ô€ attache aux moindres effets qu'elle pro?> «luit un droit fpécial a l'héritage célefle. Ne fut-ce qu'un verre d'eau donné au nom de Jefus- Çhrift , c'eit affez pour obtenir dans l'éternité une couronne, de gloire. Les Apôtres paiferent toute une nuit à pêcher & ils ne prirent rien,, pourquoi? parce que Jefus-Chrifl n'é- toit pas avec eux ; mais du moment : £]ue cet Homme-Dieu parut furie riva- ge ., de que par fon ordre §ç en fa pré- fence , ils fe remirent au travail , la pér che qu'ils tirent fut fi abondante , que leurs filets fe rompirent de toutes parts > &■ qu'ils eurent beaucoup de peine à la recueillir. Image fenfible , nous de^ vons également reconnoître , & i'inutirH lité de toutes nos ceuvres pour le far ' lut , fi la foi animée de la charité & de la grâce n'en-eft pas le principe & com- me le premier moteur ; Se leur excel- lence , fi ce font les fruits d'une foi vi^ ve 8c agiffante , & fi c'efl: par Fimprefïion- de la foi que nous fommes excités à les pratiquer. Etrange aveuglement , que le notre 9 ) quand

sans la Foi. 209 ■'quand nous fuivons d'autres régies en agilfant , ëc que nous nous conduifons uniquement par la politique du fiècle , *k par la prudence de la chair ! Com- bien vois-je tous les jours de perfonnes de l'un ÔC de l'autre fexe , de tout âge , , Se de tout état , qui dans les occupa- tions Se les embarras dont ils font fans cefle agités , ne Te donnent ni repos , ni relâche j qui du matin au foir obligés d'aller , de venir , de parler , d'écouter , de répondre, de veiller à tout ce qui eft de leur intérêt propre ou de leur de- voir, mènent une vie très-fatiguante ; iqui dans le commerce du monde font ifcxpofés à des déboires très-amers , à [des contre-temps très-défagréables, à des ; revers très-fâcheux , a des coups Se à des événemens capables de déconcer- ter toute la fermeté de leur ame ; qui : par la délicate tTe de leur compléxion , .-ou le dérangement de leur fanté , font affligés de fréquentes maladies , d'infir- 1 mités habituelles , fouvent même de I douleurs très-aiguës ? Or en quoi ils me paroiflfoient tous rlus à plaindre , & ce qu'il y a pour eux ians contredit de plus "déplorable , c'eft que tant de pas, de -courfes , de veilles , d'inquiétudes , de tourmens d'efprit, que tant d'exercices Tome L S

2iû Les GEuvrs sans la For; du corps très-pénibles , & quelque-* fois accablans , que tant d'accidens^. , d'infortunes , de mauvais fuccès , de pertes , de contrariétés , de tribulations * , d'humiliations , de défolations , de foi- blefFes 8c de langueurs y que tout cela j dis- je , ôc mille autres chofes , qui leur deviendroient falutaires avec le fecours de la foi , ne leur foient , au regard du falut 5 d'aucun profit , parce que tout abîmés dans les fens 3 ils ne fçavent poinr ufer de leur foi } & qu'ils ne la mettent jamais en œuvre. Sans rien faire de plus qu'ils ne font , & fans rien fourfric au-delà de ce qu'ils fouffrent , ils pour- roient , par le moyen de cette foi bien épurée & bien employée , amafîer d'im- menfes richeffes pour un autre monde que celui-ci , & groiîîr chaque jour leur ; tréfor y au lieu que fe bornant aux vues i profanes d'une nature aveugle , & aux : vains raifonnemens d'une féche philo- fophie , toutes leurs années s'écoulent : fans fruit y Se qu'à la fin de leurs jours ils n'ont rien dans les mains dont ils ! puiflent tirer devant Dieu quelque : avantage. Heureux donc le chrétien; qui fait toujours la fainte alliance , ôc des œuvres avec la foi P de de la foi avec les œuvres.

du Monde, 211

La Fol vlâorkufc du monde,

^'JE craigne^pointj difoit Jefus-Chrift Joan. a k à fes Apôtres : j'ai vaincu le monde. 6% 53« Il l'a en effet vaincu , 3c par ? par la. Foi qu'il efl venu nous enfeigner , de

{>ar la fainte Religion qu'il a établie fur a terre. Aulli , écrivoit faint Jean aux premiers Fidèles, Quelle eji 3 mes Frères ■> cette victoire qui nous a fait triompher du Monde ? c'ejl notre Foi. Pour bien enten- dre ceci , il faut , félon la belle obferva- tion de S. Auguftin , diftinguer dans le monde trois chofes qui nous perdent : fes erreurs, fes douceurs & fes rigueurs. Les erreurs du monde nous féduifent , £qs douceurs nous corrompent , & fes ri- gueurs ou fes perf éditions nous inf- pirent une crainte lâche , Se nous tyran- nifent par un refped humain, dont nous ne pouvons prefque nous défendre. Ot la Religion , je dis la vraie Religion , qui eft la Religion chrétienne , nous élevé au-de(Tus de tout cela, & nous en rend victorieux. Elle nous détrompe des erreurs du monde 5 elle nous de-

Si]

%\i La Foi victorieuse goûte des douceurs du monde, elle nou^ fortifie contre les rigueurs du monde.

I. Le monde efl rempli d'erreurs ,& même d'erreurs les plus fenfibles ôc les; plus grolîieres. Ce font mille fatuTes maximes dont il fe fait autant de véri- - tés prétendues , ôc autant de principes i incontestables. Quelles font , par exem- pie y les maximes de tant de mondains ; ambitieux , qui mettent la fortune à la i Ûîq de tout , ôc qui fe la propofanc comme leur fin , concluent qu'il y faut parvenir à quelque prix que ce puiffe être ? Quelles font les maximes de tant: de mondains intérefTés , qui fe font de leurs richeiTes une divinité , ôc qui pen- fant ne valoir dans la vie qu'à propor- tion de ce qu'ils poffédent , regar- dent le foin d'amaffer ôc de groiîir leurs : revenus , comme une affaire capitale ft à laquelle toutes les autres doivent ce-;? der ? Quelles font les maximes de tant de mondains abandonnés à leurs plai- sirs , qui s'imaginent n'être fur la terre que pour fe divertir ôc pour flatter leur fens , ôc qui livrés à des pallions hon- teufes , ne connoiffent point de plus grand bonheur que de les contenter en> toutes les manières, ôc de vivre au gré

î> û Mond ê. 2î5

'de leurs defirs ? Mais fur- tout à quelles maximes la prudence humaine &c la po- litique n'a-t-elle pas donné cours ? Voilà les règles de conduite que fuit le mon- de , ik il fe croit bien fonde. Qui voudroit en appeller ôc les contredire , paiferoit pour un efprit fcible, fans con- noiffance, &, fi je l'ofe dire, pour un imbécile qui n'eft bon à rien , pour un infenfé. Ce font néanmoins des re- : gles , ce font des maximes l'on ne t voit , à les bien examiner , ni faine I raifon , ni humanité , ni charité , ni \ honnêteté 5 ni probité , ni bonne foi , 1 ni jufrice > ni équité. Or la Religion nous détrompe de toutes ces erreurs ; comment cela ? parce que raifonnant fur des principes tout oppofés à ceux dont le monde fe laiiTe prévenir Se aveu- gler , elle en tire dos conféquences ôc ! des maximes toutes contraires.

Car fur quels principes font établies tant de maximes erronées & abfolu- ment fau(Tes 5 dont le monde eft infa- ■: tué ? fur l'amour de foi-même , fur l'at- j tachemênt aux plaifirs , fur la cupidité , la fenfnalité , fur l'intérêt ,. l'ambition , la politique , fur toutes les inclinations de la nature corrompue & toutes les paillons du cœur. De telles racines , il

âî4 LaÏôi yîctôAîêûsé n'eft pas furprenant qu'il vienne dei fruits infe&és 8c gâtés j & du menfon-* ge 3 que peut-il naître autre chofe que le menfenge ? Mais la Religion a des vues bien différentes , 3c appuie {qs rai- fbnnemens 3c fes décirions fur des prin- cipes bien plus relevés , qui font , un at^ tachement inviolable à Dieu 3c à" la loi de Dieu , l'amour du prochain 3c mê- me des ennemis, le renoncement à foi- même 8c au monde 5 le défintéreife- ment , la fidélité , la droiture de cœur y la mortification des fens , la fandrifica- tion de (on ame 3c le zèle de fon falut* De cette oppoiition de principes fuit une oppofition entière de maximes 3C de régies de vie. Ainfi un Chrétien , c'eft un homme qui juge des chofes 3c qui en penfe tout autrement que le monde ; 3c voilà la première victoire que la Religion a remportée , & qu elle remporte tous les jours 5 en faifant re- venir une infinité de mondains des opi- nions du monde , 3c leur en décou- vrant Fillufion 8c le danger. Le monde fe récrie contre ces vérités , 3c les re- jette comme de vaines imaginations: mais un Chrétien inftruit de fa Reli- gion , s'en tient à l'oracle de faint Paul, v qu'il a plu à Dieu de fauyer les hQmrc.es

du M o *--- f, ' u f par cela même quiparor1}^ monde égare ment & folie.

Je dis par cela même qui paroît éga- rement d'efprit, mais qui bien loin de l'être , eft plutôt la fouveraine fageffe. Car , à bien examiner tous les princi- pes & toutes les maximes de l'Evangi- le , on n'y trouvera rien que de confor- me à la raifonla plus jufte dans {es vues. Aulli voyons-nous que dès que le feu de la palîion commence à s'amortir dans un homme , Se qu'il eft plus en état de difeerner le bien & le mal , le vrai de le faux 5 parce qu'il a les yeux plus ouverts , de qu'il confidère les objets d'un fens plus raiîis , t c'eft alors que ces maximes 3c ces principes évangéliques contre lefquels il fe récrioit tant, lui femblent beaucoup mieux fondés qu'il ne vouloit fe le perfuader. La foi qui fe réveille dans fon cœur 5 les lui repré- sente dans un jour tout nouveau pour lui. Plus il s'applique à en rechercher les motifs , à enfuivre les conféquen- ces , à en obferver les falutaires effets , plus il y découvre de folidité Ôc de vé- rité. 11 eft furpris de l'aveuglement il étoit; du moins il commence à fe délier de fes anciens préjugés j & la lu- mière dont il appercoit les premiers

i t & La foi ?rctoruÊusI rayons, pk, ^'en peu-a-peu aa travers des nuages qu/ iVofcurchToient , & fe répandant avec plus de clarté } cet homme enfin par un changement qu'on ne peut attribuer qu'à la vertu de la foi êc de la grâce qui l'accompagne 3 fe déclare , comme Saint Paul , un des plus zélés défenfeurs des vérités mêmes qu'il attaquoit auparavant , & qu'il conv battoit avec plus d'obftination. Triom- phe qui honore la Religion , &c dont elle profite pour faire d'autres conque-»' tes Èé pour convaincre les plus incré-> dules , & les foumettre. Ainfî l'exemple de Saul élevé dans le Judaïfme , & l'un des plus ardens persécuteurs de l'Eglife* mais devenu par une converiion éclatan- te Apôtre de Jefus-Chrifë , & le Docteur' des Gentils , étoit un, argument fenfi- ble contre les Juifs , & leur faifoit ad- mirer , malgré eux , l'efficace & le pou- voir de la Foi chrétienne.

I ï. Comme le monde par fes erreurs aveugle l'efprit , c'eft par fes douceurs qu'il gagne &c qu'il pervertit le cœur. Dans l'un il agit par voie de féduction , & dans l'autre par voie d'attrait & de corruption. Ce que nous appelions douceurs du monde 3 c'eft ce que faint

Jean

du Monde. 217

Jean appelle concupifcence des yeux , concupifcence de la chair , ik orgueil de la vie j c'eft-à-dire , que fous ce ter- me nous comprenons tout ce qu'il y a dans le monde , qui peut éblouir les yeux , charmer les fens , piquer la cu- riofité , nourrir l'amour propre , rendre la vie aifée , commode 3 agréable , molle 8c délicieufe. Voilà par le monde , dans tous les temps , s'eft ac- quis un empire fi abfolu fur les cœurs des hommes. Voilà par il nous atti- re , ou plutôt par il nous enchante &'nous entraîne. Ce n'eft pas que fou- vent on ne connoiffe la bagatelle & le néant de tout cela : on en eft détrom- pé félon les vues de Fefprit j mais par une efpéce d'enforcellement, tout dé- trompé qu'on eft de cqs fauffes dou- ceurs du monde , on y trouve toujours un certain goût dont on a toutes les peines imaginables à fe déprendre. En vain la raifon veut-elle venir au fecours : nous avons beau raifonner & faire les plus belles réflexions ; toutes nos réfle- xions & tous nos raifonnemens n'em- pêchent pas que ce goût ne fe faife fentir 5 & qu'il ne nous emporte par une efpéce de violence.

11 n'y a que la Religion à qui il foit Tome L T

1 I 8 LaFoI VICTORIEUSE

réfervé de le bannir de notre cœur , oir de l'y étouffer. Comment cela? i. Par Fefprit de pénitence qu'elle nous infpi- re. Car elle nous fait fouvenir fans celfe eiue nous fommes pécheurs , & cette vue fréquente de nos pèches , & des juftes châtimens qui leur font dûs , nous remplit d'une fainte haine de nous-mê- mes , ôc nous donne ainii du dégoût pour tout ce qui flatte notre fenfualité , comme étant peu convenable à des pé- nitens. 2. Par l'eftime des biens éter- nels , elle nous fait porter toutes nos prétentions &c tous nos deiirs. Le cœuf occupé de la haute idée que nous con-.| cevons de cette béatitude qui nous eft promife , fe dégage peu-à-peu de tous .' les objets mortels , & devient comme : infenfible à tout ce que le monde peut : lSn* lui offrir de plus attrayant. Que tout cei que je vois fur la terre me paroît méprifa-* ble& injïpide , s'écrioit un grand Saint,, quand je levé les yeux au Ciel! Bien d'au- tres avant lui l'avoient penfé de même , , de bien d'autres l'ont penfé après lui. , 3. Par les confolations divines que l'efprit de religion répand dans les âmes vraiment chrétiennes. Confola- tions cachées aux mondains , parce xpie l'homme fenfuel , dit le grand Apo-

du Monde. 2.19

tre , ne peut comprendre ce qui eft de Dieu. Confolations fpiritnelles d'au- tant plus relevées au-defïus de tous les plaifirs des fens , que l'efprit eft plus noble que le corps. Confolations douces ôc il abondantes , que le cœur en eft quelquefois comme innondé Ôc enyvré. A peine les Saints les pou- voient-ils foutenir , tant ils en étoient comblés ôc tranfportés. Saint François Xavier s'écrioit en s'adreftant à Dieu , c'eft affe^ _> Seigneur j c'eft aj[e%. Sainte Thérèfe tenoic le même langage , ôc demandoit que Dieu interrompît pour quelque temps le cours de ces douceurs céleftes dont elle étoit toute pénétrée. D'autres en tomboient dans des exta- fes ôc des défaillances ils demeu- roient des heures entières, ôc qui les raviftoient hors d'eux-mêmes. Le mon- de en jugera tout ce qu'il lui plaira. Ce qui eft de certain , c'eft qu'avec tous fes a<?rémens ôc tous fes charmes , il n'a rien de comparable à ces faintes déli- ces ôc à ces joies fecrettes , que la Reli- gion nous fait goûter. Une ame qui les a une fois reftenties , ne fent plus rien de tout le refte.

C'eft la merveille qu'on a vue dans tous les temps 5 ôc dont nous fommes

% 1 0 LAFOI VICTORIEUSE

encore témoins. On a vu "une multÎH mde innombrable cle perfonnes de tout; fexe , de tout âge, de tout état, 1 énon- cer aux plaiiirs du monce les plus en- gageais & les plus touchant. C é- toient de jeunes vierges , à qui le mon-> de préfentoit dans un long cours d'an- nées la fortune la plus riante. C'étoient des riches du iiécle , des hommes opu- lens , des grands , qui dans leur gran- deur & leur opulence jouiiïoient ou pouvoient jouir de toutes les aifes de la vie. Mais par quel prodige ont-ils méprifé tout cela , ont-ils quitté tout cela , fe font - ils volontairement dé- pouillés de tout cela ? A ces richelles dont le monde eft 11 avide , & il fait prefque confifter tout fon bonheur , parce qu'il y trouve de quoi fatisfaire toutes fes convoitifes , ils ont préféré une pauvreté qui leur accordoit à peine le nécefTaire , ou pour la nourriture , ou pour le vêtement , ou pour la de- meure. A cet éclat &c à ces honneurs dont le monde eft jaloux, &c dont il cherche à repaître agréablement fon orgueil , ils ont préféré Fobfcurité de la retraite , fi oppofée à l'ambition natu- relle , Se fe font condamnés à vivre in- connus éc dans l'oubli. A toutes les dé-

du. Monde, ni

licateiïes & toutes les commodités du monde , ils ont préféré la pénitence du cloître ôc les plus dures pratiques delà mortification religieuie : auili ennemis d'eux-mêmes & de leur chair , qu'on en eft communément efciave & idolâtre. Qui leur a infpiré ce renoncement , ce détachement , 8c qui les a Contenus dans un genre de vie il contraire au pen- chant de la nature 8c à l'efprit du mon- de ? c'eft la foi dont ils étoient remplis, de dont ils fuivoient les divines impref- fions.-En vain le monde étaloit-il de- vant eux fes pompes les-plus brillantes; 8c en vain pour les attirer leur faifoit-il voir une carrière femée de rieurs : la foi dillîpoit tous ces preitiges, 8c rien ne les touchoit que le grand fentiment de l'Apôtre ; Pour moi j Dieu me garde de Galat. me glorifier jamais en aucune autre chofe j c' 6' I4' que dans la Croix de notre Seigneur Jejus- Chrijl _, par qui le monde rnefl crucifié & je fuis crucifié au monde.

III. Outre fes erreurs 8c fes dou- ceurs , le monde a encore fes rigueurs. Ce font ces perfécutions qu'il fufeite à la vertu , 8c elle a befoin d'une for- ce fupérieure. Car l'Apôtre a bien eu raifon de dire , que ceux qui veulent

Tiij

il % La For victorieuse vivre faintement , félon J. C. doivent s'attendre à de rudes combats. On a i des railleries à effuyer , Se mille refpects ; humains à furmonter. On refroidit un i ami Se on l'indifpofe , en refufant d'en- trer dans fes intrigues , Se de s'engager dans fes entreprifes criminelles. On de- vient un objet de contradiction pour toute une famille , pour toute une fo- ciété , pour tout un pays ? parce qu'on veut y établir la régie , y maintenir Tor- dre , y rendre la juftice. Ainfî de tant d'autres fujets. Voilà ce qui fait un des "plus grands dangers du monde , Se ce qui caufk dans la vie humaine tant de défordres. Car il eft difficile de tenir ferme en de pareilles rencontres , Se nous voyons auiîi qu'on y fuccombe tous les jours Se prefque malgré foi. Un homme gémit de l'efclavage il eft , Se un fonds d'équité , de droiture , de confeience qu'il a dans l'ame , lui fait délirer cent fois de fecouer le joug Se de s'affranchir d'une telle tyrannie : mais le courage lui manque , Se quand il faut venir à l'exécution , toutes fes réfolutions l'abandonnent. Or qui peut le déterminer , l'affermir , le mettre à toute épreuve ? c'eft la Religion. Avec les armes de la Foi , il pare à tous les

du Monde. 21$

coups , il réfifte à toutes les attaques , il eft invincible. Il n'y a ni amitié qu'il ne rompe , ni fociété dont il ne s'éloi- gne , ni menaces qu'il ne méprife , ni efpérances, ni intérêts , ni avantages qu'il ne facrifie à Dieu 8c à ion devoir. Telles font , dis-je , les difpofitions d'un homme animé de l'Efprit du Chrif- tianifme 8c foutenu de la foi qu'il pro- felfe. C'eft ainfi qu'il penfe , 8c c'eft ainfi qu'il agit. La raifon eft , qu'étant chrétien , il ne reconnoît point , à pro- prement parler , d'autre Maître que Dieu ; ou que reconnoiifant d'autres puiffances , il ne les regarde que com- me des puiffances fubordonnées au Tout-Puiffant , lequel doit être mis au- deffus de tous fans exception. Ce fenti- ment fans doute eft généreux , mais il ne faut pas fe perfuader que ce foit un pur fentiment , ni une fpéculation fans conféquence 8c fans effet. Il n'y a rien à quoi la pratique n'ait répondu , 8c dont elle n'ait confirmé mille fois la vé- rité. Combien de difcours 8c de juge- mens ? combien de mépris 8c d'outrages ont effuyés tant de vrais Serviteurs 8c de vraies Servantes de Dieu , plutôt que de fe départir de la vie régulière qu'ils avoient embralïee , 8c des faintes

Tiv

'32.4 La Foi victorieuse obfervances qu'ils s'y étoient prefcrites ? Combien d'efforts , de reproches, d'op- pofitions ont furmonté de tendres en- Fans , & avec quelle confiance ont-ils ; réfîfté à des pères & à des mères qui 1 leur tendoient les bras pour les retenir dans le monde , & les détourner de l'é- tat Religieux ? A combien de dilgraces , de haines , d'animofités , de revers , fe font expoies , ou de fages Vierges qu'on n'a pu gagner par les plus puiffantes fol- licitations , ou de Juges intégres qu'on n'a pu refondre par les plus fortes inf- tances à vendre le bon droit , ou de ver- tueux Officiers , des fubalternes , des domeftiques , que nulle autorité n'a pu corrompre , ni retirer des voies d'une exacte probité ? Quels tour mens ont enduré des millions de Martyrs ? Rien ne les a étonnés , ni les arrêts Aqs Magiflrats , ni la fureur des tyrans , ni la rage des bourreaux , ni l'obfciu'ité des prifons, ni les roues, ni les chevalets, ni le fer , ni le feu. Que l'antiquité nous vante fes héros ; jamais ces héros que le paganifme a tant exaltés , &: dont il a confacré la mémoire , firent- ils voir une telle force ? Or d'où ve- noit , dis-je , à ces glorieux Soldats de Jefus-Chrift cette fermeté inébranlable,

du Monde. 2,15

{\ ce n'eft de la religion qu'ils portoient vivement empreinte dans le cœur ? Elle les accompagnoit par-tout ; par- tout elle leur fervoit de bouclier & de fau- vegarde : miracle dont les ennemis mê- mes de la foi chrétienne & fes perfécu- teurs étoient frappés. Mais nous , de rout ceci que devons-nous conclure à notre confufion ? La conféquence , hé- las ! n'eft que trop évidente , & que trop aifée à tirer. C'efl qu'étant h* pré- occupés des erreurs du monde , h* épris des douceurs du monde , h* timides & ii foibles contre les refpe&s & les con- iidérations du monde , il faut y ou que nous ayons bien peu de foi , ou que notre foi même foit tout- à-fait morte.

Car le moyen d'allier enfemble dans un même fujet deux chofes auffi peu compatibles entre elles 3 que le font une foi vive qui nous détrompe de tou- tes les erreurs du monde \ & cepen- dant ces mêmes erreurs tellement im- primées dans nos efprits , qu'elles de- viennent la règle de tous nos jugemens 5 & de toute notre conduite ? Comment 5 avec une foi qui dans fa morale ne tend qu'au crucifiement de la chair 5 & à l'abnégation de foi-même , accor- der une recherche perpétuelle des dour

iiG La Foi victorieuse ceurs du monde , de fes faillies joies ôc de fes voluptés , même les plus cri- minelles ? Enfin par quel aifemblage une foi qui nous apprend à tenir ferme pour la caiife de Dieu , contre tous les raifonnemens du monde , contre tous fes mépris ôc tous fes~ efforts , peut-elle convenir avec une crainte pulillanime , qui cède à la moindre parole , ôc qui aifervit la confeience à de vains égards ôcà des intérêts tout profanes? Sont-^i ce ces victoires que la foi a rempor- tées avec tant d'éclat dans les premiers fiécles de l'Eglife ? A-t-elle changé dans la fuite des temps ; ôc fi elle eft toujours la même , pourquoi n'opère - t - elle pas les mêmes miracles ? Car au lieu que la foi étoit alors victorieufe du monde , il n'eft maintenant que trop ordinaire au monde de l'emporter furu la foi , d'impofer filence à la foi , de triompher de la foi. Nous n'en pouvons imaginer d'autre caufe , finon que lai; foi s'eft affoiblie à mefure que l'iniqui- té s'eft fortifiée } Ôc parce que Finiquiri jamais ne fut plus abondante qu'elle Feft , ni plus dominante, de-là vient, aufîî que la foi jamais ne fut plus lan- "guifTante, ni moins aghTante. Encore y combien y en a-t-il chez qui elle eft ab-

du Monde. 227

folument éteinte ; Se doit-on s'étonner après cela , que cette foi qui produi- sit autrefois de fi beaux fruits de fain- reté , foit 11 ftérile parmi nous ? Prions le Seigneur qu'il la ranime , qu'il la reffufcite , & qu'il lui falfe reprendre dans nous fa première vertu. Travail- lons nous-mêmes à la réveiller par de fréquentes ôc de folides réflexions. Con- fondons-nous de toutes nos foiblefTes, ôc reprochons-nous amèrement devant Dieu l'afcendant que nous avons laifTé prendre fur nous au monde , lorfqu'avec une étincelle de foi nous pouvions ré- futer à fes plus violens alfauts , ôc re- ; pouifer tous fes attraits. Le Fils de Dieu ' rendant raifon à fes Difciples pourquoi ils n'avoient pu chafTer un démon , ni guérir un enfant qui» en étoit poiTédé, leur difoit, c'eft à caufe de votre incré- ^rrfe dulité : puis ufant d'une comparaifon c. 1 7. affez lînguliere , fi votre foi , ajoutoit le même Sauveur , é g aloit feulement un grain de fenevé _, quelque petite quelle fût j elle vous fuffiroit pour tranfporter les montagnes d'un lieu à un autre _, & tout vous deviendroit pojfible. Que fe- roit-ce donc , fi nous avions une foi par- faite; ôc de quoi ne viendroit-on pas à. bout ?

%%

L 'Incrédule convaincupar lui-même,

L'Impie ne peut fe réfoudre à croire les vérités de l'Evangile , tant elles lui femblent choquer le bon fens ôc la raifon. Il les rejette avec le dernier mé- pris & ne craint point de les traiter d'inventions humaines & de pures ima- ginations : car fon impiété va jufques- y & s'il garde au dehors certaines me- fures , & que dans les compagnies il n'ofe pas s'expliquer fi ouvertement ni en des termes fi forts , il fçait bien dans les entretiens particuliers fe dédomma- ger de fon fiîence ; & l'on n'eft pas affez peu inftruit , pour ignorer quels font fes difcours devant d'autres liber- tins comme lui , dont la préfence l'ex-» cite , bien loin de l'arrêter. A l'enten- dre, toute la Religion n'eft que chime-- re 'y & tout ce qu elle nous révèle , ne font que des vifions. Il y trouve , à ce : qu'il prétend , des difficultés invinci- bles , des contradictions évidentes, des impofiibilités abfolues. En un mot , dit- il d'un ton décifif , tous ces myftères font incroyables. Il le dit j mais en le

PAR LUI-MESME. 2 2 5>

difant , il ne remarque pas , cet efprit rare que par-là il fournit des armes contre lui-même , &c que de-là il doit tirer pour fa conviction propre un ar- gument perfonnel & des plus feniibles. Plus nos myftères lui femblent hors de toute croyance , plus il doit concevoir quel étonnant prodige c'a été dans le monde , que des myftères félon lui il incroyables , aient été crus néanmoins ii univerfellement & qu'ils le foient en- core.

Ceci ne funit pas ; mais pour mieux convaincre l'impie par fes fentimens mêmes , & pour lui faire mieux fentir l'avantage qu'il me donne & l'embarras il s'engage , lorfqu'il parle fi indi- gnement des plus faints myftères de notre foi , comme s'ils étoient oppofés à toute la lumière naturelle ; je veux rai- fonner quelque temps avec lui , & entrer dans le détail de certaines circonftan- ' ces , qui ferviront à fortifier la preuve qu'il me préfente pour, le combattre. Car encore une fois je ne veuxlecom- battre que par lui-même , & peut-être apprendra-t-il à devenir plus réfervé dans fes paroles, & à en craindre, plus qu'il ne fait , les conféquences.

Je lui permets donc d'abord de for*

2 L'Incrédule convaincu mer fur les myftères de la Religion, tou* tes les difficultés qu'il lui plaira , & de les grolîîr, de les exagérer. J'irai mê- me , s'il eft befoin , jusqu'à tolérer {qs mauvaifes plaifanteries j je les laillerai i pafTer , & là-delïus je n'entreprendrai point de lui fermer la bouche. Je con- fens qu'avec fes grandes exclamations , , ou avec fes airs moqueurs , il me redife ce qu'il a dit cent fois : qu'eft-ce qu'un feul Dieu en trois perfonnes , de que ces trois perfonnes dans un feuL Dieu ? ! qui peut s'imaginer un Dieu tout Efprit de fa nature & comme Dieu, mais revêtu de notre chair &c homme comme nous ? Quoi ! ce Dieu qu'on me dit être d'une puifïance , d'une grandeur , d'une Majefté infinies , je me figurerai qu'il eft defeendu fur la terre , qu'il y a pris une nature fembla- ble à la notre , qu'il eft dans une éta- ble , qu'il a vécu dans la mifére & dans j la fouffrance , enfin qu'il eft mort dans l'opprobre &c dans l'ignominie de la Croix ? Tout cela eft-ii digne de lui ? tout cela eft-il croyable ? Tel eft le lan- gage de l'impie , & je ne rapporterai point tout ce que lui fuggere fon li- bertinage fur la morale chrétienne , fur la providence divine , fur l'immortalité

PAR L U I - M E S ME. 23 I

de lame , far la réfurre&ion future , fur le jugement général , fur les peines éter- nelles de l'enter. Car il n'épargne rien , & il ne veut convenir de rien. Le moyen , à fon avis , de fe mettre ces phantômes dans l'efprit , ôc peuvent-ils entrer dans la penfée d'un homme rai- fonnable ?

Il me feroit aifé, en lui accordant que les myftères de la Religion font au- deiiiis cle la raifon , de lui répondre en même temps 8c de lui faire voir, que bien loin d'être contre la raifon , ils y font au contraire très-conformes. Je dis très-conformes à une raifon faine , à une raifon épurée de la corruption du vice , à une raifon dégagée de l'empire des fens Ôc des pallions , à une droite raifon. Mais ce n'eft point préfente- ment le fujet dont iKs'agit entre lui ôc moi. Je me fuis feulement propofé de lui montrer comment , en attaquant la vérité de nos myftères , ôc nous les re- préfentant comme des myftères Ci rebu- tans ôc fi difficiles à croire , il en affer- mit par-là même la foi , ôc que l'idée qu'il s'en fait pour les méprifer Ôc pour en railler , c'eft juftement ce qui le doit difpofer à y reconnoître quelque chofe de furnaturel ôc de divin.

i.32, L'Incrédule convaincu

Voici donc ma réponfe , & à quoi i je m'en tiens. Je prends ce beau paiTa- ge de faint Paul dans la première Epître 1 . Tim. 4 Timothée : C'eji un grand myjière de : ^c u 16, piété j qui a été manifefté dans la chair yx\ autorifé par Vefprit _, vu des Anges j prê- ché aux Gentils j cru dans le monde j &:\ élevé à la gloire. Ce grand myftère , c'eft le myftère de J. C. , Dieu 8c homme tout enfemble ôc l'Auteur de la Loi nou- velle. Que ce myftère ait été réellement , 3c véritablement manifejlé dans la chair, : qu'il ait été autorifé par Vefprit célejle > : qui eft l'Efprit de Dieu ; que les Anges , Vayent vu, & qu'enfin il ait été élevé à la gloire : voilà fur quoi l'impie fe récriera contre moi , 3c s'inferira en faux. Mais que ce même myftère , & que tous les | myftères particuliers qui y ont rapport & qui font le corps de la Religion , aient été prêches aux Gentils , & fur-tout qu'en vertu de cette prédication , ils aient été crus dans le monde , je nepen- fe pas que ni lui , ni tout autre libertin comme lui , foit afTez aveugle & afTez dépourvu de connoiffances , pour former fur cela le moindre doute. Ainfi j'avan- ce 3 & pour mettre ma preuve dans tout fon jour & toute fa force, je lui fais faire avec moi les obfervations fuivantes ,

dont

PAR LUI- M ES M E. 2J3

dont je le detie de me contefter. en au- cune forte la certitude & F évidence.

i . Que ces myftères - qu'il prétend incroyables , ont été crus néanmoins dans le monde. On les y a prêches > en y prêchant la Loi chrétienne. On les a expliqués aux peuples , Se on les en a inftruits. Les peuples dociles & fou- rnis, ont reçu ces inllrudions 3 ont embraifé cette doihïne. La même foi les a unis entre eux dans une même Eglife , & telle a été l'origine ôc la naiiTance du Chriftianifme.

2. Que ces myftères qu'il prétend incroyables , n'ont point feulement été crus dans un coin de la terre obfcur &: inconnu , ni par un petit nombre d'hommes ramaiFés au hazard 5 &c plus crédules que les autres ; mais qu'ils ont été crus dans toutes les parties du mon- .de. Les Prédicateurs qui furent chargés d'annoncer l'Evangile , le portèrent , fé- lon l'ordre exprès de leur Maître , à tou- tes les Nations. Dans l'Orient , l'Occi- dent , le Midi , le Septentrion , on en- tendit par-tout la parole du Seigneur , dont ils étoient les interprètes. Des trou- pes de Profélytes vinrent en foule y pour être aggrégés dans l'Ecole de Jefus- Chrift. Les difciplcs fe multiplièrent, fe Tome L Y

234 L'Incrédule convaincu répandirent de tous côtés : les Villes, les Provinces , les Royaumes en furent remplis , & c'eft ainfi qu'en très-peu de temps s'élevèrent de nombreufes de de1 florilTantes Chrétientés.

3. Que ces Myftères qu'il prétend incroyables , n'ont point non plus été crus feulement par le iimple peuple, par des fauvages & des barbares , par des efprits grofÏÏers & ignorans; mais par les plus grands génies , par les efprits du premier ordre , par des hommes d'une profonde érudition 8c d'une pru- dence confommée. Il n'y a qu'à lire les ouvrages que les Pères nous ont laiffés comme de fenfibles monumens de la Religion. A conlidérer précifément ces faints Docteurs , en qualité de fçavans , , en qualité d'Ecrivains & d'Auteurs , il I faut n'avoir ni goût, ni difeernement i> pour ne point admirer l'étendue de leur 1 do&rine , la pénétration de leurs vues,! la fublimité de leurs penfées, la force \ de leurs raifonnemens , la fagefle & lai fainteté de leur morale , la beauté & i l'énergie de leurs exprelTTons , leurs ^ tours même éloquens Ôc pathétiques , ou ingénieux & fpirituels. Certaine- ment ce n'étoit pas de petits efprits , des efprits fuperftitieux , capables de

BARLUI-MESME. 235

donner fans examen dans nilufion , ni à qui il fat aifé de faire accroire cour ce qu'on vouloit.

4. Que ces myftères qu'il prétend in- croyables , ont été crus , non plus fur des préjugés de la naiifance & de l'édu- cation , mais plutôt contre tous les pré- jugés de l'éducation Se de la naiifance. Pendant une longue fuite d'années, qu étoit-ce que le grand nombre des Chrétiens ? des Gentils nés dans le paganifme , élevés dans l'idolâtrie. Afin de les foumettre à la foi , il avoit fallu détruire toutes leurs préventions , Se leur arracher du cœur des erreurs Se des principes de Religion directement op- pofés aux myftères qu'on leur enfei- gnoit. Or qui ne voit pas combien ce . changement étoit difficile , ôc quelle : peine il devoit y avoir à détromper des gens préoccupés en faveur de leurs fautes divinités , Se attachés à leurs an- ; ciennes obfervances , Se à leurs prati- ques ? C'eft cependant ce qui eft arri- \ vé. Les payens ie font convertis , les idolâtres ont renoncé au culte de leurs i idoles ; leurs prêtres Se leurs fages ont eu beau fe récrier , raifonner , difputer , la Loi nouvelle a prévalu , Se comme le jour dilfipe les ténèbres , elle a effacé

Vij

2,36 L'Incrédule convaincu

des efprits toutes les idées dont iîs

croient prévenus.

5 . Que ces myftères qull prérend in- croyables ont été crus malgré toutes les- ; répugnances de la nature , malgré rou- tes les révoltes & de la raifon & des 1 fens. Révoltes de la raifon ; car quel- que raifonnables en eux-mêmes & quel- que certains que foient ces myftères, il faut après tout convenir que ce font des myftères obfcurs j des myftères tel- lement cachés fous le voile , que notre raifon n'y pénétre qu'avec des peines extrêmes \ & que fouvent même toute fubtile qu'elle peut-être, elle fe trou- ve obligée de reconnoître fon infufri- fance & la foiblefte de fes lumières. Or nous fentons allez qu'il n'eft rien à quoi elle répugne davantage , qu'à s'humi- lier alors & à fe foumettre 3 en croyant ce qu'elle ne voit ni ne connoît pas. Révoltes des fens : car fur ces myftères qui humilient & qui captivent la rai- fon , eft fondée une morale qui mortifie étrangement la chair. On croit avec moins de réfiftance des vérités qui s'ac- commodent à nos inclinations & à nos pallions ; des vérités au moins indiffé- rentes , & qui dans leurs conféquences îi ont rien de pénible 3 ni de gênant 3

PAR tUI-MESML 2^7

mais des vérités , en vertu defqnelles on doit fe haïr foi-même , réprimer fes de- firs les plus naturels , embralTer la Croix,, la porter chaque jour fur fon corps., 8c fe revêtir de toute la mortification évan* gélique ; c'eft à quoi l'on ne fe rend pas volontiers , & fur quoi l'on ne fe lailfe perfuader qu'après avoir bien examiné les chofes , & en avoir eu des preuves bien convaincantes.

6. Que ces myftères qu'il prétend in- croyables , ont été crus d'une foi fi vi- ve , d'une foi fi ferme & il efficace , que pour pratiquer fes maximes, pour vivre félon fes régies 8c fon efprit , ou pour la défendre 8c la foutenir , on a tout fa- crifié , biens , fortune , grandeurs , plai- fîrs , repos, fanté, vie. On fçait les ru- des combats que les Chrétiens ont eu à efluyer dès la nailfance de PEglife. On fcait combien de farte ils ont verfé , ôc comment ils ont été exilés , profcrits, enfermés dans des cachots , produits devant les Juges > condamnés , livrés aux bourreaux pour les tourmenter en mille manières ,par le glaive, les flam- mes , les croix , les roues > les cheva- lets , les bêtes féroces , les huiles bouil- lantes , par-tout ce que la barbarie a pa imaginer de fupplices ôc de tortures*

H 5 ^ L'Incrédule convaincu Pourquoi fe laiifoient-ils ainfi opprimer ,' , accufer , emprifonner , déchirer 3 brû- ler , immoler comme des victimes ? ' Pourquoi enduroient-ils tant d'oppro- bres de d'ignominies , tant de calamités Se de miféres ? Pourquoi au milieu de tout cela s'eftimoient-ils heureux , Se rendoient-ils à Dieu des adions de grâ- ces? Qui leur infpiroit ce courage Se cette patience inaltérable ? c'eft qu'ils avoient les myftères de notre foi fi pro- fondément gravés dans lame , ôc qu'ils en étoient tellement touchés , que rien ne leur coûtoit , foit pour y conformer leur conduite , foit pour en attefter la vérité par une généreufe confeilion.

7. Que ces myftères qu'il prétend in- croyables , ont été crus d'une foi fi con- fiante , que malgré tous les obftacles qu'elle a eu à furmonter , elle fubfifte toujours depuis plus de feize cens ans , comme nous ne doutons point , félon la promefTe de Jefus-Chrift , qu'elle ne doive fubfifter jufqu'à la dernière con-- fommation des fîécles. Toutes les puif- fances infernales fe font foulevces con- tre elle ; toutes les puiffances humaines fe font liguées Se ont conjuré fa ruine ; la fuperftition Se le libertinage l'ont combattue de toutes leurs forces : mais

PAR 1UI-MESM!, 239

de même que nous voyons les flots de la mer furieux & courroucés , fe brifer a un rocher ils viennent fondre de toutes parts , tout ce qu'on a fait d'ef- forts pour la détruire , n'a pu l'ébranler de l'a plutôt affermie : de forte qu'après d'immenfes révolutions d'âges Se de temps , qui auroient l'affoiblir , elle eft toujours la même , qu'elle conferve Toujours fur les efprits le même empire , •qu'elle leur propofe toujours la même doctrine Se les trouve toujours égale- ment difpofés à la recevoir. Je ne parle point de la manière dont cette foi s'eft établie , Se la foibleife de ceux qui en furent les premiers Apôtres , de Faban- donnement total ils étoient des fe- cours ordinaires Se néceifaires pour faire réuflir les grandes entreprifes , de cent autres particularités très- remarquables. Car ce n'eft point par le fer , comme d'autres religions , ce n'eft ni par la violence des armes , ni par les amorces de l'intérêt ou du plailir _, que la foi de nos myftères s'eft répandue dans toute la terre. Mais fans infifter là-deifus Se fans rien ajouter , j'en reviens à mon raifon- nement contre l'impie.

Je dis : s'il eft vrai que nos myftères foient aulîi incroyables qu'il l'avance >

I.40 LIncredule convaincu ôc que d'ailleurs il ne puiffe nier , coi nie il ne le peut en effet , qu'on les crus dans le monde , & qu'on les a en fi unanimement , fi généralement promptement , fi fortement , fi coi ftamment , chez toutes les Nations dans tous les Etats & toutes les Pro- ferlions ; parmi les Sages , les Philofo- phes , les Sçavans , parmi les Payens f les Idolâtres, les Sauvages, les Barba- res j dans les Cours des Princes , dansa les Villes, dans*les Campagnes , par- ! tout : il faut donc qu'il m'apprenne pan quelle vertu a pu fe faire l'union & l'ac-j cord ii parfait de ces deux chofes ; ]e\ veux dire , de ces myftères 5 félon lui , abfplumerit incroyables , & de ces myf- ] téres toutefois, félon la notoriété duJ fait la plus évidente & la plus incon.-- teftable , reçus & crus avec toutes les? circonftances que je viens de rapporter. Il faut donc qu'il avoue malgré lui I qu'il y a eu en tout cela de la merveille. . 11 faut donc qu'il confeffe qu'il y a au*-- deffus de la nature un agent fupérieur,. qui a conduit tout cela comme fon ou-.' vrage , & qui ne celle point de le con~~< duire par les refïorts invifibles de fâ. providence. Il faut donc , s'il eft capa- ble de quelque réflexion P qu il con- çoive

!AR LUI -MESME, 2 4 I

çoive une bonne fois comment fes traits de raillerie au fujet de la Religion , re- tournent contre lui , 8c comment fes exagérations 8c fes difcours emphati- ques fur 1 înfurmontable difficulté d'a- jouter foi à des myftères tels que les nôtres retombent fur lui pour le con- fondre 8c pour l'accabler, Car plus il la relevé Se il l'augmente , cette difficulté , plus il relevé la fouveraine fageife 8c la toute-puiifance de ce Maître a qui rien

n'eft impoflible , & qui a bien fçu la vaincre 8c la furmonter.

Oui , on les a crus , ces adorables 8c incompréheniibles myftéres 3 8c voilà le grand miracle dout l'incrédule eft forcé de convenir. Miracle d'autant plus grand pour lui , que ces myftéres i lui paroiiTent moins croyables. Ou les I croit encore , 8c par la miféricorde infi- nie de mon Dieu , je les crois. C'effc . dans cette foi que je veux mourir , comme j'ai le bonheur d'y vivre. Car \ je la conferverai dans mon cœur , 8c , qui l'en arrachera ? Je connois mes im-

perfeclions 8c mes fragilités fans nombre. A comparer la fainteté de la Foi que

je profeife , avec mes lâchetés 8c la mul- titude des ofFenfes que je commets , je fens combien j'ai de quoi rougir devant Tome L X

%4r% L'Incrédule convaincu Dieu ôc de quoi m'humilier : mais du refte , tout imparfait 8c tout fragile que je fuis ? ne préfumant point de mes forces , ne comptant point fur moi-mê- me , foutenu de ma feule confiance dans la grâce du fouverain Seigneur en qui je crois ôc en qui j'efpere , il me femble que pour cette foi que je chéris ôc que je regarde comme mon plus ri- che tréfor , je ne craindrais point de donner mon fang ni de facrifier ma vie. Il me femble que béniifant la divine providence -, qui dans le Chriftianiime a fait heureufement fuccéder la tran- quillité ôc la paix, aux perfécutions ôc aux combats , j'envie après tout le fort de ces chrétiens , à qui la conjon&ure des temps fourniiloit des occaiions fi précieufes de fignaler leur foi en pré- lence des perfécuteurs Se des tyrans. Telles font _, à ce qu'il me paraît , mes difpofkions , ô mon Dieu ; tels font mes fentimens , ou tels ils doivent être.

Mais ce n'eft pas tout : ce que je crois de cœur , je le confefTerai de bouche , félon l'enfeignement de l'Apôtre ; Ôc en cela même je fuivrai l'exemple du Pro- *■*• phète , ôc je dirai comme lui : J'ai cru> & voilà pourquoi j'ai parlé. Tout chrétien doit faire une profeflion publique de fa

V Ail LUI* M 1 S M l. I45

foi , &: malheur à quiconque auroit honte de reconnoître Jefus-Chrift de- vant les hommes , parce que dans le ju- gement de Dieu Jefus-Chrift le renon- ceroit devant fon Père. Mais outre cette obligation commune , un devoir par- ticulier m'engage ,, comme Miniftre du Dieu vivant & Prédicateur de fon Evan- gile , à prendre la parole. Cette foi que l'impie attaque , & ces myftères qu'il blafphême, parce qu'il les ignore, je les prêcherai, Se à qui ? aux Grands Se aux petits, aux Princes & aux peuples , aux fages ôc aux limples , aux forts Ôc aux foibles , à tous : car dans la Chaire fainte , c'eft à tous que je fuis redeva- ble. Si je me taifois , mon filence me condamnerait , & je me tiendrais cou- pable de la plus criminelle prévarica- tion 'y fur-tout dans un temps l'im- piété ofe lever la tête plus que jamais ôc avec plus d'audace. Au nom du Sei- gneur qui m'envoye , je la combattrai, & je la combattrai par-tout , quelque part que m'appelle mon miniftere. L'im- . pie m'écoutera fans s'étonner , il s'élè- vera intérieurement contre moi , ou dans le fecret de fon ame il me regar- dera en pitié ; mais moi , touché d'une bien plus jufte compamon, j'aurai pi-

Xij

ï. Cor.

a. 44 LIncredule convaincu tiède fonavenglement, de fon entête- ment , de fa témérité , de fon ignoran- ce fur des points dont à peine il peut avoir la plus légère teinture , 8c dont! néanmoins il prétend avoir droit de jiir ger avec plus dfailurance que les Doc- teurs les plus confommés. Il tournera en rifée tout ce que je dirai , & il ne let comptera que pour des idées populai- res, que pour des rêveries ; mais moi dans le même efprit que S. Paul Se dans les mêmes termes, je lui répondrai: Nous prêchons Jefus-Chrift crucifié _, qui

H eft un fujet de feandak aux Juifs j qui pa~

roît une folie aux Gentils j & qui eft la

force de Dieu & la fagejfe de Dieu, Mais

moi je lui répondrai avec le même Doc-

- teur des Nations , que c' eft par la folie de1,

«. i. 21. la prédication évangélique ^ qu'il a plu El Dieu de fauver ceux qui croyent en lui &- en fon Fils Jefus-Chrift. Mais moi je lui répondrai , que la folie de la Croix neft folie que pour ceux qui périjfent. Terrible-

Mi* 1 parole , pour ceux qui périffent , pour ceux qui fe damnent , pour ceux qui par la dureté de leur coeur & par leur fens; réprouvé fe précipitent , comme l'impie , dans un malheur éternel ! Il y fera telle attention qu'il lui plaira ; 6c pourquoi A^fpérerois-je pas que le Père des mifé-

PAR LUI-MESME. 1\$

ricordes éclairera enfin cet aveugle , 8c que fa grâce triomphera de cette anie rebelle , 8c la foumettra ! Qu'il en foit ainfi que je le deiire , 8c que je le de- mande j c'eft un de mes voeux les plus fincères 8c les plus ardens.

Naijfance des Héréfies y & leur progrès,

CE qui fait l'Hérétique , ce n'efi pas feulement l'erreur , mais l'entête- ment & l'obftination dans l'erreur. Tout homme , dès-là qu'il eft homme , eft capable de fe tromper y 8c de donner dans une erreur, dont lesfaïuTes appa- rences le furprennent 8c le féduifent : mais on ne peut pour cela le traiter d'hérétique , & il ne l'eft point précifé- nient par-là. On peut bien dire que ce ; qu'il avance eft une hérélie ; que telle proportion , telle doctrine eft contrai- f re aux principes de la foi : mais s'il ne s'y attache pas opiniâtrement , &c qu'il foit chfpofé à fe rétrader 8c à fe fou-' mettre, dès que le Tribunal eccléfiafti-

Xiij

1^6 Nais s ance

que & fupérieur aura donné un juge- ment définitif qui décide la queftion ; alors * pour parler ainfi , Fhéréfie n'eft t que dans la proportion avancée , que dans la dodrine , fans être dans la per- fonne. Auili neïï-ce pas communément r fur la perfonne que tombent les cenfu- J res de FEglife } mais fur les fentimens erronnés qu elle condamne & qu'elle profcrit. On n'eft donc proprement hé- | rétique , qu'autant qu'on eft opiniâtre , , parce qu'on n'eft rebelle à FEglife que par cette opiniâtreté , qui réfifte a l'o- bénTance , & que nulle autorité ne peut i fléchir.

Dans la fociété même civile 8c dans f ufage ordinaire de la vie ? ce caractè- re d'entêtement a des effets très-perni- cieux. Il caufe des maux infinis , foit par i rapport au bien public , foit par rapport : au bien particulier. Par rapport au bien public , on a vu arriver les plus triftes « malheurs dans un Etat par l'entêtement i d'un Grand , dans une ville par l'entê---] tement d'un Magiftrat , dans une mai- 1 fon par l'entêtement d'un père ou d'une mère , dans une communauté par l'en- têtement d'un fupérieur. Rien de plus dangereux que l'entêtement en qui que £e (bit y mais qu'eft-ce fur-tout dans

DES HÉRÉSIES. 247

un homme revêtu de quelque pouvoir 8c conftitué en quelque dignité? Par rapport au bien particulier : il y a mille gens qui fe font ruinés de fortune , de

i crédit , d'honneur , de réputation ; par

\ ? par un malheureux entêtement dont les plus fages confeils ne les ont pu gué- rir. Aulîi , qu'avons-nous entendu dire en bien des rencontres , 8c qu'avons-nous dit nous-mêmes de certaines perfonnes ?

I Ce font des entêtés : leur entêtement les perdra. L'événement l'a vérifié , & c'eft dequoi l'on pourroit produire plus d'un exemple.

Mais il ne s'agit point ici de ces fortes d'entêtemens. Dès qu'ils ne regardent que les chofes humaines, 8c que notre

| conduite félon le monde , les confé- quences , quoique très - fâcheufes du refte , & très-rdéplorables , en font tou- tefois beaucoup moins à craindre. L'en- têtement le plus funefte & dont on doit plus appréhender les fuites , c'eit en matière de Religion. Car voilà d'où

! font venues toutes les héréfies 8c toutes

i les fe&es. Un homme fe prévient de quelque penfée nouvelle 8c en fait fa doctrine , à laquelle il s'attache d'au-

: tarit plus fortement, qu'elle lui eft pro- pre. Cependant , c'eft une mauvaife

Xiv

%4$ Naissanc E do&rine , & la foi s'y trouve intérefTée, S'il étoir afFez, docile pour écouter là- denais les avis qu'on lui donne r & pour entrer dans les raifons qu'on lui oppo- fe , on le feroit bientôt revenir de Ion égarement. Sa foumiiîion le remettroit dans le chemin y arrêteroit le feu prêt à s'allumer , 8c l'affaire en très-peu de temps feroit affoupie -y mais il s'en faut bien que la chofe ne prenne un fi bon tour» C'eft un efprit opiniâtre ; on aura beau lui parler , il ne fera jamais poffi- ble de le réduire. Il s'élève , il s'enfle , il s'entête. Soit paillon qui le pique ,. foit préfomption qui l'aveugle , foit in- docilité naturelle qui le roidit , tout tela fouvent à la fois , le rend intraita- ble. Quoiqu'on lui objecte , il a fes ré- ponfes , qui lui paroiffent évidentes 8c fans, réplique. Quiconque ne s'y rend pas , eft , félon lui , dépourvu de toute raifon. Plus donc on l'attaque vive- ment , plus il devient ardent à fe dé- fendte } plus on multiplie les difficultés , plus de fa part il multiplie les fubtilités 8c les faux-fuyans. Pourquoi cela ? C'efl qu'il eft déterminé , quelque chofe qu'on lui dife , à ne pas reculer. Àinfi toute fon attention va , non point* à examiner la force 8: la folidité des

desHérés-ies. 249 preuves qu'on lui apporte pour le con- vaincre j mais à trouver de nouveaux moyens & de nouveaux tours pour les' éluder & pour fe confirmer dans fes idées. Car Voilà ce que fait l'entête- ment.

Du moins fi ce Novateur s'en tenoit a fon entêtement perfonnel , fans le communiquer à d'autres j mais il veut s'appuyer d'un parti, il veutfe faire une école , il veut avoir des difciples 8c des fectateurs. L'envie de dogmatifer , d'en- feigner, d'être l'Auteur 8c le Chef d'une fe&e , eft une efpéce de démangeaifon fi naturelle , qu'on s'y laiffe aifément aller \ 8c d'autre part la nouveauté & la fmgularité en fait de doctrine , a pour une inimité d'efpiïts des charmes fi en- gageais , qu'ils en font d'abord infatués 8c qu'ils s'y portent comme d'eux-mê- mes. C'en: une choie furprenante 3 de voir combien il faut peu de temps pour y attirer toutes fortes de perfonnes, hommes , femmes , grands , petits , Ec- ciéfiaftiques , Laïques , Réguliers , Sé- culiers , dévots , mondains. Il n'eft point de gangrène fi contagieufe que l'héré- lie. Elle gagne fans cefTe 8c fe répand. Ses progrès font auili prompts , qu'ils font imperceptibles j elle n'a «pas plutôt

i$o Naissance

pris naiffance, que toutes profeiïions ,

toutes conditions , tous états s'en laifTent

infecter.

De-là qu arrive-t-il ? C'eft que ce qui n'étoit dans fon origine , que l'entête- ment d'un homme , qu'un entêtement particulier , devient déformais un en- têtement commun, un entêtement de cabale. Or on peut dire que c'eft alors qu'il eft comme insurmontable , Se l'ex- périence nous le fait afTez connoître. Tant d'efprits préoccupés & unis en- femble fe foutiennent par leur union même. C'eft une fociété formée f il n'eft plus moralement poffible de la rompre. Si quelqu'un chancelle > il eft bientôt obfédé de toute la troupe , qui s'emprefife autour de lui &: n'oublient rien pour l'affermir & le retenir. Que ne lui repréfente-t-on pas ? la prétendue jufti- ce de la caufe qu'il a embraiTée , l'inté- rêt du parti il s' eft engagé j le triom- phe qu'il donnerait à fes ennemis en l'abandonnant , Se l'avantage qu'ils en tireroient ; l'éclat d'une défertion qui le couvrirait de honte 9 Se qui i'expofe- roit à de mauvais retours ; enfin pro- meffes , efpérances , reproches 5 mena- ces 5 faux honneur , tout eft mis en œuvre* Ainfi s'anime-t-on les uns les

DE S HÉRÉSIE S. 25I

autres 5 & fe fcrtirie-t-on } c'eft a qui s'entêtera davantage , &c qui marquera plus de zèle , c'eft-a-dire plus d'aheur- tement. Les morts remifciteroient Se fe feroient entendre , qu'on ne les croiroic pas j ou un Ange defcendroit exprès du Ciel , Se emploveroit les plus puhTans moyens pour défabufer des gens que l'erreur a liés de la forte , Se ligués pour fa défenfe , qu'ils ne fe rendroient pas , Se ne reviendroient jamais de leurs pré- jugés.

Cependant quelque foin que prenne de fe cacher la feâe nailfante , on la découvre. C'eft im feu fecret , mais qui croit j Se plus il s'allume 5 plus la flamme éclate. Les fidèles en font allarmés y les Pafteurs de l'Eglife dépofitaires de la vraie doctrine , réveillent leur zèle contre le menfonge qui cherche à s'é- tablir : l'erreur eft dénoncée , citée au fouverain Tribunal ; Se fes partifans obligés de comparoître , ne peuvent éviter le jugement qui fe prépare , ou pour leur juftirication , s'ils font aulîî orthodoxes qu'ils le prétendent , ou pour leur condamnation , fi les dépor- tions de leurs adverfaires fe vérifient Se fe trouvent bien fondées. Or en des conjonctures fi critiques Se dans une

252. Naissance néceiîité il prenante , que faire ? De vouloir décliner , ce feroit fe déclarer coupable , ce feroit fe juger foi-même de fe condamner.. Il faut donc affecter d'abord une contenance affurée , accep- ter la difpute 8c s'y préfenter , deman- der à être écouté Ôc à produire fes raifons , du refle témoigner par avance une foumilîion feinte à ce qui fera dé- cidé & prononcé. Mais tour cela , dans quelles vues ? ou dans l'efpérance de conduire habilement l'affaire , de lui donner par mille déguifemens , mille explications & mille modifications , un fi bon tour, qu'on obtiendra peut-être une décifion favorable } ou dans la ré- folution , fi le jugement n'eft pas tel qu'on le veut , de l'interpréter néan- moins à fa manière } Se s'il ne fonffre abfoîument nulle interprétation , de le rejetter.

C'eft ce que montre en effet l'événe- ment. L'Eglife éclairée du Saint-Efprit , ne fe trompe point ni ne fe laiffe point tromper. Au travers de tous les artifices Se parmi tous les détours , elle fçait ap- percevoir l'erreur & la démêler. Elle la proferit , elle la frappe de fes anathê- mes , elle publie fa définition comme une loi émanée du centre de la vérité 3

DES HÉRÉSIES. 253

& comme une régie que chaque fidèle doit fuivre. Qui ne croiroit pas alors que toutes les queftions font finies , 8c que tous les efprits vont fe réunir dans une heureufe paix , 8c dans une même croyance ? Mais qu'eft-ce que l'entête- ment , 8c de quoi n eft-il pas capable ! c'eft tout au contraire que recom- mence une guerre , d'autant plus vive de part 8c d'autre, que les uns font plus piqués du mauvais fuccès , qui fans les réduire en aucune forte , ni les abattre , les humilie toutefois 8c les chagrine ; & les autres plus indignés de la mauvaife foi avec laquelle on refufe d'obéir purement 8c fimplement à une fentence , qui pouvoit , 8c qui de voit terminer tous les différends.

Bien loin donc que toutes les quef- tions ceifent 5 on les multiplie à l'infini. On veut perfuader au public que le jugement de l'Eglife ne tombe point fur la doctrine qui lui a été déférée. On veut perfuader à l'Eglife même , qu'on entend mieux quel eft le fens de fes paroles , 8c qu'on fçait mieux ce qu'elle a dit ou ce qu'elle a eu en vue de dire. On veut lui faire accoire qu'elle n'a pas vu ce qu'elle a vu, 8c qu'elle a cru voir ce qu'elle ae voyoit pas. Si

^54 Naissance pour réprimer une audace , ou pour confondre une obfUnation qui i'outrage , elle entreprend, de s'expliquer tout de nouveau, elle a beau ufer des termes les plus formels , les plus précis , les plus clairs , on y trouve toujours de l'ambiguïté , parce qu'on trouve tou- jours une lignification étrangère & for- cée à y donner. D'ailleurs même on difpute a l'Eglife fes droits , comme fi elle excédoit fon pouvoir -y comme ri les matières préfentes n'étoient pas de fon r effort ; car il n'y a point de retran- chement où l'on ne tâche de fe fauver. Il ne refte plus , fuppofé que l'Eglife redouble fes efforts & qu'elle porte les derniers coups , qu'à lever enfin le mafque , qu'à lui faire tête , & qu'à fe féparer. Trifle dénouement de tant d'in- trigues, de conteftations , d'agitations, qui ne manquent pas d'aboutir avec le tems à une divifion entière & à un fchifme déclaré.

Telle a été la fource de toutes les héréfies , & tel en a été le progrès. Il n'y a qu'à lire l'hiftoire de l'Eglife , &c l'on verra depuis les premiers iiécles jufqu'aux moins éloignés de nous , que les hérétiques & leurs fauteurs , ayant cous été animés du même efprit &c

DES HÉRÉSIES. 255

poffédés du même entêtement , ils ont tenu tous la même conduite j qu'ils ont tous eu les mêmes procédés , tous em- ployé les mêmes moyens , & mis en œuvre les mêmes artifices pour infînuer leurs pernicieufes nouveautés , pour les couvrir des plus belles apparences & des couleurs les plus fpécieufes , pour leur donner des noms empruntés , Se les retenir fous un faux femblant de les abandonner j pour les perpétuer dans le monde Chrétien , indépendamment de toutes les puilTances , foit Eccléfiaf- tiques , foit temporelles. On diroit qu'ils fe font copiés les uns les autres , ôc que fans fe connoitre , ils font con- venus entr'eux : tant la conformité eft parfaite. Enforte que de voir agir les hérétiques d'un fiécle , c'en: voir agir ceux de tous les fiécles palfés ^ & ceux de tous les fiécles à venir , car même caufe produit toujours les mêmes effets, Quoi qu'il en foit, il eft aifé de juger à quels mouvemens , 6c à quelles con- tentions tout cela engage : écrits fur écrits , mémoires fur mémoires , répli- ques fur répliques , erreurs fur erreurs. Pour foutenir Tune , on eft fouvent obligé d'en avancer une autre. A me- fure qu'on fe fent prefle , on vient à

ij-6 Naissance dire ce qu'on n'eût jamais dit ^ &c ce qu'on ne diroit pas encore , ii ce n'é- îoit la feule voie qui fe préfente pour fe tirer de l'embarras l'on eft j & tel , quelques années auparavant , eût eu horreur de la proportion qu'on lui eût faite de franchir certaines barrières , qui dans la fuite les a franchies, ôc de degrés en degrés eft defcendu jufques au fond de l'abîme. De-là milk varia- tions , mille contradictions. On tient un langage aujourd'hui , & demain on en tient un tout oppofé } on change félon les conjonctures & félon les be~ foins. Que le public le remarque , il n'importe ; on le laiffe parler , & l'on feint de ne le pas entendre. En un mot , pour fe confirmer dans fon entêtement & pour y periifter , il n'y a rien qu'on furmonte , ni rien qu'on ne dévore.

Oh ! qu'on s'épargneroit de défagé- mens , de ferremens de cœur , d'in- quiétude ôc de tourmens d'efprit , Il l'on avoit appris à être plus fouple 6c plus flexible ! Sur-tout qu'on épargne- roit à l'Eglife de fcandales qui la défo- lent , Se qui font pour elles de rudes coups I Mais c'eft une chofe terrible que de s'être endurci contre la vérité. Plutôt que de la reconnoître > lorfque

le

î> î S HÉRÉSIES. 257

le Miniftre du Seigneur la lui repréfen- toit , Pharaon fourTrit le défordre de fon Empire , la ruine de fes Provinces , le murmure de fes peuples. Si tout cela fit de tems en tems quelque imprefïion fur lui , ce ne fut qu'une impreiîion paifagère , & il en revint toujours à fes premières préventions j enfin il s'expofa à fe perdre lui-même , 3c en effet il fe perdit. Affreux exemple d'un entête- ment indomptable , 8c que nulle confé- dération ne peut faire plier. On verroit tout l'ordre de FEglife fe renveffer , qu'on n'en feroit point ému. Le parti cft pris , tous les pas font faits j il n'y a plus de retour.

Ce n'eft pas que ce retour foit impolîï* ble , mais qu'il eft difficile 8c qu'il eft rare , particulièrement en ceux qui con- duifent toute la le&e 8c qui en font l'ap- pui ! Il faudroit pour les changer , une grâce bien forte } 8c Dieu fouvent par une jufte punition , permet au contraire qu'ils s'obftinent de plus en plus 3 6c qu'ils reftent jufques à la mort dans le même entêtement. Il femble qu'il y ait une malédiction particulière fur eux. On a vu incomparablement plus de pécheurs 8c plus d'impies, que d'héré- fiarques , ou des fauteurs d'héréfîes ? fe Tome L Y

ï$% Naissance convertir , quand ils font au lit de la mort. D'où vient cela , fi ce n'ed pas un châtiment du Ciel ? Us vivent tran- quilles dans leurs erreurs , & ils y meu-, rent dans une afïurance qui faifit de frayeur , lorfqu'on penfe au compte qu'ils doivent rendre à Dieu de tant crames qu'ils ont féduites 5 8c de tant de maux dont ils font devenus refponfa- blés.

Mais 5 dit-on , ils font perfuadés de îa vérité de leur doctrine , & ils agirent . fuivant cette perfuafion. Ce n'eft pas bien parler , que de dire qu'ils en font perfuadés j mais il faut dire qu'ils en font entêtés. A prendre les termes dans . toute leur juftefle , il y a une grande différence entre la perfuafion 8c Y entê- tement. La perfuafion eft dans l'efprit 3 qui raifonne 8c qui juge fans être préoc- cupé ni pafïionné ; mais l'entêtement eft dans l'imagination , qui fe frappe , qui fe révolte , qui s'échauffe & ne fuit que l'opiniâtreté du naturel , ou que le mouvement de quelque paillon du cœur. Or voila par ils font inexcu- fables devant Dieu , de ne s'être pas fait plus de violence pour rompre ce naturel , & de n'avoir pas mieux appris à reprimer cette pafïion. Quelles en ont

DES HÉRÉSIES, 25^

été les fuites ? Quelle charge pour' eux , & à quel jugement font-ils réfervés?

Faifons fouvent la prière de Salo- mon , de demandons a Dieu un efprit docile. C'eft. le cara&ère des efprits fermes & folides. Comme ils compren- nent mieux que les autres de quelle néceiîité il eft de fe foumettre dans les matières de la religion à une première autorité , ils n'ont point honte 3 fup- pofé qu'elle fe déclare contre eux , de défavouer leurs propres penfées & de fe rétracter. Docilité qui leur eft égale- ment méritoire , glorieufe , 8c falutaire. Méritoire auprès de Dieu , à qui ils obéirent en obéilTant à fon Eglife. Glo- rieufe dans l'eftime de tout le peuple fidèle , par l'édification qu'ils lui don- nent. Enfin , falutaire pour eux-mêmes , parce qu'ils mettent ainfi leur foi à cou- vert , & qu'ils fe préfervent de tous les écueils elle pourroit échouer.

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Yij

160 Pensées diverses

Penfées diverfes fur la Foi * & fur les vices oppofés.

Ï/~YN efl zélé pour l'intégrité des

V /mœurs -y quand le fera-t-on pour

l'intégrité de la foi ? On fe récrie aves tant de chaleur contre de prétendus re- îâchemens dans la manière de vivre j; quand s'élevera-t-on avec la même force contre d'affreux égaremens dans la ma- nière de croire ?

$ en fommes - nous , 6c eft cette foi des premiers fiécles , cette foi qui a converti tout le monde B Alors des athées devenoient chrétiens^ : maintenant des chrétiens deviennent athées-

f Bizarrerie de notre fîécle , foit à l'égard de la difcipline Eccléfiaftique , foit à l'égard de la doctrine ! Jamais tant de zèle en apparence pour l'anti- quité , Se jamais tant de nouveautés.

$ Le jufte profite de tout & tourne tout à bien : mais au contraire , il n'y a rien que l'impie ne profane , & dont il n'abufe. La Religion Chrétienne éta- blit dans la fociété humaine ôc dans la

s v k la For. l£l vie civile un ordre admirable. Elle tient chacun dans le devoir : elle régie toutes les conditions , & y entretient une par- faite fubordination. Elle apprend aux petits à refpe&er les grands , & à leur rendre l'obéiflance qui leur eft due , Se elle apprend aux grands à ne point mé- prifer les petits , & à ne point les op- primer , mais à les ioutenir , à les aider, à les conduire avec modération > avec prudence , avec équité. Elle réprime les méchans par la crainte des châti- mens éternels ; & elle anime les bons par Pefpérance d'une gloire fans mefure &: fans fin. De forte que bannifTant ainli tous les vices , fraudes, injuftices , violences , colères , animofités , vengean- ces , médifances , impudicités , débao- ches y & engageant à la pratique de toutes les vertus , de la charité , de l'humilité , de la patience , de la mor- tification desfens , d'undéfintéreflement parfait , d'une fidélité inviolable , d'une juftice inaltérable > Se des autres ; il n'eft rien de plus falutaire pour le bien pu- blic , ni rien de plus propre à maintenir par-tout la paix , l'union , le commerce, l'arrangement le plus merveilleux.

$ Delà quelle conféquence tire le juile ? Dans une Religion qui ordoime

161 Pensées diverses fi bien toutes chofes , il découvre fageiTe de Dieu , & il reconnoît que c'eft l'ouvrage d'une providence fupé- rieure. Mais par le plus groiîier aveu- glement , & l'abus le plus étrange , l'im- pie forme un raifonnement tout oppofé ; ôc parce que cette Religion^eft ïi utile à tous les états de la vie , & qu'elle eft feule capable d'en, faire le bonheur , il prétend que c'eft une invention de la politique des hommes. N'eft - ce pas prendre plaifir à s'aveugler 5 & vou- loir s'égarer de gaieté de cœur? quoi! afin que la religion ait le cara&ère & la marque de vraie religion , faudra-t-il que ce foit une loi qui mette le trouble dans le monde Se qui en renverfe toute l'économie ?

f Cette diverfité de religions qu'il y a dans le monde 3 eft un fujet de fcandale pour l'incrédule. A quoi s'en tenir , dit-il ? l'un croit d'une façon 3 l'autre d'une autre. Là-deiïus il fe dé- termine à les rejetter toutes , & à ne- rien croire. On pourrait , ce me fem^ bîe , lui faire voir , que ce qui le con- firme dans fon incrédulité, c'eft jufte- ment ce qui devroit l'engager à en for- tir , & à prendre pour cela tous les foins néceffaires. Car s'il raifonnoit bien , il

sur la Foi. 16$ feroit les réflexions fuivantes : que ce grand nombre de religions , quoique faufTes ? eft une preuve qu'il y en a une vraie : que cette idée générale de re- ligion , gravée dans Pefprit de tous les peuples , & répandue par toute la terre , eft trop univerfelle , pour être une idée chimérique : que il c'étoit une pure imagination , tous les hommes d'un confentement fi unanime , ne feroient pas convenus à fe la former , de même qu'ils ne fe font , par exemple , jamais imaginé qu'ils ne doivent point mourir : quec'eft donc comme un de ces premiers principes qui font imprimés dans le fond de notre ame , & qui portent avec eux leur évidente & inconteftable

vérité,

Delà il iroit plus avant -, & perfuadé de la vérité d'une religion en général 5 il chercherait elle eft , cette vraie religion. Il examineroit ? il confulte- roit , il écouterait ce qu'on aurait à lui dire j & alors , dans le choix qu'il fe propoferoit de faire entre toutes les religions , il ne feroit pas difficile de lui montrer l'excellence , la fupériorité de la Religion Chrétienne , 3c les ca- ractères vilibles de divinité qui la diftin- guent. Mais il ne veut point entrer en

i ^4 Pensées diverses toutes ces recherches , ôc d'abord il prend fon parti , de vivre fans reli- gion au milieu de tant de religions, Eft-ce agir fagement ? Soyez éternel- lement béni , Seigneur , de la miféri- corde qu'il vous a plu exercer envers moi. Ce qui fcandaîife l'incrédule , ôc ce qui l'éloigné de vous , c'eft. ce qui m'y attache inviolablement 6c par la plus vive reconnonTance. Je coniidère cette multitude innombrable de peu- ples plongés dans les ténèbres de l'infi- délité , ôc adonnés à des cultes fuperfti- tieux. Plus il y en a , plus je feus la grâce de ma vocation à l'Evangile & a votre fainte loi. C'eft une diftinction que je ne puis aflfez eftimer>& dont je ne fiiis redevable qu'à un amour fpécial Tf. de votre part. Le Seigneur nen a pas ainfi 347# ufé à l'égard de toutes les Nations ; il ne leur a pas découvert comme à moi [es ad- mirables myCteres.

f II eft bien glorieux à la Religion chrétienne , que tout ce qu'il y a de libertins qui l'attaquent , foient des gens corrompus dans le cœur ôc déréglés dans leurs mœurs. Tandis qu'ils ont vécu dans Tordre , fans attachemens criminels , fans habitudes vicieufes , fans débauches, ils n'avoienr point de

peine

SUR L A F O I. l6$

peine à fe foumettre au joug de la foi, ils la refpeclroient , ils la profeiïoient : tout ce qu'elle leur propofoit leur pa- roiiïoit raifonnable & croyable. Quand ont-ils changé ce fentiment ? c'eft lorf- qu'ils ont changé de vie Se de conduite. Leurs parlions fe font allumées , leurs fens fe font rendus maîtres de leur rai- fon , leurs aveugles Se honteufes con- ; voitifes les ont plongés en toute forte : de défordres , Se alors cette même foi , ' ils avoient été élevés , a perdu dans leur efprit toute créance. Ils ont com- mencé à la contredire , & à la com- battre. Or encore une fois , voilà fa gloire , de n'avoir pour ennemis que des hommes aind dérangés , paflion- nés , efclaves de leur chair , idolâtres ; de leur fortune 9 Se de ne pouvoir s'ac- commoder avec eux. Car voilà Févi- ; dent témoignage de fa fainteté , de fa droiture inflexible , & de fon inviolable équité. Si , en leur faveur , elle fe relâ- choit de cette intégrité Se de cette fé- :| vérité , qui lu» font efTentielles j 11 elle étoit plus complaifante pour le vice , Se qu'elle s'ajuftât à leurs cupidités Se à leurs fales deiirs 5 à leurs vues intérefïees ou ambitieufes , à leurs injuftices Se à Tome L Z

2. 66 Pensées diverses leurs pratiques 3 ils la laifTeroient domi-i ner en paix fur la terre , Se ils cefTeroient de l'attaquer.

Je fçais bien qu'ils ne fe déclarent pas fi ouvertement contre fa morale que contre fes myflères , ils ne com- prennent rien , difent-ils , Se qui rèn- verfent toutes les idées humaines : mais c'eft un artifice , Se s'ils vouloient de bonne foi le reconnoître , ils avoue- raient qu'ils ne fe tournent contre les myftères , qu'afin de porter , au travers des myftères , le coup mortel à la morale qui y eft jointe , Se de détruire une loi qui s'oppofe à leurs entreprifes y Se qui les trouble dans la jouiiTance de leurs plaifirs. Ces myftères ne leur feront plus de peine , Se ne leur coûteront rien à croire , dès que cette loi pourra s'ac- corder avec le myftère d'iniquité qu'ils recèlent dans leurs cœurs. Mais quelle alliance peut-il jamais y avoir entre la lumière Se les ténèbres , entre Jefus- Chrift Se Belial , entre la corruption du iiècle & la pureté de l'Evangile ?

^ L'incrédulité de l'impie Se du liber- tin s'accorde avec le défordre Se la cor- ruption de fa vie : donc elle ne vauti rien, En deux mots,, voilà (a condam- nation,

s u r la Foi. 167 f Sappofons que dans le monde il s'élève une fociété de gens , qui par profelîion & par une déclaration ou- . verte , s'attachent à décrier le fervice du Prince ; qui s'émancipent a raifonner fur fes ordres comme il leur plaît , 6c qui les rejettent avec mépris j qui par- lent de fa perfonne fans reipect , Se trai- tent de foiblelï e 5 de petite(Te d'efprit , tous les devoirs qu'on lui rend ; qui tournent en ridicule le zèle qu'on té- moigne pour fes intérêts , 6c la difpoii- tion l'on paroît être de mourir , s'il étoit nécefïàire , pour fa caufe ; enfin , ; qui débitent a toute occaiion des maxi- i mes injurieufes à la Majefté Royale , : 6c capables de renverfer les fondemens | de la Monarchie : je . demande fi l'on , fouffriroit des hommes de ce caractère , I 6c li l'on ne travailleroit pas à les exter- . : miner ? Il s'élève tous les jours dans le ; Çhriftianifme des fociétés de libertins , : qui par leurs impiétés 6c leurs railleries , t profanent les chofes les plus faintes , 8c décréditent , autant qu'ils peuvent , le fervice de Dieu ; qui s'attaquent k Dieu même , à ce Dieu que nous ado- rons , 6c voudroient en effacer toute idée de notre efprit ; qui lui difputent jufques à fon être > 6c s'efforcent de le

Zij

%6§ Pensées diverses faire paffer pour une divinité imaginai- re ; qui ne tiennent nul compte ,. ni de fes commandemens , ni de fon culte , \ &: regardent comme des fuperftitions-' tous les hommages dont on l'honore j; qui cherchent à lui enlever fes plus fidèles ferviteurs 8c à les retirer de fé$l autels , fe jouant de leurs pieufes prati- ques , 8c les accufant ou d'hypocrifie oui de fimplicité : Il y a , dis-je, des impies s de cette forte , il y en a plus que jamais,] leur nombre croît fans ce(fe j 8c parmi» des Chrétiens , parmi des Catholiques £, parmi même des âmes dévotes, on les1, écoute , on les fouffre î Mais ce font du refte d'honnêtes gens. D'honnêtes * gens ! j'avoue que je n'ai jamais pûi digérer ce langage 8c qu'il m'a tou- jours choqué. Car j'y trouve la qualité: d'honnête homme étrangement avilie. A la religion près , dit-on , cet homme eft un fort honnête homme. Quelle ex- ception , à la religion près ! C'eft-à-dire , que c'eft un fort honnête hommef, à cela, près qu'il manque au devoir le plus ef- fentiel de l'homme,qui eft de reconnoitre fon Créateur, 8c de s'y foumettre. C'eft.. à-dire , que c'eft un fort honnête hom- me , à cela près qu'il a des principes qui vont à ruiner tout commerce , toute

sur la Foi. 169

confiance entre les hommes , &: félon lefquels il doit être déterminé à toutes choies , dès qu'il s'agira de Ion intérêt ,

. de fon plaiiir , de fa paiîîon. En un mot , ç'eft-à-dire que c'eft un fort honnête homme 3 à cela près qu'il n'a ni foi , ni loi. Mettez-le à certaines épreuves ,. & fiez vous-y : vous verrez ce que c'eft que

, cet. honnête homme.

f On propofe à un libertin les rêvé - lations de la foi , c'eft-à-dire , des révé- lations fondées fur la tradition la plus ancienne & la plus confiante , confir- mées par un nombre infini de miracles ,

! de de miracles éclatans , fignécs du fang d'un million de martyrs , autorifées pas les témoignages des plus fçavans

; hommes , & par la créance de tous les peuples : mais tout cela ne fait fur lui aucune impreiîion , 3c il nen tient nui

i compte. On lui propofe d'ailleurs les

: rêveries & les vaines imaginations d'un nouveau philofophe 3 qui veut régler le monde félon fon gré ; qui raifonne fur

: toutes les parties de ce grand univers 3 fur la nature &; l'arrangement de tous les êtres qui le compofent avec autant d'afïurance que fi c'étoit l'ouvrage de fes mains ; qui les fait naître , agir ,

Zhj

z-jo Pensées diveisis mouvoir , comme il lui plaît : & voilà ce que ce grand génie admire , ce qu'il médite profondément , ce qu'il fondent J opiniâtrement , à quoi il s'attache 8c dé:; quoi il fe feroit prefque le martyr. Cer-J tes la parole de Saint Paul eft bien vraie : &om. Dieu les a livrés à un fins réprouvé. Ils i * fi font perdus dans leurs penfées frivoles & chimériques j & eux qui fi difint figes <\ font devenus des infenfés.

f Que fera - ce qu'un Etat il ny J aura ni Roi , ni puiffance fouveraine ? Dans une pleine impunité chacun fera le maître d'entreprendre pour fes pro- pres intérêts ce qu'il lui plaira j 8c coin- me nos intérêts s'accordent rarement i avec les intérêts d'autrui , que s'enfui- vra-t-il ? des guerres perpétuelles , des diffenfîons éternelles , un brigandage urùverfel : tellement qu'il faudra tou- jours avoir les armes à la main pour la défenfe de fes biens 8c de fa vie. Le pauvre pillera le riche , le voifin oppri- mera {on voifin , le fort accablera le foible. On vengera £qs querelles parti- culières par les meurtres 8c les aiTailî- nats. Confuiion générale , bouleverfe- ment total. Je ne parle que d'un royau- me j mais voilà ce que l'Athée voudrait

sur la Foi. 27 t faire du monde entier , lorfqu'il combat l'exiftence d'un Dieu.

f Quand j'entends des libertins rail- ler de la religion , Se prétendre l'avoir bien combattue , lorfqu'ils ont ri de quelques pratiques particulières ? ôc de quelques dévotions populaires , qu'ils traitent d'abus Se de fuperftitions : ou leur ignorance me fait pitié , ou leur malignité me donne de l'indignation. Car la religion que nous proférions , ne coniifte point en cela. Ce ne font point, ces fortes de dévotions ni ces pratiques qui en font le capital. Si dans ces pra- tiques Se ces dévotions , il fe glirTe quel- que chofe de fuperititieux , PEglile le condamne elle - même , Se le défend fous des peines très-griéves. Si elle ny trouve rien de mauvais en foi ; Se qu'au contraire remontant au principe , elle voie que ce font de pieufes inftitutions , qu'un bon zèle a infpiré aux âmes dé- votes pour l'honneur de Dieu Se des Saints , elle les tolère , elle les permet , elle les approuve même , mais fans les regarder comme le fonds de fa créance , Se de fon culte. Voilà ce que nos liber- tins doivent fçavoir 5 Se à quoi ils de- vroient faire attention. S'ils ne le fçavens

Z iiij

tyi Pensées bi ver s es. pas , c'eft dans ces grands génies 8c ces efprits forts du fiècle une ignorance pitoyable. S'ils le fçavent c'eft dans eux une malignité encore moins fupporta- ble , de s'attaquer vainement 8c li opi- niâtrement à Faccefîoire de la religion , 8c de n'en vouloir pas confidérer l'ef- fentiel 8c le principal.

Qu'ils aghTent de bonne foi , & que fans prévention , fans paiîion 5 ils exa- minent la religion chrétienne en elle- même j je m'aiïure qu'ils ne pourront fe défendre d^en admirer la fublimité , la figeiïe , la fainteté. Ils reconnoîtront qu'elle a de quoi contenter les efprits du premier ordre , tels qu'ont été les Pères de l'Eglife j 8c malgré eux ils y décou- vriront un cara&ère de divinité qui les frappera. Mais c'eft juflement ce qu'ils ne veulent pas *, 8c que font-ils ? Ils laifTent , pour ainfi dire , le corps de la religion qu'ils ne peuvent entamer, 8c ils s'attachent au-dehors. Un point qui n'eft de nulle conféquence , 8c la re- ligion ne fe tient aucunement inté- reifée , un petit exercice de piété , une cérémonie ? une coutume qui les cho- que , 8c qu'une louable Simplicité des peuples a introduite , c'eil - deilus,

sur. la Foi. 273' qu'ils lancent tous leurs traits , ôc qu'ils déployent toute leur éloquence. En vé- rité , il faut que notre Religion foit bien affermie fur fes fondemens , ôc bien cimentée de toutes parts , puifqu'on eft réduit à ne l'attaquer que de h* loin , ôc par de telles minuties.

Ç Les hérétiques ont 'toujours eu pour principe de fe faire craindre , ôc cela communément leur a réuffi. Ils en ont tiré deux avantages. L'un , d'arrêter les efprits timides , Ôc l'autre d'engager les efprits intéreifés. Mille efprits timi- des qui ne manquent pas d'habileté , Ôc qui pourraient leur faire tête , n'ofent néanmoins les attaquer , parce qu'ils ne veulent pas irriter un puiffant parti , ni fe l'attirer fur les bras -y ôc mille efprits intéreifés , qui ont leurs vues Ôc leurs prétentions , fe joignent même à eux , dans l'efpérance que le parti les fou- tiendra ôc qu'il les mettra en vogue : efpérance qui n'eft point mai fon- dée. Avec cet appui , un auteur voit fes ouvrages recherchés de tout le monde comme des chefs - d'œuvres , toutes les paroles d'un Directeur font reçues comme des paroles de vie , ôc un Pré- dicateur eft écouté comme un oracle,

f 74 Pensées diverses

J La réflexion de Saint Auguftin eft

bien vraie 5 qu'il n'y a perfonne qui fe

pare avec plus d'affectation ni plus d'of-

tentation de l'apparence de la vérité Se

de fon nom , que les docteurs du men~

fonge & les partifans de l'héréfie. Il cite

la -demis en particulier l'exemple des

Manichéens. Sans celle , dit - il, ils

Et ai- avoient ce mot dans la bouche , vérité y

venu»! \ vérité. Sans ceffe ils me le rebattoient I

veritas , mais en le répétant fi fouvent , & en le

tum^ " prononçant avec emphafe > ils ne l'a-

eam ai- voient pas pour cela dans le cœur»

Zihi Ainfi dans tous les difeours 5c tous les

àuf- écrits de certaines gens 3 on n'entend

quant /*

irai in encore , ni on ne volt preique autre '"• ehofe que le terme de vérité. C'e.ft, conf. g* ce femble 5 le figne pour fe reconnoî- i. ?• tre les uns les autres. C'eft leur cri de guerre.

| Les libertins qui n'ont point de re- ligion , font ravis de voir des divifions dans la religion. Et parce que le moyen d'entretenir ces divifions , eft d'ap- puyer le parti de l'héréfie &c de la ré- volte , voilà pourquoi ils le favorifent toujours. D'où il arrive aiïez fouvent > par Paffemblage le plus bizarre & le plus monftreux 3 qu'un homme qui

s v r la Foi. 27J fre croit pas en Dieu , fe porte pour défenfeur du pouvoir du libre arbitre •Se devient à toute outrance le pané- gyrifte d'un prétendu équilibre , qui , fé- lon Saint Auguftin , ne montre que du délire dans la tête de ceux qui le fou* tiennent.

DU RETOUR ADIEU,

ET

DE LA PÉNITENCE.

Bonté infinie de Dieu > à rappetter le pécheur & aie recevoir.

o u s quittons Dieu avec joie , nous ne retournons à Dieu qu'avec peine 3 & Dieu néanmoins eft toujours dit- à nous recevoir : en trois mots , voilà ce qui nous donne la plus haute idée de la divine miféricorde \ voilà ce qui doit , dans notre pénitence , nous toucher de la plus amère contrition y de la reconnoiffance la plus vive , de l'amour le plus ardent.

I. Nous quittons Dieu avec joie 3 8t eela dès la première jeunelFe. A peine

ÎKVERS LE PÉCHEUR. 277

commençous-nous à ouvrir les yeux de l'efprit , ôc à faire quelque uiage de no- tre raifon , que le charme du plaifir nous entraîne. On le fuir , on s'y aban- donne. Vene\ j divertijfons-nous j& jouif- SuV* fons des biens préfens. Enivrons-nous des 'vins les plus exquis j couronnons-nous de rofes j & ne refufons rien à nos fens de tout ce qui les peut flatter, C'eft avec de pareilles difpoiltions qu'on entre dans le monde, & qu'on y mené la vie du monde , une vie diilipée , une vie molle , une vie libertine & toute corrompue. La confeience a beau fe récrier , Dieu a beau parler : on fe rend infenfible aux cris de la confeience , Se fourd à la voix de Dieu. On fe retire de lui , & pour com- bien d'années ? quelquefois , hélas ! jufques à l'extrême vieillefîe. Tandis que le monde a de quoi nous plaire; tandis qu'il a de quoi fatisfaire nos par- tions 3 foit paillon de l'honneur ? foit paillon de l'intérêt , foit pailîon plus groillère & plus animale , on ne veut point d'autre maître , & on y met toute ion efpérance & tout fon bonheur.

Bonheur traverfé de bien des cha- grins : je l'avoue. Car le mondain fé- duit & aveuglé par les fens , cherche en vain dans les plairfis du monde ua

%y% Bonté de Dieu repos durable 8c une félicité -parfaite i i c'eft ce que nul homme n'y trouva ja- mais 5 8c ce que nul homme n'y trouvera , , puifque rien de affable 8c de mor- tel ne fuffit à notre cœur ni ne lui i peut fuffire 5 8c que la vie eft d'ailleurs i fujette à tant de viciiîitudes 8c d'événe-* » mens imprévus , qui en troublent mal- gré nous les prétendues douceurs. Mais après tout , quelque faux que puiiîe être ce bonheur humain , 8c quelque épreuve qu'on en puiffe faire , il a ton- jours je ne fçais quelle apparence qui nous attire 8c qui nous attache. On en reconnoît à certains momens la vanité 8c i'illulion on s'en déclare , 8c on éclate : mais ce ne font que des mo- mens , l'on a eu quelque déboire 8c quelque contrariété à effuyer. Le nuage fe dilîlpe bien-tôt : on rentre dans fes premiers fentimèns , on reprend fon premier goût pour le monde j il plaît plus que jamais , 8c il a pour nous dQs agrémens tout nouveaux : tant l'inclina- tion qui nous y porte , eft profon- dément enracinée dans notre ame, 8c tant elle a de pouvoir pous nous enga-

gerl

Tel eft l'enchantement vivent îa

plupart àqs gens du monde , homme?

ENVERS LE PÉCHEUR. 279

& femmes. Après avoir cent fois déclamé contre le monde , ils en font toujours j épris 3 ôc ils ne comprennent pas même qu'ils piaffent jamais s'en paffer. Que ; le monde fur mille fujets , ôc dans | une infinité d'occafions fe trouve en compromis avec Dieu j qu'il foit ques- tion d'une fortune humaine qu'ils ont en vue , d'un degré d'élévation ils afpirent , d'un avantage temporel qu'ils cherchent à fe procurer , d'une intri- gue qu'ils ont formée ôc qu'ils font jouer , d'un engagement criminel , d'une fale volupté , avec quel ernpreffe- ment ne s'y portent-ils pas ? avec quelle ardeur , ôc fouvent , fi je lofe dire , avec quelle efpèce de fureur ? Exami- nent-ils fi Dieu condamne tout cela ? font-ils en peine de le fçavoir ; ou s'ils le fçavent Ôc qu'on leur repréfente la loi divine qui s'effc expliquée fur tous ces articles de fur bien d'autres , en font- ils touchés ? Que Dieu y foit offenfé , c'eft à quoi ils n'ont guères d'égard , Se c'eft par-là même une foible raifon pour les arrêter, ils fe livrent au pen- chant naturel , ils fuivent l'attrait , ils entreprennent , ils agiffent ; ôc fi au pé- ril d'encourir la haine de Dieu 3 ils peu- vent obtenir ce qu'ils fe font propofé,

zîo Bonté de Dieu

ils fe tiennent heureux & fe félicitent du fuccès.

1 1. Nous ne retournons à Dieu qu'a- vec peine. Après de longs égatemens , il vient enfin pour quelques-uns un tems de falut & de converfion, c'eft-à-dire, un tems l'on fe fent preffé de fe re- mettre dans le devoir & de fe rappro- cher de Dieu. Et quel eft-ce tems ? une conjoncture favorable que Dieu mé- nage ; un âge plus avancé Se plus mûr , le feu de la palîîon commence à s'a- mortir • une humiliation Se un renver- fement de fortune , un état d'infirmité 3c de langueur.

Saint Auguftin ne fe convertit point autrement. Ce fut un des plus fameux pénitens de l'Eglife de Dieu , Se nous ne pouvons avoir de témoignage plus convaincant ni plus irréprochable que le fien , pour apprendre combien de tems , & avec quelles incertitudes il demeura flottant Se irréfolu , entre la divine miféricorde qui le pourfuivoit fans relâche , Se les engagemens du monde qui le retenaient. Il vouloit ou il croyoit vouloir , mais dans peu il ne vouloit plus. Il demandoit à Dieu d'ê- tre affranchi de l'efclavage le vice le

tenoit

Envers le Pêcheur. 28 1 Viioit captif & comme enchaîné } mais en même tems , il craignoit que Dieu ne l'écoutât , ëc que fa prière ne fût exaucée. Inceffamment agité de re- mords intérieurs , il difoit pour les cal- mer en quelque manière , tantôt, tantôt -y mais ce tantôt ne venoit point , & il le remettoit toujours au lendemain. Dans ces cruelles perplexités dont il nous a fait lui - même le récit en ces termes il forts Se fi énergiques , je foupirois , dit- il , je gémiiîois fous le poids de ma chaîne ; mais j'étois lié par ma propre volonté ? plus dure que le fer ; 8c fans un dernier effort de la vertu d'en-haut , je n'aurois jamais conclu une affaire que je defirois 5 mais qui devoit coûter fi cher à mon cœur. Ainfi parloir Saint Auguftin ; & combien de pécheurs ont été aufli violemment combattus dans : leur retour ; combien d'autres le font i encore ?

Ceft de quoi ils pourroient rendre | témoignage , s'ils vouloient produire .au - dehors ce qu'ils éprouvent intérieu- I rement , & ce qu'ils cachent avec tant de foin. La grâce les prefTe , elle les fuit par- tout, elle fe fait fentir à eux jufques dans les aifemblées les plus nombreufes- de les plus profanes. En vain tâchent-ils Tome L A a

z%% Bonté de Diei/ de fe diiïiper 3 de fe rafïurer , d'effa^ cer de leur efprit certaines idées qui les troublent : Dieu demeure toujours à la i porte de leur cœur, & ne cefte point de: frapper. Ils le laiftent attendre , ôc il at- tend } ils ne répondent rien , 3c bien loin de fe taire ôc de fe retirer , il élevé la voix tout de nouveau 8c parle encore plus haut. Affiduité qui leur devient; auiîi falutaire , qu'elle leur eft impor*- tune. Car Dieu par une providence'; fpéciale eft plus confiant à les fauver ■;. qu'ils ne le font à fe perdre. Malgré tant; d'oppofitions &c de révoltes le moment1 arrive , un bon moment 3 la grâce. prend le defltis & triomphe. Onfe rend, on cède enfin au faint attrait qui l'em- porte fur la cupidité : heureux fi un long, règne des pallions ne les eût pas rendues fi difficiles à vaincre.

1 1 î. Dieu par fa bonté eft toujours difpofé à nous recevoir. Il feroit naturel que dans une j Lifte indignation il nous traitât , comme nous l'avons traité lui-t même ; qu'autant que nous avons té- moigné de répugnances 6c de difficul- tés à retourner vers lui , autant il fe rendît difficile a nous admettre auprès -de lui 3 & à f e réconcilier avec nous j

ENVERS L E P É C HE U R. 2 S J

qu'il nous fît attendre auiîi long-tems qu'il nous a attendus , Se que pour pu- nir nos incertitudes & nos retardemens il fut auiîi lent à nous pardonner y que no ifs l'avons été à reconnoitre devant lui nos iniquités & à lui demander grâce. Mais que dis -je ? Seigneur : ah! mon Dieu , je parle félon les fentimens de l'homme , 8c vos fentimens , comme vos penfées 5 font bien au-deflus des nôtres. Ce font des penfées 5 des fenti- Jmmt mens , non de colère 8-c de vengeance , y^f" mais de rémilîlon & de paix. Â quelque Cogita eure donc y a quelque jour que le pe- pacis y cheur contrit & pénitent s'humilie de- &* noî* vant vous 5 vous oubliez que vous êtes tùni^ Juge , pour vous fouvenir que vous êtes père. Il efl vrai , pendant une longue fuite d'années ce pécheur étoit un re- belle ; mille fois il s'eft obftiné contre Dieu. Il efl encore vrai, que pour le fléchir , le gagner , il a fallu tout récem- ment de plus fortes inftances que ja- mais , & des avances toutes nouvelles de la part de Dieu \ mais Dieu met le voile fur tout cela , il n'a égard qu'à la difpofltion préfente d.e cet homme. Dès qu'une fois il fe repent &c qu'il fe- foumet , c'eft aiTez. Les entrailles de la charité de Dieu en font émues ; il étend

Aaij

zB4 Bonté de D i e tf les bras pour l'embrailer 3 il ouvre (on. feîn pour l'y recueillir : fût-ce un pé- cheur tout noirci de crimes , il celle d'être criminel aux yeux du Seigneur ,, J &z Dieu lui donne place parmi fes en- J fans,

Je dis , mon Dieu, parmi vos enfans, . êz non point parmi vos efclaves. Ce pro- h digue qui s'étoit féparé de fon père , fcj lui avoit marqué tant d'indifférence &Ci même tant de mépris en l'abandonnant XJ comptoit pour beaucoup , lorfqu'il fe» roit revenu à la maifon paternelle , d'y J pouvoir être mis au rang des mercenai- j res y &c f e croyoit déformais indigne d'y/ être regardé ôc traité comme un fils : iif fe faifoit en cela juftice : maisdurefte. il ne connoiiïoit pas toute la tendreife. du père qui le recevoit 3 Se qui étoit i même allé au-devant de lui. Bien loin d'être dégradé de la qualité de fils , & d'être condamné aux traitemens rigou-: reux qui lui étoient dûs , il éprouva tout ( le contraire. Jamais fon père ne l'ac- cueillit avec plus de douceur ni plus d'afFedion ^ jamais il ne parut plus fen-i fible pour lui.

C'eft vous - même , mon Dieu 3 qui nous tracez cette figure dans votre di-: vin Evangile j c'eft par cette parabole

ï> E PÉNITENCE. 2^5

que votre Fils adorable excitoit la con- fiance des pécheurs pénitens , & je puis dire , tout coupable que je fuis , qu'elle ne m'annonce rien de fi confolant que je ne fois en droit d'efpérer , &: à quoi l'effet ne doive répondre.

Voilà , dis-je 3 ô mon Dieu , ce que j'ai lieu de me promettre 3 aufïî - bien que tant d'autres , dès que je retourne- rai à vous , & que j'y retournerai de bonne foi. Or n'eft - ce pas un motif affez puiiïant pour m'infpirer là-deflus une fainte réfolution 3 ci pour me la faire exécuter ? Mais que feroit-ce , 3c quel défordre , quelle injuftice * quand vous m'appeliez de la forte , fi je déli- berois encore 5 fi je me défendois en- core , fi je refufois encore de me ren^ dre î , qu'y auroit-il alors de plus inconcevable , ou d'une telle condef- cendance de votre amour , ou d'une telle réfiftance de mon cœur ?

L'heure eft venue , Seigneur : il n'y a plus de difficultés ni de répugnances à écouter. Un amour tel que le vôtre doit amollir lame le plus endurcie. Je fuis à vous j ou j'y veux être. BénifTez le defTein que je forme, & le premier pas que je vais faire , pour F accomplir* En votre nom j'agirai , & vous fupplérez

■%%ê Sacre ment par votre miféricorde à ce. qui pourra ma manquer par la fragilité de la nature par Finconftance de ma volonté.

Sacrement de Pénitence. Difpofi*

-lions qu il y faut apporter ^ ù le

fruit qu'on en doit retirer.

ON exhorte afTez les fidèles à fré- quenter le Sacrement de Péniten- ce \ mais peut-être ne s'applique-t-on point allez à les initruire des difpofi- tions elfentielles qu'il demande , ni à. leur en donner toute la connoifîance qu'ils en doivent avoir. La plupart n'en ont entendu parler que dans ces premières leçons qu'on a fait à de jeunes, enfans , qui malgré le foin qu'on prend de leur expliquer les éiéniens de la doc- trine chrétienne 5 ne font guères en état de bien comprendre ce qu'on leur dit , ôc n'en confervent qu'un fouvenir con- fus & très-fuperficiel. C'elt dans un âge plus avancé , jugement eft plus mûr , & l'on voit mieux les chofes , qu'il faudroit fe retracer fur cela les en- feignemens qu'on a reçus ^ Se s'en, former

ENVERS LE PÉCHEUR. l%j

une idée jnfte. Car il s'agit d'un Sacre- ment qui , félon le bon oc le mauvais ufage que nous en faifons , doit fervir ou à notre juftiiication , ou à notre condamnation. Mais par une erreur des plus pernicieufes , on regarde , je lofe dire , ces fortes de confidérations au- 1 deiïous de foi , & Ton fe perfuade qu'el- I; les ne conviennent qu'au tems de l'en- fance. Les Prédicateurs , s'ils n'y ; prennent garde y contribuent eux-mê- ; mes à entretenir cette dang-ereufe il- lufion , ayant pour maxime de ne traiter dans la chaire que- certains fujets rele- vés , Se s'imaginant que ceux - ci ne. font propres que pour le menu peuple & pour les campagnes. En quoi certai- nement ils fe trompent, foit en man- quant à l'une des plus importantes obli- gations de leur m-iniftère , qui eft d'ap- prendre à toutes les conditions les prin- cipaux devoirs de la religion ; foit en -s' élevant quelquefois au-delà des bornes 5 & prenant un vain eiïor fouvent on les perd de vue , & ils fe perdent eux-mêmes.

Quoi qu'il en foit , tout ce qui con- cerne le Sacrement de pénitence , peut fe réduire , félon la notion ordimaire , à quatre articles capitaux j fçavoir ± la

% 8 8 Bonté de Dieïï contrition , la réfolution , la confemon 2 , ôc la fatisfaction. Je n'ai rien à dire là- demis de fingulier & de nouveau j mais . ce que je dirai néanmoins , n'eft que trop inconnu à bien des gens qui l'igno- rent ou abfolument ou en partie , tout éclairés qu'ils font d'ailleurs 3 & qu'ils fe piquent de l'être,

I. Contrition : c'eft-à-dire ? douleur du péché , mais une douleur conçue en vue de Dieu , par le mouvement de la grâce, & fupérieure à toute autre douleur. Voilà en trois mots déjà bien des chofes d'un devoir indifpenfable y ôc d'une telle ncceiîité , que de-là dé- pend toute l'efficace & tout le fruit du facrement dont il eft préfentement quedion.

C'eft 3 dis-je , une douleur , Se par- conféquent un a&e de la volonté , qui s'afflige 5 qui hait , qui détefte : car qui dit douleur , ne dit pas une iimple con- noiffance ni une fimple vue de la lai- deur & de la difformité du péché. Ce n'eft pas même , fi j'ofe ufer de ce ter- me 7 une fimple déplaifance de la rai- fon , qui naturellement droite , ne peut s'empêcher d'appercevoir le défordre du péché & de le condamner, On peut

avoir

DE PÉNITENCE. 289

avoir tout cela fans être contrit , parce que tout cela n'eft que dans l'entende- ment , 6c non point dans la volonté. On peut avec tout cela aimer toujours fon péché , fe plaire toujours dans fon

:, péché , conferver toujours le même attachement à fon péché : on le peut , de c'eft ce qui n'arrive que trop fou- vent. Il faut donc que ce foit la vo- lonté qui aghTe par un repentir vérita- ble. Il faut que la douleur , félon l'ex- prellion du Prophète , nous brife le cœur j 8c c'eft de-là même qu'elle eft appellée contrition. Autrement , la vo-

<: Ionté n'étant point à Dieu , tout le refte

t ne peut être, de quelque prix devant

'. Dieu , ni le toucher.

Encore une fimple douleur en géné- ral ne fuffit-elle pas ; & n* ce n'eft en

- particulier le mouvement de la grâce qui l'excite , Se qui élevé l'âme à Dieu , ce n'eft plus qu'une douleur infrucrueufe êc fans effet. C'eft pour cela que les Prophètes prêchant aux pécheurs la pé- nitence & les y exhortant , ne fe con- tenaient pas de leur dire , cohvertiffez- vous ; mais qu'ils ajoutoient , conver-

I tiffez-vous au Seigneur votre Dieu. Par Jce ils leur faifoient entendre, que II CtZtï ce rapport à Dieu manquoit , que fi Tome /, B b

%<)o Sacrement

dans leur retour ils n'envifageoient pas Dieu , que s'ils fe propofoient tout au- tre objet que Dieu , ils ne dévoient plus être, dans l'eftime de Dieu, cenfés pénitens , puifqu'ils ne l'étoient pas fé- lon Dieu , ni pour Dieu. Et parce que cette vue de Dieu 3c cette douleur fur- naturelle fuppofe nécefTairement la grâce comme principe , ôc un com- mencement d'amour de Dieu comme fource de toute juftice, les Prophètes parlant au nom des pécheurs , difoient : gkren. Seigneur convertiiTez - nous , 8c nous nous convertirons. C'eft qu'ils étoient perfuadés que pour rendre nos cœurs dociles , pour en amollir la dureté Se fléchir î'obftination , il eft néceiTai- re que nous foyons prévenus de.l'inf- piration divine 8c aidés du fecours. d'en haut, ôc que pour nous récon- cilier avec Dieu , nous devons com- mencer à l'aimer par-deffus toutes cho- fes.

Ce n'eft pas tout ; cette douleur formée dans la volonté , infpirée par l'Efprit de Dieu , ôc conçue par amour pour Dieu , doit être au-delfus de toute autre douleur. C'eft-à-dire , qu'il n'y a point de revers , point d'accident fa-

SE PÉNITENCE. 2^1

cheux ni de malheur dans la vie , de quelque nature qu'il foit , dont il puiife m'être permis de concevoir une dou- leur fupérieure , ou même égale à celle que doit me caufer l'offenfe de Dieu ôc la perte de fa grâce. Il faut que je fois plus touché de cette ofrenfe de Dieu &C de cette perte de la grâce de Dieu , que je ne le ferois de la ruine entière de ma fortune , eût-elle été la plus flo allante ôc la plus abondante. Il faut que cette offenfe de Dieu , que cette perte de la grâce de Dieu me tienne plus au cœur , que l'affront le plus fanglant qui me couvriroit de confuiion , que l'aban- donnement le plus général qui me ré- duiroit dans la dernière mifere , que le mal le plus fenfible &: le plus aigu qui me tourmenteroit uns relâche ; que la mort d'un patron , d'un ami , d'un pa- rent , d'un fils , d'un époux 3 d'un père 5 d'une mère , de tout ce que je puis avoir fur la terre de plus cher 5 enfin , que le danger même le plus évident d'une mort prochaine par rapport à moi. Si mon regret va pas jafques-là , il ne peut être iuffifant , de dès-lors je ne fuis point dans l'état d'une vraie contrition s ni même dans cette attrition parfaite nécenaire au Sacrement de pénitence.

Bbij

2^i Sacrement

On me dira que cela feroit capable de troubler les confciences & de les jetter i dans le défefpoir. Il eft vrai : cela peut I défefpérer , mais qui ? des âmes mon- daines qui n'ont jamais bien connu, i Dieu , &c qui ne s'appliquent jamais à le bien connoître. Des âmes toutes plon- gées dans les fens , ôc d'autant plus in- {enfibles pour Dieu qu'elles font plus fenfibles pour elles-mêmes , & pour tout ce qui flatte leur amour propre. Des âmes volages , diiîipées , accoutumées à n'envifager tout ce qui regarde la re- ligion que très - fuperficiellement , 8c fans cefife diftraites par les objets exté- rieurs qui leur frappent la vue , & qui emportent toute leur attention. Voila ceux qui doivent être étonnés des le-; çons que je trace ici j voilà ceux qui en; doivent être découragés Se rebutés.

Mais pour appliquer à mon fujet ce que difoit Saint Auguftin fur une ma-, tière à peu près femblable : donnez-moi une ame qui aime Dieu , une ame rem- plie de l'efprit du chriftianifme , une ame telle que nous devons tous être; ik fuppofons que par un effet de la fra- gilité humaine , ou par la furprife de quelque paillon , cette ame ait eu le malheur d'oublier Dieu ôc de s oublier

DE PÉNITENCE, 29$

elle-même, jufqua fuccomber dans une rencontre à la tentation Se à fe laiifer en- gager dans le défordre du péché j je de- mande fi lorfqu'elle viendra à fe recon- noître , & qu'aidée de la grâce elle fe mettra en devoir de retourner à Dieu , elle aura de la peine à porter fon re- gret de fa douleur au degré que je mar- que , & que je prétends être abfolument requis ? Quand nous voyons David couché fur la cendre & humilié devant Dieu ; quand nous voyons Saint Pierre couvert de confudon & pleurant avec amertume } quand nous voyons Made- laine profternée aux pieds de Jefus- Chrift 6c les arrofant de {es larmes , con- cevons-nous qu'il y eût alors quelque chofe au monde dont ils fuiTent plus affligés , ni même aufïi affligés , qu'ils l'étoient de leurs égaremens j Ôc pou- vons-nous imaginer quelque intérêt qu'ils eufTent voulu faire entrer en compromis avec les intérêts du fouve- rain maître , dont ils avoient encouru la j ufte indignation , & auprès* de qui ils cherchoient par - de (Tus tout & aux dépens de tout à fe remettre en grâce ? Or nous ne fommes pas moins pécheurs que ces fameux pénitens ; nous n'avons pas pour -exciter notre repentir , des

Bbiij

2,^4 Sacrement motifs moins folides ni moins touchant que nous manque-t-il ? plus de iincé- nté 6c plus de zèle dans notre conver- sion à Dieu.

Cependant il ne faut rien exagérer jj & je dois convenir que plufieurs pour- roient être en efret découragés & avec fujet , fi cette douleur que ia pénitence exige de nous 3 confiftoit dans le fenti- ment. Car le fentiment ne nous eft pas toujours libre 5 & fouvent il peut être beaucoup plus vif à l'égard de certains maux de la vie & de certains événe- mens que nous craignons 3 ou que nous déplorons , qu'il ne l'eft à l'égard des péchés que nous dételions , & dont nous avons un regret véritable. Ce n'eft donc' point par ce fentiment que notre contrition doit l'emporter far toute au- tre douleur , mais par la détermination de la volonté , mais par la préparation de Fefprit & de la partie fupérieure de l'ame m9 mais par la difpofition intérieure ëc réelle fe trouve le pénitent de fubir toutes fortes de peines , ôc d'ac- cepter toutes fortes d5adver£tés tempo- relles &: de calamités , plutôt que de confentir à un feul péché : fi bien qu'il hait ainiî le péché plus que tout le refte , de qu'il voudroitr au prix de tout le reft$-

DE PÉNITENCE. I95

pouvoir eftacex tous les péchés qu'il re- connoît avoir commis , ëc par il a déplu à Dieu. Il n'eft point néceflfaire pour cela de relïentir les mêmes ferre- mens de cœur, d'entrer dans les mêmes agitations , de s'abandonner aux mêmes gémiffemens , ni de tomber au dehors dans la même défolation , que fi l'on venoit nous annoncer quelque infortu- ne humaine & quelque défaftre nous fulîîons intéreiTés. Il fuffit d'avoir cette haine du péché que j'ai fpéciiié , Se que les Théologiens , félon leur langage ordinaire, nomment apprétiative , parce qu'elle maintient tous les droits de Dieu , 8c qu'elle lui donne dans notre cœur une préférence entière <k abfolue. Or voilà ce qui ne doit défefpérer perfonne , puifqu'il n'y a perfonne qui ne puilTe avec l'alliftance divine former au fond de fon ame une telle douleur. Ce n'eft pas au refte qu'il n'y ait pour ce-la même des foins à prendre Se des efforts à faire. Car comme difoit faint Auguftin , vous n'êtes pas encore at- tiré de Dieu , agiffez , priez , prefTez 5 afin qu'il vous attire. On fe trouve aiTez fouvent dans une féchereffe de cœur, il eft fort à craindre , qu'on ait pas cette contrition fans laquelle on ne

Bbiiij

zc}6 Sacrement

peut efpérer le pardon de fes péchés; même avec le Sacrement de pénitence. 1 le moyen qu'on pût l'avoir , de la manière dont on approche du faint Tribunal ? On y vient quelquefois avec une précipitation qui ne donne prefque pas le loifir de penfer à ce que l'on fait , ni de réfléchir fur aucun des motifs dont notre douleur doit être animée de fandifiée. On s'y préfente avec une froideur & une efpèce d'indolence qui fait tout négliger dans un des exercices du Chriftianifme le plus important & le plus férié ux. Et parce qu'on n'a nul ufage du recueillement intérieur Se de ces actes que le cœur prévenu de la grâce produit en lui-même 5 ôc de lui-même , on fe contente de certaines formules tra- cées fur le papier ; on les lit dans un livre , ou on les récite par mémoire , fans s'y arTe&ionner , & peut-être fans les bien comprendre. Souvent même par une ignorance inexcufable , ou par un oubli non moins criminel , après une revue aiTez légère de fes fautes , on les déclare au Miniftre de la pénitence , fans avoir eu foin de s'élever un moment à Dieu , ni d'en faire en fa préfence aucun défa- veu. Car voilà ce que nous voyons dans une infinité de gens du monde de fur-tout

DE PÉNITENCE. 297

du grand monde , lorfqu'à des tems fort éloignés les uns des autres , ils s'a- dreffent à nous , bien moins par un mouvement de piété Se par un vrai defir de converfion , que par une coutume 8c une certaine bienféance chrétienne à laquelle ils ne veulent pas manquer. Nous leur demandons s'ils font pré- parés ; c'eft - à- dire avant toute chofe , s'ils font véritablement contrits 8c re- pentans , s'ils ont une douleur fincere de leur conduite pallée dont ils s'accu- fent } 8c fans hériter ils nous répondent qu'ils le croyent ainfi : mais de bonne foi , ont-ils lieu de le croire , 8c comment peuvent - ils fe les perfuader ?

Car qu'eft-ce que cette douleur rince- re ? C'eft un plein changement du cœur : enforte que le cœur foit réellement déta- ché des objets auxquels il s'étoit livré avec plus de paiïion. Il faut que par la force 8c la fupériorité de cette douleur , le cœur haiffe ce qu'il aimoit , 8c qu'il aime ce qu'il haiffoit : il faut que ce foit un cœur tout nouveau. Quel effort de l'ame fuppofe un changement de cette nature ! quel facririce de foi-même! quelle victoire ! Or une telle victoire peut-elle être le fruit d'une réflexion vague 8c courte , ou de quelques paroles pronon-

zy% Sacrement

cées a la hâte Se comme jettées au ha- sard ? Il eft vrai que les opérations de la grâce dans un cœur ne dépendent point du tems : mais dans les régies or- dinaires la grâce n'opère qu'avec poids i êc avec mefure. Elle a fes voies pour s'infinuer , & fes degrés pour avancer» Elle prévient, elle foutient, elle aide à conîbrnmer l'ouvrage : mais elle exige aufli du pénitent qu'il agifTe lui-même , qu'il rentre en lui-mêxne , qu'il s'excite lui - même , qu'il fe fdiCe à lui - même d'utiles reproches Se de Salutaires leçons 5 qu'il fe trace tontes les vues Se toutes les considérations les plus propres à le détacher de fon péché , Se àpui en irxfpi- rerde l'horreur } qu'il s'applique à les pénétrer Se à les approfondir , fur-tout qu'il les rapporte toutes à Dieu , ôç qu'il inlifle fur celles qui peuvent lui repré- fenter ce fouverain Maître plus digne d'un attachement inviolable 8c d'un dévouement parfait ; enfin qu'il ait re- cours à Dieu même , qu'il lui ouvre fon cœur 3 Se qu'il le conjure d'en amollir la dureté : voilà, dis-je , ce que la grâce attend de notre coopération. Or tout cela , félon l'ordre commun , n'eft point l'affaire d'un mitant., Et ce l'eft encore finement moins pour tant de pécheurs

DE PÉNITENCE. 299

te de pécherelTes , qui dans le cours d'une année s'acquittent à peine une fois du devoir de la pénitence , que pour des âmes pieufes & timorées qui fréquentent le Sacrement.

Ivïais ceci pofé , il y a donc bien des confeffion nulles j j'en conviens , & là- deftus je n'oferois prefque déclarer ce que je penfe. Cependant un ConfeiTeur qui ne peut lire dans le fond des cœurs, doit éprouver la ïincérité de laperfonne qui lui parle , 8c fon regret & de fa bonne difpoiition. Après une épreuve fuffifante , il abfout le pénitent : mais il fçait qu'il n'y a que Dieu qui puifTe juger de la validité de cette ablolution ; & d'ailleurs , fans déroger en aucune forte à la puifTance des Miniftres de -Jefus-Chrïft , ni à la promefTe que ce divin Maître leur a faite , il n'ignore pas que ce qu'ils délient, ou femblent dé- lier fur la terre , n'eft pas toujours délié dans le Ciel.

Mais il faudra donc des têrhs infinis pour fe difpofer à la confeiïion ? Ma réponfe eft- qu'il y faudra tout le tems néceiTaire pour s'atfurer d'abord de fa contrition y autant qu'il eft raifonna- fclement £c moralement poffible. Je dis

30o Sacrement

autant qu'il eft pofîible raifonnable- ment & moralement : car en condam- nant une extrémité , qui eft une tr op grande négligence, je ne prétends pas me porter à un. autre excès , qui eft une inquiétude fcrupuleufe. La prudence chrétienne tient le milieu entre l'un & l'autre : elle ne va point au-delà de cer- taines bornes j oc quand eu égard aux circonftances Se aux moyens qu'on a. pris , on peut juger fagement de l'état de fon cœur , on doit alors fe confier en Dieu , & demeurer en repos , fans fe tourmenter inutilement par Aqs retours perpétuels & des défiances exceiîives de foi-même.

Concluons cet article en déplorant notre mifere. N'eft-il pas étrange qu'a- vec tant de raifons dont une feule de- vroit fuffire 5 pour nous percer l'ame de douleur au fouvenir de Dieu , & de toutes les offenfes que nous commet- tons contre lui , nous foyons fi diffici- les à prendre le moindre fentiment de componction ? N'eft-il pas étrange que nous ayons befoin de tant d'exhorta- tions 3 d'inftrudions , de méditations 5 pour nous retracer là-deiTus des idées qui ne devroient jamais s'effacer de notre efprit, & qu'il nous faille tant

DE PÉN ITENCL $OI

-d'efforts pour en relfentir l'imprefïïon ? Comment oublions-nous il aiiément & fi vite un Dieu Créateur , un Dieu Con- fervateur , un Dieu Rédempteur , un Maître li grand 5 un Père fi tendre ; fa libéralité , fa fainteté , fa juftice , fes innombrables perfections ? Et comment à la fimple penfée de tant de titres les plus engageans pour nous & les plus capables de nous affe&ionner , ne voyons-nous pas d'un premier coup d'oeil l'énormité de nos péchés qui bleffent ce fouverain Etre , &c qui nous féparent de lui ? Comment ne fondons- nous pas en larmes 3 & n'éclatons-nous pas en gémilTemens & en fanglots ? Que manque-t-il donc à notre Dieu pour nous devenir aimable ? n'a-t-il pas des droits alTez légitimement acquis fur notre cœur ? n'eft-il pas affez bon ? ne nous a-t-il pas fait affez de bien? ne nous en fait-il pas affez chaque jour? ne fe difpofe-t-il pas encore à nous en faire affez dans l'avenir &c même dans toute l'éternité ? Notre indifférence pour lui n'eft guéres moins incompré- henfibie que fes miféricordes envers nous.

II. Réfolutioru C'eft félon la plus

3ox Sacrement

ordinaire façon de parler , ce que nousr appelions bons propos. Ce bon propos coniifte dans une ferme détermination de fuir déformais le péché , de n'y pins retomber , & de fe maintenir dans la grâce de Dieu , en fe corrigeant de fes vices , ôc renonçant à fes habitudes cri- minelles. Difpoiition il effentielle , que fans cela notre contrition ne peut plus être qu'une contradiction manifefte & une chimère. Car le moyen d'accorder ces deux chofes enfemble , je veux di- re , une volonté qui détefte les péchés commis , & cette même volonté toute prête encore à les commettre ; une vo- lonté qui hait le péché iincérement de fouverainement , & qui néanmoins l'ai- me toujours affez pour y retournera la première occafion Se pour y donner le* même confentement ? Ce feroit tout à. la fois & à l'égard du même objet 3 vou- loir &c ne pas vouloir ; ce feroit ac- complir dans fa perfonne cette parole du Prophète , l'iniquité s'ejl démentie Vf, 2.6. elle-même ; enfin ce feroit faire à la Ma- jefté divine la même infulte 3 que feroit un fujet rebelle , qui viendroit fe jetter aux pieds du Prince Se implorer fa clé- mence y mais qui lui donneroit en même temps à entendre , que malgré toutes

12.

DE PÉNITENCE. 303

t s foumiflions qu'il lui fait , il n'en eft pas moins difpofé à former dans la fuite de nouveaux partis ? ôc à prendre Îe3 ar- mes contre lui.

Afin donc que la douleur du pafTé foit véritable & recevable devant Dieu, il eft d'une nécefiité abfolue que le bon propos pour l'avenir l'accompagne , puiique l'un renferme l'autre , ôc qu'on ne les peut féparer. Voilà pourquoi le Concile de Trente définit la contrition , en difant , que c'eft une douleur Se une déteftation des péchés commis , jointe à la volonté de n'en plus commettre. De fçavoir fi cette réfolution doit être expreffe ôc formelle , ou s'il fuffit qu'elle foit comprife virtuellement dans l'acte de déteftation ôc de douleur , c'eft une queftion quepropofent les Maîtres de la Morale , ôc fur laquelle ils raifonnent Ôc penfent différemment : mais fans exa- miner ces diverfes opinions , ni pefer la force des raifonnemens de part ôc d'au- tre , quand il s'agit d'une affaire aulîî im- portante que notre réconciliation avec Dieu , le mieux eft de prendre le plus fur , Ôc de dire à Dieu comme le Pro- phète Roi : je l'aï juré ., Seigneur , & j'en pj-c j l g# jais encore le ferment j de garder à jamais lQO* vos divins préceptes ^ & de ne me plus

304 Sacrement

départir _, en quoi que cefok^ de Vobélf* fance due à votre Loi. Et parce que c'eft en telle & telle manière que j'ai eu le malheur d'enfreindre vos ordres , & de m' écarter de mes devoirs , c'eft à quoi je me propofe de faire particulièrement attention , Se de quoi je veux me pré- ferver avec plus de foin. Oui , je le veux , mon Dieu , je le veux \ vous en êtes témoin , vous qui fondez le fond des cœurs , 8c vous voyez toute l'éten- due & toute la fermeté de ma réfolu- tion.

Dans cette proteftation ainfi faite à Dieu , il y a deux chofes à diftinguer j un propos général , . & un propos parti- culier. Propos général , qui s'étend fans exception à tous les péchés capables de donner la mort à notre ame , & de nous priver de la grâce de Dieu. Car s'il y avoit un feul péché ( j'entends péché mortel ) que le pénitent ne fût pas réfo- lu d'éviter , dès-là fon a&e de réfolution au regard des autres péchés , feroit in- valide : pourquoi ? parce qu'il ne pour- ront avoir pour principe le vrai motif qui en fait tout le mérite , & qui eft que le péché dcplait à Dieu , qu'il bletfe l'honneur de Dieu , que c'eft une ingra- titude fouveraine 8c une injuftice en- vers

DE PÉNITENCE. 305

vers Dieu. En effet 3 comme ce motif convient également à tous les péchés , il s'enfuit par une conféquence nécelfai- re , que dès qu'il nous détermine à nous abftenir d'un péché , il nous détermine pareillement à nous abftenir de l'autre. Si donc nous faifons là-deiTus quelque diftinction , c'eft une preuve évidente que ce n'eft point ce motif qui nous conduit , & que notre prétendu bon propos n'eft qu'iîlufîon. Propos parti- culier : c'eft-à-dire que notre réfo- lution doit fur-tout tomber fur les péchés dont nous fommes actuellement coupables , Se que nous venons dépo- fer au Tribunal de la pénitence. Car nous étant plus propres , puifqu'ils nous font perfonnels , la raifon veut que nous y apportions plus de vigilance , Se que nous y faiîions plus de réflexion. Non pas qu'il foit néceffaire de les parcourir tous féparément,& de s'arrêter fur chacun par autant d'ades diftingués les uns des autres : fans ce détail le même a<5te fuffit. Il n'eft queftion que de le rendre efficace ôc de ne lui point preferire de bornes. Mais on me demandera par l'on pourra juger que cet acte eft efficace 3 ôc s'il faut pour cela pouvoir fe répon- dre quon ne tombera plus. Car corn- Tome L Ce

5 06 Sacrement

ment avoir cette aflurance de l'avenir , ôc quel eft l'homme qui peut prévoir toutes les conjonctures il fe trouve- ra, & ce qu'il y fera ou ce qu'il n'y fera pas ? Il en eft même dont le penchant eft fi fort 3c l'habitude il enracinée f , qu'il leur femble qu'ils n'auront jamais afTez de confiance pour y réfifler, Ôçc que dès la première attaque ils fuccom- beront. Cette difficulté fe réfout aifé? ment par la différence de deux Àdies , qu'on ne doit pas confondre l'un avec l'autre. Le premier eft dans l'entende- ment ôc l'autre dans la volonté. De fe défier de foi-même , ôc d'entrevoir aiy i milieu même des promeffes qu'on fait : à Dieu ôc à fon Miniflre , qu'appareil** < ment on ne perfévérera pas ; qu'a-* près avoir foutenu quelque temps, ou . fe lafTera j que la paiîion fe réveillera , ôc qu'il y aura des rencontres l'on ne peut guéres s'attendre de tenir ferme ôc de ne fe laifTer pas entraîner. Tout cela ôc cent autres idées femblables , ce font des penfées , ce font des conjec- tures 3 ce font des vues de l'efprit , la volonté n'a point de part , ôc dont elle eft indépendante. Malgré ces dé-, fiances , ces craintes , ôc toutes les ex- périences qu'elle a de fes inconftancet

DE PÉNITENCE. 30^

naturelles , elle peut néanmoins avec laide de Dieu s'établir dans une réfo- lution a&ueile Se véritable de s'éloi- gner pour jamais du péché , & de re- noncer à tout engagement criminel. Mais l'efprit lui repréfente là-defïus fes foiblefTes , fes légèretés , la violence de fes inclinations, mille combats , mille ccueils , Se le peu de fonds qu'il y a à faire fur la difpofîtion préfente elle fe trouve. Il n'importe : parmi toutes ces allarmes elle eft, ou elle peut être réellement déterminée &réfolue.

Le pénitent ne doit donc point s'é- tonner , quelque difficulté , Se même , fi je l'ofe dire , quelque impoiîibilité qu'il fe figure dans fon changement Se fa per- févérance. Cette impoifibilité prétendue n'eft que dans fon imagination, laquelle s'effarouche , Se dont le démon fe fert allez ordinairement pour le décourager Se l'arrêter. Car c'eft un des artifices les plus communs Se les plus dangereux de l'efprit tentateur , pour refroidir les pé- cheurs pénitens , Se pour renverfer les deffeins de converfion que la grâce leur infpire , de leur en mettre devant les yeux les conféquences par rapport à toute 1 a fuite de leur vie , Se de les embar afier de mille réflexions , telles

Ccij

$0% Sacrement

que celles-ci , qu'il leur fuggere inté- rieurement Se incefTamment. Mais à quoi eft-ce que je m'engage ? Mais pourrai-je vivre ainfi pendant un long cours d'années qui peut être' me refte encore à fournir ? Mais fi dans l'ardeur dont je me fens préfentement animé, rien ne me coûte , ce premier feu ne fe" ralentira-t-il point \ Se fi cette ferveur qui maintenant m'adoucit tout , vient à. tomber, comme il n'arrive que trop , à quels dégoûts , à quels ennuis ferai-je expofé \ Se aurai-je la force de les por- ter ? Mais eft-il à croire que je puifle pafTer mes jours dans une retraite à la- quelle je ne fuis point fait ; que je puifTe me dégager de cet attachement Se ne plus voir cette perfonne , dont mon cœur efl épris ; que je puifTe me défen- dre de £qs reproches , de fes larmes , de les pourfuites , ou plutôt que je puifTe m'interdire fans retour ces fociétés , ces entretiens, ces entrevues , ces jeux, ces parties de plaifirs, ces fpectaclesj que jefurmonte mille refpects humains y mille confi dérations , mille tentations Se du dedans Se du dehors, qui ne man- queront pas fur cela de m'affaillir , Se fouvent lorfque j'y penferai le moins, & que je ferai moins préparé à défi

DE PÉNITENCE. 309

violens aflauts ? Vains raifonnemens d'un efprit intimidé & troublé par la paillon qui le domine , par la nature corrompue qui fe révolte , par l'ennemi de notre falut qui cherche à nous fur- prendre , Se qui employé toutes (es ru- fes à déconcerter l'ouvrage de notre converfion.

Mais la paillon , la nature , l'ennemi commun des hommes ont beau par- ler , exagérer les chofes 3 groiîîr les objets , il n'en eft pas moins au pouvoir du pénitent éclairé & touché de Dieu 3 que fa volonté n'en foit pas ébranlée. 11 eft toujours maître de dire je veux, ëc maître en effet de vouloir avec la grâce. îl n'eft pas befbin qu'il ait une connoifTance anticipée de ce qui arri- vera , ni qu'il puirîe compter avec cer- titude que jamais il ne fe départira de la réfolution il eft de ne plus pécher j mais il furEt qu'il foit dans cet- te réfolution , ou qu'il croye prudem- ment y être. Il y auroit même de la pré- fomption à fe tenir allure contre toutes les rechûtes , & c'eft en quoi pécha S. Pierre , lorfqu'il dit avec tant de con- fiance au Fils de Dieu : quand il y iroit de ma vie , & que tous les autres pren- draient la fuite , pour moi je ne vous

3io Sacrement

abandonnerai point. Car notre péni- tence ne nous rend pas impecca- bles j Se notre volonté étant une vo- lonté humaine, elle eft naturellement changeante. D'où il s'enfuit que fans une révélation expreffe de Dieu, nul homme ne peut fçavoir comment il fe comportera en telles & telles circonstances , ii quelquefois il s'y ren- contre.

C'eft donc afTez d'être certain , au- tant qu'on peut l'être- moralement & fagement , qu'on veut fe corriger , & qu'on le veut à quelque prix que ce foit ; 3c qu'on le veut par le même mo- tif qui a excité notre repentir & notre douleur ; & qu'on le veut pour tous les temps qui fuivront , quelque fujet qu'il y ait de craindre que cette volonté ne vienne quelquefois à fe relâcher & à fe démentir. Dès qu'on eft dans cette préparation de cœur , on doit du relie le confier en Dieu pour l'avenir. On doit dire comme l'Apôtre : Si le Sei- gneur eft avec moi Se pour moi , qui fera contre moi ? Or j'efpere qu'il ne m'abandonnera pas , & qu'il m'aidera à confommer l'ouvrage que je commen- ce par fa grâce. On doit fe foutenir &c s'affermir par ce confolant témoignage

de Pénitence. 311 qu'on penie avoir lieu de fe rendre à foi-même : il eft vrai , je ferai expofé à bien des attaques , & que ferai-je alors ? je n'en fçais rien ; mais ce que je fçais , c'eft ce que je fuis actuellement ré- folu de faire , qui eft de ne me détacher jamais de mon Dieu 8c de fes divins Commandemens. Ce que je fçais 9 c'eft qu'autant que cette réfôlution fub- fiftera ( & pourquoi ne fubfifteroit-elle pas toujours ? ) rien ne me fera violer ]a foi que j'ai donnée à mon Dieu, ôc que je lui donne. Enfin , ce que je fçais , t c'eft que pour témoigner à Dieu la fin- cérité de cette réfôlution 3 je vais dès maintenant ufer de tous les préfervatifs. néceftaires , prendre tous les moyens que la religion me fournit , me retirer de toute occafion dangereufe, Se ap- porter de ma part toute la vigilance qui dépend de moi.

Voilà dans ce dernier article comme la pierre de touche , qui nous fera con- noît re fi notre propos eft tel que nous nous le perfuadons , 6c que nous le di- fons. Car en vain ferons-nous mille pro- menées à Dieu ôc aux Miniftres de Dieus & en vain nous dirons-nous mille fois à nous-mêmes que nous voulons vivre déformais avec plus de régie de faire un

|-i2 Sacrement

divorce éternel avec le péché : û nou£ ne prenons pour cela nulles mefuresj n nous refufons même celles qu'on nous prefcritj fi nous prétendons être tou- jours de certaines fociétés , voir tou- jours certaines compagnies , 8c fréquen- ter certains lieux , avoir toujours avec certaines perfonnes des entrevues & des liaifons particulières ; en un mot , nous jetrer toujours, dans le péril, & y de- meurer : fi malgré les avis que nous donne un Confeffeur, nous ne vou- ions rien facrifier 3 ni rien entreprendre pour afTurer notre perfévérance , ce n'eii point alors un jugement mal fondé de conclure que nous ne fommes réfo- lus qu'à demi 3 ou même que nous ne îe fommes point du tout. La preuve en eil fenfibîe : car vouloir une fin , je dis îa vouloir folidement 8c efficacement , c'eft par une conféquence néceffaire , vouloir lever , félon qu'il efl en nous , tous les obftacîes qui pourroient nous éloigner de cette fin , & c'eft en même temps vouloir faire de notre part cous les efforts ôc embraiTer toutes les voies qui peuvent nous y conduire. Autre- ment toute la bonne volonté que nous penfons avoir , ne peut être qu'une illu- fion de une chimère.

De-lâ

de Pénitence. 31$ De-là vient qu'on remarque fi peu d'amandement dans la plupart des per- fonnes qui approchent du Sacrement de Pénitence. Ils voudroient accorder enfemble deux chofes tout-a-fait in- compatibles : c'eft-à-dire , qu'ils vou- droient ne plus pécher , & néanmoins demeurer toujours dans une difpoiition prochaine de pécher. Que le Miniftre de la pénitence leur faife la même quef- tion que fit Jefus-Chrift au Paralitique de l'Evangile , Se qu'il leur demande , v voulez-vous être guens : ils répondent c. 6, y, fans délibérer , qu'ils le veulent. Mais que ce même Miniftre , fage & inif mit , faifant peu de fonds fur cette réponfe générale & indéterminée , palTe plus avant , & qu'il en vienne à un détail il lui convient de defeendre félon la con- noiffance qu'il a de leur état. Qu'il leur demande en particulier s'ils veulent s'abftenir de telles vifites ; s'ils veulent s'interdire tels entretiens & telles fami- liarités y s'ils veulent renoncer à telles parties de plaifir , & fe retirer de ces affemblées ce de ces fpectacles ; s'ils veulent interrompre tels négoces , 8c ne plus s'engager en telles affaires j s'ils veulent réparer tels dommages qu'ils ont caufés , ÔC fe défaifir de tels Tome I, D d

314 Sacrement profits injuftes & mal acquis : fi pour vaincre l'animofité qu'ils ont dans le :| cœur , & pour témoignage d'une plei* ne réconciliation , ils confentent à faire :i quelques démarches de leur part ôc :| quelques avances j fi pour s'affermir dans le bien , pour fe fortifier contre les nouvelles attaques dont ils auront à fe : défendre, pour racheter le temps qu'ils ont perdu , pour édifier le public qu'ils ont fcandalifé , ils font dans le deifein il t de fe rendre plus allidus aux pratiques chrétiennes, de s'acquitter régulière- 1! ment de telles prières & de tels exerce < I ces de piété , d'approcher des Sacre- I mens à tels jours dans l'année Se à telles Fêtes , de faire chaque jour quelque bonne lecture , quelque retour fur eux- - mêmes ; enfin de ne rien omettre de : tout ce qu'on leur marquera , Se qu'on ! jugera leur être falutaire : que tout cela , , dis-je, leConfeiTeur l'exige d'eux &: le leur propofe , c'eft alors qu'ils corn-- mencent à héiiter & à fe mettre en gar- - de contre lui comme s'il les traitok; avec trop de rigueur. Cependant ils ont 1 beau fe plaindre , & aceufer d'une févé- rité outrée le Miniftre qui leur impofe de pareilles conditions ; il n'eftque trop ; bien fondé à fe défier de leurs paroi

D E P E N I T E N C E. 3IJ

les , & à les renvoyer fans abfolution. Cherchons le Seigneur, 8c cherchons- le dans route la droirure de notre ame. Nous pouvons nous tromper nous-mê- mes • nous pouvons tromper le Prêtre qui nous écoute ; mais nous ne trom- perons jamais Dieu. Nous nous éton- nons quelquefois de nos rechûtes pref- que continuelles ; mais il n'eft pas diffici- le d'en découvrir la caufe. Ce n'eft pas que nous ne nous foyons préfentés , 8c que nous ne nous préfentions encore de temps en temps au faint Tribunal , pour -y dépofer nos péchés : mais c'eft que nous n'y avons peut-être jamais appor- té une volonté bien formée de changer de vie , 8c de travailler férieufemenr à la réformation de nos mœurs. Nous avons pris pour volonté quelques vel- léités , quelques defirs imparfaits , quel- ques reproches de la confeience , qui nous condamnoit intérieurement , 8c qui nous dictoit ce que nous devions faire. Nous l'avons vu , mais l'avons- tio us fait ? 8c pourquoi ne l'avons-nous pas fait ? Encore une fois , c'eft que nous ne l'avons pas voulu : car on ne manque guéres à ce que Ton veut , quand on le veut bien réfolument 8c que la chofe eft en notre pouvoir. Je

Ddij

3 1 6 Sacrement

Voulois , difoit Saint Auguftin parlant* de lui-même , je voulois me convertir :i; mais je le voulois comme un hommeJr6 plongé dans un profond alïbupiifement , lequel voudrait fe réveiller 5 & qui retombe toujours dans fon fommeil. Ayons recours à Dieu : c'eft lui qui , félon le fens de l'Apôtre , nous fait voua loir & exécuter,

III. Confeilion. Dans hifagè com- mun on comprend fous le terme de confeilion tout ce qui a rapport au Sa- crement de Pénitence , mais dans une lignification plus étroite & plus propre , nous appelions ici confeflion cette fé- conde partie du Sacrement , qui con«i fille à s'accufer de fes péchés , & à les déclarer fecrettement au Miniftre établi; de Dieu pour les connoitre & pour nous les remettre en vertu du pouvoir qu'il a. reçu de Jefus-Chrift. Or nous ne pou-i vons nous former une idée plus jufte de cette confeilion , que de la regarder comme une anticipation du jugement de Dieu. Que fera Dieu dans fon der- nier jugement ? il ouvrira le grand livre ~$e nos eonfciences. Il produira au jour, non-feulement nos actions qui pendant la vie ont pu paroître aux yeux des

DE PÉNITENCE. 317

1 hommes , mais les fec rets les plus ca- chés de nos cœurs , nos penfées , nos fentimens , nos defirs , nos vues , nos intentions , nos projets. Il prendra ce ? glaive dont parle Saint Paul , ce glaive de fa vérité 6c de fa fageffe, avec lequel il démêlera tous les plis 6c tous les replis | de nos âmes. De forte que rien n'é- chappera à fa connoirTance , & que de tous les péchés du monde , il n'y en \ aura pas un qu'il ne découvre félon ; toute ta malice , c'eft-à-dire , félon (on \ efpéce & toutes fes circonftances. Voi- là par proportion & à l'égard de nous-- | mêmes , ce que nous devons faire dans . le Tribunal de la pénitence ; mais avec i\ cette différence eiTentielle , que la ma- i nifefiation que Dieu fera de nos péchés î dans fon jugement général , fera publi- i que de univerfelle , au lieu que nous ne I femmes préfentement obligés qu'à une | révélation particulière 3 le Prêtre ; feul , lieutenant de Dieu , nous entend , & qu'il doit tenir fecrette fous le fceau le plus inviolable. Ce n'eft pas après i tout que le pénitent par toutes fes re- | cherches puiife parvenir à fe connoître I auiTi parfaitement que Dieu le connoî- \ tra & qu'il le connoît dès maintenant ; \ ni qu'il puiffe par conféquent mettre fa

Ddiij

3 iB Sacrement

confcience aux yeux du Confefïei dans la même évidence que Dieu mettra aux yeux de l'univers. Nos vue pour cela font trop foibles j & il n'ei pas moralement polîible que toutes 1( fautes dont nous fommes coupable devant Dieu , nous foient toujours pr< fentes à l'efprit , & que nul oubli n'ei efface aucune de notre fouvenir : mai par nous devons au moins fuppléei autant que nous le pouvons 5 à ce dé- faut 3 c'eft par un. examen raifonnabh ôc par toute la réflexion qu'exige de noi la prudence chrétienne pour nous dil pofer à rendre compte de nous=mêm( êc de notre état.

Quand on veut juger un criminel, 01 commence par l'information 5 on pelle les témoins , on reçoit les dépc fitions , on n'omet rien de tout ce qi peut fervir à inftruire le procès , & convaincre Paccufé des faits qui lui font' imputés. Or quel eft ce criminel à qui l'on doit prononcer fa fentence ? N'eft- ce pas moi-même , lorfque je vais en qualité de pécheur me jetter aux pieds du Prêtre & me foumettre à fon juge- ment ? Ce qu'il y a dans ce jugement de iingulier , c'eil que j'y fuis tout à la fois 3 ôc l'accufé , de Paccufateur. Corn-;

de Pénitence. 319 me accufé j'y dois venir dans un efprit d'humilité j mais fur-tout comme accu- fateur , j'y dois procéder avec toute la circonfpe&ion , & touted'attention re~ quife pour développer devant moi ma confcience , & pour être prêt l Fexpofer dans la confellion nuement ôc fans dé- guifement.

De-la donc la néceiîîté de l'examen"; Examen d'une obligation indifpenfab le : car la même loi qui m'oblige à confeffer mes péchés , m'oblige à les rechercher , à me les rappeller , à les retracer dans ma mémoire, puifque fans cela je n'en puis faire la déclaration exacte & fidèle. Examen folide & conforme à l'impor- tance du devoir dont j'ai à m'acquitter : car il eft queftion de me préparer à rece- voir la grâce d'un Sacrement , & de ne me pas mettre par ma négligence' en danger de le profaner. Examen fem- blable à celui que David faifoit de lui- même , lorfqu'il paffoit , ainfî qu'il le témoigne , les nuits entières à méditer , à réfléchir , à creufer dans le fond de fon cœur , ne voulant pas y lahTer une feule tache , quelque légère qu'elle pût être, dont il ne s'apperçût, & dont il ne prît foin de fe purifier. Examen pro- portionné à la durée du temps qui s'eft

D d W

3io Sacrement

écoulé depuis la confelîion précédente,' . Et en effet , la raifon di&e qu'une re vue , par exemple , de pluiîeurs mois s ou d'une année , demande une plus ample ôc plus longue difcuiïion , que la revue feulement de quelques jours ou de quelques femaines , 8c que ce qui peut fufÏÏre pour l'une , ne fuffit pas pour l'autre. Du . refte _, examen renfer- mé en certaines bornes que doit régler la prudence , afin de ne fe point porter : aux extrémités vont quelquefois des âmes timides à l'excès & trop inquiètes , qui ne font jamais contentes d'elles- mêmes , ôc en reviennent fans ceife à de nouvelles perquifitions dont elles s'embarraflent ôc fe tourmentent fort inutilement. Dieu qui eft la fagefîe ôc l'équité même , n'exige rien de nous au-delà d'une diligence raifonnable ôc mefurée j ôc il malgré nous ôc par un effet de la fragilité humaine , quelque péché alors , même grief , fe dérobe à nos lumières , le Seigneur infiniment jufle & miféricordieux aura égard à no- tre foibleffe , ôc ne nous fera pas un ci|l me d'une omifïion involontaire. Mais auiîl ne comptons pas que ce foit une exeufe légitime devant Dieu , qu'un oubli caufe par notre légèreté ôc notre

DE PÉNITENCE. $2. 1

inconfidération. Nous ferions les pre- miers à nous le reprocher dans une affaire temporelle : comment nous fe- roit-il pardonnable , dans un des plus faints <Sc des plus importans exercice du Chriftianifme.

Tel eft néanmoins le défordre. S'a- git-il des affaires du monde , il n'y a point d'étude , point de contention d'efprit qu'on ne faffe pour les examiner à fond. C'eft peu que d'y avoir penfé une fois j on les porte par- tout , vive- ment imprimées dans l'imagination j on les tourne & retourne en mille maniè- res , & il n'y a pas un jour , fous lequel on ne les envifage : pourquoi ? c'eft qu'on craint d'y être trompé ; & pour- quoi le craint-on ? c'eft qu'il y va d'un intérêt à quoi l'on eft fenflble & très- fenfible , bien que ce ne foit qu'un in- térêt périffable : c'eft qu'il y va de la fortune ; c'eft qu'il y va d'un gain qu'on veut fe procurer , ou d'une perte dont on veut fe garantir. Mais s'agit-il ce la confcience 5 on n'y regarde pas de fi près , Se il femble que ce foit une de ces affaires qu'on doit expédier dans l'efpace de quelques momens. Y eut-il une année &c plus , qu'on ne fût ren- tré en foi-même pour fçavoir l'on

^%% Sacrement en eft avec Dieu & de quoi l'on peur être refponfable à fa juftice , on fe per- fuade avoir fatisfait là-deiïus à fon de- voir , en jettant un coup d'oeil fur la conduite qu'on a tenue , Ôc Rattachant à quelques articles plus marqués. On pafïe tout le refte , &c on ne va pas plus avant. Bien loin de craindre quelque furprife dans une révifîon prompte & ii précipitée , on contribue fouvent foi-même à fe tromper : c'eft-à-dire , que fur certains doutes qui naiftent , fur certains fcrupules , on difpute avec foi- même & contre foi-même , pour les re- jetter 3 pour les étouffer , pour les traiter de craintes frivoles , & pour fe difpen- fer de les mettre au nombre des aceufa- rions qu'on fe tient obligé de faire. Car c'eft ainfi qu'en ufent une multitude prefque infinie de prétendus pénitens , d'autant plus dangereufement féduits par leurs fauifes maximes , qu'ils en voient moins l'erreur , Se qu'ils appro- chent du Sacrement avec plus de fecu- rité.

Quoi qu'il en foit , ce n'eft qu'après tout l'examen convenable , que le pé- cheur , comme témoin éclairé , doit comparoître en préfence de fon Juge 5 qui eft le Miniftre de Jefus-Chrift î

D E P É N I T E N C E. $1$

mais cette précaution prife , c'eft alors le temps de s'énoncer , de découvrir les plaies de fon ame , de révéler aux oreil- les du Prêtre toutes fes miferes , & de lui en faire un aveu iimple & précis. Confeiîion entière , & pour cela con- felîîon non-feulement qui déclare le pé- ché , mais qui s'étende à toutes les cir- confiances capables ou de changer l'ef» péce du péché , ou d'en augmenter la malice ; circonftances du nombre , de l'habitude , du lieu , de la perfonne , des vues , des motifs , des fuites , des moyens , Se autres. Car je dois me faire connoître auilî criminel que je le fuis : or je le fuis plus ou moins y félon le nombre de mes péchés , félon l'habi- tude de mes péchés , félon la fainteté du lieu j'ai péché, félon le cara&ère de ma perfonne , ou celui de la per- fonne à l'égard de qui j'ai péché , félon la connoiûance de la volonté délibérée avec laquelle j'ai péché ; félon les mo- tifs que je me fuis propofé en péchant , intérêt , ambition , envie , haine , ven- geance; félon les fuites & les perni- cieux effets que j'ai caufés , fcandales , mauvais exemples 5 dommages ; félon les voies dont je me fuis lervi & les moyens que j'ai employés , menfon-

"32,4 Sacrement ges , calomnies , fraudes , trahifons } violences : voilà , dis-je , furquoi je. dois m'expliquer , ne retenant rien , ne celant rien , 8c m'appliquant ce que le Prophète difoit de lui-même , quoique dans une matière toute différente il 1/aï. c. Malheur a moi fi je me tais y 8c fi je me j ^4 ' tais far un feul point, puifqu'un feui point volontairement omis , fufïiroit pour rendre inutile 8c même facrilége la confelïion que je ferois de tous les- autres.

Confeilîon nue 8c fans ambiguïté i fans embarras , fans détour. Car voici quel eft l'artifice 8c comme la dernière reiTource de notre amour propre. Il'en eft peu qui de deffein formé cachent un péché mortel , & qui ofent , aux dé- pens de leur confcience , porter jufques- le déguifement 8c la diiîimulation : mais à quoi a-t-on recours , 8c quelle forte de milieu prend-on ? Ce péché qu'on a tant de peine à tirer des ténè-, bres , 8c qu'on y voudrait tenir enfe veli du moins en le produifant , on le colore, on l'enveloppe , on l'adoucit, on le repréfente fous des images , 8c on l'exprime en à^s termes qui le rendent moins odieux , 8c qui en diminuent la difformité : de forte que le ConfelTeur %

d'e P É N I T E N C E. 325

pour peu qu'il manque de pénétration Se de vigilance , ne le connoît qu'à de- mi , & n'en peut difeerner toute la grié- veté. Quand la femme de Jéroboam vint trouver Abias pour apprendre de lui , quelle feroit Filme d'une dange- reufe maladie dont fon fils étoit atta- qué , ne voulant pas être connue , elle fe déguifa j mais le Prophète infpiré d'en-haut & inftruit de ce qu'elle étoit , lui cria d'auili loin qu'il l'apperçut : Entrer y Femme de Jéroboam ; pourquoi ?. ntgi voulez-vous paraître autre que vous n'êtes} c'»14* 6m C'eft ce qu'un Confeffeur ne peut dire , parce qu'il n'a pas pour l'éclairer la mê- me infpiration ni la même lumière : il ne voit les çhofes que félon qu'on les lui dépeint , 6c il eft aifé de lui en im- pofer fur des faits qu'il ne peut fçavoir, que par le récit de la perfonne qui les lui déclare. Conduite pitoyable dans un pénitent Se une pénitente. Qu'arri- ve-t-il de-là ? double mal : fçavoir _, que d'uvne part on a la peine d'une révéla- tion toujours fâcheufe quant au fond , quelque imparfaite & quelque fardée qu'elle foit ; & que d'ailleurs on n'en retire aucun fruit , puifqu'elle n'eft fuf- fifante, ni pour nous reconcilier avec Dieu , ni pour calmer la conicience ôC nous donner la paix.

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■jitf Sacrement

Confeffion abrégée autant quelle le doit être , retenue , difcrete. Point de ces longues narrations > le temps s'é- coule en de vains difcours , ôc qui bien loin d'éclaircir les fujets, ne fervent qu a les obfcurcir. Point de ces expref- fions peu féantes ôc qui blefTent une certaine modeftie. Point de ces aceufa- tions qui intérefTent la réputation d'au- trui , ôc qui retombent fur le prochain en le déiignant. C'eft que la belle maxime du Fils de Dieu convient par- faitement : Soye\ prudent comme le fer- ££• pent jy & fimple comme la colombe. Avec cette prudence 5 on prend garde à ce qu'on dit & à la manière dont on le dit : ôc avec cette fimplicité., on parle ingé- nuement j on n'ajoute , ni ne retranche : ce qui eft certain , on l'accufe comme certain my ôc ce qui eft douteux , on le confeiTe comme douteux.

Enfin , confeiîion humble. La raifon eft , que fans cette humilité on n'aura pas la force de furmonter le plus grand obftacle à l'intégrité & à la fincérité fie la confeffion. Car voilà Pécueil échouent une infinité de chrétiens» Comme il y a 5 dit le Sage , une pudeur falutaire qui mené à la gloire , il y a aufli une mauvaife honte qui conduit

DE PÉNITENCI, 317

au péché & à la mort. Elle conduit au péché, piùfqu'elle lie la langue Se qu'elle ferme la bouche fur certaines fautes qui coûtent plus à déclarer , parce qu'elles marquent plus de foiblefle & qu'elles caufent plus de confufion. Et condui- fant de la forte au péché , elle conduit à la mort , puifqu' alors , bien loin de recouvrer la vie de l'ame par la rémif- fion de fes péchés , on devient plus cri- minel , 8c l'on ajoute aux péchés paiTés I un nouveau péché , plus grief encore de plus mortel , qui efl: l'abus du Sacre- ment,

Comment donc fe préferver de ces défordres , fi ce n'eft par l'humilité de la pénitence j de eft-il une difpoiition plus nécefTaire ? Qu'eft-ce qu'un péni- tent ? C'eft un coupable qui fe reconnoît coupable , qui fe dénonce lui-même ; comme coupable ; qui vient , en qua- lité de coupable , réclamer la miférkor- de de fon Juge de demander grâce. Aulîi eft-ce pour cela qu'il paroît devant le Prêtre en pofture de fuppliant , la tête découverte , les genoux en terre , de tel que le Publicain qui fe tenoit à la porte du Temple , fans ofer lever les yeux de fe frappant la poitrine : exté- rieur qui témoigne afTez quels font on

318 Sacrement

quels doivent être les fecrets fentimens du cœur. Je dis quels doivent être fes fentimens intérieurs , & ce font ceux d'une véritable pénitence. Plus elle nous fait voir l'injuftice & la laideur du péché, plus elle nous porte à nous haïr nous-mê- mes , à nous renoncer nous-mêmes , & , par conféquent à nous confondre nous- mêmes. Car il n'eft rien qui foit attaché , plus naturellement 3c plus eiTentielle- ment au péché , que la confuiion. Ainiî David dans la penfée de fon péché qu'il ! ne perdoit jamais de vue , que difoit-il à i Dieu, & comment fe regardoit-il en la i ^/•37« préfence de Dieu ? Ah ! Seigneur, s'é-

** crioit ce Roi pénitent, mes crimes font en\ plus grand nombre que les cheveux de ma i

îbid. 7 . ^te > & Ie P°ids de mes offenfes m'acca- ble. Témoin & confus de ma mifere^jô:

ïbid*i$. marche la tête penchée j & je me fuis à \ moi-même unfujet d'horreur. Mes amis même j pourfuivoit le même Prophète, & mes proches fe font élevés contre moi; ils m3 ont méprifé i ils m' ont abandonné à mes ennemis & à leurs infultes : mais je n'ai

l bid.iu Pas cu une Par°le à répondre ; car ma con- - fcience m'a bien fait fentir , qu'il n'y à i point d'humiliations ni d' opprobres qui ne i mefoient dus , & dans ce fentimentje ri ai \ point cherché à cacher mes iniquités.

Mai§

de Pénitence. 319

Mais , me dira-t-on , c'eil une nécef- fitc bien dure de révéler des chofes à quoi l'on ne peut penfer foi-même fans rougir , 3c il faut , pour s'y déterminer , une étrange réfolution. J'en conviens; I mais là-deifus je réponds, 1. Que c'eft | une obligation étroite ôc rigouteufe. Il n'y a ni état , ni caractère , ni âge , ni prééminence , qui en exempte. Le Prin- [ ce ïiQn eft pas plus difpenfé que l'Arti- fan , ni le Prêtre pas plus que le Laïque. Nous fommes tous pécheurs , & en conféquence de nos péchés , nous fouî- mes tous , fans exception de perfonne , aiiujettis à la même loi. Ou foumet- j tons-nous-y , ôc obfervons-Jà autant ; qu'il eft en nous , ou n'efpérons jamais ( de pardon. 2. C'eft une peine ; mais [ cette peine eft un des premiers châti- mens du péché. Vous avez commis le péché fans honte , ou la honte ne vous I a pas empêché de le commettre : il eft juite qu'une fainte honte commence à le réparer. Or c'eft ce qu'elle fait : car elle eft expiatoire ôc méritoire. La ré- million que vous obtenez par-là , ne vaut-elle pas bien le peu d'efforts que vous avez à faire , 3c pouvez-vous l'ache- ter trop cher ? Honte pour honte , il n'y a pas à délibérer , ni à balancer fur le Tome I* E e

33© Sachembh* choix d'une honte paffagere 3c parties* liere , pour éviter à la fin des fiécles 3c dans railemblée générale de tous les i hommes une ignominie univerfelle & i éternelle. 3 . Si la confufion que nous avons à fubir , fait tant d'imprefiion fur nous 3 8c s'il nous paroît fi difficile de 1 s'y foumettre , c'eft que nous ne fom- mes point afTez animés de l'efprit de pé- nitence. Avec une contrition plus vive , , nous aurions beaucoup moins de répu- gnance à nous humilier. Que dis-je ? ; faintement indignés contre nous-mê- mes 5 nous ne nous croirions jamais au- tant humiliés que nous le méritons ; 3c fur les termes que nous employerions & î nous accufer , il faudrait plutôt nous l retenir , qu'il ne feroit befoin de nous s exciter. Car voilà ce qu'on a vu plus d'une fois , 3c ce qu'on voit encore en quelques pénitens vraiment convertis 3c fenfiblement touchés. Ufent-ils de 1 vaines excufes 3c de prétendues justifi- cations ? Au contraire , comment dans ( leurs accufations fe traitent-ils , 3c quel- les idées donnent-ils d'eux-mêmes ? Que n'imputent-ils point à la perverfité de ; leur cœur , à la malignité de leur efprit, , à la corruption de leurs fens 5 à* la vio- lence 3c au débordement de leurs pa£

De Pénitence, $$i

fions ? Craignent-ils la confufion qui leur en doit revenir , ôc la comptent-ils pour quelque chofe ? Souvent le Con- felTeur eft obligé de les arrêter , de mo- dérer leur zèle , de les confoler , de leur faire entrevoir jufques dans leurs défor- dres un fonds d'efpérance Ôc d'heureu- fes difpofitions à un parfait retour ; de relever ainfi leur courage , ôc de les re- mettre du trouble ôc de l'abattement ils font. Quand on eft contrit de la forte , toutes les difficultés difparoif- fent , ôc l'on fe réfout aifément à la : confelSon la plus humiliante.

Et de quoi aurions-nous lieu de nous plaindre , lorfque le Fils même ; de Dieu , notre Sauveur ôc notre mo- dèle , s'eft expofé aux plus prodigieux abaifTemens & aux humiliations les plus profondes , pour la réparation de ces mêmes péchés dont il nous femble fi pénible de porter la honte , après que

nous en avons goûté le plaifir criminel ? t A quelles indignités ôc à quels mépris

a-t-il été livré , ce Saint des Saints , ôc « comment a-t-il paru fur la terre ? corn-

me le dernier des hommes , comme l'opprobre du monde ôc le rebut du peuple. Mais fur-tout dans ^ette dou- loureufe paûlon il corrfomma fou

E eij

%$i Sacrement facrifice 5 de quels outrages fut-il com* blé s & feîon le langage du Prophète s fut-il raffaiié ? Il foutint le fupplice de i la croix 3 dit l'Apôtre , èc il accepta toute la confufion de la mort la plus infâme. Ce ne fut point une confuïion i fecrette 3 mais publique ôc découverte. Toute fa gloire y fut cachée 3 fapuiffan-j ce 3 fa fagefTe 5 fa fainteté ; ôc pourquoi i cela ? C'eft que fon Père l'avoit chargé de toutes nos iniquités j c'eft que lui-- même il avoit bien voulu les prendre, fur lui , & que fe couvrant de la tache de tous les péchés des hommes , il s'é- toit engagé à en efîuyer devant les] hommes toute la honte. Eft-ce de] quoi il s'agit pour nous? Eft-ce ce a que PEglife autorifée & infpirée deJ Dieu ^ nous demande ? Le précepte de îj la confeilîon s'étend-il jufques-là j ôcv pour y fatisfaire , faut-il fe perdre ainfî i| d'honneur ôc facrifier toute fa réputa-- tion?

De quelque nature que foit la con- fuiion que doit nous caufer l'aveu de : nos fautes , elle ne fera pas fans fruit par rapport même à cette vie ôc à notre : tranquillité. Il eft certain , ôc l'expérien- ce nous Fa appris 5 comme elle nous l'apprend tous les jours 3 qu'on eft bien i

de Pénitence. $ 3 $

dédommagé du peu de violence 'qu'on s'eft fait en fe déclarant au Miniftre de la pénitence. Dès qu'on a percé l'abcès ôc qu'on l'a jette dehors , on font tout à coup la férénité fe répandre dans l'a- me, On fe trouve comme déchargé d'un pefant fardeau. Dieu verfe fes consola- tions , ôc l'on reconnoît qu'il n'y a dans la confeiîion que des rigueurs apparen- tes , mais que dans le fonds c'eft une fource de douceurs intérieures ôc toutes pures. Profitons d'un moyen fi faint ôc Ci puifTant, pour nous remettre en grâce auprès de Dieu, ôc pour appaifer les troubles de notre confeience. Moins nous en avons fait d'ufage jufques àpré- fent, plus nous devons réparer nos pertes pafTées. C'eft en nous confefîant crimi- nels , que nous rentrerons dans les voies de la juftice chrétienne , ôc que nous flé- chirons en notre faveur le Père des mi- féricordes.

IV. Satisfaction. C'eft une vérité de foi , que l'abfolution du Prêtre en nous remettant , quant à la coulpe , les pé- chés que nous avons confeffés , ne nous en remet pas pour cela toute la peine , je veux dire toute la peine temporelle , dont nous demeurons redevables à la

•|34 Sacrement

juftice de Dieu. En vertu de cette ab-' ïblution la peiiie éternelle nous eft re- mife , puifqu'étant alors juftifiés par la . grâce , nous fommes conféquemment ; rétablis dans nos droits à l'héritage cé- lefte 8c au falut. Mais parce qu'il faut d'une manière ou de l'autre , que la , juftice divine foit fatisfaite , en même I temps que nous recevons la rémiiïion de la peine éternelle, il nous refte dans les régies ordinaires une peine temporelle à fubir ; 8c telle eft , contre les Héréti- j ques des derniers fiécles , l'expreffe dé- cifton du Concile de Trente. Car il n'en i eft pas, remarque le faint Concile, du Sa- J crement de pénitence comme du Baptê- me. Par le Baptême la rémiiïion eft corn- plette, rémiiïion de la coulpe & rémiiïion i de toute la peine : au lieu que dans le - Sacrement de pénitence, Dieu ne remet t pas toujours , avec la coulpe & la peine éternelle , ce que nous appelions peine . temporelle. D'où vient cela, 8c pour- quoi cette différence ? (Le même Concile s nous l'apprend : c'eft que l'équité 8c la i raifon veut que des pécheurs , qui de- puis le Baptême ont perdu la grâce, qu'ils avoient reçue , 8c ont violé le - Temple du Saint-Lfprit , foient traités avec plus de févérité , que d'autres qui

DE PÉNITENCE, $£j

Vivant cette grâce du Baptême ont péché avec moins de connoiiTance & moin? de fecours a & n'ont pas abufé des mê- mes dons.

Delà cette troifiéme partie du Sa- crement de pénitence , laquelle confifte en des œuvres pénales que le Confeffeur impofe au pénitent , pour lui tenir lieu de fatisfaction. Ce n'eft pas , félon la penfée 3c le langage des Théologiens , une partie eifentielle du Sacrement, mais intégrante : c'eft-à-dire , qu'elle n'en eft que le complément , & que le Sacrement fans cela pourroit fubflfteiv Non pas toutefois que ce ne foit une partie nécelTaire , de d'une double né- cefïîté : l'une par rapport au Prêtre , qui eft le Miniftre de la pénitence ; Se l'au- tre par rapport au pénitent , qui en eft le fujet. J'explique ceci.

Nécelîïté par rapport au Miniftre de la pénitence \ je veux dire qu'avant , ou au moins en même temps qu'il abfoutun pé- cheur^ qu'il lui confère la grâce du Sa- cre mentj, après avoir reçu fa confelïîon , il doit lui enjoindre une peine : car c'eft ainfî que l'Églife l'ordonne. Et comme cette peine eft une fatisfadtion pour les péchés commis , il s'enfuit qu'elle y doit être proportionnée j en forte que plus

|3<> Sacrement les péchés ont été griefs dans leur ma- lice , ou multipliés dans leur nombre , la peine foit plus rigoureufe , puifqu'il ! eft raifonnable que celui-là foit puni i plus févérement , lequel a péché oUj plus mortellement ou plus habituelle- ment. Àuili eil-ce dans cet efprit que la primitive Eglife avoit tant de peines différentes marquées pour chaque efpé- ce dépêché, ôc que les Chrétiens s'y^ foumettoient en vue de prévenir les ju- gemens de Dieu, ôc de fe foufhraire ai fes vengeances. Si la difcipline a chan- gé , l'efprit eit toujours le même , ôc le. | zèle des Prêtres pour les intérêts du Sei- gneur ne doit pas être moins vif préfen- tement ni moins ferme 3 qu'il l'étoit dans les premiers fiécles. Ils n5ont quai entendre là-delfus ce que leur déclare le . Concile de Trente , ôc la terrible mena- ce qu'il leur fait. Voici fes paroles , di- 1 gnes de toute leur attention , puifque Setf. 14. ce& FEglife elle-même qui parle & qui prononce. Les Prêtres du Seigneur ^ co/z- h duits par l3 Efprit de Dieu & fuivant les il régies de la prudence j doivent enjoindre des fat is factions falut aires & convenables^ ! : eu égard à la nature des péchés & à la foi- bleffe des pénitens : pourquoi ? de peur , ajoutent les Pères du Concile , que s'ils

fi

c, -80,

de Pénitence. 337

Jl montrent trop indu/gens * en nïmpofant

pour des fautes grièves que de légères pei- nes _, ils ne fe rendent coupables _, & ne par- ticipent aux péchés de -ceux qu'ils auront ainjî ménagés.

Malheur donc à ces Mimftres faciles Se complaifans , qui portant la balance ' du fanctuaire que le Seigneur leur a confiée , au lieu de la tenir droite , la font pencher du côté les entraîne une condefeendance naturelle Se toute humaine ! Malheur à ces Miniftres ti- mides Se lâches qui fe lahTent. dominer

par l'autorité Se la grandeur > Se n'ont pas la force d'ufer de leur pouvoir ni

' de garder dans, leurs jugemens toute la fupériorité que leur donne leur miniftè- re i Malheur à ces Miniftres aveugles & inconfidérés ,. qui faute d'applica- tion , ou faute de connoifTance 5 ne font pas le difeernement néceïTaire en-

jtxe les divers états des malades qu'ils ; ont à guérir , Se ordonnent au hazard

| les remèdes , fans examiner quels font ' les plus efficaces ! Malheur à ces Mi- nières intérefles Se vains , qui pour ne pas rebuter ni éloigner d'eux des per- sonnes d'une certaine chftinction , dont il leur eft , ou utile , ou honorable d'a-

^voir la confiance, les déchargent , au- Tome L F f

333 Sacrement

tant qu'ils peuvent , des rigueurs de la pénitence , &: facriâent la caufe de Dieu à des vues politiques Se mercenaires ! Mais d'ailleurs , il doit être aufli pet mis d'ajouter , malheur à ces Miniftres ou- trés & rigides à l'excès , parce qu'ils le font par naturel Se par inclination } par- . ce qu'ils le font par entêtement Se par prévention j parce qu'ils le font par une affectation de Pharifien Se par orienta- tion j en un mot , parce qu'ils ne le font ni par raifon , ni par religion ! Malheur, dis-je , à eux , quand ils défefpérent les pécheurs, en les accablant de fardeaux infoutenables , & qu'ils oublient cette régie fi fage que leur preferit le Concile , de compatir à l'infirmité de l'homme , Se d'y conformer la févérité de leurs ar- rêts. N'allons pas fur cela plus loin : car ces rigoriftes font bien rares -y ce n'eft point tant des Miniftres de la pénitence qu'il s'agit ici , que des pénitens.

NéceiUté par rapport au pénitent. L'obligation eft mutuelle , & la même loi lie également l'un &: l'autre , j'en- tends le Prêtre Se le pénitent. Ainfi , , comme le Prêtre eft obligé d'impofer au pénitent une peine , le pénitent de fa part eft obligé de l'accepter. Obliga- tion même encore plus raifonnabie Se plus étroite à l'égard du pénitent »

I? £ PÉNITENCE. $ j $

puifqu'il eft le coupable , ôc qu'il ne peut, fans une injuftice ouverte , refufer a Dieu , après l'avoir offenfé , la fatif- fa&ion que mérite l'injure qu'il a faite à ce fouverain Maître.

Mais on demande en quel tems cette pénitence doit être accomplie j fi c'eft avant l'abfolution , ou il l'abfolution peut précéder ? Cette queftion eft aifée à réfoudre, puifque c'eft une erreur con- damnée de dire , que le Prêtre ne peut ni ne doit point abfoudre le pénitent , à moins que celui-ci n'ait pleinement fatisfait à toutes les œuvres qui lui ont été ordonnées. Et nous voyons en effet que l'ufage contraire eft établi & prati- qué communément dans FEglife , au moins à l'égard des pénitens qui ne font dans aucun des cas qui exigent que l'abfolution foit différée. Le Confefteur écoute le pénitent : s'afïure , autant qu'il eft poilible , de fes bonnes difpofitions , I & fur-tout de fa contrition &: de fa réfolution ; lui donne enfuite les avis qu'il juge propres , lui enjoint la fa- tisfaclion qu'il croit convenir ; après quoi il labfout & le réconcilie. Telle eft, dis-je, la pratique ordinaire. Mais il des habitudes obligent de prendre du temps pour s'aflurer de la converiion

Ffij

340 Sacrement du cœur : comme les oeuvres fatisfactoires font en même temps des remèdes pour guérir les maladies de l'aine , le Confef- feur doit en prefcrire qui foient propres à opérer cet effet , -jufqu'à ce qu'un changement bien marqué lui fafFe juger que fon pénitent peut être réconcilié avec Dieu. Il eft encore des rencontres 8c. des circonftances , il eft bon & fage de remettre Pabfolution après l'accompliffe- ment de certaines œuvres , par exemple , de certaines reftitutions , de certaines ré- parations , de certaines réconciliations , d'autres exercices préliminaires , fi j'ofe parler de la forte , qui fervent à mieux difpofer le pécheur , & qui font pour le Prêtre de plus fùrs garans des promeifes que le pénitent lui a faites ou plutôt qu'il a faites à Dieu. Ces précautions peuvent avoir lieu dans d'autres occafions particu- lières,dont l'Eglife laifîe le jugement à la fageffe & à la difcrétion du ConfefTeur.

On demande encore fi. c'eft un âeM voir tellement indifpenfable d'ace ep- , ter la peine que le Miniftre de la pé- tence a impofée , qu'on ne puiffe , pour" quelque raifon légitime , la refufer & s'en exempter ? Sur quoi il eft à obfer- ver j que fouvent le ConfefTeur n'étant pas inftruit de l'état d'une perfonne,. de fes engagemens , de fes facultés, de :

de Pénitence. 34Î

fa complexion naturelle , & de la déli- eatelfe de fon tempérament , il peut ar- river que par ignorance , ou quelque- rois même par indifcrétion , il lui or- donne des chofes moralement imprati- cables. Or jamais Dieu ne nous com- mande rimpoiîîble , ni jamais l'Eglife n'exige de nous ce qui eft au-deflus de nos forces. D'où il réfulte , que le pé- nitent alors eft en droit de repréfenter 8c de s'exeufer , non pas. pour être dé- chargé de toute peine , mais pour ob- tenir que telle peine qui lui eft enjointe 8c à laquelle il n'eft pas en pouvoir de fatisfaire , lui foit commuée félon la plus jufte compenfation , dans une au- tre à peu près égale. Il n'y a rien en cela que d'équitable , ni rien qui ne s'accor- de parfaitement avec la prudence évan- gélique 8c l'efprît de la pénitence chré- tienne.

Mais quelle eft la grande illufion 8c le grand abus ? illufion prefque univers felle , 8c répandue parmi une multitu- de infinie d'hommes 8c de femmes du monde: illufion qui croît tous les jours , à mefure que la piété s'éteint , & que la molleiTe du fiécle étend plus loin l'empire des fens : illufion que les Mi- niftres de Jefas-Chrift ont tant de peine

Ffiij

34* Sacrement a combattre , & qu'ils ne peuvent dé- truire à moins qu'ils ne s'arment de toute la fermeté du zèle Apoftolique : illuilon , dis-je , qui confifte en de pré- tendues impoffibilités qu'on imagine > ôc dont on fe prévaut contre tout ce qui peut captiver l'efprit ou mortifier la chair, c'eft-à-dire contre les œuvres les plus fatisfactoires & les plus méritoi- res. Il eft bon d'éclaircir ce 'point , & d'en donner une pleine intelligence,

Le Miniftre de la pénitence exerce tout à la fois deux fondions , celle de juge & celle de médecin des âmes» Comme juge , il doit punir :, 3c comme médecin des âmes 3 il doit travailler à guérir. Delà les pénitences qu'il impo- £e doivent être tout enfemble > comme bous venons de i'infinuer , & expia- toires, & médicinales. Expiatoires par rapport au paiTé 3 pour acquitter le pé- nitent des dettes qu'il a contractées de- vant Dieu* médicinales par rapport a l'avenir , pour déraciner les mauvaifes habitudes du pénitent , & pour le pré- cautionner contre les rechutes. Voilà les deux fins que fe propofe un Con- fefTeur habile & fidèle , fans les perdre jamais de vue dans les pratiques & les fatisfaétions qu'il ordonne. Et parce que tes contraires fe guériileiit par les coa-

DE PÉNITENCE, 343

traires , ôc qu'on ne peut mieux ni ex- pier le paire , ni fe mettre en garde con- tre l'avenir , que par des œuvres direc- tement oppofées aux fautes qu'on a commifes , ou qu'on feroit en danger de commettre ; que fait-il ? Afin de ren- dre les pénitences qu'il enjoint plus fa-* lutaires , il ordonne , par exemple , pour des péchés d'avarice , des charités & des aumônes } pour des péchés de reirenti- ment ôc de vengeance , des témoignages d'affection ôc de bons omçes envers les perfonnes orTenfées \ pour des péchés de icandale ôc de libertinage , les actions de piété ôc l'afîiduité aux exercices publics de la Religion ; pour des intempérances ou des impudicités , les macérations du corps , les abftinences ôc les jeûnes 5 pour un attachement défordormé au monde ôc à fes divertiifemens , des jours de re- traite Se des tems de filence ôc de priè- re : ainfî du refte.

Or tout cela devient impofïible ou plutôt le paroît , pourquoi? parce que tout cela gêne , ôc qu'on eft ennemi de la gêne ôc de toute contrainte ; parce que tout cela contredit les inclinations &: les pallions y Ôc qu'on ne veut les contrarier fur rien ni leur faire aucune violence , parce que tout cela afflige

Ffiv

244 Sacrement les (cns , & qu'on ne prétend rien lent retrancher de leurs commodités de de leurs aifes. Parler à un mondain , à une mondaine , de modérer leur jeu , ou même de fe l'interdire abfolument, de -fe retirer des fpe&acles . & de certaines •afïemblées : parler à un homme inté- refTé de faire des largefles aux pauvres > à un vindicatif de pardonner &de pré- venir par quelques avances , à un amr bitieux de s'exercer en des actes d'hu- milité , à un fenfuel de réprimer fes ap- pétits , à un pareffeux de s'appliquer au travail j à un libertin tout répandu au dehors , de vivre avec moins de diiïipa- tion , de s'acquitter des devoirs du Chriflianifme , d'entendre la parole de Dieu ? de lire de bons livres , d'aiîifter au Service divin : leur marquer là-defïus des régies & leur impofer des loix , c'eft leur tenir un langage étranger; c'eft3 à les en croire , leur demander plus qu'ils ne peuvent ; c-eft ne les pas connoître & ne fçavoir pas les conduire. Si le Con- i enreur3exac~t & ferme 3 infifte néanmoins fur cela , & ne veut rien relâcher de la fentence qu'il a portée j on s'élève con- tre lui , on fe récrie fur fon extrême ri- gueur , on le traite d'homme fauvage , qui n'a nul ufage du monde , &c qui m'en. -fçait pas diftinguer les conditions. Erreur

*E- PÉNITENCE. 345

pitoyable , uniquement fondée fur un amour déréglé de foi-même , 8c fur les faux principes d'une aveugle nature qui nous iéduit.

Tout ce que nous ordonne ce* Con- felfeur , eft plein d'une raifon de d'une fagefTe toute chrétienne. Mais cela m'eft bien onéreux : auiîi eft-ce une pénitence , 8c il n'y a point de péni- tence qui n'ait fon auftérité 8c fa peine. Mais je ne fuis point fait à toutes ces pratiques. 11 eft bon de vous y faire, .8c c'eft juftement afin que vous appre- niez à vous y faire qu'on vous les en- joint. Mais j'accepterois plus volon- tiers toute autre chofe. Toute autre chofe vous conviendroit moins que celle-ci , parce qu'il eft jufte que vous foyez puni par vous avez péché, 8c que d'ailleurs c'eft un remède plus fpé- ciflque 8c plus certain contre le pen- chant habituel qui vous porteroit en- core à pécher. Mais il faut donc chan- ger le plan de ma vie. En doutez-vous , 8c n'eft-ce pas pour vous réformer 8c pour changer de conduite , que vous avez venir au faint Tribunal ? Mais je fuis d'un tempérament foible. Eprou- vez-vous , 8c peut-être vous verrez que vous n'êtes pas à beaucoup près fi foi- bk que vous, le penfez j de plus a cène

24^ Sacrement foiblefTe que vous faites tant valoir, peut bien être une raifon pour vous ménager , fans que ce foit une difpen- fe abfolue de tout exercice pénible & mortifiant. Mais enfin, je ne pourrai jamais m'afïujettirà ce qu'on me pro- pofe. Vous ne le pourrez pas , parce que vous ne le voulez pas : or vous devez le vouloir , puifque Dieu le veut , & qu'il ne vous jugera pas félon les vains pré- textes que vous alléguez , mais félon fes ordres de fes volontés»

Chofe étrange , qu'ayant un aufîi grand intérêt que nous l'avons à dé- tourner les coups de la juftice de Dieu, £ç pouvant l'appaifer à n" peu de frais , nous héritions encore & nous nous ren- dions fi difficiles à prendre les moyens qu'on nous préfente ! Il n'y a point de péché qui ne méritât des larmes éter- nelles , fi la divine miféricorde n'a- giftoit en notre faveur ^ & il n'y a point de fatisfa&ions qui pufTent être fuffi- fantes ', fi Dieu ufoit à notre égard de tous fes droits. Avons-nous après cela bonne grâce de nous plaindre , &c que veut-on de nous qui foit équivalent à ce qu'on en pourroit attendre félon les loix de la plus droite Juftice? Ne comp- tons point avec Dieu , afin que Dieu ne compte point avec nous j car dans

de Pénitence. 347 ce compte nous nous trouverions bien en arrière. Si l'homme entreprend de dif- j0i, c* puter contre le Seigneur _> difoit le faint 9* h homme Job, de mille fujets d'aceufation il ne pourra pas fatis faire fur un feuL, Le mal eft. , que nous ne nous attachons point allez à comprendre la griéveté du péché , & les dommages extrêmes qu'il nous caufe. Quand nous aurons mûre- ment confidéré , d'une part la grandeur infinie de Dieu , la multitude de fes bienfaits _, la févérité de fes jugemens -y d'autre part notre propre baffe ffe & no- tre néant devant cette fuprême Ma- jette , notre ingratitude envers cette bonté fouveraine , ce que nous avons à efpérer de fon amour, ce que nous avons à craindre cle fa juftice : nous apprendrons de-là : i. quelles actions de grâces lui font dues de nous avoir fourni , dans î'inrtitution du Sacrement de Pénitence, une reiîburce pour nous relever de nos chûtes , & une planche pour nous tirer du naufrage après le pé- ché. 2. De quelle conféquence il eft de ne lailTer point le péché s'établir dans nous , & y prendre racine } mais d'avoir promptement recours à la pénitence & à" fon Sacrement , dès que nous nous {entons atteints de quelque bleffure mortelle dans Famé > éc que nous fom«

34^ Sacrement

mes tombés dans la difgrace de Dieo; J 3. De quel avantage doit êtte pour | nous la fréquente confeiîion, puifqu'el- ! le fert à purifier de plus en plus notre cœur , à nous fortifier contre les atta- ques où nous fommes continuellement expofés , à nous maintenir dans un état de grâce & à nous y faire croître. 4. Avec quelle fourmilion nous devons écouter le ConfefTeur , qui nous parle au nom de Dieu 5 foit lorfquil nous reprend , foit îorfqu'il nous exhorte > ou lorfquil nous inftruit & qu'il- nous donne des con- feils pour le règlement de notre vie. 5, Avec quelle fidélité & quelle confiance nous devons entreprendre tout ce qu'il nous prefcrit de plus mortifiant : forte- ment perfuadés , félon la maxime de faint Bernard , que moins il nous épar- gne en ce monde, plus il ménage nos véritables intérêts pour l'autre , & que bien loin que fa fermeté foit une raifon de nous éloigner de lui , ce feroit au contraire un jufte fujet de nous en dé- tacher & de le quitter , s'il nous trai- toit avec plus d'indulgence ôc qu'il nous fît marcher par un chemin plus com- mode. 6. Enfin , combien il eft doux 5 en fe retirant des pieds du Miniftre de J.efus-Chrift , d'entendre , comme de la bouche de Jefus-Ch'rift même > cetje

des Sens, 349

confolante parole : Vous êtes rentré en grâce j alle% & ne péche^plus.

Pénitence extérieure , ou mortifia cation desfens.

NOtre fiécle, tout perverti qu'il eft, ne laiife pas d'avoir des pénitens Se des pénitentes. Il en a jufques dans le grand monde , jufques à la Cour. Mais quelles pénitentes & quels pénitens! Des pénitens & des pénitentes de notre fiécle , & non des premiers fiécles. Ex- pliquons-nous.

Abftinences rigoureufes , jeûnes fré- quens & même perpétuels , longues veilles , travail pénible , folide & pro- fond . lilence *, le pain & l'eau pour fe nourrir , le fac Se le cilice pour fe vêtir , une fimple natte , ou la terre nue , pour repofer } rochers , cavernes , grottes obfcures 3c ténébreufes , pour fe reti- rer y injures de toutes les faifons , cha- leurs de l'Eté , froids de l'Hiver, inrir- mités du corps , mort a foi-même & à tous les fens ; tout cela accompagné de ferventes prières , & tout cela foutenu

350 Mortification fans interruption , fans relâche , jufqiies au dernier foupir de la vie : telle étoit la pénitence des premiers fiécles. Mais ces fiécles font pâlies , & la pénitence de ces heureux fiécles eft paffée avec eux.

Car quelle eft la pénitence du flécle préfent , 8c pour ne me point engager dans une difcuiîion trop générale de trop vague , j'ofe vous demander en particulier quelle .eft la pénitence que vous faites > vous à qui je parie & de qui il s'agit actuellement entre vous Se moi ? Après avoir été du monde , Ôc y avoir paru fans y donner l'édification que le monde devoit attendre de vous } que dis- je ! après y avoir peut-être don- né bien des fcandales dans le cours d.'une vie libertine & déréglée , vous regardez la retraite vous vivez pré- fentement , comme un état de péniten- ce : mais cette pénitence à quoi fe ré- duit-elle ? je ne prétends rien lui ôter de fon mérite, Se je vous rends volon- tiers toute lajuftice qui vous eft due. Vous n'êtes plus , grâce au Seigneur , ce que vous avez été , & vous tenez maintenant une conduite beaucoup plus régulière & plus chrétienne. Il en faut bénir Dieu 3 puifque c'eft un don

dis Sens. 351

de fa miféricorde. Je l'en bénis en effet , ôc je le prie d'achever en vous fon ou- vrage , ôc de vous le faire confommer par une fainte perfévérance.

Mais revenons , s'il vous plaît , ôc voyons donc fe termine votre péni- tence. Car vous comptez bien que vo- tre état eft un état pénitent , îk vous efpérez bien que Dieu l'acceptera com- me tel 3 & qu'il vous en récompenfera. Orquel^ft-il cet état? trouvez bon que j'entre là-deffus en quelque détail. Un équipage modefte , il eft vrai ; mais propre ôc fur-tout fort commode. Mê- me modeftie , mais aufli même propre- té , &c fur-tout même commodité, dans le logement , dans l'habillement 3 une table frugale , mais bien fervie _> ôc peut- être plus délicate dans fa frugalité , que des repas beaucoup plus fomptueux. Point de jeux , point de fpeâacles , point d'afïembiées profanes j mais du refte , une fociété agréable , vifites , promenades , campagnes , récréations l'on prend goût 3 quoiqu'honnêtes d'ailleurs ôc innocentes \ en un mot , vie douce ôc paifible , fans bruit , fans em- barras d'affaires , fans inquiétude , fans foin.

Je fçais qu'avec cela vous avez vos

3 5 "2. Mortification exercices de piété &: de charité. Vous récitez de faints offices , vous faites de bonnes lectures , vous vous adonnez même à l'oraifon , vous approchez des Sacremens , vous vifitez quelquefois les pauvres & les foulagez. Tout cela-' eft louable } & le monde en doit être j édifié. Mais après tout , ces mêmes' exercices confifte tout le fonds de votre vertu , comment les pratiquez- ' vous , ëc à quelles conditions ? Pourvu qu'ils ne vous gênent en rien j pourvu qu'ils vous laifTent une pleine liberté de les quitter & de les reprendre , félon qu'il vous plaira ; pourvu qu'ils foient de votre choix , ou à votre gré , 8c qu'ils s'accommodent à votre inclina- tion ; pourvu que votre repos n'en foit aucunement troublé ; pourvu qu'ils s'accordent avec l'extrême attention que vous avez à votre fanté & à toute votre perfonne* Car voilà tous les adoucmemens 8c toutes les facilités que vous y voulez trouver. Or eft-ce ce que vous appeliez pénitence ? Quoi que vous en puilïiez dire , pour- rai-je 5 moi , fans vous bleifer , vous dé- clarer ingénuement ma penfée ? Votre pénitence , c'efb de quoi les vrais péni- zms , les pénitens d'autrefois, auroient

eu

des Sens. 353

eu horreur comme d'une vie fenfuelle Se délicieufe c'eft ce qu'ils fe feraient reproché comme un des plus grands relâchemens. Si vous en jugez autre- ment qu'ils en jugeoient , prenez garde d'en juger autrement que Dieu en juge lui-même.

Et en effet , je vous renvoyé à l'E- vangile de Jefus-Chrift. Quelles idées nous donne-t-il de la pénitence chré- tienne , & fous quelles figures nous l'a- t-il repréfentée ? comme une guerre contre la nature corrompue , 8c toutes fes fenfualités : je ne fuis point venu fur la Matt*'

J ; %■ CI 0.3 4.'

terre pour y apporter la paix; mais la guer- re ; comme une croix dont nous devons nous charger , 8c que nous devons porter tous les jours: Quiconque veut être mon Tbifo difciple j qu'il renonce à foi-même _, qu'il ç%1 ,24" prenne fa croix & quilmefuive ; comme une violence que chacun doit fe faire : . depuis les jours de Jean-Baptijle , depuis que ce faint Précurfeur a paru dans le monde , qu'il y a prêché la pénitence 8c la rémiflion des péchés, pratiquant lui-même ce qu'il enfeignoit , vivant dans le defert , ne fe nourrifïant que de fauterelles 8c de miel fauvage _, ouv pour mieux dire , ne mangeant ni ne buvant ; depuis ce tems-là , le Royaume M&tu Tome L G g r.n.ift.

| J4 Mortification ^ Ciel fc prend par force j & on ne rem- porte que par violence. Comme une voie étroite \ il faut marcher au milieu des Siïatu c ronces & des épines : O que le chemin qui , I4' mené à la vie efi étroit j & quily en apeu i qui y entre ! La vérité de tous ces Tex- tes eft inconteftable : ce font des points de Foi.

Je vous renvoyé au grand Apôtre , 8c , aux divines leçons qu'il nous a lailfées dans fes Epîtres.Car s'expliquant enco- re plus clairement fur le fujet dont il I

Cal. c. > > o r~

%. 24, s agit ici entre vous & moi : i ous ceux y dit-il , qui appartiennent à Jefus-Chrijl y , ont crucifié leur chair avec fes vices &fes convoitifes. Il ne dit pas feulement qu'ils ont crucifié leur cœur , mais leur chair , cette chair criminelle, qui, par une con- féquence bien jufte , doit avoir part à la peine , après avoir eu tant de part au pé- ché. Delà cette régie que le même Apô-

£em. c. tre cbnnoit aux Romains : Autant que vous ave^fait fervir vos corps à V iniquité y & que par-là vous êtes devenus pécheurs : autant faites-les fervir à la jujlice pour devenir faints par la pénitence. Cette proportion eft remarquable , ôc peut étonner notre délicateffe ; mais fainr Paul la trouvoit encore trop foible, &

rVM* ç'çfc pour cela qu'il ajoutoit 1 Je parle

des Sens. $55

en homme _, & j'ai égard à Vinfinnité de votre chair, Aulli difoit-il de lui-même , Se des autres difciples du Sauveur : Par- u Coe* tout& en tout tems nous portons dans nos c,4,IOt corps la mortification de Jefus ., afin que la vie de Jefus fefaffe voir dans nos corps. Je laide cent autres témoignages : ceci fufrlt 3 ôc il n'eft queftion que de vous, l'appliquer à vous-même.

Car Voilà dans la morale évangélique des maximes fondamentales. Elles re- gardent généralement tous les états du Chriftianifme , Se nous ne voyons point que Jefus-Chrift ni les Apôtres les aient reftraintes à quelques conditions fans y comprendre les autres. Voilà comment on eft Chrétien , ou comment on doit 1 être. Les Juftes mêmes nen. font pas. difpenfés , que faut-il conclure des pé- cheurs ? Or fans vous flatter ni chercher vous-même à vous tromper , faites , je vous prie , l'application de ces princi- pes à votre vie , telle que je l'ai décri- te Se telle qu'elle eft. De bonne foi cet- te vie prétendue pénitente , eft-ce une guerre vous foyez fans ceife à com- battre vos fens , Se vous les teniez dans une fujettion dure Se pénible ? Eft-ce une croix pefante Se capable de vous accabler, 3 fi vous ne faifîez chaque

15^" M ,e r r i r i c a t r o Kr jour êc à chaque pas de violens effort* pour en foutenir le poids ? Eft-ce un renoncement à vous-même de à toutes vos aifes ? Eft-ce un chemin rude - ctroit , raboteux ? De quelles auftérib tés affligez-vous votre corps ? Quels foulagemens y <k même quelles dou- ceurs lui refufez-vous ? Quelles abfti- nences , quels jeûnes, pratiquez-vous ? En quelles occafions avezr-vous facrifié par un efprit de pénitence , votre goût, votre repos ,. votre fanté ? Quand ave&* vous éprouvé la rigueur des faifons r les froids de l'Hiver , les ardeurs de l'Eté , Ôc peut-on dire enfin que vous êtes revêtus de la mortification de Je- fus-Chrift ? la faites-vous voir ? &c à quels traits la reconnoît-on.dans toute votre perfonne ?

Je vois ce que vous pourrez me ré.- pondre : que la mortification Chré- tienne confifte particulièrement, dans i'efprit , c'eft-à-dire qu'elle confifte' à rompre fa volonté , à modérer fes viva- cités , à réprimer fes defirs trop natUr . rels ; à fe rendre maître de fon cœur & de tous fes mouvemens* J'en conviens avec vous ,, & je veux bien même en- core convenir qu'à l'égard de cette mortification de I'efprit x les fujets d&

fc £ S S E N Sr 5 57

la pratiquer ne vous manquent pas dans la retraite vous vivez , que cet- te féparation 3c cet éloignement d'un certain monde , n'eft pas peu oppofé à votre tempérament 3c à vos inclina- tions ; que cette exactitude à remplir certains devoirs , 3c à vous acquitter de vos exercices de piété , vous donne lieu en bien des rencontres de furmonter vos répugnances , vos dégoûts , vos ennuis j qu'il y a des momens la tentation eft forte > le fouvenir â.Q^ plaifirs paflés fait de vives imprelîions dans Famé 'y la folitude , la prière , la ledfcure , toutes les obfervances de la religion deviennent très-iniipidês y 3c par-là même très - onéreufes j enfin > qu'on ne peut alors prendre l'empire fur foi-même , 3c fe vaincre fans beau- coup de violence. Tout cela eft in- contestable , mais il n'eft pas moins vrai , que , félon la loi de Jefus-Chrift y il faut que la mortification des fens ac- compagne tout cela , foutienne tout cela , foit le complément de tout cela. Il n'eft pas moins vrai que de tous les points de la loi de Jefus-Chrift , il n'y en a pas im que faint Paul , fidèle in- terprète des fentimens de fon maître , nous ait plus fouvent 3c plus exprefté-

3 5$ Mortification ment recommandé que la mortifica- tion des fens. A qui parloit-il ? à des Solitaires ? à des Religieux ? Mais du tems de faint Paul , il n'y avoit ni Reli- gieux , ni Solitaires. Il parloit donc à des hommes y à des femmes , à de jeunes perfonnes du monde , fans dif- tindtion de qualités , ni de rangs. Si dans la fuite il y a eu des Solitaires 8c des Religieux , c'eft que les plus éclai- rés & les plus zélés d'entre les Chré- tiens , comprenant d'une part l'obliga- tion où ils étoient , comme Chrétiens , fur-tout comme pénitens , de mener une vie au (1ère 8c mortifiée , 8c crai- gnant d'ailleurs de fe laitier furprendre 3. même dans leur pénitence , aux illu- sions 8c à la molleife du fiécle , ils ont pris le parti , pour fe prémunir contre ce danger , de renoncer à tous leurs biens , d'embraifer la pauvreté , de fe confiner dans les deferts > de s'enfermer dans les Cloîtres , 8c de fe réduire par-là dans un dénuement entier de tout ce qui peut fervir à flatter le corps.

Delà l'établilTement de tant de faints Ordres , où, les fens font traités avec toutes les rigueurs que les forces de la nature peuvent fupporter } l'on eft nourri pauvrement 3 vêtu grofïierement

des Sens. 359

couché durement j le fommeil eft court de interrompu , le travail conf- tant & aiîidn , le joug de la régie pe- fant j , fuivant la parole de l'Apôtre, le corps par de fréquentes macérations eft immolé comme une hoftie vivante 3c une victime d'expiation. Car tel eft , ajoute le Maître des Gentils , tel eft le culte raifonnable que nous devons à Dieu. Après quoi il fait beau entendre dire aux gens du monde que tant de mortifications ne font bonnes que pour les Monafteres. Langage mer- veilleux ! J'avoue qu'il peut y avoir en particulier des exercices de pénitence , qui conviennent moins aux uns qu'aux autres / félon la diverflté des occupa- tions , des iituations , des engagemens y des tempéramens : mais de prétendre en général , comme le monde le pré- tend , que la mortification de la chair n'eft propre qu'aux perfonnes confa- crées à Dieu dans la profeilion Reli- gieufe , c'eft une erreur des plus grolîié- res , &: une maxime des plus fcandaleu- Tes & des plus pernicieufes. J'aimerois autant qu'on me dît qu'il n'y a que les Religieux qui foient coupables devant Dieu, de par conféquent qui foient re- devables a la Juftice de Dieu j qu'il n'y

3 £o Mortification a que les Religieux qui foient expofés aux révoltes des fens , ôc par conféquent qui foient obligés de les réprimer 3c de les dompter : ou autant vaudroit-il dire qu'il n'y a que les Religieux à qui le Royaume de Dieu doive être chère- ment vendu , tandis que les autres peuvent l'acheter à vil prix > 3c qu'ils y peuvent atteindre par- une voie large ôc fpacieufe , rien ne les incommo- de. Abus intolérable ! Il n'y a pas deux Evangiles } c'eft le même pour le Sécu- lier 3c le Religieux. Ce qu'il eft pour l'un, ili'eft aulîi pour l'autre: car Jefus- Chrift n'eft point divifé. Raifonnez tant qu'il vous plaira , 3c comme il vous plaira : malgré tous vos raifonnemens , malgré même la régularité apparente de votre vie afifez réformée d'ailleurs 8c aifez exemplaire , n'ayant pas toujours vécu dans l'innocence , ainfi que vous , le reconnoiffez 3 3c que vous ne pouvez vous le cacher à vous-même , il ne vous refte pour aller au Ciel que la voie de la pénitence , 3c malheur à vous fi vous vous perfuadez. que vous puiffiez traiter délicatement votre corps , 3c être péni- tent. Je ne vois guères comment alors vous feriez à couvert de ces anathêmes du Fils de Dieu : malheur à vous qui

ne

de s Sens. 361

ne manquez de rien , & qui ave\ en ce monde votre confolation; malheurs à vous 6LuCt1e' qui êtes rajjafies 5c bien nourris j mal- heur à vous qui pafTez vos jours agréable- ment & dans la joie.

Au refte , ne penfez pas que les pra- tiques 5c les œuvres de pénitence dont je vous parle , aient été inconnues aux perfonnes de votre naiifance 5c de votre rang j ni que je veuille , par un efprit de ïingularité , vous faire tenir une con- duite extraordinaire , dans l'état de grandeur & de diftinction vous êtes. Je ne fuis point fait à exagérer 3 fur- tout en matière de morale 5c de de- voir. Hé ! ne fçait-on pas quelles ont été jufques fur le Trône les auftérités de faint Louis ? quelles ont été celles de bien d'autres Princes 5c PrincefTes? Et pourquoi chercher fi loin des exem- ples , lorfque nous en avons de nos jours ? Car fur les connoiiïances que je puis avoir , j'ofe vous témoigner avec quelque» certitude , que la morti- fication chrérienne 5c fes exercices ne font point entièrement bannis du mon- de ni de la Cour. Les apparences font trompeufes de plus d'une manière : c'eft à-dire , que comme fous les apparences d'une vie innocente ôc pure , on cache

Tome L H h

$6i Mortification ïonvenz bien .des déréglemens & des défordres ; de même auiîi ions les ap- parences dune pompe humaine & d'une vie aifée , on cache quelquefois des pratiques bien rigoureufes , & des pé- nitences qui ne font connues que de Dieu. L'un eft une damnable hypocri- £e , ôc l'autre une falutaire oc fainte hu- milité.

Mais peut-être encore me répondrez- vous , qu'on a dans le monde aifez de mortifications & de chagrins , Se oue c'eit même aux Grands du monde ceux qui vivent -avec plus d'éclat dans les Cours des Rois , que font réfervées les grandes peines ; qu'il n'eil donc pas befoin d'en chercher d'autres , & que celles qui fe. préfentent chaque jour peuvent furrlre. Si vous le jugez ainïi , je veux bien entrer pour quelque tems dans votre penfée., & y condefeendre. Oui , j'y confens : tenez-vous-en aux peines de votre état j c'eft-à-dire , fai- tes-vous des peines de votre état une vertu ; faites-vous-en une pénitence j regardez-les comme un châtiment à vos péchés , comme un moyen de les- expier , & dans cette vue acceptez-les avec foumiiîion , Se fan&ifiez-les pari une patience-inaltérable. Je me borne-

des Sens. 363

pour vous préfentement , pourquoi ? Parce que je fuis certain que vous ne vous y bornerez pas vous-même , & que dès qu'une fois vous en ferez venu , vous voudrez aller plus loin. Com- ment cela ? Comprenez ce myftère : il eft à remarquer. C'eft qu'alors vous fe- rez animé de l'efprit de pénitence , &c que le même efprit de pénitence qui vous fera porter faintement les peines de votre état , vous infpirera d'y en ajouter encore de nouvelles. Car il en eft de cet efprit de pénitence , comme de l'amour de Dieu. Quand il eft véri- table de bien formé dans un cœur , il eft infatigable : mais parce qu'il vous man- que , 8c que vous êtes pofTédé d'un efprit tout contraire , qui eft votre amour propre , de-là s'enfuivent deux grands maux j l'un, que vous ne fçavez pas profiter des mortifications de votre état, comme vous le pourriez , tout invo- lontaires qu'elles font , & que vous en perdez par vos révoltes & vos impa- tiences tout le fruit : l'autre que ne voulant vous impofer vous-même , au- delà des peines de votre état , nulles mortifications volontaires , vous vivez fans pénitence , de vous vous privez dans l'affaire de votre falut du moyen

H h ij

3 £4 Mortification le plus nécefTaire &c le plus piaffant.

Chofe admirable ! On aime la févéri- de la pénitence par-tout ôc en tout, hors en foi-même. On i'aime dans au- trui , on l'aime dans les livres 3 on l'ai- me dans les difcours publics , on l'aime clans les entretiens familiers j mais de l'aimer dans la pratique , je dis dans une pratique propre ôc personnelle , ce n'eft guères le goût du monde , ôc du monde même en apparence le plus réglé ôc le plus dévot. On l'aime dans autrui j on vante les auftérités de celui- ci ôc de celle-là , ôc Ton devient d au- tant plus éloquent à les exalter , que ce font gens avec qui l'on eft plus étroite- ment uni de fentimens Ôc de doctrine. On l'aime dans les livres : on 1k avec affîduité ôc avec une efpece d'avidité certains ouvrages qui en traitent, on les a continuellement dans les mains , on les dévore , ôc l'on n'eftime que ceux-là. On l'aime dans les difcours pu- blics : un Prédicateur qui la prêche ôc qui la porte au plus haut point de per- fection , pour ne pas dire , à des extré- mités fans mefure ôc fans difcrétion , eft regardé comme un Apôtre } on le fuit avec emprerTement , ôc l'on y traîne arec foi la multitude. On l'aime dans

des Sens. 365

les entretiens familiers : on en parle > on en fait le fujet des converfations les plus vives Se les plus ferieufes , on dé- bite fur cette pénitence auftère les plus belles maximes , & l'on ne peut aiTez gémir des relâchemens qui s'y font glilïes. Refte de l'aimer dans la prati- que Se par rapport à foi : mais en eft-il queftion ? C'eft alors que chacun fe re- tire , Se fe met en garde. On ne l'aime plus , Se cependant elle ne nous peut être utile Se méritoire que dans la prati^ que.

Pénitence intérieure _, ou mortificai tion des pqffîons.

OUtre la pénitence du corps Se la mortification des feus , faint Paul Ôc après lui tous les maîtres de la vie fpirituelle, nous apprennent qu'il y a encore une mortification beaucoup plus excellente , qui eft. la mortification in- térieure ou la mortification de nos pafïions. Cette mortification du cœur a trois grands avantages, ôenous pro- cure trois grands biens : l'un eft l'inno-

Hiij

^66 Mortification cenco chrétienne j l'autre eft la faintetè chrétienne , 8c le troifiéme la paix chré- tienne. Car nos pallions nous corrom- pent , du moins elles nous arrêtent 8c nous relâchent clans le foin de notre perfection j enfin elles nous troublent* Dès-là donc que nous travaillerons fé- rieufement à les mortifier , nous pren- drons le moyen le plus infaillible de nous maintenir dans l'innocence de l'â- me par l'exemption du péché, de nous élever à une haute faintetè par la prati- que de la vertu , 8c de nous établir dans la paix par le repos dont nous jouirons. Expliquons chaque article , &c faifons-y toute la réflexion convenable.

I. Mortification des paillons 3 moyen de fe maintenir dans l'innocence , 3c moyen nécefïaire. Car il n'eft pas pof- fible de conferver l'innocence dans un cœur , tandis que les pallions y régnent» Comme la fource en eft empoifo nnée % 8c qu'elles ont pour principe cette mal- heureufe concupifcence qui nous por- te vers les objets fenfibles , 8c qui n'a point d'autre fin que de fe contenter à. quelque prix que ce punTe être ; pour peu que nous les écoutions 8c que nous en fuivions les mouvemens , elles nous

des Passions. 3 ô 7

font en mille rencontres violer loi de Dieu , 8c nous précipitent en toutes fortes de péchés. C'en: ce que nous éprouvons tous les jours; &: il dans ces derniers ïîécles l'iniquité , félon l'ex- preiîion de l'Ecriture , eft devenue plus abondante que jamais , ce déborde- ment de mœurs que nous voyons dans tous les états , ne vient que des paillons qui fe font acquis un nouvel empire , 8c ont pris fur les hommes un aicendanc plus abfolu. Car à mefure qu'elles croif- lent 8c qu'elles s'enflamment, elles vont, ou elles nous font aller aux plus grands excès. Tant de riches intérefles ne corn- mettraient pas des injuftices criantes , fans l'infatiable avarice qui les dévore. Tant de mondains ambitieux ne forme- roient pas de déteftables entreprifes , fans l'envie démefurée de s'élever qui les poifede. Tant de voluptueux 8c de libertins ne fe plongeraient pas en de il honteufes débauches, fans l'amour du piaiiir qui les enchante. Ainii des au- tres. La pailion eft la racine de tout cela j 8c plus elle s'eft fortifiée , plus elle a de pouvoir pour réfifter aux remords de la confeience 8c pour les furrnon- ter.

Il eft vrai néanmoins que nos parlions I, H-hiv

368 MORTIHCATION

n'attaquent pas toujours fi ouvertement notre innocence : mais c'eft en cela même qu'elles font encore plus dange- reufes } Se on peut bien leur appliquer ce que faint Léon Pape difoit de 1'efprit tentateur Se de fes artifices pour nous furprendre y qu'un ennemi caché eft d'autant plus à craindre qu'il porte plus fecrettement fes coups , Ôc qu'on eft moins en garde contre lui. En mille fujets c'eft la pafîion qui nous infpire, lorfque nous penfons être conduits par le motif le plus pur Se le plus faint. Elle entre dans toutes nos délibérations ; elle a la .meilleure part dans toutes nos xéfolutions j comme l'Ange de fatan , elle fe transforme en Ange de lumière , Se à moins que le crime ne foit évident , il n'y a rien qu'elle ne nous juftifie , dès qu'elle s'y trouve intérefTée. D'où il arrive qu'on tombe dans une infinité de péchés, fans prefque les appercevoir , Se qu'on demeure fans inquiétude dans des difpofitions Se des engagement d'affaires qui devroient nous faire trem- bler.

Delà donc il faut conclure que le préfervatif le plus falutaire , Se même le plus néceifaire pour mettre à couvert l'innocence de notre cœur, eft de le

des Passions. 3.69 circoncire fpirituellement , c'eft-à-dire , d'obferver avec foin les pallions dont il eft plus fufceptible , 8c de nous appli- quer fans relâche à les détruire. Pre- nons ce glaive évangélique dont parloit Jefus-Chrift , 8c qu'il eft venu nous apporter. Avec ce glaive tranchant 8c confacré par la grâce du Seigneur , at- taquons ces pallions fi vives 8c fi impé- tueufes qui nous entraînent , ces paf~ lions fi îubtiles 8c fi artihxieufes qui nous féduifent , ces pallions fi terreftres 8c fi matérielles qui nous tiennent dans Tefclavage des fens. Faifons , autant qu'il nous eft pollible , la même direc- tion de notre ame , que Dieu en fera dans fon jugement dernier , félon le témoignage de l'Apôtre. Pénétrons jufques dans les jointures , jufques dans les replis les plus fecrets , nos pallions fe cachent \ 8c fans les ménager , fans leur accorder aucune trêve , quelque part que nous les trou- vions , donnons -leur le coup de la mort. Dès que nous aurons purgé notre cœur de ce mauvais levain , il nous fera faci- le avec le fecours du Ciel , d'en fer- mer l'entrée au péché 8c de nous ga- rantir de fa contagion.

En effet , fuppofons un homme bien.

5 70 Mortification maître de fes pallions , ou pour mieux dire , en qui les pallions foient bien éteintes > fans être impeccable , ce fera un homme irrépréheniible. Comme ii ne fera ni aveuglé 3 ni animé par la paillon 5 il fuivra en toutes chofes la droite raifon ôc la religion. Et piiifque nous ne péchons qu'en nous écartant de ces deux principes , ii efl aifé de voir en quelle pureté de cœur il vivra,

6 combien de chiites il évitera. îl fera fidèle à Dieu, charitable envers le pro- chain , jufte ôc réglé dans toutes fes actions. Il jugera bien de tout , il en pariera bien. Il n'y aura ni efpérance qui l'attire , ni crainte qui le retienne aux dépens de fon devoir. Point de colère qui l'emporte , point de reflfen- timent qui l'envenime , point de plaifîr qui le tente , point de grandeur qui l'é- Mouille , point de prétentions 3 d'intri- gues , de retours vers foi-même ni vers fes propres avantages ; Ôc de-là quelle candeur d'ame ! Bienheureux ceux qui ont ainfi le cœur net de toute tache ôc de tout delir mal ordonné : car ils feront en état de voir Dieu , Ôc de goûter fes plus intimes communications.

Mais au contraire qu'une pailîon de- meure enracinée dans le fond de 1 aie

des Passions. 571 & qu'elle y ait toujours le même empi- re , en vain vous pratiquerez d'ailleurs les plus faintes œuvres , en vain même vous aurez à certains jours les meil- leurs fentimens , &: vous patoîtrez être dans les meilleures difpoiitions j tandis que ce ferpent vous infectera de fon ve- nin , tandis qu'il vous fera entendre fa voix , comme à la première femme , de que vous lui prêterez l'oreille , il n'y aura point d'abîme vous ne vous précipitiez en peu de temps , ni d'é- cueil vous n'alliez malheureufement échouer. Et voilà ce qui trompe , au Tribunal de la pénitence , tant de pé- cheurs qui donnent quelquefois toutes les marques de la plus imeere conver- sion , ÔC qu'on voit néanmoins prefque auili-tôt rentrer dans leurs premières voies, & retourner à leurs- mêmes ha- bitudes. Eft-ce qu'ils ne font pas tou- chés de la grâce , de qu'ils ne veulent pas de bonne foi changer de conduite. 8c réformer leur vie ? Il faut convenir qu'il y en a plufîeurs dont les réfolu- tions fur cela font actuellement telles qu'ils le témoignent. D'où vient donc qu'ils retombent vite ? c'eft que pour rendre dans la faite leurs réfolutions efficaces, il falloit deux fortes de re-

172. Mortification tranchemens : l'un extérieur , 3c l'autre intérieur. Le premier étoit d'arrêter les effets de la paillon , & d'en retrancher les actes criminels , & c'eft ce qu'ils fe font propofé. Mais afin d'y réuilir , il étoit néceifaire de faire en même tems , pour ainfi parler, -une autre circonfion plus importante , c'eft-à-dire , de re- trancher la paillon elle-même comme le principe du mal , êc de la bannir du cœur. Or voilà à quoi ils n'ont pas pen- , ôc fur quoi ilsfe font flattés Se ména- gés , dans la fauffe perfuafion ils étoient, que fans fe défaire de cette paillon qui leur plaît , ils fçauroient la modérer de la retenir. Erreur qu'ils ont bientôt eu lieu de reconnoitre par les promptes 3c déplorables rechûtes , qui les ont replongés dans les mêmes pré- cipices , & rengagés dans les mêmes défordres.

De tout ceci , apprenons de quelle ëonféquence il eft pour nous 5 félon Pa- vertifTement du Prophète , de nous faire un cœur nouveau * n nous voulons nous rétablir & nous maintenir devant Dieu dans la fainte innocence que nous avons tant de fois perdue. Plût au Ciel, que dès l'âge le plus tendre 5 & dès les premières années de la vie , on travail-

des Passions. 373 lât à fe purifier de la forte , & à fe dégager de tout ce qui pourroit nous corrompre. Plus nous différons , plus nos pallions croifTent & prennent Pat cendant fur nous. On eût pu aftez aifément dans la jeunefie couper cours à cette paiTion , dont on n'eft prefque plus le maître , depuis qu'elle s'eft in- vétérée & comme changée dans une féconde nature. Cela ne regarde pas ieulement les jeunes perfonnes j mais il n'eft pas moins vrai des autres 3 que dès qu'ils découvrent dans eux quelque vice naturel , quelque inclination & quelque penchant vers un péché , ils ne doivent pas tarder d'un moment à pren- dre les armes 3 ôc à chafïer ce démon qui s'eft emparé de leur cœur. Et qu'on ne prétende point fe ralïurer fur ce que j la pafl?on ne paroît pas encore bien 1 forte. Prévenons le mal de bonne heu- re } prévenons-le jufques dans les plus petites chofes. C'eft par une telle pré- caution qu'on évite les plus grandes maladies du corps , Se c'eft par-là même qu'on fe garantit d'une ruine totale de l'ame.

Maximes dont on n'a pas de peine à convenir en général ; car elles font fen- fibles , & confirmées par l'expérience

574 Mortification ia plus commune : mais d'en venir à l'effet , c'eft ce qui étonne j & les diffi- cultés qu'on y trouve ., font Couvent une ïi vive impreiiion , qu'on défefpere de les vaincre , &: qu'on n'ofe pas même l'entreprendre. Auiîi eft-il confiant, pour ne rien diiîimuler , que d'arracher du cœur une pafïîon , c'eft de toutes les entreprifes la plus grande &c celle l'homme éprouve plus de combats êc plus de contradictions. C'eft s'arracher en quelque manière à foi-même , c'eft mourir à foi-même , & y mourir autant de fois , qu'il y a d'efforts à faire & d'obftacles a furmonter. Or le moyen , dit-on , d'être ainfi continuellement aux prifes avec foi-même , & feroit-ce vivre que d'en être réduit-là ? Non , ce ne feroit pas vivre félon la chair 3 mais ce feroit vivre félon l'Efprit de Dieu. En . quoi nous devons remarquer un nouvel avantage de cette mortification des pallions : car elle ne nous fert pas - feulement à conferver l'innocence du cœur , mais à nous élever & à nous faire parvenir au plus haut point de la fainteté Chrétienne.

ÎI. Mortification des paffions , moyen de s'élever à une haute fainteté par la

des Passions. 375 pratique des plus excellences vertus. Pour bien entendre cette féconde véri- té , il n'y a qu'à développer & à com- prendre le vrai feiis de ces adorables 3c divines leçons , que nous fait le Sauveur du monde dans fon Evangile, 3c que nous font les Apôtres dans leurs Epî- tres : fçavoir , qu'il faut fe dépouiller de foi-même } qu'il faut haïr fon ame 3c la perdre en cette vie, afin de la fau- ver dans l'autre } qu'il faut rompre les liaifons les plus étroites, 3c fe féparer mê- me de fon père , de fa mère \ que pour être à Dieu , il faut crucifier la chair , 3c toutes les concupifcences de la chair j que le Royaume du Ciel ne s'emporte que par violence , 3c qu'il faut s'efforcer ôc prendre infiniment fur foi pour y arri- ver. Voilà fans contredit ce qu'il y a de plus fublime dans la pratique de' la fain- teté. Or qui ne voit que tout cela eft contenu dans la mortification des paf- fions ? Car cui'y a-t-il dans nous de plus naturel 3c de plus intime que nos paf- fions j 3c n'efi.-ce pas en les détruifant , que nous nous dépouillons de nous- mêmes ? Qu'eu>ce que haïr notre ame &' la perdre , félon la penfée du Fils de Dieu , n'eft-ce pas refufer à notre cœur tout ce qu'il délire , 3c qu'il recherche

■376 Mortification par le mouvement des parlions , & lui interdire tout ce qui flatte fes inclina- tions fenfuelles Se qui contribue à les entretenir ? Avons-nous des liaifons plus étroites , que celles qui font formées par nos pallions ? Avons-nous de plus vives & de plus ardentes convoitifes, que celles qui font excitées par nos pallions ? Eft-il rien nous fentions plus de réfiftance , Se nous ayons plus de violence à nous faire , que lors- qu'il s'agit de dompter nos pallions Se de les amortir ? D'où il s'enfuit , que tout ce qu'il y a de plus parfait dans la loi que nous proférions , fe rapporte à la mortification du cœur Se des par- lions 3 Se que c'elt par-là que nous vi- vons en chrétiens 3 & en parfaits chré- tiens.

Aulli le premier foin , Se même , à proprement parler , l'unique foin de tous les Saints a été de régler leur cœur , &: de mortifier toutes leurs pallions. Ce n'eft pas qu'ils aient négligé le refte 5 I affiduité à la prière , les macérations du corps : au contraire , nous fçavons combien ces exercices leur étoient fa- miliers Se ordinaires , jufqu'à palTer les nuits entières dans la contemplation des chofes divines s jufqu'à s'exténuer Se fe

ruiner

des Passions. $77

ruiner le corps par leurs fréquentes 8c fanglantes auftérités.- Mais ces prières , ces mortifications de la chair , ils ne les envifageoient que comme des moyens pour atteindre à la fin qu'ils fe propo- ibient , &: qui étoit de purifier leur cœur de tout ce qu'il y avoit encore de ter- reftre 8c d'humain.

C'eft donc par-là qu'ils eftimoient toutes les pratiques extérieures ou de piété ou de pénitence ; 8c fans cela on peut dite qu'elles perdent extrêmement de leur prix. C'eft-ià ce qui diftingue la vraie 8c folide dévotion , d'une dévotion fuperficielle 8c apparente. Malgré la perveriité du fiécle > on trouve encore affez de perforines , qui veulent , ce femble, pratiquer la vertu: mais quelle eft communément l'illiifîon don^- nent ces âmes prétendues vertueufes ? C'eft qu'elles bornent tous leurs foins à régler 8c à fan&ifier le dehors , à quitter certains ornemens mondains , à s'interdire certaines compagnies 8c cer- tains divertiffemens , à viiiter les pri~ fons , les Hôpitaux % à fréquenter les Autels y 8c à f e rendre aiîidue&aux pré- dications , aux cérémonies de Reli- gion ; à faire de bonnes lectures , à mé- diter 8c à prier, Tout cela fans doute. a. Tome L Xi

37$ Mortification {on mérite , mais fouvent un mérite bien au-de(lous de l'idée qu'elles s'en font. Car ce n'eil point précifément ni particulièrement ce que Dieu de- mande d'elles. Il veut , avant toutes chofes, qu'elles s'adonnent à la réfor- mation de leur cœur , parce que ce qu'il y a de plus précieux en nous , c'eft le cœur; parce que ce qui nous coûte le plus , c'eil la circoncilion du cœur ^. , parce qu'avec le fecours d'en -haut , c'eft du cœur que dépend toute notre fancti- fication.

Or voilà ce que tant d'ames pieufes ^ ou qui pailent pour pieufes , & ne le font, que de nom , ne comprennent point aiTez. Sous cette belle montre de piété qui frappe la vue , elles ont leurs paf- iîons , qu'elles tiennent cachées , ôc qu'elles nourriffent au fond de leur eœur. Quoique ce ne foit pas de cqs pallions groilières qui portent au crime: & au libertinage y ce font néanmoins des pallions, qui pour être plus fpiri- tuelies , n'en font pas moins vives dans- les rencontres , & dont les effets ne fe font que trop appercevoir. Un Direc- teur fage & habile , qui voudroit entre- prendre la guérifon d'un mal d'autant plus dangereux qu'il eft interne 3 8c

des Passions. 37a qu'il attaque de plus près le cœur, a le déplaiiir de trouver ces âmes , d'ailleurs fi dociles , tellement aveu lées là- demis Se fi délicates, qu'el , rou- tent rien de tout ce qu'il leur dit. Qu'il leur parie d'Oraifons , de Communions ôc même de quelques œuvres de péni- tence , elles ne le laiTeront point de l'entendre : mais qu'il vienne à leur propofer des moyens pour humilier leur efp rit -hautain , pour adoucir leur humeur aigre , pour modérer leurs fail- lies trop promptes , pour combattre leurs antipathies , leurs animofités , leurs envies fecrettes , c'eft qu'elles ceOfent de lui donner la même atten- tion. Doiï il arrive que ces pallions fo- mentées de entretenues dans le cœur, les font tomber en mille foiblefïes qui fcandalifent le prochain , & en des fau- tes prefque journalières avec lefquelles elles fe promettent en vain d'accorder une piété véritable & parfaite.

Ainfi , l'un des plus puiiFans motifs pour nous engager à la mortification de notre cœur , eft de la confidérer comme un moyen de perfection , & comme le moyen le plus efficace. Je dis le plus effi ace , & c'efr l'avis important que nous donne Saint Jérôme : vous ferez ?

u ij

380 Mortification dit ce faint Do&eur , autant de pro- grès dans ies voies de Dieu , que vous remporterez de victoires fur vous-mê- mes. Car chacune de ces victoires de- mandera de vous bien des combats , 8c chacun de ces combats bien des facrifi- ces plus agréables à Dieu , que tous les facririces de l'ancienne LoL Pourquoi plus agréables à Dieu ? Saint Bernard en apporte la raifon , 8c elle eft incontef- table : c'eft que dans les facririces de la Loi Judaïque on n'immoloit qu'une chair étrangère , que la chair des ani- maux -y au lieu qu ici l'homme s'immo- le lui-même en immolant fon propre cœur & fa propre volonté. Pour peu que nous foyons touchés du defir de notre avancement , félon l'efprit ôc fé- lon Dieu , nous ne devons rien eftimer davantage que ce qui peut tant y contri- buer , ni rien embraîTer avec plus d'ar- deur.

Dans cette guerre fainte que nous aurons à foutenir, nous avons befoin d'aide Se d'appui \ mais en eft-il un plus préfent & plus allure , que la grâce du Seigneur & fa divine aiîiftance ? C'eft lui-même qui nous appelle , lui qui nous invite & qui nous met les armes à la main : eft-ce pour nous manquer

des Passions» $%i dans 1 occahon , & pour ne pas fécon- der nos efforts ? C'eft fa caufe que nous avons à défendre , ce font fes ennemis que nous avons à combattre \ car nos pallions font dans nous les ennemis de Dieu les plus déclarés , les plus animés , les plus obftinés. Elles ne cherchent qu'à nous détacher de lui , & à nous foule ver contre lui : 8c parce quelles ne font pas toujours affez fortes pour nous porter à une révolte 8c à une fé- paration entière , du moins s'oppofent- elles aux mouvemens de notre ferveur , 8c à toutes les vues de perfection qu'il lui plaît de nous infpirer» Or y encore une fois , quand il nous verra agir con- tre fes ennemis 8c pour fes intérêts s nous abandonnera-t-il ? Allons donc à lui avec confiance , 8c comptons fur fa protection. LailFons murmurer la natu- re y laiiîons-la s'effrayer, fe récrier , for- mer mille obftacles : revêtus de la vertu célefte , nous deviendrons infenfibles à fes cris , inacceilibles a. fes traits , in- vincibles à toutes fes attaques. Que dis- je ? plus même fes cris fe feront enten- dre à nous , plus fes traits fe feront fett- tir , plus fes attaques feront violentes ; 8c plus , en y réiiftant 8c les furmontant , nous nous enrichirons de mérites , nous

3S2 Mortification monterons de degrés 3 nous nous pesf~ £et~tionnerons ôc nous nous lanoline- rons. Car le mérite devant Dieu le plus relevé & la fainteté la plus émtnente , c'eft de fçavoir fe renoncer & fe vain- cre. Heureux triomphe d'où fuit un troifième avantage de la mortification des paillons , qui eft le repos de l'anie & la paix*

III. Mortification des paillons ,. moyen de nous établir dans la paix , 8c de jouir d'un parfait repos. C'eft un tré- for3 mais un tréfor femblable à celui de l'Evangile , c'eft-à-dire , un tréfor qu'on ne peut payer trop cher , & qui mérite d'être acheté au prix de toutes chofes , que de trouver la paix dans foi-même , d'être bien avec foi-même , de fe poiTéder foi -même , noii-feule- ïn fa- ment 3 comme difoit Jefus-Chrift , par' Mettra ^a p^ûque d'une humble patience de •pojp.ie- d'une pleine réllgnation aux ordres de" mimas Diei1 5 ma*s par ^a tranquillité & le cal- vefiras, me de tous les mouvemens de fon iz^'i/." cœur. Etre clans cette fituation qu'il eft plus aifé d'imaginer & d'exprimer, que: de feutir & d'éprouver , c'eft un avant- goût de la béatitude du Ciel ; c'eft ce que nous concevons dans le féjour des

DES PASSIOKÎ, 585

Bienheureux de plus cligne de nos fou- haits après la vue de Dieu , ce ce qui doit être un jour pour nous le comble même de la gloire. Cette paix éternelle dont jouiifent les Saints ^ cette paix qui ne fera jamais troublée ni interrom- pue ; cette paix qui réconciliant l'hom- me avec lui-même , fera cefler dans lui toutes les révoltes intérieures j cette paix qui nous rétablira dans l'état d'in- nocence où Dieu nous avoit créés : voilà ce que Dieu promet à fes Elus 5 3c voilà à quoi nous afpirons. Mais il ne furrit pas , dit Saint Auguftin , d'y afpirer 3c d'y prétendre 1 voilà à quoi nous devons nous dilpofer , 3c de quoi il faut dès cette vie que nous commen- cions à faire l'erTai , nous efforçant au moins d'en approcher ,.& nous élevant au-deflfus de cette ba(ïe région , fe forment les orages 8c les tempêtes my au- dellus de ce petit monde qui eft en nous y 8c qui n'eft pas moins tumul- tueux , ni moins difficile à pacifier , que le grand monde qui eft autour de nous. Or il eft certain que jamais nous n'y pourrons établir une paix folide fans la mortification du cœur 3c de fes pallions.

3'$4 Mortification

Car pour en être fenfiblement per- fuadé , il n'y a qu'à voir quels font les principes ordinaires de toutes les in- quiétudes 8c de tous les troubles de no- tre ame. Ne font-ce pas nos defirs 8c nos paillons ? nos defirs trop vifs 3 trop emprefTés, 8c nos pallions trop impé- Êueufes Se trop ardentes : nos defirs qui fe multiplient fans cefTe , qui fe com- battent les uns les autres , qui fepropo- fent des objets tout contraires , qui fouvent fe portent à des chofes inca- pables de nous contenter , à des chofes dont la pofTeiîion nous devient plus onéreufe qu'avantage ufe ; 8c nos paf- fîons , qui font vaines , qui font in j lif- tes , qui font extrêmes , qui font fans bornes ? N'eft-ce pas , dis-je 5 ce qui nous empê-cke de pouvoir être en paix avec nous-mêmes, 8c ce qui excite au milieu de nous cette guerre inteftine , que Saint Paul refïentoit, comme nous , 8c dont il fe plaignoit fi amèrement ? Il faut donc pofléder notre ame dans la paix , la dégager de ces defirs inquiets 8c de ces pallions déréglées. Il faut éteindre le feu de cette cupidité qui nous brûle > il faut réprimer cette am- bition qui nous agite , il faut rompre ces attackes qui nous captivent, qui

nous

des Passions. 385 nous tourmentent, qui nous déchi- rent le cœur , de nous caufent mille douleurs.

Or il n'y a que la mortification de l'efprit , qui puiffe nous rendre ce bon office. Délirer peu de choies ; & celles que l'on délire , les délirer peu, voilà les falutaires effets de cette mortification chrétienne. Voilà ce que les Payens eux-mêmes ont enfeigné , ont exalté , ont envié & ambitionné j mais ce qu'ils n'ont jamais bien pratiqué. C'eft. l'a- vantage des vrais Chrétiens , & le fruit propre de fa fageffe évangélique.

Oui , fi nous voulons vivre contents , délirons peu de chofes , non-feulement , dit Saint Chryfoftôme , parce qu'il y a peu de chofes qui foient defirables , mais parce qu'il eft impoflible d'en dé- lirer beaucoup fans perdre le repos , qui vaut mieux que tout ce que l'on defire. Et les chofes que nous délirons , defirons-les peu , non-feulement , ajou- te ce Père, parce qu'elles ne méritent pas d'être autrement delirées , mais par- ce que les délirant beaucoup , elles de- viennent immanquablement le fujet de mille peines. Délirer peu de chofes hors de Dieu , c'eft ce que Saint Auguftin

Tome L K k

|86 Mortification appelle la mort des defirs j 8c cette morr des defirs , n'eft-ce pas la mortification dont nous parlons ? Et ce qu'on defire , le defirer peu , c'eft en quoi confifte cette fainte indifférence , qui tient l'âme dans une aiïiette toujours égale , ôC qui la met au-deffus de toutes les con- s trariétés & de tous les accidens. Ce n'eft pas une indifférence de naturel , ni une indifférence de Philofophe > mais une fainte indifférence , c'eft-à- dire 3 une indifférence fondée fur les principes de la religion , qui nous fait méprifer tous les objets créés, 8c qui tourne vers des biens réels toutes nos affections. Soyons en ce fens 8t félon l'efprit du Chriftianifme , indiffè- re ns à tout fur la terre , ou du moins ne nous entêtons de rien. Outre que l'entêtement eft par-tout vicieux , il ne laiffe jamais' le cœur dans une difpo- fition paifible , parce qu'il eft toujours impatient Se violent.

Ceci convient à toutes les pâmons 8c à tous les defirs qu'elles nous infpirent : mais la voie la plus sûre 8c la plus courte pour pacifier notre cœur , c'eft d'atta- quer d'abord la pafîion qui domine le plus en nous, 8c de mortifier les de-

des Passions. 387 firs nous remarquons plus de viva- cité 8c plus de feniibilité. Car c'eft-là comme le premier mobile de Pâme '> c'eft la fource de tous les chagrins qui l'affligent. Souvent une feule paillon eft plus difficile à foumettre , 8c fait plus de ravage dans un cœur , que toutes les autres enfemble. Souvent il eft aifé de retrancher toutes les autres , & de fe mortifier fur toutes les autres : mais du moment qu'il s'agit de la paiîion do- minante , 8c qu'on veut la contredire y ce n'eft plus à beaucoup près la même facilité , 8c l'on n'en éprouve que trop les retours fâcheux 8c les foulevemens. Cependant il n'y a point de paix à efpé- rer , tant que cette pafîion ne fera pas détruite. Fulliez-vous dans tout le refte l'homme le plus modéré , le plus rai- \ fonnable , le plus fage -, c'eft aiTez de cette paflion pour vous agiter , 8c pour faire votre fupplice. Elle vous remplira 1 l'efprit de mille idées , de mille vues , ;de mille réflexions défagréables. Elle j excitera dans votre cœur mille regrets , mille jalouftes , mille dépits , mille . rerTentimens pleins d'aigreur 8c d'a- mertume. Elle vous mettra dans la tête mille deffeins } mille projets , mille en-

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2 88 Mortification treprifes auili embarrairantes que vaines §c chimériques. Elle vous engagera dans des partis , dans des intrigues , peut- être vous aurez autant de déboires , de dégoûts, d'ennuis , de traverfes à effuyer , que de pas à faire. Elle remue- ra même en fa faveur toutes les autres parlions , qui d'ailleurs demeuroient dans le filence , ôc vous laifFoient dans le calme. Elle les allumera j & comme il ne faut quelquefois qu'un féditieux pour foulever tout un pays , il ne faudra que cette pafïion pour caufer dans vo- tre ame un bouleverfement général. Souvent encore ce fera dans les moin- dres occalions ôc fur les plus petits fujets* Une étincelle produit le plus vafte incen- die y ôc une bagatelle qu'on n'obferve- roit pas en toute autre rencontre, ôc qui ne feroit nulle fenfation , eft capa- ble , dès qu'elle intérelTe la paflîon do- minante , de porter aux plus grandes extrémités.

On le voit tous les jours , 3c on le connoît par foi-même. O que vous vous feriez épargné de mouvemens ôc d'agitations , foit dans vous - même , foit hors de vous-même , fi de bonne heure vous aviez écrafé ce ver qui vous

des Passions. 389 pique &: qui vous ronge ! De quelle paix vous jouiriez &: de quelle heuren- îe liberté! Tel étoit dès ce monde le bonheur des Saints : ils étoient contens- de tout y Se à n'avoir même égard qu'à la vie préfenre , on peut dire dans un vrai fens , que jufques au milieu de leurs plus auftères pénitences y ils menoient la vie la plus douce > parce qu'ils ne eraignoient rien de tout ce que nous craignons fur la terre , qu'ils ne deïi- roient rien , Se que par l'extinction de toutes les pallions humaines , ils avoient trouvé le fecret de s'élever au-defïus de tous les événemens , Se de pafTer leurs jours dans une indépendance Se une tranquillité que rien n'étoit capable d'altérer.

C'eft ce qui a fait dire à Saint Bafî- le , qu'il y a beaucoup moins de peine à mortifier fes pafîions , qu'à ne les mortifier pas. Cette proposition a de quoi nous furprendre , Se peut nous paroître un paradoxe ; mais c'eft une verité très-conftante* Car autant qu'on fait de violence à fes paiîions Se qu'on les mortifie 3 autant on fe difpofe à goûter la paix ; au lieu qu'on la perd en ne les mortifiant pas , Se en fuivant

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3^0 M ORTIFICATÎON

leurs aveugles convoitifes. La fanté du corps confiite dans le tempérament des humeurs : qu'une humeur vien- ne à prédominer , 8c que ce tempé- rament fe dérange , delà les infirmi- tés & les douleurs les plus cuifantes. Il en eft de même par rapport à la paix de l'efprit : elle confifte dans la modé- ration de nos defirs & de nos par- lions , qui en font comme les humeurs. Tant que ces defirs ne feront pas me- surés , que ces parlions ne feront pas réglées , l'efprit fera toujours ou abattu par la triftefTe ? ou tranfporté par la colère , ou envenimé par la haine , ou refTerré par la crainte. Il y aura tou- jours quelque chofe qui le Méfiera : car il aura beau vouloir fe contenter & ^n chercher les moyens ; fes defirs étant fans mefure , ils ne feront jamais fatif- faits , & fes paillons étant fans règle , elles demanderont toujours davantage. Or pour en revenir à la penfée de S. Bafile , dès-là qu'on fe procure la paix en détruifant fes parlions , Se qu'on îie peut l'avoir en les flattant & les nour- rifTant , il y a par conféquent moins à fouffrir dans la pratique de la mortifi- cation Chrétienne a qui nous les fait

des Passions. 591 combattre 8c qui les tient foumifes , que dans les vains ménagemens de l'a- mour-propre , qui prend leur défenfe 8c fe met de leur parti pour les féconder. Car ce qui doit faire la félicité d'un état en cette vie comme en l'autre , c'eft la paix qu'on y pofféde. Soyons abandon- nés du monde 8c dépourvus de tous les biens du monde , mais ayons la paix au- dedans de nous , avec cela nous fom- mes heureux. Vivons au contraire dans l'opulence , dans la fplendeur , parmi routes les aifes Se toutes les douceurs du monde , mais n'ayons pas la paix ; tout dès-lors nous eft infipide , richef- fes , grandeurs , fortune 5 8c nous deve- nons malheureux. Pouvons-nous donc en trop faire pour l'avoir , 8c y a-t-il rien que nous ne devions pour cela fa- crifier ? C'eft le fruit de la mortification intérieure , 8c c'eft le partage des âmes qui fe détachant d'elles-mêmes , s'atta- chent à vous , Seigneur , 8c ne veulent fe repofer qu'en vous. Vous êtes le Dieu de la paix, 8c vous fçavez bien dédommager un cœur des vains plaifirs <lont il fe prive en renonçant à fes paf- fions , 8c à leurs objets corrupteurs. Vous nous l'avez apportée , cette paix ,

Kk iv

39* Pensées diverses 8c vous nous lavez fait annoncer par vos Anges. Vous nous avez en même tems apporté l'épée 8c la guerre : mais c'eft juftement par cette épée , par cette guerre fpirituelle 8c domeftique contre nos vices 8c nos inclinations perverfes , que nous devons obtenir la fainte paix dont vous êtes l'Auteur. Soutenez-nous dans la réfolution nous fommes de la mériter , à quelque prix que ce puiiTe être y 8c de nous y affermir de telle for- te par votre grâce, que rien ne nous l'enlevé jamais > ni dans le tems, ni dans l'éternité,

Penfées diverfes fur la pénitence j & le retour à Dieu.

J T E% mondain dit : il faut que Dieu JLfoit un Maître bien exaét 8c bien rigoureux , puifqu'il ne pardonne rien fans pénitence. Et moi je dis : il faut que Dieu foit un Maître bien indulgent 3c bien miféricordieux , puifquon ob- tient de lui le pardon de tout par la pénitence.

f Pourquoi railler de la converfîoi^

SUR LA PÉNITENCE. $9}

!de cet homme ? Ce qu'il fait , c'eft ce qu'il faudra que vous faiiiez vous-même un jour j 8c c'eft même , fi vous n'avez pas renoncé entièrement à votre falut , ce que vous vous propofez de faire. Car voulez-vous vivre jufques au der- nier moment dans votre péché ? Y vour lez-vous mourir ? J'ofe dire qu'il n'y a point de pécheur fi abandonné, qui porte jufques-là le défefpoir.

f II y a certains fentimens du cœur dont on ne fe fait pas beaucoup de pei- ne 8c l'on s'entretient même avec plaifir , parce que d'un côté ils flattent la palîion , 8c que de l'autre on ne les pénètre point alTez pour fe les bien déve- lopper à foi-même. Si dans une réfle- xion férieufe on s'attachoit à les appro- fondir , on en découvriroit tout d'un coup le défordre 8c l'énorme abfurdité. Tel eft le fentiment d'un homme qui vit impénitent dans l'efpérance de mourir pénitent : je veux dire, qui mené une vie criminelle , 8c qui s'y autorife par la penfée qu'un jour il fera pénitence , 8c qu'il ne mourra point avant que de s'être remis en grâce auprès de Dieu. Je prétends , que c'eft de toutes les con- tradictions la plus infenfée 8c la plus

394 Pensées diverses monftrueufe. Pour mieux comprendre l'extrême folie de l'affreux dérèglement, de raifon tombe ce pécheur , il n'y a qu'à confidérer la nature de la péni- tence. Car qu'eft-ce que la pénitence ? c'eft un repentir , mais un vrai repentir 7 c'eft une douleur , mais une vraie dou- leur des offenfes commifes contre Dieu. Il faut que cette douleur mette le péni- tent dans une telle difpofition , qu'au prix de toutes chofes il voudroit n'avoir jamais déplu à Dieu , ni jamais offenfç Dieu.

Or cela pofé , voyons donc à quoi fe réduit le raifonnement d'un pécheur qui fe dit à lui-même : je n'ai qu'à vi- vre de la manière que j'ai vécu jnf- qu'à préfent; je n'ai qu'à demeurer dans mes habitudes : j'en ferai quelque jour pénitence. C'eft comme s'il difoit : je n'ai qu'à vivre de la manière que j'ai vécu jufqu'à préfent , Se pourquoi ? parce que je compte de me repentir quelque jour , & de me repentir vérita- blement d'avoir ainii vécu. C'eft com- me s'il difoit : je n'ai qu'à demeurer dans mes habitudes , de pourquoi ? par- . ce que je compte d'être quelque jour touché d'une véritable douleur de my

sur la Pénitence. 395 être engagé , ou de ne les avoir pas quittées de bonne heure. C'eft comme s'il difoit : rien ne me prefTe de retour- ner à Dieu , Se pourquoi ? parce que je compte de reffentir quelque jour une telle peine de m'être féparé de lui , & de n'être pas retourné à lui dès-à-pré- fent , que dans la force de mon regret , je ferois prêt de facrifier tout pour n'a- voir jamais eu le malheur de le perdre & n'avoir pas été un moment hors de fa grâce. Eft-ce raifonner ; ou n'eft-ce pas fe jouer &de Dieu , & de foi-même ? Sans la paiîion qui l'aveugle , & fans la forte impreiîion que fait fur lui l'objet préfent qui Pentraîne , le pécheur raifon- neroit tout autrement, ck du même prin- cipe il tireroit des conféquences toutes contraires. Car la maxime générale ôc univerfellement fuivie de tout homme fage , c'eft de ne rien faire dont on prévoie devoir un jour fe repentir. De îbrte qu'un des motifs les plus puiffans que nous apportons à un ami , pour le détourner d'une chofe qu'il entreprend 5 & fur quoi il nous confulte , eft de lui dire : vous en ferez fâché dans la fuite 3 vous en aurez du chagrin, vous vous en repentirez. S'il voit en effet qu'il j

2, *I»

$96 Pensées Diverses ait là-deiîus un jufte fujet de craindre Se s'il fe laiiîe perfuader , que ce qu'on prédit , arrivera , bien loin de pourfui- vre l'entreprife , il n'héfite pas à l'aban- donner. Ainii l'Apôtre écrivant aux Ro- mains , leur difoit en ce même fens , Rom, e. Quel avantage y mes Frères j ave^-vous trouvé dans des chofes ., dont vous rougif- fe\ maintenant ; Se fi vous avez connu que vous en deviez rougir , falloit~il vous y porter , Se vous y obftiher ?

$Un faux pénitent cherche à fe me nager lui-même dans fa pénitence ; mai en fe ménageant pour l'heure préfente | c'eft juftement par-là qu'il s'expofe à de cruelles peines dans la fuite , Ôc à de cheux retours. Car pour peu qu'il foit inftruit des devoirs la pénitence , qu'il ait delà religion, il eft difficile qui ne lui vienne pas dans la fuite bie des remords Se des reproches inté rieurs, dont fa confeience eft étrange ment Se continuellement troublée.

Cependant , me direz-vous , com bien dans le monde , voyons-nous d< gens tranquilles fur leurs pénitences pafTées , quelque lâches Se quelque im parfaites qu elles ayent été ? J'avou qu'on ne voit que trop de ces demi

lS

SUR LA PÉNITENCE. 397

pénitens , fans trouble & fans fcrupu- îe : mais ce que je regarde comme le fouverain malheur pour eux , c'eft cette paix même ils vivent. La paix dans le péché eft un grand mal; mais un mal encore infiniment plus à craindre , c'eft la paix dans la faufte pénitence. Car du moins la paix dans le péché ne nous ôte pas la connoiffance du péché. Un pécheur , tout endurci qu'il eft , ne peut ignorer après tout qu'il a perdu la grâce de Dieu , qu'il eft hors des voies de Dieu , ôc dans la haine de Dieu ; qu'à chaque moment qu'il pafte dans cet état , il peut mourir ôc être réprou- vé de Dieu. Or cette feule connoiftan- ce eft toujours une reftource pour lui , quoiqu'éloignée , & peut fervir à le ré- veiller de fon afïbupiffement : au lieu que la paix dans la faufte pénitence > par la plus dangereufe de toutes les illu- îions , nous cache le péché ; nous per- fuade que le péché eft détruit , lorf- qu'il vit en nous plus que jamais , lorf- qu'il y agit Se qu'il y domine avec plus d'empire , lorfqu'il nous entraîne , lans que nous l'appercevions , dans l'affreux abîme d'une éternelle damnation. Car quelle efpérance y a-t-il alors de rame-

39^ Pensées diverses ner une ame égarée ? Si c'eft la vue de fes offenfes Se le fouvenir des défordres de fa vie qui fe retracent quelquefois dans l'efprit de ce prétendu pénitent, il fe dira à lui-même : j'ai péché , j'en conviens Se je m'en confonds devant Dieu : mais enfin la pénitence efface tout ; j'ai demandé pardon à Dieu , je me fuis confeiTé 5 on m'a ordonné des prières , des aumônes , Se je m'en fuis acquitté : que faut -il davantage ? Si l'on vient à lui repréfenter les jugemens de Dieu Se leur extrême rigueur , il ré- pondra qu'il a pris fes mefures , qu'il a eu recours aux Prêtres Se qu'il en a reçu i'abfolution , que Dieu ne juge pas deux fois , 3c par conféquent qu'il ne nous jugera point , après que nous nous ferons jugés nous-mêmes. De cette forte , fa pénitence apparente n'a d'au- tre effet que de le confirmer dans une impénitence réelle Se véritable. Or pou- vons-nous rien concevoir de plus fu- nefte en cette vie Se de plus terrible , que de trouver la mort l'on devoit trouver le falut > & de fe damner par la pénitence même.

§ Du plus grand mal nous pouvons tirer le plus grand bien j Se ce qui nous

SUR LA PÉNITENCE. $£9

damne , peut fervir à nous fauver. Cet- te habitude vicieufe , voilà ce qui fait le dérèglement de votre vie , & ce qui vous mené plus directement à la perdi- tion j cette même habitude facririée à Dieu , voilà ce qui peut faire votre pré- deftination , & vous élever au plus haut point de la gloire. Mais c'eft une habi- tude honteufe. Il n'importe : toute hon- teufe qu elle eft , le facrifice en eft di- gne de Dieu 8c digne de vous.

| Rien ne nous donne une idée plus jufte de la conduite que doit tenir un pécheur, & des précautions qu'il doit prendre après fa converfion pour fe pré- server des rechûtes , que le régime de vie qu'obferve un malade dans l'état de la convalefcence. Car qu'eft-ce , à pro- prement parler, qu'un pécheur péni- tent? C'eft un malade qui fort d'une maladie très-dangereufe , & qui revient des portes de la mort, ou pour mieux dire , des portes de l'enfer. Quoique fauve du coup mortel dont il avoit été atteint , il eft encore dans une extrême foibleffe, ôc il fe refifentira long-tems des mauvaifes impreffions de fes habi- tudes criminelles. Elles ont altéré tou- tes les puifTances de fon ame , de il ne

400 x Pensé es diverses peut faire un pas fans être en danger de tomber. Or que fait un malade qui penfe à fe rétablir , ôc qui veut repren- dre fes forces ? Nous voyons avec quel- le exactitude il obéit à toutes les ordon- nances du Médecin qui le gouverne- avec quelle attention il prend garde aux tems 3 aux heures , aux manières , à tout ce qui lui eft marqué ; avec quelle confiance ôc quelle réfolution il furmonte fes inclinations ou ks répu- gnances naturelles , il règle fes appé- tits , il mortifie fon goût , il s'abftient de ce qui lui plairoit le plus , il fe prive de tout ce qui lui peut être nuifible. C'étoit un homme de bonne chère , ôc il devient fobre ôc tempérant ; c'étoit un homme du monde , répandu dans le monde , Ôc il devient retiré ôc foli- taire. C'étoit un homme de plaifir , ôc il renonce à tous fes excès ôc à toutes fes débauches. Qu'on vienne lui parler là-deûus , le railler , le traiter d'efprit foible , le tenter tout de nouveau : il n'y a ni difcours , ni refpeét humain qui le touchent. Il y va de la vie , dit-il , éc par cette feule réponfe , il croit avoir pleinement j unifié fes foins & toute la circonfpeétion dont il ufe. Appliquons

cela

sur la Pénitence. 401 cela à un pécheur converti : car il n'y a pas un trait qui ne lui convienne. Voilà fon modèle, & la comparaifon doit être entière; mais la pratique eft bien différente , & c'eft notre confia- fion. Le convalefcent facrirle tout à l'intérêt de fa fanté , &c combien de prétendus pénitens ne veulent rien facri- fier à l'intérêt de leur falut ?

f A confulter l'Evangile , & à s'en tenir précifément au texte & à la lettre , on diroit que Dieu réferve (qs plus grandes faveurs aux pécheurs pénitens y 8c qu'il leur donne l'avantage fur les Juftes , qui néanmoins fidèles à toutes fes ordonnances ont toujours vécu dans la règle & dans le devoir. Parmi les An- Lut, ti ges de Dieu j félon l'exprès témoignage I**7* du Sauveur des hommes , on fe réjouit plus de la pénitence d'un pécheur ., que de la perfévérance de . quatre vingt-dix-neuf Jufles. En quelque fens que les inter- , prêtes expliquent ces paroles , elles nous repréfentent une vérité très - certaine , fçavoir , que Dieu dans tous les tems a favorifé les pécheurs même les plus fcandaleux des grâces les plus finguliè- res , quand ils fe font retirés de leurs voies criminelles , de qu'ils ont embrâfle fon fervice.

Tome L

402. Pensées diverses

Conduite de Dieu, que nous devons adorer. Conduite fondée fur plus d'une raifon 5 3c en voici quelques-unes : i °, Parce que Dieu fe plaît à faire éclater les richefTes de fa grâce : or il ne les fait jamais paraître avec plus d'éclat y que dans ces fortes de pécheurs qui s'en font rendus plus indignes : 2°, Parce que les grâces de Dieu , fur-tout cer- taines grâces particulières 5 font beau- coup plus à couvert des atteintes de l'orgueil dans les mains de ces pécheurs que dans les mains des Juiles. Que veux - je dire ? Un Jufte enrichi des dons céleftes , Se fur-tout de certains dons , peut plus aifément les attribuer en quelque manière à fes mérites , Se comme l'Ange fuperbe , fe lailfer éblouir de fa iplendeur 8c de fa gloire i mais à quelque rang Se à quelque degré qu'un pécheur foit élevé , il a , dans la vue de fes égaremens paiTés | un contre-poids qui le rabaifle 3 Se qui lui fert de préfervatif contre toutes les attaques d'une vaine eftime de lui-mê- me. 3 °, Parce que Dieu veut s'attacher ces pécheurs , Se leur adoucir , par les grâces qu'il leur communique , la pe- fahteur de fou joug 5 auquel ils ne fonr

SUR LA PÉKIT£N"CE.» 405

point accoutumés , &: fous lequel il fe- roit à craindre que leur foiblefle ne vînt à fuccomber. 4°, Parce que Dieu pré- tend enfin récompenfer ces pécheurs du courage qu'ils ont eu de rompre les liens ils étoient engagés, & des efforts qu'il leur en a coûté : car Dieu fçait bien payer les facrifices qu'on lui fait. Tout ceci au refte ne va point à dépri- mer les Juftes , ni à leur rien ôter de la louange qui leur eft due ; à Dieu ne plaife : mais il eft bon d'exciter par-là les pécheurs & d'animer leur confian- ce. Le péché commence par le plaiiîr 5 mais la peine le fuit de près } la péni- tence au contraire commence par les larmes , mais elle eft bientôt fuivie des délices de l'ame les plus vives de les plus fenfibles.

f II faut qu'un pécheur converti loue Dieu , & qu'il ait du zèle pour la gloire de Dieu , mais un zèle modefte & hum- ble. C'eft-à-dire , qu'il ne faut pas , dès le lendemain de fa converfion , qu'il I s'érige en réformateur , qu'il devienne le cenfeur de tout le genre humain , ni que tout à coup il levé l'étendard de la févérité avec empire Se avec orienta- tion; mais qu'il édifie par fon humilité, par fa chanté , par fa douceur 3 par fa

Ll

404 Pensées diverses patience , par tous les exercices d'une vraie &: fonde piété. Car comment ofe- roit-il entreprendre de guérir le pro- chain , tandis que (es plaies faignent encore , ôc qu'elles ne font pas bien fermées ? Il a affez à faire de pleurer £es péchés , de détruire £qs mauvaifes habi- tudes , de réparer > devant Dieu ôc devant le monde 3 la vie fcandaleufe qu'il a menée ; ôc il doit fe fouvenir que le public n'attend pas ii-tôt de lui des prédications , mais des exemples.

f Après vous être 11 fouvent ôc fi long- tems écarté de votre devoir j après avoir fait parler de vous ôc de votre con- duite dans tout un quartier y toute une ville , tout un pays : ( car vous ne le fçavez que trop , ôc il n'y a point à vous le dillimuler ), vous vous êtes enfin recon- nu ; ôc déformais par une pénitence exem- plaire , par une vie pieufe ôc remplie de bonnes œuvres , vous expiez le paflé , autant quevvous croyez le pouvoir 5 Ôc tâchez de fatisfaire à la juftice de Dieu. Voilà de quoi l'on ne peut affez bénir le Ciel , ni affez vous féliciter vous-même. Mais j'apprends d'ailleurs qu'en deve- nant plus régulier par rapport à vous ,' vous devenez en même tems d'une ri- gueur outrée à l'égard du prochain;

SUR LA PÉNITENCE. 405

qu'au foupçon le plus léger qui vous palTe dans l'efprit , vous éclatez fans ménagement, 8c vous traitez fans pitié les perfonnes qui dépendent de vous j qu'une ombre dans eux vous fait peur , de que vous prenez tout en mauvaife part. Quoi donc , vous ne pouvez une fois pardonner aux autres la moindre faute ? ! tant de fois il a fallu vous pardonner les plus grands fcandalese

DE LA VRAIE

ET DE LA

FAUSSE DÉVOTION, xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx

Règle fondamentale & ejjentielh de la vraie dévotion.

Aire de fou devoir , fon mé- rite par rapport à Dieu 3 fon plaifir par rapport à foi-mê- me , & fon honneur par rap- port au monde , voilà en quoi confifte la vraie vertu de l'homme y & la folide dévotion du chrétien,

I. Son mérite par rapport à Dieu : car ce que Dieu demande finguliére- ment de nous & par-demis toute autre chofe, c'eft Faccompliflement de nos devoirs. Dès-là que ce font des devoirs , ils font ordonnés de Dieu3 ils font de

Solide Dévotion. 407 la volonté de Dieu , mais d'une volon- té abfolue , dune volonté fpéciale. Par conféquent , c'eft en les rempliffant &c en les obfervant , que nous plaifons fpécialement à Dieu } & plus notre fi- délité en cela eft parfaite , plus nous devenons parfaits devant Dieu, de agréa- bles aux yeux de Dieu. Aulli eft -ce par -là que nous nous conformons aux delïeins de fa fagefTe dans le gouvernement du monde , &: que nous fécondons les vues de fa pro- vidence. Qu'eft-ce qui fait fubfifter la fociété humaine , fi ce n'eft le bon ordre qui y règne } Se. qu'eft - ce qui établit ce bon ordre Se qui le conferve ., fi ce n'eft lorfque chacun félon fon rang , fa profelîion , s'acquitte exactement de l'emploi il eft deftiné, & des fonc- tions qui lui font marquées ? Et com- me il y a autant de différence entre ces- fondions & ces emplois , qu'il y en a entre les rangs Se les profellions , il s'en- fuit que les devoirs ne font pas par-tout les mêmes j ôc que n'étant pas les mê- mes par-tout , il y a une égale diverfi- dans la dévotion. Tellement que la dévotion d'un Roi n'eft pas la dévo- tion d'un fujet ; ni la dévotion d'un fé- culier , la dévotion d'un religieux j ni

4ôS S o l I t> l

la dévotion d'un laïque , la dévotîoiï

d'un Eccléfiaftique. Ainfi des autres.

Pour bien entendre ceci , il faut dif- tinguer l'efprit de la dévotion 3c la pra- tique de la dévotion j ou la dévotion dans l'efprit 3c le fentiment , 3c la dé- votion dans l'exercice 3c la pratique. Dans le fentiment 3c dans l'efprit , par- tout ce doit être la même dé- votion , parce que par - tout ce doit être le même defir d'honorer Dieu , d'obéir à Dieu , de vivre félon le gré 3c le bon plailîr de Dieu. Mais dans la pratique 3c l'exercice, la dé- votion eft auiîî différente , que les obligations 3c les miniftères font dirfé- rens. Ce qui eft donc dévotion dans l'un , ne l'eft pas dans l'autre , car ce qui eft du devoir 3c du miniftère de l'un , n'eft pas du devoir 3c du miniftè- re de l'autre.

Règle excellente! juger de fa dévo- tion par fon devoir , mefurer fa dévo- tion fur fon devoir 5 établir fa dévotion dans fon devoir. Règle sûre , règle géné- rale 3c de toutes les conditions : mais règle dont il n'eft que trop ordinaire de s'écarter. voit-on en effet ce que j'appelle dévotion de devoir ? Cette idée de devoir nous bielle , nous gène ,

nous

D É V O T I O H. Jr0£

nous rebute , nous paroît trop commu- ne , & n'a rien qui nous flatte 8c qui nous pique. C'eft néanmoins la vérita- ble idée de la dévotion. Toute autre -dévotion fans celle-là , n'-eft qu'une dé- votion imaginaire j 8c celle-là feule , indépendamment de toutes les autres , peut nous faire acquérir les plus grands mérites 8c parvenir à la plus haute fain- teté. Car on ne doit point croire que d'obferver religieufement fes devoirs, 8c de s'y tenir inviolablement attaché dans fa condition , ce foit en foi peu de chofe, 8c qu'on n'aif befoin pour cela que d'une vertu médiocre. Parcou- rons tous les états de la vie , 8c confl- dérons-en bien toutes les obligations, je prétends que nous n'en trouverons aucun , <jui , félon les événemens &c les conjectures , ne nous fournifTe mille fujets de pratiquer ce qu'il y a de plus excellent dans la perfection évangéli- que.

Que faut-il , par exemple , ou que ne faut-il pas à un Juge qui veut difpenfer fidèlement la juftice 3 8c fatisfaire à tout ce qu'il fçait être de fa charge ? Quelle alïiduité au travail ; 8c dans ce long &: pénible travail le devoir . l'alHijettiti que de victoires à remporter fur foi-mê- Tome I% M m

'4*o Solide

me , que d'ennuis à effuyer Se de dé- goûts à dévorer ï Quel dégagement de cœur , quelle équité inflexible & quelle droiture, quelle fermeté contre les follicitations , contre les promeffes, contre les menaces , contre le crédit & la puiflànce , contre les intérêts de fortune , d'amitié , de parenté , contre toutes les confidérations de la chair &: du fang ! Suppofons la dévotion la plus fervente : porte-t-elle à de plus grands facrifices , de demande-t-elle des efforts plus héroïques?

Que faut-il à un homme d'affaires % ou que ne lui faut-il pas , pour vaquei dignement ôc en chrétien, foit au fervice du Prince , dont il eft le Miniftre , foii au fervice du public dont il a les inté- rêts à ménager ? Quelle étendue de foins , 8c quelle contention d'efprit ? A combien de gens eft-il obligé de ré- pondre, ôc en combien rencontres a-t-il befoin d'une modération & d'une patience inaltérable ? Toujours dans le mouvement & toujours dans les occu- pations , qui le fatiguent , ou qui l'importunent : à peine eft-il maître de quelques momens dans toute une jour- ,née , Se à peine peut-il jouir de quel- que repos. Imaginons la dévotion la

Dévotion, 41 ip

plus auftère : dans fes exercices les plus morcirîans exige-t-elle une abnégation plus entière de foi-mème*, & un renon- cement plus parfait a fes volontés <k à fes inclinations naturelles , aux dou- ceurs & à la tranquillité de la vie ? Que faut-il a un père de à une mère ," ou que ne leur faut-il pas , pour veiller fur une famille & pour la régler ? Que 11 en coû- te-t-il point à l'un Ôe à l'autre pour éle- ver des enfans , pour corriger leurs dé- fauts , pour fupporter leurs foibleffes , pour les éloigner du vice & les dreffer à la vertu , pour fléchir leur indocilité , pour pardonner leurs ingratitudes & leurs écarts , pour les remettre dans le bon chemin Se les y maintenir , pour les former félon le monde , & plus encore pour les former félon Dieu ? Concevons la dévotion la plus vigilante , & tout enfemble la plus agnTante : a-t-elle plus d'attention à donner , plus de réflexions à faire , plus de précaution à prendre fur divers fentimens que les contrariétés Se les chagrins excitent dans le cœur? Tel chargé du détail d'un ménage Se de la conduite d'une maiion n'éprou- ve que trop tous les jours combien ce fardeau eft pefant , Se combien c'eft «ne rude croix. Or tout cela ce font de M m ij

4ii Solide

iimples devoirs 3 mais dira-t-on que l'ac^ compiifïement de ces devoirs devant Dieu n'ait pas fon mérite ôc un mérite très-relevé ? Je fçais que le Sauveur du monde nous ordonne alors de nous re- garder comme des ferviteurs inutiles , parce que nous ne faifons que ce cpe nous devons : mais tout inutiles que nous fommes à l'égard de Dieu qui n'a que faire de nos fervices } il eft certain d'ailleurs que notre fidélité eft d'un très-grand prix auprès de Dieu-même , qui juge des chofes , non par le fruit qu'il en retire , mais par l'obéiflance & la fourmilion que nous lui témoignons.

II. Son plaifir par rapport à fbi-même. Je n'ignore pas que l'Evangile nous en- gage à une mortification continuelle j mais je fçais aulîi qu'il y a un certain re- pos d^ lame 3 un certain goût intérieur que la vraie dévotion ne nous défend pas , ou pour mieux dire , qu elle nous donne elle-même , Se qu'elle nous fait trouver dans la pratique de nos devoirs. Car quoi qu'en penfe le libertin r il y a toujours un avantage infini à faire fon devoir. De quelque manière alors que les chofes tournent , il eft toujours Yrai qu'on a fait fon devoir y de avoir

Dévotion. 41 5 fait fon devoir , j'ofe avancer que dans toutes les viciiTitudes nous expo- fent les différentes occafîons & les ac- cidens de la vie , cela feul eft pour une ame pieufe 8c droite la reffource la plus aifurée 8c le plus ferme foutien. Si l'on ne réufîit pas , c'eft au moins dans fa difgrace une confolation , 8c une con- foiation très-folide , de pouvoir fe dira à foi-même , j'ai fait mon devoir. On s'élève contre moi , 8c je me fuis at- tiré tels 8c tels ennemis ; mais j'ai fait mon devoir. On condamne ma conduit, 8c quelques gens s'en tien- nent offenfés j mais j'ai fait mon de- voir. Je fuis devenu pour d'autres un fujet de raillerie , ils triomphent du mauvais tour qu'a pris cette affaire que j'avois entamée , & ils s'en réjouiffent ; mais en l'entreprenant j'ai fait mon de- voir.

Cette penfée fuffit à l'homme de bien, pour l'affermir contre tous les difeours Se toutes les traverfes. Quoi qu'il lui arrive de fâcheux, il en re- vient toujours à cette grande vue qui ne s'efface jamais de fon fouvenir 9 Se qui lui donne une force Se une conf- iance inébranlable , j'ai fait mon de- yoir. D'ailleurs > fi l'on réulîit, on goû- Mm iij

414 Soli-d.e:

te dans fon {accès un plaifîr d'autant? plus pur ôc plus fenflble , qu'on fe rend témoignage de n'y être parvenu qu'en faifant fon devoir , Ôc que par la bonne voie j témoignage plus doux que le iuecès même* Un homme rend gloire à Dieu de toit le bien qu'il en reçoit, il en bénit le Seigneur il reconnoît

avec actions de grâces que c'eft un don du Ciel : mais quoiqu'il ne s'attribue rien à lui-même comme étant de lui- même , il fçait du refte qu'il ne lui eft pas défendu de reffentir une fecrette joie d'avoir toujours marché droit dans la route 'qu'il a tenue j de ne s'être pas écarté un moment des règles les plus exactes de la probité ôc de la juftice , Se de n'être redevable de fon élévation Se de fa fortune , ni à la fraude 3 ni à l'intrigue : au lieu qu'il en eft tout au- trement d'une ame baffe Ôc fervile , qui trahit fon devoir pour fatisfaire fa paf- iion. Si c$ç homme profpere dans fes entreprifes , au milieu de fa profpérité ôc jufques dans le plus agréable fentiment de ce bonheur humain dont il jouit , il y a toujours un ver de la confeience qui le ronge malgré lui 3 ôc un fecret remords qui lui reproche fa mauvaife foi & fes honteuies menées. Mais c'eij

Dévotion. 415 encore bien pis , fi fes defleins échouent puifqu'il a tout à la fois le défefpoir , & de fe voit privé du fruit de fes fourbe- ries , d'en porter le ctime dans le cœur , & d'en être relponfable à la juftice du Ciel , quand même il peut échapper à la juftice des hommes.

III. Son honneur par rapport au monde. Car s'il eft de l'humilité chré- tienne de fuir l'éclat , & de ne chercher jamais l'eftime des hommes par un fen- timent d'orgueil 8c par une vaine orien- tation 5 le Chriftianifme après tout ne condamne point un foin raifonnable de notre réputation , fur ce qui regarde l'intégrité 8c la droiture dans la condui- te. Or ce qui nous fait cette bonne ré- 5 putation qu'il nous eft. permis jufqu'à certain point de ménager , c'eft d'être régulier dans l'obfervation de nos de- voirs. Le monde eft bien corrompu j il eft plein de gens fans foi 5 fans religion , fans raifon , 8c pour m'exprimer en des termes plus exprès , je veux dire que le monde eft rempli de fourbes , d'im- pies , de fcélérats : mais du refte j'ofe avancer, qu'il n'y a perfonne dans le monde , ou prefque perfonne , dé- pourvu de fens 3 ni ii perdu de vie 8c Mm iv

4i$ Solide

de mœurs 5 qui n'eftime au fond de Famé Se ne refpecte un homme qu'il fçait être fidèle à fon devoir > inflexi- ble à l'égard de fon devoir, dirigé en tout Se déterminé par fon devoir. Ce cara&ère 5 malgré qu'on en ait 3 impri- me de la vénération , Se l'on ne peut fe défendre de l'honorer.

Ce n'eft pas néanmoins qu'on ne s'é- lève quelquefois contre cette régularité Se cette exa&itude , quand elle nous eft contraire Se qu'elle s'oppofe à nos prétentions Se à nos vues. Il y a des conjonctures l'on voudroit que cet homme ne fut point ii rigide obferva- teur des règles qui lui font preferites , Se qu'en notre faveur il relâchât quel- que chofe de ce devoir fi auftère dont il refufe de fe départir. On fe plaint , - on murmure > on s'emporte y on raille % on traite de fuperftition ou d'obftina- tion une telle févérité : mais on a beau parler & déclamer ; tous les gens fages font édifiés de cette réfolution ferme Se courageufe. On en eft édifié foi-mê- me après que le feu de la pafiion s'eft xallenti , Se que l'on eft revenu du trou--» ble Se de l'émotion l'on étoit. Yoi^ un honnête homme , dit-on ; voilà tui puis homme de bien que moi* On

Dévotion. 417

Î>rend confiance en lui , on compte fur a vertit , ôc c'eft ce qui accrédite la piété , patce que c'eft-là ce qui en fait la vérité & la fainteté. Au contraire , c'étoit un homme capable de mollir quelquefois fur l'article du devoir , & qu'il fut fufceptible de certains égards au préjudice d'une fidélité inviolable, pour peu qu'on vînt à s'en appercevoir ïon crédit tomberoit tout à coup , " & Ton perdroit infiniment de l'eftime qu'on avoit conçue de lui. En vain dans fes paroles tiendroit-il les difeours les plus édifians j en vain dans la prati- que s'employeroit-il aux exercices de la plus haute perfection : on n'écoute- rpit rien de tous fes difeours ; & toutes fes vertus deviendraient fufpe&es. Il feroit des miracles , qu'on mépriferoit également, & fes miracles , ôc fa per- fonne : car on en reviendroît toujours à ce devoir, dont il feroit écarté , 8c on jugeroit par-là de tout le refte.

Ce qu'il y a encore de plus remarqua- ble , c'eft qu'il ne faut fouvent qu'une omiiïion ou qu'une tranfgrefïion afTez légère en matière de devoir , pour dé- créditer ainii un homme , quelque pro- fefïion de vertu qu'il fafTe & quelque té- moignage qu'il en donne. Le monde e&

41 8 Saints désirs d'une vie là-derTus d'une délicatefTe extrême , &; le monde même le plus libertin. Tant la perfuafîon eft générale , 5c le fentiment unanime , que la bafe fur quoi doit porter une yraie dévotion, c'eft rattache- ment à fon devoir. Je ne veux pas dire que toute la piété confifte en cela : mais je dis qu'il ne peut y avoir de vraie piété fans cela : & que cela manquant 5 nous ne pouvons plus faire aucun fonds fur notre prétendue dévotion. PuhTent bien comprendre cette maxime certaines âmes dévotes , ou réputées telles. Elles font fi curieufes de pratiques & de mé- thodes extraordinaires , & je ne blâ- me ni leurs méthodes , ni leurs prati- ques : mais la grande pratique , la première & la plus grande méthode 3 eft celle que je viens de leur tracer.

Saints defirs d*une ame qui afpire-^- à une vie plus parfaite & qui veut s'avancer dans les voies de la piété.

QUand ferai-je à vous , Seigneur ; comme j'y puis être , comme j'y dois être , comme il m'importe Jouve-

BEVOTE ET PARFAITE. 4I9

ràinement d'y être j puifque c'eft de-là que dépend mon vrai bonheur en ce monde, & fur cela que font fondées toutes mes efpérances dans l'éternité?

Il eft vrai , mon Dieu , que par votre miféricorde , je tâche de me conser- ver dans votre grâce. J'ai horreur de certains vices qui perdent tant d'ames , & qui pourroient m'éloigner de vous. Je refpecte votre Loi , 3c j'en obferve , à ce qu'il me femble , les points effen- tiels , ou je la veux obferver. Que toute la gloire vous en foit rendue ; car c'eft à vous féal qu'elle appartient , 3c fi je ne vis pas dans les mêmes déréglemens 8c les mêmes défordres qu'une infinité d'autres , c'eft ce que je dois compter parmi vos bienfaits , fans me l'attribuer, à moi-même.

Mais , mon Dieu, d'en demeurer-là , de borner-là toute ma fidélité -y de m'ab- (tenir preciiement de ces œuvres crimi- nelles , dont la feule raifon ôc le feuî fentiment de la nature me font con- noitre la difformité ôc la honte j de n'a- voir devant vous d'autre mérite , que de ne me point élever contre vous , que de ne point commettre d'offenfe capable de me féparer de vous , que de ne vous point refufer^ un culte in-

41 0 SAIKTS DESIRS r/tJNE VIE

difpenfablement requis 5 ni une obéif- fance abfolument néceiFaire , eft-ce tout ce que vous attendez de moi ? Eft-ce là, dis-je, Souverain auteur de mon être , tout ce que vous avez droit d'attendre d'une ame uniquement créée pour vous aimer , pour vous fervir 3c vous glorifier ? Cet amour qui vous eft par tant de titres , cet amour de tout le cœur , de tout l'efprit , de toutes les forces , ce fervice , cette gloire , fe ré- duifent-ils à fi peu de chofe ?

Qu ai - je donc à faire , Seigneur ? Hélas ! je le vois allez vous me le donnez afïez à entendre dans le fond de mon cœur 7 je me le dis alfez à moi- même , ôc je me reproche alfez là-defTus à certains tems mon peu de réfolution &: ma foiblefte. Car ce ne font pas les connoiffances qui me manquent , ni même les bons defîrs ; mais le courage èc l'exécution. Quoi qu'il en foit , ce qu'il y auroit à faire pour moi , ce fe- roit de me détacher pleinement du monde , & de m'attacher déformais à vous uniquement & inviolablement y ce feroit de me conformer , à ces âmes ferventes , qu'une fainte ardeur porte à toutes les pratiques de piété que vous leur infpirez, de qui peuvent dans leur

DEV-OTE ET PARFAITE. 41 1

ctat leur convenir ; ce feroit , en re- nonçant aux vains amufemens du mon- de., de nVadonner , félon ma condi- tion & la difpolîtion de mes affaires à de bonnes œuvres , à la prière , à la confidération de vos vérités éternelles y à la vifite de vos autels, au fréquent ufage de vos Sacremens , au foin de vos pauvres , à tout ce qui s'appelle vie dévote de parfaite j ce feroit de vaincre fur cela ma lâcheté & mes ré- pugnances , de prendre une fois fur cela mon parti , de me déterminer enfin fur cela à fuivre l'attrait de votre divin * Efprit , qui depuis fi long-tems me fblli- cite , mais à qui j'oppofe toujours de nouvelles difficultés & de nouveaux re- tardera ens.

quoi , Seigneur , faut-il tant de délibérations pour fe ranger au nom- bre de vos ferviteurs les plus fidèles , &, fi je lofe dire , au nombre de vos amis : tout ne m'y engage-t-il pas ? N'êtes- vous pas mon Dieu : c'eft-à-dire , n'ê- tes-vous pas le principe , le foutien , la fin de mon être ? Ne m'êtes -vous pas tout en toutes chofes ? Que d'idées je me trace en ce peu de paroles ! plus je veux les pénétrer , & plus j'y décou- vre de fujets d'un dévouement entier 5c fans réferve.

4*2. Saints désirs d'une vie " Dieu Créateur Se Scrutateur des cœurs , voilà ce que je reconnois in- térieurement Se en votre préfence } mais pourquoi ne m'en déclarerais - je pas hautement Se en la préfence des hom- mes ? Pourquoi n'en ferois-je pas de- vant eux une profelïion ouverte ? Qa'ai- je à craindre de leur part ? En voyant mon affiduité Se ma ferveur dans votre fervice , après avoir été témoins de mes dilîipations Se de mes mondanités , ils feront furpris de mon changement. On parlera de ma dévotion , on en rira , on la cenfurera j mais cette cenfure , ou tombera fur des défauts réels , Se je les corrigerai ; ou tombera fur des dé- fauts imaginaires , Se je la mépriferai. Du refte j'avancerai dans vos voies , je m'y affermirai ; & quoi qu'en penfeht Iqs hommes , j'eicimerai comme le plus grand de tous lés biens d'y perfévérer , d'y vivre , de d'y mourir.

Oui, Seigneur, c'eft .mon bien, Se mon plus stand bien. Mon bien par rapport a 1 avenir , Se mon bien même s pour cette vie préfente Se mortelle, Que ne l'ai -je mieux connu jufqu'à préfent , ce bien ii précieux , ce vrai bien ! Que n'ai-je fçu plutôt l'apperce- * voit à ttavets les- charmes trompeurs,

DEVOTE ET PARFAITE. 42$

ôc les frivoles enchantemens qui me fafcinoient les yeux ! Tant que ce fera cet efprit de religion ôc de piété qui me conduira , quels avantages n'en dois- je pas attendre ? il amortira le feu de mes pallions , il arrêtera mes vivacités Se mes précipitations ? il purifiera mes vues de mes intentions , il réglera mes humeurs , il redrefTera mes caprices , il fixera mes inconftanceî» : car une vraie dévotion s'étend à tout cela 3 8c de cette forte elle me préfervera même de mille mauvaife démarches 3 Se de mille écueiis dans le commerce du monde. Et en effet , dans toutes mes réfolutions , & toutes mes a&ions , cet efprit religieux & pieux me fervira de guide , de confeil : il me fera toujours réfourdre , toujours agir çlvqc maturité , avec modération Se re- tenue ., avec droitute de cœur , avec ré- flexion 3c avec fageffe. Mais fur-tout dans mes amiclions , dans toutes mes traver- fes ôc tous les chagrins inféparables de la mifère humaine , c'eft ce même efprit qui fera ma reiîource , mon appui 9 ma confolation. ïl me fortifiera , il réveil- lera ma confiance , il me tiendra dans une humble foumiffion à vos ordres ; Ôc ces fentimens calmeront toutes mes in- quiétudes ? de adouciront toutes mes peines^

424 Saints désirs d'uks vik

Oeft ainfi , mon Dieu , que fe véri- fie l'oracle de votre Apôtre : c'eft ainfi que la piété eft utile à tout. Mais que fais-je ? En me dévouant à vous, Sei- gneur , ce n'eft point moi que je dois envifager j je ne dois avoir en vue que vous-même. Il me îuffit de vous obéir ôc de vous plaire j il me fuflit de glorifier , autant que je le puis , votre laint nom , de rendre hommage à vo- tre fuprême pouvoir , d'ufer de retour envers vous , ôc de reconnoître vos bontés infinies j de vous témoigner ma dépendance , mon zèle , mon amour. Voilà les motifs qui doivent me tou- cher , ôc que je dois me propofer. De tout le refte , je m'en remets aux foins paternels de votre providence : car elle ne me manquera pas ; ôc m'a - 1 - elle manqué jufqu'à ce jour , m'a - t - elle manqué dans le cours même d'une vie tiède , négligente , d'une vie fans fruit ôc fans mérite , vous n'avez point ceiTé de m'appeller ôc de me repréfenter mes devoirs ? Or il eft tems de vous répondre , ôc ce feroit une obftination bien indigne , de réfifter encore à de ii favorables pourfuites. Je me rends, Seigneur , je viens à vous , je me con- fie en votre fecours tout-puàTant, ôc

comme

DÉVOTE £T PARFAITE. 425

comme ceft par vous que je commence, ou que je veux commencer l'ouvrage de ma fanctification , c'eft par vous que je le confommerau

Ah ! Seigneur 5 il ce n'étoit par vous , par quel autre le pourrois-je ? Seroit-ce par moi-même, lorfque dans moi je ne Trouve que des obftacles ? Toute la na- ture en eft allarmée , 8c y forme des oppofitions au-delîus de mes forces , à moins qu'il ne vous plaife de me fe- courir. Une vie plus réglée , plus reti- rée , plus appliquée aux exercices in- térieurs Se toute contraire à mes an- ciennes habitudes , trouble mes paf- fions 3 étonne mon amour propre , ébranle mon courage , & me remplit d'idées triftes & déplaifantes. Grand Dieu , levez-vous j prenez ma défenfe. Prenez-la contre moi-même , quoique pour moi -même.C'eft contre moi-même que vous la prendrez , en me défendant de ces ennemis domeftiques qui font nés avec moi 6c dans moi , & qui cons- pirent à me détourner de la fainte réfo- lution que j'ai formée ; mais ce fera en même tems pour moi-même, puif- que ce fera, pour le progrès de mon ame ôc pour mon fahuv

Tome L Nn

416 Injustice du Monde

Jnjujiice du monde _, dans le mépris qu il fait des pratiques de dévotion.

A

Quoi bon tant de pratiques de dé- votion Ôc tant de menues obfer- vances ? La piété ne confifté point en tout cela } mais dans le cœur. Ainfî parlent un homme , une femme du monde > qu'on voudrait engager à une vie plus religieufe , Ôc à certains exer- cices qu'on içait leur être très-conve- nables ôc très - falutaires. Le, principe qu'ils avancent eft inconteftable , fça- voir , que la piété coniifte dans le cœur : mais fur ce principe dont nous conve- nons également de part ôc d'autre 3 nous raifonnons du refte bien différemment. Car , difent-ils, pourquoi ne s'en pas tenir ôc qu'eft-il nécefîaire de s'amV jettir à tous ces exercices & à toutes ces régies qu'on veut nous prefcrire ? voilà ce qu'ils concluent. Et moi par un raifonnement tout oppofé , voici ce que je leur réponds, ôc ce que je leur dis : Il eft vrai ,Veft dans zle cœur que la piété confiée : mais dès qu'elle eft

a l'égard m la Dévotion. 427 vraiemenr dans le cœur , elle porte par une fuite naturelle à tout ce que je vous prefcris ; Se dès qu'elle ne porte pas à tout ce que je vous prefcris , c'en: une marque évidente qu'elle n'eft pas vraiement dans le cœur.

En effet , du moment qu'elle eft dans le cœur , elle veut s'y conferver ; . or c'eft par toutes ces pratiques qu'elle s'y maintient. Du moment qu'elle eft dans le cœur , elle y veut croître Se augmenter ; or c'eft par tous ces exer- cices qu'elle y fait fans cefte de nou- veaux progrès. Du moment qu'elle eft dans le cœur 5 elle veut fe produire^au dehors Se palfer aux œuvres ; Se ceflf félon toutes ces régies qu'elle doit agir. Du moment qu'elle eft dans le cœur, elle veut glorifier Dieu , édifier le pro- chain , faire honneur à la religion Se c'eft dans toutes cesyobfervations qu'elle trouve la gloire de Dieu , l'honneur de la religion , l'édification du prochain. Enfin , du moment qu'elle eft dans le cœur , elle veut acquérir "dés mérites Se s'enrichir pour l'éternité ; Se tout ce qu'une fainte ferveur nous infpire , ce font autant de fonds qui doivent profiter au centuple , Se autant de ga- ges d'une éternelle béatitude. Auifi

Nnij

%it IVr xr s 1 1 c e du Monde i'Eglife éclairée 3c conduite par I'efprit de Dieu , outre ce culte intérieur qu'elle nous recommande, 3c qu'elle fuppofe comme le principe 3c la bafe de toute vraie piété, a-t-elle cru devoir encore établir un culte extérieur , la dévo- tion des fidèles put s'exercer 3c fe nour- rir. Voila pourquoi elle a inftitué {qs fêtes , fes cérémonies , les aifemblées , fes offices , fes prières publiques , fes ab- ftinences , fes jeûnes : pratiques dont elle a tellement compris l'utilité 8c même la néceffité , que de plulieurs elle nous a fait des commandemens exprès y en nous exhortant à ne pas négliger les autres , quoiqu'elle ait bien voulu ne lès pas ordonner avec la même rigueur. Rien donc n'eft plus conforme à I'efprit de I'Eglife , ni par conféquent au divin efprit qui la guide en tout , qu'une dévo- tion agiiTante 3c appliquée fans relâche a de pieufes obfervances , ou qu'une longue tradition autorife , ou que le zèle fuggère félon les tems 3c les con- jonctures.

Le monde eft merveilleux dans fes idées , & prend bien plaifir à fe trom- per : je dis même le monde le moins profane 3c en apparence le plus chrétien. On veut une dévotion folide ,

A l'égard de la Dévotion. 429 & en cela l'on a raifon : mais cette dé- votion folide , on voudroit la renfermer toute dans le cœur , pourquoi ? parce qu'on voudroit être dévot , fk ne fe contraindre en rien , ni fe faire aucune violence } parce qu'on voudroit être dévot , & confommer inutilement les journées dans une molle oifiveté & dans une indolence pareifeufe ; parce qu'on voudroit être dévot , 3c vivre en toutes chofes félon fon gré , & dans une entière liberté. Car ces exercices propres d'une vie fpirituelle &; dévote ont leurs difficultés & leur fujettion. Il y en a qui mortifient la chair & qui fou- mettent les fens à des œuvres de péni- tence , dont ils ont un éloignemerit na- turel. Il y en a qui attachent l'efprit 5 qui l'appliquent à d'utiles réflexions , ôc l'empêchent de fe diftraire en de vaines penfées il aime à fe diffiper. D'au- tres captivent la volonté , repriment {qs defirs trop vifs «Se trop précipités ; & toute indocile qu'elle eft , la tiennent fous le joug & dans la dépendance. D'autres règlent les actions de chaque jour , les fixent à des tems précis , 3c leur donnent un arrangement auffi in- variable qu'il le peut être dans la litua- tion préfente. Chacun porte avec foi fa

43© Injustice- du Monde gêne , fa peine , fon dégoût. Or voila ce qui rebute , Se à quoi l'on répugne.

Mais dans le fond qu'eft-ce que toutes ces méthodes , que toutes ces pratiques ? Ne font-ce par des minuties? Des minu- ties ! mais ces prétendues minuties plai- fent à Dieu 3 & entretiennent dans une fainte union avec Dieu. Des minuties î mais ces prétendues minuties, les plus habiles maîtres & les plus grands faints î es ont regardées comme les remparts 8c les appuis de la piété. Des minuties ! mais ce font ces prétendues minuties,qui font: le bon ordre d'une vie & la bonne conduite d'une ame. Des minuties ! mais c'eft dans ces prétendues minuties que toutes les vertus , par des actes réité- rés ôc réglés , s'accroifTent §c fe perfec- tionnent. Des minuties ! mais c'eft à ces prétendues minuties que Dieu a pro- mis fon royaume , puifqu'il l'a promis pour un verre d'eau donné en fon nom.

En vérité les mondains ont bonne grâce de rejetter avec tant de mépris ce qu'ils appellent en matière de dévo- tion minuties &: petitefTes , lorfqu'on les voit eux - mêmes dans l'ufage du monde defeendre à tant d'autres petits foins Se d'autres minuties , pour fe ren- dre agréables à un Prince , à un Grand 3

A l'égard de la Dévotion. 43 1 à toutes les perfonnes qu'ils veulent gagner. Ils ont bonne grâce de traiter de bagatelle ce qui concerne le fervice de Dieu , lorfque les moindres chofes leur paroifTent importantes à. l'égard d'un Souverain , d'un Roi de la terre a dont ils recherchent la faveur , 8c à qui ils font fi ailiduement leur cour. Qu'ils en jugent comme il leur plaira: dès qu'il fera cpeftion du Dieu que j'adore 8c des hommages que je luis dois y je ne. tiendrai rien au-deffous de moi y mais tout me deviendra refpectable 8c vé- nérable. Us riront de ma foibleife , 8c J'aurai pitié de leur aveuglement.

Simplicité Evangélique^ préférable

dans la dévotion à toutes le con-

noijjances humaines.

J'Entends une bonne ame qui me parle de Dieu , 8c qui m'expofe les fentimens que Dieu lui donne à la communion , à. l'oraifon , dans fon travail 8c fes occupations ordinaires. Je fuis furpris , en l'écoutant , de la manière dont elle s'explique. Quel feu anime fes paroles ! qu'elle onction les

452. Simplicité Evangeliqué accompagne ! Elle s'énonce avec unO- facilité que rien n'arrête j elle s'exprime en des termes , qui fans être étudiés ni arTe&és , me font concevoir les plus hautes idées de l'Etre divin , des gran- deurs de Dieu , des myftères de Dieu, de fes miféricordes &c de fes jugemens, des voies de fa providence , de fa con- duite à Fégard des élus , de fes com- munications intérieures. J'admire tout -cela.j 8c je l'admire d'autant plus , que la perfonne qui me tient ce langage il relevé & fi fublime ? n'eft quelquefois qu'une fimple fille , qu'une domeftique , qu'une villageoife. A quelle école s'eft- elle fait inftruire ? quels maîtres a-t-elle confultés ? quels livres a-t-elle lus ? "Et ne pourrois-je pas avec toute la pro- portion convenable lui appliquer ce 'Mâtth, qu'on difoit de Jefus - Chrift : Ou cet *• l ? ' homme a-t-il appris tout ce qu'il nous dit ? nefl-ce pas le fils d'un art if an ?

Ah ! mon Dieu , il n'y a point eu pour cette ame d'autre maître que vous- .même , 3c que votre efprit. Il n'y a point eu pour elle d'autre école que la prière , elle vous a ouvert fon cœur avec iimplicité , & avec humilité. Il ne lui a point fallu d'autres livres ni d'au- tres leçons, qu'une vue amoureufe du

crucifix 9

DANS LA DÉVOTION. 455

crucifix , qu'une continuelle attention à votre préfence , qu'une dévote fréquen- tation de vos facrés rnyftères , qu'une pratique ridelle de fes devoirs , qu'une pleine conformité à toutes vos volontés , Ôc qu'un deiir lincère de les accomplir. Voilà par elle s'eft formée , ou plutôt , voilà , mon Dieu , par elle a mérité , autant qu'il eft poiîible à la foiblelTe hu- maine , que votre grâce la formât , l'é- clairât , rélevât.

Auiîi eft-ce à ces âmes iîmples com- me la colombe , & humbles comme les enfans , à ces âmes pures , droites ôc ingénues , que Dieu communique avec plus d'abondance fes lumières. C'eft avec elles qu'il aime à converfer. Il leur parle au cœur , & cette feience du cœur , cette feience de fentiment , cette feience d'épreuve & d'expérience qu'il leur fair acquérir , eft infiniment au-defiTus de tout ce que peuvent nous découvrir tou- tes nos fpéculations ôc toute notre théologie.

Que je m'adrelTe à quelqu'un de nos fçavans , & que je le faife raifonner fur ce que nous appelions vie fpirituelle , vie de, l'ame , vie cachée en Jefus- Chrift & en Dieu. Que me dira-t-il ? peut - être avec toute , fon habileté le Tome I. O o

434 Simplicité Ev Angélique verrai-j e tarir au bout de quelques pa- roles j ôc fera-t-il obligé de confelTer , que là-defïus il n'en fçait pas davan- tage : ou s'il veut s'étendre fur cette matière } il m'étalera de beaux principes &: de belles maximes , mais dont je m'ap- perceverai bien-tot qu'il n'a qu'une con- nohTance vague & fuperrlcielle. Dans fes raifonnemens je pourrai remarquer beau- coup de doctrine , beaucoup d'efprit , &: cependant j'en ferai peu touché, parce que le cœur n'y aura point de part. Deux ou trois mots qui partiroient du cœur , m'en feroient plus comprendre & plus fentir que tous fes difcours. Je conclurai r 9, donc avec le faint Roi David : Heu- u. reux ceux à qui vous enfeigne^ vous-même vos voies j S mon Dieu. Tout dépourvus qu'ils peuvent être d'ailleurs des talens & des dons de la nature , vous rendre1^ leurs Sa?, t. langues difertes & éloquentes. A quoi j'a- 10» jouterai comme faint Auguftin : Hélas ! les ignorans s3 avancent > fe fanclifient j emportent le Ciel j & nous avec toute no- tre étude & tout notre fc avoir jy nous refions aux derniers rangs du royaume de Dieu y &fouvent même nous nous mettons en dan- ger de tomber dans V abîme éternel.

Mais n'y a-t-il pas eu des faints & de très-grands faints parmi les fçavans ? Je

DANS LA DÉVOTION. 435

fçais qu'il y en a eu , & c'eft faint Paul lui - même qui nous apprend que Dieu a établi dans fon Eglife , non-feulement des Apôtres & des Prophètes , mais des Do&eurs , qui l'ont éclairée , &c qui en l'éclairant font parvenus à la plus haute fainteté. Donnons à leur vafte & profonde érudition toute la louange qui lui eft due \ mais du refte gardons-nous de croire que ce fut-là ce qui les entre- tenoit dans une union il intime avec Dieu. Quand il s'agiiïbit de traiter avec ce fouverain maître 8c d'aller à lui , ils dépofoient , pour ainfi dire , toute leur fcience ± & bien loin de l'appeller à leur fecours , ils en éloignoient toute idée , & craignoient que par un fouve- nir même involontaire elle ne troublât les divines opérations de la grâce. Tout ce qu'ils fçavoient alors , c'étoit d'adorer avec tremblement , de s'abaifTer fous la main-toute puiflante du Seigneur , de s'anéantir en préfence de cette redou- table Majefté, de contempler, d'admi- rer , de s'affectionner , d'aimer. Ils n'a- voient befoin pour cela , ni d'un génie fublime , ni d'un travail aflîdu , ni de curieufes recherches , ni de penfées ingé- nieufes & fubtiles j mais il ne leur falloit qu'une fimple confidération , qu'une foi

Ooij

Jtrzrrt. p.i. 6.

436 Simplicité -Evangélique vive , qu'un cœur droit. Ainfî tout fca- vans qu'ils étoient , ils confervoient 'devant Dieu Se dans les chofes de Dieu toute la {implicite evangélique. Quoique fçavans, ils n'étoient point de ces prudens Se de ces fages 3 à qui le Père céleite , fui- vanc la parole du Fils de Dieu , a caché fes adorables myftères ; mais ils étoient du nombre de ces petits , à qui Jefits- Chrift donnoit un accès fi facile auprès de fa perfonne , Se qu'il a fpécialement déclarés héritiers du royaume de Dieu. Voilà comment ils approchoient de Dieu , remplis du même fentiment que le Prophète Jérémie , lorfqu'il s'écrioit : Dequoifuis-je capable j Seigneur _, & que puis-je ! Je ne fuis qu'un enfant _, & à peine feais-je prononcer unefyllabie? Mais il me fembie que Dieu leur répondoit inté- rieurement à chacun , comme à fon Pro- phète : Non _, ne dites point que vous ne feave^ rien y & que vous n'êtes qu'un en- fant : parce que vous ne vous regardez point autrement devant moi , c'eft pour cela que je vous comblerai de mes dons céleftes \ que je vous attacherai à moi , Se que je m'attacherai à vous ; que je vous admettrai à mes entretiens les plus familiers j que je vous révélerai Ifs-fecrets de ma fageife , & que je Se

dans la Dévotion. 437 vous mettrai dans la bouche de dignes e.xpreiîiqns pour les annoncer. Car c'eft aux petits , & aux plus petits , que ces faveurs font refervées.

Soyons de ce nombre favori , & con- folons-nous nous fommes privés de certains mérites perfonnels , Se de cer- taines qualités qui brillent aux yeux des hommes. La feience fans la charité peut être plus nuiilble qu'utile à un fçavant , parce qu'elle enfle j mais la charité fans la feience peut feule nous fûffire pour notre propre fanflification , parce que de fon fonds Se par elle-même , elle édi- fie. Or cette charité fi fainte & fi fandi- fiante , nous pouvons l'avoir fans être pourvus de grands talens naturels , ni de grandes connoiiTances. Nous pouvons .même dans l'état de cette enfance fpiri— tuelle , l'avoir plus aifément & la confer- ver plus fûrement , puifque nous fommes moins expofés à la préfomption de l'or- gueil , & moins fujets à nous évanouir dans nos penfées. Voye-^ _, mes f ères ., difoit lm c l'Apôtre aux Corinthiens , quelU efi yo~ ci. 16. tre vocation : il n'y en a pas eu beaucoup parmi vous qui fuffent J âges félon la chair > oupuiffans , ou nobles ; mais ce qui paffe pour infenfé devant le monde _, Dieu l'a choijîpour confondre les j âges ; & ce qui

O o iij

4 3 8 Simplicité Ev Angélique eji foibk & méprifable devant le inonde , Dieu l'a chofipour confondre ce qu'il y a déplus fort & déplus grand > afin j con- clut le Docteur des Gentils , que nul homme neût de quoi fe glorifier ., s'attri- buant à foi-même ce qui ne vient que de Dieu y 8c qui n'appartient qu'à Dieu. Un homme verfé dans les fciences ou divines ou humaines , a plus lieu de craindre qu'une fecrette complaifance ne lui fafTe dérober à Dieu la gloire de certaines lu- mières , de certaines vues , de certaines difpoiitions de l'ame , dont la grâce eft l'unique principe. Quoi qu'il en foit, fui- Sap» c . vons l'avis du fage j cherchons Dieu dans la Jimplicité de notre cœur. Apprenons à l'aimer , à lui obéir , à le fervir , à nous fauver , voilà ce qu'il nous importe fouverainement de fçavoir. Voilà tout V homme ., félon le terme de l'écriture , 3c par conféquent voilà la grande fcience de l'homme , Se toute autre fcience doit fe réduire.

a. 12.

DANS LA DÉVOTION. 43 £

Défaut à éviter dans la dévotion _, &

faujjes conféquences que le liberté

nage en prétend tirer.

QUe la nature eft adroite , & quelle fçait bien ménager fes intérêts! Jille les trouve par - tout, & jufques dans les chofes qui paroifTent plus oppo- fées. Nous penfons à nous défaire d'une pailion : que fait la nature ? En la place de cette pafïion , elle en fubftitue une autre toute contraire , mais qui eft tou- jours paffion , & par conféquent qui lui plaît Se qui la flatte. On donne à l'or- gueil , à l'envie de dominer & d'intri- guer , à l'impétuofité naturelle , à la ma- lignité , à l'indolence & à l'oinVeté , ce qu'on ôte aux autres vices j & de - divers caractères de dévotion , plus ai- fés à remarquer qu'à corriger. Dévotion faftueufe & d'éclat , dévotion intri- guante &c dominante , dévotion inquiète & emprelfée , dévotion zélée pour autrui fans l'être pour foi 3 dévotion de natu- relle & d'intérêt , dévotion douce & commode.

1. Dévotion faftueufe & d'éclat : cai O o iv

'44° DÉFAUTS A ÉVITER

on aime l'éclat jufques dans la retraite , jufques dans la pénitence , jufques clans les plus faints exercices , &c dans les œuvres même les plus humiliantes. Celle-ci peut-être ni celle-là ne fe fe- roient pas retirées du monde , fi elles ne l'avoient fait avec éclat , & fi cet éclat ne les eût foutenues. Et depuis qu'elles ont renoncé au monde & embraffé la dévotion , peut - être ne fe rendroient- elles pas il afîidues au foin des pauvres ou au foin des prifonniers , fi elles ne le faifoient avec le même éclat , & il dans ce même éclat elles n'avoient le même foutien. Bien d'autres exemples pour- raient vérifier ce que je dis. On s'em- ploye à des établiilemens nouveaux , qui paroifTent & qui font bruit dans le monde. On y contribue de tout fon-pou- voir , & l'on fournit amplement à la dépenfe. De relever les anciens qui tom- bent , & d'y travailler avec la même ardeur £c la même libéralité , ce ne fe- rait pas peut-être une œuvre moins mé- ritoire devant Dieu ni moins agréable à fes yeux : mais elle ferait plus obfcure , êc l'on aurait point le nom d'infHtùteur ou d'inftitutrice. Or cet attrait man- quant , il n'eft que trop naturel ôc que trop ordinaire qu'on porte ailleurs fes

DANS LA DÉVOTION. 44 1

gratifications , &: qu'on fe laiife attirer par l'éclat de la nouveauté, Mais , dit- on , cet éclat fert à édifier le prochain. Sur cela je conviens que l'éclat alors fe- roit bon > fi l'on n'y recherchoit que l'é- dification publique j mais il eft fort à craindre qu'on ne s'y cherche encore plus foi-même. quoi ! faut-il donc quitter toutes ces bonnes œuvres ? Non , rete- nez-les toutes quant à l'action j mais étu- diez-vous à en rectifier l'intention.

2. Dévotion intriguante ôc domi- nante. En ceflant d'intriguer dans le monde & d'y vouloir dominer , on veut intriguer Se dominer dans le parti de la dévotion. Car il y a dans la dévotion même différents partis j & s'il n'y en avoit point , & que l'uniformité des fentimens fut entière , fans difpute , fans conteitation , fans occafion de re- muer , de s'ingérer en mille affaires ck: mille menées , il eft à croire que bien des perfonnes , fur - tout parmi le fexe , ii'auroient jamais été dévotes ni voulu l'être. Le crédit qu'on a dans une fecte dont on devient , oa-lecerf , ou l'un des principaux agents j l'empire qu'on exerce fur les efprits qu'on a fçu prévenir en fa faveur 5 Se qui prennent aveuglément les impreflions qu'on leur donne j Tau-

442- Défauts a éviter torité" avec laquelle on les gouverne de on les fait entrer dans toutes fes vues & toutes fes pratiques } le plaifir flatteur d'être lame des afTemblées , des délibérations , de tous les confeils & de toutes les réfolutions j le feul plaifir même d'avoir quelque part à tout cela 3 &: d'y être compté pour quelque chofe , voilà ce qui touche un cœur vain & ama- teur de la domination. Voilà fon objet , tout le refte n'eft proprement que l'ac- cefToire & qu'une fpécieufe apparence. 3. Dévotion inquiète & emprefTée. Lue. r. Marthe j Marthe j vous vous inquiète^ ' & vous vous mette\ en peine de bien des chofes 9 difoit le Sauveur du monde à cette fœur de Marie , voyant qu'elle s'embarrafToit de trop de foins pour le recevoir dans fa maifon > & pour, lui témoigner fon refpect. C'étoit fans doute une bonne œuvre qu'elle faifoit , puifqu'il s'agiiïoit du Fils de Dieu j mais dans toutes nos œuvres & particulière- ment dans nos œuvres , de piété , Dieu veut toujours que nous confervions le recueillement intérieur , qui ne peut guères s'accorder avec une ardeur (i vive & fi précipitée. Car dans les chofes de Dieu , comme par -tout ailleurs , il y a de ces vivacités ôc de ces empref-

DANS LA DÉVOTION. 44$

femens qu'il faut modérer. Ceft le ca- ractère de certains efprits qui n'entre- prennent ni ne font prefque jamais rien d'un fens raifis 3c avec tranquillité : de forte qu'on les voit dans un mouve- ment perpétuel , ôc que pour quelques démarches qui fuffiroient , ils en font cent d'inutiles. Ils croient agir en cela avec plus de mérite devant Dieu j mais fouvent , fans qu'ils l'apperçoivent , s'y mêle-t-il beaucoup de tempérament , & quelquefois même une fecrette corn- plaifance au fond de l'ame. Car toutes ces manières ôc toutes ces agitations extérieures ont, je ne fçais, quel air d'im- portance , dont le cœur fe laifTe aifé-* ment flatter. C'eft .l'œuvre de Dieu, difent-ils , ôc malheur à celui qui fait Jtrtm* V œuvre de Dieu négligemment» Je l'a-j'0t voue , & je le dis auffi - bien qu'eux : mais fans négliger l'œuvre de Dieu , on peut s'y comporter avec plus d'attention à Dieu même \ avec plus de récollec- tion, avec moins de dillipation. Hé, pour- rois-je leur demander , que prétendez- vous , en vous laiflfant ainfi diftraire , ôc perdant par toutes vos précipitations ôc tous vos troubles la préfence de Dieu ? Vous le cherchez hors de vous , de

444 DÉFAUTS A ÉVITER

vous le quittez' au dedans -3e vous-mê- jnes.

4. DéVotion zélée , niais fort zélée pour autrui & très-peu pour foi. Depuis que telle femme a levé l'étendard de la dévotion, il.femble quelle foit deve- nue impeccable , & que tous les autres foient des pécheurs remplis de défauts. Elle donnera dans un jour cent avis , & dans toute une année elle n'en voudra pas recevoir un feul. Quoi qu'il en foit , nous avons du zèle , de le zèle le plus ar- dent , mais fur quoi ? fur quelques abus affez légers que nous remarquons , ou que nous nous figurons dans des fubal- ternes, ck dans des états qui dépendent de nous. Voilà ce qui nous occupe , fans que jamais nous nous occupions des véritables abus de notre état , dont nous ne fommes pas exempts , & qui quelquefois font énormes. Cependant on inquiète des gens , on les fatigue , on va même jufqu'à les accabler. Le

p/. 68. Prophète difoit , mon %è/e me dévore .,

l0' mais combien de prétendus Zélateurs

ou Zélatrices pourroient dire : Mon \ele y

au lieu de me dévorer moi-même j dévore

les autres,

5. Dévotion de naturel, d'inclina- tion', d'intérêt. Le vrai caractère de la

DANS LA DÉVOTION. 445

piété eft d'accommoder nos inclinations 8c nos cleiirs a la dévotion-, mais i'illuiion la plus commune 8c le défordre prefque univerfel , eft de vouloir au contraire accommoder la dévotion à tous nos de(irs 81 à toutes nos inclinations. De- là vient que la dévotion fe transfigure en toutes fortes de formes : mais fur- tout à la Cour elle prend toutes les qua- lités de la Cour. La Cour ( ce que je ne prétends pas néanmoins être une règle générale ) la Cour eft le féjour de l'am- bition ; la dévotion y devient ambitieu- fe. La Cour eft le féjour de la politi- que : la dévotion y devient artificieufe 8c politique. La Cour eft le féjour de l'hypocrifie 8c de la diiîîmulation : la dévotion y devient dilïîmulée 8c ca- chée. La Cour eft le féjour de la médi- •fance : la dévotion y devient critique à l'excès 8c médifante. Airifi du refte. La raifon de ceci eft, que dans la dévo- -tion même , il y a toujours , fi l'on n'ufe d'une extrême vigilance , quelque chofe d'humain 8c un fonds de notre nature corrompue , qui s'y glilie & qui agit imperceptiblement. On eft pieux, ou l'on croit l'être ; mais on l'eft félon fes vues , mais on l'eft félon fes avan- - tages perfonnels 8c temporels , mais on

446 Défauts a éviter. l'eft félon l'air contagieux du monde , que l'on refpire fans cefTe. C'eft-à-dire , qu'on l'eft alfez pour pouvoir en quel- que manière fe porter témoignage à foi-même de l'être , ôc pour en avoir devant le monde la réputation ; mais qu'on l'eft trop peu pour avoir devant Dieu le mérite de l'être véritablement. Sainteté de Cour 5 fainteté la plus émi- nente quand elle eft véritable , parce qu'elle a plus d'obftacles à furmonter , &c plus de facrifices à faire : mais que ces facrifices font rares ! Se comme il faut pour cela s'immoler foi-même , que Fefprit de la Cour trouve d'accommo- demens èc de raifons pour épargner la vi&ime !

6. Dévotion douce , oifîve , com- mode. On dit en fe retirant des affai- res du monde , ôc fe donnant à Dieu : pourquoi tant de mouvemens 8c tant de foins ? Tout cela me lafte & m'im- portune. Je veux vivre déformais en repos. Erreur : ce n'eft point l'efprit de la piété } mais c'eft un artifice de l'amour propre , qui fe cherche foi- même jufques dans les meilleurs def- feins. Il veut par-tout avoir fon comp- te , ôc être à ion aife : en quoi il nous trompe. La fainteté de cette vie eft

DANS LA DÉVOTION. 447

dans le travail ôc dans la peine , comme celle de l'autre eft dans la béatitude 8c dans la paix.

Que le libertinage , inftruit auiîl bien que nous de ces égaremens dans la dévotion , <k des autres , les condamne , nous ne nous en plaindrons point, & nous ne l'aceuferons point en cela d'in- juftice. Mais de quoi nous nous plai- gnons , & avec raifon , c'eft que le liber- tin abufe de quelques exemples parti- culiers , pour en tirer des conféquences générales au défavantage de toutes les perfonnes vertueufes , & adonnées aux œuvres de piété. De quoi nous nous plaignons, c'eft que le libertin prenne de-là fujet de décrier la dévotion , de la traiter avec mépris , de l'expofer à la rifée publique par de fades & de fean- daleufes plaifanteries. De quoi nous nous plaignons , c'eft que le libertin veuille de-là fe perfuader qu'il n'y a de vraie dévotion qu'en idée , ôc que ce n'eft dans la pratique qu'un dehors trompeur & un faux nom. De quoi nous nous plaignons , c'eft que le libertin exagère tant les devoirs de la dévo- tion, & qu'il affecte de les porter au degré de perfection le plus éminent , afin que ne voyant prefque perfonne

44 8 DÉFAUTS A ÉVITER

qui s'y élevé , il puiife s'autorifer à conclure , que tout ce qu'on appelle gens de bien , ne valent pas mieux la plupart que le commun des hommes. De quoi nous nous plaignons , c'eft que par-là le libertin ôte en quelque forte aux Prédicateurs 8c à tous les Mi- niftres chargés de l'inrcruclrion des fi- dèles, la liberté de s'expliquer publi- quement fur la dévotion, d'en prefcri- re les régies , d'en découvrir les illu- lions , de peur que les mondains n'em- poifonnent ce qu'ils entendent fur cette matière , & que leur malignité ne s'en prévale.

Cependant le monde penfera tout ce qu'il lui plaira , & il raillera tant qu'il voudra ; nous parlerons avec difcrétion , mais avec force , & nous ne déguife- rons point la vérité dont nous fommes les dépofitaires & les interprètes. Nous imiterons notre divin Maître , qui n'ufa de nul ménagement à l'égard des Scri- bes & des Pharifiens , & qui tant de fois publia leur hypocrilie & leurs vices les plus fecrets. Nous exalterons la ver- tu , nous lui donnerons toute la louan- ge qu'elle mérite , nous reconnoîtrons qu'elle n'eu: point bannie de la terre , & qu'elle règne encore dans l'Eglife de

Dieu .*

DANS LA DÉVOTION. 449

Dieu : mais en même tems , pour fon honneur , Ôc pour la réformation de ceux mêmes qui la profelfent , nous ne craindrons point de marquer les alté- rations qu'on y fait. Nous démêlerons dans cet or ce qu'il y a de pur, & tout ce qu'on y met d'alliage. Plaife au Ciel que nos leçons foient bien reçues 6c qu'on en profite ! c'eft notre intention : mais quiconque en fera fcandalifé , qu'il s'impute à lui-même fon fcandale.

«

Alliance de la Piété à & de la

Grandeur.

QUelque oppofé que femble être au Chriftianifme l'état des Grands , il y a une merveilleufe alliance entre la piété & la grandeur. Bien loin qu'elles foient incompatibles , elies fe foutien- nent mutuellement l'une & l'autre. De forte que la piété fert à relever la gran- deur , Se que la grandeur fert à relever la piété.

I. La piété relevé tout à la fois la grandeur , ôc devant Dieu > ôc devant les hommes : devant Dieu , parce que Tome I. Pp

45© Alliance de la Piété la piété rend la grandeur chrétienne ôc fainte : devant les hommes , parce que la piété nous rend la grandeur fingu- liérement aimable & vénérable.

Grandeur Chrétienne 3c fainte de- vant Dieu , par ? par la piété , ainli que je viens de le dire. Car que fait la piété dans un Grand , ôc comment le lanctifie-t-eile ? Eft-ce en le dépouil- lant de fa grandeur même ? Eft-ce en le faifant renoncer à tous les titres d'honneur dont il eft revêtu ? L'oblige- t-elle à céder fes droits , à fe démettre de fon autorité 6c de fon pouvoir , à defcendre de fon rang de à f e dégrader , à mener une vie privée , ôc à fe ré- duire dans une retraite obfcure , fans pompe , fans éclat , fans nom ? Il eft vrai qu'il y a eu des Grands du monde y ôc même des Princes & des Rois , que l'Efprit de Dieu a portés jufques - là. Ils fe font retirés dans les Solitudes &c dans les Cloîtres ; 3c pour fe mettre plus sûrement en garde contre la con- tagion du fiécle , ou pour -acquérir une reftemblance plus parfaite avec Jefus- Chrift humilié ôc anéanti , ils fe font cachés ôc enfevelis dans' les ténèbres. Mais fi ces exemples font dignes de notre admiration , ce n'eft pas une

et ©ï la Grandeur. 451 conféquence que tous les Grands les doivent fuivre , ôc qu'ils ne puifTent autrement fe fanctifier que par cette abdication volontaire , Se ce renonce- ment à l'état de diftinétion la Pro- vidence les a élevés. S'il en étoitainii, il faudroit donc qu'il n'y eût dans le monde Chrétien , ni puiflance féculie- re , ni dignité , ni magiftrature 3 ni prin- cipauté , ni monarchie , puifqu'il feroit néceiïaire de quitter tout cela ôc de fe défaire de tout cela , pour pratiquer le chriftianifme &c pour s'y perfection- ner. Syftême qui dérangeroit tout le plan de la SagelTe divine , Se qui ren- verferoit tout l'ordre qu'elle a établi, A ne point parler des faints Législateurs Se des faints Rois , qui ont vécu dans l'ancienne Loi Se gouverné le peuple de Dieu, combien de Grands dans la Loi nouvelle , combien de Rois , fans déroger en rien de leur grandeur , font parvenus , au milieu de la Cour , à la plus fublime fainteté , Se ont mérité d'être honorés d'un culte public par toute l'Eglife ?

Delà il s'enfuit qu'on peut être Grand félon le Monde , demeurer dans la con- dition de Grand , vivre en Grand , Se cependant marcher Se s'avancer dans

ppij

451 Alliance de la Pieté les voies de la perfection chrétienne. Or voilà l'ouvrage , ou plutôt le chef- d'œuvre de la piété. Elle fait remonter un Grand jufqu au principe de fa gran- deur & de toute grandeur humaine , qui eft Dieu. Elle lui fait reconnoître avec l'Apôtre > ôc félon la maxime fon- damentale de la Foi , que toute puif- fance vient de Dieu y ôc par conféqueîit que tout ce qu'il eft , il ne l'eft que par la grâce de Dieu. D'où il conclut par le raifonnement le plus jufte & le plus feniible , que toute fa grandeur n'eft donc, qu'une grandeur fubordonnée au fouverain Maître de qui il l'a reçue. Que c'eft une grandeur dépendante ; &: que bien loin qu'elle l'affranchirTe des loix divines , elle lui impofe une obligation particulière d'honorer d'un culte plus religieux , plus aiîidu, plus fervent , le fuprême Auteur à qui il eft redevable de fon état & de tous les avantages temporels qui y font atta- chés. Que ce n'eft pas pour lui quelle lui a été donnée, cette grandeur, Se qu'il nen eft que le dépofîtaire> mais que chaqite chofe devant retourner à fa fource , c'eft à Dieu que l'honneur en eft y & a ce Seigneur des Seigneurs , qu'elle doit être référée par un ufage

et de la Grandeur. 455 tel qu'il le demande & tel qu'il le mérite.

Toutes ces penfées ôc d'autres que la piété ne manque point de fuggérer, tiennent un Grand dans une attention continuelle fur foi-même , pour ne fe laiiTer point éblouir de l'éclat qui l'en- vironne , & ne fe point évanouir dans fes idées } pour fe maintenir toujours de- vant Dieu, ôc à l'égard de Dieu dans des fentimens humbles & fournis , dans une dépendance volontaire ôc entière , dans une obéiffance pleine ôc parfaite ^ pour n'ufer jamais de fa puifTance con- tre Dieu , en la faifant fervir à fatis- faire fes pallions , fon intérêt , fon am- bition , fes reifentimens ôc fes vengean- ces j mais au contraire , pour l'em- ployer toujours félon les vues ôc le gré de Dieu , confultant Dieu dans tout ce qu'il entreprend 3 n'y envifa- geant que Dieu , ôc ne s'y propofant autre chofe que d'être l'exécuteur de fes ordres , ôc le Miniftre de fes éternel- les volontés j pour s'attacher avec d'au- tant plus de fidélité ôc plus de zèle au fervice de Dieu , qu'il fe voit comblé plus libéralement Ôc plus abondamment de fes dons ; pour lui rendre tous les devoirs de religion , d'adoration, de re->

454 Alliance de la Pieté connoifTance 8c de dévotion, que l'E- glife de Dieu exige de chaque fidèle; ne manquant à nulle obfervance , ne fe difpenfant d'aucune pratique , y en ajoutant même de propres 8c de perfon- nelles j en un mot , remplifTant toute juftice , 8c n'écoutant là-delîus ni ref- pe6l du monde , ni inclination ou ré- pugnance de la nature. Qui peut dou- ter qu'un Grand de ce caractère ne foit fpécialement agréable à Dieu ? c'eft-à- dire , qui peut douter qu'il ne foit vrai- ment grand aux yeux de Dieu , puis- que la vraie grandeur eft de plaire à Dieu , 8c que rien ne doit plaire da- vantage à Dieu que la grandeur même temporelle , ainfi appliquée à le glori- fier 8c toute dévouée à fon honneur? Voilà par David devint un objet de complaifance pour Dieu , 8c un Prince félon le cœur de Dieu. C'eft ce qui confacra toutes ks entreprifes 8c toutes fes victoires. C'eft ce qui en fit tout le mérite ôc tout le prix.

Grandeur finguliérement aimable 8c vénérable devant les hommes : autre effet de la piété dans un Grand. Il eft certain que la vertu , en quelque fujet qu'elle fe rencontre , eft toujours digne de notré^eftime 8c de nos refpects j mais

et de la Grandeur, 455 il faut convenir , dit faint Bernard , que par une grâce ôc un don particu- lier elle plaît fur-tout dans les nobles. D'où vient cela? on pourroit dire qu'é- tant beaucoup plus rare dans les Grands, elle paroît par-là même beaucoup plus eftimable. On pourroit ajouter qu'ayant dans les Grands beaucoup plus d'efforts à faire pour fe foutenir , ôc plus de difficultés à vaincre , elle les rend aufîî beaucoup plus recommandables par les obftacles mêmes qu'ils furmontent , & par les victoires qu'ils remportent. Mais fans m'arrêter à ces raifons ni a toutes les autres , voici , ce me fembie , la plus effentielle : c'eft que la piété corrige dans un Grand les défauts les plus ordinaires , par la grandeur de- vient communément odieufe ôc mépri- fable ; ôc qu'au contraire elle lui donne les qualités les plus capables de gagner les cœurs & de les prévenir en fa fa- veur.

En effet, ce qui nous indifpofe à l'égard des Grands , ôc ce qui nous porte le plus fouvent contre eux aux murmures & aux mépris, ce font leurs hauteurs ôc leurs fiertés , ce font leurs airs dédaigneux ôc méprifans , ce font leurs façons de parler , leurs termes 3

45<£ Alliance de Piété leurs geftes , leurs regards , toutes leurs manières , ou brufques & rebutantes 5 ou trop impérieufes & trop dominan- tes. Ce font encore bien plus leurs ty- rannies & leurs duretés 5 quand par Fa- bus le plus énorme du pouvoir dont ils ont été revêtus , ils tiennent dans Top- preiïion des hommes comme eux , Se leur font fentir fans ménagement tout le poids de leur grandeur ; quand par l'indifférence la plus mortelle , unique- ment attentifs à ce qui les touche , ôc renonçant à tons les fentimens de la charité, ils voient d'un ceil tranquille & fans nulle compaiîion , des miferes dont allez ordinairement ils font eux- mêmes auteurs } quand par une mon- ftrueufe ingratitude ils lailfent fans ré- compenfe les fervices les plus impor- tans, & oublient des gens qui fe font immolés & qui s'immolent fans celle pour leurs intérêts. Ce font leurs injufli- ces , leurs violences , leurs concuilions , <k , fi je puis ufer de ce terme , leurs brigandages , foit connus & publics ( car fouvent même ils ne s'en cachent pas ) foit particuliers & plus fecrets , mais qui ne caufent pas moins de dommage', êc ne donnent pas moins à fouffrir. Ce font les défordres de leur vie , leurs dé- bauches j

et de la Grandeur. 457 tauches , leurs excès , leur irréligion , tous les vices ils s'abandonnent avec d'autant plus de liberté , que c'eft avec plus d'impunité. Voilà , tout Grands qu'ils font , ou parla naiffance , ou par la faveur , ce qui les rabailTe infini- ment dans les efprits, & ce qui les avilit. On refpe&e dans eux leur caractère. On redoute leur puiflance. On leur rend les hommages qu'on ne peut leur uefufer, ni félon les loix du monde , ni félon la loi de Dieu : mais leurs per- fonnes , comment les regarde-t-on ? ôc tandis qu'au dehors on les honore , quelle eftime en fait-on dans le cœur , ôc quelles idées en conçoit-on ? S'ils en étoient inftruits , il faudroir qu'ils fuilent bien infenfibles, pour n'en être pas pénétrés jufques dans le fond de î'ame.

Or la piété retranche tout cela , ré- forme tout cela , change tout cela. En faifant de la grandeur une grandeur Chrétienne , elle en fait une grandeur aimable & vénérable , comment ? parce qu'elle en fait une grandeur modefte ôc humble , qui fans abandonner fes droits ni oublier les prérogatives , du refte ne s'enorgueillit point , ne s'enfle point , ne fe lairTe point infatuer d'elle-même j

Tome L Qq

45§ Alliance de la Piété qui n'offenfe perfonne , ne choque per- fonne , ne s'éloigne de perfonne ] qui tout au contraire fe rend affable à l'é- gard de tout le monde , prévenante , honnête , douce , condefcendante. Par- ce qu'elle en fait une grandeur officieu- fe ôc charitable, qui fe plaît à obliger ; qui volontiers s'emploie pour les petits, pour les pauvres , pour les affligés j qui compatit à leurs maux , ôc prend foin , autant qu'il lui eft poflible , de les fou- lage r 5 qui fe communique , fe familia- rife , pardonne aifément , récompenfe abondamment , répand libéralement fes dons , Ôc penfe plus en quelque maniè- re aux autres qu'à foi-méme. Parce qu'elle en fait une grandeur fage , droi- te ôc jufte j vraie dans fes paroles , fi- dèle dans fes promeuves , équitable dans fes jugemens : n'écoutant que la raifon, ôc la fuivant en tout fans nul égard , prenant le parti de l'innocence , foutenant la veuve Se l'orphelin , ren-r dant à chacun ce qui lui appartient , ôc aimant mieux en bien des rencontres fe relâcher de certains intérêts Ôc de cer- taines prétentions , que de fe mettre au hazard de faire tort à qui que ce foit ôc de profiter de fes dépouilles. Parce qu'elle en fait une grandeur réglée dans

st pe la Grandeur, 45 j toute fa conduite & irréprochable dans fes mœurs \ tellement adonnée aux de- voirs de la Religion , qu'elle ne manque à aucun devoir du monde ennemie du libertinage , zélée pour le bon or- dre , commençant par s'y foumettre elle-même ; ôc donne l'exemple à ceux qu'elle y^veut réduire, ou qu'elle tra- vaille à y maintenir.

Suppofons un Grand en de telles difpoikions , & agilTant de telle forte en toutes chofes : eft-il un homme plus refpecté ? Du moins , efb-il un homme plus refpectable ? Peut-on fe défendre de l'eilimer , de l'admirer , de l'aimer ? Qu'il ait quelques ennemis fecrets , qu'il ait des concurrens & des envieux : fes ennemis mêmes , fes envieux de fes concurrens feront forcés dans le coeur de lui rendre la juftice qui lui eft due. Quoi qu'il en foit , & quoiqu'ils en pen- fent ) tout le public fe déclarera en fa faveur , Se c'eil: à fon égard que fe vé- rifiera ce que le Saint-Efprit a dit en particulier d'un homme déiintéceiTé : Quel eji celui-là ? Nous le comblerons ^ccl. et d'éloges : car fa vie ejl un perpétuel mira- Il*9* cle. Mais , dira-t-on , ne voit-on pas quel- quefois de ces Grands que la piété rend importuns , difficiles, chagrins , bizarres,

4<jo Alliance de la Pieté farouches 3 &c par-là même infupporta- bles 8c méprifables? Erreur. Je dis erreur; non pas que je convienne de toutes leurs bizarreries 3 8c de tous les travers ils donnent } mais erreur , fi Ton at- tribue tout cela à la piété. Car il faut bien diftinguer ce qui vient d'eux-mê- mes , 8c ce qui vient de la piété qu'ils profeiTent. Une parfaite piété , bien loin de nous porter à tous ces écarts , nous en garantit , ou nous en retire : 8c delà il faut conclure , que le principe du mal , c'eft qu'ils n'ont encore qu'une piété très-défectueufe. Autant qu'ils la perfectionneront , autant elle les per- fectionnera eux-mêmes '7 8c plus elle les perfectionnera en corrigeant les défauts perfonnels qu'on leur reproche , 8c leur faifant acquérir les vertus contraires , plus elle donnera de luftre à leur gran- deur 8c les rendra recommandables.

1 1. Comme la piété relevé la gran- deur , on peut dire auffi que la gran- deur , par un heureux retour > fert infi- niment à relever la piété _> 8c cela en plus d'une manière : , Parce que la gran- deur met en crédit la piété ; parce que la grandeur a plus de pouvoir pour ban- nir Iç vice , 8c que par la force de fes

et de la Grandeur. 461 exemples elle engage plus de monde dans le parti de la piété ; parce que la grandeur par l'édiiication qu'elle don- ne , détruit le plus puiifant obftacle que la piété ait à combattre , qui eft le refpeck humain ; parce que la grandeur fournit à la piété de plus importans fujets , ôc des occafions plus éclatantes de s'exer- cer , & de fignaler fa religion &c fou zèle.

La grandeur met en crédit la piété ; êc la raifon eft , qu'étant prévenus natu- rellement , comme nous le fommes 5 d'un certain refped pour les Grands , nous fommes par-là naturellement por- tés à juger des chofes félon qu'ils en jugent ; fur-tout fi ce font d'ailleurs de bonnes chofes en elles-mêmes , ou des chofes au moins qui ne paroifTent pas évidemment mauvaifes. Ainfi , quand on voit pratiquer les exercices du Chrif- tianifme à un Grand , quand on le voie fréquenter les Sacremens , affilier régu- lièrement & dévotement au Sacrifice de l'Autel , fanctifler les Fêtes par fon aiîlduité aux prières 8c aux ORices ordi- naires de l'Eglife , obferver les abfti- nences , les jeûnes , écouter la parole divine , ne manquer à rien de tout ce qui concerne le culte de Dieu , on n'en

Qq iij

%êi Alliance de la Piété a que plus d'eftime pour ces mêmes exercices. On ne les compte plus feu- lement pour des pratiques du peuple Se d'un petit nombre dames pieufes ,.mais on les regarde comme des devoirs con- venables à tous les états & aux plus hauts rangs. Les Payens , félon le té- moignage de Saint Cyprien , refpec- toient jufqu'aux vices mêmes de leurs prétendues divinités, & il leur fem- bloit que ces vices étoient confacrés, dès que c'étaient les vices des dieux. De-là nous devons juger à combien plus forte raifon , la vertu reçoit des Grands un éclat particulier , ôc quel prix dans l'opinion commune y ajoute leur grandeur.

De ce premier avantage en fait tin autre : c'eft que Pexemple des Grands ayant autant d'efficace qu'il en a , pour toucher les cœurs Se pour les engager , il eft par-là même d'un fecours infini a la piété , pour s'établir Se pour fe ré- pandre. Ce font des modèles fur lefquels on fe forme beaucoup plus volontiers que fur le refte des hommes. Ce font des lumières , fuivant la figure de l'E- vangile ; Se des lumières , non point Uatth* cachées fous le boiffeau j mais placées fur $• 5* U chandelier^ dont les rayons éclairent

et 6e la Grandeur. 463 toute la mai/on _, & dont la fplendeur frappe vivement les yeux. L'édification que donne un particulier eft renfermée dans un petit nombre de perfonnes qui le voyent, & qui font témoins de fes actions : mais il n'en eft pas de même d'un Grand. Plus il eft élevé , plus il eft connu & remarqué : d'où il arrive que la bonne odeur de fa piété s'étend bien plus loin , & que fa vie exemplair re devient bien plus édifiante. Editica^ tion auiïi efficace , qu'elle eft générale ; car les exemples d'un homme au-deflus de nouss , font contre nous les titres les plus convaincans , & les plus prefTans re- proches , quand nous refufons de faire ce qu'il fait , & que nous ne voulons pas tenir la même conduite que lui , ni nous affujettir aux mêmes obfervances* Notre cœur nous applique à nous-mê- mes ce témoignage , 3c le tourne à no- tre confufion. Tous les prétextes dont nos paillons tâchent de fe prévaloir ^ s'évanouiifent , parce qu'on fe trouve forcé de reconnoître , que ce ne font en effet que des prétextes &: que de fauffes exeufes. On eft intérieurement excité , follicité , attiré j & plufieurs en- fin fuivent l'attrait dont ils reiTentent l'impreffion. Voilà comment dans une

Qq iv

464 Alliance delà Piété Ville , dans une Cour , il ne tiendrait fouvent qu'à quelques perfonnes distin- guées par leur naiiîance 8c par leur digni- té , de bannir des abus , des coutumes 5 des modes , des fcandales , mille déf- ordres qui ruinent toute la piété , 8c qui deshonorent la Religion. Si leur exemple n'y fuffifoit pas , ils y employe- roient le pouvoir qu'ils ont en main ; 8c le mettant en œuvre à propos 3 félon les befoins 8c les rencontres , ils fçau- roient bien réprimer la licence , 8c maintenir l'honneur de Dieu 8c de fou Service.

De tout ceci, par une conféquence naturelle , qu'arriveroit-il encore en fa- veur de la piété ? C'eft qu'elle pren droit l'afcendant fur l'ennemi le plus dange- reux , qui l'attaque 8c qui s'oppofe à fes progrès , je veux dire fur le refpect. hu- main. Car il n'y aurait plus de honte à vivre félon les maximes de l'Evangile 8c félon les régies de la Foi , fi les Grands fe déclaraient hautement pour la piété» Les mondains 8c les libertins auraient beau parler 8c railler : cet exemple 5 fans de longs raifonnemens , ferait une réponfe courte 8c toujours préfente à toutes leurs railleries 8ci à tous leurs difcours, S'il y avoit même alors quel-

ït de la Grandeur. 4^5 <que chofe à craindre , ce n'eft pas que le refped du monde perverti Ôc cor- rompu nous arrêtât : mais c'eft qu'une autre forte de refpedt humain tout con- traire , 6c que la feule envie de plaire à un Grand , ne nous portât à une piété hypocrite, de ne nous fît affecter de faux dehors. Tant il eft certain que tout cède à l'exemple des Grands ; ôc tant ils font coupables 3 quand ils ne font pas fervir l'empire qu'ils ont fur les efprits , à confondre le libertinage , Ôc à mettre la pieté en état d'agir ou- i vertement ôc de fe montrer avec affii- rance.

Enfin par une dernière prérogative Ôc un privilège qui lui eft propre , c'eft la grandeur qui fournit à la piété plus d'occafions ôc plus de moyens d'entre- prendre de grandes chofes , ôc de les exécuter pour la gloire de Dieu , pour le bien du prochain , & pour l'avance- ment de la Religion. Car plus un hom- me eft élevé félon le monde ,. plus peut s'employer utilement félon Dieu ôc faire de bonnes œuvres. Par exem- ple , que ne peut point faire un Sei- gneur dans toutes fes terres ? Que ne peut point faire un chef de Juftice dans tout fon reifort, ou un Commandant

\é6 Alliance de la Piété dans toute une Province ? Que ne peitt point faire un Roi dans toute l'étendue de (es Etats ? Comment Saint Louis fit- il de fi beaux établifTemens , porta-t-il des loix il falutaires > donna-t-il de il faints Edits, forma-t-il des armées & les conduiiit-il contre les ennemis de la Foi ? C'eft que dans fa perfonne la pié- té fe trouvoit foutenue de la grandeur. S'il eût été moins puhTànt, & qu'il fe fût trouvé réduit à une condition médio- cre 3 il neiit pu dans la pratique Ôc dans les effets porter fi loin fa charité , fon zèle , fon détachement , fon équi- té inviolable j fa générofité toute Chré- tienne , fa patience , fon humilité , bien d'autres vertus. Heureux d'avoir fçu dans fa grandeur de par fa grandeur même s'élever à un ïî haut point de fainteté.

Voilà par proportion quel feroit le bonheur de tous les Grands , s'ils fça- voient ufer , comme ils le doivent , de leur grandeur. Mais leur malheur eft de ne vouloir être Grands que pour leur élévation temporelle, & de fe perfua- der prefque que la grandeur eft un titre qui les affranchit des loix du Chriftia- "EccU c. nifme. La louange que donne l'Ecriture 3I' IO* à un Grand , c'eft d'avoir pu faire le mal

et de la Grandeur. 467 & de ne l'avoir pas fait ; mais par une régie à peu près femblable , ce qui con- damne la plupart des Grands , 8c ce qui leur fera reproché au Jugement de Dieu , c'eft d'avoir pu faire le bien 8c le plus grand bien , & d'avoir omis de le faire.

Penfées diverfesfur la Dévotion.

J Y) Ourquoi la vraie dévotion eft-elle J7 fi peu connue , 8c pourquoi au con- traire connoît-on fi bien la faulfe ? C'eft que la vraie dévotion fe cache , parce qu'elle eft humble ; au lieu que Ta fauiïe aime à fe montrer 8c à f e distinguer. Je ne dis pas qu'elle aime à fe montrer ni à fe faire connoître comme faillie. Bien loin de cela, elle prend tous les de- hors de la vraie : mais elle a beau faire 5 plus elle fe montre , plus on en décou- vre la faulTeté. Voilà d'où vient que le monde juge communément très-mal de la dévotion. Car il n'en juge que par ceux qui en ont l'éclat , qui en ont le nom , la réputation : or ce n'eft pas toujours par ceux-là qu'on en peut for- mer un jugement favorable Se avanta- geux. Pour mettre la dévotion en cré-

468 Pensées diverses dit , il faudroit que la FaufTe demeurât dans les ténèbres , ôc que la vraie , per- çant le voile de ion humilité parût au grand jour.

J Si les libertins pouvoient être té- moins de ce qui fe pafle en certaines âmes folidement chrétiennes & pieu- fes ; s'ils voyoient la droiture de leurs intentions, la pureté de leurs fentimens, la délicatefte de leur confcience ; s'ils fçavoient quelle eft leur charité , leur humilité , leur patience , leur mortifi- cation , leur défintéreiTement , ils au- îoient peine à le comprendre : ils en feraient étonnés , touchés , charmés \ & bien loin de s'attacher, comme ils font , à tourner la piété en ridicule , Us en refpecleroient même jufques dans la faïuTe, les apparences, de peur de tromper dans la vraie.

f Nous cherchons en tout le plaiiir , 3z nous le voulons trouver jufques dans le fervice de Dieu & dans la piété. Ce fentiment , dit faint Chryfoftôme , eft bien indigne d'un Chrétien : mais tout indigne qu'il eft , Dieu, par une admi- rable condefcendance , n'a point re- fufé de s'accommoder à notre foiblef- fe , & e'eft ce que nous montre l'exem- ple des Saints. Dès cette vie, quelles

SUR LA DÉVOTION. 469

douceurs , quelles délices intérieures , les Saints n'ont-ils pas goûtées ?. Peut- être ne les concevons-nous pas , par- ce que nous ne nous fommes jamais mis en état de les goûter comme eux : mais les fréquentes épreuves qu'ils en ont faites , & que nous ne pouvons déf- avouer , font fur cela des témoigna- ges irréprochables ôc convaincans. Pen- dant que les réprouvés dans l'enfer, ainfi que l'Ecriture nous l'apprend , pro- teftent & protégeront éternellement emails fe font laffés dans le chemin de Vini- Sap. r. quité -y pendant que tant de mondains 6* 7* fur la terre nous affurent encore tous les jours , & nous prennent à témoin , qu'il n'y a pour eux dans le monde qu'amertume , que trouble ôc affliction d'efprit : que nous ont dit au contraire mille fois les Serviteurs de Dieu? Que nous difent-ils fans ceffe de leur état? Ils n'ont tous là-deiïus qu'une voix commune &: qu'un même langage , pour nous faire entendre qu'ils ont trouvé dans Dieu une fource inépui- fable de confolations , êc des confola- tions les plus fenfibles j que Dieu leur tient lieu de toutes chofes , & qu'un moment qu'ils parlent auprès de lui, . leur eft incomparablement plus doux ,

'47© Pensées diverses que des années entières au milieu tous les divertifïemens , 3c de toutes les joies apparentes du monde. Veulent-ils nous tromper? mais quel intérêt les y por- teroit ? Se trompent-ils eux-mêmes? mais on ne fe trompe pas aifément fur ce qu'on fent. Pourquoi donc nous obfti- nons-nous à vouloir être malheureux avec le monde , plutôt que de chercher en Dieu notre véritable bonheur ?

f Dès que les Juifs commencèrent à manger des fruits de cette terre abon- dante où ils entrèrent en fortant du défert , la manne qui les avoit jufques^ nourris , ne tomba plus du Ciel : 3c tant qu'une ame eft attachée aux plai- firs des fens 8c aux douceurs de la vie préfente , en vain efpere-t-elle goûter jamais les douceurs 8c les confolations divines. C'eft une nécelïité de renon- cer à l'un ou à l'autre. Voulons-nous que Dieu nous foit comme une manne , nous trouvions toutes fortes de goûts? il faut que le monde nous foit comme un defert.

$ Trois ou quatre communions par femaine , 8c pas un poiat retranché ni de fon extrême délicatefTe & de l'a- mour de foi-même , ni de fon intérêt propre 3 de fon aigreur ou de fa hau-

SUR LA DÉVOTION. 47 1

f eur d'efprit \ deux heures d'oraifon par jour , Se pas un moment de réflexion fur fes défauts les plus groiîiers \ enfin beaucoup d'oeuvres faintes & de pure dévotion , mais en même tems une négligence affreufe de mille articles ef- fentiels , ou par rapport à la Religion Se à la fourmilion qu'elle demande , ou par rapport à la juftice & aux obliga- tions quelle impofe ; ou par rapport à la charité & a (es devoirs les plus in- difpenfables : voilà ce que je ne puis approuver , & ce que jamais nul hom- me 5 comme moi, n'approuvera. Mais les prières , les oraifons , les fréquentes communions ne font-elles pas bonnes ? Oui fans doute , elles le font ; <k c'en: juftement ce qui nous condamne , qu'é- tant fi bonnes en elles-mêmes , elles ne nous rendent pas meilleurs.

§ Gardez toutes vos pratiques de dé- votion, j'y confens , 8c je vous y exhorte même très-fortement : mais avant que d'être dévot , je veux que vous foyez Chrétien. Du chriftianifme à la dévo- tion , c'eft l'ordre naturel : mais le ren*- verfement & l'abus le plus monftrueux ^ c'eft la dévotion fans le chriftianifme» Pour en donner un exemple : en ma- tière d'inimitié , de vengeance , de

47^ Pensées diverses médifance , fi l'on n'y prend garde , on fait fouvent par dévotion, tout ce que les libertins 8c les plus mondains font par paiïîon. Dans le cours d'une affai- re ou dans la chaleur d'une difpute , on décrie des perfonnes , on les com- ble d'outrages , on les calomnie , 8c l'on croit rendre par-là fervice à Dieu : fi dans la fuite il en vient quelque fcru- pule , on fe contente pour toute répara- tion, de dire dévotement : n'y penfons plus , & n'en parlons plus j je mets tout cela au pied du Crucifix. Mais il y faudrait penfer , mais il en faudrait parler , mais il y faudrait remédier -y 8c ce feroit4a , non-feulement la perfec- tion , mais le fonds du chriftianimie 8c la religion.

f Vouloir accorder tout le luxe 8c tout le badinage du monde avec la dé- votion , cela n'eil pas fans exemple , mais c'eft l'aveuglement le plus déplo- rable. Hé ! ces parures peu modeftes , ces manières fi libres , fi enjouées , fi familières , les peut-on même accor- der avec la réputation ?

f Beaucoup de Directeurs des con- fciences , mais peu de perfonnes qui fe iaiiTent diriger. Ce n'efl pas que toutes les âmes dévotes , - ou prefque toutes ,

ne

R&n, c*

SUR LA DÉVOTION. 473

ne veuillent avoir un Directeur;, mais un Directeur à leur mode , & qui les conduife félon leur fens : c'eft-à-dire , un Directeur dont elles foient d'abord elles - mêmes comme les directrices , touchant la manière dont il doit les di- riger. Cela s'appelle , à bien parler , non pas vouloir être dirigé , mais vouloir , par un Directeur , fe diriger foi-même.

y La dévotion doit être prudente, 3c on peut bien lui appliquer ce que faint Pierre a dit de la Foi : Que votre fervïce /oit rai/onnable. Ce n'eit donc n. 1 point Pefprit de l'Evangile 3 que par une dévotion outrée nous nous portions à des extrémités qui choquent le bon fens , ou à des imgularités qui ne font pro- pres qu'a faire parler le monde. Mais le mal eft , que cette prudence qui efb un des caractères de la dévotion , n'ert pas toujours le caractère des perfonnes dévotes. Elles ont , il eft vrai y leurs Directeurs ; mais ces Directeurs , elles ne les écoutent pas toujours , & je puis dire avec quelque connohTance j que ce n'eit pas pour ces Directeurs une petite peine , de voir fouvent qu'on leur attribue des imprudences auxquel- les ils n'ont nulle part 3 & fur quoi néan- moins ils ne peuvent guères fe jurtiher , Tome , L R r

474 Pensées diverses

parce qu'il ne leur eft pas permis Je?

s'expliquer.

f Aller fans ceffe Je Directeur en Directeur , & tour à tour vouloir tous les éprouver, c'eft Jans les uns inquic- tuJe , 8c Jans les autres curiofité. Quoi que ce foit rdans ces divers circuits on court beaucoup ,. mais on n'avance guères.

$ Etes-vous Je la morale étroite ^ ou êtes-vous Je la morale relâchée ? Bifarre queftion , qu'on fait quelque- fois à un Directeur , avant que Je s'en- gager fous fa conduite. Je dis queftion ridicule de bifarre , dans le fens qu'on entend communément la chofe. Car quand on demande à ce Directeur s'il eft de la morale étroite , on veut lui de- mander , s'il eft de ces Directeurs févé^ res par profeillon ,. c'eft- à -dire de ces Directeurs déterminés à prendre ton* jours & en tout le parti le plus rigou- reux , fans examiner fi c'eft le plus rai- fonnable, & le plus conforme à l'efpric Je l'Evangile , qui eft la fouveraine raifon. Et quand au contraire on de- mande à ce même Directeur, s'il eft de la morale relâchée , on préten J lui demander , s'il eft du nombre Je ces autres Directeurs qu'on aceufe d'altérer

sur la Dévotion. 475 la morale Chrétienne , Se d'en adoucir toute la rigueur par des tempérament qui accommodent la nature corrom- pue , & qui flattent les fens & la cupi- dité. A de" pareilles demandes que puis- je répondre , linon que je ne luis par état ni de l'une ni de l'autre morale , ainfi qu'on le conçoit -y mais que je fuis de la morale de Jefus-Chrirt ; fk que Jefus-Chrift étant venu nous enfeigner dans fa morale la vérité , je m'en tiens dans toutes mes dédiions a ce que je ju- ge de plus vrai, de plus jufte > de plus convenable félon les conjonctures , &c félon les maximes de ce divin Légiila- teur. Tellement que je ne fais point une obligation indifpenfable de ce qui n'eft qu'une perfection : comme aufïi , en ne faifant point un précepte de la pure perfection s j'exhorte du refte , autant qu'il m'elt poilible , à ne fe borner pas dans la pratique à la fimple obligation. Voilà ma parole. Qu'on m'en enfeigne une meilleure y ôc je la fuivrai.

f II y a dans faint Paul une expreiîioa bien forte. C'eft au fujet de certains Séducteurs qui prêchoient le Judaïfme $, & portoient les fidèles à fe faire circon- cire. Pourquoi veulent-ils que vous foye% Cat/ t\

Rr ij. 6-- îz-*

47<* Pensées diverses sur la Dév. circoncis y difoit fur cela le grand Apôtre ^ écrivant aux Galates ? ceft afin de fe glo- rifier dans votre chair. Comme s'il leur eût dit : ce n'eft pas le zèle de la Loi de Moïfe qui touche ces gens-là, & qui les intérefTe. Ils s'en fondent fort peu 5 puifqu eux-mêmes ils la violent en mille points. Que prétendent-ils donc ? Ils voudroient pouvoir fe vanter de vous, avoir engagés dans leur parti. Ils vou- droient pouvoir vous compter au nom- bre de leurs difciples. Ils voudroient s'en faire honneur , 8c c'eft pour cela qu a quelque prix que ce foit , & quoi- qu'il vous en puifTe coûter , ils exigent de mous que vous vous foumettiez à la circoncision. Voilà , félon le Maître des Gentils , quel étoit i'efprit de ces faux Docteurs & de ces dévots de la Syna- gogue O ! qu'il eft aifé de fe faire dans le monde la réputation d'homme févè- re , Se de la. foutenir aux dépens d'au- truL

Fin du premier Tome*

mwm%

SUJETS ET ARTICLES

CONTENUS DANS CE FOL U ME,

DU SALUT.

*& TÉceJjïté du Salut ^ & l'ufage que

J^ V nous en devons faire contre les plus dangereufes tentations de la vie»

Pag. î

EJlime du Salut _, & de la gloire du Ciel ^ par la vue des grandeurs humaines. 1 7

Defir du Salut _, & la préférence que nous lui devons donner au-dejfus de tous les autres biens. 3 1

Incertitude du Salut y & les fentimens quelle doit nous infpirer oppofés à une fauffe fécurité. , 46

ToJJlbilité du Salut dans toutes les condi- tions du monde. 5 7

Voie étroite du Salut _, & ce qui peut nous engager plus fortement à la prendre» 7 1

Soin du Salut j& V extrême négligence avec laquelle on y travaille dans le monde. 8 5

Subjlitution des grâces du Salut 5 les vues que Dieu s'y propofe j & comment il

exerce fa jujllce &fa miférlcorde* %f

Petit nombre des Elus j de quelle manière

il faut l'entendre & le fruit qu'on peut

retirer de cette vérité, 112,

Penfées diverf es furie Salut* 13,0

DE LA FOI,

Et des vices qui lui font oppofés.

A Ccord de la raifon & de la Foi. 1-42 ^fjL La Foi fans les Œuvres j Foiftérile & fans fruit. 166

Les Œuvres fans la Foi ^ Œuvres infruc- tueufes & fans mérite pour la vie éter- nelle. 192 La Foi victorieufe du monde. 2, 1 1 L'Incrédule convaincu par lui-même. 228 Naijfancede$Héréfiess& leur progrès. 245 Penfées diverfes fur la Foi j & fur les vices oppofés. 26a

DU RETOUR A DIEU,

Et de la Pénitence.

73 Onté infinie de Dieu à rappeller h

JLJ Pécheur & à le recevoir. zj6

Sacrement de Pénitence, Difpofitioœs

qu il y faut apporter j & le- fruit qu'on

en doit retirer. 1 8 6

Pénitence extérieure > ou mortification

des fens. 349

Pénitence intérieure j ou mortification des

pafjtons. ^ 365

Penfées diverfes fur la pénitence & h

retour à Dieu. 392

DE LA VRAIE,

Et de la faufïè dévotion.

jy Égle fondamentale j & effèntielle de x\ la vraie dévotion, 406

Saints defirs d'une ame qui afpire à une

vie plus parfaite , & qui veut s'avancer

dans les voies de la piété. 4 1 &

Injujlice du mande dans le mépris qu'il

fait des pratiques de dévotion. 416 Simplicité Évangélique _, préférable dans

la dévotion à toutes les connoiffances

humaines. 43 1

Défauts à éviter dans la dévotion y &

fauffes conféquences que le libertinage.

en prétend tirer. 439

Alliance delaPiété& delà Grandeur. 449 Penfées diverfes fur la Dévotion. 46 7

Fin de la Table,

APPROBATION.

'Ai îuj par ordre de Monfeignsur le Garde des Sceaux, un Ecrit intitulé : Penfées du Père Bourdaloue , de la Compagnie de Jefus , fur divers fujets de Religion & de Morale. Quelque riches & abondantes qu'elles fuiTent par elles- mêmes , elles avoient befoin pour être rédigées & former un Corps d'ouvrage, de toute l'appli- cation & de l'habileté du laborieux Editeur qui les a fçu difpofer & mettre en œuvre Au moyen de quoi , outre quantité de belles Penfées ,- de pieufes Méditations , de deffeins même de Ser- mons à i'ufage des Prédicateurs, dont ce Recueil eft enrichi; l'on y trouvera fur plusieurs grandes matières & fujets importans des difcours finis &c achevés, dignes du grand Prédicateur fous le nom duquel on les annonce ; & quoique ce Coiî fous le titre /Impie & modelée de Penfées , il y a lieu de croire qu'elles n'en feront pas moins favorablement reçues du Public , & le Le&eur trouvera qu'on lui donne en effet beaucoup plus qu'on ne lui a promis.

A Paris, ce 6 Février 1733.

LEROUGE.

PERMISSION

Du Révérend Père Provincial,

JE foufiigné Provincial de la Compagnie de Jefus en la Province de France , fuivantla pouvoir que j'ai reçu de notre Révérend Père Général, permet au Père François Bretonneau de la même Compagnie , de faire imprimer un Livre qu'il a revu , & qui a pour titre : penfées du Père Bourdaloue de la Compagnie de Jefus ,

fur divers fujets de Religion & de Morale, Lequel livre a été vu & approuvé par trois Théo- logiens de notre Compagnie ; en foi & témoi- gnage de quoi j'ai (igné la prélente. À Breft, le 3 Août 173*»

P. FROGERAIS.

PRIVILÈGE DU R 0 L

LOUIS, PAR LA GRACE DE DlEU J Roi de France et de Navarre: À nos amés Se féaux Confeiliers les gens tenans îios Cours de Parlement , Maîtres des Requêtes ordinaires de notre Hôtel , Grand-Confeil s Prévôt de Paris , Eaillifs , Sénéchaux , leurs Lieutenants Civils & autres nos jufticiers qu'il appartiendra : Salut. Notre amé le fieur Louis François D*latour , Imprimeur-Libraire , Nous a fait expofer qu'il defireroit faire impri- mer & donner au Public les Sermons & Venféet de Bourdalque , &c. s'il Nous plaifoit lui accorder nos Lettres de renouvellement & Pri- vilège pour ce néceflaires. A ces Causes, vou- lant favorablement traiter TExpofant, Nous lui avons permis & permettons par ces préfen- tes } de faire imprimer ledit Ouvrage , autant de fois que bon lui femblera , & de le vendre, faire vendre & débiter par tout notre Royaux me , pendant le temps de quinze années con- fécutives, à compter du jour de la date des Préfentes : Faifons défenfes à tous Imprimeurs, Libraires & autres perfonnes , de quelque qua- lité & condition quelles (oient, d'en introduire «TimprefTion étrangère dans aucun lieu de notre ebéiffance ; comme auffi d'imprimer , ou faire Tome L Sf

imprimer , vendre , faire vendre > débiter , ni contrefaire ledit Ouvrage, ni d'en faire aucun extrait, fous quelque prétexte que ce puiffe être , (ans la permiflion exprefTe & par écrit dudit Expofant, ou de ceux qui auront droit de lui , à peine deconfifcation des Exemplaires contrefaits, de trois mille livres d'amende con- tre chacun des contrevenans , dont un tiers à Nous , un tiers à l'Hôtel-Dieu de Paris, & l'au- tre tiers audit Expofant , ou à celui qui aura droit de lui , & de tous dépens , dommages 8c Intérêts ; à la charge que ces Préfentes feront enregistrées tout au long fur le Regiftre de la Communauté des Imprimeurs & Libraires de Paris, dans trois mois de la date d'icelles; que TimprefTion dudit Ouvrage fera faite dans notre Royaume & non ailleurs, en beau pa- pier & beaux caractères, conformément aux Réglemens de la Librairie , & notamment à celui du dix Avril mil fept cent vingt-cinq, à peine de déchéance du préfent Privilège; qu'a- vant de l'expofer en vente, le manufcrit qui aura fervi de copie à l'impreffion dudit Ouvra- ge , fera remis dans le même état l'Appro- bation y aura été donnée, es mains de notre très-cher & féal Chevalier, Chancelier, Gar- de des Sceaux de France, le Sieur de Maupeou; qu'il en fera enfuite remis deux Exemplaires dans notre Bibliothèque publique , un dans celle de notre Château du Louvre , & un dans celle dudit fleur de Maupeou ; le tout à peine de nullité des Préfentes ; du contenu defqueiles vous mandons & enjoignons de faire jouir ledit Expofant & fes ayant caufes , pleinement Se paifiblement, fans foutTrir qu'il leur foit fait aucun trouble ou empêchement. Voulons que ia copie des Préfentes, qui fera imprimée tout au long, au commencement ou à la fin dudù

Ouvrage, foit tenue pour dîiement tignïfiêe , & qu'aux copies collationnées par l'un de nos amés & féaux Confeillers-Secrétaires, foi foit ajoutée comme à l'original. Commandons au premier notre Huilïier ou Sergent fur ce requis, de faire pour l'exécution d'icelles , tous actes requis & néceiïaires, fans demander autre per- miflion , &nonob(hnt clameur de Haro, Char- te Normande , & Lettres à ce contraires. Car tel eft notre plaiiîr. Donné à Paris, le dixième jour du mois d'Avril l'an de grâce mil fept cent foixante-onze , & de notre.Régne le cin- quante-iîxieme. Par le Roi en fon Confeil.

Signé, LE BEGUE.

Regiflré fur le Regiftre JCVIll de la Chambre Royale & Syndicale des Libraires & Impri- meurs de Paris, N°. 1^7. fol. 472. confor- mément au Règlement de 1723. A Taris, ce %Q Avril 1771*

J. Hérissant, Syndic,

De l'Imprimerie de L. F. Delatour 5

1774-

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